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Full text of "Le diable boiteux à Paris, ou, Le livre des cent-et-un"

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1-7 5V rio-i. 



lySV X-io-i. 



LE DIABLE BOITEUX 



t,-., , À 



[ W A mis. 



1 



00 



LE LIVRE 



DES CENT-ET-CIV. 






» 



STUTTGART* 

cnz lA Rédaction db 14, CoLLEcnoN o'oscnuts 

CHÔISUS os LA mxÉRATVRK FRAMÇiUiW.. , 

1 8 :^4. 



I R n r^ : 1 









1 



OXfGRD I 



i 



VOYAGE A BUSCHTIÉRAD. 

(août 1833.) 



Un mois apria ma sortie ie Sainte-Pélagie, 
des affaires <le famille me conduisirent en 
Calàbre, et un vieux sentiment d'attaclie- 
ment et de respect an ponvojr, même alors 
qn'll est d^chn, m'Inspira d'^trepreudre nn 
pèlerinage à Bnschtierad. Mon Intention 
était de renfermer dans mon coeur tons les 
sentiments qui l'ont agité pendant la dernière 



Eartie de mon voyaee; mais je Us, chaque 
>iir, tant de foits dénaturés, que je prends 
n parti d'en parler, afin de rendre nommage 



à la vërité. Je n'ai pu d'ailleurs me refuser 
*nx pressantes sollicitations de l'éditeur des 
Cent-tt-Va, qnl m'a demandé cet article pour 
le procbaia volume de son intéressant recneil. 



Je dirai sur chacun mon opinion avec l'in- 
dëpendance de mon caractère ; et quant à ma 
politique, je b pulflierài hautement, défiant 
tout tribunal ^mpartial d'y trouver matière à 
l'ombre mêmè''dui^ reproche. -^ 

Je ne parlerai (Ibint de Fltaliè, pays si 
connu, et jugé smiV^nt d'une manière super- 
ficielle: des souvenirs et "des.Tuines, voilà 
tout ce que vous y rencontrez, et cette patrie 
des arts est devenue la patrie des regrets. 
Tout y est au passé; le présent est mort, et 
l'avenir est éteint avant de naître: tel est 
le fruit des révolutions qui éclatent ou^ se 
préparent: elles resserrent les chàîh^s 
qu'elles voudraient *briser. 

O» a tant parte de P Allemagne, que je 
craindrais en en parlant de ne rien apprendre 
à personne; d'ailleurs, ic'èst à Baschtiérad 
que je voulais arriver: aussi traversaî-je 
ràpidenàièi^t ces contrées* que j~aurais désiré 
connaître. , On parlait du renvoi de M.' dfe 
Barande, sous-g'ouverneur du flucde Bordeaux, 
du départ de cet élève distingué de l'École 
polytechniçjue , qui réunissait le suffrage 
général, et de son remplacement par des 
jésuites. Ces nouvelles me firent sentir 
l'importance que ces événements pouvaient^ 
donner à mon voyage, et je hâtai ma marche, 



7 

dëeidé à ne jamais recaler devant la pensée 
d'un devoir». Cependant blâmer est si facile ! 
je voulais voir et entendre avant de juger. 
Je dirai tout, et si je lasse la patience du 
lecteur, je Ini demande excuse a avance. 
Je trouvai à Vienne un des hommes les 

S lus honorables et les plus justement estimés, 
iide Montbel: son nom placé à la suite des 
fatales ordonnances de juillet lui interdit 
de rentrer dans sa patrie. Il les combattit; 
itiais sa loyauté Tempécha de se retirer an 
moment du daujger. Si le gouvernement, au lieu 
de prendre Fonensive, eût laissé la chambre 
lui refuser Vimpèt sur une question de préro- 
gative royale, il aurait eu tout le pays pour lui! 
Nous parlâmes de la cour exilée, et nous 
fumes sur tous les points infiniment d'accord. 
Il devait me précéder à Buschtiérad* Quel- 

Îues affaires me retinrent, malgré moi, un 
eini-jour à Prague. Je regrettai d'y trouver, 
retiré dans un quartier éloigné, avec sa 
femme et ses enfants, un homme, le diic 
de Guiche, dont la franchise peut quelque- 
fols^ déplaire, mais dont le dévouement at^ 
dauphin peut presque passer en proverbe. 

Nous traversâmes, pour quitter Prague, 
les cours d'un immense château, le Hradschin, 
espèce de ville que la famille royale de 



lysv iT-iox 



^ 



10 

ie beaux arbres, tous donnelit Yiiée es ce 
(•éjour qui renfétnte à- la fois tatit de grandeur 
jet dlnfortune, de ce coin de terre aussi 
modeste qu isolé, qui fixe les yeux de l'Europe, 
■en inspirant aux uns des pensées de crainte, 
et aux autres d'espoir; de ce lieu enfin dont 
la garde est au ciel, mais où cependant 
toutes les précautions sont prises de manière 
à ne laisser aucune crainte. Vingt hommes, 
qui se renouvellent toutes les vingt-quatre 
heures, y font constamment un service 
d'honneur. 

' O qu'il était pénible pour un coeur français 
de voir ainsi le roi légitime de France sous 
la garde de l'étranger! 

uie château est la demeure d*ua prince 

{;rand par la dignité avec laquelle il supporte 
es revers de sa fortune ; rien n'a pu le 
changer on l'abattre. Charles X. n'a compris 
ni son pays , ni Tépoque à laquelle il vivait. 
Ses idées sont restées immuables , le siècle 
avait marché; aussi y eut-il entre le pays 
€t le souverain un divorce terribl^,' un grand 
malentendu dont les conséquences devinrent 
funestes à tous/ Mais, quant à la politique 
étrangère , djisons aveè la même franchise , 
que le roi la dirigeait avec une noble et ' 
généreuse indépenwnce, et que, grâce à lui, 



11 

la France commençait à reprendre là position 
qui lui convient. Alger et la Grèce donnent 
nn démenti- formel à ceux qui voudraient 
soutenir une allégation contraire. Son goût 

Ïour les arts lui fit élever des monuments 
urables que l'Iiistoire célébrera. Elle at> 
testera aussi les regrets des artistes qui 
méconnurent un moment sa munificence. 

Au reste, l'impossibilité de revenir jamais 
sur l'abdication qu'il a signée lui est dé- 
montrée comme à nous. 

Le coeur me battait en descendant de 
voiture, et je m'élançai chez le doc de Blacas, 
dont l'abord glacial m'eût entièrement dé- 
couragé, si je n'avais été décidé à ne point 
m'en apercevoir. Aussi chercha-t-il m'en 
dédommager pins tard par ses soins etpar 
son obligeance. . v 

M. de Blacas est, on doit le dire, un vrai 
modèle de dévouement* C'est lui qui main* 
tient l'ordre dans la maison, et qui est chargé 
de tous les détails ; c'est lui qui présente au 
roi toutes les personnes qui viennent faire 
leur cour à la famille royale. Quand, le -na- 
vigateur aperçoit l'hirondelle après une 
longue traversée, il crie! Ti^rre! ne seralt4l. 

Sais permis d'espérer, en voyant le nombre 
es Visiteurs s'accroître chaque jour, et venir 



salner Henri V. , que nous approchons iu 
^ort après la tefmpéte. M. de Blacas écoute 
ce qu*on kii dit, et met sous les yeux du roi 
ce"! qu'on lui écrit; mais 11 ne parlerait point 
d'un objet qui ne serait pas dans ses attri* 
butions; il entend les affaires mieux que 
beaucoup de ceux qui le blâment, et parle 
naturellement de Timpopularité qui s'attache 
à|son nom. Aussi ne m'a-t-il paru nourrir 
aucune pensée d'ambition. Il est une vingtaine 
de noms impossibles à présenter à laFrancO'; 
et personne n'a la pensée de faire de ces 
âiédailles vivantes de la cour passée Teii* 
tourage d*Henri V. Ils eurent leur mérite 
sans doute, mais chaque siècle a ses néces- 
sités comme ses répugnances. 
< Je priai le duc de Blacas de descendre 
chez le roi, afin de prévenir Sa Majesté de 
ttion arrivée. Déjà il ^l'avait fait en aperce- 
vant ma voiture ; et il m'introduisit aussitôt, 
non dans le cabinet particulier de Charles X;, 
pais dans un premier salon où ce prince 
reçoit habituellement^ 
• Si j'avais suivi' pion premier mouvement, 
je me serais jeté dans les bras du roi ; mais 
Il me, reçut à Buschtiérad comme dans son 
cabinet des Tuileries: Il me tendit av^c 
bonté la maln^ et je m*inclinal profondément 



. J*aTais avec moi mon neveu, le comte 
Dhinnisdal, jeune homme, plein de réserve, 
de résolution et de dévouement. Le roi 
Taecueillit avec une bonté toute particulière. 
M. le duc de Blacas restait présent à l'entre- 
vue. Après quelques paroles échangées, le 
roi me dit: „Le duc de Blacas a du vous 
,1 prévenir qu'il m'était impossible de vous 
,» loger, je n'ai pas une chambre; vous n'en 
„ trouverez pas une seule dans le village: 
„ je pense qu,e vous allez repartir pour Prague ; 
>^j'ai aujourd'hui quatre personnes à dîner, 
„et je ne puis vous retenir, mais vous re- 
deviendrez demain.*' 

— - „ Sire , j'ai passé dix-huit nuits pour 
avoir quelques jours à ma disposition, et 
fallût-il rester dans ma voiture, je ne quitterai 
pasBuscbtiérad avant sept jours, ne songeant 
qu'au bonheur de revoir le roi, et fort peu 
occupé de nion lit ou de mou dîner.^ — 
>» Comment ferez-vous ? '^ dit le roi. — „Je 
l'ignore, sire, mais ma résolution est inva- 
riable.'^ — »Vous viendrez dîner demain et 
les jours suivants.^^^ Je ne prolongeai pas 
cette entrevue, et demandai au roi de le voir 
en particulier. 8a majesté m'indiqua le 
lendemain à trois heures. 

En sortant, j*allai offrir mes hommages à 



3 



madame la danphfne, à qui je demandai une 
audience particulière, et à M* te daupiiin, 
ui le^e au même étage , dans un long; corri- 
or qui va d*un bout à l'autre du châteaiï 
au premier et au second étage, et que vient 
interrompre au premier une immense pièce 
qui sert de salle à manger. Je montai en«^ 
suite chez M. le duc de Bordeaux et cheai 
Mademoiselle, qui sont à Tétage supérieur ^ 
c'était aller d'émotions en émotions: j'en 
tiendrai compte plus tard* Il était six heures 
quand j'eus terminé mes visites, et la pluie 

3ui tombait par torrents me rendait assez 
ifficile la recherche d'un Ipgement; les 
chevaux de poste qui m'avaient amené étaient 
encore à ma voiture. 

Je rencontrai un valet de chambre parlakifif 
assez mal la langue du pays, qui est- un 
mauvais allemand , et le priai de me selrMr 
d'interprète. 

Je ne savais trop où porter mes pa^,. 
lersque , attiré par une^ fninée épaisse qui" 
sortit d'une chaumière voisine, j'entrai che^ 
le forgeron de la maison, bonne et excellente 
ftihnille qui me reçut d'abord avec cette inn 
mobilité allemande dont rien ne peut donner 
l'idée, ne répondant àmapintomime pressatntt 
^e par un flegme désespérant Le traité 



15 

se coudai enfin à ma^srande satisfaction, 
et le désintéressement de ces braves gens 
égalA leur obligeance. Ils me cédèrent une 
petite chan(bre à deux lits, et finirent par 
me prendre en affection. Ce fut de cnes 
mon forgeron que je me dirigeai tous les 
jours vers la demeure des rois. 

L'habitude du pays , assez maussade pour 
ceux qui n'y sont pas faits, est de coucher 
sans draps, et nous nous disposions, avec 
quelques regrets, à céder à cet usage fort 
peu commode, quand madame de Gontaut, 
avec une obligeance qui nous pénétra, de- 
vinant notre embarras, voulut bien y ^sup- 
pléer. Mademoiselle ayant entendu dire que 
nous étions fort mal établis^ avait la bonté 
de nous envoyer, tons les matins un pallia 
de son déjeuner. 

Ne pouvant nr'étendre dans un lit plus 
court que moi, couché sur la plume,, absorbée 
dans mes pensées , je ne fermai pas Toeifi . 
de la nuit Je me disposais à mon audience 
du lendemain, décidé à une franchise pres^ 

3 ne dure, que j'ai toujours puisée dana mon^ 
événement J^avouenri: cependant one-je^ma^^ 
sentais bien plus de respect pour Cnarles X» 
dans l'exil V que pour le rot sur soir trône^.^ 
Ce prince^ mèn^* à BusdiUérad Uu viii là^ 



16 I 

plus simple, et ses niaiiiëre& sont tonjovra 

tleiiies de grâce et de dignité : sa santé est 
onne, et il n'a pas/vielli d'un jour depuis 
trois ans, soit au moral, soit au pliysique. 
Un frac bleu, sans aucun ordre, un pantalon 
*4e drap, et un gilet blanc, telle est sa misei. 
Tous les jours il se promène deux ou trois 
heures, absolument seul, dans la campagne ; 
il ne monte presque jamais à cheval, et 
chasse, fprt rarement; Técurie est réduite 
au plus stricte nécessaire. 
. Jamais Chartes X. n'a été plus respecté, 
on pourrait dire plus craint dans son intérieur. 
C'est lui qui fait les frais de f établissement; 
les gens sont mis simplement en frac , . et 
servent avec zèle et attachement: leur 
nombre est limité à ce qu'exige le service; 
rien né manque, mais rien n'est superflu. 

On a parle des conseillers de Charles X. : 
ils n*existent réellement point; et ceux d'ail- 
leurs dont on voulait parler gémissent avec 
la France des mesures prises pour Téducatioa 
du duc de Bordeaux. Le r9i a une volonté 
qu'il puise dans ses propres réflexions, et à 
laquelle il tient quelquefois trop forten^ent. 
Le cardinal .^e Latll ne vioit jamais le. roi 
en particulier^ et s*est hautement expliqné 
sur cette mesure. Une vieille habitude de 



17 

fidélité, une entière sécurité snr le sort de 
son diocèse confié à des mains habiles, le 
retiennent au séjour de Finfortune. Plus d'une 
fois il a songé à s'en éloigner; et sans doute 
il est permis de regretter que son hésitation, 
qui se prolonge, donne lieu à des bruits sans 
fondement, maïs non pas sans Inconvénients. 

A rextrémité de la salle à manger, prés de 
trois fenêtres qui donnent sur la campagne, 
est dressée une table qui sert de pendant 
à on billard placé à l'extrémité oppésée*. 

 dix heures précises, la famille roVale 
se rassemble pour déjeuner, et à six on dîne. 
Les princes, sans exception de ]Mademols^le 
et du duc de Bordeaux, ojfFrent avec une 
extrême politesse des plats qui sont devant 
eux; trois ou quatre étrangers sont presque 
toujours admis: il règne une grande aisance, 
et il n y a nulle sévérité d'étiquette. La chère 
est simple, mais bonne ; le roi dit en général 
un mot d'obligeance à chacun , et i donne 
l'exemple aux convives en mangeant d'un 
très-bon appétit. Madame la dauphine est 
à sa droite, Mademoiselle à sa gauche, le 
duc de Bordeaux à côté de Madame, monsieur 
le dauphin à côté de Mademoiselle, la duchesse 
de Gontaut auprès de M. le dauphin ; le duc 
de Blacas est en face du roi; à sa droite 

LXXXIV. SI 



le cftrdiaal, et à sa gauche la vicomtesse 
d'Agoust^ dont toutes les pensées, tous les 
soupirs sont pour Madame. MM. O'Hëgerthy 
père et fils^écnyers, Tun du roi, lautre de 
madame la daupliîne, dînent avec le roi. 
Une heure après le déjeuner, la famille 
royale se sépare, et reçoit en particulier les 
personnes que leur fidélité conduit à Busch- 
tiérad; vers deux heures, le dauphin et la 
dauphine vont promener téte*à-téte dans la 
calèche, ou bien le dauphin suit, au pas de 
son cheval, madame la dauphine, qui a be- 
soin d*un grand exercice, et monte rarement 
à cheval. 

Vers une heure et demie, je me rendis 
chez le duc de Blacas, et je causai long- 
temps avec lui , heureux et satisfait de ses 
dispositions. M. de Montbel était à Busch* 
tiérad depuis deux jours, et le roi ne ln\ 
avait encore rien dit d une affaire qui occupait 
et la France et TEurope. Il attendait lui* 
même* pour en parler; mais son opinion 
n'était point douteuse. 

 trois heures, le duc de Blacas me con« 
duisît chez le roi, et il me laissa seul avec 
lui : dans les autres entretiens que j*eus 
avec S. M., ce fut le valet de chambre de 
service qui m'annonça» Quand j'entrai, le 



19 

roi pafaîisisait prévenu contre ce qne j*a11ai8 
dire; mais, suivant une Iiabitude ancienne, 
précieuse ctiez un roi, il m^engagea à parler, 
premettant de in écouter. Je retrouvai en 
préisence de Ciiarles X. cette indépendance 
que donne le véritable dévouement ; mais je 
parlai avec une si grande mesure, que le roi 
daigna le remarquer. Il ne se prononça point; 
mais j'espérai avoir fait quelque impression 
sur son esprit et surtout sur son âme , en 
rappelant les besoins de la France, ce qu^elIe 
demandait et attendait. Je parlai avep 
ohaleur de madame la dauphlne- et du duc 
de Bordeaux. Le roi parut émui II marchait 
avec moi, et s'assit plusieurs fois pendant 
une première converèatfon qui dura 'fiuB 
d'une heure et demie. >» Madame a cédé ses 
droits, lui dis-îe, à la reine Marie Thérèse, 
et la pensée de ses vertus a pu la décider 
à un aussi grand sacrifice que celui de pu- 
blier son mariage. Mais quelle reproche la 
France et Madame ne seraient-elles pas en 
droit d'adresser à madame la dauphine, s! 
cette princesse laissait ainsi compromettre 
le précieux dépôt qui lui est confié l si tout 
à coup Madame paraissait dans le salon du 
roi, qu*aurait-il a lui dire!'' »Je ne pense 
»ypas qu'elle y vienne de si tôt,'^ me dit le 






«0 

Yol d'un ton qui me fit penser que Sa Majesté 
avait des motifs pour ne pas l'y attendre. 
,) Puisse un jour cette princesse venir s asso- 
>,cier, avec son titre de mère et 1 énergie 
.de Son caractère, à toutes le&f nobles 
pensées de la reîne Marie-Thérèse! " Frappé 
de plusieurs choses générales que je disais, 
le roi m'engagea à en conférer avec le duc 
de Biaeas, ajoutant: „I1 est inutile de parler 
,, de l'éducation du duc de Bordeaux, car cette 
,, aiïaire ne le regarde pas.** On voit à quel 
point est peu fondée cette supposition d'iiH 
'fluence; aucune personne n'ose prendre la 
parole sur un sujet, ^juand le roi ne la lui 
.a pas donnée: Charles X., revenant à plu- 
isiears reprises sur le passé, me dit ces 
paroles remarquables: -* 
» j, J'aurais crïi manquer à moi, comme aux 
^p Français, en prenant^ pour la promulgation 
>,des ordonnanqes, des précautions que je 
)) regardais comme inutiles; rien ne m'a plus 
„ étonné que cette opposition formidable; et 
,Je ne pouvais me. persuader qu'elle durât. 
^Aujourd'hui même je ne me reproche qu'une 
„ seule chose, c'est ma: trop grande confiance ; 
^mie conspiration existait, et ceux qui s'en 
„sont vantés ne 'pourraient le nier: je vou- 
^lais sauver la France et le trône, et plus 



il 

^tard lea Français aurafeirt été' forcés ié 
^reconnaître que je n avais jamais eu l'in* 
^fention de renverser la charte que j'avaisr 
„ jurée. ^^ Charles X est de bonne foi avee 
hii-méme. M. de Lafayette ne Test il pas 
aussi! tous deux, dans u» genre bien opposé,; 
révent une utopie impossible^ 

En sortant. de chez le roi, je «le rendi» 
ehez, madame la dauphine; mais comnnè ta» 
conversation avait duré plus longtemps que 
je ne l'avais cru, je vis avec regret quil 
ne me restait que vingt minutes avant Thenre 
à laquelle Madame se rend chez le roi ; aussi 
demandai-je la permission de ne dire que 

Îuelques généralités, et de revenir le len-' 
emain. Ma demande fut accueillie avec 
bonté; je remets à parler de mon entrevue. 
Madame me demanaa si j'avais sollicité une 
audience du dauphin; je gardai un moment 
le silence. „Je la demanderai ce soir /^ dis* 
je à son Altesse Royale, et je me retirai. 

J'ai nommé le dauphin, et j'avouerai sans 
di^our que je suis arrivé à Buschtiérad avec 
de telles préventions y que je redoutais de 
voir ce prince en particulier. Je dirai avee, 
la même simplicité que je Tai trouvé toatr . 
autre que je ne m'y attendais. JMgnore si 
tQut le jnoad? me comprendra^ mais du moin» 



ne pourra-t*6n refaser d'aJMiter fol à on 
langage aussi franc Sa conversation est 
aussi sage que modérée; sa volonté formelle 
est de^ne se mêler de rien; ses soins de 
fils, son respect, sa douceur sont admirables; 
sa résignation est entière, bien qu'il ne se 
fasse aucune illusion : pas un mot d aigreur 
ne lui écliappe sur le compte dé qui que ce 
soit*, il n'a oublié personne, et m'a remis de 
sa main, une liste de quelques serviteurs, 
me demandant de chercher à leur être utile. 
Notre siècle n'est plus à la hauteur des 
martyrs; il ne les comprendrait pas. Ce 
prince a regardé lobéissance passive comme 
le premier de tous les devoirs; il n'est pas 
plus possible de le juger sévèrement que 
de blâmer un saint qui a le courage de tout 
sacrifier à la pensée de l'autre vie; il a senti 
Avec amertume sa position, mais sa conscience 
n*a point j'eculé devant ce qu'iL a regardé 
comme une obligation sacrée, et après 
avoir donné quelques conseils qui furent 
repoussés, ils se renferma dans une entière 
abnégation de lui-niéme: permis de le plaindre, 

Îrermis de ne pas se sentir le courage de 
'Imitation, permis déjuger autrement, comme 
il te dit lui-même, mais tmpossiiile 4e l'ac- 
enser. Ses idées sont loin d'être baiiaisées^ 



2i 

comme f^n s'est plu à le répandre; elles 
ont même semble se retremper dans le 
calme et dans la solitude. Mon . neveu, 
M. Dhinoisdal, qui ne connaissait ce prince 

Îu'à travers ses préventions, a été tellement 
rappé de le trouver si contraire à ce qu'il 
pensait, qu'il a conçu pour le dauphin, peu 
connu et fort calomnié^ autant d'estime que 
d'attachement* Je voudrais pouvoir répéter 
chaque parole de ce prince, elles feraient 
revenir bien des Français de Terreur où 
j'étais moi-même. Du reste, entièrement 
en dehors de la politique, il témoigna le 
plus tendre et le plus touchant attachement 
au duc de Bordeaux et à Mademoijselle , et 
approuve tout ce que font le. roi et madame ^ 
la dauphine. »Je vois ce qujl faut à la 
France, disait un jour le dauphin à quelqu'un 
qui me Ta répété, c'esf mon neveu conduit 
par ma femme. ** 

Mademoiselle, âgée de 14 ans, en a 1& 
pour la raison , comme pQur les sentiments 
et la grâce : elle est adroite à tout ce qu elle 
fait, sait le dessin, la musique et plusieurs 
langues : habituellement en blanc , sa mise 
est élégante et simnle, sa conversation est 
aimable et spirituelle. Comme elle parle de 

k France ! coinme elte yeriso sm son exil et 



^w ** . •« 



8nr celai de sa famille des larmes qiii>en 
Arracheraient à ses enoemis mêmes, ou pliitét 
à ceux de sa famille! -^ »Kous almuns 
„ tant la France!" nons dit-elle plus tard, 
lorsque nous lui fîmes nos tristes adieux; 
,, nous aimons tant les Français ! ils nous 
)) ont bannis, mais tous mes voeux sont pour 
), eux et pour la France ; parlez quelquefois 
„de nous, qu'on ne nous oublie pas dan.H 
ulexil: hélas! combien durera-t-îl ce pénible 
„exili".... Disons'le franchement! jamais 
éducation ne fit plus honneur aux personnes 
auxquelles on la confiée. Non, non, princesse, 
la France ne vous a point bannis; la France 
ne fut pas consultée: un divorce terrible 
s'était, il est vrai, déclaré entre Charles X. 
et elle; mais là se bornaient les idées de 
la France, et l'histoire en dira plus que ma 
plume. 

En face de la petite porte du château est 
tin étroit jardin ou Mademoiselle passe une 
partie de ses récréations; une petite maison 
grotesquement construite en fait la décora-* 
tion. Tout est simple autour des jeunes 

Ilrinces, et ils se ressentent eux-mêmes de 
a bonté de la famille, ils^ sont chéris de 
tons cenx qui Içs approëhent 

Le duc d^^ordeiiaXi EenriV*^ cet enfant 



d avenir^ qui ser» traité en roi à sa majorit«^ 
celte étoile qui rayonne dana les ténèbres, 
ce principe vivant qui sera chargé de nou» 
réunir tous un jour, est plus avancé que ne 
le comporte son âge. Instruit, il est adroit 
à tous les eicercices du corps, il monte à 
cheval à merveille, et tous les jours pendant 
deux ou trois heures^ bravant la aouleur, 
il ne comprenait pas qu'on le plaignit d'un 
coup de pied que loi avait donné le cheval 
de son gouverneur; il fait bien des armes(; 
il casse à trente pas an pistolet une tête 
de poupée; Il est raisonnable et enfant* tout 
à la fois ; adoré dei siens , il les ckérit ; 11. 
est spirituel) pénétrant, réfléchi, vif, pleia 
d'énergie et de résolution; il se aoummt^ 
mais 'on voit qu'il saura counander; \l 
exainine, écoute et sait entendre; U uest. 
pas grand pour -son âge, mais fort, ei ai 
beaucoup- de lair et des manières 4u duc 
de Berry. „ £!omment trouvez- vous le duc 
de Bordeaux ? " me demanda un soir la' dau- 
phine dans le salon (c'était le troisième jour 
depuis mon arrivée). „U me serait a^sez» 
M difficile, Madame, de pouvoir en juger, 
„ car je n*ai pas encore adressé deux mots 
^en particulier à son Altesse Royale; je 
^c^mjpf eads la aurveiUaneei nais 44lie s^nièl.e 



u 

^tiu'il pourrait y avoir qaelqnes oxceptions.^. 
Le lendemain, en allant dîner^ le duc de Blacas 
m'invita à me placer auprès du jeune prince; je 
me trouvais ordinairement entre MM.d'Agoust 
et O'Hëgerthy fils. ' 

Je erois ne < pouvoir mieux faire juger 
ee jeune prince, qu'en rapportant à peu près 
kl conversation que J eus avec S. Â. R. >, Je 
,{ pense, Monseigneur, que Ton répète souvent . 
M à V. A. R. que tous les Français lachérissent,r 
yjladjésirent. Eh bien! il n'en est rien encore; 
»; Dieu fasse que cette heureuse fiction se 
») réalise un jour! Une coui^nne est un pesant 
)^fardeauy et un prince doit se rendre digne 
^de 'la f>orter, par ses vertqs t<eomme par 
^M8 lumières; il faut. que chacun sache que 
,i Monseigneur vaut mieux que lui, et qu'il 
i^est plus instruit:. alors on désirera Mon- 
,•) seigneur pour lui^méme,^ tandis qu'il n'est 
t^^ encore que la représentation d'un principe 
,,qùi «e- sera Invoqué par la. France que 
,) quand elle y versa son bonheur et son 
)j salut, fio sentiment moins flatteur que 
,v l'amour «ans douter est plus durable: j'ai 
A foi à la légitimité, Monseigneur, mais ma 
^i confiance sera hien plus grande, si V. A. R* 
1,86 rend -'digne dé l'avenir ^iqui lui* est rér 
)>4erv4'' Le pripce w'ëcoutnit avec we 



vr 

sèriense attentidtf, et i\ semblait ne pas 
perdre un mot. Madame la dauphîne souriait 
en ayant l'air d'approuver; elle regardait 
son royal neveu avec rintérét et la tendresse 
d'une mère; „ Je parle à Monseigneur un 
langage bien sévère, et je crains de l'ennuyer. 
— Pas du tont, me dit S. Â. R., j écoute 
avec attention tout ce qu'on me dit, et je 
n'oublie rien. *^ Le dîner allait finir, on sortit 
de table et nous restâmes dans le salon j je 
me sentis pris par derrière, c'était le jeune 
prince; il me saisit les deux mains. „ Allons 
dans l'embrasure de cette fenêtre, me dit-il, 
achevons notre conversation, car je suis 
assuré que vous avez encore bien des choses 
à me dire ; et puis vous me parlerez de votre 
prison. Nous en avons été bien occupés. •» 
On vint proposer à Monseigneur une partie 
de billard (c'est l'habitude de tous les jours 
après te dîrfer), Il la refusai on revint aii 
bout d'un quart d'heure. „ Je <^royais vous 
avoir dit^ ajouta-t^l d'un ton ferme, tque je 
lie voulais pas y jouer aujourd'hui. ^^ 

A huit beùres, le jeune prince rentre chez 
lui, et'à huit heures et demie MadèmolsèHe^ 
quitte le salon. La mise du prince est une 
veste ronde, ôrdinaireâient.de couleur verte^ 
«n: gilet blfttte^'^u pmtolQn Ifti^e, jUm 



28^ 

ordinairement blanc. „ Mais vous éted enisorlr 
mouillé, lui dit un jour la dauphiiie eu veuantf 
dîner...- — Ma seconde veste n'est paa* 
encore terminée, répondit simplement le 
prince, d'ailleurs cela ne me fait rien. *^ 11 sort 
par tous les temps, accompagné d'O'Hëgerthy 
péré, de sop gouverneur, et d'un domestique.^ 
On pense généralement que l'éducation da. 
prince a été fort bien dirigée jusqu'à présent 
par M. de Barande, que Ion regrette, et ^or^ 
conviendra que pendaut le court intervalle 
qui s'est écoulé depuis son départ^ une 
inânence plus impolitique que réellement 
dangereuse n'aura pu être bien funeste, ni 
noire aux pensées d'avenir, que les uns re* 
doutent, que les autres chérissent, et aux- 
quelles, au fond de Tâme, tons ajoutent plus 
ou moins fol. («a retraite du gouverneur 
oojnmande le. silence, et'tl est impossible; 
de ne. pas plalndrei' mif homme dlhonneur de 
s'être -trouvé dans .une Semblable position,: 
£»reé de reconnaJtjre 'qlMi son dévouement 
avait été plus funeste qu'utile* 

Je fi'ai encore idit ^ue peu de mots sur 
madame Ift dauphine. Princesse admirable, 
fmnmB- vraiment béroique! qui dira vos mal- 
brars comme vos vertus, vos infortunes comma 
tfvtre courag^e! qui peindra VaiftQur d^ c^ito 



«9 

^neessè p^ur la France , son occnpattoa 
^oirstante, ses sentiments st français? €lni 
▼errait sans dëGhîrement et' sans reconnaiï* 
sance couler ses larmes sur nos calamités? 
Elle a tout pardonne, pas une reproche ne 
lui échappe; elle n a de hafne pour personne, 
elle a tout oublié, pas assez cependant pour 
ne pas s'être éclairée par l'expérience. Marie- 
Thérèse permet qu'on lui parle de tout; elle 
repoussé les éloges; elle écoute le blâme 
sants s'irriter, et sa bonté encourage la fran- 
chise. Elle sent qn'elle a vécu trop isolée 
de tou« les intérêts français; mais un principe 
d'obéissance, plus ou moins bien entendu, 
la tenait en dehors de tout, sans lui permettre 
aucune exception. 8. A. R. sent aujourd'hui 
Tiraportance du rôle de mère qui lui est 
confié; elle en comprend les obligations, 
décidée A les. remplir. Oh! que ne pnis-je 
retracer ici un entretien qui dura plus d une 
faeure! On apprendrait à la connaître. Elle 
comprend maintenant la France, elle entre 
dans ses idées, dans ses sentiments; elle 
veut tout pour la France , et rien que par 
la France. „0 jamais! jamais! s'est-elle 
décriée devant moi, non jamais ni guerre 
,^ civile ni guerre étrangère, ni émeute; ce 
„n'«st pas par une conspiration que nou»^ 



30 

»TonIonfli revenir en France; nons neTôuloiis 
,^pas lui être imposés, il faut qu^elle noifts 
,, désire. Hélas! qui peut aujourd'hui envier 
„ une couronne î une couronne est un terrible 
„ poids a supporter. On m a dit ambitieuse : 
>, toute mon ambition eût été le bonheur et la. 
n gloire de la France. M. de La Rochefoucauld, 
)> ajouta-elle avec un accent pénétrant, un 
Journal a osé dire que je n*étaispas Française; 
» c'est le seul reproche que je me rappelle; 
„ il ma déchiré lame ; quelle cruelle injustice ! 
>, cest la seule injure qui m'ait véritablement 
M blessée. Oh! croyez et répétez que je 
„8uis Française, uniquement Française, Fran- 
„ çaise avant tout ; tous mes sentiments sont 
„ français, toutes;, mes pensées, tous mes 
„ voeux sont pour la France. Nous élevons 
M le duc de Bordeaux pour la France; mais 
» c'est la France seule qui peut et doit le 
„ réclamer; c'est à elle seule que nous le 
M rendrons si elle le croit utile ou nécessaire 
>, à son bonheur comme à son repos ; nous 
M voulons qu'il soit di^ne un jour du rôle 
» qu'il doit remplir, si le ciel le lui destine, 
n Croyez qi^e rien ne pourra jamais m arrêter 
» pour faire ou obtenir tout ce qui sera utile 
» aux intérêts de la France. Je ne suis pas 
» aussi maîtresse que quelquefois on semble 



31 

y le supposer^ mais du moiiis je n'aurai rfeii 
y à me reprocber; fiez- vous à mes paroles." 
Paroles précieuses, qui ont été suivies d'un 
succés^tant désiré! Deux dioix pour gou- 
verneur du jeune prince semblaient réunir 
toui^ les suffrages, et nos ennemis même 
les redoutaient : c'étaient MM. de Château* 
briand et Oudînot; mais on ne peut qu'ap- 
prouver ceux qui ont été faits, et les noms 
des élus sont une garantie pour la France. 
Du reste, n'exagérons rien et soyons justes 
pour tous : je desapprouvai le choix des jé- 
suites, je le dis hautement, mais je respecte 
leur ordre; et quand il y a des associations 
qui cherchent à, détruire, il est tout simple 
qu'il y en ait qui veuillent conserver; d'ailleurs 
je pense qu'un ordre, capable de commettre 
une pareille faute en soulevant contre lui 
autant et de si justes récriminations, est sans 
danger. Il est vrai qu'un professeur jésuite 
a pendant deux mois, donné des leçons au 
royal enfant ; mais les jésuites ne s'étaient 
point emparés de la maison, comme on s'est 
plu à Je répéter; ils ne conduisaient rien, 
ne se mêlaient de rien que d'une leçon, et 
la leçon terminée , Il n'était pas plus ques- 
tion d'eux que s^ls n'existaient point. 
Ceux qui supposent, qu'il serait facile de 



\ 



Si 

faire tomber le âne ^de Bordeaux dans des 
exagérations dont personne ne veut, certea 
ne Pont ni va ni entendu: it est obéissant 
sans doute, mais il a dans l'esprit une>énergie 
et une pénétration qu'il ne serait pas facile 
d'ég'arer à ce point . . . Que la France se 
rassure donc, et qu'elles voue un éternel 
hommage de reconnaissance à une princesse 
qui a compris ses voeux comme ses besoins, 
et qui ne laissera pas son ouvrage incomplet. 
Elle n'a rien fait pour s'enoiparer^u rôle que 
le ciel lui impose au nom de la religion, de 
riionneur, de la morale et de la politique; 
elle verse des larmes de regret en songeant 
aux circonstances malheureuses qui l'ont 
placée si haut; maïs elle en comprend toutes 
les conditions, tous les devoirs, et saura 
les remplir. Disons-le hardiment : jamais 
on ne pourra penser à quel point la reihe 
Marie Thérèse a grandi dans l'infortuné , et 
combien elle s'est éclairée sur les idées et 
sur la situation réelle de la France, comme 
sur les nécessités du moment: chacun 
s'éclaire, la nation s'éclaire aussi, et le temps 
fera justice de tout; le temps est un grand 
'itiaître, mats il faut savoir l'attendre. — 
M Que les royalistes ne précipitent rien, me 
» disait eueore Marie •Thérèse, et qu'ils 



35 

» s'arment de patience ; c*est à la France 
„que je m'en remets, à la France seule que 
„je me fie; je veux tout devoir à elle seule, 
,J'ai foi en elle et à lexpérience quelle 
^, acquiert tous les jours, pour comprendre 
,)et s'^tir quels sont ses véritables intérêts. 
,> Jamais vous ne pourrez croire quelle est 
>>ma tendresse pour le duc de^ Bordeaux; 
>,ma vie tout entière est à lui etli la Fran<^; 
» puisse mon existence devenir utile à Tun 
),comma à l'autre!" 

Vue semblable confiance, une confiance si 
honorable ne sera point trompée : là France 
comprendra tout ce qu'elle doit à cette con- 
fiance, comme tout ce qu'elle se doit à elle- 
même. Laissons le pouvoir livré à ses errenrs, 
à son fatal principe et à ses fautes ; laissons- 
le s'isoler de tous les intérêts de l'avenir, par 
cette centralisation qui écrase le pays et le 
révolte tout à la fois; laissons au despotisme 
forcé du gouvernement le temps de froisser 
et d'irriter tous les amours-propres, qu'il a 
d'abord si soigneujsement caressés. Tout 

f tarait lui avoir réussi jusqu'à présent, toutes 
es circonstances avoir tourne en sa faveur, 
et, cependant, il glisse sur le sol, mais il 
n'y pénètre pas. Profitons du temps qu'il 
nous donne pour éclairer les esprits, et 

LXXXIV. 3 



34 

prouver à tdus que la légitimité seul peuf 
détruire cette centralisation que cliacun 
déteste. 

La France veut Tordre ) et si elle redoute 
tout cliangement:, c'est surtout parce qu elle 
ne veut à aucun prix d'une nquveUe révolu- 
tion : aussi la France a-t-elle ôté toutes les 
chances de succès à une république qui, 
pour arriver à donner , des libertés , serait 
forcée de créer le pouvoir le plus despotique, 
de lever d énormes impôts,, qui allumerait 
ati sein de la France la plus horrible guerre 
civile, et à l'étranger, une guerre générale. 
Il suffit d'avoir parcouru l'Europe pour frémir 
de tous lei^ désordres et de tous les crimes 
par lesquels on cherche à établir cette ré- 
publique. 

Honneur et malheur tout à la fois à ces 
républicains de bonne foi qui, rêvant une 
utopie, veulent la république, aux conditions 
d'ordre , de grandeur et de liberté pour le 
pays ! Espérons qu'ils s'éclaireront, et qu'ils 
préféreront une monarchie tempérée, avec 
des libertés^; h tous les désordres réunis et 
à tous les- malheurs suspendus à la fois sur 
nbs têtes. Il eu sera de même de quelques 
royalistes qui rêvent encore l'ancien régime, 
ou la charte octroyée de 1B14. 



33^ 

Sons tine monarchie légitime , la Finance 
nanrait rien à redouter de FËurope entière; 
mais une république^ qui nous diviserait, eii 
aurait tout à redouter; un pouvoir usurpa^ 
teur ne peut lui Inspirer aucune confiance. 

J'étais arrivé à Buschtiérad un dimanche : 
e'^tait le dimanche suivant que j allais m'ar-^ 
racher à ce liea si cher; j'avais passé la 
journée du iuudi presque eiitièi*e avec la 
famille royale, et le lendemain après le* 
déjeuner, je deraîs aller en particulier 
prendre ses ordres, et déposer à ses pieds 
mon amour et mes voeux. Je r-entrai chez 
mon forgeron le samedi soir, le coeur rempli 
des incidents dé la veille, du jour et surtout 
du lendemain : je ne pus fermer ToeiK 

La légitimité est un principe social, me 
disais-je, qui consacre un droit dans Tintérêt 
de la société ; c'est le lien comme le défen- 
seur de tous les intérêts* sociaux; un principe 
qui les représente et les défend, qui se 
retrouve partout, dans la famille isolée comme 
dans la grande famille, dans la propriété d'un 
seul, comme dans la propriété de tous ; c*est 
la vie de tous, te moteur universel, rimante 
de Dieu sur la terre, car c'est la vérité. Ce 
n'est pas comme droit dlvia que je l'invoque^ 
mais comm^ une propriété ce riiomme. comme 






36 

un droit erëé par lai dans son intérêt, et qnll 
a eu la sagesse de rendre inaliénable , afin 
de se lier lui-même les mains, et de s'épargner 
des alarmes, des révolutions et des troubles 
sans cesse renaissants. 

Un pouvoir usurpé n'est point compétent 
pour défendre les droits de chacun; un 
pouvoir n est bien établi que quand il se 
fonde sur le raisonnement, sur le droit et 
sur la loi. 

Personne ne veut la guerre , me dit dans 
mon voyage un diplomate étranger, lii les 
Puissances, ni la France; mais enfin, si 

Ï»ar une suite imprévue des événements de 
'Europe, la guerre éclatait jamais, que fe- 
raient les légitimistes? >^ Ils marcheraient 
M tous conti*e l'étranger à la défense dçs 
,» frontières, ai-je répondu aussitôt, pour 
M maintenir l'intégrité du territoire; la légl- 
^timitë s*e8t perdue pour avoir été exploitée 
^par un parti au profit de ses doctrines, pour 
„ëtre restée seule^au milieu du pays, et 
M isolée des intérêts: cette fois nous voulons 
,» l'implanter dans le 'sol, afin quelle en de- 
M vienne inséparable; et que le pays recon- 
M naisse quels sont les véritables défenseurs 
y, de ses droits^ comme de ses intérêts. ^^ 
. Plein de ces réflexions, je me levai avec 



37 

le jour, étourdi par le bruit du marteau y et 
par le cri aigu d'un coq enfermé près de 
mon lit. Je pris ma plume et j'écrivis quel* 
ques lignes pour les présenter à madame 
la daupliine. A dix heures, j'ailai entendre 
la^même messe que la famille royale, et je 
me rendis au son de la cloche dans une 
chapelle attenante au château. Dans la tribune 
de drofte étaient Charles X , le dauphin et le 
duc de Bordeaux: dans ceHe de gauche ma- 
dame la dauphine, Mademoiselle, madame 
de Gontaut, madame d'Âgoust; dans une 
troisième, le gouverneur, MM. Montbel et 
Blacas, et en bas les personnes de la maison. 
Je me plaçai parmi ces dernières ; et eu 
pensant aux voeux ardents, qui s'élevaient 
vers le ciel* de ce coin de terre i^olé, je 
me sentis moi-même un sentiment de. foi 
exalté. Je priai pour la France et pour 
Henri. , 

Je revins faire mes adieux à mon hâte 
et à sa famille, dont les larmes m'annoncèrent 
les regrets. Â midi je me rendis auprès de 
Charles X., qui me reçut avec une bonté 
toutç partfculière: ce prince sait connaître 
le dévouement véritable, et lui pardonner 
sa franchise. J'osai le presser pour savoir 
ce que je dirais à mou rc^^toor a Pari5 sur 



88 

rédacation de M. le doc de Bardeaux, toh- 
lant reporter ses paroles textuelles. .^ Dîtes 
^^que je veux me donner le temps de réfléchir 
» mûrement à de si graves intérêts, et que 
»>j'espère qne les choses s'arrangeront de 
^manière à satisfaire ceux dont je dois 
^compter l'opinion.^ Je pris congé du roi. 
. Je montai chez le doc de Bordeaux, qui 
fut charmant dans ses adieux, et nous 
témoigna les j)lus touchants regrets, en nous 
recommandant de parler de lui à tous ceux 
qui ne Tavaient point oublié. 

Mademoiselle nous pénétra par sa sen- 
sibilité, comme par son expression bienveil- 
lante, par ses regrets et son amour pour 
la France. 

Le dauphin nous reçut en capote, sans 
compliments comme sans cérémonie, et il 
confirma le jugement impartial que nous 
avions porté pendant notre séjour. Son 
Altesse Royale nous ouvrit elle-même avec 
bouté la porte de communication qui conduit 
de son appartement chez madame la dau- 
phine. — „ Vous sortez de chez le dauphin?^* 
nous dit cette princesse. *— ,> Oui, Madame, 
et, pénétrés de ce que nofis avons vu et 
entendu, nous répéterons hautement, à notre 
iietoiiir ^u .Fitapce^ le cri Intime de notre 



39 

conscience... „ II faudrait avoir vu l'exprès- 
sion qui se peignit sur la pliysionon^ie de 
Madame, pour la comprendre et essayer de 
la rendre. 

\. Je répétai en peu de mots, mais avec 
énergie, tout ce que je pensais, tout ce que 
je sentais, tout ce qui me paraissait indis- 
pensable. Je parlai de la France «avec le 
sentiment qui anime un coeur français quand 
il parle de la patrie. Les larmes de Madame 
coulèrent, et elle nous promit solennelle- 
ment de faire tout ce qui dépendrait d'elle 
pour soutenir et défendre les intérêts et les 
droits de la France. ,, Ce n*est pas assez, 
„d]s-je à S. Â. R., de plaider en faveur d'une 
„ cause aussi belle, aussi juste et aussi 
,, sacrée. Il ^faut triomphei? à tout prix. — 
Fiez-vous à ma parole, ^^ furent les derniers 
mots de la reine, et nous nous arrachâmes 
de sa présence. Une fois sortis, notre émo- 
tion, à M. Dhinuisdal, témoin doucette dernière 
entrevue, et à hiôi, était telle que nous 
restâmes quelques moments à la porte, in- 
capables dé faire un pas de plus. .Je montai 
ensuite faire mes adieux à madame d'Âgoust, 
au cardinal, à M. de Blacas^ et à M. de MbntbeL 
J^rpartis pieiu d espoir, voyant que chacun 
ayait la-méme pensée sur le sujet qui ix^'oc- 



4(^ 

Gupaii:, et que nous marchtous enfiu vers le 
même but. ^ ' 

Je hâtai mon départ, convaincu* qu'il ne 
serait pas agréable à Charles X. de prendre 
une décision devant celui qui Tavait si vive- 
ment sollicité. 

Je laissai à Buschtiérad M. de Calvimont, 
dont les sentiments sont aussi généreux que 
le dévouement courageux et bien entendu. 
Nous partîmes pour Prague, ou j'avais quel- 
ques affaires; mais notre émotion était telle, 
que nous ne pûmes dire un mot pendant le 
trajet. 

Le lendemain, 5 août,. nous reprimjps la 
route de France par Carlsbad , Nuremberg 
et Strasbonrg. Nous devions passer encore 
cette fois au bout de lallée de pommiers 
,qui conduit au château de Buschtiérad. La 
poste est à quelque distance: nous atten- 
dions daiTS la cour mon valet de chambre 
qui s'était perdu en partant de^ Prague. Quel 
fut notre éton^iement en entendant le pas 
de quelques chevaux, et en reconnaissant 
le duc de Bordeaux, qui vint à nous avec une 
grâce charmante. » Ahl vous voilà, messieurs ; 
je suis enchanté de vous revoir encore un6 
fois.^^ Il me tendit la main, nous quitta, et 
en piquant des deux il partit au galop^ 



41 

comme une personne qui brusque de pénibles 
adieux. 

Nos yenx se remplirent de larmes. ^Veuillez 
encore, Monseigneur, porter au château de 
Buschtiérad tous nos regrets et tous nos 
voeux:" ce^ furent nos dernières paroles. 
Le prince avait disparu, nous ne le revîmes 
plus ; et bientôt nous continuâmes notre route, 
le 5 août 1933, presque incommodés par le 
froid. 

Nous nous arrêtâmes peu jusqu'à Paris; 
on devinera ce que^ nous éprouvâmes en 
apercevant les Tuileries. 

Espérons tout du temps et dé la France! 

Le vicomte de LA ROCHEFOUCAULD. 



UN 

» 

PARISIEN A SAINTE-HÉLÈNE. 



Le pilote crie: Terre! Nous montons sur 
la dunette, et nous voyons lïle; ses pre- 
mlëres lignes se dessinent avec force dans 
quelques vapeurs légères. ... 

.... Voilà le roclier sur lequel mourut, il 
y a douze luis, Thomme le plus grand des 
temps modernes, l'ennemi des monopoles 
anglais^ celui qui les cliassa des rivages du 
continent, et inféoda ceux-ci à sa puissance, 
à son système, comme pour enfermer les 
mers d'Europe dans son empire ! . . . Il 
expira, pauvre prisonnier! à qui le fort s'était 
parjuré, sur ce rocher lugubre et pelé, que 
BOUS regardons avec un intérêt triste. • • • 



43 



• • • • Naus approchons. • • ^ Le 

télescope nous montre des plateaux nus et 
noirs, des pics scories, et dentelés par les 
morsures du feu et des pluies. ... 

Nous allons descendre dans Tîle. Je veux 
y examiner les effets matériels du climat, 
et m'assurer sil est vrai que la pensée des 
Castelreagh, des Batburst, des Wellington, 
a été, 'dés Torigine^ en désignant ce lieu pour 
prison, une sentence de mort ; "^^ les vraisem- 
blances sont pour cette opinion , car les ac- 
cusés tiennent leurs principes des hommes 
d'état italiens du moyen âge. — Si vous les 
leur reprochez haut, puissamment, ils s-ex- 
cusent par la raison sans entrailles, ^/^mour 

fi de la patrie anglaise est. chez eux la lu^ne des 
n autres nations !^^ 

-^ L*île est devant nous, — la nuit est 
venue; le ciel est semé d'étoiles scintillantes 
qui se jouent sur les flots apaisés ; on n'en- 
tend guère que le roulis du vaisseau — et 
le bruit des ailes d'oiseauxde nuit partis 
du rocher et y retournant silencieusement* . * 

3. avril. 

Nous jetons l'ancre dans la rade ; il est 
neuf heures du matin. — 

Jointe du jour, notre vaisseau s'est 



- / 



44 

approché de la terre, sous la côte nord de 
Tiie. — La vue de ces rochers nus et brûlés 
présente je né sais quoi de sombre et mén^e 
ae terrible qui émeut vivement; 11 semble 

Îue nous abordions quelque Vésuve éteint. 
les effets physiques sont les mêmes. Ajoutez 
à cette impression celle qui résulte aussi 
Aéd défenses, en tout semblables à nos vieilles 
prisons d'état, de ces fortifications suspen- 
dues dans les airs, de ces postes de s1g;naux 
qui, au temps de Napoléon, se répondaient 
les uns aux autres de demi-heure en demi- 
heure^ et se communiquaient par des ehemins 
qui ressemblaient tantôt à des escaliers et 

Ïlus souvent à des él;helles. — Au temps 
a ^prisonnier, de fins voiliers se croisaient, 
sans interruption, au pied de ces défenses, 
de. ces rocs armés et si rudes à la montée. . . • 
Le drapeau anglais se déploie toujours avec 
orgueil sur ces hauteurs de Sainte -Hélène; 
mais il a beau flotter puissant dans ce ciel, 
il y a reçu pour jamais la tache indélébile 
de l'assassinat! 

-— Les montagnes de Sainte-Hélène sont, 
formées de couches superposées, jointes un 

Îeu obliquement. — Si je voulais me livret 
des conjectures , Flmagination me dirait 

Gonment^ selon elle^ lea laves ont pu paraître 



45 

sur ces crêtes, aujourd'hui si enfumées,^ sur 
ces plates^fornies coupées et, brisées, sur 
ces flancs ou la lave, un peu refroidie, a dîi 
descendre et s'attacher à la surface; *— mais 
cela serait parfaitement stérile pour vous, 
mon ami , qui m'avez démandé un peu de 
géographie et d'histoire. • . J'attacherai 
davantage votre esprit en vous retraçant, 
dans un moment, Tlmpression générale que 
communique l'aspect des lieux. — Je visiterai 
Tile ensuite, et vous raconterai, dans un 
SLMtvé fragment , les résultats de quelques re- 
cherches bien rapides sur le grand drame 
qui fut six ans à s'y jouer au bruit des flots 
et des tempêtes de l'Océan. L'empereur 
Napoléon, cet autre volcan, vint s'y éteindre;' 
ses dépouilles sont déjà mêlées aux scories 
éparses sur les plateaux de ces mantagues 
noires. . » 

Fragment écrit deux heures après le ptécédent^ 

En arrivant au mouillage, il y a une heure, 
j'ai aperçu le premier les signes qui nous 
étaient adressés du dernier poste; on les 
écrivait sur un grand tableau noir. Ces 
signaux nous donnaient l'ordre d'envoyer un 
bateau à terre : — . il est parti sur-le-champ. 
Quelques moments après , nous avons reçu 



46 

le signal d'entrée, et uous sommes allés nous 

|)lacer au milieu de trois beaux liavires de 
a Compagnie des Indes ; puis nous nous sommes 
tous rendus à terre. 

Le débarquement s*est fait sur une cale, 
inégalemement assise sur les rochers , lon- 
geant la pointe gauche de la baie, la seule 
partie de la côte où la mer ne soit ni tour- 
mentée, ni pleine de pointes de rochers; le 
flot y est bleu et un peu dormeur. — Cette 
cale est bordée de magasins asse2^ médioci^es. 
En nous approchant de la ville, nous avons 
trouvé \tB fortifications , qui défendent la baie 
dans toutes ses parties; ensuite, nous 
sommes entrés dans la vllfe par une porte 
si basse, qu*en passant dessous j'ai été 
tenté de baisser la tête. — 

J*ai arrange sur-le-diamp, avec l'ami D**, 
un projet d'excursion à travers File pour 
demain.. • , 

Deuxième Fragment., 

.... Je décrirai d'abord la ville; 

L'esplanade «li plaee d'armes, se trouve à 
rentrée de k ville. A Sainte-Hélène, les 
Anglais appellent ta ville dertx rang*s de 
maisons assises eiltre dent morifagfiiéS' 4^s- 
carpées. . CÀ r&Kgià'^é prok>irgent dans les 



47 

sînnosîtcs d'un ravin, au milieu duquel coule 
un ruisseau, qui se gonfle dans la crue d'eau. 
Cette crue est fréquente; elle a sa cause 
dans les pluies battantes qui stériliseiit l'île. 
— La place d armes, presque carréa^ pré- 
sente une superficie de cent pas dans tous 
les sens; Tliôtel du g^ouvernement est bâti à 
gauche , en entrant : il fait face à la mer. 
Derrière cette demeure^ sur le flanc de la 
montagne, on a planté un joli jardin qui ré- 
crée la vue; le lieu est très-aride; — sur 
la droite, j'ai remarqué plusieurs maisons 
d'une assea; belle apparence , et Tune d'elles 
est nommée la taverne de London, 

L*église se trouve en face de la porte 
d'entrée, un peu à droite;, sa construction a 
de la simplicité et quelque chose d'éleganl; 
les murs intérieurs sont décorés par plusieurs 
tables d^ marbre noir et blanc, qui portent 
le nom de personnes d'un haut rang mortes 
à Sainte-Hélène. 

Dans le haut, Fesplanade se sépare en 
deux rues montantes et sans alignement. 
Les maisons sont petites, bien tenues; mais 
leur intérieur ne révèle pas Topulence. Après 
avoir marché environ deux cents pas dans 
chacune de ces rues, .on rencontre des bi- 
coques bâties en pierres sèches, recouvertes 



48 

de terre, set touchant les unes les autres 
IBans tous les seus. Elles m'ont rappelé ces 
tanières: des monts du Caucase, où les Tcher- 
kesses s'abritent pêle-mêle. C'est la popu- 
lation noire de Sainte-Hélène, formée des 
Chinois malais et métis, libre et peu nom- 
breuse^ qui les occupe. En vérité, les Anglais 
devraient faire davantage pour des hommes l... 
> J ai trouvé un peu plus loin la caserne (ce 
bâtiment peut loger un régiment), et, toujours 
en'montant, de jolies maisons jointes à de 
petits jardins très-frais, très riants, qut 
s étendent dans le ravin jusqu'à environ un 
mille des bords de la mer. Ces habitations 
très-agréables sont en petit nombre, et le 
fond du terrain qui les porte se rétrécit 
tellement tous les jours, qu'il n'y a plus de 
place que pour une seule maison sur la lar- 
geur; les jardins, remarquables par la vigueur 
et l'éclat de la végétation, sont très fesserés : 
la distribution et l'aspect gracieux de ces 
petits enclos intéressent extrêmement sur 
les flancs noirs et hideux de la montagne. 
Cette partie haute de là ville mérite d'être 
appelée la campagne de Tîle^ car, sur cette 
terre dévorée par le feu, c'est le seul Heu 
qui semble lui avoir échappé. Les bords de 
la mer sont secs, pierreux et uniformes; 



49 

on n^y trouve que le petit jardin dn gouver- 
nement et quelques arbres plantés çà et là 
en dehors des murs d'enceinte. — Ces arbres 
ressemblent au tremble; leurs feuilles sont 
à peu près comme celles du poirier. 

Tout à Theure je vais tâcher de retrouver 
quelques-unes des traces laissées dans Tîle 
par le grand homme* .... 

Troisième fragment. — Récit écrit , le 10 août, 

en mer^ 

En allant au bureau du gouvernement de-^ 
mander la permission de parcourir l'île, nous 
aperçûmes, en traversant la place, un officier 
anglais ; nous marchâmes à lui. Il nous com- 
prit après quelques paroles, et nous dit 
sans hésiter et en secouant la tête, quV/ 

nous serait assez difficile de voir la demeure ^ 

Napoléonné Bonipate ; -*- que pourtant il Mmt 
transmettre notre demande au gouverneur: 
c'était SQU secrétaire. — Nous joignîmes 
les plus vives prières à cette requête. . . 
Le gouverneur était en course dans Tîle; la 
demande lui fut. adressée par le jtélégraphe. 
L'officier nous prévint qu'il n'aurait pas la 
réponse avant deux heures après midi , çt 
nous invita à revenir à cette heure^à. 
A onze heures, nous entrâmes déjeuner 

LXXXIV. 4 



50 

dans nne jolie tarerne de la ville. Maigre 
sa détestable réputation, j'ai trouvé la cuisine 
^e Sainte-rHélène très-bonne et très babile- 
ment faite; mais les viandes n'y sont pas 
d'une excellente qualité. — On nous servit 
à X anglaise et bien. Les vins sont très-variés, 
et sortent des meilleurs crus du globe. 

La promenade suivit ce repas; mais nou3 
fumes exacts à l'heure dite. La permission 
était accordée, et l'officier nous attendait. 
Il nous la remit avec une politesse toute 
particulière, après y avoir écrit nos noms. 
— Voici quelques expressions de cette pièce, 
elle était en français: ,> Permission est ac- 
„ cordée à ces gentilshommes de visiter le 
„ tombeau et la mais<iu du mort Empereur: 
uUn (fÂngletérre, officier, les accompagnera. 

^y Sainte- Hélène y etc.** 

Âpres cela, cet officier nous dit que, pour 
arriver au tombeau et à Long-wood, nous avions 
à gravir plusieurs rochers très-rapides et 
très- élevés, par des chemins presque im- 

Îraticables; — le tombeau, ajouta-t*il, eilt 
trois milles et demi du port , et la maison 
de Longwood, à six, — - Voyez, l'état du temps 
menace de toutes parts! — Je vous conseille 
de remettre la course à deiir eu trois jours, 
et de ne Fentrepréndre qu'à cheval. Ces 



51 

raisons nous pamrent bien faibles, et Tinrent 
échouer contre notre piété napoléonienne et 
notre impatience française; nous lui dîmes- 
que nous partirions le lendemain et à pied .^ 
Le lendemain, nous ne manquâmes pas à 
notre bonne fortune; mais le pronostic de 
mauvais temps s^était réalisé; il pleuvait, 
et. suivant toute apparence, cette pluie 
n'était pas prés de finir. Un lieutenant du- 
gouverneur nous ouvrit la marche; il montait 
un bon cheval. Comme il nous parut très- 
contrarié de sa corvée, nous lui offrîmes ' 
franchement , à peu de distance de la ville^ 
lorsque nous vîmes sa tête s'enfoncer sous 
son chapeau, et s'abaisser incessament sous 
la forcé et la rapidité des ondées, nous lui 
offrîmes, dis-je, de nous laisser seuls con-- 
tinuer le voyas;e, et de s'épargner des peines 

Îui n'étaient légères que yout uouAy Français. 
lette offre lui fut faite en anglais. A peine 
en eut-il saisi le sens, qu'il tourna la bride* 
de son jeune cheval, nous regarda, et nous 
dît, les yeux étincelants, inquiets, et presque 

en se signant à tidée éCahandonner la garde dw 
vieil ennemi: ,, Mais VOUS VOUS trompez, mes-^ 
M sieurs; j'exerce auprès de vous une sur- 



' J'écris en mer, trois jours après cette course- 

4*- . 



Si 

M veillanee ! ^ — Et il poussa de nouveau en 
avant son cheval. -^ Sa figare rappelait 

f)ittoresquement ' les ^ peurs profondes de 
!Ângleterre an temps du camp de Boulogne. 
Ce fut plaisant d abord, puis bien triste, je 
vous jure, lorsque nous songeâmes à tout 
ce jiue lempereur avait dû endurer de cette 
peur incessante, infatigable* 

— La pluie nous cinglait impétueusement 
au visage. jL' Anglais étant à cheval nous 
devançait d'asjsez loin, mais il pliait par 
moments avec une amusante colère sous les 
torrents d'eau qui sillonnaient ses habits. 
A mon avisj la première montée dans ces 
rochers offre environ deux milles de longueur; 
le chemin est bordé par un mur d'appui en 
pierre sèches, et est suffissament entretenu; 
il est rapide , mais inégal ; les voitures lé«^ 
gères traînées par des boeufs peuvent y 
passer; la route suit la montagne de gauche, 
en tournant le dos à la nier. l)e là, on do- 
mine entièrement la ville; elle s*y présente 
même sons uq aspect très-agréable. Ce long 
boyau est rempli par une foule d'habitations 
séparées embellies par des plantations 
d*arbustes dont les pieds s'enfoncent entre 
les deux montagnes, lesquelles sont hautes 
et sèches. Les sommités de la montagne 4 



53 

droite sont couronnées par des fortifications éta« 
blies du vivant de notre empereur, et contre 
lui! ^^ Contre lui, pauvre malade usé, aban- 
cioriné! et s*éteignaht auprès de quelque^ 
amis, au milieu de quelques études ! — 

Ces sommités v^e le cèdent en élévation (selon 
quelques géogfaplies) à aucune montagne 
du gl0be.^ La jonction des deux montagnes 
a lieu par une coupée qui forme muraille, 
ayant pour horizon la mer, l'imniense mer 
des Indes. — Les eaux courent sur cette 
muraille et se perdent bientôt en une cascade 
qui s'élance à grand bruit de plusieurs cen- 
taines de pieds dans la mer. Les lieux où 
nous sommes parvenus ont la plus grande 
magnificence de destruction. Voyez! cesi 
monts^ qui nous entourent ont été brûlés, 
calcinés, ouverts par les feux du ciel qui 
les labourent presque tous les jours ;.cefl( 
brisements profonds et vastes de rochers 
Signalent une force que nous ne connaissions 
pas, — mais que serait-ce là, si je pouvais 
vous montrer les lieux autrement que par 
des images! Ces bris descendent rattacher 
leurs dernières fissures au lit même de 
locéan. Cette destruction est partout hideuse 
avec sa face brûlée, mais elle est douée 
partout d'une puissance tnextinguible : c'estr 



»4 

:1à sa t)eavté, La main seule de Dien a fn 
séparer et recoudre aiiisi ces grands rochers* 
Presque au haut de cette première montée^ 
;ilous trouvâmes un petit plateau assez uni, 
occupé par un établissement, ayant maison, 
pavillon à droite, quelques dépendances H 
un jardin bieq cultivé. J ai remarqué aussi 
à son extrémité, en tirant vers la mer, une 
jolie petite prairie entouré de saules et de 
quelques bouquets d'arbres. C'est un gi'acieux 
souvenir de ^plaines d'Europe que la nature 
a semé sur ces rochers funèbres. — L'officier 
BOUS attendait à Thabitation. Ils nous apprit 
qu'elle s'appelait Sriars, et que l'empereur 
Pavait habité en arrivant dans l'île, deux 
mois avant d'aller à Long-wood; qu'il y avait 
été logé dans le pttvillon bâti sur une légère 
élévation, à gauche de l'établissement, et en 
face de la mer. La vue de* cette modeste 
demeure, le premier objet empreint du sou* 
venir de Tempereur que nous eussions ren- 
contré sur notre route, nous toucha jus- 
qu'aux larmes. Nous y prîmes quelque repos; 
nous nous rafraîchîmes, questionnâmes les 
hôtes, et notre jeune officier, qui s'apprivoisait 
sensiblement; puis continuant la montée, en 
suivant plusieurs chemins en zigzag, nous 
parvînmes à Tun des plateaux les plus élevés. 



55 

Par un temps elair, nous y eussions joui 
d'un des points de vue remarquables de Tîle, 
Ce plateau est abrité vers Touest par un 
petit piton; on la cultivé avec soin, ^^ j'y 
ai vu une riche végétation. Des prairies 
artificielles s'y partagent la bonne terre et y 
sont entourées par de fortes haies vives et 
des bouquets d'arbres très-verts. Ces clos 
gracieux^sont rencontrés avec un plaisir in- 
fini , près des crêtes de ces montagnes ra- 
vagées. 

Je m'écai*tai plusieurs fois de la route pour 
examiner divers plateaux qui la longent, 
mais nous ne pûmes pas facilement nous en 
retirer, et souvent la terre céda sous nos 
pas. — La partie supérieure de ces mon- 
tagnes, soumise constamment aux effets 
dun soleil dévorant et de pluies battantes, 
est dans Fétat de décomposition qui est le 
principe de la terre végétale. En plusieurs 
endroits nos pieds s'enfoncèrent assez avant 
dans une marne pareille à celle qui se forme 
sur quelques grèves. 

En tournant cette partie friable du sommet 
de la montagne,, nous découvrîmes une vallée 
étroite et profonde animée par plusieurs jolies 
habitations, par des arbres et des prairies; 
cette vue est subite aussi, et d après la 



56 

nature des lieux elle n*est pas attendue du 
voyageur. — L'officier , qui nous précédait 
toujours de quelques centaines de pas, s*y 
était arrêté, fluand il nous aperçut , il nous 
cria de nous presser, et nous montra, dès 
que nous Feûmes rejoint, une maison bien 
bâtie et un joli jardin en terasse qui descen- 
dait dans un vallon; et plus bas, beaucoup 
plus bas, an bout d'un nouveau chemin en 
zig^zag, une touffe de saules pleureurs. yyCes 
arbres, nous dit-il, entourent le tombeau de votre 
empereur: descendons^^ Sur une autre, indication 
qu'il ajouta, nous prîmes avec une vive 
émotion le sentier bien marqué qui y mène. 
Notre émotion parut attendrir le jeune offi- 
cier; mais il n'y sympathisa pas avec la 
parole, baissa seulement les yeux sur le coii 
bai de son cheval et reprit les deyants. — > 
Lorsque deux minutes après nous pûmes 
toucher à la dernière demeure du grand 
homme, nos yeux se remplirent de larmes! 
— II nons sembla que quelque chose de 
sublime et de formidable allait nous ap« 
paraître ! ., . » 

Un sergent anglais, gardien du tombean^ 
nous attendait à la porte de la grille; sur 
Tordre de Tofficier, elle nous fut ouverte* 
Nous nons découvrîmes tous avec respect 



S7 

en passant dans Teiiceinte funèbre, et nos 
impressions, bien qua des degrés divers, 
furent très-vives. 11 parut démontré à ces 
deuiL étrangersique nous connaissions bien 
la grande existence qui était venue aboutir 
à), cet écueil^- perdu dans d^aifreux rochers*. 
— Mais laissons de côté nos inipressions- 
pour continuer l*esquisse des lieux. Il y a à 
cela d'autant plus de raisons que nous sommes 
arrivés en présence des ^^ localités histo-^ 
riques. » Décrivons. 

La tombe est unie et n'a pas d'inscrfptioti 
Elle a 9 à 10 pieds de long, sur 6 à 7 de 
large» Trois pierres en tuf venant d'Angle* 
terre en ont fourni les matériaux. L'ancien 

fouvernenr les a fait enlever de la cuisine 
e la maison neuve de Long-virood, où on les 
avait employées dans le carrelage. 

Sur une petite maçonnerie élevée de quel* 
ques pouces , et à un pied dé distance de la 
pierre, on a établi circulairement un grillage 
en fer composé de flèches vigoureusement 
scellées et jointes ensemble. Ne voyanf; pas 
de fleurs autour du monument, je demandai- 
au gardien si le gouverneur n'en avait pas 
faitji semer; sa réponse fut affirmative; — 
mais les] grandes pluies les avaient fait 
périr. On en semait à chaque printemps de 



nouvelles qni périssaient comme les préoé- 
deotes. Quatre saules pleureurs couvrent 
la pierre funéraire. Un seul est planté à 
la tête 9 et son tronc couché vers les pieds 
porte ainsi, sa masse de verdure droit au* 
dçssus du monument.' — Un crêpe noir était 
attaché à Tune des flèches de fer^ Ce tribut 
de respect paraissait très-récent. Nous 
demandâmes au gardien de qui il était. „C'est 
rcelui du marquis d'Hastings, venu ici avant* 
hier avec sa suite." C^tte circonstance nous 
charma. Milord marquis a l'esprit élevé et 
dispose d'un suffrage qui compte parmi les 
;|)lus honorables de la Grande-Bretagne. 
; La, première enceinte est circulaire et 
peut avoir environ 60 pieds de diamètre; 
elle est fermée par nne barrière de bois 
peinte en vert et haute de quatre pieds ^ 
t(es plantes des montagnes et des graminées 
s'y confondent et s'y lèvent avec force. On 
distinguait parmi ces dernières la sonze des 
îles de France et de Bourbon. 

J'ai coupé plusieurs touffes d'herbes qui 
avaient pousse à la tète même du monument, 
entre la grille et la pierre; j'y ai joint des 
branches du „ saule penché sur le corps de 
l'empereur/ et jai rapporté ces reliques, si 
pauvres aux yeux du monde de nos jours^ 



59 

^cmr les niiir à quelques autres tiges sèches 
arrachées, il y a dix ans^ sur la fosse oublii^e 
d'un jeune officier que la Restauration fit 
fusiller. — 

Nous ne quittantes cette grave solitude 
qn'a?ec des pensées trës-iristes, car nous ne 
pûmes nous défendre de songer que ces dé- 
pouilles si éminenainent françaises restaient 
sous la garde de la foi et de la piété an- 
glaises! ! ! 

Près de l'enceinte, en face de la iète do 
tombeau, nous trouvâmes cette source d'eau 
délicieuse où Tempereur aimait à se rafrai* 
chir. L'eau s'y conserve dans un bassin do 
deux pieds carrés, fermé à demi par une pierre 
plate. Une jeune et jolie fille du vieux 
soldat nous y attendait pour nous offrir de 
la goûter: nous en prîmes deux verres de 
ses mains que nous bûmes à la mémoire du 
liéros. Cette eau pure et l)rillante comme 
la lumière a effectivement un goût délicieux. 
Nous vîmes plus loin , en traversant I0. vallon^ 
deux petites maisons à côté l'une de l'autre^ 
ou l'on a logé le gardien et sa famille; elles 
sont en bois, bâties solidement et proprement; 
-on les a peintes en noir. Notre officier 
nous annonça qu'un nouveau monument était 
«tttendtt de Leodres^ et qu'il remplacerait 



celui que nou^ venions de voir, qui était trop 
simple* -^ ),Maîs pourquoi un beau nionir* 
ment? la mémoire deVAommê n*etf a pas 
besoin! écrivez seulement son nofn sut la 

EierrC) afin qu'on le salue en passant.^ «^ 
(6 temps était plus tourmenté qu'aVant; 
une pluie battante, qui était voilée par une 
brume épaisse, nous empêchait de distingner 
les objets devant nous à plus de cinquante 
pas; nous avions encore trois milles k faire 
pour arriver à Long-wood. Sans doute ce 
n'étaient pas là deë obstacles* Lofficier 
avait pris lui-même son partit il s'élança 
en avant au galop; nous le rejoignîmes sur 
la grande route, en traversant une longne 
suite dé flaques d'eau marine, de gros niiages^ 
de bouffées de pluie fines et serrées , dès 
restes de vent d orage. 

Du tombeau à Long-v^ood les ébemfns 
sont larges et bien entretenus. Notre Anglais 
nous dît que l'empereur s'était promené 
habituellement sur cette route. Vous savez, 
qu'il était toujours suivi, à distance, par -des 
officiers anglais', ce q'ui lui donnait un vif 
chagrin. ^- Ici commence ùa noiiveau désert 
sur l'mie des plus hautes parties de File. 
Nous y atteignîmes par une gorge ayant 
quelques âêurs et de pauvres herbes sub^ 



61 . 

Îendaes à ses parois jaunes, et qnl commande 
là vallée du iambetpà» Cela fait, nous ne 
trouvâmes plus ni montées ni descentes. — 
A droite ou à gauche du cliemin, on marche 
oontinuellement sur les bords des g;ouffres. 
Nous suivîmes ce chemin, d'une horrible, 
uniformité ; et dans le pe« d'Intervalles où 
la plaie moins vive et moins battante nous 
laissait voir les sites noirs de ce chemin oii 
le moindre herbage de mer n a jamais pu se 
nourrir, nous voulûmes calculer des yeux 
quelques-unes de ces cavités; tâche im* 
possible, et qui ne nous laissa qu'un sentiment 
de terreur, au -lieu de notions nouvelles 
intéressantes! — Notre jeune officier nous 
apprit que l'empereur avait aussi voulu 
sonder par la contemplation ces abîmes, 
à hautes murailles crevassées par la longue 
morsure du feu, et pleins de cette ineii^pri- 
mable horreur qu'un incendie de quelques 
siècles doit laisser après lui! -^ Aïoi, mon 
ami , je n'ai point de paroles assez exprès* 
sives pour vous retracer cela; l'horreur du 
modèle m'accablip.. *^ 

De ce côté, bous marchâmes long-temps 
sans rencontrer aucun signe de culture; 
mais , deux tailles environ plus loin, la ver* 
dure et pliisieurs habitations sont venues 



«2 

finir ee désert brûlé, et dans èe moment^ 
inondé de pluie. Tout à coup, comnie par 
enchautement, la tempête s'affaiblit, leau 
tomba par gouttes et moins pressée, et le 
vent abaisse la roula avec moins de rapidité 
dans Tair; quelques minutes après. Il cessa 
même de souffler avec violence; enfin nous 
touchâmes un poste de soldats. L'officier 
qui nous y attendait fit quelques pas vers 
BOUS, et nous dit: ^^ Messieurs y vous êtes sur les 
terres de Long-^ood!^ Nous passâmes le poste 
et entrâmes dans une plaine du plus beau 
vert, ou s'élèvent elair-semés des bouquets 
de bois au tronc grêle i. aux branches d^uii 
noir sale, chargées de mouisses et très peu 
garnies de feuilles, seulement aux extré^ 
mités ; ces feuilles ressemblent à celles dé 
Tolivier pour là forme et la couleur. Ces 
arbres, dont l'aspect n'offre qu'une aride 
raonetonie, sont le seul ornement de cette 
plaine. — Us paraissent moins rebutants 
qu'ils ne le sont effectivement, parce que 
tout plaît quand on sort des terres cendreuses* 
d'ont j'ai cherché à donner quelque idée , il 
y a nn moment* — 

 trois cent pas de la porte d'entrée, nous 

vîmes la nouvelle maison de Long^^'ood» 

J'avoue que cette demeure m'a semblé 



es 

près soixante- dix pieds y est tournée vers le* 
nord , et a vue sur la mer. Le jardin a des 
allées sinueuses, bien alignées et soignées; 
il est d'un dessin gracieux;' les arbres les 
arbrisseaux, les plantes agréables ne man- 
quent pas. La belle verdure se trouve sur 
ce point de File, ainsi que les eharmantes 
fleurs de nos jardins de France. 

Avant d*arriver à la mer, les regards se 
reposent, à gauche et à droite, sur deux 
coteaux d'uiie pente douce: une végétation 
vigoureuse s'y lève sans culture; les troa« 
peaux y montent pâturer. En approchant de 
Long'wood^ nous avons rencontré soudain 
quelque chose de cette vie, de ee mouvement 
qui entourent les habitations en Europe. 

Les deux ailes de Thabitation, et un corps 
dé logis qui lui fait face, et en e^t séparé 
pour donner passage de chaque côté, corn- 
posent une cour carrée. Gne galerie in* 
térieure, couverte par le prolongement dtt 
toit , souteuue par des colonnes, en décrit 
le tour- 
Cette maison n'a qu'un ^ rez-de-chaussée 
et des mansardes; celles-ci étaient destinées^ 
aux domestiques. Les appartements ont 
encore des parties de leur primitive élégajice \. 
presque toutes les chambres sont tapissées 



64 

yAle ; les amis de Tempereur en ont fait une 
peinture injuste. Sa façade présente à peu 
avec des papiers, autrefois très-beaux, de 
diverses couleurs , ^relevés par une bordure 
formée de deux baguettes dorées et noires. 
Cette bordure était tout à la fois simple et 
riche. Les parquets sout faits avec de beaux 
sapins de Russie. Les cheminées de Tbabi-. 
tatlon (car eette région élevée et constam<^ 
ment humide nécessite l'usage journalier du 
feu , ,bien que Ton soit dans un pays chaud, 
a 16 degrés de Téquateur); les cheminées, 
djs-je , sont toutes du plus beau marbre ; le 
travail en est exquis; les montures dorées 
sont faites avec une grande habileté de 
dessin et de main d'oeuvre. 

Le bâtiment qui regarde le corps de logis 
principal était destiné, à loger Vaumênîer, le 
médean et quelques autres personnes de la 
suite de Napoléon. L'empereur n a jamais 
voulu liabiter cette 'demeure belle et com- 
mode, qui coûta, nous a-t-on assuré, plus de 
cent mille piastres, et qui fut achevée un an 
avant sa mort. Il voulut rester dan^ sa 
première maison, qui est à environ cent cin« 
quante pas de là. »il y avait souffert, disait-il, 
et il voulait y mourir. Cette première ha- 
bitation n'est qu'une bicoque comparée à la 



/ 



/ 



ne»vè ;, wA% le javii^, ëtast asgez bien biiisé, 
avait plas de charmés pour Napoléon ; il ny 
était pab aansceése en vue; ans»! l'y trouvait- 
on tous les jour^ occupé à néditer. Il me 
tardait de voif ett détail cette demeure mène 
de l'iemperemr; notre guide nous y coadalsit« 
La' position e& est plus élevée que celle: 
de la nmytlU wmson ; la vue y est plus vastes 
niais kes appartements y sont petitf , mal 
construites el mal dtstribués» Les tapisseries^ 
à présent très dégradées, doivent avoie été 
très communes : celles de la saUe à mange0 
sont de pièces et de morceaux grimafauts 
c€illés seulement pour boaeher les Uvus* — ^ 

Nous nous» sommes arrêtés long-tempâ 
dans la thambre à coucher, la chambre où ec^ 
mi^vt Napoléon! . • <r . Elle peut avoir de 
(Quatorze à quinze pieds de large. Sa ta^ 
pisaerle est d^ couleur de paille et pavs^née 
de patères blancs, ombrés de brun. Le £mi4 
de< La befrduie ressemble à la tapisserie; 
ifencadrement' en est vert fotcé; la guirlande 
/a la^ méme^ ooideur, avec.de petitiea ombnes 
noires. -^ 3é donne péut*dtre trop dç détafl 
dutts ce rééit; . mais la grandeur du.pexv- 
sonnage relève leur' faiblesse: il est sSi 
grands et je ne fais pas de l'histoire, mais 
une simpleJ^peinture de localités. .«••»• 

LXXXIV. 5 



6» 

Je finirai dbao comme j*ai commeneé, par 
dés détails. 

En examinant* la salle de billard, dont^ 
une des fenêtres Tegpnrde la mer, on nous a- 
fait voir un trou , qui a été percé avee un- 
couteau, dans le contrevent^ par Napoléon 
lui-même; Le trou n'est pas tout-A-fait rond, 
et est hachotté comme un ouv|*age exécuté* 
par une personne sans expérience et très-^ 
Impatiente. L empereur y braquait tous les 
jours sa longue-vue. âne de fois, promenant 
ses tristes regardis sur l'ovéan^^ il a du sonf-^ 
frie en voyant passer des vaisseaux français f 
Pent-éti>e aussi que respéirance de s'échapper 
de cet enfer lui a souri parfois, en revenant 
de la lunette à son fauteuil; mal» c'est par 
un accablement de plus en plus profond que' 
ses réyes finissaient à Sainte- Hélène, ou 
l'horizon de mer ne lea appuyait jamais 
Ibng-temps». 

Dans son* cahinH de ifaçaU, là place où II 
écrivait (ce qui lui arrivait souvent, bien 
qu'il aimât mieux dicter, et que le travail 
par la parole improvisée lui fût plus facile) 
est marquée par une quantité de gouttes 
d'encre qu'il rejetait de sa plume. 

Là,- il a consacré les cinq années et quel* 
«ques motsdé sa captivité a écrire Ik Relation 



67 

des vingts années de sa vie publique, à jeter Ifes^ 
lumières de son immeiise esprit sur les ques«- 
tfons intéressantes ponr notre époque, eir 
politique, en législation, en matière de gnerre, 
et à juger les hommes qu'il avait connu5r< 
on commandés, et les événements passés. 
Ses Commentaires sont devenus Técole des' 
hommes d'état et des oAlciers généraux.. 
Pourtant la pensée du grand homme n'a pit^ 
lés achever; mais les fragments et les^ 
aperçus isolés qu'ils renferment vivront* au-- 
tant que notre nation et notre langue: Ces^ 
éeriis sont , avec les articles que* l^apoléon ,, 
consul et empereur, fit imprimer durant' 
quatre ans dans le Moniteur^ les écrits les^ 
plus profonds, les plus nets, lés plus IjEirges^ 
de manière et les plus hauts de pensées^ 
que le oommeneemeut dey ce siècle ait vut 
paraître. 

Les articles dîi Moniteur jettent^ de grandes? 
lumières sur les vues qui préoccupaient le* 

Consulat et le commeticement' dé t Empire, sur les: 

questions maritimes qui furent tant agitées ài 
ces époques, — droits' des^igeutres^ Hbr naviga*- 
iion , etc. 

Quand le premier consul' improvisa: lé^ 
premier de ces articles, il venait de battre^, 
une seconde fols, TÂutriehe à Marengo;; 

5 ♦ 



r y 



«8 

il avait imposé silence à la presse Jes dofas^ 
et exerçait lui même sa faculté de réponse 
soiidaine, pour repousâér lea accosaitions de 
TÂDgleterre et des factions iatérieures*. 

Napoléon, au nom des idées sagement, libérales^}' 

faisait trembler les aristocraties* de t^ondre^ 
et du continent, répondait a M, Pitt,.,, dé- 
masquait ses implacables vieille]:ies'^ en \dv 
opposant ,>ses grande» et judîcieuaeiSh noi»- 
veautés/' On a raconté déja« de q^ielle^ 
manière cette lutte l'animait dankson cabinetr. 
de 1801 à 1805. Levvé dès quatre heure» du 
matt», il préparait ses profjUs ayec ses 
secrétaires^ puia passait au travail du porte- 
feuille de se» ministres ,. discutait , signait- 
1) recevait, vei*» neuf heures, les intimes et 
les officiers les plus aimés. Un conseiller 
d'état arrivait dans cq moment avec la tra- 
duction iés feuilles anglaises; il était rare que 
la lecture de. cette traduction ne le fit pas 
bondir et, marcher quelques instants très- 
agité ; on la vu même ^ écraser avec ses 
bottes., toujoura très-fines et à jretroussift 
j^unes-, les tisons brûlants du foyer de aoa 



> 



* Lucien Bonaparte^ nfînîstre de rintérieur. Anni- 

vepsatré du L4. juillet 1801. 
2 J1804. 



69 

cabinet; — puis, se calmant, avec effort^ 
en quelques minutes , son esprit clierchàit 
lies objections, qu'il dictait rapidement, 
en 'élevant de temps en temps la voix; — 
rédigées, ces objections passaient au Mo- 
^nkeur, qui lés publiait le lendemain par toute 
1%urope. 

Lorsque Napoléon voulait écrire, à Sainte*^ 
Hélène, la relation d'un fait mémorable, 
il faisait faire des recherches par ses gé- 
néraux; el, lorsque tous les matériaux 
étaièitt soûls ses yeux, il les parcourait, 
les étudiait, puis méditait, et dictait 
d^improvisation. Ensuite Napoléon relisait 
ce travail, et le corrigeait de sa propre 
main. Souvent', mécontent de son premier 
jet, il le dictait de nouveau; souvent encore 
41 récrivait toute une page dans la marge. Les 
manuscrits de «es dictées sont couverts de 
«es ratures. 

Il avait denmndé qu'on lui fit venir de 
France. toM ie$ ouvrages nouveaux ; quel- 
qttes-»uhs lui parvinrent, li les lut avec 
avidité, et surtout ceux qui avaient été 
éprks contre M. Les injures n'obtinrent 
qu'un peu -de cdlère^ let une fois powr 
twateti ; mais , lorsqu'il rencontrait dans 
4es oiwaigfeis rematiqoables, 4es passstgts 



?0 

<éù sa politique avait été mal comprise 
4oa mal interprélée, il se récriait avec une 
grande vivacité, relisait haut et .plusieurs 
jfois ces passages; puis, croisant les bras 
.et se promenant avec rapidité, il dictait 
.sa réponse. Emporté par la force de son 
instruction et de sa log^ique, il arrivait 

Eresque toujours qu'au bout de quelques 
gnes il oubliait .l'autetir et le livre, et 
traitait lui-même la question. 

Je me suis fait confirmer, en Europe, 
Texactitude de ces traditions, vivantes sur 
les lieux dans la mémoire >de quelques péri- 
viennes instruites. 



'Revenons à Long-wood. 

Le jardin de la maison où vécut Napoléon 
«est petit, mais garni de beaucoup d'arbustes, 
qui y donnaient , de son temps , de jolis 
réduits, de verdure, où il venait s'asseoir 
et méditer. Plusieurs filets d«au coulent, 
avec un doux murmura, sous ses buissons 
•assez élevés et assez touffus. J*ai cueilli 
des branches d'un myrte que Tempereur a 
planté, et qu'il affectionnait. — J'ai coupé 
riin fragment du pont chinois sur lequel il 
venait rêver longuement, et ouïr les bruits ou 
'4es eaux légères du jardin oa^du grand océiw. 



Notre course approchait de sa fia, etja 
Journée aussi. Nous avions besoin de quet- 
qoes instants de repos et surtout de quelques 
aliments. Nous demandâmes donc un repaa 
an gardien; mais il nV a plus de cuisine 
à Long-wood! Sa complaisance ne put nous 
procurer que le fond de. la sienne ^ c'est-à- 
dire du pain,^ du fromage de Chester et deux 
bouteilles de vin, Tune de Porto et rantre de 
Madère. Nous dévorâmes le peu de choses 
qu*ii put BOUS offrir, et cela dans la salle à 
manger du grand prisonnier. Le lieu, il est 
vrai, donnait de la magnificence à ce léger 
Togal , et la fortune nous traitait selon nos 
coeurs. 
' — La nuit s*annonçait; nous nous remunes 
donc en route, après avoir remercié le soldat 
hospitalier qui garde Long-wood. *— Le 
temps, changé tout à coup, était devenu 
beau, et notre retour à la ville fut facile. . . • 
Je qiiittai, deux jours après, la rade de 
Sàinte-Kélène. 

Frédéric FAYOT et u caî»itainb 



\ 



LA PETITE PROVENCE 



A CHARLET. 

Cet bummage offert & une de nos illustra- 
tions mgdernes '^•t, selon moi, un devoir 
{)our ioot artiste ou écrivain qui veut peindre 
es moeurs. 

Je ne connais de Charlet que ses délicieuses 
compositions. Et puisque j'ose réclamer son 
patronage pour ce croquis littéraire, je lui 
«ëemande en grut^e, de raocuetUtr, non comme 
une flatterie, à quoi bon flatter Thomme de 
génie? mais seulement comme le salut que 
chacun doit à son maître. 

6. D'OUTREPONT. 



73 



•Ho, mon petit-fils, dîsott il, mon peton, 
qae tu «s joly,'et tant qve je suîb tenu 
à Dieu, de \ce qu'il intia donné ung fii 
beau fils, tant joyeulx, tant riant, tant 
joly! hu, ho, ho, ho, que je suig aise. 
Rabelais, J^aits etdiets héreiéfues du 
b9n Pantagruel f Hv. II, cbap. ^ 

. Nous clierehons si les récTtateàrç e 
recueilleurs sout louables eux-mêmes. 
Essais de Montaigne, liv. 1IL_ 

Qui nà pas vu SéçUk lia rien vU, disent les 
Espagnols. Ce vieux proverbe ferait à lui seul 
l'éloge d'une nation; il y a là quelque cliose 
qui annonce la coBscience de ee qu'on vaut ^ 
et, quand un Espagnol vous dit avec com- 
plaisance : Qui lia pas vu Séville na rien n^u, OQ 
«e rappelle malgré sol que celui qui vous 

iiarle a droit de s'exprimer avec fierté et 
a tété haute, car ses ancêtres vivaient sous 
Charïés-auint. , 

Ce proverbe, que bien des géffs s'a'p- 
pliqueot, j^éut aussi devenir la devise de bien 
des choses ;~mais, comme je tie veux pas 
me jeter dans une mer de nomé et de faits, 
ou je pourrais fort bien me noyer, j'entre eir 
matière, et je vous dirai d^abord tout lionne» 
ment, en paraphrasant le ^cton 4» nos 



74 

^"•Isfns des Pyrénées: ^ Qui n'a pas va la 
» petite Provence, ne connait pas les Tnir 
leries;*^ et par m», j'entends examiné, scruté, 
«t même . deviné les mille nuances qui s'y 
trouvent, et dénotent des caractères ; carac- 
tères^ vrais au moins, car les acteurs ne. sont 
pas giiindés dans leurs mouvements et prK 
sonniers des modes du langagfe. 

Peu de personnes prennent la peine jde 
venir étudier des vieillards et des enfants* 
On aime mieux arpenter trente fais de suite 
la grande allée poudreuae, que de rêver 
devant le passé et l'avenir mis en présence. 
Le passé, grande igure blanchie, snblimQ 
quelquefois, mais toujours sinistre, car elle 
draine «vec elle une Idée de mort; l'avenir, 
jolie image d'enfant souriant a tout le monde,- 
d'enfant avec des cheveux blonds et de^ 
fossettes aux joues. 

Je conçois que, pour celai qui ne vent que 
vivre des impressions du moment, et qui 
43roit tn^rner tant de jolies têtes de fetome 
par itne démarche ridicule et des mines ft 
mourir ûe rire, le présent est bien pré- 
férable, car il s'offre sous les formes les.|>lu8 
riantes; là, au pied des orangers, il y ades 
femmes jeunes et brillantes, en toilettes 
aériennes, groupées avec tant de gr&ee 



7* 

qu'on les croirait Borties do crayon de DeTërlo; 
JLà ott cberclie des regards, quelquefois 
même on en rencontre, et lé^ardin s*enibellit 
encore; car je ne^onaais rien de plus propre 
à faire trouver tout ciiarmant qu'un reeard 
iTefeaiine. 

Dans ma petite Provence, an contraire, 
il y a s'CMlemént de la vieillesse et de-i^n? 
fance ; mais là, vos idées, si tant il àBt vrai 
qae vous en ayez, pourront s agrandir par 
la réflexion : les sujets ne manquent pas«> 

Mais je vois que le courage vous quitte: 
TOUS ne pouvez aller seul vous ennuyer! 
Eh bien! je veux être votre cktroney et peut- 
être m*aurez-vous Tobligation de savoir 
quelque, chose de plus. Je vous arrache à 
votre brillan|te promenade; et, sans m*occuper 
desi regards de regret que vous jetez en 
arrière, je ne veux plus vous parler de votre 
allée que vous savez par coeur. — Atten- 
tion! Nous tournons le coin de la terrasse, 
le spectacle change, tout s'anime, tout est 
neuf; nous entrons dans la petite Provence/ 

C est chez nous une frénésie, il faut à tout 
prix que notre Paris renferme un peu de 
toat: comme si ce n'était pas assez d'être 
Paris, Paris la grande ville ! 

Nous avons vu un Trocadéro perché an 



Keut ihi Cfatnqi'^^lfats; nue netfiréllë 
Athènes perdue entre nn corps âe g&rde cft 
titi tnureau de loctroi; vingt houveauis: quai^- 
lierfi, dont le pins mince est poHrtant appelé 
viUé^ an granA ëtonnement des passants, 
qui trouvent l'expression aussi hasaf dée que 
ces titres de noblesse forges à grand^ ptïine 
par des mendiants d'arfstoeratie, et <}fl'oo 
Toit salis qiielqirefois par les noms auxquels 
ils\ont joints. Nous avons aussi une p^-tlte 
Pi*ovence; selon une expression aussi connue 

Sue pittoresque, ces mots semblent hurler 
e se trouver ensemble; uneProvence'petfite'! 
J aime attta:nt voir un soleil ^.n bois doré, 
onleft grandes^pag^s ée Michel-Âng^ èopiéeis 
à ta miniature'! 

C*ei9t un si beau nom que la Provence 1 
*E^ fl*àbord ne croyez pas que je veux vous 
faire une description bien pompeuse et bien 
fleurie, où je dirais que e'ei^ un vaste jardin, 
tin f uratlis tei'restre , avec des millions é-a- 

iratigers, secouant leur cheçtlute embaumée sur* 
-êes campagnes iknielées par des fuissehts tnms- 
parents à toeil comme du lon^ serpents ^argent. 

Tant de gens en ont «parlé ! Cela m'ennuiefatt 
et vous aussi; ensuite je ne/connais pas la 
Provence. Il est vrai qite depuis Buffon, qui 
par ambassadeur ctfuriisti là ndtigre^ ffia est tfef^Utt 



77 

de moias en moins scvupnlenx sur cet article, 
et avee des livres, une carte fidèle, et la 
dose d'effronterie que je tiens du ciel, je 
peiurrais^ tout oonvue un» autre, venir à bout 
dHine description, que bearucaup. de gens 
aiiiraient la bonté de trouver exacte. 

Si je parlais de Pétrarque et de Laorsi 
des bords de la Durance, et des troubadours 
et ménestrels, je me ferais peut-être une 
réputation d érudition: elle conte si peu 
maintenant! Mais à quoi bon tout cela? 
Voos savez, bien Torigine de notre littérat 
tnre nationale, ou si vous Vignorez, ailes à 
Vécoled'un autre; je ne veux pas* voua in<> 
Struire, je ne suis ni académicien, ni pror 
fesseur classique du classique collège, de 
Pranoe; allez, allez ailleurs, vous. dorBiirefl 
tout aussi bien. 

Je vous parlerai seulement de las f^Mte 
Provence: enfant, j'y ai joué; bomme,, j!y 
ai réfléchi, et vieillard^ Jl'irai- peutrétve y 
cbercheit des souvenirs; Ciette Pi'ovence-là^ 
je 1a connais; j*y suis, ponr ainsi dire, n%^ 

La petite Provence, située dans un des 
coins du jardin, est beaucoup plus longue 
que large; sans doute, en traçant cette 
partie. Le Nôtre ne pensait pas à Timpor- 
tance qu^elle aurait un jour. Elle est bornée: 



78 

au iioril, par an grand mur grhiâtre, son- 
tenant la terrasse des Lions, c^U^ert ça et 
ià d'une épaisse charmilie poudreuse, et quf 
la protège centre toute boih^asque venant 
dès glaciers du nord, aussi bien que la 
grande murailte de Thsin-chi-houang-ti pro«> 
tége les Chinois sur les confins delà Mongolie ; 
au midi, par un grand parterre de forme 
Irrégulièi^; à louest, par la cabane aux 
journaux et le grand massif, forteresse Im- 
pénétrable aux rayons du soleil, où ne s*aven« 
turent qu'en tremblant les gens à dduleurs 

3ui la compaifent^ avec emphase, à une forêt 
ruidiqne; enfin à Test, dans la contrée la 
plus éloignée de la petite Provence, vons 
trouverez^ un grand monticule de sable, où 
vingt fois vous avez fait la culbute, et moi 
aussi. Cette énorme montagne sablonneuse 
est prise comme dans un entonnoir, par la 
rampe tourni^te qui conduit sur la terrasse^ 
d'où l'on véit |à place bonis XV., de la Con^ 
eor.de, de la Révolution, de Louis XVI, etc., 
avec son piédestal Inachevé; et, dans le 
fond. Tare de l'Etoile, que je vous prie de 
bien examiner, et si vous le voyez terminé^ 
de m'en faire part. Enfin, dans cet horizon 
sablonneux ^ le 8:rand bassin ne figure pas 
mal une autre Aléditerranée. 



Cette Provence, bien petite, eommevons 
voyez, posent plnsleiirs bancs, beaucoup 
de chaises , et , en été , . beaucoup de caisses 
vernies, où verdissent, tant bien que mal, 
de pauvres orangers souffreteux; mais enfin^ 
èans cet endroit privilégié, \Vj a du soleil 

trésque en tout temps; et le soleil est si 
on! Les bancs sont exposés à la chaleur 
du midi, et la giAnde muraille garantit du 
vent- 
Tel pays brillé par ses lumières, tel antre 
par sa gloire, quelques-uns, en petit nombre^ 
par leurs moeursr; eh bien! la petite Pro* 
vence réunit à elle seule tout cet assemblage 
d'illustrations disséminées sur la surface m 
globe. 

G^est une nation , une nation vierge, o^est 
toute une civilisation dans une autre, avee 
ses pnoeurs, ses célébrités et ses lois. Vous 

?f trouvez des enfants et des vieillards, de 
'espoir et des souvenirs, de la gaîté et de 
la tristesse , des babils enfantins et des 
babils^ vieillis ; des ruines vivantes^! de belles 
gloiras au -chef branlant, et des gloires ftr» 
tnres niarchant avee des lisières^ au milieu 
d&tput eela, quelques* hommes qui viennent 
étudia, et qui- tous, autant que dans notre 
monde, forment la puissance morale de la 



sa 

nattoD. — Cest donc on peuple tout entier; 

! peuple complet 9 auquel il ne inauque'pas de 
éoimes, comme auit premiers Romaioa. 

Appuyé contre la double raiiipe du grand 
eacatier de pierre, ¥oyeï& déjà quel, tableau 
frakh^l -Qu'elle est jolie cette petite ôJLe en 
robe rose, qui saute joyeusement au miljeu 
d'une éorde que deux bonnes tournent d'un 
air maussade , ceuune sr elles n étaieiili pas 
à leur place! car en thèse générale, jama» 
un» bontie ne se croit faite pour l'étce : c'est 
oomme certajtis emplayës, certains guerriersw 

Rien au monde n'est plus attrayant qjie 
des jjeusL dVnfaata, et surtout de petites 
fiMea ! elles rient de si bon coeur, avec tout 
l'abandon de leur âme enfantine! . 

HélaS'! il n'en sênn pas toujours ainsi! 
Encore quelques^ anoée», et elibs nougireot 
de.vaut ont pelili giurgon , jnsiqiftà. ce ^'eUes 
ayprenuent à ne* plu» rougir da toutk Biais 
maintenant elles juacisit pour joiier^ et pour 
être heureuses; car, pouc elle», le boulieur 
est si léger! Autowr da^eerole ?idfe^ eût va 
et revient sans cesse la corde toucnayunte. 
Il y: a de aQmbFeEUK.speetatours(7 riant des 
effortff des plus 'peiitfes , gottHuaudéeu par 
lesjilus grandes à cause de leur maladresse. 
-^ Teus l»ont heureux, le sourire et la franchise 



81 

«ont à Tordi'e do jour; ce Vest pas eomne 
aillenrs! 

Puis, des milliers d'enfants se croisent 
dans tons les sens; et ce sont de véri- 
tables enfants, trop petits pour avoir la 
prétention de passer pour des iiommes* 
G est pour cela qu'ils sont si jolis à voir, 
si amusants à étudier. Leur existence est 
aussi frêle que leurs^ jeux sont animes. 
Us s'attellent les uns les autres ; ils s'en« 
chaînent tour à tour : c'est comnie dans un 
état civilisé. Regardez derrière vous; et 
celui que vous venez de voir cheminer sous 
des liens a relevé une tête fière, et châtie, 
de son fouet celui qui,' Tlnstant d'avant, le 
menait comme une bête de somme. 

C'est là que vous verrez de petits garçons 
se pavanant dans leur première culçtte, et 
montrant à tous les passants qu1ls ont des 
poches ; . ils sont fiers de leurs petits habits 
si joliment faits,* et pourtant ils sont gênés; 
maïs quMmporte ! comme tant d'autres , Ils 
aiment leur chaîne, parce qu^elle est dorée. 

Ijes plus petits enfants jouent ensemble; 
rien n'est plus beau ^ne l'égalité (avis au 
public), ils jouent dans le sable^ car leura 
jambes sont encore si faibles, qu'ils sont 
forcés ^e rester assis ; et si , dans un gnmd 

LXXXiV. 6 



« 4 



82 

accès de colère, ils se lèrent peur se'donnrr 
de ^an^ coups de pieds, les bonnes, coquettes 
et piticées, interrompent leurs caquets pour 
rétablir la paix, et cela sans protocoles. 

Vous en verrez aussi qui 'cherchent à es- 
calader la limite sud du pays, e est à-dire la 
grille du grand parterre; il s*agit de ra* 
masser une balle ou un cerceau : mais aussi 
que de soins pour ne pas être vu du grand 
homme galonné chargé de fa police du jardin. 

Comme ils sont bafoués , ces pauvres 
gens! la plupart, anciens et braves mili«^ 
taires décorés, qae les enfants appellent 
gafits, et que nous avons tous trouvés si 
méchmtt, quand ils voulaient nous priver 
du plaisir de pécher i la ligne les poissons 
roupies danii Jeaf bassins. 

Ces petits liommes guettent le moment 
où le gafre iie les regarde pas; n*étant pas 
assez forts pour agir ouvertement , Ils em- 
ploient la ruse, et apprennent déjà entre 
eux. à élrder une autorité qui les blesse^ 
C*ert «0 commercement qui promet, et, mal* 
heureusement pour les gouvernement^,^ les 
enfants, de nos jours* tiennent ce qu'ils 
promettent. 

C^ n*e?t pas seulement à des enfants que 
se borne la population de la petite Provence; 



8» 

autre Tartàie ie chasseurs, dé laqwaM, èor 
bennes, etc., qui promènenl ceux qui , quel* 
qiies années plus tard , donneront la mode,, 
et parleront avec mépris de cet endroit 
qu'ils révèrent maintenant, il y a pluâ loin> 
sur les bancs , sur les ebaises , le long; de» 
grillages, partout enfin, il y a la masse im- 
posante des vieillards ^ vieillards de toute- 
espèce, tous^ renfermés dans leurs souvenirs'i 
tous heureux d'avoir de la mémoire. 

Us rient de si bon coeur, aux efforts dé» 
petits enfants pour marcher, et à leurs pre* 
miers mots bégayés, qii'ils font plaisir àl 
voir ! On ne peut qu^étre pénétré de respect . 
en voyant ces vieux débris d^m siècle passée 
qu'une pensée triste accompagne, eux qui 
ont aussi marché la taille droite et dégagée,, 
sourire aux premiers pas et aux premières 
pensées de l'enfance, quand bientôt leurs 
jambes seront sans force, et leurs voix 
éteintes: les* vieillards aiinent tant les en** 
fants! Mai» aussi les. enfants nuiront pas, 
ainsi qu'on le voit chaque jour, mépriser 
une imagination vieillie ; ils ne verront qu'ui» 
homme qui les aime, et ils aiment, ils sourient 
au vieillard, et vous peut-être, vous ne lu 
regardez pas; c'est un corps sans ame^ le 
volcan s'est éteint, et vous ne vous occupear 

6 * 



. S4 ■ , ■ 

» ' ' ' 

plus da cratère^ cependant vos pas cùrienic 
iront cbercher des Tilles détruites, en je 
ne sais quel lieu, et pour je né sais 
quelle cause, vous admirerez leurs restes 
bien plus q^ue nos villes modernes j mais 
une ruine a homme! si on osait, en liif 
tournerait le dos. Auand une de ^ ces 
tét«s blanchies rassemble ses souvenirs st 
piquants et si neufs pour nous autres jeunes 

fens, on ne se donne pas seulement la peine 
'écouter; mais après avoir regardé celui 
qui a brillé dans un temps qui valait bien 
le nôtre^ on se retourne pour lorgner à droite 
et à gaucher c'est un radoteur, dit-on, et on 
passe. 

Cependant n*y a-t-il pas un bien grand 
spectacle moral danet' les souvenirs que le 
temps laisse sur une tété, et qu'il y amop- 
celle? 

Les vieillards de la petite Provence se 
répètent, dira-t-on. Ah! qu'ils sont ennuyeuxi 
Et que voulez-vous qu'ils fassent, ils sont 
trop vieux pour a^ir, ils se souviennent 
seulement, il faut oien qu'ils répètent les 
mêmes penaées. Vous faites bien tous les 
joiu^s les mêmes choses, eux racontent, voilà 
toute là difiërence. Vous vivez , et ils ont 
vécu] c'est le passé qui les soutient. Ah ! 



8S 

par humanité ne les repoussez pas, ils it'o»t 
plus q^e cette vie ..de mémoire^ vous les 
tueriez. - 

Les doyens de la petite Provence con- 
servent sons leurs cneveux^ blancs, uns 
sorte d'élégance qui dénote la classe aisée 
à laquelle' ils appartiennent. 

Au Marais vous trouverez, sur les bancs 
de la Place-Royale, de vieux et minces ren- 
tiers boutonnés dans une reding^ote café au 
lait ou noisette^ avec des bas chinés et des 
boucles d'argent, des breloques d'argent^ 
prenant du tabac dans une tabatière d'iar- 
gent, avec une canne à pomme d'argent, ou 
un parapluie rayé, vulgairement appelé 
rifla^ un chapeau de paille à tuyaux, oii le 
classique lampion à trois cornes, placé 
horizontalement, et d où s'échappe Une pauvre 

Eetite queue honteuse et des iailes de pigeon 
ien râpées. Ceux-là je vous les abandonne, 
eux et leurs fidèles barbets. Je les^ respecte 
comme vieillards, mais ils sont fort ennuy eut, 
et je ne me soucie nullement d'entendre 
leurs réflexions historiques, scientifiques 
et artistes sur le Louis XIIL, pas plus que 
la lecture nasillarde d une vénérable gazette 
qu'ils prennent à sept ou huit; chacun la 
paie à son tour, et^ de cette manière ,* Us 



B6 

Rivent pleurer t^iit à leur aise, avec un 
fian de dépense par semaine. L'économie 
«st sans doute une belle chose, mais ils 
devraient la- porter dans leurs réflexions, 
encore plus assommantes que le journal lui* 
«lême, et^qui arrivent si bêtement dans une 
conversation saupoudrée de termes d'épicerie, 
de bonneterie, et de quincaillerie, car tous 
sont des marchands retirés, honorables^ com* 
merçants , je n eii doute pas , j'en jjirerals 
même, citoyens recoramandables , amis de 
Tordre et du juste-milieu , qui ^ont jamais 
ÉpoHblé te repos de la ville pendant la nuit;, 
^ar, dès rassemblée, des notables, ils se 
couchaient; à huit heures et demie; mais, tous 
g;ens qui, après im ample examen, vous ar- 
rachent l'exclamation : ce monsieur m'a lafr 
4*un bien brave homme! 

Au Luxembourg^ c'est mieux que cela, 
les boucles dé souliers sont en or, ainsi 

Îue la pomme de la canne et les breloques* 
là, vous entendrez une conversation plps 
savante sinon plus amusante;- chacun lit son 
journal. Cette ^rontocratîe-là tient le milieu 
entre les Tuileries et le Marais; il y a des 
magistrats intègres; il y a de vieux officiers 
qui promènent modestement le peu de mem« 
fcres qu'ils ont rapportés des capitales 



87 

étrang^éres, et pour ceux-là il faut, à Taspeist 
de leur ruban rouge et de leurs mutllationâ, 
il faut, dis-je, il faut s écrier cemiae don 
Ruy Gooiez: 

11 prit trois cents drapeaux, grag^na trente batailles^ 
Et mourut pauvre. Altesse, saluez! 

On y rencontre aussi beaucoup de rentier»; 
il y en-^a partout, sans compter les pen* 
siounés, les uns sur la liste civile, -et d'autres 
par les cours étrangères, pour services 
rendus à la France en 1815, 1816 et sui- 
vantes* ' 

*Âux Tuileries, au contraire, les vieillards 
gardent un air de jeunesse; leur toilette, 
sans être lélégante, est plus^iche ; ils sont 
tous en quelque sorte à la mode, car ils 
Tont suivie long-temps, et s'ils se sont laissé 
devancer par elle, ils ont au moins conservé 
une habitude de coquetterie qui ne nous 
quitte jamais, quand une fois elle a été notre 
occupation. 

Vous pourrez écouter de graves discours 
sur la polftique transcendante; quelques- 
uns peuvent en parler, mais tous en parlent, 
quelquefois Tun après l'autre, souvent tous 
ensemble. L^essentiel est de passer la 
journée sans ennui; on y arrive après avoir 
défait et reconstruit vingt fois tout Tédific^ 




politique de TEarope. MoiB qu'importe, ce 
^ut)ii 1^ fait et ee:qu^oii a dit es^t bien laH 
et bien dît, puisque le but proposé a été 
rempli, et que lé soir et les douces causeries 
d'intérieur arrivent sans peine et sans fatigne» 
A voir quelquesL-uns de ceux^qiii portent 
encore les cheveux frisés avec soin , et la 
cravate blanciie et fine à coins brodés, à les 
▼ôir, dis-je, s'acheminer avec un petit air 
gaillard vers le faubourg Saint-Honoré , on 

Eensé à Béranger*, car ces ci-devant jeunes 
ommes-Ià ont encore dans les yeux tout le 
feu et tout l'esprit du vieux célil^ataire; on 
croit de loin les entendre fredonner avee 
un petit rii^e railleur et capable : . 

Allons^ Babet, un peu de complaisance, 
Uu lait de poule et mon bonnet de nuit. 

La cabane aux journaux, dont il a été 
parlé lors de la description géographique de 
la petite Provence, est le bienheureux endroit 
où se rencontrent tous les habitués. Chacun 
a 9on journal de prédilection , et celui qui 
filent demander la Tribune^ toise avec dédain 
eelni qui réclame une Gazetu; l'uii à été 
républicaiii et le sera toujours , l'autre est 
au moins juste-milieu, s'il n^est pis que cela; 
il ne faut pas s'étonner des regards conr"> 
roucés qu'ils échangent» 



.8^ 

La (>olitiqne, qui trouble la tête des jeunes 

fl^ens, peut bien aui^si remplir les restes dd 
a vie de ceux qui ont plus ou moins par- 
ticipé aux grands événements dont, chaque 
jour encore, le récit vient réchauffer notro 
enthousiasme , à nous autres. Aussi avec 
quel orgueil j*ai vu ces vétérans de tous 
les partis rappeler leurs titres! Tenez, 
regardez vous-même ! Il y a sur le second 
banc, à votre droite, un vieux politique, à 
coup sûr, car sa tête est chauve, et son.^ 
oeil vif» Approchons, le voilà qui vient de 
reprendre sa canne , sur laquelle un enfant 
l^urait à cheval, il la frappe avec force 
contre terre, puis, appuyant son menton sut 
#es mains, il s'écrie avec une confiance 
Intime de son importance: — Moi, monsieur, 
j*étais aux Cinq-Cents! 

Mais voilà qu'un antagoniste se présente ; 
au bout du même banc, voyez cet homme 
i}ui porte un ruban rouge avee une rosette, 
il traçait des lignes sur le sable, et, poulr 
balancer l'importance de l'ancien représen* 
tant du peuple', il se retourne avee fen^ 
relève ses lunettes sur son front, eto^egar- 
dant son adversaire en face, il lui dit de la 
Toix, du geste et du regard: — - Moi, mon* 
sieiir, j'étais à Quiberon. 



»0 

- *— Et peut-être à Gand , répond l'autre, 

— Oui, moiKsieur, jy étais ; jetais..., 

— £b1 parbleu, vous létes émigré! 
• *— J ai eu cet lionpéur, monsieur! 

— Aristocrate! 

— Jacobin! 

— Aristocrate! 

— Jacobin! 

£t ces épithètes, répétées à plusieurs 
reprises, terminent la conversation par nû 
bruit ^ourd comme la fin d*un orage. 

Pluç loin, des récits de batailles occupeut 
tin auditoire attentif et la bouche béante^ 
lefif' vieux soldats racontent non seulement ce 
qu'ils ont vu, mais aussi ce qu'ils ont éprouvé, 
jet leurs fatiguas si pénibles et si glorieuses. 
Alors vous pourrez frissonner devant les 
glaciers de la Neva, le froid vous prendra 
aux cheveux en suivant le vétéran sur la 
dernière planche d'un pont qui va s'écrouler 
avec fracasi dans uti g'oufTre appelé la Mos« 
cowa; éçoutez-le bten le vieux soldat, et vous 
croirez voir la Russie toute blanche de neige 
€t toute rouge de sang, car il raconte sa 
dernière campagne, celle après laquelle il 
a dû dire: C'est assez! Sa halte forcée n'a 
pas été faite danà la|)oue; aussi en parle-t~îl 
4vec délices; tous ses souvenirs af0uent 



91 

tnrec impétoosité; il se rappelle des vleun 
compagnons; beancoup sont morts, morts 
là-^bas^ loin de la patrie, et lui qui Ta revue, 
Il pleure les absents. „Oii sont leurs corps f^ 
se dit- il quelquefois. Hélas! le premier 
printemps a tout emporte à la fonte des 
glaces; la débâcle pour les morts a suivi 
celle pour les vivants! 11 pleure, le vieux^ 
en disant cela, et les petits garçons, qui ont 
suspendu leur course pour 1 écouter, re» 

Î gardent avec curiosité ses pieds dans de 
arges chaussons, et se disent entre eux: 

Vùis'tu, pauvre Jtomme! il a eu les pieds gelés/ 
Puis, quand le soleil a changé de plac% 
eu plutôt quand notre terre en a changé, le 
vieil officier prend sa canne, et va s'asseoir 
sur un autre banc ou le soleil donne encore; 
Il fait ainsi le tour dé la petite Provence, 
humant la chaleur, lut qui en a été privé 
si long-temps. 

Des sièges, des batailles, des attaques, 
des retraites font le. sujet des conversations 
de la plupart des vieux militaires qui sont 
là; ceux de l'armée du Rhin racontent 4 
ceux de l'armée d'Italie, et ceux-ci à leur 
tour parlent de la Toscane et du Saiirt-Père. 
Oh! vous pouvez aller écouter aussi, Il est 
l^robable que vous apprendrez quelque chose 



des deux côtés? car la démonstratioii snU 
toujours la parole, et toute leur citadelle 
tfyec ses bastions, s^s courtines et ses demi* 
lunes, est tracée sur le sable; chaque corps 
d'armée occupe sa position, toujours exacte, 
car ils ne parlent que de ce qu'ils ont vu 
Cavts a!u publie), et si tout le dessin n'est 
pas efface par un enfant qui passe au grand 
galop de son cerceau, en moins d'une heure 
TOUS aurez toute Tattaque et la défense de 
Saint-Sébastien et de tant d'antres places, 
au nombre desquelles il ne faut pas compter 
la défense de Paris en 1815, et cela pour 
causes trop connues. 

Chaque saison voit varier les heures de 
réunions à la petite Provence, et ce n'est 
que dans les deux pu trois mois les pilus 
chauds de l'année que vous y verrez grande 
foule le^ matin et le soir; dans les autres 
temps, c'est en plein jour, au moment où la 
chaleur est forte, qu'on y trouve les habitués,^ 
tant vieux que banïbins* 

Sitôt que te soleil baisse, dés qu'il n'y a 
plus 4u'utt rideau rouge au-dessus des arbres 
des Champs-Elysées, (c^hacun s'acbemine len- 
tement et comme à regret vers sa demeure, 
en se promettant bien dé se revoir le lende* 
main à heure fixe , car un des grands besoins 



'4 • 9S 

r 

tlit ipays est d'avoir toujours sa montre pan- 
fattement à Theure ; on voit même quelquefois 
des discussions sur quelques minutes, dis- 
cussions jqui durent un temps beaucoup plus 
long que le sujet ne semblerait le comporter. 

JCetjte parole quon «e donne pour le len^ 
demain , chaque fois qu'on se quitte est , 
gardée avec une religion d autant plus grande, 
que tous ne peuvent qu'y gagner en santé, 
en bonheur et en gaîté. C'est un malheur 
peut-être chez nous, mais il fiAt convenir 
que Figaro est un homme bien profond, quand, 
pour garant de sa fidélité, il donne, comme 
s'il avait deviné l'aventure de nos jours, 
lion une parole vaine, non des protestations 
auxquelles il faudrait être fou pour. y ct*oire, 
mais un mobile bien plus grande bien pinai 
sûr, sonintérét personnel! Quel mot! il est 
à tonte la hauteur du siècle gigantesquement 
mesquin ou nous vivons. 

Mais tout n'est pas joie et bonheur; Il se 
rencontre aussi des Jours de deuil , et d'un 
deuil vrai, car il porte au coeur. Quand uu 
des habitués manque, on s'informe de lut, 
ses amis les plus intimes, sont interrogés; 
quelquefois le vieux garçon a fait une fin, 
il s'est marié, et Ton sourit; mais souvent, 
trop souvent, hélas! une maladie fâcheuse 



fe retient cTiez lui solitaire et triste; alors 
on récapitule tous les noms de ceux qui ouf 
cessé de venir pendant l'année, on craint 
pour le malade, et quand il reparaît, e.ncdre 
pâle et souffrant, il est entouré de préve-* 
oanees qui lui font oublier le faux pas qu'il 
à fait au bord de la tombe. Mais aussi quelque» 
fois la maladie empire, on se demande alors 
son adresse, et ceux qui ne le connaissaient 
même que ^ vue, quittent le jardin un quart 
d*heure plus tôt que de coutume, pour aller 
s'informer de sa santé. Puis , quand on ap« 
prend sa mort, la consternation est générale^ 
et sa place favorite reste inoccupée plusieurs 
jours, comme si on l'attendait encore. 

Un tel événement ne' peut que frapper 
tous ces gens si près eux-mêmes d'e leur 
fitf; aussi réfléchissent-ils intérieurement;, 
ils demandent au juste V&ge du défunt, et s'ils 
$ofkt plus âgés, cette nouvelle les effraie; 
«Mis sont pliis jeunes , ils calculentla diffé* 
tence d'âge; c'est comme un deuil public, 
et celui-là n'est pas commandé. Aussi 
ces jours-là les bancs sont presque silencieux^ 
on échange gravement une prise de tabac, ^ 
Sans même se dire où il a été acheté. Le 
vieux marin jure à peine, et ne rit même 
pas quand des enfants lui jettent dli sable 



Ém ses Bouliers ; c'est qu'une fois arrivé k 
un âge avancé, à cliaque nouvelle mort qu'on 
fipprend on se voit dé plus en plus isolé, et 
on tremble pour soi ; c'est comme un homme 
suspendu au sommet d'un édifice, et qui sent 
se détâclier une à une les pierres qui le sou* 
tiennent, il compte celles qui restent, et 
ferme les yeux à la dernière. 
^ Les Lovelaces du siècle dernier ont con« 
serve leurs habitudes de sçurire, et minaudent 
encore auprès des jolies petites femmes de 
chambre, mais ceux-là déparent le tableau 
au lieu de Tanlmer de couleurs vivaces,!lsi 
font ombre; henfeusement ils sont en petit 
nombre, car je ne connais rien de plus fâcheux 
que d'être obligé de trouver ridicule tiiu 
nomme à figure vénérable* Il n'y a qu'und 
oeuvre satanique qui puisse pousser un homme 
à prostituer ses cheveux blancs. Il faut 
plaindre ceux-là. 

Les bonnes si jolies, si fraîches avec leursi. 
toilettes soignées, leurs robea blanches où 
rose», et leurs cheveux bouclés, font, 
l'été, le plus charmant contraste avec les 
habits sévères, les cbevenx blancs du 
les larges perrnquea des vieillards; et 
leur tournure pincée semble encore mieux 
nontrer^ottte la pétulance des petits étourdie 



96 

Jumelles dirigent avec UiiB gravité vraiment 
octarale. 

Tout eet ensemble est pittoresqne comme 
vne mascarade d'artistes, c'est une féerie! 

Allez donc à la petite Provence^ les ha- 
bitants n'en 3Qnt pas à dédaigner: les en* 
fants vous amuseront et parviendront pent- 
étre à dérider votre front soucieux, le plus 
souvent; sans sujet, avec leurs mines, leurs 
estais ^e for^se ou leurs naïvetés; et pour 
les vieillards , pensez jbien qu'eux aussi ont 
été jeunes, et jeunes dans un temps où le 
siècle l'était aussi, dans un temps où la 
«ation boridit à plusieurs reprises dans sa 
cage, et finît par la briser en éparpillant 
le9 barreaux sur les peuples et sur les roif,, 
Cette époque des saturnales de la liberté, 
tous Tont traversée, et beaucoup d'entre 
eux, la tête haute et le cœur. aussi, avee 
une bonne laine à la main, ou cuirassés 
d'un courage dairain à la tribune; ces 
hommes -là çn valent bien d'autres, car 
lorsqu'on a su vivre avec honneur dans 
un temps tout neuf d'institutions et de peu* 
sées vigoureuses, l'âme, qui ne vieillit pas, 
en conserve toujours de sublimes restes; 
c*est comme les vieux gIl^ves trouvés dans 
les fouilles, le fourreau tombe en lambeaux. 



mais la lame pourrait an besoin trancher 
une tête. 

Enfin, des penfiéès^ënéreases germent à 
la petite Proveaee^^plus peut-être que par- 
tout ailleurs, tt tau moins celles-là sont 
vraiment bellfes^\dat; ceux qui les enfantent 
sont en dehors ie ni vie publique^ et par 
conséquent aucune arrière -pensée^. ne peut 
salir un mot noble ou désintéressé. C'est 
peut-être le seul endroit de notre France 
où l*on puisse savoir àû juste ropinion fd'un 
homme. Ainsi , vous ». qui voulez entendre 

{prononcer ces beaux mots de ]^atrié et de 
iberté, et cela sans intérêt personuer et 
sans espoir de gratification, ^ mais seulement 
.pour Tamour de l'une et de l'autre ; vous, dis-je, 
qui voulez entendre prononcer dignement ces 
beaux mots, allez. à' la petite Provence. 

Et si tout ceci né suffit pas pour vous 
peindre les habitants de ce pays perdu 
dans une atmosphère de modes et de pous^ 
sière, alors adressez* vous à Charlet. 

Quoi! toujours renvoyer à Charlet, quand 
on ne sait que dire ? s'écriera- t-on. Oui, 
nciessieurs, oui, toujours à, Charlet, car 41 
est seul aujourd'hui pour la philosophie 
des moeurs sin(ipfe$ et naïves. 

Gustave D'OUTBEPONT* 

LXXXIV. 7 



DE LJ 

£5 MDCCGXXXU. 



J'ai parlé de la barbarie de ce temps, 
pnla des faarbaa d*aiitrefois et d'aajonrd'hui ; 
Il ne me reste plas qoe quelques mots à 
dire sur la politesse en 1^2 et en 1883. 

11 y a nn pea pins de deux mille ans 
qu'il a été reconnu que de la morale dérive 
la polittquç. C'est une rérité qnt a fait 
peu de progrès dans ses applications, qnol- 

Îb'il reste démontré que le but de cette 
enitère science, la politique, soit de com- 
battre l'ëgoîsme «atnrel a l'homme, et de 
transformer tous lei intérêts divers en no 
seul. commun, utile et favorable à ta société. 
On suit dune ^iie la poliHqne a peur objet 
de cJvilrser les Jiommes. 



^9 

. CUiant à la politesse, c'est le moyen in- 
termédiaire et pratique avec lequel les 
nations se débarrassent, se purgent peu a 
peu de régoîsme on de la barbarie, deux 
maladies qui se ressemblent tant, que |e 
suis tent^ de les confondre. 

La politesse s'associe à l'exercice de 
tontes nos facultés; Elle est mise an rang 
des devoirs religirtx ; elle aide les grands 
de ta terre à tempérer les actes de leur 
pouvoir; tes inférieurs y trourent des res* 
sources pour faire valoir leurs droits et 
exposer la vérité. Quant aux discussioils 
politiques, littéraires, et aux coavtrsations 
privées, elles ne sauraient, devenir pro- 
fondes, entièrement franches, et par con- 
séquent profil:àbtes, sans Fonction de la 
politesse, qui lubrifie et rend possible le 
mouvement des innombrabres rouages de la 
machine sociale; enfin te savoir-vivre en 
réglant jusqu'à nos gestes, protège te bien* 
être extérieur de chacun. 

La politesse du coeur, de Tesprit et des 
manières, tels, sont donc les aegrés par 
lesquels passe l'homme qui se civilise, 

{rour renoncer i Fégoïsme, et atteindre à 
a perfection: te respectjet Tamour d« 
prochain. 



100 

On est loin de cette perfection. Cependant» 
et palgré les interruptions fréquentes des 
progrès de la politesse, interruptions dont 
notre temps offre un exemple que je Veux 
signaler aujourd'hui, là société en France 
est en progrès. 

Chose digne de remarque et encou- 
rageante tout à la foiis; le progrès se 
manifeste dans les masses, dans les classes 
dites inférieures; tandis que Tinterruption 
a. lieu dans ce qui devrait être Télite de 
la société. ' Les bourgeois , les marchands, ' 
les artisans, les ouvriers,' les gens de peine 
même. dans les rues de Paris, ont aujour* 
d*hui des habitudes de politesse, une cer- 
taine recherché dans les manières, et des 
attentions qui étaient entièrement inconnues 
aux personnes de ces professions il y a 
vingt et trente ans. Au contraire^ il n'est 
pas rare de rencontrer une certaine brus- 
querie parmi les gens qui manient les af* 
faires, et chez les fonctionnaires publies^ 
I3ette brusquerie est parfois choquante à 
la chambre de nos députés, et elle descend 
jusqu'à l'impolitesse dans la génération des 
hommes de seize à trente ans, dont la 
fortune à venir repose sur le développe- 
ment futur de leur esprit et de lenrs talents 



101 

On peut les comparer & ces gens isolément 
engagés dans une foule^ donnant.des coups 
de coude à droite et à gauche pour se 
frayer un passage, sans s'embarrasser des 
groupes de familles qu'ils froissent et di- 
visent; sans respect pour cette foule à qui 
Tinstinct-^e sa conservation fait user d*égards 
et de politesse envers elle-même. 

D'un côté est Tesprit de famille; de 
Vautre Tesprit de célibataire, qui pousse 
Thpmme dans la société, comme le marteau* 
enfonce un clou dans le bois qu'il déchire* 
Bien ne. rend plus impoli ^t iœpolitique 
tout à la fois que cette dernière disposition*- 

Eu considérant lés choses de haut , ou 
découvre quau temps présent 3 les classes 
occupées de travaux constants et journaliers 
sont comparativement plus polies que les 
gens dont les occupations soùt vaguas et 
vaquement intellectuelles, ou qui sont élevés 
.dans une certaine aisance. La preuve de 
la première de ces assertions se . trouve 
d'aboi^d . dans la conduite du peuple pris 
en masse à Paris ei; en France, après la 
victoire des trois journées de juillet, ou 
l'humanité des combattants, et des vain- 
queurs s'est reproduite' et continuée envers 
)^8 vaincus et les exilés ^ sous les formes 



ioi 

d'an« politessie respectueiise qni fera Tad- 
miration de la postéritë. Yoll^ pour Yen* 
senrMe; que si Ton veut des preuves de 
détail, il suffit de fréquenter les maisons 
de la petite bourgeoisie à Paris, de par* 
"courir les manufactures, les magasins, les 
marcIiés et en général tous les lieux o& 
il se trouve des gens établis, oecupés d'un 
travail et attentifs aux soins d'une famille^ 
pour y trouver la politesse de coeur, par- 
fois ceile à& Teâprit, et. des manières fort 
.agréables. 

' Dans ces classes, la politesse est loin 
d'être parfaite sans doute; mais un obser- 
vateur attentif est toujours étonné du de^é 
ou elle est déjà poussée, lorsqu'on réfléchit 
surtout au peji de temps qui reste aux 
familles vouées au travail , pour se livrer 
à la culture de l'esprit, à f amélioration 
des habitudes, genre de progrès si lent 
chez la plupart de ceux même que leur 
fortune et le loisir favorisent. 

Mais ce n'est pas une satire, que je fais^ 
et je do1$ expliquer ce phénomène. Entre 
les progrès de; rintellîgence des enfants 
élevés dans laisan'ce et de ceux qui sont 
obligés de gagner leur vie dès le bas âge, 
il y a une différence essentielle.* Chez ces 



JOS 

derolera, l'esprit se développe slmnltané» 
ment avec le caractère ; de très bonne heure 
ils acquièrent des idées précises sur là 
supériorité et Tinfériorité corporelles, in* 
tellectuelles et sociales de tous ceux qui 
les entourent; aussi la nécessité leur 
révèle-t-elle tout à coup que tout est pro* 

{portion et rapport dans la société, et que 
^homnie n'y saurait jamais vivre ni isolé^ 
ni tout à fait indépendant. 

Pour les enfants élevés dans l'aisance 
on la richesse , il . en est tout autrement. 
L'Instruction artificielle et littéraire les 
préoccupe trop pour que leur caractère se 
foroie en même temps que leur esprit, et 
Texpérienèe de la vie pratique leur manque 
souvent. Ils apprennent la politesse des 
manières, ils peuvent acouerir celle de 
l'esprit; mais ce n'est oruinairement que 
quand ils ont été froissés par le malhenr 
qu'ils éprouvent ce respect,, cet amour du 
procb^n, que j'appelle la politesse du coeur. 
Le proverbe a raison: Les extrêmes se 
réunissent, se touchent; aussi la politesse 
des manières, qui n'est que le signe ex* 
pressif de celle du cœur , a-t-elle toujours 

Juissammeutcoucouruàrapprocherlesolasses 
e la société, entre lesquelles la naissance, 



104 

le raiq^ et les Biens de la fortiiiie mettaient 
le plus de différence. Sous Tancfen régime, 
il était assez or^imiire qu'un grand seigneur^ 
insalent avec son notaire ou son banquier^ 
affectât des airs de politesse en s'adressant 
à son tailleur ou à celui qui le clianssait» 
Bans ces occasions même, la politesse 
prenait quelquefois la valeur de monnaie 
eourante , et 1 on' sait comme Don Juan 
payait ses dettes à M. Dimanche. Tant de 
eoBiédies :et' de satires faites à ce sujet 
ont sans contredit démonétisé leist beaux 
semblants et les paroles dorées; toutefois 
en s'y laissera* prendre long-tempsencore^ 
par cela seul qu'ils sont l'expression d*un 
sentiment auquel on aime à croire, et que 
l'on se fiatte toujours d'avoir Inspiré, On 
a'bean faire, l'égoîsme, la barbarie, Tin^* 
politesse enfin, est une chose si iiidense 
chez' l'homme, qu'à défaut d'amour v^éritable, 
de la part du prochain, on veut au moins 
qu'il vous en montre le simulacre.- 

On doit donc blâmer hautement ceux qui^ 
animés d'un zèle inconsidéré poitr la^per* 
fectjon de la société, et qui, sons prétexte 
de rompre en visière avec toutes les faus- 
setés qui se pratiquent dans le monde , 
affectent des maniécee rades ^ brusques et 



105 

oiivertemeiit contrakéd à. tons les naines 
que la succesaion des temps a établis. Ces 
€Dups de boutoir sout une preuve d'in* 
expérienee et de faiblesse de jugement. 
Assez souvent encore, ehez les jeunes gens 
dont le coeur est droit, ces brusqueries 
résultent d'un certain d^oût de la vie qui 
mine parfois les adolescents. 

Mais quant à ceux chez qui Flmpolitesse 
est calculée^ égoïstes par système, qui se 
font brutaux pour obtenir, par le dégoût 
ou la peur qu-ils inspirent ^ ce que leur 
peu de mérite leur fait refuser, il serait à 
désirer que les lois^ pussent réprimer leur 
impolitesse ambitieuse et jalouse. Puisque 
ees hommes ne veulent pas entrer dans la 
société, il faudrait que ht législation leur 
assignât une place à part. Cette classe 
d'Jiommes si impolis est encore ce qu'il y 
a de plus impolitique. Nous qui avons été 
témoins de la première révolution, nous en 
savons quelque chose. 

Quand Tinfluence des manières fastueu* 
sèment polies de la vieille noblesse se fut 
affaiblie, en vit d'abord s'établir une po« 
litesse réelle dans cette masse énorme de 
citoyens, désignée autrefois par le nom de 
boiirge<d8ie. L'égalité devant la loi et te 



lOC 

€omm«nantë des Intérêts produlsireot i^eft 
heureux eiFet. Mais par une fatalité qui 
semble toujours imposer à la société le 

roids d'un pouvoir naturel ou légal qui 
opprime, on vit bientôt le parti républicain, 
substituer à 1 afféterie du langage des cours, 
une certaine rudesse d'expressions qui ne 
tarda pas à dégénérer en brutalité uffen* 
santé. Ce défaut fut si choquant en France 
jusqu'au temps du directoire, il fit sentir 
si impérieusement le besoin de retrouver 
au moins une apparence de politesse, «que 
tous ceux qui en avaient conservé la tra* 
dition furent recherchés avec empressement. 
On ne saurait se figurer combien cette 
disposition générale des esprits aida alors 
les gens de l'ancienne cour à se faufiler 
plus lard dans celle qu'échafauda Napoléon. 
On raconte à ce sujet qu'un de ses 
officiers, conservateur minutieux des tra^ 
ditions de l'étiquette de Versailles, ayant 
une dépêche à remettre au premier consul, 
la lui présenta en la tenant avec le pouce, 
sur le bouton de son chapeau. Buonaparte, 
chatouilleux sur tout ce qui se rapportait 
aux marques de respect qu'il voulait qu'on 
lui rendît, prit la lettre sans témoigner nf 
humeur ni contentement. A Fassuirance 



107 

respectueuse avec laquelle son officier avait 
joué sa petite comédie, il devina qu'il y 
avait à profiter pour lui de cette flatterie 
instructive. En effets lorsqu'il fut certaio 
que ce cérémonial était' en usage k Taii- 
cienne cour des rois de France, il Fadopta 
et donna de Favancement au gentilhomme 
qui le lui avait fait connaître. Bientôt après, 
les colonels de Farmée imitèrent leur patron 
impérial, et il y avait tels régiments de 
cavalerie où un iiussard ne se serait pa9 
pémûs de présenter une lettre ou tout 
ordre écrit, à son officier supérieur, sans 
les .fixer an bout Ab sa carabine, entre la 
baguette et le canon. 

Les oscillations de l'esprit et du carae* 
tère de notre nation sont soumises, on le 
voit, à des lois d'équilibre, comme celles 
qui régissent le balancement des corps 
graves. Les habits dorés et la galanterie 
affectée de la cour de Louis XV. ont produit 
les carmagnoles et le langage grossièrement 
féroce des sans-culottes de 1793. Puis bleu* 
tôt après, le dégoût qu'excita ce monstrueux 
dévergondage fit revenir les titres, lee 
cordons, les habits brodés et les nuées de 
chambellans ^ue nous avons vue^ ; si bien 
que quand Louis XVUI. revint, il trouva la 



lOS 

m 

iriperie ndonarcliique remise à neuf et tonte 
préparée pour Ini en 1814. 

Les pièces de théâtre données à ces 
différentes époques sont peut-être ce qui 
caractérijse le mieux les péripéties brusques 
qui viennent là'étre signalées. Dans les 
comédies de Dorât, de AJarivaux et de 
Poinsinet, représentée9 jusqu'en 1791, c*est 
.encore. le langage musquë de la cour qui 
y régne. Puis, dans ce même Paris où on 
fie pâmait d!aise en.écontant les fadeurs 
de J abbé et du colonel du cei^cle, deux ans 
çprès les théâtres noffraient plus que la 
représentation de drames dégoûtants dont 

^e Jugement dernier des rçU est le . type et le 

chef-^'aeuvre. 
Après ces deux grandes oscillations, U 

Ïeut, du temps du directoire, une apparence 
'équilibre dans la société. Le mélange 
et le laisser-aller de toutes les classes à 
ciptte époque fut réfléchi très -fidèlement 
fious le consulat ]par iine comédie-vaudeviUe 
intitulée Fanchon ,la vielleuse. Buonaparte se 
^formait pep à peu une' cour, et déjn il était 

3aestion>âe substituer des croix aux armes 
'donneur. Ce fiit dans ces. circonstances 
gue 1 on donna Iç yandeviUe de Fançhon, 
pu le jargon iAfk hmiqivfi .^e J^pni3 XV» 



109 

reparut avec exagération, mais dans un 
sens admiratif. C'était une leçou de politesse 
et de galanterie, donnée à la nation, qui 
Taccepta avec enthousiasme. On ne saurait 
àé faire une idée de l'espèce de bon&eur 
ineffable que causaient aux générations de 
c^tte époque, meurtries encore des blessures 
de 1793, toutes les fadaises galantes que 
débitaient dans cette comédie Tabbé de 
rÂtteIgnant et un certain colonel, faisant 
de la tapisserie, tout en arrangeant avec 
un grand sérieux, et d*après les idées 
nouvelles d'égalité j son mariage avec une 
joueuse de vielle. 

Je ne doute pas que cette pièce, dont 
le succès fut long, n'ait puissamment con- 
tribné à rétablir en France la politesse des 
manières. Ce fut une transition pour arriver 
à Tempire , pendant lequel, à la cour dd 
souverain comme sur lé théâtre , on ne fit 
que des pastiches de ce qui se pratiquait 
autour de Louis XIV. 

A la tenue roide de la période Impériale 
succéda, avec la restauration, un excès de 
raffinement demi galant, demi nioral, dont 
les pièces du Gynàiiase ont été Texpression 
très-^dèle jusqu'à la révolution de 1830. 

Enfin ce grand événement est encore 



lie 

T0na briser de nouveau les Burionettes * 
musquées . qui nous ont réjouis, et voilà 

i[ue tou( à coup certaines gens, oubliant 
e passé, aveugles sur Faventr, se sont 
erus obligés de consolider cette victoire, 
en reprenant Fair rébarbatif et grossier, 
en laissant pousser leurs moustaches et 
leur barbe , en fumant du tabac presque 
jusque dans les salons^, en ayant peu 
d'égards pour les femmes, et en affectant 
dé lie lancer leurs opinions que comme des 
apophtegmes ou des ordonnances. 

Cest évidemment au marivaudage et au 
cagotisme de la restauration que nous 
sommes redevables de cette petite singerie 
des sans-culottes de 1793. Aussi, comme 
roscillation politique , Imprimée par la 
restauration, a été bien plus faible que 
l'impulsion analogue donnée par le système 
monarchique au temps de Louis XVL, il 
s'ensuit naturellement que les petits sans* 
aJoiUs de nos jours sont beaucoup moins 
forts que. ceux du temps de M. Rol^espierre. 
On les surprend parfois tout honteux de 
leur propre rudesse, et dans leur costume 
comme dans leurs discours. Il y a quelque 
chose d'aigre-doux, d'austère, et d'élégant, 
de. brutal et de timide tout à la fois, qui 



in 

lenr donne nne gène habituelle dans le 
monde. En France on a toujonrs dn tact, 
et ils sentent que ces affectations puritaines, 
républicaines, ne conviennent nullement à 
notre temps et h notre nation* 

Je n'oublierai jamais le phébns et Vaffé« 
terie avec lesquels un jeune bpmme, in* 
capable d ailleurci d'exécuter ^ une action 
cruelle, disait à une dame et à moi , quelques 
jours avant les journées des 5 et 6 juin 1832 : 
^ C'est, on doit le confesser, un grand, no 
énorme sacrifice; mais il faut du sang; 
oui, madame, il faut du sang!^ Ce brave 
jeune homme était vêtu d'une redingote 
brune qui se confondait avec sa cravate 
noire; en parlant ainsi, il avait le coude 
gracieusement appuyé sur la cheminée^ puis 
soulevant avec délicatesse une petite canne 
brune que tenait son autre main couverte 
d'un gant blanc: »Eh, mon Dieu! oui, 
répétait-il, sans changer de position ni de 
physionomie, il faut faire tomber trois on 
quatre cents têtes pour consolider la révo« 
lution de 1830* C'est affreux à dire, obser» 
vait-il/en souriant à la dame qui le re« 

S;ardait avec effroi; mais cest une vérité 
àtale, nécessaire • • • • j'entends philo« 
snphiqùement nécessaire.^ Et il sonriait 



/ 



encore en' insistant sur ces paroles. Or 
moi , qui redoutais les malheurs qui sont 
aiTivés à Paris trois jours plus tard, je 
fuâ épouvanté de la politesse féroce aveit 
laquelle on m'avertissait du sort qui pouvait 
m'atteiidre. C'est là upe des formes de la 
politesse en 1832* 

Mais cette grossièreté recherchée, élé- 
gante même, des hommes de seize à trente* 
éinq ans,. n'est pas causée seulement par 
les événements et (es passions politiques. 
Le mode et la nature des étudeis auxquelles 
la» jeunesse s'est livrée depuis quelques 
années, ont puissamment contribué à la 
faire naître* Ce goût presque exclusif que 
Ton a pris pour 1 étude du moyen âge^ est, 

fmrmi les causes secondaires de ce défaut, 
a plus importante. En effet, dans toutes 
les histoires, dans le détail des .moeurs, 
dans les productions littéraires et des arts 
de cette époque , pour quelques vertus et 
certaines beautés assez rares, on n'y trouve, 
ordinairement qu'un enchaînement de vices, 
de crimes et de singularités qui ne peuvent 
avoir d'attraits que dans des temps comme 
te nâtre, où la jeunesse elle-même est. 
ruinée par le désenchantemeut et l'ennui. 
Oui^ je n'en doute- pas, c'est par ennui que 



11« 

Ton s'efforce de retremper san existence 
blasée ;^en imitant du mieux que Ton peut 
celle deà hommes d'un autre temps où la 
vie était sans cesse agitée, toujours en 
danger et habituellement compromise. C'est 
par ennui que Ton se taille les cheveux 
comme au XlVe siècle, qu'on laisse croître 
sa barbe, que Fou porte des poignards, 
sous le gilet, que les alcôves se tapissent 
d^armes de toute espèce, et que Ion s'exerce 
à manier l'épée en même temps que- la 
dague. C'est par ennui, la chose est incon- 
testable, qu'au milieu d'une ville comme 
Paris, où tout est journellement j;)révu pour 
assurer Te repos et la, liberté publique, on 
rêve tyran , on veut redouter Fesclavage, 
on se flatte, que les sbires, des reitres ou 
des lansquenets sont appostés dans les rues 
pour vous saisir, vous traîner en prison, on 
Vous assassiner. C'est toujours le même 
cas que celui de ce contrebandier qui , s'en- 
nuyant de la monotonie de la conversation 
de braves gens qui dînaient par hasard à la 
même table que lui, ne trouva rien de mieux 
h faire pour réveiller tant soit peu ses con- 
vives et se tirer lui-même de l'assoupisse- 
ment où il tombait, que de faire feu sous 
la table avec ses deux pistolets d'arçon, 

8 



114 

chargés à balles. Pour moi, je ne doute 
guère que parmi les jeunes habitants de 
Paris bien élevés, qui ont pris part aux 
émeutes, il n*y en ait un bon nombre que 
Tennui seul y a poussés. 

Comme aux différentes époques de la mo- 
narchie, de la terreur, du directoire et de 
l'empire , le théâére de nos jours entretient 
dans l'esprit des spectateurs le goût qui 
règne, celui des bizarreries et des atrocités 
gotliiques. Chaque soir on y déploie les 
secrets d'une société aventureuse et cruelle ; 
Ta grossièreté des moeurs y est rendue 
piquante, le vice amusant, et le crime seul 
y intéresse. Là notre jeunesse ennuyée, 
désabusée, et qui aurait si 'grand besoin 
d'être mise à un régime littéraire, très-doux 
et tout bénin, vient au contraiiie pour s'y 
imbiber l'esprit et le coeur d'^horreurs abo- 
minables. Elle s'y enivre à l'odeur du crime; 
elle y surcharge son âme d'une force qui 
n*a point d'objet, d'un courage qui ne sait 
oxi trouver de la résistance, d'un surcroît 
de colère et d'une surabondance d'énergie 
qui la forcent à se plaindre, à crier, et 
enfin à frapper n'importe sur qui ni sur quoi ; 
le tout , seloi^ le système du contrebandier, 
pour se sauvçr 4e l'eni^iL 



115 

En France, où les passions fortes et du* 
râbles sont extrêmement rares, on ne saurait 
croire combien l^ennui et la vanité y entre- 
tiennent de travers et même de vtees. Aussi 
les commotions politiques lef plus imporr 
tantes, les o*pinions les plus graves, les 
révolutions les plus solennelles, qui se 
sentent toujours un peu de la frivolité de 
ceux qui les adoptent, s'annoncent-elles 
publiquement par les formes les plus pué- 
riles et les moins durables. Lors de la 
première révolution, tous les monnnîents 
que Ton éleva étaient de plâtre et de carton, 
et le premier soin que l'on eut pour prouver 
que Ion mourrait d'abord pour le roi con* 
stitutiônnel, et ensuite pour la république^ 
fut d'adopter un costume particulier. Depuis 
la révolution de 1S30, le même enfantillage 
s'est encore reproduit; et chacun de nos 
jeunes républicains, au soin qu'il prend de 
se faire reconnaître par Tétrangeté de son 
costume, peut faire penser de lui ce que 
La Fontaine disait du ïoiq> devenu berger: 

Il aurait volontiers écrit sur son chapeau:. 

C'est moi qui- suis Guillot, berger de ce troupeau. 

^ 'Je ne sais si je m'abuse sur le parti que 
j'ai tiré de mes observations , mais dans les 
farauds de 1791, dans \q& sans-culoites de V7^^f 

S- 



11« 

dans les muscadins Hvl directoire 9 dans ks 
chambellans de Tempire) dans les purùains de 
la restauration et les républicains de 1832, j^ 
crois retrouver le type éternel, bien que 

modifié , du marçuis français.; de ces gens du 

bel air, de ces beaux-esprits à la mode, de ' 
ces aimables roués qui, depuis la Fronde 
jusqu'à LouisxKV. , out été, selon leurs in- 
clinations, ferrailleurs, cruels ou galants, 
faisant de Tesprit ou crachant dans les puits 
pour faire des ronds , mais qui tous ont 
conservé traditionnellement Thabitude de 
fi'habîUer, de parler et d'agir autrement que 
tout le monde et de battre le guet pendant 
la nuit pour se désennuyer. 

Le trait caractéristique et commun à toute 
la' race issue du marquis est Tinipolitesse et 
la dureté même envers tous ceux qui ne 
font pas- partie de leur caste. Il y a dans 
les aristocraties démocratiques une morgue, 
VU besoin de supériorité permanente, t{ui 
rend les marquis^républicains infininient plus 
susceptibles que ne Tétaient les marquis- 
gentilshommes. Et chez ces hommes qui 
l'évent et prêchent sans cesse l'égalité, il 
est curieux d observer avec quelles nuances 
de dédain ils accueillent ou repoussent les 
personnes qui se rapprochent au. s'éloignent 



117 

' . ^ • 

pins ott moins de leur opinion. Dans tovs 
les temps, les coryphées populaires, les 
aristocrates républicains ont été infiniment 
plus hautains, plus inaccessibles que la 
noblesse des monarchies. Ordinairement 
ils ont autant d'orgueil et beaucoup moins 
de politesse. Or la politesse est naturelle 
en France, c'est ce qui a fait dire avec tant 
de raison et desprit que chez nous on a 
des opinions républicaines, mais que les 
moeurs, sont monarchiques. 

C'est ce mélange de dispositions inco- 
hérentes qui a fait échouer les projets d<e 
tous les hommes qui ont essayé jusqu'ici de 
faire du républicanisme en France. Encore 
aujourd'hui ris ne forment qu'une secte peu 
nombreuse, qui blesse et est blessée înces* 
samment, parce qn'elle ne trouve sa place 
nulle part, et que sa prétendue franchise, 
qui n'est que dé l'impolitesse et parfois de 
la brutalité, ne peut s'accommoder avec nos 
institutions, ni avec ce qui nous reste encore 
de nos anciennes habitudes religieuses^ 
morales et politiques. 

De là résulte, pour ceux de ces sectaires 
qui se sentent une certaine énergie, un 
ennui vague, un découragement mêlé d'or- 
gpaell et de colère, qui les. fait jeter dans 



118 

saille et mille travers, ils se singalartoeut 
par leur costume, ils s'enivrent de tabac, 
6t courent aux émeutes quand Toccasion se 
présente. 

Ces distractions, souvent assez peu in- 
nocentes, ne sont au fond que des ridicules 
à la mode. Mais peut-être âuraît-on le droit 
de faire un reproche pïus grave à cette 
jeunesse si sage , si studieuse, disait-on, 
avant la révolution de 1830, et qui s est 
montrée tout a coup impitoyablement rica- 
neuse, ingrate' et insultante envers les 
fat>mmes des oénérations qui Vent précédée. 
Manquer d'égards et^e respect envers ses 
pères^ est plus qu^une impolitesse; et le 
cas est hors des limites de mon sujet. 

Les liens de la discipline sont trop relâchés 
en France pour les enfants et les adolescentSé 
Il y a un personnage dont l'importance s est 
étrangement accràe depuis quelques années, 
et par le rôle quMl a joué, ainsi que par les 
portraits trop poétiques qne Ton en a tracés. 
Ç est le gamin^ Sans veille comme sans 
lendemain, oisif, sans besoins, mais avide 
de nouveau, et poussé par la témérité et la 
cruauté de Tenfance, le gamin pénètre par* 
tout, an écartant de force ceux qui lui font 
obstacle. ^Toujours gpguenard, fier, brntial, 



119 

meurtrier même au besoin, il brave le canon, 
les lois, ses parents et Dieu même, s'rl y 
croit. Le gamin est à part de la race des 
marquis ; il est le Louis XIV., 'le Napoléon 
démocratique, et, dans la plénitude de sou 
indépendance exorbitante, il se dit: La 
liberté, légalité, la république, c'est moil 
Aussi âatte-t-on aujourd'hui le gamin comme 
on a flatté Louis XIV. et lempereur; car li 
paraît I qu'il est dans la nature de Thomme 
de' craindre ce qu'il a admiré, comme d'ad- 
mirer tout ce qui lui fait peur. 

L'égalité spirituelle était une préoccupa- 
tion constante pour Tadolescençe, lorsqu'elle 
recevait fortement rinâuence d'une éducation 
religieuse. Alors on se confiait dans une 
justice éternelle, avec ridée que le ciel 
étant d'une immensité infinie^ et les ânies 
(parfaitement déliées , chacun y trouverait 
place au besoin. Aujourd'hui où toutes les 
espérances sont exclusivement dirigées vera 
les avantages temporels; maintenant où. il 
y a si peu de place an soleil , en compa- 
raison du nombre de ceux qui veulent se 
chauffer, on se coudoie, on âe dispute, on 
s'Injurie, on s'entre-tue même, pour gagner,! 
défendre et garder son terrain. Un dés 
traits caractéristiques de notre époque est 



120 

que €69, passions, toutes terrestres, qqi ne 
tourmentaient autrefois les hommes que 
lorsqu'ils avaient atteint la virilité, s'em* 
parent aujourd'hui dès étudiants, des collé- 
giens, des écoliers, du gamin même, qui,, 
exclusivement acharné à la conquête d'avac* 
tages et de droits temporels, se refuse, 
ainsi que les autres, aux bienfaits d'une 
éducation religieuse, morale èi^ poétique. : 
Alors peut-on s étonner de ce que notre 
pauvre jeunesse est inquiète, morose, et ^i 
S]ubitement désabusée? Hélas! j.e la blâmais 
amèrement il n'y a quXq instant, et main- 
tenant je la plains! Etre sans espoir à* 
vingt ans f mépriser ce que l'on désire en 
même temp^ qu'on le rechercher n'avoir ea 

{perspective pour paradis qu'une préfecture, 
a chambre des députés, ou le portefeuille, 
de ministre; c'est bien triste pour un coeur 
jeune , pour une âme à l'aurore de la vie, 
à qui la terre paraît ordinairement trop 
restçeinte et le ciel à peine assez vaste! 

C'est cet avenir tout matériel de l'exis- 
tence qui produit le dégoût précoce de la 
vie dont nos jeunes gens sont si péniblement 
travaillés; aussi se fait-on scrupule de signaler 
leurs travers quand on en connaît la véritable 
source. Il faut traiter notre jeunesse comme 



121 , - 

on malade dont les nerfs agacés provoquent 
les pleurs, le)» fantaisies et la colère. 

L'ennui et la vanité, voilà les causes dé^ 
ce tnal. L'une vient de ce que, dans Tenfance, 
rame et le corps' ne sont pas assez simul- 
tanément occupés; l'autre nous trompe tou- 
jours sur la puissance de nos facultés. 

L^établissement d'école pour les enfants 
en bas âge y le maintien d'une police sévère 
pour les adolescents des classes pauvres, 
dont l'indépendance, hors de chez eux, est 
beaucoup trop illimitée, et le rétablissement 
d'une discipline plus ferme et d'études plus 
fortes dans les institutions de toute espèce, 
tels sont, à notre avis, les correctifs les 
plus prompts et les plus puissants piour 
arrêter, dans sa source, Jes progrès d'un 
mal qui dispose la jeunesse à Tennui, an 
découragement, à l'indifférence, et par con- 
séquent à l'égoisme et à l'impolitesse. 

Au surplus, il s'en faut bien que je sots 
de ces hommes qui critiquent pour le plaisfr 
de ]>arler ou d'écrire. Lorsqu'un défaut me 
semble Incurable; je n'en parle pas. Mais 
quant à l'impolitesse qui règne parmi les 

{*eunes gens de 1832, je ne crains pas de 
a présenter sous ses fornaes les plus bizarres, 
dans ses effets les plus nuisibles, parce 



122 

que ce n'est plus qu une mpde^ causée par 
l'ennui, et qu'ainsi qu'il a été dit déjà, tous 
les Françstis/ abstraction faite de leur rang 
et de leur fortune, mais qui ont une t)cc|i- 
pation fixe et le soin d'une famille, pratiquent 
la politesse, et la perfectionnent chaque jour 
en eux-mêmes comme en ceux qui les en- 
tourent. J ai donc voulu démontrer seulement 
que Timpôlitesse est causée par Tégoïsme 
et que legoïsme est le défaut le plus fatal 
à une société. 

Cette vérité, j'ai d'autant moins craint de la 
reproduire à c^ sujet, en exposant les ridi- 
cules, les défauts et les fautes^de la jeunesse 
de 18S2 , qu'aujourd'hui , où à peine nous 
avons atteint la moitié de Tannée suivante , 
presque toutes ces folies fantastiques lit- 
téraires et politiques, sont déjà tellement 
affaiblies que, d'ici à -peu de mois, il en 
restera à peine des traces suffisantes pour 

Îue Ion ne puisse pas douter de la fidélité 
e mes observations. ; 

J. E. DELEGLUZE, 



LES PETTTS THÉÂTRES 



DU BOULEVART. 



Si les princes et les jolies femmes ont 
de temps a autre d étranges fantaisies, les 
éditeurs en ont aussi quelquefois de bien 
singulières. 

Un jour le mien en avisa uite dont il 
se sentit si agréablement chatouillé qu'il 
accourut aussitôt me la communiquer. C'était 
à l'époque où les mémoires étaient encore 
de nfode; et bien que le sol littéraire fût 
alors coirvert de ces sortes de productions 
comme les champs d'Egypte Tétaient de 
sauterelles au temps des sept plaies, Tiii- 
génieux libraire croyait avoir découvert un 
nouveafu filon, une mine féconde, une source 
Abondante, en aventures originales ou 



125 

théâtre, et }e vis que ponr huit soufi aux 
premières, six sous à Torchestre, et ^juatre 
au parterre je pouvais me Sonner quelques-, 
unes de ces sensations après lesquelles je 
courais ; je pris un orchestre et je me mis 
à la queue à côté de deux fashionables dii 
faubourg Saint-Antoine, qui d^abord me toi> 
sèrent icomme un intrus, et ensuite, -pour 
se donner un aiç d'importance et de eon- 
naisâance de la localité, entamèrent. une 
discussion sur le théâtre et les acteurs du 
Petit Lazari. 

— Dis donc, Polyte, V n'y a z*un débutant 
z'aujourd^hul, articula un des deux faubou- 
riens en relevant avec gravité son pantalon 
qui, faute de bretelles, menaçait à tout 
iustant de lui tomber sur les talons; f n'y 
a z'un débutant z'aujourd'hui. • • . . nous 
verrons voir 

— &i y n'marche pas droit c'coco-là, on 

rsoignera, répliqua le second faubourien 

et si la c^ale fait des Injustices , j^ leur y 
tombe sws la boule • • . une. . >. deux. . . > 
^un renfonoeme»t, mais dans le ebenu. . . ; 

— Un peu. . . ^ . Faut protéger les arts, 
mais z-ut pour les cabotins. . . . c'est pas 
moi qu'on- ewtortîUera. ... 

• -^ Ki m<yi< Dis donc à propos^ . . t une idée l.. 



127 

— De quoi? 

* — Âs-tu un sou? 

— Oui. ... à cause ? . . . 

, — A cause que j'achèterious des pommes 
et -que j'en envoyerions les trognons au 
débutant, s y va mal. ..' • « 

— Les trognons! ... au débutant! . . . 
mer-ci . . . je- les mange, moi^ les trognons.... 

— Messieurs, me hasardai-je à dire 

vous parlez àe débutant au Lazari. . .je 
ne comprends pas. . . . je croyais que 
c'était un tliéâtre de marionnetits, 

— De quoi., . • de quoi, des merionnettes i* . . . 
répliqua celui auquel je m'adressais. . . . 
depuis le3 glorieuses y a pus de merionnettes . 
ici. . • &est des acteurs vivants et naturels 
comme à la Gaîté et à Franconi, et qui sont 
crânement menés par M. Frenoy, un ancien 
de l^ÂmbigU'Comîque, qu'entend son artique 

celui-là. . . . Des jnerionnettes^ CKCUSez! ! 

— Je vous demande pardon. . . . je ne 
savais pas. . . • C'est qu'auparavant. . « . 

— Ouï. ... oui. . . . auparavant^ du temps 
de Mangiu et de Polignac. . . mais je vous 
dis que dépuis les glorieuses c'est fini. . . . 
on n' les a pas volé les Acteurs na-* 
turels et vivants! on les a un peu gagnés 
au Louvre et à Arcole. ... C'est how 



ns 

des merionnettes. • • «ah! ben en v'ià fine 
sévère! . . . ' * 

J'avais blessé lamonr'-propre de Phabltué 
du Petit Lazari, et j'allais m'excôser de 
nouveau quand lés pertes s ouvrirent pour 
laisser pénétrer la fouje: la poussée fut 
rude, et j'arrivai à ma destination presque 
aans toucher à terre. , • . Chacun se, hâta 
de se pjacer; hommes, femmes et enfants 
oneombrèrent en un instant le parterre, et 
tous s'y entassèrent le plus paisiblement 
du monde; je dis paisiblement, car il n'y 
eut que quatre à cinq bambins qui se gour- 
mèrent^ et deux blanchisseuses qui s'arra- 
obèrent leur bonnet, incidents tout-à-fatt 
inaperçus au milieu des cris et des sifflets 
qui commencèrent tout de suite un charivari 
assourdissant et continuèrent jusqu'il l'in- 
stant où les trois coups frappés à la rampe 
annoncèrent Is lever du rideau. 

J'avais eu le temps de donner un conp 
d*oeil sur la salle; elle était très-petite, 
mais fraîchement peinte et forjt propre; une 
seule galerie, l'orchestre et le parterre 
formaient les trois divisions des places. 
Une contre-basse et det^x violons étaient 
les seuls instruments^ul^e fissent entendre, 
et qui du reste suffisaient pour Texiguité 



dû local. ^ Le rideau 4'ava;ijt-9cène me pàrq( 
être de la grandeur d'unç nappe de douz^ 
couverts.. 

On conrnienjça^ Le^ Jé/nours d^ Poni-Ntuf 
ouvraient la mar.che: la.d/^Cjoration, dont l^ 
proportions Iilljpqti,e;ine3 attestaient qu'elle 
avaient été fiaiiea. ppur Tanm^nBe. t^gup^^ 
me frappa: Ip Pout-Neuf était représente 
par un site qui semblait pris dans un paysage 
de la Béauce; c'étaient une ou deux maison» 
de fermiers dftns le fond, avec des champs 
de blé, à droite et à gauche quelques arbrets. 
de grande route, et Penseigne d'un cabaret. 
Je ne me serais jamais cru si près du che- 
val de bronze, si je n*eusse vu tout d'un 
coup une petite niarcbande d'oranges sortir 
d'un gros buisA<;on, en criant: Po'riugal! yrai^ 
Portugal! à deux sous le Portugal! à deux SOU%. 
h don Miguel!! Puis Tinuocente créature, 
qui ne me parut pa?n avoir plus de quarante- 
cinq à quî^rante-hpit an? révolus, se mit à 
chaqtçr sur un air connu, ^t ev détonnant à 
toute minute, comme quoi elle attendait en 
tremblant l'heure du berger ^t comme quoi 
ri^eare et le berger ét^iîent bien lents à son 
gré. . .. C^étalt âif^ns doute, timidité de lîv 
part du pauvre garçon. . . . mais bientôt 
la bergère du Pont-Neuf poussa uu cri en 

LXXXV. ' 9 



Toyant accourir Tobjet ié son attente, quf 
d^éboucha dîa côté opposé avec le bruit d'an 
sanglier qui se fait jour à travers un taillis. 

Le tijbîde tonrte.reau était un gaillard de 
einq pîedk onze pouces, dont la tète se 
perdait dans l'es frises, et qui boitait borri* 
blement: iT me sembla que pour surcroît 
d^agrément il avait un côté de sa figure 
Brûlé et l'autre fortement endommagé d'une 
fluxion: un voisin m'apprît qu'il n'y avait 
pas enflure aux maxilliaires du débutant, 
mais chez Lui une telle habitude de chiquer, 
que même en scène il ne pouvait s'en passer, 
ce qui, d^u reste, n'empêchait pas qu'il ne 
ehantâl; fort agréablement le couplet, parce 
que dans les instants où il avait besoin de 
tous ses moyens^ il glissait avec infiniment 
d'adresse son tabac dans sa main gauche et 
te reprenait aussitôt qu'il retombait dans 
rexécutîon du dialogue ordinaire. 

Je ne puis nier que j'éprouvai un grand' 
plaisiV à la vue de la (Singulière dispropor- 
tfon qui existait entre la dimension du décors 
et cèire des acteurs. Chaque foiis que ces 
derniers se penchaient vers les deux ou 
trois maisons qui garnissaient le fond de la 
scène, on eût dit q^u'ils s'amusaient à regarder 
dans notSifeur par ïe tuyau des cheminées 



1*1 

^i lenr Tenaient à peine à la cefnfnre, et 
quatre à cinq fois te débutant/ par gentil* 
lesse, se permit de passer la jambe par- 
dessus les arbres^ qui figuraient les trottoirs 
du pont. 

Malgré ces genrtillesses et quelques autres 
dont le débutant crut devoH* embellir sou 
jeu, il me sembla peu goûté de Taréopage 
destiné à prononcer sur son sort, car bîen* 
tôt des cris et des sifflets se firent entendre. 

-^ Ohé, Mâyeux ! cria une voix, oliéf 

— En v'Ià une pantomine t dit un autre. 

— n est chouette ton débutant, dls-doiH*;* 
eh! Frenoy, cria un troisième; est-ce qui 
ta nous embêter long-temps comme ça. . . . 

— Puis ce fut un débordement d*apostropheS' 
dans ce genre. 

— Ohé, ohé!— les trognons. . . ohé!— 
A larbre, Martin, ohé! — Va-teit ! va t'en,, 
feignant! -^ Au canaF le rat!!^ — * Est-ce 
qni n'va pas taîre sa^ gueule? ^-- Oh! c'te- 
balle!! — Ohé! — La toîle!! le torehonîf: 

En vain Ta cabale administrative fit-elle 
éous ses efforts pour conjurer lorage , en« 
vain les persojniages en scène tinrent- ils> 
ton , il fut impossrble d'obtenir le moindre 
silence! pour comble die bonheur, uneespète 
de pèr© noble, celui de Torangère, à ce qu*i* 

9* 



m 

qie sfiiiifbla, vint se mettre deJiai partie.; ce 
brave hpniiiie,< annoncé d^ns. rexposifîUui 
comme marchand de croqu^ig^Ies , pondait 
maibeureu.semeut 1^ costume d'ua buii^sierï 
à vergue de Tancieu régime, et pour se ij9fx^e,r 
sans doute un air intéressant^ it set^it en 
autre tellement farci le visage de bla.ue 
d'Espagne, il avait un maintien sj défailiaoj.) 
que son aspect acheva de mettre le parterre; 
^ humeur charivaj'ique; les buées et les. 
cris redoublèrent. Les faubouriens, faisant 
généreusement le sacrifice de leurs trognons, 
l,e:<î envoyèrent à la tète^ du jeune premier, 
qui eu reçut d*abord cinq à six as^sez^ philo- 
i^ophiqucment; mais voya^it que le feu ^e 
prolongeait, il tourna le dos au parterre, 
qitî se leva en masse aussitôt et voulut 
se précipiter *nr rîrrévérentlenx comédien, 
jgnais la toUe baissa; quatre gardes muni- 
cipaux pai'urex}t à la rampje, le régisseur 
adressa aa public uji^e paternelle alUfCution 
héi-issëe de cuirs et d'excuses; et Fauditoire 
furieux se calma comme par enchantement 
avec une bonhomie admirable. 

En quittant le Petit Lazari de M. Frenoy, 
je. fis quelques t(xura pour renouveler l'air 
uQ peu méphitique dont mes poumons es 
tiouvaîeut imprégnés; je ne pus m empêcher 



1*3 

Mïè ï^Wi^se^ Un grand soupir en remarquant 
"(^(yrfiMen «st changé ce boulevart du Témpïe 
oA j'i^i vn tant et d'è si bonfonne8,pa^adéà..<i« 
Lcfs Bôbèclïes et les Galîiiiafrée , devafift 
^esqtfe^s je trie suis ai st)ùvent pâtné d'aise, 
ont dispafru. Sur réttipïacetnent qu'ils occu- 
paient se sont élevés le théâtre doirt je vienë 
de parler, et quelques autres où l'oti jbne 
aujourd'hui avec uA aplomb et une audace 
inconcevable le tépeTtoIre de Molière, de 
Sedaine et dé Regnard ; . les directe'trrs de 
ces théatreà, "S^l. Frenoy surtout, stlmuléà 
par Vexemple de madame Gibon^ qui, trou- 
vant que son thé est trop fadasse, y jette, 
pour lur donner un peu de corps, un jaune 
d'oeuf, une poignée iSe ^el et de poivre et 
quelques têtes d'ail, ensuite remue bien l6 
tout et Sert froid; tefs directeurs, dis -je, 
trotivant ausîli que TAi>dfe^ par exemple est 
trhè pièce lonpie, ennuyeuse, plate, fadasse, 
qui aurait pu faire un assez joli vaudeville 
en trois actes, emiroigtient IMtoliérê, taillent^ 
f ogneiit, ràc'coîih^ctssent ou allongeait Tôeuvrè 
du prince dé la comédie, y jettent quelques 
kiots et qne]x]ties seènes qu'ils ont pris dans 
le Jbneur, le Ôlorieuàc^ an le 'Médecin malgré . lût, 
^n leut lArpô/^te ? ^niâ dot^Tient à ce gâchtà 
Ihi iffre de leur fâçt^ti, M. Prtfdîgue, par 



ia4 

exemple, et deux jours après vous servent 
jcet, étrange salmigondis assaisonné de cou- 
plets a^ssi de leur façon, comme une oeuvre 
juouyelle dont Fauteur, M. Paul, M.Edmond, 
M* de Saint- Albju, est nommé au milieu 
d'unanimes applaudissements*. Bobèclie ! ! 
Galimafrée! ! où étes-vous? 

Il était encore de bonne heure, j'entrai 
au Cirque. , Oii donnait ÏEmpereur pour la 
pentiéme fois; la salle, était comble et Ten- 
tbousiasme aussi grand qu*à la première 
représentation* Le théâtre Franconi est le 
seul qui ait convenablement représenté 
lEmpii-e et ses gloires. Ce n*est pas avec quel^ 
ques ondes de poudre et des soldats de carton 
que l'empire, encore tout saignant, pouvait 
être offert comme on Ta fait ailleurs; il fallait 
tous les moyens du Cirque -Olympique, sa 
vaste salle, ses cent chevaux, ses douze 
cents comparses, les incroyables pinceaux 
de Pilastre, de^Cambon et de Charles Séchant, 
pour nousi donner une idée juste des mer- 
veilles d'Egypte ,* des plaines de Marengo, 
des fêtes du sacre et de la pompe étalée 
daqs les cérémonies du couronnement et du 
mariage; il fallait cette armée si bien dressée, 
si bien disciplinée par Adolphe Franconi; il 
fallait cette intelligence, ce tact, cette con- 



18$ 

naissance si étonnante des possibilités de 
son théâtre déployés par M. Ferdinand Lalone 
dans la charpente et la distribution de tant 
de liants faits placés sous nos yeux, avec 
t^nt d'ensemble^ d'ordre, d éclat, de richesse 
et de yérité. Je ne sais si Ton peut dire 
du théâtre en général qu il y ait eu progrès 
depuis trois ans , mais assurément on peut 
raffîrmer en parlant du Cirque en particulier, 
et ajouter que ce progrès a été immense. 
Il y a douze ou quinze ans, on crut après 
la Mort de Kléber, la dernière pièce montée 
par M. Francôni le grand-^ère, qu'il serait îm- 
j)Ossible de faire quelq^e chose d'un succès 
aussi étourdissant ; on en ^ dit autant après 
le Vétéran; puis Après f Empereur; puis a.près 
les Polonais; puis après la République, et les 

Cent Jours, . . . et cependant les directeurs 
prétenden^t quils ont mieux encore au fond 
de leur sac! . • .. Cela ne m'étonnerait 

pas» • • • 

Cesoic-làjevisaubalcenlechefdelafamille 
Francôni, celui dont je viens de parler ] c'est 
un vieillard octogénaire, presque entièrement 
aveugle et sourd niaintenant, et dont les 
facultés intellectuelles se sont singulièrer 
ment affaiblies. Depuis long -temps il est 
tout-à-fait étranger à ce qui «e passe au 



ISft 

théStve quHl a fofodé; le seul .st>tfvenir qnf 
lui en l'esté est celui de la piè'èe dont je 
rlétïs de im^èî*^ ce §o6Vëlffr er'èst srtéréo- 
typé dans Kon èeiri^eau a Félotm^ron de tout 
ftutre. 'AitciHie Idée h^tfvëlle ïre Ten a 
chassé, et dépMs' dix aifs ce brave boiuîne^ 
dont les ye^k fie dist!ngtrér>t phik, doirt le 
iiinpati'ne tFb'replus, dont les i^es sont 
réduites à Itîiih plus simple expreéâjon, ee 
brave hoinifiie, dit on, s'îin&giriPe, chàqiae fois 
^a'on le ti'ahsp^orte au théâFtre, q^e cest 
encore la Mort deKIéber que l'o^ù y i^eprésente, 
et on l'entèttd uiurtiiurer à part Itiî: — Ohî^ 
je le satafs bien que ma Mort de Kléher se 
jouerait tant qu*H y aurait un cirque dans. 
le monrdel 

Cepehdaht la sôf rée s'éeoi^Iiiit ^ je cou- 
rais rfi^qtie de matiqner le but pi^ilteipal de 
ton pràmenàde au bbuîé^krt dû Temple; je 
Quittai les taefveiltes du Cirque pont aller 
jouir de celles de Tacrobatie; car ce-soir-Ià, 
là célél^è fuilatiib%tè d^iiivaff Yi^ie r^p^én* 
iàfii^n 'éxtr<ftdcdiitfÀ?^è 4e '§ës èWèrèlèèâ èé 
\6H\^^ j'ar^tà! , f e^^tidts & là '^bHè dé 
àab thédti'ë un'fi%fifiMe''4<ii émft l^^ëc Féiâ-^ 
(AJd^e'â-iifi l^tâut^il îTMëi» q^i précédél^é 
M tKoiMf^ltàtetirf 
^^^^V4Wcrj,*nrfé%ftiëi!r*'et«»fittftr, te-rtrt^ât 



tnottefnt, voicff^rfn^tàt^t de prrrrendre les 
billets et 'de sViYrt^ife h futfle. ... les 
grri^ftAds 'exéi'acfes dé cbfde et de t(yltîges 
vdlit avdî? iiett. . . . îïé côYhftifeitcfiVrrront 
à iiëik^ bèUf ëâ p^^cf^esa làtiiotitr^enotrfi'rr 
et à Vétifétftioii de iiif&dtita^ Saquf. « . . 
prrrrrenez vos ttlfëts. . . . Il t^t t^ps en- 
core/. . . sfti*tlez la fôtifeîlî 

Je stîîvfs lé c^hséil et la tdu]ë et j'entrai; 
depuis mon èii^faAfée je tf'Hvafè pkn Va danser 
îuàdàtne Sa^ui. ^ . Je Wé i-appélle que ce 
fut alors Uu bbi^êur iirdieiblè pour moi que 
le éipectàcle tiè èet exerrfee, qui avait quel- 
que cliose ie sorbà'turel et d'îilonï. Je ne 
pouvais Greffe que Tétre tout àérletf dont 
tees régfafdjÉr ^viaiie^nt peine à l$«iivfe' le vol 
-tiUdsHHélit t^dft è«f quelque ctiéfSe de Mtifé 
-ÎEfèfèèe'si Idiii^e et si étopâtëe;'je deMcfcTffdë 
pétiéM if un l^s^eèt <f^titreli^f««x & la vi<è 
^es prodiges érifàtttés pnt VttéfàhAte^ ving^ 
années se ^(Mt écëc^léés, et ^épèifda^t, avéé 
KiofM #1Hu'èf6*à 'ët>ile tAVtii^fh^gfiitë , f I èét 
l^^ai, je t^trontài l'àèrd^iâtë Vittsfsi vigoureuse, 
aiitoMë*;éte , Afkéèfi ét^ihnalite q^'alofs: SM 
Véiem n'HynH pa» vièlHfi; èëtt^'feimfiie &tttft 
ëte èréée' petit ihn Mtj «OtaiA^ SOttàpflrte^ pottir 

îyèéritt».%M'âllbMB^Kttt>(ïîi pM^^anlM. 



1*8 

Après la reprëse&tation je mlnformai si je 
pouvais passer au théâtre et parler à lu 
directrice: on me, répojidit que^ fatiguée, de 
ses exercices . elle ne pouvait voir personne 
que j'eusse à reveuir le lendemain de midi 
à deux heures et qu'elle me donnerait au* 
dience au foyer de la comédie. 

Le lendemain donc je m acheminai de 

nouveau du côté du Boulevari du crime, et 

j'arrivai rue des Fossés -du -Temple, n^ 51;; 
j*enfiiai un petit couloir sale et obscu^ qui 
fprmait l'entrée des artistes du théâtre, et 
quoique je me fusse bien renseigné auprès- 
du portier, je ne m'en égarai pas moins dan0 
un embranchement dallées souterraines qui, 
au lieu de me conduire au foyer du théâtre, 
me firent tomber au milieu d'une espèce de 
labyrinthe aboutissant à plusieurs caveaux 
où je faillis me rompre le cou vingt folà, 
et d'où je ne parvins à sortir qu'en appelant 
à mon aide, de toute la force de mes poumons; 
un garçon de service arriva^ me prit p^r la 
main, me tira du dédale où j'étais perdu, ejt 
m'amena charitablement au pied de l'escalier 
.qui conduisait au foyer, et dont la roideur 




139 

parvias, en me craiiipotin«iit à ua câble qol 
servait de, rampe, à me hisser jusqu'à la 
pièce où se trouvait alors la directrice do 
théâtre. 

l Cette pièce servait en même, temps de 
foyer et de magasin. 11 était Theure de 
répétition , et tous lejs artistes réunis atten- 
daient le coup do clpphe du régisseur; il y 
avait encombrement jusqu'à la porte; et sur 
les vieux meubles 9 sur les fauteuils et les 
châssis entassés au fond du foyer, étaient 
juchés une partie des comparses qui n'avaient 
pu trouver place sur les étroites banquettes 
de l'administration; j'eus mille peines à. më 
faire jour à travers la cohue, et à parvenir 
jusqu'à la souveraine de l'empire ac^roba- 
tique, placée près d'une fenêtre au fopd dp 
Tappartement. 

Assise dans un vaste fauteuil, un rouet 
devant elle, à ses pieds deux nains afifsis sur 
de petits tabourets, entourée de ses prin- 
cipaux sujets , empressés à lui faire leur 
pqur, la maîtresse du lieu représentait vrai- 
ment une de ces reines du temps d'Homèra, 
qui filaient innoeemoient au milietu de leur 
cour, tandis que Ienr# époux enfantaienl^ les 
merveilles décrites par le vieillard de Lesbos. 

Il y avait quelque ckose de patriarcal 



14G 

éaiifl la poée gétiérkle des personnages fôv» 
niant le tableaii , ((ttl s offi*aK à ints yéiatx>. 
la dîféef^fee àtt théâfre étàft là, (fotnme nifè 
mère de famille entourée de sa notfïbrense 
'ligifëèrliioïi «ppaKIioti ifiàtfertdtfe n^ valut 
Aè là ptttt dé lÀ inaîtfesse du lieu tn coup 
d^oérl fnté^^gàtéiïr plefn de pénétration; à 
y avait dans Tel^firrèi^làti phystbuoniiqne de 
l'acfèrbàte n^e V?vK<!ttë et un feu bien dfffë* 
tenter de la*fro!dé ni6Vi«terffe qui caràétérise, 
hors de \i Ètèite. reéjièèfe du danseur. J'en 
fus presque safâi; cependant je m'approchai, 
je déclinai inon ti^ui et Je fas accueilli^ 
lion sans une iibntéJîe 'Ài!i-r(îî*ise , avec un 
tcti et des mfa'Méf^s é|n1 tf*bnràlent pas 
été déplacés dahà le èaloh de la meillenre 
tôritpag^iife. 

J'étais fort embarrassé pour expliquer 
¥(fbfet4e Itttt Visité; la dtiinë ft aperçut de 
t^M mA(^^^ et <^4i^rcba à M en ime soilit 
-fâf'qVè^qlK^s mm jêtéfir Ifli fr^sdrd 6m> dè^ 
1M«liièt«^ l^èlNtrtfle» qu'elle %ffl«imi «a H^ ^\^ 
4êÈmh >nP9it W^ fitéihré d^l^etftfbl^'et Wrfè 
(iWèSëtf ^^irpf#t'^iVi<>nèi$OfltrH)Wèf*è>nt pHs pôùlr 

ift%tll Itoi dqM vtftlM^ ^^%y«ai 4» qVediioo 



141 

avec une certaine crainte , et lai exposai la 
propo9,itipn que j'étaj^ chargé de Ii|i faire« 

]^lp. accuçijlii.t ipoi; explication avec ua 
solaire dans leqi}pl jç déiuél,ai l'expression 
de iamour pr^opre. fl^^té. 

— ' Mpn^iM^u^', mis 4itTeUe, ce^e idée, de 
pub^er niiea uiéippJA'es mfest 4é[à pasaéa 
pai* la tête^ • . . niat/s( h^bituj^é à n^^anijci! 
le balancier et i^oa la plHOp^j i^ np\.aifrait 
fallu un secrétaire, un teinturier, et je u'^uiff^ia 
jamais osé profoseï;. à p^/so^ipis, • . • • 
i^t pourquoi? 

— .Oli!! on eût ri de ma prétentioji,. . <^ 
on eût haussé lejsi. épaules.. • LeS: m^moixes 
d'une. acL.9bfite!!! q^uejle pHié» . . l 

- — Pourquoi enepre? . . • C|es vf^én^U^ 
aiirai,ent-ils été plu^: pii;9yal:|)es que^ t^pt 
d'antres, a,u^ les^ue]9 on s!es.t jçtié avec, taqt 
de fureur djepuls quj^qu^s aoii^esS;. • . • 

— Pe^t-étre. . . « Hs auraient ,en Tin- 
convénientde nétre ii.i graveleux, ni s^fda-. 
leux. • • • 

— Je conviens que rinconvénient est 
grave. • . . Mais ils auraient pu être api^-, 
sants. 

Je le crois. . . • J ai tant v^. d^ choses, 
de pays et de gens. ... 1} i|*é&t pas,unei 
tête couronnée qui ne m!aît payé son trihii^ 



U2 

d*éIog^és, qoi ne m'ait laissé un soavenfr de 
eotttenteni6nt.\ . • en font bien tout faonnenv 
du reste. • • . caf je vous Taffirme, et c'est 
ici sans la moindre pruderie, si mon his'- 
toriographe eut exigé, dans la composition 
de son livre, quelques aventures galantes, 
il eût été obligé de les inventer, et on a 
toujours bien assez de ses propres fautes, 
sans se charger encore de péchés imagi- 
naires. . . . ^ 

— Au moins vous auriez pu fournir à 
votre secrétaire une foule d'anecdotes cu- 
rieuses. 

— * Assurément. . • • car j'ai bonne mé- 
moire, et fy tiens enregistrés mille faits 
qui ne manquent pas d*originaUté et de bi- 
zarrerie.' . . J'ai parcouru 1 échelle de îa vie 
de saltimbanque de|)uis le tapis étendu sur 
e pavé de la rue où, seule, abandonnée dès 
fâge de cinq ans*, je me suis vue forcée de 
pourvoir à ma chétive existence, jusques nun 
tentures d*or et de sole, que Ton a st 
souvent dressées pour moi dans les paiais' 
de rois. ... 

— Il en est plus d'un, dîs-je en rîanf, nit- 
quel vous aihiez bien du enseigner Fart de 
faire le saut périlleux, sans y joindre l'a 
culbute. . . . Beaucoup tPentre eux aujonr- 



Î4S 

d'hni, grâce à vous, ne seraient peut-être pas 
restés suspendus à la corde, sur laquelle \\s 
ont risqué les tours de force qui leur ont si 
peu réussi depuis quarante ans 

— Vous ciojez plaisanter, et vous penses 
peut-être que ce n'est que métaphoriquement 
que Ton peut jeter un roi, un prince de sang 
royal, où tout autre personnage de cettd' 

trempe dans une affaire de fùnambuliisme 

Eh -bien ! vous vous trompez ! 

-*• Je ne vous comprends pas. .... 

— Il est certain que la proposition que 
j^avance doit paraître étrange. . • mafs je 
puis rétayer d'un fait, sans doute encore 

{présent à la mémoire de ceux qui en furent 
es témoins, et qni au besoin, en garan- 
tiraient lauthenticité. . . 

— Alors je vous prierai, madame, dô 
commencer dès k présent le travail que je 
Viens de vous proposer en me racontant ce 
fait, qui pique ma curiosité, et qui doit me 
donner le mot de Ténigme. ... 

— Volontiers. . . mais accordez-moi une 
minute. . . je vais fàfre commencer ma ré- 
pétition, nous serons plus libres, et nous 
pourrons bavarder à notre aise. 

En un instant,, et sur un geste qu'elle fit, 
le foyer fut désencombré; nous restâmes 



144 

tfeuls, et mon interlocutrice commeinça le 
récit de la gi*ande aventure. 

— Vous êtes encore trop jeui^e, me dit- 
elle, pour avoir coi^nu la troupe de Nicolet^ 
qui^ faisait les déli^çs. 4o Paris, îl,y a quel-' 
que qji^Araiite ans : i^oi| père était le premier 
siiuteur de cette troupe : il.JQuij^^ait auprès 
djif pMblijc 4p ce thé^ti'^ d'u,ne b.autç. faveur^ 
que du reste il méritait bî,en, car il était; 
impossible de réunir plfiq, ^^.tpf^c^^ 4!agîHté, 
et de grâce a un pM^i/m^ %V^m fi^^^t que 
ceJHi çbnt. il était dqnç. Il trqpv^it ppiL.de 
cjyaqx' dans Tétî^t qjul|, exerç(|ît/ up âça>Î Aç 
ses can^arades ppuva^t l^ é^ce çç^p^ré 
jif^qu'à un certaîi| p^iqt^ c^ét^ît up nommé 
Laurent dit tJçeugle: cet; hof^me, auquel un 
accident avait fait perdre la vue 9 avait 
tellement Famour d^ ao,i],aii, que, malgré 
8{i cruelle infirmité, il ayajlt Voulu en con- 
t^iuer Texerçice: sauf quelques précautions, 
qiielques tâtonnçi;nçnts. a,u?^qi;^I& il ét^\% 
oblige de se livrer ppiir » as^iirc^r de î?^. 
position de ses planches et des lnj^,^ruments 
ai|çc lesquels il travaillait, ^g^ jeii était 
fm»^} correct, aua^i yîçqmiç.ux q^fj cçl^l 4fj; 
ses camarades poprvn^ ie. leur^ deux yeux. 

La trQ\u)g. à cjç^te époque était admira- 
blement composée. 



145 

Uo jour quelques sauteurs étrangers 
vinrent proposer à Nicole! de donner une 
représentation sur sou théâtre et de lutter 
avec ses premiers sujets. La proposition 
fut acceptée, et la représentation annoncée 
avec beaucoup d'emphase. 

On s'y porta en foule. Quoique je n*eusse 
à cette époque que quatre à cinq ans, je 
me rappelai toujours cette soirée à laquelle 
j'assistais; car chaque jour oh m'apportait 
dans la coulisse, où j essayais déjà par, de 
cti'miques efforts à imiter les grands maîtres 
que j*avais suus le^ yeux. 

La salle était comble, et la réuniou fort 
briilaute; car non seulement les .classes 
inférieures lencombraient chaque soir, mais 
encore la bonne compagnie venait y cher- 
cher fréquemment des distractions. La cona- 
position du spectacle de ce jour avait attiré 
plusieurs personnes attachées à la cour. J'en 
fats Ici la remarque, parce que la présence 
de ces persouiiages à cetle représentation 
eut, ainsi.que nous le Terrons, une influence 
assez heureuse sur les destinées du théâtre 
de Nicolet et amena le bizarre^ événement 
que j'ai à vous raconter. 

La soirée fut des plus amusantes: il y 
eut d'abord assaut entre la troupe étrangère 

LXXXV. 10 



146 

et la troupe parisienne: la lutte fut m Je, 
les avantages partages, et le public assez 
embarrassé pour. prononcer. 

Mais bientôt un choix fut fait parnii les 
pluis forts danseurs j et des paris furent 
ouverts. 

C'était une chose vraiment curieuse et 
tout- à- fait inusitée, en, pareil lieu et en 

{laretile circonstance, que de voir chaque 
oge, chaque banquette convertie en ui^e 
table de jeu où chacun étalait son pari, et 
là, attentif, l'oeil au théâtre et à son enjeu,, 
attendait avec la plus vive sellieitude ce 
qu'il allait. aiiri ver. 

Enfin les derniers exercices commencèrent : 
les sauteurs stimulés par la solennité de 
la séance, par l'importance que chacun des 
spectateurs y attachait, se surpassaient à 
Fenvi. CTétaH éblouissant d'agilité, de force 
et de souplesse ï on eût vraiment dit autant 
d'êtres fantastiques courant en l'air, 'y 
jeuant , y tourbillonnant comme les per* 
sonnages d'une scène de sabbat. 

Âa bout d'une demi -heure, il ne resta 

1»his sur le théâtre que deux sauteurs dont 
es forces ne fussent pas complètement 
épuisées: c'étaient mon père et un des 
sauteurs étrangers: tliiut l'intérêt des paris 



Ï4T 

a^étart réuiri sur eux, et la salle eiitiërr, 
muette d'attention .et de perplexitép avait 
les yeux fixés sur les^ deux ehampions^ 

Mais la victoire ne tarda pas à se pro^ 
Doncer: elle se. rangea eomme de coutuioe 
du côté de mou^père, et ce fut an milieu 
d'une salve d'applaudissements capables 
de faire écrouler la salle que Jean Lalanne 
fut déclaré le lauji'éat de la journée: cette 
f rpclamation fut suivie d'une ovation pen 
ordinaire et qui fut au moins aussi agréable 
aux triomphateurs que si elle eut été com- 
posée de couronnes académiques; tous 
eëux qui avaient parié en faveur de Lalanne 
le firent appeler après le baisser du* rideau, 
et lui remirent le gain de leurs paris; et 
.bon nombre des spectateurs^ entraînés par 
cet exemple 7 se prirent, pour ne pa» se 
déranger, à lui jeter sur Ta scène des éeu9 
de six et de trois francs, des pièces de 
monnaie de toute valeur , et il n'y eut pas 
jusqu'à de» sous et des tiavds qui ne lui 
fussent envoyés des dernière», places de la 
salle qui voulaient lui témoigner toute Teur 
satisfaction par cette offre du* denier de 
ia veuve. Mon. père et ma mère avafenf; 
peiHe à suffir à la récolte de eeti% pluie 
d*$trgib»t q^ùi leuf tombait de tentes parts^ 



148 

Enfin on en remplit deux chapeaux quF 
furent portés dans la loge de mon père, et 
dont le montant servit en partie le lende- 
main à traiter les combattants de la veille. 

Cet assaut avait fait sensation ; les per- 
sonnes de la cour qui y avaient assiste en 
avaient si bien parle, que le bruît en arriva 
jusqu^aux oreilles du roi: il voulut voiries 
sauteurs de Nicolet, et l'intendant des 
menus plaisirs donna, q.uelques jours après 
au directeur de la troupe Tordre de se 
rendre à Saint-Germain, ou la cour se trou- 
vait alors; recommandation expresse fut 
faite à Lalannè àe ne pas manquer de s'y 
trouver. 

M. Nicolet s'empressa de déférer à un 
ordre qui le flattait infiniment, et au jour 
indique II partit pour Saint-Germain avec 
tout son monde. 

Il était impossible de voir une réunion 
plus brillante que celle offerte par la salle 
de 'Spectacle; il suffisait quje Tidée vînt du 
roi que toute la cour, s'empressât de témoi- 

Sner par sa présence combien cette idée 
e sa majesté avait été heureuse. 
Et en effet personne ne fut mécontent 
de sa soirée! dire- qu'elle fut plus forte et 
plus surprenante que celle donnée au bâu- 



149 

levart le jour de l'assaut , serait inexaet ; 
mais elle ne lai céda en rien: le lieu, la 
eompositfoD dé la salle, les recommendations 
faites à mains jointes par M. Nieolet h tous 
ses g^ens de se surpksser, avaient stimulé 
eeux-ci à un tel point qu'enfin ils firent 
merveilles, raasemUée tout entière témoigna 
sa satisfaction d'une manière non équivoque : 
tuais, le roi surtout avait paru prendre an 
plaisir extrême à ce divertissement, et quel- 

Iues laoments aviint de se retirer, il or- 
onna que Ton fit venir à sa loge un des 
sauteurs qu il désigna. 
C*était mon père. 

Bien qu*il ne fût pas des plus honteux, 
flean Lalunne ne se sentit pas très à Taise, 
^ loisqii'il se trouva en face du monarque; 
cependant Texpressiop de bonté et de satis» 
faction répandue sur la physionomie du 
prinee le rassura un peu. 

— Je suis content de toi, mon ami, lui 
dit le roi avec la plus grande affabilité. ••• 
Comment te nommea-tu? 

«— Sire. • . . Jean Lalanne. • • • dit 

Naçarin, 

— Navarin. . . . Pourquoi? 

— Sire, je suis de là Navarre. • • • du 
paya des ancêtres dci votre m.aje8té. 



150 

Très bien. • • • Je suis fort aise'^eTdir^ 
<que lès enfants âe ce fcoii |iàys de Navarre 
n'ont pas dégéiiiBTé. • . .Eli bien! Je te ie 
répète, je suis' ébntent dé toî; et je te 
proclame aujodrd-hiii Naçarin le Famtux.' 

En prononçant ces pai'olbs bfen flatteds'es 
pour mon père, le roi lu! frappait amicale^ 
ment sur T épaule :i^Qîs 11 dît à M. Nicof etj^ 
^lîî $e "Renaît bespciet^ieiiâreirîèiiM; à la* porte.*:? 
— Ht. Nicôlét, je im adëlâi iféiïH tëthdi^éis 
ma sàtisfactléft, et je velijr encbuhiger vtftre 
entreprise. . . . Je' vAiis autorisé^'* fttîrè 
prendre dès ce jour à Vétre troU^e lé^tttre 

de Premiers Danseurs du RoL * 

M.'ïfîcolét se cortfoiidH*etl rebercîments ; 
}e roi lui fit signé dé s'élof^néf. Miis son 
enchantement, cat à <^ett'e époqde lafaTettif % 
quf venait de lut être ac(iérdée poui^alt 
avoîi' une grande îniSuéhee sur la prospérité 
de son théâtre; dans soii eneKantement; 
dt's-je, Nicblet ne voulut pas attendre son 
retour à Pari&i pour que le public fût In- 
strult de la nouvelle qualification qu'il étaft! 
autorisé à prendre; il fit monter à cheval 
un de ses hommes, et lui donna ordre 
d'aller à toute bttde jusque ehez son im- 
primeur, afin qu'il changeât la composition 
de l'affiche du lendemain, et qu'il mît ea 



151 
tête .et en lettres de grande dfmemioii 

Théâtre des Premiers Danseurs de Sa Majesté, 

Le iendemai^i, toits les murs de Paris 
étaient tapissés d'énormes pancartes, «n- 
nançant le haut patronage sous lequel !• 
théâtre de Nicolet venait d*étre placé. 

Ce ^ sont ces divers incidents qui don* 
neront lien à Tayenture dont mon bavar*; 
tâage préliminaire vous fait peittfétre payer 
un peu cher Uvcannalssanev, et dofit^ an 
«urplus, le dépouillement des arcbives de 
la monarchie, depuis Pbaramond jusqu'à 
nos jours, n'offre certes rien de semblables 
j'y arrive. . 

Citiq à six jonrs après la représentati^i 
donnée par AL Nicolet à Salnt-€l«rma!n de^ 
vaut la cour, un piqnenr du château. arriva 
en toute hâte au théâtre des Danseurs niu Roi, 
et demanda le difeeteur. Celui-ci ac0K)urnt 
tout en émei de cette nouvelle visite^ à 
Thonoeur de laquelle il ne s'attendait pas» 
Il eut joie et . peur en même temps ; car il 
pensa que c'était <|uelque nouvelle faveur 
tti lui arrivait^ eu peut-être aussi le retrait 
e celle qui lui avait été accordée tout 
récemment. I9 ^ 

Il aborda donc l'envoyé de la maison du 
roi. avec un saisissement qui lui fit éprouvev 



3 



152 

devant le valet plus d'embarras que s*il 
eût été en face du maître. 

— Un inAve de la cour! dU avec impor^ 
tance le, piqueitr. 

M. Nicolet ouvrit une lettre que loi pré- 
senta rhomuie g^alonné, elle était du séeré- 
taire particulier du comte d*Ai*tois: il était 
enjoint à M. Nicolet denvoyer le lendemain 
sans faute aux Tuileries, vers midi, le^sliu- 
teur Lalanne, pour y recevoir des ordres 
dont la lettre ne désignait pas la nature. 

Nicolet protesta de son obéissance à 
l'injonction du secrétaire de laltesse royale; 
mais il parut craindre de ne pouvoir trou- 
ver mon père danà la journée, car il n'était 
pas de la représentation de ce soir, et il 
demeurait au faubourg Saint-Gemialn. Eu 
effet, dans ses jours de relâche, Jean La«< 
lanne me prenait sur ses Epaules, donnait 
le bras à ma mère, et nous menait aux 
environs de Paris, dîner chez quelques 
traiteurs renommés: c étaient nos grands 
jours de plaisirs. Il était presque certain 
que m9n père profiterait de sou congé de 
vingt^uatre heures pour s'absenter jusou au 
lendemain; il y avait donc urgence de le 
prévenir, et Ml Nicolet engagea le piqueur, 
qui avait à sa disposition un cheval exr 



153 

cellent) à preodre la peine de .courir ruû 
Mazarine où logeait sou peusionnaire. Le 
piqueur ne se le fit pas- dire deux fois; il 
sa prit à arpenter la ville de toute la 
vitesse de son clieval, et Ton eût vraiment 
pu croire en le voyant ainsi courir et en 
entendant, les gan foudroyants dont il ba- 
layait la route y tout en jetant de temps à 
antre la plupart de ceux, qu'il rencontrait 
dans le ruisseau^ou sur un étalage de 
boutique, on eût cru, dis*ie, q«'il s'agissait 
de porter k quelque souverain la .non vielle 
de la mort d'un autre, souverain, ou bien 
une déclaration de guerre, voire même* 
rannonce d'une cqnfl^ration générale: le 
fait est qu'il y avait en cette affairé cbosé 
à ne pas plaisanter ; c'était un caprice , 
une fantaisie de* prince à satisfaire, et sou- 
vent il ne faut pas d'avantage pour mettre 
eé révolution tout un empire* 

Mon père était moins .connu dans son 
modeste réduit de la rue Majcarine qu'à 
Versailles ou à Saint**Germain. Le piqueur 
eut assez de peine à le trouver ; la rechercbe 

Iu'il fit  toutes les portes causa une sorte 
'émeute dans le quartier. Enfin il dénicha 
mon père à son oinqiiième étage. 
. — Le fameux Navarin., dit rhonime ga* 



154 

lonaé, frappant rudement à la porte , le 
fameux Navarin, est-ce îcil . . « 

— Entrez, dit mon père, aasez surpris 
dé la visite. • • • <• ttu*y a-t-il pour votre 
service? 

— Un ordre du cabinet particulier de 
mottsëigneur le comte d*Ârtois. . • • 

^>-— Ah! fit mon père. • ^ . ah! 

• -^ Uses, et vite. . . 

.'Moff-pére lut, en outre de la lettré re-^ 
iniae a *M. Nîçolet, un mot particulier pour 
Inl^daais. le^uet il lui élait enjoint de se 
imnifr^ en se rendant au palais, de tout 

I attirail nécessaire pour une danse de corde* 

Mon^ père fit observer au plqiieur ^ne là 
èfttts^' de: c6rde n'était pas son affaire à lai^' 
el qiie bien' qu'il en cotfnnt les ' principes 
et «fU^il fût capable de les démontref, il 
rétalt fort peu de les exécuter. 

— - Je n'ai pas à entrer dans ce détail, 
dit le piqueur, . . . vous voyez les ordres. • • 
ma commission est faite. . . Je ne vons 
engage pas à vods refuser à ce que loa 
exige de vous. • . car nous, ne plaisantons 
jamais, nous autres hommes de* cour, quand 

II s'agit de nos volontés. . • Je dirai que 
vous serez à l'heure indiquée su château* 

— J'y serai, . . . jy serai, reprit mou 



»5 

l^ère, et je me minfirai dé tout ce qaé cette 
note me prescrit de prendre avec moi. 

— Très-bieii, M. Navàriti, et je penM 
qne tous n'y perdrez pas v^tre temps • . • 
je vais en toute iiâte porter votre repense 
au secrétaire de sbn altesse. * 

Après -'le départ* du piqaeurj ce furevt- 
nrfllé cbmi«enta»re.^ su^ i'ondré'qtti' reiiAit) 
d*é«re inthné'à nioh père^; luf sVtviéùt'éMt' 
fèrt Inquiet dit* résultat de^ l'ateitture, > car' 
il ne doutait pas qu'on «ie^tdéttaiiidàt pour) 
faire preuve d'uii'tal'ent qttMlMJe' |>ossedaît 
q^ë fort dfédioorefuentb* La vtoltige - sur 'la 
c^rdë, je ne isffto pourquoi; Inl^avaittoûfours 
ré^ug^né^ cependaitll» i^^«'y rà^àltfipkê fi^ 
hésiter: il prit bravement son parti,' éti 
lè'lendemain^ il «rMltk^4iab# ltt:v6ittit^ qui 
ciliitëMilt sdli Matl^i^ail^ac^bblîtiqtie et 11 -se^ 
dirigea vers le château. ^ ' 

Il n*y avait alors aux Tailerles que que^ 
qnes officiers et quelques domestiuues qui 
y restaient pendant l'absence de la cour. 
Tous Ignoraient le motif de la visite de 
mon père^ mais lis avaient reçu des instmc** 
tiens, et on' conduisit le fomeuic Navarlu' 
dans une grande salle du pavillon Marsan^ 
où Ton apporta tout ce qu'il avait entasse 
dans sa voiture. 



158 

Od lui enjoignit de dresser son équipage 
de voltige et de le tenir prêt pour Vinstanl; 
on on lui eujoindralt d en faire usage. 

Tandis que le «fameux Nnvarln proeédait 
k eea importante préparatifs, le bruit d'une 
Voiture et de quelques cavaliers, qui en- 
traient avec fipacas dans les cours, se. fit 
entendre; nui testant, api'ès des. éfàata de 
rire Jbruyants partifent dune .salle ^voisine,' 
les d^nx battante .de. la porte s ouvrirent^ 
«ree forde, eâ un «page cria: 

<— Monseigneur le conte d'Artois ! 

)Le priooe« «entra, la-ereviielie à la Biain« 

Trois ou quatre jeunea seigneurs l'aer> 
oonpagnalentt; V^bhéi da>>.*.r*'*./était de tmj 

|Wti0< ■ . . .* M' '. y'- M. - " 

•T- Je gage*, dW le privée ;en, s'adres9*nt! 
k iiiO[n'pè«e, j^ g«g<»9 Nay«rîn, que toul^ 
fameux que tu sois , tu ne devinerais paa 
en cent mille pourquoi je t'ai fait venir. ^ 

•^ Monseigneur • • • je crois ... je 
suppose . « • 

— Oj«i^ tp crois ... tq supposes . . • 
C'est eemoi0 . l'abbé que tu vols et à qui 
j'.ai fait hir même demande et qui en est 
resté tout; béant! • • . 

— Oh! miDtPSfeineur , dit Tabbé . • 

— Allons, l'abbé, n'allez^vens pa9 JQuer 



157 

ici rétonnement ? et, morblea, je sais en 
train de rire aojourdliui ... je me sens 
an cerveau une chaleur toute particulîère. . . 

— En éfFet, monseigneur semblait avoir 
copieusement déjeuné. 

— Oui, continU(Vt-iI , en s'adressant de 
Moiiveaii à mon père, TalAé à qui j'ai fait 
la demande que ^ je viens ée t'adresser ii*a 
jamais pu y répondre, .... et cependant, 
j'ai eru un moment qu*il me tenait, quand 
je lui ai entendu me pairlér de saint Simon 
Styllte . . . tn sais, celui qui s^st tena 
pendant dix-sept ans, je crois, sur une 
seule. jambe, en haut d'une colonne, sans 
avaler -une goutte deau. . . Il y avait biea 
quelque rapport entre cela et mon projet^ 
sauf les dix-sept ans et le jeûne qui né 
miraient pas du tout . . . mais ebfin il y 
avait bien quelque rsipport ... £h bien, 
voyons, Navarin, devines-tu? . . .- 

— Mon Dieu, monseigneur, je n'fciî pensé 
et je ne pense autre chose ainon que votre 
altesse a eu de moi comme acrobate line 
opinion que je ne justifierai sfii'eb^fit -pas. 

— Tu n'y «st pas, Nhvkrîn; '«te ^ë#t 'tdiil 
aussi obtus que Tabbé . . . "tti 'àut^itrli fkft 
un excellent théologien. — 9'ay«fs <ponrtiiiit 
meilleure opinion de toi. . « . f^ll(>ns doue, 



158 

Navarifli, voyons! encore un eSt^ diinagi* 
.nation • . • tu ne. devines pas . • • 

Mon père s'étitit frotté le front c^ s'était 
pris à penser qu'il serait fort bonorabfe 

Iiour lui de damer le pion à un abbé sous 
e rapport de la perspicacité, et il lui était 
passé à travei*s .la tête une pensée des 
plus singulières,^ mais qu'il n'aurait jamais 
iDsé exprimer . . . cependant, lorsqu'il en 
fut frappé, il fit un mouvemjent et- .une ex* 
elamation qui n'échappèrent pas au prince. 

— Vous allez Voir que Navarin a dfev.iné, 
s*ècria-t-il • . . Âllobs, Navarin, purle. . . 

^ — Monseigneur ... excusez-moi • . . 
je vous en supplie * . • non,, je n'ai • . . 
je n'ai rien deviné ... 

— Je te dis qu^ si . « . mol . • . 

. — Je n*oserai jamais dire • .^ • à son 
altesse ce qui ... ce que . . • 

— Dis . . . dis • • . je te permets toutes 
les extrav^ances • possibles : en {areflles 
affaires j'aurais, tort de faire le fier . . « . 
£b! bien . • . 

— Eb! bien • . . je croîs . • ►et je prîe 
monseigneur, de m'excuser . • . je crois 
que son altesse veut . . ; . désire • . i faire 
un essai ... * enfin — ^ 

— L'abbé, cria te prince en battant des 



150 

matns , l'abbé , tu es battu . • • je t'ôte la 
feuille des^ bénéfices et je la donne au 
Navarin ... et je gage que Je sauteur u'en 
fera pas plus mauvais usage que le prélat. •• 
Oui, mou Navarin, oui, tu as deviné juste. «• 
j« veux faire un essai ... je veux ap- 
prendre à danser sur la corde • . . je t'ai 
choisi pour mon précepteur . . • et il faut 
quavant peu tou élève te fasse autant et 
plus d'honneur qu'il n'en a fait au gôuver* 
iieur des enfanta de France .... Âllonsf 
commençons. 

Quoique mon père eut vj*aiment pensé 
quelque chose de semblable, néanmoins il 
resta presque aussi confondu de la pro- 
position que le prélat Tétait de la plaisan- 
terie dont le prince venait de le prendra 
pour .plastcon. Cependant comme l'altesse 
parlait très -sérieusement, mon père .sur- 
monta son étonnement.et se disposa à obéir. 
.— Procédons par ordre, dit le prince; 
je veux avant de me servir de tout ceci, 
en connaître le nom et la propriété. . . 
Comment d'abord nommes -tu ces grands 
lÂtons qui supportent la corde dans toute 
l'étendue que parcourt le danseur? 

— Monseigneur, ce sont des croisés. 

— Bien» 



160 

— Et cecîf * 

— Des pispannes, monseig^nevr. 

— E4 ceci encore! 

-^ Ce sont les moafles avec lesquels on 
teiid la eorde. 

Bref 9 fl fallut tout décrire à monsefg^neur. 
Puis la leçon conoiença: mon père fut 
étonné de l'aplomb et de l'adresse que le 
comte d'Ârtofs mit dans cette première 
épreuve: les assistants n'enreat pas besoin 
d être courtisans en cette occasion pour 
dire au prince quMl avait vraiment fait 
preuve des plus heureuses, dispositions. 

Enchauté du succès obtenu à sa première 
léçou, le comte d'Artois ne voulut pas 
rester en aussi beau chemin, et chaque 
jour mon père se rendait aux Tuileries 
pour y exercer son royal élève : mais bien- 
tôt, je ne sais plus par qifeHe «raison', le 
prince ne vint plus à Paris, U fallut que 
son précepteur se tendit à VorMlUéa, o& 
le comte fit des merv^Hles dlins l'art acro- 
batique, tttiit et si bien qu'au bout de douze 
le^otis 11 passait un 'six avec uiie admirable 
'préofsiob ^t tfn ^Icrmb que les vétérans 
de la partie ont à* peine. 

Un jour, tandis qnil était dans le feu 
de la composition, le comte de Provence, 



w 

depuis Louis XYIII, entra par hasard dans 
la salle oii le prince son frère prenait leçon. 

Il io;i]orait cette, nouvelle fantaisie ! 

-^ Mon pauvre d'Artois, lui dit- il, je te 
c/ôyais bjen capable de toutes'les folies et 
de toutes les extrava^anœs ima«^iaables, 
mais je n'aurais jan>ais deviné celle- cî. 

— Oh! oli! l'homme profond, l'homme 
de science, répliqua le prince sans quitter 
le balancier ... oh! oh! si je fais un entre- 
chat on une. voUe, je les fais moi-même, 
entendez - vous ... je n'en charge pas mon 
secrétaire. 

On sait que les médisants attribuaient à 
N..., secrétaire du. comte de Provence, les 
travaux littéraires de ce dernier, auquel, 
disait -on encore, il faisait faire chaque 
jour la répétition des matières scientifiques 
qu^'l devait traiter le soir au cercle de la 
cour ou dans quelque réunion particulière: 
aussi M. de Provence se retira -t- il piqué 
de la réplique et haussant les épaules de pitié. 

Tout cela n'empêcha pas que le comte 
d'Artois ne devînt en fort peu de temps d/une 
très -jolie force sur la corde, et je me 
rappelle que plus tard, lorsque je tentai 
mes premiers essais y mon père me disait: 

— Ma chère fUle, je ne te souhaite qu'une 
LXXXV. U ' 



162 

chose pour faire ton chemin dTftns la partie 
que tu veux prendre ^ 6*est une famhe aussi 
brillante que celle du comte d'Artoiar alor» 
je répondrai de ta fortune. 

En ce moment ia4)résence de ma eonleuffè 
devint nécessalVe au théâtre, et notre con- 
versation en demeura là': je pris congé cTe 
THIustre funambule, qui m'assig^na un autre 
rendez -vous auquel je me gardai bien dé 
manquer et où je recueillis , ainsi que dan» 
quelques autres séances, plusieurs anecdotes 
du genre ^e celle que je viens d'écrire, et 
qui me parurent d autant plus piquantes que 
la vérité historique y était consciencieuse- 
ment et religieusement observée, 

S. MACAIRE^ 









LA RUE SAINT -ÏÏÂCftUES. 



II y a des hommes et des mes que je 
confonds volontiers ensemble. Rochon de 
Chabannes et Fenouiilot de Falbaire , par 
eiempie, sont deux noms qui adhèrent si 
fort l'un à lautre dans ma pensée, que je 
me suis habitué dès long; -temps à n'en faite 

Îu'un. Dorât -Cubières et André Murville, 
luymond de la Touche et La Grange- Chandel 
produisent sur moi un effet analogue, effet 
qu'ils produisent également sur plusieurs, 
et qui consiste à nous navrer du sentiment 
lé plus complet d'impuissance et de média* 
crité qui se puisse concevoir après une 
lecture assidue des Œuvres choisies de ces 
>nessîeurs\r — Pareillemei.:., il m'est arrivé, 
à certains jours , d'accoupler , d'amatgamer 
des rues toutes diverses, des quartiers tout 
dissemblables , de prendre Tun pour l'autre 

11 ♦ 



164 

de m'eng^ager dans iel défilé de bicoques et 
de maisons, pei'suadé qi^e je suivais une 
voie sinon trèar.disfanta ' Ja Heu où je me 
trouvais, du nioîris assez* éloignée pour devoir 
être à Tabri de-»^iA||^abIes'i;onfu8ions. C'est 
ainsi que plus à'fni voy^ageur distrait se jette 
en fiacre, préoccupé -dlune affaire qui l'ap- 
pelle à la ^barrière de TEtoile , et se fait 
èoffduire tout d'abord à la barrière du Tronc'. 
Plus ordinairement on confond les portes 
Saint- Denis et Saint -Martin, les passages 
Vivîenne et Colbert^ les quartiers de TOb- 
servatoîre et du Luxembourg, les faubourgs 
Poîssoivnîère et Montmartre, les boulévarts 
du Temple et Beaumarcbais; les rues sur- 
tout: les rues Neuve- Saint- Augustin , des 
yieûx- Augustins, des Gr^iidéi et Petits - 
Augustins ; — Neuve - des - Petits " Champs^ 
fcroix - des TPétîts - Champs ^ Notre - Dame - 
des- Champs j -— et aussi les grandes rûe^ 
parallèle^ ou attachées' bout à bout; lès 
jgrandes artères de Paris, les maîtresses 
rues : Saint - Honoré , , de là Ferronnerie, 
IWpntmartre , Poissonnière, Saint- Denis, 
*Saint- Martin, du Temple, du Colombier, 
Jacob, de l'Université,, — de Lîlïe,.— àè 
Setuc, de Tourfiôn , — Saint- Jacques, <fe 
la Harpe, d'Eufer., etc., etc., eic. 



165 

X 

Ces trois dernières raes sont celles dont 
rhombfeéïiéité me frappe, le plus. Toutes 
trois latines, \\\antea, bruyantes, et. saies 
toutes trois ) elles participent Tune de 1 autre 
par quelques grands traits de ressemblauee, 
dont voîci les principaux: 

La rue de la Harpe eommence au pont 
Saint- Michel, eamme la rue Saint- J.acque8 
ftù PeHt-Pont. Elle aboutit à la place 
Saint -Michel, où «coinmence la rue d'Enfer. 
La place Satot-Michel est donc le point 
central, la halte, le carrefour où arrive la 
Tue de la Harpe, d'où sert va la rue d'Enfer, 
et près duquel passe, sans s'arrêter, la rue 
Saint- Jacques, quia un collège, epaittie la 
rue de la Harpe, et un hospice de la Ma- 
ternité, comme ^a rue d'Enfer. *) 

Il y a une seule sorte de peuple poiii* obb 
trois r^ies: peuple- de gri$ettes, peupla 
d'étudiants, peuple de petits r-entîers. Les 
uns ont leur rendez -vous* tout trouvé a :1a 
Chaumière. Les deruifers ont le Icui* fix4. 



*) Ceci n'est point exaet quant à l'èxpressrôn littér»if . 
L^ftuteur a $ans doute voulu dési^iier,- ]vxt analoi^if, 
^QUS ces mots : Hospice de la 'Maternité, PétablisseQ^ent 
Ali de V Enfant - Jésus ou des Enfants - Trouvés , qui ^e 
trouve eff»*ctivement situé rue d'Enfer, aux approchea 
de t'Obscfvatoire, (Note de i.'ëj»itbur.} 



166 

de temps immëmorla), surl'esplaiiftde plantée 
d*arbres qni sépara l'Observatoire duLuxenir 
bourgs; lieu consacré, comme; ie terraiq de 
la Paume aux Champs-Elysées^ lieu de 
choix, lieu d^élection, oà s'agite le vénérable 
cochonnet^ cette providence des petits rentiers, 
des invalides et des vieux employés: trois 
catégories de personnes fort récréatives, et 
que nous vous l'ecommandons , nous autres 
observateurs, comme naturellement portées 
vers les plaisirs les moins chers et les plus^ 
vertueux. 

Un élève en droit qui nen est encore 
qu'à sa première inscription , demeure habi- 
tuellement rue de la Harpe, au quatrième 
étage. C'est là du moins que le logent 
tous les faiseurs de comédies- vaudevilles 
et de tableaux de mœurs qui se sont avisés 
de voyager, lorgnon en main, dans le tor- 
tueux dédale du quartier latin, depuis tantôt 
vingt ans que les ermites pullulent et que 
les mœurs s'en vont. Le quatrième étage 
et le restaurant Flîcoteaux sont de rigueur 
chez ces messieurs. Toutefois il convient 
d'apporter quelques exceptions à ces règles 
absolues, devenues formules invariables dans 
la bouche, de tant de fius observateurs. Si 
la rue de la Harpe est 1^ séjour obligé de 



i6f 

tout ëtudiaut qui n'en est .^u a* ftft })réttilére 
inscription, , la rue Saint- Jacques est lé 
séjour probable de celui qui s'apprête à 
passer son second examen, et je ne répondrais 
pas que tes zélés et studieux travailleurs 
qui aiment à feuilleter leur code dès le matin, 
sous les ombrao;es frais du Luxembourg, ne 
vinssent, depuis quelques années, se Joger 
rue d'Enfer, pour ^ê préparer à leur licence* 
II y a une échelle progressive dans ces 
déménagements de Tétudlant. C'est d abord 
un provincial, tout essoufflé, qui se loge au 
liasard dans la première chambre venue, et 
sur la foi de ceux qui lui ont indiqué la rue 
de la Harpe ^ comme une cour des Miracles 
spéciale, à Tusage des étudiants, il demeure, 
là quelque temps, insoucieux des délicatesses 
de la vie, inhabile à exister, priv^ du jour 
par la maison en face, assourdi par les 
clameurs du dehors, attristé par la malpropreté 
du dedans, perdu dans les ténèbres de son 
allée, dans les ténèbres de son escalier, 
da.ns les ténèbres de son corridor; ^cla« 
boussé quand il rentre, éclaboussé quand 
il sort, éclaboussé partout, et toujours dans 
cette fatale longueur de la rue de la Harpe, 
ou son mauvais ange a voulu qu'il logeât 
au débotté des messageries Laffitte et 



lise 

OjiînarJ.»-^ Uo'jotir", s^a blaucMs^euse de 
fin hasardé titré' observation, qni est aocueîltîe 
avec empressement; et voilà notre étudiant 
passionné pour la vue des jardins et le bon 
air. 11 loue une belle chambre, bien aérée,- 
rue Saint- Jacques , vers le ha^t, dans la 
nlâison de' i?a blaiichi^seuse de fin. " Cesit 
toujours unquatri'èm'ej c*iest même nn cin- 

Îuîéme; mais il doniié sûr des jardlnîs^» 
Totrc étudiant est fo'è 9éi jàMfns, il aime 
la béiie nature;' il paàse en ce lieu soin 
second examen. C'est un travail leur /nous 
Favons dît; c'est un homme ran^é. 

Lii seconde épreuve schôîaire passé jtj 
se brouille avec sa. blaiichi^seqse de fin, 
et aspire. î^ descendre' vers les étages iit- 
féViénns. ' La rué" S'afnt- Jacques a bienÉ^e*^ 
inco'nvéuîèiits*: c*ést poj^uïeux, c'est bruyant, 
c'est sale par endroits. On y est éclaboussé 

{iresque aussi souvent que dans la rue de 
a Harpe; on y est arrêté, comme dans la ^ 
rof de' la Harpe,' par d'interminables files 
4*écolieviS qui vont fiiuivVe les répétitions du 
èoliéje Louis - le- Graitd. Chaquç dlinaricfhe 
«oîr'attffe desf ba'nîires , et p^'ômèné dânii 
toute la langueur de la rné, en suivant là 

Sente du ruisseau, utie processionnelle bohne 
'ivrognes, mâleâ et femelles 9 qui hurlent 



& faire trembler ïcs vitres^ et chantent à 
îiilve grincer les dents. Ces inconvénîéuts 
sôné graves, combine vous voyez. L^étudfant 
n'y tient plus et donne congé. Où ira -t -il?,.. 
Hé! mon l>ieu, rue d^Enfer, près des 
Chartreux, près de Hiôtel des Mines, près 
de M. de Cliâteaiibrîand. — Là, fpour luî^ 
de Iong4ies heures de silence laborieux et 
d*ëtudes contemplatives, de l'adieuses ma- 
tîliëes passées devant une fenêtre ouverte^ 
de sentimentales promenades sous les massifs 
verdoyants du Luxembourg. Arrivé là, notre 

Îe4ine provincial n'a plus de souhaits à former. 
1 jouit de tout le bien-être qu il cherchait; 
il est logé^ il est heureux. Sous huit jours 
t1 aura une maîtresse; sous trois semaines 
il sera licencié. 

N6us n'avons pu nous dispenser de jeter 
un coup d'oeil général* sur le quartier latin 
. aTant d'en venir à l'objet spécial de ce 
chapitre. 11 nous a semblé que la rue Saint r 
Jacques ne 'pouvait guère s'isoler de ses 
grandes voièlnes, sar.s perdre elle-même 
qiielqiie peu de l'intérêt qui se rattache î 
soA nom. L'histoire d'une rue est oi^dinaN 
rement celle de tout un 'quartier, cotn'mè 
Vhistoire d'une nation est généralement celle 
de tout uu monde ; comme rhistoirQ d'un 



no 

Homme est quelquefois celle de^toute une 
nation. 11 nous était iippo.ssiI>le d'arriver 
i.Ia rue Saint- Jacques sans passer par la 
rue de la Harpe, sans touclier à la rue 
d*£nfer. C'est ainsi qu'on ne pourrait écrire 
les fastes, militaires de Napoléon sans ra- 
conter les annales des peuples qu'il a vaincus 
et des rois qu'il a détrônés. 

Si cependant nous nous attachons à pro- 
mener nos lecteurs dans cette rue Saint - 
Jacques, que nous avons choisie pour texte 
spécial de nos observations, il faudra, sùi* 
Tant Tordre des déductions logiques, nous 
placer à. la tcte de ce Petit- Pont ^ d'où l'on 
embrasse les myriades de fenêtres qui per* 
cent à jour THôtel-Dieu, cette vieille maison 
de misère et de secours, cette. laide con- 
struction accroupie sur Teau, au pied des 
grandes tours de IVotre - Dame, X'Bôtèl- Dieu. 

fîté en cet eqdroit comme un pauvre af6ig;e 
e lèpre, y corrompt Tair avec ses mille 
baleines maladives^ y corrompt Veau avec 
ses immondices jetées le soir par toutes 
les fenêtres^, y attriste le regard , avec ses 
baves couples de malades, qui procession- 
aent éternellement le long des parapets, et 
se collent le visage aux barreaux des grandes 
;saUeS| pour respirer les miasmes humides 



ITl 

4u petit bras de Seine où Tédifice honteut 
trempe sea piefis verts. En- deçà du Petit- 
Poiit s*éLevait autrefois le petit Châtelet^ 
qui foroiait comoie la porte de notre rue 
Saint- Jacques. Maintenant la perspective 
est nue : le regard se prolonge sans obstacle 
dans les sinueuses profondeurs de cette rue^ 
qui commence k riiotel-Dieu, s'arrête à la 
Bourbe^ deviei^t faubourg aux Capucins, et 
se termine à ta place des Exécutions: réu* 
nissant ainsi, à elle seule, quatre grandes 
misères, dont la dernière, sinon Ta plus 
grande, est à ses pieds. 

Je sais une pauvre jeune femme du peuple^ 
qui parcourut lentement cette fatale rue 
dans tonte sa longueur, et qui laissa sa 
tête au bout. Elle était sortie de rHôtèl- 
Dieu, s était arrêtée dXbord quelque temps 
à la Bourbe, puis à Thospice du Midi, la 
malheureuse!... puis, enfin, elle avait passé 
outre, et ne s'était arrêtée qu'à la demi- 
lune que forme le boulevart eu- deçà de la 
barrière d'Arcueil. Là, un homme de justice 
Pavait saisie ^ Tavait liée... — Aujourd'hui, 
elle dort à Clamart, et les phrénologiste^ 
eut moulé son crâne pour en orner leurs 
cabinets. — Passons. 

(iors^u on coniniençe à s*euo;açer dans U 



ira 

rue, du côté du t^ctît-'Pont, on èie trdure 
en. face d'un assez vaste niag^asiti de nou-» 
veautés qui foruie Tangle de la rue de la 
Huehette. C*est là (][u'étaît assis autrefois 
le vénérable établissement de M. Tlg-cr, 
y^le Pilier Littéraire,*^ officine consacrée où se 
confectionnaient, .de temps immémorial,. & 
double Almanach liégeois y Falmanach de Parla, 
celui de Rouen , les populaires histoires de 
Cartouche et Mandrip. et Jes Songes et dîvi* 
nations de la petite Eiteilla, — A quelque 
distance de remplacement qu'occupait le 
classique Pilier,, se voit encore une petite 
boutique noîre et enfumée, surmontée dé 
cette enseigne presque Indéchiffrable de vé- 
tusté :. — „ Aux ASSOCiÉsiDemoraine et Thébaud, 
y^lihraires. Magasin d Almanachs en tous genres^ 
^Eucofoges, Cantiques et paroissiens,^^ — Heureux 

établissements que ceux-là!... Heureux 
M. Tîger! Heureux M. Demoraine! — C'est 
là , c'est dans ce Iaboriitoi\;e mystérieux que 
Tiennent les mamans, les enfants du quartier, 
leâ bonnes et les orgues de Barbarie, pour 
fie fournir de prières', de calendriers et de 
chansons. C'est là que , Béranger trouve 
mille adversaires , et M. Emile de Girardin,^ 
un vieux et redoutable rival pour son Journal 
Connaissances utiles, ^ francs par en ! — O De- 



173 

moraine! ô Tîgei^î couple d'athlètes ! couple 
d'aïeux !, éternel honneur de la petite li}jr«iiiie 
et du Petit- Pont! votre boutique^ tyute 
i^ambre, toute, étroite .qu'elle est, rit.plirt 
à mes yeux que tous les vitragejs à p^nu.ea,ux 
doré« dont shabîllsntles.yffnitcuses lH>t;aU'^s 
du Palais -Royal: ,. ' . 

Ille tcrranim miliî practer piiines 
Aagulus ri(1ct«. . 

Il y a, dans la luênoe ru^, a» coiii de 
celle ^ des Mathurins, tme outre boMiqUe 
célèbre par sein ancienneté : C'est celle de M* 
Basset, marchand d estampes, lequel €»t 
fort renommé pour ses images de saints et 
• saintes. coloriées, à l'usage des catéchismes, 
pour ses grairdes têtes d*étu,de, ses. damiers 
pbloDais et ses jeui:;d'«i«. . M, Loui« Ja^n^et 
Tient eu r^ard qui .>a|»puiet lias vouiQ^ de 
«ion spacieux* magasjîil sur deux- eolonne^; wi 
peu vieilles, mais tfîébrauVaU^s tolites 4qui^: 
. — M. Bottiîlly et le Joiu* dedans , 

Avançons toujours eli donnons un re$|^ard 
à eette. fontaine qui lâ^e t'eiic^iguure de la 
rue Saint -^Severtn, et dOnt 1a' igVJ^cieu^e 
:în^cri;pti<in exerdeisi utilement p^urfle^mqnde 
lettré l'infatigable . sagacUé dîe$ iKHiUulifs 
d'eau: : • j-*..:. f 



7 ■< 



174 

Du m scandant juga montjs anb.clo pcctore n3rinphftey 
Hic uiia e sociis, Tallis aiiitore, scdet. 

Un peu après , sur notre droite, s*ouvre 
remboucliurè de iii'rue du Foin, oii se volt 
encore la maison de la relue Blanche; puis, 
a gsujche, se déploie la place Cambray, 
vis -à- vis l<î cloître Saint -Benoit, trans- 
formé eu théâtre depuis tantôt deux ans. — * 
Scandale et barbarie ! — Aux prières du 
choeur ont succédé les fions -fions de la 
farce, aux graves travaux des relig^leux 
bénédictins les vaudevilles de M. Charles 
et de M. Sainte- Aure, et les dramespa* 
triotiques de M. Sauvagfe ! Mais, comme 
pour racheter ce misérable contraste et nous 
tenir lieu des vieux bénédictins qui ne sont 
plus, à quelques pas de ce cloître souillé, 
où dort encore Pascal , assourdi par les 
odieux piétinements de» claqneups, un autre 
refuge 8 0uvi*e aux lettres et aux sciences, 
qui, fondé par François I<^, s'est perpétué 

i*u8qu'à nous avec un éclat toujours croissant. 
liTous vouloAs parler du Collège de France, 
où pt'ofesse aujourd'hui Lerminier, où dé- 
montre Théuârd , où causait hier Andi ienx. 
Si \o\xvk passez avec moi sans vous arrêter 
d^vatit tanrieiine Faenlté de théologie, 
maintenant ÈcoU nonnak; si vous ps^rveiiez 



175 

i percer la fuule- d^écoliers qui enconilir» 
en ce moment les approches du collègue 
Louis -le -Grand; si vous résistez surtout à 
la tentation de bouquiner dans la petite rue 
des Grès, tout encombrée de petits libraires 
et de petits relieurs ;. après Vous être dé- 
tourné un instant vers la rue des Cordiers, 
où, Jean - Jacques fit la connaissance de 
Tbérèse , vous verrez se découper tout à 
coup , à votre gauche , un grand espace 
inondé de lumière: c'est la rue Soufflot, 
qui forme l'avenue du Pantltéon. 

^izarre j)euple que nous sommes î lions 
aVionsde beaux temples d*arcliite(fture païenne 
qui ne sont bons à rien et dont nous faisons 
tour à tour des églises pour le Seigneur 
Dieu, des tombeaux pour nos grands hommes, 
des annales de pierre pour les morts de 
nos grandes semaines, des nids à drapeaux, 
des parthénons, des propylées, que sais -je! 
— La Madeleine et le Panthéon : qne vous 
semble de ces deux édifices? Ne voilà -t- il 
as des masses de pierre bien irrévocablement 
aptfsées! La Madeleine, qui ressemble à 
«ne bourse , qui devait être un temple , et 
qui sera, je pense, «ne église ! I^e Panthéon, 
qni s'appelait Saint- Genevièv'e,' qui a tu 
1 apothéose de Voltaire et de Màrat, qui 



{ 



r' 



176 

8*est baissé barbouiller et restituer à plusieurs 
reprises sa fameuse Inscription frontale: 

^^^ÂCX GRANpS HOMMES LA PATRIE I^ECONNAIS* 

^SANT£;" qui a yu tmirbiVionu^er. 1 çoiéut^ 
j^(isque . sous sa, qoup^ole , lors .de. Tii^augu- 
rati.(^u populaire, des bustes en plâtre ae 
Manuel, F^y pt Ëenjaaiiu-Cou^tant/ cette 
inséparable trînité d'orateurs; le t^anthéoh 
dont un échafaudage nouveau couvre éter- 
.nell émeut la face si sou veut sillonnée et 
regtattée par. la grosse maiu brutale des 
révolutious : le Paf théop , dis-je., ne ^ous 
pi^rait-il j^as comme à moi unç immense 
bâtisse bien byl^ride,, bien hétéroclite ,,1^^n 
prête à se laisser faire par le premier règ'ne, 
par le premier culte venu? N'est-ce pas 
là, comme la Madeleine, un bien commode 
passe * partout pour tous les $u|ets de vous- 
sures et de frontons qu'il plaira aux puissants 
d'inventer et aux arçliitectes de dessiner 
'pour une postérité de quelques mois^ d^e 
quelques années peut-être!.,. — Hél^s! 
bêlas ! il y a des choses peu stables en ce 
monde: à savoir les trônes, les monuments 
expiatoires et les frontons. 

Pi^rlez-.moi jde ceci au.moius. Voilà qpi 
est stable! Une église,^ une petite é^Ii^j» 
6i|ccursUle: do Salut - Ètieu^ne t 4u- Mont: 



177 

Saint'^qués-du-haut-Pas, qni a poar voisins, 
à sa gauche, le couveat de dames de Sainte- 
Marie de Miséricorde; à sa droite, l'étab- 
lissement des Sourds- MaetB et la mairie 
du XII49 an*0ndissement ; — ancien hêpital, 
ancienne église paroissiale; sainte maison 
que fondèrent les frères hospitaliers de 
Saint-Jaeques-du-Haut-Pas , venns dltalie 
vers le miliea da XIV^ siècle avec le signe 
sacré du iau empreint sur leurs habits, pour 

dtre , chanter et célébrer ù haute vûix , et avec chants, 
les ùffices divins'^ — chapelle qui devint une 
église en 156A, et dont les ouvriers carriers 
fournirent -gratuitement les daUes , tandis 
que les ouvriers maçons eonisacraient de 
leur côté, à son achèvement, un jour de 
travail par semaine, et «tonnaient ainsi le 
dernier exemple de ee zèle pieux. qui poussa 
si long-temps la dévotion des peuples à la 
construction des églises. — Voilà, vous 
dirais -je encore, au risq;iie de me repéter, 
veil qui est stable, immuable, Indépendant 
des petites bourrasques populaires et des 
gros caprices d^aTchiteete ; voilà qui n'a pas 
de fronton grec, pas d'inscription française, 
pas de cendre voltairieiiBe à disputer, à 
conserver. Un astrenome, un euré: Domi- 
nique Cassini et Jeào Desmoulins sont les 

LXXXV. 12 



178 

seuls hôtes qui dorment à Sainte: Jacqaes^do* 
OHaut-Pas. j!ilais quelle révolntion songe 
an coré Desmoulins? quelle émeate s'occupe 
de Tastronome Cassinii 

Sur remplacement de l'ancienne maison 
des frères hospitaliers, démolie en 1823 ^ 
on'a bâti Vipstitution des Sourds r Muets. 

Ce serait ici ' Toccasion de vous parler 
de Fabbé de rÉpée, de Tabbé Sieard, de 
M. Paulmier, que vous connaissez pour 
avoir lu de lui un article sur les Smirâs- 
Muets dans le troisièdie tome du présent 
livre des CeiU^^t'Un. Mais je crois plus 
expeditif et moins pédant de vous renvoyer 
à Tarticle en. question, lequel est écrit ex-^ 
professa et renferme une multitude de choses 
qu'il 'me serait impossible de reproduire 
brièvement ici. Nous passerons, s'il vous 
plaît, sans nous arrêter, devant l'institution 

des Sourds - Muets, 

Aussi bien j'apperçois d'ici l'impasse des 
Feuillantines, où grandit, au milieu d'études 
fortes et sévères, la jeunesse laborieuse de 
Victor Hugo. Le poète, nous a lui-même 
raconté depuis: ^ 

. « « • comment , aax Feuillantines , 
Jadis tintcûent pour lui les clpches argreiitînês; 
Comment; jeune et sauvage 9 errait sa liberté; 



179 

Et <)u'à dix an8> parfois, resté'senl à la bniAe, 
Rêveur, ses yeux cherchaient les deux yeux de la hmo 
Comnie la fleur qui s'ouvre aux tièdes nuits d'été, 

Uoe fontaine surmontée d*ane figure de 
Vierge, se dresse peu après devant nous, 
jiVLV notre droite, et nous avertit que nous 
approchons du Val- de -Grâce. 

• Certes, Molière ne se doutait guère, 
lorsqu'il écrivait en Tlionneur de Mignard 
son poëme sur la gloire du V ai -de -Grâce; 
il ne se doutait guère Poquelin, que les 
peintures de son clier Mignard n'orneraient 
uii jour qu'un hôpital naîlitaire assez sale 
d'aspect, et relégué vilainement par l'in- 
différence publique au fond d'une sale rue 
et sur les confina d'un misérable faubourg, 
à deux pas de la Bourbe et des Capucins. 
Telle est aujourd'hui cependant la condition 
du vieil édifice. On le regarde à peine, 
en passant, pour lire, au travers de sa longue 
grille en fer , cette inscription qui orne sa' 
façade: „j£su nascenti, viRoiNia. matri/^ 
Une petite entrée latérale, ornée d'un dra- 
peau tricolore, porte cette étiquette sur le 
front: „ Val -de -Grâce: HôpUal „ Milliâire»^^ 
Au-dessus de tout cela un gros dôme gri- 
sâtre, bien lourd, qui se voit de fort loin 
en pleins champs, et dont la vue attristerait 

12 » 



180 

Sflgnard lui-même, si Mignard vivait encore 
pour exposer au procliaîn salon. .. — Voilà 
toutes les qualités extérieures qui recom- 
mandent le Val-de-6rftce à notre attentiour 
Cet édifice est situé par les 359^168 uumeros 
de là rue Sainte -Jacques (raiigée des chiffres 
impairs). — Le faubourg commencé immé- 
diatement après. 

Que voua dirai -je du faubourg; Saint- 
Jacques que vous ne sachiez déjà, ou que 
je n'aie indiqué plus haut en '^ traitant des 
généralités du quartier qui nous occupe ! 
A qui bon vous reparler de cette maison ' 
dé Maternité, de cet hospice du Midi, dont 
les noms sont maKà prononcer, et qui 
pourtant ont baptisé chacun une rue, comme 
Dominique Cassfni a baptisé la sienne, 
comme Soufflot et Servandoni ont baptisé 
la leur? — Laissons de côté ces deux 
attristantes masures auxquelles va succéder, 
sur iiotrè gauche, le secourable hospice 
Cwhin, ouvert à des afflictions d un ordre 
nloitis honteux, refuge du pauvi^e qui souffre 
et qui crie en implorant un reg'ard du bon 

Dievi :•***„ Pauper clamavit, Et Dominus extaudmi 
eutn,^^ — Ce dernier hôpital une fois passé, 
nous ne rencontrerons plus d'hôpitaux, à 
moins que vidus n'étendiez cette appellation 



181 

h Vancienne maison de «lanté du doctebr 
Esqnirol, laquelle se trouve bien après 
l'Observatoire, entre la célèbre pépinière 
de M. Noisette , le Bon^ Jardinier, et 1«^ sinistre 
Place dont nous avons parlé préoédeâiment, 
et qui forme demi -lune sur les boulevarts, 
en*deçà de la barrière d'Ârcueil , qui mèn« 
à Mont -Souris. 

Nous voici parvenus, votre patience 
aidant, au terme de notre promenade lon- 
gitudinale : terme fatal, nous Tavong dit, 
pour plusieurs qui ont apporté ici leur tête 
au eouperet du bourreau. C'est ici que 
s'est arrêté Frédéric Benoît, le parricide. 
L affaire se fit de bonne heure, à huit 
heures du matin, devant un petit nombre 
de curieux, deux cents au plus. — Quelle 
différence avec la solennité de la Grève avant 
1830; avec les quatre heures de THôtel^de- 
Ville., les tours de Notre-Dame en face, le 
Pal ais-de- Justice plus loin, sur la d^roite, 
les ponts et les quais chargés de monde, 
Jes mille cris de colporteurs d'arrêts, les 
mille cous tendus pour voir couper le vôtre, 
les myriades de toits vivants et de fenêtres 
à louer! Certes il faisait beau mourir en 
Grève alors! il y avait de la 8:Ioire, on 
était vu, on s'en retournait décapité en 



182 

fortne.' Ânjoard*hui Ton est escamoté. La 
matioée a remplacé Paprès^mldl; on a froid. 
Les arbres muets de la place Saint- Jacques 
ont * remplacé les maisonnées glapissantes 
de la Grève ; on est seul. Ce coin solitaire 
de boulevart, cest votre dernier halte. 
Autant voudrait un préau de Conciergerie. 
Cest isolé, cette place; c'est loin de tout; 
c'est affreux. 

Mais il ' est écrit que certains endroits 
ont leur destination fixe et irrévocable, à 
laquelle il est impossible de les soustraire. 
Ce sont comme de cadres inflexibles où 
s'emboîtent nécessairement, et non ailleurs, 
certaines toiles de <ïhoix, certaines estampes 
de prédilection. La fatalité dévoue certains 
théâtres à la représentation exclusive de 
certains drames. Il faut le Chanips-de-Mars 
pour une revue, les Champs-Elysées pour 
une fête, la place du Palais pour le carcan, 
la. place de Grève pour Téchafaud. Et vous 
aurez beau faire, messieurs de la Justice! 
vous y reviendrez, à votre place de Grève. 
Une révolution a dérangé la guillotine de 
place; une autre révolution' soufflera, qui 
remettra la guillotine eursonlieu. Lé pavé 
de rHôtel-de-Ville n'est pas encore si lavé 
qu'on 1^ veut bien croire. Il est resté rouge, 



183 

comme le cadran du vieil édifiée est demeuré 
ardent. Le sol de cette place a été en- 
graissé par tant de supplices ! 11 ne peut 
rester en friche. Il y poussera quelques 
jours deux montants de bois couleur de 
sang, vous verrez! Chariot tient à ses 
habitudes. La Grève, c'est sa capitale; 
rHôtel-de-Ville , ce sont ses Tuileries. 

Alors que viendra le triste coin de la 
barrière Saint- Jacques ? Hélas! on y fera 
sans doute quelque autre chose d*analogue 
à ce qu'on y fait aujourd'hui. Remarquez 

Sue ce fatal emplacement servait au milieu 
u seizième siècle de repaire à des voleurs. 
Ça toujours été un lieu lugubre. Il y avait 
là des carrières, — ce sont aujourd'hui nos 
Catacombes, — qui s'allongeant sous terre^ 
aux environs delà route d'Orléans, fouillaient 
bien avant dans les entrailles des deux fan- 
bourgs Notre -Dame -des -Champs et Saint- 
Jacques, et y donnaient retraite à toute 
cette malveillante multitude de flambards, 
pillards de route et ribleurs de nuit. Le 
parlement, au mois de mai 1548, ordonna, 
dans ces parages, rétablissement d'un guet 
qui fut battu, berné, tailladé, lardé, et qui 
ne servit à rien. Enfin, en 1563, Messieurs 
se . décidèrent à faire clore l'entrée des 



184 

carrières Saiot- Jacques, pendant les nuits 
et les jours de fête. Onze années auparavant, 
le 11 octobre 1552, la même cour, de parle* 
ment, outtée d'indignation à la vue des 

Suerelles armées qui divisaient Içs habitants 
e notre faubourg Saint- Jacques et ceux 
du faubourg Saint-Marcel^ défendit à haute 
voix tout rassemblement, interdit à tous 
les habitants, },varlets de boutique, clercs 
y,dn Palais et du Châtelet, pages et laquais, 
), et à tous gens de métier, de po.rter 
,>bastons, espées, pistoUez, courtes dagues, 
„ poignards, à peine de punitioti corporelle.*^ 
Elle fit ensuite planter quatre potences 
dans le faubourg Saint r3Iarcei. Les fau- 
bourgs Saînt-Jac/qnes et Notrc-Dame-des- 
Cliamps eurent chacun une potence seule- 
ment; moyennant quoi Tordre fut rétabli, 
et le bourgeois sauvé, comme toujours. 

Aujourd'hui le faubourg Saint- Jacques 
est très-paisible, et la route d'Orléans très- 
sûre. On ny a plus peur des Catacombes 
et des truands. C'est. un quartier comme 
un autre, où se rencontrent comme ailleurs 
force polissons jouant aux billes; force 
marchands de léguines, quelques charrons, 
et je crois bien aussi deux ou trois maréchaux- 
ferrants, marchands de paijle/et son re- 



1S5 

codpe, et log^eur» à pied et à cheval. Voilà 
tout. D anciens vestig^es pas un. Dn mnr 
d enceinte de Piiilîppe-Auguste qui courait 
de la porte Saint -Michel à la rue Saint- 
Jacques, en long;eaut Tçnclos du couvent 
des Jacobins, il reste à peine un pan isolé 
qui se cache et s'empâte sous des masures 
parasites. De lancienne porte Saint- 
Jacques i qui s'élevait à qiielqire distance 
de la moderne rue Soufflot, et qu'on appela 

ensuite Porte de Noire'Dame'des;'Champs , parce 

qu'elle donnait passage vers 1-e monastère 
^e ce nom, pas une pierre, pas une trace. 
Et cependant il y eut là, le 10 septembre 
1590, un terrible eng;agement entre les 
jésuites et les soldats huguenots de Henri IV. 
Les jésuites furent les plus forts, et jetèrent 
bas les échelles des assaillants. 

Enfin il est impos9ible d'assigner une 
direction précise à la muraille denceinte 
de Lonis4e-Gro8, qui fortifiait Paris de ce 
côté. M. Dutaure pense qu'elle devait 
-s'élendre à peu près dans le parallélisme 
de la rue des MathuHns, et aboutir à la 
rue Saint-Jacques. Sur cette rue, et dans 
Vespace qui se trouve entre Textrémlté de 
la rue des Mathurins et celle de la rue du 
Foin, devait se trouver une porte^ comme 



- ISS 

idàfiS toute Voie royale on Grande rue. Lorsque 
la chapelle de Saint- Jacques fut construite 
dans la partie supérieure de la rue qui 

fiorte aujourdliui ce nom dans toute sa 
ongueur, plusieurs dénominations furent 
données à diverses fractions, à divers 
tronçons de cet incommensurable serpent. 
Ce fut d abord et surtout la rue Saint- Jacques 
proprement dite, ensuite celle Saint -Benoît, 
puis lor rue Saint - Mathelin. La partie in-^ 
férieuie conserva le nom de rue. du Petit- 
Pont. — Ces trois ou quatre appellations, 
qui baptisaient une même rue, font con- 
jecturer à l'historien de Paris qu'une moitié 
dtt serpent Saint- Jacques était couchée 
dans la ville, en -deçà de Tenceinte de 
Louis-le-Gros, et que lautre moitié, séparée 
de la première par une porte, s'allongeait 
paresseusement sur la pente du faubourg. 
Nous partageons volontiers cet avis. 
Et maintenant que nous avons à quoi 
nous en tenir sur cette longue rue latine 
et^ son faubourg; maintenant que nous 
pouvons nous faire une opinion définitive 
sur cette longue traînée de maisons qui 
s'étagent, se pressent, se masquent, se 
dépassent, se coudoient, se contrarient di^ns 
cet interminable espace ,^ui sépare le Petit- 



187 

Pont de la barrière d'Arcueil; maintenant 
que tout est expliqué, visité, exploré; — 
oh, dites-moi, monsieur Tobservateur qui 
lisez ce chapitre, n'êtes -vous pas davis 
que la rue Saint- Jacques était plus belle 
avec ses portes, ses jacobins, ses hospi- 
taliers, ses religieux de Saint- Magloire, 
son petit Cbatelet, ses intraitables hordes 
d'écoliers qui forçait les boutiques et 
battaient le guet du parlement; ne trouvez- 
vous pas qu'elle valait ainsi beaucoup miçux, 
notre rue, vue du côté artiste, que la rue 
Saint- Jacques actuelle, avec ses bottiers, 
ses reàtaurateurs à 22 sous, ses grainetiers, 
sa perpétuelle Marseillaise^ ses ravaudeuses, 
ses procheuses et ses étudiants? 

CORDELIER DELANOUE. 



LES SOIRÉES DANSANTESé 



A dix-huit ans, on jouit naïvemenl; de 
la danse comme d'un plaisir; mais il n'en 
est pas qui cesse plus vite pour les Iiommes, 
jii qui dure plus long-temps chez les femmes. 
Je me rappelle quelquefois, avec un soupir 
àe reg^ret, cette époque si tôt passée de ma 
vie, où le lendemain d'an bal, je me ré- 
veillais à midi en disant: „Dieu! que je 
mè suis amusé ! ^^ 

Et je contemplais, avec un délicieux 
souvenir de pensées, les débris de ma 
brillante toilette de la yeille épars au 
milieu de ma chambre; les bas de soie 
roulés autour d'un bras de fauteuil, le 
pantalon gisant sur le tapis, les gants 
accrochés au cou d'une théière, et les 
mignons souliers, à la doublure de soie 
puce, dormant sur les cendres de ma 
"cheminée, comme un chat qui se chauffe. 



18Ô . 

AJors, J6 ne m'atnnsais jamais à ^emu 
L*approcfae d'nn bal vidait mon coeur de 
tdus ses petits chagrins; j'aurais fait danser 
îe diable en cornette et battu vingt entre- 
chats pour une soirée au quatrième étage. 
Si le matin ma distraction me valait quel- 
que pensum dé m(m professeur, en revanche 
le soir quaiid je me trouvais au milieu d'un 
grand saloh, et que la maîtresse de la 
maison, enchanté de l'intrépidité de mes 
petites jambes, me faisait trotter à droite 
et à gauche, pour inviter à danser toutes 
les vieilles filles de sa connaissance qui 
n« dansaient pas, je cVo'yais être déjà un 
personnage de quelque importance aux yeux 
des dames, et j'oubliais bien vite les petits 
désappointements du collège. 

Hélas! à présent, je ne vais plus au bal 
que pour y jouer le rôle passif d'observateur. 
Mes jambes se reposent dans un coin obscur 
du salon, et, semblable à un vieux soldat 
invalide qui pend son sabre rouillé an chev«t 
de son Ht , je cloue mes mollets dans l'angle 
d'une embrassure de croisée. Si je danse, 
c*edt comme une tronpie qui tourne, en 
grondant ; si je joue, c'est par désoeuvrement. 
J'adresse de temps eu temps la parole au 
vieilles femmes, ce qui me raecomm^d^ 



19% 

quelquefois avec les jeuues. Du resté, je 
suis pétri d'une pâte assez ingrate, et peu 
propre à faire ce qu ou appelle un homme 
aimable. 

Aimable! entendons -nous. . 

Un homme aimable — poi^r beaucoup de 
femmes, c'est celui qui, dans un bal, danse 
toujours et ne se repose jamais, dansant 
également avec toutes, les jolies ejk les 
laides; bon jeune homme qui fait de la 
philantropie de menuet, à Tusage des. vieilles 
filles, et se croit obligé envers une maîtresse 
de maison qui le prie à son.Bal. 

Cest encore celui qui fait^|a cour aux. 
mamans, pour avoir le droit de la faire 
à leurs filles, et qui a toujours ses deux 
bras, ses deux jambes et un fiacre à la 
disposition de celles qui n'ont ni voiture ni 
mari. 

.Qui rainasse les gants, les éventails et 
les mouchoirs de ces dames, porte leur 
cachemire, leur flacon, leur ombrelle, leur 
offre des coupons de loge, et perd toujours 
son argent à Técarte» 

N'est-ce -pas un homme bien aimable que 
cet élégant suranné qui débite des compli- 
ments à Teau . de rose, et n'entre jamais 
dai^s^ 9n salon que la poche garnie de pa- 



- 191 

pilottes et la mémoire farci de rébus et de 
calembourgs; être prédestiné à être pincé 
f ar les^ petites filles , et à faire sauter les 
petits garçons sur ses genoux? 

Au besoin , Thomme aimable conte très- 
naïvement l'anecdote graveleuse. C'est un 
animal précieux pour l'éducation des jeunes 
demoiselles — et la consommation de végé* 
taux* Il mange beaucoup de légumes, et 
ne boit ni café ni liqueur; en revanche, il 
découpe très -bien. 

L'homme aimable est un type bourgeois. 

J*ai connu jusqu'à des épiciers retires du 

commerce qui étaient très-aimables. C'est 

'en parlant de ces gens -là que certaines 

femmes disent: 

^Monsieur un tel a toujours le petifmot 
pour, rire.** 

Dans quel coin de leur boutique avaient- 
ils appris de si jolies choses? je l'ignore. 
Mais cela me tintait dans les oreilles, comme 
le bourdon de Notre-Dame un jcmr de fête. 
Ajoutez -y cet éclat de rire en zigzag, qui 
ressemble au gloussement nacillard d'une 
canne au bain. 

Et les beaux-esprits de société — et les 
joueurs de charades en actions — et sur- 
tout... ces conteurs -'de contes ffintastiques 



192» 

qol me font toujours YeSai d'une bûche 
noire qui fume dans la efaeminée, et qui 
finit par vous rouler sur les jambes! 

 cet époque de Tannée où un foi esprit 
de vertige et de danse s empare de toutes 
les têtes et de toutes les jambes féminines, 
rhomme aimable, Thomme macliine, l'homme 
qui dause, devient une spécialité, une in- 
dividualité, une nécessité ; c'est rndispen* 
sable des soirées bourgeoises. On loi Joue 
ses deux jambes pour quelques verres de 
sirop et de punch^ métier fort peii lucratif, 
à moins qu'on ne fasse entrer ea ligne de 
gain des courbatures, les rhumatismes et 
les fluxions de poitrine. 

— „ Maman, dit mademoiselle Élisa à sa 
mère, il faudra envoyer une invitation à 
M. Alfred. A la dernière soirée de ma tante 
il fl a ^as manqué une seule conti^edanse.*^ 

„Mon cousin, vous nous amènerez des 
danseurs , n'est - ce pas ? *^ 

Un danseur! ça se cemmede comme nne 
glace chez le glacier; c est l'aecompagneneiit 
obligé des lustres et des banquettes. Pourvu 
qu'il ait des jambes, des mains, une appa- 
rence de <$orp8 et une mise décente, qu'il 
ait fies articulations sou{^^, le jarret solide 
et loreille pas Irop rebelle .., bon ! la recrue 



^ut de prise. . On acceplera son invitation 
à danser avec reconnaissance, et même on 
pourra, à la rl<(neur, lui jeter. par compen- 
sation un gracieux sourire» 

 lui permis de prendre de temps en temps 
un petit gâteau entre la valse et la contre- 
danse. Aussi, il faut le voir, ce bon jeune 
homme, ôter ses géants jaunes avec pré- 
caution, avancer une main tremblante sur 
le plateau, et quand il est parvenu à en- 
lever un biscuit, sans renverser les verres^, 
rentrer bien vite dans la fouie, comme le 
chien qui s'enfuit, un ns à la p:ueule. C'est 
Vaffalre de deux bouchées; ce que c'est que 
l'exercice et Tappétit.... d'un danseur. 

Je croîs que le danseur porte le gilet 
blanc de fondation, le satin et te velours I 
créations bâtardes avec lesqiKïlles il se fa- 
miliarise lentement» Ce n*est qu'à la seconde 
ou troisième année de ses succès dans le 
monde qu'il se permet le chapeau claque, 
le pantalon collant et les souliers à boucles. 
Mais alors, adieu sa candeur primitive! 
sa jambe se gâte, son tendon se roidit; it 

se fatigue ! il se repose ! déjà 11 

choisit ses danseuses; s*éloigne des vieilles 
filles, et a des distractions en dansant. 
Qu'il jette une seule fois sa pièce de cinq 

LXXXV. 13 



t94 

fhines à lecarté, Toilà un honnne iémêiiiy 
coulé. 

Je ne parte pan ici, on a*6n dlonte bien) 
de ces belles fêtes du fanbiinr^ Saint* Germain 
et de la -Chaussée d' A ntin, on, dan^ les der- 
nières années de la restauration, se pressait 
Félite de la meilleure compagnie de Paris. 
Ces riches maîtresses de maison ne des* 
cendalent pas jusqu'aux menu» détails 
d'une contredanse; on ne les voy.iit pas 
courir à droite et à gauche, ponr dénicher 
tin vis- à -vis qni se cachait dans Tembra- 
sure d une croisée. Au milieu du bal , les 
portes s'ouvraient, comme par la baguette 
d'une fée ini^isible, et nn souper spleinlide, 

2 ni s'offrait aux regards, sonrs les feux 
tincelants de mille bougies, réalisait tous 
Tes enchantements de la sensualité orientale. 
Quand on sorte d'une soirée bourgeoise, la 
bouche empâtée de meringues et de sucreries,, 
et qu'on vient à se souvenir de ces nuits bril- 
lantes, dont tous les flambeaux se sont éteints, 
on croit avcrîr rêvé des Mille et une Nuùs. 

Les préoccupations politiques et une ridl-^ 
cnle manie de singer partout la gravité re- 
présentative, comme on* disait alors, intro- 
duisirent en France 1 us9ge de moûts anglais, 
qui ont joui, pendant un certaine temps^ 



i'aire fnvcpui^ qné m>us retunéns rarement 
aux ifinov^ttf ions. Au faiibmrrgâaiiit-Germait»^^, 
la réunion des liommes |^liliq4ieA qui jouaient 
alors un rôle à la cour, aUieurs , eelle dei 
littérateurs et deà aHistes , <Â une époque 
où Ton s'occupait encore d'a^t^ et de lifté- 
rature, répandaient parmi ces assemblées, 
auxquelles ou înfvitait ra^rement moins de 
milie à douze ^ents personnes, un attrait 
partiruller d'intérêt et de curiosité. La foule 
fashionahie s'y portait at^idement. C'était 
uivmagiiiâque panoi'ama,' où Pou allait passer 
en revue toutes les célébrités de^ Tépoque. 
L'observateur, perdu dans la foule, <^se 
sentait tout à Taise de coudoyer de» princes 
et des dues. C'était une aisanoe et un laissez*- 
aller de bonne compagnie*' Il y avait une 
certaine heure de la nuit o^h la clrculatioa 
devenait Impraticable. Bléntét les voitures 
déblaient rapidement, et le lendemain on 
mm racontait leB> détails) * «vil cifait les noms 
des hanter personnages qu'on avait remarqués* 
Quatre ou cinq de' ces rtiouts aM proportions 
gigantesqties suffisaient pihir alimenter lli 
caquetagè des sailous pour Thiver. 

Je ne parlerai pas de ees jolies ntatinéeg 
àVambassadè d^Autriche, où cfraqi^d colerie 
«'asseyait à sa-takl^'/e^ÉËiBe êhez un ré'ah 

18* 



tanrateur. Cette . innovation charmante fit 
furetir; et personne , qne je aaçiie, n'a ri- 
valisé en ce genre d'élégance, de bon goût 
et de grâce, avec la comtesse d'Apponyi 

En ce temps -là la duchesse de Berri 
donnait ses bals, où la famille d'Orléans 
était si bien reçues. 

Le faubourg Saint-Germain émlgi^ai t. sou- 
vent aux soirées semi-aristot^rstiques et 
semi- bourgeoises de la finance: M Lafitte 
mariait sa fille à un prince de Tenipire, et 
donnait un splendide souper, dont* le> fumet 
empêchait son voisin Carême de dormir. 

Je vous ferai grâce, après cela, des con* 
certs d'amateurs, un peu décriés^ aujour* 
d*hui quon a tant crié contre eux. Jai 
vécu, pendant deux ans, côté à côté d'un 
impitoyable ténor et d'une basse* taille 
classique, qui ^pi'ont si rudement écorché 
les oreitlea qu'ellt's .en saignent enco>e« 
Faix donc aux ténofs, au basse-tailles^ si 
surtout •..• aUfX, chanteurs d^ romandes;- ces 
gros rongeai}ds à mine fleurie, qui se plissent 
le gosier .pour se rendre la voix fluette, 
comme une femme se met nn corset pour 
se faire Ifi taille fine. 
.(Les grands'.bals ont passé; avec .leurs 
lampions et les^g^darines^ mais les soirées 



197 

éatiftantes subsistent encore dans font leur 
éclat, car ta soirée danf«aiite appartient es- 
sentiellement au juste-milieu ; elle se balance 
entre les mansardes et le premier étage, 
comme la grande affiche d*un magasin À 
prix fixe. C'est le bal de la petite propriété, 
la raoïit du troisième étage; demi -fortune 
en bas de soie et en robe de crépe^ dansant 
au bruit d'un piano et dun flageolet, ac« 
compagne parfois d'un violon et d'une basse 
d'aniHteur. Cela s'organise en deux heures, 
avec quelques bougies et quatre banquettes, 
dans un salon de moyenne dimension. Bes 
sirops, de la pâtisserie et des verres d'eau 
sucrée^ discrètement aligné sur nn plateau, 
circulent, de demf heure en demi-heure, au* 
tour dé Tappartement. A minuit, le punch 
flanqué de tranches de brioche, ou le thé 
escorté de sandwich, fait son entrée triom* 
phale.... et puis, ils . sont là cinquante ou 
soixante gaillards bien ingambe», dansant 
comme des bienheureux, «u son de l'orchestre 
de famille. Le reste fiiit tapisserie, regarde, 
critiqire, approuve; on joue à l'écarté et à la 
bj)uillote, eu parlant du course de la bourse 
et les dernières élections de la garde nationale. 
Or, tout ce monde, cest une vraie ma- 
çédoine-^en rubans et en habits noirs, -i^ 



19» 

M hér^M et en «ba^^aiix T0n4»^ ffaefo M 
bjuireftu, avocats, iBad^cjiusb, coitmerçanliSy 
ton/» élf?€t«4ira9 im» de la gard« cUay«nne; 
lea femàiea assez jolies, sauf qu^elques 
figures «spimai^nes^ dont la teinte ëcarlsAe 
fait lacl^e an milieu de toutes ces jeunes 
£UiPS, cofnoie ua coquelicot dans un cbampai 
de Wuets. 

Les liomnaes parlent beaucoup affaires^ 
procès et ventes de maisons. Presque tous 
ces gens là sont propriétaires, a^aut pigaoïi 
sur rue. D'un bout à l'autre du salon ^ on 
entende leur conversation , ce qui est fori 
intféresaaut , je vous assure* 

Prudement caché à Tombre des épais ma-» 
rabouts de quelque cantemporaiiia en robe 
de satin bariolé, jVxa mi ne,*jobsei^e. Passez-* 
B|ol quelques portraits. 

D*abord, cette jeune personne dont la 
coiffure est si bizarrement entre -fagotée de 
fleurs et d'ép4s d'or, comme une Gérés; 
grande fille au teint pâle et au sourJre nlats^ 
qui siirt, à dis-huit aiis, de sa peiîsîoa, eu 
elle a remporté tout les pris de sa classe* 
C'était le petit phénix de la rue des Blancs* 
Manteaux: elle déchiffre passabJement la 
musique^ et dessine supérieurement Taca- 
demie; toutefois son plus beau talent eat 



d'avoir àenx cent mille francs de dot. Aux 
y<eux.de sa mère, cette grosse femme en 
robe de velou4's, qui semble remercier si 
gracieusement ceux qui Invitent sa fille^ 
Célestine est un prodige, une petite merveille. 
Entrent-elles dans un salon, Célestine passe 
t(HiJ4turs la première: aux Tuileries, U faut 
que Célestine, parée Citmme une châsse, 
3 asseye en travers de l'allée, et lui tourné 
le dos , afin d^étre plus en vue des prome« 
neurs; aux spectacle, elle occupe encore le 
devant de la loge. Si on la prie de chanter 
une romance, sa mère prend son mouchoir^ 
et fait cAuif^., avant tout le monde; elle 
crie bien haut: »Vous s liez IVntendre, elle 
liante comme nn auj^!** CélestHie est au 
piano ^ alors la pauvre femme, n'y pouvant 
tenir, quitte sa place, et se tient deibout 
derrière la ehaise de sa fille ; elle bat la 
mesure, elle accompagne à mi-voix; puis, 
ses yeux s'humectent de larmes; elle a besoin 
de pleurer; elle pleure. — Applaudit^on, 
elle jette ses bras autour de cou de sa 
Célestine; elle la baise, elle se pâme. Demain,, 
elle fera des visites pour se donner le plaisir 
de raconter partout les succès de sa tilJe. 

Cette autre, en robe rose^ qui danse, 
on plutôt qai Haute avec tant de .plaisjr, 



2»0 

dont les {2f rosses joues sont animées de st 
vives couleurs, qui rit sans cesse, qui pari 
avant la mesure^ et pousse son danseur 
par le bras quand il a dés distractions, 
c*est ce qu'où appelle trUialemeut une bonne 
fille. Elle se bourre de inériii(::ues et de 
petits gâteaux, au risque de $e donner une 
indigestion; elle parle la bouche pleine, et 
renverse du punch sur sa robe: elle conte 
à ses danseurs ses espiègleries de pension, 
éclate de riie en leur parlant, et leur serre 
la main en dansant. Demandez-lui si elle 
aime le bal, elle vons répoudra ^«V^^ ^y 
amuse joliment, Demi-t}pe de {çrisette! frais 
bouton de rose de la rue âurncampoix! 

Vis-à-vis et pour former contraste sans 
doute, car il faut des contrastes partout, 
admirez la muse bourgeoise à\ï quartier 
Poissonnière, ballotté dans sa g;rande robe 
bleue parsemée d^étoiles d*argent, comme 
une vierge de village dans sou sayon de 
satin broché;'' la tête haute, le corps en 
arrière, roucoulant du regard, soupirant et 
se parlant à elle-même, ayant toujours 
l'air de se réveiller d'un rêve, répliquant 
tout de travers aux questions qu'on lui fait, 
menant de front une discus.>ion sur la 
peinture et sitr la puésie, citant Lamartinei 



SlOl 

Chateaubriand, Victor Hii^o, madame Tasli:^,'^ 
et noiibliniit pas surtout de vous apprendre 
quelle étHit à la première représentation 
du Roi ^s'amuse, dans la même lofl^e que ma- 
dame Emilie de Girarditi, et, à la dernière 
séance académique, assise cote à cale de 
Casimir Oelavigne. Elle est mal chaussée, 
et a' des tacshes d encre aux doigt«. . 

Sa soeur Indiana, c'est un volcail qui 
fume sur un égoût de la rue Muntorgnéil; 
jeune artiste de la plus g^rande espérance* 
qui se culfTe à la Piiiion, avec une féron, 
nière sur le front; s'habille tantôt en dan* 
seùse de corde, et tantôt se drape dans 
les plis d'une tunique aihénienne. Quand 
elle chante, elle tortille sa voix en roulades, 
se posjî comme madame Malibran , et parle 
toujours ayec cn*tain accent italien , idiome 
bâtard de ta Gascoo;ne et de TAuvergne. 

Voyez encore cette grande pâle , qui re- 
garde les jolis . hommes avec des yeux 
.mourants; celle-là reste an bain trois heures 
par jour, dévore un roman par matinée, 
et s'enivre d amour, le soir, aux méliulrames 
de la Porte Saint Martin. 

Permettez-moi de: ne pas vous parler de 
la demoiselle de quinze ans, la demoiselle 
classique du bal^ danseuse obligée de toui 



les bambins ' qui se trouvant au saiott, 
et qui repond gracieuAeiiient à roiifes les 
qneatîotis qne vous lui faites: ,>Oul, non- 
„ sieur. — Non, monsieur. — Mousieur, vous 
» êtes bien bon. — Monsieur, je ne sais pas...** 
Répertoire très varié et extraoï^inairemejit 
réeréallf ! 

Ni de ces petites coquettes de sept ans , 
à qnr leurs ofamans mettent des robes dé- 
colletées, quelles conduisent en soirée, à 
€<>nditian qu'elles seront bien sao:e8, qu'elles 
1^ dormiront pas sur leurs chaises, et qu'elles 
ne diront pas: „ Je veux du ^râteau, nà!« 

Ni de mille autres spécialités féminines 
qs'ofi rencontre dans presque tontes les 
soirées dansantes. 

Par exemple : 

Les femmes mariées qui passent pour aimer 
le petit mot ponr rire; 

Celles qui questionnent imfitoyablement 
lenrs danseurs; 

Celles 1] ni disent: ,,Mon éponx est daas 
leeommeree;^ 

Celles dont 1^ mari est capitaine de la 
garde nationale : 

Celles- qui sewient le m<isc, et portent 
des bérets ) quand elles ont un long cou 
maigre. 



IStM 

Ou ces petHes Boules de graissé, ekargces 
de diamants ^ qui bondiaftent s<ifus. le lustre, 
eomoie un ballon^ suent de la tête aux piedi, 
et répètent conti ait elle ment : ,, CVst étoi»- 
9>nant! je ne suis pas lasse du tout; J6 
„ danserais toute U:nuit sans me fatiguer;*^ 

Et les femmes qui dansent à quarante ans; 

Et les demoiseUes d^ tiiente, qui ne dansent 
ptusé... „que par complaisance/' ajoiiteB(t- 
elles. 

I^rtout que votre bon anpe vous protège 
contre ces maîtresse» de maison, qui vieiii> 
«e^tyous relancer jusque dans le salon de jeu. 

— Eli bien! vous ne dajasez pas? c'est 
fort mal. 

Ou pis encore: " _ . 

-*- M. Alfred, on a besoin d*un vls«à-vte. 
Faites-moi le plaisir d'inviter cette dame en 
robe rouge', qui n'a pas encore «dansé de la 
soirée. 

Obi les dames en nahe écarlate, à- qui il 
faut faire/ la charité d'une contredanse. 

LUxera nos^ Domine! 

Je répétais tout bas ce pienx refrain et 

je ne sais quelle litanie, quand j'aperçus, 

du coin de l'oeil, ta maîtresse de la maison 

qui se dirigeait de mon côté. Je fis coqam^ 

es marinS; quand Us voient uu çraliit fondre 

ï 



«^4 

mr mix da boutade rhnH«on;jie- cargiiaî 
les voiles de ina corvette, et coirrant une 
bordée cà gntidie, je me mis en sûreté dans 
1« ehamhrè <à e^Micher, eu les tables de^eu 
étaient ^Jressée». 

il y kvart bon feu dans la cheminée, et 
dans i appartement lin air plus por que 
Seluî qu on respirait dâTi^ le salon de danse. 
Je me mis à examiner quatre mérhants 
portraits au pastel, magnifiqnement encadrés; 
ce qui me fit penser à ces vieille.^ femmes 
qtti courhent dans des lits d érable, avec 
des couvertures de velours noir, pour re- 
hausser leur teint. 

— Monsieur est artiste, me dît urî per- 
sonnage à lunettes^ en s approchant de ^ 

mai. 

-i- J*ai'me les arts, monsieur. 

— Comment trouvez vous ces portraits?... 
ressemblants, n'est-ce pas? 

— Oh! très-ressemblants.;* sans doutCi 
monsîenr. 

,, Je parie, me disais-je, que cest lui qui 
les a faits." 

— Je suis enchanté d'avoir votre avîs, 
reprit-il en se frottant les mains... car je 
sais que vous voiis y connaissez. 

— • Ti-ès-peu, je v^iis rassure. 



2105 

^Où diable me suis-'jé fourréy m'éeriaije 
tout bas/* 

— Vous êtes benneoiip trop modeste j jû 
sais que vous pei^roez fort bien. 

— Vous vous trompez, je vous jure qua 
je ne peins pas. 

— A riiulle? non, peut-*^tre?.». Mai» vous 
Caites très joliment i aquarelle. 

— Pas davantan^e. 

— Comptez-vous exposer cette année?... 
qu'est-ce que vous exposerez?... 

— ■ J*ai eu, l'honneur de vous dire, mon- 
sieur. ... 

Je sais que les artistes n\nîmeut pas il 
divulo;uer à Tnvanc^ le;«ecret de kurs com^ 
positions; cela est, tout naturel... il n*y a 
plus de surprise, et ils ont bien raisoiu 
Mais, entre nous, entre confrères, vous poiivex 
bien m^avouer... daiileuis, moi je n'expose 
pas,. et je vuus prome^3 d'être discret. . 

Je coQiménçais ,à u^e sentir mal à laisift , 
avec ce sot interlocuteur, et eepe^idapt 11 
jouait si drôlement de la prunelle à Tonibre 
de ses lunettes bleues que je me senti^is 
une démanixeaison violente de lui pouffer 
de rire au nez. 

.. TT Mes»feurs,,sepr.ia an j^jueuHjJly a d# 
Tardent à tenir de mon côté. . 



200 

-«* Diéii soiiloité! dls-je, et mMpprocllant 
de la table, je jetai ma pièce de cinq francft 
du côté eu jimeur qui suait sang et eau, 
depuis un quart d'heure^ pour compléter sa 
partie. 

— Combien va la pièce? 

• «^ Je fais ce qui manque. 

— Cinquante ceutimes... vous êtes aa 
jeu de cinquante centimes, monsieur. 

— Oui, Mansietir. 

C'était bien ta peine de crier si haut pour 
cinquante centimes! 

De ma vie, je ne me suis trouvé face à- 
face d^one fig^ure de jouenr aussi ingrate. 
U tient ses cartes, comme un garde natioiml 
son fusil, les jette, les unes à la file des 
autres, les -dames pour les rois, les ueuf 
pour les dti, — et gardant toujours carreau, 

Afin (dit-il) de D'étfe pM capot. 

Du reste, dès afduis et des rois plein les 
ntàins; — „aux ifiuocelits les U^atus pleines!^ 
proverbe d*écî^é! 

— Ofeî qnel jeu d-enfer? ctrdama sétleu-' 
^euïefi^t un gros et jovial propriëtaira, en 
entrant dans la cfbratubre; paraît que ça 
s'échauffe ! 

Il y avaîl quatre ft'ffncs chiçtfattte ceutimea 
de chaque côté. ' ' 



ProAgieox ! , i ± 

T^»s ces gens-là étaient aussi hnlAlen a 
disiilldr Vémrté (}e me sers de lpitrexpres»î©»> 
qs an chat à dévnJer un ccheveau de fil. 
C'était à qui se mêlerait de donner des cim- 
seîls. Chaque coup était suivi d une longue 
dissertation technique, très instructive poiir 
la jeunesse. 

— Je ne connais que la règle, mousîeirç 
-** atout, et passe mon roi; cest évident, 

— îl fallait fçarder daipe seconde, — jeu 
de règle. Monsieur avait raison, cela se 
{çagne toujours. — En attaquant par ataut 
Hous faisions la volte. — Non, monsieur. ~ 
Pardon, monsieur. — Vous voyez venir , . ^ 
On coupe à trèfle . . . bon, vous gardeà^ 
carreau — selon la règle. — Oh! la règle, 

— la règle!... je ne connais que l'inspira* 
tion, moi ! 

Mon petit singe de joueur, qui apparent 
ment était inspiré, gagnait toujours avec 
un aplomb imperturbable de maladresse. 
Tous les parieurs avaient paësé dé son 
côté. Je fis le contraire, et m'asseyant eti 
face de lui, la partie s'engagea. 

J'ai toujours été beau joueur. Je tins les 
paris. Bientôt il y eut trente francs sur la 
taille* Chs messieurs qui gagnaient, doublaient 



208 

sans façon leur mise; et moi, en rtiûe ié 
sottise et de ma i valse liumeur, je doublai 
aussi la mifeiine. De mémoire d'homme, on 
n'avait vu pareil débordement de jeu dans 
cette mnlHon* 

— Madame B. vient de me dire qu'elle 
désirait qu'on ne jouât pas tant d'argent 
chez elle, me «glisse imperHoemmeiit dans 
le tuyau de Toreille lami de la maison, aux 
lunettes bleues, qui me gagnait une quinzaine 
de francs . . . 

-^-^ Ëh bien, lui disje, après? 

— Après? . . . reprit-il un peu surpris^ 
faites' comme vous voudrez. Cela ne vie 
regarde plus. Je me suis acquitté de ma 
commission. 

— Si la maîtresse de la maison pense que 
nous jouons trop cher, dit un de mes ad- 
versaires, en empochant son gain, je me 
retire, je ne me soucie pas de passer pour 
un joueur* 

— Ni moi non pkis, ajouta. un autre..,. 
«^ Ah! ah! voici le galop, s'écria- t-on ,' 

et je restai seul k la table d'écarté. 

Bientôt les galopeurs débordèrent dans 
In chambre à coucher. Toutes ces 'jeuiîes 
filles étaient échevelées et haletantes de 
plaisir. Le flot passa rapidement devant moi- 



209 

et alla 8*eng;oirffrer dans on couloir éfroit 
et 9otnlire qui conduisait ... à la cuisine^ 
je crois. 

— Dieu! s*écria la maîtresse delamaison» 
en bondissant sur ia chaise, ils ont cassé 
mes porcelaines. 

En effet, nous venions d*entendre un 
grand fracas. C'était Marie, la grrasse cui- 
sinière, qui s*en venait tranquillement par 
le couloir, un plateau à ia main, un beau 
plateau tout chargé de tasses de thé, et à 
qui les valseurs avaient fait exécuter un 
rond de jambe vertical si rapide, que lé 
plateau et les tasses avaient volé en éclats. 

- — Ce n'est rien . , . ce n'est rien . . • 
répétait, un quart d'heure après, madame B. 
qui sortait toute rouge 'du petit couloir. 

— Néanmoins, la grosse Marie a eu un 
galop soigné, me dit un voisin enchanté de 
placer un calembonrg, et je ne serais pas 
étonné qjie demain on ne fit payer à la 
pauvre fille les pots cassés. 

— S'il en est ainsi, j'ai envie d'ouvrir 
uue souscription à son bénéfice. 

— Vous* parlez de la souscription au 
bénéfice des Polonais, dit un troisième 
personnage, qui vint se mêler brutalement 
à la conversation. C'est deqiain le bal . • • 

LXXXV. 14 



210 

qui sera très beau. Je ne suis pas encore 
bien déddé à y aller • . . ^eut-étre . . . 
je verrai. Il est vrai que j'y suis forcé en 
quelque sorte, à cause de mes fonctions. 

— Monsieur est membre du comité? 

— Pas précisément, mais chargé par lui, 
en ma qualité de serg^ent-major de la garde 
nationale, de recueillir les souscriptions 
dans ma compagnie ... Si vous désirez 
vous faire inscrire, je me charge de vous 
envoyer demain une invitation par mon 
tambour. 

— J'ai Thonnenr de vous remercier, mon- 
sieur le sergent-major! ... 

— Ça m'a tout Fair d'un carliste, mur-r 
mura mon petit homme, en me toisant, et 
il vira de bord. 

Comme je prenais mon chapeau, Tami 
de la maison, aux lunettes bleues, vint à 
moi. 

— Déjà, M. Jacques. 

— Je rentre toujours de bonne heure. 
•— Allons, faites-moi vis-à-vis pour la 

prochaine ... 

— Impossible, je suis fatigué. 

— Mais vous n'avez pas dansé. 

"^ Pardon . • • au commencement de la 
soirée. . . . ' 



211 

— Oui... deux contredanses, avec la fille 
de madame B., et mademoiselle Célestine... 

'^— Vous êtes beaucoup trop bon, monsieur, 
d'avoir compté mes contredanses. 

— Oh ! ce n'est pas moi, mon cher, c'est 
madame B. elle même qui me disait tout à 
l'heure . . . „ Est -ce que M. Jacques est 
malade ? il n'a dansé que deux contre- 
danses^^ . , . Â propos vous devez avoir 
gagné à 1 écarté? 

— En vérité, je vous trouve plaisant de . 
me faire cette qutestion, lorsque vous avez 
enlevé tout mon argent. 

— Comment . . , je jouais contre vous ! . • • 
j'en suis désolé, parole d'honneur . . • Eh. 
bien, mon cher, vous croyez peut-être que 
j^ gagne beaucoup • . . j ai perdu quarante 
sous, vrai. Je' suis toujours malheureux 
au jeu. 

— Monsieur J ai rhonneur devons souhaiter 
le bonsoir. 

Je restai une demi-heure avant de àé^ 
couvrir mon manteau, que je trouvai enfin, 
endormi, comme une momie, au centre d'une 
vaste pyramide de pelisses et de redin« 
gotes. 

Dans un coin de l'antichambre, je feignis 
de ne pas -apercevoir un pauvre diable de 

14^ 



212 

provincial qui mettait des bas de coton 
bleu par-dessus ses bas de soie. 

En bas j la ^ portière dorîiiait. Je fus 
obligé de frapper trois coups aux carreaux 
de la loge. 

^ Pas un fiacre' à la porté. La rue ëtalt 
déserte et silencieuse. Les réverbères .se 
balançaient tristement sur leurs cordes; 
Paris ressemblait à une vaste ëgliére, vue 
à la lueur du crépuscule. Je rentrai chez 
moi à pied. Je dormir bien. 

— Vous arrivez bien tard aujourd'hui, 
dis-je à ma femme de niéuage, lorsqu'elle 
entra le lendemain dans ma chambre. 

— Dam, monsieur Jacques, je vtius prie 
de mexcuser. - C'est, que. j'ai fait mon 
carnaval cette nuit, et ça narrive qu'une 
fois par an. 

— - Vous vous êtes donc bien amusée? 

— Comme une reine. Ne m'en pariez pas. 
Les domestiques de M. le baron de Jarente, 
le propriétaire de, la maison, ont eu la 
permission de donner un bal , et j y ai été 
invité avec .mon mari, qui est un peu 
clarinette, comme vous savez. On avait 
arrangé une grande chambre dans les 
mansardes, où nous avons dansé toute' la 
nuit. 11 y avait une. nombreuse société, 



213 

et' ma foi, c'éfait bien gentil. On avait 
des rafraichissements gratis. Monsieur le 
baron avait donné soivtiflte francs, et on 
s'est cotisé poirjr le ^esté» Je n'ai pas 
manqué une seule ,contredanse, jusqu'à cinq 
heures du matin, qoç nous avons éteint les 
chandelles. MêmeV^^^st à cause du motif 
que je vous prt^A.'ayoir un peu d'égards, 
monsieur Jacques, si je me suis attardée 
ce matin. 

— Il n'y a pas grand mal, madame 
Rigaud; moi-même d ailleurs j'ai passé la 
nuit dans une soirée dansante.. 

^'•^ Âh! dam . • . vous, monsieur • • . c*ést 
du grand genre . . . 

— Hein! dis-je en me pinçant les lèvres, 
si j'écris jamais Tblstoire de madame B., 
je ne la ferai pas lire à madame Rigaud* 
Bal au premier étage , concert au second, 
soirée dansante au troisième, et bal de 
domestiques dans les mansardes ... cela 
s'enfile comme les grains d'un chapelet* 
Si le cordon vient à casiser, gare que les 
grains ne roulent pêle-mêle à terre. Bien 
adroit qui saura les mettre à leur place! 

jA<;auBs Raphaël. 



/ 



«»l^^^«^^< 






LE PARISIEN A PEKIN. 

(ESQUISSE DE VOYAGE.) 

I j ■ I ■ ■ 

yyXe coeur de la femme- est on angle 
^^ai^u. Il faut frapper bien juste, pour 
i^ne pas glisser le loug des bords I....*^ 

Mbisg-Tsée. 
^Une coquette, c'est comme un vaste 
„ fleuve; les bords en sont chauds, le 
), milieu froid!.... 

^Pensées du soir, inédit.) 

Uoe idée est la conscience d'une sensa- 
tion; anssi j ai toujours pense quen créant 
notre globe rÉternel avait dit: „ Voilà pour 
,,rhoiiinie, et j'en fais presque un dieu!..." 

En effet, n'est-ce pas notre domaine, 
puisque nous pouvons le voir sans cesse, 



215 

en mesurer retendue, jouir de sa splendeur 
et des richesses de ses produHs, et dresser 
nos tentes sur tous ses points!, depuis le 
ciel brûlant de» tropiques jusqu'aux glaces 
du pôle? • . V 

Nest-ee pas aèssi faire acte de liberté, 
de force, de jpuissafice, que de s'en em-f 

Sarer en quelqfu^* sorte en voyag;eant; et 
[arco-Paolo n'élait-il pas plus qu'un roi?... 
Ah! si j'ai un jour du temps et du repos, 
si je parviens à résister à la vap^ne qui 
me pousse, ou à maîtriser le goût qui 
m'entraîne ; si je puis resserrer, fixer sur 
un seul point ma ?ie radieuse; si je puis 
faire oublier un moment le notn de Touriste 
qu'ils m'ont donné, je dirai, dans le calme 
et la paresse, pourquoi les voyages charment 
la jeunesse, intéressent à Tâge de raison, 
et déplaisent à la vieillesse. Je dirai pour* 
quoi le poète, le savant et l'artiste y trouvent 
Une vie nouvelle; et cela ne sera peut-être 
pas l'aperçu psychologique le moins in- 
téressant. ... 

Aujourd'hui cela m'entraînerait trop loin. 
Je veux seulement vous dire que je viens 
encore m'arréter à Paris, qui semble être 
toujours mon nid d'hirondelle, d'oii je 
m'élance dans l'espace. 



216 

Las de pareoiirir l'Europe en tous sens^ 
il m'est venu Tenvie de pousser jus^*ea 
Chiue; et bien m'en a pris de me décider 
de suite, car c était rauiiée où la Russie 
renouvelait sa mis.ston à Pékin , et j'ai pu 
me o^lis^er inaperçu, comme l'un des es- 
cuiapes de la caravane.* 

Nous partîmes de Mainaj^-iTschin,*) et sui- 
vîmes la route de Pékin, sans.nous détourner 
et sans prendre de notes, le gouvernement 
chinois ne permettant ni Tun ni lautre. 
Je ne sais pas s'il vous serait bien ag^réable 
que je répétasse tout ce que vons avez lu, 
sans doute sur le statistique de ce pays: 
que je vons diss« qh^on y compte soixante 
millions d hommes: que de beaux et largues 
fleuves portes des villes flottantes très 
con,sidérable8: que là on trouve le type 
primordial de l'insecte qni donne vos belles 
soies: que de là il passa en Perse, ave^e 
l'art d*en faire des étoffes, lesquelles étaient 
encore si rares du temps de Justinien^ 
qu'elles se vendaient au poids de l'or. 

âu« ce papier de Chine sur lequel vous^ 

*) Wa\ma - Tschîn , ville -de la Mong:oIîe chinoise, 
frotitièie de la RuRsie, Rur la grande route de 
Pékin. C'est le lieu d'oCi les nations dtt nord 
tirent le meilletir tb«. 



217 

voulez avoir àParîs les éprenvesdesg;ravnres 
^e JoanmM;, des Porret, ou un exemplaire 
des oeuvres d'Aiexi^udre Dumas, u'çst q^ue 
du papier à sucre en comparaison de ce 
papier chinois d'un blanc éclatant, fabriqué 
à Pékin avec des dlets de bois de baipbous 
bouillis. , ? 

.(lMe> depuis plus de d'eux mille an^r^ ,cç 
peuple (QoiHiait Ti^stronomie ^ rimprimerié 
et la Uquissole;- que> depuis la même époqi^e^ 
il fabrique la porcelaine, le verre et une 
f(|ule d'admirables petites choses qui font 
le chaïme de. n^sboudoirs^ 

Que les mandarins lettrés y sont consîd^ré^ 
comoie les protf^cteura des provinces, et 
lempereur commet le père de ce vaste 
empire. Je ne vous apprendrais rien ^de 
nouveau; ainsi passons outre, et ailoufi^ 
droit à Pékin. 

Nous arrivâipes dans cette g;rande vIIIq 
par un beau soleil, qui se reflétait sur des 
toits éclatauts, car toutes les tuiles. en 
sont vernies: les jaunes pour les palais de 
'Fempereur,*) les vertes pour les hauts 
personnages, et les grises pour les classes 



*) Cette couleur en quelque ouvrage que ce soit 
est affectée au «ouveraio. 



218 

Inférieures ; mais j allais retomber dans les 
descriptions, et il est convenu que je n*en 
ferai pas. 

Or dolie, le gouverneur de la province 
de Mainm-Tschîn , auquel j'avais rendu un 
service, m'avait donné dès lettres de 
recommandation pour quelques manddrins 
lettrés de Pékin. Un d*eux , qui , jeune, 
avàît connu le savant P. Bourgeois*), me 
fit un accueil particulier; nous convergions 
en latin, et Dieu sait quel latin je lui 
donnais! mais il m'assurait que nous nous 
entendions, et alors je ne vois pas pourquoi 
j'aurais fait le difficile. 
' Un matin il me dit: ,, Jusqu'à ce jour je 
TOUS ai montré plusieurs manuscrits, tra- 
duits tant l)ien que mal par vos mission* 
naires; mais tous étaient relatifs à la 
religion ou à la politique, et il en est 
résulté que vous n'avez pas de tableau de 
nos moeurs intérieures. 

))Yoilà un livre remarquable; il est de 
notre célèbre philosophe Memo-Tsée.*^ 

Je m*inclinai. 

— „Je vois, continua le mandarin, que 
vous ne connaissez pas notre Meng-Tsée. 

♦) En 1774. 



210 

Il parnt troîs siècles après Kong-Fou-Tsée *% 
qui vivait dfins le cinquième et s^ixfème siècle 
avant J.-C. Meng-Tsée s'attaciia à attaquer 
les vices de son pays par 'la force de la 
raison; il ne réussit pas: il se saisit de 
l'arme du ridicule, et obtint le succès qu'il 
désirait. Yoilà un vHlnme de lui, «nique- 
ment destiné à faire conntsître lés vices d^ 
son époqne et-'là coquetterie de certainéÉ 
femmes. Lu {[Première anec«iote eht intitulée: 
Une femme de Pékin/ Voyez, à' la fin du volume, 
cette adjonc^ion^; c'est une traduction de cette 
anecdote, essayée par ce !>on P. Bourgeois," 

Je pris ce- manuscrit. — „Pai',bleu! dis- 
je au mandarin, le peu que je viens d'en 
lire me fait naître l'rdée de translater cet 
épisode en français; notre Svavant Rémnzat 
se pendra de navoir pas trouvé celui-là. 

„^- Comme vous voudrez, mon cher ami/ 
me dit Texcellent mandarin : et je me mis 
à Toeuvre jusqu'à mou départ pour l'Europe. 
Il fut trop prompt, hélas! car je n'emportai 
de ce riche pays que cette nouvelle, et du 
tabac jaune, plein mes poches . . . mais 

*) Qu'on traduit ordinatremeiit par Confucîus. Ea- 
pbonie aussi préférable dans sa substitution 
que le changement fait à Mohamed que nous 
rendons par Mahomed, 

I 



220 



je me consolai en pans^fit an plaisir q«e 
je ter&is.RuxfajiàUnaèles de Paris , en leur 
appoi^nt le joli portrait d utie hmme des 
bords de la livlére Bleue.*-) 

En arrivatit du Havre, où. nous étions 
débarques, Mu de mes compagnons de voyage- 
cosmopolite cjamm^moî, me. pria de Ini 
cpmmirniquer cette p.€^^(ie lAinc^c, et voulut 
we persuader ^près ravoir . Iu.«^, que la 
femnu 4e Pékin ipssçrobiHî.t assez à une 
femme de la Chaussée d'Antin. v . Qudle 
idée .**► . . — . En toiit eus, yqicî hi^ob histoire, 
vous en jugerez. 



LA FEMME DE PÉKIN. 






^ OhJ qui me dé«vrara des rêves de ma 
jeuuesse? qui me dési'nthantera une bonne 
fois? . . . qui me dira enfin sans réserve: 
Ne croîs à rien d'ici bas, car tout'y est 
prestiges et mensonges? ... 
Ces suaves créations, ces riantes fietions 

*) Cette rivière ne trftvci^se pas Pékin, c*C8t la 
TLvière Tu'ffo} mais la rivière BIpuc^, qui est 
la plus beUe de la Chine, comme la riyière 
Jauue en est la plus grande, possède sut- ses 
bords de mai^nifiques palais que vont habiter 
.pendant la belle saison les femmes les plus 
nches de Pékin. ^ 



221 

oa le ' coeur s'ouvre à des félicités déli* 
cieuses, . . . erreurs! 

Cette existence idéale où quelques âmes 
pures et crédules espèrent rencontrer le 
bonheur, .... erreur!' 

Cet homme d'émotions et de liberté qui 
va jiig;eunt ce qui nous entoure en poète 
et en artiste, . . • erreur! 

Et cet être composé de rêveries et de 
sentiments qui pense qu'après l'étude de 
Dieu et de la nature^ la femme doit remplir 
la plus largue place dans la vie ; • . • erreur 
encore! toujours erreur! 

Déceptions de tous les jours qui usent 
la vie en la minant par le cpeur. 

Ne crois à rien, et tu vivras plus pour 
toi. Tu seras calme, parce que Timaglna- 
tion ne se portera plus au-delà de I atmo- 
sphère que tii respires; tu seras heureux, 
parce que tu trouveras tes affections en 
toi, ton bleu- être en toi. Tu jouiras de 
tout, parce que tu ne désireras rien. 

Tes impressions, tes jouissances se cen- 
traliseront dans toi. Pour les autres, tes 
sentiments seront froids, indifférents, pres- 
que nég^atifs, car tu n'aiinis pas même de 
place en ton coeur pour la. haine; le mépris 
seul débordera! .... 



222 

Où estril ce «âge, ce philosophe, ce nou- 
veau Koiig-Fou-ïsée qui me dira: »Sois 
,) indifférent à tout ce qui t'entoure, vis 
„ tranquille, sans les émotions trompeuses 
M de Tespérance, sans les secousses violeoites 
^des passions; ne cherche .pas trop loin 
„le peu de bien quMl faut pour vivre isolé^ 
Méprends les jouissances . qui s'offrent qlous 
^ta main, laisse ta vie mollement bercée 
^s'écouler uniformément et finir sans bruit, 
M comme Tenfaut rassasié de la mamelie 
M nourricière s*endort aux mouvements mono- 
))tones du berceau! .... et quitte sans 
regret la pompe des jours, la mélancolie 
des soirs, la brise des mers, la rosée des 
M prairies, le frémissement du feuillage, et 
,>le8 femmes et les fleurs? . . .'^ 

C'est ainsi que le mandarin King', qui 
vivait sous le roi Fo-Hî,"^^') se lamentait et 
broyait du noir en sortant de la grande 
pagode de Pékin. Et de fait son histoire 
était triste; mais comme elle ressemblait 






•) Fo-Hî vivait 2>000 ans avant J-C 11 favorîsa^ 

Joutes Lrs connaissances humaines. On lui 

attribue FY-King, le premier des cinq livres 

sacrés, appelés du nom générique de Kir^G, qui 

veut dire excellcut. 



223 

à celle de beaucoup d'autres, je pense qull 
avait tort de s*en chagriner. 

Voyez plutôt: 

Il y avait autrefois à Pékin une femme 
belle et spirituelle^ qui était alternativement 
pieuse et mondaine , froide et passionnée, 
dénigrante et enthousiaste , folle et raison- 
neuse, méchante et bonne. Elle recevait le 
lévite et le guerrier, le poète et le musicieti. 
Elle allait régulièrement à la pagode et 
sortait la dernière da bal; le tout^ disait-elle 
aux uns, parce que l'ennui la gagnait et 
qu'il fallait bien tirer parti de cette pauvre 
vie; puis, à ceux qui valaient une confidence, 
parce qu'elle n'avait pas encore trouvé quel* 
que chose, ou^ quelqu'un, pût la captiver 
tout entière, et qu'elle cherchait 

Or, tout en chercluint, elle se faisait con- 
duire quelquefois dan&le jardin de l'empereur, 
sur la terasse de la rivière Tà-fio, dont les 
eaux partagent la vilFe, et dans l allée des 
grands orangers. 

Lia malgré la foule, on la distinguait 
aisément, d'abord parce que sa tête dépassait 
celle des femmes qui Tenvironnaient. C'était 
comme une longue toubéreuse dominant le» 
flenrs d'un parterre ... et puis on la remarquait 
«ncorc parce qu'elle marchait leutemeut . . • 



4a4 

Elle avait de si petits pieds, qu'ils parais- 
saient n'avoir été faits q^ue pour un eufant; 
aussi plus duii mandarin reveuait-ii chez 
lui le coeur préoccupé. ... 

Lorsque son brillant palanquin, recouvert 
de fiches étoffes roses comme le bout de 
ses doig;ts effilés, la conduisait au faubourg: 
Vaï-Lo-Tehing, et dans la rue Liou-Li-Tchang, 
pour voir les parures de son joaillier, ii 
lui fallait passer devant le palais du fils 
sacré du ciel (autrement dit l'empereur); 
alors tous ces fiers soldats en robe qui sont 
là accroupis au pied de ta grande muraille 
ronge du palais, se levaient spontanément, 
éblouis qu'ils étaient de tant d éclat; puis, par 
un mouvement hérmqne, ils abandonnaient la 
pipe qu'ils fumaieivt nonchalamment, délais- 
saient le bienfaisant parasol qui conservait 
leur teint cuivré, et se posaient fièrement 
appuyés sur leur fusil rouillé pour voir passer 

cette ravissante Périe Aussi la coquette 

heureuse intérieurement de l'effet quelle 
produisait, soulevait-elle sans intention mar- 
quée un petit coin de son grand voile pour 
laisser apercevoir des yeux; fendus comme 
une amande, un teint comme la fleur de 
Végiantier, et des deuts comme son collier 
de blanches perles. 



MB 

Le mandarin King parvint un jour à être 
admis chez elle , je veux dire cliez Li* 
Lia, car javaia oublié de vous dire son 
uom. 

Ce jour dadmîasian, jour lieureux ou 
fatal, nous ne le choisissions pas: cest la 
desUnée qui lec donne. 

Longr temp9 s'était écoulé .... il se dit 
enfin :.«• Le temps fuit rapide^ Tbiver va 
poser sa main glacée sur moQ front, et 
j'ignore encore si Li-Lia a un coeur, et 
s*il peut battre pour moi . . . pour mol, 
homme pensif et solitaire comme Tétoile 
du soir, passionné et brûlant comme Tastre 
qui verse des torrents de lumière. . . Aprèâ 
ces réflexions et autres semblables, toujours 
dans le style du temps, notre mandarin se 
décida enfin à lui faire connaître son amour. 

Mais moi, voyageur inattentif, j'allais 
oublier, uvant de vous raconter sa j>iteuse 
histoire, de vous dire qu'à Pékin les nioetirs 
digèrent totalement des nôtres; et si je ne 
vous en esquissais pas les traits les plus 
«aillants, vous ne pourriez plus croire à 
md traduction, tant ce qui me reste à dire 
est. opposé à notre Paris, où tout est st 
parfaitement bien, eemme vons savez. Figurez- 
vous qu'une plaie profonde et incurable 

LXXXV. 15 



220 

mine ce corps social. Le tableau de Pékin 
semble être à l'observateur comme un long 
drame sans désoûment, comme une énigme 

Le fond de ce. tableau vivant est dominé 
par un volcan qui menace d'engloutir acteurs 
et spectateurs, et Tberizon se diargè de 
nuages épais d'où lai foudre sembla prête 
à éclater. • . En vérité, je vous le dis, c'est 
un étrange pays!... car au milieu de lafa- 
sence de tout lien, de tout frein, de toute 
religion,, de toute sécurité, on s'y égaie 
parbleu avec insouciance , comme si l'on 
était sûr d avoir le lendemain pour ré- 
fléchir •• . • et le grand drame va toujours 
son train, et chacun y déploie ses petits 
moyens ... le talent de feindre surtout y 
est porté loin. . . . Joies, douleurs, amitié, 
dévouement, amour, la beauté qui vous 
séduit, les parfums qui vous enivrent, jus- 

Î[u à Tair que vous respirez^ toiit y est 
actice. Il semble aussi que chacun se sdt 
donné un rôle dont la pensée secrète est 
égoïsme et cupidité! 

Aussi Tignorance, le vice, le crime même, 
s'y montrent al tiers et tranquilles dès Im- 
Btant que la richesse les couvre. : Palanquins 
brillants^ meubles élégants, vases japonais, 



iî7 

repas somptnenx, fêtes à ravir, où l'Âm«> 
phitrion parle ordre, bienséance, honneur, 
vertu . . .tout cela suffit pour ennoblir 
cette fortune sortie de la boue, quelquefois 
du sang^! ... Un cercle d'habitués qu'on 
héberge a la mission d'attaquer tout le 
inonde, de ternir toutes les réputations, 
afin ^ue Thonnête Âmphitrion passe inaperçu 
dans la foule des calomniés ... et tout 
finit enfin par être pardonné, oublié, car 
tout se cache sous Tor! ... 

C'est un singulier pays! on y voit des 
renommées d'un jour et des célébrités qui 
s'arrêtent à l'issue d'un salon ; prodigalité 
d'esprit sur rien, légèreté et médisance 
snr tout; charlatanîsitie de roots, démorall- * 
sation des faits; intrigants politiques pous- 
sant la vague pour arriver et succombant 
au port, à la satisfaction de quelques gens 
sensés qui vivent à l'écart. C'est un cnrieùx 
mélange dé petits amours avortés à leur 
naissance, de petites affections trahies en 
se formant, de petites extases pour une 
plumé t)U un chiffon, d'émotions nerveuses, 
d'affections éphéinères et d'hommes blasés. 
Enfin c'est un pandémonion d avocats bavards 
et ambitieux, de fous qui révent la plus 
étrange chose, l'absende du mien et du tien; 

15* 



c'est la solfatare où vont s'engloutir pêle- 
mêle religion, morale, institutions, rois, 

avenir! . • • 

Mais ce tableau de Pékin est trop sérieux, 
vous préférez sans doute que je me borne 
à vous montrer ici sans voile une de ces 
créatures qui dans tous les pays sont 
compe UB doux repos pour les yeux, un 
doux rêve pour la pensée, un doux baume 

{»our le coeur! ... Eh bien, soit, va pour 
es femmes de Pékin; mais vous verrez 
bien, quelles diffèrent aussi prodigieusement 
des nôtres. Chez elles, tout est pièges, 
séductions, tromperies. ÉUe/s cachent sous 
uqe figuré candide et pure une ame stérile 
et fausse; ce sont des syrènes sanis coeur, 
des corps sans passions, mais habiles à les 
contrefaire . . . belles comme le marbre 
du statuaire, glacées de même lorsqu'on 
les touche. 

Ces êtres Inachevés se lèvent générale- 
mept lorsque le soleil frappe depuis l4^ng« 
temp9 d'aplomb sur la coupole du temple 
de Fq» et préparent leurs mines et leurs 
gestes au miroir pour les répéter, le sofr, 
à la lueur des bougies. 

Cesi femmes sans naturel ni sensibilité 
ont cependant une cour assidue, car elles 



229 

ont des sourires et des regards qui font 
rêver, des demi-mots qai font espérer; et 
quand' elles ont rencontré un de ce9 hommes 
dont lespèce diminoe tous les jours, qui 
s'offre à elles avec- un amour pur, dont la 
place est plus près du ciel que de la terre^ 
elles s'en emparent, et par des demi-aveux 
qui paraissent être échappés à l'indiscrétion 
de leur coeur, elles ramènent à livret son 
secret, sa vie, son avenir; alors iières et 
dédaigneuses, elles redressent la tête et 
s'apprêtent à Timmoler par une plaisauterie 
qui pourra le rendre la risée de leur cour... 
ou bien, si le jeu les amuse quelque temps, 
elles se plaisent à traîner cet amour" à leur 
suite, jusqu'à ce que, se retournant brus* 
quément, elles le laissent au milieu du 
chemin , le foulant au pied en passant . • • 
sans craindre une vengeance, car elles se 
disent: Je lé connais, il sera malheureijx, 
voilà tout. 

Puis passant outré, elles demandent leurs 
perles ou leurà diamttnts, et conservent de 
ce drame brisé un souvenir dans la mé- 
moire comme urne ritournelle 4e chanson, 
et dans le coeur èbmme une légère ride 
sûr une vaste mer! . . :. " . 

Les femmes de ce genre n'aiment fiant 



230 

les hommes pour la tendresse et le de- 
vouement qu'elles en attendent, mais pour 
les hommages et le lustre qu'elles en re- 
çoivent. AMSsi ont -elles classé lamonr 
d*une . étrange; manière; elles en ont fait 
trois .g:randes :divisions! 

1^ Distraction, ou moyen de ne p^àser à 
rien-; 

2^ Caprice, ou volonté de penser à quel- 
que chose ; 

3^ OccuPAT&ON, sentiment sérieux qui dure 
des semaines entières! ... « 

Aussi ces femmes traitent-elies une pas- 
sion avec commodité, avec tranquillité d'âme, 
4:omme on s'arrange d'une chose qui peut 
offrir, quelque agrément, sans nuire aux 
autres petits .plaisirs de ce monde. Il y a 
les heures pour la toilette, le mari et l'amant; 
pour la couturière, les enfants et les visites; 
|>iiîs aussi les instants pour se; montrer en 
public, aller voir les jongleurs, assister 
aux fêtes du cirque: enfin, là tout est si 
bietf piiévu que les da^;ies of]t des heures 
m^rquée^ pour aller chevcher des im^ 
pressions qui s'échappent dans l'éclat d[un 
rircî distrait, ou recevoir des émotions, 
qui arrivent jusqu'à . répi^er.me de, * Içpy 



231 

r 

Vous avez voulu que je vous fisse con- 
naître les dames de Pékin, eh bien, les 
voilà... Vous voyez bien qu'elles sont à 
mille lieues des nôtres! '. . • et comme il 
faut pourtant que je vous finisse Thistoire 
du pauvre mandarin, vous aurez soin dans 
ce qui va suivre de continuer à vous croire 
transporté aux Antipodes, ou bien' lisant 
une des pages, de la rêveuse Scheherazade. 
Vous ne vous attacherez qu'au but moral 
de ce léger épisode; car, vous le savez, 
la lettre tue et l'esprit vinfie *). 

Op, le mandarin marchait dans l'ombre 
de Li-Lia (ce qui chez nous veut dii^e qu'il 
s'était attaché à> ses pas). Doué d'une 
organisation sensible et d'un coeur élevé, 
la gloire, l'amour, les sentiments généreux 
étaient les seules passions qui remplissaient 
son âme; il méprisait toutes les autres.... 
Comme mandarin, sa^ position le forçait 
de pratiquer les usages des classes élevées, 
d avoir les dehors de l'homme du monde^ et 
du courtisan; comme lettré, il vivait pour 
les doux rêves de l'imagination, les émotions 
de la pensée,' les sensations de Fâme; 
aussi, à la vue du brillant météore qui 



"} Evangile selon- Mîat Jean. 



2tt 

l'avait ébloui, il aVait pensé qu'un jour il 
pourrait atteindre jusqu'à lui et fixer sa 
prestigieuse apparition» 
; Le noandarin King donc, après avoir con* 
suite les trente-quatre génies, ^0 paria, et 
il- fut écouté avec indulgeace; il écrivit, 
et il fut. lu avec plaisir; il demanda une 
main qu'il n'avait pas encore osé serrer^ 
elle lui fut donné avec abandon. Tost 
allait au mieux pour le mandarin King, du 
moins il le croyait; déjà les yeux de Li^Lia 
s'attachaient sur ses yeux, son air était 
pensif. et tendre, sa bouche ne s'ouvrait 
plus pour lui qu'avec cet accent doux et 
mélodieux qui fait un si prompt trajet de 
loreille jusqu'au coeur* Auand il lui donnait 
le bras , son corps paraissait frémissant 
de cette crainte qnî pour Tamant est 
le précurseur du bonheur; enfin la douce 
espérance exhalait pour lui son enivrant 
parfum. 

Cependant King remarqua que Li-Lia 



*) Les trentë-qaatre génies, eu Chine » président 
aux différentes parties de l'année. Il faut 
choisir la lune et le jour le plus favorable de 

• chaque lune pour faiVe une entreprise, donner 
un bouquet etc., etc. 
(Vidi : Alm. de Koilaii|g>-Tcheou*Foa* — Canton.) 



S33 

recevait d'autres honmag^es que les siens 
et qu'elle se plaignait à lui avec afFeetatiou 
des larmes que sa tendresse pour le man^ 
darin lui faisait verser. 11 ne comprit plus, 
mais il lui écrivit: 

>>Li-Lia, pour la femme, qui aime, les 
» hommages de Tunivers sont froids et 
»décolorés. Pour la femme qui aime, Tab' 
ù négation est la -vertu qui remplace et 
yfi{n\ honore encore toutes les autres. Votre 
,> amour-propre ne se contenterait-il plus de 
,)ma servitude? ou votre coeur ne trouverait^ 
,>il plus rien pour la récoropeniser ? . . . *' 

Il attendit la réponse. 

Connaissez - vous le bonheur de recevoir 
une lettre de la femme qui vous. aime, lors- 
que triste et malheureuse elle se plaint à 
VOUS' des souffrances que vous luî causez? 
ÂveZ'VOus lu alors de ces. mots qui vibrent 
si harmonieusement dans votre âme? rtiots 
qui rencontrent on écha dans toutes vos 
sensations intimes!... 'Avez-vous déVoré 
de ce^ lignes qui semblent un reflet brillant 
de la poésie de votre pensée ? de ces lignes 
échappées à Tamour timide, à la retenue 
du monde, qui répondent au coeur et le 
consolent par des larmes? . . . 

Hé bien , le mandarin rêvait ce bonheur 



2S4 

et l'attendait avec anxiété. • . • Mais les 
femmes de Pékin entendent autrement ces 
sortes de confidences; comme elles veulent 
rester maîtresses de leur secret, elles ré- 
pondent sans se compromettre, et on pourrait 
presque afficher leurs lettres-, sans qu*on 
pût en i^nférer autre chose qu'une banalité 
de politesse affectueuse. 

Li-Lia répondit donc une lettre cançenahh. 
M Vous vous créez des fantômes, lui disait- 
^elle, pour avoir le plaisir de les combattre. 
)) Comment pouvez-voqs croire que mon coeur 
,)hésite un instant entre tou^ ceux, qui noi'en- 
),tourent et m'obsèdent?... il n'y a qu'un 
>,étre pour le coeur de la femme!* .. Com- 
>)ment voulez -vous aussi que j oublie que 
„j'al été disting^uée, aimée par vous, qui 
)» possédez si bien tout ce que Timagination 
. ,,et rame d'une femme peuvent désirer." 

Le lendemain lorsqu'ils, se revirent , elle 
fut pl|is séduisante que jamais. Se^.yenx 
abattus et mourants semblaient humifles de 
mélancolie et de sentiment. Ses lèvres se 
coloraient par -instants ^t s entrouvraient 
après avec>^ volupté; il y avait dans sa voix 
^une combinaison si harmonieuse, si persua- 
sive, qu'il récoutait encore même qu'elle 
avait cessé de parler. 



235 

» 

£e mandarin était homme de premier 
mouvement , il n'y put tenir. 

— Âti ! lui dit-il y si un être aimant a le 
coeur' déchiré par le douta ou le soupçon, 
qu'il écoute tes douces paroles ou lise les 
4l^qes échappées à ton âme, et qu'il dise si 
ses souffrances ne sont point calmées, s'il 
ne s'en retourne pas iiercé d'une vagife et 
douce mélancolie, comme le voyag^eur qui, 
au déclin du jour, retrouve les lieux, où ses 
rêves de bonheur commencèrent, où son 
premier amour le saisit.,.. Oui, ton âme 
répond à mon âmç; un lien .puissant, mysté* 
rîeux, ig;noré de ce monde qiié nous méprisons 
tons deux, un lien que le temps resserre, 
que rien ne peut briser, nous unira. Quand 
l'un de nous souffrira, lautre sera là pour 
calmer ou partager ses douleurs. • . . Lors- 
que le chagrin assaillira ton coeur^ je vien- 
drai doucement 'te dire des oiots d'amour, 
et tu souriras. .^. • , Quand les larmes ter- 
niront lie cristal de tes yeux, je t'entouteral 
de mes bras, Je te presserai contrer moi^. 
je baiserai tes larmes^ et tu seras consolée... 
Et le mandarin était heureux de se replacer 
sons le joug- dont il avait voulu un instant 
•ssayer de s'affranchir. Et il reprenait le 
QiaDteau .e( Je# |era 4^ resclavc^ commje un 



. 236 ^ 

autfè aurait cotiqniflr la tunique et le bopôet 
de la liberté. ... 

Les Parisiens qui s'y connaissent vont me 
dire que raecoutrement diiféri^it beaucoup; 
moi je répondrai qu'en amour tout est bien, 
et pour preuve je citerai Lauzun, qui porta 
la livrée de postillon pour avoir t insigne 
^honneur de conduire au trot madame de 
Valeutinois, dont il était épris. Ainsi, qu'on 
respecte ma traduction, c*est d ailleurs le 
mot à mot. 

Le temps toujours inflexible marchait. . . ; 
Le pauvre King^ vivait eomme la plante 
qu'une main capricieuse priverait par inter- 
valle de la bienfaisante rosée qui la vivifie. 
Cependant deux fois Li-Lia avait pressé 
d^nne main furtive et tendre celle du man- 
darin., .cependant, deux fois il avait obtenu 
de la conduire dans des lieux écartés.'..^ 
cependant une nuît,^ dans Tisolement et le 
mystère, elle avait plus fait encore... et le 
mandarin, dans sa reconnaissance lui avait 
dft: ,,Ll-Lia, ang;e de bonté, à qui dois -je 
M attribuer tant de bien?" 

„ — Au sentiment qui m'ôte la force de 
pouvoir toujours feindre avec vous!** avait 
répondu Li-Lla; et deux éclairs échappés 
ié ses yeux avaient 'cbûfirmé ce ^ùe deui; . 



23T 

lèvres tremblantes avaient dit à demi-voix... 
Mais le bonlieur a la fragilité du verre!... 
King malheurensement observa et crut 
apercevoir quelques déceptions, qui, toutes 
patentes qu elles sont, ne semblent aux cap- 
tifs que des hallucinations pénibles et meu- 
8ong;ères.«. Cependant il devint jaloux, le 
mandarin. Une pensée tenace, poignante,, 
lobseda et ne lui laissa nul repos. .,>Les 
uvorlà, s'écria-t-il, ces femmes décevantes 
„de Pékin, les voilà ces météores trompeurs 
n qui nous éblouissent; les voilà ces brillantes 
), PérUs, sans corps, et sans âme . . . L'amour 
,»avecx elles est comme un rêve pesant., 
^commencé par une nuit d'orage et terminé 
„par un coup de .foudre qui tue.*^ 

U voulut enfin connaître la valeur réelle 
de rattachem.ent d'une coquette. 11 envi* 
sageait bien avec une sorte d'effroi le jour 
où la dotic0 terre 4es illusions allait manquer 
sous ses ^as.et lui laisser qii«r]que triste 
réalité. Mais, il. fallait sortir dun piegie 
affreux, où il allait engloutir ^ son repos et 
sa vie. U lui écrivit donc; , .« 

j^Li-Lia, jusqu'à ce jour, vous avez réglé 
„avec une mesure égale Fespèce d*intermit- 
ntenee de fièvre dans laquelle se partagent 
^mes nuits et mes jours; m^îs le doute en 




"'«^chercAez. ••• ^«lettre 



i 

I 

! 
•I 



L OBÉLISaUE DE LOUOSOR. 



N*était-ce donc pas assez de détruire et de 
laisser détruire dans Paris ^ comme dans 
toute la France^ les monuments que nous 
ont légués nos ancêtres? N'était-ce donc 

£as assez d'avoir laisser abbatre Saiut- 
landry, que, pour soixante mille francs, 
on eût pu sauver du marteau; d'avoir laissé 
s'établir un teinturier dans Saint-Pierre-aux- 
Boeufs, un tourneur de chaises dans la 
chapelle de Cluny, un mauvais lieu dams 
Saint-Benoît; d'avoir dit à Saint -Germainr 
l'Âuxerrois: Tu périras! à la tour Saint- 
Jacques : Tu crouleras ! d'avoir soupiré 
après la démolition de la Sainte-Chapelle de 
Yincennes , d'avoir fait des jardinets et de 

LXXXV. 16 



242 

rigoles en travers de la majestueuse, coin- 

1 position de Le Nôtre, et d*avoîr rapetassé 
es Tuileries ? N'était-ce donc pas assez de 
vendre à qui en voudra le manoir de Saint- 
Leu-Taverny?î 

N'était-ce donc pas assez de tous ces 
attentats ? Fallait-il encore que la dévastation 
étendît ses ravages jusqu'au rive du Nil! 
Le devoir de Fliomme est de s'opposer 

1»ar toutes les ressources de son génie à 
'anéantissement de ses travaux ; de contre*" 
balancer, de retarder, de suspendre les 
opérations de la nature qui ne sait donner 
Texistence à de nouveaux êtres qu'au dépens 
de ceux qui les ont précédés. La loi de 
l'homme est, conservation: la loi du temps 
est, destruction. L'iiomme et le temps 
doivent donc être en lutte constante. Mal- 
heureusement, le premier fait souvent ab- 
négation de sa mission pour aider l'antre 
dans la sienne, et, comme ini, s'arme 
d'une faux et:d*un épée« Une fois entré dans 
eette voie, l'homme devient plus redoutable 
que le temps ; car , les détériorations de 
celui-ci sont lentes, rieo ne le hâte, il a 
l'éternité devant lui. 

Qu'on accuse pas les Vandales et Tigno- 
raiice de destroction: les Vandales ne font 



243 

pas la guerre aux monuments, Tignorance 
est respectueuse* C'est au nom de la science 
et du progrés que la plupart de ces crimes 
sont consommés. Cest la scienèe, et non 
point Tignorance, qui dit: — ^Ceci est go- 
thique, ceci est barbare, renversezl.w. "— - 
C««t la science qui parcourt Tunivers une 
pioobe on une hache à la main; jqui va 
spoliant Thébes de ses ruines imposantes 
qui 'faisaient depuis tant de siècles Tadmi- 
ratioq du voyageur,- dont elles élevaient 
Tâme et élargissaient lesprit par la médi- 
ta^oii. C'est la iscience qui va ravageant 
les nécropoles de ia Théhaïdq, démolissant 
les hypogées 9 effondrant les sépulcres, 
criblant là poussière des tombeaux pour 
en extraire quelques scarabées, quelques 
papyrus inintelligibles, quelques amulettes, 
quelques ossements:; c'est la science qui 
«'arrêtera ses profanations que lorsqu'elle 
aura nivelé aux sables des déserts les ber- 
ceaux des dvilisatlons primordiales. 

C'est la seience qui a dépouillé et qui dé- 
pouillé, chaque jour, Athènes de ses débris 
magnifiques; qui lui arrache ses bas-reliefs 
et ses métopes; qui lui dérobe ses statues; 
qui. emballe et expédie ses colonnes et ses 
portiques pour la terre du négoce, pour 

16* 



244 

l'Angleterre , où Us vont . s'engloutir dans 
les bosquets biscornus d'un raffinenr enrichi. 

C'esi la science qui' ne tardera pas à dé- 
pouiller rinde de ses monuments de la 
gloire moffole ; qui ne tardera pas à dépecer 
le mausolée de Taage-M^hal, le palais 
d'Âkbar, le Mouti-Mutjid, la perle des mos- 
quées; c'est la science qui laisse dépérir 
les mausolées d'Âkbar et d'Ulla-Madoula, 
pour s'autoriser bientôt à les démanteler et 
à les charrier en Europe. 

Mon Dieu ! quelle manie de prendre et 
de transporter ! Ne ponvez-veus donc laisser 
à chaque latitude, à chaque zone sa gloire 
et ses ornements? Ne pouvez -vous donc 
rien contempler sur une plage lointaine sans 
le convoiter et sans vouloir le soustraire? 

Je ne serais pas surpris si l'on venait 
m'annoncer un jour que les Anglais ont pris 
la lune pour la mettre au musée de la Tour 
de Londres. 

Croirez-vous avoir donné beaucoup d'éclat 
à votre nation, croirez-vous l'avoir fort re- 
haussée , quand vous aurez enfui dans la 
vase de la Tamise , ou dans la boue de la 
Seine, Toeuvre de deux ciu trois mille ans, 
les chefs - d'oeuvre de quinze ou vingt 
peuple ^ quand vous aurez empilé dans vos 



1245 

carre/oars, et dans vos magasins, Romains 
sur Etrusques, Egyptiens sur Hindous, 
Italiens sur Arabes, Grecs sur Mexicains? 

Ctiaqûe chose n'a de valeur qu'en son 
lieu propre, que sur son sol natal, que sons 
son eiel. 11 y a une corrélation, une harmonie 
intime entre les monuments et \e pays qui 
les a érigés, quon ne saurait intervertir 
impunément. 

Il faut à la pyramide, un ciel bleu, un 
sol chauve, 1 horizontalité monotone du 
désert; il faut la caravane qui passera ses 
pieds; il faut les cris d'une population éthio- 

I tienne qui se meut, ou il faut la solitude et 
es hurlemens du. chacal. 

Il faut aux sphinx de granit les longues 
avenues des temples des Pharaons; il font*, 
ou ces hordes bizarres qui s'entre- tuèrent 
à leur ombre, ou les mines silencieuses de 
Karnac. 

- Il faut aux obélisques les pilones du 
temple; il faut le culte du soleil; il faut 
l'idolâtrie de la multitude, ou il faut le 
désert; 

Ces monuments qni versent tant de sublime 
poésie sur les sables arides des Sahara, qui 
proclament la grandeur, la* puissance, le 
génie des races passées , traînées dans le 



246 

sein dé nos villes, dévienaeiit mornes, nmets^ 
stupides Gommê elles. 

La belle tournure que vous a un sphinx 
dans un impasse , entre un cordonnier et 
un estaminet! Le bel elBfet que éelui d'un 
obélisque se profilant sur un hôtel garni, 
entre un corps*de-garde et one maf^mide 
de tisane! 

Hélas! nonobstant toutes ces raisons, 
voici la France qui se met aussi de la partie 
pour faire la traite des monuments, et qui 
s'en met à toute outrance. EUe vient d'im- 

Eorter un monolithe arraché aux ruines de 
ouqsor. Pauvre France!... Combien eUe 
est heureuse, maintenant qu'elle possède un 
obélisqae! quelle g^loire! Réjouis -t en bien 
lang^'temps, ma patrie! L'enfant qui secoue 
son hocliet oublie ses chagrins: puisse ce 
hochet de granit assoupir aussi tes dou- 
leurs, et verser du baume sur tes plates. 

Mais si, comme à l'enfant, il te faut des 
jouets , souvent aussin, ' comnie lui , tvt en 
désires dont tu ne sais que faire, quand 
tu les possèdes. Que vas -tu faire de ce- 
lui-là? 

Pour lui trouver un emploi, depuis un an 
bientôt, les raisonneurs s'évertuent: jusqu'à 
nos députés qui ag^itent cette haute question 



247 

dans lenr chambre. Autrefois/ à Rome^ dans 
une perplexité semblable. 

Le sénat mit aux voix cette affaire importante, 
Et le turbot fut mis à la sauee piquante. 

Berehenx , à quelle sauce mettre cet obé- 
lisque? Berchonx, inspire messieurs de 
ti«tre sénat l — En attendant , par voies et 
par chemins , par monts et par vanx, On ne 
voit quardélions obséquieux, errants, lan- 
terne en main , non pour trouver un homme^ 
mais pour trouver où jucher ce coquet «m- 

blême des rayons, du soleiL Celui-ci veut qu'on 
le place dans 1a cour du Louvre; celui-là, 
au mitan de l'esplanade des invalides; 
celui-ci, à Montmartre, entre deux moulins; 
celui'là, sur le terre-plein du Pont-Neuf, à 
la place de cet Insipide Henri lY. Au fait, 
qu est-ce que slg^nifie un Henri IV? A la 
bonne heure nn obélisque, rien n'est plus 
spirituel! Le plus grand nombi^e, pourtant^ 
opine en faveur de la place de la concorde; 
sans doute, parce que là il aurait Tavait- 
tag;e de couper quatre façades en huit. — 
Pour contenter tout le monde, pour mé- 
nager la chèvre et le chou, le goirveme- 
ment, qui ne veut décevoir personne de son 
espérance, vient d ordonner qu'il en soit 
mis partout; et, pour cela, il aurait, dit-on, 



U8 

octroyé des lettres de marque à une com- 
pagnie de sapeurs chargés de capturer et 
de mettre Fembargo sur tous les obélisques 
qu'elle pourra rencontrer. On ajoute même 
qu'il doit être fondé un grenier d^abondanee, 
pour en me^ttre en réserve et prévenir toute 
disette de cette denrée si nécessaire au 
peuple, et qu'il doit être ouvert un marché 
pour la vente de ceux en surcroît et Tap- 
|)rovissionnement de la province. Toutes les 
quinzaines on affichera leur taxe périodique 
avec celle du pain. 

Je cherclie à plaisanter, mais ma plai- 
santerie grimace, mon rire est jaune; j'ai 
le coeur trop navré; et qui ne devrait 
l'avoir en songeant au sot emploi de l'ar- 
gent destiné à la protection des arts; en 
songeant aux somtnes considérables dépen- 
sées pour l'importation de cette pierre^ 
tandis qu'on refuse à de jeunes et grands 
artistes un peu de marbre, un peu d'or, 
pour immortaliser |a France orgueilleuse 
et leur génie qui s'éteint dans le dés- 
oeuvrement et la douleur! en songeant que 
ions nos édifices restent inachevés, qu'on 
leur refuse un ouvrier, tandis qu'on occupe, 
pendant plus de trois moisj plus de huit 
cents hommes rien qu'à la fouille et au 



549 

percement de la tranchée, en pente donce, 
faite à partir du dé de l'obélisque Jusqu'à 
rembarcadère ; en songeant à Tamour faux 
et désordonné de quelques hommes pour 
les pierrailles antiques, et an dédain pro- 
fessé généralement pour nos antiquailles 
à nous, dont nous devrions être si glorieux, 
pour lesquelles nous devrions être si tuté* 
laires ! 

Malheureux! pendant que vou^ épuisez 
le .trésor par vos conquêtes de sphinx verts 
ou roses, nos cathédrales tombent en ruine, 
nos châteaux se démantèlent; Tabbaye de 
Royaumont, le plus admirable édifice élevé 
par la munificence de Louis IX, qui en 
éleva tant d'admirables, est à demi détruite 
et dévastée par ilne blanchisserie de toiles. 
Pendant qi^e vous remettez des béquets ou 
des empeignes à des Bacclius et des Hermès 
mutilés, vos tombereaux brisent et pul- 
vérisent^ dans le palais même des beaux- 
arts, les piédestaux de l'are du château de 
Gaillon.' 

Tout votre bruyant étalage d'affection 
pour l'art et l'antiquité n'eat qu'une im- 
pudente parade* Si vous aviez réellement 
quelque sentiment du bien et du beau, re-^ 
pousseriez - vous les Raphaël ou le Rem- 



MO 

brandt qiion vous offre pour vos f^altrics? 
Laisseriez -vous disperser les colleetioas 
des cliefs-d oeuvres de maîtres, et souffririez- 
vous que l'étranger en fit sa proie? Vous 
n'avez que des sentiments feints et faox. 
Votre Goeur n a-jamais battu sous les voûtes 
d*un temple; vous n'avez [amals tressailli à 
l'aspect d*ua Murillo ou d'un Corrège; vo«s 
n'avez jamais compris Puget; vous ne savez 
ce qu'est Jean Bullant, Jean VJoconde ou 
Philibert Delorme; vous êtes des cuistres 
aux bords de la Seine, et vous faites les 
poètes aux bords du Nil. Pitié!... Celui 
qui ne comprend pas Saint-VandrîUe, Blois, 
Chambord, Gaîllon, Royaumont, Broii; celui- 
là ne peut comprendre Thèbes. Comment 
celui qui troque la Diane de Poitiers de 
Jean Goujon contre un Âjax de Dupaty, 
comment celui-là comprendrait -il un obé- 
lisque? Vous n'avez pas la religion des 
ajteux, vous n'avez ni la religion de Tart, ni 
la religlop de la patrie: vous voulez simuler 
ce que vous n'éprouvez pas; vous voulez 
paraître protecteurs et jouer les Mécènes, 
vaus affectez de la sollicitude, et pour faire 
remarquer votre sollicitude affectée, vous 
faites des extravagances; vous voulez éton- 
ner le vulgaire par de bizarreries* Peu vous 



N 



251 

importe que vob commis brisent à coups 
de liasses de papiers les vitraux magnifiques 
de la Sainte-Chapelle, vous ne vous occupez 
pas de si mesquines affaires, où vos soins 
resteraient -obscurs ; il vous faut des actes 
retentissants. Il vous faut attirer les regards 
de la foule, et lui extirper son admira^on» 
Vous savez très -bien que ce nest pas le 
sage et le beau qui I ébahit: a'Ous voulez 
l'ébahir : vous agissez pour cela, à merveille^ 
Qu'on amène ici un superbe cheval arabe, 
la plus belle créature de Dieu, le plus bel 
être; nul ne détouroera seulement la tête 
pour le voir: qu'on amène une girafe, ridi- 
cule animal, lit multitude se lèvera aussitôt, 
accourra en masse sur son passage, et son 
entrée sera uo trionîphe. au on iimporte une 
oeuvre de Michel -Ange, qui s'en occupera, 
qui se détournera pour la voir? Mais qu'on 
importe un obélisque, la multitude se ruera 
à l'eutour. Un obélisque, c'est un girafe de 
pierre: votre obélisque aura beaucoup de 
succès! Quelque cent niille niais feront 
Ho!I! en l'apercevant pour la première fois* 
Quelques centaines de paysans de la ban« 
lieue, venant vendre leurs légumes, s*arréte- 
font devant, bouche b^nte, et demanderont 
ce .que c'est que ce machin omé de canards et 



252 

de zigzags:^ on se gardera bien de leur ré- 
pondre en français: C'est nn broche de 
pierre; avec emphase on leur dira, en grec: 
C'est un obélisque monolithe. (Quelle bonne 
chose que le grec pour boursoufler les pla- 
titudes, et pour obscurcir ce qui est clair.) 
Jarnidieu ! sauf Vôtre respect', répliqueront 
ces braves gens, je prenions ça pour une 
cheminée de pompe à feu. 

Gogoenarderies à part, que trouvez -vous 
de si beau à lin obélisque? Comme art, 
comme exécution, comme invention, comme 
galbe, comme effet, c'est un monument laid 
et nul. Voulez- vous donnei' nn idée avan- 
tageuse des Egyptiens et de leur génie? 
Pourquoi donc alors choisir entre leurs 
oeuvres une borne? car, vous savez tout 
aussi bien que moi, et nnîeux que moi, car 
vous êtes des savants, qu'un obélisque n'était 
point un monument, mais une grande borne 
placée vis-à-vis des temples ou desr palais ^ 
pour y. inscrire tout du long les noms et 
prénoms des fondateurs, des agrandisseurs^ 
et des restaurateurs de ce palais ou de ces 
temples. 

^ Voulez -vous prouver jusqu'à quel point 
lès Egyptiens étaient habiles à transporter 
et mettre debout d'énormes blocs ? Bon Dieu ! 



253 

qtti vou%conte(ite l'habileté des Egyptiens! 
nous savons parfaitement qu'ils étaient très- 
adroits* 

Voulez -vous nous prouver que, sur ce 
point, vous êtes aussi forts queux, et que 
vous pouvez, comme eux, dresser sans efforts 
de lourdes masses? Bon Dieu! qui vous eon<- 
teste votre habileté I nous savons parfai- 
t^ement que vous êtes aussi adroits que des 
Egyptiens. Le pont suspendu des Invalides 
et la fontaine de. la Michodière nous ont so- 
lidement convaincus de la supériorité de 
nos ingénieurs. 

On fait courir le bruit, depuis quelques 
jours^ qu'il a été juré, quelque part, un 
serment solennel de contrefaire le plus ser« 
vilement possible Rome et les Romains; 
pas en toutes choses, entendons-nous. Rome 
avait la colonne trajane, on a la colonne 
trajane de la .place Vendôme. Rome a la 
colonne antoniné, on vient de commander 
une colonne antonine pour la place de la 
Bastille. Les Romains, qui ne surent faire 
autre chose* qiie piller et imiter, transport 
tèrent en Italie une vingtaine d'obélisques.: 
on va en transporter ici indéfiniment. Cela 
fait très-bien d'imiter Auguste et Constance $ 
c!»)a>4ora9 UA^ toi|)?ffi«rç fanp^iriA)^* j^iaUO" 



a&4 

Qafait fit redresser Tobélis^^oe de Çaligula ; 
vite, il faut redresser aussi uil obélisque; 
mais eommeut redresser uu obélisque quand 
on n'en a point? la chose est simple: on 
en va cbercber. Méhéaied-Ali est très- 
ahnaUe: il eu donne à qui en vent» Toute- 
fois, TOUS n*én avez encore qu'un seu*!, et 
Rome, en ce 'moment, en possède juste on 
demi«quarteron : vous êtes loin de compte. 
Tenez^vous opiniâtrement à compléter le 
deml-quarteron ? sérieusement affectioMiez- 
vous les obélisques ? (car, po^ur moi, je ne 
puis vous ledissimulerj j'ai le maUienr de 
préférer loaiji; comme le br^s de âécbe de 
Strasburg à deux cents aunes de mouolKhe). 
Suivez mon conseil, fakes-en vous-même. 
Qui voiîs empêche d'en faire? vous- ne 
manquez ^s d'artisans qui vous demandent 
de l'ouvrage. Il fandrait avoir une très- 
insnlta^nilc opinion d'eux poijr les croire in«- 
i^paUes d'un pareil travaîKi' Allez en Pro*- 
ivenee, "iw^S' le: diocèse iie*Tifiéfùn,' ;oiL le 
porphyre dbonde; à l^Esteiiel ^t à Roque- 
brane. En « allant 'de Roquebrune^'su *Muy, 
vous rencontrerez nnemontagne qirf en con- 
tient de niasse de plus de soixante pieds 
de bant^ sur une largeur considérable. Vous 
powrez. y tailkor^ ûomtne les Romains le 



255 

firent autrefois , des colonnes seniblables 
à celles qu'ils tiraient de ia liante Egypte; 
vous pourrez y fabriquer à foison des obé- 
lisques; et, certainement, des obélisques 
de porphyre français, travaillés par les 
artistes français, voudront tout autant que 
des obélisques de granit et d'Egypte. 

Haro! haro sur le txaudetî vont, à ce 
mauvais pr<^os, s'écrier les savants; im- 
bécile! vont-ils me dire, les obélisques n'ont 
point une valeur Intrinsèque; ils n'ont de 
valeur . seulement que par les souvenirs 
qu'ils renferment, les souvenirs dont ils 
regorgent. Songez donc, idiot, que Tobé- 
lisque de Louqsor, far exemple, rapelle 
Ramsés ou Rbamessés III. ( M. Marié n'a 
point encore tixé l'orthographe de ce nom; 
d'ailleurs. Il n'y a d'orthographe que pour 
Jes noms impropres). Rhamessès Itl, quin- 
zième roi de la dix -huitième dyuasrtie 
Comment? vous ne vous attendrissez pas 
au souvenir de Ramsès ou Rhâràessès, le 
même selon les uns, tout aiftre- selon les 
autres que SésostHs, que lé grand Se- 
sostrîs! Cruel, Insensible! comment?. vous 
ne fopdez pas eu larmes à la mémoire de 
Ramsés III. quinzième roi de la dix-huitième 
dynastie! comment^ votre coeur ne palpite 



356 

pas à son seul nom, tenez, que voici écrit 
sut* l'estomac de ces huit singes cynocé- 
phales!. .•• 

Hélas! messieurs, je vous en demande 
bien pardon ; mais je ne puis sympatliiser 
avec vous à ce point. Mon coeur n'est pas 
assez vaste, ni assez élastique pour étendre 
aussi loin son amour et ses affections. 
Votre Ramsès on Rtiamessès III, quinzième 
roi de la dii^liuitièmé dynastie , était sans 
doute un fort bon homme (il ne faut jamais 
mal parler des absents); mais, pour moi, 
sincèrepent, lui et sa grande borne sont 
fort peu de chose. 

Ne pensez pas d ailleurs, .messieurs, que 
la France plus que moj raffole de votre 
Pharaon, ni qu'elle ait jamais eu la pensée - 
de lui élever un autel; et tenez- vous pour 
certains que ce n'est pas le souvenir de 
votre Rhamessès III, qui viendra lassaiUir, 
lorsqu'elle jettera les yeux sur cette borne 
plantée au milieu d'une place encore fumante 
du sftng de Louis XVI. 

P|;trvs BOREL, 






DÉ L INFLUENCE LITTE- 
RAIRE 

DES FEMMES À PARIS. 



Les leinni«s doivent marquer dans les 
lettre» par là g^*âee et H fàeflUé; c'est 1& 
lent' attribut; elles n'ont pas les* oaàlifés 
oplidsées. ' Lorsqu'elles écrivent, il faut 
quelles aient plus de naturel et de déli«^ 
eatesse que nous, et âùi*tout qu'elles né 
sortent pas de ce Iang;a'ge simple, limpide 
et vrai que t* société, ne leur impose que 
^^ce'qne la natnte leur en a' dôi^n^ lo 
sèéMt'à lin ijegré ^minent. ' <« ' ' 

Depfnfis Tèiré cbi^étienné, et surtout 'députa 
teche^àtéi^le, elliis' ont été nssoeiées pÂt« 
tItiMèteÉbeht i restlstence de l'homme, et 
ont augmenté ses plaisirs, ces mêmes, plal^ 
8A%. tî leA-a; partagés avec elles; 9o|ui}ûn 

LXXXV, 17 



* - * • ' * 258 

Les femmes ont créé la vie privée comme 
nous Favons aujourd'hui, qui n'a été connue 
ni ciiez les Grecs, ni cliez les Romains , ni 
à Carthage si riche, si luxueuse, mais 
enfermée en grande partie dans sa vie 
d'a^a(res : elles régnent chez nous par le 
charme d'habitudes plus douces, par le 
droit chrétien, et comme des êtres dont 
rintervention apaise les maux de la vie. 

Avec la venue de leur influence finirent 
{a dureté Tagitation républicaines dès 
vieilles civilisations. Pfus tard, à travers 
le moyen âge, elles adoucirent Thumenr 
sauvage et inquiète des suzerains, et firent 
tomber la férocité du donjon. La douce 
vie de la famille, pleine primitivemeiit 
d'habitudes de guerre, fut leur ouvi;age. 
Grâces à elles, nous avons donc un intérieur 
plus affectueux ,^ mieux lié, une société 
plus étroite de parents et d'avis. 
,j, Cette influence *ubUi^, dps , femmes fyi^ 
secondée ^ar la religion. ^ Etlet* ii'ép«Fita 

I^oint le gén^ejiumaift;* au! cqatr^i^e, .^He 
ni. imprima un véhiculf» de plus et ï^ 
formes nouvelles d'éloquence, et con^mailqim 
à sa rfemaissance , dans des âges grossiers, 
une beauté, une dx>i|.cèur' ejfc une politesse 
qui lui avaient manque dans les so^tm 



259 

anciennes les plus policées* Les Gaules 
devinrent en particulier, sous cette actiou 
morale, le pays de l'Europe où Texpressioa 
de la chevalerie présenta le plus de hauteur 
morale et de physiognomie spirituelle et 
élégante. Cette expression est incontestable^^ 
ment l'oeuvre des femmes. Elles lont fait 
solliciter tous les jours durant des siècles^, 
par une opinion publique, leur oeuvre, la« 
quelle nous a demandé sans cessç des pro- 
grès. 

Précisons ce fait : Leur influence, à elles, 
se puise dans Texaltation intellectuelle qui* 
prépare ujie civilisation nouvelle avec la^ 
foi chrétienne, et ce sentiment du sublime 

3ui se réveille confusément après des sièelesi 
'arrêt ^ans les races humaines. Consi- 
dérez-les à ces moments du renouvellement 
so^ral par les idées chrétiennes. Partout 
elles poussent Thomme aux actions géné- 
reuses; partout les conseils qu'elles lui 
donnent sont les. plus beaux et lea, pl«s 
sûrs pour nos destinées; . elles n'aimçxiii 

Îu'à la condition que l'dn se surpassera. 
lë chevalier obéit à leur voix , et porte 
leur image et leurs douces et fières paroles 
jusque dans les combats. Rlçn de grand 
li'a lieu sans que leur pensée n'y prenne 

17 <^ 



26a 

une part; elles jettes nos pères sur toutes 
les routes de la science et de rhérdïsnie, 
encouragent toutes les conquêtes morales 
et suscitent chez^ eux^ en éveillant les pins 
ddux sentiments, la pensée ardente a at- 
teindre a une perfection jusque-là idéale: 
no^- ancêtres s'y élèvent. — Grâceis à elles 
ddnb, la société française marche plus ra- 
pidement dans les routes de la civilisation. 
Lorsque cetjte civilisation devint plus 
générale, la splendeur théâtrale des moeurs 
chevaleresques s'affaiblit; l'influence des 
femmes ne se produisit plus de même , 
changea de formes ; elle parut moins mani- 
feste aux yeux de la foule, parce quelle 
devint plus intime; an fond, elle se rap-^ 
prochà seulement de Vhomme, et entra dans 
)3<?n coeur. Ce second rôle qui était plus 
grand, plus actif, quant au pouvoir, les 
fixa dans les châteaux; avec la paix et la 
^rédoîminahce définitive de la couronne^ 
eltei yôlèrent à la coui', ^^dans cette demeuré 
dôVcW et opulente, où leur absence eut 
ressemble & un printemps sans' foses^^, 
commfe Ta dit le plus galant de nos mo* 
narques. Là, était leur empire! là^ elles 
reprirent, à tous lés yeu3^, leur ascendant, 
et nous donnèrent des leçons d'qne polftesso 



ebàrniiinte. Elles y portèrent les ggâl^ 
paisibles , distingués' et plus élevés a une 
civilisation avancée. Elles y perfectionnèrent 
les idées et le langage, et y sîmpU^èrent 
.encore la vie puissante, de manière à lui 
imprimer un charme inexprlinabl« ; elles 
finni aimer la, cour, ce qui ai 4a singulièremeat 
les Richelieu, les Mazarin, les Loui^Al^ 
à jeter à terre le reste de la puissance 
féodale, ce berceau de leur influence et 
de leur gloire. 

Sous Louis XIV et Louis XV, les 
femmes maintinrent leur Influence sous. des 
formes encore plus simplifiées^' en se souf 
mettant, eti apparence, à des opinions Je 
supériorité masculine qui s'étaient établies. 
Comme avant, leur influence n'y perdit 
pas. Une éducation de jeune homme n'était 
suffisamment faite, sous cette monarchie, 
que lorsqu'elle s'était achevée dans ce^p 
sociétés polies, oii^ quelques femmes, et 
.souvent les pins âgées, régnaient au nom 
de Fautorité du goût, de la raison et des 
pins aimables vertus. Qui ne s'explique 
donc comment, soutenues dune manière 
anssi vivace par les idées et les habitudes 
des classes le plus éclairées, bien q.u'étrau- 
gères à Fart proprement dit, les femmes 



262 

aient dû écrire souvent des ieUrts admirables 
de naturel, d'éloquence et de finesse d'ol>- 
servation ? 

Sous Louis XIV même, les femmes ne 
furent pas, en général, pédantes. Aussi 
ne firent- elles pas de cette poésie classique 
qui dépassait leur forces, bien qu'elles 
eussent pu faire les vers aussi bien qu'au- 
jourd'hui. 

Elles font maintenant de la poésie en 
écoutant leurs inspirations dans une langue 
assouplie et plus libre, dont elles con- 
naissent les secretfif, et conseillées seule- 
ment par ce sentiment des choses et des 
convenances qui précise tons leurs entre- 
tiens. La poésie de Boileau devait leur 
être rebelle; et en effet, si elles ont pu 
exceller à écrire des lettres, c*est par lés 
moyens contraires, par des qualités spon- 
tanées; c'est quelles se sont traduites sans 
appareil, avec vivacité, et sans autre guide 
que leurs pensées, avec cette facilité à se 
développer que trouvent les belles plantes 
Naturelles sur les terrains qui leur sont 

firopres. Lé snjet, et l'émotion éveillée par 
ni, leur donnent le reste, ce style rapide 
et naturel conime la parole: c'est dans 
l^urs habitudes sociales quelles puisèrent 



208 

leis gk^ces et 1& dëlicatescre ie leur 
style. Aujourd'hui 9 laissez les écrire de 
cette façon la poésie, et elles s'y élèveront 
Cquels que soient les sujets, pourvu quMIs 
tombent sous leur observation, et* qu^elles 
puissent y laisser quelque chose aiellès- 
mêmes) à un vers plein, naturel et librè^ 
à des beautés touchantes; laissez-les faire, 
et vous aurez une poésie facile et riche 
comme la prose, capable de rendre ce 
qu'elles sentent comme elles le sentent, et 
non les produits d'un art aride qu'elles ne 
savent pas. 

La nouvelle école littéraire des femibeé 
est entrée dans ces voies libres, fécondes; 
et l'opinion qui essaie de nouveaux systèmes 
pour ag^randir l'art, Ty a soutenuCf Ces voies 
nouvelles sont frayées par elles; nous trou- 
vons déjà dans leurs poésies des peintures 
vraies « de la vie privée et beaucoup de 
sentiments intimes. La poésie n'est plus 
dans letfrs mains qu'une langue prédsè et 
pittoresque. Sons les mains même ' des 
plus habiles, elle peut doAner jusqu'à l'ex- 
pression des nuances les plus fugitives, des 
sentiments et des faits. Elle j^eint dds 
choses ^ que l'ancienne poésie ne sftyafi 
pas dire. Cette poésie simple, 'langage'^ 



reflet àe la vie iniprle^ve , est celles des 
femmes , qui tieiment le steptre poétique^ 
âe mesdames ,Desbprde3 Walmore, Tastn, 
Delphine Gay, madame Ségalas. Je m'ar^ 
réterai à, la dernièjre de ces, dames, dont 
Jfi^ prjemîères. pièces ijafi sjemblent appartenir 
pleinement a la nouvelle ilirectioD. ;El]e a 
moins d'expérience, mais elle.^e lance plus 
franchement d'elle-même. Puisse.une obscure 
approbation lui donner foi en son génie, en 
fia poésie , en son éloquence ! Les dames 
i|ue Je viens.de nommer, et auxquelles se 
lie soii avenir, sont douées de talents 
cl^arman ts, .mobiles, assouplis, et profonds 
sur quelques questions, comme deis pensées 
et des âmes de femmes. 

Madame Ségalas a des sentiments pro^ 
fonds, et des pages nettes et animées; elle 
élève son vers et ses images, quand la 
poésie du sujet s.elève. Son v^ers, cela 
est manifeste , vient après sa p.en,sée; et 
pour son drame, Jl est simple, cplorjé, harr 
mQnieux, .et toujaur^t lib^: il nest qu'une 
fornpe. .av^c laqi^çlle, ce poëte pçint et 
anime son sujet Ce n'est pas sou tour 
sfei^l qui vous émeut, mais .ce sont les 
p^eJiséjeajf}u'i|:, exprime,, çt une empreinte dç 
^açÇp^ifl ra^ p^é^é de l'imagioatîoii 4e:le4ïi?lr 



1M5 

vain sur lui. Dan^ tout cela, mon Dieu! 
si madame Ségalas a songé à. ce que vous 
Ta^felez Tart, ça été judicieusement, ra- 
pidement, comme on songe à une règle de 
grammaire, de nombre, à 1 accessoire d'une 
cliose, lon^qu'on veut surtout montrer le 
principal, cette chose même. 

Madame Ségalas aura un jour toute sa 

f^art de gloire dans cette simplification de^ 
a poésie. Il faut la compter , malgré sa 
j.eune8se, et à cause de ses ouvrages, aa 
nombre des habiles esprits qui nous donnent 
Ta poésie intime, le vers sans lisières.;^ 
Il y a là un titre, une fleur charmante 
pour sa couronne! 

Mais,,^en vérité, ce n'était pas chose 
facile que ces changements délicats et si 
justes dans le langage, que ces perfection- 
nements des règles par lame qui les a 
révues ai^ milieu des trésors >d'émotions, de 
souvenirs^, de. comparaisons? non certaine- 

— r 

*) Lai Pologne, considérée dans ses antiquités, dairis 
ées' ntàHi^tirs héroïques,' dans ses" espérance^, 
Vient : di' lui 'ômnvi'r le ixujet d'une bieo belle 
élég^ie^ où la parol« polonaise a -paMé avec 
toute sa vie, sbl couleur locale. V^jyez la f^ieille 
Pologne, recncil touchant, monument élevé à ça 
g-îoire* par M. Porster, un de ses braves offt- 
<• eiierf , *pâèjsri dé^ bcttaiU^^s.anx tnitsed béroïques* 



M6 

ment, et ces eliangements sont trop benrenr, 
trop brillants, pour que la critique n'en 
rende pas la douce gloire à qui de droit, à 
quelques jeunes femmes ! Laisser la langtie 
aune époque comme la nôtre, pleine de 
nuances déliées comme ses besoins moraux 
de société vifiillie, d'exprèssiotis vivantes, 
lui laisser uu *tour plus naturel, plus pur 
et plus vif, lui ôter les lang^uetirs d'un art 
qui ne sait pas assez puisqu'il est toujours 
le même, et comme mort, et donner à sa 
place la pensé dans toute sa chaleur, c'est 
faire beaucoup! c'est toute une révolution 
littéraire! et par des femmes, et à petit 
bruit! le fait nijérîte d'être noté. 

L'influence* de ces délît^atésses de la 
diction se communique aux eçpritéi les plus 
vigoureux, qu'elles ornent et douent le 
plus de tact; et puis comme c'est 1^ con- 
versation privée, la parole avec toutes ses 
facilités , son jeu croisé d'expressions ani- 
mées sur les mêmes, sentiments et les 
mêmes pensées qui enrichit réellement la 
langue pariée, les femmes qui. savent la 
tempérer, en s'y mêlant, par des traits 
plus doux, donnent à l'improvisation des 
effets gracieux et naturel^ qui. lui manque- 
raient sans elles. Là, le .détail esli leur 



267 

grand objet, leur grand suecès; elIiBA lui 
prêtent leur feu et leur délicatesse d'esprit^ 
et tous les charmes d'une faiblesse char- 
mante. Ne croyez pas que tout cela soit 
TefFet de la seule cominotion iutelléctuelte, 
et soyez certain .que leur esprit a fait des 
combinaisons rapides, mais sûtas. Le propre 
des facultés distinguées est de s'étudier, 
après quelques premières expériences, pont 
tirer d'elles-mêmes des vues et marcher. 
Pour cela, j aurai confiance dans les di- 
rections de ces esprits délicats qui sont 
tout sensîliilité, raison rapide; Les femmes 
renouvellent aujourd'hui quelques parties du 
champ littéraire ; tenons -leur compte de 
ces efforts et de leurs succès. Elles ne 
viennent pas avec des récits d'ttne éloctrtlon 
charmante nous régenter; elles ne viennent 
simplement définir des choses de tact et 
déliées , nous approcher d'objets almaibles 
qu'elles peignent mieux que nous, mettre 
sous nos sens des beautés que noûis n'a- 
percevrions pas si elles ne les avaient -pas 
vues; et remarquez comme - elles les 
ont vues nettement! 

Nous devrons à leur influeuce -présente 
qui, comme au sein de tontes les sociétés 
polies, nens ramène à une aimpliçité arti- 



268 

stiqiie de langage, une prose plus* natu- 
relle et plus expressive dans les relations 
sociales et privées , et une poésie plus 
vraie pour retracer nos sentiments ordi- 
naires. 

Jusqu'à présent on s'était trop exag^éré 
les difficultés nécessaires dé lart de vers. 
Ce sont prééisénient ces difficultés qui 
faisaient de la poésie un laqgage fatigant 
pour tout le monde ) et sans vérité comme 
reproduction. Abaissez pour les femmes 
lea difficultés à la simple €4>nnaissance de la 
langue, comme les gens bien nés l*^criveMt, 
et aux règles du rbythme^ et elles feront 
des vers dout le sentiment et la texture 
seront palpitants^ . qui copieront des sen- 
sations, des pensées, des nuances bien dé- 
mêlées; comme cela, elles vous traduiront 
«dans une douce et belle langue le drame 
de quelques parties de la vie actuelle, ex* 
primé comme elles Tout vu et senti.. Ce 
dram^), pour se déployer puissaiit, n'aura 
besQÎn iq.q^ c)e la seule éloquence que ses 
traits , principaux gardent dans leur coeur; 
car, en elles, la vie passée privée s^éteint 
moinfit vite, car elle a été l^nr grande 
affaire^ Les peintures ^en vers qui étaient 
faites • autrefois, par les femmes^ étalent 



269. 

trop soumises aux arrangemente de l'art. 
-^ Où perdaient-elles leur caractère origloal ? 
dans ce travail. — A< la dernière épuration, 
vous aviez les formes et les idées con- 
venues de l'école, mats vous n'aviez pas 
l'objet que voils aviez' voulu peindre, le 
sentiment que vous pensiez traduire. Lais- 
sons donc les femmes faire libremey^t les^ 
peintures naturelles. 

Quelques traits signalent souvent, selon 
nous, dans une jeune femme le don de la 
poésde. Précisons nos conjectures: des 
traiter déliéats que vous voyez chan^r 
facilement, au son de la voix, sons l'im* 
pt*essiori deS' objets , l'atfenti^n timide dui 
regard, mai$ l'attention prolongée, une 
parole coupée qui néglige souvent les trau*-. 
sitions pour se montrer rapide, pour mon- 
trer cette intelligence du grand qui no 
saisit que ce qui' a de la supériorité. -^ 
Dans là <;onàtitutioil , cette énergie fébrile 
et supérieure que voiis vbyez toujours,' qui* 
use, mais comm^linique Tinspiration , et ^fàé 
les belles santés ne se donnent qu a leur 
iétrîtlkéti/t , jointes à certAines moUessed 
enivrante» du corps, du regard, h uiie 
spontànéilé de mouvement éaiis ï» ûgvàte 
qui indique que la vie intérieure eef nctive- 



272 

vbus aviez été frappé par runioii d^nne 
raison fine et abondante à une ihémofre 
ornée par lobservation. Son ciocotian, que 
la liberté rendait séduisante, brillait pal** 
ticulièrement dans un petit cci^cle, devant 
quelques amis, dans un jardin, auprès d'un 
balcon couvert de belles fleârs, comme on 
eu remarque à Edimbourg; ou as^iise cbez 
une amie, en face de belles eaux blettes 
du lac de Fortli^ à la lumière d^un soleil 
mourant, ou durant une belle soirée. — ^ A 
Edimbourg, les impressions qu elle laissait 
ne sont pas effacées. Le charnfe de sa 
personne vit toujours dans la société; quand 
on parle d'elle, son souvenir émeut comme 
si sa personne était encore sur les lient où 
elle a passé et brillé dontement pendant 
quelques années. 

Une dame qui est aujourd'hui la gloire 
poiétique d'Ecosse, madame BalNie^ a été 
rinterprète-de ces» regrets de tout lé' inonde, 
dans une pHècede vers dont Ik formé étléê 
s^entiments appartiennent éïdùfinvèmeiMf <& là 
BOttvelie poésiei- ^ '^'f ; . 

L(&» vi»lci traduite jmr une atttfe main de datais. 
viMs de notre société. Ce tradircteur a cacAtI 
m^etttement son nom=, et a voulu nMit> donÉei^ 
un {iiai)slf sMiiiwremp^rf^ nu âfcj 



273 

Le malade qui veille et qu'on entend gémir 

Avec i^anbe du jour ne la voit plus venir. 

£n vain croitil encor, lorsque l'horlog^e sonne, 

Keconnaitre ses pas suh les feuilles d^automne. 

Elle ne viendra plus! Dû lit des malheureux 

L'ange consolateur a volé vers les cieux. 

Et le vieillard infirme, isolé sur la^erre, 

A reçu de sa main soii aumône dernière. 

Au sein de Topulencé, un mniide plus brillant 

Partage la douleur de Thumblé paysan, 

Ef l'on pleure en ces lieux, où s'animant par elle 

Tous les discours prenaieut une grâce noiivelle. 

Mais qui peut exprimer les angoisses du coeur 

De cet époux veillant près du lit de douleur, 

Qui y reudant ^râce au ciel d'une union chérie, 

Trouvait dans son amour le bonheur de là vie ? 

Il reçut d'uu regard Tadieu silencieux. 

Et déjà comme un ange elle entrait dans \e$ cieux 

O vous qui me lisez, et dont l'âme est émue. 

Vous k qui cependant elle fui inconnue, 

Vous qui. Axant yos yeux sur Tborifon loiotaiu, 

Pt'avez pu contempler sous un beau ciel serein 

Lu. chaîne de ces monts, par la neige blanchie, 

Dont s'orne à nos regards notre heureuse patrie ; 

Étrangers, dans vos mains tournent rapidement 

Les pages de ce livre où son talent charmant,'*) 

Sous ces Accents du coeur qui savent toujours plaire, 

"Noua cache cependant une leçon sévère; 

Où souvent un seuf mot, baume consolateur. 

Pénètre doncement dans les replis dk coeur. 

Sa vie et son génie étaient à leur aurore ; 

Heureuse et confiante , elle écrivait encore. 



*) Laurû de Monirevilie, 

XXXXV. 18 



Î74 

Mais, hélas! étrang^ers, les înots sont suspendus , 
Et sur le papier blanc qae. dé pleurs répandus ! 
Dans les climats iointi^tnft^Akins ta vieille Ang^leterre, 
Étrangers comme fiQJ&s^ tou^ l'aimaient sur la terre ! 
Peut-être en ce iiipva}mt,^g^,' esprit radieux» 
Les accents de téf voîif* péi^rent daiis les cieux, 
Dans ces parvicrB4cr& to/i'âme simple et pure 
S'enivre près.de^ieifîàu\sêul bonheur qui dure. 
Oui , le coeur a besoiiC "quand il a vu mourir, 
De croire à la patrii^^lilr rien ne doit finir : 
£t cet être créé par le Dieu de puissance. 
Auquel le sang^ d'un dieu rendit' son innocence , 
Doit vivre plus d'un jour. Appui des malheureux, 
Douce et sainte croyance, ouvre - lui donc les cieux. 
Dis -lui: ,>Tn sus remplir ta mission d'amour; 
Tu vivais pour aimer: on t'aimait à ton tour. 
Qu'aurais -tu donc encore à faire sur la terre? 
Ange venn du ciel , retourniir vers ton père l ^^ 

L*ÂnTEUR 

JfÉUsa Rwers et des Scènes du grand monde. 



LA SALLE DESPAS PERDUS. 



Elle a depx cent vlngt-denx pieds de 
long sur quatre-vIiigt-quRtre pieds de large. 
C'est, dit-on, la plus vaste salle qui existe. 
Là trdnèrent les premiers capétiens , ces 
rois de fer qnl jatoniient notre histoire 
comme des trophées d'armes. ï/à trônent 
les rois de. notre époque, les avocats. 
La vieille salle, la grand'-salle dtt moyen 
' âge n'existe plus. Un incendie la consuma 
dans la nuit du 5 au 6 mars 361S.' Ce fut, 
dit le Constilulionel du temps, l'oeuvre des 
jésuites, qui voulaient anéantir les pièces 
du procès de Ravaillac. Pauvres jésuites ! 
ils sentent le soufre d'une lien: pas de 
brûlure d'hommes on d'écrits où l'on ne 
s'obatlne ivotr leur mèche. Hais le greffier 
18» 



276 

'Voisin, homme prudent et soigneux comme 
tous les greffiers dia^ monde, s'empressa 

* de mettre ses arcbive^en sûreté. 11 justifia 
les jésuites, Jt%onHét'ë pltfmitif, pûijique les 
pièces du p^dès|.sauvées , il n*y eut pas 
contre eux iWplifà -petit mot à dire. Qu au- 
raient-Us doncLvetilu brûler? Le greffier? 
Les révérenaif^&'ës blancs comme neige, 
la grand'- salle n'en demeura pas moins 
brulee, et ce fut dommage. Mieux eût vain 
Voir arder toute la paperasserie de maître 
Voiçin, qui sait?- maître Voisin lui-même, 
et une demi -douzaine de robes noires ap- 
partenant' à la très -sainte société, que de 
perdre en une nuit, en quelques heures, le 
plus vénérable monument de cette guer- 
rière et cbevaleresque époque qu'avait 
effacée la renaissance, et qu'allait reléguer 
dans la nuit des temps , sur les confins 
des époques grecque et romaine, ce siècle 
roide, guindé, aligné comme une allée de 
Le Nôtre, qui prit le nom de grand ,^ pour 
lui et pour son roi, rhéritier de Richelieu, 
qui n'était pas grand! 

Là, debout, immobiles, appuyés sur leur 
framé, ou leur glaive, ou leur scepti*e, 
vêtus de fer ou d'hermine, chevelus ou 
barbus ) figuraient tous les rois de Fruiice^ 



277 

conquérants ou nationaux ^ Francs on Gal- 
lois, depuis Tinamovlble Pharamond jus- 
qu'au roi chevalier, qui se laissa battre 
et prendre par Charles-Quint, prendre et 
tner par la belle Ferronière. Dans le silen- 
cieux congrès, Vusurpateur coudoyait le 
légitime, et, suivant Tordre invariable des 
dynasties, la maire du palais, passé roi^ 
flanquait le dernier des Merewig, Théritier 
royal des ducs de Paris avait pour serre- 
file le dernier des avortons couronnés de 
Karl-le»Grand. L'incendie confondit tout, 
consuma tont , roiç et dynasties. 

Ne nous faisons pas toutefois les pkuuurs 
JHwnère. Leur heure serait plus tard venue 
à ces rois de bronze, et le spectacle du 
colossal médaillier n'eût pas réjoui les 
yeux ' de nos jeunes rerouenrs de moyen 
âge. Le puritanisme de nos premiers répu- 
blicains était tant soit peu Iconoclaste; Il 
n'avait pas pour les fleurs de lis royales 
les yeux de M. de Salvandy. 

Mais sans doute il eût épargné Tinno- 
cente table de marbre qui remplissait tout 
entière l'une des extrémités de la salle, 
cette table où les enfants de Robert -le- 
Fort donnaient leurs festins royaux, ou la 
basoche régnanu et triomphante Wi^xémathM^ 



Î78 
avx jours des grands ébàsienunis et fcyeusais^ 

BttL farces y ses mùraUiés, ses sotties» Cnrfeax 
objet d'ftnslyse que cette royauté qat, 
encore à fleur de terre, |>artag^eait fami- 
lièrement avec le menn peuple ses saHes 
de cérémonie, tenait ses assises en per- 
sonne an pied d'un cliéne, pour s'élever 
plus tard, invisible et tonte -puissante, 
jusqu'à son apogée de Versailles, pois re- 
descendre, modeste, et bien aprise, jus- 
qu'à la pronrenade bourgeoise et aux 
poignées de main : arc de cercle mystérieux 
qui s'écarte peu à peu de la tangente po- 
pulaire, et qui revient invinciblement s'y 
perdre pour obéir aux lois de sa nature. 
Le bon. vouloir des rots de France pour 
la basocbe tenait du resté un peu* du cou- 
sinage; car la basoche aussi avait son roi, 
roi librement élu^ roi aveuglément obéi, 
qui traitait parfois de puissance à puissance 
avec son cousin du Louvre, et qui, en bon 
et loyal allié , lui prêtait au besoin^ l'as- 
sistance de ses dix mille sujets, hardis 
fl^arçons, toujours d'humenr à. déserter 
'huis du procueur, et à changier )a 
Slume pour ia lance. Les armes royales 
e la basoche témoignaient de l'estime 
qu'on faisait de ses vertus guerrières. Un. i 



casque sanuontalt son écusson chargé de 
trais ëcritoires^ et supporté par deux jeunes 
filles nues. Aux basochieDS, comme à leurs 
héritiers, les joyeuses amours, ies amours 
de mansarde, les jeunes filles dont la 
toilette n est jamais si belle que lorsqu-elles 
n*ont pas même un cotillon ! 

Heureux roi de la basoche qui percevait 
ses impôts sur son cousin de France, le- 
quel, pour prix de féaux services, l'au- 
torisait à couper trois arbres par an dans 
ses forêts, qui rançonnait le parlement, 
et qui ne levait d'autre contribution sur 
ses sujets que le béjaune des nouveaux 
venus! Heureux état dont le budget entier 
s'écoulait en ébattements joyeux, en frais 
de costume et de musique, en galas, le 
jour ou, leurs drapeaux écussoilnés en 
tête, les enfants de la basoche allaient 
donner des aubades à leurs dignitaires et 
anx gros bonnets du parlement! 

Pauvre basoche! on lui vola son rot. 
Henri HI, d'équivoque mémoire, s'avisa 
d'en prendre ombrage. Lui, roi à deux cou- 
ronnes, lui qui avait été roi élu, il sup- 
prima d'un signe de tête le rival modeste 
qu'élevaient sur le pavois des clercs de 
procureur! Le roi de la basoche disparut « 



avec son confrère Tempereur de Galilée^ 
comme avait disparu le roi des ribauds, 
eomme disparurent ces. myriadesv de rois 
qui gouvernaient les corps de métier de 
ce Paris aujourd'hui révolutionnaire, et 
qui a taiit de peine à en souffrir un. 

Mais le royaume ne périt pas avec son 
chef: régie par un chancelier 9 la basoche 
conserva f(|rce et vigueur jusqu'à lu.révo- 
lution; arrivée là, etie s engouffra dans 
l'hécatombe des institutions du passé; elle 
8*y précipita joyeuse , avec son uniforme 
rouge et ses épaulettes d'argent. Héroïque 
et dévouée, elle déterra des fusils aux in- 
valides, et vint avec le peuple, prendre la 
Bastille; en la nivelant au sol, elle sapait 
son privilège, et ce fut de grand coeur. 
L'uniforme rouge fit place à l'habit noir 

. le basochlen au clerc d'avoué. Cest bien 

. terne un clerc d'avoué! 

Tout s'en va et tout vient à point en ce 
monde. Nous vivons en un temps nivelé, 
monotone» qui ne rit .plus. C'est merveille 
comme ces centres de joyeuseté et dViU- 
torité que le vieux régime avait créés ont 
perdu toute analogie avec nos moeurs, en 
disparaissant de nos usages. ' Qu'auraient 
affaire avec nous les gais basochiens? Vtï 



281" 

saute -rBÎssean d'huissier se^ regimberait 
tout rouge contre un roi, n*eût-il qu'un 
sceptre de papier, et pour écusson trois 
écrîtoires. 

Je revîeus à ma grand'-salle: brûlée, ou 
la rebâtit , on fit du grandiose et du beau : 
& la simple couverture en charpente suc- 
céda une double voûte en pierres de taille, 
divisée eu deux nefs égales par un rang 
de piliers et d*arcades. De grandes ou- 
vertures cintrées et vitrées aux extrémités 
de la salle, des oeils de boeuf pratiqués 
dans les flancs des deux voûtes pourvoient; 
suffisamment de lumière ce vaste promenoir: 
telle fut l'oeuvre architecturale de Jacques 
Besbrosses. Quant à la décoration inté- 
rieure, aucun ouvrage de la statuaire ne 
vint remplacer la rovale généalogie, et ce 
n'est que de nos jours quon a installé 
dans une niche une statue de Malesherbes, 
sauvée, dit- on, en 1830^ de la fureur du 
peuple, et quon aurait dû immoler aux 
antipathies des connaisseurs. Â propos de 
Malesherbes et de sa statue, lin savant litté- 
rateur qui m'honore de sa bienveillance, 
infatigable compulseur et redresseur de faits, 
grand dénicheur de réputations usurpées, 
comme Tabbé Delaaoa^ était un ^rand dé- 



2$2 

nicheur de saints, m'a expressément comr 
mandé de pin)tester, dans cet article, contre 
tin éloge donné à Tancien ministre de 
Louis XVI, par l'inscription placée an bas 
de la statue. II y est dit eu latin ^ pour 
que tout le monde le comprenne, que Males- 
herbes donna la liberté, nux ptisonmers. Or il 
résulte d'un ouvrage publié sous Louis XVI, 
par un intendant- général du roi, que, 
pendant la durée de son ministère, Males- 
herbes fit mettre en Uberté trois intUçidus 
détenus par lettres de cachet. Je devais 
à mon savant ami cette satisfaction. Ad- 
viendra ce que pourra de la réputation de 
Malesherbes. 

Finissons-en avec les murs et les plâtres: 
parlerai -je de l'étage immédlateodent placé 
sous la salle des Pas-Perdus? demanderai-je 
à ces chambres, les uneis saiis jour, les 
autres- pourvues d'un jour blafard , les my- 
stères gastronomiques du pot au feu de nos 
pères, car là étaient les cuisines de sahit 
Louis? vraiement '.non. Le coeur manque 
à Taspect de ces salles. Là naguère encore 
étaient les prisons et les cachots de la Con- 
ciergerie. Ces murailles nues ont long- 
temps suinté le sang; là eurent lien les 
massacres de septembre. 



2S3 

La salle Jes Pas-Perdns n'a pas ees 
•horribles stig^mates , ces sanglantes tradi^ 
lions. De Tancien régime elle n'a guère 
perdu que sa messe rouge qui se célébrait 
naguère à Noti'e-Dame, et qui, je crois, 
ne se célèbre plus du tout. C'était ptfur 
la rentrée solennelle du parlement^ fix^ au 
lendemain de la Saint- Martin. ^Dans la 
>) grand'salle , dit Dulaure, était alors dë- 
>> ployé un autel dédié à saint Nicolas, où 
yylon célébrait la messe du Saint-Esprit^ 
„dite aussi la messe rouge ^ parce que les 
„ présidents et conseillers y assistaient en 
j^robe de cette couleur. MM. les gens du 
y» roi recevaient les serments des avocats 
y^tt des procureurs^ • Les présidents et les 
„ conseillers , dans cette cérémonie, se sa- 
>^luaient réciproquement, non à la/manière 
>^des hommes, mais comme le font encore 
»^uelques femmes , en fléchissant et en 
» écartant les genoux.** Singulier spectacle, 
et qui prouve jusqu'à quel point réliquette 
et Tesprit de corps peuvent façonner aux 
plus stupides bizarreries. Qu'on se figure 
soixante graves personnages vêtus de rouge, 
se repliant sans rire sur eux-mêmes comme' 
des écrevisses ! 

Privée aujourd'hui de messe ronge et de 



284 

salutations féminines, la saHe des Pas- 
Perdus n'est plus qu'un vaste vomitoire, 
où va^léborder pêle-mêle^ marchant, courant, 
se heurtant, se coudoyant, musant, causant, 
dédamdnt, gesticulant, toute cette popu- 
lation à part qui vit des tribunaux et qui 
les fait vivre. Là circulent, s'entretchoquent, 
aux heures d'audience, la magistrature 
assise et La magistratore debout, l'avocat 
qui fut ministre, côte à côte de l'imberbe 
licencié, 1 avoué riche et Tavoué à enrichir, 
la partie demanderesse et la défenderesse, 
qui se dévorent des yeux en s'apercevant, 
]^endant que leurs avocats se donnent une 
fraternelle poignée de-maiès; les gendarmes 
de la banlieue, les gardes municipaux, les 
huissiers, les témoins, le^ prévenus, les 
plafgnants, tout ce mobilier des cours et 
tribunaux de justice, les clercs d avoué, 
depuis le saute -ruisseau musard qui s'en 
va, les mains dans les poches, chercher une 
expédition au greife, jusqu'au grave maître- 
derc qui rumine YOrmiopro Munna, qu'il 
va prononcer à l'audience de référé. C'est 
un mouvement continu et régulier dans sa 
diversité; c'est un bruissement monotone, 
où aucune voix ne prédomine, et qui res- 

aembie asse^ au mugissement périodiq 

u 



285 

de la mer. Tout passe, s'en va et repasse^ 
affairé ou non, les plus désoeuvrés paraissant 
les plus pressés, pour l'Iionneur de la robe^ 
Seuls immobiles à leur poste, les écrivains 
pulilics^ voient circuler ce tumultueux bour- 
donnement, sans s'en émouvoir. Assis au 
coin des piliers, à de maig^res échoppes, 
dont la voûte de la salle leur économise la 
couverture, 8*éventant 1 été, pompant Tbiver 
la chaleur bienfaisante duu réchaud, ils 
taillent leurs plumes, quêtant la pratique 
d'un oeil fin, et sans déroger a leur dignité* 
„Oii donc est-ce la police correctionnelle, 
monsieur l'écrivaid, s'il vous plait? Voyez 
le malheur! je suis citée pour témoigner. 
— Devant quelle chambre, madame? (et 
l'écrivain règle son papier sans lever les 
yeux.) — Plait-il? c'est une vilaine femme 
qui demeure sur mon carré, et qui a affronté 
û portière et sa demoiselle, fi, Thorreur! 
Je viens témoigner contre elle, comme de 
juste. Mais, pardon, mon bon monsieur, 
c'est pour dix heures: où est-ce donc la 
police correctionnelle!-^ On ne peut done 

{^as savoir devant quelle chambre ? (11 regarde 
a bonne femme et renatarque d'un clin d'oeil 
non son visage de soixante ansj mais ^son 
schall de laine à fond noir, sa robe de 



280 

mérinos fraîche et proprette, ses souliers 
neufs, il radoucit ^ voixO^ — La septième 
cliambre! en faee ù droite, madame, von» 
monterez ce perron à double rampe. -—Mercl^ 
mon bon monsieur. — Pardon, madame/ vous 
vous Intéressez à la plalgnfinte. à votre 
portière ? — Dame, monsieur l'écrivain, quand 
on est dej^uis vîng^t ans dans la même maison ; 
et puis c*est une femme agréable, honnête, 
et qui a de quoi! — Â-t-elle un avocat? — 
NennI,. monsieur, elle n'aime pas la dépense; 
mais son aifrontense en a pris un fameux, 
qu*ou dit: tenez, la voilà là-bas, avec lui, 
ce petit, gros, rouge. — Il faut dire à ma- 
dame votre portière de se faire défendre, 
de prendre un avocat; autrement elle perdra 
pour sûr, et Dieu sait si elle s'en trouvera 
mal au logis. — Je le lui ai dit bien des 
fois» Est-ce qull est encore temps? — 
Certainement, madame; les avocats, c'est 
toujours prêt, les bons, s entend. Tenez, 
voici uiie carte, elle n a qu*à demander ce 
monsieur aux huissiers. Ils le connaissent 
tous. C'est un habile homme, je vous le 
donne de confiance. „ Ln pauvre femme se 
confond 6n remerciements, et rejoint en 
courant son amie la portière. L'adroit proxé- 
nète se rengorge; c'est à peine si,* durant 



a87 

ce dialogue 9 il a levé un instant les yeux 
de son papier, sur lequel il vient de tracer 
lin M majuscule. Quand la vieille a tourné 
les talons, il la désigne prestement du regard 
à. un grand efflanqué d^avocat , qui allonge 
le pas en sifflant un air de Pont -Neuf, et 
a déjà rattrapé les deux commères, et en- 
tamé ses ouvertures avant d'être au haut 
du perron. . . 

Ce n*est pas s^eulement par le compérage 
des écrivains publics, des iiuissiers-colpor- 
teurs de cartes quune certaine catégorie 
d'avocats cherche ses causes, ou les voit 
souvent faire Varticle en personne; c'est 
moins coûteux et plus prompt La salle 
des Pas-Perdus leur sert de principal théâtre. 
Ils sont là, le flair au vent, épiant le gibier 
que la police correctionnelle va leur four- 
nir, happant au passage ces bonnes et inno- 
centes figures qu'un geste trop prompt, une 
parole trop crue livrent en holocauste à la 
vindicte publique. Ils se font compendieuse-, 
ment raconter toute Taifaire, ils s'apitoyent 
sur la position du préveuu, ils trouvent la 
cause grave, les questions épineuses; mais 
il y a moyen de sortir de ce mauvais pas. 
Si raflfaire reste sans défense, elle tournera 
mal. Qu'on dise seulemeut un mot, ils s'en 



288 

chargent, qu'i|Q ne dise rien, ils s'en char- 
gent encore ; le pauvre diable est^ quai qu il 
en ait, muni d'un avocat. 11 en serait quitte 

?»our qnçlques francs d*àinende| pour les 
rais peut-être; il lui faudra débourser #ro/s 
fois plus, les joies d'une dixaine de dimanclies, 
pour les honoraires de lavocat, heureux si 
rhatiileté du Cicéron de poHce correctionnelle 
ne lui vaut pas quelques jours de prison, 
auxquels le tribunal n^eût pas pensé sans 
la défense? 

Il est yvnï que, parmi ees happeurs de 
cause, il s*en trouve qui se contenteraient 
au besoin d'un froni«ige. On en a va qui 
poussaient Thumilité jusqu'à ramasser à 
quatre pattes, en face du client, les pièces 
de cent sous que le client leur jetait tout 
bonnemeni; à la figure. 

Plus d'nn^de ces racoleurs ne dédaigne 
pas de se populariser avec les guichetiers 
pour qu'ils lui livrent le gibier d'assises. 
11 leur serre cordialement la main; s'il dîne, 
il les invite à dîner; au besoin, il les yoU 
tarera avec mesdames leurs épouses à une 
partie de campagne. Le détenu un peu 
étoffé paiera tout cela. 

Ce n'est là que la boue des avocats, il 
faut sç^ hâter de le dire: juger de la moralité 



2S9 

du bah*eau par cette moralfté fH^doriére, 
serait une chose aussi absurde que de mesurer 
sa capacité a la capacité de ce perte-robe, 
qui , dans je ne sais quelle affaire d'escro- 
querie) posa et développa gravement des 
conclnsioos où il demandait, avant dire droit, 
que mohsieur le procureur du roi fût .tenu 
de rapporter la «preuve légale du décès de 
Napoléon. 

Faut-il an fond s'indigner bien fort contre 
ces pauvres diables, qui ne sachant ni scier 
du bois ni battre Tenclume, se sont faits 
avocats en désespoir de cause , et luttent 
par tous ies moyens possibles contre la faim ? 
C'est une chose respectable que la faim ! 
Que font*ils de plus au reste que ces mé- 
decins, charlatans ou non, qtîi couvrent Paris 
' d'affiches d'une aune, et vous assassinent dans 
les rues de leurs consultations gratuites ? 

Ce n'est pas là le barreau , ce n'est pas 
là la faeulté parisienne. Blen< que l'esprit 
avocat soit mon antipathie la plus prononcée, 
je reconnais, de grand coeur que la probité| 
le désintéressement, le dévouement même 
ne font pas faute à la majeure partie da 
barreau et aux notabilités de l'ordre. C'est 
isjure de parler de ces qualités morales, 
icar e'Mt injure d'en douter. 

IXXXV. . 1» 



MO 

Les g^ros temicÉs de Tordre ront refçàr 
lièrameot s*ébaUfe et eéceeer la povdrâ de 
l'eaidleacè dans la aaUeudes Pas-P^m.. lia, 
ces meestoura^ dont ailleuivlâ presse recueille 
reUg^eeeement le& paroles, oaaseiit fanlilé- 
rement àiree je boiurgeols leÉr cU^ity oa 
devtsçttt avec leurs confrèreai Dam lafovle^ 
|iour B*en citer «te'sii/remarfueE^Yoas cette 
physionomie régulière et fine, voyez-Tmis 
ces poignées de maki demiées à droite et 
à gaacm aa piaa Inaperçu des stagiaires^ 
eomme peur faire oaUier ^a'om a été mliristre 
et pie encore^^ 

Palis., ataiables et freU», ils se piqmet 
aerteut d'étve gtena da mande soua^kur robe 
eoire^ Les bMttx caasears ne aumqaevt 
fB» dans le aambre, taïqoars un peu s*écMr 
tant parler, mais valant quW le» éeeuCe. 
tta^st*ee en effet que la plaid^rie parfuâcmK^ 
eekre cbose q« une spirituelle^ causerie? 

Peut-on parler de^ lavocat j sane dire an 
SMtt de rhosMue qid s'était placé le premier 
de Vordre, et dont le talent fait le detsespok 
de sea jeune» confrères, comme aw kaule 
fèrtttae est les» j^ us puissant meUle d'ënnf- 
Inlfen t Troie qualités fa'lt nosiédalt à un 
degré* émisent L avalent. Inis^boss dk ligne: 
c'était la^ parole ferme et âpse^ amrdantr, 



ttfUtftlNSj Véf tfdittim «àgaee, «boiida&te, variée, 
lii rifëirièirè filèlé, |jroiri]i|t^, pletné d'ttprôpos. 
La ÉfWpteftée Aé «èftte demféi^è faculté lui 
fiiisatt tfOff^^er àtt iMttèût même la part 
d^éfiidiffoii 4bm aa ^ cause ataft besoin. 
€*ë<alêat rf*ab<mi deg icitaflona toiitea étuës : 

41 TOttd f appartail danir^n phiid^yéi^ la ùïMié 
d'utfe ^dguc dé Yi^gito: il n'était qa'tifi 
péAanl ^braaléf. Plus tard il à tkppm à 
bfoycr babilêFttfeiit danâ aoa diacottrs èéitte 
m^ikcê IndigefBté, à la colcref, à atf la réÉért 
pfopt^. Il éitft devéïia tin oratèuh 

Paiéqne j'ai cité Icf type de ravoeèf , je 
delà dire auf la profeàsioti toate ma peneée. 

L'airdcfat ekt le synibole de notre epo^tie : 
qaaad là eofifôsIf^H des langaes eêt arrivée, 
iWeat fégtfie i il fègùe aujourd'hui. Qif'eèt- 
ce que nos assemblées législatlVea ? tf&e 
Babel. Aoi s'y dtàpate rinflaeiice par la 
parole? des avocats. Au profit de tfai a 
été explefiée, e'il voua plaft, la révoltitioa ? 
àli t>rofr des^ àvoéafa. L'avoeat est partdttt, 
tooéhéiit à tèot^ broufllftfit tout^ prenant 
imt L'avdcat é^ mintstre, èbargé dû bavftiP- 
dàgé offieieL L'avocat est esaeniielleniéirt 
iéptfté. Ponr Itii a été Inventé lé repréaetf- 
fattfi Celait lin pev de l'avocaaserlé 4é}a 
4ife aotfe ^ande âaHèmblée conitMtfàtrte. 

19* 



292 

N'était la eolossale figure; de Mirabeaa, 
n'étaient ces trois grande . corps aux prifles, 
n'était la sainteté de Toenvre, la netteté da 
bat tracé, les Target, les Chapelier, ies 
Thonret eussent bien pn nons fair^ de . la 
fluide syllogistfqqe de barni^. Anjoiird'lioi 
que ces grandes né^ssité»:n^ se pséMnteat 

Ïas> que. toutes ^.s questions èpuipées de 
ébats gisent haletantes dans larène, qu'à 
force d'avoir faibli devant les faits, la foi 
s'est émonssée; aujourd'hui l'empire de la 

I parole est «ux avocats. Pourquoi M. A., 
'avocat, 8-est-il placé en tète de Ti^posî- 
tiouf c'est que M. B., l'avocat, occupait 
pour le parti ministériel. Et pourquoi Top- 
position s'est-elle scindée. Cest que deux 
avocats, MM. A. et C. ne pouvaient trouer 
ensemble. 

Dans tous les degrés de la hiérarchie 
sociale, ils se sont infiltrés, versant leur 
goutte d'eau pour creuser leur nid. léserait 
long le compte des avocats qui se v^nt faits 
conseillers d'état, préfets, [|dus-pr;éfets, rece- 
veurs des finances, entreposei^rs de tabac; 
des avocats chefs, sous-4:hefs, rédacteurs 
aux ministères; des avocats présidents, 
conseillers ) juges, procureiirs- généraux. et 
royaux, subjititutSj juges de paix : je n'oieral 



29t 

jure^ qn'il n'y en a pas parmi les sergents 
de ville. Â l'étranger,' nous avons des avo- 
cats, sinon ambassadeurs, les titres leur 
manquent, au moins cliargés d'affaires, con« 
suis, viee-Gonsuis, chanceliers. Nous étions 
naguère potir l'Europe un peuple danseur 
et cuisinier, nous sommes aujourd'iiui un 
preuple avocat. 

La robe et le chaperon, l'hermine et la 
toque indiquent moins aujourd'hui aux eu* 
rieux radvocat que l*adepte gouvernemental. 
Il s'agit bien demurs mitoyens et même de 
questfonè d*ëtat; réchappé de licences est 
FhonMe apolitique par excellence. Il est le 
phare qui' doit éclairer 'nos débats, les ré- 
ebauffër; car à lui est dévolue Ta gloire de 
tout nier et de tout prouver , de trouver à 
chaque question le pour et le contre, et de 
tenir la conviction indécise. A «es débuts 
H se fait an hasard journaliste, Tavocat 
sttns cause est l'àVocat de toutes les causes : 

» 

puis comme il n'y a ^qe les mots qui reten<- 
fisi^nt, fl parie, il parle: la publicité a bien- 
tét' stéréotypé son nomy et la voilà en- route. 
' Uavocat a sa tribune à lui : Tavocat a 
accaparé la seule scène où il y ait aujour- 
dliui du drame : il à la Gazette des Tribunaux 
et la cour d'assises. 



air9cai;, stgfè^ ^glr épfil^é centre npn dÀmy «mt 

t^miina s^sçi péri/»4e&( . M4tf fl^<^ 1^^^ Wtt» 
appstpopha; Fils ingrat^ époï^ h^f», t^4^u^ 
iurii Mirabeau, hideux de ^^dlUg p% 4# 
qnlèr^, 1^ lèv?e çQotrf^ctéci) l'ofU l^^p^iQ^Hit, 
se lève e^ 9'épiri> : F?/ vm^htmA 4f f^^^i^ 
An fttt, Port^lîa u eût^il pai, pl^l^iç IptOfor. 
Mirabeau eoiurne pojiiir sa feipiifet . 

Ceci n'est p«M3 une aatire çpntr^ ln pf^r. 
fesaioU) e'0$(t uq^ ^Qutfide .cc^9tre^^e..%lèçîf» 
ijui w*en ir^ paa mpîM «o^.chf^Wqt ÏÏÇir^ 
etablîstsiement politique noqs a fait pn^.via. 
en relief qui a xnis; par la fpreç seule d^ft 
eboses, l'^^vocat sur le chfiii4e)îep. C*e^ la 

ÎjHfHule qui gauverue, pt la piMHilç Ç'e^t 1^ 
HV^rdi^ge. Les spciéiéfi qe vfj^pt pi^( û>îb 
l^veç ce qiob^te. « d^aMsthèn^^. ^t Cip4*Qfv 
o^ euterro. Rqa^ et AtlièDos,/ 

Avec notre n)qryeil\eu^^ niobiUt^, vue 
^pqnsfovfQation ^t chose, jf^pila: ^è^ une 
fpif» noqa avons vu le régn^ deit avf|p{i^8, 
c*éta.it le ^ipcctoire: les havàpdsl couMMlis 
ae KQlit tus devant le gëpie! 
Je compte sur Ç^tte tr^^nsform^tion) %i 



S9S 

font me fait croire que le mouvement des 
esprits vers les applications matérielles est 
un indice de sa venue. S'il faut à la société 
une tête qui la dirige, qu'elle tombe, aux 
mains des savants plntot que des' avocats. 
Aax uns la conviction est mobile et multi- 
forme, aux antres elle est invariable, basée 
qu'elle est sur les démonstrations sans ré- 
plique, et sar rdbsWvation. Chez les pre- 
miers, les doctrines se sont continuellement 
modiflé^s, altérées, renouvelées, «ans qu'il 
soit bien clair qu'il y ait eu amélioration: 
chez les autres le» iftddHioations sont tou« 
jours des progrés constatés ; le corps de 
doctrine s'accroît constamment, comme les 
eaux d'nu fleuve où les alluvions se déver- 
senit; Une directtiHi pareille convlest seule 
à »M société en* progrès* 

Vlemie doue le régne des savants spfiés 
le règM àm avocats! 

Charles RETBAVD. 



m^f 



f » 



^ 



1 




LA NOUVELLE 

CHRONIQUE DE SAINT- 
SÉVERIN. 



it 



J'avais pourtant, ô mon église, seoojié 
contre votre portail la poussière de me^ 
pieds. . Honteux de la piébéienae destinée 
de leur patron, vos prêtres avaient initroduil 
par surprise un autre Séverin dans le sanc- 
tuaire, et peu à peu }ls avaient étendu sur 
le tombeau du pauvre moine le riclie manteau 
de Tabbé. Seul, jetais demeuré fidèle à la 
légitimité exilée de Séverin-le-SoIitaire. 

J'avais donc repris derrière la porte mon 
bâton de pèlerin, moi, l'humble chroniqueur 
des paisibles révolutions de cette église, et 



5'eviportaiB av^e mol la lég^ende onhliëe des 
«ivacles du bienbeureni, comme aotrefoia 
les clercs emportèrent ses reKqses à Notre^ 
Dame, pour les dérober aut barbares. Cbe- 
miii faisant, je lebâtissais en idée, telle 
que roui Tue nos pères, eatte Tue Salut* 
Jacques que Je laièsais^déroiilaoê' derrière 
mol sa- spirale «ImmeÀse, eitéiviyaote étevëa 
sur uae ettéiSiérde*, :inf>jide<ibrttyaBt «doat 
Vhistoire, comme toute rbisl;olre de rbsainie^ 
aboutit, à' des cataiciimbeii^ J arrivai. aDisi 
an pont NelrenDame^ qni^a remplacé le Betil^ 
PoHt;dViutreCais.v^ fin.faee dd» ce poni, je 
ine .ijbis. àJrodèustruire «pierrei à /pierre le 
Petit^^^Châèeler du moyen àg^j Mais j(9 n6 
sais 'qnelto myaÉérteiise itf^létud^'raiilenaii 
•ans ieèssft'sUÉtot^ yeux ^ .lavRlère/vecs -'«^ft 
Saiat*S^r;eriff dont l'iiistoiire dettienrait inar 
ebevée. <^ Sans, eesse je me k*etournaisj marf* 
«étant imatobfle A contempler au^essus des 
maisons .VMéliies ce que rieurs cinq, étires 
me^'laissâienè^^ ¥olr • encore de la glaciensè 
bàsiliqucit Mon regand, pour la contempler^ 
pé^àlt.la'noire.épaiaâaiir ; de ices maisons 
jalousés. • 'liiseasibiement, je m'Imaginais 
te voir, s animer et grandir, et -ses deux 
allés .s^allonger vers moi comme deux braa 
isvpfdiiii0ts«: Iies>.|iersQmages 4ea;,vitraa]S 



se desainatevt peo à peu dass^le iMroullfard 
in matin, «t je emysia ¥oâ* llriUear des 
larmes /dans lears yeax.>« 

Je. ni arracivar eepeDdani à es speetacde 
qui connaençak à sempavsr ^e.assn.iniagfl- 
liatlasi,' pourtpetounier.;au Chitelet; Mais 
j^étâis'teosmie/amiïaflnaatiJiile^is'^e'lQ àé- 
pu. slMnbleiprée!)iitéT>^(laiBS'iinelpas^cMi ii««- 
teHe,ist (qsnUinsbe^net InivokHitàiiè encbaise 
toufemrfc à 'boh prëtnlier osUe; - 
: Cepsodant ' le Châihelet . sortait lenteaiest 
Ab- âes. rainas* ' lli-Vétait ^Â /sait' oitégioe 
qp'uiie t|9ifr> dte' bets, fj^rdkàMvv ira^ilainté 
dé la'Oitfé. j< La prfmière>,'''«lbe;jéta: ie eei 
de guerre* ^a l'approdi^ éemi^'SùrmÛLàdstyi et 
lès ' barba^eéi^ilwceBdiàrèat'^fif eàiBii|e ^.'mm 
égovf^elsi'^tfmlAmeHfè gai , a r*dstin<K4WlftiUiss 
ail ««H»p^ ' RcOevëe ^aprés l^kivasiaii^ la^ii 
devint un cbâ^elet^ oe eMtetet était 
prison kHraqn M )e démolit. 49sttrpriiailer 
li6te recevait^ 'an* nom de I» viUsi, *!• denier 
des passants et des vo^a'getàVBi Les fatal* 
falt^srs l^eii dëlogè^ent:; : mabf avant! «ds 
fronver le* lonird édifiée assèn. fsrmidsUe 
pour le oonvertir e» pites», Charries VI 
Vsvsit'joi^é asses senaribi^ poinr e« falM la 
demeure du prérât de>l^ris. Lsrsqs'i« 
mariAand ^forais' «e pnqBesÉait aai |[falf hst 



ptmt T^m^et le pont,, avoq m «inge qii*il 
laenait vendre, il payait d'ordinaire qQatr^ 
deotop^ pour le 9if^^$ étaUrce un biitelfpr, 
i^ «ing(B alors p^yiiH pour le jbateleur, mais 
il payait de »^, ino^ip^if^^ ep ^^^^ ^i e» 
grimacèa. . .*• ...» » 

J>n lét^i^ Ift..^ IP^n ypyage ^auff le 
vieux ParNs > > et , . 1^ . Cb^telet< reepnstruit, 
|V)Ui« pagfçr. 1^ 3#JqQ^ %V«ç pprmiJlsiflpi d« 
prévôt, loraqna iiti..aoa de Clochea a^' %t^ 
^nte^dre: cet$Mt «n4?ore S$|int-Sév,friii; 
QpEcëe d^qs. ce bruit «écien, une voî^ mi^n 
lanpc^ligii^vse^ihUiJj i«)e dire;;. :»Qii lûia^-tii 
porjpr ta rêi^erie? Ingrat» peiHiquoi «|lbIi^'^ 
tu quelles Jieiirea, déM^ipuaea'.tiKlis p^n^ei^ 
dans. m» nef 5 4einaiidaï)t l<^uri<)l^ fuient 
pilleira) et |^wr< my^èr^e/S' À iHQs cbfipellest 
AjUenra tu . r^tr<Mivieras up lifptiatère de. 
ei^iui Jean et une confrérie de salptAfartla, 
f;ar .chaque égliae .a a^n bapjti^l^re, ei 
saint Martin e^t. Thôte de taut^^ le^, ég^iaee^ 
Mi^is .la prenuèpc^ tu m'as (tirage, -^t.. ce 
pjeu^ amour de t(ui jeune âge^^.qu^ te \^ 
re/idiîf^? Ali! i^^evjena^./^ fit. la clipcM 
piei^ft^t un aeceAit plu^ doux, un aea plun 
vibirpnt, une voix pluft tendre; -quand jceMfl 
\ù\x acheva de «^ pei^dfe, faible ei 
gémissante,^ 4eBs . le brMj;t. cofdm jde l(i 



c^ité, je hetirtais' à la porte ^li Saint -Se- 
verfà.t 

Reprenons done, ou nova Taréilé qnittéey 
la chronique de Saint-Sërerln , et, laissant 
les deux -saints débattre leur procès devant 
Dieu, poursuivons riiistoh*e de Tég^Iise, 
'^Saint'Séterin, coiiifiie toutes les paroisses 
de PffHs^ pajra son trtbiit âi-la Ligue. Un 
êi aies cures ûgtifé fiti nombre des docteurs 
déSorbonne, qui se prêtèrent d*abord avec 
là plds d'emportement aux tragiques fureurs 
de réj^oque. * U se nommait Jean Prévost. 
Citait un homme à la' dévotion dé la soeur 
déÉ' 6fi9se,';ltt fimiensé duchesse de Mont- 
pfettstei^; -^Qh'smitjusqn^où cette princesse 
Mfissa IS'Veif^éanéC'da montre commis sur 
son^ frère; -ëé' qu^o^ sait'' ifroins, c'est le 
moyen' qit^élle employa pour soulever la 
paroisse de Saint* Séverin contre ,1e parti 
qui réclaniaft 'l'aide des Anglais. Ecoatoss 
Pierre de FEstoiles „A l*instigation des 
pédants de* Sorbonne et maiigears des 
pauvres novices de la thédiogie, elle ût 
faire 'ua tableau qui représentait au vif 
plusieurs étranges Inhumanités exercées 
par la reine d'Angleterre contre les* bons 
catholiques, et ce,' pour animer le penpie 
à' la ^ttér^ contre les huguenots ; àt fait, 



Ml 

alloH ce soi peuplé de Paris voir tous les 
jours ce tableau, et en le voyaut, crioH 
qu!il falloit exterminer tous ces méchants 
politiques et liérétiques." 

En vérité, lorsqu'on vient à penser que 
ce tableau fut placé dans le cimetière de 
Saint- Sévério, le 24 Juin de Tannée 1587, 
et que le 8 février de cette même année , 
dans une salle tendue de noir, du château 
de Fortberingay, avait été mise à mort, par 
Tordre de cette même Èlisa^beth, Marie*- 
Stuart, reine de France et d'Ecosse, on ne 
sait plus comment accuser la duchesse de 
Mpntpensier, et volontifcrs on oubife qu'j^ 
la tête des huguenots combattait Henri IV. 
Quoi qu'il en soit^ le tableau ne resta 
que treize jours à Sai)it-Sévérln. Henry UI 
envoya au parlement Tordre de le faire en- 
lever en secret. Le parlement chargea de 
cette expédition, le conseiller Anroqx, qui 
était en même temps majrguillier de la :pi|[? 
roisse. -, 

Vint la journée des Barricades. Qpotque 
le résultat de cette journée ait. ét4, pul en 
apparence, il en resta néaumoins aux Li* 

Sueurs un sentiment exalté de lepr £orce- 
s s emparèrent du tableau, et cette foja 
pe jie çouteptèreut plps de l!ex|^eLà 



Saint- Se vérin, iïs te piM^ent k Notre- 
Dame. 

^ Paris vaut bien une Aesse,^ diatiit 
Henri YI, la veille du jour eu II Bifftm le 
traité qui lui llvMt Patla et là eoarfiffne. 
Toutefois, Il ne l^è settllC paè assesft aAf de 
la flineéritë de fila conversion, pot^r aller 
c^titendre cette nïedse en face d'un tableau 
ék ses ennemis pouvaient I4^e de pareils 
crnseignéments , et le tableaii dispartit. La 
daebesse de MontpeMter . qtti TavalC fai»- 
gflnë, étant venu saluer HeitrI IV , lé Uéir 
tlléÉlie de sort entrée dari^ PêMi», »le fëï, 
4\t Sliliy, lui' fit ftMSl bdrtne cbèi*é et Tentfe- 
t(at aussi douceioent et ftffblltèreiiienl que 
4n Më né et fucit jamais Inèslée ^tie de 
dircr ÉOA cliapellet/' Rlea nef notfa dit qite 
la aeétir deÉ 6 aise ait g'ardé inacftae M 
Bëamâlâ, et se fifeit so^ventre^ dafts Ml^ 
«ait«fi de ces tnmfMx dot qttëtlt peHÉft 
jtiditf à tfa eeintttf^ pont bdiik^ ëà t^oiiMétte 
couronne au Valois. 

* JekliiP^oit, W éfitté déSiinf^Séyério, 
>^i'é*étliHiii<lii(»é#f dodle àuic Vèlènféii ée 
toadame 4é Mcif«tt]^nsfet, M IrenrK p^a ja#- 
4Mi'att bMt les fureurs de éette ^rlneeâM. 
»ën# lèd témpë de i^VëtuflM, lef ééwtëge 
•^iNfefficr ihatt^né soliveat ûwt hffàkuitû ttà- 



déréff; vuiis la îktigue el le besoin âerepoë, 
qui leur en tiennent lieu, les rallient bien- 
tôt, sinon dans nne résolution, du moins 
dans une espérance commune, et un parti 
se trouve formé sans que la masse de ceut 

Îoi le oonposeat y ait songé. Pendant la 
ligue 9 on nonrawit ces gens-là les Pelitîtfueè, 
cooMie ptM tard oii les 'li nommés les Mo- 
dàts. lie ôilré de^ 8iriat-Sévertn était entré 
al chaudement dans ce parti, qu^ou ne l'ap- 
peHaM plus que lé Pùliiifuê, comme cellii de 
Saint* 9olpioe, le Minisfft, comme celui de 
Saint •'Ettstaehe, le Pépe tksNdiies. Sa modé- 
nidon faillit lui coûtef ctor, et voici à 
quelle oceasatoit : 

. C'était au mois d-aout 15M; Henri IV 
était a«x portes ie la ville , et la faim était 
entrée dans les nsalâoim. Les placarde tii^ 
jurieux que les kabitant» lissaient chaque 
duttin sur leurs mpurallles leur firent trdmver 
d*abord quelq^ue force datii9 leur amo^r- 
preprd offense. Mais bientôt y les bdu#geéis 
cfa%aant de se voir nédoîts au paht de ma- 
dame de Montpeavler' (on* eppelfoît akisl 
edrt qu'on faleàlt' at«ec( des ds), se por- 
tèrent en armes au FalalS'dê-'JitBffée, ^t de- 
■aoèèmot à grande cria la pai!t et du paftn. 
Les SeiBce, a» Iteo tePutf 'et de* Tairtre, 



204 

Içur , eityoyéretit des coups d'arqaebnse. 
Dans la mêlée qui s'ensuivit, un des capi- 
taipes qui tenaient pour les Setee, ayant été 
tué, les siens s'emportèrent à de violents 
excès y. et eus^ton bien de la peine,, dit 
rEstoiie, de les retenir de mettre les mains 
bien avant ; au sang/' Les exécutiona juri- 
diques suivirent le combat; plusieurs forent 
"peiiduS) beaucoup ne se racbetèrent qu'à 
prix d'or. 

Ce fut dans cette jùumit du Bain, eomme 
la nomment énergiquemeat les mémoirea de 
répoque, que la popnlaoe se ^saisit do curé 
de Saint-Séverin» Sénault, un. des Seise, 
larracha aux mains de ses ennemis; mais 
en le reconduisant jusques en sa maison, 
il lui fit bien promettre de revenir au parti 
de la Ligne. On peut douter que le spectacle 
de cette journée ait fortement * ébranlé la 
conviction nouvelle de Jean > «Prévost» Je 
croirais plus volontiers que plus d*nlie foli, 
.4vant diarriver à sa maison , . Il jeta furtive- 
ment les yeux veva la porte de la ville qui 
menait, au isamp 4e Henri IV. 

Ce qui nie te ferait croire, c'est que les 
Sftii^ ayant résolu la /nort du président 
Jftrisson , • Jean Prévost .s'en alla trouver en 
^W^P < b«^e lo .i^ésfdmt^ aon ami> peur 



306 

Tavertir de ce qui se tramait contre lui et 
ses confrères au parlement ;ycar autrement, 
ajôuta-t-il, je n'eusse sceu dormir la nuit 
à mon aise/* La réponse du président fut 
(fig^ne et calme; les paroles du curé cTeSaint- 
Sëverin étaient celles d*un homme qui avait 
long^-temps vécu parmi les Seize: il y avait 
au fond de la tristesse et de l'épouvante. 
-— „ Je cong^nois les Seize ,'* dit Brisson. 

— „ Je les peiise aussi congnoistre quelque 
peu ,*^ répliqua Jean Prévost , avec un grand 
soupir qui accusait bien des remords; »ce 
sont mauvaises bestes quand on ne leur 
montre pas les dents.** . 

— »Yous dites vrai de cela; et, fonv 
mon regard, je sçai qu'ils m'en veulent, et 
n'en suis que trop averti; mais avant que 
commencer ceste besopgne, ils y penseront 
à deux fois: car ce n'est pas chose qui s'éxé- 
cote ainsi , ni qui se jette en moule ; on ne 
meine pas ainsi tous les ans une cour pri- 
sonnière.** 

Le président persista dans son dédain gé« 
né'reux.' Cela se passait' un jeudi, et le 
samedi' d'après, un peu avant le jour, trois 
misérables sacheiniitalent vers la Grève, 
.portant troi^ : cadavresi détasbés du gibet: 
C'étaient les restes 4^ Brisson et de deux 

LXXXV. • 20 




^06 

conseillers. Celui qui les avait jugées mar- 
<;hait en avant, portant .une lauterae en sa 
maiU) »de laquelle il ésjclairoit^Ies porteurs.*^ 
Jean Prévost mourut le 23 juin de Tannée 
auivante. À ses funérailles assistèrent mes- 
sieurs de la faculté de théologie, dont !l 
était nuembre, et aussi messieurs de la 
cour du parlement, sans doute pour faire 
honneur k un bomme qui,, autant qu'il avait 
été en lui, avait sauvé leur président. 

La duchesse de Montpensier mourut 
quatre ans après, par une nuit de tempête. 
Ce n*est pas la seule princesse de ce nom 
que nous présentent leâ fastes de Saint- Sé- 
varin; une autre encore y'^figure, la fille de 
Gaston d'Orléans, cette célèbre iliademoiselle 
de Montpensier, qui aimait assez madame 
de Sévigné pour pleurer devant elle, après 
la rupture de son mariasse. La première fois 
qu'elle apparaft d&ns 1 histoire, *c est pour 
tirer de la Bastille , sur Tamée du roi, ce 
coup de canon qui tua son raari.,<âeloii'.}e 
moit ëpiiritut^ de.Maearin^ Yiârs vla^ &o de 
Isa rie^ Jes ]S#uv&mfs amers, de soo> avefi- 
ituoeuse . destinée et. 4e rodiosKkiqiiijigtibtitttde 
4ie Lauslin, ne. cadet tdé<Gai»oô|^iis , '^FtivsUjjde 
iLonis 3UV, Itoi relndinent pl^us.iùbàre k soii- 
tvfle ^Au LuKomiitiurg* ÈUe» y «écrivait ses 



307 

mëmoireSé Méoouteiite de fiaiat'Sulpicè, sa 
pRroisàe^ elleiobtitit de Pacchetéqw de Paris 
la permlsaioii - den choisir une aiitl*e. La 
porte d'entrée de son Palais donnait sur. la 
rue deTeurnon; il Ini suffit de eondamnèr 
cette porte et d'en ouvrir une nouvelle » rue 
d^^nfer^ sur Je territoii'e .de Saint -Séverin. 

Cette paroisse ne tarda pas à~s!apercevoir 
du glorieux > patronage qui lui était venu. 
Mademoiselle de Mantpensiér enrichit le 
maître^autel de:cette charmaute coupole en 
marbre qui Fenveloppe si graeieuetement de 
ses- huit' tolônnes de bronze. • Lebrun en 
traça le dessin, et Tubi rexécuta. 

Ce n'est pas ' là > l'unique .omement que 
l'art :aiit eu à revendiquer datis régitse de 
8aint«-.Séverin. ^Âu-dessu de ce même- autel, 
on v^enalt âdnirer la cène de Philippe de 
Cbdmpagne, .et, dans luné des chapelles^ 
«ne saJifteGenevtévç.du'mêine artfste. Cette 
JmAge.da l'antique patrtone de rParIs. était 
làepmnië unfdeoes pieux souvenirs d'haapi- 
rtalité qui passfeiént d onîe génération ^ratotre 
;8ass: les familles dela.Çrècek NoFUSi;aYoii8 
'ditrquellaïiatinie allianoe ^existlii^ autrefois 
entre:: Sainte -Benevièva* dii - Mont et 'notre 
;e^Hse. '' '' • ■-* • •"' 

> fiapfes anssi a aon Saint -Se vérin, noble 



ll|iis:je se Bals-podrqi}dlj}e^j[fai 
Sakit-Severini .A l-ëpoque: du .dtxraeiptiéfae 
«dèele où nous voiet parvenais, \^ saint v^rh 
tftble de notre égliae cei(ii)e^ .piuà Je s^Ii- 
tatvê :de i la rua ..Saint >» JTaeques ^t - eé .n'eiist 
^nli .labbé* d*A'gaane^ t'efti CorlieiUâi Jim- 
séiilusi: VoQS' rèîDarqufiféz ibîeÀ.Ofieoite aur 
les ;vitraut un viiBuxi monte f)iigëii€iàîl4é d^ 
vant [»aitit jTeaB^ et sur la faoe extérieure 
de l'enceinte une ..mitre avet de» ctefa-eii 
crdx. Mais ce sont i. vestiges, des i. vieux 
âges. ^ Jai^énius sera désormais le ^Atcoa 
de Saint- Séverin*' • 
^ SoÀvenly au dix-septiéme siéiole): le c^ré 
ite eefte église servît dlntermédiaice aux 
jàn^nistes mondains auprès de messlears 
de Port -Royal) ét< lorsque les hasards de 
la guerre ramenaient le triomphe des jé- 
suites, on eût dit que. la cloche :de Saint- 
Séverin se faisait entei^ré au li^n^. car 
on voyait anssitôt . les solitaires arriver an 
à nn dans Ja paroisse. Âussf faut -H voir 
avdc quel naïf orgueil se rattàtshe à ce» 
grands noms de Port-Royal la petite colasaie 
janséniste, qui, groupée autour de notre 
église, lui est demeurée fidèle jusqu'à nos 
jours. . • ' . 

h^ iw de St. -Sillon a résumé ea, uq 



311 

chapitra fort piquant tonte lliiatoire dn 
janaénisme. Nal, comne lui, n*exéeUe à 
juger les faits par lattitnde qnHl donne à 
»es personnages; mats nnl anssf n'a plus 
de pente à fiaire dégénérer le récit en 
tableau, et la réalité en comédie* DalHeurn, 
c'est nniqnement dans ïeurs rapports avete 
Saint- Séverfn qu'il nous importe de suivre 
le jans^isme et ses apôtres. Le jansénisme, 
par lanstère gravité de ses grands hommes, 
autant que par l'àpreté stoîque de ses doctHnew 
nous apparaît au milieu des fêtes et 4es car^ 
roussels du régne éblooissant de Louis XIV, 
comme un haut et morne édi6oe« il nera 
nne des transformations du génie protestant 
à cette époque, si Ton veut, a toute force, 
voir dans les jésuites d'alors les légitimes 
représentants du catholicisme. 

Un livre de 1*évéqne d'Ypres fnt l'ilioii, 
autour duquel eomt>attirent pendant tant 
d'années jansénistes et molinlstes. Jànsénius 
avait résumé dans ce livre la doctrine de 
saint-Augustin sur la s^râce. S'il n'eût fait 
que commenter cette polémique du quatrième 
siècle, tout allait bien; mais sa parole 
portait plus loin que'Pélage, elle atteignait 
Molina. Ce fut un coup de fortune pour 
les jésuites ^qi^ fort embarrassés de dé« 



312 

feudre les écrits du moine espagnol; dier« 
obèrent, en attaquant ceox de son adversaire, 
à donner le ehange au monde catholique. 

Or la doctrine de Jansénius n'était pas 
uniquement déposée dans son livre.' Auprès 
du livre impuissant et muet, car il n'avait 
plus son auteur pour le défendre, veillait 
debout, avec le glaive de la parole, Taini et 
le compagnon d'études de Tevéque d'Ypres. 
Jean Duverger de Hauranne, abbé de Saint- 
Cyran, avait reçu de la nature, avec l'éclat 
et l'autorité de Téloqucâce, cette séduction 
de manières qui fait les apôtres. Les jésuites 
n'avaient pas en le temps de se reconnaître 

3 ne déjà Saint-Cyran avait gagné à sa cause 
es disciples nombreux ; il en avait à la cour, 
il en avait même à l'armée. Toute foi nou- 
velle, en religion , fait presque aussitôt des 
solitaires de ses prosélytes les plus ardents. 
Le célèbre avocal Lem^ître s'enfuit tout-à- 
conp à six lieues de Paris, laissant vide le 
barreau qu'il remplissait de son éloquence. Or 
Lemaître c'était la faitiille des Arnanld, et l'on 

Sonvait dès lors voir marquée à Port-Royal^ 
es-Champs la place de Sacy, celle d'Antoioe 
Âniauld, celle de Séricourt, celle enfin de 
d'Andilly, dès que ses cheveux blancs I averti- 
raient que le monde allait se retirer de lui. 



SIS 

. Les jésoites eurent ^enr, et av6è raison^ 
ils comprirent que si le jansénisme parvenait 
à se constituer en société régulière, c'en 
était fait ie leur, ordre, et que si la poignée 
de répée catliolique s établissait à Port*-. 
Royal, ce serait eux que la pointe atteindrait 
partout. Ils le comprh'ènt si bien, que labbé 
de Saint-Cyran fut, un beau Jour, mevé à 
la Bastille. 

La persécution est féconde:. elle peupla 
le lïéseri^ mais la même main qui poussait 
Saint-Cyran à la Bastille, .vint briser les 
portes de Port -Royal, et en chasser les 
solitaires. 

Cejiendant, Richelieu mort, et après lui 
Louis XHI^ la régente fit- rendre à Saint- 
Cyran sa^lfberté: ce fut un triomphe. 

Tout parti qui ne fait que plier sons la 
main .qui le frappe, grandit démesurément 
le jour éîi cjette main se retire. Les soli- 
taires, rentrés dans Port -.Royal, créèrent 
des écoles; ^c'était faire* servir leur prospé- 
rité présente à la conquête de lavenir. 
L'enseignement fut la gloire véritable de cette 
libre communauté d'hommes. Lorsqu'on eut 
dispersé les élèves de ^icolte- et de Lan^ 
celot, il resta lewrtf livres^ qui s'emparèrent 
de toutes lei écoles d« royaume. Il était 



814 

deTmn ée hotv ton de protéger Port-Royal. 
De beaux noms lui prêtèrent lear éclat , et, 
avant tout le monde,. cette Marie de Gon* 
a&agné, qui eut besain du trdne dé Pologa^, 
pour oublier Fiiinouir quelle avait eo, dit-on, 
pour ClRq-Mai^s. 

A côtés du désert où leaaolitaires n'étaient 
retenus que par leur pieuse volonté, vivaient, 
sous la loi régulière de saint Benoit et sons 
la direction d'AngéKqii^ Arnaald, des reli- 
gieuses animées de Tesprit de Jansénius. 
£h aussi florissatent dès , écoles pour les 
jeunes filles. 

Tant de prospérité réveilla des inimitiés 
mal éteintes. Les jésuites accusèrent devant 
le pape le livre du tjiéologien d'Ypres, et, 
par leur crédit, firent condamner à Bxsrq 
nne doctrine que Renne, en ^autres temps, 
avait approuvée. 

Les troubles de la Fronde ^i suivirent 
empêchèrent la société de tirer, à sa Dnanière, 
les conclusions de la bulle pëotifieale. La 
Fronde apaisée, le héros de cette Hgue bovf- 
fonne s'enfuit à Rome, d'où rUfit fcatttement 
la réserve de tous ses droits suri-archevêché 
de Paris. . Bientôt même parut en son nom 
une cirenlaire suivie d*nn a^ete ,par lequel il 
confiait à. deux grauds^vicairea ; le soiiji do 



ai5 

soÀ diocèse. L'un ëtalt Cbaatebvas, curé 
de la Madeleine, Tautre, Haudencq, enré de 
Salnt-Séverio. Cotidawaés et pour^ilvis par 
le CMtelet, . il6 échappèrent \ tout^çs les 
Keohei'cheik Dq fond i de leur retr^it^,. ils 
lançaient dans Paris d'énergiques ap^ls à. 
leors pitrtl}ianS} et. à messieurs d^ii Châtelet 
de véliëmentes menaces d'excommunication.' 
Rien de piquant comme le procédé qu'ils 
employaient pour répandre leurs proelama- 
tions. La nuit, leurs affidés parcouraient 
paisiblement les rues mal éclairées de Paris,: 
portant sur leur dos des placards enduits 
de colle. Rencontraient-ilS les gens du guet, 
fis se rangeaient avec un respect hypocrite 
le. plus près du mur qu'ils pouvaient, et 
quand, la patrouille passée, ils contlnvaient 
leiirchemin, les feuilles séditieuses se tron<^ 
vàtent affichées à la muraille. La démiss.ioii' 
du cardinal de Retz mit fin à cette fronde 
dos pamphlets. 

Le pape avait condamué Jansénlus , mais 
c'était peu s'il ne .condamnait aussitôt les 
jansénistes. 

,)Le pape a condamné ces cinq proposi- 
tions, disaient les jésuites. , 
• '^Ety k notre s^ns, elles, sont eondam- 
naUes, répondaient les jansénistes- ' 



— Mente dans JaàséniBS) repreiiaielit les 
jésuites. 

— Là Gomme partout ok elles peuvent se 
rencontrer, répliquaient les jansétiistes. 

— Et elles se trouvent dans Jansënias, 
eontinuaient les jésuites. ■ ■ ^ 

— Qu*elles y soient ou non, disaient les 
jansénistes. 

— Mais elles y sont, poursni valent les 
jésuites. 

— Qu'importe, si nous les condamnons? 
ajoutaient les jansénistes. 

-*-Mais elles y sont bien, insistaient les 
jésuites. 

— Non, dirent tout^à-coup les jansénistes," 
Ce non fut toute une, hérésie. D accord 

avec Rome sur lé point de droit, les jansé- 
nistes niaient le fait. Leurs adversaires 
n'avaient plus qu'un moyen, c'était de sou- 
tenir l'indivisibilité du fait et du droit; ils 
le firent. Un formulaire fut dressé, qu'on 
dut présenter à la sio^^iature de tous les 
ordres religieux. Mais le ridicule en fit 
justice, et ou se vit forcé de le mettre eo 
réserve pour d'autres temps. 

Il y eut une trêve de quelques années. 
* La gfuerre se ralliima à Toccasion d'one 
lettre d'Ant<»ine Arnauld. Condamné par la 



317 

Sarbontie, Il fut rayé dn nombre des doetenrs. 
lu'orag^e allait setendre aux deux commu- 
nautës de Port' Royal: Pascal vint et lesi 
sauva. Mais, en apparaissant au milieu 
de la discussion, tantôt avec une comédie 
bouffonne, tantôt avec de su&limes réquisi- 
toires au nom de la morale publique, Pascal 
envenima la querelle. Une fois le ridicule 
entré dans la question, ce fut un duel à 
moi^t. La lutte fut longue, et mêlée de part 
et d'autre de victoires et de revers. Port-Royal 
essuya de tragiques défaites. Une nuit, entre 
autres, le lieutenant de police se présenta 
au couvent des religieuses avec ses archers, 
et les enleva^ dit Saint-Simon, comme on 
enlève des créatures publiques d*nn mauTais 
lieu. Les solitaires^ avertis à temps, n-échap« 

{aèrent à la prison que par la fuite, et toute 
a faveur de la duchesse de Longueville ne 
put sauver de Sacy de la Bastille. Il en 
sortit au bout de deux «nsrtpour assister au 
.triomphe de sa causer L^ P. Annat étfl|it 
mort, et le marqsis de Pi)mpone étailfbinistre. 
Louis XïV ^voiriutj voir jrfest'i.bomsmsi qui 
jetaientrainsl à traders éajsloioelsftnoaH 
méo'de leur science > et dé îenr^^rlii:* :;De 
Sacy> Antoine Arnauldy et son oncle d-Andilly, 
piimrest a Ver8aille8/< YersaiHes leur fit 



320 

proscrite. Bientôt elle reparut sous one 
forme nouvelle: au dix-Tiuitième siècle le 
jansénisme se fit journaliste. Ses eiiaeinis 
ies reconnurent aisément sous ce inaaque, 
et les persécutions recommencèrent. Savez- 
vous alors où se réfugia Jacques Fontaine^ 
le rédacteur des JSouvelles ecclésiastiques P^ dans 
cette petite rue de la Parcbeminerie, qui 
enveloppe toute une moitié de Saitit^Séverin. 
Il semblait qir/uQ nouvel Enée fût venu dé- 
poser dans le sanctuaire le palladium de 
Port Royal. 

C'est le ' propre des sectes vaincues de 

., perpétuer leur esprit clans un petit nombre 

-de familles choisies. Trop rares et trop 

isolées panai les hommes pour compter sur 

f tt« avenir '^ul /leur échappe, ces familles 

vivjsni dbins' le: passé y. qui d« moins leur 

; appartient tout^entiei*. Elles en conservent 

les moeurs et le langage. Tournées sans 

oessà .vers. Gesiij6uteq«iine.reviendrontv^lus, 

tifeUes . eontraçfisrt dans' irisoleuMinti de leur 

oerûysnoofionfi -sorts rda :res|gtiatloa' lÉélàn- 

i;€sAl}iis)iiefi unëntoiiiÉeïdlautr^sis i^nLa^iien 

.f> .'itin', Jnan^is : ehtrsnpn^ bèaiiii; itmtinrdans 

. la ^ea|iltsls >Hdu roi de^ Pi^naste,^»' la isTsIte 

i'one srtam :fraâçailie<»< Jt reçut l'faospitalké 



3âl 

clfina Vupe de een^ familles prpte^tjantei^ qj^t* 

la révocation de ledit de Nunte^ obivge^' 

de. porter leur iudM^tne à 1 étranger- Vivant 

to^t-à-fait à part daps la patrie noMveUe 

(^i^'ellp ^ était fajte, cette f<iiiUUe avait con? 

se.ryé. l.e costuma, les habitudes, les nuances. 

ipême du langage ^e Taucfispne patrie. 0^, 

eqt .dit une petite France protestante du 

dix-septièine siçcle, qui avait traversé tout 

Iç divhuitième, sans lui rien prendre de 

^e£| npuveiles moeurs et de sa langue nou- 

Velle. â\]i fut bien étonné? ce fut elle, 

lorsqu'elle se retrouva ffice à face avec 

çettç ifiutre France qi^i l'avait. Uaonle, oa 

qui du moins lavait laissé bannir. CettQ 

Ifrance encore alors catholique -au fouit, 

elle la retrouvait incrédule; et moqueuse. 

C^tte belle et majestueuse langue de France 

Sue nos fugitifs avaient admira, . même 
ans les livres, où Bossuet leur lançait l'^iua- 
tlîême, elle était mainté.ua.nt dans la bouche 
de leurs compatriotes i^ve et alerte e^mme 
lès voltigeurs 9 rOipide et ferme comme les 
dragons, étincelante^t colorée comme le« 
hussards de la grande armée. 

Le niilitalre, hpmmç d'esprit, et qoi, chemin 
faisant, ^'arrêtait volQutierjS à regi^rd^ranx 
choses origin^lesi ise plut au millev de ces 

Lxxxv. ai 



322 

bonnes g^ns, qui portaient la matn à leur 
bonnet en nommant le ministre Claude, et 
^qui parlaient encore la prose quelque peu 
traînante de Mélanchton. Ils se prenaient 
encore parfois de bonne et naïve colère 
contre l'histoire des variations, et, pour peu 
qu'on les eut poussés , ils auraient charge 
leur hôte d'aller dire aux gens de Meaux 
ce qu'ils pensaient de leur évéque. 

£h bien! ce charme singulier qu*éproava 
notre Français de Paris , vous réprouverez 
à votre tour, s'il vous prend fantaisie de 
Visiter certaines maisons de la paroisse 
Salnt-Séverin. Autour de cette église se 

{ressent les derniers débris dn jansénisme. 
I est donc un petit coin dans le monde 
où ce grave dix-septtème siècle s*est sur- 
vécu à lui-même. Louis XIV ne vit plus 
Îue par ses nronuments; ses armoiries ont 
isparu des Tuileries , et si sa statue n'a 
pas été brisée au mois de juiilet 1830, c'est 
que nul n'a reconnu' le roi de France sous 
te manteau de Tempereur romain, ou, pour 
parler plus, sérieusement, c'est que lepetiple 
9*est senti assez fort pour n'avoir plus n'en ' 
à craindre, même de l'image du grand roi. 
Marly n'est plus^ qu'un parie a demi sauvage 
dont une pauvre veuve gardé la porte, SI 



. « ^ » » ^ ^ • 



^ *v . « 



32$ 



Versailles long-* temps désert va livrer à 
toutes les gloires nationales Fimmensitc de 
ses galeries, Louis XIV n*y entrera que 
péle-méle avec ses devanciers. La royauté 
de Louis XIV n'a plus de palais en France, 
Janséuins le proscrit à sa paroisse dans 
Paris. 

Antoine DE LATOUR. 



^> . A ' ■ ' 



A.« A 



^O' 






UN PARISIEN, 

A QUINZE CENTS PIEDS SOUS TEHRE. 



Parisien ne voit nen^Ait'Oiï, C'est qu'à Paris 
nous avons tant de choses à voir, qu'il est 
bien difficile de nous arrêter long-temps 
sur chacutie d'elles ; nous voyons en courant, 
emportés par le tourbillon, mais avec lin- 
tention de revenir à ce que nous avons 
effleuré; intention qui, à la vérité, demeui^e 
quelquefois sans effet, à moins que quelque 
circonstance ne nous y ramène; c'est ce 
qui m'arrive; et je me promets bien, de 
retour à Paris, d'aller visiter tels établisse- 
ments devant lesquels j'ai passé cent fois, 
et d'examiner d'un oeil attentif des menu* 



«■ â. 



325 

Tncnw^*4'^y jeWniidîs tr'ob'penV'nos àniiqaèà 
égliseâ, par ékeihple^ la S^inte-'Cliapelle que 
je n'ai jamais vue) quoique né dans la cotxi 
diî Palais. 

Obligé de rester uii mois à Valenciennés^ 

'où je 'nlfturWfs pas voilln:j^adis être en pteîii- 

turè, et dû je me trouve .'si bien k présent 

éfn» réàltté ; * n'ayant ' pu ^mporter avec mol 

ï?ar!8^ ' j'ernporjai du moînis mes Cent-'eP-Vn, 

qui jamais 'ne j)ouvaient m'étre plus utiles 

pour répondre aux mille et une questions 

qui me sont adressées:, 99 Monsieur connaît-il 

le grand. Bazar et rËglise française? la 

Nouvelle' Chambre et les Invalides? le club 

liés' républicains? les Jeunes avenglefsl 

'M^ntlmontani; et rHô{(ital des fous? lie 

Théâtre-Français où en est-il? Avdns-nptis' 

enfin la monnaie de Talma? Aurons^nows 

un jour rhéritier de Monrose? Et Châtel, 

Aiizou, qu'en dit-on?' Et ce pauvre Mayeux, 

^;e^t-i) yral. qu'il spit mort?" 

.Pour n'avoir pas Tair d'un Béoiien en Flandi^éj 
je me suis mis tous, les matins à feuilleter 
mou vadc'mecum, et je puis dire que je j!i*ài 
jamais si bien vu Paris qu*à Yalencîeniies. 

Ce nVst pas que cette ville frontière ne 

mérite aussi notre attention, car je ne veux 

' point encourir le reproche fait aux Parisiens 



Isa 

de ne. pajrler qu avec dédiiio; qumd ils voya- 
gent^ de tout ce qu*on leur montre , 'et de 
rapporter tout à la grande yille.. 

Quoique nos amis de province nous jugent 
assez mal, . et prétendent que le Parisien 
le plus raisonnable a souvent ^uel,que gralo 
de, ft'iyolité, je dois le déclarer/ j'ai ren- 
contre à yàlenciennes des homnoes qui, 
yraimeut, ne seraient p^s déplacés dans un 
cercle de la capitale; des femmes presque 
aussi jolies que nos Parisiennes,', avec autant 
d*éclat,.et des yeux que, sur mon bonneur, 
an admirerait à Paris. . . ^ . 

.Quant aujbon goût, jen ai trouyé , en 
Picardie et dans .la filandre, ju^quç sur les 
«murailles^ où vous voyez inscrit pi^rtput 
ce nom magiquç de Pans: Paris/ Rite de 
Paris/ Café de Paris/ Modes de Paris/ 

{lome a' est plus clans Home, elle est tpute où je saî^ ! 

m'écrié-je souvent, surtout quand il tn arrive 
de retvpuver dans quelque rue de la pro- 
vince, ce parfuni de la capitale qui nous 
enivre, nous. 

Ravi de me voir dans une ville civilisée, 
qui d'ailleurs nous a payé son trfbat en 
^rti^t^s tpls que Pucbesuois^ Abel dePujo]^ 



327 

liemaire, je.^Mtai^eh arrivaiît, le tniisée) 
les remparts, Thôpital, et la citadelle de 
Vauban, sans oublier la bibliothèque, où je 
parcourus d'excellents ouvrag;es, de vieux 
manuscrits' de Frolssart et de Jacques de 
Gayse. Je \is ensuite les cbrens contre- 
bandiers, et puis les fouilles de Fisiniars, 
et camjws ubi Troja fuit , c'est-à-dire la place 
de ces vieux .monuments dont les ruines même 
ont péri, comme dit notre Ovide; enfin nn 
édifice plus grand, mais moins remarquable 
que Saint- Germain -FAuxerrois, Tancieniie 
église des R^ollets où se trouvent plusieurs 
Riibens, qn on devrait bien envoyer à Paris, 
ainsi qu'un Christ en bronze, le chef-d'oeuvre 
de Bra, dont la famille des Maingoval a 
enrichi Téglise du collège. 

Mais ce qu'on ne peut pas déplacer, et 
ce que pourtant nous n'avons pas à Paris, 
il faut bien Tavouer, ce sont les mines de 
charbon d'Anzin, exploitées pa¥ une machine 
à vapeur, comparable à notre pompe de 
Cbftilldl 

J'ai voulu d'autant plus m'occuper de ces 
minés, situées à la porte de Valenclennes, 
^06 Paris vient d'y porter son attention, et 
que, d'nne autre part, nous commençons à 
ressentir rotUité ^'un combustible dédaigne 



trap'long-tetnps. • Or, il né faut pas qoen 
voyant cet hiver^ dans râégante corbeille 
de notre foyeti, la houille scintiller ou se 
liquéfier, on ait à dearailder: Comment tda 
yieniMP Question qui^ atl rëste^ n^est pas 
aussi ficelle, k l'ésoudre quon pourrait k 

^eroire; quand vn naturaliste prétend avoir 
trouvé dasB iQâ entrailles dé la terre^ sur . 
le schiste qui couvre le charbon., des con- 
figurations de plantes, d'arbustes et de co- 
quillages marins» il est permis de se livrer 
à bien des conjectures et. Â des. systèmes 
s^r I^ formation de ceei ferorleiâ de mines, 

.et.«iur les révolutions du globe^^ 

. Vous voyez que j'ai assert approfondi la 
matière. Reste à vous parler de l^émeute 
d'Ânzin ; après quoi je vous contera! comment 
votre serviteur s est trouvé avoir pai^dessus 
.la tête quinze cents pieds de terre* 
., ^Qjiawd^jjirrivai.à Valeneiennea^ Ja viUe 
était iout|,e4i..4iaai, par le prè^sr oél^bre 

. doqt Paris même s'oçqi^p^U» Les ouvriers 
mineurs s'étaient tout à coup soutetéft, au 

. nombre de quatre,^ cinq- qi| lie,* ce. qui, pour 
une émeute de province,^ n'était déjà pas. mai. 
, Au premier bruit de. ce sou4*d remue- 

,. mjçntj, .de^, ,gep^s., qui ipejtent 1/^. polit j/jue 

.; paytoijt^J^, Umnt', i^ieû^i^y ^^ j,ç Koiidr^îs 



—m^ 



a voir, à quînié cenià\p\éSà sons t^Vfiè^ 

iU^^iétit ^éxploîttfnt' cette mîne sî creusé 5 

ils eti ttmierit Uh énorme complôr, 'dont 

Texploslon étatt inévitable et déjà la lave 

d'une révolution h'ôuvelle en àortaît» Peu 

B^en fallut 'qu'(>ni rïé /fit de nos clfarbonniei's 

autant de» càrhonàri^^'et dece peuplé-jSoutèf- 

rain an peUple-roi , ' touf prêt à. revendiquer 

sa, st>uvera1neté formidable^. = : 1 ' 

Hélas! lesr pauvres g;èns n^ont paseû be^ 

soin d^abdiquer. Loi» d*éle^er si haut )eurs 

prétentions , c'est à peine s'ils co^naisi^ént 

de nom notre paête politique: Croî^é^-vèiis 

. qu'un d'eux denilandaft eè ^tie Vêtait ^vte 

de ta charte, dônti) avait entendu parler]; et 

si cela se mangait? '^ : 

Mais enfin, quel était le but-de leur sou- 
lèvement, et quesperaient-ils? Quatre îsotiS, 
pas davantage; les quatre sous qu'on avait 
cvu.pouvvir^en l823j ôter à' leur jaurnée. 
. Or, dans ce pmcès^des ^îA*/r^>i<?ttjp c'est aîrfçi 
,qu'4)U l'appelle), il rient 'd'être prouvé -ijue 
les aotiunnaires-des minefird^Alizlh ofiK ëbsque 
Kiwée de . héiiéfiee plAs^de 4roîé rfdïïiàns et^^SâftâT 
Dans cette affifife^-* oit dix-^neiif ^înrecirs 
comparaissaient sous la 'menaee^'Cpout 'fkx. 
pe.u.effiraya«jte> d -une •prison ^kfs 'commode 
cent fois que leur prison.^Cf'M^S tes^bi^^» 



334) 

» ' 

Pe<n*etaient po)nt ces pauvres genft, entourés 
âe rW^fé^ public,, mais. Ifi pulssaute com- 
pagnie d'Àu7/m que Ton voyait sur la sellette. 
.Pes voix éloquentes, et qui ont trouvé de 
Téçlio, se sQtit élevées, contre: la dareté des 
, maîtres, ,san3 pourtant .approuver la révolte 
des ouvriers. Six mineurs ont été eou- 
daiunés à, quelques Jours de détention; et 
la compagnie d'Atizin . vient de s'exéeuter 
d'elle-même, en. accordant les quatre sou5, 
ce qui a satisfait nos houilleurs. Tel de 
.ces pauvre!^, diables^ avejc ses quiktre sous, 
.se c|'oit maintenant Vliomme le plus heureux 
qiû soit soits la teri*e; car, quoi qu'où : en 
dise, je ne^ les crois pas aussi méchants 
quMIs sont uoirp^ 

.Napoléon en ju^ea autrement: un jour 

qu1l arrivait à Valenciennes, la compagpnie 

lui fit la galanterie d envoyer à sa rencontre 

t]il^aes centaines de charbonniers en unî- 

.foKmei. En voyant tous ces hommes noirs, 

riuiiins noires, figure> noire, . chandelle au 

.ciiapeau,^, se piréclpltei! siir sa voltiire, eu 

vouloir dételer les, chevaux, pour la traîner 

.|i:vec leurs ehaînes^.on dit que le vainqueur 

de TEui^ope recula;: du moins il ne vonlnt 

pas '.être. tra.îné: par respect peut*étre pour 

la *tm% feiwaiRe* . 



331 

Charles X agit différemmeiit^ non qu'il 
se laissât voiturer par des hommes; mais 
au dernier voyage qu'il fit à Valeiiciennês^ 
en 1S17, il voulut visiter Texploîtation 
d*Ânzîn, voir ces pompés à feu, ces machines 
étonnantes^ et descendre, ou plutôt s^élever 
à quelques détaili^ sur les gratids travaux 
des, ouvriers. ' Ayant, aperçu parmi les ac- 
tionnaires Casimir Periier, il lui adressa, 
en souriant, ces mots qui furent commeô- 
t'és par tous les politiques présents; ^Mon- 
sieur Ijerrîer, conduisez-moi. ...'•' «Limais 
^ les. charbonniers ne s'/étaîent trouvés a pîsi- 
i:eîlle fêté. .Xé roi,.. avant' de l'e^; quitter, 
leur donna trois n^iille. francs^ et le chef 
de la compagnie^ ou^ si vous voiilçz,, 4® 
Topixositiôn , quatre i^ille : . générosité qui 
pourtant ne valait pas les quatre sous. 

Après .Napoléon et Charles X, qui ne 

descendirent pa$..d^ns ces fosses, i|iais qui 

depuis ^tonnhèrçnt .de bien haut,^ V.9US pJ^pçr 

de.moj^ quelle chute! 1] fafit pourtant pién 

' que Je, vous en dise quelque chose*. 

Je dînais, il y a deux jours, avec une 
jolie. Paifislenne,. et avec $01^ mari. . I^a^con- 
versation tomba ;sur les mines d'Anzip, sur 
ces pifofondeurs çj[f rayafiltes , .c)u né(inmpîns 
quelque* voyagçqrs curfeux n'ont pf^f^çr§^it 



âe 8é nasarder. . Tout ce que j*en tendais 
me:' jfaisait' songer à ces cavités^ lorsque 
toaf-à-Goup notre Parisienne s'écrîe: „Jy 
veux aassl descendre, moi! — Y sôDg'es^tD, 
mon ang^e? lui dît son mari ^ftrayé. — Oor, 
^onsiéur^ j y songe: vous m ayez éinpeçLée 
de' suivre EHsa Ganiefid' dans les noes; 
vous disiez ^ne c'était tfôpi hàdti éh' bien! 
je descendrai au 'piné bas^ ypflà nia re- 
vàncbe! — Ôh! voilà bien les lém m es! dit 
le pauvre mari; toujours extrêmes! tantôt 




'haïsVpïtS cela. ■ 'J'aime/ tnle'ux ffëitiîr que 
'. de ne; rieû sentie. ^ * Mkîs cjtièl borniyié flérai- 
bontiàblé! ' yourToir'm'cmpdcTier' d'aller* «fans 
ces fosses!' — Eh lien, tu iras seule. — 
Seule? ohr((jp]e'non'fvôïl2l monsieur qui va 
în'àccompa^nei^.^^ Afi itdOuYèmeiit d*adfaësion 
^nte jefâiar^ le hijifî me^ 'dît;' i,^^^ 
' monsieur V'vtfiis. iriez 'à'vec''taiadarte dans 
cet enfer? —'Blonisricrir! 'cë 's^aitpVmi: moi 

^'lêjpaykais/'* ■*' •" * • ''- .^^"."'';/ - 

'^' Là'pai*tlë alHbi èngaàéé, ?e'Ké pouvais 

Ïirlnii m^eà dédire, et je Véifôis:>as, je 
'aVotré, sans ihquiétiidtf s'Ui* ce dàng^ereux 



383 

Cependant le mari donnait son ange au 
diable, et lui parlait santé, nerfs, raison^ 
crispations et autres dangers..! . Rien n'y 
f^tsait j quand on gros àcTîoTi'naire des niines, 
qtît' dffnait aVecnons, dit'aii pauvre liomme; 
yyttâipsez donc'allëî' madaifne ou eHe'le dé* 
dire: cette escapade d'ansnos fossesya Vous 
là cKangerdu blanc au noir. ^— Que signifié 
cela? dit la jolie fantasque. — Cela signiâe, 
madame, que vous né serez pas plus tôt 
scas tefré, que vouis en retiendrez, malgré 
Vos cllfeveux btonds, 'noire comme une taupe; 
— ' Cïçl! que me 'dîtes- Vous? — Ouï, ma- 
ilime; 'certaines Vape^uts qui flétrissent, (jirt 
brûlent;... M'âîs ^ôtfs'ne' tenez pas héan- 
eou() à votre -teirit?' Et quant à cette che- 
velure, on peut' Tenvelopper, -— L envelop* 
per! — Sans doutfe, et Voici justement une 
calotte de cuir bouilli ; ' vouléa^-'voiis ressàVei*, 
madame ? — Mol!' mettre cette horreur T/piaîs 
vje éeVaîs à fafrfeï péW.'— Oh! madame, feii 
chatbonniers^h'oiit pfetirdferïërf. — Alle^, msoni- 
sîèur,' avecf'Vos cHàribohttîefs et vos VîlkîiiGà 
fosses ! je ne veux plus en entendre parler;- ^ 

! ^r) ; l^ e erii tue ^R|e vpmt ^\ se? roovIvQr pUf $ifi n tré- 

|ar jfronfzere, de . sjaveot^rcr dans ces çavites pro- 
fondèsi èfyec^Uk pMirvMm'iMf({ués: = /' '0.'*É;t 



terre ; puîa, voyant remuer yia .voîturç, les 
voila qui chantent en chorus: 

'* Malboroug-h 's'en va-t-eu terre! 

. ■ . \- . . • '■< ' - • . 

' C'est- îwx Èittéotâs dé cétje touchante har- 
monie qn'iip^ès ^'êtrë vii, lavec ihén tonneau, 
tMcé tfana le^pâcè, je me' sentais des- 
eendre, descendre encdre, et descendre 
toujours.... 

Je n'étais pas au quart de mon voyage; 
je lie voyais [ilûs rleii que la nuit; je n en- 
feiidais plus q\âe lè bruit lointabi . des ma- 

èbines et des 'eaux*. -Les chants avaient cessé. 

Jecommehçafs k l'éfléchrr f les fiimëés du vin 
se dissipaient.' Ën'-s'ovig^éakît' à ce' vide ef- 
frayant oii j'étais isnspcndu, à tout ce que 
j'avais au-dessus et an-dessotis de mol, la 
censée* dé Pdscai siir notre existence, sur 
iè'ptfint entre detix àhtfries, vint ihe frapper... 
Mais paSTsant- tout' à coup à' d'kutrës rdées: 
llfll voilà li9iH des €hAn4ps^Él')'sëés', ine d%-je; 
6t Mefi^jpl#s Idin ebcore dû sém'niet de éétte 
eolonire-oik j^inotitai detniéVemisnt/' quelque 
temps avant le g^rand hoînm'e. "' 
'* Mon' >tiinbeait; cependant* s^étAné mis à 
^burHêr^ n^^'i je tire- mis à tire: ^ £i de quoi 
dkmc, «rts^* dWèz^Voùs'?' 'flè -Tidéë^'h "plus 



337 

bouffonne!... J allai me ra]>peler t;e pauvre 
acteur qui jouait, en province, Jupitertdaus 
Amphitryon* Au Dlomeqt ou, deus ex machina^ 
il descendait majestueusement datiii ce nuage 
que Ton nomme une gloire, et dont Horaee, 
comme par prudence, ne veut pas ^^*oïk 
lasse un usage fréquent, ym\k que la ghirey ^ 
qu'apparemment on n'avait pas Axée, se 
met à tournoyer avec son Jupiter, et ne 
lui laisse que le temps de jeter quelques 
mots de sa harangue chaque fois quil re- 
passe devant Amphitryon.... Vondrait-oti 
faire aussi dé moi/ me dis-je, un Jupltet- 
touruant. ... ! 

Heureusement mon tonneau s*arréfa. J'étais 
à peine Au bout dé mea réflexions philoso- 
phiques, que j'arrivai à ma destination.^ . 

duel aspect m offrirent ces lieux!.** Et 
quet décor pour un mélodrame! « 

Je n'avais pas encore mis pied à terr^..* 
Je me rappelai Talma nous découvrant les 
enfers ouverts sous les pas d'Oreste, et je 
me mis à déclamer ces vers y sur son ter- 
rible diapason: 

Bescendons! les enfers^ n'o|it rien qtrî m'épouvttafè. 
Saivons le noir sentier que le sort me présente. 
Et plong^eons dans l'horreur de l'éternelle nuit. 
Qaflle triftte cl^té dans ce moment nie luit? 

LXXXV. 22 



338 

. Qnî ranime le jour dans ces retraites sombres? 
Que vois-je! mon aspect épouvaute les ombres. 

En effet, quelgues figures, qui ne ressem- 
blaient pas mal à des ombres, me contem- 
plaient, bouche béante. 

L'un de ces spectres, cependant, se mit 
à me rire au nez, mais d^n rire si naturel, 
que je crus retrouver Odry. 

Yoilà des variétés, me dls-je, et peut-être 
un talent enfoui! 

Je lui demandais combien il gagnait par 
jour. ^Trente sous, monsieur, ^^ me répondit- 
il. — Trente sous! avec un air si bêteî 
Il eût fait fortune à Paris. 

Je lui dis de m accompagner, et j'entrai 
d'abord dans une vaste plaine, silIonnéSe en 
tous sens par un nombre infini d'hommes, 
d enfants, de femmes même, éttous s'agitant 
avec leurs lumières, et traînant leurs chaioes 
et leurs fardeaux roulants. 

Frappé de ce spectacle, je ne pus m em- 
pêcher de m'écrier, en battant des mains: 

Pas mal! presque aussi bien quà t Opéra, 

Je m'enfonçai ensuite dans de longues et 
basses galeries qui me firent songer en 
soupirant à ces brillants passages, de la 
rue Vivienne et de nos boulevarts. Au lieu 
de ces jolies marchandes ^ h la peau . si 



339 

blanche, au sourire s! doux, je voyais çà 
et là fourmiller tous ces êtres noirs, la 
plupart couchés Sur le dos, dans une veine 
de charbon, «t, du fond de ce canapé, pio- 
chant, martelant, minant... On est épouf- 
vnnté- quand oii pense que les malheureux 
.condamnés à ces travaux par la misère, 
ont, pendant huit heures du jour, qui pour 
eux est la nuit, à lutter contre tous' les 
éléments: d'abord, cQutre la terre et ses 
ébouiements, qui incessamment les menacent; 
ensnitc contre un air méphitique et tout à 
la fois inflammable, qui tue avec la rapt- 
dite de In foudre; enfin contre les eaux, 
qui submergeraient et les ouvriers et Touvrage 
si les pompes à feu cessaient un moment 
de jouef. 

Ces dangers, ces travaux, cet air, et 
d'autres causes, donnent aux bouilleurs un 
teint étiolé, livide, terne,' comme la lumière 
de leurs lampes, et presque toujours les 
malheureux s'éteignent avant d'arriver à 
cinquante ans. Rarement vimis les voyes 
rire. Point de chants' dans ces tristes lieux. 
Les houilleurs de la Belgique entonnent du 
moins quelque cantique, ou bien des li- 
tanies, en descendant dans leurs fosses. 
Ici, rien! pas méine un De profanais ^ qui 

22* 



» 

pourtant sortirait à propos du fond de ces 
abîmes. 

âu'oD vienne donc parler de compensa- 
tions dans les destinées humaines! chaque 
état a ses peines assurément: mais sont- 
elles égales? L ambitieux qui, par des 
Toies souterraines, s efforce d ébranler le 
ci'édit de ses concurrents, et se mine lui- 
même', afin d*arri ver à son but, n'e&t pas 
befureux, sans doute; mais du moins un 
espoir le soutient. Le soldat, qui expose 
ses jours, est vu, et il voit en perspective 
des i^écompenses, des. honneurs; il porte 
dans sa giberne le bâton^ de maréchal de 
France. Mais le pauvre mineur, s'il fouille 
dans son sac, quy trouyert-il ? du pain^ 
tout au pins , et pas même au fond, un ru« 
ban ! Une niîit profonde couvre son dévoue- 
ment de tous les* jours. Qui lui en tiendra 
compte ? 11 ne voit devaat lui qu une mort 
obscure^ et, pour comble de maux, le néant; 
car un homme grave, à qui j'entends fiaire 
ces réflexions au moment de finir nmi 
chapitre, m'assure que la plupart de ces 
maiheureux ne croient 'plus même à une 
vie meilleure., qu'Jls ^odt pourtant Iiien 
achetée dans qelle-ci» L'espoir dun avenir 
qui leur allégerait te présent leur oat 



341 

chaque jour ravi par un matërialtètnje 
aveugle, et plus cruel pour eux que tons 
les éléments, puisque, pénétrant jusqu'au 
fond de leurs âmes, il les flétrit et les 
dessèche. 

Voilà les ennemis habituels de ces in^ 
fortunés , sans compter ceux qui les em» 
ploient Ou qui les exploitent; non que j«' 
croie* à tout le nutl qui a pu être dit d'uM 
société où se trouvent des hommes vraiment 
honorables. Mon guide, lui-même, cette 
pauvre doublure d'Odry, me fit observer^ 
par exemple, que la compagnie^ dans Tin** 
térét des ouvriers , et pour prévenir les 
malheurs qui n'arrivaient que trop souvent 
par lexplosion de l'air inflammable, avait 
adopté depuis dix alos les lampes de Davy, 
dont la lumière , moins éclatante , est aussi plus ' 
sûre. Au, moment où j en faisais Tessai, 
après avoir mis la main à Toeuvre, et 
pioché dans la mine, je fus agréablement 
surpris de trouver près de moi deux de 
nos convives qui venaient de descendre pour 
m'offrir d'abord des rafraîchissements, en*> 
suite, une lampe de sûreté^ me priant ma* 
lignement 4^ l'emporter à Paris, où Ton 

rouvait en avoir besoin. Je reçus fort bien 
épigramme. 



Pour n être point en reste avec mes dem 
envoyés, je leur offris poliment, dans won 
équipage, une place, cju'lls acceptèrent de 
même. Et coinme nous remontions g^aie- 
ment: „Vou8pourrezvt)us vanter, me dirent- 
ils, d'avoir fait un Joli voyage dans nos pays 
|)na^ — Fort bien! leur répondis-je sur Je 
même ton : et si je me. suis d'abord vn 
enfoncé, je vous défie maintenant de me 

noircir/* 

Barbouillé comme je le tais, par la ppns- 
slère du charbon, dans mon grotesque ac- 
coutrement, ma lampe à la maiin, mon bon- 
net à trois cornes et, par-dessus tout, mes 
besicles, vous m auriez pris, quand je re- 
parus dans ma gloire, pour le diable des 
Ceni-èt'Un. Je ne me flatte pourtant point 
de l'avoir remp1«icé dans les mines. Jl 
faudrait qu'il eut soufflé sur rooî, pour 
que j*eusse jeté beaucoup de lumière sur 
un '-sujet aussi sombre. J'avais, il est 
Tral, ma lampe merveilleuse, que je rap- 

I porterai comme un trophée; mals^ ponr 
'inspiration , cela ne vaut pourtant pas le 
diable , je le sens. J'écris d'ailleurs à 
cinquante. lieues de la capitale, étonné de 
savoir encore l'orthographe, me croyant, 
toujours aux antipodes, -et trop content 



243 

^^^si je puis faire dire à quelque détrac- 
.^,^^teur que Parisien voit assez hien^ quand il 

;;;;; le veut. *) 









^) Ouï, sans doute, quand il n^ctonfFe pas, comme 
notre voyag^eur, ses pensées élevées sons de 
futiles préoccupations et l'abus de l'esprit. O. L. 

Onèsime LEROY. 



•h- 



r • 



PELERINAGE 

AU 



MONT SAINT -MICHEL 



Étendez une nappe sur le plancher de 
votre chambre, placez>y au inllieu jun châ- 
teau de pâtisserie, éloignez -vous d*une 
vingtaine de pas, et vous aurez, malgré la 
bizarrerie de l'expérience, une idée de Tas- 
])ect du mont Saint -Michel, vu des rives 
qui bordent la grève, c*est-à-dire de deux 
ou trois lieues de distance. Cependant, 
lorsqu'on réfléchit que derrière Ces mon- 
ceaux de pierres, qu'on aperçoit sur un roc 
solitaire et sans vég^étation, il y eut des 
malheureux que la justice humaine isola 
du reste du monde; lorsqu'on songe que de 



845 

nos Joors encore, dans notre siècle, où les 
résolutions mêmes sont devenues bien- 
veillantes, de jeunes hommes, pleins de 
Îourage et de patriotisme, y expient une 
purnée d erreur, on ne peut se défendre 
4'tin sentiment pénible, et des idées qui 
font mal vien^nent assaillir Fesprit et reserrer 
ie coeur. L'intérêt qui s'attache à toute 
victime que le crime na point flétri, rend 
désireux de voir de près cette demeure^ 
qui fut autrefois une alibaye, plus tard une 
abbaye et une prison d'état, et qui, plus 
tard encore, lorsque la grande époque de 
89 eut purgé le sol de la France de la 
présence des moines, devint à la fois une pri- 
son civile et la demeure de ce que nous 
nommons des détenus politiques. 

Ces dispositions d*esprit rendent fort peu 

joyeuse une excursion au mont Saint-Michel. 

Après une promenade dans un cimetière, 

je ne connais rien de plus triste qu'une 

visite dans une prison. Joignez à cela que 

la vue d'une grève immense, où Ton ne 

rencontre nulle trace de végétation, est fort 

peu propre à inspirer des pensées riantes. 

Les curieux qui se rendent au mont vienw 

nent ordinairement à Âvranche ou à Pon- 

torson; c'est de Tune ou de l'autre de ces 



deux villes que partent les voyng^enrs. II 
est bien de se fiiire accomp^{i!^nei' par un 
goide; les étrangers ne doivent point nég-lî- 
ger cette mesure de prudence. Plus d'un 
voyag^eur, surpris dans les grèves par la 
marée montante ou par les brouillards, a 
trouvé son' tombeau dans un sol mobile et 
sans consistance. €es dangers sont plus 
fréquents l'hiver et pendant la durée des 
grandes marées. . 

Vers le milieu du mois de mai dernier, 
deçx jeunes demoiselles traversaient la 
grève; elles se rendaient sur la côte de 
Bretagne; le jour, baissait, et le brouillard 
prenait de l'intensité. Un pécheur du mont, 
qui retournait chez lut, les prévint q^u elles 
s'égaraient, que la mer allait venir, et les 
engagea à le suivre. L'une d'elles le crut, 
mais Tautre imprudente ne tint nul Compte 
de son avertissement, ef n'atteignit point 
le^s côtes qu^elIe cherchait. Le lendemain, 
son corps fut trouvé froid et étendu sur le 
sable. Ce récit, que nous fit le conducteur 

3 ni nous accompagnait, nous émut profon- 
ément. Retenue dans un sol qui cédait 
sous ses pas, cette malheureuse fille avait 
essayé de s'arracher au danger qui la jne- 
naçait; ses efforts n'avaient servi qu'à 



34T 

rengager plus avant d^ns le sable: alors 
la marée était venue et l'avait entourée; 
le flot s était élevé peu à peu, avait atteint 
ses bras, ses épaules, son cou; elle avait 
crié^ appelé du secours, sans doute, mais 
nul être humain ne pouvait l'entendre; elle 
avait pleuré aussi, car les pleurs sont une 
providence qui ne faillit jamais aux femmes; 
elle avait supplié cette mer, qui Tenviron* 
liait de toutes parts , de ne pas aller plus 
lorn? de réparg;ner; elle avait parlé de sa 
mère qui en mourraft de douleur; elle s^était 
tordu les bras de désespoir, et la mer im- 

{»itoyabIe avait toujours marché. Bientôt 
a tête de la jeune fille ne se montra plus 
que comme un point au-dessus de la sur* 
face des ondes, une seconde ensuite ou ne 
distingua plus rien. 

Livrés aux pénibles impressions que nous 
avait laissées cette histoire trag;ique, nous 
cheminions depuis environ une heure dans 
la grève. Le mont et les édifices qui Ten* 
tourent commençaient à se dessiner distinc- 
tement. Nous avions traversé plusieurs 
petites rivières, entre autres les bouches 
du Coisures. Notre guide nous avait pré- 
venus de ne point nous arrêter; en effet, 
nous avions senti dans le lit de la rivière 



J 



S4d 

qae le fond cédait 9ous les pas de no^ 
chevaux. Cette circonstance présente quet 

Înefois des particularités assez 8ingi>aliére& 
ai vu autour de nous des endroits où Je 
soi est mouvant; il serait dangereux dy 
inar,ciier, car on enfoncerait promptement 
J'ai vu même en écartant les jambes, et 
en pesant tantôt sur un pied, tantôt tfdr 
Tautre, le sable faire l'effet d'une planciie 
qui basculerait par son milieu. Lorsque Tétran* 
ger sent le terrain manquer sous ses pieds, 
il n*a d'autre ressource quede se jeter à plat 
ventre, et de rebrousser cheminen rampant. 
On a dit depuis lono;-temps qu'il suffisait 
de regarder une de nos vieilles cathédrales 
pour concevc^ir toute la puissance du christia- 
nisme au moyeu lâge. Cela est très- vrai; 
malheureusement il est fâcheux qu'on y voie 
aussi empreinte la verge de fer de la féo- 
dalité. Ces deux idées, que la méditation 
fait naître à la vue des monuments qui re^ 
montent au-delà du seizième siècle, se pré* 
sentérent à mon esprit à l'aspect des édifices 
du mont Sàint-Michel. 

On arrive à la porte du ipont Saint-Mkhel 
par une chaussée de quelques pieds de lar- 
geur, et que le sable avait tenue cachée 
penditnt de longues années.. 



( 



S49 

En 1822, «ne forte marée la mit à nn; 
sans doute qu'un jour un mouvement con- 
traire dans la grève viendra l'ensevelir .d« 
iionvean. 

11 était environ onze heures lorsque nous 
arrivâmes. Les détenus politiques étaient 
à respirer Tair sur la plate -former notre 
vue excita chez eux de vifs transports^ 
Carlistes et républicains n<çitaient leurs 
mouchoirs. Ils nous demandaient sans doute ' 
quelques marques de sympathie. On nous 
avait proyenus que, dans Tintérét des pri*» 
Isonniers, nous devions nous abstenir de toute 
manifestation extérieure. Un tel motif nous 
rendit l'avertissement sacré, et nous renfer- 
mâmes en nous-mêmes les sentiments qui 
nous animaient* 

Les carlistes se mirent à chanter: nous 
ne pouvions distinguer que de loin en loin 
quelquesruues de leurs paroles. Dès qtt*il« 
eurent fini, les républicains commencèrent; 
ils entonnèrent l'hymne des Marseillais. Ce 
chant de liberté, sorti d'une prison, avait 
une solennité sublime. Je l'avais entendu 
à Paris, dans nos grandes journées ,^ il 
jn^avalt profondément ému: ici. il fit couler 
mes lariàes. 

Lé mont Saint-Michel; paraît sortir ar«t 



335 

?o!t* des assièges^ Les imbibants les mon- 
trent encore aux étrangers aujourd'hui; on 
les voit de chaque côté de la. porte d'entrée 
du Mont; Tune est presque complètement 
entçrrée dans le sable, l'autre esta moitié 
découverte; le'^ininètre de leur ouverture 
est de plus d'un pîed« 

Les religieux, avant la révolution, se plai- 
saient à énuniérer les noms de tous les rois 
et de tou!^ les grands personnages qnl étaient 
venus dévotement visiter nionseigneiH* salut 
Michel archange, et avaient laisse à son 
église des traces de leur magnificence. Le 
plus remarquable de ces pèlerinages est 
celui de Louis XI en 1469. Il s'y rendit 
eu compagnie d'une suite nombreuse, déposa 
sur l'autel une somme de six cents écus d'or 
après avoir f;ut ses dévotions, donna des 
ordres pour réparer et mettre le château en 
état de défense, et le 1er août y institua 

tordra de Fraternité ou aimable Compagnie de ter* 
tain nombre de chevaliers^ jusquà trente-six y lequel 
nous voulons être Homme de tordre de Saint'Mifhel, 

paroles du préambule et des statuts. La 
6a4le où se tenait le chapitre de Tordre, et 
qu'on nommait la salJe des Chevaliers, existe 
encore ; elle est vaste et trente-six colonnes 
de griwU en sotttieiiui^t la voûte :^ il y avait 



35S 

Bans doute une pensée symbolique dans ce 
nombre trente- six , le même que celui des 
chevaliers; peut-être que dans le génie de 
l'artiste la voûte représentait le trône dont 
les colonnes , ^ figurant les plus puissants 
seigneurs, étalent Tappul. Aujourd'hui cette 
'salle est transformée en un atelier, il. n'est 
plus pej'mis d*y entrer depuis long-temps» 

C'est probablement sous le règne de 
Louis XI que lé mont Saint -Michel devint 
njie prison d'état. Le Caractère astucieux, 
défiant et cruel de ce prince, ainsi que ses 
largesses pour les, moines de cette abbaye, 
pourraient le faire supposer; cependant il 
n'y a que des conjectures à ce sujet. Ce qui 
est positif, c'est que François l^ry fit enr 
fermer un syndic de. la faculté de. Sorbonne 
qui avait invectivé contre lui; ce malheureux 
y mourut» 

Bous le mpport architectural, les édifices 
du nvont Saint-Michel sont très-remarquables ; 
plusieurs sont à citer pour leur hardiesse 
et leur élégance. 11 né faudrait pas néan- 
moins y chercher une pensée unique, il n'y 
en a point; an fur et à mesure des besoins, 
ses diverses parties se sont élevées et super- 

{posées, les unes sur les autres. Depuis 
Qng-tëmps les inquiétudes de la geôle en 
LXXXV. ' 2S 



S54 

ont soustrait la plapart à la eariosîfé des 
▼i^iteurS'; à cette heure même) il n'est plus 
permis à personne de franéhir le seuil cfn 
cbâteau sans des recommandations pois- 
santes: une consigne sévère en éloigne tons 
les étrangers. 

. La restanration) en 1816, fit enfermer an 
mont Saint- Micliel le conventionnel Lecar- 
pentter; il y mourut en 1S29. 

Nons Avions fait demander à M. le direc- 
teur de la maison, par une personne qui le 
connaissait, Ja faveur d'être introduits dans 
toutes, les parties de la, maison, 11 nous 
répondit que des ordres positifs s^opposalent 
formellement à Texercice de sa vnionlé, et 
que nous devions nous contenter de' ce qu'il 
était autorisé à nous laisser voir. 

Un gardien nous conduisit dans ^n- long 
corridor qui aboutit à une voûte asseï spa* 
cieuse. Là se trouve une grande roue que 
des prisonniers font tourner et qui sert à 
monter les provisions du cliâteau le long 
d'un plan incliné déplus de vingt-cinq oiètres 
de hauteur. C'est sous cette voâte que la 
tradition du pays place les oubliettes. Quel- 
ques personnes affirment que ces afTrevx 
cachots^ où des malheureux étaient plongés 
H disparaissaient pour toujours^ n'ont jaatais 



355 

exiisté. Ce qui esl certain, c'est qve non 
lof n de lendroft où est placée la roUe, se 
trouve un grand trou dont le diamètre est 
d*euviron un mètre et dont la profondeur esl 
très-grande. On ignore auXourd*hai quelle 
pouvait être sa destination. An reste, la 
controverse qui pourrait être établie sur 
Texistence des oubliettesseralt complètement 
inutile. Les oubliettes étaient dans toua 
les souterrains de la maison qui sont ea 
très-grand nombre. Là, des victimes pou* 
valent être enfermées à tout jamais pour y 
expirer d% besoin. A la révolution, on trouva 
dans quelques cachots des squelettes avee 
leurs chaînes; d'autres ossements furent 
aussi trouvés dans des« espaces étroits tt 
murés de toutes parts. 

Sons cette même voâte, peu d'annéea 
avant 89, se voyait encore 'Une grande caga 
en bois; elle était construite en claire<>Yoia 
et pouvait avoir six pieds sur chacune de 
ses faceâ , sa hauteuir atteignait le sommet 
de la voûte. 

Louis XIY, dent ramoor- propre était^ 
comme on sait, exfrêntemeirf chatouilleux 
et irritable, y fit enfermer im journaliste 
hollandais qfri avait oêi mal parler de Iiii^ 
Ce malheureux, qu'aà m^rls da dreit de^ 



356 

Îens on avait arraché dé sa patrie, tronva 
aoa le grand roi un juge ou plutôt un 
boucreau implacable ; la mort vint le prendre 
dans sa cage et le ravir à la froide ven- 
geance de Torgueilleux et bigot époux de la 
veuve de Scarron. 

Nous quittâmes ce lieu où chaque pierre^ 
peut -être, porte le nom d*une victime, et 
qui fut le témoin muet de tant de meurtres; 
aussi bien avions -nous hâte de nous sous- 
traire aux pénibles impressions qui nous 
assiégeaient. Mous revînmes sur nos. pas: 
à notre gauche nous avions la salle des 
Chevaliers; à notre droite, des souterrains; 
nous nous dirigions vers l'église. On nous 
fit passer sous une voûte fort belle, sou« 
tenue par six énormes piliers, lesquels^ 
posés circulairement, supportent le pourtour 
du choeur de Téglise. C'est une construction 
gigantesque et des plus imposantes. 

A côté de réglise et sur le même plan se 
trouve lancien cloître; il repose sur la 
voûte de la salle des Chevaliers, sa forme 
est parallélojgrammique ; tout autour régne 
une galerie formée de petites colonnettes 
d'une élégance et d'un fini tont-à-fait remar- 
quables: lé centre de chaque ogive est oc* 
cupé par une rosace très-bien découpée. Le 



557 

nombre en est très-grand, et lenr forme des 
plus variées; je crois qu*il n'en est pas deux 
parfaitement semblables. Le reste du pa- 
rallélogramme est rempli par une ^grande 
aire tonte couverte en plomb où viennent se 
réunir les eaux pluviales de plusieurs bâti- 
ments environnants, de là elles se rendent 
dans de vastes réservoirs destinés à les re* 
cevoir Au-dessus de la galerie ou quelques 
rares prisonniers se promènent quelquefois^ 
s'élèvent de petites cellules; cest là que 
les moines de Tordre Saint-Bruno, que la 
communauté voulait punir, étaient envoyés 
de tous les points de la France pour y ob- 
server la règle dans toute sa sévérité. L'ab« 
baye du mont Saint -Michel était censée 
maison de correction monacale. 
. En sortant du cloître on se rend dans 
réglise; on n'en a conservé que le choeufi 
tout le reste est occupé par des ateliers, et 
séparé par d'énormes cloisons en planches 
qui s élèvent jusqu'au plafond. 

Telle qu'elle est aujourd'hui, l'ëglise fat 
bâtie en 1448 par les soins' du cardinal 
d'Ëstoutevilie, trente-unième abbé; elle ne 
fut achevée que quarante- un ans pins tard, 
en 1499. Le peu qu'on en voit fait regretter 
le reste; on y retrouve ce qui caractéri/"^ 



le. style gdtbiqae, la harjie^se, la s^ao* 
dear^ la Légèreté, H c^tte variété éeligneB 
qui t» font le cbarmye* Espéreiia qu'un 
jaur la geèle inoiqs (aifibrageuse jpe cachera 
fltm AUX eurieux df s 4>bji3i« qui foot la vé- 
nération d«8 artUtes. AutreCoia Jea pélerloa 
qui venaient ^n fipule yiaiter l'ajUbaye pau- 
vfAent &ijre leurs prières A toutes les . cha- 
pelles, et les moines leur iniM»tra|ent . avec 
intérêt tous les détails de la niaison. 

C'eat aussi en. pèlerin que lartiste voya- 
gera ; il a sa .reli.glon , sa foi à lui ; aon 
euKe e3t le cuUe des moiiuinents, et lui 
aeriôns^AOus mof^is hospitaliers que ne l'é- 
tateat uffs aïeux. 

Livré à ces pensées, j'errai silencieuse- 
ment dans le petit espace où le sanctuaire 
Mt maintenaat r«serré; mon esprit remon- 
jtait la pente des siècles, je voyais les reli- 

E' ux au milieu de la lîuit descendra de 
rs. cellules; couverts de leurs g^randes 
robes, ils venaient en ;ailence se placer 
autour. de lantel , où les matines les appe- 
laient* Jenfendais leurs chants. monotones 
et na/»l]|ard8 se perdre dans langle élevé 
^e logive ; il y avait de la vie à l'eutour 
du tabernacle: aujourd'hui plus rien, la 
croate est muette 9 le cloître est désert; ses 



S59 ' 

^fanf» eu sont -Us? une révélation les a 
engloutis ou disperses à jamais. L'éspril 
huwalu, enteleppë dans les langes ^« le 
pouvoir roynl et le pouvoir religieux mainte^ 
naient autour.de lui, se débattait 'depuis 
l^bg-Cemps dans nen iiens. Âdviïit qvi^iii 
jour il rompit ses lisières; aiors fotteux, Al 
abattit a ses pieds ses anciens oppresseurs. 
11 erut dans sa victoire les avoir écrasée 
pour ttMijours; il se trompa, plus tard ilH 
se relevèrent, mais leurs blessures étaient 
incurables, tât ou tard Ils eu mourront. 

C'est devant le por^tl de Téglise, ou Km. 
-pçu eu avant, que se trouve ia ptate-foVuie 
où se promènent deux foispHr jour les éé- 
tenus politiques. 'De là la vue s'étend de 
tous côtés sur une immense grève, toute 
couverte en totalité par les eaux de la itaer, 
souvent desséchée et d'uue tristesse déses^ 
pémnte par son •- uniformité; au loin OA 
aperçoit la mer,'Jes roeliers du'Cancale, leê 
côtes de Bretagne et de Normandie, qui 
forment le contour de la baie; enfin, larocllft 
de Granville. 

Dans leurs promenade», les détienus ne 
se mêlent point, les carlistes et les répu^- 
bllcains vont" citacun de leur côté, f aremeiit 
ils se iréniiissent : ced pei^ répoudre à oer» 



360 

tainés persôDiies qui ont ^ fait beaucoup cfe 
bruit de ralliance carlisto-républicaine. 
' Nous vîmes plusieurs de ces bons paysans 
de la Vendée, que des prêtres ont abusés 
et ont forcés de prendre les armes ; Ils se 
tiennent à l'écart, et ne partagent poin^ les 
jeux de leurs compagnons. Couverts de 
leurs grands chapeaux, les bras croisés sur 
la poitrine, et les maius enfermées sous leur 
grossier gilet, ils paraissent, étrangers au 
milieu de leurs assemblées, se demander ce 
qu'il y a de commun entre eux et une cause 
qu'ils ne comprennent point. 

«Parmi les républicains ou nous fit remar- 
quer Jeanne et Lepage; ceux qui ont suivi 
les débats qui ont précédé leur jugement, 
peuvent se faire une idée du courage et de 
la force de conviction de ces deux hommes» 
Le père et la mère du premier ont quitté 
la capitale pour venir habiter auprès de leur 
fils: tous deux sont âgés. La femme du 
second, elle aussi, a dit adieu à Paris, à 
Paris qui Tavait vue naître^ où toute sa 
jeunesse s'était écoulée, où ses parents sans 
doute ont versé des larmes en la voyant 
partir. Elle est venue seule s'emprisonner 
sur un roc froid et humide, où le moindre 
des désagréments est d'y mourir d'ennui. 



361 . 

II 11 *y a qu'une femme capable d'un tel dé- 
vouement. J'ai vu cette moderne Epbnine, 
et sa figure n'a^ fait qu'augmenter l'intërjêt 
que sa noble action m'avait déjà inspiré.- Il 
y a de la bonté dans ses regards, ses traits 
ont de la douceur et de raffectuosité, le son 
de ses paroles a quelque chose qui va au 
coeur. S'il y avait des anges au ciel, c'est 
comme cela que je les concevrais. 

Je n*ai jamais connu M»ie de Lavalette, 
mais je suis persuadé que la femme de 
Lepage doit lu! ressembler. Elle porte elle- 
même deux fois par jour la noui'riture dû 
son mari; à ces heures elle peut le voir, 
elle peut lui parler, et, le croirait-on ? quoique 
deux grilles et un espace de trois pieds les 
séparent, la consigne veut qu*un des geôliers 
soit toujous présent à leur entretien. 

On nous signala aussi, parmi les carlistes, 
le jenne La Houssâye; son agilité et son 
adresse sont surprenantes; il paraît avoir 
de Tinfluence sur ses amis. 

Nous n'avons parlé que de quelques-uns 
des bâtiments qui sont debout sur le. mont 
Saint-Michel, cela vient de ce que nous n'en 
avons visité que fort peu ; ceux dans lesquels 
nous n'avons pu entrer sont nombreux, ce 
# sont les souterrains, les chambres dites da 



gouverneur, le grand et le petit exil qai 
seryeut de dortoirs aux prisonniers^ les 
appartements de l'ancienne abbatiale, occu- 
pés maintenant par le directeur et llnspec- 
teur de la maison; les enisines, le grand 
réfectoire,. maintenant un atelier; au-dessus^ 
la liibliotliéque , Tinfiraierie des aâciens 
moines, et la salle des Chevalier», dont 
nons avons dit on mot déjà. 

II était près de six tieor^ du soir lorsque 
nous quittâmes le Mont, les détenus étaient 
encore sur la plate-Forme; en nous voyant 
partir ils nous saluèrent et nous souhaitè- 
rent un bon voyage; il nous fut impossible 
de contenir nos. sentiments; nous agitâmes 
nos mouchoirs en signe d'amitié, et pos 
regards ne pouvaient se détacher d'eux. 
Les voeux que nous portions dans nos coeurs 
pour lenr délivrance, prirent une nouvelle 
force. Puissent-ils se réaliser bientôt! 

\ RELLIËR. 



>t). 



LES FEMMES A PARIS. 



D'un commun accord, Parla à été proclamé 
la capitale du monde civilisé; je voudrais 
quon ajoutât, et du monde* féminin. En 
effet, autant Paris est la reine des' villes, 
autant la Parisienne est la reine des femmes. 
Je n*en veux qu'une preuve : de temps im- 
mémorial, Parisien estsyooiiyme de badaud; 
qui a jamais pensé à dire une badaude? 

.Que de nuances pourtant dans ces femmes 
de Paris! je trouve que c'est abuser étran- 
gement de là faculté d'appeler du même 
nom tous les êtres d'une même espèce, que 
de dire en voyant une chiffonnière du fau* 
bourg Saint-Marceau : »Ceci est une femme% 
et: ^Ceci est une femme^ à la vue de ma* 



'1 



3G4 

damç R r, par exemple. Cfcue Ton me 

comprenne bien toutefois : la première, avec 
son croc, sa hotte, et son aspect repoussant, 
est aussi remarquable, comme spécialité 
locale, que la seconde avec ses frêles vête- 
ments, ses exhalaisons parfumées, et tontes 
ses g^races aisées, de si bon goût. 

Et pour nous débarrasser tout dfi soite 
de la tâche la plus pénible, visitons un pea 
ces faubourgs- de Paris, où vivent entassés 
dans une atmosphère fétide, des milliers 
d'Individus qui ne savent pas le matin com- 
ment ils dîneront, ni le soir, où ils prendront 
le déjeuner du lendemain; qui ne travaillent 
pas à présent parce qu'ils ne trouvent pas 
d'ouvrage, et qui ne travaillaient pas na- 

Ïuères parce qu'ils* n'en cherchaient pas. 
là, la Parisienne est hideuse. Déguenillée 
autant par défaut de soin que par misère, 
prélevant sur le pain de sa famille de quoi 
se procurer du tabac ^et de Teau-de-vie 
(qu'elle nomme. Dieu sait pourquoi, du 
camphre \ sans cesse battue, battante, ivre, 
contusionnée, ^se ruant à l'émeute, mais non 
pas pour y réclamer des libertés, n'en rêve- 
Bant que lorsqu'il n'y a plus de réverbère 
à casser, quand sa voix éraillét refuse de 
faire entendre des - hideuses vociférations 



f, 



36S 

qu*elle Tomit d'instinet; vice incarné; sans 
jeunesse et sans àg;e mûr; ni fille, ni épouse, 
ni mère , quoique à la cHarge d'un père et 
d'une mère, d'un mari et de plusieurs en« 
fants; domiciliée^ enfin, la moitié de launée, 
dans les cachots de la police* 

Hâtons-nous de détourner les yeux de ce 
hideux tableau, et quittons cette femme- 
opulace pour -nous occuper un instant de 
a femme-peuple.^ La distance est si énorme, 
qu'on craint d avoir . laissé échapper par 
még;arde quelque degré intermédiaire. Au- 
tant l'autre est sale et dégoûtante, souvent 
avec dix francs dans sa poche, autant une 
Parisienne du peuple, travailleuse, économe, 
est avenante et soignée, quelle que soit 
sa misère; et malheureusement elle n'est 
pas rare. Vous la rencontrez partout, cette 
femme, avec un tablier devant elle, portant 
un panier au bras, ou un enfant au maillot; 
leste,, trottant menu et vite^ car on l'attend; 
elle a un mari, et ils s'aiment, parce que 
l'un et l'autre sont bons et honnêtes; elle 
a des enfants, elle en a beaucoup, et elle 
le dit à tout le monde, parce que c'est sa 
joie, a elle; c'est son orgueil, son espérance, 
son trésor^ à elle ! . Malgré son panier et sou 
tablier, vous ne la prendrez pas pour une 






M6 

mfsinière, parce qu H y a je ne sala quoi 
dans son air, dans toute sa personne ^ de 
libre et de dégagé, qui semble crier fout 
hant: Je sui« contribuable. 

Et nos. poissardes donc, ces daines 4ë la 
Halle, avec leur reine de Hongrie ^ et iear 
lang^age à elles, et leur bonnets de dentelle 
qui valent souvent [Seuls plus d'argent que 
la toilette de deux femmes de notre monde! 
où trouve-t-oti leur pendant? ii est-ce pas 
là une originalité tonte parisienne? 

Regardez dans cette petite chambre de 
la rue de La Harpe; près d'une tête, de 
mort, ou d'un volume deToullier, n'aperce- 
vez-vous pas, sur une table, les débris d'un 
repas de la veille, un chapeau rose oa 
bleu, une paire de bretelles, un schall et 
nne cravate? Eh bien! au milieu de ce 
chaos, il y a de l'amour heureux, de l'amoar 
jeune, avide du présent, et oublieux du 
passé et de Tavenir ! Cette petite chambre, 
si nue, s! froide, a! étroite, «elle suffit aa 
coeur de cette grisette qui vient y trourer 
un amant qu'elle aime et qui l'aime! ooi, 
il y a là de l'amour "vrai ; eh ! c'est qu'ils 
ant vingt ans! c'est que Gustave est é^a-^ 
diant en droit ou en médecine, et' que ma- 
demoiselle Agathe n'est qu'âne petite gri» 



367 

seite sans prétentions, sans ambition, qui 
fait ramotir, parce qu'une grisette de dix- 
huit ans doit faire l'ampur, .comme un dé- 
puté du centre doit crier pour la clôture 
et dîner chez les ministres. Mais laissez- 
les vivre quelques années encore! que 
monsieur Gustave prenne te grade de doc- 
teur! que madt'moiselle Agatlie qnifte la 
rue de La Harpe poui^ la rue du Helder 
ou la me du Provence, et puis allez encore 
demander de Tamour à ces coeurs blasés 
et déshérités de leurs illusions! 

Et pourtant, cette petite personne dont 
je vous parle, elle est, pour là plupart du 
temps, la fille de c^tte honnête femme que 
je vous ai montrée avec son tablier et son 
petit panier au bras! Elle a commencé à 
travailler chez elle; puis elle a voiilu passer 
au magasin; pui^... que voulez-vous que 
j'y fasse? 

A propos de magasin , il n*y a pas dans 
les comptoirs que des grisettes de dix-huit 
ans... Diable! faites-moi le plaisir d'avan- 
cer un peu la tête, et de contempler cette 
honnête figure qui fait tout ce qu'elle peut 
pour persuader qu'elle sourit; qui se cache 
sous un énorme bonnet chargé de flçurs et 
de rubans, et occupée pour le moment à 



S6$ 

coudre des lisérés blancs à un col d'iiui- 
forme! Cest lestîmable épouse de M. Bou- 
dard, passementier, rue Saint-Denis, électeur 
à cent écus, lequel M. Boudard aumule les 
honorables fonctions de uienibre du conseil 
municipal et de sergent -nuijor de la garde 
nationale. Lorsque Dieu créa M. Bou4ard, 
je suis intimement cpnvaincu qu'il conçut 
en même temps Tidée du garde national; 
et je ne mets pas en doute que si M. Bou- 
dard avait. été plus âgé lors de la prise 
de là Bastille, il n'eût soufflé an générai 
Lafayclte l'idée d'organiser cette milice ci- 
toyenne. Ceci n'est pas uue digression. 
Car il faut que vous sachiez que madame 
Boudard est plus garde nationale encore que 
soii mari, si cela est possible. C'est e^le 
qui Ftàfait nommer sergents major; c'est 
elle qui le fera nommer sous -lieutenant, 
lieutenant, capitaine, avec Taide de Dieu 
et de ses visiteâ" -aux puissances. Il y à 
dans cette télé de boutiquière parisienne 
une ambition démesurée, un désir de paraître 
ce qu'elle n'est paSi, qui l'empêche de se 
monti'cr ce qu'elle est. en effet, c'est-à-dire 
une très-bonne et très^excellente pei'sonne. 
Cependant, à tout prendre, je crois que je 
lui pardonnerais volontiers ce travers ^ et 



U9 

que je prendrais le parti de la laisser, san^ 
récouter, parler de la mairerU, de la compta-' 
bilité de son époux, de Tavant^ dernière* 
revue du Champs^de^Mars, etc., ete., si elle 
ti'avaU pas la manie d^offrir à mon admira-^ 
tien la huitième merTeîlle du mondé. Cest 
mademoiselle sa lille qui sait tout, excepté' 
tenir un comptoir; qui a été en pension 
avec la fille du duc de B..., du comte de* 
M..., du marquis de C..., et qui m'écorchè 
les oreilles d'un vieil air d'opéra - comfque^' 
ou de la bataille de Pragne. ^/Et ça mé- 
prise le pauvre monde !<< mé disait démîèrèf* 
ment la vieille Marguerite, ma femme "ilb' 
ménage. ; ^ 

Parbleu! je crois que j'allafs oublier dé 
vous parler des femmes de ménager Eh 
bien! je ne me ravise pas! Â dire* vrai, 
je ferai aussi bien de ne pas vouerez étbur-. 
dir» non plus que'des ctri&ritlières, porMères, 
etc., dont Henri Monnier à si 'spirituelle- 
ment et si' complètement fait lé pdrtrait 
d'après nature. 

Mais je ne sache pas quMl nous ait parlé 
des femmes- de chambre. Et à mon sens, 
ce serait une lacune impardonnable dans 
rUstoire de la Parisienne que de les passer 
sous silence, du! de vous, messieurs^ n'a 

LXXXYI. 24 



370 



pas sMtl BOB coeuriMJ4lWer»M«|ne. fJ?'^ 

î" longue attente, Il » vu «««S*»*»!** «* 
accorte personne, » encadrer myaterieasement 

dans U porte de s» chantbre, et lui sounre 
d'un air !d'intelUgenc© en tirant de la poche 
de s.n tabUer blaflc un hUlet de femme, 
à la forme triangijlaire , au papier a»are 
et parfumé? ftui de vous» mesdames , «a 
pas confié une missive comme celle que je 
viens de dépeindre à une petite femme 
comme celle dont j'ai parlé? Et remarquer 
lin peu l'empire de la femme dans quelque 

HM iaurs., Ifs Crispifls., les $capins, les 
Frontins, seraient mis à la Force ou aux 
galères- duel mari sera asse» «enfiant 
dans sa sagacité ponr affirmer qu il n a pas 
cbéa.lul la copie exacte, ou plutôt l origl- 
nal PB per^onpe'de Lisette ou.de JHartoo? 
La plupart de/i f^mn^s de cbambce» à Paris, 
sont jolies et ayentuiLss. Si Balxap ne vos» 
avait pas déjà dit; pourquoi, je vsu» dirai» 
ce que J'^en pense. *) -, 

Je Tpus aurais Ufen aussi parle des bour- 
geoises, du Marais, cette ville d« provinse 

. ' . ,r-. . •■,- ♦ • • ■ ' • ' 



.4 



S7I 

dans Palis, des rentières qui daM taute la 
\i capitale passent leur vie avec deux ou trois 
al chiens^ curés, chats, etc. Mais, à nM>D avis, 
i ce serait faire comme certaines gens qui 
i^ disent: On m'a dit une histoire stupide, je 
i$ vais vous la raconter. Gomme j'ai une hor- 
i reur pour ces getis-lhy et que je ne veux pas 
)• qu'on me prenne en horreur, je ne vous 
|i dirai rien de nos rentières , qui du reste 
[f n'offrent rien d'original ni de caraetërisé., 
!,•} Vous priant donc de me savoir gré de cette 
^ restriction mentale; je vais,, sans précaution 
aratoire, vous transporter, avec votre per- 
mission , daips une jolie petite maison de lac 
Chaussée-d'Antin o« du bontevart. 
^ . €'est près d'une femme que vous aimerezi 
si vous êtes homiiie, que vouak mépriserez 
et qui vous surprendra si voua êtes femme, 
femme du monde, bien entendu, et que la 
aotclété, a flétrie du nom de femme entrete- 
nue. Etonnant assemblage de passion et 
d'indifférence, elle fait del'ameur qui tue et 

tia tue ; nw amour de tête et de coffre- 
t; hideuse si vous l'analysev,. ravissante 
si veas voua livrez sans réserve au délire 

Io'elle sait si biea faire naître; se donnant 
es airs de femme comme il faut, et échouant 
gauchement dana la cop.le> parce que c'e&t 



an 

un rôle qvt n'est pas de son emploi; elle 
est gauche anjourd nui opulente, parce qu'hier 
encore elle était dans une humble et pauvre 
mansarde, et que demain, peut-être, elle 
seri^ gisante dans un hôpital, et que la plu- 
part de ces. femmes, comme TÂquIlina da 
Romancûr philosophe, ^^"y le savent el le disent 
tout haut au milieU' des joies de Torgie. 
Elle est tour à tour, selon^ que Tidée loi en 
Tient, indifférente à TÂme sèche, se plaisant 
à torturer un coeur d'homme véritablement 
épris; et maîtresse passionnée, susceptible 
dés plus beaux dévouements, allant Ceela 
s'est vu) jusqu'à vendre les diamants et les 
cachemires quelle semble seuls aimer, pour 
sauver la liberté menacée d'un: amant qui 
ne l'aime pas peut-être. J'ai toujours-désiré 
que quelqu'un d'habile s'occupât de la.phy- 
sfologîe de cette classe, de femmes. Le 
sujet est d^ne d*étre étudié, et certeâ^ si 
j^en avais le talent, je ne manquerais pas 
de ni*en emparer. J'aimerais à rechercher 
les causes ^e ces étranges contrastes ^ et 
je me croirais bien payé de mes peines, si 
je parvenais à voir clair dans ces eoeurs 
moitié marbre^ moitié feu» 

'*') La Pgau de C^ofrin. . 



873 

Eh ! qnel est le coeur de femme, peu im- 
porte laquelle, où il soit donné de lire! Dir 
dier na-t-il pas raison de a*écrier: 

\ 

Chose infidèle 
Et folle qn'ane femme! être inconstant^ amer, 
Orageux et profond eomme l'eau de la mer. '*> 

Au-dessus de cette femme doiit je viens 
d'esquisser à peine le portrait, demeure une 
mère de famille. Elle est restée veuve avec 
trois enfants. -^ Trois filles. — Son mari 
était capitaine. La pauvre mère n'a qu'une 
petite rente qui ne saurait suffire à leur 
entretien. Elle travaille; sa fille ainée l'aide 
dans son ouvrag;e; la seconde peint pour 
Susse ou po»r Gironx de» écrans ou des 
boîtes de Spa ; la troisième • . • • 

Avez-vous quelquefois rencontré une jeune 
personne jolie, très-bien mise, l'oeil baissé, 
et cependant pas trop Ae candeur, les 
coudes au corps, un grand livre sous le 
bras, ou un rouleau à la main, se dirig^eant 
vers le faubourg Poissonnière? — Sans 
doute. — Et qu avez-vous dit? — J'ai dit, 
voilà une élève du Conservatoire. — Vous 
ne vous trompiez pas, et peut-être la der- 



^} Victor Hugo, Mturion Dekrme,^ ^te Y, sentir $. 



474 

nlère que tous avez rencontrée était -elle 
la troisième fille de la venve do capitaine. 
On loi ayait proposé de faire entrer sa fille 
an Conseryatoire royal de musique, sa fille 
qnl ayait en effet une fort belle voir. La 
bonne mère n'avait vu que le beau côté de 
la chose, qnl était de profiter d'une pro- 
tection pour faire apprendre la musique à 
m' fille. Mademoiselle €larice profita si 
bien, étudia tant, se rendit si assidûment 
au Conseryatoire , qne l'année suivante sa 
mère berçait un petit-fils dans ses bras^ et 
cependant la pauvre femme n'avait jamais 
eu de g^endre. 

Mesdemoiselles, qnl avez une jolie figure, 
une belle voir, et qui êtes dans l'intention 
de rester vertueuses, n'étudiez pas au Con- 
servatoire ! . . • . 

Le Conservatoire me conduit tout naturel- 
lement à parler de fèmmea dont il est une 
vraie pépinière. On a déjà deviné que je 
yeux parler des actrices. 

Lçs actrices, à Paris, sont' au ban de la 
société, et ce n'est pas sans motifs. En 
général (je parlerai plus tard des exceptions), 
en général dans les petits théâtres il y en 
a peu d*admissibles dans le monde. Dans 
le^ grands théâtres^ l'exception est moins 



1 
r 



375 

Tare. Cela se eonçoit. C'est là que' Tftctrice 
peut, sans se faire rire an nez, se dire ar*> 
tiste; ^) et de vrai, Tart élève Tâme. Aussi 
a-t-on Vu plus d'une femme aimable quitter 
les planches d'une haute scène pour les sa- 
lons du monde comme il faut, et déposer la 
couronne dé Sémiramis ou'd'Ârmlde pour 
prendre les fleurons de comtesse ou de mar- 
quise» Certes, leur talent seul ne les a pas 
ntisesL là où elles' sont; et des hommes 
d'honneur, estimés dans le monde, n'auraient 

'^) Je me hâte d'expliquer ma pensée. L^artiste 
étané celui qui fait ou exécute une oeuvre d'art^ 
on sent bien que reifdrolt ' où s'exécute cette 
oeuvre ne .constitue pas i'artistê. Ainsi l'on ne 
me croira pas assee stupide pour dire que les 
acteurs qui ont créé les rôle^ d'Antony, d'Israël, 
(dans Marine), du Joueur, de Marion Delorme et 
d'Adèle, ne sont pas des artistes, parce qu'ils 
ont joué aux boulevartsj je n'ai fait, en parlant 
des g^rauds théâtres, que généraliser la chose, 
parce que long-temps ils ont été en possession 
de jouer ce qu'on pouvait appeler oeuvre d'art. 
Ce n'est d'ailleurs que depuis peu de temps que 
le- théâtre de la Porte Saint -Martin a fait un 
pas dans le domaine de l'art, et qu'il nous a 
révélé des artistes. Tout le monde là- dessus 
sera de Tavis de M. Victor Hugo qui déclare, 
» dans une 'note qui suit Marion Delorme, que cette 
troupe est une des plus lettrées de la capitale. Cette 
explication donnée, je maintiens mon dire, qae les 
acteurs seuls des grands théâtres ( et les bons 
bien entendu) peuvent en général se dire artistes* 



B7fi 

pas doooé îeur.nom à des fewnes dot^ là 
conduite n'eût pas été .sans l'epcocheA. Mais 
voyez comme Je siècle a fait .des prog^rès, 
Certes, si jamais vertu a été mise en doute, 
c'est celle des «demoiseltes de TOpéra. En 
iBQasciencej il ^faut dire que les ronds de 
jambe y les pirou^ettes et les jetés Imttus ne 
sout pas de forts garants de la vertu d-une 
jolie femme* £h bien! e^.pous faisant con- 
naître Hne datvse que nous He soup^punloBS 
pas, une danse tout à la fois voluptueuse 
et modeste, une aérienne et ravissante étran- 
gère nous a appris aussi qu'il ne faut jamais 
dire: C'e$t inipossible. 

Jadis il était jfeçu parmi la noblesse d al- 
ler chez leis actrices ; les hommes bien en- 
tendu. On en a bien rappelé, ma.foi. Je ne 
sais pas, à vrai dire, ce que nous avons 
gagné à cette pruderie .de .liotre siècle, qui 
nous fait prendre le manteau Couleur de 
muraille pour aller leur rendre visite. Je 
croîs qu!au contraire ou y a beaucoup perdu. 
Qu'on ne vienne pas me dire que c'était im- 
moral ; du moins on ne le dira pas sans 
rire. J'espère que nous n'avons pas la préten- 
tion d'être éminemment vertueux. .Je le 
répète donc, on .y a perdu. D'abord^ ou y 
rencontrait ce quïl y avait de mîewx à Paris, 



et il en résultait que ces femmes elles-inéiiyes, 
se frottant à toute cette fleur de société^ 
prenaient sa|is s en douter les manières et 
le ton da beau monde. ^Une femme spiri- 
tijielie, et qui a associé sa gloire .à celle de 
tous «nos chefs o d'oeuvres comiques^ par le 
sublime de lart avec lequel elle en fut Tin* 
terprète; cette femme, dis-je^ et Je n'ai pas 
besoin de nommer mademoiselle. Mars, à 
voulu faire revivre cet usage» Je n'ai 
jamais eu )le plaîsir'd aller àtses soirées ^ 
à ses bais, mais j*eii ai beaucoup entendu 
parler; et l'on m'a dit que rien n'-était com- 
parable au chaume de -ces réunions d'aittlsteiE^ 
de gens de lettres , d'hommes du monde, ^i 
ce A'est la maaière gitaeleuse dôiit la man 
tresse de ta maison faisait les ImUneurs de 
chez elle. Son exemple .a été «urvipar 
madame Malibran. Mais ye ^ante que leure 
louables eiforts soient courotto^s de succè». 
Koiis né sommes plus assez liants ;. et puis^ 
disons-le franche me 1X1, Je ce^rps dont elles 
font partie, et où ellesfcmt e&cf^ionsi ma^^ 
quante, compte-t-ll beaucoup 'de femmes cU'» 
pables d'^étre maîtresses de maison l 

Les actrices m'eut faiit penser aux ban* 
quiers, notaires,.. et agents de change; et de 
cettx*cl, il n'y a pas loin à leurs femmes* 



Si j'étais arrivé au bout d*un article sur les 
femmes de Paris^ sans avoir parlé «de' celles- 
là, j aurais brûié tont le re»te,, tant je 
les trouve curieuses à observer. De tontes 
les aristocraties , 'celle de : Targ^ent , bien 
qu'elle soit la vraie par le temps qui caurt, 
est, quand elle donne de Torgueil, ia pUfl 
ridicule de toutes. L'aristocratie de la no- 
blesse,' celle du sabre, ont au moins poer 
elles que leurs membres peuvent dire: On 
aura beau «faire, j'ai toujours été, je serai 
toujours noble, toujours brave; tandis que 
raristocrate financier ne peut pas dire: 
J'ai toujours été, je iserai "toujours ricbe. 
Et cependant, il fftut. le dire, c'est Taristo- 
eratie de l'iàrgent qui montre te plus xl'or- 
guell et d^r vanité à. Paris. Les femmes 
surtout ne croient pas le ciel assez haut 
pour elles; si elles osaient, elles auraient 
dix loges à chaque théâtre, et cefit laquais 
dans leur antichambre, pour vous prouver 
qu'elles ont de l'aident à dépenser. Â cer- 
taine femme de banquier , d'ex - banquier 
voulais-je dire, ne faut-il pas aujourd'hui 
des diamants de princesse? Je suis sur 
que si on pouvait lirte xlans l'âme de ces 
dames de la^Chaussée*d'Antin, on y verrait 
tout le dépit qn elles éprouvent de la sim- 



W9 

pliclte éenvaoéés dci notre temps, et.qu'elles 

voudraient qaon ne portât que des robes 

de velours eu de dentelle, et des plumer 

de cent, lonls jusque sur les bonnets de nuit. 

Mais comme tout a son bon côté, il faut 

que je me bâte de dire qu'il ny a pas une 

d'entre elles qui ne soit Dame de Charité. 

Je sais: bien que de méchantes lan^ne&oat 

préteadu qu'il y avait là pluis d'osteu'tatioà 

que de.v oharité chrétieÂine! Pure mëdi<- 

sançe !' Des Temn[>es qui- donnent tous les 

mois un billet de mille francs à Herbot 

pour un chapeau ou pour une robe à Vie- 

torine, peuvent Uea consacrer tous lei^ ans 

une trentaine de napolédns à secourir des 

pauvres. . ^ ... < ^ 

Et cependant, chose étnange! ces femmes 
si vaines du coffre-'fort 'de. leurs époux, qui 
semblent vouloir souvent humilier ceux qui 
n'ont pour toute, fortune qu'un nom illastre 
et sans tache ; ces femmes, dis-je, qui sem- 
blent préférer un coupon de rentes à uii 
arbre généalog^ique, ou à de brillants états 
de services^ que le mari d'une d'elles* at* 
trape à la volée un titre «le baron; ah! ce 
sera bien uqe autre histoire. Pendant plus 
de six mois , elle ne sera pas une minute 
chez elle ; elle sera constamment en visite, 



880 

:pour avoir le platoir-de «entendre annon- 
cer madame la bar<iiiiiel Puis cette rage 
passée, elle se demandera bien sériensement 
S'il est de sa convenance de rendre des vl- 
sites ! Elle vous recevra avec un* petit air 
^e protection à faire pouffer de rire. Pauvre 
femme! une idée-, une fantaisie de roi lui 
tournera la tête! >et, juste- mill^ieu entre 
Taristocratie -financière et nobiliaire, vous 
la verrez sourire de pitié en^ parlant dnne 
fetnme riche sans titre, tout afissi bien qu'au 
nom d'une femme noble sans argent. 

A Dieu ne plaise, cependant, que je n*aie 
vu que des ridicules là où il y a tant de 
charmes et tant detg^râces à a^dmirer; là 
où sont les plus agréables femmes de Pads; 
mais j'ai parlé en -général. Malheur à qui 
aurait cru voir de la morgue et de Tinso» 
lence dans les regards d'une foule de jeunes 
femmes de la Chaussée-d'Ântin , comme on 
dit: non, hâtons-nous de le dire hautement. 
Là, comme dans les salons de l'aristocratie, 
vous trouvez les meilleures manières, le 
goût le plus exquis, Purbanilé la plus par- 
faite. Là, vous trouvez ia. Parisienne dans 
tout son beau, due pùis-je dire plus! vous 
la voyez éiég'«nte, jeune, gracieuse, ins- 
truite, rieuse^ et tant soit peu coquette; 



3S1 

u'Imaginez-voiM de plus admirable, de plus, 
édulaant? Âh! si «vous ayez, un souhait 
. faire,: un souhait de bonheur, de joie^ 
iéslrez :d'étre aimé d'une de ces . fen^mes 
'avissantes que vous ne pourrez vous em* 
pêcher d'aimer, vpus! Mais prene£ garde 
i cet amour! vous étes^ sur un terrain 
glissant! ne vous laissez pas trop aller: je 
ue vous parle que d'une liaispn du monde, 
et non d'un amour qui ne sait dire que 
pour la ciel La .femme du m^onde à Paris, 
aime avec tendresse; son amour est plein, de 
charmas,, mais il est d'une étrange nature; 
qui peut savoir s'il. durera des jours, des 
mois ou des années? Écoutez un mot d'une 
femme charmante, d'une Parisienne enfin 
(Parisienne, c'estȈrc)ire qui habite Paris). 
Un jeune homme, qui entrait dans le 
monde, avait été mené chez madame D. 
par un de ses parents, homme jLgé, qui par 
ses relations avec la famille de la jeune 
femme était près d'elle dans une grande 
intimité. Notre jeune homme trouva ma- 
dame D. très ^ songeât; U,en parla 4 son 
parent avec, enthou^i^spie. ,, L'oncle était 
un bon vivant. Un jo#« qall était chez 
madame D», la conversation tomba sur, le 
jeQQQ hiNDpme. Parbleu, dit rqm^ eiirijuit, 



3S2 

non neves etti enchanté de vous; vous 
devriez vons ekar^r de son édqêation. le 
mettre dans le monde, comme on dît. »Non. 
répondit-elle %ivement, votre neven est bien 
sans doote, mais j'ai remarqué qu'il avait 
une ame ardente, il m saunûi'pas se leiisser 
quitter.* Le mot est earactériiitlque. 

Si l'aristocratie de l'argent à ses per- 
sonnages ridicules et insupportables, il ne 
faut pas croire que' celle de la noblesse en 
soit dépourvue. Non, heureusement pour 
Asmodee; il y a au faubourg Saint-Germain, 
voire même au faubourg Saint-Honoré , de 
qno! ne pas craindre .de mourir faute de 
rire* Cest là qu'on trouve des femmes 
qui passent des heures entières à gémir 
sur 89, et à s'entretenir avec leurs direc- 
teurs du lieu où elles ' émigreront quand 
les* jacobins (tout ce qui n'est pas légiti- 
miste) renverseront les églises et mettront 
la France an pillage, si tootefbis leurs pe- 
tites conspirations ne réussissent pas; car 
à présent ces nobles dames conspirent pour 
le trône et TauteL ' Ces fèuHnes ne vous 
demanderont pas, comkiie la marquise des 
Tt9u^ Quartiers', sl îin hoBHne ésfr né, mais 
elles ne vous répondront pas si vous lear 

*na''de remperèur; eu bien eltes vous 



3&3 

dircMit; Âb! ouf, Bonaparte. Ces femmes 
sont les pénitentes de l'abbé Ronsin, ou de- 
quelque autre de même, calibre. 

Et cest dommage-; car elles aussi sonl»' 
d^aimahles Pariaienues, les jeunes femmes^ 
du noble faubourg! elles aussi, d'un regard,^ 
d'un sourire, embellissent ou brisent rnie* 
existence d'homme, avec, cette frivolité, 
cette insouciance qui est un charme de 
plusl Elles aussi ont de cet imprévu qui 
séduit et captive Thomme le plus jen garde|> 
contre les séductions. Comme ces ravis- 
santes créatures dont je viens de parler^ 
elles sont Parisiennes dans toute la forcer 
du terme^; cependant on ne les prendra pas 
Tiine pour l'autre. , Si voua me demandez 
paurquoi, je vous dirai que je n'en salS' 
trop. rien. Toutes deux sont vives, élégantes, 
spirttuelles; toutes deux coquettes, toute» 
deux riches; mais- aux. Bouffons, vous en-- 
tevdjrez la duchesse de C...^... parler hauty' 
ou. plutôt crier pendant que madame Ma^^ 
libran ou RuJbini chantera; et cependjant 
madÀme la duchesse de G..».,., ajme la mu-^' 
slque de passion. Voua la jr^noontreres^ 
seule dans la rue^ elle ou une autre femme^:^ 
de sai caste, et veus direz : : Voilà une femuer) 
du faabourg SaÂEt • GetnuUni»»». . Cepeadantr) 



384 

elle n*a pas Talr plus fier on plus msoleot 
qu'une antre. -— Au contraire, personne 
n'eat plus causant, plus affable. — Ctue 
vouiez-vous que je vous disef Je ne sais 
même pas si cela e^t comme je vous le 
dis; mais je àis ce que j'ai cru voir, et 
c'est tout. 

Oui, il y a quelqse chose dans <^ SAifif 
qui n est pas dans d'antres veines. C'est 
un je ne sais quoi de liardi sans effronterie, 
qui ne peut manquer de plaire. Oui, par 
<|xemple, eût résisté à cette charmante es- 
pièglerie d'une des plus aimables jeunes 
femmes du faubourgs Saint-Germain? 

La ducliesse de F., à la suite d'une fâ- 
cheuse histoire, avait été priée de s'aBsen- 
ter de, la cour pendant quelque temps. Elle* 
alla passer son exil à Saint-Germain, rési- 
dence de son père. ' Plusieurs mois s'éconi* 
lèrent assez gaiement; enfin Thiver appro» 
cba, et la belle exilée sentit que Paris loi 
manquait autant qu'elle manquait à Paris, 
due faire? reparaître eut été trop hardi; 
demander grâce lui répugnait; mais ce que 
femme veut, Dieu, et à pi us forte raison roi, et 
roi dévot, leveut^ussi. C'estce que pensa la 
dnehesse un beau jour qu'elleapprit que le rot 
chassait dans la^fiurét de Sàtnt«Germiiio« 



385 

Xje matin donc elle monte en voitbre, se 
fait conduire à une lieue environ du rendez- 
vous de chasse; là, elle met pied à terre, 
congédie sa voiture et ses gens, et gag^oe 
le rendez-Vous à pied. Il ne faut pas une 
bien longue course à une petite femme bien 
frêle, bien délicate, pour la fatiguer et la 
mettre sur les dents. Ânssf, lorsque la 
duchesse arriva, etlé avait pris de brillantes 
couleurs qui ne la rendaient pas plus laide, 
et elle parsiissait harassée : c'était ce qu'elle 
voulait. Charles X était en train de dis- 
courir sur la chasse, lorsqu'il sent une pe- 
tite main qui lui frappe sur Tépaule» Sur- 
pris de cette familiarité Inusitée^ il se 
retourne, et reste stupéfait en voyant la 
petite duchesse de F., qui, levant sur lui 
des yeux suppliants, lui dit: ^,Sire, c'est 
moi ! Il y a si long-temps que je n'avais eu 
le bonheur de voir ' votre majesté , que je 
suis venue ici. Vous ne m'en voudrez pas, 
sire?*^ Et en disant cela, elle faisait une 
de ces petites mines qu'on lui connaît, mon* 
trant ses jolies mains; enfin ^ elle était 
ravissante. 

yykhl ma chère enfant, lut dit le roi, vous 
avez été bien inconséquente ! 
— Sire, je vous assure qu'on m'a ca- 
LXXXVI. 25 



a86 

lomniée auprès de votre majesté. J^ai quel- 
ques torts •••• 

-^ Mais, interrompit Charles X, comme 
TOUS voilà faite !*^ C^étaitvrai; ses clie veux 
étaient tout défrisés, et son malin et g^entîl 
visage tout rouge de la chaleur que loi 
avait causée sa marche forcée. ^^Ëst-ce que 
vous êtes venue à pied? 

— Oui , sire. Je me promenais dans la 
forêt, quand j'ai appris que votre majesté 
chassait, et je suis venue.... Votre majesté 
ii*est pas fâchée, n'est-ce pas?^ 

£t le moyen de l'être? Aussi le roi qui, 
pour ces choses -là, n'était pas si entêté 

Îuè poujp les affaires de son royaume, fut 
ésarmé sur-le-champ. 

i^Mais^ savez-voos quMl y a fort loin d'ici 
à Saint -Germain. Allons, allons, je vois^ 
bien qu^il faut que je vous reconduise.^ 

Et en efifet, deux heures après, la calècl^e 
du rpi entrait au grand galop dans la cour 
du château de Saiat- Germain, au grand 
étonnement de. ses habitants, qui ne com- 
prenaient pas comment il se faisait que le 
roi ramenât dans sa voiture découverte nue 
femme qu'il avait exilée de la cour,... Quel- 

Îues' jours après, il y avait un bal aux 
'ttUeries; la charmante duchesse ^ dont 



Vbistoire «vait fftit du brait, y reparut triom* 
pfaaate; et Toa dit que la ducbessé de 6. 
fst'^ k, la Mnte de ce bal y malade pendant 
phia. dénqulnze jours. . 
.JiLjile testerait à parler de la Noblesse 
Impériale; qu'en dîraUje? certes, jeJnepuia 
w nfeii' iretix ^Ire .de mal; s^ je jurei» Jlis 
qae diu'bten, qni voudra mè*cr&ire S; j«r bMH 
bornerai donc à dire^ et ce lie sera pas le 
portrait le moins exact, que delà jChauasMs 
diA n ti n et |!tu; famhvu rg Sai nt- G ennatn réu nkTf 
on peitt s«^ faine ç ne- assez juste idée de w 
uohiecgseï deiilieiapive." 

; Ji'avaisiiènpièe^ pousser mes obser^ùl^ 
tifns*»plttèiiliaul:!çrneore; de parler de la*p#ttni> 
B8als'aflH>n8»^^noÀs une cour? si -c'est un ma^ 
a! G;est M bien/ cest ce que*, Dieu merci^ 
je^sne aùi9^]xa8'âp|Mé à discuter Ici. Mald» 
enfin avons-nous une cour? en aviona-mma 
ménsteiliti/iMué Cfhseles Xr. Peut-on appe- 
ler de ce nom ces bals que donnaijt une 
jeune princesse, et où Vétiquette restait à 
la 'porte? Mais on-<«-^ amusait; mais, si 
ee n'étaient pas des bals de cour, c'étaient 
du moins des bals parisiens, des bals où 
rien ne manquait, pas même la folie« Et 
je dia vrai ici, car on se souvient qu'un 
jour^ la duchesse de Berri entendant quel* 



qa on dire ^«'il allait M rètfr^r, courut à h 
porte du dernier salon, la ferma à double 
leur, et retint j^riomphante mettre* la def 
sons une pendule,' disant avec une joie d'en-" 
fiint: ,fSor<ez donc maintenant...^^ ^Certes 
c'était tiilfn là nne folie {iarisienne» . i*i 
^;^ile "milà^Itfirvenu au plne.iiaut def^é^de 
Héetellè sociaM! . Sans donte, qfiiand je re- 
^rde en arrière, je m'aperçois avec eonfo- 
flioii que .je suis iponté .trop, vite, et que 
5^ enjamlié bien des éGbBions< wns 1m 
fouclier. Mais vraiment je .n'ai pnsle^coin 
rage de redescendre poav.ffioakattieMm^'iiuL 
tftdie, et je dois dirf «àS8ii^l«to.' était 
quelques-uns de si peu «Bgftge^iiÉitquertiè 
les ai passés tout.eKprès. ?Aii-'jft.vnialfatt[ 
en celaf s*ll en lest ainsi, «quiid me le pai^-^ 
jbnnë; mais joi pois piM^tecquej'ai vonla 

Mea faire. '• ^ ^t^ • f • 

: NAPOLdoM D'ABRAMITËS. 

:. . .F* j ■ ' .. . . • 

» . . ■ * /.«v^a «? .'.■:'■•.' .. /' a..» ./ 



PARIS A CHERBOURG. 



Je vonlflis le voir à C&erboui^, au mllten 
d'jm grand port iet d'uft'vnsie arsenal nai»* 
«nts, cePntis qu'en:' 1930 j'avais reiicbntrâ 
dans un autre purt, daif» un nutr* arsenal, k 
Tauimi, au inoniient de l'expédition d'AI<rer; 

Ce Paris gentleman, riche,' filahionablej 
curieex, désoeuvré, qui a besoin d'aetlfHê, 
d'éiBtttions, dii spectacle»; ' 

' Ce Paris qui r. le sentktfetrt aiise^arélste 
pour échanger, quand li peut, sa vie de 
château, duuce et isolle, contre la vie er* 
nnte des vnjagesj les'fiiligues des routes 
et les privaliops trés-cbères du mal-étra 
dies auberges; . , . 



v^» «» *.. 



. 390 

Ce Paris qu'on trouve, dans la personie 
de quelques uns de ses représentants les 

{lus élégantj^ .'. et * lès plus spirituels, à 
Ueppe, à Londr^^à Genève, à Florence, 
à Pétersbonrg, à Naples, en Allemagne, 
aux eaux ^^^Côntraxville pu du Mont-d'Or, 
au palais ^^^^tScàa, sous les arcades de 
la place SarH|dltl|1re , sur les terrasses em- 
brasées de la Ctassauba d'Âl-djezaïr^ par- 
tout enfin. 

Je voulais jouir de ses ravissements ao 
milieu des splendeurs pittoresques, d'une 
fête navale, à l*aspect du monument de 

{granit que le dix -buitléme siècle nous a 
égué à peine éhAi|ché| ^t ^que uoiis aurons, 
jea^re, la sage / vanité idci^rouLoir laisser 
achevé et parfait aiu^giiiôiratj^ns -maritimes 
de la fin du dii^-.neHEViçfmc^r ri.. 

ToHtefotîa,! eette étud«i amusante n'était 
pas .U- ^^P que j eusfiie à £Mre. Utie mis- 
sion. M)éi|i49 me coi^duisaU à- Cherbourg. 
Chef de Tune des- sections historiques an 
ministère de la niariai^ t) jp idevais étudier 

*) Au ministère tiè lir marine' 'il y 'à'îâ'eux section» 
historiques. M; VtetHèt^ ancien ofâcier de mtt- 
rue ^et auteur estimé [de^ln. partie «nvale des 
Victoires et Coji^uêtes , ejBt le chef d« la premiène. 
lie 1. juillet 1831, M. l'admîral de .I^i^oy 
m'a fait Thonneur de me coufier la' secondé. £b 



39 i 

dans tontes leurs parties le port, la digae^ 
les cales couvertes, les ateliers, les forts: 
ensemble déjà maguifique, qui occupera une 
si grande place dans l'histoire des établis- 
sements de la moderne marine française. 
11 était anssi dans mes devoirs d'examiner 
tout ce qui, à bord des bâtiments de guerre, 
en fait de machines, dinstallations nouvelles 
ou de perfectionnements, a été imaginé 
depuis trois ans que je n'avais vu la flotte^ 
afin que Tbistorlen des hommes et des faits 
puisse être aussi Thistorien de Tarj:. Car 
les choses ne se séparent guère des hommes 
en marine; l'art doit marcher, dans This- 
toire navale, à côté des actions auxquelles 
Il est d'ordirtaire très-intimement lié. 

Voilà donc pourquoi je me rendais à Cher- 
bourg. Et c'était' au moment où le roi s'y 
trouverait qu'il fallait que j'y fusse, parce 

acceptant cette fonction du mîniatre, dont la 
bienveillance pour moi est très-g^rande, j'ai plut 
consulté sans doute mon goût passionné pour la 
marine que mes forces et mon talent. Je sais 
quelles obligations ine sont imposées, quelle 
tâche j'ai à remplir J ma vie s*y «sera, mais 
non pas ma constance. L'espoir d'être utile k 
la marine, qui a besoin d'être connue, et au 
public, qui veut la. connaître, me soutiendra 
dans une entreprise eu j'entrevois de loin plus 
d'un obslacle. 



S92 

qa*a]or8 une division de neuf bâtiments très^ 
bien tenue y serait réunie; parce que, aussl^ 
des questions importantes de?aient êtrt 
discutés, qui intéresseraient Tavenir de 
notre- beau port de la Manche: on allait 
faire de l'histoire pendant les fêtes. 

 ces fêtes, je «avais que je rencontre- 
rais Paris. Je Vy rencontrai en effet, coa« 
rant, se muitipliant, se culbutant pour 
arriver ici et là tout à la fois ; embarquant 
dans les canots, se saufilant dans les forts 
et sur le bateau à vapeur, interrogeant dans 
les ateliers, piloté par quelques vieux n»a- 
telots dans les détours qui conduisent da 
chantier Chantereine au bassin à âot, mon^ 
tant dans les vaisseaux en construction, et 
émerveillé devant ces masses gigantesqnes 
de bois croisés, superposés, taillés en lignes 
courbes et en lignes droites dont la io'> 
gique lui échappait, parce qu'il ft^ut, pour 
là saisir, quelque chose de plus encore que 
des explications fugitives, données dans 
une langue spéciale par des ouvriers qui 
ne savent pns . traduire en français leur 
idiome, pour la facilité des personnes étran- 
gères à la marine et à la construction des 
navires. 

Puisque je suis avec notre Paris à 



393 

Tane des calefit sous la couverture des« 

quelles rarcliitecte naval élève ces citadelles 

flottantes qui doivent un jour défendre 

l'océan français, je dois dire ce qui in*y 

arriva. Jetais tout occupé à causer avec 

le gardien du vaissea» le Friedland, marin 

de la vieille roche, ^rand conteur de ces 

belles histoires que j'aime tant, ravissant 

faiseur de cuirs prétentieux qui auraient 

une fortune au théâtre; j'allais savoir le 

nom de ce bel-esprit de gaillard-d*avant ^0 

Ïui m'avait promené déjà de Marseille à 
Jo de la Plata à travers cent anecdotes 
et un déluge de jeux de mots goudronnés, 
plus riches et assurément .plus dr6le» qu^ 
tous les tropes de Beauzée et de M. Du* 
marsais, quand un jeune homme, que j'avais 
aperçu k tahle d'hôte à Lisieux, me.vecon» 
nut et me salua. Je lui rendis son salul^ 
et, de politesse en politesse, nous, fautes 
bientôt bras dessus bras dessous,, intimes 
amis comme deux Robinsons que le hasard 
a jetés sur la même côte, ou comme deux 
Français qui ont fait ensemble quelques 
postes dans' une diligence. Mon homme 

*) Partie du pont d» vaîfseau où les matelots se- 
journeint pendant la journée. Le gaillard d'ar- 
rière est réservé à l'état-n)a|or. 



3M 

était, quand il me leva son chapeau et ne 
fit sfg^ne de venir à lui, sur le g^ranit do 
plan incliné où glissera le Fnedland .... s'il 
sachève jamais. Il reg;ardait Tarrière de 
ce navig;ateur colossal qui portera peut-être 
cent trente canons, mille matelots, et je ne 
sais quel poid^ de vivres, de boulets, de 
poudre, d'eau, d'armes, etc. Son lorg^noii 
à la main, la tête penchée en arrière, le 
dos plié *aved effort* en un arc dont la carde 
serait allée de son occiput à ses talons, îl 
n'avait pas mal Tiair ^éné d'un bossu exa- 
minant les peintures d'un plafond. 

„ Parbleu, mon cher monsieur, me d!t-îl, 
puisquej'ai le bonheur de vous rejoindre 
ici) soyes donc assez bon pour me faire 
compreti'djre ceci. Par où descendra ce 
vaisseau dans la mer? Combien entrera-t-il 
dans- l'eau qusnd il sera chargé ? Tout ce 
qi^ seni sous l'eau ne le gênera- 1- il pas 
beaucoup pour marcher et tourner à la vo- 
lonté du capitaine? Est-ce qu'il est néces- 
saire qu'il ait tout cela dans les flots quand 
il n'y a que ça à l'air ? Pourquoi ne fait- 
oupas les vaisseaux plats comme nos grands 
qateaux de la Seine, comqoe les bains Vigier, 
par exemple, qui sont, ma foi, aussi longs 
que ce Frîediandp** 



395 

•Il pressait taot les questions . ^ue j'avais 
de la peine à le suivre. J essayai pourtant, 
et jeu «us pour une* lieujre a répondre à 
4oiit.. Lorsque j eus fini, je Im-rdemandai 
s'U avait coaipris. 

y^Trèfl-bien, mon eber; il n'y a iquelané* 
msHiitë de ceMe immense tiranche dans là 
uroT'qiii ne nie parait pAs- bien idémontpéet. 
Il y ft :!& beameonp. de;holis:de .perdu^ et je 
tKBS' qu'on 'vole ici }e» goiiv«rne»eoi icomaie 

Plutôt que de recodinMtteer A "lui dire 
qiite la stabilité,, la solidité, la maiteko' dA 
vaisseau dépendent d& la forme et de.^lA 
Candeur de eeîs oeujvres quî^ à psfftlit^da 
la mise à Teaii 4|U navire, resteytt éaoiumi 
dans, la mer qu!elles déplacent, jeTe4ais- 
sai croire qu'en effet le gouvemeHieat 
était dupe» 

„Et depuis combien de temps e^t-on après 
ce vaisseau ? reprit le critique ingénieux. < 

— Depuis plus de vingt ans. 

-^ Vingt ans! pardieu, cela ne mitonné 
pas, avec- tout ce qu'on y a fait de su- 
perflu." 

1) en revenait à la carène, je ne soufflai 
plus le mot et je l'entendis qui dfaait à 
demi- voix : 



,; Je ftttfs bieii afse d^avdîr va les choses 
par inol-même. " 

Poi* tl'KJouta tout haut: 

»>J'ar' beaucoup. de chances ponr les pre- 
dhaiires élections; il n'y a que peu de dé- 
putés qui puissent parler sur la marine; 
|é |>a>rlerai , moi v et' c'est -v^ûb des ruisims 
4iii m'ont fiiit'' désirer de veiHr à Cher^ovi^. 
Je ne iberi^i pks^faeite eoratile'on lest à h 
éimmhvétj^iet'itr^m .'Verrons ai le bois est 
assez bon marché, avec Tétat d'amoindris- 
seaient^progfrviwff 'de nos ftiréts, pour quon 
le gaehe ainsi ! "^Cav, vous aurez beau dire, 
iéut ce qui est dans l'eau est inutile, se' 
ébrrèiiipt, je le vols* bien* Diable l on n'est 
rsi éconeme dans vos ports!.*. 
'Mais, monsieur, «lé 'faut-il pas à use 
des caves ? ; t «* 

— Oui, parce qu'on a des vins fins à y 
mettre. Au bord, il ' n'y ' à pas tant de luxe 
probablement. 

— Tout g^rand édifice ii'a:t*il pas des 
fondations profondes i '< - 

^r- Belle comparaison! Il faut que l'édifice 
soit bien appuyé, parce qu'il doit rester inimo- 
bile; tandis que le vaisseau doit courir sur l'éfta. 

— Et y avoir un pied, comme les olseavx 
aquatiques. : ^ 



S97 

. .^ Je vous çn demande pardon, mais tout 
ee^l ma Tair de sophismea faits pour sou* 
tenir «ne cause que vous voyez fortement 
attaquée. 

'^'Oui, fortement!... repris-je avec va 
80«firç. 

'—-Écoutez; vous avez raison. Il y a 
chez vo>us de l'esprit de métier. Vous avez 
été marin et vous appartenez au ministère 
de la Marine.; vous parlez comme vous de- 
vez faire. .Vous n'êtes pas libre; moi je 
le sois. > Je sois' indépendant et j*ai le droit 
d'attaquer. Au reste, ce n'est pas ici que 
je Tcux. fa-îrcrisco procès à ladministration 
c^Mt^à la tribune.^* 

r*'»Je n'ajoutai pas une syllabe et me tins 
pour battu, en invoquant tout bas le ciel 
pour qu'il préseifvât la chambre d*un membre 
aussi' éclairé. L'intrépidité dé mon jeuue 
bennae m'eifrayait; ce qui m'effrayait en- 
eatOKf^aést qu'il pouvait très-bien persuader 
à quelque collège électoral de l'intérieur 
qu'il avait étudié les questions maritimes 
et qu'il y a de ^andes économies à faire 
atiT les carènes des vaisseaux^ dans l'intérêt 
dutnésor et des forêts du royaume. 

J'avais perdu une heure à faire de la 
g;éométrie> de la navigation^ du raisonnement, 



S«8 

Je la démonstrfttion ; jamais quiéié le gar- 
dien du Fnedland qui m'amualiit antant que 
m'avait impatienté mon Parisleo ; j'étais foct 
en colère. Et cependant ce garçon-ià n'était 
pas nu sot; Il avait fait de bonne» études; 
il avait eu autrefois un accessit aa prîi 
d'honneur; Il savait encore du laHn^- et 
n'avait pas manqué de citer, avec im sou- 
pir, en voyant la rade agitée, le ruèur et tus 
triplex circa pectus d'Horace ^ quje les femmes 
apprennent aussi quand elles vont à Dieppe 
0U quand elles veulent sembafqnei* sur. le 
paquebot de Calais; Il n'avait rieiv d'ua 
fat outré; il paraissait accommodant pour 
beaucoup de choses; il fallut que jeu« troc* 
vasse une où il était intraitable ;'^ eelle 
justement où il n'entendait rien , comme il 
arrive d'ordinaire. Il aimait ia marine, c'était 
pour lui la révélation d'dne poésie non* 
velle; mais la marine veut - des étedes 
longues et sérieuses, et m vanité lè'-tiMii» 
pait là-dessus. i . '- 

J'eus plus de bonheur avec vu antre; il 
se laissa faire sans résistance au chapitre 
des carènes, des oeuvres vives, des façons 
et du reste; seulement, quand je lai eus 
appris l'âge de cet embryon ^ de vaisseau à 
qui, depuis une vingtaine d années , éa ea* 



399 

lève et Ton remet successivement ses 
membres et ses autres pièces principales, 
comme à son couteau, toujours le iiiéme 
d*ailleurs, Jeannot changeait la lame et le 
manche; quand je lui eus dit que cette car- 
casse inachevée, qui maintenant a nom 
FrUdland, S était appelée le Héros ^ le Roi de 
Rome, h Duc de Bordeaux^ et peut-être encore 
autrement, il me fit une grande déclamation 
politique sur l'instabilité des trônes; il com- 
para le vaisseau aux couKisans. qui chan- 
li^eiit de dévouement eu même temps que 
d habits; il me récita enfirU tontes les jolies 
choses morales qui couraient déjà le théâtre 
de la Foire et les devises de confiseurs, 
avant 17S!). Au moins, ne menaça-t-il pas, 
lui, de se faire député pour parler de ma- 
rhie à la chambre, où, sauf le respect que. 
je dois à ces messieurs, en en parle parfois 
si drôlement! 

Celui-ci et l'autre étaient, je dois Tavouer, 
deux exceptions dans le Paris que je trou- 
vai à Cherbourg. Lé reste me parut plein 
de cette intelligence ardente et déliée qui 
distingue les gens de la bonne compagnie 
de notre capitale, facile aux impressions 
profondes que la mer et les navires font 
sur toutesf ies imaginations vives ou tendres ; 



4oa 

désireux de connaître; qaestfonnenr pour 
apprendre et non pour discuter^ sentant 
enfin que la marine veut qu'on rexamine de 
prés, qu'on Fctodie sérieusement, et qo« 
c'est un art auquel tous les arfs apportent 
an tribut, qui s'appuie sur toutes les sciences, 
qui a sa poésie propre comme il a sa lang^oe 
spéciale, langue riche, colorée, abourlante, 
dont presque tous les mots sont une figure 
et ont les plus belles origines. 

Le vrai type de ce Paris que je vlen^ de 
dire, était un avocat {eune et distingué, 
M. M... La peinture de Gudin et la lecture 
de ce que mes amis Edouard Corbière et 
Eugène Sue ont écrit sur la vie de la mer 
lui avaient inspirée un goût très -prononcé 
pour la marine. Il était venu à Cherbourg 
passer le temps des vacances du palais pour 
se donner largement, et de natum, les joins- 
sances que lui avaient fait éprouver les ta- 
bleaux de ces artistes habiles. 

Je fis sa rencontre sur le quai du port 
marchand 7 un matin qu'il ventait très-frafs 
du nord -ouest, et que des grains de pinle, 
chassés par cette bise passagère et rapide 
qui cingle au raverse ^e la figure comme 
la mécbc dune cravache ^ et que pour cette 
raison on appelle iin coup de fouet ^ rendaient 



h t^aèé pèflletfabrrel ' llétàfi dànd taùteiltf 

ferveur dë^se» pre^iières jviiéd, beiirétik deti 

clëcouvertea^ qu'il avait faites en luirinériie à 

Taspéet de choses merVéUieuses et toàtes 

nouvelles cTôht le speetaele g^randiosè lavait 

frappé. Il ne sentait hi le fi;okl ni ta pitiie. 

La mer se brfsÂfl av^c farce isut le /mUsbir'^ 

de la jetée qiiVFle couvrait d'écùimé*, et n 

était allé là sàiifi s'InqUiétet dé leati (jn? 

jaillissait en nap^s le long âé la roaçbiine^l 

rie, pour retomber en poussière iiumide ov 

en larges filets sur son vStenient léger;' if 

en revenait ti*empc comme un fleuve, se 

moquant de- uois manteaux bien boutouiiésj^ 

it deé capotes de toile cirée doutas enveltop^ 

)ent les officiers, qui peutënt'biéh fàînë. 

lans enthottoiasme des corvéeÀ ^énibleï ë.f 

nnuyeuses dans leurs clafil^otii battus ^a'f lir 

ler et le vent. Il |yArtait 4^ tout* ce qu^ll 

vaitvn avec adlhftallon en homme passionné^' 

u fttirplu^', ce qn il avait vii' justifiait aWàes 

»tte chaleur il u faihgfage qui accumulait leit* 

"^^ I/éxtrèmê ^t<né]<iééi £llte'd|t arror/dîe. Je' 
ne sais si^viasdir^ade Ifaiialogie avet ^^tutedk^i 
et ai on a voulu donner à' la iète cie la jeté» 
' Ib Doni que reçoit osHè da marcomo;'ijiioi({tt*il 
ennùHn la^ Biotest trèfAUsité, bien qu'uq die* 
tionnaire foit eatima dise rto'U cat inuiké..' 

LXXXVI. 2« 



4«% 

Ofin /élQg;^p.saia^,^e)H,tr;o^ tiède 4>ù trop in* 
çomplpt. , . . , :.\ : r, , 

Malgré les AvqrsQQ /ivéquentes, nkalgré le 
vent qui le courbait sur son /cheval^ comiM 
ce voyag^evr de Li( F.antaîji^^ qiie\se dlspa- 
tent Boriée. e^ Fh^^ui^, ,il.ét^)t,aUér^.n., pbare 
4e fiattevill^^ .pour m^^urefçdu regai'jil cette 
çpIon(xe.g;éante^cône tranqi^iQ de^ranit, liaot 
h,^fm pr^s, connue le qylîodre. de brooze de 
\^ place Veudàiue. Il avait couru les envi- 
rons de pherl^ourg, II. était moiité a^u «om- 
met du Roullp. poiir jouir diupanorama de h 
vlUçi. 4?4 ;dpi]|l(; ports^ des piromepadea, de 
h^, i;adf^ de, jaroutiB de^Caeii; et .du très-joli 
jf rd^" JP?.3péravX|. ro^^ odora^ite. et fraîche» 
qi|veJ^te. aux juut^ocli^*.' aride^ i\ était allé 
4'atelj^ri^.eii; a^ierjs^ .de magasins eu maga- 
9in$^ de qal^ e^ o^^e^ 4m Jiipùer an Générmx, *) 
du '^Mnjf.stAk.LofipTQrf. tq^t^urs;. s'Iuform^o^ 
appte/iAQty.retaqanV pceqa^f d^0 nettes qnil 
doit çpiJ(%8§er îfi ajoi^, j>9jir,6?|ei: |se^ j9Dq ves^in. 

Mats sa campagne n*eût pas été^ complète, 
s'il n'a^Yàlt vp. 1» 9[ier..^q^c^,:d« riyage ou sar 
QD des bateaux ^ui ibènéni, en calme, les 

''*) YaÎ9.Be»miHàe Hgvë tèvi neqfo H qvf»m nlii pas 
. «ooore inig tm «armèmeat.- lift aoal* aMuréa 
d*aa U bastih 4 Aot. r ^ > : . ».i. ti 



40S 

l»( curieus à .la digtie; M. M.-.; voulcitlainiisqt 
ie« connaître, Tétudier d'un peu plus près> se 
donner en même temps le plaisir d'une na* 
•j.1 Tîgation en règle; il trouva le bon moyen» 
m Pendant qiie d'au très* Parisiens bornaient 
lit leurs cottrseà au rempart an à la jetëe^ 
la heureux du spectacle que leur donnait U 
rff rade légèrement agitée par un faible brise 
:i, du matin, lui, an courajit des nouvelles de 
^ Vescadre, avait appris que les* bâtiments 
sous les ordres de M. le contre -amiral 
baron de Mackau devaient appareiller pont 
faire quelques évolutions. C'était bien son 
affaire. Il s'ingénie, et |>arvlent à son -but. 
Il ne connaît ni commandants, ni officiers 
dans la division navale; n'importe, il est 
étranger, homme de bonne façon, bien par^ 
lant, et se présentant bien; et pnfs, Il est 

Sonr la marine un néophyte ardent; qui 
dnc refuserait de Pacclbieilllr ? 11 salt,^ 
d'ailleurs, que les officiers de la marine 
sont ieé hôtea aimabléii et bienveillants, 
recevant avec une cordiale politesse les 
Tislteors et les passagers ^ù^ dame Fortune 
leur adresse; il vii droit à nn d'eux , -^ 
c'était neutre es^eellent ami , M« BenjAmlo 
Letouipneur ,* le capitaine de la ceryette im 
iVitfX^^ _ lui dit ^oB éûkhànm^ %ott désir^ 

■ . 



404 

la joi€ qil'il aorait'à £^ veir sobs voiles, 
à quelques lieues du rivage, décline se» 
uoms et qualités. •«• C'en était pins qu'il 
n'en fallait. 

. nKons appareillerons probablement de- 
main, an point du jour, si le temps est 
favorable; ujie nuit passée à bord tous 
effraierait-elle? 

— Loin de là, commaiidant, c*eist une par- 
tie charmante* 

-^ Eh! bien, monsieur, je vous emmènerai 
tout à l'heure ) et irons verrez demain la 
division à la >mer; 

-^ Auel .boaheur, 'et combien je vous snis 
obligé!** 

Le canot du. capitaine retourne à bord 
de la Naïade, emportant l'avocat parisien^ 
qui est reçu de la manière la plus affable 
par rétat*major du bâtiment. Une collation 
est servie, et M. M. 4ie regrette^ qn'une 
chose, c^est qu:avec les vins de Xérès et 
d^ JMalaga, avec les ^ea liqueurs dea dheox 
hémisphères, on lui offre des gâteaux an 
lien, de ce biscuit dout se nourrissent les 
marina pendant leurs longs voyages* On 



cause, et la soirée sapasse. Un lit:, qui 
B*a que ^ Vinconvénient de ressembler trop 
fitfx bonnes couches des slbarites de noa 



408 

grandes villes, est offert à notre Parisien*, 
désolé qu'on i.ne lui dotlne pas, pour l'ama» 
rlqer tout-à-fait, un hamac de matelot oa 
au moins un cadre '*')• La ifnit s écoule 
Xjie à travers des songea riants. • Rien n'a 
dérangé le passager profondément endormi 
^t le doux balailcementd*unvrouljs à peine 
sensible-;. -et le . premier coup de baguette 
de la dLane^ le surprend rêvant , comme uil 
jeune .écoliei;, au, plaisir qu*il se promet 
pour la journée qfui > va commencer. Lé 
WanleKbas, le nettoyage occupent .quelques 
instants,' e^ trompent 4 Unpatiefice qu'il a:de 
yojr monter à la'verg«^ deJa frégate ami'? 
raie le signal d*appareiller. ^ 'A la, fin, le 
voilà, ce signal bienheureux!. 
. Jamais les yeux du Parisien ne. suffiront 
à voir tant de choses à la fois. Comment 
diébrouillerartrileecliaos où il ne saurait 
troQvejr IWdre qui existe pou^rtant? D)e»{ 

'^) Espère de hamac dont le fond ' est garni d'iiii 
^ lfet;firng)<>' de' "béis 8ui^ lequel est èlouéé une toîié 
. forte cjui porteMes matelas. €é lit est très- 
cainmode}' oo y. est à merveille, , bien à raise^ 
bien étendu,, et non ployé comme dans le hamae 
orduittiie. Le cadre tient à bord plus de. place 
que le harfiac; voilà 'pourquoi les Aiatelots nù 
peuvent avoir que ces longs sacs qu'ils roulfiit 
et placeotidâflisJe Itâstiagua^ «^utoiir* du: yànt 
supérieur du bâtiment. 



406 

quel mbuvément! quelle acttvfté! qoelle 
Bliictè tfbéissâtnee de tous aux ordres d'un 
seul! Tout marche ensemble^ des bemmes 
sont montée sur' les ver^aes pour^ (arguer 
les voiles quoh donnera tout à l'heure an 
v^nt. Le brarilô-%âs .'de 'combat (car on 
doft's!«iu1ér une 'rencontre atméè) 's^opère 
tfur le pont dp la c^^rvette» pendant' qu'ott 
file à la fner la chaîne du- corps -<n»ort, *} 
dont le bruit fait uii> lourd aecouîtïagneiiieut 
de^ basse au eris aigus dn sifflet dès in<iitres 
d^éqinpag;e4 Le grliiceuièut des poulies de 
drisses, au udi^yen desquelles oti Ait tttanter 
à' iai tête >dès«aiiâtsiies<yoiles dehune qu'on 
vient de déployer'5 ajouta» àî ce tapag^é une 
voix que vous trouveriez intsdpportable dans 
font -autre ichoeur que 'ceiui^ gui se ehante 
i bord au mdnteni de Tappareillage, maïs 
qui n'est pas fci sans charms et sans effet. 
Aiû.' ^urpluS)' peu.de voit d'hommes setnélent 
à ce concert; quelques conscrits de Tînté- 
rieur hasardent; bien ùnje^/parple^ m!ais le 
silence leur, est imposé sur.- le -icharop . par 
la discipline. Attention, activité et silence, 
trois conditions essentielles de 1 exécution, 
qui doit être yly:cî, précise, e| jâmaijs rai- 



*r- 






sbnnevsé. 'ÎTàyé^ pftià 'peur 1^»e lé'îôoniftitiii' 
latit lui-Ebémé parie trop'liàut oii criedài^s 
son pbrte-Toirj le^tenips est jpassé où rèji 
se faisait *un mérite 'A'nif commatidè^ment à 
fcuë têtçy et qiif aviaft 1k-^îoitïb -d'tfïi^ coutt 
3* point' ' Ori rie p&dé plus en Jean Bàjft 
Se cbirfédfé'^iiW àfftttatioiiJiJàrgenrèi. ma- 
rin ;^*V>Ti W'cWrt ''p\u^ qrte pour être bbd 
3ffitiiefr tin ait besoin de beaucoup ' hoirie, 
iurier,'^f«mer, chiquer, et cHer. Ljï ëiviU- 
satltih est éntVéé î bort'dfes' Vàtsrfeâiix bu 
iirsAéià\Ui^'tèmps\^gné'\à bVutklftë grôst 
siêi-ë'lsdijf* 1^ tîàih de frànchWiç', fa i^a^và- 
^érîel sè^iiéf 'Ife noni d-apptitatïon àpeëiald 
iux èliôses** 8ii' m^ttiér, 1 absenté' du^ sâvbîrr 
irivtéf ^ëils lé nom h)^kt de brusquerie; que 
saJs-Je encoi*e? L'es officîeri de la marine 

sont ôilj(iurd'hiri,"'à''p«tt .^'^xcepti^ons près, 
Ses hortVhew'dii' îàonde 4 '-remarquables jjaê 
la pélitfes^e, faisaht âe^^lfeur *état hnébKbséï 
çra^e éfséi'fèXiseiiîiâîs 'ne se donnant pXbti 
l air' d augures, parlant de la science secrètéy 
et ayant poW le théâtral eï le charlata- 
nismeie mépris qif ils méritent. Cela, comme 
tout le 'reste, surprit, jIr pense^ le passagei;» 
3e la Naïade, qui, peut-être, en était erifeote 
mx' iharfns *du ValidéTtlle et dé TOpéra^: 



Jdmîquè'.'' ''" ^' ''^ •" "' 



î 



. .Ce o'esfe pas là que devaient finir sca 
çtoanementa. Voilà |a corvette sous voiles, 
9*e^sayant à marcher,^ j^réladaiit> pour ainsi 
dire;, pi^r q^ojelques i^^s^ à.la. course .qu^ella 
^evra Jfouriiir bjLentpt^ .tons les }autres«$§tiT 
ibÇBta ont quilté . au;isi Jeu'rs^ moiijllji^es; 
T^acaymaoo^uvre.^pouf prendre le. posfe 
'qI lui est.assfgpé par onfiigqaliie l'^ijauralt 
!e moment de pèle -mâle est . charoiaof. 
Les navires dans toutes les positions, sous 
d<;s .voijl^re^, diverses 9; djffprents.de rgran- 
dçvrs et de fornfea^, f^rég^atesi ^ç^vetfef et 
bricks; Ve Sj[ilt^i|| blanchissait feu^s^voiles^ 
et brillant, à. 1a .|i^f|]te. die .Qliai)iie,. P^Mi^ 
Tagve comme au commet d'iin^ pyr^ayde 
dé cristal; la djgae qui fuit; les.cô^s qui 
cbangent.de profils et dç couleur; la vieille 
tour du rempart qui s'abai.sRc çt se confond ' 
ijyec J église, gotjiique, 4^ Çberbpj^rg; des 
batéapx à raucre,qn. ^ la< voile pr^s^.de îa 
jcitée; psr-de^us tout .cela, une, bc^lle cou^ 
pôle, dazur., illuminée irpar les premiers 
rayons fdn joui*, et, en quelqMCs endroits^ 
tachée de légers nuages blancs, dorés^ dia- 
phanes, cotoneux comme ce duvet quan 
temps des moissons Ip vent. enlève au cbarr 
don JEj^nrl : c'est, ;.i;i%, spect/icle; ;dé;,llcie«Xt 
'^'' ^re Parisien en jouit tout à soi|,^&^ 



m 

pieu «»it; W«^em-i| eH{,.;ii;«Mî?ieiix ;$âtf 
q^ai du 4;çmpart!, Jy trQiitv,ai,. ye^&^fljjç 

• I^H _ 4. _ J. « I _. ^ 



b)ef^K^ ti|)^^»:tita^sf>flr«iiU9><liimtnQiMX^6l'te^è« 

it 4«w«»fi3 d^Mériji .'à <)lliiiiéritiir;:»'isiiiyilft 

ïs .cais»eisr;de.!inQde89 de rob^^^ de htjouxf 
u.iest phosyit^.- deni^iidé^s «pai*: les 'belLed 
Linafl^ .d^r.l(t» ipf^iUe vUle •. (fafaafie - normaadi) 
IX <oiivi>[^rQ^r4tux n)|iv«tfaiideay .aQX:arti»ta| 
eins .tie. goût die. Ja.\ grande viUe euROV 
ïe»n&u Avec. .toAl^ cet n équipage, .bo«I( 
'ions franchi a$seElourd«fiieiit4 mais aiiBfti 

■ 

i3ezr joyeuBemeol) les q«iai'ante-aix..pa8te« 
li aëj^rent'Pam du vieux tbour^ d^ Céi 
ir.9«ii'd6rC!barIes<i jo: «}^ iaaiaiidM|uel, .Mft9 
krboui^ Wi: QheraboMg^ eèaune^w il'^oU^ 



\ 



m 

le« côtes. . ,qui fatorn Uu^eiit * anx travaux de 
Ç]ilie.r bourg: ra4niirAible.:|;raoît .rose et gris 
4mi^lcUJ^ prôpoiet la durée décaaéculaîre qu'oui 
fiît^iiMSo iea monfiiiieiiti^ de. la Grèce #1; de- 
îl^ypl*' W»ttqwa«,; 4© forl^^du ftopimet, ^é- 
£flf^ de.iU paii90 Onm^ i^ la rad^» comme 
l^l'o^rt^lfto^lil ««I. œlip 4e la p^saeJSst : fort 
oui a'Conserv^ l/e(yie^x^ noair de la baronnie 
d.ea.cppnétablea^ béréditaires de la duché de 
l^pruiandle, mais q<it ne s'est pas élevé sur 
\^s luin^s rde. J'ancieiii ebatqaii An Hommet, 

Îar44en, avee le cbalîeitii. d^>la Hivic^e.^. des 
r^t^9 ptiéi^gatli^ea f3t)poiiV4fîrs :du>seiicoeiir 
$t iïftif.9ni:de iVudroU; ^june: .«tes. sentiiielles 
avancées de la place maritime, le fo^'t de 
Att0irqi|evîUe) 'dont^ j'ren demandé bien par- 
don aux antiquaires, le uoia ae doit pojnt 
B'éfUtXxe Kerqumlle^ parce que QuerquevtUe 
étaij; la; u^i^f dû cbénof C^<//b (fumt^% 
t^QDdfQe le ^^\ de^^Ceré étaU« le Valloa. de 
ipér<ès.. o^ (des . belles jmoiasota;^ >à notre 
igaicchef les- cales de.constructiôus couvertes 
sous' lesquelles naissent, g^raadissent, et 

* *) M* le éapîtaîne de vaisseau Lemaitre, traduit 

devàflt tin conseil de guerre 'px>ur' y être jugé 

*;'• sài^'lët «ait de'v.ia perte dé ksi tté^ié\ a été le- 



4ii 

leiillsdént quelquefois léâi grande vafsâeànt 
e guerre; pins près 'dé nous/ hi ville éi 
i pdrt maritimes; plus près encore, lé 
Dcher du Roulle déjà à demi transporté 
ans la' mer bu 6%s quartiers servent de 
ase à la digne; et te chemiii de fer qui 
ransporte, du Roiiile au port, où oii les 
mbarqne, ces fragments- destinés au taille^ 
ler de la rade; une avenue d'arbres près** 
ue au-dessous de nous; des maisons bor» 
ant la route; des fossés de défense; des 
ochèrs au premier plan: tels sont les dé« 
ails du^ tableau que nous eûmes un demi*' 
|uart d'heiire devant lés yeux, La Fùta 
le Marseille, qui montre ttn met d*hidig^ 
LU voyageur, émerveillé de trouver là deux 
icéaris daznr, l'un sur la tété, lautre à 
les piedsy la Fista est un amphithéâtre ont 
nérite toute ladmiratlon qu^ont pour lui 
es Provençaux ^ - mais je lui préfère celui 
Toù l'on volt Cherbourg. Il y a ici moîn$ 
)e poésie calme et chaude que là-baa, malA 
[1 y a - plus ^ de mouvement, plus ^de via 
maritfmé active, plus de cette grandeur que 
les travaux des hommes savent quelquefois 
imprimer au paysage quand ils sont bien 
en barBknife avec le caractère des HgHes^ 
et lor cottlett^ locale^' Je crois que 'tés Pii« 



41* 

risieo» qne jVvais vos ea extase à la YlsU 
de Marseille convieanent de cela; plusfienra^ 
do moins, me Tout dit sur cette côte d'os 
nous regardions la ville et la mer de la 
Manche. . Je ne comparelrais à la vue da 
Cherbourg^ que celle de Brest, prise do 
télégraphe; . Brest, aurait 1 avantage , ai la 
courbe de sa rade excellente ne se refer- 
mait pas .au Goulet.^ pour faire na graad 
lacy et limiter l'horizon de la mer. 
^. Brest, Cherbourg, la Vista, ce sont là 
de beaux sujets de peinture. Oh ! conablen, 
cette fois encore, j ai regretté qu*UB instru- 
ment aipssi ingrat que la plume m ait été 
4onné aijL jiieu d*un pinceau! Que faire 
avep quelques épithétes pour colorer des 
études d*aprèa nature? ttuelle triste pa- 
lette qu*un dictionnaire où Ton trouve l'em» 
S base et point la chsieur, la sécheresse 
!na substantif à la place de la largeur 
id auie ligne . ardente de vermillon ou àe 
jaui^e de chràmel Faites donc des^ croquis 
av;ee quelques mots, comme le peiptre avec 
quelques coups de crayon noir et blane! 
faites donc i^yec votre analyse méthodique 
an panorama que l'oeil puisse eoibrasser 
ton^^dun coup ^, un portrait 4e locaJitéiç oi 
•a ti^iUiflt la. . rfïaseiiibliùice:^ } effets la 



3é3ie2^vc^^ fuqi^eli^i^lqupfi qui. n aura pa* 

Li VorigÎJ^I puisste p;ji'eDdi*e plaisir !. ;Nos 

istrumeiita à, nous sppt Insuffisants. Nous 

.e ^ga^venqns jamais, a tout dire sans fa- 

^gH>^i I^ ,rfi.eiuti;e .peut . accuser; tous les; 

létail^ ./^9.)Cf;^n4r^, fiq , déplaire , ou 4'en« 

iuypr;^.^ive ,to|iche .s.j>irltuelie;. en ditjplus 

i^hez. lui que chez .nou9^ vingt traita àt 

prpse^..l)leH justecf, Jiien exactiii, Ujen; isf^ 

nieiix*; et puis» sur la toile^ avec le secours 

d'une couleur matérielle» que Ion sait mo-^ 

dlfier? tous les ol]Ȕets prennent leur fai^e 

réelle 9 sMiarmonlsent , .se mettent ^à feiir 

pla^e; s"!* notre pauvre papiier,. «tout .est 

suc. le n^éme .plan, nous, ne /pouvons rie» 

£aire déta,dber. Si nous rendons saillant 

un obje^,, c'est i yrand'peine, et à.condtitloit» 

que nous sacrifierons tout le reste ; nous 

nlavons pas I9 clair-obsour, la demi-teinte» 

le. J^^Aat j } \P' glacis; nous spmHneS: bien À 

plaindre ^ fit j'fii.vu,des peintr-es nous*, porter 

envie}; iiig.rat9y qu ils son); eiiyer^ leur art! 

)'^QIi^ i^fti|iii|ies 4esceHdu^ à Cberli^urig.* 

4*^.i4irtaV4Je ,4eîOe|l^ Ylll^, ^ont le i^avé- 

d%|^ilex».i§iîge> mais taijlé aiiaçettest a*gii». 

laiT^iV|Hia coiipie^ leaipieds^.^.dont. la plit»^ 

paFtjJ^ jnnijions, ib&tffB. M^ «*« ptorret 



4ltf 

de la' tliér qfii>, éii''së'fttlifjfthf,|iurait laissé 
ûQt leurs miffb, faumlAès àTbéll,''ti^e couche 
de yarach et de Hiboii; dont quelques rues 
seront assez belles, quand tfn peu der j^oat 
aura ^résid.^ aux récolistractièns ? ' E^cwt 
si, dnns ces Viertleà ^-ues, énrèl^i'tJuviitt^le 
pittoresque- d1^s'anéîtfiriie§ villes ifi<»f mandes, 
ék liàYre et de RbËën^ dàné -Ifeui^ qnàr- 
ttem gdtfa^qiitsf ttitlis nett. -dueloues ma* 
sures à toits j>oiiittis/ une rlie* ou rod a 
laissé debout des arcades du seizième siècle^ 
YOità tout. Quant ain^ traces d'art , deux 
0v Irots 4^nt au piUs: une fenêtre oriiée, 
att-<dessas du' paséag^é Grrisbéc; et deux 
petits lAdrceàux* de sculptiire^, airx coin» 
des Vifes des Pestes et ^ la -Vase, . images 
gi^ossièrês des guerriers du qnat«rzi*èiAe 
siècle, qu'U faudrait prendre pour des car- 
rtcatores, si Fôn ne connaissait pas ITg^o- 
rante naïveté des sculpteurs de éëtteép^re. 
La' seule efaose qui aitde rinlpWtancé,- ce 
n'est pas la vieille tour : ^festè' dé^ fomfi- 



oatlonr qui tinrent'^! tong^ti^m^ edkifire 
Charters TU ^ ef hé rélètltrrénft .fiMriif^U^. 
eo 14ât( 9 àprëâ fa mdrt *de ^Tiif béir> ' \ét 
pour être ^ rasées en 1 5M ; c*ësr rë|flMe 
dé la jtrèsf- Sa! lilie - TBMté« Plusieurs tliar* 
maiits^ dètatb êii«é«^#^itl^ ttcïèWWanilw^ à 



417 

l'attention des amateurs, et consolent, par 
keur bon lie conservation, de la Ixeatité toute 
récente d'niie restauratign faite au portail ; 
restauration intelligente, tiélas! comme celle 
de rarc-de-trîomplie d'Orange, comme toutes 
celles qiie nous faisons aujonrd'hui à nos 
monuments! En dedans, rëglise est simple^ 
Ce qui la dut rendre bîipn curieuse^ c'était 
une longue ligne de bas-reliefs courant 
au-dessus des colonnes de la nef, et re- 
présentant, autant que j'ai pu le voir par 
(les fragments échappes à la rage des mar- 
teaux, la ville et le port de Cherbourg. 
Quel dommage que cette portraiture ait été 
mutilée? Oui Ta aîhsi^ détruite? ' Sont-çé 
les Anglais en se retirant? îïst-çe la rc- 
voliilion de 1793? personne n'a pu me le 
fifre. Dans la Trinité, ainsi que dans pres*^ 
que tontes DOS églises maintenant, de mnu>- 
vnlses AtfitUes, de' mattvals tableaux, et nn 
navire pendu à la voûte de la chapelle de 
la VU»rge, uu seul, le modèle d'une cor- 
vet/e de Templre! Une inscription, attachée 
kAo, niuraille' de la chapelle des fonds bap- 
tismaux, m'a frappé par son vieux langage 
et son orthograpliej je crois me la biea 
raptoeler: 
LXXXVL 27 



41S 

Cy deuat gpitt 1« corps thaa VauUier 
Qui en dmat dun coeur sain et ètier. 
Tint ie chemyn des décrets et edictz 
Du Seigneur Diefi sas aulcus contredicts» ' 
Pour toy subject à naturelle mort 
Amy bsat 83F- pitié te remort 
A tout le moins souhaite luy qu'il soit 
Avecques Dieu qui les ellenx reçoit. 

Voilà tout ce que j ai vu de reniarqaabk 
80US le rapport des arts dans la eité de 
Cherbourg^ car la halle jnoderne , ai elle 
est belle, c'est par sa masse. Et. puis, à 
quoi peut- elle servir? Cherbourg peut-îl 
être un marché de grains ? L'administration 
aurait bien dû appliquer le quart de Tar- 

Îent de cette construction inutile à celle 
un théâtre; 

Le théâtre de Cherbourg! quelle dérisfea! 
comment les chastes Muses, les Muses qol 
sont de bonne* compagnie, oseraiçat^^lles y 
entrer? Oh! cest tout-à-fi^it un manvals 
lieu que d'honnêtes Muses rongiralpiit de 
regarder seulement en passant; snsai se 
gardent-ellès de s'y montrer jamais. On 
^oue là quelquefois, mais '.toujours san» 
elles, et malgré elles. C est un péché dont 
elles n'ont pas la responsabilité. J'ai yn 
jadis la salle dé spectacle de Vannes^- vieille 
ehapelle ruinée, humide^ dans (aqaelle 



41» 

s élevaient des tréteaux à vaudevilles sur 
des touueaux, qui nous jetaient, au nez une 
odeur piquante de lie^jaigre^Jai vu la saUe 
le la Fei:^é-SQu/i-J<Hiare9 située aia fond 
Tune allée, chez un ^enuisier qu'il faut 
léranger de sou ouvrage pour aller s'as- 
seoir sur les bancs ae bois qu'il a faits; 
'ai vu le théâtre de Toulon, auquel je pré- 
érerais peut -être les deux autres, parée 
[u'au moius ils sont sans ornements aucuns, 
ans vanité de parure; et je croyais qu'il 
'était pas possible de trouver quelque 
hosë de plus hideux, de moins propre, 
e plus grotesque; mais la salie de Cher- 
ôurgm'à racommodé avec elles. Une grange, 
ne étabie, une écurie, tout ce que vous 
ouvez imaginer de Jaid, de dégoûtant, vaut 
leux que ce bouge ignoble, qui sent le 
ibac de la régie, la. marée et Thuile de 
)ix ayant toute épuratiox|. Décorations de 
scène, décorations de la salle, foyers des 
îteurs et actrices, c'est à faire horreur, 
1 plutôt c'est à faire pitié ! Comment peut» 
y avoir des comédiens assez malheureux 
mr Tenir entré ces feuillets déchirés, de* 
Liit quelques quinquets fumants, sous cette 
iture percée à jour, qui donne entrée au 
ut et à la pluie^ chanter des couplets on 



425 

ie corde qni avalent fait nos délicéa avant 
Tarrh'ée de la troupe caennaise; point. Il 

S rit son plaisir en patience, rit à gorge 
éployée comme faisaient les culs-goudrcn- 
nés des secondes loges et les aspirants da 

frarterré, et se montra tont-à-fait bonhomm^e. 
I fit là, comme attx fêtes de village, où il 
boit très-gaiement de fort mauvais vin dans 
de méchants cabarets. C'est tout simple; 
que lui importe l'art dramatique en province^ 
h lui, Paris égoïste? n'a-Ml pas madame 
Damoreau, mademoiselle Taglioni, Nourrit^ 
Levassenr, Perrot, la belle Grisi, Rabin!, 
Tambnrini, ArifaI, Bouffé, Odry, made- 
moiselle Jenfiy-Vertpré et mademoiselle 
Broban! et quand Ils lui manqueront, si la 
France ne leur en donne pas d'autres, TEii- 
rope n*y pourvoira - 1 - elle pas! Lonis XV 
disant r „ Qu'est -ce que cela me fait? ceci 
durera autant que moit*^ cest Paris riant 
k Cherbourg sur les mines de l'art dramar- 
tique. On a recrépi un théâtre pour Part^, 
comme un courtfsan avait badigeonné une 
Russie pour Catherine; mais si Cattlerlffe 
avait passé .derrière les villages peints, elle 
aurait probablement réfléchi : Paris a vn le 
théâtre de province à nu , avec ses plaiea, 
sa phtbisie, son asthme, son atre^ie^ et il 



a ri! Paris sait rire de tout.; Il cfst insoa» 
étant, personnel, moqnenr; et après lui, la 
fin du monde! ^ 

Une chose qni ne le fit pas rire cepeu'^ 
dant, c'est le prix auquel il paya rhosplta* 
Ittë qu'il reçut à Cherbooi^. Vauban avait 
Mmomme Clierboutg; tauher^ de la Manche, 
belle désignation q«ii disait assez ce qtie 
Lonis XIV fondait d'espefr pour Tavenir 
s«r ce port si petit encore; à la fin d'août 
1833, Vanber^e était pleine et Taubergistè 
.fort cher. Je ne parle point d'aimables 
habitants qui eurent la complaisance de se 

Séner beaucoup pour loger quelques-uns 
'entre nous qu'ils ne connaissiaient même 
pas; cenx*là méritent tonte notre recon*^ 
naissance; ils sont en dehors de la classe 
des spécnlateurs qui se nichèrent dans dés 
trous à rats pendant huit jours, pour louer 
à des prix ridicules leurs appartements aux 
étrangers. Tout ce qui put recevoir on lit 
dans les hôtels de Cherbourg, et quels 
hôtels! fut habité; rempli, encombré tant 
que- le roi fut dans la ville et quelque^ 
jours auparavant. Jai vu un- coin sons les 
toits, recevant air et jour par l'huis d'uue' 
tuile qu*on avait soulevée , être loué six 
franes par jour; et des lits payés plus de 



424 

vingt francs par nait. Aax tabks â liôt^s^ 
mal servieS) où tl fallait presque s'arracher 
les plats, comme autrefois, aux Chain pst 
I^yaëes^ oit s arrachait les pâtés mttiiieipaux 
des réjouissances publiques, on payait le 
droit de s'asseoir pendant deux longues 
Ueures inoccupées, de slx^àijix francs quaod 
ou était Français, <et beaucoup plus cher 
quand on était Anglais ; di^inction, au stirr 
pltts^ qui honore înfiulmeiit le patriotisme 
des bètêliers cberbourgeois. Pendant «se 
semaine ce fut un sens dessus dessous, use 
presse incroyables»- Dès cl^iq heures da 
matin, les miirchésy envahis par les donnes- 
tiques des purticeiiers, les BMiîtresd'hôtels 
à(K» bâtiments ,di^ guerre, les matelots des 
yachts, les eutainîers des hôtels, étaient 
dégarnis de provisiens^ Les ht;! les- et fines 
volailles, normandes, la viande de boucherie, 
les légttoies .apportés . de dix lieues à la 
ronde, rexceilent beun'e dMsigoy, qui méri- 
tjeraii seul q^iW fil le veyage de la Ner^ 
maivdie .pour ^le iiuMi|>;er frais, le poisson de 
la cote,^ diapalraissatent à peine étalés; il 
ue reatait^.eti«i|iie -sur les paniers des peis-* 
soniifècesy- dans Uj-n^ Gmndt^Rnt, ainsi qu'iHi 
la éeiU sur lea rosésde cette voie étroite, 
()ue l'auguille de mer^ poissoq à^u pr44ë- 



4i5 

Patres, dont «nous autres tourgeoi» de ParU 
lie faisons pas fi, œAis qui là-bas ne saurait 
aspirer aux tables de la moyenne et de la 
petite propriété, où se présentent le Boulet 
que César aimnit, le surmulet que CrîHor»'* 
Savarin, moins gfauù- homme qtie César 
assurément, mais ptlus gourmet, je croîs^ 
estimait à Tégal du rouget de Màrse^iUeé 
Les sèùleâ chasses de icousommatioii -qui' 
Il 'avaient pas éprouvé de rctiGhérlsseaiènt) 
étaient celles qu on servait au Café de Paris. 
niais prenez^y bien garde, n^allèz piufs Vous 
laisser abuser par le libm! Ce café dç 
' Paris-là n'a rien de èonimun avec celui que 
vo^us^ptmalçsez sUr le boulevard italien} 
Il pourrait à peiite prehdre rang p^rmi les 
cafés fdes extrémités de notre baitiieue^' ^\ 
c'est le seul' à Clrerbourgf. • ' 

Ainsi, Ciierb^nrg na ni cafés, ni hdftels ' 
garnis, passables, ni salle de spectacle, il 
a des bains d eau douce où Ton est fort 
bien, aiussi bien qua Paris et «ue da:is le 
Blidi;'il a des bains dé mer, où Ton ne se 
baignera peul-étre jamais, parce que Dieppe 
est noe viMe de plaisir faite pour attirer Tés 
baignenrSj tnrîdîs-tjtie Cheruourg est triste 
èt~ manque du confortable qu'il faut aux 
coureurs de bains de mer cpmitie aux \x^y 



4M 

bitiiës des eaux; il a une promenade . asse^ 
jolie, mais nn peu triste, et trop caque- 
té nse, oit tout le monde se saine et médit 
de qni il a salué. Nous avons su, dans 
noire pal^sage, toute la chronique amdnrense 
de la petite ville, qui se débitait le soir aa 
Ronlle; commérages menteurs où quelques 
▼anités déjeunes gens étaient engagées; 
indiscrétions ou inventions, qui d'ailleurs 
n'avaient point le mérite^ d'être piquantes^ 
Le Paris petite-ville, — -« car nous avons un 
Paris babillard, bonne -fem^me, aimant les 
licandales de r;Belles, les racontant, les 
colportant, les grossissant, — ce Paris est 
gai, fi^ritoel, amusant; Ckerhonrg cancanier 
n'est pas amusant du tout. 

Mais ce^ n*est pas cette espèce de plaisir 

Sue Paris était allé chercher sur les bords 
e la Manche. Si tout ce quil comptait 
trouver là n-a pu lui être donné, IL a ea 
d4i moins de beaux spectacles. Il lui a 
jnanq'Ué les masoenVres de l'escadre^ le 
«Imutacre d'un combat naval, et, le soir, 
riUumination des bâtiments snr rade; et 
c'est dommage.! car ce sont vraiment des 
choses mervef]!'euses qse celles -là! Une 
escadre illuminée par un temps calme, quand 
U mer dort comme une larce rivière sans 



44t 

eôtxrànts, et réfléchît dans de longs sflloiis 
brillants, qui semblent verticaux /les feux 
mvltipiiés des fanaux pendus aux vergues 
^cs navires, c'est un tableau dont Venise, 
parée la nuit de guirlandes lumioeuses, et 
se regardant avec coquetterie aii tic^îroir des 
lagunes, offre une image trop imparfaite. 
Les pyramides étincelantes sortant de là 
mer, sans que loeîl puisse découvrir quel 
moyen fantastique les pousse et lesjretient 
en Tair, ont bien un autre effet que la dif^ 
fusion des lampions qui, derrière eux, lais^ 
sent toujours deviner Tédlfice auquel ils 
sont accrochés. Paris qui a vu nos fêtes 
Impériales, royales et républicaines, lé chft^' 
teau Saint-Ange illumine, Venise embrasée 

ftar les réjouissances ft'ançaises, pendant 
a conquête, n'a pu Voir Fescadre de Chér^ 
bourg pavoisée de 'feux portugais *), et 
donnant le bal. Les manoeuvres sous voilés 
auraient en lieu sans le mauvais temps, 
inals la tempête qui a soulevé le canal et 

a laissé après elle tant àk deuil et âe re^ 

■Il- 1 ■ l ' i ■ t .. . ■ 

*y Espèce de fanaux n&uveUement adopliés dans la 
inarine française. Ils ne sont, pas fcraods.; par 
conséquent pas embarrassants et lourds ; leur 
monture est en caii're; la lumière y est placée 
an centre d^un globe de eristai é^ai^.- L^iit 
l^ boni indique leur orîgîu£, '^ 



4iS 

^rèts, aempécbé les bâtiments d apparc iller. 
Uuant au simulacre de combat, le salut de 
la rade, cjuand, le joi y est allé le 2 et le 
o septembre, a pu donner idée d'une affaire 
h l'ancre. 

Le coup d*oeil {ut magnifique, le 3 sur- 
tout. Â peine le bateau le Sphinx y portant 
le rp! et toute sa suite, aort^ît du port, quQ 
Vescadre, dont c)iaqit^e Mtimeiit était jdécoré 
des pavillon^ français, anglais et. belge, 
salua le pavilbh royal qui flottait au grand 
inât du navire à vapeur/ Ce bruit, répété 
lar écbos, et courant dans les vallées de. 
là mer agitée;/ le roulement, de^ coups de 
çan^n se pressant 9 se répondant; crette fu- 
mée firrisâtre de iartiHerie se détachant 
aur un ciel couvert; Ue vent dé réquinoxe 
qui. sifflaft dans les cordages^' et agitait 
énergiquement i'étamine et la soie craquante 
4e$ pavillons; la mer chagrinée par le sud- 
jOue)st> qui ^.tanabait sqr clje par raffale^, 
]blajicbtssaiit, ise creusant, , se cabrant, se 
défe^idant, sX>^lmant .avec colère, grondant, 
battant les flancs des navires; les nuages 
Volant plus' raprées que leis goêiaiids qui 
j*oûàieiit dafiâ lé g;ra!n autour de nou^; plu- 
sieuv^.' petits yachts glissant* inclinés sur 
'a0> et saluant de la voix et du canon 



i 



429 

qnaïul îIa nn5SKa1cnt près du Sphinx; nn ba- 
teau à vapeur du Havre promenant une 
portion du Paris voyagçur, dont Tautre étaît 
sur le Sphinx^ et laissant derrière I«î la 
largue traînée d'une fumée noire et épaisse 
qui se niêlciit à celle . dés canons et A^b 
caronades; enfin quelques coups de solefl 
traversant le ciel d'ardoise, voilà les spieii* 
deurs et les décorations de cette fête, toute 
poéflqné par son ensemble et ses détails! 
' Je viens de parler du Sphinx^ il ne sera 
'peut-être pas sans intérêt de peindre Tiil^ 
térieur de ce navire pendant ces jpromenades 
du 2 et du 3 septembre. J'avais beaucoup 
entendu causer de la nouvelle cour; on me 
l'avait faite g;ommée, précieuse, marchant 
dans les lisières de Té^quette^ trèsjalousts 
de ses droits, très-fière de^ ses broderies; 
oti me Tavatt dite pédante^ bégueule et sottp; 
je ne Favais jamais 'vûe de près, et je me 
sentais gêné en pensant à me trouver .an 
milieu de ce Versailles que la satire démo- 
cratique a peuplé de courtisans à la Lbnis XI? 
ou à laNanôléon; je ne montai doué qu'en 
trenoblant réchelle An Sphwx. Mais bientôt 
Je fus rassuré. Je trouvai là une famltle 
nombreuise? unie, telle, polie, vive, gaie, 
bleu élevée; libre et reèpectuease tout àbjt 



430 

fols aaprès de ses trois chefs, telle enfiii 

Îu'il n'est pas un père qui ne fût héareit|[ 
avoir des enfants qui ressemblassent à 
ceux de Louis- Philippe; je vis, ù côté de 
la famille, les étraugers ayant la déférence 
que commandent les positious et qu'on trouve 
toute simple dans les entonrs d'un grand 
manufacturier, d'iin grand banquier ou d*uu 
homme qui joue un rôle éminent sur la 
scène du monde, fut-ce Lafayette on Jack- 
BOiu Je n'aperçus pas un Lnfenillade^ ou 
vn Narbonne. Je rencontrai des .orénérain 
qae j avals connus- colonels, et je les trou- 
vai toujours les mêmes, pas plus fiers, pas 
moins bons qu'ils n^étalent il y a dix ans. 
J'ai écouté des dlscnssion^ importantes sut 
les travi^ux de Cherbouj^, et j'ai entends 
que toutes les questions y étalent agitées 
par les ingénieurs, par les ministres delà 
marine et de la guerre, par des xifficiers 
généraux du génie qui étalent présents, avec 
une liberté et une iraucbise complètes; j'ai 
4>uï le roi donnant .son avis, et je n'ai pas 
remarqué, qu'il Imposât royalement son 
opinion ponr la faire triompher. Je dois 
ajouter une chose: depuis quinze ans que 
je suis en relation avec un^ foule d'hommea 
politiques, j'en ai fui beaucoup dont la. sn< 



43] 

périorité et la' jnorg;ue étaient . écrasantes 
^ur nous autres, pauvres petits citoyen^ 
«t dont les salons étaient comme de vraies 
antichambres où Ton qnétait la faveur^l^uii 
coup d*oeU ou dune parole obligeante r ceux* 
là n'étaient pas rois et détestaient laristo* 
«ratle; sur le Sphinx^ dans ce qu'on appelle 
une cour, j'ai vu un roi, une reine^. trois 
princesses, quatre princea, deux ministres, 
puis Je ne sais combien de généraux ou 
d officiers, et j ai été tooclié des formes de 
la politesse bienveillante et sans affectation 
de tous et de chacun , de ce laisser - aller 
plein de. bon goût dans les causeries , de 
ces manières aisées qui sentent la bonne 
éducation, et sont si loin de 1 orgueiK Dans 
le péle*méle du bateau à vapeur et du petit 
Palais^Royi^l de Cherbourg, bien des gens 
indiscrets se sont trouvés sur les pas du 
roi; aucun ne s'est aperçu qu'il a pu géoei^ 
tant le cérémonial avaft été banni avec un 
soin aimable. Etait-ce ainsi que voyageaient 
Louis 'XIV , Napoléon , et les rois de La 
restauration? je ne le crois pas. Je ne sais 
point comment est (a coup des Tuileries^ 
mais je puis affirmer que celle de Cherbourg 
.m'a laissé fart à mo» aise. 

Parmi les choses qui m*oiit surpris, et 



432 

qui auraient pu surpreudre tout le monde, 
je pvi» citer Ih résolution de la reine t$ 
de Aa jeune famille k braver des dang^ers 
réels, pour suivre le roi partout où il allait 
Il faisait trcs^nau vais temps quand IcSfhinx 
jeta lanerean milieu i\es bâtiments de les- 
cadre ; le roi voulut visiter la frég^ate Z*^/^ 
ianu, ou i*a mirai de Mackau avait son pa- 
villon, et la reine s*embarqua avec lui. On 
fit le trajet sous un o^raiu de pluie et de 
vent qui rendait {>énible le battelag^e, on 
eut beaucoup de difficulté pour remonter 
ensnite des canots à bocd du bateau à va^ 
peur; eh bien! si quelqu*un montra de la 
mauvaise humeur, ce sont les marins, et 
point la reine ni les princesses, qui étaient 
si moaiISc6s, avaient si froid, et voyaient 
à^lenrs côtés des lames menaçantes seleTef 
comme pour, attaquer le canot royal et. le 
renvenser. Clue le roi fît ces courses, e était 
tout simple; il est bomme, il a navigué, Il 
s*csf familiarisé avec les périls pendant sa 
vie d'épreuves; il peut aller partout ou 
vont des niaiins; mais la reine,* mais les 
pHnceK.^es, mais des enfants de Irult et Àix 
ans! il faut le dire, c^ë tait trop imprudent, 
une eipbarcation' pouvait chavirer; quelques 
heures .après, le b«tteatt pilote du port 



4U 

irà-t-tl pAs.sotnbrë, el' deux maHiis ne so 
MMÎt-ils pas noyé«*f >. ^ ; ^J' •' ? 

De reUmr au Sjf^kinx, lareiâe fut malade 
dn.» ihnl de mèr-; ^quelques 'p'èrâiKmnes le 
furent aussi, et parmi'ceHes^lày le-prince 
de JuîAvUlei Malgré soii i;ndîspo6i|ion, «-* 
et ion sait si le mal de mer ôte la* force 
et la volonté, — le jeune élève de* la ma- 
rine, 8ur ror(N'e du roi:, monta aux barreâ 
A\x grand mât du Sphinx, vivement, lëgèwe* 
ment, hardiment comme 'un^ mousse. Mof| 
filât ni le vôtre, peut-être/ n*aura4eiit pas 
osé, et iH>e8 aurions craînf nobs-mémes de 
les exposer aux ehances du roulis et du 
tangage, surtout silé avaient éprouvé des 
nausées. Le prince de Joinville a. toujours 
le «mal de mer; pendant sa navigation de 
la Méditerranée , il en f\it presque tconti- 
ntiéllement incommodé.' Cependant son ar- 
deur pour- un nol>le métier qu'il Aime n'en 
A point été attiédie; il veut naviguer, et 
Tannée prochaine il fera nne longue çam^ 
pagne aux 4iltatsUnls, au Ri'ésll , à Rio de 
la Plata. ten attendiint^ il étudié*' un offi- 
cier dîstiiigDé de lïotre jebuè marine lui 
donne Xt.é leçorts qiie nous avertis prises^ à 
lecolé navale. Ce n^est^ipoint unt^ éducatiha 
^e :geîâfrl-bomme'q«i'jI reçéH^ mats une édv- 



cattea «éHeuse'id'offider déJa marine. Le 
roi veut que son fils pdsse par tous lea 
gprad«»,^ tit ! fasse h but A wi/service réel. 
I/empenear tfit ainai pour: Jérôme, qu* dé- 
viai; un iboa caj^Uaiue ./de vaisseau. G est 
très-^aage*^ Je prinee de Joînville à beau- 
coup" d> aptitude pou^ l.etade de 1 art auquel 
on d'appliqué;: j'avoue que j'ai été «tonné 
itB expUcatloa» que; je lui ai entendu donner 
aur' VaVajit .du.^Avix, .à ^on £rère dé Nemours, 
pebdaal .qu'oof travaillaU k «lever Tancre. Je 
me. mppelle/quHl nous, fallut^pluaieurs mois 
à' réeole de. la «ilaiilire pour savoir la nomen* 
elature et quelques unes des manoeuvres 
les plus simples de la navigation, et je ne 
conçoit. gaèfe comment en ce peu detempa 
qlie.,le« prince de JqlnvUle a navigué, il a 
pu retenir^ notre vocabulaire si difficile et 
al long, et Wnnaitre la pratioae de tant de 
nauvementa et cMeteicea iqîi il indî«|uait à 
ëon frère et & son précepteur» Je ne sais 
pas si le prince est destîué à devenir 

{i;rand. amiral, comme on Ta.. dit» mais je 
e cRoi» i appelé: ai::éifcre; aa.ui^n .«^ffi^ler 
de marine., malttré 'aa.saatéidélliuitp. . Lie 
èial de mer iiiy foit ;rj[eiiv ^<ca^.9 !« 
^lorieaxepmmiiiidfint :4a >î^l^i^^^ à' TrA- 
<«r%ar.| était malade .itoptea t. jiea; fois ^«t'^U 



Il 



43$ 
mettait debars; il y a dU ei/emplea àdter 

. : €9; qift onj;vi|ial dd jire sur le prince de 
^oinville et sur i\fik' cour h berd da Sphinx^ 
«msuq ^QnUmdot de flatterie né meil'a dicté. 
Je rapp^rtç seulement ce que j*ai vu : ' ceux 
qui me cosnalssent savent si je. voudrais 
iventîri^i ; quant ftax au très,, que mlmporte ? 
D aiileiirs, . poujpq«ioi ilatterais-je ? On flatte 
par babltudet) f^sA* ambition^ ou >paribe8oiB. 
Jie n^aiijami^s.'flattié^ ^lais jaiitosjpurs Ifait 
^on 'ipossiblat^o^r être* équitable eaverà 
tout}]emoiid«u' Je a ai pas d'asftbition 4 quelle 
fldnlHUoii aurajs-je qui ne fâtridicMie? Suis^ 
je. dp c^s booinies' supérieurs, de vingt-doq 
ans, qui ao«t capables de tout, parce qu'à 
qi^iiiM iU salvaienl I^Mit, Ja.morale^ la science 
l$t^'lfi.pfiHMqiia? 1 Je. lu'ai beâsofn .de rleii^ 
aiiQHii* poatis^!)sl>biûUfuit. qu'il fïit, ne vou- 
drait >p%ùr moi la* modeste; existence 4 artiste 
q^ jrfki, et.4eJionliaur qùi^ «ai attaché, à ma 
«viQ aMiHiiiieo deâ vieux papiers de nos ri^ 
.ebçs arcUn^es imaritiniea. Je n'ai donc au- 
K^jup.jnt^cêtià. flatteif^; et puis j'y. serais trop 
jaMaduMî^t^ |F0t>.saisiiq«'il est ft^rtr-pett .a 
;]|i «tP94a^an}#ufd'bm ide parler; eomme je 
v^as. 4^-lci iaireiidii eoi^ des prinee9 Met de 
la coiNr; mais jen'ai Jamais teaiu^oup suiYt 

. 48 * 



4M 

la.niode,>«t je tuisy ftar ma consêlenee, fort 
au-dessus du petit ridicule qai ^eat in'eu 
rèveoin ' Le Paris^ «fui était à-Ghetimorg 
dira, dailleUrsy si Ytilûidié.' : i • 
. * La; veille du jour où le rol^ alla^ en rade 
BUB le Sphinx fiour la' première fois, le'^juai 
du port marchand offrit un de' ces aspects 
que je ne puis me refaser ài'pejndre,- et 
qui enchanta - nos Parisiens. ' Les naviies 
étt^coàime^ceet Ja flotUle defyaehts- anglais 
étaient pavoises de pactlUons.^de «toutes con^ 
leurs ^ ttùé~ faille meuvaiftOMbaurdouniiit sur 
le port V afflbant paviiouieé le& rues'de ib 
ville; dans cette fouler sêmoatraient de 
très -belles et fraîches Normandes, au cou 
si bien portant leurs tétep^ aux targes et 
grasses <^auies, au< cbeveusislMeii' pteotés ; 
là brillaient tes gran^ bônuctts auxquels 
se reconnaît dhafue ^ quartier de It^protilvei^: 
le bonnet haut' jaciié,i^ a veel kwi^«lt/<b^ 
en cia^ev-, attaché au senmèt^ -d-oiii tong 
côncTj terminé à sa base Inférieure par une 
large passe qui s'envole derrière la tête, 
avec sou Marge -rubaii frontal ou s» coquette 
meatonittève de. vel^rs «noir, F^ttfasjuaitt 
le teint éclatant de' la Valog^aide ^^m 4e \k 
Bayouqualé^e; le bonnet plus fi^mpleife Saint- j 
Pierre ; le bonnet de deuil ^uK i gf aèdes i 



437 

barbes pe«daQte9)«ur la f^Urilie i^ la veuve 
ott de la^ (ii4e «fftlgée^llecbaniliet en cornet 
iful.'retient;«deu«x«doubleAfbArb.e^ r^tjrpuaeéeo^ 
tradUion.: du tgifi^efifi ig^f, que' 1^ vieilleis 
fenim|es -ont . perpétuée^ enfiii ' le bonnet pl<tt 
de .GrarivUle, ipljé en. serviette, qvi abrite 
4t si jolis fronts et des yeux si:vifs. Celui- 
là n'est; pAtt-étrepas le. plus: élégaQt^.Qiajg 
ib[estJeMt)1«s :Prîg^inal, âi.sled à ttierveille. 
Gèstj'Al fskiJît la dli^e^ jqulen g^méral, elles 
aoi}t;«ehaifmantes<'leAf£îi:anv»llaiçe9 ; et pilîS) 
cb «soat .de> ifiaiti('esses .femmc^^ et an le 
%'oît à leur allure; elles sont bien la moitfé 
d*un naiénag^e; elles ..administrent, font les 
liffaines di^ idehoi^s, vont çh^z le connoilss^iffe 
de maritie 4ia. placB^de Uuvm maris., et 
trouvent ionoore le teoiips < av«c ' tout cela.de 
fairte dès enfants»: ânand les:S^inls*siaionjeiis 
oni içberché Ittifemtne Ubr^y la femme égale 
de riionrnve,:^ la fenme-boiniiie, commetiit 
n!ont-Us )nis songé à GranvKle? Entre, tous 
oe0.:boiiinets, le bonnet de cotqn, coiffure 
qflèno^i«.e9t interdite parJe ^ût tyrapnlque 
des :Parl9Jeiines,:.et qui isest/ iréfugié en 
IS^ormi^ndie , ou les payj^annes Tout adopta, 
'ne.ise>prQ.duis$t.qae timicfisnieiit suc qjuelqu^ 
ffeots peu oeqnets, et >a8$e» pieu faits, j ea 
conviens, pourle réfaabiUter 'au|très de nosf 



m 

ifttties.' ' Le * boiiiM 'Me ^Mton i»e va bfea 
qn'ftM<^tfé&j'-J<^Ues 4lleBv eommè j'en «i dis- 
itng^tté deut ooti^f» 'à C^en; mttts toutoi 
lei'lportent^ il est géluéi^al ;* l>«'y A^ pus jusqu'- 
aux petUn élîfânle, ^06 coiynë le poiug^, 
^ul n'aient leur calque' blaMC, la véritable 
gaka de ee temps-cjy où |e môriitn, la salade 
et IWtPvet Messérafént ifos faiMes^ tétés. 

A tô^ ées èonnets dèi toutes les fèraies 
«t de tûntens^: tes :hai»tearS' figuraiest les 
tfthttkets à • aigrettes Mèé gatdds "itatf «nkiiir, 
les ^èhap^atit à ^trèis cornas des officiers de 
la marine^ les eliapeaux ronds des bourgeois 
et des paysans qui portaient tous.la'e<|carâe 
nationale. ^On atteiidait le rôi'; Il faisait 
cliaud^ le «oleil Ibrittaié vi^Vemeirt* sur les 
drapeaux- trK^lores'^tont eiiaque fenêtre était 
«ornée"; tout lé ni&nde avhit i'tiiibit^tle fête. 
Le canon de la gardé nationale- annonça 
'enfin l'arrivée du roi à )'apé'de-«rfoiw|ihe de 
verdure dressé vers le. Roulle; a^ors nous 
vimeft arriver les éelaireurs dfi^ cortège. 
C'étaient des férmierci^ des ciiltîvatéurs nar- 
^mands^ t^us maires, ou ^offieiets ainnlcipaux 
de9 petites communes votstnesdeCTierboiirg; 
'Us .étalent à dier^tv ^rtan^ à hi niîa1n;ciiacun 
uudrapehade sivfaçonv et celms de i'éebarpe 
-municipale. Un escadron de pa^ysans vétoa 



4W 

jieletti*b.9i^o8fte8' Teste» !de drApUeu, bottéi 
de graiiideâ let dopcii ^étren^ée-tOÊàrj' «v^ 
«obàniiéi/ , ^trottant' sur l6ui«i «lieraut 'àilâ 
longue' ortniërey à 4a tqtteué^eii'biilaisy' an 
i^urfois rustique, lesquels li'ditt Janiiâ4iil4''a«l#^è 
aUurèque lYœbte ou rejttrebas, ëta|t>cttiie«ix 
à voir; il liavait pas réclatd^iiiie riche 
eelnpag^uie de. aàiirelucka 'on de g^ndairmes- 
fbupMn, mais eelvi'eét tpasie^imérile de4a 
irégularvlé Tet de ila- tenue' mittlaire qii*'on 
a'Àtteodaitj à fronférdanifcette^ troupe pitlo^ 
jresfise.^: Je i vous /assure qnie'CeJa était très^ 
beau; un seul de ces cavalieffl''6t éelate^ 
de rke tout le publié quand II pafsa devant 
«onâ.: un petit boami, decjnqoante'à cinquanteb* 
iBlotqi art s; "Je ohâpeaa lsrge<^8uf la^tétoy les 
cUev*«^ax longs' et flottants^ 'réplbe do^miM 
et le aiernoni" en fiés comme «hiik' de^Poltr 
<shiueHe, Ist seintureitricolbre^ilàèéejusl^eiiiieiii; 
Sttb Jes'de'ux soiiiayejisi' iwM'ieoritaux 4t séè 
basses, :1a veste de cbassts de Gratine grise; 
il était sur sa selle aux ^50ikrts'étrfets«onin(ie 
ea gip^f^e Tttrc>< sérieux, ''saJuant eine té* 

Iiondant séx bordées: dotgkf été' (foiTacicileiii 
aient qne par des ^Ibts'devéon 'drapeaii. 
Adiitrénienft!ic*éèait Ié^> personnage le plàb 
boèffofll' da 'mosdè qae ce magfst rat Itf i|o«irëtir4 
BciHx heures bprès;, j'ai eaubé ' avi&e * lut >^ 



4M 

mnxyéz -mai y :lh)fot va» aieii4,<«H'' f^iJ; Vest 
vm hoBMie'iiinf* edr ide bon sen^^if^vij^aitt 
mieux. ^iitB^kiiiit' dé noa homliies: si bfeii. faits, 
si biaii 'Qiisy )s| rbi^nà cIib^aL. au .I10l9.de 
A9iiM?9ie:,iiet lal hiatiles jl Vfliiit* < Le peeit 
l>#6Btt .ei9t probaMenent très -«néceaKaîre ao 
viliA^e).i|ni lncb(lisi pont maire/ 
r L-^t^-najoriidi^^roî étaîAt monté, sur des 
i(hejifaiii(iefv.;t0.atx.«fntblable» anxieux que .je 
jTton^ i^t.dél}r*re'; 'ie€« qui offMt od ftsfiect 
aasef ^p^iûsant \ ^QiMuid' ie .m&ts .< ptrot y ^àea 
4^nh d<^ vivat :ip>mèreux^ et-u-jÂmiinc;. se. 
fineot.éAteiid'rtf.de')to»tes 'parts ^ (Uïs hourrris 
se: illéUî«n<^ .aux:; ITnrr ie iradV UiEt oe< fut 
«4|1dii» jqijvfe jious Hme%) la coni^ttiîsle angolaise 
99i q[)0Àlrei! daasMJ^Qiit'seiK iion g-aât. iLes 
)iiMibi>bsv)tto8) barres- d« 'hitne^ jealpont^^es 

Î;)H?tt%|ëtslei»t obasigiés 4(!&(iiiim<!siiakHnDt de 
»«Ar)Oi0t 4t .du-i'^'estbvi'et « itehdant ' ànLoiiis*- 
Pbilippe Jeaihoa^iews. fiàHla ftuniiantirendus 
^*an roi.;d'Ai%gleterré;> -Et 1» n etàîeni pas 
de^siioiptol matelols^ «iiTéc leurs chemises 
(ie biftsd.bJeneV sur^'ln poitrine- desquelles 
ttOttft' bn4défli>én blsnei>les' sonis /des tiavires 
3i(tf'^;v^y MamtUt'^ iEmIkon-', \J)fuid, '^Ganimè'êej 
JU4i^,:iff^atjrr»^ityLpuifh, lèt-d.; il^ BffMiàeH 

EastsMpftaiâs, dçs «a^ore,/Me eolonels, -cieflf 
bilteatnts 'de yuinHpViui^ ^ nioB lords, des 



441 

lidii^oUesf';enoii; Je. Ivird £)iirlia^i , le, W4 
Caan#$it.b^ ;le.Wil^B«lfHf»^, leloi'd Yer>orouf gb^ 
leil^rd jCdkîUe,! le l»rdCf#iibrock^ sii' FraoïQλ 
i^lier^ ait J^nKu; Fva^l*, sic Gi'Mylè'^ le» 
eapltaltiejs : de v^iisseaux Meyiiell , Forster^ 
Codniio^tonç'^ messieurs Laishto»', Toinkln, 
J^Mibstou-, Çoégrè^e , Noore ^ Stanley , et 
liiiitl ^d a^ rc^$^ ; . luu* ce qu'il y .a de dlstUigué 
dttitsr'le eiuh ,des);ryiiqkt8> dèrTOueiat,: tout 
'TfiiiiuM y À de gmiiilea/oiMt^nes et de^raudn 
iiSiiiiik»(f;iiiAnc|;Jete4'it0«. Ce» messieurs aelai^nt 
^oi iitueM imifemne»^ ^anais dans Ictu r» ccisf uules 
fVe> «avtgatiob : ve^lècourte^ oliemise de cou^ 
leut*^ crayatte- noire, pantalon blanc, chapeau 
4e cuir boMUi, p» casquette de. drap ^alon^iée 
d(or.. 0'<étaH:ii3Quvme'inatelota qu.'fk figîiraieQlt 
Atirlcurs b^timeitts^ iet point oonui^e' offieic^rs 
0U g;!entU»rfbaiui»çi8}$' >Us «ftluaient dan», le 
^iféenw!yn:t| politeasaj^e^berebée, abiiégaiCiroii' 
du rang; el). d« (lai V»i)irféi(aristJocralique>^ qui 
Montrent 'le 'CAS que les Ân^^lals &>ii4; de la 
France de. ji^illet etfdu voi de la réyojutiocn^ 
Af^.fll -qui» Jea')d^iiK iifi'timà :'«e'»0onffhissCtiiA 
asaea !p«(urjs>iitmei^^^ le)criib-4ê8'..Vacfi!lê(y 
pUtcé seua <^le habti. ipAlii^iMio:&'*éui> oiic -.«d^ 
Susses :ei'de>rbifidyc^sae*de Keati> n!auiMiM 
poioti 'enyoïyé titii^><d6pulatioR.dè son escadre 
eé une adresse à iCiji' roi français; de ut^bie.^ 



144 

im'4t9a dëlMcMiK ptftterA^iii-.élâfentà Cher* 
bourg), j'ak'^mç <iiinii(ii^ de»^p^nttf ans de 
kt ;ok«iiiUre^ 4^'pfttit» laliJieaufQ'reprQseuUcit 
iêB 8eèites'.'do>la«iî(v^iiat} etétaU toute Fhls* 
faive'dttf4iav4r4», iSea « joulei'iet ^^es .sùecès» 
Cmt un fort îngëiiieiii^- el fort ^convenable 
ornement (HHir. ce « petit - salon d'un g;oiit 
lrès-«légttut. : t /4i.«/<»iiii^M<tf,i:(|nuoppavtie»t .à 
M; WyiiikHmy.e^ty*4eyMaA le» yaclUs iqoe 
iioKOf Vairon» «'VUS -M, ; te tfAvis {;;raoîeux^ ie plus 
paKtit;:rO'a8t«^uneii fillette raseis^^ur l'eau, 
filial) féiancyée, -au c^fpB}difinguille,ràilav4tëase 
é*lriroiidelle;r elle faisait Tadinlration des 
irtarlna. Je ne. partes. pa^ id'im petit b^lck^ 
dbat }e ne œe. rap(>elle. pins Ip <nnoii9 qui 
•ftt' ouv.reii.Utcoliiin9i«iQ3e: mouette, et semble 
DOfl9ti*iii4; poi»j':(êtrief pepdu daii» nue é^Uée, 
|}hi<:4t j'qiiii poii^ aller /àV 4^ mer; t il «ooim 
îiiio'altiitr«-inbtor?qifaiid nj^us-te voyions courir 
#tir U groasa lame. Il a .bra^ietiient supporté 
la vconp doitvanfc des premiers.. jours dejtep- 
lombre; on^uralt dit à le voir rouler, tanguer, 
Mil» tenir: bpn: cont4*e .le» venfc^< un pétrel 
endorikii 4i)jis?!U fcoiiie de Ibcéan dnSud. • 
^ Un. vbfliftsffurwdo Londres,:' M. Parkjtis, je 
crol8<^ ,a, p'i'<8teiirs yacbts^ ni'a<:t-.0M« dit'; 
■tadameJRarkînss eu sertcomme de ealècbes 
pour 'jiller faire des promenades et des vMteK 



445 

Il uy a |ia» Ion» -tempe» quelle \lBtr à Ober^ 
t^i^ttrg sui^' tHi' d« ses yhcli^tâ ; etl^ vendit 
V*Ar uiîfe d^âfre' 4e: »« CiWrwilhftjinDe; ^Pendant 
hi convei^^^tidii on pKHii'mtfi^fque) in<élt>liieA 
f Ha^dliise'fir.^ ' roitlHiicHs^ nvadâiiie - 'Pai%ins 
7)V«^ît YJ[\i et4e'';ï)>plortefi4t"qu^lqne chose de 
tr^ë^iiouveaii qui avait beaiieonp de succè/t 
parmi' le» ladjs itiéiomai>tff<. Uift juuiyen effet, 
on r^Ht arriver te \ aebt, et< nrifidattie Parktns 
t(i\t ¥euîHeîdeiiHis^î^rtie à làt'iiKvt^}. ;„ Von* 
diAete^t a^e^^moiy dit' fa daiii^ f t-ançai^eàf son 
4lbKgi&fintèanriO;~)i^AS'()O«.4ib(0, maclièi*^, je 
•Aols'i^arfit* tmit'4e dulte. ^'^i prc^niii de faille 
nne visité à hi fe^MiÀe dn cotisui^ dé aa iiiajeaté 
brùaurniqiie À4indi^,'et ll'faut q«e ^'y alDe afan» 
koliiAfrentv ^iËNeèorlfl^^fiHtÀ kt vofle^ ailafafre 
M<^i(é iVCadIxy Vr mhki A 'LMid;res>et^iiiiiie 

'^é né sais «t de ir'bsripas wadaafte^^Parkiiis qiië 
^^H^tetéïëfW4vfi'fJd<^rH)ttùvà^ i 'A^tfxattdrfe. 
' r EVk pm)fo^ dn LàûîttH^ dominent -pavler de 
Pa-rls à Cherbc^urûf sans' parier ^le ee navire^ 
tarit visité pa^' le$ Parisien»? Goinmét^ ne paa 
<tflH unf mot de4Vk^lf^'nèsf«neii^«tii«iyseiii'ewt 
^ftvtnu i^t ë^yptlen ptfii*M'JLehftW^ ^gëwi^tiv 
^e^-U marine<V' ^^ 'fae^ifi^iis^lIteVil^linie^ié- mts^ 
:M« yefminae 4é Sftlttt-Ma^i'/ «eapftftine iJécof»- 
▼tQtlé'et'«kef deë Arg;ott]|ule# qui^sont^aP' 



eliertherl04iii;>iiiioiie«t doaiM. le baron Taylor 
llvaUfalt:Uc9ii9liâ|:ç?Jliato;C0#paim eu par* 
kr ? lldudraÎMlfilikQi^^s page^p^Kiir raiçcnwter 
eette eipéditlvuifiii péi)fb|e«, . si diCfiqlle , si 
.briUati^te, ^t qui lait tiu^t idi'liQiiiieiir à la ifiar||iii$ 
ttançhîUft^ ce ii'«6t|Mi« îei,leli«u*> Foinr 4ife 
i^n» les travaux dea^iimriQS et de FingéiiLeur, 
pour rendre à ehaeiin la jiistîee qui lui est 
4oe, <fii faut; atjtendre que le d^riiiierclufeiit de 
eeUfe épopiée eulaetion im\t termvàéi'^ 49^ 
M. Lebas ait plaoïlé ami fa plaeetde la(C.Qt»e4ivde 
le ji0nolMbe.qi1iiLa.4ife' jdu sable: de Iieuior. 
:J.e ne aiatt4|tiiîrat pas» iiir«e4eViair dibistoi^leâb 
.'. . Apré(0B$iiKHiaikf. J!«firai^ bl^o eucpre 
-à VQtfs merieraii bàl^ffei't.pac.la.viUedeCiter- 
bdarg.-au roi et à;M iafuUle;^ maia.ua bftS^ 
^*«st*ce qiMui bfti M«pT.ix ^ea 4ii^t t es 4^>feaiMc 
dont jai esBqiiiaàléJes:pi*Jf)^iixiilirtijt%fl U|i 

ebose^ /CQ\n'4^taâlrpÀ^ Jacbalvqt^i lavui^llf^té i«f 
«Pariâieps ; aumL >pr^q^He\tot(fb a'a|bs$t inlreiit de 
oe plaisir de eehue. Aljâla aucian aé itia«iqaib'.l0 
leode^aûp matin aar le. rempart, [jour-K^oiDJn 

aaèiTi • >f nrîQfia^! j> ««ft; <ne4re4aait ; > .evu 1» avaUlm 
MaAsbM ç«wtnelUr!qiiai<d«ilfydigj^i% .f»rim^ 
i^^Mihn^em^wUpmà^U f/i4e^fiMl4^heir, 
-atballoiiianAifM ^avjfitstpmir bvisfii'tea i^tbk^ 
^irleasdiaîaa^ qiiLlW'iftwaifivt^iUiiiiHittkiCe» 



447 

Ce fut le dernier specta^ljB dont.noits janim^A^ 
pÂBtble, ma^is' grané; Iridié, muM- sublime» 
^ Parî9'avait vm i'Ooéaii ni caliMjifeteiel si pvir. 
et ai hrUlaiU; il; avaiteaJe vent sii cbaad). ai 
diacret, si imvorablQ; il voy^iiU Jutempdle, il 
reasentait le froid du pi uW rigoureux hiver» 
ll«vait été visiter la digue à la marée basse.; 
il la voyait franclile à tout moment par deoL 
eascadea d écume. Jl avait admiré les travaot 
du grand pprt, les , vaisseaux en constructiotii 
Tarsenal ; il avait vîi la rade pavoisée, saluant 
avec ses canons et avec, ses matekxts sur les 
vergues des bâtiments; Il avait vu lepeupte 
recevant le roi et raccompagnant partout de 
ses viçat\ il avait passé de bannes heures à 
écouter les récits des officiers du Lquxçr, à voir 
le« dessins naïfaet vraisi^M.Joaqnis, l'jtt^ 
4'ettx; M regaiTderJa baae et la t^te roaées.de 
la vieille |»yramide<^de Sésqstris, encevelle 
4ans:tta linceul de bols : àexâmineT le modèle 
du simple et ingénieux «pparej! ^ue M. Lebaa 
a employé pour abattre Tobéliaque... Il ne lai 
^restait plus, rien à vair« )1 psartis<^ et partit>€0|ir 
'tent )de sa vie de {moavejvieiit <et d antithéscDGl. 
.vii^ai vn Pari9:à CbçA'Wurgi .4|fti« ne pais->0 
vair<?herbai|rgivPf risyQ'ei^t^à-dire à Paria^s^f^ 
deuxi p^Xt^ ses magasins, sa rad^j|t3)^A> 
ses chantiers et ses toiim ! alors^là^vj^^ur 



m 






44» 

ttti« 'madiie populaire, eommê je ia ré%*e, 
ot^fnme Pat Id'èeHl p«>ilt-ôtre peupla faire. Paria 
Me roimâît pa^ ia maHne, H <t*eat notre mal- 
heur; qull-atlle^done^ia Vo4r bu elle etit, pnis«> 
^•elie lie i^eat veniridi, puisque la Seiue u'est 
pas laTainise; qu'il i*étudie, qii 11 Iff comprenne; 
qu'il apprécie les marina ce qu'ils valent !..« 
Mats Paris va A Dieppe, ùTouloUj à Cher- 
bourg-, et quand il en eat revenu, il n'y pense 
p(i)s. Il y a quinze jours qu'rl est de refotir du 

forte de la Manti^he) Ivanuff a chante aux 
tàllens, et Cherbourg est oublié. Cest sans 
doute une admirable v<vU;qUè celle d'IvnnoflT, 
cest une chose merveifiense qu'un Russe 
ehanteur ; mais la mer, mais le vent, maisles 
vaisseaux-', mais ces travaux dont tin antre . 
tinsse disait que pour léH' faire 11 n'avait pas 
faHn mohis qnèJês oif^fea d'aeierde ^aigï6 de 
Napoléon,, 'u'fest-iee^ p^ ^merveilleux aussi? 
Altcjs «ntendre Ivanoff ié snir,' ittaiSLle/matln 
rappelez-voasCherbourg'et pensezà latlioriiiel 
Sf la marine pouvait devenir à la mode à Parfs, 
noua aurions uncfmarine eamme noua devrions 
l^avoir,blen dotée par leaelfam^bre^; le^e^t triste 
kijtéUHet; mal9 t'jetn^'ffdir Aélas l qii^ nè^suls- 
i* as^^j&^7ïgij>r^'pé'ur itivposeivJa nv&dk^,Vi^'f 

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