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Full text of "Le déserteur,: drame en prose en cinq actes,"

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LE 

DÉSERTEUR, 

D R.A ME ^ 

£N PROSE ET EN CINQ ACTES j 

Par M. MERCIER. 

Mil an Théâtre , avec des Changemens | 

Par M. J. P AT RAT. . ^ 

Représenté , pour la première fois , à Brest , l6 
aj Janvier 1771 , 

Ec remis au Théâtre de Lyon , ait mois de 



A LYON, 

Chez C A 5 T A u D , Libraire , place de U 
Comédie. 



M. D C C, L X X I, 





*P ER s b N KACES 

îa«e.vI.t7ZERE, veuve d'un Manufjjctarier. 
• î \ift Y, filié de madame Luzere. 

V^^RIMBL, jeune Français, conduisant ' 
t -commerce <ie madame Luzere. 

Le Chevalier deSAINX-FRANÇ, Majo 
décoré de la Croix de St. Louis. 

V^LCOUkx, jeune Oificier. 
M. H O C T A U , vieux garçon. 
■^ FRIDRIC, domestique de Mad. Luzère, 
iaDçs SOLDATS. 



L action se passe dans «une Retite ville <iAlk 
snagne, frontière de France. 






K* 



La Sclnc est clu[ Mad. Luiire. 



«.. 









V 'J 






LE Déserteur; 

DR À Ha. 




. A C T 

Le Théâtre représente une Salit à F allemande i 
avec un poêle de fayence contre le mur ^ uw 
porte dans le fond ^ seule issue de f appartement , 
et du coté droite près du po'éle^ une petite porte 
de cabinet entrouverte. 



SCENE PREMIÈRE. 

M. HOCTAU, Mad. LUZERE, sont assis 
pris du poêle à la levée du rideau, 

^ M •• H O C T A u ♦, continuant la conversation* 

Et tout c^a vient fondre sur nos pailHers 1 ides 
bataillons «ans fin 1 infanterie, cavalerie, dra- 
•gQjj-s , troupes légères , houzards , des bagages^ 
'^'un train d'enfer 1 Oh! malheureux paysl Ce 
déluae annonce notr^ raine ; ^ je Tavois bîeii 
prévu.— Vous souvient-il, madame, de ce que 
j'ai dit il y a deux-ans, en vous lisant la gàzéttç 
du 6 mars l J'ai vu yenir la.guerre de ce côté-ci ^ 
toxx% convme ceux qui lont imaginée. . / . 

Mad. L tJ z E R E. 

Eh bien , que pouvons-nous y faire , mon chel? 
.14. Hoctau î ba marche des armées ne se règle 
point d'après nos avis. Payons en silence , voilà 
notre lot. Heureux si , par ce moyen , nous échap- 
pons aux horreiyrs qui nous environnent. 

M. Hoctau. 

Ces troupesî françaises ♦qui sont à nos portes, ne 

A * 



4 LE DÉSERTEUR: 

vont- elles pas encore nous forcer à des réjouissances 
publiques pour célébrer leur bonne arrivée ! 

Mad. L U z E R E. 
M^îs parlons franchement : qu a fait pour nous 
cette milice avide qui se dîsoît nos alliés , nos dé- 
fenseurs? Ils semblent n'être venus ici que pour 
diLVànteç les.ennenîis dans lart du pillage : ^ les 
français Atri vent; on leur cède la place : ils ne 
feront pas pis que les autres j ils vivront seulement 
à nos dépens. . 

M. H O C T A u. 

Il est vrai que je n^'attendois que nos troupes , 
au Heu de s'évader , alloîent -. j'enrage de bon 
cœur. ^ On n'a pas seulement tiré un coup de 
fiisil , et les français sont nos maîtres. 

Mad. L u Z E R E. 
J'aime mieux que les choses se soient ainsi pas* 
fiées , que d'avoir vu le sang ruisseler dans les rues 5 
et peut-être les quatre coins de notre petite ville li- 
vrés auic flammes. Puisque nous devions avoir des 
troupes^- autant vaut des français.... 

M. H O C T A U. \ 

'YotMi^avez beau dire , je n'aîme pas les fran5ais9 
et A je suis bon patriote. '-=• M'entendei- vous , 
madame ? ^ / 

Mfad. L u z E R E. 
Que yoiiïèz-vous dire? ejcpliquez-vqus ouver- 
tement. .. 

M. H O c T A u. 

Oui y oui y nous le voyons bien , vous ne haïssex 
pas les français. 

Mad. L u z £ R £. 
Je suis bien loin de haïr aucune nation , et je ne 
jne cache pas d'estimer dans le français plusieurs 
excellentes qualités. 

M. H C T A: U. ' 
Vous ne le f^iites que trop^i^oir^ par celui que 
vous avez chez vous depuis sept ans. U ne fait^ 



DRAME. 5 

cliaque jour, que prendre un ton plus haut dans 
cette ville : on diroic qu'il est déjà ... je ne veux 
pas dire« • . • 

Mad. L u z £ R £. 

Ditçs y dites. ^ Celui dont vous parlez est vtn 
jeune homme d'un mérite rare ^ M. Hoctau ; il est 
prudent » économe , intelligent, laborieux; et^ 
veuve comme je le suis , il m'était impossible de ren«r 
contrer un homme plus utile à mon commerce. *-^ 
Pourriez-vous lui en vouloir i 

M. H o c T A U. 

Hom ! • • . Mais vous ne savez pas les bruits que 
J*on fait courir^ *— tous vos amis en sont scaadalifiés. 
Mad. L u Z £ R £y souriant* 

£h ! . . , quels bruits donc ? 

M. Hoctau. 

On va jusquà* oser parler du mariage dé cet 
llûrame-^là avec votre fille , et vous sentez. . . .. 
Mad. L u Z £ R £ , souriant. 

Oui y je sens qu'un bruit pareil peut inquietter ; 
et pour le faire cesser , je veux que ^ dans les vingt- 
quatre heur^ , Durimel soit son époux. 

M. Hoctau, étoufant dt dépit. 

Comment?... Mais... Comment?... Son époux l 
Mad. LUZ£R£ , avec ironie , la première phrase 

C'est à cause du bruit , M. Hoctau : vous l6 
savez , les bruits sont dangereux. ^ D'ailleurs ^^ nia 
fille a près de dix-huit ans , Durimel en a près de 
trente : quels nœuds mieux assortis 1 d'un autre 
côté, voici des officiers qui arrivent en fott^te j il 
est important de marier les fille$. 

M. H o c T A U. 

Non , je n'en reviens pas. — Mais ouWHez-vouf 
Tantipathie que défunt votre époux avoir pour les 
français ? ne craignez- vous pas d'irriter son ombre? 
Mad. L U z £ R £ ^ tranquillement • 

Non ^ M. Hoctau ; il n^ ^. que les vivans qui 
s*îrritent , et souvent poux des. affaires qui ne le& 
regardent pas, A | 



L E DE S E.R T EU R, 

M. H O C T A u. 
Vous rne payez d'ingratitude, madame I Voui 
avez aussi oublié l'espoir qit a fait naître le refus du: 
iecbnd époux que )e m'empressai de vous offrir dès 
\^% premiers jours de votre veuvage. 

- Mad. LUZ£RE , avec ironie la premiire phrase. 
^ Il est vrai : ma fille vous doit beaucoup de rc- 
Cônnoissance de vous être offert pour être lorf beau- 
père. ^ A^ais je vous ai assez fait connoîrre com-^ 
t)ien j^imois qu'une mère osât se sacrifier pour son 
enfant. Je n'avoîs que quelques années à attendre : 
elles sont écoulées. Ma fille n'aura point rougi à ma 
ttôec y et je paroîtrai avec honneur à la sienne, ' 

M. H 6 CT A u. 
Quoi 1 mes espérances seront trompées! moî qui 
ai toujours cru que jamais un autre. • • 

Ma.d. L U Z li K £ , ironiquement. r 

On ne peut pas tout savoir , M. Hoctau ; et tel 
qui prédît si bien, sur une gazette , les révolutions 
de l*Çurppe,lit souvent fort mal dans les yeux d'une 
jeune fille, r* Maïs la voici. ^ Sî eHe vous veuç 
pour époux, je ne m'y opposerai point. . 

S C E M E 11. 

M. HOCTAU ^Mad. LUZERE, CLARY. 

Mad. L u z E R K. 
. Clary t vous venez fort à propos. On vous dp*^ 
0iande à toute force en mariages N'^im^riez- vous 
jas bien M. Hoctau pour votre époux ? 

Clary, ingénûmeht. 
Je raîmeraî dans toute autre occasion ; mais , 
cour mon époux ! . . . Oh ! non , ma chère bonne 
maman. i;^: 

Mad. L x; ZTE. R E, : 

Pourquoi donc ? ^ 

C t A R Y. 
r Mais vous le^ savez aus» bien que moi. Je vo» 



V 



DRAME. ^ r 

ifonfie mes pensées les plus secretces , et je vous 
ai avoué. ... ' ^ 

Mad. L u z E R £. 
Achevez, 

Cl A R Y , avec une madtstc confusion.. 
Le nommer I . . . — ■' Ah ! vous le connoissez bien. 

M- Ho C T R u. 
Quoi 1 .mademoiselle ? un français , qui vient de 
[enesais„où, cjui n'a rien au monde, arrivé ici; 
par aventure, . . • vous le préférez à moi, dont les 
ayeux , depuis deux cents ans, sont honorés danS' 
cette province s ^ nioi , qui possède des maisons 
dans cette ville , où je puis aspirer à tout 1 ( A 
madame Lu^irt. ) Ah ! triadame, line mère pru- ' 
dente ne devrott pas laisser faire à une fille sans^ 
expérience , une étourderie ds cette force-là. '^ 

Mad. L u z E R E. 
Clary , c'est à vous à faire iinp réponse. 

C L A R Y. 

Elle sera bien simple. ^ Nos "âgés , nos goûts ^ 
003» sentimens, tout diffère : un bonheur mUtuel ne' 
seroit pas le fruit de nos nœuds. ^ Nous vivrons' 
bien mieux amis qu époux. ^ Soyez généreux : 
mettez seulement rajnour de côté, et je vouspro-^ 
teste que vous ne m'en deviendrez que plus cher* 

M. H O C T A U. 

Je vous ai vu haîtrc , mademoiselle. — Me dé- 
daigner ainsi ! '^^ Moi qui vous aurois donné tout 
mon bien I ^ me préférer un 1 . . . 

Mad. L U Z E R E. 

M. Hoctau .... 

M. Hoctau, furieux. 

Laissez-moi , madame, laissez-moi. Il n*y a pltis 
<ju*ingratrtude , dureté et trahison sur la terre. ►- 
Comme tout est changé ! -- que le rtxonde est 
haïssaBîe^î qû'îTest perverti l •- Ah 1 qu'es^ devenu 
votre défunt \ Cet oit moi^ami ; c'étoit là un homzM 

A4 



■ ■» 1 



s LEDÉSERTEUR, ' 

d'an sens droit , éclairé. ^ Hélas 1 on ne voit que 
trop ici qu'il n*y est plus. 

( // ^ortp et ne tin pas la porte après lui. ) 

SCÈNE I 1 L 
Mad. LUZERE,CLARY. 

Mad. L u 2 E ç. E. 

Il m'attriste I — Je n'aime point à voir le chagrin 
dans le cceur de ceux même qui ne respectent point 
la sensibilité d'autrui : il «st vrai qu'il falloit une 
bonne fois l'écondui^-e^^ 

C L A R Y, 

Quelle différence entre Durîmel et lui 1 Oh ma 
snère 1 c'est vous qui faites son bonheur et le mien. 
Le ciel même a , conduit ici ce français : il vous 
chérit comme moi; vous êtes témoin de notre ten- 
dresse. ^ Il paroît bien sincère : — tout ce qu'il dit 
peint l'honnêteté^ la vertu. ( D'un ton plus timide.) 
Vous êtes toujours décidée en sa faveur ? ^ Cela 
me fait tant de plaisir , que j'appréhende quelque- 
fois de vous voir changer. Ce pays - ci e^t plein 
d'envieux. ... 

Mad. L u z E R E. 

Ma chère enfant , puisque tu l'as choisi , il est 
à toi : je le crois digne de ton amour. En te le don- 
nant , qu'il m'est doux de satisfaire à la fois et mon 
cœur er ma reconnoissaucel ^ Viens ici. ( Elle la 
fait asseoir auprès d'elle ^ à la place quoccupoit 
M. Hoctau ; elle lui prend les mains , et lui dit 
affectueusement : ) Ma fille, il faut être avec ton 
époux , affable , complaisante; préviens le moindre 
nuagç qui pourroit obscurcir un seul de tes beaux 
jours. Nous, n'avons point la force en partage ; une 
douceur af&ctueuse, voilà nos seules arme^ : ^ fuis 
les inégalités, évite les caprices, ils sont lecueil 
de l'amour. ^ Sous le joug de l'hymen , des tortf ^ 
d'abord insensibles et légers 5 composent quelque- 
Ibis la matière dangereuse des discordes. ^ Il f^ut 



mmmmmmmmmmtmmm 



DRAME. 9 

ni*ouvrîr toujours ton atne , a^n que mes conseils 
préviennent ou dissipent tout ce qui pourroic res- 
sembler aux orages. 

C L A R Y , embrassant sa mère* 
Ahl vous n'aurez pas cette peine-là. 
( Btndant h couplet suivant^ M, Hoc tau rentre^ 
comme un homme qui a oublié de dire quelque 
chose ^important : la porte quil a laissée ou^ 
verte , lui facilite le moyen d'entrer sans itrd 
entendu ; et voyant madame Lu^ère et sa fille 
dans l'entretien le plus animée il se glissit ddns 
le cabinet pour les écouter. ) 

Mad. L u z £ R Ë. 
3*en accepte l'augure, ma chère enfant;^ tu 
touches au moment où tu vas commencer un Heu 
bien doux , mais non moins sérieux. Les devoirs* 
d'épouse vont succéder à ceux de fille : Hs sont plus 
importans , plus étendus , plus a uguste s, ^ Elève ^ 
affermis ton courage , agrandis ton ame , disposes- 
la à tout événement. — . J'ai promis à M. Hoctau 
que dans vingt-quatre heures Durîmel seroit toa 
époux. 

C L A R Y , se retirant d'entre les bras de sa mlre^ 

étonnée et confuse. 
Dans vingt-quatre heures l . . . Dieu l i . . vous 
m'avez toute saisie. — Je pense. ... Oh 1 c'est trop- 
tôt aussi. 

Mad. L U Z E R E , lui souriant amicalement. 

Pourquoi trop-tôt ? j'ai toujours pensé qu'on ne 
marioir q.ue trop tard deux personnes qui s'aiment. 
( Plus sérieusement. ) Cette ville eiît en proie à 
Tétranger . . . vous avez besoin d'un protecteur. 
--LAR Y , baisant les mains de sa mère. 

Avec quelle tendresse vous veillez sur* mon 
bonheur ! 

Mad, L u Z E a E* 

Le voici qui vient fort à propos. Nous allqns 
U mettre au comWe de la joie. ( D'un air riant. ) 
Comme il va déraisonner 1 



lo L E D É s E R T EU R, 

C L A R Y 3 émut. 
Je suts toute troublée. . . Je ne suis. . . Non, ^ jt 
ne puis que me sauver. ( Elle^ sichdppt. ) 

SCENE IV. 
D U R I M E L , Mad. LU Z E R E, ^ 

Mad. L u Z E R E. 

Clary! Clary I ( A Durimel qui cnfre. ) Retenez- 
la^ Durifnel. ^ Mais, bon ! elle est déjà bien loin. 

Durimel. 

Oq diroit que c'est ma présence qui cause sa 
fuite, »- pardonne?. , j'ai peut - être interrompu un 
entretien. ... 

Mad. L IJ z E R E , souriant. 

Point du tout. .- Alle7, c'est une jeune folle qnf 
ne vou« fuira pas toujours. ( Prenant un ton noble 
et sérieux. )KcoGtte2y Durimel : il est tems de donner 
à votre mérite , à votre attachement à mes intérêts ^ 
à un autre sentiment que j*ai vu naître avec plaisir, 
tout le prix que vous en attendez, et que je puis dîre 
qui vous est àh.{P endant ce couplet ^ Durimel laisse 
échapper des marques d'une douleur concentrée. ) 
Mais qu'avez - vous ? Votre regard est sombre , 
inquiet; —vous soufFretintérieurementj — vous n'a- 
vez pas le visage que je vduxirois vous voir pour les 
choses que j'ai à vous annoncer : — que signifie ce*^ 
silence ? Auriez-vous reçu quelques nouvelles désib-^ 
gréabies ? Auriez-vous à m'^pprendre quelque re- 
tard^ quelque faillite ? Nos fonds auroient-ils es- 
suyé des revers entre les mains de quelques uns de- 
nos correspondans ? 

D u H î M E L. 

Non, Madame; vos affaires me paroissent sûres : 
hier je vous remis les registres dans un ordre exacte 
et qui les vérifie toutes. 

Mad. LUZERE , avec ufie sorte ^inquiétude. 

Mais, à propos, je ne vous les avoispas d'eman- 
dé$. Qu'est-ce que cela'veat dite, mon cher DurU 



D RAME. • th 

meîî Avoir un air aussi triste î — et dans quel mo- 
ment! ^ tous vos compatriotes vainc|ueurs et pleins 
d allégresse» se répandent en foule dans tous ces can<^ 
tons. On ne célèbre plus que le nom français. Tou^. 
vous rît. — Car , on a beau voyager, le cœur est 
toujours jdu coté de la patrie -- et. .. . le vôcre 
n*a't-il pas un secret pressentiment de ce que }9\ 
veux lui annoncer ? 

Du R 1 m £ L , aprh avoir soupiréé 

A moi, quelque chose d'heureux 1 ^ Ah! Ma- 
dame 1 je ne m'en flatte plus. 

- Mad. L u Z £ R £ , plus inquiète. 

Vous n'êtes pas dans votre état ordinaire* ^ Nous 
ce n'est pas là vous; «^ je respecte vos secrets ; — je 
vais vous confier les miens , nous verrons après si 
l€$ vôtres tiendront Contre. {ELU le fait aseoir au^ 
j^rh delU. ) Durimel , ce n'est pas devant mol que 
vous vous êtes caché d aimer. Vos sentimens hou-» 
nêces vous ont acquis mon estime et ma confiance*; 
Vous êtts français , et vous n'avez pas cherché à^ 
séduire ma fille ; je vous la donne , ^ demain sera 
le jour heureux que poursuivoît votre attente. 
Du RXM£L, trcs^vivtmcnt. 

Ah ! Madame I «-* de quels coups venez- vous de m» 
frapper ? et dans quel moment l .— Vous êtes loin de 
connoître la situation de mon ame; ^ oui ^ j'adçMre 
Clary . , . . Mais. . . . Vous êtes sa mère , vous m*es-' 
rimez; répondez-moi, Gary, m'aime- 1- elle ? un 
mot va décider de mon sort. 

Mad. L u Z E R E. 

Si je vous le dis ce mot , serez-vous plus sage ? 
Gar, je vous l'avouerai, je ne vous reconnois plus. —. 
Oui ^ mon cher Durimt;!, je vous fais, cet aveu en 
taute confiance, le cœur de Clary est à vous. 

Durimel, se levant avec transport» 
'- Ah! je puis donc défier le destin; elle m'aime; ^ 
demain je puis être son épou:ir, ^ et je la fuirois! i^ 
Non , dussairje payer de ma tête l'instant du boat 
heur, • • . Je resterai i^ je mourrai content. 



i2 LEDÉSER T E U R, 

Ma<^. L u Z E R E , interdite , et se levant aussi. • 

Que dites- vous? Vous avez jette le trouble dans 
mon ame. ( D'un ton timide. ) Vous n"êces pas ia- 
sensé , seriez-vons malheureux ? 

D u U 1 M E L. 

Si je le suis ! Ah ! . . . Vous me donnez votre 
fille. Mais me connoissez-vous ? Vous pourriez du 
moins soupçonner qu'un homme qui s'expatrie, n'a- 
bandonné pas sans sujet le lieu chéri de sa naissance. 
Qui sait si un seul mot prononcé ne révoqueroit 
point l'aveugle penchant qui vous^ parle eu ma fa- 
veur ? si Clary , elle-même , ne rougiroit pas ? l^c 
me rejetréroit point. . , • 

Mad. L u z E R E , avec tendresse. 

Vous , mon cher Durimel 1 ^ Non , je ne puis me 
tromper. Si je n'ai jamais songé à vous faire rompre 
le silence que vous avez toujours gardé , c'est que U 
première impression que vous avez faite sur nos 
âmes a répondu pour vous. J'ai respecté votre se- 
cret, sûre qu'avec vos vertus on n'a point un cœur 
coupable. »- J'ai descendu dans le vôtre, je l'ai bien 
étudié : par ce que vous êtes , 'je juge de ce que 
vous avez été. — Epoux de Clary , vous allez de- 
venir mon fils , vous Têtes déjà : — . gardez mainte- 
nant votre secret, ou épanchez-le dans mon sein , 
vous êtes libre. 

Durimel. 

Vous allez tout savoir, — . J'allois vous quitter ^ 
madame. ( Ici madame Lw^re témoigne la pliBS 
grande surprise.) Si j'ai le courage de parler, prenez 
celui de m'entendre. ( Ils s asseyent. ). Je suis fils 
d'un soldat. Elevé loin des yeux de mon père, j'aî 
joui r-arement du bonheur de l'embrasser. A seize 
ans, dépourvu de ressource^, emporté par l'exem- 
ple , j'ai pris le parti des armes , sans avoir la con- 
solation de me trouver dans le régiment où servoit 
mon père; le sien ^ passa les iners, et depuis ce 
tems j'ai été privé de ses nouvelles* D^ns c^ métier 



DRAME. I) 

pénible^ mon coarage ne fut point abattu; inab 
c^ue j'eus de fréquentes occasions de l'exercer 1 
'7'étois tombé sous un colonel dur, inflexible : p^ 
cinq années de patience àvoient ployé mon ame sous 
un joug de fer. — Arrive un instant fatal : — in- 
justement molesté , je Veux répondre j et mé sens 
frapper • . . diffamant outrage qui fait encore rougir 
mon front : — • un mouvement involontaire fit mou- 
voir mon'bras pour venger, — l'instant d'après , je 
sentis coûte l'étendue de ma faute ^ mais elle étoic 
irréparable, i-h On me saisit , on m'emprisonne : ua 
hasard heureux se présente, le sort seconde ma har- 
diesse, j'ai le bonheuc de m'échapper. ^ Je me 
trouvai, dansun mêmejour, poursuivi^ dénoncé*, 
déserteur , jugé à mort. — « Errant, fugitif, j'ar- 
*rive sur cette frontière ; le bonheur semble me sou- 
rire , en m'o^fFrant chez vous un asyle dont je jouis 
en paix depuis ^^pt an<s. Mais, au moment le plus 
désiré, le plus beau de ma vie, la guerre amène 
ren ces lieux le même régiment qui porte mon. arrêt; 
inei juges sont à votre porte, madame: une fois rei- 
connu, je n*ai plus qu'à mourir; et sans vous, 
sans Clary , depuis trois jours j*aurx)is disparu* 
Mad. L U Z £ R £, anéantie. 
Mon cher Durimel, un instant. — Peripetteï 
que je recueille mes sens :^ ma tête est troublée. 
( Jprh un moment de réflexion. ) Je croîs q.tie la 
fuite seroit plus dangereuse que le séjour* de ma 
maison : des soldats remplissent au loin la cam- 
pagne ; ce régiment ne fera que passer , et cet asyle 
est préférable à tout autre. ^ O mon Dieu! — que 
m'avei-Yous appris ? 

D U R I M E U 

Je voudrbis ne vous causer que de fausses al- 
larmes. -^ J'ai entendu" dire que le régiment avoit 
beaucoup souffert; le tems a dd détruire plui de 
la moitié des chefs et des soldats :à la faveur du 
renouvellement, j'espère n'être pas reconâu.^aigne 



^4 LE P E SB R T EUR; 

ie ciel sauver de la mort an coear qui ir^^ste <fuc 
^our Glary l, ( Avec atiendruscment. ) Qfte depuis 
'«[uelques motnens sur^touc , la vie m'est devenue 
chère 1 
• . Mad. L u z E R lE. 

Ah 1 moq iîis ! n'envisageons pailit le malheur^ 

«ongeons plutôt à réloîgner: ne mettiez point le pied 

•hors de cette .maison ; évite* la v.u^ de tout le 

ixiQnde; en fermez- vous dans un eiidrait inaccessible 

à toutes les recherches ; demeurez-y caché. 

Due 1 m EU/ 
i> Mais y Clary allarmée , me demandera par-» tout: 
xonuoent me dérobef à s^f y^ux i Ël(^ soupçoti*- 
.Hera peut-être.. * . - f : .. • : 

- . . Mad^i L u Z E 8. E. . V 

O Die\i 1 ..•. niénagek cette ame sensible..^ 
îGardez-vous de laisser ccha^^per le moindre mot: 
-son effroi nous trahiroit ; il lui causeroii U naor;,,' 
•Nous lui raconterons le danger lotsqifil sera passé. 
;Il faut même ne pas trop paroître , vous dérober 
•à sa vue; épargnez lui tout sujet* d'allatmes : pa«^ 
O'oisseT^ à ses yeux, mais sans imprjidisnçe; prçne^ 
un air assuré, et que votre mamtien. .> • 

S € k N E f^. 

*lAD,LUZEREiDURIMEL,FftIDKIÇ. 

F R r D II I c. 

Madame, le régiment est -eAtré , et les compa- 
[nies se répandent dans chaque.quartîer. Voici deux 
âllets de logement d*officiers, qu'on vient d'envoyer. 
Mad. LxfZEKE^ prenant les billets. 
Allez, tout de suite, leiir préparer les deux cham- 
bres qui sont au bgui du corridor , et que rien n'y 
manque, {Fridric sort.) 

S C E N E V ^I. 
Mad. L U Z E r E, D U R I M« L^ 

D u R I M. £ L. . 

allez trembler pour moilc^aiP 




D a ; A M R ^5 

^n^aveirvous placé ygtte tefl4r«stee Anyfirs un hanumi: 
moins jïjifôrtuné 1 

Mad. L u z je; #1 .£« 

Pensez- vous que je ne vous chérissois qu'heureux i 
— Me feriez- vous cette injustice ? ^,Vos peines ne 
sont-elles pas ks fuienœs ?. \^[ ASl(<pii , du côuri^ge* 
( D*un ton vrai et anime, } Ep vérité , mon cceiit., 
ne recèle aucun noir pressentiment, et .tout ceci 
ne fera, dans quelques jours , que donner un nou- 
veau degri d'intérêt aux 'charmes dé nos entretiens* 

D U r: I M p L, 

Vous êtes tout pour moi , vous consolez mon 

cceur, veiis fortifiez mon.ame, «-^ Que n'ai-je le 

icher auteiar deinesjoursl il afouteroit à Texpressioti 

de ma reconnoissance. — Qu*est devenu cebonpère? 

je Tai par- tout redemaqdé^n- vain ; ^ s'il vit encore, 

«^ s'il savoir que son fils. . • . Je n'y songe jamais <}^e 

\ je ne me sente oppi?essé d'un poids. . . . {^11 pprte Id 

main sur sa poitrine , puis à ses yeux , pour tS" 

suytr quelques lartnes. ) 

Mad. L If Z E R E. 
Mon ami 9 il faut sur-le-champ vous retirer 
^ans ce cabinet , derrière le magasin '; demeurez-y 
invisible, calmez vos frayeurs, reposez-- vous, sur 
-mol î je parlerai à Clary ^non œil attentif veillera 
sur tout le resteg ^g[||MflP|. • . 

J^ Ce coupletrse dit en remontant le théâtre , et ïon 
perd les acteurs de yue^ comme s ils continuoient 
la conversation,) 

SCENE VIL 

M. H c T A u , seul. 

.( // sort au cahinct^ sur la pointe du pied. Il re- 
^-arde si madame Lu[ère et Durimel sont partis* 
Il est dans V attitude d'un homme qui attend le 
marnent propre pour s'esquiver. ) 

Ce que je viens d'entendre est bieti bon pour moi. 



i4 LE DÉSERTEUR; 

L'espérance renaît dans mon cœur. Oh 1 pour le coup 
)e l'emporterai sur lui , et j'ai de quoi me venger. 



venger, 
fin du pnmicr Acte. 




C T E II 



PREMIERE. 

St. F R A N C, V A L C O U R T. 

Deux domestiques portent des porte - manteaux z 
Fridric fait entrer les deux officiers dans la> 
salle de compagnie ^ et sort avec Us domesti^ 
gués pour les conduire à V appartement destiné k, 
leurs maittes. 

VAIîCOURT. 

v/UE nous somme fortunés ! Quoi? nous tombons 
tous deux chez une veuve dont la fille est un ange 1 
Chevalier, comme nous allons être d'accord 1 *^ La 
maman est bien ton affaire; ^ il me semble déjà vous 
voir dans un charmant tête-à-tête, parler ensemble 
de vos jeunes années, et en rappeller les momens 
les plus curieux, »-« mais elle a encore l'air fort appé* 
tissant^^ au moins, ^ d'honn eur »- ce doit être poar 
toi une poulette de ^^(HHBto^ ^ 

St. ^^W^ ". 
Peut-on, avec un cœur aussi noble, avoir une 
tête aussi légère ? ^ Vous ne songez qu'au plaisir de 
triompher des femmes, dans un pays, morbleu , où 
nous avons des homme à combattre.' 

V A L/C O u R T. 

Eh 1 nous les en battrons mieux. Je sens que Ta- 
mour me transforme en héros , il m*enflâme, ^ En 
attendant le, jour d'une bataille, dis-moi, étoit-il 
-possible de mieux rencorttrer '( As- tu vu un tour de 
visage plus joli î Une taille mieux prise? Un regard 
plus animé ï Et cette tresse adorable qui lui sert de 

diadème 1 • . . 



DRAME. tf 

diadème!... Foî de milîtaîre, j'en suis transporté; ^ 
notre devoir est de servir ia patrie et les belles; les 
mirtlies dv.- Tamoar s'entrelacenr avec souplesse aux 
lauriers de Mars. — Ami , je v^ ux subjuguer cette 
beauté dîvîvlne, et puis j'irai foudroyer Tennemî 
tant qu'on voudra* 

St. Franc. 

Quel cœur! à chaque ville il est pris. Maïs , Val- 
court, songe que nous sommes ici dans une inai&oa 
respectable. 

ValCOURT, légèrement. 
Aussi mon amour est-il cput-à-fait respectueaxj 

Si. F R A >' c. 
Cette fille est honnête; ^ elle appartient à un# 
mère. . . • 

Vaicourt. 

J'espère bien la lui rendre. 

St. F R A N c. 

Vaicourt, vous êtes jeune : mais votre amè est 
faite pour sentir mieux qu'uneautre le repentir cruel 
de toutes les larmes que vous auriez fait verser^ 

V A L c O U R T. 

Ohl tu prends tout au tragique. 

St. F R A N C. 
Ah ! Vaicourt l que la probité embrasse d'objetsi 

V 4«éÉH^ u k t. 
Tu as une fureurd^morale. 

St. Franc. 

Eh bien , changeons de discours: ^ le conseil ià 
été fort irrité de cette nouvelle désertion. 

Valcourt. 
Vraiment, vingt -sept en trois jours, et dans 1$J 
même compagnie. Qu'on vienne à présent deman*n 
- der la grâce dii premier qui sera pris. 

St. F R A N C. 

Il est vrai qu'il faut un exemple, mais que l'hu- 
manité soufFreà le donnerl notre général , l'idole « 
de la France, mon bienfaiteur^ ce héros à qui je 

B 



rS LE DÉSERTEUR, 

dois tout, penche lai-même à la clémence. Cepen- 
dant j'ai adhéré à 1 j résolution que naos avons prise 
de ne plus nous intéresser pour aucun. Mais , cher 
Valcour, vous ne sauriez vous imaginer le frémis- 
sement cjue me cause ce smgtant appareil. Au seul 
nom de désffrtîon , mes sens sont émus , boulever- 
sés; H- songes donc que c'est moi qui suis forcé de 
donner à chaque fois, le signal de mort : aucun de 
vous ne les approche de si près ; leurs derniers re- 
gards fixeht les miens , leur sang rejaillit jusques 
sur moi >-« et j'ai été simple soldat comme eux. 

V A L C O U R T. 

'Ah! mon ami! ... Etre officier I Etre officier 1 
C'est l'honneur , le courage, l'amour du monarque, 
c'est la liberté même qui nous conduit à la victoire. 
A nous seuls devroîen tappartenir la gloire et le dan- 
ger des combats , et le nom de déserteur seroit cer- 
tainement ignoré. ( Avec beaucoup de feu. ) Il 
me vient une idée: trente officiers valent bien , 
je crois, un bataillon. Ne pourrions-nous pas, unis 
en braves, représenter une armée entière? Former 
un seul corps, audacieux, intrépide, impénétrable? 
A»^^aQip*-<pe-**i^rible , il voleroit avec la vic- 
toire, elle seroit assurée. Pas un ne reculeroit d'un 
pouce sur le terrain , et le champ de bataille pour- 
roit être couvert de tno^flMta||i$ jamais désert. 

St. Franc. 

J'aime cette fougue puerrière, elle vous'sera heu- 
reuse. Ils moissonneront des lauriers ceux qui mar- 
cheront su'r*vos traces': mais croyei - moi , cher 
Comte, tel soldat est aussi brave que son capitaine, 
tt n'a pas les même motifs pour l'être. 

' Valcourt. 

Ah! Voici notre charmante hâresse. Allons, 
Chevalier, je vais porter les premiers compUiûens. 



wm 



DRAME- ip 

SCÈNE II. 

St. franc , VALCOURT , Mad. LUZERE. 

Valcourt, allant au-devant delU:, 
Le hazard, madame^ arrange les évênemens beau- 
cqup mieux que nous ne feiions nous«niêmes. £a 
vous voyant, nous lui rendons mille actions de 
grâces; c'est lui qui nous a conduit chez la beauté 
même; il sait que nous avons des yeux faits pour 
la connoître, et des cœurs disposés à lui rendre nos 
hommages. 

Mad. L U z E R E. 
A ces paroles on reconnoît un Français ; jamais 
rîen que de flitteur n'échappe de sa bouche. 

Valcourt. 

Puisque vous les connois&ez, je me représente 
avec un plaisir délicieux, que rien ne nous manque- 
ra. ^ Rien y ^ absolument rien. 

Mad. L u z E R E , avec graa. 

Il est bien juste, Messieurs, de vous procurer dti 
repos, car vous n'en avez pas toujours. ^ L'appar* 
tement que j'ai fait disposer est en état de vous re^ 
cevoir, et vous pouvez vous y faire conduire. 

Valcourt. 

Vous êtes adorable: »— pourvu que notre chambre 
soit voisine de la vjôtr^ telle qu'elle sera nous la» 
trouverons délicieuse. Nous autres militaires , nous 
savons nous arranger avec toute la complaisance 
possible : mais aussi n'allez pas nous reléguer dans 
' iHn canton éloigné. Je n'aime pas la solitude , moi. 
Oo m'a 9 comme cela , par Fois attrapé, . • Messieurs 
les Germains ont des corps de logis d'une longueur.., 
qui ne finit point, et ils vous exilent encore tout au 
b«ut , comme un pestiféré, ^ Je suis doux , doux..,« 
comme un mouton, pourvu qu'on me flatte, mais 
fier , implacable, si l'on me fâche. Nous vivrons en- 
semble bons amts'» jel'etpète, et pour cimenter ami- 
calement notre cha^rmante union, permettez^ chère 
maman que je vous embrasse, B a 



%o LE DÉSERTEUR, 

Mad. LVZEKE^ du ton de la plaisanterie. 
Ohl nous pouvons être fort bons amis sans cela. 

Valcourt. 

Eh î maïs , où est donc cette charmante enfant , 
dont la taille divine, le regard enchanteur, la phi- 
sîonomie angélique. • , . Pourquoi n'est-elle pas à 
vos côtés ? D*oii vient que Tamour fuit sa mère ? ^ 
Seroit-ce par vos ordres ? Cela crieroît vengeance. 
Tenez, le major me disojt tout à l'heure mille choses 
passionnées pour elle. ,— N'allez pas la lui cacher. 
Il est véhément, et dans son courroux tout seroit 
perdu. 

St. Franc. 

Il extra vague, h- Allez, Madame, ce ne sont que 
des paroles, et sur ma parole d'honneur, vous n'au- 
rez point à vous plaindre de vos hôtes. 

Mad. L u z E R E. 

Je n'en attends, sûrement, rien que d'honnête ,; 
monsieur le chevalier, n- Non , je ne vous cacherai 
pas ma fille; elle est élevée de façon à la laisser pa- 
roître en toute sûreté. ( Elle appelle. ) Fridric. 
( Le valet entre. ) Dites à Clary que je la demande. 
( A St. Franc , quand Fridric est sorti. ) Vous ne 
sa.vez pas , Monsieur , qu'elle est pour ainsi dire ma- 
riée : le jour de demain lui donne un époux. 

V A L C HU R T. 

Vous la mariez, cette aimable enfant, sî promp- 
tement V mais, vraiment , voilà un tour perfide. ^ 
Ahl chère maman, de grâce , point de précipita- 
tion, H- croyez-moi, il sera tems de la marier quand 
nous serons partis. 

St. F r a n c. 

Ne différez pas, Madame, de la rendre heureuse. 
Sans doute vous lui trouvez un bon parti î 

Mad. L u Z E R E. 

On ne sauroit meilleur. 

St» Franc. 
£h bien ^ concluez au plus vite* 



DRAME. tr 

Valcourt. 
Mais c'est vous, maman, qui faites ce mariage!... 
Elle n'aime pas le futur prodigieusement, je gage> ^ 
n'est-il pas vrai ? elle ne Taime pas ? 

Mad. L u z E R £• 
Pardonnei-moi , beaucoup. 

Valcourt. 
Eh non, non, je vous dis, — Elle s'imagine qu*el te 
l*aime ; ^ elle peut bien avoir pour lui un certain 
penchant , parce qu'un mari , en tout pays , est une 
chose commode: mais c'est bien loin, par exemple, 
de ce que quantité de filles ont ressenti pour moi. ►*► 
C'étoit un transport 1 . . , un affolement 1 . • ., 

Mad. L U Z E R E. 
Dont elles ont été bien récompensées, je crois. 

SCENE III. 

St. franc, valcourt, Mad. LUZERE, 

CLARY. 

Clary fait une révérence profonde , et va se ranger f 
les yeux baissés , à coté de' sa mère* 
Valcou RT, courant à elle. 
La voici, la voici . . . Celle dont les yeux lancent 
des traits toujours sûrs et vainqueurs. Quelle floris- 
sante jeunesse ! quel éclat ! — Eh bien , Major ? «-k 
elle me paroît encore embellie. C'est ma présence. — 
Vois , qu'elle est aimable 1 la rougeur monte sur son 
front.... et cette belle main, si douce, ( Il veut 
lui baiser la main. ) Il faut qu'elle conn^oisse tout 
le feu de mon cœur, 

Glary, retirant sa main avec dignité y maïs 

froidement. 
Monsieur, réservez pour d autres... Je vous prie.», 

Mad. L u z E R F. 
I Monsieur , un peu de retenue. 

Sx. F R A N c. 
Mon ami , songes que tu représentes la nation, et 
que tu la calomnierais chez l'étranger. Tu dois. • « 







ai LE DÉSERTEUR, 

Valcourt. 

L'adorer.— Vénus et ramour même, n'ont ja— 
ma^is été si séduisans. Les doux rayons qui partent 
de ses yeux, que je juge tendres à travers leur fierté , 
subjugueroient dignement le plus brave ofEcier de 
l'armée : lui... ou moi. — On vous destine un mari» 
Quel homme est-ce ?X^n bourgeois, sans doute? Un 
Allemand î Un Allemand î Je serois presque jaloux » 
6Î je n'étois pas ce que je suis. 

St. F R A N c. 

Quel verbiage! Eh, mon ami, viens, et laissons 
cette honnête famille. .— C'est asseï déraisonner, 

Valcourt. 

Que tu es fâcheux 1 

St. F r à *4 c , voulant V emmener. 

Viens , te dis- je : le tems est cher. 

Valcourt. 
Êkl vraiment oui: je puis être tué demain, le 
Cems est cher. Un militaire ne doit pas soupirer 
comme un bourgeois. 

St. Franc. 
Valcourt, tu me suivras , ou parbleu , je me fâ- 
cherai. ( // (entraine. ) 
Valcourt, cédant à St. Franc» 
Adieu donc, la belle, on m'enlève. 

SCÈNE IV. 

mad. luzere, cl ARY, 

Mad. Luzere. 
Quel étourdi ! 

C L A R Y. 

Le viel officier m'a paru un bien digne homme. 

SCENE V. 
Mad. luzere, CLARY , DURIMEL. 

DURIMEL, à part , en entrant. 
Ils «ont rentrés ; voicî le moment que j'attendois 
tvec tant d'impatience. Je puis paroître enfin. 



DRAME. 2} 

Mad. L U Z E R E, bas à DurimcL 
Vous, Durimel I Imprudent 1 — Allez... retirez- 
vous, 

C L A R Y. 

Que VQuler-vous dire, maman î 

Mad; L u Z E R £ , avec contrainte. 

Rien, ma fiile. 

C L À R y , un peu inquiète. 

Mais vous aviex quelque chose à di-e, que vpus 
avez retenu tout de suite. ( à Durimel, ) Et vous 
aussi..,.. Vous êtes troublé. — Je ne suis pas 
tranquille. Pou» quoi n'avtz r vous pas voulu ve- 
nir avec moi devant ces officiers, vos— compa- 
triotes ? Pourquoi yi)us tenif enft'rmé ? Nous ne 
sommes qut- des femmes, vous êtes un homme^vous^ 
vous les auriez contenus. 

Du R I M E L , vivement^ 

Contenus 1... Est-ce qu'ils auroient ? . , . ( i*c mo- 
dérant. ( J*anrois bien voulu vous obéir , chère 
CUry, mais .... 

Mad. L U Z E R E. 

Ma fille , as-tu oublié tout ce que je t'ai dît k ce 
sujet. Laisse agir Durimel, laisse- le à lai-même: 
ne te mêle de rien , je t'en prie. Tu sais que je n'agis 
^ue pour ton banheur^ tu dois en être assurée. 

C L A R Y. 

Voilà qui est fait , — je respecterai en tout vos 
volontés. 

Mad L u Z E R E , les prenant par la main. ' 

Embrassez- vous , mes chers enfans: ei»brfts*ret- 
lïWH>^— que toutes les heures de votre vie vous 
payent un nouveau tribu de félicité. En formant ces. 
nœuds, méritez les faveurs du ciel, otFre7-iui deux 
cœurs vertueux^ unis pour célébrer ses bienfaits. 
Durimel, avec passion. 

AhlClaryl 
Mad. L u Z E r £ y prenant la main de sa fille eÉ 

la donnant k Durimel. 

Je vous la donne* B 4 . 



r^ 




â4 LE DÉSERTEUR, 

C L A R Y , avec tendresse^ 
Et moi aussi, . , . avec ce cœ^r. 

D U K I M E L, un peu triste. , 
Puissiez- vous assurer votre bonheur en faisant le 
mien ! — quelque soit mon destin , vous vivrez dans 
ce cœur, jusqu'au dernier instant d.- ma vie» 
C L A R Y , le regardant dculoureusement. 
Ah ! Durimel ! de quel ton me parle?- vous de vos 
derniers momens ? Est-ce en ce jour que vous devez 
m'ofFrir cette image funeste ? 

Durimel la regarde tristement , et ensuite colle 
ses lèvresjur sa main , da^s un silence touchant. 

CENE VI. 

RE, CLARY, DURIMEL, 
^ VALCOURT. 

COURT, les surprenant. 
Pas mal, —pas mal, pour un Allemand. En vérité, 
Je ne Taurois jamais cru. 

Mad. L U Z £ R B, 
Oh 1 ciel, protège- le. 

V A L C O i; R T. 

Mais , Madame , c'est donc pour me jouer qu'an 
de relègue aux antipodes, là- bas au bout du monde. 
Ah L.. Vous me rendrez méchant , je vous en aver- 
tis. J'ai ambitionné Thonneur d'être votre voisin, 
et vous me traitez aussi cruellement \ c'est mal. ^ 
Voilà donc monsieur l'épouseur.... Mais il n'a pas 
l'air si germanique; il n'est pas trop m<il toprné: 
je commence même à lecioire dangereux. — Sé- 
rieusement, voudrois' tu te rendre mon rival? tu 
n'y gagnerois rien ; va, mon ami, on ne tient pas 
contre mes pareils. 

Mad. L u z E R E. 

Vous m'étonnez. Monsieur ; *-. javots cru quVm 
Français ne savoit dire que des choses honnêtes; p- 
de grâce ^ laissez-rnous ; vous avez votre apparte» 
ment, c'est pour vous y reposer. 



DRAME. jif 

Valcourt. 

CVst dans le cœur de cette aimable enfant, dans 
ce joli petit cœur que nous voulons faire retraite ; 
noMs ne prendrons plus désormais d'autre asile, et 
BOUS y logerons malgré vous , sévère maman. ( à 
CLiry, ) Iicomparable, vous voye^ un homme ido- 
lâtre de vos attraits; et si j'avais une couronne ^ 
ce seroit pour en orner ce front charmant. • • . 
( // vt'ue lui dérober un baiser^ Clary se retire entre 
sa mère et Durimel, ) 

Màd. L U Z E R E. 

Monsieur , vous vous oubliez. . . . 

Val COURT, à Durimel qui le fixe. 

Que fais-tu là avec tes deux gros yeux fixés sa» 
moi. 

Durimel, froiderrunt. 

Ne me faites pas répondre. 

Valcourt. 

Mais seroîs-tù impertinent, monsieur le futtnr. 

M.id, L u z E R E. 
Durimel , retirez-vous , sortez. 

Durimel. 
Etre forcé de se taire ! 

Valcourt. 
Mais c'est un des nôtres , je pense; seroîs-t» 
Français*? 

Mad. L u z E R £. 
Clary, emmenez- le. 

. Durimel, entraîné par Clary. 
Mon sang bouillonne. 

Valcourt, voulant retenir Clary* 
Ah! fugitive! vous croyez m'échapper, mais... 

Mad. L u Z e R E , V arrêtant avec force. 
Monsieur, vous oubliez que vous êtes chez mot. 
Quels sont ici vos droits ? 

( Clary et Durimel sortent. ) 



N 



%6 LE D É S E R T E U R; 
SCENEVll. 
Mad. LUZERE, VALCOURT. 

V A L C O u R T. 

Maïs , madame , dites-moi , est-ce que nous fai- 
sons U petite guerre ensemble ? Vous êtçs forte ai» 
moins, 

Mad. L u Z £ R £ , indignée. 

Allez, monsieur, vous devriez rougir; et sî tous 
les Français vous ressembloient , nous mettrions air 
rang des plus tristes malheurs de la guerre, la né- 
cessité où nous somme de vous ouvrir nos asiles. 

SCENE V 111. 

VALCOURT, stul. 
Elle a raison : j*ai poussé trop loin la plaisante- 
rie ; ^ elle va porter ses plaintes au major, et je vais 
entendre un sermon!... Il me Tayoît bien dit, cette 
famille est honnête. — Allons le trouver , soyons le 
premier à lui raconter mon équippée. Qu'il ramène 
la tranquilité dans cette maiison , en assurant ces 
braves gens que le goût du plaisir n*a jamais étouflEe 
dans mon cœur, les semences de Thonneur et de la 
vertu. 

Fin du second Acte. 



TE III. 




PREMIERE. 
Mad. L u Z e R e , St. FRANC. 

St. Franc. 

J E vous demande mille pardons, madame : c'est uit 
étourdi dont le cœur n'est pis méchant ; mais tout 
nouvellement échappé de la cour , il outre la folie 
française c il se croit tout permis ici. Cependant ^ 
comme je lui conaois des sentimens d'honneur ^ de 



DRAME 17 

la raison, par intervalles, j'ose vous promettre pour 
lui qu'à l'avenir. ... 

Mad. L U Z E R E , /e faisant asseoir» 
N'en parlons plus , monsieur le chevalier j s'il 
nous a causé quelques désagrémens , votre honnê- 
teté sait réparer ses fautes. Si tous les militaires 
vous ressembloient , on endureroit les malheurs de 
la guerre avec bien plus de résignation.^ 

St. Franc. " 

' Ne vous y.trompez pas , madame : nous pensons 
tous que c'est bien assez d'obéir à la nécessité ter- 
rible qui nous ordonne, dans les batailles, de fermer 
l'oreille aux cris de la nature et de la pitié. Pour 
moi , dans les intervalles de ces sanglantes calami- 
tés, je me sens un besoin de paix , mon ame soupire 
après quelqu'action généreuse ; je tâche en sou- 
lageant l'humanité souffrante , de réparer les maux 
dont j'ai été le fatal instrument. Eh! comment le 
triste spectacle de la guerre, en offrant des scènes si 
douloureuses , ne rendroit-il pas le cœur de l'homme 
plus tendre et plus sensible ? 

Mad. L u z E R E. 
Avec des sentimens aussi nobles , que vous avez 
du essuyer de larmes amères 1 ^ Mais vous êtes heu- 
reux sans doute , car on Test dès qu'on se plait à 
faire le bien. 

St. Franc. 

J'ai eu le bonheur d'apprendre à réfléchir en 
avançant en âge. L'infortune me ftt- prendre les 
armes, l'habitude m'en fait un devoir; le cielm'a 
favorisé dans les combats, ^ je ne saurois cependant 
dire avoir vécu heureux, à moins qu'on ne le soit 
en s'élevant au dessus de son sort.. 

Mad. L u Z £ R £. 
Cependant la place que vous occupez peut avoir 
des avantages dignes d'être enviés : il me semble 
qu'un officier tel que vous ^ dans plus d'une occar 
sion , joue un rôle distingué. 



a8 L E D E s E R T E U R; 

St. Franc. 
Il est vraî, madame, que cette place peut récom- 
penser un vieux militaire de ses longs services. De 
simple soldat , je suis parvenu au grade d'officier : 
incorporé depuis cinq ans dans un autre régiment 
que celui où je fis lapprentissage de la guerre ;. resté 
presque seul de tant d'hommes tués à mes côtés, j*ai 
remporté des drapeaux qui m'ont fait des envieux, h- 
Notre général , le_gj;aiKHh»tauxi£e , que vous verrez 
peut-être demain, car il n*est qu'à quelques lieues 
d'ici, m'a donné la place que j'occupe. Mon colonel 
qui s'y opposoit, me hait, et sa haine veille et saisie 
le moindre prétexte pour éclater. Valcourt , dont 
l'esprit est si léger, est bien plus juste que son pèrej 
son cœur est droit, son ame est noble, il s'est mon- 
tré dans tous les tems mon défenseur. Je lui dois 
beaucoup. — Mais son père qui cherche à m'humi- 
lier , me rappelle sans cesse mon obscure origine; 
et il oublie les cicatrices dont ce sein est couvert» 

Mad. L u z £ R £. 
Il est bien dur d'être forcé de vivre avec son en- 
nemi : je vous plains. 

. St. F R A N c. 
Ahî madame, ce n'est pas le chagrin qui dévore 
mon cœur ; ^ que de peines plus secrettesme con- 
sument! elles sont réelles; elles ne sont point nées 
de l'arabîtion, elles sont filles de la nature. — Mais 
pardon, j'oubliois que je ne vou? entretiens que de 
moi, — ce n'est pas en votre présence que je dois gé- 
mir ! Est-ce à moi de troubler la sérénité de votre 
ame 1 — Vous me spmble^ heureuse ; — vous êtes 
mère d'pn enfant qui doit combler votre félicité; 
vous touchez au moment lé plus beau de la vie , et 
pour elle et pour vous; — elle est belle , elle paroît si 
douce 1... Vous êtes prête enfin à la marier. Prenez 
bien garde madame, de vous tromper au choix de 
son époux. Qu'il seroit cruel de lui voir contracter 
un lien funeste qui feroit le malheur de sa vie» 



DRAME. 2^ 

Mad. L u z E R E. 
Heureusement que le jeune homme à quî je la 
doiTue, réunit les plus excellentes qualités. SU ne 
lui apporte pas les mêmes biens qui composent la 
4ot de ma fille , je le regarde comme plus riche par 
les vertus qn*il possède. 

Si. Franc. 

Ses mœurs vous sont donc bien connues î 

Mad. L u z E R E. 
J3epuis sept ans, elles ne se sont point démenties. 

St. F R A N c. 
Il vous aime , il vous respecte î 

Mad. L U z E R E. 
Comme si j'étois sa mère. 

St. Franc. 

Il mérite d'être heureux : jouissez de votre* bon- 
heur. 

Mad. Lu^z^F-R E. 
Ahî monsieur, lapparence du bonheur est sou- 
vent trompeuse. ^ Chacun a ses peines, et plus elle$ 
sont renfermées, plus nous les sentons vivement. 

St. F R a N c. 
Comment, madame ? 

Mad. L u z E R E. 
On a souvent de certains intérêts de ne pas tout 
dire, ^ n'est- il pas vrai qu'il faut se connoître avant 
de risquer une confidence qu'on voudroit hazar-» 
der ? ^ Vous vous attendrissez ? 

St. Franc. 

Je sens ce que vous dites , madame : mon ame , 
comme la vAtre a besoin de s'ouvrir, et je vais vous 
donner l'exemple. -* Vous êtes mère, votre cœur 
doit répondre au mien. ( après une pause. ) 
Mes camarades ignorent tous la cause d'une mé- 
lancolie profonde qu'ils me reprochent chaque 
jour. — Oui, je suis à plaindre, je ne jouis ni des 
honneurs- ni des plaisirs attachés à mon rang. ^ 
JVus un fils que ^aimais , au momeat de sa nais-^ 



/. 



30 LE DÉSERTEUR, 

sance , je n*avois que des larmes à répandre sur lui. 
Aujourd'hui que la fortune m*a souri , que je puis 
lui faire un sort heureux, j'îgnore ce qu il est deve- 
nu. ^ Son souvenir me poqrsuit sans cesse. ^ Hé- 
ritier de mon infortune, il fut forcé de prendre le 
parti des armes, il porta le même uniforme du sol- 
dat que je commande aujourd'hui. Aussi , dans cha- 
cun d'eux, je crois voir et reconnoître mon enfant; 
tous me sont chersj ^ peut-être vît-il encore; mais 
jelai perdu , madame, d'une façon à presque désirer 
de ne le trouver jamais. 

M ad. L u Z E R £, extrêmement émue. 
Vous vous intéressez à la cause de tous les soldats 
infortunés l 

St. Franc. 

Si je m'y intéresse l •. , Mon fils est du nombre. 
'Mad. LuZEB E, avec la plus grande véhémence. 
Ahl monsieur! écoutez-moi: vous Tavez dit , je 
suis mère. C'est le ciel qui vous a conduit ici pour 
rassurer mon cœur; il brûle à son tour de s'expli- 
quer, ^ la confiance a ses périls, je le sais, mais 
celle que vous inspirez ne peut être dangereuse]- ►- 
je vais vous livrer le secret de ma vie. 

St. Franc. 
Tout nous réunit, candeur, franchise. Faut-il at- 
tester rhonheur. 

Mad. L u Z E R E. 
Non. ^ Votre physionomie annonce la candeur 
de votre ame.( à demie-voix. ) Guidez-moi , îns- 
truisei^-moi. — Depuis votre arrivée je n'existe plus. 
^ Sachez que ce même jeune homme qui dott épou- 
ser ma fille, à l'heure où je vous parle , voit le trépas 
suspendu sur sa tête; — je vous confie sa destinée, sa 
malheureuse destinée. ... 

St. Franc, tres-has. 
Achevez. 

Mad. L U Z £ R £ , du même ton. 
Hélas 1 sauvez-le , il est» . . • 



DRAME. Si 

S C E N E I l. 
St. franc, Mad. LUZERE, CLARY. 

C L A R Y , accourant toute éplorét. 
O cîell . . . ciell -H monsieur le chevalier , à son 
secours : — ô ma mère ! ( ZlU tombe. ) 
Mad. LUZER£, la relevant. 
Qu est-il arrivé ? 

St. F ft A N c. 

Expliquez- vous, parlez. Calmez-vous. 

^ G. L A R Y. 

Des gardes emmènent Durîmel. 

V Mad. L u z £ R £. 
O Dieu i 

C L A R Y. 

Ils sont entrés, ils se sont emparés de lui, ils le ' 
conduisant à travers tour un peuple, *- j ai vainement 
couru. . . Durimel se laissoit entraîner sans élever 
aucun cri, aucun gémissement , — comme s'il étoit 
coupable. 

Mad. L u z É R E , aux pieds de St. Franc. 
^ Ahl monsieur ! ^ Courez . . . Faites qu'on le dé- 
livre. Votre autorité dans le régiment doit avoir 
un crédit sûr; embrassez sa cause.*- Si vous sa- 
YÎezL.. 

St. F R A N G. 

Je prendrai sa défense , je vous le promets. Maïs , 
àe grâce, achevez un aveu. . , , 

Mad. L u z £ R E. 
>h! ^ ( a sa fille. ) Ma fillel Hélas! je fré- 
mis J ^ éloigne-toi , ma chère fille , laisse-nous un 
moment ; -. éloigne- toi, — écoute une mère.... 

C L A R Y. 

Vous vous cachez encore de mot ! , . . • Ah ! si 
cela continue , il faudra que je meure. ( Elle sort^ 
jpénëtrécde la plus vive inquiétude. ) 



I 

%i LE DÉSERTEUR; 

SCENE III. 

St. franc, Mad. L U Z E R E- 

Mad, L u z E R E. 
Je m'abandortne à vous, écoutez si j'ai lîeu de fré- 
mir. ( à elle-même. ) Commint a-t-on pu découvrir 
son azile 'i { à St. Franc. ) Ce jeune hom ne pour 
qui je vous implore est déserteur de votre régiment. 

St. Franc. 

Seroît-il possible ? 

Mad. L TT Z E R E. 

Il est perdu si 

St. Franc. 

Vous m'avez perc^ le cœur. 

Mad. L u z E R E. 
Puîs-je compter sur vous ? 

. Sr. F R A N c. 
Ah 1 vous ne savez pis ce qui se pts<îe dans mon 
ame. -. Ahl madame 1 ce cœur est plui déchiié ^ue 
le vatre. 

Mad. L U z E R E. 
C'est l'humanité qui vous parle en sa faveur. 

St. Franc. 

Oui, sans doute : mais • . . . ne vous y trompex 
pas, il s'y joint un sentiment plus vif. — Il «'est 
plus tems de ^ous le taire , mon fils est déserteur 
aussi. 

Mad. L u z E R E. 

Que m'apprenez - vous ? ^ Quel pressentiment 
vient me saisir 1 Durimel est fils d'un soldat. Le 
Languedoc est sa patrie. 

St. Franc. 

Le Languedoc 1 ^ Àh î Dieu 1 je vais. . . je vole 
à lui. (// son précipitamment. ) 



SCENE 



DRAME. 3j 

SCENE IV. 

M AD. L U Z E R E , C L A R Y , qui entre lorsqut 

St. Franc sort. 

Mad. Lu z E R E. 

O mon Dieu! donnez-moi du courage, 

' C L A R Y. 

Ah ! ma tnàrel . . . Tout mon corps frissonne. J^ 
pleure malgré moi. 

Mad. L U z E R E. 
Rassurex-vous. 

C L A R Y. 

Que je me rassure l Et vous êtes aussi pâle^ aussi 
tremblante que moi. 

Mad. L u z E R E. 

Cruelle fille 1 — . laisSez-^moi respirer: c'est vous 
qui m effrayez. 

C L A r: Y. 

Mais , dites-moi, d où vient qu'on l'arrête ? Que 
sîgnîfioient ces mots entrecoupés, ces soupirs, cette 
tristesse profonde qui perçoit à travers les expres- 
sions de son amour ? ^ Il n*étoit plus le même. . . ; 
Croyez-vous en avoir imposé à mon cœur ? -^ Ce 
vieux chevalier qui vous quitte 3 je l'ai vu sortir le 
visage altéré. 

Mad. L U Z E R E. 
• * Il a ses peines. 

C L A R Y. 

Je meurs mille fois de ce sîlpnce cruel. 

Mad. L u Z E R E. 
Je vous le répète , Clary , votre imagination ; 
prompte à se forger des maux, fera le supplice de 
votre vie C L A'R Y. 

Hélas 1 vous voulez que je sois tranquille, et vous 
dissimulez avec tnoiî — Nesuîs-je plus votre Clary î 
^Ahl ma mèfe l^ est-ce ainsi ^ue notre hymen se cé- 
lèbre? - c '"'- -. 

Mad. li u z £ R £. 

Ton hymen I C 



1^ LE P É$E R T E V R, 

S Ç E , N ' E V. 

i^AJ9..Ly.^SP.'E, Cl^ ARY, HOCT AU. 

M. H. O C T A. u. 
Voilà donc etifin la mine éventie., L'homme qui 
devoit me faire ça<?ter pn l^ir , n'est plp? àson Wse 
à présent. - C'est très - ^cheux pour vous , Mes- 
4ltîie$-: 0ïa1s- n'a» - JP i)*? toujours prédit que cet 
avanturier finiroit mal î Vous fl'^vez pas voulu 
écouter mes conseils j ji o'esc p.lwpjsems., Voyez le 
bel honneur que cela va vous faire. 

Mad. L y 2 p R E. 

• ^rjrt, monsi?W» l^weiz-n^us Ul?reç;^o^$ ne 
sommes pas en état de vous entendre, 

M. H o c T A u. 
Vous savez donc U fin de l'histoire î je ipiç suis 
trouvé là, moi: à peine conduit à la prepij^fp garde, 
un vieux sergent l'a ré* oji.nu d'abord. 

Mad. h u z* R E, k part. 
: Ala^ilèyreusel ( A Clary. ) Viens , ma fille , viens, 
BU /Chère CUry ; fpyoBiS cet homme dur ^ui vieu| 
iQUijr <iu fâaistir de rtous affliger. 

..- . : , , -c î. A n y, : • 

Non : le «iipp^li.ce.q«e j'endtf** ««^ a^i'4ps«w 4f tout 
ce qu'il pourra m'apprendre. 

Mad. L V z.p R E, 
Eh bien I mon enfant , arme- tpj 4p ç^virage, — 

Ton amant infortaivé. ; . . 

C fc A A T.- 

£h bien ? . t . 

M^ HO P ï A u, 

• EHç ignore que c'est»»- désf ft^ur ? 

C L A R Y , tombant dans les bras de s^ mir4, 

■■ Détsrtenr ! 

M. H O C T À ff, 

guerre s'assemble; son procès est tout fait, djt-pp, 
pour demain ii la gardf «ojltaQl^v 




D R A M E. ii 

Mad. L u z E R E. 
Sortez de ma présence, homme méchant et vîn- 
dlcacif , et n'y reparoîssez jamais. Sortez, vaus-dîs- 
je , et laisseî-noiis an malheur qui nous opprime. 

( Monsieur Hoctau sort^ 

SCENE 
Mad. LUZERE, 

C t A R Y* 

Le ^oilà donc révélé ce terrible secret î Quoi 1 
Durimel est arrêté comme déserteur ? Il est au mil-^ 
ilevL des soldats 1 -^ Il peut-être condamné. ^ Juget \ 
cruels, meslarmts Jie pourront-elles vous fléchit ? 
Ahl courons'le sauver ou mourir. ;' 

Mad. L U 2 £ R E. 
Arrête, ma chère Clary , recueillons nos forces: 
çomnaande-toi un instant — j'attens le vieux Che*- 
valîer^— ma fille. .. . Au nom de ) amour que j'aî 
pour toi, élève ton ame, et apprends à supporter 
les malheurs de la vie. 

C L A R Y > ^/2 plâursé 
Jq touchois au bonheur. 

Ma4. L u z E R Ev 
Cest ainsi qu'il se joue des mortels. - 

C li A R Y , continuant de plturer. 

. Durmid ! Durimel I — Quelles sont à présent tei' 

p£tti>sées ? ^ Je sens que ton cœur m'appelle, ^ com-*' 

me tout est désert et Ingubre autour de moi I J^h L 

€fm\ désespoir alïteux m*attend* 

Mad. li u z £ R £ , appcrctvant Valcourt* 
Que vois-jel Ah! fuyons. 

S C E N É V 1 l. 
Mad. LUZERE, CLARY, VALCOURT. 

Valcourt. . 

Un moment , madame : vous voyez. . , , 

C a 



\ 



^6 LE P E S E R T E tJ R, 

Mad. L u z E R E. 
~ Un monstre, et nous maudissons l'heure oii vous 
4vez paru dans cette maison. 

C L A R Y. 

Qwi! vous avex été asse^ lâche, assez cruel pour 
/VoÏÏ^^?Fmir£ le délateur d'an infortu^ié que vous au- 
riez dil proteg«£? Et vous osez encore • • . . 



^ Va îr 6 o u R T, flvec/^a. 






'\ ;^JMai,.iLélite«f*l ^ Ecoutez -moi de grâce; mon 
fjCoe.at-rre vous est pas connu,vousm'avez mal jugé; ^- 
j*ai peut-être pu y donner lieu par dès légèretés în- 
dis/Çretes; ,maîs dans une pareille afFairè, coûte frî- 
y^ité cesse. ^ J'en jure par l'honneur, non jamais 
sion coçur ne s'est senti si vivement touché que lors-- 
que je l'ai reconnu. J*en ai pleuré de pitié. 

Mad. L U Z £ R E. 
; Ce n'est pas vous qui l'avez fait arrêter ? 
y A L c O u r:t , noblement là première phrase , 

et avec feu tout le reste du couplets 
-..Cessez une imputation odieuse; je rougirois delà 
combatte . ^ Que la grâce de tous ces infortunés 
n'est-elle en mon pouvoir , aucun ne périroît; ^^ 
Mais, ne désespérez pas, le colonel sous lequel il a 
fervi est mon père; je vole à ses pieds , je les em- 
brasse, je presse,. je sollicite sa grâce , je l'obtien- 
drai. ^JPlusde repos, plus de tranquillité pour mon 
ÇGQ^f que votre amant ne soit libre, et que vous ne 
soyez unis. C'est en vous le rendant que je me ven- 
gerai de; vos souipçans» ^ Vous verrez que la légere- 
fé d'un Français n'est pas incompatible avec la sen- 
sibil.içéyet que l'étourvierie n'exclut pa:$ ks yertus^ 
Adieu, les moméns sont chers, et je cours les em- 
ployer. ( // sort sans écouter Madame Lu[hre. ) 

Mad. L u z E R E. ' 
r-AhJ monsieur ^ pardonnez. • • . 



^* * 



DRAME 3t 

SCENE V 1 1 ï: 
Mad. L U Z E R E , C l a r y. - 

C L A R Y. 

Oserons -nous espérer? Dites -moi, l'oserons*' 
nous ? 

Mad. L u Z E R E. 

Ouï, ma chère 61le; nous ne sommes pas encore 
certaines de notre malheur. Le corps généreux des 
officiers sauve tous ceqfx qu'il peut sauver. ^ Penses-^; 
tu qu'on ordonna de sang- froid la mort d'un homme? 

C L A R Y. 

Ah ! ma mèreî on pleure..,, et oh condamne. ^ 
Mais pourquoi ne courons-nous pas à Durimelî ïj 
a besoin de nous. 

Mad. L U Z E R E. 

Allons au devant du vieux chevalier ; tu coh-* 
noîtras son ame. — Tes pas chancelent! . . • 

C L A R Y. 

Je me trouve foible ; j'éprouve un serrement de 
coeur. .. inexprimable. 

Mad. L U Z E R E. 
Viens, ma chère enfant, appuyé- toi sur moa 
sein. 

Fin dii troisième Acte. 



•s 




SCENE PREMIERE. 

St. franc, VALCOURT. 

St. Franc. 

Laisse-moi , mon ami, laîsse-moî. 

Vaicourt. 

Que je te laisse ? non je ne te quitte pas. -* Com- 
me dan3 un instant tous tes traits sont changés ! >--* 



38 L E D Ê S E R T E U R, 

3e t'ai vu sortir de la salle du conseil, pile et la 
mort dans les yeux j quelle impression profonde ec 
terrible ce malheureux a fait sur ton ame ! ^ Tu 
.sais tout ce que j'ai tenté. ^ Tu voudroîs parler et 
tu te tais, -^J^e suis -je plus ton ami? ^Ahl la 
pirié qui te parle en sa faveur est sans doute res— 

{)ectable, mais qu'elle n'aille pis te précipiter dans 
e tombeau avec Tinfortuné que tu ne peux sauver. 

St. F r a n c. 
Valcourt, ton amitié me fut toujours utile et 
chère; ayés pitié du plus malheureux des hommes. — 
J'adopte tous les infortunés , mais celuî-cî,,. hélas ! 
je ne l'ai vu que trop tard: ^ vas trouver ton père j 
tu sais que ma voix Tendurciroit au lieu de le fié-» 
chir. I— Tâches d'obtenir un délai. — Notre générât 
n'est pas éloigné. . . » peut-être • • • Ah ! . . . je seroîs 
le plus heureux des .... va , et laisse- moi. 

Valcourt. 

Je te laisse pour servir ta générosité, que je dois 
imiter. ^ Mais promets-moi de ne la point porter 
à l'excès. Calme- toi, digne et respectable ami. 

St. Franc. 

Oui, mon cher Valcourt, je serai plus calme. 
( Valcourt embrasse St. Franc et sort. ) 

CENE 1 I. 




Sr. "K R A N C , scuL 

' Impénétrable providence! tu veux rendre la fin 
de ma carrière triste et fianeste, ^ Hélas ! il devoir 
faire la consolation de ma vieilTeçse^ z: Ah! quand 
ma main guidoit ses premiers ans, j'étois loin de 
prévoir que c^tte même main devoit un jour le çoti- 
dnire à la mort — je Tai vu languissant au berceau ; 
j''4i vu la trame de ses jours prête à se rompre : il 
étoit dans cet.âge oii la douleur n'arrive point jus- 
qu'à l'ame, où, loin des horreurs du trépas, l'en- 
fant meurt comme il s'endort, mes vœux ardions 
•«t fuîgué le ciel : je Timplorois pour ^u'ît fM* 



/i 



r •! 



DRAME» ^p 

longeât sa vîe; ^ je ne s«voîs pas aters ce'qiire je àt^ 
maiidois^ »-« Ah 1 coalci m't^ latines , coulezi* 

SCENE 111. . - 

$T. FRANC, lAW. LUZERE. 

St; F R A N C. 

Epargnez-moi , madame , épargnez-moî ; je 1 aî 
vu . . . je IVi reconnu, ^ Oui^ c'est mon fik* 

Mad. L u z il R E. 
Durîmel ! votre fils ! 

St. Franc, avec une douleur nohU. 
II n'est que trop viai: je redoutois le coup, îî 
ji*a pas manqué. C*est contre moi que s'épuisent 
tous ies traits dfa malheur. Je ip'efFof'cerai à monter 
3mon ame à un degré aussi haut que celuf de mes in- 
fortunes. — Dans ou moment je vais conooître ce 
qu'est mon fils , si son coeur est grand , il saura mou- 
rir. — . Le reste sera bien aisé ; je n'aurai plus qu à 1^ 
suivre. 

, Mad. t U z Ê R E. 
^^Jlfaîs vou^ êtes un de ses jwges, îl est votre fils: 
ne peut- on , en faveur de ce titre et des services que 
vous avez rendu à la patrie. . • . 

St. F R A N c. ^ 
— ta loi est inflexible et ne connoît personne. 
\, Mad. L u z E R E. 

Quoîl votre sarrg prodigué. ... 

St. Franc. 
!je vous lai dit, madame, le colonel est mon en- 
nemi, il est inexorable. Si je disoîs un mot, je ne 
ferois que hâter la mort de mon fils. — . Ce matin 
même^ il a osé m'accuser en plein conseil, de trop 
d'indtilgence pour les déserteurs, et j*ai poiic la pa- 
role terrible de n'embrlsser la cause cl aticuii. *- J6 
ire savoir pas qu'elle dût retomber sur h tête qaî 
m'edt lar plus chère. 

Mad. t u 2 È R E. 

' Qire tardez- votîs 7 AHct rronver le^ ancreii^i tùttth 

C4 



40 LE DÉSERTEUR, 

pagnons-de vo^ exploits ; écrîez-vous devant eux r 
>> Cest raon fils que vous allez mettre à mort. »* 
Alors leurs cœurs attendris . . • 

-Sr. Franc. 

Je ne le sauverois pas. Sa mort est signée depuis 
sept ans, et l'arrêt est irrévocable. J*ai vu presque 
toutes leis voix passer à la condamnation. ^ Ahl si 
sa grâce étoit possible, pensez- vous que je balançc- 
rois un instant ? — Si j'obtenois un délai, peut-être... 
mais non: dans ces momens terribles, accompagner 
ses pas , m'attâcher à lut , est. la seule consolation 
qui me^este. 

Mad. L u i: E R E. 

Et vous vous êtes dérobé à si vuel et ses regards 
ne se sont point fixés sur un père l , . • 

St. F R A N c. 

Il n'étoît pas tems. — . Dans mon malheur, j'ai 
pourtant goûté quelque joie, mon cœur a été satis- 
fait de son courage; j'ai reconnu mon sang. 11 n'a 
affecté ni^jne contenance hardie, ni une contenance 
ab.atue ; il ne^ s'est point humilié devant ses juges 
pour mt ndier si vie. Il a répondu aux interroga- 
tions sans fierté comme sans faiblesse ; tranquille 
et poussant quelques^ soupirs par intervaîes. .— Mes 
yeux, que je détournois, retomboient sans cesse sur 
les siens: Cependant j'ai conservé toute ma fermeté, 
et j'ai la constance de disputer pour lui un trépas 
qui ne fut point infamant. 

Mad. L u Z E R E. 

Comment avez- vous pu> dompter ce mouvement 
de la nature ? 

St. Franc. 

Il faudroit être moi pour le savoir'; mais cet effort 
étoit indispensable. — L'unique soulagement à mes 
maux , c'est d'avoir obtenu une faveur que je n'ai 
demandé qu'en tremblant , et qui m'est bien pré- 
cieuse: c'est que votre logis lui serve de prison^ jus- 
qu'au moment où son arrêt doit être exécuté ^ j'ai 



DRAME. I 4f 

répondu de sa personne. ^ Il n'y a que voits, ma-^ 
dame, qui sachiez un secret que je voudrois encore 
renfermer dans mon sein; et vous l'eussiez toujours 
ignoré sans le bien q;ue vousm'avez dit de lui; 
j^aurois fait plus : si j'eusse trouvé mon fils in- 
digne de i;noi, il ne m'auroit janiais connu; mais ce 
cœur paternel vole au-devant delui, il me tarde de 
Tembrasser, de l*inonder àt mes larmes, de le pres- 
ser contre mon cœur. 

Mad. L u Z E R E. 

Dieu! Je le reverraî 1 

St. F R A N c. 

Je meurs d'impatience et je fréniis du moment. -^ 
Madame , j'aurai besoin d'être seul avec lui. Je croîs 
entendre.,.. 

Mad. L u z 1E R E.» 

Ses regards vont me chercher, et ne me trouvant 
pas. ... 

' St. Franc. 

Laissez-moi, je suis jaloux de posséder ses der- 
niers momensjil me les doit. ( Madame Luière sort.) 

SCÈNE IV. 

St. F R A N C , seul. 

Je ne me trompe pas , on vient* — O mon Dieu î 
laisse-moi vivre encore une heure, et je t'aban- 
donne le reste de ma vie. i— Ciel 1 le voici. 

SCENE V. 

St. FRANC, DÛRIMEL, Soldats- 

D u R I M E L, au milieu des soldats. 

Ah ! Clary , où es-tu ? 
( J*/. Franc fait signe aux soldats de se retirer: 

ils sont censés rester à la porte de la maison. ) 

o D 1/ R I M E L , allant à St. Franc. 

Monsieur , c'est à vous que je dois la liberté dô 
revoir ces lieux . • • qui me sont si chers : ^ à ce 
bienfait daignez eu ajouter un autre : ^ de cous 



\t LE OË^ÈRtEUR, 

me^ juges , vous m'aver paru le plus attendri strr 
mes malheurs; . , . ils sont grands. ►-Vous nie 
Voyez pleurer ; maïs ce nVst pas sur moi que je 
répands dès làrrftes. ( A part. ) O mon père 1 mon 
pèrel que vas -ta devenir , si jamais la fin de ma 
frîste destinée parvient jusqu'à toi? ( // tire une 
lettre de son sein. ) Puisse cette lettre te consoler^ 
en t'appr ehaiit que je n'aî jamais oublié tes leçons , 
et que , jusqu'au dernier soupir , j'ai toujours eu 
'devant las yetix , Dieu , la vertu et Thonneur^ 
( k St. Franc. ) Monsieur ^ il n'y a que le nom et 
la compagnie qui pourront vous aider à la faire 
parvenir à son adresse. Mon père est un soldat , 
dont le régiment a passé les mers ; ce régiment 
ayant beaucoup soufFert, a été incorporé dans un 
autre , dont j'ignore le nom. Je vous en conjure , 
ne négligez pas vos recherches, je mourrai content 
sî vous me le promettez. 

St. F.R a N C, après un silence. 

Donnez. ( St. Franc prend la lettre , rompt le 
tâchet et la parcourt. Cette action porte Durimel 
à le fixer; St. Franc ouvre ^es bras tremblans ^ 
et s'écrie avec famé dun pèrs : ) Mon pauvre 
Charles î 

D U S. I M E t. 

Dieu ! 

St. F H a k c. 

Embrasse ton père. { Il s'appuie sur l'épaule de 
son fils i ils demeurent embrassés. Durimel mec 
un genou en terre , ^e saisit dune main de son 
père i ^uil baise avec une tendrts^e respectueuse. ) 

D U R 1 M Ê L, avec joie. 
• Mon père 1 dans quel état l . . . Grâce au ciel, 
c'est vous. — Quel, heureux moment ! 

St. F 8. a K c , le relevant avec tristesse. 
Oublies-tu le motnent qui doit le suivre ? 
D u K I M £ L , avtc la plus grande réflexion'. 
Gui , je Toublie. h- Je voulok vocis voir avant 



R A M Ê. 4t 

ëerriotirîr, et je bénis la faveur du de! qut m6 
ftttn^i y à ce prix, d'embrasser vos genoux. 

St, F R A N c. 
Mon cher fils , ^ tu te sens donc la force de te 
soumettre à cette main invisible ? .• . Dis, con- 
serveras-tu ce courage jusqu'au dernier moment î 

D U R 1 M E L. 

J'y suis résolu , quoique mon cceur ait à re^ 
grctter ; et si quelque ^trouble vient à rafFolblir ^^ 
ô mon père 1 c'est de vous que j'attends uti regarda 
qui me rende toute ma fermeté. 

St. F R A N a 

Ton père,malheureux, n'a plus que ce triste bîèrf-* 
fait en son pouvoir : je ne tequitte plus: taff<fi*mir^' 
t'encourager, e^t un droit trop précieux pouir lé 
céder à personne. ^ Emploi cher et terrible ^ fû^-^ 
père te remplir 1 - 

D y R I M B Im 
Vous y serez , mon. père 1 

St. F r a K" c. 
; Igiioi'es-tu que c'est moi qui donne te signal î 
Tout déserteur a trouvé en moi un père ; je croyoi» 
tè voir daii3 chacun d'eux ; et je l'abandon neroisî 
et je perdrois le fruit du plus cruel apprcntissfagel 
-- Non ; qu'il m'en coûte ta vie, *- ton ame ne 
aenvolefa sous l'œil d'un père , cjae pour se réfu- 
gier dans le siein d'un Dieu : c'est le père commun 
des hommes ^ man fils , et tome ma tendresse pï- 
ternelle n'est qu'une foible image de la sienne* 

D U R I M E t. 

: Ah I ce Dieu, dont j'adore la bonté , saîtqti^ 
j'ai plus d'ufie victoire à remporter. ^ Je vous re- 
trouve, mon père; à peine ai-je le tems de vous 
baigner de mes larmes, qu'une voix impitoyable 
m'appelle sur le li^u où ma fosse est déjà creusée. 

St. F R A I* c. 

. N'outre pas tes regrets: un monfieiit plus tjti'cl 
€tl ttiourois teitt de iftièi, et je viVoris désespéré; 



N 



^4 LE DÉ S E R T EU R, 

Vas, bénissons le cîel ; je sens toutes tes don- 
leurs; mais c'est ensemble qu'il nous faut apprendre 
à les surmonter. 

D U R I M E L. 

Il faut donc mourir 1 . . . mais ce crime. . . 

St. Franc, s échauffant par degrés. 
La loi est générale , et la plainte inutile. — Si ta 
étoîs tombé sur le champ de bataille, tu seroîs mort 
sans regret :—. mon fils , tu peux mourir en héros. 
Songes que ta mort sera plus utile que ta vie: ta 
mort retiendra sous les drapeaux de la patrie mille 
jeunes imprudens qui les auroient abandonnés poijir 
se trouver ensuite aussi malheureux que toi. En 
tombant , tu préviens leur perte , tu raffermis les 
colonnes de l'état. — . Embrasse cette idée digne 
4\un citoyen, dis à toi-même : « Si j*aî trahi la. 
ji^- loi de mon pays , il n'aura rien à me reprocher. 
»> La réparation aura été plus éclatante que la faute 
h même ». ' 

D U R I M E L. 

Je rappellerai mon courage qui chancelé. Mais 
qu'il est affreux de quitter la vie aux portes de la 
félicité ! lorsqu'un père, une amante. . .Le senti- 
ment l'emporte ^ et je ne suis qu'un foible mortel. 

St. F R A N c. 

Ce cœur paternel souffre en prononçant ces 
mots : mais quand les calamités de l'homme sont 
montées à leur comble , que tout échappe à ses 
mains, qu'il se trouve seul sur le bord d'un abîme 
inconnu , ( il prend Durimel par la main , ) mon 
fils, connoîs-tu l'être qui console et qui se plaît 
à consoler le malheureux qui l'implore î 

Durimel. 

Dieu , mon père. 

St. Franc, avec une noble chaleur. 
' Sa présence nous environne , il entend , il re- 
cueille nos soupirs : ^ quand tu es sous son regard , 
connoîtras^tu le désespoir ? Et oii peux-tu tomber. 



/ 




DR A M E. 4$ 

SI ce n'est dans son sein ? Que gagneroît ton ame à 
s*irruer? En te montrant rebelle, tu te rendrois 
encore plus malheureuîî. '>^ Si td as toujours été 
homme de bien, lève ce front abattu.; ayes la con- 
fiance d*un fils ,. et non la terreur d'un esclave. 
C'est au vil incrédule à trembler; mais toi, qui vois 
au-delà de cette* vtfe, tends tes bras au père uni- 
versel. D u R I M E L.' 

Ah 1 mon père, que cette idée auguste est con- 
solante pour mon cœurî — • Allons, demain je 
saurai ce que c'est de mourir. 

St. F r a n c. 

Je resterai s'en! : qui de nousserale plus infortuné? 

D u R I M EL. 
Vivez pour lès malheureux, pour bwf^^vî^e 
père. ^ 

S C ^E N K^^ 

St. franc, durimel; 

Valcourt. 

^ 'Ecoute-moi , St. Franc , j'espéroîs en monpère , 
je croyois pouvoir fléchir sa rigueur , obtenir du 
moins uii délai ; maïs il est inflexible y i\m, rebuté 
mes prières. — Major , nous pouvons le sauver, il 
né tient qu'à toi d'y consentir. 

St. F R A N C. 

'Le sauver I et comment ? 

V A L c ou R T. 

Ayes le courage de te prêter à mon projet. \ La 
garde est dfevànt cette maison .; nîaîs an boi;it du 
sentier qui mène à une porte de derrière , deux 
de mes gens affidés sont prêts avec ma chaise de^ 
poste ; ils sont instruits de ce qu'ils doivent faire. 
en présente un papier») Cette sauve-garde servira 
en mon npm.de passe^port, «^Choisis la rpute qu il 
doit ^ tenir. 

/ ST. F R A li C. 

"p. Ciel! que nfi'as^tu dit? cruel! qiie m^ofFrcj? 
lu \\ \ . est-ce lâ h^rtu peui risquer?... 



4$ L E D É S E R T E U R, 

V A I. C O U R T. 

Ne me parle p9,s des risques que je cours. ^ Je 
veux accomplir ce projet, tout hardi qu'il te paroîr. 
St. Franc, pénétré. 

Tu me déchires Ta me. ^ Et qui peut c'inspirer 
uqe pitié si courageuse ? • 

V A L C 6 U R T. 

Mon honneur. ^On m*a accusé d'être son delà-»- 
teur , je me dois à moi -même* de \ç sauver. 
St» f r A K c , h serrant dans ses bras. 

Mon ami, mon cher ami! — tu ignores de quels 
traits tu viens de me frapper. J'admire ton ame : 
ri y^ ^ je n'oublierai Jamais ce moment. 

V A t c ,6 u R T. 

\ ' Je^TJ^iêXi^^ profites- en : agis, si tu l'aimes. Mes 

ànôÎP^s , œ .pà^e-port , ma livrée , tout lui assure^ 

«nie^^^fràjte grortipte ^t facile ; que délibères- tu ? 
^V.V.JT st^. ^f ^ A N' C. 

.^^'^'î q;ue dç^toûps dans nn jour l -^ Ta connoî-i 
tra's ce cœur et quel sacrifice il sait faire; ^ il 
s'_agît ici plus que de ma vie.. . Ta, chaise Tattend, 
dis-tu ? ^ laisse-nous en décider.' 

V A X c O U R T. 

; Que ftrs-tuî Est-ce dans une pareille cîrcops- 
tar^ce qu'il faut peser ce qu'on doit- faire î — Crois- 
mai , les momens sont précieux.. ( îl remet à St. 
Franclepasse-port et une bourse.) Tiçns , prends» 
( A DurimeL i.et point d'adieux. 

D 17 R 1 ME li. j . 

• Arrêtez, homme généreux. Tout ce q^ue je pour- 
roisVrépondre est trop au-dessous de ce que je sens. 
.-, Mais je vous dois une entière confiance. -r.Je. 
suis . ici sur la parole d'honneur dé votre ami ; 
dois- je Teng^ager à'manjquer î Soyez mon jugf j; 

r- ît est mon père.' . / i. 

V'alco u RT, avec la plus grande surprise. * 
Ton père 1 .- ^h pieul (^AprU un moment' de 
réficqçiçn , ilprmd un parti décidé, y etpatt avec la 
plus grande vivacité , sans^ dire^ une pçrple. )r ^ , 



D k A M E. 47 

S C ^ N E VIL 

6t. F r a n c, d u r I m El. 

St. Franc, serfant son fils contre son sein. 
Ahl ipon fîlS} coinbien ta générosité jne cend 
ta mort dgulc^reu^e 1 

SCENE y I l 1. 

St. fra^îC, çlary, durimel» 

Mao. liUZERE. 

c L A R Y , j« dérobant à sa mère. 

Laîssez-inoi aller à lui : je ne Tai p^s vu depuis 
qu'il est malheureux, 

D u R I M E L. 
, C'est jçlle ! ô mon coeur, afFermis-toL 
St. Franc, arrêtant Clary. 
M^ chère fille, ménage/, ménage7> notre foî- 
fclesse * ^ ii a besoin de tout son courage. 

Clary, h Durîrnel qui se détourne. 
Tourne donc leç yeux $ur moi , Durimel. 
D U R I M E L , se précipitant dans ses bras.^ • 
Qary ! ô nja chère Qary l . 

Ç fi A R Y, cyprès un moment de silende. 
Quel regard au milieu de tes larmes l -^ Que 
veut-il me dire ? ^ Je per4s U voix.... Le ciel 
tc^^nd-ilàmol ? 

D U R I M E L. 

Va , bénis sa bonté : ce jour n'appartient pas 
tout entier au malheur. 

C L A B Y. 

Ah 1 Durîmel ! . . . ta grâce . . . est- elle accordée ? 

D y R I M E L. 
Oui... La plus grande que je pouvoîs obtenir dti 
ckl ; r^ i*ai retrpuvé mon père , le voici , — prçci- 
pite-toi dans ses br^s. 

C L À R Y ^ sy fetarît\ 
Vçus^son çèrel 



48 LE DÉSERTEUR, 

St. Fr ANC, (Ztf reçoit,, lui rend ses cmbrdsstmens^ 
et se détourne pour lui cacher ses larmes et dit 
à part. ) Titre précieux qui va bientôt s effacer. 

C L A R Y. 
Vous êtes son père? AHI vous serez le mien; 
mon coeur vous a nommé : vous le défendrez , vous 
le sauverez. ^ Je meurs s'il pérît, r-^ Mais qu ai-je 
à vous dire, pour lui ? la nature a parlé dans votre 
ame. — • Qu'il va m être doux de vous honorer , de 
vous chérir sous le double titre de père et de libé- 
rateur de mon époux 1 •- Vous vous taisez! 
St, F r a N C^ pénétré. 
Chère enfant ! 

C L A R Y. 

Hélas 1 si je vous suis chère ,,assurez-moî qu'il ne 
périra point. --« Et pourquoi faut-il donc qu'il meiire? 

D U R I M E L. 

Que mes juges s'appaisent ou deviennent inflexi- 
bles, ma tête est dévouée au malheur, et je ne puis 
plus aspirer à votre main; c'est à rhoî à vous épar- 
gner ces déchirantes allarmes. Séparez votre^ sort 
du mien : -* un homme plus heureux remplira 'la 
brillante carrière que je n'ai fait qu'entrevoir. »-^ 
j^h l je sens qu'il est des pertes plus sensibles q^ue 
celle de la vie. 

C L A R Y. 

O paroles cruelles l ^ £t c'est toi qui m*accables 
ainsi.... Non., tu ne le crois pas : 7- ai^jie besoin 
de te le dire ?'Non , ce cœur n'appartiendra jamais, 
à un autre. Parle-moi plutôt de subir la mort en- 
semble ; mais garde-toi de penser que Clary puisse 
renoncer à toi. Je ne dois plus cacher l'excès de 
xpon amour, ton infortune m'en fait un devoir sacré. 
D y R I M E L 5 transporté. 
O mon père, mon pèrel comme elle m'aUroît 
aîmél { lise f^tte aux pieds de Clary*) 

Mad. L u Z'EÔ. e , les séparant avec tendresse. 
Arrêtez , mes enfans : mon cœur se brise entre 

vous 



DRAME. 49 

vous deux. ^ Dans ces momens aJfFreux, vos trans- 
ports sont, de nouveaux .traits que vous enfoncez 
dans nos âmes. Tristes victimes d'un amour, mal- 
heureux, attendez ce que le ciel doit décider de 
vous , et respectez deux cœurs que vous déchirez, 

D u R I M E J^. 
, Madame , je saurai braver la mort , la recevoir 
d'un œil tranquille ; mais ce cœur ne peut renoncer 
aux charmes qui lui étoient ofE rts; toutes les puis- 
sances de la terre et du ciel ne peuvent même Taf- 
foiblir. — • Que cette chaîne de jours fortunés vienne 
à se rompre , un d'ebx , tlu moins , peut m'appar- 
tenir. — Vous m'aimez 1 J*ose vous en demander It 
preuve, --* Qu'importe ce que le jour de demain 
peut amener de sinistre ? Je peux mourir en portant 
le nom de son époux. ( /J madame Luiere.) Ce 
nom heureux m'étoit destiné. ^ Ah ! je vous croîs 
trop généreuse pour changer comme le'sort. 
Mad. L u z £ R E , se couvrant le visage» 
%h 1 cruel t 

DuRiMEL^à son pèrCé 

Vous aurez une fille si vous perdez un fils ; elle 

vous tiendra lieu de moi. — . Sur les bords de la tombe 

j'embrasserai le bonheur un seul instant , et j'aurai 

assez, vécu. 

Cl a r y , dans le plus grand transport de la 

passion. 
O ma mère ! je l'aime de toutes les forces de mon 
ame ; j'unirois ses destinées aux miennes , quand 
l'univers ordonneroit son opprobre. ^ Donnez-luî 
ma main ; c'est le ciel qui l'éclairé et qui l'inspire ♦ 
dans ce dessein. Cette main lui fut promise s ♦ i. 
il a de nouveaux droits sur elle. Il est malheureux^ 
^ le ciel aura pitié de ces nœuds foj"més soirs ses 
regards; les barbares les respecteront malgré eux * 
.et n'oseront les briser sans frémir. —. Oui ^ nous 
. serons unis , cher Durïmel 1 et malheur à qui osera 
nous séparer. 

D 



%& LE DÉSERT EUR, 

D U R I M £ t , /22/ comble dt la foie. 
Eh je ne suis pas heureux !... Et je me plaîndfoîs 
, crtcbre 1 ^ O mort , tu peux frap^r j j ai connu Ta- 
iiliiii'é, Tambur et la nature. 

St. F r a K c, à madame Laièteé 
Madame, on peixt accomplir cet hymen. Le ciel 
hè défend pas l'espérance: c'est le trésor des infor- 
tunés : — . Qui seroit assez cruel pdùt le leur ravir î 

C L A R Y^à St. Franc. 
Ah 1 qu'il m'est doux de vous hommet mon pèrel 

St. F R A N c. 
Mais. . . . ô rtà fille l eh déveniiit son épousé, Ce 
"îîeh que vous âllei former vous îthpoise un devoir.;. 
'c'est dé respecter la paix de son ame; t*est die défendre 
Tabàtement à votre cœur ; c'est d'imiter son coût ag^e 
et sa constance; c'est de vous soumettre aux arrêts 
^àû ciel. Me le promette!- vous ? à ce prix^ul, ... 

C L A R Y. 
En lui donnait ma main , n'ai-je ^a^ tout promis î 
tendresse , obéissance. ... 

St/ Franc. 

; t>st assez : ( A madame Lu{ère. ) Miadame , que 
tout soit prêt. ( // les serre entre ses ^ràs. ) O mes 
énrans \ laissez- îé, chère Qary : ^ rAôn fils recevra 
le titre sacré d époux. ^ J'ai besoin d'être seul avec 
lui. Làissez-nôus; ^ les minutés ^ont àes années. 

C L A R y. 
Hélas ï je hè le sais que trop , mon père : et je vous 
cWS sacrifie. ( Etle donne la main à DurimeL ) Ah! 

( Elle sort, avec sfi mïre. ) 

S C E if E IX. 

: St. franc, b u r I m E L. 

St. F r a N c^ après un silence. 

iJôû^ siommes seuls. ^ Ecoute-mbi , inon fils , ^ 
*ttL touches â.a dèriiiér terme de Tespérance qui ap- 
partient à la terre , et tu semble y voir encore le 



DRAME. ^t 

bonheur attaché: tu vas paroître devant Dîeu , quel 
sacrifice lui as- tu fait? Cet instant est peut'-être le 
seul dont tu puisses disposer , et tu oses le donner à 
tout autre qu'à lui. 

D U R I M E L. 

Mon père, ce Dieu que j'adore , pourroît-îl s'of- 
fenser d'un lien pur, formé sous son nom? Clary et 
moi nous le bénirons ensemble de nous avoir permijj 
d*être unis comme frères ^ avant une séparatioa 
éternelle. 

St. F R a N C, /« prenant parla main et lui lisant 

dans les yeux» 

Mais s'il falloit mourir à l'heure même, sans \xA 
parler, sans la voir; si la voix redoutable t'appeloît 
pour subir ton arrêt , ^ dis , — ton courage ne flé- 
chirpit-il pas? Marcherois- tu en chérissant ton 
père , en adorant le ciel ? 

D U R I M E L. 

Cette loi me seroit dure , je Tavoûrai : mais s'il 
falloit obéir. ... Si votre bouche Tordonnoît. . . Sî 
tel étoit mon sort. ... 

St. F R A N c. 
Eh bien î 

D u R I M £ L. 

On me verroit gémir ; mais me soumettre à Tar-; 
rêt le plus cruel. 

St. F R A N c. 

Tu viens de le prononcer , et j'en croîs ta pro- 
messe. — Il faut me suivre, mon fils ; — échappons- 
nous sans bruic de cette maison; évitons l'inutile 
désespoir de ces femmes que j'ai éloignées, et qu2 
rendroient ta mort plus amère et plus douloureuse. 
Tu mourras sans avoir à souffrir de leurs derniers 
adieux. *- Marchons. ( H fait quelques pas four, 
sortir. ) D U R 1 M E L, 

O ciel ! mon cœur est brisé. 

St. F r A n c, j« retournant. 

Me suis-tu ? 

D % 



\i L E D ES E R T E U R, 

D U R I M E L. 

XJn instant, mon père^ un instant. 

: St. Franc 

Tu hésites ? ton courage foiblit ? -^ Ce quêta 
viejis de promettre étoit trop au-dessus de toi. 

D u R 1 M E L. 

. OaîjSàns doute; — mais je ne succomberaî/poînr. 
O.Clary ! ô mon père! Puisqu'il le faut, allons. ^ 
Saisissez-vous de tes mains triemblantes. ... Arra- 
chez-moi de ces lieux, , . . Oui , je veux la rempor- 
-ter cette terrible victoire, ( // avance du coté de la 
^pçrte. ) 

St. Franc, arrêtant son fils. 
Cen est assez , mon fils , demeure • ... Le maître 
qui veille sur toi ntn demande pas davantage, le 
sacrifice est fait, n: Tu as encore douze heures à toi ^ 
tu reverras Clary , ta maiti sera unie à la sienne, 
jnais songe qu'en cts momens terribles, le nom d e- 
poux n'est qu'un, titre qui doit te la rendre encore 
'pîùs respectable. 

D u R I M E L. 

Il semble à mon cœur que vous lut redonniez la 
VIP. — Je la reverrai. ... je n'ai plus à me plaindre. 
[^ Avec fermeté, ) Dès que ces instans seront écoulés, 
vous me verrez reparoître sans crainte : vous me 
trouverez prêt à vous suivre. Je me regarde déjà 
comme entouré de l'appareil militaire , et votre fils 
sans pâlir. ... 

St. F R A N c. 

N'achèves pas: je vois que nos âmes s'entendent; 
je lis dans tes regards la fermeté de la tienne. . . . 
Allons, mon fils, jouis de la félicité pure qui peut 
encore t'appartenir, et ne parlons de l'heure funeste 
qu'au moment où elle doit sonner. ( Ils sortent en 
se tenant embrassés. ) 

Fin du quatrième Acte. 



D R A M E- 



ACTE 




SCENE P R 

Le Jour commence à paroître: on voit deux 

beaux posés sur une table; les bougies sontpres^ 
que consumées ; Clury est endormie sur un/au-^ 
teuily entre les bras de sa mère^ qui a veillé toutCx 
la nuit pris desafille^ et qui semble abîmée dans 
sa douleur. Durimel est assis auprès de Clary* 
il lui tient la main ; il xi les yeux fixés sur elle; 
il exprime par quelques regards et par quelques 
soupirs Vétat de son ame-^ il prononce même 
quelques mots mal articulés ';, il abandonne la main 
de Ciaryy se ieve^ s'éloigne d'elle et la contemple 
à diverses reprises. 
Mad, LUZEIIE, CLARY, DURIMEL. 

Durimel. 

5es yeux appesantis et' fatigués de pleurs, cèdent 
enfin au sommeil. ^ Repose , innocente épouse , 
endors tes maux. ^ Que je crains son réveil! qu'il 
sera douloureux ! ^ Si je pouvois m'échapper... J'aî 
entendu passer les compacrnies : — quoi, déjà ï — 
Comme les heures se sont rapidement écoulées ! — 
Le tems semble se hâter ; — mon père va paroître. ^- 
Chère Clary 1... Hélasl nous' n avons plus qu*à«nous 
séparer: ^ Il faut nous sauver à tous deux un trop 
cruel adieu. 
Il fait un mouvement pour s*éloigner^ il regarde 

encore Clary , puis faisant un effort violent , il 

met ses deux mains sur ses yeux et va du côté de 

la porte. 

C L A R Y , e/z songe» 

Durimel î Durimel I 
Du RI ME L, saisi d'un frémissement revient sur 

ses pas , retourne à Clary , et dit^ à voix basse. 

Elle s'égare dans un songe trompeur. — Ses lèvres 



^4^ LE DÉSERTEUR, 

mésojurîent..! — Il faut la quitter! hélas! ai- je assez 
souffert ? ^ Mon Dieu , pardonne ce murmure ; je 
Muche au moment oii t'ame la plufî ferme s'ébraBl^w 
Soutiens moi, Dieu puissante ^ Apres un silence. ) 
Sentinlens délicieux , avec lesquels simpatise mori 
être, amour, amitié, charme inconcevable, c'est 
vous que je regrette. ( CLdry pousse quelques accens 
sans suite. ) Comme elle paroît agitée î 

C L A R Y , toujours en songe* ^ 

Vous êtes son roi . . . vous êtes un Dieu, maître 

de sa vie. . • • Mon époux. • • • Sa grâce. • . . Que je 

l'obtienne. . . . Ou je meurs. ( Elle jette un cri et 

^* éveille; Durimel se jette à ses genoux et les tient 

embrassés. ) 

Mad. L u z £ R £. 
Ma fille l 

Durimel. 

Trop tendre épouse l 

C L A R Y , revenant à elle» 

Ou suis-je ? Ah ! malheureuse ! ce n'est qu un 
songe. ^ Je croyois être aux genoux de ton roi, que 
tu m'as dit si aimé, si bienfaisant; j'imploroi^ ta 
grâce . • . je Tavois obte^iue. ^ Durimel , non je ne 
puis le croire, tu ne mourras point. .— Ce présage 
heureux. ... 

Mad, L u z E R E. 

Ah Dieu ! pourrois-je soutenir ? . . . 

D U R I M, E L, tenant la main de Clary. 

Clary... Je ne peux lui parler. Ah! malheureux!... 

Clary. 

Non , tu ne périras point. ( Elle se lève. ) Dieu 
ne voudra pas que tu meures. «—Non, tu vivras 
pour moi. 

D U R I M E L, 

Clary , ménage ton espoir et tes pleurs. *- Je 

crains moins de mourir , j'ai connu ton ame. ^ 

N*augmente point nos peines. Ecoute: mon père va 

'rentrer, je dois paroître avec lui devant mQs juges. 



DRAME. $1 

xnaîs avant, nos entretiens doivent être secrets. ►- 
Laisse-moi l'attendre seul. ^ Ahl Clary, retiens 
donc ces larmes qui me déchirent le cœur. 

C L A R Y. 

Et puis- je commander à mes larmes de ne point 
couler ? La vie de Tun n'est- elle pas celle de l'autre ? 
( St. Franc entrouvre la porte et se retire aussitôt.) 
D u R I U'£ L f qui a apptrçu sonpère. 

Madame ! . . . Ah 1 ma mèrel séparei-nous. 

C t* A a Y. ;f 

Que je te quitte, cruel l 
r DuRlMEL, sarrachatit de ses bras. 

Au nom de Tamour , laissez-moi seul, dérobez^ 
vous toutes deux. . . . Madame, emmenez-la. 

C L A R Y. 

Je te laisse; il le faut: ^ mais avant, dis-moi, 
cspères-tu ? ^ Réponds. . . ne me trompes pas. 

D U R 1 M E t... 

Et quel est le malheureux qui n'a plus j.d*espoîr^ 
Ce cœur le nourrit encore. ^ Va , le cieï peut être 
^ppaisé. 

Mad. L U Z E R E. . 

Mon enfant, Wens Timplorer ; il n'est pas inéxp- 
rable. 
C L A R Y , veut parler, se retient^ et cédant à 
sa mère, dit ens*en allant* 
Ma mère. . . . Ah. 1 comme je vais l'invoquer. 

SCENE IL 

D U R I M E L , seul. 

Je trembloîs qu'elles ne restassent... Il me semble 
avoir entrevu mon père, qui s'est arrêté sur le point 
d'entrer. H- Allons, mon ame afFermis-toi ; voici 
le moment. ^ Ce qu'elles ont vu de moi n'est jJlus 
qu'une ombre qui va s'efFacer. ( St. Franc entre. ) Je 
ne me suis pas trompé. 



D4 



\ 

( 



iS LE DÉSERTEUR, 

SCENE 111. 

St. F ^ a N C, P U R I m E L. 

St. Franc. 

J'atteiidois leur' départ ; — donne-moî ta main. — . 
Bon , elle ne tremble point. — Tu sais que je te viens 
chercher. 

D U R I M E L. 

Je vous attendois plutôt. — Sont-ils prêts? — Ne 
manque-t-il plus que mpi ? 

St. F r a^n c. - 

Le régiment est sur la place -et le détachement 
est là pour t'y conduire. 

D U R I M E L. 

"Mon père , épn'^gnez-vous ce spectacle affreux. 
Mon cœur tremble pour le vôtre. 

St. F R A N c. 

Ne songe pas à moi. — L'extrême malheur en- 
fante lextrême courage. 

D U R I M E L. 

Cette fermeté dont se pare votre cœur , est une 
vertu bien terrible. 

St. Franc. 

, Et nécessaire à tous deux. 

D u R 1 M E L. 

Le trépas ne s ra pour moi qu'un instant. C'est 
vous qui souffrirez, et long'tems. t— Allons, ^ il 
faut paroîrre devant ce Dieu , dont la clémence em- 
brasse dans son sein routes les créatures. — Vous 
m'êtes tout aptes lui , bc^nissez-moi, et que le ciel 
ratifie le pardon qu'un père va donner en son nom. 

( Il mu un genou en terre. ) 
-St. F R A N C. 
Je te bénis, mon fils; que Dieu t'ouvre son sein, 
comme ces bras te sont ouverts. ( Il le presse contre 
son cceur. ) 

D U R I M E L , après s* être relevé, 
^ Ce cœur se sent plus assuré ^ plus fort. Allons , 



D R A ME. 57 

mon père, partons. ( Il avance vers la porte. ) 

St. Franc. 

Arrêté y mon fils , arrête, ^ Honneur l . ; • Cruel 
honneur 1 quoi ! je te laisse ^pérîr et je puis te sauver? 
^ Voilà le passe- port, les gens de Valcourt at- 
tendent encore nos ordres. ... 

D U R I M E L. 

Ah ! mon père ! Que dites-vous ? ^ 

St. F R A N c. 
Ignores-tu combien ta vie m'est chère ? 

D XJ R I M E L. 

Ignorez- vous combien votre honneur m'est pré- 
cieux î ^ 

St. Franc. 

Ahl la nature me crie. ... 

D U R 1 M E L, 

Imposez- lut silence. —N'est-ce pas sous la foi 
promise , sous le sceau des sermens que ma personne 
vous a été confiée ? 

St. F R A N C. 

Oui. 

D u R I M E L. ' 

. Le sacrifice de l'honneur n'est pas en notre pou- 
voir. ^ Il falloir vous récuser ou vous devez ache- 
ver. 

St. Franc. 

Ah! mon filsl je suis un homme foible, mats je 
veux l'être. Mon cœur me l'ordonne , je n'écoute 
plus d'autres loix. — Viens , et sauve-toi. 

D u R I M E L. 

Mon père, vou$ avez donné votre parole; cest 
moi qui me charge du soin de la dégager. ^ Je souf- 
frirai la mort , et non pas votre opprobre. Allons» 

St. F R A N C. 

Mon digne fils î ( Ils remontent le théâtre. ) 



5? LE DÉSERTEtJR, 

T CENE 1 t^. 

St. franc, dur I ME L, Mad. LUZERE, 

C L A R y. 

■ C l A R Y , avec force 

OÙ allez- vous ? n- Où le conduisez- vous? Pen- 
sez-vous me tromper encore î r-^ îîc s^is-J9 pas le 
sort qui l'attend? J'ai ranimé mes fonces, je revole 
ici pour le défendre. (-4 Vunmcî. ) Tu voudrpîsrn'é- 
chapper pour courir à.U mort, n- £t c'est vous, 
VQ^VSy çon pèire ^ qui Ty conduisez ? 

D u K I M E L. 

Chère Clary, laisse., laisse, ni lui, ni tes pleurs, 
ni mes regrets. ... 11 faut se séparer» 

C L A R Y , 5e Jetant dans ses bras* 

Nous séparer î Ah cruel l ^ Voudront-ils t'ar- 
jracher de mes bras ? L'oseront-il$ } Non ^ ipon dés:* 
espoir touchera leurs cœurs ; j'attendrirai leuts 
âmes féroces : ^ tremblez , vous qui osez disposer de 
sa vie , tremblez d'outrager l'amour et la naturel 
mes cris vous poursuivront p mes cris accuseront 
votre insensibilité , vous fremitpz de honte ou de 
pitié. 

D u R I M E L, éperdu. 
Ah , Dieu 1 chère Clary ! mon père. ►- 

St. F R A N c. 
i Ma fille est-ce là ce que vous m'aviez promis ? 

C h A K Y y au désespoir. 
Si mon époux pérît , que m'importe le reste du 
imônde. Vous ne^e ferez jamais résoudre à ce sacri- 
fice affreux. *- Tant de constance ne m'appartient 
,pas: ma foiblesse est ma seule vertu, r- Ou trouvez- 
vous donc ce courage qui m'épouvante î Ne l'aimez- 
vovLi pas autant que moi ? 

St. F R A N c. 
Ma fille , me prepares-tu un nouveau genre de 
tourment ?«^ Tu ne peux m'entendre. -^ Ne suis*- je 



. D R A M E. '^ <^ 

plus son père ? Eh ! qui peut vèiUer sur lui avec tant 
a'amour ? — • Ma fille , commande à tes douleurs. 

D V R 1 M E L. . i 

Chère épouse j tu portes le poignard dans les bles- 
sures d'un père qui nous aime. 

C L A R Y , i St. Franc. 

Pardonnez au désordre de mes paroles ^ je ne me ' 
connois plus.^. . • Mes transports s'adressent au ciel 
comme à vous.... Mais quel papier dans vos mains ? 
ti-4 Si c etoît sa grâce 1 

St. Franc; cachant son trouble. 

Peut-être, ma fille, peut-être. — Mais quoique 
le ciel en décide , laisse- nous. . . { La prenant par 
la main ^ et l'emmenant sur le bord du théâtre. ) 
Ma fille, ma chère fille 1 Mes larme?, mes dernières 
larmes couleront-elles envain î Ecoute un vieillard; 
laisse-lui remplir les devoirs les plus sacrés. Ils lui 
Sont imposes parla nature, par l'honneur;^ ce 
àioment doit être celui de leur triomphe.-- De* 
meure , je te rejoins ici. 

C L A R y. 

Avec lui , mon père ? 

DURIMEL, s'^éloigant. 
Adieu , Clary. 

C L A R Y, se retourne et fetteuncrU 
Il m'échappe ! — Laissez-moi, laissex-moî le voh: 
encore un moment ; laissez- moi mourir à ses côté^. 
>^ Je ne le reverrai plus. — Malheureuse 1 ^ Duri- 
mel ! -* Durimel ! 

St. F R A N c, à Mad. Luihre qui entre. 
Madame , par toute rautorîté que vous ayez sur 
elle , arrêcez ses pas. ' 

Clary, tombant dàjis Us bras de sa mère. 
'^ Je me meurs. 
St. Franc, s arrêtant un m ornent auprh delà 

' porte. 
Hélas! mon filsl ^ De quel côté allons - npps 
sortir ? 



«0 LE DÉSERTEUR, 

D U R I M E h/prenantlamaindesQnphrc^ 
Venez , mon père, je vous montrerai le chemin, 
et rien ne pourra m'en détourner. 

SCENE V. 

C L A R Y, Mad. L U Z E R E. 

C L A R Y. 

Et vous , ma mère , vous êtes aussi leur complice I 
— Où va-t-il , mon époux ? Quoi 1 son père. . . Noa 
il n'est pas possible. — Où va-t-il ? répondez-moi. 
Mad. L U Z E R E , dans une douleur profonde. 
O ma chère Qary ! épargne-moi : est-ce moi que 
tu forces à te consoler ? Ah ! mon coeur a trop de 
ses maux ; et je ressens tes douleurs et les miennes. 
Ménage une mère, et tremble de la frapper. 

C L A R y. 

Hélas î qui prendra donc pitié de mes tourmens? 

ils sont inexprimables. Ma mère ne m*cntend plus, 

ne me console plus : tout s'obscurcit autour de moi. 

*-< Ah! secourez-moi. •. je ccpis que je meurs aussi. 

( Elle s^évancuit. ) ( Le bruit du tambour la fait 

tressaillir avec force ^ elle se relève précipitarn^ 

ment. ) 

Ûîeu! qu'entends-je? quel son frappe mon oreille î 
— * Ma mère, entendez-vous ce bruit formidable?... 
Seroit-ce ? . . . . Ah l — [ Rapidement.) La place 
s'apperçoit d'ici, j'y vole; je percerai les rangs, 
il me verra, il entendra mes cris, . . . mes derniers 
•adieux. • . . 

Mad. L u z E R E. 
Arrêtez. . . Non .... arrêtez. 

C L A R Y, dans xn tremblement mortel. 
Que je m'arrête l ... Ah ciell vous m'avez tout 
dît. — Il n'est donc plus d'espoir. 

Mad. L U Z E R E. 
Vous n'irez pas plus loin , fille infortunée 1 ►— 
Notre seule ressource est d'élever au ciel nos marins 
impuissantes* 



D RAM E. (i 

C L A R Y. 

On l'abandonne, on le laisse périr, et Ton m'em- 
pêche encore d'aller à lui ! Tous mes; sens sont 
glacés:— je crois voir le bandeau fatal, sur son 
front. . . Moment terrible! ( On bat un ban. ) Le 
bruit cesse. — * Quai silence lugubre 1 épouvantable! 
^ Durimel 1 tu n es donc plus ? ( Elle tomb^ à ge- 
noux ^ les mains tendues vers le cieL) 

Mad. L u z E R E. 

O ma chère Clary ! ouvre la paupière; sors de 
cet accablement affreux, — Ne suis- je plus rien 
pour toi i Je n'ai qu'un enfant , elle est toute ma 
consolation sur la terre^ etTame de ma vie maban-r 
donne 1 

SCENE. VI et dernière. 

CJLARY, Mad. LUZERÈ, St. FRANC, 
DURIMEL, VALCOURT. 

Valcourt. 

Le votcî , le voici. — O famille respectable I ! 
jouissez de votre bonheur; il a sa grâce. 

C Mad. L u z E R E. . Mon fils! 

Ensemble.'^ C t A R Y Mon époux. 

^ D u R I M E L. . . . Ma femme! 

St. Franc, montrant Valcourt. 
O mes amis ! voilà notre bienfaiteur. 
Mad. LUZERE, se jettant k genoux. 
Cest à vos pieds qu'il faut nous prosterner. 
Clary, en même tems que sa mire , en 

imitant son action. 
O mon dieu tutélaire. 

V À L c U R T , les relevant. 
Je ne suis qu'un homme sensible ; mais voici 
deux héros. 

Mad. L u z E R E. 
. . Comment se peut- il ? 



/; 



*2 L E I> ES E R T E U R, 

Valcourt, 
. Hier aa soir , honteux d*avoir autorisé par mes 
étourderies , les odieux soupçons qu'on vous a voit 
fait concevoir, j'avois résolu de le sauver : sa fuîtê 
croît assurée; ua pisse-port, ma chaise, ma iî- 
yrée , tout étoit prêt ; il a tout refusé ; et l'hon- 
neur de son père lui a paru préférable à la vie. 
Frappé de tant d'héroïsme , je n'ai plus écouté que 
le cri de la pitié. Aussi prompt que Téclair , je 
Vole au quartier-général , je me précipite aux ge- 
noux du héros de la France. Le nom de St. Franc , 
je Ta voue , a plus fait que hies véhémentes sol- 
licitations. J'ai tout obtenu de ce guerrier sublime 
et compatissant. — J'ai redoublé de vitesse pour 
hâter mon retour j et chaque instant de retard 
glaçoît mes sens. J'arrive au moment où l'on as- 
semble les troupes; je résiste au violent désir dje' 
vous rendre tous à la vie :je prends mon rang , 
j'étoîs sûr du cœur de; St. Franc : j'ai voulu que 
mon père même admirât ses vertus , et qu'elles ser- 
vissent à justifier la hardiesse de ma démarché. 
— Nous arrivons sur la place:--, quel spectacle 
s'offre à nos yeux l ^ Je l'ai vu ce brave jeune 
homme traverser les rangs d'un p^s égal et tran- 
quille. ^ Ce digne père pafoissoît être la victime. 
Nos officiers le connoissoîent humain et généreux , 
mais personne ne savoir à quoi attribuer tant de 
tendresse pour cet infortuné. »-. Il Pembrasse vingt 
fois à «nos yeux j enfin , «'arrachant de ses bras et 
remplissant son terrible devoir , il défend aux sol- 
dats» sous peine de la vîe , de crier grâce. ^ Mais 
aussi-tôt , d'une voix altérée , il nous appelle , il 
s'écrie, les sanglots à la bouche : u Non, Vous 
9f n'exigerez pas que cette main trçmblante donne 
» le signal de son trépas : la nature l'emporte et 
fy m'arrache mon secret. Blâmez-moi d'embraîB$^r 
99 la cause de tous ces infortunés.. . Celui que vous 
• voyez, •• • apprenez tous quHl est mon Bis. .. 









DRAME. tf| 

9» oui , mon fils. ^ Frappez deux victimes >», Il 
se jette dans ses bras, il le presse sur son sein, il 
ne peut s'en séparer. ^ Ah Dieu I j'ai vu tous les 
visages pâlir , tous les yeux verser des pleurs. Mon 
père , frappé d'admiration , lui a dit : « Pourquoi 
»» nous avoir caché ce fatal secret ? J'aurois tout 
9f fait^our le sauver >». ^ Ill'est, me suis-je écrié 
en me jetant dans ses bras , voilà sa grâce : que ce 
soit de vous qu'il la reçoive. ^Les officiers ^ les 
soldats , k peuple , tous ont répondu par un cri de 
joie y jugez de celle qui remplit mon cœur. J'ai 
sauvé deux héros y j'ai rendu la vie à une famille 
respectable , et j'ai reconcilié mon père avec mon 

ami. 

Mad. L U Z E R E. 
O digne jeune homme ! 

St. Franc. 
Mon ami ! 

D u K, 1 M E L. 
Mon bienfaiteur ! 

C L A R Y, 
Comment pouvons-nous acquitter ? . • • 

Valcourt. 
Vous ne me devez rien. -^ Quand un français 
entreprend une bonne action , le bonheur de réussir 
est sa plus glorieuse récompense. 





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