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Full text of "Le Folk-lore de l'Ile-Maurice : texte créole et traduction française"

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BOOK    398. 096982. B  165F   cl 
BAISSAC    #    LE    FOLK    LORE    DE    LLE 

MAURICE 


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LES 


LITTERATURES    POPULAIRES 


TOME    XXVII 


LES 


LITTERATURES 

POPULAIRES 

DE 

TOUTES    LES    NATIONS 


TRADITIONS,     LEGENDES 
CONTES,     CHANSONS,    PROVERBES,    DEVINETTES 

SUPERSTITIONS 

TOME  XXVII 


PARIS 

MAISONNEUVE   et    CH.    LECLERC 

25,     QUAI    VOLTAIRE,     25 

1888 

Tous  droits  réservés 


LE    FOLK-LORE 


L'ILE-MAURICE 


PRÉFACE 


'est  il  y  a  quelque  cinquante  ans  qu'aurait  dû 
venir  à  un  de  nos  anciens  la  pensée  d'écrire 
rwà  ce  livre,  ou  du  moins  d'en  réunir  les  ma- 
tériaux. Sa  récolte  eût  été  abondante  et  facile;  la 
nôtre  est  maigre  en  dépit  de  nos  peines. 

Il  y  a  cinquante  ans,  la  population  créole  noire, 
dont  seule  la  littérature  est  l'objet  de  cette  enquête, 
était  nombreuse  et  bien  vivante;  aujourd'hui  elle  est 
en  train  de  disparaître,  chacun  le  sait.  Ce  n'est  pas, 
sans  doute,  que  comme  les  peaux-rouges  de  l'Amé- 
rique, comme  les  aborigènes  de  l'Australie  ou  les 
maoris  de  la  Nouvelle-Zélande,  le  contact  avec  la 
race  anglo-saxonne  l'ait  virtuellement  condamnée  à 
mort  ;  Dieu  merci,  les  causes  de  sa  disparition  n'ont 
pas  celte  fatalité  tragique  :  notre  population  créole 
noire  n'est  pas  en  passe  de  mourir,  mais  d'évoluer. 


II  PRÉFACE 


Née  depuis  un  siècle  et  demi  à  peine,  sans  caractères 
«  ethniques  »  asse\  consolidés  par  le  temps  pour  offrir 
une  force  de  résistance  suffisante,  elh  se  transforme 
rapidement,  par  h  mélange  avec  les  races  européennes 
d'abord,  puis,  dans  une  proportion  bien  autrement 
grande,  par  la  fusion  avec  les  races  indiennes  si  libé- 
ralement introduites  à  l'île  Maurice  par  un  demi- 
siècle  de  production  sucrière  à  outrance.  Le  type  du 
noir  créole  pur  se  rencontre  de  moins  en  moins  sur 
notre  sol.  Nous  n'avons  pas  à  nous  prononcer  ici  pour 
ou  contre  cette  oblitération  de  V espèce;  mais  la  cons- 
tater et  en  indiquer  sommairement  les  causes  était  de 
notre  sujet. 

Il  va  de  soi  qu'en  même  temps  que  l'être  physique, 
l'être  moral  se  modifie  de  jour  en  jour  :  des  besoins 
nouveaux  ont  amené  d'autres  habitudes  de  l'esprit.  Le 
noir  esclave,  irresponsable,  n'avait  pas  à  se  préoccuper 
de  régler  sa  vie,  et  son  imprévoyance  native,  cette  im- 
prévoyance naturelle  à  toutes  les  races  inférieures,  y 
trouvait  son  compte.  La  liberté  lui  imposa  la  réfiexion. 
Il  lui  fallut  songer  au  lendemain  et  combattre  à  ses 
risques  et  périls  le  combat  de  la  vie.  Beaucoup  suc- 
combèrent :  car  ce  n'est  pas  en  quelques  jours  que  la 
dure  loi  du  travail  fait  accepter  ses  décrets.  L'escla- 
vage avait  été  pour  eux  l'obligation  impérieuse  de 
travailler,  ils  réclamèrent  impérieusement  de  la  liberté 
le  droit  de  ne  rien  faire;  et  la  misère,  les  épidémies, 
les  maladies  de  toutes  sortes  firent  dans  les  rangs  de 


PREFACE  III 

ces  sophistes  d'épouvantables  trouées.  Les  mieux  trem- 
pés résistèrent  seuls,  .et  les  mieux  préparés  à  la  lutte 
pour  la  vie.  De  ce  peuple  d'enfants  l'élite  seule  eut  la 
force  d'arriver  à  l'âge  viril. 

Or,  c'est  à  l'enfance  de  cette  population  qu'appar- 
tient tout  entière  la  littérature  dont  nous  nous  oc- 
cupons :  il  suffira  de  lire  vingt  pages  de  ce  recueil 
pour  en  recevoir  comme  nous  la  conviction.  Un 
nouvel  ordre  social  a  créé  d'autres  attitudes  à  ces 
esprits,  la  culture  a  développé  en  eux  d'autres  qua- 
lités. Et  l'on  ne  fait  plus  de  contes  créoles.  On  ne 
raconte  plus  même  qu'à  titre  d'exception,  par  pure 
condescendance  pour  quelque  curiosité  attardée,  ces 
histoires  que  nous  disaient  avec  un  entrain  si  abon- 
dant nos  bons  vieux  noirs  du  temps  margo^e.  Seules 
quelques  antiques  nénènes,  mais  les  dernière.^,  con- 
sentent encore  à  grand' peine  à  en  exhumer  de  leur 
mémoire  quelques  fragments;  et  ce  sont  ces  lambeaux 
que  l'auteur  de  ce  livre  a  patiemment  recousus,  après 
les  avoir  réunis  plus  laborieusement  encore.  Mais  le 
jour  est  prochain  oit  ce  travail  de  reconstruction  aurait 
lui-même  été  impossible. 

Si  l'on  ne  raconte  plus  d'histoires,  l'on  chante 
encore  du  moins  :  les  échos  de  nos  rues  sont  là  peur  le 
dire  ?  —  Oui,  certes,  on  chante,  et  beaucoup,  et  à 
pleine  gorge.  Mais  ce  sont  des  airs  d'opéra  que  nous 
chantons,  ou  bien  d'adorables  romances  venues  toutes 
faites  de  là-bas,  et  dont  nous  nous  bornons  à  plier  la 


IV  PRÉFACE 

mélodie  aux  ressources  un  peu  courtes  de  nos  accor- 
déons. Quant  à  la  chanson  créole,  elle  est  morte  et 
bien  tnorte;  nos  ségas  du  temps  passé  ont  vécu  :  danse, 
paroles  et  musique. 

Nos  sirandanes  ont  mieux  résisté  :  leur  brièveté  les 
sauve,  c'est  une  concession  plus  tôt  faite  aux  conser- 
vateurs des  vieux  us.  Mais  le  recueil  n'en  grossit 
plus,  le  moule  se  rouille;  nous  avons  d'autres  pro- 
jectiles  à  fondre ,  on  ne  fait  plus  de  sirandanes. 

Le  lecteur  le  voit  donc  :  c'est  un  inventaire  post 
mortem  que  ce  volume;  c'est,  à  proprement  parler,  à 
une  littérature  d'outre-tombe  que  nous  lui  proposons 
de  s'intéresser  quelques  instants  avec  nous.  Aux 
curieux  européens  nous  promettons  en  dédommagement 
de  la  peine  qu'ils  prendront  à  nous  lire,  le  plaisir 
d'une  courte  excursion  dans  un  pays  sujjîsamtnent 
pittoresque;  à  nos  lecteurs  mauriciens,  Y  attrait  bien 
autrement  pénétrant  d'un  pèlerinage  aux  lieux  loin- 
tains oit  s'est  écoulée  notre  enfance. 

Ce  livre  se  divise  naturellement  en  trois  parties  : 
contes,  sirandanes  et  chansons  ;  ce  sont  là,  en  effet, 
les  trois  modes  sous  lesquels  s'est  manifesté  le  génie 
littéraire  de  la  race  dont  nous  inventorions  les  ri- 
chesses. 

De  la  chanson  et  des  sirandanes  nous  n'aurons  que 
quelques  mots  à  dire  quand  nous  arriverons  à  ces 
deux  subdivisions  de  notre  recueil;  mais  les  contes 
doivent    nous  arriver  plus   longtemps,  car  c'est  de 


PRÉFACE  V 

beaucoup  et  la  plus  riche  et  la  plus  intéressante  des 
manifestations  du  génie  créole. 

L'invention  de  ces  contes  est-elle  vraiment  nôtre  ? 

L'invention,   à  y  regarder  d'asseiprès,  n'appar- 
tient en  réalité  à  personne  :  la  matière  des  contes  po- 
pulaires,  d'un  bout  du  monde  à  Vautre  bout,  est  un 
patrimoine  commun  à  toute  l'humanité.  Tout  là-bas, 
dans  un  passé  si  lointain,  si  obscur  que  notre  science 
moderne   est  impuissante  à  en  pénétrer  les  ombres, 
tout  là-bas,  au  berceau  mystérieux  de  notre  race,  est 
la  source  ignorée    de  tous   ces    contes  :  d'abord,  de 
vagues  légendes,  et  plus  loin  encore  que  ces  légendes, 
des  mythes  indéchiffrables.  L'humanité  commence  son 
exode,  elle  emporte  ses  fables  avec  elle.  Elle  marche, 
et  partout  oii  s'arrête  et  se  fixe  une  des  familles  qui 
deviendront  des  nations,  avec  elle  s'arrêtent  ses  fables 
et  ses   contes;  hommes  et  fables  s'approprient  à   la 
patrie  nouvelle  :  ils  se  façonnent  au  climat  nouveau, 
ils  se  colorent  des  reflets  de  son  ciel,  ils  se  pénètrent 
des  parfums  de  ses  plaines,  de  ses  vallées,  de  ses  forêts, 
de  ses   montagnes.    Puis   les  siècles   succèdent   aux 
siècles;   les  ressemblances  diminuent,  les  diver(rences 
augmentent;  et  le  jour  vient  oit  pour  le  voyageur  qui 
passe,  toutes  ces  versions  d'une  fable  une  à  l'origine, 
sont   devenues    autant  de  contes  étrangers  entre  eux, 
autant  de  productions  particulières  au  sol  même  où  il 
les  rencontre.  Mais  la  sagacité  d'une  analyse  attentive 
sait   reconnaître  leur  unité  originelle.  La  dènons^ 


VI  PRÉFACE 

tration  en  a,  ce  nous  semble,  été  faite,  non  sans  doute 
avec  cette  rigueur  scientifique  qui  fait  du  problème  de 
la  veille  une  des  vérités  du  lendemain  ;  mais  combien 
de  questions  d'un  bien  autre  intérêt  pour  l'humanité, 
doivent  ainsi  se  cjntenter  modestement  d'une  solution 
par  à  peu  près  ? 

Notre  passé,  à  nous  autres,  Mauriciens,  ne  remonte 
pas  aux  premiers  âges  du  monde,  il  ne  se  perd  pas 
dans  la  ttnit  des  temps;  et  peut-être  n'étonnerons- 
nous  personne,  pas  même  en  France,  «  dans  ce  pays 
oit  l'on  sait  si  mal  la  géographie  »,  en  affirmant  qu'il 
y  a  moins  de  deux  cents  ans,  l'île  Maurice  n'avait 
pas  un  seul  conte  populaire,  pour  la  raison  suffisante 
qu'il  n'y  avait  pas  à  Maurice  une  seule  bonne  femme 
pour  le  raconter,  pas  un  seul  enfant  pour  l'écouter  : 
notre  île  était  déserte. 

Après  nos  découvreurs,  les  Portugais,  qui  ne  prirent 
pas  pied  sur  notre  sol,  les  Hollandais  vinrent,  avec 
ou  sans  contes.  Mais  ils  s'en  allèrent  comme  ils 
étaient  venus;  et  voilà  notre  pays  une  fois  de  plus 
sans  littérature  populaire. 

Enfin,  en  lyiS >  Bourbon,  Vile-sœur,  nous  envoie 
nos  premiers  colons  français.  Ils  débarquent,  ils 
ouvrent  leurs  malles  cl  niellent  à  terre  les  contes  qui 
s'y  étaient  glissés  entre  leurs  chemises  de  grosse  toile 
écrue  et  leurs  vêtements  de  conjon  bleu  :  contes  de  la 
Basse-Bretagne,  contes  du  pays  gallot,  contes  nor- 
mands,  lorrains,  provençaux;  mais  contes  français, 


PREFACE  VII 

rien  que  français.  Dans  la  cinquantaine  d'histoires 
que  nous  sommes  parvenu  à  recueillir,  nous  n'en  re- 
connaissons qu'une  seule  d'origine  indienne,  une  seule 
aussi  d'extraction  malgache;  cinq  ou  six  sont  proba- 
blement nées  sous  le  ciel  de  Maurice;  les  autres,  — 
la  preuve  en  sera  faite  sans  doute  par  mes  savants 
correspondants  de  France  et  d' Allemagne,  ^-  tous  les 
autres  sont  de  provenance  exclusivement  française. 

Mais  en  s' acclimatant  che^  nous,  ces  contes  ont  dil 
se  modifier  asse\  profondément  pour  qu'on  ait  parfois 
quelque  peine  à  les  reconnaître  comme  les  contes  mêmes 
de  la  mère-patrie.  Pour  faire  cette  constatation  avec 
une  précision  suffisante,  pour  établir  l'identité  de  ces 
contes,  pour  débrouiller  tous  les  amalgames  qiii  se 
sont  produite,  en  isoler  les  divers  éléments  et  les  ren- 
voyer chacun  à  sa  place,  il  nous  aurait  fallu  la  possi- 
bilité de  recourir  à  des  sources  d'information  qui 
înanquent  totilement  dans  notre  petit  pays.  Nous 
l'avons  essayé  cependant;  mais  sur  ce  point,  nous  le 
savons,  les  folUoristes  européens  auront  à  rectifier  les 
erreurs,  à  combler  les  lacunes  de  notre  travail.  Notre 
ambition  se  home  à  leur  fournir  des  matériaux  :  nous 
donnons  le  lièvrj,  à  eux  de  faire  le  civet. 

Le  caractère  essentiel  du  conte  créole  mauricien, 
c'est  la  naïveté,  cette  fleur  spontanée  du  génie  de 
l'enfance.  C'est  donc  aussi  dans  l'insuffisance  et  le 
manque  d'étendue  du  génie  de  l'enfance  que  nous 
trouverons  la  raison  de  cette  absence  de  cohésion,  de 


VIII  PRÉFACE 

ce  défaut  de  suite  de  bon  ordre  de  nos  «  :{istoires  ». 
Les  iiwidents  se  succèdent  sans  se  lier,  l'effet  pas  un 
instant  ne  sotige  à  se  réclamer  de  sa  cause.  Le  conte 
s'en  va,  hutte  au  moindre  hoquet  qu'il  trouve,  tombe, 
se  relève  vaille  que  vaille,  repart  en  clopinant, 
retombe  quelques  pas  plus  loin,  et  souvent  se  casse  les 
reins  avant  d'arriver.  Dans  notre  travail  d'ortho- 
pédiste, nous  en  avons  remis  quelques-uns  sur  leurs 
pieds,  en  ayant  soin  toutefois  de  les  laisser  boitiller  un 
peu  :  on  ne  les  aurait  pas  reconnus  s'ils  eussent 
marché  droit  comme  tout  le  monde.  Mais  nous  avons 
dû  être  sobre  de  ces  cures,  et  le  lecteur  en  retrouvera 
plus  d'un  tout  à  plat  sur  le  chemin.  Ce  n'est  pas, 
en  effet,  œuvre  de  conteur  que  nous  avions  à  faire, 
mais  de  simple  rapporteur,  voire  de  sténographe,  toutes 
les  fois,  bien  entendu,  que  «  ppâ  Lindor  et  mmâ 
Tèlcsille  »  consentaient  à  ne  pas  trop  bredouiller. 

La  mémoire  n'est  pas  la  qualité  maîtresse  de  ces 
deux  pauvres  vieux.  Les  contes,  les  histoires  venues  de 
France  forment  là-dedans  un  pêle-mêle  inextricable. 
Veulent-ils  retirer  de  leur  grenier  quelque  chose 
qu'ils  croient  complet,  ce  qu'ils  rapportent  est  un 
composé  de  morceaux  parfois  bien  sin^ulièremetit  dis- 
parates; à  un  lambeau  d'un  conte  le  souvenir  infidèle 
a  cousu  sans  sourciller  un  lambeau  d'un  autre,  puis 
d'un  troisième;  et,  par  exemple,  l'histoire  commencée 
avec  Peau-d'Ane  se  termine  avec  Cendrillon,  dont  la 
pantoufle  devient  la  bague  que  seul  Je  doigt  de  l'hé- 


PREFACE  IX 

roïne  peut  réussir  à  chausser  au  fond  même  de  la 
^orge  du  prince.  Dans  d'autres  récits,  des  lacunes, 
des  vides  qui  donneraient  envie  d'appliquer  à  l'espèce 
une  définition  bien  connue  :  une  suite  de  trous  avec 
un  peu  d'histoire  autour. 

Peu  de  suite,  on  le  voit,  peu  de  solidité  dans  le 
tissu.  Mais  sur  la  pauvreté  de  l'étoffe,  de  vrais  bon- 
heurs de  broderie. 

C'est  par  la  naïveté  et  la  sincérité  du  détail  que 
cela  est  parfois,  est  plus  d'une  fois  charmant.  Les 
amateurs  de  la  vérité  à  outrance,  franchissons  le  mot, 
du  réalisme,  trouveront  leur  compte  ici.  Nous  pou- 
vais leur  recommander  particulièrement  notre  Petit- 
Poucet  mauricien,  dans  «  Zistoirc  septe  cousins  av 
septe  cousines  ».  Si  la  lutte  de  notre  héros  et  de 
bonhomme  loulou  à  qui  aura  le  plus  gros  ventre,  à 
qui  aura  la  plus  grosse  tête,  et  la  plus  grosse 
queue,  etc.,  etc.,  n'a  pas  l'heur  de  les  satisfaire,  c'est 
à  n'y  rien  comprendre.  Seulement,  pour  plus  de  sin- 
cérité dans  le  rendu,  nous  leur  recommandons  à  la 
place  du  mot  timide  que  nous  avons  écrit,  de  mettre  à 
certains  passages  du  tournoi,  qu'ils  ont  trop  de  flair 
pour  ne  pas  »  subodorer  »,  le  mot  cru,  le  mot  propre, 
que  notre  typographie  mauricienne  eût  peut-être  trouvé 
malpropre  ;  ils  auront  alors  le  ragoût  avec  tout  son 
fumet.  Mais,  en  général,  les  choses  ne  sont  pas  de  si 
haut  goût,  quoique  notre  cuisine  soit  toujours  suffi- 
samment épicée.  Le  sentiment  du  pittoresque  ne  nous 

a. 


PRÉFACE 


fait  jamais  défaut  :  à  preuve,  la  langue  même  que  nous 
parlons,  notre  patois  créole,  qui  ne  vit  que  d'images. 
Nous  avons  d'autres  qualités  encore,  et  quelques- 
unes  ne  sont  rien  moins  que  banales.  Aifisi,  nous 
savons  faire  parler  nos  personnages,  c'est-à-dire 
donner  à  chacun  le  langage  qui  lui  convient,  ce  qui 
n'est  pas  un  mérite  littéraire  médiocre.  Il  est  bien 
entendu  que  pour  établir,  pour  poser  nos  caractères, 
nous  ne  faisons  point  de  psychologie;  nos  types  ne 
sont  ni  bien  variés,  ni  bien  curieusement  étudiés; 
pour  mieux  dire  nous  les  acceptons  tels  que  la  tra- 
dition nous  les  offre.  Mais  une  fois  la  marionnette 
reçue  et  mise  en  place,  le  bonhomme  tient  debout  et 
demeure  jusqu'à  la  fin  conséquent  avec  lui-même. 

En  tout  avec  soi-même  il  se  montre  d'accord. 
Et  reste  jusqu'au  bout  tel  qu'on  l'a  vu  d'abord. 

Vous  n'en  infère:^  pas  que  ppd  Lindor  sait  par  cœur 
son  Art  poétique  :  ce  sont  rencontres  de  deux  beaux 
génies,  voilà  tout. 

Cette  teneur,  cette  unité  dans  la  composition  des 
caractères  se  manifestera  moins  bien  dans  le  conte 
proprement  dit  que  dans  la  fable.  Li)!dor,  en  effet, 
s'entend  asse\  mal  à  faire  la  figure  humaine.  Son 
héros  favori,  «  Ptit  Zean  »  lui-même,  manque  de 
relief;  il  est  monotone  quelque  rôle  qu'on  lui  confie  ; 
et  on  lui  en  donne  beaucoup,  car  c'est  ce  qu'en  langage 
de  théâtre  on  appellerait  une  grande  première  utilité. 


PRÉFACE  XI 

Dans  cet  emploi,  on  Je  sait,  la  nécessité  d'avoir  du 
talent  ne  s'impose  pas  aux  gens,  et  ils  s'en  sou- 
viennent. 

Il  en  est  autrement  de  la  fable,  de  cette  comédie 
dont  les  personnages  sont  des  animaux.  Lindor, 
comme  animalier,  est  loin  d'être  un  artiste  sans 
valeur.  Nous  oserions  même  affirmer  que  s'il  eût  vécu 
là-bas  au  moyen  âge,  il  aurait  ajouté  une  branche  de 
sa  façon  au  grand  roman  du  Renard,  et  qui  cer- 
tainement ne  serait  pas  la  plus  mauvaise.  Seulement 
il  lui  aurait  donné  un  titre  nouveau  «  Compère 
Yève  n,  car  c'est  le  lièvre  qui  est  le  vrai  renard  de 
VYsopet  mauricien. 

Nous  nous  sommes  souvent  demandé  comment  le 
lièvre,  ce  timide,  qui,  aussi  bien  che^  nous  qu'en  tout 
pays,  est  douteux,  inquiet,  au  point  qu'une  ombre,  un 
rien,  tout  lui  donne  la  fièvre;  comment  ce  mélan- 
colique, hanté  jour  et  nuit,  sans  fin  ni  trêve,  par 
l'effroyable  cauchemar  de  la  casserole  et  de  la  broche; 
comment  ce  simple,  dont  la  suprême  malice  consiste  à 
avoir,  dans  notre  île  comme  dans  l'île  de  Barataria 
en  terre  ferme,  la  viande  noire,  partant  indigeste; 
nous  nous  sommes  souvent  demandé  comment  a 
pauvre  lièvre  est  devenu,  non  seulement  à  Maurice, 
mais  à  la  Martinique,  à  la  Guadeloupe,  et  sans 
doute  dans  bien  d'autres  colonies  encore,  le  type  même 
de  la  ruse,  et  de  la  ruse  spirituelle,  gouailleuse,  van- 
tarde, notre  renard  enfin. 


XII  PRÉFACE 

Ce  choix  du  Uèvre  pour  un  rôle  auquel  ne  l'avaient 
destiné  ni  la  nature  ni  Buffon,  voici  la  seule  expli- 
cation que  nous  ayons  réussi  à  nous  en  donner. 

Ouvrons  notre  livre  syhillin,  le  recueil  de  nos  si- 
randanes. 

«  Brèdes  galoupé  ?  »  demande  l'une  d'elles.  — 
((  Yève  »,  répond  le  ou  la  sampéque. 

Un  lièvre  pour  le  bonhomme  Lindor,  ce  sont  donc 
des  brèdes  qui  courent.  Or,  des  brèdes  qui  se  sauvent 
pour  éviter  d'être  cuisinées  par  Lindor,  ce  n'est  déjà 
pas  si  bête.  Lindor,  cependant,  s'accommoderait  fort 
de  ce  plat  de  brèdes  là,  car  le  »  bouillon  »  est  rare 
che\  lui.  Henri  IV y  en  pareille  disconvenue,  nous 
montre  sa  marmite  renversée;  Lindor  nous  peint  la 
sienne  d'un  trait  bien  autrement  pittoresque  :  <(  Mo 
marmite  pousse  gomon,  »  —  ma  marmite  pousse  du 
goémon  :  c'est  un  cas  original  de  végétation  spontanée. 
Vous  juge'i  si  ces  brèdes  qui  courent  feraient  son 
affaire.  Notei  en .  outre  que  ce  lièvre  fait  pis  encore 
dans  le  petit  carreau  de  terre  du  bonhomme  quç  le 
lièvre  de  France  che^  le  jardinier  de  La  Fontaine.  Si 
ses  dégâts  se  bornaient  à  n'y  pas  laisser  de  quoi  faire 
à  Margot  pour  sa  fête  un  bouquet,  passe  encore  :  l.i 
Margot  de  Lindor  ne  cueille  pas  au  champ  voisin  ses 
plus  beaux  ornements,  la  nature  l'a  pourvue.  Mais 
chaque  nuit  le  lièvre  s'en  vient  religieusement  couper 
au  ras  de  terre  toutes  les  jeunes  pousses,  pousses  de 
maïs,  pousses  de  cannes,  pousses  de  pistaches  créoles 


PRÉFACE  Xni 


OU  malgaches,  il  nen  épargne  pas  une.  Vous  le  voyei, 
Vanimositè  de  Lindor  contre  Us  brèdes  qui  courent  est 
faite  de  gourmandise  et  de  rancune.  Mais  Lindor 
n'a  pas  de  fusil,  et  son  vieux  roquet  blanc  et  rouge 
n'a  guère  plus  de  jarrets  que  de  ne^.  Quejaire  donc  ? 
Tendre  des  pièges.  Or,  Lindor  est  un  asse:^  pauvre 
braconnier;  ses  assommoirs  sont  mal  suspendus,  ses 
collets  mal  dressés;  le  lièvre  évente  sans  peine  cette 
«  bande  »  de  malice  cousues  de  fil  blanc,  et  Brèdes 
galoupé. 

Maintenant,  pour  conclure,  vous  plairait-il  vous 
mettre  un  instant  au  lieu  et  place  de  bonhomme 
Lindor  ?  Un  animal,  être  asse^  fin,  pour  se  montrer 
encore  plus  fin  que  vous  !  être  assex_  subtil,  asse^  spi- 
rituel, asse\  rusé  pour  éviter  toutes  vos  eînbûches  !  Il 
y  a  du  sortilège  là-dedans,  ou  bien  c'est  l'esprit 
incarné,  c'est  la  ruse  en  vraie  personne  naturelle.  Et 
voilà  pourquoi  et  comment  nous  avons  fait  du  lièvre 
ce  que  vous  save^^  :  notre  amour-propre  est  sauf,  du 
moins. 

Que  notre  explication  vaille  ou  non,  ce  qu'il  y  a 
de  certain,  c'est  que  le  lièvre,  dans  notre  fable,  a 
encore  plus  d'esprit  que  le  singe  lui-même.  Compère 
Zacot,  un  cynique  qui  ^  est  fait  plus  d'une  fois  refuser 
l'accès  de  ce  recueil.  Compère  Yève  reste  le  gabeur 
par  excellence.  Mais,  par  exemple,  quand  son  gab 
échoue  et  tourne  contre  lui,  il  est  impossible  d'être  plus 
penaud,  d'être  déconfit  plus  à  plat.  C'est  peut-être  un 


XIV  PRÉFACE 

moyen  pour  lui  de  justifier  sa  parenté  avec  son  grand 
cousin  d'Europe  que  de  se  montrer 

Honieux  comme  un  renard  qu'une  poule  aurait  prh. 

Le  personnel  de  notre  troupe,  aussi  lien  pour  la 
fable  que  pour  le  conte,  est  loin  d'être  nombreux,  et 
nous  aurons  bientôt  fait  de  le  passer  en  revue.  Nous 
ne  vous  présenterons  plus  du  reste  que  quelques  ac- 
teurs, les  plus  fréquemment  en  scène. 

La  tortue.  C'est,  elle  aussi,  une  bête  d'esprit;  mais 
dans  le  genre  noble,  comme  les  Ariste,  les  Cbrysalde, 
les  Cléante  :  c'est  une  personne  sage  et  d'une  haute 
moralité.  Passe-t-elle  de  la  fable  dans  le  conte,  elle 
ne  perd  rien  de  sa  dignité,  de  sa  tenue.  Bien  s'en 
faut;  elle  devient  volontiers  ((  sourcier  »  ;  mais  un 
bon  sorcier,  un  sorcier  Monthyon.  Ainsi  dans  l'his- 
toire de  «  Brigand  av  Tranquille  »,  oii  elle  va 
jusqu'à  moraliser,  et  en  asse^  bons  termes,  il  nous 
semble.  Elle  est  bien  dissemblable,  on  le  voit,  de  la 
tortue  du  conte  de  la  côte  d'Afrique  dont  la  sorcellerie 
est  malfaisante. 

Puis,  le  couroupas  (colimaçon).  —  Celui-là  est 
bête,  franchement  bête.  Nous  avons  du  reste,  dans 
notre  langue,  un  adage  qui  le  stigmatise  :  «  Lacase 
couroupas  pour  tout  dounioundc  »,  la  vuùson  du 
colimaçon  est  à  tout  le  monde.  On  ne  dit  pas  si  c'est 
quand  la  maison  est  vide  ou  pleine.  Mais,  pour  les 


PRÉFACE  XV 

besoins  de  notre  cause,  prenons  que  c'est  alors  que  la 
coquille  est  encore  occupée,  et  que  couroupas  n'est  pas 
maître  che:(^  soi  :  ce  qui  est  fort  sot.  Et  le  couroupas 
ne  se  contente  pas  d'être  bête,  il  est  colère.  C'est  â  se 
demander  si  ppd  Lindor  n'aurait  pas  observé  que  la 
bêtise  et  la  colère  n'ont  rien  d' incompatible  entre  elles. 
Mais  prenons  garde  défaire  le  bonhomme  plus  sagace 
que  nature. 

Nous  passons  sous  silence  les  comparses,  le  fretin  : 
la  baleine,  l'éléphant,  le  rat,  :(o:(o pailhnqui  et  autres. 
Mais  il  y  a  encore  im  premier  sujet  duquel  nous 
devons  dire  un  mot.  C'est  le  loup,  ou  mieux 
Loulou. 

Loulou  est  le  traître  de  notre  théâtre.  C'est  rare- 
ment un  animal,  loup  ou  autre,  la  preuve,  c'est  que 
la  fable  ne  le  connaît  pas  ;  c'est  bien  plutôt  notre  garoii, 
notre  ogre  ;  si  bien  que  pour  faire  taire  les  petits 
enfants  qui  crient,  nos  vieilles  nénènes  l'évoquent 
concurremment  avec  bonhomme  Sac  et  bonhomme 
Sacouyé.  En  général,  Loulou  a  figure  humaine,  ou 
peu  s'en  faut.  A  le  voir  passer  dans  la  rue,  en  voi- 
ture surtout,  car  Loulou  est  riche,  les  simples,  les 
enfants,  et  surtout  les  «  \ènes  filles  »  trop  pressées  de 
trouver  un  umri,  s'' y  laissent  prendre  le  mieux  du 
monde.  Mais  qu'elles  se  méfient,  les  malheureuses  ! 
Loulou  a,  par  derrière,  une  queue  énorme  qu'il  tient 
soigneusement  dissimulée  pendant  le  jour  sous  une 
plaque  d'or  ou  d'argent.  Le  soir,  quand  il  quitte  cette 


XVI  PRÉFACE 

plaque  pour  sa  toilette  de  nuit,  —  //  paraît  que  ça  le 
gêne  pour  s'allonger  sur  le  dos  —  sa  queue  longtemps 
comprimée  se  détend  comme  un  ressort;  et  c'est  ter- 
rible! Cette  queue,  du  reste,  sous  Ve^npire  d'une 
émotion  soudaine,  d'une  vive  passion,  colère  ou  ter- 
reur, fait  sauter  sa  plaque  :  ainsi,  son  bouchon,  la 
topette  qu'une  main  impatiente  agite  pour  le  soda  and 
brandy.  Cette  queue  est  tout  ce  que  nous  avons  inventé 
pour  composer  à  bonhomme  Loulou  une  figure  formi- 
dable. Mais  comme  elle  est  le  plus  souvent  sous 
enveloppe,  et  que,  d'ailleurs,  alors  même  qu'elle  est  en 
liberté,  elle  ne  peut  guère  produire  tout  son  effet  que 
vue  sous  un  certain  angle,  la  terreur  qu'inspire  bon- 
homme Loulou  nous  paraît  partout  là-dedans  un  peu 
bien  conventionnelle.  Franchement,  pour  notre  part, 
il  ne  nous  fait  pas  peur.  Mettei  en  outre  que  Loulou 
est  lourd,  comme  tous  ceux  qui  s'imposent  des  diges- 
tions trop  laborieuses,  si  bien  qu'on  le  met  dedans  avec 
une  facilité  humiliante  pour  son  adversaire  : 
«  Loulou  là,  éne  couroupas  fnême,  mo  dire  vous,  » 
c'est  un  vrai  colimaçon,  vous  dis- je. 

Et  c'est  tout;  vous  ave^  maintenant  notre  troupe 
au  cotnplet. 

Avant  de  la  laisser  jouer  devant  vous,  un  mot  sur 
Je  caractère  général  de  son  répertoire. 

Nous  sommes  pour  l'éternelle  équité.  Chei  nous, 
comme  dans  toutes  les  littératures  faites  par  le  peuple 
pour  h  peuple,  la  vertu  triomphe,  le  crime  est  puni. 


PREFACE  XVII 

Le  petit  Chaperon-Rouge,  mangé  par  le  loup,  est 
une  douloureuse  exception.  L'esthétique  du  genre  veut 
que  le  faible  finisse  par  avoir  raison  du  fort  ;  et  de 
même  qu'il  a  le  bon  droit  de  son  côté,  de  son  côté 
aussi  est  l'esprit,  c'est-à-dire,  la  ruse,  car  esprit  et 
ruse  ne  sont  qu'un  pour  nous,  et  celui-là  est  le  plus 
spirituel  qui  sait  le  mieux  tromper.  Pour  nous 
expliquer  cette  confusion,  songeons  au  milieu,  aux 
cofiditions  sociales  où,  se  sont  développées  ces  littéra- 
tures populaires.  Là-bas,  l'oppression  de  toutes  les 
féodalités,  ici  l'esclavage  :  c^ est-à-dire  la  lutte  ouverte 
impossible,  la  ruse  seule  laissée  pour  arme  à  l'op- 
primé. Il  spécule  donc  sur  les  vices,  sur  les  travers 
de  ses  oppresseurs.  Le  Chat-Botté,  flattant  la  vanité 
de  l'ogre,  l'amène  à  se  chançrer  en  souris  :  il  saute 
dessus  et  l'avale;  le  lièvre  entre  dans  le  corps  du  roi 
éléphant,  lui  ronge  le  cœur,  le  tue,  et  prononce  son 
oraison  funèbre. 

Peu  d'émotion;  la  sensibilité  presque  nulle  :  les 
malheurs  de  nos  héros  nous  laissent  asse^  froids. 
C'est  que  la  vie,  par  sa  cruelle  homéopathie,  a  sin- 
gulièrement émoussé  la  pitié  dans  nos  cœurs.  Nous 
avons  trop  à  faire  de  nous  apitoyer  sur  nos  propres 
maux,  pour  qu'il  nous  reste  le  loisir  de  nous  atten- 
drir beaucoup  sur  les  souffrances  fictives  de  nos  per- 
sonnages. Quand  nous  pleurons,  ce  qui  nous  arrive, 
car  nous  avons  les  larmes  faciles,  les  pleurs  viennent 
des  yeux,  rarement  de  plus  loin.   Aussi,  lorsqu'au 


XVIII  PRÉFACE 

dènoûuient  de  l'histoire  de  «  Zean  av  Zeanne  »,  la 
femme  de  bonhomme  Loulou,  sincèrement  émue,  ver- 
sera de  vraies  larmes,  le  lecteur,  il  nous  se))ible, 
éprouvera  la  vive  surprise  que  nous  avons  ressentie 
nous-même. 

Une  malice  enjouée  et  pleine  d'humour,  tel  est  le 
sel  de  tout  ce  recueil. 

Un  dernier  mot  pour  justifier,  ou  tout  au  moins 
pour  excuser  notre  version  française.  Ce  fi'est  point 
dans  cette  traduction  trop  souvent  incolore  que  nous 
supplions  qu'on  aille  chercher  la  saveur  de  nos  contes 
créoles.  Cette  transcription  en  langue  savante  n'a 
qu'un  but  et  qu'une  raison  d'être  :  faciliter  aux  lec- 
teurs européens  l'intelligence  d'un  texte  dont,  en  dépit 
de  notre  amour-propre  mauricien,  nous  n'estimons 
pas  la  conquête  asse\  précieuse  pour  qu'il  n'y  ait  pas 
mauvais  goût  à  la  faire  acheter  anx  gens  au  jvix 
d'une  perte  de  temps  même  minime,  et  d'une  tension 
d'esprit  même  médiocre.  Notre  version  française 
aidant,  peut-être  quelques  lecteurs  auront-ils  la  fan- 
taisie d'aller  voir  comment  le  patois  créole  s'arran- 
geait pour  dire,  non  sans  grâce,  ce  que  le  français 
vient  de  si  lourdement  raconter.  Et  voilà,  grâce  à 
notre  ruse  adroite,  notre  pauvre  patois  victorieux 
dans  cette  lutte  contre  son  opulent  adversaire.  Nous 
savons  bien  qu'en  fin  de  compte,  c'est  la  bonne  re- 
nommée du  traducteur  qui  fera  tous  les  frais  de 
l'affaire;  mais  le  rédacteur  de  la  juirtic  créole  béné- 


PREFACE  XIX 

ficiera  des  pertes  de  l'autre,  et  c'est  de  quoi  nous 
consoler.  OuHl  nous  soit  periiiis  de  dire  enfin  que 
notre  traduction  a  été  écrite  au  courant  de  la  plume. 
Le  temps  ne  fait  rien  à  l'affaire.  D'accord,  et  nous 
sommes  bien  de  l'avis  d'Alceste.  Nous  estimons 
néanmoins  que  le  temps  et  le  soin  maladroitement 
dépensés  à  faire  ime  œuvre  maladroite,  ne  peuvent 
qu'aggraver  le  cas  d'un  homme,  et  lui  interdire  tout 
recours  au  bénéfice  des  circonstances  atténuantes. 

Port-Louis,  île  Maurice,  ancienne  île  de  France, 
octobre  i88j. 

C.  Baissac. 


PREMIERE  PARTIE 


CONTES  ET  LÉGENDES 


LE   LIÈVRE   ET   LA   TORTUE 

AU   BORD   DU   BASSIN   DU   ROI 


jL  y  a  bien  bien  longtemps,  il  y  avait  au  pays 
de  Maurice  un  roi  qui  avait  un  grand 
bassin.  C'est  là  qu'il  prenait  son  bain  tous 
les  matins  comme  son  médecin  le  lui  avait  or- 
donné. Un  jour  il  arrive  au  bord  du  bassin  ;  l'eau 
est  sale  :  impossible  de  se  baigner.  Le  roi  appelle 
le  gardien  et  le  gronde.  Le  lendemain,  l'eau  est 
sale.  Le  troisième  jour,  l'eau  est  sale.  Le  roi 
prend  le  gardien  par  le  cou,  le  secoue  et  lui  dit  : 
—  El  toi,  enfant  de  chien  !  tu  veux  que 
j'attrape  la  gale  dans  cette  eau-là  ?  Si  demain  le 
bassin  n'est  pas  propre,  tu  verras  quelle  pile  ! 


ZISTOIRE   lEVE   AV   TOURTIE 

DANS   BORD   BASSIN   LÉROI 


|ONGTEMPS  longtemps  dans  payi  Maurice, 
ti  éna  éne  léroi  qui  ti  gagne  éné  grand 
bassin.  Làdans  même  11  té  baingne  so 
lécorps  tous  lé  bomatins,  à  cause  docteir  ti  com- 
mande li.  Avlà  éne  zour  li  arrive  dans  bord 
bassin  ;  dileau  sale,  napas  capave  baigné.  Léroi 
appelle  gardien,  bourre  li.  Lendimain,  dileau  sale. 
Troisième  zour,  dileau  sale.  Léroi  pèse  gardien 
dans  licou,  li  sacouyé,  li  dire  li  : 

—  Eh  !  toi,  to  vlé  mo  trape  lagale  dans  ça 
dileau  là  ?  Quand  dimain  bassin  napas  prope,  to 
va  guété  sipas  mo  ronflé  toi  ! 


LE   LIEVRE   ET   LA   TORTUE 


Le  gardien  a  peur.  Le  soir  venu,  il  prend  son 
fusil,  il  se  cache  dans  les  feuilles  de  songe  au 
bord  du  bassin  ;  la  nuit  était  noire,  pas  de  lune. 
Au  coup  de  canon,  il  entend  qu'on  vient  :  tac, 
tac,  tac  :  c'était  un  lièvre.  Avant  que  le  gardien 
ait  le  temps  de  lever  son  fusil,  le  lièvre  vient 
droit  à  lui  et  lui  dit  : 

• —  Bonjour,  bonjour,  gardien  !  Comme  je  suis 
heureux  de  vous  voir  !  il  y  a  longtemps  que 
je  cherchais  à  vous  rencontrer,  parce  que  j'ai 
quelque  chose  d'excellent  à  vous  donner.  Goûtez- 
moi  ce  miel  que  mes  parents  m'ont  envoyé  des 
Trois  Ilots  !  vous  me  direz  si  vous  avez  jamais  vu 
du  miel  comme  ça. 

Le  gardien  prend  la  calebasse  et  avale  une 
gorgée  : 

—  Oui,  certes  !  c'est  exquis  ! 

Le  gardien  reste  attaché  à  la  calebasse,  et  la 
vide.  Mais  je  ne  sais  trop  quelle  espèce  d'herbe 
le  lièvre  avait  mêlée  au  miel  :  le  gardien  n'a  que 
le  temps  de  s'allonger  au  bord  du  bassin,  le 
sommeil  le  prend,  il  ronfle.  Le  lièvre  se  désha- 
bille en  riant,  et  pique  une  tête  dans  l'eau. 

Ce  lièvre  était  plein  de  malice.  Quand  il  en  a 
assez,  il  sort  du  bassin,  casse  un  long  bâton,  re- 
mue la  vase,  fait  du  bassin  une  vraie  tasse  de 
chocolat,  et  s'en  va. 

Au  point  du  jour,   le  roi  arrive.   Il   n'a   besoin 


ZISTOIRE   lEVE   AV   TOURTIE 


Gardien  peir.  Asoir  li  prend  fisil,  li  cacié  dans 
failles  sonzes  bord  bassin  ;  lanouite  noir  noir, 
napas  laline.  Lheire  canon  tiré,  li  tende  dou- 
moumde  vini  ;  li  coûté  :  tac,  tac,  tac  ;  ça  ti  éne 
lève  !  Avant  gardien  gagne  létemps  lève  fisil,  lève 
vine  drette  av  li,  li  dire  li  : 

—  Bonzour,  bonzour,  gardien  !  Comment  mo 
content  trouve  vous  !  longtemps  ça  même  mo 
rôdé,  à  cause  mo  iéna  bon  bon  quiqueçose  pour 
donne  vous.  Goûte  ça  dimiel  mo  famiie  fine 
envoyé  moi  Trois  Zilots  ï-  vous  va  dire  moi  sipas 
zamais  vous  ti  trouve  dimiel  comment  ça. 

Gardien  prend  calebasse,  li   avale  éne  gorzée  : 

—  Si  fait  va  !  li  goût  même. 

Gardien  tacé  sembe  calebasse  là,  li  vide  li. 
Mais  mo  sipas  qui  zespèce  féyaze  lève  fine  mété 
dans  dimiel  là  :  gardien  nèque  létemps  allonze  so 
lécorps  dans  bord  bassin  ;  sôméye  pèse  li,  li 
ronflé.  lève  rié,  li  tire  so  linze,  li  pique  dans 
bassin. 

lève  là  malice  ;  Ihére  li  assez,  li  sourti  dans 
bassin,  li  casse  ène  longue  bâton,  li  brouille  la 
boue,  li  faire  éne  dileau  çocolat  dans  bassin  là  ; 
li  allé. 

Grand  bômatin  léroi  vini.  Li  nèque  guette  so 


LE   LIÈVRE   ET  LA   TORTUE 


que  d'un  coup  d'œil  à  son  bassin.  Quelle  colère  ! 
Le  gardien  dormait  encore  au  bord  de  l'eau.  Le 
roi  prend  le  bâton  même  dont  le  lièvre  s'était 
servi  pour  troubler  l'eau,  et  tombe  sur  le  gardien. 
Sous  cette  grêle  de  coups,  le  gardien  tarde  peu  à 
s'éveiller.  Une  fois  debout,  il  prend  ses  jambes  à 
son  cou,  détale,  et  se  sauve 'dans  le  bois  d'où  il 
n'est  jamais  ressorti. 

Le  roi  fit  sonner  la  trompette  :  «  On  demande 
un  gardien  pour  un  bassin,  huit  piastres  par 
mois,  une  demi-balle  de  riz  et  les  vivres  du  ma- 
gasin. Mais  si  le  gardien  laisse  quelqu'un  troubler 
l'eau  du  bassin,  on  lui  tranchera  la  tête.  «  Les 
animaux  entendant  cette  menace  ont  tous  peur, 
personne  ne  demande  la  place  :  le  coq  a  peur,  le 
chien  a  peur,  l'oie  a  peur. 

Trois  jours  se  passent.  Le  lièvre  se  baigne  et 
trouble  l'eau.  Le  roi  ne  sait  quoi  faire  :  son  corps 
commence  à  démanger  ferme  ;  voilà  sept  jours 
qu'il  n'a  pu  prendre  son  bain. 

Le  quatrième  jour,  l'officier  du  roi  vient  lui 
dire  qu'il  y  a  là  quelqu'un  qui  demande  la  place 
de  gardien  du  bassin  :  «  Fais  entrer.  »  C'était 
une  tortue  de  rien  du  tout.  Le  roi  la  regarde,  il  a 
bien  envie  de  se  fâcher  : 

—  C'est  toi  qui  pourras  empêcher  les  gens  de 
salir  mon  eau  ? 

—  Oui,  mon  roi  ;  c'est  moi. 


ZISTOIRE    lEVE   AV    TOURTIE 


dileau  :  napas  appelle  en  colère  ça  !  Gardien 
encore  dourmi  dans  bord  bassin  ;  léroi  touque  ça 
bâton  là  même  qui  iève  té  brouille  dileau,  H 
tombe  làhaut  gardien,  beirré,  ronflé,  manman  ! 
Gardien  napas  longtemps  pour  levé  ;  lézailes  av 
li  !  li  vanné  même,  li  sauve  dans  bois,  zamais  li 
fine  tourne  encore. 

Léroi  faire  sonne  trompette  :  «  Bisoin  éne 
gardien  pour  veille  éne  bassin  :  houite  piasses  par 
mois,  dimi  balle  douriz,  vivres  magasin.  Mais 
quand  gardien  là  laisse  doumounde  brouille  dileau 
dans  bassin,  va  coupe  so  licou.  »  Zanimaux  tende 
ça  crié  là,  zaute  tout  peir,  personne  napas  di- 
raande  pour  prend  place  :  coq  peir,  licien  peir, 
lazoie  peir. 

Trois  zours  passé.  lève  baigné,  brouille  dileau  ; 
léroi  napas  coné  qui  li  va  faire,  so  lécorps  com- 
mence gratté  même  dipis  septe  zours  qui  li  napas 
capave  baingné. 

Quatrième  zour,  zofficier  léroi  vine  dire  li  qui 
iéna  éne  doumounde  qui  dimande  gardien  bassin. 
Léroi  dire  :  faire  rentré  !  Ça  ti  éne  faye  tourtie. 
Léroi  guette  li,  li  comence  en  colère  : 

—  Toi  ça  qui  va  fouti  empèce  doumounde 
sale  mo  dileau  ? 


Oui,  mo  roi  !  moi-même  ça  ! 


LE   LIEVRE    ET    LA   TORTUE 


—  Tu  sais  les  conditions  :  si  l'eau  est  trouble, 
je  te  coupe  le  cou. 

—  Oui,  mon  roi,  je  sais  les  conditions,  et 
comme  la  viande  de  tortue  est  bonne  à  manger, 
vous  pourrez  faire  de  moi  un  cari.  Mais  je  ne 
crois  pas  que  vous  ayez  chance  de  me  goûter  cette 
fois-ci  :  mieux  vaut  dire  à  votre  cuisinier  de 
plumer  une  mère  poule. 

—  Bon,  ma  commère,  nous  verrons  demain 
matin.  Entre  en  place  ce  soir. 

La  tortue  sort.  Elle  va  chez  une  amie  et  fait 
bien  enduire  de  goudron  toute  son  écaille.  Au 
coucher  du  soleil  elle  arrive  au  bord  du  bassin. 
Elle  se  tapit  dans  le  sentier  où  doit  passer  le 
lièvre,  et  elle  attend. 

Tac,  tac,  tac,  le  lièvre  vient.  Le  lièvre  voit  cet 
objet  noirâtre  au  milieu  du  chemin,  il  s'arrête  et 
regarde.  La  tortue  a  rentré  sa  tête  sous  son 
écaille  :  rien  ne  bouge.  Tac,  tac,  tac,  le  lièvre 
approche  avec  précaution  :  rien  ne  bouge.  Il 
reste  là  un  bon  moment,  immobile  ;  la  tortue  ne 
remue  pas  plus  qu'une  pierre.  Le  lièvre  médite. 
Il  tourne  autour,  regarde  :  rien  ne  bouge.  Cette 
fois  les  battements  de  son  cœur  se  calment.  Il 
n'a  plus  peur  et  dit  : 

—  C'est  bien  une  roche,  donc  !  j'en  suis  sûr 
maintenant.  Hé  vous  autres  !  c'est  un  brave 
homme  que  ce  roi-là.  Voici   un  petit  banc  qu'il 


ZISTOIRE   lEVE   AV   TOURTIE 


—  To  conne  condition  :  quand  dileau  brouille, 
mo  va  saute  to  licou  ! 

—  Oui,  mo  roi  !  mo  conne  condition  ;  et 
cornent  la  viande  tourtie  bon  pour  manzé,  vous 
va  capabe  faire  cari  avmoi.  Mais  mo  crois  pas  qui 
vous  pour  goûte  moi  ça  voyaze  là  !  vaut  mié 
vous  dire  vous  cousinier  plime  éne  manman 
poule. 

—  Bon,  mo  commère  !  dimain  bomatin  nous 
va  guété.  Rente  dans  to  louvraze  àsoir. 

Tourtie  allé.  Li  aile  lacase  so  camrade  ;  li 
laire  li  frotte  so  lacoque  partout  partout  av  gou- 
dron. Lheire  soleye  coucé,  li  arrive  bord  bassin, 
li  pelote  dans  ptit  cimin  à  cote  lève  pour  passé, 
li  aspéré. 

Tac,  tac,  tac,  lève  vini.  lève  trouve  ça  qui- 
queçose  noir  noir  là  dans  milié  cimin,  li  arrêté, 
li  guété.  Latête  tourtie  fine  ramasse  en  bas  laco- 
que :  narien  bouzé.  Tac,  tac,  tac,  lève  approce 
doucement  doucement,  narien  bouzé.  lève  ma- 
ziné  ;  li  vire  viré,  li  guété,  li  guété  :  narien 
bouzé.  Bon  moment  li  reste  tranquille,  tranquille; 
tourtie  coment  roce  même.  Ça  coup  là,  lékeir 
iève  arrête  batte,  li  naplis  gagne  peir,  li  dire  : 

—  Roce  même  ça,  donc  !  mo  conné  astheire  ! 
Eh  vous  zaute  !  léroi  là  éne  bon  doumounde  oui  ! 
bien  sîr  ça  éne  ptit  banc  qui  li  fine  comande  so 


10  LE   LIEVRE   ET   LA   TORTUE 


a,  j'en  suis  sur,  ordonné  à  son  domestique  de 
mettre  au  bord  du  bassin,  afin  que  j'aie  de  quoi 
m'asseoir  quand  il  me  faudra  tirer  ma  culotte 
pour  me  baigner  dans  son  eau. 

Le  lièvre  rit  et  s'assied  sur  la  roche.  Voilà  la 
roche  qui  remue  un  peu.  Le  liè\Te,  la  sentant 
bouger  : 

—  Ah  !  dit-il,  voilà  bien  comme  les  domes- 
tiques travaillent  à  Maurice  !  ils  ont  oublié  de 
caler  mon  fauteuil. 

Et  il  veut  descendre  pour  mettre  une  cale  à 
son  petit  banc  :  impossible  !  il  est  collé  par  le 
goudron.  La  tortue  sort  la  tête  de  son  écaille  : 

—  Qu'en  penses-tu,  compère?  Pour  moi,  je 
pense  que  cette  fois-ci  tu  es  bien  pris. 

Le  lièvre  a  le  nez  cassé.  Mais  il  faut  bien 
essayer  de  sauver  sa  vie  : 

—  Hé  toi,  commère  !  hé  toi,  dit-il,  tu  veux 
rire,  n'est-ce  pas  ?  J'entends  la  plaisanterie,  tu  le 
vois,  et  je  te  parle  avec  douceur.  Lâche-moi,  te 
dis-je,  lâche-moi  ;  ne  me  mets  pas  en  colère. 

La  tortue  s'était  mise  en  marche  pour  le  porter 
chez  le  roi.  Elle  se  contente  de  lui  dire  : 

—  A  ton  aise  !  parle,  si  ça  doit  te  soulager. 
— Une  fois  !    deux  fois  !  tu  ne  veux  pas  me 

lâcher? 

Bàm  !  le  lièvre  lui  donne   un   coup   d'une   de 


ZISTOIRE   lEVE   AV   TOURTIE  II 

domestique  amène  dans  bord  bassin  pour  mo 
capabe  assise,  Ihere  mo  bisoin  tire  quilotte  pour 
aile  baingne  mo  lécorps  dans  son  dileau  ! 

lève  rié  ;  li  assise  làhaut  roce.  Cornent  dire 
rcce  là  bouze  bouze  morceau.  lève  senti  ça,  li 
nèque  dire  : 

—  Comme  ça  même  domestiques  travaille 
dans  paye  Maurice  !  zaute  fine  blié  cale  mo 
fauteil. 

Ene  coup  là  li  vlé  dicendé  pour  cale  son  ptit 
banc  :  napas  moyen  bouzé,  li  fine  tace  av  gou- 
dron. Tourtie  sourti  so  latête  en  bas  lacoque  : 

—  Qui  to  croire,  compère  ?  Moi,  mo  croire 
qui  ça  voyaze  là  to  maillé  même  ! 

lève  sec.  Mais  li  bisoin  sayé  pour  çappe  so 
lavie  ;  li  dire  tourtie  : 

—  Hé  toi  !  hé  toi,  commère  !  to  voulé  badine 
av  moi,  hein  ?  Avlà  mo  cause  doucement  :  largue 
moi,  largue  moi,  mo  dire  toi  !  napas  faire  mo 
colère  levé  ! 

Tourtie  tè  comence  marcé  pour  amène  li  lacase 
léroi  ;  li  nèque  dire  li  : 

—  Quand  to  content  :  causé  pour  soulaze  to 
Iccorps. 

—  Ene  fois  !  dé  fois  !  to  napas  voulé  largue 
moi  ? 

Bam  !  iève  fîanque  li  éne  coup  lapatte  derrière  : 


12  LE   LIEVRE   ET    LA   TORTUE 


ses  pattes  de  derrière  :  voilà  la  patte  collée.  Bàm  ! 
et  l'autre  patte  se  colle  aussi.  La  tortue  ne  s'en 
préoccupe  pas  ;  elle  marche  et  suit  son  chemin. 
Le  lièvre  lui  dit  : 

—  Eh  toi  !  j'ai  plus  de  force  dans  mes  pattes 
de  devant,  oui  !  Ecoute-moi  :  lâche-moi  de  bon 
cœur. 

La  tortue  marche  et  ne  répond  pas.  Boum  ! 
un  coup  de  la  patte  gauche.  Boum  !  un  coup  de 
la  patte  droite.  Collée  !  collée  !  Voilà  le  lièvre  les 
quatre  pattes  attachées  comme  un  cochon  que  les 
chinois  portent  au  bazar.  Mais  le  pauvre  malheu- 
reux doit  encore  essayer  de  s'en  tirer.  Il  dit  à  la 
tortue  d'un  ton  menaçant  : 

—  Écoute  bien  :  je  parle  pour  la  dernière  fois. 
Toute  ma  force  est  dans  ma  tête,  ma  tète  est  un 
marteau  de  fer.  Si  je  t'en  donne  un  coup,  je 
t'écrase  comme  une  papaye  mûre.  Lâche-moi,  te 
dis-je,  lâche-moi  ! 

La  tortue  marche  et  ne  répond  pas. 

Le  lièvre  lève  la  tête  aussi  haut  qu'il  peut, 
rassemble  toutes  ses  forces  et  frappe.  Boum  !  la 
tête  est  collée. 

Les  voilà  arrivés  chez  le  roi.  La  tortue  rit,  le 
lièvre  pleure. 

Quand  le  roi  voit   le  lièvre  ainsi  collé  sur  la 


ZISTOIRE   lEVE   AV   TOURTIE 


lapatte  côlé  !  Bam  !  laute  lapatte  oussi  taeé.  Tour- 
tie  napas  oquipe  ça,  li  marcé,  li  sive  so  cimin. 
lève  dire  li  : 

—  Et  toi  !  mo  plis  fort  dans  mo  lapatte 
divant,  oui  !  Coûte  moi  !  largue  moi  bon  keir  ! 

Tourtie  marcé,  napas  réponde.  Boum  !  éne 
coup  lapatte  gauce.  Boum  !  éne  coup  lapatte 
droite  ;  collé  !  collé  !  lève  so  quate  lapattes 
amarre  cornent  éne  cocon  qui  camilas  amène  dans 
bazar.  Mais  pauve  malhéré  là  bisoin  saye  encore. 
Li  faire  vantard  av  tourtie,  li  dire  li  : 

—  Acoute  bien  :  mo  cause  éne  dernière  fois. 
Tout  mo  laforce  dans  mo  latête,  ène  marteau  fer 
ça  !  Quand  mo  tape  éne  coup  Ihaut  toi,  mo 
crase  toi  coment  éne  papaye  mir.  Largue  moi, 
iîio  dire  toi,  largue  moi  ! 

Tourtie  marcé,  napas  réponde  narien.  lève 
lève  lève  la  tête,  ramasse  tout  so  la  force,  tape 
cne  coup,  Bôm!  latête  côlé. 

Avla  zaute  iine  arrive  lacasc  léroi  :  tourtie  rié, 
iève  ploré. 

duand    léroi    trouve    ça    iève    là    colle    collé 


14  LE   LIÈVRE   ET   LA   TORTUE 

tortue,  malgré  sa  colère  il  est  forcé  de  rire.  La 
tortue  lui  dit  : 

—  Le  voici,  mon  roi.  Ce  n'est  pas  de  la  tortue 
que  vous  aurez  à  votre  dîner,  mais  du  lièvre. 
Cuit  au  vin,  ça  n'est  pas  mauvais. 

Le  roi  tire  son  sabre,  fait  voler  la  tête  du 
lièvre  et  l'envoie  à  la  cuisine.  Puis  il  appelle  son 
domestique  : 

—  Hé  toi  !  je  vais  au  bain.  Viens  me  frotter 
dans  l'eau.  J'ai  le  corps  sale,  oui  ! 


C'est  peut-être  le  plus  répandu  de  nos  contes  créoles,  le  plus 
incontestablement  populaire  :  nous  en  avons  recueilli  jusqu'à 
sept  versions  différentes.  C'est  là  une  preuve  de  fait,  preuve 
concluante,  que  le  conte  créole  est  une  matière  éminemment 
plastique  que  chacun  est  libre  de  reprendre  pour  la  repétrir  à 
sa  guise.  Là  où  la  propriété  littéraire  est  ignorée,  tout  sujet 
appartient  à  tous  ;  serait-il  trop  ambitieux  de  rappeler  la  litté- 
rature du  haut  moyen-âge  tout  entier? 

Pour  le  conte  qui  nous  occupe,  on  la  retrouverait  probable- 
ment dans  toutes  nos  colonies  des  Indes  occidentales,  et 
quelques-uns  de  nos  lecteurs  peuvent  en  avoir  lu  une  version 


ZISTOIRE   lÈVE   AV   TOURTIE  I^ 

iàhaut  tourtie,  quamême  li  en  colère  li  blizé  rie. 
Tourtie  dire  li  : 

—  Avlà  li  là,  mon  roi  !  Napas  tourtie  qui  vous 
pour  manze  dans  vous  diné,  mais  lève  qui  vous 
va  manzé  ;  quand  couit  li  av  divin  li  bien  bon. 

Léroi  tire  so  sabe,  li  saute  la  tête  lève,  li 
envoyé  lacousine.  Après  ça  li  appelle  so  domes- 
tique : 

—  Et  toi  !  Mo  aile  baingné.  Vine  frotte  moi 
dans  dileau  :  m^o  lécorps  sale,  oui  ! 


martiniquoise  dans  un  roman  de  Bentzon,  Yette,  paru  il  y  a 
quelques  années. 

Le  dénouement  de  notre  histoire  change  singulièrement  d'une 
de  nos  versions  à  l'autre.  Le  plus  souvent  le  lièvre  meurt  de 
maie  mort,  ici  par  le  sabre,  là  par  le  fusil  ;  mais  parfois  il 
trouve  encore  moyen  de  s'en  tirer,  et  c'est  la  tète  de  la  tortue 
qu'abat  le  sabre  du  roi. 

Nous  avons  adopté  entre  les  rédactions  qui  donnent  tort  au 
lièvre,  celle  dont  la  physionomie  nous  paraît  plus  particulière- 
ment nôtre  :  le  roi  dont  le  bain  est  la  préoccupation  incessante 
nous  semble  une  conception  éminemment  mauricienne  de  la 
royauté. 


®# 


fê@©@©®©s^fêâ^©â5®® 


II 

HISTOIRE   DES    COLOPHANES 


|L  y  avait  une  fois  un  grand  roi  qui  habi- 
tait une  belle  maison.  Son  parc  était 
_--  planté  d'arbres  de  toute  espèce;  il  avait 
beaucoup  d'argent,  il  avait  de  grands  troupeaux 
de  bêtes;  une  seule  chose  lui  manquait:  son 
bassin  étlit  sec,  il  n'y  avait  pas  une  goutte  d'eau 

dedans. 

Un  jour,  le  roi  songeait  ù  ce  qu'il  pourrait 
bien  faire  pour  avoir  de  l'eau.  Soudain,  il  appelle 
le  cheval  et  lui  dit  :  «  Tu  vas  aller  chez  grand'- 
mère  l'araignée,  tu  lui  demanderas  ce  qu'il  faut 
que  je  fasse  pour  faire  couler  l'eau.  Et  ne  fais 
qu'une  course,  oui!  j'attends!  «  Le  cheval  dit  : 
u  Bon,  mon  roi  !  »  et  il  part  au  grand  galop. 

Arrivé  chez  l'araignée  il  lui  dit  :  «  Bonjour, 
bonjour,  mère  araignée,  le  roi  vous  demande  ce 
qu'il  faut  qu'il  fasse  pour  laire  couler  l'eau.  » 


II 

ZISTOIRE    COLOPHANE 


if  \f'  ni 

-*>it'  [m 


|i  éna  éne  fois  éiie  grand  léroi  qui  ti  reste 
dans  éne  grand  grand  lacase.  So  lacour 
îé  rempli  dibois  tout  qualité.  Li  ti   énan 
bon  morceau  larzent,  li  ti  énan  éne  bande  zani- 
maux;  mais  ti  éna  nèque  éne  domaze  :  so  bassin 


té  ^Qc,  napas  ti  éna  éne  goutte  dileau. 

Ene  zour,  léroi  mazine  maziné  qui  li  a  capabe 
faire  pour  gagne  dileau.  Ene  coup  là  li  appelle 
couvai  li  dire  li  coume  çà  :  «  To  va  aile  lacase 
grandmanman  Zergnée,  to  va  dimande  li  qui  mo 
bisoin  faire  pour  flnre  dileau  coulé.  To  nèque 
pique  éne  lacourse,  oui!  mo  aspère  toi  ici.'  » 
Couvai  dire  :  «  Bon,  mo  roi  !  »  li  allé,  li  largué. 

Arrive  lacase  zergnée  li  dire  li  :  «  Bonzour, 
bonzour,  manman  zergnée;  léroi  dimande  vous 
qui  li  bisoin  faire  pour  faire  dileau  coulé?  »' 


HISTOIRE  DES   COLOPHANES 


L'araignée  se  dresse  sur  ses  pattes  ;  elle  regarde 
bien  le  cheval  et  lui  dit  :  «  Dis  au  roi  de  couper 
les  colophanes,  l'eau  coulera.  )) 

Le  cheval  repart  au  lancé.  Mais  en  chemin  son 
pied  heurte  un  chicot  de  tambalacoque.  Le  pied 
en  est  tout  blessé,  et  le  cheval  ne  peut  s'empê- 
cher d'injurier  le  tambalacoque.  Il  arrive  chez  le 

roi.  .     ,     T 

Le  roi  lui  demande  ce  qu'a  dit  l'araignee.  Le 

cheval,  qui  ne  songeait  qu'au  tambalacoque,  ré- 
pond :  «  L'araignée  vous  dit  de  couper  les  tam- 
balacoques,  et  l'eau  coulera.  « 

Le  roi  est  content.  Il  fait  couper  tous  les  tam- 
balacoqucs  de  son  habitation,  l'eau  ne  coule  pas. 
Le  roi  est  en  colère  ;  il  fait  saisir  le  cheval  et  lu. 
coupe  la  tête.  Puis  il  fait  appeler  la  vache. 

La  vache  arrive  ;  le  roi  la  renvoie  chez  l'arai- 
gnée. L'araignée  lui  répète  :  «  aue  l'on  coupe 
les  colophanes  !» 

\  son  retour,  la  vache  a  faim.  Elle  cherche  de 
rherbe  à  manger  :  point  d'herbe,  elle  est  réduite 
•\  brouter  des  feuilles  tendres  de  bois  noir.  Mais 
èe  feuillage  est  amer  à  sa  bouche.  Quand  elle 
-urlve  chez  le  roi  et  qu'il  lui  demande  ce  qu'a  dit 
r-^raianée,  comme  elle  a  la  bouche  encore  pleine 
de  bois  noir,  elle  répond  :  «  L'araignée  dit  de 
couoer  les  bois  noirs.  » 

Le  roi  est  content.  Il  fait  abattre  tous  les  bou<; 


ZISTOIRE   COLOPHANE 


19 


Zergnée  dresse  Ihaut  so  lapatte;  li  guette  guette 
couvai,  li  dire  li  :  «  Cause  léroi  coupe  colophane  : 
dileau  va  coulé.  » 

Couvai  allé,  li  galoupé.  Mais  dans  cimin  so 
lipied  cogne  éc  éne  cicot  tamanicoque.  So  lipied 
gagne  dimal  même,  li  blizé  zoure  tamanicoque  là, 
li  arrive  lacase  léroi. 

Léroi  dimande  li  qui  zergnée  fine  causé.  Couvai 
qui  ti  nèque  mazine  tamanicoque  dire  léroi  coume 
ça  :  «  Zergnée  dire  vous  coupe  tamanicoque, 
dileau  pour  coulé.  » 

Léroi  content  ;  li  coupe  tout  pieds  tamanicoque 
dans  so  bitation  :  dileau  napas  coulé.  Léroi  en 
colère;  li  fliire  pèse  couvai,  li  saute  so  latête. 
Lheire  là  li  faire  appelle  vace. 

Vace  vini,  léroi  envoyé  li  encore  lacase  grand- 
manman  zergnée.  Zergnée  dire  li  encore  :  «  Coupe 
colophane.  » 

Coment  vace  tourné,  li  gagne  faim.  Li  rôde 
l'herbe  pour  manzé;  Iherbe  napas;  11  blizé  manze 
so  feilles  banoir  tende.  Mais  feillaze  là  amer  dans 
so  labouce.  Lheire  li  arrive  lacase  léroi,  léroi 
dimande  li  qui  zergnée  fine  causé;  dans  labouce 
vace  nèque  banoir  même,  li  dire  léroi  :  «  Zergnée 
cause  coupe  banoirs.  » 

Léroi   content  ;'-  li   faiie   coupe    tout    banoirs, 


20  HISTOIRE   DES   COLOPHANES 

noirs,  l'eau  ne  coule  pas,  le  bassin  reste  sec.  Le 
roi  se  remet  en  colère;  il  fait  prendre  la  vache; 
il  la  fait  tuer. 

Compère  le  lièvre  vient  faire  son  vantard  au- 
près du  roi  et  lui  dit  :  «  Mais,  mon  roi,  pourquoi 
donner  vos  commissions  à  des  gens  bêtes  comme 
ça  !  Vous  m'avez  là,  et  vous  êtes  en  peine  de 
trouver  quelqu'un  !  —  Eh  bien  !  vas-y,  com- 
père, rt 

Le  lièvre  détale.  Il  arrive  chez  l'araignée, 
l'araignée  lui  dit  :  «  Mais  coupez  donc  les  colo- 
phanes !  » 

Tandis  que  le  lièvre  revient  chez  le  roi,  il  ren- 
contre un  chasseur.  Le  lièvre  voit  le  fusil,  houn! 
Il  s'élance  dans  un  champ  de  cannes,  il  s'enfonce 
sous  les  feuilles  tombées,  il  y  reste  trois  jours, 
(^uand  la  nuit  est  tout  à  fait  noire,  il  sort  et  ar- 
rive chez  le  roi.  Mais  il  a  beau  se  gratter  la  tête, 
il  ne  peut  plus  se  rappeler  le  mot  de  colophane, 
il  dit  au  roi  :  «  Coupez  les  badamiers.  » 

Les  badamiers  sont  par  terre,  l'eau  ne  coule 
pas.  Le  roi  coupe  la  tète  au  lièvre  et  l'envoie  à  la 
cuisine,  la  mohié  en  rôti,  l'autre  moitié  en  civet. 

Mais  le  roi  est  tout  triste  :  son  bassin  reste  sec. 
La  tortue  vient  trouver  le  roi  et  lui  demande  à 
aller  faire  sa  commission  à  l'araignée.  Malgré  son 
chagrin,  le  roi  ne  peut  s'empêcher  de  rire  :  «  Eh 
toi,  commère,  mais  quand   est-ce  que  tu  seras  de 


ZISTOIRE   COLOPHANE  21 

dileau  napas  coulé,  bassin  sec.  So  colère  léroi  lève 
encore  ;  li  faire  tchiorabo  vace,  li  faire  touj^e  li. 

Avlà  papa  iève  vine  faire  vantard  av  léroi,  li 
dire  li  :  «  Mais,  mon  roi,  qui  faire  vous  donne 
vous  commissions  doumondes  bête  coume  ça  ! 
mo  là  même  et  vous  en  peine  trouve  quiquène  ! 
—  Ah  ben,  allé,  compère.  » 

lève  largué  ;  li  arrive  lacase  zergnée,  zerguée 
dire  li  :  «  Mais  coupe  colophane,  donc  !  » 

Comment  iève  tourne  lacase  léroi,  li  zoinde 
éne  çasseir.  lève  trouve  fisil,  houn  !  li  bourre 
dans  carreau  cannes,  li  caciette  en  bas  lapaille,  li 
reste  trois  zours.  Lheire  lanouite  noir  noir  li 
sourti,  li  arrive  lacase  léroi.  Mais  li  beau  gratte 
gratte  la  tète  li  napHs  capave  souvini  son  nom 
colophane,  li  dire  léroi  :  «  Coupe  badamiers  !  » 

Badamiers  en  bas,  dileau  napas  coulé.  Léroi 
saute  latête  iève  ;  li  envoyé  li  lacousine,  la  moquié 
rôti,  larestant  couit  av  divin. 

Mais  léroi  çagrin  ;  son  bassin  sec.  Tourtie 
approce  à  côte  léroi,  li  dimande  li  pour  aile  faire 
so  commission  av  zergnée.  Quand  même  léroi 
çagrin,  li  blizé  rié  :  «  Et  toi,  commère,  mais 
quand  ça  qui  to  pour  tourné?  —  Mo  va  tourné 


22  HISTOIRE  DES   COLOPHANES 

retour?  —  Je  serai  de  retour  quand  je  serai  de 
retour,  mon  roi  ;  mais,  quand  je  serai  de  retour, 
vous  aurez  votre  réponse.  »  Le  roi  la  laisse  aller. 

La  tortue  marche,  marche  sans  se  presser,  mais 
elle  va  tout  droit  sans  jamais  s'arrêter  en  chemin. 
Elle  arrive  chez  l'araignée,  et  lui  demande  com- 
ment le  roi  aura  de  l'eau  dans  son  bassin.  L'arai- 
gnée cette  fois  se  met  en  colère  :  «  Mais,  à  la  fin, 
vous  m'ennuyez  avec  votre  bassin  !  S'il  n'j'  a  pas 
d'eau,  mettez-y  du  calou,  que  m'importe  !  »  La 
tortue  lui  parle  avec  douceur,  l'amadoue,  et 
l'araignée  lui  dit  :  «  Coupez  les  colophanes.  )> 

La  tortue  repart.  Au  bout  de  trois  mois  en- 
viron, le  roi  la  voit  venir  de  loin  ;  il  dit  à  sa 
femme  :  «  Est-ce  que  vous  aimez  la  viande  de 
tortue,  vous?  je  crois  que  nous  en  mangerons  à 
notre  dîner  »,  et  il  appelle  son  cuisinier  pour 
qu'il  n'y  ait  pas  de  temps  perdu. 

Le  cuisinier  arrive  et  la  tortue  aussi.  Le  roi  lui 
demande:  «  Eh  bien?  —  Eh  bien!  coupez  les 
colophanes,  mon  roi  ;  l'eau  viendra  dans  le  bas- 
sin. »  Le  roi  croit  que  c'est  encore  là  une  mau- 
vaise plaisanterie  ;  il  se  fâche  et  dit  à  la  tortue  : 
«  Je  vais  les  faire  couper  ;  mais  si  l'eau  ne  vient 
pas  dans  mon  bassin,  c'est  la  tortue  qui  viendra 
dans  ma  marmite  !  » 

Le   charpentier  du   roi   coupe   tous  les   colo- 


ZISTOIRE   COLOPHANE  2} 


quand  mo  va  tourné,  mon  roi  ;  mais  quand  mo 
va  tourné  vous  va  gagne  vous  [réponse.  »  Léroi 
laisse  li  allé. 

Tourtie  marcé,  marcé,  tranquille,  tranquille, 
mais  touzours  li  drète  dans  son  cimin,  zamais 
badiné.  Li  arrive  lacase  zergnée,  li  dimande  li  qui 
magnière  léroi  va  gagne  dileau  dans  so  bassin. 
Zergnée  ça  vôyaze  là  en  colère  :  «  Mais  zaute 
embête  moi  donc  av  zaute  bassin  !  quand  dileau 
napas,  mette  calou,  qui  mo  embrasse!  »  Tourtie 
cause  doucement  doucement  av  zergnée,  li  en- 
guèse  enguèse  li,  zergnée  dire  li  :  «  Coupe  colo- 
phanes. » 

Tourtie  tourné.  Si  pas  trois  mois  passé  léroi 
trouve  li  vini  dans  loin.  Li  dire  av  so  madame  : 
«  Vous  content  laviande  tourtie,  vous  ?  mo  croire 
qui  nous  pour  en  manzé  pour  dîner.  »  Léroi 
appelle  cousinier  pour  napas  perdi  létemps. 

Cousinier  vini,  tourtie  vini.  Léroi  dimande  av 
tourtie  :  «  Ah  ben?  —  Ah  ben  !  coupe  colophane, 
mon  roi  ;  dileau  pour  vine  dans  bassin.  »  Léroi 
croire  qui  ça  encore  éne  mauvais  bagout  ;  li'en 
colère,  li  dire  av  tourtie  :  «  Mo  faire  coupé,  mais 
quand  dileau  napas  vine  dans  mo  bassin,  tourtie 
qui  va  vine  dans  mo  marmite.   » 

Cerpentier  léroi  coupe   tout  colophanes.  Q.ui 


24  HISTOIRE   DES   COLOPHANES 

phanes.  Que  croyez-vous?  Partout  à  l'entour  du 
bassin  voilà  la  terre  qui  se  met  à  ruisseler.  Mi- 
racle !  le  bassin  est  plein. 

Le  roi  est  si  content  qu'il  dit  au  cuisinier  : 
«  Tue  les  dindes,  les  oies,  les  pintades,  tue  les 
pigeons!  je  donne  un  grand  dîner  pour  baptiser 
ce  bassin-là.  Et  ce  ne  sera  pas  un  baptême  de 
rat,  bien  sûr  !  >•> 

On  mange,  on  boit.  Mais  n'allez  pas  vous 
figurer  qu'on  boit  de  l'eau  du  bassin  ?  Prenez- 
vous  le  roi  pour  une  bête?  Cette  eau-là  c'est  pour 
le  bain  :  on  boit  du  vin  et  de  la  liqueur. 

Je  ne  demande  rien  qu'un  petit  verre  :  on  me 
donne  un  coup  de  pied,  je  tombe  ici. 


Ce  conte  appartient  à  ce  qu'on  pourrait  appeler  le  cycle  du  lièvro. 
Dans  une  de  nos  versions,  l'histoire  a  pour  suite  :  «  lève  av 
Tourtie  dans  bord  bassin  léroi.  »  Nous  avons  sépare  les  deux 


^5^ 


ZISTOIRE   COLOPHANE 


VOUS  croire?  Tout  partout  à  côte  bassin  avlà 
laterre  qui  plore  plore  dileau.  Miraque  !  bassin 
plein  ! 

Léroi  si  tant  content  qui  li  dire  cousinier  : 
((  Touye  dindes,  touye  lazoies,  touye  pintades, 
touye  pizons  !  mo  donne  grand  grand  dîner  à 
soir  pour  nous  baptise  bassin.  Et,  napas  éne 
baptême  lérat,  oui  !  « 

Zaute  manzé,  zaute  boire.  Mais  sipas  vous 
maziné  qui  zaute  boire  dileau  bassin?  Léroi  bête, 
li  !  dileau  là  pour  baingné  :  zaute  boire  divin  av 
laliqueir. 

Mo  dimande  nèque  éne  ptit  verre  :  zaut  flanque 
moi  éne  coupdepied,  mo  tombe  ici. 


contes,  dont  la  parenté  demeure,  mais  dont  la  filiation  ne  peut 
se  justifier. 


^^ 


C^lA  CtiA  CZlA  CtiJt,  ftiA  CtiA  (X^  <tlA  CtlA  <tiA  CtiA  C^iA  OiA 


III 

HISTOIRE  DU  LIÈVRE 

DE    l'ÉL1:PHANT    ET    DE    LA    BALEINE 


IN  jour  compère  le  lièvre  se  promenait.  Il 
arrive  au  bord  de  la  mer,  et  tandis  qu'il 
contemple  la  grande  eau,  il  voit  passer  la 
baleine.  Tout  lièvre  qu'il  est,  il  ne  peut  s'empê- 
cher de  s'étonner  de  la  trouver  si  grosse  :  «  Ma- 
man !  quel  animal  énorme  !  »  Il  crie  à  la  baleine  : 
«  Hé!  hc  vous!  approchez  un  peu  :  j'ai  deux 
mots  à  vous  dire.   » 

La  baleine  s'approche  du  bord,  le  lièvre  lui  dit  : 
—  Certes,  vous  êtes  grosse  !  Mais  ce  n'est  pas 
la  taille  qui  fait  la  force,  ce  sont  les  nerfs  qui  font 
la  force.  Je  suis  tout  petit,  n'est-ce  pas?  Eh  bien, 
voulez-vous  parier  que  je  suis  plus  fort  que  vous? 
La  baleine  le  regarde  et  se  met  à  rire.  Le  lièvre 
lui  dit  : 


III 

ZISTOIRE  lÈVE 

LÉLÉPHANT    AV    BALEINE 


INE  zour  papa  lève  ti  après  promené.  Li 
arrive  bord  lamer.  Comment  li  après 
guette  guette  ça  grand  dileau  là,  li  trouve 
Baleine  passé.  lève  même  blizé  toné  à  force  li 
gros  :  «  Manman  !  napas  appelle  éne  papa  zani- 
maux  ça  !  »  Li  crie  av  Baleine  :  «  Eh  vous  !  eh 
vous  !  approce  morceau  :  mo  énan  dé  mots  pour 
cause  av  vous.  » 

Baleine  approce  à  terre  ;  lève  dire  li  : 

—  Bien  sîr  vous  gros  ;  mais  napas  so  grosseir 
éne  doumounde  qui  faire  so  laforce,  so  lénerfs 
qui  faire  so  laforce.  Moi  qui  tout  pitit  là,  vous 
voulé  parié  qui  mo  plis  fort  qui  vous? 

Baleine  guette  li,  li  rié.  lève  dire  li  : 


28  HISTOIRE   DU   LIÈVRE 

—  Ecoutez.  Je  vais  aller  chercher  une  grosse 
corde.  Vous  en  attacherez  un  bout  à  votre  queue, 
j'attacherai  l'autre  autour  de  mes  reins.  Chacun 
tirera  de  son  côté.  Gageons  que  je  vous  mettrai  à 
sec  sur  le  rivage  ! 

—  Allez  chercher  votre  corde,  mon  petit  ;  nous 
verrons. 

Le  lièvre  quitte  la  baleine.  Il  va  dans  la  forêt 
trouver  l'éléphant  et  lui  dit  : 

—  Tête  énorme,  toute  petite  queue  !  Jamais 
les  gens  taillés  de  la  sorte  ne  sauraient  être  vrai- 
ment forts.  Je  suis  tout  petit,  mais  si  nous  luttions 
ensemble,  parions  que  j'aurais  le  dessus  et  te  for- 
cerais à  lâcher  prise? 

L'éléphant  regarde  le  lièvre  et  se  met  à  rire. 
Le  lièvre  lui  dit  : 

—  Ecoute.  Je  vais  aller  chercher  une  grosse 
corde.  Tu  en  attacheras  un  bout  autour  de  tes 
reins,  moi  l'autre  autour  des  miens.  Chacun  tirera 
de  son  côté.  Parions  que  je  t'entraînerai  comme 
un  petit  poisson  au  bout  d'une  ligne  ! 

—  Va  chercher  ta  corde,  mon  camarade  ;  nous 
verrons. 

Le  lièvre  va  chercher  une  corde  énorme.  Il  en 
donne  un  bout  à  la  baleine  et  lui  dit  :  «  Atta- 
chez bien  serré.  Quand  je  vous  crierai  me  voilà 
prêt,  tirez  !  Nous  tirerons  tous  deux  en  même 
temps.  » 


ZISTOIRE   lÈVE  29 


—  Coûté.  Mo  aile  çace  éne  gros  gros  lacorde. 
Vous  amarre  éne  boute  dans  vous  laquée,  mo 
amarre  éne  boute  dans  mo  léreins.  Çaquéne  hisse 
son  côté.  Parié  mo  amène  vous  dans  séc. 

—  Aile  çace  vous  lacorde,  mo  pitit,  nous  va 
guété. 

lève  quitte  baleine.  Li  aile  dans  bois,  li  zoinde 
l'éléphant,  li  dire  li  : 

—  Gros  gros  latête,  ptit  ptit  laquée  :  zamais 
zense  taillé  ça  raagnière  là  capav  éna  grand  la- 
force.  Mo  tout  pitit  ;  mais  quand  mo  bitte  av  toi, 
parié  mo  casse  toi,  mo  blize  toi  largué. 

L'éléphant  guette  lève,  li  rié.  lève  dire  li  : 

—  Coûté.  Mo  aile  çace  éne  gros  lacorde.  To 
amarre  éne  boute  dans  to  léreins,  mo  amarre  éne 
boute  dans  mo  léreins.  Çaquéne  hisse  son  côté. 
Parié  mo  amène  toi  cornent  ptit  posson  dans 
boute  laligne. 

—  Aile  çace  to  lacorde,  mo  camerade,  nous 
va  guete. 

lève  aile  çace  éne  manman  lacorde.  Li  donne 
éne  boute  av  baleine,  li  dire  li  :  «  Amarre  bien 
séré.  Lheire  mo  va  crie  vous  :  Avlà  mo  fine  paré, 
hissé  !  nous  dé  nous  va  hisse  ensembe.  » 


30  HISTOIRE   DU   LIEVRE 

La  baleine  attache  la  corde  autour  de  sa  queue, 
et  attend. 

Le  lièvre  porte  l'autre  bout  de  la  corde  à  l'élé- 
phant et  lui  dit  :  «  Attache  bien  serré.  Tout  à 
l'heure  je  te  crierai  que  je  suis  prêt,  alors  chacun 
de  nous  tirera  de  son  côté.  » 

L'éléphant  attache  la  corde  autour  de  ses  renis 
et  attend. 

Le  hèvre  va  se  blottir  dans  les  broussailles.  Il 
crie  soudain  :  «  J'y  suis,  tirez  !  «  La  baleine  tire 
de  son  côté,  l'éléphant  tire  du  sien.  La  corde  se 
raidit  comme  une  corde  de  boyau  sur  un  violon. 
Ils  y  mettent  tout  ce  qu'ils  ont  de  force  ;  aucun 
des  deux  ne  peut  ébranler  l'autre,  ils  tirent!  ils 
tirent!  Plack!!!  la  corde  casse.  L'éléphant  manque 
des  quatre  pieds  et  roule  ;  la  baleine  va  donner 
dans  le  corail  et  se  blesse.  Le  lièvre  arrive  à  l'élé- 
phant :  «  Aïo,  mon  camarade!  tu  as  eu  du  mal. 
peut-être!  Mais  pourquoi  aussi  vouloir  jouer  avec 
plus  fort  que  toi  !  »  L'éléphant  ne  trouve  pas  un 
mot  à  répondre.  Le  lièvre  arrive  à  la  baleine  au 
bord  de  la  mer,  il  voit  l'eau  rougie  par  le  sang 
de  la  baleine,  et  lui  crie  :  «  Je  regrette  que  vous 
soyez  blessée  ;  vous  vous  êtes  fait  du  mal,  et  j'en 
ai  du  chagrin,  mais  pourquoi  aussi  vous  enor- 
gueillir de  ce  que  vous  êtes  grosse  comme  un 
navire!  c'est  bête,  l'orgueil!  «  La  baleine  reste 
muette,  qu'aurait-elle  répondu? 


ZISTOIRE   lÈVE  31 


Baleine  amarre  Incorde  dans  so  laquée,  H 
aspéré. 

lève  amène  îaute  boute  lacorde  av  léléphant,  li 
dire  li  :  «  Amarre  séré  même.  Talheire  mo  va 
crïe  toi  mo  paré  ;  Iheire  là  çaquéne  va  hisse  son 
coté.  » 

Léléphant  amarre  lacorde  dans  so  léreins,  li 
aspéré. 

lève  aile  pelote  dans  brousses.  Li  cric  énc 
coup  :  «  Mo  paré,  hissé  !  »  Baleine  hisse  son 
côté,  léléphant  hisse  son  côté.  Lacorde  là  vine 
raide  coment  éne  lacorde  boyau  làhaut  viélon. 
Zaute  mété  même,  personne  napas  capabe  amène 
so  camerade;  hissé,  hissé,  hissé.  Plack!!!  Lacorde 
péte  éne  coup  !  Léléphant  manque  so  quate  lipieds, 
li  roulé;  Baleine  pique  dans  corail,  li  blessé,  lève 
arrive  av  léléphant  :  «  Aio,  mo  camerade  !  qui- 
quefois  to  fine  gagne  dimal  !  Mais  qui  faire  oussi 
to  saye  zoué  av  doumounde  qui  plis  fort  qui  toi  !  )> 
Léléphant  reste  séc,  qui  li  a  dire?  lève  arrive  av 
baleine  dans  bord  lamer,  li  trouve  dileau  rouze 
av  disang,  li  crie  baleine  :  «  Domaze  vous  fine 
blessé,  mo  çagrin  qui  vous  fine  gagne  dimal  ; 
mais  qui  faire  oussi  vous  vantard  à  cause  vous 
gros  gros  coment  éne  navire  !  vantard  napas 
bon!   ;)  Baleine  gagî',  qui  li  capabe  réponde!   ^i.- 


32 


HISTOIRE   DU   LIÈVRE 


C'est  ainsi  que  l'éléphant  et  la  baleine  furent 
^obligés  de  croire  que  le  lièvre  est  plus  fort 
qu'eux. 


C'est  une  des  fables  où  triomphe  le  lièvre,  le  lièvre-renard 


ZISTOIRE   lÈVE  33 


Ça  magnière  là  qui  Léléphant  av  Baleine  blizc 
croire  qui  lève  plis  fort  qui  zaute. 


tel  que  notre  prcfacc  l'a  présenté   au  lecteur.   Sa   ruse,   ici   du 
moins,  reste  plus  spirituelle  que  méchante. 


IV 
HISTOIRE 

DE    PETIT-JEAN    QUEUE-DE-BŒUF 


L  y  avait  une  fois  un  petit  garçon  qui  se 
nommait  Petit- Jean. 

Un  jour  qu'il  était  allé  jouer,  il  trouva 
en  jouant  une  sauterelle.  Il  dit  à  son  père  : 

—  Papa,  papa,  voyez  cette  sauterelle  que  j'ai 
trouvée  pendant  que  je  jouais. 

Son  père  prend  la  sauterelle  et  lui  donne  une 
flèche. 

Petit-Jean  s'en  va.  Il  rencontre  sa  mère  et  lui 
dit: 

—  Maman,  maman!  regarde  la  flèche  que  j'ai 
eue  avec  papa,  papa  qui  a  pris  ma  sauterelle,  une 
sauterelle  que  j'ai  trouvée  pendant  que  je  jouais. 


f^^®  ®ig)®®  ®  ®  ®  ®® 


IV 
ZISTOIRE 

PTIT    ZEAN     LAQ.UÉE    BEIF 


!i  éna  éne  fois  éne  ptit  garçon  qui  té  apelle 
Ml^  ptit  Zean. 

Ene  zour,  cornent  li  aile  badiné,  dans 
so  badinaze  li  gagne  éne  sauterelle.  Li  dire  so 
papa  : 

—  Papa,  papa,  guette  éne  sauterelle  qui  mo 
fine  gagné  dans  mo  badinaze. 

So  papa  prend  sauterelle,  donne  li  éne  flèce. 

Ptit  Zean  allé  ;  li  zoinde  so  manman,  li  dire 
li: 

—  Manman,  manman,  guette  flèce  mo  fine 
gagne  av  papa,  papa  qui  fine  prend  mo  saute- 
relle, sauterelle  mo  fine  gagne  dans  mo  badi- 
naze. 


36     HISTOIRE   DE   PETIT-JEAN  Q.UEUE-DE-BŒUF 


Sa  mère  prend  la  flèche  et  lui  donne  un  coco. 

Petit-Jean  s'en  va.  Il  arrive  au  bord  de  la  rivière 
et  rencontre  une  négresse  qui  buvait  dans  le 
creux  de  sa  main.  Il  lui  dit  : 

—  Négresse,  négresse  !  Que  tu  es  bête  de  boire 
dans  ta  main  !  Voilà  un  coco;  casse-le  et  mange. 
Tu  auras  la  noix  pour  puiser  de  l'eau. 

La  négresse  prend  le  coco,  le  casse  et  le  mange. 
Petit-Jean  se  met  à  pleurer  et  dit  à  la  négresse  : 

—  Négresse,  négresse  !  je  ne  sais  pas  ça  ! 
Rends-moi  mon  coco,  le  coco  que  j'ai  eu  avec 
maman,  maman  qui  a  pris  ma  flèche,  la  flèche 
que  j'ai  eue  avec  papa,  papa  qui  a  pris  ma  saute- 
relle, une  sauterelle  que  j'ai  trouvée  pendant  que 
je  jouais. 

La  négresse  lui  donne  une  poignée  de  lentilles. 

Petit-Jean  s'en  va.  Il  arrive  sur  le  grand  che- 
min, il  rencontre  un  pigeon  qui  mangeiiit  de 
petites  roches  par  terre,  il  lui  dit  : 

—  Pigeon,  pigeon  !  que  tu  es  bcîe  de  manger 
de  petites  roches  sur  le  grand  chemin  !  Voilà  des 
lentilles,  mange. 

Il  sème  les  lentilles  devant  le  pigeon,  le  pigeou 
mange.  Petit-Jean  se  met  à  pleurer  et  dit  au 
pigeon  : 

—  Pigeon!  pigeon!  je  ne  sais  pas  ça!  Rends- 
moi  mes  lentilles,  les  ientilles  que  j'ai  eues  av'ic 
la  négresse,  la  négresse  qui  a  pris   mon  coco,  le 


ZISTOIRE   PTIT   ZEAN   LAQUEE   BEIF  37 


So  manman  prend  flèce,  li  donne  li  éne  coco. 

Ptit  Zean  allé;  li  arrive  bord  larivière,  li  zoinde 
éne  ningresse  qui  après  boire  dileau  dans  lamain, 
li  dire  li  : 

—  Ningresse,  ningresse,  cornent  to  bête  boire 
dileau  dans  lamain  !  Alà  éne  coco;  cassé,  manzé  : 
10  va  gagne  so  lacoque  pour  prend  dileau. 

Ningresse  prend  coco,  cassé,  manzé.  Ptit  Zean 
comence  ploré,  li  dire  ningresse  : 

—  Ningresse,  ningresse,  mo  napas  cône  ça! 
Rende  mo  coco,  coco  mo  fine  gagne  av  manman, 
manman  qui  fine  prend  mo  flèce,  flèce  mo  fine 
gagne  av  papa,  papa  qui  fine  prend  sauterelle, 
sauterelle  mo  fine  gagne  dans  mo  badinaze. 

Ningresse  donne  li  éne  pognée  lentii. 

Ptit  Zean  allé;  li  arrive  grand  cimin,  li  zoinde 
éne  pizon  qui  après  manze  ptit  roces  là  haut  la- 
terre,  Ji  dire  li  : 

—  Pizon,  pizon,  coment  to  bête  manze  ptits 
roces  dans  grand  cimin!  Avlà  lentii,  ramassé, 
manzé. 

Li  fane  lentii  divant  pizon,  pizon  manzé.  Ptit 
Zean  comence  ploré,  li  dire  pizon  : 

—  Pizon,  pizon,  mo  napas  cône  çà!  Rende 
mo  lentii,  lentii  mo  fine  gagne  av  ningresse, 
ningresse  qui  fine  prend  mo  coco,  coco  mo   fine 


38     HISTOIRE   DE   PETIT-JEAN  QUEUE-DE-BŒUF 


COCO  que  j  ai  eu  avec  maman,  maman  qui  a  pris 
ma  flèche,  la  flèche  que  j'ai  eue  avec  papa,  papa 
qui  a  pris  ma  sauterelle,  une  sauterelle  que  j'ai 
trouvée  pendant  que  je  jouais. 

Le  pigeon  lui  donne  une  plume. 

Petit-Jean  s'en  va.  Il  arrive  près  de  l'école  et 
rencontre  un  écolier  en  train  d'écrire  sur  son  pa- 
pier avec  un  petit  morceau  de  bois  ;  il  lui  dit  : 

—  Écolier,  écolier  !  comme  tu  es  bête  d'écrire 
sur  ton  papier  avec  un  petit  morceau  de  bois  ! 
Voilà  une  plume,  taille-la,  fais  ton  devoir. 

L'écolier  prend  la  plume,  la  taille  et  fait  son 
devoir.  Petit-Jean  se  met  à  pleurer  et  dit  à  l'éco- 
lier : 

—  Écolier,  écolier  !  je  ne  sais  pas  ça  !  Rends- 
moi  ma  plume,  la  plume  que  j'ai  eue  avec|  le  pi- 
geon, le  pigeon  qui  a  pris'  mes  lentilles,  les  len- 
tilles que  j'ai  eues  avec  la  négresse,  la  négresse 
qui  a  pris  mon  coco,  le  coco  que  j'ai  eu  avec 
maman,  maman  qui  a  pris  ma  flèche,  la  flèche 
que  j'ai  eue  avec  papa,  papa  qui  a  pris  ma  saute- 
relle, une  sauterelle  que  j'ai  trouvée  pendant  que 
je  jouais. 

L'écolier  lui  donne  un  vieux  cahier. 

Petit-Jean  s'en  va.  11  arrive  devant  une  forge  et 
voit  le  forgeron  qui  allumait  son  feu  avec  de  la 
paille  mouillée  ;  il  lui  dit  : 

—  Forgeron,   forgeron  !   comme    tu    es    bête 


ZISTOIRE   PTIT   ZEAN    LAQ.UÉE   BEIF  59 

gagne  av  manman,  manman  qui  fine  prend  mo 
flèce,  flèce  mo  fine  gagne  av  papa,  papa  qui  fine 
prend  mo  sauterelle,  sauterelle  mo  fine  gagne 
dans  mo  badinaze. 

Pizon  donne  li  éne  plime. 

Ptit  Zean  allé;  li  arrive  a  cote'  lécole,  li  zoinde 
éne  zécolier  qui  après  écrire  dans  papier  av  éne 
ptit  morceau  dibois,  li  dire  li  : 

—  Zécolier,  zécolier,  coment  to  bête  écrire 
dans  papier  sembe  éne  ptit  morceau  dibois  !  Avlà 
éne  plime,  taille  li,  faire  to  louvraze. 

Zécolier  prend  plime,  taille  li,  faire  so  lou- 
vraze. Ptit  Zean  comence  ploré,  li  dire  zécolier  : 

—  Zécolier,  zécolier,  mo  napas  cône  ça  ! 
Rende  mo  plime,  plime  mo  fine  gagne  av  pizon, 
pizon  qui  fine  prend  mo  lentii,  lentii  mo  fine 
gagne  av  ningresse,  ningresse  qui  fine  prend  mo 
coco,  coco  mo  fine  gagne  av  manman,  manman  qui 
fine  prend  mo  flèce,  flèce  mo  fine  gagne  av  papa, 
papa  qui  fine  prend  mo  sauterelle,  sauterelle  mo 
fine  gagne  dans  mo  badinaze. 

Zécolier  donne  li  éne  vie  cahier. 

Ptit  Zean  allé;  li  arrive  divant  éne  laforze,  U 
trouve  forzeron  qui  après  allime  so  difé  av  lapaille 
mouillé,  li  dire  li  : 

—  Forzeron,  forzeron,  cornent  to  bête  allime 


40      HISTOIRE    DE   PETIT-JEAN  dUEUE-DE-BŒUl' 

d'allumer  ton  feu    avec  de   la   paille   mouillée  ! 
Voilà  du  papier  sec,  prends-le,  allume  ton  feu. 

Le  forgeron  prend  le  papier  et  allume  son  feu. 
Petit-Jean  se  met  à  pleurer  et  dit  au  forgeron  : 

—  Forgeron,  forgeron!  je  ne  sais  pas  ça! 
Rends-moi  mon  papier,  le  papier  que  j'ai  eu  avec 
l'écolier,  l'écolier  qui  a  pris  ma  plume,  la  plume 
que  j'ai  eue  avec  le  pigeon,  le  pigeon  qui  a  pris 
mes  lentilles,  les  lentilles  que  j'ai  eues  avec  la 
négresse,  la  négresse  qui  a  pris  mon  coco,  le 
coco  que  j'ai  eu  avec  maman,  maman  qui  a  pris 
ma  flèche,  la  flèche  que  j'ai  eue  avec  papa,  papa 
qui  a  pris  ma  sauterelle,  une  sauterelle  que  j'ai 
trouvée  pendant  que  je  jouais. 

Le  forgeron  lui  donne  une  queue  de  bœuf. 

Petit-Jean  s'en  va.  Il  arrive  au  bord  de  la  mer; 
il  enterre  la  queue  de  bœuf  dans  le  sable  et  en 
laisse  un  petit  bout  dehors.  Il  court  à  la  maison 
du  roi,  se  met  à  pleurer  et  lui  dit  : 

—  Mon  roi,  mon  roi,  donne-moi  cinquante 
hommes  pour  que  j'aille  retirer  mon  bœuf  qui 
s'est  enterré  dans  le  sable,  mais  qui  a  encore  le 
bout  de  la  queue  dehors. 

Le  roi  lui  donne  les  cinquante  hommes.  Ils 
arrivent  au  bord  de  la  mer  et  tirent  sur  la  queue 
de  bœuf,  la  queue  de  bœuf  sort. 

Petit- Jean  retourne  chez  le  roi,  il  se  met  à 
pleurer  et  dit: 


ZISTOIRE   PTIT    ZEAN    LAQUÉE    BEIF  4I 


to   difé    av  lapaille    mouillé  !   Avlà    papier    sec, 
prend  li,  allime  to  difé. 

J^orzeron  prend  papier,  allime  so  difé.  Ptit 
Zean  comence  ploré,  li  dire  forzeron  : 

—  Forzeron,  forzeron,  mo  napas  cône  ça. 
Rende  mo  papier,  papier  mo  fine  gagne  av  zéco- 
lier,  zécolier  qui  fine  prend  mo  plime,  plime  mo 
fine  gagne  av  pizon,  pizou  qui  fine  prend  mo 
lentii,  lentii  mo  fine  gagne  av  ningresse,  nin- 
gresse  qui  fine  prend  mon  coco,  coco  mo  fine 
gagne  av  manman,  manman  qui  fine  prend  mo 
flèce,  flèce  mo  fine  gagne  av  papa,  papa  qui  fine 
prend  mo  sauterelle,  sauterelle  mo  fine  gagne 
dans  mo  badinaze. 

Forzeron  donne  li  éne  laquée  beif. 

Ptit  Zean  allé;  li  arrive  bord  lamer.  Li  entére 
laquée  beif  dans  lasabe,  li  quitte  éne  ptit  boute 
dohors.  Li  couri  lacase  léroi,  li  cômence  ploré,  li 
dire  léroi  : 

—  Léroi,  léroi,  donne  moi  cinquante  dou- 
moundes  pour  mo  aile  tire  mo  beif  qui  fine  en- 
terre dans  lasabe  so  boute  laquée  dohors. 

Léroi  donne  li  cinquante  doumoundes.  Zaute 
arrive  bord  lamer,  zaute  hisse  laquée  beif,  laquée 
beif  sourti. 

Ptit  Zean  tourne  lacase  léroi,  li  comence  ploré, 
li  dire  léroi  : 


42     HISTOIRE   DE  PETIT-JEAN  aUEUE-DE-BŒUF 

—  Mon  roi,  mon  roi  !  ces"  gens-là  ont  cassé  la 
queue  de  mon  bœuf;  mon  bœuf  est  allé  au  fin 
fond  du  sable,  mon  bœuf  est  perdu  ! 

Ce  roi-là  avait  bon  cœur  :  il  fait  présent  d'une 
vache  à  Petit-Jean. 

Ce  jour-là,  ce  fut  la  dernière  fois  qu'au  pays 
de  Maurice  je  vis  une  sauterelle  se  changer  en 
vache. 


Notre  portefeuille  contient  quatre  contes  coulés  dans  ce 
moule,  et  deux  ou  trois  versions  de  chacun  d'eux.  Nous  savons 
de  plus  qu'il  existe  plusieurs  autres  histoires  de  la  même  facture. 
C'est  donc  une  forme  dont  nous  devons  tenir  compte.  Lindor 
n'a  cependant  pas  inventé  le  procédé  ;  les  scies  d'atelier  sont 
plus  vieilles  encore  que  lui  : 

Quand  les  poules  vont  aux  champs, 
La  première  va  par  devant, 
La  seconde  suit  la  première, 


ZISTOIRE   PTIT   ZEAN   LAaUÉE   BEIF  43 

—  Léroi,  léroi,  zense  là  fine  casse  laquée  mo 
beif,  1110  beif  fine  aile  dans  fond  lasabe,  mo  beif 
perdi. 

Léroi  là  té  gagne  bon  keir  :  li  faire  ptit  Zean 
cadeau  éne  vace. 

Ça  zour-là,  dernier  fois  qui  dans  paye  Maurice 
mo  fine  voir  éne  sauterelle  qui  fine  vine  éne 
vace! 


et  tout  le  poulailler  défile  ;  plus  il  est  nombreux,   plus   la  chose 
est  spirituelle. 

Nous  avons  choisi  pour  spécimen  du  groupe  :  «  Ptit  Zean 
laquée  beif,  »  dont  le  dénoûment  du  moins  a  quelque  origina- 
lité, bien  que  ce  dénoûment  lui-même  soit  non  une  invention, 
mais  une  adaptation  du  conteur  noir. 


V 
HISTOIRE  DU  BONHOMME  ERANCŒUR 


|L  y  avait  un  bonhomme  qui   s'appelait   le 
bonhomme  Francœur. 

Le  bonhomme  Francœur  avait  une 
vache,  mais  une  vache  si  maigre,  si  maigre, 
qu'un  jour  elle  en  mourut.  Francœur  l'écorche, 
tiré  sa  peau  et  la  met  à  sécher. 

Quand  la  peau  est  sèche,  le  bonhomme  la 
prend,  la  met  sur  sa  tête  et  va  la  vendre.  Fran- 
cœur entre  dans  toutes  les  maisons,  dans  toutes 
les  boutiques,  mais  personne  ne  veut  acheter  sa 
peau. 

Le  bonliomme  Francœur,  en  marchant  tou- 
jours, arrive  dans  une  forêt.  Il  est  las,  il  s'assied 
au  pied  d'un  arbre. 

Au  milieu  de  son  repos,  il  entend  placata  !  pla- 
cata  !  C'était  une  bande  de  quarante  voleurs  qui 


^1^'^.^feâ^ 


V 
ZISTOIRE  BONHOMME  FLANQUÈRE 


'^î=î--=^  I  éna  éne  bonhomme  appelé  bonhomme 

.^rèi31  Bonhomme  Flanquère  ti  éna  éne  vace. 
A  force  vace  là  maigue,  éne  zour  vace  là  mort. 
Bonhomme  Flanquère  corce  li,  tire  so  lapeaii, 
méte  sec. 

Lhére  lapeau  fine  sec,  bonhomme  prend  lapeau 
là,  méte  li  làhaut  so  latéte,  aile  vende  11.  Bon- 
homme rente  lacase  doumounde,  rente  tous  la- 
boutiques  ;  personne  napas  voulé  acéte  lapeau  là. 

Cornent  bonhomme  Flanquère  marcé,  marcé, 
li  arrive  dans  grandbois.  Lazambe  lassé  à  force 
pile  cimin,  li  assise  embas  éne  pied  zarbe. 

Dans  son  posé  là,  avlà  li  tende  placata,  pla- 
cata;  té  éne  bande  quarante  voleirs  qui   té   vine 


46  HISTOIRE   DU   BONHOMME   FRANCŒUR 

arrivaient  à  cheval.  Le  bonhomme  a  peur  qu'ils 
ne  l'aperçoivent,  et  monte  dans  l'arbre  avec  sa 
peau  de  vache. 

Les  voleurs  arrivent,  arrêtent  leurs  chevaux  et 
s'asseoient  au  pied  de  l'arbre  môme  où  Francœur 
est  monté. 

Ils  tirent  tous  de  leur  poche  l'argent  qu'ils  oni 
volé,  et  le  mettent  en  tas  pour  faire  le  par- 
tage. 

Quand  le  bonhomme  voit  ce  monceau  d'or  et 
d'argent,  il  en  a  des  éblouissements.  Ses  mains 
tremblent,  la  peau  de  vache  s'échappe.  La  peau 
était  sèche  :  badabam,  bam!  la  peau  tombe  au 
milieu  des  voleurs.  Les  voleurs  ne  savent  pas  ce 
que  c'est;  ils  lâchent  l'argent,  sautent  sur  leurs 
chevaux  et  piquent  des  deux.  Francœur  descend, 
fait  main  basse  sur  l'argent  et  l'emporte  chez  lui. 

Francœur  achète  une  belle  voiture  et  deux 
chevaux.  Il  va  'au  bazar,  achète  un  sou  de  lé- 
gumes et  donne  un  louis.  Le  marchand  lui  donne 
le  reste  de  sa  pièce,  il  refuse  de  le  prendre. 

Le  domestique  du  roi,  qui  a  vu  la  chose,  re- 
tourne chez  son  maître  et  lui  dit  : 

—  Je  viens  de  rencontrer  le  bonhomme  Fran- 
cœur au  bazar  ;  il  a  acheté  pour  un  sou  de  lé- 
gumes et  a  donné  un  louis.  Quand  le  marchand 
lui  a  rendu^sa  monnaie,  il  n'a  pas  voulu  la  re- 
prendre. 


ZISTOIRE   BONHOMME   FLANQ.UERE  47 

làhaut  couvais.  Bonhomme  peir  zaute  trouve  li  : 
li  monte  dans  pied  zarbe  av  so  lapeau  vace. 

Voleirs  vini,  arrête  couvais,  assise  ziste  cnbas 
pied  à  cote  bonhomme  Flanquère  té  monté. 

Zaute  tous  tire  dans  poce  larzent  zaute  fine 
volor  ;  zaute  méte  en  tas  pour  faire  lapartaze. 

Cornent  bonhomme  Flanquère  trouve  ça  bande 
larzent  là,  son  lizié  manimani.  So  lamain  trem- 
blé, li  largue  lapeau  vace.  Lapeau  sec  :  badabam, 
bam  !  lapeau  tombe  dans  milié  voleirs.  Voleirs 
napas  coné  qui  çiça  ;  zaute  largue  larzent,  saute 
lahaut  couvai,  piqué.  Flanquère  dicendé,  pèse 
larzent,  amène  dans  so  lacase. 

Flanquère  acéte  éne  belbel  calèce  av  dé  cou- 
vais. Li  aile  bazar,  li  acéte  éne  cace  léguimes,  li 
donne  cinque  piasses.  Lhére  rende  li  lamonaie,  li 
napas  oulé  prend. 

Domestique  léroi  trouve  ça,  li  tourne  lacase  so 
maite,  li  dire  léroi  : 

—  Mo  trouve  bonhomme  Flanquère  bazar;  li 
acéte  éne  cace  léguimes,  li  donne  cinque  piasses  ; 
coment  marçand  rende  li  so  restant  lamonaie,  li 
napas  vlé  prend. 


40  HISTOIRE   DU   BONHOMME   FRANCŒUR 

Le  roi  est  étonné. 

—  Allez  me  chercher  le  bonhomme  Francœur; 
amenez-le-moi. 

Francœur  vient,  le  roi  lui  demande  : 

—  Mais  où  donc  as-tu  trouvé  toiit  cet  argent- 
là? 

Francœur  lui  dit  : 

—  J'avais  une  vache,  ma  vache  est  morte.  Je 
l'ai  écorchée  et  j'ai  mis  sa  peau  à  sécher.  Quand 
la  peau  a  été  bien  sèche,  je  l'ai  vendue.  Voilà 
comme  j'ai  eu  beaucoup  d'argent. 

Voilà  le  roi  jaloux.  Il  se  dit  :  «  Mais  moi  qui 
ai  d'immenses  troupeaux  de  bœufs,  si  je  les  fais 
tuer  pour  vendre  les  peaux,  j'aurai  certainement 
plus  d'argent  que  Francœur.  » 

Le  roi  fait  tuer  tous  ses  bœufs,  on  les 
ccorche,  on  met  les  peaux  à  sécher.  Puis  il  fait 
charger  les  peaux  sur  une  charrette  et  les  en- 
voie vendre.  Personne  n'en  veut.  La  charrette 
roule,  roule  tant  et  tant  que  les  peaux  pour- 
rissent et  qu'on  est  oWigé  de  les  jeter  tant  elles 
puenl. 

Le  roi  en  colère  court  chez  Francœur,  Lorsque 
F'rancœur  voit  de  loin  le  roi  qui  arrive,  il  met 
vite  une  marmite  de  soupe  sur  un  grand  feu. 
Quand  la  marmite  bout  bien  fort,  il  la  tire  du 
feu  et  la  pose   au  milieu  du   gniud   chemin.  La 


ZISTOIRE   BONHOMME  FLANQ.UERE  49 

Léroi  tonné  : 

—  Aile  çace  moi  bonhomme  Flanquère,  amène 
li  ici. 

Lhére  Flanquère  fine  vini,  léroi  dimande  li 
comme  ça  : 

—  Mais,  acote  to  fine  gagne  tout  ça  larzent  là, 
donc  ? 

Flanquère  dire  li  : 

—  Mo  té  gagne  éne  vace  ;  vace  là  fine  mort  ; 
mo  corce  li,  mo  méte  so  lapeau  sec;  lhére  lapeau 
là  bien  sec,  mo  vende  li  :  ça  même  mo  fine  gagne 
bonbon  morceau  larzent. 

Léroi  blizé  bavé.  Li  maziné  :  «  Mais  moi  qui 
gagne  grandgrand  troupeau  beifs,  quand  mo 
touye  zaute  pour  vende  zaute  lapeau,  mo  va  gagne 
plis  boucoup  larzent  qui  Flanquère.  » 

Léroi  faire  touye  tout  so  beifs,  li  faire  tire  tout 
lapeau,  li  mette  lapeau  sec,  li  çarze  lapeau  sec 
lahaut  çarette,  li  envoyé  vende.  Personne  napas 
voulé  aceté.  Çarette  roulé,  çarette  roulé,  lapeau 
pourri,  blizé  zété  à  force  li  pie. 

Léroi  en  colère,  couri  lacase  Flanquère. 

Cornent  Flanquère  trouve  léroi  vini  dans  loin- 
loin,  li  mette  vitement  éne  marmite  lasoupe  la- 
haut grand  difé.  Lhére  marmite  bien  bouï,  li  tire 
li  lahaut  difé,  li  mette  li  dans  miliè  grand  cimin. 


50  HISTOIRE   DU    BONHOMME   FRANCŒUR 

marmite  bout.  Francœur  saisit  son   fouet  et  as- 
somme la  marmite.  La  marmite  bout. 

Le  roi  arrive.  Il  regarde  et  dit  à  Francœur  : 

—  Mais,  que  fais-tu  donc  là  ? 

—  Mon  roi,  je  fais  bouillir  ma  soupe. 

—  C'est  là  ta  manière  de  ûiire  bouillir  la 
soupe  ? 

—  Mais  oui,  mon  roi.  Pourquoi  faire  du  bois? 
Voyez  vous-même,  de  vos  yeux,  si  l'eau  ne  saute 
pas  dans  la  marmite? 

Dès  que  le  roi  est  de  retour  chez  lui,  il  appelle 
son  cuisinier. 

—  Apporte  ta  marmite  ;  mets  dedans  tout  ce 
qu'il  faut  pour  la  soupe. 

Le  cuisinier  revient. 

—  Maintenant,  pose  la  marmite  au  milieu  du 
chemin  ;  prends  ton  fouet,  assomme  la  marmite, 
et  la  soupe  bouillira. 

Le  cuisinier  assomme  la  marmite  ;  la  marmite 
ne  bout  pas. 

—  Mais  plus  fort  donc  !  Tape  plus  dur  !  As  - 
somme-la  ! 

Le  cuisinier  se  dresse  de  toute  sa  hauteur  ;  le 
fouet  ronfle,  la  marmite  culbute  et  toute  la  soupe 
froide  avec. 

Le  roi  est  furieux.  Il  envoie  quatre  gardes  de 
la    police   empoigner   Francœur.    Les  gardes  le 


ZISTOIRE   BONHOMME   FLANCIUÈRE  5  I 


Marmite  bouï.  Flanquère  pèse  so  fouète,  assomme 
marmite.  Marmite  bouï. 

Léroi  vini,  li  guété,  li  guétc;  H  dire  Flan- 
quère : 

—  Mais  qui  to  après  faire  là,  donc  ? 
Flanquère  dire  li  : 

—  Mo  roi,  mo  après  bouï  mo  lasoupe. 

—  Ça  même  to  magnière  bouï  to  lasoupe  ? 

—  Ça  même,  mo  roi  !  Guéte  dans  vous  liziés 
sipas  dileau  là  napas  saute  sauté  dans  marmite  ? 

Lhére  léroi  fine  tourne  dans  so  lacase,  li  appelé 
so  cousinier  : 

—  Amène  marmite  et  mette  làdans  tout 
quiqçose  qui  bisoin  pour  lasoupe. 

Cousinier  vini. 

—  Açthère,  pose  marmite  dans  milic  cimin, 
pèse  fouéte,  assomme  marmite  :  la  soupe  va 
bouï . 

Cousinier  assomme  marmite  ;  marmite  napas 
bouï. 

—  Mais  plis  fort,  donc  !  Ronflé  !  ronflé  même  ! 
Cousinier  levé,  fouéie  ronflé,  marmite  çaviré  : 

tout  lasoupe  dans  laterre. 

Léroi  en  colère.  Li  envÔ3^e  quate  gardes  police 
tchiombô    Flanquère.   Gardes    pèse    Flanquère, 


52  HISTOIRE   DU   BONHOMME  FRANCŒUR 


prennent,   le  fourrent  dans   un  sac  de   goni   et 
l'emportent. 

Le  sac  était  un  peu  bien  lourd.  En  passant  de- 
vant une  boutique  les  gardes  se  sentent  fatigués. 
Tous  ces  porte-bâton  de  la  reine  sont  mous 
comme  tripes,  c'est  connu.  Soudain  le  plus  veule 
des  quatre  dit  à  ses  camarades  : 

—  Eh  vous  !  il  faut  boire  un  coup  :  ce  sac-là 
est  d'un  lourd  ! 

Ils  posent  le  sac  au  bord  du  chemin  et  entrent 
à  la  boutique. 

Le  bonhomme  Francœur,  dans  son  sac,  écoute, 
écoute.  Il  entend  venir  quelqu'un  :  c'était  un  ber- 
ger qui  conduisait  trois  cents  moutons.  Quiand  le 
berger  est  proche,  Francœur,  dans  son  sac,  com- 
mence à  se  lamenter. 

—  Ah!  mon  Dieu!  que  vais-je  faire?  Qui 
viendra  à  mon  secours?  Le  roi  veut  que  j'épouse 
sa  fille  ;  il  m'a  fait  arrêter  et  mettre  dans  ce  sac. 
Mais  je  suis  vieux  et  la  princesse  est  jeune.  C'est 
quand  l'eau  bout  qu'on  y  met  les  brèdes,  et  il  y  a 
beau  temps  que  mon  eau  n'est  plus  chaude  !  Q.ui 
me  viendra  en  aide  ?  Qui  prendra  ma  place  ? 

Le  berger  l'entend,  il  lui  dit  : 

—  Eh  vous,  bonhomme  !  Si  vous  voulez,  je 
prendrai  votre  place. 

—  Grand  merci,  mon  noir!  le  bon  Dieu  vous 
bénira  !  Dénouez  le  sac. 


ZISTOIRE   BONHOMME   FLANaUERE  53 


bourre  li  dans  éne  sac  gouni,  enméné. 

Sac  là  té  lourde,  oui!  Cornent  zaute  passe 
divant  éne  laboutique,  gardes  lassé.  Zense  lapolice 
là,  zense  latripe,  mo  dire  vous  !  Ene  coup  là  ça 
qui  plis  faye  cien  dire  av  camerades  :  «  Hé  zautes  ! 
anons  casse  éne  coup  :  sac  là  li  lourde,  oui  !  » 
Zaute  pose  sac  dans  bord  cimin,  zaute  rente  la- 
boutique ;  çaquéne  pour  paye  so  tournée. 

Bonhomme'  Flanquère  dans  sac  coûté,  coûté. 
Avlà  li  tende  doumoune  vini  :  té  éne  gardien 
moutons  sembe  trois  cents  moutons.  Cornent 
gardien  là  fine  arrive  proce,  Flanquère  commence 
plaigne  dans  sac  :  «  Ah  !  Bondié  !  qui  mo  va 
faire?  qui  va  soulaze  moi?  Léroi  voulé  mo  marié 
so  fille,  tchiombô  moi,  mette  moi  dans  ça  sac  là. 
Mais  moi  éne  vie  doumounde,  so  fille  léroi  zène 
zène.  Quand  dileau  bouï  qui  mette  brèdes;  long- 
temps mo  dileau  fine  frais  !  Qui  va  soulaze  moi  ? 
Qui  va  prend  mo  place  !  » 

Gardien  moutons  tende  ça,  li  dire  Flanquère  : 

—  Eh  vous,  bonhomme,  quand  vous  content 
mo  va  prend  vous  place. 

—  Grand  merci,  monoir!  Bondié  va  soulaze 
vous.  Largue  sac. 


5  4  HISTOIRE    DU    BONHOMME   FRANCŒUR 

Le  sac  est  ouvert,  Francœur  son.  Il  met  le 
berger  à  sa  place,  il  attache  le  sac,  fait  de  bons 
nœuds,  prend  le  troupeau  de  moutons,  et  s'en  va. 

Les  gardes  sortent  de  la  boutique  et  reprennent 
ïe  sac. 

—  Eh  vous  !  Vraiment,  on  dirait  que  ce  sac 
est  moins  lourd. 

—  C'est  notre  coup  de  sqc  qui  nous  a  donné 
plus  de  force! 

Ils  arrivent  à  la  maison  du  roi,  et  le  roi  dit  : 

—  Attachez  une  grosse  pierre  à  ce  sac  et  jetez- 
le  dans  le  bassin. 

Deux  ou  trois  jours  s'écoulent.  Voilà  Fran- 
cœur qui  passe  devant  le  palais  du  roi  avec  ses 
trois  cents  moutons.  Le  domestique  du  roi 
l'aperçoit  ;  il  court,  et  dit  au  roi  : 

—  Mon  roi,  mon  roi!  voilà  le  bonhomme 
Francœur  qui  passe  !  Regardez-le  avec  son  trou- 
peau de  moutons! 

Le  roi  fait  arrêter  Francœur  ;  il  lui  demande  où 
il  a  eu  tant  de  moutons. 

—  Dans  le  bassin,  mon  roi.  Grand  merci  à 
vous  de  m'avoir  Hiit  jeter  dedans.  Quand  j'aurai 
vendu  les  trois  cents  que  voici,  je  retournerai  en 
chercher  d'autres. 

Le  roi  dit  : 

—  Tout  de  bon  !  Eh  bien,  mettez-moi  dans 
un  sac,  jetez-moi  dans  le  bassin  ! 


ZISTOIRE  BONHOMME   FLANQ.UÈRE  35 

Sac  largué,  Flanquère  sourti.  Li  mette  gardien 
moutons  dans  so  place,  li  amarre  sac,  li  prend 
troupeau  moutons,  li  allé. 

Avlà  gardes  police  sourti  laboutique,  zaute  lève 
suc. 

—  Et  vous  !  coment  dire  sac  là  moins  lourde, 
oui  ! 

—  Name  cannes  av  nous,  ça  même  qui  donne 
nous  lafôrce. 

Lhére  zaute  fine  arrive  lacasc  léroi,  léroi  dire  : 

—  Amarre  éne  gros  roce  av  ça  sac  là,  zette 
dans  bassin. 

Sipas  dé  trois  zours  passé.  Avlà  Flanquère 
passe  divant  laporte  léroi  sembe  so  trois  cents 
moutons.  Domestique  léroi  trouve  li,  li  galpé,  li 
dire  léroi  : 

—  Mon  roi,  mon  roi  !  alà  bonhomme  Flan- 
quère passé  !  Guette  li  av  so  bande  moutons  ! 

Léroi  faire  arrête  Flanquère;  li  dimande  li 
acote  li  fine  gagne  tout  ça  moutons  là. 

—  Dans  bassin,  mon  roi  !  Grand  merci  vous 
fine  zette  moi  làdans  ;  lhére  mo  va  fini  vende  ça 
trois  cents  là,  mo  va  aile  çace  lautes. 

Léroi  dire  : 

—  Tout  de  bon  !  Eh  ben,  mette  moi  dans  sac, 
zette  moi  dans  bassin  ! 


50  HISTOIRE   DU   BONHOMME   FRANCŒUR 

On  met  le  roi  dans  un  sac  de  goni,  on  le  jette 
dans  le  bassin.  L'eau  s'ouvre,  fait  de  grands 
ronds,  le  sac  coule. 

Francœur  au  bord  du  bassin  se  met  à  danser 
un  séga  et  il  chante  : 

«  Moutons  ne  sont  pas  cabots, 

Mon  roi  ! 
Moutons  ne  sont  pas  cabots.  » 

Et  Francœur  retourne  chez  lui  en  riant. 


L'invention  est  toute  française,  mais  l'exécution  bien  créole. 
Force  détails  absolument  nôtres  :  ce  sont  bien  des  constables  de 
notre  pays  que  les  gardes  qui  transportent  Francœur  dans  le  sac, 


ZISTOIRE   BONHOMME   FLANaUÈRE  $7 

Mette  léroi  dans  sac,  zette  li  dans  bassin. 
Dileau  ouvert,  faire  grand  lérond,  sac  coulé. 

Flanquère  dans  bord  bassin  pique  éne  séga,  li 
çanté  : 

«  Moutons  napas  cabots, 

Mon  roi  ! 
Moutons  napas  cabots.  » 

Flanquère  tourne  so  lacase;  li  rié. 


et  le  séga  final  au  bord  du  bassin  ne  se  danse,  ou  plutôt  ne  se 
dansait  ainsi,  qu'à  Maurice. 


VI 

HISTOIRE    D'UN    OISEAU 

QUI   PONDAIT    DES   ŒUFS   D'OR 


jL  y  avait  une  fois  un  chasseur  qui  chassait 
les  oiseaux. 

Un  jour  il  prit  un  oiseau  qui  avait  le 
plumage  doré.  Chaque  matin  cet  oiseau-là  pon- 
dait un  œuf,  et  le  chasseur  vendait  cet  œuf  au 
cuisinier  du  roi.  Lorsque  le  cuisinier  cassa  le  pre- 
mier œuf  pour  le  cuire,  il  trouva  dedans  une 
boule  d'or.  Le  cuisinier,  qui  était  fin,  n'en  dit  ja- 
mais rien  à  sa  maîtresse  :  «  Suis-je  une  bête, 
moi  !  »  Tous  les  matins  il  gardait  la  boule  d'or 
pour  lui. 

Un  jour  la  reine  a  besoin  d'un  œuf  pour  flurc 


VI 


ZISTOIRE    ÉNE    ZOZO 


QUI   TI  POXDE   DIZEF   LOR 


I  éna  éne  fois  éne  çasseir  qui  aile  laçasse 
zozos. 

Ene  zour  li  fine  maille  éne  zozo  qui 
té  éna  plimes  doré.  Tous  lé  bomatin  ça  zozo  là 
ponde  éne  dizef.  Çasseir  là  vende  ça  dizef  là 
cousinier  léroi.  Lhére  cousinier  casse  dizef  là 
pour  couit  li,  li  trouve  éne  boule  lor  dans  dizef. 
Cousinier  malinbougue  :  zamais  li  dire  ça  sembe 
so  maitresse.  «  Sipas  mo  béte,  moi  !  »  Tous 
lé  bomatin  li  garde  ça  boule  lor  là  pour  li. 


Fne  zour  Madame  léroi  bisoin  éne  dizef  pour 


60         OISEAU   aUI   PONDAIT  DES   ŒUFS   d'oR 

un  gâteau.  Elle  va  à  la  cuisine,  le  cuisinier 
n'est  pas  là.  Elle  prend  un  œuf  dans  le  panier 
et  le  casse.  Me  croirez- vous?  Une  boule  d'or 
roule  à  terre.  La  reine  se  baisse,  ramasse  la 
boule,  la  soupèse  dans  sa  main...  le  cuisinier 
rentre. 

—  Eh  vous,  mon  garçon,  où  avez-vous  eu  cet 
œuf-là  ? 

—  Cet  œuf-là?  C'est  un  œuf  que  j'ai  acheté 
d'une  bonne  femme  qui  se  nomme  bonne  femme 
Laurelte,  et  dont  le  mari  est  chasseur  d'oi- 
seaux. 

La  reine  ne  dit  rien  et  s'en  va. 

La  reine  avait  un  fils.  Un  jour  que  le  jeune 
prince  se  promenait,  il  passe  devant  la  case  de 
bonne  femme  Laurette  et  entre.  Il  aperçoit  l'oi- 
seau, il  le  regarde,  le  regarde  :  l'oiseau  était  joli 
comme  jamais  oiseau  n'a  été  joli. 

—  Eh  vous,  bonne  femme,  vendez-moi  donc 
cet  oiseau. 

—  Non,  mon  prince,  mon  oiseau  n'est  pas  à 
vendre. 

Le  prince  prend  l'oiseau,  joue  avec,  le  tourne, 
le  retourne.  Il  lève  par  hasard  une  de  ses  ailes; 
il  y  voit  des  caractères  écrits  ;  le  prince  lit  : 

«  Celui  qui  mangera  ma  tête  aura  un  sac  d'ar- 
gent tous  les  matins  ;  celui  qui  mangera  mon 
cœur  aura  un  sac  d'or  tous  les  soirs.  » 


ZISTOIRE  ÉNE  ZOZO  Q.UI  TI  PONDE  DIZEF  LOR    6l 

faire  gâteau.  Li  aile  la  cousine;  cousinier  napas 
là.  Li  prend  éne  dizef  dans  pagnier;  li  cassé; 
qui  ous  croire  ?  Boule  lor  roule  enbas.  Madame 
léroi  baissé,  ramasse  boule,  sipèse,  sipèse  li  dans 
so  lamain...  Cousinier  rentré. 

—  Eh  vous,  mon  garçon,  acote  vous  té  gagne 
dizef  là  ? 

—  Ça,  éne  dizef  mo  fine  aceté  sembe  éne 
bonnefemme  appelé  bonnefemme  Laurette,  qui  so 
mari  çasseir  zozos. 

Madame  léroi  napas  dire  narien,  li  allé. 

Lareine  là  té  gagne  éne  garçon.  Avlà  éne  zour, 
cornent  garçon  là  après  promené,  li  passe  divant 
lacase  bonnefemme  Laurette,  li  rentré.  Li  trouve 
zozo  là,  li  guette  guette  li  :  zozo  là  zoli  coment 
zamais  zozo  té  zoli. 

—  Eh  vous,  bonnefemme;  mais  vende  moi 
vous  zozo,  donc  ! 

—  Napas  ça,  Msié  !  Zozo  là  napas  pour  vende  ! 

Garçon  léroi  badine  badine  av  zozo,  vire  vire 
li;  éne  coup  là  li  lève  so  lézaile;  iéna  quiqçose 
écrire  en  bas  lézaile,  garçon  lire  : 

«  Ça  qui  manze  mo  latéte  va  gagne  éne  sac 
larzent  tous  lé  bomatins  ;  ça  qui  manze  mo  lékeir 
va  gagne  éne  sac  lor  tous  lé  asoirs.  » 


62         OISEAU   Q.UI   PONDAIT   DES   ŒUFS    d'oR 

Le  prince  ne  dit  rien,  il  laisse  l'oiseau,  retourne 
chez  sa  mère  et  lui  raconte  tout. 

Ils  réfléchissent  tous  les  deux. 

Bonne  femme  Laurette  avait  une  fille.  La  reine 
dit  à  son  fils  : 

—  Sais-tu  ce  qu'il  faut  faire?  Il  faut  que  tu 
épouses  la  fille  de  la  bonne  femme  Laurette,  et 
l'oiseau  t'appartiendra. 

Le  prince  court  chez  Laurette  et  lui  dit  : 

—  Eh  vous,  bonne  femme,  je  suis  amoureux  de 
votre  fille:  je  veux  l'épouser;  donnez-la-moi. 
Qu'en  dites-vous  ? 

—  Fi,  fi!  Monsieur!  ça  n'est  pas  bien  de  se 
moquer  des  gens  !  Vous  êtes  prince,  ma  fille  est 
une  humble  fille;  comment  voulez-vous  que  je 
croie  que  votre  mère  voudra  pour  bru  une  fillo 
en  robe  de  goni? 

—  Mais,  bonne  femme,  c'est  maman  elle-même 
qui  m'a  envoyé  vous  demander  votre  fille  en 
mariage  ! 

La  bonne  femme  rit  et  secouant  la  tète  : 

—  Eh  vous.  Monsieur,  vous  aimez  à  plaisan- 
ter, oui! 

Le  prince  retourne  chez  sa  mère  et  lui  dit  que 
la  bonne  femme  Laurette  se  figure  qu'on  veut  se 
moquer  d'elle,  qu'il  faut  qu'ils  y  aillent  tous  deux 
ensemble. 


ZISTOIRE  ÉNE  ZOZO  QJjl  TI  PONDE  DIZEF  LOR    63 

Garçon  napas  dire  narien;  li  quitte  zozo,  li 
tourne  lacase  so  manman,  li  raconte  li  tout  çaça. 

Zaute  dé  maziné. 

Bonnefemme  Laurette  té  gagne  éne  ptitfille. 
Lareine  dire  so  garçon  : 

—  To  coné  qui  nous  bisoin  faire?  To  va  marié 
sembe  ptit  fille  bonnefemme  Laurette  :  to  va 
gagne  so  zozo. 

Garçon  léroi  couri  lacase  Laurette,  li  dire  H 
coume  ça  : 

—  Eh  vous,  bonne  femme!  Mo  bien  content 
vous  mamzelle,  mo  vlé  marié  av  li,  donne  moi 
li  ;  qui  vous  dire? 

—  Houn  !  houn  !  Msié  !  napas  baingne  av 
doumoune.  Vous  éne  fils  léroi,  mo  pitit  éne  faille 
faille  zéne  fille  :  coment  vous  voulé  mo  croire  qui 
vous  manman  va  content  éne  belle-fille  larobc 
gouni  ? 

—  Mais,  bonne  femme,  manman  même  qui  fine 
envoyé  moi  dimande  vous  pour  marié  sembe  vous 
pitit  ! 

Bonnefemme  rié,  li  sacouye  latéte  : 

—  Eh  vous,  Msié  !  vous  enfoutant,  oui  ! 
Garçon  léroi  tourne  lacase  so  manman,  li  dire 

li   qui  bonnefemme  Laurette  croire  qui  li  cause 
bagout  ;  zaute  dé  bisoin  aile  ensembe. 


64        OISEAU    aUI   PONDAIT   DES   ŒUFS   D  OR 

La  reine  saisit  son  châle,  prend  son  chapeau, 
met  ses  bottines,  et  ils  retournent  chez  Laurette. 
La  reine  demande  à  la  bonne  femme  la  main  de 
sa  fille  pour  son  garçon  ;  la  bonne  femme  est 
toute  joyeuse  et  remercie  le  bon  Dieu. 

Alors  le  prince  prenant  la  parole  : 

—  Mais  j'y  mets  une  condition  :  «  Le  jour  de 
notre  mariage,  on  tuera  l'oiseau  aux  plumes  do- 
rées, et  l'on  mettra  à  part  son  cœur  et  sa  tête 
pour  que  je  les  mange.  » 

Le  jour  du  mariage  arrivé,  le  prince  donne 
l'oiseau  au  cuisinier  et  lui  dit  :  «  Mets  de  côté  la 
tête  et  le  cœur;  fais-les-moi  cuire,  mais  sans 
massala,  je  ne  l'aime  pas.  » 

Il  faut  que  vous  sachiez  que  la  bonne  femme 
Laurette  avait  deux  garçons,  et  ces  deux  garçons- 
là  savaient  lire  parce  qu'ils  étaient  allés  à  l'école 
du  Gouvernement.  Eux  aussi  ils  avaient  lu  sous 
les  ailes  de  l'oiseau.  Ils  étaient  à  l'affût  auprès  de 
la  cuisine.  Le  cuisinier  sort.  Ils  entrent,  volent 
dans  la  marmite  le  cœur  et  la  tête  de  l'oiseau,  et 
ils  se  sauvent. 

Lorsque  le  cuisinier  met  l'oiseau  sur  la  table, 
le  cœur  n'y  est  pas,  la  tête  non  plus. 

Voilà  le  prince,  vous  dis-je,  dans  une  colère 
terrible.  Il  cherche  les  fils  de  bonne  femme  Lau- 
rette pour  les  tuer. 
Mais  les  deux  voleurs,  dans  leur  fuite,  entrent 


ZISTOIRE  ÉNE  ZOZO  Q.UI  TI  PONDE  DIZEF  LOR   65 

Lareine  pèse  so  cale,  mette  çapeau,  passe  bot- 
tines dans  so  lipieds  ;  zaute  tourne  lacase  Lau- 
rette.  Lareine  dimande  bonnefemme  lamain  so 
mamzelle  pour  so  garçon  ;  bonnefemme  content, 
li  dire  grand  merci  Bondié. 

Alà  garçon  léroi  causé  : 

—  Mais  mo  faire  éne  condition  :  «  Zour  nous 
pour  marié,  va  touye  zozo  plimes  doré,  et  so 
lékeir  av  so  latéte  va  mette  éne  coté  pour  mo 
manzé.  » 

Zour  mariaze  vini.  Garçon  léroi  donne  zozo 
cousinier,  dire  li  :  «  Mette  éne  coté  so  latéte  av 
so  lékeir,  couit  zaute,  mais  napas  bisoin  mette 
massala  :  mo  napas  content.  « 

Faut  vous  coné  qui  bonnefemme  Laurette  té 
gagne  dé  garçons  ;  et  ça  garçons-là  té  cône  lire  à 
cause  zaute  té  aile  lécole  Gouvernement.  Zaute 
aussi  té  lire  enbas  lézailes  zozo.  Zaute  veille  veillé 
dans  coin  lacousine  ;  cousinier  sourti,  zaute  ren- 
tré, zaute  volor  lékeir  av  latéte  zozo  dans  mar- 
mite, zaute  vanné. 

Lhére  cousinier  apporte  zozo  lahaut  latabe, 
lékeir  napas,  latéte  napas. 

Avlà  garçon  léroi,  mo  dire  vous,  fine  rentre 
dans  éne  mauvais  encolère.  Li  rôde  pitis  bonne- 
femme  Laurette  pour  touye  zaute. 

Mais  ça  dé  pitits  là,  cornent  zaute  sauvé,  zaute 

5 


66         OISEAU   Q.UI   PONDAIT   DES   ŒUFS   d'oR 

dans  la  maison  d'un  loup.  Le  loup  saute  dessus, 
et  les  mange. 


Le  conte  est-il  tout  entier  d'invention  créole  ?  Du  moins  cer- 
tains détails  sont  de  notre  crû  ;  la  reine,  par  exemple,  n'a  guère 
pu  régner  qu'à  la  Villebague  ou  aux  Trois-Ilôts. 

Le  conte  s'arrête  plutôt  qu'il  ne  finit  ;  c'est  un  de  ceux  —  et 


ZISTOIRE  ÉNE  ZOZO  Q.UI  TI  PONDE  DIZEF  LOR   67 

rente  lacase  éne  louloup.   Louloup   là  tchiombô 
zaute,  manze  zaute. 


ils  sont  nombreux  —  que  nous  avons  laissés  à  plat  sur  le  che- 
min où  le  conteur  les  a  oubliés  sans  prendre  la  peine  de  se 
baisser  pour  les  relever. 


4^ 


VII 


HISTOIRE  D'UN  MALIN  DRÔLE 


jL  y  avait  une  fois  une  vieille  bonne  femme 
qui  avait  un  fils,  mais  le  pauvre  garçon 
était  la  bêtise  même. 
Un  jour  sa  mère  l'envoie  acheter  une  hache 
au  bazar.  En  revenant,  il  joue  tout  le  long  du 
chemin  avec  la  hache  :  il  frappe,  il  coupe.  Il  va 
rentrer  dans  la  maison  quand  il  voit  le  petit 
mouton  de  sa  mère  en  train  de  brouter  l'herbe 
dans  la  cour.  Il  crie  :  «  Maman,  maman  !  re- 
gardez quelle  fameuse  hache  je  vous  ai  achetée  !  » 
et  il  abat  d'un  seul  coup  la  tête  du  mouton.  Sa 
mère  se  fâche,  lui  dit  des  injures,  et  lui  demande 
pourquoi  il  n'a  pas  mis  la  hache  dans  une  char- 
rette de  paille;  ce  malheur-là  ne  serait  pas 
arrivé.  Voilà  cette  grosse  bête  qui  pleure,  qui 
pleure  et  qui  demande  pardon  à  sa  mère. 


VII 

ZISTOIRE   ÉNE   MALINBOUGUE 


I  éna  éne  fois  éne  vie  bonnefemme  qui  ti 
gagne  éne  garçon,  mais  pauvre  bougue  là 
té  bête  bête  même.  Ene  zour  so  manman 
envoyé  li  acète  ène  lahace  bazar.  Lhére  li  tourné 
li  nèque  zoué  zoué  av  ça  lahace  là,  cogné,  coupé. 
Cornent  li  pour  rente  lacase,  ptit  mouton  so  man- 
man té  après  manze  Iherbe  dans  lacour  ;  li  crié  : 
«  Manman,  manman,  guété  qui  famé  lahace  mo 
fine  acète  pour  vous  !  »  et  li  saute  latête  mouton 
ène  coup  même.  So  manman  pèse  ène  colère, 
zoure  li,  dire  li  qui  faire  li  napas  té  mette  lahace 
là  dans  ène  çarette  lapaille  ;  malheir  napas  té  va 
arrivé.  Alà  ça  grand  bébète  là  ploré,  ploré,  li  di- 
mande  pardon  so  manman. 


70  HISTOIRE   D  UN   MALIN   DRÔLE 

Une  autre  fois,  la  bonne  femme  l'envoie 
acheter  des  aiguilles  et  lui  dit  :  «  Tu  te  rappelles 
l'histoire  de  la  hache  !  ne  va  pas  me  perdre  mes 
aiguilles,  au  moins  !  »  Il  part  et  revient.  La  bonne 
femme  lui  demande  :  «  Eh  bien!  mes  aiguilles? 
—  N'ayez  pas  peur,  maman,  elles  ne  sont  pas 
perdues  ;  en  revenant,  j'ai  rencontré  la  charrette 
de  M.  Jean,  je  les  ai  éparpillées  dans  la  paille.  » 
La  bonne  femme  crie  après  lui  :  «  Pourquoi  ne 
les  as-tu  pas  piquées  dans  ton  chapeau  !  Voilà 
mon  argent  encore  perdu.  » 

Un  autre  jour,  sa  mère  l'envoie  acheter  du 
beurre  et  lui  dit  :  «  Tu  te  souviens  des  aiguilles  ! 
ne  va  pas  encore  me  perdre  mon  beurre.  »  Il  va, 
achète  le  beurre  et  le  met  dans  son  chapeau.  Le 
soleil  piquait;  il  fait  fondre  le  beurre,  le  beurre 
coule  sur  sa  figure,  sur  ses  habits,  il  rentre  à  la 
maison  sale  comme  un  cochon.  Sa  mère  lève  les 
bras  au  ciel  :  «  Pourquoi  le  bon  Dieu  t'a-t-il  mis 
sur  la  terre  !  Imbécile,  va  !   » 

Un  mois  environ  se  passe.  Sa  mère  kii  donne 
deux  poulets  à  aller  vendre.  Il  ne  sait  pas  ache- 
ter, peut-être  saura-t-il  vendre  :  «  Mais  ne  va 
pas  donner  ces  poulets  pour  le  premier  prix  qu'on 
t'offrira,  attends  le  second.  —  Bien  sûr,  maman, 
que  j'attendrai  le  second  prix;  me  prenez-vous 
pour  une  bête?  »  Il  s'en  va.  Il  rencontre  un  cui- 
sinier, le  cuisinier  lui  demande  combien  ses  pou- 


ZISTOIRE   ÉNE   MALINBOUGUE  7I 

Ene  laute  fois  bonnefemrae  envoyé  li  acète 
zaigouïes,  li  dire  li  :  «  To  souvini  zalïaire  lahace, 
napas  bisoin  perdi  ça  zégouïes  là,  oui!  »  Li  allé, 
li  tourné.  Bonnefemme  dimande  li  :  «  Eh  ben! 
acote  zégouïes  ?  —  Napas  peir,  manman,  zaute 
napas  perdi  :  Ihère  mo  tourné  mo  té  zoinde  ça- 
rette  Msié  Zean,  mo  fine  fane  zaute  dans  la- 
paille.  »  Bonnefemme  guèle  ave  li  :  «  Qui  faire 
to  napas  té  pique  zaute  dans  to  çapeau  !  avlà  mo 
larzent  perdi  encore.   » 

Ene  laute  zour  manman  envoyé  li  acète  dibeirre, 
li  dire  li  :  «  To  souvini  zaffaire  zégouïes,  napas 
perdi  dibeirre  là  encore.  )>  Li  allé,  li  acète  di- 
beirre, li  mette  dibeirre  dans  so  çapeau.  Soléye 
piqué,  fonde  dibeirre  ;  dibeirre  coule  làhaut  so 
figuire,  làhaut  so  linze,  li  rente  lacase  sale  cô- 
ment  ène  cocon.  So  manman  nèque  lève  lamains 
en  lair  :  «  Qui  faire  Bondié  té  mette  toi  làhaut 
la  terre  !  bourrique  va  !  » 

Alà  quiquefois  ène  mois  passé.  So  manman 
donne  li  dé  volailles  pour  aile  vende  :  aceté  li 
napas  cône,  quiquefois  vende  li  va  coné  :  «  Mais 
napas  bizoin  donne  ça  volailles  là  premier  prix 
qui  zense  va  offert  toi,  attende  second  prix.  — 
Bien  sir,  manman,  mo  va  attende  second  prix; 
vous  croire  mo  bête?  »  Li  allé.  Li  zoinde  éne 
cousinier,    cousinier    dimande     li    combien     so 


HISTOIRE   D  UK    iMALIX    DROLE 


lets.  «  Faites  votre  prix  vous-même.  »  Le  cuisi- 
nier prend  les  poulets,  les  tâte,  les  soupèse  : 
«  Sept  livres  dix  sous,  si  vous  voulez.  —  C'est 
là  votre  premier  prix,  quel  est  votre  second  ?  » 
Le  cuisinier  veut  se  moquer  de  lui  et  lui  dit  six 
livres  cinq  sous.  «  Prenez-les  pour  six  livres  cinq 
sous  :  je  ne  vends  jamais  que  sur  le  second  prix.  » 
Il  revient  à  la  maison  et  raconte  à  sa  mère.  La 
bonne  femme  est  furieuse  ;  elle  veut  le  battre,  il 
est  obligé  de  se  sauver. 

Cette  fois-là,  la  bonne  femme  lui  donne  à  aller 
vendre  un  mouton  :  «  Mais,  pour  mon  mouton, 
ne  fais  pas  comme  pour  mes  poulets  !  Écoute 
bien  ce  que  je  vais  te  dire.  Les  gens  te  feront  un 
prix  :  laisse-les  monter,  monter  jusqu'à  ce  que  ça 
ne  soit  plus  possible.  Alors  seulement  tu  donne- 
ras le  mouton.  Tu  as  entendu,  n'oublie  pas  ce 
que  je  t'ai  dit.  w  II  s'en  va.  Il  rencontre  un  bou- 
cher; le  boucher  lui  offre  huit  roupies.  «  Impos- 
sible ça;  il  faut  que  vous  montiez.  »  Le  fils  du 
boucher,  qui  connaissait  le  pauvre  diable,  tire  son 
père  par  la  manche  et  lui  dit  :  «  Papa,  ne  vous 
en  mêlez  pas,  laissez-moi,  je  sais  comment  faire 
l'affaire  avec  lui.  »  Il  y  avait  près  d'eux  une 
échelle  dressée  contre  un  mur,  le  fils  du  boucher 
monte  ;  sur  le  premier  barreau  de  l'échelle,  il 
crie  «  sept  roupies  »  ;  il  monte,  il  crie  «  six 
roupies  »  ;   il    monte,    il  crie    «  cinq   roupies  »  ; 


ZISTOIRE    EMH    MALIXBOUGUE  73 

poules.  «  Faire  vous  prix  vous  même.  »  Cousi- 
nier  prend  volailles,  tâte  tâté  :  «  Sept  lives  dix 
sous,  quand  vous  content.  —  Ça  vous  premier 
prix,  qui  vous  second?  »  Cousinier  voulé  baigne 
ave  li,  li  dire  li  six  lives  cinq  sous.  «  Prends  six 
lives  cinq  sous  :  touzours  second  prix  qui  mo 
vende.  »  Li  tourne  lacase  li  raconte  ça  so  manman. 
Bonnefemme  firié,  voulé  batte  li,  li  blizé  lofé. 


Ça  fois  là  bonnefemme  donne  li  éne  mouton 
pour  aile  vende  :  «  Mais  pour  mo  mouton  là 
napas  faire  coment  to  té  faire  pour  mo  volailles  ; 
coûte  bien  ça  qui  mo  causé.  Zense  va  faire  toi 
ène  prix,  laisse  zaute  monté,  monté  zisqu'à  naplis 
capabe;  Ihère  là  to  va  donne  mouton.  To  fine 
tende,  napas  blyié  ça  qui  mo  fine  dire  toi.  »  Li 
allé.  Li  zoinde  ène  boucer;  boucer  offert  li  houite 
roupies.  «  Napas  moyen  ça,  faut  vous  monté,  » 
Garçon  ça  boucer  là  qui  té  conne  ça  pauve  bougue 
là,  tire  lamance  so  papa,  dire  li  :  «  Papa,  napas 
mêle  làdans,  laisse  moi,  mo  coné  coment  faire 
zafïaire  ave  li.  »  Té  iéna  éne  zécelle  appiye  dans 
miraille  à  côte  zaute  ;  garçon  boucer  monté  ;  pre- 
mier barreau  lécelle  là  li  crie  :  «  Sept  roupies  »  ; 
li  monté,  li  crie  :  «  Six  roupies  »  ;  li  monté,  li 
crie  :  «  Cinq  roupies  «  ;  Ibère  li  làhaut  même, 
napas   barreau   encore,  li  crie  :  «  Dé  roupies,  et 


74  HISTOIRE   D  UN   MALIN   DROLE 

une  fois  qu'il  est  tout  à  fait  en  haut,  sur  le  der- 
nier échelon,  il  crie  :  «  deux  roupies  !  et  tu  vois 
que  je  ne  puis  monter  davantage.  —  Eh  bien  ! 
puisqu'il  n'y  a  plus  moyen  de  monter  davantage, 
qu'y  faire?  Prends  le  mouton,  donne  les  deux 
roupies.  »  Il  retourne  à  la  maison,  donne  à  sa 
mère  les  deux  roupies  et  lui  raconte  toute  l'affaire. 
La  bonne  femme  saisit  un  manche  à  balai,  tombe 
sur  lui  et, lui  prend  mesure.  Le  pauvre  diable  ra- 
masse un  coup  sur  la  tête  et  devient  fou. 

Depuis  ce  jour-là,  je   ne  l'ai  jamais  revu  au 
bazar. 


C'est  une  copie  presque  servile  du  français.  Nous  ne  donnons 


ZISTOIRE  ÉME   MALINBOUGUE  75 

rao  naplis  capabe  monté,  to  trouvé  !  —  Eh  ben  ! 
naplis  capabe  monté,  qui  à  faire?  Prend  mouton, 
donne  dé  roupies.  »  Li  tourne  lacase,  li  donne 
manman  so  dé  roupies,  li  raconte  li  tout  zaffaire. 
Bonnefemme  pèse  ène  lamance  balié,  tombe 
làhaut  li,  misire  li;  pauve  bougue  là  souque  ène 
coup  dans  latête,  li  vine  fou. 


Dipis  ça  zour  là  zamais  mo  té  trouve  li  encore 
vine  bazar. 


le  conte  qu'à  titre  de  renseignement  sur  la  façon  dont  Lindor 
comprend  la  traduction  littérale. 


@â^©@©®©®®©©s^@âl 


VIII 
HISTOIRE  DE  JEAN  ET  DE  JEANNE 


jL  y  avait  une  fois  un  bonhomme  loup  et 
sa  bonne  femme.  Ils  avaient  une  petite 
fille  appelée  Jeanne,  et  dans  leur  maison 
il  y  avait  un  petit  garçon  appelé  Jean,  un  enfant 
abandonné  que  la  bonne  femme  du  loup  avait  ra- 
massé sur  le  grand  chemin. 

Souvent  le  bonhomme  loup  disait  à  sa  femme  : 
«  Comme  j'ai  envie  de  manger  Jean!  »  Mais  la 
bonne  femme  ne  voulait  pas,  parce  que  Jean  était 
leur  domestique,  qu'il  était  toujours  à  son  ou- 
vrage, travaillait  proprement  et  ne  répondait  ja- 
mais. Petite  Jeanne  aussi  aimait  beaucoup  Jean, 
parce  que  Jean  était  bien  bon  pour  elle,  jouait 
avec  elle,  l'amusait  et  faisait  tout  ce  qu'elle  vou- 
lait. 

Un  jour  bonhomme  loup  mène  Jean  au  bord 
de  la  forêt  et  lui  dit  : 


vc-  v^sy  v«--  <»îy  vt^v.^  v«_*^iy  vc-s,<»y  vu-v.«£y  vc-v,^ 


VIII 
ZISTOIRE  ZEAN  AV  ZEANNE 


fcfStsfti  éna  éne  fois  éne  bonhomme  loulou  av 
M  j,^  so  bonnefemme.  Zaute  té  gagne  éne  ptit 
lE^s^l  fille  appelle  Zeanne,  et  dans  zaute  lacase 
ti  éna  éne  ptit  garçon  appelle  Zean,  éne  mar- 
maille qui  bonnefemme  loulou  té  ramasse  làhaut 
grand  cimin. 

Souvent  bonhomme  loulou  dire  av  so  bonne- 
femme  :  «  Côment  mo  envie  manze  Zean  !  » 
Mais  zamais  bonnefemme  voulé,  à  cause  Zean 
qui  zaute  domestique,  touzours  dans  so  louvraze, 
touzours  travaille  prope,  zamais  répondeir.  Ptit 
Zeanne  oussi  té  bien  content  Zean,  à  cause  Zean 
bien  bon  pour  li,  zoué  av  li,  amise  li,  faire  tout 
ça  qui  li  content. 

Ene  zour  bonhomme  loulou  amène  Zean  dans 
bord  grand  bois,  li  dire  li  : 


78  HISTOIRE   DE   JEAN   ET  DE   JEANNE 

—  Voilà  des  arbres,  voilà  une  hache,  une  scie 
et  un  rabot  ;  fais-moi  un  navire  qui  aille  partout 
dans  les  roches.  Il  est  huit  heures;  je  reviendrai  à 
dix  heures.  Si  le  navire  n'est  pas  fini,  je  te  man- 
gerai ! 

Petit  Jean  prend  les  outils  ;  il  coupe  le  bois,  le 
taille,  le  met  en  place,  essaye  :  ça  ne  va  pas.  Que 
faire?  Il  prend  les  outils,  les  jette  loin  de  lui, 
tombe  sur  l'herbe  et  pleure. 

Vers  neuf  heures  et  demie  arrive  Jeanne  qui 
porte  à  Jean  son  déjeûner.  Elle  le  voit  qui  pleure 
et  lui  demande  : 

—  Mais,  Jean,  qu'as-tu  donc  à  pleurer?  qu'est- 
ce  qui  te  fait  pleurer?  pourquoi  as-tu  du  cha- 
grin? 

Et  tirant  son  mouchoir  de  sa  poche,  elle  essuie 
les  yeux  de  Jean.  Jean  lui  répond  : 

—  Voyez  vous-même,  Mamzelle.  Votre  père 
m'a  donné  à  faire  un  navire  qui  aille  partout 
dans  les  roches.  Quand  il  reviendra  à  dix  heures, 
si  le  navire  n'est  pas  fini,  il  me  tuera,  il  me  man- 
gera. 

Jeanne  se  met  à  rire  et  dit  à  Jean  : 

—  Et  c'est  là  ce  qui  te  fait  pleurer? 

Voilà  Jeanne  qui  prononce  quelques  paroles  à 
voix  basse,  et  le  navire  est  fini.  Jeanne  s'en  va. 

Au  coup  de  dix  heures,  bonhomme  loup  re- 
vient ;  il  regarde  le  navire  et  dit  : 


ZISTOIRE   ZEAN   AV   ZEANNE  79 

—  Avlà  zarbes,  avlà  éne  lahace,  avlà  éne  lascic, 
avlà  éne  rabot,  arranze  moi  éne  navire  qui  marce 
partout  dans  roces.  Li  houit  hères;  dix  hères  mo 
tourné.  Quand   navire  là  napas  fini,  mo  manze 

toi! 

Ptit  Zean  prend  zoutils,  coupe  dibois,  taillé, 
mette  en  place,  essaye  arranzé  :  li  napas  bien. 
Qui  li  va  faire?  Li  pèse  zoutils,  li  zette  làbas,  li 
tombe  dans  Iherbe,  li  ploré. 

Neif  hères  dimi  comme  ça,  avlà  Zeanne  vini 
pour  amène  Zean  so  manzé.  Li  trouve  Zean  après 
ploré,  li  dire  li  comme  ça: 

—  Mais,  Zean,  qui  to  éna?  qui  faire  to  ploré? 
qui  to  bisoin  çagrin? 

Li  tire  mouçoir  dans  poce,  lisouye  liziès  Zean. 

Zean  réponde  li  : 

—  Guetté,  Mamzelle.  Ous  papa  fine  donne  moi 
pour  faire  éne  navire  qui  aile  partout  dans  roces. 
Lhére  li  tourne  dix  heires,  quand  navire  napas 
fini,  li  va  touye  moi,  li  va  manze  moi. 

Zeanne  rié.  Li  dire  Zean  : 

—  Ça  même  qui  to  ploré  ? 

Avlà  Zeanne  cause  doucement  doucement  :  na- 
vire fini.  Zeanne  allé. 

Dix  heires  sonné.  Bonhomme  loulou  tourné, 
li  guette  navire  là,  li  dire  : 


80  HISTOIRE   DE  JEAN   ET   DE  JEANNE 

—  Si  fait,  Jean  !  tu  es  brave  comme  moi- 
même. 

Le  lendemain,  bonhomme  loup  conduit  Jean  au 
bord  de  la  rivière.  Il  lui  donne  un  panier  percé  et 
lui  dit  : 

— _ Plonge  dans  cette  eau,  et  tire-moi  deux  pi- 
rogues de  poisson.  Il  est  huit  heures,  à  dix  heures 
je  reviendrai.  Si  mes  deux  pirogues  de  poisson  ne 
sont  pas  là,  je  te  mangerai. 

Jean  plonge.  Il  lève  son  panier,  le  panier  est 
vide.  Que  faire?  Il  jette  le  panier,  s'assied  au  bord 
de  l'eau  et  pleure. 

A  neuf  heures  et  demie  environ,  Jeanne  arrive 
pour  apporter  à  Jean  son  déjeûner.  Comme  elle 
voit  Jean  pleurer,  elle  lui  dit  : 

—  Mais,  Jean,  pourquoi  pleurer  encore  donc? 
Mais  qu'as-tu  ? 

—  Voyez,  Mamzelle.  Votre  père  m'a  donné  ce 
panier  percé  pour  prendre  deux  pirogues  de  pois- 
son. Quand  il  reviendra,  à  dix  heures,  si  son 
poisson  n'est  pas  là,  il  me  tuera,  il  me  mangera! 

Pour  toute  réponse,  Jeanne  prend  le  panier  et 
plonge;  d'un  seul  coup,  «lie  retire  de  l'eau  deux 
pirogues  de  poisson. 

Jean  mange  de  bon  appétit,  et  Jeanne  s'en  va. 

Dix  heures  sonnent,  le  bonhomme  loup  arrive. 
Il  voit  ce  grand  las  de  poisson  et  dit  : 


ZISTOIRE   ZEAN   AV   ZEANXE 


—  Si  fait,  Zean  !  to  brave  cornent  mo   même. 

Lcndimain,  bonhomme  loulou  amène  Zean 
bord  larivière.  Li  donne  H  éne  pagnier  napas  éna 
fond,  li  dire  li  : 

—  Plonze  dans  dileau  là,  tire  moi  dé  pirogues 
posson.  Li  houit  hères  ;  dix  heires  mo  tourné. 
Quand  mo  dé  pirogues  posson  napas  là,  mo  va 
manze  toi. 

Zean  plonzé.  Li  lève  pagnier,  pagnier  vide.  Qui 
a  faire  !  Li  zette  pagnier  làbas,  li  assise  dans  bord 
dileau,  li  ploré. 

Approçant  neif  heires  dimi,  avlà  Zeanne  vini 
pour  amène  Zean  so  manzé.  Coment  li  trouve 
Zean  après  ploré  li  dire  li  : 

—  Mais,  Zean,  qui  faire  plore  encore,  donc  ! 
Mais  qui  to  éna? 

—  Guété,  Mamzelle  !  Vous  papa  fine  donne 
moi  ça  pagnier  napas  éna  fond  là  pour  mo  tire 
dé  pirogues  posson.  Lheire  li  tourne  dix  heires, 
quand  so  dé  pirogues  posson  napas  là,  li  va  touye 
moi,  li  va  manze  moi  ! 

Zeanne  nèque  prend  pagnier,   li  plonzé,   éne 
coup  même  li  tire  dé  pirogues  posson. 
Zean  manze  bon  keir  ;  Zeanne  allé. 

Dix  heires  sonné,  bonhomme  loulou  vini.  Li 
trouve  tout  ca  bande  posson  là,  li  dire  : 

6 


82  HISTOIRE   DE   JEAN   ET   DE  JEANNE 

—  Si  fait,  Jean  !  tu  es  brave  comme  moi- 
même. 

Le  lendemain,  bonhomme  loup  conduit  Jean 
sur  le  sommet'd'une  grande  montagne.  Il  donne 
à  Jean  une  pioche  de  plomb  avec  une  gratte  de 
plomb  et  lui  dit  : 

—  Voici"^une  bonne  pioche,  voici  une  bonne 
gratte.  Pioche  toute  cette  montagne  et  plante-la 
en  maïs.  Il  est  huit  heures.  Quand  je  reviendrai, 
à  dix  heures,  si^toute  la  montagne  n'est  pas  la- 
bourée, si  tout  le  m.aïs  n'est  pas  poussé,  je  te 
mangerai. 

Petit  Jean^prend[la  pioche;  il  donne  un  coup, 
la  pioche  ploie  ;  il  prend  la  gratte,  il  gratte  un 
coup,  la  gratte  se  redresse.  Rien  à  faire.  Il  jette 
la  pioche  et  la  gratte,  s'assied  sur  une  roche  et  se 
met  à  pleurer. 

Jeanne  arrive  avec  son  déjeûner. 

—  Eh  toi,  Jean  !  tu  pleures  encore,  tu  pleures 
toujours  !  Mais"qu'est-ce  que  ça  veut  dire,. donc? 

—  Voyez  vous-même,  Mamzellc  !  Votre  père 
m'a  donné  cette  méchante  pioche  avec  cette  mau- 
vaise gratte  ;  il  m'a  ordonné  de  fouiller  toute  la 
montagne  et  de  planter  du  maïs.  A  son  retour, 
si  la  montagne  n'est  pas  plantée  d'un  bout  à 
l'autre,  si  le  maïs  n'est  pas  mûr,  il  me  tuera,  il 
m.e  mangera. 

Jeanne  prendîla  pioche  et  en  donne  un   coup  ; 


ZISTOIRE   ZEAN   AV   ZEANNE  83 


—  Si  fait,  Zean!  to  brave  cornent  mo  même. 

Lendimain,  bonhomme  loulou  amène  Zean 
làhaut  éne  grand  lamontagne.  Li  donne  Zean  éne 
pioce  diplomb  sembe  éne  gratte  diplomb,  li  dire 
li: 

—  Avlà  éne  bon  pioce,  avlà  éne  bon  gratte. 
Fouille  tout  ça  la  lamontagne  là,  plante  maïe.  Li 
houitheires,  açthére;  Ihére  mo  tourne  dix  heires, 
quand  tout  lamontagne  napas  fine  fouillé,  quand 
tout  maïe  napas  fine  poussé,  mo  pour  manze 
toi  ! 

Ptit  Zean  prend  pioce,  li  tape  éne  coup  :  pioce 
ployé  ;  li  prend  gratte,  li  gratte  éne  coup  :  gratte 
dressé.  Narien  pour  faire  !  Li  zette  pioce  av 
gratte;  li  assise  Ihaut  éne  roce,  li  ploré. 

Zeanne  arrive  apporte  manzé  : 

—  Eh  toi,  Zean  !  encore  ploré,  touzours  ploré. 
Mais  qui  çaça,  donc  ? 

—  Guété  vous  même,  Mamzelle  !  Vous  papa 
donne  moi  ça  faille  pioce  là  sembe  ça  faille 
gratte  là  ;  li  comande  moi  fouille  tout  lamon- 
tagne, plante  maïe.  Lheire  U  tourné,  quand  la- 
montagne napas  fine  plante  boute  en  boute, 
quand  maïe  napas  fine  mîr,  li  pour  touye  moi,  li 
pour  manze  moi  ! 

Zeanne  prend   pioce,    pioce   éne  coup;   prend 


84  HISTOIRE   DE  JEAN   ET  DE  JEANNE 

elle  prend  la  gratte  et  gratte  un  coup  :  voilà  la 
montagne  labourée  toute  ;  le  maïs  lève,  le  maïs 
pousse,  le  maïs  est  mûr. 

Quand  bonhomme  loup  revient,  il  voit  ça  et 
dit: 

—  Si  fait,  Jean,  si  fait  va  !  tu  es  brave  comme 
moi-même. 

Le  lendemain,  bonhomme  loup  réveille  Jean  au 
point  du  jour  ;  il  le  conduit  dans  la  cour  et  lui 
dit  : 

—  Aujourd'hui,  c'est  ici  même  que  nous  tra- 
vaillerons :  il  y  a  un  petit  ouvrage  pour  nous 
deux.  Voici  une  grosse  pierre,  voilà  un  œuf  de 
cane.  Pose  l'oeuf  par  terre,  jette  la  pierre  dessus. 
Mais  prends  garde  de  casser  mon  œuf!  Si  l'œuf 
se  casse,  je  te  tue,  je  te  mange  ! 

Pauvre  Jean  !  comment  s'en  tirer  ?  Il  met  l'œuf 
par  terre,  il  prend  la  pierre  et  la  jette,  l'œuf 
s'écrase.  Le  loup,  vous  dis-je,  pousse  un  hurle- 
ment; il  saisit  Jean,  le  charge  sur  son  dos,  le 
porte  au  fond  de  la  cour,  ouvre  une  petite  case, 
le  jette  dedans  et  ferme  la  porte  à  clef. 

En  revenant  à  la  maison,  le  loup  rencontre 
Jeanne  à  moitié  chemin  et  lui  dit  : 

—  Va  vite  à  la  cuisine,  remplis  la  chaudière, 
fais  bouillir  l'eau  :  j'en  ai  besoin  pour  ébouillanter 
Jean. 

Jeanne  court  à  la   cuisine  ;  elle  ramasse  trois 


ZISTOIRE   ZEAN   AV   ZEANNE  8$ 

gratte,  gratte  éiie  coup  :  avlà  lamontagne  fine 
fouillé  boute  en  boute,  maïe  levé,  maïe  poussé, 
maïe  mîr. 

Lhére  bonhomme  loulou  tourné,  H  guette  ça, 
li  causé  : 

—  Si  fait,  Zean,  si  fait  va  !  to  brave  cornent 
mo  même. 

Lendimain,  bonhomme  loulou  lève  Zean 
grandgrand  bômatin,  li  amène  li  dans  lacour,  li 
dire  li  : 

—  Azourdi,  ici  même  qui  nous  pour  travaille, 
éna  éne  ptit  louvraze  pour  nous  dé.  Avlà  éne 
gros  roce,  avlà  éne  dizef  canard.  Pose  dizef  en 
bas,  zette  roce  lahaut  li  ;  mais  prend  gare  to  casse 
mo  dizef!  quand  dizef  cassé,  mo  touye  toi,  mo 
manze  toi  ! 

Pauvre  Zean!  qui  magnière  li  capabe  çappé.  Li 
pose  dizef  enbas,  li  prend  roce,  li  zété  :  dizef 
crasé.  Loulou,  mo  dire  vous,  largue  éne  guélé,  li 
tchiômbo  Zean,  li  çarze  li  Ihaut  so  lédos,  li  çarrié 
li  dans  fond  lacour,  ouvert  éne  ptit  lacase,  zette 
li  làdans,  fréme  laclé. 

Coment  loulou  tourne  grand  lacase,  li  zoinde 
Zeanne  dans  milié  cimin,  li  dire  li  : 

—  Aile  vitement  lacousine,  rempli  çaudière, 
faire  bouï  dileau,  mo  bizoin  pour  bouillante 
Zean. 

Zeanne  couri  lacousine,  li  ramasse  trois  ptit 


86  HISTOIRE   DE   JEAN    ET    DE   JEANNE 


petites  pierres.  Elle  dit  à  la  première  de  ces  pe- 
tites pierres  : 

—  Quand  papa  va  crier  pour  me  demander  si 
le  feu  est  allumé,  tu  lui  répondras  :  «  Oui,  papa, 
le  voilà  qui  flambe.  » 

Jeanne  jette  la  première  pierre  dans  la  chau- 
dière. Elle  prend  la  seconde  et  lui  dit  : 

—  Quand  papa  va  crier  pour  me  demander  si 
son  eau  commence  à  bouillir,  tu  lui  répondras  : 
«  Oui,  papa  !  elle  commence  à  chanter.  » 

Jeanne  jette  la  seconde  pierre  dans  la  chau- 
dière. Elle  prend  la  dernière  et  lui  dit  : 

—  Quand  papa  va  crier  pour  me  demander  si 
son  eau  est  prête,  tu  lui  répondras  :  «  Oui,  bon- 
homme !  viens  la  chercher.  » 

Jeanne  jette  la  dernière  pierre  dans  la  chau- 
dière. Puis,  elle  va  au  fond  de  la  cour  devant  la 
porte  de  la  petite  case  où  Jean  est  en  prison  ;  elle 
prononce  à  voix  basse  deux  ou  trois  mots,  et  la 
porte  s'ouvre.  Jeanne  prends  Jean  par  la  main  ; 
ce  n'est  pas  le  moment  de  causer  :  ils  se  sauvent. 

Voilà  bonhomme  loup  qui  ouvre  la  fenêtre  de 
sa  chambre  du  côté  de  la  cuisine  et  qui  crie  : 

—  Eh  toi,  Jeanne  !  ce  feu  est-il  allumé  ? 

La  première  petite  pierre  répond  :  «  Oui,  papa  ! 
le  voilà  qui  flambe.  » 

Le  loup  s'assied.  Au  bout  d'un  instant,  il  re- 
tourne à  la  fenêtre  et  crie  ; 


ZISTOIRE   ZEAX    AV    ZEANNE  87 

roces.  Li  dire  premier  ptit  roce  là  : 

—  Lhére  papa  va  crié  pour  dimaiide  moi  sipas 
difé  fine  allimé,  to  va  réponde  li  :  k  Oui,  papa, 
li  flambé  même.  » 

Zeanne  zette  premier  ptit  roce  dans  çaudière. 
Li  prend  second  ptit  roce,  li  dire  li  : 

—  Lhére  papa  va  crié  pour  dimande  moi  sipas 
dileau  coumence  bouï,  to  a  réponde  li  :  «  Oui, 
papa,  li  coumence  çanté  !   » 

Zeanne  zette  second  ptit  roce  dans  çaudière.  Li 
prend  dernier  ptit  roce,  li  dire  li  : 

—  Lhére  papa  va  crié  pour  dimande  moi  sipas 
30  dileau  fine  paré,  to  va  réponde  li  :  «  Oui, 
bonhomme,  vine  prend  li  !   « 

Zeanne  zette  dernier  ptit  roce  dans  çaudière. 
Lhére  là  li  aile  dans  fond  lacour  divant  laporte 
ptit  lacase  àcôte  Zean  té  en  prison  ;  li  cause  dé 
trois  mots  doucement  doucement  :  laporte  ouvert. 
Zeanne  prend  lamain  Zean,  napas  létemps  pour 
causé,  zaute  lofé. 

Avlà  bonhomme  loulou  ouvert  la  fenète  so 
laçambe,  li  crie  lacousine  : 

—  Eh  toi,  Zeanne!  difé  là  fine  allimé? 
Premier   ptit  roce    réponde  :   «  Oui,   papa,   li 

Hambé  même  !  « 

Loulou  assise.  Ptit  moment  li  tourne  lafenête, 
li  crie  lacousine  : 


88  HISTOIRE   DE   JEAN    ET   DE   JEANNE 

—  Eh  toi,  Jeanne  !  cette  eau-là  commence-t-- 
elle  à  bouillir? 

La  seconde  pierre  répond  :  «  Oui,  papa  !  elle 
commence  à  chanter,  » 

Pour  la  troisième  fois,  le  Ioud  retourne  à  la 
fenêtre  et  crie  avec  colère  : 

—  Mais  toi,  Jeanne  !  cette  eau-là  n'est  pas  en- 
core prête? 

La  dernière  pierre  répond  :  «  Oui,  bonhomme! 
viens  la  chercher.  » 

Le  loup  fait  un  bond  et  s'élance  dans  la  cui- 
sine :  pas  de  feu,  la  chaudière  est  vide.  Il  court 
au  fond  de  la  cour  et  arrive  à  la  petite  case  :  la 
porte  est  grande  ouverte,  Jean  s'est  sauvé. 

Le  loup  écume  de  rage.  Il  rentre  dans  sa 
chambre,  tire  ses  pantoufles,  met  ses  bottes,  saute 
sur  le  chemin  et  détale. 

Voilà  Jeanne  qui  tourne  la  tête.  Elle  voit  venir 
bonhomme  loup  et  dit  à  Jean  :  «  Voilà  papa  !  » 

Le  cœur  de  Jean  saute,  il  dit  à  Jeanne  : 

—  Ah  mon  Dieu,  Mamzelle  !  que  voulez-vous 
que  je  fasse  ? 

—  Il  ne  faut  pas  avoir  peur  !  Tu  vas  te  chan- 
ger en  bassin  et  moi  en  canard  :  laisse-le  venir. 

Voilà  Jean  qui  devient  bassin,  Jeanne  devient 
canard . 

Le  loup  arrive  ;  il  aperçoit  un  canard  et  lui  de- 
mande : 


ZISTOIRE   ZEAN   AV   ZEANNE  89 

—  Eh  toi,  Zeanne  !  dileau  là  li  cômence  bouï? 
Ségond  ptit  roce  réponde  :  «  Oui,  papa  !  cou- 

mence  çanté.  » 

Troizième  fois  loulou  tourne  lafenête,  li  crïe  en 
colère  : 

—  Mais  toi,  Zeanne!  dileau  lapas  encore 
paré? 

Dernier  ptit  roce  réponde  :  «  Oui,  bonhomme, 
vine  prend  li  !  » 

Loulou  saute  lescalier,  fonce  lacousine  :  difé 
napas;  çaudière  vide!  Li  couri  dans  fond  lacour, 
li  arrive  ptit  lacase  :  laporte  ouvert  en  grand,  Zean 
fine  balié. 

Loulou  kimé.  Li  rente  so  laçambe,  li  quitte 
pantouflfe,  mette  botte,  saute  Ihaute  cimin,  bourré 
même. 

Avlà  Zeanne  vire  latête,  li  voir  bonhomme 
loulou  vini,  li  dire  av  Zean  :  «  Alà  papa  !  » 

Lékeir  Zean  sauté,  li  dire  av  Zeanne  :  «  Ah 
Bondié,  mamzelle,  qui  vous  voulé  mo  va  faire?  » 

—  Napas  bisoin  peir  !  to  va  vine  éne  bassin, 
mo  va  vine  éne  canard  :  laisse  li  vini. 

Avlà  Zean  vine  éne  bassin,  Zeanne  vine  éne  ca- 
nard. 

Loulou  arrivé,  li  trouve  éne  canard,  li  demande 
li: 


90  HISTOIRE   DE   JEAN    ET   DE   JEANNE 

—  Eh  toi,  canard!  N'as-tu  pas  vu  Jean  et 
Jeanne  passer  par  ici  ? 

Le  canard  répond  :  «  Couin  !  couin  !  »  Bon- 
homme loup  renouvelle  sa  question;  le  canard 
répond  toujours  :  «  Couin  !  couin  !  «  Le  loup  est 
obligé  d'y  renoncer.  Il  monte  au  sommet  d'un 
grand  arbre,  regarde,  regarde  au  loin  :  personne 
sur  le  chemin  !  Que  faire  ?  Tout  déconcerté  il  re- 
descend, retourne  chez  lui  et  raconte  tout  à  sa 
bonne  femme  : 

—  Je  n'ai  rencontré  qu'un  canard  ;  mais  à 
toutes  mes  questions,  il  n'avait  qu'une  réponse  : 
«  Couin  !  couin  !  couin  !  couin  !  »  11  n'y  a  pas 
d'animal  aussi  bête  que  le  canard! 

La  bonne  femme  se  met  à  rire  : 

—  Si  fait  va  !  Je  connais  un  animal  plus  bête 
que  le  canard  !  Le  loup  est  plus  bête  que  le  ca- 
nard !  Comment  !  tu  n'as  pas  deviné  que  c'était 
eux-mêmes,  ça  !  C'était  eux-mêmes,  te  dis-je  ! 
Jeanne  s'est  moquée  de  toi  ;  c'était  elle  le  canard  ; 
va  les  attraper. 

Le  loup  est  furieux.  Il  retourne  sur  le  grand 
chemin  à  la  course. 

Jeanne  tourne  la  tête  ;  elle  voit  venir  le  loup  et 
dit  à  Jean  : 

—  Voilà  papa  qui  revient.  Mais  tu  n'as  pas 
besoin  d'avoir  peur  :  laisse-moi  faire.  Tu  seras 
une  cliarrette  et  un  âne,  je  serai  le  charretier. 


ZISTOIRE   ZEAN   AV    ZEANNE  9I 

—  Eh  toi,  canard  !  to  napas  fine  trouve  Zean 
av  Zeanne  passe  par  ici  ? 

Canard  réponde  :  «  Couin  !  couin  !  »  Bon- 
homme loulou  dimande  encore;  canard  nèque 
réponde  :  «  Couin  !  couin  !  »  Loulou  blizé  arrête 
causé.  Li  monte  làhaut  éne  grandgrand  pied  di- 
bois,  li  guété,  li  guété,  li  guété  :  personne  dans 
cimin  !  Qui  li  a  faire?  Labcc  sauté  !  Li  dicendé,  li 
tourne  lacase,  li  raconte  tout  ça  son  bonne- 
femme  : 

—  Mo  té  zoinde  nèque  éne  canard  ;  mais  tout 
ça  qui  mo  dimande  li  li  nèque  réponde  :  «  Couin  ! 
couin  !  couin  !  couin  !  »  Napas  énan  zanimaux 
bête  coument  canard  ! 

Bonne  femme  rié  : 

—  Si  fait  va,  mo  cône  zanimaux  plis  bête  qui 
canard  :  loulou  plis  bête  qui  canard  !  Côment  !  to 
napas  fine  maziné  qui  zaute  même  ça?  Zaute 
même  ça,  mo  dire  toi  !  Zeanne  fine  baingne  av 
toi  ;  li  même  canard  ;  aile  tchiombô  zaute. 

Colère  loulou  levé.  Li  tourne  grand  cimin,  li 
taillé. 

Avlà  Zeanne  vire  latête,  li  trouve  loulou  vini, 
li  dire  Zean  ; 

—  Avlà  papa  vine  encore  !  Mais  to  pas  bisoin 
peir,  laisse  moi  arranze  zaffaire.  To  a  vine  éne 
çarette  av  bourique,  mo  a  vine  çarretier. 


92  HISTOIRE   DE   JEAN   ET   DE   JEANNE 

Le  loup  arrive.  Il  voit  une  charrette  traînée 
par  un  âne,  l'âne  refuse  dans  une  montée.  Il  de- 
mande au  charretier  : 

—  Eh  .vous,  charretier!  Vous  n'avez  pas  vu 
Jean  et  Jeanne  passer  sur  le  chemin  ? 

Le  charretier  ne  s'occupe  que  de  sa  charrette  ; 
il  pousse  à  la  roue  et  crie  à  son  âne  :  «  Haïe,  toi  ! 
haïe,  toi!  » 

Le  loup  répète  sa  question,  le  charretier  crie  : 
«  Haïe,  toi  !  haïe,  toi  !  —  Vous  n'avez  pas  vu 
Jean  et  Jeanne  ?  —  Haïe,  toi  !  haïe,  toi  !  « 

Bonhomme  loup  y  renonce.  Il  monte  au  haut  de 
la  côte  et  regarde  :  personne  sur  le  chemin  que  le 
charretier  et  sa  charrette.  Le  loup  est  contraint 
de  retourner  chez  lui,  et  raconte  tout  à  sa  bonne- 
femme.  Sa  bonne  femme  lui  dit  : 

—  C'est  trop  fort  d'être  bête  comme  toi  !  c'est 
encore  eux,  ça  !  Mieux  vaut  que  j'y  aille  moi- 
même  !  jamais  tu  ne  les  rattraperais  ! 

La  bonne  femme  part, 

Jeanne  tourne  la  tête  ;  elle  voit  venir  la  bonne 
femme  et  dit  à  Jean  : 

—  Jean,  mon  pauvre  Jean!  cette  fois  c'est  ma- 
man qui  vient,  nous  sommes  pris;  maman  est 
plus  fine  que  moi!  Mais  je  vais  toujours  essayer, 
le  hasard  nous  fera  peut-être  échapper. 

Et  voilà  Jean  et  Jeanne  qui  se  changent  en 
deux  fleurs. 


ZISTOIRE   ZEAN   AV   ZEANNE  93 


Loulou  arrivé,  Li  trouve  éne  çarette  bourique 
qui  fine  cale  dans  montée,  li  dimande  çaretier  : 

—  Eh  vous,  çaretier  !  vous  napas  fine  trouve 
Zean  av  Zeanne  passe  làliaut  çimin? 

Çaretier  nèque  occipe  so  çarette,  li  pousse  dans 
laroue,  li  crie  so  bourrique  :  «  Haie  toi  !  haie 
toi  !  » 

Loulou  dimande  encore,  çaretier  crié  :  «  Haie 
toi!  haie  toi?  —  Vous  napas  fine  trouve  Zean 
av  Zeanne  ?  —  Haie  toi  1  haie  toi  !  » 

Bonhomme  loulou  lassé  causé.  Li  arrive  en 
haut  lamontée,  li  guété,  li  guété  ;  personne  Ihaut 
cimin,  nèque  çarretier  av  so  çarette.  Loulou  blizé 
tourne  lacase.  Li  raconte  ça  av  so  bonnefemme, 
bonnefemme  dire  li  : 

—  Trop  fort  bête  cornent  toi  !  Zaute  même  ça. 
Vaut  mié  mo  aile  mo  même,  zamais  to  pour 
gagne  zaute. 

Bonnefemme  allé. 

Zeanne  vire  latête,  li  trouve  bonnefemme  vini, 
li  dire  Zean  : 

—  Zean,  mo  pauve  Zean  !  ça  fois  là  manman 
qui  vini,  nous  maillé  même,  manman  plis  malin 
qui  moi  !  Mais  laisse  moi  tout  de  même  sayé  : 
éne  coup  de  manqué  quiquefois  nous  va  çappé. 

Avlà  Zean  av  Zeanne  fine  vine  dé  pieds  bou- 
quets. 


94  HISTOIRE   DE   JEAN   ET   DE  JEANNE 

La  bonne  femme  arrive  et  voit  les  fleurs  ;  elle 
les  regarde  et  leur  dit  : 

—  Eh  vous,  les  enfants  !  est-ce  que  vous  vous 
figurez  que  deux  marmailles  comme  vous  vont 
jouer  au  sorcier  avec  moi  !  Levez-vous  !  je  l'or- 
donne. 

Jean  et  Jeanne  obéissent.  Ils  se  tiennent  debout 
devant  la  bonne  femme,  et  ils  pleurent.  La  bonne 
femme  les  regarde,  elle  ne  dit  rien,  elle  songe. 
Si  elle  les  ramène  au  bonhomme  loup,  le  bon- 
homme les  mangera.  Mais  Jeanne  est  sa  fille  ; 
Jean  est  un  enfant  qu'elle  a  entre  ses  mains  de- 
puis sa  naissance  !  Son  cœur  se  serre.  Non,  c'est 
impossible!  ses  yeux  se  mouillent.  Soudain  elle 
prend  Jeanne  entre  ses  bras,  la  presse  sur  son 
cœur  et  l'embrasse;  puis,  la  poussant  vers  Jean, 
elle  leur  dit  : 

—  Allez,  enfants!  allez-vous-en,  partez,  par- 
tez ! 

Jean  et  Jeanne  s'en  vont. 

La  bonne  femme,  immobile,  les  suit  des  yeux 
et  les  regarde  jusqu'à  ce  qu'ils  aient  disparu  dans 
le  lointain. 

Alors  elle  s'essuie  les  yeux  et  reprend  le  che- 
min de  sa  maison. 

Sur  sa  route,  elle  rencontre  deux  gros  chiens  ; 


ZISTOIRE   ZEAN   AV   ZEANNE  95 


Bonnefemme  arrivé,  li  trouve  pieds  bouquets 
là,  li  guété,  li  dire  av  zaute  : 

—  Eh  vous,  zenfants  !  Sipas  vous  croire  mar- 
maille cornent  vous  qui  va  faire  sourcier  av  moi  ? 
Levé,  mo  causé  ! 

Zean  av  Zeanne  levé,  zaute  diboute  divant 
bonnefemme  là,  zaute  ploré.  Bonnefemme  guette 
zaute,  guette  zaute  longtemps  :  li  maziné.  Quand 
li  amène  zaute  av  bonhomme  loulou,  bonhomme 
va  manze  zaute.  Mais  Zeanne  son  pitit!  Zean  éne 
zenfant  li  fine  gagne  dans  so  lamain  dipis  li 
sourti  dans  vente  so  manraan  !  Lékeir  bonnefemme 
bourlé.  Napas  moyen,  ça  !  so  liziés  mouillé.  Ene 
coup  là  li  prend  Zeanne  dans  so  lébras,  li  embrasse 
embrasse  li,  li  pousse  H  av  Zean,  li  dire  zaute  : 

—  Allé,  zenfants  !  allé  !  allé  même,  mo  dire 
vous  ! 

Zean  av  Zeanne  allé. 

Bonnefemme  dibouté  ;  li  guette  zaute  allé,  li 
guette  zaute  allez  isquà  li  napas  plis  capav  trouve 
zaute  dans  loin. 

Lhére  là,  bonnefemme  souye  liziés,  li  tourne 
la case. 

Dans    cimin     li    zoinde    dé    gros    licien  ;     li 


96  HISTOIRE   DE   JEAN   ET   DE   JEANNE 


elle  les  tue,  leur  ouvre  le  ventre  et  en  tire  le  foie. 
Quand  elle  arrive  chez  elle,  elle  donne  les  deux 
foies  à  son  bonhomme  loup  et  lui  dit  : 

—  Voilà  leurs  foies,  mange.  Pour  moi,  je  suis 
épuisée  de  fatigue;  j'entre  au  lit,  j'ai  besoin  de 
dormir. 

Le  loup  mange,  et,  quand  il  a  fini,  il  ne  se 
sent  pas  le  ventre  plein.  Il  dit  avec  humeur  : 

—  Mais  pourquoi  donc  ne  m'avoir  pas  apporté 
leurs  deu;?L  corps? 

La  bonne  femme  se  fâche  ; 

—  Ah  ça!  me  croyez-vous  un  cheval  pour 
transporter  deux  gros  corps  comme  ça  !  Eli  vous, 
bonhomme  !  assez  grogner,  n'est-ce  pas  ?  Laissez 
dormir  les  gens  :  j'ai  sommeil  ! 


Le  cadre  n'est  pas  de  nous,  non  plus  que  bien  des  détails  : 
on  connaît  dans  toutes  les  provinces  maritimes  de  la  France  le 
navire  qui  va  aussi  bien  sur  la  terre  que  sur  l'eau  ;  la  montagne 
labourée,  ensemencée  et  donnant  sa  récolte  dans  une  heure, 
n'est  pas  non  plus  de  notre  invention  ;  pas  davantage  les  cailloux 
parlants  que  Jeanne  jette  dans  la  chaudière.  Mais  le  conte  est 


ZISTOIRE   ZEAN   AV  ZEANNE  97 

touye  zaute,  li  ouvert  zaute  vente,  li  tire  léfoie. 
Lhére  H  arrive  lacase,  li  donne  léfoie  av  son 
bonhomme  loulou,  li  dire  li  : 

—  Avlà  zaute  léfoie,  manzé.  Moi  mo  lassé 
même;  mo  rente  dans  lilit,  mo  bisoin  dourmi. 

Lhère  loulou  fine  manzé,  vente  napas  plein.  Li 
comence  grogne  grogné. 

—  Mais  qui  faire  to  napas  ti  amène  zaute  dé 
lécorps,  donc! 

Bonnefemme  en  colère  : 

—  Sipas  vous  croire  mo  éne  couvai  pour 
çarrié  dé  gros  lécorps  coument  ça  !  Eh  ous,  bon- 
homme assez  grogné,  oui  !  Laisse  doumounde 
dourmi  :  soméye  av  moi  ! 


devenu  nôtre  par  la  fusion  parfaite  de  ces  éléments  étrangers 
avec  nos  créations  personnelles. 

Nous  avons  signalé  dans  notre  préface  l'émotion  si  peu  habi- 
tuelle du  dénoûment.  Le  lecteur  rencontrera  dans  Namcouticouti 
une  mère  moins  débordante  de  tendresse  maternelle. 


IX 
HISTOIRE   DE   NAMCOUTICOUTI 


L  y  avait  une  fois  une  femme  qui  était  sur 
iM  le  point  d'accoucher.  Un  jour  elle  dit  à 
son  mari  :  «  J'ai  envie  de  boire  de  l'eau 
sans  grenouilles  ;  va  m'en  chercher  !  » 

Le  mari  part.  Il  arrive  au  bord  d'une  rivière  et 
dit  :  «  Est-ce  qu'il  y  a  des  grenouilles  là-dedans?  » 
Les  grenouilles  répondent  :  «  Coa,  coa.  »  Il  va  à 
une  autre  rivière  :  «  Est-ce  qu'il  a  des  grenouilles 
là-dedans?  —  Coa,  coa.  »  Il  marche,  il  marche. 
Il  arrive  auprès  d'une  belle  rivière  et  crie  :  «  Est- 
ce  qu'il  y  a  des  grenouilles  là-dedans?  »  Pas  de 
réponse.  Il  goûte  l'eau  :  maman  !  ça  ne  s'appelle 
pas  de  la  bonne  eau,  ça  !  c'est  doux  comme  sucre. 
Il  remplit  son  arrosoir  et  retourne  chez  lui. 

La  femme  n'eut  pas  plus  tôt  bu  un  peu  de  cette 
eau-là  qu'elle  dit  à  son  mari  :  «  Où  as-tu  pris 
cette  eau-là,  mon  coco?  Comme  c'est  bon!  dis- 


IX 
ZISTOIRE  NAMCOUTICOUTI 


fc^-^i  éna  éne  fois  éne  femme  qui  té  près  pour 
^|jt^  gagne  pitit.  Ene  zour  li  dire  so  mari: 
l^âr^  «  Mo  envie  boire  dileau  qui  napas  gour- 
nouille,  aile  çacé.  » 

Mari  allé.  Li  arrive  dans  bord  éne  larivière,  li 
dire  :  «  Ena  gournouille  làdans  ?  »  Gournouille 
réponde  :  «  Coa,  coa,  y)  Li  aile  à  côte  éne  laute 
larivière  :  «  Ena  gournouille  làdans?  —  Coa, 
coa.  »  Li  marcé,  li  marcé,  li  arrive  côte  éne 
belle  larivière,  li  crié  :  «  Ena  gournouille  là- 
dans? »  Li  napas  tende  narien.  Li  goûte  dileau 
là  ;  manman  !  napas  pelle  bon  dileau  ça  !  li  doux 
cornent  disic.  Li  rempli  so  larrosoir,  li  tourne  la- 
case. 

Sitôt  femme  fine  boire  morceau  dileau  là  li 
dire  so  mari  :  «  Cote  to  fine  gagne  ça  dileau  là, 
mon  coco?  côment  li  goût  !  dire  moi  cote  to  fine 


100  HISTOIRE    DE    XAMCOUTICOUTI 


moi  où  tu  l'as  trouvée?  —  Ce  n'est  pas  la  peine 
de  retourner  en  chercher;  c'est  au  loup,  cette 
eau-là  !  »  La  femme  lui  dit  :  «  Qu'y  faire  ?  Je 
suis  forcée  d'y  aller,  cette  eau-là  me  plaît  trop.  » 

Et  la  voilà  qui  s'en  va.  Elle  arrive  au  bord  de 
la  rivière  boit,  boit,  boit  jusqu'à  tomber.  Le  loup 
arrive,  la  voit,  vient  à  elle  et  lui  dit  :  «  Pourquoi 
as-tu  volé  mon  eau?  Maintenant  je  vais  te  man- 
ger !  —  Non,  Monsieur  le  loup  !  ne  me  mangez 
pas  !  C'est  une  envie  que  j'ai  eue,  car  je  suis  en- 
ceinte. Non,  Monsieur  le  loup  !  ne  me  mangez 
pas  !  —  Alors,  quand  ton  enfant  aura  quatre 
ans,  il  faut  que  tu  me  le  donnes  !  »  La  pauvre 
femme  a  si  grand  peur  qu'elle  dit  oui.  Le  loup  la 
laisse  partir. 

Aussitôt  qu'elle  fut  de  retour  chez  elle,  la 
femme  accoucha.  C'était  un  joli  petit  garçon, 
mais  malin,  vous  dis-je,  malin!  Inutile  d'en 
parler  ! 

Lorsque  le  petit  garçon  eut  quatre  ans,  le  loup 
vient  chez  la  mère  et  lui  dit  :  «  Eh  bien,  com- 
mère, me  voici!  Je  viens  chercher  l'enfant,  où 
est-il?  —  Il  est  à  jouer  dans  la  plaine,  Monsieur 
le  loup;  allez  le  chercher,  je  suis  sûr  que  vous  le 
trouverez.  » 

Quand  Namcouticouti  voit  venir  le  loup,  il  dit  à 
ses  camarades  :  «  Eh  vous,  les  enfants!  écoutez- 
moi.  Si  le  loup  vous  demande  où  est  Namcouti- 


ZISTOIRE   NAMCOUTICOUTI  lOI 


gagne  li.  —  Napas  lapeine  to  tourne  çace  ça  di- 
leau  là,  passequi  dileau  Louloup,  ça.  )>  So  femme 
dire  li  :  «  Qui  a  fére  !  mo  blizé  allé  touzours,  mo 
trop  content  ça  dileau  là.  » 

Avlà  li  allé,  li  arrive  bord  larivière,  li  boire,  li 
boire  zisqu'à  li  tombé.  Loulou  vini,  li  voir  li,  li 
vine  av  li,  li  dire  li  :  «  Qui  faire  to  fine  volor 
mon  dileau  ?  Açthére  rao  pour  manze  toi.  —  Non, 
Missié  Louloup,  napas  manze  moi  ;  mo  ti  gagne 
éne  lenvie  à  cause  mo  près  pour  gagne  pitit; 
napas  manze  moi,  Msié  Louloup  !  —  Alors,  quand 
to  pitit  là  va  fine  gagne  quatre  ans  faut  to  donne 
li  moi.  »  Pauv  femme  là  si  tant  gagne  peir  qui  li 
dire  oui.  Laisse  li  allé. 

Sitôt  li  arrive  dans  son  lacase  femme  là  gagne 
son  pitit,  éne  zoli  ptit  garçon,  mo  dire  vous; 
mais  malin,  malin,  napas  lapeine  causé! 

Quand  ptit  garçon  là  té  fine  gagne  quate  ba- 
nanées,  Louloup  vine  lacase  so  manman,  li  dire 
li  :  «  Ah  ben,  commère,  avlà  moi  !  mo  vine  çace 
pitit  :  à  cote  li?  —  Li  après  badine  dans  laplaine, 
Msié  Louloup  ;  aile 'guette  li,  mo  sîr  vous  a  trouve 
li.  » 

Côment  Namcouticouti  voir  Louloup  vini,  li  dire 
so  camrades  comme  ça  :  «  Eh  zautes,  zenfants, 
coûte  moi  bien  :  Si  Louloup  dimande  zaute  à  côte 


102  HISTOIRE   DE   NAMCOUTICOUTI 


couti,  VOUS  répondrez  tous  :  C'est  moi  qui  suis 
Namcouticouti  !  »  Le  loup  arrive  et  leur  dit  : 
«  Mes  enfants,  dites-mol  où  est  Namcouticouti  !  « 
Tous  les  enfants  crient  :  «  C'est  moi  qui  suis 
Namcouticouti,  père  loup  !  c'est  moi  qui  suis  Nam- 
couticouti !  ))  Le  loup  déconcerté  retourne  chez  la 
mère  de  Namcouticouti  et  lui  dit  :  «  Eh  vous  ! 
croyez-vous  vous  moquer  de  moi?  Où  est  Namcou- 
ticouti? —  Mais,  mon  Dieu  !  Monsieur  le  loup,  je 
vous  ai  dit  qu'il  était  dans  la  plaine,  Monsieur  le 
loup  !  —  Dans  la  plaine,  il  y  a  une  troupe  d'en- 
fants; je  leur  ai  demandé  qui  était  celui  qui  se 
nommait  Namcouticouti,  et  ils  m'ont  tous  ré- 
pondu :  «  Moi,  Ivlonsieur  le  loup  !  moi,  Monsieur 
le  loup!  moi.  Monsieur  le  loup!  —  Je  suis 
sûre  que  c'est  lui-même  qui  a  inventé  cette  malice- 
là  ;  il  est  malin  comme  pas  un.  Mais  écoutez-moi 
bien,  Monsieur  le  loup  :  demain  je  lui  donnerai 
son  déjeûner  dans  le  grenier  ;  vous  vous  cacherez 
dans  un  coin,  vous  l'attendrez,  et  je  suis  sûre 
que  vous  le  prendrez.  Mais  voilà  mon  mari  qui 
vient  ;  sauvez-vous  de  peur  qu'il  ne  vous  fasse  du 
mal.   «  Le  loup  détale. 

Le  lendemain,  de  grand  matin,  le  loup  se  cache 
dans  le  grenier.  Vers  six  heures,  la  maman  de  Nam- 
couticouti l'envoie  chercher  de  l'eau  à  la  rivière. 
Au  bord  de  la  rivière,  Namcouticouti  rencontre  une 
vieille  vieille  bonne  femme  qui  lui  dit  :  «  Donne- 


ZISTOIRE  NAMCOUTICOUTI  IO3 

Namcouticouti,  zaute  tout  va  réponde  :  moi  qui 
Namcouticouti.  »  Alà  Louloup  vini,  li  dire  :  «  Mo 
zenfant,  dire  moi  côte  Namcouticouti.  »  Tout 
zenfants  crié  :  «  Moi  qui  Namcouticouti,  papa  Lou- 
loup !  moi  qui  Namcouticouti.  »  Louloup  tourdi; 
li  tourne  lacase  manman  Namcouticouti,  li  dire 
li  :  «  Eh  vous  ;  vous  croire  ous  pour  baingne  av 
moi  !  où  li  Namcouticouti  ?  —  Mais  Bondié,  Msié 
Louloup,  mo  fine  dire  vous  li  dans  la  plaine, 
Msié  Louloup.  —  Dans  laplaine  éne  bande  zen- 
fants ;  mo  dimande  zaute  qui  cenne  là  qui  appelle 
Namcouticouti,  zaute  tout  réponde  :  «  Moi,  Msié 
«  Louloup  !  Moi  Msié  Louloup  !  »  —  Mo  sîr  li 
même  qui  té  mazine  ça  malice  là,  li  malin  cornent 
si  pas.  Mais  coûte  moi  bien,  Msié  Louloup  : 
dimain  mo  va  donne  li  so  dizné  dans  grenier  ; 
vous  a  caciette  dans  éne  coin,  vous  a  veille  li, 
mo  sîr  vous  a  gagne  li.  Mais  alà  mo  mari  vini  ; 
sauvé  prendgare  vous  gagne  dimal.  »  Louloup 
aèque  lofé. 


Lendimain  grand  bomatin  Louloup  caciette 
dans  grenier.  Sipas  six  hères,  manman  Namcouti- 
couti envoyé  li  çace  dileau  larivière.  A  côte  larivière 
là  Namcouticouti  zoinde  éne  viévié  bonnefemme 
qui  dire  li  :  «  Donne  moi  morceau  dileau  pour  mo 


104  HISTOIRE   DE   NAMCOUTICOUTI 

moi  un  peu  d'eau  à  boire,  mon  enfant.  »  Namcou- 
ticouti  répond  :  «  Bien  sûr  oui,  bonne  femme,  je 
vous  donnerai  de  l'eau,  parce  que  vous  êtes  vieille 
et  que  je  suis  jeune.  »  Et  Namcoucoutiti  donne  à 
boire  à  la  vieille.  Quand  elle  a  bu,  la  bonne  femme 
lui  dit  :  ((  Puisque  tu  es  un  bon  enfant,  je  ne  veux 
pas  que  le  loup  te  mange.  Prends  ma  baguette 
de  fée,  elle  te  fera  prendre  la  forme  que  tu  vou- 
dras. » 

Namcouticouti  retourne  à  la  maison  ;  sa  mère  lui 
dit  :  «  Aujourd'hui  tu  iras  déjeûner  au  grenier.  — 
Bon,  maman,  comme  vous  vous  voudrez  !  Mettez 
mon  assiette  au  grenier,  j'irai  manger  là  haut.  » 

Le  loup  veille,  veille.  Sur  les  onze  heures  en- 
viron, il  voit  une  petite  souris  près  de  l'assiette, 
la  souris  prend  un  grain  de  riz.  «  Eh  toi  !  ne 
mange  pas  ce  manger-là  ;  c'est  le  riz  de  Namcou- 
ticouti, ça.  »  Mais  la  souris  va,  vient,  tourne,  et 
grain  à  grain,  elle  finit  l'assiettée  de  riz.  Il  était 
tard  :  quatre  heures  allaient  sonner.  Le  loup  com- 
mence à  se  fâcher.  Il  descend  et  crie  à  la  femme  : 
«  Et  vous  !  vous  m'avez  encore  menti  !  Nam- 
couticouti n'est  pas  venu  dans  le  grenier,  je  n'ai 
vu  qu'un  petit  rat.  —  Mais  comment  êtes-vous 
bête  comme  ça  donc,  Monsieur  le  loup  !  C'était 
Namcouticouti  lui-même,  ce  rat-là  !  Mais  écoutez- 
moi  bien.  Demain  je  lui  mettrai  un  bonnet  rouge  : 


ZISTOIRE  NAMCOUTICOUTI  IO5 

boire,  mo  pitit.  »  Namcouticouti  dire  li  :  «  Bien 
sîr  oui,  bonnefemme,  mo  va  donne  vous  dileau, 
à  cause  vous  vie  et  qui  mo  zéne.  »  Namcouticouti 
donne  bonnefemme  là  dileau  pour  li  boire.  Lhére 
li  fini  boire  bonnefemme  là  dire  li  :  «  Passequi  to 
éne  bon  zenfant,  mo  napas  oulé  Louloup  manze 
toi  ;  prend  mo  baguette  sorcier,  to  va  vine  ça  qui 
to  voulé,  » 

Namcouticouti  tourne  lacase  so  manman,  so 
manman  dire  li  :  «  Zourdi  to  pour  aile  manze  to 
dizné  dans  grenier.  —  Bon,  manman,  côment 
vous  content  ça  ;  mette  mo  lassiette  dans  grenier, 
mo  va  aile  manze  làhaut.  » 

Louloup  veillé,  veillé.  Sipas  onze  hères  comme 
ça,  li  voir  éne  ptit  souris  àcote  lassiette  manzé, 
souris  là  prend  éne  grain  douriz.  «  Eh  toi!  napas 
manze  ça  manzé  là  ;  douriz  Namcouticouti  ça.  » 
Mais  souris  là  allé  vini,  allé  vini,  et  par  éné  grain 
éne  grain  li  fini  ça  lassiette  douriz  là.  Fine  tard, 
talhére  quatre  hères  ;  Loulonp  comence  en  colère, 
li  dicende  enbas,  li  crié  av  bonnefemme  :  «  Et 
vous!  vous  té  cause  menti  encore  av  moi,  Nam- 
couticouti napas  té  vine  dans  grenier,  mo  té 
trouve  nèque  éne  ptit  lérat.  — Mais  cômaous  bète 
comme  ça  donc,  Msié  Louloup  !  Namcouticouti 
li  même  qui  té  vine  ça  lérat  là.  Mais  coûte  moi 
bien  :  Dimain  mo  va  mette  éne  bonnet  rouze  av 


I06  HISTOIRE   DE   NAMCOUTICOUTI 


VOUS  le  trouverez  dans  la  plaine,  vous  l'empor- 
terez. »  Mais  pendant  qu'ils  causaient  ainsi,  il  y 
avait  un  petit  rat  sous  la  chaise.  Il  écoutait,  écou- 
tait, puis  il  partit. 

Le  lendemain,  de  bon  matin,  la  mère  de  Nam- 
couticouti  lui  met  un  bonnet  rouge.  Namcouticouti 
arrive  dans  la  plaine  ;  il  coupe  le  bonnet  par  mor- 
ceaux et  il  en  donne  un  à  tous  ses  camarades.  Le 
loup  arrive,  il  regarde,  il  voit  tous  les  enfants  avec 
du  rouge  sur  la  tête.  Il  est  fou  de  colère.  Il  re- 
tourne chez  la  mère  de  Namcouticouti  et  lui  crie  : 
«  Je  vais  vous  manger,  et  tout  à  l'heure,  vous  êtes 
trop  menteuse  !  Vous  n'avez  pas  d'enfant  qui  se 
nomme  Namcouticouti  ;  vous  vous  êtes  moquée  de 
moi  :  je  vais  vous  manger  !  »  La  femme  a  peur 
et  dit  au  loup  :  «  Ne  me  mangez  pas,  Monsieur  le 
loup  !  C'est  Namcouticouti  qui  vous  a  fait  tous 
ces  tours-là.  Il  est  malin,  mais  je  serai  plus  fine  que 
lui;  écoutez-moi  bien  :  demain  je  lui  couperai  les 
cheveux  tout  ras;  il  couche  toujours  dans  le  lit 
de  son  père  ;  le  soir  je  ferai  semblant  de  fermer 
la  porte,  mais  je  ne  ferai  que  la  pousser;  vous 
entrerez  dans  l'obscurité,  vous  tâterez  sa  tête, 
vous  le  prendrez.   »  Le  loup  s'en  va. 

Le  lendemain,  pendant  que  la  mère  de  Namcou- 
ticouti coupait  ses  cheveux,  Namcouticouti  se  mit 
à  réfléchir  :  «  Mais  pourquoi  fait-elle  donc  de  ma 
tête  une  brosse  de  coco?  »  Il  interroge  sa  baguette 


ZISTOIRE    XAMCOUTICOUTI  IO7 


li  ;  vous  va  trouve  li  dans  la  plaine,  vous  va 
prend  li.  »  Mais  cornent  zaute  dé  après  causé  là, 
ptit  lérat  té  enbas  çaise  ;  li  coûté,  li  coûté,  li  allé. 

Lendimé  bomatin  manman  Namcouticouti  donne 
li  éne  bonnet  rouze.  Namcouticouti  arrive  laplaine, 
li  coupecoupe  bonnet  là,  li  donne  tout  so  camrades 
éne  morceau.  Louloup  vini,  li  guetté,  li  trouve 
tout  zenfants  morceau  rouzerouze  làhaut  latête. 
Li  vine  fou  si  tant  li  encolère.  Li  tourne  lacase  man- 
man Namcouticouti,  li  crié  li  :  «  Talhére  là  même 
mo  pour  manze  vous,  vous  trop  mentor,  vous  napas 
éna  zenfant  qui  appelle  Namcouticouti,  vous  té 
enguéze  moi  ;  mo  pour  manze  vous  !  »  Bonne- 
femme  peir,  li  dire  Louloup  :  «  Napas  manze  moi, 
Msié  Louloup!  Namcouticouti  qui  té  faire  vous 
tout  ça  bande  malices  là  ;  li  malin,  mais  mo  va 
plis  malin  qui  li  ;  coûte  moi  bien  :  Dimain  mo  va 
coupe  so  civé  courtecourte  ;  touzours  li  dourmi 
dans  lilit  son  papa  ;  à  soir  mo  va  faire  semblant 
fréme  laporte,  mais  mo  va  néque  pousse  li;  vous 
va  rentré  dans  noirnoir,  vous  a  tâte  so  latête, 
vous  a  touque  li.  »  Louloup  allé. 

Lendimain ,  coma  manman  Namcouticouti 
coupe-coupe  son  civés  courtecourte,  Namcouti- 
couti ma^é.  :  «  Mais  qui  fére  li  fére  mo  latête  éne 
brosse  coco,  donc?  »  Li  diraande  so  baguette  sor- 


I08  HISTOIRE    DE   NAMCOUTICOUTI 


enchantée,  la  baguette  répond.  Namcouticouti  va 
et  vient  dans  la  maison,  il  met  la  main  sur  les  ci- 
seaux de  sa  mère  et  les  cache  dans  sa  poche.  Le 
soir,  quand  son  père  s'est  endormi,  Namcouticouti 
prend  les  ciseaux,  coupe  doucement  les  cheveux 
de  son  père  et  les  jette  sous  le  lit.  Il  avait  eu 
bien  juste  le  temps  de  finir  quand  il  entend  le 
loup  entrer.  Il  se  couche  au  bord  du  lit  du  côté 
de  la  muraille  et  fait  semblant  de  ronfler  fort 
comme  une  grande  personne.  Le  loup  vient,  il 
tâte  la  tête  du  père  de  Namcouticouti,  il  l'emporte, 
le  fait  rôtir  et  le  mange. 

Le  lendemain  matin  la  mère  de  Namcouticouti 
l'aperçoit  et  s'étonne.  «  Mâtin  !  se  dit-elle,  ce 
petit-là  est  malin  même,  oui  !  il  a  encore  trouvé 
le  moyen  de  mettre  dedans  ce  loup-là.  »  Mais  en 
balayant  la  chambre,  elle  balaye  les  cheveux  de 
son  mari  ;  un  soupçon  lui  vient,  elle  demande  à 
Namcouticouti  :  «  Namcouticouti ,  où  est  ton 
père  ?  »  Namcouticouti  détale  et  crie  à  sa  mère  : 
«  Demande  au  loup.  » 

La  femme  entre  en  fureur,  elle  veut  tuer 
Namcouticouti.  Il  file  à  toutes  jambes,  sa  mère  le 
poursuit.  Il  arrive  au  bord  d'une  grande  rivière. 
«  Comment  vais-je  faire,  se  dit-il,  pour  passer 
toute  cette  eau-là?  «  Il  voit  sa  mère^ui  arrive, 
et  pense  à  sa  baguette  :  le  voihi  qui  se  change  en 
caillou.   Sa   mère  vient   et  crie  tout   en   colère  : 


ZISTOIRE   NAMCOUTICOUTI  IO9 

cier,  so  baguette  dire  li.  Namcouticouti  virevire 
dans  lacase,  li  pèse  ciseaux  so  manman,  li  cadette 
dans  son  poce.  A  soir,  cornant  son  papa  après 
dourmi,  Namcouticouti  prend  ciseaux,  li  coupe 
civés  son  papa  doucement  doucement,  li  zette 
enbas  Hlit.  Li  té  nèque  gagne  létemps  fini,  li 
tende  Louloup  rentré  ;  li  vire  so  lécorps  dans 
bord  lilit  côte  lamiraille,  li  faire  semblant  ronfle 
fort  côment  éne  grand  doumounne.  Louloup  vini; 
li  tâte  tâte  latête  papa  Namcouticouti,  li  senti 
civés  courte,  li  tchiombô  li,  li  amène  li,  li  faire 
rôti,  li  manzé. 

Lendimain  bomatin  manman  Namcouticouti  voir 
li,  li  toné,  li  dire  :  «  Mâtin  !  ptit  là  li  malin  même 
oui!  li  fine  trouve  encore  éne  magnère  embête 
Louloup  là  !  »  Mais  côment  li  après  balié  so  la- 
çambe,  li  balié  civés  son  mari,  li  gagne  éne  ladou- 
tance,  li  dimande  Namcouticouti  ;«  Namcouticouti, 
à  côte  ton  papa?  »  Namcouticouti  nèque  lofé,  li 
crie  so  manman  :  «  Dimande  Louloup.  » 

Femme  là  enrazé,  li  voulé  touye  Namcouuti- 
couti.  Namcouticouti  vanné  même,  so  manman 
derrière  li.  Li  arrive  dans  bord  éne  larivière  : 
«  Côment  mo  va  faire,  li  dire,  pour  passe  ça 
grand  dileau  là!  »  Li  trouve  so  manman  vini,  li 
pense  son  bambou  sorcier,  li  neque  vine  éne 
roce.  So  manman  vini  ;   dans  soencolère  li  crie  : 


IIO  HISTOIRE    DE   KAMCOUTICOUTI 

«  Où  es-tu?  OÙ  es-tu?  »  Elle  voit  soudain  les 
feuilles  de  songe  remuer  sur  l'autre  bord  de  la 
rivière,  et  croit  que  c'est  Namcouticouti.  Elle  se 
baisse,  ramasse  le  caillou  et  le  jette  dans  les  songes 
de  l'autre  côté  de  la  rivière.  Namcouticouti  re- 
prend sa  forme  humaine.  Il  rit  et  dit  à  sa  mère  : 
«  Grand  merci,  maman,  c'est  vous-même  qui 
m'avez  sauvé  la  vie.  » 

Puis  il  s'en  va  et  disparaît. 

Depuis  ce  jour,  jamais  plus  je  ne  l'ai  revu. 


C'est  un  des  plus  répandus  de  nos  contes  ;  nous  en  avons 
quatre  rédactions  sous  des  titres  différents.  Ce  n'est  pourtant,  à 
y  regarder  de  près,  qu'une  adaptation,  mais  des  mieux  réussies; 
assimilation  serait  mieux  dit. 

Ce  qui  nous  appartient  bien  en  propre,  semble-t-il,  c'est 
l'amour  filial   et  l'amour  maternel   de  ce  fils  et  de  cette  mère. 


ZISTOIRE   NAMCOUTICOUTI  III 

«  A  côte  toi  ?  à  côte  toi  ?  »  Avlà  li  voir  feilles 
sonze  bouzé  laute  côté  larivière,  li  croire  Nam- 
couticouti,  li  baissé,  li  ramasse  roce  là,  li  zette  li 
dans  pieds  sonze  laute  côté  larivière,  Namcouti- 
couti  vine  doumounde  encore.  Li  rié,  li  dire  so 
manman  :  «  Grand  merci,  manman  ;  vous  même 
qui  fine  sauve  mo  lavie.  » 

Après  ça  li  allé,  li  allé  même. 

Dipis  létemps  là  zamais  mo  té  trouve  li 
encore. 


D'autres  littératures  voudraient  voir  là  deux  monstres;  nous 
savons  nous  garder  de  prendre  les  choses  au  tragique  :  la  mère 
veut  à  toute  force  que  Loulou  mange  son  fils,  le  fils  s'en  tire  en 
faisant  manger  monsieur  son  père,  et  cette  substitution  lui 
inspire  une  douce  gaîté  :  on  est  spirituel. 


X 

L'ÉLÉPHANT   ET   LE   LIÈVRE 

EN   SOCIÉTÉ 


(N  jour  l'éléphant  dit  au  lièvre  : 
(^       —  Prenons  un  coin  de  terre,  nous  fe- 
rons un  jardin. 
Le  lièvre  accepte  et  dit  à  l'éléphant  : 

—  Seulement,  compère,  faisons  une  conven- 
tion :  celui  dont  la  pioche  se  démanchera  l'em- 
manchera sur  la  tête  de  son  associé. 

Le  lièvre  fait  exprès  de  mal  emmancher  sa 
pioche  qui  se  démanche  à  chaque  instant.  Et  le 
lièvre  de  crier  à  l'éléphant  : 

—  Compère,  ma  pioche  s'est  démanchée  :  ap- 
portez-moi votre  tête  que  je  l'emmanche  ! 

L'éléphant  prêtait  sa  tête,  et  le  lièvre  emman- 
chait sa  pioche. 


^®®®®®®®®^'®^'S 


X 

ZISTOIRE  LÉLÉPHANT  AVEC  YÈVE 

DÉ    COMPÈRES 


|NE  zour  l'éléphant  dire  av  Yève  : 

—  Anons  prend  impé  laterre,  nous  va 
faire  zardin. 

Yève  content  ;  li  dire  l'éléphant  : 

—  Mais,  compère,  nous  va  faire  éne  condi- 
tion :  ça  qui  so  pioce  déraancé,  li  va  emmance  li 
làhaut  latéte  so  camrade. 

Yève  emmance  so  pioce  lace  par  esprès  ;  à  tout 
moment  so  pioce  nèque  démancé.  Et  yève  nèque 
crie  av  l'éléphant  : 

—  Compère,  mo  pioce  fine  démancé  :  amène 
vous  latête  pour  mo  emmance  mo  pioce  ! 

Léléphant  amène  latête,  yève  emmance  pioce. 


114    l'éléphant  et  le  lièvre  en  société 

Voilà  qu'une  fois  la  pioche  de  l'éléphant  se  dé- 
manche à  son  tour,  et  l'éléphant  crie  au  lièvre  : 

—  Compère,  ma  pioche  est  démanchée;  ap- 
porte-moi ta  tête  que  je  l'emmanche. 

Le  lièvre  sent  son  cœur  s'en  aller.  Il  dit  à 
l'éléphant  :' 

—  Quoi  I  vous  n'avez  pas  pitié  de  moi,  mon 
camarade  !  Une  petite  tête  comme  la  mienne  !  du 
premier  coup  vous  la  casserez  ! 

L'éléphant  commence  à  se  fâcher  : 

—  Je  ne  sais  pas  tout  ça  moi,  compère.  Nous 
avons  fait  une  convention  :  quand  votre  pioche 
s'est  démanchée,  je  vous  ai  donné  ma  tête  ; 
maintenant  c'est  ma  pioche  qui  se  démanche  ; 
vous  devez  me  donner  votre  tête  pour  l'emman- 
cher. 

Le  lièvre  ne  veut  pas  porter  sa  tête,  l'éléphant 
veut  le  battre  ;  une  grosse  dispute  s'élève,  le 
lièvre  se  sauve.  L'association  est  rompue,  le 
lièvre  et  l'éléphant  cessent  de  travailler  en  com- 
mun. 

Voilà  qu'un  jour  l'éléphant  donne  un  bal.  Il 
invite  tous  les  animaux  excepté  le  lièvre.  C'est  la 
tortue  qui  sera  le  ménétrier,  et  son  violon  est 
une  calebasse. 

Quand  le  lièvre  apprend  que  c'est  la  tortue  qui 
doit  faire  danser,  il  lui  dit  : 

—  Commère,  mettez-moi  dans  votre  calebasse 


ZISTOIRE  LÉLÉPHANT  AVEC  YÈVE  DÉ  COMPÈRES    1 1  5 


Avlà,  éne  coup,  pioce  léléphant  oussi  fine  dé- 
mancé.  Léléphant  crie  av  yève  : 

—  Compère,  mo  pioce  fine  dimancé  :  amène 
vous  latcte  pour  mo  emmance  mo  pioce  ! 

Lékeir  yève  aile  loin.  Li  dire  av  léléphant  : 

—  Vous  napas  çagrin  moi,  mo  camrade  ?  Ene 
ptit  ptit  latête  coument  ça!  premier  coup  vou  a 
casse  li. 

Léléphant  comence  en  colère  : 

—  Mo  napas  cône  ça,  moi,  compère.  Nous 
fine  faire  condition  :  Ihère  ous  pioce  ti  dimancé, 
mo  fine  done  vous  mo  latête.  Açthère  mo  pioce 
qui  dimancé  :  vous  bisoin  done  moi  vous  latête 
pour  mo  emmance  li. 

Yève  napas  voulé  amène  latête  ;  léléphant  voulé 
batte  yève  ;  zaute .  lève  éne  grand  dispite  :  yève 
sauvé.  Zassociés  fine  casse  cordon  :  yève  av  lélé- 
phant fine  quitte  travaille  ensembe. 

Avlà  éne  zour  léléphant  faire  éne  bal.  Li  en- 
gaze  tout  zanimaux,  xepté  yève.  Tourtie  qui 
pour  zoué  lamisique  ;  so  viélon  éne  calebasse. 

Quand  yève  coné  qui  tourtie  qui  pour  aile  misi- 
cien  dans  bal,  li  dire  tourtie  : 

—  Comère,  mette-moi  dans  vous   calebasse, 


ii6    l'éléphant  et  le  lièvre  en  société 


et  je  jouerai  pour  vous.  Mais  chaque  fois  qu'on 
vous  donnera  à  boire,  chaque  fois  qu'on  vous 
donnera  à  manger,  vous  en  mettrez  un  peu  pour 
moi  dans  la  calebasse. 

Le  bal  commence.  Le  lièvre  joue,  la  tortue  lui 
donne  à  boire.  Voilà  le  lièvre  saoul  tant  il  a  bu, 
et  il  se  met  à  chanter  tout  ce  qui  lui  passe  par  la 
tête. 

L'éléphant  écoute,  écoute.  Il  reconnaît  que 
c'est  le  lièvre  qui  est  dans  la  calebasse.  Il  se  fâche 
et  demande  à  la  tortue  pourquoi  elle  a  apporté  le 
lièvre  dans  sa  calebasse.  Il  veut  battre  la  tortue, 
la  calebasse  tombe,  la  calebasse  se  casse,  et  le 
lièvre  se  sauve. 


Nous  avons  de  ce  conte  plusieurs  rédactions  avec  variantes, 
preuve  de  sa  popularité.  Il  est  de  ceux  qui  n'aboutissent  pas,  et 


ZISTOIRE  LÉLÉPHANT  AVEC  YÈVE  DÉ  COMPÈRES    1 1 7 


mo  va  zoué  vous  part.  Mais  çaque  fois  qui  a 
donne  vous  boire,  çaque  fois  qui  a  donne  vous 
manzé,  vous  va  mette  morceau  dans  calebasse 
pour  moi. 

Bal  coumencé.  Yève  zoué  lamisique.  Tourtie 
donne  li  boire.  Avlà  yève  soû  à  force  boire;  li 
comence  cante  bonavini. 

Léléphant  coûté,  coûté  :  li  coné  qui  yève  qui 
dans  calebasse.  Li  en  colère,  li  dimande  tourtie 
quifaire  li  fine  amène  yève  dans  so  calebasse.  Li 
voulé  batte  tourtie;  calebasse  tombé,  calebasse 
cassé  :  yève  sauvé. 


la  pauvreté  de  l'invention  nous  est  un  garant  de  l'authenticité 
de  son  origine  créole. 


jL  A  4:  -^  -t  '•^^  -^V  "t  -4  -t  4-  -t  4-  -t  .*-  -V  4^  -V  -t.  *t  -V 

•îj?  •";^  "îj?  "ij?  "j^  "^îe  "-^  "2^? -aje  "jp  "ip 


XI 

HISTOIRE  DE  PEAU-D'ÂNE 


^L  y  avait  une  fois  un  roi  qui  avait  une 
fille  charmante.  Ce  roi-là  était  veuf.  Le 
roi  dit  un  jour  à  sa  fille  :  «.  Marions- 
nous.  » 

Sa  fille  lui  répondit  :  «  Ah  !  mon  père  !  c'est 
impossible,  cela  !  tu  es  mon  père,  je  ne  veux  pas 
me  marier  avec  toi.  » 

Son  père  lui  dit  :  «  Ecoute  :  si  tu  y  consens,  je 
te  donnerai  tout  ce  que  tu  désireras.  Demande- 
moi  tout  ce  que  tu  voudras,  et  je  te  le  donne- 
rai. » 

Sa  fille  persista  dans  son  refus  ;  mais  il  la  sup- 
plia tant  qu'elle  fut  contrainte  de  dire  oui. 

Alors  le  roi  envoya  partout  des  messagers  pour 
avoir  ce  qu'il  voulait  donner  à  sa  fille,  car  il  lui 
avait  promis  de  lui  faire  cadeau  de  trois  robes  : 
une'  couleur  du  [soleil,  une   couleur  de  la  lune. 


^t»  t^G  (^u  t3it>  t^o  t^t>  Giti  oïÇ>  i.^  ï^o  oïo  crifcj  tu  o^  i^fo  ofe>  <-^  L?iô  t-w  GitxJfci 

^  "3^  "2^ '3J? -i^  "^j? '2p  "^p '3^  ^35?  "2^  "Sje  '  Jp -^  "^  "^ 


XI 
ZISTOIRE  PEAU-D'ÂNE 


n 


I  éna  éne  fois  éne  léroi  qui  ti  éna  éne  zoli 
■  mamzelle.  So  femme  ça  léroi  là  té  fine 
i  mort.  Ene  zour  léroi  là  dire  so  mamzelle  : 
«  Anons  marié.  » 

So  mamzelle  dire  li  :  «  Ah  !  papa  !  napas  ca- 
pabe,  ça!  to  mo  papa,  mo  napas  vlé  marié  av 
toi.  » 

So  papa  dire  li  :  «  Coûté  :  si  to  vlé,  mo  va 
donne  toi  tout  ça  qui  to  a  content  ;  dimande  moi 
tout  ça  qui  to  a  voulé,  mo  a  donne  toi.  » 

So  mamzelle  napas  vlé  ;  mais  à  force  li  sippliie 
li,  mamzelle  blizé  dire  oui. 

Alors  léroi  envoyé  çace  dans  tout  paye  pour 
gagne  ça  qui  li  ti  vlé  donne  so  mamzelle,  acause 
li  té  fine  dire  li  pour  donne  li  trois  robes,  éne 
couleir  soléye,  éne  couleir  laline,  eine  couleir  zé- 


120  HISTOIRE   DE   PEAU-D  ANE 

l'autre  couleur  des  étoiles.  Mais  quand  il  lui  eut 
donné  les  trois  robes,  la  princesse  refusa  de  dire 
oui,  parce  qu'elle  avait  une  marraine  qui  était  fée 
et  qui  l'en  empêchait. 

Enfin  le  jour  du  mariage  arriva.  De  grand  ma- 
tin, la  princesse  s'éveilla.  Elle  s'attacha  à  la  tête 
un  pahacat  et  dit  à  son  père  :  «  Je  suis  toute  chif- 
fonnée, je  ne  me  sens  pas  bien;  mieux  vaut  re- 
mettre ça  à  un  autre  jour.  » 

Quand  il  se  fut  passé  deux  ou  trois  jours  : 
«  Eh  bien!  lui  dit  son  père,  marions-nous.  » 
Elle  lui  dit  alors  :  «  Donnez-moi  la  peau  de  votre 
âne  »,  car  le  roi  avait  un  âne  qui  faisait  de  l'or, 
et  c'est  pourquoi  le  roi  était  si  riche.  Mais  le  roi 
lui  dit  ;  «  Non,  non,  c'est  impossible  !  pour  ça,, 
jamais  !  »  Alors  la  princesse  lui  dit  :  «  Si  tu  ne 
me  donnes  pas  la  peau  de  ton  âne,  je  refuse  de 
me  marier.   » 

Le  roi  tint  bon  deux  jours.  Mais  il  souffrait 
tant  qu'il  fut  obligé  de  retourner  à  la  chambre  de 
sa  fille,  et  il  lui  dit  :  «  Eh  bien  !  qu'y  faire?  je  te 
donnerai  donc  la  peau  de  mon  pauvre  âne  ;  mais 
écoute  bien  :  demain  même  nous  serions  mariés!  » 
Et  il  sortit  en  jetant  la  porte  sur  soi. 

Le  lendemain  de  grand  matin,  au  chant  du 
coq,  la  princesse  se  leva  et  courut  chez  sa  mar- 
raine, qui  habitait  non  loin  du  palais.  Sa  mar- 
raine lui  dit  :  «  Prends  ta  malle,  mets  toutes  tes 


ZISTOIRE   PEAU-D  ANE  121 

toiles.  Mais  Ihére  li  ti  fine  donne  H  so  trois  robes, 
so  mamzelle  napas  vlé  dire  oui,  acause  li  ti  éna 
50  marraine  qui  ti  sorcier  et  qui  tous  lézours  em- 
pesse  li  dire  oui. 

Enfin  zour  mariaze  vini.  Grand  matin,  fille 
léroi  levé,  amarre  so  latéte  same  pariaca,  li  dire 
so  papa  :  «  Mo  caya  caya,  mo  napas  senti  mo 
lécorps  bienbien  ;  vaut  mié  laisse  ça  pour  éne 
laute  zour.  » 

Dé  trois  zours  passé,  so  papa  dire  li  :  «  Ah 
ben!  anons  marié.  » 

So  fille  dire  :  «  Donne-moi  lapeau  vou  bour- 
rique »,  passequi  léroi  té  éna  éne  bourrique  qui  ti 
caca  lor  ;  ça  même  léroi  là  té  si  tant  rice.  Mais 
léroi  dire  :  «  Non!  napas  capab  !  zamais  ça!  » 
Alors  mamzelle  dire  :  «  Si  to  napas  donne-moi  la 
peau  to  bourrique,  mo  napas  vlé  marié.  » 

Léroi  reste  dé  trois  zours;  mais  so  léquer  trop 
bourlé,  li  blizé  tourne  laçambe  so  mamzelle,  li 
dire  li  :  «  Et  ben,  qui  a  fére!  mo  va  donne  toi 
lapeau  mon  pauve  bourrique  ;  mais  coûte  bien  : 
faut  dimain  même  nous  marié!  »  Lisourti,  li  tape 
lapôrte. 

Lendimain,  grand  bômatin,  coq  çanté,  la  fille 
levé,  li  couri  lacase  so  marraine  qui  té  reste 
proce  lacase  léroi.  So  marraine  dire  li  :  «  Prend 
to  lamalle,   mette  tout  to  linze  làdans,  après  ça 


122  HISTOIRE   DE   PEAU-D  ANE 


sauvé  hardes  dedans;  puis  sauve-toi,  je  te  rejoin- 
drai au  coin  de  la  rue.  » 

Le  roi  ne  se  doutait  de  rien  et  dormait  profon- 
dément. La  princesse  rejoignit  sa  marraine.  Elles 
marchèrent  tant  qu'elles  arrivèrent  bien  loin,  dans 
un  autre  pays.  La  marraine  de  la  princesse  lui 
avait  fait  une  robe  avec  la  peau  de  l'âne;  puis 
elle  la  conduisit  au  palais  du  roi  de  ce  pays-là. 

Quand  elle  fut  entrée  dans  le  palais,  la  jeune 
fille  dit  au  roi  :  «  Bonjour,  monsieur.  N'avez- 
vous  pas  besoin  de  quelqu'un  pour  garder  les 
oies?  —  Mais  tu  es  trop  sale,  »  répondit  le  roi. 
«  Non,  monsieur,  ne  croyez  pas  ça,  je  ferai  bien 
votre  ouvrage.  «  Elle  sut  si  bien  entortiller  le  roi 
qu'il  finit  par  la  prendre  à  son  service.  Il  lui 
donna  une  méchante  chambre  au  fond  de  la  cour. 
Deux  ou  trois  mois  se  passèrent,  et  l'on  n'avait 
aucun  reproche  à  lui  faire. 

Un  jour  la  femme  du  roi  passant  par  le  fond 
de  la  cour  l'aperçut  et  lui  dit  :  «  Comment  te 
nommes-tu?  —  Je  me  nomme  Peau  d'âne.  — 
Eh  bien,  écoute.  Demain,  j'ai  beaucoup  de 
monde  à  dîner  à  la  maison  ;  le  cuisinier  a  trop  à 
faire  ;  il  lui  faut  un  peu  d'aide  :  tu  me  feras  un 
gâteau.  Tu  as  entendu?  »  Et  la  reine   s'en   alla. 

Le  soir  du  même  jour,  le  fils  de  la  reine,  en  se 
promenant,  aperçut  une  lumière  par  la  fente  de  la 
porte  d'une  vieille  masure.  11  mit  un  œil  au  trou 


ZISTOIRE   PEAU-DANE  I23 

même  ;  mo  a  zouinde  toi  dans  coin  larie.  » 

Léroi  napas  conne  narien,  li  après  bien  dourmi. 
La  fille  zoinde  so  marraine  ;  zaute  marcé,  zaute 
marcé,  zaute  aile  loin  même,  zaute  arrive  éne 
laute  péye.  So  marraine  ça  fille  là  fine  faire  li 
éne  robe  av  lapeau  bourrique  là;  après,  li  amène 
li  lacase  léroi  ça  péye  là. 

Coma  li  rente  lacase  léroi  là,  la  fille  dire  en- 
sembe  léroi  :  «  Bonzour,  Missié,  ous  napas  bizoin 
dimoune  pour  garde  lazoies?»  Léroi  dire  :  «  Mais 
to  trop  sale.  »  Li  dire  :  «  Non,  msié;  napas  croire 
ça,  mo  a  fére  bien  vous  louvraze.  «  Afôrce  li  em- 
bête embête  léroi  là,  léroi  fini  par  prend  li  pour 
travail  ;  li  donne  li  éne  faille  laçambe  dans  fond 
lacour.  Dé  trois  mois  passé  ;  touzours  li  fére  bien 
so  louvraze. 

Ene  zour  femme  ça  léroi  là  coma  li  passé  dans 
fond  lacour,  li  trouve  li,  li  dire  li  :  «  Coma  to 
apélé?  —  Mo  apelle  Peau  d'âne.  —  Ah  ben, 
coûté  :  dimain  éne  bande  doumoune  pour  vine 
dine  lacase;  cousinier  trop  louvraze,  bisoin  donne 
li  morceau  lamain  :  to  a  fére  moi  éne  gâteau.  To 
tende!  »  Lareine  allé. 

Ça  zour  là  même  à  soir,  so  garçon  lareine 
coment  li  ti  après  promené,  li  trouve  éne  clairté 
dans  fente  laporte  éne  vie  lacase  ;  li   mette   lizié 


124  HISTOIRE   DE   PEAU-D  ANE 

de  la  serrure.  Maman  !  vous  dis-je,  il  faillit  se 
trouver  mal  tant  était  jolie  la  jeune  fille  qu'il 
aperçut.  C'était  la  chambre  de  Peau  d'àne.  11 
secoue  la  porte  ;  Peau  d'âne  est  tout  interdite  de 
le  voir  ;  il  entre.  Les  voilà  qui  causent,  qui  cau- 
sent, qui  causent.  Quand  il  fut  l'heure  d'aller  se 
coucher,  le  prince  lui  dit  :  «  N'ayez  pas  peur,  ne 
dites  rien  à  maman.  Maman  vous  a  dit  de  faire 
un  gâteau  ;  en  le  faisant,  jetez  dedans  cette  bague 
qui  est  à  mon  doigt.  Je  ferai  semblant  de  m'étran- 
gler.  Alors  les  choses  se  gâteront  ;  maman  sera 
forcée  d'envoyer  chercher  un  médecin,  et  nous 
verrons.  » 

Peau  d'âne  fait  le  gâteau  ;  elle  jette  la  bague 
dedans,  et  le  gâteau  cuit. 

Le  soir  arrive.  Tout  le  monde  mange.  Le 
prince  a  bien  remarqué  à  quel  endroit  du  gâteau 
se  trouve  la  bague.  Quand  on  en  est  au  gâteau, 
il  coupe  juste  le  morceau  où  est  la  bague  ;  il  le 
met  dans  sa  bouche,  et  soudain  jette  un  grand  cri 
comme  s'il  s'étranglait.  Tout  le  monde  se  lève  ; 
on  bouscule  la  table,  la  lampe  s'éteint,  les  verres 
se  brisent,  c'est  un  tapage  indescriptible.  Et  tous 
de  demander  au  prince  :  «  Mais,  qu'est-ce  que  tu 
as?  —  Mais,  qu'est-ce  que  vous  avez?  »  Il  montre 
sa  gorge.  Sa  mère  lui  dit  :  «  Ouvre  la  gorge  !  » 
Il  ouvre  la  bouche  ;  la  reine  voit  une  bague  au 
fond  de  sa   gorge.  Elle  essaye  de  la  retirer  :  ah  ! 


ZISTOIRE    PEAU-D  ANE  I2<y 

dans  trou  sérire...  Manman  !  mo  dire  vous,  li 
manque  gagne  éne  faiblesse  tellement  li  voir  éne 
2oli  mamzelle.  Ça  té  lacase  Peau  d'âne.  Li  sacouye 
laporte  ;  Peau  d'âne  toné  voir  li  :  li  entré.  Zaute 
causé,  causé,  causé  é  é.  Lhére  pour  aile  dourmi 
garçon  là  dire  li  :  «  Napas  peir;  napas  dire  man- 
man narien.  Manman  fine  dire  ous  fére  éne 
gâteau  :  l'hére  ous  a  fére  gâteau-là,  zette  ça  bague 
qui  dans  mo  lédoit  làdans  ;  mo  a  fére  semblant 
tranglé;  lhére  la  zaffaire  a  vine  sale,  manman  va 
bisoin  envoyé  casse  docteir,  mais  nous  a  guetté.  » 

Peau  d'âne  fére  gâteau  ;  li  zette  bague  làdans  ; 
gâteau  couit. 

A  soir  vini.  Tout  dimonde  manzé.  Garçon  là 
ti  fine  bien  guetté  à  cote  bague  dans  gâteau. 
Lhére  li  pour  manzé,  li  coupe  zisse  morceau  àcote 
éna  bague  ;  li  mette  dans  labouce,  éne  coup  là  li 
largue  éne  guélé  coma  dire  li  fine  tanguélé.  Tout 
doumoune  levé,  sacou3^e  latabe  :  lalampe  teingné, 
verres  cassé  ;  éne  lapaze  dans  lacase  là,  mo  dire 
vous  !  Zaute  tout  dimande  garçon  :  «  Mais  qui  to 
gagné?  —  Mais  qui  vous  gagné?  »  Li  monte  so 
lagôrze.  So  manman  dire  li  :  «  Ouvert  lagôrze.  » 
Li  ouvert  labouce  ;  so  manman  voir  éne  bague 
dans  son  lagôrze  ;  li  saye  tiré  :  aouah  !  napas 
fouti  ;  li  appelle    tout  mamzelles  qui  ti  là  pour 


126  HISTOIRE   DE   PEAU-d'ÂXE 


ouah  !  impossible  !  Elle  appelle  toutes  les  demoi- 
selles qui  sont  là  pour  retirer  la  bague  :  pas 
moyen.  Peau  d'âne,  qui  assiste  à  toute  la  scène,  se 
dit  en  elle-même  :  tout  à  l'heure,  nous  verrons 
bien  !  Voilà  le  roi  qui  prend  peur.  Si  son  fils 
allait  mourir  !  Il  sent  son  cœur  le  quitter.  Il  en- 
voie un  de  ses  soldats  sonner  de  la  trompette  par 
toutes  les  rues.  Et  le  soldat  criait  que  si  une 
jeune  fille  réussissait  à  tirer  la  bague  de  la  gorge 
du  prince,  c'est  elle  que  le  prince  épouserait. 

C'est  une  procession,  un  défilé  de  jeunes  filles 
qui  fourrent  et  refourrent  le  doigt  dans  la  bouche 
du  prince;  peine  perdue,  la  bague  est  attachée 
au  fond  de  la  gorge.  La  reine  commence  à  pleu- 
rer. Le  prince  essaye  de  parler  et  dit  tout  bas  à 
sa  mère  :  «  Ah  !  maman,  comme  je  souffre  ! 
Mais  laisse  Peau  d'âne  essayer  ;  peut-être  elle 
réussira.  »  Peau  d'âne  essaye.  Que  croyez-vous? 
La  bague  est  juste  à  son  doigt  1  le  doigt  entre,  et 
voilà  la  bague  dehors.  La  reine  ne  sait  quoi  dire 
et  reste  interdite.  Le  prince  tâte  sa  gorge  et 
s'écrie  :  «  Oui  !  oui  !  voilà  ce  qui  s'appelle  être 
soulagé!  Certainement,  c'est  Peau  d'âne  que 
j'épouserai  !  »  La  reine  se  fâche  et  s'emporte  ; 
mais  son  fils  lui  dit  :  «  Eh  vous  !  maman  !  je  dois 
tenir  la  promesse  de  papa  ;  papa,  vous  le  savez, 
n'est  pas  un  roi  à  dire  blanc  puis  noir  !   » 

Tandis  qu'ils  se  querellaient  ainsi   pour  savoir 


ZISTOIRE  PEAU-D  ANE  I27 

tiré  :  napas  capabe.  Peau  d'âne  guette  tout  ça  là, 
li  dire  dans  so  léquér  :  ta  Ihére  nou  a  guetté.  Avlà 
léroi  peir  ;  pengare  so  Jpitit  pour  mort  !  so  léquer 
aile  loin.  Li  envoyé  éne  son  soldats  sonne  trom- 
pette dans  tout  laries.  Soldat  là  crié  qui  si  éne 
mamzelle  capave  tire  bague  dans  lagôze  garçon 
léroi,  ensembe  li  même  garçon  va  marié. 


Mamzelles  vini,  mamzelles  vini,  mamzelles 
vini,  fourrefourre  lédoigt  ;  napas  moyen,  bague 
là  tâcé  dans  lagôrze.  Manman  comence  ploré. 
Lhére  là  garçon  là  saye  éne  ptit  causé,  li  dire  so 
manman  :  «  Aïoh  !  maman,  côman  mo  souffert  ! 
Mais  lésse  Peau  d'âne  sayé,  quiquefois  li  a  ca- 
pave. ))  Peau  d'âne  sayé.  Qui  ous  croire?  Bague 
zisse  dans  so  lédoit  :  heun!!  bague  dohors.  So 
manman  garçon  léroi  napas  cône  qui  li  a  dire,  li 
reste  séc.  Garçon  tâtetâte  son  lagôrze,  li  dire  : 
«  Ça,  oui,  qui  apélle  soulazé!  bien  sîr  'mo  va 
marié  ensembe  Peau  d'âne  !  »  Lareine  en  colère  ;  li 
fére  tapaze,  mais  garçon  dire  li  :  «  Eh  ous  !  man- 
man, mo  bisoin  fére  ça  qui  papa  fine  causé  :  papa 
napas  éne  léroi  dé  labouce,  vous  cône  !  » 


Côment  zaute  après  laguerre  pour  cône  sipasli 


128  HISTOIRE   DE   PEAU-D  ÂNE 


si  le  prince  épouserait  ou  n'épouserait  pas,  la 
marraine  de  Peau  d'âne  entre  dans  la  salle  à 
manger.  Elle  touche  de  sa  baguette  le  haut  de  la 
tête  de  Peau  d'âne,  et  voilà  Peau  d'âne  une  jolie 
princesse  avec  une  robe  couleur  du  soleil.  La  reine 
en  danse  de  joie. 

On  fit  une  noce  magnifique.  Tout  le  pays  fut 
invité.  On  mangea,  on  but,  on  dansa  toute  la 
nuit.  J'entre  pour  demander  un  petit  verre  de 
liqueur:  on  lâche  les  chiens  après  moi,  et  je  me 
sauve  ici. 


«  Si  Peau  d'âne  m'était  conté 
J'y  prendrais  un  plaisir  extrême.   » 
Oui,  mais  Peau  d'âne  mâtinée  de  Cendrillon  ? 


ZISTOIRE    PEAU-DANE  I29 

va  marié,  sipas  li  napas  marié,  avlà  marraine  Peau 
d'âne  rentré.  Li  néque  tape  éne  coup  so  baguette 
làhaut  latéte  Peau  d'âne  :  éne  coup  là  Peau  d'âne 
vine  zoli,  ensame  éne  robe  couleir  soléye.  Lareine 
dansé  tellement  li  content. 

Zaute  donne  éne  mariaze  papa  !  !  Tout  dou- 
moune  ça  paye  là  vini,  manzé,  boire,  dansé  tout 
lanouite.  Mo  aile  dimande  zaute  éne  pti  verre  lali- 
queur  ;  zaute  mette  liciens  av  moi  ;  mo  bisoin 
sauvé. 


Le  lecteur  verra  dans  ce  conte,  mieux  que  dans  tout  autre 
peut-être,  quels  singuliers  amalgames  peuvent  se  produire  dans 
la  mémoire  créole. 


)^ 


^^^^^^^^^^^^^ 


XII 
HISTOIRE  DE  SABOUR 


L  y  avait  une  fois,  dans  le  pays  de  l'Inde, 
]  un  riche  marchand  qui  avait  trois  filles. 
^,^-^i  Un  jour  que  le  marchand  était  sur  le 
point  de  partir  pour  aller  chercher  des  marchan- 
dises dans  un  autre  pays,  il  envoie  une  femme 
qui  était  à  son  service  demander  à  ses  trois  filles 
quels  cadeaux  elles  veulent  qu'il  leur  rapporte  à 
son  retour.  La  fille  aînée  répond  qu'elle  veut  un 
coUier  de  diamant;  la  seconde  demande  une  robe 
de  velours  bleu  ;  quant  à  la  troisième,  comme 
elle  lisait  quand  la  servante  vint  lui  faire  la  com- 
mission de  son  père,  elle  dit  à  la  femme  :  «  Sa- 
bour.  «  La  femme  croit  que  c'est  là  le  cadeau 
qu'elle  a  envie  de  se  voir  rapporter  par  son  père, 
elle  s'en  va,  et  transmet  au  marchand  les  trois 
réponses.  Le  marchand  est  pressé,  il  part. 

QjLiand   le   marchand    eut    terminé  toutes  ses 


^è^^i^iè^^^^iè^^^ 


XII 
ZISTOIRE  SABOUR 


_  I  éna  éne  fois  dans  paye  dans  l'Inde  éne 
&Jh^  rice  marçand  qui  té  gagne  trois  filles. 
Ene  zour,  cornent  ça  marçand  là  bisoin 
parti  pour  aile  çace  marçandises  éne  laute  paye, 
11  envoyé  éne  bibi  qui  té  so  domestique  dimande 
so  trois  mamzelles  qui  cadeau  zaute  voulé  li 
amène  pour  zaute  Ihère  li  va  tourné.  Premier 
fille  dire  li  vlé  éne  colier  diamant  ;  second  fille 
dimande  éne  robe  velours  blei  ;  troisième  fille, 
quand  bibi  là  vine  faire  comission  so  papa,  té' 
après  lire,  li  dire  bibi  :  a  Sabour.  »  Bibi  croire  ça 
même  cadeau  li  envie  so  papa  amène  pour  li,  li 
allé,  li  rende  tout  lé  trois  laréponses  ave  mar- 
çand. Marçand  pressé,  li  parti. 

Quand  marçand ^ne  fini  tout  so  zaffaires  dans 


132  HISTOIRE    DE   SABOUR 

affaires  dans  le  pays  où  il  était  allé,  il  songea  à 
s'en  retourner.  Il  achète  un  collier  de  diamants 
pour  sa  fille  aînée,  une  robe  de  velours  bleu  pour 
la  seconde,  mais  pour  la  troisième  il  n'achète 
rien,  ne  sachant  pas  ce  qu'elle  désire.  Tous  ses 
ballots  sont  ficelés,  le  marchand  monte  sur  son 
éléphant  et  lui  dit  :  «  Allons,  partons  !  »  mais 
l'éléphant  ne  bouge  pas.  C'était  la  manière  de 
faire  de  cet  éléphant  :  quand  son  maître  avait 
oublié  quelque  chose,  il  refusait  de  marcher  que 
son  maître  ne  se  fût  rappelé  ce  qu'il  avait  oublié. 
Le  marchand  s'interroge,  cherche;  à  moins  que 
ce  ne  soit  le  cadeau  de  sa  troisième  fille,  il  ne 
manque  rien  !  «  Peut-être,  se  dit-il,  que  dans  ce 
pays-ci  il  y  a  quelque  chose  du  nom  de  Sabour  ; 
il  faut  que  je  m'informe.  »  Il  interroge  une 
bonne  femme  qui  passe  ;  la  vieille  lui  répond  : 
«  Oui,  je  sais;  le  fils  du  roi  se  nomme  Sabour.  » 
Le  marchand  est  interloqué  :  comment  pourra-t-il 
rapporter  ce  cadeau-là  à  sa  fille  !  Mais  que  faire  ? 
l'éléphant  refuse  de  marcher  :  il  faut  bien  essayer. 
Le  marchand  se  rend  au  palais  du  roi  ;  il  porte 
des  présents  magnifiques  au  prince  Sabour,  et 
demande  à  lui  parler.  Quand  il  est  seul  avec  le 
prince,  il  lui  raconte  son  fait.  Sabour  se  met  à  rire 
de  l'idée  qu'il  pourrait  servir  de  cadeau  à  la  fille 
du  marchand,  et  lui  demande  en  plaisantant  si  sa 
fille  est  vraiment  jolie.  Le  marchand  tire   de  sa 


ZISTOIRE   SABOUR  133 


ça  paye  li  fine  allé  là,  li  pense  pour  tourné  ;  li 
acète  collier  diamant  pour  so  grand  fille,  li  acète 
robe  velours  blei  pour  son  second  fille,  mais  pour 
so  troisième  fille  là  li  napas  acète  narien,  li 
napas  cône  qui  li  envie.  Tout  paquets  fini 
amarré,  marçand  monte  làhaut  so  léléphant,  li 
dire  li  :  «  Allons  allé  !  »  mais  léléphant  napas 
bouzé.  Ça  même  so  manière  ça  léléphant  là  : 
quand  so  maîte  fine  bliye  quiqueçose,  zamais  li 
voulé  marcé  zisqu'à  so  maîte  souvini  ça  qui  li  té 
blié.  Marçand  maziné,  maziné  ;  quand  napas  ca- 
deau so  fille,  narien  manqué;  li  dire  :  «  Quique- 
fois  dans  paye  ici  iéna  éne  quiqueçose  qui  appelle 
Sabour,  faut  mo  cône.  «  Li  dimande  éne  bonne- 
femme  qui  passé,  bonnefemme  dire  li  :  «  Si  fait 
mo  cône  ;  son  fils  léroi  qui  appelle  Sabour.  » 
Marçand  tourdi  :  côment  li  a  capave  amène  ça 
cadeau  là  so  ptit  fille  !  Mais  qui  a  faire?  lélé- 
phant napas  vlé  marcé,  li  blizé  sayé. 


Marçand  aile  lacase  léroi,  li  amène  bellebelle 
cadeau  pour  prince  Sabour,  li  dimande  pour 
cause  ave  li,  Lhère  li  tout  seil  dans  laçambe  ave 
prince  Sabour,  li  raconte  li  tout  ça  là  ;  Sabour  rié 
côment  li  pour  servi  cadeau  ptit  fille  ça  marçand 
là,  et  li  dimande  en  badinant  sembe  marçand  là 
sipas  so  mamzelle  là  bien  zoli.  Marçand  tire  por- 


134  HISTOIRE   DE   SABOUR 


poche  le  portrait  de  sa  fille  et  le  tend  à  Sabour. 
Sabour  est  stupéfait  :  jamais  il  n'a  rien  vu  d'aussi 
charmant;  le  voilà  amoureux,  il  est  pris.  Mais, 
sans  rien  laisser  voir,  il  va  prendre  un  éventail 
dans  son  armoire  et  dit  au  marchand  :  «  Puisque 
vous  ave;^  eu  l'honnêteté  de  me  faire  de  beaux 
présents,  je  veux  en  retour  donner  quelque  chose 
à  votre  fille.  Ayez  la  complaisance  de  lui  remettre 
cet  éventail,  je  suis  sûr  qu'il  lui  fera  plaisir.  Mais 
remettez-le-lui  de  la  main  à  la  main,  et  recom- 
mandez-lui bien  d'attendre  pour  l'ouvrir  qu'elle 
soit  toute  seule  dans  sa  chambre.  «  Le  marchand 
remercie  le  prince  et  sort  du  palais.  Il  remonte 
sur  son  éléphant,  et  cette  fois  l'éléphant  se  met 
en  marche. 

De  retour  dans  sa  maison,  le  marchand  donne 
à  l'aînée  de  ses  filles  son  collier  de  diamant  ;  à  la 
seconde,  la  robe  de  velours  bleu  ;  il  donne  à  la 
dernière  l'éventail  dans  sa  boîte  et  lui  dit  com- 
ment elle  ne  doit  l'ouvrir  que  quand  elle  sera 
seule  dans  sa  chambre.  Le  marchand  s'en  va. 
Lorsque  la  jeune  fille  est  seule,  elle  ferme  la 
porte  de  sa  chambre,  tire  l'éventail  de  sa  boîte  et 
l'ouvre  ;  c'était  un  éventail  magique  :  le  prince 
Sabour  paraît.  Il  se  jette  aux  genoux  de  la  jeune 
fille,  il  prend  sa  main,  l'embrasse  et  lui  dit  :  «  Je 
suis  venu  pour  vous  épouser.  »  La  jeune  fille  est 
tout  heureuse,    car  le  prince    Sabour   était   joli 


ZISTOIRE   SABOUR  13$ 

trait  son  fille  dans  son  poce,  li  donne  Sabour, 
Sabour  reste  sec  :  zamais  li  té  voir  éne  zène  fille 
zoli  cornent  ça,  li  tombe  amouré,  li  maillé  même. 
Mais  li  napas  faire  semblant  narien  ;  li  tire  éne 
léventail  dans  so  lormoire,  li  dire  marçand  :  «  A 
cause  vous  té  gagne  l'honnête  faire  moi  bellebelle 
cadeau,  moi  oussi  mo  voulé  donne  quiqueçose 
vous  mamzelle  ;  gagne  complaisance  rémette  ça 
léventail  là  dans  so  lamain  même,  mo  sîr  li  va 
content  ;  mais  dire  li  pour  li  ouvert  léventail  là, 
faut  li  tout  seil  dans  so  laçambe.  »  Marçand  dire 
merci,  li  sourti  lacase  léroi,  li  monte  làhaut  so 
léléphant  ;  ça  fois  là  léléphant  allé  même. 


Lhére  li  fine  arrive  so  lacase,  marçand  donne 
so  grand  fille  so  colier  diamant,  li  donne  so  se- 
cond fille  so  robe  velours  blei,  li  donne  so  ptit 
fille  léventail  dans  boîte,  et  li  dire  li  doite  ouvert 
léventail  là  quand  personne  ave  li  dans  so  laçambe. 
Marçand  allé.  Lhère  ptit  fille  tout  seil,  li  frème 
laporte  so  laçambe,  li  tire  léventail  dans  boîte,  li 
ouvert  li  :  léventail  là  té  sorcier,  avlà  prince  Sa- 
bour paraîte.  Li  tombe  à  zounoux  divant  zène 
fille,  li  prend  so  lamain,  li  embrassé,  li  dire  li  : 
«  Mo  fine  vini  pour  marié  ave  vous.  »  Zène  fille 
bien  content  à  cause  prince  Sabour  zoli  garçon  ; 
mais  li  éne  zène  fille  bien  élevé,  li  dire  :  «  Di- 


136  HISTOIRE   DE   SABOUR 


garçon  ;  mais  elle  était  bien  élevée,  elle  répondit  : 
«  Demandez  à  papa.  «  Le  père  arrive,  et  voilà  le 
mariage  décidé. 

Mais  les  deux  aînées  sont  jalouses  de  voir  que 
leur  cadette  devienne  la  femme  d'un  fils  de  roi, 
alors  qu'elles  n'ont  pas  encore  trouvé  de  mari, 
bien  qu'elles  soient  plus  âgées  toutes  les  deux. 
Elles  imaginent  une  méchanceté.  Elles  lui  disent: 
«  Petite  sœur,  nous  sommes  bien  heureuses  !  Tu 
sais  que  c'est  nous  seules  qui  devons  faire  ta 
chambre  ;  ce  sont  toujours  les  soeurs  de  la  mariée 
qui  disposent  le  lit  le  jour  du  mariage.  N'aie  pas 
peur  ;  le  lit  sera  fait  de  telle  manière  que  tu  seras 
contente.  «  En  faisant  le  lit,  ces  deux  pestes 
sèment  du  verre  pilé  à  l'endroit  où  doit  se  cou- 
cher Sabour.  La  cérémonie  achevée,  Sabour 
rentre  dans  sa  chambre,  se  déshabille  et  se  met 
au  lit.  Tout  son  corps  est  coupé  par  le  verre 
pilé,  son  sang  ruisselle.  Il  essaye  de  se  lever,  la 
force  lui  manque.  Alors  il  dit  à  sa  femme  de  lui 
apporter  au  plus  vite  son  éventail.  Il  ferme  l'éven- 
tail d'un  coup,  la  femme  regarde  dans  le  lit,  le  lit 
est  vide,  Sabour  n'est  plus  là. 

La  jeune  femme  pleure,  gémit  et  attend  son 
mari.  Mais  le  mari  ne  revient  pas.  Six  ou  sept 
mois  se  passent.  Un  jour  que  la  jeune  femme 
lisait  le  journal,  elle  y  voit  écrite  la  nouvelle  que 
le  prince  Sabour  est  bien  malade  dans  son  pays, 


ZISTOIRE   SABOUR  I37 


mande  papa.  »  Papa  vini,  mariaze  arranzé. 


Mais  grand  seirs  zaloux  àcause  zaute  ptit  seir 
pour  marié  ave  éne  fils  léroi,  quand  zaute  dé 
qui  plis  vie  zaute  napas  encore  fine  trouve  mari. 
Zaute  mazine  éne  méçanceté.  Zaute  dire  li  :  «  Ptit 
seir,  nous  bien  content  !  to  cône  qui  nous  même 
qui  doite  faire  to  laçambe  ;  touzours  seirs  lama- 
riée  qui  arranze  so  lilit  zour  mariaze  ;  napas  peir, 
nous  napas  va  manque  narien  ;  lilit  là  va  aranze 
éne  magnère  qui  to  va  content.  »  Coment  zaute 
arranze  lilit,  ça  dé  lagale  là  fane  fane  plein  bou- 
teilles cassé  dans  place  àcote  prince  Sabour  pour 
dourmi.  Mariaze  fini,  Sabour  rente  dans  laçambe 
(tire  so  linze),  li  monte  dans  lilit  ;  avlà  tout  so 
lécorps  coupé  coupé  ave  ça  verre  cassé  là  ;  disang 
coule  tout  partout.  Li  saye  levé,  li  napas  laforce. 
Alorse  li  dire  so  femme  amène  vitement  so  lé- 
ventail  av  li.  Li  fréme  léventail  éne  coup. 
Femme  guéte  dans  lilit,  lilit  vide,  Sabour  fine 
allé. 

Zène  femme  là  ploré,  ploré;  li  aspère  so  mari; 
mais  mari  napas  tourné.  Six,  septe  mois  passé. 
Ene  zour  côment  zène  femme  là  après  lire  la- 
gazette,  li  trouve  nouvelle  qui  prince  Sabour  bien 
malade  dans  so  paye,  docteirs  napas  capave  guéri 


138  HISTOIRE   DE   SABOUR 

les  médecins  ne  peuvent  le  guérir  ;  son  père  a 
tant  de  chagrin  qu'il  s'engage  à  donner  la  moitié 
de  son  royaume  à  celui  qui  guérira  son  fils.  La 
jeune  femme  cache  la  gazette,  et  ne  dit  rien  à 
son  père  ni  à  ses  soeurs. 

Le  soir,  quand  tout  le  monde  dort  dans  la 
maison,  elle  s'habille  comme  un  prêtre  lascar, 
s'applique  sur  la  figure  une  fausse  barbe,  ouvre 
tout  doucement  la  porte,  et  se  sauve  pour  aller 
rejoindre  le  prince  Sabour  dans  son  pays.  Mais  il 
est  bien  loin,  ce  pays  !  il  faudra  endurer  bien  des 
misères  pour  y  arriver.  Elle  marche,  elle  marche 
pendant  près  de  trois  mois.  La  ville  n'est  pas 
loin  maintenant,  dans  deux  jours  le  voyage  sera 
terminé. 

Comme  la  nuit  venait,  la  jeune  femme  se  sentit 
lasse.  Elle  s'arrêta  pour  dormir  au  pied  d'un 
grand  arbre.  Au  moment  où  elle  s'endormait, 
voilà  qu'elle  entend  deux  oiseaux  causer  dans  les 
branches.  Elle  écoute  ;'  un  des  oiseaux  disait  à 
son  compagnon  :  «  Je  viens  de  la  ville,  le  prince 
Sabour  est  au  plus  mal.  Il  mourra,  bien  sûr,  car 
les  médecins  ne  savent  pas  quel  traitement  lui 
faire,  et  la  médecine  n'est  pas  difficile  à  trouver  : 
si  l'on  frottait  son  corps  avec  un  peu  de  la  fiente 
que  nous  jetons  au  pied  de  l'arbre  sur  lequel 
nous  dormons,  il  guérirait  vite,  cet  onguent  lui 
ferait  rendre  tout  le  verre  pilé  qui  a  pénétré  dans 


ZISTOIRE   SABOUR  139 

li  ;  so  papa  si  tant  çagrin  qui  li  engazé  pour 
donne  la  moitié  so  paye  doumounde  qui  va  faire 
so  garçon  çava  bien.  Zène  femme  cadette  la- 
gazette  là,  li  napas  dire  narien  so  papa  ave  so 
seirs. 

Asoir,  Iheire  tout  doumounde  après  dourmi 
dans  lacase,  li  habille  coment  éne  prête  lascar,  li 
colle  éne  labarbe  mardi  gras  dans  so  figuire,  li 
ouvert  laporte  doucement  doucement,  li  sauvé 
pour  aile  zoinde  prince  Sabour  dans  so  paye. 
Mais  paye  là  loin  même,  va  gagne  lamisère  pour 
arrivé.  Li  marcé,  li  marcé,  li  marcé  approçant 
trois  mois.  Açthère  laville  napas  loin,  dans  dé 
zours  vo3'aze  pour  fini.  Coment  lanouite  vini, 
zène  femme  fatigué;  li  arrête  pour  dourmi  enbas 
ène  grand  pied  zarbe.  Someye  comence  vine  ave 
li,  avlà  li  tende  dé  zozos  après  causé  dans  bran- 
çaze,  li  coûté  ;  éne  zozo  dire  ave  so  camrade  : 
«  Mo  vine  auport  ;  prince  Sabour  bien  bien  ma- 
lade même,  bien  sir  li  pour  mort  à  cause  docteirs 
napas  coné  qui  médecine  bisoin  faire  ave  li  ;  et 
médecine  là  napas  difficile  pour  trouvé  :  quand 
frotte  so  lécorps  ave  morceau  nous  fimié  qui  nous 
zette  enbas  pied  zarbe  à  côte  nous  dourmi,  li  pour 
guéri  vitement  même,  fimié  là  va  faire  li  rende 
tout  ça  verre  bouteye  qui  fine  rente  dans  so  lé- 
corps. »  Zène  femme  content  li  fine  tende  ça,  li 
dourmi.  Lendimain   grand  bomatin  zozo  allé;  li 


140  HISTOIRE    DE   SABOUR 

son  corps.  »  La  jeune  femme  est  heureuse  de  ce 
qu'elle  a  entendu,  et  s'endort.  Le  lendemain,  au 
point  du  jour,  les  oiseaux  s'envolent.  Elle  remplit 
un  petit  pot  de  leur  guano  de  la  nuit,  et  s'en  va. 

Lorsque  la  jeune  femme  arrive  à  la  ville,  le 
deuil  est  partout  ;  on  pleure  dans  les  rues  :  le 
prince  Sabour  a  passé  une  mauvaise  nuit,  les  mé- 
decins s'attendent  à  le  voir  mourir  d'un  instant  à 
l'autre,  il  n'y  a  plus  d'espoir.  La  jeune  fille  court 
au  palais  du  roi  ;  elle  dit  à  la  sentinelle  qui  est  à 
la  porte  d'aller  en  toute  hâte  prévenir  le  roi  qu'il 
y  a  là  un  prêtre  lascar  portant  une  médecine  qui 
va  guérir  le  prince  Sabour.  Le  roi  accourt  et  lui 
dit  :  «  Si  tu  sauves  mon  enfant,  tout  ce  que  tu 
me  demanderas  je  te  le  donnerai  ;  mais,  s'il 
meurt,  je  te  couperai  le  cou.  »  La  jeune  femme 
lui  répond  :  «  Ce  sont  bien  là  mes  conditions  ; 
mais  il  n'y  a  pas  de  temps  à  perdre,  allons  !  « 

Quand  ils  entrèrent  dans  la  chambre  de  Sabour 
et  que  la  jeune  femme  aperçut  son  pauvre  mari 
étendu  sur  son  lit  comme  un  cadavre,  elle  fut 
obhgée  de  s'asseoir  pour  ne  pas  tomber.  Mais 
rappelant  à  elle  son  courage,  elle  s'approche  du 
lit,  tire  son  onguent  de  sa  poche  et  en  frictionne 
tout  le  corps  de  Sabour.  Que  croyez- vous?  Voilà 
tout  le  verre  pilé  qui  sort  du  corps  de  Sabour,  et 
Sabour  est  guéri. 

Le  roi  saute  sur  le  prêtre  lascar,  il  l'embrasse 


ZISTOIRE   SABOUR  I4I 

ramasse  plein  fîmié  frais  zaute  fine  ûiire  pendant 
la  nouite,  li  mette  dans  éne  ptit  pot,  li  allé. 

Quand  zène  femme  arrive  en  ville,  li  trouve 
tout  dimounde  çagrin,  plore  ploré  dans  laries  : 
prince  Sabour  fine  passe  éne  mauvaise  lanouite, 
docteirs  croire  îalhère  li  pour  mort,  naplis  éna 
çava  ave  li.  Zène  fille  couri  lacase  léroi;  li  dire 
garde  qui  dans  la  porte  dégazé  même,  aile  dire 
léroi  éna  ène  prête  lascar  qui  amène  ène  méde- 
cine qui  va  guéri  prince  Sabour.  Léroi  vini,  li 
dire  li  :  «  Qiiand  to  guéri  mo  zenfant,  tout  ça 
qui  to  dimande  moi,  mo  va  donné;  mais  quand 
li  mort,  mo  coupe  to  licou.  »  Zène  femme  nèque 
dire  li  :  «  Napas  létemps  pour  perdi,  anons!  » 

Coment  zaute  rente  laçambe  Sabour  et  zène 
femme  là  trouve  so  pauve  mari  allonze  làhaut 
lilit  côment  ène  doumounde  mort,  li  blizé  assise 
pour  napas  tombé  ;  mais  li  amarre  so  léqueir,  li 
approce  à  côte  lilit,  li  tire  so  lapommade  dans  so 
poce,  li  frotte  frotte  tout  lécorps  Sabour  ave  ça 
fimié  zozo  là.  Qui  vous  croire?  Avla  tout  verres 
bouteye  sourti  dans  lécorps  Sabour,  Sabour 
guéri. 

Léroi  saute  làhaut  prête  lascar  là,  li  embrasse 


142  HISTOIRE   DE   SABOUR 

en  pleurant  et  lui  dit  :  «  Demande-moi  tout  ce 
qu'il  te  plaira  !  demande  !  tu  l'auras  !  «  Le  prêtre 
lascar  lui  dit  :  «  Je  vais  voir  si  vous  êtes  homme 
de  parole  :  j'ai  une  fille,  je  veux  que  le  prince 
Sabour  l'épouse.  —  Oui,  certes,  répond  le  roi, 
Sabour  épousera  ta  fille,  va  la  chercher.  ;>  Là- 
dessus,  Sabour  se  met  debout  :  «  Ça,  mon  père, 
jamais  !  jamais  !  donnez  au  lascar  tout  ce  qu'il 
voudra,  mais  que  j'épouse  sa  fille,  jamais  !  ja- 
mais !  »  Le  vieux  roi  est  interdit  et  ne  sait  quoi 
dire.  Puis  il  se  fâche  et  injurie  Sabour.  Le  prêtre 
lascar  fait  semblant  d'être  furieux  et  dit  à  Sabour  : 
«  Si  j'avais  pu  prévoir  l'affront  que  vous  deviez 
faire  à  ma  fille,  je  vous  aurais  laissé  mourir 
comme  un  chien  !  Mais,  parlez  !  dites  vos  raisons  ! 
Pourquoi  refusez-vous  d'épouser  ma  fille?  Ma 
fille  est  plus  jolie  que  vous!  »  Le  roi  se  joint  à 
lui  ;  tous  deux  le  pressent  :  «  Parlez  !  parlez  !  » 
Sabour  prend  la  main  de  son  père  et  lui  dit  : 
«  Mon  père,  il  faut  me  pardonner  !  je  ne  puis  me 
marier,  puisque  je  suis  marié  déjà,  et  j'aime  tant 
ma  femme  que  je  préférerais  mourir  que  de  la 
quitter  pour  en  épouser  une  autre  !  »  Le  roi  lève 
ses  deux  mains  au  ciel,  Sabour  tombe  assis  sur  le 
bord  de  son  lit.  Voilà  le  prêtre  lascar  qui  enlève 
le  turban  de  sa  tête  et  la  fausse  barbe  de  sa  figure 
et  qui  dit  à  demi-voix  :  «  Sabour  !  Sabour,  re- 
garde-moi !  »  Sabour   relève   la  tête,  le   regarde, 


ZISTOIRE   SABOUR  I43 

li,  li  ploré  :  «  Dimande  moi  ça  qui  to  content  ! 
dimandé,  mo  donné  !  »  Prête  lascar  dire  li  :  «  Mo 
pour  trouvé  si  vous  napas  éne  doumounde  dé  la- 
langues  :  mo  gagne  éne  ptit  fille,  mo  voulé  qui 
prince  Sabour  marié  ave  li.  »  Léroi  dire  :  «  Bien 
sîr  oui,  Sabour  va  marié  sembe  vous  mamzelle  : 
aile  çace  li  !  »  Sabour  éne  coup  lève  làhaut  so 
lipieds  :  «  Ça,  papa,  zamais  !  zamais  !  donne  las- 
car là  tout  ça  qui  li  va  content,  mais  pour  mo 
marié  ave  so  fille,  zamais,  zamais  !  »  Bonhomme 
léroi  tourdi,  li  gaga.  Avlà  so  colère  levé,  li  zoure 
Sabour.  Prête  lascar  oussi  faire  semblant  li  en 
colère,  li  dire  Sabour  :  «  Si  mo  té  va  coné  qui 
vous  té  pour  faire  zafifront  là  mo  fille,  mo  té  va 
laisse  vous  mort  côment  éne  licien.  Mais  causé  ! 
dire  vous  raisons  !  qui  faire  vous  napas  voulé 
marié  ave  mo  fille  ?  mo  fille  plis  zoli  qui  vous  !  » 
Lèroi  zoinde  ave  li,  zaute  de  nèque  dire  Sabour  : 
«  Causé  !  causé  !  «  Sabour  prend  lamain  so  papa, 
li  dire  li  :  «  Papa,  faut  vous  donne  moi  mo  grâce  : 
mo  napas  capave  marié  passe  qui  mo  fine  marié 
dézà,  et  mo  femme  là  mo  si  tant  content  li  qui 
mo  vaut  mié  mort  qui  quitte  li  pour  prend  éne 
laute  madame  !  »  Bonhomme  léroi  lève  so  dé  la- 
mains  en  lair,  Sabour  tombe  assise  dans  bord  son 
lilit.  Avlà  prête  lascar  tire  éne  coup  capra  qui  là- 
haut  so  latête,  li  arrace  labarbe  dans  so  figure,  li 
dire  doucement,  doucement  :  «   Sabour,  Sabour, 


144  HISTOIRE    DE   SABOUR 


se  frotte  les  yeux  et  s'écrie  :  «  Est-ce  toi,  ma 
femme?  Est-ce  toi?  »  Il  ouvre  ses  bras,  ils  se 
tiennent  embrassés  et  ils  pleurent. 

Le  vieux  roi  est  si  joyeux  qu'il  donne  un  dîner, 
vous  dis-je,  mais  un  maître  dîner,  comme  jamais 
on  ne  donna  dîner  depuis  que  les  rois  donnent 
des  dîners.  Au  dessert,  je  veux  mettre  dans  ma 
poche  une  tranche  de  gâteau  pour  mes  enfants; 
on  m'empoigne,  on  me  traîne  dans  la  cour,  on 
m'allonge  un  coup  de  pied,  mon  ami  !  !  je  tombe 
ici. 


L'histoire  nous  vient  de  l'Inde.  Aussi  y  a-t-il  là-dedans  plus 
de  poésie,  plus  de  tendresse  émue  qu'on  est  exposé  à  en  rencon- 
trer dans  la  plupart  des  morceaux  de  ce  recueil.  Mais  le  conte 
s'est  dûment  fait  naturaliser  Mauricien,  et  nous  sommes  fondé  à 
le  reconnaître  comme  un  de  nos  contes  populaires,  puisqu'il  nous 


0*<5'CV 


ZISTOIRE   SABOUR  145 


guette  moi  !  »  Sabour  lève  so  latête,  H  guette  li, 
li  frotte  so  liziés,  li  crié  :  «  Toi  ça,  mo  femme  ! 
toi  ça  !  »  li  ouvert  so  lébras,  zaute  dé  embrassé, 
ploré. 

Bonhomme  léroi  si  tant  content  qui  li  donne 
éne  diné,  mo  dire  vous  !  mais  éne  papa  dîné  co- 
rnent zamais  té  donne  diné  dipis  lérois  donne 
diné.  Lhère  dessert  vini,  mo  vlé  mette  morceau 
gâteau  dans  mo  poce  pour  mo  zenfants  ;  zaute 
pèse  moi,  zaute  hisse  moi  dans  lacour  zaute 
flanque  moi  éne  coup  de  pied,  manami!!  mo 
tombe  ici. 


en  est  parvenu  trois  versions  de  diverse  provenance.  Entre  ces 
versions,  du  reste,  les  différences  sont  trop  légères  pour  qu'il 
y  ait  intérêt  à  les  donner  ici,  et  le  dénoûment  est  partout  le 
même. 


^^ 


10 


XIII 
HISTOIRE  DE  PETIT  JEAN 


L  y  avait  une  demoiselle  qui  n'avait 
jamais  voulu  se  marier.  Il  y  avait  un 
monsieur  qui  portait  une  plaque  d'or  au 
bas  des  reins  pour  cacher  sa  queue.  Un  jour  il 
vint  voir  la  demoiselle  dans  un  superbe  carrosse. 
La  mère  de  la  jeune  fille  lui  demanda  :  «  Qu'en 
dis-tu?  ma  tîUe."  —  Eh  bien!  c'est  avec  lui  seul 
que  je  veuK  me  marier.  »  On  fit  les  noces  et  les 
mariés  partirent. 

Petit  Jean  voulut  suivre  sa  sœur  ;  sa  sœur  lui 
dit  :  «  Pourquoi  veux-tu  me  suivre?  Est-ce  un 
galeux  comme  toi  qui  montera  dans  ma  voi- 
ture? »  Le  nouveau  marié,  qui  était  un  loup,  dit 
à  sa  femme  :  «  Laissez  donc  venir  Petit  Jean.  » 

Quand  on  fut  arrivé  à  la  maison  du  loup,  on 
fit  à  dîner  pour  Madame;  Monsieur  alla  dehors 
rejoindre  ses  amis. 


XIII 
ZISTOIRE  PTIT  ZEAN 


_  I  ^na  éne  Mamzelle  qui  té  zamais  vlé 
MM  "larié.  Ti  éna  éne  Msié  qui  té  gagne  éne 
^^^i  plaque  lor  en  bas  lérein  pour  cacié  so 
laquée.  Li  vine  voir  ça  mamzelle  là  dans  eue 
belbel  carrosse.  Maman  ça  fille  là  dire  assame  li  : 
«  Qui  to  dire,  ma  fille  ?  —  Eh  ben  !  av  li  même 
mo  vlé  marié.  »  Zaute  faire  mariaze  ;  zaute  allé. 

Ptit  Zean  voulé  sivré  so  seir  ;  so  seir  dire  li  : 
«  Qui  faire  to  vlé  sivré  moi  ?  éne  gale  côment  toi 
qui  va  vine  dans  mo  caléce  !  »  So  beau-frère  là 
qui  té  loulou  dire  :  «  Laisse  ptit  Zean  vini,  donc  !  » 

Arrivé  dans  lacase  loulou,  faire  manzé   pour 
Madame;  Msié  aile  dohors  sambe  so  camrades. 


148  HISTOIRE    DE   PETIT   JEAN 

Tous  les  soirs  les  amis  venaient  et  disaient  : 
<.(  Mangeons  ta  femme!  mangeons  ta  femme!  — 
Laissez-la  engraisser  !  laissez-la  engraisser  !  »  Petit 
Jean  entendait  tout  leur  tapage  ;  la  gale  l'empê- 
chait de  dormir  et  il  passait  les  nuits  à  se  gratter. 

Un  jour  il  dit  à  sa  sœur  :  «  Mais,  ma  sœur, 
avec  qui  vous  êtes-vous  mariée  là?  Avec  un  loup 
qui  vous  mangera  !  »  La  femme  répondit  :  «  Eh 
toi  I  comment  oses-tu  parler  ainsi  ?  »  Alors  Petit 
Jean  lui  dit  :  «  Laisse-moi  attacher  une  ficelle  au 
bout  de  ton  pied.  Quand  les  loups  danseront,  je 
tirerai  dessus,  et  tu  écouteras.  )> 

Le  soir,  les  loups  viennent  danser.  Petit  Jean 
tire  sur  la  ficelle.  Madame  s'assied  et  elle  entend  : 
«  Mangeons-la  !  mangeons-la  !  —  Laissez-la  en- 
graisser! laissez-la  engraisser!  »  Madame  eut 
grand  peur. 

Le  lendemain  elle  dit  :  «  Ah  !  mon  frère  !  com- 
ment ferai-je  pour  retourner  chez  maman?  » 
Petit  Jean  lui  répondit  :  «  Tu  m'as  appelé  galeux  ! 
moi,  je  m'en  vais  chez  nous;  pour  toi,  débrouille- 
toi.  —  Ah  !  mon  frère  !  ne  me  laisse  pas  ici  ! 
emmène-moi  à  la  maison  !  » 

Voilà  Petit  Jean  qui  fait  un  panier.  Le  panier 
fini,  il  dit  à  son  beau-frère  :  «  Amusons-nous  ! 
faisons  un  petit  jeu.  Mets  dans  le  panier  toutes 
sortes  de  bonnes  choses  :  de  bon  manger,  de  bon 
poulet,  de  bon  pain,  de  bon  boire,  de  bon  vin, 


ZISTOIRE   PTIT   ZEAN  I49 

Tout  Icsoirs  so  camrades  vini  ;  zaute  dire  : 
«  Anons  manze  Madame!  Anons  manze  Ma- 
dame !  —  Laisse  li  vine  gros  !  laisse  li  vine 
gros!  »  Prit  Zean  tende  tapaze;  li  napas  dourmi, 
li  néque  gratte  lagale  tout  lanouite. 

Ene  zour  li  dire  av  so  seir  :  «  Mais,  mo  seir, 
av  qui  ous  fine  marié  !  av  loulou  qui  pour  manze 
vous.  »  So  seir  dire  li  :  «  Eh  toi  !  cornent  to  ca- 
pabe  cause  come  ça  !  »  Alorse  Ptit  Zean  dire  : 
«  Laisse-moi  amarre  éne  ptit  lacorde  dans  ton 
boute  lipied  ;  quand  loulou  va  dansé,  mo  va  hisse 
ptit  lacorde,  Ihére  là  to  va  tende.   » 

A  soir  loulous  vine  dansé.  Ptit  Zean  hisse  la- 
corde. Madam.e  sise,  li  tende  :  «  Anons  manze  li! 
anons  manze  li!  —  Laisse  li  vine  gras!  laisse  li 
vine  gras  !   »  Madame  peir. 

Lendimain  li  dire  :  «  Ah  !  mon  frère  !  côment 
mo  va  faire  pour  tourne  lacase  maman?  »  Ptit 
Zean  réponde  li  :  «  To  té  dire  moi  éne  gale  !  moi 
mo  aile  lacase,  arranze  toi.  —  Ah!  mon  frère! 
napas  quitte  moi  ici,  amène  moi  lacase  !  » 

Alà  Ptit  Zean  faire  éne  panier.  Lhére  panier  là 
fine  faire,  li  dire  av  son  beau-frère  :  «  Anons 
amizé  !  amons  faire  éne  ptit  badinaze  !  Mette  dans 
panier  là  tout  sorte  bon  quiqueçoses  :  bon  manzé, 
bon   volaille,  bon  dipain,  bon  boire,  bon  divin, 


150  HISTOIRE   DE    PETIT   JEAN 


de  bonne  liqueur,  avec  des  couverts,  de  l'or,  de 
l'argent,  tout  ce  qu'il  y  a  dans  la  maison.  »  Le 
loup  aimait  à  rire  :  il  remplit  le  panier.  Petit  Jean 
dit  au  loup  :  «  Entre  dans  le  panier  avec  ma 
sœur.  ))  Le  loup  entre  et  Petit  Jean  se  met  à 
chanter  :  «  Monte,  panier  !  Va  chez  maman  !  Va 
chez  papa!  »  Le  panier  monte.  Rendu  en  l'air  le 
loup  a  peur  et  crie  :  «  Petit  Jean  !  j'ai  le  vertige  ! 
fais  descendre  le  panier  !  »  Petit  Jean,  qui  était 
resté  en  bas  tenait  le  bout  d'une  corde  attachée 
au  panier.  Il  tire  dessus  et  le  panier  descend.  Puis 
il  dit  :  «  A  mon  tour  d'aller  me  promener.  »  Il 
entre  dans  le  panier  près  de  sa  sœur,  donne  au 
loup  à  tenir  le  bout  de  la  corde  et  chante  : 
«  Monte  panier!  monte  panier!  va  chez  maman! 
va  chez  papa  !  «  Le  panier  monte.  Arrivé  là- 
haut.  Petit  Jean  coupe  la  corde.  Alors  le  loup  de 
crier  :  «  Descends  !  descends  !  donne-moi  ma 
femme!   «  Mais  Petit  Jean  s'en  va. 

Le  loup  les  poursuit.  Il  court,  il  est  furieux  : 
sa  queue  sort.  Il  était  tout  près  de  chez  sa  belle- 
mère  quand  il  s'en  aperçoit  ;  il  a  honte,  et  re- 
tourne chez  lui  pour  mettre  sa  queue  en  ordre 
sous  sa  plaque  d'or. 

Petit  Jean  est  arrivé  et  raconte  toute  l'histoire. 
Le  père  de  la  jeune  femme  leur  dit  :  «  Venez, 
mes  enfants  ;  quand  il  arrivera  tout  à  l'heure,  je 
l'arrangerai!  » 


ZISTOIRE   PTIT   ZEAN  15I 


bon  laliqueir,  sembe  couverts,  lor,  larzent,  tout 
ça  qui  éna  dans  lacase.  »  Loulou  content  rié,  li 
mété.  Ptit  Zean  dire  loulou  :  «  Rente  dans  panier 
là  vous  av  mo  seir.  »  Loulou  rentré.  Lhére  là 
Ptit  Zean  çanté  :  cf  Monté,  pagnier  !  monté,  pa- 
gnier!  Allé  manman  !  allé  papa!  «  Panier  monté. 
Loulou  fine  arrive  en  lair  ;  loulou  peir,  li  dire  : 
a  Ptit  Zean,  mo  latête  tourdi  :  faire  dicende  pa- 
nier !  »  Ptit  Zean  té  fine  reste  en  bas,  li  ti  tine 
éne  lacorde  amarré  av  ça  panier  là.  Ptit  Zean 
hisse  lacorde,  panier  dicendé.  Lhére  là  Ptit  Zean 
dire  :  «  Mon  tour  aile  promené.  »  Ptit  Zean 
rente  dans  panier  av  se  seir,  li  donne  boute  la- 
corde dans  lamain  loulou,  li  canté  :  «  Monté, 
pagnier  !  monté  pagnier  !  allé  manman  !  allé 
papa!  ))  Panier  monté.  Arrive  en  haut  Ptit  Zean 
coupe  lacorde.  Lhére  là  loulou  crié  :  «  Dicendé, 
dicendé  !  donne  mo  madame  !  »  Ptit  Zean  allé 
même. 

Loulou  sivré  ;  li  galpé,  li  en  colère  so  laquée 
sourti.  Quand  li  fine  arrive  proce  lacase  so  belle- 
mère,  li  trouve  ça,  li  honte,  li  tourne  so  lacase 
pour  arranze  laquée  en  bas  plaque  lor. 

Ptit  Zean  rentré  ;  li  raconte  tout  zistoire.  Papa 
ça  fille  là  dire  :  «  Vine  ici,  mes  zenfants  ;  quand 
li  va  vini  tàlhére,  mo  va  arranze  li  !   » 


152  HISTOIRE   DE   PETIT  JEAN 

On  dispose  une  petite  case  en  paille.  Le  loup 
arrive  et  demande  :  «  Mais,  est-ce  que  Petit  Jean 
n'est  pas  venu  ici  avec  ma  femme?  »  Le  père  ré- 
pond :  «  Mais  non  !  pas  encore  ;  du  reste,  vous 
pouvez  les  attendre  un  peu. 'Entrez  dans  cette 
case  :  il  y  a  une  petite  chambre  pour  vous.  Faites 
comme  vous  voudrez.  »  Le  loup  est  fatigue.  Il 
entre,  se  jette  sur  le  lit,  s'endort  et  ronfle.  Alors 
on  met  le  feu  à  la  case.  La  tête  du  loup  fait 
«  banme  !  » 

Le  loup  mon,  ils  prennent  tout  ce  qu'il  y  avait 
dans  le  panier. 


ZISTOIRE   PTIT   ZEAN  I53 

Zaute  arranze  éne  ptit  lacase  en  paille.  Loulou 
arrivé,  li  dire  :  «  Mais  Ptit  Zean  pas  fine  vine  ici 
av  mo  femme?  »  Papa  dire  li  :  «  Non,  pas 
encore  ;  mais  vous  capav  aspère  zaute  morceau  ; 
rente  dans  lacase,  alà  éne  ptit  laçambe  pour  vous, 
faire  ça  qui  ous  content.  »  Loulou  fatigué  ;  li 
rentré,  li  monte  làhaut  lilit,  li  dourmi,  li  ronflé. 
Lhére  là  zaute  mette  difé  dans  lacase,  latête  loulou 
faire  banme  ! 

Loulou  mort,  zaute  gagne  tout  ça  qui  té  dans 
panier. 


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XIV 
HISTOIRE  DU  LOUP 

Q.UI    VOULAIT    BRULER    SA    FEMME 


^L  y  avait  une  fois  une  demoiselle  qui  de- 
vait se  marier  avec  un  monsieur  très 
riche.  Le  frère  de  la  jeune  fille  était  un 
garçon  malingre,  laid  comme  un  pou  ;  il  louchait, 
il  avait  la  gale,  il  avait  les  jambes  torses,  il  avait 
sur  le  dos  une  bosse  énorme;  mais  c'était  un 
malin  chien,  vous  dis-je,  une  fine  lame.  Au  mo- 
ment où  l'on  part  pour  l'église,  il  tire  sa  sœur 
par  sa  robe  et  lui  dit  :  «  Ma  sœur,  n'épouse  pas 
cet  homme-là  :  c'est  un  sorcier.  »  La  jeune  fille  lui 
répond  tout  en  colère  :  «  Eh  toi,  galeux  !  veux-tu 
bien  lâcher  ma  robe  !  »  On  part,  le  mariage  se 
fait. 

Le  frère  suivit  la  sœur  chez  son  mari  ;  mais  on 
ne  veut  pas  lui  donner  une  chambre  dans  la  mai- 


®  ®®  ^®  ^^s#®  ®  ®  ® 


XIV 
ZISTOIRE  LOULOU 

QUI    TÉ    VOULÉ    BOURLE    SO    FEMME 


tr^-rryi  ena  ene  fois  ene  mamzelle  qui  te  pour 
Mi^  marie  av  ene  missie  rice  rice  même. 
'^s^\  So  frère  ça  mamzelle  là  té  éne  faye 
garçon,  vilain  coment  si  pas,  cave  louce,  plein 
lagale,  lazambe  torte,  gros  gros  bosse  dans  lédos, 
mais  malinbougue,  mo  dire  vous,  couteau  même. 
Côment  zaute  pour  aile  léglise,  li  hisse  hisse  robe 
so  seir,  li  dire  li  :  «  Mo  seir,  napas  marié  jça 
doumoune  là,  éne  sourcier  ça!  «  Mamzelle  en 
colère,  li  dire  li  :  «  Et  toi,  lagale;  to  vlé  largue 
mon  robe!  »  Zaute  allé,  zaute  marié. 

Ça  garçon  là  sivré   son  seir  lacase  son  mari; 
mais  zaute  napas  voulé  donne  li  éne  laçambe  dans 


156  HISTOIRE   DU   LOUP 

son  de  peur  de  la  gale,  et  on  le  fait  coucher  à  la 
cuisine. 

Quelque  temps  après,  un  jour  que  son  mari 
changeait  de  linge,  la  jeune  femme  le  regarde  et 
demeure  interdite  :  son  mari  avait  une  longue 
longue  queue  velue  comme  la  queue  d'une  maque 
malgache.  Elle  lui  demande  ce  que  c'est  :  «  Rien 
du  tout,  dit  le  mari,  c'est  un  présent  de  ma  mar- 
raine. »  La  femme  a  peur.  Le  soir,  quand  ils 
sont  couchés,  le  mari  sort  du  lit,  ouvre  la  porte 
sans  faire  de  bruit,  et  va  dans  la  cour. 

Le  lendemain  matin,  la  femme  va  causer  à  la 
cuisine  avec  son  frère,  et  son  frère  lui  dit  :  «  Ton 
mari  est  un  sorcier,  toutes  les  nuits  il  fait  le 
sabbat  avec  ses  amis.  Ce  soir,  si  tu  veux,  je  t'at- 
tacherai au  bout  du  pied  un  long  fil;  quand  ils 
commenceront  leurs  pratiques  je  tirerai  sur  le  fil 
et  tu  verras.  « 

Au  coup  de  minuit,  la  femme  sent  qu'on  tire 
le  fil  ;  elle  se  lève  et  regarde  par  le  trou  de  là 
serrure.  Au  milieu  de  la  cour  il  y  avait  un  grand 
feu.  Son  mari  et  huit  autres  loups,  ses  amis, 
étaient  assis  autour.  Voilà  un  des  loups  qui 
tire  du  feu  un  charbon  ardent,  et  le  met  à 
part  ;  un  second  loup  prend  un  autre  charbon  et 
le  met  avec  le  premier,  et  tous  les  loups  font  la 
même  chose.  Quand  tous  les  charbons  forment 
un  tas,  un  des  loups  dit  au  mari  :  «  Il  faut  brûler 


ZISTOIRE   LOULOU  I57 

grand  case,  pengare  lagale,  zaute  mette  li  dourmi 
lacousine. 

Morceau  létemps  passé.  Ene  zour,  cornent  so 
mari  après  çanzé,  zéne  femme  là  guette  li,  li 
saisi  :  so  mari  té  iéna  éne  longue  longue  laquée 
(couvert  poil)  côment  éne  laquée  maque  malgace. 
Li  dimande  li  qui  çaça,  mari  dire  li  :  «  Narien  ; 
mo  marraine  qui  té  donne  moi  ça.  «  Femme  là 
peir.  A  soir,  côment  zaute  après  dourmi  dans 
lilit,  mari  levé,  ouvert  laporte  doucement,  dou- 
cement, li  sourti  dans  lacour. 

Lendimain  bomatin  li  aile  cause  lacousine  av 
son  frère,  son  frère  dire  li  :  «  To  mari  éne  sour- 
cier, tout  lanouite  li  faire  diabre  av  so  camrades. 
A  soir,  quand  to  voulé,  mo  va  amarre  éne  longue 
difil  dans  ton  boute  lipied  ;  Ihère  zaute  va  com- 
mence faire  zaute  sourcier  mo  va  hisse  difil  là,  to 
va  trouve  zaute.  »  Côment  minouite  sonne  dans 
pendile,  femme  senti  difil  tire  tire  son  lédoigt  li- 
pied ;  li  levé,  li  guette  dans  trou  serrire.  Dans 
milié  lacour  ti  éna  éne  grand  difé  ;  son  mari  same 
so  camrades,  houite  loulous,  té  assise  à  cote  ça 
difé  là.  Avlà  éne  loulou  tire  éne  çarbon  dans  difé, 
li  mette  av  çarbon  son  camrade  ;  zaute  tout  faire 
comme  ça.  Lhére  tout  ça  carbons  là  en  tas,  éne 
loulou  dire  mari  ça  femme  là  :  «  Faut  bourle  to 
femme  !  »  Ségond  loulou  dire  :  «  Faut  bourle  to 
femme  !  »  Tous  loulous  crié  :  «  Faut  bourle  to 


158  HISTOIRE   DU    LOUP 

ta  femme!  »  Et  tous  les  loups  de  crier  :  «  Il 
faut  brûler  ta  femme  !  il  faut  brûler  ta  femme  !  » 
La  malheureuse,  derrière  la  porte,  est  sur  le  point 
de  s'évanouir,  tant  elle  a  peur.  Le  mari  répond 
aux  autres  loups  :  «  Attendez  !  dans  trois  jours.  » 

Le  lendemain  de  grand  matin  au  chant  du  coq, 
la  femme  va  à  la  cuisine.  Elle  raconte  à  son  frère 
ce  qu'elle  a  vu  et  lui  dit  en  pleurant  :  «  Mon 
frère,  mon  bon  petit  frère,  sauve-moi  !  «  Son 
frère  répond  :  «  Écoute  :  il  faut  que  nous  retour- 
nions chez  nous.  Dis  à  ton  mari  que  papa  et 
maman  doivent  donner  un  grand  bal  demain  soir, 
et  qu'il  faut  que  nous  y  allions;  tu  ajouteras  que 
lui  et  tous  ses  amis  sont  invités  également.  Le 
loup  est  tout  joyeux.  Il  dit  à  sa  femme  d'aller 
devant  avec  son  frère,  que  lui  et  ses  amis  arrive- 
ront au  coucher  du  soleil. 

Une  fois  rendue  chez  sa  mère,  la  jeune  femme 
fond  en  larmes  et  raconte  à  son  père  et  à  sa  mère 
quelle  espèce  de  mari  elle  a  épousé.  Son  père  la 
console  et  lui  dit  :  «  Laisse-les  venir  !  ils  verront 
comment  je  les  arrangerai!  « 

Le  loup  arrive  avec  ses  amis.  Le  bal  commence, 
et  tous  dansent  tant  et  tant  qu'ils  n'en  peuvent 
plus.  Quand  l'heure  arrive  d'aller  se  coucher,  la 
femme  du  loup  lui  dit  :  «  Je  vais  prendre  la 
moitié  du  ht  de  ma  petite  sœur.  Papa  a  fait  pré- 
parer un    pavillon   pour  vous  et  vos  amis  ;  on  a 


ZISTOIRE   LOULOU  1)9 

femme  !  faut  bourle  to  femme  !  »  Malhéreise  là 
derrière  laporte  manque  vine  faibe,  si  tant  li 
gagne  peir.  So  mari  dire  zaute  :  «  Aspéré  :  dans 
trois  zours  !  » 

Lendimain  grand  bomatin  coq  çanté,  femme 
aile  lacousine,  li  raconte  son  frère  ça  qui  li  fine 
trouvé,  li  ploré,  li  dire  :  «  Mon  frère,  mon  bon 
ptit  frère,  sauve  mon  lavie  !  »  Son  frère  dire  li  : 
«.  Acouté  :  faut  nous  tourne  nous  lacase  ;  dire  to 
mari  comme  ça  qui  papa  av  manman  pour  donne 
grand  grand  bal  dimain  asoir,  et  qui  nous  bisoin 
allé  ;  dire  li  qui  li  oussi  li  doite  vini  sembe  tout 
son  camrades.  »  Loulou  content,  li  dire  so 
femme  aile  divant  av  son  frère,  li  same  camrades 
zaute  va  vini  soleil  coucé. 

Lhère  zaute  fine  arrive  lacase  manman,  pauve 
femme  là  ploré,  li  raconte  son  papa  av  so  maman 
qui  zespèce  mari  li  fine  gagné.  Papa  console  li, 
dire  li  :  «  Laisse  zaute  vini,  zaute  va  trouvé  qui 
magnière  mo  pour  arranze  zaute.  « 

Loulou  sembe  so  camrades  vini.  Bal  com- 
mencé; zàute  tout  dansé,  dansé  zisqu'à  lassé. 
Lhère  pour  aile  dourmi,  femme  loulou  dire  li  : 
((  Mo  pour  aile  dourmi  lilit  mo  ptit  seir,  papa 
fine  arranze  éne  pavion  pour  vous  same  vous 
camrades  ;  fine   mette  moustiquaires   dans  lilits. 


l6o  HISTOIRE   DU   LOUP 


mis  des  moustiquaires  aux  lits  de  peur  des  mous- 
tiques, on  a  mis  de  l'huile  de  pétrole  de  peur  des 
punaises  ;  allez  dormir,  demain  matin  je  vous 
porterai  à  tous  votre  café.  » 

Tous  les  loups  vont  se  coucher  ;  le  sommeil 
cloue  leurs  paupières.  Le  pavillon  était  partout 
enduit  d'huile  de  pétrole,  et  sous  chaque  lit  il  y 
avait  des  paquets  de  poudre.  Quand  les  loups 
sont  dedans,  on  cloue  sur  eux  portes  et  fenêtres, 
et  on  met  le  feu  au  vétiver  du  toit.  Soudain  on 
'entend  :  boum  !  boudoum  !  boum  !  boumm  ! 
c'était  le  loup  qui  sautait  avec  ses  amis.  Et  la 
femme  de  dire  :  «  Jamais  paquets  de  pétards  ne 
m'ont  autant  amusée  à  tirer.  « 


Les  n°5  XIII  et  XIV  sont  deux  versions  d  e  la  même  histoire. 
Nous  les  donnons  toutes  les  deux  rapprochées  à  dessein,  pour 


ZISTOIRE   LOULOU  l6l 


pengare  moustiques  ;  fine  mette  dilhouile  pétrole, 
pengare  pinaises  ;  aile  dourmi  ;  dimain  bomatin 
mo  va  amène  zaute  zaute  café.  » 

Tout  loulous  aile  dourmi;  someye  av  zaute, 
zaute  lisiés  colé.  Pavion  là  té  frotté  tout  partout 
sembe  dilhouile  pétrole,  enbas  tout  lilits  té  mette 
paqués  lapoude.  Loulous  làdans,  zaute  couloute 
laporte  av  lafenète  par  en  dohors,  zaute  mette 
difé  dans  vitiver  faitaze.  Ene  coup  là  zaute  tende 
boum  !  boudoum  !  boum  !  boumm  :  té  loulou  qui 
té  saute  en  lair  av  son  camrade.  Femme  là  dire  ; 
«  Zamais  mo  té  amisé  comme  ça  quand  mo  té 
tire  paquets  pétards.  » 


que  le  lecteur  voie  à  l'œuvre  le  conteur  créole  recréant  le  conte 
qu'il  ne  peut  retrouver  intégralement  dans  sa  mémoire. 


^^. 


U 


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XV 
HISTOIRE  DE  L'ŒUF,   DU  BALAI 

ET   DE   LA   SAGAÏE 


;L  y  avait  une  fois  une  jeune  fille  qui  était 
jolie,  jolie,  absolument  jolie.  Tous  vou- 
laient l'épouser,  elle  n'avait  qu'à  choisir; 
mais  tous  les  prétendants,  elle  les  repoussait, 
qu'ils  fussent  beaux  garçons,  riches  ou  éloquents. 
Non,  disait-elle.  Son  père  la  grondait,  sa  mère 
aussi  ;  mais  elle  répétait  non,  non  et  non,  c'était 
un  parti  pris.  La  jeune  fille  avait  en  tête  une 
idée  :  «  Je  ne  me  marierai,  se  disait-elle,  qu'avec 
un  roi  qui  aura  une  plaque  d'or  par  derrière  et 
qui  viendra  demander  ma  main  dans  une  voiture 
magnifique  doublée  de  satin  bleu  et  parsemée  de 
clous  de  diamant.  » 

Un  jour,  la  jeune  fille  entend  un  bruit  dans  la 
cour  ;  elle  regarde  par  la  fenêtre,   que  voit-elle  ? 


©©©@©®©®@s^©@©® 


XV 

ZISÏOIRE    DIZEIF,   BALIÉ 

AV    SAGAÏE 


^a*i-^^i  ena  ene  fois  ene  zene  fille  qui  te  zoli, 
M  [j^  zoh,  zoli  même.  Tout  missiers  te  voule 
^5^1  marié  ave  li,  li  té  gagne  nèque  lapeine 
çosiré  ;  mais  tout  zènezens  qui  vini,  quamême 
zoli,  quamême  rice,  quamême  lorateir,  li  poussé, 
li  dire  non.  Son  papa  gronde  li,  so  manman 
gronde  li,  mais  touzours  li  dire  non,  non,  non;  li 
bitte  même.  Ça  zène  fille  là  ti  éna  so  lidée.  Li  té 
mazine  dans  so  léquer  :  «  Zamais  mo  pour  marié 
nèque  avec  éne  léroi  qui  va  gagne  éne  plaque  lor 
par  derrière,  et  qui  va  vine  dimande  mo  lamain 
dans  éne  belle  belle  calèce  doublé  satin  blé  sambe 
plein  coulous  diamant  làdans.  » 

Ene  zour  zène  fille  là  tende  tapaze  dans  lacour, 
li  guette  par  lafenête,  qui  li  trouvé? Éne  belle  ca- 


164       HISTOIRE   DE   l'œUF,    DU   BALAI,  ETC. 


Une  belle  voiture  de  satin  bleu  et  parsemée  de 
clous  de  diamant.  Un  jeune  homme  descend  de 
la  voiture  :  il  avait  une  plaque  d'or  par  derrière  ! 
Il  entre  sous  la  varangue  et  dit  au  père  et  à  la 
mère  de  la  jeune  fille  :  «  Je  suis  roi,  je  viens 
épouser  votre  fille,  demandez-lui  si  elle  y  consent.  » 
Cette  fois  la  jeune  fille  répond  :  «  Oui,  papa,  j'y 
consens.  »  On  va  à  l'église,  on  se  marie.  La  noce 
finie,  les  nouveaux  mariés  montent  en  voiture. 
Fouette  cocher  !  et  l'on  part  ;  mais  cette  voiture- 
là  n'a  pas  besoin  de  fanaux  :  les  clous  de  diamant 
donnent  autant  de  lumière  que  douze  lampes  à 
pétrole  de  chez  M.  Maurel. 

La  jeune  femme  se  trouve  bien  heureuse  dans 
sa  nouvelle  maison  :  de  belles  robes,  de  grandes 
chambres,  une  table  excellente.  Tous  les  matins 
on  lui  apporte  une  grande  tasse  de  café  au  lait 
dans  son  lit.  Elle  n'avait  qu'un  regret,  celui  de 
voir  souvent  son  mari  la  laisser  seule  deux,  trois 
et  quatre  jours,  sous  le  prétexte  d'aller  chasser  le 
cerf  ou  le  cochon  marron. 

Un  matin  qu'elle  était  seule  dans  son  lit  à 
boire  son  café,  voilà  qu'une  petite  souris  saute 
sur  le  lit.  Elle  veut  la  chasser,  mais  la  souris 
regarde  le  café  et  reste.  La  jeune  femme  la  chasse 
de  nouveau  ;  la  petite  souris  lui  dit  :  «  Ne  me 
chassez  pas,  j'ai  fiùm  ;  donnez-moi  une  cuillerée 
de  votre  café,  le  bon  Dieu  vous  le  rendra.  »  La 


ZISTOIRE   DIZEIF,    BALIÉ   AV   SAGAÏE  165 

lèce  doublé  satin  blé  sambe  plein  coulous  diamant 
làdans.  Ene  zène  homme  sourti  dans  calèce,  li  té 
gagne  éne  plaque  lor  par  derrière!  li  ente  enbas 
lavarangue,  li  dire  papa  av  manman  ça  fille  là  : 
«  Mo  éne  léroi,  mo  vini  pour  marié  av  vous 
fille,  dimande  li  sipas  li  content.  »  Ça  coup  là 
zène  fille  dire  :  «  Si  fait,  papa,  mo  content.  » 
Zaute  aile  léglise,  zaute  marié.  Mariaze  fini,  zaute 
monte  dans  calèce;  pique  couvai,  zaute  allé;  mais 
calèce  là  pas  bisoin  fanal,  coulous  diamant  donne 
lalimière  côment  douze  lalampes  dilhouile  pétrole 
Msié  Maurel. 

Zéne  fille  là  bien  content  dans  so  nouveau 
lacase  :  belle  belle  robes,  grand  laçambe,  bon 
nouritire,  Tout  lébom.atin  amène  li  éne  grand 
tasse  café  au  lait  dans  so  lilit;  mais  domaze  sou- 
vent so  mari  quitte  li  tout  sél  pendant  dé,  trois, 
quate  zours,  li  dire  li  aile  laçasse  cerfe  ou  bien 
laçasse  cocon  marron. 

Ene  zour  bomatin,  cornent  li  té  tout  sél  dans 
lilit  après  boire  café,  alà  éne  ptit  souris  saute 
làhaut  lilit.  Li  vlé  pousse  li,  mais  ptit  souris 
guette  café  au  lait  là,  li  resté.  Zéne  femme  là 
pousse  li  encore  ;  ptit  souris  dire  li  :  «  Napas 
pousse  moi,  mo  faim  ;  donne  moi  éne  couyère 
vous  café,  Bondié  va  soulaze  vous.  »  Zène  femme 


l66       HISTOIRE   DE   l'œUF,    DU   BALAI,    ETC. 

jeune  femme  avait  bon  cœur  :  elle  donne  à  la 
souris  une  cuillerée  de  café  et  de  pain. 

Huit  jours  se  passent  ,  le  mari  ne  revient  pas 
et  chaque  matin  la  souris  vient  chercher  son  pain 
et  son  café.  Le  matin  du  neuvième  jour,  pendant 
qu'elles  mangeaient  toutes  les  deux,  le  facteur 
apporte  une  lettre.  C'était  une  lettre  du  mari 
pour  dire  qu'il  revenait  le  soir,  de  faire  cuire  un 
bon  dîner,  de  tirer  du  vin  de  la  cave  :  il  ramenait 
beaucoup  d'amis  à  dîner.  La  femme  toute  joyeuse 
dit  à  la  souris  :  «  Il  faut  que  je  me  lève  pour 
aller  donner  des  ordres.  »  La  souris  lui  dit  :  «  Je 
t'aime  parce  que  tu  as  bon  cœur  et  que  tu  m'as 
donné  du  café.  Eh  bien  !  écoute-moi  attentivement. 
Ce  soir,  à  minuit,  sors  de  ton  lit  et  regarde  par 
le  trou  de  la  serrure;  demain  nous  causerons.  » 
Et  la  souris  s'en  va. 

Dans  l'après-midi,  le  mari  arrive  avec  ses 
amis.  On  boit,  on  mange,  on  chante,  on  rit,  on 
plaisante.  Le  mari  dit  à  sa  femme  :  «  Il  se  fait 
tard,  j'ai  peur  que  tu  ne  sois  fatiguée,  va  te  cou- 
cher, nous  devons  rester  à  nous  amuser  entre 
amis.  »  La  femme  rentre  dans  sa  chambre  ;  mais 
quand  minuit  sonne  à  la  pendule,  elle  se  lève  et 
regarde  par  le  trou  de  la  serrure.  La  lune  était 
claire,  le  mari  et  ses  camarades  dansaient  au 
milieu  de  la  cour.  Ils  avaient  tous  quitté  leurs 
vêtements,  leurs  corps  étaient  couverts  de  longs 


ZISTOIRE   DIZHIF,    BALIÉ   AV   SAGAÏE  l6j 

là  bonquér,  li  donne  souris  éne  couyère  café  av 
dipain. 

Houite  zours  passé  ;  mari  napas  tourné,  et  bo- 
matin  touzours  souris  vine  rode  son  dipain  av 
café.  Bomatin  là  cornent  zaute  après  manzé,  fac- 
teir  amène  lette  ;  té  éne  lette  mari  qui  té  dire  li 
pour  tourne  àsoir,  couit  bon  manzé,  tire  divin 
dans  lacave,  li  pour  amène  éne  bande  camrades 
diné.  Femme  content,  li  dire  souris  :  «  Mo  bisoin 
levé  pour  aile  donne  zordes.  «  Souris  dire  li  : 
(c  Mo  content  toi  à  cause  to  bon  quér  et  to  té 
donne  moi  café  ;  ah  ben  coûte  bien  ça  qui  mo 
té  donne  moi  café  ;  ah  ben  coûte  bien  ça  qui  mo 
causé  :  àsoir,  minouite,  sourti  dans  lilit  et  guette 
dans  trou  sérire,  dimain  bomatin  nous  va  causé.  » 
Souris  allé. 

Lhére  tantôt,  mari  av  so  camrades  arrivé, 
boire,  manzé,  çanté,  rié,  faire  farces.  Mari  dire 
so  femme  :  «  Li  comence  tard,  pengare  to  fatigué 
aile  dourrai,  nous  pour  reste  badine  badiné.  » 
Femme  rente  dans  so  laçambe  ;  mais  coment  mi- 
nouite sonne  dans  pendile,  li  levé,  li  guette  dans 
trou  sérire.  Laline  clair  ;  mari  av  camrades  dansé 
dans  milié  lacour;  zaute  tout  fine  quitte  zaute 
linze  :  longue  longue  poils  làhaut  lécorps; 
zaute  fine  tire  zaute  plaques  lor  par  derrière, 
zaute  tout  laquée  en  lair  coment  laquée  ç.ute  qu 


l68      HISTOIRE   DE   l'œUF,    DU   BALAI,    ETC. 

poils  ;  ils  avaient  ôté  leurs  plaques  d'or  par 
derrière,  et  tous  avaient  la  queue  dressée  comme 
la  queue  d'un  chat  qui  se  frotte  contre  le  pied 
d'une  table.  C'était  une  bande  de  loups  !  La 
malheureuse  femme  est  obligée  de  s'appuyer 
contre  la  porte  pour  ne  pas  tomber.  Mais  elle  se 
force  au  courage,  elle  regarde,  elle  écoute.  Voilà 
qu'un  loup  commence  à  chanter  :  «  Mangeons  ta 
femme  !  mangeons  ta  femme  !  »  Le  mari  qui  est 
au  milieu  de  la  ronde  saute  et  chante  :  «  Pas 
encore  !  pas  encore  !  laissez-la  engraisser  !  laissez- 
la  engraisser  !  «  La  femme  a  trop  grand  peur,  le 
cœur  lui  faut.  Elle  se  remet  au  lit  et  réfléchit. 
Et  elle  entendait  toujours  la  voix  de  son  mari 
qui  chantait  :  «  Laissez-la  engraisser  !  laissez-la 
engraisser  !  «  Elle  tâtait  ses  jambes,  elle  tâtait  ses 
bras  et  avait  honte  qu'on  osât  dire  que  son  corps 
était  maigre. 

Le  lendemain  matin  la  souris  ne  vint  pas,  et  la 
pauvre  femme  ne  savait  quoi  faire.  A  l'heure  du 
déjeuner,  son  mari  l'appela  ;  elle  ne  voulut  pas  aller 
manger  de  peur  de  devenir  grasse  et  elle  lui  dit 
qu'elle  était  malade,  qu'elle  avait  la  migraine.  Le 
mari  gronda  ;  mais  il  la  laissa  faire  et  se  rendit  à 
la  salle  à  manger  d'où  il  lui  envoya  un  régime  de 
bananes  afin  qu'elle  eût  à  manger  quand  son  mal 
de  tête  serait  passé.  Seule  dans  sa  chambre,  la 
femme  pleurait,  se  lamentait  :  «  Hélas,  ma  mère  ! 


ZISTOIRE   DIZEIF,    BALIÉ   AV   SAGAÏE  169 

frotte  lécorps  dans  lipied  latabe  !  Té  éne  banne 
loulous  !  Malhérése  femme  là  blizé  appiye  dans 
laporte  pour  napas  tombé.  Mais  li  tchombo  so 
léquér,  li  guété,  li  coûté.  Ala  éne  loulou  comence 
çanté  :  «  Anons  manze  to  femme  !  anons  manze 
to  femme  !  «  Zaute  faire  laronde,  zaute  tout 
çanté  :  «  Anons  manze  to  femme  !  anons  manze 
to  femme  !  »  Mari  dans  milié  laronde  saute  saute 
enlair,  çanté  :  «  Napas  encore!  napas  encore! 
laisse  li  vine  gras  !  laisse  li  vine  gras  !  »  Femme 
peir,  so  léquér  aile  loin  !  Li  tourne  dans  son  lilit, 
li  maziné.  Li  tende  lavoix  so  mari  qui  après 
çanté  :  «  Laisse  li  vine  gras  !  laisse  li  vine  gras  !  » 
Li  tâte  so  lazambes,  li  tâte  so  lébras  ;  li  honte 
quifaire  doumounde  capave  dire  son  lécorps 
maigue. 


Lendimain  bomatin  souris  napas  vini  ;  pauve 
femme  là  napas  coné  qui  li  va  faire.  Lhére  dizné 
mari  appelle  li  pour  manzé;  li  pas  vlé,  pengare  li 
vine  gras,  li  dire  li  malade,  lamigraine  ave  li. 
Loulou  grogné  ;  mais  li  quitte  li,  li  aile  lasalle 
manzé,  li  envoyé  li  éne  rézime  bananes  pour 
manzé  quand  so  malade  latête  va  fine  passé. 
Femme  tout  sél  dans  so  laçambe  ploré,  ploré  : 
«  Ayo,  maman!  âcôte  vous?  Qui  faire  mo  té 
quitte   vous    lacase  ?  àcôte    vous,   mo  manman  ! 


lyO       HISTOIRE    DE   L'ŒUF,    DU    BALAI,    ETC. 

OÙ  êtes-vous  ?  Pourquoi  ai-je  quitté  votre  maison  ! 
Où  êtes-vous,  ma  mère  ?  Ces  gens-là  veulent  me 
manger  ;  qui  me  sauvera  la  vie  ?  Petite  souris, 
petite  souris  !  ayez  pitié  de  moi,  petite  souris  !  ne 
me  laissez  pas  tuer,  petite  souris  !  » 

Tandis  qu'elle  pleurait  ainsi,  la  nuit  arrive.  Le 
mari  et  ses  amis  recommencent  à  danser  dans  la 
cour  ;  la  peur  fait  claquer  les  dents  de  la  mal- 
heureuse. Soudain  il  lui  semble  qu'on  lui  cha- 
touille le  pied  :  «  C'est  moi,  ta  petite  souris, 
n'aie  pas  peur.  Ferme  les  volets  de  bois,  de  peur 
que  de  la  cour  on  ne  voie  ce  que  nous  allons 
faire.  »  La  femme  se  lève  et  ferme  les  volets. 
Lorsqu'elle  se  retourne,  la  chambre  est  tout 
éclairée  et  la  petite  souris  s'est  changée  en  une 
belle  dame  avec  une  robe  couleur  d'étoiles  et 
c'était  sa  robe  qui  répandait  toute  cette  clarté.  La 
belle  dame  lui  dit  :  «  Le  moment  est  venu  de  te 
sauver  :  écoute-moi  bien.  Voici  un  balai,  un  œuf 
et  une  sagaïe  ;  fuis  chez  ta  mère,  tous  les  loups 
se  mettront  à  ta  poursuite.  Quand  tu  les  verras 
sur  le  point  de  t'attraper,  jette  l'œuf  derrière  ton 
dos,  mais  sans  détourner  la  tête,  cours  toujours. 
Les  loups  seront  forcés  de  s'arrêter  un  bon  mo- 
ment ;  mais  ils  arriveront  de  nouveau  derrière 
toi,  jette  le  balai.  Pour  la  troisième  fois  jette  la 
sagaïe  et  tu  arriveras  enfin  à  la  maison  de  ta  mère. 
Tu  as  entendu  ;   n'oublie   rien.  Allons  !    pars.    » 


ZISTOIRE   DIZEIF,    BALIÉ    AV    SAGAÏE  I7I 


Zense  là  voulé  manze  moi  ;  qui  va  sauve  mo 
lavie?  Ptit  souris,  ptit  souris!  pitié  moi,  ptit 
souris  !  napas  laisse  zaute  touye  moi,  ptit  sou- 
ris !   )) 

Côment  li  après  ploré  là,  lanouite  vini  ;  mari 
sambe  camrades  commence  encore  zaute  dansé 
dans  lacour;  lédents  malhérése  là  claqué  à  force 
li  peir.  Ene  coup  là  li  senti  coma  dire  çatouille 
çatouille  so  lipied  :  «  Moi  ça,  ton  ptit  souris  : 
napas  bisoin  peir;  fréme  lafenète  dibois  pengare 
zense  dans  lacour  trouve  ça  qui  nous  pour 
faire.  «  Femme  levé,  fréme  lafenète  dibois. 
Cornent  li  tourné,  alà  éne  grand  clairté  dans 
laçambe,  et  ptit  souris  là  fine  vine  éne  belle 
madame  ave  éne  robe  couleir  zétoiles  ;  ça  robe  là 
qui  té  donne  lalimière.  Madame  dire  li  :  «  Lé- 
temps  pour  to  sauvé  àçthére  là;  coûte  moi  bien. 
Avlà  éne  balié,  éne  dizeif  av  éne  sagaye;  ga- 
loupe  lacase  to  manman;  tout  loulou  vasivré  toi; 
Ihére  to  va  voir  zaute  pour  tchombô  toi,  zette  ça 
dizeif  là  derrière  to  lédos,  mais  to  napas  bisoin 
tourne  latète,  taillé  même  ;  loulous  va  blizé 
arrête  bon  morceau  létemps  ;  mais  zaute  va  arrive 
encore  derrière  toi,  zette  balié  ;  troisième  fois, 
zette  sagaye  :  ça  fois  là  to  va  arrive  lacase  to 
manman.  To  fine  tende  ;  napas  bliie  narien  :  allé  !  » 
Femme  là  dire  li  merci,  li  ouvert  laporte  douce- 


172       HISTOIRE   DE   L  ŒUF,    DU    BALAI,    ETC. 

La  femme  la  remercie,  ouvre  doucement  la  porte 
et  s'enfuit. 

Quand  elle  s'est  sauvée,  la  fée  prend  sur  une 
chaise  une  chemise  et  un  peignoir,  elle  prend  le 
régime  de  bananes  que  le  loup  avait  envoyé  à  sa 
femme,  habille  le  régime  de  bananes  comme  une 
personne,  le  couche  dans  le  lit,  tire  la  couverture 
dessus  et  s'en  va. 

Le  loup  entre  dans  l'obscurité  et  vient  douce- 
ment au  lit  pour  voir  si  sa  femme  est  devenue 
grasse  et  est  bonne  à  manger.  Sa  main  rencontre 
le  régime  de  bananes,  il  pèse,  il  appuie  ;  les 
bananes  sont  mûres  et  s'écrasent  à  la  grande  sur- 
prise du  loup.  Il  se  demande  ce  que  ça  veut  dire: 
il  tâte  encore,  les  bananes  sont  mûres  et  s'écra- 
sent. Le  loup  porte  la  main  à  son  nez,  sa  main 
sent  la  banane  !  Il  s'écrie  :  «  Eh  toi,  ma  femme  ! 
réveille-toi  donc,  mais  réveille-toi  donc  !  »  Rien 
ne  bouge,  la  femme  ne  répond  pas.  Le  loup  saute 
au  bas  du  Ht,  tire  sa  boîte  d'allumettes  de  sa 
poche,  en  frotte  une,  allume  la  bougie.  Maman  ! 
quand  il  voit  comment  sa  femme  s'est  moquée  de 
lui,  il  fait  un  bond,  pousse  un  hurlement  et 
appelle  tousses  amis.  Ils  sont  furieux,  franchissent 
la  porte  et  se  mettent  à  poursuivre  de  toute  leur 
vitesse  la  femme  qu'ils  veulent  tuer,  faire  cuire 
et  mano;er. 

La  femme,  qui    courait   sur  le  chemin  de  la 


ZISTOIRE    DIZEIF,    BALIE   AV    SAGAÏE  173 

ment,  doucement,  li  sauvé.  Lafée  là  cornent 
femme  là  fine  sauvé,  prend  éne  cimise  av  éne 
peinoir  qui  té  làhaut  éne  çaise,  li  prend  rézime 
bananes  qui  loulou  té  envoyé  av  so  femme  pour 
li  manzé,  li  habille  rézime  bananes  là  coment  ene 
doumounde,  li  mette  li  dourmi  dans  lilit,  li  tire 
couvertire  làhaut  li,  li  allé.  Loulou  entré  dans 
noir  noir,  li  approce  doucement  àcôte  lilit,  li 
voulé  tàte  so  femme,  sipas  li  fine  vine  gras  et  li 
bon  pour  manzé.  Li  senti  rézime  bananes  là,  li 
croire  so  femme,  li  pèse  pesé  :  banane  mir,  ba- 
nane crasé.  Loulou  toné,  li  napas  coné  qui  çaça  ; 
li  tâte  encore  :  banane  mir,  banane  crasé.  Loulou 
senti  so  lamain,  so  lamain  lodeir  banane.  Li 
sacouye  rézime  bananes,  li  crié  :  «  Eh  toi,  mo 
femme,  levé  donc,  mais  levé  donc  !  «  Narien 
bouzé,  femme  napas  réponde.  Loulou  saute  enbas 
liUt,  li  tire  boite  zallimettes  dans  son  poce,  li 
frôté,  li  allime  labouzie.  Manman  !  Ihére  li  fine 
trouvé  coment  so  femme  fine  baingne  av  li,  li 
saute  en  lair,  largue  éne  guélé,  appelle  tout  son 
camrades.  Zaute  tout  firié,  saute  laporte,  vanné 
même  pour  attrape  femme  là,  touye  li,  couit  li, 
manze  li. 


Avlà  femme  coment  li  après  couri  dans  cimin 


174       HISTOIRE    DE    L  ŒUF,    DU    BALAI,    ETC. 

maison  de  sa  mère,  entend  derrière  elle  les 
loups  qui  arrivent  au  galop.  Elle  tourne  la  tête  : 
ils  viennent  comme  le  vent,  tout  à  l'heure  ils 
l'attraperont.  Alors  elle  se  souvient  des  paroles 
de  la  fée,  elle  prend  l'œuf  et  le  jette  derrière  son 
dos.  L'œuf  se  casse  et  devient  une  mer  :  les  loups 
sont  sur  l'autre  rivage.  Que  vont-ils  faire  ?  Un 
loup  s'écrie  :  «  Il  faut  que  nous  buvions  toute 
cette  eau-là,  puis  nous  la  rejoindrons,  nous  la 
tuerons,  nous  la  mangerons  !  »  Tous  se  mettent 
à  boire,  à  boire,  tant  et  tant  que  voilà  la  mer  à 
sec  et  ils  passent.  Mais  voyez  la  malice  de  la  fée, 
c'était  un  œuf  gâté  et  voilà  cette  eau  qui  se  met 
à  gargouiller  dans  le  ventre  des  loups  ;  ils  ont  la 
colique  et  sont  forcés  de  s'arrêter  à  chaque  instant. 
Mais  rien  n'y  fait,  ils  se  frottent  le  ventre  et 
reprennent  leur  galop. 

La  femme  les  entend  arriver  de  nouveau.  Mais 
au  moment  où  ils  vont  la  saisir,  elle  prend  le 
balai  et  le  jette  derrière  son  dos.  Le  balai  tombe, 
c'était  un  balai  de  fataque,  toute  la  fataque  s'épar- 
pille et  se  change  en  forêt.  Mais  ce  n'est  pas  une 
forêt  de  fataque,  c'est  une  forêt  de  grands  arbres, 
bois  de  natte,  bois  d'ébène,  bois  d'olive,  bois 
puant,  bois  de  fer,  tacamaca,  benjoin,  colophane; 
et  les  arbres  sont  serrés  et  rapprochés  comme  les 
tiges  de  fataque  dans  la  plaine.  Les  loups  rencon- 
trent   la    foret,    que    vont-ils    faire  ?    Un    loup 


ZISTOIRE   DIZEIF,    BALIÉ    AV    SAGAÏE  17$ 

lacase  so  maman,  H  tende  loulous  galpé  derrière 
li  ;  li  guété  :  loulous  bourré  même,  zaute  cornent 
divent,  talhère  même  va  tchombo  li.  Alorse  li 
souvini  ça  qui  lafée  là  fine  dire  li  ;  li  prend  dizeif, 
li  zette  derrière  so  lédos.  Dizeif  cassé,  vine  éne 
lamer  ;  loulous  laute  côté.  Qui  zaute  va  faire  ? 
Ene  loulou  dire  :  «  Faut  nous  boire  ça  lamer  là  ; 
après,  nous  va  zoinde  li,  nous  va  touye  li,  nous 
va  manze  li.  »  Avlà  tout  loulous  boire,  boire, 
boire.  Zaute  sitant  boire  qui  lamer  baissé  ;  livine 
séc,  zaute  passé.  Mais  guette  malice  ça  lafée  là  : 
té  éne  dizeif  gâté,  dileau  là  comence  gargouille 
gargouillé  dans  vente  loulous';  colique  av  zaute, 
tout  moment  zaute  bisoin  arrête  arrêté.  Narien  ! 
Zoute  frotte  vente,  zaute  galpé. 


Femme  tende  zaute  vine  encore  ;  mais  cornent 
zaute  pour  tchombô,  li  prend  balié,  li  zette 
derrière  so  lédos.  Balié  tombé,  té  éne  balié  fata- 
que  ;  tout  fataque  là  fané  et  pousse  éne  laforêt  ; 
mais  napas  éne  laforêt  fataque,  éne  laforêt  grand 
zarbes,  bois  de  natte,  bois  débène,  bois  dolive, 
bois  piantj  boisdfer,  tacamaca,  benzoin,  colo- 
phane et  zarbes  là  serré,  natté  coment  fataque 
même  dans  laplainc.  Loulous  trouve  ça  laforêt 
là  ;  qui  zaute  va  faire  ?  Ene  loulou  dire  :  «  Faut 
nous  coupe  tout   ça  zarbes  là  ;   après  nous    va 


176      HISTOIRE   DE   l'œUF,    DU   BALAI,    ETC. 


s'écrie  :  «  Il  faut  que  nous  abattions  tous  ces 
arbres,  puis  nous  passerons,  nous  l'atteindrons, 
nous  la  mangerons  !  »  Voilà  tous  les  loups  qui 
taillent,  qui  coupent,  qui  cognent.  Les  arbres 
tombent,  tombent,  la  plaine  est  devant  eux,  ils 
passent. 

Pour  la  troisième  fois  la  femme  entend  les 
loups  arriver  par  derrière.  La  maison  de  sa  mère 
n'est  pas  loin,  si  les  loups  peuvent  être  retardés 
un  instant,  elle  arrivera,  elle  sera  sauvée.  Mais 
derrière  elle  les  loups  viennent  comme  un  coup 
de  vent.  Quand  elle  voit  qu'ils  vont  la  saisir,  elle 
prend  la  sagaïe  et  la  jette  derrière  son  dos.  La 
sagaïe  en  tombant  s'ouvre  comme  la  queue  d'un 
dindon  qui  fait  la  roue  ;  cette  seule  sagaïe  s'est 
changée  en  mille  sagaïes  et  le  chemin  des  loups 
est  barré.  Les  loups  s'élancent,  les  sagaïes  les 
piquent  ;  les  loups  poussent,  les  sagaïes  leur 
entrent  dans  le  corps.  Les  voilà  tous  enfilés 
comme  des  saucisses  dans  la  boutique  d'un  char- 
cutier chinois. 

La  femme  arrive  chez  sa  mère  et  lui  raconte 
par  quelles  épreuves  cruelles  elle  a  passé.  La 
bonne  femme  est  si  heureuse  qu'elle  s'écrie  : 
«  Jamais,  jamais  plus  je  ne  tuerai  une  souris  ; 
qu'elles  mangent  toutes  mes  pommes  d'amour  si 
bon  leur  semble  !  » 

Le  soir  on  donne  un  grand  dîner.  Comme  tout 


ZISTOIRE  DIZEIF,    BALIÉ   AV   SAGAÏE  I77 


passé,  nous  va  zoinde  li,  nous  va  manze  li.  » 
Avlà  tout  loulous  taillé,  coupé,  cogné;  zarbes 
tombé,  zarbes  tombé;  laplaine  divant  zaute, 
zaute  passé. 


Troisième  fois  femme  tende  loulous  arrive 
derrière  li.  Lacase  maman  napas  loin  ;  quand 
loulous  capabe  tarde  morceau,  li  va  arrivé,  li  va 
sauvé.  Mais  loulous  derrière  li  coment  coup  de 
vent.  Coment  li  trouvé  zaute  pour  tchombo  li,  li 
prend  sagaie,  li  zette  derrière  son  lédos.  Sagaye 
en  tombant  ouvert  coment  laquée  dinde  qui  faire 
laroue;  éne  sagaye  là  fine  vine  mille  sagayes, 
cimin  loulous  barré.  Loulous  foncé,  sagayes 
pique  zaute  ;  loulous  forcé,  sagayes  ente  dans 
zaute  lécorps  :  zaute  tout  enfilé  coment  saucisses 
dans  la  boutique  camela  vende  la  viande  cocon. 

Femme  là  arrive  lacase  so  manman,  li  raconte  li 
tout  ça  bande  lamisère  qui  li  fine  passé.  Bonne- 
femme  si  tant  content  qui  li  dire  :  «  Zamais  mo 
pour  touye  éne  souris  encore  !  laisse  zaute  manze 
tout  mo  pommedamour  quand  zaute  content  !  » 


Asoir  donne  grand  diné  ;    tout    doumounde 

12 


lyS       HISTOIRE   DE   l'œUF,    DU   BALAI,    ETC. 

le  monde  est  invité,  je  me  figure  qu'on  m'a 
oublié  :  je  veux  m'asseoir  à  table,  on  tire  la 
chaise  de  derrière  moi,  je  tombe  et  roule  ici. 


Le  canevas  n'est  pas  de  nous,  mais  les  broderies.  Le  conte  est 


ZISTOIRE   DIZEIF,    BALIÉ   AV   SAGAÏE  179 

invité  ;  mo  croire  zaute  fine  blie  moi  ;  mo  vlé 
sise  à  tabe,  zaute  tire  çaise  derrière  moi,  mo 
tombé,  mo  roule  ici. 


répandu  :  nous  en  avons  trois  versions  s'écartant  peu  l'une  de 
l'autre. 


if)®' 


XVI 
HISTOIRE  DES  aUATRE  CLOCHES 


|L  y  avait  une  fois  un  jeune  homme  qui 
ivait  épousé  une  jeune  fille.  Comme  il 
1^-^  devait  aller  travailler  dans  un  champ  de 
cannes  assez  éloigné  de  sa  case,  il  donna  à  sa 
femme  quatre  cloches  :  une  cloche  de  cuivre,  une 
cloche  d'argent,  une  cloche  d'or  et  une  cloche  de 
diamant.  Puis  il  lui  dit  :  «  Ecoute-moi  bien. 
Quand  tu  voudras  me  voir  revenir  à  la  maison 
pour  me  dire  quelque  chose,  tu  sonneras  la 
cloche  de  cuivre  ;  quand  tu  seras  pressée,  sonne 
la  cloche  d'argent  ;  si  tu  as  vraiment  besoin  de 
moi  sonne  la  cloche  d'or  ;  mais  pour  cette  cloche 
en  diamant,  ne  la  sonne  jamais  que  si  quelque 
danger  terrible  te  menace.  » 

La  jeune  femme,  qui  aimait  bien  son  mari  lui 
répondit  :  «  C'est  bon  !  je  ferai  ce  que  tu  vou- 
dras, »  Là-dessus  ils  s'embrassent  bien  fort,  et  le 
mari  s'en  va  à  son  travail. 


^  '23\«l»/'  "-i,  'j^    VTi^   ,J!.  'i-,    'iZ'ZA.  ,--\  V->  J-ICt.  ,-^  -,;->  _K:-it.  --<.  >^  JJ  i^  ^ 


XVI 

ZISTOIRE  QUATE  LACLOCES 


^'-^\  I  éna  éne  fois  éne   zéne  homme  qui  ti 


m 


Çdi  marié  sembe  éne  zéne  fille.  Cornent  li 
J^^r^4  té  pour  travaille  dans  éne  carreau  cannes 
morceau  loin  so  lacase,  li  donne  so  femme  quate 
lacloces  :  éne  lacloce  couivre,  éne  lacloce  larzent, 
éne  lacloce  lor,  éne  lacloce  diamant.  Acthére  là 
li  dire  li  :  «  Coûte  bien  :  quand  to  va  vlé  mo 
tourne  lacase  pour  dire  moi  quiqueçose,  sonne 
lacloce  couive  ;  quand  to  va  pressé,  sonne  lacloce 
larzent  ;  quand  to  va  bisoin  même  mo  rentré, 
sonne  lacloce  lor  ;  mais  ça  latloce  diamant  là,  to 
tende,  zamais  zamais  sonné,  néque  Ihère  grand 
grand  malhor  av  toi.  »  Ça  zéne  femme  là  qui 
ti  bien  content  son  mari  dire  :  «  Bon  !  mo  va  fére 
ça  qui  to  voulé.  »  Lhére  là  zaute  dé  bien  em- 
brassé, après  ça  mari  aile  dans   so  louvraze. 


l82  HISTOIRE   DES   QUATRE   CLOCHES 

Quand  la  jeune  femme  se  trouva  toute  seule 
à  la  maison  sans  avoir  rien  à  faire,  elle  alla, 
elle  vint,  se  jeta  sur  son  lit,  se  releva,  bref, 
le  temps  lui  parut  bien  long  et  elle  s'ennuya 
fort.  Qiie  faire?  Elle  sonna  donc  la  cloche 
de  cuivre.  Son  mari  accourut  et  lui  dit  : 
«  ivlais,  qu'y  a-t-il  donc  ?»  —  «  Rien,  je 
m'ennuyais  toute  seule.  »  Le  mari  secoua  la  tête  : 
«  Mon  enfant,  ce  n'est  pas  bien  de  déranger  les 
gens  de  leur  ouvrage  !  »  Comme  le  soleil  était 
encore  à  moitié  de  sa  course,  le  mari  retourna 
aux  champs. 

Le  lendemain,  la  femme  se  remit  à  sonner  la 
cloche  de  cuivre.  Personne  ne  vint.  Elle  sonne 
la  cloche  d'argent.  Le  mari  entend  la  cloche 
d'argent  et  arrive  en  courant  de  peur  que  sa 
femme  n'ait  quelque  chose  de  pressé  à  lui  dire. 
«  Me  voilà  !  que  me  veux-tu  ?»  —  «  Rien,  je 
m'ennuyais  toute  seule.  »  —  «  Tu  plaisantes,  je 
crois  !  laisse  donc  travailler  le  monde  !  «  et  il 
retourne  à  son  ouvrîge. 

Le  troisième  jour,  la  cloche  de  cuivre  sonne  : 
rien.  La  cloche  d'argent  :  rien  encore.  La  cloche 
d'or  sonne...  le  mari  entend  la  cloche  d'or;  il 
laisse  là  son  travail,  il  arrive  en  courant  à  toutes 
jambes,  il  craint  que  sa  femme  ne  soit  malade  : 
«  QjLi 'as-tu  ?  Parle,  qu'as-tu  donc  ?»  —  «  Rien, 
je  m'ennuyais  toute  seule.  »  Le  mari  n'ajoute  pas 


ZISTOIRE   Q.UATE   LACLOCES  183 

.  Lhére  zéne  femme  là  tout  sél  dans  lacase, 
narien  pour  fère,  li  viré,  li  vireviré,  li  zette  so 
lécorps,  létemps  longue  av  li,  li  ennouyé  même. 
Qui  li  a  fère  ?  Ene  coup  là  li  sonne  lacloce  couive  ; 
son  mari  vini,  li  dire  li  :  «  Mais  qui  éna  donc  ?  » 
—  «  Narien,  mo  té  ennouyé  tout  sel,  »  Mari 
sacouye  latète  :  «  Et  toi,  pitit,  napas  bon  déranze 
doumoune  dans  solouvraze.  «  Soléye  encore 
dans  mitan,  mari  tourne  dans  carreau. 


Lendimain,  femme  là  sonne  encore  lacloce 
couive.  Narien  vini  ;  li  sonne  lacloce  larzent. 
Mari  tende  lacloce  larzent  là,  li  couri  même, 
quiquefois  so  femme  gagne  quiqueçose  pressé 
pour  dire  li.  «  Avlà  moi,  qui  to  bisoin  ?»  — 
c(  Narien  ;  mo  té  ennouyé  tout  sél.  »  —  «  To 
fère  farce,  hein  ?  Laisse  dimounde  travaille.  »  Li 
tourne  dans  louvraze. 


Troisième  zour,  lacloce  couive  sonné  :  narien 
vini  ;  lacloce  larzent  sonné,  narien  ;  lacloce  lor 
sonné...  mari  tende  lacloce  lor,  li  quitte  louvraze, 
li  taillé  même  :  pendgare  so  femme  malade. 
«  Qui  to  éna,  causé,  qui  to  éna  ?  —  «  Narien  ; 
mo  té  ennouyé  tout  sél.   »  Mari,  mo  dire  vous, 


l84  HISTOIRE   DES   QUATRE   CLOCHES 

un  mot,  il  reprend  son  chapeau,  tourne  le  dos  et 
s'en  va. 

Le  quatrième  jour  :  dingue,  dingue,  la  cloche 
de  cuivre  sonne  :  rien.  Dangue,  dangue,  la  clo- 
che d'argent  sonne  :  rien  ne  bouge.  Dongue, 
dongue,  dongue  :  c'est  la  cloche  d'or  :  rien  ne 
vient.  Dongue,  dongue,  dongue...  rien  ne  vient. 
Bzinne  !  bzinne  !  bzinne  !  la  cloche  de  diamant  ! 
Le  mari  fait  un  bond  :  «  Il  y  a  un  malheur  à  la 
maison  !  Il  court,  il  vole,  il  s'élance  dans  la 
maison  :  N'aie  pas  peur,  me  voici  !  n'aie  pas 
peur,  ma  femme  !  «  La  femme  en  riant  :  «  Mais 
qu'as-tu  donc  ?  es-tu  fou  ?  crois-tu  que  le  feu  est 
à  la  maison?  Il  n'y  a  rien,  c'est  moi  qui  m'en- 
nuyais toute  seule.  »  Le  mari  sent  sa  bouche 
amère.  Quelle  colère,  vous  dis-je  !  Il  la  saisit  par 
les  deux  mains,  et  la  secouant  :  «  Malheureuse  ! 
malheureuse  !  tu  t'es  jeté  un  mauvais  sort  à  toi- 
même  !  un  grand  malheur  va  fondre  sur  toi,  tu 
verras  !  »  Il  tombe  sur  une  chaise,  et  la  tête  entre 
ses  mains,  il  réfléchit. 

Deux  ou  trois  mois  se  passèrent. 

Un  jour,  la  femme  était  assise  sur  une  natte 
dans  sa  chambre  et  mangeait  des  varangues.  Elle 
tourne  soudain  la  tête  et  aperçoit  un  animal 
énorme,  debout  sur  le  pas  de  la  porte.  Elle  a  peur 
et  sonne  la  cloche  de  cuivre.  L'animal  entre  et 
monte  sur  la  natte.   La  femme  sonne  la  cloche 


ZISTOIRE   aUATE  LACLOCES  l8$ 

napas  dire  narien  ;  li  pèse  so  çapeau,  li  tourne 
lédos,  li  allé. 

Quatrième  zour,  dingue,  dingue,  lacloce  couive 
sonné  :  narien.  Dangue,  dangue,  lacloce  larzent 
sonné,  narien  bouzé.  Dongue,  dongue,  dongue, 
lacloce  lor  narien  vini.  Dongue,  dongue,  don- 
gue... narien  vini.  Bzinne  !  bzimie  !  bzinne  ! 
lacloce  diamant  !  Mari  saute  en  lair  :  «  Malhor 
dans  lacase  !  »  Li  vanné,  li  bourré  même,  li 
arrive  lacase,  li  foncé  :  «  Napas  peir,  avlà  moi, 
mo  femme  !  napas  peir,  avlà  moi  !  »  Femme 
néque  rié  :  «  Mais  qui  to  éna  donc  ?  Coma  dire 
to  fou  ;  qui  to  croire  ?  Difé  dans  lacase  ?  Narien 
ici;  moi-même  qui  té  ennouyé  tout  sél.  »  So 
mari  labouce  amer  ;  manman  !  napas  pèle  en 
colère  ça.  Li  tchiombô  li  dans  so  dé  lamains,  li 
sacouye  li  :  «  Malhérèse,  malhérèse  !  to  fine 
mette  mofine  làhaut  toi  ;  grand  grand  malhor 
pour  arrivé,  to  a  guété  !  «  Li  tombe  làhaut  caisse, 
latéte  dans  so  lamains  ;  li  maziné  ! 

Sipas  dé  mois,  sipas  trois  mois  passé. 

Ene  zour,  ça  femme  là  té  assise  làhaut  so 
natte  dans  so  laçambe,  après  manze  varangues. 
Avlà  éne  coup  li  tourne  latéte,  li  voir  éne  grand 
zanimaux  diboute  dans  laporte.  Li  peir,  li  sonne 
lacloce  couive.  Zanimaux  là  entré,  li  monte 
làhaut   natte  ;   femme  sonne  lacloce  larzent.  Ça 


l86  HISTOIRE    DES    QUATRE    CLOCHES 

d'argent.  C'était  un  loup.  Il  s'assied  à  côté  de  la 
malheureuse  et  la  regarde.  La  femme  sonne  la 
cloche  d'or.  Le  loup  la  regarde  avec  des  yeux 
terribles,  se  jette  sur  elle  et  lui  crie  :  «  Je  veux 
te  manger  !  »  La  pauvre  femme,  folle  de  terreur, 
se  sauve  à  l'autre  bout  de  la  chambre  et  sonne 
la  cloche  de  diamant.  Le  loup  la  poursuit  ;  ils 
tournent  autour  de  la  table  en  renversant  les 
chaises  ;  mais  la  femme  a  beau  sonner,  personne 
ne  vient.  Le  loup  l'attrape  et  l'avale. 

Le  soir,  sa  journée  finie,  le  mari  revient  à  la 
maison.  11  entre,  il  voit  tout  ce  désordre  :  les 
chaises  par  terre,  la  table  renversée,  toutes  les 
cloches  avec  leurs  cordes  cassées.  Il  se  doute 
qu'il  est  arrivé  un  malheur.  Il  appelle  sa  femme, 
l'appelle  encore  ;  la  femme  ne  répond  point.  Il 
va  dans  la  cour,  il  cherche,  il  crie...  rien!  Alors 
il  s'assied  sur  une  grosse  roche  et  pleure  :  «  Ma 
femme  est  perdue  !  ma  femme  est  perdue  !  » 

Cette  nait-là,  tandis  qu'il  dormait,  il  entend 
comme  un  rat  gratter  le  vétiver  de  son  toit.  Il 
écoute  :  c'était  en  dehors,  sur  le  faîte  de  la  case. 
Il  sort,  il  regarde  ;  mais  l'obscurité  était  profonde, 
il  ne  voit  rien.  Il  se  demandait  ce  que  ce  pouvait 
être,  quand  il  entend  une  voix  qui  lui  dit  :  «  C'est 
moi^  ça.  »  —  «  Qui,  toi?  »  —  «  Moi,  ton  ami 
Pailie-en-queue.  «  Il  y  avait  environ  trois  ans, 
un  jour  qu'il  cherchait  des  goyaves  dans  la  mon- 


ZISTOIRE   Q.UATE   LACLOCES  187 


té  éne  loulou  ;  li  assise  à  côte  ça  malhéreise  là, 
li  guette  li  ;  femme  sonne  lacloce  lor.  Loulou 
tire  liziés  av  li,  li  fonce  làhaut  li,  crié  li  :  «  Mo 
vlé  manze  toi  !  «  Pauve  femme  là  fou  ;  li  sauve 
laute  boute  laçambe,  li  sonne  lacloce  diamant. 
Loulou  sivré  li  ;  zaute  virevire  autour  latabe, 
zaute  çavire  çaises  ;  femme  là  li  beau  sonné, 
personne  napas  vini  :  loulou  tcliiombô  li,  avale 
li. 

Lhére  àsoir,  quand  fine  lève  louvraze,  mari 
tourne  dans  so  lacase.  Li  entré,  li  voir  tout  ça 
désorde  là,  çaises  çaviré,  latabe  çaviré,  tout 
lacloces  lacorde  cassé,  li  gagne  éne  doutance 
sipas  malheir  fine  arrivé  ;  li  appelle  so  femme,  li 
appelé,  li  apélé,  femme  napas  réponde.  Li  sourti 
dans  lacour,  li  rôdé  li  crié..,  narien  !  Li  assise 
làhaut  éne  gros  roce,  li  pioré  :  «  Mo  femme  fine 
perdi  !  mo  femme  fine  perdi  !  » 

Ça  lanouite  là,  côment  li  après  dourmi,  li  tende 
coma  dire  éne  lérat  gratte  gratte  vitiver  dans 
faitaze  ;  li  coûté  :  ça  té  par  en  dehors,  làhaut 
lacase.  Li  sourti,  li  guété  ;  mais  té  dans  lamarée 
noire,  li  napas  trouve  narien.  Côment  li  après 
maziné  là,  li  tende  éne  lavoix  qui  causé  :  «  Moi, 
çà.  »  —  «  Qui,  toi  ?  ))  —  «  To  camrade  zozo 
payenqui.  »  Té  éna  sipas  dé  trois  bananées  qui 
ça  garçon  là,  éne  zour  côment  li   té  après  rôde 


HISTOIRE   DES   Q.UATRE   CLOCHES 


tagne,  il  avait  empêché  un  singe  de  manger  les 
œufs  du  Paille-en-queue  au  bord  d'un  précipice. 
«  C'est  moi,  je  sais  où  est  ta  femme.  Si  tu  veux 
la  retrouver,  suis-moi,  il  n'y  a  pas  de  temps  à 
perdre.  »  —  «  Mais  comment  pourrai-je  te  suivre 
au  milieu  de  cette  obscurité  ?»  —  «  Je  volerai  à 
ras  de  terre,  mon  corps  est  tout  blanc,  mes  ailes 
sont  toutes  blanches.  Mais  viens  vite  ;  ce  n'est 
pas  le  moment  de  causer  !  » 

L'oiseau  vole  et  l'homme  le  suit.  Ils  vont,  ils 
vont  et  arrivent  au  bord  d'un  immense  fossé. 
C'était  ce  fossé  même  qui  servait  de  frontière 
entre  le  pays  des  loups  et  le  pays  des  hommes. 
Le  paille-en- queue  cesse  de  voler,  se  pose  sur  un 
pied  de  bois- de-natte  et  dit  à  son  compagnon: 
«  C'est  ici  !  il  nous  faut  attendre  un  moment. 
Tout  à  l'heure  les  loups  vont  tous  passer  au 
fond  de  ce  fossé-là  :  tu  verras  celui  qui  a  volé  ta 
femme.  » 

La  mari  s'assied,  il  se  tait  et  regarde.  Il  était  là 
depuis  un  bon  moment  :  ta,  ta,  ta,  ta,  ta,  c'est  un 
loup  qui  vient.  «  Est-ce  toi  qui  as  pris  ma 
femme  ?»  —  «  Houn,  whoun  !»  —  «  Ce  n'est 
pas  lui,  dit  le  paille-en-queue,  laisse-le  passer.  » 
Arrive  un  autre  loup.  «  Ce  n'est  pas  lui,  laisse- 
le  passer.  »  Et  les  loups  passent,  passent,  passent. 
Soudain  le  paille-en-queue  s'écrie  :  «  Le  voilà  ! 
c'est  lui,  regarde  son  ventre  !   »   C'était  un  gros 


ZISTOIRE   QUATE   LACLOCES  189 

gouyaves  dans  lamontagne,  té  empéce  éne  zaco 
manze  dizéifs  ça  payenqui  là  dans  rempart.  «  Moi 
ça  ;  mo  cône  acote  to  femme  ;  quand  to  voulé 
trouve  li,  sivré  moi,  napas  létemps  pour  perdi.  « 
—  «  Mais  côment  mo  va  capabe  sivré  toi  dans 
noirnoir  ?»  —  «  Mo  pour  vole  enbas  enbas  ;  mo 
lécorps  tout  blanc,  mo  lézailes  tout  blanc  ;  vine 
éne  fois,  napas  létemps  pour  causé  açthère.  » 

Zozo  envolé,  garçon  sivrè  li.  Zaute  allé,  zaute 
allé,  zaute  arrive  dans  bord  éne  grand  grand 
fossé.  Ça  fossé  là  même  qui  té  servi  balizaze  pour 
péye  loulous  av  péye  doumoune.  Payenqui 
arrête  volé,  li  pose  làhaut  éne  pied  boidenatte,  li 
dire  garçon  là  :  «  Ici  même  !  nous  bisoin  aspère 
morceau  :  talhére  tout  loulous  pour  passe  dans 
fond  ça  fossé  là,  to  a  trouve  çenne  qui  fine  volor 
to  femme.  « 

Mari  assise,  reste  tranquille,  guété,  guété.  Bon 
moment  li  là  :  ta,  ta,  ta,  ta,  ta,  éne  loulou  vini. 
«  Toi  qui  fine  prend  mo  femme  ?»  —  «  Houn, 
whoun  !  »  Payenqui  dire  :  «  Napas  li,  ça  ;  laisse 
li  passé.  »  Ene  laute  loulou  vini  :  «  Napas  li  ; 
laisse  li  passé.  »  Loulous  passé,  loulous  passé, 
loulous  passé.  Avlà  éne  coup  payenqui  crié  : 
«  Avlà  li  là,  li  même  ça,  guéte  son  vente.  »  Té 
éne  gros  loulou  noir,  liziés  côment  difé,  vente 


190  HISTOIRE   DES   QJJATRE   CLOCHES 

loup  noir  ;  des  yeux  de  feu,  un  ventre  de  barri- 
que. L'homme  se  jette  sur  lui,  le  paille-en-queue 
saute  sur  sa  tête  :  on  le  bat,  on  le  pique,  on 
l'assomme.  Le  loup  qui  a  peur  qu'on  ne  le  tue, 
fait  un  effort  et  rend  la  femme..  Le  mari  est  heu- 
reux. Tandis  qu'il  embrasse  sa  femme,  le  loup 
leur  dit  :  «  Désormais  le  diamant  ne  se  rencon- 
trera plus  semé  au  hasard  à  la  surface  de  la  terre. 
Pour  l'avoir  il  faudra  creuser  des  mines  pro- 
fondes. ^) 

C'est  depuis  ce  temps  que  le  diamant  est  devenu 
rare.  Et  pour  n'en  avoir  qu'un  tout  petit  mor- 
ceau, les  femmes  doivent  donner  beaucoup  d'or 
et  beaucoup  d'argent. 


Bien  pauvre  d'invention,  s'il  y  a  même  invention,  car  le  loup 
qui  rend  intacte  la  femme  avalée,  on  l'a  rencontré  et  en  Lor- 
raine, au  pays  gallot  et  ailleurs  encore  sans  doute.  Mais  quel- 
ques détails  sont  de  notre  façon,  et  la  moralité  qu'au   dénoue- 


ZISTOIRE   Q.UATE   LACLOCES  T9I 

côment  barrique.  Garçon  là  lève  av  li,  peyenqui 
saute  làhaut  so  latête,  batte,  piqué,  pilé  ;  loulou 
peir  zaute  touye  li,  li  faire  éne  zefForl,  li  rende 
ça  femme  là.  Mari  content  !  Côment  li  après  em- 
brasse so  femme,  loulou  dire  zaute  :  «  Açthère 
là  diamant  naplis  pour  trouve  bonavini  làhaut 
laterre  ;  pour  gagné,  va  blizé  fouille  fond  fond 
même.  » 


Dipis  ça  létemps  là  diamant  fine  vine  rare,  et 
pour  gagne  nèque  ptit  ptit  morceau  même, 
madames  blizé  donne  boucoup  boucoup  lor  av 
larzent. 


ment  le  conteur  met  bien  à  l'iœproviste  dans  la  bouche  du 
loup  nous  semble  une  trouvaille  dont  nul  ne  songera  à  lui 
contester  la  propriété. 


XVII 
HISTOIRE    DES    SEPT    COUSINS 

ET   DES   SEPT   COUSINES 


iL  y  avait   une  fois  un    loup   qui  aimait  à 
HJ 1;^  manger  les  petits  enfants.  Dans  ce  pays- 
là  il  y  avait  sept  garçons  qui  avaient  sept 
cousines,  et  chacun  en  aimait  une. 

Un  jour  le  loup  rencontre  celle  des  petites 
filles  qui  aimait  le  plus  jeune  des  garçons  ;  elle 
cueillait  des  graines  de  brèdes  dangole  sur  un 
mur  qui  fermait  une  cour  sur  la  rue.  Il  lui  dit  : 

—  Mon  enfant,  que  faites-vous  là  toute  seule 
dans  la  rue  ?  Vous  n'avez  pas  peur  des  chiens  ? 
Vous  n'avez  pas  peur  des  loups  ? 

—  Non,  Monsieur.  Je  cueille  des  graines  de 
dangole  pour  mes  grandes  sœurs  ;  elles  m'ont 
dit  qu'elles  avaient  besoin  d'encre  rouge  pour 
écrire  en  rouge  dans  leurs  cahiers. 


XVII 
ZISTOIRE   SEPTE    COUSINS 

AV   SEPTE  COUSINES 


1 1  éna  éne  fois  éne  loulou  qui  té  content 
manze  petit  zenfants.  Dans  ça  paye  là  ti 
éna  septe  garçons  qui  ti  éna  septe  cou- 
sines, et  chaquène  ti  content  éne. 

Alà  éne  zour  ça  loulou  là  trouve  ptit  fille  qui 
ti  content  plis  pitit  garçon,  après  rode  lagrains 
brède  gandaule  làhaut  éne  miraille  lentouraze 
dans  larie.  Li  dire  li  : 

—  Mo  zenfant,  qui  vous  après  faire  tout  seil 
dans  la  rie  ?  Vous  napas  peir  liciens,  vous  napas 
peir  loulous  ? 

Ptit  fille  là  dire  li  : 

—  Non,  missié  ;  mo  après  casse  lagrains 
gandaule  pour  mo  grand  seirs  :  zaute  dire  moi 
zaute  éna  bisoin  pour  zaute  faire  lenque  rouze 
pour  crire  en  rouze  dans  cahier. 

13 


194  HISTOIRE   DES   SEPT   COUSINS 

Le  loup  lui  dit  : 

—  C'est  chez  moi  qu'il  y  a  beaucoup  de  dango- 
les, beaucoup  de  raquettes,  beaucoup  de  mûres,  tout 
ce  qu'il  faut  pour  faire  de  bonne  encre  rouge  ! 
Viens  à  la  maison  avec  tes  sœurs  ;  vous  en  pren- 
drez autant  que  vous  voudrez. 

Le  loup  s'en  va.  La  petite  fille  dit  la  chose  à 
ses  soeurs. 

Les  enfants  ignorent  la  peur  ;  ils  ne  connaissent 
pas  le  danger.  Le  lendemain  elles  veulent  aller 
toutes  chez  le  loup.  Le  plus  jeune  garçon,  qui 
s'appelait  Petit  Poucet,  entend  cela  et  leur  dit  : 

—  Eh  vous  !  prenez  garde  que  cet  homme-là 
ne  soit  un  loup,  oui  !   n'y  allez  pas,  les  enfants  ! 

—  C'est  toi  qui  es  un  enfant,  un  capon,  un 
singe  ! 

Elles  le  renvoient  et  partent. 

Le  lendemain.  Petit  Poucet  retourne  chez  ses 
cousines  :  la  maison  était  vide.  Il  appelle  ;  per- 
sonne ne  répond.  Il  cherche  ;  peut-être  s'amusent- 
elles  à  jouer  à  cache-cache  avec  lui  :  il  ne  trouve 
rien  !  Alors  il  se  met  à  pleurer  et  s'écrie  : 

—  Je  savais  bien  que  c'était  la  maison  d'un 
loup  !  Et  le  loup  les  mangeca  si  je  ne  trouve  pas 
le  moyen  de  l'en  empêcher. 

Il  retourne  chez  lui  en  courant,  raconte  la 
chose  à  ses  frères,  et  les  voilà  comme  des  abeilles 
que  l'on  enfume  :    «   Que  faire,   Petit  Poucet  ? 


ZISTOIRE  SEPTE  COUSINS  AV  SEPTE  COUSINES    I95 


Avlà  loulou  dire  li  : 

—  Dans  mo  lacase  qui  éna  plein  gandaule, 
plein  raquette,  plein  mirte,  tout  ça  là  qui  bisoin 
pour  faire  bon  lenque  rouze  !  vine  çacé  av  to 
seirs,  zaute  a  prend  tant  qui  zaute  content. 

Loulou  allé  ;  ptit  fille  dire  ça  av  so  seirs. 

Zenfants  zamais  gagne  peir,  zaute  napas  conne 
danzer.  Lendimain,  zaute  tout  voulé  aile  lacase 
loulou.  Plis  pitit  garçon,  qui  ti  appelé  Ptit  Poucet, 
tende  ça,  li  dire  zaute  : 

—  Eh  vous  !  pengare  ça  doumounne  là  éne 
loulou,  oui  !  napas  allé,  zenfants! 

—  Toi  même  qui  éne  zenfant,  éne  capon,  éne 
zacot  ! 

Zaute  pousse  li,  zaute  allé. 

Lendimain  grand  bomatin,  Ptit  Poucet  tourne 
lacase  so  cousines  :  lacase  vide.  Li  appelé,  per- 
sonne napas  réponde.  Li  rôde  rôdé  pengare  zaute 
zoué  couc  av  li,  li  napas  trouve  narien  !  Li  co- 
mence  ploré,  li  dire  : 

—  Mo  té  cône  ça  éne  lacase  loulou  !  Loulou 
là  pour  manze  zaute  quand  mo  napas  trouve  éne 
magnière  empéce  li  ! 

Li  galpé  so  lacase,  li  raconte  ça  so  frères  ; 
zaute  cornent  mouces  dimiel  dans  lafimée  :  «  Qui 
nous  va  faire,    Ptit  Poucet?   Qui  nous  va  faire, 


196  HISTOIRE   DES   SEPT   COUSINS 

Que  faire,  Petit  Poucet  ?  »  Petit  Poucet  s'assied 
par  terre  et  réfléchit.  Soudain  il  se  lève  et  leur 
dit  : 

—  N'ayez  pas  peur  !  nous  irons  chez  le  loup, 
nous  le  tuerons,  et  nous  reprendrons  nos  sept 
cousines. 

Cependant  les  sept  petites  filles  étaient  arrivées 
à  la  maison  du  loup  :  une  maison  magnifique  ; 
un  jardin  superbe  avec  toute  espèce  d'arbres, 
toutes  sortes  de  fleurs.  Elles  se  promènent,  elles 
cueillent  tout  ce  qui  leur  plaît.  Quand  l'heure 
s'avance  et  que  leurs  jupes  sont  pleines,  elles 
veulent  partir  :  la  porte  est  fermée.  Elles  frappent, 
elles  crient,  elles  appellent  :  personne.  La  peur 
les  prend,  elles  se  mettent  à  pleurer.  Soudain 
toute  la  maison  s'allume  en  grand  ;  une  bande 
de  loups  sortent,  les  saisissent,  les  empor- 
tent dans  la  maison  et  les  enferment  dans  le 
godon. 

Pendant  ce  temps.  Petit  Poucet  avait  couru  à 
la  boutique.  Il  achète  du  poisson  salé  et  du  riz, 
en  fait  un  paquet,  retourne  à  la  maison  et  dit  à 
ses  frères  : 

—  Allons,  vous  autres,  partons  !  il  n'y  a  pas 
de  temps  à  perdre. 

Ils  marchent,  ils  marchent,  et  les  voilà  qui 
rencontrent  une  charrette  que  traînait  un  petit 
âne.  Petit  Poucet  dit  à  ses  frères  : 


ZISTOIRE  SEPTE  COUSINS  AV  SEPTE  COUSINES    I97 

Ptit  Poucet  ?  »  Ptit  Poucet  assise  par  terre  ;   li 
mazinc.  Ene  coup  là  li  levé,  li  dire  zaute  : 

—  Napas  bisoin  peir  ;  nous  va  aile  lacase  ça 
loulou  là,  nous  va  touye  li,  nous  a  prend  nous 
septe  cousines  ! 

Létemps  là,  ça  septe  ptit  filles  là  té  fine  arive 
lacase  loulou  :  bel  bel  lacase,  bel  bel  zardin,  tout 
qualité  zarbes,  tout  qualité  fleirs  !  Zaute  promené, 
zaute  casse  tout  ça  qui  zaute  content.  Lheire 
tard,  zaute  zipes  fine  plein,  zaute  voulé  allé  : 
laporte  firémé  !  Zaute  batte  laporte,  zaute  crié, 
zaute  apélé  :  personne  vini,  Zaute  comence  gagne 
peir,  zaute  comence  ploré  :  avlà  éne  coup  tout 
lacase  allime  en  grand,  éne  bande  loulous  sourti, 
tchiombo  zaute,  amène  zaute  dans  lacase,  fréme 
zaute  dans  godon. 

Létemps  là  Ptit  Poucet  té  fine  galoupe  labou- 
tique  ;  li  acète  posson  salé  av  douriz,  li  faire  éne 
paquet,  li  tourne  lacase,  li  dire  av  so  frères  : 

—  Anons  allé,  vous  zaute  !  napas  létemps  pour 
perdi. 

Zaute  marcé,  zaute  marcé  ;  avlà  zaute  zoinde 
éne  çarette  av  éne  ptit  bourique.  Ptit  Poucet  dire 
zaute  : 


198  HISTOIRE   DES   SEPT   COUSINS 

—  Si  nous  avions  cette  charrette-là,  nous  ne 
nous  fatiguerions  pas. 

La  charrette  appartenait  à  un  méchant  petit 
malabar  qui  vendait  du  sable.  Ils  le  bouscu- 
lent, jettent  le  sable  et  montent  dans  la  char- 
rette. 

L'âne  marche,  marche,  marche,  et  les  voilà 
tous  qui  ont  faim  ;  mais,  seul,  Petit  Poucet  a 
une  bonne  provision  de  riz  et  de  poisson  salé.  Il 
leur  dit  : 

—  Je  vais  vous  donner  à  tous  de  quoi  manger  ; 
mais  j'y  mets  une  condition.  C'est  moi  qui  sera 
le  chef;  et  tout  ce  que  je  vous  ordonnerai  de 
faire,  vous  le  ferez. 

Tous  disent  oui,  et  Petit  Poucet  leur  donne  à 
manger. 

Les  voilà  qui  rencontrent  un  cocotier  planté 
au  bord  de  la  route.  Petit  Poucet  arrête  l'âne,  et 
leur  dit  : 

—  J'ai  besoin  de  ce  cocotier.  Qu'on  le  coupe 
et  le  mette  dans  la  charrette. 

Ils  se  mettent  à  murmurer  :  «  Pourquoi  faire  ? 
—  c'est  un  gros  ouvrage,  ça  !  —  c'est  dur  à 
couper,  un  cocotier  !  »  Petit  Poucet  leur  dit  : 

—  Je  n'entends  pas  tout  ça  !  Où  est  mon  riz  ? 
où  est  mon  poisson?  J'ai  dit  de  couper  et  de 
mettre  dans  la  charrette. 

Ils  ont  le  bec  cloué.  Force  leur  est  de  descen- 


ZISTOIRE  SEPTE  COUSINS  AV  SEPTE  COUSINES    I99 

—  Quand  nous  gagne  çarette  là  nous  napas 
pour  lassé. 

Çarette  là  té  pour  éne  faye  faye  malbar  mar- 
çand  lasabe  ;  zaute  pousse  li,  zaute  zette  lasabe, 
zaute  monte  dans  çarette. 

Bourique  marcé,  marcé,  marcé.  Avla  zaute 
tout  gagne  faim  ;  mais  nèque  Ptit  Poucet  tout 
seil  qui  gagne  bon  morceau  douriz  av  pôsson  salé. 
Li  dire  zaute  : 

—  Mo  va  donne  zaute  tout  manzé,  mais  mo 
faire  éne  condition  :  moi  même  qui  va  céf  ;  tout 
ça  qui  mo  comande  zaute  faire,  zaute  va  faire. 

Zaute  tout  dire  oui  ;  Ptit  Poucet  donne  zaute 
manzé. 

Avlà  zaute  zoinde  éne  pied  coco  dans  bord 
cimin.  Ptit  Poucet  arrête  bourique,  li  dire  zaute  : 

—  Mo  bisoin  ça  pied  coco  là  ;  coupe  li,  mette 
dans  çarette. 

Zaute  comence  cipoté  :  «  Qui  faire?  —  Grand 
grand  louvraze  ça  !  —  coco  là  li  raide  pour  coupé, 
oui  !  »  Ptit  Poucet  dire  zaute  : 

—  Mo  napas  conne  ça  !  A  cote  mo  douriz  ?  à 
cote  mon  pôsson  ?  Mo  dire  zaute  coupé,  mette 
Ihaut  çarette  ! 

Zaute  tout  labec  sauté.  Zaute  bisoin  dicendé. 


200  HISTOIRE   DES   SEPT   COUSINS 

dre  ;  ils  abattent  le  cocotier  et  le  chargent  sur  la 
charrette  avec  les  cocos. 

Ils  vont,  ils  vont.  Les  voilà  qui  rencontrent  un 
cuisinier  en  train  de  cuire  un  jambon  dans  une 
grande  marmite  devant  la  porte  de  sa  cuisine. 
Petit  Poucet  arrête  l'âne  et  leur  dit  : 

—  J'ai  besoin  de  cette  marmite.  Allez  me  la 
prendre,  mettez-la  dans  la  charrette. 

Ils  se  mettent  encore  à  regimber  :  «  pourquoi 
une  marmite  ?  —  Le  cuisinier  ne  voudra  jamais 
nous  la  donner  ;  —  nous  n'avons  rien  à  faire 
cuire  !  »  Petit  Poucet  se  contente  de  leur  ré- 
pondre : 

—  Où  est  mon  riz  ?  Où  est  mon  poisson  ? 
Qu'on  aille  me  chercher  cette  marmite  ! 

Force  leur  est  de  descendre.  Ils  entrent  en 
arrangement  avec  le  cuisinier,  prennent  la  mar- 
mite et  la  mettent  dans  la  charrette. 

Ils  vont,  ils  vont  ;  la  maison  du  loup  n'est  pas 
loin  maintenant.  Les  voilà  qui  rencontrent  un 
vieux  blanc  qui  avait  un  fusil  à  la  main  et  portait 
une  pompe  sur  le  dos.  Petit  Poucet  arrête  encore 
son  âne,  et  dit  à  ses  frères  : 

—  Voilà  les  derniers  objets  dont  j'aie  besoin  : 
ce  fusil  et  cette  pompe.  Allez  les  prendre  et 
mettez-les  dans  la  charrette. 

Pour  cette  fois,  ils  refusent  tout  net  :  ils  ont 
peur  que  le  vieux  blanc  ne  leur  lâche  un  coup 


ZISTOIRE  SEPTE  COUSINS  AV  SEPTE  COUSINES   201 

coupe  pied  coco,  çarze   làhaut  çarette  av  son 
cocos. 

Zaute  allé,  zaute  allé  ;  avlà  zaute  zoinde  éne 
cousinier  qui  après  couit  zambon  dans  éne  grand 
marmite  divant  laporte  so  lacousine.  Ptit  Poucet 
arête  bourique,  li  dire  zaute  : 

—  Mo  bisoin  ça  maman  marmite  là  ;  aile 
prend  li,  mette  dans  çarette. 

Zaute  comence  encore  napas  vlé  :  «  Qui  faire 
marmite  ?  —  Zamais  cousinier  pour  donne  li  ?  — 
Napas  narien  pour  couit.  »  Ptit  Poucet  nèque 
réponde  : 

—  Où  li  mon  douriz  ?  où  li  mon  pôsson  !  Aile 
casse  marmite  là  ! 

Zaute  blizé  dicendé,  arranze  zaffaire  av  cou- 
sinier, prend  marmite,  mette  li  dans  çarette. 

Zaute  allé,  zaute  allé  ;  lacase  loulou  napas  loin 
asthère.  Alà  zaute  zoinde  éne  vie  blano  qui  ti 
marce  av  éne  fisil  dans  so  lamain,  sembe  éne 
lapompe  làhaut  so  lédos.  Ptit  Poucet  arrête  encore 
bourique,  li  dire  av  so  frères  : 

—  Ça  même  dernier  quiqueçoses  mo  bisoin  : 
ça  fisil  là  sembe  ça  lapompe  là.  Aile  prend  ;  mette 
dans  çarette. 

Ça  voyaze  là  zaute  napas  voulé  même  :  pen- 
gare   vie  blanc  là  pette   zaute    éne  coupdefisil. 


202  HISTOIRE   DES   SEPT   COUSINS 


de  fusil.  Petit  Poucet  se  fâche  ;  il  tire  son  couteau 
et  leur  crie  : 

—  Apportez  vos  ventres,  que  je  reprenne  mon 
riz  et  mon  poisson  salé. 

Du  coup  ils  sautent  tous  à  bas  de  la  charrette, 
ils  courent  au  vieux  blanc,  le  cajolent  et  l'entor- 
tillent sans  doute,  prennent  le  fusil  avec  la  pompe, 
les  mettent  dans  la  charrette,  et  l'on  repart. 

A  force  de  marcher,  les  voilà  rendus  à  la  mai- 
son du  loup.  C'est  l'âne  qui  est  content  !  la 
charrette  était  lourde  avec  tout  ce  chargement-là. 

La  porte  cochère  était  fermée.  Petit  Poucet 
passe  entre  les  barreaux,  ouvre  la  porte  toute 
grande,  fait  entrer  la  charrette.  La  maison  est 
ouverte.  Petit  Poucet  entre  seul  et  laisse  ses 
frères  dans  la  charrette.  Les  loups  étaient  réunis 
au  salon  ;  ils  dansaient  et  chantaient.  Petit  Poucet 
écoute,  ils  chantaient  en  choeur  :  «  Demain  elles 
seront  grasses,  nous  les  mangerons.  »  Il  laisse 
les  loups  faire  leur  tapage  et  se  met  à  visiter 
toute  la  maison.  En  cherchant  partout  il  arrive 
près  du  godon  ;  il  entend  qu'on  pleure  là-dedans. 
La  clef  était  surla  porte,  il  ouvre  d'un  coup: 
c'était  bien  là  !  Les  sept  cousines  sautent  sur  lui, 
l'embrassent,  lui  serrent  le  cou.  Petit  Poucet  les 
repousse  et  leur  dit  : 

—  Restez  tranquilles  donc  !  ce  n'est  pas 
l'heure  de  s'embrasser  à  présent  1   il  faut  vous 


ZISTOIRE  SEPTE  COUSINS  AV  SEPTE  COUSIMES    203 

Ptit  Poucet  en  colère  :  H  tire  son  couteau,  li  crie 
zaute  : 

—  Amène  ventes  :  mo  tire  mo  douriz  av  mo 
pôsson  salé  ! 

Zaute  tout  nèque  saute  enbas  çarette  ;  zaute 
couri  av  ça  vie  blanc  là,  quiquefois  zaute  embête 
embête  li,  zaute  prend  fisil  av  lapompe,  zaute 
mette  dans  çarette,  zaute  allé. 

Aforce  marce  marcé  avlà  zaute  fine  arrive 
lacase  loulou.  Bourique  content,  oui  !  çarette  là 
li  lourde  av  tout  ça  quiqueçôses  qui  làdans  là. 

Laporte  larie  fermé  :  Ptit  Poucet  passe  dans 
barreaux,  ouvert  laporte  en  grand,  faire  rente  so 
çarette.  Lacase  ouvert,  Ptit  Poucet  tout  seil  ren- 
tré, li  quitte  so  frères  dohors  dans  çarette.  Tout 
loulous  ti  dans  salon  :  zaute  après  dansé,  après 
canté  ;  Ptit  Poucet  coûté,  zaute  tout  çanté  :  «  Di- 
main  zaute  va  gras,  nous  va  manze  zaute  !  dimain 
zaute  va  gras,  nous  va  manze  zaute  !  »  Li  laisse 
loulous  faire  zaute  vacarme,  li  rôde  rôde  partout 
partout  dans  tout  lacase.  Coment  li  arrive  à  cote 
godon,  li  tende  doumounde  après  ploré  làdans. 
Laclé  ti  làhaut  laporte  ;  li  ouvert  éne  coup  :  ça 
même,  ça  !  so  septe  cousines  saute  làhaut  li,  em- 
brasse li,  serre  so  licou.  Ptit  Poucet  pousse  pousse 
zaute,  li  dire  zaute  : 

—  Resse  tranquille,  donc  !  napas  létemps  pour 


204  HISTOIRE   DES   SEPT   COUSINS 

tenir  prêtes  à  vous  sauver  quand  tout  à  l'heure 
je  vous  appellerai. 

Il  retourne  dans  la  cour,  prend  ses  frères,  les 
amène  sans  bruit  dans  le  godon  auprès  de  leurs 
cousines  et  leur  dit  : 

—  Pas  de  bruit  :  écoutez  bien  !  Tout  à  l'heure 
je  tirerai  un  coup  de  fusil  ;  aussitôt  que  vous 
entendrez  ce  coup  de  fusil,  jetez  tous  ensemble 
un  grand  cri  ;  frappez,  heurtez,  battez  la  porte, 
faites  tout  le  vacarme  possible  !  Voilà  mes  ordres, 
c'est  de  cette  manière  que  je  vous  sauverai  la  vie. 

Petit  Poucet  retourne  dans  la  cour  ;  il  prend  la 
bride  de  l'âne  et  le  fait  monter  sous  la  varangue 
avec  la  charrette  ;  de  là  il  pénètre  dans  le  vesti- 
bule et  s'arrête  devant  la  porte  du  salon.  Le  loup 
l'aperçoit  et  dit  à  ses  amis  : 

—  En  voilà  un  de  plus  à  manger  ! 

Mais  Petit  Poucet  n'a  pas  peur.  Il  tient  son 
fusil  à  la  main  et  dit  au  loup  : 

—  N'essaie  pas  de  bouger,  la  maison  est 
pleine  de  mes  soldats.  Mais  je  veux  régler  mon 
affaire  avec  toi  !  ce  sont  tes  amis  eux-mêmes  qui 
jugeront  ;  c'est  eux  qui  décideront  lequel  est  le 
plus  fameux  de  toi  ou  de  moi. 

Le   loup   et  tous   les  autres  loups   répondent 
d'une  seule  voix  ;  «  Oui,  oui  !  nous  allons  voir  !  » 
Petit  Poucet  dit  au  loup  : 

—  Je  te  laisse  commencer. 


ZISTOIRE  SEPTE  COUSINS  AV  SEPTE  COUSINES    20  5 

embrassé  açthère.  Zaute  bisoin  paré  pour  sauvé  : 
talhère  mo  va  apéle  zaute. 

Li  tourne  dans  lacour,  H  prend  so  frères,  li 
amène  zaute  doucement  doucement  dans  godon 
av  so  cousines,  li  dire  zaute  : 

—  Napas  faire  tapaze,  coûte  bien.  Talhère  mo 
pour  tire  éne  coupdefisil  ;  sitôt  vous  tende  coup- 
defisil  là,  zaute  tout  ensembe  largue  éne  guélé  ; 
tapé,  cogné,  batte  laporte,  faire  tapaze;  ça  même 
qui  mo  comande  vous,  ça  magnière  là  qui  mo 
pour  sauve  vous  lavie. 

Ptit  Poucet  tourne  dans  lacour  ;  li  prend  la- 
bride  bourique,  li  faire  li  monte  enbas  lavarangue 
av  çarette,  li  fonce  dans  vestibile,  li  barre  la- 
porte salon.  Loulou  trouve  li,  li  dire  av  so 
camrades  : 

—  Avlà  encore  éne  laute  pour  nous  manzé  ! 
Mais  Ptit  Poucet  napas  gagne  peir.  Li  tine  fisil 

dans  so  lamain,  li  dire  loulou  : 

—  Napas  saye  bouzé  :  tout  lacase  plein  av  mo 
soldars.  Mais  mo  vlé  règue  zaffaire  av  toi  ;  to 
camrades  même  qui  va  zize  nous,  zaute  même 
qui  pour  dicidé  qui  plis  famé,  sipas  toi,  sipas 
moi. 

Loulou  sembe  tout  loulous  nèque  dire  :  «  Oui  ! 
oui  !  anons  guété  !  » 
Ptit  Poucet  dire  loulou  : 

—  Mo  laisse  toi-même  comencé. 


206  HISTOIRE   DES   SEPT   COUSINS 

Le  loup  commence.  Il  dit  au  Petit  Poucet  : 

—  Allons  voir  qui  a  le  plus  gros  ventre.  Voilà 
le  mien. 

Et  il  montre  son  ventre.  Ce  n'était  pas  un 
ventre,  mais  une  barrique. 

Petit  Poucet  renverse  la  charrette.  Il  se  met 
debout  dedans,  sa  tête  seule  dépasse  et  il  dit  : 

—  Regardez  le  mien  ! 

Tous  les  loups  sont  forcés  de  crier  :  «  Le  ventre 
de  Petit  Poucet  est  plus  gros  !  le  ventre  de  Petit 
Poucet  est  plus  gros  !  « 

Le  loup  est  en  colère.  Il  dit  : 

—  Eh  bien  !  voyons  qui  a  la  plus  grosse  tête. 
Le  loup   tire  son  chapeau  et  montre  sa  tête  : 

un  giraumon  ! 

Petit  Poucet  saisit  la  marmite  à  jambon  et  la 
met  sur  sa  tête.  Tous  les  loups  sont  forcés  de 
crier  :  «  Celle  de  Petit  Poucet  est  plus  grosse  ! 
Celle  de  Petit  Poucet  est  plus  grosse  !  « 

Le  loup  reste  interloqué.  Il  dit  : 

—  Allons  voir  qui  a  les  plus  gros  tétés. 

Il  ouvre  d'un  coup  sa  chemise,  les  seins  du 
loup  étaient  comme  deux  gargoulettes. 

Petit  Poucet  prend  deux  cocos  ;  il  les  fourre 
sur  son  estomac  sous  sa  chemise  «  Les  tétés  de 
Petit  Poucet  sont  plus  gros  !  les  tétés  de  Petit 
Poucet  sont  plus  gros  !  » 


ZISTOIRE  SHPTE  COUSINS  AV  SEPTE  COUSINES   207 

Loulou  comencé.  Li  dire  Ptit  Poucet  : 

—  Anons  guété  qui  gagne  plis  gros  vente. 
Avlà  pour  moi. 

Li  monte  so  vente  :  napas  éne  vente,  ça  :  éne 
barique  ! 

Ptit  Poucet  nèque  renverse  çarette  ;  li  diboute 
dans  çarette,  so  latête  tout  seil  dépassé  ;  li  dire  : 

—  Guéte  ça  qui  pour  moi  ! 

Tout  loulous  bisoin  crié  :  «  Vente  Ptit  Poucet 
plis  gros  !  vente  Ptit  Poucet  plis  gros  !  » 
Loulou  en  colère.  Li  dire  : 

—  Ah  ben  !  anons  guété  qui  gagne  plis  gros 
latête. 

Loulou  tire  çapeau,  li  monte  so  latête  :  éne 
ziraumon  ! 

Ptit  Poucet  pèse  marmite  zambon,  li  méte  li 
Ihaut  so  la  tête  ;  tout  loulous  blizé  crié  :  «  Pour 
Ptit  Poucet  plis  gros  1  pour  Ptit  Poucet  plis 
gros  !  » 

Loulou  vine  bête.  Li  dire  : 

—  Anons  guété  qui  gagne  plis  gros  tétés. 

Li  ouvert  éne  coup  so  cimise  :  so  tétés  loulou 
dé  gargoulettes  ! 

Ptit  Poucet  prend  dé  cocos  ;  li  mette  en  bas 
so  cimise  Ihaut  so  lostomac  :  —  «  Tétés  Ptit 
Poucet  plis  gros  !  tétés  Ptit  Poucet  plis  gros  !  » 


208  HISTOIRE   DES   SEPT   COUSINS 

Le  loup  est  furieux.  Cette  fois  il  dit  : 

—  Eh  bien  !  voyons  qui  criera  le  plus  fort. 

Il  pousse  un  hurlement  :  les  vitres  de  la  maison 
tremblent. 

Petit  Poucet  ne  cherche  pas  midi  à  quatorze 
heures.  Il  bat  son  âne.  L'âne  fronce  son  nez, 
allonge  ses  dents  :  «  hihan  !  hihan  !  hihan  !  » 
Tous  les  loups  rient.  «  Bien  sûr,  bien  sûr  que 
c'est  Petit  Poucet  qui  peut  gueuler  le  plus  fort  !  » 

Mais  le  loup,  lui,  ne  rit  pas.  Il  déboutonne  ses 
trowsers  et  dit  : 

—  Cette  fois-ci  nous  allons  voir  qui  peut  ren- 
dre le  plus  d'eau. 

Et  il  se  vide.  Il  remplit  tout  ce  qu'il  y  a  de 
vases,  de  gamelles,  de  cuvettes,  de  seaux. 

Que  fait  Petit  Poucet  ?  Il  arrange  sa  pompe 
et  le  voilà  qui  pompe,  qui  pompe,  qui  pompe. 
La  maison  commence  à  se  remplir  d'eau.  Ce 
sont  les  loups  eux-mêmes  qui  sont  obligés  de 
l'arrêter  de  peur  d'être  noyés.  Et  le  loup,  tout 
mouillé  qu'il  est,  se  sent  la  bouche  sèche. 

Petit  Poucet  dit  au  loup  : 

—  Eh  toi  !  je  ne  te  donne  plus  que  deux  coups. 
Si  tu  les  perds  encore,  ton  affaire  est  jugée  ! 

Le  loup  commence  à  avoir  peur,  il  n'a  plus  de 
salive.  Mais  il  faut  bien  continuer  la  lutte,  et  il 
dit: 


ZISTOIRE  SEPTE  COUSINS  AV  SEPTE  COUSINES    209 


Loulou  firié.  Ça  coup  là  li  dire  : 

—  Ah  ben  !  anons  guété  qui  va  crie  plis  fort. 

Loulou  largue  éne  guélé  :  vites  lacase  tremblé  ! 

Ptit  Poucet  napas  rôde  divant  derrière  ;  li  batte 
so  bourique.  Bourique  fronce  nénez,  allonze 
lédents  :  «  hihan  !  hihan  !  hihan  !  »  Tout  lou- 
lous rié  :  —  «  Bien  sir,  bien  sir  qui  Ptit  Poucet 
qui  capave  guéle  plis  fort  !  » 

Mais  loulou  napas  rié,  li.  Li  déboutône  qui- 
lotte,  li  dire  : 

—  Ça  vôyaze  là  nous  pour  guété  qui  capabe 
rende  plis  beaucoup  dileau. 

Loulou  vidé  même  :  li  rempli  tout  vases,  tout 
gamelles,  tout  quivettes,  tout  seaux. 

Qui  Ptit  Poucet  faire  ?  Li  arranze  so  lapompe, 
li  pompé,  pompé,  pompééé  :  lacase  comence 
plein  av  dileau.  Tout  loulous  même  que  blizé 
arrête  li  pour  zaute  napas  nÔ3'é  !  Quamême  lou- 
lou mouillé,  li  bisoin  reste  sec. 

Ptit  Poucet  dire  loulou  : 

—  Eh  toi  !  encore  dé  coups  tout  seil  !  Quand 
ça  de  coups  là  moi  qui  casse  toi  encore,  to 
zaffaire  zizé  même. 

Loulou  comence  peir  ;  11  crace  coton.  Mais  li 
bisoin  saye  encore,  li  dire  : 

14 


210  HISTOIRE   DES   SEPT  COUSINS 

—  Parions  que  ma  queue  est  plus  longue  que 
la  tienne. 

Le  loup  tire  sa  queue.  Le  queue  du  loup  était 
longue  et  grosse  comme  un  brancard  de  char- 
rette. 

Mais  Petit  Poucet  n'est  pas  en  peine.  Il  s'atta- 
che le  cocotier  par  derrière  et  leur  dit  :  «  Mesui-ez 
nos  deux  queues,  mesurez  juste  !  »  Mais  à  quoi 
bon  mesurer,  un  cocotier  est  plus  long  qu'un 
brancard  de  charrette. 

Petit  Poucet  dit  au  loup  : 

—  Eh  toi  !  fils  de  ta  mère  !  voici  ton  dernier 
coup.  Je  t'avertis  cette  fois  encore  :  penses-y 
bien. 

Cette  fois  le  loup  a  tout  à  fait  peur.  Dans  sa 
frayeur  il  sent  son  ventre  gargouiller  comme  t'il 
était  plein  de  grenouilles.  Il  dit  à  Petit  Poucet  : 

—  Eh  bien  !  allons  voir  who  can  blow  the 
biggest  wind. 

Et  il  se  donne  un  coup  sur  le  ventre.  Maman  ! 
quelle  odeur  et  quel  bruit  !  La  charrette  recule 
de  deux  tours  de  roues  :  l'âne  même  a  honte. 

Petit  Poucet  fait  un  bond.  Il  est  furieux  et  dit 
au  loup  : 

—  Comment,  malappris  !  comment,  malpro- 
pre !    comment,   mal  élevé  !   C'est  là  une  chose 


ZISTOIRE  SEPTE  COUSINS  AV  SEPTE  COUSINES   211 

—  Mo  parié  qui  mo  laquée  plis  longue  qui  ça 
qui  pour  toi. 

Loulou  tire  solaquée  :  laquée  là  longue  longue 
et  gros  gros  cornent  éne  brancard  çarette  ! 

Mais  Ptit  Poucet  napas  en  peine.  Li  amarre  ça 
pied  coco  là  av  li  par  derrière  ;  li  dire  ■  zaute  : 
«  Misire  nous  dé  laquées  ;  misire  zisse  !  «  Napas 
lapeine  pour  misire,  pied  coco  'plis  longue  qui 
brancard  çarette. 

Ptit  Poucet  dire  av  loulou  : 

—  Eh  toi,  pitit  to  manman  !  ça  to  denier 
coup,  oui  ;  mo  prévini  toi  encore  éne  fois  : 
mazine  bien  ! 

Ça  coup  là,  loulou  peir  même,  mo  dire  vous. 
Dans  so  lafrayeir  là,  li  senti  so  vente  comence 
brouille  brouille  av  dileau  ;  coma  dire  gournouies 
plein  làdans.  Li  dire  Ptit  Poucet  : 

—  Ah  ben  !  anons  guété  qui  capave  casse  éne 
pété  plis  fort  ! 

Loulou  tape  so  vente  éne  coup.  Manman  !  napas 
pèle  éne  lodéir  mazizi  av  éne  tapaze,  ça  !  ^Çarête 
quilé  :  li  roule  de  tours  laroues  ;  bourique  même 
honte. 

Ptit  Poucet  saute  en  lair  à  force  li  en  colère. 
Li  dire  loulou  : 

—  Cornent ,  cocon  !  coment  malprôpe  ! 
cornent,  mal  élevé  ! 


212  HISTOIRE   DES   SEPT   COUSINS 

à  faire  devant  un  homme  comme  moi?  Grossier 
personnage  ! 

Petit  Poucet  saisit  son  fusil,  vise  le  loup,  pèse 
la  gâchette.  Boum  !  voilà  le  loup  par  terre,  il 
tourne  de  l'œil  et  meurt. 

En  entendant  le  coup  de  fusil,  les  frères  de 
Petit  Poucet  et  ses  cousines  commencent  un 
affreux  vacarme  ;  ils  donnent  des  coups  aux 
cloisons,  font  battre  les  portes,  renversent  les 
meubles,  poussent  des  cris.  Les  loups  croient  que 
ce  sont  les  soldats,  sautent  par  les  fenêtres  et  se 
sauvent  à  toutes  jambes. 

Voilà  donc  Petit  Poucet  resté  maître  de  la 
maison  du  loup  avec  tout  ce  qu'il  y  avait  dedans, 
meubles,  assiettes,  argenterie,  piano  dans  le 
salon,  bon  vin  dans  la  cave,  bon  linge  dans  les 
armoires,  tout  ce  qu'il  faut.  Il  prend  pour  lui  la 
chambre  du  loup  et  donne  à  chacun  de  ses  frères 
une  chambre  avec  un  cabinet. 

Tous  se  marièrent  le  même  jour.  Une  noce 
superbe.  Tout  le  monde  fut  invité  :  le  vieux 
blanc  qui  avait  prêté  à  Petit  Poucet  la  pompe  et 
le  fusil,  le  cuisinier  qui  avait  donné  la  marmite  à 
jambon,  et  jusqu'au  méchant  petit  malabar  mar- 
chand de  sable  qui  avait  laissé  prendre  sa  char- 
rette et  son  âne. 

Je  veux,  moi  aussi,  entrer  à  la  cuisine  pour 
attraper  un  morceau.  On  me  donne  un  coup  de 


ZISTOIRE  SEPTE  COUSINS  AV  SEPTE  COUSINES    21  3 

Çà,  éne  quiqueçose  pour  faire  divant  éne  dou- 
moLine  cornent  moi,  côçon  ! 

Ptit  Poucet  pèse  son  fisil,  li  vise  loulou,  li  pèse 
gacette  :  boum  !  loulou  en  bas,  li  vire  cayes,  li 
mort  même. 

Coment  zaute  entende  coudefisil  là,  frères  Ptit 
Poucet  av  so  cousines  comence  éne  vacarme, 
tapé,  batte  laportes,  çavire  meibes,  guélé  ;  lou- 
lous tende  ça,  zaute  croire  soldars  ;  zaute  tout 
saute  lafenête,  piqué,  balié,  bouré  même. 

Avlà  Ptit  Poucet  fine  reste  maître  lacase  loulou 
av  tout  ça  qui  làdans,  meibes,  zassietles,  cou- 
verts, piano  dans  salon,  bon  divin  dans  lacave, 
bon  linze  dans  larmoires,  tout  ça  qui  bisoin.  Li 
prend  laçambe  loulou  pour  li  ;  li  donne  so  frères 
çaquéne  so  laçambe  av  éne  cabinet. 

Zaute  tout  marié  même  zour.  Napas  appelle 
éne  grand  diner,  ça  !  Tout  doumonnde  fine 
invité  :  vie  blanc  qui  ti  prête  Ptit  Poucet  son 
fisil  av  so  lapompe,  cousinier  qui  ti  donne  mar- 
mite zambon,  zousqu'à  ça  faye  malbar  marçand 
lasabe  qui  ti  laisse  prend  so  çarette  av  so  bou- 
rique. 

Moi  aussi  mo  voulé  rente  lacousine  pour  gagne 
morceau  manzé  :  zaute  flanque  moi  éne  coupde- 


214  HISTOIRE   DES   SEPT   COUSINS 


pied    qui   m'envoie   ici  vous  raconter  cette  his- 
toire. 


Ici  tout  est  nôtre  :  Lindor  fecit.  Aucun  autre  conte  n'a  une 
saveur  de  terroir  plus  prononcée.  Seulement  le  lecteur  devra 
pardonner  au  vieux  conteur  un  peu  de  crudité  en  constatant 
qu'on  peut  être  noir  et  Gaulois.  S'il  nous  fallait,  dans  notre 
recueil,  désigner  entre  tous   un  conte  qui  suffît  à  donner  une 


% 


ZISTOIRE  SEPTE  COUSINS  AV  SEPTE  COUSINES   21 5 

pied,  zaute  faire  moi  tombe  ici  pour  raconte  vous 
ça  zistoire  là. 


idée  du  génie  créole,  c'est  bien  certainement  celui-ci  que  nous 
choisirions.  Le  tournoi  du  héros  et  de  Loulou  est  dans  toutes 
ses  phases  une  invention  qu'on  aurait  mauvaise  grâce  à  venir 
nous  contester. 


à 


XVIII 
HISTOIRE  DE  MARIE- JOSÉ  (JOSEPH) 


^Âi,^(ff 


jL  y  avait  une  fois  un  bonhomme  si  vieux, 
si  vieux,  que  personne  ne  pouvait  savoir 
quel  âge  il  avait. 
Un  jour  que  Maric-Jo?é  était  aUé  pêcher  des 
tectecs  au  bas  de  la  rivière,  il  rencontre  le  vieux 
bonhomme  qui  péchait  des  bigorneaux.  Marie- 
José  lui  dit  :  «  Bonjour,  grand-papa,  comment 
vous  portez-vous?  »  Le  bonhomme  le  regarde 
bien  et  lui  dit  :  «  Parions,  mon  camarade,  que  tu 
ne  peux  pas  me  dire  quel  est  mon  âge  ?  » 

—  Je  ne  sais  pas;  mais  vous  avez  l'air  bien 
vieux. 

—  Tu  vois  ces  bigorneaux,  ces  crabes,  ces  an- 
guilles ?  Si  dans  deux  jours  tu  ne  peux  me  dire 
mon  âge,  je  ferai  de  toi  une  anguille,  un  crabe 
ou  un  bigorneau  ! 

Marie-José  a  peur;  il  veut   entortiller  le  bon- 


<tiA  CXU.  riA  CTiA  ctlA  ctlA  ciiA  ftlA  <T1A  ftlA  Ct^  CtiA  Cti*. 


XVIII 
ZISTOIRE   MARIE  ZOZÉ 


I  éna  éne  fois  éne  viévié  bonhomme,  per- 
sonne napas  ti  cône  qui  lâze  li  ti  gagné. 
Ene  zour  Marie  Zozé  aile  lapéce  tectec 
enbas  larivière,  li  trouve  ça  vie  bonhomme  là 
après  lapéce  bigorneau.  Marie  Zozé  dire  li  : 
«  Bonzour,  grandpapa,  côman  vous  ça  va?  » 
Bonhomme  là  guette  li  bien,  après  ça  li  dire  li  : 
«  Parié,  mo  camrade,  to  napas  capabe  dire  moi 
qui  lâze  mo  éna?  » 

—  Mo  napas  cône  ;  mais  vous  gagne  lair  bien 
vie. 

—  To  guette  ça  bigorneaux  là,  ça  carabes  là, 
ça  anguïes  là?  Si  dans  dé  zours  to  napas  dire 
moi  qui  lâze  qui  mo  éna,  mo  envoyé  toi  av 
zaute. 

Marie  Zozé  gagne   peir;   li   oulé   embête   ça 


2l8  HISTOIRE   DE   MARIE-JOSÉ   (jOSEPH) 

homme,  il  commence  à  l'amadouer  avec  de  belles 
paroles.  Mais  le  vieux  était  un  malin  ;  il  lui  dit 
bonjour  et  s'en  va. 

Voilà  Marie- José  assez  triste.  Il  revient  chez 
lui  et  ne  peut  manger.  Sa  femme  lui  demande 
pourquoi  il  ne  mange  pas,  ce  qu'il  a.  Marie- José 
ne  répond  rien  et  baisse  la  tête.  Sa  femme  le 
cajole  tant  et  tant  qu'il  lui  dit  :  «  Eh  bien,  tu 
sauras  que  j'ai  rencontré  un  vieux  vieux  bon- 
homme qui  péchait  des  bigorneaux  au  bas  de  la 
rivière.  Il  m'a  dit  que  si  dans  deux  jours  je  ne 
pouvais  pas  lui  dire  son  âge,  il  me  tuerait.  »  Sa 
femme  lui  dit  :  «  N'aie  pas  de  chagrin  !  mange  ! 
je  te  dirai  comment  t'y  prendre  pour  savoir  l'âge 
de  ce  bonhomme-là.  » 

Lorsque  Marie-José  eut  fini  de  manger,  sa 
femme  lui  dit  :  «  Demain,  tu  iras  m'acheter  un 
sac  de  duvet,  deux  longs  bambous  et  une  jarre  de 
gros  sirop.  «  Le  lendemain,  de  bon  matin,  Marie- 
José  va  au  bazar  et  achète  ce  que  sa  femme  lui  a 
demandé.  Quand  il  est  de  retour,  sa  femme  lui 
fait  tirer  tous  ses  habits,  enduit  tout  son  corps  de 
sirop  et  le  roule  dans  le  duvet.  Puis  elle  prend 
les  deux  bambous  et  lui  en  fait  une  queue  :  Marie- 
José  ressemble  à  un  tigre  un  jour  de  ghoûn. 
Alors  sa  femme  lui  dit  :  «  A  midi  juste,  ce  vieux 
bonhomme-là  se  couche  pour  faire  un  somme  sur 
une  roche  au  bord   de  la  rivière;  approche-toi 


ZISTOIRE  MARIE   ZOZÉ  219 

bonhomme  là,  li  comence  cause  bagout  ;  mais  vie 
bonhomme  là  ti  malin,  li  dire  bonzour,  li  allé. 

Alà  Marie  Zozé  çagrin  ;  li  arrive  dans  so  lacase, 
li  napas  capabe  manzé.  So  femme  dimande  li  qui 
fére  li  napas  manzé,  qui  li  gagné;  Marie  Zozé 
napas  réponde  narien,  li  baisse  so  latéte.  So 
femme  embête  embête  li,  alà  li  dire  so  femme  : 
«  To  napas  cône  mo  ti  trouve  éne  vie  bonhomme 
qui  té  après  lapèce  bigorneaux  enbas  larivière;  li 
ti  dire  moi  si  dans  dé  zours  mo  napas  dire  li  qui 
lâze  li  éna,  li  pour  touye  moi.  »  So  femme  dire 
li  :  «  Napas  bisoin  çagrin  ;  manzé  ;  mo  va  dire 
toi  couma  to  a  fére  pour  cône  lâze  ça  vie  bon- 
homme là.  » 

Alà  quand  Marie  Zozé  té  fini  manzé,  so  femme 
dire  li  :  «  Dimain,  aile  aceté  éne  sac  ptit  plimes, 
dé  longue  bambous,  ec  éne  lazarre  sirop  lamé- 
lasse.  »  Lendimain  bomatin  Marie  Zozé  aile 
bazar,  H  aceté  tout  ça  qui  so  femme  ti  dire  H. 
Arrive  dans  so  lacase  so  femme  tire  tout  so  Hnze 
làhaut  so  lécorps,  vide  sirop  lamélasse  av  li,  roule 
li  dans  sac  ptit  plimes;  li  prend  ça  dé  bambous 
là,  li  mette  éne  laquée  av  U  :  alà  Marie  Zozé  fine 
vine  couma  éne  tigue  zour  gounn.  Açthère  là  so 
femme  dire  li  :  «  Ziste  midi,  ça  vie  bonhomme  là 
dourmi  làhaut  éne  roce  bord  larivière  ;  aile  dou- 
cement; saute  éne  coup  làhaut  H.  »  Marie  Zozé 


220  HISTOIRE   DE   MARIE-JOSÉ   (jOSEPH) 

doucement  et  saute  sur  lui.  «  Marie- José   est  si 
content,  vous  dis-je,  qu'il  embrasse  sa  femme. 

Arrivé  au  bord  de  la  rivière,  il  trouve  le  vieux 
bonhomme  endormi.  Son  cœur  bat,  il  s'élance 
sur  le  vieillard.  Le  bonhomme  se  réveille  en  sur- 
saut ;  il  ouvre  de  grands  yeux  pour  mieux  voir 
Marie-José,  et  s'écrie  :  «  Voilà  mille  ans  que 
j'existe,  mais  jamais  je  n'avais  vu  un  homme 
avec  des  plumes  et  une  queue  !  »  Marie-José  part 
à  la  course,  rentre  chez  lui,  prend  sa  femme  à 
pleins  bras,  l'embrasse  encore  et  lui  dit  :  «  Merci, 
merci,  ma  femme!  tu  m'as  sauvé  la  vie.  Dieu  te 
bénira  !  »  Les  voilà  tous  les  deux  bien  heureux. 

Le  lendemain,  Marie-José  s'habille  ;  il  va  à  la 
rivière;  le  vieux  bonhomme  l'attendait  et  lui 
dit: 

—  Bonjour,  mon  garçon  !  Eh  bien  !  tu  sais 
mon  âge? 

—  Bonjour,  grand -papa!  Vous  allez  bien? 
Mais,  vous  ne  vous  êtes  donc  jamais  taillé  la  barbe? 

Mais  le  vieux  saute  sur  Marie-José. 

—  De  belles  paroles  sauvent  leur  homme, 
mais  pas  avec  moi,  mon  petit  !  Quel  est  mon 
âge?  Réponds,  j'écoute. 

—  Vous  avez  mille  ans,  grand-papa. 

Le   vieux  est  abasourdi  et  reste  muet.  Puis  : 


ZISTOIRE   MARIE    ZOZÉ  221 


si  tant  content,  mo  dire  vous,  qui  li  embrasse  so 
femme. 

Arrive  enbas  larivière,  li  trouve  ça  vie  bon- 
homme là  après  dourmi,  So  léquér  sauté;  li  fonce 
éne  coup  làhaut  vie  bonhomme  là.  Bonhomme  là 
lève  en  sautant  ;  li  voir  Marie  Zozé  ;  li  carquille 
so  lizié,  li  dire  :  «  Mo  éna  mille  bananées,  mais 
zamais  mo  té  voir  éne  doumounde  sembe  plimes 
av  laquée  !  »  Marie  Zozé  néque  sauvé  même, 
galpé,  arrive  lacase,  tchombô  so  femme,  embrasse 
li  encore  :  «  Grand  merci,  mo  femme,  toi-même 
qui  fine  sauve  mo  lavie  :  Bondié  va  soulaze  toi.  » 
Avlà  zaute  dé  bien  content. 

Lendimin  Marie  Zozé  çanzé,  li  aile  larivière,  li 
trouve  ca  vie  bonhomme  là  qui  ti  après  aspère 
li:         ' 

—  Bonzour,  mon  garçon  ;  ah  ben  !  to  cône 
qui  lâze  qui  mo  éna? 

—  Bonzour,  grand  papa;  vous  ça  va  bien?  Mais 
zamais  vous  té  taille  vou  labarbe  donc? 

Mais  vie  bonhomme  là  saute  l'haut  Marie 
Zozé  : 

—  Bon  bagout  çappe  lavie,  mais  napas  éc 
moi,  mon  garçon.  Qui  làze  mo  éna  ?  Causé,  mo 
tende. 

—  Mille  bananées,  grand  papa. 


222  HISTOIRE   DE   MARIE- JOSÉ   (jOSEPH) 

«  Mais  comment  donc  as-tu  fait  pour  savoir  mon 
âge?  » 

Marie- José  lui  raconte  ce  que  sa  femme  lui  a 
fait  faire. 

Le  soir  le  vieux  bonhomme  donna  un  grand 
dîner  dans  la  case  de  Marie-José... 

«  Eh  vous,  enfants!  il  est  temps  d'aller  se 
coucher,  oui  !  Prenez  garde  qu'il  ne  vous  pousse 
des  cornes  !  » 


Elle  nous  vient  de  notre  voisine,  l'île  de  la  Réunion.  Mais 


ZISTOIRE   MARIE   ZOZÉ  22^ 

Vie  bonhomme  là  gaga,  li  reste  séc  :  «  Mais 
coumâ  îo  ti  fére  pour  cône  mo  lâze  donc  ?  » 

Marie  Zozé  raconte  li  ça  qui  so  femme  té  dire 
li  fére. 

Asoir  vie  bonhomme  là  donne  éne  grand  diner 
lacase  Marie  Zozé. 

«  Eh  ous,  zenfants,  létemps  pour  dourmi,  oui  ! 
pendgare  cornes  poussé.  » 


certains  détails  sont  mauriciens. 


XIX 

HISTOIRE   DE   LA  BONNE   FEMME 

ET    DES    VOLEURS 


iNE  fois,  sept  voleurs  allèrent  dévaliser  la 
case  d'une  bonne  femme.  La  vieille,  en 
les  entendant  venir,  ouvrit  sa  porte  et  se 
sauva.  Rendue  à  quelque  distance,  elle  monta  sur 
un  grand  arbre  et  se  dit  :  «  Quand  les  voleurs 
passeront,  je  verrai  où  ils  iront.  » 

Les  voleurs  entrent  dans  la  maison,  prennent 
tout  ce  qui  s'y  trouve,  argent,  linge,  meubles, 
font  des  paquets  de  tout  leur  butin  Ci  ressortent. 
Ils  prennent  le  chemin  même  qu'avait  pris  la 
bonne  femme,  et  arrivent  auprès  de  l'arbre.  Un 
d'eux  dit  à  ses  compagnons  :  «  Arrêtons-nous 
ici,  et  partageons  notre  prise.   » 

Un  voleur  monte  sur  l'arbre  en  sentinelle, 
pour  voir  si  personne  ne  vient. 


XIX 

ZISTOIRE  BONNEFEMME 

AV    VOLEIRS 


,-__^  I  éna  éne  fois  septe  voleirs  qui  ti  aile  co- 
é]W^  quin    lacase    éne    bonnefemme.   Bonne- 


femme  là  tende  voleirs  vini,  ouvert  so 
laporte,  li  sauvé,  li  aile  éne  bonne  distance,  li 
monte  lahaut  éne  grand  pié  zarbe,  li  dire  : 
«  Quand  voleirs  passé,  mo  va  trouvé  acote  zaute 
allé.  » 

Voleirs  ente  dans  lacase,  volor  tout  ça  qui  éna, 
larzent,  linze,  tout  quiqçose.  Zaute  sourti  av  pa- 
quets. Avlà  zaute  passe  dans  même  cimin  acote 
bonnefemme  ti  passé,  zaute  arrive  acote  ça  pié 
là.  Ene  dire  av  so  camradcs  :  «  Anons  arrêté, 
nous  va  partazer  ça  qui  nous  lîne  coquin.  » 

Ene  monte  làhaut  pié  pour  veillé  pengare  dou- 
moune  vini.  Cornent  li    monté,  bonnefemme   là 

15 


226  HISTOIRE   DE   LA   BONNE  FEMME 

Quand  elle  le  voit  monter,  la  vieille  a  peur  et 
croit  qu'il  vient  la  tuer.  Le  voleur  l'aperçoit  et 
lui  demande  ce  qu'elle  fait  là.  La  bonne  femme 
répond  et  la  conversation  s'engage.  «  Mais,  lui 
dit  la  bonne  femme,  vous  avez  la  langue  trop 
longue,  donc  !  vous  parlez  trop  fort  !  —  Mais 
non  !  répond  le  voleur  ;  je  n'ai  pas  la  langue  trop 
longue.  Ma  langue  n'est  pas  plus  longue  que  la 
vôtre  !  —  Eh  bien,  mesurons  pour  voir  !  dit  la 
bonne  femme.  »  Et  les  voilà  qui  mettent  leurs 
langues  l'une  contre  l'autre  pour  mesurer.  D'un 
coup  de  dents,  la  vieille  coupe  la  langue  du  vo- 
leur. Le  voleur  dans  sa  souffrance  lâche  la 
branche,  dégringole  et  tombe  sur  un  paquet  de 
hardes  auprès  de  ses  compagnons.  Ils  lui  crient  : 
«  Mais  qu'as-tu  donc?  mais  qu'as-tu  donc? 
Parle  !  »  Impossible.  Il  ne  peut  que  lever  la  main 
en  montrant  le  haut  de  l'arbre  :  «  Houhah  ! 
houhahouah!  »  La  frayeur  les  prend,  et  les  voilà 
qui  se  sauvent  à  toutes  jambes  laissant  là  les 
nippes,  les  paquets  et  tout  ce  qu'ils  ont  pris. 

Quand  ils  sont  loin,  la  bonne  femme  descend, 
reprend  toutes  ses  affaires  et  retourne  dans  sa 
case  en  riant. 


C'est  le  plus  court   de  nos  contes,  et  ce  n'est  pas  le  moins 
bête.  Lindor  dut  être  quelque  peu  fier  le  jour  où  il  inventa  ces 


ZISTOIRE   BONNEFtMîvIE    AV    V0LCIR5  22; 

peir,  li  croire  li  vine  touye  li.  Voleir  trouve 
bonnefemme,  li  dimraide  li  qui  li  fére  là.  Bonne- 
femme  cause  av  li  ;  touldé  cause  causé.  Bonne- 
femme  dire  li  :  «  Mais  vous  éna  lalangue  trop 
longue,  don  !  vous  cause  trop  fort  !  »  Voleir  dire 
li  :  «  Mais  non,  mo  napas  lalangue  trop  longue  ; 
mo  lalangue  napas  plis  longue  qui  pour  vous.  « 
Bonnefemme  dire  li  :  «  Anons  misiré.  »  Avlà 
touldé  mette  lalangue  ensame  pour  misiré. 
Bonnefemme  morde  éne  coup,  li  coupe  lalangue 
ça  voleir  là.  Voleir,  ladouleir  av  li,  largue  brance, 
çaviré,  tombe  lahaut  paquet  linze  acote  son 
camrades.  Zaute  dire  li  :  «  Mais  qui  to  gagné 
donc  !  mais  qui  to  gagné,  donc  !  Causé  !  »  Napas 
fouti  !  Li  néque  lève  lamain  enlair  lahaut  pié  : 
«  Houhah!  houhahouah  !!  »  Zaute  tout  lafrayeir 
av  zaute,  pique  éne  taillé,  mo  dire  vous,  quitte 
linze,  quitte  paquets,  tout  ça  qui  zaute  fine 
volor. 

Quand  zaute  loin,  bonnefemme  dicendé,  prend 
tout  so  zefféts;  li  tourne  dans  so  lacase;  li 
rié  ! 


deux  langues  qui  se  mesurent  ;  bien  peu  auraient  pu  faire  cette 
heureuse  trouvaille. 


®'^®#®^®^®®®® 


XX 

HISTOIRE    DE    TRANaUILLE 

ET     DE     BRIGAND 


|L  y  avait  une  fois  un  roi  qui  avait  eu  uu 
fils.  Mais  au  moment  où  il  vint  au  monde, 
comme  sa  figure  était  une  figure  de  bri- 
gand, son  père  le  nomma  Brigand. 

Deux  ou  trois  années  après,  la  reine  accoucha 
d'un  autre  garçon.  Mais  comme  la  figure  de  ce 
second  enfant  était  la  douceur  même,  son  père 
l'appela  Tranquille. 

A  mesure  que  les  deux  enfants  grandissaient, 
celui  qui  se  nommait  Brigand  devenait  un  vrai 
brigand,  le  père  et  la  mère  ne  savaient  qu'en 
faire.  Mais  Tranquille  était  doux  comme  miel; 
tout  ce  qu'on  lui  disait  il  l'écoutait,  tout  ce  qu'on 
lui  ordonnait  il  le  faisait.  Malheureusement  il 
était  un  peu  bête  et  nonchalent. 

Leur  père  aimait  beaucoup  la  chasse.  Un  jour, 


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XX 

ZISTOIRE    TRANQ.UILLE 

AV    BRIGAND 


v°^^-^  I  éna  éné  fois  éne  léroi  qui  fine  gagne  éne 
M'|:^^|  petit  garçon.  Mais  Iheire  pitit  là  sourti 
î^4J1  dans  vente  so  maman,  coment  so  figuire 
brigand  m.ême,  so  papa  appelle  li  Brigand. 

Dé  trois  bananées  passé,  lareine  accouce  éne 
lame  garçon.  Mais  coment  figuire  ça  second  pitit 
là  té  douce  douce  même,  so  papa  appelle  li 
Tranquille. 

A  misire  ça  dé  zenfants  là  vine  grand,  ça  qui 
appelle  brigand  brigand  même  :  papa  av  maman 
napas  coné  qui  zaute  va  faire  av  li.  Mais  Tran- 
quille éne  ptit  dimiel  :  tout  ça  qui  dire  li,  li 
coûté  ;  tout  ça  qui  comande  li  faire,  li  faire. 
Domaze  li  inpé  bête  bête  et  gnangnan. 

Zaute  papa  té  bien  content  laçasse.  Ene  zour 


230  HISTOIRE  DE  TRANQUILLE  ET  DE  BRIGAND 

au  moment  de  partir  pour  s'en  aller  chasser  dans 
un  autre  pays,  il  fit  appeler  Brigand  et  Tranquille 
et  leur  dit  : 

—  Ecoutez,  mes  enfants,  vous  voilà  mainte- 
nant en  âge  de  commencer  à  travailler  ;  je  pars 
pour  un  autre  pays,  et  je  veux  vous  donner  à 
chacun  son  ouvrage.  Toi,  Brigand,  puisque  tu  es 
l'aîné,  c'est  toi  qui  dirigeras  l'habitation.  Fais 
bien  travailler  les  hommes  ;  le  nettoyage,  le  net- 
toyage avant  tout  :  à  mon  retour,  je  ne  veux  pas 
trouver  une  herbe,  pas  un  brin  de  paille.  Pour 
toi,  Tranquille,  qui  es  le  plus  jeune,  je  te  confie 
tous  les  travaux  d'intérieur.  Tu  sais  que  ta  mère 
ne  tardera  pas  à  accoucher  et  que  la  jument  aussi 
va  mettre  bas.  Veille  bien  à  ce  que  la  chambre 
n'ait  pas  de  courant  d'air,  que  le  lit  soit  bon  ; 
fais  tuer  une  poule,  qu'on  lui  donne  du  bouillon  ; 
la  litière  doit  être  toujours  fraîche,  et  que  le  pale- 
frenier lui  fasse  boire  de  l'eau  de  son  un  peu 
tiède.  Vous  avez  entendu.  Allez  ! 

Le  roi  partit. 

Le  lendemain,  de  grand  matin.  Brigand  se 
rendit  à  l'habitation.  Il  fait  appeler  tous  ks 
hommes  et  leur  dit  : 

—  Holà,  vous  autres  !  vous  savez  que  c'est 
moi  le  maître,  à  présent.  Quand  je  donnerai  un 
ordre,  attention  ! 

—  Il  entre  dans  un  carreau  de  magnoc  ;  il  voit 


ZISTOIRE  TRANQTJILLE   AV   BRIGAND         23 1 

cornent  H  pour  aile  laçasse  dans  éne  laute  paye, 
li  ùire  appelle  Brigand  av  Tranquille,  li  dire 
zaute  : 

—  Coûté,  mo  zenfants  !  zaule  assez  grand 
açthére  pour  comence  travaille  ;  mo  pour  aile  éne 
laute  paye,  mo  vlé  donne  çaquéne  so  louvraze. 
Toi,  Brigand,  coment  to  plis  vie,  toi  même  qui 
va  oquipe  bitation.  Faire  bien  travaille  dou- 
mounde  ;  nétoyé ,  nétoyé  même  :  Ihére  mo 
tourné,  mo  napas  vlé  trouve  éne  Iherbe,  éne 
lapaille  !  Toi,  Tranquille,  coment  to  plis  zeine, 
mo  mette  dans  to  lamain  tout  zafFaires  lacase. 
To  coné  to  maman  napas  tardé  pour  accoucé,  et 
ziment  oussi  pour  gagne  pitit.  Veille  bien  qui 
laçambe  napas  courant  d'air,  qui  lilit  bien  bon  ; 
faire  touye  poule,  donne  li  bouillon  ;  lalitière 
bisoin  toujours  frais  et  faire  palfrémier  çauffe 
dileau  disson  en  pé  çaud  pour  donne  li  boire. 
Zaute  tende  ?  Allé  ! 

Léroi  parti. 

Lendimain  grand  bomatin  Brigand  aile  bita- 
tion. Li  faire  appelle  tout  doumounde,  li  dire 
zaute  : 

—  Eh  zaute  !  zaute  cône  qui  moi-même  qui 
maîte  acthére.  Quand  mo  donne  lorde  faire  qui- 
qçoce,  attention  ! 

Li  rente  dans  éne  carreau  magnioc,  li  trouve 


232    HISTOIRE  DE  TRA\'Q.UILLE  ET  DE  BRIGAND 


par  terre  des  feuilles  de  magiioc  tombées,  il    ap- 
pelle le  commandeur  : 

—  Eh,  vous!  c'est  comme  ça  qu'on  travaille? 
Je  ne  veux  pas  voir  une  feuille  par  terre  ;  faites 
balayer  ! 

—  Mais,  Monsieur,  jamais  votre  père  ne  s'est 
préoccupé  de  ça?  11  fait  tirer  l'herbe,  mais  à  quoi 
bon  balayer  les  feuilles?  C'est  le  magnoc  lui- 
même  qui  jette  ces  feuilles-là  ;  qu'on  les  tire,  il 
en  tombera  d'autres. 

—  J'ai  parlé  !  je  ne  veux  pas  une  feuille  par 
terre  !  Puisque  c'est  le  magnoc  qui  jette  des 
feuilles,  arrachez  le  magnoc!  arrachez!  arrachez 
tout  !  Je  veux  avoir  mon  carreau  propre  1 

Le  commandeur  veut  répliquer.  Brigand  tombe 
dessus  et  l'assomme.  Il  fallut  arracher  le  magnoc 
et  tout  balayer  pour  laisser  la  terre  propre. 

Brigand  retourne  dans  la  cour.  Il  entre  au  pou- 
lailler et  voit  du  maïs  répandu  par  terre.  Il  demande 
au  gardien  ce  que  c'est  que  cette  saleté-là?  Le 
gardien  lui  répond  que  c'est  le  reste  du  maïs 
qu'il  a  jeté  aux  volailles.  Brigand  fait  balaver.  Il 
voit  de  la  paille  sous  les  poules  qui  couvent,  il 
s'emporte  contre  le  gardien  : 

—  C'est  comme  ça  que  ton  ouvrage  est  propre  ! 
Si  je  trouve  encore  un  brin  de  paille  ici,  je  te  casse 
la  gueule!  Tire-moi  cette  paille,  jette-la,  balaye! 

Le  gardien   a   peur.  Il   tire  toute  la  paille  de 


ZISTOIRE  TRANQ.U1LLE   AV   BRIGAND         233 

feilles  magnioc   fine    tombé,    li   appelle    coman- 
deir  : 

—  Eh  vous  !  comme  ça  qui  travaille  !  Mo 
napas  vlé  éne  faille  làhaut  laterre,  faire  balié. 

^—  Mais  Msié,  zamais  vous  papa  té  oquipe  ça  ! 
Li  faire  tire  Iherbe,  mais  quifaire  balié  feilles? 
Magnioc  même  qui  donne  feilles  :  Ihére  tiré,  laute 
tombé. 

—  Mo  fine  causé  !  mon  napas  vlé  éne  feille 
làhaut  laterre  !  Quand  magnioc  qui  donne  feilles, 
race  magnioc  !  racé,  racé  même  !  mo  vlé  mo 
carreau  prope  ! 

Comandeir  saye  cause  encore  :  Brigand  tombe 
làhaut  li,  assomme  li.  Bisoin  arrace  magnioc,  balié 
tout,  laisse  laterre  prope. 

Brigand  tourne  dans  lacour,  li  rente  dans  pou- 
lailler. Li  trouve  maië  fane  par  terre  ;  li  dimande 
gardien  qui  ça  saleté  là  ?  Gardien  dire  li  fine  fane 
maië  pour  poule  manzé  ;  ça,  larestant.  Brigand 
faire  balié.  Li  trouve  lapaille  enbas  poules  qui 
après  couvé  ;  li  en  colère  av  gardien  : 

—  Comme  ça  to  louvraze  prope  !  Quand  mo 
trouve  encore  éne  boute  lapaille  ici,  mo  casse  to 
la  guéle  !  Tire  lapaille,  zété,  balié  ! 

Gardien  peir  :  li  tire  tout  lapaille  enbas  poules. 


234   HISTOIRE  DE  TRANQJJILLE  ET  DE  BRIGAND 

dessous  les  poules.  Les  œufs  couvés  refroidissent 
et  se  gâtent  ;  un  œuf  éclate.  Brigand  sent  cette 
puanteur,  il  est  furieux  : 

—  Mais  qu'est-ce  que  cette  infection  là,  donc? 
Le  gardien  lui  dit  que  c'est  un  œuf  gâté  qui  a 

éclaté:  il  fait  tirer  les  œufs;  on  les  jette,  on 
balaye.  Voilà  le  poulailler  propre. 

Voilà  comme  Brigand  entend  qu'on  travaille  ; 
c'est  son  système.  Dans  toute  cette  immense  ha- 
bitation, plus  une  seule  plantation;  plus  une  ra- 
cine de  magnoc,  plus  une  liane  de  patate,  plus 
une  touffe  de  cannes,  plus  un  plan  de  maïs  :  on 
a  tout  arraché,  tout  balayé.  Partout  la  terre  est 
propre,  d'une  propreté  irréprochable. 

Pour  Tranquille,  lui,  il  ne  quitte  pas  la  maison. 
Sa  mère  accouche  d'une  petite  fille;  la  jument 
donne  une  pouliche.  Tranquille  fait  tout  ce  qu'il 
faut  faire.  Brigand  rentre  dans  la  maison.  Il  voit 
tout  ce  que  fait  Tranquille  ;  il  se  fâche  et  lui  dit  : 

—  Eh  toi.  Tranquille  !  c'est  ça  ta  façon  de  tra- 
vailler !  c'est  comme  ça  que  tu  exécutes  les  ordres 
de  papa  !  Bon  à  rien,  va  ! 

Il  appelle  tous  les  domestiques.  Il  fait  enlever 
sa  mère  du  lit,  on  l'apporte  à  l'écurie,  on  la  met 
sur  la  litière.  On  tire  la  jument  de  l'écurie,  on  la 
conduit  dans  la  chambre,  on  la  couche  dans  le 
lit.  Brigand  force  sa  mère  à  boire  de  l'eau  de  son 
bouillante  ;  il  fait  entonner  le  bouillon  de  poule  à 


ZISTOIKE  TRANQ.UILLE   AV    BRIGAND  235 

Dizefs  couvé  vine  frés,  zaute  gâté,  éne  cassé. 
Lhére  Brigand  senti  ça  lodeir  senti  pi  là,  so  en 
colère  levé  même  : 

—  Mais  qui  ça  linféction  là,  don  ! 

Gardien  dire  li  éne  dizef  gâté  fine  daté,  li  faire 
tire  tout  dizefs,  zété,  balié.  Lacase  poules  prope 
même,  mo  dire  vous. 

Ça  même  so  magnière  Brigand  travaille.  Dans 
tout  ça  manman  bitation  là  na  plis  iéna  éne 
plantaze  :  na  plis  éna  éné  pied  magnioc,  naplis 
éna  éne  pied  batate,  naplis  éna  éne  pied  canne, 
naplis  éna  éne  pied  mayë,  tout  fine  arracé,  tout 
fine  balié.  Partout  laterre  prope  même,  mo  dire 
vous  ! 

Tranquille,  li,  touzours  reste  dans  lacour.  Avlà 
so  maman  accouce  éné  ptit  fille  ;  ziment  donne  éne 
ptit  ziment.  Tranquille  faire  tout  ça  qui  bisoin. 
Brigand  arrive  dans  lacour.  Li  trouve  tout  ça  qui 
Tranquille  après  faire  ;  li  en  colère  av  li,  li  dire  li  : 

—  Eh  toi.  Tranquille  !  comme  ça  même  to 
travaille  !  comme  ça  même  to  courte  zordes  papa  ! 
Bon  à  rien,  va  ! 

Li  appelle  tout  domestiques  :  li  faire  tire  so 
maman  dans  lilit,  amène  léquirie,  mette  làhaut 
litière  ;  tire  ziment  dans  léquirie,  amène  dans 
laçambe,  mette  Ihaut  lilit.  Li  force  so  maman 
boire  dileau   disson    bouillante  ;   li  faire   bourre 


236    HISTOIRE  DE  TRANQUILLE  ET  DE  BRIGAND 

la  jument.  Le  second  ou  le  troisième  jour  après, 
la  mère  était  morte  et  la  jument  aussi. 

Tranquille  ne  faisait  que  pleurer;  mais  com- 
ment aurait-il  résisté,  il  avait  trop  peur  de  Bri- 
gand. Il  attendit  la  nuit,  et  quand  il  fit  tout  à  fait 
noir  et  que  tout  le  monde  fut  endormi,  il  ouvrit 
bien  doucement  la  porte  et  se  sauva. 

Il  n'y  avait  pas  de  lune  cette  nuit-là.  Tran- 
quille marcha,  marcha  longtemps  ;  mais  comme 
il  faisait  bien  noir,  il  se  trompa  de  chemin  et  se 
perdit.  Il  arriva  dans  une  forêt.  En  regardant 
partout,  il  aperçoit  une  petite  lumière  au  milieu 
des  arbres  :  c'était  la  hutte  d'une  vieille  grand'- 
mère  qui,  autrefois,  avait  gardé  les  oies  chez  le 
roi.  Tranquille  frappe  à  la  porte  ;  la  vieille  ouvre 
et  lui  demande  ce  qu'il  veut.  Tranquille  lui  ra- 
conte toute  l'histoire  :  «  Entrez,  lui  dit  la  bonne 
femme,  entrez,  monsieur  Tranquille.  Je  vous 
connais  bien,  allez!  Quand  j'étais  jeune,  il  y  a 
longtemps,  j'ai  travaillé  chez  votre  père  et  votre 
mère.  Entrez;  tout  ce  qu'il  y  a  dans  ma  pauvre 
case  est  à  vous,  et  de  bon  cœur.  » 

La  bonne  femme  lui  donne  deux  ou  trois  pa- 
tates grillées,  et  Tranquille  mange.  Puis  la  vieille 
prend  une  natte,  l'étalé  dans  un  coin  de  la 
chambre,  et  Tranquille  se  couche. 

Le  dimanche  se  passe,  le  lundi  arrive.  De 
grand    matin    Brigand    n'entend    pas   la  cloche 


ZISTOIRE   TRANQ.UILLE  AV   BRIGAND         237 

bouillon  poule  av  ziment.   Sipas    de  zours,  sipas 
trois  zours,  maman  mort,  ziment  mort. 

Tranquille  nèque  ploré,  ploré  ;  mais  qui  li  a 
faire ?Li  trop  per  Brigand.  Li  aspère  lanouite  ; 
quand  faire  sicour  sicour  même  et  tout  dou- 
mounde  dourmi,  li  ouvert  laporte  lacase  douce- 
ment, li  sauvé. 

Té  dans  marée  noire.  Tranquille  marcé, 
marcé  ;  mais  laline  napas,  li  trompe  cimin,  li 
perdi.  Avlà  li  arrive  dans  grand  bois.  Coment  li 
guette  guetté,  li  trouve  éne  ptit  laclairté  dans 
milié  zarbes  :  té  la  case  éne  vie  vie  grand  ma- 
man qui,  longtemps,  té  gardien  lazois  lacase 
léroi.  Tranquille  batte  laporte  ;  bonnefemme 
ouvert,  dimande  li  qui  li  voulé.  Tranquille 
raconte  li  tout  zistoire.  Bonnefemme  dire  li  : 

—  Rentré,  Msié  Tranquille.  Mo  cône  vous 
bien,  oui  !  Ihére  mo  té  zeine,  longtemps  mo  té 
travaille  av  vous  papa  sembe  vous  maman. 
Tout  quiqçose  dans  mo  ptit  lacase  pour  vous,  bon 
keir. 

Bonnefemme  donne  li  dé  trois  bâtâtes  grillé  : 
Tranquille  manzé  ;  bonnefemme  prend  natte, 
allonze  li  dans  coin  laçambe.  Tranquille  dourmi, 

Dimance  passé,  lindi  vini.  Grand  bomatin 
Brigand  napas  tende  sonne  lacloce  pour  appelle 


238    HISTOIRE  DE  TKANaUILLE  ET  DE  BRIGAND 

appeler  les  gens  au  travail.  Il  saute  à  bas  de  son 
lit,  il  saisit  son  bâton,  et  va  lui-même  sonner. 
Personne  ne  vient.  Brigand  est  furieux.  Il  brandit 
son  bâton  et  va  dans  le  camp.  Toutes  les  portes 
sont  ouvertes,  tout  le  monde  est  parti,  plus  un 
meuble  dans  les  cases.  Brigand  a  fait  tant  de  mi- 
sères aux  gens  qu'ils  se  sont  tous  sauvés.  Voilà 
Brigand  tout  seul.  Personne  pour  lui  puiser  son 
eau  ;  personne  pour  piler  son  riz,  personne  pour 
éplucher  ses  brèdes,  personne  pour  cuire  ses  ali- 
ments. Que  pouvait-il  faire  ?  Il  fut,  lui  aussi, 
obligé  de  s'en  aller. 

Il  marche,  marche,  et  arrive  dans  la  forêt.  La 
nuit  était  tout  à  fait  noire  quand  il  aperçut  une 
lumière  :  c'était  la  cabane  de  la  vieille  grand'mère 
où  s'était  réfugié  Tranquille.  Brigand  pousse  la 
porte  et  entre  :  qu'on  juge  du  saisissement  de 
Tranquille  et  de  la  vieille  1  Brigand  leur  dit  : 

—  J'ai  faim,  je  suis  las  :  qu'on  me  donne  à 
manger,  qu'on  me  donne  un  lit. 

La  bonne  femme  qui  avait  grand  peur,  parce 
qu'elle  connaissait  Brigand  depuis  longtemps,  lui 
donna  un  peu  de  magnoc  et  lui  dit  :  «  Voilà  tout 
ce  que  j'ai  à  vous  donner.  Monsieur  !  je  suis  une 
pauvre  vieille  femme.  » 

Brigand  mangea. 

—  Je  vous  ai  dit  que  j'étais  fatigué  :  où  est 
mon  lit  ? 


ZISTOIRE  TRANQPILLE  AV   BRIGAND         239 

doumounde  dans  louvraze.  Li  saute  enbas  lilit,  li 
pèse  bâton,  li  même  aile  sonné.  Personne  vini  : 
Brigand  enrazé.  Li  sacouye  son  bâton,  li  aile  dans 
camp.  Tout  laportes  lacases  ouvert  :  partout  fine 
lève  paquet  ;  tout  lacases  vide.  A  force  Brigand 
fine  faire  zaute  lamisère,  tout  zense  bitation  fine 
sauvé  :  Brigand  tout  seil.  Personne  pour  tire  so 
dileau,  personne  pour  pile  so  douriz,  personne 
pour  plice  so  brèdes,  personne  pour  couit  so 
manzé.  Qui  li  a  faire  ?  li  oussi  blizé  allé. 

Brigand  marcé,  marcé  ;  avlà  li  arrive  dans 
bois.  Cornent  lanouite  vine  noir  même,  li  trouve 
éne  laclairté  :  té  lacase  vie  grandmaman  acôte 
Tranquille  ti  été  Brigand  pousse  laporte,  li  rentré. 
Bonnefemme  av  Tranquille  saisi  !  Brigand  dire 
zaute  : 

—  Mo  faim,  rao  lassé  :  donne  moi  manzé  ; 
donne  moi  éne  lilit. 

Bonnefemme  peir  à  cause  li  té  conne  Brigand 
dipis  longtemps.  Li  donne  li  morceau  magnoc,  li 
dire  li  : 

—  Ça  même  mo  éna  pour  donne  vous,  Msié  ! 
mo  éne  pauve  vie  doumounde. 

Brigand  manzé  : 

—  Mo  fine  dire  vous  mo  lassé  :  à  cote 
lilit? 


240   HISTOIRE  DE  TRAXQ.UILLE  ET  DE  BRIGAND 

—  Ah  !  monsieur  !  je  suis  trop  pauvre  pour 
qu'il  y  ait  un  lit  dans  ma  case  :  voyez  vous- 
même.  Si  vous  le  voulez  je  vais  étendre  une 
natte  pour  vous;  mais  j'ai  bien  peur  que  les  puces 
ne  vous  empêchent  de  dormir  ;  vous  êtes  jeune, 
vous  avez  la  peau  tendre,  elles  me  quitteront 
pour  aller  sur  vous. 

—  Assez  bavarder  !  ma  natte  ! 

Brigand  se  couche.  Les  puces  commencent. 
Elles  lui  sucent  le  sang  :  c'est,  sur  tout  son  corps, 
comme  une  poussière  de  feu.  Il  se  lève,  il  se 
secoue  et  se  recouche.  Les  puces  reviennent  et  se 
jettent  sur  lui  par  nuées.  Cette  fois,  Brigand 
écume  de  rage.  Il  saisit  un  tison  sous  la  cendre, 
il  souffle,  ranime  la  flamme  et  plonge  le  brandon 
allumé  dans  la  paille  de  la  cabane.  La  pauvre  pe- 
tite case,  toute  de  fataque  et  de  vétiver,  flambe  en 
grand  d'un  seul  coup,  et  la  pauvre  vieille  femme  se 
sauve  en  pleurant  dans  la  forêt.  Tranquille  la  suit. 

Brigand  se  remet  en  route.  Il  arrive  dans  un 
autre  pays  dont  le  gouverneur  cherchait  des  sol- 
dats pour  faire  la  guerre.  Brigand  s'engage  pour 
trente  piastres  par  mois.  Il  part  pour  la  guerre, 
et,  comme  il  n'a  peur  de  rien,  il  tape  si  fort 
qu'on  le  fait  bientôt  officier.  Mais  comment  dire 
la  vie  qu'il  faisait  à  ses  soldats  !  Coups  de  poing, 
coups  de  pied,  coups  de  bâton  :  il  les  assommait 
sans  rime  ni  raison.  Tout  le  monde  le  détestait. 


ZISTOIRE  TRANQUILLE   AV   BRIGAND         2^1 

—  Ah  !  Msié  !  mo  trop  pauve  gagne  lilit  dans 
mo  lacase  :  guété  vous-même.  Quand  vous  con- 
tent, mo  taie  éne  natte  pour  vous  ;  mais  pengare 
vous  napas  capabe  dourmi  av  pices  :  vous  zeine, 
vous  lapeau  tende,  zaute  va  quitte  moi  pour 
-monte  av  vous. 

—  Assez  causé  !  donne  natte. 

Brigand  allonzé  :  pices  av  li,  manze  so  disang, 
bourle  li  coment  éne  laflamme  difé.  Lidibouté,  11 
5acouye  so  lécorps,  li  allonze  encore,  pices  tourné, 
tombe  comment  lapli  battant  làhaut  li.  Ça  coup-là 
Brigand  Kimé  même  !  Li  pèse  ène  tison  enbas 
lacende,  li  soufflé,  li  faire  laflamme  levé,  li  bourre 
difé  dans  lapaille  lacase.  Pauve  ptit  Iscase  là  té  tout 
enfataque  av  vitiver;  éne  coup  même  li  flambe  en 
grand.  Bonnefemme  ploré,  sauve  dans  bois  av 
Tranquille. 

Brigand  marcé,  marcé  ;  li  arrive  dans  éne  laute 
paye  à  côte  Gouverneir  té  rôde  soldars  pour 
laguerre.  Brigand  engazé,  trente  piasses  par  mois. 
Li  aile  laguerre.  Coment  li  peir  narien,  li  nèque 
tapé,  tapé  même,  vitement  li  vine  zofficier.  Mais 
napas  appelle  éne  bande  lamisères  li  faire  so 
soldars  !  coupdepoings,  coupdepieds,  coupde- 
bâtons,  li  ronflé  zaute  bonavini.  Tout  dou- 
mounde  haï  li. 

i6 


242    HISTOIRE  DE  TRANQUILLE  ET  DE  BRIGAND 

Un  jour  que  Brigand  essayait  un  fusil  neuf,  le 
fusil  éclate  entre  ses  mains  ;  la  poudre  lui  saute  à 
la  figure  et  lui  brûle  les  yeux.  Tous  les  soldats  le 
laissent  là  et  décampent.  Il  lave  ses  yeux,  il  les 
bassine,  peine  perdue!  ils  sont  bien  bouchés.  Un 
seul  œil  distingue  encore  un  peu,  mais  rien  que 
les  gros  objets  ou  les  objets  brillants. 

Brigand  est  seul,  au  milieu  d'un  autre  pays 
qu'il  ne  coimaît  pas.  Il  se  coupe  un  bâton  et 
marche  en  tâtonnant.  Sa  misère  n'a  pas  de  nom. 

A  force  de  marcher,  il  arrive  encore  dans  un 
autre  pays.  Un  jour  qu'il  allait  tâtant  son  che- 
min, il  rencontre  un  homme.  C'était  Tranquille. 
Tranquille  le  regarde,  le  regarde  encore.  Le 
soupçon  lui  est  venu  que  ce  pauvre  estropié  pour- 
rait bien  être  son  frère  Brigand.  Il  le  fait  parler  : 
c'est  la  voix  de  Brigand,  la  voix  de  son  frère! 

Tranquille  avait  le  cœur  bon.  11  embrasse  Bri- 
gand en  pleurant  et  lui  dit  : 

—  Mon  frère,  Dieu  a  eu  pitié  de  toi.  C'est 
moi  Tranquille,  moi:  ton  jeune  frère  !  Je  suis  sûr 
que  la  misère  t'a  corrigé  à  cette  heure.  Viens 
chez  moi  !  je  te  donnerai  tout  ce  dont  tu  as  be- 
soin; tu  ne  manqueras  plus  de  rien  désormais. 

Il  faut  que  vous  sachiez  que  Tranquille  avait 
épousé  la  fille  d'un  roi.  Sa  maison  était  riche, 
vraiment  riclie  ;  une  maison,  pour  tout  dire,  où 
l'on  mangeait  du  pigeon. 


ZISTOIRE   TRANQUILLE   AV    BRIGAND  243 


Ene  zour,  cornent  Brigand  après  saye  éne  fisil 
liclate  dans  so  lamain,  lapoude  saute  dans  so 
figuire,  bouce  so  liziés.  Tout  soldars  quitte  li  là 
même,  vanné.  Li  lave  so  liziés,  lavé,  lavé  :  ah 
ouah  !  liziés  boucé  même.  Nèque  éne  côté  qui 
capave  trouve  morceau  morceau  quiqçose  qui 
gros  gros  ou  bien  clair  clair. 

Brigand  tout  seil,  dans  milié  éne  laute  paye  li 
napas  coné,  Li  casse  éne  bâton,  li  blizé  marce 
en  tâtant  ;  li  misère,  mais  misère  zousqu'à  napas 
bon  ! 

A  force  marcé,  marcé,  li  fine  arrive  encore  éne 
laute  paye.  Ene  zour,  coment  li  après  tâte  tâte  so 
cimin,  li  zoinde  éne  doumounde.  Doumounde  là 
té  Tranquille  Tranquille  guette  li,  guette  li  !  li 
gagne  ladoutance  qui  ça  faille  malhéré  là  so 
frère  Brigand  même  ça.  Li  faire  li  causé:  lavoix 
Brigand  même  !  lavoix  so  frère  ! 

Tranquille  bon  keir.  Li  embrasse  Brigand,  li 
plore  av  li,  li  dire  li  comme  ça  : 

—  Mon  frère,  Bondié  fine  soulaze  toi  !  Moi 
même  Tranquille  ;  moi  même  ton  ptit  frère  !  Mo 
sîr  to  lamisère  fine  faire  toi  vine  bon  astheire  : 
vine  lacase  ;  mo  va  donne  toi  tout  ça  qui  to 
bisoin  ;  to  napas  pour  manque  narien  asthére. 

Faut  vous  coné  qui  Tranquille  té  fine  marié 
av  éne  fille  léroi.  So  lacase  rice  même,  éne 
lacase  manze  pizon,  mo  dire  vous  ! 


244   HISTOIRE  DE  TRANQUILLE  ET  DE  BRIGAND 

Tranquille  conduit  Brigand  à  sa  femme  et  lui 
dit: 

—  Ma  femme,  voici  mon  frère,  mon  frère 
aîné  qui  est  tombé  dans  la  misère  parce  qu'il  a 
perdu  les  yeux.  Notre  devoir  est  de  le  prendre 
chez  nous,  de  le  vêtir,  de  le  nourrir,  de  le  soi- 
gner. Comme  je  sais  que  tu  m'aimes,  je  sais  que 
tu  l'aimeras  :  je  le  remets  entre  tes  mains. 

Tranquille  et  sa  femme  étaient  pleins  de  bonté 
pour  Brigand.  Ils  lui  donnèrent  des  habits,  des 
souHers,  un  chapeau,  tout  ce  dont  il  avait  besoin, 
tout  ce  dont  il  avait  envie.  Brigand  n'avait  rien  à 
faire  qu'à  boire,  à  manger,  à  dormir.  Mais  à 
mesure  qu'il  engraissait  et  que  sa  force  revenait, 
il  s'ennuyait  davantage  dans  la  maison.  Et  sa 
folie  revint.  Il  était  si  méchant,  il  en  fit  tant  et 
tant  que  la  reine,  ne  pouvant  plus  y  tenir,  fut 
réduite  à  dire  à  son  mari  : 

—  Ton  frère  est  un  trop  méchant  homme  ;  il 
est  plus  méchant  qu'une  bête  méchante;  je  ne 
veux  plus  de  lui  chez  moi  :  chasse-le. 

Tranquille  lui  répondit  avec  douceur  : 

—  Ne  te  fâche  pas,  ma  femme  !  patientons 
encore  un  peu,  te  dis-je.  C'est  sa  lubie  qui  est 
revenue  ;  peut-être  va-t-elle  repartir  tout  à  l'heure  ! 
Il  redeviendra  bon,  te  dis-je  ! 

Ah  bien  oui  !  il  n'y  avait  plus  moyen  d'y  tenir 
avec  Brigand  :  plus  il  allait,  plus  il  devenait  mé- 


ZISTOIRE   TRANaUlLLE   AV   BRIGAND         245 

Tranquille  amène  Brigand  av  so  madame,  H 
dire  li  : 

—  Mo  femme,  avlà  mo  frère  ;  mo  grand  frère 
qui  fine  vine  misère  à  cause  li  fine  perdi  liziés  ; 
nous  bision  prend  li  dans  nous  lacase,  habille  li, 
nourri  li,  soigne  li.  Coment  mo  coné  qui  vous 
content  moi,  mo  coné  qui  vous  va  content  li  : 
mo  donne  li  vous  dans  vous  lamain. 

Tranquille  av  so  madame  bon  même  pour 
Brigand  :  donne  li  linze,  donne  li  souliers,  donne 
li  çapeau,  tout  ça  qui  li  bisoin,  tout  ça  qui  li 
envie.  Brigand  narien  pour  faire,  nèque  manzé, 
boire,  dourmi.  Mais  à  misire  qui  li  vine  gras,  qui 
so  laforce  tourne  av  li,  li  ennouye  ennouyé  dans 
lacase  :  so  gandia  comence  lève  encore.  Li  si 
tant  mauvais,  li  faire  si  tant  brigandazes  qui 
lareine  blizé  lassé  av  li  1  Li  dire  av  so  mari  : 

—  To  frère  éne  trop  mauvais  doumounde, 
mauvais  coment  éne  zanimaux  !  mo  na  plis  voulé 
garde  li  dans  mo  lacase,  pousse  li  ! 

Tranquille  cause  cause  doucement  ov  so 
madame  : 

—  Napas  en  colère,  mo  femme  !  laisse  nous 
aspère  encore  morceau,  mo  dire  toi  !  so  fouca  là 
qui  fine  levé  !  quiquefois  talheire  là  même  li 
pour  tombé  !  Li  va  vine  encore  bon,  mo  dire  toi. 

Ah  ouah  !  na  plis  capave  tini  av  Brigand  :  tant 
plis  li  allé,   tant  plis  li  mauvais  ;  li  coment  éne 


246   HISTOIRE  DE  TRANQUILLE  ET  DE  BRIGAND 

chant  ;  un  vrai  chien  enragé.  La  reine,  cette  fois, 
ne  voulut  rien  entendre  ;  elle  appela  ses  gens  et  le 
fit  jeter  dehors. 

Tranquille  en  eut  le  cœur  déchiré.  «  Pauvre 
malheureux  aveugle  !  si  je  le  laisse  seul  il  mourra 
de  misère,  bien  sûr!  non,  non!  j'aime  mieux  le 
suivre.  »  Il  rejoint  Brigand  sur  la  grande  route, 
et  tous  deux  s'en  vont  ensemble. 

La  nuit  les  surprit  en  chemin.  Les  voilà  qui 
arrivent  devant  une  grande  belle  maison  tout 
illuminée.  Ils  entrent.  C'était  la  maison  d'un  roi. 
Le  roi  reconnaît  à  leur  figure  que  ce  ne  sont  pas 
les  premiers  venus.  Il  les  accueille  avec  des  pa- 
roles pleines  de  politesse  ;  il  les  fait  dîner,  leur 
fait  donner  de  bons  cigares  et  servir  de  la  liqueur. 
Puis  il  ordonne  au  domestique  de  les  conduire 
dans  une  chambre  où  on  leur  a  préparé  deux  lits. 
Tranquille,  tout  heureux,  dit  bonsoir  au  roi, 
merci  de  vos  bontés,  et  ils  se  retirent. 

C'était  une  chambre  magnifique.  Rien  n'y 
manquait  :  de  bons  lits,  de  bons  matelats,  de 
bons  oreillers,  de  bonnes  couvertures.  Mais  point 
de  planches  pour  cloisons  ;  comme  lambris  rien 
qu'une  grande  glace  qui  descendait  jusqu'au  par- 
quet. 

Ils  commençaient  à  s'endormir  quand  les  rats 
se  mettent  à  gratter  derrière  la  cloison  près  du 
lit  de  Brigand.  Il  frappe  pour  les  chasser;  ils  s'en 


ZISTOIRE   TRANaUlLLE    AV   BRIGAND  247 

licien  enrazé  même.  Ça  fois  là  lareine  napas  vlé 
coûte  narien,  appelle  domestiques,  faire  zette  li 
dohors. 

Lékeir  Tranquille  bourlé.  «  Ene  pauve  malhéré 
qui  napas  trouve  clair  !  quand  mo  laisse  li  tout 
seil,  bien  sîr  li  va  mort  misère  !  vaut  mié  mo 
sivré  li.  »  Avlà  li  zoinde  Brigand  Ihaut  grand 
cimin  ;  zaute  dé  aile  ensembe. 

Cornent  zaute  marcé  là,  zaute  gagne  à  soir 
dans  cimin.  Avlà  zaute  arrive  divant  éne  belle 
grand  lacase  qui  allimé  partout  partout.  Zaute 
rentré.  Ça  ti  lacase  éne  léroi.  Léroi  là  guette 
figuire  Tranquille  av  Brigand  ;  li  cône  qui  ça 
napas  doumounde  bonavini  ;  li  cause  politesses 
av  zaute,  Il  faire  zaute  diné,  fime  bon  ciroutes, 
boire  laliquier.  Après  ça  li  dire  domestique  amène 
zaute  dans  laçambe  à  côte  fine  arranze  dé  lilits 
pour  zaute  dourmi.  Tranquille  content  ;  li  dire 
bonsoir  léroi,  grand  merci  vous  bonté  ;  zaute 
allé. 

Ti  éne  belle  belle  laçambe  même  av  tout  ça 
qui  bisoin  làdans,  grand  lilits,  bon  matelas,  bon 
couvertires.  Mais  so  cloisons  laçambe  là  napas 
dibois  napas  plances  :  dipis  en  haut,  dipis  en  bas 
toute  loison  nèque  éne  grand  grand  laglace  même. 

Avlà,  cornent  zaute  coumence  dourmi,  lérats 
gratte  gratté  dans  cloison  à  côte  lilit  Brigand. 
Brigand  tape  tapé,  pour  pousse  zaute  ;  zaute  allé. 


248   HISTOIRE  DE  TRANQ.UILLE  ET  DE  BRIGAND 

vont.  Brigand  se  retourne  dans  son  lit  et  va  se 
rendormir  quand  les  rats  reviennent.  Ils  sautent, 
ils  courent,  ils  dansent,  on  dirait  qu'il  y  a  bal 
chez  eux.  Brigand  saute  hors  du  lit;  pas  moyen 
de  dormir,  il  est  en  fureur.  Il  cherche  de  quoi 
frapper  les  rats,  et  trouve  un  bout  de  fer  d'envi- 
ron deux  pieds.  Il  le  saisit  et  tombe  sur  les  rats 
qui  sont  dans  la  cloison  ;  il  brise  la  glace  en  mille 
morceaux.  Tranquille  lui  crie  : 

—  Ah  !  mon  Dieu,  mon  frère  !  qu'as-tu  fait 
là  !  Quand  demain  matin  le  roi  verra  tous  ces  dé- 
gâts, il  sera  furieux  contre  nous,  et  nous  fera 
tuer.  Mieux  vaut  nous  sauver. 

Il  prend  Brigand  par  la  main,  descend  l'esca- 
lier et  ouvre  la  porte  sans  faire  de  bruit.  Les 
voilà  dans  la  cour.  Tranquille  cherche  une  issue, 
il  fait  le  tour  de  la  cour,  mais  partout  de  hautes 
murailles  couronnées  de  pointes  de  fer.  Que 
vont-ils  faire? 

Tandis  qu'ils  étaient  là,  cherchant  toujours 
une  issue,  ils  rencontrent  une  tortue.  La  tortue 
leur  demande  ce  qu'ils  font  à  tourner  ainsi  dans 
la  cour,  la  nuit,  au  lieu  d'être  à  dormir  dans  leur 
lit.  Tranquille  lui  raconte  ce  qui  vient  de  se 
passer.  La  tortue  l'écoute  et  leur  dit  : 

—  N'ayez  point  peur,  mes  enfants  !  Suivez- 
moi,  et  vous  verrez. 

—  Cette  tortue-là  était  fée.  Ils  arrivent  au  fond 


ZISTOIRE  TRANQTJILLE   AV  BRIGAND         249 

Brigand  vire  so  lécorps  làhaut  lilit,  li  coumence 
dourmi  encore,  lérats  tourné.  Zaute  sauté,  zaute 
galpé,  zaute  dansé,  mo  croire  quiquefois  zaute 
après  donne  bal  :  napas  moyen  dourmi  av  zaute. 
Brigand  diboute  éne  coup  !  so  colère  fine  levé. 
Li  rôde  quiqueçose  pour  batte  lérats  ;  li  trouve 
éné  boute  fer  dé  pieds  longuère  aproçant,  li  pèseli, 
li  tombe  làhaut  lérats  dans  cloison,  li  brise  tout 
ça  laglace  là  en  mille  morceaux.  Tranquille  crie 
avec  Brigand  : 

—  Ah  Bondié,  mo  frère  !  qui  to  fine  faire  ! 
Quand  dimain  bomatin  léroi  trouve  tout  çà 
dégàt-là,  li  va  en  colère  av  nous,  li  va  touye 
nous  !  Vaut  mié  nous  allé. 

Li  prend  lamain  Brigand,  li  dicende  lescalier, 
li  ouvert  doucement  doucement  laporte  ;  avlà 
zaute  dans  lacour.  Tranquille  vire  viré  ;  mais 
partout  lacour  barré  av  grand  grand  lamiraille, 
et  enhaut  lamiraille,  fer  pointe  !  Q.ui  zaute  va 
faire  ? 

Avlà  cornent  zaute  après  rôdé  là,  zaute  zoinde 
éne  tourtie,  Tourtie  dimande  zaute  quifaire  zaute 
vire  viré  coume  ça  àsoir  dans  lacour  au  lié 
dourmi  dans  lilit.  Tranquille  raconte  li  tout  ça 
qui  fine  passé  là.  Tourtie  coûte  ça,  li  dire  zaute  : 

—  Napas  bisoin  peir,  zenfants  !  sivré  moi, 
zaute  va  guété. 

Tourtie  là  ti   éne  s:rand  sourcier.   Avlà  zaute 


250   HISTOIRE  DE  TRANQUILLE  ET  DE  BRIGAND 

de  la  cour  tout  contre  la  muraille  ;  la  tortue 
touche  le  mur  avec  sa  tête,  le  mur  s'ouvre,  et 
ils  sortent. 

La  tortue  leur  dit  alors  : 

—  Venez  avec  moi.  Je  vous  conduirai  par  un 
chemin  où  personne  ne  pourra  vous  poursuivre, 
car,  à  mesure  que  nous  avancerons,  il  se  fermera 
derrière  nous.  n 

Ils  marchent,  et  derrière  eux  poussent  de 
grands  arbres.  Partout  les  lianes  les  enveloppent 
et  font  un  réseau  impénétrable  :  plus  de  chemin. 

De  grand  matin,  au  chant  du  coq,  ils  arrivè- 
rent au  milieu  d'une  grande  plaine.  Alors  la 
tortue  leur  dit  : 

—  Mes  enfants,  allez  ramasser  deux  paquets 
de  bois  sec.  J'ai  froid,  je  suis  lasse,  il  £iut  que 
j'allume  un  petit  feu  pour  me  réchauffer  et  faire 
un  petit  somme. 

Tranquille  va  chercher  le  bois,  Brigand  s'as- 
sied. 

Quand  le  bois  est  venu,  la  tortue  frotte  deux 
petites  branches  sèches  l'une  contre  l'autre  et 
allume  le  feu.  Elle  s'allonge  au  bord  du  feu  et 
s'endort. 

Cependant  Brigand  a  faim.  Il  se  dit  à  part  lui  : 
«  C'est  excellent  à  manger,  la  viande  de  tortue  !  » 
Il  prend  une  roche  énorme,  s'approche  douce- 
ment de  la  tortue  endormie,  lève  la  roche,  la 


ZISTOIRE   TRANQ.UILLE    AV    BRIGAND  25  I 

arrive  dans  fond  lacour  à  côté  lamiraille  ;  tourtie 
nèque  touce  lamiraille  av  so  latête  :  lamiraille  là 
fende  en  dé,  zaute  sourti. 

Asthère  là  tourtie  dire  zaute  : 
nu 

—  Vine    av  moi  ;    mo    va   monte    zaute   éne 

cimin  à  côte  personne    napas    va   capabe   sivré 

nous,   à  cause  li  va  boucé  derrière  nous  lédos  à 

misire  nous  avancé. 

Zaute  marcé,  zaute  marcé  ;  derrière  zaute  avlà 
grand  grand  zarbes  poussé,  amarre  partout  av 
laliane,  natte  même  :  naplis  cimin. 

Grand  bômatin  coq  çanté,  zaute  fine  arrive 
dans  milié  laplaine.  Tourtie  dire  zaute  : 

"<v[ —  Mo  zenfants  !  aile  ramasse  dé  paquets 
dibois  sec.  Mo  fré,  mo  lassé  :  mo  bisoin  allime 
éne  ptit  difé  pour  çaufie  mo  lécorps  et  dourmi 
éne  ptit  moment. 

Tranquille   aile  rôde    dibois,    Brigand    assise. 

.-  Lheire  dibois  amené,  tourtie  frotte  frotte  dé 
ptits  morceaux  ensembe,  allime  difé  ;  li  allonze 
so  lécorps  dans  bord  difé,  li  dourmi. 

Avlà  Brigand  gagne  faim.  Li  maziné,  laviande 
tourtie  bon  pour  manzé,  oui  !  Li  pèse  éne  ma- 
man roce,  li  vine  doucement  doucement  av 
ourtie   qui   dourmi   là,  li  lève  roce   en  lair,  lit 


252    HISTOIRE  DE  TRANQJJILLE  ET  DE  BRIGAND 


jette  de  toute  sa  force  sur  la  tortue  et  la  tue  ! 
Tranquille  n'a  pas  le  temps  d'arrêter  sa  main  et 
lui  crie  : 

—  Ah  !  mon  frère  !  une  tortue  qui  vient  de 
nous  sauver  la  vie  ! 

Brigand  lui  répond  avec  un  mauvais  rire  : 

—  Pour  qui  me  prends-tu  ?  Je  mourrais  de 
faim  auprès  d'un  morceau!  Suis-je  un  imbécile? 

Il  prend  la  tortue,  la  retourne,  la  met  sur  le 
feu,  la  fait  cuire  dans  sa  coque  et  la  mange. 

Tranquille  pleurait,  et,  le  cœur  déchiré,  il  se 
disait  :  «  Non,  non  !  C'est  trop  fort  d'être  mé- 
chant comme  ce  Brigand  !   » 

Le  soleil  commençait  à  être  haut.  Ils  se  re- 
mettent en  route.  Mais,  qu'est-ce  donc  que  ce 
chemin-là  !  partout  des  épines,  des  trous,  de 
grosses  roches  qui  roulent  sous  leurs  pieds.  Bri- 
gand, dont  la  vue  est  mauvaise,  ne  fait  que  tom- 
ber à  tout  moment.  Il  faut  qu'il  prenne  la  main 
de  Tranquille.  Le  chemin  devient  plus  mauvais 
encore  :  à  chaque  pas  ils  courent  le  risque  de  se 
casser  le  cou.  C'est  sans  doute  un  sort  que 
l'âme  de  la  tortue  leur  a  jeté. 

Voilà  que  Tranquille  pose  le  pied  sur  une 
roche,  la  roche  tourne,  Tranquille  et  Brigand 
tombent.  La  pente  était  rapide  :  ils  roulent,  rou- 
lent et  tombent  dans  un  grand  trou  très  profond. 
Ils  essayent  d'en  sortir  :  impossible  ;  partout   les 


ZISTOIRE   TRANQUILLE   AV    BRIGAND  253 

fouette  li  làhaut  tourtie,  H  touve   li  !  Tranquille 
napas  létemps  arrête  so  lamain  ;  li  crie  li  : 

—  Ah  mon  frère  !  éne  tourtie  qui  fine  sauve 
nous  lavie  ! 

Brigand  nèque  rié  éne  mauvais  rié,  li  dire  li  : 

—  Qui  to  croire  ?  mo  va  mort  faim  Ihére  mo 
gagne  éne  bon  quiqueçose  pour  manzé?  sipas  mo 
bête,  moi  ! 

Li  prend  tourtie  là,  li  vire  so  làhaut  enbas,  li 
mette  li  dans  difé,  li  couit  li  dans  so  lacoque,  li 
manze  li. 

Tranquille  ploré.  So  lékeir  enbas  roce  :  «  trop 
fort  mauvais  linstinct  coment  ça  Brigand  là  !  » 

Avlà  soleye  comence  làhaut,  zaute  dibouté, 
zaute  allé.  Mais  qui  ça  zespèce  cimin  là,  donc  ! 
partout  nèque  piquants,  tourous,  gros  gros  roce 
roule  enbas  lipieds.  Brigand,  cornent  li  napas 
trouve  bien  clair,  li  nèque  tombe  tombe  à  tout 
moment.  Li  blizé  donne  lamain  Tranquille. 
Cimin  vine  plis  mauvais  encore,  çaque  pas  zaute 
avancé,  zaute  manque  casse  cou  même.  Mo  croire 
quiquefois  ça  éne  mofine  qui  name  tourtie  là 
fine  mette  av  zaute. 

Avlà  éne  coup  Tranquille  pose  so  lipied 
Ihaut  éne  roce,  roce  viré.  Tranquille  av  Brigand 
tombé.  Terrin  ti  en  décendant  :  zaute  roulé,  roulé 
mêm^e,  zaute  tombe  dans  éne  grand  tourou  qui 
té  fond  fond  même.   Zaute   saye  sourti  ;   napas 


254   HISTOIRE  DE  TRANQUILLE  ET  DE  BRIGAND 


parois  sont  à  pic.  Q.ue  faire?  Ils  s'asse3'ent  par 
terre,  et  Tranquille  qui  ne  fait  que  penser  à  la 
tortue,  pleure  amèrement. 

Au  milieu  de  ses  larmes  il  entend  comme  un 
grand  bruit  d'ailes  au-dessus  de  sa  tête.  Il  regarde  : 
c'était  un  grand  oiseau.  L'oiseau  vole  en  rond, 
les  cercles  se  rapprochent  et  il  vient  se  poser  sur 
une  pointe  de  rocher  à  mi-hauteur   du  précipice. 

L'oiseau  les  regarde  longtemps,  et  voyant  que 
Tranquille  pleure  et  pleure  toujours,  il  lui  de- 
mande : 

—  Mais  qu'as-tu  donc  à  pleurer  ainsi  ? 

—  Voyez  vous-même.  Monsieur  l'oiseau. 
Mon  frère  et  moi  nous  avons  roulé  au  fond  de  ce 
précipice,  comment  ferons-nous  pour  en  sortir  ? 
Pas  de  chemin  !  nous  sommes  condamnés  à 
mourir  de  faim  ici. 

L'oiseau  lui  dit  : 

—  N'aie  plus  peur,  ne  pleure  plus  :  je  vous 
rapporterai  là  haut.  Mais  écoutez  moi  bien.  Je 
vais  descendre,  et  tandis  que  je  volerai  tout  près 
de  vous,  chacun  de  vous  saisira  une  de  mes  ailes. 
Tenez  bon.  Alors  je  m'élèverai  d'un  seul  coup. 
Mais  il  faut  l'un  et  l'autre  que  vous  gardiez  vos 
yeux  fermés  ;  si  vous  venez  à  les  ouvrir,  même 
un  instant,  je  vous  secoue,  je  vous  jette  sur  les 
roches  et  je  vous  casse  la  tête.  Vous  avez  bien 
entendu,  prenez  garde  de  l'oubher  ! 


ZISTOIRE   TRANQUILLE   AV    BRIGAND         255 

moyen,  partout  rempart  à  pic.  Qui  a  faire  ? 
Zaute  assise  ;  Tranquille  nèque  pense  ça  tourtie 
là  :  so  léquier  bourlé,  li  ploré. 

Cornent  li  après  ploré  là,  ti  tende  coma  dire 
lézailes  éne  zozo  qui  batte  batte.  Li  guetté  :  té 
éne  gros  zozo  même.  Zozo  vole  en  rond,  vole  en 
rond,  li  dicende  ein  pé,  li  pose  éne  coup  Ihaut 
éne  pointe  roce  dans  milié  rempart.  Zozo  là 
guette  guette  zaute  bon  morceau  létemps  ;  li 
trouve  Tranquille  ploré,  ploré  même,  li  dimande 
li: 

—  Mais  quifaire  vous  ploré,  don  ? 

—  Guette  vous  même,  Msié  zozo  !  Mo  frère 
av  moi  nous  fine  roule  dans  fond  ça  grand  tou- 
rou  là.  Cornent  nous  va  capave  sourti  ?  cimin 
napas  :  nous  va  blizé  mort  faim  ici  même  ! 

Zozo  dire  Tranquille  : 

—  Napas  bisoin  peir,  napas  bisoin  ploré  ;  mo 
va  amène  zaute  làhaut  :  coûte  bien  ça  qui  mo 
causé.  Avlà  mo  dicende  enbas.  Coment  mo  va 
vole  vole  à  côte  zaute,  çaquéne  va  tchiombô  éne 
côté  mo  lézailes,  souqué  même.  Ça  moment  là 
mo  pour  lève  en  lair  éne  coup  ;  mais  zaute  dé 
bisoin  pour  fréme  bien  zaute  liziés  ;  quand  zaute 
ouvert  néque  ptit  moment  même,  mo  sacouye 
zaute,  zette  zaute  làhaut  roces,  casse  zaute  lalête. 
Zaute  fine  bien  tende,  pengare  blié  ! 


256   HISTOIRE  DE  TRANaUILLE  ET  DE  BRIGAND 


L'oiseau  plonge  en  volant  jusqu'au  fond  du 
précipice.  Tandis  qu'il  bat  des  ailes  tout  auprès 
de  leurs  têtes,  Tranquille  saisit  une  de  ses  ailes  et 
Brigand  l'autre  ;  l'oiseau  leur  crie  :  «  fermez  les 
yeux  »,  et  remonte  tout  droit  comme  un  caillou 
lancé  par  une  fronde. 

Tandis  qu'ils  sont  là-haut,  tout  en  l'air,  Bri- 
gand entr'ouvre  les  yeux.  L'oiseau  avait  à  chaque 
aile  une  belle  plume  d'or  qui  brillait  au  soleil. 
Brigand  aperçoit  la  plume;  il  change  tout  douce- 
ment la  position  de  ses  mains  pour  pouvoir  saisir 
la  plume  et  l'arracher  d'un  seul  coup  au  moment 
où  l'oiseau  les  aura  déposés  à  terre.  L'oiseau  a 
senti  bouger  sa  main,  il  devine  pourquoi,  il  se- 
coue vivement  ses  ailes.  Les  mains  de  Brigand  et 
de  Tranquille  glissent.  Ils  tombent  du  haut  du 
ciel  en  faisant  plusieurs  tours  sur  eux-mêmes  et 
meurent  en  se  brisant  sur  les  roches.  D'en  haut 
l'oiseau  les  regarde  étendus  sur  la  terre.  Rien  ne 
bouge.  Il  se  dirige  vers  le  soleil  couchant  et  dis- 
paraît. 

Le  lendemain  matin,  voilà  qu'auprès  des  deux 
cadavres  l'herbe  se  met  à  remuer  doucement. 
L'herbe  s'agite  encore,  et  une  tête  paraît  :  c'était 
la  tête  d'une  tortue.  La  tortue  s'approche  de 
Brigand  ;  elle  le  regarde  un  bon  moment,  et  elle 
se  met  à  rire  comme  une  tortue  peut  rire.  Elle 
quitte  le  corps  de  Brigand  et  vient  à  Tranquille  ; 


ZISTOIRE   TRANaUILLE   AV   BRIGAND  257 

Avlà  Zozo  plonze  éne  coup  eue  volant  zisqu'à 
dans  fond  tourou.  Cornent  li  batte  batte  lézailes 
à  côte  zaute  latête,  Tranquille  tchiombô  éne  côté 
lézailes,  Brigand  pèse  laute  côté  ;  zozo  crie  zaute 
éne  coup,  fréme  léziés,  et  pique  en  lair  tout  dréte 
côment  ène  roce  lance  av  la  corde. 

Cornent  zaute  en  lair  en  lair  là,  Brigand  ouvert 
liziés  morceau  morceau.  Dans  lézailes  ça  zozo  là 
ti  éna  éne  belle  belle  plime  lor  qui  té  manimani 
dans  soléye.  Brigand  trouve  ça  plime  là  ;  li 
çanze  doucement  doucement  place  so  lamain 
pour  capave  tchiombô  plime  là  et  arrace  li  éne 
coup,  Ihére  zozo  va  fine  pose  zaute  enbas.  Zozo 
senti  lamain  bouzé,  li  éna  éne  doutance...  éne 
coup  là  li  sacouye  lézailes  :  lamains  Tranquille 
av  Brigand  glissé,  zaute  néque  çavire  dipis  làhaut 
roces,  mort  même.  Zozo  guéte  zaute  par  terre  : 
narien  bouzé.  Li  pique  côté  soleye  coucé,  li 
allé. 

Lendimain  bomatin,  avlà  éne  coup  Iherbe 
comence  bouze  bouzé  à  côte  ça  dé  lécorps  là. 
Lherbe  bouze  encore  ;  éne  latête  sourti,  ti  latête 
éne  tourtie.  Tourtie  approce  av  Brigand,  li  guette 
guette  li  :  avlà  tourtie  là  rié,  so  magnière  éne 
tourtie  capave  rié.  Li  quitte  lécorps  Brigand,  li 
arrive  av  Tranquille,  li   arrête  rié,  li  guette  li. 

17 


258   HISTOIRE  DE  TRANQ.UILLE  ET  DE  BRIGAND 

elle  cesse  de  rire,  elle  le  regarde.  Elle  reste  long- 
temps plongée  dans  ses  réflexions,  et  soudain  elle 
s'en  va.  Elle  cueille  trois  feuilles  à  trois  herbes 
différentes,  prend  les  trois  feuilles  dans  sa  bouche, 
et  revient  auprès  de  Tranquille. 

Tranquille  était  couché  sur  le  dos  et  semblait 
dormir  la  bouche  ouverte.  La  tortue  met  les  trois 
feuilles  dans  sa  bouche,  et  voilà  qu'à  l'instant 
même  Tranquille  ouvre  les  yeux,  étend  les  bras, 
s'étire  et  s'assied. 

—  Eh  bien  !  mon  garçon,  lui  dit  la  tortue, 
est-ce  assez  dormi,  ou  bien  si  nous  avons  encore 
sommeil  ? 

Tranquille  passe  sa  main  sur  sa  figure  et  re- 
garde. Il  voit  le  corps  de  Brigand  étendu  mort 
auprès  de  lui,  et  le  souvenir  lui  revient.  Il  voit 
son  frère  qui  est  là,  couché  sans  vie,  et  le  voilà 
qui  se  met  à  pleurer.  Cette  fois  la  tortue  lui  dit  : 

—  Eh  toi.  Tranquille!  eh  toi,  mon  garçon, 
entends-moi  bien.  La  bonté,  c'est  bonté  ;  mais  la 
bonté  jusqu'à  la  bêtise,  c'est  bêtise.  C'est  moi  qui 
ai  ouvert  la  muraille  pour  vous  sauver  la  vie,  et 
Brigand  m'a  tuée  et  mangée.  Mais  moi,  qui  sais 
ressusciter  les  morts,  je  suis  revenue  dans  mon 
écaille,  et  me  voilà  vivante  encore,  et  je  vivrai 
deux  ou  trois  mille  ans  encore.  C'est  moi  qui 
vous  ai  fait  tomber  dans  le  précipice  ;  c'est  moi 
qui   ai   envoyé  mon    oiseau  aux   plumes  dorées. 


ZISTOIRE   TRANQUILLE    AY   BRIGAXD  259 

Longtemps  longtemps  li  maziné.  Ene  coup  là  li 
allé  ;  li  casse  trois  feilles  dans  trois  pieds  Iherbe, 
li  amène  feilles  là  dans  so  labouce,  li  tourne 
encore  av  Tranquille. 

Tranquille  té  coucé  làhaut  lédos,  coment  dou- 
mounde  qui  dourmi  labouce  ouvert.  Avlà  tourtie 
mette  ça  trois  feilles  là  dans  labouce  Tranquille  : 
Tranquille  éne  coup  même  ouvert  so  liziées,  tire 
tire  so  lébras,  li  assise.  Tourtie  cause  av  li  : 

—  xVh  ben,  mon  garçon  !  esqui  to  fine  assez 
dourmi,  ou  bien  soméye  encore  av  toi? 

Tranquille  passe  so  lamain  làhaut  so  figuire,  li 
guété,  li  trouve  lécorps  Brigand  qui  mort  làhaut 
laterre  à  côte  li  :  éne  coup  là  li  souvini.  Coment 
li  guette  guette  son  frère  qui  mort  là,  avlà  li 
comence  ploré.  Ça  coup  là  tourtie  dire  li  : 

—  Eh  toi,  Tranquille  !  eh  toi,  mon  garçon  ! 
coûte  bien  mon  causé  :  Bon,  li  bon  ;  mais  bon 
zousqu'à  bête  napas  bon  !  Moi  même  qui  té  ouvert 
lamiraille  pour  sauve  vous  lavie  ;  et  Brigand  ti 
touye  moi  ti  manze  moi.  Mais  moi  qui  conne 
lève  doumounde  mort,  mo  fine  tourne  encore 
dans  mo  lacoque  et  rao  encore  vivant,  et  mo  va 
vivant  sipas  dé  mille  bananées  encore.  Moi  même 
qui  ti  zette  zaute  dans  tourou;  moi-même  qui  ti 
envoyé  mo  zozo  plimes  doré,  à  cause  mo  té  cône 


iSo  HISTOIRE  DE  TRANQ.UILLE  ET  DE  BRIGAND 

parce  que  je  savais  que  Brigand  ouvrirait  les 
yeux  et  se  briserait  la  tête,  moi,  enfin,  qui  viens 
de  te  rendre  la  vie.  Va,  mon  noir  !  retourne  chez 
toi  auprès  de  ta  femme  ;  Brigand  jamais  plus  ne 
viendra  troubler  la  paix  de  votre  maison.  Va,  te 
dis-je  ;  mais  rappelle-toi  bien  mes  paroles  : 

«  La  bonté,  c'est  bonté;  mais  la  bonté  jusqu'à 
la  bêtise,  c'est  bêtise.  » 

Tranquille  s'en  alla  et  arriva  chez  lui.  Sa 
femme  fut  dans  la  joie  et  ses  domestiques  aussi. 
Tous  les  plus  grands  rois  vinrent  le  voir. 

Tranquille  donna  un  dîner  magnifique  et 
invita  tous  ses  amis.  Mais  par  malheur  on  ne 
voulut  pas  me  laisser  entrer  pour  regarder. 


C'est  sans  doute  encore  une  adaptation,  mais  parfaite  :  tout 
le  début  du  conte  surtout  a  un  goût  de  terroir  des  plus  pro- 
noncés. 

On  remarquera  à  titre  de  curiosité  que  c'est  bien  ici  un  conte 
moral.  Lindor,  qui  a  ouï  dire  que  l'excès  en  tout  est  un  défaut, 
entend  démontrer  qu'à  la  bonté  elle-même   il  faut  des  limites  : 


ZISTOIRE  TRANQ.UILLE   AV   BRIGAND         26 1 

qui  Brigand  pour  ouvert  liziés  et  pour  casse  so 
latête  ;  moi-même  qui  faique  rende  toi  to  lavie. 
Allé  asthére,  mon  noir  !  tourne  dans  to  lacase 
av  to  femme  ;  zamais  Brigand  pour  faire  zaute 
encore  lamisère.  Allé,  mo  dire  toi  ;  mais  souvini 
bien  mo  parole  : 

V  «  Bon,  li  bon  ;  mais  bon  zousqu'à  bête  napas 
bon.  )) 

Avla  Tranquille  allé,  li  arrive  so  lacase.  So  ma- 
dame content,  so  domestiques  content,  tout  grand 
grand  lérois  vine  voir  li. 

Tranquille  donne  éne  grand  grand  grand  diné  ; 
li  engaze  tout  so  camrades...  Mais  domaze  zaute 
napas  té  voulé  laisse  moi  rentré  pour  guété. 


a  Bon  li  bon,  mais  bon  zousqu'à  bête  napas  bon.  »  Et  nous  voilà 
mis  en  garde  par  le  philosophe  à  peau  noire  contre  une  tendance 
absolument  funeste.  Grâce  à  lui  nous  saurons  y  résister  désor- 
mais. Nous  réagirons,  n'ayez  pas  peur  :  le  moraliste  a  cause 
gagnée. 


XXI 

LE  SINGE  ET  LA  TORTUE 


fe^ 


L  y  avait  une  fois  un  singe  et  une  tortue. 

La  tortue  avait  onze  enfants.  Le  singe 

était  un  vagabond, 

La  tortue  va  travailler;  et,   son   ouvrage  fini, 

elle  reçoit  son  salaire  et  va  acheter  une  balle  de 

riz. 

En  revenant  chez  elle,  elle  s'arrête  au  bord  du 
chemin,  met  sa  balle  de  riz  par  terre  et  va  cher- 
cher du  bois  sec. 

A  son  retour  elle  trouve  le  singe  assis  sur  sa 
balle  de  riz,  le  singe  lui  dit  : 

—  Eh  vous,  commère,  voyez,  j'ai  trouvé  une 
balle  de  riz. 

—  Ce  riz-là  n'est  pas  â  vous,  compère!  ce 
riz-là  est  du  riz  que  j'ai  acheté  pour  mes  enfants. 
Je  l'ai  laissé  au  bord  du  chemin  parce  que  j'allais 
chercher  du  bois  sec  ;  mais  ce  riz  est  à  moi  :  rendez- 
le-moi. 


XXI 
ZISTOIRE  ZACOT  AV  TOURTIE 


;i  éna  éne  fois  éne  Tourtie  av  éne  Zacot. 
Tourtie  là  ti  éna  onze  pitits.  Zacot  là 
té  éne  vacabond. 
Tourtie  aile  travaye.  So  louvraze  fini,  li  prend 
so  lamonaie  ;  li  acète  éne  balle  douriz. 

Lhére  li  tourne  so  lacase,  li  arrête  dans  bord 
cimin,  li  mette  balle  douriz  enbas,  li  aile  rôde 
dibois  sec. 

Cornent  li  tourné,  li  trouve  Zacot  assise  làhaut 
so  balle  douriz  ;  Zacot  dire  li  : 

—  Eh  vous  !  mo  coraère  ;  guetté  :  mo  fine 
ramasse  éne  balle  douriz. 

—  Douriz  là  napas  pour  vous,  compère  ; 
douriz  là  douriz  qui  mo  fine  aceté  pour  mo  zen- 
fants  ;  rao  té  quitte  li  dans  bord  cimin  cornent 
mo  rôde  dibois  sqc.  Douriz  là  mon  douriz  :  rende 
moi  li. 


264  LE   SIKGH   liT   LA   TORTUE 


Le  singe  ne  veut  rien  entendre  et  dit  : 

—  Ce  qui  est  bon  à  ramasser  est  bon  à  garder  : 
je  ne  rends  pas. 

La  tortue  est  désolée  ;  mais  que  pouvait-elle 
faire  ?  Elle  dit  au  singe  : 

—  Eh  bien  !  compère,  vendez-m'en  une  livre, 
les  enfants  n'ont  rien  à  manger  à  la  maison. 

—  Lnpossible,  commère  !  mon  riz  n'est  pas  à 
vendre  :  allez  chez  le  chinois. 

—  Bon,  compère  !  un  jour  nous  verrons  ! 

Un  jour,  le  singe  était  assis  sur  une  branche 
d'arbre  et  sa  queue  traînait  par  terre.  La  tortue 
passe,  elle  voit  cette  queue,  la  saisit  et  crie  : 

—  Me  voilà  qui  viens  de  trouver  une  queue 
de  singe  !  Ce  qui  est  bon  à  ramasser  est  bon  à 
garder  !  Je  ne  rends  pas. 

—  Eh  vous,  commère  !  vous  plaisantez,  n'est- 
ce  pas  ?  C'est  ma  queue,  ça  ! 

—  Le  riz  sur  le  chemin  est  à  celui  qui  ra- 
masse le  riz  ;  la  queue  sur  le  chemin  est  à  celui 
qui  ramasse  la  queue. 

Le  singe  se  fâche.  Il  tire  sur  sa  queue,  la 
tortue  ne  lâche  pas  et  suit  la  queue.  Le  singe 
tire,  la  tortue  suit  :  et  le  singe  apporte  le  tout  au 
tribunal. 

Le  juge  était  sur  son  siège,  le  singe  lui  dit  : 

—  Mon  juge  !  condamnez  la  tortue  à  me  ren- 
dre ma  queue.  .    - 


ZISTOIRE  ZACOT   AV   TOURTIE  265 

Zacot  napas  vlé  coûte  narien  ;  H  dire  : 

—  Ça  qui  bon  ramassé,  bon  gardé  !  Mo  napas 
rende  encore. 

Tourtie  çagrin  ;  mais  qui  li  capabe  faire  ?  Li  dire 
Zacot  : 

—  Ah-bin  !  compère,  vende  moi  éne  live  :  zen- 
fants  lacase  napas  gagne  narien  pour  manzé. 

—  Napas  moyen,  commère  !  mon  douriz  napas 
pour  vende;  aile  laboutique  camila. 

—  Bon,  compère  !  Ene  zour  nous  va  guété. 

:  J\.là,  éne  zour,  Zacot  fine  assise  làhaut  éne 
brance  :  so  laquée  traine  par  terre.  Tourtie 
passé  ;  li  trouve  laquée  là,  li  tchiombô  li,  li 
crié  : 

—  Avlà  mo  fine  trouve  éne  laquée  zacot  !  Ça 
qui  bon  ramassé,  bon  gardé  !  Mo  napas  rende 
encore, 

—  Eh  vous,  commère  !  vous  badinez,  vous  ! 
Mo  laquée  ça  ! 

—  Douriz  làhaut  cimin,  pour  doumoune  qui 
ramasse  douriz  là  ;  laquée  làhaut  cimin,  pour 
doumoune  qui  ramasse  laquée  là. 

Zacot  en  colère.  Li  tire  so  laquée  ;  tourtie 
napas  largué,  li  sivré  laquée.  Zacot  tiré,  tourtie 
sivré  :  Zacot  amène  tout  çaça  dans  tribinal. 

Zize  té  làhaut  siéze.  Zacot  dire  li  : 

—  Mo  zize  !  condamne  Tourtie  rende  moi  mo 
laquée. 


266  LE   SINGE   ET   LA  TORTUE 


La  tortue  dit  au  juge  : 

—  Mon  juge,  condamnez  le  singe  à  me  rendre 
mon  riz. 

Le  juge  les  fait  parler.  Quand  il  connaît  toute 
l'affaire,  il  dit  au  singe  : 

—  Où  est  le  riz  ? 

Le  singe  se  met  à  rire,  et  se  frappant  sur  le 
ventre  : 

—  Là  dedans,  mon  juge  ! 

Le  juge  appelle  un  garde  et  lui  ordonne 
d'apporter  un  billot.  Le  billot  est  apporté.  Le 
juge  donne  l'ordre  au  garde  de  placer  la  queue  du 
singe  sur  le  billot,  puis  le  garde  la  coupe  en  deux. 

Le  juge  ensuite  rend  son  jugement  : 

—  Ce  qui  est  bon  à  ramasser  est  bon  à  garder. 
Le  singe  a  ramassé  une  balle  de  riz  sur  le  che- 
min, la  balle  de  riz  lui  appartient  ;  la  tortue  a 
ramassé  un  bout  de  queue  sur  le  chemin,  le  bout 
de  queue  est  à  elle.  Mais  si  le  singe  veut  acheter 
ce  bout  de  queue  pour  le  coller  à  son  autre 
moitié  de  queue,  je  condamne  la  tortue  à  vendre 
au  singe  ce  bout  de  queue  pour  une  balle  de  riz 
Balam. 

Maintenant  j'ai  dit.  Allez  ! 


C'est  une  fable  bien  créole,  et  de  nos  meilleures.  Le  singe,  la 
tortue  et  —  disons-le    sans  fausse   modestie   —  le   magistrat» 


ZISTOIRE   ZACOT   AV   TOURTIE  267 

Tourtie  dire  zize  : 

—  Mo  zize  !  condamne  Zacot  rende  moi  mo 
douriz. 

Zize  faire  zaute  causé.  Lhére  li  fine  cône  tout 
zistoire,  li  dire  Zacot  : 

—  Acote  douriz  ? 

Zacot  rié.  Li  nèque  tape  so  vente  : 

—  Làdans,  mo  zize  ! 

Zize  appelle  garde  ;  li  dire  garde  amène  billot. 
Garde  amène  billot.  Zize  faire  garde  pose  laquée 
Zacot  làhaut  billot,  coupe  en  dé. 

Après  ça,  zize  causé  : 

—  Ça  qui  bon  pour  ramassé,  bon  pour  gardé. 
Zacot  fine  ramasse  éne  balle  douriz  làhaut  cimin, 
balle  douriz  pour  Zacot  ;  Tourtie  fine  ramasse  éne 
boute  laquée  làhaut  cimin,  boute  laquée  pour 
Tourtie.  Mais  quand  Zacot  voulé  acéte  ça  boute 
laquée  là  pour  côle  ensembe  so  laute  morceau 
laquée,  mo  condamne  Tourtie  vende  toute 
laquée  av  Zacot  pour  éne  balle  douriz  Balam. 
Açthère  là  mo  fine  causé  :  allé  1 


«  district  magistrate  »,  sont  bien  tous  les  trois  des  Mauriciens 
de  Maurice. 


©®©@©®©©©@©©©® 


XXII 
LE  SINGE  ET  L'HIRONDELLE 


iNE  fois  le  compère  Singe  et  li  commère 
â^lll  Hirondelle  s'associèrent  pour  ouvrir  une 
petite  boutique  d'épicier.  Mais  il  leur 
fallait  aller  chercher  des  marchandises  dans  un 
autre  pays.  Que  faire  ?  A  force  de  chercher,  le 
singe  trouva.  Il  va  au  bazar,  il  achète  un  gros 
concombre.  Il  le  coupe  en  deux,  il  en  mange  la 
moitié  ;  l'autre  moitié,  il  la  creuse,  il  la  vide,  il 
en  fait  une  pirogue  et  la  met  à  la  mer. 

Les  voilà  embarqués  :  les  ailes  de  l'hirondelle 
serviront  de  voile  et  la  queue  du  singe  de  pagaye. 
On  part. 

Au  milieu  du  chemin  le  singe  a  faim.  Il  coupe 
avec  ses  dents  un  morceau  de  la  pirogue  et  le 
mange.  L'hirondelle  lui  dit  :  «  Eh  toi,  compère, 


©â^©â^@S^©a©®@®©^ 


XXII 
ZACOT  AV  ZIRONDELLE 


^^^|NE  fois  compère  Zacot  av  commère  Ziron- 
delle  fine  faire  zassociés  pour  lève  éne 
ptit  laboutique  cinois.  Nais  zaute  bisoin 
aile  çace  marçandises  éne  kute  paye.  Qui  zaute 
va  faire  ?  Aforce  mazine  maziné  Zacot  fuie  trouve 
éne  magnière.  Li  aile  bazar,  li  acète  éne  gros 
cocombe.  Li  coupe  en  dé,  li  manze  éne  lamo- 
quié  ;  l'aute  lamoquié  li  fouillé,  li  tire  so  tripes, 
li  faire  éne  pirogue,  li  mette  dans  lamer. 

Avlà  touldé  rente  dans  pirogue.  Zirondelle 
prend  so  lézailes  pour  servi  lavoile,  Zacot  prend 
so  laquée  pour  servi  pagaye.  Zaûte  allé. 

Dans  milié  cimin  Zacot  faim.  Li  coupe  éne 
morceau  pirogue  av  so  lédents,  li  manzé.  Ziron- 
delle dire  li  :   a  Eh  toi,  compère  !   to  faire  farce. 


270  LE   SINGE  ET   L  mRONDELXE 

tu  plaisantes,  hein  ?  Prends  garde  que  la  pirogue 
ne  coule.  Oui  !  pour  moi  qui  ai  des  ailes,  je 
pourrai  m'envoler,  mais  toi  tu  couleras  au  fond, 
sais-tu  !  »  Le  singe  ne  fait  qu'en  rire  :  «  N'aie 
donc  pas  peur,  commère  !  la  pirogue  avait  comme 
une  bosse  à  l'arrière,  je  l'ai  redressée.  » 

Ils  vont,  ils  vont  ;  le  singe  a  faim.  Il  mord  de 
nouveau  dans  la  pirogue,  le  concombre  se  met  à 
donner  de  la  bande  ;  le  singe  mord  de  l'autre  côté 
pour  rétablir  l'aplomb,  le  concombre  coule,  le 
singe  coule,  l'hirondelle  s'envole. 

Tandis  que  le  singe  bat  l'eau  de  ses  bras  pour 
essayer  de  nager,  passe  mère  carangue.  Le  singe 
l'appelle  :  «  Eh  vous,  la  mère,  si  vous  me  mettez 
au  rivage,  je  vous  donnerai  un  sac  d'argent  et  le 
gouverneur  vous  donnera  une  petite  médaille 
avec  un  ruban  pour  votre  peine  d'avoir  retiré 
quelqu'un  de  l'eau.  Dites  !  ça  vous  va-î-il  ?  «  La 
carangue  est  un  peu  bête  ;  elle  prend  le  singe  sur 
son  dos  et  le  porte  à  terre. 

Lorsque  le  singe  a  bien  secoué  son  eau,  il  dit 
à  la  carangue:  «  Merci,  commère;  mon  compli- 
ment !  vous  nagez  bien.  Mais  attendez  un  instant, 
je  vais  chercher  votre  sac  d'argent  ;  l'affaire  de  la 
médaille  se  réglera  plus  tard.  »  La  carangue  bave 
de  convoitise  ;  elle  reste  tout  près  du  bord  et  le 
singe  court  à  sa  case. 

Le  singe  revient,  rapportant  un  très  grand  sac  ; 


ZACOT   AV   ZIRONDELLE  27 1 

hein  !  pengare  pirogue  coulé,  oui  !  moi  qui  énan 
lézailes  mo  va  capabe  envolé,  mais  to  pour  coule 
au  fond,  to  coné  !  «  Zacot  nèque  rié  :  «  Napas 
peir  donc,  commère  !  pirogue  là  té  gagne  cornent 
dire  éne  bosse  par  derrière  ;  mo  fine  dresse  li,  » 

Zaute  allé,  zaute  allé  ;  zacot  faim.  Li  morde 
encore  dans  pirogue,  cocombe  commence  donné 
labande  zacot  morde  laute  coté  pour  arranze  so 
balance,  cocombe  coulé,  zacot  coulé,  zirondelle 
envolé. 

Cornent  zacot  après  batte  batte  lébras  pour 
saye  nazé,  maman  carangue  passé.  Zacot  appelle 
li  :  «  Eh  vous,  maman  ;  quand  vous  mette  moi  à 
terre,  mo  va  donne  vous  éne  sac  larzent  et  gou- 
verneir  pour  donne  vous  éne  ptit  médaille  av 
riban  pour  vous  lapeine  qui  vous  fine  tire  éne 
doumounde  dans  dileau,  causé!  vous  vlé?  » 
Carangue  bête  bête  ;  li  prend  zacot  làhaut  son 
lédos,  li  amène  à  terre. 

Lheire  zacot  fine  sacouye  son  dileau,  li  dire 
carangue  ;  «  Merci,  commère  ;  vous  cône  nazé, 
oui  !  Mais  aspère  morceau  ;  mo  aile  çace  vous 
sac  larzent  ;  zaff"aire  médaille  va  règue  plis  tard  !  » 
Carangue  bavé  ;  li  reste  dans  bord  dileau,  zacot 
cou  ri  so  lacase. 

Zacot  tourné,  li  amène  éne  grand  grand  sac  ; 


272  LE   SINGE    ET    L  HIRONDELLE 

au  fond  de  ce  sac  il  a  mis  quelques  gros  sous  et 
beaucoup  de  cailloux  plats.  11  secoue  le  sac  pour 
faire  sonner  les  sous  contre  les  cailloux  ;  puis, 
entrant  un  peu  dans  l'eau,  il  ouvre  le  sac  et  dit 
à  la  carangue  :  «  Venez  compter.  »  La  carangue 
entre  dans  le  sac,  le  singe  le  referme  vivement, 
le  porte  à  terre,  prend  un  bâton  et  tue  la  caran- 
gue. Et  il  se  tient  le  ventre  de  rire  :  «  Aïo,  ma 
mère  !  c'est  bête,  un  poisson  !  aïo  !  de  l'argent  et 
une  médaille  !  aïo  !  laissez-moi  rire  !  » 

Puis  le  singe  charge  la  carangue  sur  son  dos, 
et  il  va  par  la  plaine  en  criant  :  «  Carangue  !  belle 
carangue  pour  cari  !  belle  carangue  fraîche  pour 
cari  !  ;)  Il  passe  devant  la  case  d'une  vieille  bonne 
femme  qui  était  debout  sur  le  seuil  de  sa  porte. 
«  Vous  n'avez  pas  besoin  d'une  carangue  pour  le 
cari  ?  —  J'en  aurais  bien  besoin,  mais  je  n'ai 
pas  d'argent  pour  en  faire.  Ecoutez,  si  vous  avez 
du  bon  riz,  de  bon  massala,  de  bon  piment,  nous 
pouvons  faire  affaire.  Je  fournirai  le  poisson, 
vous  fournirez  le  reste  ;  vous  ferez  le  cari  et  nous 
le  mangerons  ensemble.  » 

La  bonne  femme  accepte  et  met  le  cari  au  feu  ; 
le  singe  s'assied  et  attend. 

Lorsque  le  cari  commence  à  cuire,  son  odeur 
se  répand  dans  toute  la  case  ;  le  singe  ouvre  ses 
narines,  l'eau  lui  vient  à  la  bouche,  il  dit  à  la 
bonne  femme  :  «  Mangeons  maintenant  ;  le  voilà 


ZACOT   AV   ZIRONDELLE  273 

dans  so  fond  ça  sac  là  li  fine  mette  trois  quate 
caces  sembe  éne  bande  roces  plate.  Li  sacouye 
sac  pour  roces  là  avec  caces  là  sonne  enserabe  ; 
li  rente  morceau  dans  dileau,  li  ouvert  labouce 
sac,  li  dire  carangue  :  «  Vine  compté.  »  Carangue 
rente  dans  sac,  zacot  fréme  sac  éne  coup,  levé, 
amène  à  terre,  prend  bâton,  tou3-e  carangue.  Li 
blizé  tine  so  vente  à  fôce  rié  :  «  Aïo,  mo maman! 
cornent  pôsson  bête  !  aïo  !  larzent  av  médaille  ! 
aïo  !  laisse  moi  rié  !  » 

Avlà  zacot  astheire  çarze  carangue  làhaut  so 
lédos,  li  marce  dans  laplaine,  li  crié  :  «  Bel  bel 
carangue  pour  faire  cari,  bel  bel  carangue  frais 
pour  faire  cari  !  »  Li  passe  divant  lacase  éne  vie 
bonnefemme  qui  ti  après  dibouté  dans  so  laporte. 
«  Vous  napas  bisoin  carangue  pour  faire  cari  ? 
—  Mo  bisoin  même  ;  mais  larzent  napas,  qui 
a  faire  !  —  Coûté  !  ouand  vous  énan  bon 
douriz,  bon  massala,  bon  piment,  nous  capabe 
arranze  zafïaire.  Mo  pour  fourni  posson,  vous 
pour  fourni  tout  laute  quiqueçose  ;  vous  faire 
cari,  nous  manze  ensembe.  » 

Bonnefemme  content  ;  li  couit  cari  ;  zacot 
assise,  li  aspéré. 

Lheire  cari  là  commence  couit,  so  lodeir  fane 
dans  tout  lacase  ;  zacot  ouvert  nénez,  li  bavé,  li 
dire  bonnefemme  :  «  Anons  manzé  astheire,  li 
assez   couit,    mo   senti   li   dans   mon  nénez.  — 


274  LE   SINGE   ET  L  HIRONDELLE 

assez  cuit,  mon  nez  me  le  dit.  —  Non,  mon- 
sieur le  singe,  il  lui  faut  encore  un  coup  de  feu  ; 
attendez  un  petit  moment,  mon  garçon  est  allé 
ramasser  un  paquet  de  bois  sec,  voici  l'heure  où 
il  rentre,  nous  mangerons  ensemble.  » 

Quand  le  singe  apprend  qu'ils  seront  trois  à 
partager  le  cari,  le  coeur  lui  brûle  :  impossible, 
cela  !  Il  sort,  va  dans  la  cour  et  monte  au  haut 
d'un  ,g;rand  tamarinier.  Il  fait  semblant  de  regarder 
au  loin  dans  la  plaine  et  soudain  s'écrie  :  «  Aïo  ! 
mais  ils  vont  le  tuer  !  bonne  femme,  bonne 
femme  !  c'est  votre  garçon,  c'est  lui  !  mais  courez 
donc  !  on  l'assomme  à  coups  de  bâton  ;  aïo  ! 
courez,  courez  !  ils  vont  le  tuer  !  »  La  bonne 
femme  là-dessus  s'élance  dehors  et  part  à  la 
course. 

Le  singe  descend  du  tamarinier  et  rentre  dans 
la  cuisine.  Un  instant  lui  suffit  pour  balayer  le  riz 
et  le  cari.  Mais  voyez  la  méchanceté  et  la  malice  ! 
Cette  horreur  de  singe  fait  des  malpropretés  dans 
les  marmites,  remet  les  marmites  sur  le  feu  et 
retourne  dans  le  tamarinier. 

La  bonne  femme  a  rejoint  son  fils  à  l'autre 
bout  de  la  plaine  ;  il  est  seul  et  rapporte  tran- 
quillement son  fagot  sur  sa  tête.  La  bonne 
femme  devine  sans  peine  que  le  singe  s'est  moqué 
d'elle  ;  elle  se  hâte  de  revenir  avec  son  fils. 

La  bonue  femme  rentre  dans  la  cuisine.   Les 


ZACOT  AV   ZIRONDELLE  275 

Napas  ça,  msié  zacot,  li  bisoin  encore  morceau 
difé  ;  aspére  ptit  ptit  moment  ;  mon  garçon  fine 
aile  ramasse  éne  paquet  dibois,  talheire  même  so 
Iheire  tourné  ;  nous  trois  pour  dine  ensembe.   » 

Lheire  zacot  coné  so  cari  pour  partaze  en  trois, 
50  lékeir  bourlé  ;  napas  moyen,  ça  !  Li  sourti 
dans  lacour,  li  monte  Ihaut  éne  grand  pied  tam- 
barin,  li  faire  semblant  guette  loin  loin  dans 
laplaine,  li  crie  éne  coup  :  «  Aïo  !  mais  zaute 
pour  touye  li  !  bonnefemme  !  bonnefemme  !  vous 
pitit,  ça  !  mais  galoupé  donc  !  zaute  ronflé  li 
coups  de  bâton  !  aïo  !  galoupé,  galoupé  !  zaute 
pour  touye  li  !  »  Bonnefemme  tende  ça,  li  sourti 
éne  coup,  li  vanné. 

Zacot  dicende  dans  pied  tambarin,  li  rente 
lacousine.  Ene  ptit  moment  même  li  balié  tout 
douriz  av  tout  cari.  Mais  guette  so  mauvais  ma- 
lice, ça  Ihorreir  zacot-là  !  li  faire  so  malprôpeîés 
dans  marmites,  li  mette  marmites  encore  Ihaut 
difé,  li  tourne  dans  pied  tambarin. 

Bonnefemme  fine  arrive  dans  boute  laplaine, 
li  zoinde  son  garçon  ;  personne  av  li,  son  paquet 
dibois  tranquille  làhaut  so  latête.  Bonnefemme 
blizé  coné  qui  ça  zacot  là  fine  baingne  av  li  ; 
zaute  dé  son  garçon  zaute  tourne  vitement  lacase. 

Bonnefemme  rente  lacousine,  marmite  touzours 


276  LE   SINGE   ET   l'HIRONDELLE 

marmites  sont  toujours  sur  le  feu.  Elle  sent  une 
mauvaise  odeur  :  «  Mais  cette  carangue-là  n'était 
pas  gâtée  !  »  Elle  retire  une  marmite,  la  décou- 
\rre  :  «  Ah  bon  Dieu  seigneur  !  ma  marmite  s'est 
changée  en  pot  de  chambre  !  » 

Ils  sont  furieux  et  cherchent  le  singe  pour  le 
tuer.  Sur  le  tamarinier,  le  singe  rit  de  bon  cœur. 
Le  garçon  l'entend  rire,  lève  les  yeux  et  lui  crie 
de  descendre.  Le  singe  rit  plus  fort  :  «  Il  vaut 
mieux  que  ce  soit  vous  qui  montiez,  nous  joue- 
rons à  cache-cache  dans  les  branches.  « 

Mais  la  bonne  femme  aussi  a  de  la  malice.  Elle 
fait  bouillir  une  grande  marmite  de  brai,  prend 
un  pinceau  et  enduit  de  brai  tout  le  tronc  du 
tamarinier  du  haut  en  bas.  Puis,  ils  allument  un 
grand  feu  au  pied  de  le  l'arbre  ;  quand  le  feu 
flambe,  ils  y  jettent  du  bois  vert  et  de  la  paille 
mouillée. 

Voilà  le  singe  là-haut  qui  ne  peut  plus  résister 
à  cette  chaleur  et  à  cette  fumée  qui  lui  brûle  les 
yeux.  Il  se  laisse  glisser  d'un  coup  pour  descen- 
dre, il  arrive  au  brai  :  ses  mains,  ses  pieds,  son 
ventre  restent  collés  à  l'arbre.  La  bonne  femme 
saisit  son  pilon  à  piler  le  riz,  elle  ne  lui  en 
donne  qu'un  seul  coup,  boun  !  elle  lui  casse  les 
reins. 

Ils  le  décollent,  ils  l'écorchcnt,  ils  en  font  une 
bonne  daube. 


ZACOT   AV   ZIRONDELLE  277 

dans  difé.  Li  senti  éne  mauvais  l'odeir  :  «  Mais 
carangue  là  napas  d  gâté  !  »  Li  tire  éne  marmite, 
li  découvert  li  ;  «  Ah  bondié  seigiieir  !  mo  mar- 
mite fine  tourne  pôdeçambe  !  )) 

Zaute  firié,  zaute  rôde  zacot  pour  tot^e  li  ; 
zacot  dans  pied  tambarin  nèquerié.  Garçon  tende 
li  rié,  li  lève  li  liziés,  li  trouve  li,  li  crïe  li  di- 
cendé.  Zacot  rie  plis  fort  :  «  Plis  vaut  mié  vous 
monté,  nous  va  zoué  couc  dans  brances  !  » 

Mais  bonnefemme  là  oussi  éna  lamalice.  Li 
faire  bouï  éne  grand  marmite  labrai,  li  prend 
pinceau,  li  frotte  frotte  tout  pied  tambarin  av  ça 
labrai  là  dipis  iàhaut  zisqu'en  bas.  Lheire  là  zaute 
allime  éne  grandgrand  difé  enbas  lipied  zarbe, 
difé  flambé,  zaute  mette  dibois  vert  sembe  la- 
paille  mouillé. 

Avlà  zacot  Iàhaut  naplis  capav  tini  dans  laça- 
kir  là,  av  lafimée  qui  bourle  so  liziés.  Li  laisse 
glisse  éne  coup  so  lécorps  pour  dicendé,  li  arrive 
av  labrai,  so  lamains  tacé,  so  lipieds  îacé,  so 
vente  tacé.  Bonnefemme  souque  son  bâton 
pilon,  flanque  li  nèque  éne  coup,  houn  !  léreins 
cassé, 

Zaute  décolle  li,  zaute  tire  so  lapeau,  zaute 
faire  éne  bon  ladaube.  Mo  passé,  mo  dimande 


278  LE   SINGE   ET   l'hIRONDELLE 

Je  passe  et  demande  au  garçon  rien  qu'un  os. 
Il  me  donne  un  coup  de  pied,  et  je  tombe  ici 
pour  vous  raconter  cette  histoire. 


Vraiment  créole  encore,  cette  histoire.   Le  singe  est  bien   le 
singe  tel  que  nos  fables  l'ont  créé,  et,  par  une  fortune  assez 


ZACOT   AV  ZIRONDELLE  279 

garçon  là  nèque  éne  lézos.  Li  flanque  moi  éne 
coup  de  pied,  mo  tombe  ici  pour  raconte  vous 
zistoire  là. 


rare,  il  n'est  pas  cans  ressemblance  avec  le  singe  tel  que  l'a  créé 
la  nature. 


.!§ 


>^Ai'.„*^!li'  „>^f!i'    «^l!^V?^    ^^*^,  >i*^,  'i*i'.  '^S^ 


XXIII 
HISTOIRE  DE  ZOVA  ET  DU  CAÏMAN 


;ONHOMME  Zova  se  rendait  un  jour  à  son 
^  ^  travail  avec  son  sac  sur  le  dos.  Il  était 
^^^3  arrivé  au  milieu  d'une  grande  plaine, 
quand  il  entendit  comme  une  voix  d'enfant  qui 
se  plaignait.  Le  bonhomme  Zova  s'arrêta,  se  mit 
à  écouter  et  à  chercher  :  c'était  un  caïman  au 
pied  d'un  cassis  au  bord  du  chemin. 

Le  caïman  voyant  s'approcher  le  bonhomme 
Zova  lui  dit  : 

—  Hélas  !  bonhomme,  si  vous  avez  bon  cœur, 
secourez-moi!  je  vais  tout  à  l'heure  mourir  de 
fatigue  et  de  soif!  Je  ne  puis  plus  marcher  : 
emportez-moi  dans  le  sac  qui  est  sur  votre  dos  ; 
allez  me  jeter  à  la  rivière.  Dieu  aime  ceux  qui  ont 
pitié  des  malheureux! 

—  Mais  comment  veux-tu  que  je  t'emporte 
dans  mon  sac?  Tu  es  trop  grand  pour  pouvoir  y 
entrer. 


XXIII 
ZISTOIRE  ZOVA  AV  CAÏMAN 


s«:;;p  ONHOMME  Zova  éne  zour  té  aile  dans  so 
P<É  louvraze  av  so  sac  làhaut  so  lédos.  Avlà 
^^  cornent  11  arrive  dans  mille  éne  grand 
grand  laplaine,  li  tende  cornent  dire  éne  zenfant 
après  plaigne.  Bonhomme  Zova  arrête  marcé,  li 
coûté,  11  rôdé  :  ça  ti  éne  caïman  enbas  éne  pied 
cassis  dans  bord  cimin. 

Coment  caïman  là  trouve  Bonhomme  Zova 
vine  àcote  li,  li  dire  li  : 

—  Aïo,  bonhomme,  quand  vous  bon  keir, 
soulaze  moi!  mo  pour  mort  talheire  à  force 
mo  lassé  et  mo  gagne  soif;  mo  naplis  capabe 
marcé;  amène  moi  dans  vous  sac  là  haut  vous 
lédos,  aile  zette  moi  larivière.  Bondié  content 
quand   doumounde  çarite   malhérés  ! 

—  Mais  coment  to  voulé  mo  amène  toi  dans 
mo  sac  ?  Zamais  to  va  capabe  rente  dans  ça  sac 
là;  to  trop  grand  pour  tini  làdans. 


282  HISTOIRE   DE   ZOVA   ET   DU   CAÏMAN 


—  Je  disposerai  mon  corps  de  manière  à  ce 
qu'il  entre  ;  mettez  le  sac  par  terre,  ouvrez-le  et 
vous  verrez. 

Le  bonhomme  Zova  était  bon.  Il  met  bas  son 
sac,  et  l'ouvre.  Le  caïman  se  roule  en  rond 
comme  un  paquet  de  cordages  sur  le  pont  d'un 
vaisseau  ;  il  entre  dans  le  sac  et  dit  à  Zova  : 

—  Eh  bien  !  me  voilà  dans  votre  sac,  bon- 
homme, partons  ! 

Zova  charge  le  sac  sur  son  dos,  arrive  au  bord 
de  la  rivière  et  jette  le  caïman  dans  l'eau. 

Lorsque  le  caïman  a  bien  bu,  qu'il  s'est  bien 
baigné,  le  voilà  qui  a  faim.  Le  bonhomme  Zova 
s'était  assis  pour  se  reposer  un  instant,  car  il  était 
fatigué  d'avoir  porté  un  poids  si  lourd  ;  le  caïman 
vient  à  lui  et  lui  dit  en  gouaillant  : 

—  Eh  vous,  bonhomme,  j'ai  faim,  oui!  Je  sais 
que  la  chair  humaine  est,  pour  les  caïmans,  un 
manger  excellent  ;  donnez-moi  une  de  vos  jamb_e^ 
pour  mon  déjeuner. 

Zova  est  tout  saisi  : 

—  Comment  !  moi  qui  viens  de  te  sauver  la 
vie,  tu  veux  me  manger  !  Tu  n'as  pas  honte  ! 

—  Quelle  honte?  J'ai  faim,  je  trouve  un  bon 
morceau,  et  j'aurais  honte  de  le  manger!  Vous 
croyez  donc  que  les  caïmans  sont  bêtes,  bon- 
homme ! 


ZISTOIRE   ZOVA   AV   CAÏMAN  283 

—  Mo  va  arranze  mo  lécorps  éne  magnière 
qui  li  va  rentré  ;  mette  sac  enbas,  ouvert  li,  vous 
va  guété. 

Ci'  Bonhomme  Zova  té  éne  bon  doumounde.  Li 
mette  sac  enbas,  li  ouvert  li  ;  caïman  roule  roule 
30  lécorps  en  rond  coment  éne  paquet  lacorde 
làhaut  pont  éne  navire,  li  rente  dans  sac,  li  dire 
Zova  : 

—  Ah  bé  !  avlà-moi  dans  vous  sac,  bonhomme  ; 
anons  allé. 

Zova  çarze  sac  lave  so  lédos,  li  arrive  bord  la- 
rivière,  li  zette  caïman  dans  dileau. 

Lheire  caïman  fine  bien  boire,  fine  bien  baingne 
so  lécorps  dans  dileau,  avlà  li  gagne  faim.  Bon- 
homme Zova  ti  après  assise  pour  pose  morceau  à 
cause  li  ti  lassé  amène  ça  gros  paquet  là  lùhaut 
so  lédos;  caïman  vine  av  li,  li  dire  li  éne  magnière 
en  foutant  : 

—  Eh  vous,  bonhomme,  mo  gagne  faim,  oui  ! 
Mo  cône  qui  lavianne  doumoune  éne  bonbon 
manzé  pour  caïman  ;  donne  moi  éne  côté  vous 
lazambes  pour  mo  dizné. 

^'^  Zova  saisi  : 

—  Coment  !  moi  qui  fèque  sauve  to  lavie,  to 
voulé  manze  moi  !  To  napas  honte  ! 

—  Qui  honte  ça?  mo  gagne  faim,  mo  trouve 
bon  manzé,  et  Mo  va  honte  manze  li  !  Vous 
croire  comme  ça  qui  caïmans  bête,  bonhomme  ? 


284  HISTOIRE  DE  ZOVA  ET   DU  CAÏMAN 

Pendant  qu'ils  disputaient  ainsi,  passe  une 
mère  poule.  Zova  dit  au  caïman  : 

—  Eh  bien  !  demandons  à  cette  mère  poule  si 
c'est  toi  qui  as  raison  ou  bien  moi. 

—  Je  le  veux  bien  ;  questionne-la,  nous  ver- 
rons. 

La  mère  poule  les  écoute  ;  puis  elle  se  tourne 
vers  bonhomme  Zova  et  lui  dit  : 

—  Je  ponds,  les  hommes  mangent  mes  œufs  ; 
je  couve,  les  hommes  mangent  mes  poulets  ; 
quand  je  suis  si  vieille  que  le  coq  ne  s'approche 
plus  de  moi,  on  me  tue,  on  me  suspend  à  un 
papayer  pour  attendrir  ma  chair,  on  me  fait  cuire 
avec  du  massala,  on  fait  de  moi  un  moulouctani, 
on  me  mange.  Est-ce  que  tu  te  figures  que  c'est 
moi  qui  vais  empêcher  le  caïman  de  te  manger  ? 

La  mère  poule  s'en  va  ;  Zova  est  déconcerté,  le 
caïman  rit. 

Voici  une  vache  qui  vient  boire  à  la  rivière. 
Zova  l'appelle  et  lui  raconte  l'aftaire.  La  vache 
répond  : 

—  Laissez-moi  boire,  donc,  bonhomme  !  Est- 
ce  moi  qui  me  chagrinerai  si  le  caïman  vous 
mange  !  Je  donne  du  lait  aux  hommes,  ils  le 
boivent,  ils  en  font  du  beurre  et  du  fromage;  j'ai 
des  enfants,  ils  les  tuent  et  les  mangent  ;  quand 
je  suis  vieille,  ils  me  tuent,  m'arrachent  la  peau 
et  la  mettent  à  sécher;  ils  m'arrachent  les  cornes 


ZISTOIRE   ZOVA   AV   CAÏMAN  28) 

Cornent  zaute  dé  après  cipote  cipoté  là,  avlà 
manman  poule  passé.  Zova  dire  av  caïman  : 

—  Ah  ben  !  anons  dimande  same  ça  manman 
poule  là  sipas  toi  qui  gagne  raison  ou  bien  moi. 

—  Ah  ben  si  fait  !  dimande  li,  nous  va  guété. 

Manman  poule  coûte  zaute  ;  Iheire  là  li  tourne 
cote  bonhomme  Zova,  li  dire  li  : 

—  Mo  faire  dizéfs,  doumone  manzé;  mo  couve 
pitits,  doumoune  manzé;  Iheire  mo  vie  vie 
même  et  qui  coq  naplis  vine  av  moi,  doumoune 
touye  moi,  mette  moi  en  pendant  enbas  lipied 
papaye  pour  mo  laviande  vine  tende,  zaute  couit 
moi  sambe  massala,  zaute  faire  moulouctani, 
zaute  manzé.  Sipas  to  croire  moi  qui  pour  em- 
pèce  caïman  cique  toi? 

Manman  poule  allé  ;  Zova  reste  sec,  caïman 
rié. 

Avlà  vace  vine  boire  dileau  larivière;  Zova 
appelle  li,  li  raconte  li  zaftaire.  Vace  réponde  : 

—  Laisse  moi  boire  dileau  donc,  bonhomme  ! 
Moi  qui  va  en  peine  quand  caïman  manze  vous? 
Mo  donne  zaute  dilait,  zaute  boire,  zaute  faire 
dibeirre,  zaute  faire  fromaze;  mo  gagne  pitit, 
zaute  touyé,  zaute  manzé;  Iheire  mo  vie  zaute 
touye  moi,  tire  mo   lapeau,  mette  sec;  tire  m.o 


286  HISTOIRE   DE    ZOVA    ET   DU    CAÏMAN 


et  en  font  des  cuillers.  Laissez-moi  donc  boire 
mon  eau,  bonhomme! 

Au  moment  où  le  caïman  allait  sauter  sur  le 
bonhomme  Zova,  le  chien  passe.  Le  bonhomme 
l'appelle. 

Lorsque  le  chien  eut  entendu  toute  l'histoire, 
il  dit  au  bonhomme  et  au  caïman  : 

—  Eh  vous  !  vous  voulez  vous  moquer  de  moi  ! 
Est-ce  à  moi  qu'on  fera  accroire  que  ce  grand 
caïman  que  voici  a  pu  entrer  dans  ce  petit  sac 
que  voilà?  Attendez  que  les  chiens  soient  devenus 
des  ânes  avant  de  me  conter  de  pareilles  bourdes! 
Il  me  faudrait  le  voir  de  mes  deux  yeux  pour  le 
croire  !  Mettez  le  sac  à  terre,  bonhomme  !  c'est 
toi,  caïman,  qui  pourras  entrer  dans  ce  sac-là, 
toi,  un  grand  lézard  qui  a  les  reins  raides  comme 
un  bambou? 

Zova  met  le  sac  par  terre,  le  caïman  se  roule 
en  rond  et  entre  dans  le  sac.  Le  chien  dit  au 
bonhomme  : 

—  Fermez  vite  le  sac  et  attachez  bien. 

Zova  attache  le  sac.  Le  caïman  est  furieux,  il 
crie,  il  se  débat.  Zova  et  le  chien  le  laissent  dans 
le  sac  et  s'en  vont  en  riant. 

A  force  de  se  débattre  dans  le  sac,  le  caïman 
finit  par  le  crever  et  sort.  Mais  bonhomme  Zova 
et  le  chien  étaient  loin.  Le  caïman  songe  de 
quelle  manière  il  pourra  se  venger  d'eux. 


ZISTOIRE   ZOVA   AV   CAÏMAN  287 

cornes,  faire  couillers.  Laisse  moi  boire  mo  dileau 
donc,  bonhomme  ! 

Coment  caïman  pour  saute  lave  bonhomme 
Zova,  Licien  passé.  Bonhomme  appelle  li. 

Lheire  Licien  fine  tende  tout  zistoire,  li  dire 
bonhomme  av  caïman  : 

—  Eh  zaute  !  zaute  voulé  baingne  av  moi  ! 
Moi  qui  va  croire  qui  ça  grand  grand  caïman  là 
ti  capave  rente  dans  ça  pitit  sac  là  !  Aspère  Licien 
fine  tourne  bourrique  avant  saye  faire  zaute  fan- 
gouni  av  moi  !  Mo  bisoin  trouve  ça  dans  mo 
liziés  pour  mo  capabe  croire  li.  Mette  sac  enbas, 
bonhomme  !  to  fouti  rente  dans  ça  sac  là,  toi, 
caïman  !  éne  grand  zanimaux  léreins  raide  coment 
bambou  ? 

Zova  mette  sac  enbas,  caïman  roule  so  lécorps 
en  rond,  li  rente  dans  sac.  Licien  dire  av  bon- 
homme : 

—  Frème  sac  éne  coup,  amarre  li  bien. 

Zova  amarre  sac.  Caïman  firié,  guélé,  débatte  : 
Zova  av  Licien  quitte  li  dans  sac  ;  zaute  allé,  zaute 
rié. 

A  force  à  force  laguerre  av  ça  sac  là,  caïman 
fine  crève  li,  li  sourti  éne  coup  ;  mais  bonhomme 
av  Licien  ti  loin.  Caïman  maziné  coment  li  va 
capabe  passe  so  colère  lav  zaute. 


288         HISTOIRE  DE   ZOVA   ET  DU   CAÏMAN 

Il  s'ensevelit  tout  entier  dans  la  boue  au  bord 
de  la  rivière,  et  il  attend. 

Il  y  a  déjà  longtemps  qu'il  est  là  quand  la 
mère  poule  vient  boire  :  le  caïman  ne  bouge  pas. 
La  vache  vient  boire,  le  caïman  ne  bouge  pas. 
Tous  les  animaux  viennent  boire,  le  caïman  ne 
bouge  pas. 

Voilà  le  chien  qui  vient  :  le  caïman  s'clance 
hors  de  la  vase  et  le  saisit  par  une  patte.  Mais  le 
chien  n'était  pas  bête.  Voyant  les  yeux  du  caïman 
comme  bouchés  par  la  boue,  il  feint  de  rire  et 
dit: 

—  Eh  toi,  caïman,  tu  te  figures  que  c'est  ma 
patte  que  tu  as  prise  !  comme  tu  es  bête,  caïman, 
mais  c'est  un  morceau  de  bois  sec  ! 

Le  caïman  étonné  ouvre  la  bouche  pour  regar- 
der; le  chien  se  sauve  et  détale,  vous  dis-je  :  le 
caïman  a  le  nez  cassé. 

C'est  de  cette  façon  que  le  chien  trouva  le 
moyen  de  se  moquer  encore  du  caïman. 


Les  deux  personnages  de  notre  titre,  bonhomme  Zova  et  le 
caïman,  nous  donnent  tout  lieu  de  croire  que  le  contL»  nous 
vient  de  Madagascar.  Mais  l'histoire  par  ailleurs  n'a  rien  d'exo- 
tique, et  fait  bien   plutôt  songer  à   notre   La  Fontaine  qu'à  un 


ZISTOIRE   ZOVA   AV    CAÏMAN  289 

Caïman  enterre  so  lécorps  enbas  laboue  dans 
bord  larivière,  li  aspéré. 

Longtemps  longtemps  li  là,  avlà  maman  poule 
vine  boire  dileau  :  caïman  napas  bouzé.  Vace  vine 
boire  dileau,  caïman  napas  bouzé.  Tout  zani- 
maux  vine  boire  dileau  :  caïman  napas  bouzé. 

Avlà  Licien  vini  :  caïman  lève  éne  coup  dans 
milié  laboue,  li  tchiombo  Licien  par  éne  lapatte. 
Mais  Licien  là  malice.  Coment  li  trouve  liziés 
caïman  coment  dire  boucé  av  laboue  là,  li  nèque 
rié,  li  dire  li  : 

—  Eh  toi,  caïman,  to  croire  mo  lapatte  qui  to 
fine  tchiombo  !  coment  to  bête,  caïman  ;  mais 
éne  ptit  cicot  dibois,  ça! 

Caïman  toné.  Li  blizé  ouvert  labouce  pour 
guété  ;  Licien  lofé  même,  balié,  mo  dire  vous  : 
caïman  reste  sec. 

Ça  magnière  là  Licien  fine  trouve  moyen 
baingne  encore  av  caïman. 


fabuliste  malgache.  On  croirai:  volontiers  à  un  travestissement 
de  «  L'Homme  et  le  Serpent  >:.  Le  chi;n  néariUioins  est  de 
notre  invention,  et  le  dénouement  est  nôtre. 


19 


®®^^®®®®®^®® 


XXIV 

HISTOIRE  DE  PAULIN  ET  DE  PAULINE 


mL  y  avait  une  fois  un  garçon  et  une  fille 
qui  n'avaient  plus  ni  père  ni  mère  ;  le 
garçon  s'appelait  Paulin  et  la  fille  Pauline. 
Paulin  était  fi-ère  de  Pauline;  Pauline  était  sœur 
de  Paulin. 

Depuis  leur  première  enfance  ils  vivaient  en- 
semble dans  la  plus  étroite  union.  Paulin  parta- 
geait tout  avec  Pauline,  Pauline  donnait  à  Paulin 
la  moitié  de  tout  ce  qu'elle  avait.  Ils  vivaient 
seuls  et  grandirent  loin  du  monde  dans  la  petite 
maison  que  leur  père  leur  avait  laissée  en  mou- 
rant. 

Un  jour,  Paulin  alors  avait  vingt  ans  ou  à  peu 
près,  Pauline  lui  dit  : 

—  Mon  frère,  te  voilà  mainienant  en  âge  do 
t'établir,  il  faut  te  marier. 

—  Pourquoi  me  marier,  ma  sœur  ?  Pourquoi 
m'en  aller  chercher  une   femme    que    nous  ne 


XXIV 
ZISTOIRE  PAULIN  AV  PAULINE 


Y^^^Fi^l  éna  éne  fois  éne  ptit  a^arcon  av  éne  ptit 
^ll.;*;^  fille  qui  naplis  té  gagne  papa,  naplis   té 


gagne  maman  ;  ptit  garçon  ti  appelle 
Paulin,  ptit  fille  ti  appelle  Pauline.  Paulin  ti  son 
frère  Pauline,  Pauline  ti  son  seir  Paulin. 

Dipis  tout  pitit  zaute  touzours  ensembe, 
tQUzours  bon  camerades  :  tout  ça  qui  Paulin 
gagné  li  partaze  av  Pauline,  tout  ça  qui  Pauline 
gagné  li  donne  la  moquié  pour  Paulin.  Zisqu'à 
zaute  fine  vine  grand,  zaute  reste  touldé  tout  seil 
dans  lacase  qui  zaute  papa  té  quitte  zaute. 

Ene  zour,  coment  Paulin  té  gagne  approçant 
vingt  bananées  comme  ça,  Pauline  dire  li  : 

—  Mo  frère,  avlà  to  dans  laze  astheire,  faut  to 
marié. 

—  Qui  fère  marié,  mo  seir?  Qui  mo  bisoin 
aile    rôde    éne   femme   qui    nous    na  pas  coné? 


292         HISTOIRE  DE  PAULIN  ET  DE  PAULLNE 

connaissons  pas,  une  femme  qui  peut  être  vien- 
drait troubler  la  paix  de  notre  petit  chez  nous  ? 
Non,  non,  laisse  notre  pot  au  feu  mijoter  douce- 
ment sur  notre  foyer  paisible  ! 

—  Ne  parle  pas  ainsi,  mon  frère  ;  n'écoute  pas 
les  mauvaises  langues  qui  prétendent  qu'une 
femme  bonne  est  difficile  à  trouver.  Vois-moi  et 
juge  d'après  moi.  Marie-toi,  te  dis-je.  J'aimerai 
ta  femme  comme  je  t'aime,  et  quand  tu  auras  à 
sortir  tu  ne  me  laisseras  plus  maintenant  toute 
seule  à  la  maison  ;  nous  serons  deux  à  t'attendre. 
Il  n'est  pas  bon  qu'une  jeune  fille  comme  moi 
n'ait  pas  une  femme  qui  demeure  avec  elle. 
Marie-toi,  mon  frère. 

Que  pouvait  faire  Paulin  ?  Il  prend  une  femme, 
il  se  marie.  Aïa  1 

Cette  femme-là  se  nommait  Lida,  et  Lida  était 
une  peste.  Elle  était  jalouse  de  Pauline  :  «  Pour- 
quoi l'aime-t-il  ?  Est-ce  elle  qui  est  sa  femme  ou 
bien  moi,  elle  qui  sera  la  mère  de  son  enfant  ou 
bien  moi  ?  Sa  sœur,  sa  sœur  !  la  belle  affaire  ! 
Moi  aussi  j'ai  une  sœur,  eh  bien  !  après  ? 

Un  soir,  en  rentrant  à  la  maison,  Paulin,  au 
lieu  d'embrasser  d'abord  Lida,  commença  par 
embrasser  Pauline.  Comment  peindre  la  colère 
de  Lida  !  mais  elle  ne  voulut  rien  dire  de  peur 
d'éclater.   On  soupa,    puis   on   alla  se  coucher. 


ZISTOIRE   PAULIN    AV   PAULINE  293 

Quiquefois  Vi  pour  vine  mette  brouillaze  dans 
nous  lacase;  laisse  nous  marmite  couit  tran- 
quille làhaut  nous  ptit  difé  ! 

—  Napas  cause  comme  ça,  mon  frère!  napas 
coûte  ça  mauvais  bagout  zense  qui  dire  éne  bon 
femme  difficile  pour  trouvé  !  Guette  moi.  Marié, 
mo  dire  toi  ;  mo  va  content  to  femme  coment 
mo  content  toi,  et  Iheire  to  va  gagne  bisoin  pour 
sourti,  to  naplis  va  quitte  moi  tout  seil  dans 
lacase  coment  astliére,  nous  va  dé  doumounde 
pour  aspère  toi.  Napas  bon  éne  zène  fille  coment 
moi  napas  énan  éne  femme  pour  reste  av  li. 
Marié,  mo  frère. 

Qui  Paulin  capave  fère?  Li  prend  éne  femme, 
li  marié.  Aïa. 

Femme  là  té  appelle  Lida,  et  Lida  là  ti  éne 
lagale.  Li  zaloux  Pauline  :  «  Qui  fére  mo  mari 
content  li  ?  Li  qui  so  famme,  ou  bien  moi  qui  so 
famme?  li  qui  va  manman  so  pitit,  ou  bien  moi 
qui  va  manman  so  pitit?  So  seir,  so  seir!  qui 
ciça  seir  ?  Moi  oussi  mo  gagne  seir  !  mo  fou  pas 
mal  !  » 

Ene  zour  asoir  coment  Paulin  rente  lacase, 
auliére  li  embrasse  Lida  premier,  li  embrasse 
Pauline.  Napas  pelle  en  colère  ça  qui  Lida  en 
colère!  mais  li  napas  voulé  dire  narien,  pengare 
li  daté.   Zaute  trois  manzé,  zaute   aile  dourmi. 


294        HISTOIRE  DE  PAULIN  ET  DE  PAULINE 

Paulin  dormit  ainsi  que  Pauline,  mais  Lida  ne 
put  fermer  l'œil  tant  le  cœur  lui  brûlait  :  elle 
passa  la  nuit  à  se  retourner  sur  son  lit. 

Le  lendemain  de  grand  matin  au  chant  du  coq, 
Lida  courut  chez  sa  marraine.  La  marraine  de  Lida 
était  une  vieille  vieille  bonne  femme  si  méchante 
qu'on  ne  l'appelait  que  «  bonne  femme  Lafte-de- 
boue  »,  parce  que  la  piqûre  de  sa  langue  était 
mortelle  comme  celle  du  dard  d'un  laffe  qui  vit 
dans  la  vase.  Quand  une  vieille  femme  veut  être 
méchante,  il  n'y  a  pas  de  chien  enragé  qui  puisse 
le  lui  disputer. 

Lorsque  Lida  eut  raconté  à  la  bonne  femme 
toute  son  affaire,  Laffe-de-boue  lui  donna  mille 
mauvais  conseils  pour  brouiller  Paulin  avec  Pau- 
line. Lida  retourne  chez  elle  et  se  met  en  besogne 
à  l'instant.  Mais  elle  a  beau  inventer  cent  méchan- 
cetés, Paulin  n'en  aime  pas  moins  Pauline,  leur 
farine  refuse  de  se  changer  en  charbon.  Lida 
écume  de  rage  en  dedans  :  «  J'y  parviendrai  !  j'y 
parviendrai  !  « 

Paulin  avait  un  chien  admirable  que  l'on  nom- 
mait Prend-tout,  parce  que  cerf,  cochon  marron, 
en  un  mot  «toute  pièce  poussée  par  lui  était  une 
pièce  prise.  Eût-on  offert  à  Paulin  deux  cents 
piastres  de  son  chien,  jamais  il  ne  l'aurait  vendu. 
Prend-tout  aimait  Pauline  à  un  tel  point  qu'il 
n'acceptait  à  manger  que   de   sa  main  ;   un  autre 


ZISTOIRE   PAULIN    AV    PAULINE  295 

Paulin  dourmi,  Pauline  dourmi,  mais  Lida  napas 
capabe  dourmi  à  force  so  léqueir  bourlé  :  tout 
lanouite  li  nèque  vire  vire  làhaut  lilit. 

Lendimain  grand  bomatin  coq  çanté  Lida  couri 
lacase  so  marraine.  So  marraine  Lida  là  ti  éne  vie 
bonnefemme  sitant  mauves,  si  tant  mauves  qui 
doumounde  té  appelle  li  nèque  bonnefemme 
Laffe-laboue,  à  cause  so  lalangue  capave  touye 
doumounde  coment  piquant  laffe  dans  laboue. 
Quand  éne  vie  bonnefemme  voulé  mauvais,  napas 
licien  enrazé  qui  capave  bitte  ave  li. 

Lheire  Lida  fine  ranconte  zaffaire  bonnefemme, 
Laffe-laboue  donne  li  éne  bande  mauves  conseils 
pour  brouille  Paulin  av  Pauline.  Lida  tourne 
lacase,  tout  site  même  li  comencé.  Mais  libeau 
mazine  mauvais  malices  même,  touzours  Paulin 
content  Pauline,  zaute  lafarine  napas  voulé  tourne 
çarbon.  Lida  quime  en  didans  :  «  Mo  va  trouve 
so  magnière  !  mo  va  trouve  so  magnière  !  » 

Paulin  ti  gagne  éne  famé  licien  qui  ti  appelle 
Cassetout,  à  cause  qui  cerfe,  qui  cocon  marron, 
qui  zibier  li  trouvé,  li  mette  av  aaute,  li  casse 
zaute.  Quamême  offert  Paulin  décents  piasses, 
zamais  li  ti  va  vende  ça  licien  là.  Casse-tout  té 
sitant  content  Pauline  qui  zamais  li  vlé  prend  so 
manzé  dans  lamain  éne  laute  doumounde;  quand 


296         HISTOIRE  DE  PAULIN  ET  DE  PAULD.'E 


essayait-il,  il  refusait  et  préférait  laisser  l'assieite 
sans  y  toucher. 

Un  jour,  pendant  que  Pauline  arrangeait  la 
pâtée  de  Prend-tout,  quelqu'un  l'appelle  dans 
la  cour;  elle  laisse  là  l'assiette  et  elle  sort.  Lida, 
qui  l'a  vue  sortir,  prend  vivement  dans  sa  poche 
un  cornet  de  poudre  blanchâtre  que  bonne  femme 
Lafïe-de-boue  lui  a  donné  ;  elle  répand  la  poudre 
dans  l'assiette,  la  mêle  avec  le  manger  et  s'en  va. 
Pauline  revient,  prend  l'assiette,  appelle  Prend- 
tout  et  la  lui  donne.  Prend-tout  mange.  A  peine 
a-t-il  achevé  que  le  pauvre  chien  commence  à  se 
plaindre,  à  gémir.  Lida  fait  semblant  d'être  en 
colère  :  «  Dieu  1  que  les  animaux  sont  ennuyeux 
dans  les  maisons  !  »  et  elle  le  chasse.  Prend-tout 
est  comme  un  homme  ivre,  il  traverse  la  cour  en 
trébuchant,  il  arrive  au  bord  du  canal  et  se  met 
à  boire,  à  boire  sans  s'arrêter  ;  son  ventre  enfle, 
l'eau  l'étoulTe,  il  meurt. 

A  ce  moment,  Paulin  rentre.  Que  voit-il  ?  Le 
cadavre  de  son  chien,  tout  raide,  la  gueule  noire, 
le  ventre  gonflé  comme  un  tambour.  Il  appelle, 
Pauhne  sort  delà  maison  et  voit  le  pauvre  Prend- 
tout,  étendu-mort  au  bord  de  l'eau.  Pauline  sent 
ses  jambes  fléchir,  elle  est  forcée  de  s'asseoir 
pour  ne  pas  tomber.  Paulin  vient  à  elle  et  lui 
dit  :  a  Ah  1  ma  sœur,  ce  chien-là  ne  mangeait 
que  de  ta  main,  c'est  ta  firute  s'il  est  mort  !  »  Q.ue 


ZISTOIRE  PAULIN   AV  PAULINE  297 

sayé,  li  vaut  mié  quitte  lassiette  là,  napas   touce 
n  arien. 

Ene  zour,  cornent  Pauline  après  arranze  so 
lassiette  manzé  Casse-tout,  doumounde  appelle  li 
dans  lacour,  li  quitte  lassiette  Ihaut  latabe  lasalle 
manzé,  li  allé.  Lida  trouve  ça,  li  tire  vitement 
dans  son  poce  éne  cornet  lapoude  blancblanc  qui 
bonnefemme  Laffe-laboue  ti  donne  li  ;  li  fane 
lapoude  là  dans  lassiette,  li  brouille  av  manzé,  li 
allé.  Pauline  tourné,  li  prend  lassiette,  ii  appelle 
Casse-tout,  li  donne  li.  Casse-tout  manzé.  Lheire 
li  fine  balié  so  lassiette  pauve  malhéré  licien  là 
comence  plaigne,  plaigne.  Lida  semblant  en  co- 
lère :  «  Coment  zanimaux  embêtant  dans  lacase 
doumounde,  donc  !  »  Li  pousse  li  dohors.  Casse- 
tout  coment  doumounde  sou  ;  li  riperipé  dans 
lacour;  li  arrive  dans  bord  canal,  li  boire,  li  boire, 
li  boire;  so  vente  gonflé,  dileau  touffe  li,  li  mort 
même  1 

Paulin  rente  éne  coup.  Qui  li  voir?  Lécorps  son 
licien  réde,  laguéle  noir  noir,  vente  coment  tam- 
bour. Li  appelle  doumounde,  Pauline  sourti  dans 
lacour.  Li  trouve  pauve  Casse-tout  mort  dans 
bord  dileau,  Pauline  diboute  à  côte  li,  li  vine 
faibe,  li  blizé  assise  pour  napas  tombe  par  terre. 
Paulin  vine  av  li,  li  dire  li  :  «  Ah!  mo  seir,  licien 
là  ti  manzé  nèque  dans  to  lamain,  toi  qui  lafaute 


298         HISTOIRE  DF  PAULIN  ET  DE  PAULINE 

pouvait  répondre  Pauline  ?  Mais  elle  se  sent  un 
poids  sur  le  cœur. 

Lida  avait  un  chat.  Pendant  le  dîner,  Pauline 
jette  au  chat  un  morceau  de  viande.  Lida  s'élance, 
ramasse  le  morceau  et  le  jette  dehors  en  disant  à 
Pauline  :  «  Eh  vous  !  vous  savez  que  votre  main 
porte  mallieur  aux  animaux  !  inutile  de  donner  à 
manger  à  mon  chat,  je  n'ai  pas  envie  qu'il 
meure.  Quand  je  voudrai  le  tuer,  je  vous  prierai 
de  préparer  son  déjeûner.  »  Pauhne  ne  répondit 
pas  un  mot. 

Cependant,  Pauline  commençait  à  être  bien 
malheureuse  tant  Lida  la  haïssait.  Mais  où  aller  ? 
Son  frère  était  son  seul  parent.  Force  lui  fut  donc 
de  rester,  quoique  depuis  la  mort  de  Prend-tout, 
Paulin  ne  fût  plus  pour  elle  aussi  bon  qu'aupa- 
vant. 

Neuf  mois  bien  juste  après  son  mariage,  Lida 
accoucha  d'un  enfant.  C'était  un  beau  petit  garçon. 
Paulin  fut  heureux,  Pauline  aussi,  et  Lida  même 
fit  semblant  d'être  joyeuse  ;  mais  au  fond  ça 
l'ennuyait  fort,  cet  enfant  qui  jour  et  nuit  ne 
faisait  que  crier  pour  lui  demander  à  téter  :  im- 
possible de  dormir  !  Lorsque  l'enfant  commença 
à  faire  ses  dents,  l'enfant  n'eut  plus  qu'un  cri.  Et 
sa  mère  de  le  bousculer.  PauHne  le  prenait,  l'amu- 
sait, le  caressait,  le  faisait  taire. 

Les  enfants,  si  petits  qu'ils  soient,  savent  bien 


ZISTOIRE   PAULIN   AV  PAULINE  299 


quand  li   fine  mort!  »  Qui  Pauline  capave  ré- 
ponde! mais  so  lékeir  en  bas  roce. 

Lida  ti  énan  éne  çatte.  Lheire  diner  Pauline 
zette  ça  catte-là  éne  morceau  lavianne.  Lida  saute 
Ihaut  morceau  lavianne  là,  li  zette  li  dans  lacour, 
li  dire  Pauline  :  «  Eh  vous  !  vous  conné  vous 
lamain  mofine  av  zanimaux  ;  napas  bisoin  donne 
manzé  mo  çatte,  mo  napas  envie  li  mort  :  lheire 
mo  va  vlé  touye  li,  mo  va  prie  vous  arranze  so 
dizné.  »  Pauline  blizé  dire  narien. 

Pauline  commence  bien  malhéré  dans  ça  lacase 
là  à  force  Lida  haï  li.  Mais  à  côte  li  capave  allé? 
So  frère  même  so  famille.  Li  resté,  quamême 
PauHn  dipis  zaffaire  Casse-tout  là  naplis  bon  pour 
li  coment  lautefois. 

Neif  mois  zisse  dipis  li  fine  marié  Lida  accouce 
éne  pitit.  Ça  ti  éne  bel  pîit  garçon.  Paulin  con- 
tent, Pauline  content,  Lida  oussi  faire  semblant 
content,  mais  ii  ennouyé  à  cause  zenfant  là  lizour 
lanouite  nèque  guélé  pour  dimande  tété  :  napas 
moyen  dourmi  av  li.  Lhére  pitit  là  comence 
pousse  lédents,  coment  li  touzours  ploré  ploré  là, 
so  maman  bousquile  bousquile  li  ;  Pauline  prend 
li,  faire  canana  av  li,  caresse  li,  faire  H  paix. 

Zenfants  quamême  ;  pitit  pitit  cône  qui    dou- 


300        HISTOIRE  DE  PAULIN  ET  DE  PAULINE 


reconnaître  qui  les  aime  et  qui  ne  les  aime  pas. 
Celui-ci,  bien  qu'il  n'eût  pas  six  mois,  quittait 
les  bras  de  Lida  pour  les  bras  de  Pauline.  Dès 
qu'il  avait  fini  de  téter,  il  criait  pour  que  Pauline 
le  prît.  Pauline  le  prenait,  il  se  taisait,  il  se 
calmait.  ■■'^ 

Lida  était  furieuse  :  «  Comment  !  lui  aussi,  il 
aimerait  cette  Pauline  plus  que  moi,  sa  mère  ! 
Non  !  non  !  jamais  !  j'aime  mieux  n'avoir  pas 
d'enfant  !  « 

L'enfant  tomba  malade.  Le  médecin  ordonna 
de  le  sevrer,  le  lait  de  la  mère  ne  valait  rien  ; 
peut-être  était-elle  enceinte.  Paulin  retira  l'enfant 
à  Lida  pour  le  donner  à  Pauline.  Sa  mère  à  pré- 
sent, c'est  Pauline  ;  c'est  elle  qui  le  soigne,  qui 
le  baigne,  qui  lui  donne  à  manger  sa  soupe. 
Pauline  fait  coucher  le  pauvre  petit  avec  elle  dans 
un  grand  lit  :  «  Comme  ça,  quand  il  aura  besoin 
de  quelque  chose  la  nuit,  je  suis  sûre  de  l'en- 
tendre se  plaindre.  » 

Telle  était  la  haine  de  Lida  pour  Pauline, 
qu'elle  ne  pouvait  plus  voir  son  enfant  ;  lorsque 
le  petit  rencontrait  les  yeux  de  sa  mère,  il  criait 
comme  si  on  l'eût  écorché,  tant  ces  yeux-là 
étaient  méchants. 

Le  croirez-vous  ?  Une  nuit,  tout  le  monde 
dormait  dans  la  maison,  Lida  vient  doucement 
au  lit  de  Pauline  ;  elle  saisit  le  malheureux  petit 


ZISTOIRE  PAULIN   AV  PAULINE  3OI 

mounde  content  zaute,  qui  doumonnde  napas 
content.  Cenne  là,  li  beau  napas  encore  énan 
sisse  mois,  li  quitte  lébras  Lida  pour  aile  lébras 
Pauline.  Sitôt  li  fine  tété,  li  crié  pour  Pauline 
prend  li;  Pauline  prend  li,  li  arrête  crié,  li  tran- 
quille. 

Lida  fi.rié  :  «  Cornent  !  li  oussi  va  plis  content 
ça  Pauline  là  qui  moi  qui  so  manman  !  Napas 
moyen  ça  !  mo  plis  vaut  mié  napas  énan  pitit  !  » 

Zenfant  là  tombe  malade.  Docteir  dire  bisoin 
sevré  li,  dilait  so  maman  napas  bon  (quiquefois 
li  enceinte).  Paulin  tire  pitit  là  lamains  Lida, 
donne  li  av  Pauline.  Pauline  même  qui  so  man- 
man asthére,  soingne  li,  baingne  li,  donne  li 
manze  so  lasoupe.  Pauline  mette  pauve  ptit  gar- 
çon là  dourmi  dans  grand  lilit  av  li  :  «  Comme 
ça  là  quand  li  bisoin  quiqueçose  lanouite,  mo  va 
sîr  tende  li  plaingné.  » 

Lida  à  force  li  haï  Pauline,  naplis  capave  guette 
pitit  là  :  Iheire  baba  là  trouve  liziés  so  manman 
làhaut  li,  li  crié  coment  dire  corce  li  à  force  liziés 
là  mauvais. 

Qui  vous  croire?  Ene  lanouite,  coment  tout 
doumounde  dans  lacase  dourmi,  Lida  vine  dou- 
cement   doucement    dans    bord  lilit  Pauline,    li 


302         HISTOIRE  DE  PAULIN  ET  DE  PAULINE 


enfant  par  le  cou,  elle  l'étrangle.  Elle  retourne 
dans  sa  chambre  sans  faire  de  bruit,  elle  se  remet 
au  lit,  elle  écoute.  Elle  écoute.  Rien.  Per- 
sonne ne  bouge,  tout  le  monde  dort  profondé- 
ment. 

Le  lendemain  de  grand  matin  au  chant  du  coq, 
Pauline  sort  du  ht.  Elle  va,  elle  vient,  elle  fait 
le  café,  l'enfant  ne  bouge  pas.  «  Eh  !  vous,  bébé, 
dit  en  riant  Pauline,  savez-vous  que  vous  savez 
dormir,  oui  !  )>  Le  soleil  se  lève,  l'enfant  n'a  pas 
bougé.  «  Eh  !  vous,  bébé,  vous  avez  manqué  la 
cloche  aujourd'hui  !  »  Pauline  approche  du  lit, 
elle  retourne  l'enfant,  elle  le  regarde,  elle  pousse 
un  cri  :  «  Ah  !  mon  Dieu  !  «  et  elle  tombe  éva- 
nouie. 

Paulin  a  entendu  son  cri  et  le  bruit  de  sa 
chute,  il  se  précipite  dans  la  chambre  de  sa  sœur. 
Il  voit  son  pauvre  petit  garçon  l'œil  tout  blanc, 
chaviré,  le  corps  noir.  Il  le  tâte  :  «  Ah  !  mon 
Dieu,  Lida  !  Lida  !  notre  enfant  est  mort  !  »  Lida 
entre  comme  un  tourbillon,  elle  prend  l'enfant 
dans  ses  bras  en  poussant  de  grands  cris.  Puis, 
donnant  un  coup  de  pied  à  Pauline  qui  est  tou- 
jours étendue  par  terre,  elle  dit  à  Paulin  :  «  Ainsi 
donc  tu  laisseras  cette  misérable  nous  assassiner 
tous  ici  !  »  Paulin  perd  la  raison,  il  enlève  Pau- 
line, la  charge  sur  son  dos,  l'emporte  dans  la 
forêt  et  lui  coupe  les  deux  mains  avec  une  hache. 


ZISTOIRE   PAULIN   AV  PAULINE  303 

souque  pauve  malhéré  zenfant  là  dans  son  licou, 
li  tranglé  li.  Li  tourne  doucement  doucement 
dans  so  laçambe,  li  rente  dans  lilit,  li  coûté,  li 
coûté  :  narien  !  personne  napas  bouzé,  tout  dou- 
mounde  dourmi  même. 

Lendimain,  grand  bo  matin  coq  çanté,  Pauline 
levé.  Li  tourné,  viré,  li  faire  café,  baba  napas 
bouzé.  Pauline  rié  :  «  Eh  vous,  baba,  vous  conne 
dourmi,  oui  !  »  Soléye  levé,  baba  napas  bouzé. 
«  Eh  vous,  baba,  vous  fine  manque  lacloce 
azourdi  !  »  Pauline  arrive  à  cote  lilit,  li  tourne 
baba  là,  li  guette  li,  li  nèque  crie.  Ah  mon 
Diél  li  tombe  en  grand  par  terre  sans  connais- 
sance. 

Paulin  tende  ça  crié  là  av  ça  tapaze  là,  li  fonce 
éne  coup  laçambe  so  seir.  Li  trouve  son  pauve 
pitit  garçon  liziés  blanc  blanc,  çavire,  lécorps 
noir  ;  li  tâte  li  :  «  Ah  !  mon  Dié,  Lida  !  Lida  ! 
nous  pitit  fine  mort  !  »  Lida  rentré  coment  coup 
de  veiiî,  li  prend  pitit  dans  so  lébras,  li  crié,  crié; 
li  envoyé  éne  coup  de  pied  av  Pauline  qui  tou- 
zours  par  terre  là,  li  dire  av  Paulin  :  «  Comme 
ça  to  va  laisse  ça  maihérése  là  touye  tout  dou- 
mounde  dans  nous  lacase  !  «  Paulin  vine  fou  ;  li 
lève  Pauline,  li  çarze  li  Ihaut  so  lédos,  li  amène 
li  dans  bois,  li  saute  so  dé  pognés  av  éne  lahace. 


304         HISTOIRE  DE  PAULIN  ET  DE  PAULIXE 


La  pauvre  Pauline,   baignée  dans   son  sang,  se 
contente  de  lui  dire  : 

«  Ah  !  mon  frère  !  tu  m'as  coupé  les  deux 
poignets,  à  moi,  ta  sœur  !  mais  bientôt  tu  seras 
piquée  par  une  épine  bien  douloureuse  !  Alors, 
alors  tu  penseras  à  moi  !  « 

Paulin  la  laisse  là  toute  seule  et  s'en  va. 

Pauline  sans  doute  serait  morte  sur  la  place, 
quand  elle  entend  remuer  le  taillis  ;  elle  regarde 
et  voit  venir  à  elle  un  joli  petit  chien  à  longues 
soies.  Le  chien  la  tire  par  sa  robe  et  semble  lui 
dire  :  «  Viens.  »  Pauline  le  suit.  Le  chien  marche 
devant  elle.  Il  la  fait  passer  par  vingt  petits  sen- 
tiers sous  les  arbres  et  ils  arrivent  dans  une 
plaine  au  milieu  de  laquelle  il  y  avait  une  maison 
magnifique.  Le  chien  jappe,  et  une  foule  de 
domestiques  sortent  delà  maison.  Le  chien  jappe 
de  nouveau  comme  pour  les  appeler  et  ils  arri- 
vent. La  pauvre  Pauline  ne  pouvait  plus  marcher 
tant  elle  était  affaiblie  prr  la  perte  de  son  sang. 
Elle  tombe  sur  l'herbe  et  va  mourir,  quand  le 
chien  la  fait  enlever  par  deux  domestiques  qui 
l'emportent  sur  leurs  bras  dans  la  maison. 

C'était  le  palais  d'un  roi.  Le  roi  était  absent,  il 
était  allé  faire  la  guerre  dans  un  autre  pays  : 
mais  chaque  fois  qu'il  partait  pour  un  longue 
absence,  soit  pour  une  grande  chasse,  soit  pour 
la  guerre,  il  laissait  son  petit  chien  au  palais.  Et 


ZISTOIRE  PAULIN   AV  PAULINE  305 

Pauve  Pauline  baingné  av  so  disang  nèque  dire 
li: 

«  Ah!  mon  frère!  To  fine  coupe  mo  dé  po- 
gnés,  moi,  to  seir  !  mais  bientôt  to  va  pique  av 
éne  piquant  bien  réde  ;  Iheire  là  îo  va  mazinc 
moi  !  » 

Paulin  quitte  li  tout  seil,  li  allé. 

Quiquefois  Pauline  té  pour  mort  là  même 
quand  K  tende  brousses-  bouze  bouzé  ;  li  guété  ;  li 
voir  éne  zoli  ptit  licien  longue  civé  vine  av  li. 
Licien  là  hisse  hisse  so  robe  ;  cornent  dire  li  dire 
li  vini.  Pauline  sivré  li.  Licien  mavce  divant.  Li 
faire  li  passe  éne  bande  pitit  cimins  en  bas  zarbes  ; 
zaute  arrive  dans  éne  laplaine  à  côte  ti  énan  éne 
belbel  lacase.  Licien  zapé  ;  éne  bande  domes- 
tiques sourti  dans  lacase.  Licien  zape  encore,  co- 
rnent dire  li  appelle  zaute,  zaute  vini.  Malhérése 
Pauline  naplis  capave  marcé  à  force  li  faibe  av 
tout  ça  disang  li  fine  perdi  là.  Coment  li  tombe 
dans  Iherbe  pour  mort  même,  licien  faire  dé  do- 
mestiques lève  li  dans  zaute  lébras,  amène  li  dans 
lacase. 

Ça  té  lacase  éne  léroi.  Léroi  là  napas  ti  là,  li  ti 
aile  laguerre  éne  laute  paye  ;  mais  touzours  Iheire 
li  sourti  pour  aile  loin  même,  sipas  grand  la- 
çasse, sipas  la  guerre,  li  quitte  so  ptit  licien 
lacase  ;  et  ptit  licien  qui  maîte  dans  laplace  léroi, 

20 


306         HISTOIRE  DE  PAULIN  ET  DE  PAULINE 

c'était  le  petit  chien  qui  était  maître  à  la  place  du 
roi,  lui  qui  commandait  aux  domestiques,  lui  seul 
qui  savait  ce  que  le  roi  voulait  que  l'on  fît  jusqu'à 
son  retour. 

Le  chien  fit  soigner  Pauline.  On  la  mit  dans 
une  belle  chambre  ;  on  lui  donna  un  bon  lit  avec 
des  matelas,  des  oreillers  et  tout  ce  qu'il  fallait. 
On  tordit  le  cou  à  une  mère  poule  pour  lui  faire 
de  bon  bouillon  ;  on  lui  donna  de  bon  vin  rouge, 
on  veilla  à  ce  qu'aucun  bruit  ne  l'empêchât  de 
bien  reposer,  de  bien  dormir  ;  bref,  on  fit  tout  ce 
qu'il  fiillait  pour  sa  prompte  guérison. 

Avant  quinze  jours,  Pauline  était  guérie.  Mais, 
pauvre  jeune  fille,  où  étaient  ses  mains? 

Voilà  le  roi  de  retour,  la  guerre  avait  assez 
duré.  Quand  le  petit  chien  l'eut  bien  caressé,  il 
le  conduisit  à  la  chambre  de  Pauline. 

Pauline  était  tout  à  fait  jolie,  savez-vous.  Le  roi 
la  regarde,  la  regarde  :  ça  y  est  !  le  voilà  pris.  Il 
dit  à  son  chien  :  «  Oui,  lieutenant,  oui,  tu  as  bien 
fait  !  »  Lieutenant  —  c'était  le  nom  du  chien  — 
jappe  et  remue  la  queue  pour  montrer  sa  joie. 

Le  roi  venait  tous  les  jours  causer  longtemps 
avec  Pauline,  il  eût  été  bien  heureux  de  lui 
demander  sa  main  ;  mais  quelle  main  pouvait-il 
lui  demander  ?  On  lui  avait  coupé  les  deux  poi- 
gnets, elle  n'avait  plus  de  mains  ;  force  fut  au  roi 
de  s'en  passer. 


ZISTOIRE   PAULIN   AV   PAULINE  3O7 


li  même  qui  comande  domestiques,  H  même  qui 
coné  qui  son  maîte  voulé  doumounde  faire  zisqu'à 
li  tourné. 

Licien  faire  zense  là  soingne  Pauline.  Mette  li 
dans  éne  belle  laçambe,  donne  li  éne  bon  lilit, 
sembe  matelas,  zoriés,  tout  ça  qui  bisoin  ;  coupe 
licou  maman  poule,  faire  bon  bouillon  pour  li, 
donne  11  bon  divin  rouze,  empèce  tapaze  pour  li 
capave  bien  posé,  bien  dourmi  ;  faire  tout  ça  qui 
bisoin  faire  pour  li  guéri  vitement. 

Napas  quinze  zours  passés,  Pauline  fine  çava 
bien.  Mais  pauve  zène  fille,  à  côte  se  lamains  ! 

Avlà  léroi  tourné,  li  assez  laguerre.  Ptit  licien 
Iheire  li  fine  bien  caresse  li,  amène  li  laçambe 
Pauline. 

Pauline  là  ti  zoli  zoli  même,  vous  cône.  Léroi 
guette  li,  guette  li,  làdans  !  li  maillé  même.  Li 
dire  so  licien  :  «  Si  fait,  Liétenant,  to  té  bien 
faire  ï  »  Licien  là  ti  appelle  Liétenant.  Li  bouze 
bouze  laquée,  li  zapé  pour  montré  li  content. 

Tou  lézours  léroi  vine  cause  cause  av  Pauline. 
Li  té  va  bien  content  dimande  so  lamain  ;  mais 
qui  lamain  li  capave  dimande  li?  Pognés  fine 
coupé,  lamains  napas;  li  blizé  s'en  passé. 


308         HISTOIRE  DE  PAULIN  ET  DE  PAULINE 

Environ  une  année  s'écoula  et  le  roi  dut  re- 
partir pour  la  guerre.  Avant  son  départ  il  donna 
ses  ordres  à  Lieutenant  :  «  Tu  sais  que  Pauline 
doit  accoucher  avant  longtemps  ;  dès  qu'elle  aura 
eu  son  enfant,  fais  qu'on  m'écrive  pour  me 
donner  de  ses  nouvelles  et  pour  me  dire  si  c'est 
un  petit  garçon  ou  une  petite  fille.  Soigne-les 
bien,  ne  les  laisse  manquer  de  rien.  C'est  toi  qui 
es  le  vrai  maître  quand  je  ne  suis  pas  là.  »  Lieu- 
tenant remua  la  queue  pour  faire  voir  qu'il  avait 
entendu  ;  et  le  roi  s'en  alla. 

Au  bout  de  quinze  jours  environ  Pauline 
accoucha  de  deux  enfants.  C'étaient  deux  garçons. 
Aux  premières  douleurs,  Pauline  avait  fait  venir 
une  sage-femme  pour  l'assister.  Dans  la  chambre, 
une  petite  veilleuse  donnait  une  faible  clarté. 
Les  enfants  naissent  et  voilà  la  chambre  tout 
éclairée  :  chacun  d'eux  avait  sur  le  front  une  belle 
étoile.  Et  la  sage-femme  de  s'écrier  :  «  Pas  besoin 
d'huile  de  coco  avec  ces  enfants-là!  ils  portent 
leur  lumière  sur  eux.  » 

Lieutenant  fit  écrire  au  roi  pour  lui  donner 
toutes  Cf^s  nouvelles. 

Le  domestique  qui  portait  cette  lettre  était 
arrivé  à  moitié  chemin  quand  il  se  sentit  fatigué. 
Il  lui  fallut  entrer  dans  une  maison  pour  boire  et 
laisser  reposer  ses  pieds.  C'était  la  maison  do  la 
bonne    femme    Lafie-de-boue.    La    vieille  le  fit 


ZISTOIRE   PAULIN   AV   PAULINE  309 

Approçant  éne  bananée  comme  ça  fine  passé. 
Léroi  bisoin  tourne  laguerre.  Avant  li  allé  li 
donne  son  zordes  Liétenant  :  «  Fo  coné  bientôt 
même  Pauline  pour  accoucé  ;  sitôt  li  fine  gagne 
pitit  faire  éne  doumounde  écrire  moi,  donne  moi 
so  nouvelles,  dire  moi  sipas  ptit  garçon  sipas  ptit 
fille.  Soingne  zaute  bien,  napas  laisse  manque 
narien  ;  toi  même  qui  maîte  quand  mo  napas 
là.  »  Liétenant  bouze  laquée  pour  montré  li  fine 
tende.  Léroi  allé. 

Auboute  sipas  quinze  zours  Pauline  accouce  dé 
zenfants.  Ça  ti  dé  ptit  garçons.  (Lheire  Pauline 
senti  li  pour  accoucé,  li  appelle  saze  femme  pour 
ide  li.)  Ptit  veillése  dans  laçambe,  qui  donne  éne 
faye  clairté.  Zenfants  vini,  laçambe  tout  éclairé  : 
çaquéne  té  gagne  éne  bel  zétoile  làhaut  front; 
saze  femme  blizé  dire  :  «  Napas  bisoin  dilhouile 
coco  av  zenfants  là  ;  zaute  lalimière  av  zaute  !  » 

Liétenant  faire  écrire  éne  lette  av  léroi  pour 
raconte  li  tout  ça. 

Cornent  domestique  qui  ti  amène  ça  lette  là 
fine  arrive  dans  rallié,  cimin,  li  lassé  même  ;  li 
bisoin  rente  dans  éne  lacase  pour  boire  dileau  et 
laisse  so  lipieds  posé.  Ça  ti  lacase  bonneferame 
Lafle-laboue.  Bonnefemme  faire  li  causé.  Dom.es- 


310         HISTOIRE  DE  PAULIN  ET  DE  PAULINE 

causer,  il  lui  raconta  de  quelle  commission  il 
était  chargé.  Alors  Laffe-de-boue  le  fit  manger, 
le  fit  boire  ;  mais  je  ne  sais  trop  quelle  herbe  elle 
mit  dans  les  brèdes.  Ce  qu'il  y  a  de  sûr,  c'est 
que  l'homme  mangeait  encore  que  le  sommeil 
le  jetait  par  terre  et  il  dormait.  Laffe-de-boue 
prit  la  lettre  dans  la  poche  du  domestique,  elle  la 
lut,  écrivit  à  l'instant  même  une  autre  lettre,  en 
contrefit  la  signature  et  la  mit  en  place. 

Le  domestique,  quand  il  s'éveilla,  se  frotta  les 
yeux.  Il  regarde  le  soleil.  «  Maman,  que  de 
temps  j'ai  perdu  !  «  Il  ramasse  son  bâton,  dit 
merci  à  la  vieille,  et  prend  ses  jambes  à  son  cou. 

Lorsque  le  roi  reçut  la  lettre,  qu'on  juge  de 
son  chagrin  !  La  voici  : 

«  Mon  roi,  Pauline  vient  d'accoucher  d'un 
petit  singe  et  d'un  petit  chien.  La  mère  et  les 
enfants  se  portent  bien.  Nous  attendons  vos 
ordres.  » 

Le  roi  écrivit  sa  réponse  : 

«  Que  ce  soient  des  singes,  que  ce  soient  des 
chiens,  un  père  doit  aimer  ses  enfants  !  Qu'on 
soigne  bien  ceux-ci.  A  mon  retour,  je  déciderai. 
Le  roi.  » 

Et  remettant  le  papier  au  même  domestique,  il 
lui  ordonne  de  retourner  au  palais  et  de  courir. 

Qj.uuid  le  domestique  arriva  devant  la  inaison 
de  Laffe-de-boue,  la  méchante  vieille  le  guettait 


ZISTOIRE  PAULIN   AV  PAULINE  3I 


tique  ranconte  H  tout  son  commission.  Lheire  là 
Laffe-laboue  donne  li  manzé,  donne  li  boire  ; 
mais  sipas  qui  feillaze  li  mette  dans  brèdes;  co- 
rnent domestique  encore  après  manzé  là,  som- 
meye  pèse  li,  li  tombe  par  terre,  li  dourmi.  LafFe- 
laboue  tire  lette  dans  poce  domestique,  li  lire 
letîe,  vitement  li  crire  éne  laute,  li  fausse  signa- 
tire,  li  mette  en  place. 

Lheire  domestique  levé,  li  frotte  so  liziés;  li 
guette  soléye.  «  Manman  !  qui  litemps  mo  fine 
perdi  !  «  Li  touque  son  bâton,  li  dire  merci  bonne- 
femme,  li  taillé. 

Lheire  léroi  lire  lette  là  li  beaucoup  çagrin. 
Avlà  ça  qui  té  marqué  là  dans  : 

«  Mon  roi,  Pauline  fèque  accouce  éne  ptit 
zacot  av  éne  ptit  licien.  Maman  sembe  pitits  çava 
bien.  Nous  aspère  vou  zordes.  » 

Léroi  crire  réponse  : 

«  Quamême  zacot,  quamême  licien,  éne  papa 
doite  content  so  pitits.  Soingne  bien  ça  zenfants 
là.  Lheire  mo  va  tourne  lacase,  mo  va  guété  qui 
mo  pour  faire  av  zaute.  Léroi.  » 

Léroi  donne  ça  papier  là  dans  lamain  so  même 
domestique  là,  li  dire  li  tourne  lacase,  taillé. 

Cornent  domestique  arrive  divant'  lacase  Laffe- 
laboue,    ça   mauvais    bonnefemme    là    ti    après 


3  ï  2         HISTOIRE  DE  PAULIN  ET  DE  PAULINE 

au  bord  du  chemin.  Elle  l'arrête  et  lui  dit  :  «  Eh! 
vous,  mon  noir!  c'est  bien  certainement  la  ré- 
ponse du  roi  que  vous  portez  au  palais.  Mais, 
pour  pressé  que  vous  soyez,  je  veux  que  vous 
vous  arrêtiez  une  minute  :  un  de  mes  parents 
vient  de  m'envoyer  de  vieux  rhum  de  jamro- 
sas,  il  faut  que  jious  goûtions  la  bouteille  en- 
semble. )i 

Que  pouvait  faire  le  pauvre  noir  !  il  fallait 
bien  entrer.  Laffe-de-boue  lui  verse  un  plein 
verre  de  rhum.  Il  n'en  but  qu'une  gorgée  :  le 
verre  lui  échappe  des  mains,  il  roule  par  terre,  et 
s'endort. 

Laffe-de-boue  prend  la  lettre  dans  sa  poche, 
l'ouvre  et  la  lit.  Elle  saisit  une  plume,  de  l'encre, 
du  papier,  et  écrit  une  autre  lettre  : 

«  Ecoutez  bien  mes  ordres.  Qu'on  prenne  cette 
horreur  de  Pauline,  et  qu'on  la  jette  dehors  avec 
ses  deux  bâtards.  Mais  puisqu'elle  n'a  plus  de 
mains  pour  les  tenir,  qu'on  lui  en  attache  un  sur 
le  dos,  l'autre  sur  la  poitrine.  Vous  avez  entendu. 
Obéissez.  Le  roi.  » 

Le  domestique  se  réveille.  Il  croit  que  c'est  le 
rhum  qui  l'a  jeté  en  bas,  il  prend  son  bâton  et 
s'en  va. 

Lorsqu'au  palais  on  eut  appris  les  ordres  du 
roi,  les  uns  en  furent  affligés,  car  Pauline  était 
bien  bonne,  les  autres  furent  dans   la  joie,  parce 


ZISTOIRE  PAULIN   AV   PAULINE  313 

veille  veille  li  dans  bord  cimin,  Li  arrête  li,  li 
dire  li  :  «  Eh  vous,  mon  noir  !  bien  sîr  réponse 
léroi  qui  vous  amène  lacase.  Mais  vous  beau 
pressé  mo  voulé  vous  arrête  éne  pitit  moment 
même  :  mo  famille  fèque  envoyé  moi  éne  vie 
boutéye  rhum  zambourzois,  nous  bisoin  goûte  ça 
ensembe.  « 

Qui  pauve  noir  là  capave  faire  !  li  blizé  rentré. 
Lafïe-laboue  vide  li  éne  grand  verre  rhum.  Li 
nèque  boire  éne  gorzée,  verre  çappe  dans  so 
lamain,  li  roule  enbas,  li  dourmi. 

Laffe-laboue  prend  lette  dans  son  poce,  li  ou- 
vert li,  li  lire  li.  Li  pèse  plime,  lenque  av  papier, 
Il  crire  éne  laute  lette. 

«  Coûte  bien  ça  qui  mo  comandé.  Prend  ça 
Ihorreir  Pauline  là,  zette  li  dohors  av  so  dé  pitits 
(bâtards).  Mais  cornent  naplis  énan  lamains  av  li 
pour  tchiombô  zaute,  amarre  éne  làhaut  son  lédos, 
amarre  laute  dans  so  lostomac.  Zaute  fine  tende  ; 
faire  ça  qui  mo  comandé.  Léroi.  » 

Domestique  levé  ;  li  croire  rhum  là  qui  fine 
casse  li.  Li  honte,  li  prend  so  bâton,  li  allé. 

Lheire  dans  lacase  léroi  doumounde  fine  coné 
ça  qui  zaute  maîte  comandé  zaute,  iéna  zense  qui 
çagrin  à  cause  Pauline  ti  bien  bon,  iéna  qui  con- 


314         HISTOIRE  DE  PAULIN  ET  DE  PAULINE 

qu'ils  étaient  envieux.  Mais,  joie  ou  chagrin,  il 
n'importait  :  il  fallait  obéir. 

Lieutenant  était  furieux.  Il  connaissait  trop  le 
cœur  de  son  maître  pour  le  croire  capable  d'avoir 
pu  donner  un  tel  ordre.  Jamais  !  Mais  Lieutenant 
était  un  chien,  et  les  chiens  ne  parlent  pas.  Il 
eut  beau  japper,  cette  fois  on  refusa  de  l'écouter. 

On  arrache  Pauline  de  son  lit,  on  attache  sur 
elle  ses  deux  enfants,  comme  la  lettre  le  com- 
mande, on  la  conduit  sur  la  grande  route,  on  la 
chasse;  Lieutenant  refuse  de  quitter  Pauline  et  la 
suit. 

Ils  marchent,  ils  marchent.  La  pauvre  malheu- 
reuse Pauline  pleure.  Lieutenant  ne  dit  rien. 

Ils  arrivèrent  dans  une  forêt  ;  Lieutenant  allait 
devant  pour  montrer  le  chemin.  Comme  ils  pas- 
saient au  bord  d'une  petite  rivière,  Pauline  eut 
soif;  elle  se  mit  à  genoux  pour  atteindre  l'eau 
avec  sa  bouche,  car  elle  ne  pouvait,  hélas  !  boire 
dans  le  creux  de  ses  mains.  Tandis  qu'elle  se 
penche  pour  toucher  l'eau  de  ses  lèvres,  l'enfant 
attaché  sur  son  dos  s'échappe  et  tombe  dans  l'eau 
la  tête  la  première.  Pauline,  oubhant  qu'elle  n'a 
pas  de  mains,  jette  les  bras  en  avant  pour  le 
saisir.  Le  croirez-vous?  Cette  eau  était  une  eau 
enchantée.  A  peine  les  deux  bras  mutilés  l'ont-ils 
touchée  que  les  deux  mains  repoussent.  PauHne 
saisit  son  enfant,  elle  l'embrasse,  elle  pleure,  elle 


ZISTOIRE   PAULIN   AV   PAULINE  315 

tent  à  cause  zaute  zaloux.  Mais  qui  content,  qui 
zaloux,  narien  ça  :  bisoin  faire  ça  qui  co-mandé. 

Détenant  firié  :  li  cône  zamais  so  maîte  qui 
bon  lékeir  ti  capabe  commande  éne  mauvais 
quique  çose  cornent  ça.  Zamais  ça  !  Mais  li  éne 
licien  ;  napas  causé  av  li.  Li  zapé,  li  zapé  ;  ça  fois 
là  personne  napas  voulé  acoute  li. 

Zaute  tire  Pauline  dans  so  lilit;  zaute  amarre 
son  dé  pitits  làhaut  li  cornent  fine  marqué  dans 
lette,  zaute  amène  li  dans  grand  cimin,  zaute 
pousse  li.  Liétenant  napas  voulé  quitte  Pauline, 
ILsivré  li. 

Zaute  marcé,  marcé;  pauve  malhéré  Pauline 
ploré,  Liétenant  napas  dire  narien. 

Avlà  zaute  arrive  dans  grand  bois.  Liétenant 
passe  divant  pour  monte  cimin.  Coment  zaute 
arrive  dans  bord  éne  ptit  larivière,  Pauline  gagne 
soif,  li  baisse  à  'zounoux  pour  boire  dileau  av 
labouce,  lamains  napas  pour  li  boire  dans  la- 
mains.  Li  pence  so  lécorps  pour  so  labouce  arrive 
av  dileau;  avlà  pitit  qui  té  amarre  dans  so  lédos 
cappe  éne  coup,  pique  dans  dileau.  Pauline  zette 
so  lébras  dans  dileau,  quamême  napas  lamains 
pour  attrape  so  pitit.  Qui  vous  croire!  Ça  ti  éne 
dileau  miraque.  Coment  ça  dé  lébras  là  plonze 
dans  dileau,  éne  coup  même,  dé  lamains  pousse 
encore  av  zaute  !  Pauline  tchiombô  so  pitit,  li 
embrasse  li,    li   ploré,   li   crie  :  «  Merci!    merci 


3  1 6         HISTOIRE  DE  PAULIN  ET  DE  PAULINE 

s'écrie  :  «  Merci,  mon  Dieu  !  merci  !  «  Lieutenant 
court,  jappe,  se  roule  par  terre,  il  est  comme  fou 
de  joie. 

Ils  marchent,  marchent,  marchent.  Voilà  trois 
jours  qu'ils  sont  dans  la  forêt  quand  ils  arrivent 
enfin  dans  une  plaine.  A  l'orée  du  bois  était  une 
vieille  case  toute  délabrée  couverte  en  vétiver. 
Elle  était  inhabitée,  ils  s'y  arrêtent.  Pauline 
répare  la  case  du  mieux  qu'elle  peut  ;  elle  ra- 
masse des  feuilles,  fait  un  bon  lit  pour  elle  et  ses 
enfants,  un  petit  lit  pour  Lieutenant  ;  puis  elle 
fait  sa  prière,  se  couche  et  s'endort. 

Le  lendemain,  de  grand  matin,  elle  s'éveille. 
Elle  s'assied  sur  son  lit  et  réfléchit.  «  Que  puis- 
je  faire?  Où  puis-je  aller?  Je  n'ai  plus  de  famille, 
personne  qui  s'intéresse  à  moi,  Mieux  vaut  que 
je  reste  toute  seule  ici  dans  cette  vieille  case  ; 
personne  ne  viendra  me  chercher  noise;  j'élèverai 
tranquillement  mes  enfants  ;  Lieutenant  et  moi 
nous  trouverons  bien  le  moyen  de  nous  arranger 
pour  ne  pas  mourir  de  faim.  Pas  vrai.  Lieute- 
nant? »  Lieutenant  lui  répondit  en  jappant  et  en 
agitant  la  queue  pour  montrer  son  approbation. 

Mais  retournons  auprès  du  roi. 

Comme  le  pauvre  jeune  homme  croyait  que 
Pauline  lui  avait  donné  un  singe  et  un  chien  au 
lieu  d'enfitnts,  son  chagrin  était  si  grand  qu'il 
n'osait  retourner  dans  son   palais.  Il  resta  A  la 


ZISTOIRE   PAULIN   AV  PAULINE  317 


Bondié.  »  Liétenant  couri,  zapé,  roule  par  terre  ; 
li  cornent  fou  à  force  li  content. 

Zaute  marcé,  marcé,  marcé.  Avlà  trois  zours 
zaute  dans  ça  grand  bois  là,  zaute  arrive  dans 
laplaine.  Dans  balizaze  ça  laplaine  là,  zaute 
trouve  éne  vie  vie  lacase  couvert  av  vitiver,  per- 
sonne làdans.  Là  même  zaute  arrêté.  Pauline 
arranze  lacase  morceau  morceau,  li  ramasse 
feilles,  li  faire  éne  bon  lilit  pour  li  av  so  zenfants, 
éne  ptit  lilit  pour  Liétenant,  li  faire  so  laprière, 
li  allonze  so  lécorps,  li  dourmi. 

Lendimain  grand  bomatin,  li  levé,  li  assise 
làhaut  so  lilit,  li  maziné.  «  Qui  mo  capave  faire? 
A  côte  mo  capave  allé  ?  Mo  naplis  énan  famille  ; 
personne  napas  embrasse  moi.  Mo  plis  vaut  mié 
resse  tout  seil  ici  dans  ça  vie  lacase  là  :  personne 
va  vine  cicane  moi  ;  mo  va  élève  mo  zenfants 
tranquille;  Liétenant  av  m^oi  nous  va  trouve  éne 
magnière  gagne  manzé  pour  nous  napas  mort 
faim.  Pas  vrai,  Liétenant?  «  Liétenant  zappe  av 
li,  li  bouze  bouze  laquée  pour  montré  li  content. 

Laisse  nous  tourne  av  léroi. 

Cornent  pauve  zène  homme  là  ti  croire  qui 
Pauline  fine  donne  li  éne  zacot  av  éne  iicien 
aulière  zenfants,  li  si  tant  çagrin  qui  li  napas  osé 
tourne   dans   so  lacase  ;   li    resse  laguerre  sipas 


3l8         HISTOIRE  DE  PAULIN  ET  DE  PAULINE 

guerre  environ  cinq  ou  six  ans,  tant  le  cœur  lui 
brûlait.  Enfin,  quand  il  se  sentit  un  peu  consolé, 
il  revint  à  son  palais. 

«  Où  sont  mes  enfants?  Où  est  Pauline?  Où 
est  Lieutenant  ?  » 

Ses  gens  restèrent  interdits.  Par  bonheur  pour 
eux,  on  avait  gardé  la  lettre  du  roi  dans  un  tiroir 
de  bureau.  On  courut  la  chercher  et  on  la  lui 
remit.  Ce  fut  au  tour  du  roi  de  rester  abasourdi. 
Il  ouvrait  de  grands  yeux,  tournait  et  retournait 
le  papier  entre  ses  mains  ;  certes,  ce  n'était  pas 
lui  qui  avait  écrit  cela  ;  mais  c'était  son  écriture  : 
l'imitation  était  merveilleuse  !  Que  faire  ?  Au 
milieu  de  ses  réflexions  un  soupçon  lui  vint  : 
«  Qu'on  m'appelle  le  domestique  qui  a  apporté 
cette  lettre  !  » 

Lorsque  le  noir  apprit  que  le  roi  l'appelait,  il 
sentit  son  cœur  s'en  aller.  Mais  force  lui  fut  de 
venir,  quoique  ses  jambes  se  dérobassent  sous  lui. 

A  force  de  questions,  le  roi  finit  par  lui  arra- 
cher toute  l'histoire.  Il  n'était  pas  difficile  main- 
tenant de  deviner  comment  les  choses  s'étaient 
passées.  Quelle  colère  que  la  colère  du  roi  !  Il  ne 
dit  à  l'homme  qu'un  seul  mot  :  «  Malheureux!  » 
Le  domestique  tourna  trois  fois  sur  lui-même, 
comme  une  toupie  qui  va  mourir,  et  tomba  tout 
de  son  long  par  terre.  Le  roi  le  saisit  par  les 
cheveux  et  le    remit    debout    sur  ses    jambes  : 


ZISTOIRE   PAULIN  AV   PAULINE  319 

cinque  sisse  bananées  comme  ça,  à  force  so  lé- 
queir  bourlé.  Lheire  là,  li  senti  so  léqueir  com- 
mence console  morceau  ;  li  tourne  lacase. 

«  A  cote  mo  pitits  ?  A  cote  Pauline  ?  A  cote 
Liétenant?  » 

Zense  là  reste  sec.  Par  bonheur  pour  zaute, 
lette  léroi  té  garde  dans  tiroir  bireau.  Zaute  couri 
çace  lette  là,  zaute  donne  li  dans  lamain  léroi. 
Léroi  lire  lette  :  son  tour  reste  sec.  Li  carquiile 
carquille  so  liziés,  li  vire  vire  papier  là  ;  bien  sîr 
zamais  li  qui  té  crire  li,  mais  li  même  blizé  tôné 
aforce  lécritire  là  coment  pour  li  !  Qui  li  a  faire  ? 
Li  mazine  maziné,  avlà  éne  doutance  av  li  : 
«  Appelle  moi  domestique  qui  ti  amène  lette 
là.  ))* 

Quand  noir  là  coné  qui  léroi  appelle  li,  so  lé- 
queir aile  loin,  mo  dire  vous  ;  mais  li  blizé  vini 
quamême  so  lazambe  dérobé. 

Léroi  à  force  à  force  faire  domestique  li  causé, 
fine  tire  tout  son  difil  av  li.  Lheire  là  li  napas 
lapeine  pour  coné  coment  tout  zaïfaire  fine  passé. 
Manman  !  napas  en  colère  ça  qui  li  en  colère  ! 
Léroi  nèque  dire  li  éne  parole  même  :  «  Mal- 
héré  !  «  Domestique  vire  vire  dé  trois  tours  co- 
ment éne  toupie,  li  tombe  enbas,  li  mosse  même. 
Léroi  touque  li  dans  so  civés,  li  lève  li  en  lair,  li 


320        HISTOIRE  DE  PAULIN  ET  DE  PAULINE 

«  Conduis-moi  chez  cette  vieille  sorcière.  Allons, 
marche  !  « 

Quand  on  fut  arrivé  à  la  maison  de  la  bonne 
femme  Laffe-de-boue,  le  roi  la  fit  entourer  par 
ses  gardes,  et  il  entra  dans  la  chambre  seul  avec 
son  domestique.  Laffe-de-boue  était  assise  et  se 
dressa  d'un  bond.  «  Est-ce  bien  elle?  demanda 
le  roi  au  domestique.  —  Oui,  oui,  mon  roi,  c'est 
elle  !  »  Le  roi  ordonna  au  domestique  de  lui  lier 
les  pieds  et  les  mains  et  de  la  mettre  sur  la  table 
à  manger.  Puis  prenant  la  bouteille  d'huile  sur 
la  tablette,  il  fit  frotter  Laffe-de-boue  avec  toute 
l'huile.  Et  le  domestique  se  disait  :  «  Peut-être  le 
roi  veut-il  en  faire  une  salade  !  mais  ça  manque 
de  sel,  de  poivre  et  de  vinaigre.  « 

Ils  sortirent,  et  le  roi  ordonna  aux  gardes  de 
mettre  le  feu  aux  quatre  coins  de  la  maison. 
Laffe-de-boue,  là-dedans,  poussait  des  hurle- 
ments; le  feu  l'atteignit,  et  elle  se  mit  à  flamber 
comme  un  flambeau  de  bois  de  ronde  que  les 
pêcheurs  allument  sur  les  récifs.  Soudain  son 
corps  éclata  avec  une  vive  clarté  :  elle  était 
morte.  Laissons  le  vent  disperser  ses  cendres  au 
hasard  ! 

Le  roi  envoya,  dans  toutes  les  directions,  une 
foule  de  messagers  à  la  recherche  de  Pauline.  Ils 
allèrent,  tournèrent,  regardèrent,  interrogèrent, 
et  ne  trouvèrent  rien.  Il  leur  fallut  donc  revenir 


ZIC.TOIRE   PAULIN   AV   PAULINE  32 1 

mette  li   diboute.   «  Amène    moi  lacase  ça  vie 
sourcier  là  !  marcé  !  » 

Lhére  fine  arrive  lacase  bonnefemme  Laffe- 
laboue,  léroi  faire  gardes  cerne  lacase,  li  fonce 
dans  laçambe  tout  seil  av  domestique.  Laflfe- 
laboue  té  après  assise,  li  saute  en  lair.  Léroi  di- 
mande  av  domestique:  »  Li  même  ça?  —  Li 
même  ça,  mon  roi!  »  Léroi  faire  domestique 
amarre  so  lipieds,  amarre  so  lamains,  mette  li 
làhaut  latabe  manzé.  Li  prend  bouteille  dilhouile 
Icàhaut  tablette,  faire  baingne  Laffe-laboue  av 
tout  ça  dilhouile  là.  Domestique  maziné  :  «  Qui- 
quefois  léroi  voulé  faire  salade  av  li  ?  m.ais 
domaze  napas  disel,  napas  dipoive,  napas  vi- 
naigue?  » 

Zaute  sourti  dans  lacour.  Léroi  comande  gardes 
mette  difé  dans  quate  coins  lacase.  LafiFe-laboue 
làdans,  guélé,  guélé;  difé  arrive  av  li,  li  flambé 
même  coment  éne  flambeau  bois  de  ronde  qui 
péceirs  allime  làhaut  récifs,  so  lécorps  date  éne 
coup,  li  donne  éne  grand  clairté,  li  mort  même. 
Laisse  divént  fane  fane  so  lacende  ! 

Léroi  envoyé  éne  bande  doumoundes  rôde  rôde 
nouvelles  Pauline  partout  partout.  Zense  là 
tourne,   viré,  guété,   causé,   zaute  napas   trouve 

21 


322         HISTOIRE  DE  PAULIN  ET  DE  PAULINE 

au  palais  pour  le  dire  au  roi,  et  le  pauvre  roi  fut 
si  nnilheureux  qu'il  se  mit  à  maigrir. 

A  peu  près  deux  années  se  passèrent.  Un  jour 
que  le  roi  chassait  dans  la  forêt,  les  chiens  levèrent 
un  cerf.  Le  roi  tira  et  le  blessa.  Mais  le  cerf  ne 
tomba  point  ;  il  avait  des  ailes,  il  volait.  Il  allait, 
il  allait,  il  allait,  il  allait  ;  si  bien  que  les  chiens 
(épuisés  lâchèreBt  pied,  et  que  seul  le  roi  fut  de 
force  à  le  poursuivre.  Le  cerf  fuyait,  fuyait,  et 
■quand  il  savait  avoir  laissé  le  roi  à  quelque  dis- 
tance, il  s'arrêtait  un  instant  pour  se  reposer  et 
souffler,  puis  quand  le  roi  approchait,  le  cerf  re- 
partait. La  poursuite  durait  depuis  deux  jours,  et 
ile  soleil  allait  se  coucher  quand  ils  arrivèrent  au 
bord  de  la  plaine.  Le  cerf,  voyant  l'espace  ouvert 
devant  lui,  détala,  et  le  roi,  qui  le  vit  bien  loin  en 
avant,  comprit  qu'il  fallait  y  renoncer.  Tirant 
dmic  son  chapeau,  il  le  salua  en  riant  et  lui  cria  : 
«  Vraiment,  l'ami,  tu  sais  courir  !  tu  peux  t'en 
vanter.  Soit  doncî  peut-être  se  retrouvera- t-on 
un  autre  jour.  »  Le  cerf  était  loin  et  ne  répondit 
rien . 

Le  roi,  se  trouvant  seul  à  la  lisière  delà  plaine, 
regarda.  Il  ne  reconnaissait  rien;  jamais  il  n'était 
venu  de  ce  côté.  Mais,  peut-être  trouverait-il  une 
maison  où  se  reposer  pendant  la  nuit,  et  un  mor- 
oeau  à  manger,  car  il  commençait  à  se  sentir 
l'estomac  un  peu  creux  depuis  deux  jours.  ApTès 


ZISTOIRE  PAULIN   AV  PAULINE  323 

narien.  Zaute  blizé  tourne  lacase  léroi  dire  li  ça. 
Pauve  léroî  là  çagrin  même,  li  vine  maigue. 

Sipas  dé  bananées  passe  encore.  Ene  zour  co- 
rnent léroi  ti  laçasse  dans  bois,  liciens  lève  éne 
cerf.  Léroi  tiré,  li  blesse  li.  Mais  cerf  napas 
tombé,  lézailes  av  li,  li  bourré.  Li  allé,  li  allé,  li 
allé  :  liciens  bisoin  quitte  li  à  force  zaute  lassé, 
nèque  léroi  tout  seil  qui  capave  tini  av  H.  Cerf 
taillé,  taillé  ;  Iheire  li  coné  li  fine  quitte  léroi 
morceau  loin,  li  arrête  ptit  moment,  li  posé,  li 
soufflé;  léroi  vini,  cerf  dégazé.  Avlà  dé  zours 
zaute  ensembe  ;  cornent  soléye  pour  coucé  zaute 
arrive  dans  balizaze  laplaine.  Térain  ouvert  di- 
vant  li,  cerf  mété  même  ;  léroi  guette  li  loin  loin 
divant,  napas  lapeine  saye  encore  ;  léroi  tire  éne 
coup  de  çapeau  av  li,  li  blizé  rié,  li  crie  H  :  «  Eh 
toi  !  to  cône  balié  oui  !  to  capabe  s'en  vanté. 
Laissé  !  quiquefois  éne  laute  zour  nous  pour 
zoinde  encore.  »  Cerf  loin,  napas  réponde  narien. 

Cornent  léroi  tout  seil  dans  bord  laplaine  là,  lî 
guété,  li  napas  cône  narien,  zamais  li  té  vine  ça 
quartier  là.  Mais  quiquefois  li  va  trouve  éne  la- 
case pour  posé  pendant  ianouite  là,  sembe  mor- 
ceau quiqueçose  pour  manzé  :  dipis  dé  zours  là  so 
vente  comencc  gagne  faim.  Li  marcé,  li  marcé, 


324        HISTOIRE  DE  PAULIN  ET  DE  PAULINE 

un  bon  bout  de  marche,  il  aperçut  une  petite 
lumière  dans  le  lointain.  Il  marcha  encore  :  c'était 
une  petite  case  couverte  en  véiiver.  La  case  était 
fermée,  il  frappa  à  la  porte.  Il  entendit  qu'on 
marchait  doucement  dans  la  maison.  On  avait 
peur,  sans  doute.  Alors  il  cria  :  «  Ouvrez,  ouvrez, 
si  vous  avez  bon  cœu''!  j'ai  faim,  je  suis  las: 
secourez-moi,  Dieu  vous  secourra  !  » 

La  porte  s'ouvrit  et  le  roi  entra. 

Dans  la  chambre,  il  n'y  avait  qu'une  jeune 
femme.  Comme  il  commençait  à  faire  noir,  le 
roi  ne  pouvait  bien  voir  sa  figure,  mais  il  lui 
semblait  que  c'étaient  là  des  traits  qu'il  connais- 
sait; on  eût  dit  le  visage  de  Pauline.  «  Hélas! 
pauvre  Pauline!  où  est-elle  maintenant?  »  Le  roi 
demande  à  la  jeune  femme  un  morceau  à  man- 
ger, et  la  jeune  femme  alla  prendre  dans  le 
buffet  des  patates,  du  magnoc  et  un  morceau  de 
lièvre  rôti.  Elle  posa  l'assiette  sur  la  table  devant 
le  roi.  «  Pauvre  Pauline,  elle  n'avait  pas  de 
mains,  elle,  pour  me  servir  !  » 

Tout  en  mangeant,  le  roi  regardait  la  jeune 
femme,  qui  allait  et  venait  dans  la  chambre.  Mais 
la  jeune  femme  n'osait  pas  le  regarder,  on  eût 
dit  qu'elle  avait  peur.  Tandis  qu'ils  étaient  là 
tous  deux,  un  peu  embarrassés,  le  roi  entendit 
un  chien  qui  jappait  dans  le  lointain.  «  C'est 
impossible  !  mais  je  connais  cette  voix-là  !  c'est  la 


ZISTOIRE  PAULIN   AV   PAULINE  325 

avlà  li  voir  éne  ptit  laclairlé  dans  loin.  Li  niarce 
encore  :  ça  ti  éne  put  lacase  couvert  sembe  vi- 
tiver.  Lacase  frémé;  léroi  tape  tape  dans  laporte. 
Li  tende  doumounde  marce  doucement  douce- 
ment dans  lacase,  coment  dire  gagne  peir.  Li 
crié  :  «  Ouvert,  ouvert  quand  zaute  bon  léqueir! 
mo  gagne  faim,  mo  lassé  :  soulaze  moi,  Bondié 
va  soulaze  zaute  !   » 

Laporte  ouvert,  léroi  rentré. 

Dans  laçambe  là  ti  énan  nèque  éne  zène 
femme.  Té  commence  faire  sicour  sicour  ;  léroi 
napas  capave  bien  guette  son  figuire,  mais  li 
maziné  ça  éne  figuire  qui  li  coné  ça,  éne  figuire 
coment  dire  figuire  Pauline.  «  Aïo  !  pauve  Pau- 
line! à  cote  li  astheire  !  »  Léroi  dimande  zène 
femme  morceau  quique  çose  pour  manzé;  zène 
femme  là  tire  dans  garde-manzé  patates  av  ma- 
gnioc  sembe  éne  morceau  rôti  ièye.  Li  pose  las- 
siette  divant  léroi  Ihaut  latabe.  «  Pauve  Pauline, 
li  napas  ti  énan  lamains,  li,  pour  servi  moi  !   » 

Cornent  léroi  après  manzé  là  li  guette  guette 
zène  femme'  là  tourné  viré  dans  laçambe.  Mais 
zène  femme  là  napas  osé  guette  li,  coma  dire  li 
peir  li.  Avlà  coment  zaute  touldé  dans  zéné  là, 
léroi  tende  éne  licien  zappe  zappé  dans  loin  loin. 
«  Pas  possibe  !  mais  mo  cône  ça  lavoix  là  !  La- 
voix  Liétenant,   ça  !  »  Lavoix  licien  là  approcé. 


326        HISTOIRE  DE  PAULIN  ET  DE  PAULINE 

vûLx  de  Lieutenant,  ça  1  »  La  voix  se  rapprocliait. 
Le  roi  écoutait,  écoutait.  Le  chien  n'était  pas> 
seul  ;  il  y  avait  deux  jeunes  garçons  avec  lui,  et 
ils  s'amusaient  à  japper  eux  aussi  pour  jouer  avec 
Le  chien.  Le  roi  se  leva  vivement  ;  il  alla  à  la 
porte,  il  regarda. 

La  nuit  s'était  faite,  l'obscurité  était  profonde. 

Mais  voilà  le  roi  qui  se  frotte  les  yeux,  car  il 
voit  quelque  chose  qu'il  n'a  jamais  vu  aupara- 
vant. Sur  le  front  des  deux  enfants  qui  arrivent 
avec  le  chien,  il  y  a  deux  étoiles,  et  ces  étoiles 
ont  un  tel  éclat  que  la  plaine  en  est  éclairée 
comme  en  plein  jour.  Tandis  que  le  roi  demeure 
plongé  dans  l'étonnement  d'un  tel  miracle,  tout 
à  coup  le  chien  qui  accompagne  les  enfants  l'a 
senti.  Le  chien  s'élance  dans  la  maison;  il  saute 
sur  le  roi  ;  il  pleure,  il  le  lèche,  il  jappe,  il 
remue  éperdûment  la  queue,  il  se  roule  par 
terre,  il  lui  lèche  les  pieds,  il  lui  saute  à  la  figure 
pour  la  lécher  aussi,  il  étouffe,  il  râle,  il  est  fou. 
«  Lieutenant  !  Lieutenant  !  c'est  toi,  Lieutenant  !  » 
Le  roi  le  prend  dans  ses  bras  et  tous  les  deux 
pleurent  de  joie. 

Le  roi,  soudain,  se  retourne,  il  s'élance  vers  la 
jeune  femme,  il  la  prend  dans  ses  bras  :  «  Pau- 
line 1  Pauline  !  c'est  toi,  ma  Pauline  !  »  Il  l'em- 
brasse 1  il  l'embrasse!  il  l'embrasse!  Mais  assez 
donc  !  assez  faire  baver  les  gens  ! 


ZISTOIRE  PAULIN   AV   PAULINE  327 


Léroi  coûté  coûté.  Licien  napas  tout  seil  ;  dé  ptit 
garçons  av  li;  zaute  aussi  amise  zappe  zappé  pour 
badine  av  licien.  Léroi  lève  éne  coup,  li  aile 
dibouté  dans  laporte. 

Té  lanouite  astheire,  faire  noir  noir  même 
dohors. 

Mais  avlà  léroi  blizé  frotte  frotte  so  iiziés 
acause  li  trouve  quique  çose  qui  zamais  li  té  fine 
trouvé  avant  ça.  Làhaut  front  ça  dé  ptits  garçons 
qui  après  vini  av  licien,  énan  zétoiles.  Zétoiles  là 
donne  si  grand  laclairté  qui  tout  laplaine  claire 
cornent  dans  lizour  même,  mo  dire  vous.  Coment 
léroi  après  toné  av  ça  miraque  là,  éne  coup  licien 
qui  avec  zenfants  là  senti  li.  Licien  fonce  dans 
lacase,  li  saute  làhaut  léroi,  li  ploré,  li  lice  li,  li 
zappé,  li  batte  laquée,  li  roule  en  bas,  li  lice  so 
lipieds,  li  saute  dans  so  figuire  pour  lice  li  oussi, 
li  touife  touffe,  li  fou.  «  Liétenant  !  Liétenant  l 
toi  ça,  Liétenant  !  »  Léroi  prend  li  dans  son 
lébras,  zaute  dé  ploré  à  force  content  ! 

Léroi  vire  éne  coup,  li  fonce  làhaut  zene 
femme  là,  li  prend  li  dans  so  lébras  :  «  Pauline  ! 
Pauline  !  toi  même  ça,  mon  Pauline  !  »  Em- 
brassé, embrassé,  embrassé  !  Mais  assez  donc  ! 
assez  faire  doumounde  bavé  ! 


328         HISTOIRE  DE  PAULIN  ET  DE  PAULINE 

Qu'ai-je  besoin  de  vous  rien  raconter  de  plus, 
mes  enfants  ?  Il  n'est  pas  difficile  de  deviner  ce 
qui  doit  arriver  à  la  fin  de  mon  histoire. 

Le  lendemain,  à  la  pointe  du  jour,  avant  le  chant 
du  coq,  ils  quittèrent  tous  la  vieille  case  pour  re- 
tourner au  palais  du  roi.  Que  leur  imporiait  que  le 
soleil  ne  fût  pas  encore  levé?  Les  étoiles  des  enfants 
n'étaient-elies  pas  là  pour  éclairer  leur  chemin? 

Le  troisième  jour,  ils  arrivèrent  au  palais  et  la 
joie  fut  générale  :  on  riait,  on  chantait,  on  criait. 
Et  c'étaient  ceux  qui  portaient  envie  à  Pauline 
qui  chantaient  le  plus  fort.  C'est  comme  ça,  mes 
enfants,  vous  le  saurez  un  jour. 

Grâce  à  l'eau  miraculeuse,  Pauline  avait  des 
mains  à  présent  ;  elle  avait  un  doigt  où  passer 
l'anneau  de  mariage.  Le  roi  lui  demanda  sa  main, 
et  passa  la  bague  à  son  doigt. 

Ils  donnèrent  un  repas,  mes  enfants  !  mais  un 
repas  !  qu'on  tire  les  bretelles,  vous  dis-je  !  qu'on 
ouvre  le  gilet  !  qu'on  lâche  la  boucle  du  pantalon 
par  derrière  ! 

Au  moment  où  nous  allions  nous  mettre  à 
table,  voici  venir  un  pauvre  mendiant  qui  entre 
dans  la  salle  à  manger  pour  demander  la  charité! 
Il  se  traînait  sur  deux  béquilles,  ses  yeux  étaient 
rouges  à  force  d'avoir  pleuré,  et  sa  bouche  était 
toute  tordue  comme  celle  d'un  poisson  qu'a  dé- 
chiré l'hameçon. 


ZISTOIRE   PAULIN   AV   PAULINE  329 

Qui  mo  bisoin  ranconte  zaute  encore  zenfants? 
Napas  lapeine  pour  coné  ça  qui  pour  arrivé  dans 
so  finition  mo  zistoire. 

Lendimain  grand  grand  bo  matin  avant  coq 
canté,  z,iUte  tout  quitte  vie  vie  lacase  là  pour 
tourne  lacase  léroi.  Qui  zaute  en  peine  soléye 
napas  encore  levé  ?  Zétoiles  zenfants  napas  là 
pour  claire  zaute  cimin  ! 

Troisième  zour  zaute  arrive  lacase  léroi.  Zense 
là  conieDî;  :  çanté,  rié,  crié.  Ça  qui  té  zaloux 
Pauline  qui  çante  plis  fort;  comme  ça  même  ça, 
zenfants,  éne  zour  vous  va  coné. 

Grand  merci  ça  dileau  miraque  là,  Pauline 
énan  lamains  astheire,  énan  lédoigt  pour  passe 
bague  manage.  Léroi  dimande  li  so  lamain,  léroi 
passe  bague  dans  so  lédoigt. 

Zaute  faire  éne  diner,  zenfant  !  mais  éne  diner  ! 
laisse  tire  bretelles,  zenfants  !  laisse  ouvert  zilet, 
mo  dire  vous  !  laisse  largue  bouque  (quilotte)  par 
derrière. 

Coment  nous  pour  mette  à  tabe,  avià  éne 
pauve  malhéré  rente  lasalle  manzé  pour  dimande 
çarité.  Li  traîne  l raine  so  lécorps  av  bâtons,  so 
liziés  rouze  rouze  à  force  ploré,  laguéle  travers 
coment  labouce  posson  fine  dicire  av  Ihameçon. 


3  JO        HISTOIRE  DE  PAULIN  ET  DE  PAULINE 

Pauline  regarde  le  mendiant.  Elle  vient  à  lui 
et  l'embrassant  :  «  C'est  toij.,  Paulin  !  c'est  toi, 
mon  frère  !  « 

On  lui  fait  raconter  en  deux  mots  son  histoire, 
pour  ne  pas  laisser  refroidir  la  soupe. 

Lida  l'avait  empoisonné  pour  le  faire  mourir, 
parce  que  cette  peste  en  avait  assez  d'un  mari; 
c'est  là  ce  qui  lui  avait  bistourné  la  figure.  Mais 
un  jour  que  Lida  avait  eu  avec  quelqu'un  une  vio- 
lente dispute,  elle  avait  ramassé  un  énorme  coup 
de  bâton  sur  le  haut  de  la  tête,  et  elle  était 
tombée  raide  morte.  Paulin  avait  été  forcé  de 
s'enfuir,  dans  la  crainte  qu'on  ne  l'accusât  d'avoir 
tué  sa  femme.  «  Aïa  !  c'est  le  bâton  qui  l'a  tuée  !  » 

«  Dînons,  mon  frère!  tu  demeureras  avec 
nous,  ne  t'inquiète  plus  de  rien.  » 

Au  moment  où  je  veux  m'asseoir  à  table  avec 
eux,  on  retire  ma  chaise  de  derrière  moi  ;  je 
tombe,  je  roule,  je  roule,  et  ne  m'arrête  qu'ici 
pour  vous  raconter  cette  histoire. 


Est-ce  un  conte  noir?  Est-ce  du  Lindor,  le  Lindor  de  «  septe 
cousins  av  septe  cousines  »?  (n"xvii).  L'histoire  part  et  arrive; 
une  main  sûre  la  dirige  sans  la  laisser  dévier  jamais.  Il  y  a  là- 
dedans  un  savoir-faire  auquel  le  bonhomme  ne  nous  a  pas  habitués. 
Et  ses  personnages  sont  viv;iuts,  et  ses  épisodes  sont  liés,  et,  chose 
grave,  notre  version  française  nous  semble  par  exception  à  peine 
inférieure  à  la  créole.  Le  conte  de  Paulin  avec  Pauline  fait  avec 
tous   les   autres  un    contraste    qui   n'échappera  pas  au   lecteur. 


ZISTOIRE  PAULIN   AV   PAULINE  35 1 

Pauline  guette  ça  pauve  malhéré  là,  li  vine  av 
li,  li  embrasse  li.  «  Toi,  ça,  Paulin  !  toi  ça,  mon 
frère  !   » 

Zaute  faire  li  ranconte  vilement  vitement  so 
zistoire,  pengare  lasoupe  frès. 

Lida  té  drogue  li  pour  faire  li  mort  à  cause  ça 
lagale  là  ti  lassé  gagne  mari  ;  ça  même  so  figuire 
travers  éne  côté.  Mais  Lida  là  éne  zour,  cornent 
li  dispite  dispite  av  doumounde,  li  ramasse  éne 
coup  bâton  pilon  làhaut  latête,  li  tombe  sec,  li 
mort.  Paulin  blizé  sauvé,  pengare  zaute  croire  11 
même  qui  fine  touye  so  femme.  «  Aïa  !  bâton 
pilon  qui  ti  touye  li  !   « 

«  Laisse  nous  diné,  mo  frère  !  Vous  pour  reste 
av  nous,  napas  bisoin  en  peine  narien.   » 

Cornent  mo  vlé  assise  av  zaute  à  tabe,  zaute 
tire  çaise  par  derrière  ;  mo  tombe  enbas  !  Mo 
roulé  même  !  roulé,  roulé,  roulé  !  mo  arrête  ici 
pour  ranconte  vous  zistoire  là. 


Créole  ?  peut-être  bien;  mais  créole  noir?  nous  en  doutons  fort, 
et  ceux  qui  le  liront  en  douteront  comme  nous. 

Quoi  qu'il  en  soit,  l'histoire  est  d'un  réel  intérêt,  et  si  l'inven- 
tion n'est  pas  de  Lindor,  la  collaboration  du  bonhomme  s'affirme 
par  maints  détails,  dont  quelques-uns  un  peu  égrillards,  comme 
il  les  aime.  C'est  de  quoi  nous  justifier  d'avoir  ouvert  à  Paulia 
et  Pauline  l'entrée  de  notre  recueil. 


XXV 

LE  LIÈVRE,  LE  ROI  ET  LE  SLMGE 


^L  y  avait   une  fois   un  roi  qui  avait  une 
ruche  sur  un  arbre. 

Un  lièvre  et  un  rat  s'associèrent  pour 
aller  voler  le  miel.  Au  pied  de  l'arbre,  le  lièvre 
faisait  de  la  fumée  ;  dans  l'arbre,  le  rat  coupait 
les  rayons. 

Le  roi  arrive  et  crie  : 

—  Qui  est-ce  qui  est  là-haut  en  train  de  me 
voler  mon  miel  ? 

Le  lièvre  dit  au  rat  à  voix  basse  : 

—  Dis  que  tu  es  tout  seul  ;  je  suis  au  milieu 
de  la  fumée,  il  ne  me  verra  pas. 

Le  roi  s'approche,  mais  pas  trop,  de  peur  que 
le  feu  ne  prenne  à  son  panialon  ;  le  lièvre  fait 
une  fumée  encore  plus  épaisse  et  se  .^auve. 

Q.uand  la  fumée  se  dissipe,  le  roi  voit  le  rat, 
le  force  à  descendre  et  le  tue. 

Le  lièvre  va  trouver  le  sin^e  et  lui  dit  : 


XXV 
ZISTOIRE  YÈVE,  LÉROI  AV  ZACOT 


^i  éna  éne  fois  éne  léroi  qui  li  éaa  éne 
bombarbe  dimiel  làhaut  éne  pied  dibois. 
Ene  yève  assembe  éne  lérat  nne  com- 
ploié  pour  aile  volor  çj  dimiel  là.  Yève  enbas 
méte  lafimée  ;  lérat  làhaut  coupe  dip:)in  dimiel. 

Avlà  léroi  vini,  li  crié  : 

—  Qui  ceunelà  qui  làhaut  pied  après  coupe 
mo  dipain  dimiel  ? 

Yève  cause  doucement  av  lérat  : 

—  Dire  to  tout  seil  ;  mo  dans  lafimée,  li  napas 
va  trouve  moi. 

Léroi  avance  morceau  loin,  pengare  so  caneçon 
bourlé;  Yève  faire  éne  bon  bande  lafimée,  li 
sauvé. 

Lhère  lafimée  fine  tombé,  léroi  trouve  lérat,  li 
force  li  dicendé,  li  touye  li. 

Yève  aile  zoinde  zacot,  li  dire  li  : 


334  ^-E   UEVRE,   LE   EOI   ET  LE   SINGE 

—  Compère,  je  sais  où  il  y  a  une  belle  ruche, 
mais  il  faut  être  deux  pour  enlever  le  miel. 
Si  vous  voulez,  associons-nous,  nous  partage- 
rons. 

Le  singe  accepte  l'offre  et  suit  le  lièvre. 
Quand  ils  sont  arrivés,  le  lièvre  dit  au  singe  : 

—  Vous,  compère,  vous  monterez  dans  l'arbre 
pour  enlever  le  miel,  moi  je  resterai  au  pied  pour 
faire  de  la  fumée. 

Le  singe  monte,  le  lièvre  enfume  les  abeilles, 
le  roi  arrive. 
Le  roi  crie  : 

—  Mais  qui  est-ce  qui  est  encore  dans  cet 
arbre  à  m'enlever  mon  miel  ? 

Le  lièvre  dit  tout  bas  au  singe  : 

—  Dis  que  tu  es  seul;  je  suis  au  milieu  de  la 
fumée,  il  ne  me  verra  pas. 

Le  singe  se  met  à  rire  et  crie  au  roi  : 

—  Eh  vous  !  sire  ;  regardez  dans  la  fumée, 
et  n'ayez  pas  peur  de  mettre  le  feu  à  voti'e  pan- 
talon. 

Le  roi  regarde  dans  la  fumée,  aperçoit  le  lièvre 
et  le  tue. 

Puis  le  roi  dit  au  singe  de  descendre. 
Le  singe  répond  au  roi  en  riant  : 

—  Suis-je  un  sot,  moi  !  J'ai  deux  chemins, 
l'un  en  haut,  l'autre  en  bas.  Me  suive  qui 
pourra. 


ZISTOIRE  YÈVE,    LÉROI  AV  ZACOT  335 

—  Compère,  mo  coné  a  cote  iéna  éne  belbel 
bombarde  dimiel  ;  mais  bisoin  dé  doumounde 
pour  tire  li.  Quand  vous  content,  anons  faire 
zassociés  :  nous  va  partazé. 

Zacot  content,  li  sivré  yève. 

Lhére  zaute  fine  arrivé,  yève  dire  av  zacot  : 

—  Vous,  compère,  vou  a  monte  làhaut  pied 
pour  coupe  dimiel,  moi,  mo  a  reste  enbas  pied 
pour  mette  lafimée. 

Zacot  monté,  yève  mette  lafimée,  léroi  vini. 

Léroi  crié  : 

—  Mais  qui  cenne  là  qui  encore  làhaut  pied 
après  coupe  mo  dimiel? 

Yève  cause  doucement  av  zacot  : 

—  Dire  to  tout  seil  ;  mo  dans  lafimée,  li  napas 
va  trouve  moi. 

Zacot  rié  ;  li  crie  léroi  : 

—  Eh  vous,  léroi  !  guette  dans  lafimée  ;  napas 
peir  bourle  vous  caneçon. 

Léroi  guette  dans  lafimée,  li  trouve  yève,  li 
touye  li.  Acthére  là  li  dire  Zacot  dicendé. 

Zacot  rié,  li  réponde  léroi  : 

—  Sipas  mo  bête,  moi  !  Mo  éna  dé  cimins  : 
éne  en  haut,  éne  en  bas.  Sivré  moi  quand  ca- 
pabe. 


336  LE  LjÈVRE,    le   foi  et   LE   S'NGE 


11  saute  au  bout  d'une  branche,  de  là  dans  un 
aulre  arbre,  et  s'en  va. 
Le  roi  reste  le  nei:  cassé. 


Assez  médiocre  ;  le  lièvre  y  est  perdu  dans  la  fumée,   le  singe 


ZISTOIRE   YÈVE,    LÉROI  AV   ZACOT  337 

Li  saute  dans  boute  brance,  li  saute  dans  éne 
laute  pied  dibois,  li  allé. 
Léroi  reste  sec. 


se   voit  un  peu  mieux.   C'est  une  de  celles  qui  tournent  à  la 
confusion  du  lièvre  et  du  roi. 


22 


^rr^    ^mrr~   wv—    ^fjr"    •'/ ~    ^^ir~    ^^IT'    ^'ÂT'    w/ ^    fco 
C^  itlA  CViA  Cti>  CtlA  CtA  r^  CtlA  C\1A  r<iA 


XXVI 
LE  LIÈVRE  ET  LE  ROI  ÉLÉPHANT 


^•îs^  ANS    ce    temps-là,    c'était    l'éléphant    qui 

«Ib^II  ^^^^^  ^^  ''°^  ^^^  animaux.  Mais  ce  pauvre 
wa'if^  roi  était  si  vieux,  si  vieux  qu'il  ne  pou- 
vait plus  rien  faire,  s'occuper  de  rien.  Il  passait 
toute  la  journée  la  bouche  ouverte,  bavant,  ba- 
vant, comme  un  petit  enfant  qui  fait  ses  dents  : 
un  vieux  ramolli,  vous  dis-je.  Les  animaux,  ce- 
pendant, faisaient  semblant  de  croire  que  c'était 
parce  qu'il  riait  qu'il  avait  toujours  cette  bouche 
ouverte,  et  tous  répétaient  :  «  Mais  voyez  quel  bon 
roi  nous  avons  !  il  rit  toujours,  il  rit  sans  cesse.  » 
La  saison  sèche  arriva.  La  pluie  ne  tombait 
pas,  toute  l'herbe  était  brûlée  par  le  grand  soleil. 
Le  lièvre  cherche  à  manger,  il  ne  trouve  rien  : 
point  de  lasseron,  point  de  salade,  point  de  lé- 
gumes, tout  est  mort.  Mais  vous  savez  que  le 
lièvre  est  plein  de  malice. 


CtiA  «ViA  ftiA  CZlf.  C\iA  CXlÀ.  «VA  <AiA  <viA  CXlÀ.  diA  CtiA  C^il 


XXVI 

ZISTOIRE  YÈVE  AV  LÉROI  LÉLÉPHANT 


ANS  ça  létemps  là,  léléphant  qui  ti  léroi 
tout  zanimaux.  Mais  ça  pauve  léroi  là  té 
si  tant  vie,  si  tant  vie  qui  li  naplis  capave 
faire  narien,  oquipe  narien  :  tout  lazournée  li 
nèque  assise  labouce  ouvert,  bavé,  bavé,  cornent 
éne  ptit  zenfant  qui  pousse  lédents  ;  éne  vie 
gaga  même,  mo  dire  vous.  Maiz  zanimaux  faire 
semblant  zaute  croire  qui  labouce  ouvert  là 
éne  rié  ça  ;  zaute  tout  nèque  dire  :  «  Mais 
guette  nous  léroi  cornent  libon  :  li  rié,  touzours 
li  rié.  » 

Lasaisdn  sec  fine  vini.  Laplie  napas  tombé,  tout 
Iherbe  bourlé  dans  grand  soleye.  Yève  rôde 
manzé,  li  napas  trouve  narien  :  lastrou  napas, 
salade  napas,  léguimes  napas,  tout  fine  mort. 
Mais,  vous  cône,  iéna  malice  av  Yève  I 


340  LE  LIÈVRE   ET  LE  ROI   ÉLÉPHANT 


Comme  il  voit  ouverte  la  bouche  du  roi  élé- 
phant, il  épie  le  moment  où  personne  ne  peut  le 
voir,  et  saute  dans  la  bouche  de  l'éléphant.  Il 
entre  dans  son  corps,  descend  et  va  manger  ses 
intestins.  L'éléphant  ne  sent  rien,  sa  bouche  reste 
ouverte,  il  rit,  il  rit  toujours. 

Le  lièvre  est  un  animal  méchant.  Quand  il  a 
assez  mangé  de  tripes,  il  se  met  à  ronger  le  cœur 
de  l'éléphant.  Le  vieux  roi,  cette  fois,  cesse  de 
rire;  il  ferme  la  bouche  et  meurt. 

Lorsque  le  lièvre  a  assez  mangé,  il  veut  sortir  : 
impossible,  la  porte  est  fermée.  Que  faire?  Il  re- 
tourne dans  les  intestins,  il  s'assied  et  réfléchit. 

Cependant,  au  dehors,  les  animaux  se  sont 
aperçus  que  le  roi  est  mort.  Il  font  mine  d'être 
désolés,  ils  pleurent,  ils  crient,  ils  gémissent.  Le 
singe  va  dire  au  jeune  éléphant  qui  doit  succéder 
au  roi  son  père  :  «  Sire,  pour  soulager  un  peu 
notre  douleur,,  laissez-nous  empailler  le  corps  de 
votre  père  avec  des  herbes  odoriférantes,  citro- 
nelle,  feuilles  de  fougère,  racines  de  vétiver, 
faham.  Puis  nous  le  porterons  au  cimetière.  Mais, 
du  moins,  il  mettra  plus  longtemps  à  pourrir,  et 
nous  pourrons  nous  consoler  un  peu  !  Quelle 
perte  affreuse  nous  avons  faite  !  »  Tous  les  ani- 
maux répèteQt  en  choeur  :  «  Oui,  sire!  oui,  sire! 
laissez-nous  bourrer  de  bonne  paille  le  corps  de 
votre  père.  » 


ZISTOIKE   YÈVE   AV   LÉROI  L'ÉLÉPHANT       341 

Cornent  H  trouve  léroi  Léléphant  la  bouce 
ouvert  là,  li  veille  veille  Iheire  personne  capave 
trouve  li,  li  saute  éne  coup  dans  labouce  lélé- 
phant, li  rente  dans  so  lécorps,  li  dicendé,  li  aile 
manze  son  tripes.  Léléphant  napas  senti  narîen  ; 
li  touzours  labouce  ouvert,  rié,  rié  même. 

Yève  éne  mauvais  zanimaux.  Lheire  li  fine  lassé 
mauze  tripes,  li  comence  manze  lékeir  léléphant. 
Ça  coup  là  léléphant  arête  son  rié  ;  li  fréme  la- 
bouce, li  mort  même. 

Lheire  yève  assez  manzé,  H  voulé  sourti  ;  napas 
moyen,  lapôrte  frémé.  Qui  li  a  faire?  Li  tourne 
dans  tripes;  li  assise,  li  maziné. 

Par  en  dehors,  zanimaux  fine  trouve  léroi 
mort.  Avlà  zaute  faire  semblant  çagrin,  ploré, 
crié,  plaigne.  Zacot  dire  av  zène  léléphant  qui  ti 
pour  vine  léroi  dans  place  so  papa  :  «  Mon  roi, 
pour  soulaze  ein  pé  nous  ladouleir,  laisse  nous 
empaille  lécorps  vous  papa  av  boucoup  boucoup 
Iherbe  senti  bon,  citronelle,  feilles  fouzères,  ra- 
cines vitiver,  faham.  Après,  nous  va  amène  li 
cimiquière  ;  mais  va  bisoin  létemps  pour  li  pourri  : 
nous  va  capave  console  morceau!  Qui  laperte 
affireise  nous  fine  faire  !  »  Tout  zanimaux  nèque 
crie  en  bande  :  «  Oui,  mon  roi,  oui  mon  roi, 
laisse  nous  bourre  lécorps  vous  papa  av  bon  la- 
paille.  » 


342  LE   LIÈVRE   ET   LE   ROI   ÉLÉPHANT 

Le  jeune  éléphant  est  content.  Il  leur  dit  : 
«  Eh  bien  !  bourrez,  puisque  vous  le  désirez, 
bourrez  !  » 

Le  singe  dit  aux  animaux  :  a  Allez  chercher  de 
l'herbe  et  des  feuilles.  Je  garde  avec  moi  le  rat, 
le  tandrac,  la  souris,  le  centpieds,  le  millepattes, 
le  ver,  pour  vider  ce  grand  corps-là  :  il  faut  re- 
tirer les  intestins  et  les  jeter,  sinon  il  pourrirait 
trop  vite. 

Le  lièvre,  qui  a  tout  entendu,  s'enveloppe  dans 
les  intestins.  Le  singe  les  fait  enlever  et  jeter 
bien  loin  pour  qu'ils  n'empuantissent  pas  le  palais 
du  roi. 

Quand  le  lièvre  les  a  entendus  s'éloigner,  il 
sort  du  milieu  des  intestins,  se  nettoie,  s'essuie 
bien,  et  court  au  cimetière  où  l'on  enterrait  le 
défunt. 

Le  martin  et  la  perruche  venaient  de  prononcer 
de  longs  discours  au  bord  de  la  fosse.  Le  lièvre 
fend  la  presse,  arrive  auprès  du  trou,  lève  les 
yeux  et  commence  : 

«  Hélas  !  hélas  !  mes  frères  !  de  quel  coup  cruel 
Dieu  nous  a  frappés  !  Quel  bon  roi  nous  avons 
perdu  !  Et  je  n'étais  pas  là  pour  fermer  ses  yeux  ! 
j'étais  allé  aux  Trois-Ilôts  près  de  l'oncle  de  ma 
femme,  gravement  malade,  lui  aussi  !  Je  reviens, 
qu'est-ce  que  j'entends  dire  :  «  Le  roi,  notre  bon 
roi  est  mort  !  »   Hélas  !  hélas  !  qu'on   me   laisse 


ZIST07RE   YÈVE   AV    LÉROI   LÉLHPHANT        343 

PiiJi;  léléphimt  coaLenL  Lï  diiC  z^uLe  :  «  Ah  ben  ! 
quand  zjuie  coiitani.,  bourvé.  » 

Zacot  dire  zaiilmaux  :  «  Aile  çace  Iherbe  av 
feillazG,  mo  gdrde  pv  moi  léraî.  tpnd'^u-:,  iouris, 
cenipieds,  millepiiLi;es,  lever  pour  vide  ça  grand 
grand  lécorps  là  :  bisoni  lire  son  trines,  zété  ; 
sans  ça  li  pour  pourri  virement  même.   » 

lève  lende  ça,  11  enroule  so  lécorps  dans  milié 
tripes.  Zacot  faire  tire  tout  tripes,  zette  loin  loin 
même,  pengare  zaute  faire  lacase  léroi  senti  pi. 

Lheire  yève  tende,  zaute  fine  tourne  lacase 
léroi,  li  sourti  dans  milié  tripes,  li  nétoye  son 
lécorps,  li  souye  bien  prope,  li  couri  dans  cimi- 
quière  à  côte  zaute  té  après  faire  lenterrement. 

Martin  av  cateau  té  fèque  fini  grand  grand  dis- 
cours dans  bord  lafosse,  yève  fonce  àcôte  trou,  li 
lève  liziés  en  lair,  li  comence  causé  : 

«  Aïo  !  aïo  !  mo  frères,  qui  malheir  Bondié 
fine  envoyé  nous.  Qui  bon  léroi  nous  fine  perdi  ! 
Et  mo  napas  ti  là  pour  fréme  so  liziés  !  mo  ti  aile 
Trois  Zilots  àcôte  tonton  mo  femme  qui  ti  gagne 
grand  malade  même.  Lheire  mo  tourné,  qui  mo 
tende  dire  :  «  Léroi,  nous  bon  léroi  fine  mort  !  « 
Aïo  !  aïo  !   laisse  moi   ploré.    Zaute  tout  çagrin, 


544  LE  LIÈVRE  ET   LE   ROI  ÉLÉPHANT 

pleurer!  Tous  vous  êtes  dans  l'affliction,  mes 
frères  !  tous,  je  le  vois,  vous  sentez  votre  perte. 
Mais  personne,  personne  ne  pouvait  comme  moi 
savoir  quel  bon  cœur,  quel  cœur  excellent  avait 
notre  roi  !  Laissez,  laissez  mes  yeux  se  fondre  en 
eau.  » 

Le  lièvre  quitte  le  cimetière  et  va  chercher  du 
cresson  au  bord  de  la  rivière. 


Ici  Lindor  hausse  le  ton.  Il  s'élève  jusqu'à  la  satire  :  les  deux 


ZISTOIRE  YÈ\''E  AV   LÉROI   LÉLÉPHANT  345 

mo  frères,  mo"  trouvé  qui  zaute  tout  senti  la  dou- 

leir  ;    mais   personne,    personne   té  capave  coné 

cornent  moi  qui  bon  lékeir,  qui  bon  lékeir  nous 

léroi    ti   gagné.    Laisse,    laisse    mo    liziés  coule 
dileau.  » 

Yève    sourti    dans   cimiquière  ;    li    aile  rôde 
cresson  bord  larivière. 


éléphants,  père  et  fils,  le  singe,  le  lièvre  et  le  chœur  même  des 
animaux,  tout  grandit  :  la  fable  créole  n'a  rien  de  plus  élevé. 


XXVII 
LE  LIÈVRE  ET  LE  COUROUPAS 


iN  jour,  papa  lièvre  vint  à  passer  près  d'un 
jl  bois  noir.  En  levant  la  tête,  il  aperçoit 
un  nid  de  guêpes  suspendu  à  une 
branche.  Je  ne  sais  ce  qui  lui  passe  par  la  tête, 
mais  il  monte  dans  le  bois-noir,  attache  une 
corde  autour  du  nid  de  mouches,  redescend,  et 
s'assied,  la  corde  entre  les  mains.  Il  reste  là,  sans 
bouger. 

Le  lièvre  était  là,  immobile,  quand  survient 
compère  couroupas.  Il  regarde  un  bon  moment 
le  lièvre  qui  demeure  là  sans  remuer,  tenant  sa 
corde.  «  Mais,  compère,  lui  dit  enfin  le  cou- 
roupas, que  fais-tu  donc  là  avec  cette  corde?  — 
Silence,  compère  !  laisse  les  enflints  travailler.  Ne 
sais-tu  pas  que  c'est  l'école  ici?  C'est  moi  qui  suis 


XXVII 
ZISTOIRE  YÈVE  AV  COUROUPA 


H-=^?vj  NE  zour  papa  yève  ti  passe  à  côte  éne  pied 
^  }à^  banoir.  Cornent  li  lève  latéte,  li  voir  éne 
€>>^iw  nique  mouces  en  pendant  dans  éne  brance. 
Si  pas  qui  li  maziné,  li  monte  làhaut  banoir,  li 
amarre  éne  lacorde  autour  nique  mouces,  li  di- 
cendé,  li  assise,  lacorde  dans  so  lamain,  mais  li 
reste  tranquille,  napas  bouzé. 

Coma  yève  après  assise  là,  compère  couroupa 
passé.  Bon  morceau  létemps  li  guété  :  yève  lacorde 
dans  lamain,  napas  bouzé.  Couroupa  dire  li  : 
«  Mais,  compère,  qui  to  après  fére  av  ça  lacorde 
là,  donc?  —  Napas  causé,  compère,  laisse  zen- 
fants  apprende  !  to  napas  cône  dans  lécole  ici  ; 
mo  même  qui  engazé  pour  sonne  lacloce  :  houite 


34S  LE  LIÈVRE  ET  LE   COUROUPAS 

chargé  de  sonner  la  cloche  :  à  huit  heures,  les 
enfants  entrent  en  classe,  je  sonne;  à  dix  heures, 
ils  sortent,  je  sonne.  Six  piastres  par  mois,  la 
demi-balle  de  riz,  les  dohlls  et  le  poisson  salé  : 
c'est  une  bonne  place  !  Par  malheur,  je  suis 
obligé  de  la  quitter  :  mon  médecin  m'a  ordonné 
un  changement  d'air,  je  vais  à  la  campagne.  — 
Eh  bien  !  compère,  puisque  tu  es  obligé  de  partir, 
cède-moi  ta  place.  —  Je  compte  partir  aujour- 
d'hui même  si  je  trouve  quelqu'un  pour  me  rem- 
placer. —  Eh  bien  !  me  voilà.  —  Et  toi,  si  je  te 
mets  à  ma  place,  prends  bien  garde  au  moins  de 
ne  pas  manquer  l'heure  de  sonner  !  —  N'aie  pas 
peur,  compère,  ce  n'est  jamais  moi  qu'on  prendra 
en  faute.  Donne  la  corde.  «  Le  lièvre  lui  remet 
la  corde  et  lui  dit  :  «  Ecoute  bien  :  tout  à  l'heure, 
dix  heures  vont  sonner  à  l'église  ;  écoute  bien, 
et  sonne,  toi  aussi.   » 

Le  lièvre  s'en  va.  Le  couroupas  est  au  pied  du 
bois-noir  ;  il  tient  la  corde,  il  écoute  de  toutes 
ses  oreilles.  Voilà  l'église  qui  sonne  :  le  couroupas 
tire  sur  la  corde  :  rien  !  la  cloche  ne  sonne  pas. 
«  Maman  !  elle  est  dure,  cette  cloche  !  »  Le  cou- 
roupas se  suspend  à  la  corde,  il  tire,  il  secoue. 
Soudain  la  branche  casse,  le  nid  de  mouches 
tombe.  Les  guêpes,  furieuses,  sortent  du  nid, 
fondent  sur  le  couroupas,  lui  piquent  la  figure, 
les  mains,  les  pieds,  les   yeux,  elles   le  lardent. 


ZISTOmE   YEVE   AV   COUROUPA  349 

hères,  zenÊants  rentré,  mo  sonné  ;  dix  hères, 
zcnfants  sourti,  mo  sonné.  Sisse  piasses  par  mois, 
dimi  balle  douriz,  dholl  sembe  pôsson  salé  :  éne 
bon  place  !  Mais  domaze  mo  blizé  quitté  :  docteir 
dire  moi  çanze  lair,  aile  lacampagne.  —  Ah!  ben, 
compère,  quand  to  blizé  allé,  donne  moi  to 
place.  —  Mo  pour  allé  azourdi  même  quand  mo 
trouve  quiquéne  pour  mette  dans  mo  louvraze. 
—  Eh  ben  !  avlà  moi.  —  Eh  toi  !  prend  gare  to 
manque  Ihére  pour  sonrïé,  quand  mo  mette  toi 
dans  ça  place  là,  oui  !  —  Napas  peir,  compère, 
zamais  moi  qui  pour  gagne  réproce  dans  mo 
louvraze.  Donne  lacôrde.  ))  Yève  donne  li  lacôrde, 
li  dire  li  :  «  Coûte  bien  :  talhére  dix  hères  pour 
sonne  dans  léglise,  toi  aussi  to  sonné,  hein? 
coûte  bien.  » 


Yève  allé.  Couroupa  cnbas  banoir,  lacôrde 
dans  lamain,  h  coûté,  coûté,  coûté.  Avlà  léglise 
sonné,  couroupa  tire  lacôrde  :  narien  !  lacloce 
napas  sonné.  «  Manman  !  li  dir  ça  lacloce  là! 
oui  !  ))  Couroupa  pendi  làhaut  lacôrde,  tiré,  tiré, 
sacouyé.  Ene  coup  là  brance  cassé,  nique  mouces 
tombe  en  bas.  Mouces  là  firié,  sourti  dans  nique, 
fonce  làhaut  couroupa,  pique  li  dans  figuire, 
pique  li  dans  lamain,  dans  lipieds,  dans  liziés,  éne 
beirée   même.    «    Aïo,    manman  !    »    Couroupa 


350  LE   LIÈVRE   ET   LE   COUROUPAS 


((  Aïo,  maman  !  le  couroupas  se  sauve,  les  mou- 
ches s'attachent  à  lui  et  le  criblent  de  leurs  dards. 
Un  ou  deux  mois  se  passent  ;  le  couroupas 
était  guéri.  Un  jour  qu'il  traversait  un  bois  de 
palmistes,  il  aperçoit  le  hèvre.  Sa  colère  s'éveille. 
«  Te  voilà,  enfant  de  chien!  il  faut  que  je  te 
tue.  ))  Mais  le  lièvre  était  malin.  «  Holà  !  vous, 
mon  noir,  ê;es-vous  fou,  pour  crier  ainsi!  Ne 
savez-vous  pas  que  c'est  l'église  ici  !  regardez  les 
colonnes,  —  c'éaiient  les  troncs  des  palmistes. 
C'est  moi  le  bedeau,  et  je  vais  êî»-e  obligé  de 
vous  mettre  dehors  si  vous  parlez  haut.  «  Le 
couroupas  interdit  ne  trouve  pas  un  mot  à  ré- 
pondre. Le  lièvre  va  et  vient  dans  réglise,  puis 
revenant  au  couroupas  il  lui  dit  :  «  Eh  vous, 
compère,  goûiez-moi  cette  eau  bénite  là!  »  C'était 
du  miel.  Dans  ses  tours  et  détours,  le  lièvre  éiait 
allé  tremper  son  doigt  dans  une  soucoupe  qu'il 
avait  cachée  sous  des  fougères.  Le  couroupas 
goûte  le  miel  et  fait  des  yeux  blancs  :  «  Maman  ! 
ça  ne  s'appelle  pas  de  bonne  eau  bénite,  ça  ! 
Mais  où  donc  met-on  l'eau  bénite  dans  cette 
église-là?  ))  Le  lièvre  le  conduit:  «  Voici.  » 
C'éiait  une  ruche,  et  les  abeilles  étaient  encore 
dedans.  Le  lièvre  quiite  le  couroupas  et  s'esquive. 
Le  couroupas  s'approche  de  la  ruche.  «  J'ai  envie, 
dit-il,  de  faire  ma  prière.  Mieu:;  vaut  commencer 
par  prendre  de  l'eau  bénite.  »  Il  fourre  la  main 


ZISTOIRE  YÈVE  AV   COUROUPA  35  I 

vanné,   mouces    av    li,   baise   li   zousqu'à   napas 
bon. 

Si  pas  éne  mois  dé  mois  passé,  couroupa  fine 
guéri.  Ene  zour,  coma  li  passe  en  bas  éne  bois 
palmisses,  li  trouve  yève.  So  colère  levé  :  «  Avlà 
toi,  fanegace;  faut  mo  touye  toi!  »  Mais  5^ève 
malin  :  «  Et  vous  là,  mon  noir,  vous  fou  crie 
crie  fort  comme  ça  !  Vous  napas  cône  léglise  ici, 
guette  colonnes  —  ça  té  létroncs  palmisses  — 
moi  même  bedeau,  mo  a  blizé  pousse  vous  quand 
vous  cause  fort,  oui  !  »  Couroupa  reste  séc,  napas 
cône  qui  li  va  dire.  Yève  vire  viré  dans  léglise,  li 
tourne  encore  av  couroupa,  li  dire  li  :  «  Et  vous, 
compère,  goûte  ça  dUeau  bénit  là.  »  Ça  té  di- 
miel  :  dans  son  viré  yève  ti  aile  trempe  so  lédoigt 
dans  éne  s^coupe  qui  li  té  caciette  en  bas  fouzére. 
Couroupa  goûte  dimiel  là  ;  liziés  viré  :  «  Man- 
man  !  nap?"  pelle  bon  dileau  bénit  ça!  Mai?  à 
côte  zaute  mette  zauîe  dileau  bénit  dans  léglise 
là  ?  »  Yève  amène  li  :  «  Avlà  li  là.  «  Ça  té  éne 
grand  grand  bombarde  dimiel,  mais  so  mouces 
dimiel  encore  làdans.  Yève  qu'tie  couroupa,  li 
dégazé  même.  Couroupa  approce  côte  bombarde 
là,  li  dire  :  «  Mo  envie  (ère  mo  lapriére,  mo  vaut 
mié  prend  mo''ceau  dUeau  bénit.  »  Li  fourre 
lamain  dans  bombarde  :  mouces  sourd  côment 
éne  lafimce,  tombe  par  battant  là  haut  li,  tace  av 
li  mété  même.  Li  fou,  li  roule  so  lécorps  par 


352  LE   LIÈVRE   ET   LE   COUROUP.^S 

dans  la  ruche.  Il  s'en  élève  un  nuage  d'abeilles  ; 
elles  fondent  sur  lui,  s'attachent  à  lui  avec  fu- 
reur. Il  est  fou,  il  se  roule  par  terre,  il  ne  bouge 
plus,  il  est  comme  mort.  Les  mouches  le  croient 
vraiment  mort  et  le  laissent  là. 

Deux  ou  trois  mois  se  passent,  et  le  couroupas 
est  guéri. 

Un  jour,  le  lièvre  va  rendre  visite  à  la  fille  du 
roi,  et  dans  la  conversation  elle  lui  demande  : 
«  Est-ce  que  vous  connaissez  le  couroupas,  vous? 
—  Vous  me  demandez  si  je  connais  le  courou- 
pas? Comment  ne  le  connaîtrais-je  pas!  c'est  lui 
mon  cheval.  Tantôt,  à  quatre  heures,  si  vous  êtes 
à  votre  fenêtre,  vous  me  verrez  passer  dessus.  » 

Le  lièvre  sort  du  palais  du  roi  et  va  dans  la 
forêt.  Il  savait  l'endroit  où  couvait  une  mère 
poule.  Il  prend  trois  œufs  gâtés  et  les  met  dans 
sa  poche.  Il  va  ensuite  s'asseoir  sur  une  roche  au 
bord  du  chemin  que  devait  suivre  le  couroupas. 
Le  couroupas  arrive  et  voit  le  lièvre  :  «  Méchant 
grediu  !  tu  ne  m'échapperas  pas,  aujourd'hui!  je 
vais  te  tuer  !  »  Le  lièvre  fait  semblant  de  pleurer  : 
«  Hélas  !  aïo,  mon  ami  !  tu  n'auras  pas  la  peine 
de  me  tuer!  Je  suis  bien,  bien  malade,  et  je  serai 
mort  tout  à  l'heure.  Aïo!  aïo!  que  je  souffre! 
Pardon,  compère,  pardon  1  viens  m'aider  a  me 
lever  :  je  veux  essayer  de  me  traîner  à  l'hôpital  ; 
peut-être    le   médecin   pourra-t-il   me   soulager. 


ZISTOIRE  YÈVE  AV   COUROUPA  353 


terre,  naplis  bouzé,  cornent  mort.  Mouces  croire 
li  fine  mort  même,  quitte  li. 


Dé  trois  mois  passé,  couroupa  fine  guéri.  Ene 
zour  yève  aile  rende  visite  lafille  léroi.  Coma 
zaute  après  cause  causé,  lafille  léroi  dire  li  : 
«  Vous  coné  couroupa,  vous?  —  Vous  dimandé 
sipas  mo  coné  couroupa?  Coment  mo  napas  coné 
li,  li  même  mo  couvai  !  Tantôt,  quatre  hères,  si 
vous  dans  vous  lafenète  vous  a  trouve  moi  passé 
làhaut  li.  » 


:  Yève  sourti  lacase  léroi,  li  aile  dans  bois.  Li  ti 
coné  à  côte  éne  manman  poule  après  couvé  ;  li 
prend  trois  dizefs  gâtés,  li  mette  dans  so  poce. 
Li  aile  dans  cimin  à  côte  couroupa  pour  passé,  li 
assise  Ihaut  éne  roce.  Couroupa  vini,  li  trouve 
yève  :  «  Fouti  cocon  !  zourdi  là  to  napas  pour 
çapé,  mo  pour  touye  toi  !  »  Yève  semblant  ploré  : 
«  Aïo  !  aïo,  mon  ami  !  to  napas  pour  gagne  la- 
peine  pour  touye  moi;  grand  grand  malade  av 
moi,  talhére  mo  à  mort.  Aïo  !  aïo  !  coment  mo 
souffert  !  Pardon,  compère,  pardon  !  Vine  donne 
moi  lamain  pour  levé  ;  mo  vlé  trainé  pour  aile 
Ihoptal,  sipas  docteir  va  soulaze  mo  lécorps.  Aïo, 
aïo  !  difé  dans   mo  lostoma  !   aïo!!  »  Couroupa 

23 


3  54  LE   LIÈVRE   ET   LE   COUROUPAS 

Aïo  !  aïo  !  c'est  du  feu  que  j'ai  dans  la  poitrine  ! 
aïo  !  »  Le  couroupas,  en  s'approchant  de  lui,  sent 
une  affreuse  odeur  :  c'était  un  œuf  gâté  qu'avait 
cassé  le  lièvre.  «  Pouah  !  que  tu  infectes  !  on  n'y 
peut  tenir  près  de  toi!  —  Hélas!  mon  frère, 
c'est  mon  corps  :  je  vais  mourir,  je  commence  à 
puer.  Aïo!  je  ne  puis  marcher;  porte-moi  à  l'hô- 
pital, mon  frère.  Dieu  te  bénira.  Aïo  !  »  Le  cou- 
roupas avait  bon  cœur,  il  le  prend  sur  son  dos. 
«  Donne-moi  une  bride,  mon  frère  ;  je  suis  trop 
faible,  je  tomberais.  »  Le  couroupas  lui  donne 
une  bride.  «  Donne-moi  un  fouet,  mon  frère;  je 
me  servirai  du  manche  pour  te  montrer  par  où 
passer,  le  chemin  de  l'hôpital  est  difficile  à 
trouver.  Aïo  !  quand  je  parle,  j'ai  du  feu  dans  la 
gorge  ;  ne  me  fais  point  parler,  mon  frère  ! 
donne-moi  un  fouet,  aïo  !  »  Le  couroupas  lui 
donne  un  fouet. 

Quand  le  lièvre,  à  cheval  sur  le  couroupas, 
tient  la  bride  et  le  fouet,  il  le  dirige  du  côté  du 
palais  du  roi.  Le  couroupas  marche,  marche, 
c'est  sa  manière  d'aller  lentement.  Le  hèvre  lui 
dit  :  «  Et  toi  !  l'hôpital  ferme  à  quatre  heures, 
oui  !  prends  le  galop,  ou  nous  arriverons  trop 
tard.  ))  Le  couroupas  garde  son  pas.  Le  lièvre 
tire  sur  la  bride  qui  est  dans  sa  bouche  :  «  Mais 
au  galop,  donc  I  quand  je  te  le  dis.  »  Le  cou- 
roupas se  fâche  :  «  Si  tu   ne  te  tiens  pas  tran- 


ZISTOIRE   YÈVE   AV   COUROUPA  355 

cornent  li  vine  à  côte  li,  senti  éne  mauvais  lodeir 
mazizi,  mo  dire  vous. Ça  té  liéve  qui  té  casse  éne 
dizef  gâté.  «  Mais  cornent  to  senti  pi,  donc  ! 
napas  capave  tini  av  toi.  —  Aïo  !  aïo  !  mo  frère, 
mo  lécorps  ça  :  mo  pour  mort,  mo  comence  senti 
pi,  aïo  !  mo  napas  capave  marcé  ;  porte  moi 
Ihoptal,  mo  frère  :  Boudié  va  soulaze  toi,  aïo  !  » 
Couroupa  bon  keir,  li  prend  li  làhaut  son  lédos, 
«  Donne  moi  éne  labride,  mo'i  frère,  mo  ti'ôp 
feibe,  pendgare  mo  tombé.  »  Couroupa  donne  li 
éne  labride.  «  Donne  moi  éne  fouéte,  mon  frère  ; 
av  so  lamance  mo  va  montré  toi  à  côte  pour 
passé;  cimin  Ihoptal  là  difficile  pour  trouvé.  Aïo! 
Ihére  mo  causé  difé  dans  mo  lagorze  ;  napas  fére 
moi  causé,  mo  frère,  idonne  moi  éne  fouéte, 
aïoi  »  Couroupa  donne  li  éne  fouéte. 


Lhére  yève  làhaut  lédos  couroupa  fine  gagne 
labride  sembe  fouéte,  li  amène  li  dans  cimin 
lacase  léroi.  Couroupa  marcé,  marcé  :  so  manière 
couroupa  marce  doucement.  Yève  dire  li  :  «  Et 
toi  !  Ihoptal  là  pour  fermé  quatre  hères,  oui  ! 
galpê,  nous  a  manque  laporte.  »  Couroupa 
marcé.  Yève  tire  lal)ride  dans  so  labouce  :  «  Mais 
galpé  donc,  quand  mo  dire  toi.  »  Couroupa  en 
colère  :  «  Quand  to  napas  tine  tranquille,  mo 
pour  zette  toi,  talhére,  »  Yève  rié  :  «  Sayé,  mo 


3 $6  LE  LIÈVRE   ET  LE   COUROUPAS 

quille,  je  vais  te  jeter  tout  à  l'heure  I  «  Le  lièvre 
se  met  à  rire  :  «  Essa3'e,  mon  camarade,  essaye  !  » 
Et  le  lièvre  lui  donne  une  volée  de  coups  de 
fouet.  Le  couroupas  veut  le  jeter  :  impossible  !  la 
bride  lui  coupe  la  bouche,  les  coups  de  fouet 
l'étourdissent,  il  est  forcé  de  prendre  le  galop.  Ils 
passent  sous  la  fenêtre  de  la  fille  du  roi  ;  le  lièvre 
lui  tire  son  chapeau. 

Le  bord  de  la  mer  était  proche.  Le  lièvre 
pousse  le  couroupas,  et,  à  force  de  coups,  le  fait 
entrer  dans  l'eau.  Le  couroupas,  qui  ne  sait  pas 
nager,  veut  s'arrêter.  Impossible!  le  lièvre  le 
pousse,  le  pousse  toujours.  L'eau  passe  par- 
dessus sa  tête,  il  agite  les  bras,  il  ouvre  la  bouche 
pour  crier,  l'eau  entre,  il  se  noie. 

Le  lièvre  retourne  à  terre.  Quand  ses  habits 
sont  séchés,  il  va  chez  la  fille   du   roi  et  lui  dit  : 

«  Ce  couroupas  que  vous  savez  était  une  triste 
monture  :  je  l'ai  vendu  à  une  mère  houritte.  » 


C'est  un  des  meilleurs  morceaux  du  répertoire  de  Lindor. 
L'invention  en  est  si  bien  nègre  que  nous  étions  tenté  d'en 
attribuer  l'honneur  à  notre  bonhomme.  Mais  voici  que  notre 
savant  correspondant  et  ami,  le  docteur  Hugo  Schuchardt*,  pour 
qui  nos  patois  créoles  n'ont  guère  plus  de  secrets,  nous  avertit 
charitablement    que    notre   histoire  est   faite  de  trois  morceaux 

*  Professeur  à  l'Université  de  Graz. 


ZISTOIRE   YÈVE   AV   COUROUPA  357 

camrade,  sayé.  n  Avla  yève  amarre  li  coups  de 
fouéte  piqué,  piqué.  Couroupa  vlé  zette  li,  napas 
fouti;  labride  coupe  so  labouce,  coups  de  fouéte 
tourdi  li,  li  blizé  galoupé.  Zaute  passe  enbas 
lafenéte  lafille  léroi,  yève  tire  éne  coup  d'çapeau. 

Bord  lamer  napas  loin  ;  yève  faire  li  éne  con- 
diré  oblize  li  ente  dans  dileau.  Couroupa  napas 
coné  nazé,  li  vlé  arrêté,  napas  moyen,  bourré 
même,  bourré,  bourré.  Dileau  làhaut  so  latéte  ; 
li  batte  batte  lébras,  li  ouvert  labouce  pour  crié, 
dileau  entré,  li  noyé. 

Yève  tourne  à  terre  ;  Ihére  son  linze  séc  li  aile 
lacase  lafille  léroi,  li  dire  li  : 

«  Couroupa  là  éne  faye  faye  couvai  ;  mo  fine 
vende  li  sembe  éne  manraan  houritte.  » 


empruntés  à  trois  contes  nègres  américains.  Et  nos  archives 
mauriciennes  ne  nous  diront  jamais  comment  et  à  quelle  époque 
ont  eu  lieu  ces  importations  !  Nous  savons  du  moins  que  c'est 
La  Bourdonnaie  qui  nous  a  porté  le  manioc  emprunté  au  Brésil. 
Eh  xçiute  !  quùjuefois  :{tstoire  Yève  av  Couroupas  fine  passe  orand 
dileau  sembe  ça  dibois  mayoc  là,  oui  ! 

Que  d'intéressants  problèmes  dont  la  solution  se  dérobe  ainsi  ! 


©S^@S^©®@®©â^©®©S^ 


XXVIII 
HISTOIRE   DE   CORPS-SANS-AME 

ET  DE   COLLE-DES-CŒURS 


,L  y  avait  une  fois  un  roi  qui  avait  une  fille 
jolie,  mais  jolie  comme  un  goyavier-fleurs 
à  l'époque  du  premier  de  Tan,  une  petite 
merveille,  vous  dis-je.  Quand  les  jeunes  gens 
avaient  le  malheur  de  regarder  sa  figure,  leurs 
yeux  y  restaient  attachés;  ce  qui  fait  qu'ils  la 
nommaient  la  princesse  Colle-des-Cœurs,  et  une 
fameuse  colle,  je  vous  jure,  une  colle  qui  ne  lais- 
sait jamais  s'échapper  les  oiseaux  quand  une  fois 
ils  s'étaient  pris  aux  gluaux. 

Deux  ou  trois  cents  rois  de  toute  espèce 
avaient  déjà  demandé  sa  main  à  son  père.  Mais 
son  père  ne  voulait  pas  la  contraindre  :  «  Je 
laisserai  Colle-des-Cœurs  choisir  elle-même;  ce 
n'est  pas  moi  qui  dois  me  marier,  c'est  elle  qui 


^(i>.€$^,C$)(?lfgg^^€e)(51>.i5)?l>©-?l^ 


XXVIII 
ZISTOIRE   CORPS-SANS-AME 

AV   COLLE  DES-KEIRS 


yrr-».-^  I  éna  éne  fois  éne  léroi  qui  te  gagne  éne 
^liT'^  mamzelle  zoli  zoli  cornent  éne  pied 
»lsr3b4  gouyavier  fleir  dans  saison  bananée;  éne 
prit  dilhouile,  mo  dire  vous.  Lheire  zène  zens 
gagne  malheir  guéte  so  figuire,  zaute  liriés  tape 
av  li  :  ça  même  zaute  té  appelle  li  la  princesse 
Colle-des-Keirs,  et  éne  famé  lacoUe,  vous  cône, 
éne  lacolle  qui  zamais  largue  zozos  qui  fine 
maille  av  li. 


Sipas  dé  trois  cents  lérois  tout  qualité  té  fine 
dimande  so  papa  pour  marié  sambe  li.  Mais  so 
papa  napas  voulé  force  li  :  «  Mo  va  laisse  Colle- 
des-Keirs  li-même  çosiré;  napas  moi  qui  pour 
marié,   li   qui  pour  marié;   débrouille  vous  cari 


360      CORPS-SANS-ÂME   ET   COLLE-DES-CŒURS 

doit  se  marier  ;  débrouillez-vous  avec  elle  ;  si  elle 
vous  dit  oui,  ce  n'est  jamais  moi  qui  vous  dirai 
non.  Quand  la  tourterelle  doit  prendre  un  mari, 
ce  n'est  pas  le  martin  qui  prépare  le  nid.  »  Colle- 
des-Cœurs,  quand  elle  entendait  son  père  parler 
ainsi,  lui  sautait  au  cou  et  l'embrassait  :  </  Oui, 
certes,  c'est  moi  qui  ai  un  bon  petit  papa.  »  Et 
c'était  pour  cette  raison  que  le  père  de  CoUe-des- 
Cœurs  s'appelait  le  roi  Gâteau. 

Un  jour  Colle-des-Cœurs  faisait  une  prome- 
nade en  voiture.  Les  chevaux  s'emportent.  Le 
cocher  essaye  de  les  arrêter,  impossible!  c'était 
une  paire  de  Buenos- Ayres  ;  vous  savez  comme 
ils  ont  la  bouche  dure  ;  c'est  l'herbe  de  leur  pays 
qui  en  est  cause.  La  rivière  n'était  pas  loin; 
encore  un  instant  et  la  voiture  va  verser  dans 
l'abîme.  Colle-des-Cœurs  est  debout  et  sur  le 
point  de  sauter,  quand  soudain  elle  entend  une 
voix  qui  crie  :  «  Ne  sautez  pas,  mademoiselle! 
ne  sautez  pas!  me  voici!  »  Un  jeune  homme 
s'élance  hors  des  broussailles,  se  jette  devant  les 
chevaux,  les  saisit  aux  naseaux,  les  arrête. 

Colle-des-Cœurs  descend  de  la  voiture  et  lui 
dit  : 

—  Grand  merci.  Monsieur,  grand  merci  !  c'est 
vous  qui  m'avez  sauvé  la  vie.  Mais  ces  méchants 
chevaux  ne  vous  ont  pas  fait  de  mal,  au  moins  ? 

—  Du  mal  !  Mademoiselle  !  J'ai  le  bonheur  de 


CORPS-SANS-ÂME   AV   COLLE-DES-KEIRS        361 

assambe  li;  quand  li  dire  vous  «  sifait  »,  napas 
moi  qui  pour  dire  vous  «  napas  »  ;  Iheire  tour- 
terelle pour  prend  mari,  napas  martin  qui 
arranze  nique.  »  Colle-des-Keirs  quand  li  tende 
so  papa  cause  come  ça,  nèque  embrasse  embrasse 
li  :  «  Si  fait  va!  moi  qui  gagne  éne  bon  papa.  » 
Ça  même  lacause  qui  papa  Colle-des-Keirs  ti 
appelle  léroi  Gâteau. 

Ene  zour,  coment  Colle-des-Keirs  après  pro- 
mène dans  calèce,  couvais  emporté.  Cocé  saye 
arrête  zaute,  napas  moyen;  té  éne  paire  Béno- 
sayres,  vous  cône  coment  labouce  dir  av  zaute  : 
Iherbe  zaute  paye  qui  cause  çà.  Larivière  napas 
loin  ;  encore  éne  ptit  moment  même  calèce  pour 
çavire  dans  rempart  ;  Colle-des-Keirs  dibouté  pour 
sauté;  avlà  éne  coup  là  li  entende  éne  lavoix 
qui  crïe  li  :  «  Napas  sauté,  Mamzelle,  napas 
sauté!  avlà  moi.  »  Ene  zène  homme  sourti  éne 
coup  dans  brousses,  fonce  divant  couvais,  pèse 
zaute  dans  zaute  nénez,  arrête  zaute. 

Colle-des-Keirs  dicende  dans  calèce,  li  dire  li 
comme  ça  : 

—  Grand  merci,  Missié,  grand  merci!  Vous 
même  qui  fine  sauve  mo  lavie.  Mais  vous  napas 
fine  gagne  di  mal  av  ça  mauvais  couvais  là  ? 

—  Qui   dimal  ça,  Mamzelle  ?  Mo  fine  gagne 


362      CORPS-SANS-ÂME   ET   COLLE-DES-CŒURS 

les  empêcher  de  vous  tuer,  et  vous  me  demandez 
si  j'ai  du  mal  !  Non,  non!  ce  n'est  pas  du  mal, 
c'est  du  bonheur  qui  me  vient  d'eux  ! 

CoUe-des-Cœurs  devient  rouge  comme  le  côté 
d'un  letchi  où  frappe  le  soleil.  Elle  regarde  le 
jeune  homme  et  baisse  les  yeux.  Je  crois  que 
pour  le  coup  le  fruit  est  mûr. 

Cependant  le  cocher  a  ramené  la  voiture  sur 
le  grand  chemin;  il  a  visité  avec  soin  les  harnais 
et  les  roues  :  il  n'y  a  rien  de  cassé.  Colle-des- 
Cœurs  remonte  dans  la  voiture,  le  jeune  homme 
monte  après  elle  : 

—  Jamais  je  ne  vous  laisserai  seule  avec  ces 
chevaux  entre  les  mains  d'un  cocher  pareil  !  Mais 
quand  je  suis  là  vous  pouvez  vous  rassurer, 
Mademoiselle  ;  mon  nom  même  doit  vous  donner 
confiance  :  je  me  nomme  le  prince  Peur-de-Rien. 

Pcur-de-Rien  et  ColIe-des-Cœurs  causent  en- 
semble. Lorsqu'ils  arrivent  au  palais  du  roi  Gâteau, 
Colle-des- Cœurs  embrasse  bien  fort  son  père  et 
lui  raconte  ce  qui  est  arrivé.  «  C'est  le  prince 
Peur-de-Rien  qui  m'a  sauvé  la  vie,  papa  !  Si  vous 
ne  pleurez  pas  maintenant  la  fille  qui  vous  aime, 
c'est  à  lui  que  vous  le  devez,  papa  !  Mais  com- 
ment pourrons-nous  jamais  nous  acquitter  envers 
lui,  papa?  » 

Le  roi  Gâteau  les  regarde  un  bon  moment  tous 


CORPS-SANS-ÂME  AV   COLLE-DES-KEIRS       ^&^ 


bonheir  empêce  zaute  touye  vous,  et  vous  di- 
mande  moi  sipas  mo  fine  gagne  dimal?  Non, 
non,  napas  dimal  qui  mo  fine  gagné;  bonheir  qui 
mo  fine  gagné  ! 

CoUe-des-Keirs  vine  rouze  cornent  son  côté 
letcis  qui  dans  soléye.  Li  guéte  zène  homme  là, 
11  baisse  liziés.  Mo  croire  li  fine  mîr  même  ça 
coup  là. 

Ça  létemps  là  cocé  fine  faire  calèce  tourne  dans 
grand  cimin  ;  li  visite  harnais,  laroues,  tout  par- 
tout :  narien  cassé.  CoUe-des-Keirs  monte  encore 
dans  calèce,  zène  homme  monte  av  li  : 

—  Zamais  mo  pour  laisse  vous  tout  seil  av  ça 
couvais  là  dans  lamains  éne  faye  faye  cocé 
coment  ça.  Mais  quand  mo  là,  vous  capabe  tran- 
quille, mamzelle;  mo  nom  même  doite  donne 
vous   couraze  :  mo  appelle  prince  Peir-Narien. 

Peir-Narien  sembe  CoUe-des-Keirs  causé, 
causé.  Lheire  zaute  arrive  lacase  léroi  Gâteau. 
Colle-des-Keirs  embrasse  embrasse  papa,  li  ra- 
conte U  tout  ça  :  «  Prince  Peir-Narien  fine  sauve 
mo  lavie^  papa  !  Quand  vous  napas  après  plore 
vous  ptit  fille  qui  content  vous,  li  même  ça, 
papa!  Coment  nous  va  capave  paye  ça  qui  nous 
doite  li,  papa  !  » 


364      CORPS-SANS-ÂME   ET   COLLE-DES-CŒURS 

les  deux.  Puis,  il  se  met  à  rire  et  dit  à  CoUe-des- 
Cœurs  : 

—  Peut-être  trouverai-je  le  moyen  de  payer 
notre  dette,  mon  enfant.  Laisse-moi  essayer. 

Il  prend  la  main  de  CoUe-des-Cœurs,  il  prend 
celle  de  Peur-de-Rien.  Il  met  les  deux  mains 
l'une  dans  l'autre,  puis  il  leur  dit  : 

—  N'est-ce  pas  ça,  mes  enfants?  N'est-ce  pas 
un  bon  moyen  d'arranger  les  choses?  Dites. 

CoUe-des-Cœurs,  cette  fois,  devient  rouge 
comme  une  mangue  figet  mûre;  elle  entoure  de 
ses  bras  le  cou  de  son  père  et  cache  son  visage 
dans  le  jabot  de  sa  chemise  en  murmurant  quel- 
ques mots,  mais  si  bas,  si  bas,  que  personne  ne 
put  rien  entendre.  Mais  Peur-dc-Rien  pousse  un 
hip  !  hip  !  hurrah  !  «  Si  fait  va,  papa,  vous  êtes 
un  malin,  vous  !  » 

Le  mariage  est  décidé.  Peur-de-Rien  est  pressé. 
On  met  un  régiment  de  couturières  à  l'ouvrage  : 
elles  cousent  des  robes,  des  chemises,  des  pei- 
gnoirs, des  casavecks,  des  draps  de  lit,  des  taies 
d'oreillers,  des  serviettes  pour  la  figure,  pour  les 
pieds,  pour  les  mains,  des  vêtements  de  bain, 
bref,  tout  un  trousseau.  Peur-de-Rien  est  sans 
cesse  sur  le  dos  des  ouvrières  :  «  Mais  travaillez 
donc,  les  enfimts  !  Travaillez  donc!  Assez  tirer 
sur  le  soleil  !  Ce  n'est  pas  sur  le  soleil  qu'il  faut 
tirer;  c'est  sur  votre  aiguille  1  » 


CORPS-SANS-ÂME  AV   COLLE-DES-KEIRS       365 

Léroi  Gâteau  guette  guette  zaute,  li  rié;  li  dire 
Colle-des-Keirs  : 

—  Quiquefois  mo  pour  trouve  éne  magnière, 
mo  pitit.  Laisse  mo  sayé. 

Li  prend  lamain  Colle-des-Keirs,  li  prend  la- 
main  Peir-Narien,  li  mette  ça  dé  lamains  là  en- 
sembe,  li  dire  zaute  : 

—  Napas  ça,  zenfants  ?  Napas  éne  bon  ma- 
gnière arranze  zaffaire  là  ?  Causé. 

Colle-des-Keirs  ça  coup  là  vine  rouze  coment 
éne  mangue  fizète  dans  matirité,  li  zette  so  lébras 
dans  licou  papa,  li  caciette  so  figuire  dans  zabot 
so  cimise;  si  pas  qui  li  causé  doucement,  dou- 
cement ;  personne  napas  capabe  tende.  Mais  Peir- 
Narien  largue  éne  bip  !  bip  !  hurrah  !  «  Sifait  va, 
papa,  vous  éne  conneir,  vous  !  » 

Mariaze  fine  décidé.  Peir-Narien  pressé  même. 
Zaute  mette  éne  bande  coutirières  dans  louvraze  : 
coude  robes,  coude  cimises,  coude  peinoirs, 
cazavëcks,  draps  lilit,  latêtes  zoriés,  serviettes 
figuire,  serviettes  lipieds,  serviettes  lamains,  linze 
bain,  tout  tout  ça  qui  bisoin.  Peir-Narien  tout 
lazournée  lave  lédos  zouvrières  là  :  «  Mais_ tra- 
vaille donc,  zenfants  !  travaille  donc  !  Zaute  nèque 
hisse  soléye  :  napas  solé3'e  qui  bisoin  hissé  ;  gouïe 
qui  bisoin  pour  hissé!  » 


366      CORPS-SANS-ÂME   ET   COLLE-DES-CŒURS 

Le  jour  du  mariage  arriva.  Colle-des-Cœurs 
avait  peu  dormi  cette  nuit-là,  sa  tête  lui  faisait  un 
peu  mal.  Elle  monta  sur  l'argamasse  pour  res- 
pirer un  peu  d'air  frais.  Comme  elle  se  relevait 
pour  aller  mettre  sa  robe  de  mariée  avec  son 
bouquet  de  fleurs  d'oranger,  elle  entend  soudain 
un  grand  bruit  dans  l'air  au-dessus  de  sa  tète.  Le 
ciel  s'ouvre  tout  à  coup,  et  une  espèce  de  loup 
énorme  saute  sur  l'argamasse.  Il  enlève  Colle- 
des-Cœurs  dans  ses  bras,  frappe  du  pied,  rebondit 
comme  une  balle  élastique  et  s'enfonce  dans  le 
nuage  qui  l'a  apporté.  Le  nuage  se  referme,  ils 
ont  disparu.  La  servante,  qui  était  avec  Colle- 
des-Cœurs  sur  l'argamasse,  veut  crier  :  elle  ouvre 
la  bouche,  mais  l'émotion  l'étrangle,  rien  ne 
sort. 

Lorsque  la  servante  a  raconté  ce  qui  vient  de 
se  passer  au  roi  Gâteau  et  à  Peur-de-Rien,  com- 
ment peindre  leur  désespoir!  Ils  crient,  ils  pleu- 
rent, ils  arrachent  leurs  cheveux,  ils  déchirent 
leurs  habits  ;  rien  n'y  manque.  Mais  qu'y  faire  ? 
Quant  ils  sont  las,  ils  s'arrêtent. 

Peur-de-Rien  monte  sur  la  montagne;  il  re- 
garde, il  cherche  s'il  apercevra  ce  nuage.  Deux 
ou  trois  fois  le  nuage  passe  tout  près  de  lui  ;  mais 
il  a  beau  écarquiller  ses  yeux,  le  nuage  est  trop 
épais,  il  ne  peut  voir  comment  est  fait  le  dedans 
du  nuage. 


CORPS-SANS-ÀME   AV   COLLE-DES-KEIRS       367 


Zour  mariaze  fine  vini.  Colle-des-Keirs  napas 
té  bien  dourmi  ça  ianouite  là,  so  latête  morceau 
fére  mal;  li  mante  làhaut  largamasse  grand  bo- 
matin  pour  gagne  morceau  lafraiceir.  Cornent  li 
levé  pour  aile  mette  so  robe  marié  av  bouquet 
fleirs  loranzé,  avià  li  tende  éne  grand  grand 
tapaze  en  lair  làhaut  so  latête.  Léciei  ouvert  éne 
ccHip  ;  éne  gros  zespèce  zanimaux  loulou  saute 
Ihaut  largamasse,  li  lève  Colle-des-Keirs  dans  so 
lébras,  li  tape  éne  grand  coup  enbas  av  so  lipied, 
li  monte  en  lair  cornent  éne  boule  lastique,  li 
fonce  dans  niaze  qui  té  amène  li,  niaze  frémé; 
zaute  dérobé  même.  Servante  Colle-des-Keirs,  qui 
ti  av  so  maîtresse  lav  largamasse,,  reste  sec;  la- 
bouce  ouvert  pour  crié,  narien  sourti. 

Lheire  servante  £ne  raconte  ça  léroi  Gâteau  av 
Peir-Narien,  napas  appelle  çagrin,  ça  qui  zaute 
çagrin!  crié,  ploré,  arraoe  civés,  dicire  linze  : 
narien  manqué  !  Mais  qui  a  faire  ?  Lheire  zaute 
lassé,  zaute  blizé  arrêté. 

Peir-Narien  monte  Ihaut  montagne,  guété, 
rôdé  sipas  li  capave  trouve  niaze  là.  Dé  trois  fois 
niaze  passe  à  ■côté  li  même  ;  mais  li  beau  carquille 
carquille  so  liziés,  niaze  là  trop  épaisse,  napas 
moyen  trouvé  coment  son  endidans. 


368      CORPS-SANS-ÂME    ET   COLLE-DES-CŒURS 

Dans  sa  misère,  Peur-de-Rien  n'avait  qu'une 
petite  distraction,  il  aimait  à  aller  à  la  chasse. 

Un  jour  qu'il  était  au  milieu  de  la  forêt,  il 
entend  du  bruit  derrière  des  ravenals.  «  C'est 
peut-être  un  cerf!  »  Il  avance  sans  bruit  de  l'autre 
côté  des  ravenals  ;  que  voit-il  ?  Une  biche  abattue 
qu'un  gros  lion  et  un  perroquet  énorme  se  dispu- 
taient en  se  battant.  Peur-de-Rien  tire  son  cou- 
teau, fait  deux  parts  de  la  biche  et  leur  dit  : 

—  Mais  pourquoi  donc  vous  battre?  La  pièce 
est  assez  grosse  pour  deux.  Je  l'ai  coupée  juste 
par  la  moitié  ;  partagez  de  bon  cœur  ;  que  chacun 
de  vous  prenne  une  part. 

Le  lion  et  le  perroquet  sont  satisfaits  de  l'ac- 
cord. Ils  disent  à  Peur-de-Rien  :  «  Oui,  vraiment, 
tu  as  raison!  Mais  pour  te  récompenser  d'avoir 
arrangé  notre  différend,  nous  voulons  te  faire  un 
présent  qui  t'aidera  à  retirer  CoUe-des-Cœurs  des 
mains  du  loup  qui  l'a  emportée  dans  le  nuage.  » 

Le  lion  arrache  un  cheveu  de  sa  crinière,  le 
donne  à  Peur-de-Rien  et  lui  dit  : 

—  Quand  tu  voudras  te  changer  en  un  grand 
et  beau  lion  comme  moi,  prends  ce  cheveu  dans 
ta  main  et  dis  :  «  Et  toi,  cheveu,  fais  ton  ou- 
vrage, »  et  tu  deviendras  lion.  Qiiand  tu  voudras 
reprendre  ta  figure  d'homme,  tu  n'auras  qu'à 
dire  :  «  Et  toi,  cheveu,  défais  ton  ouvrage.  »  Tu 


CORPS-SANS-ÂME   AV   COLLE-DES-KEIRS       569 

Dans  so  lamisère  là  Peir-Narien  ti  éna  nèque 
éne  pitit  soulazeraent  :  li  content  aile  laçasse. 
Ene  zour  cornent  li  ti  dans  milié  grand  bois  li 
tende  tapaze  derrière  ra venais.  «  Quiquefois  éne 
cerfe  !  »  Li  marce  doucement  doucement,  li  arrive 
laute  côté  ravenals,  qui  li  trouvé  ?  Éne  bice  fèque 
touyé,  et  éne  gros  lïon  sembe  éne  papa  péroquet 
qui  après  laguerre  pour  gagne  ça  bice  là.  -Peir- 
Narien  tire  couteau,  li  partaze  bice  là  en  dé,  li 
dire  zaute  : 

—  Q.ui  fére  laguerre,  donc!  zibier  là  assez 
gros  pour  de  doumounde.  Mo  fine  coupe  zisse  en 
dé  :  partaze  bon  keir,  çaquéne  va  -prend  so  la- 
moquié. 

Lïon  av  péroquet  content.  Zaute  dire  Peir- 
Narien  :  «  Sifait  va,  to  gagne  raison  !  Mais  pour 
to  lapeine  to  fine  arranze  nous  zaflfaire,  nous  vlé 
faire  toi  éne  cadeau  qui  va  ide  toi  pour  tire  CoUe- 
des-Keirs  dans  lamains  ça  loulou  qui  fine  amène 
li  dans  niaze.  » 

Avlà  lïon  tire  éne  civé  dans  so  laîête,  li  donne 
li  civé  là,  li  dire  li  : 

—  Lheire  to  va  voulé  vine  éne  grand  grand 
bel  bel  lïon  cornent  moi,  tchiombô  ça  civé  là 
dans  to  lamain  et  dire  éne  coup  :  «  Et  toi,  civé! 
faire  to  louvraze,  »  et  to  va  vine  lïon.  Lheire  to 
va  vlé  tourne  encore  éne  doumounde,  to  nèque 
pour  dire  :  «  Et  toi,  civé!  défaire  to  louvraze!  » 

24 


370      CORPS-SANS-AME  ET   COLLE-DES-CŒURS 

\ 

as   entendu,  n'oublie  pas,   ce  n'est  pas  difficile  à 
se  rappeler. 

Peur-de-Rien  dit  grand  merci  au  lion. 

Le  perroquet  arrache  une  plume  du  bout  de  son 
aile,  la  donne  à  Peur-de-Rien  et  lui  dit  : 

—  Quand  tu  voudras  devenir  un  perroquet 
comme  moi  pour  voler  où  tu  voudras,  tu  n'auras 
qu'à  tenir  cette  plume  et  à  dire  :  a  Et  toi,  plume, 
fais  ton  ouvrage,  »  et  tu  seras  changé  en  per- 
roquet. Quand  tu  voudras  reprendre  ta  figure 
d'homme,  tu  n'auras  qu'à  dire  :  «  Et  toi,  plume, 
défais  ton  ouvrage!  »  N'oubhe  pas. 

Peur-de-Rien  remercie  le  perroquet.  Ils  s'en 
vont  tous  les  trois. 

Peur-de-Rien,  de  retour  au  palais,  cherche  le 
roi  Gâteau  pour  lui  raconter  son  aventure.  Le 
pauvre  vieux  roi  était  étendu  sur  un  canapé  au- 
près d'une  fenêtre  ouverte.  Toute  la  journée, 
depuis  le  petit  point  du  jour  jusqu'à  la  nuit  noire, 
c'était  là  sa  place.  Il  avait  toujours  les  yeux  au 
ciel,  pour  chercher  à  apercevoir  le  nuage  qui  lui 
avait  volé  sa  fille. 

Peur-de-Rien  lui  dit  :  «  Ce  n'est  plus  le  mo- 
ment de  pleurer,  papa  !  je  vais  dans  un  instant 
aller  voir  Colle-des-Cœurs.  Le  bon  Dieu  a  eu 
pitié  de  nous.  Écrivez-lui  ce  que  vous  voudrez, 
c'est   moi    qui    lui    porterai   votre  lettre.  «  Et  il 


CORPS-SANS-AME  AV   COLLE-DES-KEIRS       37 1 

To  fine  tende  ;  napas  blié  ;  li  napas  difficile  pour 
souvini. 

Peir-Narien  dire  grand  merci  lion. 

Péroquet  tire  éne  plime  dans  boute  so  lézaile, 
li  donne  ça  plime  là  Peir-Narien,  li  dire  li  : 

—  Lheire  to  va  voulé  vine  éne  péroquet 
cornent  moi  pour  capave  envole  à  cote  to  va  con- 
tent, to  nèque  bisoin  tchiombô  plime  là  dans  to 
lamain  et  dire  li  éne  coup  :  «  Et  toi,  pilime,  faire 
to  louvraze,  »  et  to  va  vine  péroquet.  Lheire  to 
va  voulé  tourne  encore  éne  doumounde,  to  nèque 
pour  dire  li  :  «  Et  toi,  pilime,  défaire  to  lou- 
vraze !  »  Napas  blié. 

Peir-Narien  dire  merci  péroquet.  Zaute  tout 
allé. 

Lheire  Peir-Narien  fine  tourne  lacase,  li  rôde 
léroi  Gâteau  pour  raconte  li  tout  ça.  Pauve  vie 
léroi  là  ti  allonze  làhaut  canapé  acôte  éne  lafenéte 
ouvert.  Tout  lazournée  dipis  grand  bomatin 
zisqu'à  naplis  capave  trouve  clair,  ça  même  so 
place.  Li  touzours  liziés  enlair,  sipas  li  a  capave 
trouve  niaze  qui  fine  volor  li  so  pitit. 

Peir-Narien  crie  li  :  «  Naplis  létemps  pour 
ploré,  papa  !  mo  pour  aile  voir  Colle-des-Keirs 
talhère  même  :  Bondié  fine  soulaze  nous,  crire  li 
ça   qui  vous  content,  moi-même  qui  pour  amène 


372      CORPS-SANS-ÂME  ET   COLLE-DES-CŒURS 

raconte  au  bonhomme  Gâteau  sa  rencontre  avec 
le  lion  et  le  perroquet. 

Le  bonhomme  s'élance  dans  son  bureau,  saisit 
une  plume,  de  l'encre,  du  papier,  et  écrit  : 

«  Ah  !  mon  enfant  !  ma  chère  enfant  !  quelle  dou- 
leur est  la  mienne!  Si  Dieu  exauçait  ma  prière, 
il  me  permettrait  de  t'embrassser  encore  une  fois 
avant  de  mourir;  c'est  ce  que  je  lui  demande  jour 
et  nuit!  C'est  Pei^r-de-Rien  qui  te  remettra  cette 
lettre.  Fais  tout  ce  qu'il  te  dira  :  excepté  ton  vieux 
père,  il  n'y  a  personne  qui  t'aime  comme  lui.   « 

Le  roi  met  sa  signature  au  bas  de  la  lettre,  la 
donne  à  Peur-de-Rien  et  lui  dit  : 

—  Ne  tarde  pas  à  revenir  me  porter  de  ses 
nouvelles  !  Tu  sais  que  je  vais  mourir  si  ce  chagrin 
doit  durer! 

Pauvre  bonhomme!  laissons-le  ! 

Peur-de-Rien  monte  sur  la  montagne.  Voilà 
qu'il  voit  venir  le  nuage.  Le  vent  le  pousse  comme 
un  grand  vaisseau  blanc;  attendons  qu'il  approche 
encore  un  peu.  Soudain,  Peur-de-Rien  prend 
dflns  sa  main  sa  plume  de  perroquet  et  lui  dit  : 
«  Eh  toi,  plume  !  fais  ton  ouvrage.  »  Que  croyez- 
vous?  Son  corps  à  l'instant  se  ramasse;  ses  bras 
se  changent  en  ailes,  son  nez  devient  un  bec,  ses 
habits  des  plumes;  ce  n'est  plus  un  homme, 
mais  un  grand  perroquet  gris.  Le  nuage  était 
proche  ;  il  prend  son  vol  et  monte  tout  droit. 


CORPS-SANS-AME   AV  COLLE-DES-KEIRS       373 

li  vous  lette.  »  Et  li  raconte  bonhomme  Gâteau 
zistoire  lïon  av  péroquet. 

Bonhomme  fonce  dans  son  bireau,  li  pèse 
plime,  lenque  av  papier,  li  crire  éne  coup  : 

«  Ah  !  mon  pitit,  mo  cer  pitit,  qui  ladouleir  av 
moi  !  Mo  lékeir  enbas  roce.  Quand  Bondié  coûte 
mo  laprière,  li  va  laisse  moi  embrasse  toi  encore 
éne  fois  avant  mo  mort  :  ça  même  mo  dimande 
li  lizour,  lanouite  !  Peir-Narien  qui  pour  donne 
toi  ça  lette  là  ;  faire  tout  ça  qui  ii  va  dire  toi  : 
cepté  to  vie  papa,  napas  énan  personne  qui  con- 
tent toi  coment  li.  » 

Léroi  mette  son  nom  làhaut  papier  là,  li  donne 
lette  dans  lamain.  Peir-Narien,  li  dire  li  comme 
ça  :  «  Napas  tardé  pour  vine  apporte  moi  so  nou- 
velles !  To  cône  mo  pour  mort  quand  çagrin  là 
assise  av  moi  !  »  Pauve  bonhomme  !  laisse-li  ! 

Peir-Narien  monte  Ihaut  montagne,  avlà  li 
voir  niaze  vini.  Divent  pousse  li  coment  éne 
grand  navire  blanc  :  laisse  li  approce  encore  mor- 
ceau. Ene  coup  là  Peir-Narien  prend  plime 
péroquet  dans  so  lamain,  li  dire  li  :  «  Et  toi, 
plime!  faire  to  louvrage.  »  Qui  vous  croire?  So 
lécorps  fonde  éne  coup  :  so  lébras  vine  lézailes, 
so  nénez  éne  labec,  so  linze  làhaut  li  fine  çanze 
en  phmes  ;  li  naplis  éne  doumounde,  li  fine  vine 
éne  grand  péroquet  gris.  Niaze  napas  loin;  li 
envolé,  li  pique  enlair  même. 


374      CORPS-S ANS-AME    ET   COLLE-DES-CŒURS 

Peur-de-Rien  entre  dans  le  nuage. 

Ce  nuage-là  était  distribué  comme  une  véri- 
table maison.  Il  y  avait  des  chambres,  des  corri- 
dors, des  escaliers  ;  puis  des  portes,  des  fenêtres. 
Mais  ce  n'était  pas  du  bois  comme  dans  les  mai- 
sons qui  sont  sur  la  terre,  tout  était  taillé  dans  le 
nuage  même  :  on  eût  dit  du  coton  fin  comme  de 
la  fumée.  Peur-de-Rien  lui-même  est  obligé  de 
s'étonner. 

Peur-de-Rien  entre  dans  le  vestibule  :  personne. 
Un  escalier  est  devant  lui,  il  monte.  Rendu  là- 
haut,  il  trouve  un  long  corridor  où  donnent  vingt 
chambres  ;  mais  toutes  les  portes  sont  fermées. 
Où  est  Colle-des-Cœurs  ?  Peur-de-Rien  met 
l'oreille  contre  une  porte  ;  il  écoute  :  rien.  Il  va  à 
une  autre  porte,  il  écoute  :  rien  encore.  Il  arrive 
à  une  troisième  porte,  il  écoute,  et  le  voilà  qui 
entend  comme  une  personne  qui  ronfle.  C'était  la 
chambre  du  loup.  Son  gros  nez  était  bouché  de 
rhume  :  il  était  obligé  de  dormir  la  bouche  ou- 
verte. Ceux  qui  bâtissent  leurs  maisons  au  milieu 
des  nuages  doivent  s'attendre  à  être  enrhumés  : 
demandez  a_ux  habitants  de  Curepipe. 

Peur-de-Rien  s'éloigne  sans  bruit  de  la  porte 
du  loup.  II  arrive  à  la  porte  d'une  autre  chambre 
d'où  sortent  comme  des  plaintes.  «  Bien  sûr,  c'est 
ici  !  »  Il  ouvre  la  porte  avec  son  bec  et  entre. 
C'était  bien  la  chambre  de  Colle-des-Cœurs. 


CORPS-SANS-AME   AV   COLLE-DES-KEIRS       375 

Peir-Narien  rente  dans  niaze. 

Niaze  là  ti  arranzé  cornent  éne  vrai  lacaze.  léna 
laçambes,  iéna  colidors,  iéna  lescaliers,  assembe 
laportes,  assembe  lafenètes;  mais  tout  ça  napas 
faite  av  dibois  cornent  lacaze  qui  làhaut  laterre  : 
tout  quiqueçose  taillé  dans  niaze  même,  coma 
dire  dans  coton  fin  fin  cornent  éne  lafimée.  Peir- 
Narien  blizé  toné. 

Peir-Narien  rente  dans  vestibile  :  napas  per- 
sonne. Lescalier  divant  li,  li  monté.  Arrive  là- 
haut  li  trouve  éne  longue  longue  colidor  av  éne 
bande  laçambes  ;  mais  zaute  tout  laporte  frémé. 
A  cote  Colle-des-Keirs  ?  Peir-Narien  colle  zoréye 
dans  éne  laporte;  li  coûté,  li  coûté  :  narien.  Li 
aile.  Li  colle  zoréye  dans  éne  laute  laporte  : 
narien.  Li  arrive  dans  troisième  laporte  :  avlà  li 
tende  coma  dire  quiquéne  après  ronflé.  Ça  ti  la- 
çambe  loulou.  Son  gros  nénez  boucé  av  larhime  : 
li  blizé  dourmi  laguéle  ouvert.  Quand  dou- 
mounde  faire  zaute  lacase  dans  milié  niaze, 
touzours  bisoin  larhime  av  zaute  :  dimande  zense 
Cirepipe. 

Peir-Narien  quitte  la  porte  loulou  ;  li  aile  dou- 
cement doucement  ;  li  arrive  dans  laporte  éne 
iaçambe  à  cote  li  tende  cornent  dire  doumounde 
après  plaingné.  «  Bien  sîr,  là  même,  ça!  »  Li 
ouvert  laporte  av  so  labec,  li  rentré  :  ça  ti 
iaçambe  Colle-des-Keirs. 


376      CORPS-SANS-ÂME   ET   COLLE-DES-CŒURS 

Colle-des-Cœurs  regarde  cet  oiseau  qui  entre; 
elle  croit  que  c'est  sans  doute  un  oiseau  que  le 
loup  envoie  pour  qu'elle  se  divertisse  à  causer 
avec  lui.  Mais  comment  agréerait-elle  un  présent 
du  loup  !  Elle  repousse  le  perroquet  d'un  geste 
de  la  main  et  lui  dit  :  «  Moi  qui  hais  ton  maître, 
je  consentirais  à  l'aimer!  Va-t-en,  va-t-en,  laisse- 
moi  pleurer  en  paix  !  » 

A  l'instant,  Peur-de-Rien  dit  à  sa  plume  en 
chantée  :  «  Plume,  défais  ton  ouvrage  !  »  Il  par- 
lait encore  qu'il  était  redevenu  homme.  Colle- 
des-Cœurs  est  debout;  elle  s'élance  vers  lui,  lui 
jette  les  bras  autour  du  cou,  et  l'embrasse,  l'em- 
brasse! Dieu,  que  c'est  bon! 

Alors  ils  se  mettent  à  causer.  Peur-de-Rien 
donne  à  Colle-des-Cœurs  la  lettre  de  son  père. 
Elle  la  lit  :  «  Oui,  certes,  je  ferai  tout  ce  que  tu 
me  diras  ;  on  n'a  pas  besoin  des  conseils  de  son 
père  pour  savoir  qu'une  femme  doit  obéir  en  tout 
à  son  mari.  » 

Puis,  Peur-de-Rien  demande  à  Colle-des- 
Cœurs  quelle  espèce  d'homme  ou  d'animal  est  le 
loup  qui  l'a  enlevée. 

—  C'est  une  façon  d'homme  qui  n'est  pas  un 
homme,  avec  une  figure  qui  n'est  pas  une  figure, 
des  yeux  qui  ne  sont  pas  des  yeux,  une  bouche 
qui  n'est  pas  une  bouche,  un  corps  qui  n'est  pas 
un  corps.  Je  ne  sais  vraiment  pas  ce  que  c'est,  et 


CORPS-S ANS-AME   AV   COLLE-DES-KEIRS       377 

Colle-des-Keirs  guette  zozo  là  rentré,  li  croire 
quiquefois  éne  zozo  qui  loulou  envoyé  pour  li 
amise  cause  av  li.  Mais  cornent  li  acapave  content 
cadeau  loulou!  Li  pousse  péroquet  av  lamain, 
li  dire  li  :  «  Moi  qui  haïe  to  maite,  moi  qui  va  con- 
tent toi?  Allé!  allé!  laisse  moi  plore  tranquille.  » 

Ene  coup  là  Peir-Narien  dire  av  so  plime- 
sourcier  :  «  Plime,  défaire  to  louvraze!  »  Li  napas 
encore  fini  causé  qui  li  fine  tourne  éne  dou- 
mounde.  Colle-des-Keirs,  manman  !  lève  éne 
coup;  li  saute  làhaut  li,  li  zettc  so  lebras  dans  so 
licou,  li  embrasse  li,  embrasse  li  :  coment  li  goût! 
coment  li  goût  ! 

Lheire  là,  zaute  commence  causé.  Peir-Nariea 
donne  Colle-des-Keirs  lette  so  papa.  Colle-des- 
Keirs  lire  lette  :  «  Bien  sîr  mo  va  faire  tout  ça 
qui  îo  va  dire  moi  !  napas  bisoin  conseil  papa 
pour  coné  qui  ène  famé  doite  touzours  faire  ça 
qui  so  mari  commande  li.  » 

Asthère  là  Peir-Narien  dimande  Colle-des- 
Keirs  qui  zespèce  doumounde  ou  bien  zanimaux 
ça  loulou  qui  fine  volor  li  là. 

—  Li  éne  zespèce  doumounde  qui  napas  éne 
doumounde,  av  éne  figuire  qui  napas  éne  figuire, 
liziés  qui  napas  liziés,  labouce  qui  napas  labouce, 
iécorps  qui  napas  lécorps  ;  si  pas  moi  qui  li  ;  qui- 
quefois name,  mo  croire  !  Mo  dimande  li  coment 


378      CORPS-SANS-ÀME   ET   COLLE-DES-CŒURS 


je  crois  quelquefois  que  c'est  un  fantôme.  Je  lui 
ai  demandé  son  nom,  il  m'a  dit  qu'il  s'appelait 
Corps-sans-Àme.  Mais  je  ne  sortirai  jamais  de 
ses  mains,  parce  que  jamais  personne  ne  pourra 
savoir  comment  s'y  prendre  pour  le  tuer.  Quand 
même  on  le  couperait  par  petits  morceaux,  que 
lui  importe?  Les  morceaux  se  rejoindraient  et  se 
recolleraient.  Pour  le  tuer,  il  faut  savoir  oi!i  est 
son  âme.  Son  âme  est  dans  un  œuf,  l'œuf  dans 
un  pigeon,  le  pigeon  dans  le  corps  d'un  tigre 
rouge,  le  tigre  rouge  dans  le  corps  d'un  grand 
tigre  blanc.  11  faut  tuer  le  tigre  blanc  ;  le  tigre 
blanc  mort,  le  tigre  rouge  s'élancera  sur  vous 
tandis  que  vous  êtes  encore  tout  fatigué  du  com- 
bat, il  faut  le  tuer  aussi.  Alors  le  pigeon  s'envo- 
lera; il  faut  le  poursuivre,  l'atteindre  et  le  tuer, 
puis  prendre  l'œuf.  En  dernier  lieu,  pour  la  fin  de 
l'aventure,  il  faut  casser  l'œuf  sur  la  tête  du  Corps- 
sans-Ame.  Alors,  mais  alors  seulement,  il  tombera 
mort.  Mais  quel  homme  pourra  faire  tout  cela? 
—  Tu  demandes  quel  homme  tuera  ton 
loup?...  Moi.  Je  crois  parfois  que  tu  as  oublié 
mon  nom,  CoUe-des-Cœurs,  je  m'appelle  Peur- 
de-Rien.  Fais  tes  préparatifs  :  avant  trois  jours,  je 
serai  de  retour  ici  avec  l'œuf  de  ce  pigeon;  j'en 
ferai  une  omelette  sur  la  tête  du  loup.  Fais  tes 
préparatifs,  te  dis-je  !  Mais  il  n'y  a  pas  de  temps 
à  perdre  :  laisse-moi  partir. 


CORPS-S ANS-AME   AV   COLLE-DES-KEIRS        379 

li  appelé,  li  dire  moi  li  appelle  Corps-sans-Âme. 
Mais  zaraais  mo  pour  sourti  dans  so  lamains,  à 
cause  zamais  personne  va  capave  coné  qui  ma- 
gnière  touye  li.  Quand  même  coupe  li  par  ptits 
ptits  morceaux  même,  qui  li  en  peine  ?  Morceaux 
là  va  zoinde  encore,  va  colle  ensembe.  Pour 
touye  li  bisoin  coné  où  li  so  name.  Name  dans 
éne  dizef,  dizef  dans  éne  pizon,  pizon  dans  lé- 
corps  éne  tigue  rouze,  tigue  rouze  dans  lécorps 
grande  tigue  blanc.  Bisoin  touye  tigue  blanc; 
Iheire  tigue  blanc  fine  mort,  tigue  rouze  pour 
fonce  Ihaut  vous  cornent  vous  encore  lassé  là, 
bisoin  touye  li  oussi.  Lheire  là,  pizon  pour  envolé  ; 
bisoin  sivré  li,  attrape  li,  touye  li,  prend  dizéf. 
Pour  so  finition  zaflfaire  bisoin  prend  dizef  et 
casse  li  làhaut  latête  Corps-sans-Ame.  Ça  coup 
là  li  mort  même,  li  tombe  sec.  Mais  qui  dou- 
mounde  qui  va  capave  faire  ça  bande  quiqueçoses' 
là? 

—  To  dimandé  qui  doumounde  qui  va  touye 
to  loulou  ?  Mo  croire  quiquefois  to  fine  blié  mon 
nom,  CoUe-des-Keirs  !  mo  appelle  Peir-Narien. 
Arranze  paquets  :  avant  trois  zours  mo  pour 
tourne  ici  av  dizef  ça  pizon  là  ;  mo  vo  casse  lome- 
lette  làhaut  latête  loulou.  Arranze  paquets,  mo 
dire  toi!  Mais  napas  létemps  pour  perdi;  laisse 
moi  allé. 


380      CORPS-SANS-ÂME   ET   COLLE-DES-CŒURS 

Ils  s'embrassent.  Penr-de-Rien  commande  à  sa 
plume  de  faire  son  ouvrage  ;  il  se  change  de 
nouveau  en  perroquet  et  redescend  sur  la  terre. 

Après  avoir  donné  des  nouvelles  au  pauvre 
vieux  roi  Gâteau,  il  va  à  la  recherche  du  tigre 
blanc. 

Le  tigre  blanc  habitait  une  caverne,  dans  une 
grand  montagne,  au  milieu  d'une  vaste  plaine. 
Jamais  on  ne  traversait  cette  plaine ,  on  faisait 
un  grand  circuit  pour  ne  pas  être  aperçu  par  le 
tigre.  Auprès  de  la  caverne  la  terre  était  blanchie 
par  les  ossements  des  animaux  qu'avait  dévorés 
le  tigre. 

Pour  arriver  plus  vite,  Peur-de-Rien  s'était 
changé  en  perroquet.  Il  vient  se  poser  sur  un 
tambalacoque  qui  avait  poussé  près  de  la  ca- 
verne. Il  descend  en  silence,  prend  le  cheveu  du 
lion  dans  sa  main  et  s'écrie  :  «  Eh  toi,  cheveu, 
fais  ton  ouvrage!  »  et  le  voilà  changé  en  un 
énorme  lion  comme  il  n'y  en  a  pas  deux  au  pays 
de  Maurice.  Puis  il  pousse  un  rugissement  : 
Maman!  On  dirait  le  tonnerre!  La  montagne 
même  est  forcée  de  trembler  ;  des  roches  énormes 
roulent  du  haut  jusque  dans  la  plaine. 

Le  tigre  dormait  dans  la  caverne.  Ce  bruit  le 
réveille  en  sursaut,  d'un  bond  il  est  dehors.  Le 
lion  l'attendait.  Le  tigre  sort,  le  hon  est  sur  lui. 
Quel    combat  !    quelle  bataille  !  Ils  sont  couverts 


CORPS-SANS-ÂME   AV   COLLE-DES-KEIRS       301 

Zaute  embrasse  embrassé  ;  Peir-Narien  com- 
mande so  plime  faire  so  louvraze,  li  vine  encore 
péroquet,  li  dicende  à  terre. 

Lheire  li  fine  donne  nouvelles  pauve  vie 
léroi   Gâteau,  li  parti  pour  aile  rôde  tigae  blanc. 

Tigue  blanc  ti  reste  dans  éne  caverne  éne  grand 
montagne  dans  milié  éne  grang  grand  laplaine. 
Zamais  personne  passe  laplaine  là;  zaute  blizé 
faire  grand  tour  u)eno;are  tigue  voir  zaute.  Dans 
bord  caverne  laterre  blanc  av  lézos  tout  zani- 
maux  qui  tigue  là  fine  manzé. 

Pour  arrive  plis  vitement,  Peir-Narien  ti  çanze 
en  péroquet;  li  vine  pose  làhaut  éne  grand  pié 
tambalacoque  qui  ti  pousse  àcote  caverne.  Li 
dicende  doucement,  li  prend  civé  lïon  dans  so 
lamain,  li  crïe  éne  coup  :  «  Et  toi,  civé,  faire  to 
louvraze!  »  Avlà  li  vine  éne  grand  grand  papa 
lïon  coment  napas  énan  dé  dans  paye  Maurice. 
Lheire  là  li  largue  éne  crié  :  Manman!  coment 
dire  tonnerre;  montagne  même  blizé  tremblé  : 
gros  gros  roce  roule  dipis  enhaut  zisquà  dans 
laplaine. 

Tigue  ti  après  dourmi  dans  caverne;  li  tende 
ça,  li  lè\'e  éne  coup,  li  saute  dohors.  Lïon  ti 
aspère  li  ;  coment  li  sourti  là,  li  fonce  làhaut  li. 
Napas  pelle  laguerre  ça  qui  zaute  laguerre  ;  mété. 


382      CORPS-SANS-ÂME   ET   COLLE-DES-CŒURS 


d'écume  et  de  sang;  qu'importe!  La  lutte  con- 
tinue acharnée  :  aucun  des  deux  ne  cède;  ils 
s'acharnent  l'un  contre  l'autre.  Le  tigre  soudain 
saisit  une  patte  du  Hon  dans  sa  gueule  ;  tandis 
qu'il  baisse  ainsi  la  tête,  le  lion  le  prend  par  la 
nuque  et  secoue,  secoue  si  fort  que  le  tigre  est 
réduit  à  lâcher  prise.  Le  lion  alors  saute  sur  son 
dos  et  l'aplatit  contre  terre  ;  il  pèse,  il  pèse  encore, 
houn  !  et  lui  casse  les  reins.  Le  tigre  tourne  de 
l'œil  :  il  est  mort. 

Mais  le  pauvre  lion  était  cruellement  blessé  et 
tout  essoufflé  par  la  lutte.  Tandis  qu'il  léchait  sa 
patte,  voilà  le  tigre  rouge  qui  commence  à  se 
dégager  du  corps  du  tigre  blanc.  Encore  un  ins- 
tant et  il  sera  prêt  pour  le  combat.  Mais  prenez- 
vous  Peur-de-Rien  pour  une  bête  ?  Il  raisit  sa 
plume  et  lui  dit  de  faire  son  ouvrage.  Il  redevint 
perroquet,  et  se  pose  au  haut  du  tambalacoque. 
Le  tigre  reste  déconcerté  au  pied  de  l'arbre  : 
«  Attends,  lui  crie  le  perroquet,  attends  que 
je  sois  un  peu  reposé!  nous  verrons  tout  à 
l'heure  !  » 

Cependant,  le  loup,  dans  son  nuage,  se  sentait 
le  corps  tout  mal  à  l'aise  :  a  Mais  qu'ai-je  donc  ? 
je  me  sens  tout  brouillé!  »  Laissons-le. 

Lorsque  Pear-de-Rien  sent  que  toutes  ses 
forces  lui  sont  revenues,  il  redevient  lion  et  fond 
sur  le  tigre  rouge.  Ce  tigre  rouge  était  nécessai- 


CORPS-SANS-ÂME   AV    COLLE-DES-KEIRS        383 


tapé,  bourré;  zaute  quimé,  lécorps  coule  disang; 
narien  ça;  napas  largué,  zaute  tacé  même.  Ene 
coup  là  tigue  pèse  éne  lapatte  lion  dans  so  la- 
guéle;  coment  latête  tigue  enbas  là,  lion  sousque 
li  dans  licou  derrière  latête,  sacouyé,  sacouyé  ; 
tigue  blizé  largue  lapatte  ;  lion  saute  làhaut  so 
lédos,  aplati  li  par  terre,  pesé,  pesé,  houni 
léreins  cassé  :  tigue  vire  caye,  li  mort  même. 

Mais  pauve  lion  là  li  blessé  même  ;  li  lassé, 
naplis  éna  divent  av  li.  Coment  li  après  lice  lice 
50  lapatte,  avlà  tigue  rouze  comence  dégaze  dans 
lécorps  tigue  blanc.  Ene  ptit  moment  même  li  va 
paré  pour  laguerre.  Mais  sipas  vous  croire  qui 
Peir-Narien  li  bête  !  Li  prend  so  plime,  li  co- 
mande  li  faire  so  louvraze;  li  tourne  encore  pé- 
roquet;  li  envole  éne  coup,  li  pose  enlair  làhaut 
pied  tambalacoque.  Tigue  rouze  en  bas  reste 
gaga.  Péroquet  nèque  dire  li  :  «  Aspère,  aspère 
mo   pose   morceau  :  talheire  nous  pour  guété.  » 

Létemps  là  loulou  dans  niaze  senti  coment  dire 
so  lécorps  napas  bien  :  «  Si  pas  moi  qui  av  moi 
donc!  mo  brouillé  brouillé.  »  Laisse  li! 

Lheire  Peir-Narien  coné  tout  so  laforce  fine 
tourne  av  li,  li  vine  encore  lion,  li  fonce  Ihaut 
tigue  rouze.    Tigue  rouze  là  té   blizé  plis  piti, 


384      CORPS- SANS-ÂME   ET   COLLE-DES-CŒURS 

rement  plus  petit,  pour  que  son  corps  pût  tenir 
dans  le  corps  du  tigre  blanc.  Le  lion  n'a  besoin 
que  de  trois  ou  quatre  coups  pour  l'achever.  «Ça, 
un  tigre?  C'est  bien  plutôt  un  chat  marron,  je 
crois!  »  D'un  dernier  coup  de  patte,  vous  dis-je, 
le  lion  lui  crève  le  garde-manger.  Il  meurt  ;  le 
lion  l'ouvre. 

Le  loup,  dans  le  nuage,  est  oWigé  de  se  cou- 
cher ;  sa  maladie  est  grave. 

Pendant  que  le  lion  ouvre  avec  précaution  le 
corps  du  tigre  rouge  de  peur  que  le  pigeon  ne 
s'échappe,  le  pigeon  s'élance  soudain  hors  de  la 
gueule  du  tigre,  monte  et  s'envole  à  tire  d'aile. 
Le  lion  le  poursuit  de  toute  sa  vitesse,  mais  quand 
donc  un  animal,  en  courant,  pourra-t-il  suivre  le 
vol  d'un  oiseau?  Le  pigeon  gagne,  gagne  tou- 
jours; encore  un  instant  et  le  lion  l'aura  perdu 
de  vue. 

Peur-de-Rien  saisit  sa  plume  enchantée  et  lui 
crie:  «Eh  toi!  plume,  fais  ton  ouvrage.  «Le 
voilà  perroquet.  Il  s'élève,  monte,  monte  encore 
pour  que  son  regard  puisse  porter  plus  loin  :  on 
dirait  un  gros  cerf-volant  qui  ronfle  dans  le  vent 
qui  donne.  Le  pigeon  le  sent  approcher  et  re? 
double  d'efforts.  Ah  ouah  !  le  perroquet  est  là- 
haut  au-dessus  de  sa  tête.  Soudain  il  plonge  et  le 
saisit  par  le  milieu  du  corps.  Un  coup  de  bec 
suffit  :  le  pigeon  flotte  dans  l'air,  se  balance  sur 


CORPS-SANS-ÂME   AV   COLLE-DES-KEIRS        385 

pour  so  lécorps  capave  tini  dans  lécorps  ligue 
blanc.  L'ion  bisoin  nèque  trois  quate  coups  pour 
fini  li.  ((  Ça  éne  tigue!  quiquefois  éne  çatte 
marron,  mo  croire  !  »  Ene  dernier  coup  so  lapatte, 
mo  dire  vous,  lïon  crève  so  garde-manzé.  Li 
mort  même  :  lion  ouvert  li. 

Loulou  dans  niaze  blizé  allonze  làhaut  lilit; 
grand  grand  malade  av  li. 

Coment  lion  ouvert  doucement  doucement 
lécorps  tigue  rouze  pengare  pizon  sauvé,  pizon 
sourti  éne  coup  dans  laguéle  tigue,  pique  en 
lair,  envolé.  Lïon  galoupé,  largué  même  pour 
sivré  li;  mais  quand  ça  qui  éne  zanimaux  capave 
parié  lacourse  av  éne  zozo.  Pizon  divant,  li 
gagné,  li  gagné,  talhère  même  lïon  pour  perdi 
li  dans  so  liziés. 

Peir-Narien  pèse  éne  coup  so  plime-sourcier, 
li  crie  li  :  «  Et  toi,  plime,  faire  to  louvraze!  » 
Li  vine  péroquet.  Li  pique  en  montant  pour  so 
liziés,  capave  trouve  plis  dans  loin  :  coma  dire 
éne  papa  cervolant  qui  ronferonflé  quand  divent 
donné. 

Pizon  senti  li  approcé  :  li  forcé,  forcé  même. 
Ah  ouah  !  péroquet  enlair  làhaut  so  latête. 

Li   plonze    éne   coup,  li  pèse  li  dans  so  milié 

25 


386     CORPS-SANS-ÂME   ET   COLLE-DES-CŒURS 

une  aile»  essaye  de  s'appuyer  sur  l'autre,  puis 
tombe  d'un  coup  comme  la  pierre  qu'un  enfant  a 
lancée  en  l'air.  Le  perroquet  l'ouvre  :  l'œuf  est 
dedans. 

Il  prend  l'œuf  dans  son  bec  et  s'envole  sur  la 
montagne  pour  attendre  le  nuage. 

Voilà  le  nuage  dans  le  lointain.  Le  vent  le 
pousse,  le  pousse,  le  rapproche.  Le  perroquet 
ouvre  ses  ailes  et  entre  dans  le  nuage.  Il  sait 
maintenant  où  passer,  il  entre  dans  la  chambre 
de  CoUe-des-Cœurs  :  «  Me  voilà!  voilà  l'œuf! 
Nous  n'avons  pas  le  temps  de  causer,  suis-moi  !  » 

Il  pénètre  dans  la  chambre  de  Corps-sans- 
Ânie. 

Le  loup  était  étendu  sur  son  lit  ;  sa  respiration 
était  courte  comme  celle  d'un  chien  qui  vient  de 
forcer  un  lièvre.  Peur-de-Rien,  d'un  seul  coup, 
casse  l'œuf  sur  la  tête  du  loup.  Que  croyez-vous? 
VoUà  son  corps  qui  commence  à  fondre  en  eau. 
Il  coule,  il  coule  ;  et  voilà  le  nuage  aussi  qui  s'en 
va  en  pluie.  Le  nuage  tout  à  l'heure  va  manquer 
sous  leurs  pieds.  Le  perroquet  n'a  que  le  temps 
de  crier  à  Colle-des-Cœurs  :  «  Saisis  ma  patte  ! 
Saisis  ma  patte  !  Ne  lâche  pas  !  »  Le  nuage  se 
déchire  en  morceaux  ;  le  perroquet  ouvre  ses 
ailes,  et  ils  descendent  sur  le  sommet  de  la  mon- 
tagne dans  une  petite  pluie  fine  qui  était  tout  ce 
qui  restait  du  nuage. 


CORPS-SANS-ÂME   AV   COLLE-DES-KETRS       387 

lécorps.  Ene  coude  labec  assez  :  pizon  flotte  flotte 
•enlair,  li  balance  làhaut  éne  cote  son  lézaile,  li 
saye  appiye  làhaut  laute  côté,  li  tombe  éne  coup 
cornent  éne  roce  qui  zenfant  fine  zette  en  lair. 
Péroquet  ouvert  li.  Dizef  làdans. 

Li  prend  dizef  dans  so  labec,  li  envole  làhaut 
montagne,  pour  aspère  niaze. 

Avlà  niaze  dans  loin.  Divent  pousse  li,  divent 
pousse  li,  li  arrive  proce.  Péroquet  ouvert  lézailes, 
■monte  dans  niaze.  Li  coné  àcote  bisoin  passé,  li 
Tente  laçambe  Colle-des-Keirs.  «  Avlà  moi,  avlà 
dizef!  napas  létemps  pour  causé;  si\T-é  moi!  » 

Li  fonce  dans  laçambe  Corps-sans-Ame.  Loulou 
làhaut  lilit;  divent  courte  courte  dans  so  labouce, 
coma  dire  licien  qui  fèque  force  ène  yève.  Pé- 
roquet éne  coup  même  casse  dizef  làhaut  latète 
loulou.  Qui  vous  croire?  Alà  so  lécorps  com- 
m.ence  fonde  dileau.  Li  coulé,  li  coulé;  avlà 
niaze  oussi  qui  largue  so  laplie.  Talheire  niaze  là 
pour  dérobé  enhas  zaute  lipied.  Péroquet  nêqne 
létemps  crie  av  Colle-des-Keirs  :  «  Tini  mo  la- 
patte,  tini  mo  kpatte  :  napas  largué  !  »  Nia2fe 
dicire  diciré,  péroquet  ouvert  lézailes.  Zaute 
dicende  làhaut  montagne  dans  éne  ptit  ptit  laplie 
qui  té  so  restant  niaze  là. 


350      CORPS-SANS-AME   ET   COLLE-DES-CŒURS 

QjLi'ai-je  besoin  de  rien  ajouter,  mes  enfants  ? 
Peur-de-Rien  ordonne  à  sa  plume  de  défaire  son 
ouvrage.  Il  redevient  homme  et  prend  Colle-des- 
Cœurs  dans  ses  bras.  Mais  ils  mirent  vraiment 
bien  du  temps  à  descendre  de  la  montagne. 

Lorsque  papa  Gâteau  voit  Colle-des-Cœurs,  il 
est  fou  !  11  saute  sur  elle  et  la  mange  de  baisers  ! 
Quand  enfin  il  est  fatigué  de  l'embrasser,  il  l'em- 
brasse encore.  Peur-de-Rien  ne  peut  s'empêcher 
de  rire  ;  il  arrache  sa  femme  des  bras  du  bon- 
homme :  «  Eh  vous  !  papa,  vous  allez  lui  finir  les 
joues!  mais  ce  sont  les  joues  de  ma  femme,  ça!  » 

Ils  appellent  le  cuisinier  pour  ordonner  le 
dîner.  Maman  !  maman  !  pourvu  qu'on  n'étouffe 
pas  à  manger  tout  ça?  Impossible  de  compter  la 
multitude  de  plats  qu'il  y  avait  sur  la  table.  Mais 
il  y  avait  une  compote  de  pigeons,  han  1  Par 
malheur,  quand  je  veux  y  goûter,  Peur-de-Rien 
m'allonge  un  coup  de  pied  qui  me  fait  tomber  ici. 


Ce  que  nous  avons  exprimé  de  doute  à  l'endroit  de  la  prove- 
nance de  «  Paulin  av  Pauline  »,  nous  serions  tenté  de  le  répéter 
ici.  La  donnée  du  conte  de  «  Corps-sans-Ame  av  CoUe-des-Keirs  » 
ne  nous  paraît  pas  d'invention  créole,  outre  que  la  conduite  du 
récit  révèle  plus  d'habileté,  ou   tout   au  moins  plus   de   savoir 


CORPS-SANS-ÂME   AV   COLLE-DES-KEIRS       589 


Qui  mo  bisoin  dire  zaute  encore,  zenfants  ! 
Peir-Narien  comande  so  plime  défaire  so  lou- 
vraze,  li  vine  doumounde,  li  prend  Colle-des- 
Keirs  dans  so  lébras.  Mais  zaute  longtemps 
même,  oui,  avant  zaute  diccnde  dans  montagne 
là. 

Lheire  papa  Gâteau  trouve  Colle-des-Keirs,  li 
fou!  li  saute  lahaut  li,  li  manze  li.  Quand  li 
lassé  à  force  embrasse  li,  li  embrasse  li  encore. 
Peir-Narien  blizé  rié;  li  tire  so  fanme  dans  la- 
mains  bonhomme  :  «  Eh  vous,  papa,  vous  pour 
fini  so  lazoues,  oui!  Lazoues  mo  fanme,  ça.  » 

Zaute  appelle  cousinier  pour  commande  dîner. 
Manman  !  manman  !  pengare  doumounde  pour 
mort  av  tout  ça  manzé  là,  oui  !  Napas  moyen 
compté  ça  bande  léplatsqui  làhaut  latabe.  Mais  ti 
iéna  éne  ladaube  pizons  !  han  !  Domaze  lheire 
mo  voulé  goûte  li,  Peir-Narien  flanque  moi  éne 
coup  de  pied,  mo  tombe  ici. 


faire,  que  nous  n'en  rencontrons  dans  les  créations  authentiques 
du  génie  de  Lindor.  Mais  nombre  de  traits  révèlent  la  main  de 
l'artiste  noir.  Nous  avons  coutume  chez  nous  de  faire  place  à 
l'étranger  naturalisé  Mauricien. 


DEUXIÈME  PARTIE 

SIRANDANES    (DEVINETTES) 


DEUXIÈME   PARTIE 


SIRANDANES  (i) 


ANS  l'autre  hémisphère,  nous  n'hésiterions  pas 
à  trouver  aux  sirandanes  une  ^énéaloçrie 
r^  illustre.  La  première  naquit  en  pleine  Boètie, 
le  Sphinx  en  épouvanta  les  malheureux  Thébiins,  et 
seul  Œdipe  eut  la  gloire  insigne  d'en  trouver  ïe  sam- 
pèque.  La  sirandane,  en  effet,  n'est  autre  chose 
qu'une  courte  énigme  dont  le  mot  se  cache  sous  une 
image  parfois  heureuse,  ou  sous  le  voile  tin  peu  épais 
d'une  allégorie  tirée  de  loin.  Il  n'en  fallait  pas  da- 
vantage pour  défrayer  les  longues  veillées  ;  vieux  et 
jeunes  y  trouvaient,  dans  la  juste  mesure  de  leur  in- 
telligence, de  quoi  exercer  la  sagacité  de  ceux-ci,  la 
force  inventive  de  ceux-là. 

Sirandane  ?  disait  le  vieillard.  Sampèque,  répon- 


(i)  Nous  reproduisons  ici  ce  que  nous  avons  dit  sur  ce  sujet 
dans  notre  Etude  sur  le  patois  créole  mauricien. 


394  SIRANDANES 


datent  les  petits  tout  d*une  voix,  et  le  jeu  commençait. 
D'abord,  une  série  de  questions  invariablement  les 
înêmes,  et  que  les  réponses  suivaient  à  l'instant  : 
Dileau  diboute  ?  Canne.  —  Dileau  en  pendant? 
Coco.  —  Pitit  batte  manman?  Lacloce,  etc.  (i). 
C'était  quelque  chose  comme  le  salut  de  rigueur 
avant  l'assaut  dans  la  salle  d'armes.  Puis,  le  vrai 
jeu  s'engageait,  on  croisait  le  fer.  A  la  première 
passe,  des  coups  connus  :  Q.uate  pattes  là  haut  quate 
pattes  aspére  quate  pattes;  quate  pattes  napas  vini, 
quate  pattes  allé,  quate  pattes  resté  (2).  La  parade 
arrivait  à  l'instant  :  Çatte  làhaut  cése  aspére  lérat, 
lérat   napas    vini,    çatte    allé,    cése    resté     (3). 

—  Mo  guéte  li,  H  guéte  moi?  La  glace  (4).  — 
Guéle  dans  guéle,  sette  lapattes  quate  zoréyes  ? 
Licien  manze  dans  marmite  (5).  Alors  des  bottes 
plus  savantes  :  Mo  bassin  li  séc,  mo  méte,  éne 
lapaille,  li  bordé  ?  Ene  lizié  (6),  finissait  par  trou- 

(i)  De  l'eau  debout?  canne  à  sucre.  —  De  l'eau  suspendue? 
Un  coco.  —  L'enfant  bat  la  mère  ?  Une  cloche. 

(2)  Quatre  pattes  sur  quatre  pattes  attendent  quatre  pattes  ; 
quatre  pattes  ne  viennent  pas,  quatre  pattes  s'en  vont,  quatre 
pattes  restent. 

(3)  Un  chat  sur  une  chaise  attend  un  rat,  le  rat  ne  vient  pas, 
le  chat  s'en  va,  la  chaise  reste. 

(4)  Je  le  regarde,  il  me  regarde.  —  Une  glace. 

(5)  Gueule  dans  gueule,  sept  pattes,  quatre  oreilles.  —  Un 
chien  qui  mange  dans  une  marmite. 

(6)  Mou    bassin   est    sec,    j'y  mets  une   paille,    il  déborde. 

—  Un  œil. 


SIRANDANES  39$ 


ver  une  mémoire-  plus  heureuse  que  les  autres.  Enfin 
arrivaient  les  inventions  récentes,  les  trouvailles  du 
jour  :  Mo  batte  li,  li  bâ  moi,  mo  bâ  li,  li  batte 
moi  (i).  Ou  cherchait;  mais,  comme  de  juste,  on  ne 
trouvait  jamais,  et  Lindor  triomphant  et  sarcastique 
disait  le  mot  du  Sampèqiie  :  Mo  femme.  Certes,  elle 
ne  datait  pas  de  loin  la  mésaventure  qui  dictait  ceci  : 
Ça  qui  ti  voir  li,  napas  li  qui  ti  prend  li;  ça  qui 
ti  prend  li,  napas  li  qui  ti  manze  li;  ça  qui  ti 
manze  li,  napas  li  qui  ti  gagne  bâté;  ça  qui  ti 
gagne  bâté,  napas  li  ti  crié  ;  ça  qui  ti  crié,  napas 
li  qui  ti  ploré  (2). 

Quelquefois  la  sir andane  prenait  la  forme  de  l'in- 
terrogation directe  :  Q,uifére  prête  napas  capave 
marié  (3  )  ?  A  ce  difficile  problème  chacun  proposait 
sa  solution  plus  ou  moins  aventureuse,  plus  ou  moins 
libertine  ;  mais  l'oracle  les  repomsait  toutes,  et  don- 
nait du  haut  de  son  trépied  la  seule  réponse  probante  .- 
Acause  li  ensembe  so  madame  té  va  paréye, 
zautes  dé  té  va  gagne  robe  (4). 

(i)  Je  bats,  on  m'embrasse;  j'embrasse,  on  me  bat. 

(2)  Celui  qui  l'a  vu  n'est  pas  celui  qui  l'a  pris,  celui  qui  l'a 
pris  n'est  pas  celui  qui  l'a  mangé,  celui  qui  l'a  mangé  n'est  pas 
celui  qui  a  été  battu,  celui  qui  a  été  battu  n'est  pas  celui  qui  a 
crié,  celui  qui  a  crié  n'est  pas  celui  qui  a  pleuré.  En  effet,  ce 
sont  les  yeux  qui  ont  vu,  la  main  qui  a  pris,  la  bouche  qui  a 
mangé,  le  dos  qui  a  été  battu,  le  lecteur  achèvera  facilement. 

(3)  Pourquoi  un  prêtre  ne  peut-il  pas  se  marier? 

(4)  Parce  que  sa  femme  et  lui  seraient  pareils;  tous  deux 
auraient  une  robe. 


396  SIRANDANES 


Avec  le  progrès  des  temps  la  sirandane  créole 
grandit  encore,  et  s'éleva  jusqu'à  la  hauteur  du  calem- 
bour français  :  Môr  condire  vivant  ?  So  môr 
couvai  (i).  Mais,  toujours  bonne  fille,  elle  savait 
encore  sourire  à  la  plus  modeste  ineptie  :  Qiai  ti  boui 
premier  bouloire  dileau  dans  péye  Maurice  ? 
Difé  (2).  Ça  qui  mo  fine  trouvé,  bondié  napas 
fine  trouvé?  Mo  mète  (3). 

Tout  cela  est  bien  puéril,  pour  n'en  rien  dire  de 
plus;  mais  là,  mieux  que  partout  ailleurs,  nous  pou- 
vions montrer  le  noir  créole  enfant  jusque  dans  la 
vieillesse  :  les  plus  vites  fatigués  de  sirandanes 
n' étaient  pas  toujours  les  plus  âgés. 

(i)  Le  mort  conduit  le  vivant?  Le  mors  du  chevaL 

(2)  Qui  a  fait  bouillir  la  première  bouilloire  d'eau  dans  le 
pays  de  Maurice?  Le  feu. 

(3)  Ce  que  j'ai  trouvé.  Dieu  ne  l'a  pas  trouvé?  J'ai  trouvé 
mon  maître.  On  reconnaîtra  djans  nos  sirandanes  nombre  de 
niaiseries  qui  peuvent  se  vanter  d'être  françaises  d'origine. 


^♦^  <^^  ^^S:^^  ^^Si^  >^A^  ^^t^  '^Si^^  <^^  '^(^ 


SIRANDANES    (DEVINETTES) 


Diïeau  dibouîe  ?  —  Canne. 

De  l'eau  debout  ?  —  Une  canne  à  sucre. 

Dileau  en  pendant  ?  —  Coco. 

De  l'eau  suspendue  ?  —  Un  coco. 

Pitit  batte  manman  ?  —  Ladoce. 

L'enfant  bat  la  mère  ?  —  Une  cloche. 

Boisdebène  dans  dileau  ?  —  Zau^iiïe. 

Du  bois  d'ébène  dans  l'eau  ?  —  Une  anguille. 

Cinqiie  brames  dans  dileau  ?  —  Zouritte. 

Cinq  branches  dans  l'eau  ?  —  Une  houritte. 

De  vannes  dériére  montagne  ?  —  Zorèyes. 

Deux  vans  derrière  une  montagne?  —  Les 
oreilles. 

Mo  Jesprit  par  dériére  ?  —  Navire  àcause  so  gou- 
vernail. 

Mon  esprit  est  par  derrière  ?  —  Un  navire  à 
cause  de  son  gouvernail. 

Baïonètte  par  dériére  ?  —  Mouce  jaune. 

Baïonnette  par  derrière  ?  —  Une  guêpe. 


398  SIRANDANES 


Pariaca  dans  dileau  ?  —  Madamesérê. 

Mouchoir  à  carreaux  dans  l'eau  ?  —  Une  dame- 
céré. 

Manie  par  vente,  rende  par  îédos  ?  —  Rabot. 

Qu'est-ce  qui  mange  par  le  ventre  et  rend  par 
le  dos?  —  Un  rabot. 

Poule  ponde  dans  raquettes  ?  —  Laîangue. 

Une  poule  pond  dans  les  raquettes  ? — La  langue. 

Guéle  dans  guéle,  sette  lapattes,  quate  :{oréyes  ?  — 
Licien  man:^e  dans  marmite. 

Gueule  dans  gueule,  sept  pattes,  quatre  oreilles  ? 
—  C'est  un  chien  qui  mange  dans  une  mar- 
mite ? 

Cabinets,  cabinets  xfsqu'à  dans  fétc^  ?  —  Bambou . 

Des  cabinets,  des  cabinets  jusqu'au  faîtage?  — 
Un  bambou. 

Mo  conè  ène  rnamielh  li  man^e  so  tripes,  Ji  boire 
so  disang  ?  —  Lalampe. 

Je  connais  une  demoiselle  qui  mange  ses  intes- 
tins et  boit  son  sang?  —  Une  lampe. 

Ptit  bonhome,  grand  çapeau  ?  —  Çampion. 

Petit  bonhomme,  grand  chapeau  ?  —  Un  cham- 
pignon. 

Mo  êna  ène  banne  ptit  bonhomes  :  ^our  :(aute  fêle 
\aiites  tout  habille  en  rou':{i'  ?  —  Piments. 

J'ai  une  bande  de  petits  bonshommes  .'  le  jour 
de  leur  fête  ils  sont  tous  habillés  de  rouge  ?  —  Les 
piments. 


SIRANDANES  399 


Qui  ti  hjuir  premier  marmite  dans  pèye  Mau- 
rice ?  —  Dlfé. 

Qui  a  fait  bouillir  la  première  marmite  à  Mau- 
rice ?  —  Le  feu. 

Qudte  pattes  monie  làhauî  quate  pattes;  quate 
pattes  allé,  quate  pattes  resté  ?  —  Licien  làhaut  cése. 

Quatre  pattes  montent  sur  quatre  pattes;  quatre 
pattes  s'en  vont,  quatre  pattes  restent  ?  —  Un 
chien  sur  une  chaise. 

Béf  crié  dans  milié  dé  montagnes  ?  —  So  toussé 
éne  doumoiinde  gros  la^oues. 

Un  bœuf  crie  entre  deux  montagnes  ?  —  La 
toux  d'une  personne  qui  a  de  grosses  joues. 

Man^t  noir  y  rend  rou^e  ?  —  Fisi. 

Qui  mange  noir  et  rend  rouge  ?  —  Un  fusil. 

Mo  bassin  li  séc,  mette  cm  la  paille  libordél  — 
Lixiè. 

Mon  bassin  est  stc^  mettez-y  une  paille,  il 
déborde  ?  —  L'œil. 

Tambour  lor  enhas  laiêre  ?  ■ —  Safran. 

Tambour  d'or  sous  la  terre?  —  Le  safran. 

Serpent  marcè,  Usse  so  di^éfs  ?  —  Ziraumon. 

Le  serpent  marche,  il  laisse  ses  œufs  ?  —  Le 
giraumon. 

Mo  envoyé  ént  lette,  mo  coné  Ihére  décaeétte  li  ? 
—  Lha^neçon. 

J'envoie  une  lettre,  je  sais  quand  on  la  déca- 
chette ?  —  Un  hameçon. 


400  SIRANDANES 


Mo  gagne  ène  couvai,  mo  beau  fréme  li  dans 
Uquirie  so  laquée  iou:(ouys  dohors  ?  —  La ji niée. 

J'ai  un  cheval,  j'ai  beau  l'enfermer  dans  l'écu- 
rie, sa  queue  est  toujours  dehors  ?  —  La  fumée. 

Mo  lacase  endans  peintire  en  patine,  en  dohors 
pelntire  en  blanc  ?  —  Di^éf. 

Ma  maison  à  l'intérieur  est  peinte  en  jaune,  en 
dehors  elle  est  peinte  en  blanc  ?  —  Un  œuf. 

Lacorde  marcè,  béf  dourini  ?  —  Ziraumon. 

La  corde  marche,  le  bœuf  se  couche  ?  —  Gi- 
raumon. 

Brédes  son:(es  dans  dileau  ?  —  Gouramié. 

Brèdes  songes  dans  l'eau  ?  —  Un  gourami. 

Mo  lacase  peintire  en  :^aune,  endans  ma  éna  ène 
banne  piits  ma\ambiques  ?  —  Papaye  niîr. 

Ma  maison  est  peinte  en  jaune,  à  l'intérieur 
j'ai  une  bande  de  petits  mozambiques  ?  —  Une 
papaye  mûre. 

Mo  misire  ène  latouéle  carnés  mo  trouve  so  la  fin  ? 

—  Mo  marce  daiis  grand  cimin. 

Je  mesure  une  toile  dont  je  ne  trouve  jamais 
la  fin  ?  —  Je  marche  sur  le  grand  chemin. 

Asoir  mo  trouve  ène  banne  lagrains  dans  rno  la- 
plène;  Ihère  mo  levé  mo  naplis  trouve  ::;autes  ?  — 
Z  étoiles. 

Le  soir  je  vois  une  quantité  de  graines  dans  ma 
plaine;  quand  je  me  réveille,  je  ne  les  vois  plus  ? 

—  Les  étoiles. 


SIRANDANES  4OI 


Qtiî  ça  Moiisstè  là  qui  amène  so  lacasc  lùhaiit  so 
lédos  ?  —  Couroiipas. 

Quel  est  le  monsieur  qui  porte  sa  maison  sur 
son  dos  ?  —  Le  colimaçon. 

Nhahit  napas  quilotte  ?  —  Cancarlat. 

Un  habit,  point  de  culottes  ?  —  Un  can- 
crelat. 

Mû  lacase  plein  lafenétes,  éne  laporte  ?  —  Lédè 
coude. 

A  ma  maison  beaucoup  de  fenêtres,  une  porte  ? 
—  Un  dé  à  coudre. 

Mo  cna  disse  piit  honhomes,  tout  fautes  latéie 
hîanc  ?  —  Zongues. 

J'ai  dix  petits  bonshommes,  ils  ont  tous  la  tête 
blanche  ?  —  Les  ongles. 

Ouate  pilé,  éne  vané  ?  —  Couvai  pousse  monces  : 
so  lipieds  pi'é,  so  laquée  vané. 

Quatre  pilent,  un  vanne  ?  —  Cheval  qui  chasse 
les  mouches  :  ses  quatre  pieds  pilent^  sa  queue 
vanne. 

Mo  noir  dans  mo  honhére,  nw  rou:{e  dans  mo 
malhére?  —  Cévrétfe. 

Je  suis  noir  dans  mon  bonheur,  je  suis  rouge 
dans  mon  malheur?  —  Une  chevrette. 

Mo  rou^e  dans  mon  honhére,  mo  noir  dans  mo 
malhére  ?  —  Lagrain  café. 

Je  suis  rouge  dans  mon  bonheur,  je  suis  noir 
dans  mon  malheur  ?  —  Un  grain  de  café. 

26 


402  SIRANDANES 


Blanc  dans  guinée  ?  —  Douri:{  dans  marmite. 

Du  blanc  dans  du  très  noir  ?  —  Le  riz  dans  la 
marmite. 

Manman  guinée  \ouè  viélon,  tout  ptits  blancs 
dansé  ?  —  Marmite  douri:{  làhaut  difé. 

Maman  guinée  joue  du  violon,  tous  les  petits 
blancs  dansent?  —  La  marmite  de  riz  sur  le  feu. 

Mamiélle  làhaut  cimin,  tout  doumounde  qui  passé 
embrasse  so  labouce  ?  —  Lapompe. 

Mademoiselle  est  sur  le  chemin,  tous  ceux  qui 
passent  embrassent  sa  bouche  ?  —  Une  fontaine. 

Mo  éna  éne  barique  av  dé  qualités  dileau  ?  —  Ene 
ài%éj. 

J'ai  une  barrique  avec  deux  espèces  d'eau  ?  — 
Un  œuf. 

Courone  dans  mo  laîéte,  ^éprons  dans  mo  lipieds 
mo  léroi  dans  basse  cour,  mé  mo  napas  léroi  ? —  Côq. 

Une  couronne  sur  ma  tête,  des  éperons  à  mes 
pieds,  je  suis  roi  dans  la  basse-cour,  mais  je  ne 
suis  pas  roi?  —  Un  coq. 

Coupe  mo  vente,  ous  a  gagne  mo  trésor  ?  —  Éne 
grenade. 

Coupez  mon  ventre,  vous  aurez  mon  trésor  ? 
—  Une  grenade. 

Tapis  lareine  tou:(ours  ouvert,  :(amés  plies  ?  — 
Grand  cimin. 

Le  tapis  de  la  reine  toujours  ouvert,  jamais 
plié  ?  —  Le  grand  chemin. 


SIRANDANES  403 


Mo  êna  lacase,  asoir  li  vide,  la^purnée  li  plein  ?  — 
Soulié. 

J'ai  une  maison,  le  soir  elle  est  vide,  le  jour 
elle  est  pleine  ?  —  Un  soulier. 

So  robe  mô  grandmanman  ajoute  ajouté  boute  en 
boute  ?  —  Létoit  bardeaux. 

La  robe  de  ma  grand'maman  est  rapiécetée  d'un 
bout  à  l'autre  ?  —  Un  toit  de  bardeaux. 

Mo  lacase  tout  en  bardeaux,  endans  hie  banne 
ptit  ma^anibiques  habille  en  blanc  ?  —  Zatte. 

Ma  maison  est  toute  en  bardeaux,  à  l'intérieur 
une  bande  de  petits  mozambiques  vêtus  de  blanc  ? 
—  Une  atte. 

Mo  ■^étte  li  blanc,  li  tombe  ^aune  ?  —  Di\èf. 

Je  le  jette  blanc,  il  tombe  jaune  ?  —  Un 
œuf. 

Rente  par  laporte,  sourii  par  lafenête  ?  —  Possons 
dans  lasène. 

Entrer  par  la  porte,  sortir  par  la  fenêtre  ?  — 
Les  poissons  dans  la  seine. 

Mette,  levé,  tapé  ?  —  Saye  souliers  néf. 

On  met,  on  se  lève,  on  tape  ?  —  Essayer  des 
souliers  neufs. 

Menace  doumounde,  napas  cause  ?  —  Lédoigt. 

Je  menace,  je  ne  parle  pas  ?  —  L'index. 

Boidebéne  làhaut  rempart  ?  —  Moustace. 

Du  bois  d'ébène  sur  un  rempart  ?  —  La  mous- 
tache. 


404  SIRANDANES 


Pîtit  crase  manman  ?  —  Laroce  cari. 

L'enfant  écrase  la  mère  ?  —  La  pierre  a  broyer 
le  safran  pour  le  cari. 

Pitit  pile  manman  ?  —  Bâton  pilon. 

L'enfant  pile  la  mère  ?  —  Le  pilon  pile  le  mor- 
tier. 

Qui  lalangue  qui  :(amès  tè  menti  ?  —  Lalangue 
:{animaux. 

Quelle  est  la  langue  qui  n'a  jamais  menti  ?  — 
La  langue  des  animaux. 

Mo  grandmanman  ■carnés  oiilè  dourmi  làhaiit  so 
natte,  li  quitte  so  natte  li  dourmi  par  tcre  ?  —  Zi- 
raumon. 

Ma  grand'maman  jamais  ne  veut  se  coucher 
sur  sa  natte,  elle  laisse  sa  natte  et  se  couche  par 
terre  ?  —  Le  giraumon. 

Mo  :(étte  mo  mouçoir  dans  dileau,  :(amés  mo  ca- 
pave  mouille  li  ?  Feille  son-^. 

Je  jette  mon  mouchoir  dans  l'eau,  jamais  je  ne 
peux  le  mouiller  ?  —  Une  feuille  de  songe. 

Lhère  mo  encolère,  mo  vomi  difé  ?  —  Canon. 

Quand  je  suis  en  colère,  je  vomis  du  feu  ?  — 
Un  canon. 

Allrappe  H  mo  aile  çace  l'aute  ?  —  Ça  même  la- 
main  dire  av  làbmice  lhère  après  man\é. 

Attrape-le,  je  vais  en  chercher  d'autre  ?  — 
C'est  là  ce  que  la  main  dit  à  la  bouche  quand  on 
mange. 


SIRANDANES  405 


Mo  guette  li,  U  guette  moi  ?  —  Laglace. 

Je  le  regarde,  il  me  regarde  ?  —  Un  miroir. 

Éne  banne  sale,  éne  banne  prope  ?  —  Latére  av  léciél. 

Une  bande  sale,  une  bande  propre  ?  —  La 
terre  et  le  ciel. 

Quamème  fére  çaud,  mo  toujours  frés  ?  —  Lé:(ard. 

Quand  même  il  fait  chaud,  je  suis  toujours 
froid  ?  —  Un  lézard. 

Ça  banane  là,  tno  beau  man\é  Tramés  mo  capave 
fini  li  ?  —  Grand  cimin. 

Cette  banane-là,  j'ai  beau  manger,  jamais  je 
ne  peux  la  finir  ?  —  Le  grand  chemin. 

Pitit  noir  batte  grand  noir  ?  —  Piment. 

Le  petit  noir  bat  le  grand  noir  ?  —  Le  piment. 

Mo  aile  lavente,  mo  acéte  plein  noirs,  mo  tourne 
lacase,  mo  servi  :(autes  néque  éne  éne  ?  —  Ene  pa- 
quet gouïes. 

Je  vais  à  la  vente,  j'achète  beaucoup  d'es- 
claves, je  retourne  à  la  maison,  je  ne  les  emploie 
qu'un  par  un  ?  —  Un  paquet  d'aiguilles. 

Mille  lourous  dans  éne  tourou  ?  Lédé  coude. 

Mille  trous  dans  un  trou  ?  —  Un  dé  à  coudre. 

Tout  mo  camrades  enbande  av  moi,  mo  allé,  :(autes 
resté  ?  —  Posson  maillé  dans  Ihameçon. 

Tous  mes  amis  m'entouraient  en  foule,  je 
pars,  ils  restent  ?  —  Le  poisson  pris  à  l'hameçon. 

Cote  mo  allé  li  sivré  moi  ?  —  Mo  tombe. 

Où  je  vais,  elle  me  suit  ?  —  Mon  ombre. 


406  SIRANDANES 


Èna  qiiate  frères,  dé  grand  dé  pitit  ;  xP'iites  tout 
galpé  ensembe;  pitit  divant,  maniés  grand  capave 
gagne  :(autes  ?  —  So  qiiate  laroues  eue  cdléce. 

Il  y  a  quatre  frères,  deux  grands,  deux  petits  ; 
tous  courent  ensemble  ;  les  petits  sont  toujours 
devant,  jamais  les  grands  ne  peuvent  les  dé- 
passer ?  —  Les  quatre  roues  d'une  voiture. 

Dé  fours  campagne  dans  milié  lapléne  ?  —  Toii- 
roiis  nénei^. 

Deux  fours  de  campagne  au  milieu  d'une 
plaine  ?  —  Les  narines. 

Lapeaii  mort  condire  vivant  ?  —  Souliers. 

Une  peau  morte  conduit  un  vivant  ?  —  Des 
souliers. 

Mo  alon^e  li  li  olonT^e  (i)  moi  ?  —  Natte. 

Je  l'allonge,  elle  m'allonge?  —  Une  natte. 

Figuire  éne  :^enfant  cadette  enhas  laharhe  éne 
honhome?  —  Coco. 

Une  figure  d'enfant  se  cache  sous  la  barbe  d'un 
vieillard.  —  Un  coco. 

Tout  soldats  mo  ré:(imînt  nhabits  vert  honèts 
rou^e  ?  —  Framboises. 

Tous  les  soldats  de  mon  régiment  ont  l'habit 
vert  et  le  bonnet  rouge  ?  —  Les  framboises. 

Ene  bande  béfs  là-haut  montagne,  Tuantes  man\e 
roces  ■gaules  quitte  Ihcrbe  ?  —  Lipoux. 

(i)  Li  alon\e  moi,  elle  me  reçoit  tout  de  mon  long. 


SIRAMDANES  407 


Un  troupeau  de  bœufs  sur  la  montagne,  ils 
mangent  les  roches  ils  laissent  l'herbe  ?  —  Les 
poux. 

Mo  ena  cinque  ptit  bonhomes,  dé  haingné  trots 
giièté  ?  —  Malice  nénei  av  lêdoigts. 

J'ai  cinq  petits  bonshommes,  deux  se  bai- 
gnent, trois  regardent  ?  —  Se  moucher  avec  les 
doigts. 

Zamés  mo  té  capave  trouvé  ça  qui  gagné  dériére 
mo  lacase  ?  —  Mo  dériére  latéte. 

Jamais  je  n'ai  pu  voir  ce  qu'il  y  a  derrière  ma 
maison  ?  —  Le  derrière  de  ma  tète. 

Mo  dé  ptit  bonhomes  marce  ensembe,  çaquéne  sa 
tour  divant  ?  —  Mo  lipieds. 

Mes  deux  petits  bonshommes  marchent  en- 
semble, chacun  à  son  tour  est  devant?  —  Mes 
pieds. 

Trois  ptits  noirs  guette  vente  \aute  manman 
bourlé?  —  Lipieds  marmite. 

Trois  petits  noirs  regardent  brûler  le  ventre  de 
leur  maman  ?  —  Les  pieds  d'une  marmite. 

Tambour  dansé  dans  miîié  so  la  cour  ?  —  Dinde, 

Un  tambour  danse  au  milieu  de  sa  cour  ?  — 
Un  dindon. 

Quate  noirs  aporte  eue  gros  noir;  quafe  noirs 
napas  transpiré,  gros  noir  qui  transpiré  ?  —  Boudin 
làhaut  gri. 

Quatre  noirs  portent  un  gros  noir  ;  les  quatre 


408  SIRANDANES 


noirs  ne  transpirent  pas,  c'est  le  gros  noir  qui 
transpire  ?  —  Un  boudin  sur  un  gril. 

Mo  lacase  endans  peinlire  en  rose,  en  doljors 
peint  ire  en  vert  av  tue  hanne  ptit  ma'^ajnhiqiies  là- 
dans?  —  Moulondeau. 

Ma  maison  en  dedans  est  peinte  en  rose,  en  de- 
hors elle  est  peinte  en  vert  avec  une  bande  de 
petits  mozambiques  à  l'intérieur  ?  —  Un  melon 
d'eau. 

Moulin  niarcé  quate  fois  par  :(pur  ?  —  Ldbouce. 

Le  moulin  qui  marche  quatre  fois  par  jour  ?  — 
La  bouche. 

Tambour  divant,  pavillon  dériére  ?  —  Licien  :  so 
îahoiice  Tapé,  so  laquée  dihoiUe. 

Tambour  devant,  pavillon  derrière  ?  —  Un 
chien  :  sa  gueule  aboie,  sa  queue  est  dressée. 

Enne  hanne  ■mam:(èlles  dans  bitation,  tout  :{iiute  in 
%e  dicire  dicirê  ?  —  Pieds  banane  :  toujours  fautes 
freiUcs  dicié. 

Une  foule  de  petites  demoiselles  dans  l'habita- 
tion, tous  leurs  vêtements  sont  en  guenilles  ?  —  Les 
bananiers  :  leurs  feuilles  sont  toujours  déchirées. 

Sicoupe-  dans  dileau  ?  —  Laline. 

Une  soucoupe  dans  l'eau  ?  —  La  lune. 

Mo  marcè  li  niarcé,  ino  arêlé  li  marcé  ?  —  Mo 
monte. 

Je  marche,  elle  marche  ;  je  m'arrête,  elle 
marche?  —  Ma  montre. 


SIRANDANES  409 


Mû  honnefanme  à  côte  li  passé  Usse  so  lacrace  ?  — 
Cûiiroupas. 

Ma  bonne  femme  où  elle  passe  laisse  sa  salive  ? 

—  Un  colimaçon. 

Mors  condire  vivant  ?  —  So  mors  çoiivah 

Le  mort  conduit  le  vivant?  —  Le  mors  du 
cheval. 

Mo  éna  éne  '^arhe,  quand  U  éna  f cilles  li  napas 
racines,  quand  U  éna  racines  li  napas  éna  feilles  ?  — 
Navire . 

J'ai  un  arbre,  quand  il  a  des  feuilles,  il  n'a  pas 
de  racines;  quand  il  a  des  racines,  il  n'a  pas  de 
feuilles  ?  —  Un  navire. 

Zautes  fére  éne  pitit  tourne  làhaut  vente  so  vian- 
nian  risqua  li  vomi;  son  vomi  nous  inan^é  ?  — 
Moulin  maie. 

On  fait  tourner  un  petit  sur  le  ventre  de  sa 
maman  jusqu'à  ce  qu'elle  vomisse;  ce  qu'elle 
vomit,  nous  le  mangeons.  —  Un  moulin  à 
maïs. 

Ça  qui  mo  fine  trouvé,  Bondié  napas  fine  trouvé  ^ 

—  Mo  fine  trouve  mo  méte,  Bondié  napas  fine  trouve 
pour  li. 

Ce  que  j'ai  trouvé,  Dieu  ne  l'a  pas  trouvé  ?  — 
J'ai  trouvé  mon  maître.  Dieu  n'a  pas  trouvé  le 
sien . 

Qui  te  pattes  làhaut  quate  pattes  aspére  quate 
pattes;  quate  pattes   napas  vini,    quate  pattes  allé, 


410  SIRANDANES 


quate  pattes  resté  ?  —  Çatte  làhaut  cése  aspère  îérat  ; 
lérat  napas  vint,  çatte  allé,  cése  resté. 

Quatre  pattes  sur  quatre  pattes  attendent  quatre 
pattes  ;  quatre  pattes  ne  viennent  pas,  quatre 
pattes  s'en  vont,  quatre  pattes  restent  ?  —  Un 
chat  sur  une  chaise  attend  un  rat  ;  le  rat  ne  vient 
pas,  le  chat  s'en  va,  la  chaise  reste. 

Eue  fou,  dé  sec,  dé  mou,  quate  roule  dans  laboue  ? 
—  Éng  vace  :  so  laquée  fou,  so  cornes  sec,  so  :{oréyes 
mou,  so  lipieds  dans  laboue. 

Un  fou,  deux  secs,  deux  mous,  quatre  roulent 
dans  la  boue  ?  —  Une  vache  :  sa  queue  est  folle, 
ses  cornes  sèches,  ses  oreilles  molles,  ses  pieds 
sont  dans  la  boue. 

Boutéye  endans,  divin  dohors  ?  —  Zanhlongue. 

La  bouteille  en  dedans,  le  vin  en  dehors  ?  — 
Un  jamlong. 

Casse  bancal  dans  bord  canal  ?  —  Gournouïes. 

Des  boiteux  au  bord  d'un  canal  ?  —  Des  gre- 
nouilles. 

Tambour  lar^^ent  enbas  lalcre  ?  —  Zin^embe. 

Tambour  d'argent  sous  la  terre  ?  —  Le  gin- 
gembre. 

Tapis  mo  grandppd  plein  pinaises  ?  —  Léciel  av 
T^ètoiles. 

Le  tapis  de  mon  grand-père  est  plein  de  pu- 
naises ?  —  Le  ciel  et  les  étoiles. 

Tabaquiére  mo  grandppd  toujours  crié  ?  —  Monte. 


SIRANDANES  4II 


La  tabatière  de  mon  grand-père  crie  toujours  ? 

—  Une  montre. 

Mo  grandmanmdn  fére  éne  pont,  U  tout  sél  capave 
passe  îàhaut  là  ?  —  Zergnée. 

Ma  grand'maman  fait  un  pont,  elle  seule  peut 
passer  dessus  ?  —  Une  araignée. 

Quand  mo  laporte  ouvert  Ji  fermé,  quand  U 
fermé  U  ouvert  ?  —  So  laporte  éne  cimin  qui  passe 
Iàhaut  1er  ails. 

Quand  ma  porte  est  ouverte,  elle  est  fermée  ; 
quand  elle  est  fermée,  elle  est  ouverte  ?  —  La 
porte  d'un  chemin  qui  coupe  les  rails  à  ni- 
veau. 

Vivants  napas  causé,  morts  causé  ?  —  Barvades. 

Les  vivants  ne  parlent  pas,  les  morts  parlent  ? 

—  Les  embrevades. 

Mo  marce  dans  éne  ptit  cimin,  :(amés  mo  va  posé, 
lamés  mo  va  tourné  ?  —  Larivière. 

Je  marche  dans  un  petit  chemin,  jamais  je  ne 
m'arrêterai,  jamais  je  ne  reviendrai  sur  mes  pas  ? 

—  Une  rivière. 

Tout  so  noirs  mo  papa  fautes  lipieds  torte  ?  — 
Liciens  fisi. 

Tous  les  noirs  de  mon  papa  ont  les  pieds  tor- 
dus ?  —  Les  chiens  de  fusil. 

Mo  éna  éne  grand  bande  marmaille;  soléye  levé 
\autes  caciéte,  soléye  coucé  \autes  sourti  ?  —  Zétoiles, 

J'ai  une  grande  bande  de  marmaille  ;  le  soleil 


412  SIRANDANES 


se  lève,  ils  se  cachent  ;  le  soleil  se  couche,  ils  pa- 
raissent ?  —  Les  étoiles. 

Li  èna  îédents  H  napas  labouce,  H  capave  man^e 
lanouite  h'iour  sans  posé  ?  —  Lascie. 

Elle  a  des  dents,  elle  n'a  pas  de  bouche,  elle 
peut  manger  jour  et  nuit  sans  se  reposer  ?  —  Une 
scie. 

Brédes  doiirmi  ?  —  Ziraiimon. 

Brèdes  couchées?  —  Giraumon. 

Brédes  galpè  ?  —  Yéve. 

Brèdes  qui  courent  ?  —  Lièvre. 

Toujours  li  man:(è  :(a)nés  li  avalé  ?  —  Moulin 
cannes. 

Il  mange  toujours,  il  n'avale  jamais  ?  —  Un 
moulin  à  cannes. 

So  lésprit  mo  ptit  noir  dans  so  néne:(  ?  —  Licien . 

L'esprit  de  mon  petit  noir  est  dans  son  nez  ?  — 
Un  chien. 

Toujours  li  marce  latéie  en  bas  ?  —  Coulou  soulier. 

Toujours  il  marche  la  tête  en  bas  ?  —  Un  clou 
de  soulier. 

Lhére  mo  aile  baingne  lariviére  mo  Icsse  mo 
tripes  lacase  ?  —  Latoéle  matelas. 

Quand  je  vais  me  baigner  à  la  rivière,  je  laisse 
mes  entrailles  à  la  maison  ?  —  La  toile  d'un  ma- 
telas. 

Uh're  mo  aile  lariviére  mo  çanté,  lhére  mo  tourné 
mo  ploré  ?  —  Barique  galère. 


SIRANDANES  413 


Quand  je  vais  à  la  rivière,  je  chante  ;  quand 
j'en  reviens,  je  pleure  ?  —  Un  barillet. 

Mo  boire  dileau  àcause  napas  dileau  !  —  Navire 
tombé  au  séc. 

Je  bois  parce  qu'il  n'y  a  pas  d'eau  ?  —  Un 
navire  tombé  au  sec. 

Si  liantes  vini  :{autes  napas  va  vini,  mes  si  :(atiles 
napas  vini  'gaules  va  vini  ?  —  Doiimoiindt  plante 
pitits  pois  :  li  père  pilons  vine  tnan^é. 

S'ils  viennent,  ils  ne  viendront  pas  ;  mais  s'ils 
ne  viennent  pas,  ils  viendront  ?  —  Un  homme  qui 
plante  des  petits  pois  :  il  a  peur  que  les  pigeons 
ne  viennent  les  manger. 

Toiirou  sans  fond  ?  —  Bague. 

Trou  sans  fond  ?  —  Une  bague. 

Mo  dibouté  li  aloniè,  mo  alon:{è  li  dibouté  ?  — 
Lipied  doumounde. 

Je  suis  debout,  il  s'allonge  ;  je  m'allonge,  il  est 
debout  ?  —  Le  pied. 

Mo  éna  éne  ptit  noir  quand  pas  mette  li  so  langouti 
li  napas  travaille  ?  —  Gouïe  bisoin  difile  pour  coude. 

J'ai  un  petit  noir,  quand  on  ne  lui  met  pas  son 
langouti,  il  ne  travaille  pas  ? —  L'aiguille  a  besoin 
de  fil  pour  coudre. 

Mo  lacase  éna  belbel  couvcrtire,  mes  éne  poteau 
même  qui  Uni  li  ?  —  Parasol. 

Ma  maison  a  une  belle  couverture,  mais  un 
seul  poteau  qui  la  retienne  ?  —  Un  parasol. 


414  SIRANDANES 


Mo  laças e  longue  longue,  tout  so  laçambes  rond  et 
parla:(e  en  longuére  ?  —  Bambou. 

Ma  maison  est  très  longue,  toutes  les  chambres 
sont  rondes  et  distribuées  dans  la  longueur  ?  — 
Un  bambou. 

Mo  êna  ène  qualité  comandére  qui  toii:(ours  mort 
senibe  so  fouête  làhaut  so  ^êpole  ?  —  Lérat  toujours 
mort  av  so  laquée. 

J'ai  une  espèce  de  commandeur  qui  meurt  tou- 
jours avec  son  fouet  sur  l'épaule  ?  —  Le  rat  meurt 
toujours  avec  sa  queue. 

Mo  éna  éne  lacase,  quand  mo  fine  ouvert  li,  :(amés 
mo  capave  freine  U  encore  ?  —  Bigorneau. 

J'ai  une  maison,  quand  je  l'ai  ouverte,  je 
ne  puis  jamais  plus  la  refermer  ?  —  Un  bigor- 
neau. 

Cicot  dans  milié  lapléne  ?  —  Lombri. 

Un  chicot  au  milieu  d'une  plaine  ?  —  Le 
nombril. 

Dans  tout  lacases  so  place  mo  bonne  fanme  diboute 
dans  coin  ?  —  Balié. 

Dans  toutes  les  maisons,  la  place  de  ma  bonne 
femme  est  d'être  debout  dans  un  coin?  —  Un 
balai. 

Mo  x.étte  laséne,  mo  lève  éne  gros  posson,  mes  moi 
tout  séle  qui  a  niante  U  ? —  Mo  fanme. 

Je  jette  la  seine,  je  relève  un  gros  poisson,  mais 
je  serai  seul  à  le  manger  ?  —  Ma  femme. 


SIRANDANES  415 

Èna  éne  mani\è.lle,  li  sivrè  moi  partout  mes  :(cimés 
mo  capave  embrasse  li  ?  —  Mo  îonibe. 

Il  y  a  une  demoiselle,  elle  me  suit  partout,  mais 
jamais  je  ne  puis  l'embrasser?  —  Mon  ombre. 

Blanc  napas  capave  travaille  sans  noir  ?  —  Plime 
hisoin  lenque. 

Le  blanc  ne  peut  travailler  sans  le  noir  ?  —  La 
plume  a  besoin  d'encre. 

Mo  çaud  mo  napas  transpiré,  mo  frés  mo  trans- 
piré ?  —  Gargoulette. 

J'ai  chaud,  je  ne  transpire  pas;  j'ai  froid,  je 
transpire  ?  —  Une  gargoulette. 

Mo  :(étte  li  en  1ère  li  tombe  en  bas,  mo  \étte  li  en- 
bas  li  monte  en  1ère  ?  —  Boule  lastique. 

Je  la  jette  en  l'air,  elle  tombe  à  terre;  je  la 
jette  à  terre,  elle  monte  en  l'air  ?  —  Une  balle 
élastique. 

Mo  touffe  li,  li  touffe  moi  ?  —  Ladonlére. 

Je  l'étouffé,  elle  m'étouffe  ?  —  La  douleur. 

Pavé  làhaut,  pavé  en  bas  ?  —  Tourtie. 

Pavé  en  haut,  pavé  en  bas?  —  Une  tortue. 

Latére  blanc,  lagrains  noir  ?  —  Papier  semhe  lé- 
critire. 

La  terre  est  blanche,  la  semence  noire  ?  —  Le 
papier  et  l'écriture. 

Lamain  semé,  liiiès  récolté  ?  —  Crire  av  lire. 

La  main  sème,  les  yeux  récoltent  ?  —  Écrire  et 
lire.  ^ 


4 1 6  SIRANDANES 


Longue  laharhe,  courte  laquée  ?  —  Cévrélte. 
Longue  barbe,    courte  queue  ?  —  Une  «  che- 
vrette »,  crevette. 

Plongé,  levé,  sec  ?  —  Feilïe  son^e. 

Je  la  plonge,  je  la  retire  de  l'eau,  elle  est  sèche  ? 

—  Une  feuille  de  songe. 

Mo  envoyé  inoptit  noir  comission,  :(amès  U  tourné  ? 

—  Couderoce. 

J'envoie  mon  petit  noir  en  commission,  il  ne 
revient  jamais.  —  Une  pierre. 

Asoir  U  promné  partout,  grandiour  so  latcte  en 
las,  so  Jipieds  en  1ère  ?  —  Soiirsonris. 

Le  soir  elle  se  promène  partout,  pendant  le  jour 
elle  a  la  tête  en  bas,  les  pieds  en  l'air  ?  —  Une 
chauve-souris. 

Mo  grandumnman  U  beau  fére  nattes  tout  so  pitits 
dourmi  partére  ?  —  Ziraumon. 

Ma  grand'maman  a  beau  faire  des  nattes,  tous 
ses  petits-enfants  se  couchent  par  terre  ?  —  Le 
giraumon. 

Mo  :(oinde  éne  grande  bande  doumounde,  quand  nio 
loin  liantes  dire  moi  hon:(our,  quand  mo  proce  gantes 
napas  dire  narien  ?  —  Gournouies  dans  bord  diJeau. 

Je  rencontre  une  grande  bande  de  gens  ;  quand 
je  suis  loin,  ils  me  disent  bonjour;  quand  je  suis 
proche,  ils  ne  disent  rien  ?  —  Les  grenouilles  au 
bord  de  l'eau. 

Li  éna  quator:(e  pieds  dipis  so  Ucou  :(^isqu'à  dans  so 


SIR  AND  ANES  417 


Ureins;  quand  vous  misire  tout  so  Ucorps  U  iéna 
nèque  êne  pied  dimi  ?  —  Homard  (i). 

Il  a  quatorze  pieds  depuis  le  cou  jusqu'aux 
reins  ;  quand  vous  mesurez  tout  son  corps,  il  n'a 
qu'un  pied  et  demi  ?  —  Un  homard. 

Mo  beau  lève  U  enUre,  U  tou:(ours  bas  ?  —  Lébas. 

J'ai  beau  le  lever  en  l'air,  il  est  toujours  bas  ? 

—  Un  bas. 

Si  vous  lavé  pas,  prête  moi  U;  si  vous  lavé,  napas 
prêté  ?  —  Battoir. 

Si  vous  ne  lavez  pas,  prêtez-le  ;  si  vous  lavez, 
ne  le  prêtez  pas  ?  —  Un  battoir. 

Mo  êna  trois  gros  noirs  qui  travaille  tou/^ours 
ensembe,  :(amés  :(autes  avancé  :(amés  \autes  arquilê  ? 

—  Cylindes  moulin. 

J'ai  trois  gros  noirs  qui  travaillent  toujours 
ensemble,  jamais  ils  n'avancent,  jamais  ils  ne 
reculent  ?  —  Les  cylindres  d'un  moulin. 

Li  napas  éna  laviande,  so  lé:^os  làhaut  so  disang  ? 

—  Barique  divin. 

Elle  n'a  pas  de  chair,  ses  os  sont  sur  son  sang? 

—  Une  barrique  de  vin. 

Mo  louvra:(e  carnés  fini  ?  —  Ramasse  verres  boutéye. 
Mon  ouvrage  ne  finit  jamais  ?  —  Ramasser  des 
tessons  de  bouteilles. 


(i)  Cette  ineptie  et  les  deux  suivantes  ne  sont  rien  moins  que 
créoles  :  c'est  par  rancune  que  nous  les  citons. 


27 


41 8  SIRANDANES 


léna  eue  hannc  hébétés  qui  travaille  dans  même 
lendroit,  \autes  tende  éne  à  l'aute,  mes  lanûs  fautes 
capave  trouve  T^ciute  Jiguire  ?  —  Moutoucs. 

Il  y  a  une  bande  de  petites  bêtes  qui  travaillent 
dans  le  même  endroit ,  elles  s'entendent  les  unes 
les  autres,  mais  jamais  elles  ne  peuvent  voir  leur 
ligure  ?  —  Les  moutoucs. 

léna  éne  banne  manivelles  dans  bord  cimin,  zfliites 
tout  latéte  enbas  ?  —  Pieds  banane. 

Il  y  a  une  foule  de  demoiselles  au  bord  du 
chemin,  toutes  ont  la  tête  en  bas  ?  —  Les  ba- 
naniers. 

Mo  envoyé  éne  ptit  noir  comission,  sitôt  U  fine 
gagne  laréponse  mo  coné  ?  —  Lhatnçon. 

J'envoie  un  petit  noir  en  commission,  dès  qu'il 
a  eu  la  réponse,  je  le  sais  ?  —  Un  hame- 
çon. 

Mo  éna  boiicoup  lassiétes  bien  fin,  fautes  beau 
tofnbé,  lamès  casse  ?  —  Feilles. 

J'ai  beaucoup  d'assiettes  bien  fines,  elles  ont 
beau  tomber,  elles  ne  se  cassent  jamais  ?  —  Les 
feuilles. 

Mo  étui  dé  "{oli  bassins,  çaquéne  éne  liîote  dans 
milié,  Iherbe  dans  bord;  quand  fautes  bordé  vous 
trouve  so  dileau  coulé  çaquéne  so  coté,  mes  canal  qui 
fourni  dileau  dans  bassins  là  vous  napas  capave 
trouvé  ?  —  Li-^iés. 

J'ai  deux  jolis  bassins,  chacun  a  un  îlot  au  mi- 


SIRANDANES  419 


lieu  et  de  l'herbe  au  bord;  quand  ils  débordent, 
vous  voyez  couler  l'eau  de  chacun  ;  mais  le  canal 
qui  fournit  l'eau  à  ces  bassins,  vous  ne  pouvez  pas 
le  voir  ?  —  Les  yeux. 

Pèse  mo  vente  vous  a  gagne  bouillon  ?  —  Fisi. 

Pesez  mon  ventre,  vous  aurez  du  bouillon  ?  — 
Un  fusil. 

Mort  porte  vivant  ?  —  Pirogue. 

Le  mort  porte  le  vivant  ?  —  Une  pirogue. 

Mo  éna  éne  bassin,  tout  :{o:(OS  qni  vine  boire  Iddans 
noyé  ?  —  La  lampe  av  papions. 

J'ai  un  bassin,  tous  les  oiseaux  qui  viennent  y 
boire  se  noient  ?  —  La  lampe  et  les  papillons  de 
nuit. 

Mo  beau  pitit,  tno  fort  ?  —  Rotin. 

J'ai  beau  être  petit,  je  suis  fort  ?  —  Un  rotin. 

Bonhame  noir  latéte  rouT^  ?  —  Boiitéye  divin . 

Un  bonhomme  noir  à  tête  rouge  ?  —  Une  bou- 
teille de  vin. 

Mo  :(o:(o  éna  néque  ène  li:(ié,  et  so  li\ié  dans  so 
laquée  ?  —  Poêlon. 

Mon  oiseau  n'a  qu'un  œil,  et  son  œil  est  dans 
sa  queue  ?  —  Un  poêlon. 

Li  encore  plit  ptit,  dè\a  lagàle  av  li  ?  —  Margose. 

Il  est  encore  tout  petit,  il  a  déjà  la  gale  ?  — 
Une  margose. 

Mo  batte  U  li  bâ  moi,  ma  bâ  li  li  batte  moi  ?  — 
Mo  fanme. 


430  SIRANDANES 


Je  bats,  on  m*embrasse;  j'embrasse,  on  me 
bat  ?  —  Ma  femme. 

Longtemps  mo  lédoigt  te  enhas  Jombe,  li  comenct 
hourîè  dans  grand  soUye  ?  —  Pouce. 

Jadis  mon  doigt  était  à  l'ombre,  il  commence  à 
brûler  au  grand  soleil  ?  —  Le  Pouce,  montagne 
jadis  très  boisée. 

Ça  qui  ti  voir  li,  napas  li  qui  ii prend  li;  ça  qui 
ti  prend  li,  napas  li  qui  ti  man:(e  li;  ça  qui  ti  nian:(e 
li,  napas  li  qui  ti  gagne  batè;  ça  qui  ti  gagne  bâté, 
napas  li  qui  ti  crié;  ça  qui  ti  crié,  napas  li  qui  ti 
ploré  ?  —  Ptit  noir  féque  coquin  mangue  :  So  liiiés 
qui  té  voir,  napas  so  li:^iés  qui  té  prend;  so  lamain 
qui  té  prend,  napas  so  lamain  qui  té  man^é;  so  la- 
houce  qui  té  man:(é,  napas  so  labouce  qui  te  gagne 
bâté;  so  léreins  qui  té  gagne  batè,  napas  so  léreins 
qui  té  crié  ;  so  labouce  qui  ti  crié,  napas  so  labouce 
qui  ti  ploré. 

Celui  qui  l'a  vu  n'est  pas  celui  qui  l'a  pris; 
celui  qui  l'a  pris  n'est  pas  celui  qui  l'a  mangé  ; 
celui  qui  l'a  mangé  n'est  pas  celui  qui  a  été  battu; 
celui  qui  a  été  battu  n'est  pas  celui  qui  a  crié  ; 
celui  qui  a  crié  n'est  pas  celui  qui  a  pleuré  ?  — 
Un  petit  noir  vient  de  voler  une  mangue  :  ses 
yeux  ont  vu,  mais  ses  yeux  n'ont  pas  pris  ;  sa 
main  a  pris,  mais  sa  main  n'a  pas  mangé;  sa 
bouche  a  mangé,  mais  sa  bouche  n'a  pas  été 
battue;    ses   reins   ont   été  battus,  mais  ses  reins 


SIRANDANES  ^21 


n'ont  pas  crié  ;  sa  bouche  a  crié,  mais  sa  Couche 
n'a  pas  pleuré. 

Grand  xpréyes,  ptit  îiiiés,  lapeau  verni  ?  —  Sour- 
souris. 

Grandes  oreilles,  petits  yeux,  cuir  verni  ?  — 
Chauve-souris. 

Mo  lève  so  cimise,  ma  trouve  so  civès  ;  ma  lève 
so  civés,  mo  trouve  so  Udmts ;  mes  napas  so  lédents 
qui  pour  man:(e  moi,  moi  qui  pour  man:(e  so  lédents  ? 
—  Ene  maie. 

Je  lève  sa  chemise,  je  vois  ses  cheveux  ;  je  lève 
ses  cheveux,  je  vois  ses  dents  ;  m.ais  ce  ne  sont 
pas  ses  dents  qui  me  mangeront,  c'est  moi  qui 
mangerai  ses  dents  ?  —  Un  épi  de  maïs, 

Mo  îasalîe  tapisse  en  rou^e  ;  éne  banne  ptit  fau~ 
téyes  hlanc  làdans  ;  domestique  souye  ■fautes  av  ciffon 
rou:!^e  ?  —  Labouce,  lédents  av  Mangue. 

Mon  salon  est  tapissé  de  rouge  ;  dedans,  beau- 
coup de  petits  fauteuils  blancs;  le  domestique  les 
essuie  avec  un  chifFon  rouge  ?  —  La  bouche,  les 
dents  et  la  langue. 

Néne:(  Madame  angles  enbas  la  terre  ?  —  Rave . 

Le  nez  d'une  femme  anglaise  sous  la  terre  ?  — 
Un  radis. 

Mouce  dans  dilait  ?  —  Ningresse  habille  en 
hlanc. 

Mouche  dans  du  lait  ?  —  Une  négresse  vêtue 
de  blanc. 


422  SIRANDANES 


Avant  mo  prend  li,  mo  tâte  so  civés,  mo  mis  ire  so 
trou  ?  —  Ça  peau  castor. 

Avant  de  le  prendre,  je  tâte  son  poil,  je  me- 
sure son  trou  ?  —  Un  chapeau  de  soie. 

Trois  frères,  nèque  éne  la:(oue  ?  —  Eue  marmite. 

Trois  frères,  une  seule  joue?  —  Une  marmite. 

Mam^elle  dans  Vord  cimin,  tout  dimounde  qui 
passé  tâte  so  tétés  ?  —  Ene  pied  papaye. 

Une  demoiselle  au  bord  du  chemin,  tous  ceux 
qui  passent  lui  tâtent  les  seins  ?  —  Un  papayer. 

Vente  làhaut  vente,  ptit  boute  dans  fente  ?  —  Pitit 
tette  manman. 

Ventre  sur  ventre,  le  petit  bout  dans  la  fente? 

—  L'enfant  qui  tête  sa  mère. 

Grandppâ  dans  lacase,  so  laharbe  tou:(ours  dohors  ? 

—  Lafimée. 

Grand  papa  est  dans  la  maison,  sa  barbe  est 
toujours  dehors  ?  —  La  fumée. 


TROISIÈME  PARTIE 


LA   CHANSON 


TROISIÈME    PARTIE 


LA    CHANSON 


«  Matière  infertile  et  petite  » 


I  la  tâche  a  été  pénible  de  recu.eillir  et  de 
coordonner  les  matériaux  de  nos  contes, 
bien  plus  laborieuse  encore  a  été  la 
réunion  de  ces  fragments  de  chansons.  Émiettées 
dans  cent  mémoires  à  la  fois  infidèles  et  jalouses 
de  ne  pas  se  laisser  interroger,  nos  vraies  chan- 
sons créoles  n'existent  plus  qu'à  l'état  erratique. 
Et  les  morceaux  en  sont  si  petits,  si  ténus,  qu'un 
doute  nous  est  venu  qui  serait  bien  près  de  se 
changer  en  certitude  :  la  chanson  créole  n'a 
existé,  dans  le  principe,  qu'à  la  condition  qu'on 
appelle  chanson  un  simple  refrain.  La  chanson 
créole,  en  effet,  n'a  eu  d'abord  qu'une  phrase, 
phrase  unique  répétée  à  satiété  durant  des  heures 


426  LA   CHANSON 


entières,  pour  les  besoins  du  sêga.  A  cette  danse 
épileptique  suffisaient  quelques  courtes  paroles, 
pour  soutenir  jusqu'à  épuisement  de  forces  les 
danseurs  galvanisés  par  le  rythme  implacable  que 
martelait  la  marvanne. 

Voilà  nos  lecteurs  prévenus  :  de  nos  chansons 
créoles,  les  premières  en  date,  nous  n'avons 
qu'une  phrase,  rarement  deux,  à  leur  donner,  et 
nous  sommes  à  peu  près  sûr  qu'elles  n'en  avaient 
pas  davantage. 

Une  présomption  en  faveur  de  cette  hypothèse. 

Il  y  a  quelques  mois,  le  premier  de  l'an  nous 
trouvait  en  villégiature  à  l'autre  bout  de  notre 
immense  pays,  dans  un  quartier  perdu,  que  sa 
distance  même  du  centre  brillant  de  notre  civili- 
sation n'a  encore  ouvert  qu'imparfaitement  aux 
lumières  de  notre  bienfaisante  aurore.  C'était  au 
bord  de  la  mer.  Le  gardien  du  campement  que 
nous  occupions  fêtait  la  bananée  avec  la  dévotion 
des  anciens  jours,  et  sous  son  toit  patriarcal 
avaient  afflué  le  ban  et  l'arrière-ban  de  ses  fils  et 
de  ceux  qui  étaient  nés  de  ses  fils.  Les  fêtes  du- 
rèrent cinq  jours,  et,  plus  d'une  fois,  pendant  ces 
cinq  jours,  nous  pûmes  nous  croire  revenu  aux 
temps  lointains  de  notre  enfance,  à  ces  temps 
bénis  dont  en  tout  pays,  le  nôtre  excepté,  il  est 
admis  qu'un  cœur  bien  fait  puisse  conserver  un 
pieux  souvenir. 


LA   CHANSON  427 


Ces  attardés  s'amusaient  comme  s'amusaient 
leurs  pères. 

Le  premier  jour,  un  couple  de  citadins  venu  de 
la  capitale  lointaine  donnait  le  ton  aux  divertisse- 
ments de  la  compagnée.  On  dansait  des  quadrilles, 
les  lanciers,  des  valses  surtout,  aux  accords  sa- 
vants de  lacordc  dèon;  on  chantait,  on  jouait  aux 
jeux  innocents,  et  les  grands  filaos  sonores  fai- 
saient leur  ombre  légère  sur  cette  idylle  fraîche 
enrubannée  qu'eût  peinte  Watteau  de  son  pin- 
ceau le  plus  élégant.  Mais,  vers  le  soir,  les  deux 
Port-Louisiens  s'arrachèrent  aux  embrassements  de 
leurs  proches,  et  les  champêtres  restèrent  entre  eux. 

La  fête,  nous  l'avons  dit,  dura  cinq  jours.  Cinq 
jours  durant  l'on  chanta  et  l'on  dansa.  C'est  des 
chansons  que  nous  avons  affaire,  le  lecteur  n'a 
pas  à  nous  le  rappeler. 

Le  premier  jour,  le  grand  répertoire^  l'opéra; 
Port-Louis,  nous  le  répétons,  était  là.  Raceî, 
quand  di  Seigneir  ;  0  via  filh  cérie  ;  Zardins  dé 
Balcasar  ;  Eue  an^e,  ine  fanme  incônie;  nous  en 
passons,  il  suffit  d'avoir  indiqué  le  genre. 

Le  second  jour,  un  revenez-y  vers  la  romance 
sentimentale,  la  romance  langoureuse  aux  yeux 
blancs,  où  U  "^énes  filles  crielles  font  pleirer  lé  TJnes 
■^ens  qui  chantent  de  la  gorge  :  Té  t'en  souviens, 
Marie  ;  Mon  queir  è  mort  à  l'avenir  ;  Pauvre  fleir 
déchéchêe. 


428  LA    CHANSON 


Mais  dès  le  matin  du  troisième  jour,  sous 
l'énergique  poussée  interne  des  rafraîchissements 
qu'imposait  cette  ardeur  de  musique  et  de  danse, 
l'enduit  extérieur  se  mit  à  s'écailler,  le  vernis 
léger  s'en  allait  plaque  après  plaque  ;  avant  midi 
la  désquammation  était  complète,  et  la  marvanne 
ronflait,  tandis  que  le  séga  vainqueur  trépignait 
sous  l'ombre  légère  des  grands  filaos  sonores,  où 
Watteau  ne  peignait  plus,  mais  où,  discret,  nous 
écoutions  entre  deux  bains  de  mer.  Car  c'était 
une  bonne  fortune  bien  rare  que  ce  séga  des  an- 
ciens jours  ;  c'était  un  spectacle  que  ni  pour  or  ni 
pour  argent  ne  parviendrait  à  acheter  la  curiosité 
d'un  profane,  et  la  Néréide  nous  l'offrait  gratis 
qui  sourit  à  notre  ouvrage. 

Ce  qu'ils  chantaient  en  battant  le  sable  de 
leurs  pieds  nombreux,  le  voici.  Comprenne  qui 
pourra  ;  c'est  farouche  et  fermé. 

Basia  !  basia  !  basia  ! 
To  léqueir  fini  parti. 
L'amour  dé  bengali  ; 
Basia  soucani, 
La  finabarca  I 

I  go  to  day,  I  corne  to  morrow. 
Papa,  oh  maman,  oh  aïoh  1 
Cote  mo  doudou,  cote  mo  salé. 
Papa,  oh  maman,  oh  aïoh! 
Laisse-moi  dourmi  dans  la  rie  La  Rampe. 


LA   CHANSON  429 


Tout  zénes  zens  galibar 
Qui  ti  vine  dans  camp  lascar 
Qui  ti  mette  en  fireir 
La  cause  Bangsal  napas  lève  son  goun 
En  bas  tambarin. 
Matirité  bissic,  la  montée  barrée  ! 

Quand  zénes  zens  galibar 
Ti  vine  dans  camp  lascar, 
Zaute  ti  dire  av  Ocni  : 
Si  to  napas  lève  ton  goun, 
L'année  qui  vini, 
To  napas  va  lève  encore. 
Tape  dans  l'embarras. 
Matirité  bissic,  la  montée  barrée  ! 
Personne  va  tire-moi  là. 

Calebasse  ça  qui  zoué  viélon, 
Çatte  qui  éna  matou  faire  l'embarras. 

Ali  !  Mimi,  mo  léqueir  ! 

L'esprit  volaze  napas  bon. 

Quand  vous  mari  napas  là, 
To  cornent  coudvent  dans  la  rie  ; 

Quand  to  mari  dans  la  case, 
To  coment  bonne  fille  la  maison. 

Napas  bisoin  çagrin,  pitit  fille; 
Avant  la  semaine  li  passé. 
Nous  va  prête  lézaile  zhirondéle. 
Napas  bisoin  çagrin,  mon  coco  ! 
Dans  cinque  minites  ptit  moment, 


;^30  LA   CHANSON 


Avlà  signon  signal  signalé, 
Avlà  signale  Canada  I 

Mo  monte  làhaut  Belle  étoile, 
Mo  zette  la  ligne  trois  canal, 
Mo  croce  anguille  trois  couleir, 

Ali  Banban,  la  graisse  cateau  no.  touye  nous  ! 
Quand  même  vou  a  mette  moi  dans  la  pompe. 
Quand  même  vou  a  zette  moi  dans  la  seine. 
Quand  même  vielle  là  passé  avale  moi, 
Faut  qui  mo  trouve  léboute  mou  pays. 

Mo  fanme,  dans  to  maladie, 

To  napas  manze  narien  ! 

—  Mo  mari,  ce  qui  mo  oulé  manzé, 

Dans  lé  pays  napas  iéna  ! 

Mo  mari,  si  ous  content  moi, 

Mo  mari,  vine  donne-moi  la  main, 

Laisse-moi  défonce  poulailler. 

Ah  !  mon  coco,  si  mamzelle  Zeanne  ti  éne  bonne  fanme, 
Li  ti  va  condire-moi  à  côte  paquet  fleirs. 


Vous  plaît-il  que  nous  essayions  d'y  entendre 
quelque  chose?  Quand  ce  ne  serait  que  pour 
donner  une  haute  opinion  de  notre  sagacité. 

Les  deux  premières  strophes  se  dérobent  com- 
plètement :  «  Basia,  La  finabarca,  I  go  to  day, 
I  corne  to  morrov  »,  autant  de  mots  qui  n'appar- 


LA   CHANSON  43: 


tiennent  à  aucune  langue,  et  qu'il  faut  renoncer 
à  traduire  en  chrétien. 

Avec  la  troisième  et  la  quatrième  strophe,  le 
sens  s'éclaire  :  «  Ce  sont  des  zénes  zens  qui  se 
fâchent  parce  que  lé  prêtre  lascar'  leur  fait  at- 
tendre la  levée  du  goun.  «  Mais  qu'est-ce  que  la 
Matirité  bissic,  et  La  montée  barrée  ?  Personne  va 
tire-nioi  là,  comme  dit  le  dernier  vers  du  couplet. 

«  Ce  joueur  de  violon  est  une  calebasse,  «  dit 
la  cinquième  strophe,  et  «  Une  chatte  qui  a 
trouvé  un  matou  fait  ses  embarras  ». 

La  sixième  est  satirique  :  «  En  l'absence  de  son 
mari  Mimi  s'espace  ;  »  il  rentre,  «  elle  baisse  les 
yeux  et  serre  les  coudes.  » 

La  septième  est  un  poème  exquis  en  trois  vers  : 
L'amante  pleure  :  «  Essuie  tes  larmes  !  avant  la 
fin  de  la  semaine  nous  aurons  emprunté  les  ailes 
de  l'hirondelle.  » 

La  huitième  console  la  brune  Coco.  Elle  pleure 
le  beau  matelot  avec  qui  son  cœur  s'est  embarqué 
abord  du  Canada:  «  Patience!  encore  cinq  mi- 
nutes, Coco.  La  montagne  des  Signaux  a  mis 
une  boule  au  bout  du  bras  sous  le  vent  :  heureuse 
Coco  !  c'est  le  Canada.   » 

La  neuvième  est  obscure  et  tronquée. 

Et  la  dixième  ?  Cet  Ali  Banban  qui  est-il  ?  La 
cateau,  la  pompe,  la  Seine,  et  ce  pays  dont  il 
faut  trouver  le  bout? 


432  LA   CHANSON 


Mais  la  onzième  parle  net  :  Le  mari  est  in- 
quiet, sa  femme  ne  mange  pas.  Eh  bien  !  qu'il  lui 
aide  à  défoncer  le  poulailler  du  voisin.  Le  mari 
sourit,  défonce,  guérit,  et  cette  médication  rend 
l'élève  des  volailles  particulièrement  difficile  à 
Maurice. 

Au  dernier  distique,  un  bouquet  auprès  duquel 
l'Amant  sollicite  Coco  de  le  faire  conduire  pa^ 
Mamzelle  Zeanne  ;  cela  vient  en  droite  ligne  du 
Roman  de  la  Rose. 

On  sait  maintenant  comme  nous  à  quelle  source 
de  poésie  le  séga  va  puiser.  Cette  poésie,  le  lec- 
teur n'essaiera  pas  plus  que  nous  de  la  réduire 
aux  règles  de  la  prosodie  la  plus  élastique  :  pas 
de  nombre,  pas  de  rime,  pas  même  d'asso- 
nance; la  marvanne  bat  les  temps  forts,  et  ça 
suffit. 

Qu'on  n'aille  pas  croire  cependant  que  le  barde 
à  peau  noire,  si  la  fantaisie  lui  en  venait,  ne  sût 
tout  comme  un  autre,  trouver  la  rime  «  de  nos 
vers  échos  harmonieux  ». 

Msié  Sangaraye 
Volor  gâteau  moutaye; 
Li  saute  la  miraille, 
Li  gagne  coup  dsagaye 

Dans  son maye, 

Li  tombe  làhaut  la  paille, 
Li  crie  aïe,  aïe,  aïe  I 


LA    CHANSON  4}} 


Mais  Lindor  ne  s'attarde  pas  à  ces  tours  de 
force  puérils  ;  il  y  excellerait,  on  le  voit,  et  cela 
lui  suffit.  Alors  même  que  la  rime  vient  par  sur- 
prise usurper  une  place  à  la  fin  de  ses  premiers 
vers,  vite  il  la  répudie  : 

Bonhomme  Gaspard 

Tombe  dans  rempart, 
La  que  nhabit  faire  cerf-volant. 
Aïoh  Mamzelle,  aïoh  Mamzelle, 
Vous  robe  la  que  balié  la  rie. 
Napas  la  peine  coné  zhabitant, 
So  lérein  raide  cornent  bambou. 

Rien  de  varié  comme  la  matière  de  la  chanson 
créole  ;  elle  s'inspire  de  tout,  ou  mieux,  de  rien  : 
l'incident  du  jour  lui  suffit,  pour  infime  qu'il 
soit.  De  là,  sans  doute,  ces  obscurités  qui  défient 
toute  pénétration  :  avec  le  souvenir  du  fait  le  sens 
de  la  chanson  a  été  aboli  pour  toujours  ;  Basia 
soucani,  il  faut  s'y  résigner. 

En  dépit  de  leur  variété,  il  nous  semble  ce- 
pendant que  nous  pouvons  ranger  sous  quelques 
chefs  principaux  les  productions  rudimentaires  de 
notre  Muse  Noire.  D'abord,  les  chansons  erotiques 
et  les  chansons  satiriques,  car  ce  sont  bien  là  les 
deux  caractères  qui  s'y  rencontrent  le  plus  com- 
munément. Ensuite  nous  montrerons  le  rapsode 
demandant  à  l'histoire  de  rares  cantilènes,  d'où 

28 


434  LA   CHANSON 


ne  sortira  certes  aucune  épopée.  Puis  nous  don- 
nerons quelques-unes  des  berceuses  que  les 
nénènes  disent  à  nos  bébés,  quelques  refrains 
d'enfants  qui  jouent,  et  encore  quelques  ségas. 
Nous  terminerons  enfin  en  faisant  voir  comment 
la  romance  venue  de  là-bas  finit  par  supplanter 
la  chanson  indigène,  au  fur  et  à  mesure  qu'un 
commerce  plus  étroit  avec  la  langue  française 
ouvrait  à  nos  chanteurs  l'accès  d'un  répertoire 
plus  élevé.  Nous  verrons  de  quelle  force  à  leur 
tour  ils  s'essayèrent  eux-mêmes  à  notre  poésie,  et 
comment  enfin,  aujourd'hui,  tous  ici  savent  ma- 
nier la  langue  de  Chateaubriand  et  de  Paul  de 
Kock,  et  la  trouver  docile  à  tous  les  besoins  de  la 
vie. 


ERÔS,    AMOR,    CUPIDO. 

Dimance  bô  matin,  zéne  fille,  nous  va  aile  bazar; 
Ous  a  méte  ous  ptit  robe,  zénc  fille,  avec  ous  souliers; 
Mo  a  méte  mo  caneçon,  zéne  fille,  avec  mo  çapeau  ; 
Ous  a  passe  par  la  porte,  zéne  fille,  mo  pass  par  la  fenéte  ; 
Nous  va  aile  dans  cariole,  zéne  fille,  ou  bien  dans  caléce  ; 
Batate  av  magnoc,  zéne  fille,  nous  va  aile  manzé. 

Chaque   vers  est  bissé;  le  tentateur  ne  glisse 
pas,  il  appuie. 

Mo  passe  au  bazar,  mo  zéncau  tombé; 
Milien  ramassé. 


LA  CHANSON  435 


Li  pas  oulé  rende. 

Rende  mo  zéneau,  Milien  !   (ter') 

Mo  papa  va  batte  moi. 

Dimance  grand  matin  mo  pâsse  au  bazar, 
Mo  çapeau  tombé, 
Ptit  fille  ramassé. 
Mo  dire  li  rende, 
Li  pas  oulé  rende  ; 
Li  dire  moi  coume  ça 
Faut  nous  démarié. 
Rende  mo  çapeau,  ptit  fille  1   (ter) 
Vou  maman  va  zoure  moi. 

C'est  sur   le  patron    d'une   églogue  antique 
Amant  alterna  Canicena. 


Voici  maintenant  la  plainte  harmonieuse  d'une 
amante  qu'a  trahie  le  volage  Bassillon  : 

Mo  ti  éna  mo  zoli  zozo, 
Mo  zozo  ti  éna  so  nique  ; 
So  nique  ti  dans  feillaze, 
So  feilles  ti  dans  so  brance, 
So  brance  ti  tiombô  so  zarbe, 
So  zarbe  ti  éna  racines, 
So  racines  ti  dans  la  terre. 
Aïoh,  aïoh  !  la  terre  manque  dileau  Bondié  ! 
Bassillon,  Bassillon,  Bassillon! 
Ton  quière  fini  parti. 
L'amour  dé  bengalis,  Bassillon, 
Passe  aussi  vite  que  la  rosée  I 


436  LA   CHANSON 


Ce  :(oio  allégorique  est  connu  partout  ;  mais 
quelle  suite  dans  les  métaphores,  jusqu'à  ces  ra- 
cines auxquelles  manque  l'eau  du  bon  Dieu  ! 


Souhait  : 

Si  mo  té  zozo,  mo  ti  envolé, 
Mo  ti  envolé  dans  lés  îles  ; 
Mo  aile  guette  Sidonie  la  péce  posson, 
Cornent  paillenqui  dans  dileau. 

«Ski 

Autre  éjaculation  : 

Grand  la  vérette  passé  ; 
Tout  nous  famille  pour  mort. 
Nous  dé  va  reste  tout  seil  ; 
Qui  nous  va  faire,  Adélia  ? 

à. 

Séduction  : 

Ptit  fille,  vine  dans  mo  la  case! 
Mo  napas  manque  narien  : 
To  a  prend  par  pongnées  dou  riz, 
To  a  fane  av  to  ptit  poules. 


Soyez  prudents: 

Si  vous  content  moi,  zénes  zens. 
Si  vous  content  moi, 


LA  CHANSON  457 


Condire  moi  la  case  mo  papa. 
En  arrivant  la  case  mo  papa, 
Napas  bisoin  rentré,  zénes  zens, 

Napas  bisoin  rentré  : 
Papa  là  H  trop  mauvais. 
So  bâton  derrière  laporte, 

Zénes  zens. 
Bâton  là  appelle  Samoindo, 

Zénes  zens, 
Li  a  samoinde  vous  rondement. 

à. 

Désespérance  : 

Mamzelle  Fifine,  mo  bien  content  vous, 
Mais  dire  domaze  mo  peir  vous  papa. 
Donne  dileau  di  sel,  donne  dileau  piment  : 
Mo  a  faire  plore  mo  liziés  pour  passe  mo  çagrin 

Autres  guitares  : 

Philozène  Valéry 
Fine  enlève  pitit  Madame  Louis. 

Madame  Louis  parlé 
Quand  même  li  a  vende  so  pirogue, 
Quand  même  li  a  vende  so  bateau. 
Faudrait  li  trouve  son  boute  Philozène. 

Nigodine  parlé  : 
Mais,  manman,  si  mo  té  poupette, 
Poupette  qui  vende  dans  bazar, 

Ptit  poupette, 
Philozène  ti  a  mette  moi  dans  so  poce. 


438  LA   CHANSON 


à, 

To  cause  moi  l'amour 

Derrière  la  cousine  ; 

Si  mo  papa  va  trouve  toi 

Li  va  casser  to  léreins. 
Aïoh  mon  ptit  coco,  aïoh  mon  ptit  coco, 
Coment  li  goût!  cornent  li  goût! 

Marie  Louise  av  Josselin 
Zaute  dicende  en  bas  bosqué. 
Qui  to  faire  là,  Marie  Louise? 

—  Mo  après  veille  dizéfs  martin. 

—  Napas  la  magnère,  Marie  Louise, 
Pour  to  veille  dizèfs  martin  ; 
Guette  la  séceresse  à  présent. 
Tout  martins  tine  làhaut  la  mare. 

-^ 

A  une  ingrate  : 

Mo  ti  malade,  zéne  fille, 
Ous  napas  léqueir  voir  moi  ! 
Bague  larzent  dans  lédoigt, 
Mouçoir  cent  sous  dans  licou. 
Mo  ti  malade,  zéne  fille, 
Ous  napas  léqueir  voir  moi. 

A  une  infidèle  : 

Aïoh  Liza  !  aïoh  Liza  ! 
To  quitté  moi,  to  prend  mari  cinois. 

Rende  mo  paquets,  Liza  !  (Wi) 

To  quitte  moi,  to  prend  mari  cinois. 


LA   CHANSON  439 


10   HYMEN,    HYMEN^E   lO. 

Anzélina,  mo  fanme  : 
Pèse,  pèse-moi. 
Anzélina,  mo  fanme, 
Mo  gagne  point  de  côté. 

Faux  rapport  : 

Mo  passé  Pont-Zénie, 
Mo  zoinde  Aurélie; 
Li  donne  moi  nouvelle 
Limorin  dans  mo  la  case. 
Pas  plis  étonnant! 
Mo  arrive  dans  mo  la  case, 
Mo  zoinde  lé  voleir 
Dans  mon  fauteil  coment  mo  même. 
Mo  démande  lé  voleir  : 
Qui  ous  faire  ici  ? 
—  Pas  batte  moi,  compère  1 
Pas  batte  moi,  compère  ! 
Commère  ti  engaze  moi 
Pour  vire  paillasse. 
Pour  touye  pinaises. 

Entre  voisins  : 

Napas  tende,  Mame  Edouard, 
Ma  Ranie  faille  fanme  ! 

Napas  tende,  Mame  Edouard, 
Ma  Ranie  faille  fanme. 


440  LA   CHANSON 


Coups  d'canon  tiré,  Marne  Edouard, 
Zisqu'à  bô  matin. 

à. 

A  huis  clos  : 

Madame  Laurette,  mo  ménazère, 

Ous  faire  moi  la  misère. 

Si  mo  colère  monté, 
Mo  a  montré  vous  la  magnère 

Madame  coné  très  bien  : 
Avoyé  1  sacouyé  !  avoyé  !  sacouyé  1 

à. 

Impatience  : 

Auguistine  donc,  mo  fanme, 
Grand  doumounde  cornent  vous 
Quitte  vous  marmite  làliaut  difé, 
Pour  aile  promené  grand  cimin. 
Zour  mo  va  fine  en  colère, 
Mo  va  lève  la  main  làhaut  vous. 
Té  parents  va  tombe  làhaut  moi. 
Tralala,  tralala,  tralala. 

Pour  finir,  une  de   ces  chansons  anecdotiques 
dont  le  parfum  s'est  presque  tout  évaporé  : 

Lindi  bo  matin  mo  levé, 
Mo  décende  en  bas  Çamarel. 
Zénes  zens  Çamarel  entoure  moi, 
Donne-moi  éne  heire  lé  temps, 
Ptit  moment. 


LA   CHANSON  44 I 


Mo  tire  mo  mouçoir  dans  mo  poce 
Guette  dans  bordire  mo  mouçoir 
Ous  a  trouve  signatire  Madame. 

Dans  ça  mouçoir 
Rendez-vous  Madame  ti  donné 

Dimain  à  quate  heires. 
Açtheire  mo  napas  coné  personne  ici. 

Ous  même  mo  manman, 

Ous  même  mo  papa  ; 

Si  mo  tombe  malad«, 
Ous  même  qui  a  sogne  moi. 


Nous  passons  à  la  satire.  «  Lucile,  le  premier, 
osa  la  faire  voir.  » 

Eu  bas  la  rivière,  mmd  Licile, 
To  donne  tété  cocons,  mmâ  Licile, 

To  donne  tété  cocons. 
Ça  même  to  content,  mmâ  Licile, 

Pour  donne  tété  cocons. 

La  belle  Rose,  pour  éne  zoli  fille  coment  vous, 

Vous  quitte  cimin  dans  camp. 

Vous  aile  l'allée  dans  magnoc. 
Pour  ène  zoli  fille  coment  vous  napas  di  honte  !! 


Nazéni,  cote  ous  allé  ? 

Ous  habille  coment  comédienne. 


442  LA   CHANSON 


Ous  famille  dans  camp  de  Mars 
Après  guette  couvais  galopé, 

Ptit  fille  oulé  coné 
A  cote  léglise  zanimaux. 
Zanimaux  quand  li  va  mort, 
So  name  napas  aile  au  ciel. 

Gouverneir  fine  empécé 
Mozambiques  mette  malakofF. 
Zalousie,  coco  !  zalousie,  coco  ! 
To  liziés  coment  bigorneaux. 

Mo  ti  aile  dans  éne  la  case 
Dans  ça  la  case  coment  misère  I 
Lérats  gros  coment  cabris, 
Lérats  gros  cornent  cabris  ! 

Dimance  bô  matin 
Mo  couri  bazar, 
Mo  renconte  Iranie. 
Qui  robe  li  mété,  coco  ! 

Qui  robe  li  mété  ! 
Robe  pompadour,  coco, 

Çapeau  la  dandy. 

Mamzelle  Souillac  quand  fine  çanzé 
So  léreins  raide  coment  bambou. 
Mo  pas  content  condire  mamzelle, 
So  laqué  robe  balié  la  rie. 


LA   CHANSON  443 


<3E» 

Trois  zours  trois  nouites  napas  pirzé,  Zoline  ! 
Zoline  pas  pirzé,  vine  vilement  Zean  Guistin, 
Vine  vitement,  apporte  to  seringue  bourrique. 

<:^ 

Msié  Biguitte  bon  blanc, 

Oui  Msié  Biguitte  bon  blanc  ; 

Li  faire  plante  la  vanï 

Pour  adouci  lé  queir  so  madame. 

Madame  Biguitte  content, 

Oui  Madame  Biguitte  content 

Qui  li  pour  gagne  lé  queir  bien  tende, 

Tende  coment  la  rosée  bô  matin. 

Madame  Zelmire  napas  éna  la  honte, 
Sourte  en  cimise  divant  brigadier. 
Faut  bien  espère  brigadier  guette  comme  ça  même. 
I  say,  my  boy,  donne  mon  couteau  ; 
Pas  largué,  pas  largué,  Zéline  !  mo  vini  !! 

<:^ 

Anzéline  fini  accoucé. 
Qui  ptit  li  fine  gagné  ? 
Li  accouce  éne  ptit  Zacot, 

Vraiment  ptit  Zacot. 
Doumounde  vine  guetté  : 

Vraiment  ptit  Zacot, 

Vraiment  ptit  Zacot  ! 


444  LA.   CHANSON 


Zénes  zens  daus  camp  Benoit 
Tous  lé  samedis  décende  en  ville. 
Trois  quate  bâtâtes  bouï 
Dans  zaute  berceau  pour  la  zournéc. 
Esquisé  diboutant,  esquisé  diboutant, 
Zènes  filles  laisse  pointeirs  passé. 
Zé  monte  montagne  Ory, 
Zé  renconte  Msié  milate 

Grands  favoris, 
Ec  so  laqué  la  morie 
Qui  condire  çarette  bourrique  : 
Ahi,  ahi,  mo  milet, 
Ahi  !  mo  milet  Poitou. 


Entre  nos  chansons  satiriques,  il  en  est  deux 
sur  lesquelles  leur  notoriété  nous  force  à  insister. 
La  première,  Cari  Mo,  nous  vient  du  passé  le 
plus  lointain  ;  l'autre,  Ramsamy  Courtin,  plus  ré- 
cente, comme  l'indique  le  nom  indien  de  Ram- 
samy, n'est  pas  moins  populaire  que  son  aînée. 
Elles  sont  l'une  et  l'autre  dans  la  mémoire  de 
tous  ;  de  là  des  variantes  innombrables  entre  les- 
quelles nous  avons  choisi  de  notre  mieux. 

Cari  Mo,  nous  l'avons  dit,  date  d'un  autre  âge. 
Nous  en  donnerons  le  couplet  initial  sur  lequel 
tous  les  autres,  dûs  à  cent  créations  indépen- 
dantes entre  elles,  sont  venus  se  modeler  tant 
bien  que  mal.  Nous  citerons  quelques  strophes  ; 


LA   CHANSON  44^ 


mais  nous  nous  garderons  d'épuiser  la  matière  : 
l'espace  nous  manquerait,  comme  la  patience  à 
quelques  lecteurs. 

Cari  lalo,  milatresse,  to  pique  sousouna. 

Cari  lalo,  milatresse,  to  pique  sousouna  ; 

To  pique  sousouna,  milatresse,  to  dire  la  liqueir, 

To  pique  sousouna,  milatresse,  to  dire  la  liqueir. 

Cari  lalo,  milatresse,  to  pique  sousouna. 

Cari  lalo,  milatresse,  to  monte  dans  cariole,  (bis) 

To  monte  dans  cariole,  milatresse,  to  dire  danscaléce.  (bis) 
Cari  lalo,  milatresse,  to  monte  dans  cariole. 
Cari  lalo,  milatresse,  to  porte  chrysocale,  (bis) 

To  porte  chrysocale,  milatresse,  to  dire  di  l'or  fin.  (bis) 
Cari  lalo,  milatresse,  to  porte  chrysocale. 

Le  lecteur  le  comprend  maintenant,  il  n'y  a 
pas  de  raison  pour  que  la  chanson  finisse  :  To 
iîmn:(e  hambaras,  milatresse,  to  dire  camarons;  To 
houï  lagrains  :(aqîie,  milatresse,  to  dire  triffes  dé 
France,  et  les  aménités  succèdent  aux  politesses. 
Nos  futurs  traités  de  rhétorique  créole  trouveront 
là  un  exemple  touffu  d'antithèse. 

Ramsamy  Courtin  est  aussi  une  chose  à  ti- 
roirs ;  libre  à  qui  veut  d'y  mettre  ce  qu'il  veut. 
D'où  nous  vient  la  chanson?  L'histoire  ne  répon- 
dant pas,  nous  en  sommes  réduit  à  l'induction, 
et  voici  la  genèse  que  nous  proposons  au  lec- 
teur. 


44^  LA    CHANSON 


Un  père,  propriétaire  d'un  «  immeuble  »,  vou- 
drait bien  marier  sa  fille.  Il  a  invité  à  dîner  un 
zéne  homme  qui  pourrait  lui  faire  un  gendre.  Il 
donne  à  son  domestique,  Ramsamy  Courtin,  en 
l'envoyant  au  bazar,  vingt-cinq  sous  et  le  menu 
pour  le  festin  du  soir.  Cependant  le  zéne  homme 
arrive.  Le  père,  pour  avancer  les  choses,  veut 
faire  chanter  sa  fille;  la  zéne  vierge  s'y  refuse. 
Changement  de  tactique  du  propriétaire  :  c'est 
par  l'ostentation  de  son  luxe  qu'il  séduira  son 
hôte  ébloui.  Et  il  énumère,  avec  une  légitime 
fierté,  les  richesses  de  sa  maison,  les  commodités 
de  son  mobilier,  dont  pas  une  pièce  secrète,  pas 
un  vase  intime  n'échappe  à  son  inventaire.  Entre 
temps,  on  se  met  à  table,  et  l'amphytrion,  au 
dénouement  de  la  pièce,  commande  à  Ramsamy 
Courtin  de  lui  ôter  vite  sa  cravate  :  on  verra 
pourquoi. 

C'est  nécessairement  dans  la  revue  du  mobilier 
que  la  fantaisie  créole  se  donne  carrière  ;  là, 
notre  imagination  folâtre  se  sent  la  bride  sur  le 
cou  :  Guette  dans  mo  lormoire  serviettes  pour  souye 
lipieds  !  Guette  dans  fond  jardin  cacoiise  en  bas 
hanoir  !  C'est  interminable,  et  spirituel  Zisqu'à 
napas  bon . 

Il  nous  suffit  maintenant  de  donner  le  cadre  du 
tableau  ;  le  lecteur  est  libre  de  brosser  sur  la  toile 
ce*que  bon  lui  semblera. 


LA   CHANSON  447 


Ramsamy  Courtin, 

Va-t'en  au  bazar  : 

Ene  la  tête  cabri, 

Six  sous  mouroungue  bâtons, 

Restant  la  monée 

Prend  éne  sou  disel, 

Avlà  veine-cin  sous,  Ramsamy, 

Napas  blië  massala. 

Ciantez  donc,  ma  fille. 
Ma  fille  ne  vé  pas  çanté  ! 
Ciantez  donc,  ma  fille, 
«  Bel  anze,  ô  ma  Licie  !  » 
Ciantez  donc,  ma  fille, 
Et  largue  tout  vous  la  voix  ; 
Ciantez  donc,  ma  fille  ! 
Ma  fille  ne  vé  pas  çanté. 

Guette  dans  mo  parterre 
Pied  belsamine  en  fleir; 
Guette  dans  mo  zardin 
Zet  d'eau  qui  hisse  en  l'air  ; 
Guette  dans  mon  salon 
Portrait  Lapoléon  ; 
Guette  en  bas  lilit 
Ene  bande  pôdçambe  doré. 

Guette  dans  mo  grenier 
Paquet  tambarins  mîrs  ; 
Guette  dans  l'écairie 
Ene  paire  bel  bourriquéts... 
Aïoh,  aïoh,  Ramsamy, 


44S  LA   CHANSON 


Mo  ga^ne  malad  latéte  : 
Tir  vitment  mo  cravate, 

Ramsamy, 
Et  laissé  moi  ômi. 

Et  ce  qui  contribue  encore  à  faire  de  Ramsam}^ 
Courtin  «  a  favourite  song  with  us  »,  c'est  que 
de  piquants  lapsus  lingiice  donnent  tout  de  suite  à 
certains  mots  une  physionomie  irrésistible;  un 
garçon  d'esprit  ne  faillira  jamais  à  prononcer  ma 
Licie,  helsamine,  hourriquét,  de  façon  à  ravir  d'aise 
son  auditoire.  Aussi  Ramsamy  Courtin  pourrait 
bien  être  la  perle  de  notre  répertoire;  perle  noire, 
d'accord,  mais  pour  être  noires,  les  perles  se 
jettent-elles  aux  pourceaux? 


Nous  avons,  un  peu  à  la  légère,  promis 
quelques  chansons  «  historiques  »  ;  dégageons 
vite  notre  parole. 

Dans  c'temps-là  mo  té  garde  moutons, 
Mo  té  garde  moutons  dans  lacacia; 
Qui  moutons  ça  ?  qui  moutons  ça  ? 
Moutons  Msié  LéBréton. 

En  avant  marçons 
La  case  Anderson, 


LA   CHANSON  449 


Parasol  en  bas  lébras, 
La  peau  beif  dans  lipieds, 
Bardeau  làhaut  latéte. 
A  présent  qui  nous  Mamzelle, 
Pis  souvent  qui  nous  va  piocé. 

Fragment  de  chanson  sur  un  juge  célèbre 

Msié  Zérémie  fine  arrivé; 
So  çapeau  sir  lé  côté, 
So  nhabit  li  galonc... 

Sur  un  assassin  fameux  : 

Madame  Bidec,  Madame  Bidec 
Donne  dé  cents  souverains 
Pour  aile  rôde  avocat 
Pour  sauve  la  vie  Macoulé. 
«  Manman  Nanette,  manman  Nanette, 
Aile  rôde  avocat  !  » 

Mo  monte  canal  Bélot, 

La  rivière  fine  débordé. 
Ah  bondié,  moi  éne  fanme  saute  là  ! 
duand  mo  ti  zozo,  mo  ti  envolé 

Pour  aile  rôde  avocat 

Pour  sauve  la  vie  Macoulé. 

Gouverneir  nouveau  fine  arrivé, 
Li  donne  so  condamnation 
Pour  Macoulé  condamné 
Condamne  à  la  peine  de  mort. 

29 


4SO  LA   CHANSO:<î 


Macoulé  avant  li  mort 
Li  dire  avec  tout  doumounde  : 
«  Prié  lé  bon  Dié  pour  moi, 
Mo  mort  pour  narien.  » 

<3fc» 

Sur  des  réjouissances  projetées  pour  la  fête  of 
ilie  late  Prince  Albert  : 

Dipis  zédi  lé  neif 
La  naissance  prince  Albert. 
Mo  ti  aile  là  haut  dans  zardin, 
Mo  écoute  ces  Messies  consilté  : 
Zaute  envoyé  la  malle  Angleterre  ; 
Aussitôt  la  malle  va  tourné. 
Va  iéna  liminé  dans  zardin. 

uîo 

Sur  le  départ  du  général  ***,  Goveraor  of  Mau- 
ritius,  et  sur  l'inauguration  des  becs  du  «  Mauri- 
tius  Gaz  Company  «. 

Engazement  fini,  mo  zénéral  : 

Létemps  pour  aile  Angleterre. 

Paravant  vous  aile  Angleterre, 
Fanais  gaz  vous  va  saye  dans  la  rie. 

Tous  négociants  réponde  : 
«  Quand  même  sayé  napas  saj'é, 

Mo  gaz  li  fine  garanti.  » 

Labourdonnais  réponde  : 
«  Napas  blie  moi,  mo  zénéraL 
Enterre  quatc  colonnes  divant  moi. 


LA   CHANSON  45 I 


Quand  même  vous  napas  allime  divant, 
Va  gagne  clair  derrière  mo  lédos.  » 


Sur  la  visite  du  prince  Alfred,  duke  of  Edim- 
burg: 

Montagne  signaux  signalé, 
La  citadelle  réponde 
Trois  coups  de  canon  : 
Prince  Alfred  arrivé. 

Li  vire  so  face  sir  l'côté, 
Li  envoyé  trois  coups  de  canon. 
Li  tremblé  partout  dans  la  ville  ; 
Tout  doumounde  guette  ça, 
Tape  la  main  partout. 

«  Mette  pavillon  partout, 
Prince  Alfred  arrivé  !  » 
Msié  Pitot  tende  ça, 
Li  écrire  papier  négociant 
Pour  aile  monte  çateau  dans  Bois-Sec. 

Tout  zènes  zens  mette  boléro. 
Tout  zènes  filles  mette  malakofF. 
Faut  nous  aile  guette  festin  dans  Bois-Sec. 
Lève  vous  lipieds,  zénes  zens. 
Lève  vous  lipieds,  zénes  filles  : 
Avlà  festin  commencé  ! 

ÇaufFe  vous  tambour,  zénes  zens  ! 
Tape  vous  tambour,  zénes  zens, 


4^2  LA   CHANSON 


Guette  cornent  zénes  filles  baloté  ! 
Balote  vous  léreins,  zénes  zens, 
Balbte  vous  léreins,  zénes  filles, 
Ça  cornent  balancier  cimin  dfer. 

En  voilà  assez,  n'est-ce  pas  ?  on  voit  à  quelle 
hauteur  M^e  Clio  chevauche  notre  «  couvai  Pé- 
gase ». 


Quelques  berceuses  et  quelques  chansons  de  jeu. 

Dodo,  mon  baba. 
Dodo,  mo  ptit  baba  ! 
Quand  baba  napas  dodo, 
Çatte  marron  va  nanan  li. 

Le  chat  marron  est  le  seul  carnassier  de  nos 
forêts,  lesquelles,  le  reboisement  aidant,  tien- 
draient dans  quelques  boîtes  d'allumettes. 

Mamzelle'^Fifine  fini  accoucé, 
Napas  ptit  poule  pour  faire  bouillon  ; 
Bouillon  couroupas  li  assez  bon. 

Zozo  paillenqui 
Est  éne  zozo  qui  éna  sentiment  : 
QjLiate  heires  bô  matin  li  plonze  dans  dileau, 
Li  lapéce  posson  pour  donne  manzé  so  pitits. 


LA   CHANSON  453 


i3& 

Pour  encourager  à  danser  le  bébé  qui  s'aven- 
ture à  se  mettre  debout  en  se  cramponnant  aux 
barreaux  de  la  chaise  : 

Pilé,  pilé,  Samécaté, 
To  papa  to  manman  manzé  lérats. 

Ah  bondié  !  quelle  é  ma  souffrance, 

Perdi  papa,  perdi  manman  ! 

Hier  à  soir  mo  napas  diné, 

Bô  matin  mo  napas  diné, 

Lheire  midi  napas  tifEné, 

Et  pourtant  mo  vente  li  faim  ! 
Doum  caladoum,  caladoum,  caladoum. 

Mo  passé  la  rivière  Taniers, 
Mo  renconte  éne  grand  manman  ; 
Mo  demande  li  qui  li  faire  là, 
Li  dir  moi  lapéce  cabots  ; 
Ouaïe,  ouaïe,  mé  zenfants, 
Faut  travaill  pour  gagne  so  pain. 

à. 

Caroline  napas  la  cousine,  Madame  ; 
Marmite  bouillon  fine  renversé, 
Napas  bouillon  pour  toi,  coco. 
«  Samy,  Samy,  couri  bazar. 
Aile  casse  ptit  poule  pour  faire  bouillon.  » 


4S4  LA   CHANSON 


Au  jeu,  pour  voir  qui  y  sera.  On  reconnaîtra 
le  quinquille  de  France  : 

Ein  coquicaille, 
C'est  léroi  dé  papillons, 
En  fésant  sa  barbé 
Il  a  coupé  son  menton 
Enne,  désse,  troisse, 
Queir  dé  beif  dans  l'eau  I 

La  queue  du  loup  : 

Zanguerna,  zanguerna. 

—  Bé,  bé. 

—  To  pitit  pour  moi. 

—  Et  to  menti  ! 
Et  to  senti  ! 


C'est  plus  qu'il  n'en  faut.  Nous  terminerons 
nos  citations  créoles  par  quelques  ségas. 

Dire  éne  fois  donc.  Madame, 
Si  ous  coné  coment  séga  li  goût? 
—  Mo  aile  en  bas  la  montagne  ; 
Si  mo  mari  capave  coni  ça, 
Li  a  trape  bâton,  casse  mo  li  cou. 


LA   CHANSON  455 


ai 

Quand  mo  passé  magasin  Bon-Goût, 
Mo  léqueir  sauté,  mo  lipieds  côlé. 

<^ 

La  pomade  Zamaïca 
Faire  l'honneir  aux  brosses-coco. 

Ça  mamzelle  là  mo  bien  content  li, 
Li  gagne  mo  magnère,  mo  sentiment,  mo  caractère. 
Avià  li  là,  Sangama, 

Avlà  li  là  ! 
Avlà  li  là,  Sangama, 
Tchiombô  li  pour  toi. 

à. 

Prend  to  zilet,  to  bâton,  to  çapeau, 
Avlà  bourzois  qui  pour  vini. 
Souque  to  léreins  doux,  coco, 
Souque  to  léreins  doux. 

Ai, 

Condir  manman  Zeanne,  Philozène, 

Condir  manman  Zeanne 
Zisqu'à  dans  cantine,  Philozène, 

Zisqu'à  dans  cantine. 

To  rente  dans  cantine,  Philozène, 

To  tir  to  çapeau, 
To  tir  to  çapeau,  Philozène, 

To  fair  to  salit. 


45^  LA   CHANSON 


*    ♦ 


Ainsi  chantait  au  matin  la  Muse  noire. 

Mais  le  jour  grandissait;  le  soleil  plus  haut 
versait  plus  de  lumière. 

La  Muse  prit  un  petit  panier,  une  ardoise,  un 
spelling-book,  et  se  rendit  au  Government  school 
où  elle  apprit  à  lire  et  à  écrire;  et  lorsqu'en  ren- 
trant chez  elle,  le  soir,  elle  entendait,  par  la  porte 
entr'ouverte  de  quelque  maison  joyeuse,  arriver, 
jusqu'à  la  rue,  les  accords  du  piano  et  la  voix 
fraîche  des  jeunes  filles,  elle  s'arrêtait  contre 
l'entourage  aux  barreaux  verts,  et,  silencieuse, 
elle  écoutait.  Et  elle  gravait  dans  sa  mémoire  la 
douce  mélodie  et  les  paroles  aux  syllabes  peu 
familières.  Puis  elle  regagnait  son  humble  case 
au  pied  de  la  montagne  ;  et  là,  sous  la  lampe  de 
fer-blanc,  où  la  mèche  ronde,  prise  au  coton 
d'un  vieux  bas,  puisait  dans  l'huile  de  coco  sa 
paisible  clarté,  elle  écrivait  pour  se  souvenir. 
Nous  avons  plusieurs  de  ses  cahiers,  et  ces  feuilles 
jaunies  nous  sont  chères. 

Nous  transcrivons  avec  une  religieuse  fidélité. 

ROMANCE. 

Janny  adieu  le  temps  savance 
Sans  plus  tardé  il  faut  partir 
Mais  dans  trois  ai  confiance 
Je  te  promets  de  revenir 


LA   CHANSON  457 


Pourquoi  tremblaient  pas  un  nuage 
Je  mes  deux  bras  et  mon  canon 
Je  puis  en  peur  bravé  l'orage 
Allons  en  mer  gaie  matelot 

Trois  après  quand  la  pauvette 
Gaiement  sur  la  grève  accourez 
Près  d'elle  a  passé  la  miette 
Chaque  tonnerre  au  loin  grondé 
A  deux  genoux  sur  le  rivage 
Elle  appela  point  de  canon 
Enfant  en  pleure  bravé  l'orage 
Je  mes  deux  bras  et  mon  canon 
Je  puis  en  peur  bravé  l'orage 
Prié  Dieu  pour  le  matelot 

Le  vent  accourt  sachant  la  brise 
L'air  en  feu  le  flot  mugit 
L'éclairé  en  lui  tout  se  brise 
Mais  au  bonheur  elle  entendit 
Pour  quoi  tremblez  reprend  courage 
Je  mes  deux  bras  et  mon  canon 
Je  puis  en  peur  bravé  l'orage 
Dieu  protège  le  matelot. 

Il  faudrait  tout  citer  !  Qu'on  nous  permette  au 
moins  ces  trois  vers  dont  le  dernier  n'hésite  pas 
à  supprimer  net  une  négation  plus  barbare  que 
nature. 

. . .   D'un  triste  sort  il  faut  subir  la  loi 
Que  cet  aveu  ranime  ton  courage 
Vas  t'en  je  t'aime  et  peut  être  à  toi 


458  LA   CHANSON 


Les  romances  succédèrent  aux  romances,  et, 
quand  une  initiation  suffisante  lui  eut  rendu  fa- 
milières et  la  langue  et  la  prosodie  françaises,  la 
Muse  noire,  désormais  sûre  d'elle-même,  chanta 
les  chansons  qu'elle  composa. 

Ma  position  et  bien  triste  et  cruel 

Et  pour  te  quitter  pour  un  simple  plaisirs 

Si  pour  toujours  je  dois  vivre  avec  elle 

Je  vous  le  dit  je  préférez  mourir 

Je  peu  vous  dire  que  ma  femme  et  à  craindre 

A  croyiez,  je  suis  mal  mariez 

Aux  mes  amis  que  mon  sort  et  à  plaindre 

J'aurais  bien  fait  de  me  plaindre  au  planchez. 

Refrain.  J'ai  donnez  mes  beaux  jours 
Dans  un  moment  de  folie 
Je  me  mord  bien  le  doit 
Mais  je  suis  mariez 
A  laissez  moi  pleurez 
Le  reste  et  de  ma  vie. 

J'ai  cherché  tout  à  cette  fin  de  lui  plaire 
Je  fait  le  lie  je  ballaiye  la  maison 
Je  trize  les  soups  je  plusse  les  pommes  de  terre 
Je  vaix  aux  raisseaux  et  je  souffle  du  charbon 
Enfin  j'essuye  je  lave  la  vaisselle 
•  Pour  être  au  moins  le  modèle  des  époux 
Aux  mes  amis  que  mon  sort  et  à  plaindre 
J'aurais  bien  fait  de  me  plaindre  au  planchez. 

Refrain.  J'ai  donnez  mes  beaux  jours... 


LA   CHANSON  459 


J'avais  de  l'arjens  les  jours  du  mariage 
J'avais  montez  un  joli  maubiliez 
Rien  ne  manquât  dans  son  petit  ménage 
Et  le  hasardiez  il  a  tout  bazarriez 
Pour  acheter  les  hautines  à  la  mode 
Pour  faire  rôtir  les  dindon  du  cousin 
Il  a  vendu  drap  lie  et  comode 
Enfin  c'est  nous  il  ne  reste  plus  rien. 

Refrain.  J'ai  donnez  mes  heaux  jours... 

A  chaque  instant  il  me  cherche  de  querelle 

Le  pot  le  vert  tout  ce  casse  sur  moi 

Le  cendeliez  ainsi  toute  la  vaisselle 

C'est  un  démon  que  l'enfer  n'a  pas  encore  vue 

Cœur  de  Lion  sang  de  vipère 

Qui  cherche  à  tout  pour  me  faire  devenir  fou 

Si  un  beau  jours  je  me  mest  en  colère 

Je  finirez  par  le  tordez  le  coup. 

Refrain.  J'ai  donnez  mes  beaux  jours... 
Fiti  de  romance. 


Comme  nous  nous  hâtons  vers  le  dénouement, 
nous  nous  bornons  à  cette  romance,  puisque  ro- 
mance il  y  a  ;  elle  suffit  pour  montrer  la  poésie 
française  conquise  et  domestiquée. 

Et  la  prose  ?  Le  lecteur  va  la  voir  docile  à  tous 
les  besoins,  à  toutes  les  fantaisies  mêmes  de  son 
industrieux  dompteur.  Il  lui  demande  un  placet  ; 


460  LA   CHANSON 


elle  obéit  et  trouve  les  formules  de  la  plus  exquise 
urbanité  : 

«  Monsieur,  Excusez  ma  liberté,  et  veuillez 
avoir  l'amabilité  de  prendre  en  considération  ces 
quelques  lignes  ci-dessous  mentionnées, 

«  En  me  rendant  ce  service  signalé,  une 

infinité  de  gracieux  remerciements  vous  exprime- 
ront ma  reconnaissance  à  jamais  oubliée  en  té- 
moignage de  mon  estime. 

«  Ne  croyant  pas  abuser  de  votre  affabilité  que 
vous  avez  toujours  pratiquée  à  mon  égard,  et 
dont  vous  vous  enorgueillissez. 

«  En  attendant  votre  bienveillante  bonté,  etc.  » 

Dans  la  suivante,  un  sentiment  tendre  et  légi- 
time s'affirme  avec  une  rare  propriété  de  termes  : 

«  Ma  cére  Madame, 

«  Ayant  entendi  parler  des  la  botes  de  vot 
fille  et  moimeme  jai  vis  de  mé  desieux  de  la 
splendére  de  son  caracter  je  vous  écris  o  ma 
cére  madame  pour  que  jai  le  consentement  de 
vous  affin  que  z'épouse  Sofi  après  paques  ma 
cére  madame  réponde  moi  parce  que  je  balotte 
de  fraieur  en  esperan  vot  réponse.  Je  rest  ma 
dame  vot  future  et  madame  vot  grand  camrade 
pour  tout  ma  vie, 

«  Vive  Sofi  madame  ***.  » 


LA   CHANSON  46 I 


Et  cette  autre,  d'une  intimité  et  d'une  bon- 
homie charmantes  qui  en  feront  excuser  la  lon- 
gueur : 

«  Ma  chère  Tantine, 

«  Je  viens  té  faire  pars  de  mariage  de  Mimi 
avec  Missieur  Charles  ***  forgeron  à  Moka  sur 
l'establisment  ***  dé  Monsieur  ***,  je  t'assure 
que  quand  je  voyait  ce  jeune  bon  jeune  homme 
là  venait  causé  avec  elle  gavais  dis  à  fanchette  ti 
vois  ma  femme  o  ti  vois  je  mettrai  ma  tête  ofé 
si  Charles  ***  n'a  pas  des  attentions  de  marié 
avec  elle  fanchette  a  riyai  sel  je  sippose  qu'elle 
étai  content.  Voyant  cela  fanchette  ma  bonne- 
femme  a  finies  par  donné  un  grand  déjéné  nous 
avons  dansé  avec  lacorde  déon.  Charles  a  santé 
un  morceau  dé  la  j'ai  oublié  le  morceau  de 
théâtre  je  crois  que  se  la  Juive. 

«  Enfin  je  passe  à  un  autre  aff"aire  laisse  moi 
te  dire  que  Mimi  va  ce  marié  sirement  lafin  du 
mois  ainsi  tache  dé  dire  à  tonton  nonor  dé  né 
pas  manqué  tu  sais  toi  même  comme  ton  névé 
t'aim  ainsi  né  fait  pas  blaguer  ti  entend  a. 

«  Je  croi  que  nini  va  venir  té  voir  ce  jours  ci, 
fais  part  di  mariage  dé  Mimi  à  Mn^e  Cristofe  *** 
tu  lui  diras  que  Mimi  ma  chargé  de  l'embrassé  bien 

«  Sur  c'est  dé  jou 


462  LA   CHANSON 


«  Mimi  a  reçu  dé  Charles  un  joli  jeanno  en  or 
de  la  valeur  de  10  piastres  dans  ce  pris  la  je 
sippose  mais  il  n'y  avait  rien  dé  sire  love  là. 

«  Adié  ma  tante  je  t'embrasse  ton  névé  et  ami 

«       .  )) 

Et  nous  finirons  sur  une  note  gaie.  Cathos,  en 
lisant  celui-ci,  eût  certainement  dit  à  Madelon  : 
«  Ah  !  ma  chère ,  je  vois  bien  que  c'est  un 
Amilcar.  » 

«  Mademoiselle, 

«  J'ai  un  grand  amour  sur  le  cœur  pour  vous 
aussi  Mademoiselle  quand  je  vous  voit  je  pet 
tombé  en  faience  tellement  je  suis  troublé  par 
votre  jolie  petite  figure  mignone,  mon  cœur  se 
sotte  comme  un  boule  lastic  il  tappe  tellement 
fort  qu'il  y  a  des  moments  que  je  crois  avoir  mes 
intestins  en  lambo,  les  coliques  me  casse  et  je 
cours  vitement  dans  la  petite  case  à  privé  et  tout 
ça  ma  bonne  chéri  c'est  vous  oui  c'est  vous  qui 
me  rend  la  vie  dire  comme  ça,  ma  tête  s'en- 
tourne  quand  je  vois  votre  jolie  petite  mizo  rire 
et  me  laisser  voir  de  jolis  petites  défenses,  ainsi 
mon  ami  c'est  pas  tout  ça  dites  moi  m'aimez 
vous  oui  ou  non  parce  que  je  sens  que  vais  tombé 
en  siccoppe  bientôt,  si  vous  me  dites  non  ainsi 
vous  me  dites  oui. 


LA   CHANSON  465 


«  ...  Hier  à  soir  j'ai  pas  fermé  les  yeux  telle- 
ment j'étais  tourmenté  avec  les  pices  et  les  pi- 
naises  vers  les  deux  heures  du  matin  j'ai  pensé  à 
votre  douce  visage  voila  que  je  n'ai  fait  que  pléré 
tout  ça  la  passe  qui  vous  n'avez  pas  un  amour 
virginal  à  la  flère  d'orangé  sur  votre  cœur  pour 
moi, 

«  ...  Adieu,  mon  cœur  chéri  d'amour  je  vous 
aime  pour  la  vie.  ***..  » 

Il  faut  savoir  nous  arrêter.  Mais  il  nous  en 
coûte.  Q.ue  de  richesses  encore  qui  dorment  là 
inutiles  dans  nos  cartons  !  Du  moins,  pour 
prendre  congé  du  lecteur  qui  nous  a  tenu  si  pa- 
tiente compagnie  pendant  notre  longue  visite  chez 
la  Muse  noire,  c'est  encore  à  son  riche  album 
que  nous  emprunterons  le  couplet  de  la  fin. 

«  Monsieur, 

«  Votre  très  humble  serviteur  ayant  perdu  les 
rcsources  de  continuer  son  travail,  s'avance  de- 
vant vous  pour  vous  demander  votre  inaltérable 
protection,  non  pour  lui,  mais  pour  l'amour  d'un 
Dieu  puissant.  Et  le  Souverain  Omniscient  vous 
rendra  au  centuple  d'avoir  compté  sur  votre  gé- 
néreuse égide.  » 

Ou  bien  encore,  en  nous  adressant  cette  fois  à 
ceux  qui  nous  ont  fait  l'honneur   de  Hre  notre 


464  LA   CHANSON 


Etude  sur  le  Patois  créole  Mauricien  et  nos  Récits 
Créoles  : 

«  Monsieur, 

«  Ne  croyant  pas  abuser  de  votre  affabilité 
que  vous  avez  toujours  témoignée  à  mon  égard 
et  dont  vous  êtes  si  fier,  je  demeure,  Monsieur, 
un  de  vos  fidèles  et  réciproques  serviteurs, 

«  C.  Baissac.  » 


TABLE  DES  MATIÈRES 


PREMIÈRE   PARTIE 


COXTES    ET    LÉGENDES 


I. 

Le  liè\ 

II 

Hisîo 

III. 

Histoi 

IV. 

Histoi 

V. 

Histoi 

VI. 

Histoi 

VII. 

Histoi 

VIII. 

Histoi 

IX. 

Histoi 

X. 

L'élépl 

XI. 

Histoii 

XII. 

Histoi  I 

XIII. 

Histoi 

XIV. 

Histoi 

XV. 

Histoir 

XVI. 

Histoi 

Le  lièvre  et  la  tortue  au  bord  du  bassin  du  roi. . 

re  des  Colophanes, , ....,..,. 

re  du  lièvre,  de  l'éléphant  et  de  la  baleine, 

re  de  Petit-Jean  Queue-de-Bœuf. , , , 

re  de  bonhomme  Francœur 

re  d'un  oiseau  qui  pondait  des  œufs  d'or. . 

re  d'un  malin  drôle 

re  de  Jean  et  de  Jeanne 

re  de  Namcouticouti 

L'éléphant  et  le  lièvre  en  société 


re  de  Peau-d'Âne 

re  de  Sabour , , 

re  de  Petit-Jean , 

re  du  loup  qui  voulait  briîler  sa  femme. . , 

re  de  l'œuf,  du  balai  et  de  la  sagaie 

re  des  quatre  cloches 


i6 

26 

34 

44 

58 

68 

76 

98 

112 

118 

130 

146 

154 
162 


30 


266  TABLE   DES   MATIÈRES 

XVII.  Histoire  des  sept  cousins  et  des  sept  cousines,. .  192 

XVIII.  Histoire  de  Marie-José  (Joseph) 216 

XIX.  Histoire  de  la  bonne  femme  et  des  voleurs 224 

XX.  Histoire  de  Tranquille  et  de  Brigand 228 

XXI.  Le  singe  et  la  tortue 262 

XXII,  Le  singe  et  l'hirondelle 268 

XXIII.  Histoire  de  Zova  et  du  caïman 280 

XXIV.  Histoire  de  Paulin  et  de  Pauline. 290 

XXV.  Le  lièvre,  le  roi  et  le  singe, 332 

XXVI.  Le  lièvre  et  le  roi  éléphant. ,, 338 

XXVII.  Le  lièvre  et  le  couroupas 346 

XXVIII.  Histoire  de  Corps-sans-Âme  et  de  Colle-des-Cœurs  358 

DEUXIÈME   PARTIE 

SiRANDANES   (DeVINETTES) 39I 

TROISIÈME    PARTIE 

La  chanson 42  3 


Achevé  d'imprimer    le    28    Janvier    1888 

par  G.  Jacoh  imprimeur  à  Orléans 

pour  Maison-neuve  et  Ch.  Leclerc 

libraires    éditeurs 

à   Paris 


Wesselskî  ^''-^ 


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