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I
M^ 5' J — c— 7
D
LE JUDAÏSME
GOMME RACE ET GOMME RELIGION
GALMANN LÉVY, ÉDITEUR
ŒUVRES COMPLÈTES
D^ERNEST RENAN
HISTOIRE DES ORIGINES DU CHRISTIANISME
Sept volumes in-8". Prix de chaque volume : 7 fr. 50
vib de jésus.
Les Apôtres.
Saint Paul, avec
de saint Paul.
L'ANTECHRIST.
carie des voyages
Les Évangiles et la seconde géné-
ration CHRÉTIENNE.
L'ÉGLISE CHRÉTIENNE.
MARC-AURKLE et la FIN DU MONDE
ANTIQUE.
En préparation: Index général pour les sept volumes de l'Histoire des
Origines du Christianisme.
FORMAT IN-8»
Le Livre de Job, traduit de l'hébreu, avec une étude sur It) plan,
l'âge et le caractère du poème. Up volume , 7 fr. »
Le Cantique des cantiques, traduit de l'hébreu, avec une étude sur
le pion, l'âge et le caractère du poème. Un volume 6 fr. »
Histoire générale des langues sémitiques. Un volume 1 2 fr. »
L'Ecclésiaste, traduit de l'hébreu, avec une étude sur l'âge et le
caractère du livre, Un volume. , , . , s fr. w
études d'histoire religieuse. Un volume T fr. 50
AvERROÈs ET l'averroisme, ossal historique. Un volume 7 fr. 50
Essais de morale et de critique. Un volume 7 fr. 50
MÉLANGES d'histoire ET DE VOYAGES. Un VOlumO 7 fr. 50
Questions contemporaines. Un volume 7 fr. 50
La Réforme intellectuelle et morale. Un volume 7 fr. 50
Dialogues et philosophiques. Un volume 7 fr. 50
De l'origine du langage. Un volume 6 f r, »
Galiban, drame philosophique. Un demi -volume 3 fr. »
L'Eau de Jouvence, drame philosophique. Un demi-volume. 3 fr. »
Vie de Jésus, édition illustrée, broché 4 fr.; demi-reliure 7 fr. »
BROCHURES
La Chaire d'hébreu au Collège de France 1 f r. »
De la part des peuples sémitiques dans l*histoire de la civilisation... 1 fr. s
Discours de réception a l'académie française 1 f r. »
Lettre a un ami d'Allemagne fr. 50
La Monarchie constitutionnelle en France 1 fr. »
La Part de la famille et de l'Etat dans l'éducation. fr. 50
Qu'est-ce qu'une nation ? Conférence faite en Sorbonne 1 fr. »
Spinoza, conférence donnée à La Haye 1 fr. »
MISSION DE PHÉNIC1E
Cet ouvraee se compose d'un volume de texte, in-quarto, formant 888 pases, et
d'un album in-folio, contenant 70 planches, avec un titre et une table des
planches.
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Étude d'histoire religieuse 3 tr. 50
Vie de Jésus, édition populaire i fr. 25
VICTOR LE CLERC ET ERNEST RENAN
HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE AU XIV* SIÈCLE
Deux volumes grand in-8». — Prix : 16 fr.
imprimerie centrale des chemins de fer. — imprimerie chaix.
rue bergère, 20, paris. — 3330-3»
LE JUDAÏSME
COMME RACE ET COMME RELIGION
CONFÉRENCE
FAITE AU CERCLE 8AINT-8IH0N, LE 27 JANVIER 1883
PAR
ERNEST RENAN
Reprodtiction sténographigue
J^^
•CiU
PARIS
CALMANN LÉVY, ÉDITEUR
ANCIENNE MAISON MICHEL LÉVY FRÈRES
3, RUS AUBER, 3
1883
y^
^^-*w*
^ UNfyFîjgîTy ^
LE judaïsme
COMME RACE ET COMME RELIGION
Messieurs,
Votre accueil bienveillant me touche plus que je ne
saurais dire; mais la solennité de cette tribune me
trouble un peu. J'avais accepté de parler ce soir de-
vant vous, à la condition que notre entretien ne serait
qu'un simple échange de réflexions sans nul artifice
oratoire. Cet appareil de sténographie m'intimide; car,
ce que je voulais, c'était simplement de penser en
quelque sorte tout haut devant vous sur un des sujets
vers lesquels mes recherches se portent le plus souvent
depuis quelque temps. Je réclame votre indulgence
pour un exposé qui ne devait être, dans ma pensée,
qu'une simple conversation et que votre empressement
à venir y assister transforme en conférence. Le sujet
parle de lui-même et me soutiendra.
1
2 LE judaïsme
Je voudrais échanger quelques idées avec vous sur
la distinction que, selon moi, il importe de faire entre
la question religieuse et la question ethnographique en
ce qui concerne le judaïsme* Que le judaïsme soit
une religion et une grande religion, cela est clair
comme le jour. Mais on va d'ordinaire plus loin. On
considère le judaïsme comme un fait de race, on dit :
« la race juive y> ; on suppose, en un mot, que le
peuple juif, qui, à l'origine, créa cette religion. Ta
toujours gardée pour lui seul. On voit bien que le
christianisme s'en est détaché à une certaine époque ;
mais on se laisse aller volontiers à croire que ce petit
peuple créateur est resté toujours identique à lui-
même, si bien qu'un juif de religion serait toujours un
juif de sang. Jusqu'à quel point cela est-il vrai? Dans
quelle mesure ne convient-il pas de modifier une telle
conception? Nous allons l'examiner. Mais auparavant
permettez-moi de poser bien nettement la question au
moyen d'une comparaison.
Il y a dans le monde, à Bombay, une petite religion
qui est celle des parsis, l'ancienne religion de la Perse.
Dans ce cas, la question est bien claire. Le parsisme
est une religion qui a été nationale à l'origine et qui
est gardée par une race évidemment plus ou moins
homogène ; je ne crois pas qu'il y ait jamais eu» en
effets beaucoup de conversions au parsisme* Voilà donc
un fait religieux exactement connexe à un fait de
race*
Prenons, au contraire, le protestantisme dans les
GOMME RAGE ET GOMME RELIGION 3
pays OÙ il est en minorité, comme en France. Ici la
situation est inverse, il n'y a pas de fait ethnographique.
Pourquoi un homme est-il protestant? Parce que ses
ancêtres l'ont été. Pourquoi ses ancêtres l'ont-ils été ?
Parce qu'au xvi® siècle, ils se sont trouvés dans une dis-
position intellectuelle et morale qui les a amenés à
adopter la réforme du christianisme. L'ethnographie n'a
que faire en pareil cas, et c'est vainement qu'on vien-
drait dire que ceux qui se sont faits protestants au
xvi« siècle avaient bien pour cela quelque raison de
race. Ce serait là une subtilité, ou du moins une con-
sidération d'un autre ordre que celles dont nous nous
occupons en ce moment.
Dans le parsisme, au contraire, il y a certainement
un fait ethnographique ; car, je le répète, il y a très
peu d'esprit de prosélytisme dans cette petite société
religieuse parquée à Bombay.
Eh bien, quelle est la situation du judaïsme? Est-ce
quelque chose d'analogue au protestantisme, ou bien
est-ce une religion ethnographique comme le parsisme?
Voilà le point sur lequel je voudrais que nous réflé-
chissions ensemble aujourd'hui.
Il y a un principe fondamental qui ne m'arrêtera
pas longtemps, messieurs* Je parle devant des person-
nes au courant de la science, et le principe dont il
s'agit est en quelque sorte l'a 6 c de la science des
religions : c*est la distinction des religions nationales
ou locales et des religions universelles.
De i*eligions universelles, il n*y en a que trois. G*eat
4 LE judaïsme
d'abord le bouddhisme ou, pour mieux dire, l'hin-
douisme ; car nous voyons très bien maintenant qu'avant
la propagande bouddhiste, il y eut une propagande hin-
doue. Les anciens monuments de l'Indo-Chine ne sont pas
bouddhistes, ils sont brahmanistes, et le bouddhisme
n'est venu là que plus tard ; mais c'est surtout sous
la forme bouddhiste, nous le reconnaissons, que la
religion hindoue a été conquérante. La seconde des
religions universelles est le christianisme, et la troi-
sième l'islamisme. Ce sont là trois grands faits qui n'ont
rien d'ethnographique ; il y a des bouddhistes, des
chrétiens et des musulmans de toutes les races. Nous
savons au moins par à peu près la date de l'apparition
dans le monde de ces trois religions. Le bouddhisme
remonte à quatre ou cinq cents ans avant Jésus-Christ ;
ses grandes conquêtes viennent plus tard. Quant au
christianisme, à l'islamisme, nul doute sur l'époque
de leur formation.
Mais, en dehors de ces religions universelles, il y a
eu des milliers de religions locales et nationales.
Athènes a eu sa religion, Sparte a eu sa religion, toutes
les nations de l'antiquité avaient leur religion. Les lieux,
dans le monde ancien, avaient aussi leur religion.
C'est ici une des idées les plus enracinées de l'antiquité.
Au n°, au m® siècle de notre ère, l'éternel raisonne-
ment de Celse et des adversaires du christianisme
w
est que les pays ont des dieux qui les protègent, qui
s'intéressent à leurs destinées.
Cette vieille idée est exprimée de la manière la plus
GOMME RAGE ET GOMME RELIGION 5
naïve dans un récit du second livre des Rois, relatif à la
situation où se trouvèrent les Cuthéens qui avaient été
amenés par les Assyriens en Samarie. Il leur arrive
des mésaventures. Ils sont attaqués par des lions,
qu'ils regardent comme des émissaires du dieu du pays,
mécontent de ce qu'il n'est pas adoré à sa manière,
et ils envoient au gouvernement assyrien une pétition
se résumant à peu près en ceci : « Le dieu du pays
nous en veut de ce qu'il n'est pas servi comme il vou-
drait l'être ; envoyez-nous des prêtres qui sachent
comment nous pourrions le satisfaire. » Voilà donc
une idée tout autre assurément que celle du christia-
nisme et que celle du bouddhisme. Le dieu, en ce cas,
est essentiellement local et national.
Toutes les religions nationales ont péri. L'humanité a
voulu de plus en plus des religions universelles, expli-
quant à l'homme ses devoirs généraux et ayant la pré-
tention d'apprendre à l'humanité le secret de ses desti-
nées. Les religions nationales avaient un programme plus
limité: c'était le patriotisme, doublé de cette idée que
chaque pays a un génie qui veille sur lui et qui demande
à être servi d'une certaine manière. Cette théologie
étroite a complètement disparu. Elle a disparu devant
l'idée chrétienne, l'idée bouddhique et l'idée musulmane.
Cela a été un immense progrès. Je ne vois guère, dans
l'histoire des nations civilisées, que deux exemples
d'anciennes religions nationales qui aient survécu : c'est
d'abord le parsisme (et encore il faut dire que, pour
ses sectateurs, le parsisme présente, à beaucoup d'égards,
6 LE judaïsme
une physionomie universelle), — puis le judaïsme,
qui, d'après une certaine conception, serait la religion
d'un pays, le pays d'Israël ou le pays de Juda, con*
servéepar les descendants des habitants de ce pays.
Eh bien, je le répète, cela demande à être examiné
d'excessivement près. Que la religion israélite, que le
judaïsme ait été à l'origine une religion nationale,
cela est absolument hors de doute. C'est la religion
des Beni-Israël, laquelle, pendant des siècles, n'a pas
été essentiellement différente de celle des peuples voi-
sins, des Moabites, par exemple. lahveh, le dieu israé-
Irte, protège Israël, comme Chamos, le dieu moabite,
protège Moab. Nous savons maintenant fort bien quelle
était la manière de sentir en religion d'un Moabite,
depuis la découverte de cette inscription du roi Méscha
qui est au Louvre, et dans laquelle ce roi du ix® siècle
avant Jésus-Christ nous fait en quelque sorte ses con-
fidences religieuses. Je crois bien que les idées de
David étaient à peu près les mêmes. Il y a une asso-
ciation intime entre Méscha et son dieu Chamos :
Chamos intervient dans toutes les circonstances de la
vie du roi, lui donne des ordres, des conseils ; toutes
les victoires, c'est Chamos qui les remporte; le roi lui
fait de beaux sacrifices et traîne devant lui la vaisselle
sacrée des dieux vaincus. Il rémunère le dieu en pro-
portion de ce que le dieu lui a donné ; c'est la religion
du prêté-rendu. La religion d'Israël, elle aussi, a sans
doute été bien longtemps une religion égoïste, intéres-
sée, la religion d'un dieu particulier, lahveh.
GOMME RAGE ET GOMME RELIGION 7
Qu'eàt-oe qui a fait que ce culte de lahveh est de-
venu la religion universelle du monde civilisé? Ce sont
les prophètes, vers le viii® siècle avant Jésus-Cbrist,
Voilà la gloire propre d'Israël. Nous n'avons pas la
preuve que, chez les peuples voisins et plus ou moins
congénères des Israélites, chez les Phéniciens par
exemple, il y ait eu des prophètes. Il y avait sans
doute des nabis ^ que l'on consultait lorsqu'on avait perdu
son âne ou que l'on voulait savoir un secret. C'étaient
des sorciers. Mais les nabis d'Israël sont tout autre
chose. Ils ont été les créateurs de la religion pure.
Nous voyons, vers le viii^ siècle avant Jésus-Christ, ap-
paraître ces hommes, dont Isaïe est le plus illustre,
qui ne sont pas du tout des prêtres et qui viennent
dire : « Les sacrifices sont inutiles ; Dieu n'y prend
aucun plaisir. Comment pouvez-vous avoir une idée
assez basse de la Divinité pour ne pas comprendre que
ces mauvaises odeurs de graisse brûlée lui font mal
au cœur? Soyez justes; adorez Dieu avec des mains
pures ; voilà le culte qu'il réclame de vous. » Je ne
crois pas que, du temps du roi Méscha ou du roi Da-
vid, on ait beaucoup fait ce raisonnement. Dans ce
temps-là, la religion n'est qu'un échange de bons ser-
vices et d'hommages entre le dieu et son serviteur ;
au contraire, les prophètes proclament que le vrai ser
viteur de lahveh, c'est celui qui fait le bien. La
religion devient de la sorte quelque chose de moral,
d'universel ; elle se pénètre de l'idée de justice, et c'est
pour cela que ces prophètes d'Israël sont les tribuns
8 LE judaïsme
les plus exaltés qu'il y ait jamais eu, tribuns
d'autant plus âpres qu'ils n'ont pas la conception
d'une vie future pour se consoler, et que c'est ici-bas,
d'après eux, que la justice doil régner.
Voilà une apparition unique dans le monde, celle de
la religion pure. Vous voyez, en effet, qu'une pareille
religion n'a rien de national. Quand on adore un
Dieu qui a fait le ciel et la terre, qui aime le bien et
punit le mal (ceci était assez difficile à prouver sans
les idées d'outre-tombe; mais enfin on s'en tirait
comme on pouvait) ; quand on proclame une telle
religion, on n'est plus dans les limites d'une nationa-
lité, on est en pleine conscience humaine, au sens le
plus large. Aussi ces grands créateurs tirent-ils par-
faitement les conséquences de leur doctrine, consé-
quences dont la dernière aurait été certainement de
supprimer les sacrifices et le temple. Ils y seraient
arrivés; que dis-je! Ils y sont arrivés; les fondateurs
du christianisme sont les derniers représentants de
l'esprit prophétique ; or le christianisme proclame
que les sacrifices sont un fait absolument archaïque
et qui ne doit plus exister dans la religion selon
l'esprit.
Quant au temple, on accusa le fondateur du christia-
nisme d'avoir parlé contre lui ; l'a-t-il fait réellement ?
Nous ne le saurons jamais. Mais, en tout cas, un
événement est survenu qui a tranché la question :
c'est la destruction du temple par les Romains. Cette
destruction a été un immense bonheur, parce qu'il
GOMME RAGE ET GOMME RELIGION 9
est douteux que le christianisme eût réussi à se
détacher cooiplètement du temple, si le temple eût
subsisté.
Je le répète, le premier fondateur du christianisme,
c'est Isaïe, vers l'an 725 avant Jésus-Christ, En intro-
duisant dans le monde israélite l'idée d'une religion
morale, l'idée de la justice et de la valeur secondaire
des sacrifices, Isaïe a précédé Jésus de sept siècles. A
l'idée de la religion pure se joint, chez les prophètes, la
conception d'une espèce d'âge d'or, qui apparaît déjà
dans l'avenir. L'idée fondamentale d'Israël, c'est l'an-
•
nonce d'un avenir brillant pour l'humanité, d'un état
où la justice régnera sur la terre,oii les cultes inférieurs,
grossiers, idolâtriques, disparaîtront. Cela se trouve
dans les parties authentiques d'Isaïe. Vous savez qu'il
y a une analyse délicate à faire dans les œuvres de ce
prophète . La dernière partie du livre qu'on lui attribue
est postérieure à la captivité ; mais les chapitres que
j'ai en vue, les chapitres xi, xix, xxni, xxxii, par
exemple, sont indubitablement d'Isaïe lui-même; or
c'est là qu'on insiste le plus sur la conversion des
païens de l'Egypte, de Tyr, de l'Assyrie.
Ainsi l'idolâtrie disparaîtra du monde, elle dispa-
raîtra par le fait du peuple juif; le peuple juif sera
alors comme « une bannière » que les peuples verront
à l'horizon et autour de laquelle ils viendront se rallier.
L'idéal messianique ou sibyllin est donc arrêté bien
avant la captivité de Babylone. Israël rêve un avenir de
bonheur pour l'humanité, un royaume parfait dont la
10 LE judaïsme
capitale sera Jérusalem, où tous les peuples viendront
rendre hommage à TÉternel. Il est clair qu'une pareille
religion n'est pas nationale. Il y a au fond de tout cela
une part d'orgueil national, sans contredit : quelle est
l'œuvre historique où un tel fond ne se retrouve pas ?
Mais l'idée, vous le voyez, est universelle au premier
chef, et, de là à la propagande, à la prédication, il n'y
avait qu'un pas. Le monde, à cette époque, ne se prétait
pas à une grande propagande comme fut plus tard
l'apostolat chrétien. Les missions de saint Paul, les
relations des Églises entre elles n'étaient possibles
qu'avec l'empire romain. Mais l'idée d'une religion
universelle n'en est pas moins parfaitement née dans
le sein du vieil Israël. Elle se manifeste bien plus éner-
giquement encore dans les écrits de la captivité. Le
siècle qui suivit la destruction de Jérusalem fut pour le
génie juif une époque de merveilleux épanouissement.
Rappelez-vous les beaux chapitres qu'on a mis à la
suite du livre d'Isaïe : « Lève^toi, resplendis, Jérusalem;
car la lumière de l'Éternel va se lever sur toi ! »
Rappelez-vous encore l'image de Zacharie. « Il arrivera
un jour où dix hommes de toutes les langues s'attache-
ront aux pans de la robe d'un juif et lui diront :
« Mène-nous à Jérusalem ; c'est là qu'on fait les vrais
» sacrifices, les seuls qu'agrée l'Éternel ». La lumière
émanera donc du peuple juif, et cette lumière remplira
le monde entier . Une telle idée n'a rien d'ethno-
graphique ; elle est universelle au plus haut degré, et
le peuple qui la proclame est évidemment appelé à une
GOMME RAGK XT GOMME RELIGION 11
destinée qui dépassera de beaucoup les bornes d'un
rôle national déterminé.
Qu'arriva-t-il, au point de vue de la race, pendant
la captivité et surtout pendant cette longue période de
la domination perse, depuis Tan 530 environ avant Jésus-
Christ jusqu'à Alexandre ? Nous ne le savons pas. Y eut-il,
à cette époque, en Israël, beaucoup de mélanges ethni-
ques? Il serait téméraire de l'affirmer; mais, d'un
autre côté, on ne peut s'empêcher d'en reconnaître la
possibilité. La haie qui entourait Israël dut, pendant ce
temps de désorganisation, subir plus d'une brèche. Je ne
vois guère qu'un fait qu'on puisse rattacher à cet ordre
d'idées : c'est la profonde aversion que les réformateurs
Néhémie et Esdras manifestent pour les mariages mix-
tes. C'est chez eux une idée fixe. Il est probable que,
dans les bandes de juifs qui revenaient de l'Orient, il
y avait plus d'hommes que de femmes ; ce qui obligea
les émigranls à prendre des femmes dans les tribus
voisines. Ces unions sont prohibées au point de vue
religieux; mais c'est précisément parce qu'elles sont
sévèrement interdites qu'il est probable qu'elles avaient
lieu sur une très grande échelle.
Un fait qui a aussi son importance, est ce que l'on
raconte du royaume deSamarie, lequel, depuis sa des-
truction par les Assyriens, aurait été, nous dit-on,
peuplé par des étrangers. Il y a là probablement quel-
que exagération. Le pays, d'après les récits des livres
des Itois, aurait été un désert, ce qui n'est pas proba-
ble. Il n'est guère douteux cependant que les colons
12 LE judaïsme
amenés par les Assyriens n'aient introduit dans la masse
isréalite beaucoup d'éléments qui n'avaient rien de
commun avec elle.
Arrivons à l'époque grecque et romaine. C'est le
moment où le prosélytisme juif arrive à la plus com-
plète expansion ; c'est le moment aussi où l'ethnographie
du peuple juif, jusque-là renfermée dans des limites
assez resserrées, s'élargit tout à fait et admet une foule
d'éléments étrangers. Je parle à des personnes trop
instruites pour qu'il me soit nécessaire d'insister sur
les détails. Tout le monde sait combien fut active cette
propagande juive, durant l'époque grecque, à Antioche
et à Alexandrie.
En ce qui concerne Antioche, je voudrais appeler
votre attention sur un passage de Josèphe qui m'a
toujours paru fort curieux. C'est dans la Gueire des
Juifs, livre VIP, chapitre m, paragraphe 3. Josèphe
parle de la prospérité extraordinaire de la juiverie
d'Autioche, et il dit (je vous traduis littéralement ses
paroles) :
« Ayant amené à leur culte un grand nombre d'Hel-
lènes, ils en firent une partie de leur commu-
nauté. »
Il ne s'agit donc pas ici seulement d'hommes menant
la vie juive, comme cela eut lieu à Rome plus
tard, de prosélytes incirconcis; non, ce sont des
Hellènes en grand nombre (ttoVu icXtiôoç), qui se
convertissent au judaïsme et qui font partie de la
synagogue. Ce ne sont pas ici des demi-juifs, conune
GOMME RAGE ET COMME RELIGION t3
seront les judaïsants de la maison des Flavius;
ce sont des gens qui se font juifs et qui acceptent
l'acte capital qui les introduit définitivement dans le
judaïsme, la circoncision.
A Alexandrie, ce fut bien autre chose. Certainement
l'Église juive d'Alexandrie était recrutée en très grande
partie dans la population égypto-hellénique ; l'hé-
breu y fut vite oublié. C'est là que se fait cette pro-
duction énorme de livres de propagande qui a devancé
le christianisme, tous ces livres sibyllins, ces faux
auteurs classiques destinés à prêcher le mono-
théisme. On voulait à tout prix convertir les païens ;
les propagandistes, dans leur zèle, ne trouvaient
rien de mieux que de prêter à des écrivains anciens,
ayant de l'autorité, des ouvrages où les bonnes doc-
trines étaient enseignées. C'est ainsi qu'ont été fabri-
qués le PseudO'Phocylide^ le Pseiuio-Héraclite, destinés
à prêcher un judaïsme mitigé, réduit à une sorte de
religion naturelle.
Le fait de cette propagande extraordinaire du ju-
daïsme, de 150 ans environ avant Jésus-Christ jusqu'à
200 ans environ après notre ère, est incontestable.
Mais, me direz-vous, qui prouve trop ne prouve rien .
Le résultat de ce prosélytisme a été, pour le ju-
daïsme, religieux bien plus qu'ethnographique. Les
gens convertis de la sorte se faisaient très rarement
circoncire. Ce qu'on appelait à Rome vitam judaicam
agere, c'était simplement pratiquer le sabbat et la
morale juive. Les gens « craignant Dieu », les metuentes^
14 LE JCDAISME
les «SAjAsvot, judœi improfessi, ne sont pas resté» juifs ;
ils n'ont fait que traverser le judaïsme pour deveniT
chrétiens.
Sans doute, la plus grande partie de ces Hellènes
qui avaient adopté la vie juive sans la circoncision sont
devenus ensuite chrétiens. C'est chez eux que le chris-
tianisme a trouvé son terrain primitif. Mais il est cer-
tain également qu'un très grand nombre d'entre eux
devenaient de véritables juifs.
Vous venez d'en avoir la preuve par le passage de
Josèphe que je vous lisais tout à l'heure. Je pourrais
vous citer bien d'autres fails ; ce fait, par exemple, des
femmes de Damas qui, selon Josèphe, à un moment se
trouvèrent toutes juives. La Syrie était le théâtre d'une
propagande immense. Mon savant confrère, M. Joseph
Derenbourg, l'a parfaitement établi. Nous en avons la
preuve directe pour Palmyre, pour l'Iturée, pour le Hau-
ran. Rien de plus connu que l'histoire d*Hélène, reine
de l'Adiabène, qui se fit juive avec toute sa famille ; et il
est bien probable qu'une grande partie de la population
suivit l'exemple de la dynastie. Dans tous ces cas, il
ne s'agit point de simples ôeôwêitç, de gens « aimant
les juifs »; il s'agit de juifs parfaits, de juifs circoncis.
Quand on nierait l'importance des conversions au
judaïsme pour les pays grecs et latins, on ne saurait
la nier pour TOrient, pour la Syrie surtout. A Pal-
myre, par exemple, les inscriptions ont un caractère
juif très prononcé.
La dynastie des Asmonéens et celle des Hérodes
GOMME RAGE ET GOMME RELIGION IS
contribuèpent beaucoup à ce grand fait, qui entraîna
dans le judaïsme une masse d'éléments syriens. Les
Asmonéens furent conquérants ; ils reconstituèrent à
peu près l'ancien domaine d'Israël par la force. 11 y
avait là des populations qui n'étaient plus juives , il y
en avait beaucoup de païennes. Elles] furent conquises
par Jean Hyrcan, par Alexandre Jannée, et forcées
d'accepter la circoncision. Il y eut ainsi un compelle
intrare assez violent. Sous les Hérodes, l'entraînement
se fit par d'autres motifs. Les Hérodes étaient une
famille extrêmement riche, et l'appât de beaux ma-
riages amena beaucoup de petits princes de l'Orient,
d'Emôse, de Cilicie, de Comagène, à se faire juifs. Il
y eut ainsi un nombre considérable de conversions ;
si bien qu'on ne saurait exagérer le degré auquel
la Syrie a été réellement judaïsée.
Permettez-moi de vous lire à ce propos un passage
de Josèphe, dans son traité Contre Apion, II, 39.
« De là le désir qui s'empara de grandes multitudes
d'adopter notre culte, si bien qu'il n'y a pas une ville
grecque ou barbare, qu'il n'y a pas une nation où ne
se pratique l'usage du sabbat, des jeûnes, des lampes,
des distinctions de nourriture que nous observons. Ils
cherchent aussi à imiter notre concorde, nos aumônes,
notre goût pour le travail (rb çtXepybv èv T<xt(; Té^vatç), notre
Courage à tout souffrir pour la Loi. Car, ce qu'il y a de
plus surprenant, c'est que, sans aucun attrait de volupté^
la Loi par elle-même a fait ces miracles, et, de môme
que Dieu pénètre l'univers, ainsi la Loi s'est infiltrée
16 LE judaïsme
parmi tous les hommes. Si quelqu'un doute de ma
parole, je l'engage à jeter les yeux sur sa patrie, sur
sa famille. »
Remarquez ce ^tXepybv iv ratç xé^vaiç, « le goût que nous
portons dans nos métiers ». En effet, les juifs et les
chrétiens pratiquaient en général de petits métiers.
C'étaient de bons ouvriers. Là est un des secrets de
la grande révolution sociale du christianisme. Ce fut la
réhabilitation du travail libre.
Il y a dans le passage de Josèphe un peu d'exagéra-
tion ; Josèphe est très porté à ce défaut ; mais le fait
général qu'il signale a certainement son côté de vérité.
Voici maintenant un passage de Dion Cassius, qui
écrivait vers l'an 225. C'était un homme d'État, un
sénateur, qui connaissait son temps. Il va parler d'une
des guerres de Judée :
« .... Ce pays, dit-il (livre XXXVII, chap. xvnj, se
nomme Judée, et les habitants s'appellent Juifs. Je ne
connais pas l'origine de ce second nom ; mais il s'appli-
que à d'autres hommes qui ont adopté les institutions
de ce peuple, quoique étant d'une autre race (xateep
àXXoeôveiç ovtsç). Et il y a parmi les Romains beaucoup
de gens de cette sorte, et ce qu'on a fait pour les
arrêter n'a fait que les multiplier; si bien qu'il a fallu
leur accorder la liberté de vivre selon leurs lois. »
Ce passage est clair : Dion Cassius sait qu'il y a des
juifs de race, continuateurs de l'ancienne tradition,
mais qu'à côté d'eux, il y a des juifs qui ne sont pas
juifs de sang, qui néanmoins sont absolument sem-
COMME RAGE ET GOMME RELIGION 17
blables aux juifs pour les observances religieuses.
Incontestablement beaucoup de gens attirés vers le
monothéisme restaient dans cette espèce de déisme
dont nous trouvons la parfaite expression dans les
livres sibyllins ou dans le Pseudo-Phocylide^ curieux
petit livre, sorte de traité de morale fait pour les
païens, dont nous avons, du reste, comme une édition
chrétienne dans les prescriptions de ce qu'on appelle
le concile de Jérusalem. Ce judaïsme mitigé, fait à
l'usage des gentils, supprimait le grand obstacle aux
conversions, la circoncision. Il fit, grâce à la prédi-
cation chrétienne, une fortune extraordinaire. Mais ce
qu'il faut absolument maintenir, c'est que, d'un autre
côté, un grand nombre de convertis se faisaient cir-
concire et devenaient des juifs selon toutes les condi-
tions imposées aux descendants supposés d'Abraham.
Laissez-moi vous lire un passage de Juvénal {Sat.
XIV, vers 95 et suiv.) qui mérite qu'on en pèse tous
les mots :
Quidam sorliti metucntetn âabbata patrem
Nil prœter nubes et cœli numen adorant,
Nec distare putant humana carne suiilam,
Qua pater abstinuit, mox et prœputia ponuot;
Romanas autem soliti contemnere leges
Judaïcum ediscunt et servant ac metuunt jus^
Tradidît arcano quodcumque volumine Moses :
Non monstrare vias eadem nisi sacra colenti,
Quœsitum ad fontem solos deducere verpos.
Sed pater in causa est cui seplima quœque fuit lux
Ignava etpartem vitœ non attigit ullam.-
Ainsi cela commence par un père qui est un Srimple
2
18 LE judaïsme
« craignant Dieu » et se borne à pratiquer le sabbat ;
mais le fils de ce metuens devient un juif selon toute
la force du terme et môme un juif fanatique, un
contempteur des choses romaines.
Ce qu'ajoute Juvénal est probablement une calomnie.
Je ne crois pas que beaucoup de juifs, à cette époque,
aient porté le fanatisme jusqu'à ne pas montrer le
chemin à ceux qui n'étaient pas de leur religion.
Qu'importe, du reste? Il n'y a pas d'histoire imma-
culée. L'histoire du peuple juif est une des plus belles
qu'il y ait, et je ne regrette pas d'y avoir consacré
ma vie. Mais, que ce soit une histoire absolument
sans tache, je suis loin de le prétendre; ce serait
alors une histoire en dehors de l'humanité. Si je
pouvais mener une seconde vie, certainement je la
consacrerais à l'histoire grecque, qui est encore plus
belle, à certains égards, que l'histoire juive. Ce sont là,
en quelque sorte, les deux histoires maîtresses du
monde. Or, si j'écrivais l'histoire des peuples grecs,
cette histoire la plus merveilleuse de toutes, je ne me
refuserais pas à y signaler de mauvaises parties. On
peut admirer la Grèce sans se croire obligé d'admirer
Cléon et les mauvaises pages des annales de la déma- •
gogie athénienne. De même, parce qu'on trouve que le
peuple juif a été l'apparition peut-être la plus extraor-
dinaire de l'histoire, on n'est pas obligé pour cela de
nier qu'il ne se trouve dans sa longue vie de peuple
des faits regrettables.
Prenons donc les allégations de Juvénal pour ce
GOMME RAGE ET GOMME RELIGION 19
qu'elles valent ; mais suivons son raisonnement. Le
mal, selon lui, est Tentraînement de la société romaine
vers le judaïsme. Pourquoi y a-t-il tant de gens qui
renoncent à la tradition romaine pour adopter la tradition
des juifs ? C'est la faute de ceux qui ont d'abord embrassé
les pratiques juives, sans s'astreindre à la circonci-
sion. Les pères se sont mis à observer le sabbat ; ils ont
été tout simplement des metuentes, des hommes crai-
gnant Dieu ; les fils se font circoncire et deviennent
des juifs ardents.
Vous voyez que la grande propagande qui s'est faite
depuis Alexandre jusque vers le ni® siècle de notre ère
s'est faite surtout (ceci est hors de doute) au profit du
christianisme, mais s'est faite aussi au profit du ju-
daïsme étroit, impliquant les pratiques rigoureuses de
la vieille religion d'IsraëU Oui, le monde, à une cer-
taine époque, dégoûté des anciennes religions natio-
nales, s'est converti du paganisme au monothéisme.
Cette conversion s'est principalement faite par le
christianisme, mais elle s'est faite aussi par le judaïsme.
Je vous ai cité quelques textes; je pourrais vous en
citer d'autres. Transgressi in morem eorum^ dit Tacite,
idetn usurpant {Hist.^ V, 5i) 11 s'agit là de la circoncision.
Selon Tacite, ceux qui passaient au judaïsme se fai-
saient circoncire. Il y avait donc, parmi les cobvértis,
des gens qui menaient la vie juive sans être circoncis,
et d'autres qui étaient de véritables juifs.
tlne distinction profondément significative est celle
qui est établie par une loi d'Antonin le Pieux^ com-
âO L£ judaïsme
mentée par Modestin. Antonin permet aux juifs de cir-
concire leurs fils, mais leurs fils seulement. Je le répète,
quand l'autorité est amenée à défendre une pratique,
c'est que cette pratique est répandue et a pris une
extension considérable .
Je crois, Messieurs, que ces faits suffisent pour éta-
blir qu'à l'époque grecque et à l'époque romaine, il y a
eu une foule de conversions directes au judaïsme. Il
en résulte qu'à partir de cette époque le mot judaïsme
n'a plus une grande signification ethnographique.
Conformément à la prédiction des prophètes, le ju-
daïsme était devenu quelque chose d'universeL Tout le
monde y entrait. Le mouvement qui éloigna du paga-
nisme, aux premiers siècles de notre ère, les personnes
animées de sentiments religieux délicats, amena une
foule de conversions. Le plus grand nombre de ces con-
versions se fit certainement au christianisme, mais un
très grand nombre aussi se fit au judaïsme. La plu-
part des juifs de Gaule et d'Italie, par exemple,
durent provenir de telles conversions, et la synagogue
resta, à côté de l'Église, comme une minorité dissi-
dente .
Il est vrai qu'après cela se produit la grande réaction
talmudique, à la suite de la guerre de Bar-Coziba. Il
en est presque toujours ainsi dans l'histoire : quand
un grand et large courant d'idées se produit dans le
monde, ceux qui ont été les premiers à le provoquer
en sont les premières victimes ; alors ils se repentent
presque de ce qu'ils ont fait, et, d'excessivement libé-
GOMME RACE ET COMME RELIGION 21
raux qu'ils étaient, ils deviennent étonnamment réac-
tionnaires. (On rit.) Le Talmud, c'est la réaction. Le
judaïsme sent qu'il a été trop loin, qu'il va se fondre,
se dissoudre dans le christianisme. Alors il se resserre.
A partir de ce moment-là, le prosélytisme disparaît;
les prosélytes sont traités de fléau, de « lèpre d'Israël ».
Mais, avant cela, je le répète, les portes avaient été
largement ouvertes.
Le talmudisme même les a-t-il complètement fer-
mées? Non, certes; le prosélytisme, condamné par les
docteurs, n'en continua pas moins d'être pratiqué
par des laïques pieux, plus fidèles à l'ancien esprit que
les observateurs puritains de la Loi. Seulement, désor-
mais, il faut faire une distinction. Les juifs ortho-
doxes, observateurs rigoureux de la Loi, se serrent
les uns contre les autres, et, comme la Loi ne se
peut très bien observer que dans une société religieuse
étroitement fermée, ils se séquestrent systématique-
ment du reste du monde pendant des siècles. Mais^
en dehors des talmudistes scrupuleux, il y a des juifs
à idées plus larges.
Je ne connais rien de plus curieux à cet égard que
les sermons de saint Jean Chrysostome contre les juifs.
Le fond de la discussion, dans ces sermons, n'a pas un
grand intérêt ; mais l'orateur, alors prêtre d'Antioche,
se montre constamment obsédé d'une idée fixe : c'est
d'empêcher ses fidèles d'aller à la synagogue pour y
prêter serment, pour y célébrer la fête de Pâques. Il
est évident que la distinction des deux sectes, dans
32 LE judaïsme
cette grande ville d'Antioche, était, à cette époque,
encore à peine faite.
Grégoire de Tours nous a conservé, sur le judaïsme
dans les Gaules, des renseignements inappréciables. Il
y avait beaucoup de juifs à Paris, à Orléans, à Cler-
mont, Grégoire de Tours les combat comme des héré-
tiques. Il ne se doute pas que ce sont des gens d'une
autre race. Vous me direz que l'ethnographie n'était
pas très familière h un esprit aussi simple. Cela est
vrai; mais d'où venaient ces juifs d'Orléans et de
Paris? Pouvons-nous supposer que tous fussent les
descendants d'Orientaux venus de Palestine à une cer-
taine époque, et qui auraient fondé des espèces de
colonies dans certaines villes ? Je ne le crois pas. Il y
eut sans doute, en Gaule, des émigrés juifs, qui
remontèrent le Rhône et la Saône, et servirent en
quelque sorte de levain ; mais il y eut aussi une foule
de gens qui se rattachèrent au judaïsme par conversion
et qui n'avaient pas un seul ancêtre en Palestine. Et
quand on pense que les juiveries d'Allemagne et
d'Angleterre sont venues de France, on se prend à
regretter de n'avoir pas plus de données sur les
origines du judaïsme dans notre pays. On verrait pro-
bablement que le juif des Gaules du temps de Gontran
et de Chilpéric n'était, le plus souvent, qu'un Gaulois
professant la religion israélite.
Laissons de côté ces faits obscurs ; il y en a de beau-
coup plus clairs, d'abord la conversion de l'Arabie et de
TAbyssinie, qui n'est niée par personne. Le judaïsme
COMME RACE ET tîOMME RELIGION 23
avait accompli en Arabie, avant Mahomet, d'immenses
conquêtes; une foule d'Arabes s'y étaient rattachés. Il
n'a tenu qu'à un fil que TArabie ne soit devenue juive.
Mahomet a été juif à une certaine époque de sa vie, et
on peut dire, jusqu'à un certain point, qu'il l'est resté
toujours. Les Falaschas, ou juifs d'Abyssinie, sont des
Africains, parlant une langue africaine et lisant la Bible
traduite en cet idiome africain.
Mais il y a un événement historique plus important,
plus rapproché de nous, et qui semble avoir eu des
suites très graves : c'est la conversion des Khozars,
sur laquelle nous avons des renseignements précis. Ce
royaume des Khozars, qui occupait presque toute la
Russie méridionale, adopta le judaïsme vers le temps
de Gharlemagne. A ce fait historique, se rattachent les
karaïtes de la Russie méridionale et ces inscriptions
hébraïques de la Crimée où, dès le via® siècle, on
trouve des noms tàtars et turcs, tels que Toktamisch.
Est-ce qu'un juif d'origine palestinienne se serait jamais
appelé Toktamisch, au lieu de s'appeler Abraham,
Lévy ou Jacob? Évidemment non ; ce Toktamisch était
un Tatar, un Nogaï converti ou fils de converti.
Cette conversion du royaume des Khozars a une
importance considérable dans la question de l'origine
des juifs qui habitent les pays danubiens et le midi
de la Russie. Ces régions renferment de grandes
masses de populations juives qui n'ont probablement
rien ou presque rien d'ethnographiquepaent juif. Une
circonstance particulière a dû amener dans le sein
24 LE judaïsme
du judaïsme beaucoup de gens non juifs de race.
C'est l'esclavage ou la domesticité. Nous voyons
•que, dans tous les pays chrétiens, surtout dans les
pays slaves, la grande préoccupation des évêques,
des conciles, est de défendre aux juifs d'avoir des
serviteurs chrétiens. La domesticité favorisait le
prosélytisme, et les esclaves des juifs étaient entraînés
plus ou moins à la profession du judaïsme.
Il est donc hors de doute que le judaïsme représenta
d'abord la tradition d'une race particulière. Il est hors
de doute aussi qu'il y a eu dans le phénomène de la
formation de la race israélite actuelle un apport de sang
palestinien primitif; mais, en même temps, j'ai la con-
viction qu'il y a dans l'ensemble de la population juive,
telle qu'elle existe de nos jours, un apport considéra-
ble de sang non sémitique ; si bien que cette race, que
l'on considère comme l'idéal de Vethnos pur, se con-
servant à travers les siècles par l'interdiction des
mariages mixtes, a été fortement pénétrée d'infusions
étrangères, un peu comme cela a eu lieu pour toutes
les autres races. En d'autres termes, le judaïsme à
l'origine fut une religion nationale ; . il est redevenu
de nos jours une religion fermée; mais, dans
l'intervalle, pendant de longs siècles, le judaïsme
a été ouvert; des masses très considérables de
populations non israélites de sang ont embrassé le
judaïsme; en sorte que la signification de ce mot,
au point de vue de l'ethnographie, est devenue fort
douteuse.
GOMME RACE ET GOMME RELIGION 2o
On m'objectera ce qu'on appelle le type juif. Il y en
aurait long à dire sur ce point. Mon opinion est qu'il
n'y a pas un type juif, mais qu'il y a des types juifs.
J'ai acquis à cet égard une assez grande expérience,
ayant été pendan t dix ans à la Bibliothèque nationale,
attaché à la collection des manuscrits hébreux, en sorte
que les savants israélites du monde entier s'adressaient
à moi pour consulter notre précieuse collection. Je re-
connaissais très vite mes clients, et, d'un bout à l'autre
de la salle, je devinais ceux qui allaient venir à* mon
bureau. Eh bien, le résultat de mon expérience est
qu'il n'y a pas un type juif unique, mais qu'il y en
a plusieurs, lesquels sont absolument irréductibles les
uns aux autres. Comment la race s'est-elle ainsi can-
tonnée en quelque sorte dans un certain nombre de
types ? Par suite de ce que nous disions tout à l'heure,
par la séquestration, le ghetto, par l'interdiction des
mariages mixtes.
L'ethnographie est une science fort obscure ; car on
ne peut pas y faire d'expérience, et il n'y a de certain
que ce qu'on peut expérimenter. Ce que je vais dire
n'est pas pour prouver, c'est seulement pour expliquer
ma pensée. Je crois que, si l'on prenait au hasard des
milliers de personnes, celles, par exemple, qui se pro-
mènent en ce moment d'un bout à l'autre du boulevard
Saint-Germain, qu'on les suppose déportées dans une
île déserte et libres de s'y multiplier; je crois, dis-je
qu'au bout d'un temps donné, les types seraient
réduits, massés en quelque sorte, concentrés en un
i6 LE judaïsme
certain nombre de types vainqueurs des autres, qui
auraient persisté et qui se seraient constitués d'une
façon irréductible. La concentration des types résulte
du fait des mariages s'eflfectuant, pendant des siècles,
dans un cercle resserré.
On allègue aussi en faveur de l'unité ethnique des
juifs la similitude des mœurs, des habitudes. Toutes
les fois que vous mettrez ensemble des personnes de
n'importe quelle race et que vous les astreindrez à une
vie de ghetto, vous aurez les mêmes résultats. Il y a,
si l'on peut s'exprimer ainsi, une psychologie des
minorités religieuses, et cette psychologie est indépen-
dante de la race. La position des protestants, dans un
pays où, comme en France, le protestantisme est
en minorité, a beaucoup d'analogie avec celle des
juifs, parce que les protestants, pendant fort longtemps,
ont été obligés de vivre entre eux et qu'une foule de
choses leur ont été interdites, comme aux juifs. Il se
crée ainsi des similitudes qui ne viennent pas de la
race, mais qui sont le résultat de certaines analogies
de situation. Les habitudes d'une vie concentrée, gênée,
pleine d'interdictions, séquestrée en quelque sorte, se
retrouvent partout les mêmes, quelle que soit la race.
Les calomnies répandues dans les parties peu éclairées
delà population contre les protestants et contre les juifs
sont les mêmes. Les professions vers lesquelles une
secte exclue de la vie commune est obligée de se por-
ter sont les mêmes. Comme les juifs, les protestants
n'ont ni peuple ni paysans ; on les a empêchés d'en
GOMME RAGE ET GOMME RELIGION S7
avoir *. — Quant à la similitude d'esprit dans le
sein d'une môme secte, elle s'explique suffisamment
par la similitude d'éducation, de lectures, de pratiques
religieuses.
On observe en Syrie un fait qui vient à l'appui de
ma thèse. Il existe à une douzaine de lieues, au nord
de Damas, des villages où l'on parle encore l'ancien
syriaque, qui a presque disparu partout ailleurs, et
qu'on ne retrouve plus que là et à une grande dis-
tance au nord, du côté de Van et d'Ourmia. Les gens
de ces villages sont musulmans et ressemblent à tous
les musulmans de Syrie sous le rapport des mœurs.
S'il y a quelque chose de dissemblable au monde, c'est
le chrétien et le musulman en Syrie : le chrétien, qui
est la créature la plus timide du monde ; le musulman ,
qui a l'habitude de porter les armes et de dominer. On
dirait, au premier coup d'œil, qu'il y a là une diffé-
rence ethnographique bien caractérisée. A propos de
l'émotion qui eut lieu à Beyrouth il y a quelques mois,
mon excellent ami, le D^ S ... , m'écrivait que son do-
mestique rentra en lui disant : « S'il y avait eu là un
enfant musulman avec un sabre, il aurait pu tuer mille
chrétiens. » Eh bien, c'est ici que le fait des villages
aux environs de Damas prend un vif intérêt. S'il y a
1. Le travail sur les juifs de France dans la première moitié du
moyen âge, inséré dans le tome xxvii® de VHistoire littéraire de
la France, montre que, jusqu'aux ordonnances de Philippe le Bel,
les juifs de France exerçaient les mêmes métiers et professions
que les autres Français.
S8 LE judaïsme
au monde des Syriens authentiques, ce sont ces gens-
là, puisqu'ils parlent encore leur vieille langue; et
pourtant ils sont musulmans et ressemblent pour les
habitudes et les mœurs à tous les autres musulmans.
La différence qui existe entre eux et les Syriens chré-
tiens résulte donc de la différence du genre de vie et
d'une situation sociale prolongée durant des siècles ;
elle n'a absolument rien d'ethnographique.
De même, chez les juifs, la physionomie particulière
et les habitudes de vie sont bien plus le résultat de né-
cessités sociales qui ont pesé sur eux pendant des
siècles, qu'elles ne sont un phénomène de race.
Réjouissons-nous, Messieurs, que ces questions, si
intéressantes pour l'histoire et l'ethnographie, n'aient
en France aucune importance pratique. Nous avons, en
effet, résolu la difficulté politique qui s'y rattache de
la bonne manière. Quand il s'agit de nationalité, nous
faisons de la question de race une question tout à fait
secondaire, et nous avons raison. Le fait ethnographique,
capital aux origines de l'histoire, va toujours perdant
de son importance à mesure qu'on avance en civilisa-
tion. Quand l'Assemblée nationale, en 1791, décréta
l'émancipation des juifs, elle s'occupa extrêmement peu
de la race. Elle estima que les hommes devaient être
jugés non par le sang qui coule dans leurs veines,
mais par leur valeur morale et intellectuelle. C'est la
gloire de la France de prendre ces questions par le côté
humain. L'œuvre du xix® siècle est d'abattre tous les
ghettos, et je ne fais pas mon compliment à ceux qui
GOMME RAGE ET GOMME RELIGION 29
ailleurs cherchent à les relever. La race Israélite a
rendu au monde les plus grands services . Assimilée
aux différentes nations, en harmonie avec les diverses
unités nationales, elle continuera à faire dans l'avenir
ce qu elle a fait dans le passé. Par sa collaboration
avec toutes les forces libérales de l'Europe, elle con-
tribuera éminemment au progrès social de l'humanité.
(Applaudissements prolongés,)
FIN
IH1>RIMER1B CHAIX, ROB BERGÈRE, SO, PARIS. — 3318-3
L'ISLAMISME ET LA SCIENCE
L'ISLAMISME
ET
LA SCIENCE
CONFÉRENCE
rAITB A LA SORBONNB LB 39 HARS 1883
PAR
ERNEST RENAN
PARIS
CALMANN LÉVY, ÉDITEUR
ANCIENNE .MAISON MICHEL LÉVY FRÈRES
3, RUE AUBKR, 3
1883
Droits de reproduction et de traduction réservés.
f^s :i'' V
• 5
L'ISLAMISME ET LA SCIENCE
Mesdames et Messieurs,
J'ai déjà tant de fois fait l'épreuve de l'attention
bienveillante de cet auditoire que j'ai osé choisir, pour
le traiter aujourd'hui devant vous, un sujet des plus
subtils, rempli de ces distinctions délicates où il faut
entrer résolument quand on veut faire sortir l'histoire
du domaine des à peu près. Ce qui cause presque
toujours les malentendus en histoire, c'est le manque
de précision dans l'emploi des mots qui désignent les
nations et les races. On parle des Grecs, des Romains,
des Arabes comme si ces mots désignaient des groupes
humains toujours identiques à eux-mêmes, sans tenir
compte des changements produits par les conquêtes
militaires, religieuses, linguistiques, par la mode et
les grands courants de toutes sortes qui traversent
1
!2 l'islamisme et la science
l'histoire de rhumanité. La réalité ne se gouverne
pas selon des catégories aussi simples. Nous autres
Français, par exemple, nous sommes Romains par la
langue, Grecs par la civilisation, Juifs par la religion.
Le fait de la race, capital à l'origine, va toujours
perdant de son importance à mesure que les grands
faits universels qui s'appellent civilisation grecque,
conquête romaine, conquête germanique, christianis-
me, islamisme, renaissance, philosophie, révolution,
passent comme des rouleaux broyeurs sur les pri-
mitives variétés de la famille humaine et les forcent
à se confondre en masses plus ou moins homogènes.
Je voudrais essayer de débrouiller avec vous une
des plus fortes confusions d'idées que l'on commette
dans cet ordre, je veux parler de l'équivoque contenue
daffiifS ees mots : science arabe, philosophie arabe, art
arabe, aeience musulmane, civilisation musulmane. Des
idées vagues qu'on se fait sur ce point résultent beau-
coup de faux jugements et même des entewrs prati-
ques quelquefois assez graves.
Toute personne un peu instruite des choses de no-
tre teffljfxs voit clairement l'infériorité actuellie des pays
mosuhnans, la décadence des États gouvernés par l'is-
loHL,. kl nuUU^ intellectuelle des races qui tiennent
UfiiqueQieEt de eette religion leur eultm^e ei leur
éducatioa. Tous ceux qui «mt été* en Orient ou en
Afrique sont firappés de ce qus'a de fatal^enieiit
boruflé. l'esprit d'uB vrai ei?Dr^nt, de cette espèce de
ceick de fer <fui enteufe s» têie, la rend absolumeiH
L'LSLiAMISHE ET LA SGIIHGE 3
fermée à la science , incapable de rien apprendre ni
de s'ouvrir à aucune idée nouvelle. A partir de aom
initiation religieuse, vers l'âge de dix ou douze ans,
l'enfant musulman, jusque-là quelquefois assez éveillé,
devient tout à coup fanatique, plein d'une sotte fierté
de posséder ce qu'il croit la vérité absolue, heureux
comme d'un privilège de ce qui fait son infériorité.
Ce fol orgueil est le vice radical du musulman. L'ap-
parente simplicité de son culte lui inspire un mépris
peu justifié pour les autres religions. Persuadé que
Dieu donne la fortune et le pouvoir à qui bon lui
semble, sans tenir compte de Tinstruction ni du mé-
rite personnel, le musulman a le plus profond mépris
pour l'instruction, pour la science, pour tout ce qui
constitue l'esprit européen. Ce pli inculqué par la foi
musulmane est si fort que toutes les différences de
race et de nationalité disparaissent par le &it de la
conversion à l'islam. Le Berber, le Soudànien, le Cir-
cassien, l'Afghan, le Malais, l'Égyptien, le Nubien, de-
venus musulmans, ne sont plus des Berbers, des Soo-
daniens, des Égyptiens, etc . ; ce sont des musulmans
La Perse seule fait ici exception ; elle a su garder son
génie propre ; car la Perse a su prendre dans l'islam
une place à part ; elle est au fond bien plus chiite
que oHisulmaiiie.
Pbur atténuer les fâcheuses mduetions qu'on est juarté
à tirer de ce fdt si gâséral, contre l'islam, beaucoup
de personnes^ font Femarquer que cette décad^Me»
apiès tout, peut n'être qa'un fait transitoire. Paw «
4 l'islamisme et la science
rassurer sur l'avenir, elles font appel au passé. Cette
civilisation musulmane, maintenant si abaissée, a été
autrefois très brillante. Elle a eu des savants, des
philosophes. Elle a été, pendant des siècles, la maîtresse
de l'Occident chrétien. Pourquoi ce qui a été ne se-
rait-il pas encore? Voilà le point précis sur lequel je
voudrais faire porter le débat. Y a-t-il eu réellement
une science musulmane, ou du moins une science ad-
mise par l'islam, tolérée par l'islam?
Il y a dans les faits qu'on allègue une très réelle
part de vérité. Oui ; de l'an 775 à peu près, jusque
vers le milieu du treizième siècle, c'est-à-dire pendant
500 ans environ, il y a eu dans les pays musulmans
des savants, des penseurs très distingués. On peut
même dire que, pendant ce temps, le monde musul-
man a été supérieur, pour la culture intellectuelle, au
monde chrétien. Mais il importe de bien analyser ce
fait pour n'en pas tirer des conséquences erronées . Il
importe de suivre siècle par siècle l'histoire de la civi-
lisation en Orient pour faire la part des éléments di-
vers qui ont amené cette supériorité momentanée,
laquelle s'est bientôt changée en une infériorité tout à
fait caractérisée.
Rien de plus étranger à tout ce qui peut s'appeler
philosophie ou science que le premier siècle de l'islam.
Résultat d'une lutte religieuse qui durait depuis plu-
sieurs siècles et tenait la conscience de l'Arabie en
suspens entre les diverses formes du monothéisme
sémitique, l'islam est à mille lieues de tout ce qui
l'islamisme £T là science ^
peut s'appeler rationalisme ou scieace. Les cava-
liers arabes qui s'y rattachèrent comme à un pré-»
texte pour conquérir et piller furent, à leur heure,
les premiers guerriers du monde; mais c'étaient
assurément les moins philosophes des hommes. Un
écrivain oriental du treizième siècle, Aboulfaradj,
traçant le caractère du peuple arabe, s'exprime ainsi :
« La science de ce peuple, celle dont il se faisait gloire,
était la science de la langue, la connaissance de ses
idiotismes, la texture des vers, l'habile composition
de la prose. . . Quant à la philosophie. Dieu ne lui
en avait rien appris, et ne l'y avait pas rendu pro-
pre. » Rien de plus vrai. L'Arabe nomade, le plus
littéraire des hommes, est de tous les hommes le
moins mystique, le moins porté à la méditation.
L'Arabe religieux se contente, pour l'explication des
choses, d'un Dieu créateur, gouvernant le monde di-
rectement et se révélant à l'homme par des prophètes
successifs. Aussi, tant que l'islam fut entre les mains
de la race arabe, c'est-à-dire sous les quatre premiers
califes et sous les Omeyyades, ne se produisit-il dans
son sein aucun mouvement intellectuel d'un caractère
profane . Omar n'a pas brûlé, comme on le répète sou-
vent, la bibliothèque d'Alexandrie ; cette bibliothèque,
de son temps, avait à peu près disparu ; mais le prin-
cipe qu'il a fait triompher dans le monde était bien
en réalité destructeur de la recherche savante et du
travail varié de l'esprit.
Tout fut changé, quand, vers l'an 750, la Perse prit
6 l'islahiske kt la scikhge
le dessus et fit triompher la dynastie des enfants
d'Abbas sur celle des Beni-Omeyy a . Le centre de
rislam se trouva transporté dans la région du Tigre
et de TEuphrate. Or, ce pays était plein encore des
traces d'une des plus brillantes civilisations que l'Orient
ait connues, celle des Perses Sassanides, qui avait été
portée à son comble sous le règne de Chosroès Nou-
schirvan. L'art et l'industrie florissaient en ces pays
depuis des siècles. Chosroès y ajouta l'activité intel-
lectuelle. La philosophie, chassée de Constantinople,
vint se réfugier en Perse; Chosroès fit traduire les li-
vres de l'Inde. Les chrétiens nestoriens, qui formaient
l'élément le plus considérable de la population, étaient
versés dans la science et là philosophie grecques ; la
médecine était tout entière entre leurs mains ; leurs
évêques étaient des logiciens, des géomètres. Dans les
épopées persanes, dont la couleur locale est emprun-
tée aux temps sassanides, quand Roustem veut con-
struire un pont, il fait venir im djathalik (catholicoSj nom
des patriarches ou évêques nestoriens) en guise d'in-
génieur.
Le terrible coup de vent de l'islam arrêta net, pen-
dant une centaine d'années, tout ce beau développe-
ment iranien. Mais l'avènement des Abbasides sembla
une résurrection de l'éclat des Chosroès. La révolution
qui porta cette dynastie au trône fut faite par des
troupes persanes, ayant des chefs persans. Ses fonda-
teurs, Aboul-Abbas et surtout Mansour, sont toujours
entourés de Persans. Ce sont en (juelque sorte des Sas-
L'iSliA^MISUE £T LA SCIENCE 7
sanides ressuscites ; les conseillers intimes, les précep*
teurs des princes, les premiers ministres sont les Bar-
mékides, famille de l'ancienne Perse, très éclairée,
restée fidèle au culte national, au parsisme, et qui ne
se convertit à Tislam que tard et sans conviction. Les
nestoriens entourèrent bientôt ces califes peu croyants
et devinrent, par une sorte de privilège exclusif, leurs
premiers médecins. Une ville qui a eu dans l'his-
toire de l'esprit humain un rôle tout à fait à part,
la ville deHarran, était restée païenne et avait gardé
toute la tradition scientifique de l'antiquité grecque;
elle fournit à la nouvelle école un contingent consi-
dérable de savants étrangers aux religions révélées,
surtout d'habiles astronomes.
Bagdad s'éleva comme la capitale de cette Perse
renaissante. La langue de la conquête, l'arabe, ne
put être supplantée, non plus que la religion tout à
fait reniée; mais l'esprit de cette nouvelle civilisation
fut essentiellement mixte. Les Parsis, les chrétiens,
l'emportèrent; l'administration, la police en particu-
lier, fut entre les mains des chrétiens. Tous ces
brillants califes, contemporains de nos Carlovingiens,
Mansour, Haroun al-Raschid, Mamoun sont à peine
musulmans. lis pratiquent extérieurement la religion
dont ils sont les chefs, les papes, si l'on peut s'ex-
primer ainsi; mais leur esprit est ailleurs. Ils sont
curieux de toute chose, surtout des choses exotiques
et païennes; ils interrogent l'Inde, la vieille Perse, la
Grèce surtout. Parfois, il est vrai, les piétistes mu-
8 l'islamisme et la science
sulmans amènent à la cour d'étranges réactions ; le
oalife, à certains moments, se fait dévot et sacrifie
ses amis infidèles ou libres penseurs ; puis le soufile
de l'indépendance reprend le dessus ; alors le calife
rappelle ses savants et ses compagnons de plaisir, et
la libre vie recommence, au grand scandale des
musulmans puritains.
Telle est l'explication de cette curieuse et attachante
civilisation de Bagdad, dont les fables des Mille et une
Nuits ont fixé les traits dans toutes les imaginations;
mélange bizarre de rigorisme officiel et de secret
relâchement, âge de jeunesse et d'inconséquence, où
les arts sérieux et les arts de la vie joyeuse fleuris-
sent grâce à la protection des chefs mal pensants
d'une religion fanatique; où le libertin, bien que
toujours sous la menace des plus cruels châtiments,
était flatté, recherché à la cour. Sous le règne de
ces califes, parfois tolérants, parfois persécuteurs à
regret, la libre pensée se développa ; les motecallemîn
ou « disputeurs » tenaient des séances où toutes les
religions étaient examinées d'après la raison. Nous
avons en quelque sorte le compte rendu d'ime de
ces séances fait par un dévot . Permettez-moi de vous
le lire, tel que M. Dozy l'a traduit.
Un docteur de Kairoan demande à un pieux théo-
logien espagnol, qui avait fait le voyage de Bagdad,
si, pendant son séjour dans cette ville, il avait assisté
aux séances des motecallemîn. « J'y ai assisté deux
fois, répond l'Espagnol , mais je me suis bien gardé
l'islamisme et la science 9
d'y retourner. — Et pourquoi ? lui demanda son
interlocuteur. — Vous allez en juger, répondit le
voyageur. A la première séance à laquelle j'assistai,
se trouvaient non seulement des musulmans de toute
sorte, orthodoxes et hétérodoxes, mais aussi des
mécréants, des guèbres, des matérialistes, des athées,
des juifs, des chrétiens ; bref, il y avait des incrédules
de toute espèce. Chaque secte avait son chef, chargé
de défendre les opinions qu'elle professait, et, chaque
fois qu'un de ces chefs entrait dans la salle, tous
se levaient eu signe de respect, et personne ne
reprenait sa place avant que ce chef se fût assis. La
salle fut bientôt comble, et, lorsqu'on se vit au
complet, un des incrédules prit la parole : « Nous
» sommes réunis pour raisonner, dit-il. Vous
» connaissez tous les conditions. Vous autres, musul-
j> mans, vous ne nous alléguerez pas des raisons
» tirées de votre livre ou fondées sur l'autorité de
» votre prophète ; car nous ne croyons ni à l'un ni à
» l'autre. Chacun doit se borner à des arguments
» tirés de la raison. » Tous applaudirent à ces
paroles. Vous comprenez, ajoute l'Espagnol, qu'après
avoir entendu de telles choses, je ne retournai plus
dans cette assemblée. On me proposa d'en visiter
une autre ; mais c'était le même scandale. »
Un véritable mouvement philosophique et scienti-
fique fut la conséquence de cp ralentissement
momentané de la rigueur orthodoxe. Les médecins
syriens chrétiens, continuateurs des dernières écoles
10 l'isluiisme et là science
grecques, étaient fort versés dans la philosophie
péripatéticienne» dans les mathématiques, dans la
médecine, Tastronomie. Les califes les employèrent à
traduire en arabe l'encyclopédie d'Aristote, Euclide,
Galien, Ptolémée, en un mot tout l'ensemble de la
science grecque tel qu'on le possédait alors. Des
esprits actifs, tels qu'Alkindi, commencèrent à spé-
culer sur les problèmes étemels que l'homme se pose
sans pouvoir les résoudre. On les appela filsouf
(philosophos)^ et dès lors ce mot exotique fut pris en
mauvaise part comme désignant quelque chose
d'étranger à l'islam. Filsouf devint chez les musulmans
une appellation redoutable, entraînant souvent la
mort ou la persécution, comme zendik et plus tard
farmaçoun (franc-maçon). C'était, il faut l'avouer, le
rationalisme le plus complet qui se produisait au sein
de l'islam. Une sorte de société philosophique, qui
s'appelait les Ikhwan es-safa^ « les frères de la sincé-
rité, » se mit à publier une encyclopédie philosophique,
remarquable par la sagesse et l'élévation des idées.
Deux très grands hommes, Alfarabi et Avicenne, se
placent bientôt au rang des penseurs les plus complets
qui aient existé. L'astronomie et l'algèbre prennent,
en Perse surtout, de remarquables développements.
La chimie poursuit son long travail souterrain, qui se
révèle au dehors par d'étonnants résultats, tels que la
distillation, peut-être la poudre. L'Espagne musul-
mane se met . à ces études à la suite de l'Orient ; les
juifs y apportent une collaboration active. Ibn-Badja,
l'isulmishe et la sgiencj: Il
Ibn-Tofaïl, Averroès élèvent la pensée philosophique,
au douzième siècle, à des hauteurs où, depuis l'an-
liquiié, on ne l'avait point vue portée.
Tel est ce grand ensemble philosophique, que Ton
a coutume d'appeler arabe, parce qu'il est écrit en
^rabe, mais qui est en réalité gréco-sassanide. Il serait
plus exact de dire grec; car l'élément vraiment
fécond de tout cela venait de la Grèce. On valait, dans
ces temps d'abaissement, en proportion de ce qu'on
savait de la vieille Grèce. La Grèce était la source
unique du savoir et de la droite pensée. La supériorité
de la Syrie et de Bagdad sur l'Occident latin venait
uniquement de ce qu'on y touchait de bien plus près
la tradition grecque. Il était plus facile d'avoir un
Euclide, un Ptolémée, un Aristote à Harran, à Bagdad
qu'à Paris. Ah ! si les Byzantins avaient voulu être
gardiens moins jaloux des trésors qu'à ce moment ils
ne lisaient guère ; si, dès le huitième ou le neuvième
siècle, il y avait eu des Bessarion et des Lascaris !
On n'aurait pas eu besoin de ce détour étrange qui
fit que la science grecque nous arriva au douzième
siècle, en passant par la Syrie, par Bagdad, par
Cordoue, par Tolède. Mais cette espèce de providence
secrète qui fait que, quand le flambeau de l'esprit
humain va s'éteindre entre les mains d'un peuple, un
autre se trouve là pour le relever et le rallumer,
donna une valeur de premier ordre à l'œuvre, sans
cela obscure, de ces pauvres Syriens, de ces filsouf
persécutés, de ces Harraniens que leur incrédulité
12 l'islamisme et la science
mettait au ban de l'humanité d'alors. Ce fut par ces
traductions arabes des ouvrages de science et de
philosophie grecque que l'Europe reçut le ferment
de tradition antique nécessaire à l'éclosion de son
génie.
En effet, pendant qu'Averroès, le dernier philosophe
arabe, mourait à Maroc, dans la tristesse et l'abandon,
notre Occident était en plein éveil. Abélard a déjà
poussé le cri du rationalisme renaissant. L'Europe a
trouvé son génie et commence cette évolution extraor-
dinaire, dont le dernier terme sera la complète éman-
cipation de l'esprit humain. Ici, sur la montagne
Sainte- Geneviève, se créait un sensonum nouveau pour
le travail de l'esprit. Ce qui manquait, c'étaient les
livres, les sources pures de l'antiquité. Il semble au
premier coup d'œil qu'il eût été plus naturel d'aller
les demander aux bibliothèques de Constantinople, où
se trouvaient les originaux, qu'à des traductions sou-
vent médiocres en une langue qui se prêtait peu à
rendre la pensée grecque. Mais les discussions reli-
gieuses avaient créé entre le monde latin et le monde
grec une déplorable antipathie; la funeste croisade
de 1204 ne fit que l'exaspérer. Et puis, nous n'avions
pas d'hellénistes ; il fallait encore attendre trois cents
ans pour que nous eussions un Lefèvre d'Étaples,
un Budé.
A défaut de la vraie philosophie grecque authenti-
que, qui était dans les bibliothèques byzantines, on
alla donc chercher en Espagne ime science grecque mal
l'islamisme et la science 13
traduite et frelalée. Je ne parlerai pas de Gerbert,
dont les voyages parmi les musulmans sont chose fort
douteuse; mais, dès le onzième siècle, Constantin
l'Africain est supérieur en connaissances à son temps
et à son pays, parce qu'il a reçu une éducation mu-
sulmane. De 1130 à HSO, un collège actif de traduc-
teurs, établi à Tolède sous le patronage de l'arche-
vêque Raymond, fait passer en latin les ouvrages les
plus importants de la science arabe. Dès les pre-
mières années du treizième siècle, TAristote arabe fait
dans l'Université de Paris son entrée triomphante.
L'Occident a secoué son infériorité de quatre ou cinq
cents ans. Jusqu'ici l'Europe a été scientifiquement
tributaire des musulmans. Vers le milieu du treizième
siècle, Ja balance est incertaine encore. A partir de
1275 à peu près, deux mouvements apparaissent avec
évidence ; d'une part, les pays musulmans s'abîment
dans la plus triste décadence intellectuelle; de l'autre,
l'Europe occidentale entre résolument pour Son compte
dans cette grande voie de la recherche scientifique de
la vérité, courbe immense dont l'amplitude ne peut
pas encore être mesurée.
Malheur à qui devient inutile au progrès humain!
Il est supprimé presque aussitôt. Quand la science dite
arabe a inoculé son germe de vie à l'Occident latin,
elle disparaît. Pendant qu'Averroès arrive dans les
écoles latines à une célébrité presque égale à celle
d'Aristote, il est oublié chez ses coreligionnaires.
Passé l'an 1200 à peu près, il n'y a plus un seul phi-
14 l'isj-akisbce kt la science
losophe arabe de renom, La philosophie avait tcmjonrs-
été persécutée au sein de Tislam, mais d'une façoa
qui n'avait pas réussi à la supprima. A partir de 1200^
la réaction théologique l'emporte tout à fait. La pfcî*
losophie est abolie dan^ les pays musulmans . Les his-
toriens et les polygraphes n'en parlent que comme
d'un souvenir, et d'un mauvais souvenir. Les mannr
scrits philosophiques sont détruits et deviennent rares^
L'astronomie n'est tolérée que pour la partie qui sert
à déterminer la direction de la prière. Bientôt la race
turque prendra l'hégémonie de l'islam, et fera prévaloir
partout son manque total d'esprit philosophique et
scientifique. A partir de ce moment, à quelques rares
exceptions près, comme Ibn-Khaldoun, l'islam ne
comptera plus aucun esprit large ; il a tué la science
et la philosophie dans son sein.
Je n'ai point cherché. Messieurs, à diminuer le rôle
de cette grande science dite arabe qui marque ime
étape si importante dans l'histoire de l'esprit humain.
On en a exagéré l'originalité sur quelques points, no-
tamment en ce qui touche l'astronomie; il ne £aut
pas verser dans lautre excès, en la dépréciant outre
mesure. Entre la disparition de la civilisation antique,
au sixième siècle, et la naissance du génie européen
au. douzième et au treizième, il y a eu ce qu'on peut
appeler la période arabe, durant laquelle la tradiitioiii
de l'esprit humain s'est £aite par les»régioafi conqui^ies^
à Fifidau. Cette science dite atabe, qa'a-t-elle d'anbe
en réalité? La langue, rien que la langue^ Ija conquête
l'islamisme et la science 15
musulmane avait porté la langue de l'Hedjaz jusqpcr'au
bout du monde . Il arriva pour l'arabe ce qui est
arrivé pour le latin, lequel est devenu, en Occident,
l'expression de sentiments et de pensées qui n'avaient
rien à faire avec le vieux Latiam. Averroès, Avicenne,
Albaténi sont des Arabes, comme Albert le Grand,
Roger Bacon, François Bacon, Spinoza sont des Latins.
Il y a un aussi grand malentendu à mettre la science
et la philosophie arabes au compte de FArabie qu'à
mettre toute la littérature chrétienne latine, tous les
scolastiques, toute la Renaissance, toute la science du
seizième et en partie du dix-septième siècle au compte
de la ville de Rome, parce que tout cela est écrit en
latin. Ce qu'il y a de bien remarquable, en effet, c*est
que, parmi les philosophes et les savants dits arabes,
il n'y en a guère qu'un seul, Alkindi, qui soit d'ori-
gine arabe; tous les autres sont des Persans, des
Transoxiens, des Espagnols, des gens de Bokhara, de
Samarkande, de Cordoue, de Séville. Non seulement,
ce ne sont pas des Arabes de sang ; mais ils n'ont rien
d'arabe d'esprit . Ils se servent de l'arabe ; mais ils en
sont gênés, comme les penseurs du moyen âge sont
gênés par le latin et le brisent à leur usage. L^arabe,
qui se prête si bien à la poésie et à une certaine élo-
quence, est un instrument fort incommode pour fe
métaphysique. Les philosophes et les savants arabes
sont en général d'assez mauvais écrivains.
Cette science n'est pas arabe. Est-elle du moins mu-
sulmane? L'îstemîsme a-t-il offert à ces recherches ra-
16 l'islamisme et la science
tionnnelles quelque secours tutélaire ? Oh ! en aucune
façon ! Ce beau mouvement d'études est tout entier
l'œuvre de parsis, de chrétiens, de juifs, de harraniens,
d'ismaéiiens, de musulmans intérieurement révoltés
contre leur propre religion. Il n'a recueilli des musul-
mans orthodoxes que des malédictions. Mamoun, celui
des califes qui montra le plus de zèle pour l'introduc-
tion de la philosophie grecque, fut damné sans pitié par
les théologiens ; les malheurs qui affligèrent son règne
furent présentés comme des punitions de sa tolérance
pour des doctrines étrangères à l'islam. Il n'était pas
rare que, pour plaire à la multitude ameutée par les
imans, on brûlât sur les places publiques, on jetât
dans les puits et les citernes les livres de philosophie,
d'astronomie. Ceux qui cultivaient ces études étaient
appelés zendiks (mécréants) ; on les frappait dans les
rues, on brûlait leurs maisons, et souvent l'autorité,
pour complaire à la foule, les faisait mettre à mort.
L'islamisme, en réalité, a donc toujours persécuté
la science et la philosophie'. Il a fini par les étouffer.
Seulement, il faut distinguer à cet égard deux pério-
des dans l'histoire de l'islam ; l'une, depuis ses com-
mencements jusqu'au douzième siècle, l'autre, depuis
le treizième siècle jusqu'à nos jours. Dans la première
période, l'islam, miné par les sectes et tempéré
par une espèce de protestantisme (ce qu'on appelle
le motazélisme), est bien moins organisé et moins
fanatique qu'il ne l'a été dans le second âge, quand
il est tombé entre les mains des races tartares et
l'islamisme et la science 17
berbères, races lourdes, brutales et sans esprit. L'is-
lamisme offre cette particularité qu'il a obtenu de
ses adeptes une foi toujours de plus en plus forte.
Les premiers Arabes qui s'engagèrent dans le mou-
vement croyaient à peine en la mission du Prophète
Pendant deux ou trois, siècles, l'incrédulité est à peine
dissimulée. Puis vient le règne absolu du dogme,
sans aucune séparation possible du spirituel et du
temporel ; le règne avec coercition et châtiments cor-
porels pour celui qui ne pratique pas ; un système,
enfin, qui n'a guère été dépassé, en fait de vexations,
que par l'Inquisition espagnole. La liberté n'est jamais
plus profondément blessée que par une organisation
sociale où le dogme règne et domine absolument la
vie civile. Dans les temps modernes, nous n'avons vu
que deux exemples d'un tel régime : d'une part, les
États musulmans ; de l'autre, l'ancien État pontifical
du temps du pouvoir temporel. Et il faut dire que la
papauté temporelle n'a pesé que sur un bien petit
pays, tandis que l'islamisme écrase de vastes portions
de notre globe et y maintient l'idée la plus opposée
au progrès : l'État fondé sur une prétendue révéla-
tion, le dogme gouvernant la société.
Les libéraux qui défendent l'islam ne le connaissent
pas. L'islam, c'est l'union indiscernable du spirituel
et du temporel, c'est le^ règne d'un dogme, c'est la
chaîne la plus lourde que l'humanité ait jamais portée.
Dans la première moitié du moyen âge, je le répète,
l'islam a supporté la philosophie, parce qu'il n'a pas
2
18 l'islamisme et là sgiejigs
pu l'empêcher ; il n'a pas pu l'empêcher, car il était
sans cohésion, peu outillé pour la terreur. La police
était entre les mains des chrétiens et occupée principa-
lement à poursuivre les tentatives des Alides. Une
foule de choses passaient à travers les mailles de ce
filet assez lâche. Mais, quand l'islam a disposé de
masses ardemment croyantes, il a tout étouffé. La
terreur religieuse et l'hypocrisie ont été à l'ordre du
jour. L'islam a été libéral quand il a été faible, et vio-
lent quand il a été forL Ne lui faisons donc pas honneur
de ce qu'il n'a pas pu empêcher. Faire honneur à l'islam
de la philosophie et de la science qu'il n'a pas tout
d'abord anéanties, c'est comme si l'on faisait honneur
aux théologiens des découvertes de la science moderne.
Ces découvertes se sont faites malgré les théologiens.
La théologie occidentale n'a pas été moins persécutrice
que celle de l'islamisme. Seulement, elle n'a pas réussi,
elle n'a pas écrasé l'esprit moderne, comme l'islamisme
a écrasé l'esprit des pays qu'il a conquis. Dans notre
Occident, la persécution théologique n'a réussi qu'en
un seul pays : c'est en Espagne. Là, un terrible système
d'oppression a étouffé l'esprit scientifique. Hâtons-
nous de le dire, ce noble pays prendra sa revanche.
Dans les pays musulmans, il s'est passé ce qui serait
arrivé en Europe si l'Inquisition, Philippe U et Pie V
avaient réussi dans leur plan d'arrêter l'esprit humain.
Franchement, j'ai beaucoup de peine à savoir gré aux.
gens du mal qu'ils n'xml pas pu iaire. Mon; les reli-
gions ont leurs grandes et belles heures, quand eilea
l'islamisme et la science 1^
consolent et relèvent les parties faibles de notre panvre
humanité ; mais il ne faut pas leur faire compliment
de ce qui est né malgré elles, de ce qu'elles ont cherché
à empêcher. On n'hérite pas des gens qu'on assassine ;
on ne doit point faire bénéficier les persécuteurs des
choses qu'ils ont persécutées.
C'est pourtant là ce que Ton fait quand on attribue
à l'influence de l'islam un mouyement qui s'est produit
malgré l'islam, contre l'islam, et que l'islam, heureu-
sement, n'a pas pu empêcher. Faire honneur à l'islam
d'Avicenne, d'Avenzoar, d'Averroès, c'est comme si l'on
faisait honneur au .catholicisme de Galilée. La théolo-
gie a gêné Galilée ; elle n'a pas été assez forte pour l'ar-
' rêter ; ce n'est pas une raison pour qu'il faille lui en
avoir une grande reconnaissance. Loin de moi des-
paroles d'amertume contre aucun des symboles dans
lesquels la conscience humaine a cherché le repos au
milieu des insolubles problèmes que lui présentent
l'univers et sa destinée! L'islamisme a de belles parties
comme religion; je ne suis jamais entré dans une
mosquée sans une vive émotion, le dirai-je? sans un
certain regret de n'être pas musulman. Mais, pour la
raison humaine, l'islamisme n'a été que nuisible. Les
esprits qu'il a fermés à la lumière y étaient déjà sans-
doute fermés par leurs propres bornes intérieures;;
mais il a persécuté la libre pensée, je ne dirai pas
plus violemment que d'autres systèmes religieux, mais
plus efficacement. Il a fait des pays qu'il a conquis
un champ fermé à la culture rationnelle de l'esprit.
^0 l'islamisme et la science
Ce qui distingue, en effet, essentiellement le musul-
man, c'est la haine de la science, c'est la persuasion
(jue la recherche est inutile, frivole, presque impie :
la science de la nature, parce qu'elle est une concur-
rence faite à Dieu; la science historique, parce que,
s'appliquant à des temps antérieurs à l'islam, elle
pourrait raviver d'anciennes erreurs. Un des témoi-
gnages les plus curieux à cet égard est celui du cheik
Rifaa, qui avait résidé plusieurs années à Paris comme
aumônier de l'École égyptienne, et qui, après son retour
en Egypte, fit un ouvrage plein des observations les
plus curieuses sur la société française. Son idée fixe est
que la science européenne, surtout par son principe
de la permanence des lois de la nature, est d'un bout •
à l'autre une hérésie; et, il faut le dire, au point de
vue de l'islam, il n'a pas tout à fait tort. Un dogme
révélé est toujours opposé à la recherche libre, qui peut
le contredire. Le résultat de la science est non pas
d'expulser, mais d'éloigner toujours le divin, de l'éloi-
gner, dis-je, du monde des faits particuliers où l'on
croyait le voir. L'expérience fait reculer le surnaturel
et restreint son domaine. Or le surnaturel est la base
de toute théologie. L'islam, en traitant la science comme
son ennemie, n'est que conséquent ; mais il est dange-
reux d'être trop conséquent. L'islam a réussi pour son
malheur. En tuant la science, il s'est tué lui-même,
et s'est condamné dans le monde à une complète infé-
riorité.
Quand on part de cette idée que la recherche es^
l'islamisme et la science 21
une chose, attentatoire aux droits de Dieu, on arrive
inévitablement à la paresse d'esprit, au manque de
précision, à l'incapacité d'être exact. Allah aalam,
« Dieu sait mieux ce qui en est », est le dernier mot
de toute discussion musulmane. Dans les premiers temps
de son séjour à Mossoul, M. Layard désira, en esprit
clair qu'il était, avoir quelques données sur la popula-
tion de la ville, sur son commerce, ses traditions histo-
riques. Il s'adressa au cadi, qui lui fît la réponse
suivante, dont je dois la traduction à une personne
amie :
« mon illustre ami, ô joie des vivants!
» Ce que tu me demandes est à la fois inutile et
nuisible. Bien que tous mes jours se soient écoulés
dans ce pays, je n'ai jamais songé à en compter les
maisons, ni à m'informer du nombre de leurs habitants.
Et, quant à ce que celui-ci met de marchandises sur
ses mulets, celui-là au fond de sa barque, en vérité,
c'est là une chose qui ne me regarde nullement. Pour
l'histoire antérieure de cette cité, Dieu seul la sait, et
seul il pourrait dire de combien d'erreurs ses habi-
tants se sont abreuvés avant la conquête de l'isla-
misme. 11 serait dangereux à nous de vouloir les
connaître.
» mon ami, ô ma brebis, ne cherche pas à con-
naître ce qui ne te concerne pas. Tu es venu parmi
nous et nous t'avons donné le salut de bienvenue ; va-
t'en en paix! A la vérité, toutes les paroles que tu
m'as dites ne m'ont fait aucun mal; car celui qui parle
22 l'islamisme et la science
est un, et celui qui écoute est uo autre. Selon la
coutume des hommes de ta nation, tu as parcouru
beaucoup de contrées jusqu'à ce que tu n'aies plus
trouvé le bonheur nulle part. Nous (Dieu en soit béni!),
nous sommes nés ici, et nous ne désirons point en
partir.
» Écoute, ô mon fils, il n'y a point de sagesse égale
à celle de croire en Dieu. Il a créé le monde; devons-
nous tenter de l'égaler en cherchant à pénétrer les
mystères de sa création? Vois cette étoile qui tourne
là-haut autour de cette étoile; regarde cette autre étoile
qui traîne une queue et qui met tant d'années à venir
et tant d'années à s'éloigner ; laisse-la, mon fils ; celui
dont les mains la formèrent saura bien la conduire et
la diriger.
» Mais tu me diras peut-être : « homme ! retire-toi,
» car je suis plus savant que toi, et j'ai vu des choses
» que tu ignores !» Si tu penses que ces choses t'ont
rendu meilleur que je ne le suis, sois doublement le
bienvenu ; mais, moi, je bénis Dieu de ne pas chercher
ce dont je n'ai pas besoin. Tu es instruit dans des
choses qui ne m'intéressent pas, et ce que tu as vu, je
le dédaigne. Une science plus vaste te créera-t-elle un
second estomac, et tes yeux, qui vont furetant partout,
te feront-ils trouver un paradis?
» mon ami, si tu veux être heureux, écrie-toi :
» Dieu seul est Dieu ! » Ne fois point de mal, et alors
tu ne craindras ni les hommes ni la mort, car ton
heure viendra. »
l'islamisme et Là science 23
Ce cadi est très philosophe à sa manière; mais voici
la différence. Nous trouvons charmante la lettre du
cadi, et lui, il trouverait ce que nous disons ici abomi-
nable. C'est pour une société, d'ailleurs, que les suites
d'un pareil esprit sont funestes. Des deux conséquences
qu'entraîne le manque d'esprit scientifique, lasupersti-
tion ou le dogmatisme, la seconde est peut-être pire
que la première. L'Orient n'est pas superstitieux; son
grand mal, c'est le dogmatisme étroit, qui s'impose
par la force de la société tout entière. Le but de l'hu-
manité, ce n'est pas le repos dans une ignorance rési-
gnée; c'est la guerre implacable contre le faux, la lutte
contre le mal.
La science est l'âme d'une société ; car la science,
c'est la raison. Elle crée la supériorité militaire et la
supériorité industrielle. Elle créera un jour la supério-
rité sociale, je veux dire un état de société où la
quantité de justice qui est compatible avec l'essence
de l'univers sera procurée. La science met la force au
service de la raison. Il y a en Asie des éléments de
barbarie analogues à ceux qui ont formé les premières
armées musulmanes et ces grands cyclones d'Attila, de
Gengiskhan. Mais la science leur barre le chemin. Si
Omar, si Gengiskhan avaient rencontré devant eux une
bonne artillerie, ils n'eussent pas dépassé les limites
de leur désert. Il ne faut pas s'arrêter à des aberrations
momentanées. Que n'a-t-on pas dit, à l'origine, contre
les armes à feu, lesquelles pourtant ont bien contribué
k la victoire de la. civilisation? Pour moi, j'ai la con-
24 l'islamisme et la science
viction que la science est bonne, qu'elle seule fournit
des armes contre le mal qu'on peut faire avec elle,
qu'en définitive elle ne servira que le progrès, j'entends
le vrai progrès, celui qui est inséparable du respect
de l'homme et de la liberté .
•H.
FIN
IHPRIMBRUS CXNTRALE DES CHEMINS DS FBR. — IMPRIMERIE CHAIX.
RUE BERaÈRB, 20, PARIS. — 7920-8.
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