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Full text of "Le droit coutumier des Slaves méridionaux d'après les recherches de m. V ..."

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LE DROIT OOUTOMIER 



ES MERIDIONAUX 



lECHERCHES DE M. V. BOGISIC 



Extrait de la Revue de Législation ancienne et moderne , 
française et étrangère (Année 1876). 



TOULOUSE , IMP. A. CHAUVIN ET FILS, RUE DES SALENQUES , 28* 



LE DROIT COllTIllER ^ ^ 



SLAVES MÉRIDIONAUX 

d'apbëe 
LES RECHERCHES DE M. V. BOGISld 

FEDOR DEMELid 
I . 



PARIS 

ERIiEST THOMN, ÉDITEUR /U6- 

LIBRAIRE DU COLLEGE DE FRANCE «Q ^ 

BT rte l'ëcolb normalb subébibube 

7. BU, db Uom. 7 J5 € O") 



aUN3 1909 



LE DROIT COUTUMIER 



DES 



SLAVES MÉRIDIONAUX 



L'étude des peuples slaves occupe , depuis le com- 
mencement du siècle, les savants de toute l'Europe. 
Des écrivains renommés de France, d'Allemagne et 
de plusieurs autres pays , ont publié des études ap- 
profondies sur l'état politique , social et religieux de 
ces peuples ; et on se rappelle encore divers travaux 
fort remarquables, qui ont paru dans la Revue des 
Deux^Mondes, sur les Serbes, les Tchèques et autres 
branches de la même nationalité. C'est que la con- 
naissance de cette grande nation, qui occupe une 
place si importante dans plusieurs royaumes ou em- 
pires de l'Europe , devient chaque jour comme un 
besoin indispensable pour le savant aussi bien que 
pour l'homme d'Etat. 

La politique moderne , entraînée par le courant de 
notre siècle, doit, en efifet, pénétrer et bien connaître 
le génie particulier des peuples , si elle veut avoir une 
notion exacte de leur force et de leurs tendances, si 
elle veut donner à ses créations historiques ou scien- 
tifiques une base solide et durable et ne pas ren- 
dre illusoire, éphémère, le succès qu'elle pourrait 
obtenir. Sans vouloir parler de la Russie, qui, depuis 
deux siècles, fait sentir son influence de grande puis- 
sance en Europe et dans presque toute l'Asie, la 
nombreuse famille slave habite en majeure partie des 



6 LE DROIT COUTUMIER 

contrées où se décidera peut-être prochainement non- 
seulement l'avenir des peuples qui les occupent, mais 
très-vraisemblablement aussi l'avenir de toute l'Eu- 
rope. Il est donc naturel qu'on cherche depuis long- 
temps à bien connaître ce monde slave , ^ui seitnble 
destiné à jouer un rôle si important dans l'une des 
plus graves questions que le dix-neuvième siècle soit 
appelé à résoudre , et dans laquelle se trouvent éga- 
lement intéressés l'Orient et l'Occident. 

Quant aux recherches scientifiques, les Slaves pos- 
sèdent de nombreux trésors qu'il est utile d'explorer 
avec un patient labeur pour y découvrir les richesses 
qu'elles récèlent. Mais la science moderne doit fran- 
chir ses anciennes limites trop bornées^, si elle veut 
parvenir à son but et réaliser dans son domaine un 
véritable progrès. Pour embrasser l'ensemble de tant 
de parties diverses et en avoir une idée vraie , elle a 
besoin de la comparaison. Et comme le disait avec 
tant de justesse , dans son discours d'ouverture , l'il- 
lustre président du dernier congrès des orientalistes, 
à Londres , M. Millier : « L'esprit de comparaison est 

> le véritable esprit scientifique de notre époque, 

> comme il fut celui de tous les siècles précédents. > 
Les beaux résultats de la méthode comparée, appli- 
quée aux sciences naturelles , la firent adopter pour 
d'autres sciences par de savants et habiles investiga- 
teurs. Tout le monde connaît les étonnants résultats 
qu'elle a donnés dans la linguistique , la mythologie 
et surtout dans l'ethnographie , devetiue une véritable 
science grâce à elle. On voit également employer cette 
méthode en jurisprudence ; et quoiqu'on n*ait fait en- 
core que des essais fort modestes dans ce sens, on 
peut compter sur des résultats sérieux ; car la corn- 



DES SLAVES MÉRIDIONAUX. 7 

paraîson entre les diverses législations des peuples 
étendra nécessairement Thorizon de l'esprit humain , 
et jettera une plus grande lumière sur bien des faits 
qui sont restés pendant fort longtemps obscurs et 
embrouillés. Combfen de vieux préjugés n'a-t-elle 
pas déjà détruits ! Et combien d'illusions trompeuses 
n'a-t-elle pas dissipées ! 

Maintenant, si l'on veut appliquer cette méthode 
à la grande famille slave, il sera facile de se rendre 
compte des beaux résultats qu'on pourrait en obtenir. 
Quelle diversité et quelle multiplicité dans le déve- 
loppement de la vie nationale des Slaves ! L'esprit de 
comparaison trouve ici une foule d'objets qui ne peu- 
vent se rencontrer que chez un peuple' ou plutôt 
chez une race occupant des territoires d'une pareille 
diversité et d'une pareille étendue. Aussi voyons-nous 
quelques savants s'emparer de ce vaste domaine. 
L'étude des langues slaves s'est beaucoup répandue 
en Europe , et la philologie générale en a retiré un 
très-grand profit. L'ethnographie s*est peut-être plus 
enrichie encore que la linguistique. En tout cas l'ar- 
chéologie des Slaves, leur poésie, leurs charmants 
contes populaires sont devenus pour ainsi dire des 
lieux communs dans le monde civilisé, depuis les 
savants travaux de Safarik, de Vuk, et des frères 
Grimm. Et combien ne reste-t-il pas à faire? Il y a 
là comme un monde scientifique, dont quelques con- 
trées fort importantes nous semblent tout à fait 
inconnues. La jurisprudence, la législation, par exem- 
ple, sont presque entièrement négligées par les écri- 
vains slaves eux-mêmes , aussi bien que par ceux de 
l'étranger. 

Et pourtant la connaissance du droit et des lois 



8 LE DROIT COUTUMIER 

d'un peuple, qui a conservé en grande partie ses an- 
cienoes coutumes, n'est pas seulement nécessaire au 
jurisconsulte , elle est indispensable à l'historien , à 
l'ethnographe, à l'économiste! Jusqu'à présent il 
n'existait sur le droit coutumier des Slaves méridio- 
naux, que quelques monographies traitant diverses 
parties de ce droit, et une étude fort remarquable de 
M. Utjeàenovic, parue à Vienne en 1859, sur l'or- 
ganisation de la famille dans les confins militaires 
croates et hongrois. Ce qui nous manquait sur un 
pareil sujet, c'était un ouvrage embrassant pour ainsi 
dire d'un coup d'oeil tout l'ensemble du droit coutu- 
mier des Slaves méridionaux. 

Un savant de Raguse, en Dalmatie, a entrepris avec 
courage cette tâche difficile, et il s'en est acquitté avec 
beaucoup de talent (1). Son livre remplit une grande 
lacune dans la science; et malgré les difficultés pres- 
que insurmontables de l'entreprise, l'auteur a pu 
rassembler par sa méthode originale et fort claire de 
riches matériaux qu'on ne trouverait bien certainement 
nulle part ailleurs. Il est vrai de dire que M. Bogiôié 
n'est pas un écrivain nouveau dans les questions de 
jurisprudence. Il a déjà publié, en 1866, sur le droit 
coutumier des Slaves un livre, qui eut un grand suc- 
cès , non-seulement dans son pays , mais même en 
Allemagne, et qu'il fallut réimprimer en 1867. Sa 

(1) a Zbornik sadagnjih pravnih obigaja u juïnih Slovenâ {Recueil 

des coutumes actuelles chez les Slaves méridionaux). Agram, 1874, 
in-S", 710 pages + lxxiv. 

Note pour la prononciation des mots serbes : c =: tz môme avant a , 
o, u ; 6 = tsch ; d = tch un peu plus doux que le précédent ; ge, gi 
= gue, gui ; j == y ; Ij = ille ; nje = gne ; g = ch ; 2 = ge ou je ; de 
sorte que : BogiSid se prononce Boguichitch ; sadagnjih = sadach- 
gnich ; obiëaja = obitschaya ; juSnih = youjenih. 



DES SLAVES MÉRIDIONAUX. 9 

réputation pénétra en Russie , où il fut nomnaé pro- 
fesseur à l'université d'Odessa. Plus tard il fut chargé 
de la codification des lois du Monténégro (1). 

Toutefois, M. Bogiàié ne vit dans son ouvrage 
qu'un premier essai; il avait de suite compris qu'il 
ne pouvait s'arrêter à mi-chemin. Comme il était alors 
employé à la bibliothèque impériale de Vienne, la 
base de son travail se composait naturellement de 
sources écrites ; il ne lui avait été possible de con- 
sulter que les livres et les documents qui se trou- 
vaient sous sa main, et qui ne remplaçaient que très- 
imparfaitement les sources multiples et variées de la 
vie politique, sociale et religieuse du peuple dont il 
voulait reconstruire le droit sur de solides fonde- 
ments. Mais l'idée conçue , M. Bogiâié se mit à l'œu- 
vre avec une persévérante énergie. Le résultat de son 
travail fut le livre, publié en 1874 par l'académie des 
sciences et des belles-lettres d'Agram et dont. nous 
allons donner une analyse détaillée. 

Ce livre contient le droit des Slaves méridionaux, 
tel qu'il existe dans leurs anciennes coutumes, res- 
tées toujours en vigueur. C'est un nouveau côté de 
ce peuple et comme un nouveau monde que l'auteur 
nous a révélé ; voilà pourquoi nous voulons faire con- 
naître un travail si important, qui pourra compléter 
les nombreuses études faites en France, sur les Slaves 
du Sud , sur leurs chansons et leurs contes populai- 
res. 

Mais , avant de commencer l'analyse de ce livre , il 

(l) Sur cette importante mission, voyez le Bulletin de législation 
comparée d'avril 1875, page 225. On peut lire aussi une esquisse 
biographique de M. BogiSid dans la Revue politique et littéraire du 
5 juin 1875 , par M. L. Léger. 



10 LE DROIT GOUTUMIER 

nous a semblé utile de donner un extrait de la pré- 
face , où l'auteur développe le plan de son ouvrage et 
touche à diverses questions scientifiques non encore 
résolues. Sa remarquable argumentation ne manquera 
certainement pas d'attirer Taltention des jurisconsul- 
tes. L'auteur nous dépeint aussi dans cette préface 
l'état déplorable de la jurisprudence et de la législa- 
tion parmi les Slaves méridionaux ; il nous fait toucher 
les véritables causes de cette triste situation et nous 
indique les moyens de l'améliorer. Mais écoutons 
M. Bogiôié. Notre analyse s'efforcera de rendre fidè- 
lement sa pensée. 



I 



L'histoire nous montre bien souvent le développe- 
ment naturel d'un peuple interrompu par un événe- 
ment qui, sans détruire sa vie nationale , le jette 
dans une sorte d'engourdissement. On pourrait alors 
croire qu'il reste stationnaire , quoique son génie na- 
tional ne cesse pas de vivre et de se fortifier. Celui-ci 
se renferme dans les chansons et les contes popu- 
laires , dans les mœurs et les exploits aventureux , 
qui continuent l'existence et l'héroïsme traditionnel 
des ancêtres. Lorsque la délivrance arrive par un de 
ces brusques changements de politique si fréquents 
dans l'histoire, ce peuple ressuscité à la vie des na- 
tions se trouve au milieu d'un monde nouveau qui 
l'a devancé ; et , pour ne pas rester en arrière des 
autres peuples , il veut atteindre en un jour cette 
perfection qui ne sera jamais que le travail des siè- 
cles. Saisi comme d'une fièvre de progrès, il rem- 
place ses vieilles institutions nationales par des insti- 



DBS SLAVES MÉRIDIONAUX. 11 

tutions étrangères , et il détruit bien souvent les plus 
nobles germes de sa vie par des importations mala- 
droites, sans racine dans son sol national. Le génie 
du peuple se réfugie patriotiquement dans ses cou- 
ches inférieures , où il semble attendre l'heure d'un 
nouveau réveil. Mais il s'établit partout des rapports 
factices ; une civilisation purement artificielle et exté- 
rieure engendre des institutions fragiles, qui n'ont 
aucune force morale ni aucune vitalité. 

Tel est le spectacle que nous offrent presque tous 
les peuples slaves ; et M. Bogiâié constate ce fait dé- 
plorable dans la jurisprudence des Slaves méridio- 
naux. Il fait voir qu'on ne retrouve chez aucun peuple 
une plus grande discordance entre la législation et le 
droit coutumier en vigueur. Lorsque la législation est 
simplement un produit d'abstractions doctrinales , elle 
néglige entièrement les coutumes que le peuple con- 
serve avec ténacité ; mais une telle législation , qui a 
pris naissance en dehors de tout développement his- 
torique et qui n'a pas eu égard au caractère particulier 
de la nation , n-existe réellement que sur le papier. 
Cette discordance entre les lois écrites et la coutume 
offre de graves inconvénients , surtout chez un peuple 
qui , comme les Slaves méridionaux , a tant de divi- 
sions politiques, religieuses et administratives dans un 
espace relativement étroit. Et, de plus, quelle étrange 
diversité ! M. Bogiâié nous cite à ce sujet un phéno- 
mène curieux , qui prouve assez bien l'anomalie de 
la' situation. 

L'introduction des lois écrites produit ordinaire- 
ment chez tous les peuples une certaine uniformité 
entre les divers éléments de la nation ; tandis que la 
coutume , expression multiple des différences locales , 



12 LE DROIT COUTUMIËR 

représente par elle-même la diversité de ces éléments. 
Chez les Slaves méridionaux, nous voyons justement 
le contraire. La multiplicité se trouve dans les lois 
écrites, tandis que, dans une certaine mesure, les 
coutumes sont, dans leurs principes, tout à fait unifor- 
mes. Aussi dans ces contrées , particulièrement dans 
les provinces turques habitées par les Slaves, Tadmi- 
nistration de la justice est mieux placée entre les 
mains de magistrats qui n'ont jamais fréquenté l'école, 
mais sont au courant de la coutume et de sa pratique, 
qu'elle ne pourraijt l'être entre les mains de légistes 
de profession. Personne ne se plaindrait de la justice 
rendue par les cadis , si elle ne se laissait pas cor- 
rompre par la vénalité. Au contraire, dans les pro- 
vinces ayant une magistrature organisée sur le modèle 
des Etats occidentaux , on impose souvent au peuple 
des lois qui ne répondent nullement à ses mœurs et 
à ses vrais besoins. Personne ne contestera qu'une 
pareille anomalie ne doive finir tôt ou tard par démo- 
raliser un peuple. 

M. BogiSié demande avec juste raison que le légis- 
lateur recherche les véritables causes de ce triste état 
des choses. Mais, hélas! ni les jurisconsultes ni les 
savants ne se sont jamais occupés de cette importante 
question , et Ton continue à faire des lois sur des théo- 
ries étrangères , sans trop s'inquiéter si le peuple les 
accepte , ni même s'il les comprend. On a vu , dans 
bien des Etats de l'Europe , les coutumes remplacées 
par une législation nouvelle. Les jurisconsultes sla- 
ves, épris de ces innovations, ont adopté la loi écrite ; 
mais le peuple est resté fidèle à ses vieilles coutu- 
mes. Voilà comment le droit coutumier est encore en 
pleine vigueur chez les Slaves méridionaux. 



DES SLAVES MÉRIDIONAUX. 13 

L'auteur fait ici remarquer avec beaucoup de jus- 
tesse que le droit , comme tout organisme , est sou- 
mis à des lois naturelles. Quand on serre fortement 
la branche d'un arbre, il en pousse d'autres plus 
vigoureuses; et si l'on taille l'arbre, ce qu'il perd 
en largeur, il le gagne en hauteur. Un sens humain 
cesse-t-il de fonctionner, aussitôt un autre acquiert 
une finesse qu'il n'avait pas. Cette loi naturelle régit 
également le droit. Si on empêche le développement 
de l'une de ses branches, l'autre se développe avec 
plus de vigueur. On s'est principalement occupé en 
Europe du droit écrit , et c'est là précisément ce qui 
a rendu stationnaire le droit coutumier. Chez les Sla- 
ves , au contraire , où le droit écrit avait été considéré 
comme lettre morte jusqu'à nos jours, tout le déve- 
loppement du droit s'est concentré dans la coutume. 

Les jurisconsultes slaves n'ont pas voulu tenir 
compte non plus de la marche différente suivie par 
l'histoire des Slaves méridionaux et par celle des au- 
tres peuples européens. Pendant que les villes se 
développaient en Occident, c'était la campagne qui se 
développait chez les Slaves du Sud. Il est. donc na- 
turel que la coutume , réfugiée en Occident dans les 
campagnes, n'y ait eu qu'une importance fort secon- 
daire, tandis qu'elle conservait toute sa force parmi 
les peuples slaves où les villes n'ont pas encore at- 
teint la haute prépondérance qu'elles ont en Occident. 
Cette négligence des juristes à bien observer la mar- 
che de l'histoire a eu nécessairement des conséquences 
funestes qui n'ont pas tardé à se manifester. 

M. Bogiâié démontre comment il est impossible 
qu'un peuple respecte des lois qui ne répondent pas 
à ses besoins, et il prouve qu'une semblable législa- 



14 LE DROIT COUTUMIER 

tioQ doit nécessairement inspirer la plus grande mé- 
âance , parce qu'elle est en contradiction avec les 
mœurs et les coutumes du pays. Une loi qui est im- 
posée de force à un peuple , aurait-elle été faite avec 
les meilleures intentions , n*est jamais acceptée sans 
une vive répugnance ; on lui obéit machinalement , 
et c'est là ce qui lui donne presque toujours un effet 
désastreux. Ne pouvant rien s'assimiler, elle finit par 
détruire les anciennes idées du droit ; et comme la 
force ne peut parvenir à briser les oppositions tena- 
ces, son abrogation devient une nécessité. Or, l'au- 
torité même des lois se perd par des changements trop 
fréquents dans la législation. C'est ce qui s'est pro- 
duit chez les Slaves méridionaux. Les juges, par 
exemple, voulant éviter une fâcheuse collision entre 
les lois écrites et le droit coutumier , cherchent pres- 
que toujours à en éluder l'application. De son côté , 
le peuple emploie tous les moyens pour se soustraire 
à l'application des lois qu'il déteste. M. Bogiâié indique 
comme remède l'étude sérieuse de la coutume slave , 
qui , seule , peut donner une solide base au dévelop- 
pement du droit et faire cesser une si déplorable si- 
tuation. 

L'auteur nous fait ensuite voir, en quelques traits 
rapides, le développement du droit chez les autres 
peuples de l'Europe. Il relève surtout les travaux im- 
portants de la France dans cette branche scientifique ; 
car la nation française pénètre mieux dans l'esprit 
des lois qu'aucun autre peuple. Il signale aussi les 
grands mérites de l'école historique allemande dans 
l'étude du droit coutumier. Parmi les diverses ques- 
tions scientifiques qu'il* examine ensuite , celle de la 
collision entre la coutume et la loi nous semble trai- 



DES SLAVES MÉRIDIONAUX. 15 

tée avec autant d'esprit que d'originalité. D'abord , 
H. Bogiâié nous montre l'importance heureuse que 
la solution de cette difficulté aurait pour la science 
et pour la pratique ; mais il lui semble qu'on en est 
encore fort loin^ même dans les diverses législations , 
qui reconnaissent aux coutumes autant d'autorité 
qu'aux lois écrites. 

En Russie 9 par exemple» on fait le plus grand 
cas de la coutume , surtout depuis ces dernières an- 
née». Le gouvernement nomme des commissaires 
pour étudier, recueillir et publier les coutumes. Les 
sociétés savantes y surtout la section ethnographique 
de la Société géographique de Saint-Pétersbourg , fa- 
vorisent avec zèle l'œuvre du gouvernement; et même 
la loi du 20 novembre 1864, qui a introduit la nou- 
velle organisation judiciaire, enjoint aux juges de paix 
de tenir partout compte des coutumes en vigueur. 
Bien plus, le commentaire officiel de ce règlement 
relève leur grande importance. Eh bien ! malgré ce 
. respect scrupuleux pour les coutumes , la législation 
n'ayant pas pourvu au cas de collision, le juge ne 
tient aucun compte des coutumes , et applique la loi 
comme auparavant. Donc, en Russie même, où sont 
adoptées si chaleureusement les nouvelles doctrines 
sur le droit coutumier , on admet la coutume seule- 
ment lorsque la loi l'ordonne expressément ^ ou bien 
en l'absence de toute loi écrite. D'où vient cette con- 
tradiction ? M. Bogiàié croit en avoir trouvé la cause 
dans le manque de précision de la théorie soutenue 
par l'illustre jurisconsulte M. F.-G. Puchta. 

D'après cette théorie, les mêmes règles d'interpré- 
tation, qui servent à résoudre certains points de col- 
lision entre des lois écrites, doivent être également 



•r' 

/ 



16 LE DROIT COUTUMIER 

appliquées dans les cas de collision entre les coutumes 
et les lois écrites , comme si elles dérivaient de la 
même source. Une pareille théorie semble trop géné- 
rale et trop vague à M. Bogiàié pour pouvoir être 
adoptée dans la pratique. Elle ne tient pas assez compte 
de ce que les coutumes peuvent aussi avoir des bases 
différentes , et qu'on doit les considérer , comme les 
lois écrites , sous des points de vue différents. Cette 
imperfection d'une théorie , qui a pourtant provoqué 
en Russie l'étude des coutumes, empêche bien souvent 
leur sérieuse application. Pour sortir de ce dilemme 
très-embarrassant , l'auteur pense qu*il faudrait avoir 
d'abord un grand nombre de coutumes à étudier et à 
comparer. On les diviserait ensuite en plusieurs caté- 
gories comme les lois écrites, selon leur origine , 
leur vitalité , leur importance , l'étendue de leur ap- 
plication ou selon d'autres qualités. 

Quant aux collisions entre les coutumes et les lois 
écrites, il faudrait s'attacher à la distinction suivante: 
1** du le législateur connaissait la coutume, et il savait 
dès lors qu'il se mettait en contradiction avec elle en 
promulguant sa loi ; 2^ ou bien il résulte de l'ensem- 
ble de la loi que bien certainement le législateur 
n'avait pas à ce moment connaissance de la cou- 
tume. Dans le premier cas, le doute ne peut pas 
exister ; il est certain que le législateur a voulu abolir 
la coutume, et comme il peut abroger la loi, de même 
il a le droit d'abroger une coutume ; dans le second , 
on aurait recours aux règles générales de l'interpré- 
tation des lois , comme s'il s'agissait d'une collision 
entre des lois ayant une même origine. La théorie de 
Puchta ne peut s'appliquer que dans le second cas et 
non pas dans le premier. 



DÉS SLAVES MÉRIDIONAUX. 17 

En effet , si le législateur ne connaissait pas la cou- 
tume, qui est toujours par sa nature même Texpres- 
sion d'une certaine institution du droit national, il ne 
pouvait pas non plus connaître cette institution elle-- 
même; et dans cette hypothèse, il aurait promulgué 
une loi pour des cas qu'il ignorait. N'est-il pas vrai 
que, pour le juge, la connaissance de la coutume est 
aussi nécessaire et obligatoire que celle de la loi ; s'il 
ignore la coutume , il commet une ignorantia juris , 
comme lorsqu'il ne connaît pas la loi écrite. Si celui 
qui applique le droit doit connaître la coutume, à plus 
forte raison celui qui fait les lois. Le législateur doit 
donc nécessairement connaître le droit sous quelque 
forme qu'il se présente, droit écrit ou droit coutumier, 
chaque fois qu'il veut le modifier et même s'il veut 
l'abolir. 

Si , dans les contrats , la volonté doit être exempte 
d'erreur, d'autant plus faut-il qu'elle soit réfléchie et 
certaine de la part du l^islateur. Celui-ci promulgue- 
t-il une loi fondée sur l'erreur ou l'ignorance, ce qu'il 
fait ne correspond pas à ce qu'il veut, et il ne fait pas 
une loi dans le sens vrai de ce mot. 

Déjà , au moyen âge , le» glossateurs , qui certes 
n'étaient pas de fervents adeptes du droit coutumier, 
enseignaient que € tantum consuetudo valet ubi leco 
non est scripta , quantum ipsa leœ , ubi est scripta. » 
Cette maxime est évidemment fondée sur cette idée 
que si le législateur avait connu la coutume , il en 
aurait consacré les dispositions , parce qu'elles répon- 
dent le mieux à l'institution. Dès lors, si le législateur 
a promulgué une loi contraire à la nature d'une insti- 
tution qu'il ne connaissait pas , rien n'empêche d'ad- 
mettre que si cette ignorance n'avait pas existé^ il 

2 



18 LE DROIT COUTUMIER 

aurait agi différemment et aurait édicté une loi con- 
forme à l'esprit de la coutume. 

L'auteur ne prétend pas avoir trouvé la solution 
définitive de cette importante controverse'; et à vrai 
dire , il ne la croit guère possible en ce moment, faute 
de recherches sufiBsantes. Aussi n'a-t-il voulu soulever 
cette question que pour attirer l'attention et provo- 
quer des travaux qui pourront aider à la résoudre. 

Après cette rapide digression , l'auteur insiste sur 
la nécessité de l'étude du droit coutumier pour le 
juge, le jurisconsulte, le législateur. Il indique le 
grave préjudice que la négligence d'une étude aussi 
importante porte à l'étude même de l'histoire du droit, 
et il dit avec raison qu'elle est une des premières cau- 
ses du peu de développement de cette branche de la 
science. En effet , on ne peut acquérir une véritable 
notion du droit d'une époque, si on n'étudie pas en 
même temps les relations qui existaient alors entre la 
coutume et les lois. Aussi les travaux dçs historiens 
juristes slaves ne sont en général que des reproduc- 
tions servi les de diverses méthodes étrangères inap- 
plicables au droit de leur pays. En outre, en négligeant 
les coutumes, ils abusent des présomptions juridi- 
ques, et spécialement de l'importante présomption 
que la loi , après avoir été publiée, entre irrévocable- 
ment en vigueur. Il s'ensuit qu'à la place des vérités 
historiques, nous ne trouvons que de simples Actions. 
Un exemple va prouver la justesse de ce raisonnement. 
Supposons, dit M. Bogiâié, qu'on veuille écrire 
l'histoire du droit de la Dalmatie, où le code civil 
autrichien est publié depuis Tannée 1816. Ce code, 
qui n'a nullement tenu compte des diverses particu- 
larités nationales, et qui était fait pour d'autres peu- 



i 



DES SLAVES MÉRIDIONAUX. 19 

pies, n'a janaais été appliqué à la population agricole 
de cette province en ce qui concerne le droit de 
famille et de succession. Donc, si un jurisconsulte 
voulait exposer l'histoire du droit de la Dalmatie 
pendant le demi-siècle qui vient de s'écouler , en 
concentrant toutes ses recherches sur la législation 
écrite seulement , il donnerait une notion bien fausse 
sur le droit actuel de ce pays. 

.Nous ne suivrons pas plus longtemps M* Bogiâié 
dans cette partie intéressante de son ouvrage ; cela 
nous mènerait trop loin. Nous dirons seulement que 
le savant auteur du droit coutumier des Slaves méri- 
dionaux se propose de publier prochainement sur ce 
sujet un travail spécial ; et, pour terminer cette ana- 
lyse, nous ajouterons quelques mots sur Torigine de 
son livre. 

Nous avons raconté plus haut que M. Bogiàié, lors 
de la publication de son premier travail, reconnut 
bien facilement Tinsuffisance des sources écrites. Il 
prit aussitôt la résolution de recueillir chez le peuple 
même la matière d'un grand ouvrage; et le plan de 
son recueil étant dressé , il publia un questionnaire 
renfermant l'ensemble des objets du droit coutu- 
mier slave. L'académie d'Agram en envoya quatre 
mille exemplaires aux divers diocèses de la Croatie , 
de la Dalmatie et des confins militaires. Chaque diocèse 
distribua le questionnaire dans toutes les paroisses. 
D'autres exemplaires furent envoyés par l'auteur en 
Hongrie, en Serbie, dans la Bosnie, le Monténégro , 
l'Herzégovine et la Bulgarie. C'était l'unique moyen 
de connaître rapidement et sûrement toutes les cou- 
tumes des Slaves méridionaux. Les réponses recueil- 
lies forment, avec les recherches particulières de 



20 LE DROIT COUTUMIER 

l'auteur, le grand ouvrage dont nous allons parler, 
et qui, malgré l'immense richesse de ses matériaux, 
est encore bien loin d'être complet. M. Bogisié lui- 
même fait remarquer que les questions choisies par 
lui n'embrassent pas de beaucoup toutes les relations 
sociales et juridiques. Mais, depuis cette publi- 
cation , ses études , ses voyages ont singulièrement 
étendu ses connaissances et beaucoup élargi ses vues. 
Eu 1872, M. Bogiàic entreprit un grand voyage dans 
diverses contrées du Caucase , qui lui fournirent des 
faits très-curieux et d'abondantes notes pour son livre. 
Il parcourut TAbkhasie, la Samurzakan, la Grusie et 
la Svanetie. Son principal but était de mettre en pa- 
rallèle les coutumes de ces contrées avec les coutumes 
slaves ; car il espérait trouver ainsi la clé de certai- 
nes énigmes du droit coutumier de sa nation. Son 
questionnaire lui servit de base pour cette longue et 
patiente étude. Accueilli partout avec beaucoup de 
prévenances , recommandé par de hauts personna- 
ges et même très-gracieusement reçu par S. A. I. le 
grand-duc Michel , M. Bogiâic commença son travail 
à Sukhum-Kalé, daus le Caucase. Il entrait comme 
dans un monde nouveau. De nouvelles et nom- 
breuses questions se présentèrent à son esprit. Son 
ancien questionnaire ne lui suffisait plus. Il dut 
l'élargir. Sur la base de ce nouveau questionnaire, 
M. Bogiàic parvint à recueillir un nombre considéra- 
blg de coutumes, qui formeront la matière d'une au- 
tre publication. L'auteur voulut ensuite visiter le 
Monténégro et les pays limitrophes, où son question- 
naire s'enrichit de nouveau. Les découvertes qu'il 
fit dans cette dernière excursion formeront le second 
volume de son ouvrage. 



DES SLAVES MÉRIDIONAUX. 21 

Quant à la forme du premier volume, le but de 
l'auteur était de rendre, aussi fidèlement que possi- 
ble, tout ce qu'il avait recueilli à l'aide de son ques- 
tionnaire. Il a donc placé les réponses sous chaque 
question et dans leur forme primitive; car ce livre 
n'est pas une codification du droit coutumier des 
Slaves méridionaux, c'est un simple recueil de maté- 
riaux. M. Bogiôié craignait, avec juste raison, que la gé- 
néralisation ne nuisît à la science. Il ne croit pas que 
le moment soit venu de tenter un pareil essai, et il a 
agi fort sagement en n'exposant pas la synthèse avant 
l'analyse. Si le livre veut atteindre son but , il doit 
surtout faire ressortir toutes les particularités des 
coutumes de chaque province. Ces détails sont très- 
importants pour la science , car on peut ainsi aperce- 
voir d'un coup d'oeil les véritables causes de certains 
rapports et formes du droit. La méthode adoptée 
par l'auteur facilite aussi les comparaisons entre le 
droit de diverses époques et de différentes contrées , 
ce qui peut jeter une grande lumière sur bien des 
faits intéressants. Il arrive souvent que le droit varie 
de peuple à peuple , quoique leurs rapports sociaux 
soient les mêmes , tandis que d'autres fois les insti- 
tutions se trouvent en parfaite harmonie au milieu de 
conditions sociales toutes différentes. 

Ainsi, par exemple, d'après l'ancien droit romain, 
les fils, qui étaient en puissance, ne pouvaient pas 
avoir un pécule spécial. Ce fut beaucoup plus tard 
que le peculium castrense ou quasi castrense fut adopté 
par la jurisprudence romaine. De même , le droit 
coutumier du Monténégro n'admet pas le pécule pour 
les membres mâles appartenant à des communautés 
de famille. Mais, tandis que l'absence de pécule 



22 LE DROIT COUTUMIER 

dans Tancienne Rome se fondait sur la toute-puis- 
sance du père, le jeune homnie en est privé dans le 
Monténégro par sa participation à une communauté de 
famille. En effet, la famille seule est responsable de 
tous les dommages causés par l'un de ses membres; 
par contre, le gain de tous ses membres lui appar- 
tient. 

D'ailleurs, la généralisation ne convient pas à un 
semblable ouvrage. Il faut faire connaître les coutu- 
mes dans leur forme caractéristique et jusque dans 
leurs nuances les plus délicates. Ces nuances dispa- 
raîtraient dans un travail de généralisation prématuré, 
et cependant, elles sont indispensables, car elles doi- 
'vent servir de base à toute étude qui n'est pas de 
pure spéculation. Cependant les observations critiques 
ne doivent pas manquer dans un tel travail , et 
M. Bogiâic en use largement dans les notes de son 
livre. Il relève très-habilement les contradictions qui 
se trouvent dans les réponses, tout en engageant ses 
correspondants à les rectifier ; de sorte que nous possé- 
dons, sur cette matière, un livre vraiment scientifique, 
et non un simple abrégé de législation à l'usage des ju- 
risconsultes. Mais, pour rendre son ouvrage plus com- 
plet, M. Bogiàié a ajouté, à son premier volume, une 
liste indiquant le nom et le domicile de ceux qui ont 
répondu aux diverses questions renfermées dans son 
questionnaire. On peut donc voir, d'un coup d'œil, 
l'origine de chaque coutume. Dans le corps de l'ou- 
vrage on rencontre, çà et là, un grand nombre de pro- 
verbes juridiques, la plupart inconnus jusqu'à ce jour. 
Enfin, un index contient les termes techniques de 
dijfférentes provinces des Slaves méridionaux. 

Quant à la division de son ouvrage, M. Bogiâic suit 



DES SLAVES MÉRIDIONAUX. 23 

le système adopté par la science. Le droit privé et le 
droit public ont leurs subdivisions ordinaires : droit 
de fanaille et droit de succession, droit des choses, des 
obligations, etc. Nous suivrons dans notre analyse la 
ménae division, sans conserver, toutefois, la forme 
particulière du livre. Nous ne voulons pas, en effet, 
donner une simple traduction des sources, mais une 
notion fidèle des coutumes qui sont en vigueur parmi 
les Slaves méridionaux, du moins autant que nous le 
permettront les documents recueillis par l'auteur, dont 
le livre nous servira de guide. 



II 



La base du droit de famille des Slaves méridio- 
naux est la communauté, c'est-à-dire la réunion de 
plusieurs individus sous un seul et même chef pour 
tout ce qui concerne l'administration et la culture des 
biens mis en commun. La parenté, ainsi que nous le 
montrerons plus tard , n'est pas Tunique lien de ces 
associations. M. Emile de Laveleye, dans son remar- 
quable travail sur les Formes primitives de la propriété , 
a fait récemment connaître cette organisation de la fa- 
mille au point de vue économique. Mais les divers ou- 
vrages publiés sur la matière sont encore bien loin de 
l'avoir épuisée. Ce qu'il importe surtout de connaître, 
si Ton veut étudier à fond le droit coutumier , ce sont 
les nuances qui se rencontrent dans les diverses bran- 
ches des Slaves méridionaux. Les notions actuelles sur 
les communautés de famille ne sont prises que dans 
les contrées où des influences étrangères ont beau- 
coup modifié cette institution nationale. C'est pour- 
quoi nous n'avons encore que des connaissances très- 



24 LE DROIT COUTUMIEa 

superficielles sur son organisaiion dans le Montéoé- 
gro et THerzégovine , par exemple , ainsi que dans 
quelques provinces turques de la presqu'île des Bal- 
kans. Or ) c'est précisément dans ces contrées que les 
associations de famille se sont maintenues dans leur 
forme primitive. Au point de vue juridique surtout, 
cette institution cherche son historien, et le premier, 
M. Bogiàic, a fait connaître les riches matériaux qu'elle 
peut offrir (1). 

A l'origine, la communauté de femille se voit chez 
tous les Slaves. On en trouve même des vestiges dans 
quelques branches où elle a cessé d'exister depuis 
longtemps. Cette institution est, en effet, l'expression 
la plus fidèle de l'esprit des peuples slaves qui tend 
partout à l'association, et qui nous semble aussi éloi- 
gné du rigoureux principe autoritaire des anciens Bx>- 
mains que contraire à l'individualisme particulier aux 
Germains. La communauté de famille , telle que 
nous la voyons chez les peuples slaves, est une libre 
association , où l'individu , sans renoncer à ses pro- 
pres intérêts, les subordonne aux intérêts généraux. 
M. Dtjeôenovié a parfaitement raison de combattre 
la dénomination de patriarcale comme ne conve- 
nant nullement aux communautés serbes; car, dans 



(1) Une note de la préface du premier volume indique que depuis 
l'impression du corps de Touyrage , M. BogiSi^S a recueiUi dans le 

Monténégro, rHerzdgovine et l'Albanie de nouveaux et nombreux 
matériaux , qui non-seulement comblent les lacunes dont on ne pou- 
vait pas se rendre compte avant ces nouvelles recherches, mais qui 
modifient sensiblement les idées que l'on s'était Caites sur Torgamsa- 
tion de la famille et sur les autres institutions juridiques et sociales 
d'après les données que l'on possédait jusque-là. Il est donc à désirer 
que le second volume de l'ouvrage , où les nouveaux matériaux se 
trouveront utilisés, soit publié aussitôt que possible. 



DES SLAVES MÉRIDIONAUX. 25 

Tétat patriarcal, c'est le père qui fait la loi, et les 
enfants obéissent. Dans les communautés slaves, 
au contraire y cette obéissance absolue n'existe nulle 
part. 

Cette institution comprend en Russie même la com- 
mune , tandis qu'elle est limitée à la famille chez les 
Slaves du Sud. Dans les provinces turques , elle est 
devenue comme le refuge et le sanctuaire de la natio- 
nalité serbe , qui , repoussée de la vie publique , s'est 
retirée dans la famille , où elle a trouvé des mœurs 
pures pour consolation. Et c'est précisément cette vie 
de Emilie en commun qui a conservé chez ce peuple 
respérance d'un avenir plus heureux. On sait^ par 
l'histoire, que les musulmans, dans leurs conquêtes, 
ne touchèrent nulle part aux institutions religieuses et 
nationales des raïas, et qu'ils laissèrent surtout intactes 
les communautés serbes, parce qu'elles leur garantis- 
saient beaucoup mieux le paiement des impôts que 
la famille isolée. Les mêmes raisons firent également 
maintenir cette institution en Hongrie et en Croatie , 
où les intérêts féodaux s'opposaient au partage des 
biens du paysan. La corvée se payait aussi plus exac- 
tement et plus sûrement par Tassociation. Quand on 
créa l'organisation militaire dans les confins de 
ces deux royaumes , l'autorité reconnut bien vite 
les avantages que lui procurait cette coutume, de 
sorte qu'au lieu de l'abolir , il la fit régler par des 
lois. 

En 1807, les lois fondamentales du pays, renouve^ 
lées en 1850 , sanctionnèrent solennellement la com- 
munauté serbe; et comme tout partage fut rigoureuse- 
ment défendu , les communautés purent se maintenir 
plus longtemps dans ces cojitrées que dans les c co^ 



26 LE DROIT COUTUMIER 

mitats » (1) hongrois , où l'abolilion de la féodalité 
frappa celte ancienne coutume. 

Dès 1839 et 1840, la diète hongroise avait accordé 
aux paysans le droit de disposer librecQent des biens 
acquis, meubles ou immeubles, et décrété même 
que les paysans pourraient partager les propres de 
succession entre leurs enfants et en parts égales. 
Les orages politiques de 1848 achevèrent de détruire 
les derniers restes des institutions féodales, ce qui 
contribua beaucoup à ébranler toutes les commu- 
nautés slaves. Mais en Croatie, où Ton se prépa- 
rait à la guerre contre la Hongrie , on interdit la 
publication des lois votées par la diète de Presbourg, 
Les communautés de famille purent y rester intactes 
de même que dans les confins militaires. Cependant 
l'administration allemande , qui s'établit dans ce 
royaume après la révolution et les guerres de 1849 , 
introduisit les lois autrichiennes; et, dès ce moment , 
les institutions nationales furent ébranlées par des 
influences de toutes sortes. Les doctrines des écono- 
mistes modernes y pénétrèrent également et modifiè- 
rent beaucoup les opinions des Croates sur leur poli- 
tique agraire. Il n'est donc pas étonnant que la loi , 
interdisant la formation de nouvelles communautés , 
ait été votée par la dernière diète d'Agram , où le parti 
national avait cependant la majorité. Cette loi , qui 
frappait une vieille coutume , tout en maintenant le 
statu quo dans les confins militaires , fut sanctionnée 
par le souverain le 3 mars 1874. 

Mais était-ce bien la nécessité qui faisait un devoir 



(1) Division administrative en Hongrie et Croatie , correspondant à 
un département en France , mais avec plus d'autonomie. 



DES SLAVES MÉRIDIONAUX. 27 

à la diète d'Agram de voter une pareille loi ? Ne se 
laissait-on pas entraîner plutôt par cet esprit d'imita- 
tion qu'on reproche toujours aux Slaves , et qui en a 
fait des doctrinaires , cause des erreurs de leurs pu- 
blicistes et de leurs hommes politiques? Quoi qu'il en 
soit , le peuple croate ne paraît pas vouloir suivre ses 
législateurs dans cette voie. Il est vrai que , depuis 
1848, il y a plus de partages de communautés en 
Hongrie et en Croatie qu'il n'y en avait auparavant ; 
mais , d'après nos renseignements , ces partages ne 
sont pas absolus; car les familles qui se sont divisées 
ne regardent nullement la communauté comme en- 
tièrement dissoute. Elles ont encore leur chef com- 
mun ; elles labourent ensemble et portent au compte 
de la communauté les dépenses de l'association. On 
ne partage que les fruits du travail, II y a même des 
contrées, en Croatie, où les familles séparées font 
toujours ensemble la prière; dans quelques endroits 
le bétail est en communauté ; on travaille également 
en commun , et on ne se partage que la récolte. 

M. Bogiâié regrette avec raison que ses propres 
renseignements ne déterminent pas avec plus d'exac- 
titude les objets qui, après les partages partiels, res- 
tent en communauté, et qu'ils n'indiquent pas non 
plus les choses qui sont de droit soumises à la divi- 
sion. En efifet , les sources où ils ont été pris ne men- 
tionnent ni les fruits dont les familles continuent de 
jouir en commun , ni les dépenses qui doivent rester 
communes, et elles ne désignent pas non plus la 
personne qui , après le partage , devient le représen- 
tant de la famille vis-à-vis des autorités pour les affai- 
res restées en commun. Sur tout le littoral croate , 
les partages se font ordinairement de la manière sui- 



28 LE DROIT GOUTUMIER 

vante : Lorsqu'un jeune homme se marie, il quitte la 
maison paternelle , et le fils cadet reste seul auprès 
du père. Toutefois, il y a des contrées où la commu- 
nauté n'existe plus. Ces cas sont pourtant fort rares , 
et, d'après nos sources, ils ont toujours pour consé* 
quence l'appauvrissement complet de tout le district. 

Les partages sont moins fréquents encore dans la 
Slavonie, et là même où ils ont lieu , la séparation ne 
dure pas longtemps. Dès qu'une famille s'agrandit, 
elle forme une nouvelle communauté. Mais si le par- 
tage est rare dans la Slavonie, il est assez fréquent dans 
les conSns militaires , où il s'opère clandestinement 
pour éluder les lois rigoureuses qui forcent les famil- 
les à rester en commun , même lorsque la concorde 
ne règne plus depuis longtemps. Il n'est pourtant 
pas général ; car la coutume a jeté de trop profon- 
des racines dans le peuple serbe pour qu'elle dispa- 
raisse facilement. Les communautés persistent de 
même en Hongrie, où on leur a cependant enlevé toute 
base et où les Serbes sont comme dispersés parmi 
des races étrangères. 

On rencontre encore cette communauté de famille 
en Dalmatie , malgré la longue domination des Véni- 
tiens et malgré la législation autrichienne faite dans 
des circonstances et pour des besoins si différents. 
Partout, dans les campagnes, le peuple est resté 
fidèle à ses anciennes coutumes. Les sources où nous 
puisons nous apprennent qu'à Konavlje, contrée située 
dans le cercle de Raguse , les trois quarts des familles 
vivent en communauté. 

Cette vieille coutume a donc résisté partout aux in- 
fluences hostiles à son développement ; mais elle a 
subi des modifications , et on ne peut nier qu'elle 



DES SLAVES MÉRIDIONAUX. 2d 

n*ait été ébranlée dans ses foùdements , quoiqu'elle 
soit loin d'avoir été abolie. Exposée à Tinconsciente 
réglementation des législateurs, elle a fléchi presque 
partout ; mais elle s'est maintenue dans sa forme et 
dans sa force primitives là où la vie nationale du peu- 
ple serbe n'a pas eu à subir d'influences étrangères. 
C'est pourquoi nous la trouvons intacte dans le Mon- 
ténégro, l'Herzégovine et la Bosnie. Plus la famille est 
nombreuse dans ces pays , plus on la regarde comme 
bénie de Dieu. Pour l'Herzégovinieû , la misère ne 
vient que lorsque les communautés se partagent; et, 
d'après un dicton, «i la famille isolée a beaucoup plus 
» de peines que de joies. » L'individu , hors d'une 
association , est considéré comme un homme sans 
bras. Les beys mahométans eux-mêmes vivent en 
communauté dans ces provinces , lorsqu'ils appartien- 
nent à une même famille et qu'ils portent le même 
nom. A Seraje^.vo , capitale de la Bosnie, on trouve 
aussi des communautés; en Serbie, au Contraire, \es 
partages sont plus fréquents. 

C'est la législation codifiée qui a porté en Serbie les 
plus funestes coups à cette institution ; car, au lieu 
de la régler, elle y a jeté la confusion. Le code serbe, 
calqué pour ainsi dire sur le code autrichien , aurait 
lui-même besoin d'une sage réforme. Il renferme 
beaucoup d'étranges contradictions en cette matière. 
Aussi parie-t-on d'un projet de loi touchant les 
communautés qui serait présenté prochainement à la 
Skupàtina. En général , les partages affligent beau- 
coup les vieilles générations de la principauté serbe , 
car elles volent s'écrouler une institution qui était 
pour leurs ancêtres l'unique refuge contre la domi- 
nation des mahométans, et dont la disparition leur 



30 LE DROIT COUTUMIER 

paraît le précurseur fatal de la misère en Serbie. 
€ Plus la ruche est pleine d'abeilles, plus elle est 
> lourde. * C'est chez eux un dicton populaire. 

Comme tous les Slaves méridionaux , les Bulgares 
vivent en communauté. On rencontre aussi cette in- 
stitution chez les Sopljiens , les Poljanceviens , à 
Pljevno, et surtout parmi les ouvriers qui résident 
entre Ternova et Ruècuk. A Ljeskovac, au contraire, 
les fils mariés quittent la communauté avec toute leur 
famille, mais après la mort du père seulement. Ce- 
pendant, lorsqu'il y a des mineurs, la communauté 
ne se dissout pas avant que les enfants mineurs ne 
soient adultes et mariés. 

Le nom très-répandu qu'on donne à ces commu- 
nautés, c'est le mot serbe zadruga, qui veut dire 
association. Toutefois, cette dénomination n'est pas 
en usage chez tous les Slaves méridionaux. On dit 
presque toujours : « maison associée , * ou zadruïna 
kuéa, au lieu de zadruga. Dans les provinces ci- 
viles de la Croatie , on emploie le mot skupf^ina , 
c'est-à-dire assemblée, et très-souvent celui de frater- 
nité , maison ou société. La communauté est connue 
dans l'Herzégovine sous le nom de foyer^ cheminée ou 
fumée. En Dalmatie , on l'appelle aussi quelquefois 
la comnmnauté des frères unis. Dans l'Herzégovine , 
les filles, avant leur mariage, appellent la commu-. 
nauté dom [maison) \ et dès qu'une fille se marie, la 
demeure de son époux devient pour elle sa maison, 
tandis que la famille d'où elle sort par son mariage 
est nommée par elle rod {parenté). 

Quant au nombre des associés ou membres de ces 
familles , il varie beaucoup suivant les provinces. 
Les plus nombreuses communautés se trouvent na- 



DES. SLAVES MÉRIDIONAUX. 31 

turellement dans les plaines fertiles; mais elles sont 
fort restreintes dans les pays montagneux et sur 
le littoral étroit de l'Adriatique. Ainsi on rencon- 
tre les plus grandes associations dans la Slavonie, 
et les moins importantes sur le littoral de la Croatie 
et Dalmatie. M. Utjeàenovic fixe la moyenne des 
membres d'une communauté en Croatie de dix à quinze 
individus, dont trois ou quatre sont presque toujours 
mariés. Mais nos sources donnent, au contraire, une 
moyenne* de vingt à vingt-cinq individus. Dans la 
Slavonie , les plus grandes communautés comptent 
jusqu'à soixante membres , tandis que les plus peti- 
tes en ont presque toujours six , sept ou huit, seule- 
ment. Dans la haute Herzégovine, la majeure partie des 
familles se compose'de vingt à vingt- cinq individus; 
à Gacko on compte même soixante et dix individus 
dans certaines familles. Cependant les communautés 
ne sont jamais assez nombreuses pour former un vil- 
lage ou une commune. Avant d'atteindre ce prodi- 
gieux accroissement, une communauté se serait di- 
visée plusieurs fois. Il y a, il est vrai, des villages 
qui portent le nom d'une seule famille ; mais ils se 
composent toujours de plusieurs communautés. 

Les communautés serbes , en général , ont ajouté à 
l'ancien nom de famille le nom du chef de la com- 
munauté; et les Serbes, aussi bien que les Russes, 
ont l'usage de joindre au nom de baptême du père la 
particule m(?, ovicf ou i(f (prononcez : evitsch, ovitsch, 
itsch), comme dans les noms Petrovié, Siefano- 
vi6y etc., et de composer, en outre, les. noms de fa- 
mille avec les titres , ou les dignités du père , en 
y ajoutant une des particules sus-indiquées. Ainsi , 
KraljevU veut dire fils de roi {Jiralj) ; Pisareoi6 , fils 



N 



32 LE DROIT GOUTUMIER 

de scribe (pisar). On emprunte aussi les noms propres 
à la profession qu'on exerce ou à certains événements , 
etc. Le plus souvent ce sont des sobriquets vulgaires 
que le peuple aime à se donner , et qui restent dans 
la famille. Lorsqu'on veut désigner toute une commu- 
nauté par le nom du père, on en fait un pluriel. Mais 
il se rencontre souvent plusieurs communautés ayant 
le même nom de famille ; cela vient de ce qu'elles ont 
formé à l'origine une seule association, qui s'est divi- 
sée pour en former de nouvelles. Gelles-ci portent 
ordinairement un surnom quel(ionque avec leur nom 
primitif de famille. 

En général , les membres d'une communauté sont 
tous parents ; et cette parenté s'étend parfois jusqu'à 
un degré très-éloigné. Mais, comme nous t'avons 
déjà fait remarquer , des étrangers peuvent devenir 
membres d'une communauté. Le mariage et Tadop» 
tion sont les formes les plus ordinaires sous lesquelles 
on les reçoit. Il arrive , en outre , que des vieillards 
entrent dans une association, lorsqu'ils ont perdu tous 
leurs enfants et qu'ils se trouvent pour ainsi dire 
seuls au monde , n'ayant plus la force d'administrer 
leurs biens ou n'étant plus en état de vivre par leur 
travail. Ces vieillards sans ressources ou malades, 
sont accueillis à bras ouverts par les associations 
serbes, et on leur donne tous les droits d'un associé; 
mais s'ils possèdent une petite fortune, ils doivent la 
céder à la communauté, soit pendant leur vie, soit à 
titre de legs après leur mort. 

Lorsque tous les membres d'une communauté 
viennent à mourir et qu'il n'y a d'autre héritier 
qu'une fille, c'est toujours son mari qui devient le 
chef de la communauté , en acceptant pour lui et ses 



DES SLAVES MÉRIDIONAUX. 33 

descendants l'ancien nom de l'association. Il peut 
arriver aussi qu'une femme avec ses enfants quitte 
la maison de son mari défunt, pour rentrer dans la 
communauté de ses frères. Les enfants deviennent 
alors , en Bulgarie, les associés de leur oncle. Les en- 
fants nés d'une mère commune , mais de pères diffé- 
rents y restent dans la communauté du dernier mari 
de leur mère. 

Il est très-rare que des étrangers forment entre eux 
une communauté. Cependant on dit que de pareils cas 
se présentent en Bosnie, où deux amis unissent par- 
fois leur ménage. Mais une pareille communauté ne 
dure pas longtemps ; elle cesse presque toujours par 
le mariage de l'un des deux amis. On en trouve de 
semblables dans la principauté serbe. 

Des communautés très-petites et très-pauvres reçoi- 
vent également les domestiques comme membres. En 
Hongrie, lorsqu'il ne reste que le mari et la femme 
avancés en âge , dans une communauté, ils acceptent 
comme membre un artisan qui prend l'obligation de 
les soigner et de les entretenir dans leur vieillesse. 

Maintenant, avant de dire quels sont les devoirs et 
les droits de chaque membre d'une communauté, 
nous allons indiquer ce qui est mis en commun , ce 
qui forme le bien inaliénable de toute la maison. 
Nous verrons également si la fortune de la commu- 
nauté se compose des biens immeubles seulement, 
ou si les biens meubles en font aussi partie. 

Les Slaves , en général , sont un peuple éminem- 
ment agriculteur. D'autre part , les communautés de 
famille se trouvent presque exclusivement à la campa- 
gne. Il est donc naturel que les champs , les prairies 
et les jardins, avec tous les instruments de labou- 

3 



34 LE DROIT COUTUMIER 

rage, forment le bien commun et inaliénable de la 
famille. Nous avons déjà montré ce Irait caractéristi- 
que des Slaves qui les porte presque naturellement 
à l'association. Nous avons dit également que le Serbe 
regarde le partage des communautés comme un pré- 
curseur fatal de la misère; car, pour lui, c*est par 
le groupement des diverses forces qu'il peut atteindre 
un résultat satisfaisant, c II ne voudrait pas même, » 
suivant un dicton , c être seul au paradis. > — c Le 
» solitaire, » dit un autre de ses proverbes, « est 
» comme un chêne coupé. » Fa? soli! dit, en effet, 
l'Ecriture sainte elle-même. Le Serbe doit donc avoir 
en horreur la division du sol. Aussi ne connaît-il pas 
le partage périodique , tel qu'il se pratique dans les 
communes russes. Il veut , au contraire , garder ce 
qu'il possède ; et s'il ne peut pas augmenter sa for- 
tune, il désire au moins la léguer intacte à ses enfants. 
Son champ, sa maison, ses plantations, sont pour lui 
comme des objets sacrés, qui doivent passer de gé- 
nération en génération. 

Les immeubles sont par conséquent regardés parmi 
les Slaves comme des biens inaliénables. Les outils 
et le bétail , dont une exploitation agricole ne peut se 
passer, appartiennent également à la communauté, ainsi 
que la maison où les bâtiments servant à cette exploi- 
tation. On considère même comme biens communs les 
bâtiments industriels élevés par le fondateur d'une 
association. Cependant il est permis aux membres de 
la communauté d'acquérir de semblables constructions 
et même d'exercer des industries variées. Nous parle- 
rons plus loin du pécule qui appartient aux membres 
de la communauté; il nous sufiBt de remarquer ici que 
les associés peuvent acquérir des biens en travaillant 



DES SLAVES MÉRIOIOJSAUX. 35 

pour leur propre compte hors de la maison. Dans les 
cas de détresse ou de misère , on est souvent forcé de 
vendre les biens de toute la communauté , ce qui est 
regardé comme une très-grande honte parle peuple; 
aussi trouve-t-on rarement des acheteurs. Mais la 
vente doit être approuvée ou consentie par tous les 
associés, et le peuple condamne sévèrement celui qui 
chercherait à s'enrichir par le malheur d'autrui. < Sou- 
* venez- vous, > dirait-on aux acheteurs, « de ces 
f pauvres enfants qui restent sans fortune et sans res- 
» sources ! Prenez garde que leur malédiction ne re- 
» tombe un jour sur vous et sur les vôtres ! » Les 
Bulgares considéreraient comme un fou celui qui 
vendrait Théritage de ses ancêtres. 

Quant aux biens meubles , il y en a dont on ne 
peut pas disposer sans nécessité absolue. Ainsi , les 
outils servant à une exploitation ne se vendent pres- 
que nulle part. Pour ce qui est du bétail, chaque 
maison conserve ordinairement deux bœufs et quel- 
ques couples d'autres animaux ; le reste peut se 
vendre. Les ustensiles de ménage , les ruches , les 
moulins, les divers produits des champs et des ani- 
maux sont aliénables pour la plupart. Dans bien des 
contrées, la vente des produits seule est admise ; et, en 
d'autres endroits , où la récolte n'est pas assez abon- 
dante pour subvenir aux besoins de la maison, il est 
interdit de vendre les produits eux-même sans né- 
cessité. 

En Bulgarie, on échange des vignes contre des vi- 
gnes , des prairies ou des champs contre des champs 
et des prairies ; mais on ne les vend presque jamais. 
Dans cette province, les tonneaux, les chaudières ser- 
vant à la distillation de l'eau-de-vie, les charrettes et 



36 LE DROIT GOUTUMIER 

divers instruments aratoires sont considérés comme 
attachés au fonds. On ne vend pas ordinairement non 
plus les chevaux ni le bétail , à l'exception des vieux 
animaux. 

Dans les cas de détresse, comme nous l'avons dit, 
les biens communs peuvent être vendus , mais avec 
l'assentiment de tous les membres de la communauté, 
y compris les femmes , les jeunes gens et les filles. 
Dans diverses contrées cependant, le chef de la com- 
munauté peut, sans consulter l'association , disposer 
librement des biens communs ; mais le caractère dé- 
mocratique du peuple serbe et Tesprit même de l'in- 
stitution s'opposeraient à cette espèce d'autocratie , 
qui, du reste, n'est qu'exceptionnelle. M. Bogisic 
nous paraît l'attribuer avec raison à l'influence étran- 
gère , et elle se manifeste en efiFet presque exclusive- 
ment dans les contrées situées au bord de la mer 
ou à la frontière ethnographique. 

Parlons maintenant des devoirs et des droits de 
chaque membre de la communauté , et précisons 
d'abord la position de son chef, appelé par le peuple 
serbe domaéin^ chef ou directeur de la maison. Nous 
évitons à dessein le mot paterfamilias, qui correspond 
à une idée différente. 

Le chef est ordinairement élu par la communauté. 
On le choisit parmi les membres âgés et mariés. 
Cette règle a pourtant beaucoup d'exceptions. Malgré 
la haute estime du Serbe pour l'âge mûr, on romme 
souvent des hommes jeunes , dont le caractère éner- 
gique et honnête , les talents et la volonté ferme sont 
connus et éprouvés. Il arrive parfois que le domaéin 
lui-même, sentant diminuer ses. forces sous le poids 
des années, renonce à ses pouvoirs en faveur du plus 



DES SLAVES MÉRIDIONAUX. '{7 

vaillant et du plus digne de ses fils. Les autres nieni- 
bres de la conamunauté doivent consentir à ce chan- 
gement. Dans le Monténégro et THerzégovine il ar- 
rive souvent que le frère aîné du chef de la famille 
lui succède après sa mort. A défaut de frère , le fils 
aîné remplace son père dans cette dignité. Lorsque 
ce frère ou fils atné est lui-même trop vieux ou in- 
capable de gérer les affaires par suite d'infirmités , 
son frère cadet peut devenir chef de famille. Mais, ou- 
tre le consentement des autres associés, il doit obtenir 
la bénédiction solennelle de son frère aîné. 

Les Serbes ont une grande estime pour l'âge, comme 
nous l'avons dit. c Sans l'obéissance aux vieillards , 
» point de salut. i> C'est là une de leurs maximes ; 
mais elle ajoute que « si l'âge est la tête, la jeunesse 
» est la force ; » raison incontestable pour laisser aux 
jeunes hommes vaillants l'administration d'une com- 
munauté, lorsque les vieillards, brisés par l'âge, ne 
peuvent plus répondre à tous les besoins de la fa- 
mille. Il résulte de là que si l'administration se trouve 
dans les mains du plus jeune pendant la vie d'un père 
vieux ou d'un frère aîné infirme , la réprésentation 
extérieure de la maison reste toujours à celui qui pos- 
sède encore la dignité de chef et qui garde la prési- 
dence dans tous les actes solennels et religieux (1). 

(t) l/àge joue un grand rôle dans les communautés serbes et modifie 
beaucoup les droits des associés. On respecte surtout chez les hom- 
mes âgés leur expérience. « Le diable , dit-on , en sait beaucoup , 
parce qu'il est vieux. » Une grande obéissance est due aux hommes 
ainsi qu'aux femmes d'un âge avancé. I^es vieillards ont droit ù la pré- 
séance dans les conseils de famille» et ils sont assis pendant les repas, 
tandis que les jeunes associés restent debout. On ne les tutoie jamais; 
ou les appelle petit oncle ^ petit père ou petite mère^ petite tante. Les 
sœurs ne tutoient pas leurs frères aînés. Les jeunes gens ôteut leur 



38 LE DROIT COUTUMIER 

Ce sont donc surtout les qualités personnelles qui 
décident de l'élection du chef. Voilà pourquoi on peut 
élire une femme à cette dignité ; et même il ne serait 
pas absolument impossible qu'une fille eût la prési- 
dence de la maison, à condition qu'il n'y eût pas 
d'hommes adultes dans la communauté. La veuve du 
dernier chef de famille s'empare de l'administration , 
si ses enfants sont encore trop jeunes et que son mari 
n'ait point laissé de frères après sa mort. Mais , dès 
que le fils aîné atteint l'âge où il peut disposer de sa 
fortune , sa mère lui cède la place. Dans l'Herzégo- 
vine , la femme n'est jamais appelée domaéin ; elle 
ne prend pas ce titre , mais elle le donne à son fils 
aîné, fut-il encore au berceau. 

Nous avons dit qu'une fille se met quelquefois à 
la tête de la communauté. Ce cas est extrêmement 
rare; car, lorsqu'une fille est la seule héritière, son 
mari entre dans la maison pour continuer l'ancienne 
communauté. Le recueil de M, Bogiàié mentionne un 
cas qui nous paraît trop caractéristique pour n'être 
point cité, quoique ce ne soit qu'une simple excep- 
tion. Il y a actuellement, dans la ville de Sérajévo , 
une communauté placée sous la présidence d'une fille. 
Sa mère et ses frères se sont volontairement soumis à 
son autorité. Elle dirige un pensionnat de jeunes filles 
et soutient par son travail toute la maison. Comme 
elle a beaucoup voyagé , ses compatriotes la regar- 



chapeau devant les vieillards, et ils baisent les mains à ceux qui 
ont acquis une grande vénération dans la famille. Jamais un jeune 
homme ne se permettrait de quereller quelqu'un en présence d'un vieil- 
lard , et on se garderait bien aussi de rester assis lorsqu'il passe. Les 
jeux, les plaisanteries frivoles ne se font pas non plus en présence 
d'hommes ou de femmes avancées en âge. 



1 



DES SLAVES MÉRIDIONAUX. 39 

dent très-respectueusement comme un être extraor- 
dinaire; aussi n'a-t-on pas hésité à lui confier l'admi- 
nistration de la famille. Cet exemple seul prouve que 
l'individualisme se développe aussi dans la commu- 
nauté, et qu'on sait estimer la valeur d'une forte 
personnalité. 

L'âge où les femmes renoncent à la dignité de chef 
de famille en faveur de leur fils n'est pas tout à fait 
précisé. Dans l'intérieur de la principauté serbe, il 
paraîtrait que les fils atnés entrent en possession de 
leurs droits lorsqu'ils ont atteint leur vingtième an- 
née. Toutefois, M. Bogiàié ne croît pas que ce terme 
ait été vraiment fixé par la coutume; il pense plutôt 
que l'enfant devient le chef de la famille dès quMl 
s'est montré capable de gérer les affaires. 

En Serbie , on fait subir un véritable noviciat aux 
membres les plus âgés, à ceux qu'on croit les plus 
capables, et celui qui se montre le plus intelligent 
est nommé chef définitif de la maison. La commu- 
nauté accorde souvent au dernier chef le droit de 
désigner son successeur. Mais ce privilège ne se donne 
qu'à ceux qui ont acquis beaucoup de considération 
dans la maison. Si les associés ne peuvent pas s'en- 
tendre sur le choix de la personne qui doit devenir 
leur chef, on fait décider la question par la commune, 
ou bien on tire les noms au sort. Comme toutes les 
actions importantes de la vie chez les Serbes ne se 
font qu'avec la consécration religieuse, la nomination 
d'un chef a toujours lieu solennellement. C'est ordi- 
nairement à la fête de Noël , le repas fini , qu'on 
apporte le pain appelé ^snica. Dans ce pain, on 
a mis une petite pièce de monnaie en argent, un 
grain de froment, du maïs et des pois. Un cierge est 



40 LE DROIT COUTUMIER 

allumé; tous les convives se lèvent, font le signe de 
la croix et récitent une prière composée pour la cir- 
constance. Le plus âgé rompt ensuite le pain en autant 
de morceaux qu'il y a de candidats, et celui qui a le 
morceau où se trouve la pièce de monnaie devient 
le domaéin* 

Il y a des contrées où cette dignité s'acquiert par 
héritage. Dans l'Herzégovine , par exemple , l'élection 
d'un chef n'a lieu que lorsque le défunt est mort sans 
désigner son successeur. Il arrive également qu'on ne 
devient chef, ni par élection , ni par succession , mais 
qu'un des membres s'empare peu à peu de cette di- 
gnité. Si le ménage prospère sous son administration , 
et que tout marche à la satisfaction de la commu- 
nauté , il flnit par être admis de droit comme le chef 
de la maison. Mais les abus se glissent partout, et 
on voit des hommes se mettre quelquefois à la tête 
d'une association , soit par la force brutale , soit par 
une ruse criminelle. La paix cesse alors de régner 
dans la famille où cette usurpation de pouvoir a lieu , 
et le partage devient inévitable, si les associés ne 
s'entendent pas pour chasser l'usurpateur. De pareils 
cas heureusement sont rares. 

Quant aux droits du chef de la communauté, voici 
en quoi ils consistent d'ordinaire. Il a d'abord toutes 
les prérogatives que lui donne son âge; il préside les 
assemblées de famille et représente la communauté 
dans toutes les affaires extérieures et vis-à-vis des auto- 
rités publiques. Autrefois, quand la corvée existait, il 
en était exempté. Il administre les biens de la famille 
qui s'est mise sous sa garde, de sorte que nul ne peut 
disposer des objets ayant une certaine valeur sans sa 
permission. Toutefois il n'a pas le droit de comman- 



DES SLAVES MÉRIDIONAUX. 4i 

der aux membres de Tassociation : ceux-ci sont ses 
égaux, et ont tous le même droit de voter dans les con- 
seils de famille : le domadin n'est qxxeprimus inter pa- 
res : mais il peut los surveiller dans l'accomplissement 
de. leur devoir et leur désigner les travaux qu'ils ont à 
faire. C'est lui qui a la gestion de l'argent commun , 
et qui doit pourvoir au nécessaire de la maison. Dans 
certaines contrées, il doit même fournir le vêtement 
et la chaussure à tous les associés. Il est responsable 
de toutes les dépenses,! et ne peut toucher à l'argent 
commun ni pour ses propres besoins ni pour ceux de 
ses enfants. 

Un des plus grands et des pins saints devoirs 
du chef de la communauté , est de défendre l'hon- 
neur de la maison. Voilà pourquoi on exige de lui 
qu'il soit brave et vaillant. En général , il doit se con- 
sacrer entièrement à son office de chef, qui est de 
veiller soigneusement à la prospérité commune , de 
maintenir la paix à l'intérieur, d'arranger les diffé- 
rends entre associés, de protéger les veuves et les 
enfants , comme le ferait un père naturel. La commu- 
nauté a beaucoup de vénération pour son chef, qu'elle 
nomme souvent le maître de la maison , gespodai'. A 
table, on lui donne la place d'honneur; on le sert 
toujours le premier, et c'est lui-même qui distribue à 
chaque membre sa portion de& mets. On se lève, lors- 
qu'il entre. La danse, la musique ne commencent 
jamais en sa présence sans une expresse autorisation 
de sa part. C'est lui qui fait les honneurs aux convives, 
et on ne fume pas devant lui. 

Le domaéin n'a pas de juridiction criminelle; il 
peut admonester ceux qui désobéissent , mais non 
leur infliger des punitions corporelles , à moins qu'il 



42 LE DROIT GOUTUMIER 

ne s'agisse d'enfants ou de jeunes filles. Il doit même 
se garder de réprimander les hommes devant les fem- 
mes , les jeunes garçons et les enfants. En Bulgarie , 
c'est le mari qui est chargé de punir sa femme cou- 
pable. Le conseil de famille s'assemble le soir , après 
le souper , devant l'église , et là se jugent les crimes 
et les délits. Dans les cas de condamnation , le coupa- 
ble est ordinairement exclu de la communauté. Il n'y 
a jamais d'appel devant les tribunaux dans les provin- 
ces turques; mais, en Bulgarie, l'appel se fait très-sou- 
vent devant le conseil municipal, le curé ou l'évêque. 
En Autriche , on invoque le secours des autorités pu- 
bliques contre le récalcitrant, et l'exclusion de la com- 
munauté est notifiée presque toujours aux tribunaux ; 
on leur livre même le coupable pour qu'il soit jugé 
d'après les lois. 

Le maître de la maison , comme nous l'avons déjà 
dit , représente la communauté dans toutes les affaires 
extérieures. C'est lui qui se met en rapport avec les 
autorités religieuses, politiques et communales. Il est 
responsable du paiement des impôts , et il doit en 
outre veiller à ce que les ordres des autorités ecclé- 
siastiques soient ponctuellement exécutés, surtout 
en ce qui regarde l'éducation des enfants. Mais il 
n'est point responsable des actions de chaque mem- 
bre. On lui impose seulement le devoir de désigner 
aux autorités publiques ceux qui refusent d'obéir aux 
lois et aux ordonnances de l'Etat. Il représente aussi 
la famille dans le conseil municipal et vote pour elle 
à l'élection des anciens. 

Quant à ses droits sur la fortune de la communauté, 
il peut vendre ou acheter certaines choses de petite 
valeur; mais la vente et l'achat doivent être faits dans 



DES SLAVES MÉRIDIONAUX. 43 

l'intérêt de la maison. Pour des opérations plus im- 
portante, il lui faut le consentement de la com- 
munauté. Il peut en outre acheter ce qui est absolu- 
ment nécessaire , mais il doit en rendre compte au 
conseil de famille. Dans les confins militaires, le chef 
a le droit de vendre les biens meubles , mais jamais 
les biens immeubles. Son pouvoir d'aliéner dépend , 
en général, de l'autorité morale dont il jouit. S'il est 
aimé et estimé , ses pouvoirs sont plus étendus que 
ceux d'un autre chef ne possédant pas toute la con- 
fiance de ses associés. 

Quand le chef agit contre les intentions de la com- 
munauté , ses associés peuvent le destituer ; mais , le 
consentement de tous est nécessaire. En Autriche, 
lorsque le chef ne veut pas renoncer volontairement à 
ses pouvoirs, on le fait destituer par les tribunaux. Dans 
les provinces turques , où le sentiment de l'indépen- 
dance et l'esprit national ont encore toute leur force 
primitive , on se garde bien, au contraire, d'invoquer 
l'assistance du pouvoir judiciaire ; c'est le conseil de 
famille qui destitue le chef indigne , et s'il oppose de 
la résistance à la décision du conseil , on l'exclut tout 
simplement de la communauté. Les destitutions ont 
ordinairement lieu , lorsque le maître de la maison est 
incapable de gérer les affaires , et que la famille , au 
lieu de prospérer, court le risque d'être ruinée. Si le 
chef est trop vieux, faible ou malade, et qu'il consente 
à abdiquer ses pouvoirs, on le laisse toujours figurer de- 
vant les autorités comme le maître de la maison. Mais 
on le destitue lorsqu'il devient aveugle ou fou , ou 
s'il est unanimement détesté par tous les membres 
de la famille ; s'il est enclin à l'ivrognerie, ou que sa 
conduite soit immorale ; s'il vient à subir des peines 



44 LE DROIT COUTUMIER 

infamantes; s'il est dissipateur ou seulement injuste 
envers ses associés, et même s'il est trop égoïste dans 
la gestion de la fortune. La destitution d'un tel chef 
se fait ordinairement le soir, après le souper. L'aîné 
de la famille lui énumère tous ses défauts; il lui fait 
voir la ruine qui menace la maison , et lui déclare qu'il 
est incapable d'être plus longtemps le chef de la com- 
munauté , et que toute la famille a décidé de lui donner 
un remplaçant. Il convient de dire ici que ce n'est 
presque jamais un des frères du chef qui proclame 
cette destitution; car, dans un pareil cas, la commu- 
nauté devrait procéder au partage des biens. 

Lorsqu'une destitution a lieu ou que le chef vient à 
mourir sans avoir désigné son successeur, c'est ordi- 
nairement le membre le plus âgé, celui qui avait 
souvent aidé l'ancien chef dans sa charge qui est 
nommé pour le remplacer. Cette manière de procéder 
est en usage dans les confins militaires croates , où 
l'élection est faite par l'autorité locale, lorsque les 
associés ne peuvent pas s'entendre sur le choix de 
leur nouveau chef. Quelquefois même Télection n'a 
pas lieu , et c'est le membre le plus âgé qui occupe 
immédiatement la place du maître destitué ou dé- 
funt, pourvu qu'il n'ait pas soixante ans. En Dal- 
matie, le frère du chef de famille passe généralement 
avant son fils ; dans quelques contrées seulement de 
cette province , ce dernier succède à son père. Il arrive 
parfois qu'on ne procède pas immédiatement à l'élec- 
tion d'un nouveau chef, k Konavlje , dans le cercle 
de Raguse, par exemple, on nomme parfois un sim- 
ple gérant ; et s'il justifie sa réputation , on l'établit 
chef définitif de la communauté. Il existe même une 
coutume en Bulgarie , qui fixe à quarante jours le 



DES SLAVES MÉRIDIONAUX. 45 

terme de la gestion provisoire. En Serbie , les chefs 
de famille sont nommés par élection , ou bien les 
associés les plus âgés se succèdent tour à tour. Tou- 
tefois, lorsque des frères ou des fils adultes survivent 
à l'ancien chef, le plus sage d'entre eux est nommé 
domaéin. Mais si le défunt ne laisse après lui qu'une 
veuve avec des enfants mineurs, un des voisins ou le 
cousin est appelé à gérer les biens de la maison jus- 
qu'à ce que l'un des enfants ait atteint l'âge qui lui 
permettra d'être chef. 

Après le chef de famille, c'est la domaéica, la maî- 
tresse de la maison , qui reçoit les plus grands hon- 
neurs dans la communauté. La domaéica est ordinai- 
rement la femme du domaéin. Elle conserve cette 
dignité, même après la ruort de son mari. Cependant 
si la femme du chef de famille est trop âgée ou qu'elle 
ne possède pas les qualités que cette dignité exige , on 
nomme à sa place la plus capable d'entre les femmes 
les plus âgées. On ne choisit une veuve que lorsqu'il 
n'y a pas d'autre femme à élire , et dans quelques 
contrées, on tfhésite même pas à préférer une fille, 
ce qui n'a jamais lieu daas l'Herzégovine ni dans le 
Monténégro. 

Nous avons déjà dit que le cadet de deux frères 
devient souvent chef de famille par suite de l'incapa- 
cité physique ou morale de l'aîné. Quand ce cas se 
présente, ce n'est pas la femme du cadet qui devient 
maîtresse de maison , mais la femme de celui qui a 
été destitué ou qui aurait dû être choisi. En Bosnie, 
si le cadet est marié , les deux belles-sœurs exercent 
alternativement cet emploi. Toutefois quand la mère du 
chef de famille vit encore, c'est elle seule qui est ordi- 
nairement reconnue comme la maîtresse de la maison. 



46 LE DROIT COUTUMIER 

Dans plusieurs contrées ^ les feoimes ont le droit 
de nommer elles-mêmes la. domaéica ; mais l'élection 
doit être confirmée par le conseil de famille. La source 
où nous puisons nos renseignements fait mention d'un 
usage isolé qui se rencontre dans un district du terri- 
toire de Raguse. Là on ne nomme jamais pour maî- 
tresse de maison la femme du chef de famille. On 
craint d'augmenter ainsi l'influence du domaéin , et 
on croit pouvoir mieux contrôler sa gestion avec une 
femme moins attachée à lui que sa propre épouse. 

Les droits et devoirs de la domaéica se concentrent 
dans l'intérieur de la maison. D*abord, elle est tout 
naturellement à la tète du ménage. La laiterie et le 
poulailler sont placés sous sa garde. Le produit des 
ventes du lait et de la volaille lui est remis , et c'est 
elle qui le donne au chef de la maison. Elle distribue 
le travail aux femmes placées sous sa surveillance , 
mais elle leur doit l'exemple d'une bonne ménagère 
et surtout d'une femme sage et vertueuse. Son devoir 
est d'interposer dans leurs querelles et d'y mettre fin. 
En général , elle répond de Tordre intérieur. Lorsque 
tous les travailleurs sont aux champs , dans les vignes 
ou les bois, la domaéica s'occupe des enfants, fait 
la cuisine et veille sur toute la maison. A table , elle 
a sa place à côté du chef de famille , avec qui elle fait 
aux convives les honneurs du repas , et qu'elle rem- 
place en cas d'absence. On la consulte pour le ma- 
riage des filles, dont elle prépare le trousseau; elle 
a même quelquefois voix décisive dans cette question. 

La domaéica ne veille pas seulement à l'ordre ma- 
tériel de la famille : elle a aussi des devoirs spirituels 
à remplir. Elle dirige l'éducation religieuse des jeu- 
nes filles, leur enseigne les prières quotidiennes, les 



DES SLAVES MÉRIDIONAUX. 47 

conduit à l'église les jours de fêtes et les initie à tous 
les travaux de la maison. Pendant les longues soirées 
d'hiver, quand les travaux des champs sont suspen- 
dus , que le vent souflEle au dehors et que le feu pé- 
tille dans Tâlre, la domaéica rassemble les jeunes 
filles autour d'elle pour leur faire de charmants contes 
ou des récits populaires qu'elles écoutent pieusement ; 
histoires morales que se transmettent les généra- 
tions , et qui sont la consolation des peuples dans 
le malheur , les gardiens fidèles de leur nationalité 
contre le despotisme d'un conquérant. C'est de la 
bouche même de la domaéica que les jeunes filles 
reçoivent ce trésor populaire qu'elles légueront plus 
tard à leurs enfants. Durant ces veillées brumeuses , 
les jeunes filles ne restent pas inaclives : elles tien- 
nent presque toutes la quenouille , et la bonne vieille 
mère fait bourdonner son rouet en leur chantant 
une poétique chanson nationale , qui est , pour ainsi 
dire , l'histoire du pays mise en musique. Le Serbe 
est un peuple essentiellement musicien. Le chant 
accompagne presque tous les instants de sa vie. 
Dans la joie comme danâ la tristesse, la musique 
ne le quitte jamais. Et qui pourrait mieux enseigner 
ces chants patriotiques , si beaux et si naïfs , que la 
bonne mère , cette compagne inséparable de ses en- 
fants à la maison comme à l'église, à la danse comme 
à la prière ? 

Les devoirs de la domaéica ne sont pas bornés 
aux vivants : elle s'occupe aussi de ceux qui ne sont 
plus. Le culte des morts est un des plus sacrés chez 
le peuple serbe. Les messes pour les défunts se cé- 
lèbrent le samedi chez les orthodoxes. La maîtresse 
de la maison ne manque jamais d'y assister. Elle ho- 



48 LE DROIT COUTUMIER 

nore ainsi de ses prières la mémoire des ancieûs ap 
pelés dans une autre vie , et le culte des morts se 
perpétue de la sorte à travers les générations. 

La charge d'une maîtresse de maison est donc fort 
belle et même très-digne d'envie. La femme qui la 
remplit avec dignité est nécessairement aimée et es- 
timée de toute la famille. On se fait un plaisir de lui 
faciliter sa charge. On lui rend tous les honneurs pos- 
sible. Elle reste néanmoins soumise au chef, le con- 
sulte dans toutes les questions importantes, et devient 
ainsi l'intermédiaire naturel entre le domaéin et les 
autres associés. 

On connaît maintenant tous les droits et les devoirs 
du chef de la famille et de la maîtresse de la maison. 
Nous allons exposer ceux des autres associés. Ils sont 
au fond les mêmes dans toute association libre : tous 
les membres participent également aux biens com- 
muns , et tous doivent réunir leurs forces et leurs 
travaux pour le salut et la prospérité de la commu- 
nauté. Chaque membre a sa quote-part des bénéfices, 
et il a le droit d'être nourri , logé et habillé par l'as- 
sociation. Le droit de vote est le même pour tous dans 
le conseil de famille, et chacun a le droit d'introduire 
des convives aux repas de la maison. Un associé peut 
sortir de la communauté; il peut même aller s'établir 
en pays étranger , mais il doit obtenir le consente- 
ment du chef, ainsi que nous le dirons plus tard, 
même pour sortir temporairement de la communauté. 
Parmi les Serbes orthodoxes, tout membre a le droit 
d'aller au moins une fois en pèlerinage au mont 
Athos en Grèce , où les anciens princes de la Serbie 
firent construire des monastères qui ont toujours été 
regardés par les Serbes comme des sanctuaires dignes 



DES SLAVES HéRIDfONÂUX. 49 

de la plus grande vénératioD. L'histoire nationale a 
jeté de profondes racines dans ce peuple. 

Ce qui modifie beaucoup ces divers droits des asso- 
<^iés , c'est Tâge et le sexe. Les enfants et les jeunes 
filles ne jouissent pas de tous les droits accordés aux 
adultes. L'âge de l'enfance est fixé différemment par 
la coutume , suivant la contrée. Dans les confins mip» 
litaireS; l'enfance finit à dix ans, et à vingt-quatre ans 
on acquiert tous les droits ; mais ce n'est qu'à la tren- 
tième année que commence l'âge viril. La coutume 
serbe, au contraire, attache moins d'importance à 
l'âge, c Qui est sage est assez vieux, » dit un proverbe ; 
€t nous avons déjà relevé ce principe à propos de 
l'élection du chef. Celui qui est capable d'accomplir 
les travaux et de remplir les devoirs d'un homme 
adulte peut donc en exercer aussi tous les droits. 
L'homme marié est , du reste , plus estimé dans la 
famille que le célibataire. 

Dans l'Herzégovine et le Monténégro, l'enfant com- 
mence à exercer ses droits dès qu'il est en état de 
porter les armes , c'est-à-dire au plus tard à dix-huit 
ans ; il acquiert alors le droit de voter dans le con- 
seil de famille. Mais les femmes ne jouissent pas du 
droit de vote dans toutes les contrées. Au Monté- 
négro, elles ne sont admises dans les délibérations 
que lorsqu'on y traite des questions très-importantes. 
Dans d'autres contrées serbes, les conseils des fem- 
mes , surtout des femmes âgées, sont toujours reârpec* 
tés et recherchés quoiqu'on leur accorde rarement le 
droit de voter. En Dalmatie il paraît qu'elles l'obtien- 
nent presque toujours. On cite pourtant diverses con- 
trées où ce privilège n'est exercé que par la maîtresse 
de la maison. Dans les confins militaires , les femmes 

4 



50 LE DROIT GOUTUMIER 

peuvent voter, si elles n'ont pas un homme pour re- 
présentant. Ce droit n'appartiendrait donc qu'aux veu 
ves dont le fils n'a pas encore atteint l'âge adulte. En 
Bulgarie y tous les hommes mariés peuvent voter daiis 
le conseil de famille. On ne donne cependant une 
véritable valeur qu'à la voix d'un associé ayant ac- 
compli ses vingt-cinq ans. 

Le conseil de famille s'assemble ordinairement après 
le repas du soir , lorsque le travail de la journée est 
fini et que tous les membres peuvent se réunir au- 
tour du foyer domestique ; car c'est là , en hiver, que 
se tiennent presque toujours les conseils. Ils s'assem- 
blent aussi parfois après la messe , les jours de gran-» 
des fêtes. En été , on s'assied à Tombre d'un arbre , 
et là ons'occupe des questions importantes qui inté- 
ressent la communauté. Le chef parle le premier sur 
les afiàires de la maison. Il rend compte de ce qu'il a 
fait, il développe ses projets pour l'avenir, et il énu- 
mère tout ce qu'il convient d'entreprendre. La dis- 
cussion s'ouvre ensuite ; et quand tout le monde est 
d'accord , les ventes et les achats faits par le domaém 
sont ratifiés et l'on adopte le programme exposé par 
le maître de la maison. 

Dans une famille où règne la concorde, où le chef 
jouit de la confiance générale , les discussions ne 
sont jamais longues ni passionnées. On accepte pres- 
que toujours les propositions du domaéin, et on se 
soumet à la décision des membres les plus âgés, 
quoique les opinions varient bien souvent; mais les 
plus jeunes déclarent ne pas vouloir faire de l'oppo- 
sition à une sage expérience tant de fois éprouvée , 
car ils estiment trop l'âge mûr pour chercher à im- 
poser leur propre décision. Le parti qui adopte les 



DES SLAVES MÉRIDIONAUX. 51 

projets du chef décide Tafifaire en litige , et l'autre se 
soumet presque toujours. 

Dans quelques contrées des confins militaires, c'est, 
au contraire, la majorité qui tranche les questions. 
S'il y a partage, la voix du chef l'emporte. On lui laisse 
également la liberté d'agir selon sa volonté , lorsque , 
après une longue discussion , on ne parvient pas 
à s'entendre. En Bulgarie, il faut l'unanimité des voix 
dans toutes les affaires importantes , et le veto d'un 
seul membre peut empêcher les plus sages résolutions 
du conseil de famille. On entoure alors l'opposant ; on 
emploie tous les moyens persuasifs pour qu'il retire 
son veto; on le supplie de ne pas compromettre l'har- 
monie intérieure ; on lui fait voir la honte qui retom- 
berait sur la maison , si les voisins connaissaient un 
pareil désaccord ; la famille deviendrait la risée de 
tout le village. Il est rare que l'opposant ne se rende 
pas aux instances et aux prières de tous les associés » 
et la paix revient presque toujours. 

On voit par là que le conseil de famille a pour ob- 
jet principal les intérêts vitaux de la communauté. 
Il restreint considérablement la sphère d'action du 
domaéin^ qui ne peut, en général, décider seul que 
les affaires courantes. Lorsqu'il s'agit d'une question 
importante, acheter ou vendre un immeuble, par 
exemple , ou simplement du bétail , il doit toujours 
convoquer le conseil. Il lui est défendu de faire des 
emprunts à des étrangers ou de contracter des dettes 
considérables pour la maison , sans un consentement 
exprès. Le conseil règle, en outre, tout ce qui a rap- 
port aux relations extérieures de la famille , et seul 
il peut décider le partage de la communauté. Le chef 
doit également convoquer ses associés , lorsqu'il se 



'■ 
.< 



52 LE DROIT GOUTUMIER 

présente une question d'honneur ou de moralité qui 
intéresse tous les membres, en un mot dans les circon- 
stances exceptionnelles réclamant des moyens extraor- 
dinaires. Ce que le conseil décide encore , ce sont les 
mariages ; car le domaéin doit veiller à ce qu'il n'y 
ait pas trop de couples mariés dans la maison, ce qui 
pourrait nuire au bien-être de la communauté. Il 
convient aussi quelquefois d'empêcher ou de retarder 
l'union des membres qui n'ont pas encore l'âge du 
mariage ni les qualités nécessaires pour le contracter. 
La coutume serbe prescrit un certain ordre pour les 
mariages , et il appartient au chef d'en surveiller ri- 
goureusement l'exécution. 

La coutume serbe exige que Tainé se marie avant 
les cadets. Une seule exception est admise pour le cas 
où celui-là renonce au mariage, soit volontairement, 
soit forcé par quelque infirmité corporelle ; mais il 
doit donner expressément à son frère la permission 
de se marier. Les filles précèdent toujours leurs frè- 
res dans le mariage. Cependant, lorsqu'une des sœurs 
est mariée, et l'autre encore enfant, le frère peut ne pas 
attendre que celle-ci soit nubile. Le même ordre est 
rigoureusement observé en Bulgarie. On exclurait 
sévèrement de la communauté celui qui le viole- 
rait. 

Une question très-importante est de savoir si la 
coutume serbe reconnaît un pécule aux membres de 
la communauté. On sait combien le peuple slave, 
en général , tient au principe de l'association. Pour 
lui, le partage c'est l'isolement de la famille ou 
la misère , l'état le plus déplorable qui puisse exis- 
ter. Il est donc permis de croire que la commur- 
nauté serbe n'accorde pas à ses membres un droit 



DES SLAVES MÉRIDIONAUX. 53 

au produit de leur travail et ne leur permette pas 
d'enlever ainsi une part quelconque du bien commun. 
Un proverbe dit : « En quelque lieu que soit conduite 
1 la vache, c'est toujours à la maison qu'elle vêle. » 
De quelque manière donc que l'associé s'enrichisse , 
il doit partager son gain avec la communauté. Celui 
qui garderait pour lui seul le produit de son travail 
serait détesté et chassé de la famille. Le bien commun 
est une espèce de talisman pour le Serbe ; en déro- 
ber une portion , ce serait comme t si on se coupait 
» la main. » Le pécule est donc regardé d'un mauvais 
œil par le peuple; il est pour ainsi dire synonyme 
de désordre , car il engendre fatalement le partage 
des communautés. 

La coutume serbe, néanmoins, reconnaît un certain 
pécule ; mais cela vient de quelque influence étran- 
gère. On le trouve aussi en diverses contrées , où 
les effets d'une pareille influence ne se découvri- 
raient pas facilement! Dans l'Herzégovine et le Moù- 
ténégro , par exemple , il y a bien moins d'objets 
appartenant au pécule qu'en Autriche-Hongrie. Au 
Monténégro, les immeubles ne peuvent jamais en 
constituer un pour les associés ; on permet seule- 
ment de garder le butin fait à la suite d'un combat. 
Les armes de l'ennemi appartiennent au vainqueur. 
On permet aussi aux prêtres de retenir les dons 
casuels qui leur sont faits pour un mariage, un bap- 
tême ou un enterrement; mais ils doivent donner à 
l'association les taxes annuelles qu'ils perçoivent sur 
les habitants à titre de traitement. Ce qu'un associé 
gagne à l'époque où les travaux chôment lui appar- 
tient en propre, ainsi que les objets qu'il trouve et 
les dons qu'on lui fait. Les associés , marchands oa 



54 LE DROIT GOUTUICIER 

artisans, peuvent regarder comme leur propriété par- 
ticulière tout ce qu'ils gagnent par leur commerce 
ou leur métier. Les jeunes gens gui se consacrent à 
la marine ont également le droit de garder pour eux 
tous les bénéfices de leurs voyages sur mer ou de 
leurs expéditions. La dot de la femme est considérée 
comme son pécule propre. Elle consiste ordinairement 
en bétail, vêtement, parure , etc.; très-rarement en 
immeubles. Dans quelque partie de la Serbie , le bé- 
tail et les immeubles de la dot sont parfois pla- 
cés hors de la communauté et entre les mains d'un 
paysan du village , qui partage avec la femme les ré- 
coltes ou les produits. 

Chez les Bulgares , les femmes seules ont droit à 
un pécule. Elles gardent comme leur propriété parti- 
culière les cadeaux reçus de leur mari le jour du 
mariage, ainsi que l'héritage de leurs parents. Quant 
à la dot , quelle qu'en soit la nature , bétail , immeu- 
l)les ou argent, elle entre dans la communauté; la 
femme ne peut la reprendre qu'au moment du par- 
tage de l'association , et sans pouvoir exiger les fruits 
déjà perçus. 

Un usage très-répandu parmi les Serbes est d'en- 
voyer un ou plusieurs membres de la communauté 
chez une nation voisine pour y chercher fortune. Si 
la demande est faite par l'associé au chef de la fa- 
mille , il doit , avant de partir , nommer un rempla- 
çant ; mais s'il est eiîvo^ par la communauté elle- 
même , ou qu'il ne se réserve pas le profit de son 
travail à l'étranger, celui qui part se trouve exempté de 
cette obligation. On entreprend aussi des voyages en 
pays étranger, lorsqu'il n'y a plus aucun travail dans 
la maison, ou que la misère force quelques membres 



DES SLAVES MÉRIDIONAUX. S5 

à s'expatrier temporairement. Dans ce cas , le profit 
appartient toujours à la communauté. Les familles 
bulgares suivent à peu près le même usage. Lorsqu'il 
y a deux frères, le cadet s'en va d'habitude chercher 
>âu travail hors de la maison. 

Il arrive assez souvent que des associés restent ab- 
sents pendant des années entières. Ils se livrent au 
négoce et amassent presque toujours une petite for- 
tune. Doivent-ils céder leur gain à la communauté , 
-lorsqu'ils retournent dans leur famille? ou peuvent- 
ils le considérer comme leur pécule personnel î II ne 
paraît pas qu'il y ait d'usage général sur ce point* 
Cependant si l'associé a quitté sa famille par ordre du 
.chef, ce qu'il a gagné appartient à la caisse commune. 
Mais s'il est parti de sa propre volonté, il ne doit 
rien à l'association , il peut garder son gain. Les com- 
munautés passent quelquefois des conventions avec 
ceux qui partent pour un temps indéterminé. Ces 
sortes de contrats tranchent alors la question du gain ; 
mais l'associé donne presque toujours une partie de 
son pécule à la communauté , surtout si elle est plus 
.pauvre que l'heureux émigrant. Par contre, si la com- 
munauté est riche , elle soutient son associé , lorsqu'il 
^e trouve dans une situation malheureuse. 

L'associé absent ne perd jamais ses droits sur les 
biens de la communauté , quand même il passerait 
plusieurs années hors de la maison. En cas de partage^ 
il retire sa quote-part , mais non sur les biens acquis 
pendant son absence ; car il n'a pas contribué à leur 
tacquisition. Les Serbes de Hongrie refusent même 
^quelquefois à l'associé sa quote-part , s'il est revenu 
dans la famille sans y apporter quelque chose de son 
^gain. Dans l'Herzégovine on le reçoit toujours à 



56 LE DROIT GOUTUMIER 

bras ouverts , quand même il aurait tout perdu et 
qu'il serait malheureux; car, dit-on : « Dieu l'a voulu 
ainsi. » En Bulgarie, celui qui rentre à la maison ne 
peut demander aucun compte touchant l'administra- 
tion des biens communs» s'il ne donne pas au chef 
Targent qu'il a gagné. Pendant les années de dé- 
tresse, l'associé riche et absent ne manque jamais de 
fournir à la communauté ce qui lui est nécessaire 
pour vivre ; il ne la laisse pas dans la misère quoi- 
qu'il ne paraisse pas que la communauté puisse ré- 
clamer cette assistance comme un droit. L'associé n'est 
obligé que moralement à soutenir sa famille et à l'ai- 
der de sa fortune. Aussi le jour où la situation de la 
communauté s'améliore et où la prospérité revient^ 
on rend à l'associé tout ce qu'il a fourni, quelquefois 
même avec les intérêts. A Konavlje, l'associé qui se 
refuserait à secourir sa famille dans le malheur serait 
immédiatement exclu de la communauté. De pareils 
cas sont rares. 

La charité est un des traits caractéristiques du peu- 
pie serbe. On ne refuse jamais l'aumône à un men- 
diant. Les aumônes se font pour le salut de l'àme, 
et souvent en mémoire d'un cher défunt ou pour la 
prospérité des parents, des frères, des sœurs ou des 
enfants qui vivent encore. Celui qui fait l'aumône, 
dit en lui-même : « Que Dieu assiste mon cher A.l » 
ou bien « qu'il pardonne à l'âme de X. ! » Partant de 
là, l'aumône n'est jamais refusée à celui qui l'implore. 
€ Qui mendie , porterait-il même une couronne , doit 
• recevoir. > C'est une maxime du peuple serbe. La 
misère est considérée par lui comme un fléau de 
Dieu. Jamais il ne lui viendrait à la pensée de l'impu- 
ter à rhomme. c Le bâton du mendiant et sa be- 



DES SLAVES MÉRIDIONAUX. 57 

sace, > dit un proverbe, < viennent de Dieu. » Ces 
idées font que, dans le Monténégro , la communauté 
ne rend jamais les avances d'argent qui lui ont été 
faites par un de ses associés durant une grande dé- 
tresse. 

Parmi les droits de l'associé , nous avons cité 
celui d'être nourri et habillé par elle; mais on ne 
doit point lui fournir tous les vêtements. En général, 
la communauté ne donne que la coiflFure , la chaus- 
sure et un vêtement chaud pour l'hiver. Les gardiens 
des bestiaux ont seuls droit à un vêtement complet. 
Dans quelques contrées de la Serbie , la commu- 
nauté ne doit à ses membres que les habits de fêtes. 
Les associés achètent donc eux-mêmes leur habille- 
ment; car tout ce qui leur est nécessaire se con- 
fectionne dans la maison. Les femmes font tous les 
travaux à l'aiguille pour elles comme pour leur mari , 
leurs enfants et leurs frères, pour ceux, du moins, 
qui ne sont pas mariés. C'est dans ce but que la com- 
munauté assigne aux femmes quelques arpents de 
terre près de la maison pour la culture du chanvre 
et du lin. Dans le c comitat » de Sriem (Syrmium), 
des communautés riches ont la coutume de partager 
entre les associés le profit net de chaque année , ce 
qui leur permet d'acheter eux-mêmes les vêtements 
nécessaires. Chez les Bulgares, la communauté pro- 
cure à ses membres tout ce qui peut être confec- 
tionné dans la maison. 

Nous n'avons parlé jusqu'à présent que des devoirs 

6t des droits de la communauté et des hommes , ses 

associés. Il nous reste à dire maintenant quels sont 

les droits et les devoirs des femmes et des flUes. Cette 

étude intéressante montrera quelle est, en général, tou 



58 LE DROIT GOUTUMIER 

position de la femme chez les Serbes. Hais, pour bien 
élucider cette question, il nous faudrait faire connaître 
la vie intime de la famille naturelle. Nos recherches 
suffiront du moins pour démontrer que le Serbe sait 
estimer la véritable dignité de la femme, et qu'il est 
toujours prêt à la défendre dans toutes les circonstan- 
ces où elle peut être menacée. Le peuple serbe est sans 
doute encore fort loin de l'émancipation des femmes, 
telle que la rêvent certains philosophes et politiques 
de rOccident ; mais si la femme est soumise à l'homme 
chez les Serbes, elle ne descend jamais au rang 
d'esclaves, c La maison repose sur la femme , et 
» non sur la terre, > dit un proverbe. Elle doit 
obéissance à son mari parce qu'il est la force et que 
4c la maison menace ruine là où commande la que- 
» nouille et où le glaive obéit. > Il n'y a rien de 
plus touchant que les rapports entre frère et sœur. 
La riche poésie serbe lui doit ses plus belles créa- 
tions. 

La femme serbe , il est vrai , travaille rudement ; 
mais on allège son lourd fardeau toutes les fois qu'on 
peut le faire. Ce qui dépasse ses forces est toujours 
exécuté par l'homme. Lui seul laboure, fauche et bat 
le blé : elle l'assiste seulement dans les travaux cham- 
pêtres. 

Le terrain véritable de son activité , c'est l'intérieur 
de la maison. Chez les Serbes, l'industrie domesti- 
que produit des fichus , des broderies en or et en ar- 
gent, des tapis, etc. Quelque prii^itifs que soient ces 
x)uvrages , on les trouve dans bien des grandes villes 
de r Au triche-Hongrie, et on voit, dans des salons 
élégants, ces beaux tapis de table nommés éilim, 
qui sont fabriqués par des paysannes serbes et ven- 



DES SLAVES MÉRIDIONAUX. 59 

dus quelquefois très-cher. Les femmes préparent 
également tout ce qui est nécessaire à l'économie 
intérieure de la famille. Elles fabriquent le savon, les 
chandelles, et pourvoient même la maison des remè- 
des les plus usuels. Ces divers travaux sont faits à tour 
de rôle. Les unes restent à la maison, les autres vont 
aux champs. C'est le sort qui décide. 

Quant à la division des travaux manuels , chaque 
femme travaille pour sa famille dans le sens restreint 
de ce mot, c'est-à-dire pour son mari et ses enfants, 
et , en outre , à son tour de rôle , pour les mem- 
bres non mariés de l'association et les orphelins. 
Dans une communauté qui sème et fournit elle- 
même le lin , le travail est distribué entre les femmes, 
sinon chacune file pour sa propre famille. Les vieilles 
femmes et les jeunes filles sont exemptées des tra- 
vaux trop rudes. On laisse aux jeunes filles le temps 
de préparer leur trousseau ou de gagner un petit pé- 
cule pour acheter une vache , si elles sont orphelines. 
Toute fille doit apporter quelque chose à son futur. 
Aussi ne s'occupe-t-elle jamais du ménage. 

Sauf le pécule , qui est la propriété de la femme , 
celle-ci ne peut aliéner que certains objets d'une 
petite valeur , par exemple vendre du lait. Le pro- 
duit des ouvrages manuels des femmes leur appar- 
tient , ainsi qu'une partie de la volaille , des œufs , 
quelquefois des fruits et du lin qu'elles récoltent 
sur les terres de la communauté. Mais , dans l'Her- 
zégovine, elles doivent rendre compte de tout le gain 
qu'elles font sur ces ventes. Les filles qui cueillent 
les olives en Dalmatie peuvent garder le profit de 
leur travail ; car on est très-indulgent pour elles y et 
on tolère même que la maîtresse de la maison leur 



60 LE DROIT GOUTUMIER 

achète en secret divers objets de toilette. La femme ^ 
au contraire, ne peut rien vendre à Tinsu de son mari 
et du chef de la maison. 

Les femmes forment souvent entre elles de petites 
communautés sous la présidence de la domaéica. De 
pareilles associations se composent surtout des sœurs. 
Elles administrent les biens qui leur ont été accordés 
par le conseil de famille. La vente de certains objets , 
dont la maîtresse de la maison peut disposer , est con- 
fiée à une des associées de cette petite communauté , 
qui fréquente les foires et rend compte à la domaéica 
de son gain. 

Quant aux vêtements , l'association leur fournit , 
ainsi qu'aux hommes , la coiffure , la chaussure et le 
manteau, que la plupart d'entre elles reçoivent de 
leur mari. Les autres objets de la toilette d'une femme 
sont faits par elle ; et la parure , elle l'achète de son 
argent. 

La femme peut posséder, comme nous l'avons dit, 
un pécule aussi bien que les autres associés. Tout ce 
que les invités de la noce lui donnent à l'occasion de 
son mariage , lui appartient , ainsi que l'héritage de 
ses parents. Tout ce qu'elle gagne par son travail 
hors de la communauté, devient de même un pécule 
sur lequel l'association n'a aucun droit; mais elle doit 
auparavant demander au chef la permission d'aller 
chercher fortune hors de la communauté , quand les 
travaux viennent à chômer. Ce n'est que dans les 
communautés pauvres que la femme et la jeune fille 
quittent le toit paternel , et ce sont alors plutôt les 
filles , surtout les orphelines , qui s'en vont à l'étran- 
ger. Mais il arrive très-souvent que les femmes d'une 
autre communauté vont aider leurs voisines, lorsqu'il 



DES SLAYES AfÉRIDIONAUX. 61 

7 a chômage dans les travaux de leur propre maison. 
Cette assistance ne se fait que par amitié et dans aucun 
esprit de lucre. C'est à charge de revanche, comme on 
dit vulgairemenl. 

Le pécule des filles ne consiste que dans la dot. 

Le mariage des filles se fait ordinairement d'après 
leur rang d'âge comme celui des garçons ; mais , dans 
certaines contrées , cet usage cède toutes les fois que 
l'intérêt des filles l'exige. 

La fille devient, par son mariage, membre de la 
communauté de son mari. Lorsqu'elle est veuve, elle 
peut continuer à faire partie de l'association ; mais si 
elle préfère rentrer chez ses parents, ce qui est 
rare, elle en a le droit. Lorsqu'elle retourne chez ses 
parents, elle peut emmener avec elle ses enfants, 
à la condition qu'ils rentreront dans la communauté 
de leur père dès qu'ils auront atteint l'âge adulte. Si 
une veuve quitte la communauté de son mari, elle 
perd tous ses droits sur les biens de l'association. Il 
en est de même, lorsqu'elle se remarie. Une veuve 
quitte rarement la communauté et la demeure de son 
mari, car elle serait accablée de reproches. Cependant, 
si elle est encore très-jeune et sans enfants, et qu'elle 
n'ait plus ni beau-père, ni beau-frère pour l'aider dans 
ses pénibles travaux ou défendre au besoin son hon- 
neur, elle rentre chez ses parents. Le deuil de la 
maison qu'elle quitte est grand , et le départ est 
aussi douloureux pour la communauté que la mort de 
son mari. 

Les veuves contractent très-rarement une nouvelle 
union ; car la fidélité de l'épouse va presque toujours au 
delà du tombeau , et les Serbes regardent un second 
mariage comme une espèce d'outrage fait au mari dé- 



62 LE DROIT GOUTUMIER 

funt. Cependant, on excuse quelquefois une nouvelle 
union, et la communauté supporte même alors dans 
beaucoup de cas les dépenses des fiançailles. Mais les 
secondes noces ne sont d'habitude ni pompeuses, ni 
bruyai^tes. Un simple repas se donne, auquel très-peu 
de monde assiste , et on ne fait aucun cadeau. La ma- 
riée n'emporte avec elle que ce qui lui appartient , ou 
bien on lui donne les choses les plus nécessaires , si 
elle n'a rien; car il n'arrive jamais qu'une veuve 
épouse un ancien associé de son mari. D'abord, 
l'Eglise catholique ou orthodoxe défend une pareille 
union, à cause de la parenté, et, dans une très- 
grande communauté , où cet empêchement de mariage 
n'existerait pas , les époux ne seraient plus tolérés 
dans l'association. On rendrait au mari sa quote-part 
du bien commun , et il devrait sortir immédiatement 
de la famille. 

Quelques mots encore sur les domestiques et leur 
position dans la communauté. Le traitement des ser- 
viteurs est non-seulement humain , mais presque 
familier. Ils n'ont aucun droit sur les biens de la fa- 
mille ; car ce ne sont jamais de véritables associés. 
On prend soin, toutefois, de leur bien-être physique 
et moral , comme s'ils faisaient réellement partie de 
l'association. Les domestiques sont soumis au chef de 
la maison , et les servantes obéissent à la domaéica; 
mais les autres membres , et surtout les jeunes gens, 
sont presque avec eux sur le pied de l'égalité. 

Les domestiques se louent au printemps et presque 
toujours pour une année. La communauté leur donne 
la nourriture et les vêtements. Une rétribution en ar- 
gent est rare , surtout pendant la première année du 
service ; mais elle se rencontre. A la fin de l'année , 



DES SLAVES MÉRIDIONAUX. 63^ 

le domestique ne reçoit pas son congé, et, s'il veut 
rester dans la maison , le prix de ses gages est ré- 
glé et décidé par les autres domestiques , assemblés- 
dans ce but par le chef de la famille. Les paie* 
ments en argent sont très-modiques ; ils varient, sui- 
vant la contrée, entre 25, 35 et 40 florins par an. En 
-Bulgarie, dans les villes, les gages vont de 200 à 
1,200 groschen. La principale rétribution se donne 
toujours en nature. Une servante, qui reste plus d'une 
année dans la maison et dont la conduite est irrépro- 
chable , reçoit ordinairement une génisse comme ré- 
munération. Les domestiques déposent leurs épar- 
gnes entre les mains du chef de la famille , ou bien 
ils les envoient à leur père , et ce qu'ils ont gagné sert 
à payer les dépenses de leur mariage. Les servantes 
qui se marient reçoivent de la communauté un don 
de 6 à 12 florins. Quand un domestique se marie, il 
rentre chez son père. Son départ de la famille dans la- 
quelle il a servi est quelquefois fort touchant, et les re- 
lations entre ses parents et la communauté restent aussi 
intimes et amicales qu'entre deux proches parents. 
Il arrive très-rarement qu'un domestique se marie 
avec une fille de la communauté dans laquelle il sert, 
ou qu'un des associés épouse une servante. On ne 
voit de tels mariages que dans les communautés pe- 
tites et pauvres, qui sont près de s'éteindre et où se 
trouve une fille unique héritière. Dans ce dernier cas, 
le seul qui puisse se présenter, le domestique doit 
prendre le nom de l'ancienne communauté. 



III 



Les communautés slaves se composent de plusieurs 



64 LB DROIT GOUTUMIER 

familles oaturelles, comme nous l'avons dit plus haut. 
€epeDdant on rencontre aussi des familles naturelles 
en dehors des associations. Nous allons maintenant 
nous attacher à montrer que toute l'organisation de 
la famille est fondée sur le principe de la monoga- 
mie. 

Les Serbes ont des idées si rigoureuses sur les re- 
lations entre les deux sexes, et l'organisation écono- 
mique de la famille est telle que l'introduction de la 
polygamie n'y était guère possible. Gela est si vrai 
que , même dans les familles musulmanes d'origine 
serbe, la polygamie est très-rare , presque inconnue. 
Nous verrons bientôt que , par des raisons économi- 
ques propres à ces familles serbes» il n'est pas possible 
à tous les hommes de contracter mariage ; à plus forte 
raison ceux qui se marient ne sauraient-ils avoir plu- 
sieurs femmes. 

Nous retrouvons la monogamie chez tous les Sla- 
ves , qui sont même parfois portés au célibat jusqu'à 
l'exagération. On a de tristes preuves de cette vérité 
dans l'existence de plusieurs sectes russes , connues 
sous la dénomination d'Hommes de Dieu, de Skopci ou 
origénistes , Hlisty ou flagellants , Bezslovesnijé ou 
muets , etc. , et qui comptent de nombreux partisans 
dans toutes les classes de la société. D'après la doc- 
trine de ces diverses sectes, tout homme marié doit se 
séparer de sa femme ou bien vivre avec elle comme 
si elle était sa propre sœur. 

Un célèbre juriste autrichien , M. le professeur Un- 
ger, met , il est vrai , les Slaves au rang des peuples 
polygames. Dans son ouvrage intitulé : Le mariage 
dans son développement historique et universel, qui est 
un péché de jeunesse du savant écrivain , M. Ungèr 






D58 iSUiTfiB H1ÈRIDI0NA.UX. $f^ 

cite les Zaporoguesy les Strigolnici et plusieurs autr^ 
jsectes russes comme vivaot en polygamie vers la fia 
du dernier siècle , et il tire ses preuves des Notice^ 
sur la Russie f publiées en 1795 par GamphauseQ, aifisî 
gue du livre d'Ivanow : La Russie en 1795, dont il 
ne semble connaître cependant qu'une fort mauvaise 
traduction ; car M. Bogiàié n'a pu découvrir daw 
l'original le texte cité par M. Unger. Une remarque 
très-importante à £aire ici, c'est que les Strigotnici odSkt 
eessé d'exister au seizième siècle ; et d'après, un rap« 
port officiel du gouvernement russe, il n'y a de seo^ 
tes polygames dans aucune partie de l'empire. 

Quant aux assertions de Gamphausen, elles ne 
prouveraient rien, fussent-elles justes, parce qu'il 
s'agit de particularités spéciales à quelques groupes 
de Cosaques des frontières* Leurs villages étaient s^ 
trefois l'asile de tous les aventuriers du monde ; pour 
pette vie sauvage et guerrière qu'ils menaient, il leujr 
fallait beaucoup de bras. Leors combats continuels, 
aussi bien que l'affluence du rebut de toutes les na-* 
tions, devaient nécessairement corrompre les im^oirs^ 
Voilà comment leurs fréquentes débau^îbes ont pu par 
raitre de véritables institutions à Gamphausen, qui a 
^u le tort d'attribuer à' tous les Gosaques des vices qm 
n'existaient que sur certaines frontières. De là, viaa^ 
probablement la fable de la polygamie chez le» 
Zaporogues^ qui a induit en erreur M. Unger. Aprètf 
cette courte disgression , revanons à la famille serbe, 
dont nous allons décrire les intéressantes cérémonial, 
ou coutumes matrimoniales , qui sont encore rigois-^ 
reusement observées aujourd'hui. 

Les noces sont toujours précédées des flanoaSltes* 
Un père ne projioet sa fille an mads^ge que loirsqu'^Ili» 

5 



§6 LE DROIT GOUTUMIER 

est âgée de seize à vingt ans ; mais les garçons se 
marient ordinairement entre leur vingtième et vingt- 
cinquième année. Il est vrai que, d'après un proverbe 
monténégrin, ils prennent femme quand on leur ceint 
répée ; mais, en général, ce dicton ne se réalise pas. 
Chez tous les peuples , c'est le besoin d'une aide qui 
fjEdt les mariages. Le paysan prend une femme pour 
qu^il y ait plus de bras dans la famille. Les enfants 
eux-mêmes ne sont pas une charge , car on les fait 
servir dès [leur première jeunesse à l'exploitation. Les 
intérêts économiques doivent , en effet , exercer une 
grande influence sur la conclusion des mariages, sur- 
tout chez un peuple qui vit généralement en commu- 
nauté de familles. Si l'association ne possède qu'ifn 
petit nombre de ménages, les garçons se marient 
avant leur vingtième année ; s'il y en a trop , on 
ajourne ordinairement le mariage. Cette règle est sur- 
tout observée dans les pays peu fertiles et peu ri- 
ches, comme le Monténégro, par exemple, l'Herzégo- 
vine et toute la région des bouches de Cattaro. 

n y a d'autres circonstances encore qui font parfois 
négliger l'observation rigoureuse de cette coutume. 
Ainsi que nous l'avons dit au chapitre précédent , les 
filles se marient toujours avec leurs frères. Dans les 
confins de la Hongrie et de la Croatie, les garçons ne 
se mettent parfois en ménage qu'après avoir accompli 
leur temps de service militaire, ce qui a des consé- 
quences morales fort tristes ; car le soldat sous les 
drapeaux vit ordinairement en concubinage avec 
une fille ; et quoiqu'il l'épouse , lorsqu'il a obtenu 
son congé , une pareille conduite est toujours fatale 
aux bonnes mœurs. Mais cette coutume déplorable 
va certainement disparaître sous l'influence de l'ad- 



DES SLAVES MÉRIDIONAUX. 67 

ministratioD civile , gui régit désormais les confias 
militaires. Lorsqu'une communauté se trouve mena- 
cée dans son existence , parce qu'elle n'a plus qu'un 
seul héritier, celui-ci doit se marier après la mort de 
son père, quand même il n'aurait pas atteint sa quin- 
zième année. On lui cherche une fille sage et bonne 
ménagère; et comme il est trop jeune encore pour 
conduire. la maison, c'est sa femme qui dirige les 
•travaux domestiques. Hors ce cas tout à fait excep- 
tionnel, il est rare qu'un garçon épouse une fille plus 
âgée que lui. C'est seulement en Bulgarie qu'on trouve 
cet usage. Les maisons bulgares veulent souvent re- 
tirer un certain profit du travail de leurs filles, avant 
de les laisser sortir de la communauté. Tout père 
cherche aussi pour son fils une fiancée forte, habituée 
au travail et possédant une certaine expérience, qua- 
lités qui se rencontrent fort rarement chez une fille 
trop jeune. 

Dans les anciens temps , au contraire , on fiançait 
assez souvent des enfants encore au berceau. Deux 
hommes ou deux femmes, par exemple, se juraient 
une amitié éternelle et se promettaient sous forme de 
vœu de marier leurs filles avec leurs garçons, dans le 
cas où ils en auraient, ou de former entre leurs en- 
fants une confraternité, s'ils n'avaient que des garçons; 
et s'ils n'avaient que des filles , elles devaient conti- 
nuer l'amitié de leurs parents. C'était comme un hé- 
ritage de constante fidélité. Cependant de telles pro- 
messes faites au nom des enfants avaient quelquefois 
des suites très-dangereuses, et cette coutume ne s'est 
point maintenue. 

Le temps qui sépare les fiançailles du mariage n'est 
pas exactement déterminé ; il varie suivant les con- 



€8 LE 0fiOIT GOUTUMISm 

trées , entre deux mois et troiç ans. Dans certaiiies 
contrées occidentales, les fiançailles ont ordinairement 
lieu à la Saint-Martin ; mais» dans les orientales, c'est 
presque toujours au carnaval ; .et le mariage n'est cé- 
lébré qu'à l'automne suivant, parce qu'à cette époque 
de Tannée la maison est pourvue de tout ce qui lui 
est nécessaire pour l'hiver. Le gain fait à l'étranger 
par les associés qui voyagent est également rentré à 
rarrière-saison. On peut donc couvrir toutes les dé- 
penses de la noce. 

Si le garçon a lui-même choisi sa future , ses pa- 
rents ne s'opposent pas à son choix, pourvu que le 
conseil de famille l'ait autorisé d'une manière géné- 
rale à se marier. Hais dans le cas où le jeune honane 
n^aurait pas encore trouvé la fille de son choix, c'est 
le père qui lui en propose une , et le fils adhère or- 
dinairement par obéissance à ce choix de son père. 
La fille est alors demandée en mariage à ses parents ; 
mais la première visite se fait toujours de grand ma- 
tin pour que la demande reste ignorée du voisinage 
en cas de refus. Gomme les Serbes sont très-suscepti- 
bles dans ses sortes d'affaires et qu'un refus leur cau- 
serait beaucoup de peine, ils emploient généralement 
un intermédiaire. C'est parfois le domaéin du jeuae 
homme qui va lui-même sonder le terrain. En géné- 
ral, avant de demander solennellement la main d'uijie 
fille , on s'assure de son consentemeat et de celui de 
sa famille. 

A Gradiâka , le jeune homme cherche une occasion 
favorable et .dans le plus grand secret pour savoir 4e 
la fille elle-même si elle consenjtirait à l'épouâ^. 
Mais les filles de cette contrée, qui sont très-ei^iô- 
gles, laissent quelquefois languir assez longtemps les 



.' 



. 



DES SLAVES MÉRIBIONAUX. 69 

pauvres garçons avant d'accepter leur offre. Aussi ne 
refuse-t-on jamais directement la main d'une fille. On 
trouve toujours une excuse polie pour déguiser un 
refus, tantôt TafFection des parents qui ne pourraient 
se séparer de leur fille , tantôt la grande jeunesse de 
la fille qui ne leur permet pas de songer à la marier. 
Et si les parents n'ont pas été prévenus de la propo- 
sition de mariage, ils invitent celui qui la fait à reve- 
nir dans quelque temps , afin qu'ils puissent connaî- 
tre les intentions de leur fille sur le mariage projeté. 
Ue refus, même indirect, est donc toujours poliment 
adouci. 

Mais les démarches préliminaires ayant été faites , 
c'est le père du jeune homme qui rend la première 
visite. Il est accompagné de quelques-uns de ses plus 
proches parents. Dans divers endroits de la Croatie, 
c'est la mère qui va faire la demande en mariage ; 
une de ses amies l'accompagne. Elle apporte du ra/ct, 
espèce de ratafia ; et dès qu'elle voit la fille disposée 
à se marier, elle prend un verre et lui demande si 
elle veut boire de son raki. La réponse affirmative est 
toujours une preuve du consentement. Les provisions 
apportées par la mère sont alors offertes à la fille, et 
de plus un foulard de laine ou un essuie-main est 
donné à chacune des femmes. Le prétendu se rend 
aussi quelquefois avec plusieurs de ses amis chez les 
parents de la fille ; mais , dans ce cas , ce sont tou- 
jours les amis qui font la demande en mariage. Ils 
offrent de la liqueur et du pain aux membres de la 
famille en leur faisant un discours solennel, pendant 
lequel le prétendu distribue des pommes aux enfants; 
et il en jette une à la fille , s'il l'aperçoit quelque 
part. En Serbie, c'est un intermédiaire, i^rovodddi^iia,. 



' 



70 LE DROIT COUTUMIER 

qui fait la demande en présentant à la fille un bou- 
quet de basilic, au milieu duquel se trouvent quelques 
pièces de monnaie. Si elle accepte le bouquet , c'est 
une preuve tacite de son consentement. Le même 
usage existe en Bulgarie , mais c'est le prétendu qui 
apporte le bouquet. 

Les fiançailles se terminent rarement à cette pre- 
mière visite. A Brod , dans les confins militaires, on 
en fait quatre. Après la mère, c'est le père qui va 
voir la fille ; puis vient le tour du domaéin ; et à cha- 
que visite on se donne mutuellement des cadeaux. La 
quatrième » à laquelle assistaient fous les parents de 
la fille , n'est plus en usage ; mais on dédommage 
la fiancée en lui donnant une petite somme d'argent. 
Quant aux cadeaux , la fille les partage entre ses pa- 
rents ; les enfants et même les chevaux ne sont pas 
oubliés, car elle leur envoie des foulards de couleur 
qui servent à les parer le jour des noces. Lorsqu'on 
a obtenu le consentement de la fille et celui de ses 
parents, le père du prétendu invite ses amis à venir 
le voir , et il leur annonce le mariage du son fils en 
les engageant à faire avec lui une visite à la préten- 
due. La demande en mariage est alors renouvelée 
d'une manière solennelle, et le père de la fille donne 
de nouveau son consentement à peu près dans ces 
termes : « Je donne la main de ma fille au vaillant 
> N. Que Dieu soit avec eux ! > 

En Croatie , les invités vont ensuite déjeuner dans 
le voisinage, et pendant ce temps la prétendue revêt 
ses habits de fête et se rend à l'église avec une 
femme de la communauté. Puis , accompagnée d'un 
ami de son [prétendu , elle fait une visite à tous ses 
parents pour leur demander à chacun de consentir à 



DES SLAVES MÉRIDIONAUX. 7f 

son mariage. Après toutes ces visites, on va s'inscrire 
<5hez le prêtre , et tous les invités se rendent chez le 
père de la fille , où la journée se termine gaiement 
par le souper des fiançailles. C'est le prétendu qui 
fournit toujours le vin; mais s'il est particulièrement 
aimé du domaéin de la fiancée, celui-ci met sa cave à 
la disposition des convives. 

Pendant le souper, le prétendu et la prétendue 
échangent entre eux les anneaux , et ils se partagent 
aussi les cadeaux. La fiancée reçoit une pomme dans 
laquelle plusieurs pièces d'argent sont à demi enfon- 
cées ; puis elle donne un mouchoir à son fiancé. A 
Lika, la fille est parée ce jour-là comme au jour des 
noces. Son frère la conduit de sa chambre dans la 
salle du festin , et la présentant aux convives il 
s'écrie : « Qui veut prendre soin de ma sœur ?» Le 
témoin de la noce répond : c Dieu et moi. » Il prend 
ensuite la main de la fiancée , lui met au doigt un 
anneau et une pièce d'argent dans la main, et s'adres- 
sant aux convives il leur dit : « J'offre cet anneau à 

> cette honnête fille. Qu'il soit pour elle un gage 
j d'amour et de foi ! » Puis il se tourne trois fois de 
gauche à droite vers l'Orient , embrasse la fiancée sur 
la joue , lui offre une pomme avec des pièces d'ar- 
gent que la mère garde, mais pour les remettre plus 
tard à sa fille, et il prononce d^un ton solennel les 
paroles suivantes : « Que Dieu donne sa bénédiction 

> aux deux fiancés I Qu'ils jouissent ensemble d'une 

> longue et heureuse viel > Amen, répondent en 
chœur tous les assistants. Si le prétendu offre lui- 
même la pomme à sa prétendue , celle-ci la prend ; 
mais f au lieu de la donner à sa mère , elle la cache 
<dans son sein. 



79f LB DROIT GOUTUHIER 

À Rîsan, le père du prétendu offre Tanneau au pére^ 
de ta iSancée qui le remet à sa femme , et celle-ci le^ 
garde jusqu'au jour des noces. Les cadeaux ne sont 
échangés qu'à la troisième visite, et c'est alors que le* 
père du jeune homme apporte à la mère de la fiUe^ 
Bne belle robe, un fichu de soie et un morceau de sa- 
von pour chaque femme de la famille. Pendant le sou- 
per, on distribue divers cadeaux aux convives; on 
leur offre ordinairement des foulards, des bas ou des 
chemises. La fiancée donne un essuie-main à son fu» 
tur beau-père, et celui-ci lui met dans la main une- 
pièee d'argent. 

A Serajévo, en Bosnie, Tanneau est offert par le- 
témoin du mariage ; mais on le place aussitôt devant 
l'image d'un saint, où il reste jusqu'au jour des no- 
ces. Quelquefois, c'est le frère du prétendu qui offre 
la bague nuptiale à la fiancée, dont il prend les mains 
qu'il joint comme pour la prière, et, faisant le signe 
de la croix avec l'anneau , il le lui met au doigt et 
dit : € Au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Es- 
» prit. > 

Chez les Bulgares , le jeune homme , après avoir 
obtenu le consentement de la fille , va lui faire une 
visite quelques jours après avec ses parents. Celle-ci 
présente alors un bouquet à son prétendu, et on con- 
vient, à cette visite, des cadeaux qui doivent être don- 
nés , ainsi que du jour où le mariage sera célébré. 
On fixe également le prix de Vogrluk ou cadeau, que 
le fiancé doit donner à sa future belle-mère. Pendant 
le souper, c'est la fille qui sert à table. Mais les véri- 
tables fiançailles , qui sont toujours célébrées devant 
ua prêlre , n'ont lieu qu'à la troisième réunion des 
deux familles ; et c'est la mère de la fille qui , ce 



if 

I 



DES «LATSS MÉRISIOKAI/X. 73^ 

jottr-Ià, échange les anneaux. Le fiancé paie alors le 
sonper , ainsi que la moitié du prix convenu pouir 
Vogrluk de sa future belle-mère. Les deux prétendus 
baisent ensuite la main de leurs parents ^ et puis on 
distribue les cadeaux. 

Chez les Serbes en général, le prétendu se rencon- 
tre rarement avec sa fiancée. A Risan , on ne lui per- 
met de la voir et de Tembrasser qu'après de longues 
supplications ; mais elle résiste toujours, s'arrache de 
ses bras et s'enfuit. Dans le Monténégro, il ne la voit 
qu'à la troisième visite faite avec son père , et c'est 
alors qu'on échange les cadeaux. II donne à la fiUa 
des pantoufles , et il reçoit d'elle une chemise ; mais 
jusqu'au jour des noces il ne fréquente plus la maison 
de sa future. Dans le Monténégro , le jour des noces 
est fixé dans une réunion qui s'appelle svila, la soie. 
On détermine également à cette visite le nombre des 
convives qui doivent prendre part aux fêtes. La svila 
a lieu deux ou trois semaines avant les noces. Le 
fiancé n'y assiste jamais, mais il envoie deux petits 
tonneaux deraki, l'un pour la maison de la fille et 
l'autre pour ses parents qui font partie du clan. Trois 
personnes se rendent à la svila chez la prétendue et 
lui apportent de la toile pour faire des chemises , de 
la soie à broder et un sequin. Les cadeaux ayant été 
offerts , on boit du raki avec tous les parents de la 
fille. Les membres du clan de celle-ci se réunissent 
alors devant l'église ; les chefs de maison boivent du 
raki , et toute l'assemblée exprime de cette manière 
son assentiment au mariage. On fixe encore à la svila 
la somme que le futur doit payer pour les cadeaux 
de noces. 

Dès que les anneaux sont échangés et les présents^ 



74 LE DROIT GOUTUMIER 

distribués y la foi est alors solennellement engagée. 
Parfois, la pomme, qui joue à cette occasion un rôle 
si important dans le cérémonial des Serbes, remplace 
l'anneau ; et le couple se regarde comme fiancé , si la 
fille accepte la pomme. Les fiançailles étant termi- 
nées, la prétendue ne danse plus dans aucun bal; elle 
ne sort jamais seule , et jusqu'à son mariage elle mène 
une vie très-laborieuse et très-retirée. A Risan , dès 
que la fille s'est engagée par sa promesse de mariage, 
son fiancé doit lui fournir la chaussure ; mais il reçoit 
en échange, le dimanche et les jours de fête, un bou- 
quet de fleurs naturelles jaunies à l'or. 

La foi engagée est rarement trahie chez les Serbes. 
Pour la rompre , il faut des motifs très-graves. Dans 
le Monténégro et l'Herzégovine , le jeune homme de- 
vient libre si la fille continue de fréquenter les jeunes 
gens du village. Une maladie regardée comme incu- 
rable, la cécité, par exemple , peut aussi faire rompre 
la foi ; mais, dans ce cas, on rend au fiancé sa parole. 
Il en est de même si, après les fiançailles, on décou- 
vre un empêchement de parenté , ou que les deux 
prétendus aient été fiancés sans se voir et qu'ils se 
déplaisent mutuellement. 

Chez les Bulgares, les fiançailles forcées sont con- 
sidérées comme nulles. Mais, hors quelques cas gra- 
ves, celui qui trahirait sa foi sous un prétexte ou pour 
une cause futile serait blâmé très-sévèrement par 
l'opinion ; il devrait rendre tous les cadeaux. La fille 
ne rend , au contraire , que Tanneau , si le garçon lui- 
même renonce au mariage. 

Il y a cependant des contrées où toutes les dépenses 
doivent être compensées entre les deux familles. A 
Lika, dans les confins militaires, la fille rend au 



DES SLAVES BiÉRIDiONAUX. 75 

jeune homme le double de ce qu'il a dépensé pour 
les fiançailles , si elle viole elle-même la foi ; mais le 
jeune homme rend le triple, s'il retire sa parole. 
Dans les régiments ou cercles de Gradiàka et de Brod^ 
la fille ne peut se marier tant qu'elle n'a pas com- 
pensé toutes les dépenses faites par son ex-futur. En 
divers endroits de la Croatie, les compensations n'ont 
lieu que lorsque la partie lésée les fait réclamer par 
la voie des tribunaux. Dans le cas contraire , on ne 
rend que le bouquet avec l'argent et les autres ca- 
deaux. 

Dans les pays de montagne de la Dalmatie , et au- 
trefois au Monténégro , la violation de la foi engendre 
des rixes sanglantes. La famille trahie somme le jeune 
homme de tenir sa parole ; et s'il refuse , on se livre 
de véritables batailles. L^inimitié même ne cesse que 
lorsqu'il consent à épouser la fille ou à lui payer une 
certaine somme pour le dommage et la honte qu'elle 
a éprouvés. Si c'est , au contraire , la fille dalmate 
qui trahit la foi, elle doit rendre le double de ce 
qu'elle a reçu. 

Dans l'Herzégovine et le Monténégro , autrefois le 
jeune homme qui avait violé la foi jurée était forcé 
de quitter le pays , sinon on l'aurait contraint à épou- 
ser la fille à laquelle il avait manqué de parole sans 
motif. Il arrivait cependant que, pour réparer la faute 
du jeune homme , ses parents demandaient la main 
de la fille délaissée pour leur fils cadet, s'il était tou- 
tefois plus âgé que la fille ; et dans le cas où le fugitif 
ne laissait pas de frère , les voisins et les amis inter- 
venaient pour empêcher les combats entre les deux 
familles. 

On est moins rigoureux en Bulgarie. Celui des deux 



76. LB DROIT C0U3?imiBïl 

fiancés qui retire sa parole doit payer à Tautre une 
petite somme d'argent pour la honte qu'il lui a infligée^ 
II paraît que ce sont les filles bulgares qui violent 
ordinairement la foi; mais, avant de se regarder 
comme libres, elles doivent se rendre chez Tarchi- 
prétre> qui tâche de les ramener à la fidélité de leur 
parole; et si ses observations ne produisent aucun 
efSeA, les fiançailles sont déclarées nulles après la 
troisième admonestation, - 

Quant aux Serbes, qui condamnent si hautement la 
simple rupture d'une promesse de mariage, ilspour*-^ 
suivraient le coupable avec une rigueur d'autant plus 
grande qu'il aurait abandonné sa prétendue après; 
l'avoir déshonorée. Il est vrai que de pareils crimes 
ne sant pas fréquents; mais s'ils étaient commis, la^ 
vie du coupable paierait bientôt sa faute, à moins^ 
qu'il n'ait fui dans un pays lointain. On raconte 
qu'il y a trente ans environ deux fiancés de Risan, 
bourgade de la Dalmatie, commirent la même - 
faute. On consulta les saintes Ecritures pour savoir 
quelle punition méritaient les coupables; et comme 
0» trouva dans le Vieux Testament qu'il fallait les 
lapider, on força îes parents des deux infortunés à 
exécuter eux-mêmes la sentence* Les frères d'uneî 
fille déshonorée provoqueraient le coupable à un com- 
bat singulier. Mais ce n*est pas la crainte des puni*- 
tions humaines qui arrête les passions; car un peuplei 
naturellement guerrier redoute moins la mort que les 
malédictions qui le poursuivent toute sa vie. Et celles 
d'une fille trompée sont terribles» parfoi». c La terre 
> tremble , > dit une fort belle chanson ^ c lorsqu'une 
3 fille prononce une malédiction. Sa plainte monte 
» jusqu'à Dieu,, et les larmes qui tombent de ses 



> yeux s'enfoncent dans la terre jusqu'à la profon- 
» deur de trois lances. > 

Un dédommagement en argent n'est pas connu dans 
ees contrées pour les cas fort rares de séduction. Mais, 
en Autriche-Hongrie, où les mœurs ont perdu leur 
pureté primitive , on est moins rigoureux. A Lika, on 
-condamne le coupable à supporter tous les frais de 
l'entretien, si l'enfant qui vient au monde est un 
garçon; mais, pour une fille, les deux coupables se 
partagent les dépenses. Gattaro, seul, fait une ex- 
/ception. Là, ce sont les armes qui vengent Thon- 
neur. En Bulgarie , le jeune homme qui séduit une 
fille doit répouser; mais si la fille ne veut pas qu'on 
le force au mariage , on livre le coupable aux tribu- 
naux qui lé punissent d'après la loi; A Ljeskovac, on 
est moins sévère encore. On condamne le séduc- 
teur à épouser la fille déshonorée ou bien à lui donner 
un dédommagement en argent. 

En ce qui touche la bigamie , les sources où nouis 
prenons tous ces détails offrent un très-grand intérêt. 
liCS cas de bigamie volontaire sont fort rares, mais il 
s'en présente quelquefois. En outre, il est souvent 
arrivé, dans les confins militaires, par exemple, 
X[u'une femme ait contracté un second mariage du 
vivant de son premier mari qu'elle croyait mort. Pres- 
que tous les régiments des confins ont jadis pris part 
aux guerres de l'Autriche en Italie , et beaucoup de 
soldats grièvement blessés sont tombés au pouvoir 
des Italiens, qui les ont gardés longtemps malades ou 
prisonniers de guerre. Les camarades , rentrés dans 
leur patrie, affirmaient les avoir vus morts sur le 
«hamp de bataille ; et , en effet , ces prétendus morts 
ne donnaient plus de leurs nouvelles. Il y en a qoi 



78 LE DROIT GOUTUMIBR 

sont restés quinze ans en pays étranger sans donner 
signe de vie à leurs parents. On pouvait les croire 
morts ; et voilà comment bien des femmes, dans le» 
confins militaires, ont pu contracter un second mariage 
du vivant de leur mari. 

L'espèce de jugement, prononcé à Lika par le peuple 
sur la valeur des deux mariages , mérite par sa singu- 
larité que nous en fassions ici une courte mention. 
Le premier mari d'une femme retourne chez lui un 
an après les secondes noces de sa femme. Il veut faire 
valoir ses droits; mais les anciens du village décident 
qu'elle doit rester avec son second mari , vu qu'elle 
avait un enfant de celui-ci et n*en avait jamais eu du 
premier ; seulement le second mari dut indemniser le 
premier de ses frais de mariage. Dans un autre cas ^ 
une femme qui croyait son mari mort eut des relation» 
avec un autre homme et il en naquit des enfants. Quand 
le mari revint, elle s'enfuit en Bosnie, et alors le mari 
fut autorisé à se remarier. 

Dans l'Herzégovine et le Monténégro, on permet 
également aux femmes de se remarier lorsque leur 
mari a quitté le pays et qu'il n'a donné aucune nou- 
velle depuis de nombreuses années. Et si le mari re- 
vient ensuite dans son village , on l'autorise à con- 
tracter de son côté un second mariage. Cette coutume 
existe aussi en Bulgarie , mais le consentement de 
l'évêque est indispensable pour convoler en secondés 
noces. Il arrive cependant que le premier mari reprend 
sa femme avec les enfants du second lit. Dans le cas 
où la femme hésiterait à prendre une décision et à 
choisir entre ses deux époux , les anciens de l'endroit 
concluent toujours en faveur du premier mariage, 
quand même le second aurait été fait avec l'autorida- 



DES SLAVES MÉRIDIONAUX. 79^ 

tion de Tévêque ; car le peuple croit que l'homme 
vivra en paradis avec sa première femme. Toutefois, 
en Bulgarie , il y a des exemples de sentences popu- 
laires approuvant le mariage d'un homme durant la 
vie de sa première femme. Nos sources mentionnent 
deux cas qui méritent d'être cités. 

Il y a dix ans environ, un nommé Drino Kuâev, 
originaire de Ljeskovac, demanda à son évêque, 
M.^ Hilarion, de le séparer de sa femme, parce qu'elle 
était très-âgée, et de lui permettre d'en épouser une 
autre. L'évêque phanariote fit appeler la première 
femme de Kuâev et lui demanda si ellç voulait con- 
sentir à ce que son mari en prit une autre. La bonne 
vieille consentit à la séparation ; elle logea même dans 
la maison de son mari , qui l'appelait sa sœur. La se- 
conde femme lui donnait le nom de mère , et ce fut 
v-raiment comme une mère véritable, comme une 
sœur qu'elle prit soin des enfants de Kuâev. Quant 
au peuple , il trouvait que cet homme avait fait une 
chose naturelle et sage, en épousant la femme de son 
choix, au lieu de vivre avec elle en concubinage pu- 
blic. Le second cas n'est pas moins curieux. Un 
homme , dont la femme était folle depuis quatre ans, 
se remaria avec le consentement de l'évêque et des 
aliciens. Mais, peu de temps après les secondes noces, 
la première femme recouvra la raison et apprit alors 
qu'une autre épouse l'avait remplacée. Ne voulant pas 
troubler le bonheur du mari dans son nouveau mé- 
nage , elle se rendit immédiatement chez son frère 
sans revoir son volage époux. 

Ces divers faits démontrent que le peuple met quel- 
quefois l'équité à la place du droit rigoureux ; car , 
dans ces pays, on ne regarde que le premier ma- 



C80 . LB DROIT GOUTUHIBR : 

riage comaie légal , surtout lorsque les secondes no- 
^s peuvent se baser sur la fraude de Tun des deux 
-époux. 

Dans ce cas même de fraude , les communes du 
cercle de Ljeskovac laissent à la femme le soin de dé- 
cider si elle veut vivre avec son premier ou avec son 
itôcond mari. Le jugement dans cette question dépend 
tout à fait de son choix. 

Mais , comme nous l'avons dit , les cas de bigamie 
sont extrêmement rares parmi les Slaves méridionaux. 
Et si Ton est assez indulgent pour suivre les prescrip- 
tions de l'équité et non celles du droit rigoureux, 
€'est qu'on a peur du concubinage^ qui parait au Serbe 
un bien plus grand vice que la dissolution du ma- 
riage , lorsqu'il n'existe entre les deux époux aucun 
lien de sym^thie. 

Dans la Hongrie et la Croatie, où les relations eo* 
tre les xleiax sexes sont beaucoup plus libres, surtout 
dans les villes, le peuple ne blâme pas sévèrement les 
personnes qui vivent ensemble sans être mariées ; maâs 
il en rejette la faute sur les lois et surtout les ordon- 
nances militaires , qui , dans les confins « mettent des 
;entraves au mariage. Le concubinat comme institu- 
tion n^existe nulle part chez les Slaves méridionaux. 
Ils n'ont pas même dans leur langue une expression 
pour le désigner ; mais ils ne regardent pas comme use 
concubine la femme qui épouse un homme avec le-*- 
quel elle a vécu pendant longtemps. Le mariage lé- 
galise tout à leurs yeux. Toutefois si une fille vit dazis 
une maison où n'habite pas sa mère ni aucune autre 
femme mariée, le peuple considère ce fait comme une 
immoralité scandaleuse. 

Les cas où les pères et les mères forcent leurs en* 



DES SLAVES MÉRIDIONAUX. 81 

fants à se marier contre leur gré sont. fort rares. On 
voit aussi très^peu d'enlèvements de filles. Nous ne 
parlons pas ici de l'empire austro-hongrois , où les 
lois écrites punissent le rapt , mais des provinces où 
la coutume seule est en vigueur. Le prince Miloà fit 
cesser les enlèvements par des lois draconiennes ; et 
depuis lors on n'en voit plus en Serbie. 

II y a pourtant des cas où la fille qu'on veut ma- 
rier contre son gré se laisse enlever. En Bulgarie , 
lorsqu'elle entre chez le prétendu de son choix, elle 
s'assied au foyer domestique et remue le feu. Cela 
démontre qu'elle cherche un asile. Le chef de la fa- 
mille la reçoit, et le mariage s'ensuit presque toujours; 
mais les parents de la fille n'y assistent pas. La mai- 
son du fiancé économise alors les dépenses nuptiales, 
et parfois dans ce seul but on simule une fuite ou un 
enlèvement, mais du consentement de la famille. Ce- 
pendant de tels mariages ne peuvent être conclus 
avant que le prêtre ne se soit convaincu qu'il n'y a 
aucun empêchement légal et que la fille n'est pas 
victime d'une violence. Et s'il arrive que le père ré- 
clame sa fille auprès de l'évêque, celui-ci parvient or- 
dinairement à réconcilier les deux familles, en décla- 
rant au père qu'il n'a pas le droit de forcer sa fille à 
quitter la maison de son mari. 

Quoi qu'il en soit, le peuple ne regarde nulle part 
d'un bon œil ces sortes de rapts des filles ; car il aime et 
loue seulement les mariages qui sont faits avec l'au- 
torisation volontaire des parents et de la famille. 

La question de mariage est toujours un sujet de 
disputes entre les associés , surtout lorsqu'il s'agit de 
marier un garçon. Le choix de la future , la question 
des dépenses sont les principaux motifs des contesta- 

6 



f' 82 LE DROIT GOUTUMIER 

i tions. Les membres les plus âgés de la communauté 

assistent aux conseils de famille, guise tiennent or-^ 
dinairement le soir, lorsque tous les enfants sont cou- 
chés. Dans THerzégovine et le Monténégro , il n'y a 
que les hommes, mariés ou non mariés, qui assistent 
à ces conseils. En Serbie, les femmes y prennent éga- 
lement part. 

Les mariages entre personnes de différentes reli- 
gions ont très-rarement lieu chez les Serbes. Le chef 
de la maison ne le permettrait pas ; et si Tun des 
deux prétendus refusait de se soumettre à cette dé- 
fense, il devrait quitter l'association. On autorise pour- 
tant les mariages entre personnes de nationalités dif- 
férentes, mais pourvu qu'elles aient la même religion. 
Ainsi, par exemple, en Hongrie, on voit des Roumains 
épouser des Serbes, des Croates, qui sont catholiques, 
s'unir avec les Slaves catholiques du Nord. L'homme 
qui changerait de religion pour se marier, comme oiï 
le fait si souvent en Autriche, serait tellement pris en 
aversion qu^on le chasserait immédiatement de la 
conmiunauté ; il ne pourrait pas non plus rester dans 
son village. Mais s'il veut épouser une fille d'une au- 
tre confession , on exige qu'elle embrasse la religion 
de son mari ; car il est le chef de sa femme et de se& 
enfants , il donne son nom à la famille , il décide de 
leur nationalité, et il doit par conséquent vouloir 
qu'une seule religion soit professée chez lui. 

Le peuple condamne surtout la diversité de religion 
parmi les enfants, telle qu'elle se rencontre souvent 
dans les villes de Hongrie et de Croatie , où les loi a 
écrites veulent que , dans les mariages mixtes , les 
filles suivent la religion de leur mère et les fils celle 
ée leur père» La coutume serbe nous parait beaucoup 



DES SLAVES MÉRIDIONAUX. 83 

plus logique que les décisions de la plupart des codes 
européens, qui, tout en cherchant à protéger les droits 
de la femme, introduisent de funestes divisions entre 
frères et sœurs. Dans le Monténégro , on n'empêche 
pas les mariages entre les filles indigènes et les étran- 
gers d'une autre religion. 

Quant aux empêchements de mariage pour cause 
de parenté , il nous suffira de peu de mots pour les 
indiquer. Le peuple comme l'Eglise distingue trois 
sortes de parenté : la parenté du sang , l'affinité ou 
alliance , et la parenté spirituelle , qui établit un vé- 
ritable empêchement de mariage entre le parrain^ 
son filleul et sa famille. En Serbie et dans quel- 
ques contrées de la Croatie, on ajoute à ces divers 
empêchements la confraternité et l'adoption. Il y a 
d'autres contrées où l'on considère aussi comme pa- 
rent au degré prohibé celui qui a rempli lea fonctions 
de garçon d'honneur dans une noce. Il est vrai de dire 
qu'on choisit presque toujours un consanguin , très- 
souvent même le frère ou le plus proche parent de 
la mariée. 

En Dalmatie, la confraternité n'établit pas un em- 
pêchement, et le garçon d'honneur n'est pas non 
plus regardé comme parent , s'il n'y a aucun lien 
d'affinité , de consanguinité ou de parenté spirituelle 
avec sa prétendue. Toutefois, à Eonavlje, le garçon 
d'honneur ne peut pas épouser celle qu'il a conduite 
à l'autel , lorsqu'elle devient veuve ; et les parents- 
aux degrés les plus rapprochés de deux confrères ne 
peuvent pas se marier entre eux. Il en est de même 
dans l'Herzégovine et le Monténégro. 

Les Serbes de certaines contrées sont très-rigoureux 
dans l'observation de ces divers empêchements. Ils 



84 LE DROIT GOUTUMIER 

vont même plus loin que l'Eglise. Ainsi , par exem- 
ple 9 l'Eglise orthodoxe défend le mariage entre pa- 
rents spirituels jusqu'au quatrième degré seulement, 
tandis que, dans l'Herzégovine et le Monténégro, par- 
fois on ne se marie pas même au neuvième degré. Le 
mariage est impossible entre personnes du même clan, 
ne fussent-elles parentes qu'au vingtième degré seu- 
lement. Cet usage, d'ailleurs, tend à disparaître au 
Monténégro. En Croatie, on ne se marie pas non plus 
dès qu'il y a parenté, sans même chercher à en con- 
naître le degré. Le peuple n'approuve jamais de tels 
mariages , quoique le haut clergé puisse accorder des 
dispenses. 

Quant aux degrés de parenté faisant empêchement 
au mariage, nos sources ne sont pas explicites. Pour 
la consanguinité, elles mentionnent le quatrième ou 
le cinquième degré. Mais le peuple ne compte pas 
les degrés comme les hommes de loi : ceux-ci suivent 
le droit romain, tandis que le peuple compte les de- 
grés par souche. En Bosnie et dans d'autres con- 
trées, on regarde généralement comme condamnable 
toute union qui a besoin d'une dispense de T évo- 
que. 

Pour ce qui concerne les enfants adoptifs, dans les 
confins militaires, ils peuvent se marier avec les en- 
fants de l'adoptant. Â Gradiâka, au contraire, on re- 
garde de tels mariages comme un péché ; mais , à 
Konavlje, on les permet, si le père adoptifa stipulé 
cette condition, lorsqu'il a adopté l'enfant. Il est ce- 
pendant rare qu'on adopte un étranger, lorsqu'on a 
des enfants. S'il en survient après l'adoption, le ma- 
riage est interdit ; car alors l'adopté et les enfants 
légitimes sont frère et sœur spirituels. Sur tout le 



DES SLAVES MÉRIDIONAUX* 85 

littoral dalmate, si l'adoption a lieu sans aucune cé- 
rémonie religieuse, on ne la regarde pas comme une 
parenté, et on permet le mariage entre l'adopté et 
l'enfant du père adoptif. Dans l'Herzégovine et le 
Monténégro, celui qui adopte est « le père sans pé- 
ché > et l'adopté son c enfant par l'esprit. » Un ma- 
riage ne peut donc jamais avoir lieu entre l'adopté et 
l'enfant du père adoptif. Les Bulgares paraissent avoir 
d'autres idées sur la parenté spirituelle. Aucune cé- 
rémonie religieuse n'accompagnant chez eux l'adop- 
tion, ils ne la regardent pas comme une parenté. 
L^enfant devient un simple associé de la maison et 
non pas un parent. Les mariages avec les enfants du 
père adoptif ne sont donc pas défendus. 

Nous mentionnerons encore pour mémoire l'empê* 
chôment entre les frères et les sœurs de lait. 

Les parents qui ont un fils à marier lui cherchent 
une fiancée de bonne famille , jouissant d'une cer- 
taine renommée dans le pays. C'est là un sentiment 
naturel exempt de toute préoccupation plus ou moins 
aristocratique. Une famille un peu distinguée aura 
certainement beaucoup mieux soigné l'éducation de 
fies enfants; et les filles bien élevées offrent toujours 
aux parents d*un jeune homme plus de garantie de 
bonheur. Le Serbe ne recherche pas avant tout la 
beauté. « La beauté est vantée dans le monde, mais 

> la maison ne se glorifie que de la bonté du cœur de 

> la femme. > On veut surtout avoir une bonne mé- 
nagère, et on n'est pas trop avide d'argent. « Si tu 

> prends le diable à cause de sa fortune, » dit un 
proverbe, c la fortune s'en va, mais le diable reste. > 

Dans certaines contrées, les garçons choisissent 
leur future parmi les filles du village; mais dans> 



86 . LE DROIT COUTUMIER 

d*autres, au contraire , dans le Monténégro et dans la 
haute Herzégovine, où existe encore le régime du 
clan, il leur est interdit de prendre leurs femmes dans 
le clan dont ils font partie, à cause de la parenté, 
quoiqu'elle soit le plus souvent fort éloignée. Ce se- 
rait une honte pour l'endroit, s'ils allaient prendre 
leurs femmes dans une autre contrée. Une étrangère 
s'habitue d'ailleurs très-difficilement aux mœurs et 
aux coutumes d'un village qu'elle ne connaît pas. Ses 
idées ne s'accorderaient peut-être pas non plus avec 
les idées de sa nouvelle résidence, et la paix domes- 
tique en souffrirait certainement. Mais si les garçons 
prennent leurs fiancées dans leur pays natal, les filles 
désirent souvent aller s'établir dans des régions 
étrangères. C'est un honneur pour elles d'être recher- 
chées par un jeune homme d'un pays éloigné. 
Leur renommée s'en accroît beaucoup. Mais aussi 
quelle splendeur aux noces ! Un brillant cortège 
les conduit en triomphe à travers tout le pays ! * 

> ma mère, » dit une chanson du peuple , « donne- 
» moi en mariage bien loin de nous, à l'étranger, 

> afin que je puisse me glorifier de ma famille ! > 

Il est rare qu'on traite la question de la dot aux 
fiançailles. Ceci n'a lieu que dans les contrées où les 
filles reçoivent des immeubles en se mariant. La dot 
se porte généralement la veille de la noce et quel- 
quefois .deux jours auparavant dans la maison du fu- 
tur. Si elle consiste en bétail, du moins en partie, on 
le laisse presque toujours chez la mère , sauf un ac- 
cord spécial , et le bétail est confié à un paysan du 
voisinage, qui l'emploie et l'utilise de son mieux. Ce 
bétail se compose ordinairement de quelques brebis , 
vaches ou génisses. Le vêtement, qui forme aussi une 



DES SLAVES MÉRIDIONAUX. 87 

partie de la dot , ainsi que l'argent donné à la fille 
par ses parents, est porté la veille de la noce par le 
fiancé et ses amis dans sa maison. Il y a des contrées 
cependant où la dot est apportée le lendemain des 
noces par les parents de la fille. Dans l'Herzégovine 
^t le Monténégro, la jeune femme ne reçoit sa dot 
qu'à la fin de l'année dans laquelle s'est accompli le 
mariage. Le cortège de la noce emporte seulement 
^vec lui les cadeaux que la mariée a préparés par le 
témoin, les frères et les sœurs de son mari. Tout 
cela se trouve renfermé dans une ou deux malles 
portées par un cheval. 

La dot est rarement constituée en immeubles. On 
laisse cependant quelquefois la mariée jouir pendant 
quelque temps du petit coin de terre ou , étant fille , 
elle semait le chanvre et qu'elle labourait elle-même. 
En Bulgarie et dans quelques endroits de la Croatie et 
de la Dalmatie, on lui donne aussi des immeubles 
lorsqu'elle n'a pas de frères et que ses parents pos- 
sèdent des biens-fonds en dehors de l'association. 
Mais au Monténégro et en Herzégovine, souvent la 
fille n'use pas de ce droit. Gela tient à ce que la fille 
qui a reçu ajissi un immeuble , même de peu de va- 
leur, est considérée comme sortie définitivement de 
la famille ; elle n'y peut rentrer en cas de veuvage ou 
de détresse, tandis qu'on lui reconnaît ce droit si elle 
n'a rien pris dans les immeubles. 

L'achat des filles est une coutume qu*on retrouve 
chez beaucoup de peuples anciens et modernes ; mais 
chez les Serbes, il n'en reste qne de très-faibles ves- 
tiges, car les cadeaux et les dons échangés aux fian- 
çailles et aux noces ne peuvent être regardés comme 
le prix d'un véritable achat. Toutefois, en Serbie, le 



S8 LE DROIT GOUTUMIER 

fiance paie à son futur beau-père de un à six ducatff 
pour la fille, outre les cadeaux habituels. Il lui paie 
encore le prix d'une pelisse. Le frère de la fiancée re- 
çoit aussi une somme d'argent pour s'acheter une 
paire- de bottes. Avant la publication du code serbe, 
on convenait de ces divers paiements le jour des 
fiançailles. 

En Bulgarie, le jeune homme donne jusqu'à mille 
grosches aux parents de la fille et, en outre, quelques 
ducats à la mère. Il donne aussi des mouchoirs, des 
chaussures et autres objets à ses futurs beaux-frères 
et belles-sœurs. A Risan, on fait l'espèce de cérémo- 
nie suivante : Huit jours avant les noces , les deux 
pères des fiancés rassemblent leurs amis sur lagrand'- 
place du village. On sert de l'eau-de-vie à tous les 
convives. Le père du jeune homme boit toujours le 
premier à la santé du jeune couple. Il tient de sa 
main droite son verre sur lequel on a placé une 
pomme avec un sequin, et il le présente au père de 
la fille qui prend la pomme et met le sequin en poche 
au profit de la caisse de la maison. C'est sans doute à 
cause de cette cérémonie que le peuple dit qu'on a 
vendu la fille pour un sequin. 

Quant au cérémonial de la noce, qui est ordinaire- 
ment très-solennel et caractérise bien l'esprit d'un 
peuple, voici en quoi il consiste chez les Serbes. C'est 
presque une analyse que nous allons faire maintenant 
du livre de M. Bogiàié , si riche sur cette matière en 
détails fort intéressants. 

Le mariage est pour les Serbes un des actes les plus 
solennels de la vie. Ce n'est pas seulement une 
grande fête de famille , c'est comme une fête publi- 
que ; car tout le village est heureux d'y apporter sa*. 



kk. 



DBS SLAVES MÉRIDIONAUX. 89* 

part de joie. Les convives de la noce sont accostés 
par tout le monde et salués avec l'appellation de 
monsieur y titre que les Serbes ne se donnent pas dans 
leurs relations ordinaires. On se découvre devant le 
cortège nuptial, mais les convives n'ôtent jamais leur 
chapeau, pas même à la table du festin. Ils portent 
tous des bâtons ornés de rubans de diverses couleurs ; 
le bâton est chez le Serbe un signe de distinction. Il 
n'y a que les hauts personnages du village qui aient le 
droit d'en avoir à la promenade. Le menu peuple n'en 
porte jamais. 

Et quelle activité ! quel mouvement dans la maison 
où les noces vont avoir lieu ! On frotte , on balaie > 
on nettoie l'habitation durant toute une semaine. 
Les filles s'occupent de leur toilette et les femmes 
préparent le repas nuptial dans la cuisine, surtout 
les gâteaux, qui jouent un si grand rôle pendant les 
fêtes du mariage. La veille des noces , divers rôtis 
tournent sur les broches autour d'un grand feu , et 
chacun est heureux de donner un coup de main; 
car, ce soir -là, on attend le futur avec ses amis. 

Sur le littoral croate , les noces ont toujours lieu 
un dimanche ; mais la fête conotmence le samedi soir. 
Dès le coucher du soleil, quatre femmes vont en chan- 
tant de porte en porte ; elles se rendent ensuite de- 
vant la maison du fiancé , qui parait sur le seuil en 
habit de fête et distribue aux chanteuses des gâteaux 
et du vin. Une foule de petits bambins qui les suivent 
réclament aussi leur part, et la jeune fiancée ne les 
oublie pas devant la porte de sa maison. Elle prend 
â ans un grand tamis des prunes et des figues sèches, 
des morceaux de pain doux, des amendes, des roses- 
et les jette au milieu des petits criards, qui se dispu- 



vMfa" 



"90 LE DROIT GOUTUMIER 

teat gaiement et s^arrachent toutes ces friandises. La 
même scène a lieu devant la maison du fiancé , mais 
c'est une de ses plus proches parentes qui distribue 
les mêmes cadeaux aux enfants. 

La nuit venue, on ferme toutes les portes delà maison 
de la fiancée pour n'être point surpris par les convives, 
parce qu'ils doivent payer leur entrée. On est atten- 
tif au moindre bruit extérieur ; et dès qu'on entend 
un chant lointain, car les convives d'une noce chan- 
ient toujours, on éteint les lumières et le plus grand 
silence règne dans la maison. Mais les chants se rap- 
prochent, et voilà qu'on frappe à la porte. Personne 
ne répond. On frappe une seconde fois. Point de ré- 
ponse encore. L'impatience gagne les convives et on 
frappe avec plus de force. Une voix de l'intérieur se 
fait entendre : « Au nom de Dieu , qui frappe donc 
]^ si tard I > — « De pauvres voyageurs, répond une 
» voix du dehors , des honnêtes gens qui cherchent 

> leur brebis égarée. Peut être pourrez-vous nous en 
» donner des nouvelles. Ouvrez-nous donc la porte. » 
Mais le domaéin ne se rend pas à cette supplication, 
et il réplique : <i II est trop tard. Vous viendrez de- 
* main chercher votre brebis. » Comme cette réponse 
ne satisfait pas les visiteurs nocturnes , l'un d'eux 
prend la parole et dit : « Ah ! me? braves gens, celui 
^ qui a une affaire urgente n'a pas le temps d'atten- 
^ dre jusqu'au lendemain. Ouvrez-nous la porte, car 
» le temps est bien mauvais. » Et l'on se met alors à 
chanter en chœur : « De la neige jusqu'aux genoux , 

> de l'eau jusqu'aux épaules. » Mais la porte reste 
toujours fermée, et les colloques durent encore long- 
temps. 

Enfin , l'entrée devient libre , et le premier qui 



DES SLAVES MÉRIDIONAUX. 91 

franchit le seuil offre du vin à tous les assistants. Ce 
vin est apporté par les convives dans une grande ou- 
tre. Après que tout le monde a bu ^ le domaiin fait 
défiler toutes les filles de la maison devant les visi- 
teurs, afin qu'ils cherchent c leur brebis perdue. > La 
fiancée arrive toujours la dernière. Dès que son futur 
l'aperçoit , il l'embrasse ; la musique commence alors 
à jouer, et on se met à table. Puis les jeunes gargons 
et les jeunes filles chantent et dansent ; et quand on 
s'est bien amusé, on se sépare avant minuit, mais 
pour recommencer joyeusement le lendemain. 

A Gradiàka et à Brod , le fiancé se rend la veille 
des noces chez son témon pour l'inviter au souper 
qui se donne chez lui. Il est accompagné d'un joueur 
de cornemuse et de l'ami qui doit, au mariage, remplir 
les fonctions de cuisinier. Celui-ci invite à son tour 
les convives de la noce. Pendant ce temps-là, les fil- 
les que le fiancé connaît se rendent chez lui ; elles 
^'asseyent autour d'une table sur laquelle il y a un 
gâteau, une bouteille de vin et un bouquet de fleurs, 
et elles se mettent à chanter. Durant la même soirée, 
le frère du fiancé, sa femme et quelques-uns des 
convives, accompagnés du joueur de cornemuse, 
vont se présenter chôz la future ; mais on leur défend 
l'entrée de la maison. Toutefois la résistance n'est 
pas aussi longue ni aussi grande que sur le littoral 
croate. Les convives paient une certaine somme, et 
on leur ouvre la porte. Cette espèce de droit d'entrée 
appartient toujours aux chanteuses et à la cuisinière 
de la ùoce ; car on fait beaucoup chanter les jeunes 
filles, surtout en Serbie. Elle donnent ordinairement 
une sérénade devant la maison du fiancé , trois jours 
avant les noces, et la veille cette sérénade a lieu 



92 LE DROIT GOUTUMIER 

dans la maison. Le droit d'entrée, payé chez la future 
par le cortège nuptial , se retrouve également comme 
coutume chez les Bulgares et les Dalmates. 

Aux bouches de Cattaro et à Bukovica , l'invitation 
des convives se fait très-solennellement. C'est le do- 
, maéin du fiancé qui s'en charge lui-même ; et pour 
accomplir dignement sa mission , il porte avec lui 
une outre , ornée de rubans, de mouchoirs, de pom- 
mes, et remplie de vin. L'outre se vide chez l'invité, - 
et l'invité la remplit de nouveau, mais il reçoit un 
mouchoir , de la laine ou autres objets comme pré- 
sents de noce , qui sont ensuite offerts à la mariée. 

En Bulgarie, le futur désigne de ses plus proches deux 
parents pour aller inviter le témoin et les autres con- 
vives. Ils ont pour la circonstance une couronne de 
fleurs sur la têle , et Toutre de vin richement parée 
ne s'oublie jamais. 

Ces fêtes qui précèdent le mariage sont très-répan- 
dues , surtout dans le cercle bulgare de Ljeskovac. 
Toutes les femmes de la communauté du futur se 
rendent, la veille des noces, chez la fiancée, avec qui 
elles soupent ; mais , avant de se Ibettre à table , on 
leur montre les cadeaux qui leur sont destinés et qui 
se trouvent étalés sur un meuble. Chaque femme met 
une pièce d'or ou d'argent sur le présent qui lui est 
destiné. 

A Risan , c'est le frère du futur , accompagné de sa 
sœur, qui va voir les cadeaux ; et à cette occasion, il 
apporte à la fiancée divers présents, des bas, un mi- 
roir, un peigne et des chaussures pour la mère , etc. 
Lorsqu'on a examiné les robes et les autres objets 
étalés , on les met tous dans une caisse , où les visi- 
teurs jettent quelques pièces d'argent ; on ferme en— 



DES SLATE8 MÉRIDIONAUX. 93 

suite la caisse , et la clé est apportée au fiancé par 
son frère. 

En Bulgarie , lorsque les femmes s'en vont , la fu- 
ture leur distribue quelques nouveaux présents et en- 
voie à son fiancé un mouchoir brodé en or. Cette vi- 
site (les femmes se fait le jeudi. Le vendredi, toutes 
les filles parentes du futur sont régalées chez lui ; et 
après le repas , elles se rendent chez la fiancée pour 
la saluer en son nom. Un diner leur est offert ; on 
s'amuse après le diner, et les filles vont ensuite faire 
toutes ensemble les invitations à la noce. 

Lorsqu'elles sont de retour chez le futur, on pro- 
cède à une curieuse cérémonie. On fait passer de la 
farine à travers sept tamis, et dans l'un de ces tamis 
se trouve l'anneau nuptial avec quelques noix. Le 
tamis est tenu par deux garçons, dont l'un doit être 
un premier né ; l'autre est payé pour remplir sa fonc- 
tion. Au chant des filles , les femmes font un gâteau 
avec cette farine; on l'enduit de miel, et on le rompt 
en forme de croix au-dessus de la tête du futur, dont 
on enduit également le visage de miel. Le gâteau est 
ensuite distribué aux femmes et aux enfants de la 
maison. Dès que la nuit arrive , les femmes se sépa- 
rent, et les jeunes amis du futur viennent souper 
chez lui. Le fiancé n'est pas assis à table, mais il doit 
servir ses amis. Pendant ce temps , la fiancée reçoit 
également ses amies et les invite à souper. 

Le lendemain , le jeune homme envoie à sa future 
ses robes de noce avec toute la parure qu'elle doit 
porter le jour de son mariage. Sept jeunes garçons 
portent ces cadeaux sur leur tête. Des filles les ac- 
compagnent. De son côté, la future envoie à son fiancé 
divers objets de toilette et la chaussure du jour de la 



94 LE DROIT GOUTUMIER 

noce. Le même jour, le frère ou un cousin du fiancé 
va saluer la future. Il porte avec lui une gourde pleine 
de vin et une gusia ^ espèce de mandoline à une 
corde. Il tient à la main un bâton et un mouchoir. 
En saluant la future, il lui offre du vin de sa gourde, 
mais elle n*en boit que quelques gouttes et lui donne 
une seconde gusla qu'elle lui suspend au cou. Le 
jeune homme se rend ensuite chez les convives pour 
les inviter une seconde fois à la noce. 

Dans la plupart des pays où les Slaves méridionaux 
ont conservé l'habitude de porter les armes sur eux, 
tous les hommes viennent en armes à la noce. Il y a. 
quatre sortes de personnes qui prennent part aux fê- 
tes nuptiales : les maires; les membres de leur fa- 
mille ; les svati , c'est-à-dire ceux qui constituent le 
cortège et jouent un rôle actif dans la cérémonie ; 
tous les autres invités qui, eux, sont de simples spec^ 
tateurs. 

A Risan, les fêtes nuptiales commencent huit jours^ 
avant le mariage. Ce jour-là, le futur envoie une 
bouteille d'eau-de-vie à la maison de sa fiancée; et 
après avoir bu l'eau-de-vie , on lui renvoie la bou- 
teille de nouveau pleine avec une grenade et un bou- 
quet de fleurs dorées. On fait ensuite un régal chez 
les fiancés ; mais, avant toutes choses, on va chercher 
à l'église un drapeau qui est tout particulièrement 
destiné aux fêtes nuptiales. Quelques jeunes gens , 
cinq ou sept , le nombre doit toujours être impair , 
l'apportent et le mettent sur le point le plus élevé 
de la maison, afin que tout le monde puisse le voir. 

Pendant ce temps-là , on danse le kolo , ou ronde 
nationale, devant la porte, et c'est la mère du fiancé 
qui conduit la danse. Jadis , au lieu du drapeau, on 



DES SLAVES MÉRIDIONAUX. 95* 

allait chercher un olivier; et cet usage est observé 
de nos jours, lorsque la famille de l'un des deux fian- 
cés se trouve en deuil. Enfin, la veille des noces, les 
convives envoient un demi-mouton , dont la tête n'a 
pas été séparée du corps. On lui met dans la gueule 
une branche de laurier. Le présent du demi-mouton 
est toujours accompagné d'un pain orné de petits 
drapeaux, de fleurs et de deux bouteilles de vin. 

Le personnage le plus important ce jour-là parmi 
les svati, c'est le kum ou témoin du fiancé qui devient, 
par sa fonction même, un très- proche parent des nou- 
veaux mariés. Dans les maisons riches, il y a plu- 
sieurs témoins qui sont tous cependant inférieurs eu 
rang à celui du fiancé. Un autre personnage presque 
aussi important, c'est le stari svat, qui arrange toute 
la cérémonie. Dans l'Herzégovine , il remplit en outre 
les fonctions d'orateur. Il y a encore comme person- 
nage le père des noces ^ commandant du cortège nup- 
tial, et qui doit être toujours l'oncle maternel du 
fiancé ou le neveu de sa mère. A la tête du cortège 
marchent le porte-drapeau et le prvenac , qui remplit 
les fonctions de messager et annonce partout l'arrivée 
de la noce. Le premier garçon d'honneur est tou- 
jours le frère ou le cousin du futur; et les filles 
d'honneur, qui forment une espèce de cour à la 
mariée, sont aussi de ses plus proches parents. Le 
^aw^, personnage demi-comique, remplit encore dans 
la noce un rôle important assez semblable à celui 
d'un maître des cérémonies. Il tient à la main un gros 
bâton , orné de mouchoirs de diverses couleurs. On 
choisit ordinairement pour cet office un bon parleur 
et un homme d'esprit. C'est lui qui porte les toasts 
et qui veille attentivement à ce que tout se passe con- 



56 LE DROIT COUTUMIER 

formément au programme de la fête. En Dalmatie, il 
y a un autre personnage , nommé le bukliai. C'est un 
enfant de dix à quinze ans. Il porte une bouteille en 
bois remplie de vin , du pain blanc et de la viande 
rôtie. Tous ces dignitaires de la noce sont nommés à 
Risan par les deux pères des fiancés. 

Le jour des noces, tout le village est pavoisé de 
drapeaux , d'où pendent de longs rubans de diverses 
couleurs. Une pomme est attachée au bout de la 
hampe des drapeaux. Les convives se réunissent dans 
la maison de la future ; ils prennent du café pendant 
qu'elle fait sa toilette , et on attend le fiancé. 

Dans quelques parties de la Croatie , la future sort 
de sa chambre tout habillée, mais déchaussée : la 
chaussure lui est apportée et mise aux pieds par le 
témoin. Au sortir de la chambre, son père lui donne 
un petit soufflet sur la joue , en lui mettant sur la tête 
une couronne de perles , qui , dans ce pays, remplace 
les fleurs. 

Enfin, on entend le chant du cortège qui arrive 
ponctuellement à l'heure convenue. En tête paraît le 
drapeau porté par l'un des convives. Il est suivi du 
témoin qui marche avec la première fille d'honneur- 
Vient ensuite le fiancé avec la seconde, fille d'hon- 
neur. La dernière personne du cortège, c'est la soljaëa, 
qui est toujours une proche parente de la fiancée. Elle 
porte dans son tablier des sucreries et des grains de 
froment qu'elle jette durant la marche parmi les mem- 
bres du cortège nuptial. Quand le cortège approche 
de la maison , les filles attachent un bouquet de roses 
artificielles sur la poitrine des convives; mais le té- 
moin reçoit un gros bouquet de fleurs naturelles. Son 
j)remier devoir en entrant est de chausser la fiancée* 



DES SLAYBS IféRIDIONAUX. 97 

Il apporte la chaussure dans un mouchoir de soie , «t 
la présente à la future qui s'empresse d'en retirer sans 
qu'on s'en aperçoive les pièces de monnaie qu'on y a 
mises. 

Dès que la future est chaussée, on se rend à Téglise; 
6t la cérémonie religieuse finie , on revient à la maison 
de la mariée. Une table bien garnie attend les convives. 
Des toasts sans fin sont portés. Les jeunes filles réci- 
tent des vers composés pour la circonstance. Mais les 
filles d'honneur sont très-affairées. Elles vont de mai- 
son en maison distribuer dans le village, au nom des 
convives, des gâteaux, du rôti et des fruits; car chaque 
invité a le droit d'envoyer à ses connaissances tout ce 
qu'il lui plaît. 

A Lika , lorsque la future sort de sa chambre , elle 
est présentée aux convives par son frère , qui dit à 
haute voix : « Voici ma sœur! qui veut en prendre 
soin? » Le témoin s'avance et répond : cDieu et moi. > 
Il la prend alors par la main , en lui glissant une pièce 
de monnaie, et va la remettre au premier garçon 
d'honneur, qui lui fait faire trois fois le tour du foyer, 
et à chaque tour elle s'incline profondément devant 
le feu. Après cette courte cérémonie, elle reçoit la 
bénédiction de ses parents , et on se rend à l'église. 
Le cortège est toujours armé et à cheval. A côté de 
la fiancée marche son futur beau- frère, qui tient la 
bride du cheval ; elle salue tout le monde en passant, 
à Vexception des jeunes enfants et des mendiants. 

Il en est de même en Serbie et dans beaucoup de 
contrées de la Dalmatie. Mais, en Bulgarie, on va 
chercher la fiancée dans une voiture attelée des plus 
beaux bœufs que possède la maison. Deux autres vôi^ 

tures portent séparément les filles et les hommes. 

7 



98 LE DROIT COUTUMIER 

Une partie du cortège est souvent à cheval. Lorsqu'on 
se rend à l'église, la future est toujours debout dans 
sa voiture. Le témoin se trouve prés d'elle ; et à 
Téglise , elle est portée à son banc par le djever. 

Dans quelques parties de la Croatie , le jour dea 
noces commence par un déjeuner chez le futur. On 
sert trois plats seulement, et après chaque plat on 
porte les toasts : le premier, à la sainte croix ; le se-- 
eond, à Tun des trois archanges, et le troisième, au 
nom du Tout-Puissant. Les mêmes toasts sont portés 
dans la maison de la future, chez qui Ton se régale 
aussi, mais toutes portes closes; car les svati ne 
doivent pas pouvoir entrer librement. Toutefois^ 
dans cette contrée , on ne les laisse pas attendre long- 
temps , et on leur ouvre la porte à la simple demande 
de celui qui conduit le cortège. Alors on se met à 
boire , mais on évite soigneusement de parler direc- 
tement de la future ; le premier garçon d'honneur 
invite, au contraire, d'un ton plaisant l'ancien de» 
convives à se mettre à la recherche du gibier qu'on 
est venu chasser pour le futur, qui, seul dans la so- 
ciété , n'est pas encore marié ; les dignitaires de la 
noce sont toujours mariés. On va donc chercher la 
fiancée dans sa chambre et on l'amène au futur. Les 
parents les aspergent d'eau bénite; et après un court 
déjeuner, on se rend à l'église. 

Dans l'Herzégovine et le Monténégro , lorsque les 
parents donnent leur bénédiction à la future , celle-ci 
tient un verre de vin , et elle conserve ce verre durant 
toute sa vie comme une précieuse relique. 

Dans les villages des bouches de Cattaro, la fiancée 
se cache le jour des noces. Lorsque les convives se 
présentent chez elle , ses parents leur demandent s^ils 



i 



DES SLAVES MÉRIDIONAUX. 99 

recoDnaîtraient celle qu'ils cherchent, c Très-certaine- 
ment, » répondent-ils. On fait alors venir une vieille 
femme. L'hilarité est grande à la vue de cette bonne 
vieille jouant le rôle de fiancée ; et après quelques 
remontrances de la part des convives , on fait défiler 
devant eux toutes les filles de la maison. La future se 
trouve la dernière ^ mais elle est habillée comme une 
femme. « La voilà! > s'écrie-t-on ; et les femmes la 
poussent parmi les convives , du milieu desquels le 
premier garçon d'honneur la prend sous son manteau 
rouge qu'il lui jette sur les épaules. C'est alors seule- 
ment que tout le cortège peut entrer dans la maison* 
Le chef présente à la future ses cadeaux ; elle les baise 
tous en s'inclinant profondément jusqu'à terre; puis» 
elle embrasse les svatL Pendant le dîner, elle est as- 
sise à une table séparée avec les deux gargons d'hon- 
neur. Lorsque le cortège se met en marche pour aller 
à l'église, un nouvel incident l'arrête tout court. 
Devant la maison se trouvent trois outres» dont deux 
entièrement remplies de vin , la troisième pleine à 
demi. L'ancien de la maison demande au témoin s'il 
préfère vivre au village ou à la ville , et celui-ci répond : 
€ J*ai traversé bien des villes en faisant le commerce ; 
> mais je suis né au village et je le préfère à la ville. > 
En disant ces paroles» il vise celle des trois outres 
qu'il croit à demi-pleine , et s'il se trompe , on ne le 
laisse point partir avant que lui et les svati n'aient bu 
tout le vin. 

En Croatie, c'est le gargon d'honneur et la sœur 
du fiancé qui vont chercher la fiancée. Les autres 
membres du cortège se rendent directement à l'éçlise. 
 Straânica , dans le comitat de Syrmium , c'est le 
stari svat qui va chez la future ; il est accompagné du 



100 LE DROIT GOUTUMIËR 

commandant ou capitaine du cortège. Le stari svat 
apporte à la jeune fille sa robe des noces comme un 
présent de son futur mari , et il en revêt lui-même la 
fiancée. 

Sur le littoral dalmate , on ne livre pas de suite la 
future , qui est du reste fort bien cachée dans la mai- 
son. La domaéica fait venir toutes les filles de la 
communauté , et les visiteurs cherchent en vain celle 
qu'ils ont mission de découvrir. Sur ces entrefaites , 
un ou deux garçons du cortège s'esquivent et tâchent 
de découvrir la cachette de la fiancée. S'ils la trou- 
vent , ils annoncent leur découverte par deux coups 
de pistolet. 

A Risan , on ne connaît pas cette coutume. Lors- 
que le cortège arrive devant la maison , les convives 
tirent un coup de fusil. Un domestique sort, prend 
leur long fusil , le nettoie et le charge de nouveau , 
mais avec la poudre de son maître. Les convives 
étant entrés se lavent les mains, et on se met à 
table. 

Chez les Serbes , les divers toasts sont toujours 
adressés au commandant du cortège, et c'est lui qui 
doit répondre pour celui à la santé duquel on a bu. 
Ainsi, par exemple lorsqu'on porte la santé du djever^ 
on lève son verre en disant : « Que mon commandant 
j> se porte bien ! » au lieu de : « A la santé de notre 
> djever ! » etc. , etc. , et le commandant porte lui- 
même la santé du djever , qui remercie en levant et 
buvant un troisième verre de vin. Une pareille cou- 
tume existe en Hongrie dans tous les grands dîners. 

Quant à la future , elle n'apparaît à ces repas que 
vers la fin. Elle sort de sa chambre, conduite par son 
frère et par le garçon d'honneur. Son père l'atteûd , 



DES SLAVES MÉRIDIONAUX. lOÎ 

assis sur une chaise. Dès qu'ils sont tous les trois près 
de lui , il leur deD[iande ce qu'ils veulent d'un <r pé- 
cheur. > <r Nous demandons, répondent le frère et le 
> garçon d'honneur , que tu dises une bonne parole 
» à ta fille, afin que Dieu te donne aussi tout ce que 
» tu désires. » Le père prend alors un gâteau avec 
un verre de vin , et il dit : « Ma chère fille , que Dieu 
» t'accorde tout le bien que je puis me souhaiter à 
» moi-même. » Il boit ensuite quelques gouttes de 
vin et passe le verre et le gâteau à sa femme , qui 
prononce à peu près les mêmes paroles. Le verre et 
le gâteau font le tour de tous les parents , et tous ex- 
priment les mêmes souhaits. Cette cérémonie , qu'on 
appelle la bonne prière ^ se termine enfin par des 
chants , et l'on se rend à l'église. Mais le frère , qui 
ne veut point livrer sa sœur , dit au djever : <i Si tu 
» veux que je te donne une pareille fille, tu dois 
» l'adorer. > Et après une longue dispute, le djever 
donne un ou deux écus au garçon d'honneur , et la 
future lui est immédiatement livrée. 

Dans le banal de Hongrie, les filles retiennent aussi 
la future et ne la lâchent pas avant d'avoir obtenu 
une certaine somme d'argent. La fiancée doit acheter 
elle-même sa délivrance. Le premier qui entre reçoit 
d'elle un essuie-main. Son frère la remet alors au 
témoin, qui la conduit à l'église. 

Le même cérémonial ou à peu près a lieu en Bul- 
garie. Lorsque la fiancée paraît devant le témoin, 
celui-ci lui couvre le visage d'un mouchoir qu'on ne 
lui ôte qu'au domicile de son mari, ainsi que nous le 
dirons tout à l'heure, et dès qu'elle est voilée, elle 
s'incline profondément devant les convives au moins 
douze fois. 



102 LE DROIT GOUTUMIER 

A Konavlje , deux cortèges armés se mettent en 
route en même temps pour se rendre à Téglise. L'un 
part de la maison du futur et l'autre de la maison de 
la future. Ils se rencontrent à mi-chemin. Mais il 
s'agit alors d'obtenir livraison de la fiancée. Il y a de 
longues disputes , qui se terminent toujours par le 
compromis suivant : Le cortège de la future promet 
à l'autre de lui livrer la fiancée, mais à l'église seule- 
ment ; et, la paix conclue, les deux cortèges marchent 
de concert. 

Dans quelques parties de la Serbie, la future attend 
le cortège sur le seuil même de sa maison. Elle place 
un soc de charrue devant sa porte, et lorsque son futur 
descend de cheval, il doit mettre un pied sur le soc. 
Lorsque la cérémonie religieuse est terminée , on 
revient avec ordre à la maison de la mariée , où les 
convives se régalent encore une fois. Mais il y a des 
contrées, en Serbie et en Bulgarie, par exemple, où 
les jeunes mariés se rendent directement de l'église 
à la demeure de l'époux. Dans le comitat de Syrmium, 
on se sépare au sortir de l'église; chacun rentre chez 
soi, mais pour se réunir de nouveau chez la mariée, 
où la communauté du mari donne un grand dîner 
aux convives. Le cortège accompagne ensuite la jeune 
épouse, le soir et à travers tout le village, dans sa 
nouvelle maison. ABednja, village de Croatie, on 
dîne dans une auberge ou chez un ami de la famille 
de l'épouse, s'il y en a un qui demeure dans le voi- 
sinage de l'église ; mais on soupe dans la maison de 
la mariée, et l'on y reste ordinairement jusqu'à 
l'aube. A Risan , l'époux se rend seul avec ses amis 
de l'église à la maison de ses parents. Les con- 
vives et la mariée restent quelque temps devant 



DES SLAVES MÉRIDIONAUX. IQ3 i 

l'église jusqu'à ce que le jeune marié soit reatré chez 
lui. 

Vuk raconte que, dans ces contrées, les fiancés ou 
les filles qui souffrent de la fièvre se pressent autour 
de la mariée devant la porte de l'église et lui deman- 
dent à quelle époque ils seront enfin délivrés de leur 
mal. Comme il s'agit presque toujours , dans ces cas . 
de fièvre, de savoir à quelle époque on se mariera, 
la nouvelle épouse fixe ordinairement , pour la fin de 
leurs souffrances, un terme très-rapproché. Ceci dé- . 
montrerait chez les paysans de cette contrée la croyance 
à une certaine vertu prophétique dans la fille qui 
vient de recevoir le sacrement du mariage. Il serait 
intéressant de savoir si les prophéties de la nouvelle 
mariée se réalisent assez souvent pour confirmer cette 
croyance populaire. 

Le moment le plus solennel et le plus touchant de 
la journée des noces , c'est lorsque la mariée prend 
congé de ses parents, de ses frères, de ses sœurs, 
et qu'elle dit adieu à toutes les compagnes de sa jeu- 
nesse , ainsi qu'aux associés de sa maison. Dans les , 
contrées où la fiancée ne rentre plus au foyer pater- 
nel , lorsqu'elle en sort pour aller à l'église , elle fait 
ses adieux avant la cérémonie religieuse , c'est-à-dire 
au moment où elle quitte pour toujours la maison de 
ses parents. Mais , dans les autres contrées, les adieux 
se font ordinairement après le diner ou après le 
souper. 

La malle de la mariée est apportée au milieu de la 

* 

-chambre. On la recouvre entièrement d'un long et 
grand tapis sur lequel le jeune couple se met à ge- 
noux. Le père s'approche d'eux et leur demande ce 
qu'ils désirent. « Père , ta bénédiction , » répondent- 



toi LE DROIT GOUTDMIER 

ils. Le père met alors ses mains sur leur tête cour- 
bée , et , s'adressant à son gendre , il lui recommanda 
sa fille et lui dit d'être tout à la fois un père et un 
frère pour elle. « Ma puissance paternelle , ajoute-t-il^ 
» cesse maintenant. Prends donc ma fille sous ta 

> garde et sois désormais son protecteur, son soutien 

> durant toute ta vie. » Il récite ensuite la prière de 
la bénédiction. La mère prononce rarement quelques 
paroles ; mais elle se jette en sanglotant dans les bras 
de sa fille et la tient longtemps embrassée. Pendant 
que les femmes pleurent, quatre convives mettent la 
malle sur leurs épaules, et un cinquième porte le ta« 
pis. Dans l'Herzégovine, un petit garçon, frère ou 
cousin de la mariée , s'assied sur la malle et la défend 
contre ceux qui veulent l'enlever. Il faut lui donner 
une petite somme d'argent pour qu'il se décide à la 
laisser emporter. 

Enfin , le cortège se met en marche. En Croatie, les 
filles chantent : « Adieu maintenant, pauvre vieille 
ib mère ; 3> et cette chanson mélancolique dure jus- 
qu'aux approches de la maison du nouveau marié. 
On change alors de rhy thme , et l'air retentit subite- 
ment du chant plus joyeux : c Attends, attends-nous, 

> très-chère mère. ^ 

Dans l'Herzégovine , les parents de la mariée sui- 
vent le cortège jusqu'à une certaine distance de leur 
maison et souhaitent encore une fois bon voyage à 
leur fille, qui doit tourner la tête vers ses parents 
pour que ses enfants ressemblent à sa famille. Dans 
ces contrées , la future quitte la maison paternelle 
avant la cérémonie religieuse. C'est de la demeure du 
futur qu'elle se rend à Téglise. Les parents du jeune 
Jhomme attendent les nouveaux époux sur le seuil de 



DBS SLAVES MÉRIDIONAUX. 105 

leur maison. La mère tieot à la main une coupe d'ar- 
gent ou de métal , car elle ne doit pas être transpa- 
rente ; et avant que le témoin ait présenté la nouvelle 
épouse , le marié demande à sa mère ce que renferme 
cette coupe. « C'est du miel et ta bonne volonté, mon 
3 cher fils, » répond la mère. Les témoins jettent 
plusieurs pièces d'argent dans la coupe , et la mère 
boit alors quelques gouttes du liquide que la coupe 
renferme. Cette cérémonie se renouvelle trois fois. Le 
marié prend ensuite la coupe et la présente à sa 
femme , qui boit également ; il avale ce qui reste et 
met l'argent dans sa poche. 

La malle est alors portée dans la maison ; mais 
avant d'entrer, le cortège se rend au puits du village, 
dont il fait trois fois le tour. Celte espèce de proces- 
sion terminée , les nouveaux époux jettent en Tair 
leur pomme avec quelques pièces de monnaie , mais 
de manière qu'elle ne tombe pas dans l'eau , ce qui 
n'est pas très-facile ; car une foule d'enfants entou- 
rent le puits et cherchent à attraper la pomme en 
l'air. On entre ensuite à la maison. Partout où passe 
le cortège , on offre du vin aux convives ; les femmes 
leur jettent des grains de froment , ce que la soljaSa 
rend au double naturellement. Pendant le souper, la 
première fille d'honneur distribue des cadeaux à tous 
les convives au nom de la mariée , en leur disant : 
€ La jeune mariée vous offre ce cadeau ; il est petit, 
> mais l'amitié est grande. » Les convives distribuent 
aussi des présents de noce. Us mettent une obole 
dans une grande assiette placée sur la table. Dans le 
Monténégro, c'est le premier garçon d'honneur qui 
distribue les présents de la mariée. 

Après l'échange des cadeaux , le témoin conduit le 



106 LE DROIT GOUTUMIER 

nouveau couple dans sa chambre. Le mari ôte lui- 
même la couronne nuptiale de la tète de sa femme ; 
et pendant que les convives se régalent jusqu'à l'aube, 
les jeunes mariés secouchent en présence du témoin. 
Ainsi se termine le premier jour des noces sur tout 
le littoral croate. 

A Lika, la mariée, avant d'entrer dans la maison 
de son mari, jette la pomme de la noce par-dessus 
les toits ; il en est de même dans d'autres contrées. 
Ensuite, elle embrasse sa belle-mère, les sœurs de 
son mari qui l'attendent sur le seuil de la porte , 
mais le cortège ne va pas au puits , et la mariée entre 
dans la maison de son beau-père, conduite par le 
premier garçon d'honneur. Elle fait trois fois le tour 
du foyer, en s'inclinant profondément devant le feu. 
Après cette cérémonie , sa belle-mère vient s'asseoir 
devant le foyer, et la belle-fille pousse vers elle quel- 
ques morceaux de bois enflammés. On demande à la 
domaéica de la graisse , avec laquelle on prépare un 
mets tout particulier. 

Cette coutume se pratique également dans les villa- 
ges des bouches du Cattaro. Il n'y a qu'une légère 
modification. Lorsque la mariée a poussé le bois de 
l'âtre vers sa belle-mère, celle-ci se lève précipitam- 
ment , et la belle-fille fait une profonde révérence 
devant sa belle-mère qui l'embrasse. Pendant le sou- 
per , on joue à divers jeux. Les nouveaux mariés se 
sachent derrière le témoin. Si la jeune femme aperçoit 
son mari , elle lui jette une pomme. Lorsque le té- 
moin sort de la chambre nuptiale , il tire un coup de 
pistolet, et, à ce signal, les convives s'écrient : 
-« Ah ! voilà que le loup vient d'attraper un agneau ! » 

En Croatie , on offre à la mariée, sur le seuil' même 



DES SLAVES MÉRIDIONAUX. 107 

-ûe sa nouvelle demeure, une petite gerbe de froment 
«t une assiette pleine de miettes de pain qu'elle pose 
isur la table de la salle à manger. Cette coutume , 
qu'on retrouve dans les confins militaires, dans le 
Monténégro , en Herzégovine et dans le comitat de 
Syrmium, est un symbole de l'abondance qu'on sou- 
haite au jeune ménage. La mariée apporte à son tour, 
dans la maison où elle entre , un ou deux pains , qui 
sont un symbole de richesse. 

Dans le comitat de Syrmium , on lui offre au lieu 
de pain une cuillerée de miel , avec laquelle elle fait 
son entrée dans sa nouvelle habitation. Il y a des con- 
trées où elle baise le seuil de la porte et le foyer de 
la maison qui va devenir sa demeure et où elle trou- 
vera sa nourriture. Elle remue la braise du foyer en 
faisant des vœux pour « que les brebis, les poules, 
» les juments procurent autant de petits qu'il pétille 
» d'étincelles. » 

Dans beaucoup d'endroits, elle entre dans la cham- 
bre de son beau-père , s'assied sur ses genoux et à ce 
moment on lui met un enfant sur les bras , autant 
que possible un garçon. 

A Bednja, la mariée est d'abord conduite dans l'écu- 
rie par une femme de la communauté ; et là elle en- 
fonce dans le mur une pièce de monnaie. Pendant le 
dîner, elle coupe sur une assiette de bois la viande 
qui doit être servie au convives. Le père du marié se 
sert le premier, et un des invités lui dit à cette occa- 
sion : « Voilà le premier cadeau qu'elle f offre; qu'elle 
> te le donne encore cent fois ! ib 

Dans d'autres contrées de la Croatie , c'est la ma- 
riée qui est servie là première ; mais elle ne touche 
à rien. Le premier garçon et la fille d'honneur, qui 



108 ' LE DROIT COUTDMIER 

i 

sont assis à ses côtés, prennent tous les mets qui lui 
soïit destinés et les lui coupent tous en morceaux. Il 
y a cependent des contrées où la nouvelle épouse ne 
se met à table que lorsque les légumes sont servis. 
On porte alors le premier toast à la gloire de Dieu. 

A Risan, la mariée est toujours présente à la bonne 
prière y qui se fait ce jour-là comme dans sa propre 
maison. Le jeune couple se met à l'un des bouts de 
la table, qui est la place d'honneur. On leur couvre 
la tête avec un foulard, et ils restent ainsi jusqu'à la 
fin du repas. Alors la mariée offre de Teau aux con- 
vives pour qu'ils se lavent les mains. 

Dans le Banat, la nouvelle épouse n'assiste jamais 
au repas qui se donne chez ses parents, et le ma- 
rié ne s'y présente pas non plus chez lui. A Gradiâka, 
la mariée ne mange même que du laitage. On croit 
par ce repas maigre garantir les troupeaux des rava- 
ges que causent très-souvent les loups. En général , 
pendant que les gens de la noce boivent et mangent 
largement , les nouveaux mariés font très -maigre 
chère, et cela durant toutes les fêtes de leur mariage. 
Après le souper, les frères et les sœurs du marié ac- 
compagnent le nouveau couple dans sa chambre à 
coucher. Une des sœurs ôte d'abord à la mariée sa 
couronne nuptiale et lui défait les tresses de ses che- 
veux. Ensuite , la jeune femme déchausse son mari 
et lui donne un petit coup avec la botte pour indi- 
quer par là qu'il doit toujours lui être soumis. Lors- 
qu'ils se couchent, le djever les couvre et jette sur le 
lit quelques pièces de monnaie. 

Dans les bouches du Gattaro, la mariée reste la 
première nuit des noces avec les deux garçons d'hon- 
neur , entre lesquels elle se trouve également assise- 



DES SLAVES MÉRIDIONAUX. 109 

pendant le souper. Ce n'est que la seconde nuit des 
noces qu'il lui est permis de coucher avec son mari ; 
mais celui-ci entre toujours le premier dans la cham- 
bre, et il doit se mettre au lit tout habillé. Alors les 
garçons d'honneur conduisent la mariée près de lui , 
et les deux époux se couchent après s'être seulement 
déchaussés. Les convives sortent , mais pour revenir 
bientôt en chantant et apportant aux mariés un coq 
rôti encore pendu à la broche , et les deux époux sou- 
pent au lit. 

A Zumberak, en Croatie, la mariée, avant d'entrer 
dans la maison de son beau-père , monte à cheval ; 
et , tenant un petit garçon sur ses genoux , elle fait 
trois fois le tour des filles qui dansent en rond de- 
vant la maison. Cette coutume de porter un petit 
garçon, en entrant pour la première fois dans la de- 
meure du mari , se retrouve chez presque tous les 
Serbes. Elle existe encore sur le littoral croate, dans 
le comitat de Syrmium et dans le Monténégro , si ce 
n'est qu'au Monténégro la mariée tourne trois fois 
l'enfant autour de sa tête ; dans le comitat de Syr- 
mium elle s'assied avec lui sur les genoux de sa 
belle-sœur, assise elle-même sur une très-haute chaise. 
Dans le Banat, il y a des régions où la mariée porte en 
entrant un petit cochon ou un agneau. On lui pré- 
sente un garçon de deux ans qu'elle embrasse ; mais 
elle ne le porte pas dans l'intérieur de la maison et 
lui donne un ruban pour ceinture. 

Dans l'Herzégovine et le Monténégro, les mariés ne 
couchent pas ensemble la première nuit des noces. La 
jeune épouse reste tout habillée avec le garçon d'hon- 
neur, qui est ordinairement choisi parmi les frères du 
mari ; elle passe les nuits suivantes avec ses belles- 



110 LE DROIT COUTUMIER 

sœurs. Cette séparation de corps peut encore durer 
longtemps. La mère de l'époux a seule le pouvoir de 
décider cette question. Elle choisit ordinairement un 
dimanche ou un mardi, que le peuple regarde conune 
des jours heureux , mais elle reste cette nuit auprès 
de sa bru jusqu'à ce que celle-ci dorme; elle s'esquive 
alors lentement, va éveiller son fils, lui donne sa bé- 
nédiction et le fait entrer dans la chambre à cou- 
cher. 

En Bulgarie , il existe une singulière coutume. A 
l'arrivée des époux dans leur nouveau domicile, la 
mère du marié, sur le seuil de la porte, offre du pain, 
du sel et une bouteille de vin ; puis , on attache à la 
taille de la mariée une de ces longues ceintures que 
portent les paysans dans ces contrées, et, la tirant 
avec force par les deux bouts de cette ceinture, on tâ- 
che de la faire entrer dans la maison ; mais elle ré- 
siste. Enfin, le domaéin ou la domaéica lui promet 
une vache ou une brebis. A cette promesse , la ma- 
riée s'incline sept fois devant le doma6in et consent à 
entrer dans la maison. 

A Ljeskovac, on va jusqu'à lui promettre quelques 
arpents de terre ou une maisonnette. Dans le comi- 
tat de Syrmium , au contraire , c'est la mariée elle- 
même qui doit payer rentrée. La cuisinière, tenant à 
la main une cuiller à pot, se met devant la porte, qui 
est barricadée au moyen d'un baquet. La jeune ma- 
riée lui donne quelques pièces d'argent» et le passage 
devient libre aussitôt. 

En Bulgarie, le repas des noces a lieu dans la cour 
de la maison, même en hiver. La mariée seule reste 
dans sa chambre, et son mari, pour entrer chez elle» 
doit livrer un véritable combat aux jeunes gens qui 



DES SLAVES MÉRIDIONAUX. lit 

en défendent l'entrée et qui lui montrent par là com- 
bien ils lui envient son bonheur. 

A Ljeskovac, on boit avant le dîner une boisson 
composée de vin, de poivre et de miel. Pendant tout 
le repas, le cierge des noces est allumé. [Lorsque les 
jeunes époux vont se coucher , la sœur du mari se 
tient devant la porte de la chambre , où elle attend 
que son frère vienne lui dire que la mariée avait con- 
servé son innocence ou qu'elle l'avait perdue. Si la 
pureté de la jeune femme est constatée , la joie re- 
double dans la maison. Tout le cortège se rend avec 
le mari chez les parents de la mariée et lui apportent 
divers cadeaux, entre autres un petit tonneau d'eau- 
de-vie. Le mari paie alors le prix de Vogrluk pro- 
mis aux fiançailles, et les parents vont chez la jeune 
femme, qui est naturellement très-heureuse de cette 
visite. Dans le cortège se trouve un jeune homme^ 
qui porte sur le dos un mouton, dont les cornes sont 
dorées et auxquelles sont attachées des pommes 
toutes dorées également. C'est à ce moment qu'on 
ôte à la mariée son voile, et on continue de se réga- 
ler jusqu'à l'aube. 

Mais si la jeune femme avait perdu sa virginité pen- 
dant qu'elle était fille, ce qui arrive très-rarement, et 
dès que les convives apprennent cela, la musique se 
tait ; on se sépare sans bruit, et la plus grande tris- 
tesse règne parmi les convives. Le père de la femme 
doit payer la honte faite à la maison, ou bien on lui 
renvoie sa fille. Mais si on la garde, sa honte est pro- 
clamée dans tout le village. Une vieille femme de la 
communauté la publie à tous les coins de rue. On 
n'échange plus de présents, et le prix de Vogrluk n'est 
pas payé à la mère, car elle a trop mal gardé son enfant. 



il 2 LE DROIT COUTUMÏER 

Les fêtes nuptiales se terminent rarement en une 
journée ; elles durent très-souvent deux semaines. Le 
lendemain des noces, on se lève de bonne heure. La 
mariée doit tout mettre en ordre dans la maison et 
préparer le café qu'elle sert elle-même au déjeuner 
des convives. A Risan, elle offre le café à tout le 
monde, excepté à son mari, mais par timidité seule- 
ment. Il y a des contrées où l'on déjeune chez le té- 
moin. Après le déjeuner, on se rend à l'église, et de 
là on va faire une visite aux parents de la mariée. Un 
splendide déjeuner chez les nouveaux époux termine 
joyeusement cette seconde journée. 

A Risan, ce sont les parents de la jeune femme qui 
font la première visite. Tous sont en habit de fête. 
On apporte beaucoup de cadeaux, mais on en reçoit 
aussi. Cette visite est rendue le troisième jour; toute- 
fois la mariée ne va à l'église que le premier diman- 
che ou la première fête après les noces. Elle est parée 
ce jour-là comme pour son mariage. Toutes les fem- 
mes de sa famille et de la famille de son mari se 
réunissent chez elle et l'accompagnent à la messe, à 
l'exception des hommes qui font pour ainsi dire bande 
à part. Après la messe, les femmes s'embrassent de- 
vant l'église et saluent les hommes. Jusqu'à ce jour 
la nouvelle mariée est censée fille , mais dès le len- 
demain on la range parmi les femmes ; elle ne porte 
plus de couronne et n'est plus obligée , comme fian- 
cée, de s'incliner par respect devant tout le monde. 

Dans quelques parties du littoral dalmate , on con- 
duit également la jeune mariée pour la première fois 
à l'église le dimanche qui suit les noces, et de l'église 
on se rend chez ses parents. Le mari, avant d'entrer 
dans la maison de son beau-père, doit donner des 



DES SLAVES MÉRIDIONAUX. 113 

preuves de son talent comme bon tireur. II prend un 
fusil, vise une figure de bois attachée à un arbre de 
la cour et, s'il la touche, on lui ouvre les portes. Le 
dimanche suivant, les parents de la jeune femme vont 
lui rendre sa visite. Le troisième jour après les no- 
ces, on distribue des gâteaux aux voisins, afin qu'ils 
prennent part aux réjouissances des fêtes nuptiales 
et qu'elles ne leur portent pas ombrage. 

Chez les riches paysans du littoral croate, huit 
jours après les noces on donne une nouvelle fête. La 
musique du village va chercher les filles d'honneur, 
qui ont chacune préparé une galette, ornée d'un petit 
drapeau, couverte d'un mouchoir, et qu'elles portent 
sur la tête. Tout le cortège des filles se rend ainsi, 
d'abord chez le témoin, qui, portant une poule rôtie , 
s'en va avec les filles chez les nouveaux mariés et on 
s'y régale encore une fois très-gaiement. 

Une coutume fort répandue chez les Serbes et 
qu'ils B.p^llent poljevai^ina , c'est-à-dire arrosement, 
s'accomplit le lendemain ou le troisième jour après 
les noces. A Lika, ce sont les belles-sœurs qui ap- 
portent de l'eau aux mariés pour se laver le lende- 
main des noces. Au grand dîner de ce jour, auquel 
tous les invités de la veille prennent part, les sœurs 
du marié apportent une cruche d'eau sur une assiette 
avec un essuie-main, et tous les convives se lavent 
les mains, puis ils jettent une pièce de monnaie dans 
Tassiette. Le soir, la jeune mariée distribue des ca- 
deaux. 

Dans la haute Croatie, tout le cortège, nuptial, mu- 
sique en tête, se rend le lendemain des noces au puits 
du village, où l'on se fait toutes sortes de farces. On 
s'arrose réciproquement ; on ne boit que de l'eau ce 

8 



114 LÉ DHOIT COUTUMIËR 

jour-là et on mange du pain sans levain. Pendant 
qu'on s'amuse , la mariée doit tâcher de remplir un 
verre d'eau à l'improviste , et si elle y parvient , on 
rentre aussitôt à la maison. Là, elle se met à nettoyer 
et à arranger les chambres , mais les convives font 
tout leur possible pour l'empêcher dans son travail. 
Ils renversent les meubles, mettent tout en désordre, 
de telle sorte que les femmes de la maison doivent 
venir l'aider et on finit par remettre tout en ordre. 

A Gradiàka et à Brod, la mariée va de maison en 
maison avec de l'eau et une serviette pour faire laver 
les mains de tous les voisins et de toutes les voisines, 
et on la régale partout. Le soir, les convives viennent 
souper chez elle ; mais chacun lui apporte un cadeau 
et elle leur en distribue aussi. Ce soir-là, le jeune 
couple doit danser devant chaque convive pour faire 
voir qu'il n'est pas boiteux. 

Aux Bouches de Gattaro, la mariée doit se lever de 
bonne heure , et après avoir mis tout en ordre dans la 
maison, elle va chercher de l'eau au puits. Elle en offre 
à tous les convives qui ont passé la nuit dans la mai- 
son et qui se débarbouillent le visage et les mains avec 
cette eau, et puis chacun lui fait un présent. Dans le 
Monténégro, où la fête des noces ne dure qu'un jour, 
cette eau est apportée après le dîner. 

Dans le comitat de Syrmium, l'échange des ca- 
deaux a lieu ; mais la coutume de se laver les mains 
n'existe pas. Le lendemain des noces, et de bon ma- 
tin , le maître des céromonies {<^jo) du cortège va ré- 
veiller les nouveaux époux en tirant trois coups de 
pistolets sous leurs fenêtres. La sœur du mari entre 
alors dans la chambre pour coiffer la mariée d'un 
mouchoir. Le cajo lui met la coiffure des femmes ; et, 



t)Eâ SLAVES MÉRIDIONAUX. 115 

avant d'aller déjeuner, la jeune femmes embrasse les 
convives qui lui offrent dès cadeaux. Toute cette 
journée se passe, dans le comitat de Syrmium, chez le 
témoin, et c'est après le souper seulement que les 
jeunes époux rentrent avec les convives à la maison, 
où la mariée fait la distribution des cadeaux. 

Chez les Bulgares, cette espèce de procession à Teau 
se fait très-solennellement. A Ljeskovac, elle a lieu le 
troisième jour des noces , c'est-à-dire un mardi ; car 
le lundi est un jour de repos, ou plutôt une prépara- 
tion aux fêtes du lendemain qui commencent de bonne 
heure par un déjeuner. La mariée apporte de l'eau 
aux convives, qui se lavent les mains et lui donnent 
ensuite quelques pièces de monnaie. Vers minuit, les 
mariés se lèvent, distribuent les cadeaux entre leurs 
plus proches parents, et, à partir de ce moment, ils 
doivent se séparer jusqu'au mardi suivant, à minuit. 
Ceux qui ont reçu des présents de noces se rendent 
en chantant chez les parents de la mariée qui les ré-* 
galent très-bien, et ils lui apportent à leur retout 
quelques ustensiles de ménage avec un peu d'argent 
que la mère envioe à éa flUe pour la récompenser 
d'avoir si bien gardé son honneur. Ce jour-là, on ôte 
à la mariée le voile qu'elle portait depuis son ma-* 
riage. 

La cérémonie a liéii dans le verger. Sous un poni-* 
mier se trouve un seau rempli d'eau, dans lequel on 
jette quelques pièces de nfionnaie. 

Le voile ayant été ôté, les femmes se réunissent en 
cercle; en mettant la mariée au milieu, elles tour- 
nent trois fois autour d'elle. Puis elle renverse le seau 
d'eau avec le pied, et des enfants qui portent le voile 
sur un bâton ramassent l'argent jeté dans le seaUi 



* k 



116 LE DROIT COUTUMIER 

C'est le lendemain que la mariée se rend au puits au 
son de la musique et avec tout le cortège. Elle fait 
trois fois le tour du puits et jette une poignée de 
millet aux quatre coins. Le garçon d'honneur remplit 
ensuite une cruche d'eau , y jette quelques pièces de 
monnaie et la porte devant la jeune femme qui la 
renverse du pied comme la veille ; mais elle la rem- 
plit de nouveau et l'apporte à la maison toujours ac- 
compagnée de la musique et du cortège. 

A Tatar-Pazardzik , c'est le 7/19 janvier, fête de 
Saint-Jean-Baptiste , que le garçon d'honneur con- 
duit la nouvelle mariée à la rivière. Le djever perce la 
glace et plonge la jeune femme tout habillée dans 
l'eau. Lorsqu'elle en sort, elle s'incline trois fois de- 
vant le djever et lui donne un ogrluk en lui baisant la 
main. A son tour , le djever lui donne , suivant sa 
fortune, un écu ou un ducat. SU n'y a pas de ri- 
vière dans le village, cette cérémonie se fait au puits. 
A partir de ce jour, le djever et la mariée se regardent 
comme frère et sœur. 

Cependant les devoirs du djever ne sont pas encore 
tous remplis. Il doit régaler les jeunes mariés le ven- 
dredi et le samedi après la noce, et à ce dîner on sert 
du miel, des raisins secs et du maïs rôti. A côté de ce 
plat , se trouve de la laine , un écheveau de laine et 
un fuseau. La mariée s'assied, prend une quenouille 
et se met à filer de la laine trois fois le tour du fuseau. 
Cela fait , le djever lui offre le plat de maïs qu'elle 
met de côté en baisant la main du djever. Elle lui 
donne ensuite des cadeaux, et un dîner termine gaie- 
ment la fête. Une semblable coutume existe aussi à 
Gradiàka et à Brod dans les confins militaires croates , . 
où la mariée doit filer le dimanche après la noce avec 



DES SLAVES MÉHIDIONAUX. 117 

une quenouille donnée par les frères de son mari. 

L'entrée des nouveaux mariés dans l'église a tou- 
jours lieu très-solennellement, le premier dimanche 
après la noce. La jeune épouse porte sa robe nuptiale, 
et cette journée est encore une fête pour toute la fa- 
mille. La messe finie, on félicite la jeune femme, 
qui distribue des cadeaux à tous ceux qui lui ont 
adressé leurs félicitations. Dans quelques contrées, la 
mariée va ainsi parée à l'église pendant trois diman- 
ches consécutifs, et chaque fois elle distribue des ca- 
deaux. Les cérémonies et les fêtes de la noce sont 
alors erminées. 

Le mariage doit être regardé comme irrévocable- 
ment conclu, lorsque les deux fiancés ont fait serment 
devant le prêtre de se prendre pour époux. Aussi le 
peuple ne semble pas considérer la consommation du 
mariage comme indispensable à son accomplissement. 
Nos sources, il est vrai, n'en font mention qu'une seule 
fois. Mais, ainsi que nous l'avons dit plus haut, comme 
il se passe quelquefois des mois entiers avant que le 
mariage ne soit consommé, le Serbe ne peut pas croire 
que, pendant si longtemps, le mariage soit en suspens. 
, Les anciens canons de l'Eglise orthodoxe ne recon- 
naissent pas non plus le maVrimoniv/mTion consumma" 
tum comme une cause légitime et naturelle de divorce , 
et il n'existe chez les Serbes aucune cérémonie spéciale 
qui ait rapport à l'accomplissement du mariage. 

Nous avons vu seulement qu'on tourne trois fols 
autour de la mariée devant le foyer de son beau-père, 
que le témoin la fait tourner autour de lui en lui 
tendant l'anneau nuptial. La jeune épouse marche 
également, en Croatie, trois fois autour de la table, 
apfès être entrée pour la première fois dans la maison 



118 L£ DROIT GOUTUMIER 

de son mari. Au premier tour, elle met des gants sur 
un clou ; au second, elle y attache un essuie^mains et 
une podvija^a (i) au troisième tour> Chez les ortho- 
doxes, la cérémonie religieuse étant terminée, les an- 
neaux ayant été échangés, les époux se rendent au 
milieu de l'église, où se trouve sur une table le livre 
des Evangiles, et c'est là qu'a lieu le couronnement 
des mariés ; car on met une couronne sur la tète des 
deux époux. Ensuite ils boivent du vin dans une 
coupe d'argent, comme pour faire' serment qu'ils par- 
tageront ensemble le bonheur aussi bien que le mal- 
heur. En Russie, les garçons d'honneur tiennent ces 
couronnes sur la tête des mariés, comme un témoi- 
gnage de fidélité mutuelle. Les époux font ensuite 
trois fois le tour de la table, et ^toute la cérémonie 
religieuse est alors terminée. 

Dans le mariage, Thomme est le chef de la maison ; 
la femme doit lui obéir ; mais , à son tour , le mari 
doit la défendre et la protéger , il doit aussi la pour- 
voir de tout ce que la communauté ne lui donne 
pas. Les deux époux se doivent réciproquement pro- 
tection, amour et fidélité; ils ont le même devoir 
pour l'éducation et l'entretien de leurs enfants. La 
femme partage toujours le domicile de son mari. 
Dans les anciens temps, le mari avait le droit de pu- 
nir sa femme. « L'homme est la tète , dit un pro- 
2> verbe ; la femme n'est que l'herbe. > Les deux 
époux ne s'appellent jamais par leur nom de bap- 
tême. Lorsque le mari vient à mourir , sa femme 
ne le désigne que par ce mot lui ou le défunt. Mais 



(1) Le coussinet que les femmes mettent sur leur tête pour porter en 
équilibre des fardeaux. 



■ 






DES SLAVES MÉRIDIONAUX. 119 

le mari écoute toujours les conseils de sa femnie 
et défend son honneur au péril même de sa vie. 
Leurs relations intimes sont très-pudiques» surtout 
durant les premières années du mariage. La femme 
sert son mari ; elle ne sort pas de la maison sans son 
consentement» et il lui est défendu de vendre et d'enga- 
ger quoi que soit à son insu. Les femmes se mettent 
rarement à table pour prendre leur repas, et c'est le 
mari qui distribue à chacune sa portion. Mais si le 
domaéin commande quoique chose à une femme dans 
rintérét de la communauté» son ordre domine tou- 
jours celui du mari. Dans l'Herzégovine el le Monté- 
négro, lorsque le mari rentre à la maison , sa femme 
va au-devant de lui» le débarrasse de son manteau et lui 
apporte le i^ibuk. Dans les affaires domestiques, c'est » 
au coutraire» la femme qui est la maîtresse absolue. 

Nous avons déjà parlé du domazet. C'est ainsi que 
les Serbes appellent l'homme qui entre en se mariant - 
dans la maison de sa femme , seule héritière de la 
fortune. Une fois que le mari ou domazet s'est fait 
inscrire dans la maison , il est le maître comme les 
autres maris, c La vache a cherché un bœuf» dit un 
1 proverbe; elle en a trouvé un. > Toutefois» le do- 
mazet n'est pas très-estimé dans sa nouvelle famille. 
On lui rappelle souvent que toute la fortune appar- 
tient à sa femme. 

En Dalmatie et dans le comitat de Syrmium, le do- 
mazet conserve son nom de famille pour lui et ses 
enfants. Dans l'Herzégovine» sa nouvelle maison l'ac- 
cepte devant toute la commune assemblée. On dé- 
cide alors s'il gardera son nom ou s'il prendra celui 
de sa nouvelle famille. En Bulgarie, ij devient l'asso- 
cié de la communauté dans laquelle il entre par son 



ii 



I 



120 LE DROIT GOUTUMIER 

mariage. Il ne change pas de nom , mais il perd le 
sien avec le temps ; car ses voisins^ ses amis et puis 
tout le village ne rappellent que du nom de la famille 
de sa femme. 

Tout ce que la femme apporte en dot lui reste en 
administration , en jouissance et en propriété. En fait , 
surtout si ces biens ont peu de valeur comme dans les 
&milles pauvres , ils sont confondus pendant le ma- 
riage avec ceux du mari. Dans les familles riches^ la 
femme dépense les revenus de sa dot au profit du mé- 
nage ;^ elle en conserve toujours l'administration et la 
propriété. Le trousseau et les bijoux de la femme ne 
peuvent^ sous aucun prétexte, passer au mari ni être 
saisis par ses créanciers. Quant aux acquisitions réa- 
lisées pendant le mariage (ce qui suppose des époux 
vivant hors de toute communauté ^ car autrement 
celle-ci y aurait droit), elles sont entre les mains du 
mari comme représentant de la maison. Les enfants 
héritent toujours par indivis de la dot de leur mère. 

En Croatie, la coutume est tout à fait différente. Ce 
sont les filles seules qui héritent de la dot de leur 
mère après sa mort ; les garçons n'y ont aucun droit, 
à moins que , mariées du vivant de leur mère , les 
filles aient reçu les robes et les parures ou bijoux que 
celle-ci avait dans sa dot. En ce cas , elles ont perdu 
tout droit à la succession. Les vêtements que la mère 
peut laisser après sa mort appartiennent aux femmes 
des garçons. Si elle n'a pas de filles parmi ses héri^ 
tiers, elle peut disposer librement de sa dot; et, meurt- 
elle sans testament , ses plus proches parents devien- 
nent les héritiers naturels. 

Dans l'Herzégovine et le Monténégro , lorsqu'une 
femme meurt sans enfants, les robes et la malle, où 



DES SLAVES MÉRIDIONAUX. 121 

elles sont mises le jour des noces , appartiennent à 
ses propres parents. Si elle ne laisse qu'un enfant 
mineur y on ne touche à rien de ce qui est dans la 
malle jusqu'à sa majorité. Outre les robes , la mère 
possède comme propriété personnelle tous les cadeaux 
qu'on lui a faits à ses noces. 

Dans quelques parties de la Bulgarie, le tiers des 
cadeaux et des bijoux ou parures de la femme appar- 
tient à son mari survivant, et les deux autres tiers à 
ses enfants. S'il n'y a pas d'enfants, le mari a droit à 
la moitié, et l'autre moitié revient aux parents de la 
femme. 

À Ljeskovac , en Bulgarie , les enfants succèdent à 
leur mère; après eux le père et la mère de la défunte 
sont ses héritiers ; et en cas de mort de ceux-ci, c'est 
le mari qui hérite ; mais, dans tous les cas, il prélève 
ou garde ce qu'il a donné. Pendant la vie, tous les 
biens non communs sont administrés par le mari. La 
femme peut vendre certains objets de modiqiie valeur, 
en cas de maladie grave ou de longue absence de son 
mari ; elle peut même disposer des choses communes, 
mais elle doit en rendre compte plus tard à son mari. 
Si, après la mort de celui-ci, les enfants sont encore 
en bas âge , la femme devient domaéin à la place de 
son mari, et elle administre le bien jusqu'à ce que 
son fils aîné soit majeur ; mais elle ne peut vendre 
aucun immeuble , sauf les cas d'extrême nécessité. 

Le domazet jouit des mêmes droits que le mari ; 
seulement il ne peut rien vendre sans le consente- 
ment de sa femme, qui a le droit de tester. Mais tout 
ce que les époux ont gagné ensemble leur appartient 
en commun. 

D'après l'opinion des Serbes, le mariage dûment 



122 LE DROIT COUTUMIER 

conclu est indissoluble. La mort à peine peut le rom- 
pre, car le peuple croit que les époux vivront ensem- 
ble au paradis. L'adultère parait être chez eux la seule 
cause de dissolution du mariage. 

Dans l'Herzégovine, si la femme vole son mari, ou 
qu'elle vende à son' insu quelque chose de la fortune, 
ou qu'elle sente mauvais de la bouche, on admet que 
le mari peut la renvoyer. 

En Bulgarie, le divorce est admis, lorsque la femme 
se trouve enceinte au moment de son mariage, ou si 
elle devient folle. Mais si le mari renvoie sa femme 
pour toute autre cause , ce qui du reste arrive très- 
rarement, il est obligé de lui donner une somme d'ar* 
gent et de pourvoira tous ses besoins; et lorsqu'il y 
a des enfants, ils restent toujours auprès du père. 

En Bosnie, chez les Serbes mahométans, le mari 
peut renvoyer sa femme et se remarier ; maisi il doit 
lui payer la ni6a ; et dans le cas où elle aurait un 
enfant à la mamelle, il est également tenu de lui 
donner une somme d'argent pour l'entretien du nour- 
risson. Les autres enfants p^us avancés en âge restent 
avec le père. 

Quant à la séparation de lit et de table , elle ne 
semble être connue que chez les Serbes de l'Autriche^ 
Hongrie. C'est évidemment l'influence des lois écrites 
qui a fait pénétrer cette sorte de séparation dans les 
usages du peuple. 

Dans les cas de divorce , la femme emporte toute 
sa dot. Si le divorce est le fait du mari , on con- 
vient d'une certaine somme qu'il doit payer à sa 
femme. En Bulgarie , il doit l'entretenir de tout du- 
rant sa vie. Quant aux enfants, ils restent auprès du 
père, à l'exception du nourrisson que la mère garde , 



t)ES SLAVES MÉRIDIONAUX. 123 

mais pour le rendre plus tard à la communauté du 
père. Dans les confllis militaires , la femme divorcée 
emmène avec elle tous les petits enfants , et le père 
est obligé de fournir une dot à ceux-ci ; mais les fil- 
les nubiles peuvent choisir entre leur père et leur 
mère. Si elles préfèrent habiter avec celle-ci, c'est 
toujours le père qui leur donne une dot. Il arrive sou- 
vent qu'on fait décider cette question par les tribu- 
naux, surtout en Hongrie. 

La femme qui n'a pas d'enfants peut léguer sa dot 
à qui elle veut ; mais si elle meurt sans testament , 
sa dot revient à son mari , à l'exception des robes 
qui appartiennent à sa mère ; si cette dernière est 
morte, les robes reviennent de droit aux sœurs de la 
défunte ou à ses belles-sœurs. Dans la haute Dalma- 
tie, le mari rend tout à la famille de sa femme ; il ne 
retient que les cadeaux faits par lui aux fiançailles 
ou au mariage. En Serbie , la femme emporte toute 
sa dot après la mort de son mari ; et quand mêmç 
elle aurait des enfants, elle n'est pas tenue de leur 
donner une partie de ce qui lui appartient. 

Dans le mariage, les époux ont le même droit sur 
les enfants. Cependant l'autorité du père est plus 
grande, et il a une influence plus directe sur les gar- 
çons , tandis que les filles et les petits enfants restent 
sous la garde immédiate de la mère. Le père jouit 
d'une grande puissance sur tous ses enfants. « Il est 
> pour le fils comme un Dieu sur la terre ; » et le 
fils lui doit une obéissance illimitée ; mais dès qu'il 
est marié ou qu'il entre au service militaire , le père 
n'a plus aucune puissance sur lui. Néanmoins, le fils 
est toujours obligé de payer les dettes de son père, 
quand même il n'aurait rien reçu de lui. En général , 



I 



124 LB DROIT COUTUMIER. 

pendant la vie du père, les fils ne peuvent prétendre 
en rien au pécule de leur père ni à ses bénéfices ; 
mais ils ont les mêmes droits que lui sur les biens de 
la famille. Ils peuvent quitter la maison paternelle 
avant leur mariage» mais en fait ils ne le font qu'après 
cette époque. Le plus jeune seulement reste à la 
maison. Si le père n'est pas doma^in, il n'a de puis- 
sance que sur les petits enfants; c'est le domaéinf 
pour tout ce qui concerne les affaires, qui exerce 
l'autorité sur les garçons adultes. La puissance sur 
les filles cesse dès qu'elles se marient. 

Dans quelques contrées , le fils mineur, même ma- 
rié , reste sous la puissance de son père et de sa mère , 
ainsi que ses propres enfants. Mais il n'existe en gé- 
néral qu'un simple lien moral entre le père et son 
fils marié, surtout après le partage. Il en est de même 
pour les filles, c La fille mariée , i dit un proverbe , 
c est une voisine désirée. > Souvent les parents de la 
fille interviennent amicalement auprès de son mari , 
lorsqu'il y a mésintelligence entre eux. Si le mari se 
sépare de sa femme , celle-ci retourne chez ses pa- 
rents ; mais^ si elle osait quitter son mari par suite de 
disputes, les parents la lui renverraient, quand même 
le mari aurait tous les torts, c La mauvaise odiva (1) 
» se plaint à ses parents , mais la bonne souffre sans 
» rien dire. > 

Pendant la vie du père, surtout dans les petites 
familles , ses enfants ont rarement un bien à eux. Ils 
lui donnent même ce qu'ils gagnent à leurs moments 
de loisir, ou bien ils le remettent au domaéin pour la 



(l) Toute fille mariée devient odiva vis-à-vis de la communauté oh 
elle est née. 



■* 



DES SLAVES MÉRIDIONAUX. 125 

communauté. Mais la communauté ou le père leur 
fournit la chaussure , le vêtement , etc. , etc. Toute- 
fois , dans les confins militaires» si les gardiens du 
bétail de leur père surveillent aussi des troupeaux 
étrangers , ils reçoivent pour ce surcroît de service un 
paiement en nature ou en argent. Ce qu^ils gagnent 
ainsi et ce qu'ils peuvent trouver dans les champs , 
ou ce qu'on leur donne en cadeau , leur appartient. 
Ils héritent aussi de la dot de leur mère , après sa 
mort. Dans quelques contrées , ils peuvent même 
avoir des immeubles , ce qui parait d'ailleurs être 
très-rare. 

L'institution de l'adoption se rencontre aussi dans 
les coutumes serbes ; toutefois , les adoptions ne sont 
pas fréquentes. D'abord , les mariages sont en général 
très-féconds, et, par conséquent, les familles nom- 
breuses ; et lorsqu'un vieillard reste sans postérité, il 
aime mieux s'associer avec une autre communauté , à 
laquelle il lègue tous ses biens et qui prend soin de 
lui jusqu'à sa mort. Quelquefois , au lieu de se faire 
inscrire dans une maison, il prend chez lui toute une 
famille pauvre , mais honnête , et il fonde ainsi une 
nouvelle communauté. 

Les enfants adoptifs sont ordinairement des orphe- 
lins ; car ce serait une très-grande honte de quitter 
ses parents et de changer de famille. Ceux qui adop- 
tent sont presque toujours, des gens riches et âgés , 
sans enfants , sans espoir d'en avoir , et qui se don- 
nent ainsi un héritier. Lorsqu'ils vivent en bonne 
amitié avec les divers membres de leur parenté, c'est 
parmi eux que l'enfant adoptif est choisi ; mais on fait 
très-souvent une adoption parce qu'on est brouillé 
avec sa famille. 



126 LE DROIT COUTUMIÊR 

ËD Serbie , celui qui n'a que des flUes marie l'aî- 
née , et , s'il est trop vieux pour conduire lui-même 
sa maison , il prend chez lui son gendre comme do- 
mazet. Tout le bien appartient dès lors à cette fille; 
les autres n'ont droit qu'à leur entretien. La loi écrite 
des Serbes prescrit le partage égal entre les filles. Le 
peuple ne renonce pourtant pas à sa vieille coutume ; 
et pour éluder la loi , les filles cadettes donnent leur 
part d'héritage au beau-frère et à sa femme. Lorsque 
l'enfant adoptif n'est pas orphelin , le consentement 
de ses père et mère est nécessaire pour l'adoption. 
Dans quelques contrées, il lui faut, en outre > le con- 
sentement de l'association * à laquelle appartiennent 
ses parents. En Autriche , on exige même celui de 
l'autorité publique ; en Bulgarie , celui de la com- 
mune. 

Les femmes peuvent adopter, lorsqu'elles se trou- 
vent à la tête d'une maison et qu'elles n'ont ni enfants 
ni un proche parent pour administrer le bien et con- 
tinuer la communauté. 

L'adoption se fait solennellement chez les Serbes. 
Dans l'Herzégovioe et le Monténégro , on invite à la 
cérémonie les maîtres de toutes les maisons du vil- 
lage, ainsi que le prêtre;, et celui qui adopte lève 
son verre : il fait la déclaration que c Dieu ne lui 
» ayant pas donné d'enfants , il est dans la ferme ré- 
» solution d'adopter le garçon N. pour son fils. » Il 
se tourne alors vers l'enfant et lui dit : « Tu m'obéiras 
» comme à ton véritable père, et je t'élèverai comme 
» mon propre fils. > En Bosnie, le père adoptif et 
l'enfant qu'il vient d'adopter se ceignent ensemble 
de la ceinture du père. L'adoptant prononce les pa- 
roles suivantes : « Ce sera mon enfant; après ma 



DES SLAVES MÉRIDIONAUX. 127 

> mort , il héritera de tous mes biens. » En Bulga- 
rie comme dans plusieurs autres contrées , on ne fait 
pas pour l'adoption de cérémonie particulière. Le père 
adoptif donne seulement un vêtement neuf à l'enfant 
quMl adopte. Les vieux habits restent chez les parents 
de l'adopté. Dans les copfins militaires , l'adoption se 
fait aujourd'hui devant l'autorité et par écrit , ce qui 
n'avait pas lieu autrefois. Il paraîtrait donc que cette 
manière d'adopter résulte plutôt de prescription des 
autorités militaires que d^une coutume nationale. 

L'enfant adoptif entre dans tous les droits d'un en- 
fant légitime. Il prend le nom de son père adoptif; 
mais pas dans toutes les contrées slaves. En Autri- 
che, pour avoir le droit de changer de nom, il faut 
le consentement des autorités publiques. Quant aux 
filles adoptives, on les marie et on leur donne une 
dot, mais on ne leur cherche pas un domazet; elles 
n'héritent pas des biens de la maison adoptive. 

Lorsqu'un enfant en bas âge est adopté , il n'y a 
plus entre lui et ses parents naturels que des liens 
moraux. Aussi ses père et mère ne sont plus obligés 
de veiller à son éducation ni de l'entretenir, et il n'a 
plus aucun droit sur la succession de ses parents 
naturels. Il devient pour eux comme une flUè ma- 
riée ; il ne cesse pas cependant d'avoir de la vénéra- 
tion pour son père, qui a toujours une véritable 
confraternité d'amitié avec le père adoptif. Toutefois, 
à Lastovo, ile de TAdriatique, et à Sinj, en Dalmatie, 
l'enfant adoptif ne perd aucun de ses droits à l'hé- 
ritage de ses parents naturels ; il peut toujours en 
disposer librement. 

Quant à l'âge où il est permis d'adopter et d'être 
adopté , il n'est pas déterminé exactement. On adopte 



128 LE DROIT COUTUMIER 

ordinairement dans un âge peu avancé des jeunes 
gens de quinze , dix-huit ou vingt ans. Si le père 
adoptif n'est pas marié ^ il ne prend pas un enfant 
au-dessous de sept ans. Nous avons déjà dit qu'un 
vieillard sans enfants et sans proches parents fait ve- 
nir chez lui toute une famille qui hérit^ de ses biens, 
comme si elle était parente du vieillard. Sauf ce cas , 
l'adrogation , dans le vrai sens du mot, j^-est pas con- 
nue chez les Serbes. 

Chez un peuple aussi charitable que le Serbe , et 
dont un vieux proverbe dit que « celui qui ne con- 
> naît pas la charité ne connaît pas Dieu, » il doit 
souvent arriver que les familles aisées reçoivent des 
enfants pauvres dans leur maison. On les élève comme 
les autres enfants de la communauté ; mais s'ils doi- 
vent avoir une grande estime pour leurs bienfaiteurs, 
et s'ils ont à remplir diverses obligations morales, 
il ne leur en revient aucun droit ; car il n'y a pas 
adoption. L'enfant peut quitter la maison dès qu'il est 
en état de vivre de son travail , et il ne demande ja- 
mais aucun dédommagement pour les travaux qu'il a 
pu faire dans la maison. Il a été élevé et entretenu 
jusqu'au moment où il a pu se suffire à lui-même. 
C'est là son véritable dédommagement. Il^peut entre- 
prendre tout ce qu'il veut. Si c'est une fille, elle reste 
dans la maison de son bienfaiteur jusqu'à ce qu'elle 
se marie. 

Il nous reste maintenant à parler des enfants natu- 
rels , de leurs droits et de leurs devoirs. Nous avons 
déjà dit que les enfants naturels sont très-rares chez 
les Serbes , du moins dans les campagnes. Dans les 
confins militaires , les artisans qui vivent souvent en 
concubinage ont des enfants illégitimes ; mais le peu- 



DES SLAVES MÉRIDIONAUX. 129 

pie regarde cela comme un grand malheur. Il n'y a 
pas de nom plus méprisable pour le Serbe que celui 
de bâtard. Si la mère tue son enfant pour cacher sa 
honte et qu'on trouve le cadavre , on ne l'enterre pas 
dans le village , de peur que le lieu où reposent ces 
êtres malheureux ne soit tôt ou tard dévasté. On leur 
creuse donc une fosse profonde dans une forêt loin- 
taine et déserte. 

Toutefois, malheur au père qui ne veut pas recon- 
naître son enfant ! Il est obligé d'épouser la mère, ou 
du moins de prendre l'enfant dans sa maison. Dans 
ce dernier cas , les relations de l'enfant avec son père 
sont celles d'un enfant légitime. Et si le père n'est 
pas connu , l'enfant reste chez sa mère. Il devient 
membre de la communauté de son grand-père mater- 
nel , dont il porte le nom. L'enfant naturel , reconnu 
par ses parents, jouit des mêmes droits que l'enfant 
légitime. Il porte le nom de son père. Quant aux 
enfants dont le père est inconnu, ils reçoivent au bap- 
tême le nom de famille de leur mère ou toute autre 
dénomination. 

Dans les Bouches de Gattaro , par exemple , où il 
y a une maison spéciale pour les enfants trouvés , le 
prêtre leur donne au baptême un prénom sous lequel 
il les inscrit et qui devient leur nom propre. Ces en- 
fants sont ordinairement élevés dans une famille de 
campagnards. La maison des enfants trouvés paie la 
première année quelques florins pour leur entretien ; 
et si leur conduite est bonne , dans les familles les 
plus pauvres, ils sont regardés comme des associés. 
Il arrive quelquefois qu'ils quittent plus tard la mai- 
son pour entrer dans la marine ou ailleurs ; mais des 
relations de parenté continuent à exister entre ces 

9 



130 LE DROIT GOUTUMIER 

enfants et la famille qui les a élevés , an point qu'on 
les aide, lorsqu'ils viennent à tomber dans le malheur. 
Nous parlerons de la dissolution des communautés 
et des testaments dans le chapitre qui suit. 



IV 



Ainsi que nous l'avons dit plus haut, les idées de 
FËurope occidentale se sont répandues parmi les Sla- 
ves du Sud) ef leur influence toujours croissante a dû 
nécessairement ébranler l'institution des communaux 
tés de familles. La lutte entre Tancien droit et les 
idées modernes n'est pas encore terminée ; mais l'abo- 
lition de l'administration militaire dans les confins 
croates , surtout la nouvelle loi sur les communautés 
votée par la diète d'Agram , loi fortement imprégnée 
de doctrines étrangères , achèveront de désorganiser 
cette vieille institution , dont la décadence fait des 
progrès assez rapides depuis 1848. Cependant le peu- 
ple voit d'un mauvais œil le partage des communau- 
tés. « Plusieurs mains, » dit-il, c produisent beau^ 
» coup plus qu'une seule , et il n'y a que les forces 
» unies qui parviennent à fonder de solides maisons. » 
Malgré cette résistance de Topinion aux idées moder- 
nes, nos sources font remarquer qu'une espèce d'in- 
stinct pousse le peuple , à son insu , vers la dissolu- 
tion des communautés. 

 Konavlje, les habitants sont persuadés que l'ap- 
pauvrissement est la conséquence des partages , et ils 
ont certainement raison ; car on voit dans la contrée 
beaucoup de familles très-riches qui vivent en com^^ 
munauté depuis trois siècles , et toujours dans la pros* 
périté. Malgré ces exemples, les communautés ten- 



DEâ SLAVES MÉRIDIONAUX. 131 

deDt à disparaître dans le Banat ; et même dans le 
comitat de Syrmium , où l'esprit national s'est forte- 
ment maintenu , on commence à ne plus reconnaître 
que la vie en communauté contribue beaucoup au 
bien-être et à la richesse de la famille. Le paysan ne 
voit pour lui de véritable salut que dans le partage. 
Ce n'est que dans THerzégovine. et chez les autres 
Slaves de la Turquie en général que les communau- 
tés sont encore intactes. Il y a bien des partages , 
mais la séparation d'une famille est toujours regardée 
comme un grand malheur , triste suite quelquefois 
d'une implacable nécessité. Dans la plus grande par^ 
tie des confins militaires , les communautés se main- 
tiennent encore ; mais il est douteux quelles puissent 
lutter longtemps contre le nouvel ordre de choses. 

Les principales causes des partages sont presque 
toujours des dissensions intérieures , ou bien un trop 
grand accroissement du nombre des associés, de sorte 
que la terre ne suffit plus à les nourrir tous. Les 
dissensions naissent ordinairement lorsqu'il y a des 
membres qui possèdent des biens non communs et qui 
cherchent à les accroître aux dépens de l'association. 

Dans les communautés des confins militaires , com- 
posées de membres dont les uns ont une nom- 
breuse postérité , tandis que les autres sont privés 
tl'enfantSy cette inégalité est une cause fréquente de 
difficultés. Ceux qui sont sans enfants se refusent 
à travailler pour les autres, et Ton ne peut mettre 
fin à ces difficultés qu'au moyen d'un partage. Une 
autre, cause de partage spéciale à ces mêmes pays et 
la plus fréquente, c'est l'autorité despotique du do- 
madin. La loi autrichienne a cru nécessaire d'accorder 
des pouvoirs considérables à ce même dorm^in dans 



132 LE DROIT COUTUMIER 

Tintérét de Tadministration militaire ; il abuse de ces 
pouvoirs et en profite pour vivre dans l'oisiveté et 
commettre toutes sortes d'injustices envers les autres 
membres de la communauté. Les querelles entre fem- 
mes introduisent aussi une cause de division dans les 
familles. 

Le partage est général ou partiel. Dans ce dernier 
cas , ce ne sont que quelques membres qui sortent de 
la communauté pour en former une nouvelle ou pour 
vivre séparément. Le besoin de fonder une famille, 
de devenir maître et indépendant s'est également em- 
paré des esprits chez beaucoup de Slaves ; et ce dour 
ble sentiment* d'orgueil et de liberté fait courir de 
très'^grands dangers à l'institution de la communauté. 
En Bulgarie , où la communauté n'est pas encore for- 
tement ébranlée, on se sépare bien souvent, tout en 
laissant la fortune en commun, mais surtout les im- 
meubles. Dans cette contrée, les fils se séparent très- 
rarement du vivant de leur père. Il en est de même 
en Herzégovine. 

Il arrive quelquefois qu'après un certain temps de 
séparation , les membres divisés se réunissent de nou- 
veau. Dans les confins militaires, l'associé qui obtient 
de l'autorité publique la permission de sortir d'une 
communauté et d'en fonder une nouvelle ne peut pas 
faire inscrire les immeubles sous son nom avant l'ex- 
piration d'une année. Pendant ce temps-là, s'il re- 
grette d'avoir quitté l'association , il peut y rentrer , 
mais avec le consentement de ses anciens associés ; 
et si de fâcheuses dissensions ont amené la sépara- 
tion , des intermédiaires bienveillants parviennent 
quelquefois à réconcilier les membres ennemis , et la 
communauté se refait de nouveau. 



DES SLAVES MÉRIDIONAUX. 133 

Tout associé majeur a le droit de sortir de la com- 
muDauté , lorsqu'il peut faire valoir de justes raisons. 
Dans les confins militaires, de semblables séparations 
ne peuvent se faire que clandestinemont ; l'autorité 
militaire ne permet pas les partages , sauf dans des 
cas exceptionnels, parce que chaque partage crée plu- 
sieurs chefs de famille qui tous , en cette qualité , se- 
raient exempts du service militaire. 

Il arrive assez souvent que celui qui veut sortir 
d'une communauté n'ose pas le dirp ouvertement au 
domaéin; alors, du moins dans quelques localités, il 
allume un feu non loin du foyer commun , et c'est là 
un signe qu'il désire se séparer. S'il y a plusieurs frè- 
res , dont le père soit en môme temps le domaéin , 
chacun a le droit de demander sa quote-part. Cepen- 
dant , en Bulgarie , il faut le consentement du père. 
Si celui-ci refuse, ce n'est qu'après sa mort que le 
fils peut sortir de la communauté. 

Beaucoup de Dalmates servent dans la marine , et 
ils sont même de fort bons matelots. Ils quittent donc 
leur famille; mais ils appartiennent toujours à la 
communauté qui les habille, lorsqu'ils s'éloignent. 
Aussi peuvent-ils toujours rentrer comme membres 
de l'association. Dans les maisons riches, souvent 
des membres qui ont quitté l'association sans prendre 
leur part sont ensuite aidés dans leurs entreprises 
par la communauté ; car chaque famille est flère de 
compter parmi les siens un vaillant capitaine de navire 
ou un riche négociant. A leur tour, ils soutiennent 
au besoin leur famille dans les moments de détresse, 
et quand le succès leur est contraire , ils trouvent 
toujours un asile dans leur communauté. 
Dans l'Herzégovine et le Monténégro , comme en 



134 LE DROIT GOUTUMIEE 

Bulgarie, nul ne peut quitter Tassociation sans la 
volonté du père , qui a même le droit de refuser la 
quote-part à celui qui ne veut plus vivre dans la mal- 
son. Toutefois y M. Bogiàié doute que le père possède 
ce droit dans les contrées éloignées de la mer. D'après 
nos sources , en effet , le Monténégrin du cercle de 
Katuni peut toujours répondre ^ son père : « Nous 
> n'habitons pas le littoral où le père est tout, et 
» les enfants ne sont rien. > Le fils qui sort de la 
communauté peut donc forcer son père à lui donner 
une partie du bien commun. 

La communauté a le droit d'exclure un membre 
pour cause de paresse et ^e désobéissance, ou lorsque 
ses dissipations excitent le mécontentement général 
dans la maison. Toutefois , c'est le conseil de famille 
seul qui a le pouvoir de chasser un membre , et on 
doit toujours lui donner sa quote-part^ quand même 
il aurait commis un crime ; car il ne peut être frustré 
de son bien. En Bulgarie, le père a le même droit 
d'expulsion contre son fils , mais il ne peut le déshé- 
riter. 

Lorsqu'une communauté a décidé le partage, il 
est rare que chaque membre s'établisse séparément. 
On forme ordinairement des groupes. Les garçons et 
les jeunes filles- qui ne sont pas encore mariés se joi- 
gnent aux hommes mariés et à leur famille. Des ^- 
sodés sortent quelquefois de communauté; mais la 
majorité y reste et en forme une nouvelle. 

La loi fondamentale des confins militaires avait 
admis le principe du partage par tête ; la loi hon- 
groise , au contraire , a ordonné le partage par sou- 
ches; et une loi du 3 mars 1874^ votée par la Diète 
d'Âgram, le prescrit également. M. Bogiâié rapporte 



DES SLAVES MÉRIDIONAUX. {35 

à ce sujet que, dans beaucoup de contrées, le peuple 
admet déjà ce genre de partage pour éviter un funeste 
morcellement de la propriété. Les immeubles sont 
donc divisés par souches , mais c'est par têtes que 
les fruits et les meubles sont partagés. 

AKonavïje, en Bosnie et en Bulgarie, les partages 
se font par souches. On compte tous les membres 
d'une branche, puis on remonte jusqu'à l'individu, au 
huitième degré quelquefois , dont la postérité s'est 
divisée en plusieurs rameaux ; et le partage se fait à 
cette souche , mais subdivisé en autant de parties 
qu'il y a de branches. 

Dans l'Herzégovine, les filles qui n'ont pas de frè- 
res reçoivent la même quote-part que les hommes ; 
mais cette quote-part est réunie au bien de la nou- 
velle communauté. Lorsque la fille se marie , on lui 
donne un habillement complet , mais rarement des 
immeubles. Dans cette contrée » le domaéin reçoit un 
bon cheval , un fusil , etc. , en outre de ce qui lui re- 
vient légalement. On partage aussi le bétail par sou- 
ches, et les denrées alimentaires par individus. 

En Bulgarie , le bien hérité des ancêtres se partage 
par souches, et le bien récemment acquis par têtes, 
mais non en portions égales. Celui qui a le plus 
contribué à l'acquisition reçoit la plus grande part. 

En Croatie et dans les confins militaires , le peuple 
a maintenu de préférence le partage par têtes mas- 
culines. Les fruits , l'ameublement et les divers in- 
struments servant à Texploitation se distribuent en 
général par têtes. Toutefois, les petits enfants ne sont 
pas admis au partage , mais leur mère reçoit tout ce 
qui est ijodispensable à leur entretien. Celui qui a beau- 
coup d'enfants obtient , outre sa quote-part , un sur- 



136 LE DROIT COUTUMIER 

plus des produits de la dernière récolte. Les filles et 
les femmes ne reçoivent rien dans le partage. On leur 
donne seulement une partie des fruits et un peu de 
bétail , mais on doit prendre soin d'elles et fournir, 
une dot aux filles. Celles gui n'ont ni parents ni frè- 
res onl le droit de choisir le groupe auquel elles dé- 
sirent s'associer; elles peuvent aussi réclamer une 
certaine portion du bien paternel. 

En Bulgarie , les filles ont droit à la moitié des 
meubles. Quant aux immeubles, elles ne peuvent 
prétendre qu'alla moitié des vignes et des vergers. 
La loi mahométane accorde aux femmes le droit à la 
moitié de la quote-part d'un homme. Mais le recours 
aur autorités turques est toujours regardé comme une 
honte par le peuple ; aussi se garde-t-on bien de ré- 
clamer leur intervention dans ces affaires de familles. 

Dans les petites communautés , les partages se font 
rarement pendant la vie du père et de la mère ; mais 
lorsqu'ils ont lieu , chacun des parents obtient une 
quote-part, ou bien on détermine d'un commun ac- 
cord ce qu'ils recevront durant toute leur vie. Les 
parents choisissent eux-mêmes celui d'entre leurs 
enfants chez lequel ils veulent s'établir , et celui-là 
obtient une plus grande quote-part en immeubles. 
Ils restent ordinairement avec le fils cadet , qui con- 
tinue l'ancienne maison. Mais il y a des contrées où 
les parents gardent la moitié de la fortune dans tous 
les cas de partage ; cette moitié revient aux enfants 
après la mort du père , et ils se la partagent en por- 
tions égales. 

En Bulgarie , lorsque le père a décidé de faire le 
partage , les fils doivent avant toutes choses se con- 
struire de nouvelles maisons ; mais un des fils reste 



DES SLAVES MÉRIDIONAUX. 137 

dans Tancienne avec ses parents^ et il en hérite après 
leur mort, ainsi que de tout ce qui a appartenu à son 
père. Quant aux autres enfants ou associés qui n'au^ 
raient pas de maison, ils doivent eux-mêmes s'en bâ^ 
tir une. Toutefois, dans les confins militaires^ ils re- 
çoivent une quote-part sur le prix de la maison 
paiernelle , d'après Tévaluation qui en a été faite. Il 
y a des endroits où la communauté donne à chaque 
associé tout ce qui lui est nécessaire nour se bâtir 
une habitation ou bien il reçoit une plus grande part 
du bien commun. Dans l'Herzégovine, celui qui 
n'obtient pas une maison demeure chez l'un de ses 
frère jusqu'à ce qu'il ait pu s'en bâtir une. Tous l'ai- 
dent dans cette construction ou lui fournissent les 
matériaux dont il a besoin ; car un proverbe dit : 
« Lorsqu'on bâtit une maison, on garde le village. > 
Le partage des produits agricoles , qui se fait par 
têtes, comme nous l'avons dit plus haut, a toujours 
lieu après la dernière récolte de Tannée , et ce sont 
les copartageants eux-mêmes qui le font. Ce qui se 
trouve déjà dans le grenier au moment du partage est 
distribué sans retard entre les associés. En Herzégo- 
vine , une fois les lots faits , on prend des brins de 
paille de diverses longueurs , et on les fait tirer au 
sort par un enfant. Le plus long échoit à Tainé , et 
les plus courts sont pour les cadets. Quant au choix 
du lot, c'est également le sort qui décide la ques- 
tion , en Dalmatie. S'il n'y a que deux frères , l'aîné 
fait le partage , et le cadet choisit son lot. Dans le cas 
où l'on ne peut se mettre d'accord , on appelle des 
arbitres, des bonnes gens, comme disent les Serbes. Ce 
sont des habitants du même village ou d'un village 
voisin , regardés de tous comme justes et honnêtes , 



^ 



138 LB DROIT GOUTUMIEH 

soit le maire, soit un allié ou ami de la maison. Dans 
les confins militaires , on choisit pour arbitres les an- 
ciens des régiments. Ces bonnes gens ne reçoivent 
rien pour le service qu'elles rendent , si ce n'est 
quelques cadeaux et un splendide repas ;^ mais on 
donne un salaire au scribe. 

Gomme on ne partage naturellement que le bien 
commun , tout ce qui appartient en propre aux asso- 
ciés, dot, pécule ou présents, ne forme jamais Tobjet 
d'un partage. L'associé qui n'a pas d'enSeints peut en 
disposer librement à sa mort. Les filles mariées ne 
peuvent pas hériter ab intestat'de leur père, lorsqu'el- 
les ont des frères ; mais dans le cas contraire , si elles 
n'ont pas reçu leur quote-part en se mariant , elles 
peuvent la demander à la mort du père. Le pécule de 
la femme appartient également après sa mort aux en* 
fants ; à leur défaut , ce sont ses parents qui héritent. 

Les père et mère ne sont pas tenus de léguer tout 
leur pécule à leurs enfants ; ils peuvent le laisser à 
l'église, pour faire dire des messes, par exemple. Les 
héritiers accomplissent toujours consciencieusement la 
dernière volonté de leur père, quand même elle absor- 
berait tout le pécule ; < car, dit le peuple, celui qui ne 
» contente pas l'âme de son père perd la sienne. > Les 
filles qui , en se mariant , ont quitté la communauté 
n'héritent pas du pécule de leur père. Dans le cas où 
il n'y aurait pas de fils, tout le pécule du défunt ap- 
partient à l'association. 

Les mêmes principes ou plutôt les mêmes coutu- 
mes sont en vigueur dans les familles naturelles, 
c'est-à-dire celles qui vivent hors de toute commu- 
nauté. Les enfants héritent de leur père et mère. Si 
le père n'a pas d'enfants et qu'il n'ait fait aucune dis* 



t)ES SLAVES KÉRIDiaNAUX. 139 

position , ce sont les proches parents qui héritent , 
et, à leur défaut, la commune s'empare de la mai- 
son et de tout ce qui s*y trouve au moment de la 
mort. 

Les filles , comme nous l'avons vu , n'héritent du 
bien de leurs parents que lorsqu'elles n'ont pas de 
frères ; car le peuple ne trouve pas juste qu'elles em- 
portent ce que les hommes ont acquis et même sou- 
vent défendu par les armes, c Fille mariée passe pour 
1 voisine, * dit un proverbe. Toutefois , lorsqu'il n'y 
a d'autre enfant qu'une fille , elle hérite de toute la 
fortune paternelle. On la marie ordinairement à un 
homme, brave et honnête, qui devient domazet^ comme 
nous l'avons dit. Dans l'Herzégovine et le Monténé* 
gro , si la fille héritière ne se marie pas peu de temps 
après la mort de son père , elle s'associe avec un de 
ses plus proches parents en mettant en communauté 
toute sa succession ; et, dans le cas où elle se marie- 
rait plua tard , elle peut tout reprendre ; mais elle 
laisse presque toujours ses immeubles à ses parents 
et se contente de ce qu'on donne ordinairement aux 
filles en les mariant; seulement, dans ce cas , on lui 
fait une plus belle part que d'hal^itude. En Bulgarie , 
les filles héritent ab intestat de la moitié de la quote« 
part d'un enfant. Toutefois, on exclut de cette moitié 
les terres et les maisons , tout en y laissant les vi- 
gnes, les vergers, les jardins et les meubles. 

Lorsque la famille s'éteint entièrement et que le 
dernier membre ne laisse pas de testament , les plus 
proches parents paternels, et , à leur défaut, les pa- 
rents maternels héritent de tout. Mais dans le cas où 
il n'y aurait pas même de parents éloignés , l'église , 
la commune ou le fisc recueillent la succession. 



140 LE DROIT COUTUMIER 

Dans le Monténégro , ce n'est que depuis fort peu 
de temps que l'Etat se déclare héritier des succès* 
sions vacantes. En Hongrie et en Croatie, pendant 
la féodalité , lorsqu'une famille appartenant à un sei« 
gneur venait à s'éteindre , le seigneur avait le droit 
d'établir une nouvelle famille qu'il choisissait ordi- 
nairement parmi ses domestiques. En Bulgarie» les 
terres qui n'ont pas d'héritiers sont vendues aux 
enchères par le cadi ou juge au profit du grand- 
sultan. 

L'usage des testaments ne s'est introduit chez les 
Slaves que fort tard. L'esprit d'association , qui a des 
racines si profondes chez ce peuple et la communauté 
des biens ne permettaient pas un grand développe- 
ment de l'usage si répandu aujourd'hui de faire un 
testament. Cependant les influences étrangères, et 
peut-être aussi des changements survenus dans les 

mm 

relations intérieures de ces diverses nations, ont donné 
entrée aux testaments ; mais ils ne pénètrent que dif- 
ficilement dans les coutumes nationales. Le Serbe 
n'est pas encore très-enclin aujourd'hui à faire des 
legs par écrit. Les pères ou chefe de famille règlent 
leur succession pendant leur vie , même dans les fa- 
milles naturelles. Mais, en Dalmatie, l'usage des tes- 
taments est beaucoup plus répandu. 

En Bulgarie , le peuple les condamne , et il blâme 
sévèrement le testateur ; aussi les testaments oraux 
sont beaucoup plus usités que les testaments par 
écrit. Le curé, l'ancien des écoles et le maître d'école 
du village remplissent ordinairement les fonctions de 
témoins. On exige, en outre, la présence des héritiers ; 
car ce qui se lègue pendant leur absence n'a aucune 
valeur. Chez les Serbes, les héritiers sont aussi près- 



DES SLAVES MÉRIDIONAUX. 141 

que toujours présents, mais leur absence n'invalide 
pas un testament. 

Des legs sont ordinairement faits à l'église. On lè- 
gue au curé une. certaine somme d'argent pour dire 
des messes à l'intention du défunt. On fait également 
des legs à l'école ; on fonde des bourses pour les étu- 
diants, et on donne encore certaines sommes pour 
diverses œuvres de charité ; mais il y a très-rarement 
des legs en faveur des pauvres. Ce sont les héritiers 
qui se chargent des aumônes. Dans l'Herzégovine et 
le Monténégro, on les régale pendant sept jours ; et à 
l'anniversaire de la mort , après avoir fait célébrer 
une messe pour Tâme du défunt, tous les parents et 
amis se réunissent dans un dtner solennel , gui se 
termine par une distribution de cadeaux aux pauvres. 

Quant aux droits successoraux du conjoint survi- 
vant, on rencontre parmi les Slaves des usages tout 
à &it différents. Il y a des contrées où les époux hé-» 
ritent l'un de l'autre réciproquement. Mais il ne s'agit 
ici que du pécule et des biens appartenant à une fa- 
mille naturelle. Dans tous les cas , que le mari ait ou 
non laissé un pécule , la femme , en sa qualité de 
membre de la communauté, a droit à des aliments. 
En Croatie , la femme a la jouissance de tout ce que 
son mari lui a légué ; et, après sa mort, ses enfants 
ou ses parents consanguins, à défaut d'enfants, devien- 
nent ses héritiers légitimes. Les consanguins héritent 
même des meubles, quand le mari survit à sa femme 
et qu'elle ne laisse pas d'enfants. Dans le cas où le 
mari était domazet^ les immeubles échoient aux parents 
de la fenmie, si elle les possédait en propre. Pourtant» 
lorsqu'il y a des enfants , le domazet partage avec eux 
la jouissance de tous les biens* 



V. 



142 LE DROIt GOUTUAIIER 

Dans diverses contrées du même royaume, la femme 
qui a des enfants hérite en usufruit de tous les biens 
de son mari^ pour les laisser après sa mort à ses en- 
fants ; mais si elle n'en a pas et qu'elle songe à se 
remarier, elle ne reçoit que le quart de la succession ; 
le reste appartient aux frères du défunt. C'est seule- 
ment lotsqu'elle renonce positivement à un second 
mariage qu'elle a jusqu'à sa mort la jouissance de 
toute la fortune. Après sa mort, ce sont les frères ou 
les neveux du mari qui héritent. Dans les confins 
militaires^ tout le pécule du mari appartient à la 
femme survivante ; ce sont au contraire les parents de 
la femme qui héritent de son pécule. Le lit et le linge 
seulement restent au mari. 

Dans certaines parties de la Dalmatie » les deux 
époux héritent l'un de l'autre réciproquement ; mais 
ils n'ont que la jouissance des biens pendant leur vie. 
Les enfants sont toujours les véritables successeurs. 
Si le mari convole en secondes noces , la dot dont il 
avait hérité de sa première femme devient la pro- 
priété des enfants du premier lit. Aux bouches du Cat- 
tarOy si la veuve quitte la maison de son mari , elle 
fait une transaction avec ses beaux-frères, qui lui don- 
nent une indemnité en retour de ses travaux , qui ont 
profité à la famille pendant son mariage et son veu- 
vage ; la somme est plus ou moins forte , suivant la 
fortune de la famille. Il est cependant bien rare qu'une 
veuve un peu âgée quitte une maison où elle a vécu 
heureuse pendant longtemps. 

Dans la haute Herzégovine , lorsque la femme 
meurt sans enfants ab intestat^ ce sont les parents de 
la femme seulement qui ont droit à la succession. En 
Bulgarie , le mari n'hérite de sa femme que pour la 



DES SLAVES MÉRIDIONAUX. 143 

haitième partie de sa fortune ; les autres parties re- 
viennent aux enfants. Lorsqu'il n'y a pas d'enfants , 
le mari a droit au quart , et le reste appartient aux 
parents de la femme. En général, le mari n'hérite 
pas de sa femme, mais s'il y a des enfants, il a l'usu- 
fruit des biens qui iront après lui aux enfants. 

Les orphelins qui font partie d'une communauté 
sont placés sous la tutelle du chef de la maison. On 
choisit une femme ou une flUe de Tassociation , pour 
s'occuper d'eux et prendre soin de leurs vêtements. 
Dans les familles naturelles , on leur donne un tuteur 
qui administre le bien. Si la fortune est grande , on 
ne confie au tuteur que des terres en quantité suffi- 
sante pour l'entretion de ses pupilles et le paiement 
des impôts , et on afferme le reste. On choisit ordi- 
nairement pour tuteur un proche parent ou , comme 
en Bulgarie , l'ancien du village. Si les enfants sont 
en bas âge , ils habitent la maison de leur tuteur 
jusqu'au moment où ils peuvent disposer de leur for- 
tune. 

Les tuteurs obtiennent rarement une rétribution 
pour leur gestion. Si les pupilles sont pauvres, on re- 
garde cette fonction comme un devoir sacré ; et non- 
seulement les plus proches parents s'occupent des 
orphelins , mais les voisins et jusqu'à des personnes 
étrangères se font un plaisir de les élever dans leur 
communauté. Si personne ne peut les prendre pour 
les entretenir et les élever, la commune pu l'église 
doit se charger de leur trouver une place. 

Mais lorsque le pupille est riche , le tuteur et sa 
communauté qui administrent les terres en ont Tusu- 
fruit. Les chevaux et le bétail qui font partie de la 
succession du pupille sont confiés à un paysan du 



^*« 



* 144 .LE DROIT COUTPUMIER 

village, qui les emploie à labourer ses terres moyen- 
nant une indemnité. Cette indemnité appartient au 
pupille ; une faible partie revient quelquefois au tuteur 
comme simple rémunération. Si l'orphelin est encore 
à la mamelle , on lui donne une pauvre femme pour 
nourrice, à qui on paie par mois une petite somme 
convenue d'avance. 

Gomme les fonctions de tuteur chez les Serbes sont 
plutôt un devoir moral qu'un emploi , les tuteurs ne 
sont pas ordinairement soumis à rendre compte de 
leur gestion. Dans l'Herzégovine et le Monténégro, 
lorsque le pupille devient majeur, son tuteur lui re- 
met tout le bien, en lui rendant un compte très-dé 
taillé de son administration. Cela se fait pubtiquement. 
Il est rare que le tuteur trompe son pupille ou qu'il 
veuille même lui passer sous silence quelque chose 
de sa gestion ; car le peuple croit que tromper un or- 
phelin est un plus grand crime que de voler dans 
une église. De son côté, le pupille ne demande jamais 
compte des produits ou fruits qui ont été perçus , 
parce que, ordinairement, les fruits ne représentent 
pas la valeur des travaux de culture faits par le tu- 
teur et par ses parents pour le compte de l'enfant. Il 
n'existe donc pas une véritable surveillance officielle 
de la gestion du tuteur. Cependant, les plus proches 
parents du pupille et le^ honnêtes gens, surtout les 
bormes gens du village , ont le droit de porter plainte 
contre le tuteur et de le forcer à se justifier, si son 
administration ne leur parait pas conforme aux inté- 
rêts du pupille. Le curé du village ou l'ancien de la 
comihune a également le devoir de surveiller le tu- 
teurw Dans les confins militaires, le tuteur est nommé 
par le régiment , et il est surveillé par le chef de la 



DES SLAVES MÉRIDIONAUX. 145 

compagnie ; mais on n'exige pas de lui une reddition 
.de compte. Dans' les provinces civiles de la Croatie, 
aussi bien qu'en Hongrie » les autorités judiciaires 
surveillent le tuteur, et c'est envers elles qu'il est res- 
ponsable de sa gestion. 

Le pupille sort de tutelle, dès qu'il a atteint l'âge 
où il peut lui-même administrer sa fortune. Cet âge 
varie entre dix-huit et vingt-quatre ans. Mais dès 
qu'il est apte à se marier, il est affranchi de toute tu- 
telle. 

Nous allons maintenant faire voir les diverses es- 
pèces de parenté qui existent dans le droite coutumier 
des Serbes. 

Les Slaves méridionaux établissent d'abord une 
grande distinction entre les consanguins et les pa- 
rents maternels. Ceux-là sont appelés parents par le 
gros sang , ceux-ci parents par le petit sang. Les 
premiers correspondent aux agnats, les seconds aux 
cognats du droit romain. Ils ont pour chaque rapport 
de ces parentés une dénomination toute particulière 
qu'il serait trop long de faire connaître. On regarde 
comme une parenté toute spéciale les relations entre 
deux époux et leurs parents respectifs. 

Dans le Monténégro , tous les membres du clan 
sont considérés comme des- parents. Il y a encore la 
parenté spirituelle , qui embrasse la confraternité 
(pobratimstvo , a5sX<po7îotVtç) et le parrainage (kumstvo) ; 
puis les rapports entre frère et sœur de lait et leur 
parenté en ligne ascendante , descendante et collaté- 
rale. 

Les rapports de parenté entre le parrain et son 
ûUeul ne vont pas au delà des enfants du parrain» 
Quaat à l'alliance ^ elle n'existe qu'entre les beaux*^ 

10 



146 LE DROIT GOUTUMIER 

frères, les belles-sœurs et leurs enfants. Nous allons 
nous arrêter un instant à expliquer la confraternité , 
à cause des particularités remarquables qu'on relève 
dans cette institution presque inconnue en Occident. 
Les Serbes vénèrent beaucoup la confraternité , qui 
est une sorte d'adoption comme frère. Les confrères 
ont un attachement mutuel plus grand que celui qui 
existe parfois entre des parents naturels. Cette forte 
amitié , qui engendre souvent la confraternité et qui 
se rencontrait chez la plupart des Slaves des an- 
ciens temps , se perd de plus en plus dans les temps 
actuels; nliiis elle s'est maintenue presque partout 
chez les Serbes ^ et on la voit surtout répandue dans 
le Monténégro et en Serbie. En Hongrie, on ne ren- 
contre pas aussi fréquemment la confraternité. En 
Croatie , il y a même des endroits où elle n'est plus 
connue ; pourtant elle n'a pas entièrement disparu 
de ce royaume. Ainsi, dans les confins militaires, 
on trouve des gens, unis depuis longtemps par une 
amitié intime, qui jurent de s'aider mutuellement 
dans foutes les circonstances de la vie et de ne jamais 
s'abandonner dans le bonheur ni dans le malheur. 
Ces sortes de vœux se font aussi entre hommes et 
femmes. Le soldat blessé qui a été soigné par un 
camarade sur le champ de bataille devient son con- 
frère. De pareilles amitiés se contractent également 
entre des ^lles. 

Les Serbes catholiques ou croates , dans plusieurs 
endroits de la Balmatie , se jurent à l'église une ami- 
tié éternelle» Lorsque deux individus veulent conclure 
une confraternité, ils se rendent chez le curé du vil- 
lage et lui déclarent leur intention , en lui remettant 
une petite somme d'argent pour dire une messe et 



j 



DES SLAVES MÉRIDIO^iAUX. 147 

payer les cierges. Au jour fixé pour la cérémonie, les 
deux amis se rendent à Téglise avec toute leur pa- 
renté. Ils sont en habits de fête et portent leurs plus 
belles armes y qu*ils déposent à la porte de l'église. 
Us entendent la messe , agenouillés devant Tautel et 
tenant un cierge à la main. Le maire remplit les fonc- 
tions de témoin. 

Après la messe, le prêtre s'approche des deux con- 
frères et leur demande ce qui les a décidés à s'unir 
par une amitié éternelle. Le plus âgé répond : « C'est 
> l'amour, t Le prêtre leur fait alors un petit sermon , 
pour leur expliquer les devoirs mutuels qui vont les 
unir à jamais. Les deux confrères se jurent ensuite 
une amitié sincère et éternelle ; ils s'embrassent de- 
vant tout le peuple , après avoir reçu la bénédiction 
du prêtre, et la cérémonie est terminée. On se régale 
ce jour-là chez le plus âgé des deux amis, et chez 
Tautre le lendemain. 

Dans le Monténégro , il y a trois sortes de confra- 
ternités : la petite confraternité , la confraternité du 
malheur et la confraternité par communion. La pre- 
mière se conclut en se donnant un baiser; celui qui fait 
la proposition régale l'autre. Lorsqu'un Monténégrin 
se trouve dans un grand danger, il appelle à sou se- 
cours la personne qu'il voit près de lui , en disant : 
« Viens à mon aide , au nom de Dieu et de saint Jean, 
ji. Secours-moi, et je te prends pour mon frère en 
» Dieu. » Il ne se trouverait pas un homme ni une 
femme qui n'acccourùt avec empressement à cet appel. 
Dès ce moment les deux individus deviennent con- 
frères, et ils s'embrassent trois fois pour sceller leur 
vœu. C'est la confraternité du malheur. La troisième 
confraternité se conclut à Téglise. Le curé dit une 



148 LE DROIT COUTUMIER 

prière , en couvrant les deux amis de son peirachilj ! 

(iteptTpaj^fXtov) ou étole. Puis les deux confrères boivent 
trois fois du vin dans la même coupe , en mangeant 
quelques bouchées de pain ; ils baisent la croix, quel- 
ques saintes reliques et l'Evangile , et s'embrassent 
ensuite trois fois avant de sortir de l'église. On se 
régale après la cérémonie. Celui qui a fait la proposi- 
tion offre divers cadeaux à l'autre , et les voilà unis 
d'amitié jusqu'à la mort. 

De pareilles confraternités se contractent parfois en- 
tre des chrétiens et des mahométans ; mais , dans ce 
cas , il n'y a d'autre cérémonie que la triple accolade 
et le régal. 

Ce que nous avons dit pour les hommes se pratiqué 
aussi entre les filles et les femmes , et même 
quelquefois entre deux personnes de sexe différent. 

Les confraternités se contractent aussi à l'église 
dans la principauté serbe. Autrefois , cette cérémonie 
se faisait très-solennellement ; et M. Bogiâi2 a publié, 
dans son premier ouvrage sur « les coutumes des Sla" 
ves , > le texte primitif de la prière qui se récitait à 
cette occasion. Il l'a trouvée dans un rituel, imprimé 
à Venise, en 1538-1540, parle fameux voïvode Dieu- 
donné Vukovié. Cette prière nous a paru trop inté- 
ressante pour ne pas donner ici une traduction lit- 
térale du texte slavon : 

€ Dieu , Notre-Seigneur , qui as tout donné pour 

> notre salut, qui nous as fait aimer Tun l'autre et 
» nous pardonnes nos fautes mutuelles ! Toi , Sei- 
» gneur charitable et gracieux, sanctifie et bénis dans 
» ton sanctuaire tes serviteurs ici présents et unis en- 

> tre eux par un amour spirituel. Donne-leur la foi 

> sans honte et l'amour sans feinte. Accorde-leur 



DES SLAVES MÉRIDIONAUX. 149 

> également ta paix et ton amour , ainsi que tu les 

> avais accordés , ô Jésus-Christ Notre-Seigneur , à tes 
» saints apôtres et à tes disciples. Accorde-leur en- 
» core ce qu'ils te demandent pour leur salut et la 

> vie éternelle ; car tu es la Lumière de la Vérité, et 
» nous te louons avec le Père éternel et le Saint- 
» Esprit. > 

Vuk dit que ce sont ordinairement des femmes bul- 
gares qui contractent de semblables amitiés à l'église', 
et il cite un exemple qu'il a vu à Belgrade parmi les 
Bulgares. Si une femme , dit-il , vient à tomber ma- 
lade, elle prie un jeune homme de la conduire à 
l'église ou dans un couvent. Arrivée là , et à sa de- 
mande, le curé dit une prière pendant que le jeune 
homme tient une croix sur la tête de la malade. Si 
cette femme revient à la santé , elle appelle ce jeune 
homme son frère , et celui-ci la regarde comme sa 
sœur. Vuk croit que c'est là une coutume bulgare. 

Le parrainage (kumstvo) est une autre sorte de pa- 
renté spirituelle. Les Serbes orthodoxes distinguent 
cinq espèces de parrainages : d'abord , le parrainage 
du baptême, du mariage, de la coupe des cheveux, 
du malheur , et enfin le parrainage de la réconcilia- 
tion , qui a lieu, comme pous allons le dire , lors- 
qu'on veut apaiser une vengeance de famille. Le par- 
rainage de la coupe des cheveux n'établit pas une 
véritable parenté spirituelle ; et voici en quoi il con- 
siste : Lorsqu'on fait couper les cheveux à un enfant 
pour la première fois , cela se pratique toujours avec 
une certaine solennité. On appelle comme parrain une 
personne qu'on aime et qu'on estime beaucoup, mais 
avec laquelle il ne peut s'établir aucune autre parenté 
comme entre chrétien et musulman. On lui donne 



150 LE DROIT COUTUMIER 

une assiette et des ciseaux , et cette personne coupe 
les cheveux. Des cadeaux sont échangés; et si les 
parents ont un second enfant^ ce parrain de la coupé 
des cheveux devient le parrain du baptême , s'il est 
chrétien. 

Quant au parrainage du malheur , il a pour pre- 
mière source la confraternité qui s'établit entre celui 
qui est sauvé d'un péril et le sauveur. Le premier en- 
fant qui vient à naître à la personne sauvée est tenu 
sur les fonts baptismaux par celui qui a secouru le 
malheureux en danger de mort. Voilà pourquoi on 
appelle cette relation le parrainage du malheur. Ce 
parrainage se conclut encore lorsqu'on est attaqué par 
un homme plus fort que soi. Le plus faible implore 
la générosité du plus fort, et il lui offre le parrainage 
en Dieu. Si l'autre accepte, il devient un jour le par- 
rain de l'enfant de son adversaire. Mais si, malgré 
rinvocation de Dieu , le plus fort n'épargne pas son 
adversaire, celui-ci peut le tuer à la première occasion. 

Pour ce qui regarde le parrainage de la réconcilia- 
tion , il met fin pour toujours aux luttes sanglantes 
de la vengeance héréditaire , odieux héritage que se 
transmettent les parents. La vengeance du sang exis- 
tait naguère encore dans le Monténégro , et on la re- 
trouve encore dans quelques endroits des montagnes 
de la Dalmatie. Celui qui tue est poursuivi jusqu'à 
la mort par la famille de la victime. Il doit fuir pour 
toujours son pays , s'il ne veut pas être tué ; car on 
ne lui laisse aucun repos jusqu'à ce que le sang ré- 
pandu soit vengé ! Il arrive cependant que, pour sor- 
tir de cette pénible situation , le meurtrier prie ses 
amis de le réconcilier avec son adversaire. Et voici 
comment se fait la réconciliation. 



DES SLAVES MÉRIDIONAUX. 151 

Les amis du knmik (coupable) ou ses proches pa- 
rents se rendent chez celui qui a juré vengeance et 
le prient de se réconcilier avec le meurtrier. Lorsqu'il 
paraît disposé à le faire , ils doivent s'engager à lui 
faire des cadeaux. Le lendemain, douze femmes appor- 
tent devant la maison du vengeur douze berceaux , 
et dans chaque berceau il y a un enfant. Douze an- 
ciens du village précèdent ce singulier cortège. Les 
anciens n'entrent pas dans la maison ; mais , de de- 
hors , ils crient au vengeur : c Accepte les douze par- 
» rains. Accepte Dieu et saint Jean avec l'argent que 

> tu demandes. » A ces paroles, le vengeur, s'il est 
disposé à la réconciliation , sort de sa maison et dit : 
€ J'accepte ; je veux vendre mon îtère et m'apaiser. 

> Donnez-moi dix sequins pour la foi de la paix , et 
» je veux que vingt-quatre anciens choisis par moi 

> jugent mon sang. » Cependant il arrive bien des 
fois que la déclaration de paix n'est pas faite le pre- 
mier jour. On offre souvent le parrainage durant trois 
Jours consécutifs. Mais si le vengeur accepte la paix , 
il s'approche de Tun des douze berceaux et baise l'en- 
fant qui s'y trouve. Toute sa parenté réunie imite son 
exemple, et on fixe le jour où les cadeaux seront 
donnés. 

Le vengeur et ses parents se rendent ce jour-là dans 
la maison du meurtrier , où ils sont attendus par les 
parents et amis du meurtrier. Les anciens vont au- 
devant du vengeur ; ils sont tête nue et sans armes , 
tandis que les autres'ont la tête couverte et sont ar- 
més. On se salue de part et d'autre; on parle bas et 
on entre dans la maison ^ où une table bien servie 
attend les convives. Après le dîner , auquel le hrvnik 
n'assiste pas , les anciens disent à haute voix : « Où 



152 LE DROIT COUTUMIER 

» est le meurtrier? d A cet appel, le krvnik paraît 
dans la chambre du repas. Son fusil , le fusil avec 
lequel il a tué son adversaire , est suspendu au cou 
par la bretelle : il se traîne sur les genoux comme un 
suppliant. Les aaciens , parlant pour le meurtrier, di- 
sent alors trois fois au vengeuir» ^^^^ ^ voix basse : 
« Accepte d'être mon parrain , au nom &e Dieu et de 
» saint Jean. ]» Et le krvnik répète à haute voix ces 
paroles, en s'approchant sur les genoux jusqu'aux 
pieds du vengeur ; il lui baise les genoux et les mains. 
Celui-ci relève le meurtrier et l'embrasse ; il lui en- 
lève son fusil , qu'il peut garder ou rendre. Quatre 
femmes ou marraines s'avancent alors avec quatre 
berceaux , et la première offre les dix sequins deman- 
dés par le vengeur, qui les prend, en met neuf dans 
son sein et le dixième ou un thaler dans le sein de la 
marraine. Les parents du vengeur reçoivent les ca- 
deaux de la réconciliation , et ils embrassent ensuite 
les marraines en leur donnant à leur tour quelques 
présents. Ce parrainage du sang réconcilié est aussi 
estimé que le parrainage du baptême. 

Après cette cérémonie, on choisit dans les deux 
camps vingt-quatre anciens , qui sortent l'un après 
l'autre de la maison en s'embrassant. Cela fait, on 
se met de nouveau à table. Alors l'un des anciens du 
vengeur dit en son nom : c Vous anciens, qui avez 

> jugé, réconciliez-moi le sang entièrement et dé- 
1 finitivement. > Les anciens du krvnik se lèvent 
aussitôt , et déposant leurs armes devant l'ancien du 
Yengeur qui a parlé, ils lui demandent s'il est ré- 
concilié. L'ancien répond : « Oui, le sang est bien 

> réconcilié. » Et les vingt-quatre anciens répliquent : 
% TieAS cette réconciliation , et nous te lirons la sen- 



DES aLAYES MÉRIDIONAUX. 153 

> tence. > Cette sentence est lue par le curé ou par 
celui qui Ta rédigée ; elle contient l'indication du 
prix donné pour la victime. 

On apporte ensuite du vin que l'on met devant 
celui qui reçoit les cadeaux. Tous les assistants se dé* 
couvrent , et l'ancien des chefs dit au chef du parti 
des vengeurs : « Nous , vingt-quatre chefs , nous te 
» prions ; car nous ne pouvons ni te commander ni 

> te forcer; donne quelque chose au meurtrier. ]» Des 
présents sont alors apportés. Le parti du krvnik ex- 
prime ses remerciments ; on distribue des cadeaux à 
tous les domestiques qui ont servi à table les convi- 
ves , et on examine si le prix de la réconciliation est 
complet. Les vingt-quatre anciens adressent ensuite 
la parole au domaéin et lui disent : c Maintenant , ra- 

> chète cette arme. > Lorsque le fusil du krvnik est 
racheté, on demande une seconde fois au vengeur et 
à sa parenté s'ils sont réconciliés de tout leur sang. 
L'ancien de leur parti répond : « Oui , nous sommes 
» réconciliés. » 

Après cette réponse , le meurtrier sort de la maison 
avec la sentence à laquelle se trouve attaché un para 
d'argent avec un fil de soie rouge. Il tient à la main 
une paire de ciseaux. Le vengeur et le meurtrier 
prennent chacun de son côté la pièce d'argent, et 
celui-ci la coupe en deux avec les ciseaux. Une moi- 
tié lui appartient , et 11 la garde précieusement ; car 
elle devient pour lui comme un talisman contre une 
rupture de la réconciliation. 

Tels sont les détails de cette étrange cérémonie. Le 
parti du krvnik distribue ensuite divers présents à 
toute la suite du vengeur. On tire des coups de fusil, 
et enfin on se sépare. Le réconcilié donne les dix se- 

11 



154 LE DROIT GOUTUMIER 

quîns aux membres de son clan, et le meurtrier invite 
son ancien adversaire à être le parrain de ses en- 
fants qui viendront à naître après cette réconciliation. 

Nous ne terminerons pas cette longue étude sur 
la famille chez les Slaves du Sud sans dire au moins 
quelques mois sur l'hospitalité et les rapports entre 
voisins. Il ne peut exister naturellement entre les 
voisins que des liens moraux. Le Serbe dit avec beau- 
coup de sagesse « qu'un bon voisin vaut toujours 
> mieux qu'un mauvais frère. Se haïr entre voisins 
» est une honte ; ils doivent s'estimer, s'aimer et s'ai- 
» der mutuellement, se consoler aussi dans le mal- 
3 heur. On afferme au frère , mais on emprunte au 
» voisin. D Dans beaucoup de pays habités par les 
Serbes , le voisin possède le droit de préemption d'un 
' immeuble touchant à ses propriétés. 

Quant à l'hospitalité , elle est grande chez tous les 
Slaves méridionaux. Une extrême misère seule peut 
empêcher quelquefois qu'ils ne l'exercent envers les 
voyageurs et les malheureux. Mais celui qui franchit 
le seuil d'une maison devient comme le protégé de 
toute la famille , et les voyageurs sont même invités à 
prendre part au repas du maître de la maison. Dans 
quelques pays, la coutume exige qu'ils soient présen- 
tés à table à tous les associés. Le voyageur à qui Ton 
fait très-cordialement cette gracieuseté doit alors se 
verser un verre de vin pour répondre au toast qu'on 
lui porte, et qui consiste ordinairement en ces quel- 
ques mots : « Soyez le bienvenu , cher hôte. Buvez 
» en santé ce verre de vin que nous* vous offrons. » 
On regarde généralement comme un bonheur d'avoir 
des hôtes. Lorsqu'on n'en a pas, on invite le pre- 
mier venu. La famille qui reçoit beaucoup d'hôtes 



DES SLAVES MÉRIDIONAUX. 155 

passe pour une maison très-heureuse ; car un des 
mérites les plus vantés, c'est rhospitalité en pre- 
mière ligne ; et on estime d'autant plus une maison 
qu'elle reçoit un grand nombre d'étrangers à sa table. 

En Dalmatie , lorsqu'un hôte arrive dans une fa- 
mille qui n'a pas assez de place pour le traiter con- 
venablement , on le conduit chez un voisin dont la 
maison est plus grande, ofifre au voyageur plus d'agré- 
ment et de commodité. Toute maison devient un asile 
pour l'étranger dans les temps de troubles. 

Dans le Monténégro et l'Herzégovine , lorsqu'un 
pauvre voyageur passe la nuit dans une maison, on 
s'estime très-heureux ; car le peuple dit que « l'hos- 
» pitalité donnée à un mendiant est faite pour le sa- 

> lut de Tâme. » Et lorsqu'on veut faire un grand 
affront à quelqu'un , on lui dit : « Que personne ne 
» devienne ton hôte pendant cette année I » Mais si 
on veut louer une famille , c'est presque toujours avec 
cette parole : « Ne blâme pas cette maison , car elle est 

> toujours remplie d'hôtes. » Dans ces contrées, lors- 
qu'un étranger entre dans une maison , une des fem- 
mes va à sa rencontre et le déchausse. C'est là une 
marque de bienvenue. On lui apporte ensuite tout ce 
qu'on a de meilleur, en lui disant : « Confrère, voilà 

> ce que Dieu et la maison nous ont donné. Nous re- 
9 grettons de ne pouvoir t'oflfrir quelque chose de 

> meilleur. » 

En Bulgarie , l'hôte est regardé comme un envoyé 
de Dieu. En entrant dans la maison, il confie au maî- 
tre tout son argent , et lorsqu'il quitte le toit hospi- 
talier, on le pourvoit , lui et son cheval , de tout ce 
qui leur est nécessaire pour le voyage. 

Nous terminons ici notre esquisse sommaire sur le 



15*1 LE DKOIT CODTUMIEH 

droit coutumier relatif à la famille chez les Slaves 
méridionaux. Nous ne renonçons pas cependant à 
continuer nos études sur les autres parties de ces 
coutumes d'après les savantes recherches de M. Bogi- 
âié ; car le sujet que nous venons de traiter n'offre pas 
seulement un intérêt spécial au jurisconsulte, mais 
aussi un intérêt général pour une étude approfondie 
des peuples. Ce que nous avons surtout cherché à 
rendre ou plutôt à indiquer, dans cette rapide analyse ' 
d'une partie du travail de M. Bogièié, ce sont les nom- 
breux matériaux rassemblés avec autant de peine que 
d'intelligence par l'auteur; et c'est pour cela que 
nous nous sommes gardés de nous lancer téméraire- 
ment dans des comparaisons de coutumes ou dans des 
généralisations hasardées. Nous n'avons pas osé en- 
treprendre ce que l'auteur lui-même n'a pas. cru à 
propos de faire, par les raisons que nous avons données 
au commencement de ce travail. 



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