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BOOK 398. 096982. B 165F cl
BAISSAC # LE FOLK LORE DE LLE
MAURICE
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LES
LITTERATURES POPULAIRES
TOME XXVII
LES
LITTERATURES
POPULAIRES
DE
TOUTES LES NATIONS
TRADITIONS, LEGENDES
CONTES, CHANSONS, PROVERBES, DEVINETTES
SUPERSTITIONS
TOME XXVII
PARIS
MAISONNEUVE et CH. LECLERC
25, QUAI VOLTAIRE, 25
1888
Tous droits réservés
LE FOLK-LORE
L'ILE-MAURICE
PRÉFACE
'est il y a quelque cinquante ans qu'aurait dû
venir à un de nos anciens la pensée d'écrire
rwà ce livre, ou du moins d'en réunir les ma-
tériaux. Sa récolte eût été abondante et facile; la
nôtre est maigre en dépit de nos peines.
Il y a cinquante ans, la population créole noire,
dont seule la littérature est l'objet de cette enquête,
était nombreuse et bien vivante; aujourd'hui elle est
en train de disparaître, chacun le sait. Ce n'est pas,
sans doute, que comme les peaux-rouges de l'Amé-
rique, comme les aborigènes de l'Australie ou les
maoris de la Nouvelle-Zélande, le contact avec la
race anglo-saxonne l'ait virtuellement condamnée à
mort ; Dieu merci, les causes de sa disparition n'ont
pas celte fatalité tragique : notre population créole
noire n'est pas en passe de mourir, mais d'évoluer.
II PRÉFACE
Née depuis un siècle et demi à peine, sans caractères
« ethniques » asse\ consolidés par le temps pour offrir
une force de résistance suffisante, elh se transforme
rapidement, par h mélange avec les races européennes
d'abord, puis, dans une proportion bien autrement
grande, par la fusion avec les races indiennes si libé-
ralement introduites à l'île Maurice par un demi-
siècle de production sucrière à outrance. Le type du
noir créole pur se rencontre de moins en moins sur
notre sol. Nous n'avons pas à nous prononcer ici pour
ou contre cette oblitération de V espèce; mais la cons-
tater et en indiquer sommairement les causes était de
notre sujet.
Il va de soi qu'en même temps que l'être physique,
l'être moral se modifie de jour en jour : des besoins
nouveaux ont amené d'autres habitudes de l'esprit. Le
noir esclave, irresponsable, n'avait pas à se préoccuper
de régler sa vie, et son imprévoyance native, cette im-
prévoyance naturelle à toutes les races inférieures, y
trouvait son compte. La liberté lui imposa la réfiexion.
Il lui fallut songer au lendemain et combattre à ses
risques et périls le combat de la vie. Beaucoup suc-
combèrent : car ce n'est pas en quelques jours que la
dure loi du travail fait accepter ses décrets. L'escla-
vage avait été pour eux l'obligation impérieuse de
travailler, ils réclamèrent impérieusement de la liberté
le droit de ne rien faire; et la misère, les épidémies,
les maladies de toutes sortes firent dans les rangs de
PREFACE III
ces sophistes d'épouvantables trouées. Les mieux trem-
pés résistèrent seuls, .et les mieux préparés à la lutte
pour la vie. De ce peuple d'enfants l'élite seule eut la
force d'arriver à l'âge viril.
Or, c'est à l'enfance de cette population qu'appar-
tient tout entière la littérature dont nous nous oc-
cupons : il suffira de lire vingt pages de ce recueil
pour en recevoir comme nous la conviction. Un
nouvel ordre social a créé d'autres attitudes à ces
esprits, la culture a développé en eux d'autres qua-
lités. Et l'on ne fait plus de contes créoles. On ne
raconte plus même qu'à titre d'exception, par pure
condescendance pour quelque curiosité attardée, ces
histoires que nous disaient avec un entrain si abon-
dant nos bons vieux noirs du temps margo^e. Seules
quelques antiques nénènes, mais les dernière.^, con-
sentent encore à grand' peine à en exhumer de leur
mémoire quelques fragments; et ce sont ces lambeaux
que l'auteur de ce livre a patiemment recousus, après
les avoir réunis plus laborieusement encore. Mais le
jour est prochain oit ce travail de reconstruction aurait
lui-même été impossible.
Si l'on ne raconte plus d'histoires, l'on chante
encore du moins : les échos de nos rues sont là peur le
dire ? — Oui, certes, on chante, et beaucoup, et à
pleine gorge. Mais ce sont des airs d'opéra que nous
chantons, ou bien d'adorables romances venues toutes
faites de là-bas, et dont nous nous bornons à plier la
IV PRÉFACE
mélodie aux ressources un peu courtes de nos accor-
déons. Quant à la chanson créole, elle est morte et
bien tnorte; nos ségas du temps passé ont vécu : danse,
paroles et musique.
Nos sirandanes ont mieux résisté : leur brièveté les
sauve, c'est une concession plus tôt faite aux conser-
vateurs des vieux us. Mais le recueil n'en grossit
plus, le moule se rouille; nous avons d'autres pro-
jectiles à fondre , on ne fait plus de sirandanes.
Le lecteur le voit donc : c'est un inventaire post
mortem que ce volume; c'est, à proprement parler, à
une littérature d'outre-tombe que nous lui proposons
de s'intéresser quelques instants avec nous. Aux
curieux européens nous promettons en dédommagement
de la peine qu'ils prendront à nous lire, le plaisir
d'une courte excursion dans un pays sujjîsamtnent
pittoresque; à nos lecteurs mauriciens, Y attrait bien
autrement pénétrant d'un pèlerinage aux lieux loin-
tains oit s'est écoulée notre enfance.
Ce livre se divise naturellement en trois parties :
contes, sirandanes et chansons ; ce sont là, en effet,
les trois modes sous lesquels s'est manifesté le génie
littéraire de la race dont nous inventorions les ri-
chesses.
De la chanson et des sirandanes nous n'aurons que
quelques mots à dire quand nous arriverons à ces
deux subdivisions de notre recueil; mais les contes
doivent nous arriver plus longtemps, car c'est de
PRÉFACE V
beaucoup et la plus riche et la plus intéressante des
manifestations du génie créole.
L'invention de ces contes est-elle vraiment nôtre ?
L'invention, à y regarder d'asseiprès, n'appar-
tient en réalité à personne : la matière des contes po-
pulaires, d'un bout du monde à Vautre bout, est un
patrimoine commun à toute l'humanité. Tout là-bas,
dans un passé si lointain, si obscur que notre science
moderne est impuissante à en pénétrer les ombres,
tout là-bas, au berceau mystérieux de notre race, est
la source ignorée de tous ces contes : d'abord, de
vagues légendes, et plus loin encore que ces légendes,
des mythes indéchiffrables. L'humanité commence son
exode, elle emporte ses fables avec elle. Elle marche,
et partout oii s'arrête et se fixe une des familles qui
deviendront des nations, avec elle s'arrêtent ses fables
et ses contes; hommes et fables s'approprient à la
patrie nouvelle : ils se façonnent au climat nouveau,
ils se colorent des reflets de son ciel, ils se pénètrent
des parfums de ses plaines, de ses vallées, de ses forêts,
de ses montagnes. Puis les siècles succèdent aux
siècles; les ressemblances diminuent, les diver(rences
augmentent; et le jour vient oit pour le voyageur qui
passe, toutes ces versions d'une fable une à l'origine,
sont devenues autant de contes étrangers entre eux,
autant de productions particulières au sol même où il
les rencontre. Mais la sagacité d'une analyse attentive
sait reconnaître leur unité originelle. La dènons^
VI PRÉFACE
tration en a, ce nous semble, été faite, non sans doute
avec cette rigueur scientifique qui fait du problème de
la veille une des vérités du lendemain ; mais combien
de questions d'un bien autre intérêt pour l'humanité,
doivent ainsi se cjntenter modestement d'une solution
par à peu près ?
Notre passé, à nous autres, Mauriciens, ne remonte
pas aux premiers âges du monde, il ne se perd pas
dans la ttnit des temps; et peut-être n'étonnerons-
nous personne, pas même en France, « dans ce pays
oit l'on sait si mal la géographie », en affirmant qu'il
y a moins de deux cents ans, l'île Maurice n'avait
pas un seul conte populaire, pour la raison suffisante
qu'il n'y avait pas à Maurice une seule bonne femme
pour le raconter, pas un seul enfant pour l'écouter :
notre île était déserte.
Après nos découvreurs, les Portugais, qui ne prirent
pas pied sur notre sol, les Hollandais vinrent, avec
ou sans contes. Mais ils s'en allèrent comme ils
étaient venus; et voilà notre pays une fois de plus
sans littérature populaire.
Enfin, en lyiS > Bourbon, Vile-sœur, nous envoie
nos premiers colons français. Ils débarquent, ils
ouvrent leurs malles cl niellent à terre les contes qui
s'y étaient glissés entre leurs chemises de grosse toile
écrue et leurs vêtements de conjon bleu : contes de la
Basse-Bretagne, contes du pays gallot, contes nor-
mands, lorrains, provençaux; mais contes français,
PREFACE VII
rien que français. Dans la cinquantaine d'histoires
que nous sommes parvenu à recueillir, nous n'en re-
connaissons qu'une seule d'origine indienne, une seule
aussi d'extraction malgache; cinq ou six sont proba-
blement nées sous le ciel de Maurice; les autres, —
la preuve en sera faite sans doute par mes savants
correspondants de France et d' Allemagne, ^- tous les
autres sont de provenance exclusivement française.
Mais en s' acclimatant che^ nous, ces contes ont dil
se modifier asse\ profondément pour qu'on ait parfois
quelque peine à les reconnaître comme les contes mêmes
de la mère-patrie. Pour faire cette constatation avec
une précision suffisante, pour établir l'identité de ces
contes, pour débrouiller tous les amalgames qiii se
sont produite, en isoler les divers éléments et les ren-
voyer chacun à sa place, il nous aurait fallu la possi-
bilité de recourir à des sources d'information qui
înanquent totilement dans notre petit pays. Nous
l'avons essayé cependant; mais sur ce point, nous le
savons, les folUoristes européens auront à rectifier les
erreurs, à combler les lacunes de notre travail. Notre
ambition se home à leur fournir des matériaux : nous
donnons le lièvrj, à eux de faire le civet.
Le caractère essentiel du conte créole mauricien,
c'est la naïveté, cette fleur spontanée du génie de
l'enfance. C'est donc aussi dans l'insuffisance et le
manque d'étendue du génie de l'enfance que nous
trouverons la raison de cette absence de cohésion, de
VIII PRÉFACE
ce défaut de suite de bon ordre de nos « :{istoires ».
Les iiwidents se succèdent sans se lier, l'effet pas un
instant ne sotige à se réclamer de sa cause. Le conte
s'en va, hutte au moindre hoquet qu'il trouve, tombe,
se relève vaille que vaille, repart en clopinant,
retombe quelques pas plus loin, et souvent se casse les
reins avant d'arriver. Dans notre travail d'ortho-
pédiste, nous en avons remis quelques-uns sur leurs
pieds, en ayant soin toutefois de les laisser boitiller un
peu : on ne les aurait pas reconnus s'ils eussent
marché droit comme tout le monde. Mais nous avons
dû être sobre de ces cures, et le lecteur en retrouvera
plus d'un tout à plat sur le chemin. Ce n'est pas,
en effet, œuvre de conteur que nous avions à faire,
mais de simple rapporteur, voire de sténographe, toutes
les fois, bien entendu, que « ppâ Lindor et mmâ
Tèlcsille » consentaient à ne pas trop bredouiller.
La mémoire n'est pas la qualité maîtresse de ces
deux pauvres vieux. Les contes, les histoires venues de
France forment là-dedans un pêle-mêle inextricable.
Veulent-ils retirer de leur grenier quelque chose
qu'ils croient complet, ce qu'ils rapportent est un
composé de morceaux parfois bien sin^ulièremetit dis-
parates; à un lambeau d'un conte le souvenir infidèle
a cousu sans sourciller un lambeau d'un autre, puis
d'un troisième; et, par exemple, l'histoire commencée
avec Peau-d'Ane se termine avec Cendrillon, dont la
pantoufle devient la bague que seul Je doigt de l'hé-
PREFACE IX
roïne peut réussir à chausser au fond même de la
^orge du prince. Dans d'autres récits, des lacunes,
des vides qui donneraient envie d'appliquer à l'espèce
une définition bien connue : une suite de trous avec
un peu d'histoire autour.
Peu de suite, on le voit, peu de solidité dans le
tissu. Mais sur la pauvreté de l'étoffe, de vrais bon-
heurs de broderie.
C'est par la naïveté et la sincérité du détail que
cela est parfois, est plus d'une fois charmant. Les
amateurs de la vérité à outrance, franchissons le mot,
du réalisme, trouveront leur compte ici. Nous pou-
vais leur recommander particulièrement notre Petit-
Poucet mauricien, dans « Zistoirc septe cousins av
septe cousines ». Si la lutte de notre héros et de
bonhomme loulou à qui aura le plus gros ventre, à
qui aura la plus grosse tête, et la plus grosse
queue, etc., etc., n'a pas l'heur de les satisfaire, c'est
à n'y rien comprendre. Seulement, pour plus de sin-
cérité dans le rendu, nous leur recommandons à la
place du mot timide que nous avons écrit, de mettre à
certains passages du tournoi, qu'ils ont trop de flair
pour ne pas » subodorer », le mot cru, le mot propre,
que notre typographie mauricienne eût peut-être trouvé
malpropre ; ils auront alors le ragoût avec tout son
fumet. Mais, en général, les choses ne sont pas de si
haut goût, quoique notre cuisine soit toujours suffi-
samment épicée. Le sentiment du pittoresque ne nous
a.
PRÉFACE
fait jamais défaut : à preuve, la langue même que nous
parlons, notre patois créole, qui ne vit que d'images.
Nous avons d'autres qualités encore, et quelques-
unes ne sont rien moins que banales. Aifisi, nous
savons faire parler nos personnages, c'est-à-dire
donner à chacun le langage qui lui convient, ce qui
n'est pas un mérite littéraire médiocre. Il est bien
entendu que pour établir, pour poser nos caractères,
nous ne faisons point de psychologie; nos types ne
sont ni bien variés, ni bien curieusement étudiés;
pour mieux dire nous les acceptons tels que la tra-
dition nous les offre. Mais une fois la marionnette
reçue et mise en place, le bonhomme tient debout et
demeure jusqu'à la fin conséquent avec lui-même.
En tout avec soi-même il se montre d'accord.
Et reste jusqu'au bout tel qu'on l'a vu d'abord.
Vous n'en infère:^ pas que ppd Lindor sait par cœur
son Art poétique : ce sont rencontres de deux beaux
génies, voilà tout.
Cette teneur, cette unité dans la composition des
caractères se manifestera moins bien dans le conte
proprement dit que dans la fable. Li)!dor, en effet,
s'entend asse\ mal à faire la figure humaine. Son
héros favori, « Ptit Zean » lui-même, manque de
relief; il est monotone quelque rôle qu'on lui confie ;
et on lui en donne beaucoup, car c'est ce qu'en langage
de théâtre on appellerait une grande première utilité.
PRÉFACE XI
Dans cet emploi, on Je sait, la nécessité d'avoir du
talent ne s'impose pas aux gens, et ils s'en sou-
viennent.
Il en est autrement de la fable, de cette comédie
dont les personnages sont des animaux. Lindor,
comme animalier, est loin d'être un artiste sans
valeur. Nous oserions même affirmer que s'il eût vécu
là-bas au moyen âge, il aurait ajouté une branche de
sa façon au grand roman du Renard, et qui cer-
tainement ne serait pas la plus mauvaise. Seulement
il lui aurait donné un titre nouveau « Compère
Yève n, car c'est le lièvre qui est le vrai renard de
VYsopet mauricien.
Nous nous sommes souvent demandé comment le
lièvre, ce timide, qui, aussi bien che^ nous qu'en tout
pays, est douteux, inquiet, au point qu'une ombre, un
rien, tout lui donne la fièvre; comment ce mélan-
colique, hanté jour et nuit, sans fin ni trêve, par
l'effroyable cauchemar de la casserole et de la broche;
comment ce simple, dont la suprême malice consiste à
avoir, dans notre île comme dans l'île de Barataria
en terre ferme, la viande noire, partant indigeste;
nous nous sommes souvent demandé comment a
pauvre lièvre est devenu, non seulement à Maurice,
mais à la Martinique, à la Guadeloupe, et sans
doute dans bien d'autres colonies encore, le type même
de la ruse, et de la ruse spirituelle, gouailleuse, van-
tarde, notre renard enfin.
XII PRÉFACE
Ce choix du Uèvre pour un rôle auquel ne l'avaient
destiné ni la nature ni Buffon, voici la seule expli-
cation que nous ayons réussi à nous en donner.
Ouvrons notre livre syhillin, le recueil de nos si-
randanes.
« Brèdes galoupé ? » demande l'une d'elles. —
(( Yève », répond le ou la sampéque.
Un lièvre pour le bonhomme Lindor, ce sont donc
des brèdes qui courent. Or, des brèdes qui se sauvent
pour éviter d'être cuisinées par Lindor, ce n'est déjà
pas si bête. Lindor, cependant, s'accommoderait fort
de ce plat de brèdes là, car le » bouillon » est rare
che\ lui. Henri IV y en pareille disconvenue, nous
montre sa marmite renversée; Lindor nous peint la
sienne d'un trait bien autrement pittoresque : <( Mo
marmite pousse gomon, » — ma marmite pousse du
goémon : c'est un cas original de végétation spontanée.
Vous juge'i si ces brèdes qui courent feraient son
affaire. Notei en . outre que ce lièvre fait pis encore
dans le petit carreau de terre du bonhomme quç le
lièvre de France che^ le jardinier de La Fontaine. Si
ses dégâts se bornaient à n'y pas laisser de quoi faire
à Margot pour sa fête un bouquet, passe encore : l.i
Margot de Lindor ne cueille pas au champ voisin ses
plus beaux ornements, la nature l'a pourvue. Mais
chaque nuit le lièvre s'en vient religieusement couper
au ras de terre toutes les jeunes pousses, pousses de
maïs, pousses de cannes, pousses de pistaches créoles
PRÉFACE Xni
OU malgaches, il nen épargne pas une. Vous le voyei,
Vanimositè de Lindor contre Us brèdes qui courent est
faite de gourmandise et de rancune. Mais Lindor
n'a pas de fusil, et son vieux roquet blanc et rouge
n'a guère plus de jarrets que de ne^. Quejaire donc ?
Tendre des pièges. Or, Lindor est un asse:^ pauvre
braconnier; ses assommoirs sont mal suspendus, ses
collets mal dressés; le lièvre évente sans peine cette
« bande » de malice cousues de fil blanc, et Brèdes
galoupé.
Maintenant, pour conclure, vous plairait-il vous
mettre un instant au lieu et place de bonhomme
Lindor ? Un animal, être asse^ fin, pour se montrer
encore plus fin que vous ! être assex_ subtil, asse^ spi-
rituel, asse\ rusé pour éviter toutes vos eînbûches ! Il
y a du sortilège là-dedans, ou bien c'est l'esprit
incarné, c'est la ruse en vraie personne naturelle. Et
voilà pourquoi et comment nous avons fait du lièvre
ce que vous save^^ : notre amour-propre est sauf, du
moins.
Que notre explication vaille ou non, ce qu'il y a
de certain, c'est que le lièvre, dans notre fable, a
encore plus d'esprit que le singe lui-même. Compère
Zacot, un cynique qui ^ est fait plus d'une fois refuser
l'accès de ce recueil. Compère Yève reste le gabeur
par excellence. Mais, par exemple, quand son gab
échoue et tourne contre lui, il est impossible d'être plus
penaud, d'être déconfit plus à plat. C'est peut-être un
XIV PRÉFACE
moyen pour lui de justifier sa parenté avec son grand
cousin d'Europe que de se montrer
Honieux comme un renard qu'une poule aurait prh.
Le personnel de notre troupe, aussi lien pour la
fable que pour le conte, est loin d'être nombreux, et
nous aurons bientôt fait de le passer en revue. Nous
ne vous présenterons plus du reste que quelques ac-
teurs, les plus fréquemment en scène.
La tortue. C'est, elle aussi, une bête d'esprit; mais
dans le genre noble, comme les Ariste, les Cbrysalde,
les Cléante : c'est une personne sage et d'une haute
moralité. Passe-t-elle de la fable dans le conte, elle
ne perd rien de sa dignité, de sa tenue. Bien s'en
faut; elle devient volontiers (( sourcier » ; mais un
bon sorcier, un sorcier Monthyon. Ainsi dans l'his-
toire de « Brigand av Tranquille », oii elle va
jusqu'à moraliser, et en asse^ bons termes, il nous
semble. Elle est bien dissemblable, on le voit, de la
tortue du conte de la côte d'Afrique dont la sorcellerie
est malfaisante.
Puis, le couroupas (colimaçon). — Celui-là est
bête, franchement bête. Nous avons du reste, dans
notre langue, un adage qui le stigmatise : « Lacase
couroupas pour tout dounioundc », la vuùson du
colimaçon est à tout le monde. On ne dit pas si c'est
quand la maison est vide ou pleine. Mais, pour les
PRÉFACE XV
besoins de notre cause, prenons que c'est alors que la
coquille est encore occupée, et que couroupas n'est pas
maître che:(^ soi : ce qui est fort sot. Et le couroupas
ne se contente pas d'être bête, il est colère. C'est â se
demander si ppd Lindor n'aurait pas observé que la
bêtise et la colère n'ont rien d' incompatible entre elles.
Mais prenons garde défaire le bonhomme plus sagace
que nature.
Nous passons sous silence les comparses, le fretin :
la baleine, l'éléphant, le rat, :(o:(o pailhnqui et autres.
Mais il y a encore im premier sujet duquel nous
devons dire un mot. C'est le loup, ou mieux
Loulou.
Loulou est le traître de notre théâtre. C'est rare-
ment un animal, loup ou autre, la preuve, c'est que
la fable ne le connaît pas ; c'est bien plutôt notre garoii,
notre ogre ; si bien que pour faire taire les petits
enfants qui crient, nos vieilles nénènes l'évoquent
concurremment avec bonhomme Sac et bonhomme
Sacouyé. En général, Loulou a figure humaine, ou
peu s'en faut. A le voir passer dans la rue, en voi-
ture surtout, car Loulou est riche, les simples, les
enfants, et surtout les « \ènes filles » trop pressées de
trouver un umri, s'' y laissent prendre le mieux du
monde. Mais qu'elles se méfient, les malheureuses !
Loulou a, par derrière, une queue énorme qu'il tient
soigneusement dissimulée pendant le jour sous une
plaque d'or ou d'argent. Le soir, quand il quitte cette
XVI PRÉFACE
plaque pour sa toilette de nuit, — // paraît que ça le
gêne pour s'allonger sur le dos — sa queue longtemps
comprimée se détend comme un ressort; et c'est ter-
rible! Cette queue, du reste, sous Ve^npire d'une
émotion soudaine, d'une vive passion, colère ou ter-
reur, fait sauter sa plaque : ainsi, son bouchon, la
topette qu'une main impatiente agite pour le soda and
brandy. Cette queue est tout ce que nous avons inventé
pour composer à bonhomme Loulou une figure formi-
dable. Mais comme elle est le plus souvent sous
enveloppe, et que, d'ailleurs, alors même qu'elle est en
liberté, elle ne peut guère produire tout son effet que
vue sous un certain angle, la terreur qu'inspire bon-
homme Loulou nous paraît partout là-dedans un peu
bien conventionnelle. Franchement, pour notre part,
il ne nous fait pas peur. Mettei en outre que Loulou
est lourd, comme tous ceux qui s'imposent des diges-
tions trop laborieuses, si bien qu'on le met dedans avec
une facilité humiliante pour son adversaire :
« Loulou là, éne couroupas fnême, mo dire vous, »
c'est un vrai colimaçon, vous dis- je.
Et c'est tout; vous ave^ maintenant notre troupe
au cotnplet.
Avant de la laisser jouer devant vous, un mot sur
Je caractère général de son répertoire.
Nous sommes pour l'éternelle équité. Chei nous,
comme dans toutes les littératures faites par le peuple
pour h peuple, la vertu triomphe, le crime est puni.
PREFACE XVII
Le petit Chaperon-Rouge, mangé par le loup, est
une douloureuse exception. L'esthétique du genre veut
que le faible finisse par avoir raison du fort ; et de
même qu'il a le bon droit de son côté, de son côté
aussi est l'esprit, c'est-à-dire, la ruse, car esprit et
ruse ne sont qu'un pour nous, et celui-là est le plus
spirituel qui sait le mieux tromper. Pour nous
expliquer cette confusion, songeons au milieu, aux
cofiditions sociales où, se sont développées ces littéra-
tures populaires. Là-bas, l'oppression de toutes les
féodalités, ici l'esclavage : c^ est-à-dire la lutte ouverte
impossible, la ruse seule laissée pour arme à l'op-
primé. Il spécule donc sur les vices, sur les travers
de ses oppresseurs. Le Chat-Botté, flattant la vanité
de l'ogre, l'amène à se chançrer en souris : il saute
dessus et l'avale; le lièvre entre dans le corps du roi
éléphant, lui ronge le cœur, le tue, et prononce son
oraison funèbre.
Peu d'émotion; la sensibilité presque nulle : les
malheurs de nos héros nous laissent asse^ froids.
C'est que la vie, par sa cruelle homéopathie, a sin-
gulièrement émoussé la pitié dans nos cœurs. Nous
avons trop à faire de nous apitoyer sur nos propres
maux, pour qu'il nous reste le loisir de nous atten-
drir beaucoup sur les souffrances fictives de nos per-
sonnages. Quand nous pleurons, ce qui nous arrive,
car nous avons les larmes faciles, les pleurs viennent
des yeux, rarement de plus loin. Aussi, lorsqu'au
XVIII PRÉFACE
dènoûuient de l'histoire de « Zean av Zeanne », la
femme de bonhomme Loulou, sincèrement émue, ver-
sera de vraies larmes, le lecteur, il nous se))ible,
éprouvera la vive surprise que nous avons ressentie
nous-même.
Une malice enjouée et pleine d'humour, tel est le
sel de tout ce recueil.
Un dernier mot pour justifier, ou tout au moins
pour excuser notre version française. Ce fi'est point
dans cette traduction trop souvent incolore que nous
supplions qu'on aille chercher la saveur de nos contes
créoles. Cette transcription en langue savante n'a
qu'un but et qu'une raison d'être : faciliter aux lec-
teurs européens l'intelligence d'un texte dont, en dépit
de notre amour-propre mauricien, nous n'estimons
pas la conquête asse\ précieuse pour qu'il n'y ait pas
mauvais goût à la faire acheter anx gens au jvix
d'une perte de temps même minime, et d'une tension
d'esprit même médiocre. Notre version française
aidant, peut-être quelques lecteurs auront-ils la fan-
taisie d'aller voir comment le patois créole s'arran-
geait pour dire, non sans grâce, ce que le français
vient de si lourdement raconter. Et voilà, grâce à
notre ruse adroite, notre pauvre patois victorieux
dans cette lutte contre son opulent adversaire. Nous
savons bien qu'en fin de compte, c'est la bonne re-
nommée du traducteur qui fera tous les frais de
l'affaire; mais le rédacteur de la juirtic créole béné-
PREFACE XIX
ficiera des pertes de l'autre, et c'est de quoi nous
consoler. OuHl nous soit periiiis de dire enfin que
notre traduction a été écrite au courant de la plume.
Le temps ne fait rien à l'affaire. D'accord, et nous
sommes bien de l'avis d'Alceste. Nous estimons
néanmoins que le temps et le soin maladroitement
dépensés à faire ime œuvre maladroite, ne peuvent
qu'aggraver le cas d'un homme, et lui interdire tout
recours au bénéfice des circonstances atténuantes.
Port-Louis, île Maurice, ancienne île de France,
octobre i88j.
C. Baissac.
PREMIERE PARTIE
CONTES ET LÉGENDES
LE LIÈVRE ET LA TORTUE
AU BORD DU BASSIN DU ROI
jL y a bien bien longtemps, il y avait au pays
de Maurice un roi qui avait un grand
bassin. C'est là qu'il prenait son bain tous
les matins comme son médecin le lui avait or-
donné. Un jour il arrive au bord du bassin ; l'eau
est sale : impossible de se baigner. Le roi appelle
le gardien et le gronde. Le lendemain, l'eau est
sale. Le troisième jour, l'eau est sale. Le roi
prend le gardien par le cou, le secoue et lui dit :
— El toi, enfant de chien ! tu veux que
j'attrape la gale dans cette eau-là ? Si demain le
bassin n'est pas propre, tu verras quelle pile !
ZISTOIRE lEVE AV TOURTIE
DANS BORD BASSIN LÉROI
|ONGTEMPS longtemps dans payi Maurice,
ti éna éne léroi qui ti gagne éné grand
bassin. Làdans même 11 té baingne so
lécorps tous lé bomatins, à cause docteir ti com-
mande li. Avlà éne zour li arrive dans bord
bassin ; dileau sale, napas capave baigné. Léroi
appelle gardien, bourre li. Lendimain, dileau sale.
Troisième zour, dileau sale. Léroi pèse gardien
dans licou, li sacouyé, li dire li :
— Eh ! toi, to vlé mo trape lagale dans ça
dileau là ? Quand dimain bassin napas prope, to
va guété sipas mo ronflé toi !
LE LIEVRE ET LA TORTUE
Le gardien a peur. Le soir venu, il prend son
fusil, il se cache dans les feuilles de songe au
bord du bassin ; la nuit était noire, pas de lune.
Au coup de canon, il entend qu'on vient : tac,
tac, tac : c'était un lièvre. Avant que le gardien
ait le temps de lever son fusil, le lièvre vient
droit à lui et lui dit :
• — Bonjour, bonjour, gardien ! Comme je suis
heureux de vous voir ! il y a longtemps que
je cherchais à vous rencontrer, parce que j'ai
quelque chose d'excellent à vous donner. Goûtez-
moi ce miel que mes parents m'ont envoyé des
Trois Ilots ! vous me direz si vous avez jamais vu
du miel comme ça.
Le gardien prend la calebasse et avale une
gorgée :
— Oui, certes ! c'est exquis !
Le gardien reste attaché à la calebasse, et la
vide. Mais je ne sais trop quelle espèce d'herbe
le lièvre avait mêlée au miel : le gardien n'a que
le temps de s'allonger au bord du bassin, le
sommeil le prend, il ronfle. Le lièvre se désha-
bille en riant, et pique une tête dans l'eau.
Ce lièvre était plein de malice. Quand il en a
assez, il sort du bassin, casse un long bâton, re-
mue la vase, fait du bassin une vraie tasse de
chocolat, et s'en va.
Au point du jour, le roi arrive. Il n'a besoin
ZISTOIRE lEVE AV TOURTIE
Gardien peir. Asoir li prend fisil, li cacié dans
failles sonzes bord bassin ; lanouite noir noir,
napas laline. Lheire canon tiré, li tende dou-
moumde vini ; li coûté : tac, tac, tac ; ça ti éne
lève ! Avant gardien gagne létemps lève fisil, lève
vine drette av li, li dire li :
— Bonzour, bonzour, gardien ! Comment mo
content trouve vous ! longtemps ça même mo
rôdé, à cause mo iéna bon bon quiqueçose pour
donne vous. Goûte ça dimiel mo famiie fine
envoyé moi Trois Zilots ï- vous va dire moi sipas
zamais vous ti trouve dimiel comment ça.
Gardien prend calebasse, li avale éne gorzée :
— Si fait va ! li goût même.
Gardien tacé sembe calebasse là, li vide li.
Mais mo sipas qui zespèce féyaze lève fine mété
dans dimiel là : gardien nèque létemps allonze so
lécorps dans bord bassin ; sôméye pèse li, li
ronflé. lève rié, li tire so linze, li pique dans
bassin.
lève là malice ; Ihére li assez, li sourti dans
bassin, li casse ène longue bâton, li brouille la
boue, li faire éne dileau çocolat dans bassin là ;
li allé.
Grand bômatin léroi vini. Li nèque guette so
LE LIÈVRE ET LA TORTUE
que d'un coup d'œil à son bassin. Quelle colère !
Le gardien dormait encore au bord de l'eau. Le
roi prend le bâton même dont le lièvre s'était
servi pour troubler l'eau, et tombe sur le gardien.
Sous cette grêle de coups, le gardien tarde peu à
s'éveiller. Une fois debout, il prend ses jambes à
son cou, détale, et se sauve 'dans le bois d'où il
n'est jamais ressorti.
Le roi fit sonner la trompette : « On demande
un gardien pour un bassin, huit piastres par
mois, une demi-balle de riz et les vivres du ma-
gasin. Mais si le gardien laisse quelqu'un troubler
l'eau du bassin, on lui tranchera la tête. « Les
animaux entendant cette menace ont tous peur,
personne ne demande la place : le coq a peur, le
chien a peur, l'oie a peur.
Trois jours se passent. Le lièvre se baigne et
trouble l'eau. Le roi ne sait quoi faire : son corps
commence à démanger ferme ; voilà sept jours
qu'il n'a pu prendre son bain.
Le quatrième jour, l'officier du roi vient lui
dire qu'il y a là quelqu'un qui demande la place
de gardien du bassin : « Fais entrer. » C'était
une tortue de rien du tout. Le roi la regarde, il a
bien envie de se fâcher :
— C'est toi qui pourras empêcher les gens de
salir mon eau ?
— Oui, mon roi ; c'est moi.
ZISTOIRE lEVE AV TOURTIE
dileau : napas appelle en colère ça ! Gardien
encore dourmi dans bord bassin ; léroi touque ça
bâton là même qui iève té brouille dileau, H
tombe làhaut gardien, beirré, ronflé, manman !
Gardien napas longtemps pour levé ; lézailes av
li ! li vanné même, li sauve dans bois, zamais li
fine tourne encore.
Léroi faire sonne trompette : « Bisoin éne
gardien pour veille éne bassin : houite piasses par
mois, dimi balle douriz, vivres magasin. Mais
quand gardien là laisse doumounde brouille dileau
dans bassin, va coupe so licou. » Zanimaux tende
ça crié là, zaute tout peir, personne napas di-
raande pour prend place : coq peir, licien peir,
lazoie peir.
Trois zours passé. lève baigné, brouille dileau ;
léroi napas coné qui li va faire, so lécorps com-
mence gratté même dipis septe zours qui li napas
capave baingné.
Quatrième zour, zofficier léroi vine dire li qui
iéna éne doumounde qui dimande gardien bassin.
Léroi dire : faire rentré ! Ça ti éne faye tourtie.
Léroi guette li, li comence en colère :
— Toi ça qui va fouti empèce doumounde
sale mo dileau ?
Oui, mo roi ! moi-même ça !
LE LIEVRE ET LA TORTUE
— Tu sais les conditions : si l'eau est trouble,
je te coupe le cou.
— Oui, mon roi, je sais les conditions, et
comme la viande de tortue est bonne à manger,
vous pourrez faire de moi un cari. Mais je ne
crois pas que vous ayez chance de me goûter cette
fois-ci : mieux vaut dire à votre cuisinier de
plumer une mère poule.
— Bon, ma commère, nous verrons demain
matin. Entre en place ce soir.
La tortue sort. Elle va chez une amie et fait
bien enduire de goudron toute son écaille. Au
coucher du soleil elle arrive au bord du bassin.
Elle se tapit dans le sentier où doit passer le
lièvre, et elle attend.
Tac, tac, tac, le lièvre vient. Le lièvre voit cet
objet noirâtre au milieu du chemin, il s'arrête et
regarde. La tortue a rentré sa tête sous son
écaille : rien ne bouge. Tac, tac, tac, le lièvre
approche avec précaution : rien ne bouge. Il
reste là un bon moment, immobile ; la tortue ne
remue pas plus qu'une pierre. Le lièvre médite.
Il tourne autour, regarde : rien ne bouge. Cette
fois les battements de son cœur se calment. Il
n'a plus peur et dit :
— C'est bien une roche, donc ! j'en suis sûr
maintenant. Hé vous autres ! c'est un brave
homme que ce roi-là. Voici un petit banc qu'il
ZISTOIRE lEVE AV TOURTIE
— To conne condition : quand dileau brouille,
mo va saute to licou !
— Oui, mo roi ! mo conne condition ; et
cornent la viande tourtie bon pour manzé, vous
va capabe faire cari avmoi. Mais mo crois pas qui
vous pour goûte moi ça voyaze là ! vaut mié
vous dire vous cousinier plime éne manman
poule.
— Bon, mo commère ! dimain bomatin nous
va guété. Rente dans to louvraze àsoir.
Tourtie allé. Li aile lacase so camrade ; li
laire li frotte so lacoque partout partout av gou-
dron. Lheire soleye coucé, li arrive bord bassin,
li pelote dans ptit cimin à cote lève pour passé,
li aspéré.
Tac, tac, tac, lève vini. lève trouve ça qui-
queçose noir noir là dans milié cimin, li arrêté,
li guété. Latête tourtie fine ramasse en bas laco-
que : narien bouzé. Tac, tac, tac, lève approce
doucement doucement, narien bouzé. lève ma-
ziné ; li vire viré, li guété, li guété : narien
bouzé. Bon moment li reste tranquille, tranquille;
tourtie coment roce même. Ça coup là, lékeir
iève arrête batte, li naplis gagne peir, li dire :
— Roce même ça, donc ! mo conné astheire !
Eh vous zaute ! léroi là éne bon doumounde oui !
bien sîr ça éne ptit banc qui li fine comande so
10 LE LIEVRE ET LA TORTUE
a, j'en suis sur, ordonné à son domestique de
mettre au bord du bassin, afin que j'aie de quoi
m'asseoir quand il me faudra tirer ma culotte
pour me baigner dans son eau.
Le lièvre rit et s'assied sur la roche. Voilà la
roche qui remue un peu. Le liè\Te, la sentant
bouger :
— Ah ! dit-il, voilà bien comme les domes-
tiques travaillent à Maurice ! ils ont oublié de
caler mon fauteuil.
Et il veut descendre pour mettre une cale à
son petit banc : impossible ! il est collé par le
goudron. La tortue sort la tête de son écaille :
— Qu'en penses-tu, compère? Pour moi, je
pense que cette fois-ci tu es bien pris.
Le lièvre a le nez cassé. Mais il faut bien
essayer de sauver sa vie :
— Hé toi, commère ! hé toi, dit-il, tu veux
rire, n'est-ce pas ? J'entends la plaisanterie, tu le
vois, et je te parle avec douceur. Lâche-moi, te
dis-je, lâche-moi ; ne me mets pas en colère.
La tortue s'était mise en marche pour le porter
chez le roi. Elle se contente de lui dire :
— A ton aise ! parle, si ça doit te soulager.
— Une fois ! deux fois ! tu ne veux pas me
lâcher?
Bàm ! le lièvre lui donne un coup d'une de
ZISTOIRE lEVE AV TOURTIE II
domestique amène dans bord bassin pour mo
capabe assise, Ihere mo bisoin tire quilotte pour
aile baingne mo lécorps dans son dileau !
lève rié ; li assise làhaut roce. Cornent dire
rcce là bouze bouze morceau. lève senti ça, li
nèque dire :
— Comme ça même domestiques travaille
dans paye Maurice ! zaute fine blié cale mo
fauteil.
Ene coup là li vlé dicendé pour cale son ptit
banc : napas moyen bouzé, li fine tace av gou-
dron. Tourtie sourti so latête en bas lacoque :
— Qui to croire, compère ? Moi, mo croire
qui ça voyaze là to maillé même !
lève sec. Mais li bisoin sayé pour çappe so
lavie ; li dire tourtie :
— Hé toi ! hé toi, commère ! to voulé badine
av moi, hein ? Avlà mo cause doucement : largue
moi, largue moi, mo dire toi ! napas faire mo
colère levé !
Tourtie tè comence marcé pour amène li lacase
léroi ; li nèque dire li :
— Quand to content : causé pour soulaze to
Iccorps.
— Ene fois ! dé fois ! to napas voulé largue
moi ?
Bam ! iève fîanque li éne coup lapatte derrière :
12 LE LIEVRE ET LA TORTUE
ses pattes de derrière : voilà la patte collée. Bàm !
et l'autre patte se colle aussi. La tortue ne s'en
préoccupe pas ; elle marche et suit son chemin.
Le lièvre lui dit :
— Eh toi ! j'ai plus de force dans mes pattes
de devant, oui ! Ecoute-moi : lâche-moi de bon
cœur.
La tortue marche et ne répond pas. Boum !
un coup de la patte gauche. Boum ! un coup de
la patte droite. Collée ! collée ! Voilà le lièvre les
quatre pattes attachées comme un cochon que les
chinois portent au bazar. Mais le pauvre malheu-
reux doit encore essayer de s'en tirer. Il dit à la
tortue d'un ton menaçant :
— Écoute bien : je parle pour la dernière fois.
Toute ma force est dans ma tête, ma tète est un
marteau de fer. Si je t'en donne un coup, je
t'écrase comme une papaye mûre. Lâche-moi, te
dis-je, lâche-moi !
La tortue marche et ne répond pas.
Le lièvre lève la tête aussi haut qu'il peut,
rassemble toutes ses forces et frappe. Boum ! la
tête est collée.
Les voilà arrivés chez le roi. La tortue rit, le
lièvre pleure.
Quand le roi voit le lièvre ainsi collé sur la
ZISTOIRE lEVE AV TOURTIE
lapatte côlé ! Bam ! laute lapatte oussi taeé. Tour-
tie napas oquipe ça, li marcé, li sive so cimin.
lève dire li :
— Et toi ! mo plis fort dans mo lapatte
divant, oui ! Coûte moi ! largue moi bon keir !
Tourtie marcé, napas réponde. Boum ! éne
coup lapatte gauce. Boum ! éne coup lapatte
droite ; collé ! collé ! lève so quate lapattes
amarre cornent éne cocon qui camilas amène dans
bazar. Mais pauve malhéré là bisoin saye encore.
Li faire vantard av tourtie, li dire li :
— Acoute bien : mo cause éne dernière fois.
Tout mo laforce dans mo latête, ène marteau fer
ça ! Quand mo tape éne coup Ihaut toi, mo
crase toi coment éne papaye mir. Largue moi,
iîio dire toi, largue moi !
Tourtie marcé, napas réponde narien. lève
lève lève la tête, ramasse tout so la force, tape
cne coup, Bôm! latête côlé.
Avla zaute iine arrive lacasc léroi : tourtie rié,
iève ploré.
duand léroi trouve ça iève là colle collé
14 LE LIÈVRE ET LA TORTUE
tortue, malgré sa colère il est forcé de rire. La
tortue lui dit :
— Le voici, mon roi. Ce n'est pas de la tortue
que vous aurez à votre dîner, mais du lièvre.
Cuit au vin, ça n'est pas mauvais.
Le roi tire son sabre, fait voler la tête du
lièvre et l'envoie à la cuisine. Puis il appelle son
domestique :
— Hé toi ! je vais au bain. Viens me frotter
dans l'eau. J'ai le corps sale, oui !
C'est peut-être le plus répandu de nos contes créoles, le plus
incontestablement populaire : nous en avons recueilli jusqu'à
sept versions différentes. C'est là une preuve de fait, preuve
concluante, que le conte créole est une matière éminemment
plastique que chacun est libre de reprendre pour la repétrir à
sa guise. Là où la propriété littéraire est ignorée, tout sujet
appartient à tous ; serait-il trop ambitieux de rappeler la litté-
rature du haut moyen-âge tout entier?
Pour le conte qui nous occupe, on la retrouverait probable-
ment dans toutes nos colonies des Indes occidentales, et
quelques-uns de nos lecteurs peuvent en avoir lu une version
ZISTOIRE lÈVE AV TOURTIE I^
iàhaut tourtie, quamême li en colère li blizé rie.
Tourtie dire li :
— Avlà li là, mon roi ! Napas tourtie qui vous
pour manze dans vous diné, mais lève qui vous
va manzé ; quand couit li av divin li bien bon.
Léroi tire so sabe, li saute la tête lève, li
envoyé lacousine. Après ça li appelle so domes-
tique :
— Et toi ! Mo aile baingné. Vine frotte moi
dans dileau : m^o lécorps sale, oui !
martiniquoise dans un roman de Bentzon, Yette, paru il y a
quelques années.
Le dénouement de notre histoire change singulièrement d'une
de nos versions à l'autre. Le plus souvent le lièvre meurt de
maie mort, ici par le sabre, là par le fusil ; mais parfois il
trouve encore moyen de s'en tirer, et c'est la tète de la tortue
qu'abat le sabre du roi.
Nous avons adopté entre les rédactions qui donnent tort au
lièvre, celle dont la physionomie nous paraît plus particulière-
ment nôtre : le roi dont le bain est la préoccupation incessante
nous semble une conception éminemment mauricienne de la
royauté.
®#
fê@©@©®©s^fêâ^©â5®®
II
HISTOIRE DES COLOPHANES
|L y avait une fois un grand roi qui habi-
tait une belle maison. Son parc était
_-- planté d'arbres de toute espèce; il avait
beaucoup d'argent, il avait de grands troupeaux
de bêtes; une seule chose lui manquait: son
bassin étlit sec, il n'y avait pas une goutte d'eau
dedans.
Un jour, le roi songeait ù ce qu'il pourrait
bien faire pour avoir de l'eau. Soudain, il appelle
le cheval et lui dit : « Tu vas aller chez grand'-
mère l'araignée, tu lui demanderas ce qu'il faut
que je fasse pour faire couler l'eau. Et ne fais
qu'une course, oui! j'attends! « Le cheval dit :
u Bon, mon roi ! » et il part au grand galop.
Arrivé chez l'araignée il lui dit : « Bonjour,
bonjour, mère araignée, le roi vous demande ce
qu'il faut qu'il fasse pour laire couler l'eau. »
II
ZISTOIRE COLOPHANE
if \f' ni
-*>it' [m
|i éna éne fois éiie grand léroi qui ti reste
dans éne grand grand lacase. So lacour
îé rempli dibois tout qualité. Li ti énan
bon morceau larzent, li ti énan éne bande zani-
maux; mais ti éna nèque éne domaze : so bassin
té ^Qc, napas ti éna éne goutte dileau.
Ene zour, léroi mazine maziné qui li a capabe
faire pour gagne dileau. Ene coup là li appelle
couvai li dire li coume çà : « To va aile lacase
grandmanman Zergnée, to va dimande li qui mo
bisoin faire pour flnre dileau coulé. To nèque
pique éne lacourse, oui! mo aspère toi ici.' »
Couvai dire : « Bon, mo roi ! » li allé, li largué.
Arrive lacase zergnée li dire li : « Bonzour,
bonzour, manman zergnée; léroi dimande vous
qui li bisoin faire pour faire dileau coulé? »'
HISTOIRE DES COLOPHANES
L'araignée se dresse sur ses pattes ; elle regarde
bien le cheval et lui dit : « Dis au roi de couper
les colophanes, l'eau coulera. ))
Le cheval repart au lancé. Mais en chemin son
pied heurte un chicot de tambalacoque. Le pied
en est tout blessé, et le cheval ne peut s'empê-
cher d'injurier le tambalacoque. Il arrive chez le
roi. . , T
Le roi lui demande ce qu'a dit l'araignee. Le
cheval, qui ne songeait qu'au tambalacoque, ré-
pond : « L'araignée vous dit de couper les tam-
balacoques, et l'eau coulera. «
Le roi est content. Il fait couper tous les tam-
balacoqucs de son habitation, l'eau ne coule pas.
Le roi est en colère ; il fait saisir le cheval et lu.
coupe la tête. Puis il fait appeler la vache.
La vache arrive ; le roi la renvoie chez l'arai-
gnée. L'araignée lui répète : « aue l'on coupe
les colophanes !»
\ son retour, la vache a faim. Elle cherche de
rherbe à manger : point d'herbe, elle est réduite
•\ brouter des feuilles tendres de bois noir. Mais
èe feuillage est amer à sa bouche. Quand elle
-urlve chez le roi et qu'il lui demande ce qu'a dit
r-^raianée, comme elle a la bouche encore pleine
de bois noir, elle répond : « L'araignée dit de
couoer les bois noirs. »
Le roi est content. Il fait abattre tous les bou<;
ZISTOIRE COLOPHANE
19
Zergnée dresse Ihaut so lapatte; li guette guette
couvai, li dire li : « Cause léroi coupe colophane :
dileau va coulé. »
Couvai allé, li galoupé. Mais dans cimin so
lipied cogne éc éne cicot tamanicoque. So lipied
gagne dimal même, li blizé zoure tamanicoque là,
li arrive lacase léroi.
Léroi dimande li qui zergnée fine causé. Couvai
qui ti nèque mazine tamanicoque dire léroi coume
ça : « Zergnée dire vous coupe tamanicoque,
dileau pour coulé. »
Léroi content ; li coupe tout pieds tamanicoque
dans so bitation : dileau napas coulé. Léroi en
colère; li fliire pèse couvai, li saute so latête.
Lheire là li faire appelle vace.
Vace vini, léroi envoyé li encore lacase grand-
manman zergnée. Zergnée dire li encore : « Coupe
colophane. »
Coment vace tourné, li gagne faim. Li rôde
l'herbe pour manzé; Iherbe napas; 11 blizé manze
so feilles banoir tende. Mais feillaze là amer dans
so labouce. Lheire li arrive lacase léroi, léroi
dimande li qui zergnée fine causé; dans labouce
vace nèque banoir même, li dire léroi : « Zergnée
cause coupe banoirs. »
Léroi content ;'- li faiie coupe tout banoirs,
20 HISTOIRE DES COLOPHANES
noirs, l'eau ne coule pas, le bassin reste sec. Le
roi se remet en colère; il fait prendre la vache;
il la fait tuer.
Compère le lièvre vient faire son vantard au-
près du roi et lui dit : « Mais, mon roi, pourquoi
donner vos commissions à des gens bêtes comme
ça ! Vous m'avez là, et vous êtes en peine de
trouver quelqu'un ! — Eh bien ! vas-y, com-
père, rt
Le lièvre détale. Il arrive chez l'araignée,
l'araignée lui dit : « Mais coupez donc les colo-
phanes ! »
Tandis que le lièvre revient chez le roi, il ren-
contre un chasseur. Le lièvre voit le fusil, houn!
Il s'élance dans un champ de cannes, il s'enfonce
sous les feuilles tombées, il y reste trois jours,
(^uand la nuit est tout à fait noire, il sort et ar-
rive chez le roi. Mais il a beau se gratter la tête,
il ne peut plus se rappeler le mot de colophane,
il dit au roi : « Coupez les badamiers. »
Les badamiers sont par terre, l'eau ne coule
pas. Le roi coupe la tète au lièvre et l'envoie à la
cuisine, la mohié en rôti, l'autre moitié en civet.
Mais le roi est tout triste : son bassin reste sec.
La tortue vient trouver le roi et lui demande à
aller faire sa commission à l'araignée. Malgré son
chagrin, le roi ne peut s'empêcher de rire : « Eh
toi, commère, mais quand est-ce que tu seras de
ZISTOIRE COLOPHANE 21
dileau napas coulé, bassin sec. So colère léroi lève
encore ; li faire tchiorabo vace, li faire touj^e li.
Avlà papa iève vine faire vantard av léroi, li
dire li : « Mais, mon roi, qui faire vous donne
vous commissions doumondes bête coume ça !
mo là même et vous en peine trouve quiquène !
— Ah ben, allé, compère. »
lève largué ; li arrive lacase zergnée, zerguée
dire li : « Mais coupe colophane, donc ! »
Comment iève tourne lacase léroi, li zoinde
éne çasseir. lève trouve fisil, houn ! li bourre
dans carreau cannes, li caciette en bas lapaille, li
reste trois zours. Lheire lanouite noir noir li
sourti, li arrive lacase léroi. Mais li beau gratte
gratte la tète li napHs capave souvini son nom
colophane, li dire léroi : « Coupe badamiers ! »
Badamiers en bas, dileau napas coulé. Léroi
saute latête iève ; li envoyé li lacousine, la moquié
rôti, larestant couit av divin.
Mais léroi çagrin ; son bassin sec. Tourtie
approce à côte léroi, li dimande li pour aile faire
so commission av zergnée. Quand même léroi
çagrin, li blizé rié : « Et toi, commère, mais
quand ça qui to pour tourné? — Mo va tourné
22 HISTOIRE DES COLOPHANES
retour? — Je serai de retour quand je serai de
retour, mon roi ; mais, quand je serai de retour,
vous aurez votre réponse. » Le roi la laisse aller.
La tortue marche, marche sans se presser, mais
elle va tout droit sans jamais s'arrêter en chemin.
Elle arrive chez l'araignée, et lui demande com-
ment le roi aura de l'eau dans son bassin. L'arai-
gnée cette fois se met en colère : « Mais, à la fin,
vous m'ennuyez avec votre bassin ! S'il n'j' a pas
d'eau, mettez-y du calou, que m'importe ! » La
tortue lui parle avec douceur, l'amadoue, et
l'araignée lui dit : « Coupez les colophanes. )>
La tortue repart. Au bout de trois mois en-
viron, le roi la voit venir de loin ; il dit à sa
femme : « Est-ce que vous aimez la viande de
tortue, vous? je crois que nous en mangerons à
notre dîner », et il appelle son cuisinier pour
qu'il n'y ait pas de temps perdu.
Le cuisinier arrive et la tortue aussi. Le roi lui
demande: « Eh bien? — Eh bien! coupez les
colophanes, mon roi ; l'eau viendra dans le bas-
sin. » Le roi croit que c'est encore là une mau-
vaise plaisanterie ; il se fâche et dit à la tortue :
« Je vais les faire couper ; mais si l'eau ne vient
pas dans mon bassin, c'est la tortue qui viendra
dans ma marmite ! »
Le charpentier du roi coupe tous les colo-
ZISTOIRE COLOPHANE 2}
quand mo va tourné, mon roi ; mais quand mo
va tourné vous va gagne vous [réponse. » Léroi
laisse li allé.
Tourtie marcé, marcé, tranquille, tranquille,
mais touzours li drète dans son cimin, zamais
badiné. Li arrive lacase zergnée, li dimande li qui
magnière léroi va gagne dileau dans so bassin.
Zergnée ça vôyaze là en colère : « Mais zaute
embête moi donc av zaute bassin ! quand dileau
napas, mette calou, qui mo embrasse! » Tourtie
cause doucement doucement av zergnée, li en-
guèse enguèse li, zergnée dire li : « Coupe colo-
phanes. »
Tourtie tourné. Si pas trois mois passé léroi
trouve li vini dans loin. Li dire av so madame :
« Vous content laviande tourtie, vous ? mo croire
qui nous pour en manzé pour dîner. » Léroi
appelle cousinier pour napas perdi létemps.
Cousinier vini, tourtie vini. Léroi dimande av
tourtie : « Ah ben? — Ah ben ! coupe colophane,
mon roi ; dileau pour vine dans bassin. » Léroi
croire qui ça encore éne mauvais bagout ; li'en
colère, li dire av tourtie : « Mo faire coupé, mais
quand dileau napas vine dans mo bassin, tourtie
qui va vine dans mo marmite. »
Cerpentier léroi coupe tout colophanes. Q.ui
24 HISTOIRE DES COLOPHANES
phanes. Que croyez-vous? Partout à l'entour du
bassin voilà la terre qui se met à ruisseler. Mi-
racle ! le bassin est plein.
Le roi est si content qu'il dit au cuisinier :
« Tue les dindes, les oies, les pintades, tue les
pigeons! je donne un grand dîner pour baptiser
ce bassin-là. Et ce ne sera pas un baptême de
rat, bien sûr ! >•>
On mange, on boit. Mais n'allez pas vous
figurer qu'on boit de l'eau du bassin ? Prenez-
vous le roi pour une bête? Cette eau-là c'est pour
le bain : on boit du vin et de la liqueur.
Je ne demande rien qu'un petit verre : on me
donne un coup de pied, je tombe ici.
Ce conte appartient à ce qu'on pourrait appeler le cycle du lièvro.
Dans une de nos versions, l'histoire a pour suite : « lève av
Tourtie dans bord bassin léroi. » Nous avons sépare les deux
^5^
ZISTOIRE COLOPHANE
VOUS croire? Tout partout à côte bassin avlà
laterre qui plore plore dileau. Miraque ! bassin
plein !
Léroi si tant content qui li dire cousinier :
(( Touye dindes, touye lazoies, touye pintades,
touye pizons ! mo donne grand grand dîner à
soir pour nous baptise bassin. Et, napas éne
baptême lérat, oui ! «
Zaute manzé, zaute boire. Mais sipas vous
maziné qui zaute boire dileau bassin? Léroi bête,
li ! dileau là pour baingné : zaute boire divin av
laliqueir.
Mo dimande nèque éne ptit verre : zaut flanque
moi éne coupdepied, mo tombe ici.
contes, dont la parenté demeure, mais dont la filiation ne peut
se justifier.
^^
C^lA CtiA CZlA CtiJt, ftiA CtiA (X^ <tlA CtlA <tiA CtiA C^iA OiA
III
HISTOIRE DU LIÈVRE
DE l'ÉL1:PHANT ET DE LA BALEINE
IN jour compère le lièvre se promenait. Il
arrive au bord de la mer, et tandis qu'il
contemple la grande eau, il voit passer la
baleine. Tout lièvre qu'il est, il ne peut s'empê-
cher de s'étonner de la trouver si grosse : « Ma-
man ! quel animal énorme ! » Il crie à la baleine :
« Hé! hc vous! approchez un peu : j'ai deux
mots à vous dire. »
La baleine s'approche du bord, le lièvre lui dit :
— Certes, vous êtes grosse ! Mais ce n'est pas
la taille qui fait la force, ce sont les nerfs qui font
la force. Je suis tout petit, n'est-ce pas? Eh bien,
voulez-vous parier que je suis plus fort que vous?
La baleine le regarde et se met à rire. Le lièvre
lui dit :
III
ZISTOIRE lÈVE
LÉLÉPHANT AV BALEINE
INE zour papa lève ti après promené. Li
arrive bord lamer. Comment li après
guette guette ça grand dileau là, li trouve
Baleine passé. lève même blizé toné à force li
gros : « Manman ! napas appelle éne papa zani-
maux ça ! » Li crie av Baleine : « Eh vous ! eh
vous ! approce morceau : mo énan dé mots pour
cause av vous. »
Baleine approce à terre ; lève dire li :
— Bien sîr vous gros ; mais napas so grosseir
éne doumounde qui faire so laforce, so lénerfs
qui faire so laforce. Moi qui tout pitit là, vous
voulé parié qui mo plis fort qui vous?
Baleine guette li, li rié. lève dire li :
28 HISTOIRE DU LIÈVRE
— Ecoutez. Je vais aller chercher une grosse
corde. Vous en attacherez un bout à votre queue,
j'attacherai l'autre autour de mes reins. Chacun
tirera de son côté. Gageons que je vous mettrai à
sec sur le rivage !
— Allez chercher votre corde, mon petit ; nous
verrons.
Le lièvre quitte la baleine. Il va dans la forêt
trouver l'éléphant et lui dit :
— Tête énorme, toute petite queue ! Jamais
les gens taillés de la sorte ne sauraient être vrai-
ment forts. Je suis tout petit, mais si nous luttions
ensemble, parions que j'aurais le dessus et te for-
cerais à lâcher prise?
L'éléphant regarde le lièvre et se met à rire.
Le lièvre lui dit :
— Ecoute. Je vais aller chercher une grosse
corde. Tu en attacheras un bout autour de tes
reins, moi l'autre autour des miens. Chacun tirera
de son côté. Parions que je t'entraînerai comme
un petit poisson au bout d'une ligne !
— Va chercher ta corde, mon camarade ; nous
verrons.
Le lièvre va chercher une corde énorme. Il en
donne un bout à la baleine et lui dit : « Atta-
chez bien serré. Quand je vous crierai me voilà
prêt, tirez ! Nous tirerons tous deux en même
temps. »
ZISTOIRE lÈVE 29
— Coûté. Mo aile çace éne gros gros lacorde.
Vous amarre éne boute dans vous laquée, mo
amarre éne boute dans mo léreins. Çaquéne hisse
son côté. Parié mo amène vous dans séc.
— Aile çace vous lacorde, mo pitit, nous va
guété.
lève quitte baleine. Li aile dans bois, li zoinde
l'éléphant, li dire li :
— Gros gros latête, ptit ptit laquée : zamais
zense taillé ça raagnière là capav éna grand la-
force. Mo tout pitit ; mais quand mo bitte av toi,
parié mo casse toi, mo blize toi largué.
L'éléphant guette lève, li rié. lève dire li :
— Coûté. Mo aile çace éne gros lacorde. To
amarre éne boute dans to léreins, mo amarre éne
boute dans mo léreins. Çaquéne hisse son côté.
Parié mo amène toi cornent ptit posson dans
boute laligne.
— Aile çace to lacorde, mo camerade, nous
va guete.
lève aile çace éne manman lacorde. Li donne
éne boute av baleine, li dire li : « Amarre bien
séré. Lheire mo va crie vous : Avlà mo fine paré,
hissé ! nous dé nous va hisse ensembe. »
30 HISTOIRE DU LIEVRE
La baleine attache la corde autour de sa queue,
et attend.
Le lièvre porte l'autre bout de la corde à l'élé-
phant et lui dit : « Attache bien serré. Tout à
l'heure je te crierai que je suis prêt, alors chacun
de nous tirera de son côté. »
L'éléphant attache la corde autour de ses renis
et attend.
Le hèvre va se blottir dans les broussailles. Il
crie soudain : « J'y suis, tirez ! « La baleine tire
de son côté, l'éléphant tire du sien. La corde se
raidit comme une corde de boyau sur un violon.
Ils y mettent tout ce qu'ils ont de force ; aucun
des deux ne peut ébranler l'autre, ils tirent! ils
tirent! Plack!!! la corde casse. L'éléphant manque
des quatre pieds et roule ; la baleine va donner
dans le corail et se blesse. Le lièvre arrive à l'élé-
phant : « Aïo, mon camarade! tu as eu du mal.
peut-être! Mais pourquoi aussi vouloir jouer avec
plus fort que toi ! » L'éléphant ne trouve pas un
mot à répondre. Le lièvre arrive à la baleine au
bord de la mer, il voit l'eau rougie par le sang
de la baleine, et lui crie : « Je regrette que vous
soyez blessée ; vous vous êtes fait du mal, et j'en
ai du chagrin, mais pourquoi aussi vous enor-
gueillir de ce que vous êtes grosse comme un
navire! c'est bête, l'orgueil! « La baleine reste
muette, qu'aurait-elle répondu?
ZISTOIRE lÈVE 31
Baleine amarre Incorde dans so laquée, H
aspéré.
lève amène îaute boute lacorde av léléphant, li
dire li : « Amarre séré même. Talheire mo va
crïe toi mo paré ; Iheire là çaquéne va hisse son
coté. »
Léléphant amarre lacorde dans so léreins, li
aspéré.
lève aile pelote dans brousses. Li cric énc
coup : « Mo paré, hissé ! » Baleine hisse son
côté, léléphant hisse son côté. Lacorde là vine
raide coment éne lacorde boyau làhaut viélon.
Zaute mété même, personne napas capabe amène
so camerade; hissé, hissé, hissé. Plack!!! Lacorde
péte éne coup ! Léléphant manque so quate lipieds,
li roulé; Baleine pique dans corail, li blessé, lève
arrive av léléphant : « Aio, mo camerade ! qui-
quefois to fine gagne dimal ! Mais qui faire oussi
to saye zoué av doumounde qui plis fort qui toi ! )>
Léléphant reste séc, qui li a dire? lève arrive av
baleine dans bord lamer, li trouve dileau rouze
av disang, li crie baleine : « Domaze vous fine
blessé, mo çagrin qui vous fine gagne dimal ;
mais qui faire oussi vous vantard à cause vous
gros gros coment éne navire ! vantard napas
bon! ;) Baleine gagî', qui li capabe réponde! ^i.-
32
HISTOIRE DU LIÈVRE
C'est ainsi que l'éléphant et la baleine furent
^obligés de croire que le lièvre est plus fort
qu'eux.
C'est une des fables où triomphe le lièvre, le lièvre-renard
ZISTOIRE lÈVE 33
Ça magnière là qui Léléphant av Baleine blizc
croire qui lève plis fort qui zaute.
tel que notre prcfacc l'a présenté au lecteur. Sa ruse, ici du
moins, reste plus spirituelle que méchante.
IV
HISTOIRE
DE PETIT-JEAN QUEUE-DE-BŒUF
L y avait une fois un petit garçon qui se
nommait Petit- Jean.
Un jour qu'il était allé jouer, il trouva
en jouant une sauterelle. Il dit à son père :
— Papa, papa, voyez cette sauterelle que j'ai
trouvée pendant que je jouais.
Son père prend la sauterelle et lui donne une
flèche.
Petit-Jean s'en va. Il rencontre sa mère et lui
dit:
— Maman, maman! regarde la flèche que j'ai
eue avec papa, papa qui a pris ma sauterelle, une
sauterelle que j'ai trouvée pendant que je jouais.
f^^® ®ig)®® ® ® ® ®®
IV
ZISTOIRE
PTIT ZEAN LAQ.UÉE BEIF
!i éna éne fois éne ptit garçon qui té apelle
Ml^ ptit Zean.
Ene zour, cornent li aile badiné, dans
so badinaze li gagne éne sauterelle. Li dire so
papa :
— Papa, papa, guette éne sauterelle qui mo
fine gagné dans mo badinaze.
So papa prend sauterelle, donne li éne flèce.
Ptit Zean allé ; li zoinde so manman, li dire
li:
— Manman, manman, guette flèce mo fine
gagne av papa, papa qui fine prend mo saute-
relle, sauterelle mo fine gagne dans mo badi-
naze.
36 HISTOIRE DE PETIT-JEAN Q.UEUE-DE-BŒUF
Sa mère prend la flèche et lui donne un coco.
Petit-Jean s'en va. Il arrive au bord de la rivière
et rencontre une négresse qui buvait dans le
creux de sa main. Il lui dit :
— Négresse, négresse ! Que tu es bête de boire
dans ta main ! Voilà un coco; casse-le et mange.
Tu auras la noix pour puiser de l'eau.
La négresse prend le coco, le casse et le mange.
Petit-Jean se met à pleurer et dit à la négresse :
— Négresse, négresse ! je ne sais pas ça !
Rends-moi mon coco, le coco que j'ai eu avec
maman, maman qui a pris ma flèche, la flèche
que j'ai eue avec papa, papa qui a pris ma saute-
relle, une sauterelle que j'ai trouvée pendant que
je jouais.
La négresse lui donne une poignée de lentilles.
Petit-Jean s'en va. Il arrive sur le grand che-
min, il rencontre un pigeon qui mangeiiit de
petites roches par terre, il lui dit :
— Pigeon, pigeon ! que tu es bcîe de manger
de petites roches sur le grand chemin ! Voilà des
lentilles, mange.
Il sème les lentilles devant le pigeon, le pigeou
mange. Petit-Jean se met à pleurer et dit au
pigeon :
— Pigeon! pigeon! je ne sais pas ça! Rends-
moi mes lentilles, les ientilles que j'ai eues av'ic
la négresse, la négresse qui a pris mon coco, le
ZISTOIRE PTIT ZEAN LAQUEE BEIF 37
So manman prend flèce, li donne li éne coco.
Ptit Zean allé; li arrive bord larivière, li zoinde
éne ningresse qui après boire dileau dans lamain,
li dire li :
— Ningresse, ningresse, cornent to bête boire
dileau dans lamain ! Alà éne coco; cassé, manzé :
10 va gagne so lacoque pour prend dileau.
Ningresse prend coco, cassé, manzé. Ptit Zean
comence ploré, li dire ningresse :
— Ningresse, ningresse, mo napas cône ça!
Rende mo coco, coco mo fine gagne av manman,
manman qui fine prend mo flèce, flèce mo fine
gagne av papa, papa qui fine prend sauterelle,
sauterelle mo fine gagne dans mo badinaze.
Ningresse donne li éne pognée lentii.
Ptit Zean allé; li arrive grand cimin, li zoinde
éne pizon qui après manze ptit roces là haut la-
terre, Ji dire li :
— Pizon, pizon, coment to bête manze ptits
roces dans grand cimin! Avlà lentii, ramassé,
manzé.
Li fane lentii divant pizon, pizon manzé. Ptit
Zean comence ploré, li dire pizon :
— Pizon, pizon, mo napas cône çà! Rende
mo lentii, lentii mo fine gagne av ningresse,
ningresse qui fine prend mo coco, coco mo fine
38 HISTOIRE DE PETIT-JEAN QUEUE-DE-BŒUF
COCO que j ai eu avec maman, maman qui a pris
ma flèche, la flèche que j'ai eue avec papa, papa
qui a pris ma sauterelle, une sauterelle que j'ai
trouvée pendant que je jouais.
Le pigeon lui donne une plume.
Petit-Jean s'en va. Il arrive près de l'école et
rencontre un écolier en train d'écrire sur son pa-
pier avec un petit morceau de bois ; il lui dit :
— Écolier, écolier ! comme tu es bête d'écrire
sur ton papier avec un petit morceau de bois !
Voilà une plume, taille-la, fais ton devoir.
L'écolier prend la plume, la taille et fait son
devoir. Petit-Jean se met à pleurer et dit à l'éco-
lier :
— Écolier, écolier ! je ne sais pas ça ! Rends-
moi ma plume, la plume que j'ai eue avec| le pi-
geon, le pigeon qui a pris' mes lentilles, les len-
tilles que j'ai eues avec la négresse, la négresse
qui a pris mon coco, le coco que j'ai eu avec
maman, maman qui a pris ma flèche, la flèche
que j'ai eue avec papa, papa qui a pris ma saute-
relle, une sauterelle que j'ai trouvée pendant que
je jouais.
L'écolier lui donne un vieux cahier.
Petit-Jean s'en va. 11 arrive devant une forge et
voit le forgeron qui allumait son feu avec de la
paille mouillée ; il lui dit :
— Forgeron, forgeron ! comme tu es bête
ZISTOIRE PTIT ZEAN LAQ.UÉE BEIF 59
gagne av manman, manman qui fine prend mo
flèce, flèce mo fine gagne av papa, papa qui fine
prend mo sauterelle, sauterelle mo fine gagne
dans mo badinaze.
Pizon donne li éne plime.
Ptit Zean allé; li arrive a cote' lécole, li zoinde
éne zécolier qui après écrire dans papier av éne
ptit morceau dibois, li dire li :
— Zécolier, zécolier, coment to bête écrire
dans papier sembe éne ptit morceau dibois ! Avlà
éne plime, taille li, faire to louvraze.
Zécolier prend plime, taille li, faire so lou-
vraze. Ptit Zean comence ploré, li dire zécolier :
— Zécolier, zécolier, mo napas cône ça !
Rende mo plime, plime mo fine gagne av pizon,
pizon qui fine prend mo lentii, lentii mo fine
gagne av ningresse, ningresse qui fine prend mo
coco, coco mo fine gagne av manman, manman qui
fine prend mo flèce, flèce mo fine gagne av papa,
papa qui fine prend mo sauterelle, sauterelle mo
fine gagne dans mo badinaze.
Zécolier donne li éne vie cahier.
Ptit Zean allé; li arrive divant éne laforze, U
trouve forzeron qui après allime so difé av lapaille
mouillé, li dire li :
— Forzeron, forzeron, cornent to bête allime
40 HISTOIRE DE PETIT-JEAN dUEUE-DE-BŒUl'
d'allumer ton feu avec de la paille mouillée !
Voilà du papier sec, prends-le, allume ton feu.
Le forgeron prend le papier et allume son feu.
Petit-Jean se met à pleurer et dit au forgeron :
— Forgeron, forgeron! je ne sais pas ça!
Rends-moi mon papier, le papier que j'ai eu avec
l'écolier, l'écolier qui a pris ma plume, la plume
que j'ai eue avec le pigeon, le pigeon qui a pris
mes lentilles, les lentilles que j'ai eues avec la
négresse, la négresse qui a pris mon coco, le
coco que j'ai eu avec maman, maman qui a pris
ma flèche, la flèche que j'ai eue avec papa, papa
qui a pris ma sauterelle, une sauterelle que j'ai
trouvée pendant que je jouais.
Le forgeron lui donne une queue de bœuf.
Petit-Jean s'en va. Il arrive au bord de la mer;
il enterre la queue de bœuf dans le sable et en
laisse un petit bout dehors. Il court à la maison
du roi, se met à pleurer et lui dit :
— Mon roi, mon roi, donne-moi cinquante
hommes pour que j'aille retirer mon bœuf qui
s'est enterré dans le sable, mais qui a encore le
bout de la queue dehors.
Le roi lui donne les cinquante hommes. Ils
arrivent au bord de la mer et tirent sur la queue
de bœuf, la queue de bœuf sort.
Petit- Jean retourne chez le roi, il se met à
pleurer et dit:
ZISTOIRE PTIT ZEAN LAQUÉE BEIF 4I
to difé av lapaille mouillé ! Avlà papier sec,
prend li, allime to difé.
J^orzeron prend papier, allime so difé. Ptit
Zean comence ploré, li dire forzeron :
— Forzeron, forzeron, mo napas cône ça.
Rende mo papier, papier mo fine gagne av zéco-
lier, zécolier qui fine prend mo plime, plime mo
fine gagne av pizon, pizou qui fine prend mo
lentii, lentii mo fine gagne av ningresse, nin-
gresse qui fine prend mon coco, coco mo fine
gagne av manman, manman qui fine prend mo
flèce, flèce mo fine gagne av papa, papa qui fine
prend mo sauterelle, sauterelle mo fine gagne
dans mo badinaze.
Forzeron donne li éne laquée beif.
Ptit Zean allé; li arrive bord lamer. Li entére
laquée beif dans lasabe, li quitte éne ptit boute
dohors. Li couri lacase léroi, li cômence ploré, li
dire léroi :
— Léroi, léroi, donne moi cinquante dou-
moundes pour mo aile tire mo beif qui fine en-
terre dans lasabe so boute laquée dohors.
Léroi donne li cinquante doumoundes. Zaute
arrive bord lamer, zaute hisse laquée beif, laquée
beif sourti.
Ptit Zean tourne lacase léroi, li comence ploré,
li dire léroi :
42 HISTOIRE DE PETIT-JEAN aUEUE-DE-BŒUF
— Mon roi, mon roi ! ces" gens-là ont cassé la
queue de mon bœuf; mon bœuf est allé au fin
fond du sable, mon bœuf est perdu !
Ce roi-là avait bon cœur : il fait présent d'une
vache à Petit-Jean.
Ce jour-là, ce fut la dernière fois qu'au pays
de Maurice je vis une sauterelle se changer en
vache.
Notre portefeuille contient quatre contes coulés dans ce
moule, et deux ou trois versions de chacun d'eux. Nous savons
de plus qu'il existe plusieurs autres histoires de la même facture.
C'est donc une forme dont nous devons tenir compte. Lindor
n'a cependant pas inventé le procédé ; les scies d'atelier sont
plus vieilles encore que lui :
Quand les poules vont aux champs,
La première va par devant,
La seconde suit la première,
ZISTOIRE PTIT ZEAN LAaUÉE BEIF 43
— Léroi, léroi, zense là fine casse laquée mo
beif, 1110 beif fine aile dans fond lasabe, mo beif
perdi.
Léroi là té gagne bon keir : li faire ptit Zean
cadeau éne vace.
Ça zour-là, dernier fois qui dans paye Maurice
mo fine voir éne sauterelle qui fine vine éne
vace!
et tout le poulailler défile ; plus il est nombreux, plus la chose
est spirituelle.
Nous avons choisi pour spécimen du groupe : « Ptit Zean
laquée beif, » dont le dénoûment du moins a quelque origina-
lité, bien que ce dénoûment lui-même soit non une invention,
mais une adaptation du conteur noir.
V
HISTOIRE DU BONHOMME ERANCŒUR
|L y avait un bonhomme qui s'appelait le
bonhomme Francœur.
Le bonhomme Francœur avait une
vache, mais une vache si maigre, si maigre,
qu'un jour elle en mourut. Francœur l'écorche,
tiré sa peau et la met à sécher.
Quand la peau est sèche, le bonhomme la
prend, la met sur sa tête et va la vendre. Fran-
cœur entre dans toutes les maisons, dans toutes
les boutiques, mais personne ne veut acheter sa
peau.
Le bonliomme Francœur, en marchant tou-
jours, arrive dans une forêt. Il est las, il s'assied
au pied d'un arbre.
Au milieu de son repos, il entend placata ! pla-
cata ! C'était une bande de quarante voleurs qui
^1^'^.^feâ^
V
ZISTOIRE BONHOMME FLANQUÈRE
'^î=î--=^ I éna éne bonhomme appelé bonhomme
.^rèi31 Bonhomme Flanquère ti éna éne vace.
A force vace là maigue, éne zour vace là mort.
Bonhomme Flanquère corce li, tire so lapeaii,
méte sec.
Lhére lapeau fine sec, bonhomme prend lapeau
là, méte li làhaut so latéte, aile vende 11. Bon-
homme rente lacase doumounde, rente tous la-
boutiques ; personne napas voulé acéte lapeau là.
Cornent bonhomme Flanquère marcé, marcé,
li arrive dans grandbois. Lazambe lassé à force
pile cimin, li assise embas éne pied zarbe.
Dans son posé là, avlà li tende placata, pla-
cata; té éne bande quarante voleirs qui té vine
46 HISTOIRE DU BONHOMME FRANCŒUR
arrivaient à cheval. Le bonhomme a peur qu'ils
ne l'aperçoivent, et monte dans l'arbre avec sa
peau de vache.
Les voleurs arrivent, arrêtent leurs chevaux et
s'asseoient au pied de l'arbre môme où Francœur
est monté.
Ils tirent tous de leur poche l'argent qu'ils oni
volé, et le mettent en tas pour faire le par-
tage.
Quand le bonhomme voit ce monceau d'or et
d'argent, il en a des éblouissements. Ses mains
tremblent, la peau de vache s'échappe. La peau
était sèche : badabam, bam! la peau tombe au
milieu des voleurs. Les voleurs ne savent pas ce
que c'est; ils lâchent l'argent, sautent sur leurs
chevaux et piquent des deux. Francœur descend,
fait main basse sur l'argent et l'emporte chez lui.
Francœur achète une belle voiture et deux
chevaux. Il va 'au bazar, achète un sou de lé-
gumes et donne un louis. Le marchand lui donne
le reste de sa pièce, il refuse de le prendre.
Le domestique du roi, qui a vu la chose, re-
tourne chez son maître et lui dit :
— Je viens de rencontrer le bonhomme Fran-
cœur au bazar ; il a acheté pour un sou de lé-
gumes et a donné un louis. Quand le marchand
lui a rendu^sa monnaie, il n'a pas voulu la re-
prendre.
ZISTOIRE BONHOMME FLANQ.UERE 47
làhaut couvais. Bonhomme peir zaute trouve li :
li monte dans pied zarbe av so lapeau vace.
Voleirs vini, arrête couvais, assise ziste cnbas
pied à cote bonhomme Flanquère té monté.
Zaute tous tire dans poce larzent zaute fine
volor ; zaute méte en tas pour faire lapartaze.
Cornent bonhomme Flanquère trouve ça bande
larzent là, son lizié manimani. So lamain trem-
blé, li largue lapeau vace. Lapeau sec : badabam,
bam ! lapeau tombe dans milié voleirs. Voleirs
napas coné qui çiça ; zaute largue larzent, saute
lahaut couvai, piqué. Flanquère dicendé, pèse
larzent, amène dans so lacase.
Flanquère acéte éne belbel calèce av dé cou-
vais. Li aile bazar, li acéte éne cace léguimes, li
donne cinque piasses. Lhére rende li lamonaie, li
napas oulé prend.
Domestique léroi trouve ça, li tourne lacase so
maite, li dire léroi :
— Mo trouve bonhomme Flanquère bazar; li
acéte éne cace léguimes, li donne cinque piasses ;
coment marçand rende li so restant lamonaie, li
napas vlé prend.
40 HISTOIRE DU BONHOMME FRANCŒUR
Le roi est étonné.
— Allez me chercher le bonhomme Francœur;
amenez-le-moi.
Francœur vient, le roi lui demande :
— Mais où donc as-tu trouvé toiit cet argent-
là?
Francœur lui dit :
— J'avais une vache, ma vache est morte. Je
l'ai écorchée et j'ai mis sa peau à sécher. Quand
la peau a été bien sèche, je l'ai vendue. Voilà
comme j'ai eu beaucoup d'argent.
Voilà le roi jaloux. Il se dit : « Mais moi qui
ai d'immenses troupeaux de bœufs, si je les fais
tuer pour vendre les peaux, j'aurai certainement
plus d'argent que Francœur. »
Le roi fait tuer tous ses bœufs, on les
ccorche, on met les peaux à sécher. Puis il fait
charger les peaux sur une charrette et les en-
voie vendre. Personne n'en veut. La charrette
roule, roule tant et tant que les peaux pour-
rissent et qu'on est oWigé de les jeter tant elles
puenl.
Le roi en colère court chez Francœur, Lorsque
F'rancœur voit de loin le roi qui arrive, il met
vite une marmite de soupe sur un grand feu.
Quand la marmite bout bien fort, il la tire du
feu et la pose au milieu du gniud chemin. La
ZISTOIRE BONHOMME FLANQ.UERE 49
Léroi tonné :
— Aile çace moi bonhomme Flanquère, amène
li ici.
Lhére Flanquère fine vini, léroi dimande li
comme ça :
— Mais, acote to fine gagne tout ça larzent là,
donc ?
Flanquère dire li :
— Mo té gagne éne vace ; vace là fine mort ;
mo corce li, mo méte so lapeau sec; lhére lapeau
là bien sec, mo vende li : ça même mo fine gagne
bonbon morceau larzent.
Léroi blizé bavé. Li maziné : « Mais moi qui
gagne grandgrand troupeau beifs, quand mo
touye zaute pour vende zaute lapeau, mo va gagne
plis boucoup larzent qui Flanquère. »
Léroi faire touye tout so beifs, li faire tire tout
lapeau, li mette lapeau sec, li çarze lapeau sec
lahaut çarette, li envoyé vende. Personne napas
voulé aceté. Çarette roulé, çarette roulé, lapeau
pourri, blizé zété à force li pie.
Léroi en colère, couri lacase Flanquère.
Cornent Flanquère trouve léroi vini dans loin-
loin, li mette vitement éne marmite lasoupe la-
haut grand difé. Lhére marmite bien bouï, li tire
li lahaut difé, li mette li dans miliè grand cimin.
50 HISTOIRE DU BONHOMME FRANCŒUR
marmite bout. Francœur saisit son fouet et as-
somme la marmite. La marmite bout.
Le roi arrive. Il regarde et dit à Francœur :
— Mais, que fais-tu donc là ?
— Mon roi, je fais bouillir ma soupe.
— C'est là ta manière de ûiire bouillir la
soupe ?
— Mais oui, mon roi. Pourquoi faire du bois?
Voyez vous-même, de vos yeux, si l'eau ne saute
pas dans la marmite?
Dès que le roi est de retour chez lui, il appelle
son cuisinier.
— Apporte ta marmite ; mets dedans tout ce
qu'il faut pour la soupe.
Le cuisinier revient.
— Maintenant, pose la marmite au milieu du
chemin ; prends ton fouet, assomme la marmite,
et la soupe bouillira.
Le cuisinier assomme la marmite ; la marmite
ne bout pas.
— Mais plus fort donc ! Tape plus dur ! As -
somme-la !
Le cuisinier se dresse de toute sa hauteur ; le
fouet ronfle, la marmite culbute et toute la soupe
froide avec.
Le roi est furieux. Il envoie quatre gardes de
la police empoigner Francœur. Les gardes le
ZISTOIRE BONHOMME FLANCIUÈRE 5 I
Marmite bouï. Flanquère pèse so fouète, assomme
marmite. Marmite bouï.
Léroi vini, li guété, li guétc; H dire Flan-
quère :
— Mais qui to après faire là, donc ?
Flanquère dire li :
— Mo roi, mo après bouï mo lasoupe.
— Ça même to magnière bouï to lasoupe ?
— Ça même, mo roi ! Guéte dans vous liziés
sipas dileau là napas saute sauté dans marmite ?
Lhére léroi fine tourne dans so lacase, li appelé
so cousinier :
— Amène marmite et mette làdans tout
quiqçose qui bisoin pour lasoupe.
Cousinier vini.
— Açthère, pose marmite dans milic cimin,
pèse fouéte, assomme marmite : la soupe va
bouï .
Cousinier assomme marmite ; marmite napas
bouï.
— Mais plis fort, donc ! Ronflé ! ronflé même !
Cousinier levé, fouéie ronflé, marmite çaviré :
tout lasoupe dans laterre.
Léroi en colère. Li envÔ3^e quate gardes police
tchiombô Flanquère. Gardes pèse Flanquère,
52 HISTOIRE DU BONHOMME FRANCŒUR
prennent, le fourrent dans un sac de goni et
l'emportent.
Le sac était un peu bien lourd. En passant de-
vant une boutique les gardes se sentent fatigués.
Tous ces porte-bâton de la reine sont mous
comme tripes, c'est connu. Soudain le plus veule
des quatre dit à ses camarades :
— Eh vous ! il faut boire un coup : ce sac-là
est d'un lourd !
Ils posent le sac au bord du chemin et entrent
à la boutique.
Le bonhomme Francœur, dans son sac, écoute,
écoute. Il entend venir quelqu'un : c'était un ber-
ger qui conduisait trois cents moutons. Quiand le
berger est proche, Francœur, dans son sac, com-
mence à se lamenter.
— Ah! mon Dieu! que vais-je faire? Qui
viendra à mon secours? Le roi veut que j'épouse
sa fille ; il m'a fait arrêter et mettre dans ce sac.
Mais je suis vieux et la princesse est jeune. C'est
quand l'eau bout qu'on y met les brèdes, et il y a
beau temps que mon eau n'est plus chaude ! Q.ui
me viendra en aide ? Qui prendra ma place ?
Le berger l'entend, il lui dit :
— Eh vous, bonhomme ! Si vous voulez, je
prendrai votre place.
— Grand merci, mon noir! le bon Dieu vous
bénira ! Dénouez le sac.
ZISTOIRE BONHOMME FLANaUERE 53
bourre li dans éne sac gouni, enméné.
Sac là té lourde, oui! Cornent zaute passe
divant éne laboutique, gardes lassé. Zense lapolice
là, zense latripe, mo dire vous ! Ene coup là ça
qui plis faye cien dire av camerades : « Hé zautes !
anons casse éne coup : sac là li lourde, oui ! »
Zaute pose sac dans bord cimin, zaute rente la-
boutique ; çaquéne pour paye so tournée.
Bonhomme' Flanquère dans sac coûté, coûté.
Avlà li tende doumoune vini : té éne gardien
moutons sembe trois cents moutons. Cornent
gardien là fine arrive proce, Flanquère commence
plaigne dans sac : « Ah ! Bondié ! qui mo va
faire? qui va soulaze moi? Léroi voulé mo marié
so fille, tchiombô moi, mette moi dans ça sac là.
Mais moi éne vie doumounde, so fille léroi zène
zène. Quand dileau bouï qui mette brèdes; long-
temps mo dileau fine frais ! Qui va soulaze moi ?
Qui va prend mo place ! »
Gardien moutons tende ça, li dire Flanquère :
— Eh vous, bonhomme, quand vous content
mo va prend vous place.
— Grand merci, monoir! Bondié va soulaze
vous. Largue sac.
5 4 HISTOIRE DU BONHOMME FRANCŒUR
Le sac est ouvert, Francœur son. Il met le
berger à sa place, il attache le sac, fait de bons
nœuds, prend le troupeau de moutons, et s'en va.
Les gardes sortent de la boutique et reprennent
ïe sac.
— Eh vous ! Vraiment, on dirait que ce sac
est moins lourd.
— C'est notre coup de sqc qui nous a donné
plus de force!
Ils arrivent à la maison du roi, et le roi dit :
— Attachez une grosse pierre à ce sac et jetez-
le dans le bassin.
Deux ou trois jours s'écoulent. Voilà Fran-
cœur qui passe devant le palais du roi avec ses
trois cents moutons. Le domestique du roi
l'aperçoit ; il court, et dit au roi :
— Mon roi, mon roi! voilà le bonhomme
Francœur qui passe ! Regardez-le avec son trou-
peau de moutons!
Le roi fait arrêter Francœur ; il lui demande où
il a eu tant de moutons.
— Dans le bassin, mon roi. Grand merci à
vous de m'avoir Hiit jeter dedans. Quand j'aurai
vendu les trois cents que voici, je retournerai en
chercher d'autres.
Le roi dit :
— Tout de bon ! Eh bien, mettez-moi dans
un sac, jetez-moi dans le bassin !
ZISTOIRE BONHOMME FLANQ.UÈRE 35
Sac largué, Flanquère sourti. Li mette gardien
moutons dans so place, li amarre sac, li prend
troupeau moutons, li allé.
Avlà gardes police sourti laboutique, zaute lève
suc.
— Et vous ! coment dire sac là moins lourde,
oui !
— Name cannes av nous, ça même qui donne
nous lafôrce.
Lhére zaute fine arrive lacasc léroi, léroi dire :
— Amarre éne gros roce av ça sac là, zette
dans bassin.
Sipas dé trois zours passé. Avlà Flanquère
passe divant laporte léroi sembe so trois cents
moutons. Domestique léroi trouve li, li galpé, li
dire léroi :
— Mon roi, mon roi ! alà bonhomme Flan-
quère passé ! Guette li av so bande moutons !
Léroi faire arrête Flanquère; li dimande li
acote li fine gagne tout ça moutons là.
— Dans bassin, mon roi ! Grand merci vous
fine zette moi làdans ; lhére mo va fini vende ça
trois cents là, mo va aile çace lautes.
Léroi dire :
— Tout de bon ! Eh ben, mette moi dans sac,
zette moi dans bassin !
50 HISTOIRE DU BONHOMME FRANCŒUR
On met le roi dans un sac de goni, on le jette
dans le bassin. L'eau s'ouvre, fait de grands
ronds, le sac coule.
Francœur au bord du bassin se met à danser
un séga et il chante :
« Moutons ne sont pas cabots,
Mon roi !
Moutons ne sont pas cabots. »
Et Francœur retourne chez lui en riant.
L'invention est toute française, mais l'exécution bien créole.
Force détails absolument nôtres : ce sont bien des constables de
notre pays que les gardes qui transportent Francœur dans le sac,
ZISTOIRE BONHOMME FLANaUÈRE $7
Mette léroi dans sac, zette li dans bassin.
Dileau ouvert, faire grand lérond, sac coulé.
Flanquère dans bord bassin pique éne séga, li
çanté :
« Moutons napas cabots,
Mon roi !
Moutons napas cabots. »
Flanquère tourne so lacase; li rié.
et le séga final au bord du bassin ne se danse, ou plutôt ne se
dansait ainsi, qu'à Maurice.
VI
HISTOIRE D'UN OISEAU
QUI PONDAIT DES ŒUFS D'OR
jL y avait une fois un chasseur qui chassait
les oiseaux.
Un jour il prit un oiseau qui avait le
plumage doré. Chaque matin cet oiseau-là pon-
dait un œuf, et le chasseur vendait cet œuf au
cuisinier du roi. Lorsque le cuisinier cassa le pre-
mier œuf pour le cuire, il trouva dedans une
boule d'or. Le cuisinier, qui était fin, n'en dit ja-
mais rien à sa maîtresse : « Suis-je une bête,
moi ! » Tous les matins il gardait la boule d'or
pour lui.
Un jour la reine a besoin d'un œuf pour flurc
VI
ZISTOIRE ÉNE ZOZO
QUI TI POXDE DIZEF LOR
I éna éne fois éne çasseir qui aile laçasse
zozos.
Ene zour li fine maille éne zozo qui
té éna plimes doré. Tous lé bomatin ça zozo là
ponde éne dizef. Çasseir là vende ça dizef là
cousinier léroi. Lhére cousinier casse dizef là
pour couit li, li trouve éne boule lor dans dizef.
Cousinier malinbougue : zamais li dire ça sembe
so maitresse. « Sipas mo béte, moi ! » Tous
lé bomatin li garde ça boule lor là pour li.
Fne zour Madame léroi bisoin éne dizef pour
60 OISEAU aUI PONDAIT DES ŒUFS d'oR
un gâteau. Elle va à la cuisine, le cuisinier
n'est pas là. Elle prend un œuf dans le panier
et le casse. Me croirez- vous? Une boule d'or
roule à terre. La reine se baisse, ramasse la
boule, la soupèse dans sa main... le cuisinier
rentre.
— Eh vous, mon garçon, où avez-vous eu cet
œuf-là ?
— Cet œuf-là? C'est un œuf que j'ai acheté
d'une bonne femme qui se nomme bonne femme
Laurelte, et dont le mari est chasseur d'oi-
seaux.
La reine ne dit rien et s'en va.
La reine avait un fils. Un jour que le jeune
prince se promenait, il passe devant la case de
bonne femme Laurette et entre. Il aperçoit l'oi-
seau, il le regarde, le regarde : l'oiseau était joli
comme jamais oiseau n'a été joli.
— Eh vous, bonne femme, vendez-moi donc
cet oiseau.
— Non, mon prince, mon oiseau n'est pas à
vendre.
Le prince prend l'oiseau, joue avec, le tourne,
le retourne. Il lève par hasard une de ses ailes;
il y voit des caractères écrits ; le prince lit :
« Celui qui mangera ma tête aura un sac d'ar-
gent tous les matins ; celui qui mangera mon
cœur aura un sac d'or tous les soirs. »
ZISTOIRE ÉNE ZOZO Q.UI TI PONDE DIZEF LOR 6l
faire gâteau. Li aile la cousine; cousinier napas
là. Li prend éne dizef dans pagnier; li cassé;
qui ous croire ? Boule lor roule enbas. Madame
léroi baissé, ramasse boule, sipèse, sipèse li dans
so lamain... Cousinier rentré.
— Eh vous, mon garçon, acote vous té gagne
dizef là ?
— Ça, éne dizef mo fine aceté sembe éne
bonnefemme appelé bonnefemme Laurette, qui so
mari çasseir zozos.
Madame léroi napas dire narien, li allé.
Lareine là té gagne éne garçon. Avlà éne zour,
cornent garçon là après promené, li passe divant
lacase bonnefemme Laurette, li rentré. Li trouve
zozo là, li guette guette li : zozo là zoli coment
zamais zozo té zoli.
— Eh vous, bonnefemme; mais vende moi
vous zozo, donc !
— Napas ça, Msié ! Zozo là napas pour vende !
Garçon léroi badine badine av zozo, vire vire
li; éne coup là li lève so lézaile; iéna quiqçose
écrire en bas lézaile, garçon lire :
« Ça qui manze mo latéte va gagne éne sac
larzent tous lé bomatins ; ça qui manze mo lékeir
va gagne éne sac lor tous lé asoirs. »
62 OISEAU Q.UI PONDAIT DES ŒUFS d'oR
Le prince ne dit rien, il laisse l'oiseau, retourne
chez sa mère et lui raconte tout.
Ils réfléchissent tous les deux.
Bonne femme Laurette avait une fille. La reine
dit à son fils :
— Sais-tu ce qu'il faut faire? Il faut que tu
épouses la fille de la bonne femme Laurette, et
l'oiseau t'appartiendra.
Le prince court chez Laurette et lui dit :
— Eh vous, bonne femme, je suis amoureux de
votre fille: je veux l'épouser; donnez-la-moi.
Qu'en dites-vous ?
— Fi, fi! Monsieur! ça n'est pas bien de se
moquer des gens ! Vous êtes prince, ma fille est
une humble fille; comment voulez-vous que je
croie que votre mère voudra pour bru une fillo
en robe de goni?
— Mais, bonne femme, c'est maman elle-même
qui m'a envoyé vous demander votre fille en
mariage !
La bonne femme rit et secouant la tète :
— Eh vous. Monsieur, vous aimez à plaisan-
ter, oui!
Le prince retourne chez sa mère et lui dit que
la bonne femme Laurette se figure qu'on veut se
moquer d'elle, qu'il faut qu'ils y aillent tous deux
ensemble.
ZISTOIRE ÉNE ZOZO QJjl TI PONDE DIZEF LOR 63
Garçon napas dire narien; li quitte zozo, li
tourne lacase so manman, li raconte li tout çaça.
Zaute dé maziné.
Bonnefemme Laurette té gagne éne ptitfille.
Lareine dire so garçon :
— To coné qui nous bisoin faire? To va marié
sembe ptit fille bonnefemme Laurette : to va
gagne so zozo.
Garçon léroi couri lacase Laurette, li dire H
coume ça :
— Eh vous, bonne femme! Mo bien content
vous mamzelle, mo vlé marié av li, donne moi
li ; qui vous dire?
— Houn ! houn ! Msié ! napas baingne av
doumoune. Vous éne fils léroi, mo pitit éne faille
faille zéne fille : coment vous voulé mo croire qui
vous manman va content éne belle-fille larobc
gouni ?
— Mais, bonne femme, manman même qui fine
envoyé moi dimande vous pour marié sembe vous
pitit !
Bonnefemme rié, li sacouye latéte :
— Eh vous, Msié ! vous enfoutant, oui !
Garçon léroi tourne lacase so manman, li dire
li qui bonnefemme Laurette croire qui li cause
bagout ; zaute dé bisoin aile ensembe.
64 OISEAU aUI PONDAIT DES ŒUFS D OR
La reine saisit son châle, prend son chapeau,
met ses bottines, et ils retournent chez Laurette.
La reine demande à la bonne femme la main de
sa fille pour son garçon ; la bonne femme est
toute joyeuse et remercie le bon Dieu.
Alors le prince prenant la parole :
— Mais j'y mets une condition : « Le jour de
notre mariage, on tuera l'oiseau aux plumes do-
rées, et l'on mettra à part son cœur et sa tête
pour que je les mange. »
Le jour du mariage arrivé, le prince donne
l'oiseau au cuisinier et lui dit : « Mets de côté la
tête et le cœur; fais-les-moi cuire, mais sans
massala, je ne l'aime pas. »
Il faut que vous sachiez que la bonne femme
Laurette avait deux garçons, et ces deux garçons-
là savaient lire parce qu'ils étaient allés à l'école
du Gouvernement. Eux aussi ils avaient lu sous
les ailes de l'oiseau. Ils étaient à l'affût auprès de
la cuisine. Le cuisinier sort. Ils entrent, volent
dans la marmite le cœur et la tête de l'oiseau, et
ils se sauvent.
Lorsque le cuisinier met l'oiseau sur la table,
le cœur n'y est pas, la tête non plus.
Voilà le prince, vous dis-je, dans une colère
terrible. Il cherche les fils de bonne femme Lau-
rette pour les tuer.
Mais les deux voleurs, dans leur fuite, entrent
ZISTOIRE ÉNE ZOZO Q.UI TI PONDE DIZEF LOR 65
Lareine pèse so cale, mette çapeau, passe bot-
tines dans so lipieds ; zaute tourne lacase Lau-
rette. Lareine dimande bonnefemme lamain so
mamzelle pour so garçon ; bonnefemme content,
li dire grand merci Bondié.
Alà garçon léroi causé :
— Mais mo faire éne condition : « Zour nous
pour marié, va touye zozo plimes doré, et so
lékeir av so latéte va mette éne coté pour mo
manzé. »
Zour mariaze vini. Garçon léroi donne zozo
cousinier, dire li : « Mette éne coté so latéte av
so lékeir, couit zaute, mais napas bisoin mette
massala : mo napas content. «
Faut vous coné qui bonnefemme Laurette té
gagne dé garçons ; et ça garçons-là té cône lire à
cause zaute té aile lécole Gouvernement. Zaute
aussi té lire enbas lézailes zozo. Zaute veille veillé
dans coin lacousine ; cousinier sourti, zaute ren-
tré, zaute volor lékeir av latéte zozo dans mar-
mite, zaute vanné.
Lhére cousinier apporte zozo lahaut latabe,
lékeir napas, latéte napas.
Avlà garçon léroi, mo dire vous, fine rentre
dans éne mauvais encolère. Li rôde pitis bonne-
femme Laurette pour touye zaute.
Mais ça dé pitits là, cornent zaute sauvé, zaute
5
66 OISEAU Q.UI PONDAIT DES ŒUFS d'oR
dans la maison d'un loup. Le loup saute dessus,
et les mange.
Le conte est-il tout entier d'invention créole ? Du moins cer-
tains détails sont de notre crû ; la reine, par exemple, n'a guère
pu régner qu'à la Villebague ou aux Trois-Ilôts.
Le conte s'arrête plutôt qu'il ne finit ; c'est un de ceux — et
ZISTOIRE ÉNE ZOZO Q.UI TI PONDE DIZEF LOR 67
rente lacase éne louloup. Louloup là tchiombô
zaute, manze zaute.
ils sont nombreux — que nous avons laissés à plat sur le che-
min où le conteur les a oubliés sans prendre la peine de se
baisser pour les relever.
4^
VII
HISTOIRE D'UN MALIN DRÔLE
jL y avait une fois une vieille bonne femme
qui avait un fils, mais le pauvre garçon
était la bêtise même.
Un jour sa mère l'envoie acheter une hache
au bazar. En revenant, il joue tout le long du
chemin avec la hache : il frappe, il coupe. Il va
rentrer dans la maison quand il voit le petit
mouton de sa mère en train de brouter l'herbe
dans la cour. Il crie : « Maman, maman ! re-
gardez quelle fameuse hache je vous ai achetée ! »
et il abat d'un seul coup la tête du mouton. Sa
mère se fâche, lui dit des injures, et lui demande
pourquoi il n'a pas mis la hache dans une char-
rette de paille; ce malheur-là ne serait pas
arrivé. Voilà cette grosse bête qui pleure, qui
pleure et qui demande pardon à sa mère.
VII
ZISTOIRE ÉNE MALINBOUGUE
I éna éne fois éne vie bonnefemme qui ti
gagne éne garçon, mais pauvre bougue là
té bête bête même. Ene zour so manman
envoyé li acète ène lahace bazar. Lhére li tourné
li nèque zoué zoué av ça lahace là, cogné, coupé.
Cornent li pour rente lacase, ptit mouton so man-
man té après manze Iherbe dans lacour ; li crié :
« Manman, manman, guété qui famé lahace mo
fine acète pour vous ! » et li saute latête mouton
ène coup même. So manman pèse ène colère,
zoure li, dire li qui faire li napas té mette lahace
là dans ène çarette lapaille ; malheir napas té va
arrivé. Alà ça grand bébète là ploré, ploré, li di-
mande pardon so manman.
70 HISTOIRE D UN MALIN DRÔLE
Une autre fois, la bonne femme l'envoie
acheter des aiguilles et lui dit : « Tu te rappelles
l'histoire de la hache ! ne va pas me perdre mes
aiguilles, au moins ! » Il part et revient. La bonne
femme lui demande : « Eh bien! mes aiguilles?
— N'ayez pas peur, maman, elles ne sont pas
perdues ; en revenant, j'ai rencontré la charrette
de M. Jean, je les ai éparpillées dans la paille. »
La bonne femme crie après lui : « Pourquoi ne
les as-tu pas piquées dans ton chapeau ! Voilà
mon argent encore perdu. »
Un autre jour, sa mère l'envoie acheter du
beurre et lui dit : « Tu te souviens des aiguilles !
ne va pas encore me perdre mon beurre. » Il va,
achète le beurre et le met dans son chapeau. Le
soleil piquait; il fait fondre le beurre, le beurre
coule sur sa figure, sur ses habits, il rentre à la
maison sale comme un cochon. Sa mère lève les
bras au ciel : « Pourquoi le bon Dieu t'a-t-il mis
sur la terre ! Imbécile, va ! »
Un mois environ se passe. Sa mère kii donne
deux poulets à aller vendre. Il ne sait pas ache-
ter, peut-être saura-t-il vendre : « Mais ne va
pas donner ces poulets pour le premier prix qu'on
t'offrira, attends le second. — Bien sûr, maman,
que j'attendrai le second prix; me prenez-vous
pour une bête? » Il s'en va. Il rencontre un cui-
sinier, le cuisinier lui demande combien ses pou-
ZISTOIRE ÉNE MALINBOUGUE 7I
Ene laute fois bonnefemrae envoyé li acète
zaigouïes, li dire li : « To souvini zalïaire lahace,
napas bisoin perdi ça zégouïes là, oui! » Li allé,
li tourné. Bonnefemme dimande li : « Eh ben!
acote zégouïes ? — Napas peir, manman, zaute
napas perdi : Ihère mo tourné mo té zoinde ça-
rette Msié Zean, mo fine fane zaute dans la-
paille. » Bonnefemme guèle ave li : « Qui faire
to napas té pique zaute dans to çapeau ! avlà mo
larzent perdi encore. »
Ene laute zour manman envoyé li acète dibeirre,
li dire li : « To souvini zaffaire zégouïes, napas
perdi dibeirre là encore. )> Li allé, li acète di-
beirre, li mette dibeirre dans so çapeau. Soléye
piqué, fonde dibeirre ; dibeirre coule làhaut so
figuire, làhaut so linze, li rente lacase sale cô-
ment ène cocon. So manman nèque lève lamains
en lair : « Qui faire Bondié té mette toi làhaut
la terre ! bourrique va ! »
Alà quiquefois ène mois passé. So manman
donne li dé volailles pour aile vende : aceté li
napas cône, quiquefois vende li va coné : « Mais
napas bizoin donne ça volailles là premier prix
qui zense va offert toi, attende second prix. —
Bien sir, manman, mo va attende second prix;
vous croire mo bête? » Li allé. Li zoinde éne
cousinier, cousinier dimande li combien so
HISTOIRE D UK iMALIX DROLE
lets. « Faites votre prix vous-même. » Le cuisi-
nier prend les poulets, les tâte, les soupèse :
« Sept livres dix sous, si vous voulez. — C'est
là votre premier prix, quel est votre second ? »
Le cuisinier veut se moquer de lui et lui dit six
livres cinq sous. « Prenez-les pour six livres cinq
sous : je ne vends jamais que sur le second prix. »
Il revient à la maison et raconte à sa mère. La
bonne femme est furieuse ; elle veut le battre, il
est obligé de se sauver.
Cette fois-là, la bonne femme lui donne à aller
vendre un mouton : « Mais, pour mon mouton,
ne fais pas comme pour mes poulets ! Écoute
bien ce que je vais te dire. Les gens te feront un
prix : laisse-les monter, monter jusqu'à ce que ça
ne soit plus possible. Alors seulement tu donne-
ras le mouton. Tu as entendu, n'oublie pas ce
que je t'ai dit. w II s'en va. Il rencontre un bou-
cher; le boucher lui offre huit roupies. « Impos-
sible ça; il faut que vous montiez. » Le fils du
boucher, qui connaissait le pauvre diable, tire son
père par la manche et lui dit : « Papa, ne vous
en mêlez pas, laissez-moi, je sais comment faire
l'affaire avec lui. » Il y avait près d'eux une
échelle dressée contre un mur, le fils du boucher
monte ; sur le premier barreau de l'échelle, il
crie « sept roupies » ; il monte, il crie « six
roupies » ; il monte, il crie « cinq roupies » ;
ZISTOIRE EMH MALIXBOUGUE 73
poules. « Faire vous prix vous même. » Cousi-
nier prend volailles, tâte tâté : « Sept lives dix
sous, quand vous content. — Ça vous premier
prix, qui vous second? » Cousinier voulé baigne
ave li, li dire li six lives cinq sous. « Prends six
lives cinq sous : touzours second prix qui mo
vende. » Li tourne lacase li raconte ça so manman.
Bonnefemme firié, voulé batte li, li blizé lofé.
Ça fois là bonnefemme donne li éne mouton
pour aile vende : « Mais pour mo mouton là
napas faire coment to té faire pour mo volailles ;
coûte bien ça qui mo causé. Zense va faire toi
ène prix, laisse zaute monté, monté zisqu'à naplis
capabe; Ihère là to va donne mouton. To fine
tende, napas blyié ça qui mo fine dire toi. » Li
allé. Li zoinde ène boucer; boucer offert li houite
roupies. « Napas moyen ça, faut vous monté, »
Garçon ça boucer là qui té conne ça pauve bougue
là, tire lamance so papa, dire li : « Papa, napas
mêle làdans, laisse moi, mo coné coment faire
zafïaire ave li. » Té iéna éne zécelle appiye dans
miraille à côte zaute ; garçon boucer monté ; pre-
mier barreau lécelle là li crie : « Sept roupies » ;
li monté, li crie : « Six roupies » ; li monté, li
crie : « Cinq roupies « ; Ibère li làhaut même,
napas barreau encore, li crie : « Dé roupies, et
74 HISTOIRE D UN MALIN DROLE
une fois qu'il est tout à fait en haut, sur le der-
nier échelon, il crie : « deux roupies ! et tu vois
que je ne puis monter davantage. — Eh bien !
puisqu'il n'y a plus moyen de monter davantage,
qu'y faire? Prends le mouton, donne les deux
roupies. » Il retourne à la maison, donne à sa
mère les deux roupies et lui raconte toute l'affaire.
La bonne femme saisit un manche à balai, tombe
sur lui et, lui prend mesure. Le pauvre diable ra-
masse un coup sur la tête et devient fou.
Depuis ce jour-là, je ne l'ai jamais revu au
bazar.
C'est une copie presque servile du français. Nous ne donnons
ZISTOIRE ÉME MALINBOUGUE 75
rao naplis capabe monté, to trouvé ! — Eh ben !
naplis capabe monté, qui à faire? Prend mouton,
donne dé roupies. » Li tourne lacase, li donne
manman so dé roupies, li raconte li tout zaffaire.
Bonnefemme pèse ène lamance balié, tombe
làhaut li, misire li; pauve bougue là souque ène
coup dans latête, li vine fou.
Dipis ça zour là zamais mo té trouve li encore
vine bazar.
le conte qu'à titre de renseignement sur la façon dont Lindor
comprend la traduction littérale.
@â^©@©®©®®©©s^@âl
VIII
HISTOIRE DE JEAN ET DE JEANNE
jL y avait une fois un bonhomme loup et
sa bonne femme. Ils avaient une petite
fille appelée Jeanne, et dans leur maison
il y avait un petit garçon appelé Jean, un enfant
abandonné que la bonne femme du loup avait ra-
massé sur le grand chemin.
Souvent le bonhomme loup disait à sa femme :
« Comme j'ai envie de manger Jean! » Mais la
bonne femme ne voulait pas, parce que Jean était
leur domestique, qu'il était toujours à son ou-
vrage, travaillait proprement et ne répondait ja-
mais. Petite Jeanne aussi aimait beaucoup Jean,
parce que Jean était bien bon pour elle, jouait
avec elle, l'amusait et faisait tout ce qu'elle vou-
lait.
Un jour bonhomme loup mène Jean au bord
de la forêt et lui dit :
vc- v^sy v«-- <»îy vt^v.^ v«_*^iy vc-s,<»y vu-v.«£y vc-v,^
VIII
ZISTOIRE ZEAN AV ZEANNE
fcfStsfti éna éne fois éne bonhomme loulou av
M j,^ so bonnefemme. Zaute té gagne éne ptit
lE^s^l fille appelle Zeanne, et dans zaute lacase
ti éna éne ptit garçon appelle Zean, éne mar-
maille qui bonnefemme loulou té ramasse làhaut
grand cimin.
Souvent bonhomme loulou dire av so bonne-
femme : « Côment mo envie manze Zean ! »
Mais zamais bonnefemme voulé, à cause Zean
qui zaute domestique, touzours dans so louvraze,
touzours travaille prope, zamais répondeir. Ptit
Zeanne oussi té bien content Zean, à cause Zean
bien bon pour li, zoué av li, amise li, faire tout
ça qui li content.
Ene zour bonhomme loulou amène Zean dans
bord grand bois, li dire li :
78 HISTOIRE DE JEAN ET DE JEANNE
— Voilà des arbres, voilà une hache, une scie
et un rabot ; fais-moi un navire qui aille partout
dans les roches. Il est huit heures; je reviendrai à
dix heures. Si le navire n'est pas fini, je te man-
gerai !
Petit Jean prend les outils ; il coupe le bois, le
taille, le met en place, essaye : ça ne va pas. Que
faire? Il prend les outils, les jette loin de lui,
tombe sur l'herbe et pleure.
Vers neuf heures et demie arrive Jeanne qui
porte à Jean son déjeûner. Elle le voit qui pleure
et lui demande :
— Mais, Jean, qu'as-tu donc à pleurer? qu'est-
ce qui te fait pleurer? pourquoi as-tu du cha-
grin?
Et tirant son mouchoir de sa poche, elle essuie
les yeux de Jean. Jean lui répond :
— Voyez vous-même, Mamzelle. Votre père
m'a donné à faire un navire qui aille partout
dans les roches. Quand il reviendra à dix heures,
si le navire n'est pas fini, il me tuera, il me man-
gera.
Jeanne se met à rire et dit à Jean :
— Et c'est là ce qui te fait pleurer?
Voilà Jeanne qui prononce quelques paroles à
voix basse, et le navire est fini. Jeanne s'en va.
Au coup de dix heures, bonhomme loup re-
vient ; il regarde le navire et dit :
ZISTOIRE ZEAN AV ZEANNE 79
— Avlà zarbes, avlà éne lahace, avlà éne lascic,
avlà éne rabot, arranze moi éne navire qui marce
partout dans roces. Li houit hères; dix hères mo
tourné. Quand navire là napas fini, mo manze
toi!
Ptit Zean prend zoutils, coupe dibois, taillé,
mette en place, essaye arranzé : li napas bien.
Qui li va faire? Li pèse zoutils, li zette làbas, li
tombe dans Iherbe, li ploré.
Neif hères dimi comme ça, avlà Zeanne vini
pour amène Zean so manzé. Li trouve Zean après
ploré, li dire li comme ça:
— Mais, Zean, qui to éna? qui faire to ploré?
qui to bisoin çagrin?
Li tire mouçoir dans poce, lisouye liziès Zean.
Zean réponde li :
— Guetté, Mamzelle. Ous papa fine donne moi
pour faire éne navire qui aile partout dans roces.
Lhére li tourne dix heires, quand navire napas
fini, li va touye moi, li va manze moi.
Zeanne rié. Li dire Zean :
— Ça même qui to ploré ?
Avlà Zeanne cause doucement doucement : na-
vire fini. Zeanne allé.
Dix heires sonné. Bonhomme loulou tourné,
li guette navire là, li dire :
80 HISTOIRE DE JEAN ET DE JEANNE
— Si fait, Jean ! tu es brave comme moi-
même.
Le lendemain, bonhomme loup conduit Jean au
bord de la rivière. Il lui donne un panier percé et
lui dit :
— _ Plonge dans cette eau, et tire-moi deux pi-
rogues de poisson. Il est huit heures, à dix heures
je reviendrai. Si mes deux pirogues de poisson ne
sont pas là, je te mangerai.
Jean plonge. Il lève son panier, le panier est
vide. Que faire? Il jette le panier, s'assied au bord
de l'eau et pleure.
A neuf heures et demie environ, Jeanne arrive
pour apporter à Jean son déjeûner. Comme elle
voit Jean pleurer, elle lui dit :
— Mais, Jean, pourquoi pleurer encore donc?
Mais qu'as-tu ?
— Voyez, Mamzelle. Votre père m'a donné ce
panier percé pour prendre deux pirogues de pois-
son. Quand il reviendra, à dix heures, si son
poisson n'est pas là, il me tuera, il me mangera!
Pour toute réponse, Jeanne prend le panier et
plonge; d'un seul coup, «lie retire de l'eau deux
pirogues de poisson.
Jean mange de bon appétit, et Jeanne s'en va.
Dix heures sonnent, le bonhomme loup arrive.
Il voit ce grand las de poisson et dit :
ZISTOIRE ZEAN AV ZEANXE
— Si fait, Zean ! to brave cornent mo même.
Lcndimain, bonhomme loulou amène Zean
bord larivière. Li donne H éne pagnier napas éna
fond, li dire li :
— Plonze dans dileau là, tire moi dé pirogues
posson. Li houit hères ; dix heires mo tourné.
Quand mo dé pirogues posson napas là, mo va
manze toi.
Zean plonzé. Li lève pagnier, pagnier vide. Qui
a faire ! Li zette pagnier làbas, li assise dans bord
dileau, li ploré.
Approçant neif heires dimi, avlà Zeanne vini
pour amène Zean so manzé. Coment li trouve
Zean après ploré li dire li :
— Mais, Zean, qui faire plore encore, donc !
Mais qui to éna?
— Guété, Mamzelle ! Vous papa fine donne
moi ça pagnier napas éna fond là pour mo tire
dé pirogues posson. Lheire li tourne dix heires,
quand so dé pirogues posson napas là, li va touye
moi, li va manze moi !
Zeanne nèque prend pagnier, li plonzé, éne
coup même li tire dé pirogues posson.
Zean manze bon keir ; Zeanne allé.
Dix heires sonné, bonhomme loulou vini. Li
trouve tout ca bande posson là, li dire :
6
82 HISTOIRE DE JEAN ET DE JEANNE
— Si fait, Jean ! tu es brave comme moi-
même.
Le lendemain, bonhomme loup conduit Jean
sur le sommet'd'une grande montagne. Il donne
à Jean une pioche de plomb avec une gratte de
plomb et lui dit :
— Voici"^une bonne pioche, voici une bonne
gratte. Pioche toute cette montagne et plante-la
en maïs. Il est huit heures. Quand je reviendrai,
à dix heures, si^toute la montagne n'est pas la-
bourée, si tout le m.aïs n'est pas poussé, je te
mangerai.
Petit Jean^prend[la pioche; il donne un coup,
la pioche ploie ; il prend la gratte, il gratte un
coup, la gratte se redresse. Rien à faire. Il jette
la pioche et la gratte, s'assied sur une roche et se
met à pleurer.
Jeanne arrive avec son déjeûner.
— Eh toi, Jean ! tu pleures encore, tu pleures
toujours ! Mais"qu'est-ce que ça veut dire,. donc?
— Voyez vous-même, Mamzellc ! Votre père
m'a donné cette méchante pioche avec cette mau-
vaise gratte ; il m'a ordonné de fouiller toute la
montagne et de planter du maïs. A son retour,
si la montagne n'est pas plantée d'un bout à
l'autre, si le maïs n'est pas mûr, il me tuera, il
m.e mangera.
Jeanne prendîla pioche et en donne un coup ;
ZISTOIRE ZEAN AV ZEANNE 83
— Si fait, Zean! to brave cornent mo même.
Lendimain, bonhomme loulou amène Zean
làhaut éne grand lamontagne. Li donne Zean éne
pioce diplomb sembe éne gratte diplomb, li dire
li:
— Avlà éne bon pioce, avlà éne bon gratte.
Fouille tout ça la lamontagne là, plante maïe. Li
houitheires, açthére; Ihére mo tourne dix heires,
quand tout lamontagne napas fine fouillé, quand
tout maïe napas fine poussé, mo pour manze
toi !
Ptit Zean prend pioce, li tape éne coup : pioce
ployé ; li prend gratte, li gratte éne coup : gratte
dressé. Narien pour faire ! Li zette pioce av
gratte; li assise Ihaut éne roce, li ploré.
Zeanne arrive apporte manzé :
— Eh toi, Zean ! encore ploré, touzours ploré.
Mais qui çaça, donc ?
— Guété vous même, Mamzelle ! Vous papa
donne moi ça faille pioce là sembe ça faille
gratte là ; li comande moi fouille tout lamon-
tagne, plante maïe. Lheire U tourné, quand la-
montagne napas fine plante boute en boute,
quand maïe napas fine mîr, li pour touye moi, li
pour manze moi !
Zeanne prend pioce, pioce éne coup; prend
84 HISTOIRE DE JEAN ET DE JEANNE
elle prend la gratte et gratte un coup : voilà la
montagne labourée toute ; le maïs lève, le maïs
pousse, le maïs est mûr.
Quand bonhomme loup revient, il voit ça et
dit:
— Si fait, Jean, si fait va ! tu es brave comme
moi-même.
Le lendemain, bonhomme loup réveille Jean au
point du jour ; il le conduit dans la cour et lui
dit :
— Aujourd'hui, c'est ici même que nous tra-
vaillerons : il y a un petit ouvrage pour nous
deux. Voici une grosse pierre, voilà un œuf de
cane. Pose l'oeuf par terre, jette la pierre dessus.
Mais prends garde de casser mon œuf! Si l'œuf
se casse, je te tue, je te mange !
Pauvre Jean ! comment s'en tirer ? Il met l'œuf
par terre, il prend la pierre et la jette, l'œuf
s'écrase. Le loup, vous dis-je, pousse un hurle-
ment; il saisit Jean, le charge sur son dos, le
porte au fond de la cour, ouvre une petite case,
le jette dedans et ferme la porte à clef.
En revenant à la maison, le loup rencontre
Jeanne à moitié chemin et lui dit :
— Va vite à la cuisine, remplis la chaudière,
fais bouillir l'eau : j'en ai besoin pour ébouillanter
Jean.
Jeanne court à la cuisine ; elle ramasse trois
ZISTOIRE ZEAN AV ZEANNE 8$
gratte, gratte éiie coup : avlà lamontagne fine
fouillé boute en boute, maïe levé, maïe poussé,
maïe mîr.
Lhére bonhomme loulou tourné, H guette ça,
li causé :
— Si fait, Zean, si fait va ! to brave cornent
mo même.
Lendimain, bonhomme loulou lève Zean
grandgrand bômatin, li amène li dans lacour, li
dire li :
— Azourdi, ici même qui nous pour travaille,
éna éne ptit louvraze pour nous dé. Avlà éne
gros roce, avlà éne dizef canard. Pose dizef en
bas, zette roce lahaut li ; mais prend gare to casse
mo dizef! quand dizef cassé, mo touye toi, mo
manze toi !
Pauvre Zean! qui magnière li capabe çappé. Li
pose dizef enbas, li prend roce, li zété : dizef
crasé. Loulou, mo dire vous, largue éne guélé, li
tchiômbo Zean, li çarze li Ihaut so lédos, li çarrié
li dans fond lacour, ouvert éne ptit lacase, zette
li làdans, fréme laclé.
Coment loulou tourne grand lacase, li zoinde
Zeanne dans milié cimin, li dire li :
— Aile vitement lacousine, rempli çaudière,
faire bouï dileau, mo bizoin pour bouillante
Zean.
Zeanne couri lacousine, li ramasse trois ptit
86 HISTOIRE DE JEAN ET DE JEANNE
petites pierres. Elle dit à la première de ces pe-
tites pierres :
— Quand papa va crier pour me demander si
le feu est allumé, tu lui répondras : « Oui, papa,
le voilà qui flambe. »
Jeanne jette la première pierre dans la chau-
dière. Elle prend la seconde et lui dit :
— Quand papa va crier pour me demander si
son eau commence à bouillir, tu lui répondras :
« Oui, papa ! elle commence à chanter. »
Jeanne jette la seconde pierre dans la chau-
dière. Elle prend la dernière et lui dit :
— Quand papa va crier pour me demander si
son eau est prête, tu lui répondras : « Oui, bon-
homme ! viens la chercher. »
Jeanne jette la dernière pierre dans la chau-
dière. Puis, elle va au fond de la cour devant la
porte de la petite case où Jean est en prison ; elle
prononce à voix basse deux ou trois mots, et la
porte s'ouvre. Jeanne prends Jean par la main ;
ce n'est pas le moment de causer : ils se sauvent.
Voilà bonhomme loup qui ouvre la fenêtre de
sa chambre du côté de la cuisine et qui crie :
— Eh toi, Jeanne ! ce feu est-il allumé ?
La première petite pierre répond : « Oui, papa !
le voilà qui flambe. »
Le loup s'assied. Au bout d'un instant, il re-
tourne à la fenêtre et crie ;
ZISTOIRE ZEAX AV ZEANNE 87
roces. Li dire premier ptit roce là :
— Lhére papa va crié pour dimaiide moi sipas
difé fine allimé, to va réponde li : k Oui, papa,
li flambé même. »
Zeanne zette premier ptit roce dans çaudière.
Li prend second ptit roce, li dire li :
— Lhére papa va crié pour dimande moi sipas
dileau coumence bouï, to a réponde li : « Oui,
papa, li coumence çanté ! »
Zeanne zette second ptit roce dans çaudière. Li
prend dernier ptit roce, li dire li :
— Lhére papa va crié pour dimande moi sipas
30 dileau fine paré, to va réponde li : « Oui,
bonhomme, vine prend li ! «
Zeanne zette dernier ptit roce dans çaudière.
Lhére là li aile dans fond lacour divant laporte
ptit lacase àcôte Zean té en prison ; li cause dé
trois mots doucement doucement : laporte ouvert.
Zeanne prend lamain Zean, napas létemps pour
causé, zaute lofé.
Avlà bonhomme loulou ouvert la fenète so
laçambe, li crie lacousine :
— Eh toi, Zeanne! difé là fine allimé?
Premier ptit roce réponde : « Oui, papa, li
Hambé même ! «
Loulou assise. Ptit moment li tourne lafenête,
li crie lacousine :
88 HISTOIRE DE JEAN ET DE JEANNE
— Eh toi, Jeanne ! cette eau-là commence-t--
elle à bouillir?
La seconde pierre répond : « Oui, papa ! elle
commence à chanter, »
Pour la troisième fois, le Ioud retourne à la
fenêtre et crie avec colère :
— Mais toi, Jeanne ! cette eau-là n'est pas en-
core prête?
La dernière pierre répond : « Oui, bonhomme!
viens la chercher. »
Le loup fait un bond et s'élance dans la cui-
sine : pas de feu, la chaudière est vide. Il court
au fond de la cour et arrive à la petite case : la
porte est grande ouverte, Jean s'est sauvé.
Le loup écume de rage. Il rentre dans sa
chambre, tire ses pantoufles, met ses bottes, saute
sur le chemin et détale.
Voilà Jeanne qui tourne la tête. Elle voit venir
bonhomme loup et dit à Jean : « Voilà papa ! »
Le cœur de Jean saute, il dit à Jeanne :
— Ah mon Dieu, Mamzelle ! que voulez-vous
que je fasse ?
— Il ne faut pas avoir peur ! Tu vas te chan-
ger en bassin et moi en canard : laisse-le venir.
Voilà Jean qui devient bassin, Jeanne devient
canard .
Le loup arrive ; il aperçoit un canard et lui de-
mande :
ZISTOIRE ZEAN AV ZEANNE 89
— Eh toi, Zeanne ! dileau là li cômence bouï?
Ségond ptit roce réponde : « Oui, papa ! cou-
mence çanté. »
Troizième fois loulou tourne lafenête, li crïe en
colère :
— Mais toi, Zeanne! dileau lapas encore
paré?
Dernier ptit roce réponde : « Oui, bonhomme,
vine prend li ! »
Loulou saute lescalier, fonce lacousine : difé
napas; çaudière vide! Li couri dans fond lacour,
li arrive ptit lacase : laporte ouvert en grand, Zean
fine balié.
Loulou kimé. Li rente so laçambe, li quitte
pantouflfe, mette botte, saute Ihaute cimin, bourré
même.
Avlà Zeanne vire latête, li voir bonhomme
loulou vini, li dire av Zean : « Alà papa ! »
Lékeir Zean sauté, li dire av Zeanne : « Ah
Bondié, mamzelle, qui vous voulé mo va faire? »
— Napas bisoin peir ! to va vine éne bassin,
mo va vine éne canard : laisse li vini.
Avlà Zean vine éne bassin, Zeanne vine éne ca-
nard.
Loulou arrivé, li trouve éne canard, li demande
li:
90 HISTOIRE DE JEAN ET DE JEANNE
— Eh toi, canard! N'as-tu pas vu Jean et
Jeanne passer par ici ?
Le canard répond : « Couin ! couin ! » Bon-
homme loup renouvelle sa question; le canard
répond toujours : « Couin ! couin ! « Le loup est
obligé d'y renoncer. Il monte au sommet d'un
grand arbre, regarde, regarde au loin : personne
sur le chemin ! Que faire ? Tout déconcerté il re-
descend, retourne chez lui et raconte tout à sa
bonne femme :
— Je n'ai rencontré qu'un canard ; mais à
toutes mes questions, il n'avait qu'une réponse :
« Couin ! couin ! couin ! couin ! » 11 n'y a pas
d'animal aussi bête que le canard!
La bonne femme se met à rire :
— Si fait va ! Je connais un animal plus bête
que le canard ! Le loup est plus bête que le ca-
nard ! Comment ! tu n'as pas deviné que c'était
eux-mêmes, ça ! C'était eux-mêmes, te dis-je !
Jeanne s'est moquée de toi ; c'était elle le canard ;
va les attraper.
Le loup est furieux. Il retourne sur le grand
chemin à la course.
Jeanne tourne la tête ; elle voit venir le loup et
dit à Jean :
— Voilà papa qui revient. Mais tu n'as pas
besoin d'avoir peur : laisse-moi faire. Tu seras
une cliarrette et un âne, je serai le charretier.
ZISTOIRE ZEAN AV ZEANNE 9I
— Eh toi, canard ! to napas fine trouve Zean
av Zeanne passe par ici ?
Canard réponde : « Couin ! couin ! » Bon-
homme loulou dimande encore; canard nèque
réponde : « Couin ! couin ! » Loulou blizé arrête
causé. Li monte làhaut éne grandgrand pied di-
bois, li guété, li guété, li guété : personne dans
cimin ! Qui li a faire? Labcc sauté ! Li dicendé, li
tourne lacase, li raconte tout ça son bonne-
femme :
— Mo té zoinde nèque éne canard ; mais tout
ça qui mo dimande li li nèque réponde : « Couin !
couin ! couin ! couin ! » Napas énan zanimaux
bête coument canard !
Bonne femme rié :
— Si fait va, mo cône zanimaux plis bête qui
canard : loulou plis bête qui canard ! Côment ! to
napas fine maziné qui zaute même ça? Zaute
même ça, mo dire toi ! Zeanne fine baingne av
toi ; li même canard ; aile tchiombô zaute.
Colère loulou levé. Li tourne grand cimin, li
taillé.
Avlà Zeanne vire latête, li trouve loulou vini,
li dire Zean ;
— Avlà papa vine encore ! Mais to pas bisoin
peir, laisse moi arranze zaffaire. To a vine éne
çarette av bourique, mo a vine çarretier.
92 HISTOIRE DE JEAN ET DE JEANNE
Le loup arrive. Il voit une charrette traînée
par un âne, l'âne refuse dans une montée. Il de-
mande au charretier :
— Eh .vous, charretier! Vous n'avez pas vu
Jean et Jeanne passer sur le chemin ?
Le charretier ne s'occupe que de sa charrette ;
il pousse à la roue et crie à son âne : « Haïe, toi !
haïe, toi! »
Le loup répète sa question, le charretier crie :
« Haïe, toi ! haïe, toi ! — Vous n'avez pas vu
Jean et Jeanne ? — Haïe, toi ! haïe, toi ! «
Bonhomme loup y renonce. Il monte au haut de
la côte et regarde : personne sur le chemin que le
charretier et sa charrette. Le loup est contraint
de retourner chez lui, et raconte tout à sa bonne-
femme. Sa bonne femme lui dit :
— C'est trop fort d'être bête comme toi ! c'est
encore eux, ça ! Mieux vaut que j'y aille moi-
même ! jamais tu ne les rattraperais !
La bonne femme part,
Jeanne tourne la tête ; elle voit venir la bonne
femme et dit à Jean :
— Jean, mon pauvre Jean! cette fois c'est ma-
man qui vient, nous sommes pris; maman est
plus fine que moi! Mais je vais toujours essayer,
le hasard nous fera peut-être échapper.
Et voilà Jean et Jeanne qui se changent en
deux fleurs.
ZISTOIRE ZEAN AV ZEANNE 93
Loulou arrivé, Li trouve éne çarette bourique
qui fine cale dans montée, li dimande çaretier :
— Eh vous, çaretier ! vous napas fine trouve
Zean av Zeanne passe làliaut çimin?
Çaretier nèque occipe so çarette, li pousse dans
laroue, li crie so bourrique : « Haie toi ! haie
toi ! »
Loulou dimande encore, çaretier crié : « Haie
toi! haie toi? — Vous napas fine trouve Zean
av Zeanne ? — Haie toi 1 haie toi ! »
Bonhomme loulou lassé causé. Li arrive en
haut lamontée, li guété, li guété ; personne Ihaut
cimin, nèque çarretier av so çarette. Loulou blizé
tourne lacase. Li raconte ça av so bonnefemme,
bonnefemme dire li :
— Trop fort bête cornent toi ! Zaute même ça.
Vaut mié mo aile mo même, zamais to pour
gagne zaute.
Bonnefemme allé.
Zeanne vire latête, li trouve bonnefemme vini,
li dire Zean :
— Zean, mo pauve Zean ! ça fois là manman
qui vini, nous maillé même, manman plis malin
qui moi ! Mais laisse moi tout de même sayé :
éne coup de manqué quiquefois nous va çappé.
Avlà Zean av Zeanne fine vine dé pieds bou-
quets.
94 HISTOIRE DE JEAN ET DE JEANNE
La bonne femme arrive et voit les fleurs ; elle
les regarde et leur dit :
— Eh vous, les enfants ! est-ce que vous vous
figurez que deux marmailles comme vous vont
jouer au sorcier avec moi ! Levez-vous ! je l'or-
donne.
Jean et Jeanne obéissent. Ils se tiennent debout
devant la bonne femme, et ils pleurent. La bonne
femme les regarde, elle ne dit rien, elle songe.
Si elle les ramène au bonhomme loup, le bon-
homme les mangera. Mais Jeanne est sa fille ;
Jean est un enfant qu'elle a entre ses mains de-
puis sa naissance ! Son cœur se serre. Non, c'est
impossible! ses yeux se mouillent. Soudain elle
prend Jeanne entre ses bras, la presse sur son
cœur et l'embrasse; puis, la poussant vers Jean,
elle leur dit :
— Allez, enfants! allez-vous-en, partez, par-
tez !
Jean et Jeanne s'en vont.
La bonne femme, immobile, les suit des yeux
et les regarde jusqu'à ce qu'ils aient disparu dans
le lointain.
Alors elle s'essuie les yeux et reprend le che-
min de sa maison.
Sur sa route, elle rencontre deux gros chiens ;
ZISTOIRE ZEAN AV ZEANNE 95
Bonnefemme arrivé, li trouve pieds bouquets
là, li guété, li dire av zaute :
— Eh vous, zenfants ! Sipas vous croire mar-
maille cornent vous qui va faire sourcier av moi ?
Levé, mo causé !
Zean av Zeanne levé, zaute diboute divant
bonnefemme là, zaute ploré. Bonnefemme guette
zaute, guette zaute longtemps : li maziné. Quand
li amène zaute av bonhomme loulou, bonhomme
va manze zaute. Mais Zeanne son pitit! Zean éne
zenfant li fine gagne dans so lamain dipis li
sourti dans vente so manraan ! Lékeir bonnefemme
bourlé. Napas moyen, ça ! so liziés mouillé. Ene
coup là li prend Zeanne dans so lébras, li embrasse
embrasse li, li pousse H av Zean, li dire zaute :
— Allé, zenfants ! allé ! allé même, mo dire
vous !
Zean av Zeanne allé.
Bonnefemme dibouté ; li guette zaute allé, li
guette zaute allez isquà li napas plis capav trouve
zaute dans loin.
Lhére là, bonnefemme souye liziés, li tourne
la case.
Dans cimin li zoinde dé gros licien ; li
96 HISTOIRE DE JEAN ET DE JEANNE
elle les tue, leur ouvre le ventre et en tire le foie.
Quand elle arrive chez elle, elle donne les deux
foies à son bonhomme loup et lui dit :
— Voilà leurs foies, mange. Pour moi, je suis
épuisée de fatigue; j'entre au lit, j'ai besoin de
dormir.
Le loup mange, et, quand il a fini, il ne se
sent pas le ventre plein. Il dit avec humeur :
— Mais pourquoi donc ne m'avoir pas apporté
leurs deu;?L corps?
La bonne femme se fâche ;
— Ah ça! me croyez-vous un cheval pour
transporter deux gros corps comme ça ! Eli vous,
bonhomme ! assez grogner, n'est-ce pas ? Laissez
dormir les gens : j'ai sommeil !
Le cadre n'est pas de nous, non plus que bien des détails :
on connaît dans toutes les provinces maritimes de la France le
navire qui va aussi bien sur la terre que sur l'eau ; la montagne
labourée, ensemencée et donnant sa récolte dans une heure,
n'est pas non plus de notre invention ; pas davantage les cailloux
parlants que Jeanne jette dans la chaudière. Mais le conte est
ZISTOIRE ZEAN AV ZEANNE 97
touye zaute, li ouvert zaute vente, li tire léfoie.
Lhére H arrive lacase, li donne léfoie av son
bonhomme loulou, li dire li :
— Avlà zaute léfoie, manzé. Moi mo lassé
même; mo rente dans lilit, mo bisoin dourmi.
Lhère loulou fine manzé, vente napas plein. Li
comence grogne grogné.
— Mais qui faire to napas ti amène zaute dé
lécorps, donc!
Bonnefemme en colère :
— Sipas vous croire mo éne couvai pour
çarrié dé gros lécorps coument ça ! Eh ous, bon-
homme assez grogné, oui ! Laisse doumounde
dourmi : soméye av moi !
devenu nôtre par la fusion parfaite de ces éléments étrangers
avec nos créations personnelles.
Nous avons signalé dans notre préface l'émotion si peu habi-
tuelle du dénoûment. Le lecteur rencontrera dans Namcouticouti
une mère moins débordante de tendresse maternelle.
IX
HISTOIRE DE NAMCOUTICOUTI
L y avait une fois une femme qui était sur
iM le point d'accoucher. Un jour elle dit à
son mari : « J'ai envie de boire de l'eau
sans grenouilles ; va m'en chercher ! »
Le mari part. Il arrive au bord d'une rivière et
dit : « Est-ce qu'il y a des grenouilles là-dedans? »
Les grenouilles répondent : « Coa, coa. » Il va à
une autre rivière : « Est-ce qu'il a des grenouilles
là-dedans? — Coa, coa. » Il marche, il marche.
Il arrive auprès d'une belle rivière et crie : « Est-
ce qu'il y a des grenouilles là-dedans? » Pas de
réponse. Il goûte l'eau : maman ! ça ne s'appelle
pas de la bonne eau, ça ! c'est doux comme sucre.
Il remplit son arrosoir et retourne chez lui.
La femme n'eut pas plus tôt bu un peu de cette
eau-là qu'elle dit à son mari : « Où as-tu pris
cette eau-là, mon coco? Comme c'est bon! dis-
IX
ZISTOIRE NAMCOUTICOUTI
fc^-^i éna éne fois éne femme qui té près pour
^|jt^ gagne pitit. Ene zour li dire so mari:
l^âr^ « Mo envie boire dileau qui napas gour-
nouille, aile çacé. »
Mari allé. Li arrive dans bord éne larivière, li
dire : « Ena gournouille làdans ? » Gournouille
réponde : « Coa, coa, y) Li aile à côte éne laute
larivière : « Ena gournouille làdans? — Coa,
coa. » Li marcé, li marcé, li arrive côte éne
belle larivière, li crié : « Ena gournouille là-
dans? » Li napas tende narien. Li goûte dileau
là ; manman ! napas pelle bon dileau ça ! li doux
cornent disic. Li rempli so larrosoir, li tourne la-
case.
Sitôt femme fine boire morceau dileau là li
dire so mari : « Cote to fine gagne ça dileau là,
mon coco? côment li goût ! dire moi cote to fine
100 HISTOIRE DE XAMCOUTICOUTI
moi où tu l'as trouvée? — Ce n'est pas la peine
de retourner en chercher; c'est au loup, cette
eau-là ! » La femme lui dit : « Qu'y faire ? Je
suis forcée d'y aller, cette eau-là me plaît trop. »
Et la voilà qui s'en va. Elle arrive au bord de
la rivière boit, boit, boit jusqu'à tomber. Le loup
arrive, la voit, vient à elle et lui dit : « Pourquoi
as-tu volé mon eau? Maintenant je vais te man-
ger ! — Non, Monsieur le loup ! ne me mangez
pas ! C'est une envie que j'ai eue, car je suis en-
ceinte. Non, Monsieur le loup ! ne me mangez
pas ! — Alors, quand ton enfant aura quatre
ans, il faut que tu me le donnes ! » La pauvre
femme a si grand peur qu'elle dit oui. Le loup la
laisse partir.
Aussitôt qu'elle fut de retour chez elle, la
femme accoucha. C'était un joli petit garçon,
mais malin, vous dis-je, malin! Inutile d'en
parler !
Lorsque le petit garçon eut quatre ans, le loup
vient chez la mère et lui dit : « Eh bien, com-
mère, me voici! Je viens chercher l'enfant, où
est-il? — Il est à jouer dans la plaine, Monsieur
le loup; allez le chercher, je suis sûr que vous le
trouverez. »
Quand Namcouticouti voit venir le loup, il dit à
ses camarades : « Eh vous, les enfants! écoutez-
moi. Si le loup vous demande où est Namcouti-
ZISTOIRE NAMCOUTICOUTI lOI
gagne li. — Napas lapeine to tourne çace ça di-
leau là, passequi dileau Louloup, ça. )> So femme
dire li : « Qui a fére ! mo blizé allé touzours, mo
trop content ça dileau là. »
Avlà li allé, li arrive bord larivière, li boire, li
boire zisqu'à li tombé. Loulou vini, li voir li, li
vine av li, li dire li : « Qui faire to fine volor
mon dileau ? Açthére rao pour manze toi. — Non,
Missié Louloup, napas manze moi ; mo ti gagne
éne lenvie à cause mo près pour gagne pitit;
napas manze moi, Msié Louloup ! — Alors, quand
to pitit là va fine gagne quatre ans faut to donne
li moi. » Pauv femme là si tant gagne peir qui li
dire oui. Laisse li allé.
Sitôt li arrive dans son lacase femme là gagne
son pitit, éne zoli ptit garçon, mo dire vous;
mais malin, malin, napas lapeine causé!
Quand ptit garçon là té fine gagne quate ba-
nanées, Louloup vine lacase so manman, li dire
li : « Ah ben, commère, avlà moi ! mo vine çace
pitit : à cote li? — Li après badine dans laplaine,
Msié Louloup ; aile 'guette li, mo sîr vous a trouve
li. »
Côment Namcouticouti voir Louloup vini, li dire
so camrades comme ça : « Eh zautes, zenfants,
coûte moi bien : Si Louloup dimande zaute à côte
102 HISTOIRE DE NAMCOUTICOUTI
couti, VOUS répondrez tous : C'est moi qui suis
Namcouticouti ! » Le loup arrive et leur dit :
« Mes enfants, dites-mol où est Namcouticouti ! «
Tous les enfants crient : « C'est moi qui suis
Namcouticouti, père loup ! c'est moi qui suis Nam-
couticouti ! )) Le loup déconcerté retourne chez la
mère de Namcouticouti et lui dit : « Eh vous !
croyez-vous vous moquer de moi? Où est Namcou-
ticouti? — Mais, mon Dieu ! Monsieur le loup, je
vous ai dit qu'il était dans la plaine, Monsieur le
loup ! — Dans la plaine, il y a une troupe d'en-
fants; je leur ai demandé qui était celui qui se
nommait Namcouticouti, et ils m'ont tous ré-
pondu : « Moi, Ivlonsieur le loup ! moi, Monsieur
le loup! moi. Monsieur le loup! — Je suis
sûre que c'est lui-même qui a inventé cette malice-
là ; il est malin comme pas un. Mais écoutez-moi
bien, Monsieur le loup : demain je lui donnerai
son déjeûner dans le grenier ; vous vous cacherez
dans un coin, vous l'attendrez, et je suis sûre
que vous le prendrez. Mais voilà mon mari qui
vient ; sauvez-vous de peur qu'il ne vous fasse du
mal. « Le loup détale.
Le lendemain, de grand matin, le loup se cache
dans le grenier. Vers six heures, la maman de Nam-
couticouti l'envoie chercher de l'eau à la rivière.
Au bord de la rivière, Namcouticouti rencontre une
vieille vieille bonne femme qui lui dit : « Donne-
ZISTOIRE NAMCOUTICOUTI IO3
Namcouticouti, zaute tout va réponde : moi qui
Namcouticouti. » Alà Louloup vini, li dire : « Mo
zenfant, dire moi côte Namcouticouti. » Tout
zenfants crié : « Moi qui Namcouticouti, papa Lou-
loup ! moi qui Namcouticouti. » Louloup tourdi;
li tourne lacase manman Namcouticouti, li dire
li : « Eh vous ; vous croire ous pour baingne av
moi ! où li Namcouticouti ? — Mais Bondié, Msié
Louloup, mo fine dire vous li dans la plaine,
Msié Louloup. — Dans laplaine éne bande zen-
fants ; mo dimande zaute qui cenne là qui appelle
Namcouticouti, zaute tout réponde : « Moi, Msié
« Louloup ! Moi Msié Louloup ! » — Mo sîr li
même qui té mazine ça malice là, li malin cornent
si pas. Mais coûte moi bien, Msié Louloup :
dimain mo va donne li so dizné dans grenier ;
vous a caciette dans éne coin, vous a veille li,
mo sîr vous a gagne li. Mais alà mo mari vini ;
sauvé prendgare vous gagne dimal. » Louloup
aèque lofé.
Lendimain grand bomatin Louloup caciette
dans grenier. Sipas six hères, manman Namcouti-
couti envoyé li çace dileau larivière. A côte larivière
là Namcouticouti zoinde éne viévié bonnefemme
qui dire li : « Donne moi morceau dileau pour mo
104 HISTOIRE DE NAMCOUTICOUTI
moi un peu d'eau à boire, mon enfant. » Namcou-
ticouti répond : « Bien sûr oui, bonne femme, je
vous donnerai de l'eau, parce que vous êtes vieille
et que je suis jeune. » Et Namcoucoutiti donne à
boire à la vieille. Quand elle a bu, la bonne femme
lui dit : (( Puisque tu es un bon enfant, je ne veux
pas que le loup te mange. Prends ma baguette
de fée, elle te fera prendre la forme que tu vou-
dras. »
Namcouticouti retourne à la maison ; sa mère lui
dit : « Aujourd'hui tu iras déjeûner au grenier. —
Bon, maman, comme vous vous voudrez ! Mettez
mon assiette au grenier, j'irai manger là haut. »
Le loup veille, veille. Sur les onze heures en-
viron, il voit une petite souris près de l'assiette,
la souris prend un grain de riz. « Eh toi ! ne
mange pas ce manger-là ; c'est le riz de Namcou-
ticouti, ça. » Mais la souris va, vient, tourne, et
grain à grain, elle finit l'assiettée de riz. Il était
tard : quatre heures allaient sonner. Le loup com-
mence à se fâcher. Il descend et crie à la femme :
« Et vous ! vous m'avez encore menti ! Nam-
couticouti n'est pas venu dans le grenier, je n'ai
vu qu'un petit rat. — Mais comment êtes-vous
bête comme ça donc, Monsieur le loup ! C'était
Namcouticouti lui-même, ce rat-là ! Mais écoutez-
moi bien. Demain je lui mettrai un bonnet rouge :
ZISTOIRE NAMCOUTICOUTI IO5
boire, mo pitit. » Namcouticouti dire li : « Bien
sîr oui, bonnefemme, mo va donne vous dileau,
à cause vous vie et qui mo zéne. » Namcouticouti
donne bonnefemme là dileau pour li boire. Lhére
li fini boire bonnefemme là dire li : « Passequi to
éne bon zenfant, mo napas oulé Louloup manze
toi ; prend mo baguette sorcier, to va vine ça qui
to voulé, »
Namcouticouti tourne lacase so manman, so
manman dire li : « Zourdi to pour aile manze to
dizné dans grenier. — Bon, manman, côment
vous content ça ; mette mo lassiette dans grenier,
mo va aile manze làhaut. »
Louloup veillé, veillé. Sipas onze hères comme
ça, li voir éne ptit souris àcote lassiette manzé,
souris là prend éne grain douriz. « Eh toi! napas
manze ça manzé là ; douriz Namcouticouti ça. »
Mais souris là allé vini, allé vini, et par éné grain
éne grain li fini ça lassiette douriz là. Fine tard,
talhére quatre hères ; Loulonp comence en colère,
li dicende enbas, li crié av bonnefemme : « Et
vous! vous té cause menti encore av moi, Nam-
couticouti napas té vine dans grenier, mo té
trouve nèque éne ptit lérat. — Mais cômaous bète
comme ça donc, Msié Louloup ! Namcouticouti
li même qui té vine ça lérat là. Mais coûte moi
bien : Dimain mo va mette éne bonnet rouze av
I06 HISTOIRE DE NAMCOUTICOUTI
VOUS le trouverez dans la plaine, vous l'empor-
terez. » Mais pendant qu'ils causaient ainsi, il y
avait un petit rat sous la chaise. Il écoutait, écou-
tait, puis il partit.
Le lendemain, de bon matin, la mère de Nam-
couticouti lui met un bonnet rouge. Namcouticouti
arrive dans la plaine ; il coupe le bonnet par mor-
ceaux et il en donne un à tous ses camarades. Le
loup arrive, il regarde, il voit tous les enfants avec
du rouge sur la tête. Il est fou de colère. Il re-
tourne chez la mère de Namcouticouti et lui crie :
« Je vais vous manger, et tout à l'heure, vous êtes
trop menteuse ! Vous n'avez pas d'enfant qui se
nomme Namcouticouti ; vous vous êtes moquée de
moi : je vais vous manger ! » La femme a peur
et dit au loup : « Ne me mangez pas, Monsieur le
loup ! C'est Namcouticouti qui vous a fait tous
ces tours-là. Il est malin, mais je serai plus fine que
lui; écoutez-moi bien : demain je lui couperai les
cheveux tout ras; il couche toujours dans le lit
de son père ; le soir je ferai semblant de fermer
la porte, mais je ne ferai que la pousser; vous
entrerez dans l'obscurité, vous tâterez sa tête,
vous le prendrez. » Le loup s'en va.
Le lendemain, pendant que la mère de Namcou-
ticouti coupait ses cheveux, Namcouticouti se mit
à réfléchir : « Mais pourquoi fait-elle donc de ma
tête une brosse de coco? » Il interroge sa baguette
ZISTOIRE XAMCOUTICOUTI IO7
li ; vous va trouve li dans la plaine, vous va
prend li. » Mais cornent zaute dé après causé là,
ptit lérat té enbas çaise ; li coûté, li coûté, li allé.
Lendimé bomatin manman Namcouticouti donne
li éne bonnet rouze. Namcouticouti arrive laplaine,
li coupecoupe bonnet là, li donne tout so camrades
éne morceau. Louloup vini, li guetté, li trouve
tout zenfants morceau rouzerouze làhaut latête.
Li vine fou si tant li encolère. Li tourne lacase man-
man Namcouticouti, li crié li : « Talhére là même
mo pour manze vous, vous trop mentor, vous napas
éna zenfant qui appelle Namcouticouti, vous té
enguéze moi ; mo pour manze vous ! » Bonne-
femme peir, li dire Louloup : « Napas manze moi,
Msié Louloup! Namcouticouti qui té faire vous
tout ça bande malices là ; li malin, mais mo va
plis malin qui li ; coûte moi bien : Dimain mo va
coupe so civé courtecourte ; touzours li dourmi
dans lilit son papa ; à soir mo va faire semblant
fréme laporte, mais mo va néque pousse li; vous
va rentré dans noirnoir, vous a tâte so latête,
vous a touque li. » Louloup allé.
Lendimain , coma manman Namcouticouti
coupe-coupe son civés courtecourte, Namcouti-
couti ma^é. : « Mais qui fére li fére mo latête éne
brosse coco, donc? » Li diraande so baguette sor-
I08 HISTOIRE DE NAMCOUTICOUTI
enchantée, la baguette répond. Namcouticouti va
et vient dans la maison, il met la main sur les ci-
seaux de sa mère et les cache dans sa poche. Le
soir, quand son père s'est endormi, Namcouticouti
prend les ciseaux, coupe doucement les cheveux
de son père et les jette sous le lit. Il avait eu
bien juste le temps de finir quand il entend le
loup entrer. Il se couche au bord du lit du côté
de la muraille et fait semblant de ronfler fort
comme une grande personne. Le loup vient, il
tâte la tête du père de Namcouticouti, il l'emporte,
le fait rôtir et le mange.
Le lendemain matin la mère de Namcouticouti
l'aperçoit et s'étonne. « Mâtin ! se dit-elle, ce
petit-là est malin même, oui ! il a encore trouvé
le moyen de mettre dedans ce loup-là. » Mais en
balayant la chambre, elle balaye les cheveux de
son mari ; un soupçon lui vient, elle demande à
Namcouticouti : « Namcouticouti , où est ton
père ? » Namcouticouti détale et crie à sa mère :
« Demande au loup. »
La femme entre en fureur, elle veut tuer
Namcouticouti. Il file à toutes jambes, sa mère le
poursuit. Il arrive au bord d'une grande rivière.
« Comment vais-je faire, se dit-il, pour passer
toute cette eau-là? « Il voit sa mère^ui arrive,
et pense à sa baguette : le voihi qui se change en
caillou. Sa mère vient et crie tout en colère :
ZISTOIRE NAMCOUTICOUTI IO9
cier, so baguette dire li. Namcouticouti virevire
dans lacase, li pèse ciseaux so manman, li cadette
dans son poce. A soir, cornant son papa après
dourmi, Namcouticouti prend ciseaux, li coupe
civés son papa doucement doucement, li zette
enbas Hlit. Li té nèque gagne létemps fini, li
tende Louloup rentré ; li vire so lécorps dans
bord lilit côte lamiraille, li faire semblant ronfle
fort côment éne grand doumounne. Louloup vini;
li tâte tâte latête papa Namcouticouti, li senti
civés courte, li tchiombô li, li amène li, li faire
rôti, li manzé.
Lendimain bomatin manman Namcouticouti voir
li, li toné, li dire : « Mâtin ! ptit là li malin même
oui! li fine trouve encore éne magnère embête
Louloup là ! » Mais côment li après balié so la-
çambe, li balié civés son mari, li gagne éne ladou-
tance, li dimande Namcouticouti ;« Namcouticouti,
à côte ton papa? » Namcouticouti nèque lofé, li
crie so manman : « Dimande Louloup. »
Femme là enrazé, li voulé touye Namcouuti-
couti. Namcouticouti vanné même, so manman
derrière li. Li arrive dans bord éne larivière :
« Côment mo va faire, li dire, pour passe ça
grand dileau là! » Li trouve so manman vini, li
pense son bambou sorcier, li neque vine éne
roce. So manman vini ; dans soencolère li crie :
IIO HISTOIRE DE KAMCOUTICOUTI
« Où es-tu? OÙ es-tu? » Elle voit soudain les
feuilles de songe remuer sur l'autre bord de la
rivière, et croit que c'est Namcouticouti. Elle se
baisse, ramasse le caillou et le jette dans les songes
de l'autre côté de la rivière. Namcouticouti re-
prend sa forme humaine. Il rit et dit à sa mère :
« Grand merci, maman, c'est vous-même qui
m'avez sauvé la vie. »
Puis il s'en va et disparaît.
Depuis ce jour, jamais plus je ne l'ai revu.
C'est un des plus répandus de nos contes ; nous en avons
quatre rédactions sous des titres différents. Ce n'est pourtant, à
y regarder de près, qu'une adaptation, mais des mieux réussies;
assimilation serait mieux dit.
Ce qui nous appartient bien en propre, semble-t-il, c'est
l'amour filial et l'amour maternel de ce fils et de cette mère.
ZISTOIRE NAMCOUTICOUTI III
« A côte toi ? à côte toi ? » Avlà li voir feilles
sonze bouzé laute côté larivière, li croire Nam-
couticouti, li baissé, li ramasse roce là, li zette li
dans pieds sonze laute côté larivière, Namcouti-
couti vine doumounde encore. Li rié, li dire so
manman : « Grand merci, manman ; vous même
qui fine sauve mo lavie. »
Après ça li allé, li allé même.
Dipis létemps là zamais mo té trouve li
encore.
D'autres littératures voudraient voir là deux monstres; nous
savons nous garder de prendre les choses au tragique : la mère
veut à toute force que Loulou mange son fils, le fils s'en tire en
faisant manger monsieur son père, et cette substitution lui
inspire une douce gaîté : on est spirituel.
X
L'ÉLÉPHANT ET LE LIÈVRE
EN SOCIÉTÉ
(N jour l'éléphant dit au lièvre :
(^ — Prenons un coin de terre, nous fe-
rons un jardin.
Le lièvre accepte et dit à l'éléphant :
— Seulement, compère, faisons une conven-
tion : celui dont la pioche se démanchera l'em-
manchera sur la tête de son associé.
Le lièvre fait exprès de mal emmancher sa
pioche qui se démanche à chaque instant. Et le
lièvre de crier à l'éléphant :
— Compère, ma pioche s'est démanchée : ap-
portez-moi votre tête que je l'emmanche !
L'éléphant prêtait sa tête, et le lièvre emman-
chait sa pioche.
^®®®®®®®®^'®^'S
X
ZISTOIRE LÉLÉPHANT AVEC YÈVE
DÉ COMPÈRES
|NE zour l'éléphant dire av Yève :
— Anons prend impé laterre, nous va
faire zardin.
Yève content ; li dire l'éléphant :
— Mais, compère, nous va faire éne condi-
tion : ça qui so pioce déraancé, li va emmance li
làhaut latéte so camrade.
Yève emmance so pioce lace par esprès ; à tout
moment so pioce nèque démancé. Et yève nèque
crie av l'éléphant :
— Compère, mo pioce fine démancé : amène
vous latête pour mo emmance mo pioce !
Léléphant amène latête, yève emmance pioce.
114 l'éléphant et le lièvre en société
Voilà qu'une fois la pioche de l'éléphant se dé-
manche à son tour, et l'éléphant crie au lièvre :
— Compère, ma pioche est démanchée; ap-
porte-moi ta tête que je l'emmanche.
Le lièvre sent son cœur s'en aller. Il dit à
l'éléphant :'
— Quoi I vous n'avez pas pitié de moi, mon
camarade ! Une petite tête comme la mienne ! du
premier coup vous la casserez !
L'éléphant commence à se fâcher :
— Je ne sais pas tout ça moi, compère. Nous
avons fait une convention : quand votre pioche
s'est démanchée, je vous ai donné ma tête ;
maintenant c'est ma pioche qui se démanche ;
vous devez me donner votre tête pour l'emman-
cher.
Le lièvre ne veut pas porter sa tête, l'éléphant
veut le battre ; une grosse dispute s'élève, le
lièvre se sauve. L'association est rompue, le
lièvre et l'éléphant cessent de travailler en com-
mun.
Voilà qu'un jour l'éléphant donne un bal. Il
invite tous les animaux excepté le lièvre. C'est la
tortue qui sera le ménétrier, et son violon est
une calebasse.
Quand le lièvre apprend que c'est la tortue qui
doit faire danser, il lui dit :
— Commère, mettez-moi dans votre calebasse
ZISTOIRE LÉLÉPHANT AVEC YÈVE DÉ COMPÈRES 1 1 5
Avlà, éne coup, pioce léléphant oussi fine dé-
mancé. Léléphant crie av yève :
— Compère, mo pioce fine dimancé : amène
vous latcte pour mo emmance mo pioce !
Lékeir yève aile loin. Li dire av léléphant :
— Vous napas çagrin moi, mo camrade ? Ene
ptit ptit latête coument ça! premier coup vou a
casse li.
Léléphant comence en colère :
— Mo napas cône ça, moi, compère. Nous
fine faire condition : Ihère ous pioce ti dimancé,
mo fine done vous mo latête. Açthère mo pioce
qui dimancé : vous bisoin done moi vous latête
pour mo emmance li.
Yève napas voulé amène latête ; léléphant voulé
batte yève ; zaute . lève éne grand dispite : yève
sauvé. Zassociés fine casse cordon : yève av lélé-
phant fine quitte travaille ensembe.
Avlà éne zour léléphant faire éne bal. Li en-
gaze tout zanimaux, xepté yève. Tourtie qui
pour zoué lamisique ; so viélon éne calebasse.
Quand yève coné qui tourtie qui pour aile misi-
cien dans bal, li dire tourtie :
— Comère, mette-moi dans vous calebasse,
ii6 l'éléphant et le lièvre en société
et je jouerai pour vous. Mais chaque fois qu'on
vous donnera à boire, chaque fois qu'on vous
donnera à manger, vous en mettrez un peu pour
moi dans la calebasse.
Le bal commence. Le lièvre joue, la tortue lui
donne à boire. Voilà le lièvre saoul tant il a bu,
et il se met à chanter tout ce qui lui passe par la
tête.
L'éléphant écoute, écoute. Il reconnaît que
c'est le lièvre qui est dans la calebasse. Il se fâche
et demande à la tortue pourquoi elle a apporté le
lièvre dans sa calebasse. Il veut battre la tortue,
la calebasse tombe, la calebasse se casse, et le
lièvre se sauve.
Nous avons de ce conte plusieurs rédactions avec variantes,
preuve de sa popularité. Il est de ceux qui n'aboutissent pas, et
ZISTOIRE LÉLÉPHANT AVEC YÈVE DÉ COMPÈRES 1 1 7
mo va zoué vous part. Mais çaque fois qui a
donne vous boire, çaque fois qui a donne vous
manzé, vous va mette morceau dans calebasse
pour moi.
Bal coumencé. Yève zoué lamisique. Tourtie
donne li boire. Avlà yève soû à force boire; li
comence cante bonavini.
Léléphant coûté, coûté : li coné qui yève qui
dans calebasse. Li en colère, li dimande tourtie
quifaire li fine amène yève dans so calebasse. Li
voulé batte tourtie; calebasse tombé, calebasse
cassé : yève sauvé.
la pauvreté de l'invention nous est un garant de l'authenticité
de son origine créole.
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XI
HISTOIRE DE PEAU-D'ÂNE
^L y avait une fois un roi qui avait une
fille charmante. Ce roi-là était veuf. Le
roi dit un jour à sa fille : «. Marions-
nous. »
Sa fille lui répondit : « Ah ! mon père ! c'est
impossible, cela ! tu es mon père, je ne veux pas
me marier avec toi. »
Son père lui dit : « Ecoute : si tu y consens, je
te donnerai tout ce que tu désireras. Demande-
moi tout ce que tu voudras, et je te le donne-
rai. »
Sa fille persista dans son refus ; mais il la sup-
plia tant qu'elle fut contrainte de dire oui.
Alors le roi envoya partout des messagers pour
avoir ce qu'il voulait donner à sa fille, car il lui
avait promis de lui faire cadeau de trois robes :
une' couleur du [soleil, une couleur de la lune.
^t» t^G (^u t3it> t^o t^t> Giti oïÇ> i.^ ï^o oïo crifcj tu o^ i^fo ofe> <-^ L?iô t-w GitxJfci
^ "3^ "2^ '3J? -i^ "^j? '2p "^p '3^ ^35? "2^ "Sje ' Jp -^ "^ "^
XI
ZISTOIRE PEAU-D'ÂNE
n
I éna éne fois éne léroi qui ti éna éne zoli
■ mamzelle. So femme ça léroi là té fine
i mort. Ene zour léroi là dire so mamzelle :
« Anons marié. »
So mamzelle dire li : « Ah ! papa ! napas ca-
pabe, ça! to mo papa, mo napas vlé marié av
toi. »
So papa dire li : « Coûté : si to vlé, mo va
donne toi tout ça qui to a content ; dimande moi
tout ça qui to a voulé, mo a donne toi. »
So mamzelle napas vlé ; mais à force li sippliie
li, mamzelle blizé dire oui.
Alors léroi envoyé çace dans tout paye pour
gagne ça qui li ti vlé donne so mamzelle, acause
li té fine dire li pour donne li trois robes, éne
couleir soléye, éne couleir laline, eine couleir zé-
120 HISTOIRE DE PEAU-D ANE
l'autre couleur des étoiles. Mais quand il lui eut
donné les trois robes, la princesse refusa de dire
oui, parce qu'elle avait une marraine qui était fée
et qui l'en empêchait.
Enfin le jour du mariage arriva. De grand ma-
tin, la princesse s'éveilla. Elle s'attacha à la tête
un pahacat et dit à son père : « Je suis toute chif-
fonnée, je ne me sens pas bien; mieux vaut re-
mettre ça à un autre jour. »
Quand il se fut passé deux ou trois jours :
« Eh bien! lui dit son père, marions-nous. »
Elle lui dit alors : « Donnez-moi la peau de votre
âne », car le roi avait un âne qui faisait de l'or,
et c'est pourquoi le roi était si riche. Mais le roi
lui dit ; « Non, non, c'est impossible ! pour ça,,
jamais ! » Alors la princesse lui dit : « Si tu ne
me donnes pas la peau de ton âne, je refuse de
me marier. »
Le roi tint bon deux jours. Mais il souffrait
tant qu'il fut obligé de retourner à la chambre de
sa fille, et il lui dit : « Eh bien ! qu'y faire? je te
donnerai donc la peau de mon pauvre âne ; mais
écoute bien : demain même nous serions mariés! »
Et il sortit en jetant la porte sur soi.
Le lendemain de grand matin, au chant du
coq, la princesse se leva et courut chez sa mar-
raine, qui habitait non loin du palais. Sa mar-
raine lui dit : « Prends ta malle, mets toutes tes
ZISTOIRE PEAU-D ANE 121
toiles. Mais Ihére li ti fine donne H so trois robes,
so mamzelle napas vlé dire oui, acause li ti éna
50 marraine qui ti sorcier et qui tous lézours em-
pesse li dire oui.
Enfin zour mariaze vini. Grand matin, fille
léroi levé, amarre so latéte same pariaca, li dire
so papa : « Mo caya caya, mo napas senti mo
lécorps bienbien ; vaut mié laisse ça pour éne
laute zour. »
Dé trois zours passé, so papa dire li : « Ah
ben! anons marié. »
So fille dire : « Donne-moi lapeau vou bour-
rique », passequi léroi té éna éne bourrique qui ti
caca lor ; ça même léroi là té si tant rice. Mais
léroi dire : « Non! napas capab ! zamais ça! »
Alors mamzelle dire : « Si to napas donne-moi la
peau to bourrique, mo napas vlé marié. »
Léroi reste dé trois zours; mais so léquer trop
bourlé, li blizé tourne laçambe so mamzelle, li
dire li : « Et ben, qui a fére! mo va donne toi
lapeau mon pauve bourrique ; mais coûte bien :
faut dimain même nous marié! » Lisourti, li tape
lapôrte.
Lendimain, grand bômatin, coq çanté, la fille
levé, li couri lacase so marraine qui té reste
proce lacase léroi. So marraine dire li : « Prend
to lamalle, mette tout to linze làdans, après ça
122 HISTOIRE DE PEAU-D ANE
sauvé hardes dedans; puis sauve-toi, je te rejoin-
drai au coin de la rue. »
Le roi ne se doutait de rien et dormait profon-
dément. La princesse rejoignit sa marraine. Elles
marchèrent tant qu'elles arrivèrent bien loin, dans
un autre pays. La marraine de la princesse lui
avait fait une robe avec la peau de l'âne; puis
elle la conduisit au palais du roi de ce pays-là.
Quand elle fut entrée dans le palais, la jeune
fille dit au roi : « Bonjour, monsieur. N'avez-
vous pas besoin de quelqu'un pour garder les
oies? — Mais tu es trop sale, » répondit le roi.
« Non, monsieur, ne croyez pas ça, je ferai bien
votre ouvrage. « Elle sut si bien entortiller le roi
qu'il finit par la prendre à son service. Il lui
donna une méchante chambre au fond de la cour.
Deux ou trois mois se passèrent, et l'on n'avait
aucun reproche à lui faire.
Un jour la femme du roi passant par le fond
de la cour l'aperçut et lui dit : « Comment te
nommes-tu? — Je me nomme Peau d'âne. —
Eh bien, écoute. Demain, j'ai beaucoup de
monde à dîner à la maison ; le cuisinier a trop à
faire ; il lui faut un peu d'aide : tu me feras un
gâteau. Tu as entendu? » Et la reine s'en alla.
Le soir du même jour, le fils de la reine, en se
promenant, aperçut une lumière par la fente de la
porte d'une vieille masure. 11 mit un œil au trou
ZISTOIRE PEAU-DANE I23
même ; mo a zouinde toi dans coin larie. »
Léroi napas conne narien, li après bien dourmi.
La fille zoinde so marraine ; zaute marcé, zaute
marcé, zaute aile loin même, zaute arrive éne
laute péye. So marraine ça fille là fine faire li
éne robe av lapeau bourrique là; après, li amène
li lacase léroi ça péye là.
Coma li rente lacase léroi là, la fille dire en-
sembe léroi : « Bonzour, Missié, ous napas bizoin
dimoune pour garde lazoies?» Léroi dire : « Mais
to trop sale. » Li dire : « Non, msié; napas croire
ça, mo a fére bien vous louvraze. « Afôrce li em-
bête embête léroi là, léroi fini par prend li pour
travail ; li donne li éne faille laçambe dans fond
lacour. Dé trois mois passé ; touzours li fére bien
so louvraze.
Ene zour femme ça léroi là coma li passé dans
fond lacour, li trouve li, li dire li : « Coma to
apélé? — Mo apelle Peau d'âne. — Ah ben,
coûté : dimain éne bande doumoune pour vine
dine lacase; cousinier trop louvraze, bisoin donne
li morceau lamain : to a fére moi éne gâteau. To
tende! » Lareine allé.
Ça zour là même à soir, so garçon lareine
coment li ti après promené, li trouve éne clairté
dans fente laporte éne vie lacase ; li mette lizié
124 HISTOIRE DE PEAU-D ANE
de la serrure. Maman ! vous dis-je, il faillit se
trouver mal tant était jolie la jeune fille qu'il
aperçut. C'était la chambre de Peau d'àne. 11
secoue la porte ; Peau d'âne est tout interdite de
le voir ; il entre. Les voilà qui causent, qui cau-
sent, qui causent. Quand il fut l'heure d'aller se
coucher, le prince lui dit : « N'ayez pas peur, ne
dites rien à maman. Maman vous a dit de faire
un gâteau ; en le faisant, jetez dedans cette bague
qui est à mon doigt. Je ferai semblant de m'étran-
gler. Alors les choses se gâteront ; maman sera
forcée d'envoyer chercher un médecin, et nous
verrons. »
Peau d'âne fait le gâteau ; elle jette la bague
dedans, et le gâteau cuit.
Le soir arrive. Tout le monde mange. Le
prince a bien remarqué à quel endroit du gâteau
se trouve la bague. Quand on en est au gâteau,
il coupe juste le morceau où est la bague ; il le
met dans sa bouche, et soudain jette un grand cri
comme s'il s'étranglait. Tout le monde se lève ;
on bouscule la table, la lampe s'éteint, les verres
se brisent, c'est un tapage indescriptible. Et tous
de demander au prince : « Mais, qu'est-ce que tu
as? — Mais, qu'est-ce que vous avez? » Il montre
sa gorge. Sa mère lui dit : « Ouvre la gorge ! »
Il ouvre la bouche ; la reine voit une bague au
fond de sa gorge. Elle essaye de la retirer : ah !
ZISTOIRE PEAU-D ANE I2<y
dans trou sérire... Manman ! mo dire vous, li
manque gagne éne faiblesse tellement li voir éne
2oli mamzelle. Ça té lacase Peau d'âne. Li sacouye
laporte ; Peau d'âne toné voir li : li entré. Zaute
causé, causé, causé é é. Lhére pour aile dourmi
garçon là dire li : « Napas peir; napas dire man-
man narien. Manman fine dire ous fére éne
gâteau : l'hére ous a fére gâteau-là, zette ça bague
qui dans mo lédoit làdans ; mo a fére semblant
tranglé; lhére la zaffaire a vine sale, manman va
bisoin envoyé casse docteir, mais nous a guetté. »
Peau d'âne fére gâteau ; li zette bague làdans ;
gâteau couit.
A soir vini. Tout dimonde manzé. Garçon là
ti fine bien guetté à cote bague dans gâteau.
Lhére li pour manzé, li coupe zisse morceau àcote
éna bague ; li mette dans labouce, éne coup là li
largue éne guélé coma dire li fine tanguélé. Tout
doumoune levé, sacou3^e latabe : lalampe teingné,
verres cassé ; éne lapaze dans lacase là, mo dire
vous ! Zaute tout dimande garçon : « Mais qui to
gagné? — Mais qui vous gagné? » Li monte so
lagôrze. So manman dire li : « Ouvert lagôrze. »
Li ouvert labouce ; so manman voir éne bague
dans son lagôrze ; li saye tiré : aouah ! napas
fouti ; li appelle tout mamzelles qui ti là pour
126 HISTOIRE DE PEAU-d'ÂXE
ouah ! impossible ! Elle appelle toutes les demoi-
selles qui sont là pour retirer la bague : pas
moyen. Peau d'âne, qui assiste à toute la scène, se
dit en elle-même : tout à l'heure, nous verrons
bien ! Voilà le roi qui prend peur. Si son fils
allait mourir ! Il sent son cœur le quitter. Il en-
voie un de ses soldats sonner de la trompette par
toutes les rues. Et le soldat criait que si une
jeune fille réussissait à tirer la bague de la gorge
du prince, c'est elle que le prince épouserait.
C'est une procession, un défilé de jeunes filles
qui fourrent et refourrent le doigt dans la bouche
du prince; peine perdue, la bague est attachée
au fond de la gorge. La reine commence à pleu-
rer. Le prince essaye de parler et dit tout bas à
sa mère : « Ah ! maman, comme je souffre !
Mais laisse Peau d'âne essayer ; peut-être elle
réussira. » Peau d'âne essaye. Que croyez-vous?
La bague est juste à son doigt 1 le doigt entre, et
voilà la bague dehors. La reine ne sait quoi dire
et reste interdite. Le prince tâte sa gorge et
s'écrie : « Oui ! oui ! voilà ce qui s'appelle être
soulagé! Certainement, c'est Peau d'âne que
j'épouserai ! » La reine se fâche et s'emporte ;
mais son fils lui dit : « Eh vous ! maman ! je dois
tenir la promesse de papa ; papa, vous le savez,
n'est pas un roi à dire blanc puis noir ! »
Tandis qu'ils se querellaient ainsi pour savoir
ZISTOIRE PEAU-D ANE I27
tiré : napas capabe. Peau d'âne guette tout ça là,
li dire dans so léquér : ta Ihére nou a guetté. Avlà
léroi peir ; pengare so Jpitit pour mort ! so léquer
aile loin. Li envoyé éne son soldats sonne trom-
pette dans tout laries. Soldat là crié qui si éne
mamzelle capave tire bague dans lagôze garçon
léroi, ensembe li même garçon va marié.
Mamzelles vini, mamzelles vini, mamzelles
vini, fourrefourre lédoigt ; napas moyen, bague
là tâcé dans lagôrze. Manman comence ploré.
Lhére là garçon là saye éne ptit causé, li dire so
manman : « Aïoh ! maman, côman mo souffert !
Mais lésse Peau d'âne sayé, quiquefois li a ca-
pave. )) Peau d'âne sayé. Qui ous croire? Bague
zisse dans so lédoit : heun!! bague dohors. So
manman garçon léroi napas cône qui li a dire, li
reste séc. Garçon tâtetâte son lagôrze, li dire :
« Ça, oui, qui apélle soulazé! bien sîr 'mo va
marié ensembe Peau d'âne ! » Lareine en colère ; li
fére tapaze, mais garçon dire li : « Eh ous ! man-
man, mo bisoin fére ça qui papa fine causé : papa
napas éne léroi dé labouce, vous cône ! »
Côment zaute après laguerre pour cône sipasli
128 HISTOIRE DE PEAU-D ÂNE
si le prince épouserait ou n'épouserait pas, la
marraine de Peau d'âne entre dans la salle à
manger. Elle touche de sa baguette le haut de la
tête de Peau d'âne, et voilà Peau d'âne une jolie
princesse avec une robe couleur du soleil. La reine
en danse de joie.
On fit une noce magnifique. Tout le pays fut
invité. On mangea, on but, on dansa toute la
nuit. J'entre pour demander un petit verre de
liqueur: on lâche les chiens après moi, et je me
sauve ici.
« Si Peau d'âne m'était conté
J'y prendrais un plaisir extrême. »
Oui, mais Peau d'âne mâtinée de Cendrillon ?
ZISTOIRE PEAU-DANE I29
va marié, sipas li napas marié, avlà marraine Peau
d'âne rentré. Li néque tape éne coup so baguette
làhaut latéte Peau d'âne : éne coup là Peau d'âne
vine zoli, ensame éne robe couleir soléye. Lareine
dansé tellement li content.
Zaute donne éne mariaze papa ! ! Tout dou-
moune ça paye là vini, manzé, boire, dansé tout
lanouite. Mo aile dimande zaute éne pti verre lali-
queur ; zaute mette liciens av moi ; mo bisoin
sauvé.
Le lecteur verra dans ce conte, mieux que dans tout autre
peut-être, quels singuliers amalgames peuvent se produire dans
la mémoire créole.
)^
^^^^^^^^^^^^^
XII
HISTOIRE DE SABOUR
L y avait une fois, dans le pays de l'Inde,
] un riche marchand qui avait trois filles.
^,^-^i Un jour que le marchand était sur le
point de partir pour aller chercher des marchan-
dises dans un autre pays, il envoie une femme
qui était à son service demander à ses trois filles
quels cadeaux elles veulent qu'il leur rapporte à
son retour. La fille aînée répond qu'elle veut un
coUier de diamant; la seconde demande une robe
de velours bleu ; quant à la troisième, comme
elle lisait quand la servante vint lui faire la com-
mission de son père, elle dit à la femme : « Sa-
bour. « La femme croit que c'est là le cadeau
qu'elle a envie de se voir rapporter par son père,
elle s'en va, et transmet au marchand les trois
réponses. Le marchand est pressé, il part.
QjLiand le marchand eut terminé toutes ses
^è^^i^iè^^^^iè^^^
XII
ZISTOIRE SABOUR
_ I éna éne fois dans paye dans l'Inde éne
&Jh^ rice marçand qui té gagne trois filles.
Ene zour, cornent ça marçand là bisoin
parti pour aile çace marçandises éne laute paye,
11 envoyé éne bibi qui té so domestique dimande
so trois mamzelles qui cadeau zaute voulé li
amène pour zaute Ihère li va tourné. Premier
fille dire li vlé éne colier diamant ; second fille
dimande éne robe velours blei ; troisième fille,
quand bibi là vine faire comission so papa, té'
après lire, li dire bibi : a Sabour. » Bibi croire ça
même cadeau li envie so papa amène pour li, li
allé, li rende tout lé trois laréponses ave mar-
çand. Marçand pressé, li parti.
Quand marçand ^ne fini tout so zaffaires dans
132 HISTOIRE DE SABOUR
affaires dans le pays où il était allé, il songea à
s'en retourner. Il achète un collier de diamants
pour sa fille aînée, une robe de velours bleu pour
la seconde, mais pour la troisième il n'achète
rien, ne sachant pas ce qu'elle désire. Tous ses
ballots sont ficelés, le marchand monte sur son
éléphant et lui dit : « Allons, partons ! » mais
l'éléphant ne bouge pas. C'était la manière de
faire de cet éléphant : quand son maître avait
oublié quelque chose, il refusait de marcher que
son maître ne se fût rappelé ce qu'il avait oublié.
Le marchand s'interroge, cherche; à moins que
ce ne soit le cadeau de sa troisième fille, il ne
manque rien ! « Peut-être, se dit-il, que dans ce
pays-ci il y a quelque chose du nom de Sabour ;
il faut que je m'informe. » Il interroge une
bonne femme qui passe ; la vieille lui répond :
« Oui, je sais; le fils du roi se nomme Sabour. »
Le marchand est interloqué : comment pourra-t-il
rapporter ce cadeau-là à sa fille ! Mais que faire ?
l'éléphant refuse de marcher : il faut bien essayer.
Le marchand se rend au palais du roi ; il porte
des présents magnifiques au prince Sabour, et
demande à lui parler. Quand il est seul avec le
prince, il lui raconte son fait. Sabour se met à rire
de l'idée qu'il pourrait servir de cadeau à la fille
du marchand, et lui demande en plaisantant si sa
fille est vraiment jolie. Le marchand tire de sa
ZISTOIRE SABOUR 133
ça paye li fine allé là, li pense pour tourné ; li
acète collier diamant pour so grand fille, li acète
robe velours blei pour son second fille, mais pour
so troisième fille là li napas acète narien, li
napas cône qui li envie. Tout paquets fini
amarré, marçand monte làhaut so léléphant, li
dire li : « Allons allé ! » mais léléphant napas
bouzé. Ça même so manière ça léléphant là :
quand so maîte fine bliye quiqueçose, zamais li
voulé marcé zisqu'à so maîte souvini ça qui li té
blié. Marçand maziné, maziné ; quand napas ca-
deau so fille, narien manqué; li dire : « Quique-
fois dans paye ici iéna éne quiqueçose qui appelle
Sabour, faut mo cône. « Li dimande éne bonne-
femme qui passé, bonnefemme dire li : « Si fait
mo cône ; son fils léroi qui appelle Sabour. »
Marçand tourdi : côment li a capave amène ça
cadeau là so ptit fille ! Mais qui a faire? lélé-
phant napas vlé marcé, li blizé sayé.
Marçand aile lacase léroi, li amène bellebelle
cadeau pour prince Sabour, li dimande pour
cause ave li, Lhère li tout seil dans laçambe ave
prince Sabour, li raconte li tout ça là ; Sabour rié
côment li pour servi cadeau ptit fille ça marçand
là, et li dimande en badinant sembe marçand là
sipas so mamzelle là bien zoli. Marçand tire por-
134 HISTOIRE DE SABOUR
poche le portrait de sa fille et le tend à Sabour.
Sabour est stupéfait : jamais il n'a rien vu d'aussi
charmant; le voilà amoureux, il est pris. Mais,
sans rien laisser voir, il va prendre un éventail
dans son armoire et dit au marchand : « Puisque
vous ave;^ eu l'honnêteté de me faire de beaux
présents, je veux en retour donner quelque chose
à votre fille. Ayez la complaisance de lui remettre
cet éventail, je suis sûr qu'il lui fera plaisir. Mais
remettez-le-lui de la main à la main, et recom-
mandez-lui bien d'attendre pour l'ouvrir qu'elle
soit toute seule dans sa chambre. « Le marchand
remercie le prince et sort du palais. Il remonte
sur son éléphant, et cette fois l'éléphant se met
en marche.
De retour dans sa maison, le marchand donne
à l'aînée de ses filles son collier de diamant ; à la
seconde, la robe de velours bleu ; il donne à la
dernière l'éventail dans sa boîte et lui dit com-
ment elle ne doit l'ouvrir que quand elle sera
seule dans sa chambre. Le marchand s'en va.
Lorsque la jeune fille est seule, elle ferme la
porte de sa chambre, tire l'éventail de sa boîte et
l'ouvre ; c'était un éventail magique : le prince
Sabour paraît. Il se jette aux genoux de la jeune
fille, il prend sa main, l'embrasse et lui dit : « Je
suis venu pour vous épouser. » La jeune fille est
tout heureuse, car le prince Sabour était joli
ZISTOIRE SABOUR 13$
trait son fille dans son poce, li donne Sabour,
Sabour reste sec : zamais li té voir éne zène fille
zoli cornent ça, li tombe amouré, li maillé même.
Mais li napas faire semblant narien ; li tire éne
léventail dans so lormoire, li dire marçand : « A
cause vous té gagne l'honnête faire moi bellebelle
cadeau, moi oussi mo voulé donne quiqueçose
vous mamzelle ; gagne complaisance rémette ça
léventail là dans so lamain même, mo sîr li va
content ; mais dire li pour li ouvert léventail là,
faut li tout seil dans so laçambe. » Marçand dire
merci, li sourti lacase léroi, li monte làhaut so
léléphant ; ça fois là léléphant allé même.
Lhére li fine arrive so lacase, marçand donne
so grand fille so colier diamant, li donne so se-
cond fille so robe velours blei, li donne so ptit
fille léventail dans boîte, et li dire li doite ouvert
léventail là quand personne ave li dans so laçambe.
Marçand allé. Lhère ptit fille tout seil, li frème
laporte so laçambe, li tire léventail dans boîte, li
ouvert li : léventail là té sorcier, avlà prince Sa-
bour paraîte. Li tombe à zounoux divant zène
fille, li prend so lamain, li embrassé, li dire li :
« Mo fine vini pour marié ave vous. » Zène fille
bien content à cause prince Sabour zoli garçon ;
mais li éne zène fille bien élevé, li dire : « Di-
136 HISTOIRE DE SABOUR
garçon ; mais elle était bien élevée, elle répondit :
« Demandez à papa. « Le père arrive, et voilà le
mariage décidé.
Mais les deux aînées sont jalouses de voir que
leur cadette devienne la femme d'un fils de roi,
alors qu'elles n'ont pas encore trouvé de mari,
bien qu'elles soient plus âgées toutes les deux.
Elles imaginent une méchanceté. Elles lui disent:
« Petite sœur, nous sommes bien heureuses ! Tu
sais que c'est nous seules qui devons faire ta
chambre ; ce sont toujours les soeurs de la mariée
qui disposent le lit le jour du mariage. N'aie pas
peur ; le lit sera fait de telle manière que tu seras
contente. « En faisant le lit, ces deux pestes
sèment du verre pilé à l'endroit où doit se cou-
cher Sabour. La cérémonie achevée, Sabour
rentre dans sa chambre, se déshabille et se met
au lit. Tout son corps est coupé par le verre
pilé, son sang ruisselle. Il essaye de se lever, la
force lui manque. Alors il dit à sa femme de lui
apporter au plus vite son éventail. Il ferme l'éven-
tail d'un coup, la femme regarde dans le lit, le lit
est vide, Sabour n'est plus là.
La jeune femme pleure, gémit et attend son
mari. Mais le mari ne revient pas. Six ou sept
mois se passent. Un jour que la jeune femme
lisait le journal, elle y voit écrite la nouvelle que
le prince Sabour est bien malade dans son pays,
ZISTOIRE SABOUR I37
mande papa. » Papa vini, mariaze arranzé.
Mais grand seirs zaloux àcause zaute ptit seir
pour marié ave éne fils léroi, quand zaute dé
qui plis vie zaute napas encore fine trouve mari.
Zaute mazine éne méçanceté. Zaute dire li : « Ptit
seir, nous bien content ! to cône qui nous même
qui doite faire to laçambe ; touzours seirs lama-
riée qui arranze so lilit zour mariaze ; napas peir,
nous napas va manque narien ; lilit là va aranze
éne magnère qui to va content. » Coment zaute
arranze lilit, ça dé lagale là fane fane plein bou-
teilles cassé dans place àcote prince Sabour pour
dourmi. Mariaze fini, Sabour rente dans laçambe
(tire so linze), li monte dans lilit ; avlà tout so
lécorps coupé coupé ave ça verre cassé là ; disang
coule tout partout. Li saye levé, li napas laforce.
Alorse li dire so femme amène vitement so lé-
ventail av li. Li fréme léventail éne coup.
Femme guéte dans lilit, lilit vide, Sabour fine
allé.
Zène femme là ploré, ploré; li aspère so mari;
mais mari napas tourné. Six, septe mois passé.
Ene zour côment zène femme là après lire la-
gazette, li trouve nouvelle qui prince Sabour bien
malade dans so paye, docteirs napas capave guéri
138 HISTOIRE DE SABOUR
les médecins ne peuvent le guérir ; son père a
tant de chagrin qu'il s'engage à donner la moitié
de son royaume à celui qui guérira son fils. La
jeune femme cache la gazette, et ne dit rien à
son père ni à ses soeurs.
Le soir, quand tout le monde dort dans la
maison, elle s'habille comme un prêtre lascar,
s'applique sur la figure une fausse barbe, ouvre
tout doucement la porte, et se sauve pour aller
rejoindre le prince Sabour dans son pays. Mais il
est bien loin, ce pays ! il faudra endurer bien des
misères pour y arriver. Elle marche, elle marche
pendant près de trois mois. La ville n'est pas
loin maintenant, dans deux jours le voyage sera
terminé.
Comme la nuit venait, la jeune femme se sentit
lasse. Elle s'arrêta pour dormir au pied d'un
grand arbre. Au moment où elle s'endormait,
voilà qu'elle entend deux oiseaux causer dans les
branches. Elle écoute ;' un des oiseaux disait à
son compagnon : « Je viens de la ville, le prince
Sabour est au plus mal. Il mourra, bien sûr, car
les médecins ne savent pas quel traitement lui
faire, et la médecine n'est pas difficile à trouver :
si l'on frottait son corps avec un peu de la fiente
que nous jetons au pied de l'arbre sur lequel
nous dormons, il guérirait vite, cet onguent lui
ferait rendre tout le verre pilé qui a pénétré dans
ZISTOIRE SABOUR 139
li ; so papa si tant çagrin qui li engazé pour
donne la moitié so paye doumounde qui va faire
so garçon çava bien. Zène femme cadette la-
gazette là, li napas dire narien so papa ave so
seirs.
Asoir, Iheire tout doumounde après dourmi
dans lacase, li habille coment éne prête lascar, li
colle éne labarbe mardi gras dans so figuire, li
ouvert laporte doucement doucement, li sauvé
pour aile zoinde prince Sabour dans so paye.
Mais paye là loin même, va gagne lamisère pour
arrivé. Li marcé, li marcé, li marcé approçant
trois mois. Açthère laville napas loin, dans dé
zours vo3'aze pour fini. Coment lanouite vini,
zène femme fatigué; li arrête pour dourmi enbas
ène grand pied zarbe. Someye comence vine ave
li, avlà li tende dé zozos après causé dans bran-
çaze, li coûté ; éne zozo dire ave so camrade :
« Mo vine auport ; prince Sabour bien bien ma-
lade même, bien sir li pour mort à cause docteirs
napas coné qui médecine bisoin faire ave li ; et
médecine là napas difficile pour trouvé : quand
frotte so lécorps ave morceau nous fimié qui nous
zette enbas pied zarbe à côte nous dourmi, li pour
guéri vitement même, fimié là va faire li rende
tout ça verre bouteye qui fine rente dans so lé-
corps. » Zène femme content li fine tende ça, li
dourmi. Lendimain grand bomatin zozo allé; li
140 HISTOIRE DE SABOUR
son corps. » La jeune femme est heureuse de ce
qu'elle a entendu, et s'endort. Le lendemain, au
point du jour, les oiseaux s'envolent. Elle remplit
un petit pot de leur guano de la nuit, et s'en va.
Lorsque la jeune femme arrive à la ville, le
deuil est partout ; on pleure dans les rues : le
prince Sabour a passé une mauvaise nuit, les mé-
decins s'attendent à le voir mourir d'un instant à
l'autre, il n'y a plus d'espoir. La jeune fille court
au palais du roi ; elle dit à la sentinelle qui est à
la porte d'aller en toute hâte prévenir le roi qu'il
y a là un prêtre lascar portant une médecine qui
va guérir le prince Sabour. Le roi accourt et lui
dit : « Si tu sauves mon enfant, tout ce que tu
me demanderas je te le donnerai ; mais, s'il
meurt, je te couperai le cou. » La jeune femme
lui répond : « Ce sont bien là mes conditions ;
mais il n'y a pas de temps à perdre, allons ! «
Quand ils entrèrent dans la chambre de Sabour
et que la jeune femme aperçut son pauvre mari
étendu sur son lit comme un cadavre, elle fut
obhgée de s'asseoir pour ne pas tomber. Mais
rappelant à elle son courage, elle s'approche du
lit, tire son onguent de sa poche et en frictionne
tout le corps de Sabour. Que croyez- vous? Voilà
tout le verre pilé qui sort du corps de Sabour, et
Sabour est guéri.
Le roi saute sur le prêtre lascar, il l'embrasse
ZISTOIRE SABOUR I4I
ramasse plein fîmié frais zaute fine ûiire pendant
la nouite, li mette dans éne ptit pot, li allé.
Quand zène femme arrive en ville, li trouve
tout dimounde çagrin, plore ploré dans laries :
prince Sabour fine passe éne mauvaise lanouite,
docteirs croire îalhère li pour mort, naplis éna
çava ave li. Zène fille couri lacase léroi; li dire
garde qui dans la porte dégazé même, aile dire
léroi éna ène prête lascar qui amène ène méde-
cine qui va guéri prince Sabour. Léroi vini, li
dire li : « Qiiand to guéri mo zenfant, tout ça
qui to dimande moi, mo va donné; mais quand
li mort, mo coupe to licou. » Zène femme nèque
dire li : « Napas létemps pour perdi, anons! »
Coment zaute rente laçambe Sabour et zène
femme là trouve so pauve mari allonze làhaut
lilit côment ène doumounde mort, li blizé assise
pour napas tombé ; mais li amarre so léqueir, li
approce à côte lilit, li tire so lapommade dans so
poce, li frotte frotte tout lécorps Sabour ave ça
fimié zozo là. Qui vous croire? Avla tout verres
bouteye sourti dans lécorps Sabour, Sabour
guéri.
Léroi saute làhaut prête lascar là, li embrasse
142 HISTOIRE DE SABOUR
en pleurant et lui dit : « Demande-moi tout ce
qu'il te plaira ! demande ! tu l'auras ! « Le prêtre
lascar lui dit : « Je vais voir si vous êtes homme
de parole : j'ai une fille, je veux que le prince
Sabour l'épouse. — Oui, certes, répond le roi,
Sabour épousera ta fille, va la chercher. ;> Là-
dessus, Sabour se met debout : « Ça, mon père,
jamais ! jamais ! donnez au lascar tout ce qu'il
voudra, mais que j'épouse sa fille, jamais ! ja-
mais ! » Le vieux roi est interdit et ne sait quoi
dire. Puis il se fâche et injurie Sabour. Le prêtre
lascar fait semblant d'être furieux et dit à Sabour :
« Si j'avais pu prévoir l'affront que vous deviez
faire à ma fille, je vous aurais laissé mourir
comme un chien ! Mais, parlez ! dites vos raisons !
Pourquoi refusez-vous d'épouser ma fille? Ma
fille est plus jolie que vous! » Le roi se joint à
lui ; tous deux le pressent : « Parlez ! parlez ! »
Sabour prend la main de son père et lui dit :
« Mon père, il faut me pardonner ! je ne puis me
marier, puisque je suis marié déjà, et j'aime tant
ma femme que je préférerais mourir que de la
quitter pour en épouser une autre ! » Le roi lève
ses deux mains au ciel, Sabour tombe assis sur le
bord de son lit. Voilà le prêtre lascar qui enlève
le turban de sa tête et la fausse barbe de sa figure
et qui dit à demi-voix : « Sabour ! Sabour, re-
garde-moi ! » Sabour relève la tête, le regarde,
ZISTOIRE SABOUR I43
li, li ploré : « Dimande moi ça qui to content !
dimandé, mo donné ! » Prête lascar dire li : « Mo
pour trouvé si vous napas éne doumounde dé la-
langues : mo gagne éne ptit fille, mo voulé qui
prince Sabour marié ave li. » Léroi dire : « Bien
sîr oui, Sabour va marié sembe vous mamzelle :
aile çace li ! » Sabour éne coup lève làhaut so
lipieds : « Ça, papa, zamais ! zamais ! donne las-
car là tout ça qui li va content, mais pour mo
marié ave so fille, zamais, zamais ! » Bonhomme
léroi tourdi, li gaga. Avlà so colère levé, li zoure
Sabour. Prête lascar oussi faire semblant li en
colère, li dire Sabour : « Si mo té va coné qui
vous té pour faire zafifront là mo fille, mo té va
laisse vous mort côment éne licien. Mais causé !
dire vous raisons ! qui faire vous napas voulé
marié ave mo fille ? mo fille plis zoli qui vous ! »
Lèroi zoinde ave li, zaute de nèque dire Sabour :
« Causé ! causé ! « Sabour prend lamain so papa,
li dire li : « Papa, faut vous donne moi mo grâce :
mo napas capave marié passe qui mo fine marié
dézà, et mo femme là mo si tant content li qui
mo vaut mié mort qui quitte li pour prend éne
laute madame ! » Bonhomme léroi lève so dé la-
mains en lair, Sabour tombe assise dans bord son
lilit. Avlà prête lascar tire éne coup capra qui là-
haut so latête, li arrace labarbe dans so figure, li
dire doucement, doucement : « Sabour, Sabour,
144 HISTOIRE DE SABOUR
se frotte les yeux et s'écrie : « Est-ce toi, ma
femme? Est-ce toi? » Il ouvre ses bras, ils se
tiennent embrassés et ils pleurent.
Le vieux roi est si joyeux qu'il donne un dîner,
vous dis-je, mais un maître dîner, comme jamais
on ne donna dîner depuis que les rois donnent
des dîners. Au dessert, je veux mettre dans ma
poche une tranche de gâteau pour mes enfants;
on m'empoigne, on me traîne dans la cour, on
m'allonge un coup de pied, mon ami ! ! je tombe
ici.
L'histoire nous vient de l'Inde. Aussi y a-t-il là-dedans plus
de poésie, plus de tendresse émue qu'on est exposé à en rencon-
trer dans la plupart des morceaux de ce recueil. Mais le conte
s'est dûment fait naturaliser Mauricien, et nous sommes fondé à
le reconnaître comme un de nos contes populaires, puisqu'il nous
0*<5'CV
ZISTOIRE SABOUR 145
guette moi ! » Sabour lève so latête, H guette li,
li frotte so liziés, li crié : « Toi ça, mo femme !
toi ça ! » li ouvert so lébras, zaute dé embrassé,
ploré.
Bonhomme léroi si tant content qui li donne
éne diné, mo dire vous ! mais éne papa dîné co-
rnent zamais té donne diné dipis lérois donne
diné. Lhère dessert vini, mo vlé mette morceau
gâteau dans mo poce pour mo zenfants ; zaute
pèse moi, zaute hisse moi dans lacour zaute
flanque moi éne coup de pied, manami!! mo
tombe ici.
en est parvenu trois versions de diverse provenance. Entre ces
versions, du reste, les différences sont trop légères pour qu'il
y ait intérêt à les donner ici, et le dénoûment est partout le
même.
^^
10
XIII
HISTOIRE DE PETIT JEAN
L y avait une demoiselle qui n'avait
jamais voulu se marier. Il y avait un
monsieur qui portait une plaque d'or au
bas des reins pour cacher sa queue. Un jour il
vint voir la demoiselle dans un superbe carrosse.
La mère de la jeune fille lui demanda : « Qu'en
dis-tu? ma tîUe." — Eh bien! c'est avec lui seul
que je veuK me marier. » On fit les noces et les
mariés partirent.
Petit Jean voulut suivre sa sœur ; sa sœur lui
dit : « Pourquoi veux-tu me suivre? Est-ce un
galeux comme toi qui montera dans ma voi-
ture? » Le nouveau marié, qui était un loup, dit
à sa femme : « Laissez donc venir Petit Jean. »
Quand on fut arrivé à la maison du loup, on
fit à dîner pour Madame; Monsieur alla dehors
rejoindre ses amis.
XIII
ZISTOIRE PTIT ZEAN
_ I ^na éne Mamzelle qui té zamais vlé
MM "larié. Ti éna éne Msié qui té gagne éne
^^^i plaque lor en bas lérein pour cacié so
laquée. Li vine voir ça mamzelle là dans eue
belbel carrosse. Maman ça fille là dire assame li :
« Qui to dire, ma fille ? — Eh ben ! av li même
mo vlé marié. » Zaute faire mariaze ; zaute allé.
Ptit Zean voulé sivré so seir ; so seir dire li :
« Qui faire to vlé sivré moi ? éne gale côment toi
qui va vine dans mo caléce ! » So beau-frère là
qui té loulou dire : « Laisse ptit Zean vini, donc ! »
Arrivé dans lacase loulou, faire manzé pour
Madame; Msié aile dohors sambe so camrades.
148 HISTOIRE DE PETIT JEAN
Tous les soirs les amis venaient et disaient :
<.( Mangeons ta femme! mangeons ta femme! —
Laissez-la engraisser ! laissez-la engraisser ! » Petit
Jean entendait tout leur tapage ; la gale l'empê-
chait de dormir et il passait les nuits à se gratter.
Un jour il dit à sa sœur : « Mais, ma sœur,
avec qui vous êtes-vous mariée là? Avec un loup
qui vous mangera ! » La femme répondit : « Eh
toi I comment oses-tu parler ainsi ? » Alors Petit
Jean lui dit : « Laisse-moi attacher une ficelle au
bout de ton pied. Quand les loups danseront, je
tirerai dessus, et tu écouteras. )>
Le soir, les loups viennent danser. Petit Jean
tire sur la ficelle. Madame s'assied et elle entend :
« Mangeons-la ! mangeons-la ! — Laissez-la en-
graisser! laissez-la engraisser! » Madame eut
grand peur.
Le lendemain elle dit : « Ah ! mon frère ! com-
ment ferai-je pour retourner chez maman? »
Petit Jean lui répondit : « Tu m'as appelé galeux !
moi, je m'en vais chez nous; pour toi, débrouille-
toi. — Ah ! mon frère ! ne me laisse pas ici !
emmène-moi à la maison ! »
Voilà Petit Jean qui fait un panier. Le panier
fini, il dit à son beau-frère : « Amusons-nous !
faisons un petit jeu. Mets dans le panier toutes
sortes de bonnes choses : de bon manger, de bon
poulet, de bon pain, de bon boire, de bon vin,
ZISTOIRE PTIT ZEAN I49
Tout Icsoirs so camrades vini ; zaute dire :
« Anons manze Madame! Anons manze Ma-
dame ! — Laisse li vine gros ! laisse li vine
gros! » Prit Zean tende tapaze; li napas dourmi,
li néque gratte lagale tout lanouite.
Ene zour li dire av so seir : « Mais, mo seir,
av qui ous fine marié ! av loulou qui pour manze
vous. » So seir dire li : « Eh toi ! cornent to ca-
pabe cause come ça ! » Alorse Ptit Zean dire :
« Laisse-moi amarre éne ptit lacorde dans ton
boute lipied ; quand loulou va dansé, mo va hisse
ptit lacorde, Ihére là to va tende. »
A soir loulous vine dansé. Ptit Zean hisse la-
corde. Madam.e sise, li tende : « Anons manze li!
anons manze li! — Laisse li vine gras! laisse li
vine gras ! » Madame peir.
Lendimain li dire : « Ah ! mon frère ! côment
mo va faire pour tourne lacase maman? » Ptit
Zean réponde li : « To té dire moi éne gale ! moi
mo aile lacase, arranze toi. — Ah! mon frère!
napas quitte moi ici, amène moi lacase ! »
Alà Ptit Zean faire éne panier. Lhére panier là
fine faire, li dire av son beau-frère : « Anons
amizé ! amons faire éne ptit badinaze ! Mette dans
panier là tout sorte bon quiqueçoses : bon manzé,
bon volaille, bon dipain, bon boire, bon divin,
150 HISTOIRE DE PETIT JEAN
de bonne liqueur, avec des couverts, de l'or, de
l'argent, tout ce qu'il y a dans la maison. » Le
loup aimait à rire : il remplit le panier. Petit Jean
dit au loup : « Entre dans le panier avec ma
sœur. )) Le loup entre et Petit Jean se met à
chanter : « Monte, panier ! Va chez maman ! Va
chez papa! » Le panier monte. Rendu en l'air le
loup a peur et crie : « Petit Jean ! j'ai le vertige !
fais descendre le panier ! » Petit Jean, qui était
resté en bas tenait le bout d'une corde attachée
au panier. Il tire dessus et le panier descend. Puis
il dit : « A mon tour d'aller me promener. » Il
entre dans le panier près de sa sœur, donne au
loup à tenir le bout de la corde et chante :
« Monte panier! monte panier! va chez maman!
va chez papa ! « Le panier monte. Arrivé là-
haut. Petit Jean coupe la corde. Alors le loup de
crier : « Descends ! descends ! donne-moi ma
femme! « Mais Petit Jean s'en va.
Le loup les poursuit. Il court, il est furieux :
sa queue sort. Il était tout près de chez sa belle-
mère quand il s'en aperçoit ; il a honte, et re-
tourne chez lui pour mettre sa queue en ordre
sous sa plaque d'or.
Petit Jean est arrivé et raconte toute l'histoire.
Le père de la jeune femme leur dit : « Venez,
mes enfants ; quand il arrivera tout à l'heure, je
l'arrangerai! »
ZISTOIRE PTIT ZEAN 15I
bon laliqueir, sembe couverts, lor, larzent, tout
ça qui éna dans lacase. » Loulou content rié, li
mété. Ptit Zean dire loulou : « Rente dans panier
là vous av mo seir. » Loulou rentré. Lhére là
Ptit Zean çanté : cf Monté, pagnier ! monté, pa-
gnier! Allé manman ! allé papa! « Panier monté.
Loulou fine arrive en lair ; loulou peir, li dire :
a Ptit Zean, mo latête tourdi : faire dicende pa-
nier ! » Ptit Zean té fine reste en bas, li ti tine
éne lacorde amarré av ça panier là. Ptit Zean
hisse lacorde, panier dicendé. Lhére là Ptit Zean
dire : « Mon tour aile promené. » Ptit Zean
rente dans panier av se seir, li donne boute la-
corde dans lamain loulou, li canté : « Monté,
pagnier ! monté pagnier ! allé manman ! allé
papa! )) Panier monté. Arrive en haut Ptit Zean
coupe lacorde. Lhére là loulou crié : « Dicendé,
dicendé ! donne mo madame ! » Ptit Zean allé
même.
Loulou sivré ; li galpé, li en colère so laquée
sourti. Quand li fine arrive proce lacase so belle-
mère, li trouve ça, li honte, li tourne so lacase
pour arranze laquée en bas plaque lor.
Ptit Zean rentré ; li raconte tout zistoire. Papa
ça fille là dire : « Vine ici, mes zenfants ; quand
li va vini tàlhére, mo va arranze li ! »
152 HISTOIRE DE PETIT JEAN
On dispose une petite case en paille. Le loup
arrive et demande : « Mais, est-ce que Petit Jean
n'est pas venu ici avec ma femme? » Le père ré-
pond : « Mais non ! pas encore ; du reste, vous
pouvez les attendre un peu. 'Entrez dans cette
case : il y a une petite chambre pour vous. Faites
comme vous voudrez. » Le loup est fatigue. Il
entre, se jette sur le lit, s'endort et ronfle. Alors
on met le feu à la case. La tête du loup fait
« banme ! »
Le loup mon, ils prennent tout ce qu'il y avait
dans le panier.
ZISTOIRE PTIT ZEAN I53
Zaute arranze éne ptit lacase en paille. Loulou
arrivé, li dire : « Mais Ptit Zean pas fine vine ici
av mo femme? » Papa dire li : « Non, pas
encore ; mais vous capav aspère zaute morceau ;
rente dans lacase, alà éne ptit laçambe pour vous,
faire ça qui ous content. » Loulou fatigué ; li
rentré, li monte làhaut lilit, li dourmi, li ronflé.
Lhére là zaute mette difé dans lacase, latête loulou
faire banme !
Loulou mort, zaute gagne tout ça qui té dans
panier.
®®®^®^^®®®®®^
XIV
HISTOIRE DU LOUP
Q.UI VOULAIT BRULER SA FEMME
^L y avait une fois une demoiselle qui de-
vait se marier avec un monsieur très
riche. Le frère de la jeune fille était un
garçon malingre, laid comme un pou ; il louchait,
il avait la gale, il avait les jambes torses, il avait
sur le dos une bosse énorme; mais c'était un
malin chien, vous dis-je, une fine lame. Au mo-
ment où l'on part pour l'église, il tire sa sœur
par sa robe et lui dit : « Ma sœur, n'épouse pas
cet homme-là : c'est un sorcier. » La jeune fille lui
répond tout en colère : « Eh toi, galeux ! veux-tu
bien lâcher ma robe ! » On part, le mariage se
fait.
Le frère suivit la sœur chez son mari ; mais on
ne veut pas lui donner une chambre dans la mai-
® ®® ^® ^^s#® ® ® ®
XIV
ZISTOIRE LOULOU
QUI TÉ VOULÉ BOURLE SO FEMME
tr^-rryi ena ene fois ene mamzelle qui te pour
Mi^ marie av ene missie rice rice même.
'^s^\ So frère ça mamzelle là té éne faye
garçon, vilain coment si pas, cave louce, plein
lagale, lazambe torte, gros gros bosse dans lédos,
mais malinbougue, mo dire vous, couteau même.
Côment zaute pour aile léglise, li hisse hisse robe
so seir, li dire li : « Mo seir, napas marié jça
doumoune là, éne sourcier ça! « Mamzelle en
colère, li dire li : « Et toi, lagale; to vlé largue
mon robe! » Zaute allé, zaute marié.
Ça garçon là sivré son seir lacase son mari;
mais zaute napas voulé donne li éne laçambe dans
156 HISTOIRE DU LOUP
son de peur de la gale, et on le fait coucher à la
cuisine.
Quelque temps après, un jour que son mari
changeait de linge, la jeune femme le regarde et
demeure interdite : son mari avait une longue
longue queue velue comme la queue d'une maque
malgache. Elle lui demande ce que c'est : « Rien
du tout, dit le mari, c'est un présent de ma mar-
raine. » La femme a peur. Le soir, quand ils
sont couchés, le mari sort du lit, ouvre la porte
sans faire de bruit, et va dans la cour.
Le lendemain matin, la femme va causer à la
cuisine avec son frère, et son frère lui dit : « Ton
mari est un sorcier, toutes les nuits il fait le
sabbat avec ses amis. Ce soir, si tu veux, je t'at-
tacherai au bout du pied un long fil; quand ils
commenceront leurs pratiques je tirerai sur le fil
et tu verras. «
Au coup de minuit, la femme sent qu'on tire
le fil ; elle se lève et regarde par le trou de là
serrure. Au milieu de la cour il y avait un grand
feu. Son mari et huit autres loups, ses amis,
étaient assis autour. Voilà un des loups qui
tire du feu un charbon ardent, et le met à
part ; un second loup prend un autre charbon et
le met avec le premier, et tous les loups font la
même chose. Quand tous les charbons forment
un tas, un des loups dit au mari : « Il faut brûler
ZISTOIRE LOULOU I57
grand case, pengare lagale, zaute mette li dourmi
lacousine.
Morceau létemps passé. Ene zour, cornent so
mari après çanzé, zéne femme là guette li, li
saisi : so mari té iéna éne longue longue laquée
(couvert poil) côment éne laquée maque malgace.
Li dimande li qui çaça, mari dire li : « Narien ;
mo marraine qui té donne moi ça. « Femme là
peir. A soir, côment zaute après dourmi dans
lilit, mari levé, ouvert laporte doucement, dou-
cement, li sourti dans lacour.
Lendimain bomatin li aile cause lacousine av
son frère, son frère dire li : « To mari éne sour-
cier, tout lanouite li faire diabre av so camrades.
A soir, quand to voulé, mo va amarre éne longue
difil dans ton boute lipied ; Ihère zaute va com-
mence faire zaute sourcier mo va hisse difil là, to
va trouve zaute. » Côment minouite sonne dans
pendile, femme senti difil tire tire son lédoigt li-
pied ; li levé, li guette dans trou serrire. Dans
milié lacour ti éna éne grand difé ; son mari same
so camrades, houite loulous, té assise à cote ça
difé là. Avlà éne loulou tire éne çarbon dans difé,
li mette av çarbon son camrade ; zaute tout faire
comme ça. Lhére tout ça carbons là en tas, éne
loulou dire mari ça femme là : « Faut bourle to
femme ! » Ségond loulou dire : « Faut bourle to
femme ! » Tous loulous crié : « Faut bourle to
158 HISTOIRE DU LOUP
ta femme! » Et tous les loups de crier : « Il
faut brûler ta femme ! il faut brûler ta femme ! »
La malheureuse, derrière la porte, est sur le point
de s'évanouir, tant elle a peur. Le mari répond
aux autres loups : « Attendez ! dans trois jours. »
Le lendemain de grand matin au chant du coq,
la femme va à la cuisine. Elle raconte à son frère
ce qu'elle a vu et lui dit en pleurant : « Mon
frère, mon bon petit frère, sauve-moi ! « Son
frère répond : « Écoute : il faut que nous retour-
nions chez nous. Dis à ton mari que papa et
maman doivent donner un grand bal demain soir,
et qu'il faut que nous y allions; tu ajouteras que
lui et tous ses amis sont invités également. Le
loup est tout joyeux. Il dit à sa femme d'aller
devant avec son frère, que lui et ses amis arrive-
ront au coucher du soleil.
Une fois rendue chez sa mère, la jeune femme
fond en larmes et raconte à son père et à sa mère
quelle espèce de mari elle a épousé. Son père la
console et lui dit : « Laisse-les venir ! ils verront
comment je les arrangerai! «
Le loup arrive avec ses amis. Le bal commence,
et tous dansent tant et tant qu'ils n'en peuvent
plus. Quand l'heure arrive d'aller se coucher, la
femme du loup lui dit : « Je vais prendre la
moitié du ht de ma petite sœur. Papa a fait pré-
parer un pavillon pour vous et vos amis ; on a
ZISTOIRE LOULOU 1)9
femme ! faut bourle to femme ! » Malhéreise là
derrière laporte manque vine faibe, si tant li
gagne peir. So mari dire zaute : « Aspéré : dans
trois zours ! »
Lendimain grand bomatin coq çanté, femme
aile lacousine, li raconte son frère ça qui li fine
trouvé, li ploré, li dire : « Mon frère, mon bon
ptit frère, sauve mon lavie ! » Son frère dire li :
«. Acouté : faut nous tourne nous lacase ; dire to
mari comme ça qui papa av manman pour donne
grand grand bal dimain asoir, et qui nous bisoin
allé ; dire li qui li oussi li doite vini sembe tout
son camrades. » Loulou content, li dire so
femme aile divant av son frère, li same camrades
zaute va vini soleil coucé.
Lhère zaute fine arrive lacase manman, pauve
femme là ploré, li raconte son papa av so maman
qui zespèce mari li fine gagné. Papa console li,
dire li : « Laisse zaute vini, zaute va trouvé qui
magnière mo pour arranze zaute. «
Loulou sembe so camrades vini. Bal com-
mencé; zàute tout dansé, dansé zisqu'à lassé.
Lhère pour aile dourmi, femme loulou dire li :
(( Mo pour aile dourmi lilit mo ptit seir, papa
fine arranze éne pavion pour vous same vous
camrades ; fine mette moustiquaires dans lilits.
l6o HISTOIRE DU LOUP
mis des moustiquaires aux lits de peur des mous-
tiques, on a mis de l'huile de pétrole de peur des
punaises ; allez dormir, demain matin je vous
porterai à tous votre café. »
Tous les loups vont se coucher ; le sommeil
cloue leurs paupières. Le pavillon était partout
enduit d'huile de pétrole, et sous chaque lit il y
avait des paquets de poudre. Quand les loups
sont dedans, on cloue sur eux portes et fenêtres,
et on met le feu au vétiver du toit. Soudain on
'entend : boum ! boudoum ! boum ! boumm !
c'était le loup qui sautait avec ses amis. Et la
femme de dire : « Jamais paquets de pétards ne
m'ont autant amusée à tirer. «
Les n°5 XIII et XIV sont deux versions d e la même histoire.
Nous les donnons toutes les deux rapprochées à dessein, pour
ZISTOIRE LOULOU l6l
pengare moustiques ; fine mette dilhouile pétrole,
pengare pinaises ; aile dourmi ; dimain bomatin
mo va amène zaute zaute café. »
Tout loulous aile dourmi; someye av zaute,
zaute lisiés colé. Pavion là té frotté tout partout
sembe dilhouile pétrole, enbas tout lilits té mette
paqués lapoude. Loulous làdans, zaute couloute
laporte av lafenète par en dohors, zaute mette
difé dans vitiver faitaze. Ene coup là zaute tende
boum ! boudoum ! boum ! boumm : té loulou qui
té saute en lair av son camrade. Femme là dire ;
« Zamais mo té amisé comme ça quand mo té
tire paquets pétards. »
que le lecteur voie à l'œuvre le conteur créole recréant le conte
qu'il ne peut retrouver intégralement dans sa mémoire.
^^.
U
®s^@@©s©s©®©@©©
XV
HISTOIRE DE L'ŒUF, DU BALAI
ET DE LA SAGAÏE
;L y avait une fois une jeune fille qui était
jolie, jolie, absolument jolie. Tous vou-
laient l'épouser, elle n'avait qu'à choisir;
mais tous les prétendants, elle les repoussait,
qu'ils fussent beaux garçons, riches ou éloquents.
Non, disait-elle. Son père la grondait, sa mère
aussi ; mais elle répétait non, non et non, c'était
un parti pris. La jeune fille avait en tête une
idée : « Je ne me marierai, se disait-elle, qu'avec
un roi qui aura une plaque d'or par derrière et
qui viendra demander ma main dans une voiture
magnifique doublée de satin bleu et parsemée de
clous de diamant. »
Un jour, la jeune fille entend un bruit dans la
cour ; elle regarde par la fenêtre, que voit-elle ?
©©©@©®©®@s^©@©®
XV
ZISÏOIRE DIZEIF, BALIÉ
AV SAGAÏE
^a*i-^^i ena ene fois ene zene fille qui te zoli,
M [j^ zoh, zoli même. Tout missiers te voule
^5^1 marié ave li, li té gagne nèque lapeine
çosiré ; mais tout zènezens qui vini, quamême
zoli, quamême rice, quamême lorateir, li poussé,
li dire non. Son papa gronde li, so manman
gronde li, mais touzours li dire non, non, non; li
bitte même. Ça zène fille là ti éna so lidée. Li té
mazine dans so léquer : « Zamais mo pour marié
nèque avec éne léroi qui va gagne éne plaque lor
par derrière, et qui va vine dimande mo lamain
dans éne belle belle calèce doublé satin blé sambe
plein coulous diamant làdans. »
Ene zour zène fille là tende tapaze dans lacour,
li guette par lafenête, qui li trouvé? Éne belle ca-
164 HISTOIRE DE l'œUF, DU BALAI, ETC.
Une belle voiture de satin bleu et parsemée de
clous de diamant. Un jeune homme descend de
la voiture : il avait une plaque d'or par derrière !
Il entre sous la varangue et dit au père et à la
mère de la jeune fille : « Je suis roi, je viens
épouser votre fille, demandez-lui si elle y consent. »
Cette fois la jeune fille répond : « Oui, papa, j'y
consens. » On va à l'église, on se marie. La noce
finie, les nouveaux mariés montent en voiture.
Fouette cocher ! et l'on part ; mais cette voiture-
là n'a pas besoin de fanaux : les clous de diamant
donnent autant de lumière que douze lampes à
pétrole de chez M. Maurel.
La jeune femme se trouve bien heureuse dans
sa nouvelle maison : de belles robes, de grandes
chambres, une table excellente. Tous les matins
on lui apporte une grande tasse de café au lait
dans son lit. Elle n'avait qu'un regret, celui de
voir souvent son mari la laisser seule deux, trois
et quatre jours, sous le prétexte d'aller chasser le
cerf ou le cochon marron.
Un matin qu'elle était seule dans son lit à
boire son café, voilà qu'une petite souris saute
sur le lit. Elle veut la chasser, mais la souris
regarde le café et reste. La jeune femme la chasse
de nouveau ; la petite souris lui dit : « Ne me
chassez pas, j'ai fiùm ; donnez-moi une cuillerée
de votre café, le bon Dieu vous le rendra. » La
ZISTOIRE DIZEIF, BALIÉ AV SAGAÏE 165
lèce doublé satin blé sambe plein coulous diamant
làdans. Ene zène homme sourti dans calèce, li té
gagne éne plaque lor par derrière! li ente enbas
lavarangue, li dire papa av manman ça fille là :
« Mo éne léroi, mo vini pour marié av vous
fille, dimande li sipas li content. » Ça coup là
zène fille dire : « Si fait, papa, mo content. »
Zaute aile léglise, zaute marié. Mariaze fini, zaute
monte dans calèce; pique couvai, zaute allé; mais
calèce là pas bisoin fanal, coulous diamant donne
lalimière côment douze lalampes dilhouile pétrole
Msié Maurel.
Zéne fille là bien content dans so nouveau
lacase : belle belle robes, grand laçambe, bon
nouritire, Tout lébom.atin amène li éne grand
tasse café au lait dans so lilit; mais domaze sou-
vent so mari quitte li tout sél pendant dé, trois,
quate zours, li dire li aile laçasse cerfe ou bien
laçasse cocon marron.
Ene zour bomatin, cornent li té tout sél dans
lilit après boire café, alà éne ptit souris saute
làhaut lilit. Li vlé pousse li, mais ptit souris
guette café au lait là, li resté. Zéne femme là
pousse li encore ; ptit souris dire li : « Napas
pousse moi, mo faim ; donne moi éne couyère
vous café, Bondié va soulaze vous. » Zène femme
l66 HISTOIRE DE l'œUF, DU BALAI, ETC.
jeune femme avait bon cœur : elle donne à la
souris une cuillerée de café et de pain.
Huit jours se passent , le mari ne revient pas
et chaque matin la souris vient chercher son pain
et son café. Le matin du neuvième jour, pendant
qu'elles mangeaient toutes les deux, le facteur
apporte une lettre. C'était une lettre du mari
pour dire qu'il revenait le soir, de faire cuire un
bon dîner, de tirer du vin de la cave : il ramenait
beaucoup d'amis à dîner. La femme toute joyeuse
dit à la souris : « Il faut que je me lève pour
aller donner des ordres. » La souris lui dit : « Je
t'aime parce que tu as bon cœur et que tu m'as
donné du café. Eh bien ! écoute-moi attentivement.
Ce soir, à minuit, sors de ton lit et regarde par
le trou de la serrure; demain nous causerons. »
Et la souris s'en va.
Dans l'après-midi, le mari arrive avec ses
amis. On boit, on mange, on chante, on rit, on
plaisante. Le mari dit à sa femme : « Il se fait
tard, j'ai peur que tu ne sois fatiguée, va te cou-
cher, nous devons rester à nous amuser entre
amis. » La femme rentre dans sa chambre ; mais
quand minuit sonne à la pendule, elle se lève et
regarde par le trou de la serrure. La lune était
claire, le mari et ses camarades dansaient au
milieu de la cour. Ils avaient tous quitté leurs
vêtements, leurs corps étaient couverts de longs
ZISTOIRE DIZHIF, BALIÉ AV SAGAÏE l6j
là bonquér, li donne souris éne couyère café av
dipain.
Houite zours passé ; mari napas tourné, et bo-
matin touzours souris vine rode son dipain av
café. Bomatin là cornent zaute après manzé, fac-
teir amène lette ; té éne lette mari qui té dire li
pour tourne àsoir, couit bon manzé, tire divin
dans lacave, li pour amène éne bande camrades
diné. Femme content, li dire souris : « Mo bisoin
levé pour aile donne zordes. « Souris dire li :
(c Mo content toi à cause to bon quér et to té
donne moi café ; ah ben coûte bien ça qui mo
té donne moi café ; ah ben coûte bien ça qui mo
causé : àsoir, minouite, sourti dans lilit et guette
dans trou sérire, dimain bomatin nous va causé. »
Souris allé.
Lhére tantôt, mari av so camrades arrivé,
boire, manzé, çanté, rié, faire farces. Mari dire
so femme : « Li comence tard, pengare to fatigué
aile dourrai, nous pour reste badine badiné. »
Femme rente dans so laçambe ; mais coment mi-
nouite sonne dans pendile, li levé, li guette dans
trou sérire. Laline clair ; mari av camrades dansé
dans milié lacour; zaute tout fine quitte zaute
linze : longue longue poils làhaut lécorps;
zaute fine tire zaute plaques lor par derrière,
zaute tout laquée en lair coment laquée ç.ute qu
l68 HISTOIRE DE l'œUF, DU BALAI, ETC.
poils ; ils avaient ôté leurs plaques d'or par
derrière, et tous avaient la queue dressée comme
la queue d'un chat qui se frotte contre le pied
d'une table. C'était une bande de loups ! La
malheureuse femme est obligée de s'appuyer
contre la porte pour ne pas tomber. Mais elle se
force au courage, elle regarde, elle écoute. Voilà
qu'un loup commence à chanter : « Mangeons ta
femme ! mangeons ta femme ! » Le mari qui est
au milieu de la ronde saute et chante : « Pas
encore ! pas encore ! laissez-la engraisser ! laissez-
la engraisser ! « La femme a trop grand peur, le
cœur lui faut. Elle se remet au lit et réfléchit.
Et elle entendait toujours la voix de son mari
qui chantait : « Laissez-la engraisser ! laissez-la
engraisser ! « Elle tâtait ses jambes, elle tâtait ses
bras et avait honte qu'on osât dire que son corps
était maigre.
Le lendemain matin la souris ne vint pas, et la
pauvre femme ne savait quoi faire. A l'heure du
déjeuner, son mari l'appela ; elle ne voulut pas aller
manger de peur de devenir grasse et elle lui dit
qu'elle était malade, qu'elle avait la migraine. Le
mari gronda ; mais il la laissa faire et se rendit à
la salle à manger d'où il lui envoya un régime de
bananes afin qu'elle eût à manger quand son mal
de tête serait passé. Seule dans sa chambre, la
femme pleurait, se lamentait : « Hélas, ma mère !
ZISTOIRE DIZEIF, BALIÉ AV SAGAÏE 169
frotte lécorps dans lipied latabe ! Té éne banne
loulous ! Malhérése femme là blizé appiye dans
laporte pour napas tombé. Mais li tchombo so
léquér, li guété, li coûté. Ala éne loulou comence
çanté : « Anons manze to femme ! anons manze
to femme ! « Zaute faire laronde, zaute tout
çanté : « Anons manze to femme ! anons manze
to femme ! » Mari dans milié laronde saute saute
enlair, çanté : « Napas encore! napas encore!
laisse li vine gras ! laisse li vine gras ! » Femme
peir, so léquér aile loin ! Li tourne dans son lilit,
li maziné. Li tende lavoix so mari qui après
çanté : « Laisse li vine gras ! laisse li vine gras ! »
Li tâte so lazambes, li tâte so lébras ; li honte
quifaire doumounde capave dire son lécorps
maigue.
Lendimain bomatin souris napas vini ; pauve
femme là napas coné qui li va faire. Lhére dizné
mari appelle li pour manzé; li pas vlé, pengare li
vine gras, li dire li malade, lamigraine ave li.
Loulou grogné ; mais li quitte li, li aile lasalle
manzé, li envoyé li éne rézime bananes pour
manzé quand so malade latête va fine passé.
Femme tout sél dans so laçambe ploré, ploré :
« Ayo, maman! âcôte vous? Qui faire mo té
quitte vous lacase ? àcôte vous, mo manman !
lyO HISTOIRE DE L'ŒUF, DU BALAI, ETC.
OÙ êtes-vous ? Pourquoi ai-je quitté votre maison !
Où êtes-vous, ma mère ? Ces gens-là veulent me
manger ; qui me sauvera la vie ? Petite souris,
petite souris ! ayez pitié de moi, petite souris ! ne
me laissez pas tuer, petite souris ! »
Tandis qu'elle pleurait ainsi, la nuit arrive. Le
mari et ses amis recommencent à danser dans la
cour ; la peur fait claquer les dents de la mal-
heureuse. Soudain il lui semble qu'on lui cha-
touille le pied : « C'est moi, ta petite souris,
n'aie pas peur. Ferme les volets de bois, de peur
que de la cour on ne voie ce que nous allons
faire. » La femme se lève et ferme les volets.
Lorsqu'elle se retourne, la chambre est tout
éclairée et la petite souris s'est changée en une
belle dame avec une robe couleur d'étoiles et
c'était sa robe qui répandait toute cette clarté. La
belle dame lui dit : « Le moment est venu de te
sauver : écoute-moi bien. Voici un balai, un œuf
et une sagaïe ; fuis chez ta mère, tous les loups
se mettront à ta poursuite. Quand tu les verras
sur le point de t'attraper, jette l'œuf derrière ton
dos, mais sans détourner la tête, cours toujours.
Les loups seront forcés de s'arrêter un bon mo-
ment ; mais ils arriveront de nouveau derrière
toi, jette le balai. Pour la troisième fois jette la
sagaïe et tu arriveras enfin à la maison de ta mère.
Tu as entendu ; n'oublie rien. Allons ! pars. »
ZISTOIRE DIZEIF, BALIÉ AV SAGAÏE I7I
Zense là voulé manze moi ; qui va sauve mo
lavie? Ptit souris, ptit souris! pitié moi, ptit
souris ! napas laisse zaute touye moi, ptit sou-
ris ! ))
Côment li après ploré là, lanouite vini ; mari
sambe camrades commence encore zaute dansé
dans lacour; lédents malhérése là claqué à force
li peir. Ene coup là li senti coma dire çatouille
çatouille so lipied : « Moi ça, ton ptit souris :
napas bisoin peir; fréme lafenète dibois pengare
zense dans lacour trouve ça qui nous pour
faire. « Femme levé, fréme lafenète dibois.
Cornent li tourné, alà éne grand clairté dans
laçambe, et ptit souris là fine vine éne belle
madame ave éne robe couleir zétoiles ; ça robe là
qui té donne lalimière. Madame dire li : « Lé-
temps pour to sauvé àçthére là; coûte moi bien.
Avlà éne balié, éne dizeif av éne sagaye; ga-
loupe lacase to manman; tout loulou vasivré toi;
Ihére to va voir zaute pour tchombô toi, zette ça
dizeif là derrière to lédos, mais to napas bisoin
tourne latète, taillé même ; loulous va blizé
arrête bon morceau létemps ; mais zaute va arrive
encore derrière toi, zette balié ; troisième fois,
zette sagaye : ça fois là to va arrive lacase to
manman. To fine tende ; napas bliie narien : allé ! »
Femme là dire li merci, li ouvert laporte douce-
172 HISTOIRE DE L ŒUF, DU BALAI, ETC.
La femme la remercie, ouvre doucement la porte
et s'enfuit.
Quand elle s'est sauvée, la fée prend sur une
chaise une chemise et un peignoir, elle prend le
régime de bananes que le loup avait envoyé à sa
femme, habille le régime de bananes comme une
personne, le couche dans le lit, tire la couverture
dessus et s'en va.
Le loup entre dans l'obscurité et vient douce-
ment au lit pour voir si sa femme est devenue
grasse et est bonne à manger. Sa main rencontre
le régime de bananes, il pèse, il appuie ; les
bananes sont mûres et s'écrasent à la grande sur-
prise du loup. Il se demande ce que ça veut dire:
il tâte encore, les bananes sont mûres et s'écra-
sent. Le loup porte la main à son nez, sa main
sent la banane ! Il s'écrie : « Eh toi, ma femme !
réveille-toi donc, mais réveille-toi donc ! » Rien
ne bouge, la femme ne répond pas. Le loup saute
au bas du Ht, tire sa boîte d'allumettes de sa
poche, en frotte une, allume la bougie. Maman !
quand il voit comment sa femme s'est moquée de
lui, il fait un bond, pousse un hurlement et
appelle tousses amis. Ils sont furieux, franchissent
la porte et se mettent à poursuivre de toute leur
vitesse la femme qu'ils veulent tuer, faire cuire
et mano;er.
La femme, qui courait sur le chemin de la
ZISTOIRE DIZEIF, BALIE AV SAGAÏE 173
ment, doucement, li sauvé. Lafée là cornent
femme là fine sauvé, prend éne cimise av éne
peinoir qui té làhaut éne çaise, li prend rézime
bananes qui loulou té envoyé av so femme pour
li manzé, li habille rézime bananes là coment ene
doumounde, li mette li dourmi dans lilit, li tire
couvertire làhaut li, li allé. Loulou entré dans
noir noir, li approce doucement àcôte lilit, li
voulé tàte so femme, sipas li fine vine gras et li
bon pour manzé. Li senti rézime bananes là, li
croire so femme, li pèse pesé : banane mir, ba-
nane crasé. Loulou toné, li napas coné qui çaça ;
li tâte encore : banane mir, banane crasé. Loulou
senti so lamain, so lamain lodeir banane. Li
sacouye rézime bananes, li crié : « Eh toi, mo
femme, levé donc, mais levé donc ! « Narien
bouzé, femme napas réponde. Loulou saute enbas
liUt, li tire boite zallimettes dans son poce, li
frôté, li allime labouzie. Manman ! Ihére li fine
trouvé coment so femme fine baingne av li, li
saute en lair, largue éne guélé, appelle tout son
camrades. Zaute tout firié, saute laporte, vanné
même pour attrape femme là, touye li, couit li,
manze li.
Avlà femme coment li après couri dans cimin
174 HISTOIRE DE L ŒUF, DU BALAI, ETC.
maison de sa mère, entend derrière elle les
loups qui arrivent au galop. Elle tourne la tête :
ils viennent comme le vent, tout à l'heure ils
l'attraperont. Alors elle se souvient des paroles
de la fée, elle prend l'œuf et le jette derrière son
dos. L'œuf se casse et devient une mer : les loups
sont sur l'autre rivage. Que vont-ils faire ? Un
loup s'écrie : « Il faut que nous buvions toute
cette eau-là, puis nous la rejoindrons, nous la
tuerons, nous la mangerons ! » Tous se mettent
à boire, à boire, tant et tant que voilà la mer à
sec et ils passent. Mais voyez la malice de la fée,
c'était un œuf gâté et voilà cette eau qui se met
à gargouiller dans le ventre des loups ; ils ont la
colique et sont forcés de s'arrêter à chaque instant.
Mais rien n'y fait, ils se frottent le ventre et
reprennent leur galop.
La femme les entend arriver de nouveau. Mais
au moment où ils vont la saisir, elle prend le
balai et le jette derrière son dos. Le balai tombe,
c'était un balai de fataque, toute la fataque s'épar-
pille et se change en forêt. Mais ce n'est pas une
forêt de fataque, c'est une forêt de grands arbres,
bois de natte, bois d'ébène, bois d'olive, bois
puant, bois de fer, tacamaca, benjoin, colophane;
et les arbres sont serrés et rapprochés comme les
tiges de fataque dans la plaine. Les loups rencon-
trent la foret, que vont-ils faire ? Un loup
ZISTOIRE DIZEIF, BALIÉ AV SAGAÏE 17$
lacase so maman, H tende loulous galpé derrière
li ; li guété : loulous bourré même, zaute cornent
divent, talhère même va tchombo li. Alorse li
souvini ça qui lafée là fine dire li ; li prend dizeif,
li zette derrière so lédos. Dizeif cassé, vine éne
lamer ; loulous laute côté. Qui zaute va faire ?
Ene loulou dire : « Faut nous boire ça lamer là ;
après, nous va zoinde li, nous va touye li, nous
va manze li. » Avlà tout loulous boire, boire,
boire. Zaute sitant boire qui lamer baissé ; livine
séc, zaute passé. Mais guette malice ça lafée là :
té éne dizeif gâté, dileau là comence gargouille
gargouillé dans vente loulous'; colique av zaute,
tout moment zaute bisoin arrête arrêté. Narien !
Zoute frotte vente, zaute galpé.
Femme tende zaute vine encore ; mais cornent
zaute pour tchombô, li prend balié, li zette
derrière so lédos. Balié tombé, té éne balié fata-
que ; tout fataque là fané et pousse éne laforêt ;
mais napas éne laforêt fataque, éne laforêt grand
zarbes, bois de natte, bois débène, bois dolive,
bois piantj boisdfer, tacamaca, benzoin, colo-
phane et zarbes là serré, natté coment fataque
même dans laplainc. Loulous trouve ça laforêt
là ; qui zaute va faire ? Ene loulou dire : « Faut
nous coupe tout ça zarbes là ; après nous va
176 HISTOIRE DE l'œUF, DU BALAI, ETC.
s'écrie : « Il faut que nous abattions tous ces
arbres, puis nous passerons, nous l'atteindrons,
nous la mangerons ! » Voilà tous les loups qui
taillent, qui coupent, qui cognent. Les arbres
tombent, tombent, la plaine est devant eux, ils
passent.
Pour la troisième fois la femme entend les
loups arriver par derrière. La maison de sa mère
n'est pas loin, si les loups peuvent être retardés
un instant, elle arrivera, elle sera sauvée. Mais
derrière elle les loups viennent comme un coup
de vent. Quand elle voit qu'ils vont la saisir, elle
prend la sagaïe et la jette derrière son dos. La
sagaïe en tombant s'ouvre comme la queue d'un
dindon qui fait la roue ; cette seule sagaïe s'est
changée en mille sagaïes et le chemin des loups
est barré. Les loups s'élancent, les sagaïes les
piquent ; les loups poussent, les sagaïes leur
entrent dans le corps. Les voilà tous enfilés
comme des saucisses dans la boutique d'un char-
cutier chinois.
La femme arrive chez sa mère et lui raconte
par quelles épreuves cruelles elle a passé. La
bonne femme est si heureuse qu'elle s'écrie :
« Jamais, jamais plus je ne tuerai une souris ;
qu'elles mangent toutes mes pommes d'amour si
bon leur semble ! »
Le soir on donne un grand dîner. Comme tout
ZISTOIRE DIZEIF, BALIÉ AV SAGAÏE I77
passé, nous va zoinde li, nous va manze li. »
Avlà tout loulous taillé, coupé, cogné; zarbes
tombé, zarbes tombé; laplaine divant zaute,
zaute passé.
Troisième fois femme tende loulous arrive
derrière li. Lacase maman napas loin ; quand
loulous capabe tarde morceau, li va arrivé, li va
sauvé. Mais loulous derrière li coment coup de
vent. Coment li trouvé zaute pour tchombo li, li
prend sagaie, li zette derrière son lédos. Sagaye
en tombant ouvert coment laquée dinde qui faire
laroue; éne sagaye là fine vine mille sagayes,
cimin loulous barré. Loulous foncé, sagayes
pique zaute ; loulous forcé, sagayes ente dans
zaute lécorps : zaute tout enfilé coment saucisses
dans la boutique camela vende la viande cocon.
Femme là arrive lacase so manman, li raconte li
tout ça bande lamisère qui li fine passé. Bonne-
femme si tant content qui li dire : « Zamais mo
pour touye éne souris encore ! laisse zaute manze
tout mo pommedamour quand zaute content ! »
Asoir donne grand diné ; tout doumounde
12
lyS HISTOIRE DE l'œUF, DU BALAI, ETC.
le monde est invité, je me figure qu'on m'a
oublié : je veux m'asseoir à table, on tire la
chaise de derrière moi, je tombe et roule ici.
Le canevas n'est pas de nous, mais les broderies. Le conte est
ZISTOIRE DIZEIF, BALIÉ AV SAGAÏE 179
invité ; mo croire zaute fine blie moi ; mo vlé
sise à tabe, zaute tire çaise derrière moi, mo
tombé, mo roule ici.
répandu : nous en avons trois versions s'écartant peu l'une de
l'autre.
if)®'
XVI
HISTOIRE DES aUATRE CLOCHES
|L y avait une fois un jeune homme qui
ivait épousé une jeune fille. Comme il
1^-^ devait aller travailler dans un champ de
cannes assez éloigné de sa case, il donna à sa
femme quatre cloches : une cloche de cuivre, une
cloche d'argent, une cloche d'or et une cloche de
diamant. Puis il lui dit : « Ecoute-moi bien.
Quand tu voudras me voir revenir à la maison
pour me dire quelque chose, tu sonneras la
cloche de cuivre ; quand tu seras pressée, sonne
la cloche d'argent ; si tu as vraiment besoin de
moi sonne la cloche d'or ; mais pour cette cloche
en diamant, ne la sonne jamais que si quelque
danger terrible te menace. »
La jeune femme, qui aimait bien son mari lui
répondit : « C'est bon ! je ferai ce que tu vou-
dras, » Là-dessus ils s'embrassent bien fort, et le
mari s'en va à son travail.
^ '23\«l»/' "-i, 'j^ VTi^ ,J!. 'i-, 'iZ'ZA. ,--\ V-> J-ICt. ,-^ -,;-> _K:-it. --<. >^ JJ i^ ^
XVI
ZISTOIRE QUATE LACLOCES
^'-^\ I éna éne fois éne zéne homme qui ti
m
Çdi marié sembe éne zéne fille. Cornent li
J^^r^4 té pour travaille dans éne carreau cannes
morceau loin so lacase, li donne so femme quate
lacloces : éne lacloce couivre, éne lacloce larzent,
éne lacloce lor, éne lacloce diamant. Acthére là
li dire li : « Coûte bien : quand to va vlé mo
tourne lacase pour dire moi quiqueçose, sonne
lacloce couive ; quand to va pressé, sonne lacloce
larzent ; quand to va bisoin même mo rentré,
sonne lacloce lor ; mais ça latloce diamant là, to
tende, zamais zamais sonné, néque Ihère grand
grand malhor av toi. » Ça zéne femme là qui
ti bien content son mari dire : « Bon ! mo va fére
ça qui to voulé. » Lhére là zaute dé bien em-
brassé, après ça mari aile dans so louvraze.
l82 HISTOIRE DES QUATRE CLOCHES
Quand la jeune femme se trouva toute seule
à la maison sans avoir rien à faire, elle alla,
elle vint, se jeta sur son lit, se releva, bref,
le temps lui parut bien long et elle s'ennuya
fort. Qiie faire? Elle sonna donc la cloche
de cuivre. Son mari accourut et lui dit :
« ivlais, qu'y a-t-il donc ?» — « Rien, je
m'ennuyais toute seule. » Le mari secoua la tête :
« Mon enfant, ce n'est pas bien de déranger les
gens de leur ouvrage ! » Comme le soleil était
encore à moitié de sa course, le mari retourna
aux champs.
Le lendemain, la femme se remit à sonner la
cloche de cuivre. Personne ne vint. Elle sonne
la cloche d'argent. Le mari entend la cloche
d'argent et arrive en courant de peur que sa
femme n'ait quelque chose de pressé à lui dire.
« Me voilà ! que me veux-tu ?» — « Rien, je
m'ennuyais toute seule. » — « Tu plaisantes, je
crois ! laisse donc travailler le monde ! « et il
retourne à son ouvrîge.
Le troisième jour, la cloche de cuivre sonne :
rien. La cloche d'argent : rien encore. La cloche
d'or sonne... le mari entend la cloche d'or; il
laisse là son travail, il arrive en courant à toutes
jambes, il craint que sa femme ne soit malade :
« QjLi 'as-tu ? Parle, qu'as-tu donc ?» — « Rien,
je m'ennuyais toute seule. » Le mari n'ajoute pas
ZISTOIRE Q.UATE LACLOCES 183
. Lhére zéne femme là tout sél dans lacase,
narien pour fère, li viré, li vireviré, li zette so
lécorps, létemps longue av li, li ennouyé même.
Qui li a fère ? Ene coup là li sonne lacloce couive ;
son mari vini, li dire li : « Mais qui éna donc ? »
— « Narien, mo té ennouyé tout sel, » Mari
sacouye latète : « Et toi, pitit, napas bon déranze
doumoune dans solouvraze. « Soléye encore
dans mitan, mari tourne dans carreau.
Lendimain, femme là sonne encore lacloce
couive. Narien vini ; li sonne lacloce larzent.
Mari tende lacloce larzent là, li couri même,
quiquefois so femme gagne quiqueçose pressé
pour dire li. « Avlà moi, qui to bisoin ?» —
c( Narien ; mo té ennouyé tout sél. » — « To
fère farce, hein ? Laisse dimounde travaille. » Li
tourne dans louvraze.
Troisième zour, lacloce couive sonné : narien
vini ; lacloce larzent sonné, narien ; lacloce lor
sonné... mari tende lacloce lor, li quitte louvraze,
li taillé même : pendgare so femme malade.
« Qui to éna, causé, qui to éna ? — « Narien ;
mo té ennouyé tout sél. » Mari, mo dire vous,
l84 HISTOIRE DES QUATRE CLOCHES
un mot, il reprend son chapeau, tourne le dos et
s'en va.
Le quatrième jour : dingue, dingue, la cloche
de cuivre sonne : rien. Dangue, dangue, la clo-
che d'argent sonne : rien ne bouge. Dongue,
dongue, dongue : c'est la cloche d'or : rien ne
vient. Dongue, dongue, dongue... rien ne vient.
Bzinne ! bzinne ! bzinne ! la cloche de diamant !
Le mari fait un bond : « Il y a un malheur à la
maison ! Il court, il vole, il s'élance dans la
maison : N'aie pas peur, me voici ! n'aie pas
peur, ma femme ! « La femme en riant : « Mais
qu'as-tu donc ? es-tu fou ? crois-tu que le feu est
à la maison? Il n'y a rien, c'est moi qui m'en-
nuyais toute seule. » Le mari sent sa bouche
amère. Quelle colère, vous dis-je ! Il la saisit par
les deux mains, et la secouant : « Malheureuse !
malheureuse ! tu t'es jeté un mauvais sort à toi-
même ! un grand malheur va fondre sur toi, tu
verras ! » Il tombe sur une chaise, et la tête entre
ses mains, il réfléchit.
Deux ou trois mois se passèrent.
Un jour, la femme était assise sur une natte
dans sa chambre et mangeait des varangues. Elle
tourne soudain la tête et aperçoit un animal
énorme, debout sur le pas de la porte. Elle a peur
et sonne la cloche de cuivre. L'animal entre et
monte sur la natte. La femme sonne la cloche
ZISTOIRE aUATE LACLOCES l8$
napas dire narien ; li pèse so çapeau, li tourne
lédos, li allé.
Quatrième zour, dingue, dingue, lacloce couive
sonné : narien. Dangue, dangue, lacloce larzent
sonné, narien bouzé. Dongue, dongue, dongue,
lacloce lor narien vini. Dongue, dongue, don-
gue... narien vini. Bzinne ! bzimie ! bzinne !
lacloce diamant ! Mari saute en lair : « Malhor
dans lacase ! » Li vanné, li bourré même, li
arrive lacase, li foncé : « Napas peir, avlà moi,
mo femme ! napas peir, avlà moi ! » Femme
néque rié : « Mais qui to éna donc ? Coma dire
to fou ; qui to croire ? Difé dans lacase ? Narien
ici; moi-même qui té ennouyé tout sél. » So
mari labouce amer ; manman ! napas pèle en
colère ça. Li tchiombô li dans so dé lamains, li
sacouye li : « Malhérèse, malhérèse ! to fine
mette mofine làhaut toi ; grand grand malhor
pour arrivé, to a guété ! « Li tombe làhaut caisse,
latéte dans so lamains ; li maziné !
Sipas dé mois, sipas trois mois passé.
Ene zour, ça femme là té assise làhaut so
natte dans so laçambe, après manze varangues.
Avlà éne coup li tourne latéte, li voir éne grand
zanimaux diboute dans laporte. Li peir, li sonne
lacloce couive. Zanimaux là entré, li monte
làhaut natte ; femme sonne lacloce larzent. Ça
l86 HISTOIRE DES QUATRE CLOCHES
d'argent. C'était un loup. Il s'assied à côté de la
malheureuse et la regarde. La femme sonne la
cloche d'or. Le loup la regarde avec des yeux
terribles, se jette sur elle et lui crie : « Je veux
te manger ! » La pauvre femme, folle de terreur,
se sauve à l'autre bout de la chambre et sonne
la cloche de diamant. Le loup la poursuit ; ils
tournent autour de la table en renversant les
chaises ; mais la femme a beau sonner, personne
ne vient. Le loup l'attrape et l'avale.
Le soir, sa journée finie, le mari revient à la
maison. 11 entre, il voit tout ce désordre : les
chaises par terre, la table renversée, toutes les
cloches avec leurs cordes cassées. Il se doute
qu'il est arrivé un malheur. Il appelle sa femme,
l'appelle encore ; la femme ne répond point. Il
va dans la cour, il cherche, il crie... rien! Alors
il s'assied sur une grosse roche et pleure : « Ma
femme est perdue ! ma femme est perdue ! »
Cette nait-là, tandis qu'il dormait, il entend
comme un rat gratter le vétiver de son toit. Il
écoute : c'était en dehors, sur le faîte de la case.
Il sort, il regarde ; mais l'obscurité était profonde,
il ne voit rien. Il se demandait ce que ce pouvait
être, quand il entend une voix qui lui dit : « C'est
moi^ ça. » — « Qui, toi? » — « Moi, ton ami
Pailie-en-queue. « Il y avait environ trois ans,
un jour qu'il cherchait des goyaves dans la mon-
ZISTOIRE Q.UATE LACLOCES 187
té éne loulou ; li assise à côte ça malhéreise là,
li guette li ; femme sonne lacloce lor. Loulou
tire liziés av li, li fonce làhaut li, crié li : « Mo
vlé manze toi ! « Pauve femme là fou ; li sauve
laute boute laçambe, li sonne lacloce diamant.
Loulou sivré li ; zaute virevire autour latabe,
zaute çavire çaises ; femme là li beau sonné,
personne napas vini : loulou tcliiombô li, avale
li.
Lhére àsoir, quand fine lève louvraze, mari
tourne dans so lacase. Li entré, li voir tout ça
désorde là, çaises çaviré, latabe çaviré, tout
lacloces lacorde cassé, li gagne éne doutance
sipas malheir fine arrivé ; li appelle so femme, li
appelé, li apélé, femme napas réponde. Li sourti
dans lacour, li rôdé li crié.., narien ! Li assise
làhaut éne gros roce, li pioré : « Mo femme fine
perdi ! mo femme fine perdi ! »
Ça lanouite là, côment li après dourmi, li tende
coma dire éne lérat gratte gratte vitiver dans
faitaze ; li coûté : ça té par en dehors, làhaut
lacase. Li sourti, li guété ; mais té dans lamarée
noire, li napas trouve narien. Côment li après
maziné là, li tende éne lavoix qui causé : « Moi,
çà. » — « Qui, toi ? )) — « To camrade zozo
payenqui. » Té éna sipas dé trois bananées qui
ça garçon là, éne zour côment li té après rôde
HISTOIRE DES Q.UATRE CLOCHES
tagne, il avait empêché un singe de manger les
œufs du Paille-en-queue au bord d'un précipice.
« C'est moi, je sais où est ta femme. Si tu veux
la retrouver, suis-moi, il n'y a pas de temps à
perdre. » — « Mais comment pourrai-je te suivre
au milieu de cette obscurité ?» — « Je volerai à
ras de terre, mon corps est tout blanc, mes ailes
sont toutes blanches. Mais viens vite ; ce n'est
pas le moment de causer ! »
L'oiseau vole et l'homme le suit. Ils vont, ils
vont et arrivent au bord d'un immense fossé.
C'était ce fossé même qui servait de frontière
entre le pays des loups et le pays des hommes.
Le paille-en- queue cesse de voler, se pose sur un
pied de bois- de-natte et dit à son compagnon:
« C'est ici ! il nous faut attendre un moment.
Tout à l'heure les loups vont tous passer au
fond de ce fossé-là : tu verras celui qui a volé ta
femme. »
La mari s'assied, il se tait et regarde. Il était là
depuis un bon moment : ta, ta, ta, ta, ta, c'est un
loup qui vient. « Est-ce toi qui as pris ma
femme ?» — « Houn, whoun !» — « Ce n'est
pas lui, dit le paille-en-queue, laisse-le passer. »
Arrive un autre loup. « Ce n'est pas lui, laisse-
le passer. » Et les loups passent, passent, passent.
Soudain le paille-en-queue s'écrie : « Le voilà !
c'est lui, regarde son ventre ! » C'était un gros
ZISTOIRE QUATE LACLOCES 189
gouyaves dans lamontagne, té empéce éne zaco
manze dizéifs ça payenqui là dans rempart. « Moi
ça ; mo cône acote to femme ; quand to voulé
trouve li, sivré moi, napas létemps pour perdi. «
— « Mais côment mo va capabe sivré toi dans
noirnoir ?» — « Mo pour vole enbas enbas ; mo
lécorps tout blanc, mo lézailes tout blanc ; vine
éne fois, napas létemps pour causé açthère. »
Zozo envolé, garçon sivrè li. Zaute allé, zaute
allé, zaute arrive dans bord éne grand grand
fossé. Ça fossé là même qui té servi balizaze pour
péye loulous av péye doumoune. Payenqui
arrête volé, li pose làhaut éne pied boidenatte, li
dire garçon là : « Ici même ! nous bisoin aspère
morceau : talhére tout loulous pour passe dans
fond ça fossé là, to a trouve çenne qui fine volor
to femme. «
Mari assise, reste tranquille, guété, guété. Bon
moment li là : ta, ta, ta, ta, ta, éne loulou vini.
« Toi qui fine prend mo femme ?» — « Houn,
whoun ! » Payenqui dire : « Napas li, ça ; laisse
li passé. » Ene laute loulou vini : « Napas li ;
laisse li passé. » Loulous passé, loulous passé,
loulous passé. Avlà éne coup payenqui crié :
« Avlà li là, li même ça, guéte son vente. » Té
éne gros loulou noir, liziés côment difé, vente
190 HISTOIRE DES QJJATRE CLOCHES
loup noir ; des yeux de feu, un ventre de barri-
que. L'homme se jette sur lui, le paille-en-queue
saute sur sa tête : on le bat, on le pique, on
l'assomme. Le loup qui a peur qu'on ne le tue,
fait un effort et rend la femme.. Le mari est heu-
reux. Tandis qu'il embrasse sa femme, le loup
leur dit : « Désormais le diamant ne se rencon-
trera plus semé au hasard à la surface de la terre.
Pour l'avoir il faudra creuser des mines pro-
fondes. ^)
C'est depuis ce temps que le diamant est devenu
rare. Et pour n'en avoir qu'un tout petit mor-
ceau, les femmes doivent donner beaucoup d'or
et beaucoup d'argent.
Bien pauvre d'invention, s'il y a même invention, car le loup
qui rend intacte la femme avalée, on l'a rencontré et en Lor-
raine, au pays gallot et ailleurs encore sans doute. Mais quel-
ques détails sont de notre façon, et la moralité qu'au dénoue-
ZISTOIRE Q.UATE LACLOCES T9I
côment barrique. Garçon là lève av li, peyenqui
saute làhaut so latête, batte, piqué, pilé ; loulou
peir zaute touye li, li faire éne zefForl, li rende
ça femme là. Mari content ! Côment li après em-
brasse so femme, loulou dire zaute : « Açthère
là diamant naplis pour trouve bonavini làhaut
laterre ; pour gagné, va blizé fouille fond fond
même. »
Dipis ça létemps là diamant fine vine rare, et
pour gagne nèque ptit ptit morceau même,
madames blizé donne boucoup boucoup lor av
larzent.
ment le conteur met bien à l'iœproviste dans la bouche du
loup nous semble une trouvaille dont nul ne songera à lui
contester la propriété.
XVII
HISTOIRE DES SEPT COUSINS
ET DES SEPT COUSINES
iL y avait une fois un loup qui aimait à
HJ 1;^ manger les petits enfants. Dans ce pays-
là il y avait sept garçons qui avaient sept
cousines, et chacun en aimait une.
Un jour le loup rencontre celle des petites
filles qui aimait le plus jeune des garçons ; elle
cueillait des graines de brèdes dangole sur un
mur qui fermait une cour sur la rue. Il lui dit :
— Mon enfant, que faites-vous là toute seule
dans la rue ? Vous n'avez pas peur des chiens ?
Vous n'avez pas peur des loups ?
— Non, Monsieur. Je cueille des graines de
dangole pour mes grandes sœurs ; elles m'ont
dit qu'elles avaient besoin d'encre rouge pour
écrire en rouge dans leurs cahiers.
XVII
ZISTOIRE SEPTE COUSINS
AV SEPTE COUSINES
1 1 éna éne fois éne loulou qui té content
manze petit zenfants. Dans ça paye là ti
éna septe garçons qui ti éna septe cou-
sines, et chaquène ti content éne.
Alà éne zour ça loulou là trouve ptit fille qui
ti content plis pitit garçon, après rode lagrains
brède gandaule làhaut éne miraille lentouraze
dans larie. Li dire li :
— Mo zenfant, qui vous après faire tout seil
dans la rie ? Vous napas peir liciens, vous napas
peir loulous ?
Ptit fille là dire li :
— Non, missié ; mo après casse lagrains
gandaule pour mo grand seirs : zaute dire moi
zaute éna bisoin pour zaute faire lenque rouze
pour crire en rouze dans cahier.
13
194 HISTOIRE DES SEPT COUSINS
Le loup lui dit :
— C'est chez moi qu'il y a beaucoup de dango-
les, beaucoup de raquettes, beaucoup de mûres, tout
ce qu'il faut pour faire de bonne encre rouge !
Viens à la maison avec tes sœurs ; vous en pren-
drez autant que vous voudrez.
Le loup s'en va. La petite fille dit la chose à
ses soeurs.
Les enfants ignorent la peur ; ils ne connaissent
pas le danger. Le lendemain elles veulent aller
toutes chez le loup. Le plus jeune garçon, qui
s'appelait Petit Poucet, entend cela et leur dit :
— Eh vous ! prenez garde que cet homme-là
ne soit un loup, oui ! n'y allez pas, les enfants !
— C'est toi qui es un enfant, un capon, un
singe !
Elles le renvoient et partent.
Le lendemain. Petit Poucet retourne chez ses
cousines : la maison était vide. Il appelle ; per-
sonne ne répond. Il cherche ; peut-être s'amusent-
elles à jouer à cache-cache avec lui : il ne trouve
rien ! Alors il se met à pleurer et s'écrie :
— Je savais bien que c'était la maison d'un
loup ! Et le loup les mangeca si je ne trouve pas
le moyen de l'en empêcher.
Il retourne chez lui en courant, raconte la
chose à ses frères, et les voilà comme des abeilles
que l'on enfume : « Que faire, Petit Poucet ?
ZISTOIRE SEPTE COUSINS AV SEPTE COUSINES I95
Avlà loulou dire li :
— Dans mo lacase qui éna plein gandaule,
plein raquette, plein mirte, tout ça là qui bisoin
pour faire bon lenque rouze ! vine çacé av to
seirs, zaute a prend tant qui zaute content.
Loulou allé ; ptit fille dire ça av so seirs.
Zenfants zamais gagne peir, zaute napas conne
danzer. Lendimain, zaute tout voulé aile lacase
loulou. Plis pitit garçon, qui ti appelé Ptit Poucet,
tende ça, li dire zaute :
— Eh vous ! pengare ça doumounne là éne
loulou, oui ! napas allé, zenfants!
— Toi même qui éne zenfant, éne capon, éne
zacot !
Zaute pousse li, zaute allé.
Lendimain grand bomatin, Ptit Poucet tourne
lacase so cousines : lacase vide. Li appelé, per-
sonne napas réponde. Li rôde rôdé pengare zaute
zoué couc av li, li napas trouve narien ! Li co-
mence ploré, li dire :
— Mo té cône ça éne lacase loulou ! Loulou
là pour manze zaute quand mo napas trouve éne
magnière empéce li !
Li galpé so lacase, li raconte ça so frères ;
zaute cornent mouces dimiel dans lafimée : « Qui
nous va faire, Ptit Poucet? Qui nous va faire,
196 HISTOIRE DES SEPT COUSINS
Que faire, Petit Poucet ? » Petit Poucet s'assied
par terre et réfléchit. Soudain il se lève et leur
dit :
— N'ayez pas peur ! nous irons chez le loup,
nous le tuerons, et nous reprendrons nos sept
cousines.
Cependant les sept petites filles étaient arrivées
à la maison du loup : une maison magnifique ;
un jardin superbe avec toute espèce d'arbres,
toutes sortes de fleurs. Elles se promènent, elles
cueillent tout ce qui leur plaît. Quand l'heure
s'avance et que leurs jupes sont pleines, elles
veulent partir : la porte est fermée. Elles frappent,
elles crient, elles appellent : personne. La peur
les prend, elles se mettent à pleurer. Soudain
toute la maison s'allume en grand ; une bande
de loups sortent, les saisissent, les empor-
tent dans la maison et les enferment dans le
godon.
Pendant ce temps. Petit Poucet avait couru à
la boutique. Il achète du poisson salé et du riz,
en fait un paquet, retourne à la maison et dit à
ses frères :
— Allons, vous autres, partons ! il n'y a pas
de temps à perdre.
Ils marchent, ils marchent, et les voilà qui
rencontrent une charrette que traînait un petit
âne. Petit Poucet dit à ses frères :
ZISTOIRE SEPTE COUSINS AV SEPTE COUSINES I97
Ptit Poucet ? » Ptit Poucet assise par terre ; li
mazinc. Ene coup là li levé, li dire zaute :
— Napas bisoin peir ; nous va aile lacase ça
loulou là, nous va touye li, nous a prend nous
septe cousines !
Létemps là, ça septe ptit filles là té fine arive
lacase loulou : bel bel lacase, bel bel zardin, tout
qualité zarbes, tout qualité fleirs ! Zaute promené,
zaute casse tout ça qui zaute content. Lheire
tard, zaute zipes fine plein, zaute voulé allé :
laporte firémé ! Zaute batte laporte, zaute crié,
zaute apélé : personne vini, Zaute comence gagne
peir, zaute comence ploré : avlà éne coup tout
lacase allime en grand, éne bande loulous sourti,
tchiombo zaute, amène zaute dans lacase, fréme
zaute dans godon.
Létemps là Ptit Poucet té fine galoupe labou-
tique ; li acète posson salé av douriz, li faire éne
paquet, li tourne lacase, li dire av so frères :
— Anons allé, vous zaute ! napas létemps pour
perdi.
Zaute marcé, zaute marcé ; avlà zaute zoinde
éne çarette av éne ptit bourique. Ptit Poucet dire
zaute :
198 HISTOIRE DES SEPT COUSINS
— Si nous avions cette charrette-là, nous ne
nous fatiguerions pas.
La charrette appartenait à un méchant petit
malabar qui vendait du sable. Ils le bouscu-
lent, jettent le sable et montent dans la char-
rette.
L'âne marche, marche, marche, et les voilà
tous qui ont faim ; mais, seul, Petit Poucet a
une bonne provision de riz et de poisson salé. Il
leur dit :
— Je vais vous donner à tous de quoi manger ;
mais j'y mets une condition. C'est moi qui sera
le chef; et tout ce que je vous ordonnerai de
faire, vous le ferez.
Tous disent oui, et Petit Poucet leur donne à
manger.
Les voilà qui rencontrent un cocotier planté
au bord de la route. Petit Poucet arrête l'âne, et
leur dit :
— J'ai besoin de ce cocotier. Qu'on le coupe
et le mette dans la charrette.
Ils se mettent à murmurer : « Pourquoi faire ?
— c'est un gros ouvrage, ça ! — c'est dur à
couper, un cocotier ! » Petit Poucet leur dit :
— Je n'entends pas tout ça ! Où est mon riz ?
où est mon poisson? J'ai dit de couper et de
mettre dans la charrette.
Ils ont le bec cloué. Force leur est de descen-
ZISTOIRE SEPTE COUSINS AV SEPTE COUSINES I99
— Quand nous gagne çarette là nous napas
pour lassé.
Çarette là té pour éne faye faye malbar mar-
çand lasabe ; zaute pousse li, zaute zette lasabe,
zaute monte dans çarette.
Bourique marcé, marcé, marcé. Avla zaute
tout gagne faim ; mais nèque Ptit Poucet tout
seil qui gagne bon morceau douriz av pôsson salé.
Li dire zaute :
— Mo va donne zaute tout manzé, mais mo
faire éne condition : moi même qui va céf ; tout
ça qui mo comande zaute faire, zaute va faire.
Zaute tout dire oui ; Ptit Poucet donne zaute
manzé.
Avlà zaute zoinde éne pied coco dans bord
cimin. Ptit Poucet arrête bourique, li dire zaute :
— Mo bisoin ça pied coco là ; coupe li, mette
dans çarette.
Zaute comence cipoté : « Qui faire? — Grand
grand louvraze ça ! — coco là li raide pour coupé,
oui ! » Ptit Poucet dire zaute :
— Mo napas conne ça ! A cote mo douriz ? à
cote mon pôsson ? Mo dire zaute coupé, mette
Ihaut çarette !
Zaute tout labec sauté. Zaute bisoin dicendé.
200 HISTOIRE DES SEPT COUSINS
dre ; ils abattent le cocotier et le chargent sur la
charrette avec les cocos.
Ils vont, ils vont. Les voilà qui rencontrent un
cuisinier en train de cuire un jambon dans une
grande marmite devant la porte de sa cuisine.
Petit Poucet arrête l'âne et leur dit :
— J'ai besoin de cette marmite. Allez me la
prendre, mettez-la dans la charrette.
Ils se mettent encore à regimber : « pourquoi
une marmite ? — Le cuisinier ne voudra jamais
nous la donner ; — nous n'avons rien à faire
cuire ! » Petit Poucet se contente de leur ré-
pondre :
— Où est mon riz ? Où est mon poisson ?
Qu'on aille me chercher cette marmite !
Force leur est de descendre. Ils entrent en
arrangement avec le cuisinier, prennent la mar-
mite et la mettent dans la charrette.
Ils vont, ils vont ; la maison du loup n'est pas
loin maintenant. Les voilà qui rencontrent un
vieux blanc qui avait un fusil à la main et portait
une pompe sur le dos. Petit Poucet arrête encore
son âne, et dit à ses frères :
— Voilà les derniers objets dont j'aie besoin :
ce fusil et cette pompe. Allez les prendre et
mettez-les dans la charrette.
Pour cette fois, ils refusent tout net : ils ont
peur que le vieux blanc ne leur lâche un coup
ZISTOIRE SEPTE COUSINS AV SEPTE COUSINES 201
coupe pied coco, çarze làhaut çarette av son
cocos.
Zaute allé, zaute allé ; avlà zaute zoinde éne
cousinier qui après couit zambon dans éne grand
marmite divant laporte so lacousine. Ptit Poucet
arête bourique, li dire zaute :
— Mo bisoin ça maman marmite là ; aile
prend li, mette dans çarette.
Zaute comence encore napas vlé : « Qui faire
marmite ? — Zamais cousinier pour donne li ? —
Napas narien pour couit. » Ptit Poucet nèque
réponde :
— Où li mon douriz ? où li mon pôsson ! Aile
casse marmite là !
Zaute blizé dicendé, arranze zaffaire av cou-
sinier, prend marmite, mette li dans çarette.
Zaute allé, zaute allé ; lacase loulou napas loin
asthère. Alà zaute zoinde éne vie blano qui ti
marce av éne fisil dans so lamain, sembe éne
lapompe làhaut so lédos. Ptit Poucet arrête encore
bourique, li dire av so frères :
— Ça même dernier quiqueçoses mo bisoin :
ça fisil là sembe ça lapompe là. Aile prend ; mette
dans çarette.
Ça voyaze là zaute napas voulé même : pen-
gare vie blanc là pette zaute éne coupdefisil.
202 HISTOIRE DES SEPT COUSINS
de fusil. Petit Poucet se fâche ; il tire son couteau
et leur crie :
— Apportez vos ventres, que je reprenne mon
riz et mon poisson salé.
Du coup ils sautent tous à bas de la charrette,
ils courent au vieux blanc, le cajolent et l'entor-
tillent sans doute, prennent le fusil avec la pompe,
les mettent dans la charrette, et l'on repart.
A force de marcher, les voilà rendus à la mai-
son du loup. C'est l'âne qui est content ! la
charrette était lourde avec tout ce chargement-là.
La porte cochère était fermée. Petit Poucet
passe entre les barreaux, ouvre la porte toute
grande, fait entrer la charrette. La maison est
ouverte. Petit Poucet entre seul et laisse ses
frères dans la charrette. Les loups étaient réunis
au salon ; ils dansaient et chantaient. Petit Poucet
écoute, ils chantaient en choeur : « Demain elles
seront grasses, nous les mangerons. » Il laisse
les loups faire leur tapage et se met à visiter
toute la maison. En cherchant partout il arrive
près du godon ; il entend qu'on pleure là-dedans.
La clef était surla porte, il ouvre d'un coup:
c'était bien là ! Les sept cousines sautent sur lui,
l'embrassent, lui serrent le cou. Petit Poucet les
repousse et leur dit :
— Restez tranquilles donc ! ce n'est pas
l'heure de s'embrasser à présent 1 il faut vous
ZISTOIRE SEPTE COUSINS AV SEPTE COUSIMES 203
Ptit Poucet en colère : H tire son couteau, li crie
zaute :
— Amène ventes : mo tire mo douriz av mo
pôsson salé !
Zaute tout nèque saute enbas çarette ; zaute
couri av ça vie blanc là, quiquefois zaute embête
embête li, zaute prend fisil av lapompe, zaute
mette dans çarette, zaute allé.
Aforce marce marcé avlà zaute fine arrive
lacase loulou. Bourique content, oui ! çarette là
li lourde av tout ça quiqueçôses qui làdans là.
Laporte larie fermé : Ptit Poucet passe dans
barreaux, ouvert laporte en grand, faire rente so
çarette. Lacase ouvert, Ptit Poucet tout seil ren-
tré, li quitte so frères dohors dans çarette. Tout
loulous ti dans salon : zaute après dansé, après
canté ; Ptit Poucet coûté, zaute tout çanté : « Di-
main zaute va gras, nous va manze zaute ! dimain
zaute va gras, nous va manze zaute ! » Li laisse
loulous faire zaute vacarme, li rôde rôde partout
partout dans tout lacase. Coment li arrive à cote
godon, li tende doumounde après ploré làdans.
Laclé ti làhaut laporte ; li ouvert éne coup : ça
même, ça ! so septe cousines saute làhaut li, em-
brasse li, serre so licou. Ptit Poucet pousse pousse
zaute, li dire zaute :
— Resse tranquille, donc ! napas létemps pour
204 HISTOIRE DES SEPT COUSINS
tenir prêtes à vous sauver quand tout à l'heure
je vous appellerai.
Il retourne dans la cour, prend ses frères, les
amène sans bruit dans le godon auprès de leurs
cousines et leur dit :
— Pas de bruit : écoutez bien ! Tout à l'heure
je tirerai un coup de fusil ; aussitôt que vous
entendrez ce coup de fusil, jetez tous ensemble
un grand cri ; frappez, heurtez, battez la porte,
faites tout le vacarme possible ! Voilà mes ordres,
c'est de cette manière que je vous sauverai la vie.
Petit Poucet retourne dans la cour ; il prend la
bride de l'âne et le fait monter sous la varangue
avec la charrette ; de là il pénètre dans le vesti-
bule et s'arrête devant la porte du salon. Le loup
l'aperçoit et dit à ses amis :
— En voilà un de plus à manger !
Mais Petit Poucet n'a pas peur. Il tient son
fusil à la main et dit au loup :
— N'essaie pas de bouger, la maison est
pleine de mes soldats. Mais je veux régler mon
affaire avec toi ! ce sont tes amis eux-mêmes qui
jugeront ; c'est eux qui décideront lequel est le
plus fameux de toi ou de moi.
Le loup et tous les autres loups répondent
d'une seule voix ; « Oui, oui ! nous allons voir ! »
Petit Poucet dit au loup :
— Je te laisse commencer.
ZISTOIRE SEPTE COUSINS AV SEPTE COUSINES 20 5
embrassé açthère. Zaute bisoin paré pour sauvé :
talhère mo va apéle zaute.
Li tourne dans lacour, H prend so frères, li
amène zaute doucement doucement dans godon
av so cousines, li dire zaute :
— Napas faire tapaze, coûte bien. Talhère mo
pour tire éne coupdefisil ; sitôt vous tende coup-
defisil là, zaute tout ensembe largue éne guélé ;
tapé, cogné, batte laporte, faire tapaze; ça même
qui mo comande vous, ça magnière là qui mo
pour sauve vous lavie.
Ptit Poucet tourne dans lacour ; li prend la-
bride bourique, li faire li monte enbas lavarangue
av çarette, li fonce dans vestibile, li barre la-
porte salon. Loulou trouve li, li dire av so
camrades :
— Avlà encore éne laute pour nous manzé !
Mais Ptit Poucet napas gagne peir. Li tine fisil
dans so lamain, li dire loulou :
— Napas saye bouzé : tout lacase plein av mo
soldars. Mais mo vlé règue zaffaire av toi ; to
camrades même qui va zize nous, zaute même
qui pour dicidé qui plis famé, sipas toi, sipas
moi.
Loulou sembe tout loulous nèque dire : « Oui !
oui ! anons guété ! »
Ptit Poucet dire loulou :
— Mo laisse toi-même comencé.
206 HISTOIRE DES SEPT COUSINS
Le loup commence. Il dit au Petit Poucet :
— Allons voir qui a le plus gros ventre. Voilà
le mien.
Et il montre son ventre. Ce n'était pas un
ventre, mais une barrique.
Petit Poucet renverse la charrette. Il se met
debout dedans, sa tête seule dépasse et il dit :
— Regardez le mien !
Tous les loups sont forcés de crier : « Le ventre
de Petit Poucet est plus gros ! le ventre de Petit
Poucet est plus gros ! «
Le loup est en colère. Il dit :
— Eh bien ! voyons qui a la plus grosse tête.
Le loup tire son chapeau et montre sa tête :
un giraumon !
Petit Poucet saisit la marmite à jambon et la
met sur sa tête. Tous les loups sont forcés de
crier : « Celle de Petit Poucet est plus grosse !
Celle de Petit Poucet est plus grosse ! «
Le loup reste interloqué. Il dit :
— Allons voir qui a les plus gros tétés.
Il ouvre d'un coup sa chemise, les seins du
loup étaient comme deux gargoulettes.
Petit Poucet prend deux cocos ; il les fourre
sur son estomac sous sa chemise « Les tétés de
Petit Poucet sont plus gros ! les tétés de Petit
Poucet sont plus gros ! »
ZISTOIRE SHPTE COUSINS AV SEPTE COUSINES 207
Loulou comencé. Li dire Ptit Poucet :
— Anons guété qui gagne plis gros vente.
Avlà pour moi.
Li monte so vente : napas éne vente, ça : éne
barique !
Ptit Poucet nèque renverse çarette ; li diboute
dans çarette, so latête tout seil dépassé ; li dire :
— Guéte ça qui pour moi !
Tout loulous bisoin crié : « Vente Ptit Poucet
plis gros ! vente Ptit Poucet plis gros ! »
Loulou en colère. Li dire :
— Ah ben ! anons guété qui gagne plis gros
latête.
Loulou tire çapeau, li monte so latête : éne
ziraumon !
Ptit Poucet pèse marmite zambon, li méte li
Ihaut so la tête ; tout loulous blizé crié : « Pour
Ptit Poucet plis gros 1 pour Ptit Poucet plis
gros ! »
Loulou vine bête. Li dire :
— Anons guété qui gagne plis gros tétés.
Li ouvert éne coup so cimise : so tétés loulou
dé gargoulettes !
Ptit Poucet prend dé cocos ; li mette en bas
so cimise Ihaut so lostomac : — « Tétés Ptit
Poucet plis gros ! tétés Ptit Poucet plis gros ! »
208 HISTOIRE DES SEPT COUSINS
Le loup est furieux. Cette fois il dit :
— Eh bien ! voyons qui criera le plus fort.
Il pousse un hurlement : les vitres de la maison
tremblent.
Petit Poucet ne cherche pas midi à quatorze
heures. Il bat son âne. L'âne fronce son nez,
allonge ses dents : « hihan ! hihan ! hihan ! »
Tous les loups rient. « Bien sûr, bien sûr que
c'est Petit Poucet qui peut gueuler le plus fort ! »
Mais le loup, lui, ne rit pas. Il déboutonne ses
trowsers et dit :
— Cette fois-ci nous allons voir qui peut ren-
dre le plus d'eau.
Et il se vide. Il remplit tout ce qu'il y a de
vases, de gamelles, de cuvettes, de seaux.
Que fait Petit Poucet ? Il arrange sa pompe
et le voilà qui pompe, qui pompe, qui pompe.
La maison commence à se remplir d'eau. Ce
sont les loups eux-mêmes qui sont obligés de
l'arrêter de peur d'être noyés. Et le loup, tout
mouillé qu'il est, se sent la bouche sèche.
Petit Poucet dit au loup :
— Eh toi ! je ne te donne plus que deux coups.
Si tu les perds encore, ton affaire est jugée !
Le loup commence à avoir peur, il n'a plus de
salive. Mais il faut bien continuer la lutte, et il
dit:
ZISTOIRE SEPTE COUSINS AV SEPTE COUSINES 209
Loulou firié. Ça coup là li dire :
— Ah ben ! anons guété qui va crie plis fort.
Loulou largue éne guélé : vites lacase tremblé !
Ptit Poucet napas rôde divant derrière ; li batte
so bourique. Bourique fronce nénez, allonze
lédents : « hihan ! hihan ! hihan ! » Tout lou-
lous rié : — « Bien sir, bien sir qui Ptit Poucet
qui capave guéle plis fort ! »
Mais loulou napas rié, li. Li déboutône qui-
lotte, li dire :
— Ça vôyaze là nous pour guété qui capabe
rende plis beaucoup dileau.
Loulou vidé même : li rempli tout vases, tout
gamelles, tout quivettes, tout seaux.
Qui Ptit Poucet faire ? Li arranze so lapompe,
li pompé, pompé, pompééé : lacase comence
plein av dileau. Tout loulous même que blizé
arrête li pour zaute napas nÔ3'é ! Quamême lou-
lou mouillé, li bisoin reste sec.
Ptit Poucet dire loulou :
— Eh toi ! encore dé coups tout seil ! Quand
ça de coups là moi qui casse toi encore, to
zaffaire zizé même.
Loulou comence peir ; 11 crace coton. Mais li
bisoin saye encore, li dire :
14
210 HISTOIRE DES SEPT COUSINS
— Parions que ma queue est plus longue que
la tienne.
Le loup tire sa queue. Le queue du loup était
longue et grosse comme un brancard de char-
rette.
Mais Petit Poucet n'est pas en peine. Il s'atta-
che le cocotier par derrière et leur dit : « Mesui-ez
nos deux queues, mesurez juste ! » Mais à quoi
bon mesurer, un cocotier est plus long qu'un
brancard de charrette.
Petit Poucet dit au loup :
— Eh toi ! fils de ta mère ! voici ton dernier
coup. Je t'avertis cette fois encore : penses-y
bien.
Cette fois le loup a tout à fait peur. Dans sa
frayeur il sent son ventre gargouiller comme t'il
était plein de grenouilles. Il dit à Petit Poucet :
— Eh bien ! allons voir who can blow the
biggest wind.
Et il se donne un coup sur le ventre. Maman !
quelle odeur et quel bruit ! La charrette recule
de deux tours de roues : l'âne même a honte.
Petit Poucet fait un bond. Il est furieux et dit
au loup :
— Comment, malappris ! comment, malpro-
pre ! comment, mal élevé ! C'est là une chose
ZISTOIRE SEPTE COUSINS AV SEPTE COUSINES 211
— Mo parié qui mo laquée plis longue qui ça
qui pour toi.
Loulou tire solaquée : laquée là longue longue
et gros gros cornent éne brancard çarette !
Mais Ptit Poucet napas en peine. Li amarre ça
pied coco là av li par derrière ; li dire ■ zaute :
« Misire nous dé laquées ; misire zisse ! « Napas
lapeine pour misire, pied coco 'plis longue qui
brancard çarette.
Ptit Poucet dire av loulou :
— Eh toi, pitit to manman ! ça to denier
coup, oui ; mo prévini toi encore éne fois :
mazine bien !
Ça coup là, loulou peir même, mo dire vous.
Dans so lafrayeir là, li senti so vente comence
brouille brouille av dileau ; coma dire gournouies
plein làdans. Li dire Ptit Poucet :
— Ah ben ! anons guété qui capave casse éne
pété plis fort !
Loulou tape so vente éne coup. Manman ! napas
pèle éne lodéir mazizi av éne tapaze, ça ! ^Çarête
quilé : li roule de tours laroues ; bourique même
honte.
Ptit Poucet saute en lair à force li en colère.
Li dire loulou :
— Cornent , cocon ! coment malprôpe !
cornent, mal élevé !
212 HISTOIRE DES SEPT COUSINS
à faire devant un homme comme moi? Grossier
personnage !
Petit Poucet saisit son fusil, vise le loup, pèse
la gâchette. Boum ! voilà le loup par terre, il
tourne de l'œil et meurt.
En entendant le coup de fusil, les frères de
Petit Poucet et ses cousines commencent un
affreux vacarme ; ils donnent des coups aux
cloisons, font battre les portes, renversent les
meubles, poussent des cris. Les loups croient que
ce sont les soldats, sautent par les fenêtres et se
sauvent à toutes jambes.
Voilà donc Petit Poucet resté maître de la
maison du loup avec tout ce qu'il y avait dedans,
meubles, assiettes, argenterie, piano dans le
salon, bon vin dans la cave, bon linge dans les
armoires, tout ce qu'il faut. Il prend pour lui la
chambre du loup et donne à chacun de ses frères
une chambre avec un cabinet.
Tous se marièrent le même jour. Une noce
superbe. Tout le monde fut invité : le vieux
blanc qui avait prêté à Petit Poucet la pompe et
le fusil, le cuisinier qui avait donné la marmite à
jambon, et jusqu'au méchant petit malabar mar-
chand de sable qui avait laissé prendre sa char-
rette et son âne.
Je veux, moi aussi, entrer à la cuisine pour
attraper un morceau. On me donne un coup de
ZISTOIRE SEPTE COUSINS AV SEPTE COUSINES 21 3
Çà, éne quiqueçose pour faire divant éne dou-
moLine cornent moi, côçon !
Ptit Poucet pèse son fisil, li vise loulou, li pèse
gacette : boum ! loulou en bas, li vire cayes, li
mort même.
Coment zaute entende coudefisil là, frères Ptit
Poucet av so cousines comence éne vacarme,
tapé, batte laportes, çavire meibes, guélé ; lou-
lous tende ça, zaute croire soldars ; zaute tout
saute lafenête, piqué, balié, bouré même.
Avlà Ptit Poucet fine reste maître lacase loulou
av tout ça qui làdans, meibes, zassietles, cou-
verts, piano dans salon, bon divin dans lacave,
bon linze dans larmoires, tout ça qui bisoin. Li
prend laçambe loulou pour li ; li donne so frères
çaquéne so laçambe av éne cabinet.
Zaute tout marié même zour. Napas appelle
éne grand diner, ça ! Tout doumonnde fine
invité : vie blanc qui ti prête Ptit Poucet son
fisil av so lapompe, cousinier qui ti donne mar-
mite zambon, zousqu'à ça faye malbar marçand
lasabe qui ti laisse prend so çarette av so bou-
rique.
Moi aussi mo voulé rente lacousine pour gagne
morceau manzé : zaute flanque moi éne coupde-
214 HISTOIRE DES SEPT COUSINS
pied qui m'envoie ici vous raconter cette his-
toire.
Ici tout est nôtre : Lindor fecit. Aucun autre conte n'a une
saveur de terroir plus prononcée. Seulement le lecteur devra
pardonner au vieux conteur un peu de crudité en constatant
qu'on peut être noir et Gaulois. S'il nous fallait, dans notre
recueil, désigner entre tous un conte qui suffît à donner une
%
ZISTOIRE SEPTE COUSINS AV SEPTE COUSINES 21 5
pied, zaute faire moi tombe ici pour raconte vous
ça zistoire là.
idée du génie créole, c'est bien certainement celui-ci que nous
choisirions. Le tournoi du héros et de Loulou est dans toutes
ses phases une invention qu'on aurait mauvaise grâce à venir
nous contester.
à
XVIII
HISTOIRE DE MARIE- JOSÉ (JOSEPH)
^Âi,^(ff
jL y avait une fois un bonhomme si vieux,
si vieux, que personne ne pouvait savoir
quel âge il avait.
Un jour que Maric-Jo?é était aUé pêcher des
tectecs au bas de la rivière, il rencontre le vieux
bonhomme qui péchait des bigorneaux. Marie-
José lui dit : « Bonjour, grand-papa, comment
vous portez-vous? » Le bonhomme le regarde
bien et lui dit : « Parions, mon camarade, que tu
ne peux pas me dire quel est mon âge ? »
— Je ne sais pas; mais vous avez l'air bien
vieux.
— Tu vois ces bigorneaux, ces crabes, ces an-
guilles ? Si dans deux jours tu ne peux me dire
mon âge, je ferai de toi une anguille, un crabe
ou un bigorneau !
Marie-José a peur; il veut entortiller le bon-
<tiA CXU. riA CTiA ctlA ctlA ciiA ftlA <T1A ftlA Ct^ CtiA Cti*.
XVIII
ZISTOIRE MARIE ZOZÉ
I éna éne fois éne viévié bonhomme, per-
sonne napas ti cône qui lâze li ti gagné.
Ene zour Marie Zozé aile lapéce tectec
enbas larivière, li trouve ça vie bonhomme là
après lapéce bigorneau. Marie Zozé dire li :
« Bonzour, grandpapa, côman vous ça va? »
Bonhomme là guette li bien, après ça li dire li :
« Parié, mo camrade, to napas capabe dire moi
qui lâze mo éna? »
— Mo napas cône ; mais vous gagne lair bien
vie.
— To guette ça bigorneaux là, ça carabes là,
ça anguïes là? Si dans dé zours to napas dire
moi qui lâze qui mo éna, mo envoyé toi av
zaute.
Marie Zozé gagne peir; li oulé embête ça
2l8 HISTOIRE DE MARIE-JOSÉ (jOSEPH)
homme, il commence à l'amadouer avec de belles
paroles. Mais le vieux était un malin ; il lui dit
bonjour et s'en va.
Voilà Marie- José assez triste. Il revient chez
lui et ne peut manger. Sa femme lui demande
pourquoi il ne mange pas, ce qu'il a. Marie- José
ne répond rien et baisse la tête. Sa femme le
cajole tant et tant qu'il lui dit : « Eh bien, tu
sauras que j'ai rencontré un vieux vieux bon-
homme qui péchait des bigorneaux au bas de la
rivière. Il m'a dit que si dans deux jours je ne
pouvais pas lui dire son âge, il me tuerait. » Sa
femme lui dit : « N'aie pas de chagrin ! mange !
je te dirai comment t'y prendre pour savoir l'âge
de ce bonhomme-là. »
Lorsque Marie-José eut fini de manger, sa
femme lui dit : « Demain, tu iras m'acheter un
sac de duvet, deux longs bambous et une jarre de
gros sirop. « Le lendemain, de bon matin, Marie-
José va au bazar et achète ce que sa femme lui a
demandé. Quand il est de retour, sa femme lui
fait tirer tous ses habits, enduit tout son corps de
sirop et le roule dans le duvet. Puis elle prend
les deux bambous et lui en fait une queue : Marie-
José ressemble à un tigre un jour de ghoûn.
Alors sa femme lui dit : « A midi juste, ce vieux
bonhomme-là se couche pour faire un somme sur
une roche au bord de la rivière; approche-toi
ZISTOIRE MARIE ZOZÉ 219
bonhomme là, li comence cause bagout ; mais vie
bonhomme là ti malin, li dire bonzour, li allé.
Alà Marie Zozé çagrin ; li arrive dans so lacase,
li napas capabe manzé. So femme dimande li qui
fére li napas manzé, qui li gagné; Marie Zozé
napas réponde narien, li baisse so latéte. So
femme embête embête li, alà li dire so femme :
« To napas cône mo ti trouve éne vie bonhomme
qui té après lapèce bigorneaux enbas larivière; li
ti dire moi si dans dé zours mo napas dire li qui
lâze li éna, li pour touye moi. » So femme dire
li : « Napas bisoin çagrin ; manzé ; mo va dire
toi couma to a fére pour cône lâze ça vie bon-
homme là. »
Alà quand Marie Zozé té fini manzé, so femme
dire li : « Dimain, aile aceté éne sac ptit plimes,
dé longue bambous, ec éne lazarre sirop lamé-
lasse. » Lendimain bomatin Marie Zozé aile
bazar, H aceté tout ça qui so femme ti dire H.
Arrive dans so lacase so femme tire tout so Hnze
làhaut so lécorps, vide sirop lamélasse av li, roule
li dans sac ptit plimes; li prend ça dé bambous
là, li mette éne laquée av U : alà Marie Zozé fine
vine couma éne tigue zour gounn. Açthère là so
femme dire li : « Ziste midi, ça vie bonhomme là
dourmi làhaut éne roce bord larivière ; aile dou-
cement; saute éne coup làhaut H. » Marie Zozé
220 HISTOIRE DE MARIE-JOSÉ (jOSEPH)
doucement et saute sur lui. « Marie- José est si
content, vous dis-je, qu'il embrasse sa femme.
Arrivé au bord de la rivière, il trouve le vieux
bonhomme endormi. Son cœur bat, il s'élance
sur le vieillard. Le bonhomme se réveille en sur-
saut ; il ouvre de grands yeux pour mieux voir
Marie-José, et s'écrie : « Voilà mille ans que
j'existe, mais jamais je n'avais vu un homme
avec des plumes et une queue ! » Marie-José part
à la course, rentre chez lui, prend sa femme à
pleins bras, l'embrasse encore et lui dit : « Merci,
merci, ma femme! tu m'as sauvé la vie. Dieu te
bénira ! » Les voilà tous les deux bien heureux.
Le lendemain, Marie-José s'habille ; il va à la
rivière; le vieux bonhomme l'attendait et lui
dit:
— Bonjour, mon garçon ! Eh bien ! tu sais
mon âge?
— Bonjour, grand -papa! Vous allez bien?
Mais, vous ne vous êtes donc jamais taillé la barbe?
Mais le vieux saute sur Marie-José.
— De belles paroles sauvent leur homme,
mais pas avec moi, mon petit ! Quel est mon
âge? Réponds, j'écoute.
— Vous avez mille ans, grand-papa.
Le vieux est abasourdi et reste muet. Puis :
ZISTOIRE MARIE ZOZÉ 221
si tant content, mo dire vous, qui li embrasse so
femme.
Arrive enbas larivière, li trouve ça vie bon-
homme là après dourmi, So léquér sauté; li fonce
éne coup làhaut vie bonhomme là. Bonhomme là
lève en sautant ; li voir Marie Zozé ; li carquille
so lizié, li dire : « Mo éna mille bananées, mais
zamais mo té voir éne doumounde sembe plimes
av laquée ! » Marie Zozé néque sauvé même,
galpé, arrive lacase, tchombô so femme, embrasse
li encore : « Grand merci, mo femme, toi-même
qui fine sauve mo lavie : Bondié va soulaze toi. »
Avlà zaute dé bien content.
Lendimin Marie Zozé çanzé, li aile larivière, li
trouve ca vie bonhomme là qui ti après aspère
li: '
— Bonzour, mon garçon ; ah ben ! to cône
qui lâze qui mo éna?
— Bonzour, grand papa; vous ça va bien? Mais
zamais vous té taille vou labarbe donc?
Mais vie bonhomme là saute l'haut Marie
Zozé :
— Bon bagout çappe lavie, mais napas éc
moi, mon garçon. Qui làze mo éna ? Causé, mo
tende.
— Mille bananées, grand papa.
222 HISTOIRE DE MARIE- JOSÉ (jOSEPH)
« Mais comment donc as-tu fait pour savoir mon
âge? »
Marie- José lui raconte ce que sa femme lui a
fait faire.
Le soir le vieux bonhomme donna un grand
dîner dans la case de Marie-José...
« Eh vous, enfants! il est temps d'aller se
coucher, oui ! Prenez garde qu'il ne vous pousse
des cornes ! »
Elle nous vient de notre voisine, l'île de la Réunion. Mais
ZISTOIRE MARIE ZOZÉ 22^
Vie bonhomme là gaga, li reste séc : « Mais
coumâ îo ti fére pour cône mo lâze donc ? »
Marie Zozé raconte li ça qui so femme té dire
li fére.
Asoir vie bonhomme là donne éne grand diner
lacase Marie Zozé.
« Eh ous, zenfants, létemps pour dourmi, oui !
pendgare cornes poussé. »
certains détails sont mauriciens.
XIX
HISTOIRE DE LA BONNE FEMME
ET DES VOLEURS
iNE fois, sept voleurs allèrent dévaliser la
case d'une bonne femme. La vieille, en
les entendant venir, ouvrit sa porte et se
sauva. Rendue à quelque distance, elle monta sur
un grand arbre et se dit : « Quand les voleurs
passeront, je verrai où ils iront. »
Les voleurs entrent dans la maison, prennent
tout ce qui s'y trouve, argent, linge, meubles,
font des paquets de tout leur butin Ci ressortent.
Ils prennent le chemin même qu'avait pris la
bonne femme, et arrivent auprès de l'arbre. Un
d'eux dit à ses compagnons : « Arrêtons-nous
ici, et partageons notre prise. »
Un voleur monte sur l'arbre en sentinelle,
pour voir si personne ne vient.
XIX
ZISTOIRE BONNEFEMME
AV VOLEIRS
,-__^ I éna éne fois septe voleirs qui ti aile co-
é]W^ quin lacase éne bonnefemme. Bonne-
femme là tende voleirs vini, ouvert so
laporte, li sauvé, li aile éne bonne distance, li
monte lahaut éne grand pié zarbe, li dire :
« Quand voleirs passé, mo va trouvé acote zaute
allé. »
Voleirs ente dans lacase, volor tout ça qui éna,
larzent, linze, tout quiqçose. Zaute sourti av pa-
quets. Avlà zaute passe dans même cimin acote
bonnefemme ti passé, zaute arrive acote ça pié
là. Ene dire av so camradcs : « Anons arrêté,
nous va partazer ça qui nous lîne coquin. »
Ene monte làhaut pié pour veillé pengare dou-
moune vini. Cornent li monté, bonnefemme là
15
226 HISTOIRE DE LA BONNE FEMME
Quand elle le voit monter, la vieille a peur et
croit qu'il vient la tuer. Le voleur l'aperçoit et
lui demande ce qu'elle fait là. La bonne femme
répond et la conversation s'engage. « Mais, lui
dit la bonne femme, vous avez la langue trop
longue, donc ! vous parlez trop fort ! — Mais
non ! répond le voleur ; je n'ai pas la langue trop
longue. Ma langue n'est pas plus longue que la
vôtre ! — Eh bien, mesurons pour voir ! dit la
bonne femme. » Et les voilà qui mettent leurs
langues l'une contre l'autre pour mesurer. D'un
coup de dents, la vieille coupe la langue du vo-
leur. Le voleur dans sa souffrance lâche la
branche, dégringole et tombe sur un paquet de
hardes auprès de ses compagnons. Ils lui crient :
« Mais qu'as-tu donc? mais qu'as-tu donc?
Parle ! » Impossible. Il ne peut que lever la main
en montrant le haut de l'arbre : « Houhah !
houhahouah! » La frayeur les prend, et les voilà
qui se sauvent à toutes jambes laissant là les
nippes, les paquets et tout ce qu'ils ont pris.
Quand ils sont loin, la bonne femme descend,
reprend toutes ses affaires et retourne dans sa
case en riant.
C'est le plus court de nos contes, et ce n'est pas le moins
bête. Lindor dut être quelque peu fier le jour où il inventa ces
ZISTOIRE BONNEFtMîvIE AV V0LCIR5 22;
peir, li croire li vine touye li. Voleir trouve
bonnefemme, li dimraide li qui li fére là. Bonne-
femme cause av li ; touldé cause causé. Bonne-
femme dire li : « Mais vous éna lalangue trop
longue, don ! vous cause trop fort ! » Voleir dire
li : « Mais non, mo napas lalangue trop longue ;
mo lalangue napas plis longue qui pour vous. «
Bonnefemme dire li : « Anons misiré. » Avlà
touldé mette lalangue ensame pour misiré.
Bonnefemme morde éne coup, li coupe lalangue
ça voleir là. Voleir, ladouleir av li, largue brance,
çaviré, tombe lahaut paquet linze acote son
camrades. Zaute dire li : « Mais qui to gagné
donc ! mais qui to gagné, donc ! Causé ! » Napas
fouti ! Li néque lève lamain enlair lahaut pié :
« Houhah! houhahouah !! » Zaute tout lafrayeir
av zaute, pique éne taillé, mo dire vous, quitte
linze, quitte paquets, tout ça qui zaute fine
volor.
Quand zaute loin, bonnefemme dicendé, prend
tout so zefféts; li tourne dans so lacase; li
rié !
deux langues qui se mesurent ; bien peu auraient pu faire cette
heureuse trouvaille.
®'^®#®^®^®®®®
XX
HISTOIRE DE TRANaUILLE
ET DE BRIGAND
|L y avait une fois un roi qui avait eu uu
fils. Mais au moment où il vint au monde,
comme sa figure était une figure de bri-
gand, son père le nomma Brigand.
Deux ou trois années après, la reine accoucha
d'un autre garçon. Mais comme la figure de ce
second enfant était la douceur même, son père
l'appela Tranquille.
A mesure que les deux enfants grandissaient,
celui qui se nommait Brigand devenait un vrai
brigand, le père et la mère ne savaient qu'en
faire. Mais Tranquille était doux comme miel;
tout ce qu'on lui disait il l'écoutait, tout ce qu'on
lui ordonnait il le faisait. Malheureusement il
était un peu bête et nonchalent.
Leur père aimait beaucoup la chasse. Un jour,
®®®®®®®^®®®®
XX
ZISTOIRE TRANQ.UILLE
AV BRIGAND
v°^^-^ I éna éné fois éne léroi qui fine gagne éne
M'|:^^| petit garçon. Mais Iheire pitit là sourti
î^4J1 dans vente so maman, coment so figuire
brigand m.ême, so papa appelle li Brigand.
Dé trois bananées passé, lareine accouce éne
lame garçon. Mais coment figuire ça second pitit
là té douce douce même, so papa appelle li
Tranquille.
A misire ça dé zenfants là vine grand, ça qui
appelle brigand brigand même : papa av maman
napas coné qui zaute va faire av li. Mais Tran-
quille éne ptit dimiel : tout ça qui dire li, li
coûté ; tout ça qui comande li faire, li faire.
Domaze li inpé bête bête et gnangnan.
Zaute papa té bien content laçasse. Ene zour
230 HISTOIRE DE TRANQUILLE ET DE BRIGAND
au moment de partir pour s'en aller chasser dans
un autre pays, il fit appeler Brigand et Tranquille
et leur dit :
— Ecoutez, mes enfants, vous voilà mainte-
nant en âge de commencer à travailler ; je pars
pour un autre pays, et je veux vous donner à
chacun son ouvrage. Toi, Brigand, puisque tu es
l'aîné, c'est toi qui dirigeras l'habitation. Fais
bien travailler les hommes ; le nettoyage, le net-
toyage avant tout : à mon retour, je ne veux pas
trouver une herbe, pas un brin de paille. Pour
toi, Tranquille, qui es le plus jeune, je te confie
tous les travaux d'intérieur. Tu sais que ta mère
ne tardera pas à accoucher et que la jument aussi
va mettre bas. Veille bien à ce que la chambre
n'ait pas de courant d'air, que le lit soit bon ;
fais tuer une poule, qu'on lui donne du bouillon ;
la litière doit être toujours fraîche, et que le pale-
frenier lui fasse boire de l'eau de son un peu
tiède. Vous avez entendu. Allez !
Le roi partit.
Le lendemain, de grand matin. Brigand se
rendit à l'habitation. Il fait appeler tous ks
hommes et leur dit :
— Holà, vous autres ! vous savez que c'est
moi le maître, à présent. Quand je donnerai un
ordre, attention !
— Il entre dans un carreau de magnoc ; il voit
ZISTOIRE TRANQTJILLE AV BRIGAND 23 1
cornent H pour aile laçasse dans éne laute paye,
li ùire appelle Brigand av Tranquille, li dire
zaute :
— Coûté, mo zenfants ! zaule assez grand
açthére pour comence travaille ; mo pour aile éne
laute paye, mo vlé donne çaquéne so louvraze.
Toi, Brigand, coment to plis vie, toi même qui
va oquipe bitation. Faire bien travaille dou-
mounde ; nétoyé , nétoyé même : Ihére mo
tourné, mo napas vlé trouve éne Iherbe, éne
lapaille ! Toi, Tranquille, coment to plis zeine,
mo mette dans to lamain tout zafFaires lacase.
To coné to maman napas tardé pour accoucé, et
ziment oussi pour gagne pitit. Veille bien qui
laçambe napas courant d'air, qui lilit bien bon ;
faire touye poule, donne li bouillon ; lalitière
bisoin toujours frais et faire palfrémier çauffe
dileau disson en pé çaud pour donne li boire.
Zaute tende ? Allé !
Léroi parti.
Lendimain grand bomatin Brigand aile bita-
tion. Li faire appelle tout doumounde, li dire
zaute :
— Eh zaute ! zaute cône qui moi-même qui
maîte acthére. Quand mo donne lorde faire qui-
qçoce, attention !
Li rente dans éne carreau magnioc, li trouve
232 HISTOIRE DE TRA\'Q.UILLE ET DE BRIGAND
par terre des feuilles de magiioc tombées, il ap-
pelle le commandeur :
— Eh, vous! c'est comme ça qu'on travaille?
Je ne veux pas voir une feuille par terre ; faites
balayer !
— Mais, Monsieur, jamais votre père ne s'est
préoccupé de ça? 11 fait tirer l'herbe, mais à quoi
bon balayer les feuilles? C'est le magnoc lui-
même qui jette ces feuilles-là ; qu'on les tire, il
en tombera d'autres.
— J'ai parlé ! je ne veux pas une feuille par
terre ! Puisque c'est le magnoc qui jette des
feuilles, arrachez le magnoc! arrachez! arrachez
tout ! Je veux avoir mon carreau propre 1
Le commandeur veut répliquer. Brigand tombe
dessus et l'assomme. Il fallut arracher le magnoc
et tout balayer pour laisser la terre propre.
Brigand retourne dans la cour. Il entre au pou-
lailler et voit du maïs répandu par terre. Il demande
au gardien ce que c'est que cette saleté-là? Le
gardien lui répond que c'est le reste du maïs
qu'il a jeté aux volailles. Brigand fait balaver. Il
voit de la paille sous les poules qui couvent, il
s'emporte contre le gardien :
— C'est comme ça que ton ouvrage est propre !
Si je trouve encore un brin de paille ici, je te casse
la gueule! Tire-moi cette paille, jette-la, balaye!
Le gardien a peur. Il tire toute la paille de
ZISTOIRE TRANQ.U1LLE AV BRIGAND 233
feilles magnioc fine tombé, li appelle coman-
deir :
— Eh vous ! comme ça qui travaille ! Mo
napas vlé éne faille làhaut laterre, faire balié.
^— Mais Msié, zamais vous papa té oquipe ça !
Li faire tire Iherbe, mais quifaire balié feilles?
Magnioc même qui donne feilles : Ihére tiré, laute
tombé.
— Mo fine causé ! mon napas vlé éne feille
làhaut laterre ! Quand magnioc qui donne feilles,
race magnioc ! racé, racé même ! mo vlé mo
carreau prope !
Comandeir saye cause encore : Brigand tombe
làhaut li, assomme li. Bisoin arrace magnioc, balié
tout, laisse laterre prope.
Brigand tourne dans lacour, li rente dans pou-
lailler. Li trouve maië fane par terre ; li dimande
gardien qui ça saleté là ? Gardien dire li fine fane
maië pour poule manzé ; ça, larestant. Brigand
faire balié. Li trouve lapaille enbas poules qui
après couvé ; li en colère av gardien :
— Comme ça to louvraze prope ! Quand mo
trouve encore éne boute lapaille ici, mo casse to
la guéle ! Tire lapaille, zété, balié !
Gardien peir : li tire tout lapaille enbas poules.
234 HISTOIRE DE TRANQJJILLE ET DE BRIGAND
dessous les poules. Les œufs couvés refroidissent
et se gâtent ; un œuf éclate. Brigand sent cette
puanteur, il est furieux :
— Mais qu'est-ce que cette infection là, donc?
Le gardien lui dit que c'est un œuf gâté qui a
éclaté: il fait tirer les œufs; on les jette, on
balaye. Voilà le poulailler propre.
Voilà comme Brigand entend qu'on travaille ;
c'est son système. Dans toute cette immense ha-
bitation, plus une seule plantation; plus une ra-
cine de magnoc, plus une liane de patate, plus
une touffe de cannes, plus un plan de maïs : on
a tout arraché, tout balayé. Partout la terre est
propre, d'une propreté irréprochable.
Pour Tranquille, lui, il ne quitte pas la maison.
Sa mère accouche d'une petite fille; la jument
donne une pouliche. Tranquille fait tout ce qu'il
faut faire. Brigand rentre dans la maison. Il voit
tout ce que fait Tranquille ; il se fâche et lui dit :
— Eh toi. Tranquille ! c'est ça ta façon de tra-
vailler ! c'est comme ça que tu exécutes les ordres
de papa ! Bon à rien, va !
Il appelle tous les domestiques. Il fait enlever
sa mère du lit, on l'apporte à l'écurie, on la met
sur la litière. On tire la jument de l'écurie, on la
conduit dans la chambre, on la couche dans le
lit. Brigand force sa mère à boire de l'eau de son
bouillante ; il fait entonner le bouillon de poule à
ZISTOIKE TRANQ.UILLE AV BRIGAND 235
Dizefs couvé vine frés, zaute gâté, éne cassé.
Lhére Brigand senti ça lodeir senti pi là, so en
colère levé même :
— Mais qui ça linféction là, don !
Gardien dire li éne dizef gâté fine daté, li faire
tire tout dizefs, zété, balié. Lacase poules prope
même, mo dire vous.
Ça même so magnière Brigand travaille. Dans
tout ça manman bitation là na plis iéna éne
plantaze : na plis éna éné pied magnioc, naplis
éna éne pied batate, naplis éna éne pied canne,
naplis éna éne pied mayë, tout fine arracé, tout
fine balié. Partout laterre prope même, mo dire
vous !
Tranquille, li, touzours reste dans lacour. Avlà
so maman accouce éné ptit fille ; ziment donne éne
ptit ziment. Tranquille faire tout ça qui bisoin.
Brigand arrive dans lacour. Li trouve tout ça qui
Tranquille après faire ; li en colère av li, li dire li :
— Eh toi. Tranquille ! comme ça même to
travaille ! comme ça même to courte zordes papa !
Bon à rien, va !
Li appelle tout domestiques : li faire tire so
maman dans lilit, amène léquirie, mette làhaut
litière ; tire ziment dans léquirie, amène dans
laçambe, mette Ihaut lilit. Li force so maman
boire dileau disson bouillante ; li faire bourre
236 HISTOIRE DE TRANQUILLE ET DE BRIGAND
la jument. Le second ou le troisième jour après,
la mère était morte et la jument aussi.
Tranquille ne faisait que pleurer; mais com-
ment aurait-il résisté, il avait trop peur de Bri-
gand. Il attendit la nuit, et quand il fit tout à fait
noir et que tout le monde fut endormi, il ouvrit
bien doucement la porte et se sauva.
Il n'y avait pas de lune cette nuit-là. Tran-
quille marcha, marcha longtemps ; mais comme
il faisait bien noir, il se trompa de chemin et se
perdit. Il arriva dans une forêt. En regardant
partout, il aperçoit une petite lumière au milieu
des arbres : c'était la hutte d'une vieille grand'-
mère qui, autrefois, avait gardé les oies chez le
roi. Tranquille frappe à la porte ; la vieille ouvre
et lui demande ce qu'il veut. Tranquille lui ra-
conte toute l'histoire : « Entrez, lui dit la bonne
femme, entrez, monsieur Tranquille. Je vous
connais bien, allez! Quand j'étais jeune, il y a
longtemps, j'ai travaillé chez votre père et votre
mère. Entrez; tout ce qu'il y a dans ma pauvre
case est à vous, et de bon cœur. »
La bonne femme lui donne deux ou trois pa-
tates grillées, et Tranquille mange. Puis la vieille
prend une natte, l'étalé dans un coin de la
chambre, et Tranquille se couche.
Le dimanche se passe, le lundi arrive. De
grand matin Brigand n'entend pas la cloche
ZISTOIRE TRANQ.UILLE AV BRIGAND 237
bouillon poule av ziment. Sipas de zours, sipas
trois zours, maman mort, ziment mort.
Tranquille nèque ploré, ploré ; mais qui li a
faire ?Li trop per Brigand. Li aspère lanouite ;
quand faire sicour sicour même et tout dou-
mounde dourmi, li ouvert laporte lacase douce-
ment, li sauvé.
Té dans marée noire. Tranquille marcé,
marcé ; mais laline napas, li trompe cimin, li
perdi. Avlà li arrive dans grand bois. Coment li
guette guetté, li trouve éne ptit laclairté dans
milié zarbes : té la case éne vie vie grand ma-
man qui, longtemps, té gardien lazois lacase
léroi. Tranquille batte laporte ; bonnefemme
ouvert, dimande li qui li voulé. Tranquille
raconte li tout zistoire. Bonnefemme dire li :
— Rentré, Msié Tranquille. Mo cône vous
bien, oui ! Ihére mo té zeine, longtemps mo té
travaille av vous papa sembe vous maman.
Tout quiqçose dans mo ptit lacase pour vous, bon
keir.
Bonnefemme donne li dé trois bâtâtes grillé :
Tranquille manzé ; bonnefemme prend natte,
allonze li dans coin laçambe. Tranquille dourmi,
Dimance passé, lindi vini. Grand bomatin
Brigand napas tende sonne lacloce pour appelle
238 HISTOIRE DE TKANaUILLE ET DE BRIGAND
appeler les gens au travail. Il saute à bas de son
lit, il saisit son bâton, et va lui-même sonner.
Personne ne vient. Brigand est furieux. Il brandit
son bâton et va dans le camp. Toutes les portes
sont ouvertes, tout le monde est parti, plus un
meuble dans les cases. Brigand a fait tant de mi-
sères aux gens qu'ils se sont tous sauvés. Voilà
Brigand tout seul. Personne pour lui puiser son
eau ; personne pour piler son riz, personne pour
éplucher ses brèdes, personne pour cuire ses ali-
ments. Que pouvait-il faire ? Il fut, lui aussi,
obligé de s'en aller.
Il marche, marche, et arrive dans la forêt. La
nuit était tout à fait noire quand il aperçut une
lumière : c'était la cabane de la vieille grand'mère
où s'était réfugié Tranquille. Brigand pousse la
porte et entre : qu'on juge du saisissement de
Tranquille et de la vieille 1 Brigand leur dit :
— J'ai faim, je suis las : qu'on me donne à
manger, qu'on me donne un lit.
La bonne femme qui avait grand peur, parce
qu'elle connaissait Brigand depuis longtemps, lui
donna un peu de magnoc et lui dit : « Voilà tout
ce que j'ai à vous donner. Monsieur ! je suis une
pauvre vieille femme. »
Brigand mangea.
— Je vous ai dit que j'étais fatigué : où est
mon lit ?
ZISTOIRE TRANQPILLE AV BRIGAND 239
doumounde dans louvraze. Li saute enbas lilit, li
pèse bâton, li même aile sonné. Personne vini :
Brigand enrazé. Li sacouye son bâton, li aile dans
camp. Tout laportes lacases ouvert : partout fine
lève paquet ; tout lacases vide. A force Brigand
fine faire zaute lamisère, tout zense bitation fine
sauvé : Brigand tout seil. Personne pour tire so
dileau, personne pour pile so douriz, personne
pour plice so brèdes, personne pour couit so
manzé. Qui li a faire ? li oussi blizé allé.
Brigand marcé, marcé ; avlà li arrive dans
bois. Cornent lanouite vine noir même, li trouve
éne laclairté : té lacase vie grandmaman acôte
Tranquille ti été Brigand pousse laporte, li rentré.
Bonnefemme av Tranquille saisi ! Brigand dire
zaute :
— Mo faim, rao lassé : donne moi manzé ;
donne moi éne lilit.
Bonnefemme peir à cause li té conne Brigand
dipis longtemps. Li donne li morceau magnoc, li
dire li :
— Ça même mo éna pour donne vous, Msié !
mo éne pauve vie doumounde.
Brigand manzé :
— Mo fine dire vous mo lassé : à cote
lilit?
240 HISTOIRE DE TRAXQ.UILLE ET DE BRIGAND
— Ah ! monsieur ! je suis trop pauvre pour
qu'il y ait un lit dans ma case : voyez vous-
même. Si vous le voulez je vais étendre une
natte pour vous; mais j'ai bien peur que les puces
ne vous empêchent de dormir ; vous êtes jeune,
vous avez la peau tendre, elles me quitteront
pour aller sur vous.
— Assez bavarder ! ma natte !
Brigand se couche. Les puces commencent.
Elles lui sucent le sang : c'est, sur tout son corps,
comme une poussière de feu. Il se lève, il se
secoue et se recouche. Les puces reviennent et se
jettent sur lui par nuées. Cette fois, Brigand
écume de rage. Il saisit un tison sous la cendre,
il souffle, ranime la flamme et plonge le brandon
allumé dans la paille de la cabane. La pauvre pe-
tite case, toute de fataque et de vétiver, flambe en
grand d'un seul coup, et la pauvre vieille femme se
sauve en pleurant dans la forêt. Tranquille la suit.
Brigand se remet en route. Il arrive dans un
autre pays dont le gouverneur cherchait des sol-
dats pour faire la guerre. Brigand s'engage pour
trente piastres par mois. Il part pour la guerre,
et, comme il n'a peur de rien, il tape si fort
qu'on le fait bientôt officier. Mais comment dire
la vie qu'il faisait à ses soldats ! Coups de poing,
coups de pied, coups de bâton : il les assommait
sans rime ni raison. Tout le monde le détestait.
ZISTOIRE TRANQUILLE AV BRIGAND 2^1
— Ah ! Msié ! mo trop pauve gagne lilit dans
mo lacase : guété vous-même. Quand vous con-
tent, mo taie éne natte pour vous ; mais pengare
vous napas capabe dourmi av pices : vous zeine,
vous lapeau tende, zaute va quitte moi pour
-monte av vous.
— Assez causé ! donne natte.
Brigand allonzé : pices av li, manze so disang,
bourle li coment éne laflamme difé. Lidibouté, 11
5acouye so lécorps, li allonze encore, pices tourné,
tombe comment lapli battant làhaut li. Ça coup-là
Brigand Kimé même ! Li pèse ène tison enbas
lacende, li soufflé, li faire laflamme levé, li bourre
difé dans lapaille lacase. Pauve ptit Iscase là té tout
enfataque av vitiver; éne coup même li flambe en
grand. Bonnefemme ploré, sauve dans bois av
Tranquille.
Brigand marcé, marcé ; li arrive dans éne laute
paye à côte Gouverneir té rôde soldars pour
laguerre. Brigand engazé, trente piasses par mois.
Li aile laguerre. Coment li peir narien, li nèque
tapé, tapé même, vitement li vine zofficier. Mais
napas appelle éne bande lamisères li faire so
soldars ! coupdepoings, coupdepieds, coupde-
bâtons, li ronflé zaute bonavini. Tout dou-
mounde haï li.
i6
242 HISTOIRE DE TRANQUILLE ET DE BRIGAND
Un jour que Brigand essayait un fusil neuf, le
fusil éclate entre ses mains ; la poudre lui saute à
la figure et lui brûle les yeux. Tous les soldats le
laissent là et décampent. Il lave ses yeux, il les
bassine, peine perdue! ils sont bien bouchés. Un
seul œil distingue encore un peu, mais rien que
les gros objets ou les objets brillants.
Brigand est seul, au milieu d'un autre pays
qu'il ne coimaît pas. Il se coupe un bâton et
marche en tâtonnant. Sa misère n'a pas de nom.
A force de marcher, il arrive encore dans un
autre pays. Un jour qu'il allait tâtant son che-
min, il rencontre un homme. C'était Tranquille.
Tranquille le regarde, le regarde encore. Le
soupçon lui est venu que ce pauvre estropié pour-
rait bien être son frère Brigand. Il le fait parler :
c'est la voix de Brigand, la voix de son frère!
Tranquille avait le cœur bon. 11 embrasse Bri-
gand en pleurant et lui dit :
— Mon frère, Dieu a eu pitié de toi. C'est
moi Tranquille, moi: ton jeune frère ! Je suis sûr
que la misère t'a corrigé à cette heure. Viens
chez moi ! je te donnerai tout ce dont tu as be-
soin; tu ne manqueras plus de rien désormais.
Il faut que vous sachiez que Tranquille avait
épousé la fille d'un roi. Sa maison était riche,
vraiment riclie ; une maison, pour tout dire, où
l'on mangeait du pigeon.
ZISTOIRE TRANQUILLE AV BRIGAND 243
Ene zour, cornent Brigand après saye éne fisil
liclate dans so lamain, lapoude saute dans so
figuire, bouce so liziés. Tout soldars quitte li là
même, vanné. Li lave so liziés, lavé, lavé : ah
ouah ! liziés boucé même. Nèque éne côté qui
capave trouve morceau morceau quiqçose qui
gros gros ou bien clair clair.
Brigand tout seil, dans milié éne laute paye li
napas coné, Li casse éne bâton, li blizé marce
en tâtant ; li misère, mais misère zousqu'à napas
bon !
A force marcé, marcé, li fine arrive encore éne
laute paye. Ene zour, coment li après tâte tâte so
cimin, li zoinde éne doumounde. Doumounde là
té Tranquille Tranquille guette li, guette li ! li
gagne ladoutance qui ça faille malhéré là so
frère Brigand même ça. Li faire li causé: lavoix
Brigand même ! lavoix so frère !
Tranquille bon keir. Li embrasse Brigand, li
plore av li, li dire li comme ça :
— Mon frère, Bondié fine soulaze toi ! Moi
même Tranquille ; moi même ton ptit frère ! Mo
sîr to lamisère fine faire toi vine bon astheire :
vine lacase ; mo va donne toi tout ça qui to
bisoin ; to napas pour manque narien asthére.
Faut vous coné qui Tranquille té fine marié
av éne fille léroi. So lacase rice même, éne
lacase manze pizon, mo dire vous !
244 HISTOIRE DE TRANQUILLE ET DE BRIGAND
Tranquille conduit Brigand à sa femme et lui
dit:
— Ma femme, voici mon frère, mon frère
aîné qui est tombé dans la misère parce qu'il a
perdu les yeux. Notre devoir est de le prendre
chez nous, de le vêtir, de le nourrir, de le soi-
gner. Comme je sais que tu m'aimes, je sais que
tu l'aimeras : je le remets entre tes mains.
Tranquille et sa femme étaient pleins de bonté
pour Brigand. Ils lui donnèrent des habits, des
souHers, un chapeau, tout ce dont il avait besoin,
tout ce dont il avait envie. Brigand n'avait rien à
faire qu'à boire, à manger, à dormir. Mais à
mesure qu'il engraissait et que sa force revenait,
il s'ennuyait davantage dans la maison. Et sa
folie revint. Il était si méchant, il en fit tant et
tant que la reine, ne pouvant plus y tenir, fut
réduite à dire à son mari :
— Ton frère est un trop méchant homme ; il
est plus méchant qu'une bête méchante; je ne
veux plus de lui chez moi : chasse-le.
Tranquille lui répondit avec douceur :
— Ne te fâche pas, ma femme ! patientons
encore un peu, te dis-je. C'est sa lubie qui est
revenue ; peut-être va-t-elle repartir tout à l'heure !
Il redeviendra bon, te dis-je !
Ah bien oui ! il n'y avait plus moyen d'y tenir
avec Brigand : plus il allait, plus il devenait mé-
ZISTOIRE TRANaUlLLE AV BRIGAND 245
Tranquille amène Brigand av so madame, H
dire li :
— Mo femme, avlà mo frère ; mo grand frère
qui fine vine misère à cause li fine perdi liziés ;
nous bision prend li dans nous lacase, habille li,
nourri li, soigne li. Coment mo coné qui vous
content moi, mo coné qui vous va content li :
mo donne li vous dans vous lamain.
Tranquille av so madame bon même pour
Brigand : donne li linze, donne li souliers, donne
li çapeau, tout ça qui li bisoin, tout ça qui li
envie. Brigand narien pour faire, nèque manzé,
boire, dourmi. Mais à misire qui li vine gras, qui
so laforce tourne av li, li ennouye ennouyé dans
lacase : so gandia comence lève encore. Li si
tant mauvais, li faire si tant brigandazes qui
lareine blizé lassé av li 1 Li dire av so mari :
— To frère éne trop mauvais doumounde,
mauvais coment éne zanimaux ! mo na plis voulé
garde li dans mo lacase, pousse li !
Tranquille cause cause doucement ov so
madame :
— Napas en colère, mo femme ! laisse nous
aspère encore morceau, mo dire toi ! so fouca là
qui fine levé ! quiquefois talheire là même li
pour tombé ! Li va vine encore bon, mo dire toi.
Ah ouah ! na plis capave tini av Brigand : tant
plis li allé, tant plis li mauvais ; li coment éne
246 HISTOIRE DE TRANQUILLE ET DE BRIGAND
chant ; un vrai chien enragé. La reine, cette fois,
ne voulut rien entendre ; elle appela ses gens et le
fit jeter dehors.
Tranquille en eut le cœur déchiré. « Pauvre
malheureux aveugle ! si je le laisse seul il mourra
de misère, bien sûr! non, non! j'aime mieux le
suivre. » Il rejoint Brigand sur la grande route,
et tous deux s'en vont ensemble.
La nuit les surprit en chemin. Les voilà qui
arrivent devant une grande belle maison tout
illuminée. Ils entrent. C'était la maison d'un roi.
Le roi reconnaît à leur figure que ce ne sont pas
les premiers venus. Il les accueille avec des pa-
roles pleines de politesse ; il les fait dîner, leur
fait donner de bons cigares et servir de la liqueur.
Puis il ordonne au domestique de les conduire
dans une chambre où on leur a préparé deux lits.
Tranquille, tout heureux, dit bonsoir au roi,
merci de vos bontés, et ils se retirent.
C'était une chambre magnifique. Rien n'y
manquait : de bons lits, de bons matelats, de
bons oreillers, de bonnes couvertures. Mais point
de planches pour cloisons ; comme lambris rien
qu'une grande glace qui descendait jusqu'au par-
quet.
Ils commençaient à s'endormir quand les rats
se mettent à gratter derrière la cloison près du
lit de Brigand. Il frappe pour les chasser; ils s'en
ZISTOIRE TRANaUlLLE AV BRIGAND 247
licien enrazé même. Ça fois là lareine napas vlé
coûte narien, appelle domestiques, faire zette li
dohors.
Lékeir Tranquille bourlé. « Ene pauve malhéré
qui napas trouve clair ! quand mo laisse li tout
seil, bien sîr li va mort misère ! vaut mié mo
sivré li. » Avlà li zoinde Brigand Ihaut grand
cimin ; zaute dé aile ensembe.
Cornent zaute marcé là, zaute gagne à soir
dans cimin. Avlà zaute arrive divant éne belle
grand lacase qui allimé partout partout. Zaute
rentré. Ça ti lacase éne léroi. Léroi là guette
figuire Tranquille av Brigand ; li cône qui ça
napas doumounde bonavini ; li cause politesses
av zaute, Il faire zaute diné, fime bon ciroutes,
boire laliquier. Après ça li dire domestique amène
zaute dans laçambe à côte fine arranze dé lilits
pour zaute dourmi. Tranquille content ; li dire
bonsoir léroi, grand merci vous bonté ; zaute
allé.
Ti éne belle belle laçambe même av tout ça
qui bisoin làdans, grand lilits, bon matelas, bon
couvertires. Mais so cloisons laçambe là napas
dibois napas plances : dipis en haut, dipis en bas
toute loison nèque éne grand grand laglace même.
Avlà, cornent zaute coumence dourmi, lérats
gratte gratté dans cloison à côte lilit Brigand.
Brigand tape tapé, pour pousse zaute ; zaute allé.
248 HISTOIRE DE TRANQ.UILLE ET DE BRIGAND
vont. Brigand se retourne dans son lit et va se
rendormir quand les rats reviennent. Ils sautent,
ils courent, ils dansent, on dirait qu'il y a bal
chez eux. Brigand saute hors du lit; pas moyen
de dormir, il est en fureur. Il cherche de quoi
frapper les rats, et trouve un bout de fer d'envi-
ron deux pieds. Il le saisit et tombe sur les rats
qui sont dans la cloison ; il brise la glace en mille
morceaux. Tranquille lui crie :
— Ah ! mon Dieu, mon frère ! qu'as-tu fait
là ! Quand demain matin le roi verra tous ces dé-
gâts, il sera furieux contre nous, et nous fera
tuer. Mieux vaut nous sauver.
Il prend Brigand par la main, descend l'esca-
lier et ouvre la porte sans faire de bruit. Les
voilà dans la cour. Tranquille cherche une issue,
il fait le tour de la cour, mais partout de hautes
murailles couronnées de pointes de fer. Que
vont-ils faire?
Tandis qu'ils étaient là, cherchant toujours
une issue, ils rencontrent une tortue. La tortue
leur demande ce qu'ils font à tourner ainsi dans
la cour, la nuit, au lieu d'être à dormir dans leur
lit. Tranquille lui raconte ce qui vient de se
passer. La tortue l'écoute et leur dit :
— N'ayez point peur, mes enfants ! Suivez-
moi, et vous verrez.
— Cette tortue-là était fée. Ils arrivent au fond
ZISTOIRE TRANQTJILLE AV BRIGAND 249
Brigand vire so lécorps làhaut lilit, li coumence
dourmi encore, lérats tourné. Zaute sauté, zaute
galpé, zaute dansé, mo croire quiquefois zaute
après donne bal : napas moyen dourmi av zaute.
Brigand diboute éne coup ! so colère fine levé.
Li rôde quiqueçose pour batte lérats ; li trouve
éné boute fer dé pieds longuère aproçant, li pèseli,
li tombe làhaut lérats dans cloison, li brise tout
ça laglace là en mille morceaux. Tranquille crie
avec Brigand :
— Ah Bondié, mo frère ! qui to fine faire !
Quand dimain bomatin léroi trouve tout çà
dégàt-là, li va en colère av nous, li va touye
nous ! Vaut mié nous allé.
Li prend lamain Brigand, li dicende lescalier,
li ouvert doucement doucement laporte ; avlà
zaute dans lacour. Tranquille vire viré ; mais
partout lacour barré av grand grand lamiraille,
et enhaut lamiraille, fer pointe ! Q.ui zaute va
faire ?
Avlà cornent zaute après rôdé là, zaute zoinde
éne tourtie, Tourtie dimande zaute quifaire zaute
vire viré coume ça àsoir dans lacour au lié
dourmi dans lilit. Tranquille raconte li tout ça
qui fine passé là. Tourtie coûte ça, li dire zaute :
— Napas bisoin peir, zenfants ! sivré moi,
zaute va guété.
Tourtie là ti éne s:rand sourcier. Avlà zaute
250 HISTOIRE DE TRANQUILLE ET DE BRIGAND
de la cour tout contre la muraille ; la tortue
touche le mur avec sa tête, le mur s'ouvre, et
ils sortent.
La tortue leur dit alors :
— Venez avec moi. Je vous conduirai par un
chemin où personne ne pourra vous poursuivre,
car, à mesure que nous avancerons, il se fermera
derrière nous. n
Ils marchent, et derrière eux poussent de
grands arbres. Partout les lianes les enveloppent
et font un réseau impénétrable : plus de chemin.
De grand matin, au chant du coq, ils arrivè-
rent au milieu d'une grande plaine. Alors la
tortue leur dit :
— Mes enfants, allez ramasser deux paquets
de bois sec. J'ai froid, je suis lasse, il £iut que
j'allume un petit feu pour me réchauffer et faire
un petit somme.
Tranquille va chercher le bois, Brigand s'as-
sied.
Quand le bois est venu, la tortue frotte deux
petites branches sèches l'une contre l'autre et
allume le feu. Elle s'allonge au bord du feu et
s'endort.
Cependant Brigand a faim. Il se dit à part lui :
« C'est excellent à manger, la viande de tortue ! »
Il prend une roche énorme, s'approche douce-
ment de la tortue endormie, lève la roche, la
ZISTOIRE TRANQ.UILLE AV BRIGAND 25 I
arrive dans fond lacour à côté lamiraille ; tourtie
nèque touce lamiraille av so latête : lamiraille là
fende en dé, zaute sourti.
Asthère là tourtie dire zaute :
nu
— Vine av moi ; mo va monte zaute éne
cimin à côte personne napas va capabe sivré
nous, à cause li va boucé derrière nous lédos à
misire nous avancé.
Zaute marcé, zaute marcé ; derrière zaute avlà
grand grand zarbes poussé, amarre partout av
laliane, natte même : naplis cimin.
Grand bômatin coq çanté, zaute fine arrive
dans milié laplaine. Tourtie dire zaute :
"<v[ — Mo zenfants ! aile ramasse dé paquets
dibois sec. Mo fré, mo lassé : mo bisoin allime
éne ptit difé pour çaufie mo lécorps et dourmi
éne ptit moment.
Tranquille aile rôde dibois, Brigand assise.
.- Lheire dibois amené, tourtie frotte frotte dé
ptits morceaux ensembe, allime difé ; li allonze
so lécorps dans bord difé, li dourmi.
Avlà Brigand gagne faim. Li maziné, laviande
tourtie bon pour manzé, oui ! Li pèse éne ma-
man roce, li vine doucement doucement av
ourtie qui dourmi là, li lève roce en lair, lit
252 HISTOIRE DE TRANQJJILLE ET DE BRIGAND
jette de toute sa force sur la tortue et la tue !
Tranquille n'a pas le temps d'arrêter sa main et
lui crie :
— Ah ! mon frère ! une tortue qui vient de
nous sauver la vie !
Brigand lui répond avec un mauvais rire :
— Pour qui me prends-tu ? Je mourrais de
faim auprès d'un morceau! Suis-je un imbécile?
Il prend la tortue, la retourne, la met sur le
feu, la fait cuire dans sa coque et la mange.
Tranquille pleurait, et, le cœur déchiré, il se
disait : « Non, non ! C'est trop fort d'être mé-
chant comme ce Brigand ! »
Le soleil commençait à être haut. Ils se re-
mettent en route. Mais, qu'est-ce donc que ce
chemin-là ! partout des épines, des trous, de
grosses roches qui roulent sous leurs pieds. Bri-
gand, dont la vue est mauvaise, ne fait que tom-
ber à tout moment. Il faut qu'il prenne la main
de Tranquille. Le chemin devient plus mauvais
encore : à chaque pas ils courent le risque de se
casser le cou. C'est sans doute un sort que
l'âme de la tortue leur a jeté.
Voilà que Tranquille pose le pied sur une
roche, la roche tourne, Tranquille et Brigand
tombent. La pente était rapide : ils roulent, rou-
lent et tombent dans un grand trou très profond.
Ils essayent d'en sortir : impossible ; partout les
ZISTOIRE TRANQUILLE AV BRIGAND 253
fouette li làhaut tourtie, H touve li ! Tranquille
napas létemps arrête so lamain ; li crie li :
— Ah mon frère ! éne tourtie qui fine sauve
nous lavie !
Brigand nèque rié éne mauvais rié, li dire li :
— Qui to croire ? mo va mort faim Ihére mo
gagne éne bon quiqueçose pour manzé? sipas mo
bête, moi !
Li prend tourtie là, li vire so làhaut enbas, li
mette li dans difé, li couit li dans so lacoque, li
manze li.
Tranquille ploré. So lékeir enbas roce : « trop
fort mauvais linstinct coment ça Brigand là ! »
Avlà soleye comence làhaut, zaute dibouté,
zaute allé. Mais qui ça zespèce cimin là, donc !
partout nèque piquants, tourous, gros gros roce
roule enbas lipieds. Brigand, cornent li napas
trouve bien clair, li nèque tombe tombe à tout
moment. Li blizé donne lamain Tranquille.
Cimin vine plis mauvais encore, çaque pas zaute
avancé, zaute manque casse cou même. Mo croire
quiquefois ça éne mofine qui name tourtie là
fine mette av zaute.
Avlà éne coup Tranquille pose so lipied
Ihaut éne roce, roce viré. Tranquille av Brigand
tombé. Terrin ti en décendant : zaute roulé, roulé
mêm^e, zaute tombe dans éne grand tourou qui
té fond fond même. Zaute saye sourti ; napas
254 HISTOIRE DE TRANQUILLE ET DE BRIGAND
parois sont à pic. Q.ue faire? Ils s'asse3'ent par
terre, et Tranquille qui ne fait que penser à la
tortue, pleure amèrement.
Au milieu de ses larmes il entend comme un
grand bruit d'ailes au-dessus de sa tête. Il regarde :
c'était un grand oiseau. L'oiseau vole en rond,
les cercles se rapprochent et il vient se poser sur
une pointe de rocher à mi-hauteur du précipice.
L'oiseau les regarde longtemps, et voyant que
Tranquille pleure et pleure toujours, il lui de-
mande :
— Mais qu'as-tu donc à pleurer ainsi ?
— Voyez vous-même. Monsieur l'oiseau.
Mon frère et moi nous avons roulé au fond de ce
précipice, comment ferons-nous pour en sortir ?
Pas de chemin ! nous sommes condamnés à
mourir de faim ici.
L'oiseau lui dit :
— N'aie plus peur, ne pleure plus : je vous
rapporterai là haut. Mais écoutez moi bien. Je
vais descendre, et tandis que je volerai tout près
de vous, chacun de vous saisira une de mes ailes.
Tenez bon. Alors je m'élèverai d'un seul coup.
Mais il faut l'un et l'autre que vous gardiez vos
yeux fermés ; si vous venez à les ouvrir, même
un instant, je vous secoue, je vous jette sur les
roches et je vous casse la tête. Vous avez bien
entendu, prenez garde de l'oubher !
ZISTOIRE TRANQUILLE AV BRIGAND 255
moyen, partout rempart à pic. Qui a faire ?
Zaute assise ; Tranquille nèque pense ça tourtie
là : so léquier bourlé, li ploré.
Cornent li après ploré là, ti tende coma dire
lézailes éne zozo qui batte batte. Li guetté : té
éne gros zozo même. Zozo vole en rond, vole en
rond, li dicende ein pé, li pose éne coup Ihaut
éne pointe roce dans milié rempart. Zozo là
guette guette zaute bon morceau létemps ; li
trouve Tranquille ploré, ploré même, li dimande
li:
— Mais quifaire vous ploré, don ?
— Guette vous même, Msié zozo ! Mo frère
av moi nous fine roule dans fond ça grand tou-
rou là. Cornent nous va capave sourti ? cimin
napas : nous va blizé mort faim ici même !
Zozo dire Tranquille :
— Napas bisoin peir, napas bisoin ploré ; mo
va amène zaute làhaut : coûte bien ça qui mo
causé. Avlà mo dicende enbas. Coment mo va
vole vole à côte zaute, çaquéne va tchiombô éne
côté mo lézailes, souqué même. Ça moment là
mo pour lève en lair éne coup ; mais zaute dé
bisoin pour fréme bien zaute liziés ; quand zaute
ouvert néque ptit moment même, mo sacouye
zaute, zette zaute làhaut roces, casse zaute lalête.
Zaute fine bien tende, pengare blié !
256 HISTOIRE DE TRANaUILLE ET DE BRIGAND
L'oiseau plonge en volant jusqu'au fond du
précipice. Tandis qu'il bat des ailes tout auprès
de leurs têtes, Tranquille saisit une de ses ailes et
Brigand l'autre ; l'oiseau leur crie : « fermez les
yeux », et remonte tout droit comme un caillou
lancé par une fronde.
Tandis qu'ils sont là-haut, tout en l'air, Bri-
gand entr'ouvre les yeux. L'oiseau avait à chaque
aile une belle plume d'or qui brillait au soleil.
Brigand aperçoit la plume; il change tout douce-
ment la position de ses mains pour pouvoir saisir
la plume et l'arracher d'un seul coup au moment
où l'oiseau les aura déposés à terre. L'oiseau a
senti bouger sa main, il devine pourquoi, il se-
coue vivement ses ailes. Les mains de Brigand et
de Tranquille glissent. Ils tombent du haut du
ciel en faisant plusieurs tours sur eux-mêmes et
meurent en se brisant sur les roches. D'en haut
l'oiseau les regarde étendus sur la terre. Rien ne
bouge. Il se dirige vers le soleil couchant et dis-
paraît.
Le lendemain matin, voilà qu'auprès des deux
cadavres l'herbe se met à remuer doucement.
L'herbe s'agite encore, et une tête paraît : c'était
la tête d'une tortue. La tortue s'approche de
Brigand ; elle le regarde un bon moment, et elle
se met à rire comme une tortue peut rire. Elle
quitte le corps de Brigand et vient à Tranquille ;
ZISTOIRE TRANaUILLE AV BRIGAND 257
Avlà Zozo plonze éne coup eue volant zisqu'à
dans fond tourou. Cornent li batte batte lézailes
à côte zaute latête, Tranquille tchiombô éne côté
lézailes, Brigand pèse laute côté ; zozo crie zaute
éne coup, fréme léziés, et pique en lair tout dréte
côment ène roce lance av la corde.
Cornent zaute en lair en lair là, Brigand ouvert
liziés morceau morceau. Dans lézailes ça zozo là
ti éna éne belle belle plime lor qui té manimani
dans soléye. Brigand trouve ça plime là ; li
çanze doucement doucement place so lamain
pour capave tchiombô plime là et arrace li éne
coup, Ihére zozo va fine pose zaute enbas. Zozo
senti lamain bouzé, li éna éne doutance... éne
coup là li sacouye lézailes : lamains Tranquille
av Brigand glissé, zaute néque çavire dipis làhaut
roces, mort même. Zozo guéte zaute par terre :
narien bouzé. Li pique côté soleye coucé, li
allé.
Lendimain bomatin, avlà éne coup Iherbe
comence bouze bouzé à côte ça dé lécorps là.
Lherbe bouze encore ; éne latête sourti, ti latête
éne tourtie. Tourtie approce av Brigand, li guette
guette li : avlà tourtie là rié, so magnière éne
tourtie capave rié. Li quitte lécorps Brigand, li
arrive av Tranquille, li arrête rié, li guette li.
17
258 HISTOIRE DE TRANQ.UILLE ET DE BRIGAND
elle cesse de rire, elle le regarde. Elle reste long-
temps plongée dans ses réflexions, et soudain elle
s'en va. Elle cueille trois feuilles à trois herbes
différentes, prend les trois feuilles dans sa bouche,
et revient auprès de Tranquille.
Tranquille était couché sur le dos et semblait
dormir la bouche ouverte. La tortue met les trois
feuilles dans sa bouche, et voilà qu'à l'instant
même Tranquille ouvre les yeux, étend les bras,
s'étire et s'assied.
— Eh bien ! mon garçon, lui dit la tortue,
est-ce assez dormi, ou bien si nous avons encore
sommeil ?
Tranquille passe sa main sur sa figure et re-
garde. Il voit le corps de Brigand étendu mort
auprès de lui, et le souvenir lui revient. Il voit
son frère qui est là, couché sans vie, et le voilà
qui se met à pleurer. Cette fois la tortue lui dit :
— Eh toi. Tranquille! eh toi, mon garçon,
entends-moi bien. La bonté, c'est bonté ; mais la
bonté jusqu'à la bêtise, c'est bêtise. C'est moi qui
ai ouvert la muraille pour vous sauver la vie, et
Brigand m'a tuée et mangée. Mais moi, qui sais
ressusciter les morts, je suis revenue dans mon
écaille, et me voilà vivante encore, et je vivrai
deux ou trois mille ans encore. C'est moi qui
vous ai fait tomber dans le précipice ; c'est moi
qui ai envoyé mon oiseau aux plumes dorées.
ZISTOIRE TRANQUILLE AY BRIGAXD 259
Longtemps longtemps li maziné. Ene coup là li
allé ; li casse trois feilles dans trois pieds Iherbe,
li amène feilles là dans so labouce, li tourne
encore av Tranquille.
Tranquille té coucé làhaut lédos, coment dou-
mounde qui dourmi labouce ouvert. Avlà tourtie
mette ça trois feilles là dans labouce Tranquille :
Tranquille éne coup même ouvert so liziées, tire
tire so lébras, li assise. Tourtie cause av li :
— xVh ben, mon garçon ! esqui to fine assez
dourmi, ou bien soméye encore av toi?
Tranquille passe so lamain làhaut so figuire, li
guété, li trouve lécorps Brigand qui mort làhaut
laterre à côte li : éne coup là li souvini. Coment
li guette guette son frère qui mort là, avlà li
comence ploré. Ça coup là tourtie dire li :
— Eh toi, Tranquille ! eh toi, mon garçon !
coûte bien mon causé : Bon, li bon ; mais bon
zousqu'à bête napas bon ! Moi même qui té ouvert
lamiraille pour sauve vous lavie ; et Brigand ti
touye moi ti manze moi. Mais moi qui conne
lève doumounde mort, mo fine tourne encore
dans mo lacoque et rao encore vivant, et mo va
vivant sipas dé mille bananées encore. Moi même
qui ti zette zaute dans tourou; moi-même qui ti
envoyé mo zozo plimes doré, à cause mo té cône
iSo HISTOIRE DE TRANQ.UILLE ET DE BRIGAND
parce que je savais que Brigand ouvrirait les
yeux et se briserait la tête, moi, enfin, qui viens
de te rendre la vie. Va, mon noir ! retourne chez
toi auprès de ta femme ; Brigand jamais plus ne
viendra troubler la paix de votre maison. Va, te
dis-je ; mais rappelle-toi bien mes paroles :
« La bonté, c'est bonté; mais la bonté jusqu'à
la bêtise, c'est bêtise. »
Tranquille s'en alla et arriva chez lui. Sa
femme fut dans la joie et ses domestiques aussi.
Tous les plus grands rois vinrent le voir.
Tranquille donna un dîner magnifique et
invita tous ses amis. Mais par malheur on ne
voulut pas me laisser entrer pour regarder.
C'est sans doute encore une adaptation, mais parfaite : tout
le début du conte surtout a un goût de terroir des plus pro-
noncés.
On remarquera à titre de curiosité que c'est bien ici un conte
moral. Lindor, qui a ouï dire que l'excès en tout est un défaut,
entend démontrer qu'à la bonté elle-même il faut des limites :
ZISTOIRE TRANQ.UILLE AV BRIGAND 26 1
qui Brigand pour ouvert liziés et pour casse so
latête ; moi-même qui faique rende toi to lavie.
Allé asthére, mon noir ! tourne dans to lacase
av to femme ; zamais Brigand pour faire zaute
encore lamisère. Allé, mo dire toi ; mais souvini
bien mo parole :
V « Bon, li bon ; mais bon zousqu'à bête napas
bon. ))
Avla Tranquille allé, li arrive so lacase. So ma-
dame content, so domestiques content, tout grand
grand lérois vine voir li.
Tranquille donne éne grand grand grand diné ;
li engaze tout so camrades... Mais domaze zaute
napas té voulé laisse moi rentré pour guété.
a Bon li bon, mais bon zousqu'à bête napas bon. » Et nous voilà
mis en garde par le philosophe à peau noire contre une tendance
absolument funeste. Grâce à lui nous saurons y résister désor-
mais. Nous réagirons, n'ayez pas peur : le moraliste a cause
gagnée.
XXI
LE SINGE ET LA TORTUE
fe^
L y avait une fois un singe et une tortue.
La tortue avait onze enfants. Le singe
était un vagabond,
La tortue va travailler; et, son ouvrage fini,
elle reçoit son salaire et va acheter une balle de
riz.
En revenant chez elle, elle s'arrête au bord du
chemin, met sa balle de riz par terre et va cher-
cher du bois sec.
A son retour elle trouve le singe assis sur sa
balle de riz, le singe lui dit :
— Eh vous, commère, voyez, j'ai trouvé une
balle de riz.
— Ce riz-là n'est pas â vous, compère! ce
riz-là est du riz que j'ai acheté pour mes enfants.
Je l'ai laissé au bord du chemin parce que j'allais
chercher du bois sec ; mais ce riz est à moi : rendez-
le-moi.
XXI
ZISTOIRE ZACOT AV TOURTIE
;i éna éne fois éne Tourtie av éne Zacot.
Tourtie là ti éna onze pitits. Zacot là
té éne vacabond.
Tourtie aile travaye. So louvraze fini, li prend
so lamonaie ; li acète éne balle douriz.
Lhére li tourne so lacase, li arrête dans bord
cimin, li mette balle douriz enbas, li aile rôde
dibois sec.
Cornent li tourné, li trouve Zacot assise làhaut
so balle douriz ; Zacot dire li :
— Eh vous ! mo coraère ; guetté : mo fine
ramasse éne balle douriz.
— Douriz là napas pour vous, compère ;
douriz là douriz qui mo fine aceté pour mo zen-
fants ; rao té quitte li dans bord cimin cornent
mo rôde dibois sqc. Douriz là mon douriz : rende
moi li.
264 LE SIKGH liT LA TORTUE
Le singe ne veut rien entendre et dit :
— Ce qui est bon à ramasser est bon à garder :
je ne rends pas.
La tortue est désolée ; mais que pouvait-elle
faire ? Elle dit au singe :
— Eh bien ! compère, vendez-m'en une livre,
les enfants n'ont rien à manger à la maison.
— Lnpossible, commère ! mon riz n'est pas à
vendre : allez chez le chinois.
— Bon, compère ! un jour nous verrons !
Un jour, le singe était assis sur une branche
d'arbre et sa queue traînait par terre. La tortue
passe, elle voit cette queue, la saisit et crie :
— Me voilà qui viens de trouver une queue
de singe ! Ce qui est bon à ramasser est bon à
garder ! Je ne rends pas.
— Eh vous, commère ! vous plaisantez, n'est-
ce pas ? C'est ma queue, ça !
— Le riz sur le chemin est à celui qui ra-
masse le riz ; la queue sur le chemin est à celui
qui ramasse la queue.
Le singe se fâche. Il tire sur sa queue, la
tortue ne lâche pas et suit la queue. Le singe
tire, la tortue suit : et le singe apporte le tout au
tribunal.
Le juge était sur son siège, le singe lui dit :
— Mon juge ! condamnez la tortue à me ren-
dre ma queue. . -
ZISTOIRE ZACOT AV TOURTIE 265
Zacot napas vlé coûte narien ; H dire :
— Ça qui bon ramassé, bon gardé ! Mo napas
rende encore.
Tourtie çagrin ; mais qui li capabe faire ? Li dire
Zacot :
— Ah-bin ! compère, vende moi éne live : zen-
fants lacase napas gagne narien pour manzé.
— Napas moyen, commère ! mon douriz napas
pour vende; aile laboutique camila.
— Bon, compère ! Ene zour nous va guété.
: J\.là, éne zour, Zacot fine assise làhaut éne
brance : so laquée traine par terre. Tourtie
passé ; li trouve laquée là, li tchiombô li, li
crié :
— Avlà mo fine trouve éne laquée zacot ! Ça
qui bon ramassé, bon gardé ! Mo napas rende
encore,
— Eh vous, commère ! vous badinez, vous !
Mo laquée ça !
— Douriz làhaut cimin, pour doumoune qui
ramasse douriz là ; laquée làhaut cimin, pour
doumoune qui ramasse laquée là.
Zacot en colère. Li tire so laquée ; tourtie
napas largué, li sivré laquée. Zacot tiré, tourtie
sivré : Zacot amène tout çaça dans tribinal.
Zize té làhaut siéze. Zacot dire li :
— Mo zize ! condamne Tourtie rende moi mo
laquée.
266 LE SINGE ET LA TORTUE
La tortue dit au juge :
— Mon juge, condamnez le singe à me rendre
mon riz.
Le juge les fait parler. Quand il connaît toute
l'affaire, il dit au singe :
— Où est le riz ?
Le singe se met à rire, et se frappant sur le
ventre :
— Là dedans, mon juge !
Le juge appelle un garde et lui ordonne
d'apporter un billot. Le billot est apporté. Le
juge donne l'ordre au garde de placer la queue du
singe sur le billot, puis le garde la coupe en deux.
Le juge ensuite rend son jugement :
— Ce qui est bon à ramasser est bon à garder.
Le singe a ramassé une balle de riz sur le che-
min, la balle de riz lui appartient ; la tortue a
ramassé un bout de queue sur le chemin, le bout
de queue est à elle. Mais si le singe veut acheter
ce bout de queue pour le coller à son autre
moitié de queue, je condamne la tortue à vendre
au singe ce bout de queue pour une balle de riz
Balam.
Maintenant j'ai dit. Allez !
C'est une fable bien créole, et de nos meilleures. Le singe, la
tortue et — disons-le sans fausse modestie — le magistrat»
ZISTOIRE ZACOT AV TOURTIE 267
Tourtie dire zize :
— Mo zize ! condamne Zacot rende moi mo
douriz.
Zize faire zaute causé. Lhére li fine cône tout
zistoire, li dire Zacot :
— Acote douriz ?
Zacot rié. Li nèque tape so vente :
— Làdans, mo zize !
Zize appelle garde ; li dire garde amène billot.
Garde amène billot. Zize faire garde pose laquée
Zacot làhaut billot, coupe en dé.
Après ça, zize causé :
— Ça qui bon pour ramassé, bon pour gardé.
Zacot fine ramasse éne balle douriz làhaut cimin,
balle douriz pour Zacot ; Tourtie fine ramasse éne
boute laquée làhaut cimin, boute laquée pour
Tourtie. Mais quand Zacot voulé acéte ça boute
laquée là pour côle ensembe so laute morceau
laquée, mo condamne Tourtie vende toute
laquée av Zacot pour éne balle douriz Balam.
Açthère là mo fine causé : allé 1
« district magistrate », sont bien tous les trois des Mauriciens
de Maurice.
©®©@©®©©©@©©©®
XXII
LE SINGE ET L'HIRONDELLE
iNE fois le compère Singe et li commère
â^lll Hirondelle s'associèrent pour ouvrir une
petite boutique d'épicier. Mais il leur
fallait aller chercher des marchandises dans un
autre pays. Que faire ? A force de chercher, le
singe trouva. Il va au bazar, il achète un gros
concombre. Il le coupe en deux, il en mange la
moitié ; l'autre moitié, il la creuse, il la vide, il
en fait une pirogue et la met à la mer.
Les voilà embarqués : les ailes de l'hirondelle
serviront de voile et la queue du singe de pagaye.
On part.
Au milieu du chemin le singe a faim. Il coupe
avec ses dents un morceau de la pirogue et le
mange. L'hirondelle lui dit : « Eh toi, compère,
©â^©â^@S^©a©®@®©^
XXII
ZACOT AV ZIRONDELLE
^^^|NE fois compère Zacot av commère Ziron-
delle fine faire zassociés pour lève éne
ptit laboutique cinois. Nais zaute bisoin
aile çace marçandises éne kute paye. Qui zaute
va faire ? Aforce mazine maziné Zacot fuie trouve
éne magnière. Li aile bazar, li acète éne gros
cocombe. Li coupe en dé, li manze éne lamo-
quié ; l'aute lamoquié li fouillé, li tire so tripes,
li faire éne pirogue, li mette dans lamer.
Avlà touldé rente dans pirogue. Zirondelle
prend so lézailes pour servi lavoile, Zacot prend
so laquée pour servi pagaye. Zaûte allé.
Dans milié cimin Zacot faim. Li coupe éne
morceau pirogue av so lédents, li manzé. Ziron-
delle dire li : a Eh toi, compère ! to faire farce.
270 LE SINGE ET L mRONDELXE
tu plaisantes, hein ? Prends garde que la pirogue
ne coule. Oui ! pour moi qui ai des ailes, je
pourrai m'envoler, mais toi tu couleras au fond,
sais-tu ! » Le singe ne fait qu'en rire : « N'aie
donc pas peur, commère ! la pirogue avait comme
une bosse à l'arrière, je l'ai redressée. »
Ils vont, ils vont ; le singe a faim. Il mord de
nouveau dans la pirogue, le concombre se met à
donner de la bande ; le singe mord de l'autre côté
pour rétablir l'aplomb, le concombre coule, le
singe coule, l'hirondelle s'envole.
Tandis que le singe bat l'eau de ses bras pour
essayer de nager, passe mère carangue. Le singe
l'appelle : « Eh vous, la mère, si vous me mettez
au rivage, je vous donnerai un sac d'argent et le
gouverneur vous donnera une petite médaille
avec un ruban pour votre peine d'avoir retiré
quelqu'un de l'eau. Dites ! ça vous va-î-il ? « La
carangue est un peu bête ; elle prend le singe sur
son dos et le porte à terre.
Lorsque le singe a bien secoué son eau, il dit
à la carangue: « Merci, commère; mon compli-
ment ! vous nagez bien. Mais attendez un instant,
je vais chercher votre sac d'argent ; l'affaire de la
médaille se réglera plus tard. » La carangue bave
de convoitise ; elle reste tout près du bord et le
singe court à sa case.
Le singe revient, rapportant un très grand sac ;
ZACOT AV ZIRONDELLE 27 1
hein ! pengare pirogue coulé, oui ! moi qui énan
lézailes mo va capabe envolé, mais to pour coule
au fond, to coné ! « Zacot nèque rié : « Napas
peir donc, commère ! pirogue là té gagne cornent
dire éne bosse par derrière ; mo fine dresse li, »
Zaute allé, zaute allé ; zacot faim. Li morde
encore dans pirogue, cocombe commence donné
labande zacot morde laute coté pour arranze so
balance, cocombe coulé, zacot coulé, zirondelle
envolé.
Cornent zacot après batte batte lébras pour
saye nazé, maman carangue passé. Zacot appelle
li : « Eh vous, maman ; quand vous mette moi à
terre, mo va donne vous éne sac larzent et gou-
verneir pour donne vous éne ptit médaille av
riban pour vous lapeine qui vous fine tire éne
doumounde dans dileau, causé! vous vlé? »
Carangue bête bête ; li prend zacot làhaut son
lédos, li amène à terre.
Lheire zacot fine sacouye son dileau, li dire
carangue ; « Merci, commère ; vous cône nazé,
oui ! Mais aspère morceau ; mo aile çace vous
sac larzent ; zaff"aire médaille va règue plis tard ! »
Carangue bavé ; li reste dans bord dileau, zacot
cou ri so lacase.
Zacot tourné, li amène éne grand grand sac ;
272 LE SINGE ET L HIRONDELLE
au fond de ce sac il a mis quelques gros sous et
beaucoup de cailloux plats. 11 secoue le sac pour
faire sonner les sous contre les cailloux ; puis,
entrant un peu dans l'eau, il ouvre le sac et dit
à la carangue : « Venez compter. » La carangue
entre dans le sac, le singe le referme vivement,
le porte à terre, prend un bâton et tue la caran-
gue. Et il se tient le ventre de rire : « Aïo, ma
mère ! c'est bête, un poisson ! aïo ! de l'argent et
une médaille ! aïo ! laissez-moi rire ! »
Puis le singe charge la carangue sur son dos,
et il va par la plaine en criant : « Carangue ! belle
carangue pour cari ! belle carangue fraîche pour
cari ! ;) Il passe devant la case d'une vieille bonne
femme qui était debout sur le seuil de sa porte.
« Vous n'avez pas besoin d'une carangue pour le
cari ? — J'en aurais bien besoin, mais je n'ai
pas d'argent pour en faire. Ecoutez, si vous avez
du bon riz, de bon massala, de bon piment, nous
pouvons faire affaire. Je fournirai le poisson,
vous fournirez le reste ; vous ferez le cari et nous
le mangerons ensemble. »
La bonne femme accepte et met le cari au feu ;
le singe s'assied et attend.
Lorsque le cari commence à cuire, son odeur
se répand dans toute la case ; le singe ouvre ses
narines, l'eau lui vient à la bouche, il dit à la
bonne femme : « Mangeons maintenant ; le voilà
ZACOT AV ZIRONDELLE 273
dans so fond ça sac là li fine mette trois quate
caces sembe éne bande roces plate. Li sacouye
sac pour roces là avec caces là sonne enserabe ;
li rente morceau dans dileau, li ouvert labouce
sac, li dire carangue : « Vine compté. » Carangue
rente dans sac, zacot fréme sac éne coup, levé,
amène à terre, prend bâton, tou3-e carangue. Li
blizé tine so vente à fôce rié : « Aïo, mo maman!
cornent pôsson bête ! aïo ! larzent av médaille !
aïo ! laisse moi rié ! »
Avlà zacot astheire çarze carangue làhaut so
lédos, li marce dans laplaine, li crié : « Bel bel
carangue pour faire cari, bel bel carangue frais
pour faire cari ! » Li passe divant lacase éne vie
bonnefemme qui ti après dibouté dans so laporte.
« Vous napas bisoin carangue pour faire cari ?
— Mo bisoin même ; mais larzent napas, qui
a faire ! — Coûté ! ouand vous énan bon
douriz, bon massala, bon piment, nous capabe
arranze zafïaire. Mo pour fourni posson, vous
pour fourni tout laute quiqueçose ; vous faire
cari, nous manze ensembe. »
Bonnefemme content ; li couit cari ; zacot
assise, li aspéré.
Lheire cari là commence couit, so lodeir fane
dans tout lacase ; zacot ouvert nénez, li bavé, li
dire bonnefemme : « Anons manzé astheire, li
assez couit, mo senti li dans mon nénez. —
274 LE SINGE ET L HIRONDELLE
assez cuit, mon nez me le dit. — Non, mon-
sieur le singe, il lui faut encore un coup de feu ;
attendez un petit moment, mon garçon est allé
ramasser un paquet de bois sec, voici l'heure où
il rentre, nous mangerons ensemble. »
Quand le singe apprend qu'ils seront trois à
partager le cari, le coeur lui brûle : impossible,
cela ! Il sort, va dans la cour et monte au haut
d'un ,g;rand tamarinier. Il fait semblant de regarder
au loin dans la plaine et soudain s'écrie : « Aïo !
mais ils vont le tuer ! bonne femme, bonne
femme ! c'est votre garçon, c'est lui ! mais courez
donc ! on l'assomme à coups de bâton ; aïo !
courez, courez ! ils vont le tuer ! » La bonne
femme là-dessus s'élance dehors et part à la
course.
Le singe descend du tamarinier et rentre dans
la cuisine. Un instant lui suffit pour balayer le riz
et le cari. Mais voyez la méchanceté et la malice !
Cette horreur de singe fait des malpropretés dans
les marmites, remet les marmites sur le feu et
retourne dans le tamarinier.
La bonne femme a rejoint son fils à l'autre
bout de la plaine ; il est seul et rapporte tran-
quillement son fagot sur sa tête. La bonne
femme devine sans peine que le singe s'est moqué
d'elle ; elle se hâte de revenir avec son fils.
La bonue femme rentre dans la cuisine. Les
ZACOT AV ZIRONDELLE 275
Napas ça, msié zacot, li bisoin encore morceau
difé ; aspére ptit ptit moment ; mon garçon fine
aile ramasse éne paquet dibois, talheire même so
Iheire tourné ; nous trois pour dine ensembe. »
Lheire zacot coné so cari pour partaze en trois,
50 lékeir bourlé ; napas moyen, ça ! Li sourti
dans lacour, li monte Ihaut éne grand pied tam-
barin, li faire semblant guette loin loin dans
laplaine, li crie éne coup : « Aïo ! mais zaute
pour touye li ! bonnefemme ! bonnefemme ! vous
pitit, ça ! mais galoupé donc ! zaute ronflé li
coups de bâton ! aïo ! galoupé, galoupé ! zaute
pour touye li ! » Bonnefemme tende ça, li sourti
éne coup, li vanné.
Zacot dicende dans pied tambarin, li rente
lacousine. Ene ptit moment même li balié tout
douriz av tout cari. Mais guette so mauvais ma-
lice, ça Ihorreir zacot-là ! li faire so malprôpeîés
dans marmites, li mette marmites encore Ihaut
difé, li tourne dans pied tambarin.
Bonnefemme fine arrive dans boute laplaine,
li zoinde son garçon ; personne av li, son paquet
dibois tranquille làhaut so latête. Bonnefemme
blizé coné qui ça zacot là fine baingne av li ;
zaute dé son garçon zaute tourne vitement lacase.
Bonnefemme rente lacousine, marmite touzours
276 LE SINGE ET l'HIRONDELLE
marmites sont toujours sur le feu. Elle sent une
mauvaise odeur : « Mais cette carangue-là n'était
pas gâtée ! » Elle retire une marmite, la décou-
\rre : « Ah bon Dieu seigneur ! ma marmite s'est
changée en pot de chambre ! »
Ils sont furieux et cherchent le singe pour le
tuer. Sur le tamarinier, le singe rit de bon cœur.
Le garçon l'entend rire, lève les yeux et lui crie
de descendre. Le singe rit plus fort : « Il vaut
mieux que ce soit vous qui montiez, nous joue-
rons à cache-cache dans les branches. «
Mais la bonne femme aussi a de la malice. Elle
fait bouillir une grande marmite de brai, prend
un pinceau et enduit de brai tout le tronc du
tamarinier du haut en bas. Puis, ils allument un
grand feu au pied de le l'arbre ; quand le feu
flambe, ils y jettent du bois vert et de la paille
mouillée.
Voilà le singe là-haut qui ne peut plus résister
à cette chaleur et à cette fumée qui lui brûle les
yeux. Il se laisse glisser d'un coup pour descen-
dre, il arrive au brai : ses mains, ses pieds, son
ventre restent collés à l'arbre. La bonne femme
saisit son pilon à piler le riz, elle ne lui en
donne qu'un seul coup, boun ! elle lui casse les
reins.
Ils le décollent, ils l'écorchcnt, ils en font une
bonne daube.
ZACOT AV ZIRONDELLE 277
dans difé. Li senti éne mauvais l'odeir : « Mais
carangue là napas d gâté ! » Li tire éne marmite,
li découvert li ; « Ah bondié seigiieir ! mo mar-
mite fine tourne pôdeçambe ! ))
Zaute firié, zaute rôde zacot pour tot^e li ;
zacot dans pied tambarin nèquerié. Garçon tende
li rié, li lève li liziés, li trouve li, li crïe li di-
cendé. Zacot rie plis fort : « Plis vaut mié vous
monté, nous va zoué couc dans brances ! »
Mais bonnefemme là oussi éna lamalice. Li
faire bouï éne grand marmite labrai, li prend
pinceau, li frotte frotte tout pied tambarin av ça
labrai là dipis iàhaut zisqu'en bas. Lheire là zaute
allime éne grandgrand difé enbas lipied zarbe,
difé flambé, zaute mette dibois vert sembe la-
paille mouillé.
Avlà zacot Iàhaut naplis capav tini dans laça-
kir là, av lafimée qui bourle so liziés. Li laisse
glisse éne coup so lécorps pour dicendé, li arrive
av labrai, so lamains tacé, so lipieds îacé, so
vente tacé. Bonnefemme souque son bâton
pilon, flanque li nèque éne coup, houn ! léreins
cassé,
Zaute décolle li, zaute tire so lapeau, zaute
faire éne bon ladaube. Mo passé, mo dimande
278 LE SINGE ET l'hIRONDELLE
Je passe et demande au garçon rien qu'un os.
Il me donne un coup de pied, et je tombe ici
pour vous raconter cette histoire.
Vraiment créole encore, cette histoire. Le singe est bien le
singe tel que nos fables l'ont créé, et, par une fortune assez
ZACOT AV ZIRONDELLE 279
garçon là nèque éne lézos. Li flanque moi éne
coup de pied, mo tombe ici pour raconte vous
zistoire là.
rare, il n'est pas cans ressemblance avec le singe tel que l'a créé
la nature.
.!§
>^Ai'.„*^!li' „>^f!i' «^l!^V?^ ^^*^, >i*^, 'i*i'. '^S^
XXIII
HISTOIRE DE ZOVA ET DU CAÏMAN
;ONHOMME Zova se rendait un jour à son
^ ^ travail avec son sac sur le dos. Il était
^^^3 arrivé au milieu d'une grande plaine,
quand il entendit comme une voix d'enfant qui
se plaignait. Le bonhomme Zova s'arrêta, se mit
à écouter et à chercher : c'était un caïman au
pied d'un cassis au bord du chemin.
Le caïman voyant s'approcher le bonhomme
Zova lui dit :
— Hélas ! bonhomme, si vous avez bon cœur,
secourez-moi! je vais tout à l'heure mourir de
fatigue et de soif! Je ne puis plus marcher :
emportez-moi dans le sac qui est sur votre dos ;
allez me jeter à la rivière. Dieu aime ceux qui ont
pitié des malheureux!
— Mais comment veux-tu que je t'emporte
dans mon sac? Tu es trop grand pour pouvoir y
entrer.
XXIII
ZISTOIRE ZOVA AV CAÏMAN
s«:;;p ONHOMME Zova éne zour té aile dans so
P<É louvraze av so sac làhaut so lédos. Avlà
^^ cornent 11 arrive dans mille éne grand
grand laplaine, li tende cornent dire éne zenfant
après plaigne. Bonhomme Zova arrête marcé, li
coûté, 11 rôdé : ça ti éne caïman enbas éne pied
cassis dans bord cimin.
Coment caïman là trouve Bonhomme Zova
vine àcote li, li dire li :
— Aïo, bonhomme, quand vous bon keir,
soulaze moi! mo pour mort talheire à force
mo lassé et mo gagne soif; mo naplis capabe
marcé; amène moi dans vous sac là haut vous
lédos, aile zette moi larivière. Bondié content
quand doumounde çarite malhérés !
— Mais coment to voulé mo amène toi dans
mo sac ? Zamais to va capabe rente dans ça sac
là; to trop grand pour tini làdans.
282 HISTOIRE DE ZOVA ET DU CAÏMAN
— Je disposerai mon corps de manière à ce
qu'il entre ; mettez le sac par terre, ouvrez-le et
vous verrez.
Le bonhomme Zova était bon. Il met bas son
sac, et l'ouvre. Le caïman se roule en rond
comme un paquet de cordages sur le pont d'un
vaisseau ; il entre dans le sac et dit à Zova :
— Eh bien ! me voilà dans votre sac, bon-
homme, partons !
Zova charge le sac sur son dos, arrive au bord
de la rivière et jette le caïman dans l'eau.
Lorsque le caïman a bien bu, qu'il s'est bien
baigné, le voilà qui a faim. Le bonhomme Zova
s'était assis pour se reposer un instant, car il était
fatigué d'avoir porté un poids si lourd ; le caïman
vient à lui et lui dit en gouaillant :
— Eh vous, bonhomme, j'ai faim, oui! Je sais
que la chair humaine est, pour les caïmans, un
manger excellent ; donnez-moi une de vos jamb_e^
pour mon déjeuner.
Zova est tout saisi :
— Comment ! moi qui viens de te sauver la
vie, tu veux me manger ! Tu n'as pas honte !
— Quelle honte? J'ai faim, je trouve un bon
morceau, et j'aurais honte de le manger! Vous
croyez donc que les caïmans sont bêtes, bon-
homme !
ZISTOIRE ZOVA AV CAÏMAN 283
— Mo va arranze mo lécorps éne magnière
qui li va rentré ; mette sac enbas, ouvert li, vous
va guété.
Ci' Bonhomme Zova té éne bon doumounde. Li
mette sac enbas, li ouvert li ; caïman roule roule
30 lécorps en rond coment éne paquet lacorde
làhaut pont éne navire, li rente dans sac, li dire
Zova :
— Ah bé ! avlà-moi dans vous sac, bonhomme ;
anons allé.
Zova çarze sac lave so lédos, li arrive bord la-
rivière, li zette caïman dans dileau.
Lheire caïman fine bien boire, fine bien baingne
so lécorps dans dileau, avlà li gagne faim. Bon-
homme Zova ti après assise pour pose morceau à
cause li ti lassé amène ça gros paquet là lùhaut
so lédos; caïman vine av li, li dire li éne magnière
en foutant :
— Eh vous, bonhomme, mo gagne faim, oui !
Mo cône qui lavianne doumoune éne bonbon
manzé pour caïman ; donne moi éne côté vous
lazambes pour mo dizné.
^'^ Zova saisi :
— Coment ! moi qui fèque sauve to lavie, to
voulé manze moi ! To napas honte !
— Qui honte ça? mo gagne faim, mo trouve
bon manzé, et Mo va honte manze li ! Vous
croire comme ça qui caïmans bête, bonhomme ?
284 HISTOIRE DE ZOVA ET DU CAÏMAN
Pendant qu'ils disputaient ainsi, passe une
mère poule. Zova dit au caïman :
— Eh bien ! demandons à cette mère poule si
c'est toi qui as raison ou bien moi.
— Je le veux bien ; questionne-la, nous ver-
rons.
La mère poule les écoute ; puis elle se tourne
vers bonhomme Zova et lui dit :
— Je ponds, les hommes mangent mes œufs ;
je couve, les hommes mangent mes poulets ;
quand je suis si vieille que le coq ne s'approche
plus de moi, on me tue, on me suspend à un
papayer pour attendrir ma chair, on me fait cuire
avec du massala, on fait de moi un moulouctani,
on me mange. Est-ce que tu te figures que c'est
moi qui vais empêcher le caïman de te manger ?
La mère poule s'en va ; Zova est déconcerté, le
caïman rit.
Voici une vache qui vient boire à la rivière.
Zova l'appelle et lui raconte l'aftaire. La vache
répond :
— Laissez-moi boire, donc, bonhomme ! Est-
ce moi qui me chagrinerai si le caïman vous
mange ! Je donne du lait aux hommes, ils le
boivent, ils en font du beurre et du fromage; j'ai
des enfants, ils les tuent et les mangent ; quand
je suis vieille, ils me tuent, m'arrachent la peau
et la mettent à sécher; ils m'arrachent les cornes
ZISTOIRE ZOVA AV CAÏMAN 28)
Cornent zaute dé après cipote cipoté là, avlà
manman poule passé. Zova dire av caïman :
— Ah ben ! anons dimande same ça manman
poule là sipas toi qui gagne raison ou bien moi.
— Ah ben si fait ! dimande li, nous va guété.
Manman poule coûte zaute ; Iheire là li tourne
cote bonhomme Zova, li dire li :
— Mo faire dizéfs, doumone manzé; mo couve
pitits, doumoune manzé; Iheire mo vie vie
même et qui coq naplis vine av moi, doumoune
touye moi, mette moi en pendant enbas lipied
papaye pour mo laviande vine tende, zaute couit
moi sambe massala, zaute faire moulouctani,
zaute manzé. Sipas to croire moi qui pour em-
pèce caïman cique toi?
Manman poule allé ; Zova reste sec, caïman
rié.
Avlà vace vine boire dileau larivière; Zova
appelle li, li raconte li zaftaire. Vace réponde :
— Laisse moi boire dileau donc, bonhomme !
Moi qui va en peine quand caïman manze vous?
Mo donne zaute dilait, zaute boire, zaute faire
dibeirre, zaute faire fromaze; mo gagne pitit,
zaute touyé, zaute manzé; Iheire mo vie zaute
touye moi, tire mo lapeau, mette sec; tire m.o
286 HISTOIRE DE ZOVA ET DU CAÏMAN
et en font des cuillers. Laissez-moi donc boire
mon eau, bonhomme!
Au moment où le caïman allait sauter sur le
bonhomme Zova, le chien passe. Le bonhomme
l'appelle.
Lorsque le chien eut entendu toute l'histoire,
il dit au bonhomme et au caïman :
— Eh vous ! vous voulez vous moquer de moi !
Est-ce à moi qu'on fera accroire que ce grand
caïman que voici a pu entrer dans ce petit sac
que voilà? Attendez que les chiens soient devenus
des ânes avant de me conter de pareilles bourdes!
Il me faudrait le voir de mes deux yeux pour le
croire ! Mettez le sac à terre, bonhomme ! c'est
toi, caïman, qui pourras entrer dans ce sac-là,
toi, un grand lézard qui a les reins raides comme
un bambou?
Zova met le sac par terre, le caïman se roule
en rond et entre dans le sac. Le chien dit au
bonhomme :
— Fermez vite le sac et attachez bien.
Zova attache le sac. Le caïman est furieux, il
crie, il se débat. Zova et le chien le laissent dans
le sac et s'en vont en riant.
A force de se débattre dans le sac, le caïman
finit par le crever et sort. Mais bonhomme Zova
et le chien étaient loin. Le caïman songe de
quelle manière il pourra se venger d'eux.
ZISTOIRE ZOVA AV CAÏMAN 287
cornes, faire couillers. Laisse moi boire mo dileau
donc, bonhomme !
Coment caïman pour saute lave bonhomme
Zova, Licien passé. Bonhomme appelle li.
Lheire Licien fine tende tout zistoire, li dire
bonhomme av caïman :
— Eh zaute ! zaute voulé baingne av moi !
Moi qui va croire qui ça grand grand caïman là
ti capave rente dans ça pitit sac là ! Aspère Licien
fine tourne bourrique avant saye faire zaute fan-
gouni av moi ! Mo bisoin trouve ça dans mo
liziés pour mo capabe croire li. Mette sac enbas,
bonhomme ! to fouti rente dans ça sac là, toi,
caïman ! éne grand zanimaux léreins raide coment
bambou ?
Zova mette sac enbas, caïman roule so lécorps
en rond, li rente dans sac. Licien dire av bon-
homme :
— Frème sac éne coup, amarre li bien.
Zova amarre sac. Caïman firié, guélé, débatte :
Zova av Licien quitte li dans sac ; zaute allé, zaute
rié.
A force à force laguerre av ça sac là, caïman
fine crève li, li sourti éne coup ; mais bonhomme
av Licien ti loin. Caïman maziné coment li va
capabe passe so colère lav zaute.
288 HISTOIRE DE ZOVA ET DU CAÏMAN
Il s'ensevelit tout entier dans la boue au bord
de la rivière, et il attend.
Il y a déjà longtemps qu'il est là quand la
mère poule vient boire : le caïman ne bouge pas.
La vache vient boire, le caïman ne bouge pas.
Tous les animaux viennent boire, le caïman ne
bouge pas.
Voilà le chien qui vient : le caïman s'clance
hors de la vase et le saisit par une patte. Mais le
chien n'était pas bête. Voyant les yeux du caïman
comme bouchés par la boue, il feint de rire et
dit:
— Eh toi, caïman, tu te figures que c'est ma
patte que tu as prise ! comme tu es bête, caïman,
mais c'est un morceau de bois sec !
Le caïman étonné ouvre la bouche pour regar-
der; le chien se sauve et détale, vous dis-je : le
caïman a le nez cassé.
C'est de cette façon que le chien trouva le
moyen de se moquer encore du caïman.
Les deux personnages de notre titre, bonhomme Zova et le
caïman, nous donnent tout lieu de croire que le contL» nous
vient de Madagascar. Mais l'histoire par ailleurs n'a rien d'exo-
tique, et fait bien plutôt songer à notre La Fontaine qu'à un
ZISTOIRE ZOVA AV CAÏMAN 289
Caïman enterre so lécorps enbas laboue dans
bord larivière, li aspéré.
Longtemps longtemps li là, avlà maman poule
vine boire dileau : caïman napas bouzé. Vace vine
boire dileau, caïman napas bouzé. Tout zani-
maux vine boire dileau : caïman napas bouzé.
Avlà Licien vini : caïman lève éne coup dans
milié laboue, li tchiombo Licien par éne lapatte.
Mais Licien là malice. Coment li trouve liziés
caïman coment dire boucé av laboue là, li nèque
rié, li dire li :
— Eh toi, caïman, to croire mo lapatte qui to
fine tchiombo ! coment to bête, caïman ; mais
éne ptit cicot dibois, ça!
Caïman toné. Li blizé ouvert labouce pour
guété ; Licien lofé même, balié, mo dire vous :
caïman reste sec.
Ça magnière là Licien fine trouve moyen
baingne encore av caïman.
fabuliste malgache. On croirai: volontiers à un travestissement
de « L'Homme et le Serpent >:. Le chi;n néariUioins est de
notre invention, et le dénouement est nôtre.
19
®®^^®®®®®^®®
XXIV
HISTOIRE DE PAULIN ET DE PAULINE
mL y avait une fois un garçon et une fille
qui n'avaient plus ni père ni mère ; le
garçon s'appelait Paulin et la fille Pauline.
Paulin était fi-ère de Pauline; Pauline était sœur
de Paulin.
Depuis leur première enfance ils vivaient en-
semble dans la plus étroite union. Paulin parta-
geait tout avec Pauline, Pauline donnait à Paulin
la moitié de tout ce qu'elle avait. Ils vivaient
seuls et grandirent loin du monde dans la petite
maison que leur père leur avait laissée en mou-
rant.
Un jour, Paulin alors avait vingt ans ou à peu
près, Pauline lui dit :
— Mon frère, te voilà mainienant en âge do
t'établir, il faut te marier.
— Pourquoi me marier, ma sœur ? Pourquoi
m'en aller chercher une femme que nous ne
XXIV
ZISTOIRE PAULIN AV PAULINE
Y^^^Fi^l éna éne fois éne ptit a^arcon av éne ptit
^ll.;*;^ fille qui naplis té gagne papa, naplis té
gagne maman ; ptit garçon ti appelle
Paulin, ptit fille ti appelle Pauline. Paulin ti son
frère Pauline, Pauline ti son seir Paulin.
Dipis tout pitit zaute touzours ensembe,
tQUzours bon camerades : tout ça qui Paulin
gagné li partaze av Pauline, tout ça qui Pauline
gagné li donne la moquié pour Paulin. Zisqu'à
zaute fine vine grand, zaute reste touldé tout seil
dans lacase qui zaute papa té quitte zaute.
Ene zour, coment Paulin té gagne approçant
vingt bananées comme ça, Pauline dire li :
— Mo frère, avlà to dans laze astheire, faut to
marié.
— Qui fère marié, mo seir? Qui mo bisoin
aile rôde éne femme qui nous na pas coné?
292 HISTOIRE DE PAULIN ET DE PAULLNE
connaissons pas, une femme qui peut être vien-
drait troubler la paix de notre petit chez nous ?
Non, non, laisse notre pot au feu mijoter douce-
ment sur notre foyer paisible !
— Ne parle pas ainsi, mon frère ; n'écoute pas
les mauvaises langues qui prétendent qu'une
femme bonne est difficile à trouver. Vois-moi et
juge d'après moi. Marie-toi, te dis-je. J'aimerai
ta femme comme je t'aime, et quand tu auras à
sortir tu ne me laisseras plus maintenant toute
seule à la maison ; nous serons deux à t'attendre.
Il n'est pas bon qu'une jeune fille comme moi
n'ait pas une femme qui demeure avec elle.
Marie-toi, mon frère.
Que pouvait faire Paulin ? Il prend une femme,
il se marie. Aïa 1
Cette femme-là se nommait Lida, et Lida était
une peste. Elle était jalouse de Pauline : « Pour-
quoi l'aime-t-il ? Est-ce elle qui est sa femme ou
bien moi, elle qui sera la mère de son enfant ou
bien moi ? Sa sœur, sa sœur ! la belle affaire !
Moi aussi j'ai une sœur, eh bien ! après ?
Un soir, en rentrant à la maison, Paulin, au
lieu d'embrasser d'abord Lida, commença par
embrasser Pauline. Comment peindre la colère
de Lida ! mais elle ne voulut rien dire de peur
d'éclater. On soupa, puis on alla se coucher.
ZISTOIRE PAULIN AV PAULINE 293
Quiquefois Vi pour vine mette brouillaze dans
nous lacase; laisse nous marmite couit tran-
quille làhaut nous ptit difé !
— Napas cause comme ça, mon frère! napas
coûte ça mauvais bagout zense qui dire éne bon
femme difficile pour trouvé ! Guette moi. Marié,
mo dire toi ; mo va content to femme coment
mo content toi, et Iheire to va gagne bisoin pour
sourti, to naplis va quitte moi tout seil dans
lacase coment astliére, nous va dé doumounde
pour aspère toi. Napas bon éne zène fille coment
moi napas énan éne femme pour reste av li.
Marié, mo frère.
Qui Paulin capave fère? Li prend éne femme,
li marié. Aïa.
Femme là té appelle Lida, et Lida là ti éne
lagale. Li zaloux Pauline : « Qui fére mo mari
content li ? Li qui so famme, ou bien moi qui so
famme? li qui va manman so pitit, ou bien moi
qui va manman so pitit? So seir, so seir! qui
ciça seir ? Moi oussi mo gagne seir ! mo fou pas
mal ! »
Ene zour asoir coment Paulin rente lacase,
auliére li embrasse Lida premier, li embrasse
Pauline. Napas pelle en colère ça qui Lida en
colère! mais li napas voulé dire narien, pengare
li daté. Zaute trois manzé, zaute aile dourmi.
294 HISTOIRE DE PAULIN ET DE PAULINE
Paulin dormit ainsi que Pauline, mais Lida ne
put fermer l'œil tant le cœur lui brûlait : elle
passa la nuit à se retourner sur son lit.
Le lendemain de grand matin au chant du coq,
Lida courut chez sa marraine. La marraine de Lida
était une vieille vieille bonne femme si méchante
qu'on ne l'appelait que « bonne femme Lafte-de-
boue », parce que la piqûre de sa langue était
mortelle comme celle du dard d'un laffe qui vit
dans la vase. Quand une vieille femme veut être
méchante, il n'y a pas de chien enragé qui puisse
le lui disputer.
Lorsque Lida eut raconté à la bonne femme
toute son affaire, Laffe-de-boue lui donna mille
mauvais conseils pour brouiller Paulin avec Pau-
line. Lida retourne chez elle et se met en besogne
à l'instant. Mais elle a beau inventer cent méchan-
cetés, Paulin n'en aime pas moins Pauline, leur
farine refuse de se changer en charbon. Lida
écume de rage en dedans : « J'y parviendrai ! j'y
parviendrai ! «
Paulin avait un chien admirable que l'on nom-
mait Prend-tout, parce que cerf, cochon marron,
en un mot «toute pièce poussée par lui était une
pièce prise. Eût-on offert à Paulin deux cents
piastres de son chien, jamais il ne l'aurait vendu.
Prend-tout aimait Pauline à un tel point qu'il
n'acceptait à manger que de sa main ; un autre
ZISTOIRE PAULIN AV PAULINE 295
Paulin dourmi, Pauline dourmi, mais Lida napas
capabe dourmi à force so léqueir bourlé : tout
lanouite li nèque vire vire làhaut lilit.
Lendimain grand bomatin coq çanté Lida couri
lacase so marraine. So marraine Lida là ti éne vie
bonnefemme sitant mauves, si tant mauves qui
doumounde té appelle li nèque bonnefemme
Laffe-laboue, à cause so lalangue capave touye
doumounde coment piquant laffe dans laboue.
Quand éne vie bonnefemme voulé mauvais, napas
licien enrazé qui capave bitte ave li.
Lheire Lida fine ranconte zaffaire bonnefemme,
Laffe-laboue donne li éne bande mauves conseils
pour brouille Paulin av Pauline. Lida tourne
lacase, tout site même li comencé. Mais libeau
mazine mauvais malices même, touzours Paulin
content Pauline, zaute lafarine napas voulé tourne
çarbon. Lida quime en didans : « Mo va trouve
so magnière ! mo va trouve so magnière ! »
Paulin ti gagne éne famé licien qui ti appelle
Cassetout, à cause qui cerfe, qui cocon marron,
qui zibier li trouvé, li mette av aaute, li casse
zaute. Quamême offert Paulin décents piasses,
zamais li ti va vende ça licien là. Casse-tout té
sitant content Pauline qui zamais li vlé prend so
manzé dans lamain éne laute doumounde; quand
296 HISTOIRE DE PAULIN ET DE PAULD.'E
essayait-il, il refusait et préférait laisser l'assieite
sans y toucher.
Un jour, pendant que Pauline arrangeait la
pâtée de Prend-tout, quelqu'un l'appelle dans
la cour; elle laisse là l'assiette et elle sort. Lida,
qui l'a vue sortir, prend vivement dans sa poche
un cornet de poudre blanchâtre que bonne femme
Lafïe-de-boue lui a donné ; elle répand la poudre
dans l'assiette, la mêle avec le manger et s'en va.
Pauline revient, prend l'assiette, appelle Prend-
tout et la lui donne. Prend-tout mange. A peine
a-t-il achevé que le pauvre chien commence à se
plaindre, à gémir. Lida fait semblant d'être en
colère : « Dieu 1 que les animaux sont ennuyeux
dans les maisons ! » et elle le chasse. Prend-tout
est comme un homme ivre, il traverse la cour en
trébuchant, il arrive au bord du canal et se met
à boire, à boire sans s'arrêter ; son ventre enfle,
l'eau l'étoulTe, il meurt.
A ce moment, Paulin rentre. Que voit-il ? Le
cadavre de son chien, tout raide, la gueule noire,
le ventre gonflé comme un tambour. Il appelle,
Pauhne sort delà maison et voit le pauvre Prend-
tout, étendu-mort au bord de l'eau. Pauline sent
ses jambes fléchir, elle est forcée de s'asseoir
pour ne pas tomber. Paulin vient à elle et lui
dit : a Ah 1 ma sœur, ce chien-là ne mangeait
que de ta main, c'est ta firute s'il est mort ! » Q.ue
ZISTOIRE PAULIN AV PAULINE 297
sayé, li vaut mié quitte lassiette là, napas touce
n arien.
Ene zour, cornent Pauline après arranze so
lassiette manzé Casse-tout, doumounde appelle li
dans lacour, li quitte lassiette Ihaut latabe lasalle
manzé, li allé. Lida trouve ça, li tire vitement
dans son poce éne cornet lapoude blancblanc qui
bonnefemme Laffe-laboue ti donne li ; li fane
lapoude là dans lassiette, li brouille av manzé, li
allé. Pauline tourné, li prend lassiette, ii appelle
Casse-tout, li donne li. Casse-tout manzé. Lheire
li fine balié so lassiette pauve malhéré licien là
comence plaigne, plaigne. Lida semblant en co-
lère : « Coment zanimaux embêtant dans lacase
doumounde, donc ! » Li pousse li dohors. Casse-
tout coment doumounde sou ; li riperipé dans
lacour; li arrive dans bord canal, li boire, li boire,
li boire; so vente gonflé, dileau touffe li, li mort
même 1
Paulin rente éne coup. Qui li voir? Lécorps son
licien réde, laguéle noir noir, vente coment tam-
bour. Li appelle doumounde, Pauline sourti dans
lacour. Li trouve pauve Casse-tout mort dans
bord dileau, Pauline diboute à côte li, li vine
faibe, li blizé assise pour napas tombe par terre.
Paulin vine av li, li dire li : « Ah! mo seir, licien
là ti manzé nèque dans to lamain, toi qui lafaute
298 HISTOIRE DF PAULIN ET DE PAULINE
pouvait répondre Pauline ? Mais elle se sent un
poids sur le cœur.
Lida avait un chat. Pendant le dîner, Pauline
jette au chat un morceau de viande. Lida s'élance,
ramasse le morceau et le jette dehors en disant à
Pauline : « Eh vous ! vous savez que votre main
porte mallieur aux animaux ! inutile de donner à
manger à mon chat, je n'ai pas envie qu'il
meure. Quand je voudrai le tuer, je vous prierai
de préparer son déjeûner. » Pauhne ne répondit
pas un mot.
Cependant, Pauline commençait à être bien
malheureuse tant Lida la haïssait. Mais où aller ?
Son frère était son seul parent. Force lui fut donc
de rester, quoique depuis la mort de Prend-tout,
Paulin ne fût plus pour elle aussi bon qu'aupa-
vant.
Neuf mois bien juste après son mariage, Lida
accoucha d'un enfant. C'était un beau petit garçon.
Paulin fut heureux, Pauline aussi, et Lida même
fit semblant d'être joyeuse ; mais au fond ça
l'ennuyait fort, cet enfant qui jour et nuit ne
faisait que crier pour lui demander à téter : im-
possible de dormir ! Lorsque l'enfant commença
à faire ses dents, l'enfant n'eut plus qu'un cri. Et
sa mère de le bousculer. PauHne le prenait, l'amu-
sait, le caressait, le faisait taire.
Les enfants, si petits qu'ils soient, savent bien
ZISTOIRE PAULIN AV PAULINE 299
quand li fine mort! » Qui Pauline capave ré-
ponde! mais so lékeir en bas roce.
Lida ti énan éne çatte. Lheire diner Pauline
zette ça catte-là éne morceau lavianne. Lida saute
Ihaut morceau lavianne là, li zette li dans lacour,
li dire Pauline : « Eh vous ! vous conné vous
lamain mofine av zanimaux ; napas bisoin donne
manzé mo çatte, mo napas envie li mort : lheire
mo va vlé touye li, mo va prie vous arranze so
dizné. » Pauline blizé dire narien.
Pauline commence bien malhéré dans ça lacase
là à force Lida haï li. Mais à côte li capave allé?
So frère même so famille. Li resté, quamême
PauHn dipis zaffaire Casse-tout là naplis bon pour
li coment lautefois.
Neif mois zisse dipis li fine marié Lida accouce
éne pitit. Ça ti éne bel pîit garçon. Paulin con-
tent, Pauline content, Lida oussi faire semblant
content, mais ii ennouyé à cause zenfant là lizour
lanouite nèque guélé pour dimande tété : napas
moyen dourmi av li. Lhére pitit là comence
pousse lédents, coment li touzours ploré ploré là,
so maman bousquile bousquile li ; Pauline prend
li, faire canana av li, caresse li, faire H paix.
Zenfants quamême ; pitit pitit cône qui dou-
300 HISTOIRE DE PAULIN ET DE PAULINE
reconnaître qui les aime et qui ne les aime pas.
Celui-ci, bien qu'il n'eût pas six mois, quittait
les bras de Lida pour les bras de Pauline. Dès
qu'il avait fini de téter, il criait pour que Pauline
le prît. Pauline le prenait, il se taisait, il se
calmait. ■■'^
Lida était furieuse : « Comment ! lui aussi, il
aimerait cette Pauline plus que moi, sa mère !
Non ! non ! jamais ! j'aime mieux n'avoir pas
d'enfant ! «
L'enfant tomba malade. Le médecin ordonna
de le sevrer, le lait de la mère ne valait rien ;
peut-être était-elle enceinte. Paulin retira l'enfant
à Lida pour le donner à Pauline. Sa mère à pré-
sent, c'est Pauline ; c'est elle qui le soigne, qui
le baigne, qui lui donne à manger sa soupe.
Pauline fait coucher le pauvre petit avec elle dans
un grand lit : « Comme ça, quand il aura besoin
de quelque chose la nuit, je suis sûre de l'en-
tendre se plaindre. »
Telle était la haine de Lida pour Pauline,
qu'elle ne pouvait plus voir son enfant ; lorsque
le petit rencontrait les yeux de sa mère, il criait
comme si on l'eût écorché, tant ces yeux-là
étaient méchants.
Le croirez-vous ? Une nuit, tout le monde
dormait dans la maison, Lida vient doucement
au lit de Pauline ; elle saisit le malheureux petit
ZISTOIRE PAULIN AV PAULINE 3OI
mounde content zaute, qui doumonnde napas
content. Cenne là, li beau napas encore énan
sisse mois, li quitte lébras Lida pour aile lébras
Pauline. Sitôt li fine tété, li crié pour Pauline
prend li; Pauline prend li, li arrête crié, li tran-
quille.
Lida fi.rié : « Cornent ! li oussi va plis content
ça Pauline là qui moi qui so manman ! Napas
moyen ça ! mo plis vaut mié napas énan pitit ! »
Zenfant là tombe malade. Docteir dire bisoin
sevré li, dilait so maman napas bon (quiquefois
li enceinte). Paulin tire pitit là lamains Lida,
donne li av Pauline. Pauline même qui so man-
man asthére, soingne li, baingne li, donne li
manze so lasoupe. Pauline mette pauve ptit gar-
çon là dourmi dans grand lilit av li : « Comme
ça là quand li bisoin quiqueçose lanouite, mo va
sîr tende li plaingné. »
Lida à force li haï Pauline, naplis capave guette
pitit là : Iheire baba là trouve liziés so manman
làhaut li, li crié coment dire corce li à force liziés
là mauvais.
Qui vous croire? Ene lanouite, coment tout
doumounde dans lacase dourmi, Lida vine dou-
cement doucement dans bord lilit Pauline, li
302 HISTOIRE DE PAULIN ET DE PAULINE
enfant par le cou, elle l'étrangle. Elle retourne
dans sa chambre sans faire de bruit, elle se remet
au lit, elle écoute. Elle écoute. Rien. Per-
sonne ne bouge, tout le monde dort profondé-
ment.
Le lendemain de grand matin au chant du coq,
Pauline sort du ht. Elle va, elle vient, elle fait
le café, l'enfant ne bouge pas. « Eh ! vous, bébé,
dit en riant Pauline, savez-vous que vous savez
dormir, oui ! )> Le soleil se lève, l'enfant n'a pas
bougé. « Eh ! vous, bébé, vous avez manqué la
cloche aujourd'hui ! » Pauline approche du lit,
elle retourne l'enfant, elle le regarde, elle pousse
un cri : « Ah ! mon Dieu ! « et elle tombe éva-
nouie.
Paulin a entendu son cri et le bruit de sa
chute, il se précipite dans la chambre de sa sœur.
Il voit son pauvre petit garçon l'œil tout blanc,
chaviré, le corps noir. Il le tâte : « Ah ! mon
Dieu, Lida ! Lida ! notre enfant est mort ! » Lida
entre comme un tourbillon, elle prend l'enfant
dans ses bras en poussant de grands cris. Puis,
donnant un coup de pied à Pauline qui est tou-
jours étendue par terre, elle dit à Paulin : « Ainsi
donc tu laisseras cette misérable nous assassiner
tous ici ! » Paulin perd la raison, il enlève Pau-
line, la charge sur son dos, l'emporte dans la
forêt et lui coupe les deux mains avec une hache.
ZISTOIRE PAULIN AV PAULINE 303
souque pauve malhéré zenfant là dans son licou,
li tranglé li. Li tourne doucement doucement
dans so laçambe, li rente dans lilit, li coûté, li
coûté : narien ! personne napas bouzé, tout dou-
mounde dourmi même.
Lendimain, grand bo matin coq çanté, Pauline
levé. Li tourné, viré, li faire café, baba napas
bouzé. Pauline rié : « Eh vous, baba, vous conne
dourmi, oui ! » Soléye levé, baba napas bouzé.
« Eh vous, baba, vous fine manque lacloce
azourdi ! » Pauline arrive à cote lilit, li tourne
baba là, li guette li, li nèque crie. Ah mon
Diél li tombe en grand par terre sans connais-
sance.
Paulin tende ça crié là av ça tapaze là, li fonce
éne coup laçambe so seir. Li trouve son pauve
pitit garçon liziés blanc blanc, çavire, lécorps
noir ; li tâte li : « Ah ! mon Dié, Lida ! Lida !
nous pitit fine mort ! » Lida rentré coment coup
de veiiî, li prend pitit dans so lébras, li crié, crié;
li envoyé éne coup de pied av Pauline qui tou-
zours par terre là, li dire av Paulin : « Comme
ça to va laisse ça maihérése là touye tout dou-
mounde dans nous lacase ! « Paulin vine fou ; li
lève Pauline, li çarze li Ihaut so lédos, li amène
li dans bois, li saute so dé pognés av éne lahace.
304 HISTOIRE DE PAULIN ET DE PAULIXE
La pauvre Pauline, baignée dans son sang, se
contente de lui dire :
« Ah ! mon frère ! tu m'as coupé les deux
poignets, à moi, ta sœur ! mais bientôt tu seras
piquée par une épine bien douloureuse ! Alors,
alors tu penseras à moi ! «
Paulin la laisse là toute seule et s'en va.
Pauline sans doute serait morte sur la place,
quand elle entend remuer le taillis ; elle regarde
et voit venir à elle un joli petit chien à longues
soies. Le chien la tire par sa robe et semble lui
dire : « Viens. » Pauline le suit. Le chien marche
devant elle. Il la fait passer par vingt petits sen-
tiers sous les arbres et ils arrivent dans une
plaine au milieu de laquelle il y avait une maison
magnifique. Le chien jappe, et une foule de
domestiques sortent delà maison. Le chien jappe
de nouveau comme pour les appeler et ils arri-
vent. La pauvre Pauline ne pouvait plus marcher
tant elle était affaiblie prr la perte de son sang.
Elle tombe sur l'herbe et va mourir, quand le
chien la fait enlever par deux domestiques qui
l'emportent sur leurs bras dans la maison.
C'était le palais d'un roi. Le roi était absent, il
était allé faire la guerre dans un autre pays :
mais chaque fois qu'il partait pour un longue
absence, soit pour une grande chasse, soit pour
la guerre, il laissait son petit chien au palais. Et
ZISTOIRE PAULIN AV PAULINE 305
Pauve Pauline baingné av so disang nèque dire
li:
« Ah! mon frère! To fine coupe mo dé po-
gnés, moi, to seir ! mais bientôt to va pique av
éne piquant bien réde ; Iheire là îo va mazinc
moi ! »
Paulin quitte li tout seil, li allé.
Quiquefois Pauline té pour mort là même
quand K tende brousses- bouze bouzé ; li guété ; li
voir éne zoli ptit licien longue civé vine av li.
Licien là hisse hisse so robe ; cornent dire li dire
li vini. Pauline sivré li. Licien mavce divant. Li
faire li passe éne bande pitit cimins en bas zarbes ;
zaute arrive dans éne laplaine à côte ti énan éne
belbel lacase. Licien zapé ; éne bande domes-
tiques sourti dans lacase. Licien zape encore, co-
rnent dire li appelle zaute, zaute vini. Malhérése
Pauline naplis capave marcé à force li faibe av
tout ça disang li fine perdi là. Coment li tombe
dans Iherbe pour mort même, licien faire dé do-
mestiques lève li dans zaute lébras, amène li dans
lacase.
Ça té lacase éne léroi. Léroi là napas ti là, li ti
aile laguerre éne laute paye ; mais touzours Iheire
li sourti pour aile loin même, sipas grand la-
çasse, sipas la guerre, li quitte so ptit licien
lacase ; et ptit licien qui maîte dans laplace léroi,
20
306 HISTOIRE DE PAULIN ET DE PAULINE
c'était le petit chien qui était maître à la place du
roi, lui qui commandait aux domestiques, lui seul
qui savait ce que le roi voulait que l'on fît jusqu'à
son retour.
Le chien fit soigner Pauline. On la mit dans
une belle chambre ; on lui donna un bon lit avec
des matelas, des oreillers et tout ce qu'il fallait.
On tordit le cou à une mère poule pour lui faire
de bon bouillon ; on lui donna de bon vin rouge,
on veilla à ce qu'aucun bruit ne l'empêchât de
bien reposer, de bien dormir ; bref, on fit tout ce
qu'il fiillait pour sa prompte guérison.
Avant quinze jours, Pauline était guérie. Mais,
pauvre jeune fille, où étaient ses mains?
Voilà le roi de retour, la guerre avait assez
duré. Quand le petit chien l'eut bien caressé, il
le conduisit à la chambre de Pauline.
Pauline était tout à fait jolie, savez-vous. Le roi
la regarde, la regarde : ça y est ! le voilà pris. Il
dit à son chien : « Oui, lieutenant, oui, tu as bien
fait ! » Lieutenant — c'était le nom du chien —
jappe et remue la queue pour montrer sa joie.
Le roi venait tous les jours causer longtemps
avec Pauline, il eût été bien heureux de lui
demander sa main ; mais quelle main pouvait-il
lui demander ? On lui avait coupé les deux poi-
gnets, elle n'avait plus de mains ; force fut au roi
de s'en passer.
ZISTOIRE PAULIN AV PAULINE 3O7
li même qui comande domestiques, H même qui
coné qui son maîte voulé doumounde faire zisqu'à
li tourné.
Licien faire zense là soingne Pauline. Mette li
dans éne belle laçambe, donne li éne bon lilit,
sembe matelas, zoriés, tout ça qui bisoin ; coupe
licou maman poule, faire bon bouillon pour li,
donne 11 bon divin rouze, empèce tapaze pour li
capave bien posé, bien dourmi ; faire tout ça qui
bisoin faire pour li guéri vitement.
Napas quinze zours passés, Pauline fine çava
bien. Mais pauve zène fille, à côte se lamains !
Avlà léroi tourné, li assez laguerre. Ptit licien
Iheire li fine bien caresse li, amène li laçambe
Pauline.
Pauline là ti zoli zoli même, vous cône. Léroi
guette li, guette li, làdans ! li maillé même. Li
dire so licien : « Si fait, Liétenant, to té bien
faire ï » Licien là ti appelle Liétenant. Li bouze
bouze laquée, li zapé pour montré li content.
Tou lézours léroi vine cause cause av Pauline.
Li té va bien content dimande so lamain ; mais
qui lamain li capave dimande li? Pognés fine
coupé, lamains napas; li blizé s'en passé.
308 HISTOIRE DE PAULIN ET DE PAULINE
Environ une année s'écoula et le roi dut re-
partir pour la guerre. Avant son départ il donna
ses ordres à Lieutenant : « Tu sais que Pauline
doit accoucher avant longtemps ; dès qu'elle aura
eu son enfant, fais qu'on m'écrive pour me
donner de ses nouvelles et pour me dire si c'est
un petit garçon ou une petite fille. Soigne-les
bien, ne les laisse manquer de rien. C'est toi qui
es le vrai maître quand je ne suis pas là. » Lieu-
tenant remua la queue pour faire voir qu'il avait
entendu ; et le roi s'en alla.
Au bout de quinze jours environ Pauline
accoucha de deux enfants. C'étaient deux garçons.
Aux premières douleurs, Pauline avait fait venir
une sage-femme pour l'assister. Dans la chambre,
une petite veilleuse donnait une faible clarté.
Les enfants naissent et voilà la chambre tout
éclairée : chacun d'eux avait sur le front une belle
étoile. Et la sage-femme de s'écrier : « Pas besoin
d'huile de coco avec ces enfants-là! ils portent
leur lumière sur eux. »
Lieutenant fit écrire au roi pour lui donner
toutes Cf^s nouvelles.
Le domestique qui portait cette lettre était
arrivé à moitié chemin quand il se sentit fatigué.
Il lui fallut entrer dans une maison pour boire et
laisser reposer ses pieds. C'était la maison do la
bonne femme Lafie-de-boue. La vieille le fit
ZISTOIRE PAULIN AV PAULINE 309
Approçant éne bananée comme ça fine passé.
Léroi bisoin tourne laguerre. Avant li allé li
donne son zordes Liétenant : « Fo coné bientôt
même Pauline pour accoucé ; sitôt li fine gagne
pitit faire éne doumounde écrire moi, donne moi
so nouvelles, dire moi sipas ptit garçon sipas ptit
fille. Soingne zaute bien, napas laisse manque
narien ; toi même qui maîte quand mo napas
là. » Liétenant bouze laquée pour montré li fine
tende. Léroi allé.
Auboute sipas quinze zours Pauline accouce dé
zenfants. Ça ti dé ptit garçons. (Lheire Pauline
senti li pour accoucé, li appelle saze femme pour
ide li.) Ptit veillése dans laçambe, qui donne éne
faye clairté. Zenfants vini, laçambe tout éclairé :
çaquéne té gagne éne bel zétoile làhaut front;
saze femme blizé dire : « Napas bisoin dilhouile
coco av zenfants là ; zaute lalimière av zaute ! »
Liétenant faire écrire éne lette av léroi pour
raconte li tout ça.
Cornent domestique qui ti amène ça lette là
fine arrive dans rallié, cimin, li lassé même ; li
bisoin rente dans éne lacase pour boire dileau et
laisse so lipieds posé. Ça ti lacase bonneferame
Lafle-laboue. Bonnefemme faire li causé. Dom.es-
310 HISTOIRE DE PAULIN ET DE PAULINE
causer, il lui raconta de quelle commission il
était chargé. Alors Laffe-de-boue le fit manger,
le fit boire ; mais je ne sais trop quelle herbe elle
mit dans les brèdes. Ce qu'il y a de sûr, c'est
que l'homme mangeait encore que le sommeil
le jetait par terre et il dormait. Laffe-de-boue
prit la lettre dans la poche du domestique, elle la
lut, écrivit à l'instant même une autre lettre, en
contrefit la signature et la mit en place.
Le domestique, quand il s'éveilla, se frotta les
yeux. Il regarde le soleil. « Maman, que de
temps j'ai perdu ! « Il ramasse son bâton, dit
merci à la vieille, et prend ses jambes à son cou.
Lorsque le roi reçut la lettre, qu'on juge de
son chagrin ! La voici :
« Mon roi, Pauline vient d'accoucher d'un
petit singe et d'un petit chien. La mère et les
enfants se portent bien. Nous attendons vos
ordres. »
Le roi écrivit sa réponse :
« Que ce soient des singes, que ce soient des
chiens, un père doit aimer ses enfants ! Qu'on
soigne bien ceux-ci. A mon retour, je déciderai.
Le roi. »
Et remettant le papier au même domestique, il
lui ordonne de retourner au palais et de courir.
Qj.uuid le domestique arriva devant la inaison
de Laffe-de-boue, la méchante vieille le guettait
ZISTOIRE PAULIN AV PAULINE 3I
tique ranconte H tout son commission. Lheire là
Laffe-laboue donne li manzé, donne li boire ;
mais sipas qui feillaze li mette dans brèdes; co-
rnent domestique encore après manzé là, som-
meye pèse li, li tombe par terre, li dourmi. LafFe-
laboue tire lette dans poce domestique, li lire
letîe, vitement li crire éne laute, li fausse signa-
tire, li mette en place.
Lheire domestique levé, li frotte so liziés; li
guette soléye. « Manman ! qui litemps mo fine
perdi ! « Li touque son bâton, li dire merci bonne-
femme, li taillé.
Lheire léroi lire lette là li beaucoup çagrin.
Avlà ça qui té marqué là dans :
« Mon roi, Pauline fèque accouce éne ptit
zacot av éne ptit licien. Maman sembe pitits çava
bien. Nous aspère vou zordes. »
Léroi crire réponse :
« Quamême zacot, quamême licien, éne papa
doite content so pitits. Soingne bien ça zenfants
là. Lheire mo va tourne lacase, mo va guété qui
mo pour faire av zaute. Léroi. »
Léroi donne ça papier là dans lamain so même
domestique là, li dire li tourne lacase, taillé.
Cornent domestique arrive divant' lacase Laffe-
laboue, ça mauvais bonnefemme là ti après
3 ï 2 HISTOIRE DE PAULIN ET DE PAULINE
au bord du chemin. Elle l'arrête et lui dit : « Eh!
vous, mon noir! c'est bien certainement la ré-
ponse du roi que vous portez au palais. Mais,
pour pressé que vous soyez, je veux que vous
vous arrêtiez une minute : un de mes parents
vient de m'envoyer de vieux rhum de jamro-
sas, il faut que jious goûtions la bouteille en-
semble. )i
Que pouvait faire le pauvre noir ! il fallait
bien entrer. Laffe-de-boue lui verse un plein
verre de rhum. Il n'en but qu'une gorgée : le
verre lui échappe des mains, il roule par terre, et
s'endort.
Laffe-de-boue prend la lettre dans sa poche,
l'ouvre et la lit. Elle saisit une plume, de l'encre,
du papier, et écrit une autre lettre :
« Ecoutez bien mes ordres. Qu'on prenne cette
horreur de Pauline, et qu'on la jette dehors avec
ses deux bâtards. Mais puisqu'elle n'a plus de
mains pour les tenir, qu'on lui en attache un sur
le dos, l'autre sur la poitrine. Vous avez entendu.
Obéissez. Le roi. »
Le domestique se réveille. Il croit que c'est le
rhum qui l'a jeté en bas, il prend son bâton et
s'en va.
Lorsqu'au palais on eut appris les ordres du
roi, les uns en furent affligés, car Pauline était
bien bonne, les autres furent dans la joie, parce
ZISTOIRE PAULIN AV PAULINE 313
veille veille li dans bord cimin, Li arrête li, li
dire li : « Eh vous, mon noir ! bien sîr réponse
léroi qui vous amène lacase. Mais vous beau
pressé mo voulé vous arrête éne pitit moment
même : mo famille fèque envoyé moi éne vie
boutéye rhum zambourzois, nous bisoin goûte ça
ensembe. «
Qui pauve noir là capave faire ! li blizé rentré.
Lafïe-laboue vide li éne grand verre rhum. Li
nèque boire éne gorzée, verre çappe dans so
lamain, li roule enbas, li dourmi.
Laffe-laboue prend lette dans son poce, li ou-
vert li, li lire li. Li pèse plime, lenque av papier,
Il crire éne laute lette.
« Coûte bien ça qui mo comandé. Prend ça
Ihorreir Pauline là, zette li dohors av so dé pitits
(bâtards). Mais cornent naplis énan lamains av li
pour tchiombô zaute, amarre éne làhaut son lédos,
amarre laute dans so lostomac. Zaute fine tende ;
faire ça qui mo comandé. Léroi. »
Domestique levé ; li croire rhum là qui fine
casse li. Li honte, li prend so bâton, li allé.
Lheire dans lacase léroi doumounde fine coné
ça qui zaute maîte comandé zaute, iéna zense qui
çagrin à cause Pauline ti bien bon, iéna qui con-
314 HISTOIRE DE PAULIN ET DE PAULINE
qu'ils étaient envieux. Mais, joie ou chagrin, il
n'importait : il fallait obéir.
Lieutenant était furieux. Il connaissait trop le
cœur de son maître pour le croire capable d'avoir
pu donner un tel ordre. Jamais ! Mais Lieutenant
était un chien, et les chiens ne parlent pas. Il
eut beau japper, cette fois on refusa de l'écouter.
On arrache Pauline de son lit, on attache sur
elle ses deux enfants, comme la lettre le com-
mande, on la conduit sur la grande route, on la
chasse; Lieutenant refuse de quitter Pauline et la
suit.
Ils marchent, ils marchent. La pauvre malheu-
reuse Pauline pleure. Lieutenant ne dit rien.
Ils arrivèrent dans une forêt ; Lieutenant allait
devant pour montrer le chemin. Comme ils pas-
saient au bord d'une petite rivière, Pauline eut
soif; elle se mit à genoux pour atteindre l'eau
avec sa bouche, car elle ne pouvait, hélas ! boire
dans le creux de ses mains. Tandis qu'elle se
penche pour toucher l'eau de ses lèvres, l'enfant
attaché sur son dos s'échappe et tombe dans l'eau
la tête la première. Pauline, oubhant qu'elle n'a
pas de mains, jette les bras en avant pour le
saisir. Le croirez-vous? Cette eau était une eau
enchantée. A peine les deux bras mutilés l'ont-ils
touchée que les deux mains repoussent. PauHne
saisit son enfant, elle l'embrasse, elle pleure, elle
ZISTOIRE PAULIN AV PAULINE 315
tent à cause zaute zaloux. Mais qui content, qui
zaloux, narien ça : bisoin faire ça qui co-mandé.
Détenant firié : li cône zamais so maîte qui
bon lékeir ti capabe commande éne mauvais
quique çose cornent ça. Zamais ça ! Mais li éne
licien ; napas causé av li. Li zapé, li zapé ; ça fois
là personne napas voulé acoute li.
Zaute tire Pauline dans so lilit; zaute amarre
son dé pitits làhaut li cornent fine marqué dans
lette, zaute amène li dans grand cimin, zaute
pousse li. Liétenant napas voulé quitte Pauline,
ILsivré li.
Zaute marcé, marcé; pauve malhéré Pauline
ploré, Liétenant napas dire narien.
Avlà zaute arrive dans grand bois. Liétenant
passe divant pour monte cimin. Coment zaute
arrive dans bord éne ptit larivière, Pauline gagne
soif, li baisse à 'zounoux pour boire dileau av
labouce, lamains napas pour li boire dans la-
mains. Li pence so lécorps pour so labouce arrive
av dileau; avlà pitit qui té amarre dans so lédos
cappe éne coup, pique dans dileau. Pauline zette
so lébras dans dileau, quamême napas lamains
pour attrape so pitit. Qui vous croire! Ça ti éne
dileau miraque. Coment ça dé lébras là plonze
dans dileau, éne coup même, dé lamains pousse
encore av zaute ! Pauline tchiombô so pitit, li
embrasse li, li ploré, li crie : « Merci! merci
3 1 6 HISTOIRE DE PAULIN ET DE PAULINE
s'écrie : « Merci, mon Dieu ! merci ! « Lieutenant
court, jappe, se roule par terre, il est comme fou
de joie.
Ils marchent, marchent, marchent. Voilà trois
jours qu'ils sont dans la forêt quand ils arrivent
enfin dans une plaine. A l'orée du bois était une
vieille case toute délabrée couverte en vétiver.
Elle était inhabitée, ils s'y arrêtent. Pauline
répare la case du mieux qu'elle peut ; elle ra-
masse des feuilles, fait un bon lit pour elle et ses
enfants, un petit lit pour Lieutenant ; puis elle
fait sa prière, se couche et s'endort.
Le lendemain, de grand matin, elle s'éveille.
Elle s'assied sur son lit et réfléchit. « Que puis-
je faire? Où puis-je aller? Je n'ai plus de famille,
personne qui s'intéresse à moi, Mieux vaut que
je reste toute seule ici dans cette vieille case ;
personne ne viendra me chercher noise; j'élèverai
tranquillement mes enfants ; Lieutenant et moi
nous trouverons bien le moyen de nous arranger
pour ne pas mourir de faim. Pas vrai. Lieute-
nant? » Lieutenant lui répondit en jappant et en
agitant la queue pour montrer son approbation.
Mais retournons auprès du roi.
Comme le pauvre jeune homme croyait que
Pauline lui avait donné un singe et un chien au
lieu d'enfitnts, son chagrin était si grand qu'il
n'osait retourner dans son palais. Il resta A la
ZISTOIRE PAULIN AV PAULINE 317
Bondié. » Liétenant couri, zapé, roule par terre ;
li cornent fou à force li content.
Zaute marcé, marcé, marcé. Avlà trois zours
zaute dans ça grand bois là, zaute arrive dans
laplaine. Dans balizaze ça laplaine là, zaute
trouve éne vie vie lacase couvert av vitiver, per-
sonne làdans. Là même zaute arrêté. Pauline
arranze lacase morceau morceau, li ramasse
feilles, li faire éne bon lilit pour li av so zenfants,
éne ptit lilit pour Liétenant, li faire so laprière,
li allonze so lécorps, li dourmi.
Lendimain grand bomatin, li levé, li assise
làhaut so lilit, li maziné. « Qui mo capave faire?
A côte mo capave allé ? Mo naplis énan famille ;
personne napas embrasse moi. Mo plis vaut mié
resse tout seil ici dans ça vie lacase là : personne
va vine cicane moi ; mo va élève mo zenfants
tranquille; Liétenant av m^oi nous va trouve éne
magnière gagne manzé pour nous napas mort
faim. Pas vrai, Liétenant? « Liétenant zappe av
li, li bouze bouze laquée pour montré li content.
Laisse nous tourne av léroi.
Cornent pauve zène homme là ti croire qui
Pauline fine donne li éne zacot av éne iicien
aulière zenfants, li si tant çagrin qui li napas osé
tourne dans so lacase ; li resse laguerre sipas
3l8 HISTOIRE DE PAULIN ET DE PAULINE
guerre environ cinq ou six ans, tant le cœur lui
brûlait. Enfin, quand il se sentit un peu consolé,
il revint à son palais.
« Où sont mes enfants? Où est Pauline? Où
est Lieutenant ? »
Ses gens restèrent interdits. Par bonheur pour
eux, on avait gardé la lettre du roi dans un tiroir
de bureau. On courut la chercher et on la lui
remit. Ce fut au tour du roi de rester abasourdi.
Il ouvrait de grands yeux, tournait et retournait
le papier entre ses mains ; certes, ce n'était pas
lui qui avait écrit cela ; mais c'était son écriture :
l'imitation était merveilleuse ! Que faire ? Au
milieu de ses réflexions un soupçon lui vint :
« Qu'on m'appelle le domestique qui a apporté
cette lettre ! »
Lorsque le noir apprit que le roi l'appelait, il
sentit son cœur s'en aller. Mais force lui fut de
venir, quoique ses jambes se dérobassent sous lui.
A force de questions, le roi finit par lui arra-
cher toute l'histoire. Il n'était pas difficile main-
tenant de deviner comment les choses s'étaient
passées. Quelle colère que la colère du roi ! Il ne
dit à l'homme qu'un seul mot : « Malheureux! »
Le domestique tourna trois fois sur lui-même,
comme une toupie qui va mourir, et tomba tout
de son long par terre. Le roi le saisit par les
cheveux et le remit debout sur ses jambes :
ZISTOIRE PAULIN AV PAULINE 319
cinque sisse bananées comme ça, à force so lé-
queir bourlé. Lheire là, li senti so léqueir com-
mence console morceau ; li tourne lacase.
« A cote mo pitits ? A cote Pauline ? A cote
Liétenant? »
Zense là reste sec. Par bonheur pour zaute,
lette léroi té garde dans tiroir bireau. Zaute couri
çace lette là, zaute donne li dans lamain léroi.
Léroi lire lette : son tour reste sec. Li carquiile
carquille so liziés, li vire vire papier là ; bien sîr
zamais li qui té crire li, mais li même blizé tôné
aforce lécritire là coment pour li ! Qui li a faire ?
Li mazine maziné, avlà éne doutance av li :
« Appelle moi domestique qui ti amène lette
là. ))*
Quand noir là coné qui léroi appelle li, so lé-
queir aile loin, mo dire vous ; mais li blizé vini
quamême so lazambe dérobé.
Léroi à force à force faire domestique li causé,
fine tire tout son difil av li. Lheire là li napas
lapeine pour coné coment tout zaïfaire fine passé.
Manman ! napas en colère ça qui li en colère !
Léroi nèque dire li éne parole même : « Mal-
héré ! « Domestique vire vire dé trois tours co-
ment éne toupie, li tombe enbas, li mosse même.
Léroi touque li dans so civés, li lève li en lair, li
320 HISTOIRE DE PAULIN ET DE PAULINE
« Conduis-moi chez cette vieille sorcière. Allons,
marche ! «
Quand on fut arrivé à la maison de la bonne
femme Laffe-de-boue, le roi la fit entourer par
ses gardes, et il entra dans la chambre seul avec
son domestique. Laffe-de-boue était assise et se
dressa d'un bond. « Est-ce bien elle? demanda
le roi au domestique. — Oui, oui, mon roi, c'est
elle ! » Le roi ordonna au domestique de lui lier
les pieds et les mains et de la mettre sur la table
à manger. Puis prenant la bouteille d'huile sur
la tablette, il fit frotter Laffe-de-boue avec toute
l'huile. Et le domestique se disait : « Peut-être le
roi veut-il en faire une salade ! mais ça manque
de sel, de poivre et de vinaigre. «
Ils sortirent, et le roi ordonna aux gardes de
mettre le feu aux quatre coins de la maison.
Laffe-de-boue, là-dedans, poussait des hurle-
ments; le feu l'atteignit, et elle se mit à flamber
comme un flambeau de bois de ronde que les
pêcheurs allument sur les récifs. Soudain son
corps éclata avec une vive clarté : elle était
morte. Laissons le vent disperser ses cendres au
hasard !
Le roi envoya, dans toutes les directions, une
foule de messagers à la recherche de Pauline. Ils
allèrent, tournèrent, regardèrent, interrogèrent,
et ne trouvèrent rien. Il leur fallut donc revenir
ZIC.TOIRE PAULIN AV PAULINE 32 1
mette li diboute. « Amène moi lacase ça vie
sourcier là ! marcé ! »
Lhére fine arrive lacase bonnefemme Laffe-
laboue, léroi faire gardes cerne lacase, li fonce
dans laçambe tout seil av domestique. Laflfe-
laboue té après assise, li saute en lair. Léroi di-
mande av domestique: » Li même ça? — Li
même ça, mon roi! » Léroi faire domestique
amarre so lipieds, amarre so lamains, mette li
làhaut latabe manzé. Li prend bouteille dilhouile
Icàhaut tablette, faire baingne Laffe-laboue av
tout ça dilhouile là. Domestique maziné : « Qui-
quefois léroi voulé faire salade av li ? m.ais
domaze napas disel, napas dipoive, napas vi-
naigue? »
Zaute sourti dans lacour. Léroi comande gardes
mette difé dans quate coins lacase. LafiFe-laboue
làdans, guélé, guélé; difé arrive av li, li flambé
même coment éne flambeau bois de ronde qui
péceirs allime làhaut récifs, so lécorps date éne
coup, li donne éne grand clairté, li mort même.
Laisse divént fane fane so lacende !
Léroi envoyé éne bande doumoundes rôde rôde
nouvelles Pauline partout partout. Zense là
tourne, viré, guété, causé, zaute napas trouve
21
322 HISTOIRE DE PAULIN ET DE PAULINE
au palais pour le dire au roi, et le pauvre roi fut
si nnilheureux qu'il se mit à maigrir.
A peu près deux années se passèrent. Un jour
que le roi chassait dans la forêt, les chiens levèrent
un cerf. Le roi tira et le blessa. Mais le cerf ne
tomba point ; il avait des ailes, il volait. Il allait,
il allait, il allait, il allait ; si bien que les chiens
(épuisés lâchèreBt pied, et que seul le roi fut de
force à le poursuivre. Le cerf fuyait, fuyait, et
■quand il savait avoir laissé le roi à quelque dis-
tance, il s'arrêtait un instant pour se reposer et
souffler, puis quand le roi approchait, le cerf re-
partait. La poursuite durait depuis deux jours, et
ile soleil allait se coucher quand ils arrivèrent au
bord de la plaine. Le cerf, voyant l'espace ouvert
devant lui, détala, et le roi, qui le vit bien loin en
avant, comprit qu'il fallait y renoncer. Tirant
dmic son chapeau, il le salua en riant et lui cria :
« Vraiment, l'ami, tu sais courir ! tu peux t'en
vanter. Soit doncî peut-être se retrouvera- t-on
un autre jour. » Le cerf était loin et ne répondit
rien .
Le roi, se trouvant seul à la lisière delà plaine,
regarda. Il ne reconnaissait rien; jamais il n'était
venu de ce côté. Mais, peut-être trouverait-il une
maison où se reposer pendant la nuit, et un mor-
oeau à manger, car il commençait à se sentir
l'estomac un peu creux depuis deux jours. ApTès
ZISTOIRE PAULIN AV PAULINE 323
narien. Zaute blizé tourne lacase léroi dire li ça.
Pauve léroî là çagrin même, li vine maigue.
Sipas dé bananées passe encore. Ene zour co-
rnent léroi ti laçasse dans bois, liciens lève éne
cerf. Léroi tiré, li blesse li. Mais cerf napas
tombé, lézailes av li, li bourré. Li allé, li allé, li
allé : liciens bisoin quitte li à force zaute lassé,
nèque léroi tout seil qui capave tini av H. Cerf
taillé, taillé ; Iheire li coné li fine quitte léroi
morceau loin, li arrête ptit moment, li posé, li
soufflé; léroi vini, cerf dégazé. Avlà dé zours
zaute ensembe ; cornent soléye pour coucé zaute
arrive dans balizaze laplaine. Térain ouvert di-
vant li, cerf mété même ; léroi guette li loin loin
divant, napas lapeine saye encore ; léroi tire éne
coup de çapeau av li, li blizé rié, li crie H : « Eh
toi ! to cône balié oui ! to capabe s'en vanté.
Laissé ! quiquefois éne laute zour nous pour
zoinde encore. » Cerf loin, napas réponde narien.
Cornent léroi tout seil dans bord laplaine là, lî
guété, li napas cône narien, zamais li té vine ça
quartier là. Mais quiquefois li va trouve éne la-
case pour posé pendant ianouite là, sembe mor-
ceau quiqueçose pour manzé : dipis dé zours là so
vente comencc gagne faim. Li marcé, li marcé,
324 HISTOIRE DE PAULIN ET DE PAULINE
un bon bout de marche, il aperçut une petite
lumière dans le lointain. Il marcha encore : c'était
une petite case couverte en véiiver. La case était
fermée, il frappa à la porte. Il entendit qu'on
marchait doucement dans la maison. On avait
peur, sans doute. Alors il cria : « Ouvrez, ouvrez,
si vous avez bon cœu''! j'ai faim, je suis las:
secourez-moi, Dieu vous secourra ! »
La porte s'ouvrit et le roi entra.
Dans la chambre, il n'y avait qu'une jeune
femme. Comme il commençait à faire noir, le
roi ne pouvait bien voir sa figure, mais il lui
semblait que c'étaient là des traits qu'il connais-
sait; on eût dit le visage de Pauline. « Hélas!
pauvre Pauline! où est-elle maintenant? » Le roi
demande à la jeune femme un morceau à man-
ger, et la jeune femme alla prendre dans le
buffet des patates, du magnoc et un morceau de
lièvre rôti. Elle posa l'assiette sur la table devant
le roi. « Pauvre Pauline, elle n'avait pas de
mains, elle, pour me servir ! »
Tout en mangeant, le roi regardait la jeune
femme, qui allait et venait dans la chambre. Mais
la jeune femme n'osait pas le regarder, on eût
dit qu'elle avait peur. Tandis qu'ils étaient là
tous deux, un peu embarrassés, le roi entendit
un chien qui jappait dans le lointain. « C'est
impossible ! mais je connais cette voix-là ! c'est la
ZISTOIRE PAULIN AV PAULINE 325
avlà li voir éne ptit laclairlé dans loin. Li niarce
encore : ça ti éne put lacase couvert sembe vi-
tiver. Lacase frémé; léroi tape tape dans laporte.
Li tende doumounde marce doucement douce-
ment dans lacase, coment dire gagne peir. Li
crié : « Ouvert, ouvert quand zaute bon léqueir!
mo gagne faim, mo lassé : soulaze moi, Bondié
va soulaze zaute ! »
Laporte ouvert, léroi rentré.
Dans laçambe là ti énan nèque éne zène
femme. Té commence faire sicour sicour ; léroi
napas capave bien guette son figuire, mais li
maziné ça éne figuire qui li coné ça, éne figuire
coment dire figuire Pauline. « Aïo ! pauve Pau-
line! à cote li astheire ! » Léroi dimande zène
femme morceau quique çose pour manzé; zène
femme là tire dans garde-manzé patates av ma-
gnioc sembe éne morceau rôti ièye. Li pose las-
siette divant léroi Ihaut latabe. « Pauve Pauline,
li napas ti énan lamains, li, pour servi moi ! »
Cornent léroi après manzé là li guette guette
zène femme' là tourné viré dans laçambe. Mais
zène femme là napas osé guette li, coma dire li
peir li. Avlà coment zaute touldé dans zéné là,
léroi tende éne licien zappe zappé dans loin loin.
« Pas possibe ! mais mo cône ça lavoix là ! La-
voix Liétenant, ça ! » Lavoix licien là approcé.
326 HISTOIRE DE PAULIN ET DE PAULINE
vûLx de Lieutenant, ça 1 » La voix se rapprocliait.
Le roi écoutait, écoutait. Le chien n'était pas>
seul ; il y avait deux jeunes garçons avec lui, et
ils s'amusaient à japper eux aussi pour jouer avec
Le chien. Le roi se leva vivement ; il alla à la
porte, il regarda.
La nuit s'était faite, l'obscurité était profonde.
Mais voilà le roi qui se frotte les yeux, car il
voit quelque chose qu'il n'a jamais vu aupara-
vant. Sur le front des deux enfants qui arrivent
avec le chien, il y a deux étoiles, et ces étoiles
ont un tel éclat que la plaine en est éclairée
comme en plein jour. Tandis que le roi demeure
plongé dans l'étonnement d'un tel miracle, tout
à coup le chien qui accompagne les enfants l'a
senti. Le chien s'élance dans la maison; il saute
sur le roi ; il pleure, il le lèche, il jappe, il
remue éperdûment la queue, il se roule par
terre, il lui lèche les pieds, il lui saute à la figure
pour la lécher aussi, il étouffe, il râle, il est fou.
« Lieutenant ! Lieutenant ! c'est toi, Lieutenant ! »
Le roi le prend dans ses bras et tous les deux
pleurent de joie.
Le roi, soudain, se retourne, il s'élance vers la
jeune femme, il la prend dans ses bras : « Pau-
line 1 Pauline ! c'est toi, ma Pauline ! » Il l'em-
brasse 1 il l'embrasse! il l'embrasse! Mais assez
donc ! assez faire baver les gens !
ZISTOIRE PAULIN AV PAULINE 327
Léroi coûté coûté. Licien napas tout seil ; dé ptit
garçons av li; zaute aussi amise zappe zappé pour
badine av licien. Léroi lève éne coup, li aile
dibouté dans laporte.
Té lanouite astheire, faire noir noir même
dohors.
Mais avlà léroi blizé frotte frotte so iiziés
acause li trouve quique çose qui zamais li té fine
trouvé avant ça. Làhaut front ça dé ptits garçons
qui après vini av licien, énan zétoiles. Zétoiles là
donne si grand laclairté qui tout laplaine claire
cornent dans lizour même, mo dire vous. Coment
léroi après toné av ça miraque là, éne coup licien
qui avec zenfants là senti li. Licien fonce dans
lacase, li saute làhaut léroi, li ploré, li lice li, li
zappé, li batte laquée, li roule en bas, li lice so
lipieds, li saute dans so figuire pour lice li oussi,
li touife touffe, li fou. « Liétenant ! Liétenant l
toi ça, Liétenant ! » Léroi prend li dans son
lébras, zaute dé ploré à force content !
Léroi vire éne coup, li fonce làhaut zene
femme là, li prend li dans so lébras : « Pauline !
Pauline ! toi même ça, mon Pauline ! » Em-
brassé, embrassé, embrassé ! Mais assez donc !
assez faire doumounde bavé !
328 HISTOIRE DE PAULIN ET DE PAULINE
Qu'ai-je besoin de vous rien raconter de plus,
mes enfants ? Il n'est pas difficile de deviner ce
qui doit arriver à la fin de mon histoire.
Le lendemain, à la pointe du jour, avant le chant
du coq, ils quittèrent tous la vieille case pour re-
tourner au palais du roi. Que leur imporiait que le
soleil ne fût pas encore levé? Les étoiles des enfants
n'étaient-elies pas là pour éclairer leur chemin?
Le troisième jour, ils arrivèrent au palais et la
joie fut générale : on riait, on chantait, on criait.
Et c'étaient ceux qui portaient envie à Pauline
qui chantaient le plus fort. C'est comme ça, mes
enfants, vous le saurez un jour.
Grâce à l'eau miraculeuse, Pauline avait des
mains à présent ; elle avait un doigt où passer
l'anneau de mariage. Le roi lui demanda sa main,
et passa la bague à son doigt.
Ils donnèrent un repas, mes enfants ! mais un
repas ! qu'on tire les bretelles, vous dis-je ! qu'on
ouvre le gilet ! qu'on lâche la boucle du pantalon
par derrière !
Au moment où nous allions nous mettre à
table, voici venir un pauvre mendiant qui entre
dans la salle à manger pour demander la charité!
Il se traînait sur deux béquilles, ses yeux étaient
rouges à force d'avoir pleuré, et sa bouche était
toute tordue comme celle d'un poisson qu'a dé-
chiré l'hameçon.
ZISTOIRE PAULIN AV PAULINE 329
Qui mo bisoin ranconte zaute encore zenfants?
Napas lapeine pour coné ça qui pour arrivé dans
so finition mo zistoire.
Lendimain grand grand bo matin avant coq
canté, z,iUte tout quitte vie vie lacase là pour
tourne lacase léroi. Qui zaute en peine soléye
napas encore levé ? Zétoiles zenfants napas là
pour claire zaute cimin !
Troisième zour zaute arrive lacase léroi. Zense
là conieDî; : çanté, rié, crié. Ça qui té zaloux
Pauline qui çante plis fort; comme ça même ça,
zenfants, éne zour vous va coné.
Grand merci ça dileau miraque là, Pauline
énan lamains astheire, énan lédoigt pour passe
bague manage. Léroi dimande li so lamain, léroi
passe bague dans so lédoigt.
Zaute faire éne diner, zenfant ! mais éne diner !
laisse tire bretelles, zenfants ! laisse ouvert zilet,
mo dire vous ! laisse largue bouque (quilotte) par
derrière.
Coment nous pour mette à tabe, avià éne
pauve malhéré rente lasalle manzé pour dimande
çarité. Li traîne l raine so lécorps av bâtons, so
liziés rouze rouze à force ploré, laguéle travers
coment labouce posson fine dicire av Ihameçon.
3 JO HISTOIRE DE PAULIN ET DE PAULINE
Pauline regarde le mendiant. Elle vient à lui
et l'embrassant : « C'est toij., Paulin ! c'est toi,
mon frère ! «
On lui fait raconter en deux mots son histoire,
pour ne pas laisser refroidir la soupe.
Lida l'avait empoisonné pour le faire mourir,
parce que cette peste en avait assez d'un mari;
c'est là ce qui lui avait bistourné la figure. Mais
un jour que Lida avait eu avec quelqu'un une vio-
lente dispute, elle avait ramassé un énorme coup
de bâton sur le haut de la tête, et elle était
tombée raide morte. Paulin avait été forcé de
s'enfuir, dans la crainte qu'on ne l'accusât d'avoir
tué sa femme. « Aïa ! c'est le bâton qui l'a tuée ! »
« Dînons, mon frère! tu demeureras avec
nous, ne t'inquiète plus de rien. »
Au moment où je veux m'asseoir à table avec
eux, on retire ma chaise de derrière moi ; je
tombe, je roule, je roule, et ne m'arrête qu'ici
pour vous raconter cette histoire.
Est-ce un conte noir? Est-ce du Lindor, le Lindor de « septe
cousins av septe cousines »? (n"xvii). L'histoire part et arrive;
une main sûre la dirige sans la laisser dévier jamais. Il y a là-
dedans un savoir-faire auquel le bonhomme ne nous a pas habitués.
Et ses personnages sont viv;iuts, et ses épisodes sont liés, et, chose
grave, notre version française nous semble par exception à peine
inférieure à la créole. Le conte de Paulin avec Pauline fait avec
tous les autres un contraste qui n'échappera pas au lecteur.
ZISTOIRE PAULIN AV PAULINE 35 1
Pauline guette ça pauve malhéré là, li vine av
li, li embrasse li. « Toi, ça, Paulin ! toi ça, mon
frère ! »
Zaute faire li ranconte vilement vitement so
zistoire, pengare lasoupe frès.
Lida té drogue li pour faire li mort à cause ça
lagale là ti lassé gagne mari ; ça même so figuire
travers éne côté. Mais Lida là éne zour, cornent
li dispite dispite av doumounde, li ramasse éne
coup bâton pilon làhaut latête, li tombe sec, li
mort. Paulin blizé sauvé, pengare zaute croire 11
même qui fine touye so femme. « Aïa ! bâton
pilon qui ti touye li ! «
« Laisse nous diné, mo frère ! Vous pour reste
av nous, napas bisoin en peine narien. »
Cornent mo vlé assise av zaute à tabe, zaute
tire çaise par derrière ; mo tombe enbas ! Mo
roulé même ! roulé, roulé, roulé ! mo arrête ici
pour ranconte vous zistoire là.
Créole ? peut-être bien; mais créole noir? nous en doutons fort,
et ceux qui le liront en douteront comme nous.
Quoi qu'il en soit, l'histoire est d'un réel intérêt, et si l'inven-
tion n'est pas de Lindor, la collaboration du bonhomme s'affirme
par maints détails, dont quelques-uns un peu égrillards, comme
il les aime. C'est de quoi nous justifier d'avoir ouvert à Paulia
et Pauline l'entrée de notre recueil.
XXV
LE LIÈVRE, LE ROI ET LE SLMGE
^L y avait une fois un roi qui avait une
ruche sur un arbre.
Un lièvre et un rat s'associèrent pour
aller voler le miel. Au pied de l'arbre, le lièvre
faisait de la fumée ; dans l'arbre, le rat coupait
les rayons.
Le roi arrive et crie :
— Qui est-ce qui est là-haut en train de me
voler mon miel ?
Le lièvre dit au rat à voix basse :
— Dis que tu es tout seul ; je suis au milieu
de la fumée, il ne me verra pas.
Le roi s'approche, mais pas trop, de peur que
le feu ne prenne à son panialon ; le lièvre fait
une fumée encore plus épaisse et se .^auve.
Q.uand la fumée se dissipe, le roi voit le rat,
le force à descendre et le tue.
Le lièvre va trouver le sin^e et lui dit :
XXV
ZISTOIRE YÈVE, LÉROI AV ZACOT
^i éna éne fois éne léroi qui li éaa éne
bombarbe dimiel làhaut éne pied dibois.
Ene yève assembe éne lérat nne com-
ploié pour aile volor çj dimiel là. Yève enbas
méte lafimée ; lérat làhaut coupe dip:)in dimiel.
Avlà léroi vini, li crié :
— Qui ceunelà qui làhaut pied après coupe
mo dipain dimiel ?
Yève cause doucement av lérat :
— Dire to tout seil ; mo dans lafimée, li napas
va trouve moi.
Léroi avance morceau loin, pengare so caneçon
bourlé; Yève faire éne bon bande lafimée, li
sauvé.
Lhère lafimée fine tombé, léroi trouve lérat, li
force li dicendé, li touye li.
Yève aile zoinde zacot, li dire li :
334 ^-E UEVRE, LE EOI ET LE SINGE
— Compère, je sais où il y a une belle ruche,
mais il faut être deux pour enlever le miel.
Si vous voulez, associons-nous, nous partage-
rons.
Le singe accepte l'offre et suit le lièvre.
Quand ils sont arrivés, le lièvre dit au singe :
— Vous, compère, vous monterez dans l'arbre
pour enlever le miel, moi je resterai au pied pour
faire de la fumée.
Le singe monte, le lièvre enfume les abeilles,
le roi arrive.
Le roi crie :
— Mais qui est-ce qui est encore dans cet
arbre à m'enlever mon miel ?
Le lièvre dit tout bas au singe :
— Dis que tu es seul; je suis au milieu de la
fumée, il ne me verra pas.
Le singe se met à rire et crie au roi :
— Eh vous ! sire ; regardez dans la fumée,
et n'ayez pas peur de mettre le feu à voti'e pan-
talon.
Le roi regarde dans la fumée, aperçoit le lièvre
et le tue.
Puis le roi dit au singe de descendre.
Le singe répond au roi en riant :
— Suis-je un sot, moi ! J'ai deux chemins,
l'un en haut, l'autre en bas. Me suive qui
pourra.
ZISTOIRE YÈVE, LÉROI AV ZACOT 335
— Compère, mo coné a cote iéna éne belbel
bombarde dimiel ; mais bisoin dé doumounde
pour tire li. Quand vous content, anons faire
zassociés : nous va partazé.
Zacot content, li sivré yève.
Lhére zaute fine arrivé, yève dire av zacot :
— Vous, compère, vou a monte làhaut pied
pour coupe dimiel, moi, mo a reste enbas pied
pour mette lafimée.
Zacot monté, yève mette lafimée, léroi vini.
Léroi crié :
— Mais qui cenne là qui encore làhaut pied
après coupe mo dimiel?
Yève cause doucement av zacot :
— Dire to tout seil ; mo dans lafimée, li napas
va trouve moi.
Zacot rié ; li crie léroi :
— Eh vous, léroi ! guette dans lafimée ; napas
peir bourle vous caneçon.
Léroi guette dans lafimée, li trouve yève, li
touye li. Acthére là li dire Zacot dicendé.
Zacot rié, li réponde léroi :
— Sipas mo bête, moi ! Mo éna dé cimins :
éne en haut, éne en bas. Sivré moi quand ca-
pabe.
336 LE LjÈVRE, le foi et LE S'NGE
11 saute au bout d'une branche, de là dans un
aulre arbre, et s'en va.
Le roi reste le nei: cassé.
Assez médiocre ; le lièvre y est perdu dans la fumée, le singe
ZISTOIRE YÈVE, LÉROI AV ZACOT 337
Li saute dans boute brance, li saute dans éne
laute pied dibois, li allé.
Léroi reste sec.
se voit un peu mieux. C'est une de celles qui tournent à la
confusion du lièvre et du roi.
22
^rr^ ^mrr~ wv— ^fjr" •'/ ~ ^^ir~ ^^IT' ^'ÂT' w/ ^ fco
C^ itlA CViA Cti> CtlA CtA r^ CtlA C\1A r<iA
XXVI
LE LIÈVRE ET LE ROI ÉLÉPHANT
^•îs^ ANS ce temps-là, c'était l'éléphant qui
«Ib^II ^^^^^ ^^ ''°^ ^^^ animaux. Mais ce pauvre
wa'if^ roi était si vieux, si vieux qu'il ne pou-
vait plus rien faire, s'occuper de rien. Il passait
toute la journée la bouche ouverte, bavant, ba-
vant, comme un petit enfant qui fait ses dents :
un vieux ramolli, vous dis-je. Les animaux, ce-
pendant, faisaient semblant de croire que c'était
parce qu'il riait qu'il avait toujours cette bouche
ouverte, et tous répétaient : « Mais voyez quel bon
roi nous avons ! il rit toujours, il rit sans cesse. »
La saison sèche arriva. La pluie ne tombait
pas, toute l'herbe était brûlée par le grand soleil.
Le lièvre cherche à manger, il ne trouve rien :
point de lasseron, point de salade, point de lé-
gumes, tout est mort. Mais vous savez que le
lièvre est plein de malice.
CtiA «ViA ftiA CZlf. C\iA CXlÀ. «VA <AiA <viA CXlÀ. diA CtiA C^il
XXVI
ZISTOIRE YÈVE AV LÉROI LÉLÉPHANT
ANS ça létemps là, léléphant qui ti léroi
tout zanimaux. Mais ça pauve léroi là té
si tant vie, si tant vie qui li naplis capave
faire narien, oquipe narien : tout lazournée li
nèque assise labouce ouvert, bavé, bavé, cornent
éne ptit zenfant qui pousse lédents ; éne vie
gaga même, mo dire vous. Maiz zanimaux faire
semblant zaute croire qui labouce ouvert là
éne rié ça ; zaute tout nèque dire : « Mais
guette nous léroi cornent libon : li rié, touzours
li rié. »
Lasaisdn sec fine vini. Laplie napas tombé, tout
Iherbe bourlé dans grand soleye. Yève rôde
manzé, li napas trouve narien : lastrou napas,
salade napas, léguimes napas, tout fine mort.
Mais, vous cône, iéna malice av Yève I
340 LE LIÈVRE ET LE ROI ÉLÉPHANT
Comme il voit ouverte la bouche du roi élé-
phant, il épie le moment où personne ne peut le
voir, et saute dans la bouche de l'éléphant. Il
entre dans son corps, descend et va manger ses
intestins. L'éléphant ne sent rien, sa bouche reste
ouverte, il rit, il rit toujours.
Le lièvre est un animal méchant. Quand il a
assez mangé de tripes, il se met à ronger le cœur
de l'éléphant. Le vieux roi, cette fois, cesse de
rire; il ferme la bouche et meurt.
Lorsque le lièvre a assez mangé, il veut sortir :
impossible, la porte est fermée. Que faire? Il re-
tourne dans les intestins, il s'assied et réfléchit.
Cependant, au dehors, les animaux se sont
aperçus que le roi est mort. Il font mine d'être
désolés, ils pleurent, ils crient, ils gémissent. Le
singe va dire au jeune éléphant qui doit succéder
au roi son père : « Sire, pour soulager un peu
notre douleur,, laissez-nous empailler le corps de
votre père avec des herbes odoriférantes, citro-
nelle, feuilles de fougère, racines de vétiver,
faham. Puis nous le porterons au cimetière. Mais,
du moins, il mettra plus longtemps à pourrir, et
nous pourrons nous consoler un peu ! Quelle
perte affreuse nous avons faite ! » Tous les ani-
maux répèteQt en choeur : « Oui, sire! oui, sire!
laissez-nous bourrer de bonne paille le corps de
votre père. »
ZISTOIKE YÈVE AV LÉROI L'ÉLÉPHANT 341
Cornent H trouve léroi Léléphant la bouce
ouvert là, li veille veille Iheire personne capave
trouve li, li saute éne coup dans labouce lélé-
phant, li rente dans so lécorps, li dicendé, li aile
manze son tripes. Léléphant napas senti narîen ;
li touzours labouce ouvert, rié, rié même.
Yève éne mauvais zanimaux. Lheire li fine lassé
mauze tripes, li comence manze lékeir léléphant.
Ça coup là léléphant arête son rié ; li fréme la-
bouce, li mort même.
Lheire yève assez manzé, H voulé sourti ; napas
moyen, lapôrte frémé. Qui li a faire? Li tourne
dans tripes; li assise, li maziné.
Par en dehors, zanimaux fine trouve léroi
mort. Avlà zaute faire semblant çagrin, ploré,
crié, plaigne. Zacot dire av zène léléphant qui ti
pour vine léroi dans place so papa : « Mon roi,
pour soulaze ein pé nous ladouleir, laisse nous
empaille lécorps vous papa av boucoup boucoup
Iherbe senti bon, citronelle, feilles fouzères, ra-
cines vitiver, faham. Après, nous va amène li
cimiquière ; mais va bisoin létemps pour li pourri :
nous va capave console morceau! Qui laperte
affireise nous fine faire ! » Tout zanimaux nèque
crie en bande : « Oui, mon roi, oui mon roi,
laisse nous bourre lécorps vous papa av bon la-
paille. »
342 LE LIÈVRE ET LE ROI ÉLÉPHANT
Le jeune éléphant est content. Il leur dit :
« Eh bien ! bourrez, puisque vous le désirez,
bourrez ! »
Le singe dit aux animaux : a Allez chercher de
l'herbe et des feuilles. Je garde avec moi le rat,
le tandrac, la souris, le centpieds, le millepattes,
le ver, pour vider ce grand corps-là : il faut re-
tirer les intestins et les jeter, sinon il pourrirait
trop vite.
Le lièvre, qui a tout entendu, s'enveloppe dans
les intestins. Le singe les fait enlever et jeter
bien loin pour qu'ils n'empuantissent pas le palais
du roi.
Quand le lièvre les a entendus s'éloigner, il
sort du milieu des intestins, se nettoie, s'essuie
bien, et court au cimetière où l'on enterrait le
défunt.
Le martin et la perruche venaient de prononcer
de longs discours au bord de la fosse. Le lièvre
fend la presse, arrive auprès du trou, lève les
yeux et commence :
« Hélas ! hélas ! mes frères ! de quel coup cruel
Dieu nous a frappés ! Quel bon roi nous avons
perdu ! Et je n'étais pas là pour fermer ses yeux !
j'étais allé aux Trois-Ilôts près de l'oncle de ma
femme, gravement malade, lui aussi ! Je reviens,
qu'est-ce que j'entends dire : « Le roi, notre bon
roi est mort ! » Hélas ! hélas ! qu'on me laisse
ZIST07RE YÈVE AV LÉROI LÉLHPHANT 343
PiiJi; léléphimt coaLenL Lï diiC z^uLe : « Ah ben !
quand zjuie coiitani., bourvé. »
Zacot dire zaiilmaux : « Aile çace Iherbe av
feillazG, mo gdrde pv moi léraî. tpnd'^u-:, iouris,
cenipieds, millepiiLi;es, lever pour vide ça grand
grand lécorps là : bisoni lire son trines, zété ;
sans ça li pour pourri virement même. »
lève lende ça, 11 enroule so lécorps dans milié
tripes. Zacot faire tire tout tripes, zette loin loin
même, pengare zaute faire lacase léroi senti pi.
Lheire yève tende, zaute fine tourne lacase
léroi, li sourti dans milié tripes, li nétoye son
lécorps, li souye bien prope, li couri dans cimi-
quière à côte zaute té après faire lenterrement.
Martin av cateau té fèque fini grand grand dis-
cours dans bord lafosse, yève fonce àcôte trou, li
lève liziés en lair, li comence causé :
« Aïo ! aïo ! mo frères, qui malheir Bondié
fine envoyé nous. Qui bon léroi nous fine perdi !
Et mo napas ti là pour fréme so liziés ! mo ti aile
Trois Zilots àcôte tonton mo femme qui ti gagne
grand malade même. Lheire mo tourné, qui mo
tende dire : « Léroi, nous bon léroi fine mort ! «
Aïo ! aïo ! laisse moi ploré. Zaute tout çagrin,
544 LE LIÈVRE ET LE ROI ÉLÉPHANT
pleurer! Tous vous êtes dans l'affliction, mes
frères ! tous, je le vois, vous sentez votre perte.
Mais personne, personne ne pouvait comme moi
savoir quel bon cœur, quel cœur excellent avait
notre roi ! Laissez, laissez mes yeux se fondre en
eau. »
Le lièvre quitte le cimetière et va chercher du
cresson au bord de la rivière.
Ici Lindor hausse le ton. Il s'élève jusqu'à la satire : les deux
ZISTOIRE YÈ\''E AV LÉROI LÉLÉPHANT 345
mo frères, mo" trouvé qui zaute tout senti la dou-
leir ; mais personne, personne té capave coné
cornent moi qui bon lékeir, qui bon lékeir nous
léroi ti gagné. Laisse, laisse mo liziés coule
dileau. »
Yève sourti dans cimiquière ; li aile rôde
cresson bord larivière.
éléphants, père et fils, le singe, le lièvre et le chœur même des
animaux, tout grandit : la fable créole n'a rien de plus élevé.
XXVII
LE LIÈVRE ET LE COUROUPAS
iN jour, papa lièvre vint à passer près d'un
jl bois noir. En levant la tête, il aperçoit
un nid de guêpes suspendu à une
branche. Je ne sais ce qui lui passe par la tête,
mais il monte dans le bois-noir, attache une
corde autour du nid de mouches, redescend, et
s'assied, la corde entre les mains. Il reste là, sans
bouger.
Le lièvre était là, immobile, quand survient
compère couroupas. Il regarde un bon moment
le lièvre qui demeure là sans remuer, tenant sa
corde. « Mais, compère, lui dit enfin le cou-
roupas, que fais-tu donc là avec cette corde? —
Silence, compère ! laisse les enflints travailler. Ne
sais-tu pas que c'est l'école ici? C'est moi qui suis
XXVII
ZISTOIRE YÈVE AV COUROUPA
H-=^?vj NE zour papa yève ti passe à côte éne pied
^ }à^ banoir. Cornent li lève latéte, li voir éne
€>>^iw nique mouces en pendant dans éne brance.
Si pas qui li maziné, li monte làhaut banoir, li
amarre éne lacorde autour nique mouces, li di-
cendé, li assise, lacorde dans so lamain, mais li
reste tranquille, napas bouzé.
Coma yève après assise là, compère couroupa
passé. Bon morceau létemps li guété : yève lacorde
dans lamain, napas bouzé. Couroupa dire li :
« Mais, compère, qui to après fére av ça lacorde
là, donc? — Napas causé, compère, laisse zen-
fants apprende ! to napas cône dans lécole ici ;
mo même qui engazé pour sonne lacloce : houite
34S LE LIÈVRE ET LE COUROUPAS
chargé de sonner la cloche : à huit heures, les
enfants entrent en classe, je sonne; à dix heures,
ils sortent, je sonne. Six piastres par mois, la
demi-balle de riz, les dohlls et le poisson salé :
c'est une bonne place ! Par malheur, je suis
obligé de la quitter : mon médecin m'a ordonné
un changement d'air, je vais à la campagne. —
Eh bien ! compère, puisque tu es obligé de partir,
cède-moi ta place. — Je compte partir aujour-
d'hui même si je trouve quelqu'un pour me rem-
placer. — Eh bien ! me voilà. — Et toi, si je te
mets à ma place, prends bien garde au moins de
ne pas manquer l'heure de sonner ! — N'aie pas
peur, compère, ce n'est jamais moi qu'on prendra
en faute. Donne la corde. « Le lièvre lui remet
la corde et lui dit : « Ecoute bien : tout à l'heure,
dix heures vont sonner à l'église ; écoute bien,
et sonne, toi aussi. »
Le lièvre s'en va. Le couroupas est au pied du
bois-noir ; il tient la corde, il écoute de toutes
ses oreilles. Voilà l'église qui sonne : le couroupas
tire sur la corde : rien ! la cloche ne sonne pas.
« Maman ! elle est dure, cette cloche ! » Le cou-
roupas se suspend à la corde, il tire, il secoue.
Soudain la branche casse, le nid de mouches
tombe. Les guêpes, furieuses, sortent du nid,
fondent sur le couroupas, lui piquent la figure,
les mains, les pieds, les yeux, elles le lardent.
ZISTOmE YEVE AV COUROUPA 349
hères, zenÊants rentré, mo sonné ; dix hères,
zcnfants sourti, mo sonné. Sisse piasses par mois,
dimi balle douriz, dholl sembe pôsson salé : éne
bon place ! Mais domaze mo blizé quitté : docteir
dire moi çanze lair, aile lacampagne. — Ah! ben,
compère, quand to blizé allé, donne moi to
place. — Mo pour allé azourdi même quand mo
trouve quiquéne pour mette dans mo louvraze.
— Eh ben ! avlà moi. — Eh toi ! prend gare to
manque Ihére pour sonrïé, quand mo mette toi
dans ça place là, oui ! — Napas peir, compère,
zamais moi qui pour gagne réproce dans mo
louvraze. Donne lacôrde. )) Yève donne li lacôrde,
li dire li : « Coûte bien : talhére dix hères pour
sonne dans léglise, toi aussi to sonné, hein?
coûte bien. »
Yève allé. Couroupa cnbas banoir, lacôrde
dans lamain, h coûté, coûté, coûté. Avlà léglise
sonné, couroupa tire lacôrde : narien ! lacloce
napas sonné. « Manman ! li dir ça lacloce là!
oui ! )) Couroupa pendi làhaut lacôrde, tiré, tiré,
sacouyé. Ene coup là brance cassé, nique mouces
tombe en bas. Mouces là firié, sourti dans nique,
fonce làhaut couroupa, pique li dans figuire,
pique li dans lamain, dans lipieds, dans liziés, éne
beirée même. « Aïo, manman ! » Couroupa
350 LE LIÈVRE ET LE COUROUPAS
(( Aïo, maman ! le couroupas se sauve, les mou-
ches s'attachent à lui et le criblent de leurs dards.
Un ou deux mois se passent ; le couroupas
était guéri. Un jour qu'il traversait un bois de
palmistes, il aperçoit le hèvre. Sa colère s'éveille.
« Te voilà, enfant de chien! il faut que je te
tue. )) Mais le lièvre était malin. « Holà ! vous,
mon noir, ê;es-vous fou, pour crier ainsi! Ne
savez-vous pas que c'est l'église ici ! regardez les
colonnes, — c'éaiient les troncs des palmistes.
C'est moi le bedeau, et je vais êî»-e obligé de
vous mettre dehors si vous parlez haut. « Le
couroupas interdit ne trouve pas un mot à ré-
pondre. Le lièvre va et vient dans réglise, puis
revenant au couroupas il lui dit : « Eh vous,
compère, goûiez-moi cette eau bénite là! » C'était
du miel. Dans ses tours et détours, le lièvre éiait
allé tremper son doigt dans une soucoupe qu'il
avait cachée sous des fougères. Le couroupas
goûte le miel et fait des yeux blancs : « Maman !
ça ne s'appelle pas de bonne eau bénite, ça !
Mais où donc met-on l'eau bénite dans cette
église-là? )) Le lièvre le conduit: « Voici. »
C'éiait une ruche, et les abeilles étaient encore
dedans. Le lièvre quiite le couroupas et s'esquive.
Le couroupas s'approche de la ruche. « J'ai envie,
dit-il, de faire ma prière. Mieu:; vaut commencer
par prendre de l'eau bénite. » Il fourre la main
ZISTOIRE YÈVE AV COUROUPA 35 I
vanné, mouces av li, baise li zousqu'à napas
bon.
Si pas éne mois dé mois passé, couroupa fine
guéri. Ene zour, coma li passe en bas éne bois
palmisses, li trouve yève. So colère levé : « Avlà
toi, fanegace; faut mo touye toi! » Mais 5^ève
malin : « Et vous là, mon noir, vous fou crie
crie fort comme ça ! Vous napas cône léglise ici,
guette colonnes — ça té létroncs palmisses —
moi même bedeau, mo a blizé pousse vous quand
vous cause fort, oui ! » Couroupa reste séc, napas
cône qui li va dire. Yève vire viré dans léglise, li
tourne encore av couroupa, li dire li : « Et vous,
compère, goûte ça dUeau bénit là. » Ça té di-
miel : dans son viré yève ti aile trempe so lédoigt
dans éne s^coupe qui li té caciette en bas fouzére.
Couroupa goûte dimiel là ; liziés viré : « Man-
man ! nap?" pelle bon dileau bénit ça! Mai? à
côte zaute mette zauîe dileau bénit dans léglise
là ? » Yève amène li : « Avlà li là. « Ça té éne
grand grand bombarde dimiel, mais so mouces
dimiel encore làdans. Yève qu'tie couroupa, li
dégazé même. Couroupa approce côte bombarde
là, li dire : « Mo envie (ère mo lapriére, mo vaut
mié prend mo''ceau dUeau bénit. » Li fourre
lamain dans bombarde : mouces sourd côment
éne lafimce, tombe par battant là haut li, tace av
li mété même. Li fou, li roule so lécorps par
352 LE LIÈVRE ET LE COUROUP.^S
dans la ruche. Il s'en élève un nuage d'abeilles ;
elles fondent sur lui, s'attachent à lui avec fu-
reur. Il est fou, il se roule par terre, il ne bouge
plus, il est comme mort. Les mouches le croient
vraiment mort et le laissent là.
Deux ou trois mois se passent, et le couroupas
est guéri.
Un jour, le lièvre va rendre visite à la fille du
roi, et dans la conversation elle lui demande :
« Est-ce que vous connaissez le couroupas, vous?
— Vous me demandez si je connais le courou-
pas? Comment ne le connaîtrais-je pas! c'est lui
mon cheval. Tantôt, à quatre heures, si vous êtes
à votre fenêtre, vous me verrez passer dessus. »
Le lièvre sort du palais du roi et va dans la
forêt. Il savait l'endroit où couvait une mère
poule. Il prend trois œufs gâtés et les met dans
sa poche. Il va ensuite s'asseoir sur une roche au
bord du chemin que devait suivre le couroupas.
Le couroupas arrive et voit le lièvre : « Méchant
grediu ! tu ne m'échapperas pas, aujourd'hui! je
vais te tuer ! » Le lièvre fait semblant de pleurer :
« Hélas ! aïo, mon ami ! tu n'auras pas la peine
de me tuer! Je suis bien, bien malade, et je serai
mort tout à l'heure. Aïo! aïo! que je souffre!
Pardon, compère, pardon 1 viens m'aider a me
lever : je veux essayer de me traîner à l'hôpital ;
peut-être le médecin pourra-t-il me soulager.
ZISTOIRE YÈVE AV COUROUPA 353
terre, naplis bouzé, cornent mort. Mouces croire
li fine mort même, quitte li.
Dé trois mois passé, couroupa fine guéri. Ene
zour yève aile rende visite lafille léroi. Coma
zaute après cause causé, lafille léroi dire li :
« Vous coné couroupa, vous? — Vous dimandé
sipas mo coné couroupa? Coment mo napas coné
li, li même mo couvai ! Tantôt, quatre hères, si
vous dans vous lafenète vous a trouve moi passé
làhaut li. »
: Yève sourti lacase léroi, li aile dans bois. Li ti
coné à côte éne manman poule après couvé ; li
prend trois dizefs gâtés, li mette dans so poce.
Li aile dans cimin à côte couroupa pour passé, li
assise Ihaut éne roce. Couroupa vini, li trouve
yève : « Fouti cocon ! zourdi là to napas pour
çapé, mo pour touye toi ! » Yève semblant ploré :
« Aïo ! aïo, mon ami ! to napas pour gagne la-
peine pour touye moi; grand grand malade av
moi, talhére mo à mort. Aïo ! aïo ! coment mo
souffert ! Pardon, compère, pardon ! Vine donne
moi lamain pour levé ; mo vlé trainé pour aile
Ihoptal, sipas docteir va soulaze mo lécorps. Aïo,
aïo ! difé dans mo lostoma ! aïo!! » Couroupa
23
3 54 LE LIÈVRE ET LE COUROUPAS
Aïo ! aïo ! c'est du feu que j'ai dans la poitrine !
aïo ! » Le couroupas, en s'approchant de lui, sent
une affreuse odeur : c'était un œuf gâté qu'avait
cassé le lièvre. « Pouah ! que tu infectes ! on n'y
peut tenir près de toi! — Hélas! mon frère,
c'est mon corps : je vais mourir, je commence à
puer. Aïo! je ne puis marcher; porte-moi à l'hô-
pital, mon frère. Dieu te bénira. Aïo ! » Le cou-
roupas avait bon cœur, il le prend sur son dos.
« Donne-moi une bride, mon frère ; je suis trop
faible, je tomberais. » Le couroupas lui donne
une bride. « Donne-moi un fouet, mon frère; je
me servirai du manche pour te montrer par où
passer, le chemin de l'hôpital est difficile à
trouver. Aïo ! quand je parle, j'ai du feu dans la
gorge ; ne me fais point parler, mon frère !
donne-moi un fouet, aïo ! » Le couroupas lui
donne un fouet.
Quand le lièvre, à cheval sur le couroupas,
tient la bride et le fouet, il le dirige du côté du
palais du roi. Le couroupas marche, marche,
c'est sa manière d'aller lentement. Le hèvre lui
dit : « Et toi ! l'hôpital ferme à quatre heures,
oui ! prends le galop, ou nous arriverons trop
tard. )) Le couroupas garde son pas. Le lièvre
tire sur la bride qui est dans sa bouche : « Mais
au galop, donc I quand je te le dis. » Le cou-
roupas se fâche : « Si tu ne te tiens pas tran-
ZISTOIRE YÈVE AV COUROUPA 355
cornent li vine à côte li, senti éne mauvais lodeir
mazizi, mo dire vous. Ça té liéve qui té casse éne
dizef gâté. « Mais cornent to senti pi, donc !
napas capave tini av toi. — Aïo ! aïo ! mo frère,
mo lécorps ça : mo pour mort, mo comence senti
pi, aïo ! mo napas capave marcé ; porte moi
Ihoptal, mo frère : Boudié va soulaze toi, aïo ! »
Couroupa bon keir, li prend li làhaut son lédos,
« Donne moi éne labride, mo'i frère, mo ti'ôp
feibe, pendgare mo tombé. » Couroupa donne li
éne labride. « Donne moi éne fouéte, mon frère ;
av so lamance mo va montré toi à côte pour
passé; cimin Ihoptal là difficile pour trouvé. Aïo!
Ihére mo causé difé dans mo lagorze ; napas fére
moi causé, mo frère, idonne moi éne fouéte,
aïoi » Couroupa donne li éne fouéte.
Lhére yève làhaut lédos couroupa fine gagne
labride sembe fouéte, li amène li dans cimin
lacase léroi. Couroupa marcé, marcé : so manière
couroupa marce doucement. Yève dire li : « Et
toi ! Ihoptal là pour fermé quatre hères, oui !
galpê, nous a manque laporte. » Couroupa
marcé. Yève tire lal)ride dans so labouce : « Mais
galpé donc, quand mo dire toi. » Couroupa en
colère : « Quand to napas tine tranquille, mo
pour zette toi, talhére, » Yève rié : « Sayé, mo
3 $6 LE LIÈVRE ET LE COUROUPAS
quille, je vais te jeter tout à l'heure I « Le lièvre
se met à rire : « Essa3'e, mon camarade, essaye ! »
Et le lièvre lui donne une volée de coups de
fouet. Le couroupas veut le jeter : impossible ! la
bride lui coupe la bouche, les coups de fouet
l'étourdissent, il est forcé de prendre le galop. Ils
passent sous la fenêtre de la fille du roi ; le lièvre
lui tire son chapeau.
Le bord de la mer était proche. Le lièvre
pousse le couroupas, et, à force de coups, le fait
entrer dans l'eau. Le couroupas, qui ne sait pas
nager, veut s'arrêter. Impossible! le lièvre le
pousse, le pousse toujours. L'eau passe par-
dessus sa tête, il agite les bras, il ouvre la bouche
pour crier, l'eau entre, il se noie.
Le lièvre retourne à terre. Quand ses habits
sont séchés, il va chez la fille du roi et lui dit :
« Ce couroupas que vous savez était une triste
monture : je l'ai vendu à une mère houritte. »
C'est un des meilleurs morceaux du répertoire de Lindor.
L'invention en est si bien nègre que nous étions tenté d'en
attribuer l'honneur à notre bonhomme. Mais voici que notre
savant correspondant et ami, le docteur Hugo Schuchardt*, pour
qui nos patois créoles n'ont guère plus de secrets, nous avertit
charitablement que notre histoire est faite de trois morceaux
* Professeur à l'Université de Graz.
ZISTOIRE YÈVE AV COUROUPA 357
camrade, sayé. n Avla yève amarre li coups de
fouéte piqué, piqué. Couroupa vlé zette li, napas
fouti; labride coupe so labouce, coups de fouéte
tourdi li, li blizé galoupé. Zaute passe enbas
lafenéte lafille léroi, yève tire éne coup d'çapeau.
Bord lamer napas loin ; yève faire li éne con-
diré oblize li ente dans dileau. Couroupa napas
coné nazé, li vlé arrêté, napas moyen, bourré
même, bourré, bourré. Dileau làhaut so latéte ;
li batte batte lébras, li ouvert labouce pour crié,
dileau entré, li noyé.
Yève tourne à terre ; Ihére son linze séc li aile
lacase lafille léroi, li dire li :
« Couroupa là éne faye faye couvai ; mo fine
vende li sembe éne manraan houritte. »
empruntés à trois contes nègres américains. Et nos archives
mauriciennes ne nous diront jamais comment et à quelle époque
ont eu lieu ces importations ! Nous savons du moins que c'est
La Bourdonnaie qui nous a porté le manioc emprunté au Brésil.
Eh xçiute ! quùjuefois :{tstoire Yève av Couroupas fine passe orand
dileau sembe ça dibois mayoc là, oui !
Que d'intéressants problèmes dont la solution se dérobe ainsi !
©S^@S^©®@®©â^©®©S^
XXVIII
HISTOIRE DE CORPS-SANS-AME
ET DE COLLE-DES-CŒURS
,L y avait une fois un roi qui avait une fille
jolie, mais jolie comme un goyavier-fleurs
à l'époque du premier de Tan, une petite
merveille, vous dis-je. Quand les jeunes gens
avaient le malheur de regarder sa figure, leurs
yeux y restaient attachés; ce qui fait qu'ils la
nommaient la princesse Colle-des-Cœurs, et une
fameuse colle, je vous jure, une colle qui ne lais-
sait jamais s'échapper les oiseaux quand une fois
ils s'étaient pris aux gluaux.
Deux ou trois cents rois de toute espèce
avaient déjà demandé sa main à son père. Mais
son père ne voulait pas la contraindre : « Je
laisserai Colle-des-Cœurs choisir elle-même; ce
n'est pas moi qui dois me marier, c'est elle qui
^(i>.€$^,C$)(?lfgg^^€e)(51>.i5)?l>©-?l^
XXVIII
ZISTOIRE CORPS-SANS-AME
AV COLLE DES-KEIRS
yrr-».-^ I éna éne fois éne léroi qui te gagne éne
^liT'^ mamzelle zoli zoli cornent éne pied
»lsr3b4 gouyavier fleir dans saison bananée; éne
prit dilhouile, mo dire vous. Lheire zène zens
gagne malheir guéte so figuire, zaute liriés tape
av li : ça même zaute té appelle li la princesse
Colle-des-Keirs, et éne famé lacoUe, vous cône,
éne lacolle qui zamais largue zozos qui fine
maille av li.
Sipas dé trois cents lérois tout qualité té fine
dimande so papa pour marié sambe li. Mais so
papa napas voulé force li : « Mo va laisse Colle-
des-Keirs li-même çosiré; napas moi qui pour
marié, li qui pour marié; débrouille vous cari
360 CORPS-SANS-ÂME ET COLLE-DES-CŒURS
doit se marier ; débrouillez-vous avec elle ; si elle
vous dit oui, ce n'est jamais moi qui vous dirai
non. Quand la tourterelle doit prendre un mari,
ce n'est pas le martin qui prépare le nid. » Colle-
des-Cœurs, quand elle entendait son père parler
ainsi, lui sautait au cou et l'embrassait : </ Oui,
certes, c'est moi qui ai un bon petit papa. » Et
c'était pour cette raison que le père de CoUe-des-
Cœurs s'appelait le roi Gâteau.
Un jour Colle-des-Cœurs faisait une prome-
nade en voiture. Les chevaux s'emportent. Le
cocher essaye de les arrêter, impossible! c'était
une paire de Buenos- Ayres ; vous savez comme
ils ont la bouche dure ; c'est l'herbe de leur pays
qui en est cause. La rivière n'était pas loin;
encore un instant et la voiture va verser dans
l'abîme. Colle-des-Cœurs est debout et sur le
point de sauter, quand soudain elle entend une
voix qui crie : « Ne sautez pas, mademoiselle!
ne sautez pas! me voici! » Un jeune homme
s'élance hors des broussailles, se jette devant les
chevaux, les saisit aux naseaux, les arrête.
Colle-des-Cœurs descend de la voiture et lui
dit :
— Grand merci. Monsieur, grand merci ! c'est
vous qui m'avez sauvé la vie. Mais ces méchants
chevaux ne vous ont pas fait de mal, au moins ?
— Du mal ! Mademoiselle ! J'ai le bonheur de
CORPS-SANS-ÂME AV COLLE-DES-KEIRS 361
assambe li; quand li dire vous « sifait », napas
moi qui pour dire vous « napas » ; Iheire tour-
terelle pour prend mari, napas martin qui
arranze nique. » Colle-des-Keirs quand li tende
so papa cause come ça, nèque embrasse embrasse
li : « Si fait va! moi qui gagne éne bon papa. »
Ça même lacause qui papa Colle-des-Keirs ti
appelle léroi Gâteau.
Ene zour, coment Colle-des-Keirs après pro-
mène dans calèce, couvais emporté. Cocé saye
arrête zaute, napas moyen; té éne paire Béno-
sayres, vous cône coment labouce dir av zaute :
Iherbe zaute paye qui cause çà. Larivière napas
loin ; encore éne ptit moment même calèce pour
çavire dans rempart ; Colle-des-Keirs dibouté pour
sauté; avlà éne coup là li entende éne lavoix
qui crïe li : « Napas sauté, Mamzelle, napas
sauté! avlà moi. » Ene zène homme sourti éne
coup dans brousses, fonce divant couvais, pèse
zaute dans zaute nénez, arrête zaute.
Colle-des-Keirs dicende dans calèce, li dire li
comme ça :
— Grand merci, Missié, grand merci! Vous
même qui fine sauve mo lavie. Mais vous napas
fine gagne di mal av ça mauvais couvais là ?
— Qui dimal ça, Mamzelle ? Mo fine gagne
362 CORPS-SANS-ÂME ET COLLE-DES-CŒURS
les empêcher de vous tuer, et vous me demandez
si j'ai du mal ! Non, non! ce n'est pas du mal,
c'est du bonheur qui me vient d'eux !
CoUe-des-Cœurs devient rouge comme le côté
d'un letchi où frappe le soleil. Elle regarde le
jeune homme et baisse les yeux. Je crois que
pour le coup le fruit est mûr.
Cependant le cocher a ramené la voiture sur
le grand chemin; il a visité avec soin les harnais
et les roues : il n'y a rien de cassé. Colle-des-
Cœurs remonte dans la voiture, le jeune homme
monte après elle :
— Jamais je ne vous laisserai seule avec ces
chevaux entre les mains d'un cocher pareil ! Mais
quand je suis là vous pouvez vous rassurer,
Mademoiselle ; mon nom même doit vous donner
confiance : je me nomme le prince Peur-de-Rien.
Pcur-de-Rien et ColIe-des-Cœurs causent en-
semble. Lorsqu'ils arrivent au palais du roi Gâteau,
Colle-des- Cœurs embrasse bien fort son père et
lui raconte ce qui est arrivé. « C'est le prince
Peur-de-Rien qui m'a sauvé la vie, papa ! Si vous
ne pleurez pas maintenant la fille qui vous aime,
c'est à lui que vous le devez, papa ! Mais com-
ment pourrons-nous jamais nous acquitter envers
lui, papa? »
Le roi Gâteau les regarde un bon moment tous
CORPS-SANS-ÂME AV COLLE-DES-KEIRS ^&^
bonheir empêce zaute touye vous, et vous di-
mande moi sipas mo fine gagne dimal? Non,
non, napas dimal qui mo fine gagné; bonheir qui
mo fine gagné !
CoUe-des-Keirs vine rouze cornent son côté
letcis qui dans soléye. Li guéte zène homme là,
11 baisse liziés. Mo croire li fine mîr même ça
coup là.
Ça létemps là cocé fine faire calèce tourne dans
grand cimin ; li visite harnais, laroues, tout par-
tout : narien cassé. CoUe-des-Keirs monte encore
dans calèce, zène homme monte av li :
— Zamais mo pour laisse vous tout seil av ça
couvais là dans lamains éne faye faye cocé
coment ça. Mais quand mo là, vous capabe tran-
quille, mamzelle; mo nom même doite donne
vous couraze : mo appelle prince Peir-Narien.
Peir-Narien sembe CoUe-des-Keirs causé,
causé. Lheire zaute arrive lacase léroi Gâteau.
Colle-des-Keirs embrasse embrasse papa, li ra-
conte U tout ça : « Prince Peir-Narien fine sauve
mo lavie^ papa ! Quand vous napas après plore
vous ptit fille qui content vous, li même ça,
papa! Coment nous va capave paye ça qui nous
doite li, papa ! »
364 CORPS-SANS-ÂME ET COLLE-DES-CŒURS
les deux. Puis, il se met à rire et dit à CoUe-des-
Cœurs :
— Peut-être trouverai-je le moyen de payer
notre dette, mon enfant. Laisse-moi essayer.
Il prend la main de CoUe-des-Cœurs, il prend
celle de Peur-de-Rien. Il met les deux mains
l'une dans l'autre, puis il leur dit :
— N'est-ce pas ça, mes enfants? N'est-ce pas
un bon moyen d'arranger les choses? Dites.
CoUe-des-Cœurs, cette fois, devient rouge
comme une mangue figet mûre; elle entoure de
ses bras le cou de son père et cache son visage
dans le jabot de sa chemise en murmurant quel-
ques mots, mais si bas, si bas, que personne ne
put rien entendre. Mais Peur-dc-Rien pousse un
hip ! hip ! hurrah ! « Si fait va, papa, vous êtes
un malin, vous ! »
Le mariage est décidé. Peur-de-Rien est pressé.
On met un régiment de couturières à l'ouvrage :
elles cousent des robes, des chemises, des pei-
gnoirs, des casavecks, des draps de lit, des taies
d'oreillers, des serviettes pour la figure, pour les
pieds, pour les mains, des vêtements de bain,
bref, tout un trousseau. Peur-de-Rien est sans
cesse sur le dos des ouvrières : « Mais travaillez
donc, les enfimts ! Travaillez donc! Assez tirer
sur le soleil ! Ce n'est pas sur le soleil qu'il faut
tirer; c'est sur votre aiguille 1 »
CORPS-SANS-ÂME AV COLLE-DES-KEIRS 365
Léroi Gâteau guette guette zaute, li rié; li dire
Colle-des-Keirs :
— Quiquefois mo pour trouve éne magnière,
mo pitit. Laisse mo sayé.
Li prend lamain Colle-des-Keirs, li prend la-
main Peir-Narien, li mette ça dé lamains là en-
sembe, li dire zaute :
— Napas ça, zenfants ? Napas éne bon ma-
gnière arranze zaffaire là ? Causé.
Colle-des-Keirs ça coup là vine rouze coment
éne mangue fizète dans matirité, li zette so lébras
dans licou papa, li caciette so figuire dans zabot
so cimise; si pas qui li causé doucement, dou-
cement ; personne napas capabe tende. Mais Peir-
Narien largue éne bip ! bip ! hurrah ! « Sifait va,
papa, vous éne conneir, vous ! »
Mariaze fine décidé. Peir-Narien pressé même.
Zaute mette éne bande coutirières dans louvraze :
coude robes, coude cimises, coude peinoirs,
cazavëcks, draps lilit, latêtes zoriés, serviettes
figuire, serviettes lipieds, serviettes lamains, linze
bain, tout tout ça qui bisoin. Peir-Narien tout
lazournée lave lédos zouvrières là : « Mais_ tra-
vaille donc, zenfants ! travaille donc ! Zaute nèque
hisse soléye : napas solé3'e qui bisoin hissé ; gouïe
qui bisoin pour hissé! »
366 CORPS-SANS-ÂME ET COLLE-DES-CŒURS
Le jour du mariage arriva. Colle-des-Cœurs
avait peu dormi cette nuit-là, sa tête lui faisait un
peu mal. Elle monta sur l'argamasse pour res-
pirer un peu d'air frais. Comme elle se relevait
pour aller mettre sa robe de mariée avec son
bouquet de fleurs d'oranger, elle entend soudain
un grand bruit dans l'air au-dessus de sa tète. Le
ciel s'ouvre tout à coup, et une espèce de loup
énorme saute sur l'argamasse. Il enlève Colle-
des-Cœurs dans ses bras, frappe du pied, rebondit
comme une balle élastique et s'enfonce dans le
nuage qui l'a apporté. Le nuage se referme, ils
ont disparu. La servante, qui était avec Colle-
des-Cœurs sur l'argamasse, veut crier : elle ouvre
la bouche, mais l'émotion l'étrangle, rien ne
sort.
Lorsque la servante a raconté ce qui vient de
se passer au roi Gâteau et à Peur-de-Rien, com-
ment peindre leur désespoir! Ils crient, ils pleu-
rent, ils arrachent leurs cheveux, ils déchirent
leurs habits ; rien n'y manque. Mais qu'y faire ?
Quant ils sont las, ils s'arrêtent.
Peur-de-Rien monte sur la montagne; il re-
garde, il cherche s'il apercevra ce nuage. Deux
ou trois fois le nuage passe tout près de lui ; mais
il a beau écarquiller ses yeux, le nuage est trop
épais, il ne peut voir comment est fait le dedans
du nuage.
CORPS-SANS-ÀME AV COLLE-DES-KEIRS 367
Zour mariaze fine vini. Colle-des-Keirs napas
té bien dourmi ça ianouite là, so latête morceau
fére mal; li mante làhaut largamasse grand bo-
matin pour gagne morceau lafraiceir. Cornent li
levé pour aile mette so robe marié av bouquet
fleirs loranzé, avià li tende éne grand grand
tapaze en lair làhaut so latête. Léciei ouvert éne
ccHip ; éne gros zespèce zanimaux loulou saute
Ihaut largamasse, li lève Colle-des-Keirs dans so
lébras, li tape éne grand coup enbas av so lipied,
li monte en lair cornent éne boule lastique, li
fonce dans niaze qui té amène li, niaze frémé;
zaute dérobé même. Servante Colle-des-Keirs, qui
ti av so maîtresse lav largamasse,, reste sec; la-
bouce ouvert pour crié, narien sourti.
Lheire servante £ne raconte ça léroi Gâteau av
Peir-Narien, napas appelle çagrin, ça qui zaute
çagrin! crié, ploré, arraoe civés, dicire linze :
narien manqué ! Mais qui a faire ? Lheire zaute
lassé, zaute blizé arrêté.
Peir-Narien monte Ihaut montagne, guété,
rôdé sipas li capave trouve niaze là. Dé trois fois
niaze passe à ■côté li même ; mais li beau carquille
carquille so liziés, niaze là trop épaisse, napas
moyen trouvé coment son endidans.
368 CORPS-SANS-ÂME ET COLLE-DES-CŒURS
Dans sa misère, Peur-de-Rien n'avait qu'une
petite distraction, il aimait à aller à la chasse.
Un jour qu'il était au milieu de la forêt, il
entend du bruit derrière des ravenals. « C'est
peut-être un cerf! » Il avance sans bruit de l'autre
côté des ravenals ; que voit-il ? Une biche abattue
qu'un gros lion et un perroquet énorme se dispu-
taient en se battant. Peur-de-Rien tire son cou-
teau, fait deux parts de la biche et leur dit :
— Mais pourquoi donc vous battre? La pièce
est assez grosse pour deux. Je l'ai coupée juste
par la moitié ; partagez de bon cœur ; que chacun
de vous prenne une part.
Le lion et le perroquet sont satisfaits de l'ac-
cord. Ils disent à Peur-de-Rien : « Oui, vraiment,
tu as raison! Mais pour te récompenser d'avoir
arrangé notre différend, nous voulons te faire un
présent qui t'aidera à retirer CoUe-des-Cœurs des
mains du loup qui l'a emportée dans le nuage. »
Le lion arrache un cheveu de sa crinière, le
donne à Peur-de-Rien et lui dit :
— Quand tu voudras te changer en un grand
et beau lion comme moi, prends ce cheveu dans
ta main et dis : « Et toi, cheveu, fais ton ou-
vrage, » et tu deviendras lion. Qiiand tu voudras
reprendre ta figure d'homme, tu n'auras qu'à
dire : « Et toi, cheveu, défais ton ouvrage. » Tu
CORPS-SANS-ÂME AV COLLE-DES-KEIRS 569
Dans so lamisère là Peir-Narien ti éna nèque
éne pitit soulazeraent : li content aile laçasse.
Ene zour cornent li ti dans milié grand bois li
tende tapaze derrière ra venais. « Quiquefois éne
cerfe ! » Li marce doucement doucement, li arrive
laute côté ravenals, qui li trouvé ? Éne bice fèque
touyé, et éne gros lïon sembe éne papa péroquet
qui après laguerre pour gagne ça bice là. -Peir-
Narien tire couteau, li partaze bice là en dé, li
dire zaute :
— Q.ui fére laguerre, donc! zibier là assez
gros pour de doumounde. Mo fine coupe zisse en
dé : partaze bon keir, çaquéne va -prend so la-
moquié.
Lïon av péroquet content. Zaute dire Peir-
Narien : « Sifait va, to gagne raison ! Mais pour
to lapeine to fine arranze nous zaflfaire, nous vlé
faire toi éne cadeau qui va ide toi pour tire CoUe-
des-Keirs dans lamains ça loulou qui fine amène
li dans niaze. »
Avlà lïon tire éne civé dans so laîête, li donne
li civé là, li dire li :
— Lheire to va voulé vine éne grand grand
bel bel lïon cornent moi, tchiombô ça civé là
dans to lamain et dire éne coup : « Et toi, civé!
faire to louvraze, » et to va vine lïon. Lheire to
va vlé tourne encore éne doumounde, to nèque
pour dire : « Et toi, civé! défaire to louvraze! »
24
370 CORPS-SANS-AME ET COLLE-DES-CŒURS
\
as entendu, n'oublie pas, ce n'est pas difficile à
se rappeler.
Peur-de-Rien dit grand merci au lion.
Le perroquet arrache une plume du bout de son
aile, la donne à Peur-de-Rien et lui dit :
— Quand tu voudras devenir un perroquet
comme moi pour voler où tu voudras, tu n'auras
qu'à tenir cette plume et à dire : a Et toi, plume,
fais ton ouvrage, » et tu seras changé en per-
roquet. Quand tu voudras reprendre ta figure
d'homme, tu n'auras qu'à dire : « Et toi, plume,
défais ton ouvrage! » N'oubhe pas.
Peur-de-Rien remercie le perroquet. Ils s'en
vont tous les trois.
Peur-de-Rien, de retour au palais, cherche le
roi Gâteau pour lui raconter son aventure. Le
pauvre vieux roi était étendu sur un canapé au-
près d'une fenêtre ouverte. Toute la journée,
depuis le petit point du jour jusqu'à la nuit noire,
c'était là sa place. Il avait toujours les yeux au
ciel, pour chercher à apercevoir le nuage qui lui
avait volé sa fille.
Peur-de-Rien lui dit : « Ce n'est plus le mo-
ment de pleurer, papa ! je vais dans un instant
aller voir Colle-des-Cœurs. Le bon Dieu a eu
pitié de nous. Écrivez-lui ce que vous voudrez,
c'est moi qui lui porterai votre lettre. « Et il
CORPS-SANS-AME AV COLLE-DES-KEIRS 37 1
To fine tende ; napas blié ; li napas difficile pour
souvini.
Peir-Narien dire grand merci lion.
Péroquet tire éne plime dans boute so lézaile,
li donne ça plime là Peir-Narien, li dire li :
— Lheire to va voulé vine éne péroquet
cornent moi pour capave envole à cote to va con-
tent, to nèque bisoin tchiombô plime là dans to
lamain et dire li éne coup : « Et toi, pilime, faire
to louvraze, » et to va vine péroquet. Lheire to
va voulé tourne encore éne doumounde, to nèque
pour dire li : « Et toi, pilime, défaire to lou-
vraze ! » Napas blié.
Peir-Narien dire merci péroquet. Zaute tout
allé.
Lheire Peir-Narien fine tourne lacase, li rôde
léroi Gâteau pour raconte li tout ça. Pauve vie
léroi là ti allonze làhaut canapé acôte éne lafenéte
ouvert. Tout lazournée dipis grand bomatin
zisqu'à naplis capave trouve clair, ça même so
place. Li touzours liziés enlair, sipas li a capave
trouve niaze qui fine volor li so pitit.
Peir-Narien crie li : « Naplis létemps pour
ploré, papa ! mo pour aile voir Colle-des-Keirs
talhère même : Bondié fine soulaze nous, crire li
ça qui vous content, moi-même qui pour amène
372 CORPS-SANS-ÂME ET COLLE-DES-CŒURS
raconte au bonhomme Gâteau sa rencontre avec
le lion et le perroquet.
Le bonhomme s'élance dans son bureau, saisit
une plume, de l'encre, du papier, et écrit :
« Ah ! mon enfant ! ma chère enfant ! quelle dou-
leur est la mienne! Si Dieu exauçait ma prière,
il me permettrait de t'embrassser encore une fois
avant de mourir; c'est ce que je lui demande jour
et nuit! C'est Pei^r-de-Rien qui te remettra cette
lettre. Fais tout ce qu'il te dira : excepté ton vieux
père, il n'y a personne qui t'aime comme lui. «
Le roi met sa signature au bas de la lettre, la
donne à Peur-de-Rien et lui dit :
— Ne tarde pas à revenir me porter de ses
nouvelles ! Tu sais que je vais mourir si ce chagrin
doit durer!
Pauvre bonhomme! laissons-le !
Peur-de-Rien monte sur la montagne. Voilà
qu'il voit venir le nuage. Le vent le pousse comme
un grand vaisseau blanc; attendons qu'il approche
encore un peu. Soudain, Peur-de-Rien prend
dflns sa main sa plume de perroquet et lui dit :
« Eh toi, plume ! fais ton ouvrage. » Que croyez-
vous? Son corps à l'instant se ramasse; ses bras
se changent en ailes, son nez devient un bec, ses
habits des plumes; ce n'est plus un homme,
mais un grand perroquet gris. Le nuage était
proche ; il prend son vol et monte tout droit.
CORPS-SANS-AME AV COLLE-DES-KEIRS 373
li vous lette. » Et li raconte bonhomme Gâteau
zistoire lïon av péroquet.
Bonhomme fonce dans son bireau, li pèse
plime, lenque av papier, li crire éne coup :
« Ah ! mon pitit, mo cer pitit, qui ladouleir av
moi ! Mo lékeir enbas roce. Quand Bondié coûte
mo laprière, li va laisse moi embrasse toi encore
éne fois avant mo mort : ça même mo dimande
li lizour, lanouite ! Peir-Narien qui pour donne
toi ça lette là ; faire tout ça qui ii va dire toi :
cepté to vie papa, napas énan personne qui con-
tent toi coment li. »
Léroi mette son nom làhaut papier là, li donne
lette dans lamain. Peir-Narien, li dire li comme
ça : « Napas tardé pour vine apporte moi so nou-
velles ! To cône mo pour mort quand çagrin là
assise av moi ! » Pauve bonhomme ! laisse-li !
Peir-Narien monte Ihaut montagne, avlà li
voir niaze vini. Divent pousse li coment éne
grand navire blanc : laisse li approce encore mor-
ceau. Ene coup là Peir-Narien prend plime
péroquet dans so lamain, li dire li : « Et toi,
plime! faire to louvrage. » Qui vous croire? So
lécorps fonde éne coup : so lébras vine lézailes,
so nénez éne labec, so linze làhaut li fine çanze
en phmes ; li naplis éne doumounde, li fine vine
éne grand péroquet gris. Niaze napas loin; li
envolé, li pique enlair même.
374 CORPS-S ANS-AME ET COLLE-DES-CŒURS
Peur-de-Rien entre dans le nuage.
Ce nuage-là était distribué comme une véri-
table maison. Il y avait des chambres, des corri-
dors, des escaliers ; puis des portes, des fenêtres.
Mais ce n'était pas du bois comme dans les mai-
sons qui sont sur la terre, tout était taillé dans le
nuage même : on eût dit du coton fin comme de
la fumée. Peur-de-Rien lui-même est obligé de
s'étonner.
Peur-de-Rien entre dans le vestibule : personne.
Un escalier est devant lui, il monte. Rendu là-
haut, il trouve un long corridor où donnent vingt
chambres ; mais toutes les portes sont fermées.
Où est Colle-des-Cœurs ? Peur-de-Rien met
l'oreille contre une porte ; il écoute : rien. Il va à
une autre porte, il écoute : rien encore. Il arrive
à une troisième porte, il écoute, et le voilà qui
entend comme une personne qui ronfle. C'était la
chambre du loup. Son gros nez était bouché de
rhume : il était obligé de dormir la bouche ou-
verte. Ceux qui bâtissent leurs maisons au milieu
des nuages doivent s'attendre à être enrhumés :
demandez a_ux habitants de Curepipe.
Peur-de-Rien s'éloigne sans bruit de la porte
du loup. II arrive à la porte d'une autre chambre
d'où sortent comme des plaintes. « Bien sûr, c'est
ici ! » Il ouvre la porte avec son bec et entre.
C'était bien la chambre de Colle-des-Cœurs.
CORPS-SANS-AME AV COLLE-DES-KEIRS 375
Peir-Narien rente dans niaze.
Niaze là ti arranzé cornent éne vrai lacaze. léna
laçambes, iéna colidors, iéna lescaliers, assembe
laportes, assembe lafenètes; mais tout ça napas
faite av dibois cornent lacaze qui làhaut laterre :
tout quiqueçose taillé dans niaze même, coma
dire dans coton fin fin cornent éne lafimée. Peir-
Narien blizé toné.
Peir-Narien rente dans vestibile : napas per-
sonne. Lescalier divant li, li monté. Arrive là-
haut li trouve éne longue longue colidor av éne
bande laçambes ; mais zaute tout laporte frémé.
A cote Colle-des-Keirs ? Peir-Narien colle zoréye
dans éne laporte; li coûté, li coûté : narien. Li
aile. Li colle zoréye dans éne laute laporte :
narien. Li arrive dans troisième laporte : avlà li
tende coma dire quiquéne après ronflé. Ça ti la-
çambe loulou. Son gros nénez boucé av larhime :
li blizé dourmi laguéle ouvert. Quand dou-
mounde faire zaute lacase dans milié niaze,
touzours bisoin larhime av zaute : dimande zense
Cirepipe.
Peir-Narien quitte la porte loulou ; li aile dou-
cement doucement ; li arrive dans laporte éne
iaçambe à cote li tende cornent dire doumounde
après plaingné. « Bien sîr, là même, ça! » Li
ouvert laporte av so labec, li rentré : ça ti
iaçambe Colle-des-Keirs.
376 CORPS-SANS-ÂME ET COLLE-DES-CŒURS
Colle-des-Cœurs regarde cet oiseau qui entre;
elle croit que c'est sans doute un oiseau que le
loup envoie pour qu'elle se divertisse à causer
avec lui. Mais comment agréerait-elle un présent
du loup ! Elle repousse le perroquet d'un geste
de la main et lui dit : « Moi qui hais ton maître,
je consentirais à l'aimer! Va-t-en, va-t-en, laisse-
moi pleurer en paix ! »
A l'instant, Peur-de-Rien dit à sa plume en
chantée : « Plume, défais ton ouvrage ! » Il par-
lait encore qu'il était redevenu homme. Colle-
des-Cœurs est debout; elle s'élance vers lui, lui
jette les bras autour du cou, et l'embrasse, l'em-
brasse! Dieu, que c'est bon!
Alors ils se mettent à causer. Peur-de-Rien
donne à Colle-des-Cœurs la lettre de son père.
Elle la lit : « Oui, certes, je ferai tout ce que tu
me diras ; on n'a pas besoin des conseils de son
père pour savoir qu'une femme doit obéir en tout
à son mari. »
Puis, Peur-de-Rien demande à Colle-des-
Cœurs quelle espèce d'homme ou d'animal est le
loup qui l'a enlevée.
— C'est une façon d'homme qui n'est pas un
homme, avec une figure qui n'est pas une figure,
des yeux qui ne sont pas des yeux, une bouche
qui n'est pas une bouche, un corps qui n'est pas
un corps. Je ne sais vraiment pas ce que c'est, et
CORPS-S ANS-AME AV COLLE-DES-KEIRS 377
Colle-des-Keirs guette zozo là rentré, li croire
quiquefois éne zozo qui loulou envoyé pour li
amise cause av li. Mais cornent li acapave content
cadeau loulou! Li pousse péroquet av lamain,
li dire li : « Moi qui haïe to maite, moi qui va con-
tent toi? Allé! allé! laisse moi plore tranquille. »
Ene coup là Peir-Narien dire av so plime-
sourcier : « Plime, défaire to louvraze! » Li napas
encore fini causé qui li fine tourne éne dou-
mounde. Colle-des-Keirs, manman ! lève éne
coup; li saute làhaut li, li zettc so lebras dans so
licou, li embrasse li, embrasse li : coment li goût!
coment li goût !
Lheire là, zaute commence causé. Peir-Nariea
donne Colle-des-Keirs lette so papa. Colle-des-
Keirs lire lette : « Bien sîr mo va faire tout ça
qui îo va dire moi ! napas bisoin conseil papa
pour coné qui ène famé doite touzours faire ça
qui so mari commande li. »
Asthère là Peir-Narien dimande Colle-des-
Keirs qui zespèce doumounde ou bien zanimaux
ça loulou qui fine volor li là.
— Li éne zespèce doumounde qui napas éne
doumounde, av éne figuire qui napas éne figuire,
liziés qui napas liziés, labouce qui napas labouce,
iécorps qui napas lécorps ; si pas moi qui li ; qui-
quefois name, mo croire ! Mo dimande li coment
378 CORPS-SANS-ÀME ET COLLE-DES-CŒURS
je crois quelquefois que c'est un fantôme. Je lui
ai demandé son nom, il m'a dit qu'il s'appelait
Corps-sans-Àme. Mais je ne sortirai jamais de
ses mains, parce que jamais personne ne pourra
savoir comment s'y prendre pour le tuer. Quand
même on le couperait par petits morceaux, que
lui importe? Les morceaux se rejoindraient et se
recolleraient. Pour le tuer, il faut savoir oi!i est
son âme. Son âme est dans un œuf, l'œuf dans
un pigeon, le pigeon dans le corps d'un tigre
rouge, le tigre rouge dans le corps d'un grand
tigre blanc. 11 faut tuer le tigre blanc ; le tigre
blanc mort, le tigre rouge s'élancera sur vous
tandis que vous êtes encore tout fatigué du com-
bat, il faut le tuer aussi. Alors le pigeon s'envo-
lera; il faut le poursuivre, l'atteindre et le tuer,
puis prendre l'œuf. En dernier lieu, pour la fin de
l'aventure, il faut casser l'œuf sur la tête du Corps-
sans-Ame. Alors, mais alors seulement, il tombera
mort. Mais quel homme pourra faire tout cela?
— Tu demandes quel homme tuera ton
loup?... Moi. Je crois parfois que tu as oublié
mon nom, CoUe-des-Cœurs, je m'appelle Peur-
de-Rien. Fais tes préparatifs : avant trois jours, je
serai de retour ici avec l'œuf de ce pigeon; j'en
ferai une omelette sur la tête du loup. Fais tes
préparatifs, te dis-je ! Mais il n'y a pas de temps
à perdre : laisse-moi partir.
CORPS-S ANS-AME AV COLLE-DES-KEIRS 379
li appelé, li dire moi li appelle Corps-sans-Âme.
Mais zaraais mo pour sourti dans so lamains, à
cause zamais personne va capave coné qui ma-
gnière touye li. Quand même coupe li par ptits
ptits morceaux même, qui li en peine ? Morceaux
là va zoinde encore, va colle ensembe. Pour
touye li bisoin coné où li so name. Name dans
éne dizef, dizef dans éne pizon, pizon dans lé-
corps éne tigue rouze, tigue rouze dans lécorps
grande tigue blanc. Bisoin touye tigue blanc;
Iheire tigue blanc fine mort, tigue rouze pour
fonce Ihaut vous cornent vous encore lassé là,
bisoin touye li oussi. Lheire là, pizon pour envolé ;
bisoin sivré li, attrape li, touye li, prend dizéf.
Pour so finition zaflfaire bisoin prend dizef et
casse li làhaut latête Corps-sans-Ame. Ça coup
là li mort même, li tombe sec. Mais qui dou-
mounde qui va capave faire ça bande quiqueçoses'
là?
— To dimandé qui doumounde qui va touye
to loulou ? Mo croire quiquefois to fine blié mon
nom, CoUe-des-Keirs ! mo appelle Peir-Narien.
Arranze paquets : avant trois zours mo pour
tourne ici av dizef ça pizon là ; mo vo casse lome-
lette làhaut latête loulou. Arranze paquets, mo
dire toi! Mais napas létemps pour perdi; laisse
moi allé.
380 CORPS-SANS-ÂME ET COLLE-DES-CŒURS
Ils s'embrassent. Penr-de-Rien commande à sa
plume de faire son ouvrage ; il se change de
nouveau en perroquet et redescend sur la terre.
Après avoir donné des nouvelles au pauvre
vieux roi Gâteau, il va à la recherche du tigre
blanc.
Le tigre blanc habitait une caverne, dans une
grand montagne, au milieu d'une vaste plaine.
Jamais on ne traversait cette plaine , on faisait
un grand circuit pour ne pas être aperçu par le
tigre. Auprès de la caverne la terre était blanchie
par les ossements des animaux qu'avait dévorés
le tigre.
Pour arriver plus vite, Peur-de-Rien s'était
changé en perroquet. Il vient se poser sur un
tambalacoque qui avait poussé près de la ca-
verne. Il descend en silence, prend le cheveu du
lion dans sa main et s'écrie : « Eh toi, cheveu,
fais ton ouvrage! » et le voilà changé en un
énorme lion comme il n'y en a pas deux au pays
de Maurice. Puis il pousse un rugissement :
Maman! On dirait le tonnerre! La montagne
même est forcée de trembler ; des roches énormes
roulent du haut jusque dans la plaine.
Le tigre dormait dans la caverne. Ce bruit le
réveille en sursaut, d'un bond il est dehors. Le
lion l'attendait. Le tigre sort, le hon est sur lui.
Quel combat ! quelle bataille ! Ils sont couverts
CORPS-SANS-ÂME AV COLLE-DES-KEIRS 301
Zaute embrasse embrassé ; Peir-Narien com-
mande so plime faire so louvraze, li vine encore
péroquet, li dicende à terre.
Lheire li fine donne nouvelles pauve vie
léroi Gâteau, li parti pour aile rôde tigae blanc.
Tigue blanc ti reste dans éne caverne éne grand
montagne dans milié éne grang grand laplaine.
Zamais personne passe laplaine là; zaute blizé
faire grand tour u)eno;are tigue voir zaute. Dans
bord caverne laterre blanc av lézos tout zani-
maux qui tigue là fine manzé.
Pour arrive plis vitement, Peir-Narien ti çanze
en péroquet; li vine pose làhaut éne grand pié
tambalacoque qui ti pousse àcote caverne. Li
dicende doucement, li prend civé lïon dans so
lamain, li crïe éne coup : « Et toi, civé, faire to
louvraze! » Avlà li vine éne grand grand papa
lïon coment napas énan dé dans paye Maurice.
Lheire là li largue éne crié : Manman! coment
dire tonnerre; montagne même blizé tremblé :
gros gros roce roule dipis enhaut zisquà dans
laplaine.
Tigue ti après dourmi dans caverne; li tende
ça, li lè\'e éne coup, li saute dohors. Lïon ti
aspère li ; coment li sourti là, li fonce làhaut li.
Napas pelle laguerre ça qui zaute laguerre ; mété.
382 CORPS-SANS-ÂME ET COLLE-DES-CŒURS
d'écume et de sang; qu'importe! La lutte con-
tinue acharnée : aucun des deux ne cède; ils
s'acharnent l'un contre l'autre. Le tigre soudain
saisit une patte du Hon dans sa gueule ; tandis
qu'il baisse ainsi la tête, le lion le prend par la
nuque et secoue, secoue si fort que le tigre est
réduit à lâcher prise. Le lion alors saute sur son
dos et l'aplatit contre terre ; il pèse, il pèse encore,
houn ! et lui casse les reins. Le tigre tourne de
l'œil : il est mort.
Mais le pauvre lion était cruellement blessé et
tout essoufflé par la lutte. Tandis qu'il léchait sa
patte, voilà le tigre rouge qui commence à se
dégager du corps du tigre blanc. Encore un ins-
tant et il sera prêt pour le combat. Mais prenez-
vous Peur-de-Rien pour une bête ? Il raisit sa
plume et lui dit de faire son ouvrage. Il redevint
perroquet, et se pose au haut du tambalacoque.
Le tigre reste déconcerté au pied de l'arbre :
« Attends, lui crie le perroquet, attends que
je sois un peu reposé! nous verrons tout à
l'heure ! »
Cependant, le loup, dans son nuage, se sentait
le corps tout mal à l'aise : a Mais qu'ai-je donc ?
je me sens tout brouillé! » Laissons-le.
Lorsque Pear-de-Rien sent que toutes ses
forces lui sont revenues, il redevient lion et fond
sur le tigre rouge. Ce tigre rouge était nécessai-
CORPS-SANS-ÂME AV COLLE-DES-KEIRS 383
tapé, bourré; zaute quimé, lécorps coule disang;
narien ça; napas largué, zaute tacé même. Ene
coup là tigue pèse éne lapatte lion dans so la-
guéle; coment latête tigue enbas là, lion sousque
li dans licou derrière latête, sacouyé, sacouyé ;
tigue blizé largue lapatte ; lion saute làhaut so
lédos, aplati li par terre, pesé, pesé, houni
léreins cassé : tigue vire caye, li mort même.
Mais pauve lion là li blessé même ; li lassé,
naplis éna divent av li. Coment li après lice lice
50 lapatte, avlà tigue rouze comence dégaze dans
lécorps tigue blanc. Ene ptit moment même li va
paré pour laguerre. Mais sipas vous croire qui
Peir-Narien li bête ! Li prend so plime, li co-
mande li faire so louvraze; li tourne encore pé-
roquet; li envole éne coup, li pose enlair làhaut
pied tambalacoque. Tigue rouze en bas reste
gaga. Péroquet nèque dire li : « Aspère, aspère
mo pose morceau : talheire nous pour guété. »
Létemps là loulou dans niaze senti coment dire
so lécorps napas bien : « Si pas moi qui av moi
donc! mo brouillé brouillé. » Laisse li!
Lheire Peir-Narien coné tout so laforce fine
tourne av li, li vine encore lion, li fonce Ihaut
tigue rouze. Tigue rouze là té blizé plis piti,
384 CORPS- SANS-ÂME ET COLLE-DES-CŒURS
rement plus petit, pour que son corps pût tenir
dans le corps du tigre blanc. Le lion n'a besoin
que de trois ou quatre coups pour l'achever. «Ça,
un tigre? C'est bien plutôt un chat marron, je
crois! » D'un dernier coup de patte, vous dis-je,
le lion lui crève le garde-manger. Il meurt ; le
lion l'ouvre.
Le loup, dans le nuage, est oWigé de se cou-
cher ; sa maladie est grave.
Pendant que le lion ouvre avec précaution le
corps du tigre rouge de peur que le pigeon ne
s'échappe, le pigeon s'élance soudain hors de la
gueule du tigre, monte et s'envole à tire d'aile.
Le lion le poursuit de toute sa vitesse, mais quand
donc un animal, en courant, pourra-t-il suivre le
vol d'un oiseau? Le pigeon gagne, gagne tou-
jours; encore un instant et le lion l'aura perdu
de vue.
Peur-de-Rien saisit sa plume enchantée et lui
crie: «Eh toi! plume, fais ton ouvrage. «Le
voilà perroquet. Il s'élève, monte, monte encore
pour que son regard puisse porter plus loin : on
dirait un gros cerf-volant qui ronfle dans le vent
qui donne. Le pigeon le sent approcher et re?
double d'efforts. Ah ouah ! le perroquet est là-
haut au-dessus de sa tête. Soudain il plonge et le
saisit par le milieu du corps. Un coup de bec
suffit : le pigeon flotte dans l'air, se balance sur
CORPS-SANS-ÂME AV COLLE-DES-KEIRS 385
pour so lécorps capave tini dans lécorps ligue
blanc. L'ion bisoin nèque trois quate coups pour
fini li. (( Ça éne tigue! quiquefois éne çatte
marron, mo croire ! » Ene dernier coup so lapatte,
mo dire vous, lïon crève so garde-manzé. Li
mort même : lion ouvert li.
Loulou dans niaze blizé allonze làhaut lilit;
grand grand malade av li.
Coment lion ouvert doucement doucement
lécorps tigue rouze pengare pizon sauvé, pizon
sourti éne coup dans laguéle tigue, pique en
lair, envolé. Lïon galoupé, largué même pour
sivré li; mais quand ça qui éne zanimaux capave
parié lacourse av éne zozo. Pizon divant, li
gagné, li gagné, talhère même lïon pour perdi
li dans so liziés.
Peir-Narien pèse éne coup so plime-sourcier,
li crie li : « Et toi, plime, faire to louvraze! »
Li vine péroquet. Li pique en montant pour so
liziés, capave trouve plis dans loin : coma dire
éne papa cervolant qui ronferonflé quand divent
donné.
Pizon senti li approcé : li forcé, forcé même.
Ah ouah ! péroquet enlair làhaut so latête.
Li plonze éne coup, li pèse li dans so milié
25
386 CORPS-SANS-ÂME ET COLLE-DES-CŒURS
une aile» essaye de s'appuyer sur l'autre, puis
tombe d'un coup comme la pierre qu'un enfant a
lancée en l'air. Le perroquet l'ouvre : l'œuf est
dedans.
Il prend l'œuf dans son bec et s'envole sur la
montagne pour attendre le nuage.
Voilà le nuage dans le lointain. Le vent le
pousse, le pousse, le rapproche. Le perroquet
ouvre ses ailes et entre dans le nuage. Il sait
maintenant où passer, il entre dans la chambre
de CoUe-des-Cœurs : « Me voilà! voilà l'œuf!
Nous n'avons pas le temps de causer, suis-moi ! »
Il pénètre dans la chambre de Corps-sans-
Ânie.
Le loup était étendu sur son lit ; sa respiration
était courte comme celle d'un chien qui vient de
forcer un lièvre. Peur-de-Rien, d'un seul coup,
casse l'œuf sur la tête du loup. Que croyez-vous?
VoUà son corps qui commence à fondre en eau.
Il coule, il coule ; et voilà le nuage aussi qui s'en
va en pluie. Le nuage tout à l'heure va manquer
sous leurs pieds. Le perroquet n'a que le temps
de crier à Colle-des-Cœurs : « Saisis ma patte !
Saisis ma patte ! Ne lâche pas ! » Le nuage se
déchire en morceaux ; le perroquet ouvre ses
ailes, et ils descendent sur le sommet de la mon-
tagne dans une petite pluie fine qui était tout ce
qui restait du nuage.
CORPS-SANS-ÂME AV COLLE-DES-KETRS 387
lécorps. Ene coude labec assez : pizon flotte flotte
•enlair, li balance làhaut éne cote son lézaile, li
saye appiye làhaut laute côté, li tombe éne coup
cornent éne roce qui zenfant fine zette en lair.
Péroquet ouvert li. Dizef làdans.
Li prend dizef dans so labec, li envole làhaut
montagne, pour aspère niaze.
Avlà niaze dans loin. Divent pousse li, divent
pousse li, li arrive proce. Péroquet ouvert lézailes,
■monte dans niaze. Li coné àcote bisoin passé, li
Tente laçambe Colle-des-Keirs. « Avlà moi, avlà
dizef! napas létemps pour causé; si\T-é moi! »
Li fonce dans laçambe Corps-sans-Ame. Loulou
làhaut lilit; divent courte courte dans so labouce,
coma dire licien qui fèque force ène yève. Pé-
roquet éne coup même casse dizef làhaut latète
loulou. Qui vous croire? Alà so lécorps com-
m.ence fonde dileau. Li coulé, li coulé; avlà
niaze oussi qui largue so laplie. Talheire niaze là
pour dérobé enhas zaute lipied. Péroquet nêqne
létemps crie av Colle-des-Keirs : « Tini mo la-
patte, tini mo kpatte : napas largué ! » Nia2fe
dicire diciré, péroquet ouvert lézailes. Zaute
dicende làhaut montagne dans éne ptit ptit laplie
qui té so restant niaze là.
350 CORPS-SANS-AME ET COLLE-DES-CŒURS
QjLi'ai-je besoin de rien ajouter, mes enfants ?
Peur-de-Rien ordonne à sa plume de défaire son
ouvrage. Il redevient homme et prend Colle-des-
Cœurs dans ses bras. Mais ils mirent vraiment
bien du temps à descendre de la montagne.
Lorsque papa Gâteau voit Colle-des-Cœurs, il
est fou ! 11 saute sur elle et la mange de baisers !
Quand enfin il est fatigué de l'embrasser, il l'em-
brasse encore. Peur-de-Rien ne peut s'empêcher
de rire ; il arrache sa femme des bras du bon-
homme : « Eh vous ! papa, vous allez lui finir les
joues! mais ce sont les joues de ma femme, ça! »
Ils appellent le cuisinier pour ordonner le
dîner. Maman ! maman ! pourvu qu'on n'étouffe
pas à manger tout ça? Impossible de compter la
multitude de plats qu'il y avait sur la table. Mais
il y avait une compote de pigeons, han 1 Par
malheur, quand je veux y goûter, Peur-de-Rien
m'allonge un coup de pied qui me fait tomber ici.
Ce que nous avons exprimé de doute à l'endroit de la prove-
nance de « Paulin av Pauline », nous serions tenté de le répéter
ici. La donnée du conte de « Corps-sans-Ame av CoUe-des-Keirs »
ne nous paraît pas d'invention créole, outre que la conduite du
récit révèle plus d'habileté, ou tout au moins plus de savoir
CORPS-SANS-ÂME AV COLLE-DES-KEIRS 589
Qui mo bisoin dire zaute encore, zenfants !
Peir-Narien comande so plime défaire so lou-
vraze, li vine doumounde, li prend Colle-des-
Keirs dans so lébras. Mais zaute longtemps
même, oui, avant zaute diccnde dans montagne
là.
Lheire papa Gâteau trouve Colle-des-Keirs, li
fou! li saute lahaut li, li manze li. Quand li
lassé à force embrasse li, li embrasse li encore.
Peir-Narien blizé rié; li tire so fanme dans la-
mains bonhomme : « Eh vous, papa, vous pour
fini so lazoues, oui! Lazoues mo fanme, ça. »
Zaute appelle cousinier pour commande dîner.
Manman ! manman ! pengare doumounde pour
mort av tout ça manzé là, oui ! Napas moyen
compté ça bande léplatsqui làhaut latabe. Mais ti
iéna éne ladaube pizons ! han ! Domaze lheire
mo voulé goûte li, Peir-Narien flanque moi éne
coup de pied, mo tombe ici.
faire, que nous n'en rencontrons dans les créations authentiques
du génie de Lindor. Mais nombre de traits révèlent la main de
l'artiste noir. Nous avons coutume chez nous de faire place à
l'étranger naturalisé Mauricien.
DEUXIÈME PARTIE
SIRANDANES (DEVINETTES)
DEUXIÈME PARTIE
SIRANDANES (i)
ANS l'autre hémisphère, nous n'hésiterions pas
à trouver aux sirandanes une ^énéaloçrie
r^ illustre. La première naquit en pleine Boètie,
le Sphinx en épouvanta les malheureux Thébiins, et
seul Œdipe eut la gloire insigne d'en trouver ïe sam-
pèque. La sirandane, en effet, n'est autre chose
qu'une courte énigme dont le mot se cache sous une
image parfois heureuse, ou sous le voile tin peu épais
d'une allégorie tirée de loin. Il n'en fallait pas da-
vantage pour défrayer les longues veillées ; vieux et
jeunes y trouvaient, dans la juste mesure de leur in-
telligence, de quoi exercer la sagacité de ceux-ci, la
force inventive de ceux-là.
Sirandane ? disait le vieillard. Sampèque, répon-
(i) Nous reproduisons ici ce que nous avons dit sur ce sujet
dans notre Etude sur le patois créole mauricien.
394 SIRANDANES
datent les petits tout d*une voix, et le jeu commençait.
D'abord, une série de questions invariablement les
înêmes, et que les réponses suivaient à l'instant :
Dileau diboute ? Canne. — Dileau en pendant?
Coco. — Pitit batte manman? Lacloce, etc. (i).
C'était quelque chose comme le salut de rigueur
avant l'assaut dans la salle d'armes. Puis, le vrai
jeu s'engageait, on croisait le fer. A la première
passe, des coups connus : Q.uate pattes là haut quate
pattes aspére quate pattes; quate pattes napas vini,
quate pattes allé, quate pattes resté (2). La parade
arrivait à l'instant : Çatte làhaut cése aspére lérat,
lérat napas vini, çatte allé, cése resté (3).
— Mo guéte li, H guéte moi? La glace (4). —
Guéle dans guéle, sette lapattes quate zoréyes ?
Licien manze dans marmite (5). Alors des bottes
plus savantes : Mo bassin li séc, mo méte, éne
lapaille, li bordé ? Ene lizié (6), finissait par trou-
(i) De l'eau debout? canne à sucre. — De l'eau suspendue?
Un coco. — L'enfant bat la mère ? Une cloche.
(2) Quatre pattes sur quatre pattes attendent quatre pattes ;
quatre pattes ne viennent pas, quatre pattes s'en vont, quatre
pattes restent.
(3) Un chat sur une chaise attend un rat, le rat ne vient pas,
le chat s'en va, la chaise reste.
(4) Je le regarde, il me regarde. — Une glace.
(5) Gueule dans gueule, sept pattes, quatre oreilles. — Un
chien qui mange dans une marmite.
(6) Mou bassin est sec, j'y mets une paille, il déborde.
— Un œil.
SIRANDANES 39$
ver une mémoire- plus heureuse que les autres. Enfin
arrivaient les inventions récentes, les trouvailles du
jour : Mo batte li, li bâ moi, mo bâ li, li batte
moi (i). Ou cherchait; mais, comme de juste, on ne
trouvait jamais, et Lindor triomphant et sarcastique
disait le mot du Sampèqiie : Mo femme. Certes, elle
ne datait pas de loin la mésaventure qui dictait ceci :
Ça qui ti voir li, napas li qui ti prend li; ça qui
ti prend li, napas li qui ti manze li; ça qui ti
manze li, napas li qui ti gagne bâté; ça qui ti
gagne bâté, napas li ti crié ; ça qui ti crié, napas
li qui ti ploré (2).
Quelquefois la sir andane prenait la forme de l'in-
terrogation directe : Q,uifére prête napas capave
marié (3 ) ? A ce difficile problème chacun proposait
sa solution plus ou moins aventureuse, plus ou moins
libertine ; mais l'oracle les repomsait toutes, et don-
nait du haut de son trépied la seule réponse probante .-
Acause li ensembe so madame té va paréye,
zautes dé té va gagne robe (4).
(i) Je bats, on m'embrasse; j'embrasse, on me bat.
(2) Celui qui l'a vu n'est pas celui qui l'a pris, celui qui l'a
pris n'est pas celui qui l'a mangé, celui qui l'a mangé n'est pas
celui qui a été battu, celui qui a été battu n'est pas celui qui a
crié, celui qui a crié n'est pas celui qui a pleuré. En effet, ce
sont les yeux qui ont vu, la main qui a pris, la bouche qui a
mangé, le dos qui a été battu, le lecteur achèvera facilement.
(3) Pourquoi un prêtre ne peut-il pas se marier?
(4) Parce que sa femme et lui seraient pareils; tous deux
auraient une robe.
396 SIRANDANES
Avec le progrès des temps la sirandane créole
grandit encore, et s'éleva jusqu'à la hauteur du calem-
bour français : Môr condire vivant ? So môr
couvai (i). Mais, toujours bonne fille, elle savait
encore sourire à la plus modeste ineptie : Qiai ti boui
premier bouloire dileau dans péye Maurice ?
Difé (2). Ça qui mo fine trouvé, bondié napas
fine trouvé? Mo mète (3).
Tout cela est bien puéril, pour n'en rien dire de
plus; mais là, mieux que partout ailleurs, nous pou-
vions montrer le noir créole enfant jusque dans la
vieillesse : les plus vites fatigués de sirandanes
n' étaient pas toujours les plus âgés.
(i) Le mort conduit le vivant? Le mors du chevaL
(2) Qui a fait bouillir la première bouilloire d'eau dans le
pays de Maurice? Le feu.
(3) Ce que j'ai trouvé. Dieu ne l'a pas trouvé? J'ai trouvé
mon maître. On reconnaîtra djans nos sirandanes nombre de
niaiseries qui peuvent se vanter d'être françaises d'origine.
^♦^ <^^ ^^S:^^ ^^Si^ >^A^ ^^t^ '^Si^^ <^^ '^(^
SIRANDANES (DEVINETTES)
Diïeau dibouîe ? — Canne.
De l'eau debout ? — Une canne à sucre.
Dileau en pendant ? — Coco.
De l'eau suspendue ? — Un coco.
Pitit batte manman ? — Ladoce.
L'enfant bat la mère ? — Une cloche.
Boisdebène dans dileau ? — Zau^iiïe.
Du bois d'ébène dans l'eau ? — Une anguille.
Cinqiie brames dans dileau ? — Zouritte.
Cinq branches dans l'eau ? — Une houritte.
De vannes dériére montagne ? — Zorèyes.
Deux vans derrière une montagne? — Les
oreilles.
Mo Jesprit par dériére ? — Navire àcause so gou-
vernail.
Mon esprit est par derrière ? — Un navire à
cause de son gouvernail.
Baïonètte par dériére ? — Mouce jaune.
Baïonnette par derrière ? — Une guêpe.
398 SIRANDANES
Pariaca dans dileau ? — Madamesérê.
Mouchoir à carreaux dans l'eau ? — Une dame-
céré.
Manie par vente, rende par îédos ? — Rabot.
Qu'est-ce qui mange par le ventre et rend par
le dos? — Un rabot.
Poule ponde dans raquettes ? — Laîangue.
Une poule pond dans les raquettes ? — La langue.
Guéle dans guéle, sette lapattes, quate :{oréyes ? —
Licien man:^e dans marmite.
Gueule dans gueule, sept pattes, quatre oreilles ?
— C'est un chien qui mange dans une mar-
mite ?
Cabinets, cabinets xfsqu'à dans fétc^ ? — Bambou .
Des cabinets, des cabinets jusqu'au faîtage? —
Un bambou.
Mo conè ène rnamielh li man^e so tripes, Ji boire
so disang ? — Lalampe.
Je connais une demoiselle qui mange ses intes-
tins et boit son sang? — Une lampe.
Ptit bonhome, grand çapeau ? — Çampion.
Petit bonhomme, grand chapeau ? — Un cham-
pignon.
Mo êna ène banne ptit bonhomes : ^our :(aute fêle
\aiites tout habille en rou':{i' ? — Piments.
J'ai une bande de petits bonshommes .' le jour
de leur fête ils sont tous habillés de rouge ? — Les
piments.
SIRANDANES 399
Qui ti hjuir premier marmite dans pèye Mau-
rice ? — Dlfé.
Qui a fait bouillir la première marmite à Mau-
rice ? — Le feu.
Qudte pattes monie làhauî quate pattes; quate
pattes allé, quate pattes resté ? — Licien làhaut cése.
Quatre pattes montent sur quatre pattes; quatre
pattes s'en vont, quatre pattes restent ? — Un
chien sur une chaise.
Béf crié dans milié dé montagnes ? — So toussé
éne doumoiinde gros la^oues.
Un bœuf crie entre deux montagnes ? — La
toux d'une personne qui a de grosses joues.
Man^t noir y rend rou^e ? — Fisi.
Qui mange noir et rend rouge ? — Un fusil.
Mo bassin li séc, mette cm la paille libordél —
Lixiè.
Mon bassin est stc^ mettez-y une paille, il
déborde ? — L'œil.
Tambour lor enhas laiêre ? ■ — Safran.
Tambour d'or sous la terre? — Le safran.
Serpent marcè, Usse so di^éfs ? — Ziraumon.
Le serpent marche, il laisse ses œufs ? — Le
giraumon.
Mo envoyé ént lette, mo coné Ihére décaeétte li ?
— Lha^neçon.
J'envoie une lettre, je sais quand on la déca-
chette ? — Un hameçon.
400 SIRANDANES
Mo gagne ène couvai, mo beau fréme li dans
Uquirie so laquée iou:(ouys dohors ? — La ji niée.
J'ai un cheval, j'ai beau l'enfermer dans l'écu-
rie, sa queue est toujours dehors ? — La fumée.
Mo lacase endans peintire en patine, en dohors
pelntire en blanc ? — Di^éf.
Ma maison à l'intérieur est peinte en jaune, en
dehors elle est peinte en blanc ? — Un œuf.
Lacorde marcè, béf dourini ? — Ziraumon.
La corde marche, le bœuf se couche ? — Gi-
raumon.
Brédes son:(es dans dileau ? — Gouramié.
Brèdes songes dans l'eau ? — Un gourami.
Mo lacase peintire en :^aune, endans ma éna ène
banne piits ma\ambiques ? — Papaye niîr.
Ma maison est peinte en jaune, à l'intérieur
j'ai une bande de petits mozambiques ? — Une
papaye mûre.
Mo misire ène latouéle carnés mo trouve so la fin ?
— Mo marce daiis grand cimin.
Je mesure une toile dont je ne trouve jamais
la fin ? — Je marche sur le grand chemin.
Asoir mo trouve ène banne lagrains dans rno la-
plène; Ihère mo levé mo naplis trouve ::;autes ? —
Z étoiles.
Le soir je vois une quantité de graines dans ma
plaine; quand je me réveille, je ne les vois plus ?
— Les étoiles.
SIRANDANES 4OI
Qtiî ça Moiisstè là qui amène so lacasc lùhaiit so
lédos ? — Couroiipas.
Quel est le monsieur qui porte sa maison sur
son dos ? — Le colimaçon.
Nhahit napas quilotte ? — Cancarlat.
Un habit, point de culottes ? — Un can-
crelat.
Mû lacase plein lafenétes, éne laporte ? — Lédè
coude.
A ma maison beaucoup de fenêtres, une porte ?
— Un dé à coudre.
Mo cna disse piit honhomes, tout fautes latéie
hîanc ? — Zongues.
J'ai dix petits bonshommes, ils ont tous la tête
blanche ? — Les ongles.
Ouate pilé, éne vané ? — Couvai pousse monces :
so lipieds pi'é, so laquée vané.
Quatre pilent, un vanne ? — Cheval qui chasse
les mouches : ses quatre pieds pilent^ sa queue
vanne.
Mo noir dans mo honhére, nw rou:{e dans mo
malhére? — Cévrétfe.
Je suis noir dans mon bonheur, je suis rouge
dans mon malheur? — Une chevrette.
Mo rou^e dans mon honhére, mo noir dans mo
malhére ? — Lagrain café.
Je suis rouge dans mon bonheur, je suis noir
dans mon malheur ? — Un grain de café.
26
402 SIRANDANES
Blanc dans guinée ? — Douri:{ dans marmite.
Du blanc dans du très noir ? — Le riz dans la
marmite.
Manman guinée \ouè viélon, tout ptits blancs
dansé ? — Marmite douri:{ làhaut difé.
Maman guinée joue du violon, tous les petits
blancs dansent? — La marmite de riz sur le feu.
Mamiélle làhaut cimin, tout doumounde qui passé
embrasse so labouce ? — Lapompe.
Mademoiselle est sur le chemin, tous ceux qui
passent embrassent sa bouche ? — Une fontaine.
Mo éna éne barique av dé qualités dileau ? — Ene
ài%éj.
J'ai une barrique avec deux espèces d'eau ? —
Un œuf.
Courone dans mo laîéte, ^éprons dans mo lipieds
mo léroi dans basse cour, mé mo napas léroi ? — Côq.
Une couronne sur ma tête, des éperons à mes
pieds, je suis roi dans la basse-cour, mais je ne
suis pas roi? — Un coq.
Coupe mo vente, ous a gagne mo trésor ? — Éne
grenade.
Coupez mon ventre, vous aurez mon trésor ?
— Une grenade.
Tapis lareine tou:(ours ouvert, :(amés plies ? —
Grand cimin.
Le tapis de la reine toujours ouvert, jamais
plié ? — Le grand chemin.
SIRANDANES 403
Mo êna lacase, asoir li vide, la^purnée li plein ? —
Soulié.
J'ai une maison, le soir elle est vide, le jour
elle est pleine ? — Un soulier.
So robe mô grandmanman ajoute ajouté boute en
boute ? — Létoit bardeaux.
La robe de ma grand'maman est rapiécetée d'un
bout à l'autre ? — Un toit de bardeaux.
Mo lacase tout en bardeaux, endans hie banne
ptit ma^anibiques habille en blanc ? — Zatte.
Ma maison est toute en bardeaux, à l'intérieur
une bande de petits mozambiques vêtus de blanc ?
— Une atte.
Mo ■^étte li blanc, li tombe ^aune ? — Di\èf.
Je le jette blanc, il tombe jaune ? — Un
œuf.
Rente par laporte, sourii par lafenête ? — Possons
dans lasène.
Entrer par la porte, sortir par la fenêtre ? —
Les poissons dans la seine.
Mette, levé, tapé ? — Saye souliers néf.
On met, on se lève, on tape ? — Essayer des
souliers neufs.
Menace doumounde, napas cause ? — Lédoigt.
Je menace, je ne parle pas ? — L'index.
Boidebéne làhaut rempart ? — Moustace.
Du bois d'ébène sur un rempart ? — La mous-
tache.
404 SIRANDANES
Pîtit crase manman ? — Laroce cari.
L'enfant écrase la mère ? — La pierre a broyer
le safran pour le cari.
Pitit pile manman ? — Bâton pilon.
L'enfant pile la mère ? — Le pilon pile le mor-
tier.
Qui lalangue qui :(amès tè menti ? — Lalangue
:{animaux.
Quelle est la langue qui n'a jamais menti ? —
La langue des animaux.
Mo grandmanman ■carnés oiilè dourmi làhaiit so
natte, li quitte so natte li dourmi par tcre ? — Zi-
raumon.
Ma grand'maman jamais ne veut se coucher
sur sa natte, elle laisse sa natte et se couche par
terre ? — Le giraumon.
Mo :(étte mo mouçoir dans dileau, :(amés mo ca-
pave mouille li ? Feille son-^.
Je jette mon mouchoir dans l'eau, jamais je ne
peux le mouiller ? — Une feuille de songe.
Lhère mo encolère, mo vomi difé ? — Canon.
Quand je suis en colère, je vomis du feu ? —
Un canon.
Allrappe H mo aile çace l'aute ? — Ça même la-
main dire av làbmice lhère après man\é.
Attrape-le, je vais en chercher d'autre ? —
C'est là ce que la main dit à la bouche quand on
mange.
SIRANDANES 405
Mo guette li, U guette moi ? — Laglace.
Je le regarde, il me regarde ? — Un miroir.
Éne banne sale, éne banne prope ? — Latére av léciél.
Une bande sale, une bande propre ? — La
terre et le ciel.
Quamème fére çaud, mo toujours frés ? — Lé:(ard.
Quand même il fait chaud, je suis toujours
froid ? — Un lézard.
Ça banane là, tno beau man\é Tramés mo capave
fini li ? — Grand cimin.
Cette banane-là, j'ai beau manger, jamais je
ne peux la finir ? — Le grand chemin.
Pitit noir batte grand noir ? — Piment.
Le petit noir bat le grand noir ? — Le piment.
Mo aile lavente, mo acéte plein noirs, mo tourne
lacase, mo servi :(autes néque éne éne ? — Ene pa-
quet gouïes.
Je vais à la vente, j'achète beaucoup d'es-
claves, je retourne à la maison, je ne les emploie
qu'un par un ? — Un paquet d'aiguilles.
Mille lourous dans éne tourou ? Lédé coude.
Mille trous dans un trou ? — Un dé à coudre.
Tout mo camrades enbande av moi, mo allé, :(autes
resté ? — Posson maillé dans Ihameçon.
Tous mes amis m'entouraient en foule, je
pars, ils restent ? — Le poisson pris à l'hameçon.
Cote mo allé li sivré moi ? — Mo tombe.
Où je vais, elle me suit ? — Mon ombre.
406 SIRANDANES
Èna qiiate frères, dé grand dé pitit ; xP'iites tout
galpé ensembe; pitit divant, maniés grand capave
gagne :(autes ? — So qiiate laroues eue cdléce.
Il y a quatre frères, deux grands, deux petits ;
tous courent ensemble ; les petits sont toujours
devant, jamais les grands ne peuvent les dé-
passer ? — Les quatre roues d'une voiture.
Dé fours campagne dans milié lapléne ? — Toii-
roiis nénei^.
Deux fours de campagne au milieu d'une
plaine ? — Les narines.
Lapeaii mort condire vivant ? — Souliers.
Une peau morte conduit un vivant ? — Des
souliers.
Mo alon^e li li olonT^e (i) moi ? — Natte.
Je l'allonge, elle m'allonge? — Une natte.
Figuire éne :^enfant cadette enhas laharhe éne
honhome? — Coco.
Une figure d'enfant se cache sous la barbe d'un
vieillard. — Un coco.
Tout soldats mo ré:(imînt nhabits vert honèts
rou^e ? — Framboises.
Tous les soldats de mon régiment ont l'habit
vert et le bonnet rouge ? — Les framboises.
Ene bande béfs là-haut montagne, Tuantes man\e
roces ■gaules quitte Ihcrbe ? — Lipoux.
(i) Li alon\e moi, elle me reçoit tout de mon long.
SIRAMDANES 407
Un troupeau de bœufs sur la montagne, ils
mangent les roches ils laissent l'herbe ? — Les
poux.
Mo ena cinque ptit bonhomes, dé haingné trots
giièté ? — Malice nénei av lêdoigts.
J'ai cinq petits bonshommes, deux se bai-
gnent, trois regardent ? — Se moucher avec les
doigts.
Zamés mo té capave trouvé ça qui gagné dériére
mo lacase ? — Mo dériére latéte.
Jamais je n'ai pu voir ce qu'il y a derrière ma
maison ? — Le derrière de ma tète.
Mo dé ptit bonhomes marce ensembe, çaquéne sa
tour divant ? — Mo lipieds.
Mes deux petits bonshommes marchent en-
semble, chacun à son tour est devant? — Mes
pieds.
Trois ptits noirs guette vente \aute manman
bourlé? — Lipieds marmite.
Trois petits noirs regardent brûler le ventre de
leur maman ? — Les pieds d'une marmite.
Tambour dansé dans miîié so la cour ? — Dinde,
Un tambour danse au milieu de sa cour ? —
Un dindon.
Quate noirs aporte eue gros noir; quafe noirs
napas transpiré, gros noir qui transpiré ? — Boudin
làhaut gri.
Quatre noirs portent un gros noir ; les quatre
408 SIRANDANES
noirs ne transpirent pas, c'est le gros noir qui
transpire ? — Un boudin sur un gril.
Mo lacase endans peinlire en rose, en doljors
peint ire en vert av tue hanne ptit ma'^ajnhiqiies là-
dans? — Moulondeau.
Ma maison en dedans est peinte en rose, en de-
hors elle est peinte en vert avec une bande de
petits mozambiques à l'intérieur ? — Un melon
d'eau.
Moulin niarcé quate fois par :(pur ? — Ldbouce.
Le moulin qui marche quatre fois par jour ? —
La bouche.
Tambour divant, pavillon dériére ? — Licien : so
îahoiice Tapé, so laquée dihoiUe.
Tambour devant, pavillon derrière ? — Un
chien : sa gueule aboie, sa queue est dressée.
Enne hanne ■mam:(èlles dans bitation, tout :{iiute in
%e dicire dicirê ? — Pieds banane : toujours fautes
freiUcs dicié.
Une foule de petites demoiselles dans l'habita-
tion, tous leurs vêtements sont en guenilles ? — Les
bananiers : leurs feuilles sont toujours déchirées.
Sicoupe- dans dileau ? — Laline.
Une soucoupe dans l'eau ? — La lune.
Mo marcè li niarcé, ino arêlé li marcé ? — Mo
monte.
Je marche, elle marche ; je m'arrête, elle
marche? — Ma montre.
SIRANDANES 409
Mû honnefanme à côte li passé Usse so lacrace ? —
Cûiiroupas.
Ma bonne femme où elle passe laisse sa salive ?
— Un colimaçon.
Mors condire vivant ? — So mors çoiivah
Le mort conduit le vivant? — Le mors du
cheval.
Mo éna éne '^arhe, quand U éna f cilles li napas
racines, quand U éna racines li napas éna feilles ? —
Navire .
J'ai un arbre, quand il a des feuilles, il n'a pas
de racines; quand il a des racines, il n'a pas de
feuilles ? — Un navire.
Zautes fére éne pitit tourne làhaut vente so vian-
nian risqua li vomi; son vomi nous inan^é ? —
Moulin maie.
On fait tourner un petit sur le ventre de sa
maman jusqu'à ce qu'elle vomisse; ce qu'elle
vomit, nous le mangeons. — Un moulin à
maïs.
Ça qui mo fine trouvé, Bondié napas fine trouvé ^
— Mo fine trouve mo méte, Bondié napas fine trouve
pour li.
Ce que j'ai trouvé, Dieu ne l'a pas trouvé ? —
J'ai trouvé mon maître. Dieu n'a pas trouvé le
sien .
Qui te pattes làhaut quate pattes aspére quate
pattes; quate pattes napas vini, quate pattes allé,
410 SIRANDANES
quate pattes resté ? — Çatte làhaut cése aspère îérat ;
lérat napas vint, çatte allé, cése resté.
Quatre pattes sur quatre pattes attendent quatre
pattes ; quatre pattes ne viennent pas, quatre
pattes s'en vont, quatre pattes restent ? — Un
chat sur une chaise attend un rat ; le rat ne vient
pas, le chat s'en va, la chaise reste.
Eue fou, dé sec, dé mou, quate roule dans laboue ?
— Éng vace : so laquée fou, so cornes sec, so :{oréyes
mou, so lipieds dans laboue.
Un fou, deux secs, deux mous, quatre roulent
dans la boue ? — Une vache : sa queue est folle,
ses cornes sèches, ses oreilles molles, ses pieds
sont dans la boue.
Boutéye endans, divin dohors ? — Zanhlongue.
La bouteille en dedans, le vin en dehors ? —
Un jamlong.
Casse bancal dans bord canal ? — Gournouïes.
Des boiteux au bord d'un canal ? — Des gre-
nouilles.
Tambour lar^^ent enbas lalcre ? — Zin^embe.
Tambour d'argent sous la terre ? — Le gin-
gembre.
Tapis mo grandppd plein pinaises ? — Léciel av
T^ètoiles.
Le tapis de mon grand-père est plein de pu-
naises ? — Le ciel et les étoiles.
Tabaquiére mo grandppd toujours crié ? — Monte.
SIRANDANES 4II
La tabatière de mon grand-père crie toujours ?
— Une montre.
Mo grandmanmdn fére éne pont, U tout sél capave
passe îàhaut là ? — Zergnée.
Ma grand'maman fait un pont, elle seule peut
passer dessus ? — Une araignée.
Quand mo laporte ouvert Ji fermé, quand U
fermé U ouvert ? — So laporte éne cimin qui passe
Iàhaut 1er ails.
Quand ma porte est ouverte, elle est fermée ;
quand elle est fermée, elle est ouverte ? — La
porte d'un chemin qui coupe les rails à ni-
veau.
Vivants napas causé, morts causé ? — Barvades.
Les vivants ne parlent pas, les morts parlent ?
— Les embrevades.
Mo marce dans éne ptit cimin, :(amés mo va posé,
lamés mo va tourné ? — Larivière.
Je marche dans un petit chemin, jamais je ne
m'arrêterai, jamais je ne reviendrai sur mes pas ?
— Une rivière.
Tout so noirs mo papa fautes lipieds torte ? —
Liciens fisi.
Tous les noirs de mon papa ont les pieds tor-
dus ? — Les chiens de fusil.
Mo éna éne grand bande marmaille; soléye levé
\autes caciéte, soléye coucé \autes sourti ? — Zétoiles,
J'ai une grande bande de marmaille ; le soleil
412 SIRANDANES
se lève, ils se cachent ; le soleil se couche, ils pa-
raissent ? — Les étoiles.
Li èna îédents H napas labouce, H capave man^e
lanouite h'iour sans posé ? — Lascie.
Elle a des dents, elle n'a pas de bouche, elle
peut manger jour et nuit sans se reposer ? — Une
scie.
Brédes doiirmi ? — Ziraiimon.
Brèdes couchées? — Giraumon.
Brédes galpè ? — Yéve.
Brèdes qui courent ? — Lièvre.
Toujours li man:(è :(a)nés li avalé ? — Moulin
cannes.
Il mange toujours, il n'avale jamais ? — Un
moulin à cannes.
So lésprit mo ptit noir dans so néne:( ? — Licien .
L'esprit de mon petit noir est dans son nez ? —
Un chien.
Toujours li marce latéie en bas ? — Coulou soulier.
Toujours il marche la tête en bas ? — Un clou
de soulier.
Lhére mo aile baingne lariviére mo Icsse mo
tripes lacase ? — Latoéle matelas.
Quand je vais me baigner à la rivière, je laisse
mes entrailles à la maison ? — La toile d'un ma-
telas.
Uh're mo aile lariviére mo çanté, lhére mo tourné
mo ploré ? — Barique galère.
SIRANDANES 413
Quand je vais à la rivière, je chante ; quand
j'en reviens, je pleure ? — Un barillet.
Mo boire dileau àcause napas dileau ! — Navire
tombé au séc.
Je bois parce qu'il n'y a pas d'eau ? — Un
navire tombé au sec.
Si liantes vini :{autes napas va vini, mes si :(atiles
napas vini 'gaules va vini ? — Doiimoiindt plante
pitits pois : li père pilons vine tnan^é.
S'ils viennent, ils ne viendront pas ; mais s'ils
ne viennent pas, ils viendront ? — Un homme qui
plante des petits pois : il a peur que les pigeons
ne viennent les manger.
Toiirou sans fond ? — Bague.
Trou sans fond ? — Une bague.
Mo dibouté li aloniè, mo alon:{è li dibouté ? —
Lipied doumounde.
Je suis debout, il s'allonge ; je m'allonge, il est
debout ? — Le pied.
Mo éna éne ptit noir quand pas mette li so langouti
li napas travaille ? — Gouïe bisoin difile pour coude.
J'ai un petit noir, quand on ne lui met pas son
langouti, il ne travaille pas ? — L'aiguille a besoin
de fil pour coudre.
Mo lacase éna belbel couvcrtire, mes éne poteau
même qui Uni li ? — Parasol.
Ma maison a une belle couverture, mais un
seul poteau qui la retienne ? — Un parasol.
414 SIRANDANES
Mo laças e longue longue, tout so laçambes rond et
parla:(e en longuére ? — Bambou.
Ma maison est très longue, toutes les chambres
sont rondes et distribuées dans la longueur ? —
Un bambou.
Mo êna ène qualité comandére qui toii:(ours mort
senibe so fouête làhaut so ^êpole ? — Lérat toujours
mort av so laquée.
J'ai une espèce de commandeur qui meurt tou-
jours avec son fouet sur l'épaule ? — Le rat meurt
toujours avec sa queue.
Mo éna éne lacase, quand mo fine ouvert li, :(amés
mo capave freine U encore ? — Bigorneau.
J'ai une maison, quand je l'ai ouverte, je
ne puis jamais plus la refermer ? — Un bigor-
neau.
Cicot dans milié lapléne ? — Lombri.
Un chicot au milieu d'une plaine ? — Le
nombril.
Dans tout lacases so place mo bonne fanme diboute
dans coin ? — Balié.
Dans toutes les maisons, la place de ma bonne
femme est d'être debout dans un coin? — Un
balai.
Mo x.étte laséne, mo lève éne gros posson, mes moi
tout séle qui a niante U ? — Mo fanme.
Je jette la seine, je relève un gros poisson, mais
je serai seul à le manger ? — Ma femme.
SIRANDANES 415
Èna éne mani\è.lle, li sivrè moi partout mes :(cimés
mo capave embrasse li ? — Mo îonibe.
Il y a une demoiselle, elle me suit partout, mais
jamais je ne puis l'embrasser? — Mon ombre.
Blanc napas capave travaille sans noir ? — Plime
hisoin lenque.
Le blanc ne peut travailler sans le noir ? — La
plume a besoin d'encre.
Mo çaud mo napas transpiré, mo frés mo trans-
piré ? — Gargoulette.
J'ai chaud, je ne transpire pas; j'ai froid, je
transpire ? — Une gargoulette.
Mo :(étte li en 1ère li tombe en bas, mo \étte li en-
bas li monte en 1ère ? — Boule lastique.
Je la jette en l'air, elle tombe à terre; je la
jette à terre, elle monte en l'air ? — Une balle
élastique.
Mo touffe li, li touffe moi ? — Ladonlére.
Je l'étouffé, elle m'étouffe ? — La douleur.
Pavé làhaut, pavé en bas ? — Tourtie.
Pavé en haut, pavé en bas? — Une tortue.
Latére blanc, lagrains noir ? — Papier semhe lé-
critire.
La terre est blanche, la semence noire ? — Le
papier et l'écriture.
Lamain semé, liiiès récolté ? — Crire av lire.
La main sème, les yeux récoltent ? — Écrire et
lire. ^
4 1 6 SIRANDANES
Longue laharhe, courte laquée ? — Cévrélte.
Longue barbe, courte queue ? — Une « che-
vrette », crevette.
Plongé, levé, sec ? — Feilïe son^e.
Je la plonge, je la retire de l'eau, elle est sèche ?
— Une feuille de songe.
Mo envoyé inoptit noir comission, :(amès U tourné ?
— Couderoce.
J'envoie mon petit noir en commission, il ne
revient jamais. — Une pierre.
Asoir U promné partout, grandiour so latcte en
las, so Jipieds en 1ère ? — Soiirsonris.
Le soir elle se promène partout, pendant le jour
elle a la tête en bas, les pieds en l'air ? — Une
chauve-souris.
Mo grandumnman U beau fére nattes tout so pitits
dourmi partére ? — Ziraumon.
Ma grand'maman a beau faire des nattes, tous
ses petits-enfants se couchent par terre ? — Le
giraumon.
Mo :(oinde éne grande bande doumounde, quand nio
loin liantes dire moi hon:(our, quand mo proce gantes
napas dire narien ? — Gournouies dans bord diJeau.
Je rencontre une grande bande de gens ; quand
je suis loin, ils me disent bonjour; quand je suis
proche, ils ne disent rien ? — Les grenouilles au
bord de l'eau.
Li éna quator:(e pieds dipis so Ucou :(^isqu'à dans so
SIR AND ANES 417
Ureins; quand vous misire tout so Ucorps U iéna
nèque êne pied dimi ? — Homard (i).
Il a quatorze pieds depuis le cou jusqu'aux
reins ; quand vous mesurez tout son corps, il n'a
qu'un pied et demi ? — Un homard.
Mo beau lève U enUre, U tou:(ours bas ? — Lébas.
J'ai beau le lever en l'air, il est toujours bas ?
— Un bas.
Si vous lavé pas, prête moi U; si vous lavé, napas
prêté ? — Battoir.
Si vous ne lavez pas, prêtez-le ; si vous lavez,
ne le prêtez pas ? — Un battoir.
Mo êna trois gros noirs qui travaille tou/^ours
ensembe, :(amés :(autes avancé :(amés \autes arquilê ?
— Cylindes moulin.
J'ai trois gros noirs qui travaillent toujours
ensemble, jamais ils n'avancent, jamais ils ne
reculent ? — Les cylindres d'un moulin.
Li napas éna laviande, so lé:^os làhaut so disang ?
— Barique divin.
Elle n'a pas de chair, ses os sont sur son sang?
— Une barrique de vin.
Mo louvra:(e carnés fini ? — Ramasse verres boutéye.
Mon ouvrage ne finit jamais ? — Ramasser des
tessons de bouteilles.
(i) Cette ineptie et les deux suivantes ne sont rien moins que
créoles : c'est par rancune que nous les citons.
27
41 8 SIRANDANES
léna eue hannc hébétés qui travaille dans même
lendroit, \autes tende éne à l'aute, mes lanûs fautes
capave trouve T^ciute Jiguire ? — Moutoucs.
Il y a une bande de petites bêtes qui travaillent
dans le même endroit , elles s'entendent les unes
les autres, mais jamais elles ne peuvent voir leur
ligure ? — Les moutoucs.
léna éne banne manivelles dans bord cimin, zfliites
tout latéte enbas ? — Pieds banane.
Il y a une foule de demoiselles au bord du
chemin, toutes ont la tête en bas ? — Les ba-
naniers.
Mo envoyé éne ptit noir comission, sitôt U fine
gagne laréponse mo coné ? — Lhatnçon.
J'envoie un petit noir en commission, dès qu'il
a eu la réponse, je le sais ? — Un hame-
çon.
Mo éna boiicoup lassiétes bien fin, fautes beau
tofnbé, lamès casse ? — Feilles.
J'ai beaucoup d'assiettes bien fines, elles ont
beau tomber, elles ne se cassent jamais ? — Les
feuilles.
Mo étui dé "{oli bassins, çaquéne éne liîote dans
milié, Iherbe dans bord; quand fautes bordé vous
trouve so dileau coulé çaquéne so coté, mes canal qui
fourni dileau dans bassins là vous napas capave
trouvé ? — Li-^iés.
J'ai deux jolis bassins, chacun a un îlot au mi-
SIRANDANES 419
lieu et de l'herbe au bord; quand ils débordent,
vous voyez couler l'eau de chacun ; mais le canal
qui fournit l'eau à ces bassins, vous ne pouvez pas
le voir ? — Les yeux.
Pèse mo vente vous a gagne bouillon ? — Fisi.
Pesez mon ventre, vous aurez du bouillon ? —
Un fusil.
Mort porte vivant ? — Pirogue.
Le mort porte le vivant ? — Une pirogue.
Mo éna éne bassin, tout :{o:(OS qni vine boire Iddans
noyé ? — La lampe av papions.
J'ai un bassin, tous les oiseaux qui viennent y
boire se noient ? — La lampe et les papillons de
nuit.
Mo beau pitit, tno fort ? — Rotin.
J'ai beau être petit, je suis fort ? — Un rotin.
Bonhame noir latéte rouT^ ? — Boiitéye divin .
Un bonhomme noir à tête rouge ? — Une bou-
teille de vin.
Mo :(o:(o éna néque ène li:(ié, et so li\ié dans so
laquée ? — Poêlon.
Mon oiseau n'a qu'un œil, et son œil est dans
sa queue ? — Un poêlon.
Li encore plit ptit, dè\a lagàle av li ? — Margose.
Il est encore tout petit, il a déjà la gale ? —
Une margose.
Mo batte U li bâ moi, ma bâ li li batte moi ? —
Mo fanme.
430 SIRANDANES
Je bats, on m*embrasse; j'embrasse, on me
bat ? — Ma femme.
Longtemps mo lédoigt te enhas Jombe, li comenct
hourîè dans grand soUye ? — Pouce.
Jadis mon doigt était à l'ombre, il commence à
brûler au grand soleil ? — Le Pouce, montagne
jadis très boisée.
Ça qui ti voir li, napas li qui ii prend li; ça qui
ti prend li, napas li qui ti man:(e li; ça qui ti nian:(e
li, napas li qui ti gagne batè; ça qui ti gagne bâté,
napas li qui ti crié; ça qui ti crié, napas li qui ti
ploré ? — Ptit noir féque coquin mangue : So liiiés
qui té voir, napas so li:^iés qui té prend; so lamain
qui té prend, napas so lamain qui té man^é; so la-
houce qui té man:(é, napas so labouce qui te gagne
bâté; so léreins qui té gagne batè, napas so léreins
qui té crié ; so labouce qui ti crié, napas so labouce
qui ti ploré.
Celui qui l'a vu n'est pas celui qui l'a pris;
celui qui l'a pris n'est pas celui qui l'a mangé ;
celui qui l'a mangé n'est pas celui qui a été battu;
celui qui a été battu n'est pas celui qui a crié ;
celui qui a crié n'est pas celui qui a pleuré ? —
Un petit noir vient de voler une mangue : ses
yeux ont vu, mais ses yeux n'ont pas pris ; sa
main a pris, mais sa main n'a pas mangé; sa
bouche a mangé, mais sa bouche n'a pas été
battue; ses reins ont été battus, mais ses reins
SIRANDANES ^21
n'ont pas crié ; sa bouche a crié, mais sa Couche
n'a pas pleuré.
Grand xpréyes, ptit îiiiés, lapeau verni ? — Sour-
souris.
Grandes oreilles, petits yeux, cuir verni ? —
Chauve-souris.
Mo lève so cimise, ma trouve so civès ; ma lève
so civés, mo trouve so Udmts ; mes napas so lédents
qui pour man:(e moi, moi qui pour man:(e so lédents ?
— Ene maie.
Je lève sa chemise, je vois ses cheveux ; je lève
ses cheveux, je vois ses dents ; m.ais ce ne sont
pas ses dents qui me mangeront, c'est moi qui
mangerai ses dents ? — Un épi de maïs,
Mo îasalîe tapisse en rou^e ; éne banne ptit fau~
téyes hlanc làdans ; domestique souye ■fautes av ciffon
rou:!^e ? — Labouce, lédents av Mangue.
Mon salon est tapissé de rouge ; dedans, beau-
coup de petits fauteuils blancs; le domestique les
essuie avec un chifFon rouge ? — La bouche, les
dents et la langue.
Néne:( Madame angles enbas la terre ? — Rave .
Le nez d'une femme anglaise sous la terre ? —
Un radis.
Mouce dans dilait ? — Ningresse habille en
hlanc.
Mouche dans du lait ? — Une négresse vêtue
de blanc.
422 SIRANDANES
Avant mo prend li, mo tâte so civés, mo mis ire so
trou ? — Ça peau castor.
Avant de le prendre, je tâte son poil, je me-
sure son trou ? — Un chapeau de soie.
Trois frères, nèque éne la:(oue ? — Eue marmite.
Trois frères, une seule joue? — Une marmite.
Mam^elle dans Vord cimin, tout dimounde qui
passé tâte so tétés ? — Ene pied papaye.
Une demoiselle au bord du chemin, tous ceux
qui passent lui tâtent les seins ? — Un papayer.
Vente làhaut vente, ptit boute dans fente ? — Pitit
tette manman.
Ventre sur ventre, le petit bout dans la fente?
— L'enfant qui tête sa mère.
Grandppâ dans lacase, so laharbe tou:(ours dohors ?
— Lafimée.
Grand papa est dans la maison, sa barbe est
toujours dehors ? — La fumée.
TROISIÈME PARTIE
LA CHANSON
TROISIÈME PARTIE
LA CHANSON
« Matière infertile et petite »
I la tâche a été pénible de recu.eillir et de
coordonner les matériaux de nos contes,
bien plus laborieuse encore a été la
réunion de ces fragments de chansons. Émiettées
dans cent mémoires à la fois infidèles et jalouses
de ne pas se laisser interroger, nos vraies chan-
sons créoles n'existent plus qu'à l'état erratique.
Et les morceaux en sont si petits, si ténus, qu'un
doute nous est venu qui serait bien près de se
changer en certitude : la chanson créole n'a
existé, dans le principe, qu'à la condition qu'on
appelle chanson un simple refrain. La chanson
créole, en effet, n'a eu d'abord qu'une phrase,
phrase unique répétée à satiété durant des heures
426 LA CHANSON
entières, pour les besoins du sêga. A cette danse
épileptique suffisaient quelques courtes paroles,
pour soutenir jusqu'à épuisement de forces les
danseurs galvanisés par le rythme implacable que
martelait la marvanne.
Voilà nos lecteurs prévenus : de nos chansons
créoles, les premières en date, nous n'avons
qu'une phrase, rarement deux, à leur donner, et
nous sommes à peu près sûr qu'elles n'en avaient
pas davantage.
Une présomption en faveur de cette hypothèse.
Il y a quelques mois, le premier de l'an nous
trouvait en villégiature à l'autre bout de notre
immense pays, dans un quartier perdu, que sa
distance même du centre brillant de notre civili-
sation n'a encore ouvert qu'imparfaitement aux
lumières de notre bienfaisante aurore. C'était au
bord de la mer. Le gardien du campement que
nous occupions fêtait la bananée avec la dévotion
des anciens jours, et sous son toit patriarcal
avaient afflué le ban et l'arrière-ban de ses fils et
de ceux qui étaient nés de ses fils. Les fêtes du-
rèrent cinq jours, et, plus d'une fois, pendant ces
cinq jours, nous pûmes nous croire revenu aux
temps lointains de notre enfance, à ces temps
bénis dont en tout pays, le nôtre excepté, il est
admis qu'un cœur bien fait puisse conserver un
pieux souvenir.
LA CHANSON 427
Ces attardés s'amusaient comme s'amusaient
leurs pères.
Le premier jour, un couple de citadins venu de
la capitale lointaine donnait le ton aux divertisse-
ments de la compagnée. On dansait des quadrilles,
les lanciers, des valses surtout, aux accords sa-
vants de lacordc dèon; on chantait, on jouait aux
jeux innocents, et les grands filaos sonores fai-
saient leur ombre légère sur cette idylle fraîche
enrubannée qu'eût peinte Watteau de son pin-
ceau le plus élégant. Mais, vers le soir, les deux
Port-Louisiens s'arrachèrent aux embrassements de
leurs proches, et les champêtres restèrent entre eux.
La fête, nous l'avons dit, dura cinq jours. Cinq
jours durant l'on chanta et l'on dansa. C'est des
chansons que nous avons affaire, le lecteur n'a
pas à nous le rappeler.
Le premier jour, le grand répertoire^ l'opéra;
Port-Louis, nous le répétons, était là. Raceî,
quand di Seigneir ; 0 via filh cérie ; Zardins dé
Balcasar ; Eue an^e, ine fanme incônie; nous en
passons, il suffit d'avoir indiqué le genre.
Le second jour, un revenez-y vers la romance
sentimentale, la romance langoureuse aux yeux
blancs, où U "^énes filles crielles font pleirer lé TJnes
■^ens qui chantent de la gorge : Té t'en souviens,
Marie ; Mon queir è mort à l'avenir ; Pauvre fleir
déchéchêe.
428 LA CHANSON
Mais dès le matin du troisième jour, sous
l'énergique poussée interne des rafraîchissements
qu'imposait cette ardeur de musique et de danse,
l'enduit extérieur se mit à s'écailler, le vernis
léger s'en allait plaque après plaque ; avant midi
la désquammation était complète, et la marvanne
ronflait, tandis que le séga vainqueur trépignait
sous l'ombre légère des grands filaos sonores, où
Watteau ne peignait plus, mais où, discret, nous
écoutions entre deux bains de mer. Car c'était
une bonne fortune bien rare que ce séga des an-
ciens jours ; c'était un spectacle que ni pour or ni
pour argent ne parviendrait à acheter la curiosité
d'un profane, et la Néréide nous l'offrait gratis
qui sourit à notre ouvrage.
Ce qu'ils chantaient en battant le sable de
leurs pieds nombreux, le voici. Comprenne qui
pourra ; c'est farouche et fermé.
Basia ! basia ! basia !
To léqueir fini parti.
L'amour dé bengali ;
Basia soucani,
La finabarca I
I go to day, I corne to morrow.
Papa, oh maman, oh aïoh 1
Cote mo doudou, cote mo salé.
Papa, oh maman, oh aïoh!
Laisse-moi dourmi dans la rie La Rampe.
LA CHANSON 429
Tout zénes zens galibar
Qui ti vine dans camp lascar
Qui ti mette en fireir
La cause Bangsal napas lève son goun
En bas tambarin.
Matirité bissic, la montée barrée !
Quand zénes zens galibar
Ti vine dans camp lascar,
Zaute ti dire av Ocni :
Si to napas lève ton goun,
L'année qui vini,
To napas va lève encore.
Tape dans l'embarras.
Matirité bissic, la montée barrée !
Personne va tire-moi là.
Calebasse ça qui zoué viélon,
Çatte qui éna matou faire l'embarras.
Ali ! Mimi, mo léqueir !
L'esprit volaze napas bon.
Quand vous mari napas là,
To cornent coudvent dans la rie ;
Quand to mari dans la case,
To coment bonne fille la maison.
Napas bisoin çagrin, pitit fille;
Avant la semaine li passé.
Nous va prête lézaile zhirondéle.
Napas bisoin çagrin, mon coco !
Dans cinque minites ptit moment,
;^30 LA CHANSON
Avlà signon signal signalé,
Avlà signale Canada I
Mo monte làhaut Belle étoile,
Mo zette la ligne trois canal,
Mo croce anguille trois couleir,
Ali Banban, la graisse cateau no. touye nous !
Quand même vou a mette moi dans la pompe.
Quand même vou a zette moi dans la seine.
Quand même vielle là passé avale moi,
Faut qui mo trouve léboute mou pays.
Mo fanme, dans to maladie,
To napas manze narien !
— Mo mari, ce qui mo oulé manzé,
Dans lé pays napas iéna !
Mo mari, si ous content moi,
Mo mari, vine donne-moi la main,
Laisse-moi défonce poulailler.
Ah ! mon coco, si mamzelle Zeanne ti éne bonne fanme,
Li ti va condire-moi à côte paquet fleirs.
Vous plaît-il que nous essayions d'y entendre
quelque chose? Quand ce ne serait que pour
donner une haute opinion de notre sagacité.
Les deux premières strophes se dérobent com-
plètement : « Basia, La finabarca, I go to day,
I corne to morrov », autant de mots qui n'appar-
LA CHANSON 43:
tiennent à aucune langue, et qu'il faut renoncer
à traduire en chrétien.
Avec la troisième et la quatrième strophe, le
sens s'éclaire : « Ce sont des zénes zens qui se
fâchent parce que lé prêtre lascar' leur fait at-
tendre la levée du goun. « Mais qu'est-ce que la
Matirité bissic, et La montée barrée ? Personne va
tire-nioi là, comme dit le dernier vers du couplet.
« Ce joueur de violon est une calebasse, « dit
la cinquième strophe, et « Une chatte qui a
trouvé un matou fait ses embarras ».
La sixième est satirique : « En l'absence de son
mari Mimi s'espace ; » il rentre, « elle baisse les
yeux et serre les coudes. »
La septième est un poème exquis en trois vers :
L'amante pleure : « Essuie tes larmes ! avant la
fin de la semaine nous aurons emprunté les ailes
de l'hirondelle. »
La huitième console la brune Coco. Elle pleure
le beau matelot avec qui son cœur s'est embarqué
abord du Canada: « Patience! encore cinq mi-
nutes, Coco. La montagne des Signaux a mis
une boule au bout du bras sous le vent : heureuse
Coco ! c'est le Canada. »
La neuvième est obscure et tronquée.
Et la dixième ? Cet Ali Banban qui est-il ? La
cateau, la pompe, la Seine, et ce pays dont il
faut trouver le bout?
432 LA CHANSON
Mais la onzième parle net : Le mari est in-
quiet, sa femme ne mange pas. Eh bien ! qu'il lui
aide à défoncer le poulailler du voisin. Le mari
sourit, défonce, guérit, et cette médication rend
l'élève des volailles particulièrement difficile à
Maurice.
Au dernier distique, un bouquet auprès duquel
l'Amant sollicite Coco de le faire conduire pa^
Mamzelle Zeanne ; cela vient en droite ligne du
Roman de la Rose.
On sait maintenant comme nous à quelle source
de poésie le séga va puiser. Cette poésie, le lec-
teur n'essaiera pas plus que nous de la réduire
aux règles de la prosodie la plus élastique : pas
de nombre, pas de rime, pas même d'asso-
nance; la marvanne bat les temps forts, et ça
suffit.
Qu'on n'aille pas croire cependant que le barde
à peau noire, si la fantaisie lui en venait, ne sût
tout comme un autre, trouver la rime « de nos
vers échos harmonieux ».
Msié Sangaraye
Volor gâteau moutaye;
Li saute la miraille,
Li gagne coup dsagaye
Dans son maye,
Li tombe làhaut la paille,
Li crie aïe, aïe, aïe I
LA CHANSON 4}}
Mais Lindor ne s'attarde pas à ces tours de
force puérils ; il y excellerait, on le voit, et cela
lui suffit. Alors même que la rime vient par sur-
prise usurper une place à la fin de ses premiers
vers, vite il la répudie :
Bonhomme Gaspard
Tombe dans rempart,
La que nhabit faire cerf-volant.
Aïoh Mamzelle, aïoh Mamzelle,
Vous robe la que balié la rie.
Napas la peine coné zhabitant,
So lérein raide cornent bambou.
Rien de varié comme la matière de la chanson
créole ; elle s'inspire de tout, ou mieux, de rien :
l'incident du jour lui suffit, pour infime qu'il
soit. De là, sans doute, ces obscurités qui défient
toute pénétration : avec le souvenir du fait le sens
de la chanson a été aboli pour toujours ; Basia
soucani, il faut s'y résigner.
En dépit de leur variété, il nous semble ce-
pendant que nous pouvons ranger sous quelques
chefs principaux les productions rudimentaires de
notre Muse Noire. D'abord, les chansons erotiques
et les chansons satiriques, car ce sont bien là les
deux caractères qui s'y rencontrent le plus com-
munément. Ensuite nous montrerons le rapsode
demandant à l'histoire de rares cantilènes, d'où
28
434 LA CHANSON
ne sortira certes aucune épopée. Puis nous don-
nerons quelques-unes des berceuses que les
nénènes disent à nos bébés, quelques refrains
d'enfants qui jouent, et encore quelques ségas.
Nous terminerons enfin en faisant voir comment
la romance venue de là-bas finit par supplanter
la chanson indigène, au fur et à mesure qu'un
commerce plus étroit avec la langue française
ouvrait à nos chanteurs l'accès d'un répertoire
plus élevé. Nous verrons de quelle force à leur
tour ils s'essayèrent eux-mêmes à notre poésie, et
comment enfin, aujourd'hui, tous ici savent ma-
nier la langue de Chateaubriand et de Paul de
Kock, et la trouver docile à tous les besoins de la
vie.
ERÔS, AMOR, CUPIDO.
Dimance bô matin, zéne fille, nous va aile bazar;
Ous a méte ous ptit robe, zénc fille, avec ous souliers;
Mo a méte mo caneçon, zéne fille, avec mo çapeau ;
Ous a passe par la porte, zéne fille, mo pass par la fenéte ;
Nous va aile dans cariole, zéne fille, ou bien dans caléce ;
Batate av magnoc, zéne fille, nous va aile manzé.
Chaque vers est bissé; le tentateur ne glisse
pas, il appuie.
Mo passe au bazar, mo zéncau tombé;
Milien ramassé.
LA CHANSON 435
Li pas oulé rende.
Rende mo zéneau, Milien ! (ter')
Mo papa va batte moi.
Dimance grand matin mo pâsse au bazar,
Mo çapeau tombé,
Ptit fille ramassé.
Mo dire li rende,
Li pas oulé rende ;
Li dire moi coume ça
Faut nous démarié.
Rende mo çapeau, ptit fille 1 (ter)
Vou maman va zoure moi.
C'est sur le patron d'une églogue antique
Amant alterna Canicena.
Voici maintenant la plainte harmonieuse d'une
amante qu'a trahie le volage Bassillon :
Mo ti éna mo zoli zozo,
Mo zozo ti éna so nique ;
So nique ti dans feillaze,
So feilles ti dans so brance,
So brance ti tiombô so zarbe,
So zarbe ti éna racines,
So racines ti dans la terre.
Aïoh, aïoh ! la terre manque dileau Bondié !
Bassillon, Bassillon, Bassillon!
Ton quière fini parti.
L'amour dé bengalis, Bassillon,
Passe aussi vite que la rosée I
436 LA CHANSON
Ce :(oio allégorique est connu partout ; mais
quelle suite dans les métaphores, jusqu'à ces ra-
cines auxquelles manque l'eau du bon Dieu !
Souhait :
Si mo té zozo, mo ti envolé,
Mo ti envolé dans lés îles ;
Mo aile guette Sidonie la péce posson,
Cornent paillenqui dans dileau.
«Ski
Autre éjaculation :
Grand la vérette passé ;
Tout nous famille pour mort.
Nous dé va reste tout seil ;
Qui nous va faire, Adélia ?
à.
Séduction :
Ptit fille, vine dans mo la case!
Mo napas manque narien :
To a prend par pongnées dou riz,
To a fane av to ptit poules.
Soyez prudents:
Si vous content moi, zénes zens.
Si vous content moi,
LA CHANSON 457
Condire moi la case mo papa.
En arrivant la case mo papa,
Napas bisoin rentré, zénes zens,
Napas bisoin rentré :
Papa là H trop mauvais.
So bâton derrière laporte,
Zénes zens.
Bâton là appelle Samoindo,
Zénes zens,
Li a samoinde vous rondement.
à.
Désespérance :
Mamzelle Fifine, mo bien content vous,
Mais dire domaze mo peir vous papa.
Donne dileau di sel, donne dileau piment :
Mo a faire plore mo liziés pour passe mo çagrin
Autres guitares :
Philozène Valéry
Fine enlève pitit Madame Louis.
Madame Louis parlé
Quand même li a vende so pirogue,
Quand même li a vende so bateau.
Faudrait li trouve son boute Philozène.
Nigodine parlé :
Mais, manman, si mo té poupette,
Poupette qui vende dans bazar,
Ptit poupette,
Philozène ti a mette moi dans so poce.
438 LA CHANSON
à,
To cause moi l'amour
Derrière la cousine ;
Si mo papa va trouve toi
Li va casser to léreins.
Aïoh mon ptit coco, aïoh mon ptit coco,
Coment li goût! cornent li goût!
Marie Louise av Josselin
Zaute dicende en bas bosqué.
Qui to faire là, Marie Louise?
— Mo après veille dizéfs martin.
— Napas la magnère, Marie Louise,
Pour to veille dizèfs martin ;
Guette la séceresse à présent.
Tout martins tine làhaut la mare.
-^
A une ingrate :
Mo ti malade, zéne fille,
Ous napas léqueir voir moi !
Bague larzent dans lédoigt,
Mouçoir cent sous dans licou.
Mo ti malade, zéne fille,
Ous napas léqueir voir moi.
A une infidèle :
Aïoh Liza ! aïoh Liza !
To quitté moi, to prend mari cinois.
Rende mo paquets, Liza ! (Wi)
To quitte moi, to prend mari cinois.
LA CHANSON 439
10 HYMEN, HYMEN^E lO.
Anzélina, mo fanme :
Pèse, pèse-moi.
Anzélina, mo fanme,
Mo gagne point de côté.
Faux rapport :
Mo passé Pont-Zénie,
Mo zoinde Aurélie;
Li donne moi nouvelle
Limorin dans mo la case.
Pas plis étonnant!
Mo arrive dans mo la case,
Mo zoinde lé voleir
Dans mon fauteil coment mo même.
Mo démande lé voleir :
Qui ous faire ici ?
— Pas batte moi, compère 1
Pas batte moi, compère !
Commère ti engaze moi
Pour vire paillasse.
Pour touye pinaises.
Entre voisins :
Napas tende, Mame Edouard,
Ma Ranie faille fanme !
Napas tende, Mame Edouard,
Ma Ranie faille fanme.
440 LA CHANSON
Coups d'canon tiré, Marne Edouard,
Zisqu'à bô matin.
à.
A huis clos :
Madame Laurette, mo ménazère,
Ous faire moi la misère.
Si mo colère monté,
Mo a montré vous la magnère
Madame coné très bien :
Avoyé 1 sacouyé ! avoyé ! sacouyé 1
à.
Impatience :
Auguistine donc, mo fanme,
Grand doumounde cornent vous
Quitte vous marmite làliaut difé,
Pour aile promené grand cimin.
Zour mo va fine en colère,
Mo va lève la main làhaut vous.
Té parents va tombe làhaut moi.
Tralala, tralala, tralala.
Pour finir, une de ces chansons anecdotiques
dont le parfum s'est presque tout évaporé :
Lindi bo matin mo levé,
Mo décende en bas Çamarel.
Zénes zens Çamarel entoure moi,
Donne-moi éne heire lé temps,
Ptit moment.
LA CHANSON 44 I
Mo tire mo mouçoir dans mo poce
Guette dans bordire mo mouçoir
Ous a trouve signatire Madame.
Dans ça mouçoir
Rendez-vous Madame ti donné
Dimain à quate heires.
Açtheire mo napas coné personne ici.
Ous même mo manman,
Ous même mo papa ;
Si mo tombe malad«,
Ous même qui a sogne moi.
Nous passons à la satire. « Lucile, le premier,
osa la faire voir. »
Eu bas la rivière, mmd Licile,
To donne tété cocons, mmâ Licile,
To donne tété cocons.
Ça même to content, mmâ Licile,
Pour donne tété cocons.
La belle Rose, pour éne zoli fille coment vous,
Vous quitte cimin dans camp.
Vous aile l'allée dans magnoc.
Pour ène zoli fille coment vous napas di honte !!
Nazéni, cote ous allé ?
Ous habille coment comédienne.
442 LA CHANSON
Ous famille dans camp de Mars
Après guette couvais galopé,
Ptit fille oulé coné
A cote léglise zanimaux.
Zanimaux quand li va mort,
So name napas aile au ciel.
Gouverneir fine empécé
Mozambiques mette malakofF.
Zalousie, coco ! zalousie, coco !
To liziés coment bigorneaux.
Mo ti aile dans éne la case
Dans ça la case coment misère I
Lérats gros coment cabris,
Lérats gros cornent cabris !
Dimance bô matin
Mo couri bazar,
Mo renconte Iranie.
Qui robe li mété, coco !
Qui robe li mété !
Robe pompadour, coco,
Çapeau la dandy.
Mamzelle Souillac quand fine çanzé
So léreins raide coment bambou.
Mo pas content condire mamzelle,
So laqué robe balié la rie.
LA CHANSON 443
<3E»
Trois zours trois nouites napas pirzé, Zoline !
Zoline pas pirzé, vine vilement Zean Guistin,
Vine vitement, apporte to seringue bourrique.
<:^
Msié Biguitte bon blanc,
Oui Msié Biguitte bon blanc ;
Li faire plante la vanï
Pour adouci lé queir so madame.
Madame Biguitte content,
Oui Madame Biguitte content
Qui li pour gagne lé queir bien tende,
Tende coment la rosée bô matin.
Madame Zelmire napas éna la honte,
Sourte en cimise divant brigadier.
Faut bien espère brigadier guette comme ça même.
I say, my boy, donne mon couteau ;
Pas largué, pas largué, Zéline ! mo vini !!
<:^
Anzéline fini accoucé.
Qui ptit li fine gagné ?
Li accouce éne ptit Zacot,
Vraiment ptit Zacot.
Doumounde vine guetté :
Vraiment ptit Zacot,
Vraiment ptit Zacot !
444 LA. CHANSON
Zénes zens daus camp Benoit
Tous lé samedis décende en ville.
Trois quate bâtâtes bouï
Dans zaute berceau pour la zournéc.
Esquisé diboutant, esquisé diboutant,
Zènes filles laisse pointeirs passé.
Zé monte montagne Ory,
Zé renconte Msié milate
Grands favoris,
Ec so laqué la morie
Qui condire çarette bourrique :
Ahi, ahi, mo milet,
Ahi ! mo milet Poitou.
Entre nos chansons satiriques, il en est deux
sur lesquelles leur notoriété nous force à insister.
La première, Cari Mo, nous vient du passé le
plus lointain ; l'autre, Ramsamy Courtin, plus ré-
cente, comme l'indique le nom indien de Ram-
samy, n'est pas moins populaire que son aînée.
Elles sont l'une et l'autre dans la mémoire de
tous ; de là des variantes innombrables entre les-
quelles nous avons choisi de notre mieux.
Cari Mo, nous l'avons dit, date d'un autre âge.
Nous en donnerons le couplet initial sur lequel
tous les autres, dûs à cent créations indépen-
dantes entre elles, sont venus se modeler tant
bien que mal. Nous citerons quelques strophes ;
LA CHANSON 44^
mais nous nous garderons d'épuiser la matière :
l'espace nous manquerait, comme la patience à
quelques lecteurs.
Cari lalo, milatresse, to pique sousouna.
Cari lalo, milatresse, to pique sousouna ;
To pique sousouna, milatresse, to dire la liqueir,
To pique sousouna, milatresse, to dire la liqueir.
Cari lalo, milatresse, to pique sousouna.
Cari lalo, milatresse, to monte dans cariole, (bis)
To monte dans cariole, milatresse, to dire danscaléce. (bis)
Cari lalo, milatresse, to monte dans cariole.
Cari lalo, milatresse, to porte chrysocale, (bis)
To porte chrysocale, milatresse, to dire di l'or fin. (bis)
Cari lalo, milatresse, to porte chrysocale.
Le lecteur le comprend maintenant, il n'y a
pas de raison pour que la chanson finisse : To
iîmn:(e hambaras, milatresse, to dire camarons; To
houï lagrains :(aqîie, milatresse, to dire triffes dé
France, et les aménités succèdent aux politesses.
Nos futurs traités de rhétorique créole trouveront
là un exemple touffu d'antithèse.
Ramsamy Courtin est aussi une chose à ti-
roirs ; libre à qui veut d'y mettre ce qu'il veut.
D'où nous vient la chanson? L'histoire ne répon-
dant pas, nous en sommes réduit à l'induction,
et voici la genèse que nous proposons au lec-
teur.
44^ LA CHANSON
Un père, propriétaire d'un « immeuble », vou-
drait bien marier sa fille. Il a invité à dîner un
zéne homme qui pourrait lui faire un gendre. Il
donne à son domestique, Ramsamy Courtin, en
l'envoyant au bazar, vingt-cinq sous et le menu
pour le festin du soir. Cependant le zéne homme
arrive. Le père, pour avancer les choses, veut
faire chanter sa fille; la zéne vierge s'y refuse.
Changement de tactique du propriétaire : c'est
par l'ostentation de son luxe qu'il séduira son
hôte ébloui. Et il énumère, avec une légitime
fierté, les richesses de sa maison, les commodités
de son mobilier, dont pas une pièce secrète, pas
un vase intime n'échappe à son inventaire. Entre
temps, on se met à table, et l'amphytrion, au
dénouement de la pièce, commande à Ramsamy
Courtin de lui ôter vite sa cravate : on verra
pourquoi.
C'est nécessairement dans la revue du mobilier
que la fantaisie créole se donne carrière ; là,
notre imagination folâtre se sent la bride sur le
cou : Guette dans mo lormoire serviettes pour souye
lipieds ! Guette dans fond jardin cacoiise en bas
hanoir ! C'est interminable, et spirituel Zisqu'à
napas bon .
Il nous suffit maintenant de donner le cadre du
tableau ; le lecteur est libre de brosser sur la toile
ce*que bon lui semblera.
LA CHANSON 447
Ramsamy Courtin,
Va-t'en au bazar :
Ene la tête cabri,
Six sous mouroungue bâtons,
Restant la monée
Prend éne sou disel,
Avlà veine-cin sous, Ramsamy,
Napas blië massala.
Ciantez donc, ma fille.
Ma fille ne vé pas çanté !
Ciantez donc, ma fille,
« Bel anze, ô ma Licie ! »
Ciantez donc, ma fille,
Et largue tout vous la voix ;
Ciantez donc, ma fille !
Ma fille ne vé pas çanté.
Guette dans mo parterre
Pied belsamine en fleir;
Guette dans mo zardin
Zet d'eau qui hisse en l'air ;
Guette dans mon salon
Portrait Lapoléon ;
Guette en bas lilit
Ene bande pôdçambe doré.
Guette dans mo grenier
Paquet tambarins mîrs ;
Guette dans l'écairie
Ene paire bel bourriquéts...
Aïoh, aïoh, Ramsamy,
44S LA CHANSON
Mo ga^ne malad latéte :
Tir vitment mo cravate,
Ramsamy,
Et laissé moi ômi.
Et ce qui contribue encore à faire de Ramsam}^
Courtin « a favourite song with us », c'est que
de piquants lapsus lingiice donnent tout de suite à
certains mots une physionomie irrésistible; un
garçon d'esprit ne faillira jamais à prononcer ma
Licie, helsamine, hourriquét, de façon à ravir d'aise
son auditoire. Aussi Ramsamy Courtin pourrait
bien être la perle de notre répertoire; perle noire,
d'accord, mais pour être noires, les perles se
jettent-elles aux pourceaux?
Nous avons, un peu à la légère, promis
quelques chansons « historiques » ; dégageons
vite notre parole.
Dans c'temps-là mo té garde moutons,
Mo té garde moutons dans lacacia;
Qui moutons ça ? qui moutons ça ?
Moutons Msié LéBréton.
En avant marçons
La case Anderson,
LA CHANSON 449
Parasol en bas lébras,
La peau beif dans lipieds,
Bardeau làhaut latéte.
A présent qui nous Mamzelle,
Pis souvent qui nous va piocé.
Fragment de chanson sur un juge célèbre
Msié Zérémie fine arrivé;
So çapeau sir lé côté,
So nhabit li galonc...
Sur un assassin fameux :
Madame Bidec, Madame Bidec
Donne dé cents souverains
Pour aile rôde avocat
Pour sauve la vie Macoulé.
« Manman Nanette, manman Nanette,
Aile rôde avocat ! »
Mo monte canal Bélot,
La rivière fine débordé.
Ah bondié, moi éne fanme saute là !
duand mo ti zozo, mo ti envolé
Pour aile rôde avocat
Pour sauve la vie Macoulé.
Gouverneir nouveau fine arrivé,
Li donne so condamnation
Pour Macoulé condamné
Condamne à la peine de mort.
29
4SO LA CHANSO:<î
Macoulé avant li mort
Li dire avec tout doumounde :
« Prié lé bon Dié pour moi,
Mo mort pour narien. »
<3fc»
Sur des réjouissances projetées pour la fête of
ilie late Prince Albert :
Dipis zédi lé neif
La naissance prince Albert.
Mo ti aile là haut dans zardin,
Mo écoute ces Messies consilté :
Zaute envoyé la malle Angleterre ;
Aussitôt la malle va tourné.
Va iéna liminé dans zardin.
uîo
Sur le départ du général ***, Goveraor of Mau-
ritius, et sur l'inauguration des becs du « Mauri-
tius Gaz Company «.
Engazement fini, mo zénéral :
Létemps pour aile Angleterre.
Paravant vous aile Angleterre,
Fanais gaz vous va saye dans la rie.
Tous négociants réponde :
« Quand même sayé napas saj'é,
Mo gaz li fine garanti. »
Labourdonnais réponde :
« Napas blie moi, mo zénéraL
Enterre quatc colonnes divant moi.
LA CHANSON 45 I
Quand même vous napas allime divant,
Va gagne clair derrière mo lédos. »
Sur la visite du prince Alfred, duke of Edim-
burg:
Montagne signaux signalé,
La citadelle réponde
Trois coups de canon :
Prince Alfred arrivé.
Li vire so face sir l'côté,
Li envoyé trois coups de canon.
Li tremblé partout dans la ville ;
Tout doumounde guette ça,
Tape la main partout.
« Mette pavillon partout,
Prince Alfred arrivé ! »
Msié Pitot tende ça,
Li écrire papier négociant
Pour aile monte çateau dans Bois-Sec.
Tout zènes zens mette boléro.
Tout zènes filles mette malakofF.
Faut nous aile guette festin dans Bois-Sec.
Lève vous lipieds, zénes zens.
Lève vous lipieds, zénes filles :
Avlà festin commencé !
ÇaufFe vous tambour, zénes zens !
Tape vous tambour, zénes zens,
4^2 LA CHANSON
Guette cornent zénes filles baloté !
Balote vous léreins, zénes zens,
Balbte vous léreins, zénes filles,
Ça cornent balancier cimin dfer.
En voilà assez, n'est-ce pas ? on voit à quelle
hauteur M^e Clio chevauche notre « couvai Pé-
gase ».
Quelques berceuses et quelques chansons de jeu.
Dodo, mon baba.
Dodo, mo ptit baba !
Quand baba napas dodo,
Çatte marron va nanan li.
Le chat marron est le seul carnassier de nos
forêts, lesquelles, le reboisement aidant, tien-
draient dans quelques boîtes d'allumettes.
Mamzelle'^Fifine fini accoucé,
Napas ptit poule pour faire bouillon ;
Bouillon couroupas li assez bon.
Zozo paillenqui
Est éne zozo qui éna sentiment :
QjLiate heires bô matin li plonze dans dileau,
Li lapéce posson pour donne manzé so pitits.
LA CHANSON 453
i3&
Pour encourager à danser le bébé qui s'aven-
ture à se mettre debout en se cramponnant aux
barreaux de la chaise :
Pilé, pilé, Samécaté,
To papa to manman manzé lérats.
Ah bondié ! quelle é ma souffrance,
Perdi papa, perdi manman !
Hier à soir mo napas diné,
Bô matin mo napas diné,
Lheire midi napas tifEné,
Et pourtant mo vente li faim !
Doum caladoum, caladoum, caladoum.
Mo passé la rivière Taniers,
Mo renconte éne grand manman ;
Mo demande li qui li faire là,
Li dir moi lapéce cabots ;
Ouaïe, ouaïe, mé zenfants,
Faut travaill pour gagne so pain.
à.
Caroline napas la cousine, Madame ;
Marmite bouillon fine renversé,
Napas bouillon pour toi, coco.
« Samy, Samy, couri bazar.
Aile casse ptit poule pour faire bouillon. »
4S4 LA CHANSON
Au jeu, pour voir qui y sera. On reconnaîtra
le quinquille de France :
Ein coquicaille,
C'est léroi dé papillons,
En fésant sa barbé
Il a coupé son menton
Enne, désse, troisse,
Queir dé beif dans l'eau I
La queue du loup :
Zanguerna, zanguerna.
— Bé, bé.
— To pitit pour moi.
— Et to menti !
Et to senti !
C'est plus qu'il n'en faut. Nous terminerons
nos citations créoles par quelques ségas.
Dire éne fois donc. Madame,
Si ous coné coment séga li goût?
— Mo aile en bas la montagne ;
Si mo mari capave coni ça,
Li a trape bâton, casse mo li cou.
LA CHANSON 455
ai
Quand mo passé magasin Bon-Goût,
Mo léqueir sauté, mo lipieds côlé.
<^
La pomade Zamaïca
Faire l'honneir aux brosses-coco.
Ça mamzelle là mo bien content li,
Li gagne mo magnère, mo sentiment, mo caractère.
Avià li là, Sangama,
Avlà li là !
Avlà li là, Sangama,
Tchiombô li pour toi.
à.
Prend to zilet, to bâton, to çapeau,
Avlà bourzois qui pour vini.
Souque to léreins doux, coco,
Souque to léreins doux.
Ai,
Condir manman Zeanne, Philozène,
Condir manman Zeanne
Zisqu'à dans cantine, Philozène,
Zisqu'à dans cantine.
To rente dans cantine, Philozène,
To tir to çapeau,
To tir to çapeau, Philozène,
To fair to salit.
45^ LA CHANSON
* ♦
Ainsi chantait au matin la Muse noire.
Mais le jour grandissait; le soleil plus haut
versait plus de lumière.
La Muse prit un petit panier, une ardoise, un
spelling-book, et se rendit au Government school
où elle apprit à lire et à écrire; et lorsqu'en ren-
trant chez elle, le soir, elle entendait, par la porte
entr'ouverte de quelque maison joyeuse, arriver,
jusqu'à la rue, les accords du piano et la voix
fraîche des jeunes filles, elle s'arrêtait contre
l'entourage aux barreaux verts, et, silencieuse,
elle écoutait. Et elle gravait dans sa mémoire la
douce mélodie et les paroles aux syllabes peu
familières. Puis elle regagnait son humble case
au pied de la montagne ; et là, sous la lampe de
fer-blanc, où la mèche ronde, prise au coton
d'un vieux bas, puisait dans l'huile de coco sa
paisible clarté, elle écrivait pour se souvenir.
Nous avons plusieurs de ses cahiers, et ces feuilles
jaunies nous sont chères.
Nous transcrivons avec une religieuse fidélité.
ROMANCE.
Janny adieu le temps savance
Sans plus tardé il faut partir
Mais dans trois ai confiance
Je te promets de revenir
LA CHANSON 457
Pourquoi tremblaient pas un nuage
Je mes deux bras et mon canon
Je puis en peur bravé l'orage
Allons en mer gaie matelot
Trois après quand la pauvette
Gaiement sur la grève accourez
Près d'elle a passé la miette
Chaque tonnerre au loin grondé
A deux genoux sur le rivage
Elle appela point de canon
Enfant en pleure bravé l'orage
Je mes deux bras et mon canon
Je puis en peur bravé l'orage
Prié Dieu pour le matelot
Le vent accourt sachant la brise
L'air en feu le flot mugit
L'éclairé en lui tout se brise
Mais au bonheur elle entendit
Pour quoi tremblez reprend courage
Je mes deux bras et mon canon
Je puis en peur bravé l'orage
Dieu protège le matelot.
Il faudrait tout citer ! Qu'on nous permette au
moins ces trois vers dont le dernier n'hésite pas
à supprimer net une négation plus barbare que
nature.
. . . D'un triste sort il faut subir la loi
Que cet aveu ranime ton courage
Vas t'en je t'aime et peut être à toi
458 LA CHANSON
Les romances succédèrent aux romances, et,
quand une initiation suffisante lui eut rendu fa-
milières et la langue et la prosodie françaises, la
Muse noire, désormais sûre d'elle-même, chanta
les chansons qu'elle composa.
Ma position et bien triste et cruel
Et pour te quitter pour un simple plaisirs
Si pour toujours je dois vivre avec elle
Je vous le dit je préférez mourir
Je peu vous dire que ma femme et à craindre
A croyiez, je suis mal mariez
Aux mes amis que mon sort et à plaindre
J'aurais bien fait de me plaindre au planchez.
Refrain. J'ai donnez mes beaux jours
Dans un moment de folie
Je me mord bien le doit
Mais je suis mariez
A laissez moi pleurez
Le reste et de ma vie.
J'ai cherché tout à cette fin de lui plaire
Je fait le lie je ballaiye la maison
Je trize les soups je plusse les pommes de terre
Je vaix aux raisseaux et je souffle du charbon
Enfin j'essuye je lave la vaisselle
• Pour être au moins le modèle des époux
Aux mes amis que mon sort et à plaindre
J'aurais bien fait de me plaindre au planchez.
Refrain. J'ai donnez mes beaux jours...
LA CHANSON 459
J'avais de l'arjens les jours du mariage
J'avais montez un joli maubiliez
Rien ne manquât dans son petit ménage
Et le hasardiez il a tout bazarriez
Pour acheter les hautines à la mode
Pour faire rôtir les dindon du cousin
Il a vendu drap lie et comode
Enfin c'est nous il ne reste plus rien.
Refrain. J'ai donnez mes heaux jours...
A chaque instant il me cherche de querelle
Le pot le vert tout ce casse sur moi
Le cendeliez ainsi toute la vaisselle
C'est un démon que l'enfer n'a pas encore vue
Cœur de Lion sang de vipère
Qui cherche à tout pour me faire devenir fou
Si un beau jours je me mest en colère
Je finirez par le tordez le coup.
Refrain. J'ai donnez mes beaux jours...
Fiti de romance.
Comme nous nous hâtons vers le dénouement,
nous nous bornons à cette romance, puisque ro-
mance il y a ; elle suffit pour montrer la poésie
française conquise et domestiquée.
Et la prose ? Le lecteur va la voir docile à tous
les besoins, à toutes les fantaisies mêmes de son
industrieux dompteur. Il lui demande un placet ;
460 LA CHANSON
elle obéit et trouve les formules de la plus exquise
urbanité :
« Monsieur, Excusez ma liberté, et veuillez
avoir l'amabilité de prendre en considération ces
quelques lignes ci-dessous mentionnées,
« En me rendant ce service signalé, une
infinité de gracieux remerciements vous exprime-
ront ma reconnaissance à jamais oubliée en té-
moignage de mon estime.
« Ne croyant pas abuser de votre affabilité que
vous avez toujours pratiquée à mon égard, et
dont vous vous enorgueillissez.
« En attendant votre bienveillante bonté, etc. »
Dans la suivante, un sentiment tendre et légi-
time s'affirme avec une rare propriété de termes :
« Ma cére Madame,
« Ayant entendi parler des la botes de vot
fille et moimeme jai vis de mé desieux de la
splendére de son caracter je vous écris o ma
cére madame pour que jai le consentement de
vous affin que z'épouse Sofi après paques ma
cére madame réponde moi parce que je balotte
de fraieur en esperan vot réponse. Je rest ma
dame vot future et madame vot grand camrade
pour tout ma vie,
« Vive Sofi madame ***. »
LA CHANSON 46 I
Et cette autre, d'une intimité et d'une bon-
homie charmantes qui en feront excuser la lon-
gueur :
« Ma chère Tantine,
« Je viens té faire pars de mariage de Mimi
avec Missieur Charles *** forgeron à Moka sur
l'establisment *** dé Monsieur ***, je t'assure
que quand je voyait ce jeune bon jeune homme
là venait causé avec elle gavais dis à fanchette ti
vois ma femme o ti vois je mettrai ma tête ofé
si Charles *** n'a pas des attentions de marié
avec elle fanchette a riyai sel je sippose qu'elle
étai content. Voyant cela fanchette ma bonne-
femme a finies par donné un grand déjéné nous
avons dansé avec lacorde déon. Charles a santé
un morceau dé la j'ai oublié le morceau de
théâtre je crois que se la Juive.
« Enfin je passe à un autre aff"aire laisse moi
te dire que Mimi va ce marié sirement lafin du
mois ainsi tache dé dire à tonton nonor dé né
pas manqué tu sais toi même comme ton névé
t'aim ainsi né fait pas blaguer ti entend a.
« Je croi que nini va venir té voir ce jours ci,
fais part di mariage dé Mimi à Mn^e Cristofe ***
tu lui diras que Mimi ma chargé de l'embrassé bien
« Sur c'est dé jou
462 LA CHANSON
« Mimi a reçu dé Charles un joli jeanno en or
de la valeur de 10 piastres dans ce pris la je
sippose mais il n'y avait rien dé sire love là.
« Adié ma tante je t'embrasse ton névé et ami
« . ))
Et nous finirons sur une note gaie. Cathos, en
lisant celui-ci, eût certainement dit à Madelon :
« Ah ! ma chère , je vois bien que c'est un
Amilcar. »
« Mademoiselle,
« J'ai un grand amour sur le cœur pour vous
aussi Mademoiselle quand je vous voit je pet
tombé en faience tellement je suis troublé par
votre jolie petite figure mignone, mon cœur se
sotte comme un boule lastic il tappe tellement
fort qu'il y a des moments que je crois avoir mes
intestins en lambo, les coliques me casse et je
cours vitement dans la petite case à privé et tout
ça ma bonne chéri c'est vous oui c'est vous qui
me rend la vie dire comme ça, ma tête s'en-
tourne quand je vois votre jolie petite mizo rire
et me laisser voir de jolis petites défenses, ainsi
mon ami c'est pas tout ça dites moi m'aimez
vous oui ou non parce que je sens que vais tombé
en siccoppe bientôt, si vous me dites non ainsi
vous me dites oui.
LA CHANSON 465
« ... Hier à soir j'ai pas fermé les yeux telle-
ment j'étais tourmenté avec les pices et les pi-
naises vers les deux heures du matin j'ai pensé à
votre douce visage voila que je n'ai fait que pléré
tout ça la passe qui vous n'avez pas un amour
virginal à la flère d'orangé sur votre cœur pour
moi,
« ... Adieu, mon cœur chéri d'amour je vous
aime pour la vie. ***.. »
Il faut savoir nous arrêter. Mais il nous en
coûte. Q.ue de richesses encore qui dorment là
inutiles dans nos cartons ! Du moins, pour
prendre congé du lecteur qui nous a tenu si pa-
tiente compagnie pendant notre longue visite chez
la Muse noire, c'est encore à son riche album
que nous emprunterons le couplet de la fin.
« Monsieur,
« Votre très humble serviteur ayant perdu les
rcsources de continuer son travail, s'avance de-
vant vous pour vous demander votre inaltérable
protection, non pour lui, mais pour l'amour d'un
Dieu puissant. Et le Souverain Omniscient vous
rendra au centuple d'avoir compté sur votre gé-
néreuse égide. »
Ou bien encore, en nous adressant cette fois à
ceux qui nous ont fait l'honneur de Hre notre
464 LA CHANSON
Etude sur le Patois créole Mauricien et nos Récits
Créoles :
« Monsieur,
« Ne croyant pas abuser de votre affabilité
que vous avez toujours témoignée à mon égard
et dont vous êtes si fier, je demeure, Monsieur,
un de vos fidèles et réciproques serviteurs,
« C. Baissac. »
TABLE DES MATIÈRES
PREMIÈRE PARTIE
COXTES ET LÉGENDES
I.
Le liè\
II
Hisîo
III.
Histoi
IV.
Histoi
V.
Histoi
VI.
Histoi
VII.
Histoi
VIII.
Histoi
IX.
Histoi
X.
L'élépl
XI.
Histoii
XII.
Histoi I
XIII.
Histoi
XIV.
Histoi
XV.
Histoir
XVI.
Histoi
Le lièvre et la tortue au bord du bassin du roi. .
re des Colophanes, , ....,..,.
re du lièvre, de l'éléphant et de la baleine,
re de Petit-Jean Queue-de-Bœuf. , , ,
re de bonhomme Francœur
re d'un oiseau qui pondait des œufs d'or. .
re d'un malin drôle
re de Jean et de Jeanne
re de Namcouticouti
L'éléphant et le lièvre en société
re de Peau-d'Âne
re de Sabour , ,
re de Petit-Jean ,
re du loup qui voulait briîler sa femme. . ,
re de l'œuf, du balai et de la sagaie
re des quatre cloches
i6
26
34
44
58
68
76
98
112
118
130
146
154
162
30
266 TABLE DES MATIÈRES
XVII. Histoire des sept cousins et des sept cousines,. . 192
XVIII. Histoire de Marie-José (Joseph) 216
XIX. Histoire de la bonne femme et des voleurs 224
XX. Histoire de Tranquille et de Brigand 228
XXI. Le singe et la tortue 262
XXII, Le singe et l'hirondelle 268
XXIII. Histoire de Zova et du caïman 280
XXIV. Histoire de Paulin et de Pauline. 290
XXV. Le lièvre, le roi et le singe, 332
XXVI. Le lièvre et le roi éléphant. ,, 338
XXVII. Le lièvre et le couroupas 346
XXVIII. Histoire de Corps-sans-Âme et de Colle-des-Cœurs 358
DEUXIÈME PARTIE
SiRANDANES (DeVINETTES) 39I
TROISIÈME PARTIE
La chanson 42 3
Achevé d'imprimer le 28 Janvier 1888
par G. Jacoh imprimeur à Orléans
pour Maison-neuve et Ch. Leclerc
libraires éditeurs
à Paris
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