Google
This is a digital copy of a book thaï was prcscrvod for générations on library shelves before it was carefully scanned by Google as part of a project
to make the world's bocks discoverablc online.
It has survived long enough for the copyright to expire and the book to enter the public domain. A public domain book is one that was never subject
to copyright or whose légal copyright term has expired. Whether a book is in the public domain may vary country to country. Public domain books
are our gateways to the past, representing a wealth of history, culture and knowledge that's often difficult to discover.
Marks, notations and other maiginalia présent in the original volume will appear in this file - a reminder of this book's long journcy from the
publisher to a library and finally to you.
Usage guidelines
Google is proud to partner with libraries to digitize public domain materials and make them widely accessible. Public domain books belong to the
public and we are merely their custodians. Nevertheless, this work is expensive, so in order to keep providing this resource, we hâve taken steps to
prcvcnt abuse by commercial parties, including placing lechnical restrictions on automated querying.
We also ask that you:
+ Make non-commercial use of the files We designed Google Book Search for use by individuals, and we request that you use thèse files for
Personal, non-commercial purposes.
+ Refrain fivm automated querying Do nol send automated queries of any sort to Google's System: If you are conducting research on machine
translation, optical character récognition or other areas where access to a laige amount of text is helpful, please contact us. We encourage the
use of public domain materials for thèse purposes and may be able to help.
+ Maintain attributionTht GoogX'S "watermark" you see on each file is essential for informingpcoplcabout this project and helping them find
additional materials through Google Book Search. Please do not remove it.
+ Keep it légal Whatever your use, remember that you are lesponsible for ensuring that what you are doing is légal. Do not assume that just
because we believe a book is in the public domain for users in the United States, that the work is also in the public domain for users in other
countiies. Whether a book is still in copyright varies from country to country, and we can'l offer guidance on whether any spécifie use of
any spécifie book is allowed. Please do not assume that a book's appearance in Google Book Search means it can be used in any manner
anywhere in the world. Copyright infringement liabili^ can be quite severe.
About Google Book Search
Google's mission is to organize the world's information and to make it universally accessible and useful. Google Book Search helps rcaders
discover the world's books while helping authors and publishers reach new audiences. You can search through the full icxi of ihis book on the web
at |http: //books. google .com/l
1-7 5V rio-i.
lySV X-io-i.
LE DIABLE BOITEUX
t,-., , À
[ W A mis.
1
00
LE LIVRE
DES CENT-ET-CIV.
»
STUTTGART*
cnz lA Rédaction db 14, CoLLEcnoN o'oscnuts
CHÔISUS os LA mxÉRATVRK FRAMÇiUiW.. ,
1 8 :^4.
I R n r^ : 1
1
OXfGRD I
i
VOYAGE A BUSCHTIÉRAD.
(août 1833.)
Un mois apria ma sortie ie Sainte-Pélagie,
des affaires <le famille me conduisirent en
Calàbre, et un vieux sentiment d'attaclie-
ment et de respect an ponvojr, même alors
qn'll est d^chn, m'Inspira d'^trepreudre nn
pèlerinage à Bnschtierad. Mon Intention
était de renfermer dans mon coeur tons les
sentiments qui l'ont agité pendant la dernière
Eartie de mon voyaee; mais je Us, chaque
>iir, tant de foits dénaturés, que je prends
n parti d'en parler, afin de rendre nommage
à la vërité. Je n'ai pu d'ailleurs me refuser
*nx pressantes sollicitations de l'éditeur des
Cent-tt-Va, qnl m'a demandé cet article pour
le procbaia volume de son intéressant recneil.
Je dirai sur chacun mon opinion avec l'in-
dëpendance de mon caractère ; et quant à ma
politique, je b pulflierài hautement, défiant
tout tribunal ^mpartial d'y trouver matière à
l'ombre mêmè''dui^ reproche. -^
Je ne parlerai (Ibint de Fltaliè, pays si
connu, et jugé smiV^nt d'une manière super-
ficielle: des souvenirs et "des.Tuines, voilà
tout ce que vous y rencontrez, et cette patrie
des arts est devenue la patrie des regrets.
Tout y est au passé; le présent est mort, et
l'avenir est éteint avant de naître: tel est
le fruit des révolutions qui éclatent ou^ se
préparent: elles resserrent les chàîh^s
qu'elles voudraient *briser.
O» a tant parte de P Allemagne, que je
craindrais en en parlant de ne rien apprendre
à personne; d'ailleurs, ic'èst à Baschtiérad
que je voulais arriver: aussi traversaî-je
ràpidenàièi^t ces contrées* que j~aurais désiré
connaître. , On parlait du renvoi de M.' dfe
Barande, sous-g'ouverneur du flucde Bordeaux,
du départ de cet élève distingué de l'École
polytechniçjue , qui réunissait le suffrage
général, et de son remplacement par des
jésuites. Ces nouvelles me firent sentir
l'importance que ces événements pouvaient^
donner à mon voyage, et je hâtai ma marche,
7
dëeidé à ne jamais recaler devant la pensée
d'un devoir». Cependant blâmer est si facile !
je voulais voir et entendre avant de juger.
Je dirai tout, et si je lasse la patience du
lecteur, je Ini demande excuse a avance.
Je trouvai à Vienne un des hommes les
S lus honorables et les plus justement estimés,
iide Montbel: son nom placé à la suite des
fatales ordonnances de juillet lui interdit
de rentrer dans sa patrie. Il les combattit;
itiais sa loyauté Tempécha de se retirer an
moment du daujger. Si le gouvernement, au lieu
de prendre Fonensive, eût laissé la chambre
lui refuser Vimpèt sur une question de préro-
gative royale, il aurait eu tout le pays pour lui!
Nous parlâmes de la cour exilée, et nous
fumes sur tous les points infiniment d'accord.
Il devait me précéder à Buschtiérad* Quel-
Îues affaires me retinrent, malgré moi, un
eini-jour à Prague. Je regrettai d'y trouver,
retiré dans un quartier éloigné, avec sa
femme et ses enfants, un homme, le diic
de Guiche, dont la franchise peut quelque-
fols^ déplaire, mais dont le dévouement at^
dauphin peut presque passer en proverbe.
Nous traversâmes, pour quitter Prague,
les cours d'un immense château, le Hradschin,
espèce de ville que la famille royale de
lysv iT-iox
^
10
ie beaux arbres, tous donnelit Yiiée es ce
(•éjour qui renfétnte à- la fois tatit de grandeur
jet dlnfortune, de ce coin de terre aussi
modeste qu isolé, qui fixe les yeux de l'Europe,
■en inspirant aux uns des pensées de crainte,
et aux autres d'espoir; de ce lieu enfin dont
la garde est au ciel, mais où cependant
toutes les précautions sont prises de manière
à ne laisser aucune crainte. Vingt hommes,
qui se renouvellent toutes les vingt-quatre
heures, y font constamment un service
d'honneur.
' O qu'il était pénible pour un coeur français
de voir ainsi le roi légitime de France sous
la garde de l'étranger!
uie château est la demeure d*ua prince
{;rand par la dignité avec laquelle il supporte
es revers de sa fortune ; rien n'a pu le
changer on l'abattre. Charles X. n'a compris
ni son pays , ni Tépoque à laquelle il vivait.
Ses idées sont restées immuables , le siècle
avait marché; aussi y eut-il entre le pays
€t le souverain un divorce terribl^,' un grand
malentendu dont les conséquences devinrent
funestes à tous/ Mais, quant à la politique
étrangère , djisons aveè la même franchise ,
que le roi la dirigeait avec une noble et '
généreuse indépenwnce, et que, grâce à lui,
11
la France commençait à reprendre là position
qui lui convient. Alger et la Grèce donnent
nn démenti- formel à ceux qui voudraient
soutenir une allégation contraire. Son goût
Ïour les arts lui fit élever des monuments
urables que l'Iiistoire célébrera. Elle at>
testera aussi les regrets des artistes qui
méconnurent un moment sa munificence.
Au reste, l'impossibilité de revenir jamais
sur l'abdication qu'il a signée lui est dé-
montrée comme à nous.
Le coeur me battait en descendant de
voiture, et je m'élançai chez le doc de Blacas,
dont l'abord glacial m'eût entièrement dé-
couragé, si je n'avais été décidé à ne point
m'en apercevoir. Aussi chercha-t-il m'en
dédommager pins tard par ses soins etpar
son obligeance. . v
M. de Blacas est, on doit le dire, un vrai
modèle de dévouement* C'est lui qui main*
tient l'ordre dans la maison, et qui est chargé
de tous les détails ; c'est lui qui présente au
roi toutes les personnes qui viennent faire
leur cour à la famille royale. Quand, le -na-
vigateur aperçoit l'hirondelle après une
longue traversée, il crie! Ti^rre! ne seralt4l.
Sais permis d'espérer, en voyant le nombre
es Visiteurs s'accroître chaque jour, et venir
salner Henri V. , que nous approchons iu
^ort après la tefmpéte. M. de Blacas écoute
ce qu*on kii dit, et met sous les yeux du roi
ce"! qu'on lui écrit; mais 11 ne parlerait point
d'un objet qui ne serait pas dans ses attri*
butions; il entend les affaires mieux que
beaucoup de ceux qui le blâment, et parle
naturellement de Timpopularité qui s'attache
à|son nom. Aussi ne m'a-t-il paru nourrir
aucune pensée d'ambition. Il est une vingtaine
de noms impossibles à présenter à laFrancO';
et personne n'a la pensée de faire de ces
âiédailles vivantes de la cour passée Teii*
tourage d*Henri V. Ils eurent leur mérite
sans doute, mais chaque siècle a ses néces-
sités comme ses répugnances.
< Je priai le duc de Blacas de descendre
chez le roi, afin de prévenir Sa Majesté de
ttion arrivée. Déjà il ^l'avait fait en aperce-
vant ma voiture ; et il m'introduisit aussitôt,
non dans le cabinet particulier de Charles X;,
pais dans un premier salon où ce prince
reçoit habituellement^
• Si j'avais suivi' pion premier mouvement,
je me serais jeté dans les bras du roi ; mais
Il me, reçut à Buschtiérad comme dans son
cabinet des Tuileries: Il me tendit av^c
bonté la maln^ et je m*inclinal profondément
. J*aTais avec moi mon neveu, le comte
Dhinnisdal, jeune homme, plein de réserve,
de résolution et de dévouement. Le roi
Taecueillit avec une bonté toute particulière.
M. le duc de Blacas restait présent à l'entre-
vue. Après quelques paroles échangées, le
roi me dit: „Le duc de Blacas a du vous
,1 prévenir qu'il m'était impossible de vous
,» loger, je n'ai pas une chambre; vous n'en
„ trouverez pas une seule dans le village:
„ je pense qu,e vous allez repartir pour Prague ;
>^j'ai aujourd'hui quatre personnes à dîner,
„et je ne puis vous retenir, mais vous re-
deviendrez demain.*'
— - „ Sire , j'ai passé dix-huit nuits pour
avoir quelques jours à ma disposition, et
fallût-il rester dans ma voiture, je ne quitterai
pasBuscbtiérad avant sept jours, ne songeant
qu'au bonheur de revoir le roi, et fort peu
occupé de nion lit ou de mou dîner.^ —
>» Comment ferez-vous ? '^ dit le roi. — „Je
l'ignore, sire, mais ma résolution est inva-
riable.'^ — »Vous viendrez dîner demain et
les jours suivants.^^^ Je ne prolongeai pas
cette entrevue, et demandai au roi de le voir
en particulier. 8a majesté m'indiqua le
lendemain à trois heures.
En sortant, j*allai offrir mes hommages à
3
madame la danphfne, à qui je demandai une
audience particulière, et à M* te daupiiin,
ui le^e au même étage , dans un long; corri-
or qui va d*un bout à l'autre du châteaiï
au premier et au second étage, et que vient
interrompre au premier une immense pièce
qui sert de salle à manger. Je montai en«^
suite chez M. le duc de Bordeaux et cheai
Mademoiselle, qui sont à Tétage supérieur ^
c'était aller d'émotions en émotions: j'en
tiendrai compte plus tard* Il était six heures
quand j'eus terminé mes visites, et la pluie
3ui tombait par torrents me rendait assez
ifficile la recherche d'un Ipgement; les
chevaux de poste qui m'avaient amené étaient
encore à ma voiture.
Je rencontrai un valet de chambre parlakifif
assez mal la langue du pays, qui est- un
mauvais allemand , et le priai de me selrMr
d'interprète.
Je ne savais trop où porter mes pa^,.
lersque , attiré par une^ fninée épaisse qui"
sortit d'une chaumière voisine, j'entrai che^
le forgeron de la maison, bonne et excellente
ftihnille qui me reçut d'abord avec cette inn
mobilité allemande dont rien ne peut donner
l'idée, ne répondant àmapintomime pressatntt
^e par un flegme désespérant Le traité
15
se coudai enfin à ma^srande satisfaction,
et le désintéressement de ces braves gens
égalA leur obligeance. Ils me cédèrent une
petite chan(bre à deux lits, et finirent par
me prendre en affection. Ce fut de cnes
mon forgeron que je me dirigeai tous les
jours vers la demeure des rois.
L'habitude du pays , assez maussade pour
ceux qui n'y sont pas faits, est de coucher
sans draps, et nous nous disposions, avec
quelques regrets, à céder à cet usage fort
peu commode, quand madame de Gontaut,
avec une obligeance qui nous pénétra, de-
vinant notre embarras, voulut bien y ^sup-
pléer. Mademoiselle ayant entendu dire que
nous étions fort mal établis^ avait la bonté
de nous envoyer, tons les matins un pallia
de son déjeuner.
Ne pouvant nr'étendre dans un lit plus
court que moi, couché sur la plume,, absorbée
dans mes pensées , je ne fermai pas Toeifi .
de la nuit Je me disposais à mon audience
du lendemain, décidé à une franchise pres^
3 ne dure, que j'ai toujours puisée dana mon^
événement J^avouenri: cependant one-je^ma^^
sentais bien plus de respect pour Cnarles X»
dans l'exil V que pour le rot sur soir trône^.^
Ce prince^ mèn^* à BusdiUérad Uu viii là^
16 I
plus simple, et ses niaiiiëre& sont tonjovra
tleiiies de grâce et de dignité : sa santé est
onne, et il n'a pas/vielli d'un jour depuis
trois ans, soit au moral, soit au pliysique.
Un frac bleu, sans aucun ordre, un pantalon
*4e drap, et un gilet blanc, telle est sa misei.
Tous les jours il se promène deux ou trois
heures, absolument seul, dans la campagne ;
il ne monte presque jamais à cheval, et
chasse, fprt rarement; Técurie est réduite
au plus stricte nécessaire.
. Jamais Chartes X. n'a été plus respecté,
on pourrait dire plus craint dans son intérieur.
C'est lui qui fait les frais de f établissement;
les gens sont mis simplement en frac , . et
servent avec zèle et attachement: leur
nombre est limité à ce qu'exige le service;
rien né manque, mais rien n'est superflu.
On a parle des conseillers de Charles X. :
ils n*existent réellement point; et ceux d'ail-
leurs dont on voulait parler gémissent avec
la France des mesures prises pour Téducatioa
du duc de Bordeaux. Le r9i a une volonté
qu'il puise dans ses propres réflexions, et à
laquelle il tient quelquefois trop forten^ent.
Le cardinal .^e Latll ne vioit jamais le. roi
en particulier^ et s*est hautement expliqné
sur cette mesure. Une vieille habitude de
17
fidélité, une entière sécurité snr le sort de
son diocèse confié à des mains habiles, le
retiennent au séjour de Finfortune. Plus d'une
fois il a songé à s'en éloigner; et sans doute
il est permis de regretter que son hésitation,
qui se prolonge, donne lieu à des bruits sans
fondement, maïs non pas sans Inconvénients.
A rextrémité de la salle à manger, prés de
trois fenêtres qui donnent sur la campagne,
est dressée une table qui sert de pendant
à on billard placé à l'extrémité oppésée*.
 dix heures précises, la famille roVale
se rassemble pour déjeuner, et à six on dîne.
Les princes, sans exception de ]Mademols^le
et du duc de Bordeaux, ojfFrent avec une
extrême politesse des plats qui sont devant
eux; trois ou quatre étrangers sont presque
toujours admis: il règne une grande aisance,
et il n y a nulle sévérité d'étiquette. La chère
est simple, mais bonne ; le roi dit en général
un mot d'obligeance à chacun , et i donne
l'exemple aux convives en mangeant d'un
très-bon appétit. Madame la dauphine est
à sa droite, Mademoiselle à sa gauche, le
duc de Bordeaux à côté de Madame, monsieur
le dauphin à côté de Mademoiselle, la duchesse
de Gontaut auprès de M. le dauphin ; le duc
de Blacas est en face du roi; à sa droite
LXXXIV. SI
le cftrdiaal, et à sa gauche la vicomtesse
d'Agoust^ dont toutes les pensées, tous les
soupirs sont pour Madame. MM. O'Hëgerthy
père et fils^écnyers, Tun du roi, lautre de
madame la daupliîne, dînent avec le roi.
Une heure après le déjeuner, la famille
royale se sépare, et reçoit en particulier les
personnes que leur fidélité conduit à Busch-
tiérad; vers deux heures, le dauphin et la
dauphine vont promener téte*à-téte dans la
calèche, ou bien le dauphin suit, au pas de
son cheval, madame la dauphine, qui a be-
soin d*un grand exercice, et monte rarement
à cheval.
Vers une heure et demie, je me rendis
chez le duc de Blacas, et je causai long-
temps avec lui , heureux et satisfait de ses
dispositions. M. de Montbel était à Busch*
tiérad depuis deux jours, et le roi ne ln\
avait encore rien dit d une affaire qui occupait
et la France et TEurope. Il attendait lui*
même* pour en parler; mais son opinion
n'était point douteuse.
 trois heures, le duc de Blacas me con«
duisît chez le roi, et il me laissa seul avec
lui : dans les autres entretiens que j*eus
avec S. M., ce fut le valet de chambre de
service qui m'annonça» Quand j'entrai, le
19
roi pafaîisisait prévenu contre ce qne j*a11ai8
dire; mais, suivant une Iiabitude ancienne,
précieuse ctiez un roi, il m^engagea à parler,
premettant de in écouter. Je retrouvai en
préisence de Ciiarles X. cette indépendance
que donne le véritable dévouement ; mais je
parlai avec une si grande mesure, que le roi
daigna le remarquer. Il ne se prononça point;
mais j'espérai avoir fait quelque impression
sur son esprit et surtout sur son âme , en
rappelant les besoins de la France, ce qu^elIe
demandait et attendait. Je parlai avep
ohaleur de madame la dauphlne- et du duc
de Bordeaux. Le roi parut émui II marchait
avec moi, et s'assit plusieurs fois pendant
une première converèatfon qui dura 'fiuB
d'une heure et demie. >» Madame a cédé ses
droits, lui dis-îe, à la reine Marie Thérèse,
et la pensée de ses vertus a pu la décider
à un aussi grand sacrifice que celui de pu-
blier son mariage. Mais quelle reproche la
France et Madame ne seraient-elles pas en
droit d'adresser à madame la dauphine, s!
cette princesse laissait ainsi compromettre
le précieux dépôt qui lui est confié l si tout
à coup Madame paraissait dans le salon du
roi, qu*aurait-il a lui dire!'' »Je ne pense
»ypas qu'elle y vienne de si tôt,'^ me dit le
«0
Yol d'un ton qui me fit penser que Sa Majesté
avait des motifs pour ne pas l'y attendre.
,) Puisse un jour cette princesse venir s asso-
>,cier, avec son titre de mère et 1 énergie
.de Son caractère, à toutes le&f nobles
pensées de la reîne Marie-Thérèse! " Frappé
de plusieurs choses générales que je disais,
le roi m'engagea à en conférer avec le duc
de Biaeas, ajoutant: „I1 est inutile de parler
,, de l'éducation du duc de Bordeaux, car cette
,, aiïaire ne le regarde pas.** On voit à quel
point est peu fondée cette supposition d'iiH
'fluence; aucune personne n'ose prendre la
parole sur un sujet, ^juand le roi ne la lui
.a pas donnée: Charles X., revenant à plu-
isiears reprises sur le passé, me dit ces
paroles remarquables: -*
» j, J'aurais crïi manquer à moi, comme aux
^p Français, en prenant^ pour la promulgation
>,des ordonnanqes, des précautions que je
)) regardais comme inutiles; rien ne m'a plus
„ étonné que cette opposition formidable; et
,Je ne pouvais me. persuader qu'elle durât.
^Aujourd'hui même je ne me reproche qu'une
„ seule chose, c'est ma: trop grande confiance ;
^mie conspiration existait, et ceux qui s'en
„sont vantés ne 'pourraient le nier: je vou-
^lais sauver la France et le trône, et plus
il
^tard lea Français aurafeirt été' forcés ié
^reconnaître que je n avais jamais eu l'in*
^fention de renverser la charte que j'avaisr
„ jurée. ^^ Charles X est de bonne foi avee
hii-méme. M. de Lafayette ne Test il pas
aussi! tous deux, dans u» genre bien opposé,;
révent une utopie impossible^
En sortant. de chez le roi, je «le rendi»
ehez, madame la dauphine; mais comnnè ta»
conversation avait duré plus longtemps que
je ne l'avais cru, je vis avec regret quil
ne me restait que vingt minutes avant Thenre
à laquelle Madame se rend chez le roi ; aussi
demandai-je la permission de ne dire que
Îuelques généralités, et de revenir le len-'
emain. Ma demande fut accueillie avec
bonté; je remets à parler de mon entrevue.
Madame me demanaa si j'avais sollicité une
audience du dauphin; je gardai un moment
le silence. „Je la demanderai ce soir /^ dis*
je à son Altesse Royale, et je me retirai.
J'ai nommé le dauphin, et j'avouerai sans
di^our que je suis arrivé à Buschtiérad avec
de telles préventions y que je redoutais de
voir ce prince en particulier. Je dirai avee,
la même simplicité que je Tai trouvé toatr .
autre que je ne m'y attendais. JMgnore si
tQut le jnoad? me comprendra^ mais du moin»
ne pourra-t*6n refaser d'aJMiter fol à on
langage aussi franc Sa conversation est
aussi sage que modérée; sa volonté formelle
est de^ne se mêler de rien; ses soins de
fils, son respect, sa douceur sont admirables;
sa résignation est entière, bien qu'il ne se
fasse aucune illusion : pas un mot d aigreur
ne lui écliappe sur le compte dé qui que ce
soit*, il n'a oublié personne, et m'a remis de
sa main, une liste de quelques serviteurs,
me demandant de chercher à leur être utile.
Notre siècle n'est plus à la hauteur des
martyrs; il ne les comprendrait pas. Ce
prince a regardé lobéissance passive comme
le premier de tous les devoirs; il n'est pas
plus possible de le juger sévèrement que
de blâmer un saint qui a le courage de tout
sacrifier à la pensée de l'autre vie; il a senti
Avec amertume sa position, mais sa conscience
n*a point j'eculé devant ce qu'iL a regardé
comme une obligation sacrée, et après
avoir donné quelques conseils qui furent
repoussés, ils se renferma dans une entière
abnégation de lui-niéme: permis de le plaindre,
Îrermis de ne pas se sentir le courage de
'Imitation, permis déjuger autrement, comme
il te dit lui-même, mais tmpossiiile 4e l'ac-
enser. Ses idées sont loin d'être baiiaisées^
2i
comme f^n s'est plu à le répandre; elles
ont même semble se retremper dans le
calme et dans la solitude. Mon . neveu,
M. Dhinoisdal, qui ne connaissait ce prince
Îu'à travers ses préventions, a été tellement
rappé de le trouver si contraire à ce qu'il
pensait, qu'il a conçu pour le dauphin, peu
connu et fort calomnié^ autant d'estime que
d'attachement* Je voudrais pouvoir répéter
chaque parole de ce prince, elles feraient
revenir bien des Français de Terreur où
j'étais moi-même. Du reste, entièrement
en dehors de la politique, il témoigna le
plus tendre et le plus touchant attachement
au duc de Bordeaux et à Mademoijselle , et
approuve tout ce que font le. roi et madame ^
la dauphine. »Je vois ce qujl faut à la
France, disait un jour le dauphin à quelqu'un
qui me Ta répété, c'esf mon neveu conduit
par ma femme. **
Mademoiselle, âgée de 14 ans, en a 1&
pour la raison , comme pQur les sentiments
et la grâce : elle est adroite à tout ce qu elle
fait, sait le dessin, la musique et plusieurs
langues : habituellement en blanc , sa mise
est élégante et simnle, sa conversation est
aimable et spirituelle. Comme elle parle de
k France ! coinme elte yeriso sm son exil et
^w ** . •«
8nr celai de sa famille des larmes qiii>en
Arracheraient à ses enoemis mêmes, ou pliitét
à ceux de sa famille! -^ »Kous almuns
„ tant la France!" nons dit-elle plus tard,
lorsque nous lui fîmes nos tristes adieux;
,, nous aimons tant les Français ! ils nous
)) ont bannis, mais tous mes voeux sont pour
), eux et pour la France ; parlez quelquefois
„de nous, qu'on ne nous oublie pas dan.H
ulexil: hélas! combien durera-t-îl ce pénible
„exili".... Disons'le franchement! jamais
éducation ne fit plus honneur aux personnes
auxquelles on la confiée. Non, non, princesse,
la France ne vous a point bannis; la France
ne fut pas consultée: un divorce terrible
s'était, il est vrai, déclaré entre Charles X.
et elle; mais là se bornaient les idées de
la France, et l'histoire en dira plus que ma
plume.
En face de la petite porte du château est
tin étroit jardin ou Mademoiselle passe une
partie de ses récréations; une petite maison
grotesquement construite en fait la décora-*
tion. Tout est simple autour des jeunes
Ilrinces, et ils se ressentent eux-mêmes de
a bonté de la famille, ils^ sont chéris de
tons cenx qui Içs approëhent
Le duc d^^ordeiiaXi EenriV*^ cet enfant
d avenir^ qui ser» traité en roi à sa majorit«^
celte étoile qui rayonne dana les ténèbres,
ce principe vivant qui sera chargé de nou»
réunir tous un jour, est plus avancé que ne
le comporte son âge. Instruit, il est adroit
à tous les eicercices du corps, il monte à
cheval à merveille, et tous les jours pendant
deux ou trois heures^ bravant la aouleur,
il ne comprenait pas qu'on le plaignit d'un
coup de pied que loi avait donné le cheval
de son gouverneur; il fait bien des armes(;
il casse à trente pas an pistolet une tête
de poupée; Il est raisonnable et enfant* tout
à la fois ; adoré dei siens , il les ckérit ; 11.
est spirituel) pénétrant, réfléchi, vif, pleia
d'énergie et de résolution; il se aoummt^
mais 'on voit qu'il saura counander; \l
exainine, écoute et sait entendre; U uest.
pas grand pour -son âge, mais fort, ei ai
beaucoup- de lair et des manières 4u duc
de Berry. „ £!omment trouvez- vous le duc
de Bordeaux ? " me demanda un soir la' dau-
phine dans le salon (c'était le troisième jour
depuis mon arrivée). „U me serait a^sez»
M difficile, Madame, de pouvoir en juger,
„ car je n*ai pas encore adressé deux mots
^en particulier à son Altesse Royale; je
^c^mjpf eads la aurveiUaneei nais 44lie s^nièl.e
u
^tiu'il pourrait y avoir qaelqnes oxceptions.^.
Le lendemain, en allant dîner^ le duc de Blacas
m'invita à me placer auprès du jeune prince; je
me trouvais ordinairement entre MM.d'Agoust
et O'Hëgerthy fils. '
Je erois ne < pouvoir mieux faire juger
ee jeune prince, qu'en rapportant à peu près
kl conversation que J eus avec S. Â. R. >, Je
,{ pense, Monseigneur, que Ton répète souvent .
M à V. A. R. que tous les Français lachérissent,r
yjladjésirent. Eh bien! il n'en est rien encore;
»; Dieu fasse que cette heureuse fiction se
») réalise un jour! Une coui^nne est un pesant
)^fardeauy et un prince doit se rendre digne
^de 'la f>orter, par ses vertqs t<eomme par
^M8 lumières; il faut. que chacun sache que
,i Monseigneur vaut mieux que lui, et qu'il
i^est plus instruit:. alors on désirera Mon-
,•) seigneur pour lui^méme,^ tandis qu'il n'est
t^^ encore que la représentation d'un principe
,,qùi «e- sera Invoqué par la. France que
,) quand elle y versa son bonheur et son
)j salut, fio sentiment moins flatteur que
,v l'amour «ans douter est plus durable: j'ai
A foi à la légitimité, Monseigneur, mais ma
^i confiance sera hien plus grande, si V. A. R*
1,86 rend -'digne dé l'avenir ^iqui lui* est rér
)>4erv4'' Le pripce w'ëcoutnit avec we
vr
sèriense attentidtf, et i\ semblait ne pas
perdre un mot. Madame la dauphîne souriait
en ayant l'air d'approuver; elle regardait
son royal neveu avec rintérét et la tendresse
d'une mère; „ Je parle à Monseigneur un
langage bien sévère, et je crains de l'ennuyer.
— Pas du tont, me dit S. Â. R., j écoute
avec attention tout ce qu'on me dit, et je
n'oublie rien. *^ Le dîner allait finir, on sortit
de table et nous restâmes dans le salon j je
me sentis pris par derrière, c'était le jeune
prince; il me saisit les deux mains. „ Allons
dans l'embrasure de cette fenêtre, me dit-il,
achevons notre conversation, car je suis
assuré que vous avez encore bien des choses
à me dire ; et puis vous me parlerez de votre
prison. Nous en avons été bien occupés. •»
On vint proposer à Monseigneur une partie
de billard (c'est l'habitude de tous les jours
après te dîrfer), Il la refusai on revint aii
bout d'un quart d'heure. „ Je <^royais vous
avoir dit^ ajouta-t^l d'un ton ferme, tque je
lie voulais pas y jouer aujourd'hui. ^^
A huit beùres, le jeune prince rentre chez
lui, et'à huit heures et demie MadèmolsèHe^
quitte le salon. La mise du prince est une
veste ronde, ôrdinaireâient.de couleur verte^
«n: gilet blfttte^'^u pmtolQn Ifti^e, jUm
28^
ordinairement blanc. „ Mais vous éted enisorlr
mouillé, lui dit un jour la dauphiiie eu veuantf
dîner...- — Ma seconde veste n'est paa*
encore terminée, répondit simplement le
prince, d'ailleurs cela ne me fait rien. *^ 11 sort
par tous les temps, accompagné d'O'Hëgerthy
péré, de sop gouverneur, et d'un domestique.^
On pense généralement que l'éducation da.
prince a été fort bien dirigée jusqu'à présent
par M. de Barande, que Ion regrette, et ^or^
conviendra que pendaut le court intervalle
qui s'est écoulé depuis son départ^ une
inânence plus impolitique que réellement
dangereuse n'aura pu être bien funeste, ni
noire aux pensées d'avenir, que les uns re*
doutent, que les autres chérissent, et aux-
quelles, au fond de Tâme, tons ajoutent plus
ou moins fol. («a retraite du gouverneur
oojnmande le. silence, et'tl est impossible;
de ne. pas plalndrei' mif homme dlhonneur de
s'être -trouvé dans .une Semblable position,:
£»reé de reconnaJtjre 'qlMi son dévouement
avait été plus funeste qu'utile*
Je fi'ai encore idit ^ue peu de mots sur
madame Ift dauphine. Princesse admirable,
fmnmB- vraiment béroique! qui dira vos mal-
brars comme vos vertus, vos infortunes comma
tfvtre courag^e! qui peindra VaiftQur d^ c^ito
«9
^neessè p^ur la France , son occnpattoa
^oirstante, ses sentiments st français? €lni
▼errait sans dëGhîrement et' sans reconnaiï*
sance couler ses larmes sur nos calamités?
Elle a tout pardonne, pas une reproche ne
lui échappe; elle n a de hafne pour personne,
elle a tout oublié, pas assez cependant pour
ne pas s'être éclairée par l'expérience. Marie-
Thérèse permet qu'on lui parle de tout; elle
repoussé les éloges; elle écoute le blâme
sants s'irriter, et sa bonté encourage la fran-
chise. Elle sent qn'elle a vécu trop isolée
de tou« les intérêts français; mais un principe
d'obéissance, plus ou moins bien entendu,
la tenait en dehors de tout, sans lui permettre
aucune exception. 8. A. R. sent aujourd'hui
Tiraportance du rôle de mère qui lui est
confié; elle en comprend les obligations,
décidée A les. remplir. Oh! que ne pnis-je
retracer ici un entretien qui dura plus d une
faeure! On apprendrait à la connaître. Elle
comprend maintenant la France, elle entre
dans ses idées, dans ses sentiments; elle
veut tout pour la France , et rien que par
la France. „0 jamais! jamais! s'est-elle
décriée devant moi, non jamais ni guerre
,^ civile ni guerre étrangère, ni émeute; ce
„n'«st pas par une conspiration que nou»^
30
»TonIonfli revenir en France; nons neTôuloiis
,^pas lui être imposés, il faut qu^elle noifts
,, désire. Hélas! qui peut aujourd'hui envier
„ une couronne î une couronne est un terrible
„ poids a supporter. On m a dit ambitieuse :
>, toute mon ambition eût été le bonheur et la.
n gloire de la France. M. de La Rochefoucauld,
)> ajouta-elle avec un accent pénétrant, un
Journal a osé dire que je n*étaispas Française;
» c'est le seul reproche que je me rappelle;
„ il ma déchiré lame ; quelle cruelle injustice !
>, cest la seule injure qui m'ait véritablement
M blessée. Oh! croyez et répétez que je
„8uis Française, uniquement Française, Fran-
„ çaise avant tout ; tous mes sentiments sont
„ français, toutes;, mes pensées, tous mes
„ voeux sont pour la France. Nous élevons
M le duc de Bordeaux pour la France; mais
» c'est la France seule qui peut et doit le
„ réclamer; c'est à elle seule que nous le
M rendrons si elle le croit utile ou nécessaire
>, à son bonheur comme à son repos ; nous
M voulons qu'il soit di^ne un jour du rôle
» qu'il doit remplir, si le ciel le lui destine,
n Croyez qi^e rien ne pourra jamais m arrêter
» pour faire ou obtenir tout ce qui sera utile
» aux intérêts de la France. Je ne suis pas
» aussi maîtresse que quelquefois on semble
31
y le supposer^ mais du moiiis je n'aurai rfeii
y à me reprocber; fiez- vous à mes paroles."
Paroles précieuses, qui ont été suivies d'un
succés^tant désiré! Deux dioix pour gou-
verneur du jeune prince semblaient réunir
toui^ les suffrages, et nos ennemis même
les redoutaient : c'étaient MM. de Château*
briand et Oudînot; mais on ne peut qu'ap-
prouver ceux qui ont été faits, et les noms
des élus sont une garantie pour la France.
Du reste, n'exagérons rien et soyons justes
pour tous : je desapprouvai le choix des jé-
suites, je le dis hautement, mais je respecte
leur ordre; et quand il y a des associations
qui cherchent à, détruire, il est tout simple
qu'il y en ait qui veuillent conserver; d'ailleurs
je pense qu'un ordre, capable de commettre
une pareille faute en soulevant contre lui
autant et de si justes récriminations, est sans
danger. Il est vrai qu'un professeur jésuite
a pendant deux mois, donné des leçons au
royal enfant ; mais les jésuites ne s'étaient
point emparés de la maison, comme on s'est
plu à Je répéter; ils ne conduisaient rien,
ne se mêlaient de rien que d'une leçon, et
la leçon terminée , Il n'était pas plus ques-
tion d'eux que s^ls n'existaient point.
Ceux qui supposent, qu'il serait facile de
\
Si
faire tomber le âne ^de Bordeaux dans des
exagérations dont personne ne veut, certea
ne Pont ni va ni entendu: it est obéissant
sans doute, mais il a dans l'esprit une>énergie
et une pénétration qu'il ne serait pas facile
d'ég'arer à ce point . . . Que la France se
rassure donc, et qu'elles voue un éternel
hommage de reconnaissance à une princesse
qui a compris ses voeux comme ses besoins,
et qui ne laissera pas son ouvrage incomplet.
Elle n'a rien fait pour s'enoiparer^u rôle que
le ciel lui impose au nom de la religion, de
riionneur, de la morale et de la politique;
elle verse des larmes de regret en songeant
aux circonstances malheureuses qui l'ont
placée si haut; maïs elle en comprend toutes
les conditions, tous les devoirs, et saura
les remplir. Disons-le hardiment : jamais
on ne pourra penser à quel point la reihe
Marie Thérèse a grandi dans l'infortuné , et
combien elle s'est éclairée sur les idées et
sur la situation réelle de la France, comme
sur les nécessités du moment: chacun
s'éclaire, la nation s'éclaire aussi, et le temps
fera justice de tout; le temps est un grand
'itiaître, mats il faut savoir l'attendre. —
M Que les royalistes ne précipitent rien, me
» disait eueore Marie •Thérèse, et qu'ils
35
» s'arment de patience ; c*est à la France
„que je m'en remets, à la France seule que
„je me fie; je veux tout devoir à elle seule,
,J'ai foi en elle et à lexpérience quelle
^, acquiert tous les jours, pour comprendre
,)et s'^tir quels sont ses véritables intérêts.
,> Jamais vous ne pourrez croire quelle est
>>ma tendresse pour le duc de^ Bordeaux;
>,ma vie tout entière est à lui etli la Fran<^;
» puisse mon existence devenir utile à Tun
),comma à l'autre!"
Vue semblable confiance, une confiance si
honorable ne sera point trompée : là France
comprendra tout ce qu'elle doit à cette con-
fiance, comme tout ce qu'elle se doit à elle-
même. Laissons le pouvoir livré à ses errenrs,
à son fatal principe et à ses fautes ; laissons-
le s'isoler de tous les intérêts de l'avenir, par
cette centralisation qui écrase le pays et le
révolte tout à la fois; laissons au despotisme
forcé du gouvernement le temps de froisser
et d'irriter tous les amours-propres, qu'il a
d'abord si soigneujsement caressés. Tout
f tarait lui avoir réussi jusqu'à présent, toutes
es circonstances avoir tourne en sa faveur,
et, cependant, il glisse sur le sol, mais il
n'y pénètre pas. Profitons du temps qu'il
nous donne pour éclairer les esprits, et
LXXXIV. 3
34
prouver à tdus que la légitimité seul peuf
détruire cette centralisation que cliacun
déteste.
La France veut Tordre ) et si elle redoute
tout cliangement:, c'est surtout parce qu elle
ne veut à aucun prix d'une nquveUe révolu-
tion : aussi la France a-t-elle ôté toutes les
chances de succès à une république qui,
pour arriver à donner , des libertés , serait
forcée de créer le pouvoir le plus despotique,
de lever d énormes impôts,, qui allumerait
ati sein de la France la plus horrible guerre
civile, et à l'étranger, une guerre générale.
Il suffit d'avoir parcouru l'Europe pour frémir
de tous lei^ désordres et de tous les crimes
par lesquels on cherche à établir cette ré-
publique.
Honneur et malheur tout à la fois à ces
républicains de bonne foi qui, rêvant une
utopie, veulent la république, aux conditions
d'ordre , de grandeur et de liberté pour le
pays ! Espérons qu'ils s'éclaireront, et qu'ils
préféreront une monarchie tempérée, avec
des libertés^; h tous les désordres réunis et
à tous les- malheurs suspendus à la fois sur
nbs têtes. Il eu sera de même de quelques
royalistes qui rêvent encore l'ancien régime,
ou la charte octroyée de 1B14.
33^
Sons tine monarchie légitime , la Finance
nanrait rien à redouter de FËurope entière;
mais une république^ qui nous diviserait, eii
aurait tout à redouter; un pouvoir usurpa^
teur ne peut lui Inspirer aucune confiance.
J'étais arrivé à Buschtiérad un dimanche :
e'^tait le dimanche suivant que j allais m'ar-^
racher à ce liea si cher; j'avais passé la
journée du iuudi presque eiitièi*e avec la
famille royale, et le lendemain après le*
déjeuner, je deraîs aller en particulier
prendre ses ordres, et déposer à ses pieds
mon amour et mes voeux. Je r-entrai chez
mon forgeron le samedi soir, le coeur rempli
des incidents dé la veille, du jour et surtout
du lendemain : je ne pus fermer ToeiK
La légitimité est un principe social, me
disais-je, qui consacre un droit dans Tintérêt
de la société ; c'est le lien comme le défen-
seur de tous les intérêts* sociaux; un principe
qui les représente et les défend, qui se
retrouve partout, dans la famille isolée comme
dans la grande famille, dans la propriété d'un
seul, comme dans la propriété de tous ; c*est
la vie de tous, te moteur universel, rimante
de Dieu sur la terre, car c'est la vérité. Ce
n'est pas comme droit dlvia que je l'invoque^
mais comm^ une propriété ce riiomme. comme
36
un droit erëé par lai dans son intérêt, et qnll
a eu la sagesse de rendre inaliénable , afin
de se lier lui-même les mains, et de s'épargner
des alarmes, des révolutions et des troubles
sans cesse renaissants.
Un pouvoir usurpé n'est point compétent
pour défendre les droits de chacun; un
pouvoir n est bien établi que quand il se
fonde sur le raisonnement, sur le droit et
sur la loi.
Personne ne veut la guerre , me dit dans
mon voyage un diplomate étranger, lii les
Puissances, ni la France; mais enfin, si
Ï»ar une suite imprévue des événements de
'Europe, la guerre éclatait jamais, que fe-
raient les légitimistes? >^ Ils marcheraient
M tous conti*e l'étranger à la défense dçs
,» frontières, ai-je répondu aussitôt, pour
M maintenir l'intégrité du territoire; la légl-
^timitë s*e8t perdue pour avoir été exploitée
^par un parti au profit de ses doctrines, pour
„ëtre restée seule^au milieu du pays, et
M isolée des intérêts: cette fois nous voulons
,» l'implanter dans le 'sol, afin quelle en de-
M vienne inséparable; et que le pays recon-
M naisse quels sont les véritables défenseurs
y, de ses droits^ comme de ses intérêts. ^^
. Plein de ces réflexions, je me levai avec
37
le jour, étourdi par le bruit du marteau y et
par le cri aigu d'un coq enfermé près de
mon lit. Je pris ma plume et j'écrivis quel*
ques lignes pour les présenter à madame
la daupliine. A dix heures, j'ailai entendre
la^même messe que la famille royale, et je
me rendis au son de la cloche dans une
chapelle attenante au château. Dans la tribune
de drofte étaient Charles X , le dauphin et le
duc de Bordeaux: dans ceHe de gauche ma-
dame la dauphine, Mademoiselle, madame
de Gontaut, madame d'Âgoust; dans une
troisième, le gouverneur, MM. Montbel et
Blacas, et en bas les personnes de la maison.
Je me plaçai parmi ces dernières ; et eu
pensant aux voeux ardents, qui s'élevaient
vers le ciel* de ce coin de terre i^olé, je
me sentis moi-même un sentiment de. foi
exalté. Je priai pour la France et pour
Henri. ,
Je revins faire mes adieux à mon hâte
et à sa famille, dont les larmes m'annoncèrent
les regrets. Â midi je me rendis auprès de
Charles X., qui me reçut avec une bonté
toutç partfculière: ce prince sait connaître
le dévouement véritable, et lui pardonner
sa franchise. J'osai le presser pour savoir
ce que je dirais à mou rc^^toor a Pari5 sur
88
rédacation de M. le doc de Bardeaux, toh-
lant reporter ses paroles textuelles. .^ Dîtes
^^que je veux me donner le temps de réfléchir
» mûrement à de si graves intérêts, et que
»>j'espère qne les choses s'arrangeront de
^manière à satisfaire ceux dont je dois
^compter l'opinion.^ Je pris congé du roi.
. Je montai chez le doc de Bordeaux, qui
fut charmant dans ses adieux, et nous
témoigna les j)lus touchants regrets, en nous
recommandant de parler de lui à tous ceux
qui ne Tavaient point oublié.
Mademoiselle nous pénétra par sa sen-
sibilité, comme par son expression bienveil-
lante, par ses regrets et son amour pour
la France.
Le dauphin nous reçut en capote, sans
compliments comme sans cérémonie, et il
confirma le jugement impartial que nous
avions porté pendant notre séjour. Son
Altesse Royale nous ouvrit elle-même avec
bouté la porte de communication qui conduit
de son appartement chez madame la dau-
phine. — „ Vous sortez de chez le dauphin?^*
nous dit cette princesse. *— ,> Oui, Madame,
et, pénétrés de ce que nofis avons vu et
entendu, nous répéterons hautement, à notre
iietoiiir ^u .Fitapce^ le cri Intime de notre
39
conscience... „ II faudrait avoir vu l'exprès-
sion qui se peignit sur la pliysionon^ie de
Madame, pour la comprendre et essayer de
la rendre.
\. Je répétai en peu de mots, mais avec
énergie, tout ce que je pensais, tout ce que
je sentais, tout ce qui me paraissait indis-
pensable. Je parlai de la France «avec le
sentiment qui anime un coeur français quand
il parle de la patrie. Les larmes de Madame
coulèrent, et elle nous promit solennelle-
ment de faire tout ce qui dépendrait d'elle
pour soutenir et défendre les intérêts et les
droits de la France. ,, Ce n*est pas assez,
„d]s-je à S. Â. R., de plaider en faveur d'une
„ cause aussi belle, aussi juste et aussi
,, sacrée. Il ^faut triomphei? à tout prix. —
Fiez-vous à ma parole, ^^ furent les derniers
mots de la reine, et nous nous arrachâmes
de sa présence. Une fois sortis, notre émo-
tion, à M. Dhinuisdal, témoin doucette dernière
entrevue, et à hiôi, était telle que nous
restâmes quelques moments à la porte, in-
capables dé faire un pas de plus. .Je montai
ensuite faire mes adieux à madame d'Âgoust,
au cardinal, à M. de Blacas^ et à M. de MbntbeL
J^rpartis pieiu d espoir, voyant que chacun
ayait la-méme pensée sur le sujet qui ix^'oc-
4(^
Gupaii:, et que nous marchtous enfiu vers le
même but. ^ '
Je hâtai mon départ, convaincu* qu'il ne
serait pas agréable à Charles X. de prendre
une décision devant celui qui Tavait si vive-
ment sollicité.
Je laissai à Buschtiérad M. de Calvimont,
dont les sentiments sont aussi généreux que
le dévouement courageux et bien entendu.
Nous partîmes pour Prague, ou j'avais quel-
ques affaires; mais notre émotion était telle,
que nous ne pûmes dire un mot pendant le
trajet.
Le lendemain, 5 août,. nous reprimjps la
route de France par Carlsbad , Nuremberg
et Strasbonrg. Nous devions passer encore
cette fois au bout de lallée de pommiers
,qui conduit au château de Buschtiérad. La
poste est à quelque distance: nous atten-
dions daiTS la cour mon valet de chambre
qui s'était perdu en partant de^ Prague. Quel
fut notre éton^iement en entendant le pas
de quelques chevaux, et en reconnaissant
le duc de Bordeaux, qui vint à nous avec une
grâce charmante. » Ahl vous voilà, messieurs ;
je suis enchanté de vous revoir encore un6
fois.^^ Il me tendit la main, nous quitta, et
en piquant des deux il partit au galop^
41
comme une personne qui brusque de pénibles
adieux.
Nos yenx se remplirent de larmes. ^Veuillez
encore, Monseigneur, porter au château de
Buschtiérad tous nos regrets et tous nos
voeux:" ce^ furent nos dernières paroles.
Le prince avait disparu, nous ne le revîmes
plus ; et bientôt nous continuâmes notre route,
le 5 août 1933, presque incommodés par le
froid.
Nous nous arrêtâmes peu jusqu'à Paris;
on devinera ce que^ nous éprouvâmes en
apercevant les Tuileries.
Espérons tout du temps et dé la France!
Le vicomte de LA ROCHEFOUCAULD.
UN
»
PARISIEN A SAINTE-HÉLÈNE.
Le pilote crie: Terre! Nous montons sur
la dunette, et nous voyons lïle; ses pre-
mlëres lignes se dessinent avec force dans
quelques vapeurs légères. ...
.... Voilà le roclier sur lequel mourut, il
y a douze luis, Thomme le plus grand des
temps modernes, l'ennemi des monopoles
anglais^ celui qui les cliassa des rivages du
continent, et inféoda ceux-ci à sa puissance,
à son système, comme pour enfermer les
mers d'Europe dans son empire ! . . . Il
expira, pauvre prisonnier! à qui le fort s'était
parjuré, sur ce rocher lugubre et pelé, que
BOUS regardons avec un intérêt triste. • • •
43
• • • • Naus approchons. • • ^ Le
télescope nous montre des plateaux nus et
noirs, des pics scories, et dentelés par les
morsures du feu et des pluies. ...
Nous allons descendre dans Tîle. Je veux
y examiner les effets matériels du climat,
et m'assurer sil est vrai que la pensée des
Castelreagh, des Batburst, des Wellington,
a été, 'dés Torigine^ en désignant ce lieu pour
prison, une sentence de mort ; "^^ les vraisem-
blances sont pour cette opinion , car les ac-
cusés tiennent leurs principes des hommes
d'état italiens du moyen âge. — Si vous les
leur reprochez haut, puissamment, ils s-ex-
cusent par la raison sans entrailles, ^/^mour
fi de la patrie anglaise est. chez eux la lu^ne des
n autres nations !^^
-^ L*île est devant nous, — la nuit est
venue; le ciel est semé d'étoiles scintillantes
qui se jouent sur les flots apaisés ; on n'en-
tend guère que le roulis du vaisseau — et
le bruit des ailes d'oiseauxde nuit partis
du rocher et y retournant silencieusement* . *
3. avril.
Nous jetons l'ancre dans la rade ; il est
neuf heures du matin. —
Jointe du jour, notre vaisseau s'est
- /
44
approché de la terre, sous la côte nord de
Tiie. — La vue de ces rochers nus et brûlés
présente je né sais quoi de sombre et mén^e
ae terrible qui émeut vivement; 11 semble
Îue nous abordions quelque Vésuve éteint.
les effets physiques sont les mêmes. Ajoutez
à cette impression celle qui résulte aussi
Aéd défenses, en tout semblables à nos vieilles
prisons d'état, de ces fortifications suspen-
dues dans les airs, de ces postes de s1g;naux
qui, au temps de Napoléon, se répondaient
les uns aux autres de demi-heure en demi-
heure^ et se communiquaient par des ehemins
qui ressemblaient tantôt à des escaliers et
Ïlus souvent à des él;helles. — Au temps
a ^prisonnier, de fins voiliers se croisaient,
sans interruption, au pied de ces défenses,
de. ces rocs armés et si rudes à la montée. . . •
Le drapeau anglais se déploie toujours avec
orgueil sur ces hauteurs de Sainte -Hélène;
mais il a beau flotter puissant dans ce ciel,
il y a reçu pour jamais la tache indélébile
de l'assassinat!
-— Les montagnes de Sainte-Hélène sont,
formées de couches superposées, jointes un
Îeu obliquement. — Si je voulais me livret
des conjectures , Flmagination me dirait
Gonment^ selon elle^ lea laves ont pu paraître
45
sur ces crêtes, aujourd'hui si enfumées,^ sur
ces plates^fornies coupées et, brisées, sur
ces flancs ou la lave, un peu refroidie, a dîi
descendre et s'attacher à la surface; *— mais
cela serait parfaitement stérile pour vous,
mon ami , qui m'avez démandé un peu de
géographie et d'histoire. • . J'attacherai
davantage votre esprit en vous retraçant,
dans un moment, Tlmpression générale que
communique l'aspect des lieux. — Je visiterai
Tile ensuite, et vous raconterai, dans un
SLMtvé fragment , les résultats de quelques re-
cherches bien rapides sur le grand drame
qui fut six ans à s'y jouer au bruit des flots
et des tempêtes de l'Océan. L'empereur
Napoléon, cet autre volcan, vint s'y éteindre;'
ses dépouilles sont déjà mêlées aux scories
éparses sur les plateaux de ces mantagues
noires. . »
Fragment écrit deux heures après le ptécédent^
En arrivant au mouillage, il y a une heure,
j'ai aperçu le premier les signes qui nous
étaient adressés du dernier poste; on les
écrivait sur un grand tableau noir. Ces
signaux nous donnaient l'ordre d'envoyer un
bateau à terre : — . il est parti sur-le-champ.
Quelques moments après , nous avons reçu
46
le signal d'entrée, et uous sommes allés nous
|)lacer au milieu de trois beaux liavires de
a Compagnie des Indes ; puis nous nous sommes
tous rendus à terre.
Le débarquement s*est fait sur une cale,
inégalemement assise sur les rochers , lon-
geant la pointe gauche de la baie, la seule
partie de la côte où la mer ne soit ni tour-
mentée, ni pleine de pointes de rochers; le
flot y est bleu et un peu dormeur. — Cette
cale est bordée de magasins asse2^ médioci^es.
En nous approchant de la ville, nous avons
trouvé \tB fortifications , qui défendent la baie
dans toutes ses parties; ensuite, nous
sommes entrés dans la vllfe par une porte
si basse, qu*en passant dessous j'ai été
tenté de baisser la tête. —
J*ai arrange sur-le-diamp, avec l'ami D**,
un projet d'excursion à travers File pour
demain.. • ,
Deuxième Fragment.,
.... Je décrirai d'abord la ville;
L'esplanade «li plaee d'armes, se trouve à
rentrée de k ville. A Sainte-Hélène, les
Anglais appellent ta ville dertx rang*s de
maisons assises eiltre dent morifagfiiéS' 4^s-
carpées. . CÀ r&Kgià'^é prok>irgent dans les
47
sînnosîtcs d'un ravin, au milieu duquel coule
un ruisseau, qui se gonfle dans la crue d'eau.
Cette crue est fréquente; elle a sa cause
dans les pluies battantes qui stériliseiit l'île.
— La place d armes, presque carréa^ pré-
sente une superficie de cent pas dans tous
les sens; Tliôtel du g^ouvernement est bâti à
gauche , en entrant : il fait face à la mer.
Derrière cette demeure^ sur le flanc de la
montagne, on a planté un joli jardin qui ré-
crée la vue; le lieu est très-aride; — sur
la droite, j'ai remarqué plusieurs maisons
d'une assea; belle apparence , et Tune d'elles
est nommée la taverne de London,
L*église se trouve en face de la porte
d'entrée, un peu à droite;, sa construction a
de la simplicité et quelque chose d'éleganl;
les murs intérieurs sont décorés par plusieurs
tables d^ marbre noir et blanc, qui portent
le nom de personnes d'un haut rang mortes
à Sainte-Hélène.
Dans le haut, Fesplanade se sépare en
deux rues montantes et sans alignement.
Les maisons sont petites, bien tenues; mais
leur intérieur ne révèle pas Topulence. Après
avoir marché environ deux cents pas dans
chacune de ces rues, .on rencontre des bi-
coques bâties en pierres sèches, recouvertes
48
de terre, set touchant les unes les autres
IBans tous les seus. Elles m'ont rappelé ces
tanières: des monts du Caucase, où les Tcher-
kesses s'abritent pêle-mêle. C'est la popu-
lation noire de Sainte-Hélène, formée des
Chinois malais et métis, libre et peu nom-
breuse^ qui les occupe. En vérité, les Anglais
devraient faire davantage pour des hommes l...
> J ai trouvé un peu plus loin la caserne (ce
bâtiment peut loger un régiment), et, toujours
en'montant, de jolies maisons jointes à de
petits jardins très-frais, très riants, qut
s étendent dans le ravin jusqu'à environ un
mille des bords de la mer. Ces habitations
très-agréables sont en petit nombre, et le
fond du terrain qui les porte se rétrécit
tellement tous les jours, qu'il n'y a plus de
place que pour une seule maison sur la lar-
geur; les jardins, remarquables par la vigueur
et l'éclat de la végétation, sont très fesserés :
la distribution et l'aspect gracieux de ces
petits enclos intéressent extrêmement sur
les flancs noirs et hideux de la montagne.
Cette partie haute de là ville mérite d'être
appelée la campagne de Tîle^ car, sur cette
terre dévorée par le feu, c'est le seul Heu
qui semble lui avoir échappé. Les bords de
la mer sont secs, pierreux et uniformes;
49
on n^y trouve que le petit jardin dn gouver-
nement et quelques arbres plantés çà et là
en dehors des murs d'enceinte. — Ces arbres
ressemblent au tremble; leurs feuilles sont
à peu près comme celles du poirier.
Tout à Theure je vais tâcher de retrouver
quelques-unes des traces laissées dans Tîle
par le grand homme* ....
Troisième fragment. — Récit écrit , le 10 août,
en mer^
En allant au bureau du gouvernement de-^
mander la permission de parcourir l'île, nous
aperçûmes, en traversant la place, un officier
anglais ; nous marchâmes à lui. Il nous com-
prit après quelques paroles, et nous dit
sans hésiter et en secouant la tête, quV/
nous serait assez difficile de voir la demeure ^
Napoléonné Bonipate ; -*- que pourtant il Mmt
transmettre notre demande au gouverneur:
c'était SQU secrétaire. — Nous joignîmes
les plus vives prières à cette requête. . .
Le gouverneur était en course dans Tîle; la
demande lui fut. adressée par le jtélégraphe.
L'officier nous prévint qu'il n'aurait pas la
réponse avant deux heures après midi , çt
nous invita à revenir à cette heure^à.
A onze heures, nous entrâmes déjeuner
LXXXIV. 4
50
dans nne jolie tarerne de la ville. Maigre
sa détestable réputation, j'ai trouvé la cuisine
^e Sainte-rHélène très-bonne et très babile-
ment faite; mais les viandes n'y sont pas
d'une excellente qualité. — On nous servit
à X anglaise et bien. Les vins sont très-variés,
et sortent des meilleurs crus du globe.
La promenade suivit ce repas; mais nou3
fumes exacts à l'heure dite. La permission
était accordée, et l'officier nous attendait.
Il nous la remit avec une politesse toute
particulière, après y avoir écrit nos noms.
— Voici quelques expressions de cette pièce,
elle était en français: ,> Permission est ac-
„ cordée à ces gentilshommes de visiter le
„ tombeau et la mais<iu du mort Empereur:
uUn (fÂngletérre, officier, les accompagnera.
^y Sainte- Hélène y etc.**
Âpres cela, cet officier nous dit que, pour
arriver au tombeau et à Long-wood, nous avions
à gravir plusieurs rochers très-rapides et
très- élevés, par des chemins presque im-
Îraticables; — le tombeau, ajouta-t*il, eilt
trois milles et demi du port , et la maison
de Longwood, à six, — - Voyez, l'état du temps
menace de toutes parts! — Je vous conseille
de remettre la course à deiir eu trois jours,
et de ne Fentrepréndre qu'à cheval. Ces
51
raisons nous pamrent bien faibles, et Tinrent
échouer contre notre piété napoléonienne et
notre impatience française; nous lui dîmes-
que nous partirions le lendemain et à pied .^
Le lendemain, nous ne manquâmes pas à
notre bonne fortune; mais le pronostic de
mauvais temps s^était réalisé; il pleuvait,
et. suivant toute apparence, cette pluie
n'était pas prés de finir. Un lieutenant du-
gouverneur nous ouvrit la marche; il montait
un bon cheval. Comme il nous parut très-
contrarié de sa corvée, nous lui offrîmes '
franchement , à peu de distance de la ville^
lorsque nous vîmes sa tête s'enfoncer sous
son chapeau, et s'abaisser incessament sous
la forcé et la rapidité des ondées, nous lui
offrîmes, dis-je, de nous laisser seuls con--
tinuer le voyas;e, et de s'épargner des peines
Îui n'étaient légères que yout uouAy Français.
lette offre lui fut faite en anglais. A peine
en eut-il saisi le sens, qu'il tourna la bride*
de son jeune cheval, nous regarda, et nous
dît, les yeux étincelants, inquiets, et presque
en se signant à tidée éCahandonner la garde dw
vieil ennemi: ,, Mais VOUS VOUS trompez, mes-^
M sieurs; j'exerce auprès de vous une sur-
' J'écris en mer, trois jours après cette course-
4*- .
Si
M veillanee ! ^ — Et il poussa de nouveau en
avant son cheval. -^ Sa figare rappelait
f)ittoresquement ' les ^ peurs profondes de
!Ângleterre an temps du camp de Boulogne.
Ce fut plaisant d abord, puis bien triste, je
vous jure, lorsque nous songeâmes à tout
ce jiue lempereur avait dû endurer de cette
peur incessante, infatigable*
— La pluie nous cinglait impétueusement
au visage. jL' Anglais étant à cheval nous
devançait d'asjsez loin, mais il pliait par
moments avec une amusante colère sous les
torrents d'eau qui sillonnaient ses habits.
A mon avisj la première montée dans ces
rochers offre environ deux milles de longueur;
le chemin est bordé par un mur d'appui en
pierre sèches, et est suffissament entretenu;
il est rapide , mais inégal ; les voitures lé«^
gères traînées par des boeufs peuvent y
passer; la route suit la montagne de gauche,
en tournant le dos à la nier. l)e là, on do-
mine entièrement la ville; elle s*y présente
même sons uq aspect très-agréable. Ce long
boyau est rempli par une foule d'habitations
séparées embellies par des plantations
d*arbustes dont les pieds s'enfoncent entre
les deux montagnes, lesquelles sont hautes
et sèches. Les sommités de la montagne 4
53
droite sont couronnées par des fortifications éta«
blies du vivant de notre empereur, et contre
lui! ^^ Contre lui, pauvre malade usé, aban-
cioriné! et s*éteignaht auprès de quelque^
amis, au milieu de quelques études ! —
Ces sommités v^e le cèdent en élévation (selon
quelques géogfaplies) à aucune montagne
du gl0be.^ La jonction des deux montagnes
a lieu par une coupée qui forme muraille,
ayant pour horizon la mer, l'imniense mer
des Indes. — Les eaux courent sur cette
muraille et se perdent bientôt en une cascade
qui s'élance à grand bruit de plusieurs cen-
taines de pieds dans la mer. Les lieux où
nous sommes parvenus ont la plus grande
magnificence de destruction. Voyez! cesi
monts^ qui nous entourent ont été brûlés,
calcinés, ouverts par les feux du ciel qui
les labourent presque tous les jours ;.cefl(
brisements profonds et vastes de rochers
Signalent une force que nous ne connaissions
pas, — mais que serait-ce là, si je pouvais
vous montrer les lieux autrement que par
des images! Ces bris descendent rattacher
leurs dernières fissures au lit même de
locéan. Cette destruction est partout hideuse
avec sa face brûlée, mais elle est douée
partout d'une puissance tnextinguible : c'estr
»4
:1à sa t)eavté, La main seule de Dien a fn
séparer et recoudre aiiisi ces grands rochers*
Presque au haut de cette première montée^
;ilous trouvâmes un petit plateau assez uni,
occupé par un établissement, ayant maison,
pavillon à droite, quelques dépendances H
un jardin bieq cultivé. J ai remarqué aussi
à son extrémité, en tirant vers la mer, une
jolie petite prairie entouré de saules et de
quelques bouquets d'arbres. C'est un gi'acieux
souvenir de ^plaines d'Europe que la nature
a semé sur ces rochers funèbres. — L'officier
BOUS attendait à Thabitation. Ils nous apprit
qu'elle s'appelait Sriars, et que l'empereur
Pavait habité en arrivant dans l'île, deux
mois avant d'aller à Long-wood; qu'il y avait
été logé dans le pttvillon bâti sur une légère
élévation, à gauche de l'établissement, et en
face de la mer. La vue de* cette modeste
demeure, le premier objet empreint du sou*
venir de Tempereur que nous eussions ren-
contré sur notre route, nous toucha jus-
qu'aux larmes. Nous y prîmes quelque repos;
nous nous rafraîchîmes, questionnâmes les
hôtes, et notre jeune officier, qui s'apprivoisait
sensiblement; puis continuant la montée, en
suivant plusieurs chemins en zigzag, nous
parvînmes à Tun des plateaux les plus élevés.
55
Par un temps elair, nous y eussions joui
d'un des points de vue remarquables de Tîle,
Ce plateau est abrité vers Touest par un
petit piton; on la cultivé avec soin, ^^ j'y
ai vu une riche végétation. Des prairies
artificielles s'y partagent la bonne terre et y
sont entourées par de fortes haies vives et
des bouquets d'arbres très-verts. Ces clos
gracieux^sont rencontrés avec un plaisir in-
fini , près des crêtes de ces montagnes ra-
vagées.
Je m'écai*tai plusieurs fois de la route pour
examiner divers plateaux qui la longent,
mais nous ne pûmes pas facilement nous en
retirer, et souvent la terre céda sous nos
pas. — La partie supérieure de ces mon-
tagnes, soumise constamment aux effets
dun soleil dévorant et de pluies battantes,
est dans Fétat de décomposition qui est le
principe de la terre végétale. En plusieurs
endroits nos pieds s'enfoncèrent assez avant
dans une marne pareille à celle qui se forme
sur quelques grèves.
En tournant cette partie friable du sommet
de la montagne,, nous découvrîmes une vallée
étroite et profonde animée par plusieurs jolies
habitations, par des arbres et des prairies;
cette vue est subite aussi, et d après la
56
nature des lieux elle n*est pas attendue du
voyageur. — L'officier , qui nous précédait
toujours de quelques centaines de pas, s*y
était arrêté, fluand il nous aperçut , il nous
cria de nous presser, et nous montra, dès
que nous Feûmes rejoint, une maison bien
bâtie et un joli jardin en terasse qui descen-
dait dans un vallon; et plus bas, beaucoup
plus bas, an bout d'un nouveau chemin en
zig^zag, une touffe de saules pleureurs. yyCes
arbres, nous dit-il, entourent le tombeau de votre
empereur: descendons^^ Sur une autre, indication
qu'il ajouta, nous prîmes avec une vive
émotion le sentier bien marqué qui y mène.
Notre émotion parut attendrir le jeune offi-
cier; mais il n'y sympathisa pas avec la
parole, baissa seulement les yeux sur le coii
bai de son cheval et reprit les deyants. — >
Lorsque deux minutes après nous pûmes
toucher à la dernière demeure du grand
homme, nos yeux se remplirent de larmes!
— II nons sembla que quelque chose de
sublime et de formidable allait nous ap«
paraître ! ., . »
Un sergent anglais, gardien du tombean^
nous attendait à la porte de la grille; sur
Tordre de Tofficier, elle nous fut ouverte*
Nous nons découvrîmes tous avec respect
S7
en passant dans Teiiceinte funèbre, et nos
impressions, bien qua des degrés divers,
furent très-vives. 11 parut démontré à ces
deuiL étrangersique nous connaissions bien
la grande existence qui était venue aboutir
à), cet écueil^- perdu dans d^aifreux rochers*.
— Mais laissons de côté nos inipressions-
pour continuer l*esquisse des lieux. Il y a à
cela d'autant plus de raisons que nous sommes
arrivés en présence des ^^ localités histo-^
riques. » Décrivons.
La tombe est unie et n'a pas d'inscrfptioti
Elle a 9 à 10 pieds de long, sur 6 à 7 de
large» Trois pierres en tuf venant d'Angle*
terre en ont fourni les matériaux. L'ancien
fouvernenr les a fait enlever de la cuisine
e la maison neuve de Long-virood, où on les
avait employées dans le carrelage.
Sur une petite maçonnerie élevée de quel*
ques pouces , et à un pied dé distance de la
pierre, on a établi circulairement un grillage
en fer composé de flèches vigoureusement
scellées et jointes ensemble. Ne voyanf; pas
de fleurs autour du monument, je demandai-
au gardien si le gouverneur n'en avait pas
faitji semer; sa réponse fut affirmative; —
mais les] grandes pluies les avaient fait
périr. On en semait à chaque printemps de
nouvelles qni périssaient comme les préoé-
deotes. Quatre saules pleureurs couvrent
la pierre funéraire. Un seul est planté à
la tête 9 et son tronc couché vers les pieds
porte ainsi, sa masse de verdure droit au*
dçssus du monument.' — Un crêpe noir était
attaché à Tune des flèches de fer^ Ce tribut
de respect paraissait très-récent. Nous
demandâmes au gardien de qui il était. „C'est
rcelui du marquis d'Hastings, venu ici avant*
hier avec sa suite." C^tte circonstance nous
charma. Milord marquis a l'esprit élevé et
dispose d'un suffrage qui compte parmi les
;|)lus honorables de la Grande-Bretagne.
; La, première enceinte est circulaire et
peut avoir environ 60 pieds de diamètre;
elle est fermée par nne barrière de bois
peinte en vert et haute de quatre pieds ^
t(es plantes des montagnes et des graminées
s'y confondent et s'y lèvent avec force. On
distinguait parmi ces dernières la sonze des
îles de France et de Bourbon.
J'ai coupé plusieurs touffes d'herbes qui
avaient pousse à la tète même du monument,
entre la grille et la pierre; j'y ai joint des
branches du „ saule penché sur le corps de
l'empereur/ et jai rapporté ces reliques, si
pauvres aux yeux du monde de nos jours^
59
^cmr les niiir à quelques autres tiges sèches
arrachées, il y a dix ans^ sur la fosse oublii^e
d'un jeune officier que la Restauration fit
fusiller. —
Nous ne quittantes cette grave solitude
qn'a?ec des pensées trës-iristes, car nous ne
pûmes nous défendre de songer que ces dé-
pouilles si éminenainent françaises restaient
sous la garde de la foi et de la piété an-
glaises! ! !
Près de l'enceinte, en face de la iète do
tombeau, nous trouvâmes cette source d'eau
délicieuse où Tempereur aimait à se rafrai*
chir. L'eau s'y conserve dans un bassin do
deux pieds carrés, fermé à demi par une pierre
plate. Une jeune et jolie fille du vieux
soldat nous y attendait pour nous offrir de
la goûter: nous en prîmes deux verres de
ses mains que nous bûmes à la mémoire du
liéros. Cette eau pure et l)rillante comme
la lumière a effectivement un goût délicieux.
Nous vîmes plus loin , en traversant I0. vallon^
deux petites maisons à côté l'une de l'autre^
ou l'on a logé le gardien et sa famille; elles
sont en bois, bâties solidement et proprement;
-on les a peintes en noir. Notre officier
nous annonça qu'un nouveau monument était
«tttendtt de Leodres^ et qu'il remplacerait
celui que nou^ venions de voir, qui était trop
simple* -^ ),Maîs pourquoi un beau nionir*
ment? la mémoire deVAommê n*etf a pas
besoin! écrivez seulement son nofn sut la
EierrC) afin qu'on le salue en passant.^ «^
(6 temps était plus tourmenté qu'aVant;
une pluie battante, qui était voilée par une
brume épaisse, nous empêchait de distingner
les objets devant nous à plus de cinquante
pas; nous avions encore trois milles k faire
pour arriver à Long-wood. Sans doute ce
n'étaient pas là deë obstacles* Lofficier
avait pris lui-même son partit il s'élança
en avant au galop; nous le rejoignîmes sur
la grande route, en traversant une longne
suite dé flaques d'eau marine, de gros niiages^
de bouffées de pluie fines et serrées , dès
restes de vent d orage.
Du tombeau à Long-v^ood les ébemfns
sont larges et bien entretenus. Notre Anglais
nous dît que l'empereur s'était promené
habituellement sur cette route. Vous savez,
qu'il était toujours suivi, à distance, par -des
officiers anglais', ce q'ui lui donnait un vif
chagrin. ^- Ici commence ùa noiiveau désert
sur l'mie des plus hautes parties de File.
Nous y atteignîmes par une gorge ayant
quelques âêurs et de pauvres herbes sub^
61 .
Îendaes à ses parois jaunes, et qnl commande
là vallée du iambetpà» Cela fait, nous ne
trouvâmes plus ni montées ni descentes. —
A droite ou à gauche du cliemin, on marche
oontinuellement sur les bords des g;ouffres.
Nous suivîmes ce chemin, d'une horrible,
uniformité ; et dans le pe« d'Intervalles où
la plaie moins vive et moins battante nous
laissait voir les sites noirs de ce chemin oii
le moindre herbage de mer n a jamais pu se
nourrir, nous voulûmes calculer des yeux
quelques-unes de ces cavités; tâche im*
possible, et qui ne nous laissa qu'un sentiment
de terreur, au -lieu de notions nouvelles
intéressantes! — Notre jeune officier nous
apprit que l'empereur avait aussi voulu
sonder par la contemplation ces abîmes,
à hautes murailles crevassées par la longue
morsure du feu, et pleins de cette ineii^pri-
mable horreur qu'un incendie de quelques
siècles doit laisser après lui! -^ Aïoi, mon
ami , je n'ai point de paroles assez exprès*
sives pour vous retracer cela; l'horreur du
modèle m'accablip.. *^
De ce côté, bous marchâmes long-temps
sans rencontrer aucun signe de culture;
mais , deux tailles environ plus loin, la ver*
dure et pliisieurs habitations sont venues
«2
finir ee désert brûlé, et dans èe moment^
inondé de pluie. Tout à coup, comnie par
enchautement, la tempête s'affaiblit, leau
tomba par gouttes et moins pressée, et le
vent abaisse la roula avec moins de rapidité
dans Tair; quelques minutes après. Il cessa
même de souffler avec violence; enfin nous
touchâmes un poste de soldats. L'officier
qui nous y attendait fit quelques pas vers
BOUS, et nous dit: ^^ Messieurs y vous êtes sur les
terres de Long-^ood!^ Nous passâmes le poste
et entrâmes dans une plaine du plus beau
vert, ou s'élèvent elair-semés des bouquets
de bois au tronc grêle i. aux branches d^uii
noir sale, chargées de mouisses et très peu
garnies de feuilles, seulement aux extré^
mités ; ces feuilles ressemblent à celles dé
Tolivier pour là forme et la couleur. Ces
arbres, dont l'aspect n'offre qu'une aride
raonetonie, sont le seul ornement de cette
plaine. — Us paraissent moins rebutants
qu'ils ne le sont effectivement, parce que
tout plaît quand on sort des terres cendreuses*
d'ont j'ai cherché à donner quelque idée , il
y a nn moment* —
 trois cent pas de la porte d'entrée, nous
vîmes la nouvelle maison de Long^^'ood»
J'avoue que cette demeure m'a semblé
es
près soixante- dix pieds y est tournée vers le*
nord , et a vue sur la mer. Le jardin a des
allées sinueuses, bien alignées et soignées;
il est d'un dessin gracieux;' les arbres les
arbrisseaux, les plantes agréables ne man-
quent pas. La belle verdure se trouve sur
ce point de File, ainsi que les eharmantes
fleurs de nos jardins de France.
Avant d*arriver à la mer, les regards se
reposent, à gauche et à droite, sur deux
coteaux d'uiie pente douce: une végétation
vigoureuse s'y lève sans culture; les troa«
peaux y montent pâturer. En approchant de
Long'wood^ nous avons rencontré soudain
quelque chose de cette vie, de ee mouvement
qui entourent les habitations en Europe.
Les deux ailes de Thabitation, et un corps
dé logis qui lui fait face, et en e^t séparé
pour donner passage de chaque côté, corn-
posent une cour carrée. Gne galerie in*
térieure, couverte par le prolongement dtt
toit , souteuue par des colonnes, en décrit
le tour-
Cette maison n'a qu'un ^ rez-de-chaussée
et des mansardes; celles-ci étaient destinées^
aux domestiques. Les appartements ont
encore des parties de leur primitive élégajice \.
presque toutes les chambres sont tapissées
64
yAle ; les amis de Tempereur en ont fait une
peinture injuste. Sa façade présente à peu
avec des papiers, autrefois très-beaux, de
diverses couleurs , ^relevés par une bordure
formée de deux baguettes dorées et noires.
Cette bordure était tout à la fois simple et
riche. Les parquets sout faits avec de beaux
sapins de Russie. Les cheminées de Tbabi-.
tatlon (car eette région élevée et constam<^
ment humide nécessite l'usage journalier du
feu , ,bien que Ton soit dans un pays chaud,
a 16 degrés de Téquateur); les cheminées,
djs-je , sont toutes du plus beau marbre ; le
travail en est exquis; les montures dorées
sont faites avec une grande habileté de
dessin et de main d'oeuvre.
Le bâtiment qui regarde le corps de logis
principal était destiné, à loger Vaumênîer, le
médean et quelques autres personnes de la
suite de Napoléon. L'empereur n a jamais
voulu liabiter cette 'demeure belle et com-
mode, qui coûta, nous a-t-on assuré, plus de
cent mille piastres, et qui fut achevée un an
avant sa mort. Il voulut rester dan^ sa
première maison, qui est à environ cent cin«
quante pas de là. »il y avait souffert, disait-il,
et il voulait y mourir. Cette première ha-
bitation n'est qu'une bicoque comparée à la
/
/
ne»vè ;, wA% le javii^, ëtast asgez bien biiisé,
avait plas de charmés pour Napoléon ; il ny
était pab aansceése en vue; ans»! l'y trouvait-
on tous les jour^ occupé à néditer. Il me
tardait de voif ett détail cette demeure mène
de l'iemperemr; notre guide nous y coadalsit«
La' position e& est plus élevée que celle:
de la nmytlU wmson ; la vue y est plus vastes
niais kes appartements y sont petitf , mal
construites el mal dtstribués» Les tapisseries^
à présent très dégradées, doivent avoie été
très communes : celles de la saUe à mange0
sont de pièces et de morceaux grimafauts
c€illés seulement pour boaeher les Uvus* — ^
Nous nous» sommes arrêtés long-tempâ
dans la thambre à coucher, la chambre où ec^
mi^vt Napoléon! . • <r . Elle peut avoir de
(Quatorze à quinze pieds de large. Sa ta^
pisaerle est d^ couleur de paille et pavs^née
de patères blancs, ombrés de brun. Le £mi4
de< La befrduie ressemble à la tapisserie;
ifencadrement' en est vert fotcé; la guirlande
/a la^ méme^ ooideur, avec.de petitiea ombnes
noires. -^ 3é donne péut*dtre trop dç détafl
dutts ce rééit; . mais la grandeur du.pexv-
sonnage relève leur' faiblesse: il est sSi
grands et je ne fais pas de l'histoire, mais
une simpleJ^peinture de localités. .«••»•
LXXXIV. 5
6»
Je finirai dbao comme j*ai commeneé, par
dés détails.
En examinant* la salle de billard, dont^
une des fenêtres Tegpnrde la mer, on nous a-
fait voir un trou , qui a été percé avee un-
couteau, dans le contrevent^ par Napoléon
lui-même; Le trou n'est pas tout-A-fait rond,
et est hachotté comme un ouv|*age exécuté*
par une personne sans expérience et très-^
Impatiente. L empereur y braquait tous les
jours sa longue-vue. âne de fois, promenant
ses tristes regardis sur l'ovéan^^ il a du sonf-^
frie en voyant passer des vaisseaux français f
Pent-éti>e aussi que respéirance de s'échapper
de cet enfer lui a souri parfois, en revenant
de la lunette à son fauteuil; mal» c'est par
un accablement de plus en plus profond que'
ses réyes finissaient à Sainte- Hélène, ou
l'horizon de mer ne lea appuyait jamais
Ibng-temps».
Dans son* cahinH de ifaçaU, là place où II
écrivait (ce qui lui arrivait souvent, bien
qu'il aimât mieux dicter, et que le travail
par la parole improvisée lui fût plus facile)
est marquée par une quantité de gouttes
d'encre qu'il rejetait de sa plume.
Là,- il a consacré les cinq années et quel*
«ques motsdé sa captivité a écrire Ik Relation
67
des vingts années de sa vie publique, à jeter Ifes^
lumières de son immeiise esprit sur les ques«-
tfons intéressantes ponr notre époque, eir
politique, en législation, en matière de gnerre,
et à juger les hommes qu'il avait connu5r<
on commandés, et les événements passés.
Ses Commentaires sont devenus Técole des'
hommes d'état et des oAlciers généraux..
Pourtant la pensée du grand homme n'a pit^
lés achever; mais les fragments et les^
aperçus isolés qu'ils renferment vivront* au--
tant que notre nation et notre langue: Ces^
éeriis sont , avec les articles que* l^apoléon ,,
consul et empereur, fit imprimer durant'
quatre ans dans le Moniteur^ les écrits les^
plus profonds, les plus nets, lés plus IjEirges^
de manière et les plus hauts de pensées^
que le oommeneemeut dey ce siècle ait vut
paraître.
Les articles dîi Moniteur jettent^ de grandes?
lumières sur les vues qui préoccupaient le*
Consulat et le commeticement' dé t Empire, sur les:
questions maritimes qui furent tant agitées ài
ces époques, — droits' des^igeutres^ Hbr naviga*-
iion , etc.
Quand le premier consul' improvisa: lé^
premier de ces articles, il venait de battre^,
une seconde fols, TÂutriehe à Marengo;;
5 ♦
r y
«8
il avait imposé silence à la presse Jes dofas^
et exerçait lui même sa faculté de réponse
soiidaine, pour repousâér lea accosaitions de
TÂDgleterre et des factions iatérieures*.
Napoléon, au nom des idées sagement, libérales^}'
faisait trembler les aristocraties* de t^ondre^
et du continent, répondait a M, Pitt,.,, dé-
masquait ses implacables vieille]:ies'^ en \dv
opposant ,>ses grande» et judîcieuaeiSh noi»-
veautés/' On a raconté déja« de q^ielle^
manière cette lutte l'animait dankson cabinetr.
de 1801 à 1805. Levvé dès quatre heure» du
matt», il préparait ses profjUs ayec ses
secrétaires^ puia passait au travail du porte-
feuille de se» ministres ,. discutait , signait-
1) recevait, vei*» neuf heures, les intimes et
les officiers les plus aimés. Un conseiller
d'état arrivait dans cq moment avec la tra-
duction iés feuilles anglaises; il était rare que
la lecture de. cette traduction ne le fit pas
bondir et, marcher quelques instants très-
agité ; on la vu même ^ écraser avec ses
bottes., toujoura très-fines et à jretroussift
j^unes-, les tisons brûlants du foyer de aoa
>
* Lucien Bonaparte^ nfînîstre de rintérieur. Anni-
vepsatré du L4. juillet 1801.
2 J1804.
69
cabinet; — puis, se calmant, avec effort^
en quelques minutes , son esprit clierchàit
lies objections, qu'il dictait rapidement,
en 'élevant de temps en temps la voix; —
rédigées, ces objections passaient au Mo-
^nkeur, qui lés publiait le lendemain par toute
1%urope.
Lorsque Napoléon voulait écrire, à Sainte*^
Hélène, la relation d'un fait mémorable,
il faisait faire des recherches par ses gé-
néraux; el, lorsque tous les matériaux
étaièitt soûls ses yeux, il les parcourait,
les étudiait, puis méditait, et dictait
d^improvisation. Ensuite Napoléon relisait
ce travail, et le corrigeait de sa propre
main. Souvent', mécontent de son premier
jet, il le dictait de nouveau; souvent encore
41 récrivait toute une page dans la marge. Les
manuscrits de «es dictées sont couverts de
«es ratures.
Il avait denmndé qu'on lui fit venir de
France. toM ie$ ouvrages nouveaux ; quel-
qttes-»uhs lui parvinrent, li les lut avec
avidité, et surtout ceux qui avaient été
éprks contre M. Les injures n'obtinrent
qu'un peu -de cdlère^ let une fois powr
twateti ; mais , lorsqu'il rencontrait dans
4es oiwaigfeis rematiqoables, 4es passstgts
?0
<éù sa politique avait été mal comprise
4oa mal interprélée, il se récriait avec une
grande vivacité, relisait haut et .plusieurs
jfois ces passages; puis, croisant les bras
.et se promenant avec rapidité, il dictait
.sa réponse. Emporté par la force de son
instruction et de sa log^ique, il arrivait
Eresque toujours qu'au bout de quelques
gnes il oubliait .l'autetir et le livre, et
traitait lui-même la question.
Je me suis fait confirmer, en Europe,
Texactitude de ces traditions, vivantes sur
les lieux dans la mémoire >de quelques péri-
viennes instruites.
'Revenons à Long-wood.
Le jardin de la maison où vécut Napoléon
«est petit, mais garni de beaucoup d'arbustes,
qui y donnaient , de son temps , de jolis
réduits, de verdure, où il venait s'asseoir
et méditer. Plusieurs filets d«au coulent,
avec un doux murmura, sous ses buissons
•assez élevés et assez touffus. J*ai cueilli
des branches d'un myrte que Tempereur a
planté, et qu'il affectionnait. — J'ai coupé
riin fragment du pont chinois sur lequel il
venait rêver longuement, et ouïr les bruits ou
'4es eaux légères du jardin oa^du grand océiw.
Notre course approchait de sa fia, etja
Journée aussi. Nous avions besoin de quet-
qoes instants de repos et surtout de quelques
aliments. Nous demandâmes donc un repaa
an gardien; mais il nV a plus de cuisine
à Long-wood! Sa complaisance ne put nous
procurer que le fond de. la sienne ^ c'est-à-
dire du pain,^ du fromage de Chester et deux
bouteilles de vin, Tune de Porto et rantre de
Madère. Nous dévorâmes le peu de choses
qu*ii put BOUS offrir, et cela dans la salle à
manger du grand prisonnier. Le lieu, il est
vrai, donnait de la magnificence à ce léger
Togal , et la fortune nous traitait selon nos
coeurs.
' — La nuit s*annonçait; nous nous remunes
donc en route, après avoir remercié le soldat
hospitalier qui garde Long-wood. *— Le
temps, changé tout à coup, était devenu
beau, et notre retour à la ville fut facile. . . •
Je qiiittai, deux jours après, la rade de
Sàinte-Kélène.
Frédéric FAYOT et u caî»itainb
\
LA PETITE PROVENCE
A CHARLET.
Cet bummage offert & une de nos illustra-
tions mgdernes '^•t, selon moi, un devoir
{)our ioot artiste ou écrivain qui veut peindre
es moeurs.
Je ne connais de Charlet que ses délicieuses
compositions. Et puisque j'ose réclamer son
patronage pour ce croquis littéraire, je lui
«ëemande en grut^e, de raocuetUtr, non comme
une flatterie, à quoi bon flatter Thomme de
génie? mais seulement comme le salut que
chacun doit à son maître.
6. D'OUTREPONT.
73
•Ho, mon petit-fils, dîsott il, mon peton,
qae tu «s joly,'et tant qve je suîb tenu
à Dieu, de \ce qu'il intia donné ung fii
beau fils, tant joyeulx, tant riant, tant
joly! hu, ho, ho, ho, que je suig aise.
Rabelais, J^aits etdiets héreiéfues du
b9n Pantagruel f Hv. II, cbap. ^
. Nous clierehons si les récTtateàrç e
recueilleurs sout louables eux-mêmes.
Essais de Montaigne, liv. 1IL_
Qui nà pas vu SéçUk lia rien vU, disent les
Espagnols. Ce vieux proverbe ferait à lui seul
l'éloge d'une nation; il y a là quelque cliose
qui annonce la coBscience de ee qu'on vaut ^
et, quand un Espagnol vous dit avec com-
plaisance : Qui lia pas vu Séville na rien n^u, OQ
«e rappelle malgré sol que celui qui vous
iiarle a droit de s'exprimer avec fierté et
a tété haute, car ses ancêtres vivaient sous
Charïés-auint. ,
Ce proverbe, que bien des géffs s'a'p-
pliqueot, j^éut aussi devenir la devise de bien
des choses ;~mais, comme je tie veux pas
me jeter dans une mer de nomé et de faits,
ou je pourrais fort bien me noyer, j'entre eir
matière, et je vous dirai d^abord tout lionne»
ment, en paraphrasant le ^cton 4» nos
74
^"•Isfns des Pyrénées: ^ Qui n'a pas va la
» petite Provence, ne connait pas les Tnir
leries;*^ et par m», j'entends examiné, scruté,
«t même . deviné les mille nuances qui s'y
trouvent, et dénotent des caractères ; carac-
tères^ vrais au moins, car les acteurs ne. sont
pas giiindés dans leurs mouvements et prK
sonniers des modes du langagfe.
Peu de personnes prennent la peine jde
venir étudier des vieillards et des enfants*
On aime mieux arpenter trente fais de suite
la grande allée poudreuae, que de rêver
devant le passé et l'avenir mis en présence.
Le passé, grande igure blanchie, snblimQ
quelquefois, mais toujours sinistre, car elle
draine «vec elle une Idée de mort; l'avenir,
jolie image d'enfant souriant a tout le monde,-
d'enfant avec des cheveux blonds et de^
fossettes aux joues.
Je conçois que, pour celai qui ne vent que
vivre des impressions du moment, et qui
43roit tn^rner tant de jolies têtes de fetome
par itne démarche ridicule et des mines ft
mourir ûe rire, le présent est bien pré-
férable, car il s'offre sous les formes les.|>lu8
riantes; là, au pied des orangers, il y ades
femmes jeunes et brillantes, en toilettes
aériennes, groupées avec tant de gr&ee
7*
qu'on les croirait Borties do crayon de DeTërlo;
JLà ott cberclie des regards, quelquefois
même on en rencontre, et lé^ardin s*enibellit
encore; car je ne^onaais rien de plus propre
à faire trouver tout ciiarmant qu'un reeard
iTefeaiine.
Dans ma petite Provence, an contraire,
il y a s'CMlemént de la vieillesse et de-i^n?
fance ; mais là, vos idées, si tant il àBt vrai
qae vous en ayez, pourront s agrandir par
la réflexion : les sujets ne manquent pas«>
Mais je vois que le courage vous quitte:
TOUS ne pouvez aller seul vous ennuyer!
Eh bien! je veux être votre cktroney et peut-
être m*aurez-vous Tobligation de savoir
quelque, chose de plus. Je vous arrache à
votre brillan|te promenade; et, sans m*occuper
desi regards de regret que vous jetez en
arrière, je ne veux plus vous parler de votre
allée que vous savez par coeur. — Atten-
tion! Nous tournons le coin de la terrasse,
le spectacle change, tout s'anime, tout est
neuf; nous entrons dans la petite Provence/
C est chez nous une frénésie, il faut à tout
prix que notre Paris renferme un peu de
toat: comme si ce n'était pas assez d'être
Paris, Paris la grande ville !
Nous avons vu un Trocadéro perché an
Keut ihi Cfatnqi'^^lfats; nue netfiréllë
Athènes perdue entre nn corps âe g&rde cft
titi tnureau de loctroi; vingt houveauis: quai^-
lierfi, dont le pins mince est poHrtant appelé
viUé^ an granA ëtonnement des passants,
qui trouvent l'expression aussi hasaf dée que
ces titres de noblesse forges à grand^ ptïine
par des mendiants d'arfstoeratie, et <}fl'oo
Toit salis qiielqirefois par les noms auxquels
ils\ont joints. Nous avons aussi une p^-tlte
Pi*ovence; selon une expression aussi connue
Sue pittoresque, ces mots semblent hurler
e se trouver ensemble; uneProvence'petfite'!
J aime attta:nt voir un soleil ^.n bois doré,
onleft grandes^pag^s ée Michel-Âng^ èopiéeis
à ta miniature'!
C*ei9t un si beau nom que la Provence 1
*E^ fl*àbord ne croyez pas que je veux vous
faire une description bien pompeuse et bien
fleurie, où je dirais que e'ei^ un vaste jardin,
tin f uratlis tei'restre , avec des millions é-a-
iratigers, secouant leur cheçtlute embaumée sur*
-êes campagnes iknielées par des fuissehts tnms-
parents à toeil comme du lon^ serpents ^argent.
Tant de gens en ont «parlé ! Cela m'ennuiefatt
et vous aussi; ensuite je ne/connais pas la
Provence. Il est vrai qite depuis Buffon, qui
par ambassadeur ctfuriisti là ndtigre^ ffia est tfef^Utt
77
de moias en moins scvupnlenx sur cet article,
et avee des livres, une carte fidèle, et la
dose d'effronterie que je tiens du ciel, je
peiurrais^ tout oonvue un» autre, venir à bout
dHine description, que bearucaup. de gens
aiiiraient la bonté de trouver exacte.
Si je parlais de Pétrarque et de Laorsi
des bords de la Durance, et des troubadours
et ménestrels, je me ferais peut-être une
réputation d érudition: elle conte si peu
maintenant! Mais à quoi bon tout cela?
Voos savez, bien Torigine de notre littérat
tnre nationale, ou si vous Vignorez, ailes à
Vécoled'un autre; je ne veux pas* voua in<>
Struire, je ne suis ni académicien, ni pror
fesseur classique du classique collège, de
Pranoe; allez, allez ailleurs, vous. dorBiirefl
tout aussi bien.
Je vous parlerai seulement de las f^Mte
Provence: enfant, j'y ai joué; bomme,, j!y
ai réfléchi, et vieillard^ Jl'irai- peutrétve y
cbercheit des souvenirs; Ciette Pi'ovence-là^
je 1a connais; j*y suis, ponr ainsi dire, n%^
La petite Provence, située dans un des
coins du jardin, est beaucoup plus longue
que large; sans doute, en traçant cette
partie. Le Nôtre ne pensait pas à Timpor-
tance qu^elle aurait un jour. Elle est bornée:
78
au iioril, par an grand mur grhiâtre, son-
tenant la terrasse des Lions, c^U^ert ça et
ià d'une épaisse charmilie poudreuse, et quf
la protège centre toute boih^asque venant
dès glaciers du nord, aussi bien que la
grande murailte de Thsin-chi-houang-ti pro«>
tége les Chinois sur les confins delà Mongolie ;
au midi, par un grand parterre de forme
Irrégulièi^; à louest, par la cabane aux
journaux et le grand massif, forteresse Im-
pénétrable aux rayons du soleil, où ne s*aven«
turent qu'en tremblant les gens à dduleurs
3ui la compaifent^ avec emphase, à une forêt
ruidiqne; enfin à Test, dans la contrée la
plus éloignée de la petite Provence, vons
trouverez^ un grand monticule de sable, où
vingt fois vous avez fait la culbute, et moi
aussi. Cette énorme montagne sablonneuse
est prise comme dans un entonnoir, par la
rampe tourni^te qui conduit sur la terrasse^
d'où l'on véit |à place bonis XV., de la Con^
eor.de, de la Révolution, de Louis XVI, etc.,
avec son piédestal Inachevé; et, dans le
fond. Tare de l'Etoile, que je vous prie de
bien examiner, et si vous le voyez terminé^
de m'en faire part. Enfin, dans cet horizon
sablonneux ^ le 8:rand bassin ne figure pas
mal une autre Aléditerranée.
Cette Provence, bien petite, eommevons
voyez, posent plnsleiirs bancs, beaucoup
de chaises , et , en été , . beaucoup de caisses
vernies, où verdissent, tant bien que mal,
de pauvres orangers souffreteux; mais enfin^
èans cet endroit privilégié, \Vj a du soleil
trésque en tout temps; et le soleil est si
on! Les bancs sont exposés à la chaleur
du midi, et la giAnde muraille garantit du
vent-
Tel pays brillé par ses lumières, tel antre
par sa gloire, quelques-uns, en petit nombre^
par leurs moeursr; eh bien! la petite Pro*
vence réunit à elle seule tout cet assemblage
d'illustrations disséminées sur la surface m
globe.
G^est une nation , une nation vierge, o^est
toute une civilisation dans une autre, avee
ses pnoeurs, ses célébrités et ses lois. Vous
?f trouvez des enfants et des vieillards, de
'espoir et des souvenirs, de la gaîté et de
la tristesse , des babils enfantins et des
babils^ vieillis ; des ruines vivantes^! de belles
gloiras au -chef branlant, et des gloires ftr»
tnres niarchant avee des lisières^ au milieu
d&tput eela, quelques* hommes qui viennent
étudia, et qui- tous, autant que dans notre
monde, forment la puissance morale de la
sa
nattoD. — Cest donc on peuple tout entier;
! peuple complet 9 auquel il ne inauque'pas de
éoimes, comme auit premiers Romaioa.
Appuyé contre la double raiiipe du grand
eacatier de pierre, ¥oyeï& déjà quel, tableau
frakh^l -Qu'elle est jolie cette petite ôJLe en
robe rose, qui saute joyeusement au miljeu
d'une éorde que deux bonnes tournent d'un
air maussade , ceuune sr elles n étaieiili pas
à leur place! car en thèse générale, jama»
un» bontie ne se croit faite pour l'étce : c'est
oomme certajtis emplayës, certains guerriersw
Rien au monde n'est plus attrayant qjie
des jjeusL dVnfaata, et surtout de petites
fiMea ! elles rient de si bon coeur, avec tout
l'abandon de leur âme enfantine! .
HélaS'! il n'en sênn pas toujours ainsi!
Encore quelques^ anoée», et elibs nougireot
de.vaut ont pelili giurgon , jnsiqiftà. ce ^'eUes
ayprenuent à ne* plu» rougir da toutk Biais
maintenant elles juacisit pour joiier^ et pour
être heureuses; car, pouc elle», le boulieur
est si léger! Autowr da^eerole ?idfe^ eût va
et revient sans cesse la corde toucnayunte.
Il y: a de aQmbFeEUK.speetatours(7 riant des
effortff des plus 'peiitfes , gottHuaudéeu par
lesjilus grandes à cause de leur maladresse.
-^ Teus l»ont heureux, le sourire et la franchise
81
«ont à Tordi'e do jour; ce Vest pas eomne
aillenrs!
Puis, des milliers d'enfants se croisent
dans tons les sens; et ce sont de véri-
tables enfants, trop petits pour avoir la
prétention de passer pour des iiommes*
G est pour cela qu'ils sont si jolis à voir,
si amusants à étudier. Leur existence est
aussi frêle que leurs^ jeux sont animes.
Us s'attellent les uns les autres ; ils s'en«
chaînent tour à tour : c'est comnie dans un
état civilisé. Regardez derrière vous; et
celui que vous venez de voir cheminer sous
des liens a relevé une tête fière, et châtie,
de son fouet celui qui,' Tlnstant d'avant, le
menait comme une bête de somme.
C'est là que vous verrez de petits garçons
se pavanant dans leur première culçtte, et
montrant à tous les passants qu1ls ont des
poches ; . ils sont fiers de leurs petits habits
si joliment faits,* et pourtant ils sont gênés;
maïs quMmporte ! comme tant d'autres , Ils
aiment leur chaîne, parce qu^elle est dorée.
Ijes plus petits enfants jouent ensemble;
rien n'est plus beau ^ne l'égalité (avis au
public), ils jouent dans le sable^ car leura
jambes sont encore si faibles, qu'ils sont
forcés ^e rester assis ; et si , dans un gnmd
LXXXiV. 6
« 4
82
accès de colère, ils se lèrent peur se'donnrr
de ^an^ coups de pieds, les bonnes, coquettes
et piticées, interrompent leurs caquets pour
rétablir la paix, et cela sans protocoles.
Vous en verrez aussi qui 'cherchent à es-
calader la limite sud du pays, e est à-dire la
grille du grand parterre; il s*agit de ra*
masser une balle ou un cerceau : mais aussi
que de soins pour ne pas être vu du grand
homme galonné chargé de fa police du jardin.
Comme ils sont bafoués , ces pauvres
gens! la plupart, anciens et braves mili«^
taires décorés, qae les enfants appellent
gafits, et que nous avons tous trouvés si
méchmtt, quand ils voulaient nous priver
du plaisir de pécher i la ligne les poissons
roupies danii Jeaf bassins.
Ces petits liommes guettent le moment
où le gafre iie les regarde pas; n*étant pas
assez forts pour agir ouvertement , Ils em-
ploient la ruse, et apprennent déjà entre
eux. à élrder une autorité qui les blesse^
C*ert «0 commercement qui promet, et, mal*
heureusement pour les gouvernement^,^ les
enfants, de nos jours* tiennent ce qu'ils
promettent.
C^ n*e?t pas seulement à des enfants que
se borne la population de la petite Provence;
8»
autre Tartàie ie chasseurs, dé laqwaM, èor
bennes, etc., qui promènenl ceux qui , quel*
qiies années plus tard , donneront la mode,,
et parleront avec mépris de cet endroit
qu'ils révèrent maintenant, il y a pluâ loin>
sur les bancs , sur les ebaises , le long; de»
grillages, partout enfin, il y a la masse im-
posante des vieillards ^ vieillards de toute-
espèce, tous^ renfermés dans leurs souvenirs'i
tous heureux d'avoir de la mémoire.
Us rient de si bon coeur, aux efforts dé»
petits enfants pour marcher, et à leurs pre*
miers mots bégayés, qii'ils font plaisir àl
voir ! On ne peut qu^étre pénétré de respect .
en voyant ces vieux débris d^m siècle passée
qu'une pensée triste accompagne, eux qui
ont aussi marché la taille droite et dégagée,,
sourire aux premiers pas et aux premières
pensées de l'enfance, quand bientôt leurs
jambes seront sans force, et leurs voix
éteintes: les* vieillards aiinent tant les en**
fants! Mai» aussi les. enfants nuiront pas,
ainsi qu'on le voit chaque jour, mépriser
une imagination vieillie ; ils ne verront qu'ui»
homme qui les aime, et ils aiment, ils sourient
au vieillard, et vous peut-être, vous ne lu
regardez pas; c'est un corps sans ame^ le
volcan s'est éteint, et vous ne vous occupear
6 *
. S4 ■ , ■
» ' ' '
plus da cratère^ cependant vos pas cùrienic
iront cbercher des Tilles détruites, en je
ne sais quel lieu, et pour je né sais
quelle cause, vous admirerez leurs restes
bien plus q^ue nos villes modernes j mais
une ruine a homme! si on osait, en liif
tournerait le dos. Auand une de ^ ces
tét«s blanchies rassemble ses souvenirs st
piquants et si neufs pour nous autres jeunes
fens, on ne se donne pas seulement la peine
'écouter; mais après avoir regardé celui
qui a brillé dans un temps qui valait bien
le nôtre^ on se retourne pour lorgner à droite
et à gaucher c'est un radoteur, dit-on, et on
passe.
Cependant n*y a-t-il pas un bien grand
spectacle moral danet' les souvenirs que le
temps laisse sur une tété, et qu'il y amop-
celle?
Les vieillards de la petite Provence se
répètent, dira-t-on. Ah! qu'ils sont ennuyeuxi
Et que voulez-vous qu'ils fassent, ils sont
trop vieux pour a^ir, ils se souviennent
seulement, il faut oien qu'ils répètent les
mêmes penaées. Vous faites bien tous les
joiu^s les mêmes choses, eux racontent, voilà
toute là difiërence. Vous vivez , et ils ont
vécu] c'est le passé qui les soutient. Ah !
8S
par humanité ne les repoussez pas, ils it'o»t
plus q^e cette vie ..de mémoire^ vous les
tueriez. -
Les doyens de la petite Provence con-
servent sons leurs cneveux^ blancs, uns
sorte d'élégance qui dénote la classe aisée
à laquelle' ils appartiennent.
Au Marais vous trouverez, sur les bancs
de la Place-Royale, de vieux et minces ren-
tiers boutonnés dans une reding^ote café au
lait ou noisette^ avec des bas chinés et des
boucles d'argent, des breloques d'argent^
prenant du tabac dans une tabatière d'iar-
gent, avec une canne à pomme d'argent, ou
un parapluie rayé, vulgairement appelé
rifla^ un chapeau de paille à tuyaux, oii le
classique lampion à trois cornes, placé
horizontalement, et d où s'échappe Une pauvre
Eetite queue honteuse et des iailes de pigeon
ien râpées. Ceux-là je vous les abandonne,
eux et leurs fidèles barbets. Je les^ respecte
comme vieillards, mais ils sont fort ennuy eut,
et je ne me soucie nullement d'entendre
leurs réflexions historiques, scientifiques
et artistes sur le Louis XIIL, pas plus que
la lecture nasillarde d une vénérable gazette
qu'ils prennent à sept ou huit; chacun la
paie à son tour, et^ de cette manière ,* Us
B6
Rivent pleurer t^iit à leur aise, avec un
fian de dépense par semaine. L'économie
«st sans doute une belle chose, mais ils
devraient la- porter dans leurs réflexions,
encore plus assommantes que le journal lui*
«lême, et^qui arrivent si bêtement dans une
conversation saupoudrée de termes d'épicerie,
de bonneterie, et de quincaillerie, car tous
sont des marchands retirés, honorables^ com*
merçants , je n eii doute pas , j'en jjirerals
même, citoyens recoramandables , amis de
Tordre et du juste-milieu , qui ^ont jamais
ÉpoHblé te repos de la ville pendant la nuit;,
^ar, dès rassemblée, des notables, ils se
couchaient; à huit heures et demie; mais, tous
g;ens qui, après im ample examen, vous ar-
rachent l'exclamation : ce monsieur m'a lafr
4*un bien brave homme!
Au Luxembourg^ c'est mieux que cela,
les boucles dé souliers sont en or, ainsi
Îue la pomme de la canne et les breloques*
là, vous entendrez une conversation plps
savante sinon plus amusante;- chacun lit son
journal. Cette ^rontocratîe-là tient le milieu
entre les Tuileries et le Marais; il y a des
magistrats intègres; il y a de vieux officiers
qui promènent modestement le peu de mem«
fcres qu'ils ont rapportés des capitales
87
étrang^éres, et pour ceux-là il faut, à Taspeist
de leur ruban rouge et de leurs mutllationâ,
il faut, dis-je, il faut s écrier cemiae don
Ruy Gooiez:
11 prit trois cents drapeaux, grag^na trente batailles^
Et mourut pauvre. Altesse, saluez!
On y rencontre aussi beaucoup de rentier»;
il y en-^a partout, sans compter les pen*
siounés, les uns sur la liste civile, -et d'autres
par les cours étrangères, pour services
rendus à la France en 1815, 1816 et sui-
vantes* '
*Âux Tuileries, au contraire, les vieillards
gardent un air de jeunesse; leur toilette,
sans être lélégante, est plus^iche ; ils sont
tous en quelque sorte à la mode, car ils
Tont suivie long-temps, et s'ils se sont laissé
devancer par elle, ils ont au moins conservé
une habitude de coquetterie qui ne nous
quitte jamais, quand une fois elle a été notre
occupation.
Vous pourrez écouter de graves discours
sur la polftique transcendante; quelques-
uns peuvent en parler, mais tous en parlent,
quelquefois Tun après l'autre, souvent tous
ensemble. L^essentiel est de passer la
journée sans ennui; on y arrive après avoir
défait et reconstruit vingt fois tout Tédific^
politique de TEarope. MoiB qu'importe, ce
^ut)ii 1^ fait et ee:qu^oii a dit es^t bien laH
et bien dît, puisque le but proposé a été
rempli, et que lé soir et les douces causeries
d'intérieur arrivent sans peine et sans fatigne»
A voir quelquesL-uns de ceux^qiii portent
encore les cheveux frisés avec soin , et la
cravate blanciie et fine à coins brodés, à les
▼ôir, dis-je, s'acheminer avec un petit air
gaillard vers le faubourg Saint-Honoré , on
Eensé à Béranger*, car ces ci-devant jeunes
ommes-Ià ont encore dans les yeux tout le
feu et tout l'esprit du vieux célil^ataire; on
croit de loin les entendre fredonner avee
un petit rii^e railleur et capable : .
Allons^ Babet, un peu de complaisance,
Uu lait de poule et mon bonnet de nuit.
La cabane aux journaux, dont il a été
parlé lors de la description géographique de
la petite Provence, est le bienheureux endroit
où se rencontrent tous les habitués. Chacun
a 9on journal de prédilection , et celui qui
filent demander la Tribune^ toise avec dédain
eelni qui réclame une Gazetu; l'uii à été
républicaiii et le sera toujours , l'autre est
au moins juste-milieu, s'il n^est pis que cela;
il ne faut pas s'étonner des regards conr">
roucés qu'ils échangent»
.8^
La (>olitiqne, qui trouble la tête des jeunes
fl^ens, peut bien aui^si remplir les restes dd
a vie de ceux qui ont plus ou moins par-
ticipé aux grands événements dont, chaque
jour encore, le récit vient réchauffer notro
enthousiasme , à nous autres. Aussi avec
quel orgueil j*ai vu ces vétérans de tous
les partis rappeler leurs titres! Tenez,
regardez vous-même ! Il y a sur le second
banc, à votre droite, un vieux politique, à
coup sûr, car sa tête est chauve, et son.^
oeil vif» Approchons, le voilà qui vient de
reprendre sa canne , sur laquelle un enfant
l^urait à cheval, il la frappe avec force
contre terre, puis, appuyant son menton sut
#es mains, il s'écrie avec une confiance
Intime de son importance: — Moi, monsieur,
j*étais aux Cinq-Cents!
Mais voilà qu'un antagoniste se présente ;
au bout du même banc, voyez cet homme
i}ui porte un ruban rouge avee une rosette,
il traçait des lignes sur le sable, et, poulr
balancer l'importance de l'ancien représen*
tant du peuple', il se retourne avee fen^
relève ses lunettes sur son front, eto^egar-
dant son adversaire en face, il lui dit de la
Toix, du geste et du regard: — - Moi, mon*
sieiir, j'étais à Quiberon.
»0
- *— Et peut-être à Gand , répond l'autre,
— Oui, moiKsieur, jy étais ; jetais...,
— £b1 parbleu, vous létes émigré!
• *— J ai eu cet lionpéur, monsieur!
— Aristocrate!
— Jacobin!
— Aristocrate!
— Jacobin!
£t ces épithètes, répétées à plusieurs
reprises, terminent la conversation par nû
bruit ^ourd comme la fin d*un orage.
Pluç loin, des récits de batailles occupeut
tin auditoire attentif et la bouche béante^
lefif' vieux soldats racontent non seulement ce
qu'ils ont vu, mais aussi ce qu'ils ont éprouvé,
jet leurs fatiguas si pénibles et si glorieuses.
Alors vous pourrez frissonner devant les
glaciers de la Neva, le froid vous prendra
aux cheveux en suivant le vétéran sur la
dernière planche d'un pont qui va s'écrouler
avec fracasi dans uti g'oufTre appelé la Mos«
cowa; éçoutez-le bten le vieux soldat, et vous
croirez voir la Russie toute blanche de neige
€t toute rouge de sang, car il raconte sa
dernière campagne, celle après laquelle il
a dû dire: C'est assez! Sa halte forcée n'a
pas été faite danà la|)oue; aussi en parle-t~îl
4vec délices; tous ses souvenirs af0uent
91
tnrec impétoosité; il se rappelle des vleun
compagnons; beancoup sont morts, morts
là-^bas^ loin de la patrie, et lui qui Ta revue,
Il pleure les absents. „Oii sont leurs corps f^
se dit- il quelquefois. Hélas! le premier
printemps a tout emporte à la fonte des
glaces; la débâcle pour les morts a suivi
celle pour les vivants! 11 pleure, le vieux^
en disant cela, et les petits garçons, qui ont
suspendu leur course pour 1 écouter, re»
Î gardent avec curiosité ses pieds dans de
arges chaussons, et se disent entre eux:
Vùis'tu, pauvre Jtomme! il a eu les pieds gelés/
Puis, quand le soleil a changé de plac%
eu plutôt quand notre terre en a changé, le
vieil officier prend sa canne, et va s'asseoir
sur un autre banc ou le soleil donne encore;
Il fait ainsi le tour dé la petite Provence,
humant la chaleur, lut qui en a été privé
si long-temps.
Des sièges, des batailles, des attaques,
des retraites font le. sujet des conversations
de la plupart des vieux militaires qui sont
là; ceux de l'armée du Rhin racontent 4
ceux de l'armée d'Italie, et ceux-ci à leur
tour parlent de la Toscane et du Saiirt-Père.
Oh! vous pouvez aller écouter aussi, Il est
l^robable que vous apprendrez quelque chose
des deux côtés? car la démonstratioii snU
toujours la parole, et toute leur citadelle
tfyec ses bastions, s^s courtines et ses demi*
lunes, est tracée sur le sable; chaque corps
d'armée occupe sa position, toujours exacte,
car ils ne parlent que de ce qu'ils ont vu
Cavts a!u publie), et si tout le dessin n'est
pas efface par un enfant qui passe au grand
galop de son cerceau, en moins d'une heure
TOUS aurez toute Tattaque et la défense de
Saint-Sébastien et de tant d'antres places,
au nombre desquelles il ne faut pas compter
la défense de Paris en 1815, et cela pour
causes trop connues.
Chaque saison voit varier les heures de
réunions à la petite Provence, et ce n'est
que dans les deux pu trois mois les pilus
chauds de l'année que vous y verrez grande
foule le^ matin et le soir; dans les autres
temps, c'est en plein jour, au moment où la
chaleur est forte, qu'on y trouve les habitués,^
tant vieux que banïbins*
Sitôt que te soleil baisse, dés qu'il n'y a
plus 4u'utt rideau rouge au-dessus des arbres
des Champs-Elysées, (c^hacun s'acbemine len-
tement et comme à regret vers sa demeure,
en se promettant bien dé se revoir le lende*
main à heure fixe , car un des grands besoins
'4 • 9S
r
tlit ipays est d'avoir toujours sa montre pan-
fattement à Theure ; on voit même quelquefois
des discussions sur quelques minutes, dis-
cussions jqui durent un temps beaucoup plus
long que le sujet ne semblerait le comporter.
JCetjte parole quon «e donne pour le len^
demain , chaque fois qu'on se quitte est ,
gardée avec une religion d autant plus grande,
que tous ne peuvent qu'y gagner en santé,
en bonheur et en gaîté. C'est un malheur
peut-être chez nous, mais il fiAt convenir
que Figaro est un homme bien profond, quand,
pour garant de sa fidélité, il donne, comme
s'il avait deviné l'aventure de nos jours,
lion une parole vaine, non des protestations
auxquelles il faudrait être fou pour. y ct*oire,
mais un mobile bien plus grande bien pinai
sûr, sonintérét personnel! Quel mot! il est
à tonte la hauteur du siècle gigantesquement
mesquin ou nous vivons.
Mais tout n'est pas joie et bonheur; Il se
rencontre aussi des Jours de deuil , et d'un
deuil vrai, car il porte au coeur. Quand uu
des habitués manque, on s'informe de lut,
ses amis les plus intimes, sont interrogés;
quelquefois le vieux garçon a fait une fin,
il s'est marié, et Ton sourit; mais souvent,
trop souvent, hélas! une maladie fâcheuse
fe retient cTiez lui solitaire et triste; alors
on récapitule tous les noms de ceux qui ouf
cessé de venir pendant l'année, on craint
pour le malade, et quand il reparaît, e.ncdre
pâle et souffrant, il est entouré de préve-*
oanees qui lui font oublier le faux pas qu'il
à fait au bord de la tombe. Mais aussi quelque»
fois la maladie empire, on se demande alors
son adresse, et ceux qui ne le connaissaient
même que ^ vue, quittent le jardin un quart
d*heure plus tôt que de coutume, pour aller
s'informer de sa santé. Puis , quand on ap«
prend sa mort, la consternation est générale^
et sa place favorite reste inoccupée plusieurs
jours, comme si on l'attendait encore.
Un tel événement ne' peut que frapper
tous ces gens si près eux-mêmes d'e leur
fitf; aussi réfléchissent-ils intérieurement;,
ils demandent au juste V&ge du défunt, et s'ils
$ofkt plus âgés, cette nouvelle les effraie;
«Mis sont pliis jeunes , ils calculentla diffé*
tence d'âge; c'est comme un deuil public,
et celui-là n'est pas commandé. Aussi
ces jours-là les bancs sont presque silencieux^
on échange gravement une prise de tabac, ^
Sans même se dire où il a été acheté. Le
vieux marin jure à peine, et ne rit même
pas quand des enfants lui jettent dli sable
Ém ses Bouliers ; c'est qu'une fois arrivé k
un âge avancé, à cliaque nouvelle mort qu'on
fipprend on se voit dé plus en plus isolé, et
on tremble pour soi ; c'est comme un homme
suspendu au sommet d'un édifice, et qui sent
se détâclier une à une les pierres qui le sou*
tiennent, il compte celles qui restent, et
ferme les yeux à la dernière.
^ Les Lovelaces du siècle dernier ont con«
serve leurs habitudes de sçurire, et minaudent
encore auprès des jolies petites femmes de
chambre, mais ceux-là déparent le tableau
au lieu de Tanlmer de couleurs vivaces,!lsi
font ombre; henfeusement ils sont en petit
nombre, car je ne connais rien de plus fâcheux
que d'être obligé de trouver ridicule tiiu
nomme à figure vénérable* Il n'y a qu'und
oeuvre satanique qui puisse pousser un homme
à prostituer ses cheveux blancs. Il faut
plaindre ceux-là.
Les bonnes si jolies, si fraîches avec leursi.
toilettes soignées, leurs robea blanches où
rose», et leurs cheveux bouclés, font,
l'été, le plus charmant contraste avec les
habits sévères, les cbevenx blancs du
les larges perrnquea des vieillards; et
leur tournure pincée semble encore mieux
nontrer^ottte la pétulance des petits étourdie
96
Jumelles dirigent avec UiiB gravité vraiment
octarale.
Tout eet ensemble est pittoresqne comme
vne mascarade d'artistes, c'est une féerie!
Allez donc à la petite Provence^ les ha-
bitants n'en 3Qnt pas à dédaigner: les en*
fants vous amuseront et parviendront pent-
étre à dérider votre front soucieux, le plus
souvent; sans sujet, avec leurs mines, leurs
estais ^e for^se ou leurs naïvetés; et pour
les vieillards , pensez jbien qu'eux aussi ont
été jeunes, et jeunes dans un temps où le
siècle l'était aussi, dans un temps où la
«ation boridit à plusieurs reprises dans sa
cage, et finît par la briser en éparpillant
le9 barreaux sur les peuples et sur les roif,,
Cette époque des saturnales de la liberté,
tous Tont traversée, et beaucoup d'entre
eux, la tête haute et le cœur. aussi, avee
une bonne laine à la main, ou cuirassés
d'un courage dairain à la tribune; ces
hommes -là çn valent bien d'autres, car
lorsqu'on a su vivre avec honneur dans
un temps tout neuf d'institutions et de peu*
sées vigoureuses, l'âme, qui ne vieillit pas,
en conserve toujours de sublimes restes;
c*est comme les vieux gIl^ves trouvés dans
les fouilles, le fourreau tombe en lambeaux.
mais la lame pourrait an besoin trancher
une tête.
Enfin, des penfiéès^ënéreases germent à
la petite Proveaee^^plus peut-être que par-
tout ailleurs, tt tau moins celles-là sont
vraiment bellfes^\dat; ceux qui les enfantent
sont en dehors ie ni vie publique^ et par
conséquent aucune arrière -pensée^. ne peut
salir un mot noble ou désintéressé. C'est
peut-être le seul endroit de notre France
où l*on puisse savoir àû juste ropinion fd'un
homme. Ainsi , vous ». qui voulez entendre
{prononcer ces beaux mots de ]^atrié et de
iberté, et cela sans intérêt personuer et
sans espoir de gratification, ^ mais seulement
.pour Tamour de l'une et de l'autre ; vous, dis-je,
qui voulez entendre prononcer dignement ces
beaux mots, allez. à' la petite Provence.
Et si tout ceci né suffit pas pour vous
peindre les habitants de ce pays perdu
dans une atmosphère de modes et de pous^
sière, alors adressez* vous à Charlet.
Quoi! toujours renvoyer à Charlet, quand
on ne sait que dire ? s'écriera- t-on. Oui,
nciessieurs, oui, toujours à, Charlet, car 41
est seul aujourd'hui pour la philosophie
des moeurs sin(ipfe$ et naïves.
Gustave D'OUTBEPONT*
LXXXIV. 7
DE LJ
£5 MDCCGXXXU.
J'ai parlé de la barbarie de ce temps,
pnla des faarbaa d*aiitrefois et d'aajonrd'hui ;
Il ne me reste plas qoe quelques mots à
dire sur la politesse en 1^2 et en 1883.
11 y a nn pea pins de deux mille ans
qu'il a été reconnu que de la morale dérive
la polittquç. C'est une rérité qnt a fait
peu de progrès dans ses applications, qnol-
Îb'il reste démontré que le but de cette
enitère science, la politique, soit de com-
battre l'ëgoîsme «atnrel a l'homme, et de
transformer tous lei intérêts divers en no
seul. commun, utile et favorable à ta société.
On suit dune ^iie la poliHqne a peur objet
de cJvilrser les Jiommes.
^9
. CUiant à la politesse, c'est le moyen in-
termédiaire et pratique avec lequel les
nations se débarrassent, se purgent peu a
peu de régoîsme on de la barbarie, deux
maladies qui se ressemblent tant, que |e
suis tent^ de les confondre.
La politesse s'associe à l'exercice de
tontes nos facultés; Elle est mise an rang
des devoirs religirtx ; elle aide les grands
de ta terre à tempérer les actes de leur
pouvoir; tes inférieurs y trourent des res*
sources pour faire valoir leurs droits et
exposer la vérité. Quant aux discussioils
politiques, littéraires, et aux coavtrsations
privées, elles ne sauraient, devenir pro-
fondes, entièrement franches, et par con-
séquent profil:àbtes, sans Fonction de la
politesse, qui lubrifie et rend possible le
mouvement des innombrabres rouages de la
machine sociale; enfin te savoir-vivre en
réglant jusqu'à nos gestes, protège te bien*
être extérieur de chacun.
La politesse du coeur, de Tesprit et des
manières, tels, sont donc les aegrés par
lesquels passe l'homme qui se civilise,
{rour renoncer i Fégoïsme, et atteindre à
a perfection: te respectjet Tamour d«
prochain.
100
On est loin de cette perfection. Cependant»
et palgré les interruptions fréquentes des
progrès de la politesse, interruptions dont
notre temps offre un exemple que je Veux
signaler aujourd'hui, là société en France
est en progrès.
Chose digne de remarque et encou-
rageante tout à la foiis; le progrès se
manifeste dans les masses, dans les classes
dites inférieures; tandis que Tinterruption
a. lieu dans ce qui devrait être Télite de
la société. ' Les bourgeois , les marchands, '
les artisans, les ouvriers,' les gens de peine
même. dans les rues de Paris, ont aujour*
d*hui des habitudes de politesse, une cer-
taine recherché dans les manières, et des
attentions qui étaient entièrement inconnues
aux personnes de ces professions il y a
vingt et trente ans. Au contraire^ il n'est
pas rare de rencontrer une certaine brus-
querie parmi les gens qui manient les af*
faires, et chez les fonctionnaires publies^
I3ette brusquerie est parfois choquante à
la chambre de nos députés, et elle descend
jusqu'à l'impolitesse dans la génération des
hommes de seize à trente ans, dont la
fortune à venir repose sur le développe-
ment futur de leur esprit et de lenrs talents
101
On peut les comparer & ces gens isolément
engagés dans une foule^ donnant.des coups
de coude à droite et à gauche pour se
frayer un passage, sans s'embarrasser des
groupes de familles qu'ils froissent et di-
visent; sans respect pour cette foule à qui
Tinstinct-^e sa conservation fait user d*égards
et de politesse envers elle-même.
D'un côté est Tesprit de famille; de
Vautre Tesprit de célibataire, qui pousse
Thpmme dans la société, comme le marteau*
enfonce un clou dans le bois qu'il déchire*
Bien ne. rend plus impoli ^t iœpolitique
tout à la fois que cette dernière disposition*-
Eu considérant lés choses de haut , ou
découvre quau temps présent 3 les classes
occupées de travaux constants et journaliers
sont comparativement plus polies que les
gens dont les occupations soùt vaguas et
vaquement intellectuelles, ou qui sont élevés
.dans une certaine aisance. La preuve de
la première de ces assertions se . trouve
d'aboi^d . dans la conduite du peuple pris
en masse à Paris ei; en France, après la
victoire des trois journées de juillet, ou
l'humanité des combattants, et des vain-
queurs s'est reproduite' et continuée envers
)^8 vaincus et les exilés ^ sous les formes
ioi
d'an« politessie respectueiise qni fera Tad-
miration de la postéritë. Yoll^ pour Yen*
senrMe; que si Ton veut des preuves de
détail, il suffit de fréquenter les maisons
de la petite bourgeoisie à Paris, de par*
"courir les manufactures, les magasins, les
marcIiés et en général tous les lieux o&
il se trouve des gens établis, oecupés d'un
travail et attentifs aux soins d'une famille^
pour y trouver la politesse de coeur, par-
fois ceile à& Teâprit, et. des manières fort
.agréables.
' Dans ces classes, la politesse est loin
d'être parfaite sans doute; mais un obser-
vateur attentif est toujours étonné du de^é
ou elle est déjà poussée, lorsqu'on réfléchit
surtout au peji de temps qui reste aux
familles vouées au travail , pour se livrer
à la culture de l'esprit, à f amélioration
des habitudes, genre de progrès si lent
chez la plupart de ceux même que leur
fortune et le loisir favorisent.
Mais ce n'est pas une satire, que je fais^
et je do1$ expliquer ce phénomène. Entre
les progrès de; rintellîgence des enfants
élevés dans laisan'ce et de ceux qui sont
obligés de gagner leur vie dès le bas âge,
il y a une différence essentielle.* Chez ces
JOS
derolera, l'esprit se développe slmnltané»
ment avec le caractère ; de très bonne heure
ils acquièrent des idées précises sur là
supériorité et Tinfériorité corporelles, in*
tellectuelles et sociales de tous ceux qui
les entourent; aussi la nécessité leur
révèle-t-elle tout à coup que tout est pro*
{portion et rapport dans la société, et que
^homnie n'y saurait jamais vivre ni isolé^
ni tout à fait indépendant.
Pour les enfants élevés dans l'aisance
on la richesse , il . en est tout autrement.
L'Instruction artificielle et littéraire les
préoccupe trop pour que leur caractère se
foroie en même temps que leur esprit, et
Texpérienèe de la vie pratique leur manque
souvent. Ils apprennent la politesse des
manières, ils peuvent acouerir celle de
l'esprit; mais ce n'est oruinairement que
quand ils ont été froissés par le malhenr
qu'ils éprouvent ce respect,, cet amour du
procb^n, que j'appelle la politesse du coeur.
Le proverbe a raison: Les extrêmes se
réunissent, se touchent; aussi la politesse
des manières, qui n'est que le signe ex*
pressif de celle du cœur , a-t-elle toujours
Juissammeutcoucouruàrapprocherlesolasses
e la société, entre lesquelles la naissance,
104
le raiq^ et les Biens de la fortiiiie mettaient
le plus de différence. Sous Tancfen régime,
il était assez or^imiire qu'un grand seigneur^
insalent avec son notaire ou son banquier^
affectât des airs de politesse en s'adressant
à son tailleur ou à celui qui le clianssait»
Bans ces occasions même, la politesse
prenait quelquefois la valeur de monnaie
eourante , et 1 on' sait comme Don Juan
payait ses dettes à M. Dimanche. Tant de
eoBiédies :et' de satires faites à ce sujet
ont sans contredit démonétisé leist beaux
semblants et les paroles dorées; toutefois
en s'y laissera* prendre long-tempsencore^
par cela seul qu'ils sont l'expression d*un
sentiment auquel on aime à croire, et que
l'on se fiatte toujours d'avoir Inspiré, On
a'bean faire, l'égoîsme, la barbarie, Tin^*
politesse enfin, est une chose si iiidense
chez' l'homme, qu'à défaut d'amour v^éritable,
de la part du prochain, on veut au moins
qu'il vous en montre le simulacre.-
On doit donc blâmer hautement ceux qui^
animés d'un zèle inconsidéré poitr la^per*
fectjon de la société, et qui, sons prétexte
de rompre en visière avec toutes les faus-
setés qui se pratiquent dans le monde ,
affectent des maniécee rades ^ brusques et
105
oiivertemeiit contrakéd à. tons les naines
que la succesaion des temps a établis. Ces
€Dups de boutoir sout une preuve d'in*
expérienee et de faiblesse de jugement.
Assez souvent encore, ehez les jeunes gens
dont le coeur est droit, ces brusqueries
résultent d'un certain d^oût de la vie qui
mine parfois les adolescents.
Mais quant à ceux chez qui Flmpolitesse
est calculée^ égoïstes par système, qui se
font brutaux pour obtenir, par le dégoût
ou la peur qu-ils inspirent ^ ce que leur
peu de mérite leur fait refuser, il serait à
désirer que les lois^ pussent réprimer leur
impolitesse ambitieuse et jalouse. Puisque
ees hommes ne veulent pas entrer dans la
société, il faudrait que ht législation leur
assignât une place à part. Cette classe
d'Jiommes si impolis est encore ce qu'il y
a de plus impolitique. Nous qui avons été
témoins de la première révolution, nous en
savons quelque chose.
Quand Tinfluence des manières fastueu*
sèment polies de la vieille noblesse se fut
affaiblie, en vit d'abord s'établir une po«
litesse réelle dans cette masse énorme de
citoyens, désignée autrefois par le nom de
boiirge<d8ie. L'égalité devant la loi et te
lOC
€omm«nantë des Intérêts produlsireot i^eft
heureux eiFet. Mais par une fatalité qui
semble toujours imposer à la société le
roids d'un pouvoir naturel ou légal qui
opprime, on vit bientôt le parti républicain,
substituer à 1 afféterie du langage des cours,
une certaine rudesse d'expressions qui ne
tarda pas à dégénérer en brutalité uffen*
santé. Ce défaut fut si choquant en France
jusqu'au temps du directoire, il fit sentir
si impérieusement le besoin de retrouver
au moins une apparence de politesse, «que
tous ceux qui en avaient conservé la tra*
dition furent recherchés avec empressement.
On ne saurait se figurer combien cette
disposition générale des esprits aida alors
les gens de l'ancienne cour à se faufiler
plus lard dans celle qu'échafauda Napoléon.
On raconte à ce sujet qu'un de ses
officiers, conservateur minutieux des tra^
ditions de l'étiquette de Versailles, ayant
une dépêche à remettre au premier consul,
la lui présenta en la tenant avec le pouce,
sur le bouton de son chapeau. Buonaparte,
chatouilleux sur tout ce qui se rapportait
aux marques de respect qu'il voulait qu'on
lui rendît, prit la lettre sans témoigner nf
humeur ni contentement. A Fassuirance
107
respectueuse avec laquelle son officier avait
joué sa petite comédie, il devina qu'il y
avait à profiter pour lui de cette flatterie
instructive. En effets lorsqu'il fut certaio
que ce cérémonial était' en usage k Taii-
cienne cour des rois de France, il Fadopta
et donna de Favancement au gentilhomme
qui le lui avait fait connaître. Bientôt après,
les colonels de Farmée imitèrent leur patron
impérial, et il y avait tels régiments de
cavalerie où un iiussard ne se serait pa9
pémûs de présenter une lettre ou tout
ordre écrit, à son officier supérieur, sans
les .fixer an bout Ab sa carabine, entre la
baguette et le canon.
Les oscillations de l'esprit et du carae*
tère de notre nation sont soumises, on le
voit, à des lois d'équilibre, comme celles
qui régissent le balancement des corps
graves. Les habits dorés et la galanterie
affectée de la cour de Louis XV. ont produit
les carmagnoles et le langage grossièrement
féroce des sans-culottes de 1793. Puis bleu*
tôt après, le dégoût qu'excita ce monstrueux
dévergondage fit revenir les titres, lee
cordons, les habits brodés et les nuées de
chambellans ^ue nous avons vue^ ; si bien
que quand Louis XVUI. revint, il trouva la
lOS
m
iriperie ndonarcliique remise à neuf et tonte
préparée pour Ini en 1814.
Les pièces de théâtre données à ces
différentes époques sont peut-être ce qui
caractérijse le mieux les péripéties brusques
qui viennent là'étre signalées. Dans les
comédies de Dorât, de AJarivaux et de
Poinsinet, représentée9 jusqu'en 1791, c*est
.encore. le langage musquë de la cour qui
y régne. Puis, dans ce même Paris où on
fie pâmait d!aise en.écontant les fadeurs
de J abbé et du colonel du cei^cle, deux ans
çprès les théâtres noffraient plus que la
représentation de drames dégoûtants dont
^e Jugement dernier des rçU est le . type et le
chef-^'aeuvre.
Après ces deux grandes oscillations, U
Ïeut, du temps du directoire, une apparence
'équilibre dans la société. Le mélange
et le laisser-aller de toutes les classes à
ciptte époque fut réfléchi très -fidèlement
fious le consulat ]par iine comédie-vaudeviUe
intitulée Fanchon ,la vielleuse. Buonaparte se
^formait pep à peu une' cour, et déjn il était
3aestion>âe substituer des croix aux armes
'donneur. Ce fiit dans ces. circonstances
gue 1 on donna Iç yandeviUe de Fançhon,
pu le jargon iAfk hmiqivfi .^e J^pni3 XV»
109
reparut avec exagération, mais dans un
sens admiratif. C'était une leçou de politesse
et de galanterie, donnée à la nation, qui
Taccepta avec enthousiasme. On ne saurait
àé faire une idée de l'espèce de bon&eur
ineffable que causaient aux générations de
c^tte époque, meurtries encore des blessures
de 1793, toutes les fadaises galantes que
débitaient dans cette comédie Tabbé de
rÂtteIgnant et un certain colonel, faisant
de la tapisserie, tout en arrangeant avec
un grand sérieux, et d*après les idées
nouvelles d'égalité j son mariage avec une
joueuse de vielle.
Je ne doute pas que cette pièce, dont
le succès fut long, n'ait puissamment con-
tribné à rétablir en France la politesse des
manières. Ce fut une transition pour arriver
à Tempire , pendant lequel, à la cour dd
souverain comme sur lé théâtre , on ne fit
que des pastiches de ce qui se pratiquait
autour de Louis XIV.
A la tenue roide de la période Impériale
succéda, avec la restauration, un excès de
raffinement demi galant, demi nioral, dont
les pièces du Gynàiiase ont été Texpression
très-^dèle jusqu'à la révolution de 1830.
Enfin ce grand événement est encore
lie
T0na briser de nouveau les Burionettes *
musquées . qui nous ont réjouis, et voilà
i[ue tou( à coup certaines gens, oubliant
e passé, aveugles sur Faventr, se sont
erus obligés de consolider cette victoire,
en reprenant Fair rébarbatif et grossier,
en laissant pousser leurs moustaches et
leur barbe , en fumant du tabac presque
jusque dans les salons^, en ayant peu
d'égards pour les femmes, et en affectant
dé lie lancer leurs opinions que comme des
apophtegmes ou des ordonnances.
Cest évidemment au marivaudage et au
cagotisme de la restauration que nous
sommes redevables de cette petite singerie
des sans-culottes de 1793. Aussi, comme
roscillation politique , Imprimée par la
restauration, a été bien plus faible que
l'impulsion analogue donnée par le système
monarchique au temps de Louis XVL, il
s'ensuit naturellement que les petits sans*
aJoiUs de nos jours sont beaucoup moins
forts que. ceux du temps de M. Rol^espierre.
On les surprend parfois tout honteux de
leur propre rudesse, et dans leur costume
comme dans leurs discours. Il y a quelque
chose d'aigre-doux, d'austère, et d'élégant,
de. brutal et de timide tout à la fois, qui
in
lenr donne nne gène habituelle dans le
monde. En France on a toujonrs dn tact,
et ils sentent que ces affectations puritaines,
républicaines, ne conviennent nullement à
notre temps et h notre nation*
Je n'oublierai jamais le phébns et Vaffé«
terie avec lesquels un jeune bpmme, in*
capable d ailleurci d'exécuter ^ une action
cruelle, disait à une dame et à moi , quelques
jours avant les journées des 5 et 6 juin 1832 :
^ C'est, on doit le confesser, un grand, no
énorme sacrifice; mais il faut du sang;
oui, madame, il faut du sang!^ Ce brave
jeune homme était vêtu d'une redingote
brune qui se confondait avec sa cravate
noire; en parlant ainsi, il avait le coude
gracieusement appuyé sur la cheminée^ puis
soulevant avec délicatesse une petite canne
brune que tenait son autre main couverte
d'un gant blanc: »Eh, mon Dieu! oui,
répétait-il, sans changer de position ni de
physionomie, il faut faire tomber trois on
quatre cents têtes pour consolider la révo«
lution de 1830* C'est affreux à dire, obser»
vait-il/en souriant à la dame qui le re«
S;ardait avec effroi; mais cest une vérité
àtale, nécessaire • • • • j'entends philo«
snphiqùement nécessaire.^ Et il sonriait
/
encore en' insistant sur ces paroles. Or
moi , qui redoutais les malheurs qui sont
aiTivés à Paris trois jours plus tard, je
fuâ épouvanté de la politesse féroce aveit
laquelle on m'avertissait du sort qui pouvait
m'atteiidre. C'est là upe des formes de la
politesse en 1832*
Mais cette grossièreté recherchée, élé-
gante même, des hommes de seize à trente*
éinq ans,. n'est pas causée seulement par
les événements et (es passions politiques.
Le mode et la nature des étudeis auxquelles
la» jeunesse s'est livrée depuis quelques
années, ont puissamment contribué à la
faire naître* Ce goût presque exclusif que
Ton a pris pour 1 étude du moyen âge^ est,
fmrmi les causes secondaires de ce défaut,
a plus importante. En effet, dans toutes
les histoires, dans le détail des .moeurs,
dans les productions littéraires et des arts
de cette époque , pour quelques vertus et
certaines beautés assez rares, on n'y trouve,
ordinairement qu'un enchaînement de vices,
de crimes et de singularités qui ne peuvent
avoir d'attraits que dans des temps comme
te nâtre, où la jeunesse elle-même est.
ruinée par le désenchantemeut et l'ennui.
Oui^ je n'en doute- pas, c'est par ennui que
11«
Ton s'efforce de retremper san existence
blasée ;^en imitant du mieux que Ton peut
celle deà hommes d'un autre temps où la
vie était sans cesse agitée, toujours en
danger et habituellement compromise. C'est
par ennui que Ton se taille les cheveux
comme au XlVe siècle, qu'on laisse croître
sa barbe, que Fou porte des poignards,
sous le gilet, que les alcôves se tapissent
d^armes de toute espèce, et que Ion s'exerce
à manier l'épée en même temps que- la
dague. C'est par ennui, la chose est incon-
testable, qu'au milieu d'une ville comme
Paris, où tout est journellement j;)révu pour
assurer Te repos et la, liberté publique, on
rêve tyran , on veut redouter Fesclavage,
on se flatte, que les sbires, des reitres ou
des lansquenets sont appostés dans les rues
pour vous saisir, vous traîner en prison, on
Vous assassiner. C'est toujours le même
cas que celui de ce contrebandier qui , s'en-
nuyant de la monotonie de la conversation
de braves gens qui dînaient par hasard à la
même table que lui, ne trouva rien de mieux
h faire pour réveiller tant soit peu ses con-
vives et se tirer lui-même de l'assoupisse-
ment où il tombait, que de faire feu sous
la table avec ses deux pistolets d'arçon,
8
114
chargés à balles. Pour moi, je ne doute
guère que parmi les jeunes habitants de
Paris bien élevés, qui ont pris part aux
émeutes, il n*y en ait un bon nombre que
Tennui seul y a poussés.
Comme aux différentes époques de la mo-
narchie, de la terreur, du directoire et de
l'empire , le théâére de nos jours entretient
dans l'esprit des spectateurs le goût qui
règne, celui des bizarreries et des atrocités
gotliiques. Chaque soir on y déploie les
secrets d'une société aventureuse et cruelle ;
Ta grossièreté des moeurs y est rendue
piquante, le vice amusant, et le crime seul
y intéresse. Là notre jeunesse ennuyée,
désabusée, et qui aurait si 'grand besoin
d'être mise à un régime littéraire, très-doux
et tout bénin, vient au contraiiie pour s'y
imbiber l'esprit et le coeur d'^horreurs abo-
minables. Elle s'y enivre à l'odeur du crime;
elle y surcharge son âme d'une force qui
n*a point d'objet, d'un courage qui ne sait
oxi trouver de la résistance, d'un surcroît
de colère et d'une surabondance d'énergie
qui la forcent à se plaindre, à crier, et
enfin à frapper n'importe sur qui ni sur quoi ;
le tout , seloi^ le système du contrebandier,
pour se sauvçr 4e l'eni^iL
115
En France, où les passions fortes et du*
râbles sont extrêmement rares, on ne saurait
croire combien l^ennui et la vanité y entre-
tiennent de travers et même de vtees. Aussi
les commotions politiques lef plus imporr
tantes, les o*pinions les plus graves, les
révolutions les plus solennelles, qui se
sentent toujours un peu de la frivolité de
ceux qui les adoptent, s'annoncent-elles
publiquement par les formes les plus pué-
riles et les moins durables. Lors de la
première révolution, tous les monnnîents
que Ton éleva étaient de plâtre et de carton,
et le premier soin que l'on eut pour prouver
que Ion mourrait d'abord pour le roi con*
stitutiônnel, et ensuite pour la république^
fut d'adopter un costume particulier. Depuis
la révolution de 1S30, le même enfantillage
s'est encore reproduit; et chacun de nos
jeunes républicains, au soin qu'il prend de
se faire reconnaître par Tétrangeté de son
costume, peut faire penser de lui ce que
La Fontaine disait du ïoiq> devenu berger:
Il aurait volontiers écrit sur son chapeau:.
C'est moi qui- suis Guillot, berger de ce troupeau.
^ 'Je ne sais si je m'abuse sur le parti que
j'ai tiré de mes observations , mais dans les
farauds de 1791, dans \q& sans-culoites de V7^^f
S-
11«
dans les muscadins Hvl directoire 9 dans ks
chambellans de Tempire) dans les purùains de
la restauration et les républicains de 1832, j^
crois retrouver le type éternel, bien que
modifié , du marçuis français.; de ces gens du
bel air, de ces beaux-esprits à la mode, de '
ces aimables roués qui, depuis la Fronde
jusqu'à LouisxKV. , out été, selon leurs in-
clinations, ferrailleurs, cruels ou galants,
faisant de Tesprit ou crachant dans les puits
pour faire des ronds , mais qui tous ont
conservé traditionnellement Thabitude de
fi'habîUer, de parler et d'agir autrement que
tout le monde et de battre le guet pendant
la nuit pour se désennuyer.
Le trait caractéristique et commun à toute
la' race issue du marquis est Tinipolitesse et
la dureté même envers tous ceux qui ne
font pas- partie de leur caste. Il y a dans
les aristocraties démocratiques une morgue,
VU besoin de supériorité permanente, t{ui
rend les marquis^républicains infininient plus
susceptibles que ne Tétaient les marquis-
gentilshommes. Et chez ces hommes qui
l'évent et prêchent sans cesse l'égalité, il
est curieux d observer avec quelles nuances
de dédain ils accueillent ou repoussent les
personnes qui se rapprochent au. s'éloignent
117
' . ^ •
pins ott moins de leur opinion. Dans tovs
les temps, les coryphées populaires, les
aristocrates républicains ont été infiniment
plus hautains, plus inaccessibles que la
noblesse des monarchies. Ordinairement
ils ont autant d'orgueil et beaucoup moins
de politesse. Or la politesse est naturelle
en France, c'est ce qui a fait dire avec tant
de raison et desprit que chez nous on a
des opinions républicaines, mais que les
moeurs, sont monarchiques.
C'est ce mélange de dispositions inco-
hérentes qui a fait échouer les projets d<e
tous les hommes qui ont essayé jusqu'ici de
faire du républicanisme en France. Encore
aujourd'hui ris ne forment qu'une secte peu
nombreuse, qui blesse et est blessée înces*
samment, parce qn'elle ne trouve sa place
nulle part, et que sa prétendue franchise,
qui n'est que dé l'impolitesse et parfois de
la brutalité, ne peut s'accommoder avec nos
institutions, ni avec ce qui nous reste encore
de nos anciennes habitudes religieuses^
morales et politiques.
De là résulte, pour ceux de ces sectaires
qui se sentent une certaine énergie, un
ennui vague, un découragement mêlé d'or-
gpaell et de colère, qui les. fait jeter dans
118
saille et mille travers, ils se singalartoeut
par leur costume, ils s'enivrent de tabac,
6t courent aux émeutes quand Toccasion se
présente.
Ces distractions, souvent assez peu in-
nocentes, ne sont au fond que des ridicules
à la mode. Mais peut-être âuraît-on le droit
de faire un reproche pïus grave à cette
jeunesse si sage , si studieuse, disait-on,
avant la révolution de 1830, et qui s est
montrée tout a coup impitoyablement rica-
neuse, ingrate' et insultante envers les
fat>mmes des oénérations qui Vent précédée.
Manquer d'égards et^e respect envers ses
pères^ est plus qu^une impolitesse; et le
cas est hors des limites de mon sujet.
Les liens de la discipline sont trop relâchés
en France pour les enfants et les adolescentSé
Il y a un personnage dont l'importance s est
étrangement accràe depuis quelques années,
et par le rôle quMl a joué, ainsi que par les
portraits trop poétiques qne Ton en a tracés.
Ç est le gamin^ Sans veille comme sans
lendemain, oisif, sans besoins, mais avide
de nouveau, et poussé par la témérité et la
cruauté de Tenfance, le gamin pénètre par*
tout, an écartant de force ceux qui lui font
obstacle. ^Toujours gpguenard, fier, brntial,
119
meurtrier même au besoin, il brave le canon,
les lois, ses parents et Dieu même, s'rl y
croit. Le gamin est à part de la race des
marquis ; il est le Louis XIV., 'le Napoléon
démocratique, et, dans la plénitude de sou
indépendance exorbitante, il se dit: La
liberté, légalité, la république, c'est moil
Aussi âatte-t-on aujourd'hui le gamin comme
on a flatté Louis XIV. et lempereur; car li
paraît I qu'il est dans la nature de Thomme
de' craindre ce qu'il a admiré, comme d'ad-
mirer tout ce qui lui fait peur.
L'égalité spirituelle était une préoccupa-
tion constante pour Tadolescençe, lorsqu'elle
recevait fortement rinâuence d'une éducation
religieuse. Alors on se confiait dans une
justice éternelle, avec ridée que le ciel
étant d'une immensité infinie^ et les ânies
(parfaitement déliées , chacun y trouverait
place au besoin. Aujourd'hui où toutes les
espérances sont exclusivement dirigées vera
les avantages temporels; maintenant où. il
y a si peu de place an soleil , en compa-
raison du nombre de ceux qui veulent se
chauffer, on se coudoie, on âe dispute, on
s'Injurie, on s'entre-tue même, pour gagner,!
défendre et garder son terrain. Un dés
traits caractéristiques de notre époque est
120
que €69, passions, toutes terrestres, qqi ne
tourmentaient autrefois les hommes que
lorsqu'ils avaient atteint la virilité, s'em*
parent aujourd'hui dès étudiants, des collé-
giens, des écoliers, du gamin même, qui,,
exclusivement acharné à la conquête d'avac*
tages et de droits temporels, se refuse,
ainsi que les autres, aux bienfaits d'une
éducation religieuse, morale èi^ poétique. :
Alors peut-on s étonner de ce que notre
pauvre jeunesse est inquiète, morose, et ^i
S]ubitement désabusée? Hélas! j.e la blâmais
amèrement il n'y a quXq instant, et main-
tenant je la plains! Etre sans espoir à*
vingt ans f mépriser ce que l'on désire en
même temp^ qu'on le rechercher n'avoir ea
{perspective pour paradis qu'une préfecture,
a chambre des députés, ou le portefeuille,
de ministre; c'est bien triste pour un coeur
jeune , pour une âme à l'aurore de la vie,
à qui la terre paraît ordinairement trop
restçeinte et le ciel à peine assez vaste!
C'est cet avenir tout matériel de l'exis-
tence qui produit le dégoût précoce de la
vie dont nos jeunes gens sont si péniblement
travaillés; aussi se fait-on scrupule de signaler
leurs travers quand on en connaît la véritable
source. Il faut traiter notre jeunesse comme
121 , -
on malade dont les nerfs agacés provoquent
les pleurs, le)» fantaisies et la colère.
L'ennui et la vanité, voilà les causes dé^
ce tnal. L'une vient de ce que, dans Tenfance,
rame et le corps' ne sont pas assez simul-
tanément occupés; l'autre nous trompe tou-
jours sur la puissance de nos facultés.
L^établissement d'école pour les enfants
en bas âge y le maintien d'une police sévère
pour les adolescents des classes pauvres,
dont l'indépendance, hors de chez eux, est
beaucoup trop illimitée, et le rétablissement
d'une discipline plus ferme et d'études plus
fortes dans les institutions de toute espèce,
tels sont, à notre avis, les correctifs les
plus prompts et les plus puissants piour
arrêter, dans sa source, Jes progrès d'un
mal qui dispose la jeunesse à Tennui, an
découragement, à l'indifférence, et par con-
séquent à l'égoisme et à l'impolitesse.
Au surplus, il s'en faut bien que je sots
de ces hommes qui critiquent pour le plaisfr
de ]>arler ou d'écrire. Lorsqu'un défaut me
semble Incurable; je n'en parle pas. Mais
quant à l'impolitesse qui règne parmi les
{*eunes gens de 1832, je ne crains pas de
a présenter sous ses fornaes les plus bizarres,
dans ses effets les plus nuisibles, parce
122
que ce n'est plus qu une mpde^ causée par
l'ennui, et qu'ainsi qu'il a été dit déjà, tous
les Françstis/ abstraction faite de leur rang
et de leur fortune, mais qui ont une t)cc|i-
pation fixe et le soin d'une famille, pratiquent
la politesse, et la perfectionnent chaque jour
en eux-mêmes comme en ceux qui les en-
tourent. J ai donc voulu démontrer seulement
que Timpôlitesse est causée par Tégoïsme
et que legoïsme est le défaut le plus fatal
à une société.
Cette vérité, j'ai d'autant moins craint de la
reproduire à c^ sujet, en exposant les ridi-
cules, les défauts et les fautes^de la jeunesse
de 18S2 , qu'aujourd'hui , où à peine nous
avons atteint la moitié de Tannée suivante ,
presque toutes ces folies fantastiques lit-
téraires et politiques, sont déjà tellement
affaiblies que, d'ici à -peu de mois, il en
restera à peine des traces suffisantes pour
Îue Ion ne puisse pas douter de la fidélité
e mes observations. ;
J. E. DELEGLUZE,
LES PETTTS THÉÂTRES
DU BOULEVART.
Si les princes et les jolies femmes ont
de temps a autre d étranges fantaisies, les
éditeurs en ont aussi quelquefois de bien
singulières.
Un jour le mien en avisa uite dont il
se sentit si agréablement chatouillé qu'il
accourut aussitôt me la communiquer. C'était
à l'époque où les mémoires étaient encore
de nfode; et bien que le sol littéraire fût
alors coirvert de ces sortes de productions
comme les champs d'Egypte Tétaient de
sauterelles au temps des sept plaies, Tiii-
génieux libraire croyait avoir découvert un
nouveafu filon, une mine féconde, une source
Abondante, en aventures originales ou
125
théâtre, et }e vis que ponr huit soufi aux
premières, six sous à Torchestre, et ^juatre
au parterre je pouvais me Sonner quelques-,
unes de ces sensations après lesquelles je
courais ; je pris un orchestre et je me mis
à la queue à côté de deux fashionables dii
faubourg Saint-Antoine, qui d^abord me toi>
sèrent icomme un intrus, et ensuite, -pour
se donner un aiç d'importance et de eon-
naisâance de la localité, entamèrent. une
discussion sur le théâtre et les acteurs du
Petit Lazari.
— Dis donc, Polyte, V n'y a z*un débutant
z'aujourd^hul, articula un des deux faubou-
riens en relevant avec gravité son pantalon
qui, faute de bretelles, menaçait à tout
iustant de lui tomber sur les talons; f n'y
a z'un débutant z'aujourd'hui. • • . . nous
verrons voir
— &i y n'marche pas droit c'coco-là, on
rsoignera, répliqua le second faubourien
et si la c^ale fait des Injustices , j^ leur y
tombe sws la boule • • . une. . >. deux. . . >
^un renfonoeme»t, mais dans le ebenu. . . ;
— Un peu. . . ^ . Faut protéger les arts,
mais z-ut pour les cabotins. . . . c'est pas
moi qu'on- ewtortîUera. ...
• -^ Ki m<yi< Dis donc à propos^ . . t une idée l..
127
— De quoi?
* — Âs-tu un sou?
— Oui. ... à cause ? . . .
, — A cause que j'achèterious des pommes
et -que j'en envoyerions les trognons au
débutant, s y va mal. ..' • «
— Les trognons! ... au débutant! . . .
mer-ci . . . je- les mange, moi^ les trognons....
— Messieurs, me hasardai-je à dire
vous parlez àe débutant au Lazari. . .je
ne comprends pas. . . . je croyais que
c'était un tliéâtre de marionnetits,
— De quoi., . • de quoi, des merionnettes i* . . .
répliqua celui auquel je m'adressais. . . .
depuis le3 glorieuses y a pus de merionnettes .
ici. . • &est des acteurs vivants et naturels
comme à la Gaîté et à Franconi, et qui sont
crânement menés par M. Frenoy, un ancien
de l^ÂmbigU'Comîque, qu'entend son artique
celui-là. . . . Des jnerionnettes^ CKCUSez! !
— Je vous demande pardon. . . . je ne
savais pas. . . • C'est qu'auparavant. . « .
— Ouï. ... oui. . . . auparavant^ du temps
de Mangiu et de Polignac. . . mais je vous
dis que dépuis les glorieuses c'est fini. . . .
on n' les a pas volé les Acteurs na-*
turels et vivants! on les a un peu gagnés
au Louvre et à Arcole. ... C'est how
ns
des merionnettes. • • «ah! ben en v'ià fine
sévère! . . . ' *
J'avais blessé lamonr'-propre de Phabltué
du Petit Lazari, et j'allais m'excôser de
nouveau quand lés pertes s ouvrirent pour
laisser pénétrer la fouje: la poussée fut
rude, et j'arrivai à ma destination presque
aans toucher à terre. , • . Chacun se, hâta
de se pjacer; hommes, femmes et enfants
oneombrèrent en un instant le parterre, et
tous s'y entassèrent le plus paisiblement
du monde; je dis paisiblement, car il n'y
eut que quatre à cinq bambins qui se gour-
mèrent^ et deux blanchisseuses qui s'arra-
obèrent leur bonnet, incidents tout-à-fatt
inaperçus au milieu des cris et des sifflets
qui commencèrent tout de suite un charivari
assourdissant et continuèrent jusqu'il l'in-
stant où les trois coups frappés à la rampe
annoncèrent Is lever du rideau.
J'avais eu le temps de donner un conp
d*oeil sur la salle; elle était très-petite,
mais fraîchement peinte et forjt propre; une
seule galerie, l'orchestre et le parterre
formaient les trois divisions des places.
Une contre-basse et det^x violons étaient
les seuls instruments^ul^e fissent entendre,
et qui du reste suffisaient pour Texiguité
dû local. ^ Le rideau 4'ava;ijt-9cène me pàrq(
être de la grandeur d'unç nappe de douz^
couverts..
On conrnienjça^ Le^ Jé/nours d^ Poni-Ntuf
ouvraient la mar.che: la.d/^Cjoration, dont l^
proportions Iilljpqti,e;ine3 attestaient qu'elle
avaient été fiaiiea. ppur Tanm^nBe. t^gup^^
me frappa: Ip Pout-Neuf était représente
par un site qui semblait pris dans un paysage
de la Béauce; c'étaient une ou deux maison»
de fermiers dftns le fond, avec des champs
de blé, à droite et à gauche quelques arbrets.
de grande route, et Penseigne d'un cabaret.
Je ne me serais jamais cru si près du che-
val de bronze, si je n*eusse vu tout d'un
coup une petite niarcbande d'oranges sortir
d'un gros buisA<;on, en criant: Po'riugal! yrai^
Portugal! à deux sous le Portugal! à deux SOU%.
h don Miguel!! Puis Tinuocente créature,
qui ne me parut pa?n avoir plus de quarante-
cinq à quî^rante-hpit an? révolus, se mit à
chaqtçr sur un air connu, ^t ev détonnant à
toute minute, comme quoi elle attendait en
tremblant l'heure du berger ^t comme quoi
ri^eare et le berger ét^iîent bien lents à son
gré. . .. C^étalt âif^ns doute, timidité de lîv
part du pauvre garçon. . . . mais bientôt
la bergère du Pont-Neuf poussa uu cri en
LXXXV. ' 9
Toyant accourir Tobjet ié son attente, quf
d^éboucha dîa côté opposé avec le bruit d'an
sanglier qui se fait jour à travers un taillis.
Le tijbîde tonrte.reau était un gaillard de
einq pîedk onze pouces, dont la tète se
perdait dans l'es frises, et qui boitait borri*
blement: iT me sembla que pour surcroît
d^agrément il avait un côté de sa figure
Brûlé et l'autre fortement endommagé d'une
fluxion: un voisin m'apprît qu'il n'y avait
pas enflure aux maxilliaires du débutant,
mais chez Lui une telle habitude de chiquer,
que même en scène il ne pouvait s'en passer,
ce qui, d^u reste, n'empêchait pas qu'il ne
ehantâl; fort agréablement le couplet, parce
que dans les instants où il avait besoin de
tous ses moyens^ il glissait avec infiniment
d'adresse son tabac dans sa main gauche et
te reprenait aussitôt qu'il retombait dans
rexécutîon du dialogue ordinaire.
Je ne puis nier que j'éprouvai un grand'
plaisiV à la vue de la (Singulière dispropor-
tfon qui existait entre la dimension du décors
et cèire des acteurs. Chaque foiis que ces
derniers se penchaient vers les deux ou
trois maisons qui garnissaient le fond de la
scène, on eût dit q^u'ils s'amusaient à regarder
dans notSifeur par ïe tuyau des cheminées
1*1
^i lenr Tenaient à peine à la cefnfnre, et
quatre à cinq fois te débutant/ par gentil*
lesse, se permit de passer la jambe par-
dessus les arbres^ qui figuraient les trottoirs
du pont.
Malgré ces genrtillesses et quelques autres
dont le débutant crut devoH* embellir sou
jeu, il me sembla peu goûté de Taréopage
destiné à prononcer sur son sort, car bîen*
tôt des cris et des sifflets se firent entendre.
-^ Ohé, Mâyeux ! cria une voix, oliéf
— En v'Ià une pantomine t dit un autre.
— n est chouette ton débutant, dls-doiH*;*
eh! Frenoy, cria un troisième; est-ce qui
ta nous embêter long-temps comme ça. . . .
— Puis ce fut un débordement d*apostropheS'
dans ce genre.
— Ohé, ohé!— les trognons. . . ohé!—
A larbre, Martin, ohé! — Va-teit ! va t'en,,
feignant! -^ Au canaF le rat!!^ — * Est-ce
qni n'va pas taîre sa^ gueule? ^-- Oh! c'te-
balle!! — Ohé! — La toîle!! le torehonîf:
En vain Ta cabale administrative fit-elle
éous ses efforts pour conjurer lorage , en«
vain les persojniages en scène tinrent- ils>
ton , il fut impossrble d'obtenir le moindre
silence! pour comble die bonheur, uneespète
de pèr© noble, celui de Torangère, à ce qu*i*
9*
m
qie sfiiiifbla, vint se mettre deJiai partie.; ce
brave hpniiiie,< annoncé d^ns. rexposifîUui
comme marchand de croqu^ig^Ies , pondait
maibeureu.semeut 1^ costume d'ua buii^sierï
à vergue de Tancieu régime, et pour se ij9fx^e,r
sans doute un air intéressant^ it set^it en
autre tellement farci le visage de bla.ue
d'Espagne, il avait un maintien sj défailiaoj.)
que son aspect acheva de mettre le parterre;
^ humeur charivaj'ique; les buées et les.
cris redoublèrent. Les faubouriens, faisant
généreusement le sacrifice de leurs trognons,
l,e:<î envoyèrent à la tète^ du jeune premier,
qui eu reçut d*abord cinq à six as^sez^ philo-
i^ophiqucment; mais voya^it que le feu ^e
prolongeait, il tourna le dos au parterre,
qitî se leva en masse aussitôt et voulut
se précipiter *nr rîrrévérentlenx comédien,
jgnais la toUe baissa; quatre gardes muni-
cipaux pai'urex}t à la rampje, le régisseur
adressa aa public uji^e paternelle alUfCution
héi-issëe de cuirs et d'excuses; et Fauditoire
furieux se calma comme par enchantement
avec une bonhomie admirable.
En quittant le Petit Lazari de M. Frenoy,
je. fis quelques t(xura pour renouveler l'air
uQ peu méphitique dont mes poumons es
tiouvaîeut imprégnés; je ne pus m empêcher
1*3
Mïè ï^Wi^se^ Un grand soupir en remarquant
"(^(yrfiMen «st changé ce boulevart du Témpïe
oA j'i^i vn tant et d'è si bonfonne8,pa^adéà..<i«
Lcfs Bôbèclïes et les Galîiiiafrée , devafift
^esqtfe^s je trie suis ai st)ùvent pâtné d'aise,
ont dispafru. Sur réttipïacetnent qu'ils occu-
paient se sont élevés le théâtre doirt je vienë
de parler, et quelques autres où l'oti jbne
aujourd'hui avec uA aplomb et une audace
inconcevable le tépeTtoIre de Molière, de
Sedaine et dé Regnard ; . les directe'trrs de
ces théatreà, "S^l. Frenoy surtout, stlmuléà
par Vexemple de madame Gibon^ qui, trou-
vant que son thé est trop fadasse, y jette,
pour lur donner un peu de corps, un jaune
d'oeuf, une poignée iSe ^el et de poivre et
quelques têtes d'ail, ensuite remue bien l6
tout et Sert froid; tefs directeurs, dis -je,
trotivant ausîli que TAi>dfe^ par exemple est
trhè pièce lonpie, ennuyeuse, plate, fadasse,
qui aurait pu faire un assez joli vaudeville
en trois actes, emiroigtient IMtoliérê, taillent^
f ogneiit, ràc'coîih^ctssent ou allongeait Tôeuvrè
du prince dé la comédie, y jettent quelques
kiots et qne]x]ties seènes qu'ils ont pris dans
le Jbneur, le Ôlorieuàc^ an le 'Médecin malgré . lût,
^n leut lArpô/^te ? ^niâ dot^Tient à ce gâchtà
Ihi iffre de leur fâçt^ti, M. Prtfdîgue, par
ia4
exemple, et deux jours après vous servent
jcet, étrange salmigondis assaisonné de cou-
plets a^ssi de leur façon, comme une oeuvre
juouyelle dont Fauteur, M. Paul, M.Edmond,
M* de Saint- Albju, est nommé au milieu
d'unanimes applaudissements*. Bobèclie ! !
Galimafrée! ! où étes-vous?
Il était encore de bonne heure, j'entrai
au Cirque. , Oii donnait ÏEmpereur pour la
pentiéme fois; la salle, était comble et Ten-
tbousiasme aussi grand qu*à la première
représentation* Le théâtre Franconi est le
seul qui ait convenablement représenté
lEmpii-e et ses gloires. Ce n*est pas avec quel^
ques ondes de poudre et des soldats de carton
que l'empire, encore tout saignant, pouvait
être offert comme on Ta fait ailleurs; il fallait
tous les moyens du Cirque -Olympique, sa
vaste salle, ses cent chevaux, ses douze
cents comparses, les incroyables pinceaux
de Pilastre, de^Cambon et de Charles Séchant,
pour nousi donner une idée juste des mer-
veilles d'Egypte ,* des plaines de Marengo,
des fêtes du sacre et de la pompe étalée
daqs les cérémonies du couronnement et du
mariage; il fallait cette armée si bien dressée,
si bien disciplinée par Adolphe Franconi; il
fallait cette intelligence, ce tact, cette con-
18$
naissance si étonnante des possibilités de
son théâtre déployés par M. Ferdinand Lalone
dans la charpente et la distribution de tant
de liants faits placés sous nos yeux, avec
t^nt d'ensemble^ d'ordre, d éclat, de richesse
et de yérité. Je ne sais si Ton peut dire
du théâtre en général qu il y ait eu progrès
depuis trois ans , mais assurément on peut
raffîrmer en parlant du Cirque en particulier,
et ajouter que ce progrès a été immense.
Il y a douze ou quinze ans, on crut après
la Mort de Kléber, la dernière pièce montée
par M. Francôni le grand-^ère, qu'il serait îm-
j)Ossible de faire quelq^e chose d'un succès
aussi étourdissant ; on en ^ dit autant après
le Vétéran; puis Après f Empereur; puis a.près
les Polonais; puis après la République, et les
Cent Jours, . . . et cependant les directeurs
prétenden^t quils ont mieux encore au fond
de leur sac! . • .. Cela ne m'étonnerait
pas» • • •
Cesoic-làjevisaubalcenlechefdelafamille
Francôni, celui dont je viens de parler ] c'est
un vieillard octogénaire, presque entièrement
aveugle et sourd niaintenant, et dont les
facultés intellectuelles se sont singulièrer
ment affaiblies. Depuis long -temps il est
tout-à-fait étranger à ce qui «e passe au
ISft
théStve quHl a fofodé; le seul .st>tfvenir qnf
lui en l'esté est celui de la piè'èe dont je
rlétïs de im^èî*^ ce §o6Vëlffr er'èst srtéréo-
typé dans Kon èeiri^eau a Félotm^ron de tout
ftutre. 'AitciHie Idée h^tfvëlle ïre Ten a
chassé, et dépMs' dix aifs ce brave boiuîne^
dont les ye^k fie dist!ngtrér>t phik, doirt le
iiinpati'ne tFb'replus, dont les i^es sont
réduites à Itîiih plus simple expreéâjon, ee
brave hoinifiie, dit on, s'îin&giriPe, chàqiae fois
^a'on le ti'ahsp^orte au théâFtre, q^e cest
encore la Mort deKIéber que l'o^ù y i^eprésente,
et on l'entèttd uiurtiiurer à part Itiî: — Ohî^
je le satafs bien que ma Mort de Kléher se
jouerait tant qu*H y aurait un cirque dans.
le monrdel
Cepehdaht la sôf rée s'éeoi^Iiiit ^ je cou-
rais rfi^qtie de matiqner le but pi^ilteipal de
ton pràmenàde au bbuîé^krt dû Temple; je
Quittai les taefveiltes du Cirque pont aller
jouir de celles de Tacrobatie; car ce-soir-Ià,
là célél^è fuilatiib%tè d^iiivaff Yi^ie r^p^én*
iàfii^n 'éxtr<ftdcdiitfÀ?^è 4e '§ës èWèrèlèèâ èé
\6H\^^ j'ar^tà! , f e^^tidts & là '^bHè dé
àab thédti'ë un'fi%fifiMe''4<ii émft l^^ëc Féiâ-^
(AJd^e'â-iifi l^tâut^il îTMëi» q^i précédél^é
M tKoiMf^ltàtetirf
^^^^V4Wcrj,*nrfé%ftiëi!r*'et«»fittftr, te-rtrt^ât
tnottefnt, voicff^rfn^tàt^t de prrrrendre les
billets et 'de sViYrt^ife h futfle. ... les
grri^ftAds 'exéi'acfes dé cbfde et de t(yltîges
vdlit avdî? iiett. . . . îïé côYhftifeitcfiVrrront
à iiëik^ bèUf ëâ p^^cf^esa làtiiotitr^enotrfi'rr
et à Vétifétftioii de iiif&dtita^ Saquf. « . .
prrrrrenez vos ttlfëts. . . . Il t^t t^ps en-
core/. . . sfti*tlez la fôtifeîlî
Je stîîvfs lé c^hséil et la tdu]ë et j'entrai;
depuis mon èii^faAfée je tf'Hvafè pkn Va danser
îuàdàtne Sa^ui. ^ . Je Wé i-appélle que ce
fut alors Uu bbi^êur iirdieiblè pour moi que
le éipectàcle tiè èet exerrfee, qui avait quel-
que cliose ie sorbà'turel et d'îilonï. Je ne
pouvais Greffe que Tétre tout àérletf dont
tees régfafdjÉr ^viaiie^nt peine à l$«iivfe' le vol
-tiUdsHHélit t^dft è«f quelque ctiéfSe de Mtifé
-ÎEfèfèèe'si Idiii^e et si étopâtëe;'je deMcfcTffdë
pétiéM if un l^s^eèt <f^titreli^f««x & la vi<è
^es prodiges érifàtttés pnt VttéfàhAte^ ving^
années se ^(Mt écëc^léés, et ^épèifda^t, avéé
KiofM #1Hu'èf6*à 'ët>ile tAVtii^fh^gfiitë , f I èét
l^^ai, je t^trontài l'àèrd^iâtë Vittsfsi vigoureuse,
aiitoMë*;éte , Afkéèfi ét^ihnalite q^'alofs: SM
Véiem n'HynH pa» vièlHfi; èëtt^'feimfiie &tttft
ëte èréée' petit ihn Mtj «OtaiA^ SOttàpflrte^ pottir
îyèéritt».%M'âllbMB^Kttt>(ïîi pM^^anlM.
1*8
Après la reprëse&tation je mlnformai si je
pouvais passer au théâtre et parler à lu
directrice: on me, répojidit que^ fatiguée, de
ses exercices . elle ne pouvait voir personne
que j'eusse à reveuir le lendemain de midi
à deux heures et qu'elle me donnerait au*
dience au foyer de la comédie.
Le lendemain donc je m acheminai de
nouveau du côté du Boulevari du crime, et
j'arrivai rue des Fossés -du -Temple, n^ 51;;
j*enfiiai un petit couloir sale et obscu^ qui
fprmait l'entrée des artistes du théâtre, et
quoique je me fusse bien renseigné auprès-
du portier, je ne m'en égarai pas moins dan0
un embranchement dallées souterraines qui,
au lieu de me conduire au foyer du théâtre,
me firent tomber au milieu d'une espèce de
labyrinthe aboutissant à plusieurs caveaux
où je faillis me rompre le cou vingt folà,
et d'où je ne parvins à sortir qu'en appelant
à mon aide, de toute la force de mes poumons;
un garçon de service arriva^ me prit p^r la
main, me tira du dédale où j'étais perdu, ejt
m'amena charitablement au pied de l'escalier
.qui conduisait au foyer, et dont la roideur
139
parvias, en me craiiipotin«iit à ua câble qol
servait de, rampe, à me hisser jusqu'à la
pièce où se trouvait alors la directrice do
théâtre.
l Cette pièce servait en même, temps de
foyer et de magasin. 11 était Theure de
répétition , et tous lejs artistes réunis atten-
daient le coup do clpphe du régisseur; il y
avait encombrement jusqu'à la porte; et sur
les vieux meubles 9 sur les fauteuils et les
châssis entassés au fond du foyer, étaient
juchés une partie des comparses qui n'avaient
pu trouver place sur les étroites banquettes
de l'administration; j'eus mille peines à. më
faire jour à travers la cohue, et à parvenir
jusqu'à la souveraine de l'empire ac^roba-
tique, placée près d'une fenêtre au fopd dp
Tappartement.
Assise dans un vaste fauteuil, un rouet
devant elle, à ses pieds deux nains afifsis sur
de petits tabourets, entourée de ses prin-
cipaux sujets , empressés à lui faire leur
pqur, la maîtresse du lieu représentait vrai-
ment une de ces reines du temps d'Homèra,
qui filaient innoeemoient au milietu de leur
cour, tandis que Ienr# époux enfantaienl^ les
merveilles décrites par le vieillard de Lesbos.
Il y avait quelque ckose de patriarcal
14G
éaiifl la poée gétiérkle des personnages fôv»
niant le tableaii , ((ttl s offi*aK à ints yéiatx>.
la dîféef^fee àtt théâfre étàft là, (fotnme nifè
mère de famille entourée de sa notfïbrense
'ligifëèrliioïi «ppaKIioti ifiàtfertdtfe n^ valut
Aè là ptttt dé lÀ inaîtfesse du lieu tn coup
d^oérl fnté^^gàtéiïr plefn de pénétration; à
y avait dans Tel^firrèi^làti phystbuoniiqne de
l'acfèrbàte n^e V?vK<!ttë et un feu bien dfffë*
tenter de la*fro!dé ni6Vi«terffe qui caràétérise,
hors de \i Ètèite. reéjièèfe du danseur. J'en
fus presque safâi; cependant je m'approchai,
je déclinai inon ti^ui et Je fas accueilli^
lion sans une iibntéJîe 'Ài!i-r(îî*ise , avec un
tcti et des mfa'Méf^s é|n1 tf*bnràlent pas
été déplacés dahà le èaloh de la meillenre
tôritpag^iife.
J'étais fort embarrassé pour expliquer
¥(fbfet4e Itttt Visité; la dtiinë ft aperçut de
t^M mA(^^^ et <^4i^rcba à M en ime soilit
-fâf'qVè^qlK^s mm jêtéfir Ifli fr^sdrd 6m> dè^
1M«liièt«^ l^èlNtrtfle» qu'elle %ffl«imi «a H^ ^\^
4êÈmh >nP9it W^ fitéihré d^l^etftfbl^'et Wrfè
(iWèSëtf ^^irpf#t'^iVi<>nèi$OfltrH)Wèf*è>nt pHs pôùlr
ift%tll Itoi dqM vtftlM^ ^^%y«ai 4» qVediioo
141
avec une certaine crainte , et lai exposai la
propo9,itipn que j'étaj^ chargé de Ii|i faire«
]^lp. accuçijlii.t ipoi; explication avec ua
solaire dans leqi}pl jç déiuél,ai l'expression
de iamour pr^opre. fl^^té.
— ' Mpn^iM^u^', mis 4itTeUe, ce^e idée, de
pub^er niiea uiéippJA'es mfest 4é[à pasaéa
pai* la tête^ • . . niat/s( h^bituj^é à n^^anijci!
le balancier et i^oa la plHOp^j i^ np\.aifrait
fallu un secrétaire, un teinturier, et je u'^uiff^ia
jamais osé profoseï;. à p^/so^ipis, • . • •
i^t pourquoi?
— .Oli!! on eût ri de ma prétentioji,. . <^
on eût haussé lejsi. épaules.. • LeS: m^moixes
d'une. acL.9bfite!!! q^uejle pHié» . . l
- — Pourquoi enepre? . . • C|es vf^én^U^
aiirai,ent-ils été plu^: pii;9yal:|)es que^ t^pt
d'antres, a,u^ les^ue]9 on s!es.t jçtié avec, taqt
de fureur djepuls quj^qu^s aoii^esS;. • . •
— Pe^t-étre. . . « Hs auraient ,en Tin-
convénientde nétre ii.i graveleux, ni s^fda-.
leux. • • •
— Je conviens que rinconvénient est
grave. • . . Mais ils auraient pu être api^-,
sants.
Je le crois. . . • J ai tant v^. d^ choses,
de pays et de gens. ... 1} i|*é&t pas,unei
tête couronnée qui ne m!aît payé son trihii^
U2
d*éIog^és, qoi ne m'ait laissé un soavenfr de
eotttenteni6nt.\ . • en font bien tout faonnenv
du reste. • • . caf je vous Taffirme, et c'est
ici sans la moindre pruderie, si mon his'-
toriographe eut exigé, dans la composition
de son livre, quelques aventures galantes,
il eût été obligé de les inventer, et on a
toujours bien assez de ses propres fautes,
sans se charger encore de péchés imagi-
naires. . . . ^
— Au moins vous auriez pu fournir à
votre secrétaire une foule d'anecdotes cu-
rieuses.
— * Assurément. . • • car j'ai bonne mé-
moire, et fy tiens enregistrés mille faits
qui ne manquent pas d*originaUté et de bi-
zarrerie.' . . J'ai parcouru 1 échelle de îa vie
de saltimbanque de|)uis le tapis étendu sur
e pavé de la rue où, seule, abandonnée dès
fâge de cinq ans*, je me suis vue forcée de
pourvoir à ma chétive existence, jusques nun
tentures d*or et de sole, que Ton a st
souvent dressées pour moi dans les paiais'
de rois. ...
— Il en est plus d'un, dîs-je en rîanf, nit-
quel vous aihiez bien du enseigner Fart de
faire le saut périlleux, sans y joindre l'a
culbute. . . . Beaucoup tPentre eux aujonr-
Î4S
d'hni, grâce à vous, ne seraient peut-être pas
restés suspendus à la corde, sur laquelle \\s
ont risqué les tours de force qui leur ont si
peu réussi depuis quarante ans
— Vous ciojez plaisanter, et vous penses
peut-être que ce n'est que métaphoriquement
que Ton peut jeter un roi, un prince de sang
royal, où tout autre personnage de cettd'
trempe dans une affaire de fùnambuliisme
Eh -bien ! vous vous trompez !
-*• Je ne vous comprends pas. ....
— Il est certain que la proposition que
j^avance doit paraître étrange. . • mafs je
puis rétayer d'un fait, sans doute encore
{présent à la mémoire de ceux qui en furent
es témoins, et qni au besoin, en garan-
tiraient lauthenticité. . .
— Alors je vous prierai, madame, dô
commencer dès k présent le travail que je
Viens de vous proposer en me racontant ce
fait, qui pique ma curiosité, et qui doit me
donner le mot de Ténigme. ...
— Volontiers. . . mais accordez-moi une
minute. . . je vais fàfre commencer ma ré-
pétition, nous serons plus libres, et nous
pourrons bavarder à notre aise.
En un instant,, et sur un geste qu'elle fit,
le foyer fut désencombré; nous restâmes
144
tfeuls, et mon interlocutrice commeinça le
récit de la gi*ande aventure.
— Vous êtes encore trop jeui^e, me dit-
elle, pour avoir coi^nu la troupe de Nicolet^
qui^ faisait les déli^çs. 4o Paris, îl,y a quel-'
que qji^Araiite ans : i^oi| père était le premier
siiuteur de cette troupe : il.JQuij^^ait auprès
djif pMblijc 4p ce thé^ti'^ d'u,ne b.autç. faveur^
que du reste il méritait bî,en, car il était;
impossible de réunir plfiq, ^^.tpf^c^^ 4!agîHté,
et de grâce a un pM^i/m^ %V^m fi^^^t que
ceJHi çbnt. il était dqnç. Il trqpv^it ppiL.de
cjyaqx' dans Tétî^t qjul|, exerç(|ît/ up âça>Î Aç
ses can^arades ppuva^t l^ é^ce çç^p^ré
jif^qu'à un certaîi| p^iqt^ c^ét^ît up nommé
Laurent dit tJçeugle: cet; hof^me, auquel un
accident avait fait perdre la vue 9 avait
tellement Famour d^ ao,i],aii, que, malgré
8{i cruelle infirmité, il ayajlt Voulu en con-
t^iuer Texerçice: sauf quelques précautions,
qiielques tâtonnçi;nçnts. a,u?^qi;^I& il ét^\%
oblige de se livrer ppiir » as^iirc^r de î?^.
position de ses planches et des lnj^,^ruments
ai|çc lesquels il travaillait, ^g^ jeii était
fm»^} correct, aua^i yîçqmiç.ux q^fj cçl^l 4fj;
ses camarades poprvn^ ie. leur^ deux yeux.
La trQ\u)g. à cjç^te époque était admira-
blement composée.
145
Uo jour quelques sauteurs étrangers
vinrent proposer à Nicole! de donner une
représentation sur sou théâtre et de lutter
avec ses premiers sujets. La proposition
fut acceptée, et la représentation annoncée
avec beaucoup d'emphase.
On s'y porta en foule. Quoique je n*eusse
à cette époque que quatre à cinq ans, je
me rappelai toujours cette soirée à laquelle
j'assistais; car chaque jour oh m'apportait
dans la coulisse, où j essayais déjà par, de
cti'miques efforts à imiter les grands maîtres
que j*avais suus le^ yeux.
La salle était comble, et la réuniou fort
briilaute; car non seulement les .classes
inférieures lencombraient chaque soir, mais
encore la bonne compagnie venait y cher-
cher fréquemment des distractions. La cona-
position du spectacle de ce jour avait attiré
plusieurs personnes attachées à la cour. J'en
fats Ici la remarque, parce que la présence
de ces persouiiages à cetle représentation
eut, ainsi.que nous le Terrons, une influence
assez heureuse sur les destinées du théâtre
de Nicolet et amena le bizarre^ événement
que j'ai à vous raconter.
La soirée fut des plus amusantes: il y
eut d'abord assaut entre la troupe étrangère
LXXXV. 10
146
et la troupe parisienne: la lutte fut m Je,
les avantages partages, et le public assez
embarrassé pour. prononcer.
Mais bientôt un choix fut fait parnii les
pluis forts danseurs j et des paris furent
ouverts.
C'était une chose vraiment curieuse et
tout- à- fait inusitée, en, pareil lieu et en
{laretile circonstance, que de voir chaque
oge, chaque banquette convertie en ui^e
table de jeu où chacun étalait son pari, et
là, attentif, l'oeil au théâtre et à son enjeu,,
attendait avec la plus vive sellieitude ce
qu'il allait. aiiri ver.
Enfin les derniers exercices commencèrent :
les sauteurs stimulés par la solennité de
la séance, par l'importance que chacun des
spectateurs y attachait, se surpassaient à
Fenvi. CTétaH éblouissant d'agilité, de force
et de souplesse ï on eût vraiment dit autant
d'êtres fantastiques courant en l'air, 'y
jeuant , y tourbillonnant comme les per*
sonnages d'une scène de sabbat.
Âa bout d'une demi -heure, il ne resta
1»his sur le théâtre que deux sauteurs dont
es forces ne fussent pas complètement
épuisées: c'étaient mon père et un des
sauteurs étrangers: tliiut l'intérêt des paris
Ï4T
a^étart réuiri sur eux, et la salle eiitiërr,
muette d'attention .et de perplexitép avait
les yeux fixés sur les^ deux ehampions^
Mais la victoire ne tarda pas à se pro^
Doncer: elle se. rangea eomme de coutuioe
du côté de mou^père, et ce fut an milieu
d'une salve d'applaudissements capables
de faire écrouler la salle que Jean Lalanne
fut déclaré le lauji'éat de la journée: cette
f rpclamation fut suivie d'une ovation pen
ordinaire et qui fut au moins aussi agréable
aux triomphateurs que si elle eut été com-
posée de couronnes académiques; tous
eëux qui avaient parié en faveur de Lalanne
le firent appeler après le baisser du* rideau,
et lui remirent le gain de leurs paris; et
.bon nombre des spectateurs^ entraînés par
cet exemple 7 se prirent, pour ne pa» se
déranger, à lui jeter sur Ta scène des éeu9
de six et de trois francs, des pièces de
monnaie de toute valeur , et il n'y eut pas
jusqu'à de» sous et des tiavds qui ne lui
fussent envoyés des dernière», places de la
salle qui voulaient lui témoigner toute Teur
satisfaction par cette offre du* denier de
ia veuve. Mon. père et ma mère avafenf;
peiHe à suffir à la récolte de eeti% pluie
d*$trgib»t q^ùi leuf tombait de tentes parts^
148
Enfin on en remplit deux chapeaux quF
furent portés dans la loge de mon père, et
dont le montant servit en partie le lende-
main à traiter les combattants de la veille.
Cet assaut avait fait sensation ; les per-
sonnes de la cour qui y avaient assiste en
avaient si bien parle, que le bruît en arriva
jusqu^aux oreilles du roi: il voulut voiries
sauteurs de Nicolet, et l'intendant des
menus plaisirs donna, q.uelques jours après
au directeur de la troupe Tordre de se
rendre à Saint-Germain, ou la cour se trou-
vait alors; recommandation expresse fut
faite à Lalannè àe ne pas manquer de s'y
trouver.
M. Nicolet s'empressa de déférer à un
ordre qui le flattait infiniment, et au jour
indique II partit pour Saint-Germain avec
tout son monde.
Il était impossible de voir une réunion
plus brillante que celle offerte par la salle
de 'Spectacle; il suffisait quje Tidée vînt du
roi que toute la cour, s'empressât de témoi-
Sner par sa présence combien cette idée
e sa majesté avait été heureuse.
Et en effet personne ne fut mécontent
de sa soirée! dire- qu'elle fut plus forte et
plus surprenante que celle donnée au bâu-
149
levart le jour de l'assaut , serait inexaet ;
mais elle ne lai céda en rien: le lieu, la
eompositfoD dé la salle, les recommendations
faites à mains jointes par M. Nieolet h tous
ses g^ens de se surpksser, avaient stimulé
eeux-ci à un tel point qu'enfin ils firent
merveilles, raasemUée tout entière témoigna
sa satisfaction d'une manière non équivoque :
tuais, le roi surtout avait paru prendre an
plaisir extrême à ce divertissement, et quel-
Iues laoments aviint de se retirer, il or-
onna que Ton fit venir à sa loge un des
sauteurs qu il désigna.
C*était mon père.
Bien qu*il ne fût pas des plus honteux,
flean Lalunne ne se sentit pas très à Taise,
^ loisqii'il se trouva en face du monarque;
cependant Texpressiop de bonté et de satis»
faction répandue sur la physionomie du
prinee le rassura un peu.
— Je suis content de toi, mon ami, lui
dit le roi avec la plus grande affabilité. •••
Comment te nommea-tu?
«— Sire. • . . Jean Lalanne. • • • dit
Naçarin,
— Navarin. . . . Pourquoi?
— Sire, je suis de là Navarre. • • • du
paya des ancêtres dci votre m.aje8té.
150
Très bien. • • • Je suis fort aise'^eTdir^
<que lès enfants âe ce fcoii |iàys de Navarre
n'ont pas dégéiiiBTé. • . .Eli bien! Je te ie
répète, je suis' ébntent dé toî; et je te
proclame aujodrd-hiii Naçarin le Famtux.'
En prononçant ces pai'olbs bfen flatteds'es
pour mon père, le roi lu! frappait amicale^
ment sur T épaule :i^Qîs 11 dît à M. Nicof etj^
^lîî $e "Renaît bespciet^ieiiâreirîèiiM; à la* porte.*:?
— Ht. Nicôlét, je im adëlâi iféiïH tëthdi^éis
ma sàtisfactléft, et je velijr encbuhiger vtftre
entreprise. . . . Je' vAiis autorisé^'* fttîrè
prendre dès ce jour à Vétre troU^e lé^tttre
de Premiers Danseurs du RoL *
M.'ïfîcolét se cortfoiidH*etl rebercîments ;
}e roi lui fit signé dé s'élof^néf. Miis son
enchantement, cat à <^ett'e époqde lafaTettif %
quf venait de lut être ac(iérdée poui^alt
avoîi' une grande îniSuéhee sur la prospérité
de son théâtre; dans soii eneKantement;
dt's-je, Nicblet ne voulut pas attendre son
retour à Pari&i pour que le public fût In-
strult de la nouvelle qualification qu'il étaft!
autorisé à prendre; il fit monter à cheval
un de ses hommes, et lui donna ordre
d'aller à toute bttde jusque ehez son im-
primeur, afin qu'il changeât la composition
de l'affiche du lendemain, et qu'il mît ea
151
tête .et en lettres de grande dfmemioii
Théâtre des Premiers Danseurs de Sa Majesté,
Le iendemai^i, toits les murs de Paris
étaient tapissés d'énormes pancartes, «n-
nançant le haut patronage sous lequel !•
théâtre de Nicolet venait d*étre placé.
Ce ^ sont ces divers incidents qui don*
neront lien à Tayenture dont mon bavar*;
tâage préliminaire vous fait peittfétre payer
un peu cher Uvcannalssanev, et dofit^ an
«urplus, le dépouillement des arcbives de
la monarchie, depuis Pbaramond jusqu'à
nos jours, n'offre certes rien de semblables
j'y arrive. .
Citiq à six jonrs après la représentati^i
donnée par AL Nicolet à Salnt-€l«rma!n de^
vaut la cour, un piqnenr du château. arriva
en toute hâte au théâtre des Danseurs niu Roi,
et demanda le difeeteur. Celui-ci ac0K)urnt
tout en émei de cette nouvelle visite^ à
Thonoeur de laquelle il ne s'attendait pas»
Il eut joie et . peur en même temps ; car il
pensa que c'était <|uelque nouvelle faveur
tti lui arrivait^ eu peut-être aussi le retrait
e celle qui lui avait été accordée tout
récemment. I9 ^
Il aborda donc l'envoyé de la maison du
roi. avec un saisissement qui lui fit éprouvev
3
152
devant le valet plus d'embarras que s*il
eût été en face du maître.
— Un inAve de la cour! dU avec impor^
tance le, piqueitr.
M. Nicolet ouvrit une lettre que loi pré-
senta rhomuie g^alonné, elle était du séeré-
taire particulier du comte d*Ai*tois: il était
enjoint à M. Nicolet denvoyer le lendemain
sans faute aux Tuileries, vers midi, le^sliu-
teur Lalanne, pour y recevoir des ordres
dont la lettre ne désignait pas la nature.
Nicolet protesta de son obéissance à
l'injonction du secrétaire de laltesse royale;
mais il parut craindre de ne pouvoir trou-
ver mon père danà la journée, car il n'était
pas de la représentation de ce soir, et il
demeurait au faubourg Saint-Gemialn. Eu
effet, dans ses jours de relâche, Jean La«<
lanne me prenait sur ses Epaules, donnait
le bras à ma mère, et nous menait aux
environs de Paris, dîner chez quelques
traiteurs renommés: c étaient nos grands
jours de plaisirs. Il était presque certain
que m9n père profiterait de sou congé de
vingt^uatre heures pour s'absenter jusou au
lendemain; il y avait donc urgence de le
prévenir, et Ml Nicolet engagea le piqueur,
qui avait à sa disposition un cheval exr
153
cellent) à preodre la peine de .courir ruû
Mazarine où logeait sou peusionnaire. Le
piqueur ne se le fit pas- dire deux fois; il
sa prit à arpenter la ville de toute la
vitesse de son clieval, et Ton eût vraiment
pu croire en le voyant ainsi courir et en
entendant, les gan foudroyants dont il ba-
layait la route y tout en jetant de temps à
antre la plupart de ceux, qu'il rencontrait
dans le ruisseau^ou sur un étalage de
boutique, on eût cru, dis*ie, q«'il s'agissait
de porter k quelque souverain la .non vielle
de la mort d'un autre, souverain, ou bien
une déclaration de guerre, voire même*
rannonce d'une cqnfl^ration générale: le
fait est qu'il y avait en cette affairé cbosé
à ne pas plaisanter ; c'était un caprice ,
une fantaisie de* prince à satisfaire, et sou-
vent il ne faut pas d'avantage pour mettre
eé révolution tout un empire*
Mon père était moins .connu dans son
modeste réduit de la rue Majcarine qu'à
Versailles ou à Saint**Germain. Le piqueur
eut assez de peine à le trouver ; la rechercbe
Iu'il fit  toutes les portes causa une sorte
'émeute dans le quartier. Enfin il dénicha
mon père à son oinqiiième étage.
. — Le fameux Navarin., dit rhonime ga*
154
lonaé, frappant rudement à la porte , le
fameux Navarin, est-ce îcil . . «
— Entrez, dit mon père, aasez surpris
dé la visite. • • • <• ttu*y a-t-il pour votre
service?
— Un ordre du cabinet particulier de
mottsëigneur le comte d*Ârtois. . • •
^>-— Ah! fit mon père. • ^ . ah!
• -^ Uses, et vite. . .
.'Moff-pére lut, en outre de la lettré re-^
iniae a *M. Nîçolet, un mot particulier pour
Inl^daais. le^uet il lui élait enjoint de se
imnifr^ en se rendant au palais, de tout
I attirail nécessaire pour une danse de corde*
Mon^ père fit observer au plqiieur ^ne là
èfttts^' de: c6rde n'était pas son affaire à lai^'
el qiie bien' qu'il en cotfnnt les ' principes
et «fU^il fût capable de les démontref, il
rétalt fort peu de les exécuter.
— - Je n'ai pas à entrer dans ce détail,
dit le piqueur, . . . vous voyez les ordres. • •
ma commission est faite. . . Je ne vons
engage pas à vods refuser à ce que loa
exige de vous. • . car nous, ne plaisantons
jamais, nous autres hommes de* cour, quand
II s'agit de nos volontés. . • Je dirai que
vous serez à l'heure indiquée su château*
— J'y serai, . . . jy serai, reprit mou
»5
l^ère, et je me minfirai dé tout ce qaé cette
note me prescrit de prendre avec moi.
— Très-bieii, M. Navàriti, et je penM
qne tous n'y perdrez pas v^tre temps • . •
je vais en toute iiâte porter votre repense
au secrétaire de sbn altesse. *
Après -'le départ* du piqaeurj ce furevt-
nrfllé cbmi«enta»re.^ su^ i'ondré'qtti' reiiAit)
d*é«re inthné'à nioh père^; luf sVtviéùt'éMt'
fèrt Inquiet dit* résultat de^ l'ateitture, > car'
il ne doutait pas qu'on «ie^tdéttaiiidàt pour)
faire preuve d'uii'tal'ent qttMlMJe' |>ossedaît
q^ë fort dfédioorefuentb* La vtoltige - sur 'la
c^rdë, je ne isffto pourquoi; Inl^avaittoûfours
ré^ug^né^ cependaitll» i^^«'y rà^àltfipkê fi^
hésiter: il prit bravement son parti,' éti
lè'lendemain^ il «rMltk^4iab# ltt:v6ittit^ qui
ciliitëMilt sdli Matl^i^ail^ac^bblîtiqtie et 11 -se^
dirigea vers le château. ^ '
Il n*y avait alors aux Tailerles que que^
qnes officiers et quelques domestiuues qui
y restaient pendant l'absence de la cour.
Tous Ignoraient le motif de la visite de
mon père^ mais lis avaient reçu des instmc**
tiens, et on' conduisit le fomeuic Navarlu'
dans une grande salle du pavillon Marsan^
où Ton apporta tout ce qu'il avait entasse
dans sa voiture.
158
Od lui enjoignit de dresser son équipage
de voltige et de le tenir prêt pour Vinstanl;
on on lui eujoindralt d en faire usage.
Tandis que le «fameux Nnvarln proeédait
k eea importante préparatifs, le bruit d'une
Voiture et de quelques cavaliers, qui en-
traient avec fipacas dans les cours, se. fit
entendre; nui testant, api'ès des. éfàata de
rire Jbruyants partifent dune .salle ^voisine,'
les d^nx battante .de. la porte s ouvrirent^
«ree forde, eâ un «page cria:
<— Monseigneur le conte d'Artois !
)Le priooe« «entra, la-ereviielie à la Biain«
Trois ou quatre jeunea seigneurs l'aer>
oonpagnalentt; V^bhéi da>>.*.r*'*./était de tmj
|Wti0< ■ . . .* M' '. y'- M. - "
•T- Je gage*, dW le privée ;en, s'adres9*nt!
k iiiO[n'pè«e, j^ g«g<»9 Nay«rîn, que toul^
fameux que tu sois , tu ne devinerais paa
en cent mille pourquoi je t'ai fait venir. ^
•^ Monseigneur • • • je crois ... je
suppose . « •
— Oj«i^ tp crois ... tq supposes . . •
C'est eemoi0 . l'abbé que tu vols et à qui
j'.ai fait hir même demande et qui en est
resté tout; béant! • • .
— Oh! miDtPSfeineur , dit Tabbé . •
— Allons, l'abbé, n'allez^vens pa9 JQuer
157
ici rétonnement ? et, morblea, je sais en
train de rire aojourdliui ... je me sens
an cerveau une chaleur toute particulîère. . .
— En éfFet, monseigneur semblait avoir
copieusement déjeuné.
— Oui, continU(Vt-iI , en s'adressant de
Moiiveaii à mon père, TalAé à qui j'ai fait
la demande que ^ je viens ée t'adresser ii*a
jamais pu y répondre, .... et cependant,
j'ai eru un moment qu*il me tenait, quand
je lui ai entendu me pairlér de saint Simon
Styllte . . . tn sais, celui qui s^st tena
pendant dix-sept ans, je crois, sur une
seule. jambe, en haut d'une colonne, sans
avaler -une goutte deau. . . Il y avait biea
quelque rapport entre cela et mon projet^
sauf les dix-sept ans et le jeûne qui né
miraient pas du tout . . . mais ebfin il y
avait bien quelque rsipport ... £h bien,
voyons, Navarin, devines-tu? . . .-
— Mon Dieu, monseigneur, je n'fciî pensé
et je ne pense autre chose ainon que votre
altesse a eu de moi comme acrobate line
opinion que je ne justifierai sfii'eb^fit -pas.
— Tu n'y «st pas, Nhvkrîn; '«te ^ë#t 'tdiil
aussi obtus que Tabbé . . . "tti 'àut^itrli fkft
un excellent théologien. — 9'ay«fs <ponrtiiiit
meilleure opinion de toi. . « . f^ll(>ns doue,
158
Navarifli, voyons! encore un eSt^ diinagi*
.nation • . • tu ne. devines pas . • •
Mon père s'étitit frotté le front c^ s'était
pris à penser qu'il serait fort bonorabfe
Iiour lui de damer le pion à un abbé sous
e rapport de la perspicacité, et il lui était
passé à travei*s .la tête une pensée des
plus singulières,^ mais qu'il n'aurait jamais
iDsé exprimer . . . cependant, lorsqu'il en
fut frappé, il fit un mouvemjent et- .une ex*
elamation qui n'échappèrent pas au prince.
— Vous allez Voir que Navarin a dfev.iné,
s*ècria-t-il • . . Âllobs, Navarin, purle. . .
^ — Monseigneur ... excusez-moi • . .
je vous en supplie * . • non,, je n'ai • . .
je n'ai rien deviné ...
— Je te dis qu^ si . « . mol . • .
. — Je n*oserai jamais dire • .^ • à son
altesse ce qui ... ce que . . •
— Dis . . . dis • • . je te permets toutes
les extrav^ances • possibles : en {areflles
affaires j'aurais, tort de faire le fier . . « .
£b! bien . • .
— Eb! bien • . . je croîs . • ►et je prîe
monseigneur, de m'excuser . • . je crois
que son altesse veut . . ; . désire • . i faire
un essai ... * enfin — ^
— L'abbé, cria te prince en battant des
150
matns , l'abbé , tu es battu . • • je t'ôte la
feuille des^ bénéfices et je la donne au
Navarin ... et je gage que Je sauteur u'en
fera pas plus mauvais usage que le prélat. ••
Oui, mou Navarin, oui, tu as deviné juste. «•
j« veux faire un essai ... je veux ap-
prendre à danser sur la corde • . . je t'ai
choisi pour mon précepteur . . • et il faut
quavant peu tou élève te fasse autant et
plus d'honneur qu'il n'en a fait au gôuver*
iieur des enfanta de France .... Âllonsf
commençons.
Quoique mon père eut vj*aiment pensé
quelque chose de semblable, néanmoins il
resta presque aussi confondu de la pro-
position que le prélat Tétait de la plaisan-
terie dont le prince venait de le prendra
pour .plastcon. Cependant comme l'altesse
parlait très -sérieusement, mon père .sur-
monta son étonnement.et se disposa à obéir.
.— Procédons par ordre, dit le prince;
je veux avant de me servir de tout ceci,
en connaître le nom et la propriété. . .
Comment d'abord nommes -tu ces grands
lÂtons qui supportent la corde dans toute
l'étendue que parcourt le danseur?
— Monseigneur, ce sont des croisés.
— Bien»
160
— Et cecîf *
— Des pispannes, monseig^nevr.
— E4 ceci encore!
-^ Ce sont les moafles avec lesquels on
teiid la eorde.
Bref 9 fl fallut tout décrire à monsefg^neur.
Puis la leçon conoiença: mon père fut
étonné de l'aplomb et de l'adresse que le
comte d'Ârtofs mit dans cette première
épreuve: les assistants n'enreat pas besoin
d être courtisans en cette occasion pour
dire au prince quMl avait vraiment fait
preuve des plus heureuses, dispositions.
Enchauté du succès obtenu à sa première
léçou, le comte d'Artois ne voulut pas
rester en aussi beau chemin, et chaque
jour mon père se rendait aux Tuileries
pour y exercer son royal élève : mais bien-
tôt, je ne sais plus par qifeHe «raison', le
prince ne vint plus à Paris, U fallut que
son précepteur se tendit à VorMlUéa, o&
le comte fit des merv^Hles dlins l'art acro-
batique, tttiit et si bien qu'au bout de douze
le^otis 11 passait un 'six avec uiie admirable
'préofsiob ^t tfn ^Icrmb que les vétérans
de la partie ont à* peine.
Un jour, tandis qnil était dans le feu
de la composition, le comte de Provence,
w
depuis Louis XYIII, entra par hasard dans
la salle oii le prince son frère prenait leçon.
Il io;i]orait cette, nouvelle fantaisie !
-^ Mon pauvre d'Artois, lui dit- il, je te
c/ôyais bjen capable de toutes'les folies et
de toutes les extrava^anœs ima«^iaables,
mais je n'aurais jan>ais deviné celle- cî.
— Oh! oli! l'homme profond, l'homme
de science, répliqua le prince sans quitter
le balancier ... oh! oh! si je fais un entre-
chat on une. voUe, je les fais moi-même,
entendez - vous ... je n'en charge pas mon
secrétaire.
On sait que les médisants attribuaient à
N..., secrétaire du. comte de Provence, les
travaux littéraires de ce dernier, auquel,
disait -on encore, il faisait faire chaque
jour la répétition des matières scientifiques
qu^'l devait traiter le soir au cercle de la
cour ou dans quelque réunion particulière:
aussi M. de Provence se retira -t- il piqué
de la réplique et haussant les épaules de pitié.
Tout cela n'empêcha pas que le comte
d'Artois ne devînt en fort peu de temps d/une
très -jolie force sur la corde, et je me
rappelle que plus tard, lorsque je tentai
mes premiers essais y mon père me disait:
— Ma chère fUle, je ne te souhaite qu'une
LXXXV. U '
162
chose pour faire ton chemin dTftns la partie
que tu veux prendre ^ 6*est une famhe aussi
brillante que celle du comte d'Artoiar alor»
je répondrai de ta fortune.
En ce moment ia4)résence de ma eonleuffè
devint nécessalVe au théâtre, et notre con-
versation en demeura là': je pris congé cTe
THIustre funambule, qui m'assig^na un autre
rendez -vous auquel je me gardai bien dé
manquer et où je recueillis , ainsi que dan»
quelques autres séances, plusieurs anecdotes
du genre ^e celle que je viens d'écrire, et
qui me parurent d autant plus piquantes que
la vérité historique y était consciencieuse-
ment et religieusement observée,
S. MACAIRE^
LA RUE SAINT -ÏÏÂCftUES.
II y a des hommes et des mes que je
confonds volontiers ensemble. Rochon de
Chabannes et Fenouiilot de Falbaire , par
eiempie, sont deux noms qui adhèrent si
fort l'un à lautre dans ma pensée, que je
me suis habitué dès long; -temps à n'en faite
Îu'un. Dorât -Cubières et André Murville,
luymond de la Touche et La Grange- Chandel
produisent sur moi un effet analogue, effet
qu'ils produisent également sur plusieurs,
et qui consiste à nous navrer du sentiment
lé plus complet d'impuissance et de média*
crité qui se puisse concevoir après une
lecture assidue des Œuvres choisies de ces
>nessîeurs\r — Pareillemei.:., il m'est arrivé,
à certains jours , d'accoupler , d'amatgamer
des rues toutes diverses, des quartiers tout
dissemblables , de prendre Tun pour l'autre
11 ♦
164
de m'eng^ager dans iel défilé de bicoques et
de maisons, pei'suadé qi^e je suivais une
voie sinon trèar.disfanta ' Ja Heu où je me
trouvais, du nioîris assez* éloignée pour devoir
être à Tabri de-»^iA||^abIes'i;onfu8ions. C'est
ainsi que plus à'fni voy^ageur distrait se jette
en fiacre, préoccupé -dlune affaire qui l'ap-
pelle à la ^barrière de TEtoile , et se fait
èoffduire tout d'abord à la barrière du Tronc'.
Plus ordinairement on confond les portes
Saint- Denis et Saint -Martin, les passages
Vivîenne et Colbert^ les quartiers de TOb-
servatoîre et du Luxembourg, les faubourgs
Poîssoivnîère et Montmartre, les boulévarts
du Temple et Beaumarcbais; les rues sur-
tout: les rues Neuve- Saint- Augustin , des
yieûx- Augustins, des Gr^iidéi et Petits -
Augustins ; — Neuve - des - Petits " Champs^
fcroix - des TPétîts - Champs ^ Notre - Dame -
des- Champs j -— et aussi les grandes rûe^
parallèle^ ou attachées' bout à bout; lès
jgrandes artères de Paris, les maîtresses
rues : Saint - Honoré , , de là Ferronnerie,
IWpntmartre , Poissonnière, Saint- Denis,
*Saint- Martin, du Temple, du Colombier,
Jacob, de l'Université,, — de Lîlïe,.— àè
Setuc, de Tourfiôn , — Saint- Jacques, <fe
la Harpe, d'Eufer., etc., etc., eic.
165
X
Ces trois dernières raes sont celles dont
rhombfeéïiéité me frappe, le plus. Toutes
trois latines, \\\antea, bruyantes, et. saies
toutes trois ) elles participent Tune de 1 autre
par quelques grands traits de ressemblauee,
dont voîci les principaux:
La rue de la Harpe eommence au pont
Saint- Michel, eamme la rue Saint- J.acque8
ftù PeHt-Pont. Elle aboutit à la place
Saint -Michel, où «coinmence la rue d'Enfer.
La place Satot-Michel est donc le point
central, la halte, le carrefour où arrive la
Tue de la Harpe, d'où sert va la rue d'Enfer,
et près duquel passe, sans s'arrêter, la rue
Saint- Jacques, quia un collège, epaittie la
rue de la Harpe, et un hospice de la Ma-
ternité, comme ^a rue d'Enfer. *)
Il y a une seule sorte de peuple poiii* obb
trois r^ies: peuple- de gri$ettes, peupla
d'étudiants, peuple de petits r-entîers. Les
uns ont leur rendez -vous* tout trouvé a :1a
Chaumière. Les deruifers ont le Icui* fix4.
*) Ceci n'est point exaet quant à l'èxpressrôn littér»if .
L^ftuteur a $ans doute voulu dési^iier,- ]vxt analoi^if,
^QUS ces mots : Hospice de la 'Maternité, PétablisseQ^ent
Ali de V Enfant - Jésus ou des Enfants - Trouvés , qui ^e
trouve eff»*ctivement situé rue d'Enfer, aux approchea
de t'Obscfvatoire, (Note de i.'ëj»itbur.}
166
de temps immëmorla), surl'esplaiiftde plantée
d*arbres qni sépara l'Observatoire duLuxenir
bourgs; lieu consacré, comme; ie terraiq de
la Paume aux Champs-Elysées^ lieu de
choix, lieu d^élection, oà s'agite le vénérable
cochonnet^ cette providence des petits rentiers,
des invalides et des vieux employés: trois
catégories de personnes fort récréatives, et
que nous vous l'ecommandons , nous autres
observateurs, comme naturellement portées
vers les plaisirs les moins chers et les plus^
vertueux.
Un élève en droit qui nen est encore
qu'à sa première inscription , demeure habi-
tuellement rue de la Harpe, au quatrième
étage. C'est là du moins que le logent
tous les faiseurs de comédies- vaudevilles
et de tableaux de mœurs qui se sont avisés
de voyager, lorgnon en main, dans le tor-
tueux dédale du quartier latin, depuis tantôt
vingt ans que les ermites pullulent et que
les mœurs s'en vont. Le quatrième étage
et le restaurant Flîcoteaux sont de rigueur
chez ces messieurs. Toutefois il convient
d'apporter quelques exceptions à ces règles
absolues, devenues formules invariables dans
la bouche, de tant de fius observateurs. Si
la rue de la Harpe est 1^ séjour obligé de
i6f
tout ëtudiaut qui n'en est .^u a* ftft })réttilére
inscription, , la rue Saint- Jacques est lé
séjour probable de celui qui s'apprête à
passer son second examen, et je ne répondrais
pas que tes zélés et studieux travailleurs
qui aiment à feuilleter leur code dès le matin,
sous les ombrao;es frais du Luxembourg, ne
vinssent, depuis quelques années, se Joger
rue d'Enfer, pour ^ê préparer à leur licence*
II y a une échelle progressive dans ces
déménagements de Tétudlant. C'est d abord
un provincial, tout essoufflé, qui se loge au
liasard dans la première chambre venue, et
sur la foi de ceux qui lui ont indiqué la rue
de la Harpe ^ comme une cour des Miracles
spéciale, à Tusage des étudiants, il demeure,
là quelque temps, insoucieux des délicatesses
de la vie, inhabile à exister, priv^ du jour
par la maison en face, assourdi par les
clameurs du dehors, attristé par la malpropreté
du dedans, perdu dans les ténèbres de son
allée, dans les ténèbres de son escalier,
da.ns les ténèbres de son corridor; ^cla«
boussé quand il rentre, éclaboussé quand
il sort, éclaboussé partout, et toujours dans
cette fatale longueur de la rue de la Harpe,
ou son mauvais ange a voulu qu'il logeât
au débotté des messageries Laffitte et
lise
OjiînarJ.»-^ Uo'jotir", s^a blaucMs^euse de
fin hasardé titré' observation, qni est aocueîltîe
avec empressement; et voilà notre étudiant
passionné pour la vue des jardins et le bon
air. 11 loue une belle chambre, bien aérée,-
rue Saint- Jacques , vers le ha^t, dans la
nlâison de' i?a blaiichi^seuse de fin. " Cesit
toujours unquatri'èm'ej c*iest même nn cin-
Îuîéme; mais il doniié sûr des jardlnîs^»
Totrc étudiant est fo'è 9éi jàMfns, il aime
la béiie nature;' il paàse en ce lieu soin
second examen. C'est un travail leur /nous
Favons dît; c'est un homme ran^é.
Lii seconde épreuve schôîaire passé jtj
se brouille avec sa. blaiichi^seqse de fin,
et aspire. î^ descendre' vers les étages iit-
féViénns. ' La rué" S'afnt- Jacques a bienÉ^e*^
inco'nvéuîèiits*: c*ést poj^uïeux, c'est bruyant,
c'est sale par endroits. On y est éclaboussé
{iresque aussi souvent que dans la rue de
a Harpe; on y est arrêté, comme dans la ^
rof de' la Harpe,' par d'interminables files
4*écolieviS qui vont fiiuivVe les répétitions du
èoliéje Louis - le- Graitd. Chaquç dlinaricfhe
«oîr'attffe desf ba'nîires , et p^'ômèné dânii
toute la langueur de la rné, en suivant là
Sente du ruisseau, utie processionnelle bohne
'ivrognes, mâleâ et femelles 9 qui hurlent
& faire trembler ïcs vitres^ et chantent à
îiilve grincer les dents. Ces inconvénîéuts
sôné graves, combine vous voyez. L^étudfant
n'y tient plus et donne congé. Où ira -t -il?,..
Hé! mon l>ieu, rue d^Enfer, près des
Chartreux, près de Hiôtel des Mines, près
de M. de Cliâteaiibrîand. — Là, fpour luî^
de Iong4ies heures de silence laborieux et
d*ëtudes contemplatives, de l'adieuses ma-
tîliëes passées devant une fenêtre ouverte^
de sentimentales promenades sous les massifs
verdoyants du Luxembourg. Arrivé là, notre
Îe4ine provincial n'a plus de souhaits à former.
1 jouit de tout le bien-être qu il cherchait;
il est logé^ il est heureux. Sous huit jours
t1 aura une maîtresse; sous trois semaines
il sera licencié.
N6us n'avons pu nous dispenser de jeter
un coup d'oeil général* sur le quartier latin
. aTant d'en venir à l'objet spécial de ce
chapitre. 11 nous a semblé que la rue Saint r
Jacques ne 'pouvait guère s'isoler de ses
grandes voièlnes, sar.s perdre elle-même
qiielqiie peu de l'intérêt qui se rattache î
soA nom. L'histoire d'une rue est oi^dinaN
rement celle de tout un 'quartier, cotn'mè
Vhistoire d'une nation est généralement celle
de tout uu monde ; comme rhistoirQ d'un
no
Homme est quelquefois celle de^toute une
nation. 11 nous était iippo.ssiI>le d'arriver
i.Ia rue Saint- Jacques sans passer par la
rue de la Harpe, sans touclier à la rue
d*£nfer. C'est ainsi qu'on ne pourrait écrire
les fastes, militaires de Napoléon sans ra-
conter les annales des peuples qu'il a vaincus
et des rois qu'il a détrônés.
Si cependant nous nous attachons à pro-
mener nos lecteurs dans cette rue Saint -
Jacques, que nous avons choisie pour texte
spécial de nos observations, il faudra, sùi*
Tant Tordre des déductions logiques, nous
placer à. la tcte de ce Petit- Pont ^ d'où l'on
embrasse les myriades de fenêtres qui per*
cent à jour THôtel-Dieu, cette vieille maison
de misère et de secours, cette. laide con-
struction accroupie sur Teau, au pied des
grandes tours de IVotre - Dame, X'Bôtèl- Dieu.
fîté en cet eqdroit comme un pauvre af6ig;e
e lèpre, y corrompt Tair avec ses mille
baleines maladives^ y corrompt Veau avec
ses immondices jetées le soir par toutes
les fenêtres^, y attriste le regard , avec ses
baves couples de malades, qui procession-
aent éternellement le long des parapets, et
se collent le visage aux barreaux des grandes
;saUeS| pour respirer les miasmes humides
ITl
4u petit bras de Seine où Tédifice honteut
trempe sea piefis verts. En- deçà du Petit-
Poiit s*éLevait autrefois le petit Châtelet^
qui foroiait comoie la porte de notre rue
Saint- Jacques. Maintenant la perspective
est nue : le regard se prolonge sans obstacle
dans les sinueuses profondeurs de cette rue^
qui commence k riiotel-Dieu, s'arrête à la
Bourbe^ deviei^t faubourg aux Capucins, et
se termine à ta place des Exécutions: réu*
nissant ainsi, à elle seule, quatre grandes
misères, dont la dernière, sinon Ta plus
grande, est à ses pieds.
Je sais une pauvre jeune femme du peuple^
qui parcourut lentement cette fatale rue
dans tonte sa longueur, et qui laissa sa
tête au bout. Elle était sortie de rHôtèl-
Dieu, s était arrêtée dXbord quelque temps
à la Bourbe, puis à Thospice du Midi, la
malheureuse!... puis, enfin, elle avait passé
outre, et ne s'était arrêtée qu'à la demi-
lune que forme le boulevart eu- deçà de la
barrière d'Arcueil. Là, un homme de justice
Pavait saisie ^ Tavait liée... — Aujourd'hui,
elle dort à Clamart, et les phrénologiste^
eut moulé son crâne pour en orner leurs
cabinets. — Passons.
(iors^u on coniniençe à s*euo;açer dans U
ira
rue, du côté du t^ctît-'Pont, on èie trdure
en. face d'un assez vaste niag^asiti de nou-»
veautés qui foruie Tangle de la rue de la
Huehette. C*est là (][u'étaît assis autrefois
le vénérable établissement de M. Tlg-cr,
y^le Pilier Littéraire,*^ officine consacrée où se
confectionnaient, .de temps immémorial,. &
double Almanach liégeois y Falmanach de Parla,
celui de Rouen , les populaires histoires de
Cartouche et Mandrip. et Jes Songes et dîvi*
nations de la petite Eiteilla, — A quelque
distance de remplacement qu'occupait le
classique Pilier,, se voit encore une petite
boutique noîre et enfumée, surmontée dé
cette enseigne presque Indéchiffrable de vé-
tusté :. — „ Aux ASSOCiÉsiDemoraine et Thébaud,
y^lihraires. Magasin d Almanachs en tous genres^
^Eucofoges, Cantiques et paroissiens,^^ — Heureux
établissements que ceux-là!... Heureux
M. Tîger! Heureux M. Demoraine! — C'est
là , c'est dans ce Iaboriitoi\;e mystérieux que
Tiennent les mamans, les enfants du quartier,
leâ bonnes et les orgues de Barbarie, pour
fie fournir de prières', de calendriers et de
chansons. C'est là que , Béranger trouve
mille adversaires , et M. Emile de Girardin,^
un vieux et redoutable rival pour son Journal
Connaissances utiles, ^ francs par en ! — O De-
173
moraine! ô Tîgei^î couple d'athlètes ! couple
d'aïeux !, éternel honneur de la petite li}jr«iiiie
et du Petit- Pont! votre boutique^ tyute
i^ambre, toute, étroite .qu'elle est, rit.plirt
à mes yeux que tous les vitragejs à p^nu.ea,ux
doré« dont shabîllsntles.yffnitcuses lH>t;aU'^s
du Palais -Royal: ,. ' .
Ille tcrranim miliî practer piiines
Aagulus ri(1ct«. .
Il y a, dans la luênoe ru^, a» coiii de
celle ^ des Mathurins, tme outre boMiqUe
célèbre par sein ancienneté : C'est celle de M*
Basset, marchand d estampes, lequel €»t
fort renommé pour ses images de saints et
• saintes. coloriées, à l'usage des catéchismes,
pour ses grairdes têtes d*étu,de, ses. damiers
pbloDais et ses jeui:;d'«i«. . M, Loui« Ja^n^et
Tient eu r^ard qui .>a|»puiet lias vouiQ^ de
«ion spacieux* magasjîil sur deux- eolonne^; wi
peu vieilles, mais tfîébrauVaU^s tolites 4qui^:
. — M. Bottiîlly et le Joiu* dedans ,
Avançons toujours eli donnons un re$|^ard
à eette. fontaine qui lâ^e t'eiic^iguure de la
rue Saint -^Severtn, et dOnt 1a' igVJ^cieu^e
:în^cri;pti<in exerdeisi utilement p^urfle^mqnde
lettré l'infatigable . sagacUé dîe$ iKHiUulifs
d'eau: : • j-*..:. f
7 ■<
174
Du m scandant juga montjs anb.clo pcctore n3rinphftey
Hic uiia e sociis, Tallis aiiitore, scdet.
Un peu après , sur notre droite, s*ouvre
remboucliurè de iii'rue du Foin, oii se volt
encore la maison de la relue Blanche; puis,
a gsujche, se déploie la place Cambray,
vis -à- vis l<î cloître Saint -Benoit, trans-
formé eu théâtre depuis tantôt deux ans. — *
Scandale et barbarie ! — Aux prières du
choeur ont succédé les fions -fions de la
farce, aux graves travaux des relig^leux
bénédictins les vaudevilles de M. Charles
et de M. Sainte- Aure, et les dramespa*
triotiques de M. Sauvagfe ! Mais, comme
pour racheter ce misérable contraste et nous
tenir lieu des vieux bénédictins qui ne sont
plus, à quelques pas de ce cloître souillé,
où dort encore Pascal , assourdi par les
odieux piétinements de» claqneups, un autre
refuge 8 0uvi*e aux lettres et aux sciences,
qui, fondé par François I<^, s'est perpétué
i*u8qu'à nous avec un éclat toujours croissant.
liTous vouloAs parler du Collège de France,
où pt'ofesse aujourd'hui Lerminier, où dé-
montre Théuârd , où causait hier Andi ienx.
Si \o\xvk passez avec moi sans vous arrêter
d^vatit tanrieiine Faenlté de théologie,
maintenant ÈcoU nonnak; si vous ps^rveiiez
175
i percer la fuule- d^écoliers qui enconilir»
en ce moment les approches du collègue
Louis -le -Grand; si vous résistez surtout à
la tentation de bouquiner dans la petite rue
des Grès, tout encombrée de petits libraires
et de petits relieurs ;. après Vous être dé-
tourné un instant vers la rue des Cordiers,
où, Jean - Jacques fit la connaissance de
Tbérèse , vous verrez se découper tout à
coup , à votre gauche , un grand espace
inondé de lumière: c'est la rue Soufflot,
qui forme l'avenue du Pantltéon.
^izarre j)euple que nous sommes î lions
aVionsde beaux temples d*arcliite(fture païenne
qui ne sont bons à rien et dont nous faisons
tour à tour des églises pour le Seigneur
Dieu, des tombeaux pour nos grands hommes,
des annales de pierre pour les morts de
nos grandes semaines, des nids à drapeaux,
des parthénons, des propylées, que sais -je!
— La Madeleine et le Panthéon : qne vous
semble de ces deux édifices? Ne voilà -t- il
as des masses de pierre bien irrévocablement
aptfsées! La Madeleine, qui ressemble à
«ne bourse , qui devait être un temple , et
qui sera, je pense, «ne église ! I^e Panthéon,
qni s'appelait Saint- Genevièv'e,' qui a tu
1 apothéose de Voltaire et de Màrat, qui
{
r'
176
8*est baissé barbouiller et restituer à plusieurs
reprises sa fameuse Inscription frontale:
^^^ÂCX GRANpS HOMMES LA PATRIE I^ECONNAIS*
^SANT£;" qui a yu tmirbiVionu^er. 1 çoiéut^
j^(isque . sous sa, qoup^ole , lors .de. Tii^augu-
rati.(^u populaire, des bustes en plâtre ae
Manuel, F^y pt Ëenjaaiiu-Cou^tant/ cette
inséparable trînité d'orateurs; le t^anthéoh
dont un échafaudage nouveau couvre éter-
.nell émeut la face si sou veut sillonnée et
regtattée par. la grosse maiu brutale des
révolutious : le Paf théop , dis-je., ne ^ous
pi^rait-il j^as comme à moi unç immense
bâtisse bien byl^ride,, bien hétéroclite ,,1^^n
prête à se laisser faire par le premier règ'ne,
par le premier culte venu? N'est-ce pas
là, comme la Madeleine, un bien commode
passe * partout pour tous les $u|ets de vous-
sures et de frontons qu'il plaira aux puissants
d'inventer et aux arçliitectes de dessiner
'pour une postérité de quelques mois^ d^e
quelques années peut-être!.,. — Hél^s!
bêlas ! il y a des choses peu stables en ce
monde: à savoir les trônes, les monuments
expiatoires et les frontons.
Pi^rlez-.moi jde ceci au.moius. Voilà qpi
est stable! Une église,^ une petite é^Ii^j»
6i|ccursUle: do Salut - Ètieu^ne t 4u- Mont:
177
Saint'^qués-du-haut-Pas, qni a poar voisins,
à sa gauche, le couveat de dames de Sainte-
Marie de Miséricorde; à sa droite, l'étab-
lissement des Sourds- MaetB et la mairie
du XII49 an*0ndissement ; — ancien hêpital,
ancienne église paroissiale; sainte maison
que fondèrent les frères hospitaliers de
Saint-Jaeques-du-Haut-Pas , venns dltalie
vers le miliea da XIV^ siècle avec le signe
sacré du iau empreint sur leurs habits, pour
dtre , chanter et célébrer ù haute vûix , et avec chants,
les ùffices divins'^ — chapelle qui devint une
église en 156A, et dont les ouvriers carriers
fournirent -gratuitement les daUes , tandis
que les ouvriers maçons eonisacraient de
leur côté, à son achèvement, un jour de
travail par semaine, et «tonnaient ainsi le
dernier exemple de ee zèle pieux. qui poussa
si long-temps la dévotion des peuples à la
construction des églises. — Voilà, vous
dirais -je encore, au risq;iie de me repéter,
veil qui est stable, immuable, Indépendant
des petites bourrasques populaires et des
gros caprices d^aTchiteete ; voilà qui n'a pas
de fronton grec, pas d'inscription française,
pas de cendre voltairieiiBe à disputer, à
conserver. Un astrenome, un euré: Domi-
nique Cassini et Jeào Desmoulins sont les
LXXXV. 12
178
seuls hôtes qui dorment à Sainte: Jacqaes^do*
OHaut-Pas. j!ilais quelle révolntion songe
an coré Desmoulins? quelle émeate s'occupe
de Tastronome Cassinii
Sur remplacement de l'ancienne maison
des frères hospitaliers, démolie en 1823 ^
on'a bâti Vipstitution des Sourds r Muets.
Ce serait ici ' Toccasion de vous parler
de Fabbé de rÉpée, de Tabbé Sieard, de
M. Paulmier, que vous connaissez pour
avoir lu de lui un article sur les Smirâs-
Muets dans le troisièdie tome du présent
livre des CeiU^^t'Un. Mais je crois plus
expeditif et moins pédant de vous renvoyer
à Tarticle en. question, lequel est écrit ex-^
professa et renferme une multitude de choses
qu'il 'me serait impossible de reproduire
brièvement ici. Nous passerons, s'il vous
plaît, sans nous arrêter, devant l'institution
des Sourds - Muets,
Aussi bien j'apperçois d'ici l'impasse des
Feuillantines, où grandit, au milieu d'études
fortes et sévères, la jeunesse laborieuse de
Victor Hugo. Le poète, nous a lui-même
raconté depuis: ^
. « « • comment , aax Feuillantines ,
Jadis tintcûent pour lui les clpches argreiitînês;
Comment; jeune et sauvage 9 errait sa liberté;
179
Et <)u'à dix an8> parfois, resté'senl à la bniAe,
Rêveur, ses yeux cherchaient les deux yeux de la hmo
Comnie la fleur qui s'ouvre aux tièdes nuits d'été,
Uoe fontaine surmontée d*ane figure de
Vierge, se dresse peu après devant nous,
jiVLV notre droite, et nous avertit que nous
approchons du Val- de -Grâce.
• Certes, Molière ne se doutait guère,
lorsqu'il écrivait en Tlionneur de Mignard
son poëme sur la gloire du V ai -de -Grâce;
il ne se doutait guère Poquelin, que les
peintures de son clier Mignard n'orneraient
uii jour qu'un hôpital naîlitaire assez sale
d'aspect, et relégué vilainement par l'in-
différence publique au fond d'une sale rue
et sur les confina d'un misérable faubourg,
à deux pas de la Bourbe et des Capucins.
Telle est aujourd'hui cependant la condition
du vieil édifice. On le regarde à peine,
en passant, pour lire, au travers de sa longue
grille en fer , cette inscription qui orne sa'
façade: „j£su nascenti, viRoiNia. matri/^
Une petite entrée latérale, ornée d'un dra-
peau tricolore, porte cette étiquette sur le
front: „ Val -de -Grâce: HôpUal „ Milliâire»^^
Au-dessus de tout cela un gros dôme gri-
sâtre, bien lourd, qui se voit de fort loin
en pleins champs, et dont la vue attristerait
12 »
180
Sflgnard lui-même, si Mignard vivait encore
pour exposer au procliaîn salon. .. — Voilà
toutes les qualités extérieures qui recom-
mandent le Val-de-6rftce à notre attentiour
Cet édifice est situé par les 359^168 uumeros
de là rue Sainte -Jacques (raiigée des chiffres
impairs). — Le faubourg commencé immé-
diatement après.
Que voua dirai -je du faubourg; Saint-
Jacques que vous ne sachiez déjà, ou que
je n'aie indiqué plus haut en '^ traitant des
généralités du quartier qui nous occupe !
A qui bon vous reparler de cette maison '
dé Maternité, de cet hospice du Midi, dont
les noms sont maKà prononcer, et qui
pourtant ont baptisé chacun une rue, comme
Dominique Cassfni a baptisé la sienne,
comme Soufflot et Servandoni ont baptisé
la leur? — Laissons de côté ces deux
attristantes masures auxquelles va succéder,
sur iiotrè gauche, le secourable hospice
Cwhin, ouvert à des afflictions d un ordre
nloitis honteux, refuge du pauvi^e qui souffre
et qui crie en implorant un reg'ard du bon
Dievi :•***„ Pauper clamavit, Et Dominus extaudmi
eutn,^^ — Ce dernier hôpital une fois passé,
nous ne rencontrerons plus d'hôpitaux, à
moins que vidus n'étendiez cette appellation
181
h Vancienne maison de «lanté du doctebr
Esqnirol, laquelle se trouve bien après
l'Observatoire, entre la célèbre pépinière
de M. Noisette , le Bon^ Jardinier, et 1«^ sinistre
Place dont nous avons parlé préoédeâiment,
et qui forme demi -lune sur les boulevarts,
en*deçà de la barrière d'Ârcueil , qui mèn«
à Mont -Souris.
Nous voici parvenus, votre patience
aidant, au terme de notre promenade lon-
gitudinale : terme fatal, nous Tavong dit,
pour plusieurs qui ont apporté ici leur tête
au eouperet du bourreau. C'est ici que
s'est arrêté Frédéric Benoît, le parricide.
L affaire se fit de bonne heure, à huit
heures du matin, devant un petit nombre
de curieux, deux cents au plus. — Quelle
différence avec la solennité de la Grève avant
1830; avec les quatre heures de THôtel^de-
Ville., les tours de Notre-Dame en face, le
Pal ais-de- Justice plus loin, sur la d^roite,
les ponts et les quais chargés de monde,
Jes mille cris de colporteurs d'arrêts, les
mille cous tendus pour voir couper le vôtre,
les myriades de toits vivants et de fenêtres
à louer! Certes il faisait beau mourir en
Grève alors! il y avait de la 8:Ioire, on
était vu, on s'en retournait décapité en
182
fortne.' Ânjoard*hui Ton est escamoté. La
matioée a remplacé Paprès^mldl; on a froid.
Les arbres muets de la place Saint- Jacques
ont * remplacé les maisonnées glapissantes
de la Grève ; on est seul. Ce coin solitaire
de boulevart, cest votre dernier halte.
Autant voudrait un préau de Conciergerie.
Cest isolé, cette place; c'est loin de tout;
c'est affreux.
Mais il ' est écrit que certains endroits
ont leur destination fixe et irrévocable, à
laquelle il est impossible de les soustraire.
Ce sont comme de cadres inflexibles où
s'emboîtent nécessairement, et non ailleurs,
certaines toiles de <ïhoix, certaines estampes
de prédilection. La fatalité dévoue certains
théâtres à la représentation exclusive de
certains drames. Il faut le Chanips-de-Mars
pour une revue, les Champs-Elysées pour
une fête, la place du Palais pour le carcan,
la. place de Grève pour Téchafaud. Et vous
aurez beau faire, messieurs de la Justice!
vous y reviendrez, à votre place de Grève.
Une révolution a dérangé la guillotine de
place; une autre révolution' soufflera, qui
remettra la guillotine eursonlieu. Lé pavé
de rHôtel-de-Ville n'est pas encore si lavé
qu'on 1^ veut bien croire. Il est resté rouge,
183
comme le cadran du vieil édifiée est demeuré
ardent. Le sol de cette place a été en-
graissé par tant de supplices ! 11 ne peut
rester en friche. Il y poussera quelques
jours deux montants de bois couleur de
sang, vous verrez! Chariot tient à ses
habitudes. La Grève, c'est sa capitale;
rHôtel-de-Ville , ce sont ses Tuileries.
Alors que viendra le triste coin de la
barrière Saint- Jacques ? Hélas! on y fera
sans doute quelque autre chose d*analogue
à ce qu'on y fait aujourd'hui. Remarquez
Sue ce fatal emplacement servait au milieu
u seizième siècle de repaire à des voleurs.
Ça toujours été un lieu lugubre. Il y avait
là des carrières, — ce sont aujourd'hui nos
Catacombes, — qui s'allongeant sous terre^
aux environs delà route d'Orléans, fouillaient
bien avant dans les entrailles des deux fan-
bourgs Notre -Dame -des -Champs et Saint-
Jacques, et y donnaient retraite à toute
cette malveillante multitude de flambards,
pillards de route et ribleurs de nuit. Le
parlement, au mois de mai 1548, ordonna,
dans ces parages, rétablissement d'un guet
qui fut battu, berné, tailladé, lardé, et qui
ne servit à rien. Enfin, en 1563, Messieurs
se . décidèrent à faire clore l'entrée des
184
carrières Saiot- Jacques, pendant les nuits
et les jours de fête. Onze années auparavant,
le 11 octobre 1552, la même cour, de parle*
ment, outtée d'indignation à la vue des
Suerelles armées qui divisaient Içs habitants
e notre faubourg Saint- Jacques et ceux
du faubourg Saint-Marcel^ défendit à haute
voix tout rassemblement, interdit à tous
les habitants, },varlets de boutique, clercs
y,dn Palais et du Châtelet, pages et laquais,
), et à tous gens de métier, de po.rter
,>bastons, espées, pistoUez, courtes dagues,
„ poignards, à peine de punitioti corporelle.*^
Elle fit ensuite planter quatre potences
dans le faubourg Saint r3Iarcei. Les fau-
bourgs Saînt-Jac/qnes et Notrc-Dame-des-
Cliamps eurent chacun une potence seule-
ment; moyennant quoi Tordre fut rétabli,
et le bourgeois sauvé, comme toujours.
Aujourd'hui le faubourg Saint- Jacques
est très-paisible, et la route d'Orléans très-
sûre. On ny a plus peur des Catacombes
et des truands. C'est. un quartier comme
un autre, où se rencontrent comme ailleurs
force polissons jouant aux billes; force
marchands de léguines, quelques charrons,
et je crois bien aussi deux ou trois maréchaux-
ferrants, marchands de paijle/et son re-
1S5
codpe, et log^eur» à pied et à cheval. Voilà
tout. D anciens vestig^es pas un. Dn mnr
d enceinte de Piiilîppe-Auguste qui courait
de la porte Saint -Michel à la rue Saint-
Jacques, en long;eaut Tçnclos du couvent
des Jacobins, il reste à peine un pan isolé
qui se cache et s'empâte sous des masures
parasites. De lancienne porte Saint-
Jacques i qui s'élevait à qiielqire distance
de la moderne rue Soufflot, et qu'on appela
ensuite Porte de Noire'Dame'des;'Champs , parce
qu'elle donnait passage vers 1-e monastère
^e ce nom, pas une pierre, pas une trace.
Et cependant il y eut là, le 10 septembre
1590, un terrible eng;agement entre les
jésuites et les soldats huguenots de Henri IV.
Les jésuites furent les plus forts, et jetèrent
bas les échelles des assaillants.
Enfin il est impos9ible d'assigner une
direction précise à la muraille denceinte
de Lonis4e-Gro8, qui fortifiait Paris de ce
côté. M. Dutaure pense qu'elle devait
-s'élendre à peu près dans le parallélisme
de la rue des MathuHns, et aboutir à la
rue Saint-Jacques. Sur cette rue, et dans
Vespace qui se trouve entre Textrémlté de
la rue des Mathurins et celle de la rue du
Foin, devait se trouver une porte^ comme
- ISS
idàfiS toute Voie royale on Grande rue. Lorsque
la chapelle de Saint- Jacques fut construite
dans la partie supérieure de la rue qui
fiorte aujourdliui ce nom dans toute sa
ongueur, plusieurs dénominations furent
données à diverses fractions, à divers
tronçons de cet incommensurable serpent.
Ce fut d abord et surtout la rue Saint- Jacques
proprement dite, ensuite celle Saint -Benoît,
puis lor rue Saint - Mathelin. La partie in-^
férieuie conserva le nom de rue. du Petit-
Pont. — Ces trois ou quatre appellations,
qui baptisaient une même rue, font con-
jecturer à l'historien de Paris qu'une moitié
dtt serpent Saint- Jacques était couchée
dans la ville, en -deçà de Tenceinte de
Louis-le-Gros, et que lautre moitié, séparée
de la première par une porte, s'allongeait
paresseusement sur la pente du faubourg.
Nous partageons volontiers cet avis.
Et maintenant que nous avons à quoi
nous en tenir sur cette longue rue latine
et^ son faubourg; maintenant que nous
pouvons nous faire une opinion définitive
sur cette longue traînée de maisons qui
s'étagent, se pressent, se masquent, se
dépassent, se coudoient, se contrarient di^ns
cet interminable espace ,^ui sépare le Petit-
187
Pont de la barrière d'Arcueil; maintenant
que tout est expliqué, visité, exploré; —
oh, dites-moi, monsieur Tobservateur qui
lisez ce chapitre, n'êtes -vous pas davis
que la rue Saint- Jacques était plus belle
avec ses portes, ses jacobins, ses hospi-
taliers, ses religieux de Saint- Magloire,
son petit Cbatelet, ses intraitables hordes
d'écoliers qui forçait les boutiques et
battaient le guet du parlement; ne trouvez-
vous pas qu'elle valait ainsi beaucoup miçux,
notre rue, vue du côté artiste, que la rue
Saint- Jacques actuelle, avec ses bottiers,
ses reàtaurateurs à 22 sous, ses grainetiers,
sa perpétuelle Marseillaise^ ses ravaudeuses,
ses procheuses et ses étudiants?
CORDELIER DELANOUE.
LES SOIRÉES DANSANTESé
A dix-huit ans, on jouit naïvemenl; de
la danse comme d'un plaisir; mais il n'en
est pas qui cesse plus vite pour les Iiommes,
jii qui dure plus long-temps chez les femmes.
Je me rappelle quelquefois, avec un soupir
àe reg^ret, cette époque si tôt passée de ma
vie, où le lendemain d'an bal, je me ré-
veillais à midi en disant: „Dieu! que je
mè suis amusé ! ^^
Et je contemplais, avec un délicieux
souvenir de pensées, les débris de ma
brillante toilette de la yeille épars au
milieu de ma chambre; les bas de soie
roulés autour d'un bras de fauteuil, le
pantalon gisant sur le tapis, les gants
accrochés au cou d'une théière, et les
mignons souliers, à la doublure de soie
puce, dormant sur les cendres de ma
"cheminée, comme un chat qui se chauffe.
18Ô .
AJors, J6 ne m'atnnsais jamais à ^emu
L*approcfae d'nn bal vidait mon coeur de
tdus ses petits chagrins; j'aurais fait danser
îe diable en cornette et battu vingt entre-
chats pour une soirée au quatrième étage.
Si le matin ma distraction me valait quel-
que pensum dé m(m professeur, en revanche
le soir quaiid je me trouvais au milieu d'un
grand saloh, et que la maîtresse de la
maison, enchanté de l'intrépidité de mes
petites jambes, me faisait trotter à droite
et à gauche, pour inviter à danser toutes
les vieilles filles de sa connaissance qui
n« dansaient pas, je cVo'yais être déjà un
personnage de quelque importance aux yeux
des dames, et j'oubliais bien vite les petits
désappointements du collège.
Hélas! à présent, je ne vais plus au bal
que pour y jouer le rôle passif d'observateur.
Mes jambes se reposent dans un coin obscur
du salon, et, semblable à un vieux soldat
invalide qui pend son sabre rouillé an chev«t
de son Ht , je cloue mes mollets dans l'angle
d'une embrassure de croisée. Si je danse,
c*edt comme une tronpie qui tourne, en
grondant ; si je joue, c'est par désoeuvrement.
J'adresse de temps eu temps la parole au
vieilles femmes, ce qui me raecomm^d^
19%
quelquefois avec les jeuues. Du resté, je
suis pétri d'une pâte assez ingrate, et peu
propre à faire ce qu ou appelle un homme
aimable.
Aimable! entendons -nous. .
Un homme aimable — poi^r beaucoup de
femmes, c'est celui qui, dans un bal, danse
toujours et ne se repose jamais, dansant
également avec toutes, les jolies ejk les
laides; bon jeune homme qui fait de la
philantropie de menuet, à Tusage des. vieilles
filles, et se croit obligé envers une maîtresse
de maison qui le prie à son.Bal.
Cest encore celui qui fait^|a cour aux.
mamans, pour avoir le droit de la faire
à leurs filles, et qui a toujours ses deux
bras, ses deux jambes et un fiacre à la
disposition de celles qui n'ont ni voiture ni
mari.
.Qui rainasse les gants, les éventails et
les mouchoirs de ces dames, porte leur
cachemire, leur flacon, leur ombrelle, leur
offre des coupons de loge, et perd toujours
son argent à Técarte»
N'est-ce -pas un homme bien aimable que
cet élégant suranné qui débite des compli-
ments à Teau . de rose, et n'entre jamais
dai^s^ 9n salon que la poche garnie de pa-
- 191
pilottes et la mémoire farci de rébus et de
calembourgs; être prédestiné à être pincé
f ar les^ petites filles , et à faire sauter les
petits garçons sur ses genoux?
Au besoin , Thomme aimable conte très-
naïvement l'anecdote graveleuse. C'est un
animal précieux pour l'éducation des jeunes
demoiselles — et la consommation de végé*
taux* Il mange beaucoup de légumes, et
ne boit ni café ni liqueur; en revanche, il
découpe très -bien.
L'homme aimable est un type bourgeois.
J*ai connu jusqu'à des épiciers retires du
commerce qui étaient très-aimables. C'est
'en parlant de ces gens -là que certaines
femmes disent:
^Monsieur un tel a toujours le petifmot
pour, rire.**
Dans quel coin de leur boutique avaient-
ils appris de si jolies choses? je l'ignore.
Mais cela me tintait dans les oreilles, comme
le bourdon de Notre-Dame un jcmr de fête.
Ajoutez -y cet éclat de rire en zigzag, qui
ressemble au gloussement nacillard d'une
canne au bain.
Et les beaux-esprits de société — et les
joueurs de charades en actions — et sur-
tout... ces conteurs -'de contes ffintastiques
192»
qol me font toujours YeSai d'une bûche
noire qui fume dans la efaeminée, et qui
finit par vous rouler sur les jambes!
 cet époque de Tannée où un foi esprit
de vertige et de danse s empare de toutes
les têtes et de toutes les jambes féminines,
rhomme aimable, Thomme macliine, l'homme
qui dause, devient une spécialité, une in-
dividualité, une nécessité ; c'est rndispen*
sable des soirées bourgeoises. On loi Joue
ses deux jambes pour quelques verres de
sirop et de punch^ métier fort peii lucratif,
à moins qu'on ne fasse entrer ea ligne de
gain des courbatures, les rhumatismes et
les fluxions de poitrine.
— „ Maman, dit mademoiselle Élisa à sa
mère, il faudra envoyer une invitation à
M. Alfred. A la dernière soirée de ma tante
il fl a ^as manqué une seule conti^edanse.*^
„Mon cousin, vous nous amènerez des
danseurs , n'est - ce pas ? *^
Un danseur! ça se cemmede comme nne
glace chez le glacier; c est l'aecompagneneiit
obligé des lustres et des banquettes. Pourvu
qu'il ait des jambes, des mains, une appa-
rence de <$orp8 et une mise décente, qu'il
ait fies articulations sou{^^, le jarret solide
et loreille pas Irop rebelle .., bon ! la recrue
^ut de prise. . On acceplera son invitation
à danser avec reconnaissance, et même on
pourra, à la rl<(neur, lui jeter. par compen-
sation un gracieux sourire»
 lui permis de prendre de temps en temps
un petit gâteau entre la valse et la contre-
danse. Aussi, il faut le voir, ce bon jeune
homme, ôter ses géants jaunes avec pré-
caution, avancer une main tremblante sur
le plateau, et quand il est parvenu à en-
lever un biscuit, sans renverser les verres^,
rentrer bien vite dans la fouie, comme le
chien qui s'enfuit, un ns à la p:ueule. C'est
Vaffalre de deux bouchées; ce que c'est que
l'exercice et Tappétit.... d'un danseur.
Je croîs que le danseur porte le gilet
blanc de fondation, le satin et te velours I
créations bâtardes avec lesqiKïlles il se fa-
miliarise lentement» Ce n*est qu'à la seconde
ou troisième année de ses succès dans le
monde qu'il se permet le chapeau claque,
le pantalon collant et les souliers à boucles.
Mais alors, adieu sa candeur primitive!
sa jambe se gâte, son tendon se roidit; it
se fatigue ! il se repose ! déjà 11
choisit ses danseuses; s*éloigne des vieilles
filles, et a des distractions en dansant.
Qu'il jette une seule fois sa pièce de cinq
LXXXV. 13
t94
fhines à lecarté, Toilà un honnne iémêiiiy
coulé.
Je ne parte pan ici, on a*6n dlonte bien)
de ces belles fêtes du fanbiinr^ Saint* Germain
et de la -Chaussée d' A ntin, on, dan^ les der-
nières années de la restauration, se pressait
Félite de la meilleure compagnie de Paris.
Ces riches maîtresses de maison ne des*
cendalent pas jusqu'aux menu» détails
d'une contredanse; on ne les voy.iit pas
courir à droite et à gauche, ponr dénicher
tin vis- à -vis qni se cachait dans Tembra-
sure d une croisée. Au milieu du bal , les
portes s'ouvraient, comme par la baguette
d'une fée ini^isible, et nn souper spleinlide,
2 ni s'offrait aux regards, sonrs les feux
tincelants de mille bougies, réalisait tous
Tes enchantements de la sensualité orientale.
Quand on sorte d'une soirée bourgeoise, la
bouche empâtée de meringues et de sucreries,,
et qu'on vient à se souvenir de ces nuits bril-
lantes, dont tous les flambeaux se sont éteints,
on croit avcrîr rêvé des Mille et une Nuùs.
Les préoccupations politiques et une ridl-^
cnle manie de singer partout la gravité re-
présentative, comme on* disait alors, intro-
duisirent en France 1 us9ge de moûts anglais,
qui ont joui, pendant un certaine temps^
i'aire fnvcpui^ qné m>us retunéns rarement
aux ifinov^ttf ions. Au faiibmrrgâaiiit-Germait»^^,
la réunion des liommes |^liliq4ieA qui jouaient
alors un rôle à la cour, aUieurs , eelle dei
littérateurs et deà aHistes , <Â une époque
où Ton s'occupait encore d'a^t^ et de lifté-
rature, répandaient parmi ces assemblées,
auxquelles ou înfvitait ra^rement moins de
milie à douze ^ents personnes, un attrait
partiruller d'intérêt et de curiosité. La foule
fashionahie s'y portait at^idement. C'était
uivmagiiiâque panoi'ama,' où Pou allait passer
en revue toutes les célébrités de^ Tépoque.
L'observateur, perdu dans la foule, <^se
sentait tout à Taise de coudoyer de» princes
et des dues. C'était une aisanoe et un laissez*-
aller de bonne compagnie*' Il y avait une
certaine heure de la nuit o^h la clrculatioa
devenait Impraticable. Bléntét les voitures
déblaient rapidement, et le lendemain on
mm racontait leB> détails) * «vil cifait les noms
des hanter personnages qu'on avait remarqués*
Quatre ou cinq de' ces rtiouts aM proportions
gigantesqties suffisaient pihir alimenter lli
caquetagè des sailous pour Thiver.
Je ne parlerai pas de ees jolies ntatinéeg
àVambassadè d^Autriche, où cfraqi^d colerie
«'asseyait à sa-takl^'/e^ÉËiBe êhez un ré'ah
18*
tanrateur. Cette . innovation charmante fit
furetir; et personne , qne je aaçiie, n'a ri-
valisé en ce genre d'élégance, de bon goût
et de grâce, avec la comtesse d'Apponyi
En ce temps -là la duchesse de Berri
donnait ses bals, où la famille d'Orléans
était si bien reçues.
Le faubourg Saint-Germain émlgi^ai t. sou-
vent aux soirées semi-aristot^rstiques et
semi- bourgeoises de la finance: M Lafitte
mariait sa fille à un prince de Tenipire, et
donnait un splendide souper, dont* le> fumet
empêchait son voisin Carême de dormir.
Je vous ferai grâce, après cela, des con*
certs d'amateurs, un peu décriés^ aujour*
d*hui quon a tant crié contre eux. Jai
vécu, pendant deux ans, côté à côté d'un
impitoyable ténor et d'une basse* taille
classique, qui ^pi'ont si rudement écorché
les oreitlea qu'ellt's .en saignent enco>e«
Faix donc aux ténofs, au basse-tailles^ si
surtout •..• aUfX, chanteurs d^ romandes;- ces
gros rongeai}ds à mine fleurie, qui se plissent
le gosier .pour se rendre la voix fluette,
comme une femme se met nn corset pour
se faire Ifi taille fine.
.(Les grands'.bals ont passé; avec .leurs
lampions et les^g^darines^ mais les soirées
197
éatiftantes subsistent encore dans font leur
éclat, car ta soirée danf«aiite appartient es-
sentiellement au juste-milieu ; elle se balance
entre les mansardes et le premier étage,
comme la grande affiche d*un magasin À
prix fixe. C'est le bal de la petite propriété,
la raoïit du troisième étage; demi -fortune
en bas de soie et en robe de crépe^ dansant
au bruit d'un piano et dun flageolet, ac«
compagne parfois d'un violon et d'une basse
d'aniHteur. Cela s'organise en deux heures,
avec quelques bougies et quatre banquettes,
dans un salon de moyenne dimension. Bes
sirops, de la pâtisserie et des verres d'eau
sucrée^ discrètement aligné sur nn plateau,
circulent, de demf heure en demi-heure, au*
tour dé Tappartement. A minuit, le punch
flanqué de tranches de brioche, ou le thé
escorté de sandwich, fait son entrée triom*
phale.... et puis, ils . sont là cinquante ou
soixante gaillards bien ingambe», dansant
comme des bienheureux, «u son de l'orchestre
de famille. Le reste fiiit tapisserie, regarde,
critiqire, approuve; on joue à l'écarté et à la
bj)uillote, eu parlant du course de la bourse
et les dernières élections de la garde nationale.
Or, tout ce monde, cest une vraie ma-
çédoine-^en rubans et en habits noirs, -i^
19»
M hér^M et en «ba^^aiix T0n4»^ ffaefo M
bjuireftu, avocats, iBad^cjiusb, coitmerçanliSy
ton/» élf?€t«4ira9 im» de la gard« cUay«nne;
lea femàiea assez jolies, sauf qu^elques
figures «spimai^nes^ dont la teinte ëcarlsAe
fait lacl^e an milieu de toutes ces jeunes
£UiPS, cofnoie ua coquelicot dans un cbampai
de Wuets.
Les liomnaes parlent beaucoup affaires^
procès et ventes de maisons. Presque tous
ces gens là sont propriétaires, a^aut pigaoïi
sur rue. D'un bout à l'autre du salon ^ on
entende leur conversation , ce qui est fori
intféresaaut , je vous assure*
Prudement caché à Tombre des épais ma-»
rabouts de quelque cantemporaiiia en robe
de satin bariolé, jVxa mi ne,*jobsei^e. Passez-*
B|ol quelques portraits.
D*abord, cette jeune personne dont la
coiffure est si bizarrement entre -fagotée de
fleurs et d'ép4s d'or, comme une Gérés;
grande fille au teint pâle et au sourJre nlats^
qui siirt, à dis-huit aiis, de sa peiîsîoa, eu
elle a remporté tout les pris de sa classe*
C'était le petit phénix de la rue des Blancs*
Manteaux: elle déchiffre passabJement la
musique^ et dessine supérieurement Taca-
demie; toutefois son plus beau talent eat
d'avoir àenx cent mille francs de dot. Aux
y<eux.de sa mère, cette grosse femme en
robe de velou4's, qui semble remercier si
gracieusement ceux qui Invitent sa fille^
Célestine est un prodige, une petite merveille.
Entrent-elles dans un salon, Célestine passe
t(HiJ4turs la première: aux Tuileries, U faut
que Célestine, parée Citmme une châsse,
3 asseye en travers de l'allée, et lui tourné
le dos , afin d^étre plus en vue des prome«
neurs; aux spectacle, elle occupe encore le
devant de la loge. Si on la prie de chanter
une romance, sa mère prend son mouchoir^
et fait cAuif^., avant tout le monde; elle
crie bien haut: »Vous s liez IVntendre, elle
liante comme nn auj^!** CélestHie est au
piano ^ alors la pauvre femme, n'y pouvant
tenir, quitte sa place, et se tient deibout
derrière la ehaise de sa fille ; elle bat la
mesure, elle accompagne à mi-voix; puis,
ses yeux s'humectent de larmes; elle a besoin
de pleurer; elle pleure. — Applaudit^on,
elle jette ses bras autour de cou de sa
Célestine; elle la baise, elle se pâme. Demain,,
elle fera des visites pour se donner le plaisir
de raconter partout les succès de sa tilJe.
Cette autre, en robe rose^ qui danse,
on plutôt qai Haute avec tant de .plaisjr,
2»0
dont les {2f rosses joues sont animées de st
vives couleurs, qui rit sans cesse, qui pari
avant la mesure^ et pousse son danseur
par le bras quand il a dés distractions,
c*est ce qu'où appelle trUialemeut une bonne
fille. Elle se bourre de inériii(::ues et de
petits gâteaux, au risque de $e donner une
indigestion; elle parle la bouche pleine, et
renverse du punch sur sa robe: elle conte
à ses danseurs ses espiègleries de pension,
éclate de riie en leur parlant, et leur serre
la main en dansant. Demandez-lui si elle
aime le bal, elle vons répoudra ^«V^^ ^y
amuse joliment, Demi-t}pe de {çrisette! frais
bouton de rose de la rue âurncampoix!
Vis-à-vis et pour former contraste sans
doute, car il faut des contrastes partout,
admirez la muse bourgeoise à\ï quartier
Poissonnière, ballotté dans sa g;rande robe
bleue parsemée d^étoiles d*argent, comme
une vierge de village dans sou sayon de
satin broché;'' la tête haute, le corps en
arrière, roucoulant du regard, soupirant et
se parlant à elle-même, ayant toujours
l'air de se réveiller d'un rêve, répliquant
tout de travers aux questions qu'on lui fait,
menant de front une discus.>ion sur la
peinture et sitr la puésie, citant Lamartinei
SlOl
Chateaubriand, Victor Hii^o, madame Tasli:^,'^
et noiibliniit pas surtout de vous apprendre
quelle étHit à la première représentation
du Roi ^s'amuse, dans la même lofl^e que ma-
dame Emilie de Girarditi, et, à la dernière
séance académique, assise cote à cale de
Casimir Oelavigne. Elle est mal chaussée,
et a' des tacshes d encre aux doigt«. .
Sa soeur Indiana, c'est un volcail qui
fume sur un égoût de la rue Muntorgnéil;
jeune artiste de la plus g^rande espérance*
qui se culfTe à la Piiiion, avec une féron,
nière sur le front; s'habille tantôt en dan*
seùse de corde, et tantôt se drape dans
les plis d'une tunique aihénienne. Quand
elle chante, elle tortille sa voix en roulades,
se posjî comme madame Malibran , et parle
toujours ayec cn*tain accent italien , idiome
bâtard de ta Gascoo;ne et de TAuvergne.
Voyez encore cette grande pâle , qui re-
garde les jolis . hommes avec des yeux
.mourants; celle-là reste an bain trois heures
par jour, dévore un roman par matinée,
et s'enivre d amour, le soir, aux méliulrames
de la Porte Saint Martin.
Permettez-moi de: ne pas vous parler de
la demoiselle de quinze ans, la demoiselle
classique du bal^ danseuse obligée de toui
les bambins ' qui se trouvant au saiott,
et qui repond gracieuAeiiient à roiifes les
qneatîotis qne vous lui faites: ,>Oul, non-
„ sieur. — Non, monsieur. — Mousieur, vous
» êtes bien bon. — Monsieur, je ne sais pas...**
Répertoire très varié et extraoï^inairemejit
réeréallf !
Ni de ces petites coquettes de sept ans ,
à qnr leurs ofamans mettent des robes dé-
colletées, quelles conduisent en soirée, à
€<>nditian qu'elles seront bien sao:e8, qu'elles
1^ dormiront pas sur leurs chaises, et qu'elles
ne diront pas: „ Je veux du ^râteau, nà!«
Ni de mille autres spécialités féminines
qs'ofi rencontre dans presque tontes les
soirées dansantes.
Par exemple :
Les femmes mariées qui passent pour aimer
le petit mot ponr rire;
Celles qui questionnent imfitoyablement
lenrs danseurs;
Celles 1] ni disent: ,,Mon éponx est daas
leeommeree;^
Celles dont 1^ mari est capitaine de la
garde nationale :
Celles- qui sewient le m<isc, et portent
des bérets ) quand elles ont un long cou
maigre.
IStM
Ou ces petHes Boules de graissé, ekargces
de diamants ^ qui bondiaftent s<ifus. le lustre,
eomoie un ballon^ suent de la tête aux piedi,
et répètent conti ait elle ment : ,, CVst étoi»-
9>nant! je ne suis pas lasse du tout; J6
„ danserais toute U:nuit sans me fatiguer;*^
Et les femmes qui dansent à quarante ans;
Et les demoiseUes d^ tiiente, qui ne dansent
ptusé... „que par complaisance/' ajoiiteB(t-
elles.
I^rtout que votre bon anpe vous protège
contre ces maîtresse» de maison, qui vieiii>
«e^tyous relancer jusque dans le salon de jeu.
— Eli bien! vous ne dajasez pas? c'est
fort mal.
Ou pis encore: " _ .
-*- M. Alfred, on a besoin d*un vls«à-vte.
Faites-moi le plaisir d'inviter cette dame en
robe rouge', qui n'a pas encore «dansé de la
soirée.
Obi les dames en nahe écarlate, à- qui il
faut faire/ la charité d'une contredanse.
LUxera nos^ Domine!
Je répétais tout bas ce pienx refrain et
je ne sais quelle litanie, quand j'aperçus,
du coin de l'oeil, ta maîtresse de la maison
qui se dirigeait de mon côté. Je fis coqam^
es marinS; quand Us voient uu çraliit fondre
ï
«^4
mr mix da boutade rhnH«on;jie- cargiiaî
les voiles de ina corvette, et coirrant une
bordée cà gntidie, je me mis en sûreté dans
1« ehamhrè <à e^Micher, eu les tables de^eu
étaient ^Jressée».
il y kvart bon feu dans la cheminée, et
dans i appartement lin air plus por que
Seluî qu on respirait dâTi^ le salon de danse.
Je me mis à examiner quatre mérhants
portraits au pastel, magnifiqnement encadrés;
ce qui me fit penser à ces vieille.^ femmes
qtti courhent dans des lits d érable, avec
des couvertures de velours noir, pour re-
hausser leur teint.
— Monsieur est artiste, me dît urî per-
sonnage à lunettes^ en s approchant de ^
mai.
-i- J*ai'me les arts, monsieur.
— Comment trouvez vous ces portraits?...
ressemblants, n'est-ce pas?
— Oh! très-ressemblants.;* sans doutCi
monsîenr.
,, Je parie, me disais-je, que cest lui qui
les a faits."
— Je suis enchanté d'avoir votre avîs,
reprit-il en se frottant les mains... car je
sais que vous voiis y connaissez.
— • Ti-ès-peu, je v^iis rassure.
2105
^Où diable me suis-'jé fourréy m'éeriaije
tout bas/*
— Vous êtes benneoiip trop modeste j jû
sais que vous pei^roez fort bien.
— Vous vous trompez, je vous jure qua
je ne peins pas.
— A riiulle? non, peut-*^tre?.». Mai» vous
Caites très joliment i aquarelle.
— Pas davantan^e.
— Comptez-vous exposer cette année?...
qu'est-ce que vous exposerez?...
— ■ J*ai eu, l'honneur de vous dire, mon-
sieur. ...
Je sais que les artistes n\nîmeut pas il
divulo;uer à Tnvanc^ le;«ecret de kurs com^
positions; cela est, tout naturel... il n*y a
plus de surprise, et ils ont bien raisoiu
Mais, entre nous, entre confrères, vous poiivex
bien m^avouer... daiileuis, moi je n'expose
pas,. et je vuus prome^3 d'être discret. .
Je coQiménçais ,à u^e sentir mal à laisift ,
avec ce sot interlocuteur, et eepe^idapt 11
jouait si drôlement de la prunelle à Tonibre
de ses lunettes bleues que je me senti^is
une démanixeaison violente de lui pouffer
de rire au nez.
.. TT Mes»feurs,,sepr.ia an j^jueuHjJly a d#
Tardent à tenir de mon côté. .
200
-«* Diéii soiiloité! dls-je, et mMpprocllant
de la table, je jetai ma pièce de cinq francft
du côté eu jimeur qui suait sang et eau,
depuis un quart d'heure^ pour compléter sa
partie.
— Combien va la pièce?
• «^ Je fais ce qui manque.
— Cinquante ceutimes... vous êtes aa
jeu de cinquante centimes, monsieur.
— Oui, Mansietir.
C'était bien ta peine de crier si haut pour
cinquante centimes!
De ma vie, je ne me suis trouvé face à-
face d^one fig^ure de jouenr aussi ingrate.
U tient ses cartes, comme un garde natioiml
son fusil, les jette, les unes à la file des
autres, les -dames pour les rois, les ueuf
pour les dti, — et gardant toujours carreau,
Afin (dit-il) de D'étfe pM capot.
Du reste, dès afduis et des rois plein les
ntàins; — „aux ifiuocelits les U^atus pleines!^
proverbe d*écî^é!
— Ofeî qnel jeu d-enfer? ctrdama sétleu-'
^euïefi^t un gros et jovial propriëtaira, en
entrant dans la cfbratubre; paraît que ça
s'échauffe !
Il y avaîl quatre ft'ffncs chiçtfattte ceutimea
de chaque côté. ' '
ProAgieox ! , i ±
T^»s ces gens-là étaient aussi hnlAlen a
disiilldr Vémrté (}e me sers de lpitrexpres»î©»>
qs an chat à dévnJer un ccheveau de fil.
C'était à qui se mêlerait de donner des cim-
seîls. Chaque coup était suivi d une longue
dissertation technique, très instructive poiir
la jeunesse.
— Je ne connais que la règle, mousîeirç
-** atout, et passe mon roi; cest évident,
— îl fallait fçarder daipe seconde, — jeu
de règle. Monsieur avait raison, cela se
{çagne toujours. — En attaquant par ataut
Hous faisions la volte. — Non, monsieur. ~
Pardon, monsieur. — Vous voyez venir , . ^
On coupe à trèfle . . . bon, vous gardeà^
carreau — selon la règle. — Oh! la règle,
— la règle!... je ne connais que l'inspira*
tion, moi !
Mon petit singe de joueur, qui apparent
ment était inspiré, gagnait toujours avec
un aplomb imperturbable de maladresse.
Tous les parieurs avaient paësé dé son
côté. Je fis le contraire, et m'asseyant eti
face de lui, la partie s'engagea.
J'ai toujours été beau joueur. Je tins les
paris. Bientôt il y eut trente francs sur la
taille* Chs messieurs qui gagnaient, doublaient
208
sans façon leur mise; et moi, en rtiûe ié
sottise et de ma i valse liumeur, je doublai
aussi la mifeiine. De mémoire d'homme, on
n'avait vu pareil débordement de jeu dans
cette mnlHon*
— Madame B. vient de me dire qu'elle
désirait qu'on ne jouât pas tant d'argent
chez elle, me «glisse imperHoemmeiit dans
le tuyau de Toreille lami de la maison, aux
lunettes bleues, qui me gagnait une quinzaine
de francs . . .
-^-^ Ëh bien, lui disje, après?
— Après? . . . reprit-il un peu surpris^
faites' comme vous voudrez. Cela ne vie
regarde plus. Je me suis acquitté de ma
commission.
— Si la maîtresse de la maison pense que
nous jouons trop cher, dit un de mes ad-
versaires, en empochant son gain, je me
retire, je ne me soucie pas de passer pour
un joueur*
— Ni moi non pkis, ajouta. un autre..,.
«^ Ah! ah! voici le galop, s'écria- t-on ,'
et je restai seul k la table d'écarté.
Bientôt les galopeurs débordèrent dans
In chambre à coucher. Toutes ces 'jeuiîes
filles étaient échevelées et haletantes de
plaisir. Le flot passa rapidement devant moi-
209
et alla 8*eng;oirffrer dans on couloir éfroit
et 9otnlire qui conduisait ... à la cuisine^
je crois.
— Dieu! s*écria la maîtresse delamaison»
en bondissant sur ia chaise, ils ont cassé
mes porcelaines.
En effet, nous venions d*entendre un
grand fracas. C'était Marie, la grrasse cui-
sinière, qui s*en venait tranquillement par
le couloir, un plateau à ia main, un beau
plateau tout chargé de tasses de thé, et à
qui les valseurs avaient fait exécuter un
rond de jambe vertical si rapide, que lé
plateau et les tasses avaient volé en éclats.
- — Ce n'est rien . , . ce n'est rien . . •
répétait, un quart d'heure après, madame B.
qui sortait toute rouge 'du petit couloir.
— Néanmoins, la grosse Marie a eu un
galop soigné, me dit un voisin enchanté de
placer un calembonrg, et je ne serais pas
étonné qjie demain on ne fit payer à la
pauvre fille les pots cassés.
— S'il en est ainsi, j'ai envie d'ouvrir
uue souscription à son bénéfice.
— Vous* parlez de la souscription au
bénéfice des Polonais, dit un troisième
personnage, qui vint se mêler brutalement
à la conversation. C'est deqiain le bal . • •
LXXXV. 14
210
qui sera très beau. Je ne suis pas encore
bien déddé à y aller • . . ^eut-étre . . .
je verrai. Il est vrai que j'y suis forcé en
quelque sorte, à cause de mes fonctions.
— Monsieur est membre du comité?
— Pas précisément, mais chargé par lui,
en ma qualité de serg^ent-major de la garde
nationale, de recueillir les souscriptions
dans ma compagnie ... Si vous désirez
vous faire inscrire, je me charge de vous
envoyer demain une invitation par mon
tambour.
— J'ai Thonnenr de vous remercier, mon-
sieur le sergent-major! ...
— Ça m'a tout Fair d'un carliste, mur-r
mura mon petit homme, en me toisant, et
il vira de bord.
Comme je prenais mon chapeau, Tami
de la maison, aux lunettes bleues, vint à
moi.
— Déjà, M. Jacques.
— Je rentre toujours de bonne heure.
•— Allons, faites-moi vis-à-vis pour la
prochaine ...
— Impossible, je suis fatigué.
— Mais vous n'avez pas dansé.
"^ Pardon . • • au commencement de la
soirée. . . . '
211
— Oui... deux contredanses, avec la fille
de madame B., et mademoiselle Célestine...
'^— Vous êtes beaucoup trop bon, monsieur,
d'avoir compté mes contredanses.
— Oh ! ce n'est pas moi, mon cher, c'est
madame B. elle même qui me disait tout à
l'heure . . . „ Est -ce que M. Jacques est
malade ? il n'a dansé que deux contre-
danses^^ . , . Â propos vous devez avoir
gagné à 1 écarté?
— En vérité, je vous trouve plaisant de .
me faire cette qutestion, lorsque vous avez
enlevé tout mon argent.
— Comment . . , je jouais contre vous ! . • •
j'en suis désolé, parole d'honneur . . • Eh.
bien, mon cher, vous croyez peut-être que
j^ gagne beaucoup • . . j ai perdu quarante
sous, vrai. Je' suis toujours malheureux
au jeu.
— Monsieur J ai rhonneur devons souhaiter
le bonsoir.
Je restai une demi-heure avant de àé^
couvrir mon manteau, que je trouvai enfin,
endormi, comme une momie, au centre d'une
vaste pyramide de pelisses et de redin«
gotes.
Dans un coin de l'antichambre, je feignis
de ne pas -apercevoir un pauvre diable de
14^
212
provincial qui mettait des bas de coton
bleu par-dessus ses bas de soie.
En bas j la ^ portière dorîiiait. Je fus
obligé de frapper trois coups aux carreaux
de la loge.
^ Pas un fiacre' à la porté. La rue ëtalt
déserte et silencieuse. Les réverbères .se
balançaient tristement sur leurs cordes;
Paris ressemblait à une vaste ëgliére, vue
à la lueur du crépuscule. Je rentrai chez
moi à pied. Je dormir bien.
— Vous arrivez bien tard aujourd'hui,
dis-je à ma femme de niéuage, lorsqu'elle
entra le lendemain dans ma chambre.
— Dam, monsieur Jacques, je vtius prie
de mexcuser. - C'est, que. j'ai fait mon
carnaval cette nuit, et ça narrive qu'une
fois par an.
— - Vous vous êtes donc bien amusée?
— Comme une reine. Ne m'en pariez pas.
Les domestiques de M. le baron de Jarente,
le propriétaire de, la maison, ont eu la
permission de donner un bal , et j y ai été
invité avec .mon mari, qui est un peu
clarinette, comme vous savez. On avait
arrangé une grande chambre dans les
mansardes, où nous avons dansé toute' la
nuit. 11 y avait une. nombreuse société,
213
et' ma foi, c'éfait bien gentil. On avait
des rafraichissements gratis. Monsieur le
baron avait donné soivtiflte francs, et on
s'est cotisé poirjr le ^esté» Je n'ai pas
manqué une seule ,contredanse, jusqu'à cinq
heures du matin, qoç nous avons éteint les
chandelles. MêmeV^^^st à cause du motif
que je vous prt^A.'ayoir un peu d'égards,
monsieur Jacques, si je me suis attardée
ce matin.
— Il n'y a pas grand mal, madame
Rigaud; moi-même d ailleurs j'ai passé la
nuit dans une soirée dansante..
^'•^ Âh! dam . • . vous, monsieur • • . c*ést
du grand genre . . .
— Hein! dis-je en me pinçant les lèvres,
si j'écris jamais Tblstoire de madame B.,
je ne la ferai pas lire à madame Rigaud*
Bal au premier étage , concert au second,
soirée dansante au troisième, et bal de
domestiques dans les mansardes ... cela
s'enfile comme les grains d'un chapelet*
Si le cordon vient à casiser, gare que les
grains ne roulent pêle-mêle à terre. Bien
adroit qui saura les mettre à leur place!
jA<;auBs Raphaël.
/
«»l^^^«^^<
LE PARISIEN A PEKIN.
(ESQUISSE DE VOYAGE.)
I j ■ I ■ ■
yyXe coeur de la femme- est on angle
^^ai^u. Il faut frapper bien juste, pour
i^ne pas glisser le loug des bords I....*^
Mbisg-Tsée.
^Une coquette, c'est comme un vaste
„ fleuve; les bords en sont chauds, le
), milieu froid!....
^Pensées du soir, inédit.)
Uoe idée est la conscience d'une sensa-
tion; anssi j ai toujours pense quen créant
notre globe rÉternel avait dit: „ Voilà pour
,,rhoiiinie, et j'en fais presque un dieu!..."
En effet, n'est-ce pas notre domaine,
puisque nous pouvons le voir sans cesse,
215
en mesurer retendue, jouir de sa splendeur
et des richesses de ses produHs, et dresser
nos tentes sur tous ses points!, depuis le
ciel brûlant de» tropiques jusqu'aux glaces
du pôle? • . V
Nest-ee pas aèssi faire acte de liberté,
de force, de jpuissafice, que de s'en em-f
Sarer en quelqfu^* sorte en voyag;eant; et
[arco-Paolo n'élait-il pas plus qu'un roi?...
Ah! si j'ai un jour du temps et du repos,
si je parviens à résister à la vap^ne qui
me pousse, ou à maîtriser le goût qui
m'entraîne ; si je puis resserrer, fixer sur
un seul point ma ?ie radieuse; si je puis
faire oublier un moment le notn de Touriste
qu'ils m'ont donné, je dirai, dans le calme
et la paresse, pourquoi les voyages charment
la jeunesse, intéressent à Tâge de raison,
et déplaisent à la vieillesse. Je dirai pour*
quoi le poète, le savant et l'artiste y trouvent
Une vie nouvelle; et cela ne sera peut-être
pas l'aperçu psychologique le moins in-
téressant. ...
Aujourd'hui cela m'entraînerait trop loin.
Je veux seulement vous dire que je viens
encore m'arréter à Paris, qui semble être
toujours mon nid d'hirondelle, d'oii je
m'élance dans l'espace.
216
Las de pareoiirir l'Europe en tous sens^
il m'est venu Tenvie de pousser jus^*ea
Chiue; et bien m'en a pris de me décider
de suite, car c était rauiiée où la Russie
renouvelait sa mis.ston à Pékin , et j'ai pu
me o^lis^er inaperçu, comme l'un des es-
cuiapes de la caravane.*
Nous partîmes de Mainaj^-iTschin,*) et sui-
vîmes la route de Pékin, sans.nous détourner
et sans prendre de notes, le gouvernement
chinois ne permettant ni Tun ni lautre.
Je ne sais pas s'il vous serait bien ag^réable
que je répétasse tout ce que vons avez lu,
sans doute sur le statistique de ce pays:
que je vons diss« qh^on y compte soixante
millions d hommes: que de beaux et largues
fleuves portes des villes flottantes très
con,sidérable8: que là on trouve le type
primordial de l'insecte qni donne vos belles
soies: que de là il passa en Perse, ave^e
l'art d*en faire des étoffes, lesquelles étaient
encore si rares du temps de Justinien^
qu'elles se vendaient au poids de l'or.
âu« ce papier de Chine sur lequel vous^
*) Wa\ma - Tschîn , ville -de la Mong:oIîe chinoise,
frotitièie de la RuRsie, Rur la grande route de
Pékin. C'est le lieu d'oCi les nations dtt nord
tirent le meilletir tb«.
217
voulez avoir àParîs les éprenvesdesg;ravnres
^e JoanmM;, des Porret, ou un exemplaire
des oeuvres d'Aiexi^udre Dumas, u'çst q^ue
du papier à sucre en comparaison de ce
papier chinois d'un blanc éclatant, fabriqué
à Pékin avec des dlets de bois de baipbous
bouillis. , ?
.(lMe> depuis plus de d'eux mille an^r^ ,cç
peuple (QoiHiait Ti^stronomie ^ rimprimerié
et la Uquissole;- que> depuis la même époqi^e^
il fabrique la porcelaine, le verre et une
f(|ule d'admirables petites choses qui font
le chaïme de. n^sboudoirs^
Que les mandarins lettrés y sont consîd^ré^
comoie les protf^cteura des provinces, et
lempereur commet le père de ce vaste
empire. Je ne vous apprendrais rien ^de
nouveau; ainsi passons outre, et ailoufi^
droit à Pékin.
Nous arrivâipes dans cette g;rande vIIIq
par un beau soleil, qui se reflétait sur des
toits éclatauts, car toutes les tuiles. en
sont vernies: les jaunes pour les palais de
'Fempereur,*) les vertes pour les hauts
personnages, et les grises pour les classes
*) Cette couleur en quelque ouvrage que ce soit
est affectée au «ouveraio.
218
Inférieures ; mais j allais retomber dans les
descriptions, et il est convenu que je n*en
ferai pas.
Or dolie, le gouverneur de la province
de Mainm-Tschîn , auquel j'avais rendu un
service, m'avait donné dès lettres de
recommandation pour quelques manddrins
lettrés de Pékin. Un d*eux , qui , jeune,
avàît connu le savant P. Bourgeois*), me
fit un accueil particulier; nous convergions
en latin, et Dieu sait quel latin je lui
donnais! mais il m'assurait que nous nous
entendions, et alors je ne vois pas pourquoi
j'aurais fait le difficile.
' Un matin il me dit: ,, Jusqu'à ce jour je
TOUS ai montré plusieurs manuscrits, tra-
duits tant l)ien que mal par vos mission*
naires; mais tous étaient relatifs à la
religion ou à la politique, et il en est
résulté que vous n'avez pas de tableau de
nos moeurs intérieures.
))Yoilà un livre remarquable; il est de
notre célèbre philosophe Memo-Tsée.*^
Je m*inclinai.
— „Je vois, continua le mandarin, que
vous ne connaissez pas notre Meng-Tsée.
♦) En 1774.
210
Il parnt troîs siècles après Kong-Fou-Tsée *%
qui vivait dfins le cinquième et s^ixfème siècle
avant J.-C. Meng-Tsée s'attaciia à attaquer
les vices de son pays par 'la force de la
raison; il ne réussit pas: il se saisit de
l'arme du ridicule, et obtint le succès qu'il
désirait. Yoilà un vHlnme de lui, «nique-
ment destiné à faire conntsître lés vices d^
son époqne et-'là coquetterie de certainéÉ
femmes. Lu {[Première anec«iote eht intitulée:
Une femme de Pékin/ Voyez, à' la fin du volume,
cette adjonc^ion^; c'est une traduction de cette
anecdote, essayée par ce !>on P. Bourgeois,"
Je pris ce- manuscrit. — „Pai',bleu! dis-
je au mandarin, le peu que je viens d'en
lire me fait naître l'rdée de translater cet
épisode en français; notre Svavant Rémnzat
se pendra de navoir pas trouvé celui-là.
„^- Comme vous voudrez, mon cher ami/
me dit Texcellent mandarin : et je me mis
à Toeuvre jusqu'à mou départ pour l'Europe.
Il fut trop prompt, hélas! car je n'emportai
de ce riche pays que cette nouvelle, et du
tabac jaune, plein mes poches . . . mais
*) Qu'on traduit ordinatremeiit par Confucîus. Ea-
pbonie aussi préférable dans sa substitution
que le changement fait à Mohamed que nous
rendons par Mahomed,
I
220
je me consolai en pans^fit an plaisir q«e
je ter&is.RuxfajiàUnaèles de Paris , en leur
appoi^nt le joli portrait d utie hmme des
bords de la livlére Bleue.*-)
En arrivatit du Havre, où. nous étions
débarques, Mu de mes compagnons de voyage-
cosmopolite cjamm^moî, me. pria de Ini
cpmmirniquer cette p.€^^(ie lAinc^c, et voulut
we persuader ^près ravoir . Iu.«^, que la
femnu 4e Pékin ipssçrobiHî.t assez à une
femme de la Chaussée d'Antin. v . Qudle
idée .**► . . — . En toiit eus, yqicî hi^ob histoire,
vous en jugerez.
LA FEMME DE PÉKIN.
^ OhJ qui me dé«vrara des rêves de ma
jeuuesse? qui me dési'nthantera une bonne
fois? . . . qui me dira enfin sans réserve:
Ne croîs à rien d'ici bas, car tout'y est
prestiges et mensonges? ...
Ces suaves créations, ces riantes fietions
*) Cette rivière ne trftvci^se pas Pékin, c*C8t la
TLvière Tu'ffo} mais la rivière BIpuc^, qui est
la plus beUe de la Chine, comme la riyière
Jauue en est la plus grande, possède sut- ses
bords de mai^nifiques palais que vont habiter
.pendant la belle saison les femmes les plus
nches de Pékin. ^
221
oa le ' coeur s'ouvre à des félicités déli*
cieuses, . . . erreurs!
Cette existence idéale où quelques âmes
pures et crédules espèrent rencontrer le
bonheur, .... erreur!'
Cet homme d'émotions et de liberté qui
va jiig;eunt ce qui nous entoure en poète
et en artiste, . . • erreur!
Et cet être composé de rêveries et de
sentiments qui pense qu'après l'étude de
Dieu et de la nature^ la femme doit remplir
la plus largue place dans la vie ; • . • erreur
encore! toujours erreur!
Déceptions de tous les jours qui usent
la vie en la minant par le cpeur.
Ne crois à rien, et tu vivras plus pour
toi. Tu seras calme, parce que Timaglna-
tion ne se portera plus au-delà de I atmo-
sphère que tii respires; tu seras heureux,
parce que tu trouveras tes affections en
toi, ton bleu- être en toi. Tu jouiras de
tout, parce que tu ne désireras rien.
Tes impressions, tes jouissances se cen-
traliseront dans toi. Pour les autres, tes
sentiments seront froids, indifférents, pres-
que nég^atifs, car tu n'aiinis pas même de
place en ton coeur pour la. haine; le mépris
seul débordera! ....
222
Où estril ce «âge, ce philosophe, ce nou-
veau Koiig-Fou-ïsée qui me dira: »Sois
,) indifférent à tout ce qui t'entoure, vis
„ tranquille, sans les émotions trompeuses
M de Tespérance, sans les secousses violeoites
^des passions; ne cherche .pas trop loin
„le peu de bien quMl faut pour vivre isolé^
Méprends les jouissances . qui s'offrent qlous
^ta main, laisse ta vie mollement bercée
^s'écouler uniformément et finir sans bruit,
M comme Tenfaut rassasié de la mamelie
M nourricière s*endort aux mouvements mono-
))tones du berceau! .... et quitte sans
regret la pompe des jours, la mélancolie
des soirs, la brise des mers, la rosée des
M prairies, le frémissement du feuillage, et
,>le8 femmes et les fleurs? . . .'^
C'est ainsi que le mandarin King', qui
vivait sous le roi Fo-Hî,"^^') se lamentait et
broyait du noir en sortant de la grande
pagode de Pékin. Et de fait son histoire
était triste; mais comme elle ressemblait
•) Fo-Hî vivait 2>000 ans avant J-C 11 favorîsa^
Joutes Lrs connaissances humaines. On lui
attribue FY-King, le premier des cinq livres
sacrés, appelés du nom générique de Kir^G, qui
veut dire excellcut.
223
à celle de beaucoup d'autres, je pense qull
avait tort de s*en chagriner.
Voyez plutôt:
Il y avait autrefois à Pékin une femme
belle et spirituelle^ qui était alternativement
pieuse et mondaine , froide et passionnée,
dénigrante et enthousiaste , folle et raison-
neuse, méchante et bonne. Elle recevait le
lévite et le guerrier, le poète et le musicieti.
Elle allait régulièrement à la pagode et
sortait la dernière da bal; le tout^ disait-elle
aux uns, parce que l'ennui la gagnait et
qu'il fallait bien tirer parti de cette pauvre
vie; puis, à ceux qui valaient une confidence,
parce qu'elle n'avait pas encore trouvé quel*
que chose, ou^ quelqu'un, pût la captiver
tout entière, et qu'elle cherchait
Or, tout en chercluint, elle se faisait con-
duire quelquefois dan&le jardin de l'empereur,
sur la terasse de la rivière Tà-fio, dont les
eaux partagent la vilFe, et dans l allée des
grands orangers.
Lia malgré la foule, on la distinguait
aisément, d'abord parce que sa tête dépassait
celle des femmes qui Tenvironnaient. C'était
comme une longue toubéreuse dominant le»
flenrs d'un parterre ... et puis on la remarquait
«ncorc parce qu'elle marchait leutemeut . . •
4a4
Elle avait de si petits pieds, qu'ils parais-
saient n'avoir été faits q^ue pour un eufant;
aussi plus duii mandarin reveuait-ii chez
lui le coeur préoccupé. ...
Lorsque son brillant palanquin, recouvert
de fiches étoffes roses comme le bout de
ses doig;ts effilés, la conduisait au faubourg:
Vaï-Lo-Tehing, et dans la rue Liou-Li-Tchang,
pour voir les parures de son joaillier, ii
lui fallait passer devant le palais du fils
sacré du ciel (autrement dit l'empereur);
alors tous ces fiers soldats en robe qui sont
là accroupis au pied de ta grande muraille
ronge du palais, se levaient spontanément,
éblouis qu'ils étaient de tant d éclat; puis, par
un mouvement hérmqne, ils abandonnaient la
pipe qu'ils fumaieivt nonchalamment, délais-
saient le bienfaisant parasol qui conservait
leur teint cuivré, et se posaient fièrement
appuyés sur leur fusil rouillé pour voir passer
cette ravissante Périe Aussi la coquette
heureuse intérieurement de l'effet quelle
produisait, soulevait-elle sans intention mar-
quée un petit coin de son grand voile pour
laisser apercevoir des yeux; fendus comme
une amande, un teint comme la fleur de
Végiantier, et des deuts comme son collier
de blanches perles.
MB
Le mandarin King parvint un jour à être
admis chez elle , je veux dire cliez Li*
Lia, car javaia oublié de vous dire son
uom.
Ce jour dadmîasian, jour lieureux ou
fatal, nous ne le choisissions pas: cest la
desUnée qui lec donne.
Longr temp9 s'était écoulé .... il se dit
enfin :.«• Le temps fuit rapide^ Tbiver va
poser sa main glacée sur moQ front, et
j'ignore encore si Li-Lia a un coeur, et
s*il peut battre pour moi . . . pour mol,
homme pensif et solitaire comme Tétoile
du soir, passionné et brûlant comme Tastre
qui verse des torrents de lumière. . . Aprèâ
ces réflexions et autres semblables, toujours
dans le style du temps, notre mandarin se
décida enfin à lui faire connaître son amour.
Mais moi, voyageur inattentif, j'allais
oublier, uvant de vous raconter sa j>iteuse
histoire, de vous dire qu'à Pékin les nioetirs
digèrent totalement des nôtres; et si je ne
vous en esquissais pas les traits les plus
«aillants, vous ne pourriez plus croire à
md traduction, tant ce qui me reste à dire
est. opposé à notre Paris, où tout est st
parfaitement bien, eemme vons savez. Figurez-
vous qu'une plaie profonde et incurable
LXXXV. 15
220
mine ce corps social. Le tableau de Pékin
semble être à l'observateur comme un long
drame sans désoûment, comme une énigme
Le fond de ce. tableau vivant est dominé
par un volcan qui menace d'engloutir acteurs
et spectateurs, et Tberizon se diargè de
nuages épais d'où lai foudre sembla prête
à éclater. • . En vérité, je vous le dis, c'est
un étrange pays!... car au milieu de lafa-
sence de tout lien, de tout frein, de toute
religion,, de toute sécurité, on s'y égaie
parbleu avec insouciance , comme si l'on
était sûr d avoir le lendemain pour ré-
fléchir •• . • et le grand drame va toujours
son train, et chacun y déploie ses petits
moyens ... le talent de feindre surtout y
est porté loin. . . . Joies, douleurs, amitié,
dévouement, amour, la beauté qui vous
séduit, les parfums qui vous enivrent, jus-
Î[u à Tair que vous respirez^ toiit y est
actice. Il semble aussi que chacun se sdt
donné un rôle dont la pensée secrète est
égoïsme et cupidité!
Aussi Tignorance, le vice, le crime même,
s'y montrent al tiers et tranquilles dès Im-
Btant que la richesse les couvre. : Palanquins
brillants^ meubles élégants, vases japonais,
iî7
repas somptnenx, fêtes à ravir, où l'Âm«>
phitrion parle ordre, bienséance, honneur,
vertu . . .tout cela suffit pour ennoblir
cette fortune sortie de la boue, quelquefois
du sang^! ... Un cercle d'habitués qu'on
héberge a la mission d'attaquer tout le
inonde, de ternir toutes les réputations,
afin ^ue Thonnête Âmphitrion passe inaperçu
dans la foule des calomniés ... et tout
finit enfin par être pardonné, oublié, car
tout se cache sous Tor! ...
C'est un singulier pays! on y voit des
renommées d'un jour et des célébrités qui
s'arrêtent à l'issue d'un salon ; prodigalité
d'esprit sur rien, légèreté et médisance
snr tout; charlatanîsitie de roots, démorall- *
sation des faits; intrigants politiques pous-
sant la vague pour arriver et succombant
au port, à la satisfaction de quelques gens
sensés qui vivent à l'écart. C'est un cnrieùx
mélange dé petits amours avortés à leur
naissance, de petites affections trahies en
se formant, de petites extases pour une
plumé t)U un chiffon, d'émotions nerveuses,
d'affections éphéinères et d'hommes blasés.
Enfin c'est un pandémonion d avocats bavards
et ambitieux, de fous qui révent la plus
étrange chose, l'absende du mien et du tien;
15*
c'est la solfatare où vont s'engloutir pêle-
mêle religion, morale, institutions, rois,
avenir! . • •
Mais ce tableau de Pékin est trop sérieux,
vous préférez sans doute que je me borne
à vous montrer ici sans voile une de ces
créatures qui dans tous les pays sont
compe UB doux repos pour les yeux, un
doux rêve pour la pensée, un doux baume
{»our le coeur! ... Eh bien, soit, va pour
es femmes de Pékin; mais vous verrez
bien, quelles diffèrent aussi prodigieusement
des nôtres. Chez elles, tout est pièges,
séductions, tromperies. ÉUe/s cachent sous
uqe figuré candide et pure une ame stérile
et fausse; ce sont des syrènes sanis coeur,
des corps sans passions, mais habiles à les
contrefaire . . . belles comme le marbre
du statuaire, glacées de même lorsqu'on
les touche.
Ces êtres Inachevés se lèvent générale-
mept lorsque le soleil frappe depuis l4^ng«
temp9 d'aplomb sur la coupole du temple
de Fq» et préparent leurs mines et leurs
gestes au miroir pour les répéter, le sofr,
à la lueur des bougies.
Cesi femmes sans naturel ni sensibilité
ont cependant une cour assidue, car elles
229
ont des sourires et des regards qui font
rêver, des demi-mots qai font espérer; et
quand' elles ont rencontré un de ce9 hommes
dont lespèce diminoe tous les jours, qui
s'offre à elles avec- un amour pur, dont la
place est plus près du ciel que de la terre^
elles s'en emparent, et par des demi-aveux
qui paraissent être échappés à l'indiscrétion
de leur coeur, elles ramènent à livret son
secret, sa vie, son avenir; alors iières et
dédaigneuses, elles redressent la tête et
s'apprêtent à Timmoler par une plaisauterie
qui pourra le rendre la risée de leur cour...
ou bien, si le jeu les amuse quelque temps,
elles se plaisent à traîner cet amour" à leur
suite, jusqu'à ce que, se retournant brus*
quément, elles le laissent au milieu du
chemin , le foulant au pied en passant . • •
sans craindre une vengeance, car elles se
disent: Je lé connais, il sera malheureijx,
voilà tout.
Puis passant outré, elles demandent leurs
perles ou leurà diamttnts, et conservent de
ce drame brisé un souvenir dans la mé-
moire comme urne ritournelle 4e chanson,
et dans le coeur èbmme une légère ride
sûr une vaste mer! . . :. " .
Les femmes de ce genre n'aiment fiant
230
les hommes pour la tendresse et le de-
vouement qu'elles en attendent, mais pour
les hommages et le lustre qu'elles en re-
çoivent. AMSsi ont -elles classé lamonr
d*une . étrange; manière; elles en ont fait
trois .g:randes :divisions!
1^ Distraction, ou moyen de ne p^àser à
rien-;
2^ Caprice, ou volonté de penser à quel-
que chose ;
3^ OccuPAT&ON, sentiment sérieux qui dure
des semaines entières! ... «
Aussi ces femmes traitent-elies une pas-
sion avec commodité, avec tranquillité d'âme,
4:omme on s'arrange d'une chose qui peut
offrir, quelque agrément, sans nuire aux
autres petits .plaisirs de ce monde. Il y a
les heures pour la toilette, le mari et l'amant;
pour la couturière, les enfants et les visites;
|>iiîs aussi les instants pour se; montrer en
public, aller voir les jongleurs, assister
aux fêtes du cirque: enfin, là tout est si
bietf piiévu que les da^;ies of]t des heures
m^rquée^ pour aller chevcher des im^
pressions qui s'échappent dans l'éclat d[un
rircî distrait, ou recevoir des émotions,
qui arrivent jusqu'à . répi^er.me de, * Içpy
231
r
Vous avez voulu que je vous fisse con-
naître les dames de Pékin, eh bien, les
voilà... Vous voyez bien qu'elles sont à
mille lieues des nôtres! '. . • et comme il
faut pourtant que je vous finisse Thistoire
du pauvre mandarin, vous aurez soin dans
ce qui va suivre de continuer à vous croire
transporté aux Antipodes, ou bien' lisant
une des pages, de la rêveuse Scheherazade.
Vous ne vous attacherez qu'au but moral
de ce léger épisode; car, vous le savez,
la lettre tue et l'esprit vinfie *).
Op, le mandarin marchait dans l'ombre
de Li-Lia (ce qui chez nous veut dii^e qu'il
s'était attaché à> ses pas). Doué d'une
organisation sensible et d'un coeur élevé,
la gloire, l'amour, les sentiments généreux
étaient les seules passions qui remplissaient
son âme; il méprisait toutes les autres....
Comme mandarin, sa^ position le forçait
de pratiquer les usages des classes élevées,
d avoir les dehors de l'homme du monde^ et
du courtisan; comme lettré, il vivait pour
les doux rêves de l'imagination, les émotions
de la pensée,' les sensations de Fâme;
aussi, à la vue du brillant météore qui
"} Evangile selon- Mîat Jean.
2tt
l'avait ébloui, il aVait pensé qu'un jour il
pourrait atteindre jusqu'à lui et fixer sa
prestigieuse apparition»
; Le noandarin King donc, après avoir con*
suite les trente-quatre génies, ^0 paria, et
il- fut écouté avec indulgeace; il écrivit,
et il fut. lu avec plaisir; il demanda une
main qu'il n'avait pas encore osé serrer^
elle lui fut donné avec abandon. Tost
allait au mieux pour le mandarin King, du
moins il le croyait; déjà les yeux de Li^Lia
s'attachaient sur ses yeux, son air était
pensif. et tendre, sa bouche ne s'ouvrait
plus pour lui qu'avec cet accent doux et
mélodieux qui fait un si prompt trajet de
loreille jusqu'au coeur* Auand il lui donnait
le bras , son corps paraissait frémissant
de cette crainte qnî pour Tamant est
le précurseur du bonheur; enfin la douce
espérance exhalait pour lui son enivrant
parfum.
Cependant King remarqua que Li-Lia
*) Les trentë-qaatre génies, eu Chine » président
aux différentes parties de l'année. Il faut
choisir la lune et le jour le plus favorable de
• chaque lune pour faiVe une entreprise, donner
un bouquet etc., etc.
(Vidi : Alm. de Koilaii|g>-Tcheou*Foa* — Canton.)
S33
recevait d'autres honmag^es que les siens
et qu'elle se plaignait à lui avec afFeetatiou
des larmes que sa tendresse pour le man^
darin lui faisait verser. 11 ne comprit plus,
mais il lui écrivit:
>>Li-Lia, pour la femme, qui aime, les
» hommages de Tunivers sont froids et
»décolorés. Pour la femme qui aime, Tab'
ù négation est la -vertu qui remplace et
yfi{n\ honore encore toutes les autres. Votre
,> amour-propre ne se contenterait-il plus de
,)ma servitude? ou votre coeur ne trouverait^
,>il plus rien pour la récoropeniser ? . . . *'
Il attendit la réponse.
Connaissez - vous le bonheur de recevoir
une lettre de la femme qui vous. aime, lors-
que triste et malheureuse elle se plaint à
VOUS' des souffrances que vous luî causez?
ÂveZ'VOus lu alors de ces. mots qui vibrent
si harmonieusement dans votre âme? rtiots
qui rencontrent on écha dans toutes vos
sensations intimes!... 'Avez-vous déVoré
de ce^ lignes qui semblent un reflet brillant
de la poésie de votre pensée ? de ces lignes
échappées à Tamour timide, à la retenue
du monde, qui répondent au coeur et le
consolent par des larmes? . . .
Hé bien , le mandarin rêvait ce bonheur
2S4
et l'attendait avec anxiété. • . • Mais les
femmes de Pékin entendent autrement ces
sortes de confidences; comme elles veulent
rester maîtresses de leur secret, elles ré-
pondent sans se compromettre, et on pourrait
presque afficher leurs lettres-, sans qu*on
pût en i^nférer autre chose qu'une banalité
de politesse affectueuse.
Li-Lia répondit donc une lettre cançenahh.
M Vous vous créez des fantômes, lui disait-
^elle, pour avoir le plaisir de les combattre.
)) Comment pouvez-voqs croire que mon coeur
,)hésite un instant entre tou^ ceux, qui noi'en-
),tourent et m'obsèdent?... il n'y a qu'un
>,étre pour le coeur de la femme!* .. Com-
>)ment voulez -vous aussi que j oublie que
„j'al été disting^uée, aimée par vous, qui
)» possédez si bien tout ce que Timagination
. ,,et rame d'une femme peuvent désirer."
Le lendemain lorsqu'ils, se revirent , elle
fut pl|is séduisante que jamais. Se^.yenx
abattus et mourants semblaient humifles de
mélancolie et de sentiment. Ses lèvres se
coloraient par -instants ^t s entrouvraient
après avec>^ volupté; il y avait dans sa voix
^une combinaison si harmonieuse, si persua-
sive, qu'il récoutait encore même qu'elle
avait cessé de parler.
235
»
£e mandarin était homme de premier
mouvement , il n'y put tenir.
— Âti ! lui dit-il y si un être aimant a le
coeur' déchiré par le douta ou le soupçon,
qu'il écoute tes douces paroles ou lise les
4l^qes échappées à ton âme, et qu'il dise si
ses souffrances ne sont point calmées, s'il
ne s'en retourne pas iiercé d'une vagife et
douce mélancolie, comme le voyag^eur qui,
au déclin du jour, retrouve les lieux, où ses
rêves de bonheur commencèrent, où son
premier amour le saisit.,.. Oui, ton âme
répond à mon âmç; un lien .puissant, mysté*
rîeux, ig;noré de ce monde qiié nous méprisons
tons deux, un lien que le temps resserre,
que rien ne peut briser, nous unira. Quand
l'un de nous souffrira, lautre sera là pour
calmer ou partager ses douleurs. • . . Lors-
que le chagrin assaillira ton coeur^ je vien-
drai doucement 'te dire des oiots d'amour,
et tu souriras. .^. • , Quand les larmes ter-
niront lie cristal de tes yeux, je t'entouteral
de mes bras, Je te presserai contrer moi^.
je baiserai tes larmes^ et tu seras consolée...
Et le mandarin était heureux de se replacer
sons le joug- dont il avait voulu un instant
•ssayer de s'affranchir. Et il reprenait le
QiaDteau .e( Je# |era 4^ resclavc^ commje un
. 236 ^
autfè aurait cotiqniflr la tunique et le bopôet
de la liberté. ...
Les Parisiens qui s'y connaissent vont me
dire que raecoutrement diiféri^it beaucoup;
moi je répondrai qu'en amour tout est bien,
et pour preuve je citerai Lauzun, qui porta
la livrée de postillon pour avoir t insigne
^honneur de conduire au trot madame de
Valeutinois, dont il était épris. Ainsi, qu'on
respecte ma traduction, c*est d ailleurs le
mot à mot.
Le temps toujours inflexible marchait. . . ;
Le pauvre King^ vivait eomme la plante
qu'une main capricieuse priverait par inter-
valle de la bienfaisante rosée qui la vivifie.
Cependant deux fois Li-Lia avait pressé
d^nne main furtive et tendre celle du man-
darin., .cependant, deux fois il avait obtenu
de la conduire dans des lieux écartés.'..^
cependant une nuît,^ dans Tisolement et le
mystère, elle avait plus fait encore... et le
mandarin, dans sa reconnaissance lui avait
dft: ,,Ll-Lia, ang;e de bonté, à qui dois -je
M attribuer tant de bien?"
„ — Au sentiment qui m'ôte la force de
pouvoir toujours feindre avec vous!** avait
répondu Li-Lla; et deux éclairs échappés
ié ses yeux avaient 'cbûfirmé ce ^ùe deui; .
23T
lèvres tremblantes avaient dit à demi-voix...
Mais le bonlieur a la fragilité du verre!...
King malheurensement observa et crut
apercevoir quelques déceptions, qui, toutes
patentes qu elles sont, ne semblent aux cap-
tifs que des hallucinations pénibles et meu-
8ong;ères.«. Cependant il devint jaloux, le
mandarin. Une pensée tenace, poignante,,
lobseda et ne lui laissa nul repos. .,>Les
uvorlà, s'écria-t-il, ces femmes décevantes
„de Pékin, les voilà ces météores trompeurs
n qui nous éblouissent; les voilà ces brillantes
), PérUs, sans corps, et sans âme . . . L'amour
,»avecx elles est comme un rêve pesant.,
^commencé par une nuit d'orage et terminé
„par un coup de .foudre qui tue.*^
U voulut enfin connaître la valeur réelle
de rattachem.ent d'une coquette. 11 envi*
sageait bien avec une sorte d'effroi le jour
où la dotic0 terre 4es illusions allait manquer
sous ses ^as.et lui laisser qii«r]que triste
réalité. Mais, il. fallait sortir dun piegie
affreux, où il allait engloutir ^ son repos et
sa vie. U lui écrivit donc; , .«
j^Li-Lia, jusqu'à ce jour, vous avez réglé
„avec une mesure égale Fespèce d*intermit-
ntenee de fièvre dans laquelle se partagent
^mes nuits et mes jours; m^îs le doute en
"'«^chercAez. ••• ^«lettre
i
I
!
•I
L OBÉLISaUE DE LOUOSOR.
N*était-ce donc pas assez de détruire et de
laisser détruire dans Paris ^ comme dans
toute la France^ les monuments que nous
ont légués nos ancêtres? N'était-ce donc
£as assez d'avoir laisser abbatre Saiut-
landry, que, pour soixante mille francs,
on eût pu sauver du marteau; d'avoir laissé
s'établir un teinturier dans Saint-Pierre-aux-
Boeufs, un tourneur de chaises dans la
chapelle de Cluny, un mauvais lieu dams
Saint-Benoît; d'avoir dit à Saint -Germainr
l'Âuxerrois: Tu périras! à la tour Saint-
Jacques : Tu crouleras ! d'avoir soupiré
après la démolition de la Sainte-Chapelle de
Yincennes , d'avoir fait des jardinets et de
LXXXV. 16
242
rigoles en travers de la majestueuse, coin-
1 position de Le Nôtre, et d*avoîr rapetassé
es Tuileries ? N'était-ce donc pas assez de
vendre à qui en voudra le manoir de Saint-
Leu-Taverny?î
N'était-ce donc pas assez de tous ces
attentats ? Fallait-il encore que la dévastation
étendît ses ravages jusqu'au rive du Nil!
Le devoir de Fliomme est de s'opposer
1»ar toutes les ressources de son génie à
'anéantissement de ses travaux ; de contre*"
balancer, de retarder, de suspendre les
opérations de la nature qui ne sait donner
Texistence à de nouveaux êtres qu'au dépens
de ceux qui les ont précédés. La loi de
l'homme est, conservation: la loi du temps
est, destruction. L'iiomme et le temps
doivent donc être en lutte constante. Mal-
heureusement, le premier fait souvent ab-
négation de sa mission pour aider l'antre
dans la sienne, et, comme ini, s'arme
d'une faux et:d*un épée« Une fois entré dans
eette voie, l'homme devient plus redoutable
que le temps ; car , les détériorations de
celui-ci sont lentes, rieo ne le hâte, il a
l'éternité devant lui.
Qu'on accuse pas les Vandales et Tigno-
raiice de destroction: les Vandales ne font
243
pas la guerre aux monuments, Tignorance
est respectueuse* C'est au nom de la science
et du progrés que la plupart de ces crimes
sont consommés. Cest la scienèe, et non
point Tignorance, qui dit: — ^Ceci est go-
thique, ceci est barbare, renversezl.w. "— -
C««t la science qui parcourt Tunivers une
pioobe on une hache à la main; jqui va
spoliant Thébes de ses ruines imposantes
qui 'faisaient depuis tant de siècles Tadmi-
ratioq du voyageur,- dont elles élevaient
Tâme et élargissaient lesprit par la médi-
ta^oii. C'est la iscience qui va ravageant
les nécropoles de ia Théhaïdq, démolissant
les hypogées 9 effondrant les sépulcres,
criblant là poussière des tombeaux pour
en extraire quelques scarabées, quelques
papyrus inintelligibles, quelques amulettes,
quelques ossements:; c'est la science qui
«'arrêtera ses profanations que lorsqu'elle
aura nivelé aux sables des déserts les ber-
ceaux des dvilisatlons primordiales.
C'est la seience qui a dépouillé et qui dé-
pouillé, chaque jour, Athènes de ses débris
magnifiques; qui lui arrache ses bas-reliefs
et ses métopes; qui lui dérobe ses statues;
qui. emballe et expédie ses colonnes et ses
portiques pour la terre du négoce, pour
16*
244
l'Angleterre , où Us vont . s'engloutir dans
les bosquets biscornus d'un raffinenr enrichi.
C'esi la science qui' ne tardera pas à dé-
pouiller rinde de ses monuments de la
gloire moffole ; qui ne tardera pas à dépecer
le mausolée de Taage-M^hal, le palais
d'Âkbar, le Mouti-Mutjid, la perle des mos-
quées; c'est la science qui laisse dépérir
les mausolées d'Âkbar et d'Ulla-Madoula,
pour s'autoriser bientôt à les démanteler et
à les charrier en Europe.
Mon Dieu ! quelle manie de prendre et
de transporter ! Ne ponvez-veus donc laisser
à chaque latitude, à chaque zone sa gloire
et ses ornements? Ne pouvez -vous donc
rien contempler sur une plage lointaine sans
le convoiter et sans vouloir le soustraire?
Je ne serais pas surpris si l'on venait
m'annoncer un jour que les Anglais ont pris
la lune pour la mettre au musée de la Tour
de Londres.
Croirez-vous avoir donné beaucoup d'éclat
à votre nation, croirez-vous l'avoir fort re-
haussée , quand vous aurez enfui dans la
vase de la Tamise , ou dans la boue de la
Seine, Toeuvre de deux ciu trois mille ans,
les chefs - d'oeuvre de quinze ou vingt
peuple ^ quand vous aurez empilé dans vos
1245
carre/oars, et dans vos magasins, Romains
sur Etrusques, Egyptiens sur Hindous,
Italiens sur Arabes, Grecs sur Mexicains?
Ctiaqûe chose n'a de valeur qu'en son
lieu propre, que sur son sol natal, que sons
son eiel. 11 y a une corrélation, une harmonie
intime entre les monuments et \e pays qui
les a érigés, quon ne saurait intervertir
impunément.
Il faut à la pyramide, un ciel bleu, un
sol chauve, 1 horizontalité monotone du
désert; il faut la caravane qui passera ses
pieds; il faut les cris d'une population éthio-
I tienne qui se meut, ou il faut la solitude et
es hurlemens du. chacal.
Il faut aux sphinx de granit les longues
avenues des temples des Pharaons; il font*,
ou ces hordes bizarres qui s'entre- tuèrent
à leur ombre, ou les mines silencieuses de
Karnac.
- Il faut aux obélisques les pilones du
temple; il faut le culte du soleil; il faut
l'idolâtrie de la multitude, ou il faut le
désert;
Ces monuments qni versent tant de sublime
poésie sur les sables arides des Sahara, qui
proclament la grandeur, la* puissance, le
génie des races passées , traînées dans le
246
sein dé nos villes, dévienaeiit mornes, nmets^
stupides Gommê elles.
La belle tournure que vous a un sphinx
dans un impasse , entre un cordonnier et
un estaminet! Le bel elBfet que éelui d'un
obélisque se profilant sur un hôtel garni,
entre un corps*de-garde et one maf^mide
de tisane!
Hélas! nonobstant toutes ces raisons,
voici la France qui se met aussi de la partie
pour faire la traite des monuments, et qui
s'en met à toute outrance. EUe vient d'im-
Eorter un monolithe arraché aux ruines de
ouqsor. Pauvre France!... Combien eUe
est heureuse, maintenant qu'elle possède un
obélisqae! quelle g^loire! Réjouis -t en bien
lang^'temps, ma patrie! L'enfant qui secoue
son hocliet oublie ses chagrins: puisse ce
hochet de granit assoupir aussi tes dou-
leurs, et verser du baume sur tes plates.
Mais si, comme à l'enfant, il te faut des
jouets , souvent aussin, ' comnie lui , tvt en
désires dont tu ne sais que faire, quand
tu les possèdes. Que vas -tu faire de ce-
lui-là?
Pour lui trouver un emploi, depuis un an
bientôt, les raisonneurs s'évertuent: jusqu'à
nos députés qui ag^itent cette haute question
247
dans lenr chambre. Autrefois/ à Rome^ dans
une perplexité semblable.
Le sénat mit aux voix cette affaire importante,
Et le turbot fut mis à la sauee piquante.
Berehenx , à quelle sauce mettre cet obé-
lisque? Berchonx, inspire messieurs de
ti«tre sénat l — En attendant , par voies et
par chemins , par monts et par vanx, On ne
voit quardélions obséquieux, errants, lan-
terne en main , non pour trouver un homme^
mais pour trouver où jucher ce coquet «m-
blême des rayons, du soleiL Celui-ci veut qu'on
le place dans 1a cour du Louvre; celui-là,
au mitan de l'esplanade des invalides;
celui-ci, à Montmartre, entre deux moulins;
celui'là, sur le terre-plein du Pont-Neuf, à
la place de cet Insipide Henri lY. Au fait,
qu est-ce que slg^nifie un Henri IV? A la
bonne heure nn obélisque, rien n'est plus
spirituel! Le plus grand nombi^e, pourtant^
opine en faveur de la place de la concorde;
sans doute, parce que là il aurait Tavait-
tag;e de couper quatre façades en huit. —
Pour contenter tout le monde, pour mé-
nager la chèvre et le chou, le goirveme-
ment, qui ne veut décevoir personne de son
espérance, vient d ordonner qu'il en soit
mis partout; et, pour cela, il aurait, dit-on,
U8
octroyé des lettres de marque à une com-
pagnie de sapeurs chargés de capturer et
de mettre Fembargo sur tous les obélisques
qu'elle pourra rencontrer. On ajoute même
qu'il doit être fondé un grenier d^abondanee,
pour en me^ttre en réserve et prévenir toute
disette de cette denrée si nécessaire au
peuple, et qu'il doit être ouvert un marché
pour la vente de ceux en surcroît et Tap-
|)rovissionnement de la province. Toutes les
quinzaines on affichera leur taxe périodique
avec celle du pain.
Je cherclie à plaisanter, mais ma plai-
santerie grimace, mon rire est jaune; j'ai
le coeur trop navré; et qui ne devrait
l'avoir en songeant au sot emploi de l'ar-
gent destiné à la protection des arts; en
songeant aux somtnes considérables dépen-
sées pour l'importation de cette pierre^
tandis qu'on refuse à de jeunes et grands
artistes un peu de marbre, un peu d'or,
pour immortaliser |a France orgueilleuse
et leur génie qui s'éteint dans le dés-
oeuvrement et la douleur! en songeant que
ions nos édifices restent inachevés, qu'on
leur refuse un ouvrier, tandis qu'on occupe,
pendant plus de trois moisj plus de huit
cents hommes rien qu'à la fouille et au
549
percement de la tranchée, en pente donce,
faite à partir du dé de l'obélisque Jusqu'à
rembarcadère ; en songeant à Tamour faux
et désordonné de quelques hommes pour
les pierrailles antiques, et an dédain pro-
fessé généralement pour nos antiquailles
à nous, dont nous devrions être si glorieux,
pour lesquelles nous devrions être si tuté*
laires !
Malheureux! pendant que vou^ épuisez
le .trésor par vos conquêtes de sphinx verts
ou roses, nos cathédrales tombent en ruine,
nos châteaux se démantèlent; Tabbaye de
Royaumont, le plus admirable édifice élevé
par la munificence de Louis IX, qui en
éleva tant d'admirables, est à demi détruite
et dévastée par ilne blanchisserie de toiles.
Pendant qi^e vous remettez des béquets ou
des empeignes à des Bacclius et des Hermès
mutilés, vos tombereaux brisent et pul-
vérisent^ dans le palais même des beaux-
arts, les piédestaux de l'are du château de
Gaillon.'
Tout votre bruyant étalage d'affection
pour l'art et l'antiquité n'eat qu'une im-
pudente parade* Si vous aviez réellement
quelque sentiment du bien et du beau, re-^
pousseriez - vous les Raphaël ou le Rem-
MO
brandt qiion vous offre pour vos f^altrics?
Laisseriez -vous disperser les colleetioas
des cliefs-d oeuvres de maîtres, et souffririez-
vous que l'étranger en fit sa proie? Vous
n'avez que des sentiments feints et faox.
Votre Goeur n a-jamais battu sous les voûtes
d*un temple; vous n'avez [amals tressailli à
l'aspect d*ua Murillo ou d'un Corrège; vo«s
n'avez jamais compris Puget; vous ne savez
ce qu'est Jean Bullant, Jean VJoconde ou
Philibert Delorme; vous êtes des cuistres
aux bords de la Seine, et vous faites les
poètes aux bords du Nil. Pitié!... Celui
qui ne comprend pas Saint-VandrîUe, Blois,
Chambord, Gaîllon, Royaumont, Broii; celui-
là ne peut comprendre Thèbes. Comment
celui qui troque la Diane de Poitiers de
Jean Goujon contre un Âjax de Dupaty,
comment celui-là comprendrait -il un obé-
lisque? Vous n'avez pas la religion des
ajteux, vous n'avez ni la religion de Tart, ni
la religlop de la patrie: vous voulez simuler
ce que vous n'éprouvez pas; vous voulez
paraître protecteurs et jouer les Mécènes,
vaus affectez de la sollicitude, et pour faire
remarquer votre sollicitude affectée, vous
faites des extravagances; vous voulez éton-
ner le vulgaire par de bizarreries* Peu vous
N
251
importe que vob commis brisent à coups
de liasses de papiers les vitraux magnifiques
de la Sainte-Chapelle, vous ne vous occupez
pas de si mesquines affaires, où vos soins
resteraient -obscurs ; il vous faut des actes
retentissants. Il vous faut attirer les regards
de la foule, et lui extirper son admira^on»
Vous savez très -bien que ce nest pas le
sage et le beau qui I ébahit: a'Ous voulez
l'ébahir : vous agissez pour cela, à merveille^
Qu'on amène ici un superbe cheval arabe,
la plus belle créature de Dieu, le plus bel
être; nul ne détouroera seulement la tête
pour le voir: qu'on amène une girafe, ridi-
cule animal, lit multitude se lèvera aussitôt,
accourra en masse sur son passage, et son
entrée sera uo trionîphe. au on iimporte une
oeuvre de Michel -Ange, qui s'en occupera,
qui se détournera pour la voir? Mais qu'on
importe un obélisque, la multitude se ruera
à l'eutour. Un obélisque, c'est un girafe de
pierre: votre obélisque aura beaucoup de
succès! Quelque cent niille niais feront
Ho!I! en l'apercevant pour la première fois*
Quelques centaines de paysans de la ban«
lieue, venant vendre leurs légumes, s*arréte-
font devant, bouche b^nte, et demanderont
ce .que c'est que ce machin omé de canards et
252
de zigzags:^ on se gardera bien de leur ré-
pondre en français: C'est nn broche de
pierre; avec emphase on leur dira, en grec:
C'est un obélisque monolithe. (Quelle bonne
chose que le grec pour boursoufler les pla-
titudes, et pour obscurcir ce qui est clair.)
Jarnidieu ! sauf Vôtre respect', répliqueront
ces braves gens, je prenions ça pour une
cheminée de pompe à feu.
Gogoenarderies à part, que trouvez -vous
de si beau à lin obélisque? Comme art,
comme exécution, comme invention, comme
galbe, comme effet, c'est un monument laid
et nul. Voulez- vous donnei' nn idée avan-
tageuse des Egyptiens et de leur génie?
Pourquoi donc alors choisir entre leurs
oeuvres une borne? car, vous savez tout
aussi bien que moi, et nnîeux que moi, car
vous êtes des savants, qu'un obélisque n'était
point un monument, mais une grande borne
placée vis-à-vis des temples ou desr palais ^
pour y. inscrire tout du long les noms et
prénoms des fondateurs, des agrandisseurs^
et des restaurateurs de ce palais ou de ces
temples.
^ Voulez -vous prouver jusqu'à quel point
lès Egyptiens étaient habiles à transporter
et mettre debout d'énormes blocs ? Bon Dieu !
253
qtti vou%conte(ite l'habileté des Egyptiens!
nous savons parfaitement qu'ils étaient très-
adroits*
Voulez -vous nous prouver que, sur ce
point, vous êtes aussi forts queux, et que
vous pouvez, comme eux, dresser sans efforts
de lourdes masses? Bon Dieu! qui vous eon<-
teste votre habileté I nous savons parfai-
t^ement que vous êtes aussi adroits que des
Egyptiens. Le pont suspendu des Invalides
et la fontaine de. la Michodière nous ont so-
lidement convaincus de la supériorité de
nos ingénieurs.
On fait courir le bruit, depuis quelques
jours^ qu'il a été juré, quelque part, un
serment solennel de contrefaire le plus ser«
vilement possible Rome et les Romains;
pas en toutes choses, entendons-nous. Rome
avait la colonne trajane, on a la colonne
trajane de la .place Vendôme. Rome a la
colonne antoniné, on vient de commander
une colonne antonine pour la place de la
Bastille. Les Romains, qui ne surent faire
autre chose* qiie piller et imiter, transport
tèrent en Italie une vingtaine d'obélisques.:
on va en transporter ici indéfiniment. Cela
fait très-bien d'imiter Auguste et Constance $
c!»)a>4ora9 UA^ toi|)?ffi«rç fanp^iriA)^* j^iaUO"
a&4
Qafait fit redresser Tobélis^^oe de Çaligula ;
vite, il faut redresser aussi uil obélisque;
mais eommeut redresser uu obélisque quand
on n'en a point? la chose est simple: on
en va cbercber. Méhéaied-Ali est très-
ahnaUe: il eu donne à qui en vent» Toute-
fois, TOUS n*én avez encore qu'un seu*!, et
Rome, en ce 'moment, en possède juste on
demi«quarteron : vous êtes loin de compte.
Tenez^vous opiniâtrement à compléter le
deml-quarteron ? sérieusement affectioMiez-
vous les obélisques ? (car, po^ur moi, je ne
puis vous ledissimulerj j'ai le maUienr de
préférer loaiji; comme le br^s de âécbe de
Strasburg à deux cents aunes de mouolKhe).
Suivez mon conseil, fakes-en vous-même.
Qui voiîs empêche d'en faire? vous- ne
manquez ^s d'artisans qui vous demandent
de l'ouvrage. Il fandrait avoir une très-
insnlta^nilc opinion d'eux poijr les croire in«-
i^paUes d'un pareil travaîKi' Allez en Pro*-
ivenee, "iw^S' le: diocèse iie*Tifiéfùn,' ;oiL le
porphyre dbonde; à l^Esteiiel ^t à Roque-
brane. En « allant 'de Roquebrune^'su *Muy,
vous rencontrerez nnemontagne qirf en con-
tient de niasse de plus de soixante pieds
de bant^ sur une largeur considérable. Vous
powrez. y tailkor^ ûomtne les Romains le
255
firent autrefois , des colonnes seniblables
à celles qu'ils tiraient de ia liante Egypte;
vous pourrez y fabriquer à foison des obé-
lisques; et, certainement, des obélisques
de porphyre français, travaillés par les
artistes français, voudront tout autant que
des obélisques de granit et d'Egypte.
Haro! haro sur le txaudetî vont, à ce
mauvais pr<^os, s'écrier les savants; im-
bécile! vont-ils me dire, les obélisques n'ont
point une valeur Intrinsèque; ils n'ont de
valeur . seulement que par les souvenirs
qu'ils renferment, les souvenirs dont ils
regorgent. Songez donc, idiot, que Tobé-
lisque de Louqsor, far exemple, rapelle
Ramsés ou Rbamessés III. ( M. Marié n'a
point encore tixé l'orthographe de ce nom;
d'ailleurs. Il n'y a d'orthographe que pour
Jes noms impropres). Rhamessès Itl, quin-
zième roi de la dix -huitième dyuasrtie
Comment? vous ne vous attendrissez pas
au souvenir de Ramsès ou Rhâràessès, le
même selon les uns, tout aiftre- selon les
autres que SésostHs, que lé grand Se-
sostrîs! Cruel, Insensible! comment?. vous
ne fopdez pas eu larmes à la mémoire de
Ramsés III. quinzième roi de la dix-huitième
dynastie! comment^ votre coeur ne palpite
356
pas à son seul nom, tenez, que voici écrit
sut* l'estomac de ces huit singes cynocé-
phales!. .••
Hélas! messieurs, je vous en demande
bien pardon ; mais je ne puis sympatliiser
avec vous à ce point. Mon coeur n'est pas
assez vaste, ni assez élastique pour étendre
aussi loin son amour et ses affections.
Votre Ramsès on Rtiamessès III, quinzième
roi de la dii^liuitièmé dynastie , était sans
doute un fort bon homme (il ne faut jamais
mal parler des absents); mais, pour moi,
sincèrepent, lui et sa grande borne sont
fort peu de chose.
Ne pensez pas d ailleurs, .messieurs, que
la France plus que moj raffole de votre
Pharaon, ni qu'elle ait jamais eu la pensée -
de lui élever un autel; et tenez- vous pour
certains que ce n'est pas le souvenir de
votre Rhamessès III, qui viendra lassaiUir,
lorsqu'elle jettera les yeux sur cette borne
plantée au milieu d'une place encore fumante
du sftng de Louis XVI.
P|;trvs BOREL,
DÉ L INFLUENCE LITTE-
RAIRE
DES FEMMES À PARIS.
Les leinni«s doivent marquer dans les
lettre» par là g^*âee et H fàeflUé; c'est 1&
lent' attribut; elles n'ont pas les* oaàlifés
oplidsées. ' Lorsqu'elles écrivent, il faut
quelles aient plus de naturel et de déli«^
eatesse que nous, et âùi*tout qu'elles né
sortent pas de ce Iang;a'ge simple, limpide
et vrai que t* société, ne leur impose que
^^ce'qne la natnte leur en a' dôi^n^ lo
sèéMt'à lin ijegré ^minent. ' <« ' '
Depfnfis Tèiré cbi^étienné, et surtout 'députa
teche^àtéi^le, elliis' ont été nssoeiées pÂt«
tItiMèteÉbeht i restlstence de l'homme, et
ont augmenté ses plaisirs, ces mêmes, plal^
8A%. tî leA-a; partagés avec elles; 9o|ui}ûn
LXXXV, 17
* - * • ' * 258
Les femmes ont créé la vie privée comme
nous Favons aujourd'hui, qui n'a été connue
ni ciiez les Grecs, ni cliez les Romains , ni
à Carthage si riche, si luxueuse, mais
enfermée en grande partie dans sa vie
d'a^a(res : elles régnent chez nous par le
charme d'habitudes plus douces, par le
droit chrétien, et comme des êtres dont
rintervention apaise les maux de la vie.
Avec la venue de leur influence finirent
{a dureté Tagitation républicaines dès
vieilles civilisations. Pfus tard, à travers
le moyen âge, elles adoucirent Thumenr
sauvage et inquiète des suzerains, et firent
tomber la férocité du donjon. La douce
vie de la famille, pleine primitivemeiit
d'habitudes de guerre, fut leur ouvi;age.
Grâces à elles, nous avons donc un intérieur
plus affectueux ,^ mieux lié, une société
plus étroite de parents et d'avis.
,j, Cette influence *ubUi^, dps , femmes fyi^
secondée ^ar la religion. ^ Etlet* ii'ép«Fita
I^oint le gén^ejiumaift;* au! cqatr^i^e, .^He
ni. imprima un véhiculf» de plus et ï^
formes nouvelles d'éloquence, et con^mailqim
à sa rfemaissance , dans des âges grossiers,
une beauté, une dx>i|.cèur' ejfc une politesse
qui lui avaient manque dans les so^tm
259
anciennes les plus policées* Les Gaules
devinrent en particulier, sous cette actiou
morale, le pays de l'Europe où Texpressioa
de la chevalerie présenta le plus de hauteur
morale et de physiognomie spirituelle et
élégante. Cette expression est incontestable^^
ment l'oeuvre des femmes. Elles lont fait
solliciter tous les jours durant des siècles^,
par une opinion publique, leur oeuvre, la«
quelle nous a demandé sans cessç des pro-
grès.
Précisons ce fait : Leur influence, à elles,
se puise dans Texaltation intellectuelle qui*
prépare ujie civilisation nouvelle avec la^
foi chrétienne, et ce sentiment du sublime
3ui se réveille confusément après des sièelesi
'arrêt ^ans les races humaines. Consi-
dérez-les à ces moments du renouvellement
so^ral par les idées chrétiennes. Partout
elles poussent Thomme aux actions géné-
reuses; partout les conseils qu'elles lui
donnent sont les. plus beaux et lea, pl«s
sûrs pour nos destinées; . elles n'aimçxiii
Îu'à la condition que l'dn se surpassera.
lë chevalier obéit à leur voix , et porte
leur image et leurs douces et fières paroles
jusque dans les combats. Rlçn de grand
li'a lieu sans que leur pensée n'y prenne
17 <^
26a
une part; elles jettes nos pères sur toutes
les routes de la science et de rhérdïsnie,
encouragent toutes les conquêtes morales
et suscitent chez^ eux^ en éveillant les pins
ddux sentiments, la pensée ardente a at-
teindre a une perfection jusque-là idéale:
no^- ancêtres s'y élèvent. — Grâceis à elles
ddnb, la société française marche plus ra-
pidement dans les routes de la civilisation.
Lorsque cetjte civilisation devint plus
générale, la splendeur théâtrale des moeurs
chevaleresques s'affaiblit; l'influence des
femmes ne se produisit plus de même ,
changea de formes ; elle parut moins mani-
feste aux yeux de la foule, parce quelle
devint plus intime; an fond, elle se rap-^
prochà seulement de Vhomme, et entra dans
)3<?n coeur. Ce second rôle qui était plus
grand, plus actif, quant au pouvoir, les
fixa dans les châteaux; avec la paix et la
^rédoîminahce définitive de la couronne^
eltei yôlèrent à la coui', ^^dans cette demeuré
dôVcW et opulente, où leur absence eut
ressemble & un printemps sans' foses^^,
commfe Ta dit le plus galant de nos mo*
narques. Là, était leur empire! là^ elles
reprirent, à tous lés yeu3^, leur ascendant,
et nous donnèrent des leçons d'qne polftesso
ebàrniiinte. Elles y portèrent les ggâl^
paisibles , distingués' et plus élevés a une
civilisation avancée. Elles y perfectionnèrent
les idées et le langage, et y sîmpU^èrent
.encore la vie puissante, de manière à lui
imprimer un charme inexprlinabl« ; elles
finni aimer la, cour, ce qui ai 4a singulièremeat
les Richelieu, les Mazarin, les Loui^Al^
à jeter à terre le reste de la puissance
féodale, ce berceau de leur influence et
de leur gloire.
Sous Louis XIV et Louis XV, les
femmes maintinrent leur Influence sous. des
formes encore plus simplifiées^' en se souf
mettant, eti apparence, à des opinions Je
supériorité masculine qui s'étaient établies.
Comme avant, leur influence n'y perdit
pas. Une éducation de jeune homme n'était
suffisamment faite, sous cette monarchie,
que lorsqu'elle s'était achevée dans ce^p
sociétés polies, oii^ quelques femmes, et
.souvent les pins âgées, régnaient au nom
de Fautorité du goût, de la raison et des
pins aimables vertus. Qui ne s'explique
donc comment, soutenues dune manière
anssi vivace par les idées et les habitudes
des classes le plus éclairées, bien q.u'étrau-
gères à Fart proprement dit, les femmes
262
aient dû écrire souvent des ieUrts admirables
de naturel, d'éloquence et de finesse d'ol>-
servation ?
Sous Louis XIV même, les femmes ne
furent pas, en général, pédantes. Aussi
ne firent- elles pas de cette poésie classique
qui dépassait leur forces, bien qu'elles
eussent pu faire les vers aussi bien qu'au-
jourd'hui.
Elles font maintenant de la poésie en
écoutant leurs inspirations dans une langue
assouplie et plus libre, dont elles con-
naissent les secretfif, et conseillées seule-
ment par ce sentiment des choses et des
convenances qui précise tons leurs entre-
tiens. La poésie de Boileau devait leur
être rebelle; et en effet, si elles ont pu
exceller à écrire des lettres, c*est par lés
moyens contraires, par des qualités spon-
tanées; c'est quelles se sont traduites sans
appareil, avec vivacité, et sans autre guide
que leurs pensées, avec cette facilité à se
développer que trouvent les belles plantes
Naturelles sur les terrains qui leur sont
firopres. Lé snjet, et l'émotion éveillée par
ni, leur donnent le reste, ce style rapide
et naturel conime la parole: c'est dans
l^urs habitudes sociales quelles puisèrent
208
leis gk^ces et 1& dëlicatescre ie leur
style. Aujourd'hui 9 laissez les écrire de
cette façon la poésie, et elles s'y élèveront
Cquels que soient les sujets, pourvu quMIs
tombent sous leur observation, et* qu^elles
puissent y laisser quelque chose aiellès-
mêmes) à un vers plein, naturel et librè^
à des beautés touchantes; laissez-les faire,
et vous aurez une poésie facile et riche
comme la prose, capable de rendre ce
qu'elles sentent comme elles le sentent, et
non les produits d'un art aride qu'elles ne
savent pas.
La nouvelle école littéraire des femibeé
est entrée dans ces voies libres, fécondes;
et l'opinion qui essaie de nouveaux systèmes
pour ag^randir l'art, Ty a soutenuCf Ces voies
nouvelles sont frayées par elles; nous trou-
vons déjà dans leurs poésies des peintures
vraies « de la vie privée et beaucoup de
sentiments intimes. La poésie n'est plus
dans letfrs mains qu'une langue prédsè et
pittoresque. Sons les mains même ' des
plus habiles, elle peut doAner jusqu'à l'ex-
pression des nuances les plus fugitives, des
sentiments et des faits. Elle j^eint dds
choses ^ que l'ancienne poésie ne sftyafi
pas dire. Cette poésie simple, 'langage'^
reflet àe la vie iniprle^ve , est celles des
femmes , qui tieiment le steptre poétique^
âe mesdames ,Desbprde3 Walmore, Tastn,
Delphine Gay, madame Ségalas. Je m'ar^
réterai à, la dernièjre de ces, dames, dont
Jfi^ prjemîères. pièces ijafi sjemblent appartenir
pleinement a la nouvelle ilirectioD. ;El]e a
moins d'expérience, mais elle.^e lance plus
franchement d'elle-même. Puisse.une obscure
approbation lui donner foi en son génie, en
fia poésie , en son éloquence ! Les dames
i|ue Je viens.de nommer, et auxquelles se
lie soii avenir, sont douées de talents
cl^arman ts, .mobiles, assouplis, et profonds
sur quelques questions, comme deis pensées
et des âmes de femmes.
Madame Ségalas a des sentiments pro^
fonds, et des pages nettes et animées; elle
élève son vers et ses images, quand la
poésie du sujet s.elève. Son v^ers, cela
est manifeste , vient après sa p.en,sée; et
pour son drame, Jl est simple, cplorjé, harr
mQnieux, .et toujaur^t lib^: il nest qu'une
fornpe. .av^c laqi^çlle, ce poëte pçint et
anime son sujet Ce n'est pas sou tour
sfei^l qui vous émeut, mais .ce sont les
p^eJiséjeajf}u'i|:, exprime,, çt une empreinte dç
^açÇp^ifl ra^ p^é^é de l'imagioatîoii 4e:le4ïi?lr
1M5
vain sur lui. Dan^ tout cela, mon Dieu!
si madame Ségalas a songé à. ce que vous
Ta^felez Tart, ça été judicieusement, ra-
pidement, comme on songe à une règle de
grammaire, de nombre, à 1 accessoire d'une
cliose, lon^qu'on veut surtout montrer le
principal, cette chose même.
Madame Ségalas aura un jour toute sa
f^art de gloire dans cette simplification de^
a poésie. Il faut la compter , malgré sa
j.eune8se, et à cause de ses ouvrages, aa
nombre des habiles esprits qui nous donnent
Ta poésie intime, le vers sans lisières.;^
Il y a là un titre, une fleur charmante
pour sa couronne!
Mais,,^en vérité, ce n'était pas chose
facile que ces changements délicats et si
justes dans le langage, que ces perfection-
nements des règles par lame qui les a
révues ai^ milieu des trésors >d'émotions, de
souvenirs^, de. comparaisons? non certaine-
— r
*) Lai Pologne, considérée dans ses antiquités, dairis
ées' ntàHi^tirs héroïques,' dans ses" espérance^,
Vient : di' lui 'ômnvi'r le ixujet d'une bieo belle
élég^ie^ où la parol« polonaise a -paMé avec
toute sa vie, sbl couleur locale. V^jyez la f^ieille
Pologne, recncil touchant, monument élevé à ça
g-îoire* par M. Porster, un de ses braves offt-
<• eiierf , *pâèjsri dé^ bcttaiU^^s.anx tnitsed béroïques*
M6
ment, et ces eliangements sont trop benrenr,
trop brillants, pour que la critique n'en
rende pas la douce gloire à qui de droit, à
quelques jeunes femmes ! Laisser la langtie
aune époque comme la nôtre, pleine de
nuances déliées comme ses besoins moraux
de société vifiillie, d'exprèssiotis vivantes,
lui laisser uu *tour plus naturel, plus pur
et plus vif, lui ôter les lang^uetirs d'un art
qui ne sait pas assez puisqu'il est toujours
le même, et comme mort, et donner à sa
place la pensé dans toute sa chaleur, c'est
faire beaucoup! c'est toute une révolution
littéraire! et par des femmes, et à petit
bruit! le fait nijérîte d'être noté.
L'influence* de ces délît^atésses de la
diction se communique aux eçpritéi les plus
vigoureux, qu'elles ornent et douent le
plus de tact; et puis comme c'est 1^ con-
versation privée, la parole avec toutes ses
facilités , son jeu croisé d'expressions ani-
mées sur les mêmes, sentiments et les
mêmes pensées qui enrichit réellement la
langue pariée, les femmes qui. savent la
tempérer, en s'y mêlant, par des traits
plus doux, donnent à l'improvisation des
effets gracieux et naturel^ qui. lui manque-
raient sans elles. Là, le .détail esli leur
267
grand objet, leur grand suecès; elIiBA lui
prêtent leur feu et leur délicatesse d'esprit^
et tous les charmes d'une faiblesse char-
mante. Ne croyez pas que tout cela soit
TefFet de la seule cominotion iutelléctuelte,
et soyez certain .que leur esprit a fait des
combinaisons rapides, mais sûtas. Le propre
des facultés distinguées est de s'étudier,
après quelques premières expériences, pont
tirer d'elles-mêmes des vues et marcher.
Pour cela, j aurai confiance dans les di-
rections de ces esprits délicats qui sont
tout sensîliilité, raison rapide; Les femmes
renouvellent aujourd'hui quelques parties du
champ littéraire ; tenons -leur compte de
ces efforts et de leurs succès. Elles ne
viennent pas avec des récits d'ttne éloctrtlon
charmante nous régenter; elles ne viennent
simplement définir des choses de tact et
déliées , nous approcher d'objets almaibles
qu'elles peignent mieux que nous, mettre
sous nos sens des beautés que noûis n'a-
percevrions pas si elles ne les avaient -pas
vues; et remarquez comme - elles les
ont vues nettement!
Nous devrons à leur influeuce -présente
qui, comme au sein de tontes les sociétés
polies, nens ramène à une aimpliçité arti-
268
stiqiie de langage, une prose plus* natu-
relle et plus expressive dans les relations
sociales et privées , et une poésie plus
vraie pour retracer nos sentiments ordi-
naires.
Jusqu'à présent on s'était trop exag^éré
les difficultés nécessaires dé lart de vers.
Ce sont prééisénient ces difficultés qui
faisaient de la poésie un laqgage fatigant
pour tout le monde ) et sans vérité comme
reproduction. Abaissez pour les femmes
lea difficultés à la simple €4>nnaissance de la
langue, comme les gens bien nés l*^criveMt,
et aux règles du rbythme^ et elles feront
des vers dout le sentiment et la texture
seront palpitants^ . qui copieront des sen-
sations, des pensées, des nuances bien dé-
mêlées; comme cela, elles vous traduiront
«dans une douce et belle langue le drame
de quelques parties de la vie actuelle, ex*
primé comme elles Tout vu et senti.. Ce
dram^), pour se déployer puissaiit, n'aura
besQÎn iq.q^ c)e la seule éloquence que ses
traits , principaux gardent dans leur coeur;
car, en elles, la vie passée privée s^éteint
moinfit vite, car elle a été l^nr grande
affaire^ Les peintures ^en vers qui étaient
faites • autrefois, par les femmes^ étalent
269.
trop soumises aux arrangemente de l'art.
-^ Où perdaient-elles leur caractère origloal ?
dans ce travail. — A< la dernière épuration,
vous aviez les formes et les idées con-
venues de l'école, mats vous n'aviez pas
l'objet que voils aviez' voulu peindre, le
sentiment que vous pensiez traduire. Lais-
sons donc les femmes faire libremey^t les^
peintures naturelles.
Quelques traits signalent souvent, selon
nous, dans une jeune femme le don de la
poésde. Précisons nos conjectures: des
traiter déliéats que vous voyez chan^r
facilement, au son de la voix, sons l'im*
pt*essiori deS' objets , l'atfenti^n timide dui
regard, mai$ l'attention prolongée, une
parole coupée qui néglige souvent les trau*-.
sitions pour se montrer rapide, pour mon-
trer cette intelligence du grand qui no
saisit que ce qui' a de la supériorité. -^
Dans là <;onàtitutioil , cette énergie fébrile
et supérieure que voiis vbyez toujours,' qui*
use, mais comm^linique Tinspiration , et ^fàé
les belles santés ne se donnent qu a leur
iétrîtlkéti/t , jointes à certAines moUessed
enivrante» du corps, du regard, h uiie
spontànéilé de mouvement éaiis ï» ûgvàte
qui indique que la vie intérieure eef nctive-
272
vbus aviez été frappé par runioii d^nne
raison fine et abondante à une ihémofre
ornée par lobservation. Son ciocotian, que
la liberté rendait séduisante, brillait pal**
ticulièrement dans un petit cci^cle, devant
quelques amis, dans un jardin, auprès d'un
balcon couvert de belles fleârs, comme on
eu remarque à Edimbourg; ou as^iise cbez
une amie, en face de belles eaux blettes
du lac de Fortli^ à la lumière d^un soleil
mourant, ou durant une belle soirée. — ^ A
Edimbourg, les impressions qu elle laissait
ne sont pas effacées. Le charnfe de sa
personne vit toujours dans la société; quand
on parle d'elle, son souvenir émeut comme
si sa personne était encore sur les lient où
elle a passé et brillé dontement pendant
quelques années.
Une dame qui est aujourd'hui la gloire
poiétique d'Ecosse, madame BalNie^ a été
rinterprète-de ces» regrets de tout lé' inonde,
dans une pHècede vers dont Ik formé étléê
s^entiments appartiennent éïdùfinvèmeiMf <& là
BOttvelie poésiei- ^ '^'f ; .
L(&» vi»lci traduite jmr une atttfe main de datais.
viMs de notre société. Ce tradircteur a cacAtI
m^etttement son nom=, et a voulu nMit> donÉei^
un {iiai)slf sMiiiwremp^rf^ nu âfcj
273
Le malade qui veille et qu'on entend gémir
Avec i^anbe du jour ne la voit plus venir.
£n vain croitil encor, lorsque l'horlog^e sonne,
Keconnaitre ses pas suh les feuilles d^automne.
Elle ne viendra plus! Dû lit des malheureux
L'ange consolateur a volé vers les cieux.
Et le vieillard infirme, isolé sur la^erre,
A reçu de sa main soii aumône dernière.
Au sein de Topulencé, un mniide plus brillant
Partage la douleur de Thumblé paysan,
Ef l'on pleure en ces lieux, où s'animant par elle
Tous les discours prenaieut une grâce noiivelle.
Mais qui peut exprimer les angoisses du coeur
De cet époux veillant près du lit de douleur,
Qui y reudant ^râce au ciel d'une union chérie,
Trouvait dans son amour le bonheur de là vie ?
Il reçut d'uu regard Tadieu silencieux.
Et déjà comme un ange elle entrait dans \e$ cieux
O vous qui me lisez, et dont l'âme est émue.
Vous k qui cependant elle fui inconnue,
Vous qui. Axant yos yeux sur Tborifon loiotaiu,
Pt'avez pu contempler sous un beau ciel serein
Lu. chaîne de ces monts, par la neige blanchie,
Dont s'orne à nos regards notre heureuse patrie ;
Étrangers, dans vos mains tournent rapidement
Les pages de ce livre où son talent charmant,'*)
Sous ces Accents du coeur qui savent toujours plaire,
"Noua cache cependant une leçon sévère;
Où souvent un seuf mot, baume consolateur.
Pénètre doncement dans les replis dk coeur.
Sa vie et son génie étaient à leur aurore ;
Heureuse et confiante , elle écrivait encore.
*) Laurû de Monirevilie,
XXXXV. 18
Î74
Mais, hélas! étrang^ers, les înots sont suspendus ,
Et sur le papier blanc qae. dé pleurs répandus !
Dans les climats iointi^tnft^Akins ta vieille Ang^leterre,
Étrangers comme fiQJ&s^ tou^ l'aimaient sur la terre !
Peut-être en ce iiipva}mt,^g^,' esprit radieux»
Les accents de téf voîif* péi^rent daiis les cieux,
Dans ces parvicrB4cr& to/i'âme simple et pure
S'enivre près.de^ieifîàu\sêul bonheur qui dure.
Oui , le coeur a besoiiC "quand il a vu mourir,
De croire à la patrii^^lilr rien ne doit finir :
£t cet être créé par le Dieu de puissance.
Auquel le sang^ d'un dieu rendit' son innocence ,
Doit vivre plus d'un jour. Appui des malheureux,
Douce et sainte croyance, ouvre - lui donc les cieux.
Dis -lui: ,>Tn sus remplir ta mission d'amour;
Tu vivais pour aimer: on t'aimait à ton tour.
Qu'aurais -tu donc encore à faire sur la terre?
Ange venn du ciel , retourniir vers ton père l ^^
L*ÂnTEUR
JfÉUsa Rwers et des Scènes du grand monde.
LA SALLE DESPAS PERDUS.
Elle a depx cent vlngt-denx pieds de
long sur quatre-vIiigt-quRtre pieds de large.
C'est, dit-on, la plus vaste salle qui existe.
Là trdnèrent les premiers capétiens , ces
rois de fer qnl jatoniient notre histoire
comme des trophées d'armes. ï/à trônent
les rois de. notre époque, les avocats.
La vieille salle, la grand'-salle dtt moyen
' âge n'existe plus. Un incendie la consuma
dans la nuit du 5 au 6 mars 361S.' Ce fut,
dit le Constilulionel du temps, l'oeuvre des
jésuites, qui voulaient anéantir les pièces
du procès de Ravaillac. Pauvres jésuites !
ils sentent le soufre d'une lien: pas de
brûlure d'hommes on d'écrits où l'on ne
s'obatlne ivotr leur mèche. Hais le greffier
18»
276
'Voisin, homme prudent et soigneux comme
tous les greffiers dia^ monde, s'empressa
* de mettre ses arcbive^en sûreté. 11 justifia
les jésuites, Jt%onHét'ë pltfmitif, pûijique les
pièces du p^dès|.sauvées , il n*y eut pas
contre eux iWplifà -petit mot à dire. Qu au-
raient-Us doncLvetilu brûler? Le greffier?
Les révérenaif^&'ës blancs comme neige,
la grand'- salle n'en demeura pas moins
brulee, et ce fut dommage. Mieux eût vain
Voir arder toute la paperasserie de maître
Voiçin, qui sait?- maître Voisin lui-même,
et une demi -douzaine de robes noires ap-
partenant' à la très -sainte société, que de
perdre en une nuit, en quelques heures, le
plus vénérable monument de cette guer-
rière et cbevaleresque époque qu'avait
effacée la renaissance, et qu'allait reléguer
dans la nuit des temps , sur les confins
des époques grecque et romaine, ce siècle
roide, guindé, aligné comme une allée de
Le Nôtre, qui prit le nom de grand ,^ pour
lui et pour son roi, rhéritier de Richelieu,
qui n'était pas grand!
Là, debout, immobiles, appuyés sur leur
framé, ou leur glaive, ou leur scepti*e,
vêtus de fer ou d'hermine, chevelus ou
barbus ) figuraient tous les rois de Fruiice^
277
conquérants ou nationaux ^ Francs on Gal-
lois, depuis Tinamovlble Pharamond jus-
qu'au roi chevalier, qui se laissa battre
et prendre par Charles-Quint, prendre et
tner par la belle Ferronière. Dans le silen-
cieux congrès, Vusurpateur coudoyait le
légitime, et, suivant Tordre invariable des
dynasties, la maire du palais, passé roi^
flanquait le dernier des Merewig, Théritier
royal des ducs de Paris avait pour serre-
file le dernier des avortons couronnés de
Karl-le»Grand. L'incendie confondit tout,
consuma tont , roiç et dynasties.
Ne nous faisons pas toutefois les pkuuurs
JHwnère. Leur heure serait plus tard venue
à ces rois de bronze, et le spectacle du
colossal médaillier n'eût pas réjoui les
yeux ' de nos jeunes rerouenrs de moyen
âge. Le puritanisme de nos premiers répu-
blicains était tant soit peu Iconoclaste; Il
n'avait pas pour les fleurs de lis royales
les yeux de M. de Salvandy.
Mais sans doute il eût épargné Tinno-
cente table de marbre qui remplissait tout
entière l'une des extrémités de la salle,
cette table où les enfants de Robert -le-
Fort donnaient leurs festins royaux, ou la
basoche régnanu et triomphante Wi^xémathM^
Î78
avx jours des grands ébàsienunis et fcyeusais^
BttL farces y ses mùraUiés, ses sotties» Cnrfeax
objet d'ftnslyse que cette royauté qat,
encore à fleur de terre, |>artag^eait fami-
lièrement avec le menn peuple ses saHes
de cérémonie, tenait ses assises en per-
sonne an pied d'un cliéne, pour s'élever
plus tard, invisible et tonte -puissante,
jusqu'à son apogée de Versailles, pois re-
descendre, modeste, et bien aprise, jus-
qu'à la pronrenade bourgeoise et aux
poignées de main : arc de cercle mystérieux
qui s'écarte peu à peu de la tangente po-
pulaire, et qui revient invinciblement s'y
perdre pour obéir aux lois de sa nature.
Le bon. vouloir des rots de France pour
la basocbe tenait du resté un peu* du cou-
sinage; car la basoche aussi avait son roi,
roi librement élu^ roi aveuglément obéi,
qui traitait parfois de puissance à puissance
avec son cousin du Louvre, et qui, en bon
et loyal allié , lui prêtait au besoin^ l'as-
sistance de ses dix mille sujets, hardis
fl^arçons, toujours d'humenr à. déserter
'huis du procueur, et à changier )a
Slume pour ia lance. Les armes royales
e la basoche témoignaient de l'estime
qu'on faisait de ses vertus guerrières. Un. i
casque sanuontalt son écusson chargé de
trais ëcritoires^ et supporté par deux jeunes
filles nues. Aux basochieDS, comme à leurs
héritiers, les joyeuses amours, ies amours
de mansarde, les jeunes filles dont la
toilette n est jamais si belle que lorsqu-elles
n*ont pas même un cotillon !
Heureux roi de la basoche qui percevait
ses impôts sur son cousin de France, le-
quel, pour prix de féaux services, l'au-
torisait à couper trois arbres par an dans
ses forêts, qui rançonnait le parlement,
et qui ne levait d'autre contribution sur
ses sujets que le béjaune des nouveaux
venus! Heureux état dont le budget entier
s'écoulait en ébattements joyeux, en frais
de costume et de musique, en galas, le
jour ou, leurs drapeaux écussoilnés en
tête, les enfants de la basoche allaient
donner des aubades à leurs dignitaires et
anx gros bonnets du parlement!
Pauvre basoche! on lui vola son rot.
Henri HI, d'équivoque mémoire, s'avisa
d'en prendre ombrage. Lui, roi à deux cou-
ronnes, lui qui avait été roi élu, il sup-
prima d'un signe de tête le rival modeste
qu'élevaient sur le pavois des clercs de
procureur! Le roi de la basoche disparut «
avec son confrère Tempereur de Galilée^
comme avait disparu le roi des ribauds,
eomme disparurent ces. myriadesv de rois
qui gouvernaient les corps de métier de
ce Paris aujourd'hui révolutionnaire, et
qui a taiit de peine à en souffrir un.
Mais le royaume ne périt pas avec son
chef: régie par un chancelier 9 la basoche
conserva f(|rce et vigueur jusqu'à lu.révo-
lution; arrivée là, etie s engouffra dans
l'hécatombe des institutions du passé; elle
8*y précipita joyeuse , avec son uniforme
rouge et ses épaulettes d'argent. Héroïque
et dévouée, elle déterra des fusils aux in-
valides, et vint avec le peuple, prendre la
Bastille; en la nivelant au sol, elle sapait
son privilège, et ce fut de grand coeur.
L'uniforme rouge fit place à l'habit noir
. le basochlen au clerc d'avoué. Cest bien
. terne un clerc d'avoué!
Tout s'en va et tout vient à point en ce
monde. Nous vivons en un temps nivelé,
monotone» qui ne rit .plus. C'est merveille
comme ces centres de joyeuseté et dViU-
torité que le vieux régime avait créés ont
perdu toute analogie avec nos moeurs, en
disparaissant de nos usages. ' Qu'auraient
affaire avec nous les gais basochiens? Vtï
281"
saute -rBÎssean d'huissier se^ regimberait
tout rouge contre un roi, n*eût-il qu'un
sceptre de papier, et pour écusson trois
écrîtoires.
Je revîeus à ma grand'-salle: brûlée, ou
la rebâtit , on fit du grandiose et du beau :
& la simple couverture en charpente suc-
céda une double voûte en pierres de taille,
divisée eu deux nefs égales par un rang
de piliers et d*arcades. De grandes ou-
vertures cintrées et vitrées aux extrémités
de la salle, des oeils de boeuf pratiqués
dans les flancs des deux voûtes pourvoient;
suffisamment de lumière ce vaste promenoir:
telle fut l'oeuvre architecturale de Jacques
Besbrosses. Quant à la décoration inté-
rieure, aucun ouvrage de la statuaire ne
vint remplacer la rovale généalogie, et ce
n'est que de nos jours quon a installé
dans une niche une statue de Malesherbes,
sauvée, dit- on, en 1830^ de la fureur du
peuple, et quon aurait dû immoler aux
antipathies des connaisseurs. Â propos de
Malesherbes et de sa statue, lin savant litté-
rateur qui m'honore de sa bienveillance,
infatigable compulseur et redresseur de faits,
grand dénicheur de réputations usurpées,
comme Tabbé Delaaoa^ était un ^rand dé-
2$2
nicheur de saints, m'a expressément comr
mandé de pin)tester, dans cet article, contre
tin éloge donné à Tancien ministre de
Louis XVI, par l'inscription placée an bas
de la statue. II y est dit eu latin ^ pour
que tout le monde le comprenne, que Males-
herbes donna la liberté, nux ptisonmers. Or il
résulte d'un ouvrage publié sous Louis XVI,
par un intendant- général du roi, que,
pendant la durée de son ministère, Males-
herbes fit mettre en Uberté trois intUçidus
détenus par lettres de cachet. Je devais
à mon savant ami cette satisfaction. Ad-
viendra ce que pourra de la réputation de
Malesherbes.
Finissons-en avec les murs et les plâtres:
parlerai -je de l'étage immédlateodent placé
sous la salle des Pas-Perdus? demanderai-je
à ces chambres, les uneis saiis jour, les
autres- pourvues d'un jour blafard , les my-
stères gastronomiques du pot au feu de nos
pères, car là étaient les cuisines de sahit
Louis? vraiement '.non. Le coeur manque
à Taspect de ces salles. Là naguère encore
étaient les prisons et les cachots de la Con-
ciergerie. Ces murailles nues ont long-
temps suinté le sang; là eurent lien les
massacres de septembre.
2S3
La salle Jes Pas-Perdns n'a pas ees
•horribles stig^mates , ces sanglantes tradi^
lions. De Tancien régime elle n'a guère
perdu que sa messe rouge qui se célébrait
naguère à Noti'e-Dame, et qui, je crois,
ne se célèbre plus du tout. C'était ptfur
la rentrée solennelle du parlement^ fix^ au
lendemain de la Saint- Martin. ^Dans la
>) grand'salle , dit Dulaure, était alors dë-
>> ployé un autel dédié à saint Nicolas, où
yylon célébrait la messe du Saint-Esprit^
„dite aussi la messe rouge ^ parce que les
„ présidents et conseillers y assistaient en
j^robe de cette couleur. MM. les gens du
y» roi recevaient les serments des avocats
y^tt des procureurs^ • Les présidents et les
„ conseillers , dans cette cérémonie, se sa-
>^luaient réciproquement, non à la/manière
>^des hommes, mais comme le font encore
»^uelques femmes , en fléchissant et en
» écartant les genoux.** Singulier spectacle,
et qui prouve jusqu'à quel point réliquette
et Tesprit de corps peuvent façonner aux
plus stupides bizarreries. Qu'on se figure
soixante graves personnages vêtus de rouge,
se repliant sans rire sur eux-mêmes comme'
des écrevisses !
Privée aujourd'hui de messe ronge et de
284
salutations féminines, la saHe des Pas-
Perdus n'est plus qu'un vaste vomitoire,
où va^léborder pêle-mêle^ marchant, courant,
se heurtant, se coudoyant, musant, causant,
dédamdnt, gesticulant, toute cette popu-
lation à part qui vit des tribunaux et qui
les fait vivre. Là circulent, s'entretchoquent,
aux heures d'audience, la magistrature
assise et La magistratore debout, l'avocat
qui fut ministre, côte à côte de l'imberbe
licencié, 1 avoué riche et Tavoué à enrichir,
la partie demanderesse et la défenderesse,
qui se dévorent des yeux en s'apercevant,
]^endant que leurs avocats se donnent une
fraternelle poignée de-maiès; les gendarmes
de la banlieue, les gardes municipaux, les
huissiers, les témoins, le^ prévenus, les
plafgnants, tout ce mobilier des cours et
tribunaux de justice, les clercs d avoué,
depuis le saute -ruisseau musard qui s'en
va, les mains dans les poches, chercher une
expédition au greife, jusqu'au grave maître-
derc qui rumine YOrmiopro Munna, qu'il
va prononcer à l'audience de référé. C'est
un mouvement continu et régulier dans sa
diversité; c'est un bruissement monotone,
où aucune voix ne prédomine, et qui res-
aembie asse^ au mugissement périodiq
u
285
de la mer. Tout passe, s'en va et repasse^
affairé ou non, les plus désoeuvrés paraissant
les plus pressés, pour l'Iionneur de la robe^
Seuls immobiles à leur poste, les écrivains
pulilics^ voient circuler ce tumultueux bour-
donnement, sans s'en émouvoir. Assis au
coin des piliers, à de maig^res échoppes,
dont la voûte de la salle leur économise la
couverture, 8*éventant 1 été, pompant Tbiver
la chaleur bienfaisante duu réchaud, ils
taillent leurs plumes, quêtant la pratique
d'un oeil fin, et sans déroger a leur dignité*
„Oii donc est-ce la police correctionnelle,
monsieur l'écrivaid, s'il vous plait? Voyez
le malheur! je suis citée pour témoigner.
— Devant quelle chambre, madame? (et
l'écrivain règle son papier sans lever les
yeux.) — Plait-il? c'est une vilaine femme
qui demeure sur mon carré, et qui a affronté
û portière et sa demoiselle, fi, Thorreur!
Je viens témoigner contre elle, comme de
juste. Mais, pardon, mon bon monsieur,
c'est pour dix heures: où est-ce donc la
police correctionnelle!-^ On ne peut done
{^as savoir devant quelle chambre ? (11 regarde
a bonne femme et renatarque d'un clin d'oeil
non son visage de soixante ansj mais ^son
schall de laine à fond noir, sa robe de
280
mérinos fraîche et proprette, ses souliers
neufs, il radoucit ^ voixO^ — La septième
cliambre! en faee ù droite, madame, von»
monterez ce perron à double rampe. -—Mercl^
mon bon monsieur. — Pardon, madame/ vous
vous Intéressez à la plalgnfinte. à votre
portière ? — Dame, monsieur l'écrivain, quand
on est dej^uis vîng^t ans dans la même maison ;
et puis c*est une femme agréable, honnête,
et qui a de quoi! — Â-t-elle un avocat? —
NennI,. monsieur, elle n'aime pas la dépense;
mais son aifrontense en a pris un fameux,
qu*ou dit: tenez, la voilà là-bas, avec lui,
ce petit, gros, rouge. — Il faut dire à ma-
dame votre portière de se faire défendre,
de prendre un avocat; autrement elle perdra
pour sûr, et Dieu sait si elle s'en trouvera
mal au logis. — Je le lui ai dit bien des
fois» Est-ce qull est encore temps? —
Certainement, madame; les avocats, c'est
toujours prêt, les bons, s entend. Tenez,
voici uiie carte, elle n a qu*à demander ce
monsieur aux huissiers. Ils le connaissent
tous. C'est un habile homme, je vous le
donne de confiance. „ Ln pauvre femme se
confond 6n remerciements, et rejoint en
courant son amie la portière. L'adroit proxé-
nète se rengorge; c'est à peine si,* durant
a87
ce dialogue 9 il a levé un instant les yeux
de son papier, sur lequel il vient de tracer
lin M majuscule. Quand la vieille a tourné
les talons, il la désigne prestement du regard
à. un grand efflanqué d^avocat , qui allonge
le pas en sifflant un air de Pont -Neuf, et
a déjà rattrapé les deux commères, et en-
tamé ses ouvertures avant d'être au haut
du perron. . .
Ce n*est pas s^eulement par le compérage
des écrivains publics, des iiuissiers-colpor-
teurs de cartes quune certaine catégorie
d'avocats cherche ses causes, ou les voit
souvent faire Varticle en personne; c'est
moins coûteux et plus prompt La salle
des Pas-Perdus leur sert de principal théâtre.
Ils sont là, le flair au vent, épiant le gibier
que la police correctionnelle va leur four-
nir, happant au passage ces bonnes et inno-
centes figures qu'un geste trop prompt, une
parole trop crue livrent en holocauste à la
vindicte publique. Ils se font compendieuse-,
ment raconter toute Taifaire, ils s'apitoyent
sur la position du préveuu, ils trouvent la
cause grave, les questions épineuses; mais
il y a moyen de sortir de ce mauvais pas.
Si raflfaire reste sans défense, elle tournera
mal. Qu'on dise seulemeut un mot, ils s'en
288
chargent, qu'i|Q ne dise rien, ils s'en char-
gent encore ; le pauvre diable est^ quai qu il
en ait, muni d'un avocat. 11 en serait quitte
?»our qnçlques francs d*àinende| pour les
rais peut-être; il lui faudra débourser #ro/s
fois plus, les joies d'une dixaine de dimanclies,
pour les honoraires de lavocat, heureux si
rhatiileté du Cicéron de poHce correctionnelle
ne lui vaut pas quelques jours de prison,
auxquels le tribunal n^eût pas pensé sans
la défense?
Il est yvnï que, parmi ees happeurs de
cause, il s*en trouve qui se contenteraient
au besoin d'un froni«ige. On en a va qui
poussaient Thumilité jusqu'à ramasser à
quatre pattes, en face du client, les pièces
de cent sous que le client leur jetait tout
bonnemeni; à la figure.
Plus d'nn^de ces racoleurs ne dédaigne
pas de se populariser avec les guichetiers
pour qu'ils lui livrent le gibier d'assises.
11 leur serre cordialement la main; s'il dîne,
il les invite à dîner; au besoin, il les yoU
tarera avec mesdames leurs épouses à une
partie de campagne. Le détenu un peu
étoffé paiera tout cela.
Ce n'est là que la boue des avocats, il
faut sç^ hâter de le dire: juger de la moralité
2S9
du bah*eau par cette moralfté fH^doriére,
serait une chose aussi absurde que de mesurer
sa capacité a la capacité de ce perte-robe,
qui , dans je ne sais quelle affaire d'escro-
querie) posa et développa gravement des
conclnsioos où il demandait, avant dire droit,
que mohsieur le procureur du roi fût .tenu
de rapporter la «preuve légale du décès de
Napoléon.
Faut-il an fond s'indigner bien fort contre
ces pauvres diables, qui ne sachant ni scier
du bois ni battre Tenclume, se sont faits
avocats en désespoir de cause , et luttent
par tous ies moyens possibles contre la faim ?
C'est une chose respectable que la faim !
Que font*ils de plus au reste que ces mé-
decins, charlatans ou non, qtîi couvrent Paris
' d'affiches d'une aune, et vous assassinent dans
les rues de leurs consultations gratuites ?
Ce n'est pas là le barreau , ce n'est pas
là la faeulté parisienne. Blen< que l'esprit
avocat soit mon antipathie la plus prononcée,
je reconnais, de grand coeur que la probité|
le désintéressement, le dévouement même
ne font pas faute à la majeure partie da
barreau et aux notabilités de l'ordre. C'est
isjure de parler de ces qualités morales,
icar e'Mt injure d'en douter.
IXXXV. . 1»
MO
Les g^ros temicÉs de Tordre ront refçàr
lièrameot s*ébaUfe et eéceeer la povdrâ de
l'eaidleacè dans la aaUeudes Pas-P^m.. lia,
ces meestoura^ dont ailleuivlâ presse recueille
reUg^eeeement le& paroles, oaaseiit fanlilé-
rement àiree je boiurgeols leÉr cU^ity oa
devtsçttt avec leurs confrèreai Dam lafovle^
|iour B*en citer «te'sii/remarfueE^Yoas cette
physionomie régulière et fine, voyez-Tmis
ces poignées de maki demiées à droite et
à gaacm aa piaa Inaperçu des stagiaires^
eomme peur faire oaUier ^a'om a été mliristre
et pie encore^^
Palis., ataiables et freU», ils se piqmet
aerteut d'étve gtena da mande soua^kur robe
eoire^ Les bMttx caasears ne aumqaevt
fB» dans le aambre, taïqoars un peu s*écMr
tant parler, mais valant quW le» éeeuCe.
tta^st*ee en effet que la plaid^rie parfuâcmK^
eekre cbose q« une spirituelle^ causerie?
Peut-on parler de^ lavocat j sane dire an
SMtt de rhosMue qid s'était placé le premier
de Vordre, et dont le talent fait le detsespok
de sea jeune» confrères, comme aw kaule
fèrtttae est les» j^ us puissant meUle d'ënnf-
Inlfen t Troie qualités fa'lt nosiédalt à un
degré* émisent L avalent. Inis^boss dk ligne:
c'était la^ parole ferme et âpse^ amrdantr,
ttfUtftlNSj Véf tfdittim «àgaee, «boiida&te, variée,
lii rifëirièirè filèlé, |jroiri]i|t^, pletné d'ttprôpos.
La ÉfWpteftée Aé «èftte demféi^è faculté lui
fiiisatt tfOff^^er àtt iMttèût même la part
d^éfiidiffoii 4bm aa ^ cause ataft besoin.
€*ë<alêat rf*ab<mi deg icitaflona toiitea étuës :
41 TOttd f appartail danir^n phiid^yéi^ la ùïMié
d'utfe ^dguc dé Yi^gito: il n'était qa'tifi
péAanl ^braaléf. Plus tard il à tkppm à
bfoycr babilêFttfeiit danâ aoa diacottrs èéitte
m^ikcê IndigefBté, à la colcref, à atf la réÉért
pfopt^. Il éitft devéïia tin oratèuh
Paiéqne j'ai cité Icf type de ravoeèf , je
delà dire auf la profeàsioti toate ma peneée.
L'airdcfat ekt le synibole de notre epo^tie :
qaaad là eofifôsIf^H des langaes eêt arrivée,
iWeat fégtfie i il fègùe aujourd'hui. Qif'eèt-
ce que nos assemblées législatlVea ? tf&e
Babel. Aoi s'y dtàpate rinflaeiice par la
parole? des avocats. Au profit de tfai a
été explefiée, e'il voua plaft, la révoltitioa ?
àli t>rofr des^ àvoéafa. L'avoeat est partdttt,
tooéhéiit à tèot^ broufllftfit tout^ prenant
imt L'avdcat é^ mintstre, èbargé dû bavftiP-
dàgé offieieL L'avocat est esaeniielleniéirt
iéptfté. Ponr Itii a été Inventé lé repréaetf-
fattfi Celait lin pev de l'avocaaserlé 4é}a
4ife aotfe ^ande âaHèmblée conitMtfàtrte.
19*
292
N'était la eolossale figure; de Mirabeaa,
n'étaient ces trois grande . corps aux prifles,
n'était la sainteté de Toenvre, la netteté da
bat tracé, les Target, les Chapelier, ies
Thonret eussent bien pn nons fair^ de . la
fluide syllogistfqqe de barni^. Anjoiird'lioi
que ces grandes né^ssité»:n^ se pséMnteat
Ïas> que. toutes ^.s questions èpuipées de
ébats gisent haletantes dans larène, qu'à
force d'avoir faibli devant les faits, la foi
s'est émonssée; aujourd'hui l'empire de la
I parole est «ux avocats. Pourquoi M. A.,
'avocat, 8-est-il placé en tète de Ti^posî-
tiouf c'est que M. B., l'avocat, occupait
pour le parti ministériel. Et pourquoi Top-
position s'est-elle scindée. Cest que deux
avocats, MM. A. et C. ne pouvaient trouer
ensemble.
Dans tous les degrés de la hiérarchie
sociale, ils se sont infiltrés, versant leur
goutte d'eau pour creuser leur nid. léserait
long le compte des avocats qui se v^nt faits
conseillers d'état, préfets, [|dus-pr;éfets, rece-
veurs des finances, entreposei^rs de tabac;
des avocats chefs, sous-4:hefs, rédacteurs
aux ministères; des avocats présidents,
conseillers ) juges, procureiirs- généraux. et
royaux, subjititutSj juges de paix : je n'oieral
29t
jure^ qn'il n'y en a pas parmi les sergents
de ville. Â l'étranger,' nous avons des avo-
cats, sinon ambassadeurs, les titres leur
manquent, au moins cliargés d'affaires, con«
suis, viee-Gonsuis, chanceliers. Nous étions
naguère potir l'Europe un peuple danseur
et cuisinier, nous sommes aujourd'iiui un
preuple avocat.
La robe et le chaperon, l'hermine et la
toque indiquent moins aujourd'hui aux eu*
rieux radvocat que l*adepte gouvernemental.
Il s'agit bien demurs mitoyens et même de
questfonè d*ëtat; réchappé de licences est
FhonMe apolitique par excellence. Il est le
phare qui' doit éclairer 'nos débats, les ré-
ebauffër; car à lui est dévolue Ta gloire de
tout nier et de tout prouver , de trouver à
chaque question le pour et le contre, et de
tenir la conviction indécise. A «es débuts
H se fait an hasard journaliste, Tavocat
sttns cause est l'àVocat de toutes les causes :
»
puis comme il n'y a ^qe les mots qui reten<-
fisi^nt, fl parie, il parle: la publicité a bien-
tét' stéréotypé son nomy et la voilà en- route.
' Uavocat a sa tribune à lui : Tavocat a
accaparé la seule scène où il y ait aujour-
dliui du drame : il à la Gazette des Tribunaux
et la cour d'assises.
air9cai;, stgfè^ ^glr épfil^é centre npn dÀmy «mt
t^miina s^sçi péri/»4e&( . M4tf fl^<^ 1^^^ Wtt»
appstpopha; Fils ingrat^ époï^ h^f», t^4^u^
iurii Mirabeau, hideux de ^^dlUg p% 4#
qnlèr^, 1^ lèv?e çQotrf^ctéci) l'ofU l^^p^iQ^Hit,
se lève e^ 9'épiri> : F?/ vm^htmA 4f f^^^i^
An fttt, Port^lîa u eût^il pai, pl^l^iç IptOfor.
Mirabeau eoiurne pojiiir sa feipiifet .
Ceci n'est p«M3 une aatire çpntr^ ln pf^r.
fesaioU) e'0$(t uq^ ^Qutfide .cc^9tre^^e..%lèçîf»
ijui w*en ir^ paa mpîM «o^.chf^Wqt ÏÏÇir^
etablîstsiement politique noqs a fait pn^.via.
en relief qui a xnis; par la fpreç seule d^ft
eboses, l'^^vocat sur le chfiii4e)îep. C*e^ la
ÎjHfHule qui gauverue, pt la piMHilç Ç'e^t 1^
HV^rdi^ge. Les spciéiéfi qe vfj^pt pi^( û>îb
l^veç ce qiob^te. « d^aMsthèn^^. ^t Cip4*Qfv
o^ euterro. Rqa^ et AtlièDos,/
Avec notre n)qryeil\eu^^ niobiUt^, vue
^pqnsfovfQation ^t chose, jf^pila: ^è^ une
fpif» noqa avons vu le régn^ deit avf|p{i^8,
c*éta.it le ^ipcctoire: les havàpdsl couMMlis
ae KQlit tus devant le gëpie!
Je compte sur Ç^tte tr^^nsform^tion) %i
S9S
font me fait croire que le mouvement des
esprits vers les applications matérielles est
un indice de sa venue. S'il faut à la société
une tête qui la dirige, qu'elle tombe, aux
mains des savants plntot que des' avocats.
Aax uns la conviction est mobile et multi-
forme, aux antres elle est invariable, basée
qu'elle est sur les démonstrations sans ré-
plique, et sar rdbsWvation. Chez les pre-
miers, les doctrines se sont continuellement
modiflé^s, altérées, renouvelées, «ans qu'il
soit bien clair qu'il y ait eu amélioration:
chez les autres le» iftddHioations sont tou«
jours des progrés constatés ; le corps de
doctrine s'accroît constamment, comme les
eaux d'nu fleuve où les alluvions se déver-
senit; Une directtiHi pareille convlest seule
à »M société en* progrès*
Vlemie doue le régne des savants spfiés
le règM àm avocats!
Charles RETBAVD.
m^f
f »
^
1
LA NOUVELLE
CHRONIQUE DE SAINT-
SÉVERIN.
it
J'avais pourtant, ô mon église, seoojié
contre votre portail la poussière de me^
pieds. . Honteux de la piébéienae destinée
de leur patron, vos prêtres avaient initroduil
par surprise un autre Séverin dans le sanc-
tuaire, et peu à peu }ls avaient étendu sur
le tombeau du pauvre moine le riclie manteau
de Tabbé. Seul, jetais demeuré fidèle à la
légitimité exilée de Séverin-le-SoIitaire.
J'avais donc repris derrière la porte mon
bâton de pèlerin, moi, l'humble chroniqueur
des paisibles révolutions de cette église, et
5'eviportaiB av^e mol la lég^ende onhliëe des
«ivacles du bienbeureni, comme aotrefoia
les clercs emportèrent ses reKqses à Notre^
Dame, pour les dérober aut barbares. Cbe-
miii faisant, je lebâtissais en idée, telle
que roui Tue nos pères, eatte Tue Salut*
Jacques que Je laièsais^déroiilaoê' derrière
mol sa- spirale «ImmeÀse, eitéiviyaote étevëa
sur uae ettéiSiérde*, :inf>jide<ibrttyaBt «doat
Vhistoire, comme toute rbisl;olre de rbsainie^
aboutit, à' des cataiciimbeii^ J arrivai. aDisi
an pont NelrenDame^ qni^a remplacé le Betil^
PoHt;dViutreCais.v^ fin.faee dd» ce poni, je
ine .ijbis. àJrodèustruire «pierrei à /pierre le
Petit^^^Châèeler du moyen àg^j Mais j(9 n6
sais 'qnelto myaÉérteiise itf^létud^'raiilenaii
•ans ieèssft'sUÉtot^ yeux ^ .lavRlère/vecs -'«^ft
Saiat*S^r;eriff dont l'iiistoiire dettienrait inar
ebevée. <^ Sans, eesse je me k*etournaisj marf*
«étant imatobfle A contempler au^essus des
maisons .VMéliies ce que rieurs cinq, étires
me^'laissâienè^^ ¥olr • encore de la glaciensè
bàsiliqucit Mon regand, pour la contempler^
pé^àlt.la'noire.épaiaâaiir ; de ices maisons
jalousés. • 'liiseasibiement, je m'Imaginais
te voir, s animer et grandir, et -ses deux
allés .s^allonger vers moi comme deux braa
isvpfdiiii0ts«: Iies>.|iersQmages 4ea;,vitraa]S
se desainatevt peo à peu dass^le iMroullfard
in matin, «t je emysia ¥oâ* llriUear des
larmes /dans lears yeax.>«
Je. ni arracivar eepeDdani à es speetacde
qui connaençak à sempavsr ^e.assn.iniagfl-
liatlasi,' pourtpetounier.;au Chitelet; Mais
j^étâis'teosmie/amiïaflnaatiJiile^is'^e'lQ àé-
pu. slMnbleiprée!)iitéT>^(laiBS'iinelpas^cMi ii««-
teHe,ist (qsnUinsbe^net InivokHitàiiè encbaise
toufemrfc à 'boh prëtnlier osUe; -
: Cepsodant ' le Châihelet . sortait lenteaiest
Ab- âes. rainas* ' lli-Vétait ^Â /sait' oitégioe
qp'uiie t|9ifr> dte' bets, fj^rdkàMvv ira^ilainté
dé la'Oitfé. j< La prfmière>,'''«lbe;jéta: ie eei
de guerre* ^a l'approdi^ éemi^'SùrmÛLàdstyi et
lès ' barba^eéi^ilwceBdiàrèat'^fif eàiBii|e ^.'mm
égovf^elsi'^tfmlAmeHfè gai , a r*dstin<K4WlftiUiss
ail ««H»p^ ' RcOevëe ^aprés l^kivasiaii^ la^ii
devint un cbâ^elet^ oe eMtetet était
prison kHraqn M )e démolit. 49sttrpriiailer
li6te recevait^ 'an* nom de I» viUsi, *!• denier
des passants et des vo^a'getàVBi Les fatal*
falt^srs l^eii dëlogè^ent:; : mabf avant! «ds
fronver le* lonird édifiée assèn. fsrmidsUe
pour le oonvertir e» pites», Charries VI
Vsvsit'joi^é asses senaribi^ poinr e« falM la
demeure du prérât de>l^ris. Lsrsqs'i«
mariAand ^forais' «e pnqBesÉait aai |[falf hst
ptmt T^m^et le pont,, avoq m «inge qii*il
laenait vendre, il payait d'ordinaire qQatr^
deotop^ pour le 9if^^$ étaUrce un biitelfpr,
i^ «ing(B alors p^yiiH pour le jbateleur, mais
il payait de »^, ino^ip^if^^ ep ^^^^ ^i e»
grimacèa. . .*• ...» »
J>n lét^i^ Ift..^ IP^n ypyage ^auff le
vieux ParNs > > et , . 1^ . Cb^telet< reepnstruit,
|V)Ui« pagfçr. 1^ 3#JqQ^ %V«ç pprmiJlsiflpi d«
prévôt, loraqna iiti..aoa de Clochea a^' %t^
^nte^dre: cet$Mt «n4?ore S$|int-Sév,friii;
QpEcëe d^qs. ce bruit «écien, une voî^ mi^n
lanpc^ligii^vse^ihUiJj i«)e dire;;. :»Qii lûia^-tii
porjpr ta rêi^erie? Ingrat» peiHiquoi «|lbIi^'^
tu quelles Jieiirea, déM^ipuaea'.tiKlis p^n^ei^
dans. m» nef 5 4einaiidaï)t l<^uri<)l^ fuient
pilleira) et |^wr< my^èr^e/S' À iHQs cbfipellest
AjUenra tu . r^tr<Mivieras up lifptiatère de.
ei^iui Jean et une confrérie de salptAfartla,
f;ar .chaque égliae .a a^n bapjti^l^re, ei
saint Martin e^t. Thôte de taut^^ le^, ég^iaee^
Mi^is .la prenuèpc^ tu m'as (tirage, -^t.. ce
pjeu^ amour de t(ui jeune âge^^.qu^ te \^
re/idiîf^? Ali! i^^evjena^./^ fit. la clipcM
piei^ft^t un aeceAit plu^ doux, un aea plun
vibirpnt, une voix pluft tendre; -quand jceMfl
\ù\x acheva de «^ pei^dfe, faible ei
gémissante,^ 4eBs . le brMj;t. cofdm jde l(i
c^ité, je hetirtais' à la porte ^li Saint -Se-
verfà.t
Reprenons done, ou nova Taréilé qnittéey
la chronique de Saint-Sërerln , et, laissant
les deux -saints débattre leur procès devant
Dieu, poursuivons riiistoh*e de Tég^Iise,
'^Saint'Séterin, coiiifiie toutes les paroisses
de PffHs^ pajra son trtbiit âi-la Ligue. Un
êi aies cures ûgtifé fiti nombre des docteurs
déSorbonne, qui se prêtèrent d*abord avec
là plds d'emportement aux tragiques fureurs
de réj^oque. * U se nommait Jean Prévost.
Citait un homme à la' dévotion dé la soeur
déÉ' 6fi9se,';ltt fimiensé duchesse de Mont-
pfettstei^; -^Qh'smitjusqn^où cette princesse
Mfissa IS'Veif^éanéC'da montre commis sur
son^ frère; -ëé' qu^o^ sait'' ifroins, c'est le
moyen' qit^élle employa pour soulever la
paroisse de Saint* Séverin contre ,1e parti
qui réclaniaft 'l'aide des Anglais. Ecoatoss
Pierre de FEstoiles „A l*instigation des
pédants de* Sorbonne et maiigears des
pauvres novices de la thédiogie, elle ût
faire 'ua tableau qui représentait au vif
plusieurs étranges Inhumanités exercées
par la reine d'Angleterre contre les* bons
catholiques, et ce,' pour animer le penpie
à' la ^ttér^ contre les huguenots ; àt fait,
Ml
alloH ce soi peuplé de Paris voir tous les
jours ce tableau, et en le voyaut, crioH
qu!il falloit exterminer tous ces méchants
politiques et liérétiques."
En vérité, lorsqu'on vient à penser que
ce tableau fut placé dans le cimetière de
Saint- Sévério, le 24 Juin de Tannée 1587,
et que le 8 février de cette même année ,
dans une salle tendue de noir, du château
de Fortberingay, avait été mise à mort, par
Tordre de cette même Èlisa^beth, Marie*-
Stuart, reine de France et d'Ecosse, on ne
sait plus comment accuser la duchesse de
Mpntpensier, et volontifcrs on oubife qu'j^
la tête des huguenots combattait Henri IV.
Quoi qu'il en soit^ le tableau ne resta
que treize jours à Sai)it-Sévérln. Henry UI
envoya au parlement Tordre de le faire en-
lever en secret. Le parlement chargea de
cette expédition, le conseiller Anroqx, qui
était en même temps majrguillier de la :pi|[?
roisse. -,
Vint la journée des Barricades. Qpotque
le résultat de cette journée ait. ét4, pul en
apparence, il en resta néaumoins aux Li*
Sueurs un sentiment exalté de lepr £orce-
s s emparèrent du tableau, et cette foja
pe jie çouteptèreut plps de l!ex|^eLà
Saint- Se vérin, iïs te piM^ent k Notre-
Dame.
^ Paris vaut bien une Aesse,^ diatiit
Henri YI, la veille du jour eu II Bifftm le
traité qui lui llvMt Patla et là eoarfiffne.
Toutefois, Il ne l^è settllC paè assesft aAf de
la flineéritë de fila conversion, pot^r aller
c^titendre cette nïedse en face d'un tableau
ék ses ennemis pouvaient I4^e de pareils
crnseignéments , et le tableaii dispartit. La
daebesse de MontpeMter . qtti TavalC fai»-
gflnë, étant venu saluer HeitrI IV , lé Uéir
tlléÉlie de sort entrée dari^ PêMi», »le fëï,
4\t Sliliy, lui' fit ftMSl bdrtne cbèi*é et Tentfe-
t(at aussi douceioent et ftffblltèreiiienl que
4n Më né et fucit jamais Inèslée ^tie de
dircr ÉOA cliapellet/' Rlea nef notfa dit qite
la aeétir deÉ 6 aise ait g'ardé inacftae M
Bëamâlâ, et se fifeit so^ventre^ dafts Ml^
«ait«fi de ces tnmfMx dot qttëtlt peHÉft
jtiditf à tfa eeintttf^ pont bdiik^ ëà t^oiiMétte
couronne au Valois.
* JekliiP^oit, W éfitté déSiinf^Séyério,
>^i'é*étliHiii<lii(»é#f dodle àuic Vèlènféii ée
toadame 4é Mcif«tt]^nsfet, M IrenrK p^a ja#-
4Mi'att bMt les fureurs de éette ^rlneeâM.
»ën# lèd témpë de i^VëtuflM, lef ééwtëge
•^iNfefficr ihatt^né soliveat ûwt hffàkuitû ttà-
déréff; vuiis la îktigue el le besoin âerepoë,
qui leur en tiennent lieu, les rallient bien-
tôt, sinon dans nne résolution, du moins
dans une espérance commune, et un parti
se trouve formé sans que la masse de ceut
Îoi le oonposeat y ait songé. Pendant la
ligue 9 on nonrawit ces gens-là les Pelitîtfueè,
cooMie ptM tard oii les 'li nommés les Mo-
dàts. lie ôilré de^ 8iriat-Sévertn était entré
al chaudement dans ce parti, qu^ou ne l'ap-
peHaM plus que lé Pùliiifuê, comme cellii de
Saint* 9olpioe, le Minisfft, comme celui de
Saint •'Ettstaehe, le Pépe tksNdiies. Sa modé-
nidon faillit lui coûtef ctor, et voici à
quelle oceasatoit :
. C'était au mois d-aout 15M; Henri IV
était a«x portes ie la ville , et la faim était
entrée dans les nsalâoim. Les placarde tii^
jurieux que les kabitant» lissaient chaque
duttin sur leurs mpurallles leur firent trdmver
d*abord quelq^ue force datii9 leur amo^r-
preprd offense. Mais bientôt y les bdu#geéis
cfa%aant de se voir nédoîts au paht de ma-
dame de Montpeavler' (on* eppelfoît akisl
edrt qu'on faleàlt' at«ec( des ds), se por-
tèrent en armes au FalalS'dê-'JitBffée, ^t de-
■aoèèmot à grande cria la pai!t et du paftn.
Les SeiBce, a» Iteo tePutf 'et de* Tairtre,
204
Içur , eityoyéretit des coups d'arqaebnse.
Dans la mêlée qui s'ensuivit, un des capi-
taipes qui tenaient pour les Setee, ayant été
tué, les siens s'emportèrent à de violents
excès y. et eus^ton bien de la peine,, dit
rEstoiie, de les retenir de mettre les mains
bien avant ; au sang/' Les exécutiona juri-
diques suivirent le combat; plusieurs forent
"peiiduS) beaucoup ne se racbetèrent qu'à
prix d'or.
Ce fut dans cette jùumit du Bain, eomme
la nomment énergiquemeat les mémoirea de
répoque, que la popnlaoe se ^saisit do curé
de Saint-Séverin» Sénault, un. des Seise,
larracha aux mains de ses ennemis; mais
en le reconduisant jusques en sa maison,
il lui fit bien promettre de revenir au parti
de la Ligne. On peut douter que le spectacle
de cette journée ait fortement * ébranlé la
conviction nouvelle de Jean > «Prévost» Je
croirais plus volontiers que plus d*nlie foli,
.4vant diarriver à sa maison , . Il jeta furtive-
ment les yeux veva la porte de la ville qui
menait, au isamp 4e Henri IV.
Ce qui nie te ferait croire, c'est que les
Sftii^ ayant résolu la /nort du président
Jftrisson , • Jean Prévost .s'en alla trouver en
^W^P < b«^e lo .i^ésfdmt^ aon ami> peur
306
Tavertir de ce qui se tramait contre lui et
ses confrères au parlement ;ycar autrement,
ajôuta-t-il, je n'eusse sceu dormir la nuit
à mon aise/* La réponse du président fut
(fig^ne et calme; les paroles du curé cTeSaint-
Sëverin étaient celles d*un homme qui avait
long^-temps vécu parmi les Seize: il y avait
au fond de la tristesse et de l'épouvante.
-— „ Je cong^nois les Seize ,'* dit Brisson.
— „ Je les peiise aussi congnoistre quelque
peu ,*^ répliqua Jean Prévost , avec un grand
soupir qui accusait bien des remords; »ce
sont mauvaises bestes quand on ne leur
montre pas les dents.** .
— »Yous dites vrai de cela; et, fonv
mon regard, je sçai qu'ils m'en veulent, et
n'en suis que trop averti; mais avant que
commencer ceste besopgne, ils y penseront
à deux fois: car ce n'est pas chose qui s'éxé-
cote ainsi , ni qui se jette en moule ; on ne
meine pas ainsi tous les ans une cour pri-
sonnière.**
Le président persista dans son dédain gé«
né'reux.' Cela se passait' un jeudi, et le
samedi' d'après, un peu avant le jour, trois
misérables sacheiniitalent vers la Grève,
.portant troi^ : cadavresi détasbés du gibet:
C'étaient les restes 4^ Brisson et de deux
LXXXV. • 20
^06
conseillers. Celui qui les avait jugées mar-
<;hait en avant, portant .une lauterae en sa
maiU) »de laquelle il ésjclairoit^Ies porteurs.*^
Jean Prévost mourut le 23 juin de Tannée
auivante. À ses funérailles assistèrent mes-
sieurs de la faculté de théologie, dont !l
était nuembre, et aussi messieurs de la
cour du parlement, sans doute pour faire
honneur k un bomme qui,, autant qu'il avait
été en lui, avait sauvé leur président.
La duchesse de Montpensier mourut
quatre ans après, par une nuit de tempête.
Ce n*est pas la seule princesse de ce nom
que nous présentent leâ fastes de Saint- Sé-
varin; une autre encore y'^figure, la fille de
Gaston d'Orléans, cette célèbre iliademoiselle
de Montpensier, qui aimait assez madame
de Sévigné pour pleurer devant elle, après
la rupture de son mariasse. La première fois
qu'elle apparaft d&ns 1 histoire, *c est pour
tirer de la Bastille , sur Tamée du roi, ce
coup de canon qui tua son raari.,<âeloii'.}e
moit ëpiiritut^ de.Maearin^ Yiârs vla^ &o de
Isa rie^ Jes ]S#uv&mfs amers, de soo> avefi-
ituoeuse . destinée et. 4e rodiosKkiqiiijigtibtitttde
4ie Lauslin, ne. cadet tdé<Gai»oô|^iis , '^FtivsUjjde
iLonis 3UV, Itoi relndinent pl^us.iùbàre k soii-
tvfle ^Au LuKomiitiurg* ÈUe» y «écrivait ses
307
mëmoireSé Méoouteiite de fiaiat'Sulpicè, sa
pRroisàe^ elleiobtitit de Pacchetéqw de Paris
la permlsaioii - den choisir une aiitl*e. La
porte d'entrée de son Palais donnait sur. la
rue deTeurnon; il Ini suffit de eondamnèr
cette porte et d'en ouvrir une nouvelle » rue
d^^nfer^ sur Je territoii'e .de Saint -Séverin.
Cette paroisse ne tarda pas à~s!apercevoir
du glorieux > patronage qui lui était venu.
Mademoiselle de Mantpensiér enrichit le
maître^autel de:cette charmaute coupole en
marbre qui Fenveloppe si graeieuetement de
ses- huit' tolônnes de bronze. • Lebrun en
traça le dessin, et Tubi rexécuta.
Ce n'est pas ' là > l'unique .omement que
l'art :aiit eu à revendiquer datis régitse de
8aint«-.Séverin. ^Âu-dessu de ce même- autel,
on v^enalt âdnirer la cène de Philippe de
Cbdmpagne, .et, dans luné des chapelles^
«ne saJifteGenevtévç.du'mêine artfste. Cette
JmAge.da l'antique patrtone de rParIs. était
làepmnië unfdeoes pieux souvenirs d'haapi-
rtalité qui passfeiént d onîe génération ^ratotre
;8ass: les familles dela.Çrècek NoFUSi;aYoii8
'ditrquellaïiatinie allianoe ^existlii^ autrefois
entre:: Sainte -Benevièva* dii - Mont et 'notre
;e^Hse. '' '' • ■-* • •"'
> fiapfes anssi a aon Saint -Se vérin, noble
ll|iis:je se Bals-podrqi}dlj}e^j[fai
Sakit-Severini .A l-ëpoque: du .dtxraeiptiéfae
«dèele où nous voiet parvenais, \^ saint v^rh
tftble de notre égliae cei(ii)e^ .piuà Je s^Ii-
tatvê :de i la rua ..Saint >» JTaeques ^t - eé .n'eiist
^nli .labbé* d*A'gaane^ t'efti CorlieiUâi Jim-
séiilusi: VoQS' rèîDarqufiféz ibîeÀ.Ofieoite aur
les ;vitraut un viiBuxi monte f)iigëii€iàîl4é d^
vant [»aitit jTeaB^ et sur la faoe extérieure
de l'enceinte une ..mitre avet de» ctefa-eii
crdx. Mais ce sont i. vestiges, des i. vieux
âges. ^ Jai^énius sera désormais le ^Atcoa
de Saint- Séverin*' •
^ SoÀvenly au dix-septiéme siéiole): le c^ré
ite eefte église servît dlntermédiaice aux
jàn^nistes mondains auprès de messlears
de Port -Royal) ét< lorsque les hasards de
la guerre ramenaient le triomphe des jé-
suites, on eût dit que. la cloche :de Saint-
Séverin se faisait entei^ré au li^n^. car
on voyait anssitôt . les solitaires arriver an
à nn dans Ja paroisse. Âussf faut -H voir
avdc quel naïf orgueil se rattàtshe à ce»
grands noms de Port-Royal la petite colasaie
janséniste, qui, groupée autour de notre
église, lui est demeurée fidèle jusqu'à nos
jours. . • ' .
h^ iw de St. -Sillon a résumé ea, uq
311
chapitra fort piquant tonte lliiatoire dn
janaénisme. Nal, comne lui, n*exéeUe à
juger les faits par lattitnde qnHl donne à
»es personnages; mats nnl anssf n'a plus
de pente à fiaire dégénérer le récit en
tableau, et la réalité en comédie* DalHeurn,
c'est nniqnement dans ïeurs rapports avete
Saint- Séverfn qu'il nous importe de suivre
le jans^isme et ses apôtres. Le jansénisme,
par lanstère gravité de ses grands hommes,
autant que par l'àpreté stoîque de ses doctHnew
nous apparaît au milieu des fêtes et 4es car^
roussels du régne éblooissant de Louis XIV,
comme un haut et morne édi6oe« il nera
nne des transformations du génie protestant
à cette époque, si Ton veut, a toute force,
voir dans les jésuites d'alors les légitimes
représentants du catholicisme.
Un livre de 1*évéqne d'Ypres fnt l'ilioii,
autour duquel eomt>attirent pendant tant
d'années jansénistes et molinlstes. Jànsénius
avait résumé dans ce livre la doctrine de
saint-Augustin sur la s^râce. S'il n'eût fait
que commenter cette polémique du quatrième
siècle, tout allait bien; mais sa parole
portait plus loin que'Pélage, elle atteignait
Molina. Ce fut un coup de fortune pour
les jésuites ^qi^ fort embarrassés de dé«
312
feudre les écrits du moine espagnol; dier«
obèrent, en attaquant ceox de son adversaire,
à donner le ehange au monde catholique.
Or la doctrine de Jansénius n'était pas
uniquement déposée dans son livre.' Auprès
du livre impuissant et muet, car il n'avait
plus son auteur pour le défendre, veillait
debout, avec le glaive de la parole, Taini et
le compagnon d'études de Tevéque d'Ypres.
Jean Duverger de Hauranne, abbé de Saint-
Cyran, avait reçu de la nature, avec l'éclat
et l'autorité de Téloqucâce, cette séduction
de manières qui fait les apôtres. Les jésuites
n'avaient pas en le temps de se reconnaître
3 ne déjà Saint-Cyran avait gagné à sa cause
es disciples nombreux ; il en avait à la cour,
il en avait même à l'armée. Toute foi nou-
velle, en religion , fait presque aussitôt des
solitaires de ses prosélytes les plus ardents.
Le célèbre avocal Lem^ître s'enfuit tout-à-
conp à six lieues de Paris, laissant vide le
barreau qu'il remplissait de son éloquence. Or
Lemaître c'était la faitiille des Arnanld, et l'on
Sonvait dès lors voir marquée à Port-Royal^
es-Champs la place de Sacy, celle d'Antoioe
Âniauld, celle de Séricourt, celle enfin de
d'Andilly, dès que ses cheveux blancs I averti-
raient que le monde allait se retirer de lui.
SIS
. Les jésoites eurent ^enr, et av6è raison^
ils comprirent que si le jansénisme parvenait
à se constituer en société régulière, c'en
était fait ie leur, ordre, et que si la poignée
de répée catliolique s établissait à Port*-.
Royal, ce serait eux que la pointe atteindrait
partout. Ils le comprh'ènt si bien, que labbé
de Saint-Cyran fut, un beau Jour, mevé à
la Bastille.
La persécution est féconde:. elle peupla
le lïéseri^ mais la même main qui poussait
Saint-Cyran à la Bastille, .vint briser les
portes de Port -Royal, et en chasser les
solitaires.
Cejiendant, Richelieu mort, et après lui
Louis XHI^ la régente fit- rendre à Saint-
Cyran sa^lfberté: ce fut un triomphe.
Tout parti qui ne fait que plier sons la
main .qui le frappe, grandit démesurément
le jour éîi cjette main se retire. Les soli-
taires, rentrés dans Port -.Royal, créèrent
des écoles; ^c'était faire* servir leur prospé-
rité présente à la conquête de lavenir.
L'enseignement fut la gloire véritable de cette
libre communauté d'hommes. Lorsqu'on eut
dispersé les élèves de ^icolte- et de Lan^
celot, il resta lewrtf livres^ qui s'emparèrent
de toutes lei écoles d« royaume. Il était
814
deTmn ée hotv ton de protéger Port-Royal.
De beaux noms lui prêtèrent lear éclat , et,
avant tout le monde,. cette Marie de Gon*
a&agné, qui eut besain du trdne dé Pologa^,
pour oublier Fiiinouir quelle avait eo, dit-on,
pour ClRq-Mai^s.
A côtés du désert où leaaolitaires n'étaient
retenus que par leur pieuse volonté, vivaient,
sous la loi régulière de saint Benoit et sons
la direction d'AngéKqii^ Arnaald, des reli-
gieuses animées de Tesprit de Jansénius.
£h aussi florissatent dès , écoles pour les
jeunes filles.
Tant de prospérité réveilla des inimitiés
mal éteintes. Les jésuites accusèrent devant
le pape le livre du tjiéologien d'Ypres, et,
par leur crédit, firent condamner à Bxsrq
nne doctrine que Renne, en ^autres temps,
avait approuvée.
Les troubles de la Fronde ^i suivirent
empêchèrent la société de tirer, à sa Dnanière,
les conclusions de la bulle pëotifieale. La
Fronde apaisée, le héros de cette Hgue bovf-
fonne s'enfuit à Rome, d'où rUfit fcatttement
la réserve de tous ses droits suri-archevêché
de Paris. . Bientôt même parut en son nom
une cirenlaire suivie d*nn a^ete ,par lequel il
confiait à. deux grauds^vicairea ; le soiiji do
ai5
soÀ diocèse. L'un ëtalt Cbaatebvas, curé
de la Madeleine, Tautre, Haudencq, enré de
Salnt-Séverio. Cotidawaés et pour^ilvis par
le CMtelet, . il6 échappèrent \ tout^çs les
Keohei'cheik Dq fond i de leur retr^it^,. ils
lançaient dans Paris d'énergiques ap^ls à.
leors pitrtl}ianS} et. à messieurs d^ii Châtelet
de véliëmentes menaces d'excommunication.'
Rien de piquant comme le procédé qu'ils
employaient pour répandre leurs proelama-
tions. La nuit, leurs affidés parcouraient
paisiblement les rues mal éclairées de Paris,:
portant sur leur dos des placards enduits
de colle. Rencontraient-ilS les gens du guet,
fis se rangeaient avec un respect hypocrite
le. plus près du mur qu'ils pouvaient, et
quand, la patrouille passée, ils contlnvaient
leiirchemin, les feuilles séditieuses se tron<^
vàtent affichées à la muraille. La démiss.ioii'
du cardinal de Retz mit fin à cette fronde
dos pamphlets.
Le pape avait condamué Jansénlus , mais
c'était peu s'il ne .condamnait aussitôt les
jansénistes.
,)Le pape a condamné ces cinq proposi-
tions, disaient les jésuites. ,
• '^Ety k notre s^ns, elles, sont eondam-
naUes, répondaient les jansénistes- '
— Mente dans JaàséniBS) repreiiaielit les
jésuites.
— Là Gomme partout ok elles peuvent se
rencontrer, répliquaient les jansétiistes.
— Et elles se trouvent dans Jansënias,
eontinuaient les jésuites. ■ ■ ^
— Qu*elles y soient ou non, disaient les
jansénistes.
— Mais elles y sont, poursni valent les
jésuites.
— Qu'importe, si nous les condamnons?
ajoutaient les jansénistes.
-*-Mais elles y sont bien, insistaient les
jésuites.
— Non, dirent tout^à-coup les jansénistes,"
Ce non fut toute une, hérésie. D accord
avec Rome sur lé point de droit, les jansé-
nistes niaient le fait. Leurs adversaires
n'avaient plus qu'un moyen, c'était de sou-
tenir l'indivisibilité du fait et du droit; ils
le firent. Un formulaire fut dressé, qu'on
dut présenter à la sio^^iature de tous les
ordres religieux. Mais le ridicule en fit
justice, et ou se vit forcé de le mettre eo
réserve pour d'autres temps.
Il y eut une trêve de quelques années.
* La gfuerre se ralliima à Toccasion d'one
lettre d'Ant<»ine Arnauld. Condamné par la
317
Sarbontie, Il fut rayé dn nombre des doetenrs.
lu'orag^e allait setendre aux deux commu-
nautës de Port' Royal: Pascal vint et lesi
sauva. Mais, en apparaissant au milieu
de la discussion, tantôt avec une comédie
bouffonne, tantôt avec de su&limes réquisi-
toires au nom de la morale publique, Pascal
envenima la querelle. Une fois le ridicule
entré dans la question, ce fut un duel à
moi^t. La lutte fut longue, et mêlée de part
et d'autre de victoires et de revers. Port-Royal
essuya de tragiques défaites. Une nuit, entre
autres, le lieutenant de police se présenta
au couvent des religieuses avec ses archers,
et les enleva^ dit Saint-Simon, comme on
enlève des créatures publiques d*nn mauTais
lieu. Les solitaires^ avertis à temps, n-échap«
{aèrent à la prison que par la fuite, et toute
a faveur de la duchesse de Longueville ne
put sauver de Sacy de la Bastille. Il en
sortit au bout de deux «nsrtpour assister au
.triomphe de sa causer L^ P. Annat étfl|it
mort, et le marqsis de Pi)mpone étailfbinistre.
Louis XïV ^voiriutj voir jrfest'i.bomsmsi qui
jetaientrainsl à traders éajsloioelsftnoaH
méo'de leur science > et dé îenr^^rlii:* :;De
Sacy> Antoine Arnauldy et son oncle d-Andilly,
piimrest a Ver8aille8/< YersaiHes leur fit
320
proscrite. Bientôt elle reparut sous one
forme nouvelle: au dix-Tiuitième siècle le
jansénisme se fit journaliste. Ses eiiaeinis
ies reconnurent aisément sous ce inaaque,
et les persécutions recommencèrent. Savez-
vous alors où se réfugia Jacques Fontaine^
le rédacteur des JSouvelles ecclésiastiques P^ dans
cette petite rue de la Parcbeminerie, qui
enveloppe toute une moitié de Saitit^Séverin.
Il semblait qir/uQ nouvel Enée fût venu dé-
poser dans le sanctuaire le palladium de
Port Royal.
C'est le ' propre des sectes vaincues de
., perpétuer leur esprit clans un petit nombre
-de familles choisies. Trop rares et trop
isolées panai les hommes pour compter sur
f tt« avenir '^ul /leur échappe, ces familles
vivjsni dbins' le: passé y. qui d« moins leur
; appartient tout^entiei*. Elles en conservent
les moeurs et le langage. Tournées sans
oessà .vers. Gesiij6uteq«iine.reviendrontv^lus,
tifeUes . eontraçfisrt dans' irisoleuMinti de leur
oerûysnoofionfi -sorts rda :res|gtiatloa' lÉélàn-
i;€sAl}iis)iiefi unëntoiiiÉeïdlautr^sis i^nLa^iien
.f> .'itin', Jnan^is : ehtrsnpn^ bèaiiii; itmtinrdans
. la ^ea|iltsls >Hdu roi de^ Pi^naste,^»' la isTsIte
i'one srtam :fraâçailie<»< Jt reçut l'faospitalké
3âl
clfina Vupe de een^ familles prpte^tjantei^ qj^t*
la révocation de ledit de Nunte^ obivge^'
de. porter leur iudM^tne à 1 étranger- Vivant
to^t-à-fait à part daps la patrie noMveUe
(^i^'ellp ^ était fajte, cette f<iiiUUe avait con?
se.ryé. l.e costuma, les habitudes, les nuances.
ipême du langage ^e Taucfispne patrie. 0^,
eqt .dit une petite France protestante du
dix-septièine siçcle, qui avait traversé tout
Iç divhuitième, sans lui rien prendre de
^e£| npuveiles moeurs et de sa langue nou-
Velle. â\]i fut bien étonné? ce fut elle,
lorsqu'elle se retrouva ffice à face avec
çettç ifiutre France qi^i l'avait. Uaonle, oa
qui du moins lavait laissé bannir. CettQ
Ifrance encore alors catholique -au fouit,
elle la retrouvait incrédule; et moqueuse.
C^tte belle et majestueuse langue de France
Sue nos fugitifs avaient admira, . même
ans les livres, où Bossuet leur lançait l'^iua-
tlîême, elle était mainté.ua.nt dans la bouche
de leurs compatriotes i^ve et alerte e^mme
lès voltigeurs 9 rOipide et ferme comme les
dragons, étincelante^t colorée comme le«
hussards de la grande armée.
Le niilitalre, hpmmç d'esprit, et qoi, chemin
faisant, ^'arrêtait volQutierjS à regi^rd^ranx
choses origin^lesi ise plut au millev de ces
Lxxxv. ai
322
bonnes g^ns, qui portaient la matn à leur
bonnet en nommant le ministre Claude, et
^qui parlaient encore la prose quelque peu
traînante de Mélanchton. Ils se prenaient
encore parfois de bonne et naïve colère
contre l'histoire des variations, et, pour peu
qu'on les eut poussés , ils auraient charge
leur hôte d'aller dire aux gens de Meaux
ce qu'ils pensaient de leur évéque.
£h bien! ce charme singulier qu*éproava
notre Français de Paris , vous réprouverez
à votre tour, s'il vous prend fantaisie de
Visiter certaines maisons de la paroisse
Salnt-Séverin. Autour de cette église se
{ressent les derniers débris dn jansénisme.
I est donc un petit coin dans le monde
où ce grave dix-septtème siècle s*est sur-
vécu à lui-même. Louis XIV ne vit plus
Îue par ses nronuments; ses armoiries ont
isparu des Tuileries , et si sa statue n'a
pas été brisée au mois de juiilet 1830, c'est
que nul n'a reconnu' le roi de France sous
te manteau de Tempereur romain, ou, pour
parler plus, sérieusement, c'est que lepetiple
9*est senti assez fort pour n'avoir plus n'en '
à craindre, même de l'image du grand roi.
Marly n'est plus^ qu'un parie a demi sauvage
dont une pauvre veuve gardé la porte, SI
. « ^ » » ^ ^ •
^ *v . «
32$
Versailles long-* temps désert va livrer à
toutes les gloires nationales Fimmensitc de
ses galeries, Louis XIV n*y entrera que
péle-méle avec ses devanciers. La royauté
de Louis XIV n'a plus de palais en France,
Janséuins le proscrit à sa paroisse dans
Paris.
Antoine DE LATOUR.
^> . A ' ■ '
A.« A
^O'
UN PARISIEN,
A QUINZE CENTS PIEDS SOUS TEHRE.
Parisien ne voit nen^Ait'Oiï, C'est qu'à Paris
nous avons tant de choses à voir, qu'il est
bien difficile de nous arrêter long-temps
sur chacutie d'elles ; nous voyons en courant,
emportés par le tourbillon, mais avec lin-
tention de revenir à ce que nous avons
effleuré; intention qui, à la vérité, demeui^e
quelquefois sans effet, à moins que quelque
circonstance ne nous y ramène; c'est ce
qui m'arrive; et je me promets bien, de
retour à Paris, d'aller visiter tels établisse-
ments devant lesquels j'ai passé cent fois,
et d'examiner d'un oeil attentif des menu*
«■ â.
325
Tncnw^*4'^y jeWniidîs tr'ob'penV'nos àniiqaèà
égliseâ, par ékeihple^ la S^inte-'Cliapelle que
je n'ai jamais vue) quoique né dans la cotxi
diî Palais.
Obligé de rester uii mois à Valenciennés^
'où je 'nlfturWfs pas voilln:j^adis être en pteîii-
turè, et dû je me trouve .'si bien k présent
éfn» réàltté ; * n'ayant ' pu ^mporter avec mol
ï?ar!8^ ' j'ernporjai du moînis mes Cent-'eP-Vn,
qui jamais 'ne j)ouvaient m'étre plus utiles
pour répondre aux mille et une questions
qui me sont adressées:, 99 Monsieur connaît-il
le grand. Bazar et rËglise française? la
Nouvelle' Chambre et les Invalides? le club
liés' républicains? les Jeunes avenglefsl
'M^ntlmontani; et rHô{(ital des fous? lie
Théâtre-Français où en est-il? Avdns-nptis'
enfin la monnaie de Talma? Aurons^nows
un jour rhéritier de Monrose? Et Châtel,
Aiizou, qu'en dit-on?' Et ce pauvre Mayeux,
^;e^t-i) yral. qu'il spit mort?"
.Pour n'avoir pas Tair d'un Béoiien en Flandi^éj
je me suis mis tous, les matins à feuilleter
mou vadc'mecum, et je puis dire que je j!i*ài
jamais si bien vu Paris qu*à Yalencîeniies.
Ce nVst pas que cette ville frontière ne
mérite aussi notre attention, car je ne veux
' point encourir le reproche fait aux Parisiens
Isa
de ne. pajrler qu avec dédiiio; qumd ils voya-
gent^ de tout ce qu*on leur montre , 'et de
rapporter tout à la grande yille..
Quoique nos amis de province nous jugent
assez mal, . et prétendent que le Parisien
le plus raisonnable a souvent ^uel,que gralo
de, ft'iyolité, je dois le déclarer/ j'ai ren-
contre à yàlenciennes des homnoes qui,
yraimeut, ne seraient p^s déplacés dans un
cercle de la capitale; des femmes presque
aussi jolies que nos Parisiennes,', avec autant
d*éclat,.et des yeux que, sur mon bonneur,
an admirerait à Paris. . . ^ .
.Quant aujbon goût, jen ai trouyé , en
Picardie et dans .la filandre, ju^quç sur les
«murailles^ où vous voyez inscrit pi^rtput
ce nom magiquç de Pans: Paris/ Rite de
Paris/ Café de Paris/ Modes de Paris/
{lome a' est plus clans Home, elle est tpute où je saî^ !
m'écrié-je souvent, surtout quand il tn arrive
de retvpuver dans quelque rue de la pro-
vince, ce parfuni de la capitale qui nous
enivre, nous.
Ravi de me voir dans une ville civilisée,
qui d'ailleurs nous a payé son trfbat en
^rti^t^s tpls que Pucbesuois^ Abel dePujo]^
327
liemaire, je.^Mtai^eh arrivaiît, le tniisée)
les remparts, Thôpital, et la citadelle de
Vauban, sans oublier la bibliothèque, où je
parcourus d'excellents ouvrag;es, de vieux
manuscrits' de Frolssart et de Jacques de
Gayse. Je \is ensuite les cbrens contre-
bandiers, et puis les fouilles de Fisiniars,
et camjws ubi Troja fuit , c'est-à-dire la place
de ces vieux .monuments dont les ruines même
ont péri, comme dit notre Ovide; enfin nn
édifice plus grand, mais moins remarquable
que Saint- Germain -FAuxerrois, Tancieniie
église des R^ollets où se trouvent plusieurs
Riibens, qn on devrait bien envoyer à Paris,
ainsi qu'un Christ en bronze, le chef-d'oeuvre
de Bra, dont la famille des Maingoval a
enrichi Téglise du collège.
Mais ce qu'on ne peut pas déplacer, et
ce que pourtant nous n'avons pas à Paris,
il faut bien Tavouer, ce sont les mines de
charbon d'Anzin, exploitées pa¥ une machine
à vapeur, comparable à notre pompe de
Cbftilldl
J'ai voulu d'autant plus m'occuper de ces
minés, situées à la porte de Valenclennes,
^06 Paris vient d'y porter son attention, et
que, d'nne autre part, nous commençons à
ressentir rotUité ^'un combustible dédaigne
trap'long-tetnps. • Or, il né faut pas qoen
voyant cet hiver^ dans râégante corbeille
de notre foyeti, la houille scintiller ou se
liquéfier, on ait à dearailder: Comment tda
yieniMP Question qui^ atl rëste^ n^est pas
aussi ficelle, k l'ésoudre quon pourrait k
^eroire; quand vn naturaliste prétend avoir
trouvé dasB iQâ entrailles dé la terre^ sur .
le schiste qui couvre le charbon., des con-
figurations de plantes, d'arbustes et de co-
quillages marins» il est permis de se livrer
à bien des conjectures et. Â des. systèmes
s^r I^ formation de ceei ferorleiâ de mines,
.et.«iur les révolutions du globe^^
. Vous voyez que j'ai assert approfondi la
matière. Reste à vous parler de l^émeute
d'Ânzin ; après quoi je vous contera! comment
votre serviteur s est trouvé avoir pai^dessus
.la tête quinze cents pieds de terre*
., ^Qjiawd^jjirrivai.à Valeneiennea^ Ja viUe
était iout|,e4i..4iaai, par le prè^sr oél^bre
. doqt Paris même s'oçqi^p^U» Les ouvriers
mineurs s'étaient tout à coup soutetéft, au
. nombre de quatre,^ cinq- qi| lie,* ce. qui, pour
une émeute de province,^ n'était déjà pas. mai.
, Au premier bruit de. ce sou4*d remue-
,. mjçntj, .de^, ,gep^s., qui ipejtent 1/^. polit j/jue
.; paytoijt^J^, Umnt', i^ieû^i^y ^^ j,ç Koiidr^îs
—m^
a voir, à quînié cenià\p\éSà sons t^Vfiè^
iU^^iétit ^éxploîttfnt' cette mîne sî creusé 5
ils eti ttmierit Uh énorme complôr, 'dont
Texploslon étatt inévitable et déjà la lave
d'une révolution h'ôuvelle en àortaît» Peu
B^en fallut 'qu'(>ni rïé /fit de nos clfarbonniei's
autant de» càrhonàri^^'et dece peuplé-jSoutèf-
rain an peUple-roi , ' touf prêt à. revendiquer
sa, st>uvera1neté formidable^. = : 1 '
Hélas! lesr pauvres g;èns n^ont paseû be^
soin d^abdiquer. Loi» d*éle^er si haut )eurs
prétentions , c'est à peine s'ils co^naisi^ént
de nom notre paête politique: Croî^é^-vèiis
. qu'un d'eux denilandaft eè ^tie Vêtait ^vte
de ta charte, dônti) avait entendu parler]; et
si cela se mangait? '^ :
Mais enfin, quel était le but-de leur sou-
lèvement, et quesperaient-ils? Quatre îsotiS,
pas davantage; les quatre sous qu'on avait
cvu.pouvvir^en l823j ôter à' leur jaurnée.
. Or, dans ce pmcès^des ^îA*/r^>i<?ttjp c'est aîrfçi
,qu'4)U l'appelle), il rient 'd'être prouvé -ijue
les aotiunnaires-des minefird^Alizlh ofiK ëbsque
Kiwée de . héiiéfiee plAs^de 4roîé rfdïïiàns et^^SâftâT
Dans cette affifife^-* oit dix-^neiif ^înrecirs
comparaissaient sous la 'menaee^'Cpout 'fkx.
pe.u.effiraya«jte> d -une •prison ^kfs 'commode
cent fois que leur prison.^Cf'M^S tes^bi^^»
334)
» '
Pe<n*etaient po)nt ces pauvres genft, entourés
âe rW^fé^ public,, mais. Ifi pulssaute com-
pagnie d'Àu7/m que Ton voyait sur la sellette.
.Pes voix éloquentes, et qui ont trouvé de
Téçlio, se sQtit élevées, contre: la dareté des
, maîtres, ,san3 pourtant .approuver la révolte
des ouvriers. Six mineurs ont été eou-
daiunés à, quelques Jours de détention; et
la compagnie d'Atizin . vient de s'exéeuter
d'elle-même, en. accordant les quatre sou5,
ce qui a satisfait nos houilleurs. Tel de
.ces pauvre!^, diables^ avejc ses quiktre sous,
.se c|'oit maintenant Vliomme le plus heureux
qiû soit soits la teri*e; car, quoi qu'où : en
dise, je ne^ les crois pas aussi méchants
quMIs sont uoirp^
.Napoléon en ju^ea autrement: un jour
qu1l arrivait à Valenciennes, la compagpnie
lui fit la galanterie d envoyer à sa rencontre
t]il^aes centaines de charbonniers en unî-
.foKmei. En voyant tous ces hommes noirs,
riuiiins noires, figure> noire, . chandelle au
.ciiapeau,^, se piréclpltei! siir sa voltiire, eu
vouloir dételer les, chevaux, pour la traîner
.|i:vec leurs ehaînes^.on dit que le vainqueur
de TEui^ope recula;: du moins il ne vonlnt
pas '.être. tra.îné: par respect peut*étre pour
la *tm% feiwaiRe* .
331
Charles X agit différemmeiit^ non qu'il
se laissât voiturer par des hommes; mais
au dernier voyage qu'il fit à Valeiiciennês^
en 1S17, il voulut visiter Texploîtation
d*Ânzîn, voir ces pompés à feu, ces machines
étonnantes^ et descendre, ou plutôt s^élever
à quelques détaili^ sur les gratids travaux
des, ouvriers. ' Ayant, aperçu parmi les ac-
tionnaires Casimir Periier, il lui adressa,
en souriant, ces mots qui furent commeô-
t'és par tous les politiques présents; ^Mon-
sieur Ijerrîer, conduisez-moi. ...'•' «Limais
^ les. charbonniers ne s'/étaîent trouvés a pîsi-
i:eîlle fêté. .Xé roi,.. avant' de l'e^; quitter,
leur donna trois n^iille. francs^ et le chef
de la compagnie^ ou^ si vous voiilçz,, 4®
Topixositiôn , quatre i^ille : . générosité qui
pourtant ne valait pas les quatre sous.
Après .Napoléon et Charles X, qui ne
descendirent pa$..d^ns ces fosses, i|iais qui
depuis ^tonnhèrçnt .de bien haut,^ V.9US pJ^pçr
de.moj^ quelle chute! 1] fafit pourtant pién
' que Je, vous en dise quelque chose*.
Je dînais, il y a deux jours, avec une
jolie. Paifislenne,. et avec $01^ mari. . I^a^con-
versation tomba ;sur les mines d'Anzip, sur
ces pifofondeurs çj[f rayafiltes , .c)u né(inmpîns
quelque* voyagçqrs curfeux n'ont pf^f^çr§^it
âe 8é nasarder. . Tout ce que j*en tendais
me:' jfaisait' songer à ces cavités^ lorsque
toaf-à-Goup notre Parisienne s'écrîe: „Jy
veux aassl descendre, moi! — Y sôDg'es^tD,
mon ang^e? lui dît son mari ^ftrayé. — Oor,
^onsiéur^ j y songe: vous m ayez éinpeçLée
de' suivre EHsa Ganiefid' dans les noes;
vous disiez ^ne c'était tfôpi hàdti éh' bien!
je descendrai au 'piné bas^ ypflà nia re-
vàncbe! — Ôh! voilà bien les lém m es! dit
le pauvre mari; toujours extrêmes! tantôt
'haïsVpïtS cela. ■ 'J'aime/ tnle'ux ffëitiîr que
'. de ne; rieû sentie. ^ * Mkîs cjtièl borniyié flérai-
bontiàblé! ' yourToir'm'cmpdcTier' d'aller* «fans
ces fosses!' — Eh lien, tu iras seule. —
Seule? ohr((jp]e'non'fvôïl2l monsieur qui va
în'àccompa^nei^.^^ Afi itdOuYèmeiit d*adfaësion
^nte jefâiar^ le hijifî me^ 'dît;' i,^^^
' monsieur V'vtfiis. iriez 'à'vec''taiadarte dans
cet enfer? —'Blonisricrir! 'cë 's^aitpVmi: moi
^'lêjpaykais/'* ■*' •" * • ''- .^^"."'';/ -
'^' Là'pai*tlë alHbi èngaàéé, ?e'Ké pouvais
Ïirlnii m^eà dédire, et je Véifôis:>as, je
'aVotré, sans ihquiétiidtf s'Ui* ce dàng^ereux
383
Cependant le mari donnait son ange au
diable, et lui parlait santé, nerfs, raison^
crispations et autres dangers..! . Rien n'y
f^tsait j quand on gros àcTîoTi'naire des niines,
qtît' dffnait aVecnons, dit'aii pauvre liomme;
yyttâipsez donc'allëî' madaifne ou eHe'le dé*
dire: cette escapade d'ansnos fossesya Vous
là cKangerdu blanc au noir. ^— Que signifié
cela? dit la jolie fantasque. — Cela signiâe,
madame, que vous né serez pas plus tôt
scas tefré, que vouis en retiendrez, malgré
Vos cllfeveux btonds, 'noire comme une taupe;
— ' Cïçl! que me 'dîtes- Vous? — Ouï, ma-
ilime; 'certaines Vape^uts qui flétrissent, (jirt
brûlent;... M'âîs ^ôtfs'ne' tenez pas héan-
eou() à votre -teirit?' Et quant à cette che-
velure, on peut' Tenvelopper, -— L envelop*
per! — Sans doutfe, et Voici justement une
calotte de cuir bouilli ; ' vouléa^-'voiis ressàVei*,
madame ? — Mol!' mettre cette horreur T/piaîs
vje éeVaîs à fafrfeï péW.'— Oh! madame, feii
chatbonniers^h'oiit pfetirdferïërf. — Alle^, msoni-
sîèur,' avecf'Vos cHàribohttîefs et vos VîlkîiiGà
fosses ! je ne veux plus en entendre parler;- ^
! ^r) ; l^ e erii tue ^R|e vpmt ^\ se? roovIvQr pUf $ifi n tré-
|ar jfronfzere, de . sjaveot^rcr dans ces çavites pro-
fondèsi èfyec^Uk pMirvMm'iMf({ués: = /' '0.'*É;t
terre ; puîa, voyant remuer yia .voîturç, les
voila qui chantent en chorus:
'* Malboroug-h 's'en va-t-eu terre!
. ■ . \- . . • '■< ' - • .
' C'est- îwx Èittéotâs dé cétje touchante har-
monie qn'iip^ès ^'êtrë vii, lavec ihén tonneau,
tMcé tfana le^pâcè, je me' sentais des-
eendre, descendre encdre, et descendre
toujours....
Je n'étais pas au quart de mon voyage;
je lie voyais [ilûs rleii que la nuit; je n en-
feiidais plus q\âe lè bruit lointabi . des ma-
èbines et des 'eaux*. -Les chants avaient cessé.
Jecommehçafs k l'éfléchrr f les fiimëés du vin
se dissipaient.' Ën'-s'ovig^éakît' à ce' vide ef-
frayant oii j'étais isnspcndu, à tout ce que
j'avais au-dessus et an-dessotis de mol, la
censée* dé Pdscai siir notre existence, sur
iè'ptfint entre detix àhtfries, vint ihe frapper...
Mais paSTsant- tout' à coup à' d'kutrës rdées:
llfll voilà li9iH des €hAn4ps^Él')'sëés', ine d%-je;
6t Mefi^jpl#s Idin ebcore dû sém'niet de éétte
eolonire-oik j^inotitai detniéVemisnt/' quelque
temps avant le g^rand hoînm'e. "'
'* Mon' >tiinbeait; cependant* s^étAné mis à
^burHêr^ n^^'i je tire- mis à tire: ^ £i de quoi
dkmc, «rts^* dWèz^Voùs'?' 'flè -Tidéë^'h "plus
337
bouffonne!... J allai me ra]>peler t;e pauvre
acteur qui jouait, en province, Jupitertdaus
Amphitryon* Au Dlomeqt ou, deus ex machina^
il descendait majestueusement datiii ce nuage
que Ton nomme une gloire, et dont Horaee,
comme par prudence, ne veut pas ^^*oïk
lasse un usage fréquent, ym\k que la ghirey ^
qu'apparemment on n'avait pas Axée, se
met à tournoyer avec son Jupiter, et ne
lui laisse que le temps de jeter quelques
mots de sa harangue chaque fois quil re-
passe devant Amphitryon.... Vondrait-oti
faire aussi dé moi/ me dis-je, un Jupltet-
touruant. ... !
Heureusement mon tonneau s*arréfa. J'étais
à peine Au bout dé mea réflexions philoso-
phiques, que j'arrivai à ma destination.^ .
duel aspect m offrirent ces lieux!.** Et
quet décor pour un mélodrame! «
Je n'avais pas encore mis pied à terr^..*
Je me rappelai Talma nous découvrant les
enfers ouverts sous les pas d'Oreste, et je
me mis à déclamer ces vers y sur son ter-
rible diapason:
Bescendons! les enfers^ n'o|it rien qtrî m'épouvttafè.
Saivons le noir sentier que le sort me présente.
Et plong^eons dans l'horreur de l'éternelle nuit.
Qaflle triftte cl^té dans ce moment nie luit?
LXXXV. 22
338
. Qnî ranime le jour dans ces retraites sombres?
Que vois-je! mon aspect épouvaute les ombres.
En effet, quelgues figures, qui ne ressem-
blaient pas mal à des ombres, me contem-
plaient, bouche béante.
L'un de ces spectres, cependant, se mit
à me rire au nez, mais d^n rire si naturel,
que je crus retrouver Odry.
Yoilà des variétés, me dls-je, et peut-être
un talent enfoui!
Je lui demandais combien il gagnait par
jour. ^Trente sous, monsieur, ^^ me répondit-
il. — Trente sous! avec un air si bêteî
Il eût fait fortune à Paris.
Je lui dis de m accompagner, et j'entrai
d'abord dans une vaste plaine, silIonnéSe en
tous sens par un nombre infini d'hommes,
d enfants, de femmes même, éttous s'agitant
avec leurs lumières, et traînant leurs chaioes
et leurs fardeaux roulants.
Frappé de ce spectacle, je ne pus m em-
pêcher de m'écrier, en battant des mains:
Pas mal! presque aussi bien quà t Opéra,
Je m'enfonçai ensuite dans de longues et
basses galeries qui me firent songer en
soupirant à ces brillants passages, de la
rue Vivienne et de nos boulevarts. Au lieu
de ces jolies marchandes ^ h la peau . si
339
blanche, au sourire s! doux, je voyais çà
et là fourmiller tous ces êtres noirs, la
plupart couchés Sur le dos, dans une veine
de charbon, «t, du fond de ce canapé, pio-
chant, martelant, minant... On est épouf-
vnnté- quand oii pense que les malheureux
.condamnés à ces travaux par la misère,
ont, pendant huit heures du jour, qui pour
eux est la nuit, à lutter contre tous' les
éléments: d'abord, cQutre la terre et ses
ébouiements, qui incessamment les menacent;
ensnitc contre un air méphitique et tout à
la fois inflammable, qui tue avec la rapt-
dite de In foudre; enfin contre les eaux,
qui submergeraient et les ouvriers et Touvrage
si les pompes à feu cessaient un moment
de jouef.
Ces dangers, ces travaux, cet air, et
d'autres causes, donnent aux bouilleurs un
teint étiolé, livide, terne,' comme la lumière
de leurs lampes, et presque toujours les
malheureux s'éteignent avant d'arriver à
cinquante ans. Rarement vimis les voyes
rire. Point de chants' dans ces tristes lieux.
Les houilleurs de la Belgique entonnent du
moins quelque cantique, ou bien des li-
tanies, en descendant dans leurs fosses.
Ici, rien! pas méine un De profanais ^ qui
22*
»
pourtant sortirait à propos du fond de ces
abîmes.
âu'oD vienne donc parler de compensa-
tions dans les destinées humaines! chaque
état a ses peines assurément: mais sont-
elles égales? L ambitieux qui, par des
Toies souterraines, s efforce d ébranler le
ci'édit de ses concurrents, et se mine lui-
même', afin d*arri ver à son but, n'e&t pas
befureux, sans doute; mais du moins un
espoir le soutient. Le soldat, qui expose
ses jours, est vu, et il voit en perspective
des i^écompenses, des. honneurs; il porte
dans sa giberne le bâton^ de maréchal de
France. Mais le pauvre mineur, s'il fouille
dans son sac, quy trouyert-il ? du pain^
tout au pins , et pas même au fond, un ru«
ban ! Une niîit profonde couvre son dévoue-
ment de tous les* jours. Qui lui en tiendra
compte ? 11 ne voit devaat lui qu une mort
obscure^ et, pour comble de maux, le néant;
car un homme grave, à qui j'entends fiaire
ces réflexions au moment de finir nmi
chapitre, m'assure que la plupart de ces
maiheureux ne croient 'plus même à une
vie meilleure., qu'Jls ^odt pourtant Iiien
achetée dans qelle-ci» L'espoir dun avenir
qui leur allégerait te présent leur oat
341
chaque jour ravi par un matërialtètnje
aveugle, et plus cruel pour eux que tons
les éléments, puisque, pénétrant jusqu'au
fond de leurs âmes, il les flétrit et les
dessèche.
Voilà les ennemis habituels de ces in^
fortunés , sans compter ceux qui les em»
ploient Ou qui les exploitent; non que j«'
croie* à tout le nutl qui a pu être dit d'uM
société où se trouvent des hommes vraiment
honorables. Mon guide, lui-même, cette
pauvre doublure d'Odry, me fit observer^
par exemple, que la compagnie^ dans Tin**
térét des ouvriers , et pour prévenir les
malheurs qui n'arrivaient que trop souvent
par lexplosion de l'air inflammable, avait
adopté depuis dix alos les lampes de Davy,
dont la lumière , moins éclatante , est aussi plus '
sûre. Au, moment où j en faisais Tessai,
après avoir mis la main à Toeuvre, et
pioché dans la mine, je fus agréablement
surpris de trouver près de moi deux de
nos convives qui venaient de descendre pour
m'offrir d'abord des rafraîchissements, en*>
suite, une lampe de sûreté^ me priant ma*
lignement 4^ l'emporter à Paris, où Ton
rouvait en avoir besoin. Je reçus fort bien
épigramme.
Pour n être point en reste avec mes dem
envoyés, je leur offris poliment, dans won
équipage, une place, cju'lls acceptèrent de
même. Et coinme nous remontions g^aie-
ment: „Vou8pourrezvt)us vanter, me dirent-
ils, d'avoir fait un Joli voyage dans nos pays
|)na^ — Fort bien! leur répondis-je sur Je
même ton : et si je me. suis d'abord vn
enfoncé, je vous défie maintenant de me
noircir/*
Barbouillé comme je le tais, par la ppns-
slère du charbon, dans mon grotesque ac-
coutrement, ma lampe à la maiin, mon bon-
net à trois cornes et, par-dessus tout, mes
besicles, vous m auriez pris, quand je re-
parus dans ma gloire, pour le diable des
Ceni-èt'Un. Je ne me flatte pourtant point
de l'avoir remp1«icé dans les mines. Jl
faudrait qu'il eut soufflé sur rooî, pour
que j*eusse jeté beaucoup de lumière sur
un '-sujet aussi sombre. J'avais, il est
Tral, ma lampe merveilleuse, que je rap-
I porterai comme un trophée; mals^ ponr
'inspiration , cela ne vaut pourtant pas le
diable , je le sens. J'écris d'ailleurs à
cinquante. lieues de la capitale, étonné de
savoir encore l'orthographe, me croyant,
toujours aux antipodes, -et trop content
243
^^^si je puis faire dire à quelque détrac-
.^,^^teur que Parisien voit assez hien^ quand il
;;;;; le veut. *)
^) Ouï, sans doute, quand il n^ctonfFe pas, comme
notre voyag^eur, ses pensées élevées sons de
futiles préoccupations et l'abus de l'esprit. O. L.
Onèsime LEROY.
•h-
r •
PELERINAGE
AU
MONT SAINT -MICHEL
Étendez une nappe sur le plancher de
votre chambre, placez>y au inllieu jun châ-
teau de pâtisserie, éloignez -vous d*une
vingtaine de pas, et vous aurez, malgré la
bizarrerie de l'expérience, une idée de Tas-
])ect du mont Saint -Michel, vu des rives
qui bordent la grève, c*est-à-dire de deux
ou trois lieues de distance. Cependant,
lorsqu'on réfléchit que derrière Ces mon-
ceaux de pierres, qu'on aperçoit sur un roc
solitaire et sans vég^étation, il y eut des
malheureux que la justice humaine isola
du reste du monde; lorsqu'on songe que de
845
nos Joors encore, dans notre siècle, où les
résolutions mêmes sont devenues bien-
veillantes, de jeunes hommes, pleins de
Îourage et de patriotisme, y expient une
purnée d erreur, on ne peut se défendre
4'tin sentiment pénible, et des idées qui
font mal vien^nent assaillir Fesprit et reserrer
ie coeur. L'intérêt qui s'attache à toute
victime que le crime na point flétri, rend
désireux de voir de près cette demeure^
qui fut autrefois une alibaye, plus tard une
abbaye et une prison d'état, et qui, plus
tard encore, lorsque la grande époque de
89 eut purgé le sol de la France de la
présence des moines, devint à la fois une pri-
son civile et la demeure de ce que nous
nommons des détenus politiques.
Ces dispositions d*esprit rendent fort peu
joyeuse une excursion au mont Saint-Michel.
Après une promenade dans un cimetière,
je ne connais rien de plus triste qu'une
visite dans une prison. Joignez à cela que
la vue d'une grève immense, où Ton ne
rencontre nulle trace de végétation, est fort
peu propre à inspirer des pensées riantes.
Les curieux qui se rendent au mont vienw
nent ordinairement à Âvranche ou à Pon-
torson; c'est de Tune ou de l'autre de ces
deux villes que partent les voyng^enrs. II
est bien de se fiiire accomp^{i!^nei' par un
goide; les étrangers ne doivent point nég-lî-
ger cette mesure de prudence. Plus d'un
voyag^eur, surpris dans les grèves par la
marée montante ou par les brouillards, a
trouvé son' tombeau dans un sol mobile et
sans consistance. €es dangers sont plus
fréquents l'hiver et pendant la durée des
grandes marées. .
Vers le milieu du mois de mai dernier,
deçx jeunes demoiselles traversaient la
grève; elles se rendaient sur la côte de
Bretagne; le jour, baissait, et le brouillard
prenait de l'intensité. Un pécheur du mont,
qui retournait chez lut, les prévint q^u elles
s'égaraient, que la mer allait venir, et les
engagea à le suivre. L'une d'elles le crut,
mais Tautre imprudente ne tint nul Compte
de son avertissement, ef n'atteignit point
le^s côtes qu^elIe cherchait. Le lendemain,
son corps fut trouvé froid et étendu sur le
sable. Ce récit, que nous fit le conducteur
3 ni nous accompagnait, nous émut profon-
ément. Retenue dans un sol qui cédait
sous ses pas, cette malheureuse fille avait
essayé de s'arracher au danger qui la jne-
naçait; ses efforts n'avaient servi qu'à
34T
rengager plus avant d^ns le sable: alors
la marée était venue et l'avait entourée;
le flot s était élevé peu à peu, avait atteint
ses bras, ses épaules, son cou; elle avait
crié^ appelé du secours, sans doute, mais
nul être humain ne pouvait l'entendre; elle
avait pleuré aussi, car les pleurs sont une
providence qui ne faillit jamais aux femmes;
elle avait supplié cette mer, qui Tenviron*
liait de toutes parts , de ne pas aller plus
lorn? de réparg;ner; elle avait parlé de sa
mère qui en mourraft de douleur; elle s^était
tordu les bras de désespoir, et la mer im-
{»itoyabIe avait toujours marché. Bientôt
a tête de la jeune fille ne se montra plus
que comme un point au-dessus de la sur*
face des ondes, une seconde ensuite ou ne
distingua plus rien.
Livrés aux pénibles impressions que nous
avait laissées cette histoire trag;ique, nous
cheminions depuis environ une heure dans
la grève. Le mont et les édifices qui Ten*
tourent commençaient à se dessiner distinc-
tement. Nous avions traversé plusieurs
petites rivières, entre autres les bouches
du Coisures. Notre guide nous avait pré-
venus de ne point nous arrêter; en effet,
nous avions senti dans le lit de la rivière
J
S4d
qae le fond cédait 9ous les pas de no^
chevaux. Cette circonstance présente quet
Înefois des particularités assez 8ingi>aliére&
ai vu autour de nous des endroits où Je
soi est mouvant; il serait dangereux dy
inar,ciier, car on enfoncerait promptement
J'ai vu même en écartant les jambes, et
en pesant tantôt sur un pied, tantôt tfdr
Tautre, le sable faire l'effet d'une planciie
qui basculerait par son milieu. Lorsque Tétran*
ger sent le terrain manquer sous ses pieds,
il n*a d'autre ressource quede se jeter à plat
ventre, et de rebrousser cheminen rampant.
On a dit depuis lono;-temps qu'il suffisait
de regarder une de nos vieilles cathédrales
pour concevc^ir toute la puissance du christia-
nisme au moyeu lâge. Cela est très- vrai;
malheureusement il est fâcheux qu'on y voie
aussi empreinte la verge de fer de la féo-
dalité. Ces deux idées, que la méditation
fait naître à la vue des monuments qui re^
montent au-delà du seizième siècle, se pré*
sentérent à mon esprit à l'aspect des édifices
du mont Sàint-Michel.
On arrive à la porte du ipont Saint-Mkhel
par une chaussée de quelques pieds de lar-
geur, et que le sable avait tenue cachée
penditnt de longues années..
(
S49
En 1822, «ne forte marée la mit à nn;
sans doute qu'un jour un mouvement con-
traire dans la grève viendra l'ensevelir .d«
iionvean.
11 était environ onze heures lorsque nous
arrivâmes. Les détenus politiques étaient
à respirer Tair sur la plate -former notre
vue excita chez eux de vifs transports^
Carlistes et républicains n<çitaient leurs
mouchoirs. Ils nous demandaient sans doute '
quelques marques de sympathie. On nous
avait proyenus que, dans Tintérét des pri*»
Isonniers, nous devions nous abstenir de toute
manifestation extérieure. Un tel motif nous
rendit l'avertissement sacré, et nous renfer-
mâmes en nous-mêmes les sentiments qui
nous animaient*
Les carlistes se mirent à chanter: nous
ne pouvions distinguer que de loin en loin
quelquesruues de leurs paroles. Dès qtt*il«
eurent fini, les républicains commencèrent;
ils entonnèrent l'hymne des Marseillais. Ce
chant de liberté, sorti d'une prison, avait
une solennité sublime. Je l'avais entendu
à Paris, dans nos grandes journées ,^ il
jn^avalt profondément ému: ici. il fit couler
mes lariàes.
Lé mont Saint-Michel; paraît sortir ar«t
335
?o!t* des assièges^ Les imbibants les mon-
trent encore aux étrangers aujourd'hui; on
les voit de chaque côté de la. porte d'entrée
du Mont; Tune est presque complètement
entçrrée dans le sable, l'autre esta moitié
découverte; le'^ininètre de leur ouverture
est de plus d'un pîed«
Les religieux, avant la révolution, se plai-
saient à énuniérer les noms de tous les rois
et de tou!^ les grands personnages qnl étaient
venus dévotement visiter nionseigneiH* salut
Michel archange, et avaient laisse à son
église des traces de leur magnificence. Le
plus remarquable de ces pèlerinages est
celui de Louis XI en 1469. Il s'y rendit
eu compagnie d'une suite nombreuse, déposa
sur l'autel une somme de six cents écus d'or
après avoir f;ut ses dévotions, donna des
ordres pour réparer et mettre le château en
état de défense, et le 1er août y institua
tordra de Fraternité ou aimable Compagnie de ter*
tain nombre de chevaliers^ jusquà trente-six y lequel
nous voulons être Homme de tordre de Saint'Mifhel,
paroles du préambule et des statuts. La
6a4le où se tenait le chapitre de Tordre, et
qu'on nommait la salJe des Chevaliers, existe
encore ; elle est vaste et trente-six colonnes
de griwU en sotttieiiui^t la voûte :^ il y avait
35S
Bans doute une pensée symbolique dans ce
nombre trente- six , le même que celui des
chevaliers; peut-être que dans le génie de
l'artiste la voûte représentait le trône dont
les colonnes , ^ figurant les plus puissants
seigneurs, étalent Tappul. Aujourd'hui cette
'salle est transformée en un atelier, il. n'est
plus pej'mis d*y entrer depuis long-temps»
C'est probablement sous le règne de
Louis XI que lé mont Saint -Michel devint
njie prison d'état. Le Caractère astucieux,
défiant et cruel de ce prince, ainsi que ses
largesses pour les, moines de cette abbaye,
pourraient le faire supposer; cependant il
n'y a que des conjectures à ce sujet. Ce qui
est positif, c'est que François l^ry fit enr
fermer un syndic de. la faculté de. Sorbonne
qui avait invectivé contre lui; ce malheureux
y mourut»
Bous le mpport architectural, les édifices
du nvont Saint-Michel sont très-remarquables ;
plusieurs sont à citer pour leur hardiesse
et leur élégance. 11 né faudrait pas néan-
moins y chercher une pensée unique, il n'y
en a point; an fur et à mesure des besoins,
ses diverses parties se sont élevées et super-
{posées, les unes sur les autres. Depuis
Qng-tëmps les inquiétudes de la geôle en
LXXXV. ' 2S
S54
ont soustrait la plapart à la eariosîfé des
▼i^iteurS'; à cette heure même) il n'est plus
permis à personne de franéhir le seuil cfn
cbâteau sans des recommandations pois-
santes: une consigne sévère en éloigne tons
les étrangers.
. La restanration) en 1816, fit enfermer an
mont Saint- Micliel le conventionnel Lecar-
pentter; il y mourut en 1S29.
Nons Avions fait demander à M. le direc-
teur de la maison, par une personne qui le
connaissait, Ja faveur d'être introduits dans
toutes, les parties de la, maison, 11 nous
répondit que des ordres positifs s^opposalent
formellement à Texercice de sa vnionlé, et
que nous devions nous contenter de' ce qu'il
était autorisé à nous laisser voir.
Un gardien nous conduisit dans ^n- long
corridor qui aboutit à une voûte asseï spa*
cieuse. Là se trouve une grande roue que
des prisonniers font tourner et qui sert à
monter les provisions du cliâteau le long
d'un plan incliné déplus de vingt-cinq oiètres
de hauteur. C'est sous cette voâte que la
tradition du pays place les oubliettes. Quel-
ques personnes affirment que ces afTrevx
cachots^ où des malheureux étaient plongés
H disparaissaient pour toujours^ n'ont jaatais
355
exiisté. Ce qui esl certain, c'est qve non
lof n de lendroft où est placée la roUe, se
trouve un grand trou dont le diamètre est
d*euviron un mètre et dont la profondeur esl
très-grande. On ignore auXourd*hai quelle
pouvait être sa destination. An reste, la
controverse qui pourrait être établie sur
Texistence des oubliettesseralt complètement
inutile. Les oubliettes étaient dans toua
les souterrains de la maison qui sont ea
très-grand nombre. Là, des victimes pou*
valent être enfermées à tout jamais pour y
expirer d% besoin. A la révolution, on trouva
dans quelques cachots des squelettes avee
leurs chaînes; d'autres ossements furent
aussi trouvés dans des« espaces étroits tt
murés de toutes parts.
Sons cette même voâte, peu d'annéea
avant 89, se voyait encore 'Une grande caga
en bois; elle était construite en claire<>Yoia
et pouvait avoir six pieds sur chacune de
ses faceâ , sa hauteuir atteignait le sommet
de la voûte.
Louis XIY, dent ramoor- propre était^
comme on sait, exfrêntemeirf chatouilleux
et irritable, y fit enfermer im journaliste
hollandais qfri avait oêi mal parler de Iiii^
Ce malheureux, qu'aà m^rls da dreit de^
356
Îens on avait arraché dé sa patrie, tronva
aoa le grand roi un juge ou plutôt un
boucreau implacable ; la mort vint le prendre
dans sa cage et le ravir à la froide ven-
geance de Torgueilleux et bigot époux de la
veuve de Scarron.
Nous quittâmes ce lieu où chaque pierre^
peut -être, porte le nom d*une victime, et
qui fut le témoin muet de tant de meurtres;
aussi bien avions -nous hâte de nous sous-
traire aux pénibles impressions qui nous
assiégeaient. Mous revînmes sur nos. pas:
à notre gauche nous avions la salle des
Chevaliers; à notre droite, des souterrains;
nous nous dirigions vers l'église. On nous
fit passer sous une voûte fort belle, sou«
tenue par six énormes piliers, lesquels^
posés circulairement, supportent le pourtour
du choeur de Téglise. C'est une construction
gigantesque et des plus imposantes.
A côté de réglise et sur le même plan se
trouve lancien cloître; il repose sur la
voûte de la salle des Chevaliers, sa forme
est parallélojgrammique ; tout autour régne
une galerie formée de petites colonnettes
d'une élégance et d'un fini tont-à-fait remar-
quables: lé centre de chaque ogive est oc*
cupé par une rosace très-bien découpée. Le
557
nombre en est très-grand, et lenr forme des
plus variées; je crois qu*il n'en est pas deux
parfaitement semblables. Le reste du pa-
rallélogramme est rempli par une ^grande
aire tonte couverte en plomb où viennent se
réunir les eaux pluviales de plusieurs bâti-
ments environnants, de là elles se rendent
dans de vastes réservoirs destinés à les re*
cevoir Au-dessus de la galerie ou quelques
rares prisonniers se promènent quelquefois^
s'élèvent de petites cellules; cest là que
les moines de Tordre Saint-Bruno, que la
communauté voulait punir, étaient envoyés
de tous les points de la France pour y ob-
server la règle dans toute sa sévérité. L'ab«
baye du mont Saint -Michel était censée
maison de correction monacale.
. En sortant du cloître on se rend dans
réglise; on n'en a conservé que le choeufi
tout le reste est occupé par des ateliers, et
séparé par d'énormes cloisons en planches
qui s élèvent jusqu'au plafond.
Telle qu'elle est aujourd'hui, l'ëglise fat
bâtie en 1448 par les soins' du cardinal
d'Ëstoutevilie, trente-unième abbé; elle ne
fut achevée que quarante- un ans pins tard,
en 1499. Le peu qu'on en voit fait regretter
le reste; on y retrouve ce qui caractéri/"^
le. style gdtbiqae, la harjie^se, la s^ao*
dear^ la Légèreté, H c^tte variété éeligneB
qui t» font le cbarmye* Espéreiia qu'un
jaur la geèle inoiqs (aifibrageuse jpe cachera
fltm AUX eurieux df s 4>bji3i« qui foot la vé-
nération d«8 artUtes. AutreCoia Jea pélerloa
qui venaient ^n fipule yiaiter l'ajUbaye pau-
vfAent &ijre leurs prières A toutes les . cha-
pelles, et les moines leur iniM»tra|ent . avec
intérêt tous les détails de la niaison.
C'eat aussi en. pèlerin que lartiste voya-
gera ; il a sa .reli.glon , sa foi à lui ; aon
euKe e3t le cuUe des moiiuinents, et lui
aeriôns^AOus mof^is hospitaliers que ne l'é-
tateat uffs aïeux.
Livré à ces pensées, j'errai silencieuse-
ment dans le petit espace où le sanctuaire
Mt maintenaat r«serré; mon esprit remon-
jtait la pente des siècles, je voyais les reli-
E' ux au milieu de la lîuit descendra de
rs. cellules; couverts de leurs g^randes
robes, ils venaient en ;ailence se placer
autour. de lantel , où les matines les appe-
laient* Jenfendais leurs chants. monotones
et na/»l]|ard8 se perdre dans langle élevé
^e logive ; il y avait de la vie à l'eutour
du tabernacle: aujourd'hui plus rien, la
croate est muette 9 le cloître est désert; ses
S59 '
^fanf» eu sont -Us? une révélation les a
engloutis ou disperses à jamais. L'éspril
huwalu, enteleppë dans les langes ^« le
pouvoir roynl et le pouvoir religieux mainte^
naient autour.de lui, se débattait 'depuis
l^bg-Cemps dans nen iiens. Âdviïit qvi^iii
jour il rompit ses lisières; aiors fotteux, Al
abattit a ses pieds ses anciens oppresseurs.
11 erut dans sa victoire les avoir écrasée
pour ttMijours; il se trompa, plus tard ilH
se relevèrent, mais leurs blessures étaient
incurables, tât ou tard Ils eu mourront.
C'est devant le por^tl de Téglise, ou Km.
-pçu eu avant, que se trouve ia ptate-foVuie
où se promènent deux foispHr jour les éé-
tenus politiques. 'De là la vue s'étend de
tous côtés sur une immense grève, toute
couverte en totalité par les eaux de la itaer,
souvent desséchée et d'uue tristesse déses^
pémnte par son •- uniformité; au loin OA
aperçoit la mer,'Jes roeliers du'Cancale, leê
côtes de Bretagne et de Normandie, qui
forment le contour de la baie; enfin, larocllft
de Granville.
Dans leurs promenade», les détienus ne
se mêlent point, les carlistes et les répu^-
bllcains vont" citacun de leur côté, f aremeiit
ils se iréniiissent : ced pei^ répoudre à oer»
360
tainés persôDiies qui ont ^ fait beaucoup cfe
bruit de ralliance carlisto-républicaine.
' Nous vîmes plusieurs de ces bons paysans
de la Vendée, que des prêtres ont abusés
et ont forcés de prendre les armes ; Ils se
tiennent à l'écart, et ne partagent poin^ les
jeux de leurs compagnons. Couverts de
leurs grands chapeaux, les bras croisés sur
la poitrine, et les maius enfermées sous leur
grossier gilet, ils paraissent, étrangers au
milieu de leurs assemblées, se demander ce
qu'il y a de commun entre eux et une cause
qu'ils ne comprennent point.
«Parmi les républicains ou nous fit remar-
quer Jeanne et Lepage; ceux qui ont suivi
les débats qui ont précédé leur jugement,
peuvent se faire une idée du courage et de
la force de conviction de ces deux hommes»
Le père et la mère du premier ont quitté
la capitale pour venir habiter auprès de leur
fils: tous deux sont âgés. La femme du
second, elle aussi, a dit adieu à Paris, à
Paris qui Tavait vue naître^ où toute sa
jeunesse s'était écoulée, où ses parents sans
doute ont versé des larmes en la voyant
partir. Elle est venue seule s'emprisonner
sur un roc froid et humide, où le moindre
des désagréments est d'y mourir d'ennui.
361 .
II 11 *y a qu'une femme capable d'un tel dé-
vouement. J'ai vu cette moderne Epbnine,
et sa figure n'a^ fait qu'augmenter l'intërjêt
que sa noble action m'avait déjà inspiré.- Il
y a de la bonté dans ses regards, ses traits
ont de la douceur et de raffectuosité, le son
de ses paroles a quelque chose qui va au
coeur. S'il y avait des anges au ciel, c'est
comme cela que je les concevrais.
Je n*ai jamais connu M»ie de Lavalette,
mais je suis persuadé que la femme de
Lepage doit lu! ressembler. Elle porte elle-
même deux fois par jour la noui'riture dû
son mari; à ces heures elle peut le voir,
elle peut lui parler, et, le croirait-on ? quoique
deux grilles et un espace de trois pieds les
séparent, la consigne veut qu*un des geôliers
soit toujous présent à leur entretien.
On nous signala aussi, parmi les carlistes,
le jenne La Houssâye; son agilité et son
adresse sont surprenantes; il paraît avoir
de Tinfluence sur ses amis.
Nous n'avons parlé que de quelques-uns
des bâtiments qui sont debout sur le. mont
Saint-Michel, cela vient de ce que nous n'en
avons visité que fort peu ; ceux dans lesquels
nous n'avons pu entrer sont nombreux, ce
# sont les souterrains, les chambres dites da
gouverneur, le grand et le petit exil qai
seryeut de dortoirs aux prisonniers^ les
appartements de l'ancienne abbatiale, occu-
pés maintenant par le directeur et llnspec-
teur de la maison; les enisines, le grand
réfectoire,. maintenant un atelier; au-dessus^
la liibliotliéque , Tinfiraierie des aâciens
moines, et la salle des Chevalier», dont
nons avons dit on mot déjà.
II était près de six tieor^ du soir lorsque
nous quittâmes le Mont, les détenus étaient
encore sur la plate-Forme; en nous voyant
partir ils nous saluèrent et nous souhaitè-
rent un bon voyage; il nous fut impossible
de contenir nos. sentiments; nous agitâmes
nos mouchoirs en signe d'amitié, et pos
regards ne pouvaient se détacher d'eux.
Les voeux que nous portions dans nos coeurs
pour lenr délivrance, prirent une nouvelle
force. Puissent-ils se réaliser bientôt!
\ RELLIËR.
>t).
LES FEMMES A PARIS.
D'un commun accord, Parla à été proclamé
la capitale du monde civilisé; je voudrais
quon ajoutât, et du monde* féminin. En
effet, autant Paris est la reine des' villes,
autant la Parisienne est la reine des femmes.
Je n*en veux qu'une preuve : de temps im-
mémorial, Parisien estsyooiiyme de badaud;
qui a jamais pensé à dire une badaude?
.Que de nuances pourtant dans ces femmes
de Paris! je trouve que c'est abuser étran-
gement de là faculté d'appeler du même
nom tous les êtres d'une même espèce, que
de dire en voyant une chiffonnière du fau*
bourg Saint-Marceau : »Ceci est une femme%
et: ^Ceci est une femme^ à la vue de ma*
'1
3G4
damç R r, par exemple. Cfcue Ton me
comprenne bien toutefois : la première, avec
son croc, sa hotte, et son aspect repoussant,
est aussi remarquable, comme spécialité
locale, que la seconde avec ses frêles vête-
ments, ses exhalaisons parfumées, et tontes
ses g^races aisées, de si bon goût.
Et pour nous débarrasser tout dfi soite
de la tâche la plus pénible, visitons un pea
ces faubourgs- de Paris, où vivent entassés
dans une atmosphère fétide, des milliers
d'Individus qui ne savent pas le matin com-
ment ils dîneront, ni le soir, où ils prendront
le déjeuner du lendemain; qui ne travaillent
pas à présent parce qu'ils ne trouvent pas
d'ouvrage, et qui ne travaillaient pas na-
Ïuères parce qu'ils* n'en cherchaient pas.
là, la Parisienne est hideuse. Déguenillée
autant par défaut de soin que par misère,
prélevant sur le pain de sa famille de quoi
se procurer du tabac ^et de Teau-de-vie
(qu'elle nomme. Dieu sait pourquoi, du
camphre \ sans cesse battue, battante, ivre,
contusionnée, ^se ruant à l'émeute, mais non
pas pour y réclamer des libertés, n'en rêve-
Bant que lorsqu'il n'y a plus de réverbère
à casser, quand sa voix éraillét refuse de
faire entendre des - hideuses vociférations
f,
36S
qu*elle Tomit d'instinet; vice incarné; sans
jeunesse et sans àg;e mûr; ni fille, ni épouse,
ni mère , quoique à la cHarge d'un père et
d'une mère, d'un mari et de plusieurs en«
fants; domiciliée^ enfin, la moitié de launée,
dans les cachots de la police*
Hâtons-nous de détourner les yeux de ce
hideux tableau, et quittons cette femme-
opulace pour -nous occuper un instant de
a femme-peuple.^ La distance est si énorme,
qu'on craint d avoir . laissé échapper par
még;arde quelque degré intermédiaire. Au-
tant l'autre est sale et dégoûtante, souvent
avec dix francs dans sa poche, autant une
Parisienne du peuple, travailleuse, économe,
est avenante et soignée, quelle que soit
sa misère; et malheureusement elle n'est
pas rare. Vous la rencontrez partout, cette
femme, avec un tablier devant elle, portant
un panier au bras, ou un enfant au maillot;
leste,, trottant menu et vite^ car on l'attend;
elle a un mari, et ils s'aiment, parce que
l'un et l'autre sont bons et honnêtes; elle
a des enfants, elle en a beaucoup, et elle
le dit à tout le monde, parce que c'est sa
joie, a elle; c'est son orgueil, son espérance,
son trésor^ à elle ! . Malgré son panier et sou
tablier, vous ne la prendrez pas pour une
M6
mfsinière, parce qu H y a je ne sala quoi
dans son air, dans toute sa personne ^ de
libre et de dégagé, qui semble crier fout
hant: Je sui« contribuable.
Et nos. poissardes donc, ces daines 4ë la
Halle, avec leur reine de Hongrie ^ et iear
lang^age à elles, et leur bonnets de dentelle
qui valent souvent [Seuls plus d'argent que
la toilette de deux femmes de notre monde!
où trouve-t-oti leur pendant? ii est-ce pas
là une originalité tonte parisienne?
Regardez dans cette petite chambre de
la rue de La Harpe; près d'une tête, de
mort, ou d'un volume deToullier, n'aperce-
vez-vous pas, sur une table, les débris d'un
repas de la veille, un chapeau rose oa
bleu, une paire de bretelles, un schall et
nne cravate? Eh bien! au milieu de ce
chaos, il y a de l'amour heureux, de l'amoar
jeune, avide du présent, et oublieux du
passé et de Tavenir ! Cette petite chambre,
si nue, s! froide, a! étroite, «elle suffit aa
coeur de cette grisette qui vient y trourer
un amant qu'elle aime et qui l'aime! ooi,
il y a là de l'amour "vrai ; eh ! c'est qu'ils
ant vingt ans! c'est que Gustave est é^a-^
diant en droit ou en médecine, et' que ma-
demoiselle Agathe n'est qu'âne petite gri»
367
seite sans prétentions, sans ambition, qui
fait ramotir, parce qu'une grisette de dix-
huit ans doit faire l'ampur, .comme un dé-
puté du centre doit crier pour la clôture
et dîner chez les ministres. Mais laissez-
les vivre quelques années encore! que
monsieur Gustave prenne te grade de doc-
teur! que madt'moiselle Agatlie qnifte la
rue de La Harpe poui^ la rue du Helder
ou la me du Provence, et puis allez encore
demander de Tamour à ces coeurs blasés
et déshérités de leurs illusions!
Et pourtant, cette petite personne dont
je vous parle, elle est, pour là plupart du
temps, la fille de c^tte honnête femme que
je vous ai montrée avec son tablier et son
petit panier au bras! Elle a commencé à
travailler chez elle; puis elle a voiilu passer
au magasin; pui^... que voulez-vous que
j'y fasse?
A propos de magasin , il n*y a pas dans
les comptoirs que des grisettes de dix-huit
ans... Diable! faites-moi le plaisir d'avan-
cer un peu la tête, et de contempler cette
honnête figure qui fait tout ce qu'elle peut
pour persuader qu'elle sourit; qui se cache
sous un énorme bonnet chargé de flçurs et
de rubans, et occupée pour le moment à
S6$
coudre des lisérés blancs à un col d'iiui-
forme! Cest lestîmable épouse de M. Bou-
dard, passementier, rue Saint-Denis, électeur
à cent écus, lequel M. Boudard aumule les
honorables fonctions de uienibre du conseil
municipal et de sergent -nuijor de la garde
nationale. Lorsque Dieu créa M. Bou4ard,
je suis intimement cpnvaincu qu'il conçut
en même temps Tidée du garde national;
et je ne mets pas en doute que si M. Bou-
dard avait. été plus âgé lors de la prise
de là Bastille, il n'eût soufflé an générai
Lafayclte l'idée d'organiser cette milice ci-
toyenne. Ceci n'est pas uue digression.
Car il faut que vous sachiez que madame
Boudard est plus garde nationale encore que
soii mari, si cela est possible. C'est e^le
qui Ftàfait nommer sergents major; c'est
elle qui le fera nommer sous -lieutenant,
lieutenant, capitaine, avec Taide de Dieu
et de ses visiteâ" -aux puissances. Il y à
dans cette télé de boutiquière parisienne
une ambition démesurée, un désir de paraître
ce qu'elle n'est paSi, qui l'empêche de se
monti'cr ce qu'elle est. en effet, c'est-à-dire
une très-bonne et très^excellente pei'sonne.
Cependant, à tout prendre, je crois que je
lui pardonnerais volontiers ce travers ^ et
U9
que je prendrais le parti de la laisser, san^
récouter, parler de la mairerU, de la compta-'
bilité de son époux, de Tavant^ dernière*
revue du Champs^de^Mars, etc., ete., si elle
ti'avaU pas la manie d^offrir à mon admira-^
tien la huitième merTeîlle du mondé. Cest
mademoiselle sa lille qui sait tout, excepté'
tenir un comptoir; qui a été en pension
avec la fille du duc de B..., du comte de*
M..., du marquis de C..., et qui m'écorchè
les oreilles d'un vieil air d'opéra - comfque^'
ou de la bataille de Pragne. ^/Et ça mé-
prise le pauvre monde !<< mé disait démîèrèf*
ment la vieille Marguerite, ma femme "ilb'
ménage. ; ^
Parbleu! je crois que j'allafs oublier dé
vous parler des femmes de ménager Eh
bien! je ne me ravise pas! Â dire* vrai,
je ferai aussi bien de ne pas vouerez étbur-.
dir» non plus que'des ctri&ritlières, porMères,
etc., dont Henri Monnier à si 'spirituelle-
ment et si' complètement fait lé pdrtrait
d'après nature.
Mais je ne sache pas quMl nous ait parlé
des femmes- de chambre. Et à mon sens,
ce serait une lacune impardonnable dans
rUstoire de la Parisienne que de les passer
sous silence, du! de vous, messieurs^ n'a
LXXXYI. 24
370
pas sMtl BOB coeuriMJ4lWer»M«|ne. fJ?'^
î" longue attente, Il » vu «««S*»*»!** «*
accorte personne, » encadrer myaterieasement
dans U porte de s» chantbre, et lui sounre
d'un air !d'intelUgenc© en tirant de la poche
de s.n tabUer blaflc un hUlet de femme,
à la forme triangijlaire , au papier a»are
et parfumé? ftui de vous» mesdames , «a
pas confié une missive comme celle que je
viens de dépeindre à une petite femme
comme celle dont j'ai parlé? Et remarquer
lin peu l'empire de la femme dans quelque
HM iaurs., Ifs Crispifls., les $capins, les
Frontins, seraient mis à la Force ou aux
galères- duel mari sera asse» «enfiant
dans sa sagacité ponr affirmer qu il n a pas
cbéa.lul la copie exacte, ou plutôt l origl-
nal PB per^onpe'de Lisette ou.de JHartoo?
La plupart de/i f^mn^s de cbambce» à Paris,
sont jolies et ayentuiLss. Si Balxap ne vos»
avait pas déjà dit; pourquoi, je vsu» dirai»
ce que J'^en pense. *) -,
Je Tpus aurais Ufen aussi parle des bour-
geoises, du Marais, cette ville d« provinse
. ' . ,r-. . •■,- ♦ • • ■ ' • '
.4
S7I
dans Palis, des rentières qui daM taute la
\i capitale passent leur vie avec deux ou trois
al chiens^ curés, chats, etc. Mais, à nM>D avis,
i ce serait faire comme certaines gens qui
i^ disent: On m'a dit une histoire stupide, je
i$ vais vous la raconter. Gomme j'ai une hor-
i reur pour ces getis-lhy et que je ne veux pas
)• qu'on me prenne en horreur, je ne vous
|i dirai rien de nos rentières , qui du reste
[f n'offrent rien d'original ni de caraetërisé.,
!,•} Vous priant donc de me savoir gré de cette
^ restriction mentale; je vais,, sans précaution
aratoire, vous transporter, avec votre per-
mission , daips une jolie petite maison de lac
Chaussée-d'Antin o« du bontevart.
^ . €'est près d'une femme que vous aimerezi
si vous êtes homiiie, que vouak mépriserez
et qui vous surprendra si voua êtes femme,
femme du monde, bien entendu, et que la
aotclété, a flétrie du nom de femme entrete-
nue. Etonnant assemblage de passion et
d'indifférence, elle fait del'ameur qui tue et
tia tue ; nw amour de tête et de coffre-
t; hideuse si vous l'analysev,. ravissante
si veas voua livrez sans réserve au délire
Io'elle sait si biea faire naître; se donnant
es airs de femme comme il faut, et échouant
gauchement dana la cop.le> parce que c'e&t
an
un rôle qvt n'est pas de son emploi; elle
est gauche anjourd nui opulente, parce qu'hier
encore elle était dans une humble et pauvre
mansarde, et que demain, peut-être, elle
seri^ gisante dans un hôpital, et que la plu-
part de ces. femmes, comme TÂquIlina da
Romancûr philosophe, ^^"y le savent el le disent
tout haut au milieU' des joies de Torgie.
Elle est tour à tour, selon^ que Tidée loi en
Tient, indifférente à TÂme sèche, se plaisant
à torturer un coeur d'homme véritablement
épris; et maîtresse passionnée, susceptible
dés plus beaux dévouements, allant Ceela
s'est vu) jusqu'à vendre les diamants et les
cachemires quelle semble seuls aimer, pour
sauver la liberté menacée d'un: amant qui
ne l'aime pas peut-être. J'ai toujours-désiré
que quelqu'un d'habile s'occupât de la.phy-
sfologîe de cette classe, de femmes. Le
sujet est d^ne d*étre étudié, et certeâ^ si
j^en avais le talent, je ne manquerais pas
de ni*en emparer. J'aimerais à rechercher
les causes ^e ces étranges contrastes ^ et
je me croirais bien payé de mes peines, si
je parvenais à voir clair dans ces eoeurs
moitié marbre^ moitié feu»
'*') La Pgau de C^ofrin. .
873
Eh ! qnel est le coeur de femme, peu im-
porte laquelle, où il soit donné de lire! Dir
dier na-t-il pas raison de a*écrier:
\
Chose infidèle
Et folle qn'ane femme! être inconstant^ amer,
Orageux et profond eomme l'eau de la mer. '*>
Au-dessus de cette femme doiit je viens
d'esquisser à peine le portrait, demeure une
mère de famille. Elle est restée veuve avec
trois enfants. -^ Trois filles. — Son mari
était capitaine. La pauvre mère n'a qu'une
petite rente qui ne saurait suffire à leur
entretien. Elle travaille; sa fille ainée l'aide
dans son ouvrag;e; la seconde peint pour
Susse ou po»r Gironx de» écrans ou des
boîtes de Spa ; la troisième • . • •
Avez-vous quelquefois rencontré une jeune
personne jolie, très-bien mise, l'oeil baissé,
et cependant pas trop Ae candeur, les
coudes au corps, un grand livre sous le
bras, ou un rouleau à la main, se dirig^eant
vers le faubourg Poissonnière? — Sans
doute. — Et qu avez-vous dit? — J'ai dit,
voilà une élève du Conservatoire. — Vous
ne vous trompiez pas, et peut-être la der-
^} Victor Hugo, Mturion Dekrme,^ ^te Y, sentir $.
474
nlère que tous avez rencontrée était -elle
la troisième fille de la venve do capitaine.
On loi ayait proposé de faire entrer sa fille
an Conseryatoire royal de musique, sa fille
qnl ayait en effet une fort belle voir. La
bonne mère n'avait vu que le beau côté de
la chose, qnl était de profiter d'une pro-
tection pour faire apprendre la musique à
m' fille. Mademoiselle €larice profita si
bien, étudia tant, se rendit si assidûment
au Conseryatoire , qne l'année suivante sa
mère berçait un petit-fils dans ses bras^ et
cependant la pauvre femme n'avait jamais
eu de g^endre.
Mesdemoiselles, qnl avez une jolie figure,
une belle voir, et qui êtes dans l'intention
de rester vertueuses, n'étudiez pas au Con-
servatoire ! . . • .
Le Conservatoire me conduit tout naturel-
lement à parler de fèmmea dont il est une
vraie pépinière. On a déjà deviné que je
yeux parler des actrices.
Lçs actrices, à Paris, sont' au ban de la
société, et ce n'est pas sans motifs. En
général (je parlerai plus tard des exceptions),
en général dans les petits théâtres il y en
a peu d*admissibles dans le monde. Dans
le^ grands théâtres^ l'exception est moins
1
r
375
Tare. Cela se eonçoit. C'est là que' Tftctrice
peut, sans se faire rire an nez, se dire ar*>
tiste; ^) et de vrai, Tart élève Tâme. Aussi
a-t-on Vu plus d'une femme aimable quitter
les planches d'une haute scène pour les sa-
lons du monde comme il faut, et déposer la
couronne dé Sémiramis ou'd'Ârmlde pour
prendre les fleurons de comtesse ou de mar-
quise» Certes, leur talent seul ne les a pas
ntisesL là où elles' sont; et des hommes
d'honneur, estimés dans le monde, n'auraient
'^) Je me hâte d'expliquer ma pensée. L^artiste
étané celui qui fait ou exécute une oeuvre d'art^
on sent bien que reifdrolt ' où s'exécute cette
oeuvre ne .constitue pas i'artistê. Ainsi l'on ne
me croira pas assee stupide pour dire que les
acteurs qui ont créé les rôle^ d'Antony, d'Israël,
(dans Marine), du Joueur, de Marion Delorme et
d'Adèle, ne sont pas des artistes, parce qu'ils
ont joué aux boulevartsj je n'ai fait, en parlant
des g^rauds théâtres, que généraliser la chose,
parce que long-temps ils ont été en possession
de jouer ce qu'on pouvait appeler oeuvre d'art.
Ce n'est d'ailleurs que depuis peu de temps que
le- théâtre de la Porte Saint -Martin a fait un
pas dans le domaine de l'art, et qu'il nous a
révélé des artistes. Tout le monde là- dessus
sera de Tavis de M. Victor Hugo qui déclare,
» dans une 'note qui suit Marion Delorme, que cette
troupe est une des plus lettrées de la capitale. Cette
explication donnée, je maintiens mon dire, qae les
acteurs seuls des grands théâtres ( et les bons
bien entendu) peuvent en général se dire artistes*
B7fi
pas doooé îeur.nom à des fewnes dot^ là
conduite n'eût pas été .sans l'epcocheA. Mais
voyez comme Je siècle a fait .des prog^rès,
Certes, si jamais vertu a été mise en doute,
c'est celle des «demoiseltes de TOpéra. En
iBQasciencej il ^faut dire que les ronds de
jambe y les pirou^ettes et les jetés Imttus ne
sout pas de forts garants de la vertu d-une
jolie femme* £h bien! e^.pous faisant con-
naître Hne datvse que nous He soup^punloBS
pas, une danse tout à la fois voluptueuse
et modeste, une aérienne et ravissante étran-
gère nous a appris aussi qu'il ne faut jamais
dire: C'e$t inipossible.
Jadis il était jfeçu parmi la noblesse d al-
ler chez leis actrices ; les hommes bien en-
tendu. On en a bien rappelé, ma.foi. Je ne
sais pas, à vrai dire, ce que nous avons
gagné à cette pruderie .de .liotre siècle, qui
nous fait prendre le manteau Couleur de
muraille pour aller leur rendre visite. Je
croîs qu!au contraire ou y a beaucoup perdu.
Qu'on ne vienne pas me dire que c'était im-
moral ; du moins on ne le dira pas sans
rire. J'espère que nous n'avons pas la préten-
tion d'être éminemment vertueux. .Je le
répète donc, on .y a perdu. D'abord^ ou y
rencontrait ce quïl y avait de mîewx à Paris,
et il en résultait que ces femmes elles-inéiiyes,
se frottant à toute cette fleur de société^
prenaient sa|is s en douter les manières et
le ton da beau monde. ^Une femme spiri-
tijielie, et qui a associé sa gloire .à celle de
tous «nos chefs o d'oeuvres comiques^ par le
sublime de lart avec lequel elle en fut Tin*
terprète; cette femme, dis-je^ et Je n'ai pas
besoin de nommer mademoiselle. Mars, à
voulu faire revivre cet usage» Je n'ai
jamais eu )le plaîsir'd aller àtses soirées ^
à ses bais, mais j*eii ai beaucoup entendu
parler; et l'on m'a dit que rien n'-était com-
parable au chaume de -ces réunions d'aittlsteiE^
de gens de lettres , d'hommes du monde, ^i
ce A'est la maaière gitaeleuse dôiit la man
tresse de ta maison faisait les ImUneurs de
chez elle. Son exemple .a été «urvipar
madame Malibran. Mais ye ^ante que leure
louables eiforts soient courotto^s de succè».
Koiis né sommes plus assez liants ;. et puis^
disons-le franche me 1X1, Je ce^rps dont elles
font partie, et où ellesfcmt e&cf^ionsi ma^^
quante, compte-t-ll beaucoup 'de femmes cU'»
pables d'^étre maîtresses de maison l
Les actrices m'eut faiit penser aux ban*
quiers, notaires,.. et agents de change; et de
cettx*cl, il n'y a pas loin à leurs femmes*
Si j'étais arrivé au bout d*un article sur les
femmes de Paris^ sans avoir parlé «de' celles-
là, j aurais brûié tont le re»te,, tant je
les trouve curieuses à observer. De tontes
les aristocraties , 'celle de : Targ^ent , bien
qu'elle soit la vraie par le temps qui caurt,
est, quand elle donne de Torgueil, ia pUfl
ridicule de toutes. L'aristocratie de la no-
blesse,' celle du sabre, ont au moins poer
elles que leurs membres peuvent dire: On
aura beau «faire, j'ai toujours été, je serai
toujours noble, toujours brave; tandis que
raristocrate financier ne peut pas dire:
J'ai toujours été, je iserai "toujours ricbe.
Et cependant, il fftut. le dire, c'est Taristo-
eratie de l'iàrgent qui montre te plus xl'or-
guell et d^r vanité à. Paris. Les femmes
surtout ne croient pas le ciel assez haut
pour elles; si elles osaient, elles auraient
dix loges à chaque théâtre, et cefit laquais
dans leur antichambre, pour vous prouver
qu'elles ont de l'aident à dépenser. Â cer-
taine femme de banquier , d'ex - banquier
voulais-je dire, ne faut-il pas aujourd'hui
des diamants de princesse? Je suis sur
que si on pouvait lirte xlans l'âme de ces
dames de la^Chaussée*d'Antin, on y verrait
tout le dépit qn elles éprouvent de la sim-
W9
pliclte éenvaoéés dci notre temps, et.qu'elles
voudraient qaon ne portât que des robes
de velours eu de dentelle, et des plumer
de cent, lonls jusque sur les bonnets de nuit.
Mais comme tout a son bon côté, il faut
que je me bâte de dire qu'il ny a pas une
d'entre elles qui ne soit Dame de Charité.
Je sais: bien que de méchantes lan^ne&oat
préteadu qu'il y avait là pluis d'osteu'tatioà
que de.v oharité chrétieÂine! Pure mëdi<-
sançe !' Des Temn[>es qui- donnent tous les
mois un billet de mille francs à Herbot
pour un chapeau ou pour une robe à Vie-
torine, peuvent Uea consacrer tous lei^ ans
une trentaine de napolédns à secourir des
pauvres. . ^ ... < ^
Et cependant, chose étnange! ces femmes
si vaines du coffre-'fort 'de. leurs époux, qui
semblent vouloir souvent humilier ceux qui
n'ont pour toute, fortune qu'un nom illastre
et sans tache ; ces femmes, dis-je, qui sem-
blent préférer un coupon de rentes à uii
arbre généalog^ique, ou à de brillants états
de services^ que le mari d'une d'elles* at*
trape à la volée un titre «le baron; ah! ce
sera bien uqe autre histoire. Pendant plus
de six mois , elle ne sera pas une minute
chez elle ; elle sera constamment en visite,
880
:pour avoir le platoir-de «entendre annon-
cer madame la bar<iiiiiel Puis cette rage
passée, elle se demandera bien sériensement
S'il est de sa convenance de rendre des vl-
sites ! Elle vous recevra avec un* petit air
^e protection à faire pouffer de rire. Pauvre
femme! une idée-, une fantaisie de roi lui
tournera la tête! >et, juste- mill^ieu entre
Taristocratie -financière et nobiliaire, vous
la verrez sourire de pitié en^ parlant dnne
fetnme riche sans titre, tout afissi bien qu'au
nom d'une femme noble sans argent.
A Dieu ne plaise, cependant, que je n*aie
vu que des ridicules là où il y a tant de
charmes et tant detg^râces à a^dmirer; là
où sont les plus agréables femmes de Pads;
mais j'ai parlé en -général. Malheur à qui
aurait cru voir de la morgue et de Tinso»
lence dans les regards d'une foule de jeunes
femmes de la Chaussée-d'Ântin , comme on
dit: non, hâtons-nous de le dire hautement.
Là, comme dans les salons de l'aristocratie,
vous trouvez les meilleures manières, le
goût le plus exquis, Purbanilé la plus par-
faite. Là, vous trouvez ia. Parisienne dans
tout son beau, due pùis-je dire plus! vous
la voyez éiég'«nte, jeune, gracieuse, ins-
truite, rieuse^ et tant soit peu coquette;
3S1
u'Imaginez-voiM de plus admirable, de plus,
édulaant? Âh! si «vous ayez, un souhait
. faire,: un souhait de bonheur, de joie^
iéslrez :d'étre aimé d'une de ces . fen^mes
'avissantes que vous ne pourrez vous em*
pêcher d'aimer, vpus! Mais prene£ garde
i cet amour! vous étes^ sur un terrain
glissant! ne vous laissez pas trop aller: je
ue vous parle que d'une liaispn du monde,
et non d'un amour qui ne sait dire que
pour la ciel La .femme du m^onde à Paris,
aime avec tendresse; son amour est plein, de
charmas,, mais il est d'une étrange nature;
qui peut savoir s'il. durera des jours, des
mois ou des années? Écoutez un mot d'une
femme charmante, d'une Parisienne enfin
(Parisienne, c'estȈrc)ire qui habite Paris).
Un jeune homme, qui entrait dans le
monde, avait été mené chez madame D.
par un de ses parents, homme jLgé, qui par
ses relations avec la famille de la jeune
femme était près d'elle dans une grande
intimité. Notre jeune homme trouva ma-
dame D. très ^ songeât; U,en parla 4 son
parent avec, enthou^i^spie. ,, L'oncle était
un bon vivant. Un jo#« qall était chez
madame D», la conversation tomba sur, le
jeQQQ hiNDpme. Parbleu, dit rqm^ eiirijuit,
3S2
non neves etti enchanté de vous; vous
devriez vons ekar^r de son édqêation. le
mettre dans le monde, comme on dît. »Non.
répondit-elle %ivement, votre neven est bien
sans doote, mais j'ai remarqué qu'il avait
une ame ardente, il m saunûi'pas se leiisser
quitter.* Le mot est earactériiitlque.
Si l'aristocratie de l'argent à ses per-
sonnages ridicules et insupportables, il ne
faut pas croire que' celle de la noblesse en
soit dépourvue. Non, heureusement pour
Asmodee; il y a au faubourg Saint-Germain,
voire même au faubourg Saint-Honoré , de
qno! ne pas craindre .de mourir faute de
rire* Cest là qu'on trouve des femmes
qui passent des heures entières à gémir
sur 89, et à s'entretenir avec leurs direc-
teurs du lieu où elles ' émigreront quand
les* jacobins (tout ce qui n'est pas légiti-
miste) renverseront les églises et mettront
la France an pillage, si tootefbis leurs pe-
tites conspirations ne réussissent pas; car
à présent ces nobles dames conspirent pour
le trône et TauteL ' Ces fèuHnes ne vous
demanderont pas, comkiie la marquise des
Tt9u^ Quartiers', sl îin hoBHne ésfr né, mais
elles ne vous répondront pas si vous lear
*na''de remperèur; eu bien eltes vous
3&3
dircMit; Âb! ouf, Bonaparte. Ces femmes
sont les pénitentes de l'abbé Ronsin, ou de-
quelque autre de même, calibre.
Et cest dommage-; car elles aussi sonl»'
d^aimahles Pariaienues, les jeunes femmes^
du noble faubourg! elles aussi, d'un regard,^
d'un sourire, embellissent ou brisent rnie*
existence d'homme, avec, cette frivolité,
cette insouciance qui est un charme de
plusl Elles aussi ont de cet imprévu qui
séduit et captive Thomme le plus jen garde|>
contre les séductions. Comme ces ravis-
santes créatures dont je viens de parler^
elles sont Parisiennes dans toute la forcer
du terme^; cependant on ne les prendra pas
Tiine pour l'autre. , Si voua me demandez
paurquoi, je vous dirai que je n'en salS'
trop. rien. Toutes deux sont vives, élégantes,
spirttuelles; toutes deux coquettes, toute»
deux riches; mais- aux. Bouffons, vous en--
tevdjrez la duchesse de C...^... parler hauty'
ou. plutôt crier pendant que madame Ma^^
libran ou RuJbini chantera; et cependjant
madÀme la duchesse de G..».,., ajme la mu-^'
slque de passion. Voua la jr^noontreres^
seule dans la rue^ elle ou une autre femme^:^
de sai caste, et veus direz : : Voilà une femuer)
du faabourg SaÂEt • GetnuUni»»». . Cepeadantr)
384
elle n*a pas Talr plus fier on plus msoleot
qu'une antre. -— Au contraire, personne
n'eat plus causant, plus affable. — Ctue
vouiez-vous que je vous disef Je ne sais
même pas si cela e^t comme je vous le
dis; mais je àis ce que j'ai cru voir, et
c'est tout.
Oui, il y a quelqse chose dans <^ SAifif
qui n est pas dans d'antres veines. C'est
un je ne sais quoi de liardi sans effronterie,
qui ne peut manquer de plaire. Oui, par
<|xemple, eût résisté à cette charmante es-
pièglerie d'une des plus aimables jeunes
femmes du faubourgs Saint-Germain?
La ducliesse de F., à la suite d'une fâ-
cheuse histoire, avait été priée de s'aBsen-
ter de, la cour pendant quelque temps. Elle*
alla passer son exil à Saint-Germain, rési-
dence de son père. ' Plusieurs mois s'éconi*
lèrent assez gaiement; enfin Thiver appro»
cba, et la belle exilée sentit que Paris loi
manquait autant qu'elle manquait à Paris,
due faire? reparaître eut été trop hardi;
demander grâce lui répugnait; mais ce que
femme veut, Dieu, et à pi us forte raison roi, et
roi dévot, leveut^ussi. C'estce que pensa la
dnehesse un beau jour qu'elleapprit que le rot
chassait dans la^fiurét de Sàtnt«Germiiio«
385
Xje matin donc elle monte en voitbre, se
fait conduire à une lieue environ du rendez-
vous de chasse; là, elle met pied à terre,
congédie sa voiture et ses gens, et gag^oe
le rendez-Vous à pied. Il ne faut pas une
bien longue course à une petite femme bien
frêle, bien délicate, pour la fatiguer et la
mettre sur les dents. Ânssf, lorsque la
duchesse arriva, etlé avait pris de brillantes
couleurs qui ne la rendaient pas plus laide,
et elle parsiissait harassée : c'était ce qu'elle
voulait. Charles X était en train de dis-
courir sur la chasse, lorsqu'il sent une pe-
tite main qui lui frappe sur Tépaule» Sur-
pris de cette familiarité Inusitée^ il se
retourne, et reste stupéfait en voyant la
petite duchesse de F., qui, levant sur lui
des yeux suppliants, lui dit: ^,Sire, c'est
moi ! Il y a si long-temps que je n'avais eu
le bonheur de voir ' votre majesté , que je
suis venue ici. Vous ne m'en voudrez pas,
sire?*^ Et en disant cela, elle faisait une
de ces petites mines qu'on lui connaît, mon*
trant ses jolies mains; enfin ^ elle était
ravissante.
yykhl ma chère enfant, lut dit le roi, vous
avez été bien inconséquente !
— Sire, je vous assure qu'on m'a ca-
LXXXVI. 25
a86
lomniée auprès de votre majesté. J^ai quel-
ques torts ••••
-^ Mais, interrompit Charles X, comme
TOUS voilà faite !*^ C^étaitvrai; ses clie veux
étaient tout défrisés, et son malin et g^entîl
visage tout rouge de la chaleur que loi
avait causée sa marche forcée. ^^Ëst-ce que
vous êtes venue à pied?
— Oui , sire. Je me promenais dans la
forêt, quand j'ai appris que votre majesté
chassait, et je suis venue.... Votre majesté
ii*est pas fâchée, n'est-ce pas?^
£t le moyen de l'être? Aussi le roi qui,
pour ces choses -là, n'était pas si entêté
Îuè poujp les affaires de son royaume, fut
ésarmé sur-le-champ.
i^Mais^ savez-voos quMl y a fort loin d'ici
à Saint -Germain. Allons, allons, je vois^
bien qu^il faut que je vous reconduise.^
Et en efifet, deux heures après, la calècl^e
du rpi entrait au grand galop dans la cour
du château de Saiat- Germain, au grand
étonnement de. ses habitants, qui ne com-
prenaient pas comment il se faisait que le
roi ramenât dans sa voiture découverte nue
femme qu'il avait exilée de la cour,... Quel-
Îues' jours après, il y avait un bal aux
'ttUeries; la charmante duchesse ^ dont
Vbistoire «vait fftit du brait, y reparut triom*
pfaaate; et Toa dit que la ducbessé de 6.
fst'^ k, la Mnte de ce bal y malade pendant
phia. dénqulnze jours. .
.JiLjile testerait à parler de la Noblesse
Impériale; qu'en dîraUje? certes, jeJnepuia
w nfeii' iretix ^Ire .de mal; s^ je jurei» Jlis
qae diu'bten, qni voudra mè*cr&ire S; j«r bMH
bornerai donc à dire^ et ce lie sera pas le
portrait le moins exact, que delà jChauasMs
diA n ti n et |!tu; famhvu rg Sai nt- G ennatn réu nkTf
on peitt s«^ faine ç ne- assez juste idée de w
uohiecgseï deiilieiapive."
; Ji'avaisiiènpièe^ pousser mes obser^ùl^
tifns*»plttèiiliaul:!çrneore; de parler de la*p#ttni>
B8als'aflH>n8»^^noÀs une cour? si -c'est un ma^
a! G;est M bien/ cest ce que*, Dieu merci^
je^sne aùi9^]xa8'âp|Mé à discuter Ici. Mald»
enfin avons-nous une cour? en aviona-mma
ménsteiliti/iMué Cfhseles Xr. Peut-on appe-
ler de ce nom ces bals que donnaijt une
jeune princesse, et où Vétiquette restait à
la 'porte? Mais on-<«-^ amusait; mais, si
ee n'étaient pas des bals de cour, c'étaient
du moins des bals parisiens, des bals où
rien ne manquait, pas même la folie« Et
je dia vrai ici, car on se souvient qu'un
jour^ la duchesse de Berri entendant quel*
qa on dire ^«'il allait M rètfr^r, courut à h
porte du dernier salon, la ferma à double
leur, et retint j^riomphante mettre* la def
sons une pendule,' disant avec une joie d'en-"
fiint: ,fSor<ez donc maintenant...^^ ^Certes
c'était tiilfn là nne folie {iarisienne» . i*i
^;^ile "milà^Itfirvenu au plne.iiaut def^é^de
Héetellè sociaM! . Sans donte, qfiiand je re-
^rde en arrière, je m'aperçois avec eonfo-
flioii que .je suis iponté .trop, vite, et que
5^ enjamlié bien des éGbBions< wns 1m
fouclier. Mais vraiment je .n'ai pnsle^coin
rage de redescendre poav.ffioakattieMm^'iiuL
tftdie, et je dois dirf «àS8ii^l«to.' était
quelques-uns de si peu «Bgftge^iiÉitquertiè
les ai passés tout.eKprès. ?Aii-'jft.vnialfatt[
en celaf s*ll en lest ainsi, «quiid me le pai^-^
jbnnë; mais joi pois piM^tecquej'ai vonla
Mea faire. '• ^ ^t^ • f •
: NAPOLdoM D'ABRAMITËS.
:. . .F* j ■ ' .. . . •
» . . ■ * /.«v^a «? .'.■:'■•.' .. /' a..» ./
PARIS A CHERBOURG.
Je vonlflis le voir à C&erboui^, au mllten
d'jm grand port iet d'uft'vnsie arsenal nai»*
«nts, cePntis qu'en:' 1930 j'avais reiicbntrâ
dans un autre purt, daif» un nutr* arsenal, k
Tauimi, au inoniient de l'expédition d'AI<rer;
Ce Paris gentleman, riche,' filahionablej
curieex, désoeuvré, qui a besoin d'aetlfHê,
d'éiBtttions, dii spectacle»; '
' Ce Paris qui r. le sentktfetrt aiise^arélste
pour échanger, quand li peut, sa vie de
château, duuce et isolle, contre la vie er*
nnte des vnjagesj les'fiiligues des routes
et les privaliops trés-cbères du mal-étra
dies auberges; . , .
v^» «» *..
. 390
Ce Paris qu'on trouve, dans la personie
de quelques uns de ses représentants les
{lus élégantj^ .'. et * lès plus spirituels, à
Ueppe, à Londr^^à Genève, à Florence,
à Pétersbonrg, à Naples, en Allemagne,
aux eaux ^^^Côntraxville pu du Mont-d'Or,
au palais ^^^^tScàa, sous les arcades de
la place SarH|dltl|1re , sur les terrasses em-
brasées de la Ctassauba d'Âl-djezaïr^ par-
tout enfin.
Je voulais jouir de ses ravissements ao
milieu des splendeurs pittoresques, d'une
fête navale, à l*aspect du monument de
{granit que le dix -buitléme siècle nous a
égué à peine éhAi|ché| ^t ^que uoiis aurons,
jea^re, la sage / vanité idci^rouLoir laisser
achevé et parfait aiu^giiiôiratj^ns -maritimes
de la fin du dii^-.neHEViçfmc^r ri..
ToHtefotîa,! eette étud«i amusante n'était
pas .U- ^^P que j eusfiie à £Mre. Utie mis-
sion. M)éi|i49 me coi^duisaU à- Cherbourg.
Chef de Tune des- sections historiques an
ministère de la niariai^ t) jp idevais étudier
*) Au ministère tiè lir marine' 'il y 'à'îâ'eux section»
historiques. M; VtetHèt^ ancien ofâcier de mtt-
rue ^et auteur estimé [de^ln. partie «nvale des
Victoires et Coji^uêtes , ejBt le chef d« la premiène.
lie 1. juillet 1831, M. l'admîral de .I^i^oy
m'a fait Thonneur de me coufier la' secondé. £b
39 i
dans tontes leurs parties le port, la digae^
les cales couvertes, les ateliers, les forts:
ensemble déjà maguifique, qui occupera une
si grande place dans l'histoire des établis-
sements de la moderne marine française.
11 était anssi dans mes devoirs d'examiner
tout ce qui, à bord des bâtiments de guerre,
en fait de machines, dinstallations nouvelles
ou de perfectionnements, a été imaginé
depuis trois ans que je n'avais vu la flotte^
afin que Tbistorlen des hommes et des faits
puisse être aussi Thistorien de Tarj:. Car
les choses ne se séparent guère des hommes
en marine; l'art doit marcher, dans This-
toire navale, à côté des actions auxquelles
Il est d'ordirtaire très-intimement lié.
Voilà donc pourquoi je me rendais à Cher-
bourg. Et c'était' au moment où le roi s'y
trouverait qu'il fallait que j'y fusse, parce
acceptant cette fonction du mîniatre, dont la
bienveillance pour moi est très-g^rande, j'ai plut
consulté sans doute mon goût passionné pour la
marine que mes forces et mon talent. Je sais
quelles obligations ine sont imposées, quelle
tâche j'ai à remplir J ma vie s*y «sera, mais
non pas ma constance. L'espoir d'être utile k
la marine, qui a besoin d'être connue, et au
public, qui veut la. connaître, me soutiendra
dans une entreprise eu j'entrevois de loin plus
d'un obslacle.
S92
qa*a]or8 une division de neuf bâtiments très^
bien tenue y serait réunie; parce que, aussl^
des questions importantes de?aient êtrt
discutés, qui intéresseraient Tavenir de
notre- beau port de la Manche: on allait
faire de l'histoire pendant les fêtes.
 ces fêtes, je «avais que je rencontre-
rais Paris. Je Vy rencontrai en effet, coa«
rant, se muitipliant, se culbutant pour
arriver ici et là tout à la fois ; embarquant
dans les canots, se saufilant dans les forts
et sur le bateau à vapeur, interrogeant dans
les ateliers, piloté par quelques vieux n»a-
telots dans les détours qui conduisent da
chantier Chantereine au bassin à âot, mon^
tant dans les vaisseaux en construction, et
émerveillé devant ces masses gigantesqnes
de bois croisés, superposés, taillés en lignes
courbes et en lignes droites dont la io'>
gique lui échappait, parce qu'il ft^ut, pour
là saisir, quelque chose de plus encore que
des explications fugitives, données dans
une langue spéciale par des ouvriers qui
ne savent pns . traduire en français leur
idiome, pour la facilité des personnes étran-
gères à la marine et à la construction des
navires.
Puisque je suis avec notre Paris à
393
Tane des calefit sous la couverture des«
quelles rarcliitecte naval élève ces citadelles
flottantes qui doivent un jour défendre
l'océan français, je dois dire ce qui in*y
arriva. Jetais tout occupé à causer avec
le gardien du vaissea» le Friedland, marin
de la vieille roche, ^rand conteur de ces
belles histoires que j'aime tant, ravissant
faiseur de cuirs prétentieux qui auraient
une fortune au théâtre; j'allais savoir le
nom de ce bel-esprit de gaillard-d*avant ^0
Ïui m'avait promené déjà de Marseille à
Jo de la Plata à travers cent anecdotes
et un déluge de jeux de mots goudronnés,
plus riches et assurément .plus dr6le» qu^
tous les tropes de Beauzée et de M. Du*
marsais, quand un jeune homme, que j'avais
aperçu k tahle d'hôte à Lisieux, me.vecon»
nut et me salua. Je lui rendis son salul^
et, de politesse en politesse, nous, fautes
bientôt bras dessus bras dessous,, intimes
amis comme deux Robinsons que le hasard
a jetés sur la même côte, ou comme deux
Français qui ont fait ensemble quelques
postes dans' une diligence. Mon homme
*) Partie du pont d» vaîfseau où les matelots se-
journeint pendant la journée. Le gaillard d'ar-
rière est réservé à l'état-n)a|or.
3M
était, quand il me leva son chapeau et ne
fit sfg^ne de venir à lui, sur le g^ranit do
plan incliné où glissera le Fnedland .... s'il
sachève jamais. Il reg;ardait Tarrière de
ce navig;ateur colossal qui portera peut-être
cent trente canons, mille matelots, et je ne
sais quel poid^ de vivres, de boulets, de
poudre, d'eau, d'armes, etc. Son lorg^noii
à la main, la tête penchée en arrière, le
dos plié *aved effort* en un arc dont la carde
serait allée de son occiput à ses talons, îl
n'avait pas mal Tiair ^éné d'un bossu exa-
minant les peintures d'un plafond.
„ Parbleu, mon cher monsieur, me d!t-îl,
puisquej'ai le bonheur de vous rejoindre
ici) soyes donc assez bon pour me faire
compreti'djre ceci. Par où descendra ce
vaisseau dans la mer? Combien entrera-t-il
dans- l'eau qusnd il sera chargé ? Tout ce
qi^ seni sous l'eau ne le gênera- 1- il pas
beaucoup pour marcher et tourner à la vo-
lonté du capitaine? Est-ce qu'il est néces-
saire qu'il ait tout cela dans les flots quand
il n'y a que ça à l'air ? Pourquoi ne fait-
oupas les vaisseaux plats comme nos grands
qateaux de la Seine, comqoe les bains Vigier,
par exemple, qui sont, ma foi, aussi longs
que ce Frîediandp**
395
•Il pressait taot les questions . ^ue j'avais
de la peine à le suivre. J essayai pourtant,
et jeu «us pour une* lieujre a répondre à
4oiit.. Lorsque j eus fini, je Im-rdemandai
s'U avait coaipris.
y^Trèfl-bien, mon eber; il n'y a iquelané*
msHiitë de ceMe immense tiranche dans là
uroT'qiii ne nie parait pAs- bien idémontpéet.
Il y ft :!& beameonp. de;holis:de .perdu^ et je
tKBS' qu'on 'vole ici }e» goiiv«rne»eoi icomaie
Plutôt que de recodinMtteer A "lui dire
qiite la stabilité,, la solidité, la maiteko' dA
vaisseau dépendent d& la forme et de.^lA
Candeur de eeîs oeujvres quî^ à psfftlit^da
la mise à Teaii 4|U navire, resteytt éaoiumi
dans, la mer qu!elles déplacent, jeTe4ais-
sai croire qu'en effet le gouvemeHieat
était dupe»
„Et depuis combien de temps e^t-on après
ce vaisseau ? reprit le critique ingénieux. <
— Depuis plus de vingt ans.
-^ Vingt ans! pardieu, cela ne mitonné
pas, avec- tout ce qu'on y a fait de su-
perflu."
1) en revenait à la carène, je ne soufflai
plus le mot et je l'entendis qui dfaait à
demi- voix :
,; Je ftttfs bieii afse d^avdîr va les choses
par inol-même. "
Poi* tl'KJouta tout haut:
»>J'ar' beaucoup. de chances ponr les pre-
dhaiires élections; il n'y a que peu de dé-
putés qui puissent parler sur la marine;
|é |>a>rlerai , moi v et' c'est -v^ûb des ruisims
4iii m'ont fiiit'' désirer de veiHr à Cher^ovi^.
Je ne iberi^i pks^faeite eoratile'on lest à h
éimmhvétj^iet'itr^m .'Verrons ai le bois est
assez bon marché, avec Tétat d'amoindris-
seaient^progfrviwff 'de nos ftiréts, pour quon
le gaehe ainsi ! "^Cav, vous aurez beau dire,
iéut ce qui est dans l'eau est inutile, se'
ébrrèiiipt, je le vols* bien* Diable l on n'est
rsi éconeme dans vos ports!.*.
'Mais, monsieur, «lé 'faut-il pas à use
des caves ? ; t «*
— Oui, parce qu'on a des vins fins à y
mettre. Au bord, il ' n'y ' à pas tant de luxe
probablement.
— Tout g^rand édifice ii'a:t*il pas des
fondations profondes i '< -
^r- Belle comparaison! Il faut que l'édifice
soit bien appuyé, parce qu'il doit rester inimo-
bile; tandis que le vaisseau doit courir sur l'éfta.
— Et y avoir un pied, comme les olseavx
aquatiques. : ^
S97
. .^ Je vous çn demande pardon, mais tout
ee^l ma Tair de sophismea faits pour sou*
tenir «ne cause que vous voyez fortement
attaquée.
'^'Oui, fortement!... repris-je avec va
80«firç.
'—-Écoutez; vous avez raison. Il y a
chez vo>us de l'esprit de métier. Vous avez
été marin et vous appartenez au ministère
de la Marine.; vous parlez comme vous de-
vez faire. .Vous n'êtes pas libre; moi je
le sois. > Je sois' indépendant et j*ai le droit
d'attaquer. Au reste, ce n'est pas ici que
je Tcux. fa-îrcrisco procès à ladministration
c^Mt^à la tribune.^*
r*'»Je n'ajoutai pas une syllabe et me tins
pour battu, en invoquant tout bas le ciel
pour qu'il préseifvât la chambre d*un membre
aussi' éclairé. L'intrépidité dé mon jeuue
bennae m'eifrayait; ce qui m'effrayait en-
eatOKf^aést qu'il pouvait très-bien persuader
à quelque collège électoral de l'intérieur
qu'il avait étudié les questions maritimes
et qu'il y a de ^andes économies à faire
atiT les carènes des vaisseaux^ dans l'intérêt
dutnésor et des forêts du royaume.
J'avais perdu une heure à faire de la
g;éométrie> de la navigation^ du raisonnement,
S«8
Je la démonstrfttion ; jamais quiéié le gar-
dien du Fnedland qui m'amualiit antant que
m'avait impatienté mon Parisleo ; j'étais foct
en colère. Et cependant ce garçon-ià n'était
pas nu sot; Il avait fait de bonne» études;
il avait eu autrefois un accessit aa prîi
d'honneur; Il savait encore du laHn^- et
n'avait pas manqué de citer, avec im sou-
pir, en voyant la rade agitée, le ruèur et tus
triplex circa pectus d'Horace ^ quje les femmes
apprennent aussi quand elles vont à Dieppe
0U quand elles veulent sembafqnei* sur. le
paquebot de Calais; Il n'avait rieiv d'ua
fat outré; il paraissait accommodant pour
beaucoup de choses; il fallut que jeu« troc*
vasse une où il était intraitable ;'^ eelle
justement où il n'entendait rien , comme il
arrive d'ordinaire. Il aimait ia marine, c'était
pour lui la révélation d'dne poésie non*
velle; mais la marine veut - des étedes
longues et sérieuses, et m vanité lè'-tiMii»
pait là-dessus. i . '-
J'eus plus de bonheur avec vu antre; il
se laissa faire sans résistance au chapitre
des carènes, des oeuvres vives, des façons
et du reste; seulement, quand je lai eus
appris l'âge de cet embryon ^ de vaisseau à
qui, depuis une vingtaine d années , éa ea*
399
lève et Ton remet successivement ses
membres et ses autres pièces principales,
comme à son couteau, toujours le iiiéme
d*ailleurs, Jeannot changeait la lame et le
manche; quand je lui eus dit que cette car-
casse inachevée, qui maintenant a nom
FrUdland, S était appelée le Héros ^ le Roi de
Rome, h Duc de Bordeaux^ et peut-être encore
autrement, il me fit une grande déclamation
politique sur l'instabilité des trônes; il com-
para le vaisseau aux couKisans. qui chan-
li^eiit de dévouement eu même temps que
d habits; il me récita enfirU tontes les jolies
choses morales qui couraient déjà le théâtre
de la Foire et les devises de confiseurs,
avant 17S!). Au moins, ne menaça-t-il pas,
lui, de se faire député pour parler de ma-
rhie à la chambre, où, sauf le respect que.
je dois à ces messieurs, en en parle parfois
si drôlement!
Celui-ci et l'autre étaient, je dois Tavouer,
deux exceptions dans le Paris que je trou-
vai à Cherbourg. Lé reste me parut plein
de cette intelligence ardente et déliée qui
distingue les gens de la bonne compagnie
de notre capitale, facile aux impressions
profondes que la mer et les navires font
sur toutesf ies imaginations vives ou tendres ;
4oa
désireux de connaître; qaestfonnenr pour
apprendre et non pour discuter^ sentant
enfin que la marine veut qu'on rexamine de
prés, qu'on Fctodie sérieusement, et qo«
c'est un art auquel tous les arfs apportent
an tribut, qui s'appuie sur toutes les sciences,
qui a sa poésie propre comme il a sa lang^oe
spéciale, langue riche, colorée, abourlante,
dont presque tous les mots sont une figure
et ont les plus belles origines.
Le vrai type de ce Paris que je vlen^ de
dire, était un avocat {eune et distingué,
M. M... La peinture de Gudin et la lecture
de ce que mes amis Edouard Corbière et
Eugène Sue ont écrit sur la vie de la mer
lui avaient inspirée un goût très -prononcé
pour la marine. Il était venu à Cherbourg
passer le temps des vacances du palais pour
se donner largement, et de natum, les joins-
sances que lui avaient fait éprouver les ta-
bleaux de ces artistes habiles.
Je fis sa rencontre sur le quai du port
marchand 7 un matin qu'il ventait très-frafs
du nord -ouest, et que des grains de pinle,
chassés par cette bise passagère et rapide
qui cingle au raverse ^e la figure comme
la mécbc dune cravache ^ et que pour cette
raison on appelle iin coup de fouet ^ rendaient
h t^aèé pèflletfabrrel ' llétàfi dànd taùteiltf
ferveur dë^se» pre^iières jviiéd, beiirétik deti
clëcouvertea^ qu'il avait faites en luirinériie à
Taspéet de choses merVéUieuses et toàtes
nouvelles cTôht le speetaele g^randiosè lavait
frappé. Il ne sentait hi le fi;okl ni ta pitiie.
La mer se brfsÂfl av^c farce isut le /mUsbir'^
de la jetée qiiVFle couvrait d'écùimé*, et n
était allé là sàiifi s'InqUiétet dé leati (jn?
jaillissait en nap^s le long âé la roaçbiine^l
rie, pour retomber en poussière iiumide ov
en larges filets sur son vStenient léger;' if
en revenait ti*empc comme un fleuve, se
moquant de- uois manteaux bien boutouiiésj^
it deé capotes de toile cirée doutas enveltop^
)ent les officiers, qui peutënt'biéh fàînë.
lans enthottoiasme des corvéeÀ ^énibleï ë.f
nnuyeuses dans leurs clafil^otii battus ^a'f lir
ler et le vent. Il |yArtait 4^ tout* ce qu^ll
vaitvn avec adlhftallon en homme passionné^'
u fttirplu^', ce qn il avait vii' justifiait aWàes
»tte chaleur il u faihgfage qui accumulait leit*
"^^ I/éxtrèmê ^t<né]<iééi £llte'd|t arror/dîe. Je'
ne sais si^viasdir^ade Ifaiialogie avet ^^tutedk^i
et ai on a voulu donner à' la iète cie la jeté»
' Ib Doni que reçoit osHè da marcomo;'ijiioi({tt*il
ennùHn la^ Biotest trèfAUsité, bien qu'uq die*
tionnaire foit eatima dise rto'U cat inuiké..'
LXXXVI. 2«
4«%
Ofin /élQg;^p.saia^,^e)H,tr;o^ tiède 4>ù trop in*
çomplpt. , . . , :.\ : r, ,
Malgré les AvqrsQQ /ivéquentes, nkalgré le
vent qui le courbait sur son /cheval^ comiM
ce voyag^evr de Li( F.antaîji^^ qiie\se dlspa-
tent Boriée. e^ Fh^^ui^, ,il.ét^)t,aUér^.n., pbare
4e fiattevill^^ .pour m^^urefçdu regai'jil cette
çpIon(xe.g;éante^cône tranqi^iQ de^ranit, liaot
h,^fm pr^s, connue le qylîodre. de brooze de
\^ place Veudàiue. Il avait couru les envi-
rons de pherl^ourg, II. était moiité a^u «om-
met du Roullp. poiir jouir diupanorama de h
vlUçi. 4?4 ;dpi]|l(; ports^ des piromepadea, de
h^, i;adf^ de, jaroutiB de^Caeii; et .du très-joli
jf rd^" JP?.3péravX|. ro^^ odora^ite. et fraîche»
qi|veJ^te. aux juut^ocli^*.' aride^ i\ était allé
4'atelj^ri^.eii; a^ierjs^ .de magasins eu maga-
9in$^ de qal^ e^ o^^e^ 4m Jiipùer an Générmx, *)
du '^Mnjf.stAk.LofipTQrf. tq^t^urs;. s'Iuform^o^
appte/iAQty.retaqanV pceqa^f d^0 nettes qnil
doit çpiJ(%8§er îfi ajoi^, j>9jir,6?|ei: |se^ j9Dq ves^in.
Mats sa campagne n*eût pas été^ complète,
s'il n'a^Yàlt vp. 1» 9[ier..^q^c^,:d« riyage ou sar
QD des bateaux ^ui ibènéni, en calme, les
''*) YaÎ9.Be»miHàe Hgvë tèvi neqfo H qvf»m nlii pas
. «ooore inig tm «armèmeat.- lift aoal* aMuréa
d*aa U bastih 4 Aot. r ^ > : . ».i. ti
40S
l»( curieus à .la digtie; M. M.-.; voulcitlainiisqt
ie« connaître, Tétudier d'un peu plus près> se
donner en même temps le plaisir d'une na*
•j.1 Tîgation en règle; il trouva le bon moyen»
m Pendant qiie d'au très* Parisiens bornaient
lit leurs cottrseà au rempart an à la jetëe^
la heureux du spectacle que leur donnait U
rff rade légèrement agitée par un faible brise
:i, du matin, lui, an courajit des nouvelles de
^ Vescadre, avait appris que les* bâtiments
sous les ordres de M. le contre -amiral
baron de Mackau devaient appareiller pont
faire quelques évolutions. C'était bien son
affaire. Il s'ingénie, et |>arvlent à son -but.
Il ne connaît ni commandants, ni officiers
dans la division navale; n'importe, il est
étranger, homme de bonne façon, bien par^
lant, et se présentant bien; et pnfs, Il est
Sonr la marine un néophyte ardent; qui
dnc refuserait de Pacclbieilllr ? 11 salt,^
d'ailleurs, que les officiers de la marine
sont ieé hôtea aimabléii et bienveillants,
recevant avec une cordiale politesse les
Tislteors et les passagers ^ù^ dame Fortune
leur adresse; il vii droit à nn d'eux , -^
c'était neutre es^eellent ami , M« BenjAmlo
Letouipneur ,* le capitaine de la ceryette im
iVitfX^^ _ lui dit ^oB éûkhànm^ %ott désir^
■ .
404
la joi€ qil'il aorait'à £^ veir sobs voiles,
à quelques lieues du rivage, décline se»
uoms et qualités. •«• C'en était pins qu'il
n'en fallait.
. nKons appareillerons probablement de-
main, an point du jour, si le temps est
favorable; ujie nuit passée à bord tous
effraierait-elle?
— Loin de là, commaiidant, c*eist une par-
tie charmante*
-^ Eh! bien, monsieur, je vous emmènerai
tout à l'heure ) et irons verrez demain la
division à la >mer;
-^ Auel .boaheur, 'et combien je vous snis
obligé!**
Le canot du. capitaine retourne à bord
de la Naïade, emportant l'avocat parisien^
qui est reçu de la manière la plus affable
par rétat*major du bâtiment. Une collation
est servie, et M. M. 4ie regrette^ qn'une
chose, c^est qu:avec les vins de Xérès et
d^ JMalaga, avec les ^ea liqueurs dea dheox
hémisphères, on lui offre des gâteaux an
lien, de ce biscuit dout se nourrissent les
marina pendant leurs longs voyages* On
cause, et la soirée sapasse. Un lit:, qui
B*a que ^ Vinconvénient de ressembler trop
fitfx bonnes couches des slbarites de noa
408
grandes villes, est offert à notre Parisien*,
désolé qu'on i.ne lui dotlne pas, pour l'ama»
rlqer tout-à-fait, un hamac de matelot oa
au moins un cadre '*')• La ifnit s écoule
Xjie à travers des songea riants. • Rien n'a
dérangé le passager profondément endormi
^t le doux balailcementd*unvrouljs à peine
sensible-;. -et le . premier coup de baguette
de la dLane^ le surprend rêvant , comme uil
jeune .écoliei;, au, plaisir qu*il se promet
pour la journée qfui > va commencer. Lé
WanleKbas, le nettoyage occupent .quelques
instants,' e^ trompent 4 Unpatiefice qu'il a:de
yojr monter à la'verg«^ deJa frégate ami'?
raie le signal d*appareiller. ^ 'A la, fin, le
voilà, ce signal bienheureux!.
. Jamais les yeux du Parisien ne. suffiront
à voir tant de choses à la fois. Comment
diébrouillerartrileecliaos où il ne saurait
troQvejr IWdre qui existe pou^rtant? D)e»{
'^) Espère de hamac dont le fond ' est garni d'iiii
^ lfet;firng)<>' de' "béis 8ui^ lequel est èlouéé une toîié
. forte cjui porteMes matelas. €é lit est très-
cainmode}' oo y. est à merveille, , bien à raise^
bien étendu,, et non ployé comme dans le hamae
orduittiie. Le cadre tient à bord plus de. place
que le harfiac; voilà 'pourquoi les Aiatelots nù
peuvent avoir que ces longs sacs qu'ils roulfiit
et placeotidâflisJe Itâstiagua^ «^utoiir* du: yànt
supérieur du bâtiment.
406
quel mbuvément! quelle acttvfté! qoelle
Bliictè tfbéissâtnee de tous aux ordres d'un
seul! Tout marche ensemble^ des bemmes
sont montée sur' les ver^aes pour^ (arguer
les voiles quoh donnera tout à l'heure an
v^nt. Le brarilô-%âs .'de 'combat (car on
doft's!«iu1ér une 'rencontre atméè) 's^opère
tfur le pont dp la c^^rvette» pendant' qu'ott
file à la fner la chaîne du- corps -<n»ort, *}
dont le bruit fait uii> lourd aecouîtïagneiiieut
de^ basse au eris aigus dn sifflet dès in<iitres
d^éqinpag;e4 Le grliiceuièut des poulies de
drisses, au udi^yen desquelles oti Ait tttanter
à' iai tête >dès«aiiâtsiies<yoiles dehune qu'on
vient de déployer'5 ajouta» àî ce tapag^é une
voix que vous trouveriez intsdpportable dans
font -autre ichoeur que 'ceiui^ gui se ehante
i bord au mdnteni de Tappareillage, maïs
qui n'est pas fci sans charms et sans effet.
Aiû.' ^urpluS)' peu.de voit d'hommes setnélent
à ce concert; quelques conscrits de Tînté-
rieur hasardent; bien ùnje^/parple^ m!ais le
silence leur, est imposé sur.- le -icharop . par
la discipline. Attention, activité et silence,
trois conditions essentielles de 1 exécution,
qui doit être yly:cî, précise, e| jâmaijs rai-
*r-
sbnnevsé. 'ÎTàyé^ pftià 'peur 1^»e lé'îôoniftitiii'
latit lui-Ebémé parie trop'liàut oii criedài^s
son pbrte-Toirj le^tenips est jpassé où rèji
se faisait *un mérite 'A'nif commatidè^ment à
fcuë têtçy et qiif aviaft 1k-^îoitïb -d'tfïi^ coutt
3* point' ' Ori rie p&dé plus en Jean Bàjft
Se cbirfédfé'^iiW àfftttatioiiJiJàrgenrèi. ma-
rin ;^*V>Ti W'cWrt ''p\u^ qrte pour être bbd
3ffitiiefr tin ait besoin de beaucoup ' hoirie,
iurier,'^f«mer, chiquer, et cHer. Ljï ëiviU-
satltih est éntVéé î bort'dfes' Vàtsrfeâiix bu
iirsAéià\Ui^'tèmps\^gné'\à bVutklftë grôst
siêi-ë'lsdijf* 1^ tîàih de frànchWiç', fa i^a^và-
^érîel sè^iiéf 'Ife noni d-apptitatïon àpeëiald
iux èliôses** 8ii' m^ttiér, 1 absenté' du^ sâvbîrr
irivtéf ^ëils lé nom h)^kt de brusquerie; que
saJs-Je encoi*e? L'es officîeri de la marine
sont ôilj(iurd'hiri,"'à''p«tt .^'^xcepti^ons près,
Ses hortVhew'dii' îàonde 4 '-remarquables jjaê
la pélitfes^e, faisaht âe^^lfeur *état hnébKbséï
çra^e éfséi'fèXiseiiîiâîs 'ne se donnant pXbti
l air' d augures, parlant de la science secrètéy
et ayant poW le théâtral eï le charlata-
nismeie mépris qif ils méritent. Cela, comme
tout le 'reste, surprit, jIr pense^ le passagei;»
3e la Naïade, qui, peut-être, en était erifeote
mx' iharfns *du ValidéTtlle et dé TOpéra^:
Jdmîquè'.'' ''" ^' ''^ •" "'
î
. .Ce o'esfe pas là que devaient finir sca
çtoanementa. Voilà |a corvette sous voiles,
9*e^sayant à marcher,^ j^réladaiit> pour ainsi
dire;, pi^r q^ojelques i^^s^ à.la. course .qu^ella
^evra Jfouriiir bjLentpt^ .tons les }autres«$§tiT
ibÇBta ont quilté . au;isi Jeu'rs^ moiijllji^es;
T^acaymaoo^uvre.^pouf prendre le. posfe
'qI lui est.assfgpé par onfiigqaliie l'^ijauralt
!e moment de pèle -mâle est . charoiaof.
Les navires dans toutes les positions, sous
d<;s .voijl^re^, diverses 9; djffprents.de rgran-
dçvrs et de fornfea^, f^rég^atesi ^ç^vetfef et
bricks; Ve Sj[ilt^i|| blanchissait feu^s^voiles^
et brillant, à. 1a .|i^f|]te. die .Qliai)iie,. P^Mi^
Tagve comme au commet d'iin^ pyr^ayde
dé cristal; la djgae qui fuit; les.cô^s qui
cbangent.de profils et dç couleur; la vieille
tour du rempart qui s'abai.sRc çt se confond '
ijyec J église, gotjiique, 4^ Çberbpj^rg; des
batéapx à raucre,qn. ^ la< voile pr^s^.de îa
jcitée; psr-de^us tout .cela, une, bc^lle cou^
pôle, dazur., illuminée irpar les premiers
rayons fdn joui*, et, en quelqMCs endroits^
tachée de légers nuages blancs, dorés^ dia-
phanes, cotoneux comme ce duvet quan
temps des moissons Ip vent. enlève au cbarr
don JEj^nrl : c'est, ;.i;i%, spect/icle; ;dé;,llcie«Xt
'^'' ^re Parisien en jouit tout à soi|,^&^
m
pieu «»it; W«^em-i| eH{,.;ii;«Mî?ieiix ;$âtf
q^ai du 4;çmpart!, Jy trQiitv,ai,. ye^&^fljjç
• I^H _ 4. _ J. « I _. ^
b)ef^K^ ti|)^^»:tita^sf>flr«iiU9><liimtnQiMX^6l'te^è«
it 4«w«»fi3 d^Mériji .'à <)lliiiiéritiir;:»'isiiiyilft
ïs .cais»eisr;de.!inQde89 de rob^^^ de htjouxf
u.iest phosyit^.- deni^iidé^s «pai*: les 'belLed
Linafl^ .d^r.l(t» ipf^iUe vUle •. (fafaafie - normaadi)
IX <oiivi>[^rQ^r4tux n)|iv«tfaiideay .aQX:arti»ta|
eins .tie. goût die. Ja.\ grande viUe euROV
ïe»n&u Avec. .toAl^ cet n équipage, .bo«I(
'ions franchi a$seElourd«fiieiit4 mais aiiBfti
■
i3ezr joyeuBemeol) les q«iai'ante-aix..pa8te«
li aëj^rent'Pam du vieux tbour^ d^ Céi
ir.9«ii'd6rC!barIes<i jo: «}^ iaaiaiidM|uel, .Mft9
krboui^ Wi: QheraboMg^ eèaune^w il'^oU^
\
m
le« côtes. . ,qui fatorn Uu^eiit * anx travaux de
Ç]ilie.r bourg: ra4niirAible.:|;raoît .rose et gris
4mi^lcUJ^ prôpoiet la durée décaaéculaîre qu'oui
fiît^iiMSo iea monfiiiieiiti^ de. la Grèce #1; de-
îl^ypl*' W»ttqwa«,; 4© forl^^du ftopimet, ^é-
£flf^ de.iU paii90 Onm^ i^ la rad^» comme
l^l'o^rt^lfto^lil ««I. œlip 4e la p^saeJSst : fort
oui a'Conserv^ l/e(yie^x^ noair de la baronnie
d.ea.cppnétablea^ béréditaires de la duché de
l^pruiandle, mais q<it ne s'est pas élevé sur
\^s luin^s rde. J'ancieiii ebatqaii An Hommet,
Îar44en, avee le cbalîeitii. d^>la Hivic^e.^. des
r^t^9 ptiéi^gatli^ea f3t)poiiV4fîrs :du>seiicoeiir
$t iïftif.9ni:de iVudroU; ^june: .«tes. sentiiielles
avancées de la place maritime, le fo^'t de
Att0irqi|evîUe) 'dont^ j'ren demandé bien par-
don aux antiquaires, le uoia ae doit pojnt
B'éfUtXxe Kerqumlle^ parce que QuerquevtUe
étaij; la; u^i^f dû cbénof C^<//b (fumt^%
t^QDdfQe le ^^\ de^^Ceré étaU« le Valloa. de
ipér<ès.. o^ (des . belles jmoiasota;^ >à notre
igaicchef les- cales de.constructiôus couvertes
sous' lesquelles naissent, g^raadissent, et
* *) M* le éapîtaîne de vaisseau Lemaitre, traduit
devàflt tin conseil de guerre 'px>ur' y être jugé
*;'• sài^'lët «ait de'v.ia perte dé ksi tté^ié\ a été le-
4ii
leiillsdént quelquefois léâi grande vafsâeànt
e guerre; pins près 'dé nous/ hi ville éi
i pdrt maritimes; plus près encore, lé
Dcher du Roulle déjà à demi transporté
ans la' mer bu 6%s quartiers servent de
ase à la digne; et te chemiii de fer qui
ransporte, du Roiiile au port, où oii les
mbarqne, ces fragments- destinés au taille^
ler de la rade; une avenue d'arbres près**
ue au-dessous de nous; des maisons bor»
ant la route; des fossés de défense; des
ochèrs au premier plan: tels sont les dé«
ails du^ tableau que nous eûmes un demi*'
|uart d'heiire devant lés yeux, La Fùta
le Marseille, qui montre ttn met d*hidig^
LU voyageur, émerveillé de trouver là deux
icéaris daznr, l'un sur la tété, lautre à
les piedsy la Fista est un amphithéâtre ont
nérite toute ladmiratlon qu^ont pour lui
es Provençaux ^ - mais je lui préfère celui
Toù l'on volt Cherbourg. Il y a ici moîn$
)e poésie calme et chaude que là-baa, malA
[1 y a - plus ^ de mouvement, plus ^de via
maritfmé active, plus de cette grandeur que
les travaux des hommes savent quelquefois
imprimer au paysage quand ils sont bien
en barBknife avec le caractère des HgHes^
et lor cottlett^ locale^' Je crois que 'tés Pii«
41*
risieo» qne jVvais vos ea extase à la YlsU
de Marseille convieanent de cela; plusfienra^
do moins, me Tout dit sur cette côte d'os
nous regardions la ville et la mer de la
Manche. . Je ne comparelrais à la vue da
Cherbourg^ que celle de Brest, prise do
télégraphe; . Brest, aurait 1 avantage , ai la
courbe de sa rade excellente ne se refer-
mait pas .au Goulet.^ pour faire na graad
lacy et limiter l'horizon de la mer.
^. Brest, Cherbourg, la Vista, ce sont là
de beaux sujets de peinture. Oh ! conablen,
cette fois encore, j ai regretté qu*UB instru-
ment aipssi ingrat que la plume m ait été
4onné aijL jiieu d*un pinceau! Que faire
avep quelques épithétes pour colorer des
études d*aprèa nature? ttuelle triste pa-
lette qu*un dictionnaire où Ton trouve l'em»
S base et point la chsieur, la sécheresse
!na substantif à la place de la largeur
id auie ligne . ardente de vermillon ou àe
jaui^e de chràmel Faites donc des^ croquis
av;ee quelques mots, comme le peiptre avec
quelques coups de crayon noir et blane!
faites donc i^yec votre analyse méthodique
an panorama que l'oeil puisse eoibrasser
ton^^dun coup ^, un portrait 4e locaJitéiç oi
•a ti^iUiflt la. . rfïaseiiibliùice:^ } effets la
3é3ie2^vc^^ fuqi^eli^i^lqupfi qui. n aura pa*
Li VorigÎJ^I puisste p;ji'eDdi*e plaisir !. ;Nos
istrumeiita à, nous sppt Insuffisants. Nous
.e ^ga^venqns jamais, a tout dire sans fa-
^gH>^i I^ ,rfi.eiuti;e .peut . accuser; tous les;
létail^ ./^9.)Cf;^n4r^, fiq , déplaire , ou 4'en«
iuypr;^.^ive ,to|iche .s.j>irltuelie;. en ditjplus
i^hez. lui que chez .nou9^ vingt traita àt
prpse^..l)leH justecf, Jiien exactiii, Ujen; isf^
nieiix*; et puis» sur la toile^ avec le secours
d'une couleur matérielle» que Ion sait mo-^
dlfier? tous les ol]Ȕets prennent leur fai^e
réelle 9 sMiarmonlsent , .se mettent ^à feiir
pla^e; s"!* notre pauvre papiier,. «tout .est
suc. le n^éme .plan, nous, ne /pouvons rie»
£aire déta,dber. Si nous rendons saillant
un obje^,, c'est i yrand'peine, et à.condtitloit»
que nous sacrifierons tout le reste ; nous
nlavons pas I9 clair-obsour, la demi-teinte»
le. J^^Aat j } \P' glacis; nous spmHneS: bien À
plaindre ^ fit j'fii.vu,des peintr-es nous*, porter
envie}; iiig.rat9y qu ils son); eiiyer^ leur art!
)'^QIi^ i^fti|iii|ies 4esceHdu^ à Cberli^urig.*
4*^.i4irtaV4Je ,4eîOe|l^ Ylll^, ^ont le i^avé-
d%|^ilex».i§iîge> mais taijlé aiiaçettest a*gii».
laiT^iV|Hia coiipie^ leaipieds^.^.dont. la plit»^
paFtjJ^ jnnijions, ib&tffB. M^ «*« ptorret
4ltf
de la' tliér qfii>, éii''së'fttlifjfthf,|iurait laissé
ûQt leurs miffb, faumlAès àTbéll,''ti^e couche
de yarach et de Hiboii; dont quelques rues
seront assez belles, quand tfn peu der j^oat
aura ^résid.^ aux récolistractièns ? ' E^cwt
si, dnns ces Viertleà ^-ues, énrèl^i'tJuviitt^le
pittoresque- d1^s'anéîtfiriie§ villes ifi<»f mandes,
ék liàYre et de RbËën^ dàné -Ifeui^ qnàr-
ttem gdtfa^qiitsf ttitlis nett. -dueloues ma*
sures à toits j>oiiittis/ une rlie* ou rod a
laissé debout des arcades du seizième siècle^
YOità tout. Quant ain^ traces d'art , deux
0v Irots 4^nt au piUs: une fenêtre oriiée,
att-<dessas du' paséag^é Grrisbéc; et deux
petits lAdrceàux* de sculptiire^, airx coin»
des Vifes des Pestes et ^ la -Vase, . images
gi^ossièrês des guerriers du qnat«rzi*èiAe
siècle, qu'U faudrait prendre pour des car-
rtcatores, si Fôn ne connaissait pas ITg^o-
rante naïveté des sculpteurs de éëtteép^re.
La' seule efaose qui aitde rinlpWtancé,- ce
n'est pas la vieille tour : ^festè' dé^ fomfi-
oatlonr qui tinrent'^! tong^ti^m^ edkifire
Charters TU ^ ef hé rélètltrrénft .fiMriif^U^.
eo 14ât( 9 àprëâ fa mdrt *de ^Tiif béir> ' \ét
pour être ^ rasées en 1 5M ; c*ësr rë|flMe
dé la jtrèsf- Sa! lilie - TBMté« Plusieurs tliar*
maiits^ dètatb êii«é«^#^itl^ ttcïèWWanilw^ à
417
l'attention des amateurs, et consolent, par
keur bon lie conservation, de la Ixeatité toute
récente d'niie restauratign faite au portail ;
restauration intelligente, tiélas! comme celle
de rarc-de-trîomplie d'Orange, comme toutes
celles qiie nous faisons aujonrd'hui à nos
monuments! En dedans, rëglise est simple^
Ce qui la dut rendre bîipn curieuse^ c'était
une longue ligne de bas-reliefs courant
au-dessus des colonnes de la nef, et re-
présentant, autant que j'ai pu le voir par
(les fragments échappes à la rage des mar-
teaux, la ville et le port de Cherbourg.
Quel dommage que cette portraiture ait été
mutilée? Oui Ta aîhsi^ détruite? ' Sont-çé
les Anglais en se retirant? îïst-çe la rc-
voliilion de 1793? personne n'a pu me le
fifre. Dans la Trinité, ainsi que dans pres*^
que tontes DOS églises maintenant, de mnu>-
vnlses AtfitUes, de' mattvals tableaux, et nn
navire pendu à la voûte de la chapelle de
la VU»rge, uu seul, le modèle d'une cor-
vet/e de Templre! Une inscription, attachée
kAo, niuraille' de la chapelle des fonds bap-
tismaux, m'a frappé par son vieux langage
et son orthograpliej je crois me la biea
raptoeler:
LXXXVL 27
41S
Cy deuat gpitt 1« corps thaa VauUier
Qui en dmat dun coeur sain et ètier.
Tint ie chemyn des décrets et edictz
Du Seigneur Diefi sas aulcus contredicts» '
Pour toy subject à naturelle mort
Amy bsat 83F- pitié te remort
A tout le moins souhaite luy qu'il soit
Avecques Dieu qui les ellenx reçoit.
Voilà tout ce que j ai vu de reniarqaabk
80US le rapport des arts dans la eité de
Cherbourg^ car la halle jnoderne , ai elle
est belle, c'est par sa masse. Et. puis, à
quoi peut- elle servir? Cherbourg peut-îl
être un marché de grains ? L'administration
aurait bien dû appliquer le quart de Tar-
Îent de cette construction inutile à celle
un théâtre;
Le théâtre de Cherbourg! quelle dérisfea!
comment les chastes Muses, les Muses qol
sont de bonne* compagnie, oseraiçat^^lles y
entrer? Oh! cest tout-à-fi^it un manvals
lieu que d'honnêtes Muses rongiralpiit de
regarder seulement en passant; snsai se
gardent-ellès de s'y montrer jamais. On
^oue là quelquefois, mais '.toujours san»
elles, et malgré elles. C est un péché dont
elles n'ont pas la responsabilité. J'ai yn
jadis la salle dé spectacle de Vannes^- vieille
ehapelle ruinée, humide^ dans (aqaelle
41»
s élevaient des tréteaux à vaudevilles sur
des touueaux, qui nous jetaient, au nez une
odeur piquante de lie^jaigre^Jai vu la saUe
le la Fei:^é-SQu/i-J<Hiare9 située aia fond
Tune allée, chez un ^enuisier qu'il faut
léranger de sou ouvrage pour aller s'as-
seoir sur les bancs ae bois qu'il a faits;
'ai vu le théâtre de Toulon, auquel je pré-
érerais peut -être les deux autres, parée
[u'au moius ils sont sans ornements aucuns,
ans vanité de parure; et je croyais qu'il
'était pas possible de trouver quelque
hosë de plus hideux, de moins propre,
e plus grotesque; mais la salie de Cher-
ôurgm'à racommodé avec elles. Une grange,
ne étabie, une écurie, tout ce que vous
ouvez imaginer de Jaid, de dégoûtant, vaut
leux que ce bouge ignoble, qui sent le
ibac de la régie, la. marée et Thuile de
)ix ayant toute épuratiox|. Décorations de
scène, décorations de la salle, foyers des
îteurs et actrices, c'est à faire horreur,
1 plutôt c'est à faire pitié ! Comment peut»
y avoir des comédiens assez malheureux
mr Tenir entré ces feuillets déchirés, de*
Liit quelques quinquets fumants, sous cette
iture percée à jour, qui donne entrée au
ut et à la pluie^ chanter des couplets on
425
ie corde qni avalent fait nos délicéa avant
Tarrh'ée de la troupe caennaise; point. Il
S rit son plaisir en patience, rit à gorge
éployée comme faisaient les culs-goudrcn-
nés des secondes loges et les aspirants da
frarterré, et se montra tont-à-fait bonhomm^e.
I fit là, comme attx fêtes de village, où il
boit très-gaiement de fort mauvais vin dans
de méchants cabarets. C'est tout simple;
que lui importe l'art dramatique en province^
h lui, Paris égoïste? n'a-Ml pas madame
Damoreau, mademoiselle Taglioni, Nourrit^
Levassenr, Perrot, la belle Grisi, Rabin!,
Tambnrini, ArifaI, Bouffé, Odry, made-
moiselle Jenfiy-Vertpré et mademoiselle
Broban! et quand Ils lui manqueront, si la
France ne leur en donne pas d'autres, TEii-
rope n*y pourvoira - 1 - elle pas! Lonis XV
disant r „ Qu'est -ce que cela me fait? ceci
durera autant que moit*^ cest Paris riant
k Cherbourg sur les mines de l'art dramar-
tique. On a recrépi un théâtre pour Part^,
comme un courtfsan avait badigeonné une
Russie pour Catherine; mais si Cattlerlffe
avait passé .derrière les villages peints, elle
aurait probablement réfléchi : Paris a vn le
théâtre de province à nu , avec ses plaiea,
sa phtbisie, son asthme, son atre^ie^ et il
a ri! Paris sait rire de tout.; Il cfst insoa»
étant, personnel, moqnenr; et après lui, la
fin du monde! ^
Une chose qni ne le fit pas rire cepeu'^
dant, c'est le prix auquel il paya rhosplta*
Ittë qu'il reçut à Cherbooi^. Vauban avait
Mmomme Clierboutg; tauher^ de la Manche,
belle désignation q«ii disait assez ce qtie
Lonis XIV fondait d'espefr pour Tavenir
s«r ce port si petit encore; à la fin d'août
1833, Vanber^e était pleine et Taubergistè
.fort cher. Je ne parle point d'aimables
habitants qui eurent la complaisance de se
Séner beaucoup pour loger quelques-uns
'entre nous qu'ils ne connaissiaient même
pas; cenx*là méritent tonte notre recon*^
naissance; ils sont en dehors de la classe
des spécnlateurs qui se nichèrent dans dés
trous à rats pendant huit jours, pour louer
à des prix ridicules leurs appartements aux
étrangers. Tout ce qui put recevoir on lit
dans les hôtels de Cherbourg, et quels
hôtels! fut habité; rempli, encombré tant
que- le roi fut dans la ville et quelque^
jours auparavant. Jai vu un- coin sons les
toits, recevant air et jour par l'huis d'uue'
tuile qu*on avait soulevée , être loué six
franes par jour; et des lits payés plus de
424
vingt francs par nait. Aax tabks â liôt^s^
mal servieS) où tl fallait presque s'arracher
les plats, comme autrefois, aux Chain pst
I^yaëes^ oit s arrachait les pâtés mttiiieipaux
des réjouissances publiques, on payait le
droit de s'asseoir pendant deux longues
Ueures inoccupées, de slx^àijix francs quaod
ou était Français, <et beaucoup plus cher
quand on était Anglais ; di^inction, au stirr
pltts^ qui honore înfiulmeiit le patriotisme
des bètêliers cberbourgeois. Pendant «se
semaine ce fut un sens dessus dessous, use
presse incroyables»- Dès cl^iq heures da
matin, les miirchésy envahis par les donnes-
tiques des purticeiiers, les BMiîtresd'hôtels
à(K» bâtiments ,di^ guerre, les matelots des
yachts, les eutainîers des hôtels, étaient
dégarnis de provisiens^ Les ht;! les- et fines
volailles, normandes, la viande de boucherie,
les légttoies .apportés . de dix lieues à la
ronde, rexceilent beun'e dMsigoy, qui méri-
tjeraii seul q^iW fil le veyage de la Ner^
maivdie .pour ^le iiuMi|>;er frais, le poisson de
la cote,^ diapalraissatent à peine étalés; il
ue reatait^.eti«i|iie -sur les paniers des peis-*
soniifècesy- dans Uj-n^ Gmndt^Rnt, ainsi qu'iHi
la éeiU sur lea rosésde cette voie étroite,
()ue l'auguille de mer^ poissoq à^u pr44ë-
4i5
Patres, dont «nous autres tourgeoi» de ParU
lie faisons pas fi, œAis qui là-bas ne saurait
aspirer aux tables de la moyenne et de la
petite propriété, où se présentent le Boulet
que César aimnit, le surmulet que CrîHor»'*
Savarin, moins gfauù- homme qtie César
assurément, mais ptlus gourmet, je croîs^
estimait à Tégal du rouget de Màrse^iUeé
Les sèùleâ chasses de icousommatioii -qui'
Il 'avaient pas éprouvé de rctiGhérlsseaiènt)
étaient celles qu on servait au Café de Paris.
niais prenez^y bien garde, n^allèz piufs Vous
laisser abuser par le libm! Ce café dç
' Paris-là n'a rien de èonimun avec celui que
vo^us^ptmalçsez sUr le boulevard italien}
Il pourrait à peiite prehdre rang p^rmi les
cafés fdes extrémités de notre baitiieue^' ^\
c'est le seul' à Clrerbourgf. • '
Ainsi, Ciierb^nrg na ni cafés, ni hdftels '
garnis, passables, ni salle de spectacle, il
a des bains d eau douce où Ton est fort
bien, aiussi bien qua Paris et «ue da:is le
Blidi;'il a des bains dé mer, où Ton ne se
baignera peul-étre jamais, parce que Dieppe
est noe viMe de plaisir faite pour attirer Tés
baignenrSj tnrîdîs-tjtie Cheruourg est triste
èt~ manque du confortable qu'il faut aux
coureurs de bains de mer cpmitie aux \x^y
4M
bitiiës des eaux; il a une promenade . asse^
jolie, mais nn peu triste, et trop caque-
té nse, oit tout le monde se saine et médit
de qni il a salué. Nous avons su, dans
noire pal^sage, toute la chronique amdnrense
de la petite ville, qui se débitait le soir aa
Ronlle; commérages menteurs où quelques
▼anités déjeunes gens étaient engagées;
indiscrétions ou inventions, qui d'ailleurs
n'avaient point le mérite^ d'être piquantes^
Le Paris petite-ville, — -« car nous avons un
Paris babillard, bonne -fem^me, aimant les
licandales de r;Belles, les racontant, les
colportant, les grossissant, — ce Paris est
gai, fi^ritoel, amusant; Ckerhonrg cancanier
n'est pas amusant du tout.
Mais ce^ n*est pas cette espèce de plaisir
Sue Paris était allé chercher sur les bords
e la Manche. Si tout ce quil comptait
trouver là n-a pu lui être donné, IL a ea
d4i moins de beaux spectacles. Il lui a
jnanq'Ué les masoenVres de l'escadre^ le
«Imutacre d'un combat naval, et, le soir,
riUumination des bâtiments snr rade; et
c'est dommage.! car ce sont vraiment des
choses mervef]!'euses qse celles -là! Une
escadre illuminée par un temps calme, quand
U mer dort comme une larce rivière sans
44t
eôtxrànts, et réfléchît dans de longs sflloiis
brillants, qui semblent verticaux /les feux
mvltipiiés des fanaux pendus aux vergues
^cs navires, c'est un tableau dont Venise,
parée la nuit de guirlandes lumioeuses, et
se regardant avec coquetterie aii tic^îroir des
lagunes, offre une image trop imparfaite.
Les pyramides étincelantes sortant de là
mer, sans que loeîl puisse découvrir quel
moyen fantastique les pousse et lesjretient
en Tair, ont bien un autre effet que la dif^
fusion des lampions qui, derrière eux, lais^
sent toujours deviner Tédlfice auquel ils
sont accrochés. Paris qui a vu nos fêtes
Impériales, royales et républicaines, lé chft^'
teau Saint-Ange illumine, Venise embrasée
ftar les réjouissances ft'ançaises, pendant
a conquête, n'a pu Voir Fescadre de Chér^
bourg pavoisée de 'feux portugais *), et
donnant le bal. Les manoeuvres sous voilés
auraient en lieu sans le mauvais temps,
inals la tempête qui a soulevé le canal et
a laissé après elle tant àk deuil et âe re^
■Il- 1 ■ l ' i ■ t .. . ■
*y Espèce de fanaux n&uveUement adopliés dans la
inarine française. Ils ne sont, pas fcraods.; par
conséquent pas embarrassants et lourds ; leur
monture est en caii're; la lumière y est placée
an centre d^un globe de eristai é^ai^.- L^iit
l^ boni indique leur orîgîu£, '^
4iS
^rèts, aempécbé les bâtiments d apparc iller.
Uuant au simulacre de combat, le salut de
la rade, cjuand, le joi y est allé le 2 et le
o septembre, a pu donner idée d'une affaire
h l'ancre.
Le coup d*oeil {ut magnifique, le 3 sur-
tout. Â peine le bateau le Sphinx y portant
le rp! et toute sa suite, aort^ît du port, quQ
Vescadre, dont c)iaqit^e Mtimeiit était jdécoré
des pavillon^ français, anglais et. belge,
salua le pavilbh royal qui flottait au grand
inât du navire à vapeur/ Ce bruit, répété
lar écbos, et courant dans les vallées de.
là mer agitée;/ le roulement, de^ coups de
çan^n se pressant 9 se répondant; crette fu-
mée firrisâtre de iartiHerie se détachant
aur un ciel couvert; Ue vent dé réquinoxe
qui. sifflaft dans les cordages^' et agitait
énergiquement i'étamine et la soie craquante
4e$ pavillons; la mer chagrinée par le sud-
jOue)st> qui ^.tanabait sqr clje par raffale^,
]blajicbtssaiit, ise creusant, , se cabrant, se
défe^idant, sX>^lmant .avec colère, grondant,
battant les flancs des navires; les nuages
Volant plus' raprées que leis goêiaiids qui
j*oûàieiit dafiâ lé g;ra!n autour de nou^; plu-
sieuv^.' petits yachts glissant* inclinés sur
'a0> et saluant de la voix et du canon
i
429
qnaïul îIa nn5SKa1cnt près du Sphinx; nn ba-
teau à vapeur du Havre promenant une
portion du Paris voyagçur, dont Tautre étaît
sur le Sphinx^ et laissant derrière I«î la
largue traînée d'une fumée noire et épaisse
qui se niêlciit à celle . dés canons et A^b
caronades; enfin quelques coups de solefl
traversant le ciel d'ardoise, voilà les spieii*
deurs et les décorations de cette fête, toute
poéflqné par son ensemble et ses détails!
' Je viens de parler du Sphinx^ il ne sera
'peut-être pas sans intérêt de peindre Tiil^
térieur de ce navire pendant ces jpromenades
du 2 et du 3 septembre. J'avais beaucoup
entendu causer de la nouvelle cour; on me
l'avait faite g;ommée, précieuse, marchant
dans les lisières de Té^quette^ trèsjalousts
de ses droits, très-fière de^ ses broderies;
oti me Tavatt dite pédante^ bégueule et sottp;
je ne Favais jamais 'vûe de près, et je me
sentais gêné en pensant à me trouver .an
milieu de ce Versailles que la satire démo-
cratique a peuplé de courtisans à la Lbnis XI?
ou à laNanôléon; je ne montai doué qu'en
trenoblant réchelle An Sphwx. Mais bientôt
Je fus rassuré. Je trouvai là une famltle
nombreuise? unie, telle, polie, vive, gaie,
bleu élevée; libre et reèpectuease tout àbjt
430
fols aaprès de ses trois chefs, telle enfiii
Îu'il n'est pas un père qui ne fût héareit|[
avoir des enfants qui ressemblassent à
ceux de Louis- Philippe; je vis, ù côté de
la famille, les étraugers ayant la déférence
que commandent les positious et qu'on trouve
toute simple dans les entonrs d'un grand
manufacturier, d'iin grand banquier ou d*uu
homme qui joue un rôle éminent sur la
scène du monde, fut-ce Lafayette on Jack-
BOiu Je n'aperçus pas un Lnfenillade^ ou
vn Narbonne. Je rencontrai des .orénérain
qae j avals connus- colonels, et je les trou-
vai toujours les mêmes, pas plus fiers, pas
moins bons qu'ils n^étalent il y a dix ans.
J'ai écouté des dlscnssion^ importantes sut
les travi^ux de Cherbouj^, et j'ai entends
que toutes les questions y étalent agitées
par les ingénieurs, par les ministres delà
marine et de la guerre, par des xifficiers
généraux du génie qui étalent présents, avec
une liberté et une iraucbise complètes; j'ai
4>uï le roi donnant .son avis, et je n'ai pas
remarqué, qu'il Imposât royalement son
opinion ponr la faire triompher. Je dois
ajouter une chose: depuis quinze ans que
je suis en relation avec un^ foule d'hommea
politiques, j'en ai fui beaucoup dont la. sn<
43]
périorité et la' jnorg;ue étaient . écrasantes
^ur nous autres, pauvres petits citoyen^
«t dont les salons étaient comme de vraies
antichambres où Ton qnétait la faveur^l^uii
coup d*oeU ou dune parole obligeante r ceux*
là n'étaient pas rois et détestaient laristo*
«ratle; sur le Sphinx^ dans ce qu'on appelle
une cour, j'ai vu un roi, une reine^. trois
princesses, quatre princea, deux ministres,
puis Je ne sais combien de généraux ou
d officiers, et j ai été tooclié des formes de
la politesse bienveillante et sans affectation
de tous et de chacun , de ce laisser - aller
plein de. bon goût dans les causeries , de
ces manières aisées qui sentent la bonne
éducation, et sont si loin de 1 orgueiK Dans
le péle*méle du bateau à vapeur et du petit
Palais^Royi^l de Cherbourg, bien des gens
indiscrets se sont trouvés sur les pas du
roi; aucun ne s'est aperçu qu'il a pu géoei^
tant le cérémonial avaft été banni avec un
soin aimable. Etait-ce ainsi que voyageaient
Louis 'XIV , Napoléon , et les rois de La
restauration? je ne le crois pas. Je ne sais
point comment est (a coup des Tuileries^
mais je puis affirmer que celle de Cherbourg
.m'a laissé fart à mo» aise.
Parmi les choses qui m*oiit surpris, et
432
qui auraient pu surpreudre tout le monde,
je pvi» citer Ih résolution de la reine t$
de Aa jeune famille k braver des dang^ers
réels, pour suivre le roi partout où il allait
Il faisait trcs^nau vais temps quand IcSfhinx
jeta lanerean milieu i\es bâtiments de les-
cadre ; le roi voulut visiter la frég^ate Z*^/^
ianu, ou i*a mirai de Mackau avait son pa-
villon, et la reine s*embarqua avec lui. On
fit le trajet sous un o^raiu de pluie et de
vent qui rendait {>énible le battelag^e, on
eut beaucoup de difficulté pour remonter
ensnite des canots à bocd du bateau à va^
peur; eh bien! si quelqu*un montra de la
mauvaise humeur, ce sont les marins, et
point la reine ni les princesses, qui étaient
si moaiISc6s, avaient si froid, et voyaient
à^lenrs côtés des lames menaçantes seleTef
comme pour, attaquer le canot royal et. le
renvenser. Clue le roi fît ces courses, e était
tout simple; il est bomme, il a navigué, Il
s*csf familiarisé avec les périls pendant sa
vie d'épreuves; il peut aller partout ou
vont des niaiins; mais la reine,* mais les
pHnceK.^es, mais des enfants de Irult et Àix
ans! il faut le dire, c^ë tait trop imprudent,
une eipbarcation' pouvait chavirer; quelques
heures .après, le b«tteatt pilote du port
4U
irà-t-tl pAs.sotnbrë, el' deux maHiis ne so
MMÎt-ils pas noyé«*f >. ^ ; ^J' •' ?
De reUmr au Sjf^kinx, lareiâe fut malade
dn.» ihnl de mèr-; ^quelques 'p'èrâiKmnes le
furent aussi, et parmi'ceHes^lày le-prince
de JuîAvUlei Malgré soii i;ndîspo6i|ion, «-*
et ion sait si le mal de mer ôte la* force
et la volonté, — le jeune élève de* la ma-
rine, 8ur ror(N'e du roi:, monta aux barreâ
A\x grand mât du Sphinx, vivement, lëgèwe*
ment, hardiment comme 'un^ mousse. Mof|
filât ni le vôtre, peut-être/ n*aura4eiit pas
osé, et iH>e8 aurions craînf nobs-mémes de
les exposer aux ehances du roulis et du
tangage, surtout silé avaient éprouvé des
nausées. Le prince de Joinville a. toujours
le «mal de mer; pendant sa navigation de
la Méditerranée , il en f\it presque tconti-
ntiéllement incommodé.' Cependant son ar-
deur pour- un nol>le métier qu'il Aime n'en
A point été attiédie; il veut naviguer, et
Tannée prochaine il fera nne longue çam^
pagne aux 4iltatsUnls, au Ri'ésll , à Rio de
la Plata. ten attendiint^ il étudié*' un offi-
cier dîstiiigDé de lïotre jebuè marine lui
donne Xt.é leçorts qiie nous avertis prises^ à
lecolé navale. Ce n^est^ipoint unt^ éducatiha
^e :geîâfrl-bomme'q«i'jI reçéH^ mats une édv-
cattea «éHeuse'id'offider déJa marine. Le
roi veut que son fils pdsse par tous lea
gprad«»,^ tit ! fasse h but A wi/service réel.
I/empenear tfit ainai pour: Jérôme, qu* dé-
viai; un iboa caj^Uaiue ./de vaisseau. G est
très-^aage*^ Je prinee de Joînville à beau-
coup" d> aptitude pou^ l.etade de 1 art auquel
on d'appliqué;: j'avoue que j'ai été «tonné
itB expUcatloa» que; je lui ai entendu donner
aur' VaVajit .du.^Avix, .à ^on £rère dé Nemours,
pebdaal .qu'oof travaillaU k «lever Tancre. Je
me. mppelle/quHl nous, fallut^pluaieurs mois
à' réeole de. la «ilaiilire pour savoir la nomen*
elature et quelques unes des manoeuvres
les plus simples de la navigation, et je ne
conçoit. gaèfe comment en ce peu detempa
qlie.,le« prince de JqlnvUle a navigué, il a
pu retenir^ notre vocabulaire si difficile et
al long, et Wnnaitre la pratioae de tant de
nauvementa et cMeteicea iqîi il indî«|uait à
ëon frère et & son précepteur» Je ne sais
pas si le prince est destîué à devenir
{i;rand. amiral, comme on Ta.. dit» mais je
e cRoi» i appelé: ai::éifcre; aa.ui^n .«^ffi^ler
de marine., malttré 'aa.saatéidélliuitp. . Lie
èial de mer iiiy foit ;rj[eiiv ^<ca^.9 !«
^lorieaxepmmiiiidfint :4a >î^l^i^^^ à' TrA-
<«r%ar.| était malade .itoptea t. jiea; fois ^«t'^U
Il
43$
mettait debars; il y a dU ei/emplea àdter
. : €9; qift onj;vi|ial dd jire sur le prince de
^oinville et sur i\fik' cour h berd da Sphinx^
«msuq ^QnUmdot de flatterie né meil'a dicté.
Je rapp^rtç seulement ce que j*ai vu : ' ceux
qui me cosnalssent savent si je. voudrais
iventîri^i ; quant ftax au très,, que mlmporte ?
D aiileiirs, . poujpq«ioi ilatterais-je ? On flatte
par babltudet) f^sA* ambition^ ou >paribe8oiB.
Jie n^aiijami^s.'flattié^ ^lais jaiitosjpurs Ifait
^on 'ipossiblat^o^r être* équitable eaverà
tout}]emoiid«u' Je a ai pas d'asftbition 4 quelle
fldnlHUoii aurajs-je qui ne fâtridicMie? Suis^
je. dp c^s booinies' supérieurs, de vingt-doq
ans, qui ao«t capables de tout, parce qu'à
qi^iiiM iU salvaienl I^Mit, Ja.morale^ la science
l$t^'lfi.pfiHMqiia? 1 Je. lu'ai beâsofn .de rleii^
aiiQHii* poatis^!)sl>biûUfuit. qu'il fïit, ne vou-
drait >p%ùr moi la* modeste; existence 4 artiste
q^ jrfki, et.4eJionliaur qùi^ «ai attaché, à ma
«viQ aMiHiiiieo deâ vieux papiers de nos ri^
.ebçs arcUn^es imaritiniea. Je n'ai donc au-
K^jup.jnt^cêtià. flatteif^; et puis j'y. serais trop
jaMaduMî^t^ |F0t>.saisiiq«'il est ft^rtr-pett .a
;]|i «tP94a^an}#ufd'bm ide parler; eomme je
v^as. 4^-lci iaireiidii eoi^ des prinee9 Met de
la coiNr; mais jen'ai Jamais teaiu^oup suiYt
. 48 *
4M
la.niode,>«t je tuisy ftar ma consêlenee, fort
au-dessus du petit ridicule qai ^eat in'eu
rèveoin ' Le Paris^ «fui était à-Ghetimorg
dira, dailleUrsy si Ytilûidié.' : i •
. * La; veille du jour où le rol^ alla^ en rade
BUB le Sphinx fiour la' première fois, le'^juai
du port marchand offrit un de' ces aspects
que je ne puis me refaser ài'pejndre,- et
qui enchanta - nos Parisiens. ' Les naviies
étt^coàime^ceet Ja flotUle defyaehts- anglais
étaient pavoises de pactlUons.^de «toutes con^
leurs ^ ttùé~ faille meuvaiftOMbaurdouniiit sur
le port V afflbant paviiouieé le& rues'de ib
ville; dans cette fouler sêmoatraient de
très -belles et fraîches Normandes, au cou
si bien portant leurs tétep^ aux targes et
grasses <^auies, au< cbeveusislMeii' pteotés ;
là brillaient tes gran^ bônuctts auxquels
se reconnaît dhafue ^ quartier de It^protilvei^:
le bonnet haut' jaciié,i^ a veel kwi^«lt/<b^
en cia^ev-, attaché au senmèt^ -d-oiii tong
côncTj terminé à sa base Inférieure par une
large passe qui s'envole derrière la tête,
avec sou Marge -rubaii frontal ou s» coquette
meatonittève de. vel^rs «noir, F^ttfasjuaitt
le teint éclatant de' la Valog^aide ^^m 4e \k
Bayouqualé^e; le bonnet plus fi^mpleife Saint- j
Pierre ; le bonnet de deuil ^uK i gf aèdes i
437
barbes pe«daQte9)«ur la f^Urilie i^ la veuve
ott de la^ (ii4e «fftlgée^llecbaniliet en cornet
iful.'retient;«deu«x«doubleAfbArb.e^ r^tjrpuaeéeo^
tradUion.: du tgifi^efifi ig^f, que' 1^ vieilleis
fenim|es -ont . perpétuée^ enfiii ' le bonnet pl<tt
de .GrarivUle, ipljé en. serviette, qvi abrite
4t si jolis fronts et des yeux si:vifs. Celui-
là n'est; pAtt-étrepas le. plus: élégaQt^.Qiajg
ib[estJeMt)1«s :Prîg^inal, âi.sled à ttierveille.
Gèstj'Al fskiJît la dli^e^ jqulen g^méral, elles
aoi}t;«ehaifmantes<'leAf£îi:anv»llaiçe9 ; et pilîS)
cb «soat .de> ifiaiti('esses .femmc^^ et an le
%'oît à leur allure; elles sont bien la moitfé
d*un naiénag^e; elles ..administrent, font les
liffaines di^ idehoi^s, vont çh^z le connoilss^iffe
de maritie 4ia. placB^de Uuvm maris., et
trouvent ionoore le teoiips < av«c ' tout cela.de
fairte dès enfants»: ânand les:S^inls*siaionjeiis
oni içberché Ittifemtne Ubr^y la femme égale
de riionrnve,:^ la fenme-boiniiie, commetiit
n!ont-Us )nis songé à GranvKle? Entre, tous
oe0.:boiiinets, le bonnet de cotqn, coiffure
qflèno^i«.e9t interdite parJe ^ût tyrapnlque
des :Parl9Jeiines,:.et qui isest/ iréfugié en
IS^ormi^ndie , ou les payj^annes Tout adopta,
'ne.ise>prQ.duis$t.qae timicfisnieiit suc qjuelqu^
ffeots peu oeqnets, et >a8$e» pieu faits, j ea
conviens, pourle réfaabiUter 'au|très de nosf
m
ifttties.' ' Le * boiiiM 'Me ^Mton i»e va bfea
qn'ftM<^tfé&j'-J<^Ues 4lleBv eommè j'en «i dis-
itng^tté deut ooti^f» 'à C^en; mttts toutoi
lei'lportent^ il est géluéi^al ;* l>«'y A^ pus jusqu'-
aux petUn élîfânle, ^06 coiynë le poiug^,
^ul n'aient leur calque' blaMC, la véritable
gaka de ee temps-cjy où |e môriitn, la salade
et IWtPvet Messérafént ifos faiMes^ tétés.
A tô^ ées èonnets dèi toutes les fèraies
«t de tûntens^: tes :hai»tearS' figuraiest les
tfthttkets à • aigrettes Mèé gatdds "itatf «nkiiir,
les ^èhap^atit à ^trèis cornas des officiers de
la marine^ les eliapeaux ronds des bourgeois
et des paysans qui portaient tous.la'e<|carâe
nationale. ^On atteiidait le rôi'; Il faisait
cliaud^ le «oleil Ibrittaié vi^Vemeirt* sur les
drapeaux- trK^lores'^tont eiiaque fenêtre était
«ornée"; tout lé ni&nde avhit i'tiiibit^tle fête.
Le canon de la gardé nationale- annonça
'enfin l'arrivée du roi à )'apé'de-«rfoiw|ihe de
verdure dressé vers le. Roulle; a^ors nous
vimeft arriver les éelaireurs dfi^ cortège.
C'étaient des férmierci^ des ciiltîvatéurs nar-
^mands^ t^us maires, ou ^offieiets ainnlcipaux
de9 petites communes votstnesdeCTierboiirg;
'Us .étalent à dier^tv ^rtan^ à hi niîa1n;ciiacun
uudrapehade sivfaçonv et celms de i'éebarpe
-municipale. Un escadron de pa^ysans vétoa
4W
jieletti*b.9i^o8fte8' Teste» !de drApUeu, bottéi
de graiiideâ let dopcii ^étren^ée-tOÊàrj' «v^
«obàniiéi/ , ^trottant' sur l6ui«i «lieraut 'àilâ
longue' ortniërey à 4a tqtteué^eii'biilaisy' an
i^urfois rustique, lesquels li'ditt Janiiâ4iil4''a«l#^è
aUurèque lYœbte ou rejttrebas, ëta|t>cttiie«ix
à voir; il liavait pas réclatd^iiiie riche
eelnpag^uie de. aàiirelucka 'on de g^ndairmes-
fbupMn, mais eelvi'eét tpasie^imérile de4a
irégularvlé Tet de ila- tenue' mittlaire qii*'on
a'Àtteodaitj à fronférdanifcette^ troupe pitlo^
jresfise.^: Je i vous /assure qnie'CeJa était très^
beau; un seul de ces cavalieffl''6t éelate^
de rke tout le publié quand II pafsa devant
«onâ.: un petit boami, decjnqoante'à cinquanteb*
iBlotqi art s; "Je ohâpeaa lsrge<^8uf la^tétoy les
cUev*«^ax longs' et flottants^ 'réplbe do^miM
et le aiernoni" en fiés comme «hiik' de^Poltr
<shiueHe, Ist seintureitricolbre^ilàèéejusl^eiiiieiii;
Sttb Jes'de'ux soiiiayejisi' iwM'ieoritaux 4t séè
basses, :1a veste de cbassts de Gratine grise;
il était sur sa selle aux ^50ikrts'étrfets«onin(ie
ea gip^f^e Tttrc>< sérieux, ''saJuant eine té*
Iiondant séx bordées: dotgkf été' (foiTacicileiii
aient qne par des ^Ibts'devéon 'drapeaii.
Adiitrénienft!ic*éèait Ié^> personnage le plàb
boèffofll' da 'mosdè qae ce magfst rat Itf i|o«irëtir4
BciHx heures bprès;, j'ai eaubé ' avi&e * lut >^
4M
mnxyéz -mai y :lh)fot va» aieii4,<«H'' f^iJ; Vest
vm hoBMie'iiinf* edr ide bon sen^^if^vij^aitt
mieux. ^iitB^kiiiit' dé noa homliies: si bfeii. faits,
si biaii 'Qiisy )s| rbi^nà cIib^aL. au .I10l9.de
A9iiM?9ie:,iiet lal hiatiles jl Vfliiit* < Le peeit
l>#6Btt .ei9t probaMenent très -«néceaKaîre ao
viliA^e).i|ni lncb(lisi pont maire/
r L-^t^-najoriidi^^roî étaîAt monté, sur des
i(hejifaiii(iefv.;t0.atx.«fntblable» anxieux que .je
jTton^ i^t.dél}r*re'; 'ie€« qui offMt od ftsfiect
aasef ^p^iûsant \ ^QiMuid' ie .m&ts .< ptrot y ^àea
4^nh d<^ vivat :ip>mèreux^ et-u-jÂmiinc;. se.
fineot.éAteiid'rtf.de')to»tes 'parts ^ (Uïs hourrris
se: illéUî«n<^ .aux:; ITnrr ie iradV UiEt oe< fut
«4|1dii» jqijvfe jious Hme%) la coni^ttiîsle angolaise
99i q[)0Àlrei! daasMJ^Qiit'seiK iion g-aât. iLes
)iiMibi>bsv)tto8) barres- d« 'hitne^ jealpont^^es
Î;)H?tt%|ëtslei»t obasigiés 4(!&(iiiim<!siiakHnDt de
»«Ar)Oi0t 4t .du-i'^'estbvi'et « itehdant ' ànLoiiis*-
Pbilippe Jeaihoa^iews. fiàHla ftuniiantirendus
^*an roi.;d'Ai%gleterré;> -Et 1» n etàîeni pas
de^siioiptol matelols^ «iiTéc leurs chemises
(ie biftsd.bJeneV sur^'ln poitrine- desquelles
ttOttft' bn4défli>én blsnei>les' sonis /des tiavires
3i(tf'^;v^y MamtUt'^ iEmIkon-', \J)fuid, '^Ganimè'êej
JU4i^,:iff^atjrr»^ityLpuifh, lèt-d.; il^ BffMiàeH
EastsMpftaiâs, dçs «a^ore,/Me eolonels, -cieflf
bilteatnts 'de yuinHpViui^ ^ nioB lords, des
441
lidii^oUesf';enoii; Je. Ivird £)iirlia^i , le, W4
Caan#$it.b^ ;le.Wil^B«lfHf»^, leloi'd Yer>orouf gb^
leil^rd jCdkîUe,! le l»rdCf#iibrock^ sii' FraoïQλ
i^lier^ ait J^nKu; Fva^l*, sic Gi'Mylè'^ le»
eapltaltiejs : de v^iisseaux Meyiiell , Forster^
Codniio^tonç'^ messieurs Laishto»', Toinkln,
J^Mibstou-, Çoégrè^e , Noore ^ Stanley , et
liiiitl ^d a^ rc^$^ ; . luu* ce qu'il y .a de dlstUigué
dttitsr'le eiuh ,des);ryiiqkt8> dèrTOueiat,: tout
'TfiiiiuM y À de gmiiilea/oiMt^nes et de^raudn
iiSiiiiik»(f;iiiAnc|;Jete4'it0«. Ce» messieurs aelai^nt
^oi iitueM imifemne»^ ^anais dans Ictu r» ccisf uules
fVe> «avtgatiob : ve^lècourte^ oliemise de cou^
leut*^ crayatte- noire, pantalon blanc, chapeau
4e cuir boMUi, p» casquette de. drap ^alon^iée
d(or.. 0'<étaH:ii3Quvme'inatelota qu.'fk figîiraieQlt
Atirlcurs b^timeitts^ iet point oonui^e' offieic^rs
0U g;!entU»rfbaiui»çi8}$' >Us «ftluaient dan», le
^iféenw!yn:t| politeasaj^e^berebée, abiiégaiCiroii'
du rang; el). d« (lai V»i)irféi(aristJocralique>^ qui
Montrent 'le 'CAS que les Ân^^lals &>ii4; de la
France de. ji^illet etfdu voi de la réyojutiocn^
Af^.fll -qui» Jea')d^iiK iifi'timà :'«e'»0onffhissCtiiA
asaea !p«(urjs>iitmei^^^ le)criib-4ê8'..Vacfi!lê(y
pUtcé seua <^le habti. ipAlii^iMio:&'*éui> oiic -.«d^
Susses :ei'de>rbifidyc^sae*de Keati> n!auiMiM
poioti 'enyoïyé titii^><d6pulatioR.dè son escadre
eé une adresse à iCiji' roi français; de ut^bie.^
144
im'4t9a dëlMcMiK ptftterA^iii-.élâfentà Cher*
bourg), j'ak'^mç <iiinii(ii^ de»^p^nttf ans de
kt ;ok«iiiUre^ 4^'pfttit» laliJieaufQ'reprQseuUcit
iêB 8eèites'.'do>la«iî(v^iiat} etétaU toute Fhls*
faive'dttf4iav4r4», iSea « joulei'iet ^^es .sùecès»
Cmt un fort îngëiiieiii^- el fort ^convenable
ornement (HHir. ce « petit - salon d'un g;oiit
lrès-«légttut. : t /4i.«/<»iiii^M<tf,i:(|nuoppavtie»t .à
M; WyiiikHmy.e^ty*4eyMaA le» yaclUs iqoe
iioKOf Vairon» «'VUS -M, ; te tfAvis {;;raoîeux^ ie plus
paKtit;:rO'a8t«^uneii fillette raseis^^ur l'eau,
filial) féiancyée, -au c^fpB}difinguille,ràilav4tëase
é*lriroiidelle;r elle faisait Tadinlration des
irtarlna. Je ne. partes. pa^ id'im petit b^lck^
dbat }e ne œe. rap(>elle. pins Ip <nnoii9 qui
•ftt' ouv.reii.Utcoliiin9i«iQ3e: mouette, et semble
DOfl9ti*iii4; poi»j':(êtrief pepdu daii» nue é^Uée,
|}hi<:4t j'qiiii poii^ aller /àV 4^ mer; t il «ooim
îiiio'altiitr«-inbtor?qifaiid nj^us-te voyions courir
#tir U groasa lame. Il a .bra^ietiient supporté
la vconp doitvanfc des premiers.. jours dejtep-
lombre; on^uralt dit à le voir rouler, tanguer,
Mil» tenir: bpn: cont4*e .le» venfc^< un pétrel
endorikii 4i)jis?!U fcoiiie de Ibcéan dnSud. •
^ Un. vbfliftsffurwdo Londres,:' M. Parkjtis, je
crol8<^ ,a, p'i'<8teiirs yacbts^ ni'a<:t-.0M« dit';
■tadameJRarkînss eu sertcomme de ealècbes
pour 'jiller faire des promenades et des vMteK
445
Il uy a |ia» Ion» -tempe» quelle \lBtr à Ober^
t^i^ttrg sui^' tHi' d« ses yhcli^tâ ; etl^ vendit
V*Ar uiîfe d^âfre' 4e: »« CiWrwilhftjinDe; ^Pendant
hi convei^^^tidii on pKHii'mtfi^fque) in<élt>liieA
f Ha^dliise'fir.^ ' roitlHiicHs^ nvadâiiie - 'Pai%ins
7)V«^ît YJ[\i et4e'';ï)>plortefi4t"qu^lqne chose de
tr^ë^iiouveaii qui avait beaiieonp de succè/t
parmi' le» ladjs itiéiomai>tff<. Uift juuiyen effet,
on r^Ht arriver te \ aebt, et< nrifidattie Parktns
t(i\t ¥euîHeîdeiiHis^î^rtie à làt'iiKvt^}. ;„ Von*
diAete^t a^e^^moiy dit' fa daiii^ f t-ançai^eàf son
4lbKgi&fintèanriO;~)i^AS'()O«.4ib(0, maclièi*^, je
•Aols'i^arfit* tmit'4e dulte. ^'^i prc^niii de faille
nne visité à hi fe^MiÀe dn cotisui^ dé aa iiiajeaté
brùaurniqiie À4indi^,'et ll'faut q«e ^'y alDe afan»
koliiAfrentv ^iËNeèorlfl^^fiHtÀ kt vofle^ ailafafre
M<^i(é iVCadIxy Vr mhki A 'LMid;res>et^iiiiiie
'^é né sais «t de ir'bsripas wadaafte^^Parkiiis qiië
^^H^tetéïëfW4vfi'fJd<^rH)ttùvà^ i 'A^tfxattdrfe.
' r EVk pm)fo^ dn LàûîttH^ dominent -pavler de
Pa-rls à Cherbc^urûf sans' parier ^le ee navire^
tarit visité pa^' le$ Parisien»? Goinmét^ ne paa
<tflH unf mot de4Vk^lf^'nèsf«neii^«tii«iyseiii'ewt
^ftvtnu i^t ë^yptlen ptfii*M'JLehftW^ ^gëwi^tiv
^e^-U marine<V' ^^ 'fae^ifi^iis^lIteVil^linie^ié- mts^
:M« yefminae 4é Sftlttt-Ma^i'/ «eapftftine iJécof»-
▼tQtlé'et'«kef deë Arg;ott]|ule# qui^sont^aP'
eliertherl04iii;>iiiioiie«t doaiM. le baron Taylor
llvaUfalt:Uc9ii9liâ|:ç?Jliato;C0#paim eu par*
kr ? lldudraÎMlfilikQi^^s page^p^Kiir raiçcnwter
eette eipéditlvuifiii péi)fb|e«, . si diCfiqlle , si
.briUati^te, ^t qui lait tiu^t idi'liQiiiieiir à la ifiar||iii$
ttançhîUft^ ce ii'«6t|Mi« îei,leli«u*> Foinr 4ife
i^n» les travaux dea^iimriQS et de FingéiiLeur,
pour rendre à ehaeiin la jiistîee qui lui est
4oe, <fii faut; atjtendre que le d^riiiierclufeiit de
eeUfe épopiée eulaetion im\t termvàéi'^ 49^
M. Lebas ait plaoïlé ami fa plaeetde la(C.Qt»e4ivde
le ji0nolMbe.qi1iiLa.4ife' jdu sable: de Iieuior.
:J.e ne aiatt4|tiiîrat pas» iiir«e4eViair dibistoi^leâb
.'. . Apré(0B$iiKHiaikf. J!«firai^ bl^o eucpre
-à VQtfs merieraii bàl^ffei't.pac.la.viUedeCiter-
bdarg.-au roi et à;M iafuUle;^ maia.ua bftS^
^*«st*ce qiMui bfti M«pT.ix ^ea 4ii^t t es 4^>feaiMc
dont jai esBqiiiaàléJes:pi*Jf)^iixiilirtijt%fl U|i
ebose^ /CQ\n'4^taâlrpÀ^ Jacbalvqt^i lavui^llf^té i«f
«Pariâieps ; aumL >pr^q^He\tot(fb a'a|bs$t inlreiit de
oe plaisir de eehue. Aljâla aucian aé itia«iqaib'.l0
leode^aûp matin aar le. rempart, [jour-K^oiDJn
aaèiTi • >f nrîQfia^! j> ««ft; <ne4re4aait ; > .evu 1» avaUlm
MaAsbM ç«wtnelUr!qiiai<d«ilfydigj^i% .f»rim^
i^^Mihn^em^wUpmà^U f/i4e^fiMl4^heir,
-atballoiiianAifM ^avjfitstpmir bvisfii'tea i^tbk^
^irleasdiaîaa^ qiiLlW'iftwaifivt^iUiiiiHittkiCe»
447
Ce fut le dernier specta^ljB dont.noits janim^A^
pÂBtble, ma^is' grané; Iridié, muM- sublime»
^ Parî9'avait vm i'Ooéaii ni caliMjifeteiel si pvir.
et ai hrUlaiU; il; avaiteaJe vent sii cbaad). ai
diacret, si imvorablQ; il voy^iiU Jutempdle, il
reasentait le froid du pi uW rigoureux hiver»
ll«vait été visiter la digue à la marée basse.;
il la voyait franclile à tout moment par deoL
eascadea d écume. Jl avait admiré les travaot
du grand pprt, les , vaisseaux en constructiotii
Tarsenal ; il avait vîi la rade pavoisée, saluant
avec ses canons et avec, ses matekxts sur les
vergues des bâtiments; Il avait vu lepeupte
recevant le roi et raccompagnant partout de
ses viçat\ il avait passé de bannes heures à
écouter les récits des officiers du Lquxçr, à voir
le« dessins naïfaet vraisi^M.Joaqnis, l'jtt^
4'ettx; M regaiTderJa baae et la t^te roaées.de
la vieille |»yramide<^de Sésqstris, encevelle
4ans:tta linceul de bols : àexâmineT le modèle
du simple et ingénieux «pparej! ^ue M. Lebaa
a employé pour abattre Tobéliaque... Il ne lai
^restait plus, rien à vair« )1 psartis<^ et partit>€0|ir
'tent )de sa vie de {moavejvieiit <et d antithéscDGl.
.vii^ai vn Pari9:à CbçA'Wurgi .4|fti« ne pais->0
vair<?herbai|rgivPf risyQ'ei^t^à-dire à Paria^s^f^
deuxi p^Xt^ ses magasins, sa rad^j|t3)^A>
ses chantiers et ses toiim ! alors^là^vj^^ur
m
44»
ttti« 'madiie populaire, eommê je ia ré%*e,
ot^fnme Pat Id'èeHl p«>ilt-ôtre peupla faire. Paria
Me roimâît pa^ ia maHne, H <t*eat notre mal-
heur; qull-atlle^done^ia Vo4r bu elle etit, pnis«>
^•elie lie i^eat veniridi, puisque la Seiue u'est
pas laTainise; qu'il i*étudie, qii 11 Iff comprenne;
qu'il apprécie les marina ce qu'ils valent !..«
Mats Paris va A Dieppe, ùTouloUj à Cher-
bourg-, et quand il en eat revenu, il n'y pense
p(i)s. Il y a quinze jours qu'rl est de refotir du
forte de la Manti^he) Ivanuff a chante aux
tàllens, et Cherbourg est oublié. Cest sans
doute une admirable v<vU;qUè celle d'IvnnoflT,
cest une chose merveifiense qu'un Russe
ehanteur ; mais la mer, mais le vent, maisles
vaisseaux-', mais ces travaux dont tin antre .
tinsse disait que pour léH' faire 11 n'avait pas
faHn mohis qnèJês oif^fea d'aeierde ^aigï6 de
Napoléon,, 'u'fest-iee^ p^ ^merveilleux aussi?
Altcjs «ntendre Ivanoff ié snir,' ittaiSLle/matln
rappelez-voasCherbourg'et pensezà latlioriiiel
Sf la marine pouvait devenir à la mode à Parfs,
noua aurions uncfmarine eamme noua devrions
l^avoir,blen dotée par leaelfam^bre^; le^e^t triste
kijtéUHet; mal9 t'jetn^'ffdir Aélas l qii^ nè^suls-
i* as^^j&^7ïgij>r^'pé'ur itivposeivJa nv&dk^,Vi^'f
•{ . '* *
«/•