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Full text of "Le droit pénal : origines--évolution--état actuel"

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LLECTION     PAYOT 


e  Droit  Pénal 


ÉVOLUTION  --  ÉTAT  ACTUEL 


PAR 


E.   GARÇON 


PROFESSEUR  DE  LÉCISL.\T!OW  CRIMINELLE 

ET  DE  DROIT  PÊNA!    COMPARÉ 

A  LA  FACULTÉ  DE  DHo  .,  ,.NlVERSîTi^ 

DE  PARIS 


KJV 

7962 

.G37 

1922 

SMC 


the  ppesence  of  this  Book 


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thej.m.  kelly  liBRàpy 

has  Been  maôe  possiBle 

thRouqh  the  qeneRosity 


of 


Stephen  B.  Roman 

From  the  Library  of  Daniel  Binchy 


DE  1850  A  1920 


Tome  I  (ISOO-1852) 
Tome  II  (1852-1900) 


\ 


N'  5.        LOUIS  LEGER 

Membre  de  l'Institut,  Professeur 
au  Collège  de  France 

LES  ANCIENNES  CIVILI- 
SATIONS SLAVES 

N'^  6.        PAUL  APPELL 

Membre  de  l'Institut 
Recteur  de  l'Université  de  Paris 

ÉLÉMENTS  DE  LA  THÉO- 
RIE DES  VECTEURS  ET 
DE  LA  GÉOMÉTRIE  ANA- 
LYTIQUE 

N°  7.     C  DE  CIVRIEUX 

LA  GRANDE  GUERRE 
(1914-1918) 

APERÇU    d'histoire   MILITAIRE 

N^'  8.     HENRI  CORDIER 
Membre   de    l'Institut 

LA  CHINE 

N"  9.    ERNEST  BABELON 
Membre  de  l'Institut,  Conservateur 
du  cabinet  des  Médailles 
Professeur  au  Collège  de  France 

LES 
MONNAIES    GRECQUES 

APERÇU   HISTORIQUE 


N"10.  GEORGES  MATISSE 

Docteur  ès-sciences 

LE  MOUVEMENT  SCIENTIFIQUE 

CONTEMPORAIN  EN  FRANCE 

I.  -  LES  SCIENCES 
NATURELLES 

N-ll.  D'  PIERRE  BOULAN 
Chef  du  service  de  radiologie  et 
d'éleclrothérapie 
à  l'hôpital  de  Saint-Germain 

LES  AGENTS  PHYSIQUES 
ET  LA  PHYSIOTHÉRAPIE 


N''12.  HIPFOLYTELOISEAU 
Professeur  de  langue  et  de  littérature 
allemandes   à  l'Université  de  Toulouse 

LE  PANGERMANISME 

CE  qu'il  FUT  —  CE  Qu'iL   EST 
N"13.     EMILE  BRÉHIER 

Maître  de  conférences  à  la  Sorbonne 

HISTOIRE  DE  LA  PHILO- 
SOPHIE ALLEMANDE 

N"  14.  E.  ARIÈS 

Correspondant  de  l'Institut 

L'ŒUVRE  SCIENTIFIQUE 
DE  SADI  CARNOT 

INTRODUCTION    A   l'ÉTUDE 
DE  LA  THERMODYNAMIQUE 

N"  15.  MAURICE  DELAFOSSE 

Ancien  Gouverneur  des  Colonies, 

Professeur     à    l'École    coloniale    et    à 

l'École  des  Langues  Orientales 

LES 
NOIRS  DE  L'AFRIQUE 

N"  16.  AUGUSTIN  CARTAULT 

Professeur   bonoraire  de   poésie   latine 
à  l'Université  de  Paris 

LA  POÉSIE  LATINE 


N°  17.     L.  MAQUENNE 

Membre   de    l'Institut,    Professeur    au 
Muséum  d'Histoire  naturelle 

PRÉCIS  DE  PHYSIOLOGIE 
VÉGÉTALE 

NM8.     D'G.  CONTENAU 
Chargé  de  Missions  archéologiques 
en  Syrie 

LA  CIVILISATION 
ASSYRO-BABYLONIENNE 


N"  19.         H.  LECHAT 

Professeur  à  l'Université  de  Lyon 
Correspondant  de  l'Institut 

LA 
SCULPTURE  GRECQUE 


M.  EMILE  GARÇON 

M.  Garçon,  docteur  en  Droit  de  la  Faculté  de  Poitiers, 
fut  d'ahord  avocat.  En  1879  il  occupa  la  chaire  de  droit  pénal 
à  la  Faculté  de  Douai,  puis  de  Lille,  lorsque  cette  Faculté  fut 
transférée  dans  cette  dernière  ville.  En  même  temps  il  y  fut 
chargé  d'un  enseignement  de  l'histoire  du  droit.  Appelé  à 
Paris  en  1898  il  fut  nommé  à  la  chaire  qui  avait  appartenu 
avant  lui  à  Ortolan  et  à  Léveillé.  Il  a  organisé  dans  cette  Fa- 
culté une  salle  de  travail  et  un  enseignement  criminologique 
où  se  sont  formés  un  grand  nombre  de  magistrats,  d  avocats 
et  de  professeurs  qui  ont  marqué  leur  place  dans  les  Universités 
françaises  et  étrangères. 

M.  Garçon  n'a  été  et  n'a  voulu  être  que  professeur  et  a 
consacre  toute  sa  vie  à  l'étude  du  droit  criminel  :  son  œuvre 
capitale  est  un  commentaire  du  Code  Pénal  où  il  a  systématisé 
toute  la  jurisprudence  du  XIX®  siècle.  Cette  œuvre,  qui  n'est 
pas  encore  terminée,  lui  a  coûté  30  années  de  travail.  La  mé- 
thode rigoureuse,  suivie  dans  cet  ouvrage,  considérable,  fait 
disparaître  l'opposition  traditionnelle  de  la  pratique  et  de  la 
doctrine.  Ce  code  annoté  est  aujourd'hui  dans  toutes  les  mains, 
au  Palais  comme  à  l'école.  Mais  M.  Garçon  n'est  pas  seule- 
ment un  juriste.  Aucun  des  grands  problèmes  sociaux  et 
moraux  que  soulève  l'application  du  droit  répressif  ne  1  a 
laissé  indifférent.  Aussi  éloigné  des  théories  dites  classiques 
que  des  nouveautés  hasardeuses  et  dangereuses,  il  est,  comme 
l'a  dit  un  de  ses  élèves,  un  des  chefs  de  l'école  néo-classique. 
Ces  idées,  M.  Garçon  les  a  exposées  dans  un  grand  nombre 
d'articles  de  revues,  de  rapports  et  de  discours.  Il  est  depuis 
de  longues  années  l'un  des  principaux  rédacteurs  de  la  Refus 
pénitentiaire  II  a  été  président  du  groupe  français  de  l'Union 
internationale  de  Droit  pénal,  et  de  la  Société  des  Prisons. 
Ce  sont  ces  doctrines  que  M.  Garçon  a  voulu  résumer  dans 
le  livre  que  nous  donnons  aujourd'hui  au  pablic. 


COLLECTION    PAYOT 


E.     GARÇON 


PROFESSEUR  DE   LEGISLATION  CRIMINELLE 

ET  DE  DROIT  PENAL  COMPARÉ 

A  LA  FACULTÉ  DE  DROIT  DE  LUNIVERSITÉ  DE  PARIS 


LE  DROIT  PENAL 

ORIGINES  -  ÉVOLUTION  -  ÉTAT  ACTUEL 


PAYOT   &    C^   PARIS 

106.   BOULEVARD  SAINT-GERMAIN 


1922 

Tous  droits  réservés 


TABLE    DES    MATIÈRES 


INTRODUCTION 3 

CHAPITRE  PREMIER.  -  LE  DROIT  PÉNAL  PRIMITIF 7 

CHAPITRE  :i.  —  LES  ORIGINES    DU    DROIT    DE  PUNIR  DE 

L'ÉTAT 29 

C//.4P/rRE ///.- L'ANCIEN  DROIT  PÉNAL 58 

CHAPITRE  IV.  —  LE  DROIT  PÉNAL  CONTEMPORAIN 81 

CHAPITRE  K.  -  LES  QUESTIONS  ACTUELLES 130 


Tous  droits  de  traduction,  de  reproduction  et  d'adaptation  réservés  pour  tous  pays 
Copuright  \92\,bu  Pavot  &  C". 


INTRODUCTION 


Le  crime,  en  entendant  cette  expression  dans  un  sens 
très  général,  peut  être  défini  :  un  acte  contre  lequel  la 
société  réagit  au  moyen  d'une  peine.  Le  crime  et  la  peine 
sont  donc  des  phénomènes  sociaux,  soumis  aux  lois  de  la 
sociologie,  et  ainsi  conditionnés  par  tous  les  changements 
apportés  à  l'organisation  sociale,  par  exemple,  par  les 
variations  du  milieu  économique  et,  plus  encore,  par  l'état 
des  croyances  morales  et  du  degré  de  culture  de  chaque 
époque  et  de  chaque  peuple.  Mais  en  dépit  de  ces  diver- 
sités, les  concepts  du  crime  et  de  la  peine  ont  toujours  été 
dominés  par  un  certain  nombre  de  principes  fondamentaux, 
qui  apparaissent  à  travers  les  coutumes  primitives,  qu'on 
retrouve,  sous  des  aspects  divers,  pendant  le  cours  des 
siècles  historiques  et  qui  persistent  deins  le  droit  pénal 
des  peuples  parvenus  au  plus  haut  degré  de  civilisation, 
parce  qu'ils  tiennent  à  la  nature  même  de  l'homme  et  aux 
lois  élémentaires  de  son  esprit. 

C'est  un  fait  que  l'homme  n'est  pas  simple  mais  com- 
plexe. D'une  part,  il  cherche  à  assurer  le  développement  de 
sa  propre  personnalité  et  la  satisfaction  de  ses  besoins  et 
de  ses  passions  individuelles,  et,  d'autre  part,  il  est  un 
être  sociable,  soumis  aux  nécessités  de  la  vie  en  commun. 
On  ne  saurait  méconnaître  ni  l'une  ni  l'autre  de  ces  ten- 
demces  sans  s'exposer  à  tomber  dans  les  plus  graves  erreurs. 

La  vie  en  société  est  une  nécessité  imposée  à  l'homme 
par  sa  nature  même,  et  à  laquelle  il  ne  saurait  se  soustraire 


4  LE  DROIT  PENAL 

sans  périr.  Personne  n'oserait  plus  soutenir  aujourd'hui, 
qu'à  une  époque  présociale,  il  a  vécu  dans  un  état  de  nature, 
isolé  des  autres  et  parfaitement  libre.  Cette  hypothèse 
aprioristique  de  la  philosophie  du  XYIII*^  siècle  n'a  pas 
résisté  à  l'observation  des  faits,  dès  qu'on  a  appliqué  à  la 
science  sociale  les  sûres  méthodes  expérimentales.  L'homme, 
aussi  mal  armé  pour  l'attaque  que  pour  la  défense,  n'a  pu 
échapper  aux  dangers  de  destruction  qui  le  menaçaient 
de  toutes  parts,  il  n'a  pu  l'emporter  dans  la  lutte  pour  la 
vie  que  par  la  force  de  l'association.  Seule  elle  lui  a  permis 
de  faire  usage  des  ressources  de  son  intelligence  pour  assurer 
la  fortune  de  sa  race.  Par  la  parole,  cet  instrument  social 
par  excellence,  il  a  pu  communiquer  aux  autres  les  fruits 
de  son  expérience,  lesquels  trîmsmis  à  ses  descendants, 
accrus  de  générations  en  générations,  ont  porté  les  connais- 
sances humaines  au  haut  degré  de  culture  où  elles  sont 
parvenues.  Il  est  donc  parfaitement  inutile  de  chercher 
l'origine  de  la  société  :  comme  les  sociétés  animales,  elle 
s'impose  comme  un  fait. 

Mais  ce  serait  une  erreur  non  moins  grave  de  considérer 
l'homme  comme  s'absorbant  dans  le  milieu  commun  et, 
simple  cellule  sociale,  perdant  toute  individualité.  Il  a  des 
intérêts,  des  besoins,  des  désirs  et  des  passions  qui  lui 
sont  propres,  et  il  porte  en  lui  une  volonté  de  puissance 
qui  le  pousse  à  affirmer  sa  personndité,  fusse  au  dépend 
des  autres,  même  à  exploiter  la  société  à  son  profit  et  à 
son  avantage.  Et  ce  sentiment  égoïste  est  aussi  nécessaire 
pour  lui  permettre  de  vivre  et  de  progresser.  L'initiative 
individuelle  et  l'intérêt  personnel  sont  les  puissants  moteurs 
de  l'effort  et  du  travail.  L'homme  qui  ne  sentirait  et  ne 
penserait  que  socialement,  sans  aucun  souci  de  son  bien 
propre  et  qui  pratiquerait  ce  complet  oubli  de  soi-même. 


INTRODUCTION  0 

marcherait  évidemment  à  sa  ruine.  Quelques  moralistes 
ont  prophétisé,  comme  dernière  étape  du  progrès,  une 
société  ainsi  composée  de  purs  altruistes.  Simple  fantaisie 
d'imagination,  qui,  comme  l'état  de  nature,  se  heurte  et 
se  brise  à  l'observation  des  faits. 

Il  est  manifeste  que  ces  deux  sentiments,  la  sociabilité 
et  l'égoïsme,  se  contredisent.  D'une  part,  la  vie  commune 
exige  l'établissement  d'une  discipline  imposant  à  chacun 
des  obligations,  et,  d'autre  part,  le  moi  semble  se  refuser 
à  toute  contrainte  et  ne  saurait  d'ailleurs,  dans  l'intérêt 
même  de  la  société,  être  comprimé  au  delà  d'un  certain 
point  critique.  Ne  pouvant  supprimer  ni  l'une  ni  l'autre 
de  ces  tendances,  force  a  bien  été  de  les  concilier  par  des 
règles  qui,  à  la  fois,  reconnaissent  et  garantissent  les  droits 
de  l'individu,  et  déterminent  les  devoirs  qui  lui  sont  imposés 
pour  fissurer  l'ordre  public.  Mais  pour  faire  accepter  ces 
devoirs,  il  a  fallu  de  longs  siècles  de  luttes  douloureuses, 
luttes  mêmes  qui  ne  sauraient  prendre  fin,  car  aussitôt  que  les 
forces  qui  les  imposent  se  relâchent,  les  passions  indivi- 
duelles reprennent  leur  libre  cours,  et  la  société  retombe 
dans  le  désordre.  Tâche  immense  et  incessante,  mais  dont 
la  civilisation  est  le  prix. 

La  morale,  les  religions,  le  droit  criminel  sont  les  trois 
principaux  moyens  employés  pour  déterminer  et  préciser 
ces  règles  essentielles  au  maintien  de  la  discipline  sociîile 
et  pour  établir  les  sanctions  sans  lesquelles  elles  seraient 
sans  force.  L'une  de  ces  sanctions  se  trouve  d'abord  dans 
la  conscience  humaine  qui,  guidée  par  une  sorte  d'instinct 
social,  honore  ceux  qui  vivent  selon  les  lois,  et  frappe  de 
réprobation  les  indisciplinés  qui  prétendent  s'en  affranchir. 
On  a  pu  nier  que  la  morale  de  l'honneur  fut  suffisante 
pour  courber  les  volontés  malfaisantes,  mais  on  ne  saurait 


6  LE  DROIT  PENAL 

méconnaître  que  le  désir  d'acquérir  l'estime  des  autres, 
et  la  crainte  de  l'infamie,  soient  parmi  les  plus  puissants 
mobiles  qui  gouvernent  la  conduite  pratique  des  hommes. 
Le  sentiment  religieux  et  les  sanctions  surnaturelles  qui 
en  sont  la  suite  n'ont  pas  concouru  moins  efficacement  à 
imposer  le  respect  des  préceptes  nécessaires  à  la  vie  sociale. 
La  foi  commande  avec  la  puissance  souveraine  d'un  prin- 
cipe d'action  qui  ne  tolère  aucune  discussion.  Étrangère 
à  toute  logique  rationnelle,  c'est  un  impératif  auquel  on 
ne  peut  se  soustraire  sans  s'exposer  aux  châtiments  inéluc- 
tables de  la  justice  divine.  Mais  ces  sanctions  purement 
morales  et  religieuses  sont  insuffisantes.  Il  y  a  des  pervers 
qui  bravent  le  déshonneur,  et  il  y  a  toujours  eu  des  incré- 
dules et  des  impies,  sur  lesquels  la  foi  reste  sans  force. 

Il  a  donc  fallu  établir  des  sanctions  humaines  purement 
terrestres,  en  infligeant  un  mal  à  celui  qui  désobéit  aux 
lois,  se  met  en  rébellion  contre  la  communauté  et  empiète 
sur  les  droits  des  autres.  Ce  mal  a  pris  les  formes  les  plus 
diverses  depuis  les  pures  représailles  inspirées  par  la  ven- 
geance, jusqu'à  la  peine  reposant  sur  une  pure  idée  de 
justice.  Ces  progrès  ont  été  accomplis  par  la  science  juri- 
dique dont  tous  les  efforts  ont  tendu  à  fixer  les  conditions 
et  les  limites  de  la  répression.  C'est  l'histoire  de  cette  évo- 
lution que  nous  nous  proposons  de  retracer.  Elle  n'est 
rien  moins,  sous  un  de  ses  aspects  les  plus  caractéristiques, 
que  l'étude  du  problème  moral  dont  l'humanité  poursuit 
la  solution  à  travers  les  siècles,  et  de  laquelle  dépend, 
beaucoup  plus  que  de  ses  conquêtes  sur  le  monde  physique, 
les  véritables  progrès  et  l'avenir  de  la  civilisation. 


CHAPITRE  PREMIER 
LE  DROIT  PÉNAL  PRIMITIF 


L'étude  du  droit  primitif  n'a  été  entreprise  que  récemment 
et  la  sociologie  seule  en  a  montré  l'importance  scientifique. 
Ayant  pour  objet  la  recherche  des  lois  naturelles  qui  gou- 
vernent les  phénomènes  sociaux,  et  pour  méthode  l'obser- 
vation des  faits,  elle  a  été  naturellement  amenée  à  remonter 
aux  origines.  Les  lois  sociologiques  sont  en  effet  de  deux 
sortes  :  les  unes  sont  statiques  et  dominent  les  phénomènes 
dans  un  milieu  social  donné  :  par  exemple  le  crime  chez 
les  peuples  civilisés  et  qui  pratiquent  la  grande  industrie. 
Mais  il  y  a  aussi  des  lois  sociales  dynamiques,  qui  gou- 
vernent, diuis  le  temps,  les  chemgements,  les  progrès  et 
les  régressions  des  institutions  répressives.  Pour  les  décou- 
vrir et  les  formuler,  il  est  évident  qu'il  faut  rechercher 
tous  les  faits  qui  peuvent  tomber  dans  le  champ  de  nos 
observations  et  jusqu'aux  plus  anciens. 

Mais  dès  que  ces  recherches  ont  été  commencées,  on 
s'est  vite  aperçu  que  les  institutions  primitives  échappent 
à  toute  chronologie.  On  les  retrouve,  avec  tous  les  traits 
qui  les  caractérisent,  depuis  l'antiquité  la  plus  éloignée 
jusqu'à  aujourd'hui.  En  réalité,  elles  naissent  dans  un  certain 
milieu,  et  sont  les  mêmes,  partout  où  les  mêmes  conditions 
sont  réalisées,  quels  que  soient  les  lieux  et  les  temps. 

Or,  pour  reconstituer  les  institutions  primitives,  on  peut 
d  abord  utiliser  les  documents   législatifs  anciens.   Mais 


8  LE  DROIT  PÉNAL 

ces  sources  sont  peu  sûres  et  ont  toujours  besoin  d'être 
interprétées.  Longtemps  les  historiens  du  droit  ont  cité, 
comme  les  plus  vieilles  lois  connues,  la  loi  des  XII  Tables 
et  la  loi  salique,  dont  ils  se  bornaient  à  répéter  les  formules, 
sans  en  comprendre  exactement  l'esprit  et  sans  en  pénétrer 
la  véritable  signification.  En  réalité,  ces  textes  ne  nous 
livrent  qu'un  droit  fort  évolué  et  ils  ont  été  écrits  à  une 
époque  où  le  droit  primitif  était  déjà  en  pleine  décadence. 
On  en  pourrait  dire  autant  des  lois  d'Hamourabi  qui, 
chronologiquement,  remontent  à  la  plus  haute  antiquité, 
mais  qui  ont  été  faites  pour  un  peuple  ayant  depuis  long- 
temps dépassé  la  période  sociologique  primitive.  Les 
Gragas,  qui  datent  du  XII®  siècle,  se  tiennent  peut-être 
plus  près  des  origines,  mais  sont  loin  pourtant  de  les  pré- 
senter dans  leurs  formes  pures. 

Les  œuvres  littéraires  :  les  poèmes  homériques,  les  Sagas, 
les  livres  sacrés  de  l'Inde,  la  Genèse  nous  fournissent  des 
documents  plus  précieux  peut-être  et  qu'on  ne  saurait 
négliger.  Mais  aucune  d'elles  non  plus  ne  sont  à  propre- 
ment parler  contemporaines  des  temps  primitifs.  Elles 
ont  été  écrites  ou  recueillies  alors  que  la  civilisation  avait 
déjà  fait  de  grands  progrès,  que  les  coutumes  et  les  croyances 
originaires  étaient  profondément  modifiées,  et  que  les 
mœurs  antiques  n'étaient  plus  que  des  souvenirs  lointains 
et  presque  effacés  sous  la  floraison  riche  des  légendes  popu- 
laires. 

Ainsi  ces  lois  et  ces  poèmes  ne  nous  livrent  que  des  sur- 
vivances. Pour  en  tirer  des  conclusions  scientifiques,  il 
faut  d'abord  les  soumettre  au  plus  sévère  examen  critique, 
et  se  livrer  à  un  travail  de  reconstruction,  avec  toutes  ses 
chances  hypothétiques.  Cependant  les  études  entreprises 
en  ce  sens  ont  déjà  conduit  à  des  résultats  positifs,  et  qui 


LE  DROIT  PENAL  PRIMITIF  9 

ont  éclairé  d'une  vive  lumière  l'obscurité  de  ce  lointeiin 
passé. 

Mais  nous  avons  une  autre  source  de  renseignements, 
qui  nous  permettent,  heureusement,  de  pénétrer  plus 
intimement  ces  institutions  si  étrangères  au  monde  auquel 
l'esprit  moderne  est  accoutumé.  Il  existe  encore  des  peuples 
qui,  n'ayant  pas  dépassé  le  stade  de  la  civilisation  primi- 
tive, ont  conservé,  dant  toute  leur  pureté,  les  mœurs  et  les 
coutumes  antiques.  En  les  voyant  fonctionner  sous  nos 
yeux,  elles  apparaissent  dans  leur  simplicité  et  nous  en  sai- 
sissons facilement  la  raison  d'être,  l'esprit  et  la  portée. 
Elles  vivent  devant  nous.  Grâce  à  ces  données  ethnolo- 
giques, les  documents  historiques  s'éclairent  et  des  textes 
qui  seraient  passés  inaperçus,  ou  qui  seraient  restés  abso- 
lument incompris,  prennent  une  valeur  nouvelle.  Mal- 
heureusement, il  faut  l'avouer,  ces  observations  ont  rare- 
ment été  recueillies  avec  une  rigueur  scientifique  suffisante. 
Parmi  les  voyageurs,  qui  ont  parcouru  les  pays  inconnus, 
beaucoup  connaissaient  les  sciences  de  la  nature,  mais  il 
ne  paraît  pas  qu'on  ait  jamais  songé  à  adjoindre  aux  mis- 
sions, envoyées  à  la  découverte,  des  historiens  du  droit. 
Aussi  ont-ils  passé  à  côté  des  faits  les  plus  importants  sans 
les  comprendre.  Ils  relatent  le  plus  souvent  comme  des 
particularités,  qui  les  ont  eux-mêmes  surpris  et  étonnés, 
des  usages  qui  rentrent  dans  les  catégories  les  plus  connues 
et  les  plus  banales  des  coutumes  primitives.  D'autre  part, 
les  conquêtes  coloniales  diminuent,  chaque  jour,  le  nombre 
des  peuplades  qui  ont  conservé  ces  mœurs  archaïques,  et 
on  peut  prévoir  l'heure  où  elles  auront  toutes  disparu. 
Seuls  quelques  rares  sociologues  ont  poursuivi  ces  études 
avec  une  méthode  rigoureuse,  et  consciente  du  but  à  at- 
teindre. Mais  leurs  observations  n'en  sont  que  plus  pré- 


10  LE  DROIT  PÉNAL 

cieuses,  et  elles  sont  si  fécondes  qu'elles  ont  permis  d'as- 
seoir, sur  les  bcises  scientifiques  les  plus  sûres,  la  recons- 
titution de  tout  l'ensemble  du  droit  primitif. 

Le  principe  fondamental  qui  ressort  de  toutes  ces  études, 
et  qu'on  peut  aujourd'hui  considérer  comme  définitive- 
ment acquis,  est  qu'il  existe  un  rapport  nécessaire  entre  les 
institutions  sociales  et  le  milieu  dans  lequel  elles  se  sont 
formées  et  développées,  et  qu'elles  dépendent  avant  tout 
des  faits  économiques  et  de  l'état  des  découvertes  scienti- 
fiques et  des  inventions  industrielles  qui  ont  permis  à 
l'homme  de  maîtriser  les  forces  de  la  nature. 

L'homme,  qui  se  nourrit  exclusivement  de  la  cueillette, 
de  la  chasse  et  de  la  pêche,  n'a  guère  vécu  autrement  qu'en 
horde,  et  cette  horde,  qui  apparaît  ainsi  comme  le  plus 
archaïque  des  groupements  sociaux,  est  encore  presque 
complètement  inorganique.  La  domestication  des  animaux 
et  des  plantes,  en  assurant  sa  subsistance  régulière,  lui  a 
permis  au  contraire  d'établir  un  certain  ordre  et  une  cer- 
taine discipline  sociale.  Autour  du  troupeau,  qui  constitue 
un  capital  commun,  s'unissent  des  intérêts  permanents  et 
s'organisent  des  institutions  stables.  Elles  se  perfectionnent 
le  jour  où  la  pratique  de  l'agriculture  a  fixé  la  demeure 
du  groupe.  Cet  agrégat  repose  alors  essentiellement  sur  un 
lien  familial.  Mais  la  famille  doit  être  entendue  ici  dans  le 
sens  le  plus  large,  comme  comprenant,  dans  une  même 
unité,  plusieurs  générations  descendant  d'un  auteur  com- 
mun, dont  le  souvenir  est  ordinairement  perdu  ou  est 
devenu  légendaire  :  tels  la  tribu  sémitique,  le  y^vo;  grec, 
la  gens  latine,  le  douar  arabe,  le  village  lorsque  le  clan  est 
devenu  sédentaire. 

Chacun  de  ces  groupements  a  son  gouvernement,  qui 
peut  affecter  les  formes  les  plus  diverses.  La  plus  commune 


LE  DROIT  PÉNAL  PRIMITIF  II 

sans  doute  est  la  royauté  absolue,  où  le  chef,  désigné  par 
la  naissance,  concentre  entre  ses  mains  tous  les  pouvoirs 
et  est,  à  la  fois,  chef  militaire,  prêtre,  juge  et  administrateur 
de  la  communauté.  Mais  on  trouvera  ailleurs  ce  chef  élu 
et  ne  pouvant  agir,  dans  les  circonstances  importantes, 
sans  l'assentiment  des  anciens  ou  même  de  tous  les  membres 
du  groupe.  Les  plus  vieilles  familles  paraissent  Jiinsi  avoir 
connu  et  essayé  toutes  les  formes  constitutionnelles,  la 
forme  monarchique,   ou  aristocratique  ou  démocratique. 

Mais  le  point  le  plus  important,  pour  nos  études  parti- 
culières, est  la  situation  réciproque  de  ces  tribus  familiales 
entre  elles.  Elles  sont  absolument  et  essentiellement  indé- 
pendantes les  unes  des  autres,  et  forment,  en  réalité,  de 
petits  états  autonomes.  Pour  employer  une  expression 
juridique  très  claire,  elles  sont  souveraines.  Personne  ne 
peut  donc  s'immiscer  dans  leur  administration  intérieure, 
personne  non  plus  dans  leurs  relations  respectives,  puis- 
qu'il n'existe  au-dessus  d'elles  aucun  organe  quelconque, 
ayant  le  droit  ou  possédant  le  pouvoir  de  fait  de  leur  donner 
des  commandements. 

Ce  n'est  même  pas  assez  dire  que  ces  tribus  sont  indé- 
pendantes les  unes  des  autres  ;  elles  vivent  à  peu  près  sans 
relations  et,  en  vérité,  tout  les  sépare  :  leurs  dieux  parti- 
culiers, leurs  mœurs,  leurs  coutumes  et  surtout  leurs 
intérêts.  Entre  celles  qui  habitent  des  territoires  limitrophes 
surtout,  les  causes  de  disputes  sont  fréquentes.  Il  est  vrai 
que  quelques-unes  ont  de  lointaines  origines  communes  : 
les  tribus  se  propagent  par  sissiparité  et  forment  des  colo- 
nies qui  s'établissent  sur  de  nouveaux  territoires  et  qui 
gardent  entre  elles  et  avec  le  groupe  originel  des  croyances 
et  une  langue  commune.  Mais  la  cause  de  l'émigration  se 
trouve  souvent  dans  une  première  mésintelligence.  D'ml- 


12  LE  DROIT  PÉNAL 

leurs  certaines  tribus  composées  de  véritables  brigands 
n'exercent  guère  d'autre  industrie  que  le  pillage  de  leurs 
voisins. 

Ainsi  la  famille  patriarcale  se  replie  sur  elle-même.  Les 
parents  qui  la  composent,  les  clients  qui  y  ont  été  reçus, 
avec  les  esclaves,  le  territoire  sur  lequel  elle  est  établie, 
les  troupeaux  qu'elle  possède,  ses  richesses  économisées, 
tout  cela  forme  un  tout  indivisible.  Le  lien  qui  enserre  les 
membres  d'un  clan  est  particulièrement  étroit  et  ferme. 
La  solidarité  qui  les  unit  a  pour  fondement  le  sentiment  de 
la  consanguinité,  les  croyances  religieuses,  le  patrimoine 
qu'ils  possèdent  en  commun,  les  intérêts  les  plus  visibles 
et  les  plus  clairs.  En  ce  milieu  si  simple,  tout  individu  sent 
que  sa  vie,  sa  liberté,  sa  subsistance,  dépendent  de  la  puis- 
sance de  son  groupe.  Seule  sa  force  collective  peut  assurer 
sa  sécurité.  Mais  à  l'inverse,  aucun  lien  social  n'existe 
entre  ceux  qui  appartiennent  à  des  tribus  différentes.  On 
exagère  en  disant  qu'ils  se  considèrent  toujours  comme 
ennemis.  Il  y  a  des  clans  qui  vivent  sur  un  pied  de  paix, 
au  moins  momentanément.  Mais  deux  individus,  de  groupes 
distincts,  sont  des  étrangers  dans  le  sens  le  plus  absolu 
du  mot.  Il  n'y  a  entre  eux  aucun  rapport  de  droit.  Summer 
Maine  a  exprimé  cette  idée,  sous  une  forme  pittoresque 
et  saisissante,  lorsqu'il  a  écrit  cette  phrase  souvent  citée  : 
«  Il  serait  à  peine  exagéré  de  dire  que  les  chiens  qui  suivent 
le  camp  avalent  plus  de  part  à  son  existence  que  les  membres 
d'une  tribu  étrangère  et  sans  lien  de  parenté.  » 

C'est  dans  cette  organisation  sociale  qu'a  pris  naissance 
et  qu'a  fonctionné  le  système  dit  de  la  vengeance  privée 
et  des  compositions.  Ce  système  fait  corps  avec  toutes 
les  institutions  de  la  tribu  patriarcale,  et  s'explique  par  elles. 


LE  DROIT  PÉNAL  PRIMITIF  13 

Telle  que  l'ont  décrite  longtemps  les  historiens,  la  ven- 
geance privée  constituerait  la  première  phase  de  l'évolution 
du  droit  pénal.  A  l'origine,  en  effet,  lorsqu'un  crime  avait 
été  commis,  la  victime  aurait  eu  le  droit  de  se  venger  même 
en  tuant  le  coupable,  car  cette  vengeance  n'avait  pas  de 
limite.  Elle  serait  un  droit  ;  le  mal  infligé  au  coupable  une 
véritable  peine,  légitime  et  méritée,  si  bien  que,  s'il  fallait 
en  croire  quelques-uns,  le  vengeur  aurait  été  à  l'abri  de 
toutes  représailles.  D'ailleurs,  les  familles  de  l'offenseur 
et  de  l'offensé  auraient  été  associées  à  la  vengeance  ;  mais, , 
en  lisant  certains  auteurs,  on  voit  qu'ils  entendent  par  là, 
la  famille  telle  qu'elle  est  à  peu  près  constituée  de  nos 
jours.  En  un  mot,  dans  cette  conception,  on  se  représente 
le  droit  de  vengeance  privée  comme  la  Vendetta  Corse. 
Cependant  dans  une  seconde  étape,  la  victime  et  sa  famille 
auraient  renoncé  à  se  faire  justice  moyennant  une  indem- 
nité, c'est-à-dire  moyennant  le  paiement  d'une  compo- 
sition pécuniaire,  comprenant  à  la  fois,  la  réparation  du 
préjudice  causé  et  la  peine  du  crime.  Enfin,  dans  une 
troisième  phase,  l'Etat  serait  intervenu  pour  obliger  le 
coupable  à  payer  et  la  victime  à  recevoir  cette  composition, 
dont  il  aurait  fixé  le  montant  par  voie  d'autorité. 

Présenté  avec  ces  déformations,  ce  système  est  incom- 
préhensible. Il  semblerait,  en  vérité,  qu'il  a  existé  un  temps 
où  un  homme  riche  aurait  pu,  à  son  gré,  selon  son  caprice 
et  ses  passions,  commettre  un  vol,  un  assassinat,  le  plus 
révoltant  des  attentats  :  il  lui  aurait  suffi  de  verser  à  la 
victime  ou  à  sa  famille  quelques  sous  d'or  pour  être  quitte  ! 

Cependant,  tout  devient  simple,  logique  et  pratique, 
lorsqu'on  rétablit  ce  système  dans  son  milieu,  et  dcins  sa 
pureté  primitive.  Il  suffit  de  considérer,  qu'à  l'origine, 
il  n'a  fonctionné  que  dans  les  rapports  de  fîunille  à  famille. 


14  LE  DROIT  PÉNAL 

de  tribu  à  tribu,  telles  que  nous  venons  de  les  décrire, 
absolument  indépendantes  les  unes  des  autres.  Le  pré- 
tendu droit  de  vengeance  privée  et  les  compositions  appa- 
raissent alors  comme  dérivant  de  la  nature  même  des  choses. 
Ils  sont  ce  qu'ils  doivent  être,  parce  que  rien  autre  n'est 
possible.  Mais  ce  ne  sont  pas  en  réalité  et  à  proprement 
parler  des  institutions  de  droit  pénal. 

Lorsqu'un  clan  a  causé  un  dommage  à  un  autre  clan,  il 
n'existe  aucun  pouvoir  qui  puisse  régler  et  imposer  la 
réparation  du  dommage  et  punir  le  coupable,  puisque  ces 
clans  sont  souverains.  La  tribu  offensée  ne  peut  donc 
compter  que  sur  elle-même,  et  sur  ses  propres  forces,  pour 
assurer  la  sauvegarde  de  ses  biens  et  la  sécurité  de  ses 
membres.  Lorsqu'elle  est  attaquée,  elle  n'a  d'autres  res- 
sources que  de  prendre  les  armes  et  de  repousser  l'agres- 
seur. Quand  une  bande  de  pillards  a  reizzié  les  troupeaux 
d'une  tribu,  celle-ci  ne  peut  que  courir  après  les  voleurs, 
leur  livrer  bataille,  reprendre  ses  bêtes,  porter  à  son  tour 
la  désolation  dans  le  camp  ennemi,  brûler  ses  tentes,  ou 
ses  cabémes,  et  le  ruiner.  Si  le  clan  offensé  tire  une  vengeance 
éclatante  de  l'injure  qu'il  a  subie,  il  inspirera  une  crainte 
qui  détournera  ses  ennemis  de  toute  entreprise  nouvelle. 
Mais  s'il  souffre  le  mal,  l'impunité  encouragera  ses  agres- 
seurs, et  il  pourra  tout  redouter  de  leur  audace. 

Il  n'est  pas  moins  facile  d'expliquer  comment  ce  droit 
de  vengeance  apparaît  sous  une  forme  collective  et  non  pas 
individuelle.  Nous  avons  dit  quelle  étroite  solidarité  lie 
tous  les  membres  de  la  tribu  familiale.  L'injure  faite  à 
l'un  ne  lui  est  péis  personnelle,  elle  atteint  forcément  tous 
les  autres  et  tous  la  ressentent  également.  D'ailleurs  les 
biens  sont  communs  et  le  tort  matériel  causé  par  le  vol  et 
le  pillage  est  causé  au  groupe  tout  entier.  Une  razzia  de 


LE  DROIT  PÉNAL  PRIMITIF  15 

ses  troupeaux  réduit  à  l'indigence  et  à  la  famine  tous  ceux 
qui  en  font  partie.  Et  la  responsabilité  passive  ne  s'impose 
pas  moins.  D'abord,  l'entreprise  criminelle  sera  d'ordinaire 
le  fait  de  tous  :  c'est  une  expédition  guerrière.  Mais  en 
supposant  un  fait  commis  par  un  seul  individu  causant 
un  préjudice  à  une  tribu  étrangère,  le  vol  de  quelques  mou- 
tons, l'enlèvement  d'une  femme,  un  eissassinat  même,  la 
victime  et  son  clan  sont  dans  l'impossibilité  d'en  assurer 
la  répression.  Le  coupable  est  hors  de  leur  pouvoir  et  de 
leur  juridiction.  Ils  n'ont  sur  lui  aucune  emprise.  Ils  ne 
sauraient  donc  le  saisir  et  se  venger  sur  sa  personne.  Sou- 
vent d'ailleurs  ils  ne  le  connaîtront  pas.  Ils  ne  peuvent 
en  conséquence  s'adresser  qu'à  son  groupe.  On  s'est  étonné 
de  cette  responsabilité  collective  qui  heurte  toutes  nos 
conceptions  modernes.  Si  on  y  réfléchit,  c'est  dîins  ce  milieu 
social  la  responsabilité  individuelle  qui  serait  inexplicable 
et  incompréhensible. 

Dans  ce  monde  primitif,  la  nécessité  d'assurer  la  sécurité 
du  groupe,  et  de  tous  ceux  qui  le  composent,  en  ne  laissant 
impunie  aucune  attaque  venant  de  l'extérieur,  apparaît 
si  clairement  qu'elle  s'impose  à  la  conscience  de  chacun. 
L'instinct  de  la  conservation  individuelle  et  collective 
commîinde  si  fortement  de  venger  les  injures  faites  au  clan 
que  personne  ne  songe  à  se  soustraire  à  une  pareille  obli- 
gation. C'est  le  patriotisme  sous  sa  forme  élémentaire  :  la 
défense  de  la  récolte  et  du  troupeau,  de  la  terre  sur  laquelle 
les  ancêtres  ont  vécu,  qu'ils  ont  appropriée,  qu'ils  ont 
défrichée  et  cultivée,  la  défense  des  personnes  mêmes, 
exposées  à  être  tuées  ou  réduites  en  esclavage  par  le  groupe 
ennemi.  S'associer  à  la  défense  commune  devient  le  plus 
impérieux  des  devoirs. 

Les  croyances  religieuses  fortifient  de  leur  côté  chez 


16  LE  DROIT  PÉNAL 

beaucoup  de  peuplades  le  sentiment  de  ce  devoir.  Mais 
comme  elles  varient  à  l'Infini  et  se  manifestent  sous  les 
formes  les  plus  diverses,  il  devient  aussi  difficile  que  péril- 
leux d'en  présenter  un  tableau  général.  On  est  exposé  à 
se  heurter  aux  faits  les  mieux  constatés  et  à  recevoir  le 
démenti  de  textes  Irrécusables,  parce  qu'ils  se  rapportent 
à  des  croyances  particulières.  La  seule  méthode  légitime 
est,  en  recherchant  ces  faits  et  ces  textes,  de  les  exposer 
sans  essayer  de  dangereuses  généralisations.  De  nombreuses 
études  fragmentaires  ont  été  ainsi  entreprises,  dont  quel- 
ques-unes ont  projeté  une  vive  lumière  sur  cette  double 
histoire  des  religions  et  du  droit  pénal  primitif  ;  et,  sous  le 
bénéfice  de  ces  observations  on  peut  en  tirer  de  très  pré- 
cieuses indications. 

Si  le  culte  des  morts  n'est  pas  un  fait  universel,  il  est 
au  moins  très  général  :  on  le  retrouve  chez  les  peuples  et 
chez  les  races  les  plus  différentes.  L'ombre  des  morts  erre 
autour  des  vivants,  comme  un  fantôme  qui  inspire  surtout 
la  crainte,  et  dont  il  semble  qu'on  a  tout  à  redouter.  Pour 
l'apaiser,  il  faut  d'abord  lui  donner  une  sépulture  où  elle 
puisse  reposer  en  paix.  Il  faut  déposer  auprès  du  défunt 
ses  armes  et  les  objets  dont  il  aimait  à  s>e  parer.  Il  faut, 
surtout,  par  des  sacrifices  sur  son  tombeau,  satisfaire  à 
tous  ses  besoins,  et  à  tous  ses  plaisirs,  partager  avec  lui 
la  nourriture  et  les  boissons.  Si  les  vivants  s'acquittent  de 
ces  devoirs  pieux,  le  mort  deviendra  pour  eux  une  divinité 
tutélalre  ;  mais  s'ils  y  manquent,  il  sera  méchant  :  il  fera 
périr  les  troupeaux,  manquer  les  récoltes,  avorter  les 
femmes,  il  les  trahira  dans  les  combats  et  les  tourmentera 
de  toutes  les  manières. 

Mais  toutes  ces  obligations  deviennent  particulièrement 
strictes  envers  celui  qui  est  tombé  victime  d'un  homicide. 


LE  DROIT  PÉNAL  PRIMITIF  17 

S  il  reste  sans  sépulture,  c'est  un  damné  dont  l'ombre 
errante  ne  connaîtra  pas  de  repos.  Pour  qu'il  trouve  ce 
repos,  il  est  nécessaire  que  son  seing  soit  vengé  ;  il  ne  sera 
satisfait  que  si  son  meurtrier  ou  un  des  siens  ou,  mieux 
encore,  le  meurtrier  et  les  siens,  sont  sacrifiés  à  ses  mânes. 
Ainsi,  la  vengeance  du  sang  prend  un  caractère  essentiel- 
lement expiatoire.  Ole  devient  pour  les  parents  de  la  victime 
une  obligation  religieuse  et  sacrée  à  laquelle  nul  ne  saurait 
se  soustraire  sans  encourir  les  sanctions  les  plus  redou- 
tables :  la  haine  du  mort  et  la  réprobation  des  vivants. 

Maintenant  si  la  victime  et  le  meurtrier  appartiennent 
à  des  tribus  différentes,  ce  devoir  religieux  pèsera  sur  tous 
les  membres  du  groupe  activement  et  passivement.  Sems 
doute,  un  vengeur  pourra  être  particulièrement  désigné  ; 
l'obligation  d'assurer  la  vengeance  pourra  être  imposée 
plus  ou  moins  fortement  à  différentes  catégories  de  parents, 
mais  tous  ceux  qui  font  partie  du  clan  devront  leur  prêter 
assistance  et  prendre  part  à  la  lutte.  D'autre  part,  l'auteur 
de  l'homicide  trouvera  dans  son  propre  groupe  un  asile 
sûr  et  des  défenseurs,  prêts  à  le  protéger  contre  toutes 
représailles.  L'homicide  qu'il  a  commis  n'est  pas  un  crime 
aux  yeux  de  ses  propres  parents  ;  peut-être  même  sera- 
t-il  considéré  par  eux  comme  une  action  d'éclat.  Ainsi  la 
vengeance  du  sang  ouvre  une  véritable  guerre  entre  deux 
clans.  Cette  guerre  est  ce  qu'on  appelle  d'ordinaire  le  droit 
de  vengeance  privée. 

La  composition,  dans  sa  simplicité  primitive,  s'explique 
de  la  même  manière,  par  la  nécessité  même  qu'impose  le 
milieu.  On  a  beaucoup  discuté  sur  la  nature  de  cette  com- 
position et  si  elle  était  la  réparation  et  l'expiation  du  crime, 
ou  bien  un  procédé  pour  soustraire  le  coupable  à  la  vengeance 
de  la  victime  et  des  siens.  On  a  donné  de  bonnes  raisons  à 

2.  GASCON. 


18  LE  DROIT  PÉNAL 

l'appui  de  l'une  ou  l'autre  opinion  parce  que  les  deux  idées 
contiennent  également  une  part  de  vérité.  Mais  le  vice 
commun  de  toutes  ces  explications  est  de  ne  point  remonter 
à  la  véritable  origme  du  système. 

Si  le  droit  de  vengeance  est  le  droit  de  guerre  entre 
deux  groupes,  indépendants  et  souverains,  la  composition 
est  le  traité  de  paix  qui  termine  ou  prévient  les  hostilités. 
La  guerre,  en  effet,  ne  peut  pas  être  éternelle  ;  un  jour 
vient  où  le  plus  faible  se  déclare  vaincu  et  demande  la 
paix.  Le  vainqueur  peut,  sans  doute,  continuer  la  lutte 
jusqu'à  l'extermination  de  son  adversaire.  Mais  il  arrive 
aussi  que  lui-même  est  las  de  combattre  et  aspire  à  mettre 
fin  aux  hostilités.  D'ailleurs,  les  forces  peuvent  être  encore 
sensiblement  égales.  On  discute  alors  les  conditions  de  la 
paix,  et  elles  varieront  évidemment  à  l'infini  selon  les  cir- 
cpnstances.  Elles  pourront  être  dictées  par  le  vainqueur, 
et  le  vaincu  subira  toutes  celles  qui  lui  seront  imposées. 
Souvent  aussi,  l'une  des  parties  fera  des  offres,  qui  seront 
débattues  et  qui  aboutiront  à  un  accord.  Il  n'est  pas  impos- 
sible, non  plus,  que  cette  transaction  intervienne  avant 
toute  ouverture  des  hostilités.  La  tribu  à  laquelle  appar- 
tient l'auteur  d'un  fait  dommageable,  d'un  vol,  de  l'enlè- 
vement d'une  femme  mariée,  d'un  assassinat,  redoutant  la 
vengeance  de  la  tribu  offensée,  ayant  conscience  que  le 
bon  droit  n'est  pas  de  son  côté,  cherchera  à  éviter  la  guerre 
en  offrant  des  satisfactions  préalables.  Enfin  il  arrivera  que 
des  familles  étrangères  au  litige,  s'interposeront  entre  les 
parties  pour  obtenir  un  accommodement.  Les  chefs  des 
tribus  neutres,  les  vieillards,  joueront  le  rôle  non  point 
d'arbitres,  car  leur  sentence  ne  saurait  avoir  aucun  caractère 
obligatoire,  mais  de  conciliateurs.  On  a  remarqué  avec 
beaucoup  de  raison  que  pour  obtenir  du  vainqueur  ou  de 


LE  DROIT  PÉNAL  PRIMITIF  19 

l'ofîensé  qu'il  renonce  à  poursuivre  sa  vengeance,  il  faut 
tenter  sa  cupidité.  On  lui  offrira  de  riches  présents  :  des 
chevaux,  des  moutons,  des  bœufs,  des  armes,  des  vases 
d  or  ou  d'argent,  tout  ce  qui  constitue  la  richesse  de  ces 
temps  primitifs.  Cependant,  en  cas  d'homicide,  il  faut  que 
la  victime  trouve  aussi  les  satisfactions  qui  lui  sont  dues. 
Ses  parents  exigeront  la  livraison  du  coupable,  même 
d'un  certain  nombre  de  jeunes  gens,  de  filles,  d'esclaves, 
qu'on  égorgera  sur  le  tombeau.  Mais  il  arrivera  aussi, 
grand  progrès  !  que  ces  sacrifices  humains  seront  remplacés, 
par  des  sacrifices  rituels  d'animaux  dont  le  sang  répandu 
apaisera  les  mânes  du  défunt. 

Lorsque  les  conditions  de  la  paix  sont  enfin  arrêtées, 
que  les  tribus  sont  tombées  d'accord,  que  la  composition 
a  été  acceptée  et  payée,  une  coutume  très  généréJe,  et  qu'on 
rencontre  dans  les  temps  et  dans  les  milieux  les  plus  diffé- 
rents, veut  qu'on  entoure  la  paix  de  cérémonies  rituelles. 
On  célèbre  des  sacrifices  religieux,  chaque  partie  promet 
de  garder  à  l'autre  une  amitié  éternelle  ;  on  échange  les 
serments  les  plus  solennels,  enfin  on  se  réunit  dans  un 
banquet  commun.  Heureux,  comme  le  remarque  un  auteur, 
si,  dans  l'ivresse  qui  suit  ces  libations,  quelques  nouvelles 
disputes  et  quelques  nouveaux  meurtres  ne  provoquent  pas 
de  nouvelles  vengeances. 

Et  tout  ce  que  nous  venons  de  dire  explique  aussi  pour- 
quoi ce  droit  primitif  ne  fait  aucune  distinction  entre  le 
dommage  voulu  ou  non  voulu.  Dans  la  pensée  des  tribus 
patriarcales,  le  préjudice  qu'elles  ont  éprouvé  doit  être 
réparé,  c'est  un  pur  fait  matériel  qui  doit  entraîner  dans 
tous  les  cas  un  dédommagement  matériel.  Qu'importe 
que  le  meurtre  ait  été  commis  intentionnellement,  ou  par 
simple    imprudence,    l'ombre    menaçante    de    la    victime 


20  LE  DROIT  PÉNAL 

exigera  toujours  la  même  vengeance,  les  mêmes  sacrifices 
expiatoires  et  rituels. 

Ce  système,  ^n  le  voit,  tel  qu'il  se  présente  dans  sa  sim- 
plicité originaire,  n'a  que  des  rapports  très  éloignés  avec 
le  droit  pénal.  Sans  doute,  la  vengeance  et  les  compositions 
participent,  si  on  veut,  du  caractère  de  la  peine.  La  ven- 
geance tend  incontestablement  à  l'intimidation  des  ennemis 
de  la  famille  et  à  les  détourner  de  commettre  envers  elle 
de  nouvelles  injures.  En  cas  d'homicide,  elle  repose  sur 
une  idée  d'expiation.  La  composition  peut,  dans  certains 
cas,  représenter  la  réparation  du  préjudice  injustement 
subi.  Mais,  en  réalité,  nous  n'apercevons  dans  tout  cela 
qu'un  état  préjuridique,  où  la  violence  est  seule  maîtresse, 
et  prime  le  droit.  En  dernière  analyse,  le  prétendu  droit 
de  vengeance  privée  n'est  rien  autre  chose  que  le  pouvoir 
de  fait  qui  appartient  collectivement  à  la  famille  patriarcale 
d'employer  la  force  pour  se  défendre  contre  une  attaque 
injuste  et  en  obtenir  réparation.  Seulement  il  convient 
de  ne  pas  oublier  que  ce  même  pouvoir  de  fait  permet  aussi 
à  une  tribu  puissante  de  se  livrer  à  une  attaque  injuste, 
et  d  imposer  au  vaincu  des  conditions  qui  violent  le  plus 
outrageusement  le  bon  droit. 

Tout  cela  est  la  conséquence  inévitable  de  l'indépen- 
dance des  familles  qui  se  trouve  à  l'origine  de  toutes  les 
civilisations  ;  et  c'est  si  vrai,  que  ce  même  système  se 
retrouve,  avec  tous  ses  traits  essentiels,  chaque  fois  que 
l'absence  d'un  pouvoir  supérieur  met  en  présence  deux 
souverainetés. 

Lorsque  l'Etat  eut  sombré,  avec  la  monarchie  Girlovin- 
gienne,  dans  l'anarchie  du  moyen-âge,  un  certain  ordre 
social  se  reconstitua  dans  l'agrégat  féodal.  Les  faibles  se 
cherchèrent  un  protecteur,  les  paysans  se  groupèrent  autour 


LE  DROIT  PÉNAL  PRIMITIF  21 

d'un  seigneur  qui  leur  promettait  une  certaine  sécurité, 
au  pied  du  château  où  ils  pouvaient  trouver  un  asile  au 
cas  de  danger.  Pour  obtenir  cette  protection,  ils  acceptèrent 
toutes  les  servitudes.  Mais  chacun  de  ces  seigneurs  fut 
souverain,  et  dès  lors,  on  vit  renaître  les  guerres  privées, 
seul  moyen  de  vider  les  querelles,  puisque  l'Etat  n'exis- 
tait plus,  à  la  justice  supérieure  duquel  on  put  recourir. 
Au  fond,  on  ne  l'a  peut-être  pas  assez  remarqué,  il  existe 
une  grande  ressemblance  entre  la  famille  patriarcale  et 
l'agrégat  féodeJ  ;  l'une  et  l'autre  de  ces  organisations  sociales 
s'expliquent  par  des  raisons  analogues  et  en  tous  cas,  le  droit 
de  guerre  reconnu  à  tout  seigneur  de  fief,  n'est  peis  essen- 
tiellement différent  du  droit  de  vengeance  qui,  dans  le 
monde  primitif,  appartient  au  clan. 

Et  n'est-ce  pas  ce  système  que  pratiquent  encore  aujour- 
d'hui les  nations  les  plus  orgueilleuses  de  leur  civilisation 
dans  leurs  rapports  les  unes  avec  les  autres.  A  défaut  d'un 
pouvoir  supérieur  commandant  à  toutes,  auquel  chacun 
pourrait  demander  justice,  et  qui  posséderait  la  force 
d'imposer  l'exécution  de  ses  arrêts,  elles  n'ont  d'autre 
moyen,  pour  assurer  leur  sécurité,  que  de  répondre  à  la 
violence  par  la  violence,  à  la  force  par  la  force.  Certes  ! 
la  guerre  est  légitime,  lorsqu'elle  est  faite  pour  repousser 
une  agression,  puisqu'elle  est  la  seule  ressource  possible 
contre  l'injustice.  Mais  elle  peut  aussi  être  entreprise, 
par  tout  Etat  souverain,  dans  le  but  le  plus  inique,  et  dans 
un  pur  esprit  de  conquête.  Après  la  victoire,  le  vaincu 
subira  la  loi  du  vainqueur.  Tant  mieux  si  le  bon  droit 
triomphe,  tant  pis  si  la  paix  imposée  consacre  la  plus 
atroce  iniquité.  L'indemnité  que  stipulent  tant  de  traités 
de  paix  est-elle  au  fond  très  différente  de  la  très  vieille 
composition   des    peuples    primitifs  ?    Comme   elle,    elle 


22  LE  DROIT  PÉNAL 

n'est  une  réparation  légitime  que  lorsqu'elle  est  payée  par 
celui  qui  a  causé  des  dommages  par  une  attaque  injustifiée. 
Dans  ces  relations  mternationales,  la  responsabilité  n'est- 
elle  pas  restée  collective  comme  elle  l'était  dans  la  famille 
patriarcale  ?  L'État  moderne  a  le  droit  et  le  devoir  de 
protéger  ses  nationaux,  mais  cette  protection  ne  peut 
s'exercer  contre  le  ressortissant  d'un  autre  Etat  qu'en 
s'adressant  à  celui-ci.  Lorsque  des  douaniers  allemands  ont 
tué  un  Français  en  tirant  sur  lui  un  coup  de  fusil  par-dessus 
la  frontière,  lorsqu'un  de  nos  soldats  a  été  assassiné  à 
Berlin,  nous  ne  pouvions  songer  à  punir  le  coupable  qui 
était  hors  de  notre  pouvoir  juridictionnel.  C'est  l'Allemagne 
qui  a  payé  l'indemnité  que  nous  avons  exigée.  Est-ce  bien 
autre  chose  que  le  prix  du  sang  ?  N'est-ce  pas  parce  que 
nous  sentons  cette  solidarité  que  nous  refusons  de  livrer 
nos  nationaux  par  l'extradition  ? 

Nous  venons  de  montrer  que  la  vengeance  et  les  com- 
positions ne  sont,  dans  leur  origine  première,  qu'une  sorte 
de  droit  international  entre  des  familles  patriarcales,  indé- 
pendantes et  souveraines.  C'est  à  tort  que  beaucoup  d'his- 
toriens y  ont  vu  un  système  de  droit  péned  primitif.  Mais 
ces  auteurs  semblent  croire,  en  outre,  que,  à  cette  période 
sociologique,  on  ne  connaissait  aucun  autre  moyen  de 
réprimer  les  crimes  et  les  délits,  et  cette  seconde  erreur 
n'est  pas  moins  grave  que  la  première.  Personne  n'en  saurait 
plus  douter  aujourd'hui.  Le  droit  pénal,  en  effet,  caractérisé 
par  une  peine,  infligée  au  coupable  par  une  autorité  qui 
assure,  par  cette  sanction,  la  discipline  sociale,  a  été  pra- 
tiqué dès  les  temps  les  plus  reculés,  et  parallèlement  au 
système  de  la  vengeance  et  des  compositions.  Seulement, 
il  faut  le  chercher  là  où  existe  un  pouvoir  social  organisé, 


LE  DROIT  PÉNAL  PRIMITIF  23 

c'est-à-dire  à  l'intérieur  de  la  famille,  de  la  tribu,  du  clan 
ou  de  la  gens. 

Nous  l'avons  dit,  la  vie  commune,  que  la  nature  impose 
à  l'homme,  ne  se  conçoit  pas  sans  une  certame  discipline, 
sans  une  autorité  à  laquelle  chacun  obéit,  soit  volontaire- 
ment, soit  par  contrainte.  Cette  discipline  n'est  même  pas 
complètement  absente  dans  la  horde  sauvage.  Mais  elle 
s'affirme  déjà  très  énergiquement  dans  la  famille  patriar- 
cale. Cette  famille,  en  effet,  groupe  des  parents,  ayant  une 
conscience  claire  du  lien  de  parenté  qui  les  unit,  et,  avec 
eux,  des  clients,  des  hôtes,  des  esclaves  ;  elle  possède  des 
troupeaux  et  des  biens  en  commun,  souvent  même,  le 
territoire  sur  lequel  elle  est  fixée  ;  entourée  de  dangers, 
exposée  aux  attaques  de  ses  ennemis,  elle  doit  perpétuelle- 
ment lutter  pour  eissurer  sa  sécurité.  Tout  cela  exige  une 
autorité  qui  administre  les  biens,  commande  les  forces  de 
la  tribu  dans  les  expéditions  guerrières,  impose  la  paix 
entre  les  différents  membres  du  clan,  et  règle  les  différents 
qui  peuvent  s'élever  entre  eux.  Sans  cette  autorité  qui 
commande  et  se  fait  obéir,  le  groupe  se  dissoudrait  dans 
l'anarchie  et  deviendrait  la  proie  de  ses  voisins  mieux 
organisés. 

Or,  le  chef  de  la  tribu  patriarcale,  pour  remplir  sa  mission, 
doit  nécessairement  pouvoir  employer  la  contrainte.  Si 
ses  commandements  se  heurtent  à  une  résistance,  il  doit 
la  briser,  si  la  discipline  généraJe  du  groupe  est  troublée, 
il  faut  qu'il  la  rétablisse.  11  ne  le  peut,  évidemment,  que 
s'il  a  le  pouvoir  d'établir  des  sanctions. 

Et  cette  hypothèse,  jusqu'ici  simple  déduction  ration- 
nelle, se  trouve  expérimentdement  confirmée  par  des  docu- 
ments historiques  irrécusables  et  par  les  observations  les 
plus  démonstratives.  Ce  ne  sont  pas  seulement  les  survi- 


24  LE  DROIT  PÉNAL 

vances  de  cette  justice  familiale  jusqu'aux  époques  histo- 
riques qui  affirment  son  existence  antérieure,  ce  sont  des 
témoignages  directs  qui,  bien  compris  et  bien  interprétés, 
la  montrent  en  plein  fonctionnement.  Partout  où  s'est 
conservée,  avec  une  suffisante  clarté,  cette  organisation 
patriarcale,  on  constate  que  l'autorité  qui  y  gouverne  exerce 
le  droit  de  punir. 

Ce  très  ancien  droit  criminel  manque  évidemment  de 
toute  réglementation  juridique.  11  serait  ridicule  de  vou- 
loir apporter  des  précisions  rigoureuses  qu'il  ne  comporte 
pas  et,  par  exemple,  de  tenter  de  dresser  une  liste  des 
incriminations.  Cette  liste  n'a  jamais  existé  ;  en  aucun  temps, 
ni  nulle  part,  elle  n'a  été  dressée,  ni  écrite,  ni  piomulguée. 
Elle  dépendait  certainement  de  l'arbitraire  du  chef -juge, 
des  sentiments  qui  l'animaient,  de  ses  passions  et  des  ses 
colères.  Moins  peut-être,  cependant,  qu'on  ne  pourrait 
le  croire,  car  ce  chef  est  soumis  au  contrôle  et  à  la  surveil- 
lance constante  de  tous  les  membres  du  groupe,  et  il  est 
tenu  de  respecter  les  traditions  et  les  coutumes.  En  réalité, 
les  crimes  sont  tous  les  actes  antisociaux,  qui  soulèvent  la 
réprobation  de  ce  groupe,  qui  blessent  ses  mœurs,  ses 
croyances,  ses  manières  de  penser,  ses  intérêts  vitaux,  qui 
compromettent  la  paix  et  l'ordre  de  la  communauté.  Or, 
ces  éléments  d'appréciation  varient  à  l'infini. 

Cependant,  il  ne  paraît  pas  impossible  de  donner  sur 
ces  crimes  primitifs  quelques  indications  générales.  A  coup 
sûr,  ils  étaient  peu  nombreux.  Dans  ces  sociétés  simples, 
on  ignore  évidemment  quantité  de  délits  que  prévoient 
les  codes  des  peuples  civilisés.  On  n'y  connaît  pas  la  fausse 
monnaie,  il  n'existe  point  de  monnaie  ;  ni  les  faux  en  écri- 
ture, on  n'écrit  point  ;  ni  la  plupart  des  délits  contre  la 
propriété,  elle  est  commune  à  tous  ;  ni  la  mendicité  ou  le 


LE  DROIT  PÉNAL  PRIMITIF  25 

vagabondage,  ni  les  délits  de  chasse  et  de  pêche,  et  cette 
liste  pourrait  être  continuée  longtemps.  Mais  on  punissait 
le  traître  qui  entretenait  des  intelligences  avec  une  tribu 
ennemie,  le  déserteur  qui  fuyait  dans  les  combats,  car  leur 
crime  menace  directement  la  sécurité  du  groupe  familial. 
On  réprimait  aussi  les  impiétés  et  les  sacrilèges,  qui  ou- 
tragent les  sentiments  religieux  et  qui  peuvent  attirer  sur 
le  groupe  tout  entier  la  haine  des  morts  et  la  colère  des 
dieux.  On  frappait  d'une  peine  certains  crimes  contre  les 
mœurs  et,  avant  tout,  l'adultère,  qui  détruit  la  présomption 
légale  qui  rattache  le  fils  à  son  père,  présomption  qui  est 
le  vrai  et  solide  fondement  du  lien  familial  et  du  culte 
des  ancêtres.  On  considérait  encore  comme  des  délits 
la  paresse  dans  l'accomplissement  des  devoirs  imposés 
pour  le  bien  commun.  Le  berger  auquel  était  confié  la 
garde  d'un  troupeau  et  qui  laissait  s'égarer  quelques  bêtes 
ou  ne  les  défendait  pas  contre  les  fauves,  ne  restait  certai- 
nement pas  sans  punition. 

Mais  au  premier  rang  des  crimes  relevant  de  la  justice 
domestique,  il  faut  placer  l'homicide,  commis  par  un 
membre  de  la  famille  sur  un  autre  membre  de  la  famille. 
On  sait  que  les  plus  anciennes  lois  ne  le  prévoyaient  pas. 
Faut-il  en  conclure  qu'il  restait  impuni  ?  Est-il  vrai  que 
le  vieux  législateur  grec  avait  refusé  de  punir  le  parricide, 
parce  que  ce  crime  était  trop  horrible  pour  être  prévu  ? 
L'absurdité  de  ces  opinions  saute  aux  yeux.  L'explication 
est  bien  plus  simple.  Ces  vieux  textes  fixent  un  tarif  de  com- 
positions. Or,  entre  ceux  qui  font  partie  du  même  groupe 
social,  il  ne  peut  être  question  de  composition,  puisque  les 
biens  sont,  en  général,  communs.  Surtout,  ces  lois  res- 
pectent encore  la  souveraineté  des  familles  et  abandonnent 
la  punition  du  meurtre  d'un  parent  par  un  parent  à  la 


26  LE  DROIT  PÉNAL 

justice  domestique.  A  elle  seule  appartient  de  punir  le 
coupable.  Les  autres  groupes  n'ont  aucune  raison  pour 
intervenir  dans  la  répression  d'un  forfait  qui  ne  leur  a 
causé  aucun  préjudice,  qui  n'a  lésé  aucun  de  leurs  droits, 
et  qui  leur  demeure  absolument  étranger.  D'ailleurs,  pour 
ces  crimes  particuliers  qui  sont  les  crimes  de  sang,  il  faut 
tenir  compte,  même  lorsqu'ils  sont  commis  dans  l'intérieur 
de  la  famille,  des  croyances  religieuses  que  nous  avons 
rappelées  plus  haut.  Parce  qu'il  a  été  frappé  par  un  parent, 
par  un  fils,  par  sa  femme,  le  sang  de  la  victime  n'en  crie 
pas  moins  vengeance  !  Et  si  le  groupe  entier  ne  l'assure 
pas,  alors,  dans  le  sein  même  de  la  famille,  se  lèvera  le 
justicier  désigné,  celui  auquel  incombe  le  plus  sacré  des 
devoirs  pieux,  qui  frappera  le  coupable,  sans  pitié,  sans 
miséricorde,  en  expiation  de  son  crime.  Douloureux  con- 
flits de  devoirs,  qui  a  torturé  l'âme  des  primitifs  et  dont  l'écho 
retentit  dans  la  tragédie  grecque. 

Le  système  des  peines  pratiquées  par  la  famille  patriar- 
cale n'est  pas  plus  susceptible  de  précision  que  la  liste  des 
crimes.  Il  importe  seulement  de  bien  comprendre  que  ce 
sont  de  véritables  peines  :  elles  en  ont  tous  les  caractères. 
Elles  sont  prononcées  par  une  autorité  sociale  ;  elles  ont 
pour  but  l'élimination  ou  la  correction  du  coupable  ;  elles 
sont  expiatrices  et  exemplaires  ;  elles  tendent  enfin  à  assurer 
l'ordre  et  la  discipline  dans  le  sein  d'un  groupe  socieJ 
organisé.  Mais  quelles  étaient-elles  ?  A  coup  sûr,  les  peines 
privatives  de  liberté  n'y  tenaient  pas  une  grande  place, 
ni  les  peines  pécuniaires,  puisque  la  propriété  privée  était 
encore  peu  développée.  Les  plus  usuelles,  bien  qu  elles  n  ap- 
paraissent que  très  rarement  dans  les  textes,  devaient  être 
les  châtiments  corporels  :  quelques  coups  de  fouet  ou  de 
bâton  corrigeaient  les  fautes  les  moins  graves  et  les  plus 


LE  DROIT  PÉNAL  PRIMITIF  27 

communes.  Assurément,  aussi,  la  réprobation  publique, 
la  note  d'infamie  jouait  un  rôle  important  dans  ce  système 
de  répression.  Enfin,  dans  les  cas  les  plus  graves,  le  coupable 
était  condamné  à  la  peme  de  mort  et  au  bannissement. 

Après  tout  ce  que  nous  avons  dit,  on  comprendra  faci- 
lement que  la  famille,  indépendante  et  souveraine,  avait  le 
droit  de  vie  et  de  mort  sur  chacun  de  ses  membres,  et  elle 
exerçait  ce  droit  en  exécutant  celui  qui  avait  commis  un 
grand  crime.  Celui  qui  avait  été  ainsi  frappé,  et  dont  le 
cadavre  avait  été  jeté  au  delà  des  frontières,  n'avait  pas  de 
vengeur.  Mais  il  semble  que  la  substitution  de  l'exil  à  la 
peine  capitale  ait  été  un  fait  très  fréquent  :  Peut-être  répu- 
gnait-on à  verser  le  sang  d'un  parent  ?  Mais  le  bannisse- 
ment n'était  guère  moins  redoutable  que  la  mort  même. 
Il  fonctionnait  d'abord  comme  peine  éliminatrice,  purgeant 
la  communauté  de  ses  mauvais  éléments,  et  pour  le  con- 
damné il  était  un  châtiment  terrible.  Où  pouvait,  en  effet, 
se  réfugier  l'exilé  ?  Dans  la  brousse  ?  il  était  voué  à  y  périr 
de  faim  ;  dans  une  tribu  voisine  ?  il  courait  grand  risque 
d'y  être  tué  et,  s'il  y  était  reçu,  d'y  être  esclave.  Mais  sur- 
tout, et  voilà  le  pire,  ce  bannissement  était  une  excom- 
munication. Le  banni  ne  participait  plus  au  culte  de  la 
famille,  il  n'avait  plus  de  dieux  domestiques.  S'il  venait 
à  mourir,  son  ombre  errante  ne  devait  jamais  connaître  le 
repos . 

D'ailleurs,  il  faut  l'avouer,  bien  des  incertitudes  sub- 
sistent sur  ce  très  ancien  droit  familial.  L'organisation 
même  de  la  famille  patriarcale  reste  entourée  d'obscurité. 
Ainsi,  en  particulier,  nous  ignorons  quels  étaient,  dans  cet 
état  social  primitif,  les  rapports  du  groupe  général,  de  la 
tribu,  du  clan,  avec  chacune  des  familles,  au  sens  restreint 
du  mot  et  comprenant  le  père,  ses  femmes  et  ses  enfants. 


28  LE  DROIT  PÉNAL 

qui  en  faisaient  partie  intégrîinte.  Les  romanistes  ne  nous 
ont  point  dit  quels  étaient  les  droits  réciproques  de  la  gens 
et  de  la  famille  agnatique.  Les  travaux  des  historiens  et 
des  sociologues  les  plus  avertis,  laissent  subsister  sur  ce 
point  une  grande  confusion.  N'existait-il  qu'une  seule 
justice  pénale  dans  la  tribu,  ou  bien  plusieurs  justices 
l'une  exercée  par  le  chef  du  clan,  l'autre  par  le  père  sur  les 
siens  ?  Ce  point  n'a  jamais  été  bien  élucidé.  On  peut  con- 
jecturer, d'ailleurs,  que  cette  organisation  a  varié  :  elle  a 
dû  être  différente  selon  les  peuples,  elle  a  évolué  au  cours 
des  temps,  et  cette  diversité,  autant  que  l'indigence  des 
textes,  rend  toute  affirmation  périlleuse. 

Cependant,  on  peut,  croyons-nous,  considérer  comme 
définitivement  acquis  les  principes  généraux  que  nous 
venons  de  dégager.  L'existence  d'un  droit  pénal  social, 
fonctionnant  dès  les  temps  les  plus  reculés  à  l'intérieur  des 
groupes  familiaux,  nous  semble  indéniable.  Le  véritable 
droit  criminel  primitif  est  là  et  pas  ailleurs.  Beaucoup  en 
ont  méconnu  l'importance  parce  qu'ils  ne  l'ont  pas  trouvé 
dans  des  textes  législatifs.  Mais  comment  s'en  étonner  ? 
Les  coutumes  péneJes  en  usage  dans  la  famille  patriarcale 
n'étaient  pas  de  nature  à  être  rédigées.  Ce  droit  a  laissé  des 
survivances  jusqu'à  aujourd'hui,  sous  la  forme  du  pouvoir 
disciplinaire  du  père  et  de  la  mère.  A  coup  sûr,  personne 
n'a  jamais  songé  à  écrire  ce  code  pénal  domestique. 

BIBLIOGRAPHIE 
V.  les  ouvrages  cités  à  la  fin  du  chapitre  suivant. 


CHAPITRE  II 
LES  ORIGINES  DU  DROIT  DE  PUNIR  DE  L'ÉTAT 


Nous  avons  montré,  dans  le  chapitre  précédent,  comment, 
dans  la  période  vraiment  primitive,  le  droit  de  punir  fut 
exercé  par  le  seul  pouvoir  qui  était  eilors  organisé,  c'est-à- 
dire  par  les  chefs  qui  gouvernent  la  famille  patriarcale. 
Les  relations  de  ces  familles  entre  elles  ne  se  réglaient  que 
par  la  violence.  Mais  la  création  de  l'État,  chez  tous  les 
peuples  appelés  à  un  plus  haut  degré  de  civilisation,  devait 
amener  la  ruine  de  ces  antiques  institutions  et  la  formation 
d'un  droit  pénal  tout  différent.  Sans  doute,  nous  l'avons  dit, 
le  recours  à  la  force  et  le  droit  de  la  guerre  subsistent  dans 
les  rapports  des  États  entre  eux  ;  mais  d2ins  les  limites 
de  sa  souveraineté  intérieure,  l'État  se  substitue  à  la  puis- 
sance domestique,  et  assure  sur  une  base  beaucoup  plus 
large,  avec  plus  de  justice,  la  discipline  socieJe,  en  assumant 
la  charge  de  punir  tous  les  faits  qui  troublent  l'ordre  public. 
Ce  sont  les  origines  de  ce  système  nouveau  qui  doivent  • 
maintenant  attirer  notre  attention. 

L'origine  de  l'État  a  soulevé  de  longues  controverses, 
qui  ne  sont  peut-être  pas  encore  épuisées.  Au  XVIII®  siècle 
l'opinion  commune  la  recherchait  dans  un  contrat  socieJ  : 
Jean- Jacques,  non  sans  quelque  confusion  d'ailleurs  entre 
la  société  et  l'État,  la  trouvait  dans  une  convention  délibérée 
et  librement  consentie  entre  les  individus,  las  de  vivre 
indépendants  et  libres.  Il  paraît  superflu  de  réfuter  aujour- 


30  LE  DROIT  PÉNAL 

d'hui  cette  erreur.  La  société,  est-il  besoin  de  le  répéter, 
est  aussi  ancienne  que  l'homme  même  puisqu'elle  lui  est 
imposée  par  sa  nature.  L'État,  au  contraire,  est  de  création 
secondaire,  il  a  été  précédé  par  des  organisations  socijJes 
plus  rudimentaires,  par  des  groupements  moins  perfec- 
tionnés. Personne  ne  soutiendra  plus  qu'il  soit  né,  avec 
toutes  les  attributions  qu'on  lui  reconnaît  aujourd'hui,  de 
la  volonté  consciente  de  chacun  des  associés,  et  du  con- 
sentement exprès  des  individus  qui  sont  soumis  à  sa  sou- 
veraineté. 

Une  autre  théorie  a  eu,  dans  la  seconde  moitié  du  XIX®  siè- 
cle, une  certaine  fortune.  Darwin  venait  de  faire  connaître 
sa  doctrine  de  la  sélection  naturelle  et  de  la  lutte  pour  la 
vie.  On  crut  qu'elle  apportait  aussi  la  solution  du  problème 
de  la  formation  de  l'État.  Il  aurait  été  fondé  par  la  conquête. 
Le  groupe  social  le  plus  fort,  le  mieux  organisé,  le  plus 
moral,  aurait  vaincu  les  groupes  moins  bien  adaptés  aux 
nécessités  de  la  vie  et  les  aurait  soumis  à  son  autorité.  La 
souveraineté  aurait  ainsi  passé  aux  vainqueurs  qui  seuls 
auraient  eu  le  droit  de  commander,  et  ils  en  auraient  usé 
pour  imposer  la  paix  définitive  entre  les  anciens  groupe- 
ments, maintenant  absorbés  dans  une  unité  supérieure,  et 
pour  assurer  ensuite  l'ordre  public  en  punissant  les  crimi- 
nels. 11  est  impossible  de  nier  qu'il  y  ait  là  une  part  de 
vérité.  L'histoire  est  remplie  du  récit  des  annexions  obte- 
nues par  la  force,  et  les  plus  puissants  empires  ont  été 
fondés  par  la  conquête.  Dans  nos  expéditions  coloniales, 
notre  premier  soin  n'est-il  pas  d'interdire  aux  indigènes 
les  razzias  et  de  leur  imposer  la  paix  française  ?  Ne  nous 
hâtons-nous  pas  aussitôt  notre  autorité  établie,  de  publier 
un  code  pénal  ? 

Mais  l'observation  des  faits  prouve  que  la  violence  n  est 


LES  ORIGINES  DU  DROIT  DE  PUNIR  DE  LETAT  31 

pas  le  seul  mode  de  formation  de  l'État.  Il  peut  aussi  être 
organisé  par  le  libre  consentement  de  groupes  préexistants. 
Même,  il  ne  serait  peut-être  pas  téméraire  d'affirmer  que 
si  l'accroissement  des  Etats  a  été  le  plus  souvent  le  résultat 
de  la  conquête,  leur  commencement,  au  contraire,  doit 
plutôt  être  cherché  dans  des  conventions.  Seulement  ce 
contrat  social  fédératif  est  bien  différent  de  celui  qu'avaient 
imaginé  les  publicistes  du  XVIII®  siècle.  Il  intervient,  non 
pas  entre  des  individus  vivant  antérieurement  dans  un  état 
de  nature,  et  parfaitement  libres,  mais  entre  des  clans  fami- 
liaux antérieurement  constitués.  Il  naît  en  vue  d'un  but 
spécial  et  limité  et  avec  des  attributions  extrêmement  res- 
treintes. Plusieurs  tribus,  jusque-là  indépendantes  et  sou- 
vent ennemies,  sentent  l'impérieux  besoin  de  s'unir  pour 
résister  aux  attaques  de  voisins  qui,  chaque  année,  les 
pillent  et  les  razzient  ;  ou  bien,  au  contraire,  ce  sont  des 
clans  dont  la  guerre  est  la  principale  industrie,  qui,  pour 
mieux  assurer  le  succès  de  leurs  expéditions,  établissent 
l'unité  de  commandement  et  désignent  un  chef  qui  dirigera 
toutes  leurs  forces.  De  semblables  accords  étaient  d'ailleurs 
faciles  entre  familles  patriarccJes  qui,  nées  d'une  souche  com- 
mune, s'étaient  essaiminées  sur  des  territoires  limitrophes, 
qui  parlaient  la  même  langue  et  avaient  des  coutumes  et 
des  croyances  semblables.  Ainsi,  les  cités  grecques  appa- 
raissent comme  des  fédérations  de  ysvr,  ;  Rome  comme 
une  fédération  de  gentes,  créées  peut-être  artificiellement  à 
l'imitation  des  gentes  latines.  Les  Francs,  dont  Tacite 
Ignorait  le  nom,  ne  sont  rien  d'autres  qu'une  fédération  de 
tribus  germaniques,  organisée  pour  la  conquête,  que  Clovis 
et  Charlemagne  devaient  conduire  à  l'apogée  de  sa  puis- 
sance. D'ailleurs,  combien  d'exemples  n'avons-nous  pas 
d'Etats  modernes,  parmi  les  plus  florissants^  qui  ont  pour 


32  LE  DROIT  PÉNAL 

origine  une  convention  fédérative,  et  qui  sont  encore  cons- 
titués en  Etat  fédératlf .  Au  fond,  ce  n'est  pas  un  phénomène 
différent  que  nous  observons  dans  le  lointain  de  l'histoire 
de  la  famille  patriarcale. 

Dès  qu'il  fut  établi,  le  gouvernement  politique,  — 
j'entends  par  là  le  gouvernement  de  l'État,  —  possédant 
une  supersouveraineté  au-dessus  des  groupes  sociaux 
antérieurement  indépendants,  dut  nécessairement  s'efforcer 
d'assurer  le  règne  de  la  paix  entre  ces  groupes.  Si  ce  gou- 
vernement s'est  établi  par  la  violence  et  la  conquête,  il  ne 
tolérera,  ni  une  révolte  des  vaincus  contre  lui-même,  ni 
des  guerres  des  vaincus  entre  eux.  Et  s'il  a  été  organisé 
par  une  convention  sur  une  base  fédérative,  son  devoir 
le  plus  clair  sera  d'empêcher  les  familles,  qui  sont  sous 
son  autorité,  de  s'entre-détruire  par  des  guerres  intestines. 
Ayant  la  charge  de  leur  sûreté  extérieure,  commandant  les 
forces  communes,  il  ne  saurait  souffrir  qu'elles  s'îifîai- 
blissent  dans  des  luttes  privées.  D'ailleurs,  on  pourrait 
fournir  des  exemples  historiques  qui  démontreraient  que, 
quelquefois,  l'institution  d'un  pouvoir  central  a  eu  préci- 
sément pour  but  d'améliorer  les  rapp)orts  entre  les  clans 
familiaux,  de  prévenir  les  vengeances  en  apaisant  leurs 
querelles  et  en  facilitant  leurs  accords  pacifiques.  En  pareil 
cas,  l'Etat  ne  prend  plus  une  forme  militaire,  mais  une 
forme  judiciaire  ;  le  pouvoir  n'est  pas  confié  à  un  soldat, 
mais  à  des  vieillards  pacifistes  et  à  un  tribunal,  qui  pré- 
sentent d'abord  le  caractère  d'une  institution  purement 
arbitrcJe,  dont  les  décisions  sont  dépourvues  de  sanctions 
matérielles  et  qui  ne  s'imposent  aux  adversaires  que  par 
la  force  de  la  raison  et  de  leur  intérêt  propre. 

De  ces  humbles  commencements,  par  un  progrès  cons- 
tant qu'on  observe  dans  l'histoire  de  toutes  les  civilisations. 


LES  ORIGINES  DU  DROIT  DE  PUNIR  DE  l'ÉTAT  33 

est  sorti  l'État,  tel  que  nous  le  concevons  aujouid'hui, 
auquel  est  confié  le  soin  d'assurer  la  sûreté  extérieure  et 
intérieure  d'une  nation,  qui  a  pour  mission  prmcipîJe  de 
maintenir  la  discipline  sociale,  de  protéger  les  droits  et 
les  libertés  individuelles,  et  qui  y  pourvoit  en  organisant 
la  répression  de  tous  les  faits  qui  troublent  l'ordre  et  la 
paix  publique.  Mais  du  point  de  départ  au  but,  le  chemin 
a  été  long  et  hérissé  d'obstacles. 

Cette  lutte  entre  le  gouvernement  politique,  qui  tendait 
à  la  centralisation,  et  la  famille  patriarcale  qui  défendait 
jeJousement  son  indépendance,  soulevait,  en  effet,  les  pro- 
blèmes les  plus  ardus,  et  était  de  nature  à  exciter  les  pas- 
sions les  plus  âpres  et  les  plus  violentes.  Mais  l'Etat  repré- 
sentait les  idées  de  paix,  de  justice  et  de  liberté,  et  ce  furent 
ces  forces  morales  qui,  en  définitive,  devaient  assurer  son 
succès  et  celui  de  la  civilisation.  Les  guerres,  qui  éclataient 
entre  les  tribus  et  les  clîins,  où  la  vengeance  engendrait 
la  vengeance,  pouvaient  être  subies  comme  une  inévitable 
fatalité,  et  acceptées  comme  un  pénible  et  rude  devoir, 
mais  elles  étalent  détestées  comme  le  pire  des  fléaux  et 
redoutées  comme  un  exécrable  malheur.  L'Etat  apportait 
la  paix  à  laquelle,  quoi  qu'on  en  puisse  dire,  l'humanité 
a  toujours  aspiré  comme  à  un  bien  suprême.  Bella  matribus 
detestata.  Rome  même,  la  plus  guerrière  des  nations,  saluait 
de  ses  acclamations  la  fermeture  des  portes  du  temple  de 
Janus.  Sans  doute,  il  ne  faut  rien  exagérer,  les  guerres 
extérieures  restaient  un  danger,  mais  c'était  déjà  un  grand 
progrès  de  mettre  fin  à  celles  qui  déchiraient  les  familles 
entre  elles. 

D'autre  part,  les  luttes  sans  fin  entre  clans  ennemis 
abandonnaient  tout  à  la  décision  de  la  force  brutale  et  à  la 
fortune  des  combats.  Il  était  trop  visible  que  le  bon  droit 

3.  GARÇON. 


34  LE  DROIT  PÉNAL 

pouvait  y  succomber,  et  la  famille  offensée,  qui  prenait 
les  armes  pour  venger  un  des  siens,  était  toujours  menacée 
de  subir  une  lourde  défaite,  parfois  même  d'être  exter- 
minée toute  entière.  L'Etat  parlait  de  justice  et  donnait 
quelque  protection  au  faible.  Dans  l'intérieur  même  de  la 
famille,  la  discipline  était  rude  et  oppressive.  L'homme 
l'avait  acceptée  tant  qu'il  y  avait  été  contraint  par  la  néces- 
sité, alors  que  toute  autre  vie  sociale  lui  était  impossible. 
Mais  il  ne  supporta  plus  qu'impatiemment  cette  contrainte, 
le  jour  où  il  put  sentir  la  sécurité  de  sa  personne  et  de  ses 
biens  assurée  par  l'intervention  de  l'Etat  politique.  Celui-ci 
lui  imposait  une  règle  moins  rigoureuse,  plus  flexible, 
tenant  compte  de  ses  instincts  individualistes,  de  ses  droits 
et  de  sa  liberté.  D'ailleurs,  tout  ce  mouvement  se  limt  à 
des  changements  dans  les  conditions  du  milieu  économique. 
L'introduction  de  la  petite  industrie  et  une  certaine  division 
du  travail,  qui  en  était  la  conséquence,  rendait  possible 
l'extension  de  la  propriété  mobilière  et  immobilière.  L'Etat 
favorisait  ce  mouvement  auquel  résistait  la  vieille  organi- 
sation de  la  famille  patriarcale.  Enfin  et  plus  que  tout  le 
reste,  peut-être,  la  justice  de  l'Etat  paraissait  moins  arbi- 
traire que  la  justice  domestique.  Certes  !  dans  ses  commen- 
cements et  pendant  de  longs  siècles  encore,  elle  sera  loin 
d'être  soumise  à  des  principes  rationnels,  légaux  et  fixes. 
Mais  elle  eût,  dès  l'origine,  une  certaine  teinte  juridique, 
et  ce  fut  îissez  pour  qu'elle  parût  constituer  un  réel  pro- 
grès. 

Ainsi,  dans  sa  lutte  contre  les  forces  conservatrices  du 
groupe  familial,  et  contre  son  organisation  aristocratique, 
l'Etat  rencontra  dans  les  individus,  dans  les  opprimés, 
dans  la  plèbe,  son  appui  le  plus  ferme  et  son  fondement 
le  plus  solide.  Aucune  grande  révolution  politique  ou  sociale 


LES  ORIGINES  DU  DROIT  DE  PUNIR  DE  l'ÉTAT  35 

ne  saurait  s'accomplir  sans  le  consentement  et  la  volonté 
du  plus  grand  nombre.  La  victoire  de  l'Etat  n'a  été  rendue 
possible  que  par  la  coopération  de  ceux  qui  cherchaient, 
en  lui,  un  pacificateur  des  guerres  interfamiliales,  et  un 
protecteur  contre  la  tyrannie  de  la  justice  domestique. 

Cependant  les  difficultés  étaient  grandes,  et  tout  semblait 
devoir  s'opposer  à  l'établissement  de  la  souveraineté  du 
gouvernement  politique.  Il  fallait  que  l'Etat  détruisit 
l'indépendance  des  clans  pour  les  fondre  en  un  tout  homo- 
gène, auquel  il  aurait  seul  le  droit  de  commander.  Il  devait, 
en  assumant  la  charge  de  réprimer  les  crimes  commis 
contre  les  familles  et  du  dehors,  et  dans  l'intérieur  des 
fîimilles,  interdire  les  guerres  privées,  et  abolir  les  juridic- 
tions domestiques.  Evidemment,  le  groupe  familial  ne 
devait  pas  sans  résistance  abdiquer  ainsi  sa  souveraineté, 
renoncer  au  droit  de  venger  par  ses  propres  forces  les 
offenses  qui  lui  étaient  faites  et  qui  avait  seul,  jusque-là, 
assuré  sa  sécurité  extérieure,  consentir  enfin  à  ne  plus  exercer 
le  droit  de  punir  les  fautes  des  siens  qui  troublaient  sa 
propre  sécurité  intérieure.  Une  pareille  révolution  devait 
se  heurter  à  toutes  les  forces  conservatrices,  car  il  ne  s'agis- 
sait de  rien  moins  que  de  violer  les  plus  vieilles  coutumes, 
de  rompre  avec  des  traditions  respectées  et  de  renverser 
des  croyances  sur  lesquelles  les  familles  avment  vécu  pen- 
dant des  siècles. 

L'œuvre  était  immense  :  pour  l'accomplir,  un  long 
temps  fut  nécessaire,  et  les  efforts  d'un  grand  nombre 
d  ouvriers.  Les  chefs  militaires,  les  rois  et  leurs  ministres, 
y  employèrent  leur  activité  et  mirent  au  service  de  l'Etat 
qu'ils  représentaient,  la  force  dont  ils  disposaient  et  sans 
laquelle  il  eût  été  impossible  de  briser  certaines  résistances, 
et  d'assurer  les  sanctions  sociales.  Mais  surtout,  dès  ces 


36  LE   DROIT   PÉNAL 

temps  reculés,  il  s'est  rencontré  des  hommes  qui,  par  la 
sagesse  de  leurs  conseils  et  par  leur  autorité  morale,  ont 
su,  peu  à  peu,  imposer  des  règles  pour  l'apaisement  des 
conflits  interfamiliaux,  pour  la  répression  des  crimes  qui 
mettaient  en  péril,  non  seulement  le  bon  ordre  du  gouverne- 
ment politique,  mais  encore  la  sûreté  de  la  personne  et 
des  biens  des  particuliers.  On  n'a  peut-être  pas  assez  remar- 
qué tout  ce  que  la  cause  du  progrès  et  de  la  civilisation  doit 
à  ces  pacifistes  :  prêtres,  légistes,  arbitres,  juges,  diplo- 
mates et  législateurs.  Tour  à  tour,  ils  ont  employé  la  per- 
suasion et  la  force  ;  ils  ont  dû  se  plier  aux  circonstances, 
ne  procéder  que  prudemment  et  par  degrés  successifs, 
attendre  l'opportunité  pour  reprendre  leur  œuvre  inter- 
rompue. Leur  méthode  fut  d'abord  et  avemt  tout  de  fixer 
des  jurisprudences,  de  tourner  en  précédent  tout  ce  qui 
contribuait  à  l'accomplissement  de  leur  tâche  pacifica- 
trice, et  de  créer  ainsi  des  traditions  nouvelles.  D'ailleurs, 
leur  activité  ne  fut  pas  exclusivement  judiciaire  ;  elle  fut 
aussi  créatrice,  et  ils  surent  au  besoin,  lorsqu'ils  en  virent 
la  possibilité,  procéder  par  innovations  hardies.  Ainsi,  ils 
ont  mis  au  service  de  la  cause  de  la  paix  et  de  la  discipline 
sociede,  une  profonde  habileté  politique  et  une  inlassable 
persévérance.  Longtemps,  la  science  juridique,  qui  s'était 
ainsi  constituée,  et  qui  affectait  bien  souvent  un  caractère 
religieux,  fut  transmise  par  voie  de  tradition  orale.  Elle 
restait  même  secrète.  Lin  jour  vient,  enfin,  où  elle  prit  la 
forme  plus  stable  et  moins  mystérieuse  d'un  texte  écrit, 
et  le  travail  immense  de  tant  de  générations  d'hommes  se 
résuma  dans  une  loi  solennellement  promulguée.  Souvent 
cette  œuvre  est  restée  anonyme  ;  quelquefois  seulement 
un  nom  y  est  attaché,  éclairé  par  les  clartés  diffuses  de  la 
légende,  et  pieusement  conservé  dans  la  mémoire  des  peu- 


LES  ORIGINES  DU  DROIT  DE  PUNIR  DE  l'ÉTAT  37 

pies,  tels  :  Moïse,  Dracon,  Solon,   Lycurgue,  ou   Numa 
Pompilius. 

Ces  lois  de  transition  nous  sont  parvenues  en  grand 
nombre  et  les  sources  sont  ici  particulièrement  riches, 
mais  la  lutte  pour  la  souveraineté  de  l'Etat  a  infiniment 
varié  dans  ses  moyens  et  ces  lois  ont  besoin  d'être  bien 
comprises.  Ainsi  que  nous  l'avons  déjà  dit,  il  faut  les  dater 
et  les  interpréter,  non  pas  chronologiquement,  mais  sociô- 
logiquement.  Leur  caractère  est  fort  différent,  par  exemple, 
là  où  l'Etat  est  organisé  pour  la  première  fois,  et  là  où  il  a 
subi  l'influence  de  modèles  antérieurs.  Le  gouvernement 
politique  ne  s'est  pas  établi,  de  la  même  manière,  chez  les 
Hébreux,  chez  les  Egyptiens  et  dans  la  Grèce  primitive. 
Faut-il  répéter  qu'à  l'époque  où  Rome  apparaît  dans  l'his- 
toire, il  semble  que  la  notion  de  l'Etat  était  déjà  clairement 
dégagée  chez  les  Latins  et  chez  les  peuplades  qui  les  en- 
tourent, et  qu'il  existait  chez  eux  un  certain  nombre  de 
crimes  punis  par  la  cité.  Lorsque  les  barbares  envahirent 
l'Empire,  ils  étaient  constitués  en  corps  de  nations,  ils 
avaient  des  chefs,  des  rois,  une  organisation  politique,  et 
la  tribu  primitive  était  en  pleine  voie  de  désagrégation.  De 
plus,  ils  s'établissaient  dans  des  pays  où  l'État,  pleinement 
évolué,  possédait  tous  les  attributs  de  la  souveraineté  et 
où  fonctionnait  en  particulier  un  droit  pénal  très  perfec- 
tionné. Or,  si  l'influence  romaine  est  peu  sensible  dans  la 
loi  salique,  elle  se  montre  au  contraire  beaucoup  plus  clai- 
rement dans  la  lex  antiqua  Wisigotomm  et  dans  la  Gombette. 
A  ce  point  de  vue,  ces  deux  derniers  textes  présentent  un 
intérêt  tout  particulier,  que  les  historiens  du  droit  n'ont 
peut-être  pas  suffisamment  aperçu.  On  y  trouve  les  rensei- 
gnements, les  plus  curieux  et  les  plus  précieux,  sur  le 
moment    précis    où    les    vieilles    coutumes    germaniques 


38  LE  DROIT  PÉNAL 

finissent,  où  la  propriété  collective  cède  la  place  à  la  pro- 
priété individuelle,  où  les  rois  barbares  cherchent  à  s'em- 
parer, pour  les  crimes  les  plus  graves,  du  droit  de  punir. 
D'un  autre  côté,  les  lois  rédigées  par  ordre  de  Charlemjigne 
pour  les  peuples  conquis,  bien  que  promulguées  très  pos- 
térieurement et  qui  datent  d'une  époque  où  les  pouvoirs 
de  l'Empereur,  se  sont  imposés,  mais  qui  sont  faites  pour 
des  peuples  demeurés  étrangers  à  la  civilisation  romaine, 
sont  beaucoup  plus  près  des  coutumes  primitives.  Enfin, 
les  capitulaires  Mérovingiens  et  Carlovingiens,  multi- 
plient les  pemes  sociales  ;  mais  l'autorité  de  ces  ordonnances 
législatives,  qui  imposent  les  innovations  par  voie  législa- 
tive, paraît  avoir  été  beaucoup  plus  fragile.  Correspondant 
moins  à  la  conscience  populaire,  parce  qu'ils  n'avaient  p«is 
été  élaborés  par  elle,  ces  textes  furent  mal  obéis.  D'ailleurs, 
sous  les  derniers  Carlovingiens,  l'Etat  central  s'effondre 
dans  toute  l'Europe,  et  la  féodalité  établit  un  système  nou- 
veau de  répression. 

Il  résulte  de  tout  ce  que  nous  venons  de  dire  que  la 
décadence  du  droit  primitif  fut  le  résultat  de  circonstances 
qui  ont  varié  à  l'infini,  selon  les  temps  et  les  lieux,  selon 
les  conditions  sociales  et  économiques,  selon  le  degré  de 
culture  des  peuples  et  leur  aptitude  à  la  civilisation.  On  ne 
saurait  donc  en  retracer  que  des  histoires  spécieJes  et  frag- 
mentaires, et  toute  tentative  de  généralisation  serait  témé- 
raire et  contraire  aux  saines  méthodes  scientifiques.  Nous 
nous  contenterons  donc  d'indiquer  quelques-uns  des  faits 
les  plus  connus  et  les  plus  caractéristiques,  qui  permet- 
tront de  mieux  saisir  ce  stade  décisif  de  l'évolution  de  droit 
criminel. 

L'un  des  premiers  moyens  employés  par  les  pacifistes. 


LES  ORIGINES  DU  DROIT  DE  PUNIR  DE  l'ÉTAT  39 

pour  apaiser  les  guerres  entre  familles,  fut  de  leur  imposer 
la  loi  du  talion.  Cette  loi  a  été  longtemps  considérée  comme 
la  plus  atroce  et  la  plus  barbare  des  représailles  ;  mieux 
comprise  aujourd'hui,  elle  apparaît  comme  un  très  grand 
progrès.  La  vengeance,  inspirée  par  la  colère,  ne  connaît 
pas  de  mesure.  La  tribu  offensée,  quelle  que  fut  l'offense, 
pouvait  donc  faire  à  l'ennemi  tout  le  mal  possible.  Qui 
donc  aurait  pu  l'en  empêcher,  puisqu'il  n'existait  aucun 
pouvoir  supérieur  capable  d'intervenir  entre  les  belligé- 
rants ?  Il  fallait  donc,  d'abord,  leur  faire  accepter  l'idée 
que  la  réparation  était  légitime,  dans  la  limite  du  préjudice 
éprouvé,  et  qu'elle  n'était  légitime  que  dans  cette  mesure  : 
œil  pour  œil,  dent  pour  dent,  membre  pour  membre.  La 
loi  d'Hamourabi  n'autorise-t-elle  pas  celui  dont  le  fils  a 
été  tué  à  exiger  la  mort  de  l'enfant  du  meurtrier  ?  C'était 
là  la  seule  justice  qui  put  s'imposer  à  ces  consciences  obs- 
cures et  rudimentaires.  Elles  n'en  pouvaient  concevoir 
aucune  autre.  En  vain,  on  a  objecté  qu'en  fait,  on  ne  pouvait 
rétribuer  le  mal  par  un  mal  absolument  semblable,  que 
1  offensé  ne  pouvait  mesurer  ses  coups,  que  le  coupable 
pouvait  succomber  à  la  blessure  faite  en  représaille  d'une 
simple  blessure.  La  logique  d'un  primitif  ne  s'embarrasse 
pas  de  ces  conséquences. 

Nous  ignorons,  d'ailleurs,  comment  la  règle  du  talion 
s  est  introduite  dans  des  coutumes  primitives  si  diverses. 
On  peut  conjecturer,  sans  grande  chance  d'erreur,  qu'elle 
était  déjà  pratiquée  avant  l'époque  où  nous  la  trouvons  for- 
mulée dans  les  textes  qui  nous  sont  parvenus.  Les  arbitres, 
les  chefs  civils  et  religieux  ont  dû  intervenir  d'abord,  pour 
amener  les  familles  offensées  à  accepter  cette  satisfaction 
comme  suffisante  ;  et  d'autre  part,  les  familles  d'un  offen- 
seur ont  sans  doute  accepté  sans  trop  de  résistance  qu'on 


40  LE  DROIT  PÉNAL 

infligeât  au  coupable  un  mal  semblable  à  celui  qu'il  avait 
causé  ;  elles  se  déchargeaient  ainsi  d'une  solidarité  lourde, 
et  évitaient  une  lutte  sanglante  et  de  chance  incertaine. 
Cependant,  la  loi  de  Moïse  parlant  aux  Israélites  au  nom 
de  l'Eternel,  la  loi  des  XII  tables,  toutes  celles  où  se  trouve 
le  talion,  —  et  elles  remontent  à  une  époque  où  l'État  existait 
déjà  depuis  longtemps,  —  apportaient  un  notable  progrès 
en  rendant  cette  pratique  obligatoire.  La  partie  lésée  ne 
peut  plus  rien  exiger  au  delà  de  cette  satisfaction  à  laquelle 
le  coupable,  de  son  côté,  fut  obligé  de  se  soumettre.  Et 
c'était  là,  si  on  y  songe,  une  grande  nouveauté,  qui  devait 
exercer  la  plus  heureuse  influence  pour  prévenir  les  ven- 
dettas. D  ailleurs,  en  même  temps,  la  rudesse  et  la  barbarie 
des  vieilles  coutumes  s'humanisait  par  le  système  des  com- 
positions, qui  permit  d'éviter  le  mal  physique  du  talion 
en  indemnisant  la  victime  et  en  rachetant  son  œil,  sa  dent 
ou  son  brcis,  comme  on  pouvait  racheter  sa  vie  elle-même. 

C'est,  en  effet,  en  intervenant  dans  le  règlement  des 
compositions,  que  l'Etat  est  surtout  parvenu  à  prévenir 
les  guerres  privées  entre  les  familles  et  à  leur  imposer  la 
paix  nécessaire  à  l'établissement  de  l'ordre  social.  Le  talion 
se  rencontre  dans  des  législations  primitives  d'inspirations 
fort  différentes,  mais  d'autres  l'ont  ignoré:  les  Germains, 
par  exemple,  ne  paraissent  pas  l'avoir  pratiqué.  Au  con- 
traire, la  coutume  d'éviter  la  vengeance  de  la  victime  en  l'in- 
demnisant est  un  phénomène  général.  A  la  période  que  nous 
étudions,  on  pourrait  presque  affirmer  qu'il  est  universel. 

Nous  avons  dit  que  même  à  l'époque  où  les  familles  étaient 
souveraines,  leurs  querelles  pouvaient  se  terminer  par  une 
paix  dont  les  conditions,  variant  selon  le  sort  de  la  bataille, 
étaient  imposées  par  le  vainqueur  au  vaincu.  Des  tiers, 
des  familles  désintéressées  dans  la  lutte,  des  neutres,  s'in- 


LES  ORIGINES  DU  DROIT  DE  PUNIR  DE  l'ÉTAT  41 

terposaient  seulement  comme  arbitres,  pour  faciliter  ces 
arrangements  et  les  organes  de  l'État  naissant  furent  tout 
désignés  pour  remplir  cet  office. 

Le  principal  obstacle  que  rencontraient  les  pacificateurs 
était  évidemment  les  prétentions  exagérées  de  la  famille 
offensée,  auxquelles  la  famille  de  l'offenseur  ne  voulait 
ou  ne  pouvait  accéder.  On  devait,  dans  chaque  affaire, 
discuter  le  montant  de  l'indemnité.  Pour  rendre  ces  tran- 
sactions plus  faciles,  les  arbitres  invoquaient  alors  la  force 
des  traditions  et  des  coutumes.  Des  vieillards  se  souve- 
naient que,  dans  un  cas  semblable,  pour  un  préjudice  ana- 
logue, la  composition  avait  été  autrefois  fixée  à  un  certain 
nombre  de  têtes  de  bétail,  ou  à  telle  somme  d'argent.  Ce 
précédent  suffisait  souvent  pour  amener  l'offensé  à  renoncer 
à  se  faire  justice  lui-même  et  à  conclure  la  paix.  D'autant 
plus  que  l 'amour-propre  des  deux  partis  était  ainsi  sauve- 
gardé. Le  point  d'honneur,  qui  poussait  la  famille  de  la 
victime  à  la  venger,  était  sauf.  On  pouvait,  sans  honte 
et  sans  déshonneur,  accepter  une  composition  consacrée 
par  la  coutume.  Lorsque  l'Etat  fut  suffisamment  affermi 
et  que  le  progrès  des  connaissances  le  permit,  ces  coutumes, 
comme  nous  l'avons  dit,  furent  écrites.  Ces  premières  lois, 
on  le  sait,  étaient  presque  exclusivement  un  tarif  de  com- 
position. 

Il  ne  faudrait  pas  croire,  d'ailleurs,  que  ces  lois  se  bor- 
naient à  consacrer  ainsi  une  jurisprudence  antérieure.  En 
étudiant  ces  textes  anciens,  on  se  convainc  facilement  qu'ils 
contenaient  de  véritables  innovations  législatives,  ayant 
pour  but  préconçu  de  favoriser  les  accords  pacifiques.  Je 
n  en  veux  donner  ici  pour  exemple  que  les  dispositions, 
fréquentes  dans  ces  lois  primitives,  qui  établissaient  une 
composition  différente,  plus  élevée  pour  le  flagrant  délit. 


42  LE  DROIT   PÉNAL 

moins  élevée  pour  le  d^it  non  flagrant.  Le  crime  n'est 
pas  plus  grave  dans  un  cas  que  dans  l'autre  et  le  préjudice 
éprouvé  est  le  même.  Mais  lorsqu'il  a  été  commis  depuis 
un  certain  temps  déjà,  le  ressentiment  de  l'offensé  a  eu 
le  temps  de  se  calmer  et  il  est  relativement  facile  de  lui 
faire  accepter  une  indemnité.  Lors,  au  contraire,  que  le 
coupable  est  pris  sur  le  fait,  il  sera  beaucoup  plus  malaisé 
d'apaiser  la  colère  de  la  victime,  de  l'amener  à  se  faire  jus- 
tice elle-même,  et  on  cherchera  à  y  parvenir  en  lui  offrant 
une  composition  importante  lui  permettant  de  réaliser  un 
gain  qui  dépassera  la  perte  qu'elle  a  subie. 

La  coutume  de  l'exil  volontaire  qui  fut  surtout  pratiquée 
dîms  la  Grèce  antique,  s'explique  de  la  même  manière. 
Celui  qui  a  commis  un  homicide,  et  qui  est  exposé  à  la 
vengeance  du  sang,  cherche  à  échapper  au  danger  qui  le 
menace  en  quittant  le  pays.  Ce  n'est  point  là  une  peine 
et  on  ne  saurait  y  voir  un  châtiment  soit  public,  soit  privé. 
Mais  en  prenant  la  fuite,  en  disparaissant,  il  oppose  un 
obstacle  de  fait  à  l'exercice  de  la  vengeance  ;  il  permet 
ainsi  au  temps  de  faire  son  œuvre  et  de  calmer  les  colères. 
Quelquefois  son  exil  était  perpétuel  ;  mais  bien  souvent, 
le  répit  ainsi  obtenu  permettait  aux  pacificateurs  d'inter- 
venir utilement  et  de  négocier  une  transaction  entre  les 
tribus  auxquelles  appartenaient  le  vengeur  et  le  meurtrier. 
Même,  nouà  le  verrons,  à  Athènes,  cette  coutume  de  l'exil 
volontaire  fut  utilisée  pour  alléger  le  poids  de  la  solidarité 
de  la  famille  et  pour  permettre  de  faire  pénétrer,  dans  la 
conscience  populaire,  la  distinction  du  meurtre  volontaire 
et  de  l'homicide  par  imprudence.  La  durée  du  bannisse- 
ment de  celui  qui  avait  tué  involontairement  durait  moins 
longtemps  et  finissait  par  une  transaction  intervenue  avec 
un  seul  membre  de  la  tribu  offensée. 


LES  ORIGINES  DU  DROIT  DE  PUNIR  DE  l'ÉTAT  43 

Ailleurs,  on  chercha  à  atteindre  le  même  but  par  l'éta- 
blissement de  lieux  d'asile.  Ils  permettaient,  à  ceux  qui 
étaient  menacés  d'une  vengeance,  de  se  mettre  à  l'abri  des 
coups  de  leurs  ennemis  et  leur  donnaient  le  temps  néces- 
saire pour  offrir  et  réaliser  la  composition  légale.  C'est  avec 
ces  fugitifs  que  Romulus,  dit-on,  peupla  sa  ville  naissante. 
A  l'époque  où  la  raison  de  ces  vieilles  institutions  n'était 
plus  comprise  de  personne,  on  a  prétendu,  qu'ainsi,  la 
Ville  éternelle  fut  d'abord  un  repaire  de  tous  les  bandits 
de  l'Italie.  Il  est  plus  exact  d'y  voir  un  Heu  de  refuge  offert 
aux  familles  latines,  en  danger  de  vendettas,  auxquelles 
la  nouvelle  cité  promettait  la  sécurité  garantie  par  une 
puissante  fédération  de  gentes.  Mais,  le  plus  ordinairement, 
l'asile  devait  son  efficacité  au  sentiment  religieux.  Il  est 
superflu  de  rappeler  comment  dans  l'empire  romain,  les 
coupables  se  réfugiaient  dans  les  temples  aux  pieds  des 
statues  des  empereurs,  et  comment,  après  l'invasion  des 
barbares,  lorsque  reparut  le  droit  de  vengeance  privée,  les 
évêques  parvinrent  à  interdire  l'exercice  de  toute  violence 
contre  les  malheureux  fugitifs,  qui  s'étaient  réfugiés  dans 
certains  siuictuaires.  Les  plus  terribles  vengeances  s'arrê- 
tèrent souvent,  saisies  de  crainte,  à  la  porte  du  tombeau 
de  Saint-Martin. 

La  dissolution  de  la  famille  patriarcale  qui  fut,  nous 
l'avons  vu,  une  des  conséquences  de  l'établissement  de 
l'Etat,  devait  aussi  amener  des  changements  propres  à  ruiner 
le  vieux  système  de  la  vengeance  privée  et  à  rendre  plus 
fréquentes  les  transactions  pacifiques.  L'individualisation 
de  la  peine  et  la  pratique  de  l'abandon  noxal  en  fourniront 
deux  exemples  caractéristiques. 

La  responsabilité  pénale  collective,  avons-nous  dit,  est 
un  fait  qui  s'affirme,  avec  une  singulière  énergie,  dans  le 


44  LE  DROIT  PÉNAL 

monde  primitif.  Elle  est  la  conséquence  directe  et  nécessaire 
de  la  solidarité  du  groupe  familial.  A  cette  époque  sociolo- 
gique, l'attaque  était  souvent  menée  par  une  tribu  toute 
entière,  qui  razziait  et  pillait  une  tribu  voisine.  Que  la 
responsabilité  pesât  alors  sur  tous,  rien,  à  coup  sûr,  n'est 
plus  naturel.  Mais  il  n'en  était  pas  autrement  en  cas  de 
crime  individuel.  La  famille  de  l'offenseur  était  alors  indi- 
visiblement  responsable  du  préjudice  causé  par  un  des 
siens,  comme  la  famille  de  l'offensé  avait  l'obligation  d'exiger 
la  réparation  de  l'injure  et,  en  cas  d'homicide,  de  venger 
le  sang  de  la  victime.  Cependant,  le  lien  de  solidarité  allant 
se  relâchant,  les  expéditions  en  commun  devinrent  plus 
rares,  et,  pour  le  crime  d'un  seul,  la  responsabilité  indivi- 
duelle tendit  de  plus  en  plus  à  se  substituer  à  la  responsa- 
bilité collective.  Lorsque  les  arbitres,  puis  les  organes  de 
l'Etat,  intervinrent  pour  limiter  la  vengeance  et,  plus  tard, 
pour  punir  les  crimes,  ils  ne  purent  que  favoriser  cette 
tendance  qui  secondait  leurs  desseins.  D'ailleurs,  la  res- 
ponsabilité individuelle  correspond  à  une  idée  d'équité 
et  de  justice  que  la  conscience  humaine  n'a,  croyons-nous, 
jamais  méconnue.  Là  où  fonctionnait,  originairement,  le 
droit  répressif,  c'est-à-dire  dan»  l'intérieur  de  la  famille, 
le  châtiment  atteignait  bien  le  véritable  coupable  et  lui 
seul.  La  logique  rationnelle  conduit  à  cette  solution  que 
confirmeraient  au  besoin  les  faits  historiques.  Si  un  berger 
laisse  un  fauve  s'emparer  des  moutons  dont  il  a  la  garde, 
c'est  lui  qu'on  punira  évidemment  et  point  un  autre  avec 
lui  ;  la  femme  adultère  sera  frappée  de  peines  sévères  par 
la  justice  domestique  :  ses  parents  seront  ses  juges  ;  qui 
pourrait  songer  à  les  punir  ?  Et  pourtant,  il  ne  faut  rien 
exagérer.  L'hérédité  des  fautes  est  une  conception  que 
J 'esprit  humain  n'a  jamais  pu  dépouiller  toute  entière. 


LES  ORIGINES  DU  DROIT  DE  PUNIR  DE  L*ÉTAT  45 

quelqu'injuste  qu'elle  soit.  Nous  verrons  qu'en  pleine  civi- 
lisation, on  a  encore  puni  les  proches  parents  des  grands 
criminels.  Et  si  nos  lois  ont  enfin  répudié  cette  iniquité, 
la  conscience  populaire  n'en  est  pas  complètement  libérée. 

Quoi  qu'il  en  soit,  les  faits  montrent  que,  même  dans 
les  relations  interfamiliales,  le  concept  de  la  responsabilité 
personnelle  est  apparu  beaucoup  plus  tôt  que  ne  semblent 
le  croire  certains  auteurs.  Le  talion,  dont  à  coup  sûr  l'origine 
est  amcienne,  la  suppose  nécessairement  admise.  Apparem- 
ment, c'est  bien  l'œil  du  coupable  qui  sera  sacrifié  en  répa- 
ration de  l'œil  de  la  victime,  et  si  par  une  aberration  qu'ex- 
plique la  mentcdité  de  certains  primitifs,  le  père,  dont  le 
fils  a  été  tué,  a  le  droit  d'exiger  la  mort  du  fils  du  meur- 
trier, ce  n'est  point  pour  punir  cet  enfeuit  innocent,  mais 
bien  l'assassin  lui-même. 

L'abandon  noxal  est  peut-être  plus  caractéristique  encore 
de  cette  période  de  transition  entre  la  responsabilité  col- 
lective de  la  famille  et  la  responsabilité  individuelle  du 
coupable.  Cette  institution  est  un  des  meilleurs  exemples 
qu'on  puisse  fournir  de  l'universeJité  des  lois  sociologiques, 
car  on  la  retrouve  partout,  à  ce  stade  de  la  civilisation  :  en 
Grèce,  à  Rome,  chez  les  Celtes,  les  Germains  et  les  Slaves 
et  jusque  chez  les  peuplades  barbares  que  nous  pouvons 
aujourd'hui  observer.  Et  rien  non  plus  ne  confirme  mieux 
ce  que  nous  avons  dit  de  l'incompétence  juridique  des 
voyageurs  qui  ont  rencontré  ces  coutumes  primitives.  Il 
est  bien  amusant  de  voir  ceux  qui  ont  décrit  l'abandon 
noxal  chez  les  indigènes  de  l'Afrique  australe,  s'étonner 
de  leur  découverte,  sans  se  douter  qu'il  constitue  un  phé- 
nomène juridique  très  connu  et  très  commun.  Combien 
de  documents  précieux  de  sociologie  et  de  droit  primitif 
se  sont  perdus  par  de  semblables  ignorances  1 


46  LE  DROIT  PÉNAL 

L'abandon  noxal  remonte  aux  temps  les  plus  reculés 
et  a  certainement  été  pratiqué  à  une  époque  antérieure  à 
toute  organisation  de  l'Etat  politique.  Il  est  tout  naturel, 
en  effet,  que  la  famille  exposée  à  de  terribles  et  sanglantes 
représailles  par  la  faute  de  l'un  des  siens,  cherche  à  se 
dégager  de  cette  lourde  responsabilité.  L'exil  du  coupable 
tend  bien  à  ce  résultat,  mais  il  ne  suffisait  pas  toujours  à 
mettre  les  parents  du  coupable  à  l'abri  de  la  vengeance. 
Les  offensés  pouvaient  encore  s'en  prendre  à  eux,  et  pour 
que  la  paix  fut  assurée,  leur  consentement  était  nécessaire. 
L'abandon  noxal  est  un  moyen  plus  sûr  de  l'obtenir.  Les 
plus  anciennes  traditions  de  la  Grèce  sont,  sur  ce  point, 
particulièrement  Intéressantes.  La  famille  de  l'offenseur 
pouvait  donner  satisfaction  aux  offensés  en  jugeant  le  cri- 
minel elle-même,  en  punissant  le  crime  commis  hors  du 
groupe,  nous  allions  dire,  le  crime  commis  à  l'étranger  : 
Dardanos  condamne  Idaia  à  mort  et  la  fait  exécuter.  Ou 
bien,  et  plus  fréquemment,  elle  extrade  le  coupable  et  le 
livre  à  la  discrétion  de  l'offensé,  qui  pourra  le  sacrifier 
aux  mânes  de  la  victime  dont  le  sang  crie  vengeance,  ou 
le  réduire  en  esclavage  et  lui  imposer  un  travail  qui  compen- 
sera le  préjudice  éprouvé. 

D'ailleurs,  la  famille  ne  répondait  pas  seulement  de  la 
faute  de  ses  membres,  mais  encore  du  dommage  causé 
par  ses  esclaves,  par  ses  animaux  et  même  par  les  choses 
Inanimées  qui  lui  appartenaient.  11  le  fallait  bien,  puisqu'il 
n'y  avait  aucun  autre  moyen  d'obtenir  la  réparation  du 
préjudice.  N'en  est-il  pas  de  même,  aujourd'hui,  pour  le 
délit  civil  commis  par  un  mineur,  par  un  animal  ou  une 
chose  dont  on  a  la  garde  ?  Dans  les  temps  primitifs,  il  ijarut 
tout  naturel  de  livrer  la  cause  du  dommage  à  titre  d'in- 
demnité, comme  on  livrait  le  coupable  conscient.  Cette 


LES  ORIGINES  DU  DROIT  DE  PUNIR  DE  l'ÉTAT  47 

offre  pouvait  être  d'autant  plus  facilement  acceptée  qu'elle 
était  de  nature  à  devenir  une  source  de  bénéfice  pour  celui 
à  qui  elle  était  faite. 

En  effet,  à  l'origine,  l'abcindon  noxal  devait  être  volon- 
tairement accepté  par  la  partie  offensée.  Celle-ci  était  libre 
ou  de  refuser  la  satisfaction  ainsi  offerte,  et  de  courir  les 
chances  de  la  lutte  en  se  faisant  justice  elle-même,  ou 
d'exiger  outre  la  personne  auteur  ou  la  chose  cause  du 
dommage,  quelque  autre  prestation.  Mais  les  arbitres  et 
l'État,  dès  qu'il  fut  organisé,  s'attachèrent  à  faire  pénétrer 
dans  la  conscience  populaire  des  règles  juridiques  qui 
devaient  exercer  une  influence  décisive  sur  la  notion  de 
la  responsabilité  pénale.  D'abord,  lorsque  la  victime  con- 
sentait à  transiger,  on  posa,  en  principe,  qu'elle  n'aurait 
droit  à  rien  de  plus  qu'à  la  chose  ou  à  la  personne  qui  avait 
causé  le  préjudice  ;  puis  on  admit  que  si  la  famille  du  cou- 
pable le  répudiait,  si,  par  quelque  cérémonie  symbolique, 
elle  brisait  toute  solidarité  avec  lui,  si  elle  offrait  de  le 
livrer,  l'offensé  ne  pouvait  plus  exercer  sa  vengeance  que 
sur  lui  seul.  Dès  ce  jour  la  responsabilité  pénale  était  indi- 
vidualisée. 

Les  divers  procédés  que  nous  venons  d'indiquer  avaient 
pour  but  de  limiter  ou  de  prévenir  les  vengeances  privées, 
mais  ils  laissaient,  malgré  tout,  subsister  la  possibilité  d'un 
recours  à  la  force,  incompatible  avec  tout  ordre  social 
régulier.  Il  en  fut  ainsi,  tant  que  l'Etat  politique,  encore 
imparfaitement  organisé,  ne  put  imposer  la  paix.  Mais 
partout  où  il  parvint  à  établir  sa  souveraineté  et  à  faire 
reconnaître  son  autorité,  il  s'attacha  à  assurer  la  discipline 
sociale,  d'abord  en  interdisant  toute  violence  de  la  part 
des  particuliers,  ensuite  en  organisant  lui-même  la  répres- 


48  LE  DROIT  PÉNAL 

sion  de  tous  les  faits  susceptibles  de  troubler  l'ordre  et  la 
paix  publique. 

Les  explications  que  nous  avons  données  jusqu'ici 
montrent  que  l'interdiction  des  vengeances  privées  fut  la 
conclusion  d'une  longue  préparation  historique.  Le  temps 
vint,  en  effet,  où  les  querelles  entre  familles  se  termmaient, 
le  plus  souvent,  par  des  transactions  volontaires,  et  où  la 
pratique  des  compositions  tarifées  était  devenu  usuelle. 
Il  fut  alors  facile  aux  organes  de  l'Etat  de  rendre  ces  tran- 
sactions obligatoires.  La  transition  fut  insensible,  et  rien 
ne  parut  d'abord  changé.  On  sembla  respecter  les  vieilles 
coutumes,  en  donnant  à  la  victime  et  à  sa  famille  le  droit 
d'exiger  une  satisfaction  devenue  déjà  traditionnelle  ;  en 
réalité,  un  progrès  décisif  fut  accompli  le  jour  où  on  admit 
que  personne  n'a  le  droit  de  se  faire  justice  à  soi-même  ; 
que  la  victime  doit  s'adresser  aux  pouvoirs  publics  pour 
obtenir  la  satisfaction  qui  lui  est  due  et  que  le  coupable 
ne  peut  pas  la  refuser. 

D'ailleurs  ce  nouveau  changement  ne  s'accomplit  lui- 
même  que  lentement,  et  par  degrés  successifs.  Il  fallut 
agir  avec  prudence,  tenir  compte  de  l'opportunité,  ne  tenter 
que  ce  que  les  circonstances  et  les  mœurs  permettaient 
d'obtenir.  Ainsi  le  droit  de  vengeance  put  d'abord  être 
défendu  vis-à-vis  de  certaines  personnes  seulement,  ou 
bien  l'exercice  n'en  fut  interdit  qu'à  certaines  époques, 
ou  pendant  un  certain  temps.  Ainsi,  dans  notre  moyen- 
âge,  la  paix  de  Dieu  et  la  quarantaine  le  Roi,  furent  établies 
par  l'Eglise  et  par  la  Royauté  française,  pour  rendre  moins 
fréquentes  les  guerres  entre  seigneurs  féodaux.  Des  insti- 
tutions analogues  ne  sont  pas  sans  exemple  à  l'époque  où 
s'accomplit  la  révolution  qui  supprima  la  vengeance  entre 
tribus  patriarcales. 


us  ORIGINES  DU  DROIT  DE  PUNIR  DE  l'ÉTAT  49 

En  même  temps  que  l'État  intervenait  ainsi  pour  rendre 
la  composition  obligatoire,  il  s'immisçait,  d'une  autre  façon, 
dans  leur  règlement,  en  contraignant  le  coupable  à  lui 
verser,  à  lui-même,  une  certaine  somme.  Dans  les  législa- 
tions grecques  et,  en  particulier,  dans  le  Code  de  Gortyne, 
il  existait  ainsi  une  sorte  d'amende  payée  à  la  cité  à  côté 
de  la  composition  due  à  la  victime  du  délit.  Le  Fredtan 
germanique,  que  Tacite  mentionnait  déjà,  et  que  nous 
retrouvons  dans  les  lois  barbares,  est  trop  connu  pour  qu'il 
soit  nécessaire  d'y  insister.  Cette  institution  a  d'ailleurs 
soulevé  de  vives  controverses,  notamment  pour  savoir 
comment  se  calculait  cette  somme  due  à  l'Etat  et  quel  en 
était  le  caractère.  Dans  le  droit  grec,  elle  paraît  une  sorte 
de  peine,  qui  frappe  celui  qui,  refusant  de  remplir  volon- 
tairement ses  obligations,  motive  une  intervention  de  la 
justice  sociale.  Quant  au  Fredum,  on  a  soutenu  qu'il  consti- 
tutiit  une  peine  encourue  par  le  coupable  pour  le  trouble 
apporté  à  la  paix  publique.  J'admettrais  plutôt,  pour  ma 
part,  l'opinion  de  ceux  qui  y  voient  un  droit  dû  à  l'autorité 
qui  s'est  entremise  pour  assurer  une  transaction  entre  les 
parties,  et  peut-être  même  le  prix  de  la  garantie  donnée 
par  cette  autorité  pour  en  assurer  l'exécution.  Quoi  qu'il 
en  soit,  on  comprend  facilement  l'importcmce  de  ces  taxes 
perçues  par  l'Etat  :  les  auteurs  insistent  sur  l'influence 
qu'elles  ont  exercée  sur  le  développement  de  l'amende 
péncile.  Elles  ont  surtout  contribué  à  faire  pénétrer  dains  la 
conscience  publique  la  notion  que  l'Etat  est,  autant  et  plus 
que  la  victime,  intéressé  à  la  répression  des  crimes.  L'in- 
térêt fiscal  fit  que  l'autorité  ne  l'oublia  pas  non  plus. 

Parmi  les  moyens  employés  par  les  coutumes  primitives 
pour  obliger  le  criminel  à  payer  la  composition,  il  faut 
encore  mentionner  la  mise  hors  la  loi.  La  Friedlosigkeit 

4.  GARÇON. 


50  LE  DROIT  PÉNAL 

chez  les  Germains  a  aussi  soulevé  des  difficultés  épineuses 
qui  ont  divisé  les  historiens  du  droit.  Le  Wargus  ne  pouvait 
trouver  asile  nulle  part,  personne  ne  devait  le  recevoir,  et 
tout  le  monde  avait  le  droit  de  l'abattre  impunément,  comme 
on  tue  une  bête  sauvage.  Quelques-uns  ont  vu  là  la  plus 
ancienne  des  peines  qui  réprimaient  les  crimes  contre  les 
particuliers.  Mais  cette  opinion  a  rencontré  de  nombreux 
contradicteurs.  Il  semble  que  cette  institution  n'a  pas  le 
même  caractère  dans  les  sources  du  nord  et  dans  les  lois 
germaniques,  et  qu'elle  a  subi  dans  le  cours  des  temps 
de  nombreuses  et  profondes  modifications.  D'autre  part, 
la  loi  salique  proscrit  le  contumace  :  «  Si  quis  ad  mallum 
venire  contempserit,  si  nec  de  compositione,  nec  ineo, 
nec  de  ulle  legem  facere  voluerit,  tune  ad  régis  presentia 
ipso  mannire  débet.  Tune  rex...  extre  sermonem  suum 
ponet  illum.  »  Voilà,  certes  !  des  moyens  coercitifs  éner- 
giques qui  ne  permettaient  guère  au  criminel  de  refuser  de 
payer  la  composition. 

Ainsi  disparut  peu  à  peu  le  droit  de  se  faire  justice  à 
soi-même.  Mais  les  vieilles  institutions  ne  disparaissent 
jamais  tout  entières.  Elles  laissent  après  elles  de  longues 
survivances.  Certaines  institutions  du  droit  primitif  ont 
traversé  les  siècles,  et  on  ne  saurait  les  comprendre,  dans 
leur  dernier  état,  si  on  en  ignore  l'origine  historique.  E!st- 
il  rien  qui  semble  plus  absurde  que  le  droit  d'asile,  lorsqu'il 
a  pour  effet  de  soustraire  un  assassin  aux  recherches  de  la 
justice  sociale.  Pourtant,  il  a  subsisté  sous  cette  forme,  en 
France,  jusqu'au  XVI^  siècle  et  en  Espagne  jusque  dans  la 
seconde  moitié  du  XIX^  siècle.  L'abandon  noxîJ,  devenu 
obligatoire  et  légalement  libératoire,  fut  conservé  par  des 
législations  très  perfectionnées.  De  même,  si  la  solidarité 
passive  de  la  famille  disparut,  en  général,  d'assez  bonne 


LES  ORIGINES  DU  DROIT  DE  PUNIR  DE  l'ÉTAT  51 

heure,  et  si  les  parents  parvinrent  à  se  dégager  de  toute 
responsabilité  pour  des  fautes  qui  ne  leur  étaient  point 
personnelles,  la  solidarité  active  semble  être  demeurée 
beaucoup  plus  longtemps  en  usage.  Le  droit  de  guerre  privée 
avait  depuis  des  siècles  disparu  dans  les  souvenirs  popu- 
laires, l'Etat  ne  tolérait  plus  aucun  acte  de  violence  privée, 
alors  que  la  loi  reconnaissait  encore  aux  parents  de  la  vic- 
time le  droit  de  poursuivre  la  vengeance  du  sang.  Elle  ne 
pouvait  plus,  sans  doute,  l'exercer  qu'après  l'avoir  fait 
reconnaître  par  les  tribunaux  réguliers,  mais  c'est  à  elle 
qu'était  souvent  confiée  l'exécution  du  jugement.  Ces 
coutumes  n'ont  pas  même  encore  disparu  partout. 

Mais  les  compositions  surtout  ont  subsisté  dans  les  légis- 
lations parvenues  au  plus  haut  degré  de  développement. 
A  Athènes,  le  monopole  de  la  poursuite  du  crime  d'homi- 
cide appartint  toujours  aux  parents  de  la  victime.  Même 
après  Dracon,  même  après  Solon,  au  temps  encore  de 
Démosthène,  les  transactions  sur  le  prix  du  sang  étaient 
encore  en  usage  et  le  meurtrier  échappait  à  tout  autre 
châtiment  en  indemnisant  la  famille  de  celui  auquel  il 
avait  donné  la  mort.  Le  droit  romain  conserva  toujours 
les  délits  privés.  Le  préteur,  loin  d'abroger  ce  vieux  sys- 
tème, chercha  à  le  compléter  et  à  le  corriger.  Pour  l'injure, 
il  donne  une  action  qui  permettait  au  juge  de  fixer  le  mon- 
tant de  la  composition  ex  equo  et  bono.  Pour  le  vol,  il  créa 
des  actions  au  quadruple  contre  le  voleur,  surpris  en  fla- 
grant délit,  et  contre  les  receleurs.  Et  ces  principes  exis- 
taient encore  à  peine  retouchés  dans  les  compilations  justi- 
niennes.  A  la  vérité,  le  voleur  pouvait  aussi  être  poursuivi 
par  la  voie  criminelle  et  frappé  d'un  châtiment  corporel  ; 
mais  comme  on  l'a  remarqué,  avec  beaucoup  de  sagacité, 
en  face  d'un  voleur  solvable,  la  victime  devait  souvent 


52  LE  DROIT  PÉNAL 

préférer  la  vieille  action  civile,  qui  lui  assurait  non  seule- 
ment  la  restitution  de  la  chose  qui  lui  avait  été  ravie,  mais 
encore  un  beau  bénéfice.  En  France  enfin,  et  en  Allemagne, 
le  système  des  compositions  survécut  longtemps  après  la 
période  barbare  et  jusqu'à  une  époque  relativement  récente. 
Il  était  encore  fort  usité  au  moyen-âge  et  certaines  chartes, 
certaines  «  bonnes  coutumes  »,  ne  sont  rien  autre  chose 
qu'un  tarif  de  compositions.  Il  ne  disparut  que  lorsque, 
sous  l'influence  du  droit  romain  renaissant,  l'autorité 
publique  fut  assez  forte  pour  reprendre  en  mains  l'œuvre 
de  la  justice  répressive. 

En  effet,  tout  le  mouvement  que  nous  venons  de  retracer, 
par  lequel  l'Etat  politique  limita  la  vengeance  privée,  puis 
l'interdit,  s'immisça  dans  le  règlement  des  compositions, 
les  rendit  obligatoires,  et  finalement  les  supprima,  demeu- 
rerait incompréhensible  si  on  ne  savait  pas  que,  parallèle- 
ment, ce  même  Etat  établissait  un  nouveau  système  de 
répression,  en  punissant  lui-même  les  crimes  de  peines 
afflictives,  intimidantes  et  exemplaires.  C'est,  nous  l'avons 
dit,  parce  que  ce  système  était  plus  efficace  et  plus  juste, 
parce  qu'il  garantissait  mieux  l'ordre  public,  la  cécurité 
des  personnes  et  des  biens,  peirce  qu'il  donnait  plus  de 
garanties  aux  droits  individuels,  que  d'elles-mêmes,  les 
coutumes  primitives  se  transformèrent  et  finalement  tom- 
bèrent en  désuétude. 

A  mesure  que  le  système  des  compositions  eJlait  en  décli- 
nant, et  lorsqu'elles  furent  devenues  obligatoires,  les  crimes 
commis  de  famille  à  famille  n'auraient  plus  eu  d'autre 
sanction  que  la  somme  d'argent  payée  comme  indemnité 
à  la  victime.  En  d'autres  termes,  même  les  délits  les  plus 
graves  contre  les  personnes  n'auraient  été  punis  que  d'une 


LES  ORIGINES  DU  DROIT  DE  PUNIR  DE  l'ÉTAT  53 

amende  pécuniaire.  II  est  possible  que,  pendant  une  période 
de  transition,  il  en  ait  été  quelquefois  ainsi.  Mais,  un  pareil 
état  de  choses  ne  pouvait  évidemment  point  subsister 
comme  système  général.  Il  est  clairement  incompatible 
avec  tout  ordre  social  régulier.  On  a  vite  senti  que  ces  crimes 
interfamiliaux,  même  s'ils  ne  semblaient  léser  directement 
que  des  intérêts  particuliers,  portaient  en  même  temps  une 
atteinte  intolérable  à  l'ordre  public,  que  l'État  était  intéressé 
au  plus  haut  point  à  leur  répression,  et  qu'il  avait  le  droit 
et  le  devoir  impérieux  de  punir  lui-même  les  coupables. 
Ainsi,  la  vengeance  et  les  compositions  tombèrent  en  déca- 
dence pendant  que  grandit  la  justice  pénale  de  l'Etat  et 
ces  deux  phénomènes  sont  corrélatifs.  Il  serait  même  facile 
de  montrer  que,  dans  notre  moyen-âge  français,  le  vieux 
système  des  compositions  reprenait  une  nouvelle  vigueur, 
toutes  les  fois  que  l'autorité  publique  désorganisée  cessait 
de  remplir  sa  fonction  judiciaire  pénale.  Et  de  toute  cette 
histoire  du  droit  criminel,  on  peut  dégager  ce  principe 
fondamental,  que  l'observation  vérifie  toujours,  à  savoir  : 
que  pour  pouvoir  refuser  à  l'individu  le  droit  de  se  faire 
justice  soi-même,  il  faut  que  les  droits  de  tous  et  de  chacun 
trouvent  une  protection  suffisante  dans  la  justice  sociale. 
Toute  défaillance  de  cette  justice,  entraîne  nécessairement 
une  réaction  individuelle  qui  se  manifeste  par  des  vio- 
lences. 

Eji  même  temps  que  les  compositions  disparaissaient, 
1  abandon  des  vieilles  coutumes  et  la  désagrégation  des 
familles  amenaient  une  autre  conséquence,  bien  plus  insup- 
portable encore  et  plus  incompatible  avec  tout  ordre  social. 
La  composition  devenue  obligatoire,  laissait  au  moins  sub- 
sister une  sorte  d'amende  ;  mais  la  justice  domestique  étant 
tombée  en  désuétude,  les  crimes  familiaux  n'eurent  plus 


54  LE  DROIT  PÉNAL 

de  sanction  du  tout.  C'est  en  effet  ce  qui  se  produisit  à 
Athènes  pour  le  parricide.  Comme  on  y  avait  conservé, 
pour  l'homicide,  le  système  de  la  vengeance,  et  que  la 
poursuite  y  était  réservée  aux  seuls  parents  de  la  victime, 
ce  crime  odieux  pouvait  rester  impuni.  On  a  montré  seule- 
ment par  quels  détours  et  quelles  subtilités  le  génie  grec 
avait,  en  pratique,  cherché  à  combler  cette  lacune,  sans  y 
réussir  d'ailleurs  d'une  manière  satisfaisante.  Mais  c'est 
là  un  cas  exceptionnel.  En  réalité,  le  droit  de  punir  du  chef 
de  famille  ne  tomba  en  désuétude  que  le  jour  où  l'autorité 
publique  fut  en  mesure  d'assurer  la  répression  des  crimes 
graves  qu'il  était  autrefois  seul  compétent  pour  châtier. 
Mais  ce  jour-là,  la  justice  domestique  put  disparaître  sans 
danger  pour  l'ordre  public,  car  elle  était  remplacée  par  la 
justice  socicile,  qui,  toute  imparfaite  qu'elle  fût  encore, 
offrait  une  certaine  organisation  juridique,  et  semblait, 
malgré  tout,  moins  arbitraire.  Le  père  de  famille  conserva 
sans  doute  sur  les  siens  une  large  autorité  et,  pendant  de 
longs  siècles  ce  pouvoir  fut  encore  très  fortement  constitué. 
Même  pour  certains  délits,  le  droit  primitif  laissa  après 
soi  de  longues  survivances.  Pour  le  délit  d'adultère,  par 
exemple,  notre  droit  actuel  n'en  est  pas  encore  complètement 
libéré.  Mais,  d'une  manière  générale,  et  en  principe,  la 
juotice  socide  se  saisit  de  tous  les  crimes  ou  délits,  même 
de  ceux  qui  ont  un  caractère  particulièrement  familial.  Le 
chef  de  famille  n'a  conservé  qu'un  pouvoir  disciplinaire, 
mais  qui  ne  saurait  plus  faire  obstacle  à  l'exercice  du  droit 
de  punir  de  l'Etat. 

Pour  tout  résumer,  le  droit  de  punir  est  un  attribut 
essentiel  de  la  souveraineté.  Cette  souveraineté  appartint 
d'abord  au  groupe  familial,  mais  chez  les  peuples  appelés 
à  un  haut  degré  de  civilisation,  elle  devait  s'effacer  et  dis- 


LES  ORIGINES  DU  DROIT  DE  PUNIR  DE  l'ÉTAT  55 

paraître  devant  la  souveraineté  de  l'Etat.  Bien  entendu, 
ici  encore,  cette  évolution  se  fit  lentement  et  successive- 
ment. Les  premiers  crimes  que  l'Etat  a  directement  punis 
paraissent  avoir  été  partout  ceux  qui  sont  dirigés  contre  sa 
propre  sécurité.  Comme,  ainsi  que  nous  l'avons  dit,  sa 
raison  d'être  fut  d'abord  d'organiser  des  guerres  défensives 
ou  offensives,  il  réprima  en  premier  lieu  des  délits  mili- 
taires. Ce  sont  là,  en  effet,  les  crimes  publics  que  connais- 
saient les  Germains  au  temps  de  Tacite  :  «  Proditores  et 
transfugas  arboribus  suspendunt  ;  ignavos  et  imbelles  aut 
corpore  infâmes,  cœno  ac  palute,  injecta  super  crate,  mer- 
gunt,  »  Mais  dès  que  l'Etat  eut  pris  quelques  forces,  la 
liste  des  crimes  se  compléta  peu  à  peu  et  comprit  enfin 
les  crimes  contre  les  mœurs,  contre  les  personnes  et  contre 
les  biens. 

Il  est  difficile  d'ailleurs  de  retrouver  l'histoire  de  ces 
progrès  successifs  dans  chaque  législation  particulière.  En 
France,  cette  œuvre  s'accomplit  sous  l'influence  du  droit 
romain,  des  capitulaires  et  des  ordonnances  royales,  des 
chartes  municipales  et  de  la  jurisprudence.  Mais  si  on  veut 
apporter  des  précisions  et  déterminer  à  quelle  époque  et 
dans  quels  lieux  les  seigneurs  justiciers  d'abord,  puis  les 
justices  royales  ont  frappé  chaque  crime  de  peines  afflic- 
tives,  on  se  trouve  en  présence  d'obscurités  qui  n'ont  pas 
été  dissipées  et  qui  sont  peut-être  impénétrables.  En  Italie, 
les  statuts  des  villes  du  nord  fournissent  des  documents 
importants  et  curieux  :  un  auteur  a  pu  dire  que  :  «  Les  cités 
s  inspirant  du  principe  romain  et  chrétien  levaient  haut 
leurs  vues  et  punissaient  les  délits  en  eux-mêmes  et  pour 
le  bien  commun  ».  Ainsi  encore,  la  Carta  di  Loga  pour  la 
Sardaigne  punissait  de  peines  afflictives  l'homicide,  le  vol 
et  le  faux,  et  les  constitutiones  regni  Seculi,  réunies  en  Code 


56  LE  DROIT  PÉNAL 

par  Frédéric  II  en  1231 ,  abolissaient  les  guerres  privées  et  le 
duel  judiciaire.  En  Espagne,  les  fueros,  les  5ie/e  partidas 
nous  fournissent  aussi  des  documents  qui  ne  sauraient 
être  négligés.  En  Allemagne  enfin,  les  lois  d'Empire  et 
spécialement  les  Landfrieden,  les  statuts  des  villes,  les 
miroirs,  obéissent  à  la  même  tendance.  Dans  le  miroir  de 
Saxe,  en  particulier,  de  nombreux  délits  sont  punis  de  mort. 
Ce  mouvement  se  continue  au  xv^  siècle  par  la  réformation 
de  Wurzburg,  la  Numberger  halsgerichtsordnung,  la  Tiroler 
Malefizordnung  et  enfin,  au  XVI®  siècle,  par  l'ouvrage  de 
Schwarzenberg,  publié  d'abord  par  l'Evêque  de  Brandberg 
et  qui  trouva  sa  forme  définitive  dans  la  Caroline  publiée 
en  1532  par  Charles-Qulnt.  Ce  Code  devait  rester  en  vigueur 
pendant  trois  siècles  et  forma  comme  le  droit  commun 
de  l'Allemagne  en  matière  pénale,  sans  préjudice  d'ailleurs 
des  lois  locales  réservées  par  la  Slavatorsche  clausel. 

Au  surplus,  ces  détails  sont  surtout  objet  d'érudition 
historique.  Pour  nous,  le  résultat  seul  Importe.  L'État 
nous  apparaît  enfin,  lorsque  ce  mouvement  fut  accompli, 
en  pleine  possession  du  droit  de  punir.  Il  aissure  par  les 
organes  d'une  justice  régulièrement  organisée,  la  discipline 
sociale,  l'ordre  et  la  paix  publique.  Les  violences  pourront 
ainsi  être  comprimées,  la  sûreté  des  personnes  et  des  biens 
protégée  et  garantie  par  la  puissance  publique.  Les  cri- 
minels seront  maintenus  dans  le  respect  des  lois  par  la 
crainte  des  châtiments.  A  l'abri  de  ces  institutions,  la  civi- 
lisation et  les  œuvres  de  paix  pourront  grandir  et  se  déve- 
lopper. 

BIBLIOGRAPHIE 

On  pourra  consulter  sur  le  droit  primitif  :  Kovalewsky,  Cou- 
tume contemporaine  çt  loi  ancienne  ;  droit  coutumier,  Oisétien,  Paris, 


LES  ORIGINES  DU  DROIT  DE  PUNIR  DE  l'ÉTAT  57 

Larose,  1893.  —  Glotz,  La  solidarité  dans  le  droit  criminel  en 
Grèce,  Fontemoing,  1904.  —  MAXWELL,  Le  concept  social  du  crime 
et  son  évolution,  Alcan,  1914.  —  Fauconnet,  La  responsabilité, 
Alcan,  1920.  —  Adde,  Les  travaux  de  Sommer  Maine. 

Sur  l'origine  du  droit  de  punir  de  l'Etat  on  trouvera  une  bonne 
bibliographie  des  autres  travaux  dans  le  livre  de  M.  Fauconnet. 
On  pourra  se  reporter  notamment  à  :  Du  BoYS,  Histoire  du 
droit  criminel  des  peuples  modernes.  —  Dareste,  ses  trois  séries 
d'Études  d'histoire  du  droit.  —  ToNiSSEN,  Études  sur  l'histoire  du 
droit  criminel,  F  Histoire  du  droit  pénal  de  la  République  Athénienne, 
T Organisation  judiciaire  et  le  droit  pénal  dans  la  loi  Salique.  — 
Pardessus,  la  loi  salique.  —  Girard,  son  Manuel  de  droit  romain  et 
un  article  dans  la  Nouvelle  Revue  Historique  de  1886,  p.  284. — 
CuQ,  Les  institutions  juridiques  des  Romains.  —  Glasson,  Histoire 
du  droit  et  des  institutions  de  la  France.  —  EsMEIN,  Son  livre  de 
Mélanges  et  son  Cour'i  d'histoire  élémentaire  du  droit  français. 

En  langue  allemande  :  ViLDA,  Strafrecht  des  Germanen.  —  VoN 
Bar,  Geschichte  des  deutschen  Strafrecht,  ouvrage  traduit  en  aii^lais 
et  complété  par  Thomas  S.  Bell.  —  Mommsen,  Romîsches  Stra- 
frecht, traduit  en  français 'par  M.  DuQUESNS. 


CHAPITRE  III 
L'ANCIEN  DROIT  PÉNAL 

Après  avoir  montré  comment  l'Etat  prit  possession  de 
son  droit  de  punir,  je  dois  rechercher  maintenant  de  quelle 
manière  il  a  organisé  la  répression.  Or  une  étude  attentive 
prouve,  ici  encore,  que  les  institutions  criminelles  se  sont 
développées  de  la  même  manière  chez  les  peuples  les  plus 
divers.  Sans  doute,  chaque  législation  particulière  accuse 
des  différences  nombreuses,  et  ce  sont  ces  dirsemblances 
que  relèvent  d'ordinaire  ceux  qui  étudient  le  droit  comparé. 
Mais  les  ressemblances  sont  bien  plus  frappantes  encore. 
La  raison  en  est  simple  :  tous  les  peuples  chez  lesquels 
on  retrouve  ces  institutions  pénales  semblables  sont  par- 
venus à  un  même  degré  d'évolution  sociale  et  de  culture 
morale.  La  justice  y  est  rendue  au  nom  de  l'autorité  pu- 
blique, la  famille  patriarcale  a  fait  place  à  la  famille  naturelle, 
tous  pratiquent  l'agriculture  et  la  petite  industrie  et  recon- 
naissent la  propriété  individuelle  mobilière  et  immobi- 
lière. Leur  droit  criminel  a  donc  nécessairement  pour  base 
un  fond  commun  de  principes  sociaux  et  d'idées  moréJes. 
Il  répond  aux  mêmes  nécessités  de  défense  sociale,  sanc- 
tionne les  mêmes  obligations  vis-à-vis  de  l'Etat  et  de  la 
famille,  les  mêmes  droits  économiques,  et  par  la  force  même 
des  choses,  il  incrimine  essentiellement  les  mêmes  faits. 
D'autre  part,  le  système  des  peines  qui  prend  comme  but 
principal,  sinon  comme  but  unique,  l'intimidation,  cherche 


l'ancien  droit  pénal  59 

surtout  à  effrayer  par  la  rigueur  des  châtiments  ;  les  peines 
corporelles  y  tiennent  une  place  prépondérante.  Ainsi  se 
dégage  un  droit  pénal  commun  qui,  dans  ses  traits  généraux, 
se  retrouve  dans  l'antiquité  païenne  et  dans  l'Europe  chré- 
tienne. 11  n'est  pas  en  réalité  différent  chez  les  nations  poli- 
cées du  continent  et  en  Angleterre,  où  le  droit  s'est  pour- 
tant développé  d'une  manière  indépendante.  Bien  plus  ; 
les  peuples  d'Extrême-Orient  ont  connu  ce  même  système 
répressif,  et  le  Code  chinois,  en  vigueur  sous  la  dernière 
dynastie,  était  beaucoup  plus  proche  qu'on  ne  le  croit 
d'ordinaire  des  lois  pratiquées  en  Europe  jusqu'à  la  fin 
du  XVIII^  siècle.  Ainsi  se  vérifie  de  nouveau,  pour  cette 
période  historique,  l'existence  de  lois  scientifiques,  qui 
dominent  le  phénomène  de  la  répression,  aux  différentes 
périodes  de  l'évolution  sociale. 

Je  n'ai  point  entrepris  d'écrire  une  histoire  universelle 
du  droit  pénal  comparé,  ni  d'exposer  ici  chacune  de  ces 
législations,  semblables  dans  leurs  principes,  différentes 
par  l'infini  diversité  des  détails.  Je  dois  me  borner  à  mettre 
en  lumière  leurs  traits  généraux  et  caractéristiques,  et  pour 
y  parvenir,  la  meilleure  méthode  est,  je  crois,  de  prendre 
comme  exemple  des  législations  de  cette  inspiration,  celles 
qui  sont  arrivées  à  leur  plus  haut  degré  de  perfectionnement. 
Or  il  en  est  deux  qui,  à  ce  point  de  vue,  semblent  devoir 
attirer  l'attention  :  le  droit  romain,  d'une  part,  celui  de 
l'Europe  aux  XVI^,  XVII®  et  XVIII^  siècles. 

On  fait  ordinairement  remarquer  que  le  droit  criminel 
des  Romains  a  été  bien  inférieur  à  leur  droit  civil.  Il  y  a 
dans  cette  affirmation,  comme  dans  tous  les  lieux  communs, 
une  grande  part  de  vérité  ;  mais  il  convient  cependant  de 
ne  point  l'exagérer.  D'abord,  l'histoire  du  droit  pénal 
romain  reste,  pour  nous,  sur  certains  points,  fort  incertaine. 


60  LE  DROIT  PÉNAL 

Cependant  si,  tel  que  nous  pouvons  le  connaître,  nous  le 
comparons  à  celui  des  autres  peuples  de  l'antiquité,  même 
à  celui  des  peuples  modernes  qui  se  sont  développés  sans 
subir  son  influence,  il  nous  paraît  encore  supérieur.  Il 
présente  un  caractère  pratique  et  scientifique  qu'il  est 
impossible  de  méconnaître.  Enfin,  les  institutions  crimi- 
nelles que  nous  livrent  les  Pandectes  et  les  Codes  de  Théo- 
dose et  de  Justinien,  sont  un  droit  pénal  tout  déformé  et 
rendu   méconnaissable. 

Vers  la  fin  de  la  République  et  au  commencement  de 
l'Empire,  en  efîet,  la  législation  romaine  pénale  s'était 
élevée  à  un  haut  degré  de  perfectionnement.  On  ne  suivit 
pas,  en  matière  criminelle,  la  méthode  qui  consistait  à 
maintenir  théoriquement  en  vigueur  des  lois  caduques, 
tout  en  les  modifiant  par  l'application.  Bonne  pour  le  droit 
privé,  qui  s'élabore  lentement,  elle  se  prêtait  mal  aux 
innovations  hardies  qu'on  Introduisit  alors  dans  la  répres- 
sion. On  procéda  par  vole  d'autorité  législative,  et  toute 
une  série  de  leges  judiciorwn  publicorum,  établit  une  réforme 
complète  et  radicale  des  institutions  criminelles.  Chacune 
de  ces  lois  prévoyait  une  catégorie  de  crimes  particuliers  : 
telles  les  lois  Julia  magestatts,  Julia  de  adulteriis,  Comelia 
de  sicariis  et  veneficiis,  Pompeia  de  parricidiis,  Julia  peculatm, 
Corneîia  de  testamentis,  Julia  de  vi  priûata,  Julia  de  vi 
publica,  Julia  de  ambitu,  Julia  repetundarum,  Julia  de 
annone.  Système  législatif  excellent  et  qu'on  peut  estimer 
bien  supérieur  à  celui  d'une  codification  unique.  Ces  lois 
abrogeaient  la  vieille  institution  du  jugement  par  le  peuple, 
devenu  Impraticable  dans  Rome  agrandie,  mais  elles 
conféraient  à  des  jurés  la  décision  des  affaires  criminelles. 
En  déterminant  les  incriminations,  et  en  fixant  les  peines, 
elles  proscrivaient  l'arbitraire  dans  l'administration  de  la 


l'ancien  droit  pénal  61 

justice  pénale  ;  la  peine  de  mort  avait  presque  cessé  d'être 
en  usage  et  la  torture  était  abolie  pour  les  citoyens  romains, 
grands  progrès  !  que  la  Révolution  française  reprendra 
dix-huit  siècles  plus  tard. 

Mais  ces  institutions  étaient  incompatibles  avec  le  régime 
impérial  et  devaient  disparaître  avec  la  liberté  politique. 
Les  Qucestiones  perpetuœ  tombèrent  en  désuétude,  le  jury 
criminel  cessa  de  fonctionner  et  le  pouvoir  de  juger  les 
criminels  passa  aux  magistrats,  aussi  bien  à  Rome  que 
dans  les  provinces.  L'arbitraire  fut  rétabli  :  les  juges  s'arro- 
gèrent le  droit  de  punir  des  faits  encore  bien  qu'aucune 
loi  ne  les  eût  incriminés.  Ils  modifièrent  les  peines  légales  ; 
Hodie  licet,  disait  le  jurisconsulte  Ulpien,  qui  extra  ordinem 
de  crimine  cognoscet  quam  vult  sententiam  ferre,  vel  graviorem, 
vel  leniorem,  ita  tamen  ut  in  utroque  modo,  rationem  non 
excédât.  Mais  qui  donc  estimera  cette  mesure  ?  La  cons- 
cience du  juge,  dira-t-on,  cela  signifie  pratiquement  son 
arbitraire  et  ses  passions.  La  seule  garantie  des  accusés 
se  trouvait  dans  la  faculté  de  faire  appel,  c'est-à-dire  de 
soumettre  la  décision  à  un  autre  arbitraire.  En  même  temps, 
et  comme  conséquence  logique  de  ces  principes,  les  peines 
devenaient  inégales  et  la  torture  la  plus  usuelle  des  pra- 
tiques judiciaires. 

Ce  fut  ce  droit  formé  ou,  si  on  le  préfère,  déformé  par 
le  despotisme  impérial  que  les  glossateurs  retrouvèrent  dcins 
les  compilations  justiniennes  et  qui  devait  exercer  une 
influence  décisive  sur  les  destinées  du  droit  criminel  des 
peuples  civilisés  modernes.  La  réception  et  l'adaptation 
de  cette  législation  varia  naturellement  de  pays  à  pays  ; 
elle  ne  s'accomplit  pas  de  la  même  manière  en  Italie,  en 
France,  en  Allemagne,  sans  parler  de  l'Angleterre  où  le 
droit  criminel  s'est  développé  d'une  meinière  plus  indé- 


62  LE  DROIT  PÉNAL 

pendante.  D'autres  éléments  ont  contribué  à  la  formation 
de  chaque  législation  moderne.  Mais  on  peut  affirmer, 
sans  sortir  de  la  vérité,  que  dans  l'Europe  continentale, 
le  droit  romam  a  tenu  une  place  prépondérante.  On  exa- 
gérerait à  peme,  en  disant  que  l'ancien  droit  pénal  est  une 
simple  continuation  du  droit  pénal  romain  et  comme  une 
nouvelle  phase  de  son  évolution  propre. 

Cela  est  vrai  particulièrement  en  ce  qui  concerne  la 
formation  de  notre  droit  pénal  français.  Le  système  des 
compositions  a  péri  sans  presque  laisser  de  traces.  On  peut 
remarquer  seulement  que  les  justices  du  moyen-âge  avaient 
donné  au  droit  répressif  un  caractère  marqué  de  fiscalité, 
qu'elles  avaient  souvent  transformé  les  compositions  en 
amendes  et  en  confiscations  au  profit  des  seigneurs  justi- 
ciers et  que  ces  droits  féodaux  ont  subsisté  jusqu'à  la  Révo- 
lution. En  cherchant  bien,  on  trouverait  même  quelques 
survivances  de  très  vieilles  coutumes  dans  certaines  incri- 
minations et  surtout  dans  le  système  des  peines  demeuré 
encore  en  vigueur  au  xviii^  siècle.  Mais,  d'une  manière 
générale,  l'ancien  droit  familial  avait  bien  disparu.  Cela 
est  si  vrai  qu'on  ne  trouve  pour  ainsi  dire  aucune  disposition 
pénale  dans  les  coutumes  rédigées.  Sauf  certaines  coutumes 
exceptionnelles,  comme  celle  de  Bretagne,  par  exemple,  on  ne 
rencontre  dans  aucune  d'elles  ni  un  système  d'incrimination, 
ni  un  système  de  pénalités.  Il  n'y  eut  point,  pour  le  droit  cri- 
minel, de  pays  de  droit  écrit,  ni  de  pays  de  droit  coutumier. 

Le  rôle  du  droit  promulgué,  dans  la  formation  de  l'ancien 
droit  pénal,  ne  doit  pas  non  plus  être  exagéré.  A  la  vérité, 
il  a  tenu  une  large  place  en  Angleterre.  Mais  ailleurs,  il 
apparaît  tout  imprégné  lui-même  de  droit  romain  et  semble 
avoir  contribué  surtout  à  le  faire  pénétrer  dans  la  pratique 
judiciaire.  Chez  nous,  de  grandes  Ordonnances,  celle  de 


l'ancien  droit  pénal  63 

1 670  surtout,  ont  établi  les  règles  de  la  procédure  criminelle 
en  l'empruntant  d'ailleurs  au  droit  canonique.  Mais  la 
Royauté  française  ne  paraît  jamais  avoir  songé  à  publier 
un  code  pénal,  définissant  les  infractions  et  fixant  les  peines. 
L'autorité  royale  s'est  contentée  de  légiférer  sur  certains 
crimes  particuliers,  comme  le  duel,  le  braconnage,  la  con- 
trebande, le  péculat,  l'empoisonnement,  la  non-déclaration 
de  grossesse.  Mais  ce  n'étaient  là  que  des  dispositions  de 
circonstance,  des  dispositions  fragmentaires  et  exception- 
nelles, qui  restaient  souvent  sans  application  ou  qui  tom- 
baient rapidement  en  désuétude. 

On  pourrait  croire  que  le  droit  criminel  ancien  dut 
beaucoup  plus  au  droit  canonique.  Son  influence  se  fit 
certainement  sentir  sur  l'instruction  criiViinelle,  puisque 
la  procédure  inquisitoriale  fut  son  œuvife  propre.  Dans  le 
domaine  du  droit  pénal,  les  lois  ecclésiastiques  et  la  théo- 
logie élaborèrent  certainement  des  théories  nouvelles.  Elles 
ont  dégagé  avec  plus  de  clarté  que  le  droit  romain  lui- 
même,  le  concept  de  l'imputabilité  et  de  la  responsabilité 
morale.  La  peine  reste  intimidante  et  exemplaire,  mais 
son  caractère  expiatoire  reprend,  sous  une  forme  nouvelle 
et  rajeunie,  une  force  singulière.  En  même  temps  s'affirme, 
dans  le  droit  canon,  l'idée  qu'elle  doit  être  corrective, 
qu'elle  doit  tendre  à  l'amendement  du  coupable  et  qu'il 
peut  par  son  repentir,  —  par  sa  contrition  —  obtenir  son 
pardon  et  sa  réhabilitation.  Ainsi,  la  doctrine  de  la  rédemp- 
tion pénètre  dans  le  domaine  de  la  justice  humaine.  Les 
peines  que  l'Eglise  institue  elle-même  sont  d'ordre  moral 
et  sont  humaines  :  Abhorret  a  sanguine.  Toutes  ces  doctrines 
ont  trouvé  leur  belle  expression  dans  le  monitum  du  concile 
de  Trente  que  le  canon  2214  du  nouveau  Codex  juris  cano-' 
nid  a  littéralement  transcrit  et  conservé. 


64  LE  DROIT  PÉNAL 

Mais  on  se  tromperait  en  pensant  que  toutes  ces  nou- 
veautés, qui  forment  le  fond  de  notre  droit  actuel,  péné- 
trèrent immédiatement  et  profondément  dans  notre  ancien 
droit.  Comment  apercevoir  leur  influence  lorsqu'on  con- 
sidère la  barbarie  des  mcriminations  et  des  peines  qui 
étaient  encore  en  usage  au  XVI il®  siècle.  Le  droit  répressif 
laïque  était  resté  absolument  distinct  du  droit  canon  et 
nos  crimincilistes  ne  citaient  guère  le  corpus  juris  canonici. 
Ce  qu'on  peut  dire  de  plus  exact,  c'est  que,  sous  l'influence 
de  la  doctrine  chrétienne,  la  conscience  populaire,  obscu- 
rément, lentement,  modelait  la  notion  du  crime  sur  celle 
du  péché,  et  le  concept  de  la  peine  sur  celui  de  la  pénitence. 
Ainsi  se  préparaient  les  grandes  réformes  de  l'avenir  ; 
mais  pour  rester  dans  la  vérité,  il  faudrait  dire,  peut-être, 
que  ces  conceptions  ne  devaient  trouver  leur  véritable 
réalisation  dans  le  domaine  du  droit  répressif  que  dans  les 
lois  de  la  Révolution  et  surtout  dans  les  réformes  du  XIX® 
siècle. 

Ainsi,  le  droit  romain,  les  ordonnances  royales,  le  droit 
canonique,  dans  la  mesure  que  nous  venons  d'indiquer, 
peuvent  être  considérés  comme  les  sources  de  notre  ancien 
droit  pénal.  Il  y  faut  joindre  encore  la  jurisprudence  des 
tribunaux  supérieurs  et  en  France,  des  Parlements.  Il 
s  était  formé,  touchant  les  incrimmations  et  les  peines,  une 
tradition  judiciaire,  créatrice  d'un  véritable  droit  coutumier. 
Nous  verrons,  dans  un  insteint,  l'importance  pratique  de 
cette  limitation  apportée  à  l'arbitraire  des  juges.  Cependant, 
cette  jurisprudence,  formée  par  des  décisions  fragmentaires 
et  éparses,  restait  encore  obscure  et  incertaine.  Le  progrès 
décisif  devait  être  obtenu  par  les  efforts  spontanés  de  la 
doctrine.  En  effet,  à  l'époque  de  la  Renaissance,  le  droit 
criminel  prit,  dans  toute  l'Europe  continentale,  une  forme 


l'ancien  droit  pénal  65 

juridique.  Des  criminalistes  éminents  fondant  dans  leurs 
travaux  toutes  les  sources  antérieures,  constituèrent  un 
véritable  droit  criminel  scientifique. 

Dans  cette  œuvre  immense  de  systématisation,  la  pre- 
mière place  revient  certainement  à  l'Italie.  Dès  le  XV®  siècle. 
Angélus  Aretinus  publiait  son  de  maleficiis  et  Hippolyte 
de  Marsigly  une  practica  rerum  criminalium,  et  un  commen- 
taire du  digeste  :  De  Quœstionihus  et  Tormentis.  C'étaient 
des  précurseurs.  Au  XVI®  siècle,  Julius  Clarus  écrivait  ses 
septem  libri  sententiarum  receptarum,  seu  practica  avilis  et 
criminalis,  dont  le  cinquième  livre,  consacré  au  droit  cri- 
minel, est  resté  classique.  Mais  tout  s'efface  devant  l'im- 
mense travail  de  Farinacius.  Ses  Concilia,  practica  et  theoria 
criminalis  qui  comportent  plusieurs  volumes  in-folio  cons- 
tituent pour  l'ancien  droit  criminel  l'ouvrage  fondamental. 
Son  influence  fut  décisive.  Les  criminalités  français  du 
XVIII®  siècle  le  citent  à  chaque  page,  on  le  consultait  couram- 
ment au  commencement  du  XIX®  siècle  et  on  peut  encore 
l'utiliser  avec  profit. 

A  côté  des  Italiens  il  faut  citer  en  Allemagne  Benedictus 
Carpzov  dont  la  practica  nova  imperialis  saxonica  rerum 
criminalium  eut  dans  toute  l'Europe  un  grand  succès  et 
inspira  bientôt  le  législateur  germanique.  En  Hollande, 
Damouder  publia  à  Anvers  sa  Practica  rerum  criminalium  ; 
en  Espagne  enfin  Covarruvias  mérite  de  figurer  parmi  ces 
fondateurs  du  droit  pénal  moderne.  Cette  œuvre  construc- 
tive  nous  paraît  ainsi  une  œuvre  collective  à  laquelle  colla- 
borèrent tous  les  peuples  de  l'Europe  continentale  civilisée. 
Et  rien  ne  montre  mieux  l'unité  fondamentale  des  insti- 
tutions criminelles  de  cette  époque.  Aucun  des  ouvrages 
que  nous  venons  de  citer  ne  semble  écrit  pour  un  pays 
et  en  vue  d'une  législation  déterminée,  et  les  principes  qu'ils 

5.  GARÇON. 


66  LE  DROIT  PÉNAL 

dégagent  ont  un  caractère  général  et  pour  ainsi  dire  uni- 
versel. 

La  France,  il  faut  l'avouer,  n'eut  dans  ce  grand  mou- 
vement scientifique  qu'une  part  assez  effacée.  Nos  vieux 
coutumiers  s'étaient  bien  occupés  du  droit  criminel  : 
Beaumanoir  nous  donne  des  renseignements  précieux  sur 
la  preuve  et  sur  l'instruction  criminelle.  Mais  j'ai  dit  que 
ce  droit  était  destiné  à  périr.  On  trouve  un  effort  plus 
heureux  dans  la  Somme  rurale  de  Boutellier  ;  nos  romanistes 
commentaient  les  libri  terribiles  et  contribuaient  ainsi  à 
l'œuvre  commune.  Mais  nous  ne  pouvons  citer  aucun 
grand  criminaliste  au  XVI®  siècle.  Il  serait  injuste  pourtant 
de  ne  pas  mentionner  Pierre  Ayraaut,  esprit  libre  et  cri- 
tique, mais  qui  a  écrit  surtout  sur  la  procédure  pénale, 
et  Domat  qui  formula,  sur  le  droit  criminel  et  sur  le  pro- 
blème de  la  répression,  des  principes  qui  méritent  de  ne 
pas  tomber  dans  l'oubli. 

C'est  au  XVIII®  siècle  que  parurent  nos  véritables  crimi- 
nalistes  français.  Serpillon,  Guy  Rousseau  de  la  Oambe, 
Jousse  et  Muyard  de  Vouglans.  Ils  n'eurent  aucune  pré- 
tention créatrice,  et  ils  ne  songèrent  ni  à  réformer  ni  à 
innover.  Leur  but  était  de  présenter  les  règles  du  droit  et 
de  la  procédure  criminelle  en  usage  de  leur  temps,  mais 
ils  ont  tracé  avec  une  merveilleuse  clarté  un  tableau  sais- 
sissant  de  notre  ancien  droit  pénal  dans  les  deux  derniers 
siècles  de  la  monarchie. 

C'est  ce  droit  français  que  nous  allons  maintenant 
exposer  dans  ses  traits  généraux,  comme  un  exemple 
particulier  du  droit  criminel  de  tous  les  peuples  parvenus 
au  même  degré  de  culture,  et,  spécialement,  du  droit  de 
l'Europe  occidentale  aux  XVII®  et  XVIII®  siècles. 


l'ancien  droit  pénal  67 

Pour  le  bien  comprendre,  il  importe  d'abord  de  dégager 
les  idées  générales  sur  lesquelles  il  reposait.  On  ne  peut 
mieux  les  exprimer  et  les  résumer  que  ne  l'a  fait  notre 
vieil  Argou,  lorsqu'il  écrivait  :  «  La  vengeance  est  défendue 
aux  hommes  ;  il  n'y  a  que  le  roi  qui  puisse  l'exercer  par 
ses  officiers,  en  vertu  du  pouvoir  qu'il  tient  de  Dieu.  » 

Le  droit  de  vengeance,  en  effet,  appartenant  aux  parti- 
culiers a  définitivement  disparu.  L'Etat  a  assumé  la  charge 
de  maintenir  la  discipline  sociale,  en  réprimant  le  crime 
qui  trouble  l'ordre  public  et  menace  les  intérêts  individuels. 
Mais  le  droit  de  châtier  qu'il  exerce  ainsi,  dans  un  but  de 
défense  sociale,  n'a  pas  changé  de  nature  et  apparaît  encore 
comme  un  acte  de  vindicte  publique.  C'est,  sous  cette  forme 
renouvelée,  que  se  manifeste  le  sentiment  de  réaction 
instinctive  et  de  répulsion  que  soulève  le  crime  dans  la 
conscience  populaire.  Punir,  c'est  encore  exercer  une  ven- 
geance et,  cette  vengeance  par  sa  nature  même,  reste  toute 
imprégnée  d'indignation,  de  passion,  et  de  colère.  Ainsi 
s'explique  fondamentalement  la  rigueur  des  châtiments. 

Cependant,  ce  serait  une  grave  erreur  de  penser  que  le 
droit  de  punir  reposait  exclusivement  sur  cette  idée  rudi- 
mentaire.  Le  concept  de  la  peine  était  infiniment  plus 
complexe  et,  pour  le  bien  saisir,  tel  qu'il  s'imposait  à  la 
conscience  générale,  dans  les  derniers  temps  de  la  monar- 
chie, il  faut  tenir  compte  de  certaines  théories  théologiques 
et  des  doctrines  alors  courantes  sur  la  nature  du  pouvoir 
royal. 

Je  viens  de  dire  que  le  droit  canonique  n'eut  que  peu 
d'influence  sur  la  formation  du  droit  pénal  juridique, 
mais  en  ajoutant  que  les  idées  religieuses  ont  exercé  leur 
empire  sur  la  conception  même  de  la  peine.  Comment  en 
aurait-il  été  autrement,  dans  un  temps  où  la  foi  dominait 


68  LE  DROIT  PÉNAL 

toute  la  mentalité  sociale,  et  toutes  les  manifestations  de  la 
vie  individuelle  et  collective  ?  G)mme  je  l'ai  fait  remarquer, 
l'idée  très  ancienne  que  la  peine  est  une  expiation  prend, 
avec  les  croyances  chrétiennes,  une  forme  particulière, 
modelée  sur  la  conception  du  péché.  La  notion  du  pardon 
dû  au  repentir,  de  la  miséricorde  même  pour  le  coupable, 
n'avaient  point  encore  pénétré  dans  le  droit  laïque,  mais  la 
peme  sociale  est  considérée  comme  une  rétribution  du 
mal  causé  par  le  crime  et  le  châtiment  de  la  faute  moréJe. 
Et  ainsi  se  mêle,  à  l'idée  de  vengeance,  la  notion  de  la 
justice,  car  quoi  de  plus  juste  que  de  venger  sur  le  criminel, 
la  victime,  la  société  offensée,  et  la  morcJe  religieuse  ? 
D'ailleurs,  cette  justice  n'est-elle  pas  à  l'image  de  celle 
de  Dieu.  La  colère  divine  ne  s'exerce-t-elle  pas  sur  les 
méchants,  avec  une  inéluctable  sévérité,  et  n'est-elle  pas 
sans  pitié  pour  le  pécheur  qui  ne  s'est  pas  repenti  ? 

Ainsi  la  justice  humaine  se  modèle  sur  la  justice  divine 
et  elles  finissent  par  se  joindre  et  se  confondre  dans  la  doc- 
trine du  droit  divin.  Dieu  a  préposé  les  rois  pour  gouverner 
les  peuples.  Le  souverain  et  les  officiers  qui  jugent  en  son 
nom,  châtient  le  criminel  par  délégation  même  de  Dieu. 
Là  se  trouve  le  fondement  du  droit  qui  appartient  au  magis- 
trat de  prononcer  des  condamnations  et  d'envoyer  les  cou- 
pables au  supplice.  La  puissance  du  juge  criminel  a  sa 
source  dans  la  puissance  même  de  Dieu  et  participe  de  sa 
nature.  La  justice  humaine  est  une  forme  anticipée  de  la 
justice  divine. 

Telles  sont  les  doctrines  qui  dominaient  l'administration 
de  la  justice  jusqu'à  la  veille  de  la  Révolution.  Elles  expli- 
quent ses  caractères  distinctifs  et  son  inexorable  sévérité. 
Dans  beaucoup  de  consciences,  sans  doute,  elles  étaient 
confuses  et  obscures,  mais  de  grands  esprits  les  avaient 


l'ancien  droit  pénal  69 

conçues  et  exposées  avec  autant  de  clarté  que  de  précision. 
Nul  pourtant  ne  le  fit  avec  autant  d'éloquence  que  Joseph 
de  Maistre,  leur  dernier  théoricien  et  leur  apologiste. 
Elles  le  conduisirent,  par  une  impeccable  logique,  à  affirmer 
l'infaillibilité  du  juge  et  la  mission  surnaturelle  du  bour- 
reau. Mais,  lorsqu'il  écrivait  les  soirées  de  Saint-Péters- 
bourg, ces  idées  avaient  déjà  péri. 

Ces  doctrines  politiques  expliquent  aussi,  au  moins 
dans  une  certaine  mesure,  l'arbitraire  qui  caractérisait 
essentiellement  notre  ancien  droit  criminel.  D'ailleurs, 
cet  arbitraire  dommait  alors  toutes  nos  institutions.  Le 
roi  est  absolu  ;  sa  volonté  souveraine  n'a  d'autre  limite 
que  son  bon  plaisir,  et  il  déléguait  ce  pouvoir  à  ceux  qu'il 
instituait  pour  gouverner,  administrer  et  juger  en  son 
nom. 

J'ai  montré  que  le  droit  criminel  ne  fut  jamais  codifié 
dans  l'ancienne  France.  Ainsi  la  liste  des  crimes  resta 
toujours  ouverte  et  incertaine.  L'incrimination  demeura, 
en  principe,  abandonnée  à  la  conscience  du  juge,  qui  avait 
le  pouvoir  de  châtier  tous  les  faits  qui  lui  paraissaient 
mériter  d'être  réprimés.  La  loi  ne  fournissait  aux  accusés 
aucune  garantie,  aucune  protection  légale.  Sans  doute, 
il  convient  de  ne  rien  exagérer  :  il  ne  faudrait  pas  croire 
que  le  juge  punissait  n'importe  quel  acte  de  n'importe 
quelle  peine.  En  droit  il  en  avait  le  pouvoir,  mais  en  fait 
il  en  allait  tout  autrement.  Ce  pouvoir  était  limité  par  la 
jurisprudence  et,  comme  nous  l'avons  montré,  par  ces 
ouvrages  des  criminalistes  qui,  la  résumant  et  la  systéma- 
tisant, avaient  réussi  à  mettre  un  peu  d'ordre  dans  cette 
confusion  en  donnant  une  liste  au  moins  démonstrative 
des  crimes  et  en  en  fournissant  les  définitions  juridiques. 

Et  pourtant,  même  ainsi  entendu,  et  tel  qu'il  était  en 


70  LE  DROIT  PÉNAL 

redite,  ce  système  avait  conduit  aux  plus  criants  abus. 
Faire  confiance  aux  magistrats  pour  déterminer  les  incri- 
minations c'est  abandonner  les  accusés  à  leur  bon  vouloir, 
et  aussi  à  leurs  passions,  car  étant  hommes,  ils  sont  fail- 
libles. Sous  des  influences  diverses,  politiques  ou  reli- 
gieuses, il  arrivait  souvent  que  le  juge  punissait  sans  mesure 
et  par  conséquent  sans  justice.  Il  châtiait  des  faits  en  eux- 
mêmes  indifférents  ou  qui  n'avalent  aucune  gravité  et  que 
leur  auteur  avait  pu  de  bonne  foi  considérer  comme  abso- 
lument licites.  Ainsi  cet  arbitraire  menaçait  la  liberté  de 
tous  ou  plutôt  était  incompatible  avec  toute  liberté  civile. 

Et  pour  couronner  cette  construction,  apparaissait  la 
théorie  de  la  justice  retenue,  établie  sur  de  fortes  bases 
juridiques,  et  qui  permettait  au  roi  de  faire  exécuter  toute 
mesure  répressive,  sans  qu'il  eût  à  observer  aucune  forme 
judiciaire.  Tout  pouvoir  émanant  de  lui,  il  pouvait  révo- 
quer la  délégation  qu'il  avait  donnée  à  ses  juges  et  prononcer 
lui-même  la  condamnation.  Il  n'avait  point  à  respecter 
les  lois  écrites  de  procédure  ;  puisqu'il  les  fait  lui-même, 
il  peut  s'en  affranchir.  Sa  sagesse  lui  inspirera  toujours  la 
sentence  juste  et  nécessaire  pour  le  bien  de  l'État.  En  vertu 
de  ce  raisonnement,  les  légistes  de  Henri  III  lui  affirmèrent, 
après  l'assassinat  du  duc  de  Guise,  qu'il  n'avait  fait  qu'user 
de  son  droit  en  condamnant  un  sujet  rebelle,  coupable 
d'attentat  contre  la  sûreté  de  l'Etat.  Cette  conséquence 
extrême  ne  passa  pas  pourtant  dans  la  pratique  et  Louis  XIV 
ne  prononça  jamais  aucune  peine  capitale  sans  jugement  ; 
il  en  chargeait  ses  commissaires.  Mais  nos  rois  se  recon- 
naissaient, et  personne  ne  leur  contestait  le  droit,  de  faire 
enfermer  dans  une  prison  d'Etat  ou  de  bannir  ceux  dont  la 
présence  leur  paraissait  dangereuse. 

On  discute  encore  sur  les  lettres  de  cachet  et,  naguère, 


l'ancien  droit  pénal  71 

on  cherchait  à  les  excuser.  Nous  n'insisterons  que  sur  un 
seul  point  :  on  a  dit  que  ce  droit  d'emprisonner  ou  de  bannir 
ne  comportant  aucune  condamnation  était  hors  de  la  sphère 
du  droit  pénal.  Nos  anciens  criminalistes  n'en  faisaient  en 
effet  aucune  mention,  et  on  peut  ajouter  que  l'emprison- 
nement n'était  pas  rangé  au  nombre  des  peines  légales. 
Mais  le  bannissement  était  au  contraire  un  châtiment  fré- 
quemment prononcé  par  les  tribunaux  et,  d'ailleurs,  dans 
la  réalité  des  choses,  il  est  de  la  dernière  évidence  que  les 
lettres  de  cachet  servaient  à  punir  certains  délits  politiques, 
la  plupart  des  délits  de  presse,  et  même  souvent,  des  délits 
que  nous  considérons  aujourd'hui  comme  des  délits  de 
droit  commun.  La  détention  dans  une  prison  d'Etat  avait, 
malgré  tout,  les  caractères  d'une  véritable  peine  :  elle 
infligeait  un  mal  dans  un  but  d'intimidation  et  d'exem- 
plarité et  éliminait  temporairement  ou  pour  toujours  ceux 
dont  on  voulait  se  débarrasser.  Il  est  vrai  que  les  lettres 
de  cachet  intervenaient  quelquefois  contre  des  individus 
qui  n'avaient  commis  aucun  fait  punissable,  mais  pour 
injuste  que  fut  la  détention  ou  l'exil  d'un  innocent,  elle  n'en 
restait  pas  moins  une  peine. 

Quoi  qu'il  en  soit,  parmi  les  crimes  les  plus  graves,  on 
s'accordait  pour  ranger  d'abord  les  crimes  de  lèse-majesté 
divine.  Dans  un  temps  de  foi  ardente,  où  personne  n'avait 
même  l'idée  de  la  liberté  de  conscience,  les  gouvernements 
et  les  magistrats  considéraient  non  seulement  comme  un 
droit  indiscutable,  mais  encore  comme  un  impérieux  devoir, 
de  punir  avec  sévérité  la  propagation  de  toute  croyance, 
la  manifestation  de  toute  foi  qui  ne  se  conformait  pas  à  la 
confession  officielle  :  au  moyen-âge,  l'inquisition  fut  éta- 
blie pour  réprimer  ces  crimes  religieux.  La  Réforme  posa 
la  question  sous  un  aspect  nouveau  et  tandis  que  les  catho- 


72  LE  DROIT  PÉNAL 

llques  étaient  tenus  pour  des  criminels  dans  les  états  pro- 
testants, les  huguenots  étaient  impitoyablement  punis  dans 
les  catholiques.  La  résistance  tourna  en  révolte  ouverte  et 
en  guerre  civile,  dont  est  remplie  toute  l'histoire  du  XVI^  siè- 
cle. En  France,  la  répression  contre  les  protestants,  un 
moment  assoupie  par  l'Edit  de  Nantes,  s'exerça  bientôt 
avec  une  vigueur  nouvelle,  encore  accrue  après  la  révoca- 
tion et  dura,  en  réalité,  jusqu'à  la  Révolution,  et  de  fait, 
bien  des  ministres  expièrent  dans  les  bagnes  le  crime  d'avoir 
prêché  leur  foi. 

Muyard  de  Vouglans,  qui  écrivait  dans  la  seconde  moitié 
du  XVIII^  siècle,  rangeait  parmi  les  crimes  de  lèse-majesté 
divine,  d'abord,  le  blasphème  et  le  sacrilège.  Pour  s'en 
être  rendu  coupable,  le  Chevalier  de  la  Barre  fut  exécuté 
en  1766;  puis  l'hérésie,  l'apostasie  et  le  schisme,  crimes 
des  protestants  ;  enfin  l'athéisme,  le  déisme,  le  théisme, 
le  polythéisme  et  le  tolérantisme  !  Ces  derniers  crimes  ne 
se  commettaient  que  par  écrit  et  étaient  à  proprement  parler 
des  délits  de  presse.  Une  Ordonnance  de  1 757  les  punissait  de 
la  peine  de  mort,  des  galères  et  de  la  confiscation.  Il  convient 
d'ajouter  d'ailleurs  qu'elle  ne  paraît  guère  avoir  été  exécutée. 

Le  même  criminaliste  plaçait  encore  parmi  les  délits 
contre  la  religion  la  magie,  les  sortilèges  et  l'astrologie, 
qu'il  ne  faut  pas  confondre,  ajoutait-il,  avec  l'astronomie 
qui  est  une  science  permise.  11  déclarait  passible  du  feu 
les  sortilèges  proprement  dits,  «  qui  se  font  pour  causer  du 
mal,  pour  tourmenter  quelqu'un,  pour  faire  périr  des  ani- 
maux ou  qui  s'emploient  dans  la  vue  de  corrompre  la  pudeur 
des  femmes,  de  procurer  un  avortement,  d'empêcher  la 
génération  et  même  de  procurer  la  mort  aux  personnes.  » 
Et  ce  n'étaient  pas  là  de  pures  théories  ;  très  fréquents  au 
moyen-âge  et  au  XVI®  siècle,  les  procès  de  sorcellerie  se 


l'ancien  droit  pénal  73 

continuèrent  jusqu'à  la  veille  de  la  Révolution  Française, 
et  celui  de  la  Cadière  en  fournit  un  mémorable  exemple. 
Il  faut  pourtant  ajouter  que  Jousse  qui  écrivait  à  peu  près 
à  la  même  époque  que  de  Vouglans  était  beaucoup  moins 
superstitieux  ;  manifestement  il  ne  croit  plus  à  la  magie, 
et  s'il  veut  encore  punir  les  sorciers,  et  même  sévèrement, 
c'est  comme  escrocs. 

Léo  crimes  de  lèse-majesté  humaine  étaient  considérés 
à  la  fin  de  l'ancien  régime,  comme  aussi  graves  que  les 
crimes  de  lèse-majesté  divine.  Au  premier  chef,  ils  com- 
prenaient le  régicide,  de  tous  les  forfaits  le  plus  atroce  ; 
les  attentats  contre  les  princes  du  sang  et  contre  la  cou- 
ronne, c'est-à-dire  contre  la  sûreté  intérieure  et  extérieure 
de  l'Etat,  les  révoltes  et  les  complots.  Au  deuxième  chef, 
la  concussion  et  le  péculat,  une  des  grandes  plaies  de  l'ancien 
régime,  dont  la  répression  était  tantôt  d'une  faiblesse 
déplorable,  tantôt  d'une  implacable  sévérité.  Ajoutons 
encore  quelques  autres  délits  comme  les  usurpations  de 
souveraineté,  la  fausse  monnaie,  par  exemple,  et  les  délits 
de  presse  et  libelles  contre  le  roi  et  le  pouvoir  royal. 

Ejifin,  la  dernière  classe  de  crimes  comprenait  les  crimes 
contre  les  personnes,  homicides,  violences,  attentats  aux 
mœurs,  faux  et  vols.  C'est  en  ce  qui  touche  ces  derniers 
délits  que  s'était  fait  sentir  surtout  l'influence  du  droit 
romain.  Pourtant  on  peut  y  découvrir  quelques  théories 
originales,  comme  celles  des  circonstances  aggravantes  du 
vol,  par  exemple,  qui  a  passé  dans  notre  droit  moderne. 

Ces  règles  générales  et  ces  définitions  des  infractions, 
nous  l'avons  dit,  limitaient  en  fait  dans  une  assez  large 
mesure  l'arbitraire  du  juge  en  matière  d'incrimination. 
Mais  cet  arbitraire  s'exerçait  beaucoup  plus  librement  en  ce 
qui  touchait  la  détermination  de  la  peine.  Le  magistrat, 


74  LE  DROIT  PÉNAL 

en  effet,  en  l'absence  de  tout  texte,  avait  le  pouvoir  de  fixer, 
dans  chaque  cas  particulier,  le  châtiment  du  coupable, 
selon  les  seules  inspirations  de  sa  conscience.  Les  Ordon- 
nances, qui  prescrivaient  expressément  de  punir  certains 
faits,  négligeïiient  souvent  de  fixer  les  peines  et  se  conten- 
taient d  indiquer  qu'ils  seraient  punis  de  «  peines  exem- 
plaires «  ou  «  d'amendes  arbitraires  ».  Et  cette  liberté  du 
juge  était  si  fortement  entrée  dans  la  pratique  que,  même 
lorsqu'un  Edit  royal  fixait  les  peines,  on  lui  reconnaissait 
le  droit  de  les  mitiger,  quelquefois  même  de  les  aggraver, 
à  raison  des  circonstances  qui  accompagnaient  le  délit. 
Sans  doute,  les  magistrats  suivaient,  même  pour  la  fixation 
des  peines,  une  certaine  jurisprudence,  et,  au  XVIII^  siècle, 
il  était  universellement  admis  qu'ils  ne  pouvaient  prononcer 
que  les  peines  «  en  usage  dans  le  royaume  ».  Ainsi,  le  tarif 
des  châtiments  était  dans  chaque  juridiction  gouverné  par 
des  usages.  Mais  comme  les  circonstances  du  crime  variant 
nécessairement  pour  chaque  espèce,  ces  traditions  et  ces 
coutumes  judiciaires  étaient  en  fait  mal  établies  et  souvent 
méconnues.  Le  juge,  selon  que  le  crime  lui  paraissait  plus 
ou  moins  grave,  l'accusé  plus  ou  moins  coupable,  au  gré 
de  ses  émotions,  de  ses  impressions,  de  ses  passions,  pou- 
vait prononcer  une  peine  légère  ou  d'une  implacable  sévérité. 
D'ailleurs,  le  système  généraJ  des  peines  est  un  des  traits 
les  plus  caractéristiques  du  droit  criminel  antérieur  à  la 
Révolution.  Il  avait  conservé  le  caractère  le  plus  archaïque, 
et  n'avait  reçu  aucun  changement  depuis  le  moyen-âge. 
Tout  a  été  dit  sur  la  cruauté  des  châtiments  et  sur  la  bar- 
barie de  ses  supplices  et,  à  la  vérité,  on  reste  étonné  et 
on  a  peine  à  croire  qu'il  put  encore  être  pratiqué  dans  un 
monde  aussi  policé  et  aussi  «  sensible  »  que  le  fut  la  société 
française  au  XVIII®  siècle. 


l'ancien  droit  pénal  75 

Nous  avons  déjà  eu  l'occasion  de  rappeler  que  la  priva- 
tion de  liberté  n'était  pas  considérée  comme  une  véritable 
peine  légale.  11  y  avait  bien  des  prisons  où  on  enfermait 
pêle-mêle,  dans  la  plus  dégradante  promiscuité,  tous  ceux 
de  la  personne  desquels  on  voulait  s'assurer  :  les  accusés, 
les  aliénés,  les  débiteurs  insolvables,  les  condamnés  qui 
attendaient  l'exécution  de  leur  sentence,  d'autres  encore. 
Ces  détentions  administratives  ou  judiciaires,  avaient  une 
durée  arbitraire  et  illimitée  ;  elles  étaient  quelquefois  per- 
pétuelles. Mais,  juridiquement,  elles  n'étaient  point  regar- 
dées comme  des  peinej.  Les  juges  ne  prononçaient  point 
l'emprisonnement  pour  la  répression  des  crimes. 

La  peine  des  galères  elle-même  n'était  pas  considérée 
comme  une  peine  privative  de  liberté,  mais  plutôt  comme 
une  peine  corporelle.  Ce  n'est  point  ici  le  lieu  de  décrire 
le  régime  auquel  étaient  soumis  les  forçats.  On  a  peine  à 
imaginer,  même  lorsqu'on  a  consulté  les  documents  ori- 
ginaux les  plus  sûrs,  ce  qu'étaient  ces  lieux  de  désolation 
et  de  souffrances  physiques  et  morales  où  on  ne  tolérait 
ni  la  paresse,  ni  la  fatigue,  ni  l'épuisement,  ni  la  maladie. 
On  voudrait  douter  que  des  hommes  aient  pu  infliger  à 
d'autres  hommes  un  traitement  aussi  barbare.  Nulle  idée 
de  justice,  nul  souci  de  corriger  le  coupable,  n'avait  présidé 
à  l'élaboration  des  règlements  des  chiourmes.  Mmntenir 
la  discipline  par  la  menace  et  le  fouet,  paraît  le  seul  but  que 
visèrent  ceux  qui  les  rédigèrent.  Cet  abominable  régime  ne 
fut  guère  modifié,  lorsque  les  progrès  de  la  construction 
navale  firent  abandonner  les  galères  et  les  rameurs.  Les 
bagnes  furent  seulement  établis  dans  les  ports,  les  condamnés 
employés  aux  travaux  de  la  marine,  mais  les  règlements  ne 
furent  qu'à  peine  modifiés. 

La  peine  du  fouet  était  légalement  considérée  comme 


76  LE  DROIT  PÉNAL 

plus  légère  que  celle  des  galères  et  elle  était  certainement 
moins  rigoureuse,  en  fait.  Elle  était  souvent  accompagnée 
du  bannissement  hors  du  territoire  de  la  justice  qui  avait 
prononcé  la  condamnation.  On  appliquait  surtout  ces 
fustigations  aux  voleurs  simples,  aux  filous  et  coupeurs  de 
bourse.  A  la  veille  de  la  Révolution,  on  frappait  le  condamné 
non  plus  avec  un  fouet,  mais  avec  une  verge,  sur  les  places 
et  les  carrefours,  ce  qu'on  appelait  le  «  tour  de  ville  ».  Les 
mutilations  de  nez,  des  oreilles,  du  poing  et  de  la  langue, 
qui  avalent  été  fort  en  usage  au  XVI®  et  au  XVII®  siècle, 
paraissent  avoir,  sinon  disparu  complètement,  au  moins 
avoir  été  moins  utilisées  au  XVIII®,  bien  que  les  crimina- 
listes  les  citent  encore. 

A  côté  du  fouet  et  se  cumulant  souvent  avec  lui,  il  faut 
encore  mentionner  les  peines  qui  agissaient  par  voie  d'hu- 
miliation. Elles  étaient  fréquemment  prononcée^  et  on  peut 
les  considérer  comme  formant  une  des  assises  fondamen- 
tales de  l'ancien  système  pénitentiaire.  E!lles  étaient  inspi- 
rées par  le  sentiment  élémentaire  de  réprobation  que  sou- 
lève la  vue  du  crime,  et  elles  avaient  manifestement  pour 
but  d'imprimer  dans  la  conscience  publique  la  honte  qui 
s'y  attache.  Elles  tiraient  leur  efficacité  des  règles  les  plus 
élémentaires,  mais  en  même  temps  les  plus  profondes  de 
la  psychologie  collective.  Tels  étaient  l'amende  honorable, 
le  pilori,  le  carcan,  et  cette  peine  qui  consistait  à  promener 
le  condamné  par  les  rues  d'une  ville,  souvent  en  le  frappant 
de  verges,  à  pied,  ou  monté  sur  un  âne,  la  tête  tournée  du 
côté  de  la  queue,  et  portant  sur  sa  poitrine  un  écriteau 
indiquant  le  crime  qu'il  avait  commis. 

Les  peines  pécuniaires,  amendes  et  confiscations,  tenaient 
aussi  une  large  place  dans  l'ancien  système  pénal  ;  la  con- 
fiscation générale  surtout.  Comme  elle  profitait  au  roi  ou 


l'ancien  droit  pénal  77 

au  haut  seigneur  justicier,  elle  constituait  pour  le  trésor 
public  une  ressource  importante  et  pour  les  seigneurs  un 
revenu  aléatoire  appréciable.  On  ne  comprendrait  pas  les 
protestations  que  cette  peine  avait  soulevées  et  son  impo- 
pularité, si  on  ne  se  souvenait  de  cet  aspect  fiscal.  Dès  le 
moyen-âge,  ce  fut  un  des  privilèges  que  conquirent  les 
bourgeois  des  villes  de  ne  pouvoir  être  frappés  de  cette 
peine. 

Mais  à  tout  cela  il  faut  joindre  la  torture  et  la  peine  de 
mort. 

La  question  préalable  était  donnée  avant  l'exécution 
d'une  sentence  capitale,  pour  contraindre  le  coupable  à 
dénoncer  ses  complices  ;  elle  faisait  pour  ainsi  dire  partie 
du  supplice.  La  question  préparatoire  était  ordonnée  pour 
obtenir  1'  «  aveu  du  crime  »  dont  il  y  avait  d'ailleurs  des 
preuves  considérables,  dit  un  ancien  auteur,  en  telle  sorte 
qu'il  ne  manque  plus  que  cet  aveu  «  pour  opérer  l'entière 
conviction  ».  Chaque  juridiction  avait  ses  tourments  par- 
ticuliers qui  variaient  à  l'infini  :  l'imagination  hummne  a 
toujours  été  d'une  effroyable  fertilité  pour  inventer  les 
supplices.  A  Paris,  on  donnait  la  question  par  l'eau  et  les 
brodequins  ;  ailleurs  par  le  chevalet  ou  l'estrapade.  Lorsque 
les  philosophes  demandèrent  l'abolition  de  ces  abominables 
iniquités,  et  lorsque  le  roi  Louis  XVI  abolit  la  question 
préparatoire  en  1780  et  la  question  préalable  en  1788, 
cette  réforme  se  heurta  à  la  plus  vive  résistance  des  prati- 
ciens, si  bien  que  le  Roi  fut  obligé  d'insérer  des  réserves 
dans  son  Edit,  et  de  dire  :  «  Nous  réserveint,  bien  qu'à  regret, 
de  rétablir  la  dite  question,  si,  d'après  quelques  années 
d'expérience,  les  rapports  de  nos  juges  nous  apprenaient 
qu'elle  fût  d'une  indispensable  nécessité.  »  Ces  praticiens 
invoquaient  surtout,  pour  s'opposer  à  cette  abolition,  la 


78  LE  DROIT  PÉNAL 

nécessité  d'assurer  la  répression  et  de  ne  pas  laisser  les 
crimes  impunis.  Ils  faisaient  aussi  valoir,  suprême  sophisme  ! 
que  l'accusé  était  ainsi  constitué  juge  dans  sa  propre  cause, 
puisque  s'il  n'avouait  pas,  il  échappait  au  châtiment. 
On  reste  confondu  en  constatant  que,  jusqu'à  la  fin  du 
XVIII®  siècle,  des  méigistrats  ont  pu  fonder  leur  conviction 
sur  un  aveu  arraché  par  la  torture,  et  condamner  sur 
cette  preuve  non  seulement  inhumaine,  mais  si  manifes- 
tement fragile  et  trompeuse.  Ils  suivaient  une  pratique 
immémoriale,  appuyée  sur  des  textes,  et  cela  suffisait  à 
rassurer  leur  conscience.  Comme  le  remarquait  Nicoleis, 
qui  écrivit,  sous  Louis  XIV,  un  livre  contre  la  torture, 
très  courageux  et  injustement  oublié,  on  aboutissait  ainsi 
à  condamner  les  innocents  qui  préféraient  la  mort  aux 
tourments,  et  à  justifier  les  coupables  qui  pouvaient  résis- 
ter à  la  souffrance.  D'ailleurs  il  faut  reconnaître  que,  dans 
certains  cas,  la  question  pouvait  amener  à  la  découverte 
de  la  vérité.  Supposez,  dit  un  vieil  auteur,  qu'un  voleur 
nie  le  crime  qui  lui  est  reproché  ;  si  tourmenté  il  avoue 
le  lieu  ou  il  a  caché  les  objets  volés  et  si  on  les  y  trouve, 
ne  sera-t-il  pas  convaincu  et  justement  condamné.  Assu- 
rément :  mais  la  seule  leçon  que  l'on  puisse  tirer  de  cette 
constatation,  est  que  l'efficacité  d'une  peine,  ou  d'un 
moyen  d'instruction,  ne  saurait  établir  sa  légitimité  ni  sa 
justification. 

Faut-il  maintenant  répéter  que  la  peine  de  mort  était 
très  fréquemment  prononcée  ;  on  n'exagérerait  pas  beau- 
coup en  disant  que  les  juges  condeunnaient  alors  à  être 
pendus  des  délinquants,  des  voleurs  en  récidive,  par 
exemple,  que  nos  tribunaux  correctionnels  envoient  aujour- 
d'hui en  prison  pour  quelques  mois,  voire  pour  quelques 
jours.  Cependant,  dans  les  dernières  années  du  règne  de 


l'ancien  droit  pénal  79 

Louis  XVI,  il  semble  bien  que  les  exécutions  étaient  moins 
fréquentes.  Le  mode  de  ces  exécutions  variait  d'ailleurs 
selon  les  crimes  et  la  jurisprudence  de  chaque  juridiction 
criminelle.  Dans  notre  très  ancien  droit,  les  coupables 
étaient  précipités  du  haut  d'un  rocher,  enterrés  vifs  (comme 
les  amants  des  brus  de  Philippe  le  Bel)  ou  coupés  en  mor- 
ceaux, ou  bouillis  dans  l'huile.  Ces  supplices  avaient  cessé 
d'être  en  usage  au  XVIII®  siècle.  Pour  les  crimes  ordinaires, 
les  roturiers  étaient  pendus  et  les  nobles  décapités.  Mais 
on  brûlait  encore  les  parricides,  les  empoisonneurs,  les 
incendiaires  et  les  auteurs  de  certains  crimes  contre  nature. 
Quelquefois  seulement,  et  par  indulgence,  on  ordonnait 
que  le  coupable  serait  étranglé  sur  le  bûcher  avant  que  le 
feu  fut  allumé.  Enfin,  pour  les  forfaits  les  plus  graves,  on 
géminait  les  supplices,  et  nous  ne  pouvons  conclure  plus 
clairement  cet  exposé  du  système  pénal  de  notre  cincien 
droit  qu'en  reproduisant  le  supplice  qui  fut  infligé  aux 
régicides,  tel  qu'il  est  rapporté  par  les  vieux  auteurs  : 

«  Le  criminel  après  avoir  été  appliqué  à  la  question 
ordinaire  et  extraordinaire,  et  avoir  fait  amende  honorable, 
est  conduit  nu,  en  chemise,  dans  un  tombereau  au  lieu 
du  supplice,  où  l'on  a  précédemment  construit  (au  milieu 
d'un  parc  entouré  de  palis,  assez  étendu  pour  que  les  che- 
vaux aient  une  place  suffisante  pour  tirer)  un  échafaud 
haut  de  trois  ou  quatre  pieds,  sur  lequel  le  criminel  est  posé 
à  plat  sur  le  dos,  et  attaché  avec  des  liens  de  fer  dont  on 
entoure  la  poitrine  vers  le  cou  et  l'autre  les  hanches  vers 
le  bas  ventre.  Ces  liens  sont  vissés  dans  le  bois  de  l'échafaud 
afin  que  son  corps  ne  cède  pas  à  l'effort  des  chevaux,  que 
l'exécuteur  achète  au  moyen  d'une  somme  qui  lui  est  déli- 
vrée, et  qui  sont  harnachés  comme  les  chevaux  qui  tirent 
les  bateaux.  L'exécuteur  lie  ensuite  à  la  main  du  criminel 


80  LE  DROIT   PÉNAL 

l'arme  dont  il  s'est  servi,  et  la  lui  brûle  'avec  du  soufre. 
On  lui  arrache  ensuite  avec  des  tenailles  des  lambeaux  de 
chair  aux  mamelles,  aux  bras,  aux  cuisses,  aux  gras  des 
jambes  et  l'on  asperge  ses  plaies  d'une  composition  de  plomb, 
huile,  poix,  récine,  cire  et  soufre  fondus  ensemble.  On 
attache  ensuite  une  corde  à  chaque  membre  du  patient 
(savoir  aux  jambes,  depuis  le  genou  jusqu'aux  pieds,  et 
aux  hras,  depuis  l'épaule  jusqu'au  poignet).  Le  bout  de 
chaque  corde  s'attache  au  palonier  de  chaque  cheval, 
qu'on  fait  ensuite  tirer  par  plusieurs  petites  secousses. 
On  se  détermine  enfin  à  faire  tirer  les  chevaux  de  toute  leur 
force,  en  tous  sens,  pour  écarteler  les  membres.  Mais  comme 
il  arrive  ordinairement  que  les  tendons  et  les  ligaments 
résistent  et  ne  quittent  point,  malgré  l'effort  des  quatre 
chevaux  et  même  d'un  plus  grand  nombre,  on  est  enfin 
obligé  de  couper  les  ligaments  vis-à-vis  de  la  jointure  des 
os.  Alors  les  chevaux  entraînent  chacun  son  membre  et 
après  les  avoir  détachés  de  la  corde  et  le  tronc  de  l'échafaud, 
l'on  jette  le  tout  sur  un  bûcher  qu'on  allume  sur  le  champ  : 
et  quand  le  tout  est  réduit  en  cendres  on  jette  ces  cendres 
en  l'air  avec  des  pelles.  « 

Et  Muyard  de  Vouglans  ajoute  froidement  :  «  Le  sup- 
plice de  Damiens  a  duré  deux  heures,  lui  vivant.  » 

BIBLIOGRAPHIE 

Les  ouvrages  de  Angelus  Aretinus,  HiPPOLVTE  DE  Marsi- 
GLY,  de  JULIUS  ClARUS,  de  FaRINACIUS,  DE  CaRPZOV,  de  DaMOUDER 
et  de  CoVARRUViAS,  cités  au  texte. 

Pour  le  droit  français  :  JousSE,  Traité  de  la  justice  criminelle, 
4  vol.  in-4°.  —  Muyard  de  Vouglans,  Les  lois  criminelles  de  la 
France  dans  leur  ordre  naturel  (in-folio)  et  ses  instituts  (in-4°).  — 
Serpillon,  Code  criminel  de  la  France,  2  vol.  in-4*'.  —  GuY  ROUS- 
SEAU DE  LA  Combe,  Traité  des  matières  criminelles.  —  Merlin  et  le 
nouveau  Denizard.  —  Du  BoYS,  Histoire  du  droit  pénal. 


CHAPITRE  IV 
LE  DROIT  PÉNAL  CONTEMPORAIN 

Le  droit  pénal  moderne  présente  une  nouvelle  pheise 
de  l'histoire  de  la  répression.  On  commettrait  pourtant 
une  erreur  en  pensant  qu'il  ne  doit  rien  au  passé.  Il  se  lie 
au  contraire  intimement  à  lui  et  le  continue.  Il  reste  défi- 
nitivement acquis  que,  dans  un  État  constitué,  aucun  par- 
ticulier n'a  le  droit  de  se  faire  justice  à  lui-même,  et,  d'autre 
part,  les  principes  juridiques  dégagés  par  les  vieux  crimi- 
nalistes  subsistent  comme  le  solide  fondement  de  la  tech- 
nique du  droit  criminel.  Le  progrès  nouveau  a  consisté 
essentiellement  à  introduire  dans  la  législation  répressive 
plus  de  liberté  et  surtout  plus  d'humanité. 

Cette  grande  réforme,  inaugurée  chez  nous  par  la  Cons- 
tituante, s'est  d'ailleurs  poursuivie  et  développée  pendant 
tout  le  cours  du  XIX®  siècle.  Les  Codes  de  1791  et  de  Bru- 
maire de  l'an  IV,  conçus  et  votés  en  quelques  mois,  avaient 
tous  les  défauts  des  œuvres  improvisées.  Ils  ont  été  rem- 
placés par  le  Code  de  1811  qui  est  encore  en  vigueur. 
Mais  il  a  été  lui-même  tellement  amendé,  réformé  et  com- 
plété par  des  lois  plus  récentes,  qu'on  peut  dire,  en  vérité, 
que  la  législation  criminelle  françeiise  a  cessé  d'être  codifiée. 
Telle  qu'elle  est  aujourd'hui,  avec  toutes  ces  retouches 
successives,  on  peut  affirmer  qu'elle  n'est  inférieure  à 
aucune  autre  et  que,  sur  certains  points,  elle  paraît  être 
parvenue  à  un  plus  haut  point  de  perfectionnement. 

6.  GARÇON. 


82  LE  DROIT  PÉNAL 

D'ailleurs,  s'il  est  vrai  que  la  France  a  pris  une  très  large 
part  à  l'élaboration  du  droit  criminel  moderne,  et  que, 
même,  elle  en  fut  la  véritable  initiatrice,  il  est  juste  de 
reconnaître  que  tous  les  pays  civilisés  ont  collaboré  à  cette 
grande  œuvre  et  que  nous  avons  aussi  emprunté  à  d'autres 
des  progrès  qu'ils  avaient  déjà  réalisés.  Si  on  compare 
les  codes  étrangers  avec  notre  propre  législation  pénale, 
ou  si  on  les  compare  entre  eux,  on  constate,  qu'avec  des 
différences  qui  portent  surtout  sur  la  technique  juridique, 
ils  reposent  tous  sur  des  assises  fondamentales  communes. 
Les  plus  récents,  et,  par  exemple,  les  codes  Hollandais, 
Italiens,  Japonais,  Norvégiens  et  Égyptiens,  les  projets 
qui  sont  actuellement  discutés  en  Suisse  comme  en  Chine, 
s'inspirent  des  mêmes  principes,  et  présentent,  au  fond, 
une  très  remarquable  unité.  Il  y  a  comme  un  droit  pénal 
commun,  qui  régit  aujourd'hui  non  seulement  les  peuples 
de  race  blanche,  mais  encore  les  pays  d'Extrême-Orient. 
La  loi  d'imitation  explique,  sans  doute,  en  partie,  ces 
ressemblances  ;  les  législationô  nouvelles  s'inspirent  de 
celles  qui  les  ont  précédées,  et  toutes  ont  pour  ancêtre 
commun  notre  vieux  code  de  181 1.  Mais  cette  pénétration 
réciproque  des  lois  répressives  n'a  été  possible  que  parce 
qu'elle  répondait  aux  besoins  de  la  civilisation  actuelle 
et  aux  aspirations  de  la  conscience  publique  universelle. 
Ainsi,  pour  notre  temps,  se  trouve  encore  vérifiée  la  vérité 
de  l'universalité  des  lois  positives,  dans  un  même  milieu 
sociologique. 

On  attribue  d'ordinaire  aux  philosophes  du  XVIII^  siècle 
l'honneur  d'avoir  formulé  des  théories  et  préparé  les  ré- 
formes d'où  est  sorti  le  droit  pénal  moderne.  Il  est  incon- 
testable, en  effet,  qu'ils  ont  exercé  une  influence  décisive 
sur  les  lois  de  la  Révolution.  Montesquieu,  au  Livre  VI 


LE  DROIT  PÉNAL  CONTEMPORAIN  83 

de  Esprit  des  Lois,  montrait  que  les  mauvaises  lois  pénales 
n'ont  d'autre  effet  que  d'augmenter  la  criminalité.  Surtout 
il  révélait  à  la  France  les  principes  d'un  droit  public  libéral, 
qui  s'était  lentement  développé  en  Angleterre,  et  qu'allaient 
affirmer  solennellement  les  pères  de  la  Constitution  Amé- 
ricaine. Ainsi,  il  ruinait  cet  arbitraire  qui  infestait  toutes 
les  institutions  de  la  monarchie  absolue,  et  dont  le  droit 
répressif  était  si  fortement  imprégné.  C'est  le  petit  livre 
de  Beccaria  qui  a  dénoncé  la  cruauté,  comme  l'inutilité, 
du  vieux  système  des  peines,  qui  a  montré  l'iniquité  de  la 
procédure  criminelle  alors  en  usage  dans  toute  l'Europe 
continentéile,  qui  a  sapé  et  détruit  l'ancien  droit  tout  entier, 
et  convaincu  l'opinion  publique,  rendue  honteuse  de  sa 
barbarie,  de  la  nécessité  de  reconstruire  le  droit  répressif 
sur  les  bïises  de  la  justice  et  de  l'humanité.  Voltaire  a  répandu 
et  popularisé  les  mêmes  idées  en  annotant  la  traduction 
du  traité  des  Délits  et  des  Peines,  et  en  menant  ses  mémo- 
rables campagnes  pour  le  Chevalier  de  la  Barre  et  pour  Calas. 
Quant  à  Rousseau,  son  influence  pour  s'être  exercée  dans 
une  autre  direction  ne  fut  pas  moindre.  11  n'a  consacré 
au  droit  pénal  qu'un  seul  chapitre  du  Contrat  Socicd  pour 
y  légitimer  la  peine  de  mort.  Il  affirme  que  le  criminel  doit 
être  retranché  de  la  Société  «  par  l'exil  comme  infracteur 
du  pacte,  ou  par  la  mort  comme  ennemi  public  »  car, 
ajoute-t-il,  «  c'est  alors  que  le  droit  de  la  guerre  est  de  tuer 
le  vaincu  ».  Mais  il  se  hâte  d'affirmer  que  :  «  Au  reste,  la 
fréquence  des  supplices  est  toujours  un  signe  de  faiblesse 
et  de  paresse  dans  le  gouvernement.  Il  n'y  a  point  de  méchamt 
qu'on  ne  puisse  rendre  bon  à  quelque  chose.  On  n'a  le 
droit  de  faire  mourir,  même  pour  l'exemple,  que  celui 
qu'on  ne  peut  conserver  sans  danger.  »  Ce  ne  sont  là  des 
idées,  ni  bien  profondes,  ni  bien  claires.  Mais  Jean- Jacques 


84  LE  DROIT  PÉNAL 

persuada  que  l'homme  est  né  bon  et  honnête  et  que,  seule, 
la  Société  l'a  rendu  mauvais  et  pervers.  Cette  Société 
pouvait-elle  donc  se  montrer  impitoyable  pour  le  cri- 
minel ?  Surtout  le  philosophe  de  Genève  mit  la  sensibilité 
à  la  mode.  Or  quelle  «  âme  sensible  »  pouvait  s'accommoder 
d'une  répression  cruelle  et  barbare,  qui  cherchait  unique- 
ment à  intimider  le  coupable  par  l'horreur  des  supplices. 

Tout  cela  est  exact.  Mais  il  faut  se  garder  de  croire  que 
les  théories  de  ces  penseurs  ont  seules  contribué  à  l'élabo- 
ration du  droit  criminel  moderne.  Cette  vue  simpliste 
serait  trompeuse,  et  la  réalité  est  beaucoup  plus  compliquée 
et  fuyante.  Depuis  que  l'homme  a  commencé  de  philo- 
sopher, il  a  tenté  de  résoudre  la  question  que  le  châtiment 
du  crime  pose  à  sa  conscience,  et  toutes  les  réponses  qui 
ont  été  données  ont  contribué  à  former  sa  mentalité  héré- 
ditaire. Le  génie  de  la  Grèce  a  agité  ce  redoutable  problème, 
ses  tragiques  l'ont  débattu  sur  la  scène,  ses  philosophes 
ont  cherché  à  lui  donner  une  solution  rationnelle,  et  à 
travers  la  scolastlque,  la  Renaissance,  l'art  et  la  raison 
antiques  n 'ont-ils  pas  façonné  la  civilisation  moderne  ? 
Nous  l'avons  déjà  dit,  le  droit  répressif  moderne  porte  les 
traces  ineffaçables  de  la  théologie  chrétienne  et  le  concept 
du  crime  et  de  la  peine  est  modelé,  dans  l'âme  populaire, 
sur  la  notion  du  péché  et  de  la  pénitence.  Les  idées  modernes 
sur  l'amendement  du  criminel  et  sa  réhabilitation,  sont 
Imprégnées  du  dogme  de  la  rédemption  qui  promet  le 
pardon  de  la  faute  et  accorde  le  salut  à  la  contrition  même 
imparfaite.  Et  ce  ne  serait  peut-être  pas  un  paradoxe  de 
soutenir  que  c'est  seulement  par  le  droit  révolutionnaire 
que  ces  hautes  conceptions  morales  ont  vraiment  pénétré 
dans  le  droit  pénal  laïque. 

Si  les  principes  qui  ont  présidé  aux  grandes  réformes 


LE  DROIT  PÉNAL  CONTEMPORAIN  85 

des  lois  pénales,  lors  de  la  chute  de  la  monarchie  absolue, 
ont  ainsi  des  origines  très  anciennes,  les  doctrines  qui  ont 
exercé  leur  influence  sur  le  droit  postérieur  et  jusqu'au- 
jourd'hui, ne  sont  pas  moins  complexes.  A  aucune  autre 
époque,  les  deux  grandes  théories  qui,  depuis  l'antiquité, 
se  partagent  les  esprits,  sur  le  fondement  du  droit  social 
de  punir,  n'ont  été  plus  profondément  discutées,  critiquées, 
reprises  et  présentées  sous  des  cispects  différents.  L'une,  à 
laquelle  Kant  a  donné  sa  plus  complète  expression,  qui  fait 
reposer  le  châtiment  sur  le  seul  impératif  de  la  justice,  et 
assigne  à  la  peine  l'expiation  pour  but,  l'autre  qui,  avec 
Bentham  et  les  philosophes  positivistes,  justifie  la  répres- 
sion par  sa  nécessité  et  par  ses  fins  utilitaires. 

Mais  ce  ne  sont  pas,  semble-t-il,  ces  hautes  spéculations 
qui  ont  le  plus  contribué  à  la  formation  des  idées  qui 
dominent  la  mentalité  commune  de  notre  temps.  Pour  la 
saisir  dans  sa  complexité,  il  faut  tenir  compte  des  travaux 
sans  nombre,  qui,  dans  tous  les  pays,  ont  étudié  sous  les 
aspects  les  plus  divers,  le  problème  de  la  répression  : 
Livres,  brochures,  articles  de  revues  et  de  journaux,  dis- 
cours et  rapports  au  Parlement  et  dans  les  congrès,  réquisi- 
toires des  accusateurs  publics,  plaidoiries  des  défenseurs, 
leçons  dans  les  chaires  universitaires,  conférences  et  j'en 
omets.  Sous  toutes  ces  formes  et  par  tous  ces  moyens,  on 
a  agité  devant  l'opinion  publique  tous  les  problèmes  que 
soulèvent  la  marche  générale  de  la  criminalité,  le  crime  et 
ses  causes,  le  criminel  et  ses  passions,  ses  instincts,  sa 
psychologie,  la  peine  et  sa  nature,  son  efficacité,  ses  moyens 
d  exécution.  Bien  plus  !  la  littérature  d'imagination  s'en 
est  mêlée,  le  roman  et  le  théâtre  se  sont  plu  à  peindre  les 
amours  meurtriers  et  les  exploits  des  pires  scélérats.  Le 
romantisme,   avec   son    sentimentdisme    exaspéré,    qui   a 


86  LE  DROIT  PÉNAL 

excusé  la  passion  dans  tous  ses  excès,  et  entrepris  la  réha- 
bilitation du  vice  et  de  la  violence,  expliquent,  pour  une 
large  part,  bien  des  verdicts  et,  chose  plus  grave,  bien  des 
lois  inconsidérées. 

Ce  sont  toutes  ces  idées  générales,  qui  sans  souci  de 
logique,  se  sont  mêlées  et  confondues  pour  former  l'opi- 
nion populaire  contemporaine.  Ce  sont  elles  dont  s'inspire 
inconsciemment  et  comme  instinctivement  la  raison  pra- 
tique ;  elles  auxquelles  obéissent  les  législateurs  lorsqu'ils 
écrivent  leurs  décrets,  les  juges  criminels  lorsqu'ils  rendent 
leurs  sentences  ;  elles  qui  dominent  la  pensée  de  tous  ceux 
qui  collaborent  à  l'œuvre  de  la  justice  répressive  ou  qui 
s'y  intéressent.  Ceux-là  même  qui,  théoriquement,  préten- 
dent accepter  une  doctrine  rationnelle,  en  subissent  l'in- 
fîuence  et  ne  s'en  éloignent  guère  lorsqu'ils  agissent  sur  le 
terrain  des  faits. 

Au  commencement  du  XIX®  siècle,  les  éclectiques, 
appliquant  leur  méthode  philosophique  à  la  recherche  du 
fondement  du  droit  social  de  punir,  ont  cru  le  trouver 
dans  la  conciliation  des  deux  théories  de  la  justice  et  de 
l'utilité.  La  loi  pénale  ne  doit  punir  que  lorsque  l'intérêt 
de  la  société  l'exige  et  cette  peine  est  légitime  parce  qu'elle 
est  expiatrice.  Les  doctrines  de  cette  école  ont  été  contes- 
tées et  réfutées  ;  aucun  philosophe,  je  crois,  n'oserait  aujour- 
d'hui s'en  avouer.  Pourtant  elle  est  encore  admise  par  un 
grand  nombre  de  criminalistes,  et  elle  demeure,  dans 
le  vrai  sens  du  mot,  la  doctrine  classique.  Je  crois  en  avoir 
donné  la  raison  :  c'est  elle  qui  se  rapproche  le  plus  près 
de  concept  du  crime  et  de  la  peine  tel  qu'il  existe,  à  l'heure 
actuelle,  dans  la  conscience  commune  des  peuples  civi- 
lisés. 


LE  DROIT  PÉNAL  CONTEMPORAIN  87 

Ces  Idées  génércJes  dégagées,  on  comprendra  mieux, 
croyons-nous,  les  progrès  accomplis  par  le  droit  pénal 
depuis  la  Révolution,  et  les  traits  qui  le  distinguent  du 
droit  cintérieur. 

Avant  tout,  il  est  devenu  légal.  Ce  principe  essentiel  et 
fondamental  a  été  proclamé  par  la  Déclaration  des  droits 
de  l'homme  et  du  citoyen  de  1 789,  dont  on  ne  peut  se  dis- 
penser de  rapporter  ici  les  termes.  Article  5  :  «  La  loi  n'a 
le  droit  de  défendre  que  les  actions  nuisibles  à  la  société  ; 
tout  ce  qui  n'est  pas  défendu  par  la  loi  ne  peut  être  empêché, 
et  nul  ne  peut  être  contraint  de  faire  ce  qu'elle  n'ordonne 
pas.  »  —  Article  7  :  «  Nul  homme  ne  peut  être  accusé, 
arrêté,  ni  détenu,  que  dans  les  cas  déterminés  par  la  loi 
et  selon  les  formes  qu'elle  a  prescrites.  Ceux  qui  sollicitent, 
expédient  ou  exécutent  ou  font  exécuter  des  ordres  arbi- 
traires, doivent  être  punis,  mais  tout  citoyen  appelé  ou 
saisi  en  vertu  de  la  loi  doit  obéir  à  l'instant  ;  il  se  rend  cou- 
pable par  sa  résistance.  «  —  Article  8  :  «  La  loi  ne  peut 
établir  que  les  peines  strictement  et  évidemment  nécessaires 
et  nul  ne  peut  être  puni  qu'en  vertu  d'une  loi  établie  et 
promulguée  antérieurement  au  délit  et  légalement  appli- 
quée. » 

Ces  textes  débordent  le  droit  criminel,  et  établissaient 
les  règles  du  droit  public  d'un  peuple  qui  voulait  être 
libre.  A  l'arbitraire  ancien,  ils  substituaient  le  régime  de 
la  légalité.  Désormais,  c'est  à  la  loi  seule  qu'il  appartient 
de  définir  les  infractions  punissables,  d'en  dresser  la  liste 
limitative  et  de  fixer  la  peine.  Comme  elle  statue  d'avance 
sur  des  cas  généraux,  sans  connaître  ni  les  espèces  ni  les 
personnes,  elle  échappera  aux  entraînements  de  la  peis- 
sion  ;  comme  elle  est  applicable  à  tous,  même  à  ceux  qui 
la  font,  il  est  à  présumer  qu'elle  ne  sera  pas  oppressive. 


00  LE  DROIT  PENAL 

Ainsi,  on  peut  l'espérer  impartiale  et  juste  dans  la  mesure 
au  moins  où  une  œuvre  humaine  est  susceptible  de  l'être. 
En  déclarant  qu'aucune  peme  ne  peut  être  appliquée  sans 
loi,  on  transformait  ainsi  le  caractère  des  codes  criminels, 
et  ils  devenaient  du  même  coup  l'une  des  bases  les  plus 
fermes  et  les  plus  solides  de  la  liberté  civile.  Cette  con- 
ception nouvelle  des  lois  répressives  dressait  un  obstacle 
à  la  fois  contre  le  despotisme  et  contre  la  licence.  Le  des- 
pote a  besoin,  pour  exercer  son  autorité,  de  punir  arbi- 
trairement. Ainsi  seulement  il  contraindra  les  volontés 
rebelles  à  ses  ordres  et  qui  refusent  d'obéir  à  ses  comman- 
dements. La  conception  du  droit  pénal  légal itaire,  qui 
exige  l'intervention  du  pouvoir  législatif,  brise  entre  ses 
mains  cette  arme  redoutable,  ou  tout  au  moins  en  régularise 
l'usage  et  la  rend  moins  dangereuse.  Mais,  d'autre  part, 
on  ne  court  pas  le  risque  de  tomber  dans  l'anarchie  et  dans 
un  désordre  incompatible  avec  la  paix  publique,  car  la 
discipline  sociale  est  maintenue  et  garantie  par  des  lois 
écrites  qui  comportent  des  sanctions  efficaces.  Tout  ce 
qui  n'est  pas  défendu  est  permis  :  voilà  pour  la  liberté  ; 
mais  nul  ne  peut  faire  ce  que  la  loi  défend  sans  s'exposer 
à  subir  un  châtiment  :  voilà  la  garantie  de  l'ordre  social. 
Sub  lege  liber  tas. 

Ces  principes  ne  sont  pas  purement  théoriques  ;  ils 
pénètrent  au  contraire  le  droit  pénal  tout  entier,  et  com- 
portent de  nombreuses  conséquences  pratiques. 

La  première  s'impose  au  législateur  lui-même,  et  lui 
interdit  de  donner  à  aucune  disposition  pénale  un  effet 
rétroactif.  Pour  que  la  liberté  soit  vraiment  garantie  dans 
un  pays,  il  faut  qu'en  consultant  les  lois  en  vigueur,  le 
citoyen  y  trouve  une  réponse  définitive  sur  ce  qu'il  doit 
faire  ou  ne  pas  faire.  Il  ne  doit  pas  pouvoir  être  privé  de 


LE  DROIT  PÉNAL  CONTEMPORAIN  89 

ses  biens,  de  sa  liberté  et  de  sa  vie  pour  un  acte  qu'il  était 
autorisé  à  regarder  comme  au  moins  indifférent,  puisque 
la  loi  n'y  attachait  aucune  peine.  Dans  certains  pays  ce 
principe  de  la  non  rétroactivité  des  lois  est  consacré  par 
la  constitution  même,  et,  en  France,  une  constitution  au 
moins  l'a  reconnu.  Mais  les  lois  constitutionnelles  de  1875 
sont  muettes,  et  d'ailleurs  on  sait  que  le  pouvoir  judiciaire 
n'a  point  compétence  pour  apprécier  la  constitutionnalité 
des  lois.  Aussi  les  civilistes,  en  commentant  l'article  2 
du  Code  Civil,  répètent-ils  les  uns  après  les  autres,  que  le 
législateur  aurait  la  faculté  de  faire  des  textes  régissant 
expressément  le  passé  comme  l'avenir.  Ils  ajoutent  même 
que  de  semblables  exceptions  au  principe  peuvent,  dans 
certains  cas,  être  nécessaires.  Cette  doctrine,  à  condition 
de  l'entendre  prudemment,  peut  être  admise  lorsqu'il 
s'agit  de  dispositions  de  droit  privé.  Mais  elle  est  inaccep- 
table en  ce  qui  concerne  les  lois  pénales.  Aucune  raison 
d'Etat,  aucune  circonstemce  exceptionnelle,  ne  saurait 
justifier,  ni  excuser,  la  violation  d'une  règle  aussi  essen- 
tielle de  notre  droit  public  moderne.  Les  régimes  auto- 
ritaires, les  gouvernements  les  plus  réactionnaires  qui  ont 
régi  la  France  au  XIX®  siècle,  n'ont  point  osé  commettre 
un  pareil  attentat  contre  les  libertés  publiques,  et,  depuis 
la  Révolution,  on  ne  connaît  aucun  exemple  de  loi  péneJe 
rétroactive.  Ainsi  ce  principe  doit-il  être  considéré  comme 
faisant  partie  de  ce  droit  constitutionnel  coutumier,  res- 
pecté de  tous,  et  qui  s'impose  par  la  force  de  l'équité  et 
de  la  raison  autant  que  par  la  puissance  des  traditions  libé- 
rales déjà  plus  que  séculaires  dans  notre  pays.  Nos  vieux 
légistes  appelaient  de  pareils  principes  une  lex  sacrosancta 
quœ  reges  ipsos  adstringit. 
Le  principe  de  la  légalité  du  droit  pénal  ne  limite  pas 


90  LE  DROIT  PÉNAL 

seulement  le  pouvoir  législatif  qui  ne  peut  statuer  que 
pour  l'avenir,  il  interdit  encore  aux  pouvoirs  exécutif  et 
administratif  toute  immixtion  dans  l'œuvre  de  la  répression. 
Ainsi  les  lettres  de  cachet  sont  abolies  et  les  prisons  d'État 
détruites.  La  prise  de  la  Bastille  fut  la  victoire  symbolique 
de  cette  conquête  libérale,  la  conscience  française  ne  s'y 
est  jamais  trompée.  Sans  doute.  Napoléon  I^""  chercha  à 
rétablir  ces  institutions  en  les  déguisant  sous  une  forme 
nouvelle.  Plus  tard,  on  transporta  en  masse  les  insurgés 
de  juin,  et  Napoléon  III  fît  les  décrets  de  sûreté  générale, 
établit  les  commissions  mixtes,  et  ordonna  à  son  tour  des 
transportatlons  et  des  bannissements  sans  jugement.  Mais, 
en  définitive,  ces  tentatives  réactionnaires  ont  échoué  ; 
elles  ont  seulement  montré  le  péril  qu'elles  faisaient  courir 
aux  libertés  publiques. 

Ce  n'est  pas  tout.  Le  pouvoir  exécutif  et  le  pouvoir 
administratif  n'ont  pas  seulement  perdu  le  droit  de  punir 
eux-mêmes  et  arbitrairement,  mais  encore  celui  d'incri- 
miner, c  est-à-dlre  de  munir  leurs  commandements  d'une 
sanction  répressive.  La  violation  des  règlements  adminis- 
tratifs est,  il  est  vrai,  punissable,  mais  ce  n'est  qu'en  vertu 
d'une  délégation  formelle  du  législateur  et  la  peine  elle- 
même  est  toujours  établie  et  fixée  par  la  loi.  Sans  doute 
le  pouvoir  exécutif  et  le  pouvoir  législatif  se  sont  quelque- 
fois trouvés  confondus  au  cours  du  XIX®  siècle.  Napoléon  I®' 
et  Marie-Louise  ont  fait  des  décrets  qui,  par  le  jeu  des  textes 
des  constitutions  impériales,  avalent  force  de  loi.  Quelques- 
uns  ont  établi  des  délits  et  fixés  des  peines  et  sont  encore 
aujourd'hui  en  vigueur.  Cette  exception  aux  principes 
s'explique  par  les  tendances  réactionnaires  des  institutions 
que  Napoléon  avait  Imposées  à  la  France.  On  trouverait 
aussi  des  dispositions  concernant  le  droit  criminel  parmi 


LE  DROIT  PÉNAL  CONTEMPORAIN  91 

les  décrets  —  lois  du  gouvernement  provisoire  de  1848, 
du  gouvernement  de  la  défense  nationale  de  1871,  et  du 
gouvernement  dictatorial  issu  du  Coup  d'Etat  de  1851. 
On  était  alors  en  pleine  Révolution.  D'ailleurs  la  Restau- 
ration a  échoué  dans  une  entreprise  semblable  et  les  jour- 
nées de  juillet  furent  provoquées  par  les  Ordonnances  de 
Charles  X.  Au  contraire,  le  principe  de  la  légeJité  a  été 
respecté  pendant  toute  la  guerre  de  1914.  Le  gouvernement 
républicain  n'a  péis  cru  nécessaire  de  le  violer  sous  prétexte 
de  raison  d'Etat  ;  il  n'a  point  cédé  aux  suggestions  de  ceux 
pour  qui  l'énergie  d'un  pouvoir  fort  ne  se  conçoit  pas  sans 
la  violation  de  la  loi.  Ainsi  l'expérience  a  démontré  que  les 
nécessités  de  la  répression  dans  les  conjonctures  les  plus 
tragiques  et  les  plus  exceptionnelles,  à  l'heure  même  où 
la  patrie  était  en  danger,  n'étaient  point  incompatibles 
avec  les  garanties  de  la  liberté  civile. 

Enfin,  et  toujours  comme  conséquence  des  mêmes  prin- 
cipes, les  limites  du  pouvoir  judiciaire  se  sont  trouvées  tra- 
cées. En  Angleterre,  on  a  cherché  la  protection  de  la  liberté 
individuelle  dans  l'intervention  de  la  magistrature.  On  a  cru 
que,  pour  la  garantir,  il  suffisait  qu'aucun  citoyen  ne  put 
être  puni  ou  emprisonné  sans  ordre  du  juge,  tout  en  lais- 
sant d  ailleurs  à  ce  magistrat  un  large  pouvoir  pour  détermi- 
ner, dans  les  ténèbres  du  droit  coutumier  et  de  la  jurispru- 
dence, et  les  faits  punissables,  et  les  peines.  UHabeas  Corpus 
a  toujours  paru  aux  Anglais  la  clef  de  voûte  des  institutions 
libérales.  Les  hommes  de  89  ont  poussé  plus  loin,  chez 
nous,  la  séparation  des  pouvoirs.  Ils  ont  pensé  que  l'arbi- 
traire était  dangereux,  même  chez  les  juges,  qu'ils  sont  fail- 
libles et  qu'ils  ont  des  passions,  puisqu'ils  sont  hommes, 
et  qu'on  devait  les  soumettre  eux-mêmes  à  l'autorité  de  la 
loi.  Ils  doivent  l'appliquer,  mais  n'ont  jamais  le  droit  de 


92  LE  DROIT  PÉNAL 

la  {aire.  En  conséquence,  on  leur  a  interdit  de  publier  aucun 
règlement  et  leur  compétence  est  limitée  au  jugement  des 
affaires  contentieuses  qui  leur  sont  soumises.  En  droit 
criminel,  si  la  loi  est  muette,  ils  doivent  se  garder  de  la 
compléter,  ils  ne  peuvent  que  refuser  de  punir.  D'où  il 
suit  encore  qu'ils  sont  tenus  d'interpréter  les  textes  stric- 
tement :  ils  ne  sauraient  faire  indirectement  et  sournoise- 
ment ce  qu'il  leur  est  interdit  de  faire  franchement  et 
ouvertement,  et  ils  manqueraient  à  leur  premier  devoir 
s'ils  appliquaient  un  texte  en  en  élargissant  les  termes, 
et  en  le  détournant  de  sa  véritable  signification.  Il  vaut  mieux 
laisser  eJler  un  homme  qui  paraît  coupable,  et  qu'il  serait 
peut-être  utile  et  juste  de  punir,  que  de  porter  atteinte  au 
principe  supérieur  du  caractère  légal  du  droit  pénal. 

Cependant,  dans  l'application  de  ce  prmcipe,  les  lois 
révolutionnaires  avaient  dépeissé  la  mesure.  Le  Code  des 
Crimes  admettait  le  système  des  peines  fixes  :  le  juge, 
après  avoir  constaté  l'existence  de  l'infraction,  n'avait 
qu'à  appliquer  le  châtiment  déterminé  par  le  texte  légal. 
Seul  le  code  correctionnel  se  relâchait  de  cette  rigueur 
et  laissait  quelque  latitude  au  juge.  Le  législateur  avait 
cru  que  telle  devait  être  la  conséquence  de  la  légalité  des 
peines. 

Ainsi,  sans  doute,  nul  arbitraire  n'était  à  redouter.  Mais 
dès  que  ce  système  fut  mis  en  application,  on  s'aperçut 
qu'il  se  heurtait  à  la  nature  des  choses,  comme  aux  senti- 
ments les  plus  élémentaires  de  justice.  11  admettait  comme 
un  axiome  que  tout  homme,  non  aliéné,  a  une  responsa- 
bilité égale.  Or  nous  dirons  que  cette  opinion  théorique 
a  cessé  d'être  la  foi  de  la  conscience  publique.  Elle  prétend, 
au  contraire,  mesurer  la  peine  sur  le  degré  de  responsa- 
bilité, variable  selon  les  individus.  Même  objectivement  et 


LE  DROIT  PÉNAL  CONTEMPORAIN  93 

en  se  plaçant  au  point  de  vue  purement  utilitaire,  les  crimes 
doivent  être  punis  plus  ou  moins  sévèrement,  selon  les 
circonstcinces  qui  les  accompagnent  et  que  la  loi  est  impuis- 
sante à  prévoir  d'avance,  parce  qu'elles  changent  selon 
l'infinie  diversité  des  espèces.  Enfin,  l'amendement  du 
coupable  n'exige  pas  toujours  le  même  traitement,  et  on 
peut  espérer  corriger  tel  voleur  avec  quelques  jours  d'em- 
prisonnement, alors  que  tel  autre,  coupable  d'un  délit 
semblable,  ne  semblera  pouvoir  être  intimidé  que  par 
de  longs  mois  de  détention. 

Le  XIX®  siècle  a  corrigé  ces  erreurs.  Déjà  le  Code  de  1810 
fixait  pour  toutes  les  peines  temporaires  un  meiximum  et 
un  minimum,  entre  lesquels  le  juge  pouvait  se  mouvoir. 
Il  n'avait  conservé  les  peines  fixes  que  pour  les  peines  per- 
pétuelles. Mais  ce  système  était  encore  beaucoup  trop  rigide. 
On  ne  fait  pas  impunément  violence  à  la  conscience  des 
juges  et  des  jurés.  En  les  mettant  dans  l'alternative,  ou  de 
prononcer  une  peine  qui  leur  semblait  dépasser  la  mesure 
et  qui  répugnait  à  leur  esprit  de  justice,  ou  d'acquitter  le 
coupable,  on  s'exposait  à  leur  voir  choisir  le  dernier  parti. 
Ainsi  se  vérifiait  une  fois  de  plus  ce  principe  que  l'exagé- 
ration des  peines  légales  conduit  en  réalité  à  l'énervement 
de  la  répression  parce  qu'on  ne  les  applique  plus.  Ainsi 
les  lois  de  1824  et  de  1832  ont-elles  permis,  en  organisant 
le  système  des  circonstances  atténuantes,  d'abaisser  toutes 
les  peines,  de  changer  la  peine  de  mort  en  peine  privative 
de  la  liberté,  les  peines  perpétuelles  en  peines  temporaires, 
et  les  peines  criminelles  les  moins  sévères  en  peines  correc- 
tionnelles. Pour  les  délits,  on  est  même  allé  plus  loin,  et, 
en  fixant  le  minimum  à  1  franc  d'amende,  on  l'a  pratique- 
ment supprimé.  Ainsi  s'est  formée  une  théorie  juridique, 
qu'on  a  pu  qualifier  d'arbitraire  juridique,  et  qui  concilie 


94  LE  DROIT  PÉNAL 

le  principe  de  la  légalité  des  peines  avec  le  pouvoir  qui 
ne  peut  être  refusé  au  juge  dans  leur  application  judi- 
ciaire. 

Mais  il  faut  se  garder  de  l'exagérer  à  son  tour,  et,  sous 
prétexte  d'individualisation  de  la  peine,  de  revenir  par  des 
chemins  détournés  aux  anciens  abus.  Il  est  incontestable 
que  la  tendance  actuelle  est  vers  l'accroissement  des  pou- 
voirs du  juge.  On  réclame  la  suppression  de  tout  minimum, 
et  certains  codes  étrangers  ont  franchi  ce  dernier  pas.  On 
veut  que  le  jury  soit  «  maître  de  la  peine  ».  Il  ne  faut  pcis 
oublier  que  si  le  meiximum  —  dont  personne  ne  demande 
l'abolition  —  protège  l'intérêt  des  accusés,  le  minimum 
est  nécessciire  pour  garantir  l'intérêt  de  la  société.  L'expé- 
rience apprend  que  le  jury  cède  facilement  à  l'indulgence, 
et  que  l'habitude  de  juger,  chez  le  magistrat  professionnel, 
conduit  à  l'abaissement  progressif  des  peines  ;  l'abus  des 
courtes  peines,  dont  le  mal  est  certain,  n'a  pas  d'autre 
cause.  Pour  obtenir  l'application  de  la  loi  sur  la  relégation, 
le  législateur  a  dû  revenir  à  la  peine  fixe.  Le  minimum, 
conséquence  logique  du  système  de  la  peine  légale,  est 
nécessaire  pour  maintenir  la  fermeté  de  la  répression. 

Nous  venons  de  montrer  toute  l'importance  du  principe 
de  la  légalité  du  droit  criminel,  reconnu  par  la  Déclaration 
des  droits.  Mais  elle  introduisait  encore  d'autres  réformes 
et  proclamait  que  :  «  La  loi  est  égale  pour  tous,  soit  qu'elle 
protège,  soit  qu'elle  punisse  »  et  que  «  tous  les  citoyens 
sont  égaux  à  ses  yeux  ».  Ce  principe  qui  domine  le  droit 
public  moderne  de  tous  les  peuples,  dont  les  conséquences 
s'étendent  sur  l'ensemble  du  droit  privé  et  du  droit  fiscal, 
signifie,  en  droit  pénal,  que  tous  sont  soumis  aux  mêmes 
obligations  légales,  sous  les  mêmes  sanctions,  qu'ils  seront 
jugés  par  les  mêmes  juges  et  dans  les  mêmes  formes. 


LE  DROIT  PÉNAL  CONTEMPORAIN  95 

Certes  !  il  est  facile  de  montrer  que  cette  égalité  n'est  pas 
absolue.  Dans  une  société  qui  reconnaît  la  propriété  indi- 
viduelle et  par  conséquent  une  inégalité  économique,  les 
peines  pécuniaires  sont  plus  sensibles  aux  pauvres  qu'aux 
riches.  Mais  à  l'inverse  combien  d'autres  peines  sont  plus 
dures  pour  ces  derniers.  La  plupart  des  peines  privatives 
de  droits  laisseront  fort  indifférents  les  délmquants  profes- 
sionnels ;  l'interdiction  légale  touchera  peu  un  vagabond 
ou  un  mendiant.  Les  peines  qui  procèdent  par  voie  d'humi- 
liation seront  d'autant  plus  rigoureuses  qu'elles  s'appli- 
queront à  une  personne  jouissant  d'une  plus  haute  consi- 
dération sociale.  Même,  les  peines  privatives  de  liberté 
seront  plus  pénibles  aux  uns  qu'aux  autres,  selon  leurs 
îintécédents,  leur  situation  mondmne,  leur  tempérament 
et  jusqu'à  leur  humeur.  Tout  compte  fait,  c'est  aux  plus 
fortunés  que,  bien  souvent,  les  peines  seront  les  plus  sévères. 
Aucune  révolution  ne  fera  jamais  que  les  hommes  sentent, 
de  la  même  façon,  les  mêmes  maux,  et  souffrent,  de  la  même 
manière,  d'un  traitement  semblable.  Mais  parce  que  l'égalité 
absolue  est  inaccessible,  il  n'en  reste  péis  moins  que  l'égalité 
des  hommes  devant  la  loi  a  fait  disparaître  une  des  plus 
criantes  iniquités  de  l'ancien  droit,  et  qu'elle  constitue 
un  progrès  dont  il  est  impossible  de  méconnaître  l'impor- 
tance. 

La  liberté  de  conscience  n'est  pas  une  moindre  conquête 
de  la  Révolution.  L'Etat  moderne  a  abdiqué  toute  préten- 
tion de  résoudre  les  controverses  métaphysiques  ou  théolo- 
giques et  d'imposer  une  foi  par.  des  supplices  et  par  des 
peines.  Ainsi  ont  disparu  de  nos  lois  non  seulement  des 
délits  imaginaires,  comme  la  magie  et  la  sorcellerie,  mais 
encore  les  crimes  d'apostasie,  d'hérésie  et  de  schisme. 
Pourtant  l'esprit  sectaire  a  eu  des  retours  offensifs,  La 


%  LE  DROIT  PÉNAL 

Restauration  a  fait  la  loi  du  Sacrilège,  abrogée  aussitôt 
après  la  Révolution  de  Juillet,  et  la  loi  du  dimanche  qui 
a  disparu  à  la  fin  du  XIX^  siècle.  Peut-être  pourrait-on 
considérer,  comme  entachée  du  même  vice,  la  loi  qui  soumet 
actuellement  les  congrégations  religieuses  à  un  régime  spé- 
cial. Si  on  pense  que  les  associations  menacent  la  paix 
publique  et  que  l'Etat  a  le  droit  et  le  devoir  de  les  sou- 
mettre à  une  active  surveillance,  ou  même  dans  certains 
cas  de  les  interdire,  il  semble  que  toutes  au  moins,  même 
celles  qui  ont  un  caractère  religieux,  devraient  être  soumises 
au  droit  commun.  Mais  au  fond,  et  à  y  bien  regarder, 
toutes  ces  lois  ont  eu  des  buts  plutôt  politiques  que  reli- 
gieux. A  l'étranger,  au  contraire,  certains  codes  ont  main- 
tenu de  véritables  crimes  religieux  et,  en  Angleterre, 
les  vieilles  lois  protectrices  de  l'Eglise  établie  ne  sont  pas 
encore  toutes  abrogées.  Mais  n'est-il  pas  vrai,  que  le  progrès 
consiste  à  bannir  du  droit  criminel  tous  les  délits  inspirés 
par  cet  esprit  d'intolérance  ? 

Bien  que  nous  ne  traitions  ici  que  de  l'évolution  du  droit 
pénal,  il  est  impossible,  enfin,  de  ne  pas  mentionner  les 
grandes  réformes  que  la  Révolution  a  introduites  dans 
l'instruction  criminelle.  Elle  l'a  rendue  publique  et  contra- 
dictoire :  l'accusé  est  réputé  innocent  tant  qu'il  n'a  pas  été 
reconnu  coupable,  la  liberté  de  sa  défense  est  assurée, 
il  ne  prête  plus  serment,  il  peut  se  faire  assister  d'un  avocat, 
il  contrôle  les  preuves,  et  le  jugement  des  crimes  est  déféré 
au  jury.  Ces  règles  avaient  été  élaborées  en  Angleterre, 
et  elles  forment  les  assises  solides  de  toute  procédure 
libérale,  ou,  pour  mieux  dire,  de  toute  procédure  ration- 
nelle et  humaine.  Cependant  des  résistances  opiniâtres 
se  sont  affirmées  dans  ce  domaine  plus  qu'en  aucun  autre. 
Notre  code  d'Instruction  criminelle,  même  après  les  timides 


LE  DROIT  PÉNAL  CONTEMPORAIN  97 

retouches  qu'il  a  subies,  en  porte  les  traces  visibles,  et, 
à  l'étranger,  ces  principes  ont  été  souvent  méconnus. 
Cependant,  il  est  facile  de  voir  que  les  peuples  libéraux 
tendent  aujourd'hui  à  y  revenir.  C'est  dans  une  meilleure 
organisation  de  la  police  judiciaire  qu'ils  cherchent  main- 
tenant les  moyens  plus  efficaces  pour  découvrir  les  mcJ- 
faiteurs  et  pour  les  convaincre,  et  d'autre  part,  les  garan- 
ties auxquelles  la  société  ne  saurait  renoncer  sans  péril. 

L'œuvre  de  la  Révolution  a  été  violemment  contestée. 
La  déclaration  des  droits  de  l'homme  a  été  critiquée,  tournée 
en  dérision,  et  une  intelligence,  pourtant  très  ouverte, 
ne  lui  reconnaissait  naguère  qu'une  «  valeur  historique  ». 
De  nos  jours,  en  matière  économique,  notamment  en  ce 
qui  concerne  le  droit  de  propriété,  les  impôts,  la  liberté 
du  travail,  et  le  droit  des  associations,  les  principes  de  89 
ont  reçu  de  cruelles  atteintes  et  on  est  revenu  aux  concepts 
fondamentaux  de  l'ancienne  France.  Mais  en  droit  criminel, 
les  réformes  de  la  Révolution  demeurent  inattaquables,  et 
paraissent  devoir  rester  définitives.  On  n'en  veut  pour 
preuve  que  l'approbation  qu'elles  ont  trouvée  et  trouvent 
encore  dans  la  conscience  universelle  des  peuples  civilisés. 
Les  règles  que  nous  venons  de  dégager,  et  qu'elle  a  fait 
pénétrer  dans  le  droit  positif,  sont  aujourd'hui  bien  banaJes. 
C'est  qu'on  oublie  facilement  la  valeur  d'un  bien  dont  on 
jouit  paisiblement.  Il  ne  faut  pcis  méconnaître  pourtant 
les  grands  progrès  qu'elles  ont  réalisés,  ni  perdre  de  vue 
que  les  abus  qu'elles  ont  corrigés,  reparaîtraient  infailli- 
blement si  elles  tombaient  en  désuétude.  On  peut  affirmer 
que  toutes  les  fois  qu'on  s'en  est  éloigné,  on  a  fait  une 
œuvre  contestable,  et,  qu'en  s'y  conformant,  on  a  toujours 
marché  dans  la  voie  droite. 

7.  GARÇON. 


98  LE  DROIT  PÉNAL 

Le  droit  criminel  moderne  se  différencie  encore  pro- 
fondément du  droit  antérieur  par  son  système  général  des 
peines.  Ici  encore,  la  Révolution  a  introduit  dans  nos  lois 
des  réformes  que  l'avenir  devait  seulement  développer. 
Mais  ce  problème  fondamental  a  suscité  un  mouvement 
considérable  d'idées  et  d'mnovations  pratiques,  qui  s'est 
poursuivi  pendant  tout  le  cours  du  Xix®  siècle,  et  qui 
caractérise,  peut-être  mieux  que  tout  le  reste,  les  tendances 
de  l'esprit  moderne  dans  le  domaine  de  la  répression. 

Dès  le  XVIII^  siècle,  les  libres  esprits  avaient  préparé 
cette  réforme,  en  dénonçant  l'horreur  des  anciens  châti- 
ments, et  en  montrant  leur  inefficacité.  Beccaria,  Mon- 
tesquieu, Brissot  de  Warwille,  Servan,  Mirabeau  et  jusqu'à 
Robespierre  avaient  élaboré  les  théories  nouvelles  que 
Lepelletier  Saint-Fargeau  exposa  dans  son  mémorable 
rapport  à  l'Assemblée  Constituante,  véritable  préface  du 
code  de  1791.  L'Anglais  John  Howard  visitant  toutes  les 
prisons  de  l'Europe,  montrait,  dans  un  livre  qui  eut  un 
immense  retentissement,  leur  Ijmnentable  état,  et  convain- 
quait l'opinion  publique  de  la  nécessité  de  leur  complète 
réformation.  Presqu'à  la  même  époque,  Bentham  publiait 
son  Panopticum.  En  France,  ces  études  favorisées  par  la 
Restauration,  brillèrent  d'un  vif  éclat  sous  le  gouvernement 
de  Juillet  et  dans  les  premières  années  de  la  troisième 
République  avec  les  Beaumont,  les  Tocqueville,  les  Luccis, 
les  Léon  Faucher,  les  deux  Bérenger,  les  d'Haussonville, 
les  Voisin,  les  Desportes.  En  Belgique,  Ducpéciaux  et 
Stéven  ont  publié  des  ouvrages  qui  sont  restés  classiques, 
et  le  prince  Oscar  de  Suède  s'intéressait,  jusque  sur  le 
trône,  à  la  réforme  des  prisons.  Des  congrès  pénitentiaires 
où  siégeaient,  à  côté  les  uns  des  autres,  les  représentants 
officiels  des  gouvernements  et  ceux  de  la  science  libre. 


LE  DROIT  PÉNAL  CONTEMPORAIN  99 

ont  tenu  jusqu'à  la  guerre  de  1914  leurs  sessions  quiquen- 
nales  dans  toutes  les  capiteJes  de  l'Europe  et  jusqu'aux 
États-Unis.  Ainsi,  par  un  immense  travail,  auquel  ont 
collaboré  toutes  les  nations,  s'est  formée  la  science  péni- 
tentiaire, véritable  science  sociale,  qui  s'est  peu  à  peu 
séparée  du  droit  pénîJ  considéré  comme  pure  science 
juridique. 

L'une  des  plus  importantes  conséquences  de  ces  idées 
nouvelles  a  été  l'abolition  des  peines  corporelles,  des 
mutilations,  des  verges  et  du  fouet.  Il  est  superflu  de  rap- 
peler les  critiques  qu'elles  avaient  provoquées,  et  les  raisons 
de  leur  suppression  :  elles  sont  bien  connues.  Une  expé- 
rience séculaire  a  prouvé  qu'elles  ne  corrigeaient  guère 
les  malfaiteurs,  et  le  Knout  n'a  jamais  réussi  à  assurer  la 
paix  soci2Je.  Mais  serait-il  vrai  qu'elles  fussent  intimi- 
dantes, l'efficacité  d'une  peine,  nous  l'avons  dit,  ne  suffit 
pas  pour  la  justifier.  Une  société  civilisée  a  d'autres  moyens 
pour  se  défendre,  que  de  donner  l'exemple  de  la  violence 
et  de  la  brutalité.  En  France,  au  moins,  cette  cause  est 
souverainement  et  définitivement  jugée. 

11  faut  en  dire  autant  de  ces  peines  d'humiliation  que  la 
Révolution  avait  conservées  et  qui  ont  disparu  comme  la 
marque  et  le  carcan  en  1832,  l'exposition  publique  en  1848. 
Elles  affirmaient  énergiquement  la  réprobation  publique 
qui  s'attache  au  crime,  et  on  ne  peut  leur  refuser  une  force 
psychologique.  Mais  elles  avaient  pour  effet  de  rendre 
extrêmement  difficile  l'amendement  du  coupable,  et  sou- 
vent de  l'endurcir  dans  le  crime.  D'ailleurs  l'exposition 
tournait  souvent  en  sccmdale  et  son  effet  était,  ainsi,  pré- 
cisément contraire  au  but  qu'on  se  proposait  d'atteindre. 

Nous  n'avons  pas  non  plus  à  discuter  ici  la  question 
de  la  légitimité  de  la  peine  de  mort.  Chacun  au  surplus  a 


100  LE  DROIT  PÉNAL 

son  opinion  faite,  et  d'autant  plus  fermement  qu'elle  se 
fonde  d'ordmaire  beaucoup  plus  sur  des  sentiments  que 
sur  des  raisons.  Mais  l'histoire  de  cette  peine  est  pleine 
d'enseignements. 

Cette  controverse  est  très  vieille  et  remonte  à  l'antiquité. 
Elle  fut  agitée  au  XVl^  siècle  par  les  théologiens  catholiques 
et  protestants  ;  mais  c'est  surtout  au  XVIII^  que  les  philo- 
sophes la  discutèrent  pour  la  résoudre  d'ailleurs  dans  les 
sens  les  plus  opposés.  Les  opinions  étaient  fort  divisées, 
lorsqu'éclata  la  Révolution  française,  A  la  tribune  de  la 
Constituante,  dans  un  débat  mémorable,  la  thèse  de  l'abo- 
lition fut  soutenue  par  Lepelletier  Sain t- Far geau,  Duport, 
Pétion  et  Robespierre  ;  mais  l'Assemblée  ne  les  suivit  pcis 
et  la  peine  de  mort  fut  maintenue.  Il  semble,  toutefois, 
que  dans  la  pensée  des  constituants,  la  suppression  devait 
être  seulement  différée  jusqu'à  l'époque  où  les  prisons 
auraient  été  réorganisées. 

L'esprit  humain  est  plein  de  contradictions.  Ce  fut  la 
Convention  qui,  dans  les  derniers  jours  de  son  existence, 
comme  effrayée  du  sang  qu'elle  avait  versé,  vota  l'abolition, 
mais  en  reportant  la  mise  à  exécution  de  cette  loi  au  jour 
de  la  paix  générale.  Bonaparte  l'abrogea  la  veille  du  jour 
où  cette  paix  fut  signée  à  Amiens.  Après  la  Révolution 
de  1 830,  la  suppression  de  la  peine  de  mort  fut  de  nouveau 
votée  par  la  Chambre  des  Députés.  Les  libéraux  arrivés 
au  pouvoir  ne  voulaient  pas  envoyer  à  l'échafaud  les  ministres 
de  Charles  X.  Mais  la  Chambre  des  Pairs  refusa  d'accepter 
ce  projet,  qui  étendait  la  suppression  à  tous  les  crimes, 
même  ceux  de  droit  commun,  et  elle  sauva  la  tête  des  mi- 
nistres par  une  autre  voie,  en  se  reconnaissant,  comme 
Cour  de  Justice,  le  droit  de  fixer  arbitrairement  la  peine. 
Depuis  cette  époque,  la  suppression  de  la  peine  capitede 


LE  DROIT  PÉNAL  CONTEMPORAIN  101 

a  fait  l'objefde  nombreuses  discussions  devant  les  Chambres 
françaises,  mais  elle  a  toujours  été  repoussée.  On  peut 
constater  seulement,  qu'à  la  fin  du  second  Empire,  la  majo- 
rité était  devenue  faible,  et  les  abolitionmstes  purent  croire 
leur  victoire  prochaine.  Mais  les  discussions  postérieures 
ont  montré  que  leur  cause  avait  perdu  du  terrain  et,  en 
1908,  c'est  sous  la  pression  de  l'opinion  publique  et  d'une 
violente  campagne  de  presse,  que  la  Chambre  des  Députés 
rejeta  un  nouveau  projet  déposé  par  le  Gouvernement, 
et  approuvé  d'abord  par  la  commission,  qui  tendait  à  sup- 
primer le  châtiment  suprême. 

Cependant  cette  même  opinion  publique  a  au  contraire 
approuvé,  et  souvent  inspiré  ou  imposé,  les  changements 
qui,  au  cours  du  XIX®  siècle,  ont  profondément  modifié 
cette  peine,  et  ont  rendu  son  exécution  de  plus  en  plus  rare. 
Tout  d'abord,  la  Révolution  a  aboli  tous  les  supplices  et 
déclaré  qu'elle  ne  constituerait  plus  que  la  simple  privation 
de  la  vie.  Elle  s'exécute  par  la  décapitation  —  ancienne  peine 
des  nobles  —  au  moyen  d'une  machine  qui  tue  sans  souf- 
france et  avec  sûreté.  La  corde,  le  feu  et  la  roue  ont  disparu. 
En  1832,  on  a  supprimé  la  mutilation  du  poing  que  le  code 
avait  conservée  pour  les  parricides.  L'exécution  qui  se  fît 
longtemps  sur  un  échafaud,  élevé  au  milieu  d'une  place 
publique,  à  midi,  a  lieu  maintenant  au  petit  jour  dans  une 
voie  publique  rendue  déserte.  On  demande  même  qu'à 
l'exemple  de  ce  qui  se  fait  à  l'étranger,  le  bourreau  accom- 
plisse son  œuvre  dans  l'intérieur  de  la  prison. 

D  autre  part,  les  crimes  que  la  loi  punit  de  mort  sont 
devenus  de  moins  en  moins  nombreux.  On  a  rayé  de  cette 
funèbre  liste  tous  les  crimes  politiques.  En  fait  cette  sup- 
pression date  de  1830,  le  roi  Louis-Philippe  ayant  gracié 
tous  les  criminels  politiques,  condamnés  à  mort  sous  son 


102  LE  DROIT  PÉNAL 

règne  ;  en  droit  elle  a  été  légalement  proncticée  par  la 
Constitution  de  1848.  Pour  les  crimes  de  droit  commun, 
on  l'a  effacée  dans  un  très  grand  nombre  de  cas,  par  exemple, 
pour  la  fausse  monnaie,  le  vol,  l'incendie,  l'infanticide 
commis  par  la  mère.  Aujourd'hui,  le  code  la  réserve  exclu- 
sivement aux  attentats  contre  la  vie  humaine,  et,  pratique- 
ment, on  ne  la  prononce  plus  que  pour  l'assassmat  et  le 
parricide  consommés.  Ce  n'est  pas  tout  :  depuis  1832,  le 
jury,  a  toujours  la  faculté  d'écarter  le  châtiment  suprême 
en  accordant  aux  coupables  le  bénéfice  des  circonstances 
atténuantes,  et  il  en  use  largement  même  au  profit  des 
pires  scélérats.  Enfin  ceux  qui  ont  la  mauvaise  fortune 
d'être  condamnés  à  mort  ont  encore  de  grandes  chances 
d'obtenir  une  commutation  de  peine,  souvent  sollicitée 
par  le  jury  et  conseillée  par  les  magistrats  qui  ont  requis 
la  condamnation.  Ainsi,  du  consentement  de  tous,  les 
exécutions  sont  devenues  de  moins  en  moins  nombreuses 
et  ne  se  chiffrent  que  par  de  rares  unités. 

Or,  ce  mouvement  ne  s'observe  pas  seulement  en  France, 
il  est  universel.  Ailleurs  on  a  même  été  plus  loin  que  chez 
nous.  Dans  plusieurs  pays,  on  a  laissé  subsister  la  peine 
de  mort  dans  les  lois,  mais  les  souverains  font  grâce  systé- 
matiquement à  tous  les  condamnés.  Pour  ne  citer  qu  un 
exemple,  en  Belgique,  dont  la  criminalité  est  semblable 
à  celle  de  nos  départements  du  Nord,  les  Rois  n'ont  permis 
aucune  exécution  depuis  1863  jusqu'en  1914.  D  autres 
pays  enfin  ont  supprimé  le  châtiment  capital.  On  peut 
citer  notamment  la  Roumanie  en  1864,  le  Portugal  en  1866, 
la  Hollande  en  1870,  l'Italie  en  1891.  Une  loi  fédérale 
l'avait  aussi  abolie  en  Suisse  en  1 874  ;  mais  une  violente 
campagne  menée  par  le  parti  des  libertés  cantonales  a  fait 
abroger  cette  loi  en  1879.  Quelques  cantons  ont  en  effet 


LE  DROIT  PÉNAL  CONTEMPORAIN  103 

rétabli  la  peine  de  mort,  mais  les  exécutions  ont  été  extrê- 
mement rares.  En  Allemagne,  avant  la  Constitution  de 
l'empire,  cette  peine  avait  été  également  supprimée  dans 
quelques  Etats,  et  elle  l'aurait  peut-être  été  par  le  code 
fédéral,  sans  l'intervention  personnelle  de  Bismarck.  Con- 
vient-il d'ajouter  que  le  châtiment  capital  était  aboli  en 
Russie  depuis  la  grande  Catherine,  pour  les  crimes  de  droit 
commun  et  conservé  seulement  pour  les  crimes  politiques. 
Les  auteurs  du  dernier  code  impérial  avaient  même  décidé 
que  la  suppression  totale  serait  soumise  au  Tzar.  Mais 
on  ne  saurait  affirmer  que  ces  lois  aient  été  scrupuleuse- 
ment observées  et,  en  tous  cas,  le  Knout  a  subsisté  pendant 
tout  le  XIX®  siècle.  A  l'heure  où  nous  écrivons,  il  ne  paraît 
pas  que  le  gouvernement  des  Soviets  ait  versé  dans  les 
théories   humanitaires   et   sentimentales. 

De  tous  ces  faits  se  dégage  une  tendance  manifeste  de 
toutes  les  législations  civilisées  vers  l'abolition.  Ceux  qui 
en  sont  partisans  invoquent  aujourd'hui  des  raisons  expé- 
rimentales. Les  crimes  politiques  ne  sont  pas  devenus 
plus  fréquents,  au  contraire,  depuis  qu'ils  ont  cessé  d'être 
punis  de  mort  et  la  criminalité  de  sang  n'est  pas  plus  élevée 
en  Belgique  qu'en  France  bien  que  cette  peine  y  ait  été 
supprimée  pendant  plus  de  cinquante  ans.  En  pratique, 
la  peme  de  mort  est  à  peu  près  abolie  pour  les  femmes 
dans  notre  pays.  Les  crimes  de  sang  commis  par  elles  n'ont 
pas  augmenté.  D'autre  part,  pour  que  la  peine  soit  efficace, 
il  faut  qu'elle  soit  appliquée  strictement  et  qu'elle  paraisse 
inévitable.  Elle  pouvait  le  sembler  lorsque  les  exécutions 
étaient  pour  ainsi  dire  quotidiennes.  Nos  mœurs  ne  le 
toléreraient  plus,  et  les  coupables  ont  maintenant  tant  de 
chances  d'échapper  à  l'échafaud,  que  la  menace  a  perdu 
beaucoup  de  son  effet  d'intimidation.  Cependant  il  paraît 


104  LE  DROIT  PÉNAL 

certain  que  l'opinion  publique  s'inquiéterait  aujourd'hui 
d'une  abrogation  légale  :  l'expérience  apprend  que  la  sup- 
pression n'a  jamais  été  obtenue  dans  un  pays  qu'après 
une  longue  période  de  paix. 

Les  châtiments  corporels  étant  abolis,  et  la  peine  de 
mort  réservée  aux  crimes  d'une  extrême  gravité,  les  peines 
privatives  de  liberté  sont  devenues,  dans  le  droit  moderne, 
la  base  de  tout  le  système  répressif.  Aussi  la  science  péni- 
tentiaire a-t-elle  tendu  principalement  à  la  réforme  des 
prisons. 

Nous  avons  dit  que  cette  réforme  a  introduit  dans  l'exé- 
cution des  peines  plus  d'humanité.  Mais  en  étudiant  avec 
profondeur  le  problème  pénitentiaire,  la  science  nouvelle 
a  mis  en  lumière  une  autre  idée  essentielle.  Elle  a  montré 
que,  pour  établir  une  répression  efficace,  il  fallait  avant 
tout  distinguer  entre  le  délinquant  primaire  et  occasionnel, 
et  le  récidiviste  délinquant  professionnel  et  d'habitude. 
Ce  n'est  pas  là  sans  doute  une  révélation.  Le  simple  bon 
sens  avait  de  tous  temps  imposé  cette  distinction  aux  juges, 
on  la  retrouverait  aisément  dans  de  très  anciennes  lois. 
Mais  c'est  de  nos  jours  qu'on  en  a  tiré  toutes  les  consé- 
quences pour  l'organisation  d'un  système  pénitentiaire 
rationnel.  A  ces  deux  catégories  de  criminels,  doivent  cor- 
respondre des  peines  différentes  par  leur  but,  leur  caractère 
et  leur  régime.  Le  criminel  qui  a  cédé  à  un  égarement 
accidentel  doit  être  amendé  ;  il  faut  résolument  mettre 
l'incorrigible  dans  l'impossibilité  de  nuire. 

Or  pour  qu'on  put  songer  à  l'amendement  des  détenus, 
il  fallait  d'abord  faire  cesser  les  abus  des  vieilles  prisons. 
On  a  peine  à  imaginer,  aujourd'hui,  l'état  dans  lequel 
elles  se  trouvaient  dans  l'ancienne  France.  C'étaient,  pour 
la  plupart,  d'infectes  cloaques  où  tout  manquait,  quelque- 


LE  DROIT  PÉNAL  CONTEMPORAIN  Î05 

fols  même  la  nourriture.  La  République  et  l'Empire  amé- 
liorèrent à  peine  cette  situation.  On  affecta  seulement  aux 
services  pénitentiaires  de  vieux  châteaux  et  d'anciens 
couvents,  devenus  biens  nationaux,  et  Napoléon  I^''  porta 
le  désordre  à  son  comble  en  mettant  les  prisons  de  courte 
peine  à  la  charge  des  départements.  Dans  ces  établissements, 
les  détenus  étaient  livrés  à  l'arbitraire,  à  la  cupidité  et  à  la 
brutalité  de  gardiens,  sans  discipline  et  sans  moralité^ 
recrutés  au  hasard  et  mal  payés.  Ces  prisons  ne  révoltaient 
pas  seulement  tous  les  sentiments  de  pitié  et  d'humanité, 
leur  effet  le  plus  sûr  était  de  précipiter  dans  le  mal  ceux 
qu'on  y  enfermait.  Or  le  sage  précepte  Primum  non  nocere 
n'est  pas  moins  vrai  en  science  pénitentiaire  qu'en  médecine, 
il  faut  que  la  prison  corrige  le  coupable,  mais  avant  tout 
il  faut  qu'elle  ne  le  corrompe  pas. 

C'est  pourquoi,  la  science  pénitentiaire  ^'attacha  avant 
tout  à  dénoncer  le  danger  des  prisons  où  les  condamnés 
sont  tous  mêlés  et  confondus  dans  la  plus  complète  pro- 
miscuité. Il  fut  facile  de  montrer  que  ces  prisons  communes 
sont  très  rigoureuses  pour  ceux  qui  ont  gardé  quelques 
sentiments  d'honneur  et  de  respect  d'eux-mêmes,  mais 
qu'elles  sont  à  peu  près  indifférentes  aux  meJfaiteurs  d'habi- 
tude, qui  y  fixent  volontiers  leur  résidence  et  y  reviennent 
sans  regrets  chercher  un  abri  dans  les  temps  difficiles. 
Les  pires  y  corrompent  les  moins  mauvais  et  achèvent  de 
les  pervertir.  Là,  se  nouent  les  camaraderies  funestes,  et 
les  amitiés  redoutables.  Là  se  forment  les  bandes  qui, 
au  jour  venu  de  la  libération,  exerceront  leur  activité  mal- 
faisante. Là  se  recrutent  les  troupes  d'élites  de  la  crimi- 
nalité la  plus  dangereuse. 

Ces  défauts  des  prisons  communes  ne  sont  pas  niables. 
Mais  la  difficulté  commence  lorsqu'il  s'agit  de  trouver  le 


106  LE  DROIT  PÉNAL 

système  qui  doit  les  remplacer.  Tous  ceux  qui  ont  été 
proposés  ont  aussi  leurs  inconvénients  et  se  sont  heurtés 
à  de  graves  objections. 

Beaucoup  des  maîtres  de  l'école  pénitentiaire,  et  des 
plus  illustres,  ont  cru  trouver  la  solution  complète,  parfaite 
et  définitive  de  la  question  dans  l'emprisonnement  cellu- 
laire. Chez  quelques-uns  cette  conviction  est  devenue  une 
sorte  de  foi  fanatique.  A  les  en  croire,  la  cellule  présen- 
terait tous  les  avantages  :  elle  n'aurait  pas  seulement  pour 
effet  d'empêcher  la  contagion  morale  entre  les  co-détenus, 
elle  les  intimiderait  par  sa  rigueur,  et,  en  même  temps, 
les  amenderait  par  la  retraite  qu'elle  leur  impose.  Placé  en 
face  de  sa  conscience,  dans  le  silence  et  le  recueillement, 
visité  et  conseillé  par  des  hommes  de  bien  qui  lui  prodi- 
gueront des  paroles  de  sagesse  et  d'encouragement,  n'est- 
il  pas  certain  que  le  coupable  sentira  l'horreur  de  son  crime, 
qu'il  en  aura  le  remords,  et  parviendra  à  la  contrition  par- 
fedte  ?  La  vertu  de  la  cellule  serait  telle,  enfin,  qu'elle  suffi- 
rait à  tout,  aux  longues  comme  aux  courtes  peines,  aux 
scélérats  les  plus  endurcis  comme  aux  délinquants  pri- 
maires. Le  remède  de  la  récidive  se  trouverait  dans  un  temps 
de  détention  plus  prolongé,  et  la  peine  de  mort,  devenue  inu- 
tile, pourrait  être  remplacé  par  un  encellulement  perpétuel. 

Ce  système  pénitentiaire  a  reçu,  en  effet,  les  plus  larges 
applications  pratiques.  Toutes  les  nations  civilisées  l  ont 
accepté,  et  ont  bâti  des  prisons  où  il  est  en  usage.  On  peut 
citer  comme  exemple  :  les  prisons  de  Saint-Gilles  à  Bru- 
xelles, de  Fresne  à  Paris,  de  Tégel  à  Berlin.  Pékin  vient 
d'être  doté  d'un  établissement  semblable  et  des  plus  per- 
fectionnés. En  France,  une  loi  de  1875  a  rendu  la  cellule 
obligatoire  pour  toutes  les  prisons  qui  seraient  construites 
à  l'avenir  par  les  départements. 


LE  DROIT  PÉNAL  CO^^^EMPORAIN  107 

Mais  au  contact  des  faits,  bien  des  illusions  se  sont  dis- 
sipées. Il  faut  bien  avouer  que  l'instinct  de  sociabilité  ne 
s'accorde  pas  toujours  d'une  réclusion  qui  sépare  un  homme 
du  reste  du  monde  pendant  des  einnées,  et  que  le  séjour 
trop  prolongé  dans  la  cellule  n'est  pas  sans  danger  pour  la 
saine  raison  du  détenu.  Il  est  impossible  de  ne  pas  recon- 
naître que  les  établissements  construits  en  vue  de  l'empri- 
sonnement individuel  sont  très  coûteux,  et  grèvent  lourde- 
ment les  finances  publiques.  L'évidence  a  prouvé  que  ce 
système,  même  pratiqué  avec  tous  les  perfectionnements 
dont  il  paraît  susceptible,  n'a  pas  donné  tous  les  résultats 
qu'on  en  attendait  et  n'a  pas  suffi  pour  supprimer  la  réci- 
dive. 

Soit  !  Mais  un  criminaliste  révolutionnaire  est  allé  vrcii- 
ment  bien  loin  lorsqu'il  déclarait  naguère  que  la  cellule  était 
«  la  plus  grande  erreur  du  siècle  ».  Il  reste  vrai,  en  dépit  des 
critiques,  que  l'isolement  est  le  meilleur  et  peut-être  le 
seul  moyen  pratique  de  préserver  le  détenu  amendable  de 
la  pernicieuse  influence  qu'exercent  sur  lui  les  mîilfaiteurs 
invétérés,  vivamt  à  ses  côtés  dcms  la  prison  commune. 
L'emprisonnement  individuel  reste  un  progrès  très  réel 
auquel  on  ne  renoncerait  pas  sans  dommage  et  qu'il  faut 
seulement  se  garder  de  compromettre  par  des  applications 
excessives.  Il  n'est  utile  que  pour  les  détenus  qu'on  peut 
raisonnablement  espérer  corriger  et  reclasser  et  il  n'est 
humain  que  si  on  ne  soumet  au  régime  de  la  cellule  que 
les  condamnés  à  d'assez  courtes  peines.  En  France,  elle 
ne  peut  être  imposée  pour  une  durée  de  plus  d'une  année, 
laquelle  même  est,  en  réalité,  réduite  à  neuf  mois.  C'est 
sans  doute  à  cet  esprit  de  mesure  qu'il  faut  attribuer  la 
modération  des  critiques  qui  se  sont  produites  chez  nous 
contre  ce  régime  pén2il. 


108  LE  DROIT  PÉNAL 

D'ailleurs  la  science  pénitentiaire  moderne  a  proposé, 
ou  a  mis  en  usage  et  tenté,  bien  d'autres  moyens  qui  ont 
tous  pour  but  de  corriger  le  coupable,  de  le  remettre  dans 
la  voie  droite  et  de  faciliter  son  reclassement. 

C'est  d'abord  le  système  irlandais  ou  progressif  qui  com- 
bme  l'emprisonnement  individuel  et  l'emprisonnement  en 
commun.  Tout  détenu  subit  d'abord  sa  peine  en  cellule, 
puis  il  travaille  dans  les  ateliers  communs  où  son  sort 
s'améliore  selon  qu'il  le  mérite.  Enfin,  il  peut  être  libéré 
avant  le  temps  fixé  pour  l'expiration  de  sa  peine,  mais  sous 
condition  qu'il  sera  remis  en  prison  si  sa  conduite  n'est 
pas  satisfaisante.  Ce  système  pratiqué  par  lord  Crafton, 
qui  l'avait  imaginé,  a  donné  les  meilleurs  résultats.  Ce 
succès  l'a  fait  admettre  dans  un  grand  nombre  de  pays, 
et  il  a  été  introduit  en  France  par  une  loi  de  1885.  Mal- 
heureusement il  a  été  chez  nous  assez  mal  compris  :  on 
y  a  vu  une  sorte  de  mesure  administrative  gracieuse,  et 
d'indulgence.  Tel  n'est  pas  son  véritable  but.  Pour  que  la 
libération  conditionnelle  produise  ses  effets  utiles,  il  faut 
que  le  libéré  se  sente  surveillé  et  sous  la  menace  constante 
d'une  révocation.  Or,  pratiquement,  cette  révocation  n'in- 
tervient guère  en  France  qu'en  cas  de  récidive. 

En  Amérique,  on  a  poursuivi  le  même  but  par  la  vole, 
toute  différente,  de  la  sentence  indéterminée,  pratiquée 
d'abord  dans  le  «  reformatory  «  d'Elmlra.  Dans  ce  système, 
le  juge  prononce  contre  les  jeunes  délinquants,  qui  paraissent 
amendables,  une  longue  peine,  d'ordinaire  le  maximum 
de  la  peine  légale.  Mais  il  appartient  à  l'administration  de 
l'abréger  si  le  recleissement  du  détenu  paraît  possible 
avant  son  expiration.  La  sévérité  de  la  peine  effraye  le 
coupable  et  la  rend  exemplaire  ;  la  promesse  de  la  libération 
anticipée  intéresse  le  détenu  à  se  bien  conduire  dans  la 


LE  DROIT  PENAL  CONTEMPORAIN 


m 


prison  et  à  s'amender  ;  enfin  la  légalité  du  châtiment  est 
sauvegardée,  puisqu'après  tout  il  ne  dépasse  pas  le  maximum 
fixé  par  la  loi.  Mais  on  a  reproché  à  ce  système  de  ne  point 
proportionner  la  peine  à  la  culpabilité  du  délinquant,  de 
rendre  la  prison  si  riante  et  si  douce  qu'elle  perd  tout  efïet 
d'intimidation,  et,  surtout,  de  laisser  une  place  be^iucoup 
trop  large  à  l'arbitraire  de  l'administration.  Comment 
d'ailleurs  pourra-t-elle  savoir  si  le  détenu  est  véritablement 
amendé  ?  Ces  critiques  expliquent  peut-être  pourquoi  la 
sentence  indéterminée  et  le  reformatory  sont  aujourd'hui 
contestés  même  en  Amérique. 

L'Angleterre  a  récemment  inauguré  un  autre  procédé 
qui  consiste  essentiellement,  semble-t-il,  dans  une  nouvelle 
réglementation  du  régime  intérieur  de  la  prison  ;  on  rem- 
place la  discipline,  à  forme  militaire,  en  usage  dans  tous  les 
établissements  pénitentiaires,  par  une  règle  plus  souple, 
laissant  au  détenu  plus  d'initiative,  et  faisant  surtout  appel 
au  sentiment  de  la  responsabilité  individuelle.  Les  Anglais 
paraissent  se  féliciter  de  cette  innovation.  Mais  peut-être 
convient-il  d'attendre  avant  de  porter  sur  cette  institution 
un  jugement  définitif  ? 

On  est  allé  beaucoup  plus  loin.  L'emprisonnement, 
quel  que  soit  son  mode  d'exécution,  présente  toujours  des 
inconvénients  graves.  Celui  qui  a  franchi  une  fois  les  portes 
d'une  prison  redoute  beaucoup  moins  d'y  revenir.  Son 
effet  intimidant  tient  pour  une  large  part  à  la  déchéance 
sociale  qu'elle  entraîne,  mais  celui  qui  a  déjà  subi  cette 
flétrissure  ne  la  craint  plus.  11  est  donc  d'une  habile  poli- 
tique de  l'éviter  au  délinquant  amendable.  On  y  est  par- 
venu par  deux  procédés  différents.  Chez  les  peuples  anglo- 
saxons,  le  juge  remet  le  prononcé  de  la  sentence  jusqu'après 
une  période  d'épreuve.  Si  le  coupable  se  conduit  bien, 


110  LE  PROIT  PÉNAL 

il  lui  pardonne  ;  si  la  conduite  laisse  à  désirer,  il  le  condam- 
nera avec  sévérité.  Chez  nous,  aux  termes  de  la  loi  Bérenger, 
le  tribunal  prononce  immédiatement  la  peine,  mais  en 
décidant  qu'elle  ne  sera  subie  que  si  le  condamné  tombe 
en  récidive.  Dans  le  premier  système  le  sursis  s'applique 
à  la  condamnation,  dans  le  second  à  la  peine.  Chacun  a 
ses  avantages  et  ses  inconvénients.  On  peut  remarquer 
seulement  qu'en  Amérique,  le  juge  peut  mettre  des  con- 
ditions à  son  indulgence  et  soumettre  le  coupable  à  une 
surveillance  qui  garantit  son  amendement. 

Enfin  l'école  pénitentiaire  a  enseigné  que  le  devoir 
comme  l'intérêt  de  l'Etat  était  de  protéger  le  reclassement 
du  libéré.  Pour  lui  permettre  de  trouver  du  travail,  on  a 
supprimé  la  surveillance  de  la  haute  police,  et  rendu  men- 
teur le  casier  judiciaire.  On  a  promis  une  complète  réha- 
bilitation à  celui  qui  est  revenu  à  une  vie  honnête.  Des 
lois  successives  en  ont  simplifié  les  conditions,  facilité  la 
procédure,  élargi  les  effets  et  l'ont  enfin  accordée  systé- 
matiquement et  sans  aucune  formalité  à  ceux  qui,  dans 
un  certain  temps  d'épreuve,  n'ont  encouru  aucune  condam- 
nation nouvelle. 

Au  reste,  pour  que  les  institutions  pénitentiaires  modernes 
fonctionnent  normalement  et  portent  leurs  fruits,  il  est 
utile  que  le  détenu  soit  consolé  et  conseillé  dans  sa  prison, 
aidé  et  soutenu  le  jour  de  sa  libération.  Il  faut  bien  le  recon- 
naître, en  effet,  la  peine  privative  de  liberté,  quel  que 
soit  son  mode  d'exécution,  porte  souvent  le  désespoir 
dans  l'âme  du  coupable,  et  la  transition  de  la  vie  de  la  geôle 
à  la  vie  libre  présente  des  difficultés  qui  découragent  les 
meilleures  résolutions.  L'Eglise  a  senti  depuis  longtemps 
qu'il  y  avait  là  une  œuvre  de  charité  à  accomplir  et  a  placé 
la  visite  dans  les  prisons  au  nombre  des  œuvres  pies.  Mds 


LE  DROIT  PÉNAL  CONTEMPORAIN  111 

seule,  la  science  pénitentiaire  a  montré  comment  les  patro- 
nages formaient  le  complément  nécessaire  d'un  système 
pénitentiaire  rationnel,  a  précisé  leur  mission,  suscité  les 
initiatives  pratiques,  et  amené  le  législateur  à  leur  donner 
la  reconnaissance  légcJe.  Ce  mouvement  de  solidarité 
hummne  est  devenu  universel  et  on  peut  beaucoup  attendre 
de  son  développement. 

Tout  ce  que  nous  venons  de  dire  ne  concerne  que  les 
peines  correctionnelles,  en  entendant  ce  mot  dans  son  sens 
littéral,  et  désignant  les  peines  applicables  aux  coupables 
qui  paraissent  amendables.  Mais,  nous  l'avons  dit,  les 
criminologistes  contemporains  ont  établi  qu'il  existe,  sinon 
des  criminels-nés,  au  moins  des  criminels  incorrigibles. 
Pour  assurer  contre  eux  la  discipline  sociale,  il  faut  recourir 
à  d'autres  moyens. 

Les  lois  modernes  et  particulièrement  notre  code  pénal 
avaient  bien  aperçu  la  nécessité  de  réprimer  la  récidive  et 
ils  avaient  cru  y  parvenir  en  prolongeant  la  durée  de  la 
peine.  L'erreur  de  ces  législateurs  avait  été  de  confondre 
les  récidivistes  avec  les  incorrigibles  qui,  pourtant,  forment 
deux  catégories  de  délmquîints  distincts.  D'une  part, 
en  effet,  tout  individu  déjà  frappé  par  la  justice,  et  qui 
commet  une  nouvelle  faute,  n'est  peis  forcément  insuscep- 
tible d'amendement  ;  souvent,  on  peut  encore  espérer  le 
corriger  avec  une  peine  plus  rigoureuse,  et  ce  n'est  qu'après 
plusieurs  tentatives  infructueuses  qu'on  aura  le  droit  de  le 
considérer  comme  définitivement  perdu.  D'autre  part, 
un  criminel  qui  n'a  jamais  subi  de  condamnation  antérieure 
peut  être  un  délinquant  inassimilable,  soit  qu'ayant  commis 
des  méfaits  multiples,  il  ait  seulement  été  assez  habile 
pour  ne  pas  se  faire  prendre,  soit  que  son  forfait  unique 
suffise  à  prouver  des  sentiments  extrêmement  pervers  et 


12 


LE  DROIT  PENAL 


antisociaux.  Or  si  l'aggravation  de  la  peine  est  raisonnable 
contre  les  simples  récidivistes,  il  est  vain  d'employer  le 
même  moyen  contre  les  incorrigibles.  Puisque  les  peines 
ordinaires  sont  inefficaces  contre  eux,  il  faut  bien  employer, 
pour  briser  leur  audace,  des  procédés  plus  énergiques  et 
dont  les  effets  seront  sûrs.  Toute  faiblesse,  toute  indul- 
gence, devient  alors  un  danger  social,  et  une  duperie.  Le 
médecin  appelé  auprès  d'un  malade  ordonne  d'abord  un 
remède  ;  si  le  mal  persiste,  il  peut  doubler  ou  tripler  la 
dose  avec  l'espoir  d'un  meilleur  succès.  Mais  si,  après  cela, 
le  malade  n'est  pas  guéri,  et  s'il  persiste  dans  sa  drogue, 
c'est  un  simple  entêté  :  Puisque  le  remède  est  inefficace, 
il  faut  en  changer  et  appeler  le  chirurgien.  Il  en  est  de 
même  du  juge  criminel.  II  peut  d'abord  employer  les  peines 
correctives,  mais  si  elles  restent  infructueuses,  il  doit 
résolument  mettre  le  délinquant  dans  l'impossibilité  de 
nuire,  et  l'éliminer  du  milieu  social. 

Mais  la  nécessité  de  ces  peines  éliminatrices  étant  recon- 
nue, on  s'est  trouvé  en  présence  du  problème  le  plus  difficile 
lorsqu'il  s'est  agi  de  les  organiser  pratiquement. 

Il  en  est  une  pourtant,  fort  ancienne,  qui  n'est  autre 
que  la  peine  de  mort.  Les  partisans  les  plus  résolus  de  sa 
suppression  ne  peuvent  nier  au  moins  qu'elle  ne  permet 
aucune  récidive.  Par  là  s'explique  pourquoi  elle  était  autre- 
fois si  fréquemment  appliquée.  La  société  n'avait  guère 
d'autre  moyen  de  se  protéger  contre  les  délinquants  d'ha- 
bitude que  de  les  envoyer  à  la  potence.  Mais  personne  ne 
saurait  songer  aujourd'hui  à  appliquer  la  peine  capitale  à  tous 
les  incorrigibles,  même  à  ces  délinquants  qui  n'ont  commis 
aucun  crime  grave,  et  qui  ne  menacent  dangereusement 
l'ordre  public  que  par  la  répétition  de  délits  médiocres,  les- 
quels pris  isolément  ne  présentent  aucun  caractère  sérieux. 


LE  DROIT  PÉNAL  CONTEMPORAIN  113 

Certains  criminalistes,  conscients  de  la  nécessité  d'établir 
des  mesures  de  sûreté  pour  protéger  la  société  contre  les 
délinquants  professionnels,  ont  proposé  de  faire  usage  du 
système  des  peines  indéterminées.  Mais  tandis  qu'en 
Amérique,  où  il  a  été  pratiqué,  il  s'appliquait  aux  jeunes 
délinquants  amendables,  pour  un  temps  ne  dépassant 
pas  le  maximum  légal,  utilisé  contre  les  récidivistes,  il 
prendrait  un  tout  autre  caractère.  Le  juge  ordonnerait 
que  le  condamné,  soit  à  l'expiration  de  la  peine  méritée 
par  le  dernier  délit,  soit  principalement  et  à  l'exclusion 
de  toute  autre  peine,  serait  placé  dans  un  établissement 
spécial  sans  limitation  de  durée.  Il  ne  serait  libéré  que  lors- 
qu'il serait  devenu  inoffensif.  Sous  ces  apparences,  ce 
système  consiste  à  prononcer  une  peine  perpétuelle  évi- 
demment éliminatnce,  avec  faculté  de  libération  anticipée. 
Ses  partisans  discutent  d'ailleurs  entre  eux  si  cette  libéra- 
tion doit  être  accordée  par  le  juge  ou  par  l'administration. 
Eji  dépit  de  grands  efforts,  ce  système  n'a  eu  aucun  succès 
pratique.  On  lui  a  reproché  d'être  injuste,  car  il  punit  d'une 
peine  extrêmement  rigoureuse  un  délit  peut-être  léger, 
de  subordonner  la  libération  à  une  preuve  impossible 
d'amendement,  enfin  d'abandonner  en  fait  le  condamné 
à  un  pur  arbitraire. 

Mais  il  existe  d'autres  moyens  d'éliminer  les  criminels 
et  ce  sont,  par  exemple,  le  bannissement  et  la  transporta- 
tion. 

L'exil  hors  du  milieu  où  le  crime  a  été  commis  remonte, 
nous  l'avons  dit,  aux  temps  primitifs  et  il  était  en  grand 
usage  dans  l'ancienne  France.  Mais  si  cette  peine  met  le 
coupable  dans  l'impossibilité  de  nuire  dans  le  territoire 
d  où  il  est  banni,  elle  lui  permet  d'exercer  son  activité 
criminelle  là  où  il  s'est  réfugié.  Or  tous  les  pays  com- 

8.  GARÇON 


114  LE  DROIT  PÉNAL 

prennent  aujourd'hui  qu'ils  sont  solidaires  deins  la  répres- 
sion et  qu'ils  n'ont  pas  le  droit  de  se  rejeter  leurs  malfaiteurs 
les  uns  chez  les  autres.  D'ailleurs  chaque  Etat  se  reconnaît 
la  faculté  de  ne  pcis  recevoir  les  indésirables,  parmi  lesquels 
les  criminels  se  placent  au  premier  reing.  Au  contraire, 
cette  peine  a  conservé  sa  raison  d'être  pour  les  crimes  poli- 
tiques. Le  conspirateur,  banni  de  son  pays,  et  séparé  de 
ses  partisans,  devient  beaucoup  moins  dangereux  et, 
d'autre  part,  les  Etats  étrangers  lui  donnent  volontiers 
asile,  les  traités  d'extradition  le  prouvent. 

Les  peines  colonises,  au  contraire,  répondent  à  toutes 
les  nécessités  des  mesures  éliminatrices.  Les  Romains  ne 
les  aveiient  point  ignorées  et  plusieurs  peuples  modernes 
en  ont  fait  usage.  La  Russie  a  déporté  en  Sibérie  ;  mais  le 
tzarisme,  abusant  des  déportations  politiques,  par  mesure 
administrative  et  de  police,  a  provoqué  des  protestations 
qui  ont  été  entendues  en  Occident  et  qui  ont  compromis 
ce  système  de  peines  aux  yeux  de  certains  publicistes. 
L'Angleterre  a  déporté  d'abord  en  Amérique,  puis  en 
Australie,  et  la  ville  de  Sidney  a  été  fondée  par  le  Commo- 
dore Arthur  Philippe  et  ses  convicts.  Cette  transportation 
n'a  cessé  que  le  jour  où  les  colonies,  devenues  prospères 
et  puissemtes,  ont  refusé  de  recevoir  les  déchets  de  la  popu- 
lation anglaise. 

Sur  ce  point  encore,  chez  nous,  la  Révolution  française 
a  aperçu,  du  premier  coup,  la  solution  juste  et  pratique. 
Le  Code  de  1791  décidait  que  les  récidivistes  de  crimes 
seraient  transportés  aux  colonies  et  le  Code  de  1811  avait 
inscrit  la  déportation  au  nombre  des  peines  affllctlves  et 
infamantes.  Mais  les  guerres  de  la  République  et  de  l'Em- 
pire ne  permirent  pas  de  mettre  ces  peines  à  exécution 
et  c'est  seulement  dans  la  seconde  moitié  du  XIX®  siècle 


LE  DROIT  PÉNAL  CONTEMPORAIN  115 

qu'elles  sont  entrées  dans  le  domaine  de  la  pratique.  Après 
l'abolition  de  la  peine  de  mort  en  matière  politique,  des 
lois  de  1850  et  de  1872  désignèrent  des  lieux  de  dépor- 
tation et  fixèrent  le  régime  de  cette  peine.  En  1854  on  décida 
que  les  condamnés  de  droit  commun  aux  travaux  forcés 
seraient  transportés  et  on  ferme  les  bagnes.  Enfin,  la 
loi  de  1 885  a  établi  la  relégation  des  récidivistes,  qui  soumet 
les  délinquants  d'habitude  à  une  mesure  de  sûreté  perpé- 
tuelle. Ainsi,  pendcint  qu'à  l'étranger,  les  crimineJistes 
cherchaient  péniblement  à  résoudre  la  question  des  incor- 
rigibles, et  n'y  parvenaient  pas,  la  France  admettait  la 
solution  la  plus  hardie,  conforme  aux  plus  audacieuses 
conceptions  de  l'école  positive,  et  établissait  une  peine 
purement  éliminatrice,  sans  aucune  proportion  ni  avec 
la  gravité  objective  du  dernier  délit,  ni  avec  la  culpabilité 
morale  du  délinquant. 

Cependant,  ces  peines  ont  été  violemment  critiquées. 
Il  est  vrai  qu'elles  n'ont  pas  répondu  aux  espérances  de 
ceux  qui  comptaient  sur  la  main-d'œuvre  péneile  pour  la 
mise  en  valeur  de  nos  colonies  de  peuplement.  Il  a  toujours 
manqué  à  nos  transportés  et  plus  encore  à  nos  relégués, 
—  fort  différents  des  convicts  qui  ont  peuplé  les  colonies 
anglaises,  —  l'énergie  physique  et  morale  et  toutes  les 
qu2Jités  nécessaires  pour  faire  de  bons  colons.  Les  défKîr- 
tés  n'ont  jamais  songé  à  coloniser,  ils  ont  attendu  l'heure 
inévitable  de  l'amnistie.  Ni  les  uns  ni  les  autres,  sauf  de 
rares  exceptions  individuelles,  ne  sont  devenus  à  la  Nou- 
velle-Calédonie ou  à  la  Guyîinne,  des  eigriculteurs  attachés 
à  la  terre.  S'imaginer  qu'on  ferîùt  des  conservateurs  avec 
les  condamnés  de  la  Commune  en  les  rendant  proprié- 
taires, était  une  illusion  vraiment  trop  naïve  et  croire  qu'on 
métamorphoserait    des    criminels    de   droit    commun    en 


116  LE  DROIT  PÉNAL 

honnêtes  gens,  parce  qu'on  les  aurait  transportés  sous 
d'autres  cieux,  est  une  espérance  qu'il  faut  perdre. 

Mais  on  ne  peut  du  moins  contester  que  ces  peines 
coloniales  ont  éloigné  de  France  des  criminels  particuliè- 
rement dangereux.  Il  court  la  légende  que  la  relégation 
n'est  pas  exécutée.  C'est  une  erreur  de  fait  que  réfutent 
les  statistiques  les  plus  sûres.  Depuis  moins  de  quarante 
ans,  vmgt  mille  récidivistes  ont  été  envoyés  au  Maroni, 
et  les  libérés  du  bagne,  astreints  à  la  résidence  dans  les 
colonies,  ont  cessé  de  terroriser  la  population  honnête. 
Cette  redoutable  armée  de  malfaiteurs  a  été  mise  dans 
l'impossibilité  d'exercer  son  activité  criminelle  dans  la 
métropole.  Il  ne  serait  peut-être  pas  impossible  d'utiliser 
les  transportés  et  les  relégués  pour  exécuter  des  travaux 
publics  dans  notre  vaste  empire  colonial  ;  en  tous  cas,  ils 
sont  sans  danger  au  Maroni  puisque  cette  terre  est 
inhabitée.  Qu'on  songe  aux  délits  et  aux  crimes  qu'ils 
auraient  commis  en  France,  si  on  n'avait  pas  pris  contre 
eux  ces  mesures  éliminatoires  et  on  sentira  quel  péril 
courrait  la  sécurité  publique  si  on  y  renonçait. 

II  faut  l'avouer,  d'ailleurs,  la  science  pénitentiaire  est 
encore  trop  récente  pour  qu'on  puisse  tenir  toutes  ses 
doctrines  pour  définitives.  Même  à  l'heure  actuelle,  il 
semble  qu'un  vent  de  réaction  risque  d'emporter  une 
partie  de  son  œuvre.  On  l'accuse  d'avoir  versé  dans  la 
«  sensiblerie  »,  d'avoir  créé  des  prisons  si  luxueuses  que 
l'honnête  homme  peut  les  envier  aux  coquins,  et  d'avoir 
énervé  la  répression. 

Et  certains  de  ces  griefs  ne  manquent  pas  de  tout  fon- 
dement. Certains  maîtres  de  l'école  pénitentiaire  ont  fait 
de  l'amendement  du  coupable  le  but  principal  et  même 
le  but  unique  de  la  peine,  méconnaissant  ainsi  qu'elle  doit 


LE  DROIT  PÉNAL  CONTEMPORAIN  117 

être  avant  tout  Intimidante  et  exemplaire.  Si  elle  ne  tendait 
qu'à  corriger  le  coupable,  il  ne  faudrait  plus  punir  ceux 
dont  la  récidive  paraît  improbable,  et  ainsi  s'expliquent, 
en  effet,  certains  acquittements  scandaleux  du  jury  et  l'abus 
que  les  tribunaux  correctionnels  ont  fait  de  la  loi  Bérenger. 
C'est  pour  avoir  cru  que  la  transportation  avait  pour  but 
de  changer  les  eisscissins  en  inofîensifs  colons  qu'on  a 
pendant  un  temps  compromis  l'efficacité  des  travaux 
forcés.  Quelques-uns  ont  eu  trop  confiance  dans  l'indulgence 
des  juges,  et  dans  la  douceur  des  peines  pour  amener  les 
criminels  au  repentir.  D'autres  ont  cru,  de  bonne  foi, 
que  tout  progrès  consistait  à  adoucir  toujours  les  châti- 
ments et  sont  tombés  dans  une  dangereuse  faiblesse. 
Quelques  théories,  inspirées  par  le  zèle  le  plus  pur  et  le 
désir  le  plus  vif  de  «  faire  le  bien  »  ne  sont  que  puérilités 
et  niaiseries.  L'intérêt  social  exige  plus  de  fermeté,  on  en 
peut  convenir. 

Mais  ce  n'est  pas  une  raison  pour  se  jeter  dans  une 
aveugle  réaction  et  pour  renoncer  aux  progrès  accomplis. 
Il  n'est  pas  nécessaire  pour  assurer  la  sécurité  sociale 
d  introduire  le  knout  dans  notre  pays.  On  pourra  et  on 
devra  perfectionner  les  réformes  que  la  science  péniten- 
tiaire a  réalisées,  mais  il  doit  rester  du  moins  ses  principes 
généraux  et  nous  dirions  volontiers,  l'essence  de  ses  doc- 
trines. Elle  est  dans  la  vérité  lorsqu'elle  enseigne  que  la 
peine  n'est  pas  un  acte  de  passion,  de  colère  et  de  brutale 
vengeance,  mais  une  œuvre  de  raison  et  de  justice.  Elle  a 
marché  dans  la  voie  du  vrai  progrès  en  bannissant  toute 
cruauté  dans  l'exécution  des  peines,  en  refusant  d'infliger 
aux  coupables  des  souffrances  inutiles,  en  cherchant  à  les 
amender,  en  faisant  pénétrer  l'humanité  dans  les  prisons, 
en  laissant  luire  l'espoir  du  pardon  et  de  la  réhabilitation 


118  LE  DROIT  PÉNAL 

pour  qui  les  mérite  par  son  sincère  repentir,  en  un  mot 
en  respectant  la  dignité  humaine  même  dans  le  coupable 
le  plus  déchu.  Ces  idées  sages,  prudentes,  généreuses, 
s'imposeront  dans  l'avenir  autant  par  leur  justice  que  par 
leur  valeur  rationnelle,  et  la  conscience  humaine  ne  saurait 
y  renoncer  bans  retomber  dans  la  barbarie. 

Nous  avons  dégagé  jusqu'ici  les  deux  traits  principaux 
qui  caractérisent  le  droit  pénal  moderne,  et  montré  les 
réformes  qu'il  a  réalisées,  d'une  part  en  substituant  le 
prmcipe  de  la  légalité  à  l'ancien  arbitraire,  d'autre  part 
en  organisant  un  système  de  peines  rationnel,  conscient 
des  buts  divers  que  doit  poursuivre  la  répression  sociale. 
Mais  ce  ne  sont  pas  les  seuls  progrès  accomplis  pendant  le 
cours  du  siècle  dernier.  Des  théories  nouvelles  ont  été 
élaborées,  inspirées  d'ailleurs  des  mêmes  idées  fondamen- 
tales, qui  indiquent  encore  la  marche  des  sociétés  contem- 
poraines vers  un  idéal  de  meilleure  et  de  plus  haute  justice. 
Nous  n'en  voulons  citer  que  deux  exemples,  tant  à  cause 
de  leur  importance  pratique  que  par  la  grande  part  que  la 
France  y  a  pris.  C'est  d'abord  la  législation  relative  à 
l'enfance  coupable,  ensuite  la  distinction  des  crimes  poli- 
tiques et  des  crimes  de  droit  commun. 

Les  deux  codes  pénaux  de  1791  et  de  1811  avaient 
fixé  la  majorité  pénale  à  seize  ans.  Au-dessous  de  cet  âge, 
le  juge  devait  se  poser  la  question  de  savoir  si  l'enfant 
avait  agi  avec  ou  sans  discernement.  Si  le  discernement 
existait,  le  coupable  était  condamné  à  une  peine,  mais  il 
bénéficiait  d'une  excuse  atténuante  ;  s'il  faisait  défaut, 
le  mineur  était  acquitté,  et  rendu  à  sa  famille  ou  renvoyé 
dans  une  maison  de  correction  pour  un  temps  qui  ne 
pouvait  dépasser  sa  vingtième  année. 

Il  semble  bien  que,  dans  la  pensée  de  ces  législateurs. 


LE  DROIT  PÉNAL  CONTEMPORAIN  119 

l'enfant  devait  recevoir  une  éducation  réformatrice  dans 
les  établissements  où  il  serait  placé.  Mais  quels  seraient 
la  nature  et  le  régime  de  ces  établissements  ?  Dans  la  ter- 
minologie du  code  impérial,  la  maison  de  correction  dési- 
gnât les  prisons  où  les  condamnés  adultes  subiraient  la 
peine  d'emprisonnement,  et  les  maisons  où  les  mineurs 
condamnés  étaient  «  détenus  »,  et  enfin  celles  où  les  mineurs 
acquittés  seraient  «  élevés  ».  En  fait,  il  n'existait  aucun 
établissement  spécial  destiné  à  recevoir  les  enfants,  et  l'ad- 
ministration pénitentiaire  ne  songea  point  à  en  créer.  Les 
mineurs  étaient  simplement  enfermés  dans  les  prisons 
départementales,  même  dans  les  prisons  centrales,  presque 
toujours  mêlés  et  confondus  avec  les  détenus  majeurs. 

Ce  fut  l'initiative  individuelle  qui  trouva  le  premier 
remède.  M.  de  Metz,  ému  du  sort  réservé  à  ces  enfants, 
ainsi  jetés  dans  la  promiscuité  des  prisons  communes,  se 
démit  de  ses  fonctions  de  conseiller  à  la  Cour  d'appel  de 
Paris,  pour  se  consacrer  tout  entier  à  l'œuvre  de  leur  relè- 
vement. Un  ministre  libéral  comprit  la  grandeur  de  cette 
entreprise,  et  consentit  à  lui  confier,  en  violation  de  la 
lettre  du  code,  un  certain  nombre  de  ces  détenus  mineurs 
qui  paraissaient  susceptibles  d'amendement.  En  1837, 
M.  de  Metz,  à  la  tête  d'un  groupe  d'adolescents  qu'il  avait 
été  chercher  dans  une  prison  centrale,  et  qu'il  avait  amené 
étape  par  étape  jusqu'à  Mettray,  fondait  la  première  colonie 
pénitentiaire.  La  renommée  de  cet  établissement  se  répan- 
dit dans  le  monde  entier  ;  il  suscitait  partout  des  imitations, 
et  on  peut  dire,  sans  rien  exagérer,  que  toutes  les  réformes 
relatives  à  l'enfance  coupable  sont  sorties  de  là. 

Ce  ne  fut  que  treize  ans  après  la  fondation  de  Mettray 
qu'on  songea  à  donner  à  ces  maisons  d'éducation  correc- 
tionnelle un  statut  légal.  Cette  loi,  après  plus  de  70  ans. 


120  LE  DROIT  PÉNAL 

nous  régit  encore  sans  changements.  Sagement,  elle  admet- 
tait des  colonies  publiques,  à  côté  des  colonies  privées, 
comptant  sur  leur  pacifique  rivalité  pour  en  assurer  le 
perfectionnement.  Elle  créait  des  établissements  spéciaux 
pour  les  indisciplinés,  enfin  par  une  initiative  hardie,  elle 
permettait  la  libération  conditionnelle  des  enfants  qui 
semblaient  corrigés,  leur  placement  au  dehors  de  la  colonie 
et  organisait  leur  surveillance  dans  la  vie  libre.  Une  légende 
veut  que  ces  «  Maisons  de  correction  »  soient  les  pires  foyers 
de  corruption.  De  vilains  romans,  de  détestables  comédies, 
des  paroles  malheureuses  prononcées  par  des  voix  auto- 
risées, ont  contribué  à  répandre  l'opinion  que  tous  les 
enfants  qui  en  franchissent  le  seuil  sont  définitivement 
perdus.  Certes  !  la  loi  de  1850  n'est  pas  sans  défauts. 
L'expérience  a  montré  qu'elle  s'était  trompée  en  imposant 
à  tous  les  mineurs,  indifféremment,  une  éducation  profes- 
sionnelle purement  agricole.  On  peut  souhaiter  certaines 
réformes  dans  le  régime  des  colonies  publiques.  Toutes 
les  colonies  privées  n'ont  pas  été  dirigées  avec  le  pur  esprit 
de  dévouement  qui  animait  M.  de  Metz.  Même,  il  faut 
l'avouer,  elles  ne  corrigent  pas  tous  ceux  qui  y  sont  élevés 
et  on  s'en  étonnera  moins  si  on  songe,  qu'aujourd'hui 
surtout,  elles  ne  reçoivent  que  les  pires  mauvais  sujets, 
ceux  dont  personne  autre  n'a  voulu  se  charger.  Cependant, 
c'est  justice  de  protester  contre  les  attaques  si  exagérées 
dirigées  contre  ces  colonies.  Il  est  certain,  les  documents 
les  plus  sûrs  le  prouvent,  qu'elles  ont  sauvé  beaucoup 
d'enfants,  qu'elles  en  ont  fait  de  bons  soldats  —  ils  l'ont 
montré  pendant  la  guerre  —  et  d'honnêtes  gens.  Seulement 
ceux-là  ne  reparaissent  pas  devant  les  tribunaux,  et  on  les 
ignore. 
Pourtant,  et  tout  en  reconnaissant  les  services  rendus 


LE  DROIT  PÉNAL  CONTEMPORAIN  121 

par  les  colonies  pénitentiaires,  on  ne  peut  faire  difficulté 
pour  reconnaître  que  l'éducation  familiale  est  de  beaucoup 
préférable.  Le  code  l'avait  bien  compris  puisqu'il  per- 
mettait de  rendre  à  ses  parents  l'enfant  acquitté.  Mais 
si  la  famille  n'offrait  pas  les  garanties  morales  suffisantes, 
le  placement  dans  la  maison  de  correction  s'imposait  néces- 
sairement. En  vain,  la  charité  privée  offrait  de  se  charger 
de  certains  mineurs,  de  veiller  à  leur  éducation,  de  les  placer 
soit  dans  des  internats  appropriés,  soit  chez  des  particuliers 
honnêtes  où  ils  trouveraient  une  direction  familiale,  d'exer- 
cer enfin  sur  eux  une  surveillance  attentive  et  éclairée, 
les  tribunaux,  liés  par  le  texte,  devaient  refuser  de  les 
leur  confier.  La  nécessité  d'une  réforme  était  universel- 
lement reconnue,  mais  il  fallut  attendre  jusqu'à  la  fin 
du  XIX^  siècle  pour  qu'elle  fut  réalisée,  encore  ne  fut-ce, 
pour  mnsi  dire,  que  par  surprise.  C'est  dans  une  loi  relative 
aux  crimes  commis  sur  la  personne  des  enfants  que 
M.  Bérenger  fit  voter  un  amendement  permettant  aux 
juges  de  confier  l'enfant  soit  à  une  personne  charitable, 
soit  à  un  patronage,  soit  même  à  l'assistance  publique. 
L'enrôlement,  dans  les  armées  de  terre  ou  de  mer  a 
toujours  été  un  des  moyens  employés,  par  les  familles 
mêmes,  pour  sauver  les  jeunes  gens  en  péril  moral.  En  les 
soustrayant  ainsi  à  l'influence  de  fréquentations  funestes, 
et  à  des  tentations  mauvaises,  en  les  plaçant  dans  un  milieu 
sain  et  sous  la  règle  d'une  exacte  discipline,  le  régiment 
a  permis  à  beaucoup  d'adolescents  de  revenir  dans  la  voie 
de  l'honneur.  M.  Voisin,  président  d'une  association  qui 
favorisait  ces  engagements,  avait  vu  souvent  son  œuvre 
entravée  par  des  condamnations  prononcées  contre  des 
adolescents  de  plus  de  16  ans.  C'est  pourquoi  en  1907  une 
loi  reporta  la  majorité  pénale  à  18  ans,  en  ajoutant  toutefois 


122  LE  DROIT  PÉNAL 

que  le  coupable  âgé  de  16  à  18  ans,  qui  serait  reconnu 
avoir  agi  avec  discernement,  ne  bénéficierait  d'aucune 
excuse. 

Jusque-là  notre  législation  s'était  développée,  selon  le 
propre  génie  français,  sans  aucune  influence  étrangère  et 
elle  était  arrivée  à  un  haut  degré  de  perfectionnement. 
On  ne  pouvait  guère  lui  faire  qu'un  reproche  sérieux  :  la 
décision  ordonnant  une  mesure  éducative  était  définitive 
et  irrévocable.  Ainsi  l'avait  décidé  la  cour  de  Cassation. 
Si  donc  un  enfant  rendu  à  sa  famille  ou  confié  à  un  patronage 
donnait  de  graves  sujets  de  mécontentement,  le  juge  mieux 
informé  ne  pouvait  pas  réformer  sa  sentence.  Pour  qu'il 
fut  possible  de  prescrire  une  mesure  plus  efficace,  il  fallait 
que  le  mineur  commit  un  nouveau  délit.  Mais  la  pratique 
avait  déjà  trouvé  des  moyens  de  tourner  cette  difficulté. 
L'un  des  meilleurs  consistait  à  renvoyer  l'enfant  dans  une 
colonie  pénitentiaire,  mais  l'administration  le  libérait  avant 
même  qu'il  y  fût  entré  et  le  confiait  à  un  patronage,  quel- 
quefois même  à  sa  famille.  Il  y  avait  là  le  germe  d'une 
réforme  très  heureuse,  Le  mineur,  sous  le  coup  de  la  révo- 
cation de  la  faveur  qui  lui  était  accordée,  et  qui  se  sentait 
surveillé,  avait  de  fortes  raisons  pour  se  bien  conduire. 
S'il  venait  à  faillir,  la  sanction  était  immédiate. 

C'est  ce  système  né  dans  notre  pays  et  conforme  à  nos 
mœurs  qu'on  aurait  pu  s'attacher  à  régulariser  et  à  perfec- 
tionner. On  préféra  aller  chercher  des  inspirations  dans 
les  législations  américaines. 

Aux  États-Unis,  les  lois  fixaient  en  général  un  âge  au- 
dessous  duquel  l'enfant  étant  considéré  comme  irrespon- 
sable, ne  pouvait  être  traduit  devant  les  tribunaux.  La 
p>olice  des  grandes  villes  se  trouvait  ainsi  impuissante  en 
face  d'une  véritable  armée  de  petits  délinquants,  vagabonds, 


LE  DROIT  PÉNAL  CONTEMPORAIN  123 

mendiants,  voleurs  ou  pis,  eissurés  d'une  impunité  com- 
plète. On  ne  pouvait  même  les  soumettre  à  aucune  mesure 
éducative.  Une  réforme  législative  fut  jugée  avec  raison 
indispensable  et  elle  fut  nécessairement  conforme  au  génie 
propre  des  institutions  américaines.  On  institua  un  juge 
particulier  auquel  on  donna  de  grands  pouvoirs,  et  on  utilisa 
le  vieux  système  qui  consistait  à  ajourner  le  jugement  jus- 
qu'après un  délai  d'épreuve,  en  chargeant  un  citoyen  ou 
la  police  de  surveiller  la  conduite  du  prévenu  pour  en  rendre 
compte  au  juge.  Lorsque  cette  institution  fut  révélée  en 
Europe,  grâce  à  une  active  propagande,  elle  y  devint  de 
mode,  et  tous  les  pays  firent  leur  loi  sur  les  tribunaux 
d'enfants. 

Notre  propre  loi  de  1912  est  sortie  de  ce  mouvement 
législatif.  Elle  a  consacré  les  réformes  qui  étaient  déjà 
depuis  longtemps  réalisées  chez  nous,  mais  elle  en  a  intro- 
duit de  nouvelles.  Elle  a  fixé  à  treize  ans  l'âge  au-dessous 
duquel  l'enfant  jouit  d'une  irresponsabilité  légale  absolue  ; 
elle  organise  une  procédure  qui  oblige  le  juge  à  s'enquérir 
de  la  moralité  du  milieu  où  l'enfant  a  grandi,  elle  supprime 
la  publicité  de  l'audience,  elle  permet  au  juge  de  réformer 
les  mesures  éducatives  qu'il  a  ordonnées,  enfin  elle  a  intro- 
duit dans  notre  législation  l'institution  anglo-saxonne  de 
la  liberté  surveillée.  Certaines  de  ces  innovations  ont  d'ail- 
leurs été  critiquées  et  semblent  en  effet  contestables.  Le 
texte  de  la  loi,  insuffisamment  étudié,  qui  présentait  des 
lacunes  graves  et  des  dispositions  inconciliables  avec  les 
nécessités  pratiques,  a  déjà  fait  l'objet  d'une  révision. 

Quoi  qu'il  en  soit,  le  problème  de  l'enfance  coupable 
demeure  l'un  des  problèmes  les  plus  douloureux  de  l'heure 
présente.  Les  statistiques  les  plus  sûres  comme  les  obser- 
vations les  plus  faciles,  prouvent,  d'une  part,  que  la  crimi- 


124  LE  DROIT  PÉNAL 

nalité  juvénile  s'accroît  dans  des  proportions  fort  inquié- 
tantes, et,  d'autre  part,  que  l'âge  moyen  de  la  criminalité 
s'abaisse  selon  une  courbe  très  rapide.  Il  est  inutile  d'insister 
sur  la  gravité  de  ce  mal  :  c'est  dans  la  criminalité  précoce 
que  se  recrute  la  criminalité  dangereuse  du  lendemain. 
On  l'a  compris  dans  le  monde  entier,  et  partout,  moralistes, 
philanthropes,  sociologues,  crimincJistes  et  législateurs 
cherchent  les  moyens  de  remédier  à  un  si  grand  danger 
social.  De  leurs  travaux  innombrables  et  de  leurs  efforts 
multipliés  se  sont  dégagés  du  moins  quelques  idées  géné- 
rales qui  se  rattachent  directement  au  mouvement  du 
droit  pénal  contemporain  et  en  caractérisent  les  tendances. 
On  a  d'abord  compris  que  l'intérêt  de  la  société,  comme 
son  devoir,  était  non  de  châtier  et  de  punir  l'enfant,  mais 
de  le  réformer.  Pour  lui,  l'amendement  doit  être  le  seul 
but  à  poursuivre,  et  on  peut  espérer  l'atteindre  parce  qu'il 
est  éducable.  L'expérience  de  tous  les  temps  a  reconnu 
et  la  science  moderne  a  établi  que  le  milieu  social  contribue 
beaucoup  plus  que  l'hérédité  à  la  formation  de  la  vie  morale. 
L'éducation,  dans  un  milieu  sain,  en  fournissant  des  exem- 
ples auxquels  la  loi  de  l'imitation  oblige  l'enfant  à  se  con- 
former, en  imposant  des  habitudes  qui  commandent 
ensuite  aux  pcissions,  en  soumettant  la  volonté  à  une  dis- 
cipline qui  l'assouplit  et  la  dirige,  l'éducation  disons-nous, 
exerce  une  influence  décisive  sur  la  mentalité  de  l'adulte. 
Voilà  pourquoi  on  a  unanimement  reconnu  que  la  peine 
qui  intimide  par  la  souffrance  n'était  pas  faite  pour  l'enfant. 
Il  faut  l'instruire  et  lui  donner  une  bonne  éducation  morale 
puisque  ce  moyen  présente  des  chances  sérieuses  de  réus- 
site. Mais  cette  éducation  ne  peut  être  que  l'œuvre  du  temps  ; 
ce  n'est  pas  en  quelques  jours,  ni  en  quelques  mois,  qu  on 
modifie  un  caractère  et  qu'on  modèle  une  âme.  On  ne  tiendra 


LE  DROIT  PÉNAL  CONTEMPORAIN  125 

donc  compte  en  poursuivant  ce  but  utilitaire,  ni  du  degré 
de  responsabilité  du  jeune  coupable,  ni  de  son  discerne- 
ment plus  ou  moins  développé,  ni  de  la  gravité  du  délit 
qu'il  a  pu  commettre.  Les  mesures  prises,  dans  son  intérêt 
et  pour  le  sauver  du  péril  moral  qui  le  menace,  ne  devront 
cesser  que  lorsque  l'œuvre  de  l'éducation  sera  accomplie. 

Ce  tableau  de  l'état  actuel  du  droit  criminel  serait  trop 
incomplet  si  nous  ne  signalions  en  terminant  la  théorie 
des  crimes  politiques  qui,  sous  un  autre  aspect,  le  carac- 
térise encore. 

L'idée  que  les  crimes  politiques  doivent  être  distingués 
des  crimes  de  droit  commun  est  récente.  Longtemps 
même  on  les  a  rangés  parmi  ceux  qui  devaient  être  le  plus 
sévèrement  punis.  Et  cette  conception  n'est  pcis  fausse  si 
on  ne  considère  que  la  gravité  du  mal  causé.  Celui  qui 
cherche  à  renverser  et  à  détruire  les  lois  fondamenteJes 
d'un  pays,  qui  suscite  des  insurrections  et  allume  les  guerres 
civiles,  qui  jette  le  trouble  dans  tous  les  rapports  écono- 
miques, qui  ruine  les  finances  publiques  et  les  fortunes 
particulières,  occasionne  un  trouble  social  infiniment  plus 
profond  que  le  plus  coupable  des  criminels  de  droit  commun. 
D'ailleurs  faut- il  s'étonner  qu'un  gouvernement  estime 
très  coupable  ceux  qui  méditent  de  le  renverser  ?  Aussi 
les  crimes  de  lèse-majesté  humaine  étaient-ils  punis  dans 
notre  ancien  droit  avec  une  grande  rigueur,  et  la  Révolution 
suivit  cette  tradition  sans  y  rien  changer.  Les  soldats  de 
Condé,  les  émigrés  qui  excitaient  les  rois  étrangers  à  faire 
la  guerre  à  la  France,  leurs  complices  supposés  à  l'intérieur, 
furent  considérés  comme  méritant  les  châtiments  que  la 
loi  réservait  aux  plus  grands  criminels,  et  la  Restauration 
à  son  tour  appliqua  les  mêmes  peines  aux  conspirateurs 
libéraux  et  bonapartistes.  Contre  ces  délinquants  qui  mena- 


126  LE  DROIT  PÉNAL 

çaient  le  salut  de  l'Etat,  la  peine  de  mort  parfiissait  légitime 
aux  consciences  les  plus  droites.  L'histoire  de  ces  temps 
troublés  est  incompréhensible  si  on  ne  tient  compte  de  ces 
conceptions  juridiques  anciennes. 

Ce  fut  Guizot  qui,  dans  deux  brochures  retentissantes, 
parues  en  1821  et  en  1822,  sous  le  titre,  l'une  «Des  cons- 
pirateurs et  de  la  justice  politique  »,  l'autre  «  De  la  peine 
de  mort  en  matière  politique  »,  affirma  la  nécessité  de  ne 
pas  confondre  les  délinquants  politiques,  avec  les  assassins 
et  les  voleurs.  Le  moment  était  d'ailleurs  favorable.  Chacun 
des  partis  en  présence  avait  été  tour  à  tour  vainqueur  et 
vaincu.  Royalistes,  Jacobins,  Bonapartistes  s'étaient  mutuel- 
lement envoyés  à  l'échafaud.  La  Terreur  avait  laissé  ses 
scunglants  souvenirs  dans  la  mémoire  de  tous  les  contem- 
porains, et  les  exécutions  de  la  «  Terreur  blanche  »  soule- 
vaient l'indignation  de  beaucoup  de  bons  citoyens.  Guizot 
pouvait  montrer  par  des  expériences  récentes  que  le  crime 
politique  a,  en  quelque  manière,  un  caractère  conditionnel, 
et  que  l'insurgé  peut  être,  ou  le  juge,  ou  l'accusé,  selon  la 
fortune  des  armes  ou  le  hasard  des  Révolutions.  11  dénon- 
çait le  péril  des  peines  irréparables,  appliquées  aux  cons- 
pirateurs. Il  prouvait  que  loin  d'eissurer  la  sécurité  de  l'État, 
les  exécutions  la  compromettent  plutôt  par  les  vengeances 
qu'elles  provoquent,  et  qu'il  est  de  mauvaise  politique  de 
faire  des  martyrs.  Il  insistait  enfin  sur  les  mobiles  hono- 
rables :  désir  du  bien  public  et  amour  de  la  patrie,  qui 
inspirent,  ou  au  moins  semblent  inspirer,  les  délinquants 
politiques  et  qui  ne  permettaient  pas  de  les  confondre 
avec  ceux  qui  tuent  par  cupidité.  Cependant  Guizot  ne 
demandait  pas  que  la  peine  de  mort  fut  abolie  en  droit 
pour  les  crimes  politiques.  Il  conseillait  seulement  au 
Roi  de  faire  grâce  et  de  ne  plus  permettre  que  les  conspi- 


LE  DROIT  PÉNAL  CONTEMPORAIN  127 

rateurs  expient  leur  crime  sous  la  hache  du  bourreau. 

Les  libéraux  de  1830  tinrent  au  pouvoir  les  promesses 
qu'ils  avaient  faites  dans  l'opposition.  Dès  le  lendemain 
de  la  Révolution  de  Juillet,  une  loi  déférait  au  jury  les 
délits  correctionnels  politiques.  En  même  temps,  le  Gou- 
vernement déclarait  solennellement  à  la  tribune  que  la 
France  n'accorderait  pluo  aucune  extradition  pour  crime 
politique  et  n'en  demanderait  jamais,  et  la  réforme  du  code 
pénal  en  1832  créait  une  échelle  spéciale  des  peines  poli- 
tiques. D'autre  part,  la  Cour  des  Pairs  condamnait  les 
ministres  de  Charles  X  à  la  prison  perpétuelle,  pour  des 
crimes  que  la  loi  punissait  de  mort,  et  le  Roi  Louis-Phi- 
lippe, se  conformant  aux  suggestions  de  Guizot,  commua 
tous  les  conspirateurs  ou  insurgés  condamnés,  sous  son 
règne,  à  la  peine  capitaJe.  Ainsi  fut  préparée  en  fait  l'abo- 
lition qui  fut  prononcée  en  droit  par  la  constitution  de  1 848. 
Depuis  cette  époque,  des  lois  nombreuses  ont  fait  de  nou- 
velles applications  pratiques  de  cette  théorie,  par  exemple 
en  matière  de  relégation  et  de  sursis  à  la  condamnation. 
Mais  surtout,  elle  a  de  plus  en  plus  pénétré  dans  la  cons- 
cience publique  et  elle  est  aujourd'hui  une  de  celles  qui 
sont  acceptées  unanimement  par  tous  les  partis. 

Mais  cette  théorie,  ainsi  instaurée  par  des  hommes 
politiques,  manquait  de  toute  précision  juridique.  Ils  avaient 
seulement  oublié  de  définir  le  crime  politique  1  Aussi  la 
pratique  s'est-elle  trouvée  en  face  des  plus  graves  diffi- 
cultés. On  a  cru  d'abord  et  on  soutient  encore  qu'il  faut 
considérer  comme  politique  tout  délit  commis  dans  un 
but  politique  et  qui  est  inspiré  par  un  mobile  politique. 
Mais  la  jurisprudence  a  toujours  refusé  d'admettre  cette 
interprétation  qui  dépasserait  certainement  les  intentions 
des  auteurs  de  la  réforme.  Elle  ne  range  parmi  les  infrac- 


128  LE  DROIT  PÉNAL 

lions  politiques  que  celles  qui  sont  telles  par  leur  objet, 
par  exemple  l'attentat  contre  la  sûreté  de  l'État  et  le 
complot.  En  conséquence,  on  a  déclaré  la  peine  de  mort 
applicable  aux  assassins  du  général  Bréa,  et  si,  en  1871, 
on  a  tenu  pour  criminels  politiques  ceux  qui  avaient  fait 
partie  de  l'armée  insurrectionnelle,  et  les  hommes  qui 
avaient  exercé  des  fonctions  dans  le  gouvernement  de  la 
Commune,  on  a  fait  exception  pour  les  incendiaires  et 
pour  les  assassins  des  otages.  A  fortiori,  a-t-on  refusé  la 
qualité  de  délinquants  politiques  aux  anarchistes  qui  tuent 
ou  qui  volent  sous  prétexte  de  détruire  la  société  bourgeoise. 
Au  cours  de  la  guerre  de  1914  la  cour  de  cassation  a  jugé 
que  les  attentats  contre  la  sûreté  extérieure  de  l'État,  sont 
passibles  de  la  déportation  dans  une  enceinte  fortifiée 
lorsqu'on  applique  le  code  pénal,  et  de  la  peine  de  mort 
lorsque  l'état  de  guerre  rend  le  code  de  justice  militaire 
applicable  même  aux  civils.  Ajoutez  encore  que  la  juris- 
prudence internationale  n'est  pas  moins  incertaine.  Après 
controverse,  les  traités  d'extradition  autorisent  aujourd'hui 
l'extradition  des  régicides  et  le  juge  anglais  a  décidé  que 
les  anarchistes  étaient  bien  des  délinquants  de  droit  com- 
mun ;  mais  après  1871,  les  puissances  étrangères  ont  refusé 
de  nous  livrer  des  insurgés  coupables  de  crimes  que  nos 
conseils  de  guerre  punissaient  de  mort. 

Ces  incertitudes  et  des  contradictions  indiquent  que  la 
théorie  des  crimes  politiques  est  encore  en  voie  de  formation. 
Même  aujourd'hui  elle  n'a  pénétré  que  faiblement  ou  n'a 
pas  pénétré  du  tout  dans  les  législations  étrangères.  D'ail- 
leurs, dans  les  pays  où  la  peine  de  mort  est  absolument 
abolie,  elle  perd  une  partie  de  son  intérêt  pratique.  Il  serait 
certes  téméraire  de  chercher  à  prévoir  quel  avenir  lui  est 
réservé  dans  les  sociétés  nouvelles,  agitées  par  les  luttes 


LE  DROIT  PÉNAL  CONTEMPORAIN  129 

sociales.  Mais  on  peut  affirmer  du  moins  qu'en  distinguant 
le  délinquant  politique  du  délinquant  de  droit  commun, 
en  établissant  des  peines  différentes  pour  l'un  et  pour  l'autre, 
en  abolissant  la  peine  de  mort  pour  les  crimes  contre  la 
sûreté  intérieure  de  l'État,  la  France  a  accompli  une  heu- 
reuse réforme,  dont  elle  a  le  droit  d'avoir  quelque  fierté, 
et  qu'on  ne  saurait  abandonner  sans  trahir  la  cause  du 
progrès.  Peut-être  même  cette  théorie  du  crime  politique 
n'est-elle  qu'une  première  ébauche  d'une  théorie  plus 
générale  qui  établira  un  système  de  peines  parallèles  pour 
touô  les  crimes  et  pour  tous  les  délits. 


BIBLIOGRAPHIE 

Pour  le  droit  révolutionnaire  :  Archives  parlementaires,  notam- 
ment pour  la  préparation  du  code  pénal  de  1791 .  —  Henri  Remy, 
Les  principes  généraux  du  code  pénal  de  1 791 .  —  Jui.LIOT  DE  LA  Mo- 
RANDIÈRE,  De  la  règle  nulla  poena  sine  lege. 

Pour  la  philosophie  pénale  :  Franck,  Philosophie  du  droit  pénal. 
—  TiSSOT,  Le  droit  pénal.  —  ViDAL,  Principes  fondamentaux  de  la 
pénalité.  —  Saleillfs,  L'individualisation  de  la  peine. 

Pour  le  code  pénal  de  1811  :  LoCRE,  Les  travaux  préparatoires  du 
code  pénal.  —  Moniteur  et  Journal  Officiel,  les  travaux  préparatoires 
des  lois  complémentaires  du  code  pénal.  Les  recueils  de  SiREY 
et  de  Dalloz  en  donnent  en  général  d'assez  bons  résumés.  —  Les 
commentateurs  du  code  pénal  et  notamment  traités  de  Blanche, 
Chauveau  et  Helie,  Garraud,  Trebutien  Ortolan,  Molinier 
et  Vidal,  Laborde,  Degeois,  Roux.  —  Addè,  Notre  code  pénal 
annoté. 

Pour  la  science  pénitentiaire  '.  La  Revue  pénitentiaire  (Bulletin 
de  la  Société  des  Prisons).  —  D'Haussonville,  Les  Établissements 
pénitentiaires  en  France  et  dans  les  colonies.  —  CuCHE,  Traité  de 
science  et  de  législation  pénitentiaires.  —  On  trouvera  en  outre  une 
bibliographie  sommaire  de  la  Science  pénitentiaire  dans  notre  code 
pénal  annoté,  tome  I,  page  38  et  celle  des  crimes  politiques,  page  1 1 . 

9.  GARÇON. 


CHAPITRE  V 
LES  QUESTIONS  ACTUELLES 

Nous  avons  montré  jusqu'ici  de  quelle  manière  l'Etat 
a  conquis  le  droit  de  punir,  qui  appartenait  à  l'origine  aux 
groupements  primitifs,  puis  comment  ce  droit  a  été  cons- 
titué en  corps  de  science  juridique,  pour  parvenir  enfin 
au  point  où  il  apparaît  actuellement  dans  les  Codes  des 
peuples  civilisés.  Pour  terminer  ce  rapide  exposé  de  l'évo- 
lution du  droit  criminel,  nous  devons  maintenant  chercher 
à  dégager  les  questions  qui  sont  à  cette  heure  le  plus  vive- 
ment discutées  et  dont  la  solution  paraît  actuellement  urgente. 
On  a  souvent  parlé  de  la  «  crise  «  du  droit  pénal  et  de  la 
«  banqueroute  »  de  la  répression.  Ces  expressions  sont 
excessives  et  manquent  de  justesse.  Mais  il  est  cependant 
indéniable  que  le  mouvement  général  des  idées  à  notre 
époque  et  les  méthodes  scientifiques  contemporaines  ont 
ébranlé  les  bases  traditionnelles  de  la  répression,  posé  le 
problème  de  la  criminalité  sous  un  aspect  nouveau,  et 
provoqué  enfin  des  doutes  devant  lesquels  hésite  la  cons- 
cience publique. 

Pour  apercevoir  ces  difficultés  avec  quelque  clarté,  c  est 
naturellement  aux  théories  sur  le  fondement  du  droit 
de  punir  qu'il  faut  remonter,  car  ce  sont  elles  qui,  toujours, 
consciemment  ou  inconsciemment,  dominent  la  vie  pra- 
tique. 

Or,  la  philosophie  contemporaine  ne  paraît  avoir  fait 


LES  QUESTIONS  ACTUELLES  131 

aucune  tentative  sérieuse  pour  renouveler  la  doctrine  spi- 
ritualiste,  qui  place  ce  fondement  dans  l'expiation  de  la 
faute  commise  par  le  coupable.  Non  pas  qu'elle  ne  compte 
encore  de  nombreux  partisans  et  des  plus  autorisés  ;  de 
très  hauts  et  de  très  fermes  esprits  la  professent  encore. 
Mais  l'école  éclectique  qui,  pour  la  rendre  plus  acceptable, 
l'a  tempérée  de  considérations  utilitaires,  paraît  avoir  été 
son  dernier  effort  créateur.  Cette  grande  doctrine  est  restée 
sur  ses  positions  traditionnelles.  Ceux  qui  l'admettent  se 
sont  attachés,  moins  à  donner  de  nouvelles  raisons  à  l'appui 
de  leur  croyance,  qu'à  combattre  les  théories  de  leurs 
adversaires. 

Toutes  ces  questions,  au  contraire,  ont  été  reprises  et 
renouvelées  par  les  philosophes  positivistes. 

Ils  ont  d'abord  soumis  à  la  critique  la  plus  aiguë  la  doc- 
trine dite  classique.  Ils  ont  affirmé  qu'elle  conduisait  à 
punir  trop  ou  trop  peu.  Trop,  car  toute  faute  morale  exi- 
geant un  châtiment,  la  loi  pénale  devrait  incriminer  tous 
les  faits  immoraux  ;  trop  peu,  car  la  peine  étant  une  expia- 
tion, ne  devrait  atteindre  que  les  faits  immoraux.  Or,  c'est 
une  double  impossibilité.  Les  codes  ne  sauraient  certaine- 
ment pas  atteindre  tous  les  actes  immoraux,  et,  d'autre 
part,  ils  punissent  un  grand  nombre  de  faits  qui,  il  faut 
bien  le  reconnaître,  sont  indifférents  en  morale.  Il  ne  faut 
pas  tomber  dans  une  telle  confusion  :  le  domaine  de  la 
morale  et  celui  du  droit  pénal  positif  doivent  demeurer 
distincts.  Ce  ne  sont  même  pas,  comme  on  l'a  dit  à  tort, 
deux  cercles  concentriques  ;  ce  sont  deux  cercles  qui  se 
coupent,  qui  ont  une  surface  commune,  mais  aussi  chacun 
une  surface  qui  leur  est  propre.  Sans  doute  l'école  éclec- 
tique a  tenté  d'échapper  à  ces  objections  en  déclarant  que, 
parmi  les  actes  immoraux,  la  société  ne  doit  punir  que  ceux 


132  LE  DROIJ  PÉNAL 

qui  lui  nuisent.  Mais  cette  doctrine,  en  laissant  à  la  peine 
son  caractère  expiatoire,  ne  parvient  pas  à  justifier  l'incri- 
mination des  faits  indifférents  en  morale.  Et,  en  réalité, 
le  législateur  de  tous  les  temps  n'a  jamais  pris  en  considé- 
ration que  l'utilité  sociale  toute  pure  quand  il  a  dressé  la 
liste  des  incriminations  punissables  et  déterminé  les  peines 
applicables.  Tout  le  reste  est  phrases  et  déclamations. 

Mais  il  y  a  plus.  Toute  doctrine  qui  donne  à  la  peine 
un  caractère  expiatoire,  repose  essentiellement  sur  la  res- 
ponsabilité humaine.  Mais  cela  suppose  résolue  la  question 
métaphysique  du  libre  arbitre.  Or,  beaucoup  de  philosophes 
le  nient  et,  en  tous  cas,  c'est  un  postulat  non  démontré. 
Q)mment  édifier  le  droit  pénal  positif  sur  une  base  aussi 
controversée  et  aussi  fragile  ?  D'ailleurs,  en  supposant 
que  l'homme  soit  libre  et  responsable  et  qu'en  conséquence 
le  châtiment  doive  être  proportionné  à  la  faute  morale, 
qui  donc  mesurera  ce  degré  de  responsabilité  ?  Comment 
le  juge  pourra-t-il  pénétrer  le  secret  de  la  conscience  de 
l'accusé.  Toute  appréciation  sur  ce  point  est  nécessairement 
et  essentiellement  subjective.  Le  juge  ne  peut  interroger 
que  sa  propre  conscience,  non  celle  du  coupable,  et  en  réa- 
lité, c'est  bien  ce  qu'il  fait  :  il  cherche  à  juger  autrui  en 
supposant,  par  un  effort  d'imagination,  qu'il  est  cet  autre. 
Mais  pour  que  le  raisonnement  soit  juste,  il  faudrait  que 
leur  conscience  fut  identique.  Or,  non  seulement,  elles  ne 
le  sont  pas,  mais  rien  ne  dit  qu'elles  soient  semblables,  et 
même  on  peut  affirmer  qu'elles  ne  le  sont  pas,  car  chacun 
obéit  à  des  influences  héréditaires  ou  de  milieu  qui  varient 
à  l'infini.  Ainsi,  même  si  l'homme  est  libre,  la  justice  hu- 
maine doit  renoncer  à  mesurer  le  châtiment  à  la  respon- 
sabilité du  coupable.  Dieu  seul  le  peut. 

Enfin  quelle  commune  mesure  veut-on  établir  entre  la 


LES  QUESTIONS  ACTUELLES  133 

faute  morale  et  la  peine  sociale  ?  La  faute  morale  s'expie 
par  le  repentir  et,  théologiquement,  par  la  contrition  ;  en 
quoi  une  souffrance  physique  peut-elle  la  réparer  ?  Com- 
ment une  amende  ou  une  privation  de  liberté  sont-elles 
une  réparation  d'un  vol  avec  escalade  ou  d'un  attentat  à 
la  pudeur  ?  Quelle  proportion  établir  entre  le  nombre 
de  francs  d'amende  et  les  journées  d'emprisonnement,  et 
le  degré  de  responsabilité  morale  du  coupable,  en  admettant 
qu'on  puisse  le  connaître  et  le  préciser. 

Ces  critiques  ont  conduit  les  philosophes  positivistes  à 
donner  à  la  peine  un  fondement  purement  utilitaire.  Ils 
considèrent  le  crime  comme  un  phénomène  socid  soumis 
à  des  lois  naturelles,  que  la  science  doit  découvrir  et  for- 
muler. D'autre  part,  d'illustres  sociologues  voient  dans  la 
société  un  organisme,  composé  de  cellules  vivant  de  leur 
vie  propre,  et  qui  ont  pourtant  pour  fin  la  conservation  de 
l'organisme  tout  entier.  L'homme  se  développe  individuel- 
lement, mais  doit  s'adapter  au  milieu  social  dont  il  fait 
partie  intégrante.  La  répression  n'apparaît  dès  lors  que 
comme  une  application  de  la  loi  naturelle  de  conservation 
qui  s'impose  à  tout  organisme.  La  société  peut  être  menacée 
par  deo  dangers  extérieurs  ou  intérieurs.  Lorsqu'un  Etat 
est  menacé  par  un  autre  Etat,  la  réaction  se  produit  souo  la 
forme  d'une  guerre  défensive.  Contre  l'ennemi  intérieur, 
c  est-à-dire  contre  le  criminel  qui  menace  la  sécurité  sociale, 
cette  réaction  défensive  s'affirme  par  la  peine  qui  ira,  s'il 
le  faut,  jusqu'à  l'élimination  du  coupable.  On  n'a  jamais 
douté  qu'un  pays  ait  le  droit  de  prendre  les  armes  pour 
repousser  l'envahisseur.  Il  n'est  pas  nécessaire  de  chercher 
ailleurs,  ni  plus  loin,  le  fondement  du  droit  de  punir.  C'est 
une  réaction  nécessaire  et  instinctive  de  l'organisme  social. 
La  peine  n'est  pas  le  châtiment  de  la  faute  commise,  mais 


134  LE  DROIT  PÉNAL 

une  simple  mesure  de  sécurité  publique.  Cette  réaction 
doit  s'exercer  contre  tous  ceux  qui  menacent  l'ordre  dans 
l'Etat,  sans  qu'il  soit  nécessaire  de  rechercher  et  d'affirmer 
s'ils  sont  libres  ou  ne  le  sont  pas.  Le  droit  de  défense  existe 
contre  la  brute  privée  de  toute  raison.  La  mesure  de  sûreté 
prendra  seulement  des  formes  diverses  et  son  régime  variera 
selon  qu'il  s'agira  d'un  délinquant  occasionnel  ou  d'un 
incorrigible,  d'un  criminel  possédant  l'usage  de  toutes 
ses  facultés  intellectuelles  ou  d'un  aliéné,  mais  elle  aura 
dans  tous  les  cas  pour  mesure,  non  plus  le  degré  de  res- 
ponsabilité de  l'agent,  mais  ce  qui  est  indispensable  pour 
assurer  l'ordre  public. 

Cette  théorie  séduisit  beaucoup  d'esprits.  Cependant 
il  est  facile  d'apercevoir  qu'elle  n'est  nouvelle  qu'en  appa- 
rence et  qu'elle  n'est  autre  que  la  très  vieille  doctrine 
utilitaire.  Cette  théorie  a  pris  selon  les  temps  les  formes 
les  plus  diverses.  Au  XVIII^  siècles  on  l'a  présentée  comme 
une  conséquence  du  contrat  social  ;  Bentham  l'a  montrée 
sous  un  autre  jour.  Les  positivistes  l'ont  seulement  exprimée 
d'une  façon  différente  qui  correspondait  mieux  aux  idées 
courantes  de  leur  temps,  en  lui  donnant  une  allure  scien- 
tifique, et  en  employant  une  terminologie  empruntée  à  la 
biologie  et  à  la  médecine.  Je  dirais  volontiers  qu'ils  l'ont 
habillée  à  la  mode  du  jour.  Mais,  au  fond,  ils  n'ont  pas 
changé  grand  chose  à  des  idées  depuis  longtemps  connues. 
Il  ne  faut  donc  pas  s'étonner  si  on  leur  a  opposé  deux  ordres 
d  objections  :  les  premières  sont  celles  qu'on  a  toujours 
faites  aux  doctrines  utilitaires  quelles  qu'elles  soient  ;  les 
secondes  qui  s'attaquent  à  l'identification  de  la  société  et 
d'un  organisme  vivant.  C'est,  a-t-on  dit,  une  comparaison 
qui,  si  on  la  pousse  trop  loin,  manque  de  toute  justesse 
et  de  toute  rigueur  scientifique.  Et  il  est  possible,  en  effet, 


LES  QUESTIONS  ACTUELLES  135 

que  par  certains  côtés  cette  construction  soit  fragile.  Meus 
il  est  impossible  de  ne  pas  reconnaître  l'influence  que  cette 
grande  doctrine  a  exercée  plus  encore,  peut-être,  par  sa 
critique  de  la  peine  expiatrice  que  par  ses  propres  affirma- 
tions. 

Au  surplus,  ces  théories  étaient  l'œuvre  de  philosophes 
qui,  cherchant  un  système  général  du  monde,  avaient 
trouvé  sur  leur  route  la  question  de  la  répression  et  qui 
l'avaient  résolue  en  passant.  Avec  eux,  elles  n'étaient  pas 
sorties  du  domaine  de  la  spéculation  pure.  Mais  elles  allaient 
être  acceptées  et  vulgarisées  par  l'Ecole  d'Anthropologie 
criminelle,  dont  toute  l'activité  scientifique  s'est  exclusi- 
vement concentrée  sur  le  problème  pénal  et  qui  a  exercé 
sur  l'opinion  publique  une  influence  encore  beaucoup  plus 
directe. 

Cette  Ecole  a  eu  pour  chef  et  pour  fondateur  le  docteur 
Lombroso,  Ses  premiers  travaux  ont  paru  dans  les  comptes- 
rendus  de  l'Institut  Lombard  de  1871  à  1876.  Ils  furent 
ensuite  reproduits  et  complétés  dans  VUomo  dehnquente 
et  les  autres  ouvrages  que  Lombroso  a  publiés,  sans  inter- 
ruption, pendant  tout  le  cours  de  sa  vie  scientifique.  Il  a 
trouvé  en  Italie  et  dans  tous  les  pays  du  monde  des  dis- 
ciples fervents  et  convaincus.  En  France,  ses  idées  furent 
un  moment  acceptées  dans  le  cercle  de  la  Revue  que  diri- 
geait à  Lyon  le  docteur  Lacassagne.  D'ailleurs,  tous  les 
procédés  de  propagande  ont  été  mis  en  œuvre  pour  répandre 
la  doctrine  nouvelle  :  livres,  leçons,  conférences  et  discours, 
revues  et  congrès,  articles  de  journaux  et  interviews.  Ainsi 
elle  a  pénétré  dans  les  milieux  les  plus  divers.  Avec  ses 
allures  révolutionnaires,  son  mépris  de  «  l'école  classique  », 
sous  des  formes  d'ailleurs  souvent  incomplètes  et  inexactes, 
elle  a  joui  pendant  un  temps  d'une  véritable  popularité. 


136  LE  DROIT  PÉNAL 

Il  est  impossible  de  résumer  en  quelques  pages  les  tra- 
vaux considérables  des  anthropologistes,  et,  en  le  tentant, 
on  risquerait  seulement  de  dénaturer  leur  pensée.  Ils  pro- 
fessent d'abord  toutes  les  doctrines  des  philosophes  posi- 
tivistes, au  point  qu'ils  ont  eux-mêmes  désigné  leur  secte 
sous  le  nom  «  d'Ecole  positiviste  ».  Ils  assignent  à  la  peine 
un  but  utilitaire  sans  aucun  caractère  expiatoire,  et  nul 
mieux  que  l'un  des  plus  fermes  disciples  de  M.  Lombroso 
n'a  appliqué  au  droit  criminel  les  théories  de  la  société 
organisme  vivant,  de  l'évolution  et  de  la  sélection  naturelle. 
Mais,  nous  l'avons  dit,  de  nombreux  philosophes  l'avaient 
fait  avant  les  anthropologistes  et  leur  originalité  n'est  pas 
là.  L'œuvre  propre  de  l'école  d'anthropologie  criminelle  est 
d'avoir  introduit  dans  les  études  de  criminologie  les  mé- 
thodes de  la  science  de  l'anthropologie  créée  en  France 
par  Broca  et  ses  élèves.  Elle  a  prétendu  pouvoir  par  là 
déterminer  les  caractères  du  type  criminel,  comme  on  a 
pu  préciser  le  type  mongol  et  le  type  caucasien.  On  a  donc 
pesé  et  mesuré  les  criminels  détenus  dan»  les  prisons  ita- 
liennes, relevé  leurs  anomalies  physiologiques,  étudié  leurs 
fonctions,  leur  psychologie,  leur  argot,  leur  écriture,  leurs 
tatouages,  on  a  comparé  ces  observations  à  celles  relevées 
sur  des  soldats,  des  étudiants,  des  fonctionnaires,  ou  tous 
autres  réputés  honnêtes  gens,  parce  qu'ils  n'ont  pas  de 
casier  judiciaire,  et  de  cette  comparaison  on  a  prétendu 
tirer  la  conclusion  que  certaines  tares  se  rencontreraient 
plus  fréquemment  chez  les  condamnés  que  sur  ceux  qui 
ne  l'ont  jamais  été.  Lorsque  ces  tares  seraient  réunies, 
elles  caractériseraient  le  criminel-né,  voué  au  mal  par  fata- 
lité héréditaire. 

Cependant,  ces  doctrines  se  sont  heurtées  à  des  objec- 
tions nombreuses,  puissantes  et  décisives.  Il  n'a  pas  été 


I 
LES  QUESTIONS  ACTUELLES  137 

difficile  de  montrer  que  le  type  du  criminel-né  n'avait 
aucune  réalité  objective,  et  combien  il  serait  hasardeux 
de  prétendre  diagnostiquer  le  délinquant  sur  de  simples 
mensurations  et  quelques  constatations  purement  physio- 
logiques, La  méthode  expérimentale  exige  plus  de  circons- 
pection et  le  véritable  esprit  scientifique  plus  de  rigueur. 
Aussi,  après  avoir  brillé  d'un  vif  éclat,  l'école  d'anthropo- 
logie criminelle  paraît  déjà  sur  son  déclin.  Elle  paraît  des- 
tinée au  même  sort  que  la  phrénologie  qui  eut  aussi  son 
heure  de  succès  et  qui  est  tombée  si  rapidement  dans  l'oubli. 
11  semble  qu'on  ne  sortira  pas  de  la  vérité  en  disant  qu'elle 
n'a  plus  guère  qu'une  valeur  historique. 

Pourtant,  on  l'a  dit  avec  raison,  ce  grand  effort  des  anthro- 
pologistes  n'est  pas  demeuré  stérile.  On  a  pu  contester 
ses  conclusions,  réfuter  ses  erreurs,  et  il  appartiendra  à 
de  nouvelles  recherches  de  les  corriger.  Mais  construire 
des  hypothèses  hasardeuses,  qui  s'écroulent  sous  le  poids 
de  la  critique,  procéder  par  retouches  successives,  marcher 
en  hésitant,  au  milieu  des  conjectures,  n'est-ce  pas,  après 
tout,  l'allure  ordinaire  de  la  science.  En  appelant  l'attention 
des  pénalistes  et  du  grand  public  sur  les  questions  qu'elle 
a  soulevées,  l'école  d'anthropologie  a  puissamment  con- 
tribué au  progrès  des  études  criminologiques.  Il  serait 
mjuste  de  méconnaître  les  services  que  l'école  italienne  a 
rendus  en  posant  le  problème  de  la  criminalité  sur  le  terrain 
expérimental.  La  médecine  a  été  transformée  le  jour  où 
elle  a  compris  qu'elle  devait  soigner  les  malades  et  non 
plus  discerter  sur  les  maladies.  C'est  un  progrès  semblable 
que  les  études  criminologiques  ont  fait,  quand  les  anthro- 
pologistes  se  sont  préoccupés  non  plus  du  crime,  simple 
entité  juridique,  mais  du  criminel  qui,  lui,  est  bien  une 
réalité  vivante  et  agissante.  C'est  dans   cette  voie   qu'il 


138  LE  DROIT  PÉNAL 

faudra  marcher  si  on  veut  constituer  une  criminologie 
vraiment  scientifique.  Les  dissertations  rationnelles  sur  le 
délit,  les  impressions  vagues  des  magistrats  et  des  avocats, 
même  les  observations  générales  et  les  statistiques,  ne  nous 
livrent  que  des  conclusions  confuses  et  incertaines.  L'obser- 
vation individuelle  du  délinquant,  portant  sur  sa  consti- 
tution physique  et  son  hérédité,  et  à  la  fois  sur  le  milieu 
où  il  a  vécu,  sur  sa  psychologie,  sur  ses  qualités  et  sur  ses 
vices,  en  un  mot,  sur  toutes  les  Influences  qui  se  sont  exer- 
cées sur  lui,  et  l'ont  amené  au  crime,  permettra  seule 
de  formuler  des  conclusions  démonstratives  et  sûres. 

Mïiis  on  n'aurait  qu'une  vue  très  incomplète  du  mouve- 
ment scientifique  contemporain  relativement  au  crime  et 
au  criminel,  si  on  oubliait  les  travaux  des  aliénistes.  Ce 
sont  eux,  en  effet,  bien  plus  que  les  philosophes  et  les  anthro- 
pologlstes,  qui  ont  exercé  une  influence  sur  la  pratique  de 
la  répression.  Médecins  experts,  devant  les  tribunaux,  ils 
ont  contribué  dans  la  plus  large  mesure  à  créer  une  jurispru- 
dence qui,  respectant  en  apparence  les  bases  traditionnelles 
du  droit  pénal,  en  ont  en  réalité  bouleversé  l'application. 

Dès  que  la  médecine  mentale  a  commencé  à  se  cons- 
tituer scientifiquement,  on  a  aperçu  le  lien  étroit  qui  unit 
la  folle  et  le  crime.  Dans  notre  ancien  droit,  les  aliénés 
criminels  étalent  jetés  dans  les  prisons,  quelquefois  con- 
damnés et  exécutés  à  mort.  Mais  depuis  Pinel,  les  choses 
ont  changé.  On  a  admis  que  ces  malades,  considérés  comme 
irresponsables,  devaient  échapper  à  toute  répression  et 
cette  cause  de  justification  a  été  formellement  reconnue 
et  consacrée  par  tous  les  codes  pénaux.  Cependant,  dans 
la  première  moitié  du  XIX®  siècle,  on  ne  mit  ainsi  hors  du 
droit  répressif  que  les  malheureux  dont  la  raison  avait 
complètement  sombré,  et  dont  le  désordre  d'esprit  était 


LES  QUESTIONS  ACTUELLES  139 

évident,  les  fous  furieux,  les  déments  incapables  de  tout 
discernement.  Mais  les  progrès  de  la  psychiatrie  montrèrent 
bientôt  qu'il  existe  des  formes  de  folies,  qui  ne  se  révèlent 
par  aucune  excentricité,  par  aucun  trouble  apparent  des 
facultés  intellectuelles  et  qui  pourtant  constituent  des  cas 
pathologiques  parfaitement  caractérisés.  Ces  monomanies 
conduisent  souvent  le  malade  —  le  persécuté  persécuteur 
par  exemple  —  aux  pires  violences.  Ce  sont  encore  des  fous 
et  même  des  aliénés  particulièrement  dangereux.  Plus 
encore  :  les  aliénistes  ont  établi,  avec  une  évidence  scien- 
tifique qui  force  toutes  les  convictions,  qu'il  existe  entre 
la  raison  et  la  folie,  une  limite  incertaine.  C'est  une  grave 
erreur  de  croire  que  les  hommes  sont  ou  aliénés  ou  raison- 
nables, responsables  ou  irresponsables.  Il  y  a  au  contraire 
des  esprits  plus  ou  moins  lucides,  des  volontés  plus  ou 
moins  vacillantes,  sans  qu'on  puisse  reconnaître  avec  pré- 
cision, où  cesse  la  raison  et  où  commence  la  folie.  Il  est 
impossible  de  dire  qu'ils  sont  aliénés,  il  ne  serait  pas  moins 
téméraire  d'affirmer  qu'ils  sont  sains  d'esprit.  Tels  sont 
en  particulier  les  dégénérés.  Ils  portent  d'ordinaire  le  poids 
d'une  très  lourde  hérédité,  souvent  d'une  hérédité  alcoo- 
lique, et  on  constate  sur  leur  personne  des  stigmates  et 
des  tares  qui,  au  fond,  sont  précisément  ceux  que  Lom- 
broso  a  retrouvé  chez  un  grand  nombre  de  criminels.  Au 
moral,  ils  sont  imprévoyants,  vaniteux,  menteurs,  vicieux, 
instables,  paresseux  par  neurzisthénie,  impatients  de  toute 
discipline,  surtout  impulsifs.  Que  ce  soit  parmi  ces  défec- 
tueux que  se  recrutent  un  grand  nombre  de  délinquants, 
il  est  impossible  de  ne  pas  l'avouer.  Les  préjugés  philoso- 
phiques, les  croyances  religieuses,  les  habitudes  d'esprit 
et  les  partis-pris  n'autorisent  pas  à  nier  une  vérité  établie 
par  tant  de  preuves  et  avec  une  si  complète  certitude. 


140  LE  DROIT  PÉNAL 

Toutes  les  théories  que  nous  venons  d'indiquer  ont  été 
agitées  dans  le  domaine  de  la  science  pure.  Il  faut  mainte- 
nant chercher  à  dégager  l'influence  qu'elles  ont  exercée 
sur  la  vie  pratique  du  droit  criminel. 

On  peut  affirmer  d'abord,  croyons-nous,  sans  s'expKjser 
à  commettre  aucune  erreur,  que  ni  les  doctrines  des  philo- 
sophes, ni  les  affirmations  des  déterministes,  ni  les  obser- 
vations des  anthropologistes,  n'ont  fait  disparaître  de  la 
conscience  humaine  deux  idées  qui  en  sont  l'honneur  et 
en  font  la  dignité,  celle  du  mérite  et  du  démérite  d'une 
part,  celle  de  la  justice  d'autre  part. 

La  vertu  est  honorée  et  le  vice  flétri.  La  meilleure  récom- 
pense de  l'honnête  homme  est  d'obtenir  l'estime  des 
autres,  et  la  honte  que  ressent  celui  qui  est  chargé  de  l'op- 
probre public  une  des  plus  vives  souffrances  qui  puisse 
affecter  l'âme  humaine.  Ces  sentiments  élémentaires,  qui 
se  sont  imposés  aux  consciences  les  plus  obscures  et  les 
plus  primitives  et  qui  sont  les  premières  à  s'éveiller  dans 
1  esprit  de  l'enfant  constituent  une  des  forces  les  plus  puis- 
santes qui  maintiennent  l'ordre  social,  soutiennent  les 
mœurs,  dirigent  le  monde  moral.  Il  est  possible  qu'ils  soient 
nés  des  nécessités  impérieuses  de  la  vie  en  commun,  et 
qu'ils  résultent  de  l'instinct  social  lui-même.  Mais  ils  sont 
indissolublement  liés  à  l'idée  de  la  responsabilité  humaine. 
L  homme  vertueux  mérite  une  récompense  par  la  même 
raison  que  le  criminel  doit  expier  sa  faute  :  parce  que  l'un 
et  l'autre  l'ont  mérité,  c'est-à-dire  parce  qu'ils  l'ont  voulu. 
Que  l'homme  soit  libre  ou  qu'il  ne  le  soit  pas,  il  est  certain 
qu  il  croit  l'être,  et  nul  raisonnement  n'est  jamais  parvenu 
à  faire  disparaître  cette  foi.  C'est  là  un  fait  qui  s'impose 
comme  tous  les  autres  faits  sociaux  et  dont  la  sociologie  ne 
peut  pas  ne  pas  tenir  compte.  Ce  serait  une  grande  illusion 


LES  QUESTIONS  ACTUELLES  141 

de  croire  qu'on  pourra  abolir  cette  croyance  par  des  lois, 
et  qu'il  suffirait  d'écrire  et  de  promulguer  des  codes  pénaux, 
faisant  abstraction  de  toute  notion  de  responsabilité,  pour 
qu'elle  soit  détruite  dans  la  conscience  humaine  et  sup- 
primée dans  la  pratique  de  la  répression. 

L'idée  de  Justice  n'est  pas  moins  profondément  gravée 
dans  le  cœur  humain.  Elle  est  générale  et  universelle. 
L'ethnographie  en  constate  l'existence  chez  les  racco  les 
plus  arriérées,  l'histoire  chez  les  peuples  les  plus  primitifs, 
et  tout  le  monde  sait  combien  il  est  vif  chez  l'enfant  et 
même  chez  le  criminel  le  plus  endurci.  Sans  doute,  on  a 
critiqué  cette  notion  de  justice.  On  a  dit  qu'elle  manquait 
de  précision  et  de  fixité,  variant  suivant  les  temps  et  selon 
les  lieux  :  elle  est  autre  pour  la  raison  du  moraliste,  arrivé 
à  un  haut  degré  de  culture,  autre  pour  la  conscience  frustre 
d'un  primitif.  Dans  tous  les  cas  elle  semble  se  réduire  au 
concept  fondamental,  unique  et  très  simple  d'une  équation. 
A  l'origine,  elle  prend  la  forme  du  talion  et  pour  l'esprit 
moderne  d'une  égalité  entre  le  châtiment  et  le  degré  de 
responsabilité  du  coupable.  Tout  cela  est  possible.  Mais 
il  n'en  reste  pas  moins  vrai  que  le  désir  de  réîiliser  cette 
justice  est  une  des  lois  fondamentales  de  l'esprit  humain, 
et  qu'elle  lui  apparaît  comme  un  bien  suprême  dont  il 
cherche  à  s'approcher  le  plus  qu'il  peut,  qu'il  fait  de  vains 
efforts  pour  l'atteindre,  mais  qu'il  regarde  au  moins  comme 
un  idéal  vers  lequel  il  doit  tendre. 

Mais  si  ces  idées  de  responsabilité  morale  et  de  justice 
restent  intactes  dans  la  conscience  humaine,  les  doctrines 
modernes  ont,  au  contraire,  gravement  affecté  les  consé- 
quences pratiques  qu'on  en  doit  tirer.  En  dernière  analyse 
on  peut  même  dire  qu'elles  ont  eu  pour  résultat  d'en  assurer 
des  applications  nouvelles  plus  exactes  et  plus  logiques. 


142  LE  DROIT  PENAL 

Tant  qu'on  a  considéré  la  responsabilité  comme  indi- 
visible, la  tâche  du  juge  a  paru  aisée.  Il  ne  devait  résoudre 
qu'une  seule  question  :  L'accusé  est-il  sain  d'esprit  ou 
aliéné  ?  On  estimait  d'ailleurs  que  ce  juge  pouvait  la  ré- 
soudre lui-même  sans  se  livrer  à  aucune  recherche  parti- 
culière et  sans  recourir  à  aucune  expertise.  S'il  pensait 
que  le  coupable  était  responsable,  il  appliquait  la  peine, 
en  se  plaçant  surtout  au  point  de  vue  objectif,  en  tenant 
compte  surtout  des  nécessités  de  la  répression  sociale. 
Cette  peine  était  juste  puisqu'elle  était  méritée  par  le 
crime. 

Ce  sont  ces  vues  simplistes  que  les  théories  modernes 
ont  ébranlées.  Personne  ne  nie  plus  que  la  volonté  humaine 
soit  conditionnée  et  on  en  tire  cette  conséquence  que  la 
responsabilité  a  des  degrés,  et  qu'elle  varie  pour  chaque 
coupable  selon  des  contingences  Infiniment  diverses.  Et 
à  mesure  qu'on  a  mieux  étudié  le  problème,  ces  causes 
d'atténuation  de  la  responsabilité  se  sont  multipliées.  Avec 
les  aliénistes  on  les  a  trouvées  d'abord  dans  les  tares  phy- 
siologiques, qui  obscurcissent  plus  ou  moins  le  discernement 
et  rendent  la  volonté  plus  ou  moins  ferme.  Sans  croire  au 
délinquant-né  de  Lombroso,  il  a  bien  fallu  reconnaître, 
nous  l'avons  dit,  qu'il  existe  des  défectueux,  qui  cèdent 
facilement  à  leurs  impulsions,  à  leurs  paissions  mauvaises, 
à  leurs  instincts  pervers.  Avec  les  sociologues  on  recon- 
naît encore  que  les  influences  sociales  du  milieu  sont  plus 
agissantes  mêmes  que  les  influences  héréditaires.  La  mau- 
vaise éducation,  les  exemples  pernicieux,  les  entraînements 
d'un  entourage  medsain,  le  paupérisme,  le  chômage,  les 
tentations  de  la  vie  urbaine,  pèsent  lourdement  sur  les 
résolutions  des  criminels.  La  Société  même,  au  sein  de 
laquelle  se  développent  ces  causes  du  crime,  est-elle  tout 


LES  QUESTIONS  ACTUELLES  143 

à  fait  sans  reproche  ?  N'est-il  pas  équitable  de  tenir  compte 
de  toutes  ces  atténuations  de  responsabilité,  et  de  punir 
ces  criminels  avec  moins  de  sévérité  puisqu'ils  sont  moins 
coupables  ? 

Ainsi  la  bonne  logique  a  conduit  à  mitiger  les  peines  de 
tous  ceux  qui,  pour  une  raison  quelconque,  paraissent 
avoir  une  responsabilité  seulement  limitée.  Lorsque  le 
médecin  légiste  conclut  à  la  responsabilité  atténuée  on 
applique  le  minimum  de  la  peine.  La  jurisprudence  fran- 
çaise, et  surtout  la  pratique,  ont  accepté  cette  doctrine,  et 
notre  système  des  circonstances  atténuantes  a  trouvé  en 
elle  un  fondement  rationnel  et  légal.  De  nombreux  codes 
étrangers  l'ont  formellement  acceptée,  et  on  a  considéré 
qu'ils  avaient  ainsi  accompli  un  véritable  progrès. 

Mais  les  graves  inconvénients  pratiques  de  ces  théories, 
les  objections  pressantes  auxquelles  elles  se  heurtent, 
n'ont  pas  tardé  à  apparaître. 

D'abord,  cet  adoucissement  général  des  peines  a  con- 
tribué dans  une  large  mesure  à  l'affaiblissement  de  la 
répression.  On  pose  en  principe  que  l'homme  est  respon- 
sable, seulement  il  arrive  que,  pour  le  plus  grand  nombre 
des  coupables,  on  trouve  quelque  raison  de  considérer  leur 
responsabilité  comme  limitée.  L'homme  normal  doit  subir 
intégralement  la  peine  déterminée  par  la  loi,  c'est  entendu  ; 
mais  presque  tous  les  accusés  ou  prévenus,  si  on  y  regarde 
attentivement,  paraissent,  soit  des  anormaux,  soit  des 
malheureux,  contre  lesquels  les  juges  doivent  mitiger  la 
peine.  L'abus  des  circonstances  atténuantes,  l'abus  des 
courtes  peines,  l'abus  du  sursis  s'expliquent  en  grainde 
partie  par  là.  Or,  si  la  justice  semble  imposer  cette  indul- 
gence, la  peine  ne  va-t-elle  pas  perdre  toute  son  efficacité 
et  cesser  d'être  intimidante,  parce  que  trop  douce,  d'être 


144  LE  DROIT  PÉNAL 

correctlve,  parce  que  l'amendement  du  coupable  exige 
une  détention  assez  prolongée,  d'être  exemplaire,  surtout, 
parce  que  personne  ne  redoute  plus  un  châtiment  sem- 
blable ?  On  dit  que  le  dégénéré,  l'anormal  cèdent  facilement 
à  leurs  impulsions  et  que  leur  volonté  est  trop  fragile.  Ils 
ont  donc  besoin  d'être  mieux  et  plus  fortement  déterminés 
par  la  crainte  d'une  peine,  aussi  sévère  qu'inéluctable. 
En  sorte  qu'on  aboutit  à  cette  antinomie  :  On  prononce 
contre  les  coupables  des  peines  d'autant  plus  douces  que 
leur  volonté  est  plus  vacillante  et,  par  conséquent,  leur 
responsabilité  plus  légère,  et  ce  sont  précisément  ceux-là 
qu'il  faudrait  effrayer  davantage  par  la  rigueur  du  châti- 
ment. En  justice,  la  responsabilité  limitée  est  une  cause 
d'atténuation  de  la  peine,  au  point  de  vue  utilitaire  elle 
devrait  l'aggraver.  Et,  en  réalité,  n'est-ce  pas  ce  qu'on  fait 
lorsqu'un  véritable  danger  menace  la  discipline  sociale  : 
parmi  les  relégués,  combien  sont  précisément  des  instables, 
des  impulsifs,  des  délinquants-nés  de  Lombroso  ? 

Mais  ce  n'est  pas  tout.  Pour  appliquer  la  théorie  de  la 
responsabilité  limitée,  il  faut,  d'une  part,  déterminer  le 
degré  de  cette  responsabilité  et,  d'autre  part,  fixer  la  peine 
qui  y  correspond.  Or,  nous  avons  montré  à  quelles  diffi- 
cultés on  se  heurte  lorsqu'on  veut  résoudre  ces  questions. 

Comment,  d'abord,  établir,  même  approximativement, 
quelque  proportion  entre  le  châtiment  et  la  faute  morale. 
La  thèse  de  la  responsabilité  limitée  a  paru  pour  la  première 
fois  en  cour  d'assises  dans  une  affaire  capitale.  La  con- 
clusion des  experts  était  alors  fort  claire  :  ils  invitaient  les 
juges  à  ne  pas  prononcer  la  peine  de  mort,  et  on  peut 
voir  dans  leur  réponse  une  nouvelle  manifestation  de  la 
tendance  moderne  à  écarter  ce  châtiment.  Mais  on  ne  fait 
pas  la  part  à  de  semblables  théories.  Si  un  grand  criminel 


LES  QUESTIONS  ACTUELLES  145 

peut  voir  atténuer  sa  peine  parce  que,  sans  être  aliéné,  il 
n'est  cependant  pas  complètement  normal,  la  même  solu- 
tion s'impose  pour  tous  autres  délinquants,  pour  le  violent 
qui  frappe  sous  l'empire  d'une  impulsion,  pour  le  sadique 
qui  se  rend  coupable  d'un  attentat  aux  mœurs,  pour  la 
voleuse  qui  cède  à  l'attraction  de  chiffons  amoncelés  dans 
un  étalage,  pour  le  vagabond  neurasthénique.  Mais  alors 
apparaît  en  plein  l'impossibilité  de  déterminer  le  montant 
de  l'amende  ou  la  durée  de  l'emprisonnement  qui  assureront 
le  châtiment  du  coupable  dans  la  mesure  de  sa  responsa- 
bilité atténuée. 

Enfin  et  surtout,  la  théorie  de  la  responsabilité  limitée 
se  heurte  à  l'objection  fondamentale,  formulée  par  les 
philosophes,  et  que  la  pratique  a  confirmée  d'une  manière 
décisive.  Comment  fixer  le  degré  de  responsabilité  du 
criminel  ?  Les  juges  ont  bien  senti  qu'ils  ne  pouvaient 
résoudre  une  pareille  question  et  ils  ont  confié  la  solution 
aux  experts  aliénistes . .  Ceux-ci  ont  accepté  d'abord  de 
répondre  à  la  question  qui  leur  était  ainsi  posée,  et  c'est 
précisément  alors  qu'ils  ont  imaginé  la  théorie  de  la  res- 
ponsabilité limitée,  qui  parut  satisfaire  tout  le  monde. 
Mais  on  s'aperçut  vite  qu'elle  manquait  de  précision. 
Quelques  médecins  ont  eu  la  prétention  d'arriver  à  une 
solution  mathématique  et  ont  fixé  cette  limite  en  nombre 
fractionnaire  ;  ils  ont  déclaré,  par  exemple,  l'accusé  res- 
ponsable dans  la  proportion  de  huit  dixièmes.  Mais  en 
vérité  n'est-ce  pas  la  meilleure  réfutation  qu'on  puisse 
fournir  de  tout  le  système  ?  Aussi  les  experts  les  plus  avisés 
refusent-ils  aujourd'hui  de  se  prononcer  sur  aucune  ques- 
tion de  responsabilité.  Ils  veulent  bien  déclarer  si  un 
accusé  est  normal  ou  anormal,  s'il  est  sain  d'esprit  ou 
affecté  de  quelque  trouble  mental,  mais  ils  déclarent  que 

10.   GARÇON. 


146  LE  DROIT  PÉNAL 

la  science  positive  ne  leur  permet  d'aller  plus-  loin  et  ne 
se  croient  pas  le  droit  de  tirer  de  ces  constatations  médi- 
cales des  conclusions  métaphysiques.  En  sorte-  que  les 
magistrats  avalent  cru  pouvoir  se  décharger  sur  les  alié- 
nlstes  de  la  redoutable  tâche  de  fixer  le  degré  de  respon- 
sabilité du  criminel,  qu'aujourd'hui  les  médecins  se  récusent 
à  leur  tour  et  renvoient  la  question  aux  magistrats  et,  qu'en 
définitive,  elle  court  le  risque  de  rester  sans  solution  ! 
D'autre  part,  on  a  accusé  les  théories  sentimentales  et 
humanitaires  d'avoir  altéré  la  conception  fondamentale  de 
la  peine  et  d'avoir  ainsi  énervé  la  répression.  L'école  péni- 
tentiaire, a-t-on  dit,  a  cru  que  l'amendement  du  coupable 
constituait  le  but  essentiel,  sinon  unique,  de  la  peine.  Sans 
doute,  ses  maîtres  les  plus  illustres  ont  continué  à  croire 
au  caractère  expiatoire  du  châtiment,  mais  ils  n'ont  plus 
tiré  de  cette  idée  aucune  conséquence  pratique.  Ils  ont 
oublié  que  la  peine,  pour  être  efficace,  devait  être  intimi- 
dante et  exemplaire.  En  organisant  le  système  pénitentiaire, 
on  s'est  attaché  surtout  à  faciliter  le  reclassement  du  détenu. 
Aux  colonies,  on  veut  transformer  le  forçat  en  un  honnête 
colon  ;  en  France,  on  adoucit  le  régime  des  prisons,  on 
permet  de  libérer  le  détenu  avant  le  jour  fixé  pour  l'expi- 
ration d^  sa  peine,  on  dispense  le  délinquant  primaire  de 
la  subir  en  lui  accordant  le  sursis,  on  s'attache  à  cacher 
l'infamie  de  la  condamnation  et  on  va  dans  cette  voie 
jusqu'à  commettre  un  faux  légal  en  écritures  publiques, 
et  à  rendre  le  casier  judiciaire  menteur.  On  multiplie  les 
grâces  et  les  amnisties  pour  les  délits  de  droit  commun 
les  plus  graves.  Ainsi  la  répression  devient  impuissante 
devant  la  criminalité  grandissante.  Il  y  a  dans  ces  accu- 
sations beaucoup  d'exagération.  En  réalité,  ce  ne  sont  pas 
tant  les   lois  nouvelles,  empreintes  d'humanité,  qui  sont 


LES  QUESTIONS  ACTUELLES  147 

blâmables,  que  l'usage  qu'on  en  a  fait,  et  que  les  abus  dans 
lesquels  on  est  tombé  en  les  appliquant.  Mais  ces  abus 
sont  indéniables. 

Ainsi,  et  en  résumé,  d'un  côté,  on  prétend,  théorique- 
ment, pour  obéir  à  la  justice,  proportionner  la  peine  à  la 
responsabilité  du  coupable,  et,  pratiquement,  on  aboutit 
à  atténuer  toutes  les  peines.  D'un  autre  côté,  par  un  sen- 
timent d'humanité,  qui  est  l'honneur  de  la  conscience 
contemporaine,  on  a  voulu  assurer  l'amendement  du  cou- 
pable et  faciliter  sa  réhabilitation,  et  l'exécution  de  ces 
peines  est  devenue  si  douce  qu'elles  ont  perdu  une  grande 
partie  de  leur  efficacité.  Nous  en  sommes  là.  Comment 
s'étonner  dès  lors  que  la  conscience  du  juge  hésite,  que  sa 
fermeté  se  déconcerte  et  qu'il  éprouve  un  certain  décou- 
ragement. La  Société  elle-même  n'a  plus  la  claire  notion 
de  son  devoir  de  punir  ;  les  doutes  l'assaillent  à  la  fois  sur 
la  justice  et  sur  l'efficacité  de  la  répression.  L'indulgence 
systématique  est  considérée  comme  une  preuve  de  libé- 
rdisme,  et  on  en  est  venu  à  croire  que  le  progrès  du  droit 
criminel  consistait  uniquement  dans  un  perpétuel  adoucis- 
sement des  peines.  Voilà  les  causes  profondes  du  meJaise 
actuel  de  la  justice  criminelle  non  pas  seulement  en  France, 
mais  dans  tous  les  pays,  car  le  mal  est  général. 

Un  tel  état  de  choses  ne  saurait  se  prolonger  sans  danger 
grave  pour  l'ordre  social,  et  les  problèmes  ainsi  posés 
devront  recevoir  leur  solution.  D'ailleurs,  la  longue  évo- 
lution du  droit  pénal,  dans  le  passé,  contient  un  enseigne- 
ment, pour  l'avenir.  On  ne  saurait  croire  que  les  concepts 
actuels  sur  le  crime,  sur  le  criminel  et  sur  la  peine  sont 
définitifs.  Il  est  évident  que  des  changements  profonds 
pourront  venir  encore  les  modifier. 


148  LE  DROIT  PÉNAL 

Il  est  téméraire  de  chercher  à  prévoir  quels  seront  au 
juste  ces  changements.  Sans  cloute,  il  ne  manque  pas  de 
prophètes  qui,  du  haut  de  leur  dogmatisme,  affirmeront, 
avec  une  imperturbable  assurance  que  l'avenir  réalisera 
leurs  propres  conceptions.  Toute  foi,  religieuse  ou  scien- 
tifique, a  de  semblables  audaces.  Cependant  l'avenir  garde 
son  secret.  Il  est  possible  que  les  sociétés  futures  acceptent 
des  solutions  qui  nous  paraissent,  aujourd'hui,  déraison- 
nables et  utopiques,  ou  dont  nous  n'avons  aucune  idée. 
Ceux  qui  viendront  après  nous,  jugeront  peut-être  nos 
lois  actuelles  aussi  sévèrement  que  nous  jugeons  nous- 
mêmes  les  barbaries  de  notre  ancien  droit.  Mais  qui  pour- 
rait affirmer  que  d'autres  ne  se  jetteront  pas  dans  une 
aveugle  réaction  et  n'abandonneront  pas  les  progrès  que 
nous  croyons  définitivement  acquis  ?  Sous  l'empire  de 
troubles  sociaux  profonds,  de  catastrophes  et  de  ruines 
mettant  en  péril  la  civilisation  même,  qui  pourrait  assurer 
qu'on  ne  reviendra  jamais  aux  formes  élémentaires  de  la 
répression  et  à  la  pure  intimidation  par  la  rigueur  des 
peines,  et  par  la  terreur  des  supplices  ? 

Sous  le  bénéfice  de  ces  observations,  on  peut  au  moins 
chercher  à  indiquer  les  réformes  qui  paraissent  actuelle- 
ment nécessaires,  et  à  indiquer  les  tendances  générales 
qui  permettent,  dans  une  certaine  mesure,  de  les  prévoir. 

Une  commission  officielle  nommée  en  Italie  pour  réviser 
le  Code  Pénal,  vient  de  publier  un  avant-projet  qui  tente 
de  résoudre  ces  questions  par  les  moyens  les  plus  révolu- 
tionnaires. Cet  avant-projet  constitue  le  manifeste  législatif 
de  l'école  d'anthropologie  criminelle.  A  la  vérité,  le  cri- 
minel-né, reconnaissable  à  ses  tares  héréditaires,  n'y  tient 
pas  une  aussi  grande  place  qu'on  aurait  pu  le  croire  ;  mais 
le  code  est  largement  inspiré  par  la  pure  doctrine  positive  de 


LES  QUESTIONS  ACTUELLES  149 

la  défense  sociale.  Toute  idée  de  responsabilité  morale 
et  d'expiation  en  est  bannie.  Le  criminel  répond  non  de 
sa  faute,  mais  de  son  fait,  sans  qu'il  y  ait  lieu  de  rechercher 
s'il  l'a  commis  avec  une  volonté  plus  ou  moins  libre.  Ainsi, 
l'aliéné,  le  dégénéré,  le  mineur  doivent  rendre  compte 
socialement  de  leurs  actes,  comme  le  délinquant  à  l'esprit 
le  plus  sain. 

Mais  contre  aucun  de  ces  délinquants  on  ne  prononcera 
de  peine.  Ce  mot  qui  rappelle  la  doctrine  condamnée  de 
l'expiation  est  banni  de  la  langue  du  droit  criminel.  La 
Société  appliquera  à  tous  indifféremment  des  «  Sanctions  », 
c'est-à-dire  les  mesures  qui  paraîtront  les  plus  efficaces 
et  les  mieux  appropriées  pour  zissurer  la  sécurité  sociale. 
Pour  atteindre  ce  but,  on  tiendra  compte  exclusivement  de 
la  timibilité  du  criminel.  Contre  le  délinquant  très  dan- 
gereux, récidiviste  ou  professionnel,  on  ordonnera  des  me- 
sures, on  ne  doit  peis  dire  sévères,  mais  au  moins  très  rigou- 
reuses et  qui  pourront  aller  jusqu'à  l'élimination.  Les  cri- 
minels d'occcision  seront  au  contraire  soumis  à  des  mesures 
correctives  qui  devront  logiquement  cesser  dès  que  leur 
présence  dans  la  société  paraîtra  sans  péril.  Les  délinquants 
«  infirmi  de  mente  »  seront  enfin  renvoyés  dans  des  établis- 
sements qui  varieront  selon  la  nature  et  la  gravité  de  leur 
état  pathologique.  Les  fous  seront  soignés  dans  des  établis- 
sements spéciaux  d'aliénés  :  Les  alcooliques  et  ceux  qui 
sont  frappés  d'une  grave  anomalie  physique,  seront  isolés 
dans  des  colonies  de  travail.  Les  mineurs  enfin  seront, 
selon  les  cas,  confiés  à  des  familles  honnêtes,  ou  éduqués 
dans  des  écoles  professionnelles,  ou  de  correction,  sur  un 
navire-école,  dans  des  maisons  de  travail  ou  des  colonies 
agricoles.  Pour  choisir  entre  toutes  ces  sanctions,  le  juge 
devra  tenir  compte  de  la  nature  du  criminel  lui-même 


150  LE  DROIT  PÉNAL 

beaucoup  plus  que  de  la  gravité  du  crime  qu'il  a  commis. 
Tout  un  titre  du  projet  italien  est  consacré  au  criminel. 
Un  article  énumère  27  cas  de  maggiore  periculosita  del 
delinquente,  obligeant  le  juge  à  prononcer  contre  lui  des 
mesures  de  sécurité  particulièrement  graves,  et  un  autre 
article,  8  cas  de  minore  periculosite,  qui  doivent  amener  un 
adoucissement  de  ces  mesures.  Enfin  le  juge  ne  fixera  pas 
comme  le  voulaient  les  vieux  codes  classiques  le  terme  de 
la  peine.  Le  projet  italien  fait  une  large  place  au  système 
de  la  sentence  indéterminée.  Le  jugement  de  condamnation 
déterminera  seulement  une  période  de  temps  pendant  laquelle 
le  condamné  pourra  être  retenu  dans  les  établissements 
désignés  de  cinq  à  dix  ans  par  exemple.  S'il  paraît  corrigé, 
on  ne  le  gardera  que  pendant  le  temps  minimum  ;  s'il 
paraît  encore  dangereux,  jusqu'au  maximum.  Même  le 
projet  complique  ce  système  en  établissant  des  sanctions 
relativement  ou  absolument  indéterminées,  les  unes  tem- 
poraires les  autres  perpétuelles. 

A  tout  bien  considérer,  ce  projet  est  peut-être  moins 
hardi  qu'il  ne  le  paraît  d'abord  et  qu'il  veut  surtout  le 
paraître.  11  envoie  les  aliénés  à  l'asile,  il  soumet  les  mineurs 
à  des  mesures  éducatives,  il  admet  le  sursis,  le  pardon, 
la  libération  conditionnelle,  l'imputation  de  la  détention 
préventive,  enfin  il  élimine  les  incorrigibles.  Toutes  ces 
innovations  sont  déjà  réalisées  dans  un  grand  nombre 
de  législations  et  particulièrement  dans  notre  législation 
française.  Mais  il  heurte  ouvertement  et  délibérément 
toutes  les  idées  traditionnelles  sur  la  responsabilité  humaine. 
Les  codes  actuels  affirment  cette  responsabilité  et,  nous 
l'avons  montrée,  c'est  leur  point  faible.  Le  projet  itîdien 
tranche  dans  le  sens  déterministe  cette  même  controverse 
métaphysique,  et  c'est  là  qu'il  pèche  le  plus.  Ceux  qui 


LES  QUESTIONS  ACTUELLES  151 

croient  au  libre  arbitre,  —  et  ils  sont  nombreux,  —  ne  lais- 
seront pas  chasser  ce  principe  de  la  loi  pénale  sans  résis- 
tance. Aussi  le  projet  de  la  commission  italienne  a-t-il 
soulevé  déjà  la  plus  vive  opposition,  même  en  Italie  ;  il 
n'est  peis  certain  qu'il  soit  discuté  devant  le  parlement  ita- 
lien, plus  douteux  encore  qu'il  soit  adopté.  Fut-il  voté, 
ce  code  se  heurterait  encore  à  la  pratique  lorsqu'il  s'agirait 
de  l'appliquer.  Nous  l'avons  dit,  c'est  une  grande  erreur 
de  croire  qu'on  supprimera  la  croyance  à  la  responsabilité 
humaine  par  décret.  Les  juges  continueraient  à  tenir  compte 
de  la  culpabilité  du  criminel  pour  fixer  la  peine  —  ou 
la  sanction  —  qu'il  paraîtrait  mériter.  Cependant  ce  projet, 
même  s'il  n'aboutit  pas,  conservera  une  valeur  théorique, 
qui  attirera  longtemps  l'attention  des  criminalistes. 

Autant  qu'on  peut  le  présumer,  les  réformes  prochaines 
se  feront  en  suivant  une  autre  voie.  Le  droit  criminel  se 
tiendra  de  plus  en  plus  dans  une  prudente  réserve  sur  la 
question  du  libre  arbitre.  C'est  déjà  l'attitude  qu'il  a  prise, 
et  avec  succès.  Personne  n'a  sérieusement  protesté  lorsque 
notre  loi  de  1885  a  établi  la  relégation  des  récidivistes. 
Le  délinquant  d'habitude  ayant  expié  ses  délits  antérieurs 
n'est  plus  débiteur  envers  la  société  que  de  son  dernier 
délit  ;  or  ce  délit  était  peut-être  sans  aucune  gravité  objec- 
tive, et  on  ne  peut  établir  aucun  rapport  entre  l'exil  per- 
pétuel avec  obligation  de  travail  dont  son  auteur  sera 
frappé  et  sa  faute  morale.  Mais  cette  mesure  a  paru  néces- 
saire pour  assurer  la  sécurité  publique,  et  elle  a  paru  juste 
parce  que  le  récidiviste  est  d'une  manière  générale  très 
coupable.  Tout  le  monde  a  approuvé  les  lois  qui  renvoient 
dans  une  colonie  pénitentiaire,  jusqu'à  sa  majorité,  un 
mineur  coupable  d'un  léger  délit  qui  aurait  mérité  à  un 
majeur  quelques  jours  d'emprisonnement  avec  sursis.  Là 


152  LE  DROIT  PÉNAL 

encore,  il  n'y  a  aucune  proportion  entre  la  mesure  prise, 
et  la  faute  morale  commise.  Il  a  suffi  pour  apaiser  tous  les 
scrupules  de  dire  que  le  renvoi  dans  une  colonie  péniten- 
tiaire n  était  pas  une  peine,  mais  une  simple  mesure  d'édu- 
cation. Il  n'est  pas  téméraire  de  présumer  que  le  législateur 
continuera  à  marcher  dans  ce  chemin,  il  gardera  une  sage 
neutralité  philosophique  en  se  bornant  à  consacrer  les 
solutions  pratiques,  qui  pourront  être  acceptées  par  les 
spiritualistes  comme  par  les  déterministes.  Ces  lois  ne 
heurteront  les  croyances  de  personne  et  ne  seront  précédées 
d'aucune  profession  de  foi  tapageuse.  Il  suffira  que  les 
réformes  qu'elles  introduiront  constituent,  aux  yeux  de 
tous,  un  progrès  socialement  utile  et  que  la  conscience 
publique  les  considère  comme  équitables,  humaines  et 
justes. 

Il  serait  possible  d'abord,  de  perfectionner  le  système 
des  peines  et  sur  ce  point  il  semble  qu'il  suffirait  de  pour- 
suivre et  de  développer  des  évolutions  commencées.  Pen- 
dant un  temps  on  a  soutenu  que  le  progrès  consistait  à 
unifier  et  à  simplifier  les  peines,  et  que  le  but,  vers  lequel 
on  devait  tendre,  était  une  peine  privative  de  liberté  unique 
allant  de  un  jour  à  perpétuité.  Cette  conception  paraît 
constituer  une  erreur  à  la  fois  théorique  et  pratique.  Le 
traitement  de  tous  les  criminels  ne  peut  pas  être  le  même. 
Il  faut  au  contraire  donner  au  juge  le  choix  entre  plusieurs 
mesures  à  prendre  car  elles  doivent  varier  selon  la  nature 
du  crime  et  selon  le  caractère  du  délinquant. 

Il  semble  qu'on  devra  distinguer  de  plus  en  plus  entre 
les  peines  proprement  dites  et  les  mesures  de  sûreté.  La 
législation  française  est  entrée  dans  cette  voie  lorsqu'elle 
a  établi  la  relégation.  Ces  mesures  ont  pour  but,  moins  de 
corriger  le  délinquant,  que  de  le  mettre  dans  l'impossibilité 


LES  QUESTIONS  ACTUELLES  153 

de  nuire  et  au  besoin  de  l'éliminer  du  milieu  social  où  sa 
présence  présente  des  dangers  particuliers.  L'interdiction 
de  séjour  réorganisée,  l'exil  et  les  peines  coloniales  devraient 
à  ce  point  de  vue  prendre  une  place  de  plus  en  plus  large 
dans  la  législation  pénale.  Pour  l'application  de  ces  mesures, 
on  ne  tient  compte  exclusivement  que  de  la  timibilité  du 
criminel.  La  transportation  et  la  relégation  confondues 
dans  une  peine  unique  ne  serait  ainsi  applicable  qu'aux 
criminels  incorrigibles. 

D'autre  part,  la  distinction  des  peines  politiques  et  des 
peines  de  droit  commun  paraît  susceptible  de  nouveaux 
développements.  La  théorie  du  crime  politique,  nous  l'avons 
vu,  est  en  voie  de  formation.  Si  on  la  considère  d'assez 
haut,  il  semble  qu'elle  conduit  à  considérer,  pour  fixer  la 
peine  applicable,  à  la  fois  le  mobile  de  l'agent,  et  les  moyens 
qu'il  a  employés  pour  atteindre  son  but.  Mais  ces  idées 
ne  doivent-elles  être  appliquées  qu'aux  délinquants  poli- 
tiques ?  Les  lois  actuelles  ne  permettent  aux  juges  de  ne  tenir 
compte  du  mobile  de  l'agent  que  pour  abaisser  la  peine 
dans  la  mesure  du  minimum  légal  et  des  circonstances 
atténuantes.  Ne  serait-il  pas  bon  de  leur  donner  la  faculté 
de  changer  la  nature  de  la  peine,  lorsque  le  mobile  ne  paraî- 
trait péis  inspiré  par  des  sentiments  bas  et  honteux  et  que 
le  mode  de  perpétration  du  crime  ou  du  délit  ne  semble  pas 
révéler  des  instincts  pervers  ?  L'établissement  d'un  sys- 
tème de  «  Peines  parallèles  »  n'introduirait-il  peis  dans  la 
législation  criminelle  plus  de  justice  tout  en  rendant  la 
répression  plus  sûre  ?  On  peut  d'autant  mieux  le  penser 
que  certaines  législations  étrangères  sont  déjà  entrées  dans 
cette  voie  nouvelle. 

Tout  cela  ne  constituerait  pourtant  que  des  perfec- 
tionnements  du   système   classique   des   peines.   Mais   le 


154  LE  DROIT  PÉNAL 

mouvement  déjà  commencé  semble  indiquer  une  tendance 
à  modifier  complètement,  dans  certains  cas,  le  caractère 
même  des  mesures  que  la  société  peut  prendre  pour  assurer 
la  défense  de  l'ordre  public.  L'assistance  publique  et 
privée,  qui  a  pris  dans  la  civilisation  contemporaine  un 
si  large  développement,  fournira,  peut-être,  la  solution  des 
problèmes  actuels  les  plus  troublants,  et  qui,  à  cette  heure, 
restent  sans  solution. 

Cette  substitution  de  l'assistance  à  la  répression  est 
accomplie  depuis  plus  d'un  siècle  pour  les  aliénés.  Personne 
ne  songe  plus  à  les  punir  s'ils  ont  commis  un  fait  défendu 
par  la  loi  pénale.  On  les  met  dans  un  asile  où  est  leur  véri- 
table place.  Nous  n'admettons  pas  même  pour  notre  part, 
qu'on  les  retienne  dans  des  établissements  spéciaux.  Le 
fou  dit  criminel  ne  se  distingue  bien  souvent  des  autres 
aliénés  que  parce  qu'il  a  été  interné  trop  tard. 

Toutes  les  réformes  qui  ont  été  faites  touchant  les  mineurs 
délinquants  s'expliquent  au  fond  de  la  même  manière. 
D'un  consentement  unanime,  l'enfant  est  aujourd'hui  sorti 
du  droit  répressif.  On  a  compris  que  la  peine  n'était  pas 
la  mesure  qui  convenait  pour  lui  ;  qu'il  ne  s'agissait  pas 
de  le  faire  souffrir  pour  l'intimider,  mais  bien  plutôt  de 
lui  donner  une  suffisante  Instruction  primaire  et  profes- 
sionnelle, et  surtout  une  bonne  éducation  morale.  On  a 
reconnu  qu'il  serait  déplorable  d'attendre  que  l'enfant  ait 
commis  un  délit  pour  lui  donner  cette  direction  lorsqu'elle 
lui  manque,  et  nos  lois  françaises  permettent  en  effet  de 
le  soustraire  à  une  autorité  paternelle  corruptrice,  ou  trop 
manifestement  négligente,  pour  le  confier  à  des  œuvres 
publiques  ou  privées  chargées  de  le  ramener  dans  la  voie 
droite.  Toutes  les  mesures  que  l'on  peut  prendre  pour 
atteindre   ce   but,   depuis   le   placement   familial   jusqu'à 


LES  QUESTIONS  ACTUELLES  155 

l'envoi  dans  une  colonie  pénitentiaire  ne  sont  au  fond  que 
des  mesures  d'assistance. 

Or,  si  on  y  réfléchit,  on  s'aperçoit  vite  que  d'autres 
situations  trouveraient  dans  cette  même  voie  une  solution 
satisfaisante.  On  a  reconnu  depuis  longtemps  que  le  vaga- 
bondage et  la  mendicité  sont  des  délits  artificiels,  de  créa- 
tion simplement  légale.  Est-il  juste  que  la  paresse  permise 
aux  riches,  soit  punie  de  prison  chez  le  pauvre.  D'autre 
part,  n'est-il  pas  démontré  que  cette  peine  est  absolument 
inefficace  pour  corriger  cette  sorte  de  délinquants  ?  Ne 
serait-il  pas  préférable  de  les  placer  dans  des  établissements 
d'assistance,  où  les  invalides  seraient  hospitalisés  et  où 
on  ferait  travailler  les  autres.  Les  vieilles  Ordonnances  de 
nos  rois,  les  lois  françaises  depuis  la  Révolution  se  sont  ins- 
pirées de  ces  idées,  elles  ont  été  cent  fois  exprimées  dans  les 
congrès,  les  sociétés  de  bienfaisance,  à  la  tribune  du  parle- 
ment, approuvées  par  tous  ceux  qui  se  sont  occupés  de 
ces  questions.  Elles  ont  trouvé  dans  les  pays  étrangers 
des  réalisations  pratiques.  Si  elles  ont  échoué  chez  nous, 
c'est  uniquement  parce  que  les  budgets  de  l'assistaince 
ont  été  insuffisants  ;  mais  la  solution  est  là. 

Nous  en  dirons  autant,  sans  crainte  de  nous  tromper, 
pour  la  répression  de  l'alcoolisme.  Les  lois  sur  l'ivresse 
qui  considèrent  l'ivrognerie  habituelle  ou  manifeste  comme 
un  délit,  sont  convaincues  d'impuissance  par  une  expérience 
décisive  et  universelle.  On  ne  guérit  point  un  alcoolique 
de  son  vice,  il  vaut  mieux  dire  de  sa  maJadie,  en  l'envoyant 
en  prison.  Sa  place  est  dans  un  asile  de  buveur  où  on  le 
soignera,  ou  tout  au  moins  où  on  a  des  chances  de  le  guérir. 

Enfin  qui  sait  si  ce  n'est  pas  dans  cette  même  voie  qu'on 
trouvera  la  solution  de  l'angoissant  problème  de  la  respon- 
sabilité limitée?  Nous  venons  de  le  montrer,  la  peine  atténuée 


156  LE  DROIT  PÉNAE 

qu'on  prononce  aujourd'hui  contre  le  défectueux,  le  dégé- 
néré, l'impulsif,  ne  protège  plus  suffisamment  la  société. 
D'autre  part,  les  médecins  affirment  que  s'il  ne  convient 
pas  de  confondre  ces  demi-responsables  avec  les  aliénés, 
ils  relèvent  cependant  de  leur  autorité  médicale,  parce 
que  ce  sont  des  malades,  souvent  incurables,  quelquefois 
guérissables,  dans  tous  les  cas  des  mdades.  Elst-ce  que  cela 
ne  démontre  pas  qu'eux  aussi  appartiennent  à  l'assistance 
plutôt  qu'à  la  répression  ?  Ils  seraient  ainsi  soustraits  à 
la  peine  et  soumis  à  des  mesures  qui  permettraient  à  la 
fois  de  les  soigner  et  de  les  mettre  dans  l'impossibilité 
de  nuire.  Mais  ses  mesures  se  calculeraient  non  sur  la 
gravité  objective  du  délit  commis,  ni  sur  la  responsabilité 
du  délinquant,  mais  sur  sa  timibilité  et  sur  l'état  de  sa  santé 
morale  et  physique.  De  nombreuses  propositions  ont  été 
fmtes  en  ce  sens,  et  on  les  discutera  certainement  un  jour. 
On  a  demandé  que  ces  mesures  de  sûreté  succèdent  à  la 
peine,  atténuée  et  insuffisante,  ou  bien,  ce  qui  paraît  infini- 
ment plus  logique  et  pratiquement  meilleur,  qu'elles  se 
substituent  à  la  p>eine.  Si  cette  réforme  venait  à  s'accomplir, 
le  juge  n'aurait  plus  à  se  livrer  à  la  recherche  impossible 
du  degré  de  responsabilité  du  criminel,  il  devrait  seulement 
se  demander  si,  pour  protéger  la  société  et  pour  obéir 
à  la  justice,  ce  criminel  appartient  à  la  répression  ou  à 
l'assistance,  s'il  faut  l'envoyer  en  prison  ou  dans  un  asile. 
S'il  relevait  du  droit  pénal  rien  ne  ferait  plus  obstacle  à 
l'application  d'un  châtiment  suffisamment  rigoureux  pour 
être  intimidant  et  exemplaire.  S'il  convenait  plutôt  de 
l'assister,  un  internement  à  long  terme  dans  un  asile  garan- 
tirait du  moins  la  sécurité  publique. 

Mais  ces   mesures  d'assistance  ont  cela  de  particulier 
qu'elles  sont  imposées  à  l'assisté  et  qu'ainsi  elles  consti- 


LES  QUESTIONS  ACTUELLES  157 

tuent  une  violation  manifeste  de  la  liberté  individuelle. 
Cette  liberté  serait  en  grand  péril  si  un  citoyen  pouvait 
être  interné  arbitrairement,  sous  prétexte  qu'on  ne  lui  fait 
pas  subir  une  peine,  mais  qu'on  l'assiste.  La  transforma- 
tion des  peines  en  mesures  d'ïissistance  forcée  serait  trop 
chèrement  achetée  s'il  fallait  la  payer  du  sacrifice  des 
progrès,  si  lentement  et  si  péniblement  acquis,  que  la  Révo- 
lution a  consacrés,  et  qui  doivent  rester  intangibles.  Nous 
en  avons  montré  l'importance  sociale,  il  ne  faut  à  aucun 
prix  les  abandonner.  Ces  mesures  d'êissistance  ne  doivent 
être  laissées  à  l'arbitraire,  ni  de  l'administration,  ni  du 
pouvoir  judiciaire,  ni  de  commissions  de  philanthropes, 
ni  de  médecins  experts.  La  meilleure  garantie  de  la  liberté 
se  trouvera  toujours  dans  la  règle  que  le  danger  socieJ 
doit  être  révélé  par  un  acte  défendu  par  la  loi  et  défini 
par  elle.  On  ne  saurait  être  trop  prudent  pour  admettre  les 
mesures  d'assistance  forcée  préventives  et  elles  ne  saurjuent 
être  autorisées  que  dans  des  cas  tout  à  fait  exceptionnels, 
oii  le  péril  social  est  évident,  et  d'ailleurs  légalement  déter- 
minés. 

Au  surplus,  ces  mesures  d'assistance  nous  font  ainsi 
pénétrer  dans  un  domaine  nouveau  et  différent  de  celui 
que  nous  nous  sommes  proposé  de  parcourir,  c'est-à-dire 
dans  le  domaine  de  la  pure  prévention.  Nous  ne  pouvons 
ici  nous  y  engager  ;  mais  il  est  impossible  de  ne  pas  dire, 
en  terminant,  que,  pour  combattre  la  criminalité,  ces 
moyens  préventifs  sont  meilleurs  et  souvent  plus  efficaces 
que  les  moyens  répressifs.  Toutes  les  études  contemporaines 
ont  mis  en  pleine  clarté  les  causes  sociales  du  crime  et  du 
délit,  et  c'est  en  les  détruisant  qu'on  obtiendra  les  résultats 
les  plus  sûrs.  Le  percement  des  routes,  l'invention  des 
chemins  de  fer,  ont  plus  fait  pour  la  sécurité  des  campagnes. 


158  LE  DROIT  PÉNAL 

que  toutes  les  condamnations  de  chauffeurs  et  de  brigands. 
Pour  ne  citer  que  des  exemples  clairs  et  qui  sont  indiscu- 
tables, toutes  les  mesures  prises  pour  combattre  l'alcoo- 
lisme, et,  en  particulier,  la  suppression  des  cabarets,  seraient 
aujourd'hui  un  puissant  moyen  de  raréfier  les  crimes  et  les 
délits.  Des  expériences  nombreuses  et  jamais  démenties 
l'ont  prouvé  avec  la  force  de  l'évidence.  —  La  promiscuité 
de  l'habitation  ouvrière  n'est  pas  moins  malsaine  au  point 
de  vue  moral  qu'au  point  de  vue  physique  et  en  donnant 
au  peuple  des  travailleurs  des  logements  convenables, 
on  fera  une  œuvre  morale  salutaire  autant  qu'on  tarira  la 
source  de  la  tuberculose.  Le  taudis,  que  fuient  le  père  et 
les  enfants,  est  une  des  principales  causes  de  la  désorgani- 
sation de  la  famille  ouvrière  urbaine  et  par  là  de  la  crimi- 
nalité. Les  écoles  d'apprentissage  qui  encadrent  l'adoles- 
cent, et  le  maintiennent  sous  une  discipline  utile  à  l'âge 
dangereux,  éviteraient  bien  des  chutes  sociales.  Toutes 
ces  idées  ne  sont  pas  absolument  nouvelles.  Mais  tandis 
qu'elles  étaient  senties  instinctivement  et  par  conséquent 
obscurément,  les  méthodes  scientifiques  modernes  les  ont 
fait  apparaître  sous  un  jour  nouveau  et  avec  plus  de  clarté. 
Certes,  la  criminologie  est  une  science  qui  est  loin  d'être 
faite.  Les  lois  naturelles  qui  dominent  le  phénomène  du 
crime  sont  encore  bien  incertaines.  Mais  on  aperçoit  la 
voie  dans  laquelle  on  doit  s'engager  pour  les  découvrir 
et  les  préciser. 

On  voit,  et  ce  sera  notre  conclusion,  quel  a  été  dans  le 
passé  et  quel  est  actuellement  le  rôle  des  criminalistes. 

Pendant  de  longs  siècles,  ils  ont  lutté,  pour  assurer  à 
l'État  son  droit  de  punir  les  actes  qui  troublent  et  compro- 
mettent l'ordre  et  la  sécurité  sociales.  Ce  premier  pas  fait, 


LES  QUESTIONS  ACTUELLES  159 

ils  se  sont  attachés  à  soumettre  ce  droit  à  des  principes 
légaux  et  à  formuler  une  science  juridique  d'abord 
coutumlère,  et  enfin  précisée  dans  des  textes  écrits.  Ils 
ont  ainsi  détruit  l'arbitraire  des  incriminations  et  des 
peines,  limité  les  pouvoirs  des  administrateurs,  des  juges 
et  du  législateur  lui-même,  et,  par  là,  donné  le  plus  solide 
fondement  à  la  liberté  civile.  Ils  ont  enfin  fait  pénétrer 
dans  le  système  répressif  les  idées  d'humanité  et  de  justice 
qui  seront  l'éternel  honneur  de  la  conscience  humaine. 
Pour  accomplir  cette  œuvre,  il  a  fallu  des  siècles  de  lutte 
et  une  inleissable  persévérance.  Souvent  elle  a  paru  détruite 
et  on  a  pu  croire  qu'elle  avait  disparu  pour  toujours.  L'in- 
vasion des  Barbares  n'a-t-elle  pas  replongé  le  monde  romain 
dans  les  ténèbres  du  droit  primitif  ?  Mais  les  fondements 
de  l'édifice  avaient  subsisté  et,  sur  ces  bases,  les  juristes 
ont  reconstruit  un  droit  pénal  qui  a  assuré  de  nouveaux 
progrès. 

Ce  sont  ces  progrès  que  les  criminîJistes  ont  aujourd'hui 
le  devoir  de  ne  pas  laisser  compromettre.  Ils  ont  été  trop 
chèrement  achetés  pour  qu'on  souffre  qu'on  y  puisse  porter 
aucune  atteinte.  Nous  devons  veiller  en  particulier  à  la 
garde  de  ces  principes  de  droit  public  qui  garantissent  la 
liberté  individuelle  ;  nous  devons  même  nous  appliquer  à 
en  faire  une  plus  exacte  et  meilleure  application  et  nous 
sommes  sûrs  ainsi  de  marcher  dans  la  voie  féconde.  Mms 
voici  que  la  science  contemporaine  est  venue  maintenant 
élargir  encore,  et  singulièrement  élever,  la  mission  des 
crimindistes.  Ils  savent  aujourd'hui  qu'il  ne  leur  suffit 
plus  d'étudier  le  crime,  qu'il  leur  faut  pénétrer  les  secrets 
de  la  conscience  du  criminel,  qu'ils  doivent  s'attacher  à 
connaître  son  hérédité  et  sa  constitution  physique,  sa  psy- 
chologie et  ses  passions,  les  causes  individuelles  et  sociales 


160  LE  DROIT  PÉNAL 

du  crime  pour  en  découvrir  les  remèdes.  Aucune  plaie 
sociale  ne  saurait  les  laisser  indifférents.  Ils  ne  peuvent  se 
désmtéresser  d'aucun  des  grands  problèmes  moraux  et 
sociaux  qui  troublent  la  conscience  contemporaine.  Ainsi 
ils  continueront  l'œuvre  civilisatrice  de  leurs  grands  devan- 
ciers en  garantissant,  par  des  moyens  meilleurs,  l'ordre  et 
la  discipline  sociale,  sans  rien  sacrifier  de  la  liberté  indivi- 
duelle et  en  faisant  pénétrer  dans  les  lois  plus  de  pitié 
pour  les  malheureux,  plus  d'humanité  et  de  justice. 

BIBLIOGRAPHIE 

Ali  MENA,  /  limiti  e  i  modificatori  deW  imputabilità.  —  CucHE, 
De  la  possibilité  pour  l'école  classique  d'organiser  la  responsabilité 
pénale  en  dehors  du  libre  arbitre.  (Annales  de  l'Université  de  Gre- 
noble.) —  Paul  Fauconnet,  Lm  responsalnlité  (1920).  —  Henrico 
FerrI,  Sociologie  criminelle  (Édit.  Franc.,  1905).  —  FrancK,  La 
philosophie  pénale.  —  Garofalo,    La    criminologie    (Paris,  1897). 

—  Grasset,  De  la  responsabilité  des  criminels  (1902).  —  Demi- 
fous  et  demi-responsalles  (1907).  —  LoMBROSO,  L'homme  criminel.  — 
L'homme  de  génie.  —  Le  crime,  causes  et  remèdet.  —  LucCHlNI,  Le 
droit  pénal  et  les  théories  nouvelles  (trad.  Henri  Prudhomme,  1892). 

—  Prins,  Science  sociale  et  droit  positil  (1899).  —  La  défense  sociale 
et  les  transformations  du  droit  pénal  (1910)  —  Rappaport,  La  lutte 
autour  de  la  réforme  pénale  en  Allemagne  (Travaux  de  la  Conférence 
de  D.  P.  de  la  Faculté  de  Paris).  —  J.-A.  Roux,  Répression  et  pré- 
vention (1922).  —  Saleilles,  L'individualisation  de  la  peine.  — 
Tarde,  La  philosophie  pénale.  —  Les  lois  de  l'imitation.  —  ViDAL, 
Principes  fondamentaux  de  la  pénalité. 

Pour  les  revues  consulter  spécialement  :  Revue  pénitentiaire  et  de 
droit  pénal.  —  Archives  d'anthropologie  criminelle  de  Lyon.  —  Bulle- 
tin de  l'Union  internationale  de  droit  pénal.  —  Zeitschrift  fur  die 
gesamte  Strafrechtswissenschaft. 

FIN 


ABBEVILLE.  —  IMPRIMERIE  F.  PAILLART 


N"  20.      H.  ANDOYER 

Membre    de    l'Académie  des  Sciences 

et   du    Bureau   des~  longitudes. 

Professeur  à  la  Sorbonne 

L'ŒUVRE  SCIENTIFIQUE 
DE  LAPLACE 

N"  21.  JEAN  BECQUEREL 

Professeur  au  Muséuw  National 
d'Histoire  Naturelle 

EXPOSÉ    ÉLÉMENTAIRE 

DE  LA 

THÉORIE  D'EINSTEIN 

ET  DE  SA 

GÉNÉRALISATION 

SUIVI    d'un    APPENDICE    A 
l'usage  DES    MATHÉMATICIENS 

N"  23-24.  MAURICE  CROISET 

Membre   de   l'Institut,  Administrateur 
du  CoUège  de  France 

LA  CIVILISATION 
HELLÉNIQUE 

APERÇU    HISTORIQUE 
N"  25-26.  ETIENNE  GILSON 

Chargé  de  Cours  à  la  Sorbonne, 

Directeur  d'Etudes   à  l'Ecole  pratique 

des  Hautes  Etudes  Religieuses 

LA  PHILOSOPHIE  AU 
MOYEN  AGE 


N^a?.  EDOUARD  BRANLY 

Membre  de  l'Institut 

LA  TÉLÉGRAPHIE 

SANS  FIL 

N<'28.        D^  CAPITAN 
Membre  de  l'Académie  de   Médecine, 
Professeur   au   Collège  de   France 
et  à  l'Ecole  d'Anthropologie 

LA  PRÉHISTOIRE 

N"  29.        E.  GARÇON 

Professeur   de  législation  criminelle  et 

de  droit  pénal  comparé  à  la  Faculté 

de  droit  de  l'Université  de  Paris 

LE  DROIT  PÉNAL 

ORIGINE     —     ÉVOLUTION     — 
ÉTAT    ACTUEL 

N"  30.         F.  ROMAN 

Chef  des  travaux  de  Géologie   5 
l'Université  de  Lyon 

PALÉONTOLOGIE  ET 
ZOOLOGIE 

N"  31.  ALBERT  GRENIER 

Professeur  d'Antiquités  nationale-, 

et  rhénanes  à  la  Faculté  des  lettrei  de 

l'Université  ce  Strasbourg 

LES  GAULOIS 


Dans  les  volumes  de  la  COLLECTION  PAYOT,  des  savants  fran:ais  rcsu.-ne.it 
la  somme  de  leurs  connaissances. 

(La  France). 

.  La  COLLECTION  PAYOT  est  de  date  récente  mais  elle  a  conquis  tout  de 
suite  une  place  de  choix  dans  l'estime  du  public  cultivé,  tant  par  l'excellence 
de  SCS  travaux  (dont  la  plupart  sont  vraiment  hors  ligne)  que  par  la  beauté  d'une 
typcgraphie  qui  nous  donne  en  150  pages  in-16  la  matière  largjment  de  303  pages 
in-12,  et  ctla  avec  une  lisibilité  que  l'on  ne  rencontre  guère  que  dans  des  publi- 
cations de  luxe. 

(L'Ami  du  Clergé). 


PRINCIPAUX  COLLABORATEURS 

DE  LA  «  COLLECTION  PAYOT  ^ 

HENRI  ANDOYER,  Membre  de  l'Institut,  Professeur  à  la  Sorbonne. 
PAUL  APPELL,  Membre  de  l'Institut,  Recteur  de  l'Université  de  Paris. 
L'-C  E.  ARIES,  Correspondant  de  l'Institut.  , 

AUGUSTE  AUDOLLENT,  Doyen  de  la  Faculté  des  Lettres  de  Oermont. 
ERNEST   BABFXON,   Membre  de  l'Institut,  Professeur  au  dllègc  de  France. 
F..   BAILLAUD,  Membre  de  l'Institut,  Directeur  de  l'Observatoire  de  Paris. 
LOUIS  BARIHOU,  de  l'Académie  Française,  ancicnj'résident  du  &>nseil. 
PAUL  BECQUEREL,  Docteur  es  Sciences  chargé  d'Elnseignement  pratique  à  \x 

Sorbonne. 
GABRIEL  BERTRAND,  Professeur  à  la  Sorbonne  et  à  l'Institut  Pasteur. 
MAURICE  BESNIER,  Professeur  à  l'Université  de  Caen. 
G.  BIGOURDAN,  Membre  de  l'Institut,  Astronome  de  l'Observatoire  de  Paris. 

F.  BOQUET,  Astronome  de  l'Observatoire  de  Paris. 
Abbé  J.  BOSON,  Docteur  en  Philolojie  orientale. 

EDMOND  BOUTY,  Membre  de  l'Institut,  Professeur  à  la  Sorbonne. 

E.  BRANLY,  Membre  de  l'Institut,  Professeur  à  l'Institut  Catholique. 

M.  BRILLOUIN,  Professeur  au  Collège  de  France. 

D'  CAPITAN,  Membre  de  l'Académie  de  Médecine,  Professeur  au  Collège  de 

France,  Professeur  à  l'École  d'Anthropologie. 
J.  CARCOPINO,  Ancien  Membre  de  l'École  de  Rome,  Professeur  à  la  Sorbonne. 
EUGÈNE  CAVAIGNAC,  Professeur  à  l'Université  de  Strasbourg. 

G.  CHAUVEAUD.  Directeur  de  laboratoire  à  l'École  des  Hautes-Études. 
HENRI  CHERMEIZON,  Chef  de  travaux  à  la  Faculté  des  Sciences  de  Strasbourg. 
HENRI  CORDIER,  Membre  de  l'Institut,  Prof  à  l'École  des  Langues  orientale!. 
M.  COURA.NT,  Professeur  à  l'Université  do  Lyon. 

MAURICE  CROISET.  Membre  de  l'Institut,  Professeur  au  Collège  de  Franc.-. 
EDOUARD  CUQ.  Membre  de  l'Institut,  Professeur  à  la  Faculté  de  Droit. 
L.'DAUPHINÉ,  Docteur  es  sciences,  chargé  d'Ens»ignemcnt  pratique  à  la  Sorbonne. 
MAURICE  DELACRE.  Membre  de  l'Académie  Royale  de  Belgique,  Professeur 

a  l'Université  de  Gand. 
M.  DZLAFOSSE,  Ancien  Gouverneur  dcî  Colonies,  Profe.s.  à  l'Ecole  co'oniilc. 
CH.  DEPÉRET,  Membre  de  l'Institut,  Doyen  de  la  Faculté  des  Sciences  de  Lyon. 
C  H.  DIEHL,  Membre  de  l'Institut,  Professeur  à  la  Sorbonne. 

G.  DOTTIN,  Correspondant  de  l'Institut,  Doyen  de  la  Faculté  des  Lettres  de  Rennes. 
ALBERT  DUFOURCQ.  Professeur  à  l'Université  de  Bordeaux. 
CH.  DUGAS.  Professeur  à  l'Université  de  Montpellier. 
JEIAN  DUHAMEL,  Secrétaire  du  Comité  Central  des  Houillères  de  France. 
Comte  P.  DURRIEU,  Membre  de  l'Institut,  Conservateur  honoraire  au  Louvre. 
RENÉ  DUSSAUD.  Conservateur  au  Louvre,  Professeur  à  l'École  du  Loj/re. 
CA.MILLE  ENLART,  Directeur  du  Musée  de  Sculpture  Comparée. 
C  EMILE  ESPÉRANDIEU.  Membre  de  l'Institut. 
P.  FABIA.  Correspondant  de  l'Institut,  Professeur  à  l'Université  de  Lyon. 
HENRI  FOCILLON,  Professeur  à  la  Faculté  des  lettre»  de  l'Université  de  Lyon. 
E.  GARÇON,  Professeur  de  législation  criminelle  et  de  droit  pénal  comparé  à  la 

Faculté  de  droit  de  l'Université  de  Paris. 
G.  FOUGÈRES,  ancien  Directeur  de  l'École  d'Athènes,  Professeur  à  la  Sorbonne. 
E.-F.  GAUl  1ER,  Professeur  à  la  Faculté  des  Lettres  d'Alger. 
PAUL  GIRARD.  Membre  de  l'Institut,  Professeur  à  'a  Sorbonne. 


PRINCIPAUX  COLLABORATEURS 

DE  LA  «  COLLECTION  PAYOT 

GUSTAVE  GLOTZ.  Membre  de  l'Institut,  Professeur  à  la  Sorbonne 

A     ("DCMICD    D-_t ll'II-: -...IJ-C. 1 


KJV  7962  .637  1922  SMC 
Garçon,  Emile  Auguste, 
Le  droit  pénal