Skip to main content

Full text of "Le glorieux; comédie en cinq actes. Avec une preface par Georges D'Heylli"

See other formats


on 

.V.'v..) 


/. 


LES     PETITS     CHE  ES -D' ŒUVRE 


DESTOUCHES 


LE  GLORIEUX 

COMÉDIE    EN    CINQ^ACTES 

AVEC   UNE   PRÉFACE 
PAR 

GEORGES    D'HEYELl 

(è^  7)  t? 
■^^    i'      '- 

IOV|kVST 
PARIS 

LIBRAIRIE     DES     BIBLIOPHILES 

Rue   Saint-Hono.é ,    3  38 


M    DCCC    LXXXIV 


LE    GLORIEUX 


TIRAGE    A    PETIT    NOMBRE 


Il  a  été  fait  un  tirage  spécial  de  : 

3o  exemplaires  sur  papier  de  Chine  (N"»  i   à  3o). 
3o         —         sur  papier  Whatman  (N"*  3i  à  60) 


60  exemplaires,  numérotés. 


DESTOUCHES 


LE  GLORIEUX 

COMÉDIE    EN    CINQ^  ACTES 

AVEC   UNE   PRÉFACE 
PAR 

GEORGES    D'HEYLLI 


PARIS 

LIBRAIRIE     DE '^     P.  I  B  L  I  O  P  II  II.  R  =■ 
Rue  Saint-Honoré ,    3  38 


M    DCCC     LXXXIV 


J'' 


0/1- 


NOTICE 


ESTOUCHES  avait  déjà  fait  représenter 
une  dizaine  de  grandes  comédies  '  avant 
de  donner  LE  Glorieux,  qui  demeure 
^^^^son  chef-d'œuvre^  bien  que  cette  pièce 
n'ait  pas  été  reniise  au  répertoire  aussi  souvent  que 
LE  Philosophe  marié,  qu'on  joue  encore  quelquefois 


I.  En  voici  la  liste  :  Le  Curieux  impertinent  (17  décem- 
bre I  7  I  o),  I  3  représentations.  — L'Ingrat  (28  janvier  1712), 
I  5  représentations.  — L'Irrésolu  (S  janvier  171  3),  6  repré- 
sentations. —  Le  Médisant  (20  février  171  5),  14  représen- 
tations. —  Le  Triple  Mariage  (7  juillet  1716),  7  représenta- 
tions. —  L'Obstacle  imprévu  (18  octobre  1717),  6  repré- 
sentations. —  Le  Philosophe  marié  (i5  février  1727), 
36  représentations.  —  L'Envieux,  critique  de  la  pièce  pré- 
cédente [i  mai  1727),  3  représentations.  —  les  Philosophes 
amoureux  (26  novembre  1729),  comédie  retirée  à  l'issue  de 
la  première  représentation.  Nous  ne  parlons  pas  d'une  tra- 
gédie de  jeunesse  ,  les  Macchabées,  non  imprimée,  ni  de  trois 
intermèdes  représentés  chez  la  duchesse  du  Maine  en   17  14. 

Le  Glorieux.  a 


n  NOTICE 

de  nos  jours  ^.  Plusieurs  de  ces  comédies,  antérieures 
au  Glorieux^  avaient  même  donné  à  Destouches  une 
réputation  d'écrivain  dramatique  suffisante  pour  que 
l'Académie  française  l'ait  appelé  à  remplacer  le  poète 
Campistron  au  vingt-sixième  fauteuil,  /e  2  5  août 
172  3,  c'est-à-dire  neuf  années  avant  la  composition 
de  son  meilleur  ouvrage.  D'ailleurs,  Destouches 
s'était  acquis,  en  même  temps,  une  haute  situation 
politique  et  sociale  qui  n'avait  pas  nui  à  l'éclat  de 
son  renom  littéraire. 

Il  n'avait  pas  été  destiné  aux  lettres.  Né  à  Tours, 
le  22  avril  i6So,  Philippe  Néricault-Destouches  était 
devenu  un  bon  élève  du  célèbre  collège  des  Quatre- 
Nations,  et  à  dix-neuf  ans  il  s'était  engagé  comme 
volontaire,  et  avait  fait  alors  les  campagnes  de 
1701  et  de  1702  en  Espagne.  C'est  dans  ses  loi- 
sirs de  garnison,  à  Huningue,  que,  lisant  un  peu 
plus  tard  le  célèbre  roman  de  Cervantes,  Don  Qui- 
chotte, il  avait  cru  trouver  dans  un  de  ses  épisodes, 
intitulé  LE  Curieux  impertinent,  le  sujet  d'une 
grande  comédie  qu'il  composa  en  cinq  actes  et  en 
vers,  et  qu'il  dédia  au  lieutenant  général  marquis  de 
Puysieulx,  gouverneur  de  Huningue  et  ambassadeur 
de  Louis  XIV  en  Suisse.  Ce  fut  l'origine  de  la  fortune 


I .  La  dernière  reprise  de  cette  belle  comédie  au  Théâtre- 
Français  date  du  i  5  mars  1859.  Les  principaux  rôles  étaient 
joués  par  Provost  père,  Bressant,  Leroux,  Maillart, 
j^me»  A..  Plessy,  Aug.  Brohan  et  Judith. 


NOTICE  m 

diplomatique  de  Destouckes.  Le  marquis  de  Puy- 
sieulx  rattacha^  en  effet,  à  sa  personne  comme  se- 
crétaire, puis  le  recommanda  au  Kégent,  lequel 
l'envoya  en  Angleterre  avec  l'abbé  Dubois,  qui  s'y 
rendait  en  qualité  d'ambassadeur  extraordinaire  au- 
près du  roi  George  /«'".  Dubois  revint  en  France  peu 
de  temps  après,  mais  Destouches  reçut  le  titre  et  les 
pouvoirs  de  ministre  plénipotentiaire  et  en  remplit  les 
fonctions  pendant  sept  ans  à  Londres.  C'est  durant 
ce  séjour  qu'il  épousa  secrètement  une  jeune  Anglaise 
catholique  nommée  Dorothée  Johnston.  Il  dut  tenir, 
pour  des  raisons  politiques,  son  mariage  caché  jus- 
qu'à son  retour  en  France.  Cette  aventure  lui  fournit 
plus  tard  le  sujet  de  sa  remarquable  comédie  le 
Philosophe  marié,  ou  le  Mari  honteux  de  l'être. 

En  revenant  à  Paris  rendre  compte  de  sa  mission. 
Destouches  quitta  définitivem.ent  la  diplomatie  et  les 
affaires  pour  se  livrer  tout  entier  à  son  goût  pour  le 
théâtre.  Il  avait  d'ailleurs  une  assez  belle  fortune, 
encore  accrue  par  un  don  de  100,000  francs  dont  le 
roi  récompensa  ses  services  en  Angleterre.  Il  put  donc 
acquérir  une  grande  propriété  dans  le  Maine,  et  il 
devint  même  seigneur  de  plusieurs  villages.  Un  peu 
plus  tard,  il  obtint  l'important  gouvernement  de 
Melun  et  acheta  dans  les  environs  de  cette  ville  le 
domaine  de  Fortoiseau,  où  il  mourut  le  5  juillet  i  754, 
à  l'âge  de  soixante-quatorze  ans. 

Parmi  les  nombreuses  pièces  qu'il  composa  posté- 
rieurement au  Glorieux^  on  ne  peut  guère  citer  que 


IV  NOTICE 

les  trois  suivantes  qui  aient  encore  aujourd'hui  quel- 
que renom.  Elles  furent  d'abord  publiées  en  lySô, 
longtemps,  comme  on  voit,  avant  leur  représentation  : 

Le  Dissipateur,  joué  primitivement  en  province  et 
dont  la  censure  ne  permit  la  représentation  à  Paris 
que  /e  2  3  mars  i  y  53.  Cette  comédie  contenait,  en  effet, 
des  allusions  politiques  ou  personnelles  que  l'auteur  fut 
obligé  d'atténuer  pour  faire  fléchir  l'arrêt  du  lieute- 
nant de  police.  Le  succès  en  fut  d'abord  médiocre 
[six  représentations).  Kemanié  de  nouveau  par  Des- 
touches, LE  Dissipateur  fut  mieux  accueilli  et  s'est 
depuis  maintenu  au  répertoire  pendant  toute  la 
deuxième  partie  du  dernier  siècle, 

La  Fausse  Agnès,  comédie  représentée  avec  assez 
de  succès,  le  12  mars  17^9,  après  la  mort  de  l'au- 
teur. Cette  comédie  est  précédée,  dans  la  brochure, 
d'un  prologue  intitulé  le  Triomphe  de  l'Automne, 
lequel  n'a  pas  été  donné  à  la  scène. 

Enfin,  LE  Tambour  nocturne,  ou  le  Mari  devin, 
comédie  jouée  le  iG  octobre  1762  au  Théâtre-Fran- 
çais, où  elle  ne  réussit  pas  tout  d'abord.  Elle  s'est 
relevée  ensuite  avec  un  certain  éclat  et  a  même  été 
l'objet  de  plusieurs  reprises  ■ . 


I.  Parmi  les  autres  pièces  de  Destouches,  citons  encore  : 
L'Ambitieux  et  l'Indiscrète  (14  juin  1737).  —  La  Belle 
orgueilleuse,  ou  l'Enfant  gâté  [i -j  août  1741).  —  L'Amour 
usé  (20  septembre  i  74 1  ).  —  Le  Trésor  caché  (  i  7  mars  i  745). 
—  L'Homme  singulier  (29  octobre  1764),  et  quelques  pièces 
non  représentées  :  Le  Mari  confident.  —  L'ArcIu-Menteur,  — 
Le  Jeune  Homme  à  l'épreuve,  —  Le  Dépôt,  etc. 


NOTICE 


II 


Le  Glorieux  est  à  la  fois  une  comédie  de  carac- 
tère et  d'intrigue,  qui  a  dû  surtout  son  grand 
succès  à  cette  double  circonstance,  qui  était  chose 
nouvelle  pour  l'époque.  En  général  les  comédies  du 
dernier  siècle  brillent  peu  par  l'intérêt  soutenu  et 
progressif  du  sujet  ;  elles  se  soutiennent  principcde- 
ment  par  la  peinture  des  caractères  et  par  l'esprit  du 
style.  Dans  le  Glorieux,  au  contraire,  nous  trou- 
vons une  comédie  plus  fortement  «  charpentée  »  que 
d'habitude  ;  l'auteur  s'est  donné  la  peine  d'inventer  un 
sujet,  d'en  combiner  les  péripéties  et  d'en  bien  distri- 
buer l'intérêt.  C'est  la  première  fois,  certainement, 
qu'une  comédie  aussi  habilement  coupée  et  aussi  atta- 
chante était  donnée  au  théâtre. 

«  Au  mérite  des  caractères  et  des  situations,  dit 
La  Harpe,  le  Glorieux  joint  celui  d'un  intérêt  peu 
commun  dans  ce  genre  de  drame,  et  qui  n'est  pas 
trop  romanesque  '.  « 

L'auteur  a  mis  en  présence  deux  genres  de  glo- 
rieux :  d'une  part,  le  comte  de  Tufières  qui  cherche 
(t  faire  un  beau  mariage  pour  redorer  son  blason. 


I.    Cours  de    littérature,  édition    Depelafol,  Paris,   1825  ; 
tome  XI. 


VI  NOTICE 

et,  d'autre  part,  le  bourgeois  Lysimon  qui  veut 
absolument  que  sa  file  soit  comtesse,  et  qui  le  veut 
d'autant  mieux  que,  par  l'esprit  de  contradiction  qui 
est  dans  son  caractère^  il  tient  à  faire  pièce  à  sa 
femme,  laquelle  s'est  rangée  d'un  parti  contraire.  La 
lutte  entre  ces  deux  personnages,  —  Tufières  et  Lysi- 
mon, —  égalcnient  persuadés  et  bouffis  de  leur  im- 
portance, donne  lieu  à  des  scènes  fort  piquantes; 
mais  cette  lutte  est  loin  de  constituer  le  fond  de  la 
pièce  à  elle  seule.  En  effet,  Tufières  a  un  père,  il  a 
une  saur,  et  il  rougit  de  leur  situation,  qui  se  fr(A|ve 
momentanément  et  en  apparence  inférieure  à  celle 
dont  il  se  prévaut;  il  les  évite,  il  dissimule  pour  les 
autres  leur  existence,  car  son  père  est  ruiné  et  sa 
sœur  est  servante.  Quel  coup  terrible  pour  l'orgueil 
de  ce  glorieux  !  Et  l'intrigue  de  la  pièce  s'augmente 
de  toutes  les  précautions  menues  et  secrètes  prises  par 
Tuf.ères  pour  cacher  son  origine  et  empêcher  son 
père  de  compromettre  la  belle  alliance  qu'il  médite. 
Mais  tout  va  se  découvrir  :  Lycandre,  père  de  Tufières, 
apparaît  en  effet  au  moment  le  plus  inopportun;  le 
Glorieux,  pour  ne  pas  perdre  en  un  seul  instant  tous 
les  bénéfices  qu'il  s'est  promis  de  son  entreprise,  dé- 
cide son  père  à  ne  pas  se  faire  connaître,  et  il  le  pré- 
sente à  son  futur  beau-père  comme...  son  intendant! 
Il  résulte  de  cette  situation  une  suite  de  scènes  inté- 
ressantes et  un  coup  de  théâtre  admirablement  amené 
où  Tufières  se  trouve  tout  à  coup  mis  à  nu  et  dévoilé. 
Malheureusement    le   dénouement  de  cette   pièce, 


NOTICE  VII 

jusque-là  si  bien  conduite,  est  inférieur,  et  cette  infério- 
rité est  due  à  une  cause  passagère  et  futile.  En  effet, 
dans  la  version  primitive  du  Glorieux,  c'est-à-dire 
dans  le  manuscrit  original  de  l'auteur,  tel  qu'il  le  lut 
au  comité  du  Théâtre-Français,  Tufières,  le  Glo- 
rieux, était  puni  de  son  orgueil  en  voyant  la  femme 
qu'il  ambitionnait  épouser  son  rival.  C'était  là  la 
moralité  nécessaire  de  la  pièce.  Mais  ce  rôle  devait 
être  forcément  distribué  à  Quinault-Dufresne,  le 
cadet  des  Quinault,  qui  était  alors  l'acteur  le  plus  en 
vue  de  la  Comédie-Française ,  où  il  faisait  un  peu 
la  loi.  Or,  ce  Quinault-Dufresne  était  avant  tout  un 
«  important  »  infatué  de  lui-même,  engoué  de  ses  pro- 
pres mérites,  très  réels  d'ailleurs,  et  plus  «  glorieux  » 
peut-être  que  le  glorieux  même  si  bien  mis  en  scène 
par  Deslouches  '.  La  pensée  déjouer  un  rôle  où  il  était 
finalement  humilié  et  même  bafoué  lui  parut  pro- 
fondément désagréable,  et  il  déclara  qu'il  ne  l'accep- 
terait que  dans  le  cas  où  l'auteur  consentirait  à 
modifier  son  dénouement.  On  comprend  mal  que 
Destouches,  qui  était  un  «  glorieux  n,  lui  aussi,  et 
qui  n'admettait  volontiers  ni  compromis  ni  conces- 
sions, se  soit  rendu  aussi  vite  au  désir  d'un  comédien, 
sans  songer  que  le  préjudice  qu'il  allait  porter  à  sa 
pièce  devait  être  éternel.  Mais  il  s'agissait  pour  lui 


I.  H  II  poussait,  nous  dit  M.  GueuUette,  la  vanité  jusqu'à 
la  fatuité,  et  la  fatuité  jusqu'à  l'impertinence.  »  —  Voyez 
plus  loin  la  note  relative  aux  Quinault. 


vui  NOTICE 

d'être  joué  ou  de  ne  pas  être  joué,  —  être  ou  ne  pas 
être.  Il  céda. 

Tufîères ,  dans  la  version  nouvelle  et  devenue  à 
jamais  définitive,  recouvre  donc,  à  la  suite  d'une 
scène  fort  touchante,  émouvante  même,  dans  laquelle 
il  se  jette  aux  genoux  de  son  père  en  implorant  son 
pardon,  sa  faveur  et  du  même  coup  la  fortune,  car 
Lycandre  n'était  pas  si  ruiné  qu'il  voulait  bien  le 
dire.  Par  suite,  Tufières  épousera  la  fille  de  Lysimon, 
et  bien  plus,  de  comte  qu'il  était,  il  deviendra  mar- 
quis; ainsi  la  pièce  manque  de  la  sanction  morale 
qu'elle  avait  d'abord,  puisque  Tufières,  au  lieu  de 
recevoir  la  dure  leçon  qu'il  méritait,  est,  au  contraire, 
comblé  de  nouveaux  bienfaits,  tout  comme  s'il  y  avait 
droit.  On  a  beaucoup  reproché  à  Destouches  cette  con- 
descendance aux  exigences  d'un  comédien,  indispensa- 
ble, il  faut  le  reconnaitre,  mais  qu'avec  un  peu  de  fer- 
meté et  d'habileté  il  eût  sans  doute  amené  à  compo- 
sition. D'ailleurs,  nous  le  répétons,  il  y  avait  là 
deux  glorieux  face  à  face,  un  auteur  célèbre  et  son 
principalinterprète,  et  il  est  regrettable  que,  dans  le 
débat  qui  s'est  élevé  entre  eux,  ce  soit  l'auteur  qui  ait 
eu  le  dessous  '. 


1.  Destouches  se  vengea  des  exigences  cJe  Quinault  cadet 
dans  la  préface  de  sa  pièce,  où  l'éloge  qui  suit  de  son  prin- 
cipal acteur  est  évidemment  une  moquerie,  étant  exagéré  à 
plaisir,  dans  le  fond  comme  dans  la  forme  : 

«  M.  Dufresne  a  trouvé  l'art  d'annoncer  le  caractère  du 
Glorieux,  même  avant  que  de  prononcer  une  parole  et  par 


NOTICE  IX 

Mais  ce  n'est  pas  le  seul  blâme  qu'encourut  Des- 
touches de  la  part  de  ses  contemporains  à  propos  du 
Glorieux.  On  trouva  généralement  que  la  préface 
de  sa  pièce  était  emphatique,  présomptueuse  et  même 
trop  «  glorieuse  ».  Elle  lui  valut  quelques  quoli- 
bets, notamment  le  quatrain  suivant  de  Voltaire,  qui 
courut  bientôt  les  coulisses  et  les  ruelles  '  : 

Destouches,  dans  sa  comédie, 
A  cru  peindre  le  glorieux; 
Et  moi  je  trouve,  quoi  qu'on  die. 
Que  sa  préface  le  peint  mieux. 

On  y  ajouta  même,  de  son  vivant,  une  épitaphe, 
en  un  seul  vers,  qui  cherchait  malignement  à  tracer 
son  portrait  en  deux  mots  : 

Ci-git  le  Glorieux,  à  côté  de  la  gloire. 

Il  suffît  d'ailleurs  de   considérer  avec  attention  le 


la  seule  manière  de  se  présenter  sur  la  scène.  Quelle  no- 
blesse dans  son  port!  Quelle  grandeur  dans  son  air!  Quelle 
fierté  dans  sa  démarche!  Quel  art,  quelles  grâces,  quelle 
vérité  dans  tout  le  débit  du  rôle,  et  quelle  finesse,  quelle 
variété  dans  tous  les  jeux  de  théâtre!» — Voyez,  en  tête  de 
la  présente  réimpression  du  Glorieux,  cette  préface  de  Des- 
touches, intégralement  reproduite. 

1 .  C'est  cependant  le  même  Voltaire,  un  peu  inconsé- 
quent avec  lui-même,  qui  avait  d'abord  adressé  à  Destouches 
le  billet  suivant  : 

Auteur  solide,  ingénieux. 

Qui  du  théâtre  êtes  le  maître. 

Vous  qui  fîtes  le  Glorieux, 

//  ne  tiendrait  qu'à  vous  de  Vètre, 


X  NOTICE 

buste  si  parfaitement  ressemblant  de  Destouches  au 
foyer  de  la  Comédie-Française  [salon  carré  du  pu- 
blic), buste  exécuté  par  Berruer,  en  1781,  pour  se 
convaincre  que  la  modestie  et  la  réserve  ne  devaient 
pas  être  les  traits  saillants  de  son  caractère.  Cette 
figure  enflée,  boursouflée,  ces  lèvres  «  suffisantes  », 
cette  tète  relevée  très  haut  et  prétentieuse,  n'appar- 
tiennent pas  à  un  homme  simple  en  ses  goiùts  ni  en 
ses  ccrils.  Destouches  s'est  probablement  jugé  et  peint 
inconsciemment  lui-mênie  en  écrivant  le  Glorieux  '. 
La  versification  de  la  pièce  est  élégante,  le  dialogue 
vif  et  rapide.  On  y  trouve  des  traits  heureux,  pleins 
de  verve  et  d' à-propos ,  et  mênie  des  vers  devenus 
populaires  et  qui  ont  comme  passé  à  l'état  de  pro- 
verbes, à  ce  point  que  deux  d'entre  eux,  notamment, 
ont  cours  dans  la  conversation  usuelle,  sans  que,  de- 
puis plus  de  cent  ans,  bien  des  gens  qui  les  répètent 
sachent  au  juste  à  qui  ils  doivent  les  attribuer  : 

La  critique  est  aisée  et  l'art  est  difficile. 
(Acte  II ,  scène  v.) 

Chassez  le  naturel,  il  revient  au  galop!... 
(Acte  IIÎ,  scène  v.) 

La  Harpe  préférait   le   Glorieux  à  la  Métro- 


I .  La  pièce  de  Destouches  a  été  parodiée  au  théâtre  des 
Marionnettes,  dans  une  petite  pièce  intitulée  :  Polichinelle, 
comte  de  Pafier. 


NOTICE  XI 

MANIE,  qui  est  cependant,  à  l'égal  de  la  pièce  de 
DestoucheSj  un  chef-d'œuvre  du  théâtre  secondaire  au 
XVIII^  siècle  : 

«  L'élégance  de  la  versification,   un  dialogue 

semé  de  traits  heureux  et  de  vers  qu'on  a  retenus, 
achèvent  de  mettre  cette  comédie  au  rang  des  prC' 
mières  de  ce  siècle.  Quelques  personnes  préfèrent  la 
Métromanie;  le  Glorieux  a  toujours  été  plus  suivi, 
et,  sans  prétendre  décider  le  goût  des  autres  sur  deux 
pièces  si  différentes,  j'avouerai  que  le  mien  incline 
pour  le  chef-d'œuvre  de  Destouches  '.  » 

En  revanche,  Grimm,  dont  les  jugements  sont  trop 
souvent  entachés  de  passion,  se  montra  d'une  sévérité 
outrée  ci  l'égard  de  Destouches  et  de  sa  pièce  : 

«  M.  Destouches  ne  manquait  pas  de  talent^  il 
était  surtout  fécond  et  facile,  mais  il  était  froid  et 
cela  tue  la  comédie,  sans  compter  les  mauvaises  plai- 
santeries qui  régnent  dans  ses  pièces...  Pour  moi, peu 
s'en  faut  que  je  ne  croie  le  Glorieux  une  mauvaise 
pièce,  malgré  les  beautés  qui  s'y  trouvent j  elle  est 
longue,  froide,  puérilement  contrastée;  le  rôle  du 
Glorieux  est  mauvais  et  son  caractère  n'est  nullement 
établi;  celui  de  la  soubrette  est  dans  le  même  cas; 
celui  de  l'amante  est  froid  et  maussade  ^.  » 

La  critique  moderne  a  été  beaucoup  plus  favora- 


1.  Cours  de  littérature,  édition  et  tome  ci-dessus  cités. 

2.  Correspondance  littéraire,  édition    Maurice  Journaux, 
chez  les  frères  Garnier.  Paris,   1877,  tome  II. 


XII  NOTICE 

bïe  à  la  comédie  de  Desiouches.  Villemain  lui  a  tout 
particulièrement  rendu  justice  : 

«   Destouches   a    fait   une   excellente    pièce, 

parce  que  le  comique  en  est  à  la  fois  anecdotique  et 
durable,  selon  les  mœurs  d'une  époque  et  selon  le 
cœur  humain.  L'orgueil  tel  qu'il  le  peint  n'est  pas 
seulement  un  vice  de  caractère,  mais  un  vice  d'époque 
et  d'institutions.  Il  serait  difficile  de  bien  comprendre 
les  anciennes  distinctions  de  la  société  en  France 
sans  songer  au  Glorieux  de  Destouches. 

«  Sous  le  rapport  de  l'art,  l'ouvrage  n'est  pas  moins 
habilement  dessiné.  Ce  qu'il  y  a  d'imprévu,  et,  si  l'on 
veut,  de  romanesque,  dans  le  personnage  de  Lysimon, 
le  père  du  Glorieux,  est  placé  à  propos,  nettement 
expliqué,  et  amène  l'émotion  croissante  du  drame 
jusqu'au  sublime  de  ces  vers  : 

J'entends,    la  vanité  me  déclare  à  genoux 
Qi-i'un  père  infortuné  n'est  pas  digne  de  vous!,.. 

«  Quant  au  style  de  l'ouvrage,  il  est  partout  élégant, 
naturel,  vif  même  et  varié  suivant  les  personnages, 
et  ce  chef-d'œuvre  inespéré  de  Destouches  est  un  des 
chefs-d'œuvre  de  la  scène  ' .  » 

Le  Glorieux  a  été  représenté,  pour  la  première 
fois,   et  la   Comédie-Française,  le   iS  janvier  lySa. 


I.  Cours  de  littérature  française  (XYIII"  siècle,   XU"  le- 
çon). Tome  F''.  Paris.  Didier,  édition  de  1859. 


NOTICE  xui 

Les  principaux  rôles  étaient  ainsi  distribués  : 

Lycandre MM.  Qj.iinault  (aine)'. 

Tufières Quinault-Dufresne. 

Lysimon Duchemin. 

Valère Montmeny. 

Pasquin Armand. 

Lafleur Poisson  fils. 

Lisette M^'f^^  Qiiinault  (cadette). 

Isabelle Lebat. 

La  pièce  fut  accueillie  avec  une  grande  faveur  et 
eut  trente  représentations  de  suite,  du  iS  janvier  au 


I .  Il  y  avait  alors  au  théâtre  deux  acteurs  du  nom  de 
Quinault,  deux  frères,  l'aîné  et  le  cadet,  comme  aujourd'hui 
nous  avons  les  deux  Coquelin.  L'aîné,  Jean-Baptiste-Mau- 
rice Quinault,  appartint  à  la  Comédie-Française  de  1712  à 
1734.  Le  cadet,  Abraham-Alexis,  dit  Quinault-Dufresne, 
qui  a  créé  le  comte  de  Tufières  du  Glorieux,  est  resté 
au  Théâtre-Français  de  1712  (la  même  année  que  son 
frère)  à  1741.  C'est  le  plus  célèbre  des  deux.  Il  a  circulé 
sur  son  compte  une  foule  d'anecdotes  plus  ou  moins  authen- 
tiques. Nous  avons  dit  qu'il  était  au  naturel  le  glorieux  que 
Destouches  avait  mis  en  scène.  Il  est  mort  en  1767.  Leur 
sœur,  Jeanne-Françoise  Quinault,  née  en  1699  et  dite  Qui- 
nault cadette,  à  cause  de  sa  sœur  aînée  la  belle  Marie-Anne, 
qui  mourut  à  quatre-vingt-seize  ans,  a  joué  au  Théâtre- 
Français  de  1718  a  1741.  Elle  tint  ensuite  à  Paris,  jusqu'à 
sa  mort,  survenue  en  1783,  un  salon  qui  fut  très  fréquenté, 
sorte  de  grand  bureau  d'esprit  où  il  fut  longtemps  du  meil- 
leur ton  d'être  présenté.  —  Lire  à  ce  sujet,  sur  cette  famille 
d'artistes,  dans  la  Correspondance  de  Grimm  (édition  citée, 
tome  VII),  de  fort  curieux  détails  relatifs  surtout  à  M"°  Qui- 
nault cadette,  qui  a  créé  la  Lisette  du  Glorieux.  Lire  aussi, 
dans  les  Acteurs  et  Actrices  du  temps  passé,  publiés  à  la 
librairie  des  Bibliophiles  par  Ch.  Gueullette,  avec  portraits 
gravés  par  Ad.  Lalauze,  la  livraison  consacrée  aux  Quinault. 


xiT    .  NOTICE 

28  mars.  On  faisait  3,484  francs  à  la  deuxième; 
3, 064  francs  à  la  troisième;  3, 208  francs  à  la  cin- 
quième, et  encore  1^092  francs  à  la  trentiènu.  En 
somme,  ces  trente  soirées  donnèrent  un  total  de  recettes 
de  56,25o  francs,  soit  une  moyenne  de  1,8^5  francs 
par  soirée,  c'est-à-dire  une  somme  relativement  élevée 
pour  l'époque. 

Le  Glorieux  a  d'abord  été  publié  isolément,  chez 
Prault,  le  Calmann  Lévy  ou  le  Tresse  du  temps,  en 
une  brochure  in-12  et  en  trois  éditions  successives, 
i']^2,  1734,  1740.  £/i  174^^  Destouches  publia 
chez  le  même  Prault,  par  les  soins  et  sous  les  aus- 
pices du  ministre  d'Argcnson,  une  édition  de  ses 
œuvres  complètes,  en  cinq  volunics  in-12.  C'est  dans 
cette  édition,  évidemment  très  surveillée  par  l'auteur, 
que  nous  avons  pris  le  texte  de  la  présente  réimpres- 
sion. Trois  ans  après  la  mort  de  Destouches,  en  1757, 
son  fis  donna  une  nouvelle  édition,  en  quatre  volumes 
in-40,  de  ses  auvres  complètes.  Elle  sortait  des  presses 
de  l'Imprimerie  royale  du  Louvre,  et  portait  des  nio- 
dificaiions  de  texte  assez  importantes,  mais  seule- 
ment  pour  quelques  pièces,  parmi  lesquelles  ne  figure 
pas  LE  Glorieux  '.  Nous  n'avons  donc  eu  aucune  rai- 


I.  On  trouvera,  dit  la  préface  de  cette  édition,  beaucoup 
de  changements  dans  les  premières  pièces,  telles  que  le  Cu- 
rieux impertinent,  l'Ingrat,  l'Irrésolu,  le  Médisant,  l'Obstacle 
imprévu,  changements  préparés  par  Destouches,  et  qui  ont 
produit  des  scènes  et  des  actes  refondus  presque  tout  entiers. 
Mais  Destouches  n'a  pu  faire  la  même  chose  pour  les  autres 
pièces.    . 


NOTICE  XV 

son  de  préférer  cette  dernière  édition  à  celle  de  1745, 
imprimée  sous  les  yeux  de  l'auteur.  Nous  ne  par- 
lons pas  des  éditions  subséquentes,  qui  ont  toutes  été 
exécutées  d'après  les  précédentes.  Citons  seulement, 
comme  la  plus  complète,  celle  de  1774,  en  dix  vo- 
lumes in-12,  «  chez  les  libraires  associés  »  et  «  toute 
semblable  à  l'édition  de  l Imprinierie  royale  '  »  ;  ef 
encore  le  Choix  des  Chefs-d'œuvre  de  Néricault- 
Destouches,  publié  à  Paris  en  1792^  deux  vo- 
lumes m- 18  sans  nom  d'éditeur.  En  ictc  de  cette 
édition  figure  un  très  bon  portrait  de  Destouches , 
gravé  d'après  la  toile  de  Largillière ,  appartenant 
à  l'Académie  française.  Ce  portrait  a  été  gravé 
d'abord  par  Petit  pour  sa  suite  des  hommes  il- 
lustres. Il  porte  sur  sa  marge  inférieure  les  vers 
suivants  : 

Tels  sont  les  traits  du  moderne  Térence, 
Qu'Athènes  et  que  Rome  ont  formé  pour  la  France. 
Dans  ses  charmants  écrits,  l'esprit,  le  jugement, 
Les  grâces,  le  bon  ton,  l'élégant  badinage. 
Pour  plaire,  pour  instruire,  unissent  leur  langage, 

Et  l'honnête  homme  y  joint  le  sentiment. 

Comparer  Destouches  à  Térence,  c'est  peut-être 
aller  un  peu  loin.  Ce  n'est,  en  tout  cas,  qu'en  passant 
par  Molière  et  par  Kegnard  que  Destouches  pourrait 


1.  Le  dixième  volume  contient  le  discours  de  réception 
de  Destouches  à  l'Académie  française  et  son  éloge  en  vers 
par  «  M.  Tavenot  «  sous  le  titre  de  Le  Tombeau  de  Néri- 
cault-Destouches. 


XVI  NOTICE 

cire  mis  en  parallèle  avec  le  comique  latin;  mais  on 
peut  dire  sans  trop  s'aventurer^  et  en  le  comparant  à 
ces  trois  illustres  modèles^  —  Térence,  Molière  et 
Kcgnard,  —  que  si,  dans  le  Glorieux^  il  s'est  rap- 
proché le  plus  qu'il  a  pu  des  deux  premiers,  il  s'est, 
à  coup  sûr^  pour  cette  fois,  montré  bien  supérieur  au 
troisième. 

Georges  d'Heylli. 

Novembre  i883. 


PREFACE 


'  ETTE  comédie  vient  d'être  reçue  si  favorable- 
,  ment  du  public  que  je  me  croirois  indigne  des 
1  appiaudissemens  dont  il  m'a  honoré,  si  je  ne 

m'efforçois  pas  de  lui  en  témoigner  ma  recon- 

SîOi^^C^^  noissance.  J'ose  lui  protester  qu'elle  est  aussi 
vive  que  juste.  Je  ne  trouve  point  de  termes  qui  puissent 
l'exprimer;  mais,  pour  la  faire  éclater  d'une  manière  sensible, 
je  promets  à  ce  même  public,  à  qui  je  suis  si  redevable,  qu'en 
cherchant  à  lui  procurer  de  nouveaux  amusemens  je  n'épar- 
gnerai ni  soins  ni  travaux  pour  mériter  la  continuation  de 
ses  suffrages.  Quoique  les  caractères  semblent  épuisés,  il  m'en 
reste  encore  plusieurs  à  traiter.  Ce  n'est  pas  que  je  ne  sois  très 
convaincu  des  difficultés  et  des  périls  de  l'entreprise,  parce 
que  les  caractères  les  plus  faciles  et  les  plus  saillans  ont  déjà 
paru  sur  la  scène.  Mais,  comme  les  succès  redoublent  mon 
zèle,  peut-être  augmenteront-ils  mes  forces.  Ce  qui  doit  au 
moins  m'en  faire  bien  augurer,  c'est  que  mon  objet  est  géné- 
ralement approuvé.  On  sait  que  j'ai  toujours  devant  les  yeux 
ce  grand  principe  dicté  par  Horace  : 

Oinne  tulit  punctum  qui  miscuil  utile  dulci. 


et  que  je  crois  que  l'art  dramatique  n'est  estimable  qu'autant 
qu'il  a  pour  but  d'instruire  en  divertissant.  J'ai  toujours  eu 
pour  maxime  incontestable  que,  quelque  amusante  que  puisse 
être  une  comédie,  c'est  un  ouvrage  imparfait,  et  même  dan- 
gereux, si  l'auteur  ne  s'y  propose  pas  de  corriger  les  mœurs, 

le  Glorieux.  i 


a  PREFACE 

de  tomber  sur  le  ridicule,  de  décrier  le  vice,  et  de  mettre 
la  vertu  dans  un  si  beau  jour  qu'elle  s'attire  l'estime  et  la 
vénération  publique.  Tous  mes  spectateurs  ont  fait  connoitre 
unanimement,  et,  si  je  l'ose  dire,  d'une  manière  bien  flat- 
teuse pour  moi,  qu'ils  se  livroient  avec  plaisir  à  un  objet  si 
raisonnable.  Je  ne  craindrai  pas  même  d'ajouter  ici  qu'en 
m'honorant  de  leurs  applaudissemens  ils  se  sont  fait  honneur 
à  eux-mêmes.  Car  enfin,  qu'y  a-t-il  de  plus  glorieux  pour 
notre  nation,  si  fameuse  d'ailleurs  par  tant  de  qualités,  que 
de  faire  aujourd'hui  connoître  à  tout  l'univers  que  les  comé- 
dies, à  qui  l'ancien  préjugé  ne  donne  pour  objet  que  celui 
de  plaire  et  de  divertir,  ne  peuvent  la  divertir  et  lui  plaire 
longtemps  que  lorsqu'elle  trouve  dans  cet  agréable  spectacle 
non  seulement  ce  qui  peut  le  rendre  innocent  et  permis,  mais 
même  ce  qui  peut  contribuer  à  l'instruire  et  à  la  corriger?  Il 
est  donc  de  mon  devoir,  en  payant  au  public  le  juste  tribut 
qu'il  attend  de  ma  reconnoissance,  de  le  féliciter  sur  le  goût 
qu'il  fait  toujours  éclater  pour  les  ouvrages  qui  ne  tendent 
qu'à  épurer  la  scène,  qu'à  la  purger  de  ces  frivoles  saillies, 
de  ces  débauches  d'esprit,  de  ces  faux  brillans,  de  ces  sales 
équivoques,  de  ces  fades  jeux  de  mots,  de  ces  mœurs  basses 
et  vicieuses,  dont  elle  a  été  souvent  infectée,  et  qu'à  la  rendre 
digne  de  l'estime  et  de  la  présence  des  honnêtes  gens.  Il  est 
aisé  de  voir  dans  tous  mes  ouvrages,  remplis  au  surplus  d'une 
infinité  de  défauts,  que  c'est  uniquement  à  ces  sortes  de 
spectateurs  que  je  me  suis  toujours  efforcé  de  plaire.  Il  ne 
manque  à  un  objet  si  légitime  que  les  talens  nécessaires  pour 
y  parvenir.  Toute  la  gloire  dont  je  puisse  me  flatter,  c'est 
d'avoir  pris  un  ton  qui  a  paru  nouveau,  quoique  après  l'in- 
comparable Molière  il  semblât  qu'il  n'y  eût  point  d'autre  se- 
cret de  plaire  que  celui  de  marcher  sur  ses  traces.  Mais  quelle 
témérité  de  vouloir  suivre  un  modèle  que  les  auteurs  les  plus 
sages  et  les  plus  judicieux  ont  toujours  regardé  comme  ini- 
mitable !  Il  ne  nous  a  laissé  que  le  désespoir  de  l'égaler  : 
trop  heureux  si,  par  quelque  route  nouvelle,  nous  pouvons 
nous  rendre  supportables  après  lui  !  C'est  à  quoi  je  me  suis 
borné  dans  mes  ouvrages  dramatiques  ;  et  c'est  sans  doute  à 
cette  précaution  essentielle  que  je  dois  l'accueil  favorable 
qu'ils  ont  reçu. 

Je  n'en  suis  pas  moins  redevable  à  l'art  des  acteurs,  qui 


PREFACE  3 

en  ont  employé  tous  les  ressorts  et  toutes  les  finesses,  princi- 
palement dans  cette  dernière  comédie ,  pour  signaler  leur 
zèle  et  leur  amitié  pour  moi.  Je  leur  dois  à  tous,  sans  nulle 
exception,  cette  justice  ;  et  je  la  leur  rends  avec  d'autant  plus 
de  plaisir  que  le  public  l'autorise  par  ses  applaudissemens. 
M.  Quinault  l'aîné,  dans  le  rôle  de  Lycandre,  a  fait  voir  qu'il 
sait  se  transformer  en  toutes  sortes  de  caractères  ;  que,  quel- 
que différens  qu'ils  puissent  être  les  uns  des  autres,  ils  lui 
fournissent  également  une  occasion  brillante  de  faire  admirer 
ses  talens  et  son  esprit,  et  qu'il  peut  se  donner  le  ton,  la 
gravité,  les  entrailles  de  père,  avec  autant  de  justesse,  de 
précision  et  de  vérité,  qu'il  s'approprie  les  saillies,  la  vivacité 
et  les  grâces  d'un  jeune  homme,  quand  il  est  question  de  les 
représenter.  Quelle  estime,  quelle  vénération,  quel  amour, 
n'a-t-il  point  inspirés  pour  le  malheureux  père  du  comte  de 
Tufière  et  de  Lisette  ? 

Je  dois  les  mêmes  louanges  à  son  frère  M.  Dufresne,  qui 
a  trouvé  l'art  d'annoncer  le  caractère  du  Glorieux,  même 
avant  que  de  prononcer  une  parole,  et  par  la  seule  manière 
de  se  présenter  sur  la  scène.  Quelle  noblesse  dans  son  port  ! 
Quelle  grandeur  dans  son  air  !  Quelle  fierté  dans  sa  dé- 
marche !  Quel  art,  quelles  grâces,  quelle  vérité,  dans  tout  le 
débit  du  rôle,  et  quelle  finesse,  quelle  variété,  dans  tous  les 
jeux  de  théâtre  ! 

Jamais  personnage  ne  fut  plus  difficile  à  représenter  que 
celui  de  Lisette,  fille  de  condition  et  femme  de  chambre  en 
même  temps.  Être  trop  comique,  c'étoit  démentir  sa  naissance. 
Être  trop  sérieuse,  c'étoit  s'exposer  à  refroidir  l'action  et  à 
rendre  le  personnage  ennuyeux.  Il  s'agissoit  de  trouver  un 
juste  milieu  entre  les  saillies  et  les  vivacités  d'une  suivante  et 
la  noble  retenue  d'une  fille  de  qualité.  C'est  ce  qu'on  vient 
de  voir  exécuter  avec  tant  de  succès  par  l'excellente  actrice  ' 
chargée  du  rôle  de  Lisette. 

Me  sera-t-il  permis  de  faire  souvenir  le  public  de  l'air  de 
confiance,  de  joie,  de  naïveté,  et  des  plaisantes  brusqueries 
de  Lisimon,  ou  plutôt  de   l'acteur  ^  judicieux  et  naturel  qui 


1 .  M''*  Quinault. 

2.  M.  Duchemin, 


4  PREFACE 

a  paru  sous  le  nom  de  ce  bourgeois  anobli  ?  L'extrême 
plaisir  qu'il  a  fait  aux  spectateurs  ne  me  laisse  assurément 
aucun  lieu  de  douter  qu'il  n'ait  beaucoup  contribué  au 
succès  de  mon  ouvrage. 

Je  me  ferois  encore  un  devoir  bien  agréable  de  faire  ici 
l'éloge  de  mes  autres  acteurs,  si  la  crainte  d'ennuyer  par  un 
trop  long  détail  ne  mettoit,  malgré  moi,  des  bornes  à  ma 
reconnoissance. 


LE    GLORIEUX 

COMÉDIE  EN  CINQ  ACTES 


ACTEURS 


LISIMON,  riche  bourgeois  anobli. 

ISABELLE,  fille  de  Lisimon. 

VALÈRE,  fils  de  Lisimon. 

LE  COMTE  DE  TUFIÈRE,  amant  d'Isabelle, 

PHILINTE,  autre  amant  d'Isabelle. 

LYCANDRE,  vieillard  inconnu. 

LISETTE,  femme  de  chambre  d'Isabelle. 

PASQUIN,  valet  de  chambre  du  comte. 

LA  FLEUR,  laquais  du  comte. 

M.  JOSSE,  notaire. 

Un  laquais  de  Lycandre. 

Plusieurs  autres  laquais  du  comte. 


La  scène  est  à  Paris  dans  un  hôtel  garni. 


LE    GLORIEUX 


COMÉDIE 


ACTE    PRExMIER 


SCÈNE    PREMIERE. 
PASQUIN,  seul. 

LISETTE  ne  vient  point  :  je  crois  que  la  friponne 
A  voulu  se  moquer  un  peu  de  ma  personne 
En  me  donnant  tantôt  un  rendez-vous  ici. 
Pour  le  coup  je  m'en  vais.  Ah!  ma  foi,  la  voici. 

SCÈNE   IL 
LISETTE,     PASQUIN. 

Lisette. 
Mon  cher  monsieur  Pasquin,  je  suis  votre  servante. 


8  LE    GLORIEUX 

Pasquin. 
Très  humble  serviteur  à  l'aimable  suivante 
D'une  aimable  maîtresse, 

Lisette. 

Un  si  doux  compliment 
Mérite  de  ma  part  un  long  remerdment; 
Mais,  pour  m'en  acquitter,  je  manque  d'éloquence. 
Vous  vous  contenterez  de  cette  révérence. 
Je  vous  ai  fait  attendre... 

Pasquin. 

A  vous  parler  sans  fard, 
Ma  reine,  au  rendez-vous  vous  venez  un  peu  tard. 

Lisette. 
J'aurois  voulu  pouvoir  un  peu  plus  tôt  m'y  rendre. 

Pasquin. 
Autrefois  j'étois  vif,  et  j'enrageois  d'attendre; 
Rien  ne  pouvoit  calmer  mes  désirs  excités; 
Mais  l'âge  a  mis  un  frein  à  mes  vivacités. 

Lisette. 
Si  bien  que  vous  voilà  devenu  raisonnable? 

Pasquin. 
Et  j'en  suis  bien  honteux. 

Lisette. 
Honteux  d'être  estimable? 

Pasquin. 
Oui,  de  l'être  avec  vous;  et  je  lis  dans  vos  yeux 
Qu'avec  moins  de  raison  je  vous  plairois  bien  mieux. 

Lisette. 
A  moi?  je  vous  fuirois,  si  vous  étiez  moins  sage. 


ACTE    1,    SCÈNE    II  9 

Pasquin. 
Me  voilà  donc  au  fait,  et  j'entends  ce  langage. 
Vous  me  trouvez  trop  vieux  pour  être  un  favori, 
Et  de  moi  vous  ferez  un  honnête  mari. 
Je  me  sens  pour  ce  titre  un  fond  de  patience 
Dont  vous  pourrez  bientôt  faire  l'expérience. 

Lisette. 
Vous  vous  trompez  bien  fort  :  car  je  ne  veux  de  vous 
Ni  faire  mon  amant,  ni  faire  mon  époux. 

Pasquin. 
Que  me  voulez-vous  donc?  Quel  sujet  nous  assemble? 

Lisette. 
Je  veux  que  nous  tenions  ici  conseil  ensemble. 

Pasquin. 
Sur  quoi? 

Lisette. 
Sur  votre  maître  et  ma  maîtresse. 

Pasquin. 

Eh  bien? 

Lisette. 
Traitons  cette  matière,  et  ne  nous  cachons  rien. 
Tous  deux  à  les  servir  étant  d'intelligence. 
Nous  leur  pourrons  tous  deux  être  utiles,  je  pense. 

Pasquin. 
Votre  idée  est  très  ju^te;  elle  me  plaît. 

Lisette. 

Tant  mieux. 
Le  Comte  votre  maître  est  froid  et  sérieux. 
Et,  depuis  trois  grands  mois  qu'avec  nous  il  demeure, 
Je  n'ai  pas  encor  pu  lui  parler  un  quart  d'heure. 


10  LE    GLORIEUX 

'  Quel  est  son  caractère?  Entre  nous,  j'entrevois 
Que  ma  maîtresse  l'aime;  et  cependant  je  crois 
Qu'il  ne  doit  pas  longtemps  compter  sur  sa  tendresse  : 
Car,  avec  de  l'esprit,  du  sens,  de  la  sagesse, 
Des  grâces,  des  attraits,  elle  n'a  pas  le  don 
D'aimer  avec  constance.  Avant  qu'aimer,  dit-on, 

11  faut  connoître  à  fond  :  car  l'amour  est  bien  traître. 
Pour  Isabelle,  elle  aime  avant  que  de  connoître; 
Mais  son  penchant  ne  peut  l'aveugler  tellement 
Qu'il  dérobe  à  ses  yeux  les  défauts  d'un  amant. 

Les  cherchant  avec  soin  et  les  trouvant  sans  peine, 
Après  quelques  efforts  sa  victoire  est  certaine; 
Honteuse  de  son  choix,  elle  reprend  son  cœur, 
Et  l'on  voit  à  ses  feux  succéder  la  froideur; 
Sur  le  point  d'épouser,  elle  rompt  sans  mystère. 

Pasquin. 
Voilà,  sur  ma  parole,  un  plaisant  caractère. 
Un  cœur  tendre  et  volage,  un  esprit  vif,  ardent 
Jusqu'à  l'étourderie,  et  toutefois  prudent; 
Coquette  au  par-dessus. 

Lisette. 

Non,  point  capricieuse, 
Point  coquette,  et  surtout  point  artificieuse. 
Elle  aime  tendrement,  et  de  très  bonne  foi; 
Mais  cela  ne  tient  pas.  Maintenant  dites-moi 
Toutes  les  qualités  du  Comte  votre  maître. 
C'est  pour  le  mieux  servir  que  je  veux  le  connoître. 
Sans  deviner  pourquoi,  j'ai  du  penchant  pour  lui, 
Et  vous  l'éprouverez  même  dès  aujourd'hui. 
S'il  a  quelques  défauts,  empêchons  ma  maîtresse 


ACTE   I,    SCÈNE    II 

De  s'en  apercevoir,  et  fixons  sa  tendresse. 
Mais  découvrez-les-moi  pour  me  mettre  en  état 
De  faire  que  l'hymen  prévienne  cet  éclat. 

Pasquin. 
Instruit  de  vos  desseins,  je  parlerai  sans  craindre, 
Et  de  la  tête  aux  pieds  je  vais  vous  le  dépeindre. 
Ses  bonnes  qualités  seront  mon  premier  point; 
Ses  défauts,  mon  second.  Je  ne  vous  cache  point 
Que  je  serai  très  court  sur  le  premier  chapitre, 
Très  long  sur  le  dernier.  Premièrement,  son  titre 
De  comte  de  Tufière  est  un  titre  réel, 
Et  son  air  de  grandeur  est  un  air  naturel  : 
Il  est  certainement  d'une  haute  naissance. 

Lisette. 
C'est  l'effet  du  hasard.  Passons. 
Pasquin. 

Toute  la  France 
Convient  de  sa  valeur,  et,  brave  confirmé. 
Parmi  les  gens  de  guerre  il  est  très  estimé. 
II  fera  son  chemin,  à  ce  que  l'on  assure. 
Il  est  homme  d'honneur;  on  vante  sa  droiture. 
Quoique  vif,  pétulant,  il  a  le  cœur  très  bon. 
Voilà  mon  premier  point. 

Lisette. 

Passons  vite  au  second. 


12  LE    GLORIEUX 

SCÈNE    III. 
LISETTE,    PASQUIN,    LA    FLEUR. 

Pasquin. 
Ah!  te  voilà,  La  Fleur?  Que  fait  monsieur  le  Comte? 

La  Fleur. 
Il  joue;  et,  qui  plus  est,  il  y  fait  bien  son  compte  : 
Car  il  va  mettre  à  sec  un  franc  provincial,  ' 
Au  moins  aussi  nigaud  qu'il  me  paroît  brutal; 
Notre  maître,  tandis  qu'il  jure  et  se  désole, 
Embourse  son  argent  sans  dire  une  parole. 

Pasquin. 
Pourquoi  viens-tu  sitôt? 

La  Fleur. 

Pour  un  dessein  que  j'ai. 

Pasquin. 
Quel  dessein? 

La  Fleur. 
Je  vous  viens  demander  mon  congé. 

Pasquin. 
A  moi? 

La  Fleur. 
Sans  doute.  Autant  que  je  puis  m'y  connoître, 
Vous  êtes  factotum  de  monsieur  notre  maître. 
On  n'ose  lui  parler  sans  le  mettre  en  courroux  : 
Il  faut  par  conséquent  que  l'on  s'adresse  à  vous. 

Pasquin. 
Tu  me  surprends,  La  Fleur,  je  te  croyois  plus  sage. 


ACTE    I,    SCÈNE    III  ij 

Servir  monsieur  le  Comte  est  un  grand  avantage. 
Pourquoi  donc  le  quitter?  Eclaircis-moi  ce  point. 

La  Fleur. 
C'est  que  vous  parlez  trop,  et  qu'il  ne  parle  point. 

Lisette. 
Le  trait  est  singulier,  et  la  plainte  est  nouvelle. 

La  Fleur. 
Tel  que  vous  me  voyez,  ma  chère  demoiselle, 
Vous  ne  le  croiriez  pas,  on  me  prend  pour  un  sot; 
Et  mon  maître,  en  trois  mois,  ne  m'a  pas  dit  un  mot. 

Pasquin. 
Que  t'importe  cela? 

La  Fleur. 
Comment  donc,  que  m'importe? 
Peut-il  avec  ses  gens  en  user  de  la  sorte? 
Que  je  sois  tout  un  jour  dans  son  appartement. 
Il  ne  daignera  pas  me  gronder  seulement; 
Et  j'ai  quitté  pour  lui  la  meilleure  maîtresse... 
Qui  vouloit  qu'on  parlât,  et  qui  parloit  sans  cesse. 
On  ne  s'ennuyoit  point.  Tous  les  jours,  tour  à  tour. 
Elle  nous  chantoit  pouille  avant  le  point  du  jour. 
C'étoit  un  vrai  plaisir. 

Lisette. 

Tu  veux  donc  qu'on  te  gronde? 

La  Fleur. 
Je  ne  hais  point  cela,  pourvu  que  je  réponde. 
Répondre,  c'est  parler.  Encor  vit-on.  Mais  bon! 
Avec  monsieur  le  Comte  on  ne  dit  oui  ni  non; 
Il  ne  dit  pas  lui-même  une  pauvre  syllabe. 
Oh!  j'aimerois  autant  vivre  avec  un  Arabe. 


14  LE    GLORIEUX 

Cela  me  fait  sécher,  cela  me  pousse  à  bout; 
Moi,  qui  dis  volontiers  mon  sentiment  sur  tout, 
Le  silence  me  tue,  et...  Vous  riez? 

Lisette. 

Achève. 
La  Fleur,   en  pleurant. 
Si  je  reste  céans,  il  faudra  que  je  crève. 

Lisette,  à  Pasquin. 
Que  j'aime  sa  franchise  et  sa  naïveté! 

La  Fleur. 
Foi  de  garçon  d'honneur,  je  dis  la  vérité. 

Pasquin. 
Notre  maître  à  ses  gens  fait  garder  le  silence; 
Mais  ils  sentent  l'effet  de  sa  magnificence; 
Bien  nourris,  bien  vêtus,  et  payés  largement. 

La  Fleur. 
Eh!  tout  cela  pour  moi  n'est  point  contentement. 

Lisette. 
Enfin,  il  faut  qu'il  parle;  et  c'est  là  sa  folie. 

La  Fleur. 
Autrement  je  succombe  à  la  mélancolie. 
J'eus  un  maître  autrefois  que  je  regrette  fort, 
Et  que  je  ne  sers  plus,  attendu  qu'il  est  mort. 
Il  ne  me  faisoit  pas  de  fort  gros  avantages, 
Il  me  nourrissoit  mal,  me  payoit  mal  mes  gages; 
Jamais  aucun  profit,  et  souvent  en  hiver 
Il  me  laissoit  aller  presque  aussi  nu  qu'un  ver; 
Mais  je  l'aimois.  Pourquoi  ?  C'est  qu'il  me  faisoit  rire , 
Et  que  de  mon  côté  je  pouvois  tout  lui  dire. 
Il  m'appeloit  son  cher,  son  ami,  son  mignon; 


ACTE    I,    SCÈNE    III  i5 

Et  nous  vivions  tous  deux  de  pair  à  compagnon. 
Mais,  pour  monsieur  le  Comte,  au  diantre  si  je  l'aime  ! 
Il  est  toujours  gourmé,  renfermé  dans  lui-même, 
Toujours  portant  au  vent,  fier  comme  un  Ecossois. 
Je  ne  puis  le  souffrir,  à  vous  parler  françois; 
Et,  dût-il  m'enrichir,  que  le  diable  m'emporte 
Si  je  voulois  servir  un  maître  de  la  sorte! 

Pasquin. 
Patience;  à  ta  face  on  s'accoutumera, 
Et  tu  verras  qu'un  jour  monsieur  te  parlera. 
Mais  ne  t'échappe  point.  Attends  l'heure  propice. 
Depuis  dix  ans  au  moins  je  suis  à  son  service, 
Et  n'ose  lui  parler  que  par  occasion. 
Lisette,  à  Pasquin. 
Ce  pauvre  garçon-là  me  fait  compassion. 
Faites  que  l'on  lui  dise  au  moins  quelques  paroles. 

La  Fleur. 
Tenez,  j'aimerois  mieux  deux  mots  que  deux  pistoles. 

Pasq^uin. 
J'y  ferai  de  mon  mieux.  * 

La  Fleur. 

Enfin  point  de  milieu; 
Il  faut  ou  qu'on  me  parle,  ou  qu'on  me  chasse.  Adieu, 
Voilà  mon  dernier  mot;  c'est  moi  qui  vous  l'annonce; 
Et  je  parlerai,  moi,  si  je  n'ai  pas  réponse. 


i6  LE    GLORIEUX 


SCÈNE     IV. 

LISETTE,    PASQUIN. 

Pasquin. 
J'ai  pitié,  comme  vous,  de  ce  pauvre  La  Fleur. 

Lisette. 
Le  comte  de  Tufière  est  donc  un  fier  seigneur? 

Pasquin. 
C'est  là  mon  second  point. 

Lisette. 

Fort  bien. 

Pasquin. 

Sa  politique 
Est  d'être  toujours  grave  avec  un  domestique. 
S'il  lui  disoit  un  mot,  il  croiroit  s'abaisser; 
Et  qu'un  valet  lui  parle,  il  se  fera  chasser  : 
Enfin,  pour  ébaucher  en  deux  mots  sa  peinture, 
C'est  l'homme  le  plus  vain  qu'ait  produit  la  nature. 
Pour  ses  inférieurs  plein  d'un  mépris  choquant, 
Avec  ses  égaux  même  il  prend  l'air  important; 
Si  fier  de  ses  aïeux,  si  fier  de  sa  noblesse. 
Qu'il  croit  être  ici-bas  le  seul  de  son  espèce; 
Persuadé  d'ailleurs  de  son  habileté, 
Et  décidant  sur  tout  avec  autorité; 
Se  croyant  en  tout  genre  un  mérite  suprême; 
Dédaignant  tout  le  inonde,  et  s'admirant  lui-même; 
En  un  mot,  des  mortels  le  plus  impérieux, 
Et  le  plus  suffisant,  et  le  plus  glorieux. 


ACTE    I,    SCÈNE    IV  17 

Lisette. 
Ah!  que  nous  allons  rire! 

Pasquin. 

Et  de  quoi  donc? 

Lisette. 

Son  faste, 
Sa  fierté,  ses  hauteurs,  font  un  parfait  contraste 
Avec  les  qualités  de  son  humble  rival, 
Qui  n'oseroit  parler  de  peur  de  parler  mal. 
Qui  par  timidité  rougit  comme  une  fille. 
Et  qui,  quoique  fort  riche  et  de  noble  famille. 
Toujours  rampant,  craintif,  et  toujours  concerté. 
Prodigue  les  excès  de  sa  civilité; 
Pour  les  moindres  valets  rempli  de  déférences, 
Et  ne  parlant  jamais  que  par  ses  révérences. 

Pasquin. 
Oui,  ma  foi,  le  contraste  est  tout  des  plus  parfaits, 
Et  nous  en  pourrons  voir  d'assez  plaisans  effets. 
Ce  doucereux  rival,  c'est  Philinte,  sans  doute? 
Mon  maître  d'un  regard  doit  le  mettre  en  déroute. 

Lisette. 
Mais  ce  comte  si  fier  est  donc  bien  riche  aussi? 
Du  moins  il  le  paroît. 

Pasquin. 

Riche?  Non,  Dieu  merci  : 
Car  c'est  là,  quelquefois,  ce  qui  rabat  sa  gloire; 
Et  tout  son  revenu,  si  j'ai  bonne  mémoire, 
Vient  de  sa  pension  et  de  son  régiment; 
Mais  il  sait  tous  les  jeux  et  joue  heureusement  : 
C'est  par  là  qu'il  soutient  un  train  si  magnifique. 
Le  Glorieux.  3 


j8  LE    GLORIEUX 

Lisette. 
Et  faites-vous  fortune? 

Pasquin. 

Oui,  par  ma  politique. 
Avec  moi  quelquefois  il  prend  des  libertés. 
Je  le  boude,  il  sourit.  Mes  dépits  concertés. 
Un  air  froid  et  rêveur,  quelques  brusques  paroles, 
L'amènent  où  je  veux.  Par  quatre  ou  cinq  pistoles 
Il  cherche  à  m'apaiser,  à  me  calmer  l'esprit; 
Et,  comme  j'ai  bon  cœur,  son  argent  m'attendrit. 

Lisette. 
Vous  m'avez  mise  au  fait  et  je  vais  vous  instruire. 
Le  Comte  va  bientôt  lui-même  se  détruire 
Dans  l'esprit  d'Isabelle;  oui,  soyez-en  certain, 
S'il  ne  lui  cache  pas  son  naturel  hautain. 
Elle  est  d'humeur  liante,  affable,  sociable  : 
L'orgueil  est  à  ses  yeux  un  vice  insupportable; 
Et,  malgré  les  grands  biens  qui  lui  sont  assurés. 
Son  air  et  ses  discours  sont  simples,  mesurés. 
Honnêtes,  prévenans  et  pleins  de  modestie. 

Pasquin. 
Si  bien  qu'avec  mon  maître  elle  est  mal  assortie? 

Lisette. 
Il  aura  son  congé  s'il  ne  se  contraint  point. 
Donnez-lui  cet  avis. 

Pasquin. 
Il  est  haut  à  tel  point... 

Lisette. 
J'entendsdu  bruit.  Je  crois  que  c'estnotrevieuxmaître. 
Ne  me  laissez  pas  seule  avec  lui. 


ACTE    I,    SCÈNE    IV  19 

Pasquin. 

Ce  vieux  reître 
Est-il  si  dangereux? 

Lisette. 
A  cinquante-cinq  ans, 
Il  est  plus  libertin  que  tous  nos  jeunes  gens; 
Et,  ce  qui  me  surprend,  c'est  que  son  fils  Valère 
A  toute  la  sagesse  et  la  vertu  d'un  père. 

SCÈNE  V. 

LISIMON,     LISETTE,    PASQUIN. 

LisiMON ,   courant  à  Lisette. 
Bonjour,  ma  chère  enfant;  embrasse-moi  bien  fort. 
Comment  donc,  tu  me  fuis? 

Lisette. 

Réservez  ce  transport 
Pour  madame. 

LiSIMON. 

Eh  !  fi  donc  !  Tu  te  moques,  je  pense  ? 
J'arrive  de  campagne,  et,  plein  d'impatience 
De  te  revoir,  j'accours...  Quel  est  ce  garçon-là? 
Tête  à  tête  tous  deux?  Je  n'aime  point  cela. 
Je  gage  qu'avec  lui  tu  n'étois  pas  si  fière? 

Lisette. 
Nous  nous  entretenions  du  comte  de  Tufière, 
Son  maître. 


20  LE    GLORIEUX 

LiSIMON. 

Ce  seigneur  que  l'on  m'a  proposé 
Pour  ma  fille? 

Pasquin. 
Oui,  Monsieur. 

LlSIMON. 

Je  suis  très  disposé, 
Sur  ce  qu'on  m'en  écrit,  à  le  choisir  pour  gendre; 
On  me  le  vante  fort,  et  l'on  me  fait  entendre 
Qu'il  est  homme  d'honneur,  de  grande  qualité. 
Mais  est-il  vif,  alerte,  étourdi,  bien  planté, 
Bon  vivant?  Car  je  veux  tout  cela  pour  ma  fille. 

Pasquin. 
Vous  faites  son  portrait,  et  c'est  par  là  qu'il  brille. 

LlSlMON. 

Bon.  Aime-t-il  la  table,  et  boit-il  largement? 

Pasquin. 
Diable!  il  est  le  plus  fort  de  tout  le  régiment. 
Il  a  fait  son  chef-d'œuvre  en  Allemagne,  en  Suisse. 

LiSIMON.  /'■ 

Voilà  mon  homme.  Il  faut  que  l'autre  déguerpisse. 

Lisette. 
Qui,  Philinte? 

LiSIMON. 

Lui-même.  Il  me  cajole  en  vain. 
C'est  un  homme  qui  met  le  tiers  d'eau  dans  son  vin. 
Ce  fade  personnage,  en  ses  façons  discrètes. 
Me  donne  la  colique  à  force  de  courbettes. 
Mon  gendre  buveur  d'eau  !  Fùt-il  prince,  morbleu  ! 
Je  le  refuserois.  Nous  allons  voir  beau  jeu  : 


ACTE    I,    SCÈNE    V 

Car  ma  femme,  dit-on,  le  destine  à  ma  fille. 
•Sait-elle  que  je  suis  le  chef  de  ma  famille. 
Le  monarque  absolu  d'elle  et  de  mes  enfans, 
Que  j'en  veux  disposer?  Mais  est-elle  céans? 

Lisette. 
Oui,  Monsieur. 

LiSIMON. 

Tu  diras  à  ma  chère  compagne 
Qu'il  faut  que  dès  ce  soir  elle  aille  à  la  campagne. 

Lisette. 
Et  pourquoi  donc? 

LiSIMON. 

Pourquoi?  C'est  que  je  suis  ici. 
Belle  demande! 

Lisette. 
Mais... 

LiSIMON. 

Dans  cette  maison-ci 
Nous  sommes  à  l'étroit  et  trop  près  l'un  de  l'autre, 
Et  l'on  travaille  à  force  à  rebâtir  la  nôtre. 
Mon  hôtel  sera  vaste,  et  je  prendrai  grand  soin 
Que  nos  appartemens  se  regardent  de  loin, 
Afin  qu'un  même  toit  elle  et  moi  nous  assemble 
Sans  nous  apercevoir  que  nous  logions  ensemble. 

Lisette. 
Je  vais  voir  si  madame  est  visible. 

LiSIMON. 

Non,  non; 
J'ai  deux  mots  à  te  dire.  Et  toi,  sors,  mon  garçon. 
Va-t'en  chercher  ton  maître  en  toute  diligence  : 


12  LE    GLORIEUX 

Il  faut  qu'incessamment  nous  fassions  connoissance. 

Lisette. 
Son  maître  va  rentrer. 

Pasquin. 

Et  je  l'attends  ici. 

LiSIMON. 

Va  l'attendre  dehors.  Décampe. 


SCÈNE    VI. 
LISIMON,    LISETTE. 

LlSIMON. 

Dieu  merci, 
Nous  sommes  tête  à  tête,  et  ma  vive  tendresse... 
Où  vas-tu  donc? 

Lisette. 
Je  vais  rejoindre  ma  maîtresse, 
Elle  m'appelle. 

LiSIMON. 

Non. 

Lisette. 
Ne  i'entendez-vous  pas? 

LiSIMON. 

Moi!  point. 

Lisette. 
Moi,  je  l'entends,  et  j'y  cours  de  ce  pas. 

LiSIMON. 

Qu'elle  attende. 


ACTE    I,    SCÈNE    VI  23 

Lisette. 
Monsieur,  voulez-vous  qu'on  me  gronde  ? 

LiSIMON. 

Qui  l'oseroit  céans?  Je  veux  que  tout  le  monde 
T'y  regarde  en  maîtresse,  et  me  respecte  en  toi; 
Que  femme,  enfans,  valets,  tout  t'obéisse. 
Lisette. 

A  moi, 
Monsieur?  Y  pensez-vous? 

LiSIMON. 

Oui,  ma  petite  reine  ; 
De  mon  cœur,  de  mes  biens,  je  te  rends  souveraine. 

Lisette. 
Ce  langage  est  obscur,  et  je  ne  l'entends  pas. 

LiSIMON. 

Je  m'en  vais  m'expliquer.  Charmé  de  tes  appas, 

J'ai  conçu  le  dessein  de  faire  ta  fortune. 

Pour  nous  débarrasser  d'une  foule  importune, 

Je  te  veux  à  l'écart  loger  superbement. 

Les  soirs,  j'irai  chez  toi  souper  secrètement; 

Je  ferai  tous  les  frais  d'un  nombreux  domestique, 

D'un  équipage  leste  autant  que  magnifique; 

Habits,  ajustemens,  rien  ne  te  manquera; 

Et  sur  tous  tes  désirs  mon  cœur  te  préviendra  : 

M'entends-tu  maintenant? 

Lisette. 

Oui,  Monsieur,  à  merveille. 

LiSIMON. 

Et  ce  discours,  je  crois,  te  chatouille  l'oreille? 
Que  réponds-tu,  ma  chère,  à  ces  conditions? 


a4 


LE    GLORIEUX 


Lisette. 
Je  ne  puis  accepter  vos  propositions, 
Monsieur,  sans  consulter  une  très  bonne  dame 
Que  j'honore. 

LiSIMON. 

Et  qui  donc? 

Lisette. 

Madame  votre  femme. 

LiSIMON. 

Comment,  diable,  ma  femme! 
Lisette. 

Oui,  Monsieur,  s'il  vous  plaît. 
A  ce  qui  me  regarde  elle  prend  intérêt, 
Et  je  ne  doute  point  qu'elle  ne  soit  ravie 
De  me  voir  embrasser  ce  doux  genre  de  vie. 

LlSlMON. 

Te  moques-tu? 

Lisette. 
Je  vais  aussi  prendre  l'avis 
De  ma  maîtresse,  et  puis  de  monsieur  votre  fils. 
Tous  trois,  édifiés,  à  ce  que  j'imagine, 
Du  soin  que  vous  prenez  d'une  pauvre  orpheline, 
Seront  touchés  de  voir  que,  lui  prêtant  la  main. 
Vous  la  mettiez  vous-même  en  un  si  beau  chemin. 
Et  qu'à  votre  âge,  enfin,  votre  charité  brille 
Jusqu'à  les  ruiner  pour  placer  une  fille. 

LiSIMON. 

Tu  le  prends  sur  ce  ton? 

Lisette. 
Oui,  Monsieur,  je  l'y  prends. 


ACTE    I,    SCÈNE    VI  25 

Apprenez,  je  vous  prie,  à  connoître  vos  gens. 
Un  cœur  tel  que  le  mien  méprise  les  richesses, 
Quand  il  faut  les  gagner  par  de  telles  bassesses, 

LiSIMON. 

Oh  !  puisque  mon  amour,  mes  offres,  mes  discours. 
Ne  peuvent  rien  sur  toi,  je  prétends,.. 
Lisette,  s'enfuyant. 

Au  secours! 

LiSIMON. 

Quoi!  friponne,  me  faire  une  telle  incartade? 

SCÈNE    VIL 
LISIMON,    VALÈRE,    LISETTE. 

Valère,   accourant. 
Mon  père,  qu'avez-vous? 

LiSIMON. 

Rien, 

Valère. 

Etes-vous  malade? 

LiSIMON. 

Non;  je  me  porte  bien.  Que  voulez-vous? 
Valère. 

Qui,  moi? 
On  crioit  au  secours,  et,  plein  d'un  juste  effroi, 
Je  suis  vite  accouru. 

LiSIMON. 

C'est  prendre  trop  de  peine. 
Lisette  me  suffit. 


26  LE    GLORIEUX 

Valère. 
Mais... 

LiSIMON. 

Votre  aspect  me  gêne, 
Sortez. 

Valère. 
Moi,  vous  quitter  en  ce  pressant  besoin! 
Je  n'ai  garde  à  coup  sûr.  Lisette,  j'aurai  soin 
De  monsieur;  sortez  vite;  allez  dire  à  ma  mère 
Qu'elle  vienne  au  plus  tôt. 

LiSIMON. 

Eh!  je  n'en  ai  que  faire. 


Bourreau. 

J'y  vais. 


Lisette. 


LiSIMON,  a  Valère. 

Demeure.  Et  toi,  sors  à  l'instant. 
Valère. 
S'il  ne  tient  qu'à  cela  pour  vous  rendre  content, 
Lisette' restera.  Mais  aussi  je  vous  jure 
De  ne  vous  point  quitter  dans  cette  conjoncture. 
Vous  voilà  trop  ému.  Vos  yeux  sont  tout  en  feu. 
Je  crains  quelque  accident.  Asseyez-vous  un  peu. 
Vous  êtes,  je  le  vois,  fatigué  du  voyage. 
Il  faut  vous  ménager  un  peu  plus  à  votre  âge. 
Enverrai-je  chercher  le  médecin  ? 

LiSIMON. 

Tais-toi. 
(£/j  sortant.  ) 
Traître,  tu  le  payeras. 


ACTE    I,    SCÈNE    VIII  27 

SCÈNE      VIII. 

VALÈRE,     LISETTE. 

Lisette. 

Vous  voyez? 
Valère. 

Oui,  je  voi 
A  quel  indigne  excès  veut  se  porter  mon  père. 
Quel  exemple  pour  moi  !  Quel  chagrin  pour  ma  mère  ! 
Je  ne  m'étonne  plus  si  sa  foible  santé 
L'oblige  à  renoncer  à  la  société, 
Et  si,  toujours  livrée  à  sa  mélancolie, 
Dans  son  appartement  elle  passe  sa  vie. 

Lisette. 
Je  veux  sortir  d'ici. 

Valère. 
Non,  non,  ne  craignez  rien. 
De  mon  père,  après  tout,  nous  vous  défendrons  bien. 

Lisette. 
Je  le  sais;  mais  enfin  je  veux  sortir,  vous  dis-je. 

Valère. 
Songez-vous  à  quel  point  votre  discours  m'afflige? 
Oui,  si  vous  nous  quittez,  je  mourrai  de  douleur. 
Vous  savez  mon  dessein. 

Lisette. 

Il  feroit  mon  bonheur 
S'il  pouvoit  s'accomplir;  mais  il  est  impossible. 
Je  sens  de  vous  à  moi  la  distance  terrible. 


28  LE    GLORIEUX 

Un  mariage  en  forme  est  ce  que  je  prétends  : 
Vous  me  le  promettez,  mais  en  vain  je  l'attends. 
Chaque  jour,  chaque  instant  détruit  mon  espérance. 
Vos  parens  sont  puissans;  une  fortune  immense 
Doit  vous  faire  aspirer  aux  plus  nobles  partis  : 
Jugez  si  vous  et  moi  nous  sommes  assortis. 

Valère. 
L'amour  assortit  tout,  et  mon  âme  ravie 
Trouve  en  vous  ce  qui  fait  le  bonheur  de  la  vie. 

Lisette. 
Songez  que  je  n'ai  rien,  et  ne  sais  d'où  je  sors. 

Valère. 
Esprit,  grâces,  beauté,  ce  sont  là  vos  trésors. 
Vos  titres,  vos  parens. . 

Lisette. 

Vous  flattez-vous,  Valère, 
De  faire  à  notre  hymen  consentir  votre  père? 

Valère. 
Nous  nous  passerons  bien  de  son  consentement. 

Lisette. 
Oui,  vous,  mais  non  pas  moi. 

Valère. 

Je  puis  secrètement... 

Lisette. 
Non,  non,  ne  croyez  pas  qu'un  vain  espoir  m'endorme. 
Je  vous  l'ai  dit,  je  veux  un  mariage  en  forme, 
Et  me  garderai  bien  de  courir  le  hasard... 

Valère. 
Vous  n'avez  r'en  à  craindre,  et...  Que  veut  ce  vieillard? 


ACTE    I,    SCÈNE    VIII  29 

Lisette. 
Tout  pauvre  qu'il  paroît,  sa  sagesse  est  profonde, 
Et  c'est  le  seul  ami  qui  me  reste  en  ce  monde. 
Depuis  près  de  deux  ans,  cet  ami  vertueux, 
Sensible  à  mes  besoins,  empressé,  généreux. 
Fait  de  me  secourir  sa  principale  affaire  : 
Je  trouve  en  sa  personne  un  guide  salutaire. 
Laissez-nous  un  moment,  s'il  vous  plaît. 

Valère. 

De  bon  cœur; 
Mais  revenez  bientôt  me  joindre  chez  ma  sœur. 


SCÈNE    IX. 
LYCANDRE,     LISETTE. 

Lycandre. 
Enfin,  je  vous  revois;  cette  rencontre  heureuse 
Me  comble  de  plaisir. 

Lisette. 
Moi,  je  suis  bien  honteuse 
Que  vous  me  retrouviez  dans  l'état  où  je  suis. 

Lycandre. 
Que  faites-vous  ici? 

Lisette. 
Je  fais  ce  que  je  puis 
Pour  me  le  cacher;  mais...  < 

Lycandre. 
Quoi? 


3o  LE    GLORIEUX 

Lisette. 

J'y  suis  en  service. 
Lycandre. 
Juste  Ciel!  Et  c'est  donc  pour  ce  vil  exercice 
Que  sans  m'en  avertir  vous  sortez  du  couvent? 

Lisette. 
Autrefois  pour  me  voir  vous  y  veniez  souvent; 
Mais  depuis  quelque  temps  vous  m'avez  négligée. 
De  plus,  ma  mère  est  morte.  Inquiète,  affligée. 
N'entendant  rien  de  vous,  sans  espoir,  sans  appui, 
Quelle  ressource  avois-je  en  ce  cruel  ennui  ? 
La  fille  de  céans,  à  présent  ma  maîtresse. 
Mon  amie  au  couvent,  sensible  à  ma  tristesse, 
Sur  le  point  de  sortir,  m'offrit  obligeamment 
De  me  prendre  auprès  d'elle.  Elle  me  fit  serment 
Que  je  serois  plutôt  compagne  que  suivante: 
Je  ne  pus  résister  à  son  offre  pressante. 
Ce  ne  fut  pas  pourtant  sans  verser  bien  des  pleurs; 
Mais  mon  sort  le  voulut  :  et  voilà  mes  malheurs. 

Lycandre. 
O  fortune  cruelle!  Et  vous  tient-on  parole 
Par  de  justes  égards? 

Lisette. 
Oui. 
Lycandre. 

Cela  me  console 
D'un  si  triste  incident,  que  j'aurois  prévenu 
Si  mes  infirmités  ne  m'eussent  retenu 
Pendant  près  de  six  mois  dans  la  retraite  obscure 


ACTEI.SCÈNEIX  Ji 

Où  je  mène  moi-même  une  vie  assez  dure. 

Si  bien  que  vous  voilà  plus  heureuse  aujourd'hui? 

Lisette. 
Autant  qu'on  le  peut  être  au  service  d'autrui. 

LyC  ANDRE. 

Hélas! 

Lisette. 
Vous  soupirez?  Dans  ma  triste  aventure 
Je  ne  sais  quel  espoir  me  soutient,  me  rassure; 
Mais  je  n'ai  rien  perdu  de  ma  vivacité. 

Lycandre. 
Votre  espoir  est  fondé.  Le  moment  souhaité 
Peut  arriver  bientôt.  La  fortune  se  lasse 
De  vous  persécuter.  Mais,  dites-moi,  de  grâce, 
A  qui  parliez-vous  li,  quand  je  suis  survenu? 

Lisette. 
Au  fils  de  la  maison.  S'il  vous  étoit  connu. 
Vous  l'estimeriez  fort. 

Lycandre. 
Il  a  donc  votre  estime? 
Vous  rougissez? 

Lisette. 
Qui,  moi?  Me  feriez-vous  un  crime 
De  lui  rendre  justice  ? 

Lycandre. 

Il  est  jeune,  bien  fait. 
Riche;  il  vous  voit  souvent? 
Lisette. 

Oui,  souvent,  en  effet. 


3a  LE    GLORIEUX 

Lycandre. 
Vous  êtes  jeune,  aimable,  et  sans  expérience  : 
Voilà  bien  des  écueils. 

Lisette. 

Soyez  en  assurance. 
Mon  cœur  est  au-dessus  de  ma  condition. 
J'ai  des  principes  sûrs  contre  l'occasion. 

Lycandre. 
J'y  compte.  Mais  enfin  que  vous  dit  ce  jeune  homme? 

Lisette. 
Il  se  nomme  Valère. 

Lycandre. 
Eh!  mon  Dieu,  qu'il  se  nomme 
Ou  Valère,  ou  Ciéon,  que  m'importe?  Il  s'agit 
De  m'informer  à  fond  des  choses  qu'il  vous  dit. 

^  Lisette. 

Qu'il  m'aime. 

Lycandre. 
Est-ce  là  tout? 

Lisette. 
Oui. 
Lycandre. 

C'est  tout? 
Lisette. 

Oui,  vous  dis-je. 
Lycandre. 
Vous  me  trompez. 

Lisette. 
Eh!  mais...  Ce  reproche  m'afflige. 
Eh  bien  donc,  ce  jeune  homme,  à  ne  rien  déguiser, 


ACTE    I,    SCÈNE    IX  33 

Si  j'y  veux  consentir,  m'offre  de  m'épouser 
En  secret. 

Lycandre. 
En  secret?  Il  cherche  à  vous  surprendre. 

Lisette. 
Non  ;  je  réponds  de  lui.  Mais,  bien  loin  de  me  rendre, 
En  acceptant  son  cœur  je  refuse  sa  main, 
A  moins  que  ses  parens  n'approuvent  son  dessein. 
Ils  le  rejetteront,  je  n'en  suis  que  trop  sûre; 
Et,  pour  fuir  un  éclat.  Monsieur,  je  vous  conjure    ■ 
De  me  tirer  d'ici  dès  demain,  dès  ce  soir. 
Pour  que  Valère  et  moi  nous  cessions  de  nous  voir. 

Lycandre. 
D'un  sort  moins  rigoureux  ô  fille  vraiment  digne! 
Ce  que  vous  exigez  est  une  preuve  insigne 
Et  de  votre  prudence  et  de  votre  vertu. 
Il  faut  vous  révéler  ce  que  je  vous  ai  tu. 
Vous  pouvez  aspirer  à  la  main  de  Valère, 
Et  même  l'épouser  de  l'aveu  de  son  père. 

Lisette. 
Moi,  Monsieur.? 

Lycandre. 
Je  dis  plus  :  ils  se  tiendront  heureux, 
Dès  qu'ils  vous  connoîtront,  de  former  ces  beaux  noeuds; 
Et,  respectant  en  vous  une  haute  naissance, 
Ils  brigueront  l'honneur  d'une  telle  alliance, 

Lisette. 
Vous  vous  moquez  de  moi.  Pourquoi,  jusqu'à  sa  mort, 
Ma  mère  a-t-elle  eu  soin  de  me  cacher  mon  sort.'' 
Mon  père  est-il  vivant? 

Le  Glorieux.  5 


34  LE    GLORIEUX 

Lycandre. 

Il  respire,  il  vous  aime, 
Et  viendra  de  ce  lieu  vous  retirer  lui-même. 

Lisette. 
Et  pourquoi  si  longtemps  m'abandonner  ainsi? 

Lycandre. 
Vous  saurez  ses  raisons.  Mais  demeurez  ici 
Jusqu'à  ce  qu'il  se  montre,  et  gardez  le  silence; 
C'est  un  point  capital. 

Lisette. 

Moi,  d'illustre  naissance! 
Ah!  je  ne  vous  crois  point,  si  vous  n'éclaircissez 
Tout  ce  mystère  à  fond. 

Lycandre. 
Non,  j'en  ai  dit  assez. 
Pour  savoir  tout  le  reste,  attendez  votre  père. 
Adieu.  Mais  dites-moi,  le  comte  de  Tufière 
Demeure-t-il  céans? 

Lisette. 
Oui,  depuis  quelques  mois. 
Lycandre. 
Il  faut  que  je  lui  parle. 

Lisette. 

Ah!  Monsieur,  je  prévois 
Qu'il  vous  recevra  mal  en  ce  triste  équipage, 
Car  on  me  l'a  dépeint  d'un  orgueil  si  sauvage... 

Lycandre. 
Je  saurai  l'abaisser. 

Lisette, 
Il  vous  insultera. 


ACTE    I,    SCÈNE    IX  ; 

Lycandre. 
J'imagine  un  moyen  qui  le  corrigera. 
Jusqu'au  revoir.  Songez  qu'une  naissance  illustre 
Des  sentimens  du  cœur  reçoit  son  plus  beau  lustre 
Pour  les  faire  éclater  il  est  de  siàrs  moyens; 
Et,  si  le  sort  cruel  vous  a  ravi  vos  biens, 
D'un  plus  rare  trésor  enviant  le  partage, 
Soyez  riche  en  vertus  :  c'est  là  votre  apanage. 


ACTE     II 


SCENE    PREMIERE. 


LISETTE. 


Dois-JE  me  réjouir?  dois-je  m'inquiéter? 
Ce  que  m'a  dit  Lycandre  est  bien  prompt  à  flatter 
Mon  petit  amour-propre;  et  pourtant  plus  j'y  pense, 
Et  moins  à  son  discours  je  trouve  d'apparence. 
Le  bonhomme,  à  coup  sûr,  s'est  diverti  de  moi. 
Mais  non,  il  m'aime  trop  pour  me  railler.  Je  croi 
Démêler  sa  finesse.  Il  veut  me  rendre  fière 
Afin  que  je  me  croie  au-dessus  de  Valère, 
Et  le  vieillard  adroit,  usant  de  ce  détour, 
Arme  la  vanité  pour  combattre  l'amour. 
Oui,  oui,  tout  bien  pesé,  m'en  voilà  convaincue. 
De  toutes  mes  grandeurs  je  suis  bientôt  déchue! 
Je  redeviens  Lisette,  et  le  sort  conjuré... 
Pauvre  Lisette!  Hélas!  ton  règne  a  peu  duré! 
Je  me  suis  endormie  et  j'ai  fait  un  beau  songe, 
Mais  dans  mon  triste  état  \é  réveil  me  replonge. 


ACTE    II,    SCÈNE    II  Î7 

SCÈNE   II. 
VALÈRE,    LISETTE. 

Valère. 
J'avois  beau  vous  attendre.  Eh  quoi!  seule  à  l'écart? 
Qu'y  faites-vous? 

Lisette, 
Je  rêve. 

Valère. 

Il  faut  que  ce  vieillard 
Qui  vous  est  venu  voir  vous  ait  dit  quelque  chose 
D'affligeant. 

Lisette. 
Au  contraire. 

Valère. 

Et  quelle  est  donc  la  cause 
De  votre  rêverie? 

Lisette. 
Un  fait  qui  sûrement 
Devroit  me  réjouir;  et  c'est  précisément 
Ce  qui  m'afflige. 

Valère. 
Oh!  oh!  le  trait,  sur  ma  parole, 
Est  des  plus  surprenans. 

Lisette. 

Vous  m'allez  croire  folle 
Sur  ce  que  je  vous  dis;  et  cependant  ce  trait 
D'un  excès  de  sagesse  est  peut-être  l'effet. 


38  LE    GLORIEUX 

Valère. 
Je  ne  vous  comprends  point.  Expliquez  ce  mystère. 

Lisette. 
Cela  m'est  défendu;  mais  je  ne  puis  me  taire, 
Et,  quoique  l'on  m'ordonne  un  silence  discret, 
Je  sens  bien  que  pour  vous  je  n'ai  point  de  secret. 
Je  soutiens  avec  peine  un  fardeau  qui  me  lasse. 

Valère. 
A  la  tentation  succombez  donc,  de  grâce. 

Lisette. 
C'est  le  meilleur  moyen  de  m'en  guérir,  je  crois; 
Mais,  si  je  vais  parler,  vous  vous  rirez  de  moi. 

Valère. 
Quoi!  vous  pouvez... 

Lisette. 
Jurez  que,  quoi  que  je  vous  dise. 
Vous  n'en  raillerez  point. 

Valère. 
J'en  jure. 

Lisette. 

Ma  franchise, 
Ou,  si  vous  le  voulez,  mon  indiscrétion, 
Exige  de  ma  part  cette  précaution; 
Au  surplus,  vous  pourrez  m'éclaircir  sur  un  doute 
Qui  me  tourmente  fort.  Or,  écoutez. 

Valère. 

J'écoute. 

Lisette, 
Ce  bonhomme  m'a  dit...  Vous  allez  vous  moquer. 


ACTE    II,   SCÈNE    II  39 

Valère. 
Eh  !  non,  vous  dis-je,  non. 

Lisette. 

Avant  de  m'expliquer, 
Valère,  permettez  que  je  vous  interroge. 
Répondez  franchement,  et  surtout  point  d'éloge. 

Valère. 
Voyons. 

Lisette. 
Me  trouvez-vous  l'air  de  condition 
Que  donne  la  naissance  et  l'éducation? 
Et  croyez-vous  mes  traits,  mes  façons,  mon  langage, 
Propres  à  soutenir  un  noble  personnage? 

Valère. 
Un  amant  sur  ce  point  est  un  juge  suspect. 
Mais  vous  m'avez  d'abord  inspiré  le  respect, 
La  vénération.  Qui  les  a  pu  produire? 
Votre  rang?  votre  bien?  Plût  au  Ciel!  Je  soupire 
Lorsque  je  vois  l'état  où  vous  réduit  le  sort. 
Mais  pour  vous  abaisser  il  fait  un  vain  effort, 
Et,  de  quelques  parens  que  vous  soyez  issue, 
Chacun  remarque  en  vous,  à  la  première  vue. 
Certain  air  de  grandeur  qui  frappe,  qui  saisit; 
Et  ce  que  je  vous  dis,  tout  le  monde  le  dit. 

Lisette. 
Ce  discours  est  flatteur;  mais  est-il  bien  sincère? 

Valère. 
Oui,  foi  de  galant  homme. 

Lisette. 

Apprenez  donc,  Valère, 


40 


LE    GLORIEUX 


Ce  qu'on  vient  de  me  dire,  et  ce  qui  m'est  bien  doii 
Parce  que  son  effet  rejaillira  sur  vous.  I 

Par  de  fortes  raisons,  qu'on  doit  bientôt  m'apprendij 
On  m'a  caché  mon  rang.  J'ai  l'honneur  de  descend! 
D'une  famille  illustre  et  de  condition, 
Si  l'on  n'a  point  voulu  me  faire  illusion. 

Valère. 

Non,  on  vous  a  dit  vrai,  c'est  moi  qui  vous  l'assure 
Et  j'en  ferai  serment. 

Lisette,  en  riant. 
Fort  bien. 

Valère. 

Je  vous  conjure, 
Charmante  Lis...  O  Ciel!  je  ne  sais  plus  comment 
Vous  nommer;  mais  enfin,  je  vous  prie  instamment, 
Si  vous  m'aimez  encor,  d'être  persuadée 
Qu'on  vous  donne  de  vous  une  très  juste  idée. 
Et  souffrez  que  l'amour,  jaloux  de  votre  droit. 
Vous  rende  le  premier  l'hommage  qu'on  vous  doit, 
(//  se  met  à  genoux.  ) 

Lisette. 
Valère,  levez-vous^  vous  me  rendez  confuse. 

Valère. 
Quoi  !  vous,  servir  ma  sœur  !  Ah  1  déjà  je  m'accuse 
D'avoir  été  trop  lent  à  la  désabuser; 
A  vous  manquer  d'égards  je  pourrois  l'exposer. 
Mon  père  m'inquiète,  et  je  sais  que  ma  mère 
Quelquefois  avec  vous  prend  un  ton  trop  sévère. 
Je  vais  donc  avertir  ma  famille,  et  je  crains... 


ACTE    II,    SCÈNE    II  41 

Lisette. 
Ah!  voilà  mon  secret  en  de  fort  bonnes  mains! 
On  me  défend  surtout  de  me  faire  connoître. 
Si  vous  dites  un  mot  à  qui  que  ce  puisse  être, 
Bien  loin  de  me  servir... 

Valère. 

Eh  bien,  je  me  tairai. 
Je  suis  dans  une  joie...  Oh  !  je  me  contraindrai, 
Ne  craignez  rien. 

Lisette. 
Paix  donc!  j'aperçois  Isabelle. 

SCÈNE    III. 
ISABELLE,    VALÈRE,    LISETTE. 

Valère,  courant  au-devant  d'Isabelle. 
Ma  sœur,  que  je  vous  dise  une  grande  nouvelle! 

Lisette,  le  retenant. 
Eh  bien,  ne  voilà  pas  mon  étourdi? 
Valère. 

Mon  cœur 
Ne  peut  se  contenir.  Je  sors.  Adieu,  ma  sœur. 

Isabelle. 
Adieu  !  Vousmoquez-vousPDites-moidonc,  monfrère, 
Cette  grande  nouvelle. 

Valère, 

Oh!  ce  n'est  rien. 

6 


42  LE    GLORIEUX 

Isabelle. 

Valère, 
Quoi  !  vous  me  plaisantez? 

Valère. 

Non,  non,  quand  vous  saurez. 
Lisette,  bas  à  Valère. 
Allez-vous-en. 

Valère  sort  et  revient. 
Ma  sœur,  lorsque  vous  parlerez 


A  Lisette. 


Le  respect. 


Isabelle. 
Eh  bien  donc? 

Valère. 

Ayez  toujours  pour  elle 


Isabelle. 
Le  respect? 

Valère. 

Oui,  car  mademoiselle... 
Je  veux  dire  Lisette,  a  certainement  lieu 
De  prétendre  de  vous,  et  de  nous  tous...  Adieu. 
(//  sort  brusquement.  ) 

SCÈNE    IV. 

ISABELLE,     LISETTE. 

Isabelle. 
Je  ne  sais  que  penser  d'un  discours  aussi  vague; 
Qu'en  dites-vous?  Je  crois  que  mon  frère  extravague. 


ACTE    II,   SCÈNE    IV  ^3 

Lisette, 
Quelque  chose  à  peu  près. 

Isabelle. 
1  Moi,  pour  vous  du  respect  ! 

C'est  aller  un  peu  loin.  Ce  discours  m'est  suspect. 
Oh  çà,  conviendrez-vous  de  ce  que  j'imagine? 

Lisette. 
Quoi? 

Isabelle. 
Mon  frère  vous  aime.  Oh  !  oui,  oui,  je  devine. 
Votre  air  embarrassé  confirme  mon  soupçon. 

Lisette. 
Et  quand  il  m'aimeroit,  seroit-ce  un  crime? 

Isabelle. 

Non. 
Mais... 

Lisette. 
Si  je  l'en  veux  croire,  il  me  trouve  jolie. 
Mais  bon,  je  n'en  crois  rien. 

Isabelle. 

Pourquoi? 

Lisette. 

Pure  saillie 
De  jeune  homme  qui  sait  prodiguer  les  douceurs, 
Et  qui,  sans  rien  aimer,  en  veut  à  tous  les  cœurs. 

Isabelle. 
Non,  mon  frère  n'est  point  de  ces  conteurs  volages 
Qui  d'objet  en  objet  vont  offrir  leurs  hommages. 
Je  connois  sa  droiture  et  sa  sincérité. 
Et,  s'il  dit  qu'il  vous  aime,  il  dit  la  vérité. 


44  LE    GLORIEUX 

Lisette,  vivement. 
Quoi!  sérieusement? 

Isabelle. 
Oui,  la  chose  est  certaine. 
Je  vois  que  ce  discours  ne  vous  fait  point  de  peine. 
Ah!  ma  bonne! 

Lisette. 

Quoi  donc? 

Isabelle. 

Je  pénètre  aisément. 
Lisette. 
Quoi?  Que  pénétrez-vous? 

Isabelle. 

Mon  frère  est  votre  amant, 
Et  mon  frère,  à  coup  sûr,  n'aime  point  une  ingrate. 
Vous  avez  le  cœur  haut  et  l'âme  délicate. 

Lisette. 
Voici  le  fait.  Il  dit  que,  si  je  n'étois  point 
Ce  que  je  suis... 

Isabelle. 

Eh  bien? 

Lisette. 
Il  m'estime  à  tel  point 
Qu'il  feroit  son  bonheur  de  m'obtenir  pour  femme. 

Isabelle. 
Ensuite?  Vous  rêvez!  Je  vous  ouvre  mon  âme 
En  toute  occasion,  Lisette,  imitez-moi. 
Que  lui  répondez-vous?  Parlez  de  bonne  foi. 


ACTE    II,   SCÈNE    IV  4 

Lisette. 
Eh!  mais...  je  lui  réponds...  Vous  êtes  curieuse 
A  l'excès. 

Isabelle. 
Poursuivez. 

Lisette. 
Que  je  serois  heureuse 
Si  j'étois  un  parti  qui  lui  pût  convenir. 
Voilà  tout. 

Isabelle. 
Je  le  crois.  Mais  je  crains  l'avenir. 
Votre  amour  vous  rendra  malheureux  l'un  et  l'autre. 

Lisette. 
Vous  avez  votre  idée,  et  nous  avons  la  nôtre. 

Isabelle. 
Comment  donc? 

Lisette. 
Quelque  jour  j'éclaircirai  ceci. 
Sur  votre  frère,  enfin,  n'ayez  aucun  souci, 
Ne  vous  alarmez  point  de  ce  que  je  hasarde, 
Et  venons  maintenant  à  ce  qui  vous  regarde. 

Isabelle. 
Volontiers,  » 

Lisette. 
De  mon  cœur  vous  connoissez  l'état, 
Parlons  un  peu  du  vôtre.  Inquiet,  délicat. 
Aux  révolutions  il  est  souvent  en  proie. 
Comment  se  porte-t-il? 

Isabelle. 
I  Mal. 


.46  LE    GLORIEUX 

Lisette. 

J'en  ai  de  la  joie. 
Il  est  donc  bien  épris? 

Isabelle. 

Oui,  Lisette,  si  bien 
Qu'il  le  sera  toujours. 

Lisette. 

Oh  !  ne  jurons  de  rien. 

Isabelle. 
J'en  ferois  bien  serment. 

Lisette. 
Le  Ciel  vous  en  préserve  ! 

Isabelle.  * 

Pourquoi  donc? 

Lisette. 
Votre  esprit  a  toujours  en  réserve 
Quelques  si,  quelques  mais,  qui,  malgré  votre  ardeur, 
Pénètrent  tôt  ou  tard  au  fond  de  votre  cœur. 
Le  Comte  est  sûrement  d'une  aimable  figure, 
Son  mérite  y  répond,  ou  du  moins  je  l'augure; 
Mais  vous  ne  le  voyez  que  depuis  quelques  mois, 
"Vous  le  connoissez  peu.  C'est  pourquoi  je  prévois 
Qu'avant  qu'il  soit  huit  jours,  croyant  le  mieux  connoître, 
Quelque  défaut  en  lui  vous  frappera  peut-être. 

Isabelle. 
Cela  ne  se  peut  pas.  C'est  un  homme  accompli. 
De  ses  perfections  mon  cœur  est  si  rempli 
Qu'il  le  met  à  couvert  de  ma  délicatesse. 
S'il  a  quelque  défaut,  c'est  son  peu  de  tendresse. 
Il  me  voit  rarement. 


ACTE    II,    SCÈNE    IV  47 

Lisette. 
C'est  qu'il  a  du  bon  sens. 
Qui  se  fait  souhaiter  se  fait  aimer  longtemps. 
Qui  nous  voit  trop  souvent  voit  bientôt  qu'il  nous  lasse. 

Isabelle. 
Vous  l'excusez  toujours;  mais  dites-moi,  de  grâce, 
Ne  lui  trouvez-vous  point  quelques  défauts  ? 

Lisette. 

Qui,  moi? 
Pas  le  moindre. 

Isabelle. 
Tant  mieux. 

Lisette. 

Mais,  s'il  en  a,  je  crois 
Qu'ils  n'échapperont  pas  longtemps  à  votre  vue; 
Et  c'est  tant  pis  pour  vous.  Etes-vous  résolue 
De  ne  prendre  qu'un  homme  accompli  de  tout  point? 
Cet  homme  est  le  Phénix;  il  ne  se  trouve  point. 
Si  le  Comte  à  vos  yeux  est  ce  rare  miracle, 
Croyez-en  votre  cœur.  Que  ce  soit  votre  oracle. 
Mettez  l'esprit  à  part,  suivez  le  sentiment; 
S'il  vous  trompe,  du  moins  c'est  agréablement. 
Il  est  bon  quelquefois  de  s'aveugler  soi-même. 
Et  bien  souvent  l'erreur  est  le  bonheur  suprême, 

Isabelle. 
Me  voilà  résolue  à  suivre  vos  avis. 

Lisette. 
Vous  me  remercîrez  de  les  avoir  suivis. 
Mais  que  va  devenir  notre  pauvre  Philinte? 


48  LEGLORIEUX 

Son  mérite  autrefois  a  porté  quelque  atteinte 
A  votre  cœur. 

Isabelle. 
Je  sens  qu'il  m'ennuie  à  mourir. 
Je  l'estime  beaucoup,  et  ne  puis  le  souffrir. 
Le  moyen  d'y  durer?  Toutes  ses  conférences 
Consistent  en  regards,  ou  bien  en  révérences  : 
Dès  qu'il  parle,  il  s'égare,  il  se  perd;  en  un  mot, 
Quoiqu'il  ait  de  l'esprit,  on  le  prend  pour  un  sot. 

Lisette. 
Le  voici. 

Isabelle. 
Que  veut-il? 

Lisette. 
A  votre  esprit  critique 
Il  vient  fournir  des  traits  pour  son  panégyrique. 


SCÈNE  V. 
ISABELLE,    PHILINTE,    LISETTE. 

Philinte  ,  du  fond  du  théâtre,  après  plusieurs 
révérences. 
Madame...  Je  crains  bien  de  vous  importuner. 

Lisette,  à  Isabelle. 
Cet  homme  a  sûrement  le  don  de  deviner. 

Isabelle. 
Un  homme  tel  que  vous... 


ACTE    II,    SCENE    V 


49 


Philinte,  redoublant  ses  révérences. 

Ah  !  Madame  !...  de  grâce, 
Si  je  suis  importun,  punissez  mon  audace. 
Isabelle,  lui  faisant  la  révérence. 
Monsieur... 

Philinte. 
Et  faites-moi  l'honneur  de  me  chasser. 
Isabelle. 
De  ma  civilité  vous  devez  mieux  penser. 

Philinte,  lui  faisant  la  révérence. 
Madame,  en  vérité... 

Isabelle,  la  lui  rendant. 

J'ai  pour  votre  personne 
{A  Lisette.) 
L'estime  et  les  égards...  Aidez-moi  donc,  ma  bonne. 
Lisette,  après  avoir  fait  plusieurs  révérences 
à  Philinte,  lui  présente  un  siège. 
Vous  plaît-il  vous  asseoir? 

Philinte,  vivement. 

Que  me  proposez-vous? 
O  Ciel!  devant  madame  il  faut  être  à  genoux. 
Lisette. 

{A  Isabelle.) 
A  vous  permis.  Monsieur.  Dites-lui  quelque  chose. 
Isabelle. 

Je  ne  saurois. 

Lisette. 
Fort  bien;  l'entretien  se  dispose    < 
A  devenir  brillant...  Monsieur,  je  m'aperçoi 

Le  Glorieux.  7 


5o  LE    GLORIEUX 

Que  vous  faites  façon  de  parler  devant  moi. 
Je  me  retire. 

Philinte,  la  retenant. 
Non,  il  n'est  pas  nécessaire, 
Et  je  ne  veux  ici  qu'admirer  et  me  taire. 

Lisette,  à  Philinte. 
Vous  vous  contentez  donc  de  lui  parler  des  yeux? 

Philinte. 
Je  ne  m'en  lasse  point. 

Lisette. 

Parlez  de  votre  mieux, 
Rien  ne  vous  interrompt. 

Isabelle,  à  Lisette. 

Oh  !  je  perds  contenance. 
Lisette,  bas,  à  Isabelle. 
Eh  bien,  interrogez-le,  il  répondra,  je  pense. 

Isabelle,  bas,  à  Lisette. 
Vous-même  avisez-vous  de  quelque  question. 

Lisette,  bas,  à  Isabelle. 
C'est  à  vous  d'entamer  la  conversation. 

Isabelle,  à  Philinte,  après  avoir  un  peu  rêvé. 
Quel  temps  fait-il.  Monsieur? 

Lisette,  à  part. 

Matière  intéressante! 
Philinte. 
Madame,...  en  vérité,...  la  journée  est  charmante. 
Isabelle.  , 

Monsieur,  en  vérité,...  j'en  suis  ravie. 
Lisette. 

Et  moi, 


ACTE    II,    SCÈNE    V  5[ 

J'en  suis  aussi  charmée,  en  vérité.  Mais  quoi! 

La  conversation  est  donc  déjà  finie? 

Çà,  pour  la  relever  employons  mon  génie. 

[A  part.) 
Dit-on  quelque  nouvelle?  Enfin,  il  parlera. 

Isabelle. 
N'avez-vous  rien  appris  du  nouvel  opéra? 

Philinte. 
On  en  parle  assez  mal. 

Lisette,  à  part. 

Cet  homme  est  laconique. 
Isabelle,  à  Philinte. 
Qu'y  désapprouvez-vous?  Les  vers  ou  la  musique? 

Philinte. 
Je  sais  peu  de  musique  et  fais  de  méchans  vers, 
Ainsi  j'en  pourrois  bien  juger  tout  de  travers. 
Et  d'ailleurs  j'avouerai  qu'au  plus  mauvais  ouvrage 
Bien  souvent,  malgré  moi,  je  donne  mon  suffrage. 
Un  auteur,  quel  qu'il  soit,  me  paroît  mériter 
Qu'aux  efforts  qu'il  a  faits  on  daigne  se  prêter. 

Lisette. 
Mais  on  dit  qu'aux  auteurs  la  critique  est  utile. 

Philinte. 
La  critique  est  aisée  et  l'art  est  difficile. 
C'est  là  ce  qui  produit  ce  peuple  de  censeurs, 
Et  ce  qui  rétrécit  les  talens  des  auteurs. 

(A  Isabelle.) 
Mais  vous  êtes  distraite  et  paroissez  en  peine. 

Isabelle. 
Je  n'en  puis  plus. 


52  LE    GLORIEUX 

Philinte. 
Bon  Dieu  !  qu'avez-vous? 
Isabelle. 

La  migraine. 
Philinte,  s'en  allant  avec  précipitation. 
Je  m'enfuis. 

Isabelle,  le  retenant. 
Non,  restez. 

Philinte. 

Quel  excès  de  faveur! 
Isabelle. 
C'est  moi  qui  vais  m'enfuir.  Je  crains  que  ma  douleur 
Ne  vous  afflige  trop.  Je  souffre  le  martyre. 

Philinte. 
J'en  suis  au  désespoir.  Je  veux  vous  reconduire. 

(//  met  ses  gants  avec  précipitation.) 
•Madame,  vous  plaît-il  de  me  donner  la  main? 

Isabelle, 
Je  n'en  ai  pas  la  force.  Adieu,  jusqu'à  demain. 

Philinte. 
A  quelle  heure.  Madame? 

Isabelle. 
Ah  !  Monsieur,  à  toute  heure. 
Mais  ne  me  suivez  point,  de  grâce. 
Philinte,  à  Lisette. 

Je  demeure 
Pour  vous  dire  deux  mots. 

Lisette, 

Monsieur,...  en  vérité, 
J'ai  la  migraine  aussi.  Vous  aurez  la  bonté 


ACTE    II,    SCÈNE    V  55 

De  ne  pas  prendre  garde  à  mon  impolitesse, 

Et  mon  devoir  m'appelle  auprès  de  ma  maîtresse. 

(Philinte  lui  donne  la  main  et  la  reconduit.) 


SCÈNE    VI; 

PHILINTE,    seul. 

Cette  migraine-là  vient  bien  subitement! 

C'est  moi  qui  l'ai  donnée  indubitablement. 

C'est  ma  timidité  que  je  ne  saurois  vaincre 

Qui  me  rend  ridicule.  On  vient  de  m'en  convaincre. 

Que  je  suis  malheureux!  Des  jeunes  courtisans 

Que  n'ai-je  le  babil  et  les  airs  suffisans! 

Quiconque  s'est  formé  sur  de  pareils  modèles 

Est  sûr  de  ne  jamais  rencontrer  de  cruelles. 

SCÈNE    VIL 
PHILINTE,    UN    LAQUAIS    mal   vêtu. 

Le  Laquais. 
Cette  lettre,  Monsieur,  s'adresse  à  vous,  je  croi 

Philinte  lit. 
Au  comte  de  Tufière.  Elle  n'est  pas  pour  moi; 
Mais  il  demeure  ici. 

Le  Laquais. 

Pardonnez,  je  vous  prie. 


54  LE    GLORIEUX 

Philinte,  lui  faisant  la  révérence. 
{A  part.) 
Ah!  Monsieur.  C'est  à  lui  que  l'on  me  sacrifie. 
Madame  Lisimon  n'y  pourra  consentir, 
Et  je  veux  lui  parler  avant  que  de  sortir. 

{Il  sort.) 

SCÈNE    VIII. 
PASQUIN,     LE    LAQUAIS. 

Le  Laquais. 
Holà!  quelqu'un  des  gens  du  comte  de  Tufière  ! 

Pasquin,  d'un  ton  arrogant. 
Que  voulez-vous? 

Le  Laquais, 
Cet  homme  a  la  parole  fière. 
Pasquin. 
Parlez  donc. 

Le  Laquais. 
Est-ce  vous  qui  vous  nommez  Pasquin? 
Pasquin. 
C'est  moi-même,  en  effet.  Mais  apprenez,  faquin, 
Que  le  mot  de  monsieur  n'écorche  point  la  bouche. 

Le  Laq^uais. 
Monsieur,  je  suis  confus.  Ce  reproche  me  touche, 
J'ignorois  qu'il  fallût  vous  appeler  Monsieur, 
Mais  vous  me  l'apprenez,  j'y  souscris  de  bon  cœur 

Pasquin,  d'un  ton  important. 
Trêve  de  complimens. 


ACTE    II,    SCÈNE    VIII  55 

Le  Laquais. 
Voudrez-vous  bien  remettre 
^u  comte  votre  maître  un  petit  mot  de  lettre? 

Pasquin, 
Donnez.  De  quelle  part? 

Le  Laquais. 

Je  me  tais  sur  ce  point; 
:^lle  est  d'un  inconnu  qui  ne  se  nomme  point, 
^dieu,  Monsieur  Pasquin;  quoique  mon  ignorance 
lit  pour  monsieur  Pasquin  manqué  de  déférence, 
1  verra  désormais  à  mon  air  circonspect 
;^e  pour  monsieur  Pasquin  je  suis  plein  de  respect. 

SCÈNE  IX. 

PASQUIN,     seul. 

le  maroufle  me  raille,  et  même  je  soupçonne 

^'il  n'a  pas  tort.  Au  fond  les  airs  que  je  me  donne 

Visent  l'impertinent,  le  suffisant,  le  fat; 

^t  si,  tout  bien  pesé,  je  ne  suis  qu'un  pied  plat, 

ans  ce  pauvre  garçon  j'allois  me  méconnoître 

-t  me  gonfler  d'orgueil  aussi  bien  que  mon  maître. 

e  sens  qu'un  glorieux  est  un  sot  animal! 

4ais  j'entends  du  fracas.  Ah!  c'est  l'original 

)e  mes  airs  de  grandeur  qui  vient  tête  levée. 

Aon  éclat  emprunté  cesse  à  son  arrivée. 


56  LE    GLORIEUX 

SCÈNE     X. 

LE   COMTE,    PASQUIN,    Six   laquais. 

Le  Comte  entre  marchant  à  grands  pas  et  la  tête  levée. 
Ses  six  laquais  se  rangent  au  fond  du  théâtre  d'un 
air  respectueux.  Pasquin  est  un  peu  plus  avancé. 
L'impertinent  ! 

Pasquin,  lui  présentant  la  lettre. 

Monsieur... 
Le  Comte,  marchant  toujours. 
Le  fat  ! 
Pasquin. 

Monsieur... 
Le  Comte. 

Tais-toi. 
Un  petit  campagnard  s'emporter  devant  moi! 
Me  manquer  de  respect  pour  quatre  cens  pistoles! 

Pasquin. 
Il  a  tort. 

Le  Comte. 
Hem  !  à  qui  s'adressent  ces  paroles? 
Pasquin. 
Au  petit  campagnard. 

Le  Comte.  "* 

Soit.  Mais  d'un  ton  plus  bas, 
S'il  vous  plaît.  Vos  propos  ne  m'intéressent  pas. 
Tenez,  serrez  cela. 

{Il  lui  donne  une  grosse  bourse.) 


ACTE    II,    SCÈNE   X  5? 

Pasquin. 
Peste  !  qu'elle  est  dodue  ! 
A  ce  charmant  objet  je  me  sens  l'âme  émue. 

(//  ouvre  la  bourse  et  en  tire  quelques  pièces.) 
Le  Comte,  le  surprenant. 
Que  fais-tu? 

Pasquin. 
Je  veux  voir  si  cet  or  est  de  poids. 
Le  Comte,  lui  reprenant  la  bourse. 
Vous  êtes  curieux. 

(//  fait  plusieurs  signes,  et,  à  mesure  qu'il  les  fait, 
ses  laquais  le  servent.  Deux  approchent  la  table , 
deux  autres  un  fauteuil;  le  cinquième  apporte  une 
écritoire  et  des  plumes,  et  le  sixième  du  papier  ; 
ensuite  il  se  met  à  écrire.  ) 
Pasquin. 
Monsieur,  je  puis,  je  crois, 
Sans  manquer  au  respect,  vous  donner  cette  lettre 
Que  pour  vous  à  l'instant  on  vient  de  me  remettre. 
Le  Comte,  continuant  d'écrire  après  l'avoir  prise. 
Ah!  c'est  du  petit  duc? 

Pasquin. 
Non,  un  homme  est  venu... 
Le  Comte. 
C'est  donc  de  la  princesse... 

Pasquin. 

Elle  est  d'un  inconnu 
Qui  ne  se  nomme  pas. 

Le  Comte. 
Et  qui  vous  l'a  remise? 


58  LE    GLORIEUX 

Pasquin. 
Un  laquais  mal  vêtu... 

Le  Comte,  lui  jetant  la  lettre. 

C'est  assez;  qu'on  la  lise, 
Et  qu'on  m'en  rende  compte.  Entendez-vous? 
Pasquin. 

J'entens. 
{Il  Ut  la  lettre  bas.) 
Le  Comte,  toujours  écrivant. 
Monsieur  Pasquin? 

Pasquin. 
Monsieur. 
Le  Comte. 

Faites  sortir  mes  gens. 
Pasquin,  d'un  air  suffisant. 

Sortez. 

La  Fleur,  au  Comte. 
Monsieur... 

Le  Comte. 
Comment? 
La  Fleur. 

Oserois-je  vous  dire  ?. . . 
Le  Comte. 
11  me  parle,  je  crois!  Holà!  qu'il  se  retire. 
Qu'on  lui  donne  congé. 

Pasquin  ,  à  La  Fleur. 

Je  te  l'avois  prédit. 
Va-t'en,  je  tâcherai  de  lui  calmer  l'esprit. 


ACTE    II,    SCÈNE    XI  Sg 

SCÈNE   XI. 
LE    COMTE,    PASQUIN. 

[Le  Comte  relit  ce  qu'il  a  écrit,  et  Pasquin  lit  la  lettre.) 

Le  Comte,  après  avoir  lu  ce  quil  ccrivoit. 
Tu  ne  partiras  point;  et  c'est  une  bassesse 
Dans  les  gens  de  mon  rang  d'outrer  la  politesse. 
Un  homme  tel  que  moi  se  feroit  déshonneur 
Si  sa  plume  à  quelqu'un  donnoit  du  Monseigneur. 
Non,  mon  petit  seigneur,  vous  n'aurez  pas  la  gloire 
De  gagner  sur  la  mienne  une  telle  victoire. 
Vous  pourriez  m'assurer  un  bonheur  très  complet, 
Mais,  si  c'est  à  ce  prix,  je  suis  votre  valet. 

(//  déchire  la  lettre.  ) 
Ote-moi  cette  table.  Eh  bien,  que  dit  l'épître  ? 

Pasquin. 
Elle  roule,  Monsieur,  sur  un  certain  chapitre 
Qui  ne  vous  plaira  point. 

Le  Comte. 

Pourquoi  donc?  Lis  toujours. 
Pasquin. 
Vous  me  l'ordonnez,  mais... 

Le  Comte. 

Oh!  trêve  de  discours. 
Pasquin  lit. 
Celui  qui  vous  écrit... 


6o  LE    GLORIEUX 

Le  Comte. 

Qui  vous  écrit!  Le  style 
Est  familier. 

Pasquin. 

Il  va  vous  échauffer  la  bile. 
[Il  lit.) 
Celui  qui  vous  écrit,  s' intéressant  à  vous, 
Monsieur,  vous  avertit  sans  crainte  et  sans  scrupule 
Que  par  vos  procédés,  dont  il  est  en  courroux, 
Vous  vous  rendez  très  ridicule. 
Le  Comte,  se  levant  brusquement. 
Si  je  tenois  le  fat  qui  m'ose  écrire  ainsi... 

Pasq_uin. 
Poursuivrai-je? 

Le  Comte. 
Oui,  voyons  la  fin  de  tout  ceci. 
Pasquin  lit. 
Vous  ne  manquez  pas  de  mérite. 
Mais... 

Le  Comte. 
Vous  ne  manquez  pas!  Ah  !  vraiment  je  le  croi. 
Bel  éloge!  en  parlant  d'un  homme  tel  que  moi. 
Pasquin  lit. 
Vous  ne  manquez  pas  de  mérite, 
Mais,  bien  loin  de  vous  croire  un  prodige  étonnant, 
Apprenez  que  chacun  s'irrite 
De  votre  orgueil  impertinent. 
Le  Comte,  donnant  un  soufflet  à  Pasquin. 
Comment,  maraud?... 


ACTE    II,    SCÈNE    XI  6i 

Pasquin.  ^ 

Fort  bien,  le  trait  est  impayable, 
De  ce  qu'on  vous  écrit  suis-je  donc  responsable? 
Au  diable  l'écrivain  avec  ses  vérités! 

(7/  jette  la  lettre  sur  la  table.) 
Le  Comte. 
Ah!  je  vous  apprendrai... 

Pasquin. 

Quoi!  vous  me  maltraitez 
Pour  les  fautes  d'autrui?  Si  jamais  je  m'avise 
D'être  votre  lecteur... 

Le  Comte,  lui  donnant  sa  bourse. 

Faut-il  que  je  vous  dise 
Une  seconde  fois  de  serrer  cet  argent? 
Tenez,  voilà  ma  clef,  et  soyez  diligent. 

Pasquin  va  et  revient. 
Savez-vous  à  combien  cette  somme  se  monte? 

Le  Comte. 
Non,  pas  exactement. 

Pasquin. 

Je  vous  en  rendrai  compte. 
{A  part.) 
Je  m'en  vais  du  soufflet  me  payer  par  mes  mains. 

SCÈNE    XII. 
LE    COMTE,    seul. 

Puissé-je  devenir  le  plus  vil  des  humains, 
Si  j'épargne  celui  qui  m'a  fait  cette  injure! 


62  LE    GLORIEUX 

Voyons  si  je  pourrois  connoîtie  l'écriture. 

{Il  l^t-) 
L'ami  de  qui  vous  vient  cette  utile  leçon 
Emprunte  une  main  étrangère; 
{Haut.)  Il  fait  fort  bien. 

Mais  i7  ne  vous  cache  son  nom 
Que  pour  donner  le  temps  à  votre  âme  trop  fière 

De  se  prêter  à  la  seule  raison  ; 
Et  lui-même,  ce  soir,  il  viendra  sans  façon 
Vous  demander  si  votre  humeur  altière 
Aura  baissé  de  quelque  ton. 

[Il  jette  le  billet.) 
Voilà,  sur  ma  parole,  un  hardi  personnage; 
S'il  vient,  il  payera  cher  un  si  sensible  outrage. 
Qui  peut  m'avoir  écrit  ce  libelle  outrageant? 
Plus  j'y  pense... 

SCÈNE  XIII. 
LE    COMTE,    PASQUIN. 

Pasquin. 
Monsieur,  j'ai  compté  cet  argent. 
Le  Comte. 
Il  se  monte? 

Pasquin. 
A  trois  cent  cjuatre-vingt-dix  pistoles. 
Le  Comte. 
Mais... 


ACTE   II,    SCÈNE    XIII  63 

Pasquin. 
Si  vous  y  trouvez  seulement  deux  oboles 
De  plus,  je  suis  un  fat. 

Le  Comte. 

Mais  cependant  mon  gain 
Montoit  à  quatre  cens,  et  j'en  suis  très  certain. 

P.-VSQUIN. 

C'est  vous  qui  vous  trompez,  ou  c'est  moi  qui  vous  trompe  ; 
Et  vous  ne  pensez  pas  que  l'argent  me  corrompe? 

Le  Comte. 
Monsieur  Pasquin? 

Pasquin. 
Monsieur. 
Le  Comte, 

Vous  êtes  un  fripon. 
Pasquin. 
Je  vous  respecte  trop  p6ur  vous  dire  que  non; 
Mais... 

Le  Comte. 
Brisons  là-dessus. 

Pasquin. 

Oui.  Parlons  d'Isabelle. 
Vous  vous  refroidissez,  ce  me  semble,  pour  elle. 
Elle  s'en  plaint,  du  moins. 

Le  Comte. 
'  Elle  sait  mon  amour. 

J'ai  parlé,  c'est  assez. 

Pasquin. 

Son  père  est  de  retour. 


64  LE    GLORIEUX 

Le  Comte. 
C'est  à  lui  de  venir  et  de  m'offrir  sa  fille. 

Pasquin, 
Ah!  Monsieur!  vous  voulez  qu'un  père  de  famille 
Fasse  les  premiers  pas? 

Le  Comte. 
*       Oui,  Monsieur,  je  le  veux. 
Un  homme  de  mon  rang  doit  tout  exiger  d'eux. 

Pasquin, 
Prenez  une  manière  un  peu  moins  dédaigneuse  : 
Car  Lisette  m'a  dit... 

Le  Comte. 
Petite  raisonneuse 
Qui  veut  parler  sur  tout,  et  ne  dit  jamais  rien. 

Pasquin. 
Pour  une  raisonneuse,  elle  raisonne  bien. 

Le  Comte. 
Et  que  dit-elle  donc? 

Pasquin, 

Elle  dit  qu'Isabelle 
A  pour  les  glorieux  une  haine  mortelle. 

Le  Comte,  se  levant. 
Que  dites-vous? 

Pasquin, 
Moi?  rien.  C'est  Lisette.  J'espère... 
Le  Comte. 
On  vient;  voyez  qui  c'est. 

Pasquin. 

Ma  foi,  c'est  le  beau-père. 


ACTE    II,   SCÈNE    XHI  65 

Le  Comte. 
J'étois  bien  assuré  qu'il  feroit  son  devoir. 

Pasquin. 
Il  faudroit  vous  lever  pour  l'aller  recevoir. 

Le  Comte. 
Je  crois  que  ce  coquin  prétend  m'apprendre  à  vivre. 
Allez,  faites-le  entrer,  et  moi,  je  vais  vous  suivre, 

SCÈNE    XIV. 
LE    COMTE,    LISIMON,    PASQUIN. 

Lisi.MON,  à  Pasquin. 
Le  comte  de  Tufière  est-il  ici,  mon  cœur? 

Pasquin. 
Oui,  Monsieur,  le  voici. 

[Le  Comte  se  lève  nonchalamment  et  fait  un  pas 
au-devant  de  Lisimon  qui  l'embrasse.) 

LiSIMON. 

Cher  Comte,  serviteur. 
Le  Comte,  à  Pasquin. 
Cher  Comte!  Nous  voilà  grands  amis,  ce  me  semble. 

Lisimon. 
Ma  foi,  je  suis  ravi  que  nous  logions  ensemble. 

Le  Comte,  froidement. 
J'en  suis  fort  aise  aussi. 

Lisimon.- 
Parbleu!  nous  boirons  bien. 
Vous  buvez  sec,  dit-on;  moi,  je  n'y  laisse  rien. 
Je  suis  impatient  de  vous  verser  rasade, 

le  Glorkux.  9 


66  LEGLORIEUX 

Et  ce  sera  bientôt.  Mais  êtes-vous  malade? 
A  votre  froide  mine,  à  votre  sombre  accueil... 

Le  Comte,  à  Pasquin  qui  présente  un  siège. 
Faites  asseoir  monsieur...  Non,  offrez  le  fauteuil. 
Il  ne  le  prendra  pas,  mais... 

LiSIMON. 

Je  vous  fais  excuse, 
Puisque  vous  me  l'offrez,  trouvez  bon  que  j'en  use. 
Que  je  m'étale  aussi  :  car  je  suis  sans  façon. 
Mon  cher,  et  cela  doit  vous  servir  de  leçon. 
Et  je  veux  qu'entre  nous  toute  cérémonie. 
Dès  ce  même  moment,  pour  jamais  soit  bannie. 
Oh  çà,  mon  cher  garçon,  veux-tu  venir  chez  moi? 
Nous  serons  tous  ravis  de  dîner  avec  toi. 

Le  Comte. 
Me  parlez-vous.  Monsieur? 

LiSIMON. 

A  qui  donc,  je  te  prie? 
A  Pasquin? 

Le  Comte. 
Je  l'ai  cru. 

LiSIMON. 

Tout  de  bon?  Je  parie 
Qu'un  peu  de  vanité  t'a  fait  croire  cela? 

Le  Comte. 
Non,  mais  je  suis  peu  fait  à  ces  manières-là. 

LiSIMON. 

Oh  bien!  tu  t'y  feras,  mon  enfant.  Sur  les  tiennes, 
A  mon  âge,  crois-tu  que  je  forme  les  miennes? 


ACTE    II,    SCÈNE    XIV  67 

Le  Comte. 
Vous  aurez  la  bonté  d'y  faire  vos  efforts. 

LlSlMON. 

Tiens,  chez  moi  le  dedans  gouverne  le  dehors. 
Je  suis  franc. 

Le  Comte.     .  | 
Quant  à  moi,  j'aime  lî  politesse. 

LiSIMON. 

Moi,  je  ne  l'aime  point,  car  c'est  une  traîtresse 
Qui  fait  dire  souvent  ce  qu'on  ne  pense  pas. 
Je  hais,  je  fuis  ces  gens  qui  font  les  délicats, 
Dont  la  fière  grandeur  d'un  rien  se  formalise. 
Et  qui  craint  qu'avec  elle  on  ne  familiarise; 
Et  ma  maxime,  à  moi,  c'est  qu'entre  bons  amis 
Certains  petits  écarts  doivent  être  permis. 

Le  Comte. 
D'amis  avec  amis  on  fait  la  différence. 

LiSIMON. 

Pour  moi,  je  n'en  fais  point. 

Le  Comte. 

Les  gens  de  ma  naissance 
Sont  un  peu  délicats  sur  les  distinctions. 
Et  je  ne  suis  ami  qu'à  ces  conditions. 

LiSIMON. 

Ouais  !  Vous  le  prenez  haut.  Écoute,  mon  cher  Comte, 
Si  tu  fais  tant  le  fier,  ce  n'est  pas  là  mon  compte. 
Ma  fille  te  plaît  fort,  à  ce  que  l'on  m'a  dit  : 
Elle  est  riche,  elle  est  belle,  elle  a  beaucoup  d'esprit; 
Tu  lui  plais;  j'y  souscris  du  meilleur  de  mon  âme, 
D'autant  plus  que  par  là  je  contredis  ma  femme, 


68  LE    GLORIEUX 

Qui  voudroit  m'engendrer  d'un  grand  complimenteur, 
Qui  ne  dit  pas  un  mot  sans  dire  une  fadeur. 
Mais  aussi,  si  tu  veux  que  je  sois  ton  beau-père, 
Il  faut  baisser  d'un  cran  et  changer  de  manière, 
Ou  sinon,  marché  nul. 

Le  Comte,  à  Pasquin,  se  levant  brusquement. 

Je  vais  le  prendre  au  mot. 

Pasquin. 

Vous  en  mordrez  vos  doigts,  ou  je  ne  suis  qu'un  sot. 

Pour  un  faux  point  d'honneur  perdre  votre  fortune? 

Le  Comte. 
Mais  si... 

LiSIMON. 

Toute  contrainte,  en  un  mot,  m'importune. 
L'heure  du  dîner  presse,  allons,  veux-tu  venir? 
Nous  aurons  le  loisir  de  nous  entretenir 
Sur  nos  arrangemens;  mais  commençons  par  boire. 
Grand  soif,  bon  appétit,  et  surtout  point  de  gloire. 
C'est  ma  devise.  On  est  à  son  aise  chez  moi, 
Et  vivre  comme  ot  veut,  c'est  notre  unique  loi. 
Viens,  et,  sans  te  gourmer  avec  moi  de  la  sorte, 
Laisse  en  entrant  chez  nous  ta  grandeur  à  la  porte. 

SCÈNE  XV. 
PASQUIN,   seul. 

Voilà  mon  glorieux  bien  tombé!  Sa  hauteur 
Avoit,  ma  foi,  besoin  d'un  pareil  précepteur. 
Et,  si  cet  homme-là  ne  le  rend  pas  traitable, 
Il  faut  que  son  orgueil  soit  un  mal  incurable. 


ACTE    III 


SCÈNE    PREMIÈRE 
LE    COMTE,    PASQUIN. 


Le  Comte. 

OUI,  quoiqu'â  mes  valets  je  parle  rarement, 
Je  veux  bien  en  secret  m'abaisser  un  moment, 
Et  descendre  avec  toi  jusqu'à  la  confiance. 
De  ton  attachement  j'ai  fait  l'expérience; 
Je  te  vois  attentif  à  tous  mes  intérêts. 
Et  tu  seras  charmé  d'apprendre  mes  progrès. 

Pasquin. 
Je  vois  que  vous  avez  empaumé  le  beau-père. 

Le  Comte. 
Il  m'adore  à  présent. 

Pasquin. 
J'en  suis  ravi. 
Le  Comte. 

J'espère 
Que  me  connoissant  mieux  il  me  respectera, 
Et  je  te  garantis  qu'il  se  corrigera. 


7° 


LE    GLORIEUX 


Pasquin. 
Du  moins  pour  le  gagner  vous  avez  fait  merveilles, 
Et  vous  avez  vidé  presque  vos  deux  bouteilles 
Avec  tant  de  sang-froid  et  d'intrépidité 
Que  le  futur  beau-père  en  étoit  enchanté. 

Le  Comte. 
Il  vient  de  me  jurer  que  je  serois  son  gendre; 
Sa  fille  étoit  ravie,  et  me  faisoit  entendre 
Combien  à  ce  discours  son  cœur  prenoit  de  part; 
Et  moi,  j'ai  bien  voulu,  par  un  tendre  regard, 
Partager  le  plaisir  qu'elle  laissoit  paroître. 

Pasquin. 
Quel  excès  de  bonté! 

Le  Comte. 

Si  son  père  est  le  maître, 
L'affaire  ira  grand  train.  Par  mon  air  de  grandeur 
J'ai  frappé  le  bonhomme;  il  contraint  son  humeur, 
Et  n'ose  presque  plus  me  tutoyer. 
Pasquin. 

Cet  homme 
Sent  ce  que  vous  valez  ;  mais  je  veux  qu'on  m'assomme 
Si  vous  venez  à  bout  de  le  rendre  poli. 

Le  Comte. 
D'où  vient? 

Pasquin. 
C'est  qu'il  est  vieux  et  qu'il  a  pris  son  pli. 
D'ailleurs,  il  compte  fort  que  sa  richesse  immense 
Est  du  moins  comparable  à  la  haute  naissance. 

Le  Comte. 
Il  veut  le  faire  croire,  et  pourtant  n'en  croit  rien. 


ACTE    III,    SCÈNE    I  7,1 

Je  vois  clair;  je  suis  sûr  que,  malgré  tout  son  bien, 

Il  sent  qu'il  a  besoin  de  se  donner  du  lustre, 

Et  d'acheter  l'éclat  d'une  alliance  illustre. 

De  ces  hommes  nouveaux  c'est  là  l'ambition. 

L'avarice  est  d'abord  leur  grande  passion; 

Mais  ils  changent  d'objet  dès  qu'elle  est  satisfaite, 

Et  courent  les  honneurs  quand  la  fortune  est  faite. 

Lisimon,  nouveau  noble  et  fils  d'un  père  heureux 

Qui,  le  comblant  de  biens,  n'a  pu  combler  ses  vœux. 

Souhaite  de  s'enter  sur  la  vieille  noblesse; 

Et  sa  fille,  sans  doute,  a  la  même  foiblesse. 

Un  homme  tel  que  moi  flatte  leur  vanité; 

Et  c'est  là  ce  qui  doit  redoubler  ma  fierté. 

Je  veux  me  prévaloir  du  droit  de  ma  naissance; 

Et,  pour  les  amener  à  l'humble  déférence 

Qu'ils  doivent  à  mon  sang,  je  vais  dans  le  discours 

Leur  donner  à  penser  que  mon  père  est  toujours 

Dans  cet  état  brillant,  superbe  et  magnifique 

Qui  soutint  si  longtemps  notre  noblesse  antique. 

Et  leur  persuader  que,  par  rapport  au  bien 

Qui  fait  tout  leur  orgueil,  je  ne  leur  cède  en  rien. 

Pasquin. 
Mais  ne  pourront-ils  point  découvrir  le  contraire? 
Car  un  vieux  serviteur  de  monsieur  votre  père 
Autrefois  m'a  conté  les  cruels  accidens 
Qui  lui  sont  arrivés,  et  peut-être... 
Le  Comte. 

Le  temps 
Les  a  fait  oublier.  D'ailleurs  notre  province, 
Où  mon  père  autrefois  tenoit  l'état  d'un  prince, 


72 


LE    GLORIEUX 


Est  si  loin  de  Paris  qu'à  coup  sûr  ces  gens-ci 
De  nos  adversités  n'ont  rien  su  jusqu'ici, 
Si  ta  discrétion... 

Pasquin. 
Croyez... 
Le  Comte. 
'  Point  de  harangue; 

Les  effets  parleront. 

Pasquin. 
Disposez  de  ma  langue. 
Je  la  gouvernerai  tout  comme  il  vous  plaira. 

Le  Comte. 
Sur  l'état  de  mes  biens  on  t'interrogera. 
Sans  entrer  en  détail,  réponds  en  assurance 
Que  ma  fortune  au  moins  égale  ma  naissance  : 
A  Lisette  surtout  persuade-le  bien. 
Pour  établir  ce  fait  c'est  le  plus  sûr  moyen  : 
Car  elle  a  du  crédit  sur  toute  la  famille. 

Pasquin. 
Ma  foi,  vous  devriez  ménager  cette  fille. 
Elle  vous  veut  du  bien,  à  ce  qu'elle  m'a  dit. 

Le  Comte. 
D'une  suivante,  moi,  ménagerie  crédit! 
J'aurois  trop  à  rougir  d'une  telle  bassesse. 
Près  d'elle,  j'y  consens,  fais  agir  ton  adresse, 
Sans  dire  que  ce  soit  de  concert  avec  moi; 
J'approuve  ce  commerce,  il  convient  d'elle  à  toi. 
On  vient,  sors,  et  surtout  fais  bien  ton  personnag 

Pasquin. 
Oh!  quand  il  faut  mentir  nous  avons  du  courage. 


ACTE    III,    SCÈNE    II  7S 

SCÈNE    II. 
ISABELLE,    LE    COMTE,    LISETTE. 

Isabelle. 
Je  vous  trouve  à  propos,  et  mon  père  veut  bien 
Que  nous  ayons  tous  deux  un  moment  d'entretien. 
Il  me  destine  à  vous;  l'affaire  est  sérieuse. 

Le  Comte. 
Et  j'ose  me  flatter  qu'elle  n'est  pas  douteuse; 
Que  par  vous  mon  bonheur  me  sera  confirmé; 
J'aspire  à  votre  main;  mais  je  veux  être  aimé. 
A  ce  bonheur  parfait  oserois-je  prétendre? 
C'est  un  charmant  aveu  que  je  brûle  d'entendre. 

Lisette. 
Je  sais  ce  qu'elle  pense,  et  je  crois  qu'en  effet 
Vous  avez  lieu.  Monsieur,  d'en  être  satisfait. 
Le  Comte,  à  Isabelle,  après  avoir  regardé 
dédaigneusement  Lisette. 
Eh!  faites-moi  l'honneur  de  répondre  vous-même. 

Lisette. 
Une  fille,  Monsieur,  ne  dit  point  :  «  Je  vous  aime  »; 
Mais  garder  le  silence  en  cette  occasion, 
C'est  assez  bien  répondre  à  votre  question. 

Le  Comte,  à  Isabelle. 
Ne  parlez-vous  jamais  que  par  une  interprète? 

Isabelle. 
Comme  elle  est  mon  amie,  et  qu'elle  est  très  discrète... 

10 


74  LE    GLORIEUX 

Le  Comte. 
Votre  amie? 

Isabelle. 
Oui,  Monsieur. 

Le  Comte. 

Cette  fille  est  à  vous, 
Ce  me  semble? 

Isabelle. 
Il  est  vrai  ;  mais  ne  m'est-il  pas  doux 
D'avoir  en  sa  personne  une  compagne  aimable, 
Dont  la  société  rend  ma  vie  agréable? 

Le  Comte. 
Quoi!  Lisette  avec  vous  est  en  société? 
Je  ne  vous  croyois  pas  cet  excès  de  bonté. 

Isabelle. 
Et  pourquoi  non,  Monsieur? 

Le  Comte. 

Chacun  a  sa  manière 
De  penser,  mais  pour  moi... 

Lisette,  à  part. 

Le  comte  de  Tufière 
Est  un  franc  glorieux;  on  me  l'avoit  bien  dit. 

Isabelle. 
Je  lui  trouve  un  bon  cœur  joint  avec  de  l'esprit, 
De  la  sincérité,  de  l'amitié,  du  zèle, 
Et  je  ne  puis  avoir  trop  de  retour  pour  elle  : 
Car  enfin... 

Le  Comte. 
Votre  père  a-t-il  fixé  le  jour 
Où  je  dois  recevoir  le  prix  de  mon  amour? 


ACTE    m,    SCÈNE    II  75 

Isabelle. 
Vous  allez  un  peu  vite,  et  nous  devons  peut-être 
Avant  le  mariage  un  peu  mieux  nous  connoître; 
Examiner  à  fond  quels  sont  nos  sentimens, 
Et  ne  pas  nous  fier  aux  premiers  mouvemens. 
C'est  peu  qu'à  nous  unir  le  penchant  nous  anime, 
Il  faut  que  ce  penchant  soit  fondé  sur  l'estime, 
Et... 

Le  Comte. 
J'attendois  de  vous,  à  parler  franchement, 
Moins  de  précaution  et  plus  d'empressement. 
Je  crojois  mériter  que  d'une  ardeur  sincère 
Votre  cœur  appuyât  l'aveu  de  votre  père, 
Et  que,  sur  votre  hymen  me  voyant  vous  presser, 
Vous  me  fissiez  l'honneur  de  ne  pas  balancer 

Isabelle. 
Moi,  j'ai  cru  mériter  que,  du  moins  pour  ma  gloire. 
Vous  me  fissiez  l'honneur  de  ne  pas  tant  vous  croire; 
Que,  de  votre  personne  osant  moins  présumer. 
Vous  parussiez  moins  sûr  que  l'on  dût  vous  aimer; 
Et  ce  doute  obligeant,  qui  ne  pourroit  vous  nuire, 
Calmeroit  un  soupçon  que  je  voudrois  détruire. 

Le  Comte. 
Quel  soupçon,  s'il  vous  plaît? 
Isabelle. 

Le  soupçon  d'un  défaut 
Dont  l'effet  contre  vous  n'agiroit  que  trop  tôt. 


^ 


76  LE    GLORIEUX 

SCÈNE      III. 

ISABELLE,   LE   COMTE,  VALÈRE,    LISETTE. 

Valère. 
Dois-je  croire,  ma  sœur,  ce  qu'on  vient  (Lé  m'apprendre  i 

Isabelle. 
Quoi? 

Valère. 
Que  vous  épousez  monsieur. 
Le  Comte. 

J'ose  m'attendre, 
Monsieur,  que  son  dessein  aura  votre  agrément. 

Valère. 
Je  crois... 

Le  Comte.  ^ 

Et  vous  pouvez  m'en  faire  compliment. 
(//  vtul  sortir.) 
J'en  serai  très  flatté.  Je  rejoins  votre  père, 
Pour  lui  donner  parole  et  conclure  l'affaire. 

Valère. 
Vous  pourrez  y  trouver  quelque  difficulté. 

Le  Comte. 
Moi,  Monsieur? 

Valère. 
J'en  ai  peur. 
Le  Comte. 

Aurez-vous  la  bonté 
De  me  faire  savoir  qui  peut  la  faire  naître? 
Qui  me  traversera? 


ACTE    III,    SCÈNE    III  77 

Valère. 
Mais...  ma  mère,  peut-être. 
Le  Comte. 


Votr 


Valère. 
Oui,  Monsieur. 

Le  Comte  ,  riant. 

Cela  seroit  plaisant. 
Isabelle,   bas  à  Lisette. 
Il  prend  avec  mon  frère  un  ton  bien  suffisant. 

Le  Comte. 
Elle  ne  sait  donc  pas  que  j'adore  Isabelle, 
Et  qu'un  ami  commun  m'a  proposé  pour  elle? 

Valère. 
Pardonnez-moi,  Monsieur. 

Le  Comte. 

Vous  m'étonnez. 
Valère. 

Pourquoi? 
Le  Comte. 
C'est  que  j'avois  compté  qu'elle  seroit  pour  moi. 
J'avois  imaginé  que  mon  rang,  ma  naissance, 
Méritoient  des  égards  et  de  la  déférence; 
Que  bien  d'autres  raisons  que  je  pourrois  citer, 
Si  j'étois  assez  vain  pour  oser  me  vanter, 
Feroient  pencher  pour  moi  madame  votre  mère. 
Mais  je  me  suis  trompé,  je  le  vois  bien.  Qu'y  faire? 
Peut-être  en  ma  faveur  suis-je  trop  prévenu. 
Oui,  j'ai  quelque  défaut  qui  ne  m'est  pas  connu, 


7?  LE    GLORIEUX 

Et,  loin  que  le  mépris  et  m'offense  et  m'irrite, 
Je  ne  m'en  prends  jamais  qu'à  mon  peu  de  mérite 

Valère. 
Qui,  nous,  vous  mépriser?  En  recherchant  ma  sœur, 
Certainement,  Monsieur,  vous  nous  faites  honneur. 

Le  Comte,  avec  un  sourire  dédaigneux. 
Ah  !  mon  Dieu,  point  du  tout. 

Valère. 

Mais,  à  parler  sans  feinte, 
Depuis  assez  longtemps  ma  mère  est  pour  Philinte; 
Elle  a  même  avec  lui  quelques  engagemens, 
Et  l'amitié,  l'estime,  en  sont  les  fondemens. 

Le  Comte,  d'un  ton  railleur. 
Oh!  je  le  crois.  Philinte  est  un  homme  admirable. 

Valère. 
Non,  mais,  à  dire  vrai,  c'est  un  homme  estimable; 
Quoiqu'il  ne  soit  plus  jeune,  il  peut  se  faire  aimer; 
Et,  riche  sans  orgueil... 

Le  Comte. 

Vous  allez  m'alarmer 
Par  le  portrait  brillant  que  vous  en  voulez  faire. 
Je  commence  à  sentir  que  je  suis  téméraire 
D'entrer  en  concurrence  avec  un  tel  rival. 
Quoiqu'il  soit,  m'a-t-on  dit,  un  franc  original. 
Oui,  oui,  j'ouvre  les  jeux.  Ma  figure,  mon  âge, 
Tout  ce  qu'on  vante  en  moi  n'est  qu'un  foible  avantage. 
Sitôt  qu'avec  Philinte  on  veut  me  comparer, 
Et  c'est  lui  faire  tort  que  de  délibérer. 

Lisette,  à  Isabelle. 
Quoi!  n'admirez-vous  pas  cette  humble  repartie? 


ACTE    III,    SCÈNE    III  79 

Isabelle. 
Je  n'en  suis  point  la  dupe,  et  cette  modestie 
N'est,  selon  mon  avis,  qu'un  orgueil  déguisé. 

Le  Comte,   à  Isabelle. 
Madame,  en  vain  pour  vous  je  m'étois  proposé. 
Mon  ardeur  est  trop  vive  et  trop  peu  circonspecte; 
On  m'oppose  un  rival  qu'il  faut  que  je  respecte. 

Isabelle,   en  souriant. 
Philinte  du  respect  veut  bien  vous  dispenser. 

Le  Comte,  faisant  la  révérence. 
Il  me  fait  trop  d'honneur. 

Valère. 

Mais,  sans  vous  offenser, 
Il  a  cent  qualités  respectables.  Du  reste, 
Plus  on  veut  l'en  convaincre,  et  plus  il  est  modeste. 
Il  se  tait  sur  son  rang,  sur  sa  condition. 

Le  Comte. 
Et  fait  très  sagement  :  car,  sans  prévention, 
Il  auroit  un  peu  tort  de  vanter  sa  naissance. 

Valère. 
Il  est  bien  gentilhomme. 

Le  Comte. 

On  a  la  complaisance 
De  le  croire. 

Valère. 
Et  de  plus  il  le  prouve. 
Le  Comte. 

Ma  foi. 
C'est  tout  ce  qu'il  peut  faire.  A  des  gens  tels  que  moi, 
Ce  n'est  pas  là-dessus  que  l'on  en  fait  accroire, 


8o  LE    GLORIEUX 

Et  j'ose  me  vanter,  sans  me  donner  de  gloire, 
Car  je  suis  ennemi  de  la  présomption, 
Que,  si  Philinte  étoit  d'une  condition 
Et  de  quelque  famille  un  peu  considérable. 
Nous  n'aurions  pas  sur  lui  de  dispute  semblable, 
Et  que  bien  sûrement  il  me  seroit  connu. 
Mais  son  nom  jusqu'ici  ne  m'est  pas  parvenu; 
Preuve  que  sa  noblesse  est  de  nouvelle  date. 

Valère. 
C'est  ce  qu'on  ne  dit  pas  dans  le  monde. 

Le  Comte. 

On  le  flatte. 
Par  exemple,  Monsieur,  vous  connoissiez  mon  nom 
Avant  de  m'avoir  vu. 

Valère. 

Je  vous  jure  que  non. 

Le  Comte. 
Tant  pis  pour  vous.  Monsieur  :  car  le  nom  de  Tufière 
Nous  ne  le  prenons  pas  d'une  gentilhommière, 
Mais  d'un  château  fameux.  L'histoire  en  cent  endroits 
Parle  de  mes  aïeux  et  vante  leurs  exploits. 
Daignez  la  parcourir,  vous  verrez  qui  nous  sommes, 
Et  qu'entre  mes  vassaux  j'ai  trois  cents  gentilshommes 
Plus  nobles  que  Philinte. 

Valère. 

Ah!  Monsieur,  je  le  croi. 

Le  Comte. 
Les  gens  de  qualité  le  savent  mieux  que  moi. 
Pour  moi,  je  n''en  dis  rien,  il  faut  être  modeste. 


ACTE    III,    SCÈNE    III  8i 

Valère. 
C'est  très  bien  fait  à  vous.  L'orgueil... 
Le  Comte. 

Je  le  déteste. 
Les  grands  perdent  toujours  à  se  glorifier, 
Et  rien  ne  leur  sied  mieux  que  de  s'humilier. 
Vous  sortez? 

Valère. 
Oui,  Monsieur,  je  quitte  la  partie, 
Et  je  sors  enchanté  de  votre  modestie. 

Le  Comte,  lui  touchant  dans  la  main. 
Sommes-nous  bons  amis? 

Valère, 

Ce  m'est  bien  de  l'honneur. 
Et  je... 

Le  Comte, 
Parbleu,  je  suis  votre  humble  serviteur. 
Si  vous  voyez  Philinte,  engagez-le,  de  grâce, 
A  ne  pas  m'obliger  à  lui  céder  la  place. 
Il  fera  beaucoup  mieux,  s'il  renonce  à  l'espoir 
D'épouser  votre  sœur  et  cesse  de  la  voir. 
Dites-lui  que  je  crois  qu'il  aura  la  piudence 
De  ne  me  pas  porter  à  quelque  violence  : 
Car,  je  vous  le  déclare  en  termes  très  exprès, 
S'il  l'emportoit  sur  moi,  nous  nous  verrions  de  près. 

Valère. 
A  cet  égard.  Monsieur,  je  ne  puis  rien  vous  dire, 
Mais  j'entends  ce  discours,  et  je  vais  l'en  instruire. 


Le  Glorieux. 


82  LE    GLORIEUX 

SCÈNE    IV. 
ISABELLE,    LE    COMTE,    LISETTE. 

Isabelle. 
Vous  traitez  vos  rivaux  avec  bien  du  mépris! 

Le  Comte. 
Personne,  selon  moi,  n'en  doit  être  surpris. 
Je  n'ai  pas  de  fierté;  mais,  à  parler  sans  feinte, 
Je  suis  choqué  de  voir  qu'on  m'oppose  Philinte. 
Un  rival  comme  lui  n'est  pas  fait,  que  je  croi, 
Pour  traverser  les  vœux  d'un  homme  tel  que  moi. 

Isabelle. 
D'un  homme  tel  que  moi!  Ce  terme-là  m'étonne  ; 
Il  me  paroît  bien  fort. 

Le  Comte. 

C'est  selon  la  personne. 
Je  conviens  avec  vous  qu'il  sied  à  peu  de  gens. 
Mais  je  crois  que  l'on  peut  me  le  passer. 

Isabelle. 

J'entens. 
Le  Ciel  vous  a  fait  naître  avec  tant  d'avantage 
Que  tout  le  genre  humain  vous  doit  un  humble  hommage. 

Le  Comte. 
Comment  donc!  d'un  rival  prenez-vous  le  parti? 

Isabelle. 
Non  pas;  mais,  à  présent  que  mon  frère  est  sorti, 
Souffrez  que  je  vous  parle  avec  moins  de  contrainte 
Et  blàme  vos  hauteurs  à  l'égard  de  Philinte. 


acte  iii,  scène  iv  83 

Le  Comte. 
J'en  attendois  de  vous  un  plus  juste  retour, 
Et  ma  vivacité  vous  prouve  mon  amour. 

Isabelle. 
Dites  votre  amour-propre.  Oui,  tout  me  le  fait  croire, 
Vous  avez  moins  d'amour  que  vous  n'avez  de  gloire. 

Le  Comte. 
L'un  et  l'autre  m'anime,  et  la  gloire  que  j'ai 
Soutient  les  intérêts  de  l'amour  outragé. 
Elle  n'a  pu  souffrir  l'indigne  préférence 
Dont  j'étois  menacé,  même  en  votre  présence  : 
Vous  dites  qu'elle  est  fière  et  parle  avec  hauteur. 
Mais  qu'est-ce  que  ma  gloire,  après  tout?  C'est  l'honneur. 
Cet  honneur,  il  est  vrai,  veut  le  respect,  l'estime; 
Mais  il  est  généreux,  sincère,  magnanime; 
Et,  pour  dire  en  deux  mots  quelque  chose  de  plus, 
Il  est  et  fut  toujours  la  source  des  vertus. 

Isabelle. 
Des  effets  de  l'honneur  je  suis  persuadée; 
Mais  a-t-il  de  soi-même  une  si  haute  idée 
Qu'il  la  laisse  éclater  en  propos  fastueux? 
Le  véritable  honneur  est  moins  présomptueux  ; 
Il  ne  se  vante  point,  il  attend  qu'on  le  vante; 
Et  c'est  la  vanité,  qui,  lasse  de  l'attente. 
Et  qui,  fière  des  droits  qu'elle  sait  s'arroger, 
Croit  obtenir  l'estime  en  osant  l'exiger. 
Mais,  loin  d'y  réussir,  elle  offense,  elle  irrite, 
Et  ternit  tout  l'éclat  du  plus  parfait  mérite. 

Le  Comte. 
De  grâce,  à  quel  propos  cette  distinction? 


84  LE    GLORIEUX 

Isabelle. 
Je  vous  laisse  le  soin  de  l'application; 
Et,  de  la  modestie  embrassant  la  défense, 
Je  soutiens  que  par  elle  on  voit  la  différence 
Du  mérite  apparent  au  mérite  parfait.  * 
L'un  veut  toujours  briller,  l'autre  brille  en  effet 
Sans  jamais  y  prétendre,  et  sans  même  le  croire. 
L'un  est  superbe  et  vain,  l'autre  n'a  point  de  gloire. 
Le  faux  aime  le  bruit,  le  vrai  craint  d'éclater; 
L'un  aspire  aux  égards,  l'autre  à  les  mériter. 
Je  dirai  plus.  Les  gens  nés  d'un  sang  respectable 
Doivent  se  distinguer  par  un  esprit  affable, 
Liant,  doux,  prévenant;  au  lieu  que  la  fierté 
Est  l'ordinaire  effet  d'un  éclat  emprunté. 
La  hauteur  est  partout  odieuse,  importune. 
Avec  la  politesse,  un  homme  de  fortune. 
Est  mille  fois  plus  grand  qu'un  grand  toujours  gourmé. 
D'un  limon  précieux  se  présumant  formé, 
Traitant  avec  dédain,  et  même  avec  rudesse, 
Tout  ce  qui  lui  paroît  d'une  moins  noble  espèce; 
Croyant  que  l'on  est  tout  quand  on  est  de  son  sang. 
Et  croyant  qu'on  n'est  rien  au-dessous  de  son  rang. 

Le  Comte. 
Ce  discours  est  fort  beau  ;  mais  que  voulez-vous  dire? 

Isabelle. 
Lisette,  mieux  que  moi,  saura  vous  en  instruire. 
Je  lui  laisse  le  soin  de  vous  interpréter 
Un  discours  qui  paroît  déjà  vous  irriter. 

Le  Comte. 
Non,  de  grâce,  avec  vous  souffrez  que  je  m'explique. 


ACTE    III,   SCÈNE    IV  8 

Cette  fille,  après  tout,  est  votre  domestique; 
Ne  me  commettez  pas. 

Isabelle. 
Quand  vous  la  connoîtrez, 
Des  gens  de  son  état  vous  la  distinguerez, 
Et  vous  me  ferez  voir  une  preuve  fidèle 
De  vos  égards  pour  moi  dans  vos  égards  pour  elle. 
Elle  connoît  à  fond  mon  esprit,  mon  humeur; 
Ecoutez,  profitez,  et  méritez  mon  cœur. 
Adieu. 

SCÈNE  V. 
LE    COMTE,    LISETTE. 

Le  Comte. 
Vous  restez  donc? 

Lisette. 

Excusez  mon  audace, 
Et  soutfrez  une  fois  que  je  me  satisfasse. 
Il  faut  que  je  vous  parle;  on  me  l'ordonne,  et  moi 
J'en  meurs  d'envie  aussi;  mais  je  ne  sais  pourquoi. 

Le  Comte. 
Votre  ton  familier  m'importune  et  me  blesse. 

Lisette. 
Vous  n'êtes  occupé  que  de  votre  noblesse; 
Mais,  en  interprétant  ce  que  l'on  vous  a  dit. 
Quand  on  fait  trop  le  grand,  on  paroît  bien  petit. 

Le  Comte. 
Quoi  !  vous  osez?... 


86  LE    GLORIEUX 

Lisette. 
Oui,  j'ose;  et  votre  erreur  extrême 
Me  force  à  vous  prouver  à  quel  point  je  vous  aime. 
Vous  vous  perdez,  Monsieur. 
Le  Comte. 

Comment  donc,  je  me  perd 

Lisette. 
Votre  orgueil  a  percé.  Vos  hauteurs,  vos  grands  airs, 
Vous  décèlent  d'abord,  malgré  la  politesse 
Dont  vous  les  décorez.  La  gloire  est  bien  traîtresse. 
Le  discours  d'Isabelle  étoit  votre  portrait. 
Et  son  discernement  vous  a  peint  trait  pour  trait. 
Dût  la  gloire  en  souffrir,  je  ne  saurois  me  taire. 
Je  ne  vous  dirai  pas  :  «  Changez  de  caractère  », 
Car  on  n'en  change  point,  je  ne  le  sais  que  trop. 
Chassez  le  naturel,  il  revient  au  galop; 
Mais  du  moins  je  vous  dis  :  «  Songez  à  vous  contraindre, 
Et  devant  Isabelle  efforcez-vous  de  feindre; 
Paroissez  quelque  temps  de  l'humeur  dont  elle  est, 
Et  faites  que  l'orgueil  se  prête  à  l'intérêt.  » 
Voilà  mon  sentiment.  Profitez-en  ou  non, 
Mon  cœur  seul  m'a  dicté  cette  utile  leçon. 
Votre  gloire  irritée  en  paroît  mécontente, 
Je  lui  baise  les  mains,  et  je  suis  sa  servante. 


ACTE    III,    SCÈNE    VI  87 

SCÈNE    VI. 
LE    COMTE,    seul. 

Il  n'est  donc  plus  permis  de  sentir  ce  qu'on  vaut? 
Savoir  tenir  son  rang  passe  ici  pour  défaut? 
Et  ces  petits  bourgeois  traiteront  d'arrogance 
Les  sentimens  qu'inspire  une  haute  naissance? 
Si  je  m'en  croyois...  Non,  je  veux  prendre  sur  moi, 
L'amour  et  l'intérêt  m'en  imposent  la  loi. 
Oui,  devant  Isabelle  il  faudra  me  contraindre. 
Mais  l'indigne  rival  qu'on  veut  me  faire  craindre 
Va  dès  ce  même  instant  me  voir  tel  que  je  suis. 
S'il  m'ose  disputer  l'objet  que  je  poursuis. 
Je  veux  connoître  un  peu  ce  petit  personnage, 
Et  lui  parler  d'un  ton  à  le  rendre  plus  sage. 

SCÈNE    VII. 
LE    COMTE,    PHILINTE. 

Phiunte,  faisant  plusieurs  révérences. 
Je  ne  viens  vous  troubler  dans  vos  réflexions 
Que  pour  vous  assurer  de  mes  soumissions. 
Monsieur.  Depuis  longtemps  je  vous  dois  cet  hommage. 
Et  je  ne  le  saurois  différer  davantage. 

Le  Comte. 
Très  obligé,  Monsieur.  D'où  nous  connoissons-nous? 


88  LE    GLORIEUX 

Philinte. 
Si  je  n'ai  pas  l'honneur  d'être  connu  de  vous, 
J'aurai  bientôt  celui  de  me  faire  connoître. 
Mon  nom  n'impose  pas,  mais...  k 

Le  Comte. 

Cela  peut  bien  être. 
Philinte. 
Tel  qu'il  est,  puisqu'il  faut  qu'il  vous  soit  décliné... 

[En  faisant  une  profonde  révérence.) 
Je  m'appelle  Philinte. 

Le  Comte. 
Oh  !  j'ai  donc  deviné. 
Je  vous  ai  reconnu  d'abord  aux  révérences. 
Philinte,  d'un  air  très  humble. 
Je  ne  puis  vous  marquer  par  trop  de  déférences 
Combien  je  vous  honore. 

Le  Comte. 

Et  vous  avez  raison. 
Mais  de  quoi  s'agit-il?  Parlez-moi  sans  façon. 

Philinte. 
Valère  est  mon  ami,  vous  le  savez,  je  pense. 

Le  Comte. 
Que  m'importe  cela? 

Philinte. 

Tantôt,  en  sa  présence, 
Si  j'en  crois  son  rapport,  et  j'en  suis  peu  surpris, 
Vous  m'avez  honoré...  d'un  assez  grand  mépris. 

Le  Comte. 
Il  vous  exaltoit  fort,  moi,  j'ai  dit  ma  pensée. 
Votre  délicatesse  en  est-elle  blessée  ? 


ACTE    m,    SCÈNE    VII  8< 

Philinte,  faisant  la  révérence. 
Ah  !  Monsieur!  point  du  tout;  je  me  connois;  je  croi 
Qu'on  peut  avec  raison  dire  du  mal  de  moi. 
Mais  on  ajoute  encore,  à  l'égard  d'Isabelle, 
Que  vous  me  défendez  de  revenir  chez  elle. 

Le  Comte. 
Voilà  précisément  ce  que  j'ai  prétendu 
Qu'on  vous  dît. 

Philinte. 
Je  crojois  avoir  mal  entendu. 
Le  Comte. 
Pourquoi? 

Philinte. 
Vous  exigez  un  cruel  sacrifice, 
Et  je  doute  bien  fort  que  je  vous  obéisse. 
Le  Comte,  d'un  air  railleur. 
Vous  en  doutez,  Monsieur? 

Philinte. 

Jamais,  jusqu'à  ce  jour. 
Je  ne  me  suis  senti  si  plein  de  mon  amour. 

Le  Comte. 
Je  vous  en  guérirai. 

Philinte. 
Monsieur,  j'en  désespère. 
Et  j'en  viens  d'assurer  Isabelle  et  sa  mère. 
Le  Comte,  mettant  son  chapeau. 
Et  vous  venez  me  faire  un  pareil  compliment? 

Philinte. 
Avec  confusion,  mais  très  distinctement. 
La  nature,  envers  moi  moins  mère  que  marâtre. 


90  LE    GLORIEUX 

M'a  formé  très  rétif  et  très  opiniâtre, 

Surtout  lorsque  quelqu'un  veut  m'imposer  la  loi. 

Le  Comte. 
L'opiniâtreté  ne  tient  point  contre  moi, 
Je  vous  en  avertis. 
'  Philinte. 

La  mienne  est  bien  mutine. 
Plus  on  lui  fait  la  guerre,  et  plus  elle  s'obstine; 
Et  jamais  la  hauteur  ne  pourra  la  dompter. 

Le  Comte. 
Vous  êtes  bien  hardi  de  venir  m'insulter! 
Un  petit  gentilhomme  ose  avoir  cette  audace? 

Philinte. 
Moi,  Monsieur?  Je  vous  viens  demander  une  grâce. 

Le  Comte. 
Et  c'est? 

Philinte. 
De  m'accorder  le  plaisir  et  l'honneur... 
De  me  couper  la  gorge  avec  vous. 
Le  Comte. 

La  faveur 
Est  bien  grande,  en  effet.  Vous  êtes  téméraire. 
Vous  vous  méconnoissez.  Mais  il  faut  vous  complaire. 
L'honneur  que  vous  avez  d'être  un  de  mes  rivaux 
Va  vous  faire  monter  au  rang  de  mes  égaux. 

Philinte,  d'un  air  railleur,  mettant  ses  gants. 
Je  suis  reconnoissant  de  cette  grâce  insigne. 
Et  je  vais  vous  prouver  que  mon  cœur  en  est  digne. 

Le  Comte. 
Trêve  de  compliment.  Moi,  je  vais  vous  prouver 


ACTE    III,   SCÈNE    VII  91 

Que  l'on  court  un  grand  risque  en  osant  me  braver. 
[Ils  mettent  l'épée  à  la  main.) 

SCÈNE   VIII. 

LE    COMTE,    PHILINTE,    LISIMON. 

LisiMON,  accourant. 
Chez  moi,  morbleu,  chez  moi  faire  un  pareil  vacarme? 
Par  la  mort,  le  premier... 

Philinte. 

Le  respect  me  désarme. 

LiSIMON. 

Ah  !  vous  êtes  mutin,  Monsieur  le  doucereux? 

Philinte. 
Quelquefois. 

Le  Comte. 
Par  bonheur  il  n'est  pas  dangereux. 
Philinte. 
C'est  ce  qu'il  faudra  voir.  Du  moins  je  vous  assure 
Que  de  cette  maison  si  quelqu'un  peut  m'exclure. 
Ce  ne  sera  pas  vous. 

LiSIMON. 

Non,  mais  ce  sera  moi. 
Philinte. 
Je  prends  la  liberté  de  vous  dire... 

LiSIMON. 

Je  croi 
Qu'un  père  de  famille  en  ce  cas  est  le  maître. 


92  LE    GLORIEUX 

Philinte. 
J'en  conviens. 

LiSIMON. 

Et  je  prends  la  liberté  de  l'être, 
En  dépit  de  ma  femme  et  de  ses  adhérens  : 
Si  tu  ne  le  sais  pas,  c'est  moi  qui  te  l'apprens. 
Le  Comte  aime  ma  fille,  il  a  droit  d'y  prétendre; 
J'ai  pris  la  liberté  de  le  choisir  pour  gendre. 
Ma  fille  en  est  d'accord,  et  prend  la  liberté 
De  se  soumettre  en  tout  à  mon  autorité. 
Ainsi,  sans  te  flatter  contre  toute  apparence. 
En  prenant  ton  congé  tire  ta  révérence. 

Philinte. 
J'aurai  l'honneur,  Monsieur,  de  répondre  à  cela 
Que  Madame  n'est  pas  de  ce  sentiment-là. 

LiSIMON. 

Madame  n'en  est  pas?  J'ai  donné  ma  parole. 
Si  pour  me  chicaner  Madame  est  assez  folle, 
Madame  sur-le-champ,  par  le  pouvoir  que  j'ai. 
En  même  temps  que  toi,  recevra  son  congé. 

Philinte. 
J'adore  votre  fille;  et  l'aveu  de  sa  mère 
Me  permet  d'aspirer  au  bonheur  de  lui  plaire. 
Dès  qu'elles  m'excluront,  je  leur  obéirai. 
Jusque-là  j'ai  mes  droits,  et  je  les  soutiendrai. 

(Il  sort.) 


ACTE    III,    SCÈNE    IX  93 

SCÈNE   IX. 
LE    COMTE,    LISIMON. 

.   LiSIMON. 

Quelle  obstination! 

Le  Comte. 
Ceci  vient  de  Valère, 
Et  je  m'en  vengerois  si  vous  n'étiez  son  père. 

LiSIMON. 

Je  veux  le  faire,  moi,  mourir  sous  le  bâton. 
Ou  le  gueux  dès  ce  soir  quittera  ma  maison. 
Il  m'a  joué  d'un  tour...  Eh!  là  là,  patience  ! 

Le  Comte. 
C'est  un  petit  monsieur  rempli  de  suffisance. 

LiSIMON. 

Le  portrait  de  sa  mère,  un  sot,  un  freluquet 
Qui  fait  le  bel  esprit  et  n'a  que  du  caquet. 
Oh  !  la  méchante  femme  !  avec  son  air  affable, 
Composé,  doucereux;  c'est  un  tyran,  un  diable 
De  sang-froid.  Tout  à  l'heure,  en  termes  éloquens, 
Et  tous  bien  de  niveau,  mais  malins  et  piquans, 
Devant  ma  fille  même,  elle  m'a  fait  entendre 
Qu'elle  me  quittera  si  je  vous  prends  pour  gendre; 
Et  moi,  j'ai  répondu  que  j'étois  résigné 
A  souffrir  ce  malheur  dès  qu'elle  auroit  signé; 
Qu'immédiatement  après  sa  signature 
Elle  pourroit  aller  à  sa  bonne  aventure. 
Sur  cela,  force  pleurs,  évanouissement. 


94  LE    GLORIEUX 

Isabelle  et  Lisette  avec  gémissement 
L'ont  vite  secourue,  et,  par  cérémonie, 
Toutes  trois  à  présent  pleurent  de  compagnie  : 
Car  qu'une  femme  pleure,  une  autre  pleurera. 
Et  toutes  pleureront  tant  qu'il  en  surviendra. 

Le  Comte. 
Ainsi  notre  projet  souffre  de  grands  obstacles? 

LiSIMON. 

Pour  en  venir  à  bout  je  ferai  des  miracles. 
Ce  que  j'apprends  de  toi  me  réchauffe  le  cœur. 
Je  ne  te  croyois  pas  un  si  puissant  seigneur. 
Comment,  diable!  Ton  père,  à  ce  que  l'on  m'assure, 
Fait  dans  sa  baronnie  une  noble  figure. 

Le  Comte,  lui  frappant  sur  l'épaule. 
Allez,  mon  cher,  allez,  quand  vous  me  connoîtrez, 
De  vos  tons  familiers  vous  vous  corrigerez; 
Vous  ne  tutoierez  plus  un  gendre  de  ma  sorte. 

LiSIMON. 

Ma  foi,  sans  y  penser  l'habitude  m'emporte, 
Au  cérémonial  enfin  je  me  soumets. 

Le  Comte. 
Me  le  promettez-vous? 

LiSIMON. 

Oui,  je  te  le  promets. 
Va,  tu  seras  content. 

Le  Comte. 

Fort  bien.  Belle  manière 
De  se  corriger! 

LiSIMON.  / 

Oh  !  trêve  à  votre  humeur  fière, 


ACTE    Iir,    SCÈNE    IX  95 

Et  consultons  tous  deux  comment  je  m'y  prendrai 
Pour  finir. 

Le  Comte. 
Le  conseil  que  je  vous  donnerai, 
C'est  de  ne  plus  souffrir  qu'ici  l'on  se  hasarde 
A  dire  son  avis  sur  ce  qui  me  regarde. 
Pour  trancher  en  un  mot  toute  difficulté, 
Sachez  vous  prévaloir  de  votre  autorité. 

LlSlMON. 

Si  vous  vouliez  m'aider... 

Le  Comte. 

Non,  Monsieur,  je  vous  jure. 
Quand  vous  serez  d'accord,  je  suis  prêt  à  conclure. 

SCÈNE   X. 
LISIMON,   seul. 

Il  faut  que  je  sois  bien  possédé  du  démon 

Pour  souffrir  les  hauteurs  d'un  pareil  Rodomon, 

Et  que  l'ambition  m'ait  bien  tourné  la  tête, 

Puisque  dans  mon  dépit  son  empire  m'arrête. 

Je  vais  rompie.  Attendons.  Si  je  prends  ce  parti, 

De  mon  autorité  me  voilà  départi  ; 

Je  ferai  triompher  et  mon  fils  et  ma  femme, 

Et  monsieur,  désormais,  dépendra  de  madame. 

Bel  honneur  que  je  fais  à  messieurs  les  maris! 

Non,  il  n'en  sera  rien.  Le  dépit  m'a  surpris; 

Mais  l'honneur  me  réveille;  il  m'excite  à  combattre, 

Et  je  m'en  vais  pour  lui  faire  le  diable  à  quatre. 


ACTE    IV 


SCÈNE    PREMIÈRE. 

LISETTE,    PASQUIN. 

[Ils  entrent  par  deux  différens  côtés  du  théâtre} 

Pasquin  le  premier,  et  marchant  fort  vite.  ) 

Lisette. 

Quoi!  sans  me  regarder  doubler  ainsi  le  pas? 
Pasquin. 
Ah!  ma  reine,  pardon,  je  ne  vous  voyois  pas. 
Auriez-vous  par  hasard  quelque  chose  à  me  dire? 

Lisette. 
Oui,  sur  de  certains  faits  voudriez-vous  m'instruire? 

Pasquin. 
Le  puis-je? 

Lisette. 
Assurément. 

Pasquin. 
Vous  avez  donc  grand  tort 
D'en  douter. 

Lisette. 
Mais  sur  vous  il  faut  faire  un  effort. 


ACTE    IV,    SCÈNE    I 


97 


Pasquin. 
Vous  n'avez  qu'à  parler.  Je  suis  homme  à  tout  faire 
Pour  vous  marquer  mon  zèle  et  tâcher  de  vous  plaire. 
Quel  est  ce  grand  effort  que  votre  autorité 
M'impose? 

Lisette. 
De  me  dire  ici  la  vérité. 

Pasquin. 
Rien  ne  me  coûte  moins. 

Lisette. 

Pour  entrer  en  matière, 
Avez-vous  jamais  vu  le  château  de  Tufière? 

Pasquin. 
Si  je  l'ai  vu  ?  Cent  fois.  (A parL)  C'estmentir  hardiment. 

Lisette. 
Est-ce  un  si  bel  endroit  qu'on  nous  l'a  dit? 

Pasquin. 

Comment  ! 
C'est  le  plus  beau  château  qui  soit  sur  la  Garonne. 
Vous  le  voyez  de  loin  qui  forme  un  pentagone... 

Lisette. 
Pentagone!  Bon  Dieu  !  Quel  grand  mot  est-ce  là? 

Pasquin. 
C'est  un  terme  de  l'art. 

Lisette. 

Je  veux  croire  cela. 
Mais  expliquez-moi  bien  ce  que  ce  mot  veut  dire. 

Pasquin. 
Cela  m'est  très  facile,  et  je  vais  vous  décrire 
Ce  superbe  château,  pour  que  vous  en  jugiez, 

Le  Glorieux.  i  3 


98  LEGLORIEUX 

Et  même  beaucoup  mieux  que  si  vous  le  voyiez. 
D'abord,  ce  sont  sept  tours  entre  seize  courtines... 
Avec  deux  tenaillons  placés  sur  trois  collines... 
Qui  forment  un  vallon,  dont  le  sommet  s'étend 
Jusque  sur...  un  donjon...  entouré  d'un  étang... 
Et  ce  donjon,  placé  justement...  sous  la  zone,... 
Par  trois  angles  saillans  forme  le  pentagone. 

Lisette. 
Voilà,  je  vous  l'avoue,  un  merveilleux  château. 

Pasquin. 
Je  crois,  sans  vanité,  que  vous  le  trouvez  beau. 

Lisette. 
Et  c'est  donc  en  ce  lieu  que  le  père  du  Comte 

Tient  sa  cour? 

Pasquin. 

Oui,  ma  reine;  et  faites  votre  compte 
Que  dans  tout  le  royaume  il  n'est  point  de  seigneur 
Qui  soutienne  son  rang  avec  plus  de  splendeur. 
Meutes,  chevaux,  piqueurs,  superbes  équipages, 
Table  ouverte  en  tout  temps,  deux  écuyers,  six  pages. 
Domestiques  sans  nombre  et  bien  entretenus. 
Tout  cela  ne  sauroit  manger  ses  revenus. 

Lisette. 
Mais  c'est  donc  un  seigneur  d'une  richesse  immense.'* 

Pasquin. 
Vous  en  pouvez  juger  par  sa  magnificence. 

Lisette. 
Je  trouve  en  vos  récits  quelque  petit  défaut. 
Vous  mentez  à  présent,  ou  vous  mentiez  tantôt. 


ACTE    IV,    SCÈNE    I  99 

Pasquin. 
Comment  donc? 

Lisette. 
Un  menteur  qui  n'a  pas  de  mémoire 
Se  décèle  d'abord.  Si  je  veux  vous  en  croire, 
Le  Comte  est  grand  seigneur  :  dans  un  autre  entretien, 
Vous  m'avez  assuré  qu'il  n'avoit  pas  de  bien. 

Pasquin. 
Tout  franc,  votre  argument  me  paroît  sans  réplique. 
Naturellement,  moi,  je  suis  très  véridique. 
Mais  j'obéis.  Au  fond  les  faits  sont  très  constans, 
Et  nous  n'avons  menti  qu'en  allongeant  le  temps. 

Lisette. 
Rendez-moi,  s'il  vous  plaît,  cette  énigme  plus  claire. 

Pasquin. 
Quinze  ans  auparavant,  ce  que  j'ai  dit  du  père 
Se  trouvera  très  vrai.  Depuis,  tout  a  changé. 
Dans  un  piteux  état  le  bonhomme  est  plongé, 
Et  le  pauvre  seigneur  traîne  une  vie  obscure. 
Mais  mon  maître,  voulant  qu'il  fasse  encor  figure. 
Par  un  récit  pompeux,  fruit  de  sa  vanité, 
Vient  de  le  rétablir  de  son  autorité. 
Qu'entre  nous,  s'il  vous  plaît,  la  chose  soit  secrète. 

Lisette. 
Allez,  ne  craignez  rien.  Si  j'étois  indiscrète. 
Je  ferois  tort  au  Comte.  Et  si  je  fais  des  vœux, 
C'est  pour  pouvoir  l'aider  à  devenir  heureux. 
Valère  à  mes  efforts  sans  relâche  s'oppose; 
Mais  à  les  seconder  je  veux  qu'il  se  dispose. 
Il  vient  fort  à  propos. 


LE    GLORIEUX 


Pasquin. 

Fort  à  propos  aussi 
Je  vais  me  retirer,  puisqu'il  vous  cherche  ici. 


SCÈNE    II. 
VALÈRE,    LISETTE. 

Lisette,   d'un  air  dédaigneux. 
Ah  !  vous  voilà,  Monsieur?  Vraiment  j'en  suis  ravie. 

Valère. 
Quoi!  vous  voulez  gronder? 

Lisette. 

J'en  aurois  bien  envie. 

Valère. 
Et  sur  c]uoi,s'il  vous  plaît? 

Lisette. 

Mais  sur  vos  beaux  exploits. 
Mes  moindres  volontés,  dites-vous,  sont  vos  lois? 

Valère. 
Il  est  vrai. 

Lisette. 
Cependant  devant  monsieur  le  Comte 
Vous  m'avez  témoigné  n'en  faire  pas  grand  compte, 
Et,  contre  mon  avis,  votre  zèle  emporté 
A  su  porter  Philinte  à  toute  extrémité. 

Valère. 
J'ai  dit  à  mon  ami  qu'on  avoit  eu  l'audace 
De  risquer  contre  lui  jusques  à  la  menace. 


ACTE    IV,   SCÈNE    II  i< 

Je  n'ai  rien  dit  de  plus.  C'est  un  homme  de  cœur, 
Qui  n'a  dû  sur  le  reste  écouter  que  l'honneur, 

Lisette. 
Que  l'honneur!  Ce  discours  me  fatigue  et  m'irrite. 

Valère. 
Mais  par  quelle  raison?  Philinte  a  du  mérite. 

Lisette. 
Si  vous  n'employez  pas  vos  soins  avec  ardeur 
Pour  faire  que  le  Comte  épouse  votre  sœur, 
Et  pour  bannir  d'ici  cet  ennuyeux  Philinte, 
Je  vous  déclare,  moi,  sans  mystère  et  sans  feinte, 
Que,  demoiselle  ou  non,  comme  le  Ciel  voudra, 
Lisette,  de  ses  jours,  ne  vous  épousera. 
J'ai  conclu.  C'est  à  vous  maintenant  de  conclure. 

Valère. 
[Voyant  Lycandre.) 
Par  quel  motif  ?...  Eh  quoi  !  cette  vieille  figure 
Viendra-t-elle  toujours  troubler  nos  entretiens? 

Lisette. 
11  faut  que  je  lui  parle. 

Valère. 
Adieu  donc. 

SCÈNE   III. 
LYCANDRE,     LISETTE. 

Lycandre. 

Je  reviens, 

Et  je  vous  trouve  encore  en  même  compagnie? 


102  LE    GLORIEUX 

Lisette. 
Oui;  mais  nous  querellions.  Valère  a  la  manie 
De  vouloir  empêcher  que  ce  jeune  seigneur 
Qui  demeure  céans  ne  prétende  à  sa  sœur. 

Lycandre. 
Et  vous,  vous  soutenez  le  comte  de  Tuffière? 

Lisette. 
Oui,  Monsieur,  contre  tous  et  de  toute  manière. 
Il  est  vrai  que  le  Comte  est  si  présomptueux 
Qu'on  ne  peut  se  prêter  à  ses  airs  fastueux  : 
Il  ne  respecte  rien,  ne  ménage  personne; 
Et  plus  je  le  connois,  plus  sa  gloire  m'étonne. 

Lycandre. 
Ah!  que  vous  m'affligez! 

Lisette. 

Et  pourquoi,  s'il  vous  plaît? 
Lycandre. 
Mais  vous-même,  pourquoi  prenez-vous  intérêt 
A  ce  qui  le  concerne?  Est-il  donc  bien  possible 
Qu'à  votre  empressement  il  se  montre  sensible 
Jusques  à  vous  marquer  des  égards,  des  bontés? 

Lisette. 
Il  n'a  payé  mes  soins  que  par  des  duretés. 
Je  ne  puis  y  penser  sans  répandre  des  larmes. 
N'importe;  à  le  servir  je  trouve  mille  charmes. 

Lycandre. 
Qu'entends-je?  Juste  Ciel  !  Quel  bon  cœur  d'un  côté  ! 
De  l'autre,  quel  excès  d'insensibilité! 
G  détestable  orgueil!  Non,  il  n'est  point  de  vice 
Plus  funeste  aux  mortels,  plus  digne  de  supplice. 


ACTE    IV,    SCÈNE    III  io3 

Voulant  tout  asservir  à  ses  injustes  droits, 
De  l'humanité  même  il  étouffe  la  voix. 

Lisette. 
Je  l'éprouve. 

Lycandre. 
Pour  vous,  vous  serez,  je  l'espère, 
La  consolation  d'un  trop  malheureux  père. 

Lisette. 
A  chaque  instant.  Monsieur,  vous  me  parlez  de  lui. 
Il  devoit  à  mes  yeux  se  montrer  aujourd'hui  ; 
Mais  il  ne  paroît  point.  Vous  me  trompiez,  peut-être. 

Lycandre. 
Un  peu  de  patience;  il  va  bientôt  paroître. 

Lisette. 
Pourquoi  diffère-t-il  de  trop  heureux  momens? 
Que  ne  vient-il  s'offrir  à  mes  embrassemens? 

Lycandre. 
Malgré  votre  bon  cœur,  il  craint  que  sa  présence 
Ne  vous  afflige. 

Lisette. 
Moi?  Se  peut-il  qu'il  le  pense? 
Lycandre. 
Il  craint  que  ses  malheurs,  trop  dignes  de  pitié, 
Ne  refroidissent  même  un  peu  votre  amitié. 

Lisette. 
Ah!  qu'il  me  connoît  mal! 

Lycandre. 

Enfin,  avant  qu'il  vienne, 
Sur  sa  triste  aventure  il  veut  qu'on  vous  prévienne. 


104 


LE    GLORIEUX 


Peut-être  espérez-vous  le  voir  dans  son  éclat, 
Et  vous  le  trouverez  dans  un  cruel  état. 

Lisette. 
Il  m'en  sera  plus  cher,  et,  loin  qu'il  m'importune, 
Il  verra  que  mon  cœur,  plein  de  son  infortune. 
Redoublera  pour  lui  de  tendresse  et  d'amour. 
Tout  baigné  de  mes  pleurs,  avant  la  fin  du  jour 
Il  sera  possesseur  du  peu  que  je  possède. 
Mon  zèle  à  ses  malheurs  servira  de  remède. 
Je  ferai  tout  pour  lui.  Si  je  n'ai  point  d'argent. 
J'ai  de  riches  habits  dont  on  m'a  fait  présent; 
Je  garde  un  diamant  que  m'a  laissé  ma  mère. 
Je  vais  tout  engager,  tout  vendre  pour  mon  père; 
Heureuse  si  je  puis,  et  mille  et  mille  fois. 
Lui  prouver  que  je  l'aime  autant  que  je  le  dois  ! 

Lycandre. 
Arrêtez.  Laissez-moi  respirer,  je  vous  prie. 
Donnez  quelque  relâche  à  mon  âme  attendrie. 
Vous  aimez  votre  père,  il  n'est  plus  malheureux. 

Lisette. 
Ah!  puisqu'il  est  si  lent  à  contenter  mes  vœux. 
Apprenez-moi  quel  monstre  a  causé  sa  misère. 

Lycandre. 
Quel  monstre? 

Lisette. 
Oui. 

Lycandre. 
L'orgueil.  L'orgueil  de  votre  mère. 
Par  son  faste,  les  biens  se  sont  évanouis; 
Son  orgueil  a  causé  des  malheurs  inouïs. 


ACTE   IV,    SCÈNE    III  io5 

Lisette. 
Eh!  comment? 

Lycandre. 
Une  dame  assez  considérable, 
Lui  disputant  le  pas  dans  un  lieu  respectable, 
En  reçut  un  affront  si  sanglant,  si  cruel, 
Qu'elle  en  fit  éclater  un  déplaisir  mortel. 
L'époux  de  cette  dame,  enflammé  de  colère. 
Pour  venger  cet  affront  attaqua  votre  père 
Au  retour  d'une  chasse,  et  prit  si  bien  son  temps 
Qu'ils  se  trouvèrent  seuls  pendant  quelques  instans. 
D'un  trop  funeste  effet  sa  fureur  fut  suivie. 
Il  vouloit  se  venger;  il  y  perdit  la  vie. 
En  un  mot,  votre  père,  en  défendant  ses  jours, 
Tua  son  ennemi,  mais  sans  autre  secours 
Que  celui  de  son  bras  armé  pour  sa  défense. 
Les  parens  du  défunt  poussèrent  la  vengeance 
Jusqu'à  faire  passer  ce  malheureux  combat, 
Pur  effet  du  hasard,  pour  un  assassinat. 
Des  témoins  subornés  soutiennent  l'imposture. 
On  les  croit.  Votre  père,  outré  de  cette  injure, 
Se  défend,  mais  en  vain.  Il  se  cache.  Aussitôt 
Un  arrêt  le  condamne.  Et,  pour  fuir  l'échafaud, 
Il  passe  en  Angleterre,  où  quelques  jours  ensuite 
Votre  mère  devient  compagne  de  sa  fuite. 
Le  rejoint  avec  vous  qui  sortiez  du  berceau; 
Et  son  orgueil  puni  la  conduit  au  tombeau. 

Lisette. 
Ciel  !  que  m'apprenez-vous?  Ce  n'est  donc  pas  ma  mère 
Que  j'avois  au  couvent,  et  qui  m'étoit  si  chère? 

14 


io6  LE    GLORIEUX 

Lycandre. 
C'étoit  votre  nourrice.  Elle  vous  ramena, 
Suivit  exactement  l'ordre  que  lui  donna 
Votre  père,  deux  ans  après  sa  décadence, 
De  venir  dans  ces  lieux  élever  votre  enfance, 
Se  disant  votre  mère  et  cachant  votre  nom. 

Lisette. 
Mais  pourquoi  ce  secret?  Et  par  quelle  raison 
Me  laisser  ignorer  de  quel  sang  j'étois  née? 

Lycandre. 
Pour  vous  rendre  modeste  autant  qu'infortunée. 
Et  pour  vous  épargner  des  regrets,  des  douleurs. 
Jusqu'à  ce  que  le  Ciel  adoucît  vos  malheurs. 
C'est  ainsi  que  l'avoit  ordonné  votre  père. 
Et  sa  précaution  vous  étoit  nécessaire. 

Lisette. 
Je  brûle  de  le  voir,  et  je  tremble  pour  lui. 
Comment  osera-t-il  se  montrer  aujourd'hui. 
Après  l'injuste  arrêt?,.. 

Lycandre. 

V     Pendant  sa  longue  absence, 
De  fidèles  amis,  sûrs  de  son  innocence 
El  puissans  à  la  cour,  ont  eu  tant  de  succès 
Qu'ils  l'ont  déterminée  à  revoir  le  procès; 
Et  deux  des  faux  témoins,  prêts  à  perdre  la  vie. 
Ont  enfin  avoué  leur  noire  calomnie. 
Votre  père,  caché  depuis  près  de  deux  ans; 
Attendoit  les  eifets  de  ces  secours  puissans. 
On  vient  de  lui  donner  d'agréables  nouvelles; 
II  touche  au  terme  heureux  de  ses  peines  mortelles. 


ACTE    IV,    SCÈNE    III  107 

Lisette. 
Qu'il  ne  s'expose  point.  Je  crains  quelque  accident, 
Quelque  piège  caché.  N'est-il  pas  plus  prudent 
Que  nous  l'allions  chercher?  Par  notre  diligence 
Prévenons  ses  bontés  et  son  impatience. 
Sortons,  Monsieur;  je  veux  embrasser  ses  genoux 
Et  mourir  de  plaisir  dans  des  transports  si  doux. 

Lycandre. 
Vous  n'irez  pas  bien  loin  pour  goûter  cette  joie. 
Vous  voulez  la  chercher,  et  le  Ciel  vous  l'envoie. 
Oui,  ma  fille,  voici  ce  père  malheureux; 
Il  vous  voit,  il  vous  parle,  il  est  devant  vos  yeux. 

Lisette,  se  jetant  à  ses  pieds. 
Quoi  !  c'est  vous-même?  O  Ciel  !  que  mon  âme  est  ravie  ! 
Je  goûte  le  moment  le  plus  doux  de  ma  vie. 

Lycandre. 
Ma  fille,  levez-vous.  Je  connois  votre  cœur. 
Et,  je  vous  l'ai  prédit,  vous  ferez  mon  bonheur. 
Mais,  hélas!  que  je  crains  de  revoir  votre  frère! 

Lisette. 
Mon  frère!  Et  quel  est-il? 

Lycandre. 

Le  comte  de  Tufière. 
Lisette. 
Je  ne  sais  où  j'en  suis,  je  ne  respire  plus. 
Daignez  me  soutenir. 

Lycandre, 
Qu'il  doit  être  confus 
Quand  il  vous  connoîtra! 


io8  LE    GLORIEUX 

Lisette. 

Moi,  sa  sœur? 
Lycandre. 

Oui,  ma  fille. 
Lisette. 
Sans  doute,  nous  sortons  de  la  même  famille; 
Oui,  le  Comte  est  mon  frère;  et,  dès  que  je  l'ai  vu, 
A  travers  ses  mépris  mon  cœur  l'a  reconnu. 
De  mon  foible  pour  lui  je  ne  suis  plus  surprise. 

Lycandre. 
Votre  cœur  le  prévient,  et  l'ingrat  vous  méprise! 
Ah!  je  veux  profiter  de  cette  occasion 
Pour  jouir  devant  vous  de  sa  confusion. 
Quand  le  temps  permettra  de  vous  faire  connoître. 

Lisette. 
Jusque-là,  devant  lui  ne  dois-je  plus  paroître? 

Lycandre. 
Non.  Je  vais  le  trouver.  La  conversation 
Sera  vive  à  coup  sûr,  et  sa  présomption 
Mérite  qu'avec  lui  prenant  le  ton  de  père. 
Je  fasse  à  ses  hauteurs  une  leçon  sévère. 

Lisette. 
S'il  ne  vous  connoît  pas,  vous  les  éprouverez. 

Lycandre. 
Non.  Nous  nous  sommes  vus.  Il  me  connoît.  Rentrez, 
Ma  fille.  Quelqu'un  vient;  gardez  bien  le  silence. 

Lisette,  lui  baisant  la  main. 
Mon  père,  attendez  tout  de  mon  obéissance. 


ACTE    IV,    SCÈNE    IV  109 

SCÈNE    IV. 

LYCANDRE,   PASQU IN,  s'arrefanf  à  considérer 
Lycandre. 

Lycandre.  ^ 

Le  comte  de  Tufière  est-il  chez  lui  ? 

Pasquin,  d'un  ton  brusque. 

Pourquoi? 
Lycandre. 
Jevoudrois  lui  parler. 

Pasquin,  le  regardant  du  haut  en  bas. 
Lui  parler?  Qui?  vous? 
Lycandre. 

Moi. 
Pasquin,  d'un  air  méprisant. 

Cela  ne  se  peut  pas. 

Lycandre. 

La  raison,  je  vous  prie? 
Pasquin. 
C'est  qu'il  est  en  affaire. 

Lycandre. 

Oh!  je  vous  certifie, 
Quelque  occupé  qu'il  soit,  que,  dès  qu'il  apprendra 
Que  je  veux  lui  parler,  il  y  consentira. 
Pasquin,  fièrement. 

Eh  !  qu'êtes-vous? 

Lycandre. 
Je  suis,...  car  je  perds  patience, 
Un  homme  très  choqué  de  votre  impertinence. 


iio  LE    GLORIEUX 

Pasquin,  à  part. 
Il  a,  ma  foi,  raison.  Je  retombe  toujours, 

[A  Lycandre.) 
Et  je  veux  m'en  punir.  Je  vois  que  mon  discours. 
Monsieur,  n'a  pas  le  don  de  vous  être  agréable; 
Mais,  si  je  suis  si  fier,  je  suis  très  excusable. 

Lycandre,  vivement. 
Et  par  où,  s'il  vous  plaît? 

Pasquin. 

Pour  le  dire  en  un  mot. 
Et  sans  trop  me  vanter,  c'est  que  je  suis  un  sot. 

Lycandre. 
Allez,  on  ne  l'est  point  quand  on  connoît  sa  faute. 

Pasquin. 
Mon  maître  a  très  souvent  la  parole  si  haute, 
Il  est  si  suffisant,  que  par  occasion 
Je  le  deviens  aussi,  mais  sans  réflexion. 
Heureusement  pour  moi,  la  raison,  la  prudence, 
Abrègent  les  accès  de  mon  impertinence. 
Vous  voyez  que  d'abord  j'ai  bien  baissé  mon  ton. 
Mais  daignez,  s'il  vous  plaît,  me  dire  votre  nom. 

Lycandre. 
Mon  enfant,  dites-lui,  s'il  veut  bien  le  permettre, 
Que  je  viens  demander  sa  réponse  à  la  lettre 
Que  l'on  vous  a  pour  lui  remise  dfe  ma  part. 
L'a-t-il  lue? 

Pasquin. 

Oui,  Monsieur.  Seriez-vous  par  hasard 
L'inconnu?... 


ACTEIV,   SCÈNEIV  m 

Lycandre. 
Je  le  suis. 

Pasquin. 
Moi,  que  je  vous  annonce  ! 
Eh  !  vite,  sauvez-vous.  J'ai  reçu  sa  réponse, 
Et  je  la  sens  encor. 

Lycandre,  souriant. 

Ne  craignez  rien  pour  moi. 
Il  sera  plus  honnête  en  me  répondant. 
Pasquin. 

Quoi! 
Vous  vous  exposez?... 

Lycandre. 
Oui,  j'en  veux  courir  le  risque. 
Pasquin, 
Pour  jouer  avec  lui,  prenez  mieux  votre  bisque. 

Lycandre. 
Dépêchez-vous,  de  grâce. 

Pasquin  va  et  revient. 

En  vérité,  je  crains... 
Lycandre,  d'un  air  impatient. 
Ah! 

Pasquin. 
S'il  vous  en  prend  mal,  je  m'en  lave  les  mains. 


ii2  LE    GLORIEUX 

SCÈNE      V. 

LYCANDRE,    seul. 

Par  les  airs  du  valet  on  peut  juger  du  maître. 
Ah!  du  moins,  si  mon  fils  pouvoit  se  reconnoître, 
Se  blâmer  quelquefois,  comme  fait  ce  garçon, 
Tôt  ou  tard  sa  fierté  plieroit  sous  sa  raison. 
Mais  je  n'ose  espérer... 

SCÈNE    VI. 
I    LYCANDRE,    LE    COMTE,    PASQUIN. 

Le  Comte  entre  en  furieux. 

Quel  est  le  téméraire, 
Quel  est  l'audacieux  qui  m'ose  ...?  Ah!  c'est  mon  père  ! 

Lycandre. 
L'accueil  est  très  touchant;  j'en  suis  édifié. 

Pasquin,  à  part. 
Comment  donc?  le  voilà  comme  pétrifié! 
Le  Comte,  ôtant  son  chapeau. 
Un  premier  mouvement  quelquefois  nous  abuse. 
Excusez-moi,  Monsieur. 

Pasquin,  à  part. 

Il  lui  demande  excuse! 
Le  Comte. 
{A  Pasquin.) 
Jecroyois...  Sors,  Pasquin. 


ACTE    IV,    SCÈNE    VI  ii3 

Lycandre. 

Pourquoi  le  chassez-vous? 
Laissez-le  ici  ;  je  veux... 

Le   Comte,  poussant  Pasquin. 

Sors,  ou  crains  mon  courroux. 
Lycandre,  retenant  Pasquin. 
Reste. 

Pasquin,  s' enfuyant. 
Il  y  fait  trop  chaud.  Je  fais  ce  qu'on  m'ordonne. 
Le  Comte. 
Si  quelqu'un  vient  me  voir,  je  n'y  suis  pour  personne. 


SCENE    VII. 
LYCANDRE,    LE    COMTE. 

Lycandre. 
Que  veut  dire  ceci? 

Le  Comte. 
J'ai  mes  raisons. 

Lycandre. 

Pourquoi 
Marquez-vous  tant  d'ardeur  à  l'éloigner  de  moi? 

Le  Comte. 
Aux  regards  d'un  valet  dois-je  exposer  mon  père? 

Lycandre. 
Vous  craignez  bien  plutôt  d'exposer  ma  misère. 
Voilà  votre  motif.  Et,  loin  d'être  charmé 
De  me  voir  près  de  vous,  votre  orgueil  alarmé 
Rougit  de  ma  présence.  Il  se  sent  au  supplice. 
Le  Glorieux.  i5 


114 


LE    GLORIEUX 


De  sa  confusion  votre  cœur  est  complice; 
Et,  tout  bouffi  de  gloire,  il  n'ose  se  prêter 
Aux  tendres  mouvemens  qui  devroient  l'agiter. 
Ah!  je  ne  vois  que  trop,  en  cette  conjoncture, 
Qu'une  mauvaise  honte  étouiïe  la  nature.    ' 
C'est  en  vain  qu'un  billet  vous  avoit  prévenu; 
Et  je  me  suis  trompé,  croyant  qu'un  inconnu 
Vous  corrigeroit  mieux  qu'un  père  misérable, 
Qu'à  vos  yeux  la  fortune  a  rendu  méprisable. 

Le  Comte. 
Qui?  moi  !  je  vous  méprise?  Osez-vous  le  penser? 
Qu'un  soupçon  si  cruel  a  droit  de  m'offenser! 
Croyez  que  votre  fils  vous  respecte,  vous  aime. 

Lycandre. 
Vous? prouvez-le-moi  donc, et  dans  ce  moment  même. 

Le  Comte. 
Vous  pouvez  disposer  de  tout  ce  que  je  puis. 
^Parlez,  qu'exigez-vous? 

Lycandre. 

Qu'en  l'état  où  je  suis 
Vous  vous  fassiez  honneur  de  bannir  tout  mystère. 
Et  de  me  reconnoître  en  qualité  de  père 
Dans  cette  maison-ci.  Voyons  si  vous  l'usez. 

Le  Comte. 
Songez-vous  au  péril  où  vous  vous  exposez? 

Lycandre. 
Dois-je  me  défier  d'une  honnête  famille? 
Allons  voir  Lisimon,  menez-moi  chez  sa  fille. 

Le  Comte. 
De  grâce,  à  vous  montrer  ne  soyez  pas  si  prompt. 


ACTEIV,    SCÈNEVII  ii5 

Vous  les  exposeriez  à  vous  faire  un  affront. 
Vous  ne  savez  donc  pas  jusqu'où  va  l'arrogance 
D'un  bourgeois  anobli,  fier  de  son  opulence? 
Si  le  faste  et  l'éclat  ne  soutiennent  le  rang, 
Il  traite  avec  dédain  le  plus  illustre  sang. 
Mesurant  ses  égards  aux  dons  de  la  fortune, 
Le  mérite  indigent  le  choque,  l'importune. 
Et  ne  peut  l'aborder  qu'en  faisant  mille  efforts 
Pour  cacher  ses  besoins  sous  un  brillant  dehors. 
Depuis  votre  malheur,  mon  nom  et  mon  courage 
Font  toute  ma  richesse;  et  ce  seul  avantage, 
Rehaussé  par  l'éclat  de  quelques  actions, 
M'a  tenu  lieu  de  biens  et  de  protections. 
J'ai  monté  par  degrés,  et,  riche  en  apparence, 
Je  fais  une  figure  égale  à  ma  naissance; 
Et,  sans  ce  faux  relief,  ni  mon  rang  ni  mon  nom 
N'auroient  pu  m'introduire  auprès  de  Lisimon. 

Lycandre. 
On  me  l'a  peint  tout  autre,  et  j'ai  peine  à  vous  croire; 
Tout  ce  discours  ne  tend  qu'à  cacher  votre  gloire. 
Mais,  pour  moi  qui  ne  suis  ni  superbe  ni  vain, 
Je  prétends  me  montrer,  et  j'irai  mon  chemin. 

(//  veut  sortir.) 
Le  Comte,  le  retenant. 
Différez  quelques  jours;  la  faveur  n'est  pas  grande  : 
Je  me  jette  à  vos  pieds,  et  je  vous  la  demande. 

Lycandre. 
J'entends.  La  vanité  me  déclare  à  genoux 
Qu'un  père  infortuné  n'est  pas  digne  de  vous. 


il6  LE    GLORIEUX 

Oui,  oui,  j'ai  tout  perdu  par  l'orgueil  de  ta  mère; 
Et  tu  n'as  hérité  que  de  son  caractère. 

Le  Comte. 
Eh!  compatissez  donc  à  la  noble  fierté 
Dont  mon  cœur,  il  est  vrai,  n'a  que  trop  hérité. 
Du  reste,  soyez  sûr  que  ma  plus  forte  envie 
Seroit  de  vous  servir  aux  dépens  de  ma  vie; 
Mais  du  moins  ménagez  un  honneur  délicat; 
Pour  mon  intérêt  même  évitons  un  éclat. 

Lycandre. 
Vous  me  faites  pitié.  Je  vois  votre  foiblesse. 
Et  veux,  en  m'y  prêtant,  vous  prouver  ma  tendresse; 
Mais  à  condition  que  si  votre  hauteur 
Eclate  devant  moi,  dès  l'instant... 

SCÈNE    VIII. 
LYCANDRE,    LE    COMTE,    LISIMON. 

LisiMON,  au  Comte. 

Serviteur. 
Je  vous  cherchois,  mon  cher;  votre  froideur  m'étonne  : 
Car  il  est  temps  d'agir.  Je  crois.  Dieu  me  pardonne, 
Que  ma  femme  devient  raisonnable. 
Le  Comte. 

Comment? 

LiSIMON. 

Elle  n'a  plus  pour  vous  ce  grand  éloignement 
Qu'elle  a  marqué  d'abord.  La  bonne  dame  est  sage  : 
Car  j'allois  sans  cela  faire  un  joli  tapage. 


ACTE    IV,   SCÈNE    VIII  i  17 

Je  vais  vous  procurer  un  moment  d'entretien 
Avec  ma  digne  épouse;  et  puis  tout  ira  bien, 
Pourvu  que  vous  vouliez  lui  faire  politesse. 
N'y  manquez  pas,  au  moins  :  car  c'est  une  princesse 
Aussi  fière  que  vous,  et  dont  les  préjugés... 

Le  Comte. 
Je  suis  ravi  de  voir  que  vous  vous  corrigez. 

LisiMON,  se  couvrant. 
Tu  le  vois,  mon  enfant,  je  cherche  à  te  complaire. 

Le  Comte. 
Fort  bien. 

LisiMON,  se  découvrant. 
Enfin,  Monsieur,  le  succès  de  l'affaire 
Est  en  votre  pouvoir.  Ainsi  donc,  croyez-moi. 
De  ce  que  je  vous  dis  faites-vous  une  loi. 

Lycandre. 
Monsieur  vous  parle  juste,  et  pour  votre  avantage. 
Que  votre  unique  objet  soit  votre  mariage. 
Et  mettez  à  profit  cet  heureux  incident. 

LisiMON,  au  Comte. 
Quel  est  cet  homme-là? 

Le  Comte,  tirant  Lisimon  à  part. 

C'est...,  c'est  mon  intendant. 
Lisimon. 
Il  a  l'air  bien  grêlé.  Selon  toute  apparence. 
Cet  homme  n'a  pas  fait  fortune  à  l'intendance. 

Le  Comte,  à  Lisimon. 
C'est  un  homme  d'honneur. 

Lisimon. 

Il  y  paroît. 


ii8  LE    GLORIEUX 

Lycandre,  à  part. 

Je  voi 

Qu'il  trompe  Lisimon  en  lui  parlant  de  moi. 
Sa  gloire  est  alarmée  à  l'aspect  de  son  père. 

Le  Comte,  à  Lisimon. 
Sachez  encor... 

Lisimon. 

Eh  bien? 
Lycandre,  à  part. 

Je  retiens  ma  colère, 
Espérant  que  bientôt  il  me  sera  permis 
De  me  faire  connoître  et  de  punir  mon  fils; 
Et  mon  juste  dépit  lui  prépare  une  scène 
Où  je  veux  mettre  enfin  son  orgueil  à  la  gêne. 

Le  Comte,  à  Lycandre. 
Contraignez-vous,  de  grâce,  et  ne  lui  dites  rien 
Qui  lui  fasse  augurer  qui  vous  êtes. 

Lycandre. 

Fort  bien. 

Le  Comte,  retournant  à  Lisimon. 
C'est  un  homme  économe  autant  qu'il  est  fidèle. 

Lisimon,  haut. 
Oh  çà,  je  vous  ai  dit  une  bonne  nouvelle  : 
Ne  la  négligeons  pas.  Ma  femme  veut  vous  voir; 
Pour  gagner  son  esprit,  faites  votre  devoir. 

Le  Comte,  en  souriant. 
Mon  devoir? 

Lisimon. 

Oui,  vraiment. 


ACTE    IV,    SCÈNE  VIII  119 

Le  Comte. 

L'expression  est  forte. 
Lycandre,  au  Comte. 
Quoi!  faut-il  pour  un  mot  vous  cabrer  de  la  sorte? 

LisiMON,  au  Comte. 
Il  parle  de  bon  sens. 

Lycandre. 
Il  est  bien  question 
De  chicaner  ici  sur  une  expression  ! 

Le  Comte,  d'un  air  un  peu  fer,  à  Lycandre. 
Mais,  Monsieur... 

Lycandre,  d'un  air  impérieux. 

Mais,  Monsieur,  je  dis  ce  qu'il  faut  dire  ; 
Faites  ce  qu'il  faut  faire  au  plus  tôt. 
Le  Comte,  à  part. 

Quel  martyre  ! 
Il  va  se  découvrir. 

Lisimon,  au  Comte. 
Ce  vieillard  est  bien  verd, 
Ce  me  semble? 

Le  Comte. 
[A  Lisimon.)       [A  Lycandre.) 
Il  est  vrai.  Votre  discours  me  perd. 
Devant  cet  homme,  au  moins,  tâchez  de  vous  contraindre. 

Lycandre,  au  Comte. 
Faites  ce  qu'il  désire,  ou  je  cesse  de  feindre. 

Lisimon. 
Ma  femme  vous  attend  :  venez,  d'un  air  soumis, 
Prévenant,  la  prier  d'être  de  vos  amis. 


I20  LE    GLORIEUX 

Lycandre,  au  Comte. 
Soumis;  vous  entendez? 

Le  Comte,  d'un  air  piqué. 

Oui,  j'entends  à  merveille. 
{A  pari.) 
Ciel! 

LiSIMON. 

Vous  approuvez  donc  ce  que  je  lui  conseille? 
Bonhomme,  expliquez-vous. 

Lycandre. 

Oui,  je  l'approuve  fort. 
Et,  s'il  ne  s'y  rend  pas,  il  aura  très  grand  tort. 
Vous  lui  donnez.  Monsieur,  une  leçon  très  sage. 
Il  en  avoit  besoin.  Je  le  connois. 

Le  Comte,  à  part. 

J'enrage. 
Lisimon,  à  Lycandre. 
Vous  êtes  donc  à  lui  depuis  longtemps? 
Le  Comte,  à  Lisimon. 

Sortons. 
Je  regrette.  Monsieur,  le  temps  que  nous  perdons. 
Lisimon. 
[Au  Comte.)  [A  Lycandre.) 

Un  moment.  A  quoi  vont  les  revenus  du  Comte? 

Lycandre. 
Je  ne  saurois  vous  dire  à  quoi  cela  se  monte. 

Lisimon. 
Mais  encor? 

Le  Comte,  à  Lycandre. 
Dites-lui... 


ACTE    IV,    SCÈNE    VIII  12 

Lycandre,  au  Comte^  bas. 

Je  ne  veux  point  mentir. 
{A  Lisimon.  ) 
Une  affaire,  Monsieur,  m'oblige  de  sortir. 
Mais,  avant  qu'il  soit  peu,  je  veux  vous  satisfaire. 
Vous  pouvez  cependant  conclure  votre  affaire; 
Et  j'ose  me  flatter  qu'avec  un  peu  de  temps 
Vous  aurez  lieu  tous  deux  d'en  être  fort  contens. 
Adieu. 

SCÈNE  IX. 
LISIMON,    LE    COMTE. 

Lisimon. 
Votre  intendant  avec  vous  fait  le  maître, 
Que  veut  dire  cela?  Hem! 

Le  Comte. 

Comme  il  m'a  vu  naître, 
Avec  moi  bien  souvent  il  prend  ces  libertés. 

Lisimon. 
Allons  trouver  ma  femme,  et  trêve  de  fiertés. 

Le  Comte. 
J'irai,  si  vous  voulez.  Mais  que  faut-il  lui  dire? 

Lisimon. 
Plaisante  question!  Quoi!  faut-il  vous  instruire? 

Le  Comte. 
Mais  je  suis  assez  neuf  sur  ces  démarches-là. 
Prier!  solliciter!  je  n'entends  point  cela. 
Je  souhaite  de  faire  avec  vous  alliance; 

16 


122  LE    GLORIEUX 

Mais  songez  aux  égards  qu'exige  ma  naissance. 
Parlez  pour  moi  vous-même,  et  faites  bien  ma  cour. 
Cela  suffit,  je  crois? 

LiSIMON. 

Est-ce  là  le  retour 
Dont  vous  payez  mes  soins?  Suivi  de  ma  famille, 
Dois-je  venir  ici  vous  présenter  ma  fille, 
Vous  priant  à  genoux  de  vouloir  l'accepter? 
Si  tu  te  l'es  promis,  tu  n'as  qu'à  décompter. 
Ma  fille  vaut  bien  peu,  si  l'on  ne  la  demande. 
Je  te  baise  les  mains,  et  je  me  recommande 
A  ta  grandeur.  Adieu. 


SCÈNE  X. 
LE    COMTE,    seul. 

Que  ces  gens  inconnus 
Sont  fiers!  Voilà  l'orgueil  de  tous  nos  parvenus. 
C'est  peu  qu'à  leurs  grands  biens  notre  gloire  s'immole, 
Il  faut,  pour  les  avoir,  fléchir  devant  l'idole. 
Ah!  maudite  Fortune,  à  quoi  me  réduis-tu? 
Si  tes  coups  redoublés  ne  m'ont  point  abattu, 
Veux-tu  m'humilier  par  l'appât  des  richesses, 
Et  n'a-t-on  tes  faveurs  qu'à  force  de  bassesses  ? 


ACTE    V 


SCÈNE    PREMIÈRE. 
ISABELLE,    LISETTE. 

Lisette. 

OH  çà,  Mademoiselle,  expliquons-nous  un  peu, 
Nous  pouvons  librement  nous  parler  en  ce  lieu. 
Isabelle. 
Et  sur  quoi,  s'il  vous  plaît? 

Lisette. 

Votre  mère  apaisée 
A  vos  tendres  désirs  paroît  moins  opposée. 
Vous  pouvez  espérer  d'épouser  votre  amant. 
Mais,  loin  de  témoigner  ce  doux  ravissement 
Que  vous  devez  sentir  sur  le  point  d'être  heureuse, 
Je  ne  vous  vis  jamais  si  triste  et  si  rêveuse. 

Isabelle. 
Il  est  vrai. 

Lisette. 
Vous  vouliez  le  Comte  pour  époux; 
Son  amour  à  vos  yeux  s'est  signalé  pour  vous; 


124  LE    GLORIEUX 

Il  VOUS  a  demandée;  et  cette  âme  si  fîère 
Vient  de  plier  enfin. 

Isabelle. 
Mais  de  quelle  manière? 
De  ses  soumissions  la  choquante  froideur. 
Son  souris  dédaigneux,  son  air  fier  et  moqueur, 
Son  silence  affecté,  tout  me  faisoit  comprendre 
Que  son  cœur  jusqu'à  nous  avoit  peine  à  descendre. 
Mon  père  avec  ardeur  sollicitoit  pour  lui; 
A  peine  de  deux  mots  lui  prêtoit-il  l'appui; 
Et,  sans  votre  crédit  sur  l'esprit  de  mon  frère, 
Qui  s'est  servi  du  sien  pour  ramener  ma  mère. 
Le  Comte  a  si  bien  fait  que  tout  étoit  rompu. 
Pour  cacher  mon  dépit  j'ai  fait  ce  que  j'ai  pu. 
Mais  plus  de  cet  instant  j'occupe  ma  pensée, 
Plus  je  sens  que  j'en  suis  vivement  offensée. 
Pour  un  cœur  délicat  quel  triste  événement! 

Lisette. 
Si  bien  que  votre  amour  est  mort  subitement? 

Isabelle. 
Il  est  bien  refroidi. 

Lisette. 
Parlez  en  conscience. 
N'entre-t-il  point  ici  quelque  peu  d'inconstance? 

Isabelle. 
Vous  me  connoissez  mal. 

Lisette. 
Oh!  que  pardonnez-moi. 
Et,  s'il  faut  s'expliquer  ici  de  bonne  foi... 


ACTE    V,    SCÈNE    I  I25 

Isabelle. 
Eh  bien? 

Lisette. 
D'aucun  roman,  à  ce  que  j'imagine, 
Vous  ne  pourrez  jamais  devenir  l'héroïne. 

Isabelle. 
Croyez-vous  m'amuser  quand  vous  me  plaisantez? 

Lisette. 
Je  ne  plaisante  point,  je  dis  vos  vérités. 
Le  soupçon  d'un  défaut  vous  trouble  et  vous  alarme  ; 
Dès  qu'il  est  confirmé,  votre  cœur  se  gendarme. 
Trop  de  délicatesse  est  un  autre  défaut, 
Dont  vous  serez  punie,  et  peut-être  trop  tôt. 

Isabelle. 
Le  Comte  me  désole  à  chaque  occasion. 

Lisette. 
Quoi!  pour  un  peu  de  gloire  et  de  présomption? 
C'est  là  ce  qui  fait  voir  la  grandeur  de  son  âme. 
Il  est  fier  à  présent;  mais  devenez  sa  femme. 
L'amant  fier  deviendra  mari  tendre  et  soumis. 

Isabelle. 
Un  espoir  si  flatteur  peut-il  m'être  permis? 

SCÈNE    II. 

ISABELLE,    VALÈRE,    LISETTE. 

Lisette,  à  Valère. 
Vous  voilà  bien  rêveur? 

Valère. 
Et  j'ai  sujet  de  l'être. 


126  LE    GLORIEUX 

Aux  yeux  de  mon  ami  je  n'ose  plus  paroître. 
J'ai  servi  son  rival.  Je  ne  puis  m'empêcher, 
Même  devant  vous  deux,  de  me  le  reprocher. 
C'est  une  trahison  dont  j'étois  incapable 
Si  l'amour  n'eût  voulu  que  j'en  fusse  coupable. 

Lisette. 
Vous  vous  en  repentez? 

Valère. 

Je  m'en  repentirois, 
Si  je  vous  aimois  moins.  Mais  enfin  je  voudrois 
Que  vous  déclarassiez  le  motif  qui  vous  porte 
A  marquer  pour  le  Comte  une  amitié  si  forte. 

Lisette. 
Ce  motif  est  très  juste,  et,  quand  vous  l'apprendrez, 
Bien  loin  de  m'en  blâmer,  vous  m'en  applaudirez. 

Valère. 
Je  le  veux  croire  ainsi;  mais  daignez  m'en  instruire. 

Lisette. 
Je  l'ignorois  tantôt,  et  ne  pouvois  le  dire. 
Je  le  sais  à  présent,  et  ne  le  dirai  point. 

Valère. 
Pourquoi  vous  obstiner  à  me  cacher  ce  point? 
Quoi!  faut-il  qu'un  amant  vous  trouve  si  discrète? 

Isabelle,  à  Valère. 
Mais  c'est  donc  tout  de  bon  que  vous  aimez  Lisette? 

Valère. 
Je  l'aime,  et  m'en  fais  gloire. 
Isabelle. 

Un  tel  attachement 


ACTE    V,    SCÈNE    II  127 

Prouve  mieux  que  jamais  votre  discernement. 
Mais  quel  en  est  l'objet?  quelle  est  votre  espérance? 

Lisette. 
Souffrez  que  là-dessus  nous  gardions  le  silence. 

Isabelle. 
J'y  veux  bien  consentir,  et  me  fais  cet  effort, 
Jusqu'à  ce  que  l'on  ait  décidé  de  mon  sort. 

Valère. 
Il  est  tout  décidé. 

Isabelle. 
Juste  Ciel  ! 

Valère. 

Et  mon  père, 
Pour  dicter  le  contrat,  est  chez  notre  notaire. 

Isabelle. 
Ma  mère  n'y  met  plus  aucun  empêchement? 

Valère. 
Non,  et  vous  me  devez  un  si  prompt  changement. 

SCÈNE    III. 
LISIMON,    VALÈRE,    ISABELLE,   LISETTE. 

LiSIMON. 

Çà,  réjouissons-nous.  Enfin,  vaille  que  vaille, 
L'ennemi  se  soumet.  J'ai  gagné  la  bataille; 
Le  champ  m'est  demeuré.  Je  craignois  un  éclat; 
Mais  votre  mère  enfin  va  signer  le  contrat. 
Elle  a  banni  Philinte,  et  j'attends  le  notaire 
Pour  terminer  enfin  cette  importante  affaire. 


128  LE    GLORIEUX 

Excepté  quelques  points  dont  il  faut  convenir, 
Je  ne  prévois  plus  rien  qui  pût  nous  retenir. 
Tu  seras  dès  ce  soir  madame  la  Comtesse, 
Ma  fille. 

Isabelle. 
Dès  ce  soir? 

LiSIMON. 

Sans  délai. 
Isabelle. 

Rien  ne  presse. 
Cette  affaire  mérite  un  peu  d'attention; 
Et  j'ai  fait  sur  cela  quelque  réflexion. 

LiSIMON. 

Quelque  réflexion?  Comment!  Mademoiselle, 
Allez-vous  nous  donner  une  scène  nouvelle, 
Et  vous  dédire  ici,  comme  vous  avez  fait 
Sur  cinq  ou  six  projets  qui  n'ont  point  eu  d'effet? 
Pensez-vous  que  le  Comte  entende  raillerie. 
Et  soit  homme  à  souffrir  votre  bizatrerie? 

Valère. 
Mais,  mon  père,  après  tout. . . 

LiSIMON. 

Mais  après  tout,  mon  fils, 
Croyez-vous  que  d'un  fat  j'écoute  les  avis? 
Quoi  donc!  j'aurai  su  faire  un  miracle  incroyable 
En  rendant  aujourd'hui  ma  femme  raisonnable 
(Chose  qu'on  n'a  point  vue,  et  qu'on  ne  verra  plus), 
Et  mes  enfans  rendront  mes  travaux  superflus? 
Un  chef-d'œuvre  si  beau  deviendroit  inutile? 
Non,  parbleu.  Gardez-vous  de  m'échauffer  la  bile, 


ACTE    V,    SCÈNE    III  129 

Ou  VOUS  aurez  sujet  de  vous  en  repentir, 
Et  inon  juste  courroux  se  fera  ressentir. 

Lisette. 
Voilà  parler,  Monsieur,  en  père  de  famille. 
Courage  !  Disposez  enfin  de  votre  fille  : 
Ne  l'abandonnez  plus  à  ses  réflexions; 
C'est  à  vous  à  trancher  dans  ces  occasions. 

Isabelle. 
Quoi!  Lisette?... 

Lisette. 
Monsieur  a  prononcé  l'oracle  : 
A  l'accomplissement  rien  ne  peut  mettre  obstacle. 
S'il  vous  destine  au  Comte,  il  faut  que  ce  dessein 
S'exécute  en  dépit  de  tout  le  genre  humain. 

LiSIMON. 

Cette  fille  me  charme.  Oui,  ma  chère  Lisette, 
Tiens,  sois  un  peu  moins  sage,  et  tu  seras  parfaite. 

Lisette. 
L'avis  est  bon. 

LlSIMON. 

Le  tien  vient  de  m'édifîer; 
Et  je  veux  t'embrasser  pour  te  remercier. 

Lisette. 
Réservez,  s'il  vous  plaît,  cette  tendre  saillie 
Jusqu'à  ce  que  je  sois  une  fille  accomplie. 

LiSIMON. 

J'attendrois  trop  longtemps.  Il  faut  absolument 
Que  ma  reconnoissance  éclate  en  ce  moment. 

Valère,  le  retenant. 
Vous  vous  échaufferez,  prenez  garde,  mon  père. 

Le  Glorieux.  i  7 


i3o  LE    GLORIEUX 

LisiMON,  le  repoussant. 
Monsieur  le  médecin,  ce  n'est  pas  votre  affaire. 
Que  je  m'échauffe  ou  non,  vous  aurez  la  bonté 
De  ne  vous  plus  charger  du  soin  de  ma  santé. 

{A  part.) 
Je  crois  que  ce  coquin  est  jaloux  de  Lisette, 
Et  je  soupçonne  entre  eux  quelque  intrigue  secrète. 

(A  Valère.) 
Je  veux  m'en  éclaircir.  Sachons  un  peu... 

Valère. 

Voici 
Votre  notaire. 

LlSIMON. 

(A  Valère  qui  veut  sortir.) 
Ah  !  bon  !  Non,  non,  demeure  ici. 
Dans  un  petit  moment  nous  compterons  ensemble. 

SCÈNE    IV. 

Les    Acteurs   précédens,    M.    JOSSE. 

LlSIMON. 

Approche,  Monsieur  Josse. 

M.  JossE. 

Est-ce  ici  qu'on  s'assemble? 

LlSIMON. 

Oui. 

M.  JossE. 

Lisons  ma  minute.  A  trois  articles  près, 


ACTE    V,    SCÈNE    IV  lîi 

Monsieur,  j'ai  stipulé  vos  communs  intérêts. 
C'est  donc  là  la  future? 

LiSIMON. 

A  peu  près.  C'est  ma  fille. 
M.  JossE,  la  regardant  avec  ses  lunettes. 
Voilà  de  quoi  former  une  belle  famille. 
Où  donc  est  le  futur? 

Isabelle. 

Je  n'en  sais  encor  rien. 
M.  JossE. 
Comment!  se  faire  attendre?  Oh!  cela  n'est  pas  bien; 
Et  vous  méritez  fort... 

LiSIMON. 

Le  voici  qui  s'avance. 
Assieds-toi,  Monsieur  Josse;  et  nous,  prenons  séance. 


SCÈNE  V. 

Les  Acteurs    précédens,    LE   COMTE. 
(7/s  sont  tous  assis,  excepté  Lisette.) 

M.  Josse,  vis-à-vis  d'une  table,  après  avoir 
mis  ses  lunettes,  lit. 
Par-devant... 

LiSIMON,  à  Isabelle,  qui  parle  à  Lisette. 
Ecoutez. 

M.  Josse  lit. 

Les  Conseillers  du  Roi, 
Notaires  soussignés,  furent  présens... 


i32  LE    GLORIEUX 

LisiMON,  à  Valère,  qui  parle  d'action  à  Lisette. 

Eh  quoi  ! 
Vous  ne  vous  tairez  point  ?  Est-il  temps  que  l'on  cause? 
Valère,  ici.  Laissez  cette  fille,  et  pour  cause. 

M.  JossE,  au  Comte. 
Votre  nom,  s'il  vous  plaît,  vos  titres,  votre  rang: 
Je  ne  les  savois  point;  ils  sont  restés  en  blanc. 

Le  Comte. 
Je  vais  vous  les  dicter.  N'oubliez  rien,  de  grâce. 
Vous  avez  pour  cela  laissé  bien  peu  de  place. 

M.  JossE. 
La  marge  y  suppléra.  Voyez  quelle  largeur! 
Le  Comte. 
(//  dicte.) 
Ecrivez  donc.  Très  haut  et  très  puissant  seigneur... 

M.  JossE,  se  levant. 
Monsieur,  considérez  qu'on  ne  se  qualifie... 

Le  Comte. 
Point  de  raisonnemens,  je  vous  le  signifie. 

M.  JossE,  écrivant. 
Et  très  puissant  seigneur... 

Le  Comte,  dictant. 

Monseigneur  Carloman, 
Alexandre,  César,  Henry,  Jules,  Armand, 
Philogène,  Louis... 

M.  JossE. 
Oh  !  quelle  kyrielle  ! 
Ma  foi,  sur  tant  de  noms  ma  mémoire  chancelle! 

(//  répète.) 
Philogène,  Louis...  Après? 


ACTE    V,    SCÈNE    V  i35 

Le  Comte,  dictant. 

De  Mont-sur-mont. 
M.  JossE,  répétant. 
Sur-mont. 

Le  Comte,  dictant. 
Chevalier... 

M.  JossE,  répétant. 
Lier. 
Le  Comte,  au  notaire. 

Continuez.  Baron 
De  MontorgueiL 

M.  JossE. 
OrgueiL 
Le  Comte,  d'un  ton  ampoulé. 

Bon  !  Marquis  de  Tufière. 

LiSIMON. 

Quoi!  vous  êtes  marquis? 

Le  Comte. 

Proprement,  c'est  mon  père. 
Mais,  comme  après  sa  mort  j'aurai  ce  marquisat, 
J'en  prends  d'avance  ici  le  titre  en  mon  contrat. 

LisiMON,  lui  frappant  sur  l'épaule. 
C'est  bien  fait,  mon  garçon;  la  chose  t'est  permise. 

(A  Isabelle.) 
Je  te  fais  compliment,  Madame  la  marquise. 

M.  Josse,  au  Comte, 
Est-ce  tout? 

Le  Comte,  se  levant. 
Comment  tout?  Seigneur... 


i34  LE    GLORIEUX 

M.  JOSSE. 

Et  caetera. 

Cette  tirade-là  jamais  ne  finira. 
Le  Comte. 
Mettez  «  et  autres  lieux  »,  en  très  gros  caractère. 

Isabelle,  à  Lisette. 
En  lettres  d'or. 

Lisette,  à  Isabelle. 
Paix  donc  ! 
Isabelle,  à  Lisette. 

Je  ne  saurois  me  taire. 
Je  ne  puis  me  prêter  à  tant  de  vanité. 

Lisette,  à  Isabelle. 
C'est  le  foible  commun  des  gens  de  qualité. 
Leurs  titres  bien  souvent  font  tout  leur  patrimoine. 
M.  JossE,  à  Lisimon. 

{Il  lit.) 
A  vous  présentement,  Monsieur.  Messire  Antoine 
Lisimon... 

Le  Comte,  d'un  air  surpris. 
Antoine  1 

Lisimon. 
Oui. 
Le  Comte. 

Quoi!  c'est  là  votre  nom? 
Antoine!  Est-il  possible? 

Lisimon. 

Eh  !  parbleu,  pourquoi  non? 
Le  Comte. 
Ce  nom  est  bien  bourgeois! 


ACTE   V,    SCÈNE   V  i35 

LiSIMON. 

Mais  pas  plus  que  les  autres  ; 
Je  crois  que  mon  patron  valoit  bien  tous  les  vôtres. 

Le  Comte,  d'un  air  dédaigneux. 
Passons,  Monsieur,  passons.  Vos  titres.  C'est  le  point 
Dont  il  s'agit  ici. 

LiSIMON. 

Qui,  moi?  Je  n'en  ai  point. 
Le  Comte. 
Comment  donc?  Vous  n'avez  aucune  seigneurie? 

LiSIMON. 

Ah  !  je  me  souviens  d'une.  Ecrivez,  je  vous  prie. 

{Il  dicte.) 
Antoine  Lisimon,  écuyer. 

Le  Comte. 

Rien  de  plus? 

LiSIMON. 

Et  seigneur  suzerain...  d'un  million  d'écus. 

Le  Comte. 
Vous  vous  moquez,  je  crois?  L'argent  est-il  un  titre? 

LlSlMON. 

Plus  brillant  que  les  tiens.  Et  j'ai  dans  mon  pupitre 
Des  billets  au  porteur  dont  je  fais  plus  de  cas 
Que  de  vieux  parchemins,  nourriture  des  rats. 

M.  JossE. 
Il  a  raison. 

Le  Comte. 
Pour  moi,  je  tiens  que  la  noblesse... 

M.  JossE. 
Oh  !  nous  autres  bourgeois,  nous  tenons  pour  l'espèce. 


i36  LE    GLORIEUX 

[A  Lisiinon.  ) 
Çà,  stipulons  la  dot. 

LiSIMON. 

Le  gendre  que  je  prens 
M'engage  à  la  porter  à  neuf  cent  mille  francs. 

M.  JossE,  au  Comte. 
Voilà  pour  la  future  un  titre  magnifique, 
Et  qui  soutiendra  bien  votre  noblesse  antique. 

Le  Comte,  à  M.  Josse,  bas. 
Monsieur  le  garde-note,  oui,  l'argent  nous  soutient; 
Mais  nous  purifions  la  source  dont  il  vient. 

M.  JossE. 
Et  quel  douaire  aura  l'épouse  contractante? 

Le  Comte. 
Quel  douaire.  Monsieur?  Vingt  mille  francs  de  rente. 

Lisette,  à  part. 
Mon  frère  est  magnifique.  En  tout  cas,  je  sais  bien 
Que,  s'il  donne  beaucoup,  il  ne  s'engage  à  rien. 

M.  Josse,  au  Comte. 
Sur  quoi  l'assignez-vous? 

LiSIMON. 

Oui. 
Le  Comte,  dictant. 

Sur  la  baronnie 
De  MontorgueiL 

M.  Josse,  se  levant. 
Voilà  votre  affaire  finie. 

LiSIMON. 

Signons  donc  maintenant.  La  noce  se  fera 
Aussitôt  qu'à  Paris  ton  père  arrivera. 


ACTE    V,    SCENE    V  137 

Le  Comte. 
VTon  père,  dites-vous?  Il  ne  faut  point  l'attendre, 
famais  en  ce  pays  il  ne  pourra  se  rendre. 
La  goutte  le  retient  au  lit  depuis  six  mois. 

Lisette,  à  part. 
Mon  frère,  en  vérité,  ment  fort  bien  quelquefois. 

Le  Comte. 
Mais  nous  irons  le  voir  après  le  mariage. 

LiSIMON. 

Avec  bien  du  plaisir  je  ferai  le  voyage. 


SCÈNE  VI  ET  DERNIÈRE. 

Les    Acteurs    précédens,    LYCANDRE. 

Le  Comte,  à  part. 
Ah!  le  voici  lui-même.  O  Ciel!  quel  incident! 

LisiMON,  à  Lycandre. 
Que  voulez-vous?  Parbleu,  c'est  monsieur  l'intendant. 

Lycandre,  au  Comte. 
Je  viens  savoir,  mon  fils... 

Valère  et  Isabelle. 

Son  fils  ! 
Le  Comte,  à  part. 

Je  meurs  de  honte. 

LiSIMON. 

Vous  m'aviez  donc  trompé?  Répondez,  mon  cher  Comte. 

Le  Comte,  à  Lycandre. 
Eh  quoi!  Dans  cet  état  osez-vous  vous  montrer? 

18 


i38  LE    GLORIEUX 

Lycandre. 
Superbe,  mon  aspect  ne  peut  que  t'honorer. 
Mon  arrivée  ici  t'alarme  et  t'importune; 
Mais  apprends  que  mes  droits  vont  devant  ta  fortune. 
Rends-leur  hommage,  ingrat,  par  un  plus  tendre  accueil 

Le  Comte. 
Eh!  le  puis-je,  au  moment...? 

LiSIMON. 

Baron  de  Montorgueil, 
C'est  donc  là  ce  superbe  et  brillant  équipage 
Dont  tu  fâisois  tantôt  un  si  bel  étalage? 

Lycandre,  à  Lisimon. 
L'état  où  je  parois  et  sa  confusion 
D'un  excessif  orgueil  sont  la  punition. 

[Au  Comte.) 
Je  la  lui  réservois.  Je  bénis  ma  misère, 
Puisqu'elle  t'humilie  et  qu'elle  venge  un  père. 
Ah!  bien  loin  de  rougir,  adoucis  mes  malheurs. 
Parle,  reconnois-moi. 

Isabelle,  à  Lisette. 

Vous  voilà  tout  en  pleurs, 
Lisette  ? 

Lisette,  à  Isabelle. 
Vous  allez  en  apprendre  la  cause. 
Lycandre,  au  Comte. 
Je  vois  qu'à  ton  penchant  ta  vanité  s'oppose. 
Mais  je  veux  la  dompter.  Redoute  mon  courroux, 
Ma  malédiction,  ou  tombe  à  mes  genoux. 

Le  Comte. 
Je  ne  puis  résister  à  ce  ton  respectable. 


ACTE    V,    SCÈNE  VI   ET  DERNIÈRE         189 

Eh  bien!  vous  le  voulez,  rendez-moi  méprisable. 
Jouissez  du  plaisir  de  me  voir  si  confus. 
Mon  cœur,  tout  fier  qu'il  est,  ne  vous  méconnoît  plus. 
Oui,  je  suis  votre  fils,  et  vous  êtes  mon  père. 
Rendez  votre  tendresse  à  ce  retour  sincère. 

(7/  se  met  aux  genoux  de  Lycandre.) 
Il  me  coijte  assez  cher  pour  avoir  mérité 
D'éprouver  désormais  toute  votre  bonté. 

LisiMON,  à  Lycandre. 
Il  a,  ma  foi,  raison.  Par  ce  qu'il  vient  de  faire. 
Je  jurerois,  morbleu,  que  vous  êtes  son  père. 
Lyc\ndre  relève  le  Comte  et  l'embrasse. 
En  sondant  votre  cœur,  j'ai  frémi,  j'ai  tremblé. 
Mais,  malgré  votre  orgueil,  la  nature  a  parlé. 
Qu'en  ce  moment  pt)ur  moi  ce  triomphe  a  de  charmes  I 
Je  dois  donc  maintenant  terminer  vos  alarmes. 
Oublier  vos  écarts  qui  sont  assez  punis. 
Mon  fils,  rassurez-vous.  Nos  malheurs  sont  finis. 
Le  Ciel,  enfin  pour  nous  devenu  plus  propice, 
A  de  mes  ennenns  confondu  la  malice. 
Notre  auguste  monarque,  instruit  de  mes  malheurs 
Et  des  noirs  attentats  de  mes  persécuteurs. 
Vient  par  un  juste  arrêt  de  finir  ma  misère. 
Il  me  rend  mon  honneur;  à  vous  il  rend  un  père 
Rétabli  dans  ses  droits,  dans  ses  biens,  dans  son  rang, 
Enfin  dans  tout  l'éclat  qui  doit  suivre  mon  sang. 
J'en  reçois  la  nouvelle.  Et  ma  joie  est  extrême 
De  pouvoir  à  présent  vous  l'annoncer  moi-même. 

Le  Comte. 
Qu'entends-je?  juste  Ciel!  Fortune,  ta  faveur 


140  LE    GLORIEUX 

Au  mérite,  aux  vertus,  égale  le  bonheur; 

Oui,  tu  me  rends  mes  biens,  mon  rang  et  ma  naissance. 

Et  j'en  ai  désormais  la  pleine  jouissance. 

Lycandre. 
Devenez  plus  modeste  en  devenant  heureux. 

LiSIMON. 

C'est  bien  dit.  Je  vous  fais  compliment  à  tous  deux. 
Je  n'ai  pas  attendu  ce  que  je  viens  d'apprendre 
Pour  choisir  votre  fils  en  qualité  de  gendre. 
Parce  qu'à  l'orgueil  près  il  est  joli  garçon. 
Voici  notre  contrat;  signez-le  sans  façon. 

Lycandre. 
Quoique  notre  fortune  ait  bien  changé  de  face, 
De  vos  bontés  pour  lui  je  dois  vous  rendre  grâce; 
Et,  pour  m'en  acquitter  encor  plus  dignement, 
Je  prétends  avec  vous  m'allier  doublement. 

LiSIMON. 

Comment? 

Lycandre. 
Pour  votre  fils  je  vous  offre  ma  fille. 
Valère,  à  Lisette. 
Je  suis  perdu. 

LiSIMON. 

L'honneur  est  grand  pour  ma  famille. 
Très  agréablement  vous  me  voyez  surpris. 
J'accepte  le  projet.  Mais  est-elle  à  Paris, 
Votre  fille? 

Lycandre. 
Sans  doute.  Approchez-vous,  Constance, 
Et  recevez  l'époux... 


ACTE    V,   SCÈNE    VI    ET    DERNIÈRE        141 

LiSIMON. 

Vous  VOUS  moquez,  je  pense? 
C'est  Lisette. 

Lycandre. 
Ce  nom  a  causé  votre  erreur. 
Venez,  ma  fille.  Comte,  embrassez  votre  sœur. 

LiSIMON. 

Sa  sœur,  femme  de  chambre? 

Lycandre,  au  Comte. 

Une  telle  aventure 
Des  jeux  de  la  fortune  est  une  preuve  sûre. 
Grâce  au  Ciel,  votre  sœur  est  digne  de  son  sang. 
Sa  vertu,  plus  que  moi,  la  remet  dans  son  rang. 

Valère. 
Quel  heureux  dénoûment!  Je  vais  mourir  de  joie. 

Isabelle,  à  Lisette. 
Je  prends  part  au  bonheur  que  le  Ciel  vous  envoie. 

Lisette,  au  Comte. 
En  me  reconnoissant,  confirmez  mon  bonheur. 

Le  Comte. 
Je  m'en  fais  un  plaisir.  Je  m'en  fais  un  honneur. 

LiSIMON,  à  Lycandre. 
Et  moi,  de  mon  côté,  je  veux  que  ma  famille 
Puisse  donner  un  rang  sortable  à  votre  fille  : 
Car  avec  de  l'argent  on  acquiert  de  l'éclat; 
Et  je  suis  en  marché  d'un  très  beau  marquisat. 
Dont  je  veux  que  mon  fils  décore  sa  future. 
Dès  ce  soir.  Monsieur  Josse,  il  faudra  le  conclure. 
Allez  voir  le  vendeur;  et  que  demain  mon  fils 
Ne  se  réveille  point  sans  se  trouver  marquis. 


142  LE    GLORIEUX 

[Au  Comte.) 
Êtes-vous  satisfait? 

Le  Comte. 
On  ne  peut  davantage. 

LiSIMON. 

Bon  !  nous  allons  donc  faire  un  double  mariage. 

Isabelle,  au  Comte. 
Mon  cœur  parle  pour  vous  ;  mais  je  crains  vos  hauteurs. 

Le  Comte. 
L'amour  prendra  le  soin  d'assortir  nos  humeurs, 
Comptez  sur  son  pouvoir;  que  faut-il  pour  vous  plaire? 
Vos  goûts,  vos  sentimens,  feront  mon  caractère. 

Lycandre. 
Mon  fils  est  glorieux;  mais  il  a  le  cœur  bon. 
Cela  répare  tout. 

LiSIMON. 

Oui,  vous  avez  raison. 
Et,  s'il  reste  entiché  d'un  peu  de  vaine  gloire, 
Avec  tant  de  mérite  on  peut  s'en  faire  accroire. 

Le  Comte. 
Non,  je  n'aspire  plus  qu'à  triompher  de  moi; 
Du  respect,  de  l'amour,  je  veux  suivre  la  loi. 
Ils  m'ont  ouvert  les  yeux  ;  qu'ils  m'aident  à  me  vaincre. 
Il  faut  se  faire  aimer,  on  vient  de  m'en  convaincre; 
Et  je  sens  que  la  gloire  et  la  présomption 
N'attirent  que  la  haine  et  l'indignation. 


Imprimé  par  Jouaust  et  Sigaux 


POUR    LA    COLLECTION 


DES    PETITS    CHEFS-D'ŒUVRE 


M  DCCC  LXXXIV 


-M 


^ 

5 
^ 


0 


EN   VENTE 

1.  Vc.^^i  ~~i~ur  de  ma  chambre, de  X.  ds 'Mahm.  2  fr.   50 

2.  Turcareî,  de  Le  Sage.  .  .  .' 3  fr.   50 

j.  Le  Méchant,  de  Gresset  (v.  ïi°  4; 3  fr.   ^0 

4.  Vfr-K^rf,  efr,,  de  Gresset  (v.  n»  3) 2  fr.     >- 

5.  Ld  Servitude  volontaire,   de  La  Boétie.   ...  2  fr.   ^0 

6.  Con/«i  d'Hamilton^  4  vol 13  fr.    50 

7.  V^ojiîgi:  de  Chapelle  et  de  Bachaumont 2  fr.   50 

8.  L'Art  d'aimer,  de  Gentil  Bernard 2  fr.   ^r; 

9.  Le  Temple  de  Gnide.  —  Arsace  et  hminie.  .   .  3  fr. 
10.  Le  Neveu  de  Rameau,  de  Diderot 4  fr. 

I  i.   Voyage  en  Laponie,  de  Regnard 3  fr.   ic 

12.  La  Chaumière  indienne.  —  Le  Caft  de  Surate  .  3  fr.     » 

13.  Lettres  portugaises 5  fr.     y^ 

14.  La  Farce  de  Palhelin 3  fr.   <o 

\S.  La  Gastronomie,  de  Berchoux 3  fr.     >. 

16.  La   Métromanie,  de  Piron ...  4  fr.     >- 

17.  Le  Diable  amoureux,  de  Cazotte 3  fr.   50 

18.  La   Dot  de  Suzette,  de  Fiévée 4  fr. 

19.  Mémoires  de  Perrault 4  fr. 

20.  Lettres  de  Mademoiselle  A'issé ^  ir. 

21.  Ourika,  de  M™  de  Duras  (v.  n°  23, 2  fr 

22.  Madrigaux  de  La  Sablière 4  fr. 

23.  Edouard,  de  M"»*  de  Duras  iv.  n*  21  .   ...  4  fr. 

24.  AdolphCi.de  Benjamin  Constant 4  fr. 

25.  Ctavijo,  de  Beaumarchais .  3  fr.     -- 

26.  Le  Philosophe  sans  le  savoir,  de  Sedaine.  ,  .-  3  fr.   50 

27.  Mademoiselle  de  Clermont,  de  M**"  de  Genlis.  3  fr.     i 

28.  Contes  et  Poésies  diverses  d'Hégésippe  Moreau 

(v.  n»  34; 4  !r.     » 

29.  Réflexions  sur  le  Divorce,  àt  h\^^  Nedcer.   .   .  3  fr.     ;. 

30.  Discours  sur  les  passions  de  l'amour,  de  Piscàl.  3  fr,   50 

31.  Conseils  à  une  am'u,  de  M"^  de  Puysieux.   .  3  fr.   50 

32.  Œuvres  choisies  de  Gilbert.  . 3  fr.     » 

35.  Rêveries  du  promeneur  solitaire,  de  J.-J.  Rous- 
seau          4  fr.    50 

34.  Chansons  d'Hégésippe  Moreau  (v,  n°  28).  .  .  3  fr.   ^o 

35  Mémoires  d'un  Jeune  Espagnol,  de  FioriaiL  .  .  J  fr. 

Janvier  1884- 

r  ' 


18d5X5 


r--. 


BINDir::  SEP  3  01970 


PQ     Destouches,  Philippe  Nericault 

1977      Le  glorieux 

D7G55 

1884. 


PLEASE  DO  NOT  REMOVE 
CARDS  OR  SLIPS  FROM  THIS  POCKET 

UNIVERSITY  OF  TORONTO  LIBRARY