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LLECTION PAYOT
e Droit Pénal
ÉVOLUTION -- ÉTAT ACTUEL
PAR
E. GARÇON
PROFESSEUR DE LÉCISL.\T!OW CRIMINELLE
ET DE DROIT PÊNA! COMPARÉ
A LA FACULTÉ DE DHo ., ,.NlVERSîTi^
DE PARIS
KJV
7962
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1922
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thRouqh the qeneRosity
of
Stephen B. Roman
From the Library of Daniel Binchy
DE 1850 A 1920
Tome I (ISOO-1852)
Tome II (1852-1900)
\
N' 5. LOUIS LEGER
Membre de l'Institut, Professeur
au Collège de France
LES ANCIENNES CIVILI-
SATIONS SLAVES
N'^ 6. PAUL APPELL
Membre de l'Institut
Recteur de l'Université de Paris
ÉLÉMENTS DE LA THÉO-
RIE DES VECTEURS ET
DE LA GÉOMÉTRIE ANA-
LYTIQUE
N° 7. C DE CIVRIEUX
LA GRANDE GUERRE
(1914-1918)
APERÇU d'histoire MILITAIRE
N^' 8. HENRI CORDIER
Membre de l'Institut
LA CHINE
N" 9. ERNEST BABELON
Membre de l'Institut, Conservateur
du cabinet des Médailles
Professeur au Collège de France
LES
MONNAIES GRECQUES
APERÇU HISTORIQUE
N"10. GEORGES MATISSE
Docteur ès-sciences
LE MOUVEMENT SCIENTIFIQUE
CONTEMPORAIN EN FRANCE
I. - LES SCIENCES
NATURELLES
N-ll. D' PIERRE BOULAN
Chef du service de radiologie et
d'éleclrothérapie
à l'hôpital de Saint-Germain
LES AGENTS PHYSIQUES
ET LA PHYSIOTHÉRAPIE
N''12. HIPFOLYTELOISEAU
Professeur de langue et de littérature
allemandes à l'Université de Toulouse
LE PANGERMANISME
CE qu'il FUT — CE Qu'iL EST
N"13. EMILE BRÉHIER
Maître de conférences à la Sorbonne
HISTOIRE DE LA PHILO-
SOPHIE ALLEMANDE
N" 14. E. ARIÈS
Correspondant de l'Institut
L'ŒUVRE SCIENTIFIQUE
DE SADI CARNOT
INTRODUCTION A l'ÉTUDE
DE LA THERMODYNAMIQUE
N" 15. MAURICE DELAFOSSE
Ancien Gouverneur des Colonies,
Professeur à l'École coloniale et à
l'École des Langues Orientales
LES
NOIRS DE L'AFRIQUE
N" 16. AUGUSTIN CARTAULT
Professeur bonoraire de poésie latine
à l'Université de Paris
LA POÉSIE LATINE
N° 17. L. MAQUENNE
Membre de l'Institut, Professeur au
Muséum d'Histoire naturelle
PRÉCIS DE PHYSIOLOGIE
VÉGÉTALE
NM8. D'G. CONTENAU
Chargé de Missions archéologiques
en Syrie
LA CIVILISATION
ASSYRO-BABYLONIENNE
N" 19. H. LECHAT
Professeur à l'Université de Lyon
Correspondant de l'Institut
LA
SCULPTURE GRECQUE
M. EMILE GARÇON
M. Garçon, docteur en Droit de la Faculté de Poitiers,
fut d'ahord avocat. En 1879 il occupa la chaire de droit pénal
à la Faculté de Douai, puis de Lille, lorsque cette Faculté fut
transférée dans cette dernière ville. En même temps il y fut
chargé d'un enseignement de l'histoire du droit. Appelé à
Paris en 1898 il fut nommé à la chaire qui avait appartenu
avant lui à Ortolan et à Léveillé. Il a organisé dans cette Fa-
culté une salle de travail et un enseignement criminologique
où se sont formés un grand nombre de magistrats, d avocats
et de professeurs qui ont marqué leur place dans les Universités
françaises et étrangères.
M. Garçon n'a été et n'a voulu être que professeur et a
consacre toute sa vie à l'étude du droit criminel : son œuvre
capitale est un commentaire du Code Pénal où il a systématisé
toute la jurisprudence du XIX® siècle. Cette œuvre, qui n'est
pas encore terminée, lui a coûté 30 années de travail. La mé-
thode rigoureuse, suivie dans cet ouvrage, considérable, fait
disparaître l'opposition traditionnelle de la pratique et de la
doctrine. Ce code annoté est aujourd'hui dans toutes les mains,
au Palais comme à l'école. Mais M. Garçon n'est pas seule-
ment un juriste. Aucun des grands problèmes sociaux et
moraux que soulève l'application du droit répressif ne 1 a
laissé indifférent. Aussi éloigné des théories dites classiques
que des nouveautés hasardeuses et dangereuses, il est, comme
l'a dit un de ses élèves, un des chefs de l'école néo-classique.
Ces idées, M. Garçon les a exposées dans un grand nombre
d'articles de revues, de rapports et de discours. Il est depuis
de longues années l'un des principaux rédacteurs de la Refus
pénitentiaire II a été président du groupe français de l'Union
internationale de Droit pénal, et de la Société des Prisons.
Ce sont ces doctrines que M. Garçon a voulu résumer dans
le livre que nous donnons aujourd'hui au pablic.
COLLECTION PAYOT
E. GARÇON
PROFESSEUR DE LEGISLATION CRIMINELLE
ET DE DROIT PENAL COMPARÉ
A LA FACULTÉ DE DROIT DE LUNIVERSITÉ DE PARIS
LE DROIT PENAL
ORIGINES - ÉVOLUTION - ÉTAT ACTUEL
PAYOT & C^ PARIS
106. BOULEVARD SAINT-GERMAIN
1922
Tous droits réservés
TABLE DES MATIÈRES
INTRODUCTION 3
CHAPITRE PREMIER. - LE DROIT PÉNAL PRIMITIF 7
CHAPITRE :i. — LES ORIGINES DU DROIT DE PUNIR DE
L'ÉTAT 29
C//.4P/rRE ///.- L'ANCIEN DROIT PÉNAL 58
CHAPITRE IV. — LE DROIT PÉNAL CONTEMPORAIN 81
CHAPITRE K. - LES QUESTIONS ACTUELLES 130
Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptation réservés pour tous pays
Copuright \92\,bu Pavot & C".
INTRODUCTION
Le crime, en entendant cette expression dans un sens
très général, peut être défini : un acte contre lequel la
société réagit au moyen d'une peine. Le crime et la peine
sont donc des phénomènes sociaux, soumis aux lois de la
sociologie, et ainsi conditionnés par tous les changements
apportés à l'organisation sociale, par exemple, par les
variations du milieu économique et, plus encore, par l'état
des croyances morales et du degré de culture de chaque
époque et de chaque peuple. Mais en dépit de ces diver-
sités, les concepts du crime et de la peine ont toujours été
dominés par un certain nombre de principes fondamentaux,
qui apparaissent à travers les coutumes primitives, qu'on
retrouve, sous des aspects divers, pendant le cours des
siècles historiques et qui persistent deins le droit pénal
des peuples parvenus au plus haut degré de civilisation,
parce qu'ils tiennent à la nature même de l'homme et aux
lois élémentaires de son esprit.
C'est un fait que l'homme n'est pas simple mais com-
plexe. D'une part, il cherche à assurer le développement de
sa propre personnalité et la satisfaction de ses besoins et
de ses passions individuelles, et, d'autre part, il est un
être sociable, soumis aux nécessités de la vie en commun.
On ne saurait méconnaître ni l'une ni l'autre de ces ten-
demces sans s'exposer à tomber dans les plus graves erreurs.
La vie en société est une nécessité imposée à l'homme
par sa nature même, et à laquelle il ne saurait se soustraire
4 LE DROIT PENAL
sans périr. Personne n'oserait plus soutenir aujourd'hui,
qu'à une époque présociale, il a vécu dans un état de nature,
isolé des autres et parfaitement libre. Cette hypothèse
aprioristique de la philosophie du XYIII*^ siècle n'a pas
résisté à l'observation des faits, dès qu'on a appliqué à la
science sociale les sûres méthodes expérimentales. L'homme,
aussi mal armé pour l'attaque que pour la défense, n'a pu
échapper aux dangers de destruction qui le menaçaient
de toutes parts, il n'a pu l'emporter dans la lutte pour la
vie que par la force de l'association. Seule elle lui a permis
de faire usage des ressources de son intelligence pour assurer
la fortune de sa race. Par la parole, cet instrument social
par excellence, il a pu communiquer aux autres les fruits
de son expérience, lesquels trîmsmis à ses descendants,
accrus de générations en générations, ont porté les connais-
sances humaines au haut degré de culture où elles sont
parvenues. Il est donc parfaitement inutile de chercher
l'origine de la société : comme les sociétés animales, elle
s'impose comme un fait.
Mais ce serait une erreur non moins grave de considérer
l'homme comme s'absorbant dans le milieu commun et,
simple cellule sociale, perdant toute individualité. Il a des
intérêts, des besoins, des désirs et des passions qui lui
sont propres, et il porte en lui une volonté de puissance
qui le pousse à affirmer sa personndité, fusse au dépend
des autres, même à exploiter la société à son profit et à
son avantage. Et ce sentiment égoïste est aussi nécessaire
pour lui permettre de vivre et de progresser. L'initiative
individuelle et l'intérêt personnel sont les puissants moteurs
de l'effort et du travail. L'homme qui ne sentirait et ne
penserait que socialement, sans aucun souci de son bien
propre et qui pratiquerait ce complet oubli de soi-même.
INTRODUCTION 0
marcherait évidemment à sa ruine. Quelques moralistes
ont prophétisé, comme dernière étape du progrès, une
société ainsi composée de purs altruistes. Simple fantaisie
d'imagination, qui, comme l'état de nature, se heurte et
se brise à l'observation des faits.
Il est manifeste que ces deux sentiments, la sociabilité
et l'égoïsme, se contredisent. D'une part, la vie commune
exige l'établissement d'une discipline imposant à chacun
des obligations, et, d'autre part, le moi semble se refuser
à toute contrainte et ne saurait d'ailleurs, dans l'intérêt
même de la société, être comprimé au delà d'un certain
point critique. Ne pouvant supprimer ni l'une ni l'autre
de ces tendances, force a bien été de les concilier par des
règles qui, à la fois, reconnaissent et garantissent les droits
de l'individu, et déterminent les devoirs qui lui sont imposés
pour fissurer l'ordre public. Mais pour faire accepter ces
devoirs, il a fallu de longs siècles de luttes douloureuses,
luttes mêmes qui ne sauraient prendre fin, car aussitôt que les
forces qui les imposent se relâchent, les passions indivi-
duelles reprennent leur libre cours, et la société retombe
dans le désordre. Tâche immense et incessante, mais dont
la civilisation est le prix.
La morale, les religions, le droit criminel sont les trois
principaux moyens employés pour déterminer et préciser
ces règles essentielles au maintien de la discipline sociîile
et pour établir les sanctions sans lesquelles elles seraient
sans force. L'une de ces sanctions se trouve d'abord dans
la conscience humaine qui, guidée par une sorte d'instinct
social, honore ceux qui vivent selon les lois, et frappe de
réprobation les indisciplinés qui prétendent s'en affranchir.
On a pu nier que la morale de l'honneur fut suffisante
pour courber les volontés malfaisantes, mais on ne saurait
6 LE DROIT PENAL
méconnaître que le désir d'acquérir l'estime des autres,
et la crainte de l'infamie, soient parmi les plus puissants
mobiles qui gouvernent la conduite pratique des hommes.
Le sentiment religieux et les sanctions surnaturelles qui
en sont la suite n'ont pas concouru moins efficacement à
imposer le respect des préceptes nécessaires à la vie sociale.
La foi commande avec la puissance souveraine d'un prin-
cipe d'action qui ne tolère aucune discussion. Étrangère
à toute logique rationnelle, c'est un impératif auquel on
ne peut se soustraire sans s'exposer aux châtiments inéluc-
tables de la justice divine. Mais ces sanctions purement
morales et religieuses sont insuffisantes. Il y a des pervers
qui bravent le déshonneur, et il y a toujours eu des incré-
dules et des impies, sur lesquels la foi reste sans force.
Il a donc fallu établir des sanctions humaines purement
terrestres, en infligeant un mal à celui qui désobéit aux
lois, se met en rébellion contre la communauté et empiète
sur les droits des autres. Ce mal a pris les formes les plus
diverses depuis les pures représailles inspirées par la ven-
geance, jusqu'à la peine reposant sur une pure idée de
justice. Ces progrès ont été accomplis par la science juri-
dique dont tous les efforts ont tendu à fixer les conditions
et les limites de la répression. C'est l'histoire de cette évo-
lution que nous nous proposons de retracer. Elle n'est
rien moins, sous un de ses aspects les plus caractéristiques,
que l'étude du problème moral dont l'humanité poursuit
la solution à travers les siècles, et de laquelle dépend,
beaucoup plus que de ses conquêtes sur le monde physique,
les véritables progrès et l'avenir de la civilisation.
CHAPITRE PREMIER
LE DROIT PÉNAL PRIMITIF
L'étude du droit primitif n'a été entreprise que récemment
et la sociologie seule en a montré l'importance scientifique.
Ayant pour objet la recherche des lois naturelles qui gou-
vernent les phénomènes sociaux, et pour méthode l'obser-
vation des faits, elle a été naturellement amenée à remonter
aux origines. Les lois sociologiques sont en effet de deux
sortes : les unes sont statiques et dominent les phénomènes
dans un milieu social donné : par exemple le crime chez
les peuples civilisés et qui pratiquent la grande industrie.
Mais il y a aussi des lois sociales dynamiques, qui gou-
vernent, diuis le temps, les chemgements, les progrès et
les régressions des institutions répressives. Pour les décou-
vrir et les formuler, il est évident qu'il faut rechercher
tous les faits qui peuvent tomber dans le champ de nos
observations et jusqu'aux plus anciens.
Mais dès que ces recherches ont été commencées, on
s'est vite aperçu que les institutions primitives échappent
à toute chronologie. On les retrouve, avec tous les traits
qui les caractérisent, depuis l'antiquité la plus éloignée
jusqu'à aujourd'hui. En réalité, elles naissent dans un certain
milieu, et sont les mêmes, partout où les mêmes conditions
sont réalisées, quels que soient les lieux et les temps.
Or, pour reconstituer les institutions primitives, on peut
d abord utiliser les documents législatifs anciens. Mais
8 LE DROIT PÉNAL
ces sources sont peu sûres et ont toujours besoin d'être
interprétées. Longtemps les historiens du droit ont cité,
comme les plus vieilles lois connues, la loi des XII Tables
et la loi salique, dont ils se bornaient à répéter les formules,
sans en comprendre exactement l'esprit et sans en pénétrer
la véritable signification. En réalité, ces textes ne nous
livrent qu'un droit fort évolué et ils ont été écrits à une
époque où le droit primitif était déjà en pleine décadence.
On en pourrait dire autant des lois d'Hamourabi qui,
chronologiquement, remontent à la plus haute antiquité,
mais qui ont été faites pour un peuple ayant depuis long-
temps dépassé la période sociologique primitive. Les
Gragas, qui datent du XII® siècle, se tiennent peut-être
plus près des origines, mais sont loin pourtant de les pré-
senter dans leurs formes pures.
Les œuvres littéraires : les poèmes homériques, les Sagas,
les livres sacrés de l'Inde, la Genèse nous fournissent des
documents plus précieux peut-être et qu'on ne saurait
négliger. Mais aucune d'elles non plus ne sont à propre-
ment parler contemporaines des temps primitifs. Elles
ont été écrites ou recueillies alors que la civilisation avait
déjà fait de grands progrès, que les coutumes et les croyances
originaires étaient profondément modifiées, et que les
mœurs antiques n'étaient plus que des souvenirs lointains
et presque effacés sous la floraison riche des légendes popu-
laires.
Ainsi ces lois et ces poèmes ne nous livrent que des sur-
vivances. Pour en tirer des conclusions scientifiques, il
faut d'abord les soumettre au plus sévère examen critique,
et se livrer à un travail de reconstruction, avec toutes ses
chances hypothétiques. Cependant les études entreprises
en ce sens ont déjà conduit à des résultats positifs, et qui
LE DROIT PENAL PRIMITIF 9
ont éclairé d'une vive lumière l'obscurité de ce lointeiin
passé.
Mais nous avons une autre source de renseignements,
qui nous permettent, heureusement, de pénétrer plus
intimement ces institutions si étrangères au monde auquel
l'esprit moderne est accoutumé. Il existe encore des peuples
qui, n'ayant pas dépassé le stade de la civilisation primi-
tive, ont conservé, dant toute leur pureté, les mœurs et les
coutumes antiques. En les voyant fonctionner sous nos
yeux, elles apparaissent dans leur simplicité et nous en sai-
sissons facilement la raison d'être, l'esprit et la portée.
Elles vivent devant nous. Grâce à ces données ethnolo-
giques, les documents historiques s'éclairent et des textes
qui seraient passés inaperçus, ou qui seraient restés abso-
lument incompris, prennent une valeur nouvelle. Mal-
heureusement, il faut l'avouer, ces observations ont rare-
ment été recueillies avec une rigueur scientifique suffisante.
Parmi les voyageurs, qui ont parcouru les pays inconnus,
beaucoup connaissaient les sciences de la nature, mais il
ne paraît pas qu'on ait jamais songé à adjoindre aux mis-
sions, envoyées à la découverte, des historiens du droit.
Aussi ont-ils passé à côté des faits les plus importants sans
les comprendre. Ils relatent le plus souvent comme des
particularités, qui les ont eux-mêmes surpris et étonnés,
des usages qui rentrent dans les catégories les plus connues
et les plus banales des coutumes primitives. D'autre part,
les conquêtes coloniales diminuent, chaque jour, le nombre
des peuplades qui ont conservé ces mœurs archaïques, et
on peut prévoir l'heure où elles auront toutes disparu.
Seuls quelques rares sociologues ont poursuivi ces études
avec une méthode rigoureuse, et consciente du but à at-
teindre. Mais leurs observations n'en sont que plus pré-
10 LE DROIT PÉNAL
cieuses, et elles sont si fécondes qu'elles ont permis d'as-
seoir, sur les bcises scientifiques les plus sûres, la recons-
titution de tout l'ensemble du droit primitif.
Le principe fondamental qui ressort de toutes ces études,
et qu'on peut aujourd'hui considérer comme définitive-
ment acquis, est qu'il existe un rapport nécessaire entre les
institutions sociales et le milieu dans lequel elles se sont
formées et développées, et qu'elles dépendent avant tout
des faits économiques et de l'état des découvertes scienti-
fiques et des inventions industrielles qui ont permis à
l'homme de maîtriser les forces de la nature.
L'homme, qui se nourrit exclusivement de la cueillette,
de la chasse et de la pêche, n'a guère vécu autrement qu'en
horde, et cette horde, qui apparaît ainsi comme le plus
archaïque des groupements sociaux, est encore presque
complètement inorganique. La domestication des animaux
et des plantes, en assurant sa subsistance régulière, lui a
permis au contraire d'établir un certain ordre et une cer-
taine discipline sociale. Autour du troupeau, qui constitue
un capital commun, s'unissent des intérêts permanents et
s'organisent des institutions stables. Elles se perfectionnent
le jour où la pratique de l'agriculture a fixé la demeure
du groupe. Cet agrégat repose alors essentiellement sur un
lien familial. Mais la famille doit être entendue ici dans le
sens le plus large, comme comprenant, dans une même
unité, plusieurs générations descendant d'un auteur com-
mun, dont le souvenir est ordinairement perdu ou est
devenu légendaire : tels la tribu sémitique, le y^vo; grec,
la gens latine, le douar arabe, le village lorsque le clan est
devenu sédentaire.
Chacun de ces groupements a son gouvernement, qui
peut affecter les formes les plus diverses. La plus commune
LE DROIT PÉNAL PRIMITIF II
sans doute est la royauté absolue, où le chef, désigné par
la naissance, concentre entre ses mains tous les pouvoirs
et est, à la fois, chef militaire, prêtre, juge et administrateur
de la communauté. Mais on trouvera ailleurs ce chef élu
et ne pouvant agir, dans les circonstances importantes,
sans l'assentiment des anciens ou même de tous les membres
du groupe. Les plus vieilles familles paraissent Jiinsi avoir
connu et essayé toutes les formes constitutionnelles, la
forme monarchique, ou aristocratique ou démocratique.
Mais le point le plus important, pour nos études parti-
culières, est la situation réciproque de ces tribus familiales
entre elles. Elles sont absolument et essentiellement indé-
pendantes les unes des autres, et forment, en réalité, de
petits états autonomes. Pour employer une expression
juridique très claire, elles sont souveraines. Personne ne
peut donc s'immiscer dans leur administration intérieure,
personne non plus dans leurs relations respectives, puis-
qu'il n'existe au-dessus d'elles aucun organe quelconque,
ayant le droit ou possédant le pouvoir de fait de leur donner
des commandements.
Ce n'est même pas assez dire que ces tribus sont indé-
pendantes les unes des autres ; elles vivent à peu près sans
relations et, en vérité, tout les sépare : leurs dieux parti-
culiers, leurs mœurs, leurs coutumes et surtout leurs
intérêts. Entre celles qui habitent des territoires limitrophes
surtout, les causes de disputes sont fréquentes. Il est vrai
que quelques-unes ont de lointaines origines communes :
les tribus se propagent par sissiparité et forment des colo-
nies qui s'établissent sur de nouveaux territoires et qui
gardent entre elles et avec le groupe originel des croyances
et une langue commune. Mais la cause de l'émigration se
trouve souvent dans une première mésintelligence. D'ml-
12 LE DROIT PÉNAL
leurs certaines tribus composées de véritables brigands
n'exercent guère d'autre industrie que le pillage de leurs
voisins.
Ainsi la famille patriarcale se replie sur elle-même. Les
parents qui la composent, les clients qui y ont été reçus,
avec les esclaves, le territoire sur lequel elle est établie,
les troupeaux qu'elle possède, ses richesses économisées,
tout cela forme un tout indivisible. Le lien qui enserre les
membres d'un clan est particulièrement étroit et ferme.
La solidarité qui les unit a pour fondement le sentiment de
la consanguinité, les croyances religieuses, le patrimoine
qu'ils possèdent en commun, les intérêts les plus visibles
et les plus clairs. En ce milieu si simple, tout individu sent
que sa vie, sa liberté, sa subsistance, dépendent de la puis-
sance de son groupe. Seule sa force collective peut assurer
sa sécurité. Mais à l'inverse, aucun lien social n'existe
entre ceux qui appartiennent à des tribus différentes. On
exagère en disant qu'ils se considèrent toujours comme
ennemis. Il y a des clans qui vivent sur un pied de paix,
au moins momentanément. Mais deux individus, de groupes
distincts, sont des étrangers dans le sens le plus absolu
du mot. Il n'y a entre eux aucun rapport de droit. Summer
Maine a exprimé cette idée, sous une forme pittoresque
et saisissante, lorsqu'il a écrit cette phrase souvent citée :
« Il serait à peine exagéré de dire que les chiens qui suivent
le camp avalent plus de part à son existence que les membres
d'une tribu étrangère et sans lien de parenté. »
C'est dans cette organisation sociale qu'a pris naissance
et qu'a fonctionné le système dit de la vengeance privée
et des compositions. Ce système fait corps avec toutes
les institutions de la tribu patriarcale, et s'explique par elles.
LE DROIT PÉNAL PRIMITIF 13
Telle que l'ont décrite longtemps les historiens, la ven-
geance privée constituerait la première phase de l'évolution
du droit pénal. A l'origine, en effet, lorsqu'un crime avait
été commis, la victime aurait eu le droit de se venger même
en tuant le coupable, car cette vengeance n'avait pas de
limite. Elle serait un droit ; le mal infligé au coupable une
véritable peine, légitime et méritée, si bien que, s'il fallait
en croire quelques-uns, le vengeur aurait été à l'abri de
toutes représailles. D'ailleurs, les familles de l'offenseur
et de l'offensé auraient été associées à la vengeance ; mais, ,
en lisant certains auteurs, on voit qu'ils entendent par là,
la famille telle qu'elle est à peu près constituée de nos
jours. En un mot, dans cette conception, on se représente
le droit de vengeance privée comme la Vendetta Corse.
Cependant dans une seconde étape, la victime et sa famille
auraient renoncé à se faire justice moyennant une indem-
nité, c'est-à-dire moyennant le paiement d'une compo-
sition pécuniaire, comprenant à la fois, la réparation du
préjudice causé et la peine du crime. Enfin, dans une
troisième phase, l'Etat serait intervenu pour obliger le
coupable à payer et la victime à recevoir cette composition,
dont il aurait fixé le montant par voie d'autorité.
Présenté avec ces déformations, ce système est incom-
préhensible. Il semblerait, en vérité, qu'il a existé un temps
où un homme riche aurait pu, à son gré, selon son caprice
et ses passions, commettre un vol, un assassinat, le plus
révoltant des attentats : il lui aurait suffi de verser à la
victime ou à sa famille quelques sous d'or pour être quitte !
Cependant, tout devient simple, logique et pratique,
lorsqu'on rétablit ce système dans son milieu, et dcins sa
pureté primitive. Il suffit de considérer, qu'à l'origine,
il n'a fonctionné que dans les rapports de fîunille à famille.
14 LE DROIT PÉNAL
de tribu à tribu, telles que nous venons de les décrire,
absolument indépendantes les unes des autres. Le pré-
tendu droit de vengeance privée et les compositions appa-
raissent alors comme dérivant de la nature même des choses.
Ils sont ce qu'ils doivent être, parce que rien autre n'est
possible. Mais ce ne sont pas en réalité et à proprement
parler des institutions de droit pénal.
Lorsqu'un clan a causé un dommage à un autre clan, il
n'existe aucun pouvoir qui puisse régler et imposer la
réparation du dommage et punir le coupable, puisque ces
clans sont souverains. La tribu offensée ne peut donc
compter que sur elle-même, et sur ses propres forces, pour
assurer la sauvegarde de ses biens et la sécurité de ses
membres. Lorsqu'elle est attaquée, elle n'a d'autres res-
sources que de prendre les armes et de repousser l'agres-
seur. Quand une bande de pillards a reizzié les troupeaux
d'une tribu, celle-ci ne peut que courir après les voleurs,
leur livrer bataille, reprendre ses bêtes, porter à son tour
la désolation dans le camp ennemi, brûler ses tentes, ou
ses cabémes, et le ruiner. Si le clan offensé tire une vengeance
éclatante de l'injure qu'il a subie, il inspirera une crainte
qui détournera ses ennemis de toute entreprise nouvelle.
Mais s'il souffre le mal, l'impunité encouragera ses agres-
seurs, et il pourra tout redouter de leur audace.
Il n'est pas moins facile d'expliquer comment ce droit
de vengeance apparaît sous une forme collective et non pas
individuelle. Nous avons dit quelle étroite solidarité lie
tous les membres de la tribu familiale. L'injure faite à
l'un ne lui est péis personnelle, elle atteint forcément tous
les autres et tous la ressentent également. D'ailleurs les
biens sont communs et le tort matériel causé par le vol et
le pillage est causé au groupe tout entier. Une razzia de
LE DROIT PÉNAL PRIMITIF 15
ses troupeaux réduit à l'indigence et à la famine tous ceux
qui en font partie. Et la responsabilité passive ne s'impose
pas moins. D'abord, l'entreprise criminelle sera d'ordinaire
le fait de tous : c'est une expédition guerrière. Mais en
supposant un fait commis par un seul individu causant
un préjudice à une tribu étrangère, le vol de quelques mou-
tons, l'enlèvement d'une femme, un eissassinat même, la
victime et son clan sont dans l'impossibilité d'en assurer
la répression. Le coupable est hors de leur pouvoir et de
leur juridiction. Ils n'ont sur lui aucune emprise. Ils ne
sauraient donc le saisir et se venger sur sa personne. Sou-
vent d'ailleurs ils ne le connaîtront pas. Ils ne peuvent
en conséquence s'adresser qu'à son groupe. On s'est étonné
de cette responsabilité collective qui heurte toutes nos
conceptions modernes. Si on y réfléchit, c'est dîins ce milieu
social la responsabilité individuelle qui serait inexplicable
et incompréhensible.
Dans ce monde primitif, la nécessité d'assurer la sécurité
du groupe, et de tous ceux qui le composent, en ne laissant
impunie aucune attaque venant de l'extérieur, apparaît
si clairement qu'elle s'impose à la conscience de chacun.
L'instinct de la conservation individuelle et collective
commîinde si fortement de venger les injures faites au clan
que personne ne songe à se soustraire à une pareille obli-
gation. C'est le patriotisme sous sa forme élémentaire : la
défense de la récolte et du troupeau, de la terre sur laquelle
les ancêtres ont vécu, qu'ils ont appropriée, qu'ils ont
défrichée et cultivée, la défense des personnes mêmes,
exposées à être tuées ou réduites en esclavage par le groupe
ennemi. S'associer à la défense commune devient le plus
impérieux des devoirs.
Les croyances religieuses fortifient de leur côté chez
16 LE DROIT PÉNAL
beaucoup de peuplades le sentiment de ce devoir. Mais
comme elles varient à l'Infini et se manifestent sous les
formes les plus diverses, il devient aussi difficile que péril-
leux d'en présenter un tableau général. On est exposé à
se heurter aux faits les mieux constatés et à recevoir le
démenti de textes Irrécusables, parce qu'ils se rapportent
à des croyances particulières. La seule méthode légitime
est, en recherchant ces faits et ces textes, de les exposer
sans essayer de dangereuses généralisations. De nombreuses
études fragmentaires ont été ainsi entreprises, dont quel-
ques-unes ont projeté une vive lumière sur cette double
histoire des religions et du droit pénal primitif ; et, sous le
bénéfice de ces observations on peut en tirer de très pré-
cieuses indications.
Si le culte des morts n'est pas un fait universel, il est
au moins très général : on le retrouve chez les peuples et
chez les races les plus différentes. L'ombre des morts erre
autour des vivants, comme un fantôme qui inspire surtout
la crainte, et dont il semble qu'on a tout à redouter. Pour
l'apaiser, il faut d'abord lui donner une sépulture où elle
puisse reposer en paix. Il faut déposer auprès du défunt
ses armes et les objets dont il aimait à s>e parer. Il faut,
surtout, par des sacrifices sur son tombeau, satisfaire à
tous ses besoins, et à tous ses plaisirs, partager avec lui
la nourriture et les boissons. Si les vivants s'acquittent de
ces devoirs pieux, le mort deviendra pour eux une divinité
tutélalre ; mais s'ils y manquent, il sera méchant : il fera
périr les troupeaux, manquer les récoltes, avorter les
femmes, il les trahira dans les combats et les tourmentera
de toutes les manières.
Mais toutes ces obligations deviennent particulièrement
strictes envers celui qui est tombé victime d'un homicide.
LE DROIT PÉNAL PRIMITIF 17
S il reste sans sépulture, c'est un damné dont l'ombre
errante ne connaîtra pas de repos. Pour qu'il trouve ce
repos, il est nécessaire que son seing soit vengé ; il ne sera
satisfait que si son meurtrier ou un des siens ou, mieux
encore, le meurtrier et les siens, sont sacrifiés à ses mânes.
Ainsi, la vengeance du sang prend un caractère essentiel-
lement expiatoire. Ole devient pour les parents de la victime
une obligation religieuse et sacrée à laquelle nul ne saurait
se soustraire sans encourir les sanctions les plus redou-
tables : la haine du mort et la réprobation des vivants.
Maintenant si la victime et le meurtrier appartiennent
à des tribus différentes, ce devoir religieux pèsera sur tous
les membres du groupe activement et passivement. Sems
doute, un vengeur pourra être particulièrement désigné ;
l'obligation d'assurer la vengeance pourra être imposée
plus ou moins fortement à différentes catégories de parents,
mais tous ceux qui font partie du clan devront leur prêter
assistance et prendre part à la lutte. D'autre part, l'auteur
de l'homicide trouvera dans son propre groupe un asile
sûr et des défenseurs, prêts à le protéger contre toutes
représailles. L'homicide qu'il a commis n'est pas un crime
aux yeux de ses propres parents ; peut-être même sera-
t-il considéré par eux comme une action d'éclat. Ainsi la
vengeance du sang ouvre une véritable guerre entre deux
clans. Cette guerre est ce qu'on appelle d'ordinaire le droit
de vengeance privée.
La composition, dans sa simplicité primitive, s'explique
de la même manière, par la nécessité même qu'impose le
milieu. On a beaucoup discuté sur la nature de cette com-
position et si elle était la réparation et l'expiation du crime,
ou bien un procédé pour soustraire le coupable à la vengeance
de la victime et des siens. On a donné de bonnes raisons à
2. GASCON.
18 LE DROIT PÉNAL
l'appui de l'une ou l'autre opinion parce que les deux idées
contiennent également une part de vérité. Mais le vice
commun de toutes ces explications est de ne point remonter
à la véritable origme du système.
Si le droit de vengeance est le droit de guerre entre
deux groupes, indépendants et souverains, la composition
est le traité de paix qui termine ou prévient les hostilités.
La guerre, en effet, ne peut pas être éternelle ; un jour
vient où le plus faible se déclare vaincu et demande la
paix. Le vainqueur peut, sans doute, continuer la lutte
jusqu'à l'extermination de son adversaire. Mais il arrive
aussi que lui-même est las de combattre et aspire à mettre
fin aux hostilités. D'ailleurs, les forces peuvent être encore
sensiblement égales. On discute alors les conditions de la
paix, et elles varieront évidemment à l'infini selon les cir-
cpnstances. Elles pourront être dictées par le vainqueur,
et le vaincu subira toutes celles qui lui seront imposées.
Souvent aussi, l'une des parties fera des offres, qui seront
débattues et qui aboutiront à un accord. Il n'est pas impos-
sible, non plus, que cette transaction intervienne avant
toute ouverture des hostilités. La tribu à laquelle appar-
tient l'auteur d'un fait dommageable, d'un vol, de l'enlè-
vement d'une femme mariée, d'un assassinat, redoutant la
vengeance de la tribu offensée, ayant conscience que le
bon droit n'est pas de son côté, cherchera à éviter la guerre
en offrant des satisfactions préalables. Enfin il arrivera que
des familles étrangères au litige, s'interposeront entre les
parties pour obtenir un accommodement. Les chefs des
tribus neutres, les vieillards, joueront le rôle non point
d'arbitres, car leur sentence ne saurait avoir aucun caractère
obligatoire, mais de conciliateurs. On a remarqué avec
beaucoup de raison que pour obtenir du vainqueur ou de
LE DROIT PÉNAL PRIMITIF 19
l'ofîensé qu'il renonce à poursuivre sa vengeance, il faut
tenter sa cupidité. On lui offrira de riches présents : des
chevaux, des moutons, des bœufs, des armes, des vases
d or ou d'argent, tout ce qui constitue la richesse de ces
temps primitifs. Cependant, en cas d'homicide, il faut que
la victime trouve aussi les satisfactions qui lui sont dues.
Ses parents exigeront la livraison du coupable, même
d'un certain nombre de jeunes gens, de filles, d'esclaves,
qu'on égorgera sur le tombeau. Mais il arrivera aussi,
grand progrès ! que ces sacrifices humains seront remplacés,
par des sacrifices rituels d'animaux dont le sang répandu
apaisera les mânes du défunt.
Lorsque les conditions de la paix sont enfin arrêtées,
que les tribus sont tombées d'accord, que la composition
a été acceptée et payée, une coutume très généréJe, et qu'on
rencontre dans les temps et dans les milieux les plus diffé-
rents, veut qu'on entoure la paix de cérémonies rituelles.
On célèbre des sacrifices religieux, chaque partie promet
de garder à l'autre une amitié éternelle ; on échange les
serments les plus solennels, enfin on se réunit dans un
banquet commun. Heureux, comme le remarque un auteur,
si, dans l'ivresse qui suit ces libations, quelques nouvelles
disputes et quelques nouveaux meurtres ne provoquent pas
de nouvelles vengeances.
Et tout ce que nous venons de dire explique aussi pour-
quoi ce droit primitif ne fait aucune distinction entre le
dommage voulu ou non voulu. Dans la pensée des tribus
patriarcales, le préjudice qu'elles ont éprouvé doit être
réparé, c'est un pur fait matériel qui doit entraîner dans
tous les cas un dédommagement matériel. Qu'importe
que le meurtre ait été commis intentionnellement, ou par
simple imprudence, l'ombre menaçante de la victime
20 LE DROIT PÉNAL
exigera toujours la même vengeance, les mêmes sacrifices
expiatoires et rituels.
Ce système, ^n le voit, tel qu'il se présente dans sa sim-
plicité originaire, n'a que des rapports très éloignés avec
le droit pénal. Sans doute, la vengeance et les compositions
participent, si on veut, du caractère de la peine. La ven-
geance tend incontestablement à l'intimidation des ennemis
de la famille et à les détourner de commettre envers elle
de nouvelles injures. En cas d'homicide, elle repose sur
une idée d'expiation. La composition peut, dans certains
cas, représenter la réparation du préjudice injustement
subi. Mais, en réalité, nous n'apercevons dans tout cela
qu'un état préjuridique, où la violence est seule maîtresse,
et prime le droit. En dernière analyse, le prétendu droit
de vengeance privée n'est rien autre chose que le pouvoir
de fait qui appartient collectivement à la famille patriarcale
d'employer la force pour se défendre contre une attaque
injuste et en obtenir réparation. Seulement il convient
de ne pas oublier que ce même pouvoir de fait permet aussi
à une tribu puissante de se livrer à une attaque injuste,
et d imposer au vaincu des conditions qui violent le plus
outrageusement le bon droit.
Tout cela est la conséquence inévitable de l'indépen-
dance des familles qui se trouve à l'origine de toutes les
civilisations ; et c'est si vrai, que ce même système se
retrouve, avec tous ses traits essentiels, chaque fois que
l'absence d'un pouvoir supérieur met en présence deux
souverainetés.
Lorsque l'Etat eut sombré, avec la monarchie Girlovin-
gienne, dans l'anarchie du moyen-âge, un certain ordre
social se reconstitua dans l'agrégat féodal. Les faibles se
cherchèrent un protecteur, les paysans se groupèrent autour
LE DROIT PÉNAL PRIMITIF 21
d'un seigneur qui leur promettait une certaine sécurité,
au pied du château où ils pouvaient trouver un asile au
cas de danger. Pour obtenir cette protection, ils acceptèrent
toutes les servitudes. Mais chacun de ces seigneurs fut
souverain, et dès lors, on vit renaître les guerres privées,
seul moyen de vider les querelles, puisque l'Etat n'exis-
tait plus, à la justice supérieure duquel on put recourir.
Au fond, on ne l'a peut-être pas assez remarqué, il existe
une grande ressemblance entre la famille patriarcale et
l'agrégat féodeJ ; l'une et l'autre de ces organisations sociales
s'expliquent par des raisons analogues et en tous cas, le droit
de guerre reconnu à tout seigneur de fief, n'est peis essen-
tiellement différent du droit de vengeance qui, dans le
monde primitif, appartient au clan.
Et n'est-ce pas ce système que pratiquent encore aujour-
d'hui les nations les plus orgueilleuses de leur civilisation
dans leurs rapports les unes avec les autres. A défaut d'un
pouvoir supérieur commandant à toutes, auquel chacun
pourrait demander justice, et qui posséderait la force
d'imposer l'exécution de ses arrêts, elles n'ont d'autre
moyen, pour assurer leur sécurité, que de répondre à la
violence par la violence, à la force par la force. Certes !
la guerre est légitime, lorsqu'elle est faite pour repousser
une agression, puisqu'elle est la seule ressource possible
contre l'injustice. Mais elle peut aussi être entreprise,
par tout Etat souverain, dans le but le plus inique, et dans
un pur esprit de conquête. Après la victoire, le vaincu
subira la loi du vainqueur. Tant mieux si le bon droit
triomphe, tant pis si la paix imposée consacre la plus
atroce iniquité. L'indemnité que stipulent tant de traités
de paix est-elle au fond très différente de la très vieille
composition des peuples primitifs ? Comme elle, elle
22 LE DROIT PÉNAL
n'est une réparation légitime que lorsqu'elle est payée par
celui qui a causé des dommages par une attaque injustifiée.
Dans ces relations mternationales, la responsabilité n'est-
elle pas restée collective comme elle l'était dans la famille
patriarcale ? L'État moderne a le droit et le devoir de
protéger ses nationaux, mais cette protection ne peut
s'exercer contre le ressortissant d'un autre Etat qu'en
s'adressant à celui-ci. Lorsque des douaniers allemands ont
tué un Français en tirant sur lui un coup de fusil par-dessus
la frontière, lorsqu'un de nos soldats a été assassiné à
Berlin, nous ne pouvions songer à punir le coupable qui
était hors de notre pouvoir juridictionnel. C'est l'Allemagne
qui a payé l'indemnité que nous avons exigée. Est-ce bien
autre chose que le prix du sang ? N'est-ce pas parce que
nous sentons cette solidarité que nous refusons de livrer
nos nationaux par l'extradition ?
Nous venons de montrer que la vengeance et les com-
positions ne sont, dans leur origine première, qu'une sorte
de droit international entre des familles patriarcales, indé-
pendantes et souveraines. C'est à tort que beaucoup d'his-
toriens y ont vu un système de droit péned primitif. Mais
ces auteurs semblent croire, en outre, que, à cette période
sociologique, on ne connaissait aucun autre moyen de
réprimer les crimes et les délits, et cette seconde erreur
n'est pas moins grave que la première. Personne n'en saurait
plus douter aujourd'hui. Le droit pénal, en effet, caractérisé
par une peine, infligée au coupable par une autorité qui
assure, par cette sanction, la discipline sociale, a été pra-
tiqué dès les temps les plus reculés, et parallèlement au
système de la vengeance et des compositions. Seulement,
il faut le chercher là où existe un pouvoir social organisé,
LE DROIT PÉNAL PRIMITIF 23
c'est-à-dire à l'intérieur de la famille, de la tribu, du clan
ou de la gens.
Nous l'avons dit, la vie commune, que la nature impose
à l'homme, ne se conçoit pas sans une certame discipline,
sans une autorité à laquelle chacun obéit, soit volontaire-
ment, soit par contrainte. Cette discipline n'est même pas
complètement absente dans la horde sauvage. Mais elle
s'affirme déjà très énergiquement dans la famille patriar-
cale. Cette famille, en effet, groupe des parents, ayant une
conscience claire du lien de parenté qui les unit, et, avec
eux, des clients, des hôtes, des esclaves ; elle possède des
troupeaux et des biens en commun, souvent même, le
territoire sur lequel elle est fixée ; entourée de dangers,
exposée aux attaques de ses ennemis, elle doit perpétuelle-
ment lutter pour eissurer sa sécurité. Tout cela exige une
autorité qui administre les biens, commande les forces de
la tribu dans les expéditions guerrières, impose la paix
entre les différents membres du clan, et règle les différents
qui peuvent s'élever entre eux. Sans cette autorité qui
commande et se fait obéir, le groupe se dissoudrait dans
l'anarchie et deviendrait la proie de ses voisins mieux
organisés.
Or, le chef de la tribu patriarcale, pour remplir sa mission,
doit nécessairement pouvoir employer la contrainte. Si
ses commandements se heurtent à une résistance, il doit
la briser, si la discipline généraJe du groupe est troublée,
il faut qu'il la rétablisse. 11 ne le peut, évidemment, que
s'il a le pouvoir d'établir des sanctions.
Et cette hypothèse, jusqu'ici simple déduction ration-
nelle, se trouve expérimentdement confirmée par des docu-
ments historiques irrécusables et par les observations les
plus démonstratives. Ce ne sont pas seulement les survi-
24 LE DROIT PÉNAL
vances de cette justice familiale jusqu'aux époques histo-
riques qui affirment son existence antérieure, ce sont des
témoignages directs qui, bien compris et bien interprétés,
la montrent en plein fonctionnement. Partout où s'est
conservée, avec une suffisante clarté, cette organisation
patriarcale, on constate que l'autorité qui y gouverne exerce
le droit de punir.
Ce très ancien droit criminel manque évidemment de
toute réglementation juridique. 11 serait ridicule de vou-
loir apporter des précisions rigoureuses qu'il ne comporte
pas et, par exemple, de tenter de dresser une liste des
incriminations. Cette liste n'a jamais existé ; en aucun temps,
ni nulle part, elle n'a été dressée, ni écrite, ni piomulguée.
Elle dépendait certainement de l'arbitraire du chef -juge,
des sentiments qui l'animaient, de ses passions et des ses
colères. Moins peut-être, cependant, qu'on ne pourrait
le croire, car ce chef est soumis au contrôle et à la surveil-
lance constante de tous les membres du groupe, et il est
tenu de respecter les traditions et les coutumes. En réalité,
les crimes sont tous les actes antisociaux, qui soulèvent la
réprobation de ce groupe, qui blessent ses mœurs, ses
croyances, ses manières de penser, ses intérêts vitaux, qui
compromettent la paix et l'ordre de la communauté. Or,
ces éléments d'appréciation varient à l'infini.
Cependant, il ne paraît pas impossible de donner sur
ces crimes primitifs quelques indications générales. A coup
sûr, ils étaient peu nombreux. Dans ces sociétés simples,
on ignore évidemment quantité de délits que prévoient
les codes des peuples civilisés. On n'y connaît pas la fausse
monnaie, il n'existe point de monnaie ; ni les faux en écri-
ture, on n'écrit point ; ni la plupart des délits contre la
propriété, elle est commune à tous ; ni la mendicité ou le
LE DROIT PÉNAL PRIMITIF 25
vagabondage, ni les délits de chasse et de pêche, et cette
liste pourrait être continuée longtemps. Mais on punissait
le traître qui entretenait des intelligences avec une tribu
ennemie, le déserteur qui fuyait dans les combats, car leur
crime menace directement la sécurité du groupe familial.
On réprimait aussi les impiétés et les sacrilèges, qui ou-
tragent les sentiments religieux et qui peuvent attirer sur
le groupe tout entier la haine des morts et la colère des
dieux. On frappait d'une peine certains crimes contre les
mœurs et, avant tout, l'adultère, qui détruit la présomption
légale qui rattache le fils à son père, présomption qui est
le vrai et solide fondement du lien familial et du culte
des ancêtres. On considérait encore comme des délits
la paresse dans l'accomplissement des devoirs imposés
pour le bien commun. Le berger auquel était confié la
garde d'un troupeau et qui laissait s'égarer quelques bêtes
ou ne les défendait pas contre les fauves, ne restait certai-
nement pas sans punition.
Mais au premier rang des crimes relevant de la justice
domestique, il faut placer l'homicide, commis par un
membre de la famille sur un autre membre de la famille.
On sait que les plus anciennes lois ne le prévoyaient pas.
Faut-il en conclure qu'il restait impuni ? Est-il vrai que
le vieux législateur grec avait refusé de punir le parricide,
parce que ce crime était trop horrible pour être prévu ?
L'absurdité de ces opinions saute aux yeux. L'explication
est bien plus simple. Ces vieux textes fixent un tarif de com-
positions. Or, entre ceux qui font partie du même groupe
social, il ne peut être question de composition, puisque les
biens sont, en général, communs. Surtout, ces lois res-
pectent encore la souveraineté des familles et abandonnent
la punition du meurtre d'un parent par un parent à la
26 LE DROIT PÉNAL
justice domestique. A elle seule appartient de punir le
coupable. Les autres groupes n'ont aucune raison pour
intervenir dans la répression d'un forfait qui ne leur a
causé aucun préjudice, qui n'a lésé aucun de leurs droits,
et qui leur demeure absolument étranger. D'ailleurs, pour
ces crimes particuliers qui sont les crimes de sang, il faut
tenir compte, même lorsqu'ils sont commis dans l'intérieur
de la famille, des croyances religieuses que nous avons
rappelées plus haut. Parce qu'il a été frappé par un parent,
par un fils, par sa femme, le sang de la victime n'en crie
pas moins vengeance ! Et si le groupe entier ne l'assure
pas, alors, dans le sein même de la famille, se lèvera le
justicier désigné, celui auquel incombe le plus sacré des
devoirs pieux, qui frappera le coupable, sans pitié, sans
miséricorde, en expiation de son crime. Douloureux con-
flits de devoirs, qui a torturé l'âme des primitifs et dont l'écho
retentit dans la tragédie grecque.
Le système des peines pratiquées par la famille patriar-
cale n'est pas plus susceptible de précision que la liste des
crimes. Il importe seulement de bien comprendre que ce
sont de véritables peines : elles en ont tous les caractères.
Elles sont prononcées par une autorité sociale ; elles ont
pour but l'élimination ou la correction du coupable ; elles
sont expiatrices et exemplaires ; elles tendent enfin à assurer
l'ordre et la discipline dans le sein d'un groupe socieJ
organisé. Mais quelles étaient-elles ? A coup sûr, les peines
privatives de liberté n'y tenaient pas une grande place,
ni les peines pécuniaires, puisque la propriété privée était
encore peu développée. Les plus usuelles, bien qu elles n ap-
paraissent que très rarement dans les textes, devaient être
les châtiments corporels : quelques coups de fouet ou de
bâton corrigeaient les fautes les moins graves et les plus
LE DROIT PÉNAL PRIMITIF 27
communes. Assurément, aussi, la réprobation publique,
la note d'infamie jouait un rôle important dans ce système
de répression. Enfin, dans les cas les plus graves, le coupable
était condamné à la peme de mort et au bannissement.
Après tout ce que nous avons dit, on comprendra faci-
lement que la famille, indépendante et souveraine, avait le
droit de vie et de mort sur chacun de ses membres, et elle
exerçait ce droit en exécutant celui qui avait commis un
grand crime. Celui qui avait été ainsi frappé, et dont le
cadavre avait été jeté au delà des frontières, n'avait pas de
vengeur. Mais il semble que la substitution de l'exil à la
peine capitale ait été un fait très fréquent : Peut-être répu-
gnait-on à verser le sang d'un parent ? Mais le bannisse-
ment n'était guère moins redoutable que la mort même.
Il fonctionnait d'abord comme peine éliminatrice, purgeant
la communauté de ses mauvais éléments, et pour le con-
damné il était un châtiment terrible. Où pouvait, en effet,
se réfugier l'exilé ? Dans la brousse ? il était voué à y périr
de faim ; dans une tribu voisine ? il courait grand risque
d'y être tué et, s'il y était reçu, d'y être esclave. Mais sur-
tout, et voilà le pire, ce bannissement était une excom-
munication. Le banni ne participait plus au culte de la
famille, il n'avait plus de dieux domestiques. S'il venait
à mourir, son ombre errante ne devait jamais connaître le
repos .
D'ailleurs, il faut l'avouer, bien des incertitudes sub-
sistent sur ce très ancien droit familial. L'organisation
même de la famille patriarcale reste entourée d'obscurité.
Ainsi, en particulier, nous ignorons quels étaient, dans cet
état social primitif, les rapports du groupe général, de la
tribu, du clan, avec chacune des familles, au sens restreint
du mot et comprenant le père, ses femmes et ses enfants.
28 LE DROIT PÉNAL
qui en faisaient partie intégrîinte. Les romanistes ne nous
ont point dit quels étaient les droits réciproques de la gens
et de la famille agnatique. Les travaux des historiens et
des sociologues les plus avertis, laissent subsister sur ce
point une grande confusion. N'existait-il qu'une seule
justice pénale dans la tribu, ou bien plusieurs justices
l'une exercée par le chef du clan, l'autre par le père sur les
siens ? Ce point n'a jamais été bien élucidé. On peut con-
jecturer, d'ailleurs, que cette organisation a varié : elle a
dû être différente selon les peuples, elle a évolué au cours
des temps, et cette diversité, autant que l'indigence des
textes, rend toute affirmation périlleuse.
Cependant, on peut, croyons-nous, considérer comme
définitivement acquis les principes généraux que nous
venons de dégager. L'existence d'un droit pénal social,
fonctionnant dès les temps les plus reculés à l'intérieur des
groupes familiaux, nous semble indéniable. Le véritable
droit criminel primitif est là et pas ailleurs. Beaucoup en
ont méconnu l'importance parce qu'ils ne l'ont pas trouvé
dans des textes législatifs. Mais comment s'en étonner ?
Les coutumes péneJes en usage dans la famille patriarcale
n'étaient pas de nature à être rédigées. Ce droit a laissé des
survivances jusqu'à aujourd'hui, sous la forme du pouvoir
disciplinaire du père et de la mère. A coup sûr, personne
n'a jamais songé à écrire ce code pénal domestique.
BIBLIOGRAPHIE
V. les ouvrages cités à la fin du chapitre suivant.
CHAPITRE II
LES ORIGINES DU DROIT DE PUNIR DE L'ÉTAT
Nous avons montré, dans le chapitre précédent, comment,
dans la période vraiment primitive, le droit de punir fut
exercé par le seul pouvoir qui était eilors organisé, c'est-à-
dire par les chefs qui gouvernent la famille patriarcale.
Les relations de ces familles entre elles ne se réglaient que
par la violence. Mais la création de l'État, chez tous les
peuples appelés à un plus haut degré de civilisation, devait
amener la ruine de ces antiques institutions et la formation
d'un droit pénal tout différent. Sans doute, nous l'avons dit,
le recours à la force et le droit de la guerre subsistent dans
les rapports des États entre eux ; mais d2ins les limites
de sa souveraineté intérieure, l'État se substitue à la puis-
sance domestique, et assure sur une base beaucoup plus
large, avec plus de justice, la discipline socieJe, en assumant
la charge de punir tous les faits qui troublent l'ordre public.
Ce sont les origines de ce système nouveau qui doivent •
maintenant attirer notre attention.
L'origine de l'État a soulevé de longues controverses,
qui ne sont peut-être pas encore épuisées. Au XVIII® siècle
l'opinion commune la recherchait dans un contrat socieJ :
Jean- Jacques, non sans quelque confusion d'ailleurs entre
la société et l'État, la trouvait dans une convention délibérée
et librement consentie entre les individus, las de vivre
indépendants et libres. Il paraît superflu de réfuter aujour-
30 LE DROIT PÉNAL
d'hui cette erreur. La société, est-il besoin de le répéter,
est aussi ancienne que l'homme même puisqu'elle lui est
imposée par sa nature. L'État, au contraire, est de création
secondaire, il a été précédé par des organisations socijJes
plus rudimentaires, par des groupements moins perfec-
tionnés. Personne ne soutiendra plus qu'il soit né, avec
toutes les attributions qu'on lui reconnaît aujourd'hui, de
la volonté consciente de chacun des associés, et du con-
sentement exprès des individus qui sont soumis à sa sou-
veraineté.
Une autre théorie a eu, dans la seconde moitié du XIX® siè-
cle, une certaine fortune. Darwin venait de faire connaître
sa doctrine de la sélection naturelle et de la lutte pour la
vie. On crut qu'elle apportait aussi la solution du problème
de la formation de l'État. Il aurait été fondé par la conquête.
Le groupe social le plus fort, le mieux organisé, le plus
moral, aurait vaincu les groupes moins bien adaptés aux
nécessités de la vie et les aurait soumis à son autorité. La
souveraineté aurait ainsi passé aux vainqueurs qui seuls
auraient eu le droit de commander, et ils en auraient usé
pour imposer la paix définitive entre les anciens groupe-
ments, maintenant absorbés dans une unité supérieure, et
pour assurer ensuite l'ordre public en punissant les crimi-
nels. 11 est impossible de nier qu'il y ait là une part de
vérité. L'histoire est remplie du récit des annexions obte-
nues par la force, et les plus puissants empires ont été
fondés par la conquête. Dans nos expéditions coloniales,
notre premier soin n'est-il pas d'interdire aux indigènes
les razzias et de leur imposer la paix française ? Ne nous
hâtons-nous pas aussitôt notre autorité établie, de publier
un code pénal ?
Mais l'observation des faits prouve que la violence n est
LES ORIGINES DU DROIT DE PUNIR DE LETAT 31
pas le seul mode de formation de l'État. Il peut aussi être
organisé par le libre consentement de groupes préexistants.
Même, il ne serait peut-être pas téméraire d'affirmer que
si l'accroissement des Etats a été le plus souvent le résultat
de la conquête, leur commencement, au contraire, doit
plutôt être cherché dans des conventions. Seulement ce
contrat social fédératif est bien différent de celui qu'avaient
imaginé les publicistes du XVIII® siècle. Il intervient, non
pas entre des individus vivant antérieurement dans un état
de nature, et parfaitement libres, mais entre des clans fami-
liaux antérieurement constitués. Il naît en vue d'un but
spécial et limité et avec des attributions extrêmement res-
treintes. Plusieurs tribus, jusque-là indépendantes et sou-
vent ennemies, sentent l'impérieux besoin de s'unir pour
résister aux attaques de voisins qui, chaque année, les
pillent et les razzient ; ou bien, au contraire, ce sont des
clans dont la guerre est la principale industrie, qui, pour
mieux assurer le succès de leurs expéditions, établissent
l'unité de commandement et désignent un chef qui dirigera
toutes leurs forces. De semblables accords étaient d'ailleurs
faciles entre familles patriarccJes qui, nées d'une souche com-
mune, s'étaient essaiminées sur des territoires limitrophes,
qui parlaient la même langue et avaient des coutumes et
des croyances semblables. Ainsi, les cités grecques appa-
raissent comme des fédérations de ysvr, ; Rome comme
une fédération de gentes, créées peut-être artificiellement à
l'imitation des gentes latines. Les Francs, dont Tacite
Ignorait le nom, ne sont rien d'autres qu'une fédération de
tribus germaniques, organisée pour la conquête, que Clovis
et Charlemagne devaient conduire à l'apogée de sa puis-
sance. D'ailleurs, combien d'exemples n'avons-nous pas
d'Etats modernes, parmi les plus florissants^ qui ont pour
32 LE DROIT PÉNAL
origine une convention fédérative, et qui sont encore cons-
titués en Etat fédératlf . Au fond, ce n'est pas un phénomène
différent que nous observons dans le lointain de l'histoire
de la famille patriarcale.
Dès qu'il fut établi, le gouvernement politique, —
j'entends par là le gouvernement de l'État, — possédant
une supersouveraineté au-dessus des groupes sociaux
antérieurement indépendants, dut nécessairement s'efforcer
d'assurer le règne de la paix entre ces groupes. Si ce gou-
vernement s'est établi par la violence et la conquête, il ne
tolérera, ni une révolte des vaincus contre lui-même, ni
des guerres des vaincus entre eux. Et s'il a été organisé
par une convention sur une base fédérative, son devoir
le plus clair sera d'empêcher les familles, qui sont sous
son autorité, de s'entre-détruire par des guerres intestines.
Ayant la charge de leur sûreté extérieure, commandant les
forces communes, il ne saurait souffrir qu'elles s'îifîai-
blissent dans des luttes privées. D'ailleurs, on pourrait
fournir des exemples historiques qui démontreraient que,
quelquefois, l'institution d'un pouvoir central a eu préci-
sément pour but d'améliorer les rapp)orts entre les clans
familiaux, de prévenir les vengeances en apaisant leurs
querelles et en facilitant leurs accords pacifiques. En pareil
cas, l'Etat ne prend plus une forme militaire, mais une
forme judiciaire ; le pouvoir n'est pas confié à un soldat,
mais à des vieillards pacifistes et à un tribunal, qui pré-
sentent d'abord le caractère d'une institution purement
arbitrcJe, dont les décisions sont dépourvues de sanctions
matérielles et qui ne s'imposent aux adversaires que par
la force de la raison et de leur intérêt propre.
De ces humbles commencements, par un progrès cons-
tant qu'on observe dans l'histoire de toutes les civilisations.
LES ORIGINES DU DROIT DE PUNIR DE l'ÉTAT 33
est sorti l'État, tel que nous le concevons aujouid'hui,
auquel est confié le soin d'assurer la sûreté extérieure et
intérieure d'une nation, qui a pour mission prmcipîJe de
maintenir la discipline sociale, de protéger les droits et
les libertés individuelles, et qui y pourvoit en organisant
la répression de tous les faits qui troublent l'ordre et la
paix publique. Mais du point de départ au but, le chemin
a été long et hérissé d'obstacles.
Cette lutte entre le gouvernement politique, qui tendait
à la centralisation, et la famille patriarcale qui défendait
jeJousement son indépendance, soulevait, en effet, les pro-
blèmes les plus ardus, et était de nature à exciter les pas-
sions les plus âpres et les plus violentes. Mais l'Etat repré-
sentait les idées de paix, de justice et de liberté, et ce furent
ces forces morales qui, en définitive, devaient assurer son
succès et celui de la civilisation. Les guerres, qui éclataient
entre les tribus et les clîins, où la vengeance engendrait
la vengeance, pouvaient être subies comme une inévitable
fatalité, et acceptées comme un pénible et rude devoir,
mais elles étalent détestées comme le pire des fléaux et
redoutées comme un exécrable malheur. L'Etat apportait
la paix à laquelle, quoi qu'on en puisse dire, l'humanité
a toujours aspiré comme à un bien suprême. Bella matribus
detestata. Rome même, la plus guerrière des nations, saluait
de ses acclamations la fermeture des portes du temple de
Janus. Sans doute, il ne faut rien exagérer, les guerres
extérieures restaient un danger, mais c'était déjà un grand
progrès de mettre fin à celles qui déchiraient les familles
entre elles.
D'autre part, les luttes sans fin entre clans ennemis
abandonnaient tout à la décision de la force brutale et à la
fortune des combats. Il était trop visible que le bon droit
3. GARÇON.
34 LE DROIT PÉNAL
pouvait y succomber, et la famille offensée, qui prenait
les armes pour venger un des siens, était toujours menacée
de subir une lourde défaite, parfois même d'être exter-
minée toute entière. L'Etat parlait de justice et donnait
quelque protection au faible. Dans l'intérieur même de la
famille, la discipline était rude et oppressive. L'homme
l'avait acceptée tant qu'il y avait été contraint par la néces-
sité, alors que toute autre vie sociale lui était impossible.
Mais il ne supporta plus qu'impatiemment cette contrainte,
le jour où il put sentir la sécurité de sa personne et de ses
biens assurée par l'intervention de l'Etat politique. Celui-ci
lui imposait une règle moins rigoureuse, plus flexible,
tenant compte de ses instincts individualistes, de ses droits
et de sa liberté. D'ailleurs, tout ce mouvement se limt à
des changements dans les conditions du milieu économique.
L'introduction de la petite industrie et une certaine division
du travail, qui en était la conséquence, rendait possible
l'extension de la propriété mobilière et immobilière. L'Etat
favorisait ce mouvement auquel résistait la vieille organi-
sation de la famille patriarcale. Enfin et plus que tout le
reste, peut-être, la justice de l'Etat paraissait moins arbi-
traire que la justice domestique. Certes ! dans ses commen-
cements et pendant de longs siècles encore, elle sera loin
d'être soumise à des principes rationnels, légaux et fixes.
Mais elle eût, dès l'origine, une certaine teinte juridique,
et ce fut îissez pour qu'elle parût constituer un réel pro-
grès.
Ainsi, dans sa lutte contre les forces conservatrices du
groupe familial, et contre son organisation aristocratique,
l'Etat rencontra dans les individus, dans les opprimés,
dans la plèbe, son appui le plus ferme et son fondement
le plus solide. Aucune grande révolution politique ou sociale
LES ORIGINES DU DROIT DE PUNIR DE l'ÉTAT 35
ne saurait s'accomplir sans le consentement et la volonté
du plus grand nombre. La victoire de l'Etat n'a été rendue
possible que par la coopération de ceux qui cherchaient,
en lui, un pacificateur des guerres interfamiliales, et un
protecteur contre la tyrannie de la justice domestique.
Cependant les difficultés étaient grandes, et tout semblait
devoir s'opposer à l'établissement de la souveraineté du
gouvernement politique. Il fallait que l'Etat détruisit
l'indépendance des clans pour les fondre en un tout homo-
gène, auquel il aurait seul le droit de commander. Il devait,
en assumant la charge de réprimer les crimes commis
contre les familles et du dehors, et dans l'intérieur des
fîimilles, interdire les guerres privées, et abolir les juridic-
tions domestiques. Evidemment, le groupe familial ne
devait pas sans résistance abdiquer ainsi sa souveraineté,
renoncer au droit de venger par ses propres forces les
offenses qui lui étaient faites et qui avait seul, jusque-là,
assuré sa sécurité extérieure, consentir enfin à ne plus exercer
le droit de punir les fautes des siens qui troublaient sa
propre sécurité intérieure. Une pareille révolution devait
se heurter à toutes les forces conservatrices, car il ne s'agis-
sait de rien moins que de violer les plus vieilles coutumes,
de rompre avec des traditions respectées et de renverser
des croyances sur lesquelles les familles avment vécu pen-
dant des siècles.
L'œuvre était immense : pour l'accomplir, un long
temps fut nécessaire, et les efforts d'un grand nombre
d ouvriers. Les chefs militaires, les rois et leurs ministres,
y employèrent leur activité et mirent au service de l'Etat
qu'ils représentaient, la force dont ils disposaient et sans
laquelle il eût été impossible de briser certaines résistances,
et d'assurer les sanctions sociales. Mais surtout, dès ces
36 LE DROIT PÉNAL
temps reculés, il s'est rencontré des hommes qui, par la
sagesse de leurs conseils et par leur autorité morale, ont
su, peu à peu, imposer des règles pour l'apaisement des
conflits interfamiliaux, pour la répression des crimes qui
mettaient en péril, non seulement le bon ordre du gouverne-
ment politique, mais encore la sûreté de la personne et
des biens des particuliers. On n'a peut-être pas assez remar-
qué tout ce que la cause du progrès et de la civilisation doit
à ces pacifistes : prêtres, légistes, arbitres, juges, diplo-
mates et législateurs. Tour à tour, ils ont employé la per-
suasion et la force ; ils ont dû se plier aux circonstances,
ne procéder que prudemment et par degrés successifs,
attendre l'opportunité pour reprendre leur œuvre inter-
rompue. Leur méthode fut d'abord et avemt tout de fixer
des jurisprudences, de tourner en précédent tout ce qui
contribuait à l'accomplissement de leur tâche pacifica-
trice, et de créer ainsi des traditions nouvelles. D'ailleurs,
leur activité ne fut pas exclusivement judiciaire ; elle fut
aussi créatrice, et ils surent au besoin, lorsqu'ils en virent
la possibilité, procéder par innovations hardies. Ainsi, ils
ont mis au service de la cause de la paix et de la discipline
sociede, une profonde habileté politique et une inlassable
persévérance. Longtemps, la science juridique, qui s'était
ainsi constituée, et qui affectait bien souvent un caractère
religieux, fut transmise par voie de tradition orale. Elle
restait même secrète. Lin jour vient, enfin, où elle prit la
forme plus stable et moins mystérieuse d'un texte écrit,
et le travail immense de tant de générations d'hommes se
résuma dans une loi solennellement promulguée. Souvent
cette œuvre est restée anonyme ; quelquefois seulement
un nom y est attaché, éclairé par les clartés diffuses de la
légende, et pieusement conservé dans la mémoire des peu-
LES ORIGINES DU DROIT DE PUNIR DE l'ÉTAT 37
pies, tels : Moïse, Dracon, Solon, Lycurgue, ou Numa
Pompilius.
Ces lois de transition nous sont parvenues en grand
nombre et les sources sont ici particulièrement riches,
mais la lutte pour la souveraineté de l'Etat a infiniment
varié dans ses moyens et ces lois ont besoin d'être bien
comprises. Ainsi que nous l'avons déjà dit, il faut les dater
et les interpréter, non pas chronologiquement, mais sociô-
logiquement. Leur caractère est fort différent, par exemple,
là où l'Etat est organisé pour la première fois, et là où il a
subi l'influence de modèles antérieurs. Le gouvernement
politique ne s'est pas établi, de la même manière, chez les
Hébreux, chez les Egyptiens et dans la Grèce primitive.
Faut-il répéter qu'à l'époque où Rome apparaît dans l'his-
toire, il semble que la notion de l'Etat était déjà clairement
dégagée chez les Latins et chez les peuplades qui les en-
tourent, et qu'il existait chez eux un certain nombre de
crimes punis par la cité. Lorsque les barbares envahirent
l'Empire, ils étaient constitués en corps de nations, ils
avaient des chefs, des rois, une organisation politique, et
la tribu primitive était en pleine voie de désagrégation. De
plus, ils s'établissaient dans des pays où l'État, pleinement
évolué, possédait tous les attributs de la souveraineté et
où fonctionnait en particulier un droit pénal très perfec-
tionné. Or, si l'influence romaine est peu sensible dans la
loi salique, elle se montre au contraire beaucoup plus clai-
rement dans la lex antiqua Wisigotomm et dans la Gombette.
A ce point de vue, ces deux derniers textes présentent un
intérêt tout particulier, que les historiens du droit n'ont
peut-être pas suffisamment aperçu. On y trouve les rensei-
gnements, les plus curieux et les plus précieux, sur le
moment précis où les vieilles coutumes germaniques
38 LE DROIT PÉNAL
finissent, où la propriété collective cède la place à la pro-
priété individuelle, où les rois barbares cherchent à s'em-
parer, pour les crimes les plus graves, du droit de punir.
D'un autre côté, les lois rédigées par ordre de Charlemjigne
pour les peuples conquis, bien que promulguées très pos-
térieurement et qui datent d'une époque où les pouvoirs
de l'Empereur, se sont imposés, mais qui sont faites pour
des peuples demeurés étrangers à la civilisation romaine,
sont beaucoup plus près des coutumes primitives. Enfin,
les capitulaires Mérovingiens et Carlovingiens, multi-
plient les pemes sociales ; mais l'autorité de ces ordonnances
législatives, qui imposent les innovations par voie législa-
tive, paraît avoir été beaucoup plus fragile. Correspondant
moins à la conscience populaire, parce qu'ils n'avaient p«is
été élaborés par elle, ces textes furent mal obéis. D'ailleurs,
sous les derniers Carlovingiens, l'Etat central s'effondre
dans toute l'Europe, et la féodalité établit un système nou-
veau de répression.
Il résulte de tout ce que nous venons de dire que la
décadence du droit primitif fut le résultat de circonstances
qui ont varié à l'infini, selon les temps et les lieux, selon
les conditions sociales et économiques, selon le degré de
culture des peuples et leur aptitude à la civilisation. On ne
saurait donc en retracer que des histoires spécieJes et frag-
mentaires, et toute tentative de généralisation serait témé-
raire et contraire aux saines méthodes scientifiques. Nous
nous contenterons donc d'indiquer quelques-uns des faits
les plus connus et les plus caractéristiques, qui permet-
tront de mieux saisir ce stade décisif de l'évolution de droit
criminel.
L'un des premiers moyens employés par les pacifistes.
LES ORIGINES DU DROIT DE PUNIR DE l'ÉTAT 39
pour apaiser les guerres entre familles, fut de leur imposer
la loi du talion. Cette loi a été longtemps considérée comme
la plus atroce et la plus barbare des représailles ; mieux
comprise aujourd'hui, elle apparaît comme un très grand
progrès. La vengeance, inspirée par la colère, ne connaît
pas de mesure. La tribu offensée, quelle que fut l'offense,
pouvait donc faire à l'ennemi tout le mal possible. Qui
donc aurait pu l'en empêcher, puisqu'il n'existait aucun
pouvoir supérieur capable d'intervenir entre les belligé-
rants ? Il fallait donc, d'abord, leur faire accepter l'idée
que la réparation était légitime, dans la limite du préjudice
éprouvé, et qu'elle n'était légitime que dans cette mesure :
œil pour œil, dent pour dent, membre pour membre. La
loi d'Hamourabi n'autorise-t-elle pas celui dont le fils a
été tué à exiger la mort de l'enfant du meurtrier ? C'était
là la seule justice qui put s'imposer à ces consciences obs-
cures et rudimentaires. Elles n'en pouvaient concevoir
aucune autre. En vain, on a objecté qu'en fait, on ne pouvait
rétribuer le mal par un mal absolument semblable, que
1 offensé ne pouvait mesurer ses coups, que le coupable
pouvait succomber à la blessure faite en représaille d'une
simple blessure. La logique d'un primitif ne s'embarrasse
pas de ces conséquences.
Nous ignorons, d'ailleurs, comment la règle du talion
s est introduite dans des coutumes primitives si diverses.
On peut conjecturer, sans grande chance d'erreur, qu'elle
était déjà pratiquée avant l'époque où nous la trouvons for-
mulée dans les textes qui nous sont parvenus. Les arbitres,
les chefs civils et religieux ont dû intervenir d'abord, pour
amener les familles offensées à accepter cette satisfaction
comme suffisante ; et d'autre part, les familles d'un offen-
seur ont sans doute accepté sans trop de résistance qu'on
40 LE DROIT PÉNAL
infligeât au coupable un mal semblable à celui qu'il avait
causé ; elles se déchargeaient ainsi d'une solidarité lourde,
et évitaient une lutte sanglante et de chance incertaine.
Cependant, la loi de Moïse parlant aux Israélites au nom
de l'Eternel, la loi des XII tables, toutes celles où se trouve
le talion, — et elles remontent à une époque où l'État existait
déjà depuis longtemps, — apportaient un notable progrès
en rendant cette pratique obligatoire. La partie lésée ne
peut plus rien exiger au delà de cette satisfaction à laquelle
le coupable, de son côté, fut obligé de se soumettre. Et
c'était là, si on y songe, une grande nouveauté, qui devait
exercer la plus heureuse influence pour prévenir les ven-
dettas. D ailleurs, en même temps, la rudesse et la barbarie
des vieilles coutumes s'humanisait par le système des com-
positions, qui permit d'éviter le mal physique du talion
en indemnisant la victime et en rachetant son œil, sa dent
ou son brcis, comme on pouvait racheter sa vie elle-même.
C'est, en effet, en intervenant dans le règlement des
compositions, que l'Etat est surtout parvenu à prévenir
les guerres privées entre les familles et à leur imposer la
paix nécessaire à l'établissement de l'ordre social. Le talion
se rencontre dans des législations primitives d'inspirations
fort différentes, mais d'autres l'ont ignoré: les Germains,
par exemple, ne paraissent pas l'avoir pratiqué. Au con-
traire, la coutume d'éviter la vengeance de la victime en l'in-
demnisant est un phénomène général. A la période que nous
étudions, on pourrait presque affirmer qu'il est universel.
Nous avons dit que même à l'époque où les familles étaient
souveraines, leurs querelles pouvaient se terminer par une
paix dont les conditions, variant selon le sort de la bataille,
étaient imposées par le vainqueur au vaincu. Des tiers,
des familles désintéressées dans la lutte, des neutres, s'in-
LES ORIGINES DU DROIT DE PUNIR DE l'ÉTAT 41
terposaient seulement comme arbitres, pour faciliter ces
arrangements et les organes de l'État naissant furent tout
désignés pour remplir cet office.
Le principal obstacle que rencontraient les pacificateurs
était évidemment les prétentions exagérées de la famille
offensée, auxquelles la famille de l'offenseur ne voulait
ou ne pouvait accéder. On devait, dans chaque affaire,
discuter le montant de l'indemnité. Pour rendre ces tran-
sactions plus faciles, les arbitres invoquaient alors la force
des traditions et des coutumes. Des vieillards se souve-
naient que, dans un cas semblable, pour un préjudice ana-
logue, la composition avait été autrefois fixée à un certain
nombre de têtes de bétail, ou à telle somme d'argent. Ce
précédent suffisait souvent pour amener l'offensé à renoncer
à se faire justice lui-même et à conclure la paix. D'autant
plus que l 'amour-propre des deux partis était ainsi sauve-
gardé. Le point d'honneur, qui poussait la famille de la
victime à la venger, était sauf. On pouvait, sans honte
et sans déshonneur, accepter une composition consacrée
par la coutume. Lorsque l'Etat fut suffisamment affermi
et que le progrès des connaissances le permit, ces coutumes,
comme nous l'avons dit, furent écrites. Ces premières lois,
on le sait, étaient presque exclusivement un tarif de com-
position.
Il ne faudrait pas croire, d'ailleurs, que ces lois se bor-
naient à consacrer ainsi une jurisprudence antérieure. En
étudiant ces textes anciens, on se convainc facilement qu'ils
contenaient de véritables innovations législatives, ayant
pour but préconçu de favoriser les accords pacifiques. Je
n en veux donner ici pour exemple que les dispositions,
fréquentes dans ces lois primitives, qui établissaient une
composition différente, plus élevée pour le flagrant délit.
42 LE DROIT PÉNAL
moins élevée pour le d^it non flagrant. Le crime n'est
pas plus grave dans un cas que dans l'autre et le préjudice
éprouvé est le même. Mais lorsqu'il a été commis depuis
un certain temps déjà, le ressentiment de l'offensé a eu
le temps de se calmer et il est relativement facile de lui
faire accepter une indemnité. Lors, au contraire, que le
coupable est pris sur le fait, il sera beaucoup plus malaisé
d'apaiser la colère de la victime, de l'amener à se faire jus-
tice elle-même, et on cherchera à y parvenir en lui offrant
une composition importante lui permettant de réaliser un
gain qui dépassera la perte qu'elle a subie.
La coutume de l'exil volontaire qui fut surtout pratiquée
dîms la Grèce antique, s'explique de la même manière.
Celui qui a commis un homicide, et qui est exposé à la
vengeance du sang, cherche à échapper au danger qui le
menace en quittant le pays. Ce n'est point là une peine
et on ne saurait y voir un châtiment soit public, soit privé.
Mais en prenant la fuite, en disparaissant, il oppose un
obstacle de fait à l'exercice de la vengeance ; il permet
ainsi au temps de faire son œuvre et de calmer les colères.
Quelquefois son exil était perpétuel ; mais bien souvent,
le répit ainsi obtenu permettait aux pacificateurs d'inter-
venir utilement et de négocier une transaction entre les
tribus auxquelles appartenaient le vengeur et le meurtrier.
Même, nouà le verrons, à Athènes, cette coutume de l'exil
volontaire fut utilisée pour alléger le poids de la solidarité
de la famille et pour permettre de faire pénétrer, dans la
conscience populaire, la distinction du meurtre volontaire
et de l'homicide par imprudence. La durée du bannisse-
ment de celui qui avait tué involontairement durait moins
longtemps et finissait par une transaction intervenue avec
un seul membre de la tribu offensée.
LES ORIGINES DU DROIT DE PUNIR DE l'ÉTAT 43
Ailleurs, on chercha à atteindre le même but par l'éta-
blissement de lieux d'asile. Ils permettaient, à ceux qui
étaient menacés d'une vengeance, de se mettre à l'abri des
coups de leurs ennemis et leur donnaient le temps néces-
saire pour offrir et réaliser la composition légale. C'est avec
ces fugitifs que Romulus, dit-on, peupla sa ville naissante.
A l'époque où la raison de ces vieilles institutions n'était
plus comprise de personne, on a prétendu, qu'ainsi, la
Ville éternelle fut d'abord un repaire de tous les bandits
de l'Italie. Il est plus exact d'y voir un Heu de refuge offert
aux familles latines, en danger de vendettas, auxquelles
la nouvelle cité promettait la sécurité garantie par une
puissante fédération de gentes. Mais, le plus ordinairement,
l'asile devait son efficacité au sentiment religieux. Il est
superflu de rappeler comment dans l'empire romain, les
coupables se réfugiaient dans les temples aux pieds des
statues des empereurs, et comment, après l'invasion des
barbares, lorsque reparut le droit de vengeance privée, les
évêques parvinrent à interdire l'exercice de toute violence
contre les malheureux fugitifs, qui s'étaient réfugiés dans
certains siuictuaires. Les plus terribles vengeances s'arrê-
tèrent souvent, saisies de crainte, à la porte du tombeau
de Saint-Martin.
La dissolution de la famille patriarcale qui fut, nous
l'avons vu, une des conséquences de l'établissement de
l'Etat, devait aussi amener des changements propres à ruiner
le vieux système de la vengeance privée et à rendre plus
fréquentes les transactions pacifiques. L'individualisation
de la peine et la pratique de l'abandon noxal en fourniront
deux exemples caractéristiques.
La responsabilité pénale collective, avons-nous dit, est
un fait qui s'affirme, avec une singulière énergie, dans le
44 LE DROIT PÉNAL
monde primitif. Elle est la conséquence directe et nécessaire
de la solidarité du groupe familial. A cette époque sociolo-
gique, l'attaque était souvent menée par une tribu toute
entière, qui razziait et pillait une tribu voisine. Que la
responsabilité pesât alors sur tous, rien, à coup sûr, n'est
plus naturel. Mais il n'en était pas autrement en cas de
crime individuel. La famille de l'offenseur était alors indi-
visiblement responsable du préjudice causé par un des
siens, comme la famille de l'offensé avait l'obligation d'exiger
la réparation de l'injure et, en cas d'homicide, de venger
le sang de la victime. Cependant, le lien de solidarité allant
se relâchant, les expéditions en commun devinrent plus
rares, et, pour le crime d'un seul, la responsabilité indivi-
duelle tendit de plus en plus à se substituer à la responsa-
bilité collective. Lorsque les arbitres, puis les organes de
l'Etat, intervinrent pour limiter la vengeance et, plus tard,
pour punir les crimes, ils ne purent que favoriser cette
tendance qui secondait leurs desseins. D'ailleurs, la res-
ponsabilité individuelle correspond à une idée d'équité
et de justice que la conscience humaine n'a, croyons-nous,
jamais méconnue. Là où fonctionnait, originairement, le
droit répressif, c'est-à-dire dan» l'intérieur de la famille,
le châtiment atteignait bien le véritable coupable et lui
seul. La logique rationnelle conduit à cette solution que
confirmeraient au besoin les faits historiques. Si un berger
laisse un fauve s'emparer des moutons dont il a la garde,
c'est lui qu'on punira évidemment et point un autre avec
lui ; la femme adultère sera frappée de peines sévères par
la justice domestique : ses parents seront ses juges ; qui
pourrait songer à les punir ? Et pourtant, il ne faut rien
exagérer. L'hérédité des fautes est une conception que
J 'esprit humain n'a jamais pu dépouiller toute entière.
LES ORIGINES DU DROIT DE PUNIR DE L*ÉTAT 45
quelqu'injuste qu'elle soit. Nous verrons qu'en pleine civi-
lisation, on a encore puni les proches parents des grands
criminels. Et si nos lois ont enfin répudié cette iniquité,
la conscience populaire n'en est pas complètement libérée.
Quoi qu'il en soit, les faits montrent que, même dans
les relations interfamiliales, le concept de la responsabilité
personnelle est apparu beaucoup plus tôt que ne semblent
le croire certains auteurs. Le talion, dont à coup sûr l'origine
est amcienne, la suppose nécessairement admise. Apparem-
ment, c'est bien l'œil du coupable qui sera sacrifié en répa-
ration de l'œil de la victime, et si par une aberration qu'ex-
plique la mentcdité de certains primitifs, le père, dont le
fils a été tué, a le droit d'exiger la mort du fils du meur-
trier, ce n'est point pour punir cet enfeuit innocent, mais
bien l'assassin lui-même.
L'abandon noxal est peut-être plus caractéristique encore
de cette période de transition entre la responsabilité col-
lective de la famille et la responsabilité individuelle du
coupable. Cette institution est un des meilleurs exemples
qu'on puisse fournir de l'universeJité des lois sociologiques,
car on la retrouve partout, à ce stade de la civilisation : en
Grèce, à Rome, chez les Celtes, les Germains et les Slaves
et jusque chez les peuplades barbares que nous pouvons
aujourd'hui observer. Et rien non plus ne confirme mieux
ce que nous avons dit de l'incompétence juridique des
voyageurs qui ont rencontré ces coutumes primitives. Il
est bien amusant de voir ceux qui ont décrit l'abandon
noxal chez les indigènes de l'Afrique australe, s'étonner
de leur découverte, sans se douter qu'il constitue un phé-
nomène juridique très connu et très commun. Combien
de documents précieux de sociologie et de droit primitif
se sont perdus par de semblables ignorances 1
46 LE DROIT PÉNAL
L'abandon noxal remonte aux temps les plus reculés
et a certainement été pratiqué à une époque antérieure à
toute organisation de l'Etat politique. Il est tout naturel,
en effet, que la famille exposée à de terribles et sanglantes
représailles par la faute de l'un des siens, cherche à se
dégager de cette lourde responsabilité. L'exil du coupable
tend bien à ce résultat, mais il ne suffisait pas toujours à
mettre les parents du coupable à l'abri de la vengeance.
Les offensés pouvaient encore s'en prendre à eux, et pour
que la paix fut assurée, leur consentement était nécessaire.
L'abandon noxal est un moyen plus sûr de l'obtenir. Les
plus anciennes traditions de la Grèce sont, sur ce point,
particulièrement Intéressantes. La famille de l'offenseur
pouvait donner satisfaction aux offensés en jugeant le cri-
minel elle-même, en punissant le crime commis hors du
groupe, nous allions dire, le crime commis à l'étranger :
Dardanos condamne Idaia à mort et la fait exécuter. Ou
bien, et plus fréquemment, elle extrade le coupable et le
livre à la discrétion de l'offensé, qui pourra le sacrifier
aux mânes de la victime dont le sang crie vengeance, ou
le réduire en esclavage et lui imposer un travail qui compen-
sera le préjudice éprouvé.
D'ailleurs, la famille ne répondait pas seulement de la
faute de ses membres, mais encore du dommage causé
par ses esclaves, par ses animaux et même par les choses
Inanimées qui lui appartenaient. 11 le fallait bien, puisqu'il
n'y avait aucun autre moyen d'obtenir la réparation du
préjudice. N'en est-il pas de même, aujourd'hui, pour le
délit civil commis par un mineur, par un animal ou une
chose dont on a la garde ? Dans les temps primitifs, il ijarut
tout naturel de livrer la cause du dommage à titre d'in-
demnité, comme on livrait le coupable conscient. Cette
LES ORIGINES DU DROIT DE PUNIR DE l'ÉTAT 47
offre pouvait être d'autant plus facilement acceptée qu'elle
était de nature à devenir une source de bénéfice pour celui
à qui elle était faite.
En effet, à l'origine, l'abcindon noxal devait être volon-
tairement accepté par la partie offensée. Celle-ci était libre
ou de refuser la satisfaction ainsi offerte, et de courir les
chances de la lutte en se faisant justice elle-même, ou
d'exiger outre la personne auteur ou la chose cause du
dommage, quelque autre prestation. Mais les arbitres et
l'État, dès qu'il fut organisé, s'attachèrent à faire pénétrer
dans la conscience populaire des règles juridiques qui
devaient exercer une influence décisive sur la notion de
la responsabilité pénale. D'abord, lorsque la victime con-
sentait à transiger, on posa, en principe, qu'elle n'aurait
droit à rien de plus qu'à la chose ou à la personne qui avait
causé le préjudice ; puis on admit que si la famille du cou-
pable le répudiait, si, par quelque cérémonie symbolique,
elle brisait toute solidarité avec lui, si elle offrait de le
livrer, l'offensé ne pouvait plus exercer sa vengeance que
sur lui seul. Dès ce jour la responsabilité pénale était indi-
vidualisée.
Les divers procédés que nous venons d'indiquer avaient
pour but de limiter ou de prévenir les vengeances privées,
mais ils laissaient, malgré tout, subsister la possibilité d'un
recours à la force, incompatible avec tout ordre social
régulier. Il en fut ainsi, tant que l'Etat politique, encore
imparfaitement organisé, ne put imposer la paix. Mais
partout où il parvint à établir sa souveraineté et à faire
reconnaître son autorité, il s'attacha à assurer la discipline
sociale, d'abord en interdisant toute violence de la part
des particuliers, ensuite en organisant lui-même la répres-
48 LE DROIT PÉNAL
sion de tous les faits susceptibles de troubler l'ordre et la
paix publique.
Les explications que nous avons données jusqu'ici
montrent que l'interdiction des vengeances privées fut la
conclusion d'une longue préparation historique. Le temps
vint, en effet, où les querelles entre familles se termmaient,
le plus souvent, par des transactions volontaires, et où la
pratique des compositions tarifées était devenu usuelle.
Il fut alors facile aux organes de l'Etat de rendre ces tran-
sactions obligatoires. La transition fut insensible, et rien
ne parut d'abord changé. On sembla respecter les vieilles
coutumes, en donnant à la victime et à sa famille le droit
d'exiger une satisfaction devenue déjà traditionnelle ; en
réalité, un progrès décisif fut accompli le jour où on admit
que personne n'a le droit de se faire justice à soi-même ;
que la victime doit s'adresser aux pouvoirs publics pour
obtenir la satisfaction qui lui est due et que le coupable
ne peut pas la refuser.
D'ailleurs ce nouveau changement ne s'accomplit lui-
même que lentement, et par degrés successifs. Il fallut
agir avec prudence, tenir compte de l'opportunité, ne tenter
que ce que les circonstances et les mœurs permettaient
d'obtenir. Ainsi le droit de vengeance put d'abord être
défendu vis-à-vis de certaines personnes seulement, ou
bien l'exercice n'en fut interdit qu'à certaines époques,
ou pendant un certain temps. Ainsi, dans notre moyen-
âge, la paix de Dieu et la quarantaine le Roi, furent établies
par l'Eglise et par la Royauté française, pour rendre moins
fréquentes les guerres entre seigneurs féodaux. Des insti-
tutions analogues ne sont pas sans exemple à l'époque où
s'accomplit la révolution qui supprima la vengeance entre
tribus patriarcales.
us ORIGINES DU DROIT DE PUNIR DE l'ÉTAT 49
En même temps que l'État intervenait ainsi pour rendre
la composition obligatoire, il s'immisçait, d'une autre façon,
dans leur règlement, en contraignant le coupable à lui
verser, à lui-même, une certaine somme. Dans les législa-
tions grecques et, en particulier, dans le Code de Gortyne,
il existait ainsi une sorte d'amende payée à la cité à côté
de la composition due à la victime du délit. Le Fredtan
germanique, que Tacite mentionnait déjà, et que nous
retrouvons dans les lois barbares, est trop connu pour qu'il
soit nécessaire d'y insister. Cette institution a d'ailleurs
soulevé de vives controverses, notamment pour savoir
comment se calculait cette somme due à l'Etat et quel en
était le caractère. Dans le droit grec, elle paraît une sorte
de peine, qui frappe celui qui, refusant de remplir volon-
tairement ses obligations, motive une intervention de la
justice sociale. Quant au Fredum, on a soutenu qu'il consti-
tutiit une peine encourue par le coupable pour le trouble
apporté à la paix publique. J'admettrais plutôt, pour ma
part, l'opinion de ceux qui y voient un droit dû à l'autorité
qui s'est entremise pour assurer une transaction entre les
parties, et peut-être même le prix de la garantie donnée
par cette autorité pour en assurer l'exécution. Quoi qu'il
en soit, on comprend facilement l'importcmce de ces taxes
perçues par l'Etat : les auteurs insistent sur l'influence
qu'elles ont exercée sur le développement de l'amende
péncile. Elles ont surtout contribué à faire pénétrer dains la
conscience publique la notion que l'Etat est, autant et plus
que la victime, intéressé à la répression des crimes. L'in-
térêt fiscal fit que l'autorité ne l'oublia pas non plus.
Parmi les moyens employés par les coutumes primitives
pour obliger le criminel à payer la composition, il faut
encore mentionner la mise hors la loi. La Friedlosigkeit
4. GARÇON.
50 LE DROIT PÉNAL
chez les Germains a aussi soulevé des difficultés épineuses
qui ont divisé les historiens du droit. Le Wargus ne pouvait
trouver asile nulle part, personne ne devait le recevoir, et
tout le monde avait le droit de l'abattre impunément, comme
on tue une bête sauvage. Quelques-uns ont vu là la plus
ancienne des peines qui réprimaient les crimes contre les
particuliers. Mais cette opinion a rencontré de nombreux
contradicteurs. Il semble que cette institution n'a pas le
même caractère dans les sources du nord et dans les lois
germaniques, et qu'elle a subi dans le cours des temps
de nombreuses et profondes modifications. D'autre part,
la loi salique proscrit le contumace : « Si quis ad mallum
venire contempserit, si nec de compositione, nec ineo,
nec de ulle legem facere voluerit, tune ad régis presentia
ipso mannire débet. Tune rex... extre sermonem suum
ponet illum. » Voilà, certes ! des moyens coercitifs éner-
giques qui ne permettaient guère au criminel de refuser de
payer la composition.
Ainsi disparut peu à peu le droit de se faire justice à
soi-même. Mais les vieilles institutions ne disparaissent
jamais tout entières. Elles laissent après elles de longues
survivances. Certaines institutions du droit primitif ont
traversé les siècles, et on ne saurait les comprendre, dans
leur dernier état, si on en ignore l'origine historique. E!st-
il rien qui semble plus absurde que le droit d'asile, lorsqu'il
a pour effet de soustraire un assassin aux recherches de la
justice sociale. Pourtant, il a subsisté sous cette forme, en
France, jusqu'au XVI^ siècle et en Espagne jusque dans la
seconde moitié du XIX^ siècle. L'abandon noxîJ, devenu
obligatoire et légalement libératoire, fut conservé par des
législations très perfectionnées. De même, si la solidarité
passive de la famille disparut, en général, d'assez bonne
LES ORIGINES DU DROIT DE PUNIR DE l'ÉTAT 51
heure, et si les parents parvinrent à se dégager de toute
responsabilité pour des fautes qui ne leur étaient point
personnelles, la solidarité active semble être demeurée
beaucoup plus longtemps en usage. Le droit de guerre privée
avait depuis des siècles disparu dans les souvenirs popu-
laires, l'Etat ne tolérait plus aucun acte de violence privée,
alors que la loi reconnaissait encore aux parents de la vic-
time le droit de poursuivre la vengeance du sang. Elle ne
pouvait plus, sans doute, l'exercer qu'après l'avoir fait
reconnaître par les tribunaux réguliers, mais c'est à elle
qu'était souvent confiée l'exécution du jugement. Ces
coutumes n'ont pas même encore disparu partout.
Mais les compositions surtout ont subsisté dans les légis-
lations parvenues au plus haut degré de développement.
A Athènes, le monopole de la poursuite du crime d'homi-
cide appartint toujours aux parents de la victime. Même
après Dracon, même après Solon, au temps encore de
Démosthène, les transactions sur le prix du sang étaient
encore en usage et le meurtrier échappait à tout autre
châtiment en indemnisant la famille de celui auquel il
avait donné la mort. Le droit romain conserva toujours
les délits privés. Le préteur, loin d'abroger ce vieux sys-
tème, chercha à le compléter et à le corriger. Pour l'injure,
il donne une action qui permettait au juge de fixer le mon-
tant de la composition ex equo et bono. Pour le vol, il créa
des actions au quadruple contre le voleur, surpris en fla-
grant délit, et contre les receleurs. Et ces principes exis-
taient encore à peine retouchés dans les compilations justi-
niennes. A la vérité, le voleur pouvait aussi être poursuivi
par la voie criminelle et frappé d'un châtiment corporel ;
mais comme on l'a remarqué, avec beaucoup de sagacité,
en face d'un voleur solvable, la victime devait souvent
52 LE DROIT PÉNAL
préférer la vieille action civile, qui lui assurait non seule-
ment la restitution de la chose qui lui avait été ravie, mais
encore un beau bénéfice. En France enfin, et en Allemagne,
le système des compositions survécut longtemps après la
période barbare et jusqu'à une époque relativement récente.
Il était encore fort usité au moyen-âge et certaines chartes,
certaines « bonnes coutumes », ne sont rien autre chose
qu'un tarif de compositions. Il ne disparut que lorsque,
sous l'influence du droit romain renaissant, l'autorité
publique fut assez forte pour reprendre en mains l'œuvre
de la justice répressive.
En effet, tout le mouvement que nous venons de retracer,
par lequel l'Etat politique limita la vengeance privée, puis
l'interdit, s'immisça dans le règlement des compositions,
les rendit obligatoires, et finalement les supprima, demeu-
rerait incompréhensible si on ne savait pas que, parallèle-
ment, ce même Etat établissait un nouveau système de
répression, en punissant lui-même les crimes de peines
afflictives, intimidantes et exemplaires. C'est, nous l'avons
dit, parce que ce système était plus efficace et plus juste,
parce qu'il garantissait mieux l'ordre public, la cécurité
des personnes et des biens, peirce qu'il donnait plus de
garanties aux droits individuels, que d'elles-mêmes, les
coutumes primitives se transformèrent et finalement tom-
bèrent en désuétude.
A mesure que le système des compositions eJlait en décli-
nant, et lorsqu'elles furent devenues obligatoires, les crimes
commis de famille à famille n'auraient plus eu d'autre
sanction que la somme d'argent payée comme indemnité
à la victime. En d'autres termes, même les délits les plus
graves contre les personnes n'auraient été punis que d'une
LES ORIGINES DU DROIT DE PUNIR DE l'ÉTAT 53
amende pécuniaire. II est possible que, pendant une période
de transition, il en ait été quelquefois ainsi. Mais, un pareil
état de choses ne pouvait évidemment point subsister
comme système général. Il est clairement incompatible
avec tout ordre social régulier. On a vite senti que ces crimes
interfamiliaux, même s'ils ne semblaient léser directement
que des intérêts particuliers, portaient en même temps une
atteinte intolérable à l'ordre public, que l'État était intéressé
au plus haut point à leur répression, et qu'il avait le droit
et le devoir impérieux de punir lui-même les coupables.
Ainsi, la vengeance et les compositions tombèrent en déca-
dence pendant que grandit la justice pénale de l'Etat et
ces deux phénomènes sont corrélatifs. Il serait même facile
de montrer que, dans notre moyen-âge français, le vieux
système des compositions reprenait une nouvelle vigueur,
toutes les fois que l'autorité publique désorganisée cessait
de remplir sa fonction judiciaire pénale. Et de toute cette
histoire du droit criminel, on peut dégager ce principe
fondamental, que l'observation vérifie toujours, à savoir :
que pour pouvoir refuser à l'individu le droit de se faire
justice soi-même, il faut que les droits de tous et de chacun
trouvent une protection suffisante dans la justice sociale.
Toute défaillance de cette justice, entraîne nécessairement
une réaction individuelle qui se manifeste par des vio-
lences.
Eji même temps que les compositions disparaissaient,
1 abandon des vieilles coutumes et la désagrégation des
familles amenaient une autre conséquence, bien plus insup-
portable encore et plus incompatible avec tout ordre social.
La composition devenue obligatoire, laissait au moins sub-
sister une sorte d'amende ; mais la justice domestique étant
tombée en désuétude, les crimes familiaux n'eurent plus
54 LE DROIT PÉNAL
de sanction du tout. C'est en effet ce qui se produisit à
Athènes pour le parricide. Comme on y avait conservé,
pour l'homicide, le système de la vengeance, et que la
poursuite y était réservée aux seuls parents de la victime,
ce crime odieux pouvait rester impuni. On a montré seule-
ment par quels détours et quelles subtilités le génie grec
avait, en pratique, cherché à combler cette lacune, sans y
réussir d'ailleurs d'une manière satisfaisante. Mais c'est
là un cas exceptionnel. En réalité, le droit de punir du chef
de famille ne tomba en désuétude que le jour où l'autorité
publique fut en mesure d'assurer la répression des crimes
graves qu'il était autrefois seul compétent pour châtier.
Mais ce jour-là, la justice domestique put disparaître sans
danger pour l'ordre public, car elle était remplacée par la
justice socicile, qui, toute imparfaite qu'elle fût encore,
offrait une certaine organisation juridique, et semblait,
malgré tout, moins arbitraire. Le père de famille conserva
sans doute sur les siens une large autorité et, pendant de
longs siècles ce pouvoir fut encore très fortement constitué.
Même pour certains délits, le droit primitif laissa après
soi de longues survivances. Pour le délit d'adultère, par
exemple, notre droit actuel n'en est pas encore complètement
libéré. Mais, d'une manière générale, et en principe, la
juotice socide se saisit de tous les crimes ou délits, même
de ceux qui ont un caractère particulièrement familial. Le
chef de famille n'a conservé qu'un pouvoir disciplinaire,
mais qui ne saurait plus faire obstacle à l'exercice du droit
de punir de l'Etat.
Pour tout résumer, le droit de punir est un attribut
essentiel de la souveraineté. Cette souveraineté appartint
d'abord au groupe familial, mais chez les peuples appelés
à un haut degré de civilisation, elle devait s'effacer et dis-
LES ORIGINES DU DROIT DE PUNIR DE l'ÉTAT 55
paraître devant la souveraineté de l'Etat. Bien entendu,
ici encore, cette évolution se fit lentement et successive-
ment. Les premiers crimes que l'Etat a directement punis
paraissent avoir été partout ceux qui sont dirigés contre sa
propre sécurité. Comme, ainsi que nous l'avons dit, sa
raison d'être fut d'abord d'organiser des guerres défensives
ou offensives, il réprima en premier lieu des délits mili-
taires. Ce sont là, en effet, les crimes publics que connais-
saient les Germains au temps de Tacite : « Proditores et
transfugas arboribus suspendunt ; ignavos et imbelles aut
corpore infâmes, cœno ac palute, injecta super crate, mer-
gunt, » Mais dès que l'Etat eut pris quelques forces, la
liste des crimes se compléta peu à peu et comprit enfin
les crimes contre les mœurs, contre les personnes et contre
les biens.
Il est difficile d'ailleurs de retrouver l'histoire de ces
progrès successifs dans chaque législation particulière. En
France, cette œuvre s'accomplit sous l'influence du droit
romain, des capitulaires et des ordonnances royales, des
chartes municipales et de la jurisprudence. Mais si on veut
apporter des précisions et déterminer à quelle époque et
dans quels lieux les seigneurs justiciers d'abord, puis les
justices royales ont frappé chaque crime de peines afflic-
tives, on se trouve en présence d'obscurités qui n'ont pas
été dissipées et qui sont peut-être impénétrables. En Italie,
les statuts des villes du nord fournissent des documents
importants et curieux : un auteur a pu dire que : « Les cités
s inspirant du principe romain et chrétien levaient haut
leurs vues et punissaient les délits en eux-mêmes et pour
le bien commun ». Ainsi encore, la Carta di Loga pour la
Sardaigne punissait de peines afflictives l'homicide, le vol
et le faux, et les constitutiones regni Seculi, réunies en Code
56 LE DROIT PÉNAL
par Frédéric II en 1231 , abolissaient les guerres privées et le
duel judiciaire. En Espagne, les fueros, les 5ie/e partidas
nous fournissent aussi des documents qui ne sauraient
être négligés. En Allemagne enfin, les lois d'Empire et
spécialement les Landfrieden, les statuts des villes, les
miroirs, obéissent à la même tendance. Dans le miroir de
Saxe, en particulier, de nombreux délits sont punis de mort.
Ce mouvement se continue au xv^ siècle par la réformation
de Wurzburg, la Numberger halsgerichtsordnung, la Tiroler
Malefizordnung et enfin, au XVI® siècle, par l'ouvrage de
Schwarzenberg, publié d'abord par l'Evêque de Brandberg
et qui trouva sa forme définitive dans la Caroline publiée
en 1532 par Charles-Qulnt. Ce Code devait rester en vigueur
pendant trois siècles et forma comme le droit commun
de l'Allemagne en matière pénale, sans préjudice d'ailleurs
des lois locales réservées par la Slavatorsche clausel.
Au surplus, ces détails sont surtout objet d'érudition
historique. Pour nous, le résultat seul Importe. L'État
nous apparaît enfin, lorsque ce mouvement fut accompli,
en pleine possession du droit de punir. Il aissure par les
organes d'une justice régulièrement organisée, la discipline
sociale, l'ordre et la paix publique. Les violences pourront
ainsi être comprimées, la sûreté des personnes et des biens
protégée et garantie par la puissance publique. Les cri-
minels seront maintenus dans le respect des lois par la
crainte des châtiments. A l'abri de ces institutions, la civi-
lisation et les œuvres de paix pourront grandir et se déve-
lopper.
BIBLIOGRAPHIE
On pourra consulter sur le droit primitif : Kovalewsky, Cou-
tume contemporaine çt loi ancienne ; droit coutumier, Oisétien, Paris,
LES ORIGINES DU DROIT DE PUNIR DE l'ÉTAT 57
Larose, 1893. — Glotz, La solidarité dans le droit criminel en
Grèce, Fontemoing, 1904. — MAXWELL, Le concept social du crime
et son évolution, Alcan, 1914. — Fauconnet, La responsabilité,
Alcan, 1920. — Adde, Les travaux de Sommer Maine.
Sur l'origine du droit de punir de l'Etat on trouvera une bonne
bibliographie des autres travaux dans le livre de M. Fauconnet.
On pourra se reporter notamment à : Du BoYS, Histoire du
droit criminel des peuples modernes. — Dareste, ses trois séries
d'Études d'histoire du droit. — ToNiSSEN, Études sur l'histoire du
droit criminel, F Histoire du droit pénal de la République Athénienne,
T Organisation judiciaire et le droit pénal dans la loi Salique. —
Pardessus, la loi salique. — Girard, son Manuel de droit romain et
un article dans la Nouvelle Revue Historique de 1886, p. 284. —
CuQ, Les institutions juridiques des Romains. — Glasson, Histoire
du droit et des institutions de la France. — EsMEIN, Son livre de
Mélanges et son Cour'i d'histoire élémentaire du droit français.
En langue allemande : ViLDA, Strafrecht des Germanen. — VoN
Bar, Geschichte des deutschen Strafrecht, ouvrage traduit en aii^lais
et complété par Thomas S. Bell. — Mommsen, Romîsches Stra-
frecht, traduit en français 'par M. DuQUESNS.
CHAPITRE III
L'ANCIEN DROIT PÉNAL
Après avoir montré comment l'Etat prit possession de
son droit de punir, je dois rechercher maintenant de quelle
manière il a organisé la répression. Or une étude attentive
prouve, ici encore, que les institutions criminelles se sont
développées de la même manière chez les peuples les plus
divers. Sans doute, chaque législation particulière accuse
des différences nombreuses, et ce sont ces dirsemblances
que relèvent d'ordinaire ceux qui étudient le droit comparé.
Mais les ressemblances sont bien plus frappantes encore.
La raison en est simple : tous les peuples chez lesquels
on retrouve ces institutions pénales semblables sont par-
venus à un même degré d'évolution sociale et de culture
morale. La justice y est rendue au nom de l'autorité pu-
blique, la famille patriarcale a fait place à la famille naturelle,
tous pratiquent l'agriculture et la petite industrie et recon-
naissent la propriété individuelle mobilière et immobi-
lière. Leur droit criminel a donc nécessairement pour base
un fond commun de principes sociaux et d'idées moréJes.
Il répond aux mêmes nécessités de défense sociale, sanc-
tionne les mêmes obligations vis-à-vis de l'Etat et de la
famille, les mêmes droits économiques, et par la force même
des choses, il incrimine essentiellement les mêmes faits.
D'autre part, le système des peines qui prend comme but
principal, sinon comme but unique, l'intimidation, cherche
l'ancien droit pénal 59
surtout à effrayer par la rigueur des châtiments ; les peines
corporelles y tiennent une place prépondérante. Ainsi se
dégage un droit pénal commun qui, dans ses traits généraux,
se retrouve dans l'antiquité païenne et dans l'Europe chré-
tienne. 11 n'est pas en réalité différent chez les nations poli-
cées du continent et en Angleterre, où le droit s'est pour-
tant développé d'une manière indépendante. Bien plus ;
les peuples d'Extrême-Orient ont connu ce même système
répressif, et le Code chinois, en vigueur sous la dernière
dynastie, était beaucoup plus proche qu'on ne le croit
d'ordinaire des lois pratiquées en Europe jusqu'à la fin
du XVIII^ siècle. Ainsi se vérifie de nouveau, pour cette
période historique, l'existence de lois scientifiques, qui
dominent le phénomène de la répression, aux différentes
périodes de l'évolution sociale.
Je n'ai point entrepris d'écrire une histoire universelle
du droit pénal comparé, ni d'exposer ici chacune de ces
législations, semblables dans leurs principes, différentes
par l'infini diversité des détails. Je dois me borner à mettre
en lumière leurs traits généraux et caractéristiques, et pour
y parvenir, la meilleure méthode est, je crois, de prendre
comme exemple des législations de cette inspiration, celles
qui sont arrivées à leur plus haut degré de perfectionnement.
Or il en est deux qui, à ce point de vue, semblent devoir
attirer l'attention : le droit romain, d'une part, celui de
l'Europe aux XVI^, XVII® et XVIII^ siècles.
On fait ordinairement remarquer que le droit criminel
des Romains a été bien inférieur à leur droit civil. Il y a
dans cette affirmation, comme dans tous les lieux communs,
une grande part de vérité ; mais il convient cependant de
ne point l'exagérer. D'abord, l'histoire du droit pénal
romain reste, pour nous, sur certains points, fort incertaine.
60 LE DROIT PÉNAL
Cependant si, tel que nous pouvons le connaître, nous le
comparons à celui des autres peuples de l'antiquité, même
à celui des peuples modernes qui se sont développés sans
subir son influence, il nous paraît encore supérieur. Il
présente un caractère pratique et scientifique qu'il est
impossible de méconnaître. Enfin, les institutions crimi-
nelles que nous livrent les Pandectes et les Codes de Théo-
dose et de Justinien, sont un droit pénal tout déformé et
rendu méconnaissable.
Vers la fin de la République et au commencement de
l'Empire, en efîet, la législation romaine pénale s'était
élevée à un haut degré de perfectionnement. On ne suivit
pas, en matière criminelle, la méthode qui consistait à
maintenir théoriquement en vigueur des lois caduques,
tout en les modifiant par l'application. Bonne pour le droit
privé, qui s'élabore lentement, elle se prêtait mal aux
innovations hardies qu'on Introduisit alors dans la répres-
sion. On procéda par vole d'autorité législative, et toute
une série de leges judiciorwn publicorum, établit une réforme
complète et radicale des institutions criminelles. Chacune
de ces lois prévoyait une catégorie de crimes particuliers :
telles les lois Julia magestatts, Julia de adulteriis, Comelia
de sicariis et veneficiis, Pompeia de parricidiis, Julia peculatm,
Corneîia de testamentis, Julia de vi priûata, Julia de vi
publica, Julia de ambitu, Julia repetundarum, Julia de
annone. Système législatif excellent et qu'on peut estimer
bien supérieur à celui d'une codification unique. Ces lois
abrogeaient la vieille institution du jugement par le peuple,
devenu Impraticable dans Rome agrandie, mais elles
conféraient à des jurés la décision des affaires criminelles.
En déterminant les incriminations, et en fixant les peines,
elles proscrivaient l'arbitraire dans l'administration de la
l'ancien droit pénal 61
justice pénale ; la peine de mort avait presque cessé d'être
en usage et la torture était abolie pour les citoyens romains,
grands progrès ! que la Révolution française reprendra
dix-huit siècles plus tard.
Mais ces institutions étaient incompatibles avec le régime
impérial et devaient disparaître avec la liberté politique.
Les Qucestiones perpetuœ tombèrent en désuétude, le jury
criminel cessa de fonctionner et le pouvoir de juger les
criminels passa aux magistrats, aussi bien à Rome que
dans les provinces. L'arbitraire fut rétabli : les juges s'arro-
gèrent le droit de punir des faits encore bien qu'aucune
loi ne les eût incriminés. Ils modifièrent les peines légales ;
Hodie licet, disait le jurisconsulte Ulpien, qui extra ordinem
de crimine cognoscet quam vult sententiam ferre, vel graviorem,
vel leniorem, ita tamen ut in utroque modo, rationem non
excédât. Mais qui donc estimera cette mesure ? La cons-
cience du juge, dira-t-on, cela signifie pratiquement son
arbitraire et ses passions. La seule garantie des accusés
se trouvait dans la faculté de faire appel, c'est-à-dire de
soumettre la décision à un autre arbitraire. En même temps,
et comme conséquence logique de ces principes, les peines
devenaient inégales et la torture la plus usuelle des pra-
tiques judiciaires.
Ce fut ce droit formé ou, si on le préfère, déformé par
le despotisme impérial que les glossateurs retrouvèrent dcins
les compilations justiniennes et qui devait exercer une
influence décisive sur les destinées du droit criminel des
peuples civilisés modernes. La réception et l'adaptation
de cette législation varia naturellement de pays à pays ;
elle ne s'accomplit pas de la même manière en Italie, en
France, en Allemagne, sans parler de l'Angleterre où le
droit criminel s'est développé d'une meinière plus indé-
62 LE DROIT PÉNAL
pendante. D'autres éléments ont contribué à la formation
de chaque législation moderne. Mais on peut affirmer,
sans sortir de la vérité, que dans l'Europe continentale,
le droit romam a tenu une place prépondérante. On exa-
gérerait à peme, en disant que l'ancien droit pénal est une
simple continuation du droit pénal romain et comme une
nouvelle phase de son évolution propre.
Cela est vrai particulièrement en ce qui concerne la
formation de notre droit pénal français. Le système des
compositions a péri sans presque laisser de traces. On peut
remarquer seulement que les justices du moyen-âge avaient
donné au droit répressif un caractère marqué de fiscalité,
qu'elles avaient souvent transformé les compositions en
amendes et en confiscations au profit des seigneurs justi-
ciers et que ces droits féodaux ont subsisté jusqu'à la Révo-
lution. En cherchant bien, on trouverait même quelques
survivances de très vieilles coutumes dans certaines incri-
minations et surtout dans le système des peines demeuré
encore en vigueur au xviii^ siècle. Mais, d'une manière
générale, l'ancien droit familial avait bien disparu. Cela
est si vrai qu'on ne trouve pour ainsi dire aucune disposition
pénale dans les coutumes rédigées. Sauf certaines coutumes
exceptionnelles, comme celle de Bretagne, par exemple, on ne
rencontre dans aucune d'elles ni un système d'incrimination,
ni un système de pénalités. Il n'y eut point, pour le droit cri-
minel, de pays de droit écrit, ni de pays de droit coutumier.
Le rôle du droit promulgué, dans la formation de l'ancien
droit pénal, ne doit pas non plus être exagéré. A la vérité,
il a tenu une large place en Angleterre. Mais ailleurs, il
apparaît tout imprégné lui-même de droit romain et semble
avoir contribué surtout à le faire pénétrer dans la pratique
judiciaire. Chez nous, de grandes Ordonnances, celle de
l'ancien droit pénal 63
1 670 surtout, ont établi les règles de la procédure criminelle
en l'empruntant d'ailleurs au droit canonique. Mais la
Royauté française ne paraît jamais avoir songé à publier
un code pénal, définissant les infractions et fixant les peines.
L'autorité royale s'est contentée de légiférer sur certains
crimes particuliers, comme le duel, le braconnage, la con-
trebande, le péculat, l'empoisonnement, la non-déclaration
de grossesse. Mais ce n'étaient là que des dispositions de
circonstance, des dispositions fragmentaires et exception-
nelles, qui restaient souvent sans application ou qui tom-
baient rapidement en désuétude.
On pourrait croire que le droit criminel ancien dut
beaucoup plus au droit canonique. Son influence se fit
certainement sentir sur l'instruction criiViinelle, puisque
la procédure inquisitoriale fut son œuvife propre. Dans le
domaine du droit pénal, les lois ecclésiastiques et la théo-
logie élaborèrent certainement des théories nouvelles. Elles
ont dégagé avec plus de clarté que le droit romain lui-
même, le concept de l'imputabilité et de la responsabilité
morale. La peine reste intimidante et exemplaire, mais
son caractère expiatoire reprend, sous une forme nouvelle
et rajeunie, une force singulière. En même temps s'affirme,
dans le droit canon, l'idée qu'elle doit être corrective,
qu'elle doit tendre à l'amendement du coupable et qu'il
peut par son repentir, — par sa contrition — obtenir son
pardon et sa réhabilitation. Ainsi, la doctrine de la rédemp-
tion pénètre dans le domaine de la justice humaine. Les
peines que l'Eglise institue elle-même sont d'ordre moral
et sont humaines : Abhorret a sanguine. Toutes ces doctrines
ont trouvé leur belle expression dans le monitum du concile
de Trente que le canon 2214 du nouveau Codex juris cano-'
nid a littéralement transcrit et conservé.
64 LE DROIT PÉNAL
Mais on se tromperait en pensant que toutes ces nou-
veautés, qui forment le fond de notre droit actuel, péné-
trèrent immédiatement et profondément dans notre ancien
droit. Comment apercevoir leur influence lorsqu'on con-
sidère la barbarie des mcriminations et des peines qui
étaient encore en usage au XVI il® siècle. Le droit répressif
laïque était resté absolument distinct du droit canon et
nos crimincilistes ne citaient guère le corpus juris canonici.
Ce qu'on peut dire de plus exact, c'est que, sous l'influence
de la doctrine chrétienne, la conscience populaire, obscu-
rément, lentement, modelait la notion du crime sur celle
du péché, et le concept de la peine sur celui de la pénitence.
Ainsi se préparaient les grandes réformes de l'avenir ;
mais pour rester dans la vérité, il faudrait dire, peut-être,
que ces conceptions ne devaient trouver leur véritable
réalisation dans le domaine du droit répressif que dans les
lois de la Révolution et surtout dans les réformes du XIX®
siècle.
Ainsi, le droit romain, les ordonnances royales, le droit
canonique, dans la mesure que nous venons d'indiquer,
peuvent être considérés comme les sources de notre ancien
droit pénal. Il y faut joindre encore la jurisprudence des
tribunaux supérieurs et en France, des Parlements. Il
s était formé, touchant les incrimmations et les peines, une
tradition judiciaire, créatrice d'un véritable droit coutumier.
Nous verrons, dans un insteint, l'importance pratique de
cette limitation apportée à l'arbitraire des juges. Cependant,
cette jurisprudence, formée par des décisions fragmentaires
et éparses, restait encore obscure et incertaine. Le progrès
décisif devait être obtenu par les efforts spontanés de la
doctrine. En effet, à l'époque de la Renaissance, le droit
criminel prit, dans toute l'Europe continentale, une forme
l'ancien droit pénal 65
juridique. Des criminalistes éminents fondant dans leurs
travaux toutes les sources antérieures, constituèrent un
véritable droit criminel scientifique.
Dans cette œuvre immense de systématisation, la pre-
mière place revient certainement à l'Italie. Dès le XV® siècle.
Angélus Aretinus publiait son de maleficiis et Hippolyte
de Marsigly une practica rerum criminalium, et un commen-
taire du digeste : De Quœstionihus et Tormentis. C'étaient
des précurseurs. Au XVI® siècle, Julius Clarus écrivait ses
septem libri sententiarum receptarum, seu practica avilis et
criminalis, dont le cinquième livre, consacré au droit cri-
minel, est resté classique. Mais tout s'efface devant l'im-
mense travail de Farinacius. Ses Concilia, practica et theoria
criminalis qui comportent plusieurs volumes in-folio cons-
tituent pour l'ancien droit criminel l'ouvrage fondamental.
Son influence fut décisive. Les criminalités français du
XVIII® siècle le citent à chaque page, on le consultait couram-
ment au commencement du XIX® siècle et on peut encore
l'utiliser avec profit.
A côté des Italiens il faut citer en Allemagne Benedictus
Carpzov dont la practica nova imperialis saxonica rerum
criminalium eut dans toute l'Europe un grand succès et
inspira bientôt le législateur germanique. En Hollande,
Damouder publia à Anvers sa Practica rerum criminalium ;
en Espagne enfin Covarruvias mérite de figurer parmi ces
fondateurs du droit pénal moderne. Cette œuvre construc-
tive nous paraît ainsi une œuvre collective à laquelle colla-
borèrent tous les peuples de l'Europe continentale civilisée.
Et rien ne montre mieux l'unité fondamentale des insti-
tutions criminelles de cette époque. Aucun des ouvrages
que nous venons de citer ne semble écrit pour un pays
et en vue d'une législation déterminée, et les principes qu'ils
5. GARÇON.
66 LE DROIT PÉNAL
dégagent ont un caractère général et pour ainsi dire uni-
versel.
La France, il faut l'avouer, n'eut dans ce grand mou-
vement scientifique qu'une part assez effacée. Nos vieux
coutumiers s'étaient bien occupés du droit criminel :
Beaumanoir nous donne des renseignements précieux sur
la preuve et sur l'instruction criminelle. Mais j'ai dit que
ce droit était destiné à périr. On trouve un effort plus
heureux dans la Somme rurale de Boutellier ; nos romanistes
commentaient les libri terribiles et contribuaient ainsi à
l'œuvre commune. Mais nous ne pouvons citer aucun
grand criminaliste au XVI® siècle. Il serait injuste pourtant
de ne pas mentionner Pierre Ayraaut, esprit libre et cri-
tique, mais qui a écrit surtout sur la procédure pénale,
et Domat qui formula, sur le droit criminel et sur le pro-
blème de la répression, des principes qui méritent de ne
pas tomber dans l'oubli.
C'est au XVIII® siècle que parurent nos véritables crimi-
nalistes français. Serpillon, Guy Rousseau de la Oambe,
Jousse et Muyard de Vouglans. Ils n'eurent aucune pré-
tention créatrice, et ils ne songèrent ni à réformer ni à
innover. Leur but était de présenter les règles du droit et
de la procédure criminelle en usage de leur temps, mais
ils ont tracé avec une merveilleuse clarté un tableau sais-
sissant de notre ancien droit pénal dans les deux derniers
siècles de la monarchie.
C'est ce droit français que nous allons maintenant
exposer dans ses traits généraux, comme un exemple
particulier du droit criminel de tous les peuples parvenus
au même degré de culture, et, spécialement, du droit de
l'Europe occidentale aux XVII® et XVIII® siècles.
l'ancien droit pénal 67
Pour le bien comprendre, il importe d'abord de dégager
les idées générales sur lesquelles il reposait. On ne peut
mieux les exprimer et les résumer que ne l'a fait notre
vieil Argou, lorsqu'il écrivait : « La vengeance est défendue
aux hommes ; il n'y a que le roi qui puisse l'exercer par
ses officiers, en vertu du pouvoir qu'il tient de Dieu. »
Le droit de vengeance, en effet, appartenant aux parti-
culiers a définitivement disparu. L'Etat a assumé la charge
de maintenir la discipline sociale, en réprimant le crime
qui trouble l'ordre public et menace les intérêts individuels.
Mais le droit de châtier qu'il exerce ainsi, dans un but de
défense sociale, n'a pas changé de nature et apparaît encore
comme un acte de vindicte publique. C'est, sous cette forme
renouvelée, que se manifeste le sentiment de réaction
instinctive et de répulsion que soulève le crime dans la
conscience populaire. Punir, c'est encore exercer une ven-
geance et, cette vengeance par sa nature même, reste toute
imprégnée d'indignation, de passion, et de colère. Ainsi
s'explique fondamentalement la rigueur des châtiments.
Cependant, ce serait une grave erreur de penser que le
droit de punir reposait exclusivement sur cette idée rudi-
mentaire. Le concept de la peine était infiniment plus
complexe et, pour le bien saisir, tel qu'il s'imposait à la
conscience générale, dans les derniers temps de la monar-
chie, il faut tenir compte de certaines théories théologiques
et des doctrines alors courantes sur la nature du pouvoir
royal.
Je viens de dire que le droit canonique n'eut que peu
d'influence sur la formation du droit pénal juridique,
mais en ajoutant que les idées religieuses ont exercé leur
empire sur la conception même de la peine. Comment en
aurait-il été autrement, dans un temps où la foi dominait
68 LE DROIT PÉNAL
toute la mentalité sociale, et toutes les manifestations de la
vie individuelle et collective ? G)mme je l'ai fait remarquer,
l'idée très ancienne que la peine est une expiation prend,
avec les croyances chrétiennes, une forme particulière,
modelée sur la conception du péché. La notion du pardon
dû au repentir, de la miséricorde même pour le coupable,
n'avaient point encore pénétré dans le droit laïque, mais la
peme sociale est considérée comme une rétribution du
mal causé par le crime et le châtiment de la faute moréJe.
Et ainsi se mêle, à l'idée de vengeance, la notion de la
justice, car quoi de plus juste que de venger sur le criminel,
la victime, la société offensée, et la morcJe religieuse ?
D'ailleurs, cette justice n'est-elle pas à l'image de celle
de Dieu. La colère divine ne s'exerce-t-elle pas sur les
méchants, avec une inéluctable sévérité, et n'est-elle pas
sans pitié pour le pécheur qui ne s'est pas repenti ?
Ainsi la justice humaine se modèle sur la justice divine
et elles finissent par se joindre et se confondre dans la doc-
trine du droit divin. Dieu a préposé les rois pour gouverner
les peuples. Le souverain et les officiers qui jugent en son
nom, châtient le criminel par délégation même de Dieu.
Là se trouve le fondement du droit qui appartient au magis-
trat de prononcer des condamnations et d'envoyer les cou-
pables au supplice. La puissance du juge criminel a sa
source dans la puissance même de Dieu et participe de sa
nature. La justice humaine est une forme anticipée de la
justice divine.
Telles sont les doctrines qui dominaient l'administration
de la justice jusqu'à la veille de la Révolution. Elles expli-
quent ses caractères distinctifs et son inexorable sévérité.
Dans beaucoup de consciences, sans doute, elles étaient
confuses et obscures, mais de grands esprits les avaient
l'ancien droit pénal 69
conçues et exposées avec autant de clarté que de précision.
Nul pourtant ne le fit avec autant d'éloquence que Joseph
de Maistre, leur dernier théoricien et leur apologiste.
Elles le conduisirent, par une impeccable logique, à affirmer
l'infaillibilité du juge et la mission surnaturelle du bour-
reau. Mais, lorsqu'il écrivait les soirées de Saint-Péters-
bourg, ces idées avaient déjà péri.
Ces doctrines politiques expliquent aussi, au moins
dans une certaine mesure, l'arbitraire qui caractérisait
essentiellement notre ancien droit criminel. D'ailleurs,
cet arbitraire dommait alors toutes nos institutions. Le
roi est absolu ; sa volonté souveraine n'a d'autre limite
que son bon plaisir, et il déléguait ce pouvoir à ceux qu'il
instituait pour gouverner, administrer et juger en son
nom.
J'ai montré que le droit criminel ne fut jamais codifié
dans l'ancienne France. Ainsi la liste des crimes resta
toujours ouverte et incertaine. L'incrimination demeura,
en principe, abandonnée à la conscience du juge, qui avait
le pouvoir de châtier tous les faits qui lui paraissaient
mériter d'être réprimés. La loi ne fournissait aux accusés
aucune garantie, aucune protection légale. Sans doute,
il convient de ne rien exagérer : il ne faudrait pas croire
que le juge punissait n'importe quel acte de n'importe
quelle peine. En droit il en avait le pouvoir, mais en fait
il en allait tout autrement. Ce pouvoir était limité par la
jurisprudence et, comme nous l'avons montré, par ces
ouvrages des criminalistes qui, la résumant et la systéma-
tisant, avaient réussi à mettre un peu d'ordre dans cette
confusion en donnant une liste au moins démonstrative
des crimes et en en fournissant les définitions juridiques.
Et pourtant, même ainsi entendu, et tel qu'il était en
70 LE DROIT PÉNAL
redite, ce système avait conduit aux plus criants abus.
Faire confiance aux magistrats pour déterminer les incri-
minations c'est abandonner les accusés à leur bon vouloir,
et aussi à leurs passions, car étant hommes, ils sont fail-
libles. Sous des influences diverses, politiques ou reli-
gieuses, il arrivait souvent que le juge punissait sans mesure
et par conséquent sans justice. Il châtiait des faits en eux-
mêmes indifférents ou qui n'avalent aucune gravité et que
leur auteur avait pu de bonne foi considérer comme abso-
lument licites. Ainsi cet arbitraire menaçait la liberté de
tous ou plutôt était incompatible avec toute liberté civile.
Et pour couronner cette construction, apparaissait la
théorie de la justice retenue, établie sur de fortes bases
juridiques, et qui permettait au roi de faire exécuter toute
mesure répressive, sans qu'il eût à observer aucune forme
judiciaire. Tout pouvoir émanant de lui, il pouvait révo-
quer la délégation qu'il avait donnée à ses juges et prononcer
lui-même la condamnation. Il n'avait point à respecter
les lois écrites de procédure ; puisqu'il les fait lui-même,
il peut s'en affranchir. Sa sagesse lui inspirera toujours la
sentence juste et nécessaire pour le bien de l'État. En vertu
de ce raisonnement, les légistes de Henri III lui affirmèrent,
après l'assassinat du duc de Guise, qu'il n'avait fait qu'user
de son droit en condamnant un sujet rebelle, coupable
d'attentat contre la sûreté de l'Etat. Cette conséquence
extrême ne passa pas pourtant dans la pratique et Louis XIV
ne prononça jamais aucune peine capitale sans jugement ;
il en chargeait ses commissaires. Mais nos rois se recon-
naissaient, et personne ne leur contestait le droit, de faire
enfermer dans une prison d'Etat ou de bannir ceux dont la
présence leur paraissait dangereuse.
On discute encore sur les lettres de cachet et, naguère,
l'ancien droit pénal 71
on cherchait à les excuser. Nous n'insisterons que sur un
seul point : on a dit que ce droit d'emprisonner ou de bannir
ne comportant aucune condamnation était hors de la sphère
du droit pénal. Nos anciens criminalistes n'en faisaient en
effet aucune mention, et on peut ajouter que l'emprison-
nement n'était pas rangé au nombre des peines légales.
Mais le bannissement était au contraire un châtiment fré-
quemment prononcé par les tribunaux et, d'ailleurs, dans
la réalité des choses, il est de la dernière évidence que les
lettres de cachet servaient à punir certains délits politiques,
la plupart des délits de presse, et même souvent, des délits
que nous considérons aujourd'hui comme des délits de
droit commun. La détention dans une prison d'Etat avait,
malgré tout, les caractères d'une véritable peine : elle
infligeait un mal dans un but d'intimidation et d'exem-
plarité et éliminait temporairement ou pour toujours ceux
dont on voulait se débarrasser. Il est vrai que les lettres
de cachet intervenaient quelquefois contre des individus
qui n'avaient commis aucun fait punissable, mais pour
injuste que fut la détention ou l'exil d'un innocent, elle n'en
restait pas moins une peine.
Quoi qu'il en soit, parmi les crimes les plus graves, on
s'accordait pour ranger d'abord les crimes de lèse-majesté
divine. Dans un temps de foi ardente, où personne n'avait
même l'idée de la liberté de conscience, les gouvernements
et les magistrats considéraient non seulement comme un
droit indiscutable, mais encore comme un impérieux devoir,
de punir avec sévérité la propagation de toute croyance,
la manifestation de toute foi qui ne se conformait pas à la
confession officielle : au moyen-âge, l'inquisition fut éta-
blie pour réprimer ces crimes religieux. La Réforme posa
la question sous un aspect nouveau et tandis que les catho-
72 LE DROIT PÉNAL
llques étaient tenus pour des criminels dans les états pro-
testants, les huguenots étaient impitoyablement punis dans
les catholiques. La résistance tourna en révolte ouverte et
en guerre civile, dont est remplie toute l'histoire du XVI^ siè-
cle. En France, la répression contre les protestants, un
moment assoupie par l'Edit de Nantes, s'exerça bientôt
avec une vigueur nouvelle, encore accrue après la révoca-
tion et dura, en réalité, jusqu'à la Révolution, et de fait,
bien des ministres expièrent dans les bagnes le crime d'avoir
prêché leur foi.
Muyard de Vouglans, qui écrivait dans la seconde moitié
du XVIII^ siècle, rangeait parmi les crimes de lèse-majesté
divine, d'abord, le blasphème et le sacrilège. Pour s'en
être rendu coupable, le Chevalier de la Barre fut exécuté
en 1766; puis l'hérésie, l'apostasie et le schisme, crimes
des protestants ; enfin l'athéisme, le déisme, le théisme,
le polythéisme et le tolérantisme ! Ces derniers crimes ne
se commettaient que par écrit et étaient à proprement parler
des délits de presse. Une Ordonnance de 1 757 les punissait de
la peine de mort, des galères et de la confiscation. Il convient
d'ajouter d'ailleurs qu'elle ne paraît guère avoir été exécutée.
Le même criminaliste plaçait encore parmi les délits
contre la religion la magie, les sortilèges et l'astrologie,
qu'il ne faut pas confondre, ajoutait-il, avec l'astronomie
qui est une science permise. 11 déclarait passible du feu
les sortilèges proprement dits, « qui se font pour causer du
mal, pour tourmenter quelqu'un, pour faire périr des ani-
maux ou qui s'emploient dans la vue de corrompre la pudeur
des femmes, de procurer un avortement, d'empêcher la
génération et même de procurer la mort aux personnes. »
Et ce n'étaient pas là de pures théories ; très fréquents au
moyen-âge et au XVI® siècle, les procès de sorcellerie se
l'ancien droit pénal 73
continuèrent jusqu'à la veille de la Révolution Française,
et celui de la Cadière en fournit un mémorable exemple.
Il faut pourtant ajouter que Jousse qui écrivait à peu près
à la même époque que de Vouglans était beaucoup moins
superstitieux ; manifestement il ne croit plus à la magie,
et s'il veut encore punir les sorciers, et même sévèrement,
c'est comme escrocs.
Léo crimes de lèse-majesté humaine étaient considérés
à la fin de l'ancien régime, comme aussi graves que les
crimes de lèse-majesté divine. Au premier chef, ils com-
prenaient le régicide, de tous les forfaits le plus atroce ;
les attentats contre les princes du sang et contre la cou-
ronne, c'est-à-dire contre la sûreté intérieure et extérieure
de l'Etat, les révoltes et les complots. Au deuxième chef,
la concussion et le péculat, une des grandes plaies de l'ancien
régime, dont la répression était tantôt d'une faiblesse
déplorable, tantôt d'une implacable sévérité. Ajoutons
encore quelques autres délits comme les usurpations de
souveraineté, la fausse monnaie, par exemple, et les délits
de presse et libelles contre le roi et le pouvoir royal.
Ejifin, la dernière classe de crimes comprenait les crimes
contre les personnes, homicides, violences, attentats aux
mœurs, faux et vols. C'est en ce qui touche ces derniers
délits que s'était fait sentir surtout l'influence du droit
romain. Pourtant on peut y découvrir quelques théories
originales, comme celles des circonstances aggravantes du
vol, par exemple, qui a passé dans notre droit moderne.
Ces règles générales et ces définitions des infractions,
nous l'avons dit, limitaient en fait dans une assez large
mesure l'arbitraire du juge en matière d'incrimination.
Mais cet arbitraire s'exerçait beaucoup plus librement en ce
qui touchait la détermination de la peine. Le magistrat,
74 LE DROIT PÉNAL
en effet, en l'absence de tout texte, avait le pouvoir de fixer,
dans chaque cas particulier, le châtiment du coupable,
selon les seules inspirations de sa conscience. Les Ordon-
nances, qui prescrivaient expressément de punir certains
faits, négligeïiient souvent de fixer les peines et se conten-
taient d indiquer qu'ils seraient punis de « peines exem-
plaires « ou « d'amendes arbitraires ». Et cette liberté du
juge était si fortement entrée dans la pratique que, même
lorsqu'un Edit royal fixait les peines, on lui reconnaissait
le droit de les mitiger, quelquefois même de les aggraver,
à raison des circonstances qui accompagnaient le délit.
Sans doute, les magistrats suivaient, même pour la fixation
des peines, une certaine jurisprudence, et, au XVIII^ siècle,
il était universellement admis qu'ils ne pouvaient prononcer
que les peines « en usage dans le royaume ». Ainsi, le tarif
des châtiments était dans chaque juridiction gouverné par
des usages. Mais comme les circonstances du crime variant
nécessairement pour chaque espèce, ces traditions et ces
coutumes judiciaires étaient en fait mal établies et souvent
méconnues. Le juge, selon que le crime lui paraissait plus
ou moins grave, l'accusé plus ou moins coupable, au gré
de ses émotions, de ses impressions, de ses passions, pou-
vait prononcer une peine légère ou d'une implacable sévérité.
D'ailleurs, le système généraJ des peines est un des traits
les plus caractéristiques du droit criminel antérieur à la
Révolution. Il avait conservé le caractère le plus archaïque,
et n'avait reçu aucun changement depuis le moyen-âge.
Tout a été dit sur la cruauté des châtiments et sur la bar-
barie de ses supplices et, à la vérité, on reste étonné et
on a peine à croire qu'il put encore être pratiqué dans un
monde aussi policé et aussi « sensible » que le fut la société
française au XVIII® siècle.
l'ancien droit pénal 75
Nous avons déjà eu l'occasion de rappeler que la priva-
tion de liberté n'était pas considérée comme une véritable
peine légale. 11 y avait bien des prisons où on enfermait
pêle-mêle, dans la plus dégradante promiscuité, tous ceux
de la personne desquels on voulait s'assurer : les accusés,
les aliénés, les débiteurs insolvables, les condamnés qui
attendaient l'exécution de leur sentence, d'autres encore.
Ces détentions administratives ou judiciaires, avaient une
durée arbitraire et illimitée ; elles étaient quelquefois per-
pétuelles. Mais, juridiquement, elles n'étaient point regar-
dées comme des peinej. Les juges ne prononçaient point
l'emprisonnement pour la répression des crimes.
La peine des galères elle-même n'était pas considérée
comme une peine privative de liberté, mais plutôt comme
une peine corporelle. Ce n'est point ici le lieu de décrire
le régime auquel étaient soumis les forçats. On a peine à
imaginer, même lorsqu'on a consulté les documents ori-
ginaux les plus sûrs, ce qu'étaient ces lieux de désolation
et de souffrances physiques et morales où on ne tolérait
ni la paresse, ni la fatigue, ni l'épuisement, ni la maladie.
On voudrait douter que des hommes aient pu infliger à
d'autres hommes un traitement aussi barbare. Nulle idée
de justice, nul souci de corriger le coupable, n'avait présidé
à l'élaboration des règlements des chiourmes. Mmntenir
la discipline par la menace et le fouet, paraît le seul but que
visèrent ceux qui les rédigèrent. Cet abominable régime ne
fut guère modifié, lorsque les progrès de la construction
navale firent abandonner les galères et les rameurs. Les
bagnes furent seulement établis dans les ports, les condamnés
employés aux travaux de la marine, mais les règlements ne
furent qu'à peine modifiés.
La peine du fouet était légalement considérée comme
76 LE DROIT PÉNAL
plus légère que celle des galères et elle était certainement
moins rigoureuse, en fait. Elle était souvent accompagnée
du bannissement hors du territoire de la justice qui avait
prononcé la condamnation. On appliquait surtout ces
fustigations aux voleurs simples, aux filous et coupeurs de
bourse. A la veille de la Révolution, on frappait le condamné
non plus avec un fouet, mais avec une verge, sur les places
et les carrefours, ce qu'on appelait le « tour de ville ». Les
mutilations de nez, des oreilles, du poing et de la langue,
qui avalent été fort en usage au XVI® et au XVII® siècle,
paraissent avoir, sinon disparu complètement, au moins
avoir été moins utilisées au XVIII®, bien que les crimina-
listes les citent encore.
A côté du fouet et se cumulant souvent avec lui, il faut
encore mentionner les peines qui agissaient par voie d'hu-
miliation. Elles étaient fréquemment prononcée^ et on peut
les considérer comme formant une des assises fondamen-
tales de l'ancien système pénitentiaire. E!lles étaient inspi-
rées par le sentiment élémentaire de réprobation que sou-
lève la vue du crime, et elles avaient manifestement pour
but d'imprimer dans la conscience publique la honte qui
s'y attache. Elles tiraient leur efficacité des règles les plus
élémentaires, mais en même temps les plus profondes de
la psychologie collective. Tels étaient l'amende honorable,
le pilori, le carcan, et cette peine qui consistait à promener
le condamné par les rues d'une ville, souvent en le frappant
de verges, à pied, ou monté sur un âne, la tête tournée du
côté de la queue, et portant sur sa poitrine un écriteau
indiquant le crime qu'il avait commis.
Les peines pécuniaires, amendes et confiscations, tenaient
aussi une large place dans l'ancien système pénal ; la con-
fiscation générale surtout. Comme elle profitait au roi ou
l'ancien droit pénal 77
au haut seigneur justicier, elle constituait pour le trésor
public une ressource importante et pour les seigneurs un
revenu aléatoire appréciable. On ne comprendrait pas les
protestations que cette peine avait soulevées et son impo-
pularité, si on ne se souvenait de cet aspect fiscal. Dès le
moyen-âge, ce fut un des privilèges que conquirent les
bourgeois des villes de ne pouvoir être frappés de cette
peine.
Mais à tout cela il faut joindre la torture et la peine de
mort.
La question préalable était donnée avant l'exécution
d'une sentence capitale, pour contraindre le coupable à
dénoncer ses complices ; elle faisait pour ainsi dire partie
du supplice. La question préparatoire était ordonnée pour
obtenir 1' « aveu du crime » dont il y avait d'ailleurs des
preuves considérables, dit un ancien auteur, en telle sorte
qu'il ne manque plus que cet aveu « pour opérer l'entière
conviction ». Chaque juridiction avait ses tourments par-
ticuliers qui variaient à l'infini : l'imagination hummne a
toujours été d'une effroyable fertilité pour inventer les
supplices. A Paris, on donnait la question par l'eau et les
brodequins ; ailleurs par le chevalet ou l'estrapade. Lorsque
les philosophes demandèrent l'abolition de ces abominables
iniquités, et lorsque le roi Louis XVI abolit la question
préparatoire en 1780 et la question préalable en 1788,
cette réforme se heurta à la plus vive résistance des prati-
ciens, si bien que le Roi fut obligé d'insérer des réserves
dans son Edit, et de dire : « Nous réserveint, bien qu'à regret,
de rétablir la dite question, si, d'après quelques années
d'expérience, les rapports de nos juges nous apprenaient
qu'elle fût d'une indispensable nécessité. » Ces praticiens
invoquaient surtout, pour s'opposer à cette abolition, la
78 LE DROIT PÉNAL
nécessité d'assurer la répression et de ne pas laisser les
crimes impunis. Ils faisaient aussi valoir, suprême sophisme !
que l'accusé était ainsi constitué juge dans sa propre cause,
puisque s'il n'avouait pas, il échappait au châtiment.
On reste confondu en constatant que, jusqu'à la fin du
XVIII® siècle, des méigistrats ont pu fonder leur conviction
sur un aveu arraché par la torture, et condamner sur
cette preuve non seulement inhumaine, mais si manifes-
tement fragile et trompeuse. Ils suivaient une pratique
immémoriale, appuyée sur des textes, et cela suffisait à
rassurer leur conscience. Comme le remarquait Nicoleis,
qui écrivit, sous Louis XIV, un livre contre la torture,
très courageux et injustement oublié, on aboutissait ainsi
à condamner les innocents qui préféraient la mort aux
tourments, et à justifier les coupables qui pouvaient résis-
ter à la souffrance. D'ailleurs il faut reconnaître que, dans
certains cas, la question pouvait amener à la découverte
de la vérité. Supposez, dit un vieil auteur, qu'un voleur
nie le crime qui lui est reproché ; si tourmenté il avoue
le lieu ou il a caché les objets volés et si on les y trouve,
ne sera-t-il pas convaincu et justement condamné. Assu-
rément : mais la seule leçon que l'on puisse tirer de cette
constatation, est que l'efficacité d'une peine, ou d'un
moyen d'instruction, ne saurait établir sa légitimité ni sa
justification.
Faut-il maintenant répéter que la peine de mort était
très fréquemment prononcée ; on n'exagérerait pas beau-
coup en disant que les juges condeunnaient alors à être
pendus des délinquants, des voleurs en récidive, par
exemple, que nos tribunaux correctionnels envoient aujour-
d'hui en prison pour quelques mois, voire pour quelques
jours. Cependant, dans les dernières années du règne de
l'ancien droit pénal 79
Louis XVI, il semble bien que les exécutions étaient moins
fréquentes. Le mode de ces exécutions variait d'ailleurs
selon les crimes et la jurisprudence de chaque juridiction
criminelle. Dans notre très ancien droit, les coupables
étaient précipités du haut d'un rocher, enterrés vifs (comme
les amants des brus de Philippe le Bel) ou coupés en mor-
ceaux, ou bouillis dans l'huile. Ces supplices avaient cessé
d'être en usage au XVIII® siècle. Pour les crimes ordinaires,
les roturiers étaient pendus et les nobles décapités. Mais
on brûlait encore les parricides, les empoisonneurs, les
incendiaires et les auteurs de certains crimes contre nature.
Quelquefois seulement, et par indulgence, on ordonnait
que le coupable serait étranglé sur le bûcher avant que le
feu fut allumé. Enfin, pour les forfaits les plus graves, on
géminait les supplices, et nous ne pouvons conclure plus
clairement cet exposé du système pénal de notre cincien
droit qu'en reproduisant le supplice qui fut infligé aux
régicides, tel qu'il est rapporté par les vieux auteurs :
« Le criminel après avoir été appliqué à la question
ordinaire et extraordinaire, et avoir fait amende honorable,
est conduit nu, en chemise, dans un tombereau au lieu
du supplice, où l'on a précédemment construit (au milieu
d'un parc entouré de palis, assez étendu pour que les che-
vaux aient une place suffisante pour tirer) un échafaud
haut de trois ou quatre pieds, sur lequel le criminel est posé
à plat sur le dos, et attaché avec des liens de fer dont on
entoure la poitrine vers le cou et l'autre les hanches vers
le bas ventre. Ces liens sont vissés dans le bois de l'échafaud
afin que son corps ne cède pas à l'effort des chevaux, que
l'exécuteur achète au moyen d'une somme qui lui est déli-
vrée, et qui sont harnachés comme les chevaux qui tirent
les bateaux. L'exécuteur lie ensuite à la main du criminel
80 LE DROIT PÉNAL
l'arme dont il s'est servi, et la lui brûle 'avec du soufre.
On lui arrache ensuite avec des tenailles des lambeaux de
chair aux mamelles, aux bras, aux cuisses, aux gras des
jambes et l'on asperge ses plaies d'une composition de plomb,
huile, poix, récine, cire et soufre fondus ensemble. On
attache ensuite une corde à chaque membre du patient
(savoir aux jambes, depuis le genou jusqu'aux pieds, et
aux hras, depuis l'épaule jusqu'au poignet). Le bout de
chaque corde s'attache au palonier de chaque cheval,
qu'on fait ensuite tirer par plusieurs petites secousses.
On se détermine enfin à faire tirer les chevaux de toute leur
force, en tous sens, pour écarteler les membres. Mais comme
il arrive ordinairement que les tendons et les ligaments
résistent et ne quittent point, malgré l'effort des quatre
chevaux et même d'un plus grand nombre, on est enfin
obligé de couper les ligaments vis-à-vis de la jointure des
os. Alors les chevaux entraînent chacun son membre et
après les avoir détachés de la corde et le tronc de l'échafaud,
l'on jette le tout sur un bûcher qu'on allume sur le champ :
et quand le tout est réduit en cendres on jette ces cendres
en l'air avec des pelles. «
Et Muyard de Vouglans ajoute froidement : « Le sup-
plice de Damiens a duré deux heures, lui vivant. »
BIBLIOGRAPHIE
Les ouvrages de Angelus Aretinus, HiPPOLVTE DE Marsi-
GLY, de JULIUS ClARUS, de FaRINACIUS, DE CaRPZOV, de DaMOUDER
et de CoVARRUViAS, cités au texte.
Pour le droit français : JousSE, Traité de la justice criminelle,
4 vol. in-4°. — Muyard de Vouglans, Les lois criminelles de la
France dans leur ordre naturel (in-folio) et ses instituts (in-4°). —
Serpillon, Code criminel de la France, 2 vol. in-4*'. — GuY ROUS-
SEAU DE LA Combe, Traité des matières criminelles. — Merlin et le
nouveau Denizard. — Du BoYS, Histoire du droit pénal.
CHAPITRE IV
LE DROIT PÉNAL CONTEMPORAIN
Le droit pénal moderne présente une nouvelle pheise
de l'histoire de la répression. On commettrait pourtant
une erreur en pensant qu'il ne doit rien au passé. Il se lie
au contraire intimement à lui et le continue. Il reste défi-
nitivement acquis que, dans un État constitué, aucun par-
ticulier n'a le droit de se faire justice à lui-même, et, d'autre
part, les principes juridiques dégagés par les vieux crimi-
nalistes subsistent comme le solide fondement de la tech-
nique du droit criminel. Le progrès nouveau a consisté
essentiellement à introduire dans la législation répressive
plus de liberté et surtout plus d'humanité.
Cette grande réforme, inaugurée chez nous par la Cons-
tituante, s'est d'ailleurs poursuivie et développée pendant
tout le cours du XIX® siècle. Les Codes de 1791 et de Bru-
maire de l'an IV, conçus et votés en quelques mois, avaient
tous les défauts des œuvres improvisées. Ils ont été rem-
placés par le Code de 1811 qui est encore en vigueur.
Mais il a été lui-même tellement amendé, réformé et com-
plété par des lois plus récentes, qu'on peut dire, en vérité,
que la législation criminelle françeiise a cessé d'être codifiée.
Telle qu'elle est aujourd'hui, avec toutes ces retouches
successives, on peut affirmer qu'elle n'est inférieure à
aucune autre et que, sur certains points, elle paraît être
parvenue à un plus haut point de perfectionnement.
6. GARÇON.
82 LE DROIT PÉNAL
D'ailleurs, s'il est vrai que la France a pris une très large
part à l'élaboration du droit criminel moderne, et que,
même, elle en fut la véritable initiatrice, il est juste de
reconnaître que tous les pays civilisés ont collaboré à cette
grande œuvre et que nous avons aussi emprunté à d'autres
des progrès qu'ils avaient déjà réalisés. Si on compare
les codes étrangers avec notre propre législation pénale,
ou si on les compare entre eux, on constate, qu'avec des
différences qui portent surtout sur la technique juridique,
ils reposent tous sur des assises fondamentales communes.
Les plus récents, et, par exemple, les codes Hollandais,
Italiens, Japonais, Norvégiens et Égyptiens, les projets
qui sont actuellement discutés en Suisse comme en Chine,
s'inspirent des mêmes principes, et présentent, au fond,
une très remarquable unité. Il y a comme un droit pénal
commun, qui régit aujourd'hui non seulement les peuples
de race blanche, mais encore les pays d'Extrême-Orient.
La loi d'imitation explique, sans doute, en partie, ces
ressemblances ; les législationô nouvelles s'inspirent de
celles qui les ont précédées, et toutes ont pour ancêtre
commun notre vieux code de 181 1. Mais cette pénétration
réciproque des lois répressives n'a été possible que parce
qu'elle répondait aux besoins de la civilisation actuelle
et aux aspirations de la conscience publique universelle.
Ainsi, pour notre temps, se trouve encore vérifiée la vérité
de l'universalité des lois positives, dans un même milieu
sociologique.
On attribue d'ordinaire aux philosophes du XVIII^ siècle
l'honneur d'avoir formulé des théories et préparé les ré-
formes d'où est sorti le droit pénal moderne. Il est incon-
testable, en effet, qu'ils ont exercé une influence décisive
sur les lois de la Révolution. Montesquieu, au Livre VI
LE DROIT PÉNAL CONTEMPORAIN 83
de Esprit des Lois, montrait que les mauvaises lois pénales
n'ont d'autre effet que d'augmenter la criminalité. Surtout
il révélait à la France les principes d'un droit public libéral,
qui s'était lentement développé en Angleterre, et qu'allaient
affirmer solennellement les pères de la Constitution Amé-
ricaine. Ainsi, il ruinait cet arbitraire qui infestait toutes
les institutions de la monarchie absolue, et dont le droit
répressif était si fortement imprégné. C'est le petit livre
de Beccaria qui a dénoncé la cruauté, comme l'inutilité,
du vieux système des peines, qui a montré l'iniquité de la
procédure criminelle alors en usage dans toute l'Europe
continentéile, qui a sapé et détruit l'ancien droit tout entier,
et convaincu l'opinion publique, rendue honteuse de sa
barbarie, de la nécessité de reconstruire le droit répressif
sur les bïises de la justice et de l'humanité. Voltaire a répandu
et popularisé les mêmes idées en annotant la traduction
du traité des Délits et des Peines, et en menant ses mémo-
rables campagnes pour le Chevalier de la Barre et pour Calas.
Quant à Rousseau, son influence pour s'être exercée dans
une autre direction ne fut pas moindre. 11 n'a consacré
au droit pénal qu'un seul chapitre du Contrat Socicd pour
y légitimer la peine de mort. Il affirme que le criminel doit
être retranché de la Société « par l'exil comme infracteur
du pacte, ou par la mort comme ennemi public » car,
ajoute-t-il, « c'est alors que le droit de la guerre est de tuer
le vaincu ». Mais il se hâte d'affirmer que : « Au reste, la
fréquence des supplices est toujours un signe de faiblesse
et de paresse dans le gouvernement. Il n'y a point de méchamt
qu'on ne puisse rendre bon à quelque chose. On n'a le
droit de faire mourir, même pour l'exemple, que celui
qu'on ne peut conserver sans danger. » Ce ne sont là des
idées, ni bien profondes, ni bien claires. Mais Jean- Jacques
84 LE DROIT PÉNAL
persuada que l'homme est né bon et honnête et que, seule,
la Société l'a rendu mauvais et pervers. Cette Société
pouvait-elle donc se montrer impitoyable pour le cri-
minel ? Surtout le philosophe de Genève mit la sensibilité
à la mode. Or quelle « âme sensible » pouvait s'accommoder
d'une répression cruelle et barbare, qui cherchait unique-
ment à intimider le coupable par l'horreur des supplices.
Tout cela est exact. Mais il faut se garder de croire que
les théories de ces penseurs ont seules contribué à l'élabo-
ration du droit criminel moderne. Cette vue simpliste
serait trompeuse, et la réalité est beaucoup plus compliquée
et fuyante. Depuis que l'homme a commencé de philo-
sopher, il a tenté de résoudre la question que le châtiment
du crime pose à sa conscience, et toutes les réponses qui
ont été données ont contribué à former sa mentalité héré-
ditaire. Le génie de la Grèce a agité ce redoutable problème,
ses tragiques l'ont débattu sur la scène, ses philosophes
ont cherché à lui donner une solution rationnelle, et à
travers la scolastlque, la Renaissance, l'art et la raison
antiques n 'ont-ils pas façonné la civilisation moderne ?
Nous l'avons déjà dit, le droit répressif moderne porte les
traces ineffaçables de la théologie chrétienne et le concept
du crime et de la peine est modelé, dans l'âme populaire,
sur la notion du péché et de la pénitence. Les idées modernes
sur l'amendement du criminel et sa réhabilitation, sont
Imprégnées du dogme de la rédemption qui promet le
pardon de la faute et accorde le salut à la contrition même
imparfaite. Et ce ne serait peut-être pas un paradoxe de
soutenir que c'est seulement par le droit révolutionnaire
que ces hautes conceptions morales ont vraiment pénétré
dans le droit pénal laïque.
Si les principes qui ont présidé aux grandes réformes
LE DROIT PÉNAL CONTEMPORAIN 85
des lois pénales, lors de la chute de la monarchie absolue,
ont ainsi des origines très anciennes, les doctrines qui ont
exercé leur influence sur le droit postérieur et jusqu'au-
jourd'hui, ne sont pas moins complexes. A aucune autre
époque, les deux grandes théories qui, depuis l'antiquité,
se partagent les esprits, sur le fondement du droit social
de punir, n'ont été plus profondément discutées, critiquées,
reprises et présentées sous des cispects différents. L'une, à
laquelle Kant a donné sa plus complète expression, qui fait
reposer le châtiment sur le seul impératif de la justice, et
assigne à la peine l'expiation pour but, l'autre qui, avec
Bentham et les philosophes positivistes, justifie la répres-
sion par sa nécessité et par ses fins utilitaires.
Mais ce ne sont pas, semble-t-il, ces hautes spéculations
qui ont le plus contribué à la formation des idées qui
dominent la mentalité commune de notre temps. Pour la
saisir dans sa complexité, il faut tenir compte des travaux
sans nombre, qui, dans tous les pays, ont étudié sous les
aspects les plus divers, le problème de la répression :
Livres, brochures, articles de revues et de journaux, dis-
cours et rapports au Parlement et dans les congrès, réquisi-
toires des accusateurs publics, plaidoiries des défenseurs,
leçons dans les chaires universitaires, conférences et j'en
omets. Sous toutes ces formes et par tous ces moyens, on
a agité devant l'opinion publique tous les problèmes que
soulèvent la marche générale de la criminalité, le crime et
ses causes, le criminel et ses passions, ses instincts, sa
psychologie, la peine et sa nature, son efficacité, ses moyens
d exécution. Bien plus ! la littérature d'imagination s'en
est mêlée, le roman et le théâtre se sont plu à peindre les
amours meurtriers et les exploits des pires scélérats. Le
romantisme, avec son sentimentdisme exaspéré, qui a
86 LE DROIT PÉNAL
excusé la passion dans tous ses excès, et entrepris la réha-
bilitation du vice et de la violence, expliquent, pour une
large part, bien des verdicts et, chose plus grave, bien des
lois inconsidérées.
Ce sont toutes ces idées générales, qui sans souci de
logique, se sont mêlées et confondues pour former l'opi-
nion populaire contemporaine. Ce sont elles dont s'inspire
inconsciemment et comme instinctivement la raison pra-
tique ; elles auxquelles obéissent les législateurs lorsqu'ils
écrivent leurs décrets, les juges criminels lorsqu'ils rendent
leurs sentences ; elles qui dominent la pensée de tous ceux
qui collaborent à l'œuvre de la justice répressive ou qui
s'y intéressent. Ceux-là même qui, théoriquement, préten-
dent accepter une doctrine rationnelle, en subissent l'in-
fîuence et ne s'en éloignent guère lorsqu'ils agissent sur le
terrain des faits.
Au commencement du XIX® siècle, les éclectiques,
appliquant leur méthode philosophique à la recherche du
fondement du droit social de punir, ont cru le trouver
dans la conciliation des deux théories de la justice et de
l'utilité. La loi pénale ne doit punir que lorsque l'intérêt
de la société l'exige et cette peine est légitime parce qu'elle
est expiatrice. Les doctrines de cette école ont été contes-
tées et réfutées ; aucun philosophe, je crois, n'oserait aujour-
d'hui s'en avouer. Pourtant elle est encore admise par un
grand nombre de criminalistes, et elle demeure, dans
le vrai sens du mot, la doctrine classique. Je crois en avoir
donné la raison : c'est elle qui se rapproche le plus près
de concept du crime et de la peine tel qu'il existe, à l'heure
actuelle, dans la conscience commune des peuples civi-
lisés.
LE DROIT PÉNAL CONTEMPORAIN 87
Ces Idées génércJes dégagées, on comprendra mieux,
croyons-nous, les progrès accomplis par le droit pénal
depuis la Révolution, et les traits qui le distinguent du
droit cintérieur.
Avant tout, il est devenu légal. Ce principe essentiel et
fondamental a été proclamé par la Déclaration des droits
de l'homme et du citoyen de 1 789, dont on ne peut se dis-
penser de rapporter ici les termes. Article 5 : « La loi n'a
le droit de défendre que les actions nuisibles à la société ;
tout ce qui n'est pas défendu par la loi ne peut être empêché,
et nul ne peut être contraint de faire ce qu'elle n'ordonne
pas. » — Article 7 : « Nul homme ne peut être accusé,
arrêté, ni détenu, que dans les cas déterminés par la loi
et selon les formes qu'elle a prescrites. Ceux qui sollicitent,
expédient ou exécutent ou font exécuter des ordres arbi-
traires, doivent être punis, mais tout citoyen appelé ou
saisi en vertu de la loi doit obéir à l'instant ; il se rend cou-
pable par sa résistance. « — Article 8 : « La loi ne peut
établir que les peines strictement et évidemment nécessaires
et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et
promulguée antérieurement au délit et légalement appli-
quée. »
Ces textes débordent le droit criminel, et établissaient
les règles du droit public d'un peuple qui voulait être
libre. A l'arbitraire ancien, ils substituaient le régime de
la légalité. Désormais, c'est à la loi seule qu'il appartient
de définir les infractions punissables, d'en dresser la liste
limitative et de fixer la peine. Comme elle statue d'avance
sur des cas généraux, sans connaître ni les espèces ni les
personnes, elle échappera aux entraînements de la peis-
sion ; comme elle est applicable à tous, même à ceux qui
la font, il est à présumer qu'elle ne sera pas oppressive.
00 LE DROIT PENAL
Ainsi, on peut l'espérer impartiale et juste dans la mesure
au moins où une œuvre humaine est susceptible de l'être.
En déclarant qu'aucune peme ne peut être appliquée sans
loi, on transformait ainsi le caractère des codes criminels,
et ils devenaient du même coup l'une des bases les plus
fermes et les plus solides de la liberté civile. Cette con-
ception nouvelle des lois répressives dressait un obstacle
à la fois contre le despotisme et contre la licence. Le des-
pote a besoin, pour exercer son autorité, de punir arbi-
trairement. Ainsi seulement il contraindra les volontés
rebelles à ses ordres et qui refusent d'obéir à ses comman-
dements. La conception du droit pénal légal itaire, qui
exige l'intervention du pouvoir législatif, brise entre ses
mains cette arme redoutable, ou tout au moins en régularise
l'usage et la rend moins dangereuse. Mais, d'autre part,
on ne court pas le risque de tomber dans l'anarchie et dans
un désordre incompatible avec la paix publique, car la
discipline sociale est maintenue et garantie par des lois
écrites qui comportent des sanctions efficaces. Tout ce
qui n'est pas défendu est permis : voilà pour la liberté ;
mais nul ne peut faire ce que la loi défend sans s'exposer
à subir un châtiment : voilà la garantie de l'ordre social.
Sub lege liber tas.
Ces principes ne sont pas purement théoriques ; ils
pénètrent au contraire le droit pénal tout entier, et com-
portent de nombreuses conséquences pratiques.
La première s'impose au législateur lui-même, et lui
interdit de donner à aucune disposition pénale un effet
rétroactif. Pour que la liberté soit vraiment garantie dans
un pays, il faut qu'en consultant les lois en vigueur, le
citoyen y trouve une réponse définitive sur ce qu'il doit
faire ou ne pas faire. Il ne doit pas pouvoir être privé de
LE DROIT PÉNAL CONTEMPORAIN 89
ses biens, de sa liberté et de sa vie pour un acte qu'il était
autorisé à regarder comme au moins indifférent, puisque
la loi n'y attachait aucune peine. Dans certains pays ce
principe de la non rétroactivité des lois est consacré par
la constitution même, et, en France, une constitution au
moins l'a reconnu. Mais les lois constitutionnelles de 1875
sont muettes, et d'ailleurs on sait que le pouvoir judiciaire
n'a point compétence pour apprécier la constitutionnalité
des lois. Aussi les civilistes, en commentant l'article 2
du Code Civil, répètent-ils les uns après les autres, que le
législateur aurait la faculté de faire des textes régissant
expressément le passé comme l'avenir. Ils ajoutent même
que de semblables exceptions au principe peuvent, dans
certains cas, être nécessaires. Cette doctrine, à condition
de l'entendre prudemment, peut être admise lorsqu'il
s'agit de dispositions de droit privé. Mais elle est inaccep-
table en ce qui concerne les lois pénales. Aucune raison
d'Etat, aucune circonstemce exceptionnelle, ne saurait
justifier, ni excuser, la violation d'une règle aussi essen-
tielle de notre droit public moderne. Les régimes auto-
ritaires, les gouvernements les plus réactionnaires qui ont
régi la France au XIX® siècle, n'ont point osé commettre
un pareil attentat contre les libertés publiques, et, depuis
la Révolution, on ne connaît aucun exemple de loi péneJe
rétroactive. Ainsi ce principe doit-il être considéré comme
faisant partie de ce droit constitutionnel coutumier, res-
pecté de tous, et qui s'impose par la force de l'équité et
de la raison autant que par la puissance des traditions libé-
rales déjà plus que séculaires dans notre pays. Nos vieux
légistes appelaient de pareils principes une lex sacrosancta
quœ reges ipsos adstringit.
Le principe de la légalité du droit pénal ne limite pas
90 LE DROIT PÉNAL
seulement le pouvoir législatif qui ne peut statuer que
pour l'avenir, il interdit encore aux pouvoirs exécutif et
administratif toute immixtion dans l'œuvre de la répression.
Ainsi les lettres de cachet sont abolies et les prisons d'État
détruites. La prise de la Bastille fut la victoire symbolique
de cette conquête libérale, la conscience française ne s'y
est jamais trompée. Sans doute. Napoléon I^"" chercha à
rétablir ces institutions en les déguisant sous une forme
nouvelle. Plus tard, on transporta en masse les insurgés
de juin, et Napoléon III fît les décrets de sûreté générale,
établit les commissions mixtes, et ordonna à son tour des
transportatlons et des bannissements sans jugement. Mais,
en définitive, ces tentatives réactionnaires ont échoué ;
elles ont seulement montré le péril qu'elles faisaient courir
aux libertés publiques.
Ce n'est pas tout. Le pouvoir exécutif et le pouvoir
administratif n'ont pas seulement perdu le droit de punir
eux-mêmes et arbitrairement, mais encore celui d'incri-
miner, c est-à-dlre de munir leurs commandements d'une
sanction répressive. La violation des règlements adminis-
tratifs est, il est vrai, punissable, mais ce n'est qu'en vertu
d'une délégation formelle du législateur et la peine elle-
même est toujours établie et fixée par la loi. Sans doute
le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif se sont quelque-
fois trouvés confondus au cours du XIX® siècle. Napoléon I®'
et Marie-Louise ont fait des décrets qui, par le jeu des textes
des constitutions impériales, avalent force de loi. Quelques-
uns ont établi des délits et fixés des peines et sont encore
aujourd'hui en vigueur. Cette exception aux principes
s'explique par les tendances réactionnaires des institutions
que Napoléon avait Imposées à la France. On trouverait
aussi des dispositions concernant le droit criminel parmi
LE DROIT PÉNAL CONTEMPORAIN 91
les décrets — lois du gouvernement provisoire de 1848,
du gouvernement de la défense nationale de 1871, et du
gouvernement dictatorial issu du Coup d'Etat de 1851.
On était alors en pleine Révolution. D'ailleurs la Restau-
ration a échoué dans une entreprise semblable et les jour-
nées de juillet furent provoquées par les Ordonnances de
Charles X. Au contraire, le principe de la légeJité a été
respecté pendant toute la guerre de 1914. Le gouvernement
républicain n'a péis cru nécessaire de le violer sous prétexte
de raison d'Etat ; il n'a point cédé aux suggestions de ceux
pour qui l'énergie d'un pouvoir fort ne se conçoit pas sans
la violation de la loi. Ainsi l'expérience a démontré que les
nécessités de la répression dans les conjonctures les plus
tragiques et les plus exceptionnelles, à l'heure même où
la patrie était en danger, n'étaient point incompatibles
avec les garanties de la liberté civile.
Enfin, et toujours comme conséquence des mêmes prin-
cipes, les limites du pouvoir judiciaire se sont trouvées tra-
cées. En Angleterre, on a cherché la protection de la liberté
individuelle dans l'intervention de la magistrature. On a cru
que, pour la garantir, il suffisait qu'aucun citoyen ne put
être puni ou emprisonné sans ordre du juge, tout en lais-
sant d ailleurs à ce magistrat un large pouvoir pour détermi-
ner, dans les ténèbres du droit coutumier et de la jurispru-
dence, et les faits punissables, et les peines. UHabeas Corpus
a toujours paru aux Anglais la clef de voûte des institutions
libérales. Les hommes de 89 ont poussé plus loin, chez
nous, la séparation des pouvoirs. Ils ont pensé que l'arbi-
traire était dangereux, même chez les juges, qu'ils sont fail-
libles et qu'ils ont des passions, puisqu'ils sont hommes,
et qu'on devait les soumettre eux-mêmes à l'autorité de la
loi. Ils doivent l'appliquer, mais n'ont jamais le droit de
92 LE DROIT PÉNAL
la {aire. En conséquence, on leur a interdit de publier aucun
règlement et leur compétence est limitée au jugement des
affaires contentieuses qui leur sont soumises. En droit
criminel, si la loi est muette, ils doivent se garder de la
compléter, ils ne peuvent que refuser de punir. D'où il
suit encore qu'ils sont tenus d'interpréter les textes stric-
tement : ils ne sauraient faire indirectement et sournoise-
ment ce qu'il leur est interdit de faire franchement et
ouvertement, et ils manqueraient à leur premier devoir
s'ils appliquaient un texte en en élargissant les termes,
et en le détournant de sa véritable signification. Il vaut mieux
laisser eJler un homme qui paraît coupable, et qu'il serait
peut-être utile et juste de punir, que de porter atteinte au
principe supérieur du caractère légal du droit pénal.
Cependant, dans l'application de ce prmcipe, les lois
révolutionnaires avaient dépeissé la mesure. Le Code des
Crimes admettait le système des peines fixes : le juge,
après avoir constaté l'existence de l'infraction, n'avait
qu'à appliquer le châtiment déterminé par le texte légal.
Seul le code correctionnel se relâchait de cette rigueur
et laissait quelque latitude au juge. Le législateur avait
cru que telle devait être la conséquence de la légalité des
peines.
Ainsi, sans doute, nul arbitraire n'était à redouter. Mais
dès que ce système fut mis en application, on s'aperçut
qu'il se heurtait à la nature des choses, comme aux senti-
ments les plus élémentaires de justice. 11 admettait comme
un axiome que tout homme, non aliéné, a une responsa-
bilité égale. Or nous dirons que cette opinion théorique
a cessé d'être la foi de la conscience publique. Elle prétend,
au contraire, mesurer la peine sur le degré de responsa-
bilité, variable selon les individus. Même objectivement et
LE DROIT PÉNAL CONTEMPORAIN 93
en se plaçant au point de vue purement utilitaire, les crimes
doivent être punis plus ou moins sévèrement, selon les
circonstcinces qui les accompagnent et que la loi est impuis-
sante à prévoir d'avance, parce qu'elles changent selon
l'infinie diversité des espèces. Enfin, l'amendement du
coupable n'exige pas toujours le même traitement, et on
peut espérer corriger tel voleur avec quelques jours d'em-
prisonnement, alors que tel autre, coupable d'un délit
semblable, ne semblera pouvoir être intimidé que par
de longs mois de détention.
Le XIX® siècle a corrigé ces erreurs. Déjà le Code de 1810
fixait pour toutes les peines temporaires un meiximum et
un minimum, entre lesquels le juge pouvait se mouvoir.
Il n'avait conservé les peines fixes que pour les peines per-
pétuelles. Mais ce système était encore beaucoup trop rigide.
On ne fait pas impunément violence à la conscience des
juges et des jurés. En les mettant dans l'alternative, ou de
prononcer une peine qui leur semblait dépasser la mesure
et qui répugnait à leur esprit de justice, ou d'acquitter le
coupable, on s'exposait à leur voir choisir le dernier parti.
Ainsi se vérifiait une fois de plus ce principe que l'exagé-
ration des peines légales conduit en réalité à l'énervement
de la répression parce qu'on ne les applique plus. Ainsi
les lois de 1824 et de 1832 ont-elles permis, en organisant
le système des circonstances atténuantes, d'abaisser toutes
les peines, de changer la peine de mort en peine privative
de la liberté, les peines perpétuelles en peines temporaires,
et les peines criminelles les moins sévères en peines correc-
tionnelles. Pour les délits, on est même allé plus loin, et,
en fixant le minimum à 1 franc d'amende, on l'a pratique-
ment supprimé. Ainsi s'est formée une théorie juridique,
qu'on a pu qualifier d'arbitraire juridique, et qui concilie
94 LE DROIT PÉNAL
le principe de la légalité des peines avec le pouvoir qui
ne peut être refusé au juge dans leur application judi-
ciaire.
Mais il faut se garder de l'exagérer à son tour, et, sous
prétexte d'individualisation de la peine, de revenir par des
chemins détournés aux anciens abus. Il est incontestable
que la tendance actuelle est vers l'accroissement des pou-
voirs du juge. On réclame la suppression de tout minimum,
et certains codes étrangers ont franchi ce dernier pas. On
veut que le jury soit « maître de la peine ». Il ne faut pcis
oublier que si le meiximum — dont personne ne demande
l'abolition — protège l'intérêt des accusés, le minimum
est nécessciire pour garantir l'intérêt de la société. L'expé-
rience apprend que le jury cède facilement à l'indulgence,
et que l'habitude de juger, chez le magistrat professionnel,
conduit à l'abaissement progressif des peines ; l'abus des
courtes peines, dont le mal est certain, n'a pas d'autre
cause. Pour obtenir l'application de la loi sur la relégation,
le législateur a dû revenir à la peine fixe. Le minimum,
conséquence logique du système de la peine légale, est
nécessaire pour maintenir la fermeté de la répression.
Nous venons de montrer toute l'importance du principe
de la légalité du droit criminel, reconnu par la Déclaration
des droits. Mais elle introduisait encore d'autres réformes
et proclamait que : « La loi est égale pour tous, soit qu'elle
protège, soit qu'elle punisse » et que « tous les citoyens
sont égaux à ses yeux ». Ce principe qui domine le droit
public moderne de tous les peuples, dont les conséquences
s'étendent sur l'ensemble du droit privé et du droit fiscal,
signifie, en droit pénal, que tous sont soumis aux mêmes
obligations légales, sous les mêmes sanctions, qu'ils seront
jugés par les mêmes juges et dans les mêmes formes.
LE DROIT PÉNAL CONTEMPORAIN 95
Certes ! il est facile de montrer que cette égalité n'est pas
absolue. Dans une société qui reconnaît la propriété indi-
viduelle et par conséquent une inégalité économique, les
peines pécuniaires sont plus sensibles aux pauvres qu'aux
riches. Mais à l'inverse combien d'autres peines sont plus
dures pour ces derniers. La plupart des peines privatives
de droits laisseront fort indifférents les délmquants profes-
sionnels ; l'interdiction légale touchera peu un vagabond
ou un mendiant. Les peines qui procèdent par voie d'humi-
liation seront d'autant plus rigoureuses qu'elles s'appli-
queront à une personne jouissant d'une plus haute consi-
dération sociale. Même, les peines privatives de liberté
seront plus pénibles aux uns qu'aux autres, selon leurs
îintécédents, leur situation mondmne, leur tempérament
et jusqu'à leur humeur. Tout compte fait, c'est aux plus
fortunés que, bien souvent, les peines seront les plus sévères.
Aucune révolution ne fera jamais que les hommes sentent,
de la même façon, les mêmes maux, et souffrent, de la même
manière, d'un traitement semblable. Mais parce que l'égalité
absolue est inaccessible, il n'en reste péis moins que l'égalité
des hommes devant la loi a fait disparaître une des plus
criantes iniquités de l'ancien droit, et qu'elle constitue
un progrès dont il est impossible de méconnaître l'impor-
tance.
La liberté de conscience n'est pas une moindre conquête
de la Révolution. L'Etat moderne a abdiqué toute préten-
tion de résoudre les controverses métaphysiques ou théolo-
giques et d'imposer une foi par. des supplices et par des
peines. Ainsi ont disparu de nos lois non seulement des
délits imaginaires, comme la magie et la sorcellerie, mais
encore les crimes d'apostasie, d'hérésie et de schisme.
Pourtant l'esprit sectaire a eu des retours offensifs, La
% LE DROIT PÉNAL
Restauration a fait la loi du Sacrilège, abrogée aussitôt
après la Révolution de Juillet, et la loi du dimanche qui
a disparu à la fin du XIX^ siècle. Peut-être pourrait-on
considérer, comme entachée du même vice, la loi qui soumet
actuellement les congrégations religieuses à un régime spé-
cial. Si on pense que les associations menacent la paix
publique et que l'Etat a le droit et le devoir de les sou-
mettre à une active surveillance, ou même dans certains
cas de les interdire, il semble que toutes au moins, même
celles qui ont un caractère religieux, devraient être soumises
au droit commun. Mais au fond, et à y bien regarder,
toutes ces lois ont eu des buts plutôt politiques que reli-
gieux. A l'étranger, au contraire, certains codes ont main-
tenu de véritables crimes religieux et, en Angleterre,
les vieilles lois protectrices de l'Eglise établie ne sont pas
encore toutes abrogées. Mais n'est-il pas vrai, que le progrès
consiste à bannir du droit criminel tous les délits inspirés
par cet esprit d'intolérance ?
Bien que nous ne traitions ici que de l'évolution du droit
pénal, il est impossible, enfin, de ne pas mentionner les
grandes réformes que la Révolution a introduites dans
l'instruction criminelle. Elle l'a rendue publique et contra-
dictoire : l'accusé est réputé innocent tant qu'il n'a pas été
reconnu coupable, la liberté de sa défense est assurée,
il ne prête plus serment, il peut se faire assister d'un avocat,
il contrôle les preuves, et le jugement des crimes est déféré
au jury. Ces règles avaient été élaborées en Angleterre,
et elles forment les assises solides de toute procédure
libérale, ou, pour mieux dire, de toute procédure ration-
nelle et humaine. Cependant des résistances opiniâtres
se sont affirmées dans ce domaine plus qu'en aucun autre.
Notre code d'Instruction criminelle, même après les timides
LE DROIT PÉNAL CONTEMPORAIN 97
retouches qu'il a subies, en porte les traces visibles, et,
à l'étranger, ces principes ont été souvent méconnus.
Cependant, il est facile de voir que les peuples libéraux
tendent aujourd'hui à y revenir. C'est dans une meilleure
organisation de la police judiciaire qu'ils cherchent main-
tenant les moyens plus efficaces pour découvrir les mcJ-
faiteurs et pour les convaincre, et d'autre part, les garan-
ties auxquelles la société ne saurait renoncer sans péril.
L'œuvre de la Révolution a été violemment contestée.
La déclaration des droits de l'homme a été critiquée, tournée
en dérision, et une intelligence, pourtant très ouverte,
ne lui reconnaissait naguère qu'une « valeur historique ».
De nos jours, en matière économique, notamment en ce
qui concerne le droit de propriété, les impôts, la liberté
du travail, et le droit des associations, les principes de 89
ont reçu de cruelles atteintes et on est revenu aux concepts
fondamentaux de l'ancienne France. Mais en droit criminel,
les réformes de la Révolution demeurent inattaquables, et
paraissent devoir rester définitives. On n'en veut pour
preuve que l'approbation qu'elles ont trouvée et trouvent
encore dans la conscience universelle des peuples civilisés.
Les règles que nous venons de dégager, et qu'elle a fait
pénétrer dans le droit positif, sont aujourd'hui bien banaJes.
C'est qu'on oublie facilement la valeur d'un bien dont on
jouit paisiblement. Il ne faut pcis méconnaître pourtant
les grands progrès qu'elles ont réalisés, ni perdre de vue
que les abus qu'elles ont corrigés, reparaîtraient infailli-
blement si elles tombaient en désuétude. On peut affirmer
que toutes les fois qu'on s'en est éloigné, on a fait une
œuvre contestable, et, qu'en s'y conformant, on a toujours
marché dans la voie droite.
7. GARÇON.
98 LE DROIT PÉNAL
Le droit criminel moderne se différencie encore pro-
fondément du droit antérieur par son système général des
peines. Ici encore, la Révolution a introduit dans nos lois
des réformes que l'avenir devait seulement développer.
Mais ce problème fondamental a suscité un mouvement
considérable d'idées et d'mnovations pratiques, qui s'est
poursuivi pendant tout le cours du Xix® siècle, et qui
caractérise, peut-être mieux que tout le reste, les tendances
de l'esprit moderne dans le domaine de la répression.
Dès le XVIII^ siècle, les libres esprits avaient préparé
cette réforme, en dénonçant l'horreur des anciens châti-
ments, et en montrant leur inefficacité. Beccaria, Mon-
tesquieu, Brissot de Warwille, Servan, Mirabeau et jusqu'à
Robespierre avaient élaboré les théories nouvelles que
Lepelletier Saint-Fargeau exposa dans son mémorable
rapport à l'Assemblée Constituante, véritable préface du
code de 1791. L'Anglais John Howard visitant toutes les
prisons de l'Europe, montrait, dans un livre qui eut un
immense retentissement, leur Ijmnentable état, et convain-
quait l'opinion publique de la nécessité de leur complète
réformation. Presqu'à la même époque, Bentham publiait
son Panopticum. En France, ces études favorisées par la
Restauration, brillèrent d'un vif éclat sous le gouvernement
de Juillet et dans les premières années de la troisième
République avec les Beaumont, les Tocqueville, les Luccis,
les Léon Faucher, les deux Bérenger, les d'Haussonville,
les Voisin, les Desportes. En Belgique, Ducpéciaux et
Stéven ont publié des ouvrages qui sont restés classiques,
et le prince Oscar de Suède s'intéressait, jusque sur le
trône, à la réforme des prisons. Des congrès pénitentiaires
où siégeaient, à côté les uns des autres, les représentants
officiels des gouvernements et ceux de la science libre.
LE DROIT PÉNAL CONTEMPORAIN 99
ont tenu jusqu'à la guerre de 1914 leurs sessions quiquen-
nales dans toutes les capiteJes de l'Europe et jusqu'aux
États-Unis. Ainsi, par un immense travail, auquel ont
collaboré toutes les nations, s'est formée la science péni-
tentiaire, véritable science sociale, qui s'est peu à peu
séparée du droit pénîJ considéré comme pure science
juridique.
L'une des plus importantes conséquences de ces idées
nouvelles a été l'abolition des peines corporelles, des
mutilations, des verges et du fouet. Il est superflu de rap-
peler les critiques qu'elles avaient provoquées, et les raisons
de leur suppression : elles sont bien connues. Une expé-
rience séculaire a prouvé qu'elles ne corrigeaient guère
les malfaiteurs, et le Knout n'a jamais réussi à assurer la
paix soci2Je. Mais serait-il vrai qu'elles fussent intimi-
dantes, l'efficacité d'une peine, nous l'avons dit, ne suffit
pas pour la justifier. Une société civilisée a d'autres moyens
pour se défendre, que de donner l'exemple de la violence
et de la brutalité. En France, au moins, cette cause est
souverainement et définitivement jugée.
11 faut en dire autant de ces peines d'humiliation que la
Révolution avait conservées et qui ont disparu comme la
marque et le carcan en 1832, l'exposition publique en 1848.
Elles affirmaient énergiquement la réprobation publique
qui s'attache au crime, et on ne peut leur refuser une force
psychologique. Mais elles avaient pour effet de rendre
extrêmement difficile l'amendement du coupable, et sou-
vent de l'endurcir dans le crime. D'ailleurs l'exposition
tournait souvent en sccmdale et son effet était, ainsi, pré-
cisément contraire au but qu'on se proposait d'atteindre.
Nous n'avons pas non plus à discuter ici la question
de la légitimité de la peine de mort. Chacun au surplus a
100 LE DROIT PÉNAL
son opinion faite, et d'autant plus fermement qu'elle se
fonde d'ordmaire beaucoup plus sur des sentiments que
sur des raisons. Mais l'histoire de cette peine est pleine
d'enseignements.
Cette controverse est très vieille et remonte à l'antiquité.
Elle fut agitée au XVl^ siècle par les théologiens catholiques
et protestants ; mais c'est surtout au XVIII^ que les philo-
sophes la discutèrent pour la résoudre d'ailleurs dans les
sens les plus opposés. Les opinions étaient fort divisées,
lorsqu'éclata la Révolution française, A la tribune de la
Constituante, dans un débat mémorable, la thèse de l'abo-
lition fut soutenue par Lepelletier Sain t- Far geau, Duport,
Pétion et Robespierre ; mais l'Assemblée ne les suivit pcis
et la peine de mort fut maintenue. Il semble, toutefois,
que dans la pensée des constituants, la suppression devait
être seulement différée jusqu'à l'époque où les prisons
auraient été réorganisées.
L'esprit humain est plein de contradictions. Ce fut la
Convention qui, dans les derniers jours de son existence,
comme effrayée du sang qu'elle avait versé, vota l'abolition,
mais en reportant la mise à exécution de cette loi au jour
de la paix générale. Bonaparte l'abrogea la veille du jour
où cette paix fut signée à Amiens. Après la Révolution
de 1 830, la suppression de la peine de mort fut de nouveau
votée par la Chambre des Députés. Les libéraux arrivés
au pouvoir ne voulaient pas envoyer à l'échafaud les ministres
de Charles X. Mais la Chambre des Pairs refusa d'accepter
ce projet, qui étendait la suppression à tous les crimes,
même ceux de droit commun, et elle sauva la tête des mi-
nistres par une autre voie, en se reconnaissant, comme
Cour de Justice, le droit de fixer arbitrairement la peine.
Depuis cette époque, la suppression de la peine capitede
LE DROIT PÉNAL CONTEMPORAIN 101
a fait l'objefde nombreuses discussions devant les Chambres
françaises, mais elle a toujours été repoussée. On peut
constater seulement, qu'à la fin du second Empire, la majo-
rité était devenue faible, et les abolitionmstes purent croire
leur victoire prochaine. Mais les discussions postérieures
ont montré que leur cause avait perdu du terrain et, en
1908, c'est sous la pression de l'opinion publique et d'une
violente campagne de presse, que la Chambre des Députés
rejeta un nouveau projet déposé par le Gouvernement,
et approuvé d'abord par la commission, qui tendait à sup-
primer le châtiment suprême.
Cependant cette même opinion publique a au contraire
approuvé, et souvent inspiré ou imposé, les changements
qui, au cours du XIX® siècle, ont profondément modifié
cette peine, et ont rendu son exécution de plus en plus rare.
Tout d'abord, la Révolution a aboli tous les supplices et
déclaré qu'elle ne constituerait plus que la simple privation
de la vie. Elle s'exécute par la décapitation — ancienne peine
des nobles — au moyen d'une machine qui tue sans souf-
france et avec sûreté. La corde, le feu et la roue ont disparu.
En 1832, on a supprimé la mutilation du poing que le code
avait conservée pour les parricides. L'exécution qui se fît
longtemps sur un échafaud, élevé au milieu d'une place
publique, à midi, a lieu maintenant au petit jour dans une
voie publique rendue déserte. On demande même qu'à
l'exemple de ce qui se fait à l'étranger, le bourreau accom-
plisse son œuvre dans l'intérieur de la prison.
D autre part, les crimes que la loi punit de mort sont
devenus de moins en moins nombreux. On a rayé de cette
funèbre liste tous les crimes politiques. En fait cette sup-
pression date de 1830, le roi Louis-Philippe ayant gracié
tous les criminels politiques, condamnés à mort sous son
102 LE DROIT PÉNAL
règne ; en droit elle a été légalement proncticée par la
Constitution de 1848. Pour les crimes de droit commun,
on l'a effacée dans un très grand nombre de cas, par exemple,
pour la fausse monnaie, le vol, l'incendie, l'infanticide
commis par la mère. Aujourd'hui, le code la réserve exclu-
sivement aux attentats contre la vie humaine, et, pratique-
ment, on ne la prononce plus que pour l'assassmat et le
parricide consommés. Ce n'est pas tout : depuis 1832, le
jury, a toujours la faculté d'écarter le châtiment suprême
en accordant aux coupables le bénéfice des circonstances
atténuantes, et il en use largement même au profit des
pires scélérats. Enfin ceux qui ont la mauvaise fortune
d'être condamnés à mort ont encore de grandes chances
d'obtenir une commutation de peine, souvent sollicitée
par le jury et conseillée par les magistrats qui ont requis
la condamnation. Ainsi, du consentement de tous, les
exécutions sont devenues de moins en moins nombreuses
et ne se chiffrent que par de rares unités.
Or, ce mouvement ne s'observe pas seulement en France,
il est universel. Ailleurs on a même été plus loin que chez
nous. Dans plusieurs pays, on a laissé subsister la peine
de mort dans les lois, mais les souverains font grâce systé-
matiquement à tous les condamnés. Pour ne citer qu un
exemple, en Belgique, dont la criminalité est semblable
à celle de nos départements du Nord, les Rois n'ont permis
aucune exécution depuis 1863 jusqu'en 1914. D autres
pays enfin ont supprimé le châtiment capital. On peut
citer notamment la Roumanie en 1864, le Portugal en 1866,
la Hollande en 1870, l'Italie en 1891. Une loi fédérale
l'avait aussi abolie en Suisse en 1 874 ; mais une violente
campagne menée par le parti des libertés cantonales a fait
abroger cette loi en 1879. Quelques cantons ont en effet
LE DROIT PÉNAL CONTEMPORAIN 103
rétabli la peine de mort, mais les exécutions ont été extrê-
mement rares. En Allemagne, avant la Constitution de
l'empire, cette peine avait été également supprimée dans
quelques Etats, et elle l'aurait peut-être été par le code
fédéral, sans l'intervention personnelle de Bismarck. Con-
vient-il d'ajouter que le châtiment capital était aboli en
Russie depuis la grande Catherine, pour les crimes de droit
commun et conservé seulement pour les crimes politiques.
Les auteurs du dernier code impérial avaient même décidé
que la suppression totale serait soumise au Tzar. Mais
on ne saurait affirmer que ces lois aient été scrupuleuse-
ment observées et, en tous cas, le Knout a subsisté pendant
tout le XIX® siècle. A l'heure où nous écrivons, il ne paraît
pas que le gouvernement des Soviets ait versé dans les
théories humanitaires et sentimentales.
De tous ces faits se dégage une tendance manifeste de
toutes les législations civilisées vers l'abolition. Ceux qui
en sont partisans invoquent aujourd'hui des raisons expé-
rimentales. Les crimes politiques ne sont pas devenus
plus fréquents, au contraire, depuis qu'ils ont cessé d'être
punis de mort et la criminalité de sang n'est pas plus élevée
en Belgique qu'en France bien que cette peine y ait été
supprimée pendant plus de cinquante ans. En pratique,
la peme de mort est à peu près abolie pour les femmes
dans notre pays. Les crimes de sang commis par elles n'ont
pas augmenté. D'autre part, pour que la peine soit efficace,
il faut qu'elle soit appliquée strictement et qu'elle paraisse
inévitable. Elle pouvait le sembler lorsque les exécutions
étaient pour ainsi dire quotidiennes. Nos mœurs ne le
toléreraient plus, et les coupables ont maintenant tant de
chances d'échapper à l'échafaud, que la menace a perdu
beaucoup de son effet d'intimidation. Cependant il paraît
104 LE DROIT PÉNAL
certain que l'opinion publique s'inquiéterait aujourd'hui
d'une abrogation légale : l'expérience apprend que la sup-
pression n'a jamais été obtenue dans un pays qu'après
une longue période de paix.
Les châtiments corporels étant abolis, et la peine de
mort réservée aux crimes d'une extrême gravité, les peines
privatives de liberté sont devenues, dans le droit moderne,
la base de tout le système répressif. Aussi la science péni-
tentiaire a-t-elle tendu principalement à la réforme des
prisons.
Nous avons dit que cette réforme a introduit dans l'exé-
cution des peines plus d'humanité. Mais en étudiant avec
profondeur le problème pénitentiaire, la science nouvelle
a mis en lumière une autre idée essentielle. Elle a montré
que, pour établir une répression efficace, il fallait avant
tout distinguer entre le délinquant primaire et occasionnel,
et le récidiviste délinquant professionnel et d'habitude.
Ce n'est pas là sans doute une révélation. Le simple bon
sens avait de tous temps imposé cette distinction aux juges,
on la retrouverait aisément dans de très anciennes lois.
Mais c'est de nos jours qu'on en a tiré toutes les consé-
quences pour l'organisation d'un système pénitentiaire
rationnel. A ces deux catégories de criminels, doivent cor-
respondre des peines différentes par leur but, leur caractère
et leur régime. Le criminel qui a cédé à un égarement
accidentel doit être amendé ; il faut résolument mettre
l'incorrigible dans l'impossibilité de nuire.
Or pour qu'on put songer à l'amendement des détenus,
il fallait d'abord faire cesser les abus des vieilles prisons.
On a peine à imaginer, aujourd'hui, l'état dans lequel
elles se trouvaient dans l'ancienne France. C'étaient, pour
la plupart, d'infectes cloaques où tout manquait, quelque-
LE DROIT PÉNAL CONTEMPORAIN Î05
fols même la nourriture. La République et l'Empire amé-
liorèrent à peine cette situation. On affecta seulement aux
services pénitentiaires de vieux châteaux et d'anciens
couvents, devenus biens nationaux, et Napoléon I^'' porta
le désordre à son comble en mettant les prisons de courte
peine à la charge des départements. Dans ces établissements,
les détenus étaient livrés à l'arbitraire, à la cupidité et à la
brutalité de gardiens, sans discipline et sans moralité^
recrutés au hasard et mal payés. Ces prisons ne révoltaient
pas seulement tous les sentiments de pitié et d'humanité,
leur effet le plus sûr était de précipiter dans le mal ceux
qu'on y enfermait. Or le sage précepte Primum non nocere
n'est pas moins vrai en science pénitentiaire qu'en médecine,
il faut que la prison corrige le coupable, mais avant tout
il faut qu'elle ne le corrompe pas.
C'est pourquoi, la science pénitentiaire ^'attacha avant
tout à dénoncer le danger des prisons où les condamnés
sont tous mêlés et confondus dans la plus complète pro-
miscuité. Il fut facile de montrer que ces prisons communes
sont très rigoureuses pour ceux qui ont gardé quelques
sentiments d'honneur et de respect d'eux-mêmes, mais
qu'elles sont à peu près indifférentes aux meJfaiteurs d'habi-
tude, qui y fixent volontiers leur résidence et y reviennent
sans regrets chercher un abri dans les temps difficiles.
Les pires y corrompent les moins mauvais et achèvent de
les pervertir. Là, se nouent les camaraderies funestes, et
les amitiés redoutables. Là se forment les bandes qui,
au jour venu de la libération, exerceront leur activité mal-
faisante. Là se recrutent les troupes d'élites de la crimi-
nalité la plus dangereuse.
Ces défauts des prisons communes ne sont pas niables.
Mais la difficulté commence lorsqu'il s'agit de trouver le
106 LE DROIT PÉNAL
système qui doit les remplacer. Tous ceux qui ont été
proposés ont aussi leurs inconvénients et se sont heurtés
à de graves objections.
Beaucoup des maîtres de l'école pénitentiaire, et des
plus illustres, ont cru trouver la solution complète, parfaite
et définitive de la question dans l'emprisonnement cellu-
laire. Chez quelques-uns cette conviction est devenue une
sorte de foi fanatique. A les en croire, la cellule présen-
terait tous les avantages : elle n'aurait pas seulement pour
effet d'empêcher la contagion morale entre les co-détenus,
elle les intimiderait par sa rigueur, et, en même temps,
les amenderait par la retraite qu'elle leur impose. Placé en
face de sa conscience, dans le silence et le recueillement,
visité et conseillé par des hommes de bien qui lui prodi-
gueront des paroles de sagesse et d'encouragement, n'est-
il pas certain que le coupable sentira l'horreur de son crime,
qu'il en aura le remords, et parviendra à la contrition par-
fedte ? La vertu de la cellule serait telle, enfin, qu'elle suffi-
rait à tout, aux longues comme aux courtes peines, aux
scélérats les plus endurcis comme aux délinquants pri-
maires. Le remède de la récidive se trouverait dans un temps
de détention plus prolongé, et la peine de mort, devenue inu-
tile, pourrait être remplacé par un encellulement perpétuel.
Ce système pénitentiaire a reçu, en effet, les plus larges
applications pratiques. Toutes les nations civilisées l ont
accepté, et ont bâti des prisons où il est en usage. On peut
citer comme exemple : les prisons de Saint-Gilles à Bru-
xelles, de Fresne à Paris, de Tégel à Berlin. Pékin vient
d'être doté d'un établissement semblable et des plus per-
fectionnés. En France, une loi de 1875 a rendu la cellule
obligatoire pour toutes les prisons qui seraient construites
à l'avenir par les départements.
LE DROIT PÉNAL CO^^^EMPORAIN 107
Mais au contact des faits, bien des illusions se sont dis-
sipées. Il faut bien avouer que l'instinct de sociabilité ne
s'accorde pas toujours d'une réclusion qui sépare un homme
du reste du monde pendant des einnées, et que le séjour
trop prolongé dans la cellule n'est pas sans danger pour la
saine raison du détenu. Il est impossible de ne pas recon-
naître que les établissements construits en vue de l'empri-
sonnement individuel sont très coûteux, et grèvent lourde-
ment les finances publiques. L'évidence a prouvé que ce
système, même pratiqué avec tous les perfectionnements
dont il paraît susceptible, n'a pas donné tous les résultats
qu'on en attendait et n'a pas suffi pour supprimer la réci-
dive.
Soit ! Mais un criminaliste révolutionnaire est allé vrcii-
ment bien loin lorsqu'il déclarait naguère que la cellule était
« la plus grande erreur du siècle ». Il reste vrai, en dépit des
critiques, que l'isolement est le meilleur et peut-être le
seul moyen pratique de préserver le détenu amendable de
la pernicieuse influence qu'exercent sur lui les mîilfaiteurs
invétérés, vivamt à ses côtés dcms la prison commune.
L'emprisonnement individuel reste un progrès très réel
auquel on ne renoncerait pas sans dommage et qu'il faut
seulement se garder de compromettre par des applications
excessives. Il n'est utile que pour les détenus qu'on peut
raisonnablement espérer corriger et reclasser et il n'est
humain que si on ne soumet au régime de la cellule que
les condamnés à d'assez courtes peines. En France, elle
ne peut être imposée pour une durée de plus d'une année,
laquelle même est, en réalité, réduite à neuf mois. C'est
sans doute à cet esprit de mesure qu'il faut attribuer la
modération des critiques qui se sont produites chez nous
contre ce régime pén2il.
108 LE DROIT PÉNAL
D'ailleurs la science pénitentiaire moderne a proposé,
ou a mis en usage et tenté, bien d'autres moyens qui ont
tous pour but de corriger le coupable, de le remettre dans
la voie droite et de faciliter son reclassement.
C'est d'abord le système irlandais ou progressif qui com-
bme l'emprisonnement individuel et l'emprisonnement en
commun. Tout détenu subit d'abord sa peine en cellule,
puis il travaille dans les ateliers communs où son sort
s'améliore selon qu'il le mérite. Enfin, il peut être libéré
avant le temps fixé pour l'expiration de sa peine, mais sous
condition qu'il sera remis en prison si sa conduite n'est
pas satisfaisante. Ce système pratiqué par lord Crafton,
qui l'avait imaginé, a donné les meilleurs résultats. Ce
succès l'a fait admettre dans un grand nombre de pays,
et il a été introduit en France par une loi de 1885. Mal-
heureusement il a été chez nous assez mal compris : on
y a vu une sorte de mesure administrative gracieuse, et
d'indulgence. Tel n'est pas son véritable but. Pour que la
libération conditionnelle produise ses effets utiles, il faut
que le libéré se sente surveillé et sous la menace constante
d'une révocation. Or, pratiquement, cette révocation n'in-
tervient guère en France qu'en cas de récidive.
En Amérique, on a poursuivi le même but par la vole,
toute différente, de la sentence indéterminée, pratiquée
d'abord dans le « reformatory « d'Elmlra. Dans ce système,
le juge prononce contre les jeunes délinquants, qui paraissent
amendables, une longue peine, d'ordinaire le maximum
de la peine légale. Mais il appartient à l'administration de
l'abréger si le recleissement du détenu paraît possible
avant son expiration. La sévérité de la peine effraye le
coupable et la rend exemplaire ; la promesse de la libération
anticipée intéresse le détenu à se bien conduire dans la
LE DROIT PENAL CONTEMPORAIN
m
prison et à s'amender ; enfin la légalité du châtiment est
sauvegardée, puisqu'après tout il ne dépasse pas le maximum
fixé par la loi. Mais on a reproché à ce système de ne point
proportionner la peine à la culpabilité du délinquant, de
rendre la prison si riante et si douce qu'elle perd tout efïet
d'intimidation, et, surtout, de laisser une place be^iucoup
trop large à l'arbitraire de l'administration. Comment
d'ailleurs pourra-t-elle savoir si le détenu est véritablement
amendé ? Ces critiques expliquent peut-être pourquoi la
sentence indéterminée et le reformatory sont aujourd'hui
contestés même en Amérique.
L'Angleterre a récemment inauguré un autre procédé
qui consiste essentiellement, semble-t-il, dans une nouvelle
réglementation du régime intérieur de la prison ; on rem-
place la discipline, à forme militaire, en usage dans tous les
établissements pénitentiaires, par une règle plus souple,
laissant au détenu plus d'initiative, et faisant surtout appel
au sentiment de la responsabilité individuelle. Les Anglais
paraissent se féliciter de cette innovation. Mais peut-être
convient-il d'attendre avant de porter sur cette institution
un jugement définitif ?
On est allé beaucoup plus loin. L'emprisonnement,
quel que soit son mode d'exécution, présente toujours des
inconvénients graves. Celui qui a franchi une fois les portes
d'une prison redoute beaucoup moins d'y revenir. Son
effet intimidant tient pour une large part à la déchéance
sociale qu'elle entraîne, mais celui qui a déjà subi cette
flétrissure ne la craint plus. 11 est donc d'une habile poli-
tique de l'éviter au délinquant amendable. On y est par-
venu par deux procédés différents. Chez les peuples anglo-
saxons, le juge remet le prononcé de la sentence jusqu'après
une période d'épreuve. Si le coupable se conduit bien,
110 LE PROIT PÉNAL
il lui pardonne ; si la conduite laisse à désirer, il le condam-
nera avec sévérité. Chez nous, aux termes de la loi Bérenger,
le tribunal prononce immédiatement la peine, mais en
décidant qu'elle ne sera subie que si le condamné tombe
en récidive. Dans le premier système le sursis s'applique
à la condamnation, dans le second à la peine. Chacun a
ses avantages et ses inconvénients. On peut remarquer
seulement qu'en Amérique, le juge peut mettre des con-
ditions à son indulgence et soumettre le coupable à une
surveillance qui garantit son amendement.
Enfin l'école pénitentiaire a enseigné que le devoir
comme l'intérêt de l'Etat était de protéger le reclassement
du libéré. Pour lui permettre de trouver du travail, on a
supprimé la surveillance de la haute police, et rendu men-
teur le casier judiciaire. On a promis une complète réha-
bilitation à celui qui est revenu à une vie honnête. Des
lois successives en ont simplifié les conditions, facilité la
procédure, élargi les effets et l'ont enfin accordée systé-
matiquement et sans aucune formalité à ceux qui, dans
un certain temps d'épreuve, n'ont encouru aucune condam-
nation nouvelle.
Au reste, pour que les institutions pénitentiaires modernes
fonctionnent normalement et portent leurs fruits, il est
utile que le détenu soit consolé et conseillé dans sa prison,
aidé et soutenu le jour de sa libération. Il faut bien le recon-
naître, en effet, la peine privative de liberté, quel que
soit son mode d'exécution, porte souvent le désespoir
dans l'âme du coupable, et la transition de la vie de la geôle
à la vie libre présente des difficultés qui découragent les
meilleures résolutions. L'Eglise a senti depuis longtemps
qu'il y avait là une œuvre de charité à accomplir et a placé
la visite dans les prisons au nombre des œuvres pies. Mds
LE DROIT PÉNAL CONTEMPORAIN 111
seule, la science pénitentiaire a montré comment les patro-
nages formaient le complément nécessaire d'un système
pénitentiaire rationnel, a précisé leur mission, suscité les
initiatives pratiques, et amené le législateur à leur donner
la reconnaissance légcJe. Ce mouvement de solidarité
hummne est devenu universel et on peut beaucoup attendre
de son développement.
Tout ce que nous venons de dire ne concerne que les
peines correctionnelles, en entendant ce mot dans son sens
littéral, et désignant les peines applicables aux coupables
qui paraissent amendables. Mais, nous l'avons dit, les
criminologistes contemporains ont établi qu'il existe, sinon
des criminels-nés, au moins des criminels incorrigibles.
Pour assurer contre eux la discipline sociale, il faut recourir
à d'autres moyens.
Les lois modernes et particulièrement notre code pénal
avaient bien aperçu la nécessité de réprimer la récidive et
ils avaient cru y parvenir en prolongeant la durée de la
peine. L'erreur de ces législateurs avait été de confondre
les récidivistes avec les incorrigibles qui, pourtant, forment
deux catégories de délmquîints distincts. D'une part,
en effet, tout individu déjà frappé par la justice, et qui
commet une nouvelle faute, n'est peis forcément insuscep-
tible d'amendement ; souvent, on peut encore espérer le
corriger avec une peine plus rigoureuse, et ce n'est qu'après
plusieurs tentatives infructueuses qu'on aura le droit de le
considérer comme définitivement perdu. D'autre part,
un criminel qui n'a jamais subi de condamnation antérieure
peut être un délinquant inassimilable, soit qu'ayant commis
des méfaits multiples, il ait seulement été assez habile
pour ne pas se faire prendre, soit que son forfait unique
suffise à prouver des sentiments extrêmement pervers et
12
LE DROIT PENAL
antisociaux. Or si l'aggravation de la peine est raisonnable
contre les simples récidivistes, il est vain d'employer le
même moyen contre les incorrigibles. Puisque les peines
ordinaires sont inefficaces contre eux, il faut bien employer,
pour briser leur audace, des procédés plus énergiques et
dont les effets seront sûrs. Toute faiblesse, toute indul-
gence, devient alors un danger social, et une duperie. Le
médecin appelé auprès d'un malade ordonne d'abord un
remède ; si le mal persiste, il peut doubler ou tripler la
dose avec l'espoir d'un meilleur succès. Mais si, après cela,
le malade n'est pas guéri, et s'il persiste dans sa drogue,
c'est un simple entêté : Puisque le remède est inefficace,
il faut en changer et appeler le chirurgien. Il en est de
même du juge criminel. II peut d'abord employer les peines
correctives, mais si elles restent infructueuses, il doit
résolument mettre le délinquant dans l'impossibilité de
nuire, et l'éliminer du milieu social.
Mais la nécessité de ces peines éliminatrices étant recon-
nue, on s'est trouvé en présence du problème le plus difficile
lorsqu'il s'est agi de les organiser pratiquement.
Il en est une pourtant, fort ancienne, qui n'est autre
que la peine de mort. Les partisans les plus résolus de sa
suppression ne peuvent nier au moins qu'elle ne permet
aucune récidive. Par là s'explique pourquoi elle était autre-
fois si fréquemment appliquée. La société n'avait guère
d'autre moyen de se protéger contre les délinquants d'ha-
bitude que de les envoyer à la potence. Mais personne ne
saurait songer aujourd'hui à appliquer la peine capitale à tous
les incorrigibles, même à ces délinquants qui n'ont commis
aucun crime grave, et qui ne menacent dangereusement
l'ordre public que par la répétition de délits médiocres, les-
quels pris isolément ne présentent aucun caractère sérieux.
LE DROIT PÉNAL CONTEMPORAIN 113
Certains criminalistes, conscients de la nécessité d'établir
des mesures de sûreté pour protéger la société contre les
délinquants professionnels, ont proposé de faire usage du
système des peines indéterminées. Mais tandis qu'en
Amérique, où il a été pratiqué, il s'appliquait aux jeunes
délinquants amendables, pour un temps ne dépassant
pas le maximum légal, utilisé contre les récidivistes, il
prendrait un tout autre caractère. Le juge ordonnerait
que le condamné, soit à l'expiration de la peine méritée
par le dernier délit, soit principalement et à l'exclusion
de toute autre peine, serait placé dans un établissement
spécial sans limitation de durée. Il ne serait libéré que lors-
qu'il serait devenu inoffensif. Sous ces apparences, ce
système consiste à prononcer une peine perpétuelle évi-
demment éliminatnce, avec faculté de libération anticipée.
Ses partisans discutent d'ailleurs entre eux si cette libéra-
tion doit être accordée par le juge ou par l'administration.
Eji dépit de grands efforts, ce système n'a eu aucun succès
pratique. On lui a reproché d'être injuste, car il punit d'une
peine extrêmement rigoureuse un délit peut-être léger,
de subordonner la libération à une preuve impossible
d'amendement, enfin d'abandonner en fait le condamné
à un pur arbitraire.
Mais il existe d'autres moyens d'éliminer les criminels
et ce sont, par exemple, le bannissement et la transporta-
tion.
L'exil hors du milieu où le crime a été commis remonte,
nous l'avons dit, aux temps primitifs et il était en grand
usage dans l'ancienne France. Mais si cette peine met le
coupable dans l'impossibilité de nuire dans le territoire
d où il est banni, elle lui permet d'exercer son activité
criminelle là où il s'est réfugié. Or tous les pays com-
8. GARÇON
114 LE DROIT PÉNAL
prennent aujourd'hui qu'ils sont solidaires deins la répres-
sion et qu'ils n'ont pas le droit de se rejeter leurs malfaiteurs
les uns chez les autres. D'ailleurs chaque Etat se reconnaît
la faculté de ne pcis recevoir les indésirables, parmi lesquels
les criminels se placent au premier reing. Au contraire,
cette peine a conservé sa raison d'être pour les crimes poli-
tiques. Le conspirateur, banni de son pays, et séparé de
ses partisans, devient beaucoup moins dangereux et,
d'autre part, les Etats étrangers lui donnent volontiers
asile, les traités d'extradition le prouvent.
Les peines colonises, au contraire, répondent à toutes
les nécessités des mesures éliminatrices. Les Romains ne
les aveiient point ignorées et plusieurs peuples modernes
en ont fait usage. La Russie a déporté en Sibérie ; mais le
tzarisme, abusant des déportations politiques, par mesure
administrative et de police, a provoqué des protestations
qui ont été entendues en Occident et qui ont compromis
ce système de peines aux yeux de certains publicistes.
L'Angleterre a déporté d'abord en Amérique, puis en
Australie, et la ville de Sidney a été fondée par le Commo-
dore Arthur Philippe et ses convicts. Cette transportation
n'a cessé que le jour où les colonies, devenues prospères
et puissemtes, ont refusé de recevoir les déchets de la popu-
lation anglaise.
Sur ce point encore, chez nous, la Révolution française
a aperçu, du premier coup, la solution juste et pratique.
Le Code de 1791 décidait que les récidivistes de crimes
seraient transportés aux colonies et le Code de 1811 avait
inscrit la déportation au nombre des peines affllctlves et
infamantes. Mais les guerres de la République et de l'Em-
pire ne permirent pas de mettre ces peines à exécution
et c'est seulement dans la seconde moitié du XIX® siècle
LE DROIT PÉNAL CONTEMPORAIN 115
qu'elles sont entrées dans le domaine de la pratique. Après
l'abolition de la peine de mort en matière politique, des
lois de 1850 et de 1872 désignèrent des lieux de dépor-
tation et fixèrent le régime de cette peine. En 1854 on décida
que les condamnés de droit commun aux travaux forcés
seraient transportés et on ferme les bagnes. Enfin, la
loi de 1 885 a établi la relégation des récidivistes, qui soumet
les délinquants d'habitude à une mesure de sûreté perpé-
tuelle. Ainsi, pendcint qu'à l'étranger, les crimineJistes
cherchaient péniblement à résoudre la question des incor-
rigibles, et n'y parvenaient pas, la France admettait la
solution la plus hardie, conforme aux plus audacieuses
conceptions de l'école positive, et établissait une peine
purement éliminatrice, sans aucune proportion ni avec
la gravité objective du dernier délit, ni avec la culpabilité
morale du délinquant.
Cependant, ces peines ont été violemment critiquées.
Il est vrai qu'elles n'ont pas répondu aux espérances de
ceux qui comptaient sur la main-d'œuvre péneile pour la
mise en valeur de nos colonies de peuplement. Il a toujours
manqué à nos transportés et plus encore à nos relégués,
— fort différents des convicts qui ont peuplé les colonies
anglaises, — l'énergie physique et morale et toutes les
qu2Jités nécessaires pour faire de bons colons. Les défKîr-
tés n'ont jamais songé à coloniser, ils ont attendu l'heure
inévitable de l'amnistie. Ni les uns ni les autres, sauf de
rares exceptions individuelles, ne sont devenus à la Nou-
velle-Calédonie ou à la Guyîinne, des eigriculteurs attachés
à la terre. S'imaginer qu'on ferîùt des conservateurs avec
les condamnés de la Commune en les rendant proprié-
taires, était une illusion vraiment trop naïve et croire qu'on
métamorphoserait des criminels de droit commun en
116 LE DROIT PÉNAL
honnêtes gens, parce qu'on les aurait transportés sous
d'autres cieux, est une espérance qu'il faut perdre.
Mais on ne peut du moins contester que ces peines
coloniales ont éloigné de France des criminels particuliè-
rement dangereux. Il court la légende que la relégation
n'est pas exécutée. C'est une erreur de fait que réfutent
les statistiques les plus sûres. Depuis moins de quarante
ans, vmgt mille récidivistes ont été envoyés au Maroni,
et les libérés du bagne, astreints à la résidence dans les
colonies, ont cessé de terroriser la population honnête.
Cette redoutable armée de malfaiteurs a été mise dans
l'impossibilité d'exercer son activité criminelle dans la
métropole. Il ne serait peut-être pas impossible d'utiliser
les transportés et les relégués pour exécuter des travaux
publics dans notre vaste empire colonial ; en tous cas, ils
sont sans danger au Maroni puisque cette terre est
inhabitée. Qu'on songe aux délits et aux crimes qu'ils
auraient commis en France, si on n'avait pas pris contre
eux ces mesures éliminatoires et on sentira quel péril
courrait la sécurité publique si on y renonçait.
II faut l'avouer, d'ailleurs, la science pénitentiaire est
encore trop récente pour qu'on puisse tenir toutes ses
doctrines pour définitives. Même à l'heure actuelle, il
semble qu'un vent de réaction risque d'emporter une
partie de son œuvre. On l'accuse d'avoir versé dans la
« sensiblerie », d'avoir créé des prisons si luxueuses que
l'honnête homme peut les envier aux coquins, et d'avoir
énervé la répression.
Et certains de ces griefs ne manquent pas de tout fon-
dement. Certains maîtres de l'école pénitentiaire ont fait
de l'amendement du coupable le but principal et même
le but unique de la peine, méconnaissant ainsi qu'elle doit
LE DROIT PÉNAL CONTEMPORAIN 117
être avant tout Intimidante et exemplaire. Si elle ne tendait
qu'à corriger le coupable, il ne faudrait plus punir ceux
dont la récidive paraît improbable, et ainsi s'expliquent,
en effet, certains acquittements scandaleux du jury et l'abus
que les tribunaux correctionnels ont fait de la loi Bérenger.
C'est pour avoir cru que la transportation avait pour but
de changer les eisscissins en inofîensifs colons qu'on a
pendant un temps compromis l'efficacité des travaux
forcés. Quelques-uns ont eu trop confiance dans l'indulgence
des juges, et dans la douceur des peines pour amener les
criminels au repentir. D'autres ont cru, de bonne foi,
que tout progrès consistait à adoucir toujours les châti-
ments et sont tombés dans une dangereuse faiblesse.
Quelques théories, inspirées par le zèle le plus pur et le
désir le plus vif de « faire le bien » ne sont que puérilités
et niaiseries. L'intérêt social exige plus de fermeté, on en
peut convenir.
Mais ce n'est pas une raison pour se jeter dans une
aveugle réaction et pour renoncer aux progrès accomplis.
Il n'est pas nécessaire pour assurer la sécurité sociale
d introduire le knout dans notre pays. On pourra et on
devra perfectionner les réformes que la science péniten-
tiaire a réalisées, mais il doit rester du moins ses principes
généraux et nous dirions volontiers, l'essence de ses doc-
trines. Elle est dans la vérité lorsqu'elle enseigne que la
peine n'est pas un acte de passion, de colère et de brutale
vengeance, mais une œuvre de raison et de justice. Elle a
marché dans la voie du vrai progrès en bannissant toute
cruauté dans l'exécution des peines, en refusant d'infliger
aux coupables des souffrances inutiles, en cherchant à les
amender, en faisant pénétrer l'humanité dans les prisons,
en laissant luire l'espoir du pardon et de la réhabilitation
118 LE DROIT PÉNAL
pour qui les mérite par son sincère repentir, en un mot
en respectant la dignité humaine même dans le coupable
le plus déchu. Ces idées sages, prudentes, généreuses,
s'imposeront dans l'avenir autant par leur justice que par
leur valeur rationnelle, et la conscience humaine ne saurait
y renoncer bans retomber dans la barbarie.
Nous avons dégagé jusqu'ici les deux traits principaux
qui caractérisent le droit pénal moderne, et montré les
réformes qu'il a réalisées, d'une part en substituant le
prmcipe de la légalité à l'ancien arbitraire, d'autre part
en organisant un système de peines rationnel, conscient
des buts divers que doit poursuivre la répression sociale.
Mais ce ne sont pas les seuls progrès accomplis pendant le
cours du siècle dernier. Des théories nouvelles ont été
élaborées, inspirées d'ailleurs des mêmes idées fondamen-
tales, qui indiquent encore la marche des sociétés contem-
poraines vers un idéal de meilleure et de plus haute justice.
Nous n'en voulons citer que deux exemples, tant à cause
de leur importance pratique que par la grande part que la
France y a pris. C'est d'abord la législation relative à
l'enfance coupable, ensuite la distinction des crimes poli-
tiques et des crimes de droit commun.
Les deux codes pénaux de 1791 et de 1811 avaient
fixé la majorité pénale à seize ans. Au-dessous de cet âge,
le juge devait se poser la question de savoir si l'enfant
avait agi avec ou sans discernement. Si le discernement
existait, le coupable était condamné à une peine, mais il
bénéficiait d'une excuse atténuante ; s'il faisait défaut,
le mineur était acquitté, et rendu à sa famille ou renvoyé
dans une maison de correction pour un temps qui ne
pouvait dépasser sa vingtième année.
Il semble bien que, dans la pensée de ces législateurs.
LE DROIT PÉNAL CONTEMPORAIN 119
l'enfant devait recevoir une éducation réformatrice dans
les établissements où il serait placé. Mais quels seraient
la nature et le régime de ces établissements ? Dans la ter-
minologie du code impérial, la maison de correction dési-
gnât les prisons où les condamnés adultes subiraient la
peine d'emprisonnement, et les maisons où les mineurs
condamnés étaient « détenus », et enfin celles où les mineurs
acquittés seraient « élevés ». En fait, il n'existait aucun
établissement spécial destiné à recevoir les enfants, et l'ad-
ministration pénitentiaire ne songea point à en créer. Les
mineurs étaient simplement enfermés dans les prisons
départementales, même dans les prisons centrales, presque
toujours mêlés et confondus avec les détenus majeurs.
Ce fut l'initiative individuelle qui trouva le premier
remède. M. de Metz, ému du sort réservé à ces enfants,
ainsi jetés dans la promiscuité des prisons communes, se
démit de ses fonctions de conseiller à la Cour d'appel de
Paris, pour se consacrer tout entier à l'œuvre de leur relè-
vement. Un ministre libéral comprit la grandeur de cette
entreprise, et consentit à lui confier, en violation de la
lettre du code, un certain nombre de ces détenus mineurs
qui paraissaient susceptibles d'amendement. En 1837,
M. de Metz, à la tête d'un groupe d'adolescents qu'il avait
été chercher dans une prison centrale, et qu'il avait amené
étape par étape jusqu'à Mettray, fondait la première colonie
pénitentiaire. La renommée de cet établissement se répan-
dit dans le monde entier ; il suscitait partout des imitations,
et on peut dire, sans rien exagérer, que toutes les réformes
relatives à l'enfance coupable sont sorties de là.
Ce ne fut que treize ans après la fondation de Mettray
qu'on songea à donner à ces maisons d'éducation correc-
tionnelle un statut légal. Cette loi, après plus de 70 ans.
120 LE DROIT PÉNAL
nous régit encore sans changements. Sagement, elle admet-
tait des colonies publiques, à côté des colonies privées,
comptant sur leur pacifique rivalité pour en assurer le
perfectionnement. Elle créait des établissements spéciaux
pour les indisciplinés, enfin par une initiative hardie, elle
permettait la libération conditionnelle des enfants qui
semblaient corrigés, leur placement au dehors de la colonie
et organisait leur surveillance dans la vie libre. Une légende
veut que ces « Maisons de correction » soient les pires foyers
de corruption. De vilains romans, de détestables comédies,
des paroles malheureuses prononcées par des voix auto-
risées, ont contribué à répandre l'opinion que tous les
enfants qui en franchissent le seuil sont définitivement
perdus. Certes ! la loi de 1850 n'est pas sans défauts.
L'expérience a montré qu'elle s'était trompée en imposant
à tous les mineurs, indifféremment, une éducation profes-
sionnelle purement agricole. On peut souhaiter certaines
réformes dans le régime des colonies publiques. Toutes
les colonies privées n'ont pas été dirigées avec le pur esprit
de dévouement qui animait M. de Metz. Même, il faut
l'avouer, elles ne corrigent pas tous ceux qui y sont élevés
et on s'en étonnera moins si on songe, qu'aujourd'hui
surtout, elles ne reçoivent que les pires mauvais sujets,
ceux dont personne autre n'a voulu se charger. Cependant,
c'est justice de protester contre les attaques si exagérées
dirigées contre ces colonies. Il est certain, les documents
les plus sûrs le prouvent, qu'elles ont sauvé beaucoup
d'enfants, qu'elles en ont fait de bons soldats — ils l'ont
montré pendant la guerre — et d'honnêtes gens. Seulement
ceux-là ne reparaissent pas devant les tribunaux, et on les
ignore.
Pourtant, et tout en reconnaissant les services rendus
LE DROIT PÉNAL CONTEMPORAIN 121
par les colonies pénitentiaires, on ne peut faire difficulté
pour reconnaître que l'éducation familiale est de beaucoup
préférable. Le code l'avait bien compris puisqu'il per-
mettait de rendre à ses parents l'enfant acquitté. Mais
si la famille n'offrait pas les garanties morales suffisantes,
le placement dans la maison de correction s'imposait néces-
sairement. En vain, la charité privée offrait de se charger
de certains mineurs, de veiller à leur éducation, de les placer
soit dans des internats appropriés, soit chez des particuliers
honnêtes où ils trouveraient une direction familiale, d'exer-
cer enfin sur eux une surveillance attentive et éclairée,
les tribunaux, liés par le texte, devaient refuser de les
leur confier. La nécessité d'une réforme était universel-
lement reconnue, mais il fallut attendre jusqu'à la fin
du XIX^ siècle pour qu'elle fut réalisée, encore ne fut-ce,
pour mnsi dire, que par surprise. C'est dans une loi relative
aux crimes commis sur la personne des enfants que
M. Bérenger fit voter un amendement permettant aux
juges de confier l'enfant soit à une personne charitable,
soit à un patronage, soit même à l'assistance publique.
L'enrôlement, dans les armées de terre ou de mer a
toujours été un des moyens employés, par les familles
mêmes, pour sauver les jeunes gens en péril moral. En les
soustrayant ainsi à l'influence de fréquentations funestes,
et à des tentations mauvaises, en les plaçant dans un milieu
sain et sous la règle d'une exacte discipline, le régiment
a permis à beaucoup d'adolescents de revenir dans la voie
de l'honneur. M. Voisin, président d'une association qui
favorisait ces engagements, avait vu souvent son œuvre
entravée par des condamnations prononcées contre des
adolescents de plus de 16 ans. C'est pourquoi en 1907 une
loi reporta la majorité pénale à 18 ans, en ajoutant toutefois
122 LE DROIT PÉNAL
que le coupable âgé de 16 à 18 ans, qui serait reconnu
avoir agi avec discernement, ne bénéficierait d'aucune
excuse.
Jusque-là notre législation s'était développée, selon le
propre génie français, sans aucune influence étrangère et
elle était arrivée à un haut degré de perfectionnement.
On ne pouvait guère lui faire qu'un reproche sérieux : la
décision ordonnant une mesure éducative était définitive
et irrévocable. Ainsi l'avait décidé la cour de Cassation.
Si donc un enfant rendu à sa famille ou confié à un patronage
donnait de graves sujets de mécontentement, le juge mieux
informé ne pouvait pas réformer sa sentence. Pour qu'il
fut possible de prescrire une mesure plus efficace, il fallait
que le mineur commit un nouveau délit. Mais la pratique
avait déjà trouvé des moyens de tourner cette difficulté.
L'un des meilleurs consistait à renvoyer l'enfant dans une
colonie pénitentiaire, mais l'administration le libérait avant
même qu'il y fût entré et le confiait à un patronage, quel-
quefois même à sa famille. Il y avait là le germe d'une
réforme très heureuse, Le mineur, sous le coup de la révo-
cation de la faveur qui lui était accordée, et qui se sentait
surveillé, avait de fortes raisons pour se bien conduire.
S'il venait à faillir, la sanction était immédiate.
C'est ce système né dans notre pays et conforme à nos
mœurs qu'on aurait pu s'attacher à régulariser et à perfec-
tionner. On préféra aller chercher des inspirations dans
les législations américaines.
Aux États-Unis, les lois fixaient en général un âge au-
dessous duquel l'enfant étant considéré comme irrespon-
sable, ne pouvait être traduit devant les tribunaux. La
p>olice des grandes villes se trouvait ainsi impuissante en
face d'une véritable armée de petits délinquants, vagabonds,
LE DROIT PÉNAL CONTEMPORAIN 123
mendiants, voleurs ou pis, eissurés d'une impunité com-
plète. On ne pouvait même les soumettre à aucune mesure
éducative. Une réforme législative fut jugée avec raison
indispensable et elle fut nécessairement conforme au génie
propre des institutions américaines. On institua un juge
particulier auquel on donna de grands pouvoirs, et on utilisa
le vieux système qui consistait à ajourner le jugement jus-
qu'après un délai d'épreuve, en chargeant un citoyen ou
la police de surveiller la conduite du prévenu pour en rendre
compte au juge. Lorsque cette institution fut révélée en
Europe, grâce à une active propagande, elle y devint de
mode, et tous les pays firent leur loi sur les tribunaux
d'enfants.
Notre propre loi de 1912 est sortie de ce mouvement
législatif. Elle a consacré les réformes qui étaient déjà
depuis longtemps réalisées chez nous, mais elle en a intro-
duit de nouvelles. Elle a fixé à treize ans l'âge au-dessous
duquel l'enfant jouit d'une irresponsabilité légale absolue ;
elle organise une procédure qui oblige le juge à s'enquérir
de la moralité du milieu où l'enfant a grandi, elle supprime
la publicité de l'audience, elle permet au juge de réformer
les mesures éducatives qu'il a ordonnées, enfin elle a intro-
duit dans notre législation l'institution anglo-saxonne de
la liberté surveillée. Certaines de ces innovations ont d'ail-
leurs été critiquées et semblent en effet contestables. Le
texte de la loi, insuffisamment étudié, qui présentait des
lacunes graves et des dispositions inconciliables avec les
nécessités pratiques, a déjà fait l'objet d'une révision.
Quoi qu'il en soit, le problème de l'enfance coupable
demeure l'un des problèmes les plus douloureux de l'heure
présente. Les statistiques les plus sûres comme les obser-
vations les plus faciles, prouvent, d'une part, que la crimi-
124 LE DROIT PÉNAL
nalité juvénile s'accroît dans des proportions fort inquié-
tantes, et, d'autre part, que l'âge moyen de la criminalité
s'abaisse selon une courbe très rapide. Il est inutile d'insister
sur la gravité de ce mal : c'est dans la criminalité précoce
que se recrute la criminalité dangereuse du lendemain.
On l'a compris dans le monde entier, et partout, moralistes,
philanthropes, sociologues, crimincJistes et législateurs
cherchent les moyens de remédier à un si grand danger
social. De leurs travaux innombrables et de leurs efforts
multipliés se sont dégagés du moins quelques idées géné-
rales qui se rattachent directement au mouvement du
droit pénal contemporain et en caractérisent les tendances.
On a d'abord compris que l'intérêt de la société, comme
son devoir, était non de châtier et de punir l'enfant, mais
de le réformer. Pour lui, l'amendement doit être le seul
but à poursuivre, et on peut espérer l'atteindre parce qu'il
est éducable. L'expérience de tous les temps a reconnu
et la science moderne a établi que le milieu social contribue
beaucoup plus que l'hérédité à la formation de la vie morale.
L'éducation, dans un milieu sain, en fournissant des exem-
ples auxquels la loi de l'imitation oblige l'enfant à se con-
former, en imposant des habitudes qui commandent
ensuite aux pcissions, en soumettant la volonté à une dis-
cipline qui l'assouplit et la dirige, l'éducation disons-nous,
exerce une influence décisive sur la mentalité de l'adulte.
Voilà pourquoi on a unanimement reconnu que la peine
qui intimide par la souffrance n'était pas faite pour l'enfant.
Il faut l'instruire et lui donner une bonne éducation morale
puisque ce moyen présente des chances sérieuses de réus-
site. Mais cette éducation ne peut être que l'œuvre du temps ;
ce n'est pas en quelques jours, ni en quelques mois, qu on
modifie un caractère et qu'on modèle une âme. On ne tiendra
LE DROIT PÉNAL CONTEMPORAIN 125
donc compte en poursuivant ce but utilitaire, ni du degré
de responsabilité du jeune coupable, ni de son discerne-
ment plus ou moins développé, ni de la gravité du délit
qu'il a pu commettre. Les mesures prises, dans son intérêt
et pour le sauver du péril moral qui le menace, ne devront
cesser que lorsque l'œuvre de l'éducation sera accomplie.
Ce tableau de l'état actuel du droit criminel serait trop
incomplet si nous ne signalions en terminant la théorie
des crimes politiques qui, sous un autre aspect, le carac-
térise encore.
L'idée que les crimes politiques doivent être distingués
des crimes de droit commun est récente. Longtemps
même on les a rangés parmi ceux qui devaient être le plus
sévèrement punis. Et cette conception n'est pcis fausse si
on ne considère que la gravité du mal causé. Celui qui
cherche à renverser et à détruire les lois fondamenteJes
d'un pays, qui suscite des insurrections et allume les guerres
civiles, qui jette le trouble dans tous les rapports écono-
miques, qui ruine les finances publiques et les fortunes
particulières, occasionne un trouble social infiniment plus
profond que le plus coupable des criminels de droit commun.
D'ailleurs faut- il s'étonner qu'un gouvernement estime
très coupable ceux qui méditent de le renverser ? Aussi
les crimes de lèse-majesté humaine étaient-ils punis dans
notre ancien droit avec une grande rigueur, et la Révolution
suivit cette tradition sans y rien changer. Les soldats de
Condé, les émigrés qui excitaient les rois étrangers à faire
la guerre à la France, leurs complices supposés à l'intérieur,
furent considérés comme méritant les châtiments que la
loi réservait aux plus grands criminels, et la Restauration
à son tour appliqua les mêmes peines aux conspirateurs
libéraux et bonapartistes. Contre ces délinquants qui mena-
126 LE DROIT PÉNAL
çaient le salut de l'Etat, la peine de mort parfiissait légitime
aux consciences les plus droites. L'histoire de ces temps
troublés est incompréhensible si on ne tient compte de ces
conceptions juridiques anciennes.
Ce fut Guizot qui, dans deux brochures retentissantes,
parues en 1821 et en 1822, sous le titre, l'une «Des cons-
pirateurs et de la justice politique », l'autre « De la peine
de mort en matière politique », affirma la nécessité de ne
pas confondre les délinquants politiques, avec les assassins
et les voleurs. Le moment était d'ailleurs favorable. Chacun
des partis en présence avait été tour à tour vainqueur et
vaincu. Royalistes, Jacobins, Bonapartistes s'étaient mutuel-
lement envoyés à l'échafaud. La Terreur avait laissé ses
scunglants souvenirs dans la mémoire de tous les contem-
porains, et les exécutions de la « Terreur blanche » soule-
vaient l'indignation de beaucoup de bons citoyens. Guizot
pouvait montrer par des expériences récentes que le crime
politique a, en quelque manière, un caractère conditionnel,
et que l'insurgé peut être, ou le juge, ou l'accusé, selon la
fortune des armes ou le hasard des Révolutions. 11 dénon-
çait le péril des peines irréparables, appliquées aux cons-
pirateurs. Il prouvait que loin d'eissurer la sécurité de l'État,
les exécutions la compromettent plutôt par les vengeances
qu'elles provoquent, et qu'il est de mauvaise politique de
faire des martyrs. Il insistait enfin sur les mobiles hono-
rables : désir du bien public et amour de la patrie, qui
inspirent, ou au moins semblent inspirer, les délinquants
politiques et qui ne permettaient pas de les confondre
avec ceux qui tuent par cupidité. Cependant Guizot ne
demandait pas que la peine de mort fut abolie en droit
pour les crimes politiques. Il conseillait seulement au
Roi de faire grâce et de ne plus permettre que les conspi-
LE DROIT PÉNAL CONTEMPORAIN 127
rateurs expient leur crime sous la hache du bourreau.
Les libéraux de 1830 tinrent au pouvoir les promesses
qu'ils avaient faites dans l'opposition. Dès le lendemain
de la Révolution de Juillet, une loi déférait au jury les
délits correctionnels politiques. En même temps, le Gou-
vernement déclarait solennellement à la tribune que la
France n'accorderait pluo aucune extradition pour crime
politique et n'en demanderait jamais, et la réforme du code
pénal en 1832 créait une échelle spéciale des peines poli-
tiques. D'autre part, la Cour des Pairs condamnait les
ministres de Charles X à la prison perpétuelle, pour des
crimes que la loi punissait de mort, et le Roi Louis-Phi-
lippe, se conformant aux suggestions de Guizot, commua
tous les conspirateurs ou insurgés condamnés, sous son
règne, à la peine capitaJe. Ainsi fut préparée en fait l'abo-
lition qui fut prononcée en droit par la constitution de 1 848.
Depuis cette époque, des lois nombreuses ont fait de nou-
velles applications pratiques de cette théorie, par exemple
en matière de relégation et de sursis à la condamnation.
Mais surtout, elle a de plus en plus pénétré dans la cons-
cience publique et elle est aujourd'hui une de celles qui
sont acceptées unanimement par tous les partis.
Mais cette théorie, ainsi instaurée par des hommes
politiques, manquait de toute précision juridique. Ils avaient
seulement oublié de définir le crime politique 1 Aussi la
pratique s'est-elle trouvée en face des plus graves diffi-
cultés. On a cru d'abord et on soutient encore qu'il faut
considérer comme politique tout délit commis dans un
but politique et qui est inspiré par un mobile politique.
Mais la jurisprudence a toujours refusé d'admettre cette
interprétation qui dépasserait certainement les intentions
des auteurs de la réforme. Elle ne range parmi les infrac-
128 LE DROIT PÉNAL
lions politiques que celles qui sont telles par leur objet,
par exemple l'attentat contre la sûreté de l'État et le
complot. En conséquence, on a déclaré la peine de mort
applicable aux assassins du général Bréa, et si, en 1871,
on a tenu pour criminels politiques ceux qui avaient fait
partie de l'armée insurrectionnelle, et les hommes qui
avaient exercé des fonctions dans le gouvernement de la
Commune, on a fait exception pour les incendiaires et
pour les assassins des otages. A fortiori, a-t-on refusé la
qualité de délinquants politiques aux anarchistes qui tuent
ou qui volent sous prétexte de détruire la société bourgeoise.
Au cours de la guerre de 1914 la cour de cassation a jugé
que les attentats contre la sûreté extérieure de l'État, sont
passibles de la déportation dans une enceinte fortifiée
lorsqu'on applique le code pénal, et de la peine de mort
lorsque l'état de guerre rend le code de justice militaire
applicable même aux civils. Ajoutez encore que la juris-
prudence internationale n'est pas moins incertaine. Après
controverse, les traités d'extradition autorisent aujourd'hui
l'extradition des régicides et le juge anglais a décidé que
les anarchistes étaient bien des délinquants de droit com-
mun ; mais après 1871, les puissances étrangères ont refusé
de nous livrer des insurgés coupables de crimes que nos
conseils de guerre punissaient de mort.
Ces incertitudes et des contradictions indiquent que la
théorie des crimes politiques est encore en voie de formation.
Même aujourd'hui elle n'a pénétré que faiblement ou n'a
pas pénétré du tout dans les législations étrangères. D'ail-
leurs, dans les pays où la peine de mort est absolument
abolie, elle perd une partie de son intérêt pratique. Il serait
certes téméraire de chercher à prévoir quel avenir lui est
réservé dans les sociétés nouvelles, agitées par les luttes
LE DROIT PÉNAL CONTEMPORAIN 129
sociales. Mais on peut affirmer du moins qu'en distinguant
le délinquant politique du délinquant de droit commun,
en établissant des peines différentes pour l'un et pour l'autre,
en abolissant la peine de mort pour les crimes contre la
sûreté intérieure de l'État, la France a accompli une heu-
reuse réforme, dont elle a le droit d'avoir quelque fierté,
et qu'on ne saurait abandonner sans trahir la cause du
progrès. Peut-être même cette théorie du crime politique
n'est-elle qu'une première ébauche d'une théorie plus
générale qui établira un système de peines parallèles pour
touô les crimes et pour tous les délits.
BIBLIOGRAPHIE
Pour le droit révolutionnaire : Archives parlementaires, notam-
ment pour la préparation du code pénal de 1791 . — Henri Remy,
Les principes généraux du code pénal de 1 791 . — Jui.LIOT DE LA Mo-
RANDIÈRE, De la règle nulla poena sine lege.
Pour la philosophie pénale : Franck, Philosophie du droit pénal.
— TiSSOT, Le droit pénal. — ViDAL, Principes fondamentaux de la
pénalité. — Saleillfs, L'individualisation de la peine.
Pour le code pénal de 1811 : LoCRE, Les travaux préparatoires du
code pénal. — Moniteur et Journal Officiel, les travaux préparatoires
des lois complémentaires du code pénal. Les recueils de SiREY
et de Dalloz en donnent en général d'assez bons résumés. — Les
commentateurs du code pénal et notamment traités de Blanche,
Chauveau et Helie, Garraud, Trebutien Ortolan, Molinier
et Vidal, Laborde, Degeois, Roux. — Addè, Notre code pénal
annoté.
Pour la science pénitentiaire '. La Revue pénitentiaire (Bulletin
de la Société des Prisons). — D'Haussonville, Les Établissements
pénitentiaires en France et dans les colonies. — CuCHE, Traité de
science et de législation pénitentiaires. — On trouvera en outre une
bibliographie sommaire de la Science pénitentiaire dans notre code
pénal annoté, tome I, page 38 et celle des crimes politiques, page 1 1 .
9. GARÇON.
CHAPITRE V
LES QUESTIONS ACTUELLES
Nous avons montré jusqu'ici de quelle manière l'Etat
a conquis le droit de punir, qui appartenait à l'origine aux
groupements primitifs, puis comment ce droit a été cons-
titué en corps de science juridique, pour parvenir enfin
au point où il apparaît actuellement dans les Codes des
peuples civilisés. Pour terminer ce rapide exposé de l'évo-
lution du droit criminel, nous devons maintenant chercher
à dégager les questions qui sont à cette heure le plus vive-
ment discutées et dont la solution paraît actuellement urgente.
On a souvent parlé de la « crise « du droit pénal et de la
« banqueroute » de la répression. Ces expressions sont
excessives et manquent de justesse. Mais il est cependant
indéniable que le mouvement général des idées à notre
époque et les méthodes scientifiques contemporaines ont
ébranlé les bases traditionnelles de la répression, posé le
problème de la criminalité sous un aspect nouveau, et
provoqué enfin des doutes devant lesquels hésite la cons-
cience publique.
Pour apercevoir ces difficultés avec quelque clarté, c est
naturellement aux théories sur le fondement du droit
de punir qu'il faut remonter, car ce sont elles qui, toujours,
consciemment ou inconsciemment, dominent la vie pra-
tique.
Or, la philosophie contemporaine ne paraît avoir fait
LES QUESTIONS ACTUELLES 131
aucune tentative sérieuse pour renouveler la doctrine spi-
ritualiste, qui place ce fondement dans l'expiation de la
faute commise par le coupable. Non pas qu'elle ne compte
encore de nombreux partisans et des plus autorisés ; de
très hauts et de très fermes esprits la professent encore.
Mais l'école éclectique qui, pour la rendre plus acceptable,
l'a tempérée de considérations utilitaires, paraît avoir été
son dernier effort créateur. Cette grande doctrine est restée
sur ses positions traditionnelles. Ceux qui l'admettent se
sont attachés, moins à donner de nouvelles raisons à l'appui
de leur croyance, qu'à combattre les théories de leurs
adversaires.
Toutes ces questions, au contraire, ont été reprises et
renouvelées par les philosophes positivistes.
Ils ont d'abord soumis à la critique la plus aiguë la doc-
trine dite classique. Ils ont affirmé qu'elle conduisait à
punir trop ou trop peu. Trop, car toute faute morale exi-
geant un châtiment, la loi pénale devrait incriminer tous
les faits immoraux ; trop peu, car la peine étant une expia-
tion, ne devrait atteindre que les faits immoraux. Or, c'est
une double impossibilité. Les codes ne sauraient certaine-
ment pas atteindre tous les actes immoraux, et, d'autre
part, ils punissent un grand nombre de faits qui, il faut
bien le reconnaître, sont indifférents en morale. Il ne faut
pas tomber dans une telle confusion : le domaine de la
morale et celui du droit pénal positif doivent demeurer
distincts. Ce ne sont même pas, comme on l'a dit à tort,
deux cercles concentriques ; ce sont deux cercles qui se
coupent, qui ont une surface commune, mais aussi chacun
une surface qui leur est propre. Sans doute l'école éclec-
tique a tenté d'échapper à ces objections en déclarant que,
parmi les actes immoraux, la société ne doit punir que ceux
132 LE DROIJ PÉNAL
qui lui nuisent. Mais cette doctrine, en laissant à la peine
son caractère expiatoire, ne parvient pas à justifier l'incri-
mination des faits indifférents en morale. Et, en réalité,
le législateur de tous les temps n'a jamais pris en considé-
ration que l'utilité sociale toute pure quand il a dressé la
liste des incriminations punissables et déterminé les peines
applicables. Tout le reste est phrases et déclamations.
Mais il y a plus. Toute doctrine qui donne à la peine
un caractère expiatoire, repose essentiellement sur la res-
ponsabilité humaine. Mais cela suppose résolue la question
métaphysique du libre arbitre. Or, beaucoup de philosophes
le nient et, en tous cas, c'est un postulat non démontré.
Q)mment édifier le droit pénal positif sur une base aussi
controversée et aussi fragile ? D'ailleurs, en supposant
que l'homme soit libre et responsable et qu'en conséquence
le châtiment doive être proportionné à la faute morale,
qui donc mesurera ce degré de responsabilité ? Comment
le juge pourra-t-il pénétrer le secret de la conscience de
l'accusé. Toute appréciation sur ce point est nécessairement
et essentiellement subjective. Le juge ne peut interroger
que sa propre conscience, non celle du coupable, et en réa-
lité, c'est bien ce qu'il fait : il cherche à juger autrui en
supposant, par un effort d'imagination, qu'il est cet autre.
Mais pour que le raisonnement soit juste, il faudrait que
leur conscience fut identique. Or, non seulement, elles ne
le sont pas, mais rien ne dit qu'elles soient semblables, et
même on peut affirmer qu'elles ne le sont pas, car chacun
obéit à des influences héréditaires ou de milieu qui varient
à l'infini. Ainsi, même si l'homme est libre, la justice hu-
maine doit renoncer à mesurer le châtiment à la respon-
sabilité du coupable. Dieu seul le peut.
Enfin quelle commune mesure veut-on établir entre la
LES QUESTIONS ACTUELLES 133
faute morale et la peine sociale ? La faute morale s'expie
par le repentir et, théologiquement, par la contrition ; en
quoi une souffrance physique peut-elle la réparer ? Com-
ment une amende ou une privation de liberté sont-elles
une réparation d'un vol avec escalade ou d'un attentat à
la pudeur ? Quelle proportion établir entre le nombre
de francs d'amende et les journées d'emprisonnement, et
le degré de responsabilité morale du coupable, en admettant
qu'on puisse le connaître et le préciser.
Ces critiques ont conduit les philosophes positivistes à
donner à la peine un fondement purement utilitaire. Ils
considèrent le crime comme un phénomène socid soumis
à des lois naturelles, que la science doit découvrir et for-
muler. D'autre part, d'illustres sociologues voient dans la
société un organisme, composé de cellules vivant de leur
vie propre, et qui ont pourtant pour fin la conservation de
l'organisme tout entier. L'homme se développe individuel-
lement, mais doit s'adapter au milieu social dont il fait
partie intégrante. La répression n'apparaît dès lors que
comme une application de la loi naturelle de conservation
qui s'impose à tout organisme. La société peut être menacée
par deo dangers extérieurs ou intérieurs. Lorsqu'un Etat
est menacé par un autre Etat, la réaction se produit souo la
forme d'une guerre défensive. Contre l'ennemi intérieur,
c est-à-dire contre le criminel qui menace la sécurité sociale,
cette réaction défensive s'affirme par la peine qui ira, s'il
le faut, jusqu'à l'élimination du coupable. On n'a jamais
douté qu'un pays ait le droit de prendre les armes pour
repousser l'envahisseur. Il n'est pas nécessaire de chercher
ailleurs, ni plus loin, le fondement du droit de punir. C'est
une réaction nécessaire et instinctive de l'organisme social.
La peine n'est pas le châtiment de la faute commise, mais
134 LE DROIT PÉNAL
une simple mesure de sécurité publique. Cette réaction
doit s'exercer contre tous ceux qui menacent l'ordre dans
l'Etat, sans qu'il soit nécessaire de rechercher et d'affirmer
s'ils sont libres ou ne le sont pas. Le droit de défense existe
contre la brute privée de toute raison. La mesure de sûreté
prendra seulement des formes diverses et son régime variera
selon qu'il s'agira d'un délinquant occasionnel ou d'un
incorrigible, d'un criminel possédant l'usage de toutes
ses facultés intellectuelles ou d'un aliéné, mais elle aura
dans tous les cas pour mesure, non plus le degré de res-
ponsabilité de l'agent, mais ce qui est indispensable pour
assurer l'ordre public.
Cette théorie séduisit beaucoup d'esprits. Cependant
il est facile d'apercevoir qu'elle n'est nouvelle qu'en appa-
rence et qu'elle n'est autre que la très vieille doctrine
utilitaire. Cette théorie a pris selon les temps les formes
les plus diverses. Au XVIII^ siècles on l'a présentée comme
une conséquence du contrat social ; Bentham l'a montrée
sous un autre jour. Les positivistes l'ont seulement exprimée
d'une façon différente qui correspondait mieux aux idées
courantes de leur temps, en lui donnant une allure scien-
tifique, et en employant une terminologie empruntée à la
biologie et à la médecine. Je dirais volontiers qu'ils l'ont
habillée à la mode du jour. Mais, au fond, ils n'ont pas
changé grand chose à des idées depuis longtemps connues.
Il ne faut donc pas s'étonner si on leur a opposé deux ordres
d objections : les premières sont celles qu'on a toujours
faites aux doctrines utilitaires quelles qu'elles soient ; les
secondes qui s'attaquent à l'identification de la société et
d'un organisme vivant. C'est, a-t-on dit, une comparaison
qui, si on la pousse trop loin, manque de toute justesse
et de toute rigueur scientifique. Et il est possible, en effet,
LES QUESTIONS ACTUELLES 135
que par certains côtés cette construction soit fragile. Meus
il est impossible de ne pas reconnaître l'influence que cette
grande doctrine a exercée plus encore, peut-être, par sa
critique de la peine expiatrice que par ses propres affirma-
tions.
Au surplus, ces théories étaient l'œuvre de philosophes
qui, cherchant un système général du monde, avaient
trouvé sur leur route la question de la répression et qui
l'avaient résolue en passant. Avec eux, elles n'étaient pas
sorties du domaine de la spéculation pure. Mais elles allaient
être acceptées et vulgarisées par l'Ecole d'Anthropologie
criminelle, dont toute l'activité scientifique s'est exclusi-
vement concentrée sur le problème pénal et qui a exercé
sur l'opinion publique une influence encore beaucoup plus
directe.
Cette Ecole a eu pour chef et pour fondateur le docteur
Lombroso, Ses premiers travaux ont paru dans les comptes-
rendus de l'Institut Lombard de 1871 à 1876. Ils furent
ensuite reproduits et complétés dans VUomo dehnquente
et les autres ouvrages que Lombroso a publiés, sans inter-
ruption, pendant tout le cours de sa vie scientifique. Il a
trouvé en Italie et dans tous les pays du monde des dis-
ciples fervents et convaincus. En France, ses idées furent
un moment acceptées dans le cercle de la Revue que diri-
geait à Lyon le docteur Lacassagne. D'ailleurs, tous les
procédés de propagande ont été mis en œuvre pour répandre
la doctrine nouvelle : livres, leçons, conférences et discours,
revues et congrès, articles de journaux et interviews. Ainsi
elle a pénétré dans les milieux les plus divers. Avec ses
allures révolutionnaires, son mépris de « l'école classique »,
sous des formes d'ailleurs souvent incomplètes et inexactes,
elle a joui pendant un temps d'une véritable popularité.
136 LE DROIT PÉNAL
Il est impossible de résumer en quelques pages les tra-
vaux considérables des anthropologistes, et, en le tentant,
on risquerait seulement de dénaturer leur pensée. Ils pro-
fessent d'abord toutes les doctrines des philosophes posi-
tivistes, au point qu'ils ont eux-mêmes désigné leur secte
sous le nom « d'Ecole positiviste ». Ils assignent à la peine
un but utilitaire sans aucun caractère expiatoire, et nul
mieux que l'un des plus fermes disciples de M. Lombroso
n'a appliqué au droit criminel les théories de la société
organisme vivant, de l'évolution et de la sélection naturelle.
Mais, nous l'avons dit, de nombreux philosophes l'avaient
fait avant les anthropologistes et leur originalité n'est pas
là. L'œuvre propre de l'école d'anthropologie criminelle est
d'avoir introduit dans les études de criminologie les mé-
thodes de la science de l'anthropologie créée en France
par Broca et ses élèves. Elle a prétendu pouvoir par là
déterminer les caractères du type criminel, comme on a
pu préciser le type mongol et le type caucasien. On a donc
pesé et mesuré les criminels détenus dan» les prisons ita-
liennes, relevé leurs anomalies physiologiques, étudié leurs
fonctions, leur psychologie, leur argot, leur écriture, leurs
tatouages, on a comparé ces observations à celles relevées
sur des soldats, des étudiants, des fonctionnaires, ou tous
autres réputés honnêtes gens, parce qu'ils n'ont pas de
casier judiciaire, et de cette comparaison on a prétendu
tirer la conclusion que certaines tares se rencontreraient
plus fréquemment chez les condamnés que sur ceux qui
ne l'ont jamais été. Lorsque ces tares seraient réunies,
elles caractériseraient le criminel-né, voué au mal par fata-
lité héréditaire.
Cependant, ces doctrines se sont heurtées à des objec-
tions nombreuses, puissantes et décisives. Il n'a pas été
I
LES QUESTIONS ACTUELLES 137
difficile de montrer que le type du criminel-né n'avait
aucune réalité objective, et combien il serait hasardeux
de prétendre diagnostiquer le délinquant sur de simples
mensurations et quelques constatations purement physio-
logiques, La méthode expérimentale exige plus de circons-
pection et le véritable esprit scientifique plus de rigueur.
Aussi, après avoir brillé d'un vif éclat, l'école d'anthropo-
logie criminelle paraît déjà sur son déclin. Elle paraît des-
tinée au même sort que la phrénologie qui eut aussi son
heure de succès et qui est tombée si rapidement dans l'oubli.
11 semble qu'on ne sortira pas de la vérité en disant qu'elle
n'a plus guère qu'une valeur historique.
Pourtant, on l'a dit avec raison, ce grand effort des anthro-
pologistes n'est pas demeuré stérile. On a pu contester
ses conclusions, réfuter ses erreurs, et il appartiendra à
de nouvelles recherches de les corriger. Mais construire
des hypothèses hasardeuses, qui s'écroulent sous le poids
de la critique, procéder par retouches successives, marcher
en hésitant, au milieu des conjectures, n'est-ce pas, après
tout, l'allure ordinaire de la science. En appelant l'attention
des pénalistes et du grand public sur les questions qu'elle
a soulevées, l'école d'anthropologie a puissamment con-
tribué au progrès des études criminologiques. Il serait
mjuste de méconnaître les services que l'école italienne a
rendus en posant le problème de la criminalité sur le terrain
expérimental. La médecine a été transformée le jour où
elle a compris qu'elle devait soigner les malades et non
plus discerter sur les maladies. C'est un progrès semblable
que les études criminologiques ont fait, quand les anthro-
pologistes se sont préoccupés non plus du crime, simple
entité juridique, mais du criminel qui, lui, est bien une
réalité vivante et agissante. C'est dans cette voie qu'il
138 LE DROIT PÉNAL
faudra marcher si on veut constituer une criminologie
vraiment scientifique. Les dissertations rationnelles sur le
délit, les impressions vagues des magistrats et des avocats,
même les observations générales et les statistiques, ne nous
livrent que des conclusions confuses et incertaines. L'obser-
vation individuelle du délinquant, portant sur sa consti-
tution physique et son hérédité, et à la fois sur le milieu
où il a vécu, sur sa psychologie, sur ses qualités et sur ses
vices, en un mot, sur toutes les Influences qui se sont exer-
cées sur lui, et l'ont amené au crime, permettra seule
de formuler des conclusions démonstratives et sûres.
Mïiis on n'aurait qu'une vue très incomplète du mouve-
ment scientifique contemporain relativement au crime et
au criminel, si on oubliait les travaux des aliénistes. Ce
sont eux, en effet, bien plus que les philosophes et les anthro-
pologlstes, qui ont exercé une influence sur la pratique de
la répression. Médecins experts, devant les tribunaux, ils
ont contribué dans la plus large mesure à créer une jurispru-
dence qui, respectant en apparence les bases traditionnelles
du droit pénal, en ont en réalité bouleversé l'application.
Dès que la médecine mentale a commencé à se cons-
tituer scientifiquement, on a aperçu le lien étroit qui unit
la folle et le crime. Dans notre ancien droit, les aliénés
criminels étalent jetés dans les prisons, quelquefois con-
damnés et exécutés à mort. Mais depuis Pinel, les choses
ont changé. On a admis que ces malades, considérés comme
irresponsables, devaient échapper à toute répression et
cette cause de justification a été formellement reconnue
et consacrée par tous les codes pénaux. Cependant, dans
la première moitié du XIX® siècle, on ne mit ainsi hors du
droit répressif que les malheureux dont la raison avait
complètement sombré, et dont le désordre d'esprit était
LES QUESTIONS ACTUELLES 139
évident, les fous furieux, les déments incapables de tout
discernement. Mais les progrès de la psychiatrie montrèrent
bientôt qu'il existe des formes de folies, qui ne se révèlent
par aucune excentricité, par aucun trouble apparent des
facultés intellectuelles et qui pourtant constituent des cas
pathologiques parfaitement caractérisés. Ces monomanies
conduisent souvent le malade — le persécuté persécuteur
par exemple — aux pires violences. Ce sont encore des fous
et même des aliénés particulièrement dangereux. Plus
encore : les aliénistes ont établi, avec une évidence scien-
tifique qui force toutes les convictions, qu'il existe entre
la raison et la folie, une limite incertaine. C'est une grave
erreur de croire que les hommes sont ou aliénés ou raison-
nables, responsables ou irresponsables. Il y a au contraire
des esprits plus ou moins lucides, des volontés plus ou
moins vacillantes, sans qu'on puisse reconnaître avec pré-
cision, où cesse la raison et où commence la folie. Il est
impossible de dire qu'ils sont aliénés, il ne serait pas moins
téméraire d'affirmer qu'ils sont sains d'esprit. Tels sont
en particulier les dégénérés. Ils portent d'ordinaire le poids
d'une très lourde hérédité, souvent d'une hérédité alcoo-
lique, et on constate sur leur personne des stigmates et
des tares qui, au fond, sont précisément ceux que Lom-
broso a retrouvé chez un grand nombre de criminels. Au
moral, ils sont imprévoyants, vaniteux, menteurs, vicieux,
instables, paresseux par neurzisthénie, impatients de toute
discipline, surtout impulsifs. Que ce soit parmi ces défec-
tueux que se recrutent un grand nombre de délinquants,
il est impossible de ne pas l'avouer. Les préjugés philoso-
phiques, les croyances religieuses, les habitudes d'esprit
et les partis-pris n'autorisent pas à nier une vérité établie
par tant de preuves et avec une si complète certitude.
140 LE DROIT PÉNAL
Toutes les théories que nous venons d'indiquer ont été
agitées dans le domaine de la science pure. Il faut mainte-
nant chercher à dégager l'influence qu'elles ont exercée
sur la vie pratique du droit criminel.
On peut affirmer d'abord, croyons-nous, sans s'expKjser
à commettre aucune erreur, que ni les doctrines des philo-
sophes, ni les affirmations des déterministes, ni les obser-
vations des anthropologistes, n'ont fait disparaître de la
conscience humaine deux idées qui en sont l'honneur et
en font la dignité, celle du mérite et du démérite d'une
part, celle de la justice d'autre part.
La vertu est honorée et le vice flétri. La meilleure récom-
pense de l'honnête homme est d'obtenir l'estime des
autres, et la honte que ressent celui qui est chargé de l'op-
probre public une des plus vives souffrances qui puisse
affecter l'âme humaine. Ces sentiments élémentaires, qui
se sont imposés aux consciences les plus obscures et les
plus primitives et qui sont les premières à s'éveiller dans
1 esprit de l'enfant constituent une des forces les plus puis-
santes qui maintiennent l'ordre social, soutiennent les
mœurs, dirigent le monde moral. Il est possible qu'ils soient
nés des nécessités impérieuses de la vie en commun, et
qu'ils résultent de l'instinct social lui-même. Mais ils sont
indissolublement liés à l'idée de la responsabilité humaine.
L homme vertueux mérite une récompense par la même
raison que le criminel doit expier sa faute : parce que l'un
et l'autre l'ont mérité, c'est-à-dire parce qu'ils l'ont voulu.
Que l'homme soit libre ou qu'il ne le soit pas, il est certain
qu il croit l'être, et nul raisonnement n'est jamais parvenu
à faire disparaître cette foi. C'est là un fait qui s'impose
comme tous les autres faits sociaux et dont la sociologie ne
peut pas ne pas tenir compte. Ce serait une grande illusion
LES QUESTIONS ACTUELLES 141
de croire qu'on pourra abolir cette croyance par des lois,
et qu'il suffirait d'écrire et de promulguer des codes pénaux,
faisant abstraction de toute notion de responsabilité, pour
qu'elle soit détruite dans la conscience humaine et sup-
primée dans la pratique de la répression.
L'idée de Justice n'est pas moins profondément gravée
dans le cœur humain. Elle est générale et universelle.
L'ethnographie en constate l'existence chez les racco les
plus arriérées, l'histoire chez les peuples les plus primitifs,
et tout le monde sait combien il est vif chez l'enfant et
même chez le criminel le plus endurci. Sans doute, on a
critiqué cette notion de justice. On a dit qu'elle manquait
de précision et de fixité, variant suivant les temps et selon
les lieux : elle est autre pour la raison du moraliste, arrivé
à un haut degré de culture, autre pour la conscience frustre
d'un primitif. Dans tous les cas elle semble se réduire au
concept fondamental, unique et très simple d'une équation.
A l'origine, elle prend la forme du talion et pour l'esprit
moderne d'une égalité entre le châtiment et le degré de
responsabilité du coupable. Tout cela est possible. Mais
il n'en reste pas moins vrai que le désir de réîiliser cette
justice est une des lois fondamentales de l'esprit humain,
et qu'elle lui apparaît comme un bien suprême dont il
cherche à s'approcher le plus qu'il peut, qu'il fait de vains
efforts pour l'atteindre, mais qu'il regarde au moins comme
un idéal vers lequel il doit tendre.
Mais si ces idées de responsabilité morale et de justice
restent intactes dans la conscience humaine, les doctrines
modernes ont, au contraire, gravement affecté les consé-
quences pratiques qu'on en doit tirer. En dernière analyse
on peut même dire qu'elles ont eu pour résultat d'en assurer
des applications nouvelles plus exactes et plus logiques.
142 LE DROIT PENAL
Tant qu'on a considéré la responsabilité comme indi-
visible, la tâche du juge a paru aisée. Il ne devait résoudre
qu'une seule question : L'accusé est-il sain d'esprit ou
aliéné ? On estimait d'ailleurs que ce juge pouvait la ré-
soudre lui-même sans se livrer à aucune recherche parti-
culière et sans recourir à aucune expertise. S'il pensait
que le coupable était responsable, il appliquait la peine,
en se plaçant surtout au point de vue objectif, en tenant
compte surtout des nécessités de la répression sociale.
Cette peine était juste puisqu'elle était méritée par le
crime.
Ce sont ces vues simplistes que les théories modernes
ont ébranlées. Personne ne nie plus que la volonté humaine
soit conditionnée et on en tire cette conséquence que la
responsabilité a des degrés, et qu'elle varie pour chaque
coupable selon des contingences Infiniment diverses. Et
à mesure qu'on a mieux étudié le problème, ces causes
d'atténuation de la responsabilité se sont multipliées. Avec
les aliénistes on les a trouvées d'abord dans les tares phy-
siologiques, qui obscurcissent plus ou moins le discernement
et rendent la volonté plus ou moins ferme. Sans croire au
délinquant-né de Lombroso, il a bien fallu reconnaître,
nous l'avons dit, qu'il existe des défectueux, qui cèdent
facilement à leurs impulsions, à leurs paissions mauvaises,
à leurs instincts pervers. Avec les sociologues on recon-
naît encore que les influences sociales du milieu sont plus
agissantes mêmes que les influences héréditaires. La mau-
vaise éducation, les exemples pernicieux, les entraînements
d'un entourage medsain, le paupérisme, le chômage, les
tentations de la vie urbaine, pèsent lourdement sur les
résolutions des criminels. La Société même, au sein de
laquelle se développent ces causes du crime, est-elle tout
LES QUESTIONS ACTUELLES 143
à fait sans reproche ? N'est-il pas équitable de tenir compte
de toutes ces atténuations de responsabilité, et de punir
ces criminels avec moins de sévérité puisqu'ils sont moins
coupables ?
Ainsi la bonne logique a conduit à mitiger les peines de
tous ceux qui, pour une raison quelconque, paraissent
avoir une responsabilité seulement limitée. Lorsque le
médecin légiste conclut à la responsabilité atténuée on
applique le minimum de la peine. La jurisprudence fran-
çaise, et surtout la pratique, ont accepté cette doctrine, et
notre système des circonstances atténuantes a trouvé en
elle un fondement rationnel et légal. De nombreux codes
étrangers l'ont formellement acceptée, et on a considéré
qu'ils avaient ainsi accompli un véritable progrès.
Mais les graves inconvénients pratiques de ces théories,
les objections pressantes auxquelles elles se heurtent,
n'ont pas tardé à apparaître.
D'abord, cet adoucissement général des peines a con-
tribué dans une large mesure à l'affaiblissement de la
répression. On pose en principe que l'homme est respon-
sable, seulement il arrive que, pour le plus grand nombre
des coupables, on trouve quelque raison de considérer leur
responsabilité comme limitée. L'homme normal doit subir
intégralement la peine déterminée par la loi, c'est entendu ;
mais presque tous les accusés ou prévenus, si on y regarde
attentivement, paraissent, soit des anormaux, soit des
malheureux, contre lesquels les juges doivent mitiger la
peine. L'abus des circonstances atténuantes, l'abus des
courtes peines, l'abus du sursis s'expliquent en grainde
partie par là. Or, si la justice semble imposer cette indul-
gence, la peine ne va-t-elle pas perdre toute son efficacité
et cesser d'être intimidante, parce que trop douce, d'être
144 LE DROIT PÉNAL
correctlve, parce que l'amendement du coupable exige
une détention assez prolongée, d'être exemplaire, surtout,
parce que personne ne redoute plus un châtiment sem-
blable ? On dit que le dégénéré, l'anormal cèdent facilement
à leurs impulsions et que leur volonté est trop fragile. Ils
ont donc besoin d'être mieux et plus fortement déterminés
par la crainte d'une peine, aussi sévère qu'inéluctable.
En sorte qu'on aboutit à cette antinomie : On prononce
contre les coupables des peines d'autant plus douces que
leur volonté est plus vacillante et, par conséquent, leur
responsabilité plus légère, et ce sont précisément ceux-là
qu'il faudrait effrayer davantage par la rigueur du châti-
ment. En justice, la responsabilité limitée est une cause
d'atténuation de la peine, au point de vue utilitaire elle
devrait l'aggraver. Et, en réalité, n'est-ce pas ce qu'on fait
lorsqu'un véritable danger menace la discipline sociale :
parmi les relégués, combien sont précisément des instables,
des impulsifs, des délinquants-nés de Lombroso ?
Mais ce n'est pas tout. Pour appliquer la théorie de la
responsabilité limitée, il faut, d'une part, déterminer le
degré de cette responsabilité et, d'autre part, fixer la peine
qui y correspond. Or, nous avons montré à quelles diffi-
cultés on se heurte lorsqu'on veut résoudre ces questions.
Comment, d'abord, établir, même approximativement,
quelque proportion entre le châtiment et la faute morale.
La thèse de la responsabilité limitée a paru pour la première
fois en cour d'assises dans une affaire capitale. La con-
clusion des experts était alors fort claire : ils invitaient les
juges à ne pas prononcer la peine de mort, et on peut
voir dans leur réponse une nouvelle manifestation de la
tendance moderne à écarter ce châtiment. Mais on ne fait
pas la part à de semblables théories. Si un grand criminel
LES QUESTIONS ACTUELLES 145
peut voir atténuer sa peine parce que, sans être aliéné, il
n'est cependant pas complètement normal, la même solu-
tion s'impose pour tous autres délinquants, pour le violent
qui frappe sous l'empire d'une impulsion, pour le sadique
qui se rend coupable d'un attentat aux mœurs, pour la
voleuse qui cède à l'attraction de chiffons amoncelés dans
un étalage, pour le vagabond neurasthénique. Mais alors
apparaît en plein l'impossibilité de déterminer le montant
de l'amende ou la durée de l'emprisonnement qui assureront
le châtiment du coupable dans la mesure de sa responsa-
bilité atténuée.
Enfin et surtout, la théorie de la responsabilité limitée
se heurte à l'objection fondamentale, formulée par les
philosophes, et que la pratique a confirmée d'une manière
décisive. Comment fixer le degré de responsabilité du
criminel ? Les juges ont bien senti qu'ils ne pouvaient
résoudre une pareille question et ils ont confié la solution
aux experts aliénistes . . Ceux-ci ont accepté d'abord de
répondre à la question qui leur était ainsi posée, et c'est
précisément alors qu'ils ont imaginé la théorie de la res-
ponsabilité limitée, qui parut satisfaire tout le monde.
Mais on s'aperçut vite qu'elle manquait de précision.
Quelques médecins ont eu la prétention d'arriver à une
solution mathématique et ont fixé cette limite en nombre
fractionnaire ; ils ont déclaré, par exemple, l'accusé res-
ponsable dans la proportion de huit dixièmes. Mais en
vérité n'est-ce pas la meilleure réfutation qu'on puisse
fournir de tout le système ? Aussi les experts les plus avisés
refusent-ils aujourd'hui de se prononcer sur aucune ques-
tion de responsabilité. Ils veulent bien déclarer si un
accusé est normal ou anormal, s'il est sain d'esprit ou
affecté de quelque trouble mental, mais ils déclarent que
10. GARÇON.
146 LE DROIT PÉNAL
la science positive ne leur permet d'aller plus- loin et ne
se croient pas le droit de tirer de ces constatations médi-
cales des conclusions métaphysiques. En sorte- que les
magistrats avalent cru pouvoir se décharger sur les alié-
nlstes de la redoutable tâche de fixer le degré de respon-
sabilité du criminel, qu'aujourd'hui les médecins se récusent
à leur tour et renvoient la question aux magistrats et, qu'en
définitive, elle court le risque de rester sans solution !
D'autre part, on a accusé les théories sentimentales et
humanitaires d'avoir altéré la conception fondamentale de
la peine et d'avoir ainsi énervé la répression. L'école péni-
tentiaire, a-t-on dit, a cru que l'amendement du coupable
constituait le but essentiel, sinon unique, de la peine. Sans
doute, ses maîtres les plus illustres ont continué à croire
au caractère expiatoire du châtiment, mais ils n'ont plus
tiré de cette idée aucune conséquence pratique. Ils ont
oublié que la peine, pour être efficace, devait être intimi-
dante et exemplaire. En organisant le système pénitentiaire,
on s'est attaché surtout à faciliter le reclassement du détenu.
Aux colonies, on veut transformer le forçat en un honnête
colon ; en France, on adoucit le régime des prisons, on
permet de libérer le détenu avant le jour fixé pour l'expi-
ration d^ sa peine, on dispense le délinquant primaire de
la subir en lui accordant le sursis, on s'attache à cacher
l'infamie de la condamnation et on va dans cette voie
jusqu'à commettre un faux légal en écritures publiques,
et à rendre le casier judiciaire menteur. On multiplie les
grâces et les amnisties pour les délits de droit commun
les plus graves. Ainsi la répression devient impuissante
devant la criminalité grandissante. Il y a dans ces accu-
sations beaucoup d'exagération. En réalité, ce ne sont pas
tant les lois nouvelles, empreintes d'humanité, qui sont
LES QUESTIONS ACTUELLES 147
blâmables, que l'usage qu'on en a fait, et que les abus dans
lesquels on est tombé en les appliquant. Mais ces abus
sont indéniables.
Ainsi, et en résumé, d'un côté, on prétend, théorique-
ment, pour obéir à la justice, proportionner la peine à la
responsabilité du coupable, et, pratiquement, on aboutit
à atténuer toutes les peines. D'un autre côté, par un sen-
timent d'humanité, qui est l'honneur de la conscience
contemporaine, on a voulu assurer l'amendement du cou-
pable et faciliter sa réhabilitation, et l'exécution de ces
peines est devenue si douce qu'elles ont perdu une grande
partie de leur efficacité. Nous en sommes là. Comment
s'étonner dès lors que la conscience du juge hésite, que sa
fermeté se déconcerte et qu'il éprouve un certain décou-
ragement. La Société elle-même n'a plus la claire notion
de son devoir de punir ; les doutes l'assaillent à la fois sur
la justice et sur l'efficacité de la répression. L'indulgence
systématique est considérée comme une preuve de libé-
rdisme, et on en est venu à croire que le progrès du droit
criminel consistait uniquement dans un perpétuel adoucis-
sement des peines. Voilà les causes profondes du meJaise
actuel de la justice criminelle non pas seulement en France,
mais dans tous les pays, car le mal est général.
Un tel état de choses ne saurait se prolonger sans danger
grave pour l'ordre social, et les problèmes ainsi posés
devront recevoir leur solution. D'ailleurs, la longue évo-
lution du droit pénal, dans le passé, contient un enseigne-
ment, pour l'avenir. On ne saurait croire que les concepts
actuels sur le crime, sur le criminel et sur la peine sont
définitifs. Il est évident que des changements profonds
pourront venir encore les modifier.
148 LE DROIT PÉNAL
Il est téméraire de chercher à prévoir quels seront au
juste ces changements. Sans cloute, il ne manque pas de
prophètes qui, du haut de leur dogmatisme, affirmeront,
avec une imperturbable assurance que l'avenir réalisera
leurs propres conceptions. Toute foi, religieuse ou scien-
tifique, a de semblables audaces. Cependant l'avenir garde
son secret. Il est possible que les sociétés futures acceptent
des solutions qui nous paraissent, aujourd'hui, déraison-
nables et utopiques, ou dont nous n'avons aucune idée.
Ceux qui viendront après nous, jugeront peut-être nos
lois actuelles aussi sévèrement que nous jugeons nous-
mêmes les barbaries de notre ancien droit. Mais qui pour-
rait affirmer que d'autres ne se jetteront pas dans une
aveugle réaction et n'abandonneront pas les progrès que
nous croyons définitivement acquis ? Sous l'empire de
troubles sociaux profonds, de catastrophes et de ruines
mettant en péril la civilisation même, qui pourrait assurer
qu'on ne reviendra jamais aux formes élémentaires de la
répression et à la pure intimidation par la rigueur des
peines, et par la terreur des supplices ?
Sous le bénéfice de ces observations, on peut au moins
chercher à indiquer les réformes qui paraissent actuelle-
ment nécessaires, et à indiquer les tendances générales
qui permettent, dans une certaine mesure, de les prévoir.
Une commission officielle nommée en Italie pour réviser
le Code Pénal, vient de publier un avant-projet qui tente
de résoudre ces questions par les moyens les plus révolu-
tionnaires. Cet avant-projet constitue le manifeste législatif
de l'école d'anthropologie criminelle. A la vérité, le cri-
minel-né, reconnaissable à ses tares héréditaires, n'y tient
pas une aussi grande place qu'on aurait pu le croire ; mais
le code est largement inspiré par la pure doctrine positive de
LES QUESTIONS ACTUELLES 149
la défense sociale. Toute idée de responsabilité morale
et d'expiation en est bannie. Le criminel répond non de
sa faute, mais de son fait, sans qu'il y ait lieu de rechercher
s'il l'a commis avec une volonté plus ou moins libre. Ainsi,
l'aliéné, le dégénéré, le mineur doivent rendre compte
socialement de leurs actes, comme le délinquant à l'esprit
le plus sain.
Mais contre aucun de ces délinquants on ne prononcera
de peine. Ce mot qui rappelle la doctrine condamnée de
l'expiation est banni de la langue du droit criminel. La
Société appliquera à tous indifféremment des « Sanctions »,
c'est-à-dire les mesures qui paraîtront les plus efficaces
et les mieux appropriées pour zissurer la sécurité sociale.
Pour atteindre ce but, on tiendra compte exclusivement de
la timibilité du criminel. Contre le délinquant très dan-
gereux, récidiviste ou professionnel, on ordonnera des me-
sures, on ne doit peis dire sévères, mais au moins très rigou-
reuses et qui pourront aller jusqu'à l'élimination. Les cri-
minels d'occcision seront au contraire soumis à des mesures
correctives qui devront logiquement cesser dès que leur
présence dans la société paraîtra sans péril. Les délinquants
« infirmi de mente » seront enfin renvoyés dans des établis-
sements qui varieront selon la nature et la gravité de leur
état pathologique. Les fous seront soignés dans des établis-
sements spéciaux d'aliénés : Les alcooliques et ceux qui
sont frappés d'une grave anomalie physique, seront isolés
dans des colonies de travail. Les mineurs enfin seront,
selon les cas, confiés à des familles honnêtes, ou éduqués
dans des écoles professionnelles, ou de correction, sur un
navire-école, dans des maisons de travail ou des colonies
agricoles. Pour choisir entre toutes ces sanctions, le juge
devra tenir compte de la nature du criminel lui-même
150 LE DROIT PÉNAL
beaucoup plus que de la gravité du crime qu'il a commis.
Tout un titre du projet italien est consacré au criminel.
Un article énumère 27 cas de maggiore periculosita del
delinquente, obligeant le juge à prononcer contre lui des
mesures de sécurité particulièrement graves, et un autre
article, 8 cas de minore periculosite, qui doivent amener un
adoucissement de ces mesures. Enfin le juge ne fixera pas
comme le voulaient les vieux codes classiques le terme de
la peine. Le projet italien fait une large place au système
de la sentence indéterminée. Le jugement de condamnation
déterminera seulement une période de temps pendant laquelle
le condamné pourra être retenu dans les établissements
désignés de cinq à dix ans par exemple. S'il paraît corrigé,
on ne le gardera que pendant le temps minimum ; s'il
paraît encore dangereux, jusqu'au maximum. Même le
projet complique ce système en établissant des sanctions
relativement ou absolument indéterminées, les unes tem-
poraires les autres perpétuelles.
A tout bien considérer, ce projet est peut-être moins
hardi qu'il ne le paraît d'abord et qu'il veut surtout le
paraître. 11 envoie les aliénés à l'asile, il soumet les mineurs
à des mesures éducatives, il admet le sursis, le pardon,
la libération conditionnelle, l'imputation de la détention
préventive, enfin il élimine les incorrigibles. Toutes ces
innovations sont déjà réalisées dans un grand nombre
de législations et particulièrement dans notre législation
française. Mais il heurte ouvertement et délibérément
toutes les idées traditionnelles sur la responsabilité humaine.
Les codes actuels affirment cette responsabilité et, nous
l'avons montrée, c'est leur point faible. Le projet itîdien
tranche dans le sens déterministe cette même controverse
métaphysique, et c'est là qu'il pèche le plus. Ceux qui
LES QUESTIONS ACTUELLES 151
croient au libre arbitre, — et ils sont nombreux, — ne lais-
seront pas chasser ce principe de la loi pénale sans résis-
tance. Aussi le projet de la commission italienne a-t-il
soulevé déjà la plus vive opposition, même en Italie ; il
n'est peis certain qu'il soit discuté devant le parlement ita-
lien, plus douteux encore qu'il soit adopté. Fut-il voté,
ce code se heurterait encore à la pratique lorsqu'il s'agirait
de l'appliquer. Nous l'avons dit, c'est une grande erreur
de croire qu'on supprimera la croyance à la responsabilité
humaine par décret. Les juges continueraient à tenir compte
de la culpabilité du criminel pour fixer la peine — ou
la sanction — qu'il paraîtrait mériter. Cependant ce projet,
même s'il n'aboutit pas, conservera une valeur théorique,
qui attirera longtemps l'attention des criminalistes.
Autant qu'on peut le présumer, les réformes prochaines
se feront en suivant une autre voie. Le droit criminel se
tiendra de plus en plus dans une prudente réserve sur la
question du libre arbitre. C'est déjà l'attitude qu'il a prise,
et avec succès. Personne n'a sérieusement protesté lorsque
notre loi de 1885 a établi la relégation des récidivistes.
Le délinquant d'habitude ayant expié ses délits antérieurs
n'est plus débiteur envers la société que de son dernier
délit ; or ce délit était peut-être sans aucune gravité objec-
tive, et on ne peut établir aucun rapport entre l'exil per-
pétuel avec obligation de travail dont son auteur sera
frappé et sa faute morale. Mais cette mesure a paru néces-
saire pour assurer la sécurité publique, et elle a paru juste
parce que le récidiviste est d'une manière générale très
coupable. Tout le monde a approuvé les lois qui renvoient
dans une colonie pénitentiaire, jusqu'à sa majorité, un
mineur coupable d'un léger délit qui aurait mérité à un
majeur quelques jours d'emprisonnement avec sursis. Là
152 LE DROIT PÉNAL
encore, il n'y a aucune proportion entre la mesure prise,
et la faute morale commise. Il a suffi pour apaiser tous les
scrupules de dire que le renvoi dans une colonie péniten-
tiaire n était pas une peine, mais une simple mesure d'édu-
cation. Il n'est pas téméraire de présumer que le législateur
continuera à marcher dans ce chemin, il gardera une sage
neutralité philosophique en se bornant à consacrer les
solutions pratiques, qui pourront être acceptées par les
spiritualistes comme par les déterministes. Ces lois ne
heurteront les croyances de personne et ne seront précédées
d'aucune profession de foi tapageuse. Il suffira que les
réformes qu'elles introduiront constituent, aux yeux de
tous, un progrès socialement utile et que la conscience
publique les considère comme équitables, humaines et
justes.
Il serait possible d'abord, de perfectionner le système
des peines et sur ce point il semble qu'il suffirait de pour-
suivre et de développer des évolutions commencées. Pen-
dant un temps on a soutenu que le progrès consistait à
unifier et à simplifier les peines, et que le but, vers lequel
on devait tendre, était une peine privative de liberté unique
allant de un jour à perpétuité. Cette conception paraît
constituer une erreur à la fois théorique et pratique. Le
traitement de tous les criminels ne peut pas être le même.
Il faut au contraire donner au juge le choix entre plusieurs
mesures à prendre car elles doivent varier selon la nature
du crime et selon le caractère du délinquant.
Il semble qu'on devra distinguer de plus en plus entre
les peines proprement dites et les mesures de sûreté. La
législation française est entrée dans cette voie lorsqu'elle
a établi la relégation. Ces mesures ont pour but, moins de
corriger le délinquant, que de le mettre dans l'impossibilité
LES QUESTIONS ACTUELLES 153
de nuire et au besoin de l'éliminer du milieu social où sa
présence présente des dangers particuliers. L'interdiction
de séjour réorganisée, l'exil et les peines coloniales devraient
à ce point de vue prendre une place de plus en plus large
dans la législation pénale. Pour l'application de ces mesures,
on ne tient compte exclusivement que de la timibilité du
criminel. La transportation et la relégation confondues
dans une peine unique ne serait ainsi applicable qu'aux
criminels incorrigibles.
D'autre part, la distinction des peines politiques et des
peines de droit commun paraît susceptible de nouveaux
développements. La théorie du crime politique, nous l'avons
vu, est en voie de formation. Si on la considère d'assez
haut, il semble qu'elle conduit à considérer, pour fixer la
peine applicable, à la fois le mobile de l'agent, et les moyens
qu'il a employés pour atteindre son but. Mais ces idées
ne doivent-elles être appliquées qu'aux délinquants poli-
tiques ? Les lois actuelles ne permettent aux juges de ne tenir
compte du mobile de l'agent que pour abaisser la peine
dans la mesure du minimum légal et des circonstances
atténuantes. Ne serait-il pas bon de leur donner la faculté
de changer la nature de la peine, lorsque le mobile ne paraî-
trait péis inspiré par des sentiments bas et honteux et que
le mode de perpétration du crime ou du délit ne semble pas
révéler des instincts pervers ? L'établissement d'un sys-
tème de « Peines parallèles » n'introduirait-il peis dans la
législation criminelle plus de justice tout en rendant la
répression plus sûre ? On peut d'autant mieux le penser
que certaines législations étrangères sont déjà entrées dans
cette voie nouvelle.
Tout cela ne constituerait pourtant que des perfec-
tionnements du système classique des peines. Mais le
154 LE DROIT PÉNAL
mouvement déjà commencé semble indiquer une tendance
à modifier complètement, dans certains cas, le caractère
même des mesures que la société peut prendre pour assurer
la défense de l'ordre public. L'assistance publique et
privée, qui a pris dans la civilisation contemporaine un
si large développement, fournira, peut-être, la solution des
problèmes actuels les plus troublants, et qui, à cette heure,
restent sans solution.
Cette substitution de l'assistance à la répression est
accomplie depuis plus d'un siècle pour les aliénés. Personne
ne songe plus à les punir s'ils ont commis un fait défendu
par la loi pénale. On les met dans un asile où est leur véri-
table place. Nous n'admettons pas même pour notre part,
qu'on les retienne dans des établissements spéciaux. Le
fou dit criminel ne se distingue bien souvent des autres
aliénés que parce qu'il a été interné trop tard.
Toutes les réformes qui ont été faites touchant les mineurs
délinquants s'expliquent au fond de la même manière.
D'un consentement unanime, l'enfant est aujourd'hui sorti
du droit répressif. On a compris que la peine n'était pas
la mesure qui convenait pour lui ; qu'il ne s'agissait pas
de le faire souffrir pour l'intimider, mais bien plutôt de
lui donner une suffisante Instruction primaire et profes-
sionnelle, et surtout une bonne éducation morale. On a
reconnu qu'il serait déplorable d'attendre que l'enfant ait
commis un délit pour lui donner cette direction lorsqu'elle
lui manque, et nos lois françaises permettent en effet de
le soustraire à une autorité paternelle corruptrice, ou trop
manifestement négligente, pour le confier à des œuvres
publiques ou privées chargées de le ramener dans la voie
droite. Toutes les mesures que l'on peut prendre pour
atteindre ce but, depuis le placement familial jusqu'à
LES QUESTIONS ACTUELLES 155
l'envoi dans une colonie pénitentiaire ne sont au fond que
des mesures d'assistance.
Or, si on y réfléchit, on s'aperçoit vite que d'autres
situations trouveraient dans cette même voie une solution
satisfaisante. On a reconnu depuis longtemps que le vaga-
bondage et la mendicité sont des délits artificiels, de créa-
tion simplement légale. Est-il juste que la paresse permise
aux riches, soit punie de prison chez le pauvre. D'autre
part, n'est-il pas démontré que cette peine est absolument
inefficace pour corriger cette sorte de délinquants ? Ne
serait-il pas préférable de les placer dans des établissements
d'assistance, où les invalides seraient hospitalisés et où
on ferait travailler les autres. Les vieilles Ordonnances de
nos rois, les lois françaises depuis la Révolution se sont ins-
pirées de ces idées, elles ont été cent fois exprimées dans les
congrès, les sociétés de bienfaisance, à la tribune du parle-
ment, approuvées par tous ceux qui se sont occupés de
ces questions. Elles ont trouvé dans les pays étrangers
des réalisations pratiques. Si elles ont échoué chez nous,
c'est uniquement parce que les budgets de l'assistaince
ont été insuffisants ; mais la solution est là.
Nous en dirons autant, sans crainte de nous tromper,
pour la répression de l'alcoolisme. Les lois sur l'ivresse
qui considèrent l'ivrognerie habituelle ou manifeste comme
un délit, sont convaincues d'impuissance par une expérience
décisive et universelle. On ne guérit point un alcoolique
de son vice, il vaut mieux dire de sa maJadie, en l'envoyant
en prison. Sa place est dans un asile de buveur où on le
soignera, ou tout au moins où on a des chances de le guérir.
Enfin qui sait si ce n'est pas dans cette même voie qu'on
trouvera la solution de l'angoissant problème de la respon-
sabilité limitée? Nous venons de le montrer, la peine atténuée
156 LE DROIT PÉNAE
qu'on prononce aujourd'hui contre le défectueux, le dégé-
néré, l'impulsif, ne protège plus suffisamment la société.
D'autre part, les médecins affirment que s'il ne convient
pas de confondre ces demi-responsables avec les aliénés,
ils relèvent cependant de leur autorité médicale, parce
que ce sont des malades, souvent incurables, quelquefois
guérissables, dans tous les cas des mdades. Elst-ce que cela
ne démontre pas qu'eux aussi appartiennent à l'assistance
plutôt qu'à la répression ? Ils seraient ainsi soustraits à
la peine et soumis à des mesures qui permettraient à la
fois de les soigner et de les mettre dans l'impossibilité
de nuire. Mais ses mesures se calculeraient non sur la
gravité objective du délit commis, ni sur la responsabilité
du délinquant, mais sur sa timibilité et sur l'état de sa santé
morale et physique. De nombreuses propositions ont été
fmtes en ce sens, et on les discutera certainement un jour.
On a demandé que ces mesures de sûreté succèdent à la
peine, atténuée et insuffisante, ou bien, ce qui paraît infini-
ment plus logique et pratiquement meilleur, qu'elles se
substituent à la p>eine. Si cette réforme venait à s'accomplir,
le juge n'aurait plus à se livrer à la recherche impossible
du degré de responsabilité du criminel, il devrait seulement
se demander si, pour protéger la société et pour obéir
à la justice, ce criminel appartient à la répression ou à
l'assistance, s'il faut l'envoyer en prison ou dans un asile.
S'il relevait du droit pénal rien ne ferait plus obstacle à
l'application d'un châtiment suffisamment rigoureux pour
être intimidant et exemplaire. S'il convenait plutôt de
l'assister, un internement à long terme dans un asile garan-
tirait du moins la sécurité publique.
Mais ces mesures d'assistance ont cela de particulier
qu'elles sont imposées à l'assisté et qu'ainsi elles consti-
LES QUESTIONS ACTUELLES 157
tuent une violation manifeste de la liberté individuelle.
Cette liberté serait en grand péril si un citoyen pouvait
être interné arbitrairement, sous prétexte qu'on ne lui fait
pas subir une peine, mais qu'on l'assiste. La transforma-
tion des peines en mesures d'ïissistance forcée serait trop
chèrement achetée s'il fallait la payer du sacrifice des
progrès, si lentement et si péniblement acquis, que la Révo-
lution a consacrés, et qui doivent rester intangibles. Nous
en avons montré l'importance sociale, il ne faut à aucun
prix les abandonner. Ces mesures d'êissistance ne doivent
être laissées à l'arbitraire, ni de l'administration, ni du
pouvoir judiciaire, ni de commissions de philanthropes,
ni de médecins experts. La meilleure garantie de la liberté
se trouvera toujours dans la règle que le danger socieJ
doit être révélé par un acte défendu par la loi et défini
par elle. On ne saurait être trop prudent pour admettre les
mesures d'assistance forcée préventives et elles ne saurjuent
être autorisées que dans des cas tout à fait exceptionnels,
oii le péril social est évident, et d'ailleurs légalement déter-
minés.
Au surplus, ces mesures d'assistance nous font ainsi
pénétrer dans un domaine nouveau et différent de celui
que nous nous sommes proposé de parcourir, c'est-à-dire
dans le domaine de la pure prévention. Nous ne pouvons
ici nous y engager ; mais il est impossible de ne pas dire,
en terminant, que, pour combattre la criminalité, ces
moyens préventifs sont meilleurs et souvent plus efficaces
que les moyens répressifs. Toutes les études contemporaines
ont mis en pleine clarté les causes sociales du crime et du
délit, et c'est en les détruisant qu'on obtiendra les résultats
les plus sûrs. Le percement des routes, l'invention des
chemins de fer, ont plus fait pour la sécurité des campagnes.
158 LE DROIT PÉNAL
que toutes les condamnations de chauffeurs et de brigands.
Pour ne citer que des exemples clairs et qui sont indiscu-
tables, toutes les mesures prises pour combattre l'alcoo-
lisme, et, en particulier, la suppression des cabarets, seraient
aujourd'hui un puissant moyen de raréfier les crimes et les
délits. Des expériences nombreuses et jamais démenties
l'ont prouvé avec la force de l'évidence. — La promiscuité
de l'habitation ouvrière n'est pas moins malsaine au point
de vue moral qu'au point de vue physique et en donnant
au peuple des travailleurs des logements convenables,
on fera une œuvre morale salutaire autant qu'on tarira la
source de la tuberculose. Le taudis, que fuient le père et
les enfants, est une des principales causes de la désorgani-
sation de la famille ouvrière urbaine et par là de la crimi-
nalité. Les écoles d'apprentissage qui encadrent l'adoles-
cent, et le maintiennent sous une discipline utile à l'âge
dangereux, éviteraient bien des chutes sociales. Toutes
ces idées ne sont pas absolument nouvelles. Mais tandis
qu'elles étaient senties instinctivement et par conséquent
obscurément, les méthodes scientifiques modernes les ont
fait apparaître sous un jour nouveau et avec plus de clarté.
Certes, la criminologie est une science qui est loin d'être
faite. Les lois naturelles qui dominent le phénomène du
crime sont encore bien incertaines. Mais on aperçoit la
voie dans laquelle on doit s'engager pour les découvrir
et les préciser.
On voit, et ce sera notre conclusion, quel a été dans le
passé et quel est actuellement le rôle des criminalistes.
Pendant de longs siècles, ils ont lutté, pour assurer à
l'État son droit de punir les actes qui troublent et compro-
mettent l'ordre et la sécurité sociales. Ce premier pas fait,
LES QUESTIONS ACTUELLES 159
ils se sont attachés à soumettre ce droit à des principes
légaux et à formuler une science juridique d'abord
coutumlère, et enfin précisée dans des textes écrits. Ils
ont ainsi détruit l'arbitraire des incriminations et des
peines, limité les pouvoirs des administrateurs, des juges
et du législateur lui-même, et, par là, donné le plus solide
fondement à la liberté civile. Ils ont enfin fait pénétrer
dans le système répressif les idées d'humanité et de justice
qui seront l'éternel honneur de la conscience humaine.
Pour accomplir cette œuvre, il a fallu des siècles de lutte
et une inleissable persévérance. Souvent elle a paru détruite
et on a pu croire qu'elle avait disparu pour toujours. L'in-
vasion des Barbares n'a-t-elle pas replongé le monde romain
dans les ténèbres du droit primitif ? Mais les fondements
de l'édifice avaient subsisté et, sur ces bases, les juristes
ont reconstruit un droit pénal qui a assuré de nouveaux
progrès.
Ce sont ces progrès que les criminîJistes ont aujourd'hui
le devoir de ne pas laisser compromettre. Ils ont été trop
chèrement achetés pour qu'on souffre qu'on y puisse porter
aucune atteinte. Nous devons veiller en particulier à la
garde de ces principes de droit public qui garantissent la
liberté individuelle ; nous devons même nous appliquer à
en faire une plus exacte et meilleure application et nous
sommes sûrs ainsi de marcher dans la voie féconde. Mms
voici que la science contemporaine est venue maintenant
élargir encore, et singulièrement élever, la mission des
crimindistes. Ils savent aujourd'hui qu'il ne leur suffit
plus d'étudier le crime, qu'il leur faut pénétrer les secrets
de la conscience du criminel, qu'ils doivent s'attacher à
connaître son hérédité et sa constitution physique, sa psy-
chologie et ses passions, les causes individuelles et sociales
160 LE DROIT PÉNAL
du crime pour en découvrir les remèdes. Aucune plaie
sociale ne saurait les laisser indifférents. Ils ne peuvent se
désmtéresser d'aucun des grands problèmes moraux et
sociaux qui troublent la conscience contemporaine. Ainsi
ils continueront l'œuvre civilisatrice de leurs grands devan-
ciers en garantissant, par des moyens meilleurs, l'ordre et
la discipline sociale, sans rien sacrifier de la liberté indivi-
duelle et en faisant pénétrer dans les lois plus de pitié
pour les malheureux, plus d'humanité et de justice.
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Pour les revues consulter spécialement : Revue pénitentiaire et de
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tin de l'Union internationale de droit pénal. — Zeitschrift fur die
gesamte Strafrechtswissenschaft.
FIN
ABBEVILLE. — IMPRIMERIE F. PAILLART
N" 20. H. ANDOYER
Membre de l'Académie des Sciences
et du Bureau des~ longitudes.
Professeur à la Sorbonne
L'ŒUVRE SCIENTIFIQUE
DE LAPLACE
N" 21. JEAN BECQUEREL
Professeur au Muséuw National
d'Histoire Naturelle
EXPOSÉ ÉLÉMENTAIRE
DE LA
THÉORIE D'EINSTEIN
ET DE SA
GÉNÉRALISATION
SUIVI d'un APPENDICE A
l'usage DES MATHÉMATICIENS
N" 23-24. MAURICE CROISET
Membre de l'Institut, Administrateur
du CoUège de France
LA CIVILISATION
HELLÉNIQUE
APERÇU HISTORIQUE
N" 25-26. ETIENNE GILSON
Chargé de Cours à la Sorbonne,
Directeur d'Etudes à l'Ecole pratique
des Hautes Etudes Religieuses
LA PHILOSOPHIE AU
MOYEN AGE
N^a?. EDOUARD BRANLY
Membre de l'Institut
LA TÉLÉGRAPHIE
SANS FIL
N<'28. D^ CAPITAN
Membre de l'Académie de Médecine,
Professeur au Collège de France
et à l'Ecole d'Anthropologie
LA PRÉHISTOIRE
N" 29. E. GARÇON
Professeur de législation criminelle et
de droit pénal comparé à la Faculté
de droit de l'Université de Paris
LE DROIT PÉNAL
ORIGINE — ÉVOLUTION —
ÉTAT ACTUEL
N" 30. F. ROMAN
Chef des travaux de Géologie 5
l'Université de Lyon
PALÉONTOLOGIE ET
ZOOLOGIE
N" 31. ALBERT GRENIER
Professeur d'Antiquités nationale-,
et rhénanes à la Faculté des lettrei de
l'Université ce Strasbourg
LES GAULOIS
Dans les volumes de la COLLECTION PAYOT, des savants fran:ais rcsu.-ne.it
la somme de leurs connaissances.
(La France).
. La COLLECTION PAYOT est de date récente mais elle a conquis tout de
suite une place de choix dans l'estime du public cultivé, tant par l'excellence
de SCS travaux (dont la plupart sont vraiment hors ligne) que par la beauté d'une
typcgraphie qui nous donne en 150 pages in-16 la matière largjment de 303 pages
in-12, et ctla avec une lisibilité que l'on ne rencontre guère que dans des publi-
cations de luxe.
(L'Ami du Clergé).
PRINCIPAUX COLLABORATEURS
DE LA « COLLECTION PAYOT ^
HENRI ANDOYER, Membre de l'Institut, Professeur à la Sorbonne.
PAUL APPELL, Membre de l'Institut, Recteur de l'Université de Paris.
L'-C E. ARIES, Correspondant de l'Institut. ,
AUGUSTE AUDOLLENT, Doyen de la Faculté des Lettres de Oermont.
ERNEST BABFXON, Membre de l'Institut, Professeur au dllègc de France.
F.. BAILLAUD, Membre de l'Institut, Directeur de l'Observatoire de Paris.
LOUIS BARIHOU, de l'Académie Française, ancicnj'résident du &>nseil.
PAUL BECQUEREL, Docteur es Sciences chargé d'Elnseignement pratique à \x
Sorbonne.
GABRIEL BERTRAND, Professeur à la Sorbonne et à l'Institut Pasteur.
MAURICE BESNIER, Professeur à l'Université de Caen.
G. BIGOURDAN, Membre de l'Institut, Astronome de l'Observatoire de Paris.
F. BOQUET, Astronome de l'Observatoire de Paris.
Abbé J. BOSON, Docteur en Philolojie orientale.
EDMOND BOUTY, Membre de l'Institut, Professeur à la Sorbonne.
E. BRANLY, Membre de l'Institut, Professeur à l'Institut Catholique.
M. BRILLOUIN, Professeur au Collège de France.
D' CAPITAN, Membre de l'Académie de Médecine, Professeur au Collège de
France, Professeur à l'École d'Anthropologie.
J. CARCOPINO, Ancien Membre de l'École de Rome, Professeur à la Sorbonne.
EUGÈNE CAVAIGNAC, Professeur à l'Université de Strasbourg.
G. CHAUVEAUD. Directeur de laboratoire à l'École des Hautes-Études.
HENRI CHERMEIZON, Chef de travaux à la Faculté des Sciences de Strasbourg.
HENRI CORDIER, Membre de l'Institut, Prof à l'École des Langues orientale!.
M. COURA.NT, Professeur à l'Université do Lyon.
MAURICE CROISET. Membre de l'Institut, Professeur au Collège de Franc.-.
EDOUARD CUQ. Membre de l'Institut, Professeur à la Faculté de Droit.
L.'DAUPHINÉ, Docteur es sciences, chargé d'Ens»ignemcnt pratique à la Sorbonne.
MAURICE DELACRE. Membre de l'Académie Royale de Belgique, Professeur
a l'Université de Gand.
M. DZLAFOSSE, Ancien Gouverneur dcî Colonies, Profe.s. à l'Ecole co'oniilc.
CH. DEPÉRET, Membre de l'Institut, Doyen de la Faculté des Sciences de Lyon.
C H. DIEHL, Membre de l'Institut, Professeur à la Sorbonne.
G. DOTTIN, Correspondant de l'Institut, Doyen de la Faculté des Lettres de Rennes.
ALBERT DUFOURCQ. Professeur à l'Université de Bordeaux.
CH. DUGAS. Professeur à l'Université de Montpellier.
JEIAN DUHAMEL, Secrétaire du Comité Central des Houillères de France.
Comte P. DURRIEU, Membre de l'Institut, Conservateur honoraire au Louvre.
RENÉ DUSSAUD. Conservateur au Louvre, Professeur à l'École du Loj/re.
CA.MILLE ENLART, Directeur du Musée de Sculpture Comparée.
C EMILE ESPÉRANDIEU. Membre de l'Institut.
P. FABIA. Correspondant de l'Institut, Professeur à l'Université de Lyon.
HENRI FOCILLON, Professeur à la Faculté des lettre» de l'Université de Lyon.
E. GARÇON, Professeur de législation criminelle et de droit pénal comparé à la
Faculté de droit de l'Université de Paris.
G. FOUGÈRES, ancien Directeur de l'École d'Athènes, Professeur à la Sorbonne.
E.-F. GAUl 1ER, Professeur à la Faculté des Lettres d'Alger.
PAUL GIRARD. Membre de l'Institut, Professeur à 'a Sorbonne.
PRINCIPAUX COLLABORATEURS
DE LA « COLLECTION PAYOT
GUSTAVE GLOTZ. Membre de l'Institut, Professeur à la Sorbonne
A ("DCMICD D-_t ll'II-: -...IJ-C. 1
KJV 7962 .637 1922 SMC
Garçon, Emile Auguste,
Le droit pénal