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Full text of "Le Maha-bharata. Poème épique de Krishna-Dwaipayana plus communément appelé Véda-Vyasa. C'est-a-dire le compilateur et l'ordonnateur des Védas. Traduit complétement pour la première fois du sanscrit en français par Hippolyte Fauche"

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LE  MAHA-BHARATA 

POÈME   ÉPIQUE. 


La  reproduction   et   la   traduction     nême    de   cette   traduction   sont 
interdites  en  France  et  dans  les  pays  étrangers. 


Meaux.  —  Imp.  J.Carro. 


LE 


MAHA-BHARATA 

POÈME  ÉPIQUE 

DE  KMSHNA-DWAIPAYANA 

PLUS  COMMUNÉMENT  APPELÉ 

G' EST- A-DIRE  LE  COMPILATEUR  ET  L ORDONNATEUR  DES  VÉDAS 

Traduit  complètement  pour  la  première  fois  du  sanscrit  en  français 

PAR 

H1PP0LYTE  FAUCHE 

Traducteur  du  Râmâyana,  des  Œuvres  complètes  de  Kàlidàsa,  etc. 

Abréviateur  du  Râmâyana 

Chevalier  de  la  Légion-d'honneur. 

NEUVIÈME    VOLUME 


PARIS 

FRIEDRICH  KLINCKSIECK,  LIBRAIRE 

Rue  de   Lille,   11 
AUGUSTE  DURAND  ET  PEDONE-LAURIEL,  LIBRAIRES 

Rue  Cujas,  9 
ERNEST   THORIN,    LIHRA1RE 

Boulevard  Saint-Michel,  58. 

1868 


"• 


1  i  1973 


v-7 


AVANT-PROPOS 


Ce  neuvième  volume  est  parvenu  à  sa  fin  vers 
lepoque,  que  nous  avions  fixée  nous-même,  le  pre- 
mier d'août,  il  y  aurait  donc  peu  de  chose  à  dire. 

Seulement,  victime  des  chaleurs,  jeté  dans  un 
état,  non  de  souffrance,  mais  de  faiblesse,  atteint 
d'une  disette  de  pensée,  ce  qui  ne  nous  est  pas  ordi- 
naire, nous  avons  dû  arrêter  ce  volume  après  le 
vingt-deuxième  chapitre  du  Karna,  au  numéro  892, 
avant  d'atteindre  le  chiffre  1,036,  comme  c'était 
d'abord  notre  intention. 

On  a  pu  en  abuser  et  détourner  peut-être  dans 
les  dernières  feuilles,  sur  un  ouvrage  nouveau  venu, 
les  heures  du  travail,  qui  nous  étaient  destinées, 
lorsqu'il  en  coûtait  à  notre  langueur  de  crier  pour 
rappeler  à  nous  l'activité  égarée  de  nos  typographes. 

Interrompu,  sans  égard,  peut-être  sans  politesse, 
au  milieu  de  nos  promenades  au  parc  du  collège  de 
Juilly,  nous  tournons  avec  inquiétude  nos  yeux  sur 
le  volume  suivant.  Comment  traduire  ce  dixième 
volume,  sans  promenades?  Comment  traîner  tout 
un  hiver  ces  frimats  à  la  voix  rauque,  ces  vents  plu- 
vieux, ces  journées  si  courtes,  ces  soirées  si  longues, 
quand  on  ne  les  a  point  fait  précéder  de  quelque 


n  AV\NT-PROPOS. 

exercice  déambulatoire?  Combien  de  fois  aurions- 
nous  à  replier  sur  elle-même  ma  petite  cour  bri- 
quetée  avant  qu'elle  n'atteignît  à  ce  demi-kilomètre 
de  la  grande  allée  de  Juilly? 

Mais  tout  passe,  le  mal  comme  le  bien.  L'en- 
nuyeuse saison  s'est  écoulée  avec  lenteur  dans  sa  ca- 
rapace endormie,  et  nous  voici  revenus  au  futur 
printemps.  J'ai  suivi  pas  à  pas  les  levers  du  soleil  ; 
un  frais  zéphir  balance  les  tiges  presque  en  fleurs 
des  rosiers  ;  et  je  me  sens  heureux  d'être  accoudé  à 
mon  bureau  dans  un  moment  où  l'astre  du  jour  tient 
encore  sa  paupière  fermée  sous  l'horizon,  qui  vase 
réveiller.  Mais  le  printemps  de  1869  a  rendu  aux 
années  de  1 797  mes  anciennes  promenades  du  Bois 
des  Pères,  avec  les  mêmes  conditions  que  l'année 
précédente,  plus  fatigantes,  par  conséquent  plus 
lourdes  encore,  plus  insupportables  qu'elles  n'é- 
taient auparavant. 

De  Juilly  à  ce  bois,  il  y  a  presque  une  demi-lieue 
de  plaine  exposée  au  soleil.  Aller  et  s'en  revenir, 
c'est  donc  une  lieue  à  défalquer  chaque  jour  sur  le 
travail  de  la  traduction.  Aussi,  quand  nous  avions  ar- 
penté quatre  fois  cette  allée  monotone,  sans  aucun 
site ,  sans  aucun  banc,  fût-ce  une  pierre  seulement 
pour  s'asseoir,  sans  rien  qui  reposât  un  instant 
nos  yeux,  nous  nous  en  revenions  distrait,  fatigué, 
incapable  de  tout  travail  pour  le  reste  de  la  soirée. 

D'ailleurs,  que  va  bientôt  devenir  ce  bois? 

Dans  les  mains  duquel  des  trois  héritiers  Simo- 
nard  le  hasard  fera-t-il  tomber  ce  lot  pour  sa  ruine 
ou  sa  conservation? 


AVANT-PROPOS.  m 

Que  vais-je  faire?  à  quoi  m'arrêter?  je  n'en  sais 
absolument  rien  ! 

Il  est  un  mot  que  nous  avons  mal  traduit  dans  nos 
premiers  volumes,  faute  de  renseignements  :  Wilson 
et  Bopp  n'ont  pas  cette  expression  cependant  très- 
usitée  :  c'est  pârshnisârathî.  Nous  attachant  aux  ra- 
cines, nousavions  cru  voir  ici  le  cocher  de  l'avant- 
train  etlecocher  de  derrière,  c'était  un  contre-sens. 
Depuis  Bohtlingk  et  Roth  sont  arrivés  eux-mêmes  à 
ce  mot,  et  je  me  suis  fait  expliquer  ce  que  ces 
deux  érudits  laborieux  en  avaient  dit. 

Les  chars  de  guerre  étaient  attelés  de  quatre  cour- 
siers, les  premiers  chevaux  étaient  sous  la  conduite 
immédiate  du  cocher,  Sârathi.  Les  deux  autres,  qui 
manœuvraient  en  avant,  étaient  sous  la  surveillance 
de  deux  valets  de  pied,  à  droite  et  à  gauche,  c'é- 
taient là  ce  pârshnisârathî (1)  ;  ce  mot,  qui,  une  fois 
dégagé  de  ses  voiles,  n'a  plus  donné  lieu  à  la  moin- 
dre incertitude. 

Une  gravure  accompagne  chaque  parva  du  com- 
mentaire; ces  dessins  auraient  une  grande  valeur, 
s'ils  étaient  la  reproduction  d'antiques  images,  qui 
nous  eussent  conservé  une  exquisse  de  ce  qu'était  la 
société  dans  l'Inde  en  ces  temps  reculés,  à  une 
époque  presque  voisine  de  la  naissance  du  Mahâ- 
Bhârata.  Mais  l'artiste,  si  j'ose  lui  donner  ce  nom, 
ne  paraît  pas  s'inspirer  de  la  méditation  du  poème  : 
Deux  chevaux  seulement  sont  attelés  à  ses  chars  de 


(I)     Page    170,  stance  7,194  et  suivante. 


iv  AVANT-PROPOS. 

guerre,  sa  flèche  est  le  trait  ordinaire  :  où  sont  les 
vatsadantas,  les  oreilles-de-sangliers,  les  bhin- 
dîpâlas,  les  pattiças,  les  andjalikas,  les  bouçoundhis, 
les  nakharas  et  tant  d'autres,  dont  la  seule  énumé- 
ration  suffirait  à  remplir  toute  une  page  de  leur 
nomenclature  inexpliquée?  Où  voit-on  représentée 
cette  arme,  qu'on  nommait  les  huit  chars  attelés  de 
huit  taureaux  (1)  ?  Rien  qui  présente  à  nos  yeux  un 
guerrier  armé  de  pied  en  cap  ;  rien  qui  fasse  voir  un 
si  grand  nombre  d'armures  offensives,  étranges, 
inouïes,  particulières  à  cette  contrée,  et  tant  de 
raffinnements  apportés  dans  l'art  indigne  de  tuer 
les  hommes. 

Un  dernier  mot  avant  de  finir. 

Quand  je  vois  au  bas  des  pages  du  présent  volume 
tant  de  notes,  où  la  nécessité  m'a  forcé  de  recourir 
à  l'édition  de  Bombay,  je  ne  puis,  certes,  m'em- 
pêcher  de  regretter  mes  trois  ou  quatre  premiers 
volumes,  où,  trop  dévot  à  mon  texte,  je  cherchais  à 
traduire  fidèlement  une  lettre  souvent  intraduisible. 
Mais  elles  serviront  du  moins  à  prouver  le  désir  du 
mieux,  et  même  le  soin,  dépourvu  de  toute  ambi- 
tion, que  j'apporte  à  ce  travail,  au  sommet  duquel 
je  suis  arrivé  enfin  ;  et  maintenant,  grâce  à  Dieu  et 
à  vous,  mes  bienvellants  lecteurs,  je  vais  descendre 
la  verdoyante  colline  ! 

(1)  Page    537,  stance  797, 

Hippolyte  FAUCHE. 
Juilly,  de  ma  tour,  le  8  août  1868. 


LE   MAHA-BHARATA 


POÈME  SANSCRIT. 


SUITE  DU  DRONA-PARVA 


«  Que  dit  Douryodhana,  s'enquit  Dhritarâshtra,  quand 
il  vit  ce  guerrier,  en  qui  mes  fils,  Sandjaya,  avaient  posé 
une  grande  espérance  de  la  victoire,  tourner  le  dos  devant 
Bhîmaséna  ?  5,413. 

»  Comment  combattit  Bhîma,  qui  est  glorieux  de  son 
courage?  Ou  que  lit  Karna  dans  la  bataille,  après  qu'il 
eut  vu,  mon  ami,  Bhîmaséna  dans  le  combat  tel  qu'un  feu 
flamboyant?»   5,414— 5, 415. 

Etant  monté  sur  un  autre  char,  équipé  suivant  l'art, 
répondit  Sandjaya,  Karna  de  s'avancer  une  seconde  fois 
vers  le  Pândouide,  comme  une  mer  soulevée  par  le 
vent.   5,416. 

ix  1 


2  LE  MAHA-BHARATA. 

Dès  qu'ils  virent  l'Adhirathide  irrité,  tes  fils,  souverain 
des  hommes,  pensèrent  que  Bhîmaséna  était  déjà  sacrifié 
dans  la  bouche  de  la  mort.  5,417. 

Ayant  tiré  le  bruit  de  son  arc  et  fait  résonner  d'une 
manière  épouvantable  ses  mains,  battues  l'une  contre 
l'autre,  Râdhéya,  fit  éclater  une  pluie  de  flèches  sur  le 
char  de  Bhîmaséna.  5,418. 

Le  combat  de  ces  deux  guerriers,  de  l'héroïque  fils  du 
Soleil  et  du  magnanime  Bhîmaséna,  fut  de  nouveau  épou- 
vantable. 5,419. 

En  effet,  ces  deux  guerriers  aux  longs  bras,  bouillants 
de  colère,  se  désirant  mutuellement  la  mort,  se  regar- 
daient l'un  l'autre  comme  s'ils  allaient  se  brûler  des 
yeux.  5,420. 

Avec  des  regards  ù  se  peignait  la  fureur,  tous  deux 
violents,  soupirants  comme  des  serpents,  ces  héros, 
dompteurs  des  ennemis,  s' étant  approchés,  commencèrent 
à  se  déchirer.   5,421. 

Ils  se  combattirent  mutuellement,  irrités  comme  deux 
çarabhas,  fondant  rapides  comme  deux  vautours,  remplis 
d'une  ardente  colère  comme  deux  tigres.   5,422. 

Ensuite,  le  terrible  Bhîma,  se  rappelant  quelles  vexa- 
tions il  avait  éprouvées  au  jeu  des  dés  et  dans  la  forêt 
même,  quelle  peine  il  avait  subie  dans  la  cité  de  Virâta, 

L'enlèvement  de  leurs  trônes  et  de  leurs  riches  pier- 
reries par  tes  fils,  les  soucis,  dont  vous  les  aviez  conti- 
nuellement abreuvés,  toi  et  tes  enfants  ;  5,423—5,424. 

N'oubliant  pas  que  tu  désiras  consumer  de  chagrins 
l'innocente  Rountî  avec  ses  fils,  les  outrages  subis  par 
Krishna  de  la  part  d'hommes  cruels  au  milieu  de  l'assem- 
blée, 5,425. 


DRONA-PARVA.  8 

Que  Douççàsana  l'avait  traînée  par  son  abondante  che- 
velure, Bharaticle,  et  les  paroles  mordantes,  prononcées 
par  Rarna  :  5,426. 

«  Désire  qu'on  t'unisse  avec  un  autre  époux;  tes  maris 
ne  sont  plus  !  Tous  les  Prithides,  semblables  au  sésame 
d'un  eunuque,  sont  tombés  dans  le  Naraka;  »    5,427. 

Se  souvenant  de  ces  paroles,  que  les  Rourouides  ont 
proférées  alors  en  ta  présence,  rejeton  de  Rourou  ;  se 
rappelant  que  tes  fils  voulaient  posséder  Rrishnâ,  réduite 
à  la  qualité  d'esclave  ;  5,428. 

Le  langage  blessant,  que  Rarna  avait  tenu  dans  l'as- 
semblée en  ta  présence  sur  les  fils  de  Kounti,  qui 
allaient  en  exil,  revêtus  de  la  peau  d'une  antilope 
noire  ;  5,Z|29. 

Que  ton  fils  irrité,  l'esprit  égaré,  placé  dans  un  lieu 
plane,  tandis  que  les  fils  de  Prithâ  étaient  posés  dans  un 
lieu  inégal,  en  avait  sauté  de  joie  et  fait  d'eux  le  même 
cas  que  d'une  poignée  d'herbes  ;  5, 430. 

Pensant  à  ses  peines,  en  remontant  depuis  son  enfance 
jusqu'à  ce  jour,  Vrikaudara,  le  vertueux  homicide  des 
ennemis,  en  devenait  comme  indifférent  à  la  vie.   5,431. 

Alors,  faisant  vibrer  son  arc  immense,  inaffrontable, 
au  dos  en  or,  le  tigre  des  Bharatides  s'approcha  de  Rarna 
en  homme,  qui  a  fait  le  sacrifice  de  sa  vie.   5,432. 

Bhîma  couvrit  la  clarté  du  soleil  avec  des  rézeaux  de 
flèches  lumineuses,  aiguisées  sur  la  pierre  et  lancées  sur 
le  char  de  Rarna.   5,433. 

L' Adhirathide  en  riant  mit  en  pièces  rapidement  avec  ses 
traits  les  rézeaux  de  dards  affinés  sur  la  pierre,  envoyés 
par  Bhîmaséna.   5,434. 

Le  fils  du  cocher  aux  longs  bras,  au  grand  char,  à  la 


h  LE  MAHA-BHARATA. 

vaste  force,  perça  alors  Bhîma  de  neuf  grandes  flèches 
acérées.   5,435. 

Arrêté  comme  un  éléphant  à  coups  d'aiguillon,  Vri- 
kaudara  ému  fondit  sur  l'Adhirathide,  en  le  couvrant  de 
ses  traits.   5,436. 

Aussitôt  que  Karna  irrité  vit  l'éminent  Pàndouide,  doué 
de  légèreté,  rapidement  accourir,  il  se  porta  à  sa  ren- 
contre comme  un  éléphant  en  rut  marche  au-devant  d'un 
autre  pachyderme  en  folie.   5,437. 

11  remplit  de  vent  sa  conque,  fille  des  eaux,  égale  au 
bruit  de  cent  tambours,  et  agita  l'armée,  comme  la  mer 
est  soulevée  de  joie,  à  l'arrivée  de  la  pleine  lune.    5,438. 

Dès  qu'il  vit  s'émouvoir  toutes  ces  divisions,  grosses 
de  fantassins,  de  chars,  de  chevaux  et  d'éléphants, 
Bhîma  d'attaquer  Karna  et  de  l'ensevelir  sous  des 
flèches.   5,439. 

Karna  de  mêler  ses  grands  chevaux,  de  couleur  sem- 
blable à  celle  des  cygnes,  aux  chevaux  du  Pàndouide,  qui 
égalaient  les  ours  en  couleur,  et  de  le  couvrir  avec  ses 
traits.   5,440. 

Quand  l'armée  de  tes  fils  eut  vu  les  coursiers  noirs 
comme  des  ours,  et  rapides  comme  le  vent  mêlés  aux 
coursiers  blancs  comme  les  cygnes,  elle  poussa  de  toutes 
parts  ses  cris  de  :  «  Hélas!  hélas!  »   5,441. 

Grâce  à  ce  mélange  de  noir  et  de  blanc,  ces  chevaux, 
non  moins  légers  que  Maroute,  brillaient,  puissant  roi, 
tels  que  des  nuages  au  milieu  du  ciel.   5,442. 

A  l'aspect  de  Karna  et  de  Vrikaudara  furieux,  les  yeux 
enflammés  de  colère,  les  grands  héros  des  tiens  étaient 
ébranlés  d'effroi.   5,443. 

Leur  champ  de  bataille  était  épouvantable  ;  il  ressem- 


DRONA-PARVA.  5 

blait  au  royaume  d'Yama  :  la  vue  en  était  aussi  difficile  à 
soutenir,  ô  le  plus  vertueux  des  Bharatides,  que  celle  de 
la  ville  des  morts.   5,444. 

En  voyant  le  spectacle  admirable  de  cette  grande 
scène  (1) ,  les  fameux  héros  ne  pouvaient  apercevoir 
évidemment  à  qui  resterait  la  victoire  dans  ce  vaste 
combat.   5,445. 

Ils  voyaient  arrivée  près  d'eux,  sire,  la  bataille  de  ces 
deux  guerriers  armés  de  grands  astras,  et  cela  par  suite 
de  ta  mauvaise  politique  et  de  celle  de  ton  fils,  souverain 
des  hommes.   5,4/16. 

Se  couvrant  mutuellement  de  traits  acérés,  ces  deux 
meurtriers  des  ennemis  au  courage  admirable,  voilaient 
le  ciel  d'un  réseau  de  flèches.   5,447. 

Ces  deux  illustres  héros,  qui  désiraient  se  porter  la 
mort  l'un  à  l'autre,  se  tenaient,  admirables  à  voir,  armés 
de  leurs  flèches  aiguës,  comme  deux  nuées,  enceintes  de 
pluies.   5,448. 

Ces  dompteurs  des  ennemis,  qui  se  lançaient  des  flè- 
ches, dont  l'or  avait  changé  la  matière,  jetèrent  la  splen- 
deur au  milieu  du  ciel,  seigneur,  comme  avec  de  grands 
météores  enflammés.   5,449. 

Les  flèches  aux  plumes  de  vautour,  envoyées  par  ces 
deux  héros,  sire,  brillaient,  telles  que  dans  le  ciel,  en  au- 
tomne, des  files  de  grues,  enivrées  de  la  saison.  5,450. 

Quand  Krishna  et  Dhanandjaya  virent  Bhîmaséna,  le 
dompteur  des  ennemis,  engagé  dans  une  lutte  avec  le  fils 
du  cocher,  ils  pensèrent  que  c'était  une  charge  au-dessus 
de  ses  forces,  mise  sur  les  épaules  de  Bhîmaséna.  5,451. 

(1)  Samâdjan  signifie  ici  rangan,  dit  le  commentaire. 


6  LE  MAHA-BHARATA. 

Les  éléphants,  les  guerriers,  les  chevaux  tombèrent, 
profondément  blessés  des  traits,  lancés  par  les  deux  rivaux 
et  qui  avaient  dépassé  la  portée  ordinaire  des  flèches. 

La  perte  de  tes  fils,  sire,  Mahârâdja,  se  fit  p^r  des 
hommes  tombants  ou  tombés  et  d'autres  en  grand 
nombre,  dont  la  vie  était  exhalée.  5,452 — 5,453. 

La  terre  fut  dans  un  instant  couverte,  éminent  Bhara- 
tide,  de  corps  inanimés  des  éléphants,  des  chevaux  et 
des  enfants  de  Manou.  5,454. 

«  Je  considère  la  valeur  de  Bhîmaséna  comme  au- 
dessus  du  prodige,  observa  le  roi  Dhritarâshtra,  en  ce 
qu'il  soutint  la  bataille  contre  ce  Karna  au  rapide  cou- 
rage, 5,455. 

»  Qui  est  capable  d'arrêter  ceux,  qu'on  appelle  les 
vents  (1),  munis  de  toutes  les  armes,  et  les  treize  grands 
Dieux  avec  les  Yakshas,  les  Asouras  et  les  hommes  ! 

»  Comment  n'a-t-il  point  surpassé  dans  la  guerre  ce  fils 
de  Pândou  et  de  Prithâ,  qui  semble  être  le  favori  de  la 
Fortune  ?  Raconte-moi  cela,  Sandjaya.  5,456 — 5,457. 

»  Comment  le  combat  se  déploya-t-il  entre  ces  deux 
guerriers  dans  ce  jeu  des  existences?  C'est  de  sa  chance, 
à  mon  avis,  que  dépendent  la  victoire  et  la  défaite. 

»  Soutenu  par  le  bras  de  Karna,  est-il  possible  que 
Douryodhana,  mon  fils,  espère  une  victoire  sur  les  Pri- 
thides,  qui  sont  défendus  par  le  Sâttwatide,  qui  le  sont 
même  par  Govinda!  5,458  —  5,459. 

»  Quand  j'apprends  que  Bhîmaséna  aux  œuvres  épou- 
vantables a  pu  vaincre  Karna  dans  la  bataille,  le  délire 
s'empare  de  moi.  5,460. 

(1)  Vâyoûktàn,  édition  de  Bombay. 


DRONA-PARVA.  7 

»  Je  pense  que  les  Kourouides  succombent  par  les 
mauvais  conseils  donnés  à  mon  fils,  et  que,  certes!  Karna 
au  grand  arc,  Sandjaya,  ne  sera  jamais  le  vainqueur  des 
Prithides.  5,461. 

»  Les  Pândouides  ont  vaincu  sur  le  champ  de  bataille 
Karna  en  tous  les  combats,  qu'il  a  soutenus  avec  les  fils  de 
Pândou.  5,462. 

»  Les  Pândouides  sont  invincibles,  mon  fils,  aux  Dieux 
mêmes,  Indra  à  leur  tête  ;  mais  c'est  une  vérité,  qu'ignore 
Douryodhana,   mon  fils  insensé.   5,463. 

»  Lorsque  mon  fils  eut  ravi  ses  trésors  au  Prithide 
comme  au  Dieu  des  richesses,  il  ne  vit  plus  le  rivage,  tel 
qu'un  insensé,  qui  s'est  plongé  dans  l'ivresse.  5,464. 

»  Homme  à  la  science  cruelle,  dès  qu'il  eut  enlevé  par 
sa  méchanceté  le  royaume  de  ces  magnanimes  :  «  Je 
l'ai  conquis!  »  pensa-t-il  ;  et  de  mépriser  les  Pân- 
douides. 5,465. 

»  Insensé  et  vaincu  par  l'amour  de  mon  fils,  j'ai  persé- 
cuté plus  d'une  fois  les  magnanimes  fils  de  Pândou,  quoi- 
qu'ils se  tinssent  dans  le  devoir.  5,466. 

»  L'amour  de  la  paix  suivit  toujours  le  fils  de  Prithâ, 
Youdhishthira  à  la  vue  perçante  :  «  Elle  est  impossible  !  » 
pensaient  mes  fils,  qui  rejetaient  son  désir.  5,467. 

»  Quand  il  eut  ramassé  dans  son  cœur  ces  peines  en 
grand  nombre  et  ces  injures,  venues  de  tous  les  côtés, 
Bhîma  aux  longs  bras  combattit  le  fils  du  cocher.   5,468. 

»  Dis-moi  donc,  Sandjaya,  comment  Bhîma  et  Karna, 
ces  deux  plus  vaillants  guerriers  dans  un  combat,  et  qui 
désiraient  se  porter  mutuellement  la  mort,  soutinrent  cette 
bataille.  »  5,469. 

Écoute  circonsianciellement,  sire,  lui  répondit  San- 


a  Lfc]  MAHA-BHARATA. 

djaya,  ce  combat  singulier  de  Bhîma  et  de  Karna,  tel 
que,  dans  un  bois,  la  lutte  de  deux  éléphants,  qui  dési- 
rent arriver  l'un  à  la  mort  de  l'autre.  5,470. 

Le  lils  du  Soleil  irrité,  se  promenant  autour  de  l'invin- 
(  ible  dompteur  des  ennemis,  Bhîma,  plein  de  colère,  sire, 
le  blessa  de  trente  flèches.  5,471. 

Vaîkartana  de  percer,  ô  le  plus  vertueux  des  Bhara- 
tides,  Bhîma  avec  dix  traits,  ornementés  d'or,  à  la  grande 
vitesse,  à  la  pointe  reluisante.  5,472. 

Bhîma,  lui  décochant  trois  dards  aigus,  trancha  son 
arc  et  fit  tomber  d'un  bhalla  son  cocher  du  siège  sur  la 
terre.  5,473. 

Plein  d'un  ardent  désir  pour  la  mort  de  Bhîmaséna, 
le  fils  du  Soleil  saisit  une  lance  de  fer  au  manche  d'or, 
ornée  d'or  et  de  lapis-lazuli.  5,474. 

Dès  que  Râdhéya  eut  pris  cette  longue  pique,  semblable 
à  l'épieu  de  la  mort,  qu'il  l'eut  dirigée  contre  lui  et  levée 
avec  une  grande  force,  5,475. 

Il  l'envoya  à  Bhîmaséna,  comme  la  mort,  qui  met  fin  à 
la  vie.  Quand  Râdhéya  eut  jeté  sa  lance  de  fer,  tel  que 
Pourandara  sa  foudre,   5,476. 

Ce  vigoureux  fils  du  cocher  poussa  une  vaste  clameur. 
A  ce  bruit  entendu,  tes  fils  ressentirent  de  la  joie.  5,477. 

Mais  Bhîma  de  sept  dards  trancha  au  milieu  du  ciel 
cette  pique,  lancée  par  le  bras  de  Karna  et  qui  avait  la 
splendeur  du  soleil  ou  du  feu.  5,478. 

Après  qu'il  eut  coupé  cette  lance,  semblable  à  un  ser- 
pent déchaîné,  vénérable  monarque,  et  qui  cherchait, 
pour  ainsi  dire,  la  vie  du  fils  de  cocher,  5,479. 

Bhîma,  sa  colère  allumée,  envoya  dans  ce  combat  des 
flèches,  revêtues  des  plumes  du  paon,  au  tranchant  fourbi 


DRONA-PARVA.  9 

sur  la  pierre,  à  l'empennure  d'or  et  pareilles  au  bâton 
d'Yama.  5,  4  80. 

Karna  à  la  grande  splendeur,  ayant  pris  un  nouvel  arc, 
inaffrontable,audosen  or,  le  banda  et  décocha  des  traits. 

Mais,  de  neuf  dards  aux  nœuds  inclinés,  le  fils  de  Pân- 
dou  trancha  ces  grandes  flèches,  roi  des  hommes,  que  lui 
adressait  Vasoushéna.  5,481 — 5,482. 

Une  fois  qu'il  les  eut  coupées,  Bhîma  de  pousser  un 
cri,  qui  semblait  un  rugissement  de  lion.  Tels  que  deux 
taureaux  vigoureux,  qui  mugissent,  à  peine  senties  leurs 
fumées,  5,483. 

Comme  deux  tigres,  qui  crient  l'un  contre  l'autre  à 
l'occasion  d'une  chair  à  dévorer,  qui  ont  l'un  de  l'autre 
une  honte  mutuelle  et  qui  désirent  saisir  l'un  sur  l'autre 
un  moment  favorable  ;  5, 484. 

De  même  que  deux  grands  taureaux  se  jettent  mutuel- 
lement des  regards  jaloux  au  milieu  des  troupeaux,  ou 
tels  que  deux  gigantesques  éléphants  s'attaquent  récipro- 
quement avec  l'extrémité  de  leurs  défenses  ;  5,485. 

Ainsi,  grand  roi,  ces  deux  guerriers,  se  remplissant  de 
leurs  traits  décochés,  s'avancèrent  l'un  contre  l'autre,  se 
déchirant  mutuellement  avec  leurs  averses  de  flèches  ; 

Et,  les  yeux  tout  grands  ouverts  de  colère,  altérant 
l'un  de  l'autre  toutes  les  formes  sous  leurs  coups  réci- 
proques. 5,486—5,487. 

Riant,  s' adressant  mainte  et  mainte  fois  de  mutuelles 
menaces,  tirant  le  son  de  leurs  conques,  ils  combattirent 
l'un  contre  l'autre.  5,488. 

Mais  Bhîma  de  ses  flèches  lui  trancha  son  arc  au  poing 
et  plongea  dans  le  séjour  d'Yama  ses  chevaux,  couleur  de 
la  conque,  5,489. 


10  LE  MAHA-BHARATA. 

Il  enleva  son  cocher  au  siège  du  char  et  l'abattit  sur  ta 
terre.  Alors  le  fils  du  Soleil,  Rama  de  tomber  dans  une 
pensée  accablante.  5,690. 

Couvert  de  traits,  ses  chevaux  tués,  son  cocher  im- 
molé, l'esprit  égaré  par  la  multitude  des  flèches,  il  ne 
voyait  plus  ce  qu'il  avait  à  faire.  5,49]. 

Quand  le  roi  Douryodhana  vit  Karna  engagé  dans  cette 
voie  périlleuse,  il  donna  ses  ordres  à  Dourjaya,  comme 
en  tremblant  de  colère  :  5, £92. 

u  Va,  Dourjaya,  avant  que  le  Pândouide  n'ait  dévoré 
Karna!  Hâte-toi  de  tuer  cet  eunuque  avant  qu'il  n'ait  ravi 
la  force  à  Karna  !  »  5,493. 

Aussitôt  que  ton  fils  eut  ainsi  parlé  à  ton  fils,  le  guer- 
rier, auquel  ces  mots  étaient  adressés,  courut,  dispersant 
sur  lui  ses  flèches,  contre  Bhîmaséna,  occupé  de  son 
combat.  5,494. 

Il  harcela  Bhîma  de  neuf  traits,  ses  chevaux  de  huit, 
son  cocher  de  six,  son  drapeau  de  trois,  et  le  guerrier  lui- 
même  pour  la  seconde  fois  de  sept  dards.  5,495. 

Mais  Vrikaudara  de  plonger,  les  membres  rompus  de 
ses  flèches,  Dourjaya  dans  le  séjour  d'Yama  avec  ses 
chevaux  et  son  cocher.  5,496. 

Karna  en  pleurs,  désolé,  décrivit  un  pradakshina 
autour  de  ton  fils,  tombé  avec  ses  riches  ornements  sur 
la  terre,  où  il  se  convulsait  comme  un  serpent.  5,497. 

Bhîma  souriant,  quand  il  eut  réduit  sans  char  son 
indomptable  ennemi,  le  couvrit  de  la  multitude  de  ses 
flèches,  comme  un  çataghni  d'aiguillons.  5,498. 

Le  fléau  des  ennemis  remonta  dans  un  char,  et  le  brise- 
ment de  ses  membres  par  les  traits  ne  lui  i;t  point  aban- 
donner dans  le  combat  Ventre-de-Loup  aux  formes  irritées. 


DRONA-PARVA.  11 

Karna,  entièrement  privé  de  char  et  vaincu  de  nouveau 
par  Bhîma,  étant  remonté  dans  un  autre  char,  blessa 
dans  un  instant  le  fils  de  Pândou.  5,499  —5,500. 

Tels  que  deux  grands  éléphants,  qui  s'attaquent  mu- 
tuellement avec  l'extrémité  de  leurs  défenses;  tels  ces 
deux  héros  de  se  blesser  réciproquement,  se  remplissant 
de  traits  décochés.  5,501. 

Karna  de  lancer  sur  Bhîmaséna  des  multitudes  de 
flèches  ;  vigoureux,  il  jeta  un  cri  et  le  frappa  de  nouveau 
dans  la  poitrine.  5,502. 

Bhîma  lui  rendit  en  échange  dix  traits  au  vol  droit,  et 
le  perça  de  nouveau  avec  une  vingtaine  de  flèches  aux 
nœuds  inclinés.  5,503. 

Mais  Karna,  ayant  blessé  entre  les  seins  Bhîma  de  neuf 
dards,  perça  son  drapeau,  sire,  d'un  trait  acéré.  5,504. 

Il  frappa  en  retour  le  fils  de  Prithâ  avec  soixante-trois 
flèches,  tel  qu'un  grand  éléphant  à  coups  d'aiguillon  ou 
comme  un  coursier  à  coups  de  fouet.  5,505. 

Grièvement  blessé  par  l'illustre  fils  de  Pândou,  grand 
roi,  le  héros,  léchant  les  angles  de  sa  bouche  et  les  yeux 
rouges  de  colère,  5,506. 

Tel  qu'Indra  lance  sa  foudre,  envoya  à  Bhîmaséna  pour 
la  mort  une  ilèche,  Mahârâdja,  qui  fendait  tous  les 
corps.  5,507. 

Le  trait  à  l'empennure  variée,  sorti  de  l'arc  du  fils  de 
cocher,  ayant  fendu  le  fils  de  Prithâ  dans  la  bataille, 
entra  dans  la  terre,  en  déchirant  son  sein.  5,508. 

Sans  balancer,  Bhîma  aux  longs  bras,  les  yeux  rouges 
de  colère,  envoya  au  fils  du  cocher  une  lance  pesante, 
ornée  de  bracelets  d'or,  longue  de  quatre  coudées,  forte 
de  six  tranchants  et  semblable  au  tonnerre.  De  même 


12  LE  MAHA-BHARATA. 

qu'Indra  immola  de  sa  foudre  les  Asouras,  ainsi  le  Bhara- 
tide  irrité  fit  tomber  sa  massue  sur  les  quatre  chevaux, 
instruits  à  bien  conduire  le  char  de  l'Adhirathide.  Après 
que  Bhîma  aux  longs  bras  eut  tranché  avec  deux  flèches 
en  rasoir,  éminent  Bharatide,  le  drapeau  de  Radhéya, 
il  perça  le  cocher  de  ses  traits.  Aussitôt  j  abandon- 
nant son  char  au  drapeau  abattu,  aux  chevaux  tués,  au 
cocher  privé  de  vie,  l'intraitable  Karna  se  tint,  brandis- 
sant un  arc.  Nous  vîmes  en  ce  moment  le  courage  admi- 
rable de  Râdhéya  ;  {De  la  s  tance  5,509  à  (a  sta?ice 
5,514.) 

Car,  tout  dénué  de  char,  qu'il  fût,  ce  meilleur  des 
maîtres  de  chars  arrêta  l'ennemi  !  Dès  qu'il  vit  l'Adhira- 
thide, le  plus  vaillant  des  hommes,  sire,  privé  de  son 
char  dans  le  combat,  Douryodhana  dit  alors  ces  mots  h 
Dourmoukha  :  «  Voici  que  Bhîma  a  réduit  le  fils  de 
Râclhâ  sans  char,  Dourmoukha.  5,514 — 5,515. 

»  Donne  le  secours  de  ion  char  à  ce  grand  héros,  le  plus 
brave  des  hommes.  »  Dourmoukha,  à  ces  paroles  de  Dou- 
ryodhana, s'avança  d'un  pied  hâté  vers  Karna  et  arrêta 
Bhîma  de  ses  flèches.  Aussitôt  qu'il  vit  Dourmoukha  se 
faire  dans  ce  combat  le  suivant,  attaché  au  pas  du  fils  de 
cocher,  5,510—5,517. 

Le  fils  du  Vent,  léchant  les  angles  de  sa  bouche,  en 
ressentit  de  la  joie.  Après  qu'il  eut  arrêté  Karna  de  ses 
flèches,  5,518. 

Le  Pândouide  lança  rapidement  son  char  sur  Dour- 
moukha, qu'il  envoya,  grand  roi,  dans  ce  combat  sanglant, 
de  neuf  traits  bien  supérieurs,  au.  séjour  d'Yama.  Monté 
sur  le  chariot  du  vaincu,  Dourmoukha  immolé,  l'Adhira- 
thide brilla,  sire,  comme  le  soleil  enflammé.  A  la  vue 


DRONA-PARVA.  13 

de  ce  héros  étendu  mort,  arrosé  de  sang,  les  membres 
rompus,  Karna,  les  yeux  remplis  de  larmes,  ne  se  dé- 
tourna pas  un  seul  instant.  Il  s'avança  au-delà  du  guerrier 
sans  vie  et  décrivit  autour  de  lui  un  pradakshina. 

5,519-  5,520—5,521-5,522. 

Le  héros  poussa  de  longs  et  brûlants  soupirs;  il  ne 
trouvait  rien  qu'il  dût  faire.  Dans  cette  absence  de 
moyens,  sire,  Bhimaséna  d'envoyer  au  fils  du  cocher 
quatorze  nârâtchas,  revêtus  des  plumes  du  vautour. 
Quand  ces  traits,  empennés  d'or,  à  la  grande  vitesse,  di- 
versifiés par  l'or,  illuminant  les  dix  points  de  l'horizon, 
eurent  fendu  sa  cuirasse,  Indra  des  rois,  ils  burent  le 
sang  du  fils  de  cocher,  se  repaissant  de  sa  vie  (1),  comme 
des  serpents  en  courroux,  excités  par  la  mort.  Ils  bril- 
laient, en  se  glissant  au  sein  de  la  terre,  (De  la  stance 
5,523  à  la  stance  5,527.) 

Où,  à  demi-entrés,  ils  reluisaient  irrités,  comme  de 
grands  reptiles,  qui  s'introduisent  dans  leurs  cavernes. 
Râdhéya,  sans  balancer,  le  blessa  en  retour  de  quatorze 
nârâtchas  plus  que  terribles,  ornementés  d'or.  Une  fois 
brisé  le  bras  gauche  de  Bhîmaséna,  ces  flèches 

Terribles  entrèrent  dans  le  sein  de  la  terre,  comme  des 
oiseaux,  qui  s'abattent  sur  le  mont  Kraâuntcha  (2). 
Ces  nârâtchas  resplendissaient,  en  pénétrant  dans  la 
terre,  5,527—5,528—5,529. 

Tels  que  les  rayons  enflammés,  qui  rentrent  dans  le 
soleil  parvenu  au  mont  Asta.  Blessé  dans  ce  combat  par 
les  nârâtchas,  qui  brisent  les  articulations,  Bhîma  5,530. 

Versait  des  ruisseaux  de  sang,  comme  les  montagnes 

(1)  Littéralement  :  de  sang. 

(2)  KroAuntrhon,  texte  de  Bombay. 


U  LE  MAHA-BHARATA. 

répandent  l'eau.  Vrikaudara  blessé  perça  de  trois  dards  le 
fils  du  cocher,  et  de  sept,  aussi  rapides  que  le  vol  de  Ga- 
rouda,  le  conducteur  de  son  char.  Affligé  par  la  vigueur 
de  Bhîina,  Karna,  plein  de  trouble,  puissant  roi, 

5,531—5,532. 

Abandonna  le  champ  de  bataille,  et  s'enfuit  avec  ses 
légers  chevaux.  Mais  Bhîmaséna  à  la  vaste  renommée, 
brandissant  son  arc,  ornementé  d'or,  se  tenait,  monté 
sur  son  char  dans  ce  combat,  comme  le  feu  flamboyant. 

5,533  —  5, 534. 

«  Je  pense  que  le  Destin  est  tout-puissant,  observa  le 
i  oi  Dhritarâshtra  :  honte  soit  au  courage  inutile,  puisque 
l'Adhirathide,  malgré  ses  efforts,  n'a  point  surpassé  le  fils 
de  Pândou  en  ce  combat!  5,535. 

a  Karna  est  capable  de  vaincre  dans  une  bataille  les 
Prithides,  secondés  par  Govinda  !  Je  ne  vois  aucunement 
dans  le  monde  un  combattant  égal  à  Karna!  » 5,536. 

»  Voilà  ce  que  j'ai  entendu  dire  mainte  et  mainte  fois  à 
Douryodhana.  «  Karna  est  certainement  un  héros,  plein 
de  vigueur  ;  son  arc  est  solide  ;  il  a  vaincu  la  fatigue.  » 

»  C'est  ainsi  que  m'a  parlé  avant  la  guerre,  cocher, 
l'insensé  Douryodhana.  «  Indra  même  ne  serait  pas  mon 
égal  dans  une  guerre,  où  j'ai  Vasoushéna  pour  compa- 
gnon. 5,537—5,538. 

»  Que  sont  les  fils  de  Pândou  sans  âme,  au  courage 
évanoui,  sire?  »  Qu'est-ce  qu'a  dit  Douryodhana,  quand 
il  vit  s'enfuir  du  combat  ce  Karna  vaincu,  tel  qu'un  ser- 
pent, désarmé  de  son  venin?  Hélas!  infortuné  Dour- 
moukha  !  Il  était  l'unique,  le  plus  habile  des  combattants, 

5,539 — 5,540. 

«  Et  l'insensé  l'a  jeté  dans  son  délire,  comme  une  sau- 


DRONA-PARVA.  15 

terelle,  au  milieu  du  feu!  Açwatthâman,  le  roi  de  Macira, 
Kripa  et  Karna  réunis  ne  sont  pas  capables  sans  doute, 
Sandjaya,  de  rester,  le  pied  ferme,  en  face  de  Bhîma.  Us 
connaissent  sa  vigueur  très-épouvantable  et  pareille  à  la 
force  d'une  myriade  de  serpents  boas;  ils  savent  les  travaux 
cruels  de  ce  héros,  qui  a  la  puissance  du  vent.  Pourquoi, 
connaissant  sa  force,  sa  colère,  son  courage  dans  la  guerre, 
allumèrent-ils  le  courroux  de  ce  guerrier  aux  terribles 
actions,  qui  ressemble  (1)  au  trépas,  à  la  mort,  à  Yama? 
Mais  seul  le  fils  du  cocher  aux  longs  bras,  Karna,  appuyé 
sur  la  force  de  ses  bras,  sans  faire  cas  de  Bhîmaséna,  lui 
a  livré  bataille  !  Nul  guerrier  n'est  capable  de  surmonter 
dans  un  combat  ce  fils  de  Pândou,  qui  a  dompté  Karna, 
comme  Pourandara  a  vaincu  l'Asoura,  ce  Bhîma,  qui,, 
occupé  à  rechercher  Dhanandjaya,  est  entré  dans  mon  ar- 
mée, après  qu'il  eut  jeté  le  trouble  en  Drona!  Quel 
homme  attaché  à  la  vie  l'affronterait  dans  un  combat?  Qui 
donc  oserait,  Sandjaya,  demeurer,  le  pied  ferme,  en  face 
de  Bhîma,  (De  la  stance  5.541  à  la  stance  5,548.) 

»  Tel  qu'un  Dânava  en  présence  de  Mahéndra,  sa  foudve 
levée?  Un  homme,  arrivé  à  la  cité  du  roi  des  morts, 
pourrait  encore  en  revenir  ;  mais,  s'il  affronte  Bhîma,  il  n'y 
a  pour  lui  nul  retour!  D'une  faible  énergie,  ils  se  sont 
jetés  dans  le  feu  comme  des  sauterelles,  5,5/18 — 5,549. 

»  Ces  princes,  qui,  dans  leur  délire,  ont  couru  sur 
Bhîmaséna  en  colère  !  Pour  sûr,  la  vue  de  Karna  vaincu  a 
dû  leur  rappeler  ces  paroles,  que  le  terrible  Bhîma  irrité, 
promettant  la  mort  à  mes  fils,  prononça  dans  l'assemblée, 
aux  oreilles  des  Kourouides.  &,550 — 5,551. 

(1)  Antakaupaman,  texte  de  Bombay. 


16  LE  MAHA-BHARATA. 

»  La  crainte  fit  déposer  les  armes,  tournées  contre 
Bhîma,  à  Douççâsana  et  son  insensé  frère,  qui,  Sandjaya, 
avait  dit  tant  de  fois  dans  l'assemblée  :  5,552. 

«  Karna,  Douççâsana  et  moi,  nous  vaincrons  les  Pân- 
douides  dans  le  combat  !  »  Sans  doute,  Sandjaya,  depuis 
qu'il  a  vu  Karna  sans  char,  vaincu  par  Bhîma,  il  se  re- 
proche vivement  d'avoir  repoussé  (1)  les  propositions  de 
Krishna!  Depuis  qu'il  a  vu  ses  frères,  en  dépit  de  leurs 
cuirasses,  abattus  sous  les  coups  de  Bhîmaséna,  mon  fils 
ressent,  pour  sûr,  une  bien  vive  douleur  au  souvenir  de 
sa  faute  1  Qui,  attaché  à  la  vie,  affronterait  comme  un  en- 
nemi le  Pândouide,   5,553 — 5,554 — 5,555. 

»  Bhîma  irrité,  ses  armes  levées,  debout  devant  lui,  tel 
que  la  Mort  en  personne?  Il  se  peut  qu'un  homme  soit 
délivré,  engagé  même  au  milieu  de  la  gueule  d'un  volcan 
sous-marin;  5,556. 

»  Mais  on  ne  saurait  le  retirer,  —  c'est  mon  sentiment, 
—  s'il  est  entré  dans  la  bouche  de  Bhîmaséna  !  Ni  les 
Piïthides,  ni  les  Pântchâlains,  ni  Sâtyaki  et  Kéçava  ne 
savent  pas,  dans  leur  colère,  ménager  leur  vie  dans  le 
combat»  Hélas  !  cocher,  la  vie  de  mes  fils  est  tombée  dans 
le  plus  grand  danger  !  »  5,557—5,558. 

Au  milieu  de  ce  carnage  sévissant  des  hommes,  que  tu 
déplores,  lui  répondit  Sandjaya,  c'est  toi,  il  n'y  a  nul 
doute,  qui  es  l'auteur  de  cette  destruction  du  monde. 

Tu  as  fait  naître  toi-même  (2)  cette  grande  inimitié, 
en  suivant  la  parole  de  tes  fils.  Mortel,  que  tu  es  appelé, 
tu  n'agis  pas,  comme  ferait  un  médicament  efficace. 

5,559—5,560. 

(1)  PratyAkhyûnût,  édition  de  Bombay. 

(2)  Swayan,  texte  plus  correct  de  Bombay. 


DRONA-PARVA.  17 

Tu  as  bu  de  ta  pleine  volonté,  grand  roi,  le  plus  indi- 
geste des  poisons  :  accepte  maintenant,  ô  le  plus  excellent 
des  hommes,  ce  fruit  entièrement,  puisque  c'en  est  le 
résultat.  5,501. 

Mais,  comme  tu  maudis  ces  guerriers,  qui  combattent 
suivant  leurs  forces,  je  vais  te  décrire  ici  de  quelle  ma- 
nière se  déroula  ce  combat.  5,56*2. 

Quand  tes  fils  virent  Karna  vaincu  par  Bhîmaséna, 
cinq  héros,  frères  germains,  ne  purent  supporter  ce  spec- 
tacle, respectable  roi.  5,563. 

C'étaient  Dourmarshana,  Doussaha,  Dourmada,  Dour- 
dhara  et  Djaya,  qui,  revêtus  d'armures  diverses,  couru- 
rent à  l'encontre  du  Pândouide.   5,56/i. 

Ces  guerriers,  environnant  de  tous  les  côtés  Vrikau- 
dara  aux  longs  bras,  couvrirent  toutes  les  plages  du  ciel 
avec  des  flèches  comme  avec  des  nuées  de  sauterelles. 

Bhîmaséna  accueillit  en  riant,  pour  ainsi  dire,  ces 
jeunes  princes  aux  formes  divines,  qui  arrivaient  tout  à 
coup  dans  le  combat.   5,565—5,566. 

Aussitôt  qu'il  eut  vu  tes  fils,  à  la  rencontre  desquels 
marchait  Bhîmaséna,  Râdhéya  de  s'avancer  sur  ce  héi\,s 
à  la  grande  force.   5,567. 

Décochant  sur  lui  des  flèches  empennées  d'or,  péné- 
trantes, aiguisées  sur  la  pierre,  Bhima  s'approcha  du 
guerrier  rapidement  et  l'arrêta,  lui  et  tes  fils.   5,568. 

Mais,  environnant  Karna  de  tous  les  côtés,  les  Kou- 
rouides  firent  pleuvoir  sur  Bhîmaséna  des  traits  aux  nœuds 
inclinés.   5,569. 

Bhîma,  de  vingt-cinq  dards,  plongea  ces  pluséminents 
des  hommes  aux  arcs  terribles  dans  le  séjour  d'Yama, 
avec  leurs  chevaux,  avec  leurs  cochers.   5,570. 

ix  2 


18  LEMAHA-BHARA^A. 

Ornés  de  fleurs  variées,  ils  tombèrent  sans  vie  de  leurs 
chars  avec  les  cochers,  tels  que  de  grands  arbres,  que  le 
vent  a  rompus.   5,571. 

Nous  admirâmes  ce  merveilleux  courage  de  Bhîmaséna; 
après  qu'il  eut  arrêté  de  ses  flèches  l'Adhirathide,  il  ravit 
l'existence  à  tes  fils.   5,572. 

Arrêté  de  tous  les  côtés  par  ses  traits  acérés,  le  fils  du 
cocher,  puissant  roi,  contemplait  Bhîmaséna.   5,573. 

Et  celui-ci,  les  yeux  rouges  de  colère,  brandissant  un 
grand  arc,  jetait  à  chaque  instant  sur  Karna  des  regards 
irrités.   5,574. 

Quand  l'auguste  Karna  vit  tes  fils  étendus  morts,  pé- 
nétré d'un  vif  sentiment  de  fureur,  il  méprisa  alors  sa  vie 
elle-même.   5,575. 

11  pensa  que  Bhîma  n'avait  tué  dans  le  combat  tes  fils 
sous  ses  yeux  que  parce  que  son  âme  était  souillée  d'un 
péché.   5,576. 

Plein  d'émotion  au  souvenir  de  son  ancienne  ini- 
mitié, Bhîmaséna  irrité  implanta  dans  Karna  ses  flèches 
acérées.   5,577. 

Dès  que  Râdhéya  eut  percé  Bhîma  en  riant  de  cinq 
traits,  il  le  blessa  de  nouveau  avec  soixante-dix  flèches, 
empennées  d'or,  aiguisées  sur  la  pierre.   5,578. 

Mais,  sans  penser  aux  dards,  que  lançait  Karna,  Vri- 
kaudara  de  frapper  dans  le  combat  le  fils  de  Râdhâ  de 
cent  traits  aux  nœuds  inclinés.   5,579. 

Il  le  perça  de  nouveau  de  cinq  dards  acérés  dans  les 
membres,  et  trancha  d'un  bhalla,  vénérable  monarque, 
l'arc  du  fils  de  cocher.   5,580. 

Karna  au  cœur  intraitable,  ayant  pris  un  nouvel  arc, 
couvrit  de  tous  les  côtés  Bhîmaséna  de  ses  flèches. 


DRONA-PARVA.  19 

Dès  que  Bhima  eut  tué  ses  chevaux,  qu'il  eut  immolé 
son  cocher,  il  éclata  d'un  vaste  rire,  joyeux  d'avoir  tiré 
de  lui  cette  vengeance.   5,581 — 5,582. 

Homme  éminent,  il  en  trancha  l'arc  de  ses  flèches,  et 
l'arme  au  grand  son,  au  dos  en  or,  tomba,  puissant  roi, 
sur  la  terre.   5,583. 

Karna,  le  fameux  héros,  descendit  de  ce  char;  il  saisit 
une  massue,  et  l'envoya  dans  la  bataille  avec  colère  à 
Bhîmaséna.   5,584. 

Lorsqu'il  vit  la  massue  voler  à  lui  rapidement,  Vri- 
kaudara  de  l'arrêter  avec  ses  flèches,  aux  yeux  de  toute 
l'armée.   5,585. 

Ensuite,  le  courageux  Pândouide,  d'une  main  hâtée  par 
le  désir  de  porter  la  mort  au  fils  du  cocher,  lui  envoya 
des  milliers  de  traits.   5,586. 

Aussitôt  qu'il  eut  arrêté  dans  ce  grand  combat  les  dards 
avec  ses  dards,  Karna  fit  tomber  sous  ses  flèches  la  cuirasse 
de  Bhîmaséna.   5,587. 

Il  décocha  sur  lui  vingt-cinq  kshoudrakas  (1)  aux 
regards  de  tous  les  guerriers  :  ce  fut  comme  une  chose 
admirable.   5,588. 

Bhîma  alors  envoya  dans  sa  colère  au  fils  du  cocher, 
vénérable  et  grand  roi,  neuf  traits  aux  nœuds  inclinés. 

Quand  ils  eurent  fendu  sa  cuirasse  et  son  bras  droit, 
ces  dards  acérés  de  pénétrer  dans  le  sein  de  la  terre, 
comme  des  serpents  dans  une  fourmillière. 

5,589—5,590. 

Couvert  de  ces  multitudes  de  traits,  lancés  par  l'arc  de 

(1)  Ce  mot  veut  dire  :  petit,  exigu.  Mais,  employé  sans  aucun  substantif, 
et  non  plus  comme  adjectif,  c'est  probablement  le  nom  d'une  espèce  de 
ilèche.  Bothlingk  et  Roth  n'en  parlent  pas. 


20  LE  MAHA-BHARATA. 

Bhîmaséna,  Karna,  une  seconde  fois,  tourna  le  dos  devant 
lui.   5,591. 

Dès  qu'il  eut  vu  le  fils  du  cocher  fuyant,  à  pied,  cou- 
vert des  flèches  du  fils  de  Rountî,  le  roi  Douryodhana  de 
s'écrier:  5,592. 

«  Hâtez-vous  de  courir,  pleins  de  d'ardeur,  de  toutes 
parts,  vers  le  char  de  Râdhéya!  »  Tes  fils,  à  peine  en- 
tendue cette  auguste  parole  de  leur  frère,  5,593. 

S'avancent,  décochant  leurs  flèches,  vers  le  Pândouide 
dans  le  combat  :  c'étaient  Tchitra,  Oupalchitra,  Tchi- 
trâksha,  Tchâroutchitra,  Çarâsana,  5,594. 

Tchitrâyoudha  et  Tchitravarman,  tous  héros  dans  la 
bataille.  Sans  tarder,  l'héroïque  Bhîma  de  frapper  chacun 
de  tes  fils  dans  leur  course  même  avec  une  flèche  mortelle. 
Atteints,  ils  tombèrent  sur  la  terre,  comme  des  arbres, 
que  le  vent  a  rompus.   5,595 — 5,596. 

Quand  il  vit  ces  grands  héros,  tes  fils,  sire,  étendas 
sans  vie,  Karna,  le  visage  rempli  de  larmes,  se  souvint 
alors  des  paroles  de  Kshattri.   5,597. 

11  monta  dans  un  autre  char,  équipé  suivant  la  règle, 
et,  d'une  course  hâtée,  plein  de  courage,  il  s'avança  de 
nouveau  contre  Bhîmaséna.  5,598. 

Lorsqu'ils  se  furent  blessés  mutuellement  de  traits 
empennés  d'or,  aiguisés  sur  la  pierre,  ils  brillèrent 
comme  deux  nuages,  cousus  avec  les  rayons  du  soleil. 

Au  moyen  de  trente-six  bhallas  acérés  à  la  splendeur 
brûlante,  Bhîmaséna  irrité  mit  en  pièces  la  cuirasse  du 
fils  de  cocher.  5,599.-5,600. 

L'Adhirathide  aux  longs  bras,  éminent  Bharatide, 
blessa  le  fils  de  Kountî  de  cinquante  flèches  aux  nœuds 
inclinés.  5,601. 


DRONA-PARVA.  21 

Le  corps  oint  de  sandal  rouge,  arrosé  de  sang,  portant 
de  grandes  blessures  ouvertes  par  les  traits,  ils  brillaient, 
comme  le  soleil  et  la  lune,  élevés  sur  l'horizon.   5,602. 

Avec  leurs  membres  humides  de  sang,  avec  leurs  cui- 
rasses fendues  par  les  flèches,  Karna  et  Bhima  resplen- 
dissaient, comme  deux  serpents  déchaînés.   5,603. 

Semblables  à  deux  tigres,  qui  se  déchirent  mutuelle- 
ment de  leurs  dents  aiguës,  ces  deux  héros,  les  tigres  des 
hommes,  versaient  leurs  grêles  de  flèches,  tels  que  deux 
nuages,  qui  répandent  la  pluie.   5,604t. 

De  même  que  deux  éléphants,  qui  se  blessent  récipro- 
quement de  leurs  défenses  ,  ces  dompteurs  des  ennemis 
brillaient  sous  les  flèches,  dont  ils  se  déchiraient  les 
membres.   5,605. 

Tirant  des  sons  l'un  de  l'autre,  versant  les  traits  comme 
la  pluie,  se  faisant  mutuellement  un  jeu  de  leur  adver- 
saire, les  deux  plus  excellents  des  hommes  à  conduire  un 
chariot  de  guerre,  ils  décrivaient  des  cercles  avec  leurs 
chars.   5,606. 

Semblables  à  deux  taureaux  vigoureux,  mugissants, 
au  moment  qu'ils  ont  senti  leurs  fumées,  ou  tels  que  deux 
lions  courageux,  ces  lions  des  hommes  à  la  vaste  force, 
se  jetant  l'un  à  l'autre  les  regards  de  leurs  yeux  rouges 
de  colère,  combattaient  avec  une  grande  valeur,  comme 
Indra  et  le  Virotchanide.   5,607—5,608. 

Ensuite  Bhîma  de  rejeter  l'arc,  qu'il  tenait  à  ses  bras; 
et  Ventre-de-loup  resplendit,  tel  que  le  nuage,  envi- 
ronné de  l'éclair.  5,609. 

Rugissant  avec  le  bruit  de  son  arc,  versant  pour  eau 
le  d  luge  de  ses  flèches,  le  grand  nuage  de  Bhîma,  puis- 
sant roi,  couvrit  la  montagne  de  Karna.   5,610. 


22  LE  MAHA-BHARATA. 

Le  Pàndouide  Vrikaudara  à  l'épouvantable  courage  ré- 
pandit sur  l'Adhirathide  un  millier  de  traits,  envoyés  par 
son  arc.  5,611. 

Tes  fils  contemplèrent  la  valeur  de  Bhîma,  car  il  ense- 
velit Karna  sous  ses  flèches  bien  empennées,  revêtues  des 
plumes  du  héron.   5,612. 

Inspirant  la  joie  dans  son  combat  au  Prithide,  à  l'il- 
lustre Réçava,  à  Sâtyaki,  aux  deux  gardes  des  roues, 
Bhîma  fit  la  guerre  à  Karna.   5,613. 

Le  cœur  manqua  à  tes  fils,  grand  roi,  quand  ils  virent 
la  force  des  bras,  la  valeur  et  la  fermeté  de  ce  guerrier, 
qui  avait  la  conscience  de  soi-même.   5,61/i. 

Dès  qu'il  eut  entendu  le  bruit  de  la  corde  attachée  à 
l'arc  de  Bhîma,  Râdhéya  ne  put  l'endurer,  comme  un 
éléphant  enivré  le  bruit  d'un  éléphant  ennemi.  5,615. 

S'étant  éloigné  un  instant  de  la  portée  des  traits,  que 
lançait  Bhîmaséna,  il  vit  tes  fils,  que  ce  héros  avait 
étendus  morts.   5,616. 

A  ce  spectacle,  le  cœur  brisé,  contristé,  poussant  de 
longs  et  brûlants  soupirs,  ô  le  plus  vertueux  des 
hommes,  il  s'avança  de  nouveau  vers  le  fils  de  Pàndou. 

Ses  yeux  rouges  de  colère,  soupirant  comme  un  grand 
serpent,  Karna  brillait,  décochant  ses  flèches,  comme  le 
soleil,  environné  de  ses  rayons.   5,617 — 5,618. 

Vrikaudara  était  couvert  des  dards,  lancés  par  l'arc  de 
Karna,  ô  le  plus  grand  des  Bharatides,  comme  de  filets 
des  rayons  allongés  du  soleil.   5,619. 

Les  traits  variés,  revêtus  des  plumes  du  paon,  sortis  de 
l'arc  de  l'Adhirathide,  entrèrent  de  tous  les  côtés  dans  le 
fils  de  Prithâ,  comme  des  oiseaux  dans  un  arbre,  où  ils 
veulent  se  nicher.  5,620. 


DRO.NA-PARVA.  23 

Volant  çà  et  là,  les  flèches,  empennées  d'or,  parties  de 
l'arc  de  Râdhéya,  resplendissaient,  comme  des  cygnes 
rangés  en  lignes.   5,621. 

Supérieures  au  drapeau,  à  l'ombrelle  et  autres  signes 
de  la  puissance,  on  voyait  les  flèches  de  Karna  prévaloir 
sur  l'arc,  le  drapeau  et  tout  l'appareil  de  guerre.  5,622. 
Remplissant  les  airs,  l'Adhirathide  lança  des  flèches, 
revêtues  de  la  plume  des  vautours,  dont  l'or  avait  changé 
la  matière  et  semblables  à  des  oiseaux  d'une  grande 
vitesse.  5,623. 

Aussitôt  qu'il  le  vit  accourir,  ayant  renoncé  à  la  vie  et 
furieux  comme  la  mort,  Ventre-de-Loup  s'esquiva  de  lui 
et  le  blessa  de  neuf  flèches.  5,624. 

Quoiqu'il  vit  l'impétuosité  insoutenable  de  Karna  et  les 
grandes  multitudes  de  ses  flèches,  le  vigoureux  Prithide 
n'en  fut  pas  même  ébranlé.   5,625. 

Le  fils  de  Pândou  brisa  les  rézeaux  de  traits  de  l'Adhira- 
thide; ensuite,  il  blessa  Râdhéya  avec  vingt  autres  flèches 
acérées.   5,626. 

Tel  que  le  fils  du  cocher  couvrait  de  ses  dards  le  fils  de 
Prithâ,  tel  le  Pàndouide  ensevelissait  Karna  sous  ses  traits 
dans  le  combat.   5,627. 

Quand  ils  virent  le  courage  de  Bhîmaséna  dans  la 
guerre,  Bharatide,  les  tiens  (1)  lui  applaudirent  et  le< 
Tchâranas  en  conçurent  de  la  joie.   5,628. 

Bhoûriçravas,  Kripa,  Açwatthâman,  le  roi  du  Madra, 


(i)  Il  n'est  pas  ordinaire  de  voir  un  ennemi  applaudir  au  courage  d'un 
ennemi,  tandis  qu'on  voit  souvent  les  Génies  Sidd/ias  marcher  de  pair  avec 
les  Tchâranas.  Cependant  nous  n'osons  de  nous-mème  proposer  à  nos 
lecteurs  cette  petite  correction  : 

Abhi/anandan  tu  Sidddstcha  sanprahrùhtdstcha  Tchâranas. 


n  LE  MAHA-BHARATA. 

Djayadratha,  Outtamaâudjas,  Youdhâmanyou,  Sâlyaki, 
Arjouna  et  Kéçava;   5,629. 

Ces  dix  grands  héros,  sire,  les  meilleurs  desKourouides 
et  des  Pàndouides,  de  s'écrier  :  «  Bien  !  bien  !  »  et  de  jeter 
soudain  un  rugissement  de  guerre.  5,630. 

Tandis  que  ce  bruit  confus,  inspirant  l'effroi,  roulait 
encore  sous  la  voûte  des  deux,  le  roi  Douryodhana  dit 
d'une  voix  hâtée  à  tes  fils,  5,631. 

Aux  rois,  aux  fils  de  rois  et  surtout  à  ses  frères  ger- 
mains :  «  Allez  vers  Karna;  la  félicité  descende  sur  vous! 
et  sauvez-le  de  Vrikaudara,   5,632. 

»  Avant  que  les  flèches,  envoyées  par  l'arc  de  Bhîma- 
séna,  n'aient  porté  la  mort  à  Râdhéya  !  Faites  donc  vos 
efforts,  héros  aux  grands  arcs  ,  pour  le  salut  du  fils  de 
cocher.  »   5,633. 

Au  commandement  de  Douryodhana,  sept  de  ses  frères 
germains,  vénérable  sire,  coururent  avec  colère,  et  d'en- 
vironner Bhîmaséna.  5,634. 

S' étant  approchés  de  lui,  ils  ensevelirent  le  fils  de 
Kountî  sous  les  pluies  de  leurs  flèches  ;  tels,  dans  la  sai- 
son humide ,  les  nuages  couvrent  une  montagne  des 
gouttes  de  leur  eau.  5,635. 

Les  sept  grands  héros  accablèrent  irrités  Bhîmaséna, 
comme  sept  planètes,  sire,  oppressent  la  lune  dans  la  des- 
truction des  choses  créées.   5,636. 

Soudain,  le  fils  de  Kountî  et  de  Pândou  serra  dans  son 
poiug  ferme  son  arc  aux  riches  ornements  ;  5,637. 

Et,  connaissant  l'égalité,  dont  ils  jouissaient  parmi  les 
hommes,  l'auguste  encocha  sept  flèches  et  lança  avec  co- 
lère sur  eux  ces  traits,  semblables  aux  rayons  du  soleil. 

Se  rappelant  son  ancienne  inimitié,  grand  roi,  Bhîma- 


DRONA-PARVA.  25 

séna  bannit,  pour  ainsi  dire,  du  corps  de  tes  fils  les  souf- 
fles de  l'existence.   5,638—5,639. 

Quand  ces  traits ,  empennés  d'or,  aiguisés  sur  la 
pierre,  lancés  par  Bhîmaséna,  eurent  fendu  les  Bhara- 
tides,  ils  s'envolèrent,  fils  de  Bharata,  au  milieu  des 
airs.    5.6ZI0. 

Dès  qu'elles  eurent  ravi  leurs  âmes,  ces  flèches  aux  or- 
nements d'or,  Mahârâdja ,  brillèrent,  comme  des  Garou- 
das,  qui  se  promènent  dans  les  cieux.   5.6M. 

Ointes  de  sang,  ornées  d'or,  les  sept  flèches  rapides  (1), 
ayant  bu  le  sang  de  tes  fils,  Indra  des  rois,  volent  dans 
ï atmosphère.   5,6/i2. 

Les  princes  tombent  de  leur  char  sur  la  terre,  les  corps 
brisés  par  les  flèches  :  tels ,  rompus  par  un  éléphant 
croulent  de  grands  arbres,  crus  sur  le  plateau  d'une 
montagne.   5,6/13. 

Çatroundjaya  ,  Çatrousaha,  Tchitra  ,  Tchitrâyoudha, 
Dritha,  Tchitraséna  et  Vikarna  :  ce  sont  les  sept,  qui  fu- 
rent renversés.   5,6Z|Zl. 

Le  Pândouide  Vrikaudara  pleura  amèrement  le  sort  de 
tous  ces  fils  de  roi,  couchés  morts,  et  surtout  celui  de 
Vikarna,  son  ami  :   5,6&5. 

«  J'ai  donné  en  promesse  la  mort ,  qui  fut  apportée  à 
ceux,  que  je  devais  immoler;  et  c'est  pour  cela  que  tu 
fus  tué  par  moi,  Vikarna,   qui  ai  conservé  ma  promesse. 

»  Cette  guerre  est  un  crime  ;  mais  toi,  héros,  qui  trou- 
vais, avec  juste  raison,  oui!  avec  juste  raison,  du  plaisir 
dans  notre  bien  et  surtout  dans  celui  du  roi  Youdlrishtlnra, 
tu  t'es  rappelé  ton  devoir  de  kshatrya.   5,6/16—  5,6'j7. 

(1)  Vâdjûgràs.  texte  de  Bombay. 


26  LE  MAHA-BHARATA. 

»  Hélas!  ce  prince  à  la  grande  splendeur  n'est  point  ici 
mon  seul  chagrin.  »  Après  qu'il  les  eut  immolés,  puissant 
roi,  sous  les  yeux  mêmes  de  Râdhéya,  5,648. 

Le  fils  de  Pândou  jeta  un  épouvantable  cri  de  guerre. 
Cette  clameur  semblait  annoncer  par  son  volume  à  Dhar- 
marâdja  le  combat  (J)  de  ce  héros  et  sa  victoire.  Aussitôt 
qu'il  eut  entendu  cette  immense  vocifération  de  l'archer 
Bhîmaséna,   5,6/19—5,650, 

Dharmarâdja  en  ressentit  la  plus  vive  satisfaction  dans 
la  guerre.  Le  Pândouide  joyeux  accueillit  avec  les  con- 
certs des  instruments  de  musique,  grand  roi,  l'explosion 
du  cri  de  guerre,  que  fit  éclater  son  frère.  Après  que  Vri- 
kaudara  eut  proclamé  son  nom  ,  le  plus  excellent  de  tous 
ceux,  qui  connaissent  les  armes,  s'avança,  comblé  d'une 
grande  joie,  vers  le  bra lime -guerrier  Drona.  Il  avait  ren- 
versé morts  trente-et-un  de  tes  fils ,   puissante  majesté. 

5,651—5,652—5,653. 

Quand  il  les  vit  privés  de  la  vie  ,  Douryodhana  se  sou- 
vint alors  du  langage  de  Kshattri  :  «  Voici  donc  arrivé 
l'eflet  de  ces  paroles  bonnes  conseillères  de  Vidoura  !  » 

S'écria-t-il.  Et  ce  monarque  eut  beau  y  penser,  il  ne 
trouvait  rien  à  répondre  ,  ni  sur  le  fait  que  Douççâsana, 
ton  fils  à  l'esprit  dépravé  et  de  peu  d'intelligence,  associé 
avec  Karna,  fit  amener  la  Pântchâlaine  dans  l'assemblée  ; 
ni  sur  les  paroles  outrageantes,  que  Rarnadans  la  réunion 
adressait  à  Krishna,    5,654 — 5,655 — 5,656. 

En  face  de  toi,  souverain  des  hommes  ,  vis-à-vis  des 
iils  de  Pândou,  à  tes  oreilles,  Indra  des  rois ,  à  celles  de 
tous  les  Kourouides  :  5,657. 

(1)  Youddham,  texte  de  Bombay. 


DRONA-PARVA.  27 

«  Les  fils  de  Pândou  ont  succombé,  Krishna  ;  ils  sont 
tombés  dans  le  Naraka  et  rnel  ;  choisis  un  autre  époux  !» 
Voilà  donc  le  fruit  de  ces  paroles  arrivé  !  5,658. 

Il  ne  trouvait  pas  d'excuse  aux  mots  :  «  Huile  de 
sésame,  »  et  autres  paroles  blessantes ,  adressées  aux 
Pândouidespar  tes  fils,  excitant  leur  colère.   5,659. 

«  Bhîmaséna,  le  fils  de  Pândou  (1),  vomissant  (2)  le  feu 
de  sa  colère,  qu'il  a  couvée  treize  années  ,  marche  à  l'ex- 
termination de  tes  fils.  »    5,660. 

En  jetant  ces  nombreuses  lamentations,  Kshattri  ne 
retrouva  pas  en  toi  sa  tranquillité  d'esprit.  Mange  donc 
avec  ton  fils,  ô  le  plus  grand  des  Bharatides,  ces  prémices 
du  fruit.   5,661. 

Toi,  vieillard  prudent,  de  qui  la  vue  embrasse  le  sens 
et  la  vraie  nature  des  choses,  tu  n'as  point  accompli  la 
parole  de  tes  amis  ;  c'est  le  Destin,  qui  prédomine  ici. 
N'en  gémis  donc  pas ,  tigre  des  hommes  ;  grand  est 
ton  manque  de  politique.  Je  pense  que  la  perte  de  tes  fils 
a  sa  cause  elle-même  dans  ta  majesté.    5,662—5,663. 

Vikarna  est  mort,  Indra  des  rois  ;  il  n'est  plus,  le  vigou- 
reux Tchitraséna,  et  les  plus  excellents  de  ceux,  qui  sont 
nés  de  toi,  et  les  autres  grands  héros,  tes  fils  !  5,66/i. 

Bhîma  d'immoler  à  la  hâte,  monarque  aux  longs 
bras,  tes  autres  fils,  qu'il  voit  arrivés  à  la  portée  de  ses 
yeux.  5,665. 

Moi-même,  je  vis  l'armée  consumée  à  cause  de  toi  par 
les  flèches,  que  le  Pândouideet  Vrisha  décochaient  à  mil- 
liers.  5,666. 


'1-2)  Pândavas...,  oudgiranstavan...,  texte  de  Bombay. 


28  LE  MAHA-BHARATA. 

«  Mon  défaut  de  politique  est  grand,  surtout  ici,  cocher, 
observa  le  roi  Dhritarâshtra.  Il  est  arrivé  maintenant ,  je 
pense,  à  l'instant  du  regret,  Sandjaya.   5,667. 

«  Arrive  ce  qui  doit  arriver  !  »  Telle  fut  la  résolution 
mise  dans  mon  esprit.  Maintenant  que  dois-je  faire  ici, 
Sandjaya?  5,668. 

»  Comme  le  carnage,  qui  se  déploya,  eut  pour  cause 
mon  absence  de  politique ,  raconte-moi,  Sandjaya,  cette 
destruction  des  héros  :  je  suis  tout  oreille.  »   5,669. 

Les  vaillants  Karna  et  Bhîma,  puissant  roi,  lui  répon- 
dit Sandjaya,  déchargèrent  dans  ce  grand  combat  des 
averses  de  flèches,  comme  deux  nuages  versent  la  pluie. 

Des  traits,  empennés  d'or,  aiguisés  sur  la  pierre, 
marqués  du  nom  de  Bhîmaséna  ,  volent  sur  Karna  et  pé- 
nétrent dans  son  corps,  brisant,  pour  ainsi  dire,  sa  vie  ; 

5,670—5,671. 

Et  Bhîma  fut  rempli  dans  ce  combat,  par  centaines  et 
par  milliers,  des  flèches,  que  décochait  Karna,  comme 
des  serpents  venimeux.   5,672. 

Ces  dards,  qui  volaient  de  tous  les  côtés  ,  grand  roi , 
causèrent  parmi  tes  guerriers  un  ébranlement,  semblable 
à  l'agitation  de  la  mer.   5,673. 

Les  flèches  épouvantables,  vomies  par  l'arc  de  Bhîma  et 
pareilles  à  des  serpents,  dompteur  des  ennemis,  frap- 
paient au  milieu  de  ton  armée.  5,67/i. 

La  terre  s'offrait  aux  yeux,  sire,  couverte  d'éléphants , 
de  chevaux  et  de  leurs  cavaliers,  étendus  sans  vie,  comme 
on  la  voit  remplie  d'arbres,  que  le  vent  a  rompus.  5,675. 

Transpercés  dans  la  bataille  des  traits,  envoyés  par 
l'arc  de  Bhîma  ,  tes  guerriers  fuyaient  :  «  Qu'est-ce  que 
cela?»  disaient-ils?    5,676. 


DRONA-PARVA.  29 

Cette  armée,  rompue  (1)  des  Kaâuraviens,  des  Saâuvî- 
ras  et  du  Sindhou,  était  chassée  par  les  flèches  très-impé- 
tueuses du  Pândouide  et  de  Karna.   5,677. 

Blessés  pour  le  plus  grand  nombre,  leurs  chevaux  tués, 
leurs  éléphants  immolés,  ces  héros,  laissant  Karna  et 
Bhîma,  couraient  par  tous  les  points  de  l'espace.   5,678. 

«  Sans  doute,  ce  sont  les  hôtes  du  ciel  eux-mêmes,  qui 
jettent  le  trouble  parmi  nous  dans  l'intérêt  du  fils  de  Pri- 
thâ  ;  car  notre  armée  est  mise  à  mort  par  les  flèches , 
qu'elles  viennent  de  Bhîma  ou  de  Karna  !  »   5,679. 

En  parlant  ainsi,  tes  guerriers  accablés  de  crainte  ,  se 
mettant  hors  de  la  portée  des  flèches,  s'y  tinrent  avec  le 
désir  de  voir  le  combat.  5,680. 

Un  bruit  de  forme  épouvantable,  causant  la  joie  des 
héros,  accroissant  la  peur  des  gens  timides,  s'éleva  sur  le 
champ  de  bataille.   5,681. 

La  terre  était  couverte  d'un  fleuve,  produit  par  des 
ruisseaux  de  sang,  que  versaient  les  chevaux,  les  élé- 
phants et  les  hommes  ;  elle  était  jonchée  de  coursiers,  de 
proboscidiens  et  de  guerriers,  d'étendards  et  de  caisses  de 
chars,  d'ornements  des  pachydermes,  des  chevaux  et  des 
chariots,  de  voitures  brisées,  de  roues  et  de  timons  rom- 
pus, d'arcs  b; en  retentissants,  ornementés  d'or,  de  flèches, 
empennées  de  ce  riche  métal,  et  de  nârâtchas,  que  lan- 
çaient par  milliers,  comme  des  serpents  déchaînés,  l'A- 
dhirathide  et  le  fils  de  Pândou,  de  traits  barbelés  et  de  le- 
viers en  fer  par  monceaux,  de  cimeterres  et  de  haches,  de 
massues,  de  pilons  et  de  pattiças,  dont  l'or  avait  changé 
la  matière,  de  foudres  aux  formes  diverses,  de  tridents  et 

(1)  Le  commentaire  explique  le  mot  par  âshiptan. 


30  LE  MAHA-BHARATA. 

de  parighas  (1).  La  terre  était  resplendissante,  Bhara- 
tide,  de  çataghnîs  variés,  de  colliers  et  de  bracelets  d'or, 
de  pendeloques  et  de  tiares,  (De  la  stance  5,682  à  la 
stance  5,687  inclusivement.) 

D'armilles  brisées  et  d'anneaux  à  ceindre  les  doigts,  au- 
guste roi,  d'aigrettes  en  pierreries,  de  turbans,  de  parures 
en  or,  5,688. 

De  cuirasses,  de  maniques,  de  colliers  mêmes,  de  vête- 
ments, d'ombrelles,  d'éventails  et  de  chasse-mouches, 
disséminés  dans  leur  chute.   0,689. 

Le  champ  de  bataille  resplendissait  d'éléphants,  de  che- 
vaux, d'hommes  brisés  et  de  flèches  diverses,  tombées, 
rompues,  ointes  de  sang,  éparses  çà  et  là  :  ainsi  le  ciel  est 
parsemé  d'étoiles.  Les  actions  de  ces  deux  héros  étaient 
plus  qu'humaines,  merveilleuses,  inconcevables. 

5,690—5,691. 

Ce  spectacle  fit  naître  l'admiration  des  Siddhas  et  des 
Tchâranas  ;  on  marchait  en  ce  combat,  comme  le  feu,  ac- 
compagné du  vent,  au  milieu  d'une  forêt  de  bois  sec. 

Épouvantable  était  la  rencontre  de  l'Adhirathide  et  de 
Bhîma,  son  émule,  avec  des  chars  et  des  drapeaux  renver- 
sés, des  coursiers,  des  éléphants  et  des  guerriers  immo- 
lés.   5,692-5,693. 

Ton  armée,  souverain  des  hommes,  ressemblait  à  une 
masse  de  nuages  ;  elle  était  comme  une  forêt  de  roseaux , 
où  sont  entrés  deux  éléphants.  5,69/i. 

Cette  destruction,  que  Bhîma  et  Rarna  exerçaient  dans 
la  bataille,  touchait  à  son  plus  haut  degré.  5,695. 

Après  qu'il  eut  percé  Bhîma  de  trois  flèches,  grand  roi, 

(1)  1°  Clava  ;  2°  Pessulus.  Ropp. 


DRONA-PARVA.  31 

Karna  fit  tomber  sur  lui  des  pluies  de  traits  admirables  et 
nombreuses.   5,696. 

Le  Pândouide  Bhîmaséna  aux  longs  bras,  frappé  par 
le  fils  du  cocher,  n'en  fut  pas  ému  plus  qu'une  montagne 
rompue.   5,667. 

Il  blessa  grièvement  à  l'oreille  (1)  Karna  dans  la  bataille 
d'un  trait  barbelé,  altéré  de  sang,  acéré,  frotté  d'huile 
de  sésame. 

H  abattit  sur  la  terre  la  pendeloque  de  Karna,  faite  d'or, 
enflammée,  d'une  grande  beauté ,  comme  une  étoile,  qui 
se  détache  du  ciel.   5,698—5,699. 

Vivement  irrité,  Vrikaudara  en  riant  frappa  le  fils  du 
cocher  entre  les  seins  d'un  autre  bhalla.  5,700. 

Ensuite  Bhîma  aux  longs  bras,  d'une  main  hâtée,  lui 
envoya  dans  le  combat  dix  nârâtchas ,  semblables  à  des 
serpents  déchaînés.   5,701. 

Lancés  par  lui,  ces  dards  entrèrent  dans  le  front  de 
l'Adhirathide,  qu'ils  avaient  brisé,  vénérable  roi,  comme 
des  serpents  dans  une  fourmillière.   5,702. 

Le  fils  du  cocher  brillait  de  ces  traits,  implantés  en  son 
front,  de  même  qu'il  avait  brillé  jadis  couronné  d'un 
bouquet  de  fleurs,  composé  de  lapis-lazuli.   5,703. 

Profondément  blessé  par  le  rapide  Pândouide,  Karna 
de  s'appuyer  sur  le  timon  de  son  char  et  de  fermer  les 
yeux.   5,70/j. 

Mais,  au  bout  d'un  instant,  revenu  à  la  connaissance, 
le  terrible  Karna,  tous  ses  membres  humides  de  sang,  fut 
enflammé  d'une  bouillante  colère.   5,705. 

Alors  accablé  dans  le  combat  par  son  arc  solide,  Karna 

(1)  Jeu  de  mots,  qui  rpparatt  ici  pour  la   troisième  ou  la  quatrième,  foi.. 


32  LE   MAHA-BHARATA. 

à  la  grande  impétuosité  s'élança  avec  fureur  sur  le  char 
de  Bhîmaséna.  5,706. 

Plein  de  ressentiment,  le  vigoureux  héros  irrité  lui  en- 
voya une  centaine  de  flèches,  revêtues  des  plumes  du 
vautour.  5,707. 

Sans  faire  cas  de  lui  dans  le  combat,  sans  penser  à  sa 
vigueur,  le  Pândouide  lança  sur  lui  de  violentes  pluies  de 
traits.   5,708. 

Karna  irrité,  grand  et  terrible  roi,  frappa  de  neuf 
flèches  dans  la  poitrine  le  Pândouide  aux  formes  courrou- 
cées.  5,709. 

Ces  deux  tigres  des  hommes,  tels  que  des  tigres  aux 
longues  dents,  ou  comme  deux  nuages,  firent  tomber 
leur  averse  l'un  sur  l'autre   dans  le    combat.    5,710. 

Ils  s'effrayèrent  mutuellement  par  le  battement  de  leurs 
mains;  désirant  tirer  vengeance  des  blessures  faites,  ils 
s'épouvantèrent  dans  le  combat  réciproquement  par  des 
multitudes  de  flèches.  Ensuite  Bhîma,  le  puissant  homi- 
cide des  héros  ennemis,  trancha  avec  un  kshourapra  l'arc 
du  fils  décocher  et  jeta  un  cri.  Soudain,  l'héroïque  Adhira- 
thide,  rejetant  cette  arme  coupée,  5,711—5,712 — 5,713. 

Saisit  un  nouvel  arc  plus  impétueux ,  brisant  la  charge 
des  cuirasses;  *  mais  Vrikaudara  le  lui  trancha  dans  la 
moitié  d'un  clin  d'œil  (1)  *.  Quand  il  vit  détruits  sa  force 
et  son  courage,  et  rompus  en  même  temps  ceux  du  Sin- 
dhou,  des  Saâuvîras  et  de  Kourou;  5,71Zi. 

Quand  il  vit  la  terre  de  tous  les  côtés  couverte  d'armes, 
de  drapeaux,  de  cuirasses  tombées;  quand  il  vit  les  chars, 


(1)  Nous  empruntons  le  vers  contenu  entre  ces  deux  étoiles  à  l'édition  de 
Bombay,  pour  l'enchaînement  des  idées. 


DRONA-PARVA.  33 

les  éléphants,   les  chevaux,  les  hommes  privés  de  la  vie, 

Les  formes  de  l'Adhirathide  se  montrèrent  enflammées 
par  la  colère;  et,  brandissant  un  grand  arc,  ornementé  d'or, 

Râdhéya  lançait  à  Bhîma,  sire,  les  regards  épouvan- 
tables de  ses  yeux.  Puis,  décochant  des  flèches  dans  son 
courroux,  le  fils  du  cocher  brilla,  5,715—5,716 — 5,717. 

Tel  qu'en  automne  le  radieux  auteur  de  la  lumière, 
parvenu  au  milieu  du  jour.  Comme  le  disque  du  soleil, 
sire,  épanoui  dans  ses  rayons,  5,718. 

Le  corps  de  l'Adhirathide,  couvert  par  des  centaines 
de  flèches,  était  effrayant  à  voir,  soit  qu'il  prit  de  ses 
mains,  soit  qu'il  encochàt  ses  traits.   5,719. 

Entre  tirer  du  carquois  et  lancer  ses  dards ,  on 
n'apercevait  aucun  intervalle;  son  arc  toujours  mis  en 
cercle  était  épouvantable  et  pareil  au  tchakra  du  feu. 

Karna  décochait  ses  projectiles,  souverain  de  la  terre, 
soit  de  la  main  droite,  soit  de  la  gauche  ;  les  flèches, 
sorties  de  son  arc,  étaient  finement  aiguisées,  empennées 
d'or.   5,720—5,721. 

11  couvrait  les  dix  points  de  l'espace  et  la  clarté  du 
soleil.  On  vit  nombre  de  fois  au  milieu  du  ciel  et  partie 
de  son  arc  une  multitude  de  flèches,  empennées  d'or, 
aux  nœuds  inclinés.  Les  traits,  qu'envoyait  l'arc  de  l'Adhi- 
rathide, resplendissaient.   5,722—5,723. 

Ils  brillaient,  tels  quedesardées,  sire,  disposées  en  files 
au  sein  du  ciel.  Le  fils  du  cocher  lança  des  flèches  à  la 
grande  vitesse,  à  la  pointe  enflammée,  ornementées  d'or, 
fourbies  sur  la  pierre  et  revêtues  des  plumes  du  vautour. 
Ces  traits,  parés  d'or,  mis  en  jeu  par  la  force  de  l'arc, 

Tombaient  sans  arrêt  sur  le  char  de  Bhîmaséna.  Les 
dards  tout  plaqués  d'or,  envoyés  par  Karna,  comme  des 
ix  3 


34  LE  MAHA-BHARATA. 

nuées  de  sauterelles,  illuminaient  par  milliers  au  milieu 
de  l'atmosphère.  Les  traits,  sortis  de  l'arc  de  l'Adhira- 
thide,  éclairaient  en  tombant. 

Une  seule  flèche  laissait  après  elle  dans  l'atmo- 
sphère une  traînée  lumineuse,  excessivement  longue.  Tel 
qu'un  nuage  couvre  une  montagne  des  gouttes  de  son 
eau  ;  5,724  —  5,725— 5,72*3— 5,727— 5,72S. 

Tel  Karna  irrité  ensevelit  Bhima  sous  la  pluie  de  ses 
flèches.  Là,  tes  fils  purent  voir  avec  tous  les  guerriers  la 
force,  l'énergie,  le  courage  et  la  résolution  de  Bhîma. 
Karna  était  semblable  à  une  mer  soulevée  ou  pareil  à  un 
orage  de  flèches  déchaîné.  Mais  Bhîma,  sans  y  penser, 
fondit  sur  le  héros  avec  colère.  Le  grand  arc  de  Bhîma, 
souverain  des  hommes,  au  dos  en  or, 

5,729—5,730—5,731. 

Mis  en  cercle,  quand  il  décochait  le  dard,  paraissait 
être  un  second  arc  de  Çakra.  Les  traits  qui  se  mani- 
festaient en-dehors  de  cette  arme,  semblaient  remplir  le 
ciel.   5,732. 

Les  flèches  aux  nœuds  inclinés,  à  l'empennure  d'or, 
que  lançait  Bhîmaséna,  formaient  comme  un  bouquet  Ce 
Heurs  en  or,  qui  brillait  dans  le  ciel.   5,733. 

Les  multitudes  de  traits,  que  rencontraient  dans  les 
airs  les  dards  envoyés  par  Bhîma,  s'y  brisaient  aheurtés 
en  plusieurs  morceaux.   5,734. 

Le  ciel  était  couvert  des  foules  de  projectiles,  empennés 
d'or,  au  vol  rapide,  à  l'attouchement  d'étincelles  en- 
flammées, dont  Karna  et  Bhîma  se  lançaient  mutuelle- 
ment les  rézeaux.  Alors,  ni  le  soleil  ne  pouvait  luire,  ni 
le  vent  souffler.   5,735—5,736. 

11  n'était  rien,  qu'il  fût  possible  de  distinguer  sons  ce 


DRONA-PARVA.  35 

ciel  enveloppé  d'un  rézeau  de  flèches.   Le  fils  du  cocher 
couvrit  Bhîma  de  ses  traits  variés.   5,737. 

Sans  faire  cas  de  sa  valeur,  il  s'approcha  de  ce  magna- 
nime. Alors  que  ces  deux  héros  se  lançaient  des  multi- 
tudes de  flèches,  vénérable  monarque,  5,738. 

On  voyait  ces  dards  s'attacher  l'un  à  l'autre  par  la  force 
du  vent.  Le  feu  naissait  dans  l'atmosphère,  ô  le  plus  ver- 
tueux des  Bharathides,  grâce  au  contact  réciproque  des 
flèches  de  ces  deux  hommes-lions.  Et  Karna  irrité  en- 
voya, par  le  désir  de  lui  donner  la  mort,  des  traits  aigus, 
fourbis  par  l'art  de  l'ouvrier  et  dont  l'or  avait  changé  la 
matière.  Bhîma  anéantit  ces  flèches  au  milieu  des  airs  et 
fît  de  chacune  d'elles  trois  morceaux. 

5,739— 5,740— 5,741. 

Bhîma,  qui  surpassait  le  fils  du  cocher,  lui  cria: 
«  Arrête!  »  et  le  Pàndouide  vigoureux,  irrité,  plein  de 
ressentiment,  semblable  à  un  feu,  qui  veut  incendier, 
lui  décocha  de  nouveau  les  pluies  terribles  de  ses  flèches. 
Ensuite  un  bruit  de  cliquetis  naquit  du  battement  de 
leur  manique,  5,742 — 5,743. 

Auquel  se  joignirent  le  fracas  immense  de  leurs 
paumes  entrechoquées,  le  formidable  rugissement  de 
guerre,  le  grincement  de  la  roue  des  chars  et  l'épouvan- 
table son  de  la  corde  des  arcs.   5,744. 

Brûlants  de  contempler  la  bravoure  de  Karna  et  du 
Pàndouide,  sire,  qui  désiraient  la  mort  l'un  de  l'autre, 
les  guerriers  cessèrent  de  combattre.   5,745. 

Les  Gandharvas,  les  Siddhas,  les  sept  rishis  et  les 
Dieux  applaudirent:  «  Bien!  bien!  »  disaient-ils;  et  les 
chœurs  des  Vidyâdharas  versèrent  du  ciel  une  pluie  de 
fleurs.  5,74G. 


3(5  LE  MAHA-BHARATA. 

Plein  de  colère,  Bhîma  aux  longs  bras,  au  courage 
inébranlable,  ayant  arrêté  avec  ses  astras  les  astras  de 
son  rival,  blessa  de  ses  traits  le  fils  du  cocher.   5,7/i7. 

Raina  lui-même  à  la  grande  force,  ayant  mis  une  digue 
aux  flèches  de  Bhîmaséna,  lui  expédia  en  ce  combat  neuf 
nârâtchas,  semblables  à  des  serpents  venimeux.  5,7/iS. 

Bhîma  de  trancher  au  milieu  des  airs  ces  nârâtchas 
avec  un  égal  nombre  de  flèches  :  «  Arrête  !  arrête  !  » 
cria-t-il  au  fils  du  cocher.   5,7&9. 

L'héroïque  Bhîma  aux  longs  bras  lança  de  colère  à 
l'Adhirathide  un  trait  semblable  à  la  mort  et  tel  qu'un 
autre  bâton  d'Yama.   5,7o0. 

Mais  l'auguste  Râdhéya  de  couper  en  riant,  sire,  dans 
son  vol  avec  trois  Hèches  le  trait  du  Pândouide.    5,751. 

De  nouveau,  le  fils  de  Pândou  jeta  sur  lui  de  violentes 
pluies  de  flèches,  et  Karna  sans  crainte  reçut  tous  les  as- 
tras de  son  ennemi.  5,752. 

Tandis  que  Bhîma  combattait  avec  la  magie  de  ses  as- 
tras, Karna  irrité  coupa  dans  le  combat  avec  des  traits 
aux  nœuds  inclinés  ses  deux  carquois,  la  corde  de  son  arc, 
ses  rênes  et  les  attaches  de  ses  coursiers  à  leur  joug.  De 
nouveau,  après  qu'il  eut  tué  ses  chevaux,  il  blessa decinq 
dards  son  cocher.  5,753 — 5,75/i. 

Celui-ci  se  retira  en  courant  et  monta  sur  le  char  d' You- 
dhâmaniou.  Resplendissant  comme  le  feu  de  la  mort, 
Râdhéya  irrité  trancha  en  riant  le  drapeau  de  Bhîma  et 
renversa  ses  guidons.  Le  héros  aux  longs  bras,  privé 
même  de  son  arc,  saisit  une  lance  de  fer;  5,755—5,756. 

Et,  la  dardant  avec  colère,  il  l'envoya  sur  le  char  de 
Rarna.  L'Adhirathide  avec  dix  flèches  trancha  cette  pique 
effilée,  ornée  d'or,   qui  accourait  comme  un  grand  nié- 


DRONA-PARVA.  37 

téore  enflammé.  Klle  tomba,  coupée  en  dix  morceaux  par 
les  traits  acérés  de  Karna,  ce  héros,  le  fils  du  cocher,  qui 
lançait  des  projectiles  dans  l'intérêt  d'un  ami.  Le  fils  de 
Kountî  prit  un  bouclier,  ornementé  d'or, 

5,577—5,578—5,579. 

Et  un  cimeterre,  désireux  d'obtenir  à  l'instant  même  la 
victoire  ou  la  mort.  Soudain  Karna  souriant  mit  en  piè- 
ces, fils  de  Bharata,  avec  des  traits  nombreux  et  plus  que 
terribles  son  bouclier  d'une  grande  splendeur.  Alors,  sans 
bouclier,  sans  char,  le  héros,  plein  de  colère,  envoya  d'une 
main  hâtée,  grand  roi,  son  glaive  d'une  violence  extrême 
sur  le  char  de  Karna.  La  grande  épée  trancha  l'arc  et  la 
corde  du  fils  de  cocher.   5,760 — 5,761  —  5,762. 

Puis,  l'arme  irritée  tomba  sur  la  terre  ,  Indra  des  rois, 
comme  un  serpent  descend  du  ciel.  L'Adhirathideen  riant 
saisit  avec  colère  un  nouvel  arc,  impétueux,  à  la  corde 
solide,  destructeur  des  ennemis  dans  le  combat.  Karna, 
bouillant  du  désir  de  tuer  le  fils  de  Kountî,  étendit  avec 
lui  ses  flèches  lancées  par  milliers,  Mahârâdja,  très-lui- 
santes, empennées  d'or.  Le  vigoureux  héros,  blessé  par 
les  traits,  que  vomissait  l'arc  de  l'Adhirathide  , 

5,763—5,76/1—5,765. 

Se  mit  à  marcher  dans  l'air,  portant  le  trouble  au 
cœur  de  Karna.  Aussitôt  qu'il  vit  dans  ce  combat  la  con- 
duite du  héros,  qui  désirait  la  victoire,  5,766. 

Râdhéya  de  réduire  le  volume  de  ses  membres  (li  et 
d'éluder  Bhîmaséna.  Dès  que  celui-ci  le  vit  assis ,  les  or- 
ganes des  sens  troublés,  sur  le  banc  de  son  char,  5,767. 


(t)  Layam,  que  le  commentaire    explique  par   ongasankautcham,   texte 
de  Bombav. 


38  LE  MAHA-BHARATA. 

S' approchant  de  son  drapeau,  Bhîma  se  tint  sur  le  sol 
de  la  terre  :  tous  les  Kourouides  et  les  Tchâranas  applau- 
dirent à  ce  fait  du  héros  ,  qui  désirait  enlever  Karna  de 
son  char,  comme  Garouda  enlève  un  serpent.  Le  guerrier 
sans  char,  à  l'arc  coupé,  gardant  son  devoir  de  kshatrya, 

5,768—5,769. 

Ayant  secoué  la  pensée  de  son  char,  se  tint  de  pied 
ferme  pour  le  combat.  Râdhéya  lui  fit  obstacle  et  s'avança 
dans  ce  conflit  avec  colère  vers  le  Pândouide,  placé  réso- 
lument pour  la  bataille.  Les  deux  éminents  hommes  à  la 
grande  force,  luttant  à  qui  mieux  mieux,  en  vinrent  aux 
mains,  puissant  roi,  de  même  que  deux  nuages  rugissants 
au  terme  de  l'été  :  ce  fut  un  combat  entre  deux  hommes- 
lions,  remplis  de  fureur,  5,770 — 5,771—5,772. 

Irrités  dans  la  bataille,  comme  un  Dieu  et  un  Dànava. 
Mais  le  fils  de  Kountî,  ses  armes  brisées,  attaqué  vive- 
ment par  l'Adhirathide,  5,773. 

Ayant  vu,  couchés  morts  et  semblables  a  des  mon- 
tagnes, les  éléphants  immolés  par  Arjouna,  entra  pour 
frapper,  quoique  sans  armes,  dans  la  route  de  son  char. 

S' étant  approché  de  la  foule  des  éléphants,  entré  dans 
la  masse  inexpugnable  des  chars,  le  Pândouide  ne  com- 
battit plus  avec  le  fils  de  Râdhâ,  dont  il  voulait  épargner 
la  vie.   5,774— 5,775. 

Désirant  se  mettre  à  couvert  des  traits  de  son  ennemi, 
le  conquérant  des  cités  ennemies,  le  fils  de  Prithâ  se  tint, 
levant  dans  ses  bras  un  éléphant,  tué  par  les  flèches  de 
Dhanandjaya;tel  Hanoûmat  portait  une  montagne,  semée 
des  simples  les  plus  efficaces.  Mais  Karna  de  ses  traits 
coupa  le  proboscidien  en  morceaux.  5,776  —  5,777. 

Le  fils  de  Pândou  envoya  sur  Karna  les  membres  de 


DRONA-PARVA.  39 

l'éléphant.  Il  ramasse  les  roues,  les  chevaux  et  toute 
autre  chose,  qu'il  voit  étendue  sur  le  sol  de  la  terre,  et  le 
Pàndouide  les  jette  avec  colère  à  son  rival,  qui  tranche  de 
ses  dards  acérés  tout  ce  qui  est  lancé  par  lui.  Levant  son 
poing,  enfant  de  la  foudre  et  cause  de  grande  épouvante, 
Bhhna  voulait  en  écraser  le  fils  du  cocher  ;  mais  il  se  sou- 
vint à  l'instant  d'Arjouna.   5,778 — 5,779 — 5.780. 

Quoiqu'il  le  pût,  le  vigoureux  fils  de  Pcândou  ne  tua 
point  Karna,  respectant  ia  promesse,  qu'avait  jurée 
Arjouna.   5,781. 

Encore  et  de  nouveau,  avec  ses  traits  acérés,  le  fils  du 
cocher  remplit  Bhhna  de  trouble  et  enveloppa  tous  ses 
membres  d'égarement.   5,782. 

Se  souvenant  des  paroles  de  Kounti,  Karna  ne  le  tua 
point,  quoiqu'il  fût  sans  armes,  et,  fondant  (1)  sur  lui,  il 
le  loucha  avec  l'extrémité  de  son  arc.   5,783. 

Irrité  de  se  voir  frappé  avec  l'arc  (2)  et  soufflant 
comme  un  serpent,  il  brisa  son  arc  et  de  blesser  Karna 
sur  le  front.   5,784. 

A  ce  coup  de  Bhîmaséna,  les  yeux  rouges  de  colère, 
Râdhéya  de  lui  adresser  en  riant  ces  paroles  :  5,785. 

'«Encore!  encore!  Eunuque  (3),  insensé,  homme  ti- 
mide! Ne  combats  point,  toi,  qui  ne  possèdes  pas  les 
astras,  enfant  inhabile  aux  combats!  5,786. 

»  Où  il  s'agit  de  festoyer,  où  il  faut  manger  et  boire 
de  diverses  manières,  là,  tu  es  convenable,  homme  igno- 
rant; mais,  dan.;  les  batailles,  pas  du  tout!  5,787. 

»  Tu  es  accoutumé,  par  tes  vœux  et  tes  pénitences,  à 

(1)  Sa  ubhirlroutya,  texte  de  Bombay. 

(2)  Dhanoushd,  même  édition. 

(3)  Toûvara,  texte  de  Bombay. 


40  LEMAHA-BHARATA. 

faire  dans  les  bois  ta  nourriture  de  fleurs,  de  fruits  et 
de  racines  ;  mais  tu  n'es  pas  instruit  dans  l'art  des 
combats.   5,788. 

»  Il  y  a  bien  de  la  différence  entre  les  batailles  et  la  vie 
d'un  ascète!  Retourne  dans  les  forêts,  Viïkaudara!  Tu 
n'as  point  l'habitude  des  combats,  mon  fils  ;  c'est  dans  le 
séjour  des  bois,  qu'est  le  plaisir  de  ton  altesse.  5,789. 

»  Fais  se  hâter  en  diligence  dans  ton  palais  tes  servi- 
teurs, tes  cuisiniers,  les  gens,  que  tu  nourris;  tu  n'es 
bon,  Vrikaudara,  qu'à  frapper  dans  ta  colère,  excité  par 
l'envie  de  manger!  5,790. 

>.  Mais  redeviens  anachorète  ;  et  va,  insensé,  recueillir 
des  fruits!  Retourne  au  bois,  iils  de  Kountî;  tu  n'es  pas 
instruit  dans  les  combats  !  5,791. 

»  Tu  es  propre  à  manger  des  racines  et  des  fruits,  à 
rendre  aux  hôtes  les  honneurs  dus;  mais  je  ne  crois  pas, 
Ventre-de-Loup,  que  tu  conviennes  au  maniement  des 
armes.  »   5,792. 

Il  lui  lit  entendre  avec  étendue  les  choses  désagréables, 
qui  s'étaient  passées  dans  son  enfance,  monarque  des 
hommes,  et  tout  ce  qu'il  y  avait  de  plus  blessant.    5,793. 

Tandis  qu'il  restait  là,  Vrisha  le  frappa  une  seconde 
fois  de  son  arc  et  ajouta  en  riant  ces  nouvelles  paroles  à 
Bhîma:  5,79/i. 

«  11  faut  combattre  d'une  autre  manière,  homme  res- 
pectable :  ce  n'est  pas  ainsi  que  l'on  combat  avec  des 
guerriers  tels  que  moi.  Ces  armes  et  d'autres  semblables 
ne  se  voient  pas  aux  mains  des  guerriers,  qui  combattent 
avec  des  héros  pareils  à  moi.   5,795. 

»  Va  où  sont  les  deux  Krishnas!  Ils  te  défendront 
au   milieu    du   combat;    ou   va  dans  ton  palais,    fils  de 


DRONA-PARVA.  M 

Kountt.  Enfant,  qu'as-tu  besoin   de  combat?  »   5,796. 
Dès  qu'il  eut  ouï  ces  paroles  plus  qu'épouvantables, 
Bhîmaséna  en  riant  tint  ce  langage  à  Karna,  aux  oreilles 
de  tous  les  guerriers  :   5,797. 

«  On  t'a  vaincu  plus  d'une  fois,  méchant  :  pourquoi  te 
glorifier  toi-même  sans  raison?  Les  hommes  des  antiques 
jours  ont  vu  dans  ce  inonde  la  victoire  et  la  défaite  du 
grand  Indra.   5,798. 

»  Livre-moi  un  combat  au  pugilat,  ô  toi,  qui  tires  ta 
naissance  d'une  mauvaise  famille.  De  même  que  Kîtchaka 
à  la  grande  force,  à  la  grande  fortune,  fut  immolé  par 
moi,  ainsi  je  te  tuerai  sous  les  yeux  de  tous  les  rois!  »  A 
peine  eut-il  connu  le  sentiment  de  Bhîmaséna,  Karna, 
le   plus  excellent  des  hommes  judicieux, 

5,799-5,800. 
Cessa  le  combat  sous  les  regards  de  tous  les  archers. 
Quand  il  l'eut  ainsi  réduit  sans  char,  Karna,  sire,  de  s'en 
glorifier  devant  le  lion  de  Vrishni  et  le  magnanime  Pri- 
thide.  Alors  ce  prince,  qui  a  pour  son  drapeau  un  singe, 
envoya,  stimulé  par  Kéçava,  ses  flèches  éclaircies  sur  la 
pierreau  fils  du  cocher.  Ces  traits,  ornementés  d'or,  sortis 
du  Gândiva  et  lancés  par  le  bras  du  Prithide,  entrèrent 
dans  Karna,  comme  des  cygnes  dans  te  mont  Kva-duntchz. 
Dhanandjaya  éc.irta  de  Bhîmaséna  le  fils  du  cocher  avec 
ses  flèches  lancées  par  le  Gàndîva,  entrées  dans  l'ennemi 
comme  des  serpents.  Blessé  des  traits  de  Dhanandjaya  et 
son  arc  cassé  par  Bhima,  (De  la  stance  5,800  à  ta  siance 
5,806.) 

Karna,  hâtant  sa  course,   s'éloigna  sur  son  grand  char 
de  Vrikaudara.  Celui-ci  même,  étant  monté  sur  le  char  <!<■ 


42  LE  MAHA-BHARATA. 

Sâtyaki,  suivit,  ô  le  premier  des  hommes,  son  frère, 
l' Ambidextre  Pândonirîe  au  milieu  du  coml)at.  Alors 
Dhanandjaya  d'une  main  hâtée,  ayant  visé  Karna,  lança 
sur  lui,  ses  yeux  rouges  de  colère,  un  nàrâtcha,  comme 
Yatna  envoie  la  mort.  Tel  que  Garouda,  quand,  du  haut 
des  airs,  il  veut  enlever  le  plus  grand  des  serpents, 

Le  nàrâtcha,  lancé  par  le  Gândîva  ,  tomba  rapidement 
sur  Karna.  Mais,  d'une  flèche,  le  Dronide  coupa  ce  nà- 
râtcha au  milieu  des  airs.  5,806—5,807—5,808—5,809. 

Le  grand  héros  s'avança  vers  Dhanandjaya,  désirant 
arracher  Karna  de  ses  mains  ;  et,  brûlant  de  colère,  Ar- 
jouna  de  b!esser  Açwafthâman  de  soixante-quatre  dards, 
et  de  lui  crier,  grand  roi  :  «  N'av;mce  pas  !  Arrête-toi  !  » 
Le  Dronide,  en  proie  aux  flèches  cl'Arjouna,  se  réfugia 
précipitamment  au  milieu  de  l'armée  ,  pleine  d'éléphants 
enivrés  et  regorgeante  de  chars.  Le  vigoureux  iiis  de 
Kounti  surmontait  par  le  rugissement  de  son  Gàndiva  le 
bruit  des  arcs  au  dos  en  or  et  gazouillants  dans  la  bataille. 
Dhanandjaya,  jetant  avec  ses  flèches  la  terreur  dans  l'ar- 
mée (1),  s'approcha  à  une  assez  courte  distance  derrière 
les  pas  d'Açwatthâman,  qui  s'avançait.  Quand  il  eut 
brisé  les  corps  des  hommes,  des  coursiers  et  des  élé- 
phants (2),  Dhanandjaya  mit  l'armée  en  pièces  avec  ses 
nârâtchas,  revè;us  des  plumes  du  paon  ou  du  héron.  Re- 
doublant d'efforts,  le  fils  d'Indra  et  de  Kounti,  ô  le  plus 
excellent  des  Bharatides,  immola  cette  armée  avec  ses 
guerriers,  ses  éléphants  et  ses  rapides  coursiers.  (De  la 
stance  5,840  à  la  stance  5,817.  ) 

(1-2)  Balan....  vàrana...,  édition  de  Bombay. 


DRONA-PARVA.  A3 

«  De  jour  en  jour,  la  flamme  de  l'espérance  s'éteint 
dans  mon  cœur,  Sandjaya,  interrompit  Dhritaràshtra. 
Un  grand  nombre  de  mes  combattants  a  succombé  sous  le 
fer  :  c'est  l'ordre,  je  pense,  interverti  de  la  mort.   5,817. 

»  Malgré  qu'elle  fût  défendue  par  le  Dronide  et 
Karna,  Dhanandjaya,  bouillant  de  colère,  a  pénétré  dans 
mon  armée,  impénétrable  aux  Dieux  eux-mêmes.   5,818. 

»  Sa  valeur  indomptable  est  secondée  par  Krishna  et 
Bhima  aux  puissants  courages,  et  par  le  lion  (1)  des 
(unides.   5,719. 

»  Désormais  le  chagrin  me  consume  comme  le  feu 
brûle  une  habitation.  Je  vois  dans  l'avenir  les  maîtres  de 
la  terre  dévorés,  pour  ainsi  dire,  avec  les  Sindhiens. 

»  Après  qu'il  a  exécuté  un  immense  exploit  odieux  à 
K.îriti,  comment,  tombé  sous  la  portée  de  ses  yeux,  le  roi 
du  Sindhou  obtiendrait-il  de  continuer  la  vie? 

5,8-20—5,821. 

»  Je  le  vois  par  analogie,  Sandjaya  ;  le  Sindhien  n'est 
déjà  plus.  Mais  raconte- moi  dans  la  vérité  ce  combat, 
suivant  les  circonstances.   5,822. 

»  Comment,  après  qu'il  l'eut  agitée  et  qu'il  eut  semé  le 
trouble  au  milieu  d'elle,  est-il  entré  seul  dans  la  grande 
armée,  tel  qu'un  éléphant   dans  un  champ  de  lotus? 

»  Dis-moi  avec  exactitude  le  combat,  que  soutint  le 
héros  de  Vrishni  dans  la  cause  de  Dhanandjaya;  car  tu  es 
un  habile  conteur,  Sandjaya.  »    5,823 — 5,824. 

Dès  qu'il  eut  vu  le  plus  vaillant  des  hommes,  lui  ré- 
pondit Sandjaya,  ce  fils  du  Soleil,  accablé  ainsi  dans  sa 
marche  contre  Bhîma,    1.'  plus  brave  guerrier  de;  Çi- 

(i)  Littéralement  :  le  taureau. 


àh  LE  MAHA-BHARATA. 

uides,  sire,  le  suivit  avec  son  char  au  milieu  des  héros. 

Il  rugissait  comme  le  Dieu,  qui  tient  la  foudre,  au 
terme  de  l'été  ;  il  brûlait  comme  le  soleil  à  la  fin  de  la 
saison  humide  ;  il  immolait  les  ennemis  avec  son  arc  so- 
lide ;  il  jetait  l'ébranlement  dans  l'armée  de  ton  fils. 

5,825—5,826. 

Tous  les  tiens  ,  fils  de  Bharata,  furent  incapables  d'ar- 
rêter ce  frère  aîné  de  Màdhava,  le  plus  brave  sur  un 
champ  de  bataille,  qui  s'avançait  en  criant,  avec  ses  che- 
vaux, semblables  à  l'argent.   5,827. 

Alambousha,  le  plus  excellent  des  rois,  guerrier,  qui 
ne  fuyait  pas,  accourant,  plein  de  colère,  armé  d'un  arc 
et  revêtu  d'une  cuirasse  d'or,  mit  obstacle  à  Sâtyaki,  ce 
frère  aîné  de  Màdhava.   5,828. 

La  bataille  entre  ces  deux  héros  fut  telh;  qu'on  n'en  vit 
pas  une  autre  de  même  nature.  Tes  guerriers  et  tous  les 
ennemis  contemplèrent  ces  deux  braves,  qui  brillaient  de 
la  beauté  même  des  combats.  5,829. 

Alambousha,  le  meilleur  des  rois,  lui  décocha  dix  traits 
avec  violence  ;  mais  le  petit-fils  de  Çini  les  trancha  de 
ses  dards  avant  qu'ils  ne  fussent  arrivés.   5,830. 

De  nouveau,  il  blessa  Sâtyaki  d'un  arc  tiré  jusqu'à  l'o- 
reille avec  trois  flèches  acérées,  bien  empennées  et  sem- 
blables au  feu.  Les  traits  fendirent  sa  cuirasse  et  se  plon- 
gèrent dans  son  corps.   5,831. 

Après  qu'il  eut  déchiré  ses  membres,  il  immola  ses 
quatre  chevaux,  pareils  à  l'argent ,  de  quatre  flèches 
acérées,  flamboyantes,  douées  de  la  puissance  du  vent. 

Blessé  par  lui,  l'agile  petit-fils  de  Çini,  lui,  de  qui  la 
puissance  égalait  celle  de  Krishna,  abattit  les  chevaux 
d' Alambousha  avec  quatre  dards  supérieurs  en  vitesse, 


DRONA-PARVA.  W 

II  trancha  d'un  bhalla,  semblable  au  feu  de  la  mort, 
la  tête  de  son  cocher;  et  le  resplendissant  guerrier  enleva 
des  épaules  ce  chef,  orné  de  pendeloques  et  non  moins 
beau  que  l'astre  des  nuits  en  son  plein. 

Lorsqu'il  eut  immolé  ce  petit- fils  du  souverain  de  la 
terre,  l'homicide  héros,  chef  des  Yadouides,  suivit  Ar- 
jouna,  après  qu'il  eut  arrêté,  sire,  les  armées  de  ta  ma- 
jesté. 5,S32—5,833—5,83/i—5,835. 

Quand  il  vit  le  héros  de  Vrishni  suivi,  restant  au  mi- 
lieu des  ennemis,  immolant  mainte  et  mainte  fois  de  ses 
(lèches  les  armées  des  Rourouides ,  tel  que  le  vent  brise 
les  nuages  rassemblés,  5,836. 

Ce  lion  des  hommes  fut  conduit  partout  où  il  voulut  aller 
par  les  chevaux  du  Sindhou,  coursiers  généreux ,  habile- 
ment domptés,  couverts  de  filets  d'or  et  semblables  à  la 
neige,  à  la  lune,  au  jasmin  multiflore,  au  lait,  substance 
des  vaches.   5,837. 

Ensuite  tes  fils  et  les  autres  de  tes  guerriers  se  hâtent 
de  se  réunir  ;  et,  après  qu'ils  eurent  parlé,  ils  élurent,  ô 
toi,  de  qui  Adja  est  l'ami  (1),  Douççàsana,  ton  fils,  pour 
chef  des  combattants.   5,838. 

L'ayant  cerné  de  tous  côtés ,  les  soutiens  des  armées 
frappèrent  Çaînéya  dans  la  bataille;  et ,  de  son  côté,\e 
plus  vaillant  des  Sâttwatides,  ce  héros  de  les  arrêter  par 
la  multitude  de  ses  flèches.   5,839. 

Dès  qu'il  leur  eut  fait  obstacle  avec  ses  dards,  sem- 
blables au  feu,  le  petit-fils  de  Çîni,  ayant  élevé  son  arc, 
ô  toi,  qui  est  l'ami  d'Adja,  abattit  les  chevaux  de  ton  fils 
Douççàsana.   5,840. 

(\)  Adjamitha,  au  vocatif,  édition  de  Bombay. 


46  LE  MAHA-BHARATA. 

Enfin,  la  vue  de  ce  grand  héros  des  hommes  causa  de 
la  joie  à  Krishna  et  Arjouna.   5,841 . 

Les  héros  Trigarttains  aux  drapeaux,  dont  l'or  avait 
changé  la  matière,  d'environner  ce  guerrier  vaillant,  qui 
avait  pénétré  dans  la  mer  des  armées,  ce  héros  aux  longs 
bras,  qui  s'avançait  d'un  pied  hâté  vers  le  char  de  ce 
Douççâsana,  qui  savait  se  hâter  dans  les  choses  exigeant 
de  la  promptitude,  et  qui  désirait  la  victoire  sur  Dhanan- 
djaya.   5,842—5,843. 

Pleins  de  colère,  maniant  leur  arc  avec  supériorité,  ils 
l'entourèrent  de  toutes  parts  avec  la  foule  de  leurs  chars 
et  l'inondèrent  avec  la  multitude  de  leurs  flèches.   5,844. 

Seul  dans  ce  grand  combat,  quand  il  fut  arrivé  au 
milieu  de  l'armée  Bharatienne,  où  régnait  un  bruit  confus 
de  maniques  frappées,  remplie  de  massues,  de  tridents, 
d'épées,  et  telle  qu'une  onde  sans  nacelle, Sâtyaki  au  cou- 
rage de  vérité  triompha  de  cinquante  ennemis,  tous  fils 
de  rois,  tous  ayant  la  fierté  des  rois.   5,845 — 5,846. 

Alors  nous  vîmes  la  conduite,  admirable  de  Çaînéya 
dans  la  bataille  ;  car,  après  qu'il  se  fut  montré  à  nous 
dans  la  plage  occidentale,  nous  le  vîmes  paraître  aussitôt 
par  sa  légèreté  dans  la  plage  orientale.   5,847. 

Le  héros  se  promenait  à  la  fois  comme  en  dansant  et 
tel  qu'une  centaine  de  chars  dans  les  parages  du  septen- 
trion et  du  midi,  du  levant  et  du  couchant,  et  dans  les 
plages  intermédiaires.   5,848. 

Ayant  vu  quelle  manière  d'agir  avait  ce  guerrier  à  la 
marche  hardie  du  lion,  les  Trigarttains  en  détresse  s'ap- 
prochèrent des  peuples,  leurs  parents  et  alliés.   5,849. 

Les  autres  héros  des  Çoûrasén'ens  l'arrêtèrent  dans  le 
combat,  le  retenant  par  des  multitudes  de  flèches,  comme 


DRONA-PAUVA.  47 

un  éléphant  en   rut  à  coups  de  crocs  acérés.    5,850. 
Sâtyaki  à  l'âme  noble  fit  la  guerre  un  instant  avec  eux; 
ensuite,  ce  héros  à  la  force,  à  ia  bravoure  inconcev  ble 
combattit  avec  les  Kâlingains.   5,851. 

Quand  il  eut  dépassé  l'armée  de  ces  combattants,  diffi- 
cile à  surmonter,  le  guerrier  aux  longs  bras  fit  sa  jonction 
avec  le  Prithide  Dhanandjaya.   5,852. 

Tel  qu'un  navire,  fatigué  (1)  au  milieu  des  eaux,  par- 
venu enfin  à  la  terre  sèche,  Youyoudhâna  commença  ,;> 
respirer,  dès  qu'il  aperçut  ce  tigre  des  hommes.   5,853. 

Aussitôt  qu'il  le  vit  approcher,  Kéçava  dit  au  fils  de 
Prithà  :  c  Voici  Çaînéya,  qui  s'avance  à  la  recherche  de 
tes  pas,  enfant  de  Kountî.   5,854. 

»  Ce  guerrier  au  courage  de  vérité  est  ton  ami  et  ton 
disciple;  ce  taureau  des  hommes  a  vaincu  tous  les  com- 
battants, les  estimant  ce  qu'est  une  poignée  d'herbes. 

»  Scàtyaki  s'avance,  lui,  qui  a  fait  peser  une  effroyable 
calamité  sur  les  guerriers  Kourouides  ;  lui,  Kirîti,  qui 
t'est  plus  cher  que  les  souffles  de  la  vie.   5,855— -,5856. 

»  Sàtyaki  s'approche  ,  après  que  ses  flèches ,  Phâl  - 
gouna,  ont  jeté  dans  l'infortune  Drona  et  Kritavarman- 
Bhodja.   5,857. 

»  Sâtyaki  vient  à  nous,  Phàlgouna,  ce  héros  consommé 
dans  les  astras,  qui,  recherchant  ce  qui  est  agréable  à 
Dharmarâdja,  étendit  mort  tout  ce  qu'il  y  a  de  plus 
brave  parmi  les  combattants.   5,858. 

»  Sàtyaki  à  la  grande  vigueur  s'avance,  fils  de  Pândou, 
lui,  qui,  aspirant  à  voir  ta  personne,  vient  d'accomplir  au 

(1)  Crantas,  texte  de  Bombay. 


48  LE  MAHA-BHARATA. 

milieu  des  ennemis  une  œuvre  d'une  bien  difficile  exécu- 
tion.  5,859. 

»  Voici  Sâtyaki,  qui  s'avance,  fils  de  Prithâ;  lui,  qui, 
avec  un  seul  char,  fit  tête  sur  le  champ  de  bataille  a 
de  nombreux  et  grands  héros,  sous  les  ordres  de  l'A- 
tchârya.  5,860. 

»  Voici,  enfant  de  Prithâ,  Sâtyaki,  qui  s'approche,  en- 
voyé par  le  fils  d'Yama;  lui,  qui,  appuyé  seulement  par 
la  force  de  son  bras,  a  déchiré  l'armée.   5,861. 

»  Voici  Sâtyaki,  qui  s'avance,  ivre  de  la  fureur  des 
combats,  fils  de  Rountî,  lui,  auquel  d'aucune  manière 
jes  Rourouides  ne  peuvent  opposer  un  guerrier  son  égal 
dans  les  batailles.  5,862. 

»  Voici  Sâtyaki,  qui  vi<  nt  à  nous,  victorieux  de  nom- 
breuses armées,  fils  de  Prithâ,  et  lâché  au  milieu  des 
guerriers  de  Rourou  ,  comme  un  lion  parmi  tes 
vaches.   5,863. 

»  Voici  Sâtyaki,  qui  s'approche  d'un  pied  hâté,  fils  de 
Prithâ,  après  qu'il  a  jonché  la  terre  de  visages,  sem- 
blables à  des  lotus,  enlevés  à  des  milliers  de  rois  !  5,864. 

»  Voici  Sâtyaki,  qui  s'avance  à  grands  pas,  ayant  tué 
Djalasandha  et  vainqueur  de  Douryodhana,  défendu  par 
ses  frères  dans  la  bataille.  5,865. 

»  Voici  Sâtyaki,  qui  vient  ici,  ayant  abattu  les  Rou- 
rouides, comme  on  fauche  des  herbes,  et  répandu  un 
fleuve,  qui  roule  du  sang  à  travers  un  limon  de  même 
nature.  »    5,866. 

Alors  le  fils  de  Rountî,  à  qui  l'on  arrachait  sa  victoire, 
fit  une  réponse  en  ces  termes  à  Réçava  :  «  Je  ne  vois  poin 
avec  plaisir,  guerrier  aux  longs  bras,  Sâtyaki  s'avancer 
vers  moi.   5,867. 


DRONA-PARYA.  Û9 

»  Car  je  ne  sais  pas  dans  quelle  condition  Dharma- 
râdja  se  trouve,  Kéçava,  si,  privé  du  Sâttwatide,  il  est 
encore  vivant  ou  s'il  est  mort.   5,868. 

»  En  effet,  ce  prince  devait  être  gardé  par  lui  :  comment 
se  fait-il,  Krishna,  que,  l'ayant  abandonné,  il  ait  suivi  mes 
pas?  5,869. 

>)  Le  roi  est  abandonné  à  la  fureur  de  Drona,  et  le  Sin- 
dhien  n'est  pas  abattu  !  Voici  Bhoûriçravas,  qui  s'avance 
dans  le  combat  à  la  rencontre  de  Çaînéya.   5,870. 

»  Voilà  une  charge  plus  lourde,  quelle  n'était  avant, 
imposée  dans  l'affaire  du  Sindhien  :  il  faut  que  j'obéisse 
au  roi  et  que  je  sauve  Sâtyaki.   5,871. 

-)  Il  faut  que  j'immole  Djayadratha  et  Y  astre,  auteur 
du  jour,  incline  à  son  couchant.  Sâtyaki,  ce  héros  aux 
longs  bras,  est  fatigué;  c'est  à  peine  maintenant  s'il 
respire  (1).   5,872. 

»  Ses  chevaux  sont  las  ;  son  cocher,  Mâdhava,  partage 
leur  fatigue;  mais  ni  Bhoûriçravas,  ni  ses  compagnons, 
Kéçava,  ne  sont  eux-mêmes  fatigués.   5,873. 

»  Puisse  maintenant  son  bonheur  se  trouver  dans  cette 
rencontre!  Est-ce  que  Sâtyaki  au  courage  de  vérité  n'au- 
rait pas  encore  traversé  cette  mer?  5,87/i. 

»  Arrivé  dans  cet  étroit  espace,  ce  héros  des  Canidés  à 
la  grande  splendeur  y  trouverait-il  la  mort?  Puisse  Sâ- 
tyaki être  environné  par  la  bonne  fortune  dans  ce  conflit 
avec  le  magnanime  Bhoûriçravas,  consommé  clans  les 
astras  et  le  chef  des  Kourouides  !  Il  faut,  à  mon  avis, 
Kéçava,  rejeter  cette  faute  sur  Dharmarâdja. 

5,875—5,376. 


(1)  Alpaprâna,  texte  de  Bombay. 
IX 


50  LE  MAHA-BHARATA. 

»  C'est  lui,  qui,  secouant  la  crainte,  venue  de  l'A- 
tchârya,  nous  a  envoyé  Sâtyaki  !  Drona  espère  toujours 
qu'il  fera  le  fils  d'Yama  son  prisonnier,  comme  un  faucon, 
qui  plane  dans  les  airs,  compte  sur  une  proie  facile. 
Pourra-t-on  sauver  ce  roi  des  hommes?  »    5,877 — 5,878. 

Dès  qu'il  vit  le  Sâttwatide  accourir,  enivré,  sire,  de  la 
furie  des  combats,  soudain  Bhoûriçravas  fondit  sur  lui 
avec  colère.  5,879. 

Le  Rourouide  parla  en  ces  termes,  grand  roi,  au  re- 
jeton de  Çini  :  «  Par  bonheur,  te  voilà  donc  arrivé  main- 
tenant à  la  portée  de  mes  yeux  !  5,880. 

»  Je  vais  obtenir  l'objet  de  mes  vœux,  long-temps 
désiré  dans  la  guerre;  car  tu  ne  seras  pas  délivré 
vivant  de  mes  mains,  à  moins  que  tu  n'abandonnes  le 
combat.  5,881. 

»  Aujourd'hui,  après  que  je  t'aurai  tué  dans  la  ba- 
taille, Dâçârhain,  toi,  qui  n'abandonnes  jamais  l'arro- 
gance du  héros,  je  réjouirai  Souyodhana,  le  roi  des  Rou- 
rouides.   5,882. 

>)  Aujourd'hui,  Réçava  et  Arjouna,  ces» deux  héros,  te 
verront  de  compagnie  consumé  dans  le  combat  par  mes 
flèches,  étendu  sur  la  face  de  la  terre.  5,883. 

»  Aujourd'hui,  le  monarque  fils  d'Yama,  qui  t'a  fait 
entrer  ici,  sera  à  l'instant  même  couvert  de  honte,  en 
apprenant  que  tu  es  mort  sous  mes  coups!  5,884. 

»  Aujourd'hui,  Dhanandjaya,  le  fils  de  Prithâ,  con- 
naîtra mon  courage,  quand  il  te  verra  couché  mort  et 
baigné  dans  ton  sang!  5,885. 

»  Certes!  11  y  a  long-temps  que  je  désire  cette  ren- 
contre avec  toi,  comme  jadis,  en  la  guerre  des  Asouras  et 
des  Dieux,  celle  de  Çakra  avec  Bali!  5,886. 


DRONA-PARVA.  51 

»  Aujourd'hui,  je  te  livrerai,  Sâttwatide,  ce  combat 
d'une  grande  épouvante  :  par-là,  tu  connaîtras  dans  la 
vérité  mon  énergie,  ma  force  et  mon  courage!  5,887. 

»  Aujourd'hui,  tué  par  moi  clans  la  bataille,  tu  descen- 
dras (1)  dans  Sanyamanî,  comme  le  Ravanide  immolé 
sur  le  champ  de  bataille  par  Lakshmana,  le  frère  puîné 
deRâma.   5,888. 

»  Aujourd'hui,  Krishna,  et  le  Prithide,  et  Dharma- 
râdja,  tués  en  ta  personne,  Mâdhava,  abandonneront  sans 
doute,  privés  de  courage,  le  champ  de  bataille.  5,889. 

»  Aujourd'hui,  quand  j'aurai  accompli  ta  mort,  grâce 
à  mes  flèches  acérées,  je  réjouirai  les  épouses  des  guer- 
riers, que  tu  as  immolés  dans  le  combat!  5,890. 

»  Arrivé  à  la  portée  demies  yeux,  tu  ne  seras  point  dé- 
livré, Mâdhava,  de  même  qu'une  vile  gazelle,  tombée 
sous  les  regards  d'un  lion.  »  5,891. 

Youyoudhâna  lui  répondit  en  riant,  sire  :  «  La  crainte 
n'existe  pas,  Rourouide,  pour  moi  clans  la  guerre. 

»  11  est  impossible  de  m' effrayer  par  le  seul  bruit  des 
paroles  :  le  guerrfer,  qui  m'aura  privé  de  mes  armes  dans 
un  combat,  pourra  m'ôter  la  vie.   5,892 — 5,893. 

»  Mais  qui  me  tuerait  dans  la  guerre,  tuerait  en  moi 
des  années  éternelles  !  A  quoi  bon  tant  de  paroles  inutiles? 
Prouve  ton  dire  avec  tes  actions  !  5,89Zi. 

»  Tes  clameurs  ne  portent  aucun  fruit,  comme  le  bruit 
d'un  nuage  en  automne.  Quand  j'ai  entendu  ces  cris, 
héros,  il  m'a  pris  une  envie  de  rire.  5,895. 

»  Que  ce  combat  si  long-temps  désiré  dans  le  monde, 
Kourouide,  soit  donc  livré  clans  ce  moment.  Mon  âme 

(1)  La  3e  personne  du  futur  où  il  faudrait  grammaticalement  la  seconde! 


52  LE  MAHA-BHARATA. 

s'élance  vers  cette  bataille,  qu'elle  désire,  mon  ami,  avec 
la  même  impatience  que  toi.   5,896. 

»  Je  ne  m'en  irai  pas,  ô  le  dernier  des  mortels,  que  je 
ne  t'aie  arraché  la  vie  à  l'instant  même.  »  C'est  ainsi  que 
ces  deux  éminents  hommes  se  déchiraient  l'un  l'autre  avec 
des  paroles.   5,897. 

Au  comble  de  la  colère  et  désirant  se  porter  la  mort, 
ils  se  frappèrent  dans  ce  combat.  Ces  deux  héros  aux 
prises,  robustes,  se  disputant  la  victoire  en  cette  ba- 
taille, 5,898. 

Irrités  comme  deux  éléphants  dans  la  furie  du  rut,  en- 
vironnés des  fumées  du  mada,  ces  dompteurs  des  enne- 
mis, Bhoûriçravas  et  Sàtyaki  de  s'adresser  l'un  à  l'autre, 
comme  deux  nuages,  leurs  averses  de  flèches  épouvan- 
tables. Le  Somadattide  couvrit'  Çaînéya  de  ses  traits  au 
vol  rapide.   5,899—5,900. 

Désireux  de  le  tuer,  ô  le  plus  grand  des  Bharatides,  il 
le  blessa  de  dix  flèches  acérées;  et,  quand  il  l'eut  percé, 
le  guerrier  lui  décocha  d'autres  dards  aigus,  aspirant  à 
retrancher  de  la  vie  ce  héros  des  ÇinideS.  Mais  Sàtyaki, 
par  la  magie  de  ses  astras,  auguste  seigneur  des  hommes, 
dévora  dans  l' atmosphère,  avant  qu'elles  ne  fussent  ar- 
rivées, ces  flèches  aiguës.  Ils  déversèrent  l'un  sur  l'autre, 
chacun  en  son  particulier,  deux  pluies  de  projectiles. 

5,901—5,902—5,903. 

Ces  deux  héros,  nés  en  des  familles  supérieures,  ac- 
croissant la  renommée  de  Vrishni  et  de  Kourou,  déchi- 
rant leurs  membres  et  stillants  de  sang,  se  fendirent  l'un 
l'autre  par  leurs  flèches  et  les  lances  de  fer,  attachées  au 
chars,  comme  deux  tigres  avec  leurs  griffes,  comme  deux 
grands  éléphants  avec  leurs  défenses.  5,904— 5,905. 


DRONA-PARVA.  53 

Ces  guerriers  aux  actions  les  plus  hautes,  accroissant 
la  gloire  de  Kourou  et  de  Vrishni,  jouant  ainsi  au  jeu  des 
existences,  se  forcèrent  l'un  l'autre  à  l'immobilité.  5,906. 

Ils  se  combattaient  réciproquement,  comme  deux  élé- 
phants, chefs  de  bande.  Initiés  depuis  un  court  espace  de 
temps  au  monde  de  Brahma,  aspirant  au  siège  le  plus 
élevé,  ils  s'adressaient  mutuellement  des  menaces.  Sâ- 
tyaki  et  le  Somadattide,  sous  les  yeux  des  Dhritarâsh- 
trides  joyeux,  firent  éclater  l'un  sur  l'autre  une  pluie  de 
flèches.  Les  peuples  contemplaient  ces  deux  maîtres 
dans  l'art  des  combats,  qui  se  livraient  bataille,  comme 
deux  éléphants,  chefs  de  troupeaux,  que  les  senteurs  du 
mada  auraient  mis  aux  prises.  Quand  ils  se  furent  tué 
leurs  chevaux  et  tranché  leurs  arcs  mutuellement, 

5,907—5,908—5,909—5,910. 

Réduits  sans  char,  ils  croisèrent  leurs  mains  pour  un 
duel  à  l'épée.  S'étant  armés  de  boucliers  admirables, 
larges,  reluisants,  faits  en  peau  de  bœuf,  5,911. 

Et,  mettant  leurs  épées  hors  du  fourreau,  ils  se  prome- 
nèrent dans  la  bataille,  en  traçant,  suivant  l'art,  des  pas 
en  avant  et  des  portions  de  cercles.  5,912. 

Portant  le  cimeterre ,  revêtus  de  merveilleuses  cui- 
rasses, parés  de  nishkas  et  de  bracelets,  ces  deux  exter- 
minateurs des  ennemis  se  frappèrent  mainte  et  mainte 
fois  avec  colère.   5,913. 

Ces  guerriers  illustres  firent  voir  la  circonvolution  ,  le 
saut,  le  percer,  le  plonger,  l'émersion,  la  marche,  le  vol  et 
la  descente  des  airs  (1).  5,91  h. 

Ces  deux  héroïques  dompteurs  des  ennemis  se  portè- 

(1)  Différent,»  termes  d'escrime. 


54  LE  MAHA-BHARATA. 

rent  de  mutuels  coups  d'épée,  et,  désirant  surprendre  un 
défaut  en  leur  ennemi,  ils  exécutaient  des  bonds  agiles. 

Les  deux  plus  excellents  des  hommes  exercés  aux  com- 
bats, ils  montraient  leur  science ,  leur  légèreté,  leur  ex- 
cellence, et  s'entraînaient  l'un  l'autre  à  la  ronde. 

Après  que  ces  deux  braves  se  furent ,  Incira  des  rois, 
chargés  de  coups' mutuels  pendant  une  heure  environ,  aux 
yeux  de  tous  les  guerriers,  ils  reprirent  haleine  ensuite. 

Quand  ces  tigres  des  mortels  se  furent  à  coups  d'épée, 
souverain  des  hommes,  tranché  leurs  boucliers  admira- 
bles, ornés  de  cent  lunes,  ils  commencèrent  une  lutte  à 
bras-le-corps.   5,915— 5,916— 5, 917--5, 918. 

Tous  deux  à  la  vaste  poitrine,  aux  longs  bras,  habiles 
dans  les  combats  singuliers,  ils  s'étreignirent  de  leurs 
bras  comme  avec  des  barres  de  fer.   5,919. 

La  prise  et  l'étreinte  de  ces  lutteurs,  sire,  étaient  égales 
aux  blessures,  que  faisaient  les  bras  :  leur  science  et  leur 
force  causaient  la  joie  de  tous  les  combattants.   5,920. 

Épouvantable  était  le  bruit  immense,  sorti  de  la  ba- 
taille, sire,  que  se  livraient  ces  deux  plus  vaillants  des  hom- 
mes, semblables  à  deux  montagnes  de  diamant.   5,921. 

Tels  que  deux  éléphants  avec  la  pointe  de  leurs  dé- 
fenses ou  deux  taureaux  avec  leurs  cornes,  ces  magna- 
nimes héros  de  Kourou  et  de  Vrishni  combattirent,  s'en- 
laçant  avec  les  câbles  de  leurs  bras  et  se  frappant  avec  les 
coups  de  leurs  têtes,  se  tirant  les  pieds  par  un  croc-en- 
jambe,  se  meurtrissant  comme  avec  des  leviers  de  fer,  se 
déchirant  (1)  comme  avec  des  aiguillons,  se  tenant  le 


(1)  Ldsanah,  que  le     commentaire    explique    par    avaluntchunois,   texte 
le  Bombay. 


DRONA-PARVA.  55 

ventre  et  les  pieds  unis,  embrassés  ;  et  par  des  bondisse- 
ments  en  l'air,  par  quelques  pas  en  rvant,  des  retours  en 
arrière,  et  de  soudaines  poussées  (1) ,  en  se  baissant,  en  se 
levant,  en  s' ébranlant  (2),  5,922— 5,923— 5,92/j. 

Ces  héros  à  la  grande  vigueur  montrèrent  là,  Bharatide, 
dans  ce  duel  les  combats,  que  l'on  peut  livrer  avec  les 
trente-deux  moyens.   5,925. 

Alors  que  le  Sâttwatide  combattait,  ses  armes  brisées, 
le  Vasoudévide  parla  en  ces  termes  à  Arjouna  :  «  Vois  ce 
héros,  le  plus  brave  de  tous  ceux,  qui  manient  l'arc.  Il 
combat,  réduit  sans  char  !  5,926. 

»  Il  est  entré  dans  l'armée  Bharatienne,  qu'il  a  en- 
foncée derrière  toi  :  ce  guerrier  à  la  grande  vigueur, 
Bharatide,  fut  attaqué  par  tous  les  enfants  de  Bharata. 

>;  Bhoûridakshina  s'est  avancé,  impatient  de  combattre, 
vers  ce  héros,  le  plus  brave  dans  les  combats,  que  la 
fatigue  n'a  pas  empêché  de  s'avancer  lui-même.  Cela 
n'est  pas  convenable  ainsi,  Arjouna.  5,927 — 5,928. 

»  Irrité,  ivre  de  la  furie  des  batailles,  Bhoûiïçravas  se 
hâtant  arrêta  Sâtyaki,  comme  un  éléphant  en  rut,  sire, 
s'oppose  à  un  éléphant  en  folie.  »   5.929. 

Tandis  que  se  livrait  le  combat  singulier  en  char  de  ces 
deux  principaux  des  combattants,  courroucés,  montés 
dans  leurs  chariots,  sire,  aussi  admirables  à  voir  dans  la 
bataille  que  le  Vasoudévide  et  Arjouna,  5,930. 

Krishna  aux  longs  bras  dit  encore  à  celui-ci  :  «  Voici 
le  tigre  d'Andhaka  et  de  Vrishni  tombé  au  pouvoir  du 
Somadattide!  5,931. 


fi)  Le  texle  de  Bombay  porte  :  ôkshépuis. 
(2)  Samploutais,  même  texte. 


56  LE  MAHA-BHARATA. 

»  Arrivé  plein  de  fatigue,  il  a  accompli  sur  la  terre  un 
exploit  très-difficile  ;  Arjouna,  sauve  donc  l'héroïque  Sâ- 
tyaki,  qui  s'est  jeté  pour  toi  dans  la  mort  !  5,932. 

»  Que  ce  brave  ne  tombe  point  à  cause  de  toi,  Arjouna, 
sous  la  puissance  cVYajnaçîla.  Que  cette  action,  noble 
tigre  des  hommes,  soit  promptement  exécutée  !  »   5,933. 

Ensuite  Dhanandjaya,  rempli  d'ardeur,  répondit  au 
Vasoudévide  :  «  Voici  le  héros  de  Kourou,  qui  se  joue 
avec  le  plus  grand  des  guerriers  de  Vrishni  ;  5,93Zi. 

»  Tel,  dans  la  forêt,  un  lion  enivré  avec  un  gigantesque 
éléphant,  chef  de  troupeaux  (1).  »  A  peine  le  Pândouide 
Dhanandjaya  eut-il  parlé  ainsi,  5,935. 

Un  grand  brouhaha  de  naître  parmi  tous  les  guer- 
riers, éminent  Bharatide,  car  le  Kourouide  aux  longs 
bras,  élevant  Sâtyaki,  le  renversa  sur  la  terre,  comme  un 
éléphant  abattu  par  un  lion.  Bhoûridakshina,  traînant  çà 
et  là  ce  plus  grand  des  Sâttwatides,  le  plus  brave  des 
Kourouides  brillait  dans  le  combat.  5,936 — 5,937. 

Puis,  Bhoûriçravas ,  mettant  son  cimeterre  hors  du 
fourreau,  le  saisit  aux  cheveux  dans  la  bataille  et  le 
frappa  du  pied  au  milieu  de  la  poitrine.  5,938. 

Et,  comme  il  s'apprêtait  à  lui  trancher  la  tête,  ornée 
de  ses  pendeloques,  et  à  t  enlever  des  épaules,  le  Sâttwa- 
tide  en  ce  moment  suprême  fit  tourner  rapidement  ^on 
cou,  de  même  qu'un  potier  fait  tourner  sa  roue,  fils  de 
Bharata,  frappée  d'un  bâton.  Aussitôt  que  le  Vasoudévide 
eut  vu  Bhoûriçravas,  qui,  avec  son  bras  tenant  sa  cheve- 


(1)  Je  pense  qu'il  y  a  ici  une  altération  dans  le  teite,  je  n'ose  dire  un 
hypallage;  carde  semblables  tropes  seraient  le  renversement  de  toute  syn- 
taxe. Voici  les  changements,  que  j'ai  osé  faire  :  mattam  hurin  yoûthapéno. 


DRONA-PARVA.  57 

lure,  traînait  Sâtyaki  autour  du  champ   de  bataille,   il 
adressa  de  nouveau,  sire,  ces  paroles  à  Arjouna  : 

5,939— 5,940— 5,941. 

«  Le  voici,  tombé  au  pouvoir  du  Somadattide  en  ce 
combat,  où  Bhoûiïçravas  au  courage,  qui  est  un  men- 
songe, l'emporte  sur  le  Vrishnide  Sâtyaki  au  courage, 
qui  est  une  vérité,  ce  tigre  d'Andhaka  et  de  Vrishni,  ton 
disciple,  guerrier  aux  longs  bras,  non  inférieur  à  toi- 
même  dans  l'art  de  tirer  l'arc!  »  5,94*2 — 5,943. 

A  ces  mots  du  Vasoudévide,  le  Pândouide  aux  longs 
bras  applaudit  au  fond  de  son  cœur  à  Bhoûriçravas  dans 
ce  combat  :  5,944. 

«  J'aime  à  le  voir  se  jouer  dans  cette  bataille,  traîner 
çà  et  là  le  plus  brave  des  Sàttwatides  et  ajouter  encore  à 
la  gloire  des  Kourouides.   5,945. 

»  Prenons  garde,  certes  !  qu'il  n'immole  Sâtyaki,  le 
meilleur  des  héros  de  Vrishni  !  Il  le  traîne,  comme  le  roi 
des  quadrupèdes  traîne  dans  un  bois  un  grand  éléphant  !  » 

Quand  le  fils  de  Prithâ  aux  longs  bras  eut  honoré  ainsi 
le  Kourouide  en  son  cœur,  Arjouna  de  parler  en  ces  termes 
au  Vasoudévide  :  5,946  —  5,947. 

«  En  vain,  je  tiens,  Mâdhava,  la  vision  de  mes  yeux, 
attachée  du  côté  où  est  le  Sindhien,  je  ne  puis  encore 
l'apercevoir  :  je  ferai  donc  pour  le  rejeton  d'Yadou  cette 
œuvre  conservatrice  de  la  vie.  »   5,948. 

A  ces  mots,  le  fils  de  Pândou,  qui  avait  adressé  ce  lan- 
gage au  Vasoudévide,  encocha  sur  le  Gândîva  un  kshou- 
rapra  acéré.   5,949. 

Tel  qu'un  grand  météore  tombé  du  ciel,  le  trait,  en- 
voyé par  la  main  du  Prithide,  trancha  le  bras  d'Yajnaçîla 
avec  son  cimeterre,  avec  son  bracelet.  5,950. 


58  LE  MAHA-BHARATA. 

Le  membre  coupé  tomba  sur  la  terre,  armé  de  son 
glaive,  portant  son  resplendissant  bracelet,  et  répandit 
sur  le  monde  de  la  vie  une  douleur  extrême  et  prodi- 
gieuse. 5,951. 

Enlevé  au  moment  qu'il  allait  frapper  par  l'invisible 
Kirîti,  il  tomba  rapidement  sur  le  sol,  comme  un  serpent 
à  cinq  têtes.   5,952. 

Dès  que  le  Rourouide  vit  que  le  fils  de  Prithâ  avait 
déjoué  son  dessein,  il  jura  de  colère  et  abandonna  Sâ- 
tyaki.   5,953. 

«  Hélas  1  fils  de  Kountî,  c'est  toi,  qui  as  fait  cette  action 
cruelle,  qui  as  coupé  mon  bras  sans  que  je  te  visse,  alors 
que  cette  lutte  absorbait  mon  attention  !  5,95Z|. 

»  Diras-tu  au  fils  d'Yama,  au  monarque  Youdhishthira 
de  quelle  chose  j'étais  occupé,  moi  Bhoûriçravas,  quand 
tu  m'as  frappé  dans  le  combat?  5,955. 

»  Est-ce  ici  l'astra,  que  t'enseigna  le  magnanime  Indra 
même  en  personne,  ou  Çiva,  et  Drona  ou  Kripa?    5,956. 

»  Toi,  qui,  dans  le  monde,  es  supérieur  aux  ennemis, 
est-ce  que  tu  ne  connais  pas  le  devoir  des  astras?  Comment 
as-tu  pu  lancer  ta  flèche  sur  moi,  occupé  à  soutenir  le 
combat?  5,957. 

»  Les  sages  n'envoient  pas  de  traits  au  lâche,  au  soldat 
réduit  sans  char,  au  suppliant,  à  l'homme  tombé  dans  le 
malheur,  à  celui,  qui  n'est  pas  sur  ses  gardes! 

»  Comment ,  fils  de  Prithâ,  as-tu  fait  cette  action 
très -méchante  ,  criminelle  ,  exécutée  par  des  âmes 
viles,  en  usage  chez  des  hommes  sans  cœur? 

5,958—5,959. 

»  Une  âme  noble  trouve  facile  à  faire  une  action  noble; 
mais  il  n'est  pour  une  âme  honnête,  dit-on,  rien,  qui  soit 


DRONA-PARVA.  59 

plus  difficile  à  accomplir  sur  la  terre  qu'un  acte  dés- 
honnête.   5,960. 

»  Quelles  que  soient  les  actions,  au  milieu  desquelles 
vit  un  homme,  le  naturel,  fils  de  Prithâ,  a  bien  vite  repris 
son  empire  :  n'est-ce  pas  ce  que  l'on  voit  maintenant  se 
manifester  en  toi?  5,961. 

»  Gomment  toi,  qui  es  vertueux,  fidèle  observateur  de 
ton  vœu,  né  dans  la  famille  des  rois  et  surtout  prenant 
ton  origine  de  Kourou,  as-tu  pu  t' écarter  ainsi  du  devoir 
des  kshatryas?  5,962. 

»  Cette  action  estimée  du  Vasoudévide,  que  tu  as  faite 
dans  l'intérêt  du  fils  de  Vrishni,  est  extrêmement  vile,  et 
peut-être  ne  te  séyait-elle  pas?  5,963. 

»  Qui  donc,  après  avoir  plongé  dans  une  telle  infortune 
un  homme,  qui  n'était  pas  sur  ses  gardes  et  qui  combat- 
tait un  ennemi,  ne  serait  pas  maintenant  l'ami  de  Krishna  ? 

»  Des  Vrâtyas  (1)  sont  blâmés  eux-mêmes  des  actions, 
qu'ils  ont  faites  pour  causer  de  la  douleur  (2)  :  comment 
peux-tu,  fils  de  Prithâ,  invoquer  l'autorité  des  Andhakas 
et,  des  Vrishnides?  »   5,964—5,965. 

A  ces  mots,  le  Prithide  répondit  à  Bhoûriçravas  dans 
le  combat  :  5,966. 

«  Évidemment  une  vieillesse  de  l'intelligence  s'ajoute 
encore  chez  l'homme  à  la  vieillesse  du  corps;  car  tout  ce 
qui  fut  dit  par  toi  est  dénué  de  sens.   5,967. 

»  En  effet,  quoique  tu  connaisses  Hrishîkéça,  que  tu 
saches  le  devoir,  que  tu  sois  parvenu  à  la  rive  ultérieure 

(1)  Personne  non  initiée  (pour  qui  les  cérémonies  prescrites  n'ont  pas 
été  accomplies,  qui  n'a  pas  reçu  l'investiture).  Amarakocha,  Loisehur 
ueslongchamps. 

(2)  Sankklishta,  texte  de  Bombay. 


60  LE  MAHA-BHARATA. 

des  Castras,  tu  jettes  ton  blâme  sur  moi,  qui  suis  un  fils 
de  Pândou.   5,968. 

»  Je  ne  ferais  pas  une  chose  opposée  au  devoir;  tu  le 
sais,  et  tu  parles  contre  la  raison.  Les  kshatryas  com- 
battent l'ennemi,  environnés  chacun  de  leurs  gens  ; 

»  Soutenus  par  la  force  de  leurs  bras  et  secondés  par 
leurs  pères,  leurs  fils,  leurs  frères,  leurs  parents  et  alliés, 
leurs  amis  et  connaissances.   5,969 — 5,970. 

»  Comment  aurais  je  abandonné  Sâtyaki,  mon  parent, 
mon  ami,  mon  disciple,  qui  combattait  dans  notre  cause, 
qui  nous  a  fait  le  sacrifice  de  sa  vie,  si  difficile  à  quitter, 
enivré  de  la  furie  des  batailles  et  mon  bras  droit,  sire, 
dans  les  combats?  Et  moi-même  ne  devais-je  pas  être, 
majesté,  défendu  par  ce  héros,  s'il  venait  dans  une  ba- 
taille? 5,971—5,972. 

»  Quiconque  fait  la  guerre  dans  les  intérêts  de  qui  que 
ce  soit,  monarque  des  hommes,  doit  être  défendu  par  lui! 
Un  souverain  doit  être  protégé  dans  un  grand  combat 
par  ceux-là  mêmes,  qu'il  protège.   5,973. 

»  Si  je  vois  mettre  à  mort  Sâtyaki  dans  une  bataille 
acharnée,  ,/e  dois  C  empêcher  :  ou  ma  séparation  d'avec 
lui   par  la  mort  sera  un  crime,  qui  accusera  ma  lâcheté. 

»  Pourquoi  t'irriter  contre  moi,  si  je  l'ai  sauvé? 
Blâmes-tu,  sire,  mon  amitié  avec  un  autre?  5,97/i — 5,975. 

»  Tu  m'as  persécuté,  alors  naquit  l'agitation  de  mon 
esprit.  Je  secouai  pour  toi  ma  cuirasse,  je  montai  sur 
mon  char  en  personne,  je  tirai  la  corde  de  mon  arc  et  je 
combattis  avec  les  ennemis  dans  cette  profonde  mer  des 
armées,  qui  était  ainsi  pleine  d'éléphants  et  de  chars, 
clouée  de  fantassins  et  de  cavaliers,  du  milieu  de  qui  les 
cris  de  guerre  s'élevaient,  comme  le  bruit  de  ses  flots.  Il 


DRONA-PARVA.  61 

vint  cette  pensée  aux  guerriers  placés  entre  les  deux 
armées  (1)  dans  cet  engagement  avec  le  Sâttwatide  : 

5,076—5,977—5,978. 

«  De  quelle  manière  va  se  dérouler  ce  combat  singu- 
lier?» Le  Sâttwatide,  qui  avait  déjà  combattu  avec  un 
grand  nombre  et  vaincu  de  fameux  héros,  5,979. 

»  Était  fatigué,  dans  une  situation  perplexe,  accablé 
de  flèches,  traîné  par  des  chevaux,  harassés  de  lassitude. 
Telle  était  sa  position,  quand  tu  as  vaincu  le  très-héroïque 
Sâtyaki.  5,980. 

»  Tu  n'ignores  pas  que  sa  valeur  a  courbé  toute  supé- 
riorité sous  sa  puissance.  Et,  puisque  tu  désirais  couper 
de  ton  épée  sa  tête  dans  le  combat,  5,981. 

»  Qui  aurait  pu  souffrir  que  Sàtyaki  fût  tombé  dans 
une  telle  infortune?  Adresse  tes  reproches  à  toi-même, 
qui  n'as  pas  su  défendre  ta  personne.   5,982. 

»  Que  feras-tu  maintenant ,  héros,  toi  ou  celui,  qui 
s'appuie  sur  toi?  »   5,983. 

Après  qu'Arjouna  lui  eut  ainsi  parlé,  le  guerrier  aux 
longs  bras,  à  la  vaste  renommée,  abandonnant  Youyou- 
dhâna  dans  le  combat,  s'en  alla  s'asseoir  dans  un  jeûne 
jusqu'à  la  mort.   5,9SZi. 

Le  guerrier  aux  marques  saintes  étendit  ses  flèches  de 
la  main  gauche  et,  désirant  aller  au  monde  de  Brahma, 
il  sacrifia  les  souffles  de  sa  vie  dans  les  souffles  de  son 
existence.   5,985. 

11  déposa  ses  yeux  dans  le  soleil,  son  cœur  paisible 
dans  l'eau,  et,  méditant  un  grand  Oupanishad,  il  devint 
un  solitaire  uni  à  l'yoga.   5,986. 


(1)  Littéralement  :  près  des  leurs  et  des  ennemis'. 


62  LE  MAHA-BHARATA. 

Le  peuple  en  toute  l'armée  blâma  de  cette  action 
Krishna  et  Dhanandjaya,  et  rehaussa  dans  ses  louanges 
cet  homme  éminent.  5,987. 

Les  deux  Krishnas  ne  répondirent  pas  aux  reproches 
un  seul  mot  désagréable,  et  le  guerrier  au  drapeau  de 
la  colonne  victimaire  garda  le  silence  au  milieu  des 
éloges.  5,988. 

Le  cœur  de  Dhanandjaya  ne  put  supporter  que  tes  fils, 
majesté,  parlassent  ainsi;  et,  son  esprit  se  rappelant  quels 
discours  eux  et  lui  avaient  prononcés,  Phâlgouna,  le  fils 
de  Pândou,  leur  dit  avec  l'accent  du  blâme,  mais  d'un 
cœur  sans  colère  :  5,989 — 5,990. 

«  Tous  les  monarques  connaissent  le  grand  vœu,  par 
lequel  je  me  suis  lié!  Il  est  impossible  de  le  rompre  à 
quiconque  sera  venu  à  la  portée  de  mes  flèches.  5,991. 

n  Ayant  considéré  cette  chose,  ô  toi,  qui  as  pour  dra- 
peau une  colonne  victimaire  (1) ,  ne  veuille  pas  me  blâmer; 
car  le  blâme  ne  sied  pas  dans  la  bouche  d'un  ennemi,  qui 
ne  connaît  pas  le  devoir.   5,992. 

»  Si  j'ai  coupé  ton  bras,  lorsque  tu  avais  pris  tes  armes 
et  que  tu  voulais  égorger  dans  ce  combat  le  héros  de 
Vrishni,  ce  n'est  pas  un  devoir,  qu'il  faille  me  reprocher; 

»  Quel  homme  vertueux,  mon  fils,  pourrait  applaudir 
à  la  mort  d'Abhimanyou,  un  enfant,  sans  char,  sans 
cuirasse,  qui  avait  déposé  même  ses  traits  !  a 

A  ces  mots  du  Prithide,  le  mutilé  toucha  la  terre  avec 
sa  tête,  et,  de  sa  main  gauche,  lui  tendit  son  bras  droit  et 
sa  main  coupés.   5,993 — 5,994 — 5,995. 

Quand  il  eut  entendu  ces  paroles  du  fils  de  Prithâ, 

(1)   Yoùpakétau,  vocatif,  texte  de  Bombay. 


DRONA-PARVA.  6S 

Yoûpakétou  à  la  grande  splendeur,  baissa  la  tête,   grand 
roi,  et  garda  le  silence.   5,996. 

«L'amitié,  que  je  porte  à  Sahadéva,  lui  dit  Arjouna, 
à  Nakoula,  à  Bhîma,  le  plus  fort  des  hommes  forts,  et  à 
Dhamiarâdja  même,  je  la  ressens  pour  toi,  frère  aîné  de 
Cala.   5,997. 

»  Avec  mon  congé,  avec  celui  du  magnanime  Krishna, 
va  dans  les  mondes  des  bonnes  œuvres,  comme  Cini,  le 
fils  d'Ouçinara!  »   5,998. 

«  Va  promptement,  je  te  l'accorde,  ajouta  le  Vasoudé- 
vide,  dans  ces  mondes  purs,  fondés  par  Brahma  et  les 
Dieux  suprêmes  (1),  désirés  même  par  les  plus  grands 
desSouras,  habités  par  ceux,  qui  ont  offert  les  sacrifices 
et  pieusement  conservé  le  feu  perpétuel.  Sois  égal  à  moi 
et  que  le  corps  du  sublime  Garouda  soit  ton  char  éter- 
nel !  »    5,999—6,000. 

Délivré  du  Somadattide,  Çaînéya  s'étant  relevé,  tira 
son  cimeterre,  désireux  de  couper  la  tête  de  ce  magna- 
nime. 6001. 

Sâtyaki  voulait  décapiter  Bhoûriçravas,  mutilé  par  le 
filsdePândou,  quand  il  n'était  pas  sur  ses  gardes,  ce 
frère  aîné  de  Cala,  assis,  net  de  souillure,  le  bras  coupé, 
comme  un  éléphant,  privé  de  sa  trompe.  Le  héros  dans 
une  bouillante  colère  excita  les  cris  et  le  blâme  de  toute 
l'armée.  6,002—6,003. 

Il  fut  arrêté  par  Krishna,  le  magnanime  Prithide, 
Bhîma,  Açwatthâman  et  Kripa,  les  deux  gardes  des 
roues,  6,004. 

Karna,  Vrishaséna  et  le  roi  du  Sindhou  Ini-même.  Au 

(i)  Le  texte  dit  simplement  :  âdy<Os,  et  les  autres,  et  cœteris. 


64  LE  MAHA-BHARATA. 

milieu  des  armées,  qui  s'écriaient  :  «  Il  a  tué  le  guerrier 
aux  vœux  constants  !  6,005. 

»  Sâtyaki,  de  son  cimeterre,  enleva  la  tête  au  Kou- 
rouide,  qui,  le  bras  coupé  dans  la  bataille  par  le  fils 
de  Prithâ,  s'était  assis  dans  le  jeûne  jusqu'à  la 
mort.  »   6,006. 

Les  armées  n'approuvaient  pas  Sâtyaki  en  ce  fait 
qu'il  voulait  tuer  le  rejeton  de  Rourou,  qu'Arjouna  avait 
déjà  mis  hors  du  combat.  6,007. 

Quand  les  Siddhas,  les  Tchâranas  et  les  enfants  de 
Manou  virent  Bhoûriçravas,  semblable  au  Dieu  à  mille 
regards,  qui,  blessé  dans  la  bataille,  était  entré  dans  le 
jeûne,  6,008. 

Les  Dieux,  que  ses  œuvres  jetaient  dans  l'étonnement, 
applaudirent  à  sarésignation.  Tes  guerriers  firent  entendre 
de  bien  nombreux  discours,  suivant  le  sentiment  de  chacun 
d'eux.   6,009. 

«  Le  Vrishnide  ne  commettra  point  d'offense!  Cette 
chose  doit  être  faite  ainsi  !  Vous  ne  devez  pas  en  conce- 
voir de  ressentiment  :  la  colère  est  chez  les  hommes  ce 
qu'il  y  a  de  plus  douloureux.  6,010. 

»  11  faut  que  ce  héros  le  tue  !  On  ne  doit  pas  hésiter. 
Brahma  lui-même  a  placé  dans  le  combat  Sâtyaki  pour 
être  la  mort  de  ce  guerrier  !  »   6,011. 

«  11  ne  faut  pas  le  tuer  !  Il  ne  faut  pas  le  tuer  !  me 
dites-vous,  répondit  Sâtyaki,  hommes  vicieux  sous  des 
paroles  de  vertu  et  qui  vous  êtes  fourrés  dans  la  peau  du 
devoir?  6,012. 

»  Quand  vous  avez  tué  dans  le  combat  le  fils  de  Sou- 
bhadrâ,  un  enfant,  réduit  sans  char,  où  donc  alors  s'en  était 
allée  votre  vertu?  6,013. 


1>R0M-PARVÀ  65 

»  J'ai  fait  cette  promesse,  il  y  a  déjà  un  certain  laps 
de  temps  :  «L'ennemi,  qui  vivant,  m' ayant  renversé  dans 
la  bataille,  me  frappera  du  pied  aveccolère,  qu'il  soit  mis 
à  mort  par  moi,  fût-il  engagé  même  dans  les  liens  de 
l'anachorète!  »  Vous  avez  pensé  sur  le  témoignage  de  vos 
yeux,  héros  de  Kourou,  me  voyant  m' efforcer  avec  la 
main  de  repousser  le  coup,  que  j'étais  mort  :  telle  fut  la 
légèreté  de  votre  esprit.  La  résistance,  que  je  faisais 
contre  lui,  était  convenable.  6,01/1—6,015—6,016. 

»  La  promesse,  que  le  Prithide  m'avait  faite  par  amour, 
fut  observée  :  le  bras  fut  enlevé  avec  son  cimeterre  et  je 
déjouai  son  dessein.  6,017. 

»■  Le  présent  et  l'avenir  sont  remués,  pour  ainsi  dire, 
par  le  Destin.  Ce  guerrier  fut  frappé  dans  le  combat  :  y 
a-t-il  là  un  effort  de  la  vertu?  6,018. 

»  Jadis,  Vâlmiki  lui-même  chanta  ce  çloka  sur  la  terre  : 
«  Il  ne  faut  pas  tuer  les  femmes  !  »  Voilà  ce  que  tu  dis  (1) , 
singe.  6,019. 

»  Mais  un  homme  doué  de  résolution  exécutera  toujours 
dans  tous  les  temps  ce  qui  doit  causer  la  torture  des  en- 
nemis. »   6,020. 

Quand  il  eut  ainsi  parlé,  tous  les  enfants  de  Kourou  et 
de  Pàndou  ne  répondirent  pas  un  seul  mot,  grand  roi, 
et  l'approuvèrent  au  fond  du  cœur.  6,021. 

Il  n'y  eut  personne,  qui  n'applaudit  point  à  la  mort  de 
ce  guerrier  illustre,  consacré  par  les  formules  des  prières, 
qui  avait  donné  un  millier  de  riches  présents  au  milieu 
des  grands  sacrifices  et  qui  déjà  s'était  confiné  d  intention 
dans  les  forêts,  comme  un  anachorète.   6,022. 


(1)  Bravtshi,  texte  de  Bombay. 
IX 


66  LE  MAHA-BHARATA. 

La  tète  coupée  de  ce  héros,  donateur  de  choses  dési- 
rées, aux  yeux  rouges  comme  ceux  de  la  colombe,  aux 
cheveux  bien  noirs,  fut  déposée  sur  la  terre  :  telle,  dans 
l'intérieur  d'une  maison  (1),  l'offrande  de  beurre  clarifié 
d'un  açva-médha.  6,023. 

Purifié  dans  ce  grand  combat  par  le  fer,  qui  avait 
tranché  sa  force,  ayant  abandonné  le  plus  beau  des  corps, 
il  s'éleva  dans  les  régions  suprêmes,  après  qu'il  eut 
rempli  le  ciel  et  la  terre  du  plus  grand  des  devoirs. 

«  Non  vaincu  par  Drona,  Râdhéya,  Vikarna  et  Krita- 
varman,  s'enquit  Dhritarâshtra,  ayant  traversé  l'océan 
des  armées,  suivant  la  promesse,  qu'il  en  avait  faite  à 
Youdhishthira  ;  6,02Zi— 6,025. 

»  Comment  ce  héros,  que  n'avait  pu  arrêter  le  Kou- 
rouide,  a-t-il  été  renversé  violemment  sur  la  terre  dans 
les  étreintes  de  Bhoûriçravas?  »   6,026. 

Écoute,  roi,  lui  répondit  Sandjaya,  quelle  fut  dès  l'an- 
tiquité l'origine  de  Çaînéya  et  quelle  fut  celle  de  Bhoûri- 
çravas :  ces  deux  points,  seigneur,  qui  font  naître  tes 
doutes.  6,027. 

Sonia  fut  le  fils  d'Atri;  le  personnage,  qu'on  appelle 
Boudha,  était  le  fils  de  Soma;  et  Boudha  eut  pour  fils 
Pourouravas,  égal  au  grand  Indra.  6,028. 

Il  fut  père  d'Ayoush,  et  celui-ci  de  Nahousha,  qui  fut 
le  père  du  Râdjarshi  Yayâti,  estimé  comme  un  Dieu. 

Yadou,  conçu  au  sein  de  Dévayanî,  était  le  fils  aîné  de 
Yayâti  :  le  prince,  nommé  Divamîtha,  était  le  fils  dans  la 
famille  d'Yadou.   6,029—6,030. 

Celui-ci  avait  pour  fils  l'Yadouide  Çoûra,  estimé  dans 


(1)  Explication  du  commentaire. 

■à 


DRONA-PARVA.  «7 

les  trois  mondes.  Çoûra  eut  pour  son  fils  le  courageux 
Vasoudéva  à  la  vaste  renommée,  le  plus  vaillant  des 
hommes,  héros  égal  dans  les  combats  à  Kârttavîrya,  non 
inférieur  dans  la  science  de  l'arc.  Le  brave  Çini,  seigneur, 
naquit  dans  la  famille  de  ce  monarque.  6,031 — 6,032. 

Or,  dans  ce  temps,  sire,  le  magnanime  Dévaka  avait 
rassemblé  tous  les  kshatryas  pour  le  Swayanvara  (1) 
de  sa  fille.  6,033. 

Dès  qu'il  eut,  dans  une  rapide  victoire,  défait  tous  ces 
princes,  Çini  fit  monter  dans  son  char  pour  Vasoudéva  la 
reine  Dévakî.  6,03Zi. 

A  peine  eut-il  vu,  seigneur,  souverain  des  hommes, 
Dévakî,  placée  dans  le  char  du  vaillant  Çini,  Somadatta 
ne  put  supporter  ce  spectacle.  6,035. 

De-là,  un  combat  entre  eux,  qui  fut  varié,  admirable  et 
dura  toute  la  moitié  d'un  jour;  ensuite,  ces  deux  bien 
vigoureux  lutteurs,  éminent  roi,  de  s'étreindre  avec  la 
chaîne  des  bras.  6,036. 

Somadatta  fut  renversé  avec  violence  sur  la  terre  par 
Çini,  qui  leva  son  épée,  le  saisit  aux  cheveux  et  le  frappa 
du  pied,  au  milieu  de  mille  rois,  de  tous  les  côtés  ré- 
pandus, spectateurs  de  cette  lutte.  Mais  le  vainqueur 
renvoya  par  pitié  le  vaincu  avec  la  vie  sauve. 

Réduit  par  lui  à  cette  condition,  vénérable  monarque, 
Somadatta,  tombé  sous  la  puissance  du  ressentiment, 
adressa  des  prières  à  Mahâ-Déva.  6,037—6,038—6,039. 

Satisfait  de  sa  dévotion,  le  Grand-Dieu,  seigneur  su- 
prême de  ceux,  qui  font  des  grâces,  lui  accorda  une 
faveur,  et  le  roi  arrêta  son  choix.  6,040. 

(1)  Sivayanvarai ',  texte  de  Bombay. 


68  LE  MAHA-BHARATA. 

«  Je  désire  un'Jils,  Bhagavad,  qui  puisse  tuer  le  fils  de 
Çini,  des  milliers  de  rois  étant  les  spectateurs,  et  qui  le 
frappe  du  pied  dans  la  bataille.  »  6, (Ml. 

Aussitôt  qu'il  eut  ouï,  seigneur,  la  parole  de  Soma- 
datta  :  «  Qu'il  en  soit  ainsi  !  »  et,  sur  ce  mot,  le  Dieu 
rentra  dans  l'invisibilité.   6,042. 

C'est  grâce  à  cette  faveur  qu'il  avait  obtenu  la  nais- 
sance de  Bhoûridakshina,  que  le  Somadattide  avait  ren- 
versé dans  le  combat,  et  qu'il  avait  frappé  du  pied  le  fils 
de  Çini,  sous  les  yeux  de  tous  les  rois.  Je  viens  de  te  racon- 
ter là,  sire,  ce  qui  fut  l'objet  de  ta  question.  6,043 — 6,044. 

11  est  impossible  aux  plus  vaillants  hommes  de  vaincre 
le  Sâttwatide  dans  un  combat.  De  nombreux  héros,  qui 
ont  obtenu  dans  le  combat  des  marques  de  distinction, 

Vainqueurs  du  Gandharva,  du  Dânava  et  du  Dieu 
même,  ne  sont  pas,  assurément  !  étonnés  de  sa  victoire. 
Ces  foules  d'ennemis  sont  incapables  de  vaincre  sa 
puissance.   6,045 — 6,046. 

On  ne  voit  rien  ici  en  ce  qui  est,  en  ce  qui  fut,  en  ce 
qui  doit  être,  seigneur,  qui  soit  égal  en  force  aux  Vrish- 
nides.  6,047. 

Ils  n'ont  pour  leurs  parents  aucun  mépris,  ils  se  com- 
plaisent dans  l'obéissance  aux  vieillards.  Ni  les  Rakshasas, 
les  Ouragas  et  les  Yakshas,  ni  les  Gandharvas,  les  Asou- 
ras  et  même  les  Dieux  ne  peuvent  vaincre  les  héros  des 
Vrishnides  dans  un  combat,  combien  moins  les  hommes  ! 
Les  richesses  des  brahmes,  les  richesses  des  Gourous, 
les  richesses  des  parents  ne  provoquent  pas  leurs  offenses. 

Sauveurs  des  hommes,  qui  seraient  tombés  dans  un 
malheur  quelconque:  riches,  mais  non  orgueilleux,  pieux, 
Véridiques,  6,048—6,049—6,050. 


DRONA-PARVA.  69 

Ils  honorent  les  gens,  qui  sont  capables,  ils  relèvent 
les  humbles  :  toujours  dévoués  aux  Dieux,  domptés,  géné- 
reux, ils  ne  se  glorifient  jamais.  6,051. 

C'est  pour  cela  qu'on  ne  peut  repousser  le  disque  de 
guerre  des  fameux  héros  de  Vrishni  :  un  homme  porterait 
plutôt  la  masse  du  Mérou  et  traverserait  Y  Océan,  séjour 
des  makaras.   6,052. 

Mais  il  n'irait  pas,  auguste  sire,  jusqu'à  l'extermination 
des  illustres  héros  Vrishnides,  s'ils  en  sont  venus  aux 
mains  avec  lui.  Ici,  j'ai  fini  de  te  narrer  tout  oe  qui  faisait 
naître  ton  incertitude.   6,053. 

Roi  des  Kourouides,  ô  le  plus  vertueux  des  hommes, 
grande  est  ton  absence  de  politique!  6,05/i. 

«  Quand  ce  Bhoûriçravas,  le  Kourouide,  fut  tombé 
dans  cette  condition,  s'enquit  Dhritarâshtra,  quel  fut  le 
combat,  qui  s'éleva  de  nouveau?  Raconte-moi  cela, 
Sandjaya!  »   6,055. 

Lorsque  Bhoûriçravas  fut  descendu  dans  l'autre  inonde, 
répondit  Sandjaya,  Arjouna  aux  longs  bras  d'exciter  le 
Vasoudévide  en  ces  termes  :  6,056. 

«  Pousse  rapidement  tes  chevaux,  Krishna,  vers  ce 
lieu  où  se  tient  Djayadratha  :  veuille  faire,  irréprochable 
guerrier,  que  ma  promesse  porte  son  fruit.  6,057. 

»  L'auteur  du  jour,  héros  aux  longs  bras,  s'avance  à 
pas  hâtés  vers  le  mont  Asta.  J'ai  levé  sur  moi  la  charge 
de  cette  grande  affaire,  tigre  des  hommes,  et  ce  guerrier 
est  défendu  par  les  vaillants  héros  de  l'armée  Kourouide. 
Que  cette  parole  soit  une  vérité,  avant  que  le  soleil  n'ar- 
rive à  son  couchant!  6,058—6,059. 

»  Pousse  donc  tes  chevaux,  Krishna,  de  manière  que 
je  puisse  immoler  Djayadratha!  »  Alors  Krishna  aux  longs 
bras,  qui  possédait  la  science  des  chevaux,  de  lancer  ses 


70  LE  MAHA-BHARATA. 

coursiers,  pareils  à  l'argent,  sur  le  char  du  Sindhien.  Les 
principaux  de  l'armée,  Douryodhana,  Karna,  Vrishaséna, 
le  souverain  du  Madra,  Açvatthâman,  Rripa  et  le  roi  du 
Sindhou  lui-même,  s'avancèrent  d'un  pied  bâté,  grand 
roi,  au-devant  de  ce  héros,  qui  s'approchait,  assuré  de 
ses  coups,  avec  des  flèches,  qui  semblaient  voler.  Or, 
Bîbhatsou  de  se  porter  sur  le  Sindhien,  debout  en  face  de 
lui.   6,060—6,061—6,062—6,063. 

11  jeta  sur  lui  ses  regards,  comme  s'il  voulait  le  consu- 
mer de  ses  yeux,  enflammés  par  la  colère.  Ensuite,  le  roi 
Douryodhana,  ton  fils,  sire,  ayant  vu  Arjouna  s'avancer 
pour  la  mort  de  Djayadratha,  tint,  précipitant  ses  mots, 
ce  langage  à  Karna,  le  fils  de  Râdhâ  :  6,064 — 6,065. 

«  Voici  le  moment  du  combat,  fils  du  Soleil  !  Considère 
la  force  de  ta  personne.  Agis  de  telle  sorte,  Karna, 
qu' Arjouna  ne  puisse  immoler  dans  la  bataille  Djayad- 
ratha! 6,066. 

»  Fais  périr  maintenant  l'ennemi,  héros  des  hommes, 
dans  ce  peu  de  jour,  qui  nous  reste  encore,  sous  les  mul- 
titudes de  tes  flèches.  Si  nous  pouvons  arriver  à  la  chute 
du  jour,  ce  temps  gagné  sera  pour  nous,  assurément!  une 
victoire.  6,067. 

»  Et,  si  nous  conservons  le  Sindhien  jusqu'à  l'instant, 
où  le  soleil  se  couche,  le  fils  de  Kountî,  voyant  qu'il  a 
promis  en  vain,  montera  sur  un  bûcher.  6,068. 

»  Ses  frères  et  leurs  suivants,  ô  toi,  qui  donnes  l'hon- 
neur, ne  pourront  pas  vivre  une  heure  seulement  sur  une 
terre,  qui  sera  privée  de  son  Arjouna.   6,069. 

»  Les  Pàndouides  une  fois  morts,  nous  jouirons  de  cette 
terre,  Karna,  débarrassée  enfin  de  ses  ennemis,  avec  ses 
forêts,  ses  eaux  et  ses  montagnes!  6,070. 

»  Frappé  par  le  Destin,  honorable  seigneur,  le  fils  de 


DRONA-PARVA.  71 

Prithâ,  qui  a  juré  une  promesse  clans  ce  combat,  ne  sa- 
chant plus  ce  qui  est  ou  n'est  point  à  faire,  6,071. 

»  Ce  serment,  qui  fut  prononcé  par  Kirîti  le  Pândouide 
pour  la  mort  de  Djayadratha,  il  retombera  sans  doute  sur 
la  mort  de  lui-même.  6,072. 

»  Comment  Phâlgouna  pourrait-il  vivre,  si  tu  déploies 
ta  vigueur  invincible,  Râdhéya?  Comment  pourrait-il 
immoler  au  coucher  du  soleil  le  roi  de  Sindhou,  si  on  ne 
l'abandonne  pas?  6,073. 

»  Comment  Dhanandjaya  tuerait-il  au  front  de  la  bataille 
Djayadratha,  qui  sera  défendu  par  le  souverain  du  Madra 
et  le  magnanime  Kripa  ?  6,07/j. 

»  Comment,  poussé  par  la  mort,  Bîbhatsou  arriverait-il 
jusqu'au  Sindhien,  qui  sera  protégé  par  Drona,  moi  et 
Douççâsana?  6,075. 

»  De  nombreux  héros  combattent  ;  et  le  soleil,  ô  toi,  qui 
qui  donnes  l'honneur,  descend  au  mont  Asta;  le  Prithide, 
j'en  doute  beaucoup,  n'arrivera  pas  jusqu'à  Djayad- 
ratha. 6,676. 

»  Toi,  Karna,  secondé  par  moi  et  d'autres  braves,  tous 
grands  héros,  accompagné  par  Drona,  le  souverain  du 
Madra  et  Kripa,  6,077. 

»  Déployant  tes  plus  grands  efforts,  combats  donc  en 
cette  guerre  avec  le  fils  de  Prithâ!  »  A  ces  paroles  de  ton 
fils,  Râdhéya,  vénérable  sire,  6,078. 

»  Le  corps  grièvement  percé  des  maintes  foules  de 
traits,  lancés  par  Bhîmaséna,  l'héroïque  archer,  assuré 
dans  son  but,  répondit  en  ces  termes  à  Douryodhana,  le 
plus  grand  des  Kourouides  :  «  Il  faut  rester  de  pied 
ferme!  dis-tu.  Ainsi  je  reste  maintenant  dans  le  combat, 
honorable  monarque.  6,079 — 6,080. 


72  LE  MAHA-BHARATA. 

»  Dévoré  même  de  ces  grandes  flèches,  mon  corps  ne 
vacille  pas  le  moins  du  monde  ;  je  combattrai  de  toutes 
mes  forces,  ma  vie  t'est  dévouée.  6,08d. 

»  J'empêcherai  que  ce  chef  des  Pândouides  ne  tue  le 
souverain  du  Sindhou.  Tant  que  je  combattrai  et  déco- 
cherai des  traits  aigus,  le  héros  Ambidextre  Dhanandjaya 
ne  parviendra  jamais  à  lui.  J'exécuterai,  Kourouide,  ce 
qui  peut  être  accompli  par  un  mortel  dévoué  et  qui  a  le 
désir  de  ton  bien  :  mais  la  victoire  dépend  du  Destin.  Au 
reste,  je  déploierai  aujourd'hui  les  plus  grands  efforts 
dans  la  guerre  pour  l'intérêt  du  Sindhien. 

6,082—6,083—6,08/1. 

»  Appuyé  sur  ma  valeur  personnelle  (1),  afin  de  t'être 
agréable,  je  combattrai  aujourd'hui,  Arjouna;  mais  la 
victoire  dépend  du  Destin.  6,085. 

»  Aujourd'hui  sera  livré  pour  toi,  tigre  des  hommes,  le 
plus  vaillant  des  Rourouides,  le  combat  singulier  d' Ar- 
jouna et  de  moi,  ce  grand  duel  de  tous  les  deux.  6,086. 

»>  Que  toutes  les  armées  voient  cette  bataille  effrayante, 
épouvantable,  de  Karna  et  du  rejeton  de  Kourou  l  »  Tan- 
dis qu'ils  parlaient  de  cette  manière  sur  le  champ  de 
bataille,  6,087. 

Arjouna  de  percer  ton  armée  de  ses  flèches  acérées, 
de  trancher  avec  ses  bhallas  aigus  les  bras,  semblables 
aux  barreaux  d'une  porte,  pareils  aux  trompes  des  élé- 
phants, ces  bras  de  héros,  qui  ne  savaient  pas  fuir  dans 
le  combat.  Le  vigoureux  guerrier  coupa  leurs  têtes  de  ses 
traits  affilés,  6,088-6,089. 

Et  de  tous  côtés  les  trompes  des  éléphants,  les  cous 

(1)  Swan  vyapàçritàs,  texte  de  Bombay. 


DRONA-PARVA.  73 

des  chevaux,  les  roues  des  chars,  les  cavaliers,  oints  de 
sang,  les  traits  barbelés  et  les  leviers  de  fer,  qu'ils 
tenaient  à  la  main.  De  toutes  parts  tombaient  les  chevaux 
et  les  premiers  des  éléphants.  Bibhatsou,  de  ses  dards  en 
forme  de  rasoirs,  coupa  individuellement  en  deux  et  en 
trois  6,090—6,091. 

Les  drapeaux,  les  ombrelles,  les  arcs,  les  chasse- 
mouches  et  les  têtes.  Consumant  ton  armée,  comme  un 
incendie,  qui  s'est  élevé  dans  une  forêt  de  bois  sec, 

Le  robuste  Prithide  couvrit  en  très-peu  de  temps  la 
terre  avec  un  lac  de  sang  et  tua  dans  ton  armée  le  plus 
grand  nombre  de  ses  combattants.  6,09*2—6,093. 

Défendu  par  Bhîinaséna  et  le  Sâttwatide,  l'intraitable 
Bibhatsou  au  courage,  qui  jamais  ne  se  démentit,  s'ap- 
procha du  monarque  de  Sindhou.   6,09Zi. 

Il  brillait,  ô  le  plus  grand  des  Bharatides,  tel  qu'un 
feu  allumé.  Quand  ils  le  virent,  enveloppé  de  ce  fortuné 
courage,  les  tiens,  les  plus  éminents  héros  des  hommes, 
ne  purent  supporter  que  Phâlgouna  se  tînt  dans  une  telle 
condition.  Douryodhana,  et  Karna,  et  Vrishaséna,  le  roi 
de  Madra,  6,095—6,096. 

Açwatthâman,  Kripa  et  le  Sindhien  lui-même  d'envi- 
ronner Kirîti  avec  colère,  pour  l'intérêt,  qu'ils  portaient  à 
Djayadratha.  6,097. 

Tous  habiles  dans  les  combats,  ils  entourèrent  Dha- 
nandjaya,  instruit  dans  les  batailles  et  qui  dansait  dans 
les  routes  de  son  char,  au  son  de  la  corde  tirée  de  son  arc. 

Ayant  mis  le  Sindhien  sur  leurs  derrières,  désirant 
tuer  Arjouna  et  l'Impérissable,  ils  formèrent  sans  crainte 
un  cercle  autour  de  lui,  tel  que  la  Mort,  sa  bouche  ou- 
verte.  6,098—6,099. 


Ih  LE  MAHA-BHARATA. 

Aspirant  au  coucher  du  soleil,  à  l'heure  où  l'astre  du 
jour  n'envoie  que  des  rayons  affaiblis,  ils  inclinèrent, 
de  leurs  mains,  semblables  à  des  chaperons  de  serpents, 
les  flèches  aiguës  sur  leurs  arcs;  6,100. 

Et  lancèrent  par  centaines  sur  le  char  de  Phâlgouna 
leurs  dards,  pareils  aux  rayons  du  soleil.  Rirîti,  ivre  de  la 
furie  des  batailles,  trancha  un  par  un  ces  traits  décochés 
en  deux,  en  trois,  en  huit,  et  blessa  chacun  des  archers 
individuellement.  Le  Çaradvatide,  au  drapeau,  qui 
portait  une  queue  de  lion,  sire,  étalant  sa  vigueur,  d'ar- 
rêter Arjouna.  Quand  il  eut  blessé  de  dix  flèches  le 
Prithide,  et  de  sept  le  fils  de  Vasoudéva, 

6,101—6,102—6,103. 

Il  s'arrêta,  couvrant  le  Sindhien  clans  les  routes  de  son 
char;  et  les  plus  vaillants  des  Kourouides,  tous  grands 
héros,  assurément!  brandissant  leurs  arcs  et  décochant 
leurs  flèches,  le  cernèrent  de  toutes  parts  avec  une  grande 
multitude  de  chars.  6,104  —6,105. 

Dociles  à  l'ordre  de  ton  fils,  ils  défendirent  de  tous 
côtés  le  monarque  du  Sindhou.  Alors  on  vit  la  vigueur 
des  bras  de  l'héroïque  fils  de  Prithâ  avec  la  durée  impéris- 
sable de  ses  flèches  et  de  l'arc  Gandîva.  Aussitôt  qu'il  eut 
arrêté  avec  ses  astras  les  astras  du  fils  de  Drona  et  du 
Çaradvatide,  6,106—6,107. 

Il  darda  sur  eux  tous  individuellement  neuf  traits. 
Açwatthâman  le  blessa  de  vingt-cinq  dards,  Vrishaséna 
de  sept,  Douryodhana  de  vingt,  Karna  et  Çalya  de  trois 
chacun.  Lui  adressant  des  reproches,  le  blessant  mainte 
et  mainte  fois,  agitant  leurs  arcs,  ils  l'environnèrent  de 
tous  les  côtés.  Ces  grands  héros,  qui  aspiraient  au  cou- 
cher du  soleil,  firent  à  la  hâte,  autour  de  lui,  rapidement, 


DRONA-PARVA.  75 

un  cercle  fermé  de  toutes  parts.  Rugissant  contre  lui, 
agitant  leurs  arcs,  ils  l'inondèrent  de  leurs  flèches  acé- 
rées, comme  des  nuages  couvrent  une  montagne  de  leurs 
eaux.  Montrant  alors,  sire,  des  astras  grands,  célestes, 
{De  la  stance  6,108  à  la  stance  6,112  inclusivement.) 

Ces  vaillants  guerriers  aux  bras,  tels  que  des  massues, 
implantèrent  leurs  flèches  dans  le  corps  de  Dhanandjaya. 
Dès  que  le  puissant  héros  eut  tué  à  ton  armée  le  plus 
grandnombre  de  ses  combattants,  6,113. 

Intraitable,  au  courage  infaillible,  il  s'approcha  du 
Sindhien;  mais  Karna,  sire,  de  l'arrêter  en  ce  combat 
avec  ses  flèches,  en  dépit  de  Bhîmaséna  et  du  Sâttwatide. 
Le  Prithide  aux  longs  bras  perça  en  échange  avec  dix 
traits  le  fils  du  cocher  sur  le  champ  de  bataille,  aux  yeux 
de  toute  l'armée.  Le  Sâttwatide  blessa  Karna,  vénérable 
monarque,  avec  trois  flèches;  Bhîmaséna  avec  trois  et  le 
Prithide  une  seconde  fois  avec  sept.  L'héroïque  Karna 
leur  envoya  en  échange  à  chacun  d'eux  soixante  dards. 
6,114—6,115—6,116—6,117. 

Ce  combat  de  Karna  avec  plusieurs  fut  admirable,  sire. 
Nous  vîmes  alors,  auguste  roi,  le  fils  du  cocher  accomplir 
un  prodige;  en  effet,  seul  dans  ce  combat,  il  arrêta  avec 
colère  ces  trois  héros.  Phâlgouna  aux  longs  bras  de  blesser 
Karna,  le  fils  du  Soleil,  avec  cent  traits  en  tous  ses  mem- 
bres. Tout  le  corps  inondé  de  sang,  le  resplendissant 
héros,  fils  du  cocher,  rendit  en  échange  cinquante  flè- 
ches à  Phâlgouna.  Quand  celui-ci  vit  dans  le  combat  sa 
légèreté  de  main,  il  ne  put  la  supporter. 

L'héroïque  fils  de  Prithâ,  Dhanandjaya,  d'une  main 
hâtée,  coupa  son  arc  et  le  blessa  lui-même  entre,  les  seins 
avec  neuf  traits.    6,118—6,119—6,120  -6,121—6,122. 


76  LE  MAHA-BHARATA 

*  L'auguste  fils  du  cocher  saisit  un  nouvel  arc  et  couvrit 
de  huit  mille  flèches  le  fils  de  Pândou  (1)  *. 

Plein  de  hâte  en  ce  moment,  où  la  promptitude  était 
nécessaire,  Dhanandjaya  dans  ce  combat  lui  envoya  pour 
la  mort  un  dard,  qui  avait  l'éclat  du  soleil.  0,123. 

Le  Dronide  trancha  la  flèche,  qui  volait  avec  rapidité  : 
et  le  trait,  coupé  par  une  demi-lune  acérée,  tomba  sur  la 
terre.  6,12A. 

L'illustre  fils  du  cocher  saisit  un  nouvel  arc,  et  ense- 
velit le  Pândouide  sous  plusieurs  milliers  de  flèches  (2). 

Le  fils  de  Prithâ  dissipa  avec  ses  traits  l'incomparable 
averse  de  flèches,  élevée  par  l'arc  de  Karna  :  telle  une 
nuée  de  sauterelles  est  dissipée  par  le  vent. 

Montrant  sa  légèreté  de  main,  Arjouna,  aux  yeux  de  tous 
les  combattants,  le  couvrit  de  ses  flèches  dans  le  combat. 

Karna  de  son  côté,  le  meurtrier  des  ennemis,  ensevelit 
Phâlgouna  sous  les  nombreux  milliers  des  siennes,  par  le 
désir  de  faire  les  représailles  des  coups,  qui  lui  étaient 
portés.  6,125—6,126—6,127—6,128. 

Ces  deux  grands  héros,  lions  des  hommes,  tels  que 
deux  taureaux  mugissants,  remplirent  l'atmosphère  de 
leurs  flèches  au  vol  droit.   6,129. 

Se  rendant  l'un  l'autre  invisibles  par  leurs  multitudes 
de  traits  et  se  frappant  de  coups  mutuels  :  «  Je  suis  le  Pri- 
thide,  disait  celui-ci  ;  arrête  !  »  —  «Je  suis  Karna,  s'écriait 
celui-là;  arrête,  Phâlgouna!  »   6,130. 

(1)  Nous  empruntons  cette  stance,  marquée  par  les  deux  étoiles,  au 
texte  de  Bombay  :  il  y  a  ici  une  petite,  lacune  ou  plutôt  une  transposition, 
peu  judicieuse,  dans  l'édition  de  Calcutta.  11  manque  ici  la  réaction  indis- 
pensable de  Karna,   sa  riposte  au  coup  d'Arjouna. 

(2)  Ici  est  transposée  la  stance,  que  nous  avons  donnée  plus  haut  j 
mais  elle  n'est  pas  moins  nécessaire  ici. 


DRONA-PARVA.  77 

Se  menaçant  ainsi,  les  deux  héros  se  blessaient  avec  les 
flèches  de  leurs  voix  :  ils  se  livraient  un  combat  avec  va- 
riété, légèreté  et  d'une  manière  convenable.  6,131. 

Ils  étaient  admirables  dans  ce  rassemblement  de  tous 
les  guerriers;  ils  étaient  comblés  d'éloges  dans  cette 
bataille  par  les  Siddhas,  les  Tchâranas  étales  Vents. 

Ils  combattirent,  grand  roi,  avec  le  désir  de  se  donner 
la  mort  l'un  à  l'autre.  Ensuite,  Douryodhâna ,  sire, 
adressa  aux  tiens  ces  paroles  :  6,132—6,133. 

«  Sauvez  Râdhéya  de  tous  vos  efforts  ;  il  ne  sortira 
point  du  combat,  qu'il  n'ait  tué  Arjouna  :  c'est  ce  que 
Vrisha  m'a  dit.  »   6,134. 

Sur  ces  entrefaites,  le  guerrier  aux  blancs  coursiers, 
ayant  vu  la  valeur  de  Karna,  fit  descendre  au  inonde  de 
la  mort  ses  quatre  chevaux  avec  quatre  flèches  tirées 
jusqu'à  l'oreille;  et,  d'un  bhalla,  il  enleva  son  cocher  au 
siège  du  char.  6,135—6,136. 

Il  couvrit  de  traits  l'Adhirathide^aux  regards  de  ton 
fils.  Enseveli  sous  les  dards,  ses  chevaux  tués,  son  cocher 
immolé,  hors  de  lui-même  par  la  multitude  des  flèches, 
Karna  n'arrivait  point  à  trouver  quelle  chose  il  avait  à 
faire.  Quand  il  le  vit  ainsi  réduit  à  pied,  Açvatthàman  le 
fit  alors,  puissant  roi,  monter  sur  un  char,  et  Râdhéya 
combattit  de  nouveau  Arjouna.  Le  souverain  du  Madra 
blessa  de  trente  dards  le  fils  de  Kountî. 

6,137—6,138—6,139. 

Le  Çaradvatide  en  darda  vingt  sur  le  fils  de  Vasoudéva 
et  frappa  de  douze  flèches  Dhanandjaya.  6,140. 

Le  roi  du  Sindhou  lui  envoya  quatre  projectiles  et 
Vrishaséna  sept  traits.  Karna  et  le  Prithide  de  se  blesser 
chacun  individuellement.  6,1/il. 


78  LE  MAHA-BHAR\T\. 

Le  fils  de  Kountî,  Dhanandjaya,  les  perça  en  retour,  le 
iils  de  Drona  avec  cinquante-quatre  flèches,  le  souverain 
du  Madra  avec  dix,  6,162. 

Le  Sindhien  avec  dix  bhallas ,  Vrishaséna  de  trois 
dards;  et,  quand  il  eut  blessé  le  Çaradvatide  avec  une 
vingtaine  de  traits,  le  fils  de  Prithâ  jeta  dans  l'air  un  cri 
élevé.  6.143. 

Désirant  détourner  la  promesse  de  l'Ambidextre,  les 
tiens  avec  colère  accoururent  d'une  course  précipitée  vers 
Dhanandjaya.  6,144. 

Arjouna,  inspirant  la  terreur  aux  Dhritarâshtrides,  de 
manifester  l'astra  de  Varouna.  Les  Kourouides  se  por- 
tèrent à  la  rencontre  du  fils  de  Pândou  avec  des  chars  de 
grand  prix,  et  versèrent  des  pluies  de  flèches.  6,145. 

Au  milieu  du  combat,  qui  s'était  élevé,  bien  épouvan- 
table et  qui  remplissait  de  stupéfaction,  le  guerrier,  qui 
porte  une  guirlande  sur  sa  tiare,  versant  la  pluie  de  ses 
flèches,  ne  perdit  pas  l'esprit,  quand  il  fut  arrivé  près  de 
Douryodhana,  le  fils  du  roi.  6,146. 

Voulant  reconquérir  son  royaume,  le  magnanime  Am- 
bidextre, hors  de  toute  mesure,  se  rappelant  les  vexations 
des  Kourouides,  qui  avaient  duré  douze  années,  remplit 
toutes  les  plages  du  ciel  avec  les  traits  décochés  par  l'arc 
Gândîva.  6,147.  <% 

L'atmosphère  n'était  qu'un  météore  de  feu  embrasé; 
les  oiseaux  s'abattaient  sur  les  corps  par  milliers  ;  car  le 
guerrier  à  la  tiare  ornée  d'une  guirlande  semblait 
écraser  les  ennemis  avec  l'arc  Adjagava,  docile  au  Dieu 
Çiva.  6,148. 

Kirîti,  le  vainqueur  des  armées,  décochant  ses  traits 
avec  son   grand  arc,  fit  mordre  la  poussière  aux  plus 


DRONA-PARVA.  7& 

grands  héros  des  Kourouides,  aux  attelages,  aux  élé- 
phants, aux  chefs,  aux  coursiers  venus  dans  le  combat. 

S' étant  armés  de  lourdes  massues,  de  pilons  en  fer 
massif,  d'épées,  de  lances,  de  puissants  astras,  les  mo- 
narques de  la  terre,  effrayants  à  voir,  fondirent  à  l'ins- 
tant sur  le  fils  de  Prithâ  dans  la  bataille.    6,lZi9 — 6,150. 

Mais,  poussant  un  vaste  éclat  de  rire,  tirant  avec  ses 
bras  son  immense  Gândiva,  pareil  à  l'arc  de  Mahéndra, 
au  son,  qui  égalait  le  bruit  des  nuages  à  la  fin  d'un  youga, 
il  s'avança,  consumant  les  tiens  et  accroissant  l'empire 
d'Yama.  6,151. 

Il  envoya  les  archers  d'un  rang  élevé,  qui  avaient  toutes 
leurs  armes  et  leur  vie  même  brisées  dans  ce  combat, 
augmenter  les  royaumes  de  la  mort  avec  leurs  chars, 
avec  leurs  éléphants,  avec  leurs  troupes  de  fantas- 
sins. 6, 4  52. 

Dès  qu'elle  eut  ouï  le  bruit,  éclatant,  bien  épouvan- 
table, retentissant  de  cet  arc  tiré  par  Dhanandjaya,  bruit 
semblable  au  fracas  du  tonnerre  de  Çakra  et  tel  que  celui 
de  la  mort,  à  la  fin  d'un  youga,  6,153. 

Ton  armée,  sire,  agitée,  troublée  par  la  terreur,  était 
comme  les  eaux  d'une  mer  aux  makaras,  aux  poissons  mou- 
rants, aux  flots  d'une  onde  vacillante,  émue  par  le  vent  à 
la  fin  d'une  destruction  du  monde.  Le  fils  de  Prithâ,  Dha- 
nandjaya, admirable  à  voir,  se  promenait  dans  la  ba- 
taille, 6,154— 6,155. 

Montrant  à  la  fois  des  astras  admirables  dans  toutes  les 
plages  du  ciel.  Nous  ne  vîmes  pas  le  fils  de  PÂndou,  — 
telle  était  sa  légèreté!  —  prendre  ses  flèches  au  carquois, 
les  encocher,  grand  roi,  tirer  son  arc  et  décocher  les  traits. 
Courroucé,  le  héros  aux  longs  bras,  inspirant  la  terreur 


80  LEMAHA-BHARATA. 

à  tous  les  Bharathides,  manifesta  l'astra  invincible  d'In- 
dra. Ensuite  apparurent,  par  centaines  et  par  milliers, 
des  flèches  enflammées,  à  la  pointe  de  feu,  charmées  par 
des  astras  célestes.  Lancées  d'un  arc  tiré  jusqu'à  l'oreille, 
pareilles  au  feu,  semblables  aux  rayons  du  soleil,  ces 
flèches  remplissaient  l'atmosphère,  comme  des  météores 
enflammés,  et  rendaient  la  vue  du  ciel  extrêmement  dif- 
ficile à  soutenir.  Le  Pândouide,  étalant  son  courage,  dis- 
sipa avec  ses  dards,  enchantés  par  des  astras  divins,  les 
ténèbres,  soulevées  par  les  traits  des  Kourouides,  obscu- 
rité, pour  ainsi  dire,  semée  à  la  ronde,  impossible  à  con- 
cevoir par  d'autres  avec  l'imagination  seulement.  (De  la 
stance  6,156  à  la  stance  6,162  exclusivement.) 

Tel,  au  commencement  du  jour,  le  soleil  a  bientôt  dé- 
truit par  ses  rayons  les  ténèbres  de  la  nuit.  L'auguste 
dispersa  ton  armée  de  ses  flèches,  comme  le  soleil  d'été 
par  ses  rayons  enflammés  dissipe  les  brouillards  des  ma- 
rais (1).  Les  rayons  des  flèches,  envoyées  par  ce  guerrier, 
qui  avait  la  science  des  astras  célestes,  inondèrent  l'armée 
des  ennemis,  comme  les  rayons  du  soleil  remplissent  le 
inonde.  Décochés  par  lui,  ses  traits  ennemis,  à  la  splen- 
deur brûlante,  d'entrer  rapidement  dans  les  cœurs  des 
héros,  comme  pour  faire  un  plaisir  à  son  frère.  Tes  guerriers 
à  l'héroïque  fierté  se  portèrent  contre  lui  dans  le  combat  : 
6,162—6,163—6,164—6,165. 

De  même  des  sauterelles  courent  à  leur  perte,  attirées 
par  un  feu  embrasé.  Ainsi,  broyant  les  vies  et  les  espé- 
rances des  ennemis,  6,166. 

Le  fils  de  Prithâ  circulait  dans  la  bataille  comme  la 

(1)  Palvalânboûni,  texte  de  Bombay. 


DRONA-PARVA.  81 

mort  incarnée.  Ses  flèches  enlevaient  aux  ennemis  les  têtes 
avec  leurs  tiares,  les  grands  bras  avec  leurs  bracelets, 
les  oreilles  ornées  de  leurs  pendeloques.  Le  fils  de  Pândou 
tranchait  les  bras  des  cavaliers  sur  des  éléphants  avec 
leurs  piques,  des  cavaliers  sur  des  chevaux  avec  leurs 
traits  barbelés,  des  fantassins  avec  leurs  boucliers,  des 
maîtres  de  chars  avec  leurs  arcs,  et  des  cochers  avec 
leurs  aiguillons.   6,167—6,168  -6,169. 

Armé  de  ses  flèches  à  la  pointe  embrasée,  Dhanan- 
djaya  brillait  alors  comme  le  soleil  ou  comme  le  feu  flam- 
boyant, dont  l'extrémité  de  la  flamme  jette  des  étin- 
celles. 6,170. 

Les  princes  à  la  fois  ne  purent  même,  en  dépit  de  leurs 
efforts,  fixer  un  regard  en  tous  les  points  de  l'espace  sur 
Dhanandjaya  admirable  à  voir,  monté  sur  son  char,  le  meil- 
leur de  tous  ceux,  qui  manient  les  flèches,  le  plus  vaillant 
des  mortels,  disséminant  de  puissants  astras,  dansant 
dans  les  routes  de  sa  voiture  de  guerre,  faisant  résonner 
à  la  surface  le  nerf  de  son  arc,  et  semblable  au  monarque 
des  Dieux  :  tel,  au  milieu  du  ciel,  le  soleil,  qui  échauffe, 
parvenu  à  la  moitié  du  jour.   6,171—6,172—6,173. 

Rirîti,  qui  porte  des  flèches  à  la  pointe  enflammée, 
brillait,  comme  un  nuage,  où  se  peint  l'arc  d'Indra  et  qui 
a  tari  dans  les  pluies  la  masse  de  ses  eaux.  6,17Z|. 

Les  plus  nobles  combattants  furent  engloutis  dans 
cette  inondation  de  puissants  astras,  qu'avait  répandus 
Djishnou,  déluge,  d'une  grande  épouvante  et  difficile  à 
traverser.  6,175. 

Au  milieu  de  ces  corps  aux  bras  coupés,  de  ces  guer- 
riers aux  visages  mutilés,  de  ces  bras  séparés  de  leurs 
mains,  de  ces  mains  veuves  de  leurs  doigts,  6,176. 
ix  6 


82  LE  MAHA-BHARATA. 

De  ces  éléphants,  furieux  d'ivresse,  le  bout  de  leurs 
trompes  abattu,  l'extrémité  de  leurs  défenses  cassée,  de 
ces  chars  mis  en  pièces,  de  ces  chevaux  privés  de  leur 
encolure,  6,177. 

Les  uns  avec  les  entrailles  répandues,  ceux-là  avec  les 
jambes  coupées,  ceux-ci  avec  les  articulations  tranchées, 
palpitants,  se  convulsant,  par  centaines  et  par  mil- 
liers, 6,178. 

Nous  vîmes,  souverain  de  la  terre,  cette  grande  arme 
du  fils  de  Prithâ,  qui  accroissait  la  terreur  des  gens 
timides  et  qui  se  jouait  à  porter  les  coups  de  la  mort  : 

Tel  ce  divertissement  de  Roudra,  quand  jadis  il  tuait 
les  bestiaux.  La  terre  semblait  couverte  de  serpents  à 
cause  des  trompes  de  proboscidiens,  tranchées  par  la 
flèche  en  rasoir.  6,179 — 6,180. 

Çà  et  là,  elle  brillait,  comme  sous  des  bouquets  de 
(leurs,  jonchée  du  lotus  des  visages,  des  diadèmes  et  des 
turbans  variés,  des  colliers,  des  bracelets  et  des  pende- 
loques. 6,181. 

Elle  était  semée  çà  et  là  de  cuirasses  d'or,  admirable- 
ment travaillées,  et  de  bhândas  (1)  pour  orner  la  poi- 
trine des  coursiers  et  des  éléphants;  elle  était  couverte 
par  des  centaines  de  tiares.  6,18*2. 

Telle  qu'une  nouvelle  épouse,  la  terre  resplendissait 
d'une  éclatante  richesse.  Baignée  d'un  fleuve,  qui 
roulait  des  flots  de  sang,  sur  un  limon  de  graisse  et  de 
moelles,  6,183. 

Profond  d'os  et  de  membres,  ayant  pour  jeune  gazon  les 
vallisnéries  des  chevelures,  pour  rochers  de  ses  rivages 

(1)  Ornement  autour  du  cou  et  du  poitrail  d'un  cheval  ou  d'un  éléphant. 


DRONA-PARVA.  83 

des  bras  et  des  têtes,  encombré  d'ossements  et  de  plas- 
trons d'or  ;  6,18/i. 

Riche  de  drapeaux  et  d'étendards  variés,  enguir- 
landé, comme  de  flots,  par  des  arcs  et  des  ombrelles, 
rempli  de  grands  corps,  privés  de  la  vie,  et  de  cadavres 
des  éléphants;  6,185. 

Ayant  des  chars  pour  ses  nacelles,  des  multitudes  de 
chevaux  pour  ses  rivages,  offrant  aux  pas  une  marche  dif- 
ficile par  les  timons,  les  débris  de  chars,  les  brancards, 
les  attelages,  les  roues  et  les  voitures  brisées;  6,186. 

Inaccessible  par  des  flèches,  des  haches,  des  lances, 
des  épées,  des  traits  barbelés,  comme  par  des  serpents, 
furieux  par  des  chacals  en  guise  de  makaras,  des  corneilles 
et  des  ardées  au  lieu  de  grands  crocodiles;  6,187. 

Infiniment  terrible  par  ses  chacals  et  ses  féroces  vau- 
tours pour  énormes  requins,  hantée  par  des  centaines  de 
Bhoûtas,  des  Piçâtchas,  des  Mânes  et  d'autres,  qui  trépi- 
gnaient de  joie;  6,188. 

Il  fit  couler  ce  fleuve  horrible,  effrayant,  accroissant 
la  terreur  des  hommes  timides,  semblable  à  la  Vaitaranî, 
que  versait  une  armée  aux  centaines  de  corps,  privés  de 
la  vie,  ou  de  guerriers  se  convulsant  au  milieu  de  l'agonie. 
Quand  ils  virent  la  valeur  de  ce  héros,  qui  avait  comme 
les  formes  de  la  mort,  6,189—6,190. 

Un  effroi,  qu'on  n'avait  pas  eu  avant,  courut  au  milieu 
des  Kourouides  sur  le  champ  de  bataille.  Le  Pândouide 
reçut  avec  ses  astras  les  astras  des  héros  ennemis,  et, 
placé  dans  une  œuvre  terrible,  il  apparut  terrible  lui- 
même.  Arjouna,  sire,  de  s'avancer  alors  vers  les  plus 
vaillants  des  héros.  6,191—6,192. 

Tous  les  êtres  ne  pouvaient  fixer  un  regard  sur  le  Pân- 


84  LE  MAHA-BHARATA. 

douide,  comme  sur  le  soleil  ardent,  parvenu  dans  le  ciel 
au  milieu  du  jour.   6,193. 

Nous  vîmes  les  multitudes  des  flèches  de  ce  magna- 
nime, lancées  dans  le  combat  par  son  Gândîva,  telles 
que,  dans  l'atmosphère,  des  rangées  de  cygnes.   6,19/j. 

Placé  dans  une  œuvre  terrible  et  se  montrant  terrible 
lui-même,  il  arrêta  par  ses  astras  les  astras  des  héros  en- 
nemis (1).   6,195. 

Arjouna,  par  le  désir  de  parvenir  à  la  mort  de  Djayad- 
ratha,  les  fascinant  de  ses  nârâtchas,  arrêta  alors,  sire, 
les  plus  vaillants  des  héros.   6,196. 

Dhanandjaya  avec  son  cocher  de  couleur  azurée  se  pro- 
menait, admirable  à  voir,  au  milieu  du  combat,  décochant 
des  traits  dans  tous  les  points  de  l'espace.  6,197. 

On  voyait,  se  tenant  dans  l'atmosphère,  par  centaines 
et  par  milliers,  comme  le  disque  du  soleil,  les  multitudes 
des  flèches  du  magnanime.  6,198. 

Nous  ne  vîmes  pas  alors  cet  héroïque  Pân douide  prendre 
ses  dards  au  carquois,  ni  les  coucher  sur  l'arc,  ni  les  dé- 
cocher.  6,199. 

Après  que  le  fils  de  Kountî  eut  jeté  en  ce  combat  le 
trouble  dans  tous  les  points  de  l'espace  et  parmi  tous  les 
maîtres  de  chars,  il  courut  sur  Djayadratha,  6,200. 

Et  le  frappa  de  soixante-quatre  flèches  aux  nœuds  in-' 
clinés.  Aussitôt  que  les  guerriers  l'eurent  vu  s'avancer 
en  face  du  Sindhien,  6,201. 

Ces  héros  cessèrent  le  combat,  ayant  perdu  toute  espé- 
rance pour  sa  vie.  De  tout  homme,  qui,  dans  cette  bataille 
sanglante,  courut  sur  le  Pândouide,  sa  flèche,  destructive 

(1)  Cette  stance  et  une  partie  de  la  suivante  ont  déjà  été  vues  plus  haut. 


DRONA-PARVA.  85 

de  la  vie,  se  plongea  dans  le  corps.  Le  grand  héros  Ar- 
jouna,  le  plus  grand  des  victorieux,  couvrit  ton  armée  de 
troncs  mutilés  par  ses  flèches,  semblables  au  feu.  Ainsi, 
quand  alors  ton  armée  en  quatre  corps,  Indra  des  rois, 

6,202— 6,203— 6,204. 

Eut  été  mise  dans  la  confusion  par  Arjouna,  il  fondit 
sur  Djayadratha.  Il  perça  le  Dronide  avec  cinquante  dards, 
Vrishaséna  avec  trois  flèches.   6,205. 

Touché  de  compassion  (1),  il  fatigua  Kripa  (2)  de  neuf 
traits,  Çalya  de  seize  et  Karna  de  trente-deux  projec- 
tiles.  6,206. 

Dès  qu'il  eut  frappé  le'Sindhien  de  soixante-quatre 
flèches,  il  rugit  comme  un  lion.  Or,  le  roi  du  Sindhou 
alors,  blessé  des  traits,  lancés  par  l'arc  Gândîva,  ne  put 
dans  sa  colère  supporter  ce  traitement,  comme  un  élé- 
phant, battu  par  le  croc  acéré.  Le  héros,  qui  porte  un 
sanglier  dans  le  champ  de  son  drapeau,  envoya  rapide- 
ment sur  le  char  de  Phâlgouna  des  flèches  au  vol  droit, 
fourbies  par  l'art  de  l'ouvrier,  parties  d'un  arc  tiré  jusqu'à 
l'oreille  et  semblables  à  des  serpents  irrités  (3). 

6,207—0,208—6  209. 

Quand  il  eut  blessé  Govinda  de  trois,  Arjouna  de  six, 
il  frappa  ses  chevaux  de  huit  traits  et  son  drapeau  d'une 
seule  flèche.  6,210. 

Mais,  ayant  lancé  des  traits  aigus  adressés  au  Sindhien, 
Arjouna  avec  deux  flèches  trancha  à  la  fois  la  tête  du 
corps  de  son  cocher  et  son  drapeau  richement  orné. 
Atteint  par  le  trait,  brisé,  son  immense  hampe  coupée, 


(1-2)  Kripâyamâ?iakripam,  encore  un  jeu  de  mots! 
(3)  Krouddhàçivishasankâsdm,  teite  de  Bombay. 


86  LE  MAHA-BHARATA. 

Le  sanglier  du  roi  de  Sindhou  tomba,  semblable  à  la 
flamme  du  feu.  Dans  cet  instant  même,  où  le  soleil  des- 
cendait rapidement,  6,211—6,212—6,213. 

Djanârddana,  précipitant  ses  mots,  adressa  alors  ces 
paroles  au  fils  de  Pândou  :  «  Voilà  le  Sindhien,  que  six 
vaillants  guerriers,  tous  fameux  héros,  ont  placé  au  milieu 
d'eux.  6,214. 

»  Il  s'y  tient,  guerrier  aux  longs  bras,  tremblant  et 
désirant  sauver  sa  vie.  Si  tu  ne  commençais,  taureau  des 
hommes,  par  vaincre  ces  six  héros,  6,215. 

»  Il  serait  impossible  que  tu  triomphasses  du  Sindhien. 
Ainsi  donc,  Arjouna,  je  vais  s^ns  fraude  (5)  disposer  mon 
yoga  de  telle  sorte  que  le  soleil  en  soit  couvert.   6,216. 

«Il  est  descendu  à  son  couchant!  »  dira-t-il.  Alors, 
transporté  de  joie,  ce  prince  aux  mauvaises  mœurs,  qui 
désire  la  vie,  ne  veillera  plus  d'aucune  manière  sur  lui- 
même  pour  te  donner  la  mort.  Là,  il  te  faut  saisir, 
ô  le  plus  vaillant  des  Rourouides,  un  défaut  dans  sa 
garde.  6,217—6,218. 

»  Tu  dois  surtout  éviter  toute  négligence,  car  le  soleil 
marche  à  son  couchant,  »  Il  dit.  u  Qu'il  en  soit  donc 
ainsi  !  »  répondit  Bibhatsou  à  Kéçava.  6,219. 

Ensuite,  l'ascète  Hari-Rrishna,  le  seigneur  des  Yogîs, 
absorbé  dans  l'yoga,  répandit  l'obscurité  sur  le  disque  du 
soleil.   6,220. 

A  ces  ténèbres,  qu'il  avait  créées  :  «  L'auteur  de  la  lu- 
mière est  descendu  au  mont  Asta!  »  s'écrièrent  les  tiens, 
souverain  des  hommes,  enchantés  de  la  mort  espérée  du 
Prithide.  6,221. 

(i)  Yatoumrvyâdjam ,  texte  de  Bombay. 


DRONA-PARVA.  87 

Les  guerriers  joyeux  ne  voyaient  plus  le  soleil  dans  le 
combat  :  le  roi  Djayadratha,  levant  alors  son  visage  et 
tourné  vers  la  cause  du  jour,  ce  monarque  du  Sindhou  ne 
put  apercevoir  le  soleil.  Krishna,  adressant  de  nouveau  la 
parole  à  Dhanandjaya,  dit  ces  mots  :  6,222 — (5,223. 

«Vois  l'héroïque  souverain  du  Sindhou,  qui  regarde 
l'astre,  auteur  de  la  lumière  !  Il  a  secoué  la  crainte,  que 
tu  lui  inspires,  ô  le  plus  vaillant  des  Bharatides.  6,22û. 

»  Voici  le  moment  pour  la  mort  de  ce  prince  vicieux  ! 
Tranche-lui  promptementlatête,  guerrier  aux  longs  bras, 
fais  rendre  son  fruit  à  ta  promesse.  »   6,225. 

A  ces  mots  de  Réçava,  l'auguste  fils  de  Pândou  immola 
ton  armée  de  ses  flèches,  pareilles  au  feu  ou  semblables 
au  soleil.  6,226. 

Il  blessa  Kripa  de  vingt  traits  et  Karna  de  cinquante  : 
il  frappa  Çalya  et  Douryodhana  de  six  dards  individuel- 
lement, Vrishaséna  de  huit  et  le  Sindhien  lui-même  de 
soixante.  Quand  le  Pândouide  aux  longs  bras,  sire,  eut, 
de  ses  flèches,  bless';  grièvement  les  tiens,  il  courut  sur 
Djayadratha.  Dès  qu'ils  le  virent  près  d'eux,  tel  qu'un 
feu,  armé  de  ses  langues  flamboyantes  (1), 

6,227—6,228—6,229. 

Les  défenseurs  de  Djayadratha  tombèrent  dans  la  plus 
grande  incertitude.  Alors,  tous  les  guerriers  de  ta  puis- 
sante majesté,  désirant  la  victoire,  inondèrent  dans  ce 
combat  le  Pâkaçâsanide  des  averses  de  leurs  flèches.  En- 
seveli sous  plusieurs  multitudes  de  traits,  le  filsdeKountî 

6,230—6,231. 

Aux  longs  bras,  le  rejeton  invaincu  de  Kourou  s'en 

(i)  Littéralement  :  comme  un  feu,  qui  lèche. 


88  LE  MAHA-BHARATA. 

irrita.  Ce  tigre  des  hommes,  aspirant  à  tuer  ton  armée, 
déploya  sur  elle  un  épouvantable  filet  aux  mailles  de 
flèches.  Frappés  par  ce  héros  dans  la  bataille,  tes  com- 
battants, sire,  6,232—6,233. 

Abandonnèrent,  pleins  d'effroi,  le  monarque  du  Sin- 
dhou.  Deux  ne  fuyaient  pas  ensemble.  Nous  vîmes  alors 
le  prodigieux  courage  du  fils  de  Kountî.   6,23Zi. 

Il  n'y  a  et  il  n'y  eut  jamais  rien  d'égal  à  ce  que  fit  ce 
prince  à  la  haute  renommée.  Tel  que  Roudra  jadis  exter- 
mina les  bestiaux,  tel  il  tua  les  éléphants  à  côté  des  élé- 
phants, les  chevaux  près  des  chevaux  et  les  cochers  eux- 
mêmes.  Je  ne  vis  personne  dans  le  combat,  souverain  des 
hommes,  qui  ne  fût  blessé  des  flèches  du  Prithide,  ni  un 
homme,  ni  un  coursier,  ni  un  éléphant.  Les  yeux  enve- 
loppés de  poussière  et  d'obscurité,  les  combattants 

6,235—6,236—6,237. 

Tombèrent  dans  un  abattement  d'esprit  effroyable;  ils 
ne  se  distinguaient  pas  les  uns  les  autres.  Les  guerriers, 
poussés  par  la  mort  et  les  membres  percés  des  traits, 

Tournaient  sur  eux-mêmes,  Bharatide,  vacillaient, 
tombaient,  s'évanouissaient,  expiraient.  Tandis  que  s'agi- 
tait cette  bataille  grande,  bien  épouvantable,  semée  d'une 
froide  terreur,  à  laquelle  il  était  difficile  d'échapper,  et 
telle  que  la  destruction  des  créatures,  la  poussière  de  la 
terre  se  calma  sur  la  surface  du  sol,  arrosé  de  sang,  grâce 
à  ses  flots  répandus  et  à  la  rapidité  du  vent.  Les  roues 
des  chars  étaient  plongées  dans  le  sang  jusqu'aux  moyeux. 
6,238— 6,239— 6,2ZiO-6,2/jl. 

Ivres  (1),  rapides,  leurs  cavaliers  tués,  leurs  membres 

(1)  Mattâs,  texte  de  Bombay. 


DRONA-PARVA.  89 

déchirés  par  milliers,  les  éléphants  des  tiens,  sire,  écra- 
saient leurs  armées  sur  le  champ  de  bataille  et  fuyaient, 
poussant  des  cris  de  détresse.  Les  chevaux,  leurs  hommes 
de  selle  immolés,  et  les  fantassins,  monarque  des  hommes, 

6,242— 6,243. 

Couraient,  talonnés  par  la  peur,  sire,  blessés  des  flè- 
ches de  Dhanandjaya.  Les  cheveux  épars,  sans  cuirasse, 
versant  leur  sang  par  des  blessures,  6,244. 

Les  hommes  fuyaient,  épouvantés,  ayant  abandonné  la 
tête  de  la  bataille.  Quelques-uns  étaient  là,  se  tenant  sur 
la  terre  par  les  enlacements  des  cuisses  :  6,245. 

D'autres  tombaient  au  milieu  des  éléphants  tués.  C'est 
ainsi  que  Dhanandjaya,  sire,  avait  mis  en  déroute  ton 
armée.   6,246. 

11  immola  de  ses  flèches  effroyables  les  gardes  du  roi 
de  Sindhou  ;  il  couvrit  d'un  rézeau  de  traits  acérés  Karna, 
le  Dronicle,  Kripa,  Çalya,  Vrishaséna  et  Souyodhana.  On 
ne  voyait  Arjouna,  à  cause  de  la  rapidité  de  ses  mouve- 
ments (1),  ni  prendre  ses  flèches  au  carquois,  ni  les  jeter, 
ni  les  tirer,  ni  les  encocher  dans  le  combat.  Sans  cesse 
lançant  des  flèches,  son  arc  paraissait  toujours  arrondi 
en  cercle.   6,247— 6,248— 6,249. 

Ses  dards  se  montraient  disséminés  de  tous  les  côtés. 
Dès  qu'il  eut  tranché  l'arc  de  Karna  et  celui  même  de 
Vrishaséna,  6,250. 

Arjouna,  le  plus  vaillant  des  victorieux,  enleva  d'un 
bhalla  le  cocher  de  Çalya  au  siège  de  son  char.  Après 
qu'il  eut  grièvement  blessé  de  ses  traits  dans  ce  combat 
l'oncle  et  le  neveu,   Açvatthâman  et    le  Çaradvatide  ; 

(i)  Littéralement  :  de  ses  traits. 


90  LE  MAHA-BHARATA. 

quand  il  eut  ainsi  jeté  le  trouble  parmi  les  grands  héros 
des  tiens,  6,251—6,252. 

Le  fils  de  Pândou  leva  une  flèche  épouvantable,  pareille 
au  feu,  d'une  ressemblance  égale  à  la  foudre  d'Indra  et 
charmée  par  un  astra  céleste,  6,253. 

Capable  de  supporter  toute  charge,  éternelle,  grande, 
honorée  de  bouquets  et  de  parfums.  Le  rejeton  de  Kourou 
joignit  avec  elle  l' astra  de  la  foudre,  récité  suivant  la 
règle  donnée.  6,25/i. 

Arjouna  aux  longs  bras  de  l'encocher  sur  le  Gândîva. 
A  peine  ce  trait  à  la  splendeur  flamboyante  fut-il  appliqué 
sur  l'arc,  6,255. 

Il  naquit  dans  l'atmosphère,  seigneur,  un  immense  tu- 
multe, élevé  par  les  Bhoûtas;  et  Djanârddana  d'une  voix 
hâtée  dit  ces  nouvelles  paroles  :  6,256. 

«  Dhanandjaya,  tranche  la  tête  de  ce  Sindhien  vicieux  : 
voici  le  soleil,  qui  veut  se  cacher  derrière  l'Asta,  la  plus 
haute  des  montagnes.  6,257. 

»  Écoute  de  ma  bouche  cette  parole  sur  Djayad- 
ratha.  Son  père  Vriddhakshattra  fut  célèbre  dans  le 
monde.   6,258. 

»  Après  un  long  espace  de  temps,  il  obtint  ici  pour 'son 
fils  le  Sindhien  Djayadratha,  l'homicide  des  ennemis.  Une 
voix,  de  qui  la  cause  était  invisible,  non  formée  d'un 
corps,  et  qui  avait  le  son  du  tambour  des  nuages,  parla 
en  ces  termes  au  souverain  des  hommes  :  «  Ce  fils,  qui 
t'est  donné,  seigneur,  sera  toujours  égal  à  deux  familles 
entre  les  mortels  par  sa  naissance,  le  caractère,  la  placi- 
cidité  de  l'âme  et  les  autres  qualités.  Le  plus  excellent 
des  kshi  tryas  dans  le  monde,  il  sera  toujours  honoré  des 
héros.   6,259—6,260—6,261. 


DRONA-PARVA.  91 

»  Mais  un  ennemi,  considéré  sur  la  terre  comme  le  plus 
éminent  des  guerriers,  lui  tranchera,  dans  sa  colère,  la 
tête  dans  un  combat  avec  lui.  »   6,262. 

»  Quand  la  voix  eut  parlé  ainsi,  vaincu  par  l'amour  de 
son  fils,  le  dompteur  des  ennemis,  le  roi  de  Sindhou, 
ayant  rêvé  long-temps,  dit  à  tous  ses  parents  :  6,263. 

«  La  tête  du  guerrier,  qui  fera  tomber  sur  la  terre  dans 
une  bataille  la  tête  de  mon  fils,  combattant  et  soutenant 
une  immense  charge  dans  sa  lutte,  sera  brisée  en  cent 
morceaux  (1).  11  n'y  a  nul  doute.  »  Après  ces  mots,  il  fit 
asseoir  Djayadratha  sur  le  trône.   6,26/j — 6,265. 

»  Embrassant  les  mortifications  et  les  sacrifices, 
Vriddhakshattra  se  confina  dans  les  forêts  ;  cet  homme 
énergique  y  pratiqua  une  pénitence  effrayante,  incompa- 
rable.  6,266. 

»  Sorti  de  ce  champ  de  bataille,  qui  s'étend  de  tous  les 
côtés,  ô  toi,  de  qui  le  drapeau  est  un  singe,  lorsque  tu 
auras  coupé  dans  un  grand  combat  la  tête  de  Djayad- 
ratha, 6,267. 

»  Et  défait  les  ennemis  par  une  œuvre  merveilleuse  et 
un  astra  céleste,  épouvantable,  fais  tomber  promptement, 
frère  mineur  du  fils  de  Maroute,  la  tête  du  roi  de  Sindhou, 
ornée  de  ses  pendeloques,  sur  le  sein  de  Vriddhakshattra; 
et,  quand  tu  auras  abattu  son  chef  sur  le  sol  de  la  terre, 


(1)  Ceci  n'est  pas  conforme  au  dénouement;  là,  ce  n'est  point  la  tète 
d'Arjouna,  mais  celle  du  père  lui-même,  qui  éclate  en  cent  morceaux.  Il 
y  a  donc  erreur  évidemment  ou  corruption  dans  l'un  et  l'autre  texte. 
N'aurait-il  pas  fallu  dire  ici  :  «Quand  uirguerrier  fera  tomber  sur  mon 
sein  la  tête  de  mon  fils  abattu  sur  la  t  rre,  la  mienne  volera  en  cent 
éclats?  »  Il  nous  appartient  ici,  quoiqu'il  en  soit,  de  recommander  ce 
passage  à  ceux,  qui,  dans  l'Inde,  s'occuperont  dans  un  jour  prochain  de 
rechercher    des    manuscrits  moins  imparfaits. 


92  LE  MAHA-BHARATA. 

»  Alors  ta  tête  éclatera  en  cent  morceaux  ;  il  n'y  a  nul 
doute.  Appuyé  sur  un  astra  céleste,  fais  en  sorte,  ô  le 
plus  vertueux  des  Kourouides,  que  ce  mystère  échappe  à 
la  connaissance  du  roi,  souverain  de  la  terre;  car  il 
n'existe  rien  d'aucune  manière  qu'il  te  soit  impossible 
d'exécuter,  fils  d'Indra,  dans  les  trois  mondes  entiers.  » 
A  peine  eut-il  ouï  ces  paroles,  léchant  les  angles  de  sa 
bouche,  6,278—6/279—6,270—6,271  —6,272. 

Arjouna  saisit  pour  la  mort  du  Sindhien  et  lança  une 
flèche  éternelle,  honorée  de  bouquets  et  de  parfums,  ca- 
pable de  supporter  tous  les  fardeaux,  céleste,  charmée 
par  les  formules  des  prières,  et  dont  l'attouchement  était 
semblable  à  la  foudre  d'Indra.  Égal  au  vol  rapide  du 
faucon,  ce  trait,  envoyé  par  le  Gàndiva,  6,273 — 6,27Zi. 

Ayant  coupé  la  tête  du  monarque  de  Sindhou,  s'en- 
vola dans  les  airs,  emportant  au  milieu  du  ciel  cette 
royale  tête  (1),  que  son  fer  avait  tranchée,  au  désespoir 
de  ses  ennemis,  à  la  joie  de  ses  amis.  Dans  le  temps  que 
le  Pândouide  faisait  du  Sindhien  un  tronc  (2)  décapité  par 
ses  flèches,  6,27/1—6,275. 

Et  qu'il  transportait  (3)  cette  tête  hors  de  tout  l'espace 
du  champ  de  bataille,  dans  ce  même  temps,  le  souverain 
de  la  terre,  Vriddhakshattra,  6,276. 

Ton  énergique  parent,  vénérable  souverain,  adressait 


(1)  Texte  de  Bombay. 

(2)  Les  deux  éditions  portent  kadambakikritija  ;  ce  doit  être  une  faute 
de  copiste,  qui  a  transposé  une  syllabe,  en  altérant  une  lettre.  Le  sens  de- 
mande :  kabandhakîkritya.  Nous  faisons  de  nous-mème  ce  changement,  en 
signalant  cette  mauvaise  leçon  à  l'attention  des  futurs  éditeurs  du  Mahâ- 
Bhârata. 

(3)  Édition  de  Bombay. 


DRONA-PARVA.  9S 

alors  sa  prière  au  soleil  couchant.  Arjouna  fit  tomber 
dans  le  sein  de  ce  monarque  assis  la  tête  du  roi  de  Sindhou 
avec  ses  pendeloques  et  sa  noire  chevelure.  Sa  majesté 
Vriddhakshattra  ne  vit  pas  d'abord  cette  tête,  dompteur 
des  ennemis,  qui  tombait  dans  son  giron  avec  ses  étince- 
lantes  girandoles.  Ensuite,  quand  le  sage  vieillard  eut 
récité  sa  prière  à  voix  basse,  il  se  leva,  et  la  tête  soudain 
tomba  sur  le  sol  de  la  terre  :  à  peine  la  tête  du  fils  de  cet 
Indra  des  hommes  eut-elle  touché  la  terre,  dompteur  des 
ennemis,  celle  du  vieux  monarque  au  même  instant  éclata 
en  cent  morceaux  (1).  Tous  les  Bhoûtas  furent  alors  saisis 
du  plus  profond  étonnement  :  {De  la  stance  6,277  à  ta 
stance  6,283.) 

Ils  exaltèrent  le  Vasoudévide  et  Bîbhatsou  à  la  grande 
vigueur.  Après  que  Kirîti  eut  immolé,  sire,  le  monarque 
du  Sindhou,  6,283. 

L'obscurité  du  ciel  fut  enlevée  par  Krishna.  Tes  fils 
alors,  souverain  de  la  terre,  et  leurs  suivants  reconnurent 
que  c'était  une  illusion,  enfantée  par  le  Vasoudévide. 
C'est  ainsi  que  le  prince  du  Sindhou,  ton  gendre,  sire, 
le  vainqueur  de  huit  armées,  fut  à  son  tour  abattu  par  le 
Prithide  a  la  splendeur  infinie.  Une  fois  qu'ils  eurent  vu 
couché  mort  Djayadratha,  le  monarque  du  Sindhou,  la 
douleur  fit  couler  l'eau  des  yeux  de  tes  fils.  A  la  suite  de 
cette  victoire  du  fils  de  Prithâ,  sire,  Kéçava  aux  longs 
bras  et  Arjouna,  le  fléau  des  ennemis,  remplirent  de  vent 
leurs  conques;  et  Bhîmaséna  lui-même,  portant,  pour 
ainsi  dire,  l'annonce  de  cet  exploit  au  fils  de  Pândou,  cou- 
vrit le  ciel  et  la  terre  avec  un  vaste  cri  de  guerre.  A 

(1)  Relisez,  page  91,  l'observation  mise  en  la  note. 


9h  LE  MAHA-BHARATA. 

cette  immense  clameur  entendue,  "Youdhishthira,  le  fils 
d' Varna,  (De  la  stance  6,28ù  à  la  stance  6,290.) 

Pensa  que  le  magnanime  Phâlgouna  avait  terrassé 
le  monarque  du  Sindhou.  Alors,  il  fit  porter  la  joie  (1) 
à  ses  guerriers  par  les  accords  de  ses  instruments  de  mu- 
sique; 6,290. 

Et  ils  revinrent  au  combat,  impatients  de  tuer  le  Bha- 
radwâdjide.  Une  bataille  épouvantable  de  Drona  avec  les 
Somakas  de  s'élever  au  moment,  où  le  soleil  descendait 
au  mont  Asta.  Les  grands  héros,  après  la  mort  du  roi  de 
Sindhou,  combattirent  de  tous  leurs  efforts,  désirant  im- 
moler le  fils  de  Bharadwâdja.  Quand  ils  eurent  obtenu  la 
victoire  et  tué  le  prince  du  Sindhou,  les  Pândouides 

6,291—6,292—6,293. 

Combattirent,  dans  l'ivresse  de  leur  triomphe,  Drona 
çà  et  là.  Arjouna  lui-même,  victorieux  du  roi  Djayad- 
ratha,  livra  bataille,  sire,  aux  grands  héros,  tes  com- 
battants.  6,29£— 6,295. 

Le  guerrier,  qui  porte  sur  sa  tiare  une  guirlande,  les 
dispersa  tous,  comme  le  roi  des  Immortels  sut  exterminer 
les  ennemis  des  Dieux  ;  et  le  héros  accomplit  sa  promesse 
antécédente,  tel  que  le  soleil,  élevé  sur  l'horizon,  dissipe 
les  ténèbres.  6,296. 

«  Après  que  l'Ambidextre,  s'enquit  Dhritarâshtra,  eut 
décollé  cet  héroïque  Sindhien,  dis-moi,  Sandjaya,  ce  que 
firent  les  miens.  »  6,297. 

Aussitôt  qu'il  vit,  auguste  roi,  le  Prithide  immoler 
dans  ce  combat  le  monarque  du  Sindhou  ,  Kripa ,  le 
Çaradvatide,  tomba  sous  le  pouvoir  de  la  colère. 

(t)  Abhiharsayat,  texte  de  Bombay. 


DRONA-PARVA.  95 

Il  répandit  (1)  sur  le  Pândouide  une  grande  averse 
de  flèches.  Le  Dronide  fondit  sur  Phâlgouna,  le  fils 
de  Prithâ,  monté  sur  son  char  de  guerre.  6,298-6,299. 

Ces  deux  plus  vaillants  héros,  les  meilleurs  des  maîtres 
de  chars,  firent  tomber  de  leurs  deux  chars  des  pluies  de 
flèches  acérées.   6,300. 

Ce  héros  aux  longs  bras,  le  plus  excellent  des  maîtres 
de  chars,  accablé  de  ces  deux  immenses  orages  de  flèches, 
fut  plongé  dans  la  plus  amère  détresse.  6,301. 

Désirant  tuer  son  gourou  et  le  fils  de  son  gourou, 
Dhanandjaya,  le  fils  de  Prithâ,  accomplit  une  noble 
prouesse;  6,302. 

Ayant  arrêté  avec  ses  astras  les  astras  d'Açwatthâman 
et  du  Çaradvatide,  impatient  de  tuer  ces  héros,  il  décocha 
des  traits  d'une  certaine  vitesse.   6,303. 

Lancées  par  Djaya,  ses  flèches  blessaient  profondément; 
et  la  multitude  des  projectiles,  jetait  ces  deux  guerriers 
dans  la  plus  profonde  détresse.  6,304. 

Ensuite,  le  Çaradvatide,  accablé  par  les  flèches  du  fils 
de  Kounti,  s'affaissa  sur  le  banc  de  son  char,  majesté,  et 
tomba  dans  la  défaillance.  6,305. 

Le  cocher,  voyant  son  frère  jeté  dans  le  trouble,  accablé 
par  les  traits  :  «  Il  est  frappé  à  mort!  »  se  dit-il,  et  de  le 
dérober  aux  coups  de  l'ennemi.  6,306. 

Quand  ce  Kripa,  le  Çaradvatide,  eut  été  brisé  clans  la 
guerre,  Açwatthâman  lui-même  s'enfuit  loin  du  Pân- 
douide, au  milieu  des  chars.  6,307. 

Dès  que  le  Prithide,  héros  au  grand  arc,  eut  vu  le 
Çaradvatide,  accablé  de  ses  flèches,  tombé  dans  l'éva- 

(1)  Samavakirat. 


96  LE  MAHA-BHARATA. 

nouissement,  il  donna  des  plaintes  au  sort  de  Kripa. 

Consterné,  la  face  remplie  de  larmes,  il  exhala  ces 
mots  :  «  Le  voici  donc,  ce  guerrier  à  la  grande  science, 
qui  a  dit  au  roi  ces  paroles,  au  moment  où  venait  de 
naître  ce  criminel  Souyodhana,  qui  entraîne  sa  famille  à 
la  mort:  «  Allons!  jetez  dans  l'autre  monde  cet  opprobre 
de  sa  race!  6,308—6,309—6,310—6,311. 

»  Car  il  fera  naître  un  immense  péril  pour  les  princi- 
paux des  Kourouides  !  «  La  voilà  donc  accomplie  la  parole 
de  cet  homme,  organe  de  la  vérité.   6,B12. 

»  A  cause  de  lui,  je  vois  déjà  mon  vieux  gourou  étendu 
sur  un  lit  de  flèches  !  Malheur  au  métier  du  guerrier  ! 
malheur  à  la  force  et  au  courage  !  6,313. 

»  Quel  homme  tel  que  moi  pourrait  nuire  à  un  brahme, 
instituteur  spirituel?  Ce  fils  de  saint  anachorète  est  mon 
âtchârya  et  l'ami  chéri  de  Drona.  6,31/i. 

»  Le  voilà,  qui  gît  sur  le  banc  de  son  char,  accablé  de 
mes  flèches!  Il  souffre  cruellement  de  mes  traits,  lancés 
contre  ma  volonté  !  6,315. 

»  Sur  le  banc  de  ce  chariot  de  guerre,  où  il  rend  le 
dernier  soupir,  il  ferme,  pour  ainsi  dire,  la  voix  aux 
souffles  de  mon  existence.  Atteint  par  mes  flèches  nom- 
breuses, ce  brahme  à  la  grande  lumière,  admirable  à  voir, 
il  est  percé  de  traits,  envoyés  par  moi,  homme,  qui  ai  re- 
noncé aux  dix  vertus!  Son  Destin  m'accable  continuelle- 
ment de  douleur  plus  encore  que  la  mort  de  mon  fils  ! 

6,316—6,317. 

»  Vois,  Krishna,  vois  Kripa  affaissé  sur  le  banc  de  son 
char,  comme  un  corps  privé  de  la  vie.  Les  hommes  émi- 
nents,  qui  donnent  les  présents  désirés  aux  âtchâryas, 
de  qui  ils  ont  reçu  la  science,  passent  au  rang  des  Dieux; 


DRONA-PAHVA.  97 

mais  les  abjects  mortels,  qui  apportent  à  leurs  gourous 
la  mort  en  échange  de  la  science,  qu'ils  ont  aspirée  d'eux, 
ces  méchants  descendent  aux  enfers.  C'est  l'œuvre,  assu- 
rément digne  du  Naraka,  que  j'ai  accomplie,  moi,  qui  ai 
.tué  horriblement  un  Atchârya  dans  son  char  sous  la  pluie 
de  mes  flèches!  Voilà  ce  que  m'a  dit  Kripa,  quand  jadis 
il  me  donnait  un  astra  :  6,317— 6,318— 6,319— 6,320. 

«  Il  ne  faut,  rejeton  de  Kourou,  en  aucune  manière  le 
diriger  contre  ton  gourou.  »  Mais  je  n'ai  pas  obéi  à  cette 
parole  de  mon  vertueux  et  magnanime  instituteur,  moi, 
qui  ai  fait  tomber  sur  lui  une  averse  de  flèches  sur  le 
champ  de  bataille.  Hommage  lui  soit  rendu  à  ce  Gota- 
mide,  bien  honorable,  à  qui  la  fuite  est  inconnue  ! 

»  Honte  à  moi,  Vrishnide,  qui  ai  lancé  mon  trait  sur 
lui!  »  Tandis  que  l'Ambidextre  se  lamentait  ainsi, 
Râdhéya,  à  la  vue  du  Sindhien  immolé,  de  fondre  sur 
lui.  Les  deux  Pântchâlains  et  Sâtyaki  s'élancèrent  à  l'ins- 
tant sur  l'Adhirathide,  qui  accourait  contre  le  char  d'Ar- 
jouna.  Quand  le  fils  de  Prithà  au  grand  char  vit  Râdhéya 
s'approcher,  6,321-6,322—6,323—6,324-6,325. 

Il  dit  en  riant  ces  paroles  au  fils  de  Dévaki  :  «  Voici 
l'Adhirathide,  qui  s'avance  contre  le  char  de  Sâtyaki. 

«  Sans  doute,  il  ne  peut  supporter  la  mort  de  Bhoûri- 
çravas  dans  le  combat!  Pousse  tes  chevaux,  Djanârddana, 
du  côté  par  où  il  vient  !  6,326 — 6,327. 

»  Prenons  garde  que  Vrisha  ne  conduise  le  Sâttwa- 
tide  dans  la  route  du  fils  de  Somadatta  !  »  A  ces  paroles 
de  l'Ambidextre,  Kéçava  aux  longs  bras,  à  la  grande 
splendeur,  lui  répondit  en  ces  mots  opportuns  :  «  Ce 
guerrier  aux  bras  vainqueurs  suffit  seul,  Pândouide,  pour 
le  combat  de  Rarna  ;  6,328 — 6,329. 

jx  7 


98  LE  MAHA-BHARATA. 

»  A  plus  forte  raison,  quand  ce  taureau  des  Sâttwatides 
est  secondé  par  deux  Pântchâlains.  Cette  bataille  avec 
Karna  ne  te  convient  pas,  fils  de  Priihâ.  6,330, 

»  La  force  (1)  de  ce  guerrier  est  semblable  au  météore 
enflammé  :  c'est  pour  toi,  vaillant  meurtrier  des  héros 
ennemis,  qu'elle  est  honorée  et  conservée.  6,331. 

»  Ainsi,  laisse  Karna  s'avancer,  de  quelque  manière 
qu'il  voudra,  du  côté  où  est  le  Sâttwatide.  Je  te  ferai  con- 
naître l'instant  fixé  pour  ce  méchant,  afin  que  tu  abattes 
sur  le  sol  de  la  terre  cet  homme  sous  tes  flèches  acé- 
rées. »   6,332—6,333. 

«  Voyons  donc  la  rencontre  du  Vrishnide  avec  l'hé- 
roïque Karna!  demanda  Dhritarâshtra.  Après  que  Bhoû- 
riçravas  fut  immolé  et  le  roi  du  Sindhou  tué,  6,33A. 

»  Sur  quel  char  est  monté  Sâtyaki,  réduit  alors  sans 
char?  Conte-moi  cela,  Sandjaya,  avec  ce  qui  a  trait  aux 
deux  Pântchâlains,  gardes  des  roues.  »   6,335. 

Eh  bien  !  je  vais  te  raconter,  suivant  les  circonstances, 
cette  grande  bataille,  répondit  Sandjaya.  Disposé  à 
écouter,  sois  immobile  d'attention,  et  maudis  ta  mauvaise 
conduite.  6,336. 

Cette  pensée  vint  jadis,  seigneur,  à  l'esprit  du  Vasou- 
dévide,  que  le  guerrier  au  drapeau  de  la  colonne  victi- 
maire  doit  vaincre  le  héros  Sâtyaki  ;  6,337. 

Car  Djanârddana  connaît  le  passé  et  l'avenir.  *  Ni  les 
hommes,  quels  qu'ils  soient,  ni  les  Rakshasas,  les  Ou- 
ragas  et  les  Yakshas,  ni  les  Gandharvas,  ni  les  Dieux 
mêmes  ne  sont  capables  de  vaincre  les  deux  Krishnas. 
Les  Sindhiens  et  les  Immortels,  sous  la  conduite  du  Pita- 

(1)  Explication  du  commentaire. 


DRONA-PARVA.  99 

mâha,  connaissent  la  puissance  incomparable  de  ces  deux 
héros.  Youyoudhâna,  ayant  donc  fait  venir  son  cocher 
Dârouka,  lui  avait  prescrit  cet  ordre  :  «  Que  mon  char 
soit  préparé  et  attelé!  »  Ainsi  avait  parlé,  sire,  ce  guerrier 
à  la  grande  force.  Dès  qu'il  eut  vu  Sâtyaki  sans  char  et 
Karna  exalté  dans  le  combat,  Mâdhava  remplit  avec  le 
souffle  du  taureau  (1)  sa  conque  au  grand  son  (2)*.  Ayant 
connu  l'ordre  et  entendu  le  son  de  la  conque,  Dârouka 
[De  ta  stance  6,338  à  la  s  lance  6,343.) 

Lui  amena  son  char,  sur  lequel  s'élevait  le  drapeau  de 
Garouda  ;  et  le  petit-fils  de  Çini,  avec  le  consentement  de 
Kéçava,  monta  dans  son  chariot  de  guerre,  semblable  au 
feu  ou  au  soleil  et  conduit  par  Dârouka.  Quand  il  fut 
monté  dans  sa  voiture,  pareil  au  char  des  Immortels, 
attelée  de  Çaîvya,  Sougrîva,  Méghapoushpa  et  Valahâka, 
chevaux  pleins  d'ardeur,  à  la  grande  vitesse,  ornés  de 
médaillons  en  or,  et  qui  allaient  partout  où  ils  voulaient, 

6,343— 6, 344—  6,3/15. 

Il  courut  sur  Râdhéya,  dispersant  des  flèches  nom- 
breuses. Alors  Outtamaâudjas  et  Youdhâmanyou,  les 
deux  gardes  des  roues,  6,346. 

Abandonnant  le  char  de  Dharmarâdja,  s'élancèrent  au- 
devant  de  Râdhéya.  Celui-ci  même,  grand  roi,  déchaîna 
une  averse  de  flèches  ;  6,347. 

Et  fondit,  bouillant  de  colère,  Impérissable,  sur  Çaî- 
néya  dans  la  bataille.  Jamais  on  n'entendit  parler  sur  la 
terre  ou  dans  le  ciel  d'un  combat  semblable,  ni  parmi  les 
Rakshasas,   les  Ouragas  et  les  Yakshas,  ni  parmi  les 

(1)  Arsliabhéna,  texte  de  Bombay. 

(2)  Nous  avons  transposé  les  vers  contenus  entre  ces  deux  étoiles,  suivant 
l'ordre,  où  la  raison  nous  a  paru  les  demander. 


100  LEMAHA-BHARATA. 

Gandharvas,  ni  même  entre  les  Dieux.  Cette  armée,  com- 
posée d'éléphants,  de  chevaux  et  de  chars,  cessa  de  com- 
battre, 6,358— 6,349. 

Et  contempla  d'une  âme  pleine  de  stupéfaction,  Mahâ- 
râdja,  les  prouesses  de  ces  deux  guerriers.  Tous,  ils 
virent  le  combat  plus  qu'humain  de  ces  deux  éminents 
hommes,  sire,  et  l'habileté  à  conduire  un  char  de  Dâ- 
rouka.  Ils  admiraient,  saisis  d'étonnement,  les  allées,  les 
retours,  les  cercles  enveloppés  dans  les  cercles,  et  les  cir- 
convolutions du  cocher  Râçyapide  (1),  monté  sur  le  char. 
Les  Dânavas,  les  Gandharvas  et  les  Dieux,  attirés  sur  la 
voûte  du  ciel,  6,350—6,351—6,352. 

Y  vinrent  contempler,  d'une  âme  pleine  d'attention,  le 
combat  de  Karna  et  de  Çaînéya.  Ces  deux  braves,  Karna, 
semblable  à  un  Immortel,  et  Sâtyaki-Youyoudhâna,  plein 
de  vigueur  dans  la  bataille,  rivalisant  d'audace  pour  la 
cause  de  leurs  amis,  firent  éclater  l'un  sur  l'autre, 
grand  roi,  des  averses  de  flèches.  6,353 — 6,354. 

Ne  pouvant  supporter  la  mort  du  prince  Kourouide  et 
de  Djalasandha,  Karna  d'écraser  le  petit -fils  de  Çini  sous 
les  pluies  de  ses  traits.   6,355. 

Pénétré  de  chagrin,  soupirant  comme  un  grand  ser- 
pent, l'Adhirathide,  irrité  dans  le  combat,  brûlait,  pour 
ainsi  dire,  Çaînéya  de  son  regard  dans  le  combat.  6,356. 

Il  courut  mainte  fois  sur  lui  avec  rapidité,  domp- 
teur des  ennemis  ;  mais  Sâtyaki,  le  regardant  avec  des 
yeux  irrités,  lui  rendit  des  blessures  en  échange  des 
siennes;  6,357. 

Et  l'inonda  avec  une  vaste  grêle  de  traits,  comme  un 

(1)  Dâfouka. 


DRONA-PARVA.  101 

éléphant,  qui  attaque  un  pachyderme  ennemi.  Ces  deux 
tigres  des  hommes,  impétueux  comme  deux  tigres  des 
forêts,  et  d'une  valeur  sans  égale  dans  le  combat,  en 
étant  venus  aux  mains,  se  déchirèrent  mutuellement. 
Ensuite,  le  petit  fils  de  Çini  blessa  mainte  fois  en  tous  ses 
membres  Rarna,  le  vainqueur  '  des  ennemis,  avec  des 
flèches,  toutes  de  fer  massif,  et  il  enleva  son  cocher  au 
siège  du  char  avec  un  bhalla.  (5,358—6,359—6,360. 

Il  tua  de  ses  dards  acérés  les  quatre  chevaux  blancs  ; 
et,  quand  ce  plus  éminent  des  guerriers  eut  tranché  avec 
cent  traits  son  drapeau  en  cent  morceaux,    6,361. 

Il  réduisit  Karna  sans  char  aux  yeux  mêmes  de  ton 
fils.  Alors,  les  tiens  découragés,  sire,  éminent  Bhara- 
tide,  6,362. 

Vrishaséna,  le  fils  de  Karna,  Çalya,  le  roi  de  Madra  et 
le  fils  de  Drona  arrêtèrent  de  tous  les  côtés  Çaînéya.  6,363. 

Partout  régnait  le  trouble;  on  ne  distinguait  plus  rien  : 
au  milieu  de  toutes  les  armées  s'éleva  un  vaste  brouhaha, 
quand  Sàtyaki  eut  mis  à  pied  l'héroïque  fils  du  cocher. 
Karna  lui-même  agité,  sire,  et  couvert  des  flèches  du 
Sâttwatide,  6,364—6,365. 

Monta,  gémissant,  dans  le  char  de  Douryodhana.  Il 
avait  été,  dès  sa  plus  tendre  jeunesse,  honoré  au  rang  de 
ses  amis,  6,366. 

Et  il  avait  gardé  la  promesse,  qu'il  fit  au  temps  où  un 
royaume  lui  fut  donné.  Quand  il  eut  réduit  Karna  sans 
char,  Sâtyaki  prédominant  de  frapper,  sire,  les  héros,  tes 
fils,  cà  la  tète  de  qui  marchait  Douççâsana.  Observant  la 
promesse,  que  Bhîmaséna  et  le  Prithide  avaient  faite 
jadis,   6,367—6,368. 

11  jeta  le  trouble  parmi  ces  guerriers,  réduits  sans  char; 
mais  il  ne  les  priva  pas  de  l'existence.  Vrikaudara  avait 


102  LE  MAHA-BHARATA. 

promis  la  mort  à  tes  fils  ;  mais  le  Prithide,  dans  le  mo- 
ment du  jeu,  avait  juré  la  mort  de  Rarna.  Les  héros,  qui 
recevaient  les  ordres  de  celui-ci,  déployèrent  leurs  efforts 
pour  lui  donner  la  mort;  6,369  —6,370. 

Mais  les  premiers  des  braves  ne  purent  immoler  Sâ- 
tyaki.  Le  Dronide,  Kritavarman  et  les  autres  fameux 
héros,  les  plus  grands  des  kshatryas,  furent  vaincus  cent 
fois  par  son  arc  seul,  qui  désirait  l'autre  monde  et  le 
plaisir  de  Dharmarâdja.   6,371  —6,372. 

Sâtyaki,  égal  en  bravoure  aux  deux  Krishnas,  ce  héron, 
qui  traîne  les  cadavres  des  ennemis,  vainquit  en  riant 
toutes  tes  armées.  6,373. 

Ce  monde  aura  pour  son  vainqueur,  ou  Krishna,  ou  le 
Prithide,  qui  porte  l'arc,  ou  Sâtyaki  ;  mais  on  n'en  voit 
pas  un  quatrième,  ô  le  plus  grand  des  hommes.  6,37Zi. 

«  Monté  sur  le  char  invincible  du  Vasoudévide,  Sâ- 
tyaki a  réduit  Karna  sans  char,  observa  le  roi  Dhrita- 
râshtra.  Associé  à  Dârouka  et  fier  de  la  force  de  ses  bras, 
il  est  égal  au  Vasoudévide  dans  la  guerre.  Est-ce  que 
Sâtyaki  est  remonté  sur  un  autre  char?  6,375 — 6,376. 

»  Je  désire  entendre  cette  chose  :  car  tu  es  un  habile 
narrateur.  Ce  héros  est,  je  pense,  impossible  à  soutenir! 
Raconte-moi  cela,  Sandjaya,  »   6,377. 

Écoute,  sire,  lui  répondit  l'interrogé,  que  ce  cocher  à 
la  haute  sagesse,  le  frère  mineur  de  Dârouka,  lui  amena 
précipitamment  un  autre  char,  construit  suivant  les  règles 
de  l'art,  6,378. 

Possédant  un  timon,  armé  de  fer  et  revêtu  d'or  jusqu'à 
la  valeur  d'un  padma(1),  constellé  par  un  millier  d'étoiles, 


(1)  Dix  milliards. 


DRONA-PARVA.  105 

abrité  sous  des  guidons  et  un  drapeau  à  l'enseigne  du 
lion.   6,379. 

Il  lui  avait  préparé,  dis-je,  un  char,  ayant  le  bruit 
profond  des  nuages,  attelé  de  chevaux  rapides  comme  le 
vent,  et  parés  sur  le  poitrail  de  médaillons  en  or.  6,380. 

Çaînéya,  monté  sur  ce  char,  fondit  sur  ton  armée,  et 
Dârouka  lui-même  du  pas,  qu'il  voulut,  s'avança  vers  le 
Vasoudêvide  Kéçava.  6,381. 

On  fit  même  pour  Karna  un  chariot  sublime,  grand 
roi,  attelé  de  chevaux  de  noble  race,  à  la  rare  vitesse, 
revêtus  d'armures  en  or  varié,  et  blancs  comme  le  lait  de 
la  vache  ou  la  conque,  ombragé  d'un  drapeau,  muni  d'une 
galerie  en  or,  doué  d'un  vexillaire  et  d'un  cocher,  avec 
un  conducteur  habile,  un  appareil  de  guerre  et  toutes 
sortes  de  flèches.  Étant  monté  sur  ce  char,  Karna  fondit 
sur  les  ennemis.  Ici,  j'ai  fini  de  te  raconter  entièrement 
les  choses,  sur  lesquelles  tu  m'interroges. 

6,382—6,383—6,384. 

Écoute  encore  la  haine,  qui  est  enfantée  par  ton  ab- 
sence de  politique!  Trente-et-un  de  tes  fils,  ayant  mis 
Dourmoukha  à  leur  tête,  sont  tombés  sous  les  coups  de 
Bhîmaséna,  que  son  héroïsme  n'abandonne  jamais;  des 
héros  par  centaines,  sous  la  conduite  de  Bhîshma  et  de 
Bhagadatta,  ont  mordu  la  poussière  sous  le  fer  d'Arjouna 
et  du  Sâttwatide;  et  cette  catastrophe,  auguste  monarque, 
est  arrivée  à  la  suite  de  tes  mauvais  conseils. 

6,385—6,386—6,387. 

«  Les  héros  tombés  en  cette  condition  dans  la  guerre, 
qu'eux  et  moi  nous  faisons,  s'enquit  Dhritarâshtra,  que 
fit  alors  Bhîmaséna?  Dis-moi  cela,  Sandjaya.  »   6,388. 

Réduit  sans  char,  accablé  par  Çalya,  en  proie  aux 


10Û  LE  MAHA-BHARATA. 

flèches  de  Karna,  lui  répondit  le  narrateur,  Bhîmaséna, 
plongé  sous  la  puissance  de  la  colère,  dit  ces  mots  à 
Phâlgouna  :  6,389. 

«  Eunuque,  insensé,  glouton!  Homme,  qui  n'as  pas 
étudié  les  armes,  contre  qui  as-tu  fait  cette  guerre  (1), 
enfant,  privé  de  force  dans  les  combats?  »  Voilà  ce  que 
m'a  dit  mainte  et  mainte  fois  Karna,  sous  tes  yeux,  Dha- 
nandjaya;  et  je  me  suis  écrié,  Bharatide  :  «  Il  faudra  que 
je  donne  la  mort  à  l'homme,  qui  parle  ainsi  !  » 

6,390—6,391. 

»  J'ai  fait  ce  serment  avec  toi,  guerrier  aux  longs  bras; 
et,  de  même  qu'il  est  obligatoire  pour  moi,  il  n'y  a  nul 
doute,  fils  de  Rountî,  que  tu  ne  sois  obligé  par  lui. 

»  Rappelle-toi  cette  parole,  ô  le  plus  vertueux  des 
hommes,  et  observe-la.  Agis  de  telle  sorte,  Dhanandjaya, 
que  ce  soit  une  vérité!  »   6,392 — 6,393. 

A  ces  mots  de  Bhîmaséna,  Arjouna,  au  courage  sans 
mesure,  s'approcha  un  peu  de  Karna  sur  le  champ  de 
bataille  et  lui  parla  en  ces  termes  :  6,394. 

«  Karna!  Karna!  Homme  à  la  vue  fausse,  fils  de  co- 
cher, qui  te  donnes  à  toi-même  des  éloges,  esprit  dépravé, 
écoute  maintenant  ce  que  je  vais  te  dire  !  6,395. 

»  Les  faits  des  héros  sont  de  deux  sortes  dans  le  com- 
bat :  la  victoire  et  la  défaite!  Ces  deux  choses,  Râdhéya, 
sont  transitoires  dans  les  combats,  que  livre  Indra  lui- 
même.   6,396. 

Réduit  sans  char,  les  organes  des  sens  troublés,  sur  le 


(i)  Réunissez  dans  un  seul  mot  la  dernière  syllabe  de  akritàstruka  avec 
la  première  lettre  du  mot  suivant  màyotsis  :  cette  mauvaise  lecture  vous 
trompe  et  vous  arrête  un  moment. 


DRONA-PARVA.  105 

point  de  mourir  sous  les  coups  d'Youyoudhâna,  il  se 
rappela  que  j'avais  dit  :  «  Tu  seras  mis  à  mort  par  moi  !  » 
et  il  te  laissa  vivant  te  retirer  après  sa  victoire.  6,397. 

»  Tu  as  eu  le  plaisir  de  mettre  à  pied  Rhîmaséna; 
mais,  quant  à  ces  paroles,  Râdhéya,  que  tu  lui  as  jetées 
en  homme  vicieux,  apprends  ceci-.  6,398. 

»  Quand  ils  ont  vaincu  un  ennemi,  les  hommes  émi- 
nents,  qui  sont  des  héros,  ne  parlent  pas  avec  jactance; 
ils  ne  disent  rien  de  blessant,  ils  n'adressent  aucun  re- 
proche. 6,399. 

»  Mais  toi,  qui  as  la  science  d'un  homme  abject,  tu  as 
vomi  des  paroles  choquantes  contre  Bhîma,  un  héros, 
qui  combat,  qui  marche  avec  audace,  qui  fait  sa  joie  d'un 
noble  vœu  :  aucune  de  ces  choses  n'est  vraie!  Aux  yeux 
de  tous  les  guerriers,  de  Kéçava  et  de  moi-même, 

6,400— 6,401. 

»  Nombre  de  fois  ,  Bhîmaséna  t'a  réduit  sans  char 
dans  le  combat;  et  ce  fils  de  Pândou  ne  t'a  dit  rien,  qui 
fût  une  injure!  6,40*2. 

»  Parce  que  tu  as  fait  entendre  à  Vrikaudara  tant  de 
paroles  dures,  et  parce  que  vous  avez  tué  loin  de  mes 
yeux  le  Soubhadride,  mon  fils,  6,403. 

»  Reçois  maintenant  le  fruit  de  cette  insolence  !  C'est 
pour  ta  mort  à  toi-même,  guerrier  stupide,  que  tu  as 
tranché  mon  arc!  6,404. 

»  A  cause  de  cela,  insensé,  il  faut  que  tu  périsses  de 
ma  main,  toi,  tes  coursiers,  tes  serviteurs  et  ton  armée! 
Déploie  tes  efforts  entièrement;  tu  es  tombé  dans  un 
grand  danger!    6,405. 

»  J'ai  tué  Viïshaséna,  ton  fils,  dans  !e  combat,  sous 
tes  yeux  mêmes  ;  et  je  tuerai  tous  les  autres  souverains 


106  LE  MAHA-BHARATA. 

de  la  terre,  que  leur  démence  fera  s'approcher  de  moi  : 
c'est  aussi  vrai  que  je  touche  mes  armes  !  Quand  le  stu- 
pide  Douryodhana  t'aura  vu  couché  sur  le  champ  de 
bataille,  toi,  orgueilleux,  insensé,  qui  n'as  point  acquis 
la  science,  il  sentira  les  pointes  d'un  amer  repentir!  » 
Après  qu'Arjouna  eut  fait  cette  promesse  de  la  mort  au 
fils  du  cocher  (1),  7,406— 6,407— 6,408. 

Les  maîtres  de  chars  élevèrent  alors  un  bruit  vaste  et 
bien  tumultueux.  Tandis  que  se  livrait  la  bataille  con- 
fuse, inspirant  l'épouvante,  6,409. 

L'astre  aux  mille  rayons  rendait  au  mont  Asta  sa  lu- 
mière émoussée.  Hrishlkéça,  embrassant  Bîbhatsou, 
qui  se  tenait  à  la  tête  du  combat  et  qui  avait  rempli  sa 
promesse  de  lui  parler  en  ces  termes  :  «  Tu  as  heureu- 
semement,  Djishnou,  accompli  ta  grande  promesse!  »> 

6,410-6,411. 

Ce  criminel  Vriddaksthattra  fut  heureusement  immolé 
avec  son  fils  !  A  peine  arrivé  dans  l'armée  du  Dhritarâsh- 
tride,  Dévaséna  lui-même,  s'est  affaissé  dans  le  combat  : 
il  n'y  a,  Djishnou,  nul  doute  à  faire  ici.  J'ai  beau  y  pen- 
ser, je  ne  vois  nulle  part  dans  les  mondes  aucun  homme, 
si  ce  n'est  toi,  tigre  des  hommes,  qui  puisse  combattre 
avec  cette  armée  !  Les  souverains  de  la  terre  nombreux, 
à  la  grande  puissance,  égaux  ou  même  supérieurs  à  toi, 
rassemblés  ici  par  les  ordres  du  fils  de  Dhritarâshtra  , 
une  fois  arrivés  en  présence  de  ta  colère,  au  milieu  du 
combat,  n'ont  pu  s'en  retourner  en  dépit  de  leurs  cuirasses, 
6,412-6,413—6,414—6,415. 


(1)  Les  deux  éditions  portent  au  fils  de  Karna  ;    mais  c'est    à  Karua 
qu'il  s'adresse  et  c'est  à  lui-même,  qu'il  vient  de  promettre  la  mort. 


DRONA-PARVA.  107 

«  Ta  valeur  et  ta  force  sont  égales  à  celles  de  Çiva,  d'In- 
dra ou  de  la  mort  !  Personne  ne  pourrait  accomplir  dans  la 
bataille  un  exploit  semblable  à  ce  que  ton  bras  seul  a  fait 
aujourd'hui,  fléau  des  ennemis!  Quand  tu  auras  tué 
ainsi  l'odieux  Karna  avec  sa  famille,  je  t'exalterai  encore 
plus,  victorieux  de  tes  rivaux  et  foulant  aux  pieds  tes 
ennemis.  »  Arjouna  lui  répondit  :  a  C'est  grâce  à  toi, 
Mâdbava,   6,416— 6,417— 6,418. 

s  Que  j'ai  rempli  cette  promesse,  qui  serait  difficile  à 
tenir  aux  Immortels  eux-mêmes.  La  victoire  n'a  rien,  qui 
étonne  en  ceux,  de  qui  tu  es  le  protecteur,  Kéçava. 

»  Youdhishthira,  grâce  à  toi,  obtiendra  la  surface 
entière  de  la  terre!  La  puissance  est  à  toi,  Vrishnide!  La 
victoire  t'appartient,  seigneur.  6,419 — 6,420. 

k  Nous  te  devrons  notre  élévation,  meurtrier  de  Ma- 
dhou,  et  nous  sommes  tes  serviteurs!  »  Krishna,  à  qui 
ces  mots,  étaient  adressés,  conduisant  les  chevaux  avec 
lenteur,  lit  contempler  en  souriant  au  fils  de  Prithâ  cette 
vaste  scène  du  combat  à  l'aspect  épouvantable. 

«  Des  princes,  qui  ambitionnaient  la  victoire  dans  la 
bataille,  répondit  Karna,  et  une  grande  renommée,  ré- 
pandue au  loin,  héros,  que  tes  flèches  ont  privés  de  la  vie, 
gisent  maintenant  sur  la  terre.     6, 421  —  6,422 — 6,423. 

»  Ou,  les  parures  et  les  flèches  éparses  çà  et  là,  leurs 
cuirasses  déchirées,  fendues  en  morceaux,  les  éléphants, 
les  chars,  les  coursiers  plongés  dans  l'infortune,  ils 
sont  tombés  dans  le  plus  profond  abattement;  6,424, 

»  Les  uns  vivants,  les  autres  morts,  et  tous  doués  de 
la  plus  haute  splendeur.  On  voit  les  souverains  des 
hommes,  ceux-là  presque  animés  encore  des  souffles  vi- 
taux, ceux-ci  déjà  l'àuie  exhalée.  6,425. 


108  LE  MAHA-BHARATA. 

»  Vois  la  terre  toute  remplie  de  leurs  flèches,  empen- 
nées d'or,  et  de  leurs  javelots  divers,  et  de  leurs  che- 
vaux, et  de  leurs  armes,  6,426. 

»  De  cuirasses  et  de  colliers  de  perles,  de  têtes  ornées 
de  pendeloques,  de  turbans,  de  tiares,  de  bouquets  et 
même  d'aigrettes  en  pierreries.  6,427. 

»  La  terre  resplendit,  Bharatide,  de  fils  d'or  à  cein- 
dre le  cou,  de  bracelets,  de  nishkas  bien  étincelants,  et 
d'autres  parures  admirables,  6,428. 

»  De  caisses  de  chars,  de  carquois,  de  drapeaux  et 
d'étendards,  d'appareils  de  guerre,  de  rênes,  de  timons 
et  d'attaches  au  joug,  6,429. 

»  De  disques  acérés,  de  roues  diverses,  brisées  en  plu- 
sieurs morceaux  dans  le  combat,  d'attelages,  de  cochers, 
de  décorations,  d'arcs  et  de  traits,  6,430. 

»  De  housses  coloriées,  de  couvertures,  de  massues,  de 
crocs,  de  lances  en  fer,  de  bhindipâlas,  d'étuis  à  flèches, 
de  tridents  et  de  haches,  6,431. 

»  De  traits  barbelés,  de  javelots  harponnés,  de  bâtons 
mêmes,  de  çataghnîs,  de  bhouçoundîs,  de  cimeterres  et 
de  couperets,  6,432. 

»  De  moushalas,  de  maillets  d'armes,  de  pilons  et  de 
cadavres,  de  fouets  au  travail  d'or,  fils  de  Bharata,  6,433. 

)>  De  clochettes  et  de  différents  médaillons  pour  les  In- 
dras  des  éléphants,  de  guirlandes,  de  parures  diverses 
et  de  vêtements  de  grands  prix  ;  6,434. 

»  La  terre  brille  de  ces  objets  épars,  comme  le  ciel 
automnal  des  étoiles,  dont  il  est  émaillé.  Étendus  sans 
vie  sur  la  terre,  parce  que  la  jouissance  de  cette  terre, 
fut  la  cause  de  leurs  combats,  les  maîtres  de  la  terre  dans 
l'éternel  sommeil  tiennent  la  terre,  embrassée  de  leurs 


DRONA-PARVA.  109 

membres,  comme  une  amante  chérie!  Ces  éléphants,  pa- 
reils à  des  cîmes  de  montagnes  semblables  à  Aîrâvata, 

6,435— 6,436. 
»  Vois-les,  héros,  verser  un  fleuve  de  sang  par  les  ou- 
vertures de  leurs  blessures,  telles  que  des  cavernes,  et 
ressembler  à  des  montagnes,  que  les  bouches  de  leurs  an- 
tres arrosent  de  tous  les  côtés  avec  des  ondes  aux  pépites 
d'or  !  Renversés  sous  tes  flèches,  ils  gisent  sans  mouve- 
ment sur  la  terre!  Vois  ces  chevaux  abattus,  parés  de 
médaillons  d'or,  6,437—6,438. 

»  Leurs  maîtres  immolés,  les  chars  semblables  à  la 
ville  des  Gandharvas,  les  drapeaux  et  les  étendards  ren- 
versés, leurs  galeries  détruites,  sans  roues,  leurs  cochers 
tués.  6,439. 

»  Vois  égorgés  sur  la  terre,  auguste  Prithidc,  ces  cou- 
ples de  chevaux,  qui  offrent  un  aspect  tel  que  les  chars 
des  Dieux,  avec  les  timons  coupés,  les  attaches  des  jougs 
brisées;  6,440. 

»  Ces  fantassins  privés  de  la  vie,  héros,  par  centaines 
et  par  milliers,  qui  endossent  la  cuirasse  et  portent  l'arc, 
endormis  à  jamais,  baignés  de  sang  !  6,441. 

»  Vois,  guerrier  aux  longs  bras,  ces  combattants,  le 
corps  rompu  de  tes  flèches,  les  cheveux  épars  dans  la 
poussière,  qui  ont  embrassé  la  terre  de  tous  leurs  mem- 
bres! 6,442. 

»  Vois,  ô  le  plus  grand  des  hommes,  la  surface  de  la 
terre  à  l'aspect  hideux,  pleine  de  coursiers,  d'éléphants  et 
de  chars  abattus,  couverte  d'un  limon  de  chair,  de  graisse 
et  de  sang,  cause  de  réjouissances  pour  les  Piçâtchas,  les 
loups,  les  chiens  et  les  Rakshasas!  6,443. 
»   Ce  carnage,  vaste,  et  qui  ajoute  à  la  renommée  de 


110  LE  MAHA-BHARATA. 

tes  œuvres  sur  un  champ  de  bataille,  est  digne  de  toi, 
seigneur,  comme  d'un  Çatakratou,  le  plus  élevé  des 
Dieux,  qui  veut  exterminer  les  Daîtyas  et  les  Dânavas 
dans  un  grand  combat  (1).  6,!ihli. 

Le  meurtrier  de  ses  rivaux,  Djanârddana,  montrant  à 
Kirîti  la  terre  des  ennemis,  s'approcha  du  Pândouide 
Adjâtaçatrou,  et  lui  annonça  que  Djayadratha  était  mort. 

»  Vois,  comme  si  elle  était  couverte  d'étoffes  admira- 
bles de  soie,  la  terre  jonchée  d'éléphants,  de  chars,  de 
chevaux,  de  drapeaux,  d'ombrelles,  de  chasse-mouches 
et  d'éventails,  de  housses  peintes,  variées  à  l'usage  des 
coursiers,  de  caisses  de  chars,  de  différentes  couvertures 
et  des  guerriers  à  la  grande  opulence  réduits  sans  char. 

6,ZiZi5— 6,û46— 6,û/j7. 

»  En  voici  d'autres,  qui  sont  tombés  du  haut  de  leurs 
éléphants  caparaçonnés,  et  les  proboscidiens  eux-mêmes 
avec  eux,  tels  que  des  lions  renversés  des  sommets  d'une 
montagne,  que  la  foudre  a  brisée.  6,ZU8. 

»  Ces  autres  sont  cloués,  pour  ainsi  dire,  à  leurs  che- 
vaux, les  arcs  aux  poings  ;  voici  des  hommes  de  pied, 
voici  des  troupes  de  cavaliers,  arrosés  de  tous  les  côtés 
par  des  fleuves  de  sang  (2).  »  6,Zi/|9. 

Montrant  ainsi  à  Kirîti  le  champ  de  bataille,  Krishna, 
réuni  avec  les  siens,  remplis  de  joie,  fit  résonner  le  Pan- 
tchadjanya.  6,Zj50. 

(1)  Ce  discours  parasite,  qui  interrompt  la  suite  de  la  narration,  qui  est 
lui-même  interrompu  à  l'arrivée  inopportune  du  vers  suivant  (6,445),  et  qui 
ne  semble  nullement  convenir  au  caractère  de  Karna,  respire  une  intrusion 
maladroite  de  l'un  à  l'autre  bout,  ou  plutôt  une  inadvertance  :  c'est 
Kéçava  et  non  Karna  qu'on  a  voulu  dire  à  la  page  107,  ligne  21.  11  fau- 
drait ici,  pour  éviter  l'interruption,  supprimer  cette  stance  6,445. 

(2)  Ces  quatre  stances  manquent  avec  raison  dans  l'édition    de  Bombay. 


DRONA-PARVA.  111 

Il  s'approcha  du  monarque  Youdhishthira,  le  fils 
d'Yama,  et,  s'inclinant  en  sa  présence,  lui  annonça  d'une 
âme  joyeuse  la  victoire  du  Prithide  sur  le  roi  du  Sin- 
dhou  :  6,451. 

«  Par  bonheur,  tes  affaires  s'accroissent,  Indra  des 
rois  ;  ton  ennemi  est  tué,  ô  le  plus  grand  des  hommes  ! 
Avec  bonheur,  ton  frère  puîné  vient  d'accomplir  sa  pro- 
messe !  s  6,452. 

A  ces  mots  de  Krishna,  le  conquérant  des  cités  enne- 
mies, le  roi  Youdhishthira  joyeux  s'élança,  Bharaùde, 
hors  de  son  char.  6,453. 

Les  yeux  enveloppés  des  larmes  de  la  joie,  il  embrassa 
alors  les  deux  Krishnas  ;  puis,  essuyant  son  beau  visage 
d'un  éclat  semblable  à  la  fleur  du  lotus,  il  dit  au  Vasou- 
dévide  et  au  Pândouide  Dhanandjaya  :  c  Je  vous  revois 
avec  bonheur,  grands  héros,  qui  avez  supporté  voire 
charge  dans  le  combat!  6,454 — 6,455. 

»  Grâce  au  Destin,  le  plus  vil  des  hommes,  le  criminel 
Sindhien  fut  immolé  !  Grâce  au  Destin,  vous  deux, 
Krishnas,  vous  m'avez  fait  obtenir  une  grande  joie  ! 

»  Grâce  au  Destin,  les  armées  des  ennemis  ont  été 
plongées  dans  une  mer  de  chagrins  !  Ceux,  de  qui  tu  es 
le  protecteur,  meurtrier  de  Madhou,  ne  commettent  pas 
dans  les  trois  mondes  la  moindre  action  criminelle,  docte 
précepteur  de  tous  les  mondes.  Grâce  à  toi,  Govinda, 
la  victoire  sur  les  ennemis  nous  est  assurée, 

6,456—6,457—6,458. 

»  Comme  jadis  sous  ta  protection,  Pâkaçâsana  vainquit 
les  Dânavas.  De  même  que  leur  victoire  est  certaine  sur 
la  terre,  de  même,  honorable  Vrishni,  ceux,  de  qui  tu  es 
satisfait,  sont-ils  assurés  de  vaincre  les  trois  mondes  eux- 


112  LE  MAHA-BHARATA. 

mêmes  !  11  n'existe  pour  eux  ni  une  faute  à  commettre, 
ni  une  défaite  à  subir  dans  la  guerre.  6,459 — 6,460. 

»  Tu  es  le  protecteur,  souverain  des  Tridaças,  ô  toi, 
qui  donnes  l'honneur,  de  ceux,  qui  te  procurent  le  con- 
tentement. C'est  par  ta  grâce,  Hrishîkéça,  que  Çakra  est 
le  monarque  du  chœur  des  Immortels.  6,Zi61. 

»  Favori  de  la  fortune,  tu  as  obtenu  au  front  du 
combat  la  victoire  sur  les  trois  mondes  :  seigneur  des 
Tridaças,  les  Dieux  mêmes  sont  un  présent  de  ta 
grâce.  6,Zj62. 

»  Entrés  dans  l'immortalité,  Krishna,  ils  jouissent  des 
mondes  éternels.  Grâce  à  toi,  Çakra,  aux  mains  de  qui 
est  tombé  le  sceptre  des  Dieux,  a  vaincu  par  son  courage 
élevé  les  Daîtyas  par  milliers.  Grâce  à  toi,  Hrishîkéça, 
ce  monde  des  êtres  immobiles  et  mobiles,  6,A63 — 6,464. 

»  Constitué  dans  ses  routes,  décrit  sa  révolution  au 
milieu  des  prières  à  voix  basse  et  des  oblations  de  beurre 
clarifié.  Au  commencement  des  choses,  tout  n'était  qu'une 
mer,  enveloppée  d'obscurité  ;  6,465. 

»  Grâce  à  toi,  Dieu  aux  bras  puissants,  le  monde  est 
arrivé  à  l'être,  ô  le  plus  grand  des  hommes.  Quiconque 
sait  que  Hrishîkéça  est  le  créateur  de  tous  les  mondes, 
l'Éternel,  l'âme  première,  n'est  jamais  le  jouet  du  délire. 
Ceux,  qui  sont  parvenus  à  la  science  que  tu  es  le  Dieu 
premier,  l'antique,  l'éternel  Dévadéva,  le  gourou  des 
Souras,  ne  sont  jamais  le  jouet  du  délire.  Ceux,  qui  sont 
dévots  en  toi,  sans  commencement,  sans  fin,  le  Dieu 
sempiternel,  l'architecte  du  monde,  l'homme  primitif, 
antique,  qui  précède  même  les  premières  choses  créées, 
traversent  heureusement,  Hrishîkéça,  des  renaissances 
infranchissables.  6,466— 6,467—6,468— 6,469. 


DROM-PARVA.  113 

»  La  plus  haute  félicité  est  préparée  à  quiconque  s'in- 
cline devant  ce  premier,  par  qui  tout  commence.  On 
chante  quatre  Védas,  et  je  me  prosterne  devant  le  magna- 
nime, qui  est  chanté  dans  les  Yédas  :  je  goûte  la  plus 
haute  félicité,  seigneur  des  origines,  souverain  des  sou- 
verains des  premiers  êtres,  maître  des  animaux,  seigneur 
des  enfants  de  Manou.  6,470 — 6,471. 

»  Adoration  à  toi,  le  plus  grand  des  hommes,  su- 
zerain des  empereurs  de  toutes  les  dominations.  Tu  es 
le  maître,  le  seigneur,  le  souverain  ;  prospère,  auguste 
Màdhava  !  6,472. 

»  Sois  la  bonne  fortune  elle-même  de  l'univers,  Dieu 
aux  grands  yeux,  âme  de  l'univers  !  Quiconque  s'est 
approché  du  protecteur  de  Dhanandjaya,  quiconque  est 
l'ami  de  Dhanandjaya,  quiconque  est  zélé  pour  son  bien, 
il  s'accroît  en  bonheur  !  »  A  ces  paroles  du  magnanime, 
Kéçava  et  le  Pândouide  6,473 — 6,474. 

Dirent  joyeux  au  monarque ,  maître  de  la  terre  : 
«  Le  criminel  roi  Djayadratha  fut  consumé  par  le  feu  de 
ta  colère.  6,475. 

»  Nous  avons  traversé  (1)  dans  le  combat  (2)  l'armée 
immense  du  Dhritarâshtride.  Les  Kourouides,  que  nos 
coups  ont  atteints,  sont  morts,  et  les  autres  périront, 
meurtrier  de  tes  ennemis,  frappés  de  ta  colère.  Le  stu- 
pide  Souyodhana,  qui  a  soulevé  ton  ressentiment,  héros, 
qui  consume  de  tes  regards,  abandonnera  les  souffles  de 
la  vie  dans  le  combat,  avec  ses  amis,  avec  ses  parents.  Le 
bisaïeul  des  Kourouides ,  Bhîshma ,  inaccessible  aux 
Dieux  mêmes,  une  des  premières  victimes  de  ta  colère, 

(1-2)  Uttlrnam....  ranai,  texte  de  Bombay. 

ix  8 


114  LE  MAHA-BHARATA. 

gît,  couché  sur  un  lit  de  flèches.  Certes  !  homicide  des 
ennemis,  la  victoire  est  pour  eux  difficile  à  obtenir  dans 
un  combat.  6,470 — 6,477— 6,478— 6,479. 

»  Ceux,  que  tu  hais,  fils  de  Pândou,  sont  tombés  sous 
le  pouvoir  de  la  mort  :  ceux,  contre  qui  tu  es  irrité,  fléau 
des  ennemis,  ont  vu  périr  depuis  long-temps  leurs  joies 
diverses,  leurs  amis,  leurs  fils,  leur  trône  et  les  souffles 
mêmes  de  la  vie.  Les  Kourouides  sont  déjà  morts,  je 
pense,  avec  leurs  fils,  leurs  parents,  leurs  troupeaux, 
sous  le  poids  de  ta  colère,  fléau  des  ennemis,  qui  occupes 
toujours  le  plus  haut  rang  dans  le  devoir  d'un  roi.  »  En- 
suite Bhîmaséna  aux  longs  bras  (1)  et  le  grand  héros 
Sâtyaki,  6,480—6,481—6,482. 

Couverts  des  blessures  dues  aux  flèches,  s'inclinèrent 
devant  le  plus  vertueux  des  hommes,  qui  méritaient  le 
respect.  Ces  deux  puissants  héros  blessés  étaient  envi- 
ronnés des  Pântchâlains.  6,483. 

Dès  qu'il  vit  s'approcher  ces  deux  braves  (2)  joyeux  et 
les  mains  jointes,  le  fils  de  Kountî  les  salua  :  6,484. 

«  Grâce  à  la  fortune,  je  vous  revois,  héros,  échappés  à 
la  mer  des  armées,  à  Drona,  l' in affron table  requin,  à 
l'océan  de  Hârddikya,  séjour  des  monstres  marins! 

»  Grâce  à  la  fortune,  nous  avons  triomphé  dans  le 
combat  (3)  de  tous  les  princes  de  la  terre  ! 

«  Grâce  à  la  fortune,  je  vous  revois  tous  deux 
triomphants  au  milieu  de  la  guerre!  Grâce  à  la  fortune, 
Drona  et  le  grand  Hârddikya  ont  été  vaincus  dans  le 
combat!  6,485. 

(1)  Mahàbdhous,  texte  de  Bombay. 

(2)  Le  texte  en  répète  ici  les  noms. 

(3)  Sankhyai,  texte  de  Bombay. 


DRONA-PARVA  115 

»  Grâce  à  la  fortune,  les  Vikarnins  (1)  ont  conduit 
dans  la  bataille  Karna  à  la  défaite;  et  Çalya  fut  réduit 
par  vous  deux,  hommes  éminents,  à  tourner  le  dos. 

6,486—6,487—6,488. 

»  Grâce  à  la  fortune,  je  vous  revois,  instruits  dans  les 
combats  et  les  deux  plus  excellents  maîtres  de  chars,  re- 
venus, la  vie  sauve,  du  combat!  6,489. 

»  Grâce  à  la  fortune,  je  vous  revois,  soumis  à  mon  au- 
torité, ayant  exécuté  ma  parole  et  traversé  la  mer  des 
armées!  6,490. 

»  Grâce  à  la  fortune,  je  vous  revois,  héros,  qui  vous 
glorifiez  de  vos  combats,  qui  ne  fuyez  pas  dans  les  ba- 
tailles et  qui  êtes  égaux  l'un  et  l'autre  aux  souffles  de  ma 
vie!  »   6,491. 

A  ces  mots,  sire,  le  Pàndouide  embrassa  les  deux  tigres 
des  hommes,  Youyoudhâna  et  Vrikaudara,  et  versa  des 
larmes  de  joie.   6,492. 

Toute  l'armée  fut  ravie  de  satisfaction,  souverain  des 
mortels,  et,  joyeuse  du  combat  des  Pândouides,  elle  mit 
son  esprit  à  la  bataille.  6,493. 

Après  la  mort  du  Sindhien,  ton  fils  Souyodhana,  sire, 
le  visage  baigné  de  larmes,  contristé,  sans  énergie  pour 
la  victoire  des  ennemis,  6,494. 

Le  cœur  affligé,  poussant  de  brûlants  soupirs,  comme 
un  serpent,  les  dents  brisées,  ton  fils,  le  plus  grand 
pécheur  du  monde  entier,  tomba  dans  la  plus  profonde 
anxiété.  6,495. 

(1)  Ce  composé  veut  dire  :  gui  est  dépourvu  d'oreilles.  Mais  il  manque 
chez  "Wilson,  dans  Bopp  et  l'Amara-Kosha  ;  Bohtlingk  et  Roth  ne  sont 
pas  arrivés  encore  à  ce  mot.  Faute  de  renseignements,  nous  évitons  de  le 
traduire. 


116  LE  MAHA-BHARATA. 

Quand  il  vit  cette  grande,  cette  épouvantable  confusion, 
qu'avaient  jetée  dans  ton  armée  au  milieu  de  la 
guerre  Djishnou,  Bhîmaséna  et  le  Sâttwatide,  6,496. 

Pâle,  maigri,  affligé,  les  yeux  baignés  de  larmes: 
«  Il  n'existe  pas  sur  la  terre,  pensa-t-il,  un  guerrier  s  m- 
blable  à  Arjouna,  6,497. 

»  Ni  Drona,  ou  Râdhéya,  ni  Açwatthâman  ou  Rripa 
n'est  capable  de  rester,  le  pied  ferme,  devant  sa  colère!  » 
Telles  étaient,  auguste  roi,  ses  pensées.  6,498. 

»  Quand  le  Prithide  eut  vaincu  tous  mes  grands  héros 
dans  le  combat,  il  immola  le  Sindhien,  et  il  n'y  eut  per- 
sonne, qui  pût  l'empêcher.  6,499. 

»  Les  Pàndouides  ont  battu  même  de  toute  manière 
cette  mienne  grande  armée  et  il  n'y  eut  personne,  qui 
pût  nous  sauver  de  lui,  fût-ce  même  Pourandara  en 
personne.  6,500. 

»  Arrivé  près  de  ce  héros,  et  déployant  les  efforts  de 
ses  armes  dans  la  bataille,  Karna  fut  vaincu  et  Djayad- 
ratha  immolé  dans  le  combat!  6,501. 

»  Karna,  à  l'énergie  duquel  me  confiant,  j'ai  regardé 
et  traité  comme  une  poignée  d'herbes  Atchyouta,  qui 
sollicitait  la  paix,  a  été  vaincu  dans  la  bataille!  »    6,502. 

Le  cœur  ainsi  consterné,  sire,  il  s'en  alla  voir  Drona. 
Ton  fils,  éminent  Bharatide,  le  plus  grand  pécheur  de  tout 
l'univers,  6,503. 

Lui  exposa  entièrement  le  carnage  effrayant  des  Kou- 
rouides,  et  les  prouesses  a"  Arjouna,  qui  triomphait  des 
ennemis  et  plongeait  dans  l'infortune  les  fils  de  Dhrita- 
ràshtra.  6,504. 

«  Vois,  Atchârya,  lui  dit-il,  vois  la  grande  confusion 
des  hommes  au  front  consacré!  Quand  nous  eûmes  mis  à 


DRONA-PARVA.  117 

notre  tête  l'héroïque  Bhishma,   mon    bisaïeul,    6,505. 

»  Le  cupide  Çikhandî ,  l'arrogance  en  sa  plénitude, 
l'abattit,  et,  accompagné  de  tous  les  Pântchâlains,  il 
s'approcha  du  front  de  mon  armée.  6,506. 

»  Un  autre,  Dourdharsha,  ton  disciple,  fut  encore  tué 
par  l'Ambidextre;  et,  quand  il  eut  défait  sept  armées 
complètes,  il  immola  même  le  roi  Djayadratha.   6,507. 

»  Ces  amis,  mes  auxiliaires,  ces  maîtres  de  la  terre, 
qui  désiraient  ma  victoire,  qui  voulaient  pour  moi 
conquérir  la  terre,  comment  ai-je  pu  acquitter  ma  dette 
envers  eux,  qui  sont  descendus  au  séjour  d'Yama?ils  ont 
abandonné  la  souveraineté  de  la  terre,  et  gisent,  étendus 
sur  le  sein  de  la  terre!  6,508     6,509. 

»  Après  que  j'ai  fait,  moi,  homme  méprisable,  une  telle 
perte  de  mes  amis,  mille  sacrifices  ne  suffiraient  point  à 
purifier  mon  âme.  6,510. 

»  Désirant  la  victoire  pour  moi,  cupide,  criminel  et  qui 
me  suis  écarté  du  devoir,  le  combat  les  a  conduits  au 
monde  de  la  mort.   6,511. 

»  Comment  la  terre  n'a-t-elle  pu,  dans  l'assemblée  des 
princes  (1),  me  donner  une  fosse,  à  moi,  de  qui  la  con- 
duite est  déchue  et  qui  nuis  à  mes  amis!  6,512. 

»  Que  dirai-je  (2),  au  milieu  des  rois,  à  mon  bisaïeul, 
de  qui  les  membres  sont  humides  de  sang  (3)?  Que 
dira-t-il,  quand  je  m'approcherai  de  lui,  cet  inafîrontable 
vainqueur  du  monde  des  ennemis?  6,515. 

»  Vois,  puissant  guerrier,  ce  héros,  qui  avait  aban- 
donné sa  vie,  tandis  qu'il  déployait  ses  efforts  à  cause 


(1)  Pârthivasansadi,  texte  de  Bombay. 

(2-3)  Yau'hanradhirasiktângan,...  pitâmahan,  teite  de  Bombay. 


118  LE  MAHA-BHARATA 

de  moi,  Djalasandha  au  grand  arc,  tombé  sous  les  coups 
deSâtyaki!  6,51/i. 

»  Qu'ai-je  affaire  encore  de  la  vie,  quand  je  vois,  cou- 
chés sur  la  terre,  et  le  Rambodjain,  et  Alambousha,  et 
tant  d'autres,  mes  nombreux  amis?  6,515. 

»  Des  braves,  qui  ne  savaient  pas  tourner  le  dos,  qui 
se  consumaient  en  efforts  dans  l'intérêt  de  ma  cause  et 
luttaient  par-delà  leurs  forces  pour  vaincre  mes  ennemis, 
ont  mordu  la  poussière.   6,516. 

»  Aujourd'hui,  j'irai  acquitter  ma  dette  envers  eux, 
autant  qu'il  dépendra  de  moi,  et  je  rassasierai  d'eau  leurs 
mânes,  le  long  des  rives  de  l'Yamounâ  (1).  6,517. 

»  Je  le  promets  avec  vérité,  ô  le  meilleur  de  tous 
ceux,  qui  manient  l'arc;  je  le  jure  sur  mes  sacrifices, 
mes  œuvres  méritoires,  mon  courage  et  les  Dieux 
mêmes:  6,518. 

»  Je  les  immolerai  tous,  les  Pândouides  et  les  Pân- 
tchâlains,  ou  je  recevrai  (2)  d'eux  la  mort  dans  le  combat 
et  j'irai  m' unir  aux  éléments.  6,519. 

»  Je  m'en  irai  là,  où  sont  tes  éminents  guerriers,  que 
Kirîti  immola  dans  le  combat,  où  ils  employaient  leurs 
armes  pour  ma  cause.  6,520. 

»  Mes  compagnons,  qui  ne  sont  pas  secourus,  n'atta- 
quent plus  maintenant  :  ce  sont  les  Pândouides ,  héros 
aux  longs  bras,  et  non  pas  nous,  qu'ils  regardent  comme 
la  voie  de  salut.  6,521. 

»  Placé  véritablement  toi-même  comme  la  mort  dans 
le  combat,    ta    sainteté   usa  de    ménagements    à    l'é- 


(1)  Yamanâmanu,  texte  de  Bombay. 

(2)  Édition  de  Bombay. 


DRONA-PARVA.  110 

gard  d'Arjouna,   parce  qu'il  est  ton    disciple.    6,522. 

<>  De-là  furent  immolés  tous  ceux,  qui  voulaient  as- 
surer ma  victoire.  Mais  je  vois  Rarna,  qui  désire  main- 
tenant encore  mon  triomphe.   6,523. 

»  Quiconque  ne  sait  pas  de  quelque  manière  distin- 
guer un  ami  et  le  sacrifie  à  la  victoire,  si  un  jour  il  a 
besoin  de  trouver  en  lui  un  ami,  est  victime  de  la  mort. 

»  On  m'a  prêté  un  tel  caractère,  dont  je  dois  être  af- 
fublé par  mes  plus  grands  amis  :  je  suis  cupide  jusqu'au 
délire,  vicieux,  hypocrite,  et  je  soupire  pour  la  richesse  ! 

6,524— 6,525. 

»  Le  roi  Djayadratha  fut  immolé,  et  le  courageux  So- 
madattide,  et  les  Abhîshahas,  les  Souraçénains,  les  Çi- 
vayens  et  les  Vaçâtayens.  6,526. 

»  Je  m'en  irai  maintenant  là,  où  sont  tes  éminents 
guerriers,  que  Rirîti  immola  dans  le  combat,  où  ils  em- 
ployaient leurs  armes  pour  ma  cause.  6,527. 

»  Qu'ai-je  à  faire  de  la  vie,  sans  ces  hommes  éminents  ? 
Que  ta  sainteté,  institutrice  des  fils  de  Pândou,  nous 
accorde  sa  permission.  »>   6,528. 

«  Après  que  l' Imbidextre  eut  tué  le  roi  Djayadratha 
et  Bhoûriçravas  lui-même,  quels  furent  alors,  mon  fils, 
s'enquit  Dhritarâshtra,  quels  furent  vos  sentiments? 

»  Quand  Douryodhana  eut  parlé  ainsi  à  Drona  dans 
l'assemblée  des  Kourouides,  quelle  réponse  lui  a  faite 
celui-ci  :  raconte-moi  cela,  Sandjaya.   »   6,530. 

Dès  qu'ils  virent  l'armée  et  Bhoûriçravas  lui-même 
couchés  sur  la  terre,  lui  répondit  Sandjaya,  un  vaste  mur- 
mure s'éleva  parmi  tes  guerriers.   6,531. 

Tous,  ils  méprisèrent  les  conseils  donnés  à  ton  fils,  qui 
avaient  coûté  la  vie  à  des  centaines  des  plus  éminents 
guerriers.  5,532. 


120  LE  MAHA-BHARATA. 

Aussitôt  que  Drona,  la  tristesse  dans  le  cœur,  eut  ouï 
ces  paroles  de  ton  fils,  il  réfléchit  un  instant,  Indra  des 
rois,  et  lui  dit,  profondément  affligé  :  6,533. 

«  Douryodhana  ,  pourquoi  me  blesses- tu  avec  les 
flèches  de  tes  paroles,  alors  que  je  dis  l'Ambidextre  invin- 
cible dans  un  combat  !  6,534. 

»  Ce  fait  suffit  seul  à  faire  connaître  ce  qu'est  Arjouna 
dans  une  bataille,  que,  défendu  par  Djishnou,  Çikhandî 
a  renversé  Bhîshma  sur  le  champ  du  combat?  6,535. 

»  Quand  je  vis  abattre  celui,  à  qui  ni  les  Dânavas,  ni 
les  Dieux  mêmes  ne  pouvaient  ôter  la  vie,  j'en  vins  à  re- 
connaître cette  vérité  :  «  C'en  est  fait  de  l'armée  Bhara- 
tienne!  »  6,536. 

»  Une  fois  tombé  ce  héros,  que  nous  estimions  dans 
les  trois  mondes  le  plus  brave  de  tous  les  hommes,  quel 
cas  ferons-nous  du  reste?  6,537. 

»  Les  dés,  que  faisait  rouler  Çakouni  dans  l'assemblée 
des  Kourouides,  ce  n'était  pas  des  dés,  mon  fils,  mais 
des  flèches  acérées,  qui  détruisent  les  ennemis!  6,538. 

»  Ces  traits,  décochés  par  la  Victoire  (1) ,  nous  arra- 
cheront la  vie  dans  le  combat  !  Tu  n'as  pas  compris  ces 
paroles,  qui  te  furent  adressées  par  Vidoura.  6,539. 

»  Tu  as  entendu  le  langage  de  cet  homme  sage  et  ma- 
gnanime, de  qui  les  plaintes  laissaient  échapper  de  belles 
choses  pour  la  paix  !  6,540. 

»  Ce  grand,  cet  épouvantable  carnage,  qui  est  arrivé, 
se  déroule  par  ton  mépris  de  ses  paroles  dans  une  affaire, 
qui  est  la  tienne,  Douryodhana.  6,541. 

»  L'insensé,  qui,  méprisant  la  parole  utile  de  ses  amis 
et  des  hommes,  qui  jouissent  de  sa  confiance  intime, 

(1)  Un  des  surnoms  d'Arjouna. 


DRONA-PARVA.  121 

n'obéit  qu'à  sa  propre  volonté  dans  ses  actions,  ne  mé- 
rite pas  de  bien  longs  regrets.  6, 542. 

»  Comme  il  fit  amener  sous  nos  yeux,  en  pleine  as- 
semblée, Krishna,  issue  d'une  famille  royale,  indigne  de 
ce  traitement  et  qui  pratiquait  toutes  les  vertus,  le  ter- 
rible châtiment  de  cette  offense,  retombera  sur  le  Gân- 
dâral  Si  la  faute  est  à  nous,  tu  iras  dans  l'autre  monde  ; 
mais  nous  avons  à  expier  une  faute  plus  grande  que  cela  : 

6,543— 6,544. 

»  C'est  qu'après  avoir  vaincu  au  jeu  les  Pândouides 
dans  une  partie  inégale,  tu  les  as  relégués  dans  les  bois, 
revêtus  de  la  dépouille  d'un  rourou  (1).  6,545. 

»  Mais  quel  homme  récitateur  des  Védas,  autre  que 
moi,  pourrait  nuire  à  des  guerriers,  qui  sont  comme  ses 
fils  et  toujours  occupés  des  vertus?  6,546. 

»  Ce  ressentiment  à  l'égard  des  Pândouides,  que,  réuni 
avec  Douççâsana  et  secondé  par  Karna,  tu  as  soulevé  dans 
l'assemblée  des  Kourouides  avec  l'approbation  de  Dhri- 
tarâshtra,  tu  l'as  mainte  et  mainte  fois  mis  en  pratique, 
au  mépris  des  paroles  de  Kshattri.  6,547—6,548. 

»  Tous  ceux,  qui  déployaient  leurs  efforts  avec  les 
tiens  pour  arrêter  Arjouna,  ont  péri.  Comment  a-t-il 
trouvé  la  mort  au  milieu  de  vous,  ce  roi  de  Sindhou, 
votre  appui?  6,549. 

»  Quand  Karna,  Kripa,  Çalya  et  toi,  Kourouide,  vous 
respiriez  encore,  comment  le  Sindhien  a-t-il  pu  descendre 
au  tombeau?  6,550. 

»  Tous  les  rois  aidaient  la  force  dévorante  du  guerrier, 
qui  combattait  pour  sauver  Djayadratha,  comment  fut-il 
immolé  au  milieu  de  nous?  6,551. 

(1)  Espèce  de  daim. 


122  LE  MAHA-BHARATA. 

»  Dans  le  temps  que  toi,  Douryodhana,  et  moi  surtout, 
nous  vivions,  il  espérait,  ce  monarque  de  la  terre,  qu'il 
serait  sauvé  d'Arjouna.  6,552. 

»  Ce  prince  n'ayant  pas  obtenu  d'échapper  à  Phâl- 
gouna,  je  ne  vois  plus  dans  la  vie  aucun  lieu  pour  ton 
âme.  6,553. 

»  Je  me  vois  moi-même,  sans  avoir  tué  les  Pântchâ- 
lains  et  Çikhandî,  tombé  déjà  dans  le  malheur,  dont  je 
suis  menacé  par  ce  vicieux  Dhrishtadyoumna.   6,55/i. 

»  Pourquoi  donc  me  déchires-tu,  moi,  qui  suis  con- 
sumé de  chagrins,  avec  les  flèches  de  tes  paroles,  toi, 
Bharatide,  qui  n'as  pu  sauver  Djayadratha?  6,555. 

»  Quand  tu  ne  vois  plus  dans  le  combat  ce  drapeau 
d'or  de  Bhîshma  aux  œuvres  infatigables,  qui  avait  donné 
sa  foi  à  la  vérité,  comment  peux-tu  encore  espérer  la  vic- 
toire? 6,556. 

»  Entre  ces  grands  héros,  au  milieu  desquels  Djayad- 
ratha fut  immolé  et  Bhoûriçravas  abattu,  à  quoi  bon  es- 
timer les  survivants?  6,557. 

»  Si  l'indomptable  Kripa  lui-même  vit  encore,  je  le 
félicite,  prince,  de  ce  qu'il  n'est  pas  entré  dans  la  route 
de  Djayadratha,  où  j'ai  vu  Bhîshma  tomber,  sous  les 
yeux  de  Douççâsana,  ton  frère  mineur,  au  moment,  fils 
de  Kourou,  qu'il  accomplissait  un  difficile  exploit. 

»  A  la  chiite  de  ce  vieillard,  semblable  à  un  être,  que 
les  Dieux  mêmes,  Indra  à  leur  tête,  ne  sauraient  frapper 
de  mort,  je  pensai  aussitôt,  prince,  que  ce  globe  cessait 
de  t' appartenir!  6,558 — 6,559 — ,560. 

»  Ces  armées  des  Pandouides  et  des  Srindjayas,  véné- 
rable Bharatide,  courent  maintenant  (1)  réunies  contre  moi! 

(i)  Sahitânyadya,  texte  de  Bombay. 


DRONA-PARVA.  123 

»  Sans  que  j'aie  fait  mordre  la  poussière  à  tous  les 
Pântchâlains,  je  déposerai  ma  cuirasse  dans  le  combat,  où 
je  vais  trouver  la  mort,  fils  de  Dhritarâsthra  :  c'est  une 
chose,  qui  sera  utile  pour  toi-même.  6,562. 

»  Tu  diras,  sire,  à  mon  fils  Açwatthâman  dans  la  ba- 
taille :  «  Un  homme,  qui  veut  sauver  sa  vie,  ne  doit  pas 
épargner  les  Somakas!  »  6,563. 

»  Observe  la  parole,  qui  te  fut  enseignée  par  ton  bi  - 
saïeul  (1)  :  sois  inébranlable  dans  la  douceur,  la  placi- 
dité, la  vérité,  la  droiture.  6,56/j. 

«  Instruit  dans  l'amour,  l'intérêt  et  le  devoir,  te  disait- 
il  mainte  et  mainte  fois,  sans  étouffer  l'utile  et  le  juste, 
exécute  les  choses,  comme  faisant  du  devoir  ta  plus  im- 
portante affaire.  »  6,565. 

»  Rassasie  les  brahmes  de  présents  ;  on  doit  les  hono- 
rer de  toute  manière.  Il  ne  faut  rien  faire,  qui  leur  dé- 
plaise ;  car  ils  ressemblent  à  la  flamme  du  feu.  6,566. 

»  Quant  à  moi,  blessé  des  flèches  de  tes  paroles,  j'en- 
trerai, joint  avec  toi,  immolateur  des  ennemis,  au  milieu 
des  armées,  pour  y  livrer  un  grand  combat.  6,567. 

»  Toi,  Douryodhana,  conserve  ton  armée,  si  tu  peux: 
car  tu  verras,  aujourd'hui  même,  les  Srindjayas  et  les 
Rourouides  combattre  avec  colère.»  6,568. 

A  ces  mots,  Drona,  ravissant  la  splendeur  aux  ksha- 
tryas,  comme  le  soleil  dérobe  la  clarté  aux  étoiles,  s'a- 
vança vers  les  Pândouides  et  les  Srindjayas.  6,569. 

Excité  par  le. fils  de  Bharadwâdja  et  tombé  sous  le  pou- 
voir de  la  colère,  le  monarque  Douryodhana  de  tourner 
son  esprit  au  combat.  6,570. 

(i)  Littéralement  :  par  (on  père. 


J24  LE  MAHA-BHARATA. 

(i  Vois,  dit  ton  fils  à  Karna,  vois  le  Pândouide  Kirlti, 
qui  a  Krishna  pour  son  compagnon,  et  qui  a  rompu 
notre  ordre  de  bataille,  difficile  à  enfoncer  par  les  Dieux, 
et  que  Drona  avait  disposé  lui-même.  Le  Sindhien  fut 
abattu,  malgré  les  principaux  combattants,  en  dépit  des 
efforts  du  magnanime  Drona  et  des  tiens.  Vois,  Râdhéya, 
les  plus  excellents  des  rois,  qui  soient  dans  les  batailles 
sur  la  terre,  6,571 — 6,572. 

»  Immolés  par  le  Prithide  seul,  tels  que  d'autres  ga- 
zelles, leurs  semblables  en  destin,  égorgées  par  un  lion. 
En  dépit  de  mes  efforts,  malgré  ceux  du  magnanime  Drona, 
ce  fils  d'Indra  a  réduit  mon  armée  à  un  faible  nombre  de 
combattants.  Comment  Arjouna-Phâlgouna,  après  qu'il 
eut  tué  Djayadratha  est-il  passé  à  la  rive  ultérieure  de  sa 
promesse,  malgré  les  efforts  de  Drona?  Comment  le  Pân- 
douide a-t-il  pu,  héros,  contre  la  volonté  de  Drona,  qui 
s'y  opposait  même  dans  la  guerre,  enfoncer  notre  ordre 
de  bataille  bien  difficile  à  rompre  ?  Arjouna  est  infiniment 
cher  au  magnanime  Atchârya. 

6,573-  -6,574—6,575—6,567. 

»  De-là,  s' abstenant  de  combattre ,  il  a  laissé  Phâl- 
gouna  s'emparer  d'une  porte  dans  la  guerre.  Après  que 
Drona,  le  fléau  des  ennemis,  eut  dans  le  commencement 
donné  au  Sindhien  l'assurance  contre  les  dangers,  6,577. 

»  Il  a  permis  cette  porte  à  Kirîti  !  Vois  donc  comme  je 
suis  dépourvu  de  ressources.  Si  jadis  il  a  promis  qu'il  re- 
viendrait dans  son  palais,  ce  roi  de  Sindhou  ne  devait 
pas  voir  une  destruction  de  ses  gens  dans  le  combat! 
Djayadratha  désirait  la  vie  et  voulait  revenir  dans  son 
habitation;  6,578—6,579. 

»  Il  en  fut  empêché  par  moi,  homme  abject,  sur  la  se- 


DRONA-PARVA.  125 

curité,  que  m'avait  inspirée  Drona  !  Aujourd'hui  mes  frè- 
res, Tchitraséna  et  les  autres,  ont  péri  dans  la  bataille, 
à  nos  regards  affligés,  sous  les  coups  de  Bhîmashéna!  » 
«  Ne  blâme  pas  l'Atchârya,  lui  répondit  Rarna.  Ce 
brahme  se  conduit  au  combat  de  tout  son  pouvoir,  suivant 
ses  forces,  selon  son  énergie  :  il  a  fait  le  sacrifice  de  sa 
vie.  6,580—6,581—6,582. 

»  Si,  lui  passant  sur  le  corps,  le  guerrier  aux  blancs 
coursiers  est  entré  dans  notre  armée,  il  n'y  a  point  la 
moindre  faute,  qu'on  puisse  rejeter  d'aucune  manière  sur 
l'Atchârya.  6,583. 

»  Héros  jeune,  habile,  adroit,  à  la  valeur  légère,  con- 
sommé dans  les  armes  et  revêtu  d'une  cuirasse  imbri- 
sable,  Arjouna  était  monté  sur  un  char  à  l'enseigne  du 
singe,  muni  de  tous  les  astras,  dont  Krishna  lui-même 
gouvernait  les  chevaux  vigoureux  ; 

»  Armé  du  Gândîva,  arc  divin,  inaltérable,  et  fier  de 
la  richesse  de  ses  bras,  il  fit  pleuvoir  des  flèches  acérées. 
Si  Arjouna  a  fondu  sur  Drona  attaqué,  c'est  lui  seul  que 
ce  fait  regarde.  6,58/1—6,585—6,587. 

»  L'Atchârya  est  vieux,  sire,  incapable  de  se  tenir  sur 
un  char  à  la  course  rapide  ;  il  est  sans  pouvoir,  souverain 
des  hommes,  dans  les  efforts  et  l'exercice  des  bras.  6,588. 

»  C'est  pour  cela  qu'il  fut  vaincu  par  le  guerrier  aux 
chevaux  blancs,  quia  Krishna  p  ur  son  cocher.  Je  ne  vois 
donc  aucune  faute,  qu'il  faille  pour  cette  raison  imputer  à 
Drona.  6,589. 

»  Les  Pândouides  sont,  à  mon  avis,  invincibles  dans 
un  combat  à  Drona  lui-même,  malgré  sa  connaissance  des 
astras.  Ainsi,  le  guerrier  aux  blancs  coursiers,  l'ayant 
dépassé,  est  entré  dans  notre  armée!  6,590. 


126  LE  MAHA-BHARATA. 

»  Je  ne  crois  pas  qu'il  existe  nulle  part  une  nature 
constituée  d'une  autre  manière  qu'il  n'a  plu  au  Destin. 
Voilà  pourquoi,  Souyodhana,  nous  avons  eu  beau  com- 
battre par  de-là  nos  forces,  6,591. 

»  Le  Sindhien  fut  tué  dans  le  combat.  La  puissance  du 
Destin  est  dite  suprême  1  l\ous  avons  déployé  avec  toi  les 
plus  grands  efforts  sur  le  champ  de  bataille,  6,592. 

»  Mais  le  Destin  a  paralysé  notre  courage  et  nous  a 
donné  l'infériorité  !  Dans  ces  luttes  incessantes,  soit  avec 
lâcheté  ,  soit  avec  courage ,  quelque  chose  que  fasse 
l'homme,  se'gneur,  il  est  toujours  soumis  au  Destin. 
Tout,  oui  tout,  dans  la  chute  de  Djayadratha  est  l'ou- 
vrage du  Destin.  6,593— 6, 59/i. 

»  Ce  que  peut  faire  un  homme,  qu'on  a  toujours  vu 
accompagné  de  résolution,  je  le  ferai,  sans  doute,  mais 
le  succès  dépend  du  Destin.  6,595. 

»  Les  Prithides  furent  livrés  en  jouet  à  la  méchanceté  ; 
ils  ont  subi  les  atteintes  du  poison  :  on  les  a  brûlés  dans 
la  maison  de  laque  ;  on  les  a  vaincus  au  jeu.  6,596. 

»  Après  qu'ils  eurent  ceint  le  diadème  des  rois,  ils  fu- 
rent exilés  dans  la  forêt.  Dans  toutes  les  choses  faites 
avec  des  efforts,  c'est  le  Destin,  qui  les  fait  arriver. 

»  Combats,  déployant  ton  ardeur,  sans  penser  à  la 
puissance  du  Destin.  Le  sort  entrera  (1)  toujours  dans  la 
route  d'eux  et  de  toi,  en  dépit  de  tes  efforts. 

»  Nulle  part,  il  n'existe  sans  le  Destin,  ou  d'eux,  un 
acte  de  vertu,  précédé  par  l'intelligence,  ou  de  toi,  hé- 
roïque fils  de  Rourou,  une  action  vicieuse,  dépourvue  de 
raisonnement.  6,597—6,598—6,599. 

(i)  Yâsyati,  texte  de  Bombay. 


DRONA-PARVA.  127 

»  Le  Destin  est  l'arbitre  de  tout  (1) ,  du  bien  et  du  mal  : 
une  chose  occupe  seulement  sa  vigilance  :  c'est  la  ma- 
nière, dont  il  arrivera.  6,600. 

»  Nombreuses  sont  tes  armées  et  nombreux  sont  tes 
combattants  ;  mais  ce  n'est  point  ainsi  que  s'est  déroulé 
ce  combat  pour  les  fils  de  Pândou.  6,601. 

»  Vous,  guerriers  innombrables,  vous  fûtes  conduits  à 
la  mort  par  une  poignée  d'hommes  :  ce  fut,  je  pense, 
l'œuvre  du  Destin,  qui  nous  ravit  le  courage.  »   6,602. 

Tandis  qu'ils  s'entretenaient  longuement  de  cette  ma- 
nière sur  tel  et  tel  sujet,  on  vit  apparaître  les  armées  des 
Pândouides  sur  le  champ  de  bataille.  6,603. 

Il  s'éleva  aussitôt,  entre  les  tiens  et  les  ennemis,  résul- 
tat de  tes  mauvais  conseils,  un  combat,  sire,  où  les  chars 
et  les  éléphants  étaient  mutuellement  serrés.  6,504. 

{i)Sarvasya,  édition  de  Bombay. 


LA  MORT  DE   GHATOTKATCM. 


Quand  elle  eut  dépassé  les  troupes  des  Pândouides,  ton 
armée,  à  laquelle  était  jointe  une  excellente  division  d'é- 
léphants combattit  de  tous  les  côtés.  6,605. 

Initiés  pour  l'autre  monde  au  vaste  royaume  d'Yama, 
les  Pântchâlains  et  les  Rourouides  se  combattirent,  les 
uns  les  autres.  6,606. 

Les  héros,  en  venant  aux  mains  avec  les  héros,  se  bles- 
saient dans  le  combat  avec  des  flèches,  des  lances  et  des 
leviers  en  fer,  et  s'envoyaient  lestement  au  monde  d'Ya- 
ma. 6,607. 

Il  y  avait,  des  maîtres  de  chars  avec  les  maîtres  de 
chars,  qui  s' entr' égorgeaient  les  uns  les  autres,  une  ba- 
taille grande,  épouvantable  par  ses  ruissellements  de 
sang.  6,608. 

Les  éléphants  irrités,  enivrés  par  le  mada,  s'atta- 
quaient mutuellement,  grand  roi,  et  se  frappaient  à  coups 
de  trompes.  6,609. 


DRONA-PARVA.  129 

Désirant  une  vaste  renommée  dans  cette  bataille  con- 
fuse, les  cavaliers  fendaient  les  cavaliers  avec  des  haches, 
des  lances  de  fer  et  des  traits  barbelés.  6,608. 

Sans  cesse  rivalisant  d'ardeur,  les  fantassins  par  cen- 
taines, tenant  des  javelots  à  leur  main,  terrible  guerrier 
aux  longs  bras,  couraient  les  uns  sur  les  autres.  6,609. 

Nous  distinguions  seulement  les  Pântchâlains  d'avec 
les  Kourouides,  vénérable  roi,  en  entendant  proclamer 
les  races  et  les  noms  de  leurs  familles.  6,610. 

Dans  le  combat,  où  ils  se  promenaient  sans  crainte, 
les  combattants  de  s'envoyer  réciproquement  dans  l'autre 
monde  avec  des  haches,  des  flèches  et  des  lances  de  fer. 

Ces  dards,  qu'ils  lançaient  à  milliers  par  les  dix  points 
de  l'espace,  ne  brillaient  pas  de  leur  éclat  naturel,  sire  ; 
car  le  soleil  était  descendu  au  mont  Asta. 

0,611—6,612. 

Tandis  que  les  Pândouides  combattaient  de  cette  ma- 
nière, puissant  fils  de  Bharata,  Douryodhana  se  plongea 
dans  cette  armée.  6,613. 

Pénétré  d'une  profonde  douleur  par  la  mort  du  Sin- 
dhien,  il  pensait  ainsi  :  «  11  faut  mourir  !  »  Et  il  entra 
dans  les  bataillons  des  ennemis,  ébranlant,  faisant  ré- 
sonner la  terre  au  bruit  de  son  char.  Ton  fils  s'avança 
vers  l'armée  des  Pândouides.  6,614—6,615. 

La  mêlée  confuse  de  lui  et  d'eux,  Bharatide,  faisait 
mourir  au  loin  tous  les  guerriers  d'épouvante.  6,616. 

Tel  que,  parvenu  au  milieu  du  jour,  le  soleil  brûle  de 
ses  rayons,  tel,  à  mon  avis,  ton  fils  les  consumait  par  la 
splendeur  de  ses  flèches.  6,617. 

Les  Pândouides  ne  pouvaient  fixer  les  yeux  dans  ce 
jx  9 


130  LE  MAHA-BHARATA. 

combat  sur  leur  héroïque  cousin  (1).  Sans  énergie  dans 
la  victoire  sur  les  ennemis,  n'ayant  de  force  que  pour  la 
fuite,  les  Pântchâlains  couraient  çà  et  là,  frappés  à  mort 
par  le  magnanime.  Les  combattants  des  Pàndouides  tom- 
baient, frappés  des  flèches  acérées,  à  la  pointe  luisante, 
empennées  d'or,  lancées  par  l'archer,  ton  fils.  Les  Pàn- 
douides n'accomplirent  pas  dans  ce  combat  un  exploit 
semblable  à  celui,  qui  fut  exécuté  par  le  roi,  ton  fils, 
monarque  des  hommes.  Immolés  par  son  bras  dans  cette 
bataille,   les  Pàndouides 

6,618—6,619—6,620—6,621. 
Ressemblaient  à  un  bassin  de  lotus,  agité  de  tous  les 
côtés  par  un  éléphant.  Grâce  à  la  splendeur  des  flèches 
de  ton  fils,  l'armée  Pàndouide  était  comme  un  étang  de 
nymphées  à  la  splendeur  évanouie  et  dont  l'eau  fut  tarie 
par  le  vent  et  le  soleil.  Quand  ils  virent  l'armée  de 
Pàndou  détruite  par  ton  fils,  Bharatide,  les  Pântchâlains 
de  s'enfuir,  malgré  quils  fussent  commandés  par  Bhi- 
maséna.  Le  héros  Kourouide  de  blesser  Viïkaudara  avec 
dix  traits,  les  deux  fils  de  Madrî  avec  trois  individuelle- 
ment, 6,622—6,623—6,624. 

Virâta  et  Droupada  de  six,  Çikhandi  de  cent,  Dhrishta- 
dyoumna  de  soixante-dix  et  le  fils  d'Yama  de  sept. 

Dès  qu'il  eut  frappé  les  Kaîkayains  et  les  Tchédiens  de 
nombreuses  flèches  acérées,  le  Sâttwatide  de  cinq, 
chacun  des  Draâupadéyains  de  trois,  6,625 — 6,626. 

Et  percé  Ghatotkatcha,  il  poussa  dans  la  bataille  un 
rugissement  de  lion.  Irrité,   il  tua  d'autres  combattants, 


(1)    Littéralement  :  frère.  C'est  ainsi    que    ce    mot    est    employé    dans 
l'Évangile  avec  la  même  signification  de  cousin. 


DRONA-PARVA.  131 

par  centaines,  et,  tel  que  la  mort  extermine  les  êtres,  il 
trancha  dans  ce  grand  combat  les  corps  des  éléphants  et 
des  coursiers.  L'aîné  des  Pândouides  avec  deux  bhallas 
coupa  en  trois  son  grand  arc  au  dos  en  or,  et  blessa  avec 
dix  autres  flèches  aiguës,  lancées  du  même  coup,  véné- 
rable monarque,  ce  héros,  qui  donnait  la  mort  aux  en- 
nemis.  6,627— 6, 62S— 6,629. 

Tous  ces  traits,  ayant  fendu  son  corps,  se  plongeaient 
ensemble  clans  la  terre.  Ensuite,  ces  guerriers  entourés 
environnèrent  Youdhishthira  ;  6,  630. 

TelslesDieux  pour  la  mort  de  Vritra  environnaient 
Pourandara. 

Le  roi  Youdhishthira  d'envoyer  à  ton  fils  dans  le  com- 
bat, respectable  roi,  un  trait  de  la  plus  grande  puissance. 
Celui-ci,  profondément  blessé  par  le  dard,  s'affaissa  sur 
son  char  sublime.  6.631 — 6,632. 

Un  grand  bruit  de  clameurs  poussées  s'éleva  bien  haut 
parmi  les  guerriers  Pàntchâlains  :  «Le  roi  est  mort!» 
s'écriait-on;  et  de-là  naquit  un  vaste  tumulte. 

On  entendait  le  bruit  du  sifflement  des  flèches.  Enfin, 
Drona  apparut  dans  ce  combat;  6,633. 

Et,  saisissant  un  arc  solide,  Douryodhana  lui-même  se 
se  porta  devant  les  Pândouides,  en  criant  au  roi  :  «  Halte- 
là  !  arrête!»  6,634. 

Désireux  de  sauver  le  roi,  les  Pàntchâlains  s'élancè- 
rent à  leur  rencontre  d'un  pied  hâté;  et  Drona  les  ac- 
cueillit, voulant  défendre  le  plus  élevé  des  Kourouides  : 

Ainsi,  l'astre  aux  mille  rayons  dissipe  les  nuages  ras- 
semblés par  le  vent  irrité.  Ensuite,  une  grande  bataille, 
sire,  enrichissant  la  terre  de  funérailles,  surgit  entre  les 
tiens  et  les  ennemis,  que  le  désir  de  combattre  avait  mis 
aux  prises.  6,635—6,636—6,637. 


132  LE  MAHA-BHARATA. 

«  Maintenant  que  tu  m'as  dit  que  le  vigoureux  Drona 
était  entré  avec  colère  au  milieu  des  Pândouides,  inter- 
rompit Dhritarâshtra,  et  que  mon  insensé  (1)  fils,  Dou- 
ryodhana,  le  violateur  des  préceptes  de  morale,  6,638. 

»  Se  promenait,  héros  monté  sur  son  char,  au  milieu 
de  l'armée  ennemie,  dis-moi  comment  les  Pândouides  ont 
arrêté  Drona  au  grand  arc.  6,639. 

»  Qui  défendit  à  droite  les  roues  de  l'Atchârya  dans  ce 
grand  combat  ?  Qui  les  défendit  à  gauche,  quand  il  im- 
molait impitoyablement  les  ennemis?  6,6ZiO. 

»  Quels  héros  ont  protégé  les  derrières  de  cet  héroïque 
combattant?  Quels  maîtres  de  chars  ennemis  se  jetèrent 
devant  ses  pas?  6,641. 

»  Ils  ont  senti,  je  pense,  un  froid  excessif,  hors  de 
saison  ;  ils  ont  dû  trembler,  je  pense,  comme  des  bœufs 
en  hiver.  6,6Zi2. 

»  Tu  m'as  dit  que  ce  héros  invaincu,  le  meilleur  de 
tous  ceux,  qui  portent  les  armes,  est  entré  au  milieu  des 
Pântchâlains,  où  il  semblait  danser  dans  les  routes  de  son 
char.   6,643. 

»  Comment  ce  taureau  des  hommes,  qui  consumait  les 
armées  des  Pântchâlains,  comme  un  furieux  météore,  est- 
il  descendu  dans  la  tombe  ?  »  6,644. 

Victorieux  du  Sindhien,  répondit  Sandjaya,  le  Prithide, 
s'étant  réuni  au  roi,  et  le  Sâttwatide  au  grand  arc  cou- 
rurent dans  la  soirée  sur  Drona.  6,645. 

Youdhishthira  et  le  Pàndouide  Bhîmaséna,  chacun  à 
la  tête  d'une  armée,  fondirent  également  sur  lui.  6,646. 

Le  sage  Nakoula  et  l'invincible  Sahadéva,  Dhrishta- 
dyoumna  avec  sa  division  et  Virâta  avec  les  Kaîkayains, 

(1)  Manda»,  texte  de  Bombay. 


DRONA-PARVA.  133 

Les  Matsyas  et  les  Çâlyas  se  portèrent  avec  des  armées 
contre  le  fils  de  Bharadwâdja.  Défendu  par  les  Pântchà- 
lains,  le  roi  Droupada,  père  de  Dbrishtadyoumna,  s'ap- 
procha de  Drona.  Les  Draâupadéyains  aux  grands  arcs 
et  le  Rakshasa  Gathotkatcha  6,647— 6,6ZiS— 6,6/i9. 

Firent  tête  avec  des  armées  au  brahme  à  la  grande 
lumière.  Les  fortunés  Pântchâlains  au  nombre  de 
six  mille  combattants,  6,650. 

Ayant  élu  Çikhandî  pour  chef,  s'avancèrent  vers 
Drona,  et  les  autres  tigres  des  hommes,  héros  illustres 
des  Pàndouides,  s'approchèrent,  les  rangs  unis,  de  l'At- 
chârya.  Tandis  que  ces  héros  s'avançaient  pour  le  com- 
bat, taureau  des  hommes  et  des  Bharathicles, 

6,651— 6, 65V. 

Il  se  répandit  une  nuit  épouvantable,  accroissant  l'ef- 
froi des  gens  timides.  Ces  ténèbres  horribles,  tournant  à 
la  mort  des  combattants  mêmes,  dérobaient  en  ce  mo- 
ment les  souffles  de  l'existence  aux  hommes,  aux  cour- 
siers ,  aux  éléphants.  Dans  cette  nuit  terrible  de  tous 
côtés,  les  chacals  se  réjouissant  6,653 — 6,65Zi. 

Annonçaient  de  leurs  gueules,  qui  semblaient  dévorer 
des  flammes,  un  formidable  péril;  et  des  météores  de 
feu  crépitants  prédisaient  un  vaste  sujet  d'épouvante. 

Ils  étaient  surtout  au  plus  haut  point  alarmants  au 
milieu  de  l'armée  des  Kourouides.  Soudain,  Indra  des 
rois,  éclata  parmi  les  armées  un  bruit  immense.  La  ter- 
reur dominait  de  toute  part  au  vaste  roulement  des  tam- 
bours, au  son  des  tympanons,  au  barrit  des  éléphants,  au 
hennissement  des  coursiers,  au  trépignement  de  leurs 
pieds.  Ensuite,  commença  au  coucher  du  soleil  un  combat 
plus  qu'épouvantable,  6,655 — 6,656 — 6,6576, — 658. 


134  LE  MAHA-BHARATA. 

De  tous  les  côtés,  puissant  monarque,  entre  le  fils  de 
Bharadwâdja  et  les  Srindjayas.  Au  milieu  des  ténèbres, 
dont  le  monde  était  enveloppé,  on  ne  pouvait  rien  distin- 
guer. 6,659. 

Le  sang  du  cheval,  de  l'éléphant,  du  guerrier  se  coagu- 
lait avec  la  poussière,  que  l'armée  soulevait  de  tous  les 
côtés.  6,660. 

Plongés  dans  l'abattement ,  nous  ne  voyions  pas  la 
poussière  de  la  terre,  comme  on  ne  voit  pas  dans  la  nuit 
celle  d'une  forêt  de  roseaux,  qui  brûle  sur  une  montagne. 

On  entendait  un  cliquetis  épouvantatable  de  flèches 
tombant  :  tout  semblait  rempli  du  son  des  tambours  et 
des  tympanons,  des  tymbales  et  des  patahas,  plein  de 
formes  indécises  entre  le  barrit  et  le  hennissement.  Enve- 
loppés d'obscurité,  sire,  on  ne  distinguait,  ni  les  siens,  ni 
les  ennemis.  6,661 — 6,662 — 6,663. 

Tout  semblait  dans  le  soir  s'enivrer  de  folie  :  le  sang 
montait  dans  le  ciel,  Indra  des  rois,  avec  la  poussière  de 
la  terre.  6,66Zi. 

L'obscurité  se  répandait  au  milieu  de  l'or,  des  cuirasses, 
des  parures  :  l'armée  Bharatienne,  ornée  dejoyauxetd'or, 

Ressemblait, éminent  Bharatide,  au  ciel  delà  nuit,  par- 
semé de  constellations.  Elle  était  peuplée  de  hérons  et  de 
chacals,  remplie  de  drapeaux  et  de  lances  en  fer. 

6,665—6,666. 

Effrayante,  elle  répétait  le  barrit  des  éléphants;  elle 
résonnait  de  blessures  retentissantes  ;  il  régnait  un  bruit 
grand,  confus,  horripilant,  semblable  au  fracas  de  la  fou- 
dre du  grand  Indra,  et  qui  remplissait  tous  les  points  de 
l'espace.  Dans  cette  nuit  profonde,  grand  roi,  on  n'entre- 
voyait pas  l'armée  Bharatienne,  parée  de  bracelets ,  de 


DRONA-PARVA.  135 

pendeloques,  de  nishkas  et  même  de  ses  armes.  Là, 
étaient  ornés  d'or  les  chars  et  les  éléphants  eux-mêmes. 

6,667—6,668—6,669. 

Ils  paraissaient  dans  la  nuit  comme  des  nuages  entre- 
lacés d'éclairs.  On  voyait  tomber,  comme  des  feux  res- 
plendissants, les  pattiças,  les  traits  barbelés,  les  mousha- 
las,  les  cimeterres,  les  massues,  les  lances  de  fer  et  les 
épées.  Désirant  livrer  un  combat,  les  guerriers  d'entrer 
dans  cette  armée  terrible,  surprenante,  épouvantable, 
largement  unie  au  froid  et  au  chaud,  pleine  de  drapeaux, 
précédée  par  le  vent  de  Douryodhana,  qui  avait  pour 
nuages  les  divisions  des  chars,  pour  tonnerre  le  biuit 
des  instruments  de  musique,  pour  éclairs  les  arcs,  pour 
nuées  les  Pàndouides  et  Drona,  pour  foudres  les  cime- 
terres, les  massues  et  les  lances  de  fer.  Dans  cette  ef- 
frante  soirée,  qui  résonnait  d'un  fracas  immense,  qui  fai- 
sait naître  la  terreur  des  gens  timides  et  accroissait  la  joie 
des  héros,  tandis  que  s'agitait  ce  combat  de  nuit,  très- 
formidable,  plein  d'épouvante,  les  Pàndouides  et  lesSrin- 
djayas  réunis  fondirent  avec  colère  sur  Drona;  mais  à 
tous  les  magnanimes,  sire,  il  fit  tourner  le  dos,  quels 
qu'ils  fussent,  et  les  plongea  dans  la  ville  d'Yama.  Les 
milliers  d'éléphants  et  les  myriades  de  chars,  [De  lastance 
6,670  à  la  stance  6,681.  ) 

Les  millions  et  les  centaines  de  millions  des  fantassins 
et  des  cavaliers  furent,  par  compagnies,  percés  dans  cette 
soirée  des  nârâtchas,  que  décochait  la  main  seule  de  Drona. 

«  Quand  cette  armée  intraitable,  irritée,  insoutenable, 
mais  à  la  force  non  sans  mesure,  des  Srindjayas  eut  été 
enfoncée,  s'enquit  Dhritarâsthra,  quels  furent  alors  vos 
sentiments?  6,681— 6,682. 


136  LEMAHA-BHARATA. 

»  Qu'est-ce  qui  fut  accompli  par  le  Prithide  à  l'âme  in- 
commensurable, cet  immolaient'  de  l'héroïque  Sin  >hien 
et  de  Bhoûriçravas,  quand  il  fut  entré  dans  l'armée, 
après  qu'il  eut  adressé  un  tel  langage  à  mon  fils  Douryo- 
dhana,  le  transgresseur  des  préceptes  de  morale?  Tu  dis 
que  le  brahme  invaincu  à  la  grande  splendeur  s'est 
_approché  des  Pândouides?  6,683 — 6,684. 

»  Après  que  cet  inaffrontable  fléau  des  ennemis  fut  entré 
au  milieu  d'eux,  quel ie.  chose  Douryoclhana  pensa-t-il  à 
propos  de  faire  ?  6,685. 

»  Qui  suivirent  les  pas  de  ce  héros,  donateur  de  grâces, 
le  plus  excellent  des  brahmes  ?  Quels  braves,  cocher, 
ont  protégé  les  derrières  de  ce  vaillant  guerrier  dans  sa 
bataille  ?  6,686. 

»  Qui  ont  combattu  devant  lui,  tandis  qu'il  détruisait 
les  ennemis  dans  le  combat  ?  Tous  les  Pândouides,  à  mon 
avis,  furent  la  proie  des  flèches  du  Bharaclwâdjide  ! 

»  Ils  ont  dû  trembler,  seigneur,  comme  des  bœufs  mai- 
gres en  hiver.  Comment  ce  héros,  le  tigre  des  hommes, 
qui  broie  les  ennemis  entre  ses  mâchoires,  est-il  des- 
cendu au  tombeau  dans  l'armée  des  Pântchâlains,  où  il 
s'était  introduit  ?  6,6S7 -6,688—6,689. 

»  Dans  cette  nuit,  où  toutes  les  armées  étaient  rassem- 
blées, où  les  grands  héros  en  vinrent  aux  mains,  où  le 
trouble  agitait  chaque  troupe  (1)  en  particulier,  qui  furent 
alors  parmi  vous  les  esprits  intelligents  ?  6,690. 

»  Tu  dis  que  les  maîtres  de  chars  d'entre  les  miens 
étaient  dans  ces  combats,  ou  mourants,  ou  couchés  morts, 


1)  Vrithufjbétdsku,  texte  de  Bombay. 


DRONA-PARVA.  187 

ou  suspendus  entre  la  mort  et  la  vie,   ou  réduits  même 
sans  chars.  6,691. 

h  Dans  quels  sentiments  furent  alors  ces  hommes  agi- 
tés, l'esprit  frappé  par  les  Pândouides  et  plongés  en  des 
ténèbres  obscures  ?  6,692. 

»  Les  Pândouides  sont  remplis  d'ardeur,  me  dis-tu  ; 
ils  sont  hautains  même  ;  et  les  miens  n'ont  plus  de  res- 
sort, ils  ont  perdu  le  cœur,  ils  tremblent  d'effroi  !  6,693. 

»  Comment  la  valeur  de  ces  Prithides,  qui  ne  fuient 
jamais,  Sandjaya,  s'est-elle  déployée  cette  nuit  contre  les 
Kourouides  !  »  6,69/i. 

Tandis  que  se  déroulait  ce  combat  de  nuit  très-épou- 
vantable, répondit  Sandjaya,  tous  les  Prithides  avec  les 
Somakas  de  courir  sur  Drona.  6,695. 

Alors  celui-ci,  de  ses  flèches  au  vol  rapide,  plongea 
dans  l'autre  monde  les  Kaîkayains  et  tous  les  fils  de 
Dhrishtadyoumna.   6,696. 

Ce  grand  héros  envoya  au  monde  des  Mânes,  sire,  tous 
les  princes,  qui  venaient  s'offrir  devant  lui.  6,697. 

-L'auguste  roi  Çivi  s'avança  alors  avec  colère  vers  le 
vaillant  fils  de  Bharadwâdja,  qui  immolait  en  grand  héros 
les  ennemis.  6,698. 

Quand  il  vit  accourir  cet  éminent  brave  des  Pândouides, 
Drona  de  le  frapper  avec  dix  flèches,  toutes  de  fer 
massif.   6,699. 

Çivi  le  blessa  en  retour  de  trente  dards,  et  abattit  en 
riant  son  cocher  d'un  bhalla.  6,700. 

Après  qu'il  eut  tué  les  chevaux  et  le  cocher  de  ce  ma- 
gnanime, Drona  ravit  à  son  corps  la  tète,  coiffée  elle- 
même  avec  le  casque.  6,701. 


138  LE  MAHA-BHARATA. 

Douryodhana  (11  promptement  donna  ses  ordres  à  un 
autre  cocher  ;  et,  celui-ci  modérant  ses  chevaux,  il  fondit 
une  seconde  fois  sur  les  ennemis.  6,702. 

Irrité  par  la  mort  de  son  père,  tombé  précédemment 
sous  les  coups  de  Blwna,  le  fils  du  roi  de  Kalinga  s'élança, 
avec  une  armée  de  Kalingains,  sur  Vrikaudara.  6,703. 

Il  blessa  d'abord  Bhîmaséna  de  cinq  flèches,  ensuite 
de  sept  ;  il  décocha  trois  dards  sur  Yiçoka,  un  seul  à  son 
drapeau.  6, 70 A. 

Courroucé  contre  le  roi  des  Kalingains  en  courroux, 
Vrikaudara  sauta  de  son  char  sur  le  char  de  son  ennemi, 
et  le  frappa  de  sa  main  fermée.  6,705. 

Frappé  du  poing  par  ce  vigoureux  Pândouide,  tous  ses 
os  tombèrent  soudain  sur  le  champ  de  bataille,  les  uns 
ici,  les  autres  là.   6,706. 

Karna  et  ses  frères  ne  purent,  fléau  des  ennemis,  sup- 
porter son  infortune  ;  aussi  percèrent-ils  Bhîmaséna  de 
nârâtchas,  semblables  à  des  serpents.   6,707. 

De-là,  abandonnant  le  char  de  l'ennemi,  Bhîma  de 
passer  dans  le  char  de  Certain  (2),  qu'il  broya  de  son 
poing,  et  la  mort  éternelle  du  guerrier  fut  certaine   (3). 

11  tomba  sous  le  coup  du  vigoureux  fils  de  Pândou. 
Après  cette  victoire,  puissant  roi,  Bhîmaséna  à  la  grande 
force,  arrivé  au  chariot  de  Djayafâta,  rugit  trois  et  quatre 
fois  comme  un  lion,  et,  tout  en  jetant  ces  cris,  il  renversa 

(1)  Évidemment,  cette  stance  interpolée  n'est  point  ici  à  sa  place,  dans 
l'une  et  l'autre  édition  ;  car  l'action  précédente  s'est  accomplie  avec  Çivi, 
qui  vient  de  périr  décapité,  non  avec  Douryodhana,  qui  d'ailleurs  compte 
Drona  pour  un  de  ses  combattants. 

(2-3)  Dhrouvan.  .Mais  nous  avons  traduit  le  nom,  contre  notre  usage, 
afin  de  pouvoir  rendre  ici  le  jeu  de  mots. 


DRONA-PARVA.  139 

la   maître   de  sa  main   gauche.    6,708 — 6,709— (5,710. 

Placé  devant  Karna  lui-même,  il  immola  Djayarâta 
d'un  coup  de  sa  paume,  mais  Karna  de  lancer  au  Pàn- 
douide  une  lance  toute  faite  d'or.  6,711. 

Le  fils  de  Pàndou  arrêta  cette  arme  en  riant  ;  et  l'iriaf- 
frontable  Vrikaudara  la  renvoya  elle-même  à  Karna  sur 
le  champ  de  bataille.  6,712. 

Çakouni  la  trancha  dans  son  vol  avec  un  trait  imbu  de 
sésame.  Quand- il  eut  accompli  cette  grande  prouesse,  le 
guerrier  au  courage  admirable  remonta  dans  son  char  et 
fondit  sur  ton  armée.  Ton  fils  aux  longs  bras  ,  souverain 
des  hommes,  arrêta  Bhîmaséna,  qui  s'approchait,  telle 
que  la  mort  irritée,  avec  le  désir  de  tuer.  Les  grands 
héros  de  l'ensevelir  sous  une  forte  averse  de  flèches. 

6,713—6,71/1—6,715. 

Ensuite  Bhîma,  en  riant,  conduisit  dans  ce  combat  le 
cocher  et  les  chevaux  de  Dourmada  au  séjour  d'Yama. 

Sur  le  champ,  Dourmada  de  monter  sur  le  chariot  de 
Dourkarna  ;  et  ces  deux  frères,  destructeurs  des  ennemis, 
montés  sur  un  seul  et  même  char,  de  courir  sur  Bhîma 
au  milieu  du  front  de  la  bataille,  comme  jadis  les  deux 
souverains  des  eaux  fondirent  sur  Tàraka,  le  plus  excel- 
lent des  Daîtyas.  6,716 — 6,717 — 6,718. 

Alors  Dourmada  et  Dourkarna,  tes  fils,  sur  la  voiture, 
où  ils  étaient  montés  l'un  et  l'autre,  blessèrent  Bhîmaséna 
de  leurs  flèches.  6,719. 

Mais,  en  dépit  de  Karna,  d'Açwatthâman,  de  Douryo- 
dhana,  de  Kripa,  de  Somadattà  et  de  Yâhlika,  le  Pàn- 
douide,  dompteur  des  ennemis,  fit  entrer  dans  la  terre 
d'un  coup  du  son  pied  le  char  de  Dourkarna  et  de  l'hé- 
roïque Dourmada.  6,720. 


l/,0  LE  MAHA-BHARATA. 

Puis,  bouillant  de  colère,  il  broya  sous  un  coup  de 
son  poing  ces  deux  vigoureux  héros,  tes  fils,  et  jeta  un 
cri.  6,721. 

Quand  ils  virent  Bhîma  dans  l'année  gémissante  : 
«  C'est  Roudra  lui-même  sous  la  forme  de  Bhîma  !  di- 
rent les  rois  ;  il  a  faim  des  fils  de  Dhritarâshtra  !  »  6,722. 

A  ces  mots,  tous  les  princes  de  s'enfuir,  Bharathide. 
Ils  gouvernaient  leurs  chevaux  en  hommes  privés  de  sens, 
et  deux  ne  couraient  pas  ensemble.  6,723. 

Le  soir,  au  milieu  de  cette  armée  profondément  agitée, 
Vrikaudara  à  la  grande  force,  aux  yeux  de  lotus  sortis  du 
sommeil,  fut  honoré  par  les  plus  excellents  des  rois,  et  le 
vigoureux  honora  lui-même  le  monarque  Youdhlshthira. 

Ensuite  les  deux  jumeaux,  Droupada,  Virâta,  les  Kaî- 
kéyains  et  Youdhishthira  furent  comblés  d'une  grande 
joie  ;  ils  répandirent  les  plus  grands  honneurs  sur  Vri- 
kaudara, comme  jadis  les  Immortels  avaient  honoré  Çiva, 
de  qui  le  bras  venait  d'immoler  Andhaka.  6,72 h — 6,725. 

Semblables  aux  fils  de  Varouna  et  pleins  de  ressentiment, 
tes  fils,  accompagnés  du  magnanime  Gourou,  environnè- 
rent, brûlants  de  continuer  cette  bataille,  Bhîmaséna  avec 
les  rangs  épais  de  leurs  fantassins,  éléphants  et  chariots 
de  guerre.  6,726. 

Dans  cette  soirée  d'une  extrême  épouvante  et  qui  sem- 
blait couverte  de  nuages  ténébreux,  se  déroula  entre  ces 
magnanimes,  ô  le  meilleur  des  rois,  un  combat  suprême, 
terrible,  inspirant  le  plus  profond  effroi  et  cause  de  joie 
pour  les  vautours,  les  loups  et  les  hérons.  6,728. 

Après  que  Sàtyaki  eut  immolé  ton  fils,  qui  s'était  assis 
dans  le  jeûne,  Somadatta,  plein  de  colère,  lui  adressa  ces 
paroles  :  6,7:: 9. 


DRONA-PARVA.  141 

«  Toi,  que  les  Dieux  magnanimes  ont  vu  jadis  observer 
le  devoir  du  kshatrya,  comment,  Sâttwatkle,  déserteur 
de  ce  devoir,  te  complais-tu  dans  celui  du  voleur  ? 

»  Comment  un  guerrier  sage,  qui  trouve  son  plaisir 
dans  les  devoirs  du  kshatrya,  aurait-il  exercé  une  vio- 
lence (1),  Sâtyaki  (2),  sur  un  homme  malheureux,  qui 
avait  détourné  sa  face  du  combat  et  qui  avait  même 
déposé  ses  armes  ?  6,730—6,731. 

>•  Certes  !  vous  êtes  ici  deux  grands  héros,  le  premier 
des  Vrishnides  dans  le  combat,  Pradyoumna  à  la  grande 
splendeur  et  toi,  Scàtyaki.  6,732. 

»  Comment  as -tu  pu  commettre  une  telle  barbarie,  un 
si  énorme  péché  contre  un  guerrier  assis  dans  le  jeûne,  à 
qui  le  Prithide  avait  même  coupé  le  bras  (3)  ?  6,733. 

»  Goûte,  homme  abject,  le  fruit  de  cette  action!  Au- 
jourd'hui, marchant  avec  audace,  insensé,  je  vais  d'une 
flèche  trancher  ta  tête  dans  le  combat.  6,734. 

»  Je  le  jure  par  mes  deux  fils,  Sâttwatide,  par  mes  sa- 
crifices et  par  mes  bonnes  œuvres!  Si,  avant  que  la  nuit 
soit  écoulée,  je  ne  t'ai  pas  tué,  avec  ton  fils  et  ton  frère 
mineur,  toi,  qui  as  le  vain  orgueil  d'un  héros  et  que 
ne  défend  pas  Djishnou  le  Prithide,  puisse- je  tomber, 
opprobre  des  Vrishnides,  dans  l'épouvantable  Naraka!  » 

6,735—6,736. 

A  ces  mots,  Sodamatta  à  la  grande  force  remplit  de 
vent  sa  conque  avec  colère,  et  poussa  d'une  voix  écla- 
tante son  cri  de  guerre.  6,737. 

Le  robuste  Sâtyaki  aux  longues  dents  de  lion,  aux 


(1-2)  Praharait,....  Sâtyakai,  texte  de  Bombay. 
(3)  Tchinnabùhavai,  même  texte. 


1A2  LE  MAHA-BHARATA. 

yeux  pareils  aux  pétales  du  lotus,  bouillant  de  colère, 
répondit  eu  ces  termes  à  Somadatla  :  6,738. 

«  Kourouicle  ,  il  n'existe  pas  en  mon  cœur  la  plus 
minime  appréhension,  quand  je  combats,  soit  avec  toi, 
soit  avec  d'autres.  6,739. 

»  Si,  défendu  par  une  armée  complète,  tu  voulais  me 
combattre,  fils  de  Kourou,  je  ne  sentirais  pas  môme  dans 
cette  condition  la  moindre  alarme.  6,740. 

»  Observant  la  conduite  du  kshatrya,  tu  ne  peux  me 
faire  trembler  par  ta  parole  sans  vigueur  dans  la  guerre, 
estimée  seulement  des  hommes  sans  cœur.  6,741. 

»  Si  tu  as  le  désir  de  combattre  maintenant  avec  moi, 
souverain  des  mortels,  envoie  sur  moi  sans  pitié  tes  flè- 
ches acérées,  et  je  t'enverrai  les  miennes.  6,742. 

»  J'ai  fait  mordre  la  poussière  à  Bhoûriçravas  ,  le 
grand  héros,  ton  fils,  vaillant  sire,  et  j'ai  traîné  les  cada- 
vres de  Cala  même  et  de  Vrishaséna.  6,743. 

»  Je  t'immolerai  toi-même  à  cette  heure  avec  ton  fils, 
avec  tes  parents  :  tiens  ferme  maintenant  dans  le  combat; 
tu  peux,  Kourouicle,  déployer  de  vigoureux  efforts. 

»  L'aumône,  la  placidité,  la  patience,  la  pureté,  la  pu- 
deur, l'innocuité,  la  constance,  toutes  ces  qualités,  on  les 
trouve  toujours  vivantes  dans  le  roi  Youdhishthira. 

6,7ZiZi — 6,7A5. 

»  Tu  fus  frappé  jadis  par  l'énergie  de  ce  prince,  qui 
a  pour  son  enseigne  un  tambour.  Tu  iras  ta  la  mort  dans 
le  combat  avec  Rarna,  avec  le  Soubalide!  6,7Zi6. 

»  Je  le  jure  par  les  pieds  de  Krishna,  mes  sacrifices  et 
mes  actes  méritoires!  Si,  enflammé  de  colère,  je  ne  t'a- 
bats point  sous  mes  flèches  dans  la  bataille  avec  ton 
fils,...   6,747. 


DRONA-PARVA.  lh'à 

»  A  moins  que,  désertant  le  combat,  tu  ne  t'éloignes 
du  champ  de  bataille  :  c'est  ainsi  que  tu  m'échapperas.  » 
Quand  il  eut  parlé  de  cette  manière,  ces  deux  guerriers 
éminents,  les  yeux  étincelantule courroux,  commencèrent 
à  faire  tomber  les  flèches  l'un  sur  l'autre.  Mais  Douryo- 
dhana  se  tint  de  pied  ferme,  lorsqu'il  eut  environné  So- 
madatta  d'un  millier  de  chars  et  d'une  myriade  de  che- 
vaux et  d'éléphants.  Çakouni,  bouillant  de  colère.,  ayant 
pour  escorte  toutes  les  espèces  d'armes, 

6,7/iS— 6,749— 6,750. 
Ton  beau-frère,  grand  roi,  jeune,  avec  un  corps  de 
diamant,  entouré  de  ses  fils,  de  ses  petit-fils  et  de  ses 
frères,  tous  vaillants  comme  Indra;  6,751. 

Flanqua  de  tous  côtés  l'héroïque  Somadatta.  Cent  mil- 
liers de  chevaux  formaient  le  front  de  ce  prudent  guer- 
rier.  6,752. 

Protégé  de  ces  vigoureux  combattants,  Somadatta  ense- 
velit Sâtyaki  sous  des  flèches  aux  nœuds  inclinés.  Aussitôt 
qu'il  le  vit  couvert  de  ces  traits,  6,753. 

Dhrishtadyoumna  de  s'approcher  avec  colère  à  la  tête 
d'une  grande  armée.  Le  bruit  de  ces  flots  d'armées,  sire, 
qui  se  meurtrissaient  l'une  l'autre,  ressemblait  au  son 
des  mers  soulevées  par  les  vents  en  furie.  Somadatta  de 
blesser  le  Sâttwatide  avec  neuf  flèches;  6,754 — 6,755. 

Et  Sâtyaki  de  percer  l'é minent  Kourouide  avec  neuf 
autres.  Profondément  atteint  dans  le  combat  par  ce  vi- 
goureux et  solide  archer,  6,756. 

Il  se  laissa  tomber  sur  le  banc  du  char  et  s'évanouit, 
l'âme  presque  exhalée.  Dès  que  son  cocher  l'eut  vu  privé 
de  sentiment,  il  retira,  déployant  sa  vitesse,  l'héroïque 
Somadatta  du  champ  de  bataille.  Quand  il   le  vit  sans 


U&  LEMAHA-BHARATA. 

connaissance,   en    proie    aux    flèches    d'Youyoudhâna, 

6,757—6,758. 

Drona  courut,  entraîné  par  le  désir  de  tuer  le  héros  des 
Yadouides.  A  peine  V eurent-ils  vu  accourir,  les  guerriers 
sous  les  ordres  d'Youdhishthira,  6,759. 

Désirant  sauver  le  fils  d'Yadou,  environnèrent  ce  ma- 
gnanime. Alors  commença  le  combat  de  Drona  avec  les 
Pândouides,  6,760. 

Comme  jadis  celui  de  Bali  avec  les  Dieux  par  le  désir 
de  vaincre  les  trois  mondes.  Ensuite,  couvrant  l'armée  des 
Pândouides  avec  un  rézeau  de  flèches,  6,761. 

Le  Bharadwâdjide  à  la  grande  splendeur  blessa  You- 
dhishthira,  Sâtyaki  (1)  avec  dix  traits,  et  le  Prishatide 
avec  une  vingtaine  de  projectiles.  6,762. 

Il  perça  Bhîmaséna  de  neuf,  Nakoula  de  cinq, 
Sahadéva  de  huit  et    Çikhandî  de    cent    dards. 

Le  guerrier  aux  longs  bras  de  frapper  les  Draâupa- 
déyains  de  cinq  flèches  individuellement  ,  Virâta  le 
Matsya  de  huit  et  Droupada  avec  dix  traits, 

6,763— 6,76â. 

Youdhâmanyou  de  trois,  Outtamaâudjas  de  six  ;  et, 
quand  il  eut  blessé  d'autres  guerriers  dans  le  combat,  il 
courut  sur  Youdhishthira.  6,765. 

Frappés  à  mort  par  Drona,  les  combattants  du  fds  de 
Pândou  s'enfuirent  de  peur,  sire,  poussant  des  cris  de  dé- 
tresse, par  les  dix  points  de  l'espace.  6,766. 

Quand  Phâlgouna  vit  cette  armée,  que  Drona  massa- 
crait impitoyablement,  il  ressentit  un  peu  de  colère  et 
s'avança  rapidement  vers  son  instituteur  spirituel.  6,767. 

(i)  Sâtyakin,  texte  de  Bombay. 


DRONA-PAUVA.  145 

Dès  qu'il  ent  vu  Bibhatsou  accourir  c'ans  le  combat, 
Drona  de  nouveau  s'avança  vers  l'armée  d'Youdhish- 
thira.  6,768. 

Alors  recommença  la  bataille  du  fils  de  Bbaradwâdja 
avec  les  Pândouidés.  Environné,  sire,  de  tous  côtés 
par  tes  fils,  le  bralime  dissipa  les  armées  de  Pândou  avec 
la  même  rapidité  que  le  feu  dévore  un  monceau  de  coton. 
On  voyait,  majesté,  la  splendeur  sans  terme,  sans 
mesure,  des  flèches  de  Drona,  qui  avaient  un  éclat  pareil 
au  feu  enflammé  ou  semblable  au  soleil  flamboyant  ;  on 
voyait  son  arc  mis  en  cercle,  comme  l'astre  brûlant  du 
ciel.  6,769—6,770—6,771. 

Qui  que  ce  soit  dans  l'armée  ne  put  l'arrêter,  tandis 
qu'il  incendiait  les  ennemis.  Tout  guerrier,  qui  se  tenait, 
présentant  le  front  à  Drona,  6,772. 

La  flèche  du  brahme  soudain  tranchait  sa  tête,  et  se 
plongeait  dans  la  terre.  Ainsi  l'armée  des  Pândouides, 
taillée  en  pièce  par  le  magnanime,  s'enfuyait  de  nouveau, 
tremblante  sous  les  regards  de  l'Ambidextre.  A  peine  eut- 
il  vu  son  armée,  Bharatide,  que  Drona  avait  rompue  au 
commencement  delà,  nuit,  6,773 — 6,774. 

Djishnou  parla  en  ces  termes  à  Govinda  :  «  Pousse  tes 
chevaux  contre  le  char  de  Drona  !  »  A  ces  mots,  le  Dâçâ- 
rhain  de  lancer  contre  le  char  du  brahme-guerrier  ses 
coursiers  d'une  blancheur  telle  que  la  lune,  le  jasmin 
multillore,  le  lait  et  l'argent.  A  la  vue  de  Phàlgouna,  qui 
s'élançait  vers  le  brahme,  Bhîmaséna  lui-même 

6,775—6,776. 

Dit  ces  mots  à  son  cocher  :  «  Conduis-moi  à  l'armée  de 
Drona  !  »  Viçoka,  dès  qu'il  eut  entendu  ces  paroles,   ai- 
guillonna ses  chevaux  sur  les  pas  de  Djishnou,  qui  avait 
10  IX 


J/16  LE  MAHA-BHARATA. 

donné  sa  foi  à  la  vérité.  A  peine  eurent-ils  vu,  ô  le  plus 
grand  des  Bharatides,  ces  deux  frères,  déployant  leurs 
efforts,  se  précipiter  vers  l'armée  de  Drona, 

6,777-6,778. 

Les  Srindjayas,  les  Pântchâlains,  les  Matsyas,  les 
Tchédiens,  les  Kâroûshas,  les  Roçalains  et  les  grands 
héros  Kaîkéyains  suivirent  cet  élan.  6,779. 

Alors  fut  livrée,  sire,  une  bataille  effrayante,  qui  fit  se 
dresser  les  cheveux  d'épouvante.  Bîbhatsou  au  côté  du 
midi,  Vrikaudara  à  celui  du  nord,  6,780. 

Saisirent  ton  armée  entre  deux  grandes  masses  de 
chars.  A  la  vue  de  ces  deux  tigres  des  hommes,  Dhanan- 
djaya  et  Bhîmaséna,  6,781. 

Dhrishtadyoumna  et  Sâtyaki  à  la  vaste  force  de  s'appro- 
cher également,  sire.  Le  bruit  de  ces  flots  d'armées,  se 
meurtrissant  l'une  l'autre,  ressemblait  alors,  majesté,  au 
son  des  mers  soulevées  par  les  vents  en  furie  (1).  Irrité 
de  la  mort  du  Somadattide,  Açwatthâman,  à  l'aspect  de 
de  Sâtyaki  dans  le  combat,  s'élança  contre  lui  avec  colère 
au  front  du  champ  de  bataille;  Le  Bhîmasénide  à  la 
grande  force,  le  puissant  Rakshasa  se  porta  dans  ce  con- 
flit à  la  rencontre  du  héros,  qui  courait  sur  le  chariot  de 
Çaînéya. 

11  était  monté  sur  un  grand  char,  horriblement  épouvan- 
table, construit  en  fer  noir,  couvert  (2)  de  la  dépouille  des 
ours,  et  qui  mesurait  trente  nalvas  de  l'un  à  l'autre  bout. 
Des  armures  et  des  machines  de  guerre  s  y  trouvaient 


(1)  Deux  vers  déjà  vus,  stances  6,754  et  6,753. 

(2)  ParitMiada,  texte  de  Bombay,  qui  fait  disparaître  le  mot  inutile  et 
surabondant  mahat  du  texte  de  Calcutta. 


DRONA-PARVA.  147 

disséminées  çà  et  là;  il  résonnait  comme  une  masse  de 
grands  nuages.    (De  la  slance  6,782  à  la  slance  (5,787.) 

Il  avait  pour  attelage  des  coursiers,  qui  ressemblaient 
à  des  éléphants  et  qui  n'étaient  ni  des  chevaux  ni  des  élé- 
phants, mais  des  Piçâtchas  (1)  ;  ses  roues  bruyantes 
étaient  couvertes  de  pieds  et  d'ailes  parsemées.  6,787. 

Une  hampe  élevée  portait  son  drapeau,  anGaroada,  le 
roi  des  vautours,  en  argent  :  son  étendard,  humide  de 
sang,  était  hideusement  paré  de  bouquets  d'entrailles. 

Il  était  monté  dans  ce  char  immense,  qui  roulait  sur 
huit  roues  :  il  était  environné  d'une  armée  complète  de 
Rakshasas  aux  formes  épouvantables,  qui  tenaient  à  la 
main  des  maillets  d'armes  et  des  lances  de  fer,  des  arbres 
et  des  montagnes.  Les  monarques  furent  troublés,  quand 
ils  le  virent  élever  son  grand  arc, 

6,788—6,789—6,790. 

De  même  que  la  mort  son  bâton  au  poing,  à  l'heure  de 
la  destruction,  au  temps  final  d'un  youga.  A  peine  eut-elle 
vu  ce  Ghatotkatcha  aux  formes  terribles,  inspirant  la  ter- 
reur, semblable  à  la  cime  d'une  montagne,  sa  bouche  aux 
dents  horribles  et  longues,  ses  oreilles  en  fer  de  pieux, 
ses  énormes  mâchoires,  ses  cheveux  hérissés,  ses  yeux  di- 
vergeants, sa  bouche  embrasée,  son  ventre  profond  (2), 
le  bas  de  son  cou,  qui  s'ouvrait  comme  une  caverne, 
sa  chevelure,  que  recouvrait  un  diadème;  à  peine  eut- 
elle  vu  ce  puissant  Rakshasa ,  cause  d'effroi  pour 
tous  les  êtres,  s'avancer,  pareil  à  un  monceau  de  flammes, 
tel  que  la  mort,  sa  gueule  ouverte,  et,  levant  son  grand 
arc,  jeter  l'agitation  au  milieu  des  ennemis  ; 


(1)  Explication  du  commentaire. 

(2)  Nimmta,  édition  de  Bombay. 


1ZI8  LE  MAHA-BHARATA. 

En  proie  à  la  terreur,  l'armée  de  ton  fils  en  fut  troublée, 
comme  le  Gange,  quand  le  vent  creuse  ses  tourbillons  et 
soulèveses ondes.  6,791— 6,792— 6, 793-6, 794  -  6,795. 
Effrayés  par  le  cri  de  guerre,  que  poussa  le  Démon 
Ghatotkatcha,  les  éléphants  de  lâcher  sous  eux  l'urine  et 
les  souverains  de  tomber  dans  la  plus  grande  agitation. 
Les  Rakshasas  aux  forces  invincibles  tirent  pleuvoir  de 
tous  côtés  sur  la  terre,  au  temps  du  crépuscule,  une 
averse  démesurée  de  rochers  et  de  pierres. 

6,796—6,797. 
Les  disques  de  fer,  les  bhouçoundis,  les  maillets  d'ar- 
mes, les  piques  de  fer,  les  tridents,  les  çataghnis  et   les 
pattiças  de  tomber  sans  arrêt.  6,798. 

A  la  vue  de  ce  combat  terrible  et  plus  qu'épouvantable, 
les  monarques  delà  terre,  et  tes  fils,  etRarna  de  s'enfuir, 
troublés  par  la  peur.  6799. 

Mais  là,  seul,  le  fier  Açwatthâman,  qui  s'enorgueillit 
de  sa  forces  et  de  ses  astras,  n'en  fut  aucunement  troublé  : 
il  arrêta  alors  cette  magie,  créée  par  Ghatotkatcha. 

Furieux  de  voir  ses  prestiges  détruits,  celui-ci  de  lancer 
des  flèches  redoutables,  qui  se  plongèrent  dans  Açwat- 
thâman, 6,800—6801. 

Comme  des  serpents,  qui  entrent  avec  colère  et  d'une 
course  rapide  dans  une  fourmillière.  Ces  traits,  quand  ils 
eurent  percé  le  fils  de  laÇâradvatî,  se  plongèrent  aussitôt, 
les  membres  imbus  de  sang,  au  sein  de  la  terre,  tels  que 
des  reptiles  dans  un  monticule  de  fourmis.  Irrité,  l'au- 
guste Açwatthâman  à  la  main  légère,  6,802 — 6,803. 

Enflammé  de  ressentiment,  fendit  avec  dix  flèches  le 
corps  de  Ghatotkatcha.  Grièvement  blessé  dans  ses  mem- 
bres parle  fils  de  Drona,  celui-ci,  6,804. 

Profondément  troublé,  saisit  un  disque  de  guerre  à 


drona-parva:  149 

cent  mille  angles  ou  dents,  an  tranchant  de  rasoir,  orné 
de  diamants  et  de  perles,  et  semblable  au  soleil  enfant. 

Et  le  Bhiinasénide,  impatient  de  le  tuer,  envoya  cette 
arme  contre  Açwattbâman.  Volant  avec  une  grande  vi- 
tesse, le  disque  de  guerre,  abattu  par  les  flèches  du 
I)ronide:  tomba  sans  porter  coup  sur  le  sol,  comme  la  vo- 
lonté d'un  homme  sans  caractère.  Dès  qu'il  vit  son  tcha- 
kra  tombé  rapidement,  Ghatotkatcha 

6,805—6,806—6,807. 

D'ensevelir  Açwatthâman  sous  ses  dards,  de  même  que 
Swarbhânou  couvre  l'auteur  du  jour.  Le  fortuné  fils  de 
Ghatotkatcha,  semblable  à  une  masse  de  collyre  brisé, 

Arrêta  le  Dronide,  qui  s'avançait,  tel  que  le  roi  des 
montagnes  oppose  au  vent  son  obstacle.  Açwatthâman 
irrité,  égal  en  courage  à  Indra,  à  Oupéndra,  à  Çivamême, 
brillait  sous  les  coups  d'Andjanaparvan,  l'héroïque  petit  - 
fils  de  Bhîmaséna,  comme  le  mont  Mérou  battu  par  les 
gouttes  dé  pluie,  que  répand  un  nuage. 

6,808—6,809—6,810. 

Andjanaparvan  de  trancher  son  drapeau  avec  un  bhalla, 
l'un  etl'autrede  ses  cochers  avecdeux,  la  partie  essentielle 
de  son  char  avec  trois.  6,811. 

D'une  flèche,  il  coupa  son  arc,  et,  de  quatre,  il  frappa  ses 
quatre  chevaux.  D'un  trait  bien  acéré»  il  fit  de  son  cime- 
terre deux  morceaux  ;  et  le  glaive,  resplendissant  de 
larmes  d'or,  tomba delamain  du  guerrier,  réduit  sanschar. 
Le  rejeton  de  Hidimbâ  saisit  précipitamment,  sire,  une 
massue  aux  bracelets  d'or,  la  darda,  en  tournoyant  ;  et 
l'arme,  ayant  frappé  le  Dronide,  retomba  avec  ses  flèches. 
Ensuite,  il  s'éleva  dans  les  airs,  en  poussant  des  cris, 
comme  le  nuage  de  la  mort.       6,812—6,813 — 6,81 'j. 


150  LEMAH/V-BHARATA. 

Andjanaparvan  fit  tomber' de  la  voûte  des  deux  une 
pluie  d'arbres.  Mais  Açwatthâman  perça  de  ses  dards  au 
milieu  du  ciel  le  fils  de  Ghatotkatcha,  l'auteur  de  cette 
magie,  de  même  que  le  soleil  perce  un  nuage  de  ses 
rayons.  Le  favori  de  la  fortune,  Andjanaparvata  redes- 
cendit alors  du  ciel  et  se  replaça  sur  son  char,  ornementé 
d'or,  comme  une  suprême  infortune  tombée  sur  la  terre. 
Le  Dronide  blessa  le  petit-fils  de  Bhîmaséna  à  la  cuirasse 
faite  de  fer;  tel  Mahéçvara  jadis  sut  percer  Andhaka. 
Quand  il  vit  son  vigoureux  fils  accablé  par  Açwatthâman, 
6,815  -6,816—6,817—6,818. 
Ghatotkatcha  se  présenta  avec  colère,  ses  bracelets 
flamboyants,  devant  le  Dronide  et  dit  avec  calme  au  héros, 
fils  de  la  Çâradvatî,  qui  consumait  l'armée  des  Pàn- 
douides,  comme  le  feu  allumé  incendie  une  forêt  : 

6,819—6,820. 
a  Halte-là  !  arrête  !  Fils  de  Drona,  tu  ne  t'en  iras  pas 
vivant  de  mes  mains  !  Je  vaist'immoler  à  l'instant,  comme 
le  fils  du  Feu  tua  jadis  Kraâuntcha  !  »  6,821. 

«  Va-t-en,  mon  fils;  combats  avec  d'autres,  ô  toi,  qui 
as  le  courage  d'un  Immortel,  reprit  Açwatthâman  ;  il  ne 
sied  point  au  père  d'écarter  son  fils  du  combat.  6,822. 

»  Il  n'existe  pas  en  moi,  vraiment ,  la  moindre  colère  à 
ton  égard,  fils  d'Hidimbâ;  mais,  tourmenté  par  la  colère, 
un  homme  s'arracherait  la  vie  à  soi-même.  »  6,823. 

A  ces  mots,  les  yeux  enflammés  de  colère,  le  Bhîmasé- 
nide,  pénétré  de  chagrin  à  cause  de  son  fils,  répondit,  plein 
de  ressentiment,  ces  paroles  au  vaillant  Açwatthâman  : 

r  En  quoi  suis-je  un  homme  timide  et  comme  du  vul- 
gaire dans  la  bataille,  fils  de  Drona,  pour  que  tu  veuilles 
m' effrayer  par  des  paroles  :  ce  langage  ne  te  convient  pas. 


DRONA-PARVA.  151 

»  Certes!  je  suis  né  de  Bhîmaséna,  dans  la  grande 
famille  des  Kourouides  ;  je  suis  le  fils,  des  Pândouides, 
qui  ne  savent  pas  tourner  le  dos  dans  les  batailles. 

6,824—6,825— 6,826. 

»  Je  suis  le  souverain  monarque  des  Rakshasas  ;  je 
suis  égal  en  vigueur  à  Daçagrîva.  Arrête  !  arrête  !  Fils  de 
Drona,   tu  ne  sortiras  pas  vivant  de  mes  mains!  6,827. 

»  Aujourd'hui,  j'accomplirai  pour  toi  sur  le  champ  de 
bataille  les  cérémonies  funèbres  du  combat.  »  Il  dit,  et, 
les  yeux  enflammés  de  courroux,  le  Rakshasa  à  la  vigueur 
immense  6,828. 

Courut  avec  colère  sur  le  fils  de  Drona,  comme  un  fier 
lion  sur  un  Indra  des  éléphants.  Ghatotkatcha  fit  pleuvoir 
sur  Açwatthàman,  le  plus  excellent  des  maîtres  de  chars, 
une  grêle  de  flèches  aussi  grandes  que  les  roues  d'un 
char;  tel  un  nuage  répand  ses  gouttes  d'eau.  Mais  le 
Dronide  avec  ses  traits  dissipa  cette  pluie  de  flèches 
avant  qu'elle  ne  fût  arrivée  à  son   but. 

6,829—6,830. 

Alors,  il  y  eut,  en  quelque  sorte,  une  autre  bataille  de 
flèches  au  milieu  des  airs,  qui  reluisaient  d'étincelles  pro- 
duites par  les  multitudes  de  traits.  6,831. 

Le  ciel  brillait  dans  cette  soirée,  comme  peint,  de  soleils 
Quand  il  vit  sa  magie  détruite  par  le  Dronide,  qui  avait 
l'orgueil  des  combats,  6,832. 

Ghatotkatcha  produisit  un  nouveau  prestige  ;  il  dispa- 
rut soudain  ;  il  s'était  changé  en  une  très-haute  montagne, 
dont  les  arbres  touffus  rétrécissaient  l'intervalle  entre  les 
sommets.  6,833. 

Tout  fut  inondé  par  une  grande  averse  d'eau,  de  mas- 
sues, d'épées,  de  traits- barbelés  et  de  tridents.  Lorsque 


152  LE  MAHA-BHARATA. 

le  fils  de  Drona  vit  la  montagne,  semblable  à  une  masse 
de  collyre,  6,83ft. 

Ces  nombreux  amas  d'armes,  qui  tombaient,  ne  lui 
causèrent  aucune  émotion.  Le  Dronideen  souriantalorsde 
susciter  l'astra  de  la  foudre.  0,835. 

Sous  les  coups  de  cet  enchantement,  la  sublime  mon- 
tagne périt  bientôt.  Ensuite  un  sombre  nuage,  marqué  de 
l'arc  d'Indra,  s'épaissit  dans  le  ciel.  6,836. 

Et  le  terrible  Démon  ensevelit  dans  ce  combat  le  Dro- 
nide  sous  des  pluies  de  pierres.  Le  plus  excellent  des 
hommes,  qui  ont  la  science  des  astras,  sur  le  champ  d'en- 
cocher  l'astra  du  vent.  6,837. 

Le  fils  de  Drona  dissipa  le  sombre  nuage,  qui  s'était 
élevé  ;  et  couvrit  de  tous  côtés  les  plages  du  ciel  par  ses 
multitudes  de  flèches. 

Ce  plus  grand  des  hommes  immola  cent  milliers 
de  héros.  Il  vit  Ghatotkatcha,  tenant  un  arc  immense, 
revenir  tranquillement  sur  son  char,  environné  de  nom- 
breux Rakshasas,  qui  ressemblaient  aux  tigres  et  aux 
lions,  qui  avaient  le  courage  des  éléphants,  ivres  de  rut. 

Assis  surdesproboscidiens,  montés  sur  des  chars,  portés 
sur  l'échiné  des  coursiers,   mêlés  aux  suivants  de  Hi- 
dimba  (1),  avec  des  cous,  des  têtes,  des  bouches  difformes, 
6,838— 6, 839-6,  S/iO— 6,8M. 

Escortés  des  Yatoudhânas  de  Poulasti  au  teint  noir  (2), 
à  la  valeur  d'Indra,  héros,  armés  de  projectiles  variés, 
ornés  de  diverses  cuirasses,  6,842. 

Rakshasas  irrités,  ivres  de  la  furie  des  batailles,  qui 
s'étaient  approchés  dans  le   combat,  inspirant  un  vaste 

(1)  Hidimbânutcharaîs,  texte  de  Bombay. 

(2)  Tâmasais,  édition  de  Bombay. 


DPiONA-PARVA.  153 

effroi  et  faisant  tournoyer  leurs  yeux  de  colère.  6,8/13. 

A  la  vue  de  ton  fils,  agité  par  le  trouble  :  «  Tiens  ferme, 
Douryodhana  !  lui  dit  Açwatthâmao  ;  tu  ne  dois  pas  con- 
cevoir de  crainte  ici.  6,844. 

»  Avec  tes  héroïques  frères  et  ces  princes,  qui  ont  la  va- 
leur d'Indra,  je  tuerai  tes  ennemis;  la  défaite  n'est  point 
ici  pour  toi  !  6,845. 

»  C'est  une  vérité,  que  je  te  promets  :  fais  reprendre 
courage  à  l'armée.  »  6,8/16. 

«  Ce  qui  n'est  pas  surprenant  pour  toi,  lui  répondit 
Douryodhana,  cela  même  est  grand  à  mes  yeux.  Nous 
avons  pour  toi,  fils  du  Gotamide,laplus  profonde  estime.  » 

Quand  il  eut  ainsi  parlé  à  Açwatthâman,  il  dit  ces  mots 
au  Soubalide,  environné  décent  mille  héros,  qui  brillaient 
de  la  beauté  des  batailles:  6,847— 6,848. 

«  Avance-toi  vers  Dhanandjaya  avec  soixante  milliers 
de  héros.  Karna,  Vrishaséna,  Kripa  et  Nila  même,  6,849. 

»  Les  méridionaux,  Kritavarman  et  Pouroumitra  (1), 
grande  cause  de  destruction,  Douççâsana,  Nikoumbha^, 
Koundabhédi,  Parakrama,  6,850. 

»  Pourandjaya,  Dbritharatha,  Patâki,  Hémakampana (2) , 
Çalya,  Arouni  et  Indraséna,  Sandjaya,  Vidjaya  et  Djaya, 

»  Kamalâksha,  Parakràthi,  Djayadharman  et  Souda- 
kshina  :  ces  guerriers  et  six  myriades  d'hommes  de  pied 
suivront  tes  pas.  6,851  —  6,852. 

»  Immole  Bhîmaséna,  les  jumeaux  et  Dharmarâdja, 
comme  jadis  les  Asouras  tombèrent  sous  les  coups  du 
roi  des  Dieux.  En  toi,  mon  onc!e,  repose  mon  espérance  de 
la  victoire.  6,853. 

(1)  Pouroumitras  soutà  panas,  texte  de  Bombay. 

(2)  Même  texte. 


154  LE  MAHA-BHARATA. 

»  De  même  que  le  fils  du  Feu  extermina  les  Asouras, 
ainsi  fais  mordre  la  poussière,  mon  oncle,  à  ces  enfants 
de  Rounti,  qui  sont  déchirés  déjà  et  dont  les  flèches  du 
fils  de  Drona  ont  couvert  largement  les  corps  de  bles- 
sures. »    6,85/j. 

A  ces  mots  de  ton  fils  aine,  le  Soubalide  s'avança  à 
à  grands  pas,  inspirant  la  joie  à  tes  enfants,  sire,  et 
désirant  incendier  les  Pândouides.  6,855. 

Ensuite  commença  dans  la  nuit,  sur  ce  champ  de  ba- 
taille, le  combat  très-tumultueux  du  Dronide  et  des 
Rakshasas,  comme  celui  de  Prahlâda  et  du  Dieu  Çakra. 

Alors  Ghatotkatcha  irrité  de  frapper  en  pleine  poitrine 
le  fils  du  Gotamide  avec  dix  flèches  solides,  semblables 
au  feu  du  poison.  6,85*5 — 6,857. 

Atteint  profondément  de  ces  traits,  lancés  par  le  fils  de 
Bhimaséna,  il  chancela  sur  le  banc  de  son  chariot ,  comme 
un  arbre  déraciné  par  le  vent.  6,858. 

Ghatotkatcha  soudain  trancha  d'une  flèche  et,  redou- 
blant son  coup,  d'un  andjalika  l'arc  à  la  grande  splen- 
deur, placé  dans  les  mains  du  Dronide.  6,859. 

Celui-ci  prit  un  nouvel  arc  solide,  capable  de  supporter 
un  lardeau  et  fit  pleuvoir  des  flèches  acérées,  comme  un 
nuage  répand  ses  gouttes  d'eau.  6,860. 

Le  fils  de  la  Çàradvatî  envoya,  Bharatide,  à  l'homme- 
volatile  (1)  des  flèches  volantes  (2) ,  empennées  d'or  et  des- 
tructives des  ennemis.  6,861. 


(1-2  Khatcharân  khatcharam  prati,  un  nouveau  jeu  de  mots!  Cet 
exemple  démontre  encore  que  le  mot  khatchara,  qu'on  ne  trouve  en  ce 
eens  nulle  part,  même  dans  Bhollingk  et  Roth,  veut  dire  métaphorique- 
ment une  flèche,  in  aère  iens. 


DRONA-PARVA.  155 

Les  hordes  de  ces  Rakshasas  à  la  poitrine  tannée  bril- 
laient, accablés  par  ses  traits,  comme  un  troupeau  rem- 
pli d'éléphants  en  rut  par  les  dents  et  les  griffes  des 
lions.  6,862. 

Il  dispersa  sous  la  verge  de  ses  dards  les  Rakshasas 
avec  leurs  chevaux,  cochers,  éléphants  et  chars,  de  même 
que  le  vénérable  feu  brûle  toutes  les  créatures  à  la  lin 
d'un  youga.  6,8(33. 

Quand  il  eut  consumé  de  ses  flèches  l'armée  complète 
des  Nirritas,  il  fut  environné  du  plus  haut  lustre,  comme 
jadis  le  Dieu  Mahéçvara,  après  qu'il  eut  incendié  au  sein 
des  deux  la  ville  de  Tripoura.  6,864. 

Tel  qu'à  la  fin  d'un  youga,  le  Feu  en  personne  brûle 
tous  les  êtres,  tel  ce  plus  grand  des  conquérants,  le  fils 
de  Drona  resplendissait,  ayant  consumé  les  ennemis  de 
Donryod/iann,  qui  sont  missiles  tiens.  6,865. 

Puis,  Ghatotkatcha  d'exciter  la  grande  armée  des 
Rakshasas  aux  œuvres  terrribles,  en  lui  criant  :  «  A  moi, 
la  mort  du  Dronide  !  6,866. 

Sa  promesse  fut  accueillie  par  tous  les  Rakshasas,  ins- 
pirant l'effroi,  aux  formes  terribles,  aux  dents  flambo- 
yantes, 6,867. 

Aux  mâchoires  démesurément  ouvertes,  aux  langues 
pendantes  et  longues,  aux  yeux  affreusement  enflammés 
parla  colère  ,  et  faisant  trembler  la  terre  d'un  vaste  cri  de 
guerre.  6,868. 

Ils  fendirent,  portant  des  armes  et  des  projectiles  di- 
vers, sur  le  (ils  de  Drona,  pour  lui  arracher  la  vie.  Sans 
trembler  (1)  et  les  yeux  rouges  de  colère,  les  Rakshasas 

(1)  Asantrustds,  tevte  de  Bombay. 


156  LE  MAHA-BHARATA. 

au  courage  épouvantable  firent  pleuvoir,  par  centaines  et 
par  milliers,  sur  la  tête  d'Açwatthâman  les  lances  de  fer, 
les  çataghnîs,  les  massues,  les  foudres,  les  tridents,  les 
pattiças,  les  cimeterres,  les  pilons,  les  bhindipâlas,  les 
moushalas,  les  haches,  les  traits  barbelés,  les  épées,  les 
leviers  de  fer,  les  pieux,  les  kampanas  acérés,  les  lances, 
les  bhouçoundis,  les  boulets  de  pierres,  les  enclumes 
faites  de  fer  noir  (1)  et  les  maillets  d'armes  à  la  grande 
terreur,  qui  brisent  les  ennemis  dans  le  combat. 

6,869— 6,870— 6, S71— 6,872. 

Dès  qu'ils  virent  cette  immense  pluie  d'armes  répandue 
sur  la  tête  du  fils  de  Drona,  tes  combattants  furent  saisis 
d'effroi,  6,873. 

Mais,  sans  être  ému,  le  Dronide  d'arrêter  cette  épouvan- 
table averse  déchaînée  avec  ses  traits,  pareils  à  la  foudre , 
aiguisés  sur  la  pierre.  6,  87/i. 

Ensuite,  avec  d'autres  flèches,  empennées  d'or,  char- 
mée» par  des  astras  divins,  il  immola  rapidement  les  ma- 
gnanimes Rakshasas.  6,875. 

Les  hordes  de  ces  Démons  à  la  poitrine  tannée  brillaient, 
accablés  par  ses  dards,  comme  un  troupeau  rempli  d'élé- 
phants en  rut  par  les  dents  et  les  griffes  des  lions  (2). 

Bouillants  de  colère,  ces  Rakshasas  à  la  grande  force 
s'élancèrent  avec  fureur  contre  le  fils  de  Drona,  impa- 
tients de  lui  anacher  la  vie.  6,876—6,877. 

Açwatthàman  fit  preuve  alors  d'un  courage  admirable, 
impossible  à  montrer  par  un  autre,  rejeton  de  Bharata, 
au  milieu  de  tous  les  êtres.  6,878. 


(i)  Sthûnônkàrshnâyasànstathâ,  édition  de  Bombay. 
(2)  C'est  la  stance  déjà  vue  ci-dessus  et  numérotée  6,862. 


DRONA-PARVA.  157 

Car  seul,  clans  un  instant,  le  Dronide,  instruit  dans  les 
grands  astras,  consuma  l'armée  Rakshasane  de  ses  flèches 
enflammées,  sous  les  yeux  de  l' Indra  même  des  Rak- 
shasas  !   G, 879. 

Consumant  l'armée  des  noctivagues,  il  resplendissait 
dans  le  combat,  comme  le  feu  de  la  destruction,  qui 
brûle  toutes  les  créatures  à  la  fin  d'un  youga.  6,880. 

Dans  ces  milliers  de  Rakshasas  et  de  Pàndouides,  qui 
que  ce  soit,  Bharatide,  ne  put  fixer  les  yeux  sur  le  fils  de 
Drona,  tandis  qu'il  consumait  les  armées  de  ses  flèches, 
semblables  aux  serpents,  excepté  Ghatotkatcha  à  la 
grande  force,  l'héroïque  Indra  des  Rakshasas. 

6,881—6,882. 

Mais  lui,  ses  yeux  troublés  par  la  fureur,  ô  le  plus  ex- 
cellent des  Bharatides,  battant  les  paumes  de  ses  mains 
l'une  avec  l'autre  et  mordant  ses  lèvres,  il  dit  avec  colère 
à  son  cocher  :  «  Conduis -moi  vers  le  fils  de  Drona  !  » 
Avec  son  étendard  victorieux  aux  formes  terribles,  ce 
meurtrier  des  ennemis  revint  sur  ses  pas  engager  un  duel 
en  char  avec  le  fils  de  Drona  ;  et  ce  guerrier  à  la  valeur 
formidable  poussa  un  vaste  rugissement  comme  un  lion. 

6,883-6,88/1—6,885. 

Il  encocha  pour  cette  bataille  une  foudre  à  huit  clo- 
chettes, à  la  grande  épouvante,  ouvrage  des  Dieux,  etl'en- 
voya  au  fils  de  Drona.  6,886. 

Ayant  santé  à  bas  de  sa  voiture,  où  il  abandonnait  son 
arc,  le  Dronide  rempauma  l'arme  et  la  renvoya  au  Démon 
lui-même,  qui  s'élança  hors  de  son  véhicule.  6,887. 

Quand  cette  foudre  à  la  vaste  splendeur  et  grandement 
épouvantable  eut  mis  en  pièces  son  char,  son  drapeau, 
son   cocher,   ses  chevaux,   et    les  eut    réduits   tous   en 


158  LE  MAEA-BHARATA. 

cendres,  elle  se  plongea  clans  le  sein  de  la  terre.   6,888. 

A  la  vue  de  cet  exploit  d' Açwatthâman,  toutes  les  créa- 
tures de  lui  applaudir,  le  félicitant  d'avoir  sauté  à  bas  de 
son  char  et  rempaumé  cette  foudre  terrible,  créée  par  Çan* 
kara.  6,889. 

Le  Bhîmasénide  se  rendit  au  char  de  Dhrishtadyoumna, 
où  il  prit  un  arc  effrayant,  seigneur,  pareil  à  la  grande 
arme  de  Mahéndra;  6,890. 

Et  il  décocha  de  nouveau  des  traits  acérés  au  magna- 
nime Dronide.  Dhrishtadyoumna  lui-même,  sans  émotion, 
lança  les  plus  excellentes  des  flèches,  empennées  d'or  et 
semblables  à  des  serpents,  dans  la  poitrine  du  fils  de  Drona. 
Celui-ci,  en  échange,  darda  ses  nârâtchas  par  milliers. 

6,891—6,892. 

Ces  deux  guerriers  se  brisèrent  les  traits,  celui-ci  de 
celui-là,  avec  des  flèches  égales  à  la  flamme  du  feu.  Ainsi 
se  déroula  avec  une  violence  extrême  le  combat  de  ces 
deux  hommes-lions  (1),  causant,  éminent  Bharatide,  la 
joie  des  combattants  et  du  fils  de  Drona.  Avec  un  millier 
de  chars,  trois  centaines  d'éléphants  et  six  mille  chevaux, 
Bhîma  s'avançait  alors  vers  ce  lieu,  clans  le  temps  que  le 
vertueux  Dronide  au  courage  élevé  combattait  l'héroïque 
Bhîmasénide  et  Dhrishtadyoumna  accompagné  de  ses 
suivants.  11  étalait  sa  valeur  plus  que  merveilleuse,  que 
nul  autre,  Bharatide,  n'aurait  pu  reproduire.  Dans  le  seul 
intervalle  d'un  clin-d'œil,  il  abattit  l'armée  complète  des 
Rakshasas  avec  les  éléphants,  les  chars,  les  cochers  et  les 


(1)  Joignez,  car  c'est  une  mauvaise  lecture  ou  plutôt  une  faute  d'im- 
pression, la  dernière  syllabe  de  pourousasin  avec  la  première  du  mot 
suivant  :  hayos. 


DRONA-PARVA.  159 

chevaux,  en  dépit  de  Bhîmaséna  et  sous  les  regards  de 
l'Hidimbide  (De  la  stance  (3,893  à  la  stance  6,898  in- 
clusivement). 

Des  jumeaux,  du  fils  d'Yama  et  de  l'impérissable  Vi- 
djaya.  Profondément  blessés  de  ses  nârâtchas  au  vol  im- 
pétueux, les  éléphants  tombaient  sur  la  terre,  comme  des 
montagnes  privées  de  sommets  (1).   6,899-6,900-6,901. 

La  terre  brillait,  remplie  de  trompes  coupées  et  palpi- 
tantes (2)  çà  et  là,  telles  que  des  serpents,  qui  rampent  : 
le  sol  resplendissait  d'ombrelles  au  manche  d'or,  tranchées 
sur  le  front  des  rois, 

Comme  si  l'on  voyait  dans  les  cieux  se  lever  en  même 
temps  le  soleil  et  la  lune,  environnés  d'étoiles,  à  la  fin 
d'un  youga.  Le  fils  de  Drona  fit  couler  une  rivière  à  la 
grande  impétuosité,  aux  ondes  de  sang,  qui  avait  pour 
bruit  les  cris  de  détresse  des  combattants,  qui  était  rem- 
pli de  vagues  sanguinolentes,  qui  avait  des  drapeaux 
épars  en  guise  de  grenouilles,  qui  était  rempli  de  tambours 
au  lieu  de  tortues,  semée  d'ombrelles  pour  ses  bandes  de 
cygnes,  enguirlandée  de  chasse-mouches  pour  son  écume, 
infestée  de  vautours  et  de  hérons  pour  grands  crocodiles, 
encombrée  d'armes  diverses  à  la  place  de  poissons,  rem- 
plie, pour  rochers,  d'éléphants  étendus,  pullulante  de 
chevaux  et  de  proboscidiens  sans  vie  pour  ses  makaras, 
bordée,  pour  ses  grands  rivages,  de  chars  renversés,  riche 
de  brillants  étendards  pour  ses  arbres,  affreusement  épou- 
vantable, frétillante  de  traits  au  lieu  de  poissons,  four- 


(1)  Mais  l'édition   de  Bombay    dit    saçringâ,    c'est-à-dire,    avec    lews 
sommets. 

(2)  Vitchaladbhis,  texte  de  Bombay. 


160  LE  MAHA-BHARATA. 

raillante  de  sabres,  de  lances  et  de  dards  barbelés  pour 
amphisbènes,  jonchée  d'une  épaisse  vase  de  chair  et  de 
moelle,  ne  manquant  pas  de  cadavres  à  l'imitation  des 
nacelles,  bigarrée  de  chevelures  à  l'instar  de  vallisnéries, 
inspirant  la  crainte  aux  gens  timides,  apportant  la  destruc- 
tion des  corps  aux  guerriers,  aux  chevaux,  aux  Indrasdes 
éléphants,  (De  la  stunce  6,902  à  la  stance  6,908.) 

Au-dessus  de  l'extrême  épouvante  par  ses  bêtes  ravis- 
santes (1),  et  telle  que  la  grande  mer  du  royaume  (2) 
d'Yama.  Après  qu'il  eut  abattu  les  Rakshasas,  le  Dronide 
tourmenta  de  ses  flèches  le  lils  de  la  Hidimbâ.  6,908. 

Ensuite,  quand  il  eut,  bouillant  de  colère,  avec  les 
masses  de  ses  nârâtchas,  blessé  les  grands  héros  du  Pri- 
thide,  joints  à  ceux  de  Vrikaudara  et  du  Prishatide, 

L'auguste  immola  Souratha,  fils  de  Droupada.  Après 
lui,  il  tua  dans  ce  combat  Çatroudjaya,  le  frère  puîné  de 
Sourathra,  Balâkîka,  Djayânîka  et  Djaya.  Puis,  rugissant 
comme  un  lion,  il  fit  mordre  la  poussière,  avec  une  flèche 
aiguë  à  Prishadrou  et  à  l'orgueilleux  Tchandraséna.  Sous 
dix  traits,  il  coucha  morts  dix  fils  de  Kountîbhodja. 

6,909—6,910—6,911—6,912. 

Il  conduisit,  Indra  d(  s  rois,  avec  trois  autres  flèches 
acérées,  bien  empennées,  Çroutâyousha  aux  guirlandes 
d'or  (3)  dans  le  séjour  d'Yama.   6,913. 

Il  fit  entrer  le  vigoureux  Çroutâdvaya  (h)  au  monde  de 
Çakra.  Plein  de  colère,  ayant  encoche  un  dard  suprême, 
terrible,    effrayant,   au  vol  droit,   semblable  au    bâton 


(1)  Çwùpndàtimahùghorân,  texte  de  Bombay. 

(2)  Hâs/ttra,  même  édition. 

(3)  Hémamâlinan,  texte  de  Bombay. 

(4)  Même  édition. 


DRONA-PARVA.  161 

d'Yama,  Açwatthâman,  visant  Ghalotkatcha,  l'envoya  au 
même  lieu,  d'un  arc  tiré  jusqu'à  l'oreille.   6,914—0,915. 

Quand  la  grande  flèche  bien  empennée,  maître  de  la 
terre,  eut  fendu  le  cœur  de  ce  Rakshasa,  elle  entra,  d'un 
vol  rapide  (1),  dans  le  sein  de  la  terre.   6,916. 

Aussitôt  que  l'illustre  héros  Dhrishtadyoumna  l'eut  vu 
tombé  mort,  il  déroba  vite,  Indra  des  rois,  son  char  su- 
blime à  la  présence  de  Drona.   6,917. 

Dès  qu'il  eut  contraint  ce  héros  à  tourner  le  dos,  l'hé- 
roïque fils  de  Drona,  triomphant,  sire,  des  armées  d'You- 
dhishthira,  jeta  un  cri  de  victoire  ;  6,918. 

Et  tous  les  mondes,  et  tes  fils,  respectable  roi,  le  com- 
blèrent à  l'envi  d'homeur.   6,919. 

Couverte  de  tous  les-  côtés  par  ces  Démons  immolés, 
étendus,  le  corps  déchiré,  fendu  par  des  centaines  de 
flèches,  la  vie  exhalée,  l'aspect  de  la  terre  était  infiniment 
terrible  ;  il  était  aussi  difficile  d'y  marcher  que  si  elle 
était  couverte  par  des  cîmcs  de  montagnes.  6,920. 

Les  troupes  des  Piçâtchas,  les  Nàgas,  les  Garoudas,  les 
Mânes,  les  oiseaux,  les  bandes  de  Rakshasas,  les  chœurs 
des  Bhoûtas,  les  Siddhas,  les  Gandharvas,  les  Apsaras  et 
les  Dieux,  tous  applaudissaient  au  fils  de  Drona.   6,9*21. 

Quand  ils  virent  les  fils  de  Droupada,  ceux  de  Kountî- 
bhodja  et  les  Rakshasas,  qae  le  Dronide  avait  tués  par 
milliers,  6,922. 

Youdhishthira,  Bhîinaséna,  Dhrishtadyoumna  le  Prisha- 
tide,  Youyoudhâna,  redoublant  d'efforts  (1),  mirent  leur 
esprit  au  combat.   6,923. 


(1)  Çigran,  texte  de  Bombay. 

(2)  Texte  de  Bombay  :  sunyuttùs. 

ix  41 


162  LE  MAHA-BHARATA. 

Le  fils  irrité  de  Somadatta,  ayant  aperçu  Sâtyaki  dans 
ce  combat,  le  couvrit,  Bharatide,  avec  une  grande  averse 
de  flèches.  6,924. 

Alors  se  développa  une  bataille  épouvantable,  àl'aspect 
infiniment  merveilleux,  entre  les  tiens  et  les  ennemis,  qui 
désiraient  les  uns  et  les  autres  la  victoire.   6,925. 

Bhîmaséna,  au  nom  du  Sâttwatide,  blessa  avec  dix 
traits  le  fils  de  Somadatta  ;  et  celui-ci  rendit  en  échange 
une  centaine  de  flèches  à  l'héroïque  guerrier.   6,926. 

Le  Sâttwatide  perça  de  dix  traits  aigus,  à  l'impétuosité 
de  la  foudre,  ce  vieillard,  environné  des  fils  les  plus 
excellents,  lui,  qui  était  doué  de  qualités  supérieures, 
comme  Yayâti,  le  fils  de  Nahousha  ;  et,  déchirant  son 
corps  avec  puissance,  il  le  blessa  de  rechef  avec  sept  pro- 
jectiles.  6,927—6,928. 

Bhîmaséna,  dans  l'intérêt  de  Sâtyaki,  déchargea  sur 
la  tête  du  Somadattide  une  massue  solide,  neuve,  épou- 
vantable. 6,929. 

Irrité,  Sâtyaki  lança  dans  la  poitrine  du  Somadattide, 
en  ce  combat,  une  flèche  sublime,  acérée,  bien  empennée 
et  semblable  au  feu.   6,930. 

Ces  deux  guerriers  aux  traits,  aux  massues  épouvan- 
tables, tombèrent  ensemble,  chacun  avec  le  héros  son  ad- 
versaire; mais  le  grand  héros  Sâtyaki  tomba  sur  le  corps 
du  Somadattide.   6,931. 

Quand  cette  terrible  chute  eut  privé  ton  fils  de  senti- 
ment, Vâhlîka,  dispersant  la  grêle  de  ses  flèches,  comme  le 
nuage  pluvieux  de  la  mort,  fondit  sur  l' ennemi vainqueur. 

Bhîma,  dans  l'intérêt  du  Sâttwatide,  accabla  Vâhlîka  de 
neuf  flèches  et  blessa  ce  magnanime  à  la  tête  du  combat. 

Irrité,  le  Pratipéyide  aux  longs  bras  de  plonger  une 


DRONA-PARVA.  \  63 

lance  de  fer  dans  la  poitrine  de  Bhîma,  de  même  que  Pou- 
randara  lance  sa  foudre.   0,932—6,933 — 6,93/i. 

Atteint  par  elle,  Bhîmaséna  chancela  et  s'évanouit.  Dès 
qu'il  fut  revenu  à  lui-même,  le  vigoureux  héros  d'envoyer 
à  l'ennemi  sa  massue.  6,935. 

Dardée  par  le  Pândouide,  elle  broya  la  tête  de  Vâhlîka, 
qui  tomba  mort  sur  la  terre,  comme  un  arbre,  que  le  vent 
a  déraciné.   6,936. 

Quand  l'éminent  guerrier,  l'héroïque  Vâhlîka  fut  cou- 
ché mort,  Bhîma  fut  harcelé  par  ces  dix  fils  de  toi,  égaux 
aux  fils  de  Daçaratha  :  6,937. 

Nâgadatta,  Dritharatha,  Mahâbâhou,  Ayaboudja,  Dri- 
tha,  Souhasta,  Viradjas,  Pramâthyou,  Ougra,  Anou- 
yayi  (1).   6,938. 

A  leur  vue,  Bhîma  s'irrita,  il  prit  des  fléchi  s  capables 
de  supporter  un  fardeau  ;  et,  visant  ces  guerriers  l'un 
après  l'autre,  il  fit  choir  ces  dards  en  leurs  membres. 

Blessés,  ils  tombèrent  de  leurs  chars,  sans  vie,  la  vi- 
gueur éteinte,  comme  de  grands  arbres,  que  le  vent  a 
brisés,  croulent  du  sommet  d'une  montagne. 

6,939—6,9/40. 

Après  qu'il  eut,  avec  dix  nârâtchas,  immolé  tes  fils, 
Bhîma  répandit  ses  traits  sur  Vrishaséna,  le  fils  chéri  de 
Karna.   6,941. 

Alors  l'illustre  frère  de  l'Adhirathide,  nommé  Vrika- 
ratha,  de  blesser  Bhîmaséna  ;  et  celui-ci  le  frappa,  en  re- 
tour, de  ses  flèches  de  feu.   6,942. 

Puis,  lorsque  le  vaillant  Bhîma  eut  abattu  sept  héros 


(i)  L'édition  de  Calcutta  ne  nomme  que  neuf  héros  :    nous   empruntons 
cette  énumération  au  texte  de  Bombay,  qui  en  a  dix,  comme  il  devait  avoir. 


164  LE  MAHA-BHARATA. 

de  tes  beaux-frères,  fils  de  Bharata,  il  broya  Çatatchan- 
dra  sous  ses  nârâtchas.   6,943. 

Les  deux  héros,  frères  de  Çakouni  (1),  Gavâksha  et 
l'auguste  Çarabha  ne  purent  supporter  qu'il  eut  tué  ce 
grand  héros.   6,944. 

Et,  courant,  ils  frappèrent  Bhîmaséna  de  leurs  traits 
acérés.  Aussi  peu  bh  ssé  de  ces  dards,  qu'une  montagne 
ne  l'est  d'une  pluie  orageuse,  6,9/45. 

11  terrassa  de  cinq  flèches  les  cinq  monarques  à  la  force 
supérieure.  Les  plus  grands  des  rois  s'émurent  à  la  vue 
de  ces  héros  immolés.   6,946. 

Ensuite,  Youdhishthira  irrité  tailla  en  pièces  ton  armée, 
malgré  les  efforts  du  brahme,  né  dans  une  aiguière,  et 
ceux  de  tes  fils,  monarque  sans  péché.   6,947. 

Il  envoya  dans  le  combat  au  monde  de  la  mort,  en 
troupes,  les  Ambashthas,  les  Mâlavas,  les  héros  Trigart- 
tains  et  les  Çivis.   6,948. 

Après  qu'il  eut  tué  les  Abhishâhas,  les  Çourasénas,  les 
Vâhlikas  et  les  Vâçâtiens,  il  changea  la  terre  en  un  bour- 
bier de  chair  et  de  sang.   6,949. 

Il  plongea  par  troupes  dans  le  combat,  sire,  au  monde 
d'Yama,  les  vaillants  guerriers  Mâlavas  et  Madrakas  sous 
ses  multitudes  de  flèches.   6,950. 

«  Enlevez  ceux,  qui  sont  blessés  !  Faites-le  prison- 
nier !  Percez  !  Sabrez  !  »  On  n'entendait  que  ces  clameurs 
confuses  devant  le  char  d'Youdhish.hira.  6,951. 

A  l'aspect  de  ce  monarque,  qui  dispersait  en  fuite  les 
armées,  Drona,  excité  par  ton  fils,  le  couvrit  de  ses 
flèches.  6,952. 

(1)  Çakounés  brârtarauvirâ,  texte  Je  Bombay. 


DR0NA-PA11VA.  165 

Au  comble  de  la  colère,  il  blessa  le  Pândouide  avec 
I'astra  du  Veut;  mais  celui-ci  de  repousser  son  astradiviu 
avec  I'astra  contraire.   6,953. 

Dès  qu'il  vit  son  astra  paralysé,  le  Bharadwâdjide,  dé- 
sirant tuer  le  fils  de  Pândou,  envoya,  dans  sa  bouillante 
fureur,  sur  Youdhishthira  les  astrasde  Varouna,  d'Yama, 
d'Agni,  de  Twâsbtri  et  du  soleil.  Le  fils  aux  longs  bras 
d'Yi  ma  (1)  frappa,  sans  trembler,  de  ses  astras  les  astras 
lancés  et  paralysés  du  guerrier,  né  dans  une  aiguière. 
Celui-ci,  désirant  donner  une  vérité  à  sa  promesse, 

6,954—6,955—6,956. 

Par  la  mort  de  l'Yamide,  et  trouvant  son  plaisir  dans 
le  bien  de  ton  fils,  manifesta  les  astras  d'Indra  et  du 
Pradjàpati.   6,957. 

Le  chef  des  Kourouides  aux  grands  yeux,  à  la  démarche 
d'un  lion  ou  d'un  éléphant,  aux  larges  regards  de  sang, 
à  la  force  d'un  serpent  boa,  de  manifester  un  autre  astra 
de  Mahéndra  et  de  paralyser,  grâce  à  lui  (2),  I'astra  du 
brafune.   6,958. 

Voyant  ses  astras  neutralisés,  Drona,  doué  de  colère  et 
voulant  obtenir  la  mort  d' Youdhishthira,  lui  envoya  I'astra 
brahmique.   6,959. 

Par  suite  de  ce  prestige,  nous  ne  pûmes  rien  distinguer, 
tout  se  trouvant  enveloppé  d'une  épouvantable  obscurité  ; 
et  tous  les  êtres  de  tomber,  souverain  des  hommes,  dans 
le  plus  profond  effroi.   6,960. 

Quand  Youdhishthira,  le  fils  de  Kounti,  eut  vu  I'astra 
brahmique  exercer  sa  puissance ,   il  l'arrêta    soudain  , 


(1)  Dharmadjas,  texte  de  Bombay. 

(2)  Taina,  môme  texte. 


166  LE  MAHA-BHARATA. 

Indra  des  rois,   avec  un   autre    de    la    même    espèce. 

Les  principaux  des  guerriers  exaltèrent  alors  ces  deux 
éminents  hommes,  le  héros  Drona  et  le  fils  de  Prithà, 
habiles  dans  tous  les  combats.   6.961 — 6,962. 

Lorsqu'il  eût  écarté  le  fils  de  Kountî,  Drona,  les  yeux 
troublés  par  la  colère  et  répondant  à  l'astra  par  un  autre, 
dispersa  l'armée  de  Droupada.   6,963. 

Taillés  en  pièces  par  Drona,  les  Pântchâlains  s'en- 
fuirent, talonnés  par  la  crainte,  aux  regards  de  Bhîma- 
séna  et  du  magnanime  Prithide.  6,96/i. 

Soudain  Rirîti  et  Bhîma,  ayant  pris  une  armée,  re- 
vinrent alors  sur  leurs  pas,  accompagnés  par  deux  fortes 
multitudes  de  chars,   6,965. 

Bîbhatsou  au  midi,  Vrikaudara  au  côté  du  nord,  firent 
pleuvoir  sur  le  Bharadwâdjide,  deux  grandes  averses  de 
flèches.  6,966. 

Les  Kaîkéyains,  les  Srindjayas,  les  Pântchâlains  à  la 
grande  force,  les  Matsyas  avec  les  Sâttwatas  de  suivre 
ces  princes.  6,967. 

En  proie  aux  flèches  de  Rirîti,  l'armée  Bharatienne 
était  vaincue  encore  par  les  ténèbreset  le  sommeil.  6.968. 

Arrêtés  par  Drona  lui-même  et  par  son  fils,  les  com- 
battants ne  pouvaient,  grand  roi,  les  arrêter  eux-mêmes. 

Quand  il  vit  la  grande  armée  des  Pândouides,  lancée 
contre  lui,  Douryodhana,  pensant  qu'il  était  impossible 
de  la  soutenir,  parla  en  ces  termes  à  Karna  : 

6,969—6,970. 

«  Voici  le  moment  arrivé,  Karna,  cher  au  Soleil,  où  se 
montrent  les  amis  !  Sauve  dans  le  combat  tous  ces 
héroïques  guerriers  !  6,971. 

»   Les  Pântchâlains,  les  Raikéyains,  les  Matsyas  et  les 


DRONA-PARVA.  167 

grands  héros  Pântlouides  nous  entourent  de  tous  les  côtés, 
comme  des  reptiles  sifflants,  la  colère  excitée.   6,972. 

»  Entends  ces  cris,  que  jettent,  pleins  d'ardeur,  les 
Pàndouides  victorieux  et  ces  troupes  nombreuses  de 
Pântchâlains,  semblables  à  Gakra!  »    6,973. 

«  Si  Pourandara  venait  ici  pour  sauver  le  Prithide,  ré- 
pondit Rarna,  je  l'aurais  bientôt  vaincu,  et  j'immolerais 
ensuite  le  fils  de  Pândou.   6,97/j. 

»  C'est  la  vérité,  que  je  promets  là  !  Rassure-toi,  Bha- 
ratide  !  Je  tuerai  les  enfants  de  Pàndou,  réunis  aux  Pân- 
tchâlains. 6,975. 

»  Je  te  donnerai  la  victoire,  comme  le  fils  du  Feu  jadis 
la  donna  au  Vasavide  :  je  dois  faire  toujours  ce  qui  t'est 
agréable  ;  c'est  pour  cela  que  je  vis,  seigneur  (1).  6,976. 

»  De  tous  les  Pàndouides,  le  plus  vaillant,  c'est  Phâl- 
gouna  :  aussi  est-ce  contre  lui-même  que  j'enverrai  ma 
lance  de  fer  au  coup  certain,  que  les  mains  de  Çakra  ont 
forgée.   6,977. 

»  Ce  grand  héros  une  fois  couché  mort,  ses  frères,  ô 
toi,  qui  donnes  l'honneur,  ou  tomberont  sous  ta  puissance, 
ou  retourneront  dans  les  forêts.  6,978. 

»  Quand  je  vis,  Rourouide,  ne  te  livre  pas  à  l'inquié- 
tude ;  je  triompherai  dans  ce  combat  de  tous  les  Pàn- 
douides réunis.   6,979. 

»  Lorsque  j'aurai  mis  en  pièces  par  les  multitudes  de 
mes  flèches  les  Pântchâlains,  les  Raîkéyains  et  les 
Vrishnides  eux-mêmes  rassemblés,  je  te  donnerai  la 
terre.   »    6,980. 


(1)  Texte  de  Bombay.  Au  lieu  de  ce  demi-vers  bien  rempli,  l'édition  de 
Calcutta  porte  celui-ci  d'une  complète  insignifiance  :  dans  cette  jonction 
du  combat. 


168  LE  MAHA-BHARATA. 

Tandis  que  Karma  parlait  ainsi,  Kripa  aux  longs  bras, 
le  Çaradvatide,  adressa  en  souriant  ce  langage  au  fils  du 
cocher  :  5,981. 

«  Heureusement,  heureusement,  Karna,  le  héros  des 
Rourouides  jouit  d'un  protecteur.  Si  le  succès  vient  des 
paroles,  Râdhéya,  il  l'obtiendra,  grâce  à  ta  protection  ! 

»  Nombre  de  fois,  Karna,  tu  t'es  glorifié  devant  le 
Kourouide  :  mais  est-ce  que  la  valeur  ou  son  fruit  exista 
jamais  en  toi  ?  6,9S2 — 6,983. 

»  Nombre  de  fois,  on  t'a  vu  croiser  le  fer  dans  le  com- 
bat avec  les  fils  de  Pândou,  et  partout,  fils  du  cocher,  tu 
fus  vaincu  par  les  Pândouides  !  6,98/i. 

»  Alors  que  le  fils  de  Dhritarâshtra  fut  couvert  de  con- 
fusion par  les  Gandharvas,  ses  armées  combattirent,  et 
seul  tu  pris  la  fuite  devant  les  guerriers.   6,985. 

»  Dans  la  cité  de  Virâta,  tous  les  Kourouides  en 
vinrent  aux  mains;  et  là,  toi,  Karna,  secondé  par  tes 
frères  mineurs,  tu  fus  encore  vaincu  dans  ce  combat  par 
les  Pândouides.  6,986. 

«  Tu  ne  peux  tenir  pied  sur  un  champ  de  bataille 
contre  Phâlgouna  seul,  comment  pourrais-tu  vaincre  tous 
les  Pândouides,  appuyés  sur  Krishna  lui-môme?  6,987. 

»  Combats,  sans  parler,  Karna  ;  tu  te  vantes  beaucoup 
trop  !  Celui,  qui  accomplit  le  vœu  d'un  homme  de  cœur, 
s'avancera  vaillamment,  sans  dire  un  seul  mot.   6,988. 

»  Tes  paroles,  fils  du  cocher,  ne  donnent  aucun  fruit, 
comme  un  nuage  d'automne.  On  te  voit  stérile,  Karna,  et 
le  roi  ne  s'en  aperçoit  pas.   6,989. 

»  Pendant  que  tu  cries,  Râdhéya,  tu  ne  vois  pas  le 
Prithide;  mais,  tant  que  tu  verras  ce  héros  dansl'éloigue- 
ment,  il  te  sera  difficile  de  mettre  tes  menaces  à  exécution. 


DRONA-PARVA.  169 

»  Tu  menaces,  sans  t' approcher  des  flèches  du  Pri- 
thkle  ;  mais,  blessé  de  ses  traits,  il  te  serait  encore  peu 
facile  de  réaliser  tes  menaces  !  6,990—0,991. 

»  C'est  dans  les  bras  que  les  kshatryas  mettent  leur 
bravoure  (1);  c'est  en  paroles,  que  les  brahmes 
témoignent  de  leur  courage  ;  Phâlgouna  est  un  héros  par 
son  arc,  Karna  n'est  un  brave  que  par  ses    désirs.   0,992. 

»  Qui  pourrait  immoler  ce  Prithide;  qui  fit  plaisir  à 
Roudra  lui-même  ?  <>  Alors  sa  colère  excitée  ainsi  par  le 
Çaradvatide,  0,993. 

Karna,  le  meilleur  des  combattants,  répondit  en  ces 
termes  à  Rripa  :  «  Les  héros  tonnent  toujours  comme  les 
nuages  au  temps  des  pluies.  0,99/i. 

»  Ils  donnent  promptement  leur  fruit  ,  comme  une 
graine  semée  dans  la  saison  (2).  Je  ne  vois  point  ici  une 
seule  faute  à  reprocher  aux  braves,  qui  tiennent  le  front 
du  combat,  0,995. 

»  Qui  se  glorifient  de  telle  ou  telle  chose,  et  de  qui  les 
épaules  supportent  dans  les  combats  la  charge ,  que 
l'homme  a  résolu  de  porter.  0,990. 

»  Le  Destin  est  à  mon  rival,  pour  sûr  :  la  bonne  fortune 
vient  s'allier  à  lui.  Moi,  qui  ai  pour  second  mon  courage 
et  qui  porte  la  charge,  résolue  dans  mon  cœur,  0,997. 

»  Quand  j'ai  frappé  dans  le  combat  les  fils  de  Pàndou, 
unis  à  Krishna,  unis  au  Sàttwatide,  si  je  menace,  quelle 
est  l'affaire  de  toi,  brahme,  qui  soit  ici  en  danger  de 
périr?  0,998. 

»  Tels  que  les  nuages  dans  l'automne,  les  héros  ne  me- 


(1)  Çoùrùs,  texte  de  Bombay. 

(2)  Ritùviva,  même  texte. 


170  LE  MAHA-BHARATA. 

nacent  pas  en  vain.  C'est  le  sentiment  de  leur  force,  qui 
inspire  les  menaces  des  hommes  instruits.  6,909. 

»  J'ai  dans  ce  moment  l'espérance  que  je  puis  vaincre 
Krishna  et  le  Pândouide.  réunis,  déployant  leurs  efforts 
dans  le  combat:  voilà  ce  qui  met,  Gotamide,  ces  menaces 
en  rna  bouche.  7,000. 

»  Vois,  brahme,  les  résultats  de  cette  menace,  que  j'ai 
faite  !  Quand  j'aurai  immolé  les  fils  de  Pândou,  avec  leurs 
suivants,  avec  Krishna,  avec  le  Sâttwatide,  je  donnerai 
à  Douryodhana  cette  terre  ,  débarrassée  de  ses  enne- 
mis.» 7,001  —  7,002. 

a  Cette  plainte  de  tes  désirs,  fils  du  cocher,  n'est  point 
acceptable  par  moi,  repartit  Kripa.  Tu  blâmes  sans  cesse 
les  deux  Krishnas  et  Dharmarâdja  le   Pândouide.  7,003. 

»  La  victoire  est  assurée  au  parti,  Karna,  où  se  trouvent 
ces  deux  guerriers  habiles  dans  les  combats.  Krishna  et 
le  Pândouide  sont  invincibles  dans  les  batailles  aux  mor- 
tels, armés  de  cuirasses,  aux  volatiles,  aux  serpents,  aux 
Yakshas,  aux  Gandharvas ,  aux  Dieux  mêmes.  Le  fils 
d'Yama,  Youdhishthira  est  pieux,  véridique ,  dompté, 
adorateur  des  Mânes  et  des  Dieux  ;  il  se  complaît  dans  le 
devoir  de  la  vérité,  il  est  surtout  consommé  dans  les  ar- 
mes ;  il  a  de  la  constance,  il  est  reconnaissant. 

7,004—7,005—7,006. 
»  Ses  frères  sont  vigoureux,  endurcis  à  la  fatigue  de 
toutes  les  armes;  ils  aiment  à  demeurer  dans  la  con- 
duite, que  leur  a  t  acée  l'instituteur  spirituel,  ils  sont 
instruits,  toujours  dans  le  devoir,  et  les  favoris  de  la 
renommée.   7,007. 

»  Leurs  parents  ont  la  force  d'Indra;  ce  sont  des  corn  • 
battants  remplis  de  dévouement  que  Dhrishtadyoumna, 


DRONA-PARVA  171 

Çikhandi,    le    Douraioukhide ,   Djanamédjaya,     7,008. 

»  Tchandraséna,  Roudraséna,  Kîrttivarman,  Dhrouva 
et  Dhara,  Vasoutchandra,  Dâmatchandra,  Sinhatchandra 
et  Soutédjana,  7,009. 

»  Droupada,  versé  dans  les  grands  astras,  et  les  fils 
de  Droupada,  pour  lesquels  le  roi  des  Matsyas  et  ses  frè- 
res mineurs  déploient  leurs  efforts,  7,010. 

»  Et  Gadjànîka,  Çroutânika,  Virabhadra,  Soudarçana, 
Çroutadhvadja,  Balànîka,  Djayànîka,  Djayapriya,  7,011. 

»  Vidjaya ,  Labdhalaksha,  Djayâçwa,  Rathavàhana , 
Tchandraudaya  et  Kâmaratha,  les  splendides  frères  de 
Viràta,  7,012. 

»  Les  deux  jumeaux,  les  Dràaupadéyains  et  le  Rak- 
shasa  Ghatotkatcha  !  Le  parti,  en  faveur  duquel  ils  por- 
tent les  armes,  n'est  pas  soumis  à  la  mort.  7,013. 

»  Voilà  et  d'autres  compagnies  nombreuses  quels  sont 
les  guerriers  du  fils  de  Pàndou!  Sans  doute,  il  serait 
facile  à  Bhîma  et  Phâlgouna  d'exterminer  jusqu'au  der- 
nier tout  ce  monde  avec  ses  éléphants,  ses  serpents,  ses 
Bhoûtas,  avec  ses  troupes  de  Rakshasas  et  d'Yakshas, 
avec  ses  hommes,  ses  Asouras  et  ses  Dieux. 

7,01/1—7,015. 

»  Youdhishthira  pourrait  consumer  la  terre  de  son  re- 
gard épouvantable  :  aucune  borne  n'est  à  la  force  de 
Çaâuri,  qui  pour  eux  endossa  la  cuirasse!  7,016. 

»  Comment  peux-tu  vaincre,  Karna,  les  ennemis  dans 
une  bataille?  Grand  et  continuel  est  ton  écart  de  la  bonne 
politique,  ô  toi,  qui  as  l'audace,  fils  du  cocher,  d'engager 
un  combat  contre  Çaâuri.  »    7,017 — 7.018. 

A  ces  mots  le  fils  adoptïfds  Hâdhà,  Karna  dit  en  riant, 
éminent  Bharatide  ,  à  l'instituteur  spirituel,  Kripa  le 
Çaradvatide  :  7,019. 


172  LE  MAHA-BHARATA. 

«  Ce  langage,  que  tu  as  tenu,  brahme,  sur  les  Pân- 
douides,  est  vrai  :ces  vertus  et  d'autres  en  grand  nombre 
se  trouvent  dans  les  fils  de  Pândou.  7,020. 

»  Les  Prithides  sont  invincibles  dans  un  combat  aux 
Rakshasas,  aux  Ouragas,  aux  Piçâtchas,  aux  Gandhar- 
vas,  aux  Yaksas,  aux  Daîtyas  et  même  aux  Dieux,  Indra 
à  leur  tête,   7,021. 

»  Cependant  je  triompherai  des  Prithides,  grâce  à 
cette  lance  de  fer,  que  m'a  donnée  Indra  lui-même.  Oui, 
brahme,  Çakra  m'a  fait  présent  de  cette  pique,  dont  le 
coup  n'est  jamais  vain.  7,022. 

»  Avec  elle,  je  tuerai  l'Ambidextre  dans  un  combat! 
Ce  héros  mort,  ni  Krishna,  ni  ses  frères  germains  ne  pour- 
ront nullement  jouir  de  cette  terre,  sans  Arjouna!  Eux 
une  fois  sortis  de  la  vie,  ce  globe  avec  ses  mers  restera 
sans  effort,  fils  de  Gotama,  en  la  puissance  de  l'Indra 
des  Kourouides.  C'est  la  bonne  direction,  que  l'on  donne 
aux  affaires,  il  n'y  a  nul  donte,  qui  les  fait  toutes  pros- 
pérer ici-bas.  7,023—7,02/1-7,025. 

»  Instruit  de  cette  vérité,  c'est  pour  cela  que  je  me- 
nace, Gotamide;  mais  tu  n'es,  toi!  qu'un  vieux  brahme, 
sans  connaissance  acquise  dans  la  guerre,  et  qui  as  placé 
ion  affection  sur  les  Pândouides  :  voilà  quelle  est  la  cause 
de  ton  dédain  pour  moi.  Si  tu  contenues  à  dire  ici, 
brahme,  ce  qui  est  si  offensant  pour  moi, 

7,026—7,027—7,028. 

»  Je  mettrai  le  cimeterre  à  la  main,  insensé,  et  je  cou- 
perai ta  langue  !  Quant  aux  éloges,  que  tu  veux  bien,  jetant 
la  terreur  parmi  toutes  les  armées  Kouraviennes,  brahme 
stupide, prodiguer  aux  Pândouides  dans  la  guerre,  écoute 
ici  attentivement,  Gotamide,  cette  parole  de  ma  bouche: 

7,029—7,030. 


DRONA-PARVA.  173 

»  Là,  où  se  tiennent  Douryoclhana,  Drona,  Çakouni, 
Dourmouka  et  Djaya,  Douççâsana,  Vrishaséna,  le  roi  de 
Madra  et  toi-même,  7,031. 

»  Somadatta,Bhoûri,  leDronide  et  Vivinçati,  tousguer- 
riers  vêtus  de  la  cuirasse,  tous  habiles  dans  la  guerre  ; 

»  Quel  ennemi,  eut-il  une  force  égale  à  celle  de  Çakra, 
pourrait  les  vaincre  dans  un  combat?  Ces  héros  vigou- 
reux, consommés  dans  les  armes,  désirant  de  conquérir 
le  ciel, 7, 032— 7,033. 

»  Versés  dans  la  cience  des  devoirs,  instruits  dans  les 
batailles,  tueraient  dans  un  combat  les  Souras  eux-mê- 
mes! La  victoire,  à  mon  avis,  des  hommes  les  plus  ro- 
bustes dépend  du  Destin;  7,03/i. 

»  Puisque  Bhîshmaaux  longs  bras  gît,  enseveli  sous  des 
centaines  de  flèches,  et  Vikarna,  et  Tchitraséna,  et  Vàh- 
lîka,  et  Djayadratha,  et  Bhouriçravas,  et  Djaya,  et  Dja- 
lasandha,  et  Soudakshina,  et  Cala,  le  meillenr  des  maî- 
tres de  chars,  et  le  vigoureux  Bhagadatta.  7,035 — 7,036. 

»  Ces  héros  et  d'autres  en  grand  nombre,  difficiles  à 
vaincre  aux  Dieux  mêmes  et  supérieurs  en  force  aux  Pân- 
douides,  furent  vaincus  par  eux  dans  la  bataille.  7,037. 

>'  Quelle  autre  chose  crois-tu  hors  de  l'influence,  qui 
joint  tout  au  Destin  ?  Ces  héros  furent  immolés,  à  cen- 
taines et  à  milliers,  par  ces  ennemis  de  Douryodhana, 
que  tu  combles  sans  cesse  de  tes  louanges,  ô  le  plus  vil  des 
hommes.  Les  armées  des  Kourouides  sont  entraînées  toutes 
à  leur  perte,  pêle-mêle  avec  les  Pàndouides. 

7,038  —  7,039. 

»  Je  ne  vois  nullement  ici  la  supériorité  des  Pàndoui- 
des, ô  le  plus  abject  des  mortels,  qui  vois  sans  cesse  la 
force  de  ces  hommes.  7,0/iO. 


174  LE  MAHÀ-BHARATA. 

»  Je  déploierai  mes  efforts,  au-dessus  même  de  mes 
forces,  dans  l'intérêt  de  Douryodhana,  pour  soutenir  un 
combat  avec  eux;  mais  la  victoire  dépend  du  Destin.  » 

Quand  il  vit  le  fils  du  cocher  exaspérer  son  oncle,  le 
Dronide  mit  sur-le-champ  son  cimeterre  à  la  main,  et  s'é- 
lança sur  lui.  7,041 — 7,042. 

Enflammé  de  la  plus  grande  colère  et  rugissant  comme 
un  lion  contre  un  éléphant  en  rut,  il  s'avança  vers  Karna, 
sous  les  regards  des  Kourouides:  7,043. 

«  Tu  menaces  dans  ta  colère  le  héros,  mon  oncle,  ô  le 
plus  insensé  des  hommes  vils  ,  parce  qu'il  reconnaît 
ces  vertus  d'Arjouna  comme  identiques  à  la  vérité.  At- 
teint par  une  enflure  de  l'orgueil  et  ne  comptant  pour  rien 
maintenant  dans  un  combat,  tu  invectives  un  guerrier, 
que  sa  bravoure  a  fait  l'archer  de  l'univers  entier  ! 

7,044— 7,045. 

»  Qu'était  devenu  ton  courage?  Qu'avais-tu  fait  de  tes 
astras,  quand  l'archer  du  Gândîva,  t' ayant  vaincu  dans 
le  combat,  immola  sous  tes  yeux  Djayadratha?  7,040. 

»  C'est  en  Vain  que  tu  prétends  en  tes  désirs,  ô  le  plus 
vil  des  cochers,  triompher  d'un  héros,  qui  jadis  soutint 
un  combat  avec  Mahâdéva  lui-même  en  personne!  7,047. 

i)  Les  Asouras  et  les  Dieux  mêmes  ,  réunis  sous  les 
ordres  d'Indra,  ne  sont  point  capables  de  remporter  une 
victoire  sur  cet  homme,  secondé  par  Krishna  et  le  meil- 
leur de  tous  ceux,  qui  portent  les  armes,  Arjouna,  le 
guerrier  invaincu,  le  héros  unique  du  monde  :  à  plus 
forte  raison  est-il  suffisant  pour  te  vaincre,  toi  et  tous  ces 
maîtres  de  la  terre.  7,048 — 7,049. 

»  Vois  maintenant,  stupide  Karna;  tiens  ferme  à  cette 
heure,    insensé;   je   vais  à  l'instant   même   enlever   sa 


DRONA-PARVA.  175 

tête  à  ton    corps,   ô  le  plus  vil   des  cochers.  »   7,050. 

Le  roi  Douryodbana  lui-même  à  la  grande  splendeur, 
l'arrêta  dans  son  élan  rapide,  lui  et  Kripa,  le  plus  ver- 
tueux des  hommes.  7,051. 

«  Voilà  un  héros,  fier  de  ses  combats,  et  un  insensé,  le 
plus  vil  des  brahmes  !  reprit  Knrna.  Qu'il  s'approche 
de  ma  vigueur!  Lâche-le,  ô  le  plus  grand  des  Kou- 
rouides  ^1).  » 

«  Nous  supportons  cette  arrogance  de  toi,  insensé  fils 
du  cocher!  répliqua  Açwatthâman.  Mais  Phâlgouna  te 
guérira  de  cette  enflure  d'orgueil.  »   7,Q52 — 7,053. 

«  Açwatthâman,  calme- toi  !  reprit  Douryodhana  ;  veuille 
pardonner,  ô  toi,  qui  donnes  l'honneur.  Tu  ne  dois  pas 
concevoir  de  colère,  homme  sans  péché,  à  l'égard  de  l'A- 
dhirathide.  7,05/i. 

»  Voilà  qu'il  nous  arrive  une  grande  affaire,  qui  doit 
être  soutenue  par  le  Soubalide,  le  roi  de  Madra,  Drona, 
Kripa,  Karna  et  toi  :  calme-toi  donc,  ô  le  plus  excellent 
des  brahmes!  7,055. 

)>  Voici  tous  les  Pândouides,  qui  s'avancent,  le  front 
tourné  au  combat,  par  le  désir  de  combattre  Râdhéya,  et 
qui  nous  provoquent  de  tous  les  côtés.  »  7,056. 

Accompagné  par  la  fougue  de  la  colère,  puissant  roi, 
le  Dronide  au  grand  cœur,  supplié  par  le  roi,  étouffa  son 
ressentiment.  7,057. 

Ensuite,  ramené  bientôt  à  la  douceur  par  son  naturel 
placide,  Kripa  le  bien  magnanime  àtchârya  de  parler  en 
ces  termes  :  7,058. 

«  Nous  supportons  cette  arrogance  de  toi,  insensé  fils 

(1)  Kourousattama,  texte  île  Bombay. 


176  LE  MAHA-BHARATA. 

du  cocher;  mais  Phâlgouna  te  guérira  de  ce  déborde- 
ment d'orgueil.  »   7,059. 

Les  Pândouides  et,  réunis  avec  eux,  sire,  les  illustres 
Pântchâlains  arrivèrent  là  par  milliers,  vomissant  des  me- 
naces contre  nous.  7,060. 

Levant  son  arc,  le  vigoureux  Karna,  le  meilleur  des 
maîtres  de  chars,  environné  des  principaux  Kourouides, 
comme  Gakra  est  entouré  par  les  chœurs  des  Dieux, 

L'impétueux  guerrier,  appuyé  sur  la  force  de  ses  bras, 
leur  opposa  la  face  à  tous.  Alors  se  déroula,  très-puissant 
roi,  un  combat  effroyable,  retentissant  des  cris  de  guerre, 
entre  Karna  et  les  Pândouides.  Les  illustres  Pântchâlains, 
sire,  et  les  fils  de  Pândou,  7,061—7,062—7,063. 

A  son  aspect,  accueillirent  avec  de  hautes  clameurs  ce 
Karna  aux  longs  bras:  «Voici  Karna!  D'où  vient-il,  ce 
Karna?  Pieste  le  pied  ferme,  Karna,  dans  cette  grande 
bataille!  7,066. 

»  Combats,  réuni  à  d'autres,  combats  avec  nous,  ô  le 
plus  vil  des  hommes  méchants.  »  Maisplusieurs,  àlavue 
de  Râdhéya,  disaient,  les  yeux  enflammés  de  colère  : 

«  A  mort,  ce  lutteur,  ce  fils  du  cocher,  cet  homme  à 
l'âme  méprisable!  Qu'ont-ils  besoin  qu'il  conserve  la  vie, 
tous  ces  éminents  fils  de  Pàndou?  7,065 — 7,066. 

»  Cet  homme  vicieux  fut  toujours  l'ennemi  mortel  des 
Prithides  :  c'est  en  effet  la  source  de  tous  nos  malheurs, 
au  sentiment  de  Douryodhana  lui-même.  7,067. 

»  Tuez-le  !  »  s'écriaient  toua  ces  kshatryas;  et,  ce  disant, 
les  grands  héros  couraient  ,  l'inondant  avec  une  forte 
averse  de  flèches,  excités  par  le  Pàndouide  à  la  mort  du 
fils  de  cocher.  Quand  il  vit  tous  ces  enfants  de  Pândou  à  la 
grande  force,  7,068—7,069. 


DRONA-PARVA.  177 

L' Adhirathide  n'en  fut  aucunement  ému  ;  il  ne  descendit 
pas  au  sentiment  de  la  peur. 

A  la  vue  de  cet  océan  merveilleux  d'armée,  qui  ressem- 
blait au  jour  de  la  destruction  du  monde,  7,070. 

Ce  guerrier  vigoureux,  invaincu  dans  les  combats,  à  la 
grande  force,  à  la  main  agile,  le  bienfaiteur  de  tes  fils 
arrêta  cette  armée  de  tous  les  côtés,  éminent  Bharatide,  par 
la  multitude  de  ses  flèches  ;  et  les  Pàmlouidesde  l'arrêter 
lui-même  par  une  pluie  de  traits.   7,071 — 7072. 

Agitant  leurs  arcs  par  centaines  et  par  milliers,  ils  com- 
battirent le  fils  de  Ràdhà,  comme  les  Daîtyas  jadis  ont 
combattu  les  Dieux.   7,073. 

Le  vigoureux  Rama  dissipa  de  tous  les  côtés  avec  une 
grande  averse  de  flèches  l'orage  de  traits,  suscité  par  ces 
princes.   7,07Zi.  ■ 

Le  combat  de  ces  guerriers,  qu'animait  le  désir  de  tirer 
vengeance  des  blessures  faites,  ressemblait  au  combat 
des  Dànavas  et  de  Çakra  dans  la  guerre  des  Asouras  et 
des  Dieux.   7,075. 

Nous  vîmes  alors  la  légèreté  merveilleuse  du  fils  de 
cocher;  en  effet,  malgré  tous  leurs  efforts  dans  la  bataille, 
les  ennemis  ne  purent  venir  à  bout  de  sa  personne. 

L'hér.  ïque  Râdhéya  d'arrêter  les  multitudes  de  flè- 
ches, que  lui  décochaient  ces  princes.  Il  fit  tomber  ses 
traits  épouvantables,  gravés  de  son  nom,  sur  les  jougs, 
les  timons,  les  ombrelles,  les  chevaux  et  les  chars.  Le 
trouble  se  mit  parmi  les  monarques,  accablés  par  les  /le. 
che»  de  Karna.   7,076—7,077—7,078. 

Ils  erraient  çà  et  là,   comme  des  vaches  tourmentées 
par  le  froid  :  on  voyait  çà  et  là  des  troupes  de  coursiers 
morts,   d'éléphants  et  de  maîtres  de  chars  eux-mêmes, 
«  12 


178  LE  MAHA-BHARATA. 

les  victimes  deKarna.  Tonte  la  terre  était  jonchée  de  tous 
côtés  des  têtes  abattues  et  des  bras  enlevés  à  ces  héros, 
qui  ne  savaient  pas  fuir.  Telle  que  la  ville  du  Vivasvatide, 
le  champ  de  bataille  était  semé  par  tous  les  côtés,  sire,  de 
guerriers  morts,  ou  expirants,  ou  gémissants.  Douryo- 
dhana,  à  la  vue  du  courage  de  l'Adhiratide, 

7,079— 7,  ObO— 7,081— 7,082. 

S'approcha  d'Açwatthâman  et  lui  parla  en  ces  termes  : 
«  Voici  Karna,  que  tous  les  Pàndouides  contemplent, 
revêtu  de  sa  cuirasse  !  7,083. 

»  Vois  cette  armée  en  fuite  sous  l'atteinte  des  flèches 
de  Rarna,  comme  l'armée  Asourique,  dissipée  devant 
Kârttikéya.  7,084. 

A  pe  ne  a-t-il  vu  le  prudent  Karna  vainqueur  de  son 
armée,  voici  que  déjà  Bîbhatsou  s'approche  avec  le  désir 
de  tuer  l'Adhirathide.   7,085. 

»  Ainsi,  adopte  un  plan  de  conduite  dans  le  combat,  de 
telle  sorte  que  le  Pândouide  ne  puisse  immoler  sous  nos 
yeux,  les  armes  à  la  main  (1),  ce  grand  héros  fils  du 
cocher.  »   7,086. 

Alors  le  Dronide,  Kripa,  Çalya  et  l'héroïque  Hârd- 
dikya,  volant  au  secours  de  l'Adhirathide,  se  portèrent  à 
la  rencontre  du  Prithide.  7,087. 

Ils  virent  le  fils  de  Kountî  s'avancer,  tel  que  Çakra 
s'offrit  aux  yeux  de  l'armée  des  Daîtyas,  Bîbhatsou  lui- 
même,  environné  des  Pàntchâlains,  Indra  des  rois, 

S'élança  au-devant  de  Rarna,  comme  Pourandara  jadis 
se  présenta  aux  regards  de  Vitra.   7,0S8 — 7,0S9. 

«  Quand  il  vit  Phâlgouna  irrité,  semblable  à  Yama,  au 

(1)  Sankhym. 


DRONA-PARVA.  179 

trépas,  à  la  mort,  s'enquit  Dhritarâshtra,  que  fit  ensuite, 
cocher,  Karna,  le  fils  du  Soleil?  7,090. 

»  Lorsqu'il  vit  arrivé  tout  k  coup  son  ennemi  acharné  de 
tous  les  instants,  ce  Bibhatsou  bien  épouvantable  (]), 
qu'il  espérait  vaincre  dans  un  combat  (-2),  et  avec  qui  ce 
grand  héros  était  dans  une  rivalité  continuelle,  quelles 
autres  prouesses,  cocher,  exécuta  ce  Karna,  le  fils  du 
Soleil?  »    7,091—7,092. 

Dès  qu'il  vit  des  mêmes  yeux,  qu'un  éléphant  voit  s'a- 
vancer un  éléphant  ennemi,  répondit  Sàndjiya,  le  Pàn- 
douide  s'approcher,  Karna,  sans  émotion,  se  porta  de  son 
côté  à  la  rencontre  de  Dhanandjaya.   7,093. 

Au  moment  qu'il  s'avançait  rapidement,  le  Prithide 
couvrit  le  fils  du  Soleil  (3)  de  ses  flèches  au  vol  droit,  et 
Karna  (A)  ensevelit  Vicljaya  sous  les  siennes.   7,09/i. 

Le  Pândouide  fit  éclater  sur  Karna  l'orage  de  ses  traits; 
et  celui-ci,  enflammé  d'une  bouillante  colère,  le  blessa  de 
trois  dards.    7,095. 

Quand  il  vit  sa  légèreté,  ce  grand  héros,  le  fléau  des 
ennemis,  ne  put  la  supporter,  et  il  envoya  au  fils  du  co- 
cher trente  flèches  aiguisées  sur  la  pierre,  au  vol  droit,  à 
la  pointe  enflammée.  Eusuite,  le  vigoureux  Dhanandjaya 
le  perça  d'un  seul   trait  dans  sa  colère. 

7,096—7,097. 

Ce  brave  le  frappa  en  riant  à  l'extrémité  du  bras  gauche, 
et  l'arc  tomb.i  rapidement  de  sa  main  blessée. 

Le  guerrier  à  la  grande  force  ramassa  l'arc  plus  tôt 


(1-2)  Youddaijétoum  souddrounam,  texte  de  Bombay. 

(3)  Vaikarlanan,  môme  éditiou. 

(4)  Karnus  tu,  au  même  te.vte. 


180  LE  MAHA-BHARATA. 

même  qu'il  n'eût  fléchi  un  clin  d'oeil,  et  couvrit  en  homme 
agile  Phâlgouna  de  ses  multitudes  de  traits. 

7,098—7,099. 

Dhanandjaya  dissipa  en  riant  par  la  pluie  de  ses  flè- 
ches, Bharatide,  la  grêle  de  flèches,  que  lançait  le  fils  du 
cocher.   7,100. 

Ces  deux  héros  (1),  qui  désiraient  faire  les  représailles 
des  coups,  qu'ils  avaient  reçus,  s' étant  approchés  l'un  de 
l'autre,  se  couvrirent  de  toutes  parts  avec  des  multitudes 
de  flèches.   7,101. 

Cette  lutte  de  Karna  et  du  Pânflouide  ne  fut  pas  moins 
admirable  clans  cette  bataille,  que  celle  de  deux  éléphants 
des  forêts,  qui  ont  l'odorat  affecté  de  leur  mutuel  mada. 

Dès  que  l'héroïque  Prithide  eut  vu  la  bravoure  de 
Karna,  il  trancha,  plein  de  hâte,  son  arc  même  à  l'endroit 
où  son  poing  le  serrait  à  sa  main.   7,10*2 — 7,103. 

Le  fléau  des  ennemis  plongea  avec  des  bhallas  ses 
quatre  chevaux  au  séjour  d'Yama,  et  enleva  du  corps  la 
tête  de  son  cocher.   7,10Zi. 

Ensuite,  le  fils  de  Piïthâ  et  de  Pândou  blessa  de  quatre 
flèches  ce  héros  à  l'arc  coupé,  aux  coursiers  tués,  au 
cocher  immolé.   7,105. 

L'éminent  personnage,  en  but  aux  traits,  s' étant  élancé 
précipitamment  hors  de  son  char  privé  de  chevaux  , 
monta  à  la  hâte  dans  le  chariot  de  Kripa.   7,106. 

Chassé  par  les  multitudes  de  flèches  d'Arjouna  et  cou- 
vert de  dards,  comme  un  porc-épic  d'aiguillons,  il  sauta 
dans  le  char  de  Kripa,  désireux  d'obtenir  le  salut  de  sa 
vie.  7,107. 

(1)  Mahéshvûsaâu,  texte  de  Bombay. 


DRONA-PARVA.  181 

A  la  vue  de  Ràdhéya  vaincu,  les  tiens,  éminent  Bhara- 
tide,  dispersés  par  les  traits  de  Dhanandjaya,  couraient 
par  les  dix  points  de  l'espace.  7.108. 

Quand  il  les  vit  de  ses  yeux  mêmes  fuir  de  cette  ma- 
nière, le  roi  Douryodhana  les  arrêta  et  leur  adressa  ces 
paroles  :  7,109. 

«  C'est  assez  fuir,  héros  !  Tenez  ferme,  éminentsksha- 
tryas  !  Moi;  qui  vous  parle,  je  vais  entrer  dans  la  bataille 
pour  donner  la  mort  au  Prithide  !  7,110. 

»  Je  vais  tuer  le  fils  de  Prithâ  et  le  Pàntchâlain  réunis  ! 
Les  Prithides  me  verront  aujourd'hui  même  com- 
battre avec  l'archer  du  Gàndiva  ;  ils  connaîtront  ma 
valeur  comme  celle  de  la  mort  à  la  fin  d'un  youga  ! 
Aujourd'hui,  les  Prithides  verront,  comme  des  nuées  de 
sauterelles,  les  multitudes  de  mes  flèches,  que  je  vais 
lancer  par  milliers  dans  le  combat  !  Aujourd'hui,  mes 
guerriers  verront,  tel  qu'un  nuage  à  la  fin  de  la  saison 
chaude,  la  pluie  formée  de  traits,  que  vomira  mon  arc 
dans  ce  combat  !  Aujourd'hui,  je  triompherai  du  Prithide 
dans  la  bataille  avec  mes  flèches  aux  nœuds  inclinés  ! 
7,111— 7,112 — 7,113— 7, 114. 

»  Restez  fermes  en  ce  combat,  héros  !  Abandonnez 
la  crainte,  que  vous  inspire  Phàlgouna  !  Qu'il  s'approche 
de  ma  valeur,  il  ne  tiendra  pas  devant  elle,  comme  lamer, 
séjour  des  makaras,  ne  tient  pas  devant  son  rivage  !  » 
A  ces  mots  environné  d'une  nombreuse  armée,  le  roi 
s'avança,  7,115—7,116. 

Irrité,  les  yeux  enflammés  de  fureur  contre  Phàlgouna. 
Aussitôt  que  le  Çaradwatide  vit  le  héros  aux  longs  bras 
s'approcher,  7,117. 

Il  s'avança  vers  Açvatthâman  et  lui  dit  ces  mots  : 


182  LE  MAHA-BHARATÀ. 

«  Voici  le  puissant  monarque,  qui,  plein  de  colère,  en- 
flammé de  courroux.   7,118. 

»  Imitant  la  sauterelle  en  sa  manière  d'agir,  veut  com- 
battre avec  Phâlgouna.  Arrête-le,  Kourouide,  afin  que  le 
plus  excellent  des  princes  n'abandonne  point  sa  vie  sous 
nos  yeux  dans  une  bataille  avec  ce  Prilhide.  Que  ce  héros, 
monarque  des  Rourouides,  se  tienne  paisible  en   cette 
lutte,  de  peur  qu'il  ne  tombe  sous  la  portée  des  flèches  de 
Phâlgouna  !  Que  le  roi  s'abstienne  du  combat   dans  la 
crainte  qu'il  ne  soit  réduit  en  cendres  par  les  multitudes 
de  traits,  que  le  Prithide  décoche,  semblables  à  des  ser- 
pents déchaînés.  La  chose,  que  nous  voyons  s  3   passer 
ici,  est  comme  inconvenante,  ô  toi,  qui  donnes  l'honneur. 
Tan '.lis  que  nous  restons  les  bras  croisés,  le   roi  marche 
sans  aide  au-devant  du  Prithide  (1)   pour  le  combattre  ! 
S'il  combat  avec  Riiîti,   le   Kourouide,  aura,  je  pense, 
autant  de  difficultés  à  conserver  sa  vie   clans  ce  combat 
qu'un  éléphant  aux  prises  avec  un  tigre.  »  A  ces  mots  de 
son  oncle,  Açwatthàman,  le  plus  excellent  de  ceux,  qui 
portent  les  armes,    {De    la    stance   7,119  à  la  stance 
7,125.) 

Dit  précipitamment  ces  paroles  àPouryodhana  :  «  Tant 
que  je  vivrai,  Gàndhâride,  ne  veuille  pas  livrer  un  com- 
bat, sans  tenir  compte  de  moi,  toujours  désireux  de  ton 
bien,  fils  de  Rourou.  11  ne  faut  pas  te  hâter  à  la  victoire 
du  Prithide.  7,125—7,126. 

»  Je  l'arrêterai,  moi  !  Quant  àtc\i,  Souyodhana,  reste 
ici  tranquillement!  »>   7,127. 

»  L'Atchârya  veille  au  salut  des  fils  de  Pândou,  comme 

(1)  Pârthan,  texte  de  iïombay,  au  lieu  du  mot  superflu  xpnàn. 


DRONA-PARVA.  183 

s'il  était  leur  propre  fils  !  lui  répondit  Douryodhana.  Tu 
fais  sans  cesse  mépris  de  moi,  quand  il  s'agit  d'eux,  mes 
ennemis  !  7,128. 

»  Ton  courage 'est  stérile  dans  la  guerre,  soit  par  la 
cause  de  mon  infortune,  soit  que  tu  veuilles  faire  une 
chose  agréable,  ou  à  Dharmarâdja,  ou  à  Draàupadi  :  c'est 
là  ce  que  nous  ne  savons  point.   7,129. 

»  Honte  à  moi,  homme  cupide!  En  effet,  pour  moi, 
tous  mes  parents,  qui  désirent  les  douceurs  de  la  vie, 
sont  tombés,  par  la  défaite,  dans  les  plus  grands  chagrins. 

»  Qui,  le  meilleur  de  tous  ceux,  qui  portent  les  armes, 
égal  à  Çiva  dans  la  guerre,  mais  qui  n'est  pas  le  fils  du 
Gaàutamide,  ne  détruirait  pas  un  ennemi,  qui  est  puis- 
sant? 7,130—7,131. 

»  Açwatthâman,  sois-nous  propice!  Détruis  ces  enne- 
mis de  mon  pouvoir:  les  Dânavas  et  les  Dieux  mêmes  ne 
sont  point  capables  de  tenir  à  la  portée  de  tes  astras  ! 

»  Immole,  Dronide,  les  Pântchâlairrs  et  les  Somakas 
avec  leurs  suivants  !  Sauvés  par  toi-même,  le  reste  mordra 
la  poussière  sous  nos  coups?  7,132—7,133. 

»  Car  ces  Somakas,  brahme,  et  ces  illustres  Pântchâ- 
Iains  se  promènent  avec  colère  dans  mes  armées,  comme 
l'incendie  au  milieu  d'une  forêt.   7,134. 

»  Arrête-les,  guerrier  aux  longs  bras,  et  les  Kaîkéyains 
avec  eux,  avant  que,  défendus  par  Kiriti,  ô  le  plus  grand 
des  hommes,  ils  ne  nous  aient  exterminés  jusqu'au  der- 
nier.  7,135. 

»  Avance-toi  promptement,  Açwatthâman  !  Fais  dili- 
gence, dompteur  des  ennemis  !  Que  tu  agisses  d'abord  ou 
ensuite,  c'est  ton  affaire,  brahme  !  7,136. 

»  Tu  es  né  pour  la  mort  des   Pàntchâlains,  si  tu  te 


184  LE  MAHA-BHARATA. 

hâtes,  guerrier  aux  longs  bras,  tu  enlèveras  sans  doute  à 
la  terre  jusqu'au  dernier  des  Pântcbâlains.  7,137. 

»  Les  Siddhas  ont  dit  cette  parole  (1)  :  «  Il  en  sera 
ainsi  !  »  Terrasse  donc,  tigre-des  hommes,  ces  Pântcbâ- 
lains avec  leurs  suivants  !  7,138. 

»  Les  Dieux  avec  Indra  (2)  ne  sont  pas  capables  de  tenir 
à  la  portée  de  tes  astras  :  à  plus  forte  raison,  les  fils  de 
Prithâ  avec  les  Pântchâlains.  Cette  parole  de  moi  est  une 
vérité.  7,139. 

»  Les  Pândouides  et  les  Somakas  ne  sont  point  ca- 
pables, héros,  de  te  combattre  avec  une  armée  sur  un 
champ  de  bataille  :  ce  que  je  te  dis  est  une  vérité. 

»  Va  !  va,  guerrier  aux  longs  bras  !  Que  la  destruction 
de  la  mort  ne  nous  atteigne  pas  ;  car  voici  l'armée,  qui 
fuit  sous  l'oppression  des  flèches  du  Pandouide  ! 

7,140— 7,141. 

»  Tu  es  capable,  ô  toi,  qui  donnes  l'honneur,  de  ré- 
primer les  fils  de  Pândou  et  les  Pântchâlains,  grâce  à  ta 
vigueur  divine.  »    7,142. 

A  ces  mots  de  Douryodhana,  le  Dronide,  ivre  de  la 
furie  des  batailles,  déploya  ses  efforts  à  la  mort  des 
ennemis,  comme  Indra  jadis  à  la  mort  des  Daîtyas. 

Le  guerrier  aux  longs  bras  fit  cette  réponse  à  ton  fils  : 
«  Ce  que  tu  dis  est  vrai,  puissant  Kourouide. 

7,143—7,144. 

»  Les  fils  de  Pândou  me  sont  toujours  chers  ainsi  qu'à 
mon  père  lui-même.  Ainsi,  il  ne  nous  est  nullement 
agréable  de  combattre  jamais  contre  eux.   7,145. 


(1)  Vàichas,  texte  de  Bombay. 

(2)  Savùsavas,  même  texte. 


DRONA-PARVA.  185 

»  Combattant  de  tout  notre  pouvoir,  ayant  renoncé  in- 
trépidement à  la  vie,  mon  fils,Karna,  Çalya,  Rripa,  Hârd- 
dikya  et  moi,  nous  avons  dispersé  dans  un  clin-d'œil,  ô 
le  plus  grand  des  princes,  l'armée  des  Pândouides;  et 
eux,  dans  le  même  espace  de  temps,  ils  auraient  dissipé 
les  bataillons  des  Kourouides,  si  nous  n'assistions  point 
au  combat.  Lorsque  nous  combattons  les  Pândouides  et 
que  ceux-ci  veulent  nous  faire  la  guerre  (1),  fils  de  Bha- 
rata,  ces  deux  forces  s'entrechoquent,  se  balancent  et  se 
neutralisent  l'une  et  l'autre.  Tant  que  vivent  les  Pân- 
douides, il  est  impossible  à  notre  fougue  de  vaincre  leur 
armée.  Les  fils  de  Pândou  sont  puissants,  parce  qu'ils 
combattent  dans  leur  cause.  (De  la  stance  7,146  à  la 
stance  7,151.) 

»  Pourquoi  ne  tueraient-ils  pas  ton  armée,  fils  de  Bba- 
rata?  Mais  toi,  sire,  tu  as  la  science  de  la  méchanceté;  tu 
es  le  plus  avide  des  hommes,  7,151. 

»  Un  orgueilleux,  rempli  de  soupçon  pour  tout,  et  de- 
là toujours  en  doute  de  nous.  Tu  es,  à  mon  avis,  un  être 
vil,  une  âme  criminelle,  un  mortel  méprisable.    7,152. 

»  Animé  de  sentiments  pervers,  tu  nous  soupçonnes 
d'être,  homme  abject,  autres  que  nous  ne  sommes.  Mais, 
déployant  mes  efforts  et  renonçant  pour  toi  à  la  vie, 

»  J'irai  au  combat  pour  tes  intérêts,  ô  le  plus  grand 
des  Kourouides,  je  combattrai  avec  les  ennemis,  et  je 
ferai  mordre  la  poussière  à  de  nombreux  adversaires. 

7,153—7,154. 

»  J'affronterai  dans  cette  bataille,  pour  faire  une  chose, 
qui  te  soit  agréable,   dompteur  des   ennemis,  les  Pân- 

(1)  Nas,  sous-enlendu,  youdhyatàn  Pdndavàn...  Icshàn,  texte  de  Bombay. 


186  LÉ  MAHA-BHARATA. 

châlains,  les  Somakas,  les  Kaîkéyains  et  les  Pândonide  s. 

»  Aujourd'hui  consumés  par  mes  flèches,  les  Tché- 
diens,  les  Somakas  et  les  Pàntchâlains  s'enfuiront  de  tous 
les  côtés,  comme  des  bœufs,  qu'un  lion  a  remplis  d'effroi. 

7,155—7,156. 

»  Aujourd'hui,  quand  il  aura  vu  ma  bravoure,  le  roi 
fils  d'Yama  pensera  avec  les  Somakas,  que  le  monde  est 
fait  d'Açwatthâman.   7,157. 

»  Le  fils  de  Dharma,  Youdhishthira,  tombera  dans  le 
mépris  de  soi-même,  quand  il  aura  vu  les  Pàntchâlains 
immolés  dans  le  combat  avec  les  Somakas.   7,158. 

»  Je  tuerai,  Bharatide,  ceux  qui  oseront  m'aïïronter 
dans  la  guerre  :  accablés  par  la  force  de  mes  bras,  héros, 
ils  ne  m'échapperont  certainement  pas  !  »  7,159. 

Dès  qu'il  eut  parlé  ainsi  à  ton  fils  Douryodhana,  le 
guerrier  aux  longs  bras,  le  meilleur  de  ceux,  qui  respirent 
l'air  du  ciel,  retourna  au  combat,  désirant  fai»*e  une  chose 
agréable  à  ton  fils,  et  mettant  en  faite  tous  les  archers. 
Ensuite,  le  fils  du  Gaâutamide  dit  aux  Pàntchâlains  réunis 
aux  Kaîkéyains:   7,160— 7, 161. 

«  Lancez  d'ici  tous,  fameux  héro-,  vos  traits  sur  mon 
corps  !  Embrassant  la  fermeté,  combattez,  montrant  la 
légèreté  de  vos  astras  !  »   7,162. 

A  ces  mots,  tous,  ils  firent  tomber  sur  le  Dronide  une 
grêle  de  flèches,  tels  que  des  nuages,  Mahârâdja,  déver- 
sent leur  eau  sons  les  deux.   7,163. 

Quand  il  en  eut  paralisé  tes  traits  (J),  le  Dronide  abat- 
tit, «seigneur,  dix  héros  en  face  des  fils  de  Pândou  et  (2) 
de  Prishtadyoumna.  7,16/i. 

(1-2)  Çarân....  tcha,  texte  de  Bombay. 


DRONA-PARVA.  187 

Taillés  en  pièces  dans  le  combat,  les  Pâhtchâlains  et  les 
Somakas,  abandonnant  le  Dronide,  s'enfuyaient  aux  dix 
points  de  l'espace.   7.165. 

Dès  qu'il  vit  ces  héros  courir  çà  et  là,  grand  roi,  Dhrish- 
tadyoumna, sur  le  champs  de  bataille,  s'élança  contre  le 
fils  de  Drona.   7,166. 

Environné  d'une  centaine  de  vaillants  héros,  qui  ne 
savaient  pas  fuir,  admirables  d'or  et  bruyants  comme  des 
nuages  chargés  de  pluies,  7,167. 

Le  fils    du   roi    des    Pântchâlains,    le    grand    héros. 
Dhrishtadyoumna  dit  ces  mots  au  Dronide,  quand  il  le  vit 
immoler  ses  combattants  :  7,168. 

«  Stupide  fils  d'un  âtchàrya,  qu'as-tu  besoin  d'autres 
victimes  ?  Combats  avec  moi  sur  le  champ  de  bataille,  si 
tu  es  un  héros!  7.169. 

»  Tu  vas  mordre  la  poussière  sous  mes  coups  !  Halte- 
là!  S>is  ferme,  maintenant!  »  A  ces  mots,  l'auguste 
Dhrishtadyoumna  de  frapper  le  fils  de  l'At  hârya  dans  ses 
membres  avec  des  flèches  acérées,  pleine  d'épouvante  ,  et 
les  rangées  de  traits,  empennés  d'or,  au  vol  rapide,  à  la 
pointe  luisante,  déchirant  tous  les  corps,  de  pénétrer 
dans  le  fils  de  Drona,  comme  de  grandes  abeilles,  dont  le 
désir  du  miel  attira  le  vol  dans  un  arbre  fleuri. 

7J  70—7,171—7,172. 

Grièvement  blessé,  au  comble  de  la  colère,  tel  qu'un 
serpent,  qu 'un  passant  a  foulé  du  pied,  le  fier  Açwatthâ- 
man  dit,  sa  flèche  à  la  main  :  7,173. 

«  Dhrishtadyoumna,  sois  ferme  !  Attends  un  instant 
que  je  t'envoie  de  mes  bhallas  aigus  dans  l'habitation 
d'Yama!  »    7.17/j. 

Quand  il  eut  parlé  ainsi,  le  destructeur  des  héros  en- 


188  LE  MAHA-BHARATA. 

gémis,  le  Dronide  à  la  main  agile  de  le  couvrir  partout 
avec  les  multitudes  de  ses  flèches.  7,175. 

Hérissé  de  traits  par  son  bras,  le  fils  du  roi  des  Pân- 
tchâlains,  ivre  de  la  furie  des  batailles,  menaça  alors  en 
ces  termes  le  fils  de  Drona  :  7,176. 

«  Ne  connais-tu  point  ma  promesse,  brahme,  et  mon 
origine? Tu  seras  tué  par  moi,  homme  bien  insensé,  après 
que  j'aurai  immolé  Drona  lui-même.  7,177. 

»  C'est  pour  cela  que  tu  ne  mords  poim  la  poussière,  im- 
pur, quand  Drona  vit  encore  !  Mais  une  fois  que  cette  nuit 
sera  parvenue  à  l'aube  du  jour,  homme  sans  jugement, 

»  J'abattrai  mort  ton  père,  et  je  te  plongerai  clans  ce 
combat  même  au  monde  des  morts.  C'est  ainsi  qu'il  est 
arrêté  dans  mon  cœur.  7,178 — 7,179. 

»  Montre  bien  l'inimitié,  que  tu  as  vouée  aux  fils  de  Pri- 
thà,  et  le  dévouement,  que  tu  as  juré  aux  Rourouides  ; 
sois  ferme!  Tu  ne  t'en  iras  pas  vivant  de  mes  mains! 

»  Tout  brahme,  qui,  désertant  le  caractère  saint  du 
brahme,  trouve  son  plaisir  dans  les  fonctions  du  ksha- 
trya,  doit  être  mis  à  mort,  comme  toi,  ô  le  plus  vil  des 
hommes  du  monde  entier  (1).»  7,180  —  7,181. 

A  ces  atnères  paroles  du  Prishatide,  le  plus  grand  des 
brahmes  ressentit  une  brûlante  colère:  «  Arrête!  arrête!  » 
lui  cria-t-il.  7,182. 

Il  regarda  le  rejeton  de  Prishat,  le  consumant,  pour 
ainsi  dire,  de  ses  yeux,  et,  soupirant  comme  un  serpent, 
il  le  couvrit  de  ses  flèches  dans  le  combat.  7,183. 

Percé  de  ses  traits,  Dhrishtadyoumna,  le  plus  grand 

(1)  Sarva/okasya,  texte  de  Bombay 


DRONA-PARVA.  189 

des  héros,  environné  de  toutes  les  armées  des  Pântchâ- 
lains,  7,lSZi. 

Appuyé  sur  sa  force,  le  guerrier  aux  longs  bras  n'en 
fut  pas  ébranlé,  et  il  décocha  sur  Açwatthâman  des  flèches 
diverses.  7,185. 

Ces  deux  joueurs  du  jeu  des  existences  revinrent  dans 
une  colère  mutuelle,  paralysant  les  multitudes  de  traits 
l'un  de  l'autre.  7,186. 

Ces  deux  héros  envoyaient  de  tous  les  côtés  leurs  aver- 
ses de  dards.  A  la  vue  du  combat  aux  formes  terribles, 
inspirant  l'épouvante,  du  Dronide  et  du  fils  de  Prishat,  les 
Siddhas,  les  Tchâranas  et  les  Vents  de  leur  applaudir.  Em- 
plissant l'air  et  les  plages  intermédiaires  par  des  torrents 
de  flèches,  7,187—7,188. 

Ils  combattaient  invisibles,  leurs  projectiles  causant 
une  vaste  obscurité.  Leurs  arcs  mis  en  cercle,  ils  sem- 
blaient danser  dans  le  combat.  7,189. 

Inspirant  l'effroi  à  tous  les  êtres,  l'esprit  appliqué  à  la 
mort  l'un  de  l'autre,  ces  héros  aux  longs  bras  combat- 
taient d'une  manière  variée,  avec  légèreté  et  d'une  façon 
excellente.  7,190. 

Les  premiers  des  guerriers  les  applaudirent  par  mil- 
liers dans  le  combat  :  une  joie  confuse  naquit  dans  les 
deux  armées,  lorsqu'on  les  vit  dans  cette  lutte  sembla- 
bles à  deux  éléphants  sauvages  au  milieu  d'une  forêt. 
Il  s'éleva  un  bruit  de  cris  de  guerre,  et  les  combattants 
remplirent  de  vent  les  conques.  7,191 — 7,192. 

Dans  cette  bataille  tumultueuse,  accroissant  la  crainte 
des  gens  timides,  les  instruments  de  musique  résonnaient 
par  centaines  et  par  milliers.  7,493. 

Un  instant,  ce  combat  n'offrit  aux  yeux  qu'une  seule  et 


190  LE  MAHA-BHARATA. 

même  forme.  Ensuite,  quand  le  Dronide  eut  tranché, 
puissant  roi,  au  magnanime  Prishatide,  son  arc,  son  dra- 
peau, son  ombrelle,  les  deux  valets  de  pied,  qui  condui- 
saient les  deux  premiers  chevaux,  son  cccheret  ses  quatre 
coursiers,  il  poursuivit  dans  le  combat  tous  les  Pàntchâ- 
lains  de  ses  flèches  aux  nœuds  inclinés.  Le  guerrier  à 
l'âme  incommensurable  les  mit  en  déroute,  par  centaines 
et  par  milliers.   7,194— .7.195—  7,19(5. 

Quand  elle  vit  dans  la  guerre,  éminent  fils  de  Bharata, 
ce  grand  exploit  du  Dronide,  semblable  à  ceux  d'Indra, 
l'armée   Pândoukle  fut  agitée  par  la  crainte. 

Lorsque  le  fameux  héros  eut  tué  cent  Pântchalains  avec 
une  centaine  de  traits,  et  qu'il  eut  abattu  morts  trois  des 
plus  illustres  personnages  avec  trois  flèches  aiguës, 

7,197— 7,  198. 

Le  Dronide  immola  un  très-grand  nombre  de  Pântcha- 
lains, qui  se  trouvaient  là  présents,  aux  yeux  mêmes  de 
Phàlgouna  et  du  fils  de  Droupada.   7,199. 

Taillés  en  pièces  dans  la  bataille,  les  Pântchalains  et 
les  Srindjayas  se  retirèrent,  leurs  drapeaux  et  leurs  chars 
étendus  çà  et  et  là  sur  la  terre.  7,200. 

Dès  qu'il  eut  vaincu  les  ennemis  dans  le  combat,  l'hé- 
roïque fils  de  Drona  jeta  dans  (air  un  bien  vaste  cri, 
comme  un  nuage  à  la  fin  de  l'été.   7,201. 

Homicide  de  ses  nombreux  ennemis,  Açwatthâman  res- 
plendissait, tel  que  le  soleil,  quand  il  consume  tous  les 
êtres  à  la  fin  d'un  youga,  7,202. 

Honoré  dans  la  guerre  par  les  Kourouides,  ayant  vaincu 
des  foules  d'ennemis  dsns  le  combat,  l'auguste  fils  de 
Drona  brillait,  comme  le  roi  des  Immortels,  quand  il  eut 
terrassé  les  troupes  de  ses  rivaux.   7,203. 


DRONA-PARVA.  191 

Alors,  puissant  monarque,  le  roi  Yonrlhishthira  et  le 
Pàndouide  Bhîmaséna  environnèrent  de^tous  côtés  le  fils 
de  Drona.  7,*20Zi. 

Escorté  du  Bharadwâdjide,  le  royal  Douryodhana  s'a- 
vança vers  les  Pândouides  dans  cette  bataille  et  revint  au 
combat  à  la  forme  terrible,  à  la  grande  épouvante,  ac- 
croissant la  terreur  des  gens  timides.  Les  Ambasthas, 
les  Màlavas,  les  Vângas,  les  Çiviens  et  les  Trigarttas  eux- 
mêmes  7/205 — 7,206. 

Furent  envoyés,  en  troupes,  par  Youdhishthira  irrité 
dans  le  monde  des  morts.  Terrassant  les  guerriers  Abbî- 
shabas  et  Çourasénas,  ivres  de  la  furie  des  batailles, 
Bhîma  de  charger  la  terre  en  un  bourbier  de  sang. 
Kirîti  aux  blancs  coursiers  plongea  dans  le  monde  des 
morts  les  combattants  montagnards,  sire,  les  Madrakas 
et  les  Mâlavas  eux-mêmes;  Profondément  blessés  par 
les  nârâtchas  au  vol  rapide ,  les  éléphants  tombaient 
sur  la  terre,  comme  des  montagnes  à  deux  pitons.  La 
terre  brillait,  remplie  de  trompes  coupées,  remuantes  ça 
et  là,  des  éléphants,  (elles  que  des  serpents,  qui  rampent. 
Le  sol  éiincelait  d'ombrelles  de  rois  éparses  et  de  pein- 
tures d'or,  7,207— 7,208— 7,209— 7,210— 7,211. 

Comme  un  ciel,  où  luiraient  en  même  temps,  à  la  des- 
truction d'un  youga,  le  soleil,  la  lune  et  les  autres  pla- 
nètes. «  Frappez  !  décochez  !  blessez  !  tranchez  sans 
crainte  !   »   7,212. 

Ces  cris  régnaient  en  bruit  confus  autour  du  char  aux 
chevaux  rouges.  Le  terrible  Drona  au  comble  de  la  colère 
dispersa  les  ennemis  dans  le  combat  avec  l'astra  du  vent, 
tel  qu'un  souffle  orageux  dissipe  les  nuages.  Battus  par 
Drona,  les  Pàntchâlains  couraient,  talonnés  par  Ja  peur, 


192  LE  MAHA-BHARATA. 

Sous  les  yeux  de  Bhîmasénaet  du  magnanime  Prithide. 
Ayant  pris  une  grande  armée,  Kiiîti  et  Bhîmaséna  revin- 
rent promptement,  environnés  d'une  nombreuse  multitude 
de  chars.  Bîbhatsou  au  midi,  Vrikaudara  au  côté  du 
septentrion  7,213— 7,21/1  —  7,215—7,216. 

Firent  éclater  sur  le  Bharadwâdjide  de  fortes  nuées  de 
flèches.  Les  Srindjayas  et  les  grands  héros  Pântchâlains 
suivirent  ces  deux  princes  avec  les  Matsyas  et  les  Soma- 
kas.  Les  guerriers  aux  grands  chars  de  ton  fils, 

7,217—7,218. 

Formant  une  nombreuse  armée,  sire,  se  portèrent  vers 
le  char  de  Drona.  Taillée  en  pièces  par  Rirîti,  l'armée 
Bharatienne  était  déchirée  de  nouveau  par  les  ténèbres  et 
le  sommeil.  Arrêtés  par  ton  fils  et  par  Drona  en  personne, 

7,219—7,220. 

Les  guerriers  ne  purent  alors,  puissant  roi,  les  arrêter 
eux-mêmes.  La  grande  armée,  frappée  de  mort  par  les 
flèches  du  fds  de  Pàndou,  7,221. 

Courait  dans  le  monde,  enveloppée  d'obscurité  et  tour- 
nant sa  face  de  tous  les  côtés  :  quelques  monarques  des 
hommes,  abandonnant  leurs  chevaux  par  centaines, 
grand  roi,  s'enfuyaient,  pénétrés  de  terreur.    • 

7,222—7,223. 

Irrité  contre  Somadatta  et  brandissant  un  grand  arc, 
Sâtyaki  dit  à  son  cocher  :  «  Conduis-moi  près  de  Soma- 
datta!  7,224 . 

»  Car  je  ne  m'en  irai  pas  du  combat,  cocher,  que  je 
n'aie  tué  Vâhlîka,  le  plus  vil  des  Kourouides  :  je  dis  cette 
parole  comme  une  vérité.  »  7,225. 

Le  cocher  alors  de  pousser  les  chevaux  Sindhiens  à  la 
grande  légèreté,  à  la  couleur  de  la  conque,  et  qui  sur- 


DRONA-PARVA.  193 

passaient  en  vitesse  toutes  les   flèches  dans  le  combat. 

Aussi  rapides  que  Mâroute  ou  la  pensée,  ces  chevaux 
traînaient  Youyoudhâna,  comme  jadis  les  coursiers  verts 
portaient  Indra,  quand  il  s'élançait  à  la  mort  des  Daîtyas. 

7,226—7,227. 

Dès  qu'il  vit  le  Sâttwatide  accourir  d'une  marche  préci- 
pitée dans  la  bataille,  grand  roi,  Somadatta  sans  trouble 
y  reporta  ses  pas.  7,228. 

Déchargeant  ses  averses  de  flèches,  tel  qu'un  nuage 
pluvieux,  il  couvrit  le  Cinide  comme  une  nuée  masque  le 
le  soleil.  7,229. 

Et,  sans  trouble,  Sâtyaki,  de  son  côté,  couvrit  de  tou- 
tes parts  dans  le  combat  l'éminent  Rourouide  avec  les 
multitudes  de  ses  flèches.  7,230. 

Mais  Somadatta  de  blesser  Mâdhava  dans  la  poitrine  avec 
soixante  traits  ;  et  Sâtyaki  le  frappa,  sire,  de  dards  acérés, 

S' étant  déchirés  mutuellement  de  leurs  flèches,  ils  res- 
plendissaient l'un  et  l'autre,  comme  deux  fleurs  brillantes 
dans  la  saison  des  fleurs  ou  tels  que  deux  kinçoukas  fleu- 
ris.  7,231—7,232. 

Tous  les  membres  humides  de  sang,  ces  rejetons  de 
Kourou  et  de  Vrishni,  causes  de  renommée,  se  regar- 
daient réciproquement,  comme  s'ils  voulaient  se  brûler 
des  yeux.   7,233. 

Se  promenant  dans  les  routes  et  les  circonvolutions  des 
chars,  ces  deux  broyeurs  des  ennemis  se  tenaient  l'un 
vis-à-vis  de  l'autre  avec  des  formes  terribles ,  tels  que- 
deux  nuages  chargés  de  pluie.  7,234. 

Le  corps  brisé  par  les  traits,  mis  en  pièces  (1)  de  tous 

(1)  Çakallkritaâu,  texte  de  Bombay. 

ix  13 


194  LE  MAHA-BHARATA. 

les  côtés,  ils  paraissaient,  Indra  des  rois,  comme  deux 
porcs-épics  sous  les  flèches,  dont  ils  étaient  blessés. 

Couverts  de  traits  empennés  d'or,  ils  resplendissaient 
ainsi  que  deux  arbres,  sire,  enveloppés  de  myopides  en- 
flammés dans  la  saison  des  pluies.  7,235—7,236. 

Ces  deux  grands  héros,  tous  les  membres  comme  al- 
lumés par  des  flèches,  semblaient  dans  le  combat  deux 
éléphants,  dont  la  colère  est  excitée  avec  des  torches. 

Enfin  l'héroïque  Somadatta,  puissant  roi,  coupa  dans 
la  bataille  avec  une  demi-lune  le  grand  arc  de  Màdhava. 

7,237-7,238. 

Il  décocha  sur  lui  vingt-cinq  traits,  et,  se  pressant, 
lorsqu'il  était  à  propos  de  se  hâter,  il  le  blessa  encore 
avec  dix  flèches.  7,239. 

S' armant  d'un  nouvel  arc  plus  rapide,  Sâtyaki  préci- 
pitamment frappa  son  rival  de  cinq  projectiles.  7,240. 

Puis,  Sâtyaki,  en  riant,  de  trancher  dans  le  combat 
avec  un  autre  bhalla,  sire,  le  drapeau  en  or  de  Vâhlika. 

Quand  il  vit  son  enseigne  abattue,  Somadatta,  sans  émo- 
tion, sire,  entassa  vingt-cinq  traits  sur  le  petit-fils  de 
Çini.  7,241—7,242. 

Irrité  dans  ce  combat,  le  Sâttwatide  trancha  lui-même, 
d'un  kshourapra  aiguisé,  l'arc  du  sagittaire  Somadatta. 

11  accumula  sur  lui,  semblable  à  un  serpent,  de  qui 
les  dents  sont  brisées,  une  centaine  de  flèches,  empen- 
nées d'or,  aux  nœuds  inclinés.  7,243 — 7,244. 

Ensuite,  Somatta  au  grand  char ,  à  la  grande  force, 
ayant  pris  un  autre  arc,  couvrit  Sâtyaki  d'une  averse  de 
traits.   7,245. 

Sâtyaki  en  colère  blessa  dans  le  combat  Somadatta,  et 
celui-ci  accabla  Sâtyaki  d'une  multitude  de  flèches. 


DRONA-PARVA.  195 

De  dix  sagettes,  Bhîrna  de  frapper  dans  l'intérêt  de  Sà- 
tyaki  le  fils  de  Vâhlîka;  et  Somadatta,  sans  émotion  de 
riposter  à  ce  coup  de  Bhîma  par  une  centaine  de  flèches. 

7,246—7,247. 

Le  Sâttwatide  irrité  lança  dans  la  poitrine  de  Soma- 
datta une  massue  neuve,  solide,  épouvantable,  emman- 
chée d'or.  7,248. 

En  riant,  le  Kourouide  dans  le  combat  trancha  en 
deux  ce  pilon  à  l'aspect  effrayant,  qui  accourait  avec  ra- 
pidité.  7,249. 

Coupée,  la  grande  massue  de  fer  tomba  sur  la  terre  en 
deux  morceaux,  comme  la  haute  cîme  d'une  montagne, 
que  la  foudre  a  frappée.  7,250. 

Mais  Sâtyaki  trancha  d'un  bhalla,  sire,  l'arc  de  Soma- 
datta dans  la  guerre,  et  de  cinq  le  bracelet  de  sa  main. 

Il  envoya  lestement  de  quatre  flèches  auprès  du  roi  des 
morts  ses  coursiers  de  la  plus  riche  taille.  7,251 — 7,252. 

En  riant,  Bharatide,  ce  tigre  des  héros  enleva  du  corps 
avec  un  bhalla  aux  nœuds  inclinés  la  tête  de  son  cocher. 

Il  lança  une  flèche  empennée  d'or,  luisante  d'huile  de. 
sésame,  aiguisée  sur  la  pierre,  grandement  formidable  et 
flamboyante  comme  le  feu.  7,253 — 7,254. 

Décoché  par  le  vigoureux  Çaînéya,  le  trait  sublime  et 
terrible,  seigneur,  s'abattit  dans  la  poitrine  de  son  rival 
avec  le  rapide  essor  du  faucon.  7,255. 

Le  fameux  héros  Somadatta ,  profondément  blessé  , 
puissant  roi,  par  le  robuste  Sâttwatide,  tomba  sur  la 
terre  et  rendit  le  dernier  soupir.  7,256. 

Dès  qu'ils  virent  là,  couché  mort  l'illustre  Somadatta, 
les  tiens  fondirent  sur  Youyoudhâna  avec  une  multitude 
de  chars.   7,257. 


196  LE  MAHA-BHARATA. 

Suivis  de  tous  leurs  plus  vaillants  guerriers,  les  Pân- 
douides,  à  la  tête  d'une  nombreuse  armée,  coururent, 
puissant  monarque,  sur  l'armée  dubrahme.  7,258. 

Alors  Youdhishthira  irrité  dispersa  en  fuite  de  ses  flè- 
ches les  héros  du  Bharadwâdjide,  aux  regards  de  Drona 
lui-même.   7,259. 

Quand  celui-ci  eut  vu  Youdhishthira  jeter  ses  armées 
en  déroute,  il  fondit  rapidement  sur  lui,  les  yeux  enflam- 
més de  colère.  7,260. 

Il  perça  le  Prithide  avec  sept  traits  bien  acérés  ;  et,  dans 
sa  colère,  Youdhishthira  lui  rendit  ses  traits  avec  cinq 
flèches.  7,261. 

Atteint  profondément  et  léchant  mainte  fois  les  angles 
de  sa  bouche,  le  grand  héros  coupa  l'arc  et  le  drapeau 
d' Youdhishthira.  7,262. 

Privé  de  son  arc,  mais  faisant  diligence,  quand  il 
était  à  propos  de  se  hâter,  le  plus  grand  des  rois  saisit 
rapidement  dans  cette  lutte  un  nouvel  arc  solide.  7,263. 

Le  Pândouide  frappa  le  brahme-guerrier  d'un  millier 
de  flèches  avec  son  char,  son  drapeau,  ses  chevaux  et  son 
cocher  :  ce  fut  comme  une  chose  merveilleuse.  7,26/j. 

Accablé  par  la  multitude  des  flèches  et  jeté  dans  le 
trouble,  le  plus  grand  des  brahmes  s'affaissa  un  instant 
sur  le  banc  de  son  char.  7,265. 

Ensuite,  ayant  recouvré  ses  sens,  pénétré  d'une  forte 
colère  et  soupirant,  comme  un  serpent,  il  lança  l'astra 
du  vent. 

Mais,  sans  trouble,  le  vigoureux  Prithide,  saisissant 
son  arc  dans  le  combat,  neutralisa  l'astra  du  régénéré 
par  un  astra  contraire.  7,266 — 7,267. 

Le  Pândouide  trancha  le  grand  arc  du   brahme,  et 


DRONA-PARVA  197 

Drona,  le  destructeur  des  kshatryas,  s'arma  d'un  nouvel 
arc.  7,268. 

Le  chef  de  la  race  Kourouide  le  coupa  lui-même  de 
bhallas  acérés.  Alors  le  Vasoudévide  parla  ainsi  à  You- 
dhishthira,  le  fils  de  Kountî  :  7,269. 

«  Écoute  ce  que  je  vais  te  dire,  Youdhishthira  aux  longs 
bras  :  cesse  ton  combat  avec  Drona,  ô  toi,  qui  es  le  plus 
grand  de  tes  frères  :  7,270. 

»  Car  Drona  ne  cesse  pas  de  déployer  tous  ses  efforts 
dans  la  bataille  pour  te  faire  prisonnier.  Son  combat  avec 
toi  est  de  forme  variée,  à  mon  avis.  7,271. 

»  Le  guerrier,  qui  fut  créé  pour  sa  mort,  lui  ôtera  la 
vie  !  Laisse  donc  le  Gourou,  et  va-t-en  là  où  est  le  roi 
Souyodhana.  7,272. 

»  En  effet,  un  roi  doit  combattre  avec  un  roi;  il  ne  va 
point  faire  la  guerre  avec  un  homme,  qui  ne  porte  pas  la 
couronne!  Environné  de  chevaux,  de  chars  et  d'éléphants, 
rends-toi  là,  fils  de  Kountî,  pendant  que  Dhanandjaya 
reste  avec  moi  pour  seul  compagnon,  et  va  où  Bhîma,  le 
tigre  des  hommes,  soutient  le  combat  avec  les  Kou- 
rouides.  »  7,273— 7, 274. 

Dès  que  Youdhishthira-Dharmarâdja  eut  ouï  ces  paroles 
du  Vasoudévide,  il  songea  un  instant  à  sa  lutte  épouvan- 
table ;  7,275. 

Et  ce  destructeur  des  ennemis  se  porta  là  où  Bhîma  se 
tenait  de  pied  ferme  et  semait  la  mort  parmi  tes  guer- 
riers, comme  le  trépas,  sa  bouche  ouverte.  7,276. 

Le  Pândouide  Youdhishthira,  le  roi  des  rois,  faisant 
résonner  la  surface  de  la  terre,  tel  qu'un  nuage  à  la  fin  de 
l'été,  par  le  vaste  bruit  de  ses  chars,  couvrit  les  derrières 
de  Bhîma,  qui  immolait  les  ennemis;  et  Drona  lui-même 


198  LE  MAHA-BHARATA. 

dissipa  les  ennemis  Pântchâlains  à  l'heure  où  commence 
la  nuit.  7,277—7,278. 

Tandis  que  ce  combat,  inspirant  l'épouvante,  se  dérou- 
lait ainsi  avec  des  formes  terribles,  que  la  terre  était  en- 
veloppée de  poussière  et  le  monde  par  les  ténèbres,  7,279. 

Les  guerriers,  acteurs  dans  ce  combat,  ne  se  reconnais- 
saient pas  les  uns  les  autres,  et  les  plus  vaillants  ksha- 
tryas  se  combattaient,  seigneur,  ayant  pour  signe  de  re- 
connaissance leurs  noms  et  les  inductions,  quils  tiraient 
de  leurs  armes,  dans  cet  effroyable  carnage  de  fantassins, 
de  chevaux,  d'éléphants  et  de  guerriers.  Les  héros  Drona, 
Karna  et  Kripa  d'une  part,  le  Prishatide,  Bhîmaséna  et 
le  Sâttwatide  de  l'autre,  7,280—7,281. 

Portèrent  le  trouble,  éminent  Bharatide,  dans  leurs 
mutuelles  armées.  Défaites  de  tous  les  côtés  par  ces  fa- 
meux héros,  leurs  divisions  7,282. 

Couraient  éparses  de  toutes  parts  au  milieu  des  ténè- 
bres, qui  couvraient  tout.  Les  combattants,  l'àme  abattue, 
fuyant  dans  toutes  les  directions,  7,283. 

Se  donnaient  la  mort  l'un  a  l'autre  :  les  fuyards  se 
tuaient  de  tous  les  côtés.  Des  milliers  de  grands  chars  se 
frappaient  de  coups  réciproques  dans  ce  combat,  7,28/i. 

Insensés,  au  milieu  de  cette  obscurité,  qui  dérobait  la 
vision  aux  yeux,  résultat  des  conseils  donnés  à  ton  fils. 
Tous  les  êtres  et  les  principaux  de  l'armée,  Bharatide, 
avaient  l'esprit  égaré,  épouvantés  qu'ils  étaient  dans  ce 
combat,  enveloppé  de  ténèbres.   7,285 — 7286. 

«  Alors  que  les  Pândouides  avaient  jeté  le  trouble  parmi 
vous,  s'enquit  Dhritarâshtra,  que  votre  force  était  brisée 
et  que  vous  étiez  plongés  dans  ces  obscures  ténèbres,  que 
turent  vos  sentiments?  7,287. 


DRONA-PARVA.  199 

»  Comment  se  lit  le  rayonnement  des  ennemis  ou  com- 
ment mon  armée  revint-elle  à  verser  de  nouveau  sa  lu- 
mière, Sandjaya,  dans  le  monde  ainsi  enveloppé  de  ténè- 
bres? »   7,288. 

Toutes  les  armées,  qui  survivaient  aux  victimes  de  ces 
combats,  lui  répondit  l'interrogé,  désignant  les  chefs  de 
l'armée,  disposèrent  un  nouvel  ordre  de  bataille.  7,289. 

Drona  veillait  par-devant,  Çalya  par-derrière,  Açwat- 
thâman  et  le  Soubalide  se  tenaient  sur  les  côtés,  et  le 
monarque  lui-même  inspectait,  sire,  toutes  les  armées  de 
son  examen  suprême.   7,290. 

Douryodhana  dit  aux  princes  et  à  toutes  les  compagnies 
de  fantassins,  mettant  devant  ses  paroles  un  mot  de  flat- 
terie :  «  Abandonnez  vos  grandes  armes,  et  prenez  tous 
à  votre  main  des  lampes  flamboyantes.  »  7,291. 

Ainsi,  excités  par  le  plus  élevé  des  princes  et  pleins  de 
joie,  ils  saisirent  des  lanternes  allumées.  Les  troupes  des 
Rishis,  des  Dieux,  des  Gandharvas  et  des  Dévarshis,  les 
Vidyadharas  et  les  chœurs  des  Apsaras,  7,292. 

Les  Nâgas,  les  Yakshas,  les  Ouragas  et  les  Kinnaras, 
hôtes  des  airs,  prirent  joyeux  des  lampes.  On  voyait  des 
lampes  au  sésame  d'une  exquise  odeur  allumées  aux  mains 
des  Dieux  de  l'espace.   7,293. 

Ils  avaient  reçu  principalement  cet  ordre  des  saints 
anachorètes,  Nàrada  et  Parvata,  dans  l'intérêt  du  plus 
éminent  des  Kourouides.  L'armée  brillait  encore,  pendant 
la  nuit,  des  splendeurs  du  feu,  que  lui  prêtaient  ses  orne- 
ments d'une  grande  richesse  et  ses  traits  enflammés,  imi- 
tant les  armes  célestes.  Cinq  lanternes  brillaient  sur  cha- 
cun des  chars,  et  chaque  éléphant  enivré  s  enorgueillissait 
de  porter  également  trois  lampes  à  la  flamme  enfermée. 


200  LE  MAHA-BHARATA. 

Sur  chaque  coursier  reluisait  une  grande  lanterne  :  les 
Kourouicles,  rivaux  des  Pândouides,  avaient  allumé  ces 
feux.  Disposées  dans  un  moment,  toutes  ces  lampes  je- 
tèrent sur  ton  armée  une  prompte  et  vive  lumière. 

7,294—7,295. 

Elles  servaient  d'ornement  à  toute  l'armée  par  ces 
hommes  de  pied,  qui  tenaient  à  leur  main  de  l'huile  de 
sésame  enflammée.  Resplendissantes,  elles  semblaient 
dans  la  nuit  telles  que,  dans  l'atmosphère,  des  nuages 
avec  des  éclairs.  7,296  —7,297. 

Drona,  pareil  au  feu,  courait  de  tous  les  côtés  au  milieu 
de  cette  armée  illuminée  :  il  brillait  avec  sa  cuirasse  d'or, 
Indra  des  rois,  comme  le  soleil  avec  sa  guirlande  de 
rayons,  quand  il  est  parvenu  au  milieu  de  sa  carrière. 

Le  feu  venait  alors  se  réfléchir  dans  les  traits  excellents, 
les  arcs  (1)  reluisants,  les  nishkas,  les  parures  et  les  flè- 
ches d'or.  7,298—7,209. 

Tandis  que  les  massues  et  leurs  attaches,  les  pilons 
éclatants  et  les  lances  de  char  pirouettaient  et  roulaient, 
leurs  reflets  radieux  reproduisaient  mainte  et  mainte  fois 
des  lampes.   7,300. 

Les  ombrelles,  les  éventails  et  les  chasse-mouches,  les 
cimeterres  et  les  grands  tisons  enflammés,  agités  avec  des 
rayons  d'or  dans  la  main  des  guerriers,  qui  déployaient 
leurs  efforts,  resplendissaient  alors  çà  et  là.  7,301. 

L'armée  brillait  en  ce  moment  de  la  clarté  des  armes  et 
de  la  clarté  des  lampes  ;  l'air  était  éclairé  au  loin,  ma- 
jesté, par  la  lueur  des  ornements.  7,302. 

Arrosées  de  sang,  les  flèches  de  couleur  jaune,  très- 

(i)  Çarâsanéshu,  texte  de  Bombay. 


DRONA-PARVA.  201 

éclatantes,  brandies  à  la  main  des  héros,  enfantaient  dans 
l'atmosphère  une  splendeur  enflammée,  telle  que  l'éclair 
à  la  fin  de  l'été.  7,303. 

Ébranlés,    atteints    par  de  promptes    blessures   (1) 
abattus  rapidement,  les  visages  des  hommes,  brillaient 
comme  de  grands  lotus  agités  par  le  vent.   7,30/i. 

L'armée  aux  formes  épouvantables,  inspirant  une  vaste 
terreur  (2),  était  toute  enflammée,  comme  une  immense 
forêt  plantée  de  pins,  dont  l'incendie  éclipserait  (3)  la  lu- 
mière elle-même  du  soleil.   7,305. 

Aussitôt  que  les  Pândouides  eurent  vu  notre  armée  en 
feu,  ils  s'empressèrent  de  donner  des  ordres  aux  compa- 
gnies de  fantassins,  et  firent  comme  les  Kourouides  dans 
toutes  leurs  armées.   7,306. 

Sur  chacun  des  éléphants,  on  mit  sept  lanternes  ;  dix 
fuient  placées  sur  chacun  des  chars  ;  deux  étaient  portées 
sur  l'échiné  des  chevaux,  d'autres  sur  les  flancs,  d'autres 
sur  les  drapeaux,  d'autres  encore  à  la  croupe.   7,307. 

On  voyait  dans  toutes  les  divisions  rayonner  des  lu- 
mières par-devant,  par-derrière,  sur  les  côtés  et  de  toutes 
parts;  d'autres  lanternes  allumées  flamboyaient  au  milieu 
de  l'une  et  de  l'autre  armée.   7,308. 

Dans  toutes  les  armées,  des  compagnies  de  fantassins 
étaient  mêlées  avec  les  masses  de  chars,  de  chevaux  et 
d'éléphants  :  d'autres  placés  au  milieu,  tenant  à  leur 
majn  des  brandons  de  feu  allumés,  illuminaient  l'armée 
du  fils  de  Pândou.   7,309. 

Ta  puissante  armée  recevait  de  cette  armée  autant  de 
lumière  que    de    ses  propres  lampes  :   tel    le    feu   est 


(1)  Abhigdtavéguis ,  texte  de  Bombay. 

(2-3)  Muhùbhayâ....  api  nasyét,  môme  texte. 


202  LE  MAHA-BHARATA. 

communiqué  par  le  soleil,  planète  lumineuse,  cause  des 
deurs.   7,310. 

Les  immenses  clartés  de  ces  deux  armées  s'étendaient 
au-delà  de  la  terre,  de  toute  l'atmosphère  et  des  plages 
du  ciel  :  l'armée  des  ennemis  et  la  tienne  étaient  mises 
dans  le  plus  grand  jour  par  cette  prodigieuse  lumière. 

Tous  les  chœurs  des  Dieux  furent  réveillés  par  cette 
splendeur  artificielle,  qui  envahit  les  cieux.  Les  Yakshas 
et  les  Gandharvas,  les  troupes  des  Siddhas,  les  Dieux  et 
toutes  les  Apsaras  se  réunirent  en  société.   7,311—7312. 

Rempli  de  Gandharvas  et  d'Immortels,  ce  champ  de 
bataille  ressemblait  au  ciel  par  les  Siddhas,  les  Yakshas, 
les  chœurs  des  Apsaras  et  les  héros  immolés,  devant  qui 
s'étaient  ouvertes  déjà  les  portes  du  ciel.  7,313. 

Cette  grande  armée,  regorgeante  de  chevaux,  d'élé- 
phants et  de  chars,  pleine  de  guerriers  en  courroux,  de 
coursiers  étendus  morts  ou  mis  en  déroute,  exubérante  de 
pruboscidiens,  de  sonipèdes  et  de  héros,  était  semblable  à 
l'armée  en  bataille  des  Asouras  et  des  Dieux.   7,314. 

Dans  cette  nuit,  pareille  à  un  immense  incendie,  fut 
livré  entre  ces  Dieux-hommes  ce  combat  de  chevaux,  de 
pachydermes  et  de  guerriers,  qui  avait  du  sang  pour  eau, 
des  flèches  en  guise  de  pluie,  pour  nuages  de  grands  chars 
et  pour  vents  en  fureur  le  croissement  des  lances.  L'Indra 
des  hommes,  le  magnanime  chef  des  brahmes  consumait 
les  Pândouides,  comme  le  soleil  brûle  de  ses  rayons, 
quand,  à  la  fin  de  la  saison  des  pluies,  il  parvient  au  milieu 
de  sa  carrière.  7,315—7,316. 

Dans  le  monde  enveloppé  de  poussière,  mais  éclairé  de 
ces  lumières,  les  grands  héros  en  vinrent  aux  mains,  en- 
llammés  par  le  désir  de  la  mort  les  uns  des  autres. 

Armés  de  tlèches,de  traits  barbelés  et  d'épées,ilscroi- 


DRONA-PARVA.  203 

sèrent  leurs  armes  dans  ce  combat,  s'adressant  de  mu- 
tuels regards,   sire,   et  s'infligeant  un   mal  réciproque. 

7,317-7,318. 

Telle  que  le  ciel  avec  ses  étoiles,  la  terre  brillait  alors, 
Uharatide,  par  ces  milliers  de  lanternes,  arrosées  de  sé- 
same odorant,  allumées  de  tous  les  côtés,  par  des  amas 
de  pierreries,  de  manches  d'or,  et  par  différentes  splen- 
deurs du  plus  grand  éclat,  autres  que  des  lanternes  et 
jetées  par  les  Gândharvas  et  les  Dieux.  7,319—7,320. 

La  terre  resplendissait  par  des  centaines  de  torches 
flamboyantes  :  on  eût  dit  alors  que  le  globe  brûlait  au 
jour  de  la  fin  des  mondes.  7,321. 

Toutes  les  plages  de  l'espace  étaient  brillantes  de  lan- 
ternes éclairant  de  tous  les  côtés,  comme  si  les  arbres, 
dans  une  soirée  pluvieuse,  étaient  couverts  de  mouches 
étincelantes.  7,322. 

Chacun  en  particulier,  le  héros  se  joignait  à  un  héros, 
sire,  l'éléphant  se  doublait  avec  un  éléphant,  le  cavalier 
avec  un  cavalier  ennemi.  7,323. 

Les  chars  dans  cet  horrible  commencement  de  la  nuit, 
s'affrontaient,  pleins  de  joie,  avec  les  plus  excellents  des 
chars,  au  commandement  de  ton  fils.  7,324. 

11  y  eut  un  grand  choc  de  l'armée  en  quatre  corps;  et 
Arjouna,  déployant  sa  vitesse,  renversa  tous  les  princes, 
Mahârâdja,  et  dispersa  l'armée  des  Kourouides. 

«  Quand  ce  héros  inaffrontable,  irrité,  insoutenable, 
fut  entré  dans  l'armée  de  mon  fils,  quelles  furent  alors, 
s'enquit  Dhritarâshtra,  les  dispositions  de  votre  cœur  ? 

»  Que  pensèrent  les  armées,  quand  elles  virent  ce  fléau 
des  ennemis  entré  au  milieu  <£ elles  ?  Quelle  chose  Dou- 
ryodhana  jugea- t-il    à  propos   de  faire  ? 


204  LEMAHA-BHARATA. 

»  Quel  dompteur  des  ennemis  se  porta  dans  le  combat 
à  la  rencontre  de  ce  héros  ?  Qui  défendirent  Drona,  quand 
le  guerrier  aux  chevaux  blancs  fut  entré  dans  son 
armée  ?  325—7,326—7,327  —  7,328—7,329. 

»  Quels  héros  furent  les  défenseurs  de  sa  roue  droite  ? 
Qui  furent  les  défenseurs  de  sa  roue  gauche  ?  Qui  ont  pro- 
tégé ses  derrières,  tandis  que  Drona  combattait  ?  7,330. 

»  Qui  se  jetèrent  devant  lui  dans  le  combat,  lorsqu'il 
abattait  les  ennemis.  Ce  grand  héros  non  vaincu,  ce  vigou- 
reux tigre  des  hommes,  qui,  dansait,  pour  ainsi  dire,  dans 
les  routes  de  son  char,  qui  était  entré  dans  l'armée  des  Pân- 
tchâlains,  ce  Drona,  qui,  semblable  à  une  comète,  consu- 
mait dans  sa  colère  les  multitudes  de  chars  des  Pântchâ- 
lains,  comment  donc  a-t-il  trouvé  la  mort  ?  Tu  dis  que 
les  ennemis  sont  inaccessibles  au  trouble  et  même  à  la 
défaite  ;  7,331—7,332—7,333. 

»    Mais  que  les  miens,  Sandjaya,  n'ont  point  d'ardeur 
au  combat,  ni  le  cœur  élevé.  Ne  racontes-tu  pas  que  les 
miens  sont  mis  en  déroute,  que  la  peur  fait  pâlir  leur  vi- 
sage, qu'ils  sont  taillés  en  pièces  et  que  les  maîtres  de 
chars  sont  réduits  sans  chars  ?  »  7,334 — 7,335. 

Aussitôt  qu'il  connut  le  sentiment  de  Drona,  qui  vou- 
lait combattre  la  nuit,  répondit  le  narrateur,  Douryo- 
dhana  dit  à  tous  ses   frères,    soumis   à  sa   volonté, 

A  Vikarna,  à  Tchitraséna,  à  Souparçwan,  à  Dour- 
dharsha,  à  Dîrghabâhou  et  à  leurs  suivants  : 

7,336—7,337. 

«  Que  tous  les  héros,  déployant  leurs  efforts,  défendent 
les  derrières  de  Drona  !  Hârddikya  protégera  le  flanc  droit, 
et  Çalya  le  flanc  gauche  !  »  7,338. 

Les   héros   des  Trigarttains,    restés    survivants     aux 


DRONA-PARVA.  205 

combats,  ton  fils  les  stimula  tous  à  la  face  d'eux  mêmes  : 
«  L'Atchârya  est  doué  de  patience;  mais  les  Pàn- 
douides  mettent  en  jeu  de  grands  efforts.  Défendez-le, 
observant  bien  de  rester  unis,  tandis  qu'il  fait  mordre 
la  poussière  aux  ennemis  dans  le  combat  ! 

7,339—7,3^0. 

»  Drona  a  de  la  vigueur,  du  courage,  une  main  légère 
dans  les  batailles  :  il  triompherait  des  Tridaças  eux- 
mêmes;  à  plus  forte  raison,  des  Prithides  joints  aux  So- 
makas  !  7,341. 

»  Vous  tous  réunis,  déployant  d'immenses  efforts  dans 
un  grand  combat,  sauvez  l'inaffrontable  Drona  du  grand 
héros  Dhrishtadyoumna  !  7,342. 

»  Je  ne  vois  pas  entre  les  combattants  Pândouides  un 
seul  guerrier,  si  ce  n'est  Dhrishtadyoumna,  qui  puisse 
vaincre  Drona  dans  une  bataille.  '7,343. 

»  Je  pense  qu'il  faut  veiller  ici  de  toute  votre  âme  au 
salut  de  Drona  :  bien  gardé,  il  peut  vaincre  les  Srindjayas, 
les  Somakas  et  les  Pândouides  (1).  7,344. 

»  Tous  les  Srindjayas  une  fois  tombés  à  la  tête  de 
l'armée,  Açwatthâman  ensuite  immolera,  je  n'en  doute 
pas,  Dhrishtadyoumna  lui-même  ;  7,3/15. 

»  Et  l'héroïque  Rama  pourra  vaincre  Arjouna  dans  la 
bataille,  et  je  vaincrai  moi-même  dans  un  combat  sous  leurs 
cuirasses  les  autres  Pândouides,  à  commencer  par  Bhîma- 
séna.  J'étoufferai  de  force  la  splendeur  des  combattants, 
et  ma  victoire,  c'est  évident  !  durera  long-temps  sur  la 
terre.  7,346— 7,347. 


(1)  Texte  de  Bombay,  au  lieu  de  kramdyatân  de  l'édition  de    Calcutta 
marcliant  flans  un  ordre  régulier. 


206  LE  MAHA-BHARATA. 

»  Ainsi,  défendez  au  milieu  de  la  bataille  ce  bien  hé- 
roïque Drona.  »  Quand  il  eut  parlé  ainsi,  ton  fils  Douryo- 
dhana,  ô  le  plus  grand  des  Bharatides,  donna  l'ordre  à 
ses  divisions  dans  ces  ténèbres  obscures.  Alors  se  déroula 
ce  combat  de  nuit  7,3/18 — 7,3/i9. 

Entre  les  deux  armées,  sire,  qui  désiraient  la  victoire. 
Arjouna  d'accabler  l'armée  Kouravienne,  et  les  Rou- 
rouides  d'accabler  Arjouna  des  coups  mutuels  de  leurs 
multitudes  de  flèches  diverses.  De  ses  traits  aux  nœuds 
inclinés,  Açwatthâman  couvrit  dans  ce  combat  le  mo- 
narque des  Pântchâlains,  et  le  Bharadwâdjide  couvrit  les 
Srindjayas.  Epouvantable  était  le  murmure  de  ces  guer- 
riers Pândouides,  Pântchâlains  et  Kourouides,  qui  s'entré- 
gorgeaient  les  uns  les  uns  les  autres.  Jamais  avant  il 
n'avait  été  vu,  ni  par  nous,  ni  par  nos  devanciers,  une 
chose  de  semblable  nature,  telle  que  cet  effroyable 
combat  de  nuit. 

7,350—7,351—7,352—7,353—7,35/1. 

Tandis  qu'il  se  développait  avec  terreur  et  causant  la 
perte  de  toutes  les  créatures ,   Youdhishthira-Dharma 
râdja  7,355. 

Adressa  ces  paroles,  souverain  des  hommes,  aux  So- 
makas,  aux  Pântchâlains  et  aux  Pândouides  eux-mêmes 
pour  la  ruine  des  éléphants,  des  chars  et  des  mortels  : 

L'auguste  Youdhishthira,  le  souverain  des  hommes, 
dit  à  ses  combattants  :  «  Allez!  Courez  sur  Drona  avec  le 
désir  de  lui  donner  la  mort  !  »  7,356 — 7,357, 

A  ces  mots  du  roi,  les  Pântchâlains  et  les  Somakas, 
sire,  de  fondre  sur  le  brahme  en  poussant  des  cris 
effroyables.   7,358. 

Mais  nous,    répondant  à  leurs  menaces,  nous  nous 


DRONA-PARVA.  207 

avançâmes  à  leur  rencontre,  pleins  de  courroux,  de  tou- 
tes nos  forces,  de  toute  notre  énergie,  de  tout  notre  cou- 
rage dans  la  guerre.  7,359, 

Kritavarraan-Hârddikya  s'élança  sur  Youdhishthira, 
qui,  tel  qu'un  éléphant  en  rut  court  sur  un  éléphant  en 
folie,  s'avançait  vers  Drona.  7,360. 

Le  Kourouide  Bhoûri,  qui  broyait  tout  dans  le  combat, 
majesté,  fondit  sur  Çaînéya,qui  lançait  partout  des  pluies 
de  flèches.  7,361. 

Rarna,  le  fils  du  Soleil,  arrêta  le  Pândouide  Sahadéva, 
ce  grand  héros,  qui  venait  avec  le  désir  de  faire  le  brahme 
son  prisonnier.   7,362. 

Douryodhana  en  personne  marcha  contre  Bhîmaséna, 
le  meilleur  des  maîtres  de  chars,  qui  accourait,  monté  sur 
son  chariot,  comme  la  mort  ennemie  des  existences. 

Çakouni  le  Soubalide  d'arrêter  à  la  hâte,  sire,  Nakoula, 
le  plus  grand  des  combattants  ,  habile  dans  tous  les 
combats.  7,363— 7, 36/i. 

Rripa  le  Çaradvatide  fit  obstacle  dans  la  guerre  à  Çi- 
khandî,  qui,  le  plus  excellent  à  conduire  un  char,  s'a- 
vançait dans  sa  voiture  de  bataille.  7,365. 

Douççâsana  se  jeta  avec  résolution  devant  Prativindhya, 
qui  s'approchait  résolument  sur  ses  chevaux,  semblables 
à  des  paons.  7,366. 

Açwatthâman  d'arrêter,  grand  roi,  le  Rakshasa,  fils  de 
Bhîmaséna,  qui  s'avançait,  habile  en  des  centaines  de 
prestiges.  7,367. 

Vrishaséna  de  neutraliser  Droupada  à  la  force  im- 
mense, qui  marchait  avec  une  armée,  escorté  de  ses  sui- 
vants, pour  faire  le  Bharadwâdjide  prisonnnier.  7,368. 

Enflammé  de  colère,  le  roi  de  Madra  enchaîna  les  pas 


208  LE  MAHA-BHARATA. 

de  Virâta,  qui  accourait,  Bharatide,  donner  la  mort  à 
Drona.  7,369. 

Tchitraséna  enferma  de  ses  flèches  le  fils  de  Nakoula, 
Çatân'ika,  qui  s'avançait  rapidement  dans  le  combat  pour 
ôter  la  vie  au  fils  de  Bharadwâdja.  7,370. 

Alambousha,  l'Indra  des  Rakshasas,  se  jeta  devant  le 
plus  grand  des  combattants,  l'héroïque  Arjouna,  qui  pré- 
cipitait sa  course.  7,371. 

Le  Pântchâlain  Dhrishtadyoumna  fit  tête  à  l'héroïque 
Drona,  qui,  les  formes  joyeuses,  abattrit  les  ennemis 
dans  le  combat.  7,372. 

Tes  maîtres  de  chars,  sire,  arrêtèrent  devant  leur  force 
d'autres  grands  héros  des  fils  de  Pândou,  arrivés  sur  le 
champ  de  bataille.  7,373. 

Par  centaines  et  par  milliers,  des  guerriers,  montés  sui- 
des éléphants ,  s'élançaient  mutuellement  d'une  course 
rapide  sur  les  éléphants  de  l  ennemi,  qu'ils  combattaient 
et  broyaient  dans  ce  grand  combat.  7,37/i. 

Les  chevaux  se  précipitaient,  sire,  les  uns  sur  les  au- 
tres dans  la  nuit  :  on  les  voyait  tout  à  coup  paraître, 
comme  des  montagnes,  auxquelles  on  n'avait  pas  ravi 
leurs  ailes.  7,375. 

Tenant  à  leur  main  des  glaives,  des  lances  de  1er,  des 
lacets,  les  cavaliers  concouraient  avec  les  cavaliers,  Mahâ- 
râdja,  et  poussaient  des  cris  les  uns  contre  les  autres. 

Des  guerriers  en  grand  nombre  se  donnaient  en  foule 
une  mort  réciproque,  avec  des  massues,  des  moushalas 
et  des  flèches  de  formes  variées.  7,376—7,377. 

Hârddikya-Kritavarman ,  plein  de  courroux ,  arrêta 
Youdhishthira,  le  fils  cl'Yama,  comme  une  mer  soulevée 
est  retenue  par  son  rivage. 7, 378. 


DRONA-PARVA.  209 

Youdhishthira  d'abord  blessa  Hârddikya  de  cinq  flè- 
ches; ensuite,  il  le  blessa  de  vingt,  et  lui  cria  :  «  Arrête! 
arrête!  »  7,379. 

Kritavarman  irrité,  vénérable  monarque,  trancha  d'un 
bhalla  l'arc  de  Dharmarâdja  et  le  frappa  de  sept  dards. 

L'héroïque  fils  de  Dharma  saisit  un  nouvel  arc,  et  dé- 
cocha dix  traits  à  Hârddikya,  entre  les  bras,  dans  sa 
poitrine.   7,380—7,381. 

Blessé  par  l'Yamide,  auguste  roi,  Mâdhava-À>î7tfîwr- 
mon  vacilla  dans  le  combat,  et,  de  colère,  lui  déchaîna 
sept  flèches.   7,382. 

Le  fils  de  Prithâ,  ayant  tranché  son  arc  et  coupé  le  bra- 
celet de  sa  main,  lui  envoya,  sire,  cinq  bhallas  acérés, 
aiguisés  sur  la  pierre.  7,383. 

Quand  ils  eurent  fendu  sa  précieuse  cuirasse,  au  sein 
d'or,  ces  traits  formidables  de  se  plonger  dans  la  terre, 
comme  des  serpents  dans  une  fourmillière.  7,38/j. 

Dans  le  seul  intervalle  d'un  clin-d'œil,  il  prit  un  nouvel 
arc  et  blessa  le  Pândouide,  d'abord  de  soixante  dards, 
ensuite  avec  dix  flèches.  7,385. 

Mais  le  héros  à  l'âme  incommensurable  lui  expédia 
en  retour  une  lance  de  fer,  semblable  à  un  serpent. 
Lancée  par  le  Pândouide,  qui  avait  déposé  dans  le  char 
son  arc  gigantesque,  l'arme  immense,  variée  d'or,  fen- 
dit le  bras  droit  du  guerrier  et  pénétra  dans  le  sein  de  la 
terre.   7,386—7,387. 

En  ce  moment,  le  Prithide,  ayant  repris  son  grand  arc, 
couvrit  Hârddikya  de  flèches  aux  nœuds  inclinés.  7,388. 

L'héroïque  maître  de  chars,  le  plus  excellent  des  Vrish- 
nides,  dans  la  moitié  d'un  clin-d'œil,  rendit  Youdhishthira 
sans  cocher,  ni  char,  ni  chevaux.  7,389. 

ix  U 


210  LE  MAHA-BHARATA. 

L'aîné  des  Pândouicles  saisit  aussitôt  un  cimeterre  et 
un  boucler;  mais,  avec  des  bhallas  aigus,  Mâdhavasemit 
dans  le  combat  à  l'abri  de  son  élan.  7,390. 

Yondhislithira  mr  le  champ  s'arma  d'un  levier  de  fer, 
inaffrontable,  au  manche  d'or,  et  l'envoya  d'un  rapide 
essor  dans  la  bataille  au  magnanime  Hâiddikya.  7,391. 

Soudain  celui-ci  à  la  main  prompte  fit  en  riant  deux 
morceaux  dans  son  vol  même  de  cette  arme,  lancée  par  le 
bras  d'Youdhishthira.   7,392. 

11  répandit  une  centaine  de  flèches  dans  le  combat  sur 
le  fils  d'Yama,  et  dispersa  courroucé,  sur  le  champ  de 
bataille,  les  débris  de  sa  cuirasse,  sous  des  multitudes 
de  traits.  7,393. 

Décorée  d'or  et  couverte  des  flèches  de  Hârddikya,  elle 
se  dissémina  sur  la  terre  du  combat,  comme  une  foule 
d'étoiles  tombée  du  ciel.  7,394. 

Sans  char,  sa  cuirasse  brisée,  en  proie  aux  flèches  de 
Kritavarman,  Youdhishthira,  le  fils  d'Yama,  se  retira 
précipitamment  de  la  bataille.  7,395. 

Cette  victoire  obtenue,  le  grand  héros  défendit  de  nou- 
veau l'armée  elle-même  du  brahme-guerrier. 

Bhoûris  arrêta  dans  sa  marche  même,  au  milieu  du 
combat,  le  meilleur  des  maîtres  de  chars,  Çainéya, 
comme  on  arrête  l'attaque  d'un  éléphant. 

7,396—7,397. 

Sâtyaki  courroucé  le  blessa  de  cinq  flèches  acérées  dans 
le  cœur,  et  son  sang  ruissela.  7,398. 

Mais,  sans  perdre  de  temps,  le  Rourouide  en  cette  ba- 
taille perçi  avec  dix  traits  entre  les  deux  bras  Çainéya, 
ivre  de  la  furie  des  combats.  7,399. 

Tous  deux,  les  yeux  enflammés  de  colère,  ils  se  déchi 


DRONA-PARVA.  211 

rèrent  mutuellement  par  clés  coups  réciproques,  brandis- 
sant leurs  arcs  solides.  7,400. 

La  pluie  de  flèches,  qu'ils  vomissaient  l'un  et  l'autre, 
puissant  roi,  inspirait  la  plus  grande  épouvante.  Une  dé- 
charge de  traits  fut  envoyée  par  ces  deux  guerriers  en 
colère,  semblables  à  la  mort.  7,401. 

Le  pied  ferme  nu  combat,  ils  se  couvrirent  l'un  et  l'au- 
tre de  projectiles.  Un  moment  cette  lutte  eut  des  formes 
toutes  semblables.  7,402. 

Ensuite,  Çaînéya  irrité  coupa  en  riant,  Mahârâdja,  dans 
ce  conflit  l'arc  du  magnanime  Rourouide.  7,403. 

Il  perça  à  la  hâte,  de  neuf  traits  acérés  dans  le  cœur,  le 
guerrier  à  l'arc  coupé  et  lui  cria  :  «Arrête!  arrête  là!  » 

Profondément  blessé  par  l'ennemi  vigoureux,  le  fléau 
des  ennemis,  saisissant  un  nouvel  arc,  blessa  en  retour  le 
Sâttwatide.  7,404—7,405. 

Quand  il  eut  blessé  Sâtyaki  de  trois  flèches,  monarque 
des  hommes,  il  trancha  en  riant  son  arc  d'un  bhalla  très- 
acéré.  7,406. 

Enflammé  de  colère  à  la  vue  de  son  arme  coupée,  le 
Sâttwatide  envoya  dans  sa  large  poitrine  une  lance  de  fer 
à  la  grande  impétuosité.  7,407. 

Le  corps  rompu  de  cette  pique,  il  tomba  du  haut  de  son 
char  :  on  eût  dit  Lohitânga  aux  rayons  enflammés,  qui  de 
lui-même  croule  des  airs.  7,408. 

A  l'aspect  du  brave  étendu  mort,  Bharatide,  l'héroïque 
Açwatthâman  s'élança  rapidement  contre  Çaînéya.  7,409. 
«  Arrête!  arrête!  »  lui  cria-t-il,  souverain  des  hommes; 
et  de  répandre  ses  multitudes  de  flèches  sur  le  Sâttwa- 
tide, comme  un  nuage  verse  des  pluies  sur  le  Mérou. 

L'héroïque  Ghatotkatcha  de  pousser  un  cri  (1),  sire,  et 


212  LE  MAHA-BHARATA. 

de  parler  ainsi  à  lui,  qui  accourait  (2)  contre  le  char  de 
Çaînéya  ;  7, MO— 7, Ail. 

«  Arrête!  arrête,  fils  de  Drona  !  Tu  n'échapperas  point 
vivant  à  mes  mains!  Je  vais  t'immoler,  comme  le  Dieu 
aux  six  têtes  extermina  ja  is  Mahisha!  7,A12. 

»  J'accomplirai  pour  toi  sur  le  champ  de  bataille,  au- 
jourd'hui même,  les  cérémonies  funèbres  du  combat,  >♦  A 
ces  mots,  les  yeux  rouges  décolère,  leRakshasa,  destruc- 
teur des  héros  ennemis,  7,M3. 

Courut  irrité  sur  le  Dronide,  comme  un  lion  sur  un  gi- 
gantesque éléphant.  Ghatotkatcha  de  lancer  des  flèches, 
aussi  grandes  que  la  roue  d'une  voiture,  7,hlli. 

Sur  le  Dronide,  le  plus  excellent  des  maîtres  de  chars  : 
tel  un  nuage  verse  les  gouttes  de  sa  pluie.  Mais,  avant 
que  cette  averse  de  flèches  ne  fût  arrivée,  le  Dronide  avec 
des  traits  semblables  à  des  serpents,  l'eut  bientôt  anéantie 
dans  le  combat.  Il  couvrit  le  dompteur  des  ennemis,  l' In- 
dra des  Rakshasas,  Ghatotkatcha  avec  des  centaines  de 
flèches  acérées,  au  vol  rapide,  qui  déchiraient  les  mem- 
bres. Hérissé  de  ses  dards,  le  Démon,  au  front  du  combat, 

7,415— 7, /il6— 7,M7. 

Brillait  comme  un  porc-épic,  grand  monarque,  revêtu 
de  ses  aiguillons.  L'auguste  Bhîmasénide,  pénétré  de  co- 
lère, 7,  M  8. 

Coupa  les  membres  d'Açwatthâman  avec  des  flèches 
terribles,  qui  avaient  le  son  de  la  foudre  et  du  tonnerre, 
avec  des  kshourapras,  des  demi-lunes,  des  traits  de  fer, 
des  çilîmoukhas.  7,419. 

Il  fit  pleuvoir  sur  lui  des  oreilles-de-sanglier,  des  nâ- 

(1-2)  Muktwâ....  ûpatantam,  texte  de  Bombay. 


DRONA-PARVA.  213 

lîkas  et  des  vikarnas.  Tel  que  le  vent  dissipe  les  grands 
nuages,  puissant  roi,  le  Dronide,  ses  organes  des  sens 
non  troublés,  dispersa  avec  des  flèches  terribles,  charmées 
par  des  astras  célestes,  cette  pluie  de  traits,  incompa- 
rable, bruyante,  de  même  que  le  tonnerre  et  la  foudre,  se 
déchaînant  sur  lui,  épouvantable,  très-difficile  à  soutenir. 
Ensuite,  il- y  eut  dans  l'atmosphère  comme  un  combat  de 
flèches,  7,420— 7,421— 7,422. 

Grand  roi,  aux  formes  effrayantes,  accroissant  la  joie 
des  guerriers.  Le  ciel  brillait  d'étincelles,  répandues  ça 
et  là,  causées  par  l'émulation  de  ces  deux  guerriers  :  on 
l'eût  dit,  au  commencement  de  la  nuit,  semé  de  mouches 
luisantes.  Quand  le  Dronide  eut  couvert  de  tous  côtés  les 
dix  plages  d'une  foule  de  traits,  il  en  inonda  le  Démon 
pour  faire  une  chose  agréable  à  tes  fils.  Alors  recommença 
le  combat  d'Açwatthàman  et  du  Rakshasa, 

7,423—7,424—7,425. 

Au  milieu  de  cette  nuit  profonde,  comme  celui  de 
Çakra  et  de  Prah'âda.  Ghatotkatcha  irrité  frappa  dans  ce 
combat  le  Dronide  en  pleine  poitrine  avec  dix  flèches, 
semblables  au  feu  de  la  mort.  Grièvement  blessé  par  le 
Rakshasa,  le  vigoureux  fils  de  Drona,  les  sens  troublés 
dans  la  bataille,  chancela,  tel  qu'un  arbre  déraciné  par  le 
vent.  Saisi  d'un  évanouissement,  il  s'appuya  sur  la  hampe 
de  son  drapeau.  7,426 — 7,427 — 7,428. 

Ton  armée  entière  de  pousser  des  cris,  souverain  des 
hommes;  tous  les  tiens,  majesté,  de  penser  qu'il  était 
mort.  7,4-9. 

A  la  vue  d'Açwatthàman  réduit  à  cette  conlition,  les 
Pàntcbàlains  et  les  Srindjayas  de  jeter  leurs  cris  de 
guerre.  7,430. 


214  LE  MAHA-BHARATA. 

Le  grand  héros,  qui  traîne  les  cadavres  des  ennemis, 
reprit  connaissance;  il  serra  son  arc  de  la  main  gauche  ; 

Et  bientôt,  visant  Ghatotkatcha,  il  lui  décocha  d'un  arc 
tiré  jusqu'à  l'oreille  une  flèche  sublime,  épouvantable, 
pareille  au  bâton  de  la  mort.  7,431 — 7,432. 

Après  qu'elle  eut  fendu  le  cœur  de  ce  Rakshasa,  la 
flèche  immense,  terrible,  bien  empennée,  monarque  du 
monde,  se  plongea  dans  la  terre.  7,433. 

Profondément  blessé  par  le  Dronide,  orgueilleux  de  ses 
combats,  le  vigoureux  Indra  des  Rakshasas  s'affaissa  sur 
le  banc  de  son  char.  7,434. 

A  peine  eut-il  vu  l'Hidimbide  évanoui,  son  cocher 
troublé  l'emmena,  plein  de  hâte,  hors  du  champ  de  ba- 
taille, loin  de  la  présence  du  Dronide.  7,435. 

Et,  dès  qu'il  eut  percé  dans  ce  combat  Ghatotkatcha, 
l'Indra  des  Rakshasas,  l'héroïque  fils  de  Drona  jeta  dans 
l'air  une  immense  clameur.  7,436. 

Honoré  par  tous  les  guerriers  et  par  tes  fils,  Bharatide, 
il  flamboya  de  beauté,  comme  le  soleil  au  mlieu  du  jour. 

Le  roi  Douryodhana  lui-même  frappa  de  flèches  acérées 
Bhîmaséna,  qui  combattait,  opposé  au  char  du  Bhara- 
dwâdjide.  7,437—7,438. 

Bhîmaséna  le  blessa  de  neuf  traits,  Bharatide,  et  Dou- 
ryodhana lui  rendit  les  blessures  d'une  vingtaine  de  dards. 

On  voyait  sur  le  champ  de  bataille,  ces  deux  guerriers, 
couverts  de  flèches,  tels  qu'au  sein  des  cieux,  le  soleil  et 
la  lune,  voilés  par  des  multitudes  de  nuages. 

Enfin,  le  roi  Douryodhana  de  percer  Bhîma  avec  cinq 
traits,  ô  le  plus  éminent  des  Bharatides,  et  de  lui  crier  : 
«  Arrête!  arrête  là!  »  7,439  —  7,440—7,441. 

Quand  Bhîma  eut  tranché  son  arc  et  son  drapeau,  il 


DRONA-PARVA.  215 

frappa  le  plus  excellent  des  Kourouides  de  neuf  dards  aux 
nœuds  inclinés.  7,442. 

L'auguste  Douryodhana  saisit  alors  un  nouvel  arc  plus 
grand,  et,  sur  le  front  du  combat,  il  accabla  Bhîmasénade 
flèches  aiguës  aux  regards  de  tous  les  archers.  Lorsqu'il 
eut  paralysé  ces  traits  envoyés  par  l'arc  de  Douryodhana, 
Ventre-de-loup  7,443— 7,444. 

Décocha  sur  le  Kourouide  vingt-cinq  kshoudrakas. 
Mais  Douryodhana  irrité,  ayant  coupé  d'un  kshourapra 
l'arc  de  Bhîmaséna,  respectable  roi,  le  blessa  en  échange 
avec  dix  flèches.  Vrikaudara  à  la  grande  force  prit  un 
nouvel  arc,  7,445— 7,446. 

Et  blessa  précipitamment  le  roi  des  mortels  avec  sept 
traits  acérés.  Celui  ci,  en  homme  à  la  main  légère,  de 
couper  vite  son  arc.  7,447. 

Un  second,  un  troisième,  un  quatrième,  un  cinquième, 
chaque  arc,  en  un  mot,  que  prit  Bhîma,  fut  tranché  au 
même  instant  par  ton  fils  triomphant,  puissante  majesté, 
et  qui  respirait  l'ivresse  des  combats.  Alors  qu'il  vit  tous 
ses  arcs  coupés  l'un  après  l'autre,  7,448 — 7,449. 

Il  lui  envoya  dans  ce  combat  une  lance  solide,  toute  de 
fer  massif,  sœur  de  la  mort  et  flamboyante,  comme  la 
flamme  du  feu  (1),  7,450. 

Qui  faisait,  en  quelque  sorte,  une  raie  de  chair  sur  le 
front  du  ciel  et  qui  avait  la  splendeur  d'Agni.  Le  Kou- 
rouide coupa  en  trois  morceaux  cette  pique  avant  qu'elle 
ne  fût  arrivée,  7,451. 

Aux  yeux  du  monde  entier  et  devant  Bhîmaséna.  Ce- 
lui-ci ensuite  expédia  rapidement  sur  le  char  de  Douryo- 

(i)  Agni,  texte  de  Bombay. 


216  LE  MAHA-BHARATA. 

dhana,  qui  l'avait  blessé  d'abord,  une  massue  pesante, 
environnée  d'un  grand  éclat.  Ce  lourd  pilon  broya  les 
chevaux  de  ton  fils  dans  le  combat,  son  cocher,  son  char 
enfin.  Effrayé  par  Bhîma  et  son  ardeur  éteinte,  ton  fils, 
Indra  des  rois,  7,A52 — 7,453 — 7,Zi54. 

Monta  sur  le  char,  que  lui  prêta  le  magnanime  Nan- 
daka.  Estimant,  grâce  au  milieu  de  la  nuit,  qu'il  avait  tué 
Souyodhana,  Ventre-de-loup  7, £55. 

Jeta  un  immense  cri  de  guerre,  comme  s'il  menaçait 
les  Kourouides.  Tes  guerriers  crurent  eux-mêmes  que 
leur  monarque  n'était  plus;  7,456. 

Et  tous  alors  crièrent  de  tous  les  côtés  :  «Hélas  !  hélas  !  » 
Lorsqu'il  entendit  les  plaintes  de  tous  ces  combattants 
effrayés,  7,457. 

Et  qu'il  eut  ouï,  sire,  le  cri  du  magnanime  Bhîmaséna, 
le  roi  Youdhishthira  de  penser  aussi  que  Souyodhana 
avait  cessé  d'être.  7,458. 

Il  s'approcha  rapidement  du  lieu  où  était  le  Prithide 
Vrikaudara.  Les  Pântchâlains,  lesSrindjayas,  les  Matsyas, 
les  Kaîkéyains  et  les  Tchédiens'7,459. 

S'avancèrent  lestement  avec  le  désir  d'employer  tous 
leurs  efforts  à  la  mort  du  Bharadwâdjide.  Alors  il  y  eut  là 
une  bien  grande  bataille  entre  les  gens  de  Drona  et  les 
ennemis,  plongés  dans  cette  effroyable  obscurité  et  s'en- 
trégorgeant  les  uns  les  autres.  7,460 — 7,461. 

Karna,  le  fils  du  Soleil,  arrêta  dans  ce  combat  l'hé- 
roïque Sahadéva,  qui  marchait,  sire,  avec  le  désir  de 
faire  Drona  son  prisonnier.  7,462. 

Ayant  percé  d'abord  Râdhéya  de  neuf  traits,  Sahadéva 
le  frappa  ensuite  dans  ce  même  combat  de  neuf  flèches 
aux  nœuds  inclinés.  7,463. 


DRONA-PARVA.  217 

Karna  le  blessa  en  retour  avec  une  centaine  des  mêmes 
dards,  et  trancha  lestement  en  homme  agile  son  arc  avec 
sa  corde.  7,464. 

Ayant  pris  un  nouvel  arc,  l'auguste  fils  de  Mâdrî  perça 
de  vingt  traits  Karna  :  ce  fut  comme  une  chose  merveil- 
leuse. 7,465. 

Aussitôt  qu'il  eut  tué  ses  chevaux  de  flèches  aux  nœuds 
inclinés,  Karna  de  plonger  lestement  son  cocher  avec  un 
bhalla  dans  les  demeures  d'Yama.  7,466. 

Réduit  sans  char,  Sahadéva  saisit  un  cimeterre  et  un 
bouclier  ;  mais  son  ennemi  les  dissipa  eux-m^mes  en  riant 
avec  ses  traits  acérés.  7,467. 

Alors  ce  robuste  guerrier  d'envoyer  sur  le  char  de  Vaî- 
kartana  (1)  dans  ce  combat  une  massue  embellie  d'or, 
pesante,  épouvantable.  7,468. 

Soudain,  Karna  avec  des  flèches  arrêta  dans  son  vol  et 
fit  tomber  sur  la  terre  cette  arme,  envoyée  par  Sahadéva. 

Quand  il  vit  sa  massue  rendue  vaine,  celui-ci  plein  de 
hâte,  expédia  sur  Karna  une  lance  de  fer;  mais  ce  der- 
nier la  coupa  également  de  ses  flèches.    7,469 — 7,470. 

Le  fils  de  Mâdrî  sauta  précipitamment  à  bas  de  son 
char  sublime;  et,  comme  enflammé  de  colère  à  la  vue  de 
Karna,  le  pied  ferme,  7,471. 

11  empoigna  une  roue  de  char  et  la  jeta  sur  l' Adhirathide  ; 
elleaniva  soudain,  comme  le  tchakra  hà  é  de  la  mort; 

Mais  le  fils  du  cocher  la  trancha  avec  plus  d'un  millier 
de  flèches.  Quand  il  vit  sa  roue  coupée,  vénérable  mo- 
narque, Sahadéva,  7,472 — 7,'i73. 

Prenant  Karna  pour  but,  fit  tomber  sur  lui ,    et  les 

(1)  C'est  â  dire,  le  fils  du  Soleil. 


218  LE  MAHA-BHARATA. 

manches  de  charrue,  et  les  attaches,  et  les  différents 
jougs,  et  les  corps  des  éléphants,  et  les  chevaux,  et  les 
nombreux  cadavres  des  guerriers;  mais  Karna  de  ses  flè- 
ches dissipa  cet  orage.  Lorsque  le  fils  de  Mâdrî  se  vit 
sans  armes,  7,474 — 7,475. 

Arrêté  par  les  flèches,  Sahadéva  de  quitter  le  champ 
de  bataille.  Râdhéya  courut  un  instant  sur  lui,  éminent 
Bharatide,  7,476. 

Et  lui  adressa  en  riant  cet  amer  langage  :  «Héros,  n'en- 
gage pas  un  combat  avec  les  excellents  maîtres  de  chars! 
»  Crois-en  mes  paroles  :  combats  avec  des    hommes 
tels  que  toi  !  »  —  Et,   le  touchant  avec  le  bout  de  son 
arc,  il  dit  encore  ces  mots  :  7,li77 —  7,478. 

«  Voici  Arjouna,  qui  combat  avec  les  Kourouides,  dé- 
ployant ses  efforts  dans  le  combat  :  ou  va  auprès  de  lui, 
fils  de  Mâdrî,  ou,  si  tu  le  préfères,  retourne  dans  ton 
palais!  »   7,479. 

A  ces  mots,  Karna,  le  meilleur  des  maîtres  de  chars, 
s'avança  en  riant,  monté  dans  son  char,  vers  les  armées 
du  roi  des  Pântchàlains.  7,480. 

Le  destructeur  des  ennemis  ne  tua  point  dans  ce  combat 
le  fils  de  Mâdrî,  qui  voulait  arriver  à  sa  mort,  car  ce 
grand  héros,  qui  avait  donné  sa  foi  à  la  vérité,  n'avait 
point  oublié  les  paroles  de  Kountî.  7,481. 

Tremblant,  sans  char,  en  but  aux  traits  et  blessé  par 
les  flèches  des  paroles  du  guerrier,  Sahadéva  eut  bonté 
de  la  vie,  qu'on  lui  avait  laissée.  7,482. 

Ce  fameux  héros,  usant  de  vitesse,  monta  dans  le  com- 
bat à  la  hâte  sur  le  char  de  Djanamédjaya,  le  magnanime 
Pântchâlain.  7.483. 

Le  roi  de  Madra,  servant  la  cause  de  Drona,  couvrit  de 


DRONA-PARVA.  210 

tous  côtés  par  la  multitude  de  ses  flèches  Virâta,  qui  ar- 
rivait précipitamment  à  la  tête  d'une  armée.  7,484. 

Alors,  sire,  eut  lieu  entre  ces  deux  archers  solides  un 
combat  tel  que  jadis  celui  de  Bali  et  d'Indra,  7,485. 

Prompt  et  bouillant,  le  roi  de  Madra  perça,  grand  roi, 
d'une  centaine  de  flèches  aux  nœuds  inclinés  Virâta,  le 
général  des  armées.   7,486. 

Le  monarque  en  échange  le  frappa  d'abord  avec  neuf 
flèches  acérées,  ensuite  avec  soixante-treize,  enfin  avec 
dix.  7,487. 

Après  qu'il  eut  frappé  les  quatre  chevaux  de  son  char, 
le  souverain  du  Madra  abattit  sur  le  champ  de  bataille 
son  ombrelle  et  son  drapeau  avec  deux  flèches.  7,488. 

Le  roi  de  la  terre  sauta  précipitamment  à  bas  de  son 
char,  privé  de  chevaux,  et  se  tint,  brandissant  son  arc  et 
décochant  des  flèches  acérées.  7,489. 

A  la  vue  de  son  frère,  qui  avait  perdu  ses  coursiers, 
Çatânîka  de  s'avancer  rapidement  sur  son  chariot,  sous 
les  yeux  de  l'univers  entier.  7,490. 

Le  roi  de  Madra,  le  souverain  de  la  terre,  blessa  de 
traits  acéré»  Çatânîka,  qui  s'approchait  et  le  conduisit  au 
séjour  d'Yama.  7,491. 

Après  sa  mort,  Virâta,  le  général  des  armées,  s'élança 
rapidement  hors  de  son  char  aux  chevaux  tués,  et  re- 
monta dans  le  char  du  héros,  qui  n'était  plus.  7,492. 

Alors,  faisant  rouler  ses  yeux  et  la  colère  doublant  son 
courage,  il  couvrit  lestement  de  flèches  le  char  du  roi  de 
Madra.  7,493. 

Celui-ci  irrité  frappa  grièvement  dans  la  poitrine  de 
cent  traits  aux  nœuds  inclinés  Virâta,  le  général  des  ar- 
mées, 's  494. 


220  LËMAHA-BHARATA. 

Profondément  blessé  par  ce  vigoureux  guerrier,  le 
grand  héros  s'affaissa  sur  le  banc  de  son  char,  et  tomba 
aussitôt  dans  l'évanouissement.  7,495. 

Son  cocher  l'emporta,  blessé  des  flèches,  hors  du  champ 
de  bataille,  et  sa  nombreuse  armée  s'enfuit  au  milieu  de 
la  nuit,  Bharatide,  7,496. 

Taillée  en  pièces  par  des  centaines  de  traits,  qu'en- 
voyait Çalya,  resplendissant  dans  les  batailles.  Quand  le 
Vasoudévide  et  Dhanandjaya  eurent  vu  l'armée  en  fuite, 

Ils  s'avancèrent,  Indra  des  rois,  là  où  se  tenait 
Çalya  ;  mais  le  roi  des  Rakshasas,  sire,  Alambousha  se 
jeta  devant  eux.  7,497 — 7,498. 

Il  était  monté  sur  le  meilleur  des  chars,  roulant  sur 
huit  roues,  attelé  de  Piçâtchas  à  l'aspect  horrible,  avec 
des  têtes  de  chevaux  ;  7,499. 

Épouvantable  véhicule,  orné  de  la  dépouille  des  ours, 
construit  en  fer  noir,  décoré  de  bouquets  rouges  (1) ,  om- 
bragé d'un  étendard  humide  de  sang.  7,500. 

Semblable  à  une  masse  brisée  de  noir  collyre,  le  Démon 
brillait,  sire,  par  une  grande  roue  bruyante,  par  un  dra- 
peau à  la  hampe  élevée,  orné  d'un  francolin  terrible  et 
d'une  flèche  en  forme  de  vautour.  Il  arrêta  Arjouna  dans 
sa  marche,  comme  le  roi  des  montagnes  fait  obstacle  au 
vent.  7,501 — 7,502. 

Il  répandit  ses  multitudes  de  flèches  pour  la  plus 
grande  partie  sur  la  lête  d' Arjouna  ;  et  il  naquit  sur  le 
champ  de  bataille,  entre  l'homme  et  le  Rakshasa,  un 
combat  très-violent,  inspirant  la  satisfaction  à  tous  ceux, 
qui  voyaient  là  ce  conflit,  Bharatide,  et  causant  la  joie  des 

(1)  Rakta,  texte  de  Bombay. 


DRONA-PARV\.  221 

vautours,  des  corbeaux,  des  corneilles,  des  hibous,  des 
hérons  et  des  chacals.  7,503— 7, 504. 

Arjouna  d'accabler  Alambousha  de  six  flèches,  et  de 
trancher  même  son  drapeau  avec  dix  traits  acérés.  7,505. 

Il  frappa  son  cocher  de  trois  dards  et  de  trois  autres  la 
partie  essentielle  de  son  char  :  il  trancha  son  arc  avec  un 
seul,  et  tua  ses  quatre  chevaux  avec  quatre  flèches.  7,506. 

De  nouveau,  il  lui  coupa  en  deux  un  arc  déjà  mis  avec 
sa  corde  (1),  et  le  blessa  lui-même,  éminent  Bharatide, 
de  quatre  dards  acérés.  Atteint  par  le  Prithide,  l'indra 
des  Rakshasas  s'enfuit,  talonné  par  la  peur.  Après  cette 
victoire,  Arjouna  s'élança  rapidement  à  la  mort  deDrona, 

Et  répandit  les  multitudes  de  ses  flèches,  majesté,  sur 
les  coursiers,  les  éléphants  et  les  hommes.  Les  guerriers, 
combattants  avec  l'illustre  Pàndouide,  tombaient  sur  la 
terre,  comme  des  arbres  déracinés  par  le  vent;  et,  tandis 
qu'ils  périssaient  sous  les  coups  de  cet  homme  en  renom, 
tous  les  autres  fuyaient,  éperdus  comme  des  gazelles, 
saisies  d'effroi.  7,507—7,508—7,509-7,510—7,511. 

Tchitraséna,  ton  fils,  arrêta,  Bharatide,  Çatânîka  (2), 
qui,  de  ses  flèches  brûlantes,  consumait  ton  armée.  7,512. 

Le  Nakoulide  frappa  de  cinq  dards  Tchitraséna,  qui 
lui  rendit  ses  blessures  de  dix  traits  acérés  ;  7,513. 

Et  ce  guerrier  blessa  encore  dans  le  combat,  grand  roi, 
Çatânîka  de  neuf  traits  aigus  en  pleine  poitrine.  7,51  h. 

Le  fils  de  Nakoula,  ayant  accumulé  sur  lui  des  flèches 
aux  nœuds  inclinés,  fit  tomber  du  corps  sa  cuirasse  :  ce 
fut  comme  une  chose  merveilleuse,  7,515. 


(1  )  Sadjyan,  texte  de  Bombay. 

(2)  C'est  un  autre  guerrier  du  même  nom  que  Çatânîka,  fila  de  Nakoula. 


222  LE  MAHA-BHARATA. 

Quand  ton  fils,  Indra  des  rois,  eut  perdu  sa  cuirasse*  il 
répandit  un  bien  vif  éclat,  tel  qu'un  serpent,  qui,  dans  la 
saison,  a  rejeté  sa  vieille  peau.  7,516. 

Le  JNakoulide  coupa  encore  de  ses  flèches  acérées  le 
drapeau  et  l'arc  du  guerrier,  qui  se  consumait  en  vains 
efforts  dans  ce  combat.  7,517. 

Sans  char,  sans  cuirasse,  et  son  arc  tranché,  l'ennemi 
saisit  un  nouvel  arc  très-solide  et  plus  rapide.    7,518. 

Le  grand  héros  des  Bharatides,  Tchitraséna  de  blesser 
ensuite  avec  agilité  dans  ce  combat  le  JNakoulide  de 
ses  flèches  aux  nœuds  inclinés.  7,519. 

Et  le  vigoureux  Çatânîka  irrité,  fils  de  Bharata,  perça 
les  quatre  chevaux  et  le  cocher  de  Tchitraséna  lui-même. 

Ce  héros  à  la  haute  renommée  sauta  à  bas  de  ce  char 
et,  d'une  main  robuste,  il  harcela  de  vingt-cinq  traits  le 
fils  de  Nakoula.  7,520—7,521. 

Celui-ci  trancha  dans  le  combat  avec  une  demi-lune 
l'arc,  ornementé  d'or,  du  guerrier,  qui  accomplissait 
un  tel  fait  d'armes.  7,522. 

L'ennemi  sans  char,  son  arc  coupé,  ses  chevaux  tués, 
son  cocher  immolé,  monta  précipitamment  sur  le  chariot 
du  magnanime  Hârddikya.  7,523. 

Vrishaséna  répandit,  grand  roi,  des  centaines  de  flèches 
sur  l'héroïque  Droupada,  qui,  désireux  de  faire  Drona 
son  prisonnier,  s'avançait  à  la  tête  d'une  armée.  7,52Zi. 

Yadjnaséna  de  percer  dans  ce  combat  l'héroïque  fils  de 
Karnaavec  soixante  traits,  seigneur,  dans  le  bras  et  (1) 
dans  la  poitrine.  7,525. 

Mais  celui-ci  irrité  frappa  lestement  de  flèches  nom- 

(1)  7cha,  texte  de  Bombay. 


DRONA-PARVA.  223 

breuses  entre  les  seins  Yajnaséna,  debout  sur  son  char. 

Ces  deux  guerriers,  les  membres  hérissés  de  traits, 
rendus  par  ces  dards  comme  des  buissons,  en  brillaient, 
grand  roi,  tels  que  deux  porcs-épics  sous  leurs  aiguillons. 

7,526—7,527. 

Arrosés  par  des  fleuves  de  sang,  sous  des  flèches  em- 
pennées d'or,  au  vol  droit,  aux  nœuds  inclinés,  ils  res- 
plendissaient sur  ce  grand  champ  de  bataille.  7,528. 

Admirables,  ressemblants  à  l'or,  merveilleux  comme 
deux  arbres  Rai  pas,  tels  que  deux  k'mçoukas,  riches  de 
fleurs,  ils  flamboyaient  sur  la  terre  du  combat.   7,529. 

Quand  Vrishaséna  eut  blessé  d'abord,  sire,  Droupada 
de  neuf  traits,  il  le  perça  de  nouveau  avec  soixante-dix  ; 
puis,  avec  trois  nouveaux  dards.  7,530. 

Décochant  des  milliers  de  flèches,  le  fils  de  Karna,  puis- 
sant monarque,  brillait  dans  ce  combat,  tel  (1)  qu'un 
nuage,  versant  la  pluie.  7,531. 

A  la  suite  de  cela,  Droupada  irrité  coupa  en  deux  l'arc 
de  Vrishaséna  avec  un  bhalla  acéré,  ivre  de  sang.   7,532. 

Celui-ci  prit  un  autre  arc  neuf,  solide,  assemblé  d'or, 
et  tira  du  carquois  un  bhalla  de  couleur  jaune,  aigu,  ro- 
buste et  sans  tache.  7,533. 

Il  encocha  ce  trait  à  l'arc,  et,  visant  Droupada,  le  tira 
jusqu'à  l'oreille  ;  puis,  terrifiant  tous  les  Somakas,  lâcha 
son  dard.  7,534. 

Le  projectile,  dès  qu'il  eut  fendu  le  cœur  de  l'ennemi, 
se  plongea  clans  le  sein  de  la  terre,  et,  frappé  du  trait  de 
Vrishaséna,  le  roi  tomba  dans  l'abattement  de  l'esprit. 

Ce  grand  héros  des  Pàutchalains  brisé,  Indra  des  rois, 

(1)  Iva,  édition  de  Bombay. 


224  LE  MAHA-BHARATA. 

son  cocher,  n'oubliant  pas  les  devoirs  du  cocher,  l'emmena 
hors  du  champ  de  bataille.  7,535—7,536. 

L'armée  de  Droupada,  son  armure  rompue  par  les  flè- 
ches, s'enfuit  alors,  sire  (1),  dans  cette  nuit  devenue  épou- 
vantable. 7,537. 

Car,  ayant  abandonné  de  tous  côtés  les  lanternes  flam- 
boyantes, la  terre  semblait  aux  yeux,  sire,  comme  un  ciel, 
dont  les  nuages  ont  couvert  les  étoiles.  7,538. 

La  terre  étincelait  de  bracelets  tombés,  telle  que,  dans 
la  saison  des  pluies,  un  nuage  est  scintillant  d'éclairs. 

Effrayés  par  le  fils  de  Rarna,  ils  couraient  de  tous  côtés, 
comme  les  Dânavas,  que  la  peur  d'Indra  fit  trembler  dans 
Târakâmaya.  7,539— 7, 540. 

Harcelés  par  lui  dans  le  combat,  les  Pântchâlains  avec 
les  Somakas  semblaient,  grand  roi,  éclairés  par  des  lan- 
ternes. 7,541. 

Mais,  triomphant  d'eux  en  cette  bataille,  le  fils  de  Karna 
resplendissait  comme  l'astre  aux  rayons  chauds,  Bhara- 
tide,  arrivé  au  milieu  du  jour.  7,542. 

Entre  ces  milliers  de  rois,  parmi  les  tiens  et  les  en- 
nemis, on  ne  voyait  flamboyer  que  l'auguste  Vrishaséna 
lui-même.   7,543. 

Lorsqu'il  eut  vaincu  dans  ce  combat  les  vaillants  guer- 
riers et  les  grands  héros  Somakas,  il  se  rendit  à  la  hâte 
au  lieu  où  était  le  roi  Youdhishthira.  7,544. 

Douççâsana,  ton  fils,  revint  vers  l'héroïque  Prativin- 
dhya,  qui  s'avançait,  consumant  les  ennemis  dans  le 
combat.  7,545. 

La  rencontre  de  ces  deux  guerriers  eut  des  formes  va- 

(1)  Tadâ  rûdjan,  du  texte  de  Bombay,  remplaçant  l'inutile  tautologie., 
tchamoû  sorvâ,  du  texte  de  Calcutta. 


DRONA-PAUVA.  225 

riées,  telles  que,  dans  les  cieux,  libres  de  nuages,  le  con- 
flit de  Boudha  et  du  fils  de  Bhrigou.  7,54(3. 

Douççâsana  de  blesser  au  front  avec  trois  flèches  Prati- 
vindhya,  qui  accomplissait  dans  le  combat  un  exploit 
épouvantable.   7,5Zi7. 

Atteint  profondément  par  le  vigoureux  archer,  ton  fils, 
il  resplendissait,  grand  roi,  comme  une  montagne,  sur- 
montée de  ses  pitons.  7,5Z|8. 

L'héroïque  Prativindhya  blessa  d'abord  de  neuf  flèches, 
ensuite  de  sept  Douççâsana  dans  le  combat.  7,549. 

Là,  ton  fils,  Bhuratide,  consomma  un  difficile  exploit; 
car  il  abattit  sous  des  traits  mordants  les  chevaux  de  Pra- 
tivindhya. 7,650. 

Il  renversa  d'un  bhalla  son  drapeau  et  son  cocher;  il 
dispersa  en  menus  fragments,  sire,  le  char  de  ce  vaillant 
archer.  7,551. 

Il  coupa  dans  sa  colère  avec  ses  flèches  aux  nœuds  in- 
clinés, seigneur,  en  morceaux,  comme  des  graines  de  sé- 
same, ses  guidons,  ses  deux  carquois,  ses  rênes  et  ses 
attaches  au  joug.  7,552. 

Mais  lui,  homme  du  devoir,  se  tenant  de  pied  ferme, 
sans  char,  portant  son  arc  à  la  main,  il  combattit  avec  ton 
fils,  envoyant  sur  lui  plusieurs  centaines  de  flèches. 

En  guerrier,  de  qui  la  main  est  exercée,  il  trancha  son 
arc  d'un  ksourapra,  et  fatigua  avec  dix  traits  ce  héros, 
qui  avait  son  arc  coupé.  7,553 — 7,55/i. 

Quand  les  grands  héros,  ses  frères,  eurent  vu  leur  vail- 
lant frère  engagé  dans  ce  combat,  ils  accoururent  vers 
lui,  environnés  d'une  nombreuse  armée.  7,555. 

Il  fondit  sur  le  char  lumineux  de  Croutasoma  ;  il  prit 
un  arc,  grand  roi,  et  blessa  ton  fils.  7,55(i. 

jx  15 


226  LE  MAHA-BHARATA. 

Ensuite  tous  les  tiens,  ayant  couvert  ton  fils,  s'appro- 
chèrent avec  rapidité,  conduisant  une  nombreuse  armée. 

Alors,  dans  cette  nuit,  au  milieu  de  ce  temps  épouvan- 
table, s'éleva  le  combat  des  tiens  (1)  et  d'eux  pour  l'ac- 
croissement du  royaume  d'Yama.  7,55  7 — 7,558. 

Le  Soubalide  s'approcha  avec  colère  de  Nakoula,  qui 
immolait  ton  armée  de  ses  rapides  coups,  et  lui  cria  : 
a  Halte-là!  arrête!  »  7,559. 

Ces  deux  héros  à  l'inimitié  déclarée,  se  désirant  la  mort 
l'un  à  l'autre,  se  frappèrent  de  coups  mutuels  avec  des 
flèches  tirées,  longues  et  puissantes.  7,560. 

De  même  que  le  Nakoulide  vomissait  des  pluies  de 
projectiles,  de  même  le  Soubalide  montrait  aussi  son  ins- 
truction dans  la  guerre.  7,561. 

Tous  deux,  hérissés  de  flèches  dans  le  combat,  ils  res- 
plendissaient, grand  roi,  comme  deux  porcs-épics,  sous 
leurs  aiguillons.  7,562. 

La  cuirasse  fendue  par  des  traits  empennés  d'or,  à  la 
pointe  droite,  arrosés  de  ruisseaux  de  sang,  ils  brillaient 
dans  ce  vaste  combat.  7,563. 

Admirables,  ressemblant  à  l'or  brûlé,  tels  que  deux 
arbres  Ralpas,  ou  comme  deux  kinçoukas  épanouis, 
ils  reluisaient  dans  ce   grand  champ  de  bataille. 

Couverts  de  flèches  dans  le  combat,  ces  deux  héros 
brillaient,  puissant  monarque,  de  même  que  deux  bom- 
bax  à  sept  feuilles  sous  leurs  épines. 

7,564— 7,565. 

Se  jetant  les  regards  bien  obliques  de  leurs  yeux  tou^ 
grands  ouverts,  ils  flamboyaient,  Mahârâdja,  comme  s'ils 

(1)  Littéralement  :  de  toi. 


DRONA-PARVA.  227 

voulaient  se  consumer  réciproquement  de  ces  yeux,  dont 
la  colère  avait  rougi  les  angles.   7,56(5. 

Ton  beau-frère,  bouillant  de  courroux,  blessa  en  riant  le 
fils  de  Mâdri  au  cœur,  avec  une  flèche  aiguë,  barbelée. 

Atteint  grièvement  par  l'archer,  ton  beau-frère, 
JNakoula  de  s'affaisser  sur  le  banc  de  son  char,  et  de 
tomber  [alors,    sire  (1),  dans  l'abattement  de   l'esprit. 

7,567—7,568. 

Quand  il  vit  réduit  à  cette  condition  l'ennemi,  que 
séparait  de  lui  une  inimitié  sans  borne,  Çakouni  jeta  un 
vaste  cri,  tel  que  le  nuage  à  la  fin  de  l'été.  7,569. 

Dès  qu'il  eut  recouvré  sa  connaissance,  Nakoula,  le 
fils  de  Pàndou,  s'avança  de  nouveau  près  du  Soubalide, 
comme  la  Mort,  sa  bouche  ouverte.   7,570. 

Irrité,  il  frappa  d'abord  de  soixante  traits,  ensuite,  de 
cent  nârâtchas  Çakouni  au  milieu  desseins.  7,571. 

Il  coupa  en  deux  à  la  place,  où  était  son  poing,  l'arc 
encoche  du  trait,  et  lit  tomber  du  char  sur  la  terre  son 
drapeau  abattu  à  la  hâte.  7,572. 

Nakoula,  fils  de  Pandou,  lui  fendit  encore  les  deux 
cuisses  (2)  d'une  flèche  acérée,  terrible,  altérée  de  sang. 

Il  le  fit  tomber  alors,  comme  le  chasseur  abat  un 
faucon,  qui  fendait  les  airs  de  ses  ailes.  Profondément 
blessé,  le  Soubalide  s'assit,  grand  roi,  sur  le  banc  de  son 
char.  7,573 — 7,57/i. 

Saisi  de  douleur,  il  serra  la  hampe  de  son  drapeau  ;  tel 
nn  amant  presse  de  son  cœur  une  amante. 

Lorsqu'il  vit  ton  beau-frère  tombé    dans    l'évanouis- 


(1)  Tadârùjan,  texte  de  Bombay. 

(2)  Oûroù,  édition  de  Bombay. 


228  LE  MAHA-BHARATA. 

sèment,  irréprochable  roi,  son  cocher  l'entraîna  bien  vite 
sur  le  char  hors  de  la  bouche  du  combat.  Des  cris  écla- 
tèrent alors  au  milieu  des  Prithides  et  de  leurs  suivants. 

A  peine  eurent-ils  vaincu  l'ennemi  (1),  Nakoula,  le 
fléau  des  ennemis,  dit  à  son  cocher  :  «  Conduis-moi  vers 
l'armée  de  Drona  !  »    7,575 — 7,576 — 7,577. 

Dès  qu'il  eut  ouï  cette  parole,  le  cocher  se  transporta 
au  lieu,  où  le  Bharadwâdjide  se  tenait  de  pied  ferme. 

Mais  Kripa  le  Çaradvatide  s'élança  résolument  avec 
promptitude,  au-devant  de  Çikhandi  à  la  grande  force, 
qui  voulait  faire  Drona  son  prisonnier  dans  le  combat. 

7,578—7,579. 

Le  dompteur  des  ennemis,  Çikhandî,  blessa  en  riant, 
avec  neuf  flèches,  le  Gaâutamide,  qui  s'avançait  rapide- 
ment au  secours  du  vaillant  Drona.   7,580. 

L'Atchârya,  ami  de  tes  fils,  puissant  roi,  le  frappa 
d'abord  de  cinq  flèches,  ensuite  de  vingt.  7,581. 

11  y  eut  une  grande  bataille  aux  formes  terribles  entre 
ces  deux  guerriers,  monarque  des  hommes,  telle  que  fut, 
dans  la  guerre  des  Asouras  et  des  Dieux,  le  combat  de 
Çambara  et  du  roi  des  Immortels.   7,582. 

Semblables  à  deux  nuages  au  départ  des  chaleurs,  ces 
héros  aux  grands  chars,  ivres  de  la  furie  des  combats  en- 
veloppèrent le  ciel  des  multitudes  de  leurs  flèches.  7,583. 

Tout  ce  qui  avait  naturellement  une  forme  terrible  en 
empruntait  à  la  peur  une  plus  terrible  encore.  La  nuit 
de  ces  combattants,  resplendissants  de  leurs  batailles, 
ressemblait,  ô  le  meilleur  des  Bharatides,  à  la  nuit  du 
trépas  ;  elle  avait  des  formes  horribles,  elle  inspirait  la 

(1)  Çatroun,  texte  de  Bombay. 


DRONA-PARVA.  229 

terreur.  Mais  Çikhandi  trancha  avec  un  trait  en  demi-lune 
le  grand  arc  du  Gaâutamide,  et  lança  des  flèches  acérées. 
Kripa  irrité  lui  expédia,  sire,  une  pique  épouvantable, 

7,584— 7, 5S5— 7,586. 

Au  manche  d'or,  à  la  pointe  rapide,  fourbie  par  l'art 
de  l'ouvrier.  Çikhandi  la  trancha  dans  son  vol,  avec  dix 
traits.   7,587. 

Cette  lance,  décorée  d'or,  tomba  sur  la  terre.  Le  meil- 
leur des  êtres  doués  de  la  parole,  le  Gaâutamide  de 
prendre  un  nouvel  arc,  7,568. 

Et  de  couvrir,  puissant  roi,  Çikhandi  de  flèches  aiguës. 
Inondé  de  ces  traits  dans  le  combat  par  le  magnanime 
Gaâutamide,  7,589. 

Le  plus  excellent  des  maîtres  de  chars  s'affaissa  sur  le 
banc  de  sa  voiture  ;  et,  lorsque  le  Çaradvatide  l'eut  vu 
abandonné  de  ses  forces  dans  la  guerre,  7,590. 

il  le  frappa  de  flèches  nombreuses,  comme  s'il  désirait 
lui  arracher  la  vie.  A  l'aspect  de  l'héroïque  Yadjasénide 
réduit  à  tourner  le  dos,  7,5wJ. 

Les  Pàntchâlains  et  les  Somakas  l'environnèrent  de  tous 
les  côtés  ;  et  tes  fils,  agissant  de  la  même  façon,  entou- 
rèrent le  plus  excellent  des  brahmes  avec  une  puissante 
armée.  Alors  se  renouvela,  sire,  le  combat  entre  ces 
maîtres  de  chars,  qui  fondaient  les  uns  sur  les  autres. 

7,592—7,593. 

La  course  des  cavaliers  et  des  éléphants,  souverain  des 
hommes,  produisait  un  bruit  confus,  qui  ressemblait, 
Bharatide,  au  fracas  des  nuages.   7,59/i. 

Ce  champ  de  bataille,  sire,  où  les  guerriers  se  portaient 
des  coups  mutuels,  resplendissait  épouvantable.  La  terre 
était  ébranlée  au  bruit  des  pas  de  fantassins  et  de  chevaux 


230  LE  MAHA-BHARATA. 

ou  d'éléphants,  qui  couraient  eux-mêmes  :  on  eût  dit 
qu'elle  tremblait  de  peur  d'une  épouse,  sa  rivale.  Montés 
sur  leur  voiture,  les  maîtres  de  chars  couraient  avec  la 
plus  grande  vitesse.   7,595 — 7,596. 

Redoublant  d'efibrts,  des  éléphants,  le  visage  largement 
arrosé  de  mada,  arrêtaient  des  pachydermes  en  rut, 
comme  de  nombreuses  corneilles  font  obstacle  h  des  nuées 
de  sauterelles.  Le  cavalier,  affrontant  le  cavalier,  l'homme 
de  pied  attaquant  l'homme  de  pied,  remportaient  les  uns 
sur  les  autres,  sire,  avec  colère,  de  mutuelles  victoires 
dans  ce  combat.  Là,  se  mêlaient  dans  la  nuit  les  clameurs 
confuses  des  guerriers,  qui  couraient,  qui  fuyaient,  qui 
revenaient  même  sur  leurs  pas.  On  voyait,  tels  que  de 
grands  météores,  tombés  du  ciel,  puissant  roi,  les  lampes 
allumées  sur  les  chevaux,  les  éléphants  et  les  chars.  Cette 
nuit,  éclairée  par  des  lanternes,  sire,  elle  ressemblait  au 
jour  sur  la  face  du  combat.  De  même  que  le  soleil  fait  mou- 
rir les  horribles  ténèbres,  de  même  cette  obscurité  épou- 
vantable, répandue  sur  le  champ  de  bataille,  et  qui  avait 
rempli  le  ciel  et  la  terre,  expirait  à  la  lueur  de  ces  lan- 
ternes allumées.  Ensevelis  sous  la  poussière  et  les  ténèbres, 
les  points  cardinaux  et  les  plages  intermédiaires  étaient 
éclairés  d'une  autre  lumière.  Toutes  les  splendeurs  des 
traits,  des  cuirasses  et  des  joyaux,  que  portaient  ces  héros 
magnanimes,  disparaissaient,  absorbées  par  ces  feux  allu- 
més. Tandis  que  ce  combat,  environné  d'une  grande 
épouvante,  se  déroulait  à  l'entrée  de  la  nuit,  {De Instance 
7,597  à  la  s  tance  7,(306.) 

Qui  que  ce  soit  ne  pouvait  reconnaître  âme,  qui  rive  : 
«  Me  voici  devant  toi  !  »  disait  le  père  menaçant  à  son  fils 
dans  le  combat,  ô  le  plus  excellent  des  Bharatides.  7,606. 


DRONA-PARVA.  231 

Le  fils,  en  son  délire,  adressait  les  mêmes  paroles  à  son 
père,  l'ami  à  son  ami,  le  parent  à  son  parent,  l'oncle  à  son 
neveu.   7,607. 

Là,  on  massacrait  les  siens  ;  les  ennemis  tuaient  leurs 
gens.  Le  combat  dans  cette  nuit,  sire,  était  épouvantable, 
sans  règle.  7,608. 

Tandis  que  ce  combat  très-tumultueux  s'agitait,  inspi- 
rant l'épouvante,  Dhrishtadyoumna,  grand  roi,  s'avança 
vers  Drona.   7,609. 

Encochant  le  meilleur  des  arcs,  tirant  mainte  et  mainte 
fois  sa  corde,  il  fondit  sur  le  char,  ornementé  d'or,  qui 
portait  le  bralime- guerrier.  7,610, 

Les  Pàntchàlains  et  les  Pândouides  se  hâtèrent  d'envi- 
ronner Dhrishtadyoumna,  qui  marchait  avec  le  désir  d'ar- 
racher la  vie  à  Drona.  7,611. 

Quand  ils  virent  le  plus  excellent  des  âtchàryas entouré 
d'ennemis,  tes  fds,  déployant  leurs  efforts,  le  gardèrent  de 
toute  part  dans  le  combat.   7,612. 

Ces  deux  océans  d'armées  en  vinrent  aux  mains  à  l'en- 
trée de  la  nuit,  comme  deux  mers  effrayantes  aux  pois- 
sons troublés,  agitées  par  les  vents.   7,613. 

Le  Pântchâlain  frappa  lestement  au  cœur  Drona  de 
cinq  flèches,  Mahârâdja,  et  poussa  un  rugissement  de 
guerre.   7,61/i. 

Dès  que  Drona  l'eut  percé  de  vingt-cinq  traits  dans  le 
combat,  il  trancha  d'un  autre  bhalla  son  arc  d'une  grande 
splendeur.   7,615. 

Sous  les  profondes  blessures  du  brahme,  Dhrishta- 
dyoumna, mordant  ses  lèvres,  éminent  Bharatide,  rejeta 
vite  son  arc.  7,616. 


232  LE  MAHA-BHARATA. 

Irrité,  l'auguste  prince,  dans  son  désir  de  porter  la 
mort  à  Drona,  saisit  un  autre  arc  meilleur.   7,617. 

Aussitôt  qu'il  eut  bandé  cette  arme,  le  fortuné  destruc- 
teur des  héros  ennemis  lança  une  flèche  épouvantable,  qui 
devait  porter  la  mort  à  Drona.    7,618. 

Décochée  par  ce  robuste  guerrier  dans  cette  horrible 
et  grande  bataille,  elle  éclaira  toute  l'armée,  comme  le 
soleil  élevé  sur  l'horizon.   7,619. 

A  la  vue  de  cette  flèche  épouvantable,  sire,  les  Dânavas, 
les  Gandharvas  et  les  Dieux  adressèrent  dans  le  combat 
ce  vœu  pour  le  Bharadwâdjide  :  «  Le  salut  soit  avec  toi  !  » 

Mais  avant  qu'elle  ne  fût  arrivée  sur  la  voiture  de  l'Air 
chàrya,  Karna,  en  homme  adroit,  sire,  fit  douze  morceaux 
de  cette  flèche.   7,620—7,621. 

Tranché  en  maintes  parties,  vénérable  monarque,  le 
trait  de  Dhrishtadyounina  tomba  rapidement,  comme  un 
serpent,  qui  n'a  plus  de  venin.   7,622. 

Quand  il  eut  neutralisé  dans  le  combat  ses  projectiles 
avec  d'antres  aux  nœuds  inclinés,  Karna  de  blesser  Dhrish- 
tadyoumna  lui-même  de  flèches  acérées.  7,623. 

Le  fils  de  Drona  le  frappa  de  cinq  traits,  Drona  d'un 
égal  nombre,  Çalya  de  neuf  bhallas  et  Douççâsana  de 
trois  ;  7,62/i. 

Douryodhana  de  vingt,  Çakouni  de  cinq,  et  tous  les 
grands  héros  mêmes  blessèrent  le  Pântchâlain  d'une  main 
hâtée.   7,625. 

Sous  les  coups  des  sept  guerriers,  qui  combattaient 
pour  la  défense  de  Drona,  le  prince  du  Pântchala  de  ri- 
poster à  tous  avec  trois  dards  individuellement.  7,626. 

Usant  de  hâte  dans  ce  grand  combat,  Dhrishtadyoumna 


DRONA-PARVA.  233 

de  blesser,  grand  roi,  Drona,  Karna,  le  Dronide  et   ton 
fils.   7,627. 

Atteints  par  ce  vailltmt  archer,  tous  réunis  et  poussant 
des  cris  épouvantables,  ils  percèrent  en  représailles 
Dhrishtadyoumna  dans  le  combat.   7,628. 

Droumaséna  irrité,  sire,  le  blessa  d'une  flèche  et,  re- 
doublant son  coup,  de  traits  aigus,  précipités,  en  lui 
criant  :  «  Halte-là!  arrête  !  »    7,629. 

Le  Pântcltàlain  lui  rendit  en  échange  dans  le  combat 
trois  dards  brûlants,  au  vol  droit,  empennés  d'or,  imbus 
d'huile  de  sésame  et  destructeurs  de  la  vie.   7,630. 

D'un  autre bhalla,  il  ravit  au  corps  du  brave  Droumaséna 
dans  la  guerre  sa  tète,  ornée  de  pendeloques  en  or  et 
flamboyantes.   7,631. 

Mordant  la  coupe  de  ses  lèvres,  elle  tomba  sur  la  terre, 
comme  le  fruit  d'un  palmier,  secoué  par  un  grand  vent. 

Dès  que  le  vaillant  guerrier  eut  frappé  encore  les  com- 
battants de  ses  flèches  bien  acérées,  il  trancha  de  ses 
bhallas  l'arc  de  l'héroïque  fils  de  Râdha. 

7,632—7,633. 

Celui-ci  vit  alors  avec  indignation  qu'il  eût  coupé  son 
arc  ;  tel  le  bien  terrible  Vishnou  s'indigna  du  retranche- 
ment de  sa  queue.   7,634. 

11  prit  un  nouvel  arc,  et,  soupirant  de  fureur,  les  yeux 
rouges  de  colère,  il  déversa  un  torrent  de  flèches  sur 
Dhrishtadyoumna  à  la  grande  force.   7,635. 

Aussitôt  que  les  six  vaillants  et  fameux  héros  (1)  eurent 
vu  le  courroux  de  Karna,  ils  se  hâtèrent  de  cerner  le  fils 


(1)  Douryodhana,  Douççàsana,  Druua,  kania,  Çalya  et  Çakouni,   euiyant 
l'énumération  du  commentateur. 


nh  LE  MAHA-BHARATA. 

du  Pântchâlain,  animés  par  le  désir  de  lui  donner  la  mort. 

Dès  que  nous  vîmes  Dbrishtadyoumna  en  présence  de 
tes  six  meilleurs  combattants,  nous  pensâmes  (1)  qu'il 
était  tombé  dans  la  gueule  du  trépas.   7,636 — 7,637. 

Mais,  clans  ce  moment,  le  Dâçârhain  Sâtyaki,  déchar- 
geant ses  flèches,  vint  se  rangerauprès  du  vaillant  Dhrish- 
tadyoumna.  7,638. 

Quand  il  vit  accourir  le  Sâttwatide,  ivre  de  la  furie  des 
combats,  Râdhéya  le  frappa  avec  dix  traits  clans  la  guerre. 

Sâtyaki,  à  son  tour,  grand  roi,  le  perça  de  dix  flèches, 
sous  les  yeux  de  tous  les  héros,  et  lui  cria  :  «  N'avance 
pas  !  arrête  !  »   7,639— 7, 6A0. 

Cette  lutte  du  vigoureux  Sâtyaki  et  du  magnanime 
Karna  ressemblait,  sire,  au  combat  de  Bali  et  d'Indra. 

Effrayant  les  guerriers  par  le  bruit  de  son  char,  le  plus 
éminent  des  kshatryas,  Sâtyaki  de  blesser  Karna  aux  yeux 
de  lotus.   7, 6/il— 7,6/(2. 

L'Adhirathide,  ébranlant  la  terre,  pour  ainsi  dire,  puis- 
sant roi,  avec  le  bruit  de  son  arc,  rendit  à  Sâtyaki  ses 
blessures.   7,643. 

Karna  de  percer  Çaînéya  en  représailles  avec  clés  vipâ- 
thas,  des  karnis,  des  nàrâtchas,  des  vatsadantas  (2),  des 
rasoirs  et  des  centaines  de  flèches.  7,6/iZi- 

De  même  Youyoudhâna,  le  plus  excellent  des  Vrisli- 
nides  dans  la  guerre,  versa  en  pluies  ses  flèches  sur 
Karna:  ce  combat  se  balança  d'abord  avec  des  formes 
semblables.   7,6/15. 

Tes  fils,  s' étant  rangés  sous  la  conduite  de  Karna,  frap- 


(1)  Dhrishtaclyoumnam  amansmahi,  texte  de  Bombay. 

(2)  Divers  noms  de  traits. 


DRONA-PARVA.  ï>35 

pèrent  tous  de  tous  côtés,  souverain  des  hommes,  Scàtyaki 
de  flèches  acérées.   7,6/16. 

Dès  qu'il  eut,  seigneur,  arrêté  leurs  astras  par  les  siens, 
Sàtyaki  perça  lestement  Vrishaséna  au  milieu  des  seins. 

Profondément  blessé  de  ce  trait,  le  vigoureux  Vrisha- 
séna à  la  grande  lumière  tomba  tout  à  coup  dans  son  char 
et  laissa  lui  échapper  son  arc.   7,6/17—  7,6/i8. 

Croyant  alors  que  l'héroïque  Vrishaséna  n'était  plus 
et  consumé  du  regret  de  son  fils,  Karna  en  représailles 
accabla  Sâtyaki  de  ses  flèches.  7,6Zi9. 

Sous  la  charge  de  ses  dards,  le  vaillant  Youyouclhàna, 
redoublant  ses  coups  pressés,  frappa  l' Adhirathide  de  traits 
nombreux.   7,650. 

Aussitôt  qu'il  eut  percé  Karna  de  dix  flèches  et  Vrisha- 
séna de  cinq,  le  Sâttwatide  trancha  les  deux  arcs  et  les 
bracelets  de  leurs  mains.   7,651. 

Ayant  bandé  d'autres  arcs  épouvantables,  ils  blessèrent 
de  tous  côtés  Youyoudhàna  de  traits  acérés.   7,652. 

Tandis  que  cet  effroyable  carnage  des  plus  vaillants  hé- 
ros sévissait,  on  entendit  à  pleines  oreilles  le  grand  son 
du  Gàndiva.   7,653. 

A  peine  eut-il  ouï  le  fracas  du  char  et  le  bruit  du  Gân- 
dîva,  le  fils  du  cocher,  sire,  adressa  ces  paroles  àDouryo- 
dhana  :  7,65/i. 

«  Ce  grand  son  du  Gândîva  nous  annonce  qu'Arjouna 
vient  d'immoler  toute  l'armée,  et  principalement  les  héros 
Kouraviens,  les  plus  vaillants  des  hommes.   7,655. 

»  On  entend' le  fracas  de  son  char,  comme  un  rugisse- 
ment de  la  foudre  d'Indra.  Evidemmem,  ce  filsdePàndou 
exécute  l'œuvre,  qui  est  propre  à  lui-même.   7,656. 

»  Ce  fils  de  Prilhâ,  puissant  monarque,  il  écraserait  de 


236  LE  MAHA-BHARATA. 

bien  nombreuses  armées  :  plusieurs  d'un  grand  dévelop- 
pement ne  tiendraient  jamais  le  pied  ferme  devant  lui. 

»  A  peine  s'est-elle  approchée  de  l'Ambidextre,  une 
armée  est  engloutie  comme  un  navire  brisé  dans  la  mer, 
et  dissipée  comme  une  masse  de  nuages,  agitée  par  le 
vent.  7,657—7,658. 

»  On  entend  un  grand  bruit,  sire,  des  principaux  guer- 
riers, qui  fuient  dans  le  combat  et  qui  tombent  sous  les 
flèches,  envoyées  par  le  Gândîva.  7,659. 

»  Écoute,  tigre  des  rois,  le  roulement  du  tambour,  qui 
éclate  devant  le  char  d'Arjouna,  comme  dans  la  nuit,  au 
milieu  du  ciel,  le  fracas  du  tonnerre.   7,660. 

»  Écoute  ces  plaintes  et  ces  gémissements,  ces  éminents 
cris  de  guerre  et  ces  bruits  de  toute  sorte,  qui  s'élèvent 
près  du  char  d'Arjouna!  7,661. 

»  Voici  que  Sâtyaki,  le  plus  vaillant  des  Vrishnides,  se 
tient  au  milieu  de  nous.  Si  nous  le  prenons  pour  but, 
nous  vaincrons  tous  les  ennemis.   7,662. 

»  Environné  de  tous  côtés  par  des  braves  et  par  des 
héros,  les  plus  grands  des  hommes,  le  fds  du  roi  des 
Pàntchàlains  en  est  venu  ainsi  aux  mains  avec  le  Bhara- 
dwàdjide.   7,663. 

»  Si  nous  pouvons  immoler  Sàtyaki  et  Dhrishtadyoumna 
le  Prishatide,  la  victoire,  sans  aucun  doute,  grand  roi, 
nous  est  assurée.   7,664. 

»  Ayant  cerné  ces  deux  braves  aux  grands  chars,  comme 
fut  le  Soubhadride,  efforçons-nous,  Mahâràdja,  de  cou- 
cher morts  le  rejeton  de  Vrishni  et  le  fds  de  Prishat. 

»  Sachant  que  Sâtyaki  avait  affronté  des  héros  Kou- 
rouidcs  en  grand  nombre,  l'Ambidextre  a  marché  en  avant, 
Bharatide,  pour  entrer  dans  l'armée  de  Drona. 


DRONA-PARVA.  237 

»  Que  de  nombreux  guerriers,  les  plus  distingués  par 
le  rang  et  le  courage,  se  rendent  là,  avant  que  le  Pri- 
thide  n'ait  appris  que  Sàtyaki  est  environné  par  de  nom- 
breux ennemis.   7,665—7,6(56 — 7,667. 

»  Vous,  grands  héros,  frappez-le,  déchargeant  une 
grêle  de  flèches,  en  sorte  que  Màdhava  descende  ici-même 
dans  l'autre  monde.   »   7,668. 

Quand  il  connut  le  sentiment  de  Karna  ,  ton  fils,  sire, 
dit  au  Soubalide,  ainsi  qu'Indra  à  la  haute  renommée  par- 
lait dans  le  combat  à  Vishnou  :   7,669. 

«  Environné  par  dix  mille  éléphants,  qui  ne  tournent 
jamais  le  dos,  et  par  dix  milliers  de  héros,  marche  rapide- 
ment (l)  sur  Dhanandjaya.    7,670. 

»  Douççâsana,  Dourvishaha,  Soubâhou  et  Doushpra- 
dharshana,  ces  quatre  héros  suivront  tes  pas,  accompa- 
gnés par  de  nombreux  fantassins.   7,67:1. 

»  Tue,  mon  oncle,  tue  les  deux  Krishnas  et  Dharma- 
râdja,  Nakoula,  Sahadéva  et  le  Pândouide  Bhîmaséna  ! 

»  J'ai  en  toi  une  espérance  de  la  victoire  aussi  ferme 
que  celle  des  Dieux  mêmes,  dans  le  roi  des  Immortels. 
Tue,  mon  oncle,  les  enfants  de  Kountî,  comme  le  fils  du 
Feu,  Kârttikéya,  immola  jadis  les  Asouras.   » 

7,672 — 7,673. 

A  ces  mots  de  ton  fils,  et  désirant  consumer  les  enfants 
dePândou  pour  faire  une  chose  agréable  à  tes  fils,  le  Sou- 
balide (2),  escorté  d'une  nombreuse  armée  et  de  tes  fils 
eux-mêmes,  "seigneur  (3)  marcha  contre  les  Prithides. 
Alors  commença  le  combat  entre  les  tiens  et  les  ennemis. 

7,674—7,675. 


(1)  Tournant,  texte  de  Bomliuv. 
(2-3)  Même  texte. 


238  LE  MAHA-BHARATA. 

Tandis  qu'il  s'avançait  vers  l'armée  des  Pândouides,  le 
fils  du  cocher,  environné  d'une  grande  armée,  marchait 
lui  même  d'un  pied  hâté  vers  le  Sâttwatide,  et  répandait 
ses  nombreuses  centaines  de  flèches  dans  le  combat.  Tous 
les  tiens,  en  venant  aux  mains,  cernèrent  donc  Sâtyaki. 

7,676—7,677. 

S'étant  approché  du  char,  où  combattait  Dhrishta- 
dyoumna,  Y  Adldratkide  engagea  alors,  au  milieu  de  la 
nuit,  éminent  Bharatide,  un  combat  grand  et  merveilleux 
avec  ce  héros  et  les  Pântchàlains.   7,678 — 7,679. 

Bouillants  d'impatience  et  de  colère,  tous  ceux  de  ton 
parti,  ivres  de  la  furie  des  combats,  coururent  (1), hâtant 
leurs  pas,  sur  le  char  de  Youyoudhâna,   7,680. 

Ils  environnèrent  le  Sâttwatide  avec  des  cavaliers,  sire, 
des  éléphants,  des  chars  équipés,  ornés  de  pierreries  et 
d'or.   7,681. 

Quand  ces  fameux  héros  l'eurent  cerné  de  tous  les  côtés, 
ils  poussèrent  de  grands  cris  de  guerre,  faisant  résonner 
de  leurs  menaces  les  quatre  plages  du  ciel.  7.682. 

Ces  vaillants  hommes,  qui  désiraient  la  mort  de  Mâ- 
dhava,  déchargèrent  d'une  main  hâtée  sur  Sâtyaki,  de 
qui  le  courage  était  une  vérité,  des  flèches  acérées. 

Aussitôt  que  le  meurtrier  des  héros  ennemis,  Çaînéya 
aux  longs  bras  les  vit  s'abattre  d'un  vol  précipité,  il  les 
reçut  avec  de  nombreux  dards,  qu'il  envoyait  en  échange. 

7,683—7,68Zi. 

Ensuite  le  héros  au  grand  arc,  Sâtyaki,  ivre  de  la  furie 
des  combats,  trancha  les  têtes  avec  des  flèches  terribles, 
aux  nœuds  inclinés.   7,685. 

De  ses  traits  en  fer  achevai,  Mâdhava,  parmi  les  tiens, 

(l)  Prâdravan,  texte  de  Bombay. 


DRONA-PARVA.  239 

abattit  les  trompes  des  éléphants,  les  cous  des  chevaux  et 
les  bras  mêmes,  ornés  de  leurs  bracelets.   7,686. 

Telle  qu'un  ciel  parsemé  d'étoiles,  la  terre  brillait,  sei- 
gneur, jonchée  de  chasse-mouches  épars  et  de  blanches 
ombrelles.   7,687. 

Le  bruit  de  ces  hommes,  frappés  de  mort  par  Youyou- 
dhâna  dans  le  combat,  ressemblait  aux  gémissements 
confus  des  trépassés  dans  C autre  monde.  7,68S. 

La  terre  était  remplie  de  ces  grandes  voix  :  la  nuit, 
inspirant  l'effroi,  avait  des  formes  épouvantables.   7,689. 

Dès  qu'il  vit  son  armée  en  butte  aux  flèches  de  You- 
youdhâna  et  mise  en  pièces,  dès  qu'il  entendit  ces  im- 
menses, ces  effroyables  clameurs  dans  la  nuit,  7,690. 

Le  meilleur  des  maîtres  de  chars,  ton  fds,  sire,  dit 
mainte  fois  à  son  cocher  :  «  Pousse  tes  coursiers  vers  le 
côté  d'où  vient  ce  bruit  !   »   7,691. 

Stimulé  par  lui,  son  cocher  fouetta  donc  les  chevaux 
de  la  plus  haute  taille  vers  le  char  d'Youyoudhâna. 

Le  roi  héroïque,  Douryodhana,  l'archer  ferme,  à  la  fa- 
tigue vaincue,  à  la  main  prompte,  fondit  sur  le  Vrishnide. 

7,69-2—7,693. 

Mâdhava  de  percer  en  retour  Douryodhana  avec  douze 
flèches,  qu'il  décocha,  longues,  puissantes,  tirant  leur 
nourriture  de  la  chair  et  du  sang.   7,694. 

Celui-ci,  antérieurement  blessé  par  lui  et  ne  pouvant 
supporter  ce  traitement,  rendit  à  Çaînéya  ses  blessures 
avec  dix  traits.   7,695. 

Ensuite,  un  combat  s'éleva  d'un  aspect  semblable  à  une 
merveille,  entre  tous  les  Pântchâlains  et  les  tiens  rassem- 
blés entièrement.   7,696. 

Irrité  dans  la  bataille,  Çaînéya  de  blesser   le  grand 


no  LE  MAHA-BHARATA. 

héros,  ton  fils,  rejeton  de  Bharata,   en  pleine  poitrine, 
avec  quatre-vingts  flèches.   7,697. 

Il  plongea,  de  ses  traits,  les  chevaux  du  guerrier  dans 
les  demeures  d' Varna,  et,  destructeur  des  ennemis,  il  en 
abattit  promptement  le  cocher  à  bas  du  char.   7,(398. 

Debout  dans  sa  voiture  de  guerre,  privée  de  chevaux, 
ton  fils,  souverain  des  hommes,  lança  des  flèches  acérées 
sur  le  char  de  Çaînéya.   7,699. 

Mais  celui-ci  trancha  par  cinquantaines,  en  homme 
adroit,  sire,  les  traits,  que  ton  fils  envoyait  dans  le  com- 
bat ;  7,700. 

Et  d'un  autre  bhalla,  Mâdhava  lestement  coupa  dans 
la  bataille  à  l'endroit,  où  le  tenait  son  poing,  le  grand  arc 
de  ton  fils.   7,701. 

Sans  char,  sans  arc,  le  seigneur  suzerain  du  monde 
entier  monta  rapidement  sur  le  char  lumineux  de  Krita- 
varman.   7,702. 

Douryodhana  une  fois  réduit  à  tourner  le  dos,  souve- 
rain des  hommes,  Çaînéya  mit  en  déroute,  sous  ses  flèches, 
ton  armée  au  milieu  de  la  nuit.   7,703. 

Çakouni  arrêta  de  tous  les  côtés  Arjouna.  Il  engagea 
de  toutes  parts  une  mêlée  confuse,  avec  des  milliers  de 
chars,  des  éléphants  mêmes,  amenés  par  milliers,  et  des 
milliers  de  chevaux.  Les  kshatryas,  stimulés  par  la  mort, 
combattaient  Arjouna,  répandant  sur  lui  des  astras  puis- 
sants et  célestes.  Déployant  ses  efforts,  le  héros,  arrêtant 
ces  milliers  de  chevaux,  d'éléphants  et  de  chars,  fit  tour- 
ner le  dos  à  l'ennemi.  L'homicide  Arjouna  fut  blessé  dans 
ce  combat  par  le  Soubalide 

7,70A— 7,705— 7,706— 7,707. 

Irrité,  les  yeux  rouges  de  colère,  à  coups  profonds,  de 


DRONA-PARVA.  241 

vingt  flèches:  son  grand  char  fut  arrêté  encore  par  lui  avec 
cent  traits.   7,708. 

Mais  Arjouna  le  perça  de  vingt  projectiles  dans  cette 
bataille,  et  frappa  les  autres  grands  héros  de  trois  dards 
individuellement.   7,709. 

Quand  il  eut  neutralisé  leurs  multitudes  de  flèches  dans 
le  combat,  Dhanandjaya,  sire,  immola  tes  combattants 
sous  des  traits  sublimes,  qui  avaient  la  rapidité  de  la 
foudre.   7,710. 

Jonchée  de  bras  coupés  et  de  cadavres  étendus  par 
milliers,  la  terre  sur  ce  champ  de  bataille  resplendissait, 
comme  si  elle  était  couverte  de  fleurs.   7,71]. 

Semée  de  têtes  au  nez  charmants,  aux  pendeloques  su- 
perbes^ à  la  coupe  des  lèvres  mordue,  à  l'air  courroucé, 
aux  yeux  sortis  de  l'orbite,  coiffées  encore  de  la  tiare, 
portant  des  pierreries,  des  aigrettes  et  des  nishkas,  à  qui  la 
voix  des  kshatryas  avait  inspiré  naguère  d'aimables  pa- 
roles, la  terre  brillait,  comme  de  montagnes  aux  cham- 
pakas  écroulés.   7,712 — 7,713. 

Dès  que  Bîbhatsou  au  terrible  courage  eut  accompli 
cette  œuvre  terrible  (1)  et  qu'il  eut  blessé  encore  Çakouni 
de  cinq  traits  aux  nœuds  inclinés  ;  7,714. 

11  frappa  avec  colère  Ouloûka  d'une  flèche  dans  le  com- 
bat, sous  les  yeux  du  Soubalide  même,  et  poussa  une 
vaste  clameur,  qui  remplit  toute  la  terre.  Puis,  le  fils  de 
l'Indrades  Dieux  trancha  l'arc  de  Çakouni,  7,715-7,716. 

Et  plongea  ses  quatre  chevaux  dans  les  demeures 
d'Yama.  Alors,  sautant  à  bas  de  son  char,  le  Soubalide 
monta  d'un  pied  hâté,  rapidement,  sur  le  char  d'Ouloûka. 


(1)  Ougram  ougraparâkrnma . 

ix  16 


242  LE  MAHA-BHARATA. 

Debout  clans  un  même  chariot,  ces  deux  illustres  héros, 
le  père  et  le  fils,  7,717 — 7,718. 

Submergèrent  le  Prithide  sous  une  averse  de  flèches, 
comme  deux  nuages,  qui  se  sont  élevés,  inondent  une 
montagne.  Mais,  quand  ce  fils  de  Pândou,  grand  roi,  les 
eut  blessés  de  ses  traits  acérés,  il  mit  en  déroute  ton  ar- 
mée, par  centaines  et  par  milliers.  Tel  que  le  vent  dis- 
perse les  nuages  çà  et  là,  7,719  —  7,720. 

Telles  étaient,  souverain  des  hommes,  divisées  tes  ar- 
mées. Alors,  taillées  en  pièces  dans  la  bataille,  on  les 
voyait  toutes  courir,  fouettées  par  la  peur,  à  tous  les  points 
de  l'espace.  Les  uns,  abandonnant  les  rênes  à  leurs  che- 
vaux, les  excitaient  encore  dans  le  combat.  7,721 — 7,722. 

Ils  fuyaient  à  la  ronde  (1),  effrayés  en  ces  ténèbres 
épouvantables.  Après  qu'ils  eurent-vaincu  dans  la  bataille 
tes  combattants,  éminent  Bharatide,  7,723. 

Dnanàndjayâ  et  le  Vasoudévide,  pleins  de  joie,  rem- 
plirent de  vent  leurs  conques.  Aussitôt  que  Dhrishta- 
dyoumna  eut  percé  Drona  de  trois  flèches,  7,72/i. 

Il  trancha  rapidement  la  corde  de  son  arc  avec  un  dard 
aigu.  Mais,  rejetant  son  arme  sur  la  terre,  l'héroïque 
Drona,  le  destructeur  des  kshatryas,  saisit  un  nouvel  arc 
rapide,  très-fort,  et  de  frapper  avec  lui  Dhrishtadyoumna 
de  sept  flèches.  7,725 — 7,726. 

Il  blessa  encore,  éminent  Bharatide,  son  cocher  de  cinq 
traits.  Lorsque  le  vaillant  Dhrishtadyoumna  eut  arrêté 
Drona  de  ses  flèches,  7,727. 

11  dispersa  l'armée  Kouravienn'e,  comme  Méghavat  mit 
en  déroute  l'armée  des  Asouras.  Au  milieu  de  cette  ar- 

(1)  Paryadhâvanta,  texte  de  Bombay. 


DRONA-PAIIVA.  245 

niée  mise  en  fuite  de  ton  fils,  vénérable  roi,  7,728. 

Il  coulait  une  épouvantable  rivière,  qui  roulait  des 
ondes  de  sang,  et  qui,  semblable  à  la  Vaitaranî,  auguste 
sire,  dans  le  royaume  d'Yama,  entraînait  au  milieu  de  ses 
flots  les  éléphants,  les  chevaux  et  les  guerriers  de  l'une  et 
de  l'autre  armée.  Quand  le  majestueux  Dhrishtadyoumna 
eut  dispersé  en  fuite  cette  armée,  7,729—7,730. 

11  brilla,  plein  de  splendeur,  tel  que  Çakra  entre  les 
chœurs  des  Dieux.  Dhrishtadyoumna  et  Çikhandî  firent 
alors  résonner  leurs  grandes  conques.   7,731. 

Les  deux  jumeaux,  Youyoudhâna  et  le  Pândouide  Bhi- 
maséna,  ces  grands  héros  (1),  ayant  vaincu  les  milliers  de 
chars  (2)  des  tiens,  7,732. 

Ivres  de  la  furie  des  combats,  jetèrent  victorieux  leurs 
rugissements  de  guerre,  sous  les  yeux  de  ton  fils,  souve- 
rain des  hommes,  de  Rarna,  de  l'héroïque  Drona  etd'Aç- 
vvatthâman  lui-même.   7,733 — 7,73Zi. 

A  peine  eut-il  vu  son  armée  en  déroute,  taillée  en 
pièces  par  ces  magnanimes,  ton  fils,  souverain  des 
hommes,  pénétré  d'une  grande  colère,  7,735. 

S'avança  soudain  vers  Karna  et  vers  Drona,  le  plus 
excellent  des  victorieux,  et  leur  tint  ce  langage,  habile  à 
manier  la  parole  et  tombé  sous  le  pouvoir  du  cour- 
roux :  7,736. 

«  C'est  à  vous  deux  irrités  à  soutenir  ici  la  bataille. 
Vous  avez  vu  le  Sindhien  immolé  dans  le  combat  par 
l'Ambidextre.   7,737. 

»  Mon  armée  est  battue  par  la  vigueur  des  fils  de  Pân- 
dou.  Vous  êtes  forts  et  vous  voyez,  comme  si  vous  étiez 

(1-2  RathasnhasrAni....  mahûratluîs,  texte  de  Bombay. 


244  LE  MAHA-BH  ARATA. 

faibles,  que  la  victoire  a  conduit  les  choses  à  ce  résultat. 

»  Si  vous  devez  m' abandonner,  alors  je  ne  suis  plus 
digne  que  l'on  parle  de  moi.  Vous  triompherez,  m'avez- 
vous  dit,  ô  vous,  qui  m'inspiriez  un  sentiment  d'orgueil, 
vous  triompherez  des  fils  de  Pândou  dans  la  bataille. 

7,738—7,739. 

»  Si  je  n'avais  alors  entendu  cette  parole,  à  laquelle 
tous  deux  vous  donnâtes  votre  assentiment,  je  n'aurais 
pas  engagé  avec  les  Pândouides  cette  guerre,  qui  détruit 
mes  combattants.   7,7/i0. 

»  Si  je  ne  dois  pas  être  abandonné  par  vous,  éminents 
personnages,  combattez  avec  un  courage  digne  de  vous, 
qui  êtes  remplis  d'une  ardente  valeur.  »   7,741. 

Ces  deux  héros,  que  ton  fils  stimulait  avec  l'aiguillon 
de  ses  paroles,  recommencèrent  le  combat,  tels  que  deux 
serpents  foulés  du  pied  (1).   7,742. 

Ces  deux  archers  du  monde  entier,  les  meilleurs  des 
maîtres  de  chars,  fondirent  alors  dans  la  bataille  sur  les 
Prithides,  à  la  tête  de  qui  marchait  Çaînéya.  7,743. 

Et,  de  même,  les  Prithides,  accompagnés  de  tous  les 
côtés  par  leur  armée,  s'avancèrent  vers  ces  deux  héros, 
qui  poussaient  mainte  et  mainte  fois  des  cris.  7,744. 

Et  le  plus  excellent  de  tous  ceux,  qui  portent  la  flèche, 
l'héroïque  Drona,  de  blesser  à  la  hâte,  avec  dix  traits,  le 
grand  héros  des  Çinides.   7,745. 

Karna  le  perça  d'un  égal  nombre,  ton  fils  de  sept  dards, 
Vrishaséna  de  dix  et  le  Soubalide  de  sept  également. 

Ceux-ci,  dans  la  bataille  des  Kourouides,  répandirent 
à  l'entour  de  Çaînéya  la  pluie  de  leurs  flèches.  Quand  ils 

(1)  Explication  du  commentaire. 


DRONA-PARVA.  245 

virent  Drona  immoler  dans  ce  combat  l'armée  Pàndouide, 

7,7/i'J — 7,7li~. 

Les  Somakas,  d'une  main  hâtée,  le  frappèrent  de  tous 
côtés  avec  des  averses  de  projectiles  ;  et  Drona  alors  de 
ravir,  souverain  des  hommes,  les  existences  des  kshatryas, 
tel  que  les  rayons  du  soleil,  sire,  enlèvent  les  ténèbres  à 
la  ronde.  Tandis  que  Drona  taillait  les  Pàntchâlains  en 
pièces,  7,748 — 7,749. 

Voici  qu'on  entend  un  bruit  d'hommes,  qui  s'appe- 
laient mutuellement,  les  uns  demandaient  leurs  fils,  les 
autres  leurs  pères,  ceux-ci  leurs  frères,  ceux-là  un  oncle  ; 

Plusieurs  un  neveu,  un  grand  nombre  un  ami,  et  des 
parents  invoquaient  un  parent.  S' abandonnant  les  uns  les 
autres,  ils  allaient,  désireux  de  conserver  leurs  vies. 

7,750—7,751. 

Ceux-ci,  la  tête  égarée,  s'en  venaient  droit  à  lui,  con- 
duits par  le  délire  ;  d'autres,  combattants  dans  l'armée 
des  Pândouides,  tombaient  dans  l'autre  monde.   7,75*2. 

Accablée  par  ce  magnanime,  l'armée  Pândouide  s'en- 
fuyait, sire,  au  milieu  de  la  nuit,  rejetant  ça  et  là  ses 
torches  de  tous  les  côtés,  7,753. 

Aux  yeux  de  Bhîmaséna,  d'Atchyouta  le  Vasoudévide, 
de  Viçljaya,  des  jumeaux,  du  fils  d'Yama,  et  sous  les  re- 
gards du  Prishatide.   7,754. 

En  ce  monde,  enveloppé  de  ténèbres,  rien  n'était  plus 
distingué  ;  on  en  voyait  d'autres,  qui  fuyaient  à  Ja  lu- 
mière des  Kourouides.   7,755. 

Les  deux  héros,  Drona  et  Karna,  dispersant  des  grêles 
de  flèches,  suivaient  les  pas,  sire,  de  cette  armée  mise  en 
déroute.   7,756. 

Tandis  que  les  Pàntchâlains  rompus  mouraient  de  toutes 


246  LE  MAHA-BHARATA. 

parts,  Djanârddana,  l'âme  consternée,  adressa  ce  langage 
à  Phâlgouna  :  7,757. 

«  Les  flèches  de  Drona  et  de  Karna,  ces  deux  héros, 
tombent  dans  le  combat  sur  le  Prishatide  et  Sâtyaki, 
accompagnés  des  Pântchâlains  !  7,758. 

»  L'armée  est  maintenant  (1)  rompue  sous  les  pluies 
des  traits,  et  les  divisions  arrêtées,  fils  de  Kountî,  se 
débandent.   »   7,759. 

A  l'aspect  de  l'armée  en  déroute,  Arjouna  et  Réçavade 
s'écrier  :  «  Ne  fuyez  pas,  tremblants  de  peur  !  Soldats  de 
Pândou,  rejetez  la  crainte  !  7,760. 

»  Ces  deux,  que  l'on  voit  ici,  Drona  et  le  fils  du  cocher, 
nous  allons  marcher,  nos  armes  bravement  levées,  pour  les 
arrêter  avec  tous  nos  escadrons  rangés  en  ordre  de  ba- 
taille (2).   »   7,761. 

Ayant  vu  Vrikaudara  s'avancer  de  ce  côté,  Djanârddana 
dit  encore  ces  mots  au  fils  de  Pândou,  comme  pour  exci- 
ter son  ardeur  :  7,762. 

«  Voici  le  guerrier,  qui  se  vante  de  ses  batailles,  Bhîma, 
accompagné  de  Pândouides  et  deSomakas,  qui  s'approche 
à  pas  légers  de  ces  deux  héros,  Drona  et  Karna  !  7,763. 

»  Combats,  secondé  par  lui  et  par  les  grands  héros 
Pântchâlains  :  inarche  maintenant,  fils  de  Pândou,  à 
l'extermination  des  guerriers  !  »    7,7Ql\. 

Alors  ces  deux  tigres  des  hommes,  Mâdhava  et  le  Pàn- 
douide,  s'étant  approchés  de  Drona  et  Karna,  se  tinrent 
au  front  de  la  bataille.   7,765. 

Ensuite,  la  grande  armée  d'Youdhishthira  revint  au 


(1)  Littéralement  :  alors. 

(2)  Vyoùliais,  texte  de  Bombay. 


DRONA-PAUVA.  W 

lieu  du  combat,  où  Drona  et  Karna  écrasaient  les  enne- 
mis.  7,766. 

Une  vaste  et  tumultueuse  bataille  s'éleva  donc  en  cette 
nuit,  comme  si  c'étaient  deux  mers,  sire,  dont  le  lever  de 
la  lune  avait  accru  la  masse  des  eaux.   7,767. 

Ayant  rejeté  les  lanternes,  qu'elle  tenait  à  ses  mains, 
ton  armée,  saisie  d'ivresse,  pour  ainsi  dire,  fils  de  Bha- 
rata,  combattit  avec  les  Pândouides.   7,768. 

Dans  cette  bataille  extrêmement  épouvantable  par  les 
ténèbres  et  la  poussière,  les  guerriers,  désirant  la  vic- 
toire (1),  combattaient  seulement  sur  l'exposé  des  fa- 
milles (2)  et  des  noms.   7,769. 

On  entendait  là  des  noms,  puissant  roi,  dignes  d'être 
entendus  par  des  princes,  qui  luttaient  dans  ce  combat, 
comme  dans  un  swayambara.   7,770. 

D'abord  régna  un  silence  sans  voix  ;  puis,  ce  fut  une 
vaste  clameur  d'hommes  irrités,  combattant,  vainqueurs 
et  vaincus  même.  7,771. 

En  tous  lieux  où  l'on  voit  des  lampes,  héros  des  Kou- 
rouides,  là.  accourent  les  braves,  comme  des  sauterelles, 
[.es  fils  de  Pândou   et  les    Kourouides    combattant, 
Indra  des  rois,  étaient  plongés  dans  une  nuit  profonde. 

7,772-7,773. 
liés  que  le  destructeur  des  héros  ennemis,   Karna  vit 
le  Prishatide  dans  le  combat,  il  le  frappa  dans  la  poitrine 
avec  dix  traits,  qui  déchiraient  les  membres.   7,77/i 

Dhrishtadyoumna  à  son  tour  de  blesser  rapidement 
Karna,  dans  cette  grande  bataille,  avec  cinq  flèches,  en 
lui  criant:  «  Halte-là  !  arrête!  »    7,775. 

(1-2)  Ndmagotrénu....  djayalshinas,  texte  de  Bombay. 


248  LE  MAHA-BHARATA. 

Ces  deux  héros  se  couvrirent  l'un  l'autre  de  traits  en 
cette  immense  bataille  ;  ils  se  percèrent  mutuellement  de 
dards  longs,  puissants,  bien  décochés.   7,776. 

L'Adhirathide  conduisit  dans  la  guerre  au  séjour 
d'Yama  le  cocher  et  les  quatre  chevaux  de  Dhrishta- 
dyoumnr,  le  chef  des  Pântchâlains.   7,777. 

Il  trancha  avec  des  flèches  acérées  son  arc,  la  meilleure 
des  armes,  et,  d'un  bhalla,  il  abattit  son  cocher  du  siège 
de  son  chariot.   7,778. 

Le  vigoureux  Dhrishtadyoumna,  réduit  à  pied,  ses 
chevaux  tués,  son  cocher  immolé,  sauta  lestement  à  bas 
de  son  char,  et  saisit  une  massue.  7,779. 

Malgré  les  dards  aux  nœuds  inclinés,  dont  il  était 
blessé  par  le  fils  du  Soleil,  il  s'avança  vers  Karna  et  tua 
ses  quatre  chevaux.   7,780. 

Le  meurtrier  des  héros  ennemis,  le  Prishatide  revint 
sur  ses  pas  rapidement,  et,  le  plus  excellent  des  maîtres 
de  chars,  il  monta  avec  légèreté  dans  la  voiture  de  Dha- 
nandjaya  (1).   7,781. 

11  voulait  encore  se  porter  sur  Karna,  mais  il  en  fut 
empêché  par  Youdhishllrira,  le  fils  d'Yama.  L'Adhira- 
thide à  l'immense  splendeur  fit  résonner  son  arc  d'un 
vaste  bruit,  mêlé  au  rugissement  d'un  cri  de  guerre,  et 
remplit  sa  conque  de  notes  éclatantes.  Quand  les  grands 
héros  virent  le  Prishatide  vaincu  dans  le  combat, 

Les  Pântchâlains  et  les  Somakas,  tombés  sous  le  pou- 
voir de  la  colère,  saisirent  des  traits  de  tous  les  côtés 
pour  la  mort  du  fils  de  cocher.  7,782—7,783  —  7,784. 


(1)  De  Sahadéva,  dit  le  texte  d<;  Bombay  ;  ce  qui  se  lie  bien  mieux  avec 
le  vers  suivant. 


DRONA-PARVA.  2/19 

Us  s'avancèrent,  visant  Rama  et  revenant  sur  les  pas 
de  la  mort.  Le  cocher  de  l'Adhirathide  attela  d'autres  che- 
vaux à  son  char.  C'étaient  des  Sindhiens  à  la  grande 
vitesse,  à  la  couleur  de  la  conque,  habiles  à  bien  con- 
duire (1).  Râdhéya,  prenant  les  grands  héros  Pântchà- 
lains  pour  but,  7,785—7,786. 

Les  submergea  de  ses  flèches,  comme  un  nuage  inonde 
une  montagne.  Accablée  par  Karna,  l'armée  desPàntchà- 
lains  (-2),  7,787. 

Courait,  tremblante  de  peur,  comme  des  gazelles,  qu'un 
lion  poursuit.  On  voyait  tomber  tout  à  coup  de  tous  les 
côtés,  auguste  monarque,  des  maîtres  de  chars  au  milieu 
des  coursiers,  des  éléphants  et  des  chariots.  Karna  tran- 
chait de  ses  flèches  en  fer  à  cheval  la  tête,  ornée  de  pende- 
loques, et  les  bras  à  tous  les  combattants,  qui  fuyaient 
dans  ce  grand  combat;  il  coupait  les  cuisses  d'un  autre, 
souverain  des  hommes,  monté  sur  un  éléphant, 

7,788—7,789—7,790. 

Équitant  sur  l'échiné  d'un  coursier  ou  marchant  à  pied 
sur  la  terre.  D'autres  grands  héros  ne  voulaient  plus  re- 
connaître, dans  leur  fuite,  7,791. 

Leurs  propres  membres  et  leurs  chars  mêmes,  coupés 
dans  la  guerre.  Taillés  en  pièces  par  les  terribles  flèches, 
les  Pântchâlains  et  les  Srindjayas,  7,792. 

S'imaginaient  appercevoir  le  fils  du  cocher  dans  un 
:seul  tremblement  des  herbes.  L'âme  égarée,  ils  pensaient 
voir  Karna  lui-même  dans  un  des  leurs,  qui  fuyait,  et 


(1)  Sàdhouvâhinas,   texte  de  Bombay. 

(2)  L'édition  de  Calcutta    porte  ici  une    faute  d'impression;  elle  écrit 
Pântchândn,  oubliant  la  syllabe  médiale  la  dans  ce  mot  Pdntchàlanûm. 


250  LE  MAHA-BHAR.ATA. 

de-là  ils  se  mettaient  à  courir,  pleins  d'épouvante.  Dis- 
persant ses  traits  de  tous  les  côtés,  Rarna  de  précipiter 
sa  course,  Bharatide,  sur  les  armées  rompues  et  mises  en 
pleine  déroute.  Fuyant,  l'âme  perdue,  les  guerriers 
étaient  immolés  dans  le  combat  ; 

7,793—7,79/1—7,795. 

Agités,  ils  ne  pouvaient  pas  rester  de  pied  ferme  de- 
vant ce  magnanime  Rarna.  Les  Pântchâlains,  frappés  de 
ses  grandes  flèches,  7,796. 

Couraient  à  tous  les  points  de  l'espace,  sous  les  regards 
de  Drona.  Lorsqu'il  vit  son  armée  en  fuite,  le  roi  You- 
dhishthira,  7,797. 

Tournant  son  esprit  vers  la  pensée  de  la  retraite,  adressa 
ces  mots  à  Phâlgouna  :  «  Vois  ce  héros  Karna,  le  pied 
ferme  et  son  arc  à  la  main,  7,798. 

»  Qui  nous  consume,  comme  le  soleil,  dans  le  temps 
même  de  cette  nuit  épouvantable.  Ces  cris,  qua  l'on  en- 
tend continuellement,  (ils  dePrithâ,sont  les  gémissements 
de  nos  amis,  qui,  chassés  par  les  flèches  de  Karna,  jettent 
des  plaintes  comme  des  abandonnés.  11  ne  met  pas  un  in- 
tervalle, que  je  puisse  saisir,  entre  encocher  et  lancer  sa 
llèche  :  pour  sûr  (1),  fils  de  Prithâ,  il  nous  (2)  détruira. 
Exécute  ce  que  tu  vois  opportun  de  faire  immédiatement 
ici,  Dhanandjaya,  et  qui  s'unit  à  la  mort  de  Karna.  »  A 
ces  mots,  grand  roi,  le  Prithide  tint  ce  langage  à  Krishna: 
7,799— 7,800— 7,801— 7,802. 
«  Le  roi  lils  d' Vania  est  effrayé  maintenant  du  courage 
de  liâdhéya.  Dans  cette  situation,  que  ta  seigneurie  dé- 
cide promptement  deux  et  trois  fois  ce  ce  qu'il  est  opportun 

(1-2)  Naud/nvuvan,  texte  de  Bombay. 


DRON  A-PAU  VA.  251 

de  faire  dans  l'armée  de  Karna.    En  effet,  nos  troupes 
sont  en  fuite. 

»  Il  n'existe  plus  rien,  qui  tienne,  meurtrier  de  Madhou, 
parmi  nos  gens  rompus,  chassés  par  les  flèches  de  Drona 
et  terrifiés  par  Karna.  Je  le  vois  ici,  qui  se  promène  sans 
crainte,  7,803— 7,804—7,805. 

»  Et  qui  répand  ses  traits  acérés  sur  les  grands  chars, 
dispersés  en  déroute.  De  même  qu'un  serpent  ne  peut 
souffrir  qu'on  le  touche  du  pied,  ainsi  je  ne  puis  endurer, 
tigre  des  Vrishnides,  qu'il  se  promène  devant  mes  jeux 
au  front  du  combat.  Que  ta  majestés' eD  aille  doncpromp- 
lement  là  où  est  l'héroïque  Karna.  7,806—7,807. 

»  Je  lui  ferai  mordre  la  poussière,  meurtrier  de  Ma- 
dhou, ou  c'est  lui,  qui  m'abattra  mort  sur  la  terre  !  »  7,80S. 

«Je  vois,  fils  de  Kountî,  lui  répondit  le  Vasoudévide. 
Karna,  le  tigre  des  hommes,  doué  d'un  courage  plus 
qu'humain,  qui  se  promène  au  milieu  du  combat,  sem- 
blable au  roi  des  Dieux.  7,809. 

»  Nul  autre  ne  s'élèvera  contre  lui  dans  la  bataille, 
tigre  des  hommes,  si  ce  n'est  toi,  Dhanandjaya,  ou  le 
Rakshasa  Ghatotkatcha.   7,810. 

»  Alais  je  ne  pense  pas,  irréprochable  guerrier,  que 
cette  rencontre  avec  le  fils  du  cocher  dans  la  guerre  soit 
maintenant  opportune,  héros  aux  longs  bras.  7,81:1. 

»  En  effet,  cette  lance  d'Indra  se  tient  dans  son  char, 
comme  une  grande  torche  allumée  ;  c'e-t  pour  toi,  formi- 
dable guerrier,  que  le  fils  du  cocher  la  tient  en  réserve 
dans  la  guerre  :  elle  porte  un  aspect  épouvantable. 
Ghatotkatcha  te  fut  toujours  dévoué,  et  toujours  il  dé- 
sira ton  bien.  7,812 — 7,813. 

»  Que  le  vigoureux  Ghatotkatcha  s'en  aille  donc  affronter 


252  LE  MAHA-BHARATA. 

Râdhéya  !  Il  a  reçu  la  vie  du  robuste  Bhîma;  son  courage 
est  semblable  à  celui  des  Dieux.   7,81/i. 

»  Il  possède  des  astras  célestes,  Asouriques  et  Raksha- 
siques  ;  il  triomphera  de  Karna  dans  la  bataille  :  je  n'en 
fais  aucun  doute.  »    7,815. 

A  ces  mots,  le  Prithide  aux  yeux  de  lotus,  aux  longs 
bras,  appela  ce  Rakshssa,  qui  apparut  aussitôt  devant  lui. 

Il  portait  la  cuirasse  et  le  cimeterre,  souverain  des 
hommes,  un  arc  et  sa  flèche.  Quand  il  se  fut  incliné  de- 
vant Krishna  et  le  Pândouide  Dhanandjaya,  il  dit  avec 
fierté  :  «  Me  voici  !  Donne-moi  tes  ordres  !  »  Alors,  le 
Dâçârhain  fit  en  souriant  cette  réponse  à  l'Hidimbide, 
les  yeux  enflammés,  la  bouche  ardente,  et  semblable  à  un 
nuage.   7,816—7,817—7,818—7,819. 

«  Apprends-les,  Ghatotkatcha  ;  écoute  bien  ce  que  je 
vais  te  dire  :  l'heure,  qui  arrive,  est  pour  toi,  et  non  pour 
un  autre,  quel  qu'il  soit,  l'heure  de  montrer  ton  courage. 

»  Que  ta  valeur  (1)  soit  une  barque  de  salut  pour  tes 
parents  (2),  que  ce  combat  veut  engloutir.  Tu  possèdes 
différents  astras  et  la  magie  Rakshasique.   7,820 — 7,S21 . 

»  Vois  Karna,  qui  agite,  fils  de  Hidimba,  l'armée  des 
Pândouides  au  front  de  la  bataille,  comme  un  pâtre  son 
troupeau  de  vaches.   7,822. 

»  Ce  Karna,  est  un  héros,  plein  de  prudence,  au  grand 
arc,  au  courage  ferme  ;  il  consume  dans  les  armées  des 
Pândouides  les  plus  vaillants  kshatryas.   7,823. 

«  Quoiqu'ils  semassent  d'immenses  averses  de  traits, 
des  archers  solides  n'ont  pu  tenir  le  pied  ferme,  accablés 
par  la  splendeur  de  ses  flèches.   7,82/i. 

'1)  Bhavân....  bandoùnâm,  texte  de  Bombay. 


DRONA-PARVA.  253 

»  Sous  l'oppression  des  grêles  de  dards,  que  verse  le  fils 
du  cocher  au  milieu  de  la  nuit,  voici  les  Pàntchâlains,  qui 
fuient,  comme  des  gazelles  devant  la  poursuite  d'un  lion. 

»  Il  n'existe  pas  un  autre  que  toi,  guerrier  au  courage 
épouvantable,  qui  puisse  arrêter  ce  fils  du  cocher,  qui  a 
fait  de  tels  progrès  dans  la  guerre.   7,825  —7,826. 

»  Exécute  ici,  héros  aux  longs  bras,  avec  énergie  et 
vigueur,  une  œuvre  digne  de  tes  oncles,  de  tes  pères  et  de 
toi-même.   7,827. 

»  C'est  pour  cela,  Hidimbide,  que  les  hommes  dési- 
rent des  fils  :  sauve  tes  parents  de  ces  infortunes,  quel- 
que soit  la  manière,  dont  il  est  possible  de  nous  (1)  en 
affranchir.   7,828. 

»  Les  pères,  Ghatotkatcha,  désirent  des  fils  pour  leur 
bien  propre  :  les  bons  fils  nous  sauvent  de  ce  monde-ci 
dans  l'autre  monde.   7,829. 

»  La  force  du  magnanime  Karna  est  effrayante  dans  le 
combat,  mais  non  semblable  à  la  tienne  ;  il  n'existe  pas 
un  guerrier  égal  à  toi,  déployant  ta  vigueur  dans  le  com- 
bat. 7,830. 

»  Dans  ce  fleuve  des  Dhritarâshtrides,  où  les  flèches  de 
Karna  ont  submergé  les  Pândouides,  rompus  dans  cette 
nuit,  sois,  fléau  des  ennemis,  leur  rivage  ultérieur.  7,831. 

»  Les  Rakshasas  ont  encore  plus  dans  la  nuit  un  cou- 
rage sans  mesure;  ils  sont  plus  forts,  plus  inaffrontables, 
plus  héroïques  ;  ils  combattent  avec  plus  de  valeur.  7,832. 

»  Immole  dans  le  combat  par  ta  magie  Karna  au  grand 
arc  sous  les  ombres  de  la  nuit.  Les  Prithides,  commandés 
par  Dhrishtadyoumna  sauront  bien  tuer  Drona.  »  7,833. 

(1)  Kathan  nas  târayét,  texte  de  Bombay. 


25A  LE  MAHA-BHARATA. 

Dès  qu'il  eut  ouï,  Kourouicle,  ces  paroles  de  Kéçava, 
Bîbhatsou  lui-même  dit  au  Rakshasa  Ghatotkatcha,  le 
dompteur  des  ennemis  :  7,834. 

«  Ta  seigneurie,  Ghatotkatcha,  et  Sàtyaki  aux  longs 
bras,  et  le  Pàndouide  Bhîmaséna,  vous  êtes  estimés  par 
moi  entre  tous  les  guerriers.   7,835. 

»  Que  ta  majesté  aille  donc  engager  dans  la  nuit  un 
duel  en  char  avec  Karna;  le  grand  héros  Sâtyaki  défen- 
dra tes  derrières.   7,836. 

»  Secondé  par  l'héroïque  Sâttwatide,  fais  mordre  la 
poussière  du  combat  à  Karna  :  tel  Indra  jadis,  aidé  par 
Kàrttikéya,  abattit  mort  Tàraka  sur  la  terre.  »   7,837. 

«  Je  suffis  pour  Karna,  répondit  Ghatotkatcha  !  et  ces 
autres  magnanimes  kshatryas,  consommés  dans  les  armes, 
Bharatide,  suffisent  pour  Drona.   7,838. 

»  Je  livrerai  cette  nuit  même  au  fils  du  cocher  un  com- 
bat, tel  qu'il  en  sera  parlé,  tant  que  la  terre  portera  des 
habitants.   7,839. 

•  »  Je  n'épargnerai  ni  les  braves,  ni  les  lâches,  ni  ceux, 
qui  m'adresseront  des  supplications,  les  mains  jointes  ; 
et,  fermement  attaché  au  devoir  du  guerrier,  j'immolerai 
même  tout  Rakshasa,  quel qu  il  soit.  »  7,840. 

Quand  il  eut  parlé  ainsi,  le  destructeur  des  héros  en- 
nemis, l'Hidimbide  aux  longs  bras,  jetant  la  terreur  dans 
ton  armée,  s'avança  vers  Karna  dans  le  combat.   7,841. 

Le  terrible  fils  du  cocher,  le  reçut  en  riant,  lorsqu'il 
s'approchait,  irrité,  la  bouche  enflammée,  les  cheveux 
flamboyants.   7,842. 

Alors  s'éleva  sur  ce  champ  de  bataille  le  combat  de 
Karna  et  du  Rakshasa,  vomissant  la  menace,  tel  que  fut 
jadis,  tigre  des  rois,  le  conflit  de  Çakra  et  de  Prahlâda. 


DRONA-PARVA.  255 

Lorsqu'il  vit  Ghatotkatcha  aux  longs  bras,  majesté, 
s'avancer  sur  le  char  du  fils  de  cocher,  avec  le  désir  de 
tuer  Karna  dans  la  bataille,  7,8/io. 

Ton  fils  tint  alors  ce  langage  à  Douççâsana  :  «  Parce 
qu'il  a  vu  le  courage  de  l'Adhirathide  dans  le  combat,  ce 
Rakshasa  s'approche  à  pas  hâtés  afin  de  le  combattre. 
Arrête  ce  grand  héros  !  Environné  d'une  nombreuse  ar- 
mée, va  où  est  ce  guerrier  à  la  grande  force. 

7,844—  7,845— 7,846. 

Karna,  le  fils  du  Soleil,  désire  combattre  avec  ce  Rak- 
shasa :  entouré  d'une  armée,  mets  tes  soins,  ô  toi,  qui 
donnes  l'honneur,  à  sauver  Karna  dans  ce  combat.  Em- 
pêche que  ce  Démon  terrible  ne  tue  Karna  dans  son 
ivresse  d'orgueil.  »  En  ce  moment,  sire,  le  vigoureux  fils 
de  Djatâsoura,  7,847—7,848. 

Le  meilleur  des  combattants  s'approcha  de  Souyodhana 
et  lui  dit  :  «  Avec  ta  permission,  Douryodhana,  je  désire 
tuer  les  Pândouides  et  leurs  suivants,  tes  illustres  enne- 
mis, ivres  de  la  furie  des  batailles.  Djatâsoura,  mon  vi- 
goureux père,  était  jadis  le  monarque  des  Rakshasas  : 

7,849— 7,850. 

»  11  est  tombé  sous  les  coups  des  vils  Prithides,  qui 
s'étaient  dévoués  à  une  prouesse,  exterminatrice  des 
Rakshasas.  -Je  désire  apaiser  ses  Mânes,  en  lui  offrant 
pour  hommage  le  sang  et  la  chair  des  ennemis  :  veuille 
bien,  Indra  des  rois,  m'accorder  ta  permission.  »  Le 
monarque  joyeux  lui  dit   à  plusieurs  fois  : 

7,851—7,852. 
«  Il  me  suffit  de  Drona  et  de  Karna  pour  vaincre  cet 
ennemi  :  mais  vas,  avec  ma  permission  ;  immole  dans  le 
combat  Ghalotkatcha.    ce  Démon  aux   œuvre?  cruelles. 


266  LE  MAHA-BHARATA. 

Rakshasa  toi-même,  plonge  (1)  en  cette  bataille  au  séjour 
d'Yama  ce  Rakshasa,  né  d'un  homme,  toujours  zélé  poul- 
ies Pândouipes,  exterminateur  des  éléphants  et  des  che- 
vaux, destructeur  des  chars  et  venu  dans  ces  régions  par 
la  voie  des  airs.  »  —  «  Oui  !  »  dit  le  Rakshasa  au  grand 
corps,  qui  porta  un  défi  à  Ghatotkatcha. 

7,853—7,854—7,855. 

Le  Djatâsouride  inonda  le  Bhîmasénide  de  flèches  di- 
verses. Seul,  le  fils  de  Hidimbâ  écrasa,  et  Alambousha,  et 
Karna,  et  l'invincible  armée  des  Kourouides,  comme  un 
grand  vent  disperse  les  nuages.  A  peine  Alambousha  eut- 
il  vu  que  ce  Ghatotkatcha  était  puissant  en  magie,  il  l'en- 
sevelit sous  des  multitudes  de  traits,  marqués  de  diffé- 
rents caractères.  Quand  il  eut  blessé  l'Hidimbide  avec  des 
flèches  nombreuses,  7,856—7,857—7,858. 

Ses  dards  jetèrent  rapidement  l'armée  des  Pândouides 
en  pleine  déroute.  Disséminées  par  lui,  7,859. 

Ces  divisions  s'éparpillèrent  dans  la  nuit,  comme  des 
nuages  dispersés  par  le  vent  ;  et  ton  armée,  chassée  par 
les  traits  de  Ghatntkatcha,  7,860. 

Rejetant  ses  torches  par  milliers,  courait,  sire,  au  milieu 
des  ténèbres.  Alambousha  irrité  frappa  dans  un  grand 
combat  le  Bhîmasénide  avec  une  foule  de  dards,  tel 
qu'un  gigantesque  éléphant  à  coups  d'aiguillons.  Ghatot- 
katcha 7,861. 

De  couper  en  menus  fragments  son  char,  son  cocher  et 
toutes  ses  armes  ;  puis  ,  il  fit  pleuvoir  ses  multitudes  de 
traits  par  milliers  sur  Karna,  sur  les  Kourouides  et  sur 
Alambousha,  comme  les  nuages  inondent  le  mont  Mérou. 

(1)  Préshayés,  texte  de  Bombay. 


DRONA-PARVA.  257 

L'armée  des  Kourouides,  maltraitée  parle  Rakshasa,  était 
bouleversée.   7,861— 7,862— 7,863— 7, 864. 

Du  haut  des  airs,  ils  se  brisent  mutuellement  une  ar- 
mée complète.  Le  Djatâsouride,  sans  char,  puissant  roi, 
son  cocher  immolé,  7,865. 

Blessa  avec  colère  Ghatotkatcha  au  poing  dans  le  com- 
bat. Celui-ci  de  chanceler  sur  le  coup  ;  7,866. 

Telle  dans  un  tremblement  de  terre,  une  montagne 
avec  ses  arbrisseaux,  ses  herbes  et  ses  arbres  touffus. 
Transporté  de  colère,  le  Bhîmasénide  frappa  le  Djatâsou- 
ride  avec  son  bras,  exterminateur  de  l'ennemi  et  sem- 
blable à  une  massue.  Dès  qu'il  eut  écrasé  le  Démon 
irrité,  l'Hidimbide  soudain  le  renversa, 

7,867—7,868. 

Le  serra  entre  ses  deux  bras  et  le  broya  sur  la  surface 
de  la  terre.  Aussitôt  que  le  Djatâsouride  se  fut  débarrassé 
de  l'étreinte  de  Ghatotkatcha,  7,869. 

Il  se  releva  lestement  et  fondit  sur  son  rival.  Alambou- 
sha  lui-même  debout  fit  perdre  pied  à  son  tour  au  Rak- 
shasa, 7,870. 

Et  le  broya  avec  fureur  dans  le  combat  sur  le  sol  de  la 
terre.  Le  combat  de  ces  deux  géants,  la  menace  à  la 
bouche,  Alambousha  et  Ghatotkatcha,  fut  tumultueux, 
inspirant  la  terreur.  Plus  que  des  hommes  et  se  surpas- 
sant l'un  l'autre  par  leurs  magies,  7,871 — 7,872. 

Ces  deux  héros  à  la  grande  vigueur  combattaient,  de 
même  que  jadis  Indra  et  le  Virotchanide.  Tantôt,  ils  de- 
venaient l'océan  et  le  feu,  ou  Takshaka  et  Garouda  ; 

Tantôt,  ils  se  métamorphosaient  en  nuages  et  en  grand 
vent  ;  tantôt,  ils  étaient  une  haute  montagne  et  le  ton- 
nerre ;  une  autre  fois,  ils  se  changeaient  en  éléphant  et 
xi  17 


258  LE  MAHA-BHARATA. 

en  tigre;  enfin,  l'on  voyait  en  eux  le  soleil  et  Râhou,   te 
Démon  de  f  éclipse.  7,873— 7, 874. 

Ainsi,  créateurs  de  cent  prestiges  et  se  désirant  mu- 
tuellement la  mort,  Alambousha  et  Ghatotkatcha variaient 
à  l'infini  leur  manière  de  combattre.   7,875. 

Ils  se  frappaient  l'un  l'autre  avec  des  pilons,  des  mas- 
sues, des  traits  barbelés,  des  maillets  d'armes,  des  pat- 
tiças,  des  moushalas  et  des  quartiers  de  montagnes. 

Sur  des  chevaux,  sur  des  éléphants  (1),  à  pied  ou 
montés  sur  des  chars,  ces  Démons  à  la  grande  magie 
combattaient,  les  meilleurs  des  Rakshasas  dans  la  guerre. 

7,876—7,877. 

Alors,  bouillant  de  colère,  Ghatotkatcha,  par  le  désir 
d'arriver  à  la  mort  de  son  rival,  s'éleva  dans  l'air,  puis 
s'abattit  comme  un  faucon.  7,878. 

11  étreignit  Alambousha  au  grand  corps,  l'Indra  des 
Rakshasas,  et  le  frappa  sur  la  terre,  malgré  sa  résistance, 
comme  jadis  Vishnou  immola  le  Démon  Maya  dans  le 
combat.   7,879. 

Ensuite,  ayant  tiré  du  fourreau  son  cimeterre  à  l'aspect 
horrible,  il  enleva  du  corps  sa  tête  effrayante,  de  qui  la 
vue  inspirait  le  dégoût.  7,880. 

Malgré  ses  vains  efforts,  puissant  roi,  et  quoiqu'il 
poussât  des  cris  effroyables  dans  le  combat,  ce  héros  au 
courage  infini  trancha  le  cou  de  son  rival.  7,881. 

Il  saisit  par  les  cheveux  cette  tête  humide  de  sang,  et 
Ghatotkatcha  fut  précipitamment  avec  elle  près  du  char 
de  Douryodhana.  7,882. 

Le  Rakshasa  aux  longs  bras  de  s'approcher  et  de  lu 

(1)  Gadjâbhyâm,  texte  de  Bombay. 


DRONA-PARVA.  259 

jeter  dans  son  char  en  riant  ce  hideux  chef,  dont  les  che- 
veux et  la  bouche  inspiraient  l'horreur.  7,883. 

Il  poussa  un  cri  effroyable,  comme  un  nuage  dans  la 
saison  de  l'automne  et  tint,  sire,  ce  langage  à  Douryo- 
dhana:  7,884. 

«  Voici  la  tête  de  ton  ami,  quoique  tu  aies  vu  son  cou- 
rage :  tu  verras  encore  dans  un  tel  état  celle  de  Karna 
lui-même.   7,885. 

»  L'homme,  qui  désire  la  vertu,  la  richesse  et  l'amour, 
cette  troisième  des  affections  humaines,  ne  va  pas  voir, 
les  mains  vides,  un  brahme,  un  roi,  ni  une  femme  ! 

»  Reste  ici,  heureux  et  content,  jusqu'à  ce  que  j'aie  tué 
Karna  !  »  Il  dit,  monarque  des  hommes,  et,  disséminant 
des  centaines  de  flèches  acérées,  les  décochant  au  front 
de  la  bataille  (1) ,  il  s'avança  vers  Karna.  Alors  se  dé- 
roula entre  l'homme  et  le  Rakshasa  ce  combat  à  la  forme 
épouvantable,  inspirant  la  terreur  et  rempli  d'illusions. 
7,886—7,887—7,888—7,889. 

«  Comment  fut  ce  combat,  s'enquit  Dhritarâshtra,  où 
Karna,  le  fils  du  Soleil,  et  le  Rakshasa  Ghatotkatcha  s'at- 
chèrent  dans  la  nuit,  l'un  avec  l'autre?  7,890. 

»  Quelle  était  la  forme  de  ce  Démon  formidable? 
Comment  était  son  char?  Quels  étaient  ses  chevaux  ? 
Comment  toutes  ses  armes  étaient-elles?  7,891. 

»  De  quelle  taille  étaient  ses  coursiers  ?  Quelles  étaient 
son  arc  et  le  drapeau,  qui  ombrageait  son  char?  Comment 
était  sa  cuirasse?  Quel  était  son  casque?  7,892. 

»  Réponds  à  ces  questions,  Sandjaya  ;  car  tu  es  un  ha- 
bile narrateur  !  »  7,893. 

(1)  Ranamourddhani,  texte  de  Bombay. 


260  LE  MAHA-BHARATA. 

Il  avait  les  yeux  de  sang,  reprit  l'interrogé,  un  grand 
corps,  la  bouche  enflammée,  un  ventre  profond,  les  che- 
veux hérissés,  la  barbe  verte,  des  oreilles  en  forme  d'é- 
pieu  et  de  vastes  mâchoires.  7,89/1. 

Sa  bouche  était  fendue  jusqu'aux  oreilles  ;  il  avait  les 
dents  aiguës,  en  saillie,  comme  des  boutoirs.  Ses  lèvres 
et  sa  langue  étaient  rouges  et  très-longues  ;  il  avait  les 
sourcils  grands  et  larges,  le  nez  gros.  7,895. 

Épouvantables,  ses  membres  étaient  noirs,  son  cou 
rouge  ;  il  avait  la  hauteur  d'une  montagne  ;  son  vaste 
corps  avait  de  longs  bras,  une  grande  tête,  une  vigueur 
immense.  7,896. 

C'était  un  Démon  terrible,  grand,  adulte,  inspirant  le 
dégoût,  au  toucher  rude,  au  nombril  caché,  à  la  croupe 
volumineuse,  mais  molle  et  relâchée  dans  sa  substance 
musculaire  (1).  7,897. 

Versé  dans  la  grande  magie,  les  mains  ornées  de 
joyaux,  les  bras  ceints  de  bracelets,  il  portait  sur  la  poi- 
trine un  médaillon,  comme  une  montagne  élève  un  bou- 
quet de  fleurs.   7,898. 

Sur  sa  tête  brillait  une  tiare  étincelante,  admirable, 
faite  d'or,  embellie  de  plusieurs  figures  et  semblable  à 
une  porte  arcadée.   7,899. 

11  portait  des  pendeloques  pareilles  au  soleil  enfant,  un 
éblouissant  bouquet  de  fleurs  d'or  et  une  vaste  cuirasse 
de  cuivre  à  la  grande  splendeur.   7,900. 

Décoré  de  drapeaux  et  de  guidons  rouges,  son  grand 
char,  couvert  de  la  dépouille  des  ours  et  gazouillant  par 
des  centaines  de  clochettes,  mesurait  un  nalva  (2).  7,901. 

(1)  Explication  du  commentaire. 

(2)  Nalvamâtran,  texte  de  Bombay. 


DRONA-PARVA.  261 

Il  était  monté  dans  ce  char,  enguirlandé  de  drapeaux, 
qui  roulait  sur  huit  roues,  qui  avait  le  bruit  profond  des 
nuages,  qui  était  muni  des  plus  excellentes  de  tontes  les 
armes.   7,902. 

Ses  chevaux  d'une  couleur  changeante  à  volonté,  les 
yeux  teints  de  sang,  étaient  vigoureux,  inspirant  l'effroi, 
doués  de  rapidité  et  semblables  à  des  éléphants  en  rut. 

Robustes,  ayant  vaincu  la  fatigue,  secouant  de  grands 
faisceaux  de  crinière,  hennissant  mainte  et  mainte  fois, 
ils  portaient  le  formidable  Rakshasa.   7,903 — 7,90Zi. 

Son  cocher  Viroûpaksha  aux  pendeloques,  à  la  bouche 
enflammée,  modérait  les  chevaux  de  ce  Rakshasa  dans  le 
combat,  avec  des  rênes,  semblables  aux  rayons  du  soleil. 

Accompagné  de  lui,  Ghatotkatcha  se  tenait  dans  ce 
char  comme  le  soleil  avec  Arouna  :  d'une  stature  élevée, 
il  semblait  un  grand  nuage,  suspendu  sur  une  montagne. 

7,905—7,906. 

Un  vautour  carnassier,  qui  de  sa  tête  allait  toucher  le 
ciel,  emblème  frappant  de  la  plus  grande  terreur,  était  le 
drapeau  immense,  qui  s'élevait  en  sa  voiture  de  guerre. 

Il  tirait  la  corde  solide  d'un  arc,  qui  avait  le  son  du 
tonnerre  d'Indra  et  qui  mesurait  douze  coudées  manifestes 
en  longueur  sur  une  coudée  de  circonférence. 

7,907— 7, 908. 

Il  couvrait  tous  les  dix  points  de  l'espace  avec  ses 
flèches,  aussi  grandes  que  la  roue  d'un  char  ;  il  s'avança 
vers  Karna  dans  cette  nuit,  exterminatrice  des  héros. 

Se  tenant  le  pied  bien  appuyé  dans  son  char,  le  bruit 
de  l'arc,  qu'il  déchargeait,  se  fit  entendre  comme  le  fracas 
du  tonnerre.   7,909— 7, 910. 

Effrayées  par  le  son,  toutes  les  armées  de  ta  majesté, 


262  LE  MAHA-BHARATA. 

Bharatide,  étaient  ébranlées  comme  les  grandes  vagues 
de  la  mer.  7,911. 

Quand  il  vit  accourir,  le  terrible  Viroûpaksha,  Râ- 
dhéya,  en  riant,  se  hâta  de  l'arrêter.   7,912. 

Lançant  des  flèches,  Karna  s'avança  de  l'autre  part 
vers  lui,  qui  décochait  :  tel  un  éléphant  s'approche  d'un 
rival  ;  tel  un  taureau,  chef  d'un  troupeau,  affronte  un 
autre  taureau.   7,913. 

La  rencontre  de  ces  deux  héros,  de  Karna  et  du  Rak- 
shasa,  était  pleine  de  tumulte,  souverain  des  hommes; 
elle  ressemblait  à  celle  d'Indra  et  de  Çambara.  7,91/i. 

Ayant  pris  deux  arcs  bien  terribles  au  son  épouvan- 
table, se  meurtrissant  de  leurs  grandes  flèches,  ils  s'en 
couvrirent  l'un  et  l'autre.  7,915. 

Puis,  quand  ils  eurent,  s' envoyant  des  traits  longs, 
puissants,  aux  nœuds  inclinés,  rompu  leurs  cuirasses  de 
cuivre,  ils  se  déchirèrent  mutuellement.   7,916. 

Tels  que  deux  tigres  avec  leurs  ongles,  ou  tels  que 
deux  éléphants  avec  leurs  défenses  ;  ils  se  mirent  en 
pièces  réciproquement  avec  leurs  flèches,  avec  leurs 
grandes  lances  de  char.  7,917. 

11  était  impossible  de  fixer  les  regards  sur  eux,  tandis 
qu'ils  se  coupaient  les  membres,  qu'ils  encochaient  leurs 
traits,  qu'ils  consumaient  C ennemi  par  les  multitudes  de 
leurs  flèches.  7,918. 

Tous  les  organes  du  corps  blessés  par  les  dards,  ar- 
rosés par  des  flots  de  sang,  ils  brillaient,  comme  deux 
montagnes,  qui  roulent  de  l'or  dans  le  cours  de  leurs 
eaux.  7,919.    * 

Tous  les  membres  déchirés  par  la  pointe  des  flèches  et 
se  déchirant  l'un  l'autre,  ces  deux  grands  héros,  en  dépit 


DRONA-PARVA.  263^ 

de  leurs  efforts,  ne  purent  s'ébranler  mutuellement.  7,920. 

Ce  combat  de  nuit,  qui  fut  livré  sur  ce  champ  de  ba- 
taille, par  ces  deux  joueurs  du  jeu  des  existences,  Karna 
et  le  Rakshasa,  était  égal  et  varié.  7,921. 

Le  bruit  de  l'arc  du  guerrier,  qui  encochait  ses  flèches 
acérées  et  les  envoyait  sans  relâche,  répandit  également 
la  terreur  parmi  les  ennemis  et  parmi  les  siens.  7,922. 

Karna  ne  surpassa  point  alors  Ghatotkatcha,  sire  ;  et,  le 
plus  excellent  des  héros,  qui  connaissent  les  astras,  il  fit 
apparaître  un  astra  céleste.  7,923. 

A  peine  eut-il  vu  Karna  lier  à  sa  flèche  l'astra  divin, 
Ghatotkatcha,  le  souverain  des  Rakshasas,  de  manifester 
soudain  la  magie  Rakshasique.  7,924. 

11  apparut,  environné  d'une  nombreuse  armée  de  Rak- 
shasas aux  formes  épouvantables,  portant  des  maillets 
d'armes  et  des  lances,  tenant  à  leurs  mains  des  arbres  et 
des  montagnes  (1).  7,925. 

Les  souverains  des  hommes  furent  émus  de  terreur, 
lorsqu'ils  le  virent,  élevant  sa  grande  flèche,  comme  le 
bâton  terrible  de  la  mort,  s'avancer,  tel  que  la  fin  de  tous 
les  êtres.  7,926. 

Saisis  de  crainte  aux  cris  de  guerre,  que  vomissait  Gha- 
totkatcha, les  éléphants  de  lâcher  sous  eux  l'urine,  et  les 
guerriers  de  ressentir  un  profond  effroi.   7,927. 

Ensuite,  ce  fut  une  immense,  une  très-épouvantable 
averse  de  pierres,  qui  plut  de  tous  les  côtés.  Lancés  en 
masse,  au  milieu  de  la  nuit,  par  les  Rakshasas  aux  forces 
supérieures,  7,928. 

Les  disques  de  fer,  les  bhouçoundis,  les  lances,  les  le- 
viers, les  tridents,    les  çataghnis  et  les  pattiças,  infli- 

(1)  Çoûlamoudgaradhdrinyû  çailapâdahastayâ,  texte  de  Bombay. 


264  LE  MAHA-BHARATA. 

geaient  à  chaque  "instant  leur  cuisante  brûlure.  7,929. 

Dès^qu'ils  virent  ce.  combat  terrible,  plus  qu'effrayant, 
les  combattants,  et  les  rois,  et  tes  fils  s'enfuirent,  émus 
de  crainte.   7,930. 

Seul,  l'orgueilleux  Karna,  qui  se  vante  de  sa  force  et 
de  ses  traits,  n'en  fut  aucunement  troublé  ;  il  dissipa  de 
ses  flèches  la  magie  créée  par  Ghatotkatcha.   7,931. 

Lorsqu'il  eut  vu  ses  prestiges  détruits,  celui-ci,  dans 
sa  colère,  envoya  d'épouvantables  dards,  en  son  désir 
d'arriver  à  la  mort  du  fils  de  cocher.  7,932. 

Aussitôt  qu'ils  eurent  fendu  le  corps  de  Karna,  ces 
traits,  imprégnés  de  sang,  se  plongèrent  dans  le  sein  de 
la  terre,  comme  des  serpents  irrités.  7,933. 

Étalant  son  audace,  l'auguste  fils  du  cocher  à  la  main 
légère  déchira,  dans  son  courroux,  le  Bhîmasénide  avec 
dix  flèches.   7,93Zi. 

Blessé  dans  ses  membres  par  l'Adhirathide,  Ghatotka- 
tcha, plein  de  trouble,  saisit  un  disque  céleste  à  cent 
angles,  7,935. 

Au  tranchant  de  rasoir,  orné  de  joyaux  et  de  perles, 
semblable  au  soleil  enfant  ,  et  l'envoya  irrité  au  fils 
du  cocher,  avec  le  désir  de  lui  arracher  la  vie.  7,936. 

Lancé  d'une  extrême  vitesse,  mais  abattu  par  les  flèches 
de  Karna,  ce  projectile,  sans  porter  coup,  comme  la  vo- 
lonté d'un  misérable,  tomba  sur  la  terre.  7,937. 

Bouillant  de  colère  à  la  vue  de  son  disque  renversé, 
Ghatotkatcha  couvrit  Karna  de  ses  traits  :  ainsi  Râhou 
masque  le  soleil.  7,938. 

Sans  être  ému,  le  fils  du  cocher,  qui  avait  le  courage 
d'Indra,  d'Oupéndra  et  de  Roudra,  ensevelit  rapidement 
l'Hidimbide  sous  ses  dards.   7,939. 

Alors  une  massue,  ceinte  de  bracelets  d'or,   lancée  en 


DRONA-PARVA.  265 

tournoyant  par  Ghatotkatcha,  tomba,  frappée  des  flèches 
de  l'Adhirathide.   7,940. 

Ensuite,  le  grand  magicien  s'éleva  dans  les  airs,  en 
poussant  des  cris  comme  le  nuage  de  la  mort,  et  déchaîna 
une  pluie  d'arbres  de  la  voûte  des  cieux.   7,9/11. 

Mais  Rarna  de  blesser  avec  ses  dards,  au  milieu  du 
ciel,  cet  enchanteur,  le  fils  de  Bhîmaséna,  tel  que  le  soleil 
perce  un  nuage  de  ses  rayons.   7,94*2. 

Quand  il  eut  abattu  tous  ses  chevaux  et  divisé  son  char 
en  cent  morceaux,  l'Adhirathide  répandit  une  averse  de 
llèches,  comme  un  nuage  pluvieux  verse  les  eaux.  7,943. 

Il  n'y  eut  pas  dans  le  corps  de  son  rival  un  espace  large 
de  deux  doigts  seulement,  qui  fût  exempt  de  blessures:  on 
le  vit  dans  un  moment  tel  qu'un  porc-épic,  hérissé  d'ai- 
guillons.  7,944. 

On  ne  vit,  ni  ses  chevaux,  ni  son  char,  ni  son  drapeau, 
ni  Ghatotkatcha  lui-même,  qui  ne  fussent  pas  dans  cette 
bataille  couverts  par  des  multitudes  de  flèches.  7,945. 

L'enchanteur,  détruisant  l'astra  céleste  de  l'Adhirathide 
par  un  autre,  opposa  au  fils  du  cocher  un  combat  de  ma- 
gie. 7,946. 

Il  fit  la  guerre  à  Karna  par  ses  prestiges  et  sa  légèreté  ; 
il  envoya  alors  dans  le  ciel-  des  foules  de  traits  invisibles. 

Le  Bhîmasénide,  grand  magicien,  ô  le  plus  excellent 
des  Kourouides,  fascinant  son  ennemi,  se  changea  lui- 
même  au  moyen  de  la  magie.   7,947—7,948. 

Plein  d'énergie,  il  se  donna  des  bouches  monstrueuses, 
horribles  à  voir,  et  dévora  les  astras  célestes  de  l'Adhira- 
thide. 7,949. 

On  le  vit  ensuite  tomber  sur  le  champ  de  bataille,  la 


266  LE  MAHA-BHARATA. 

vie  détruite,  le  courage  éteint,  son  vaste  corps  coupé  en 
cent  morceaux.  7,950. 

Croyant  qu'il  n'était  plus,  les  héros  de  Kourou  jetèrent 
des  cris  joyeux: -mais  il  reparut  en  toutes  les  plages  du 
ciel  avec  d'autres  corps  nouveaux.    7,951. 

Après  ce  prestige,  on  en  vit  un  autre,  Mahârâdja  ;  son 
corps  gigantesque  avait  une  centaine  de  ventres  et  cent 
têtes,  comme  le  mont  Maînaka.  7,952. 

Puis,  le  Rakshasa  de  nouveau  se  montra  avec  la  taille 
d'un  pouce  seulement  :  tel  que  s'il  était  soulevé  par  une 
vague  au  sein  des  mers,  tantôt  il  était  de  travers,  et  tantôt 
il  surnageait  à  la  surface,  7,953. 

On  le  vit  encore  fendre  la  terre  et  se  plonger  dans  les 
eaux  ;  puis,  en  resortir  et  se  montrer  d'un  autre  côté  ! 

Lorsque,  revêtu  de  sa  cuirasse,  il  eut  parcouru  la  terre, 
les  airs  et  les  plages  du  ciel,  il  en  redescendit  et  se  tint 
dans  son  char,  ornementé  d'or.   7,954 — 7,955. 

Le  visage  paré  de  pendeloques  vacillantes,  il  s'avança 
vers  le  char  de  Rarna,  et  tint,  souverain  des  hommes,  ce 
langage  au  fils  du  cocher  :   7,956. 

«  Reste  maintenant  !  Où  t'en  iras-tu  vivant,  échappé 
de  mes  mains?  Je  conduirai  aujourd'hui  même  pour  toi, 
fils  du  cocher,  la  cérémonie  funèbre  du  combat  sur  le 
champ  de  bataille!  »   7,957. 

A  ces  mots,  le  Rakshasa  au  courage  terrible,  ses  yeux 
rouges  de  colère,  prit  son  essor  dans  les  airs  et  se  mit  à 
rire  d'une  manière  éclatante.  7,958. 

Ghatotkatcha  de  frapper  Karna,  comme  un  lion  s'élance 
sur  un  Indra  des  éléphants,  et  de  verser  sur  le  plus  excel- 
lent des  maîtres  de  chars  une  pluie  de  flèches,  grandes 


DRONA-PARVA.  267 

comme  les  roues  d'un  char:  tel  un  nuage  répand  ses 
gouttes  d'eau.  L'Adhirathide  abattit  une  averse  de  traits, 
venus  de  loin.   7,959 — 7,960. 

Quand  il  vit  Karna  détruire  son  prestige,  Ghatotkatcha 
disparut,  et  manifesta  une  nouvelle  illusion.   7,961. 

On  vit  se  dresser  une  montagne  très-élevée,  dont  les 
arbres  rendaient  les  sommets  impraticables  :  il  y  avait  une 
grande  cataracte,  où  les  tridents,  les  traits  barbelés,  les 
épées,  les  massues  remplaçaient  la  chute  des  eaux.  7,962. 
Dès  qu'il  vit  cette  montagne,  roulant  des  armes  terribles 
dans  ses  cascades,  ressembler  à  une  masse  de  collyre, 
Karna  n'en  fut  nullement  ému.   7,963. 

Il  produisit  en  riant  un  astra  céleste  et,  renversée  par 
lui,  la  reine  des  montagnes  périt.  7,964. 

Ensuite  le  très-épouvantable  enchanteur,  s'étant  méta- 
morphosé en  un  sombre  nuage,  sur  leçjuel  était  peint  l'arc 
d'Indra,  inonda  le  fils  du  cocher  avec  une  pluie  de  rocs  et 
de  pierres.   7,965. 

Le  fils  du  Soleil,  Karna-Vrisha,  le  plus  habile  des 
hommes  versés  dans  les  astras,  encocha  l'astra  du  vent  et 
dissipa  ce  nuage  de  la  mort.  7,966. 

Il  couvrit  de  tous  côtés  les  plages  du  ciel  avec  la  foule 
de  ses  flèches,  et  paralysa,  grand  roi,  l'astra,  qu'avait 
envoyé  le  Bhîmasénide  à  la  grande  force.  Celui-ci,  en 
riant,  de  manifester  dans  le  combat  une  puissante  magie 
contre  le  fameux  héros,  son  rival.  7,967—7,968. 

Lorsqu'il  vit  le  meilleur  des  maîtres  de  chars,  Ghatot- 
katcha sans  émotion  s'avancer  de  nouveau  sur  un  char, 
environné  de  nombreux  Rakshasas,  7,969. 

Portés  sur  l'échiné  des  coursiers,  montés  en  des  chars, 
ou  se  tenant  sur  des  éléphants,  semblables  à  des  probos- 


268  LE  MAHA-BHARATA. 

cidiens  en  rut  et  tels  que  des  tigres  ou  des  lions  ;  7,970. 

Lorsqu'il  le  vit  entouré  de  ces  terribles  guerriers,  ar- 
més de  traits  variés,  avec  des  ornements  et  des  cuirasses 
de  toutes  les  sortes,  comme  Indra  marche  escorté  des 
Vents,  7,971. 

Karna  au  grand  arc  combattit  le  Rakshasa,  et  Ghatot- 
katcha  le  blessa  de  cinq  flèches.   7,972. 

Il  poussa  un  cri  épouvantable,  effrayant  tous  les 
princes  ;  et,  redoublant  ses  coups,  il  trancha  lestement 
avec  force,  d'un  andjalika,  l'arc  placé  dans  la  main  de 
Karna,  avec  le  faisceau  de  ses  dards.  Celui-ci  prit  un  nou- 
vel arc  grand,  solide,  capable  de  supporter  une  charge, 
élevé  comme  l'arme  d'Indra  ;  mais  l'autre  le  coupa  vigou- 
reusement dans  le  poing  de  Karna,  qui  décocha,  puis- 
sante majesté,  des  flèches,  7,973—7,974—7,975. 

Empennées  d'or,  homicides  de  l'ennemi,  volant  au  sein 
des  airs,  aux  plus  vaillants  des  Rakshasas.  En  proie  à  ces 
dards,  la  horde  des  Rakshasas  à  la  poitrine  tannée  7,976. 

Fut  comme  un  troupeau  confus  d'éléphants  sauvages, 
attaqués  par  un  lion.  Quand  l'auguste  eut  dispersé  de  ses 
flèches  les  Rakshasas  avec  leurs  chevaux,  leurs  cochers  et 
leurs  éléphants,  6,977. 

Gomme  le  vénérable  Feu,  qui  incendie  les  êtres  à  la  fin 
d'un  youga,  le  fils  du  cocher,  destructeur  de  l'armée 
Rakshasane,  resplendit,  7,978. 

Tel  que  le  Dieu  Mahéçwara,  après  qu'il  eut  jadis  brûlé 
dans  les  cieux  la  ville  de  Tripoura.  Entre  ces  milliers  de 
monarques  et  de  Pândouides,  respectable  roi,  7,979. 

Qui  que  ce  fût  ne  pouvait  fixer  les  yeux  sur  lui,  puis- 
sant seigneur,  excepté  Ghatotkatcha  à  la  grande  force, 
l' Indra  des  Rakshasas,  doué  de  la  vigueur  de  Bhîmaséna, 


DRONA-PARVA.  269 

irrité  comme  la  mort  en  personne  !  La  colère  fit  naître  le 
feu  dans  ses  deux  yeux,  comme  la  flamme  fait  poindre  des 
gouttes  de  résine  à  deux  grandes  torches.  Frottant  l'une 
avec  l'autre  les  deux  paumes  de  ses  mains  et  mordant  ses 
lèvres,  7,980—7,981—7,982. 

LHidimbide  monta  dans  son  chariot,  créé  par  la  ma- 
gie, attelé  de  chevaux,  pareils  à  des  éléphants,  et  d'ânes 
aux  visages  de  Piçâtchas.   7,983. 

Il  dit  avec  colère  à  son  cocher:  «  Conduis-moi  vers 
l'Adhirathide  !  »  Et  le  plus  excellent  des  maîtres  de  chars 
s'en  fut  avec  son  char  livrer,  souverain  des  hommes,  un 
duel  en  chars  au  fils  du  cocher.  Le  Rakshasa  de  lancer  à 
Râdhéya  une  foudre  à  huit  disques  aigus,  toute  remplie 
d'épouvante  et  forgée  par  Çiva  lui-même.  Ayant  sauté  à 
bas  de  son  char,  où  il  avait  déposé  son  arc,  Karna  reçut 
le  tonnerre  ;  7,984— 7,985— 7,986. 

Et  renvoya  son  arme  au  Rakshasa.  Celui-ci  de  s'élancer 
hors  de  son  char  léger.  Quand  le  trait  à  la  grande  splen- 
deur eut  mis  en  cendres  sa  voiture,  son  drapeau,  son 
cocher  et  ses  chevaux, 

Il  fendit  la  terre  et  s'y  plongea.  Tous  les  Dieux  furent 
saisis  d'étonnement,  et  soudain  tous  les  êtres  applaudirent 
à  Karna,  parce  qu'il  était  sauté  à  bas  de  son  char,  et  qu'il 
avait  rempaumé  la  grande  foudre,  ouvrage  du  Dieu  des 
Dieux.  Après  cette  prouesse  dansle combat, l'Adhirathide 
remonta  dans  son  char,  7,987—7,988—7,989. 

Ei,  homicide  des  ennemis,  il  se  mit  à  décocher  des 
traits  acérés.  Nul  autre  parmi  tous  les  êtres  ne  peut  ac- 
complir, ô  toi,  qui  donnes  l'honneur,  ce  que  Râdhéya 
exécuta  alors  dans  ce  combat  à  l'aspect  épouvantable. 
Frappé  de  ses  nârâtchas,  comme  une  montagne  l'est  par 
les  eaux  de  la  pluie,  7.990 — 7,991. 


270  LE  MAHA-BHARATA. 

Son  char,  qui  avait  les  formes  de  la  ville  des  Gandhar- 
vas,  disparut  de  nouveau.  C'est  ainsi  que  ce  grand  magi- 
cien, destructeur  des  ennemis,  réduisait  à  néant  ces  astras 
divins  par  sa  magie  et  sa  légèreté.  Malgré  que  ses  astras 
fussent  neutralisés  par  la  magie  du  Rakshasa, 

7,992—7,993 
Rarna  sans  trouble  combattait  avec  lui.  Irrité,  Mahâ- 
râdja,  le  Bhîmasénide  à  la  grande  force,  7,994. 

Jetant  la  terreur  parmi  les  grands  héros,  se  multiplia 
soi-même.  Alors  on  vit  accourir  de  compagnie  les  hyènes, 
les  tigres,  les  lions,  des  serpents  aux  langues  de  feu,  des 
oiseaux  à  la  tête  de  fer.  Submergé  des  flèches,  envoyées 
par  l'arc  de  Karna,  7,995 — 7,996. 

Le  Démon  à  l'aspect  semblable  au  roi  des  montagnes 
disparut  encore  une  fois.  Des  Rakshasas,  des  Piçâtchas  et 
des  Yâtoudhânas,  7,997. 

Des  chacals  et  des  loups  en  grand  nombre  à  la  gueule 
difforme  accoururent  de  tous  les  côtés,  fondant  sur  Rarna 
comme  pour  le  dévorer.   7,998. 

Ils  cherchèrent  à  l'effrayer  avec  leurs  menaces  et  leurs 
cris  épouvantables;  mais  Rarna  les  blessa- tous  indivi- 
duellement avec  plus  d'une  flèche  et  par  ses  armes  levées, 
nombreuses,  terribles,  humides  de  sang  ;  il  opposa  à  la 
magie  Rakshasique  les  coups  de  son  astra  céleste. 

7,999—8,000. 
Il  immola  ses  formidables  coursiers  avec  des  flèches  aux 
nœuds  inclinés  ;  et  les  chevaux  rompus,  les  membres  dé- 
truits, le  dos  mis  en  lambeaux  par  les  flèches,  8,001. 

Tombèrent  sur  la  terre  sous  les  yeux  du  Rakshasa. 
L'Hidimbide,  qui  voyait  sa  magie  paralysée,  dit  à  Rarna, 
le  fils  du  Soleil  :  «  Celui,  qui  te  parle,  a  juré  ta  mort  !  » 
Et,  ce  disant,  il  disparut.  8,002—8,003. 


DRONA-PARVA.  271 

Tandis  que  le  combat  du  Rakshasa  et  de  Karna  se  dé- 
roulait ainsi,  le  roi  des  Rakshasas,  le  vigoureux  Alâyou- 
dha  s'approche  8,004. 

A  la  tête  d'une  nombreuse  armée,  environné  par  des 
milliers  de  Rakshasas  hideux,  tous  héros,  tous  portant  des 
formes  variées  ;  il  se  rendit  auprès  de  Souyodhana.  Il 
n'avait  pas  oublié  son  ancienne  inimitié;  en  effet,  le 
vaillant  Vaka,  le  mangeur  de  brahmes,  était  de  sa  famille. 

8,005—8,006. 

//  comptait  parmi  ses  parents  Kirmîra  à  la  grande 
splendeur,  il  avait  eu  Hidimba  pour  ami  ;  et,  depuis  long- 
temps, il  gardait  le  souvenir  de  cette  vieille  haine.  8,007. 

Ayant  eu  connaissance  de  ce  combat  de  nuit,  il  désirait 
tuer  Bhîmaséna  dans  cet  engagement.  Tel  qu'un  éléphant 
en  rut  ou  comme  un  serpent  irrité,  8,008. 

Aspirant  à  cette  bataille,  il  tint  ce  langage  à  Douryo- 
dhana  :  «  Il  est  connu  de  toi,  grand  monarque,  que  Bhîma 
fit  mordre  la  poussière  à  ces  Rakshasas,  mes  parents,  Hi- 
dimba, Vaka  et  Kirmîra,  que  le  choix,  fait  jadis  par  la 
jeune  Hidimbâ,  montra  son  dédain  pour  nous  autres  Rak- 
shasas :  quelle  autre  chose  te  dirai -je  ?  Je  suis  venu  ici 
de  ma  seule  volonté  pour  tuer  cet  Hidimbide  avec  ses  con- 
seillers, son  armée,  ses  éléphants,  ses  chars  de  guerre  et 
ses  chevaux  !  Aujourd'hui,  quand  j'aurai  immolé  tous  ces 
fils  de  Kountî,  à  commencer  par  le  Vasoudévide,  je  les 
dévorerai  avec  tous  leurs  suivants.  Arrête  cette  armée  en- 
tière; nous  combattrons,  nous,  avec  les  Pàndouides!  » 
{De  la  stance  8,009  à  la  stance  8,014.) 

Joyeux  de  ces  paroles  entendues,  Douryodhanadel'em- 
brasser  et  de  lui  répondre,  environné  de  ses  frères  : 

«  Nous  te  mettrons  au  premier  rang  et  nous  combat- 


272  LE  MAHA-BHARATA. 

trons  les  ennemis  :  certes  !  mes  guerriers  tiendront  main- 
tenant le  pied  firme,  et  leur  esprit  ne  sera, plus  tourné 
vers  la  fin  de  cette  guerre  !  »  8,014—8,015. 

«  Qu'il  en  soit  ainsi  !  »  répondit  au  roi  le  plus  grand 
des  Rakshasas  ;  et,  environné  de  ses  antropophages,  il  se 
hâta  de  se  rendre  vers  Bhîmaséna.  8,016. 

Le  corps  flamboyant  et  monté  sur  un  char  couleur  du 
soleil,  tel  enfin,  Indra  des  rois,  qu'était  Ghatotkatcha  lui- 
même.   8,017. 

Son  grand  char,  peint  de  nombreuses  arcades,  mesurait 
un  nalva  ;  toutes  ses  parties  étaient  couvertes  avec  des 
cuirs  de  taureaux,  et  son  retentissement  était  égal  à  celui 
du  char  de  l'Hidimbide.   8,018. 

Son  attelage  de  cent  chevaux  aux  grands  corps,  à  la 
taille  d'éléphants,  aux  pieds  agiles,  au  bruit  immense,  ti- 
raient leur  nourriture  de  la  chair  et  du  sang.   8,019. 

Le  roulement  de  son  char  était  semblable  au  fracas  des 
grands  nuages  ;  son  arc  était  sans  mesure,  sa  corde  ferme 
et  très-forte.  8,0*20. 

Ses  flèches,  empennées  d'or,  aiguisées  sur  la  pierre, 
étaient  pareilles  à  des  roues.  C'était,  comme  Ghatotkatcha, 
un  héros  aux  longs  bras.   8,021. 

Les  chacals  et  les  corneilles  respectaient  son  drapeau, 
égal  au  soleil  ou  à  la  flamme  :  sa  bouche,  plus  heureuse 
par  la  forme  que  celle  de  Ghatotkatcha  (?)  était  flam- 
boyante d'un  feu  troublé.  8,022. 

11  portait  des  bracelets  flamboyants,  un  bouquet  de 
fleurs  et  un  diadème  flamboyant;  une  guirlande  était  liée  à 
son  turban  ;  il  était  ceint  d'un  cimeterre.  Armé  d'une  mas- 
sue, d'un  bhouçoundi,  d'un  pilon,  d'un  soc  de  charrue, 
d'un  arc,  la  duretéde  son  corps  valait  une  cuirasse.  8,023. 


DRONA-PARVA.  273 

Errant  çà  et  là  sur  son  char  à  la  splendeur  du  feu,  et 
mettant  l'armée  des  Pândouidesen  déroute,  il  brillait  dans 
le  combat,  tel  qu'au  milieu  des  cieux  un  nuage  par  sa 
guirlande  d'éclairs.   8.02/j. 

Les  plus  grands  rois  à  la  force  immense,  revêtus  de 
cuirasses  et  portant  des  boucliers,  les  vaillants  guerriers 
des  Pândouides  combattirent  de  tous  les  côtés,  remplis 
d'ardeur.   8,025. 

Aussitôt  qu'ils  virent  ce  héros  aux  œuvres  épouvan- 
tables arrivé  dans  le  combat,  tous  les  Kourouides  ressen- 
tirent de  la  joie  ;  8,02(5. 

Et  tes  fils,  Douryodhana  à  leur  tête,  ayant  rencontré  ce 
navire,  lorsqu'ils  étaient  sans  barque,  eurent,  en  quelque 
sorte,  le  désir  de  traverser  cette  mer.  8,027. 

Tous  les  princes  alors,  se  regardant  comme  des  morts, 
rendus  à  la  vie,  applaudirent  à  l'Indra  des  Rakshasas, 
Alâyoudha,  par  des  acclamations  de  bien-venue.   8,028. 

Tandis  que  ce  combat,  qui  n'avait  rien  d'humain  et  qui 
inspirait  l'effroi,  se  déroulait  entre  Karna  et  le  Rakshasa, 
cette  nuit  prit  un  aspect  épouvantable.  8,029. 

Les  Pântchâlains  et  l'assemblée  des  rois  regardèrent 
en  souriant  avec  mépris  (1)  ;  et  tes  fils,  jetant  les  yeux  (2) , 
çà  et  là,  Drona,  Açwatthâman,  Kripa  et  les  autres,  s'é- 
crièrent avec  émotion,  à  la  vue  de  cette  prouesse  de  l'Hi- 
dimbide  sur  le  champ  de  bataille  :  «  Ce  n'est  pas  postule!» 

Tout  était  dans  le  trouble,  hors  de  soi-même  et  s'écriait  : 
«  Hélas  !  hélas  !  »  Ton  armée  perdit  alors  toute  espérance, 
Mahârâdja,  pour  la  vie  de  Karna.  8,030—8,031 — 8,032. 

(1)  De  quoi  s'agit-il  ?  Quelle  est  celte  prouesse    de    l'Hidimbide  ?  Cela 
ne  se  lie  pas  avec  ce  qui  précède:  il  y  aurait  donc  ici  une  lacune? 

(2)  Vikshamânds,  texte  de  Bombay. 

ix  48 


274  LE  MAHA-BHARATA. 

Quand  Douryodhana  le  vit  tombé  au  fond  de  cette  in- 
fortune, il  appela  Alâyoudha,  l'Indrâ  des  Rakshasas,  et 
lui  dit  ces  mots  :  8,033. 

«  Voici  le  fils  du  Soleil,  Karna,  qui  en  est  venu  aux 
mains  avec  l'Hidimbide;  il  accomplit  dans  le  combat  une 
œuvre  immense  et  qui  est  digne  de  lui-même.   8,034. 

»  Vois  ces  vaillants  princes  immolés  sous  les  flèches 
variées  du  Bhîmasénide,  comme  des  arbres,  qu'un  élé- 
phant a  frappés.   8,035. 

»  C'est  un  lot,  que  je  t'ai  réservé  entre  tous  les  rois 
dans  le  combat  ;  marche  donc  hardiment,  héros,  avec  ma 
permission,  et  tue  ce  Rakshasa,   8,036. 

»  Avant  que  ce  criminel  Ghatotkatcha,  appuyé  sur  la 
puissance  de  sa  magie,  ô  toi,  qui  traînes  les  cadavres  des 
ennemis,  n'ait  immolé  Karna,  le  fils  du  Soleil  !  »   8,037. 

A  ces  mots  du  roi,  le  Rakshasa  aux  longs  bras,  au  bouil- 
lant courage,  lui  répondit  :  «  Il  en  sera  ainsi  !  »  et  fondit 
sur  Ghatotkatcha.  8,038. 

Le  Bhîmasénide  alors,  abandonnant  Karna,  broya  de 
ses  flèches,  majesté,  le  nouvel  ennemi,  qui  s'avançait. 

11  s'éleva  entre  ces  deux  rois  irrités  des  Rakshasas  un 
combat  tel  que,  dans  une  forêt,  celui  de  deux  éléphants 
en  rut,  aux  fumées  de  leur  mada.   8,039 — 8,040. 

Délivré  du  Rakshasa,  le  meilleur  des  maîtres  de  chars, 
Karna  de  s'avancer  vers  Bhîmaséna  sur  son  char,  flam- 
boyant comme  le  soleil.  8,041 

Sans  tenir  compte  du  héros,  qui  s'approchait,  dès  qu'il 
vit  Alâyoudha,  qui  dévorait  Ghatotkatcha  dans  le  combat, 
de  même  qu'un  lion  dévore  un  taureau,  chef  d'un  trou- 
peau, 8,042. 

Le  plus  vaillant  des  combattants,  Bhîma,  sur  son  char, 


DRONA-PARVA.  "275 

semblable  au  soleil,  s'avança,  dispersant  des  multitudes 
de  traits,  vers  le  char  d'Alâyoudha.   8,043. 

Aussitôt  qu'il  le  vit  s'approcher,  Àlâyoudha,  seigneur, 
abandonnant  alors  son  combat  avec  Ghatotkatcha,  marcha 
à  la  rencontre  de  Bhîmaséna.   8,044. 

Le  destructeur  des  noctivagues,  celui-ci,  l'affrontant 
soudain,  ensevelit  sous  des  pluies  de  traits  l'Indra  des 
Rakshasas  et  ses  gens.   8,045. 

De  même,  le  dompteur  des  ennemis,  Alâyoudha,  l'ayant 
déchiré  de  ses  flèches  reluisantes,  en  fit  tomber  mainte  et 
mainte  pluie  sur  le  fils  de  Kountî.   8,046. 

Tous  les  horribles  Rakshasas,  portant  des  traits  divers 
et  désirant  (1)  la  mort  de  tes  fils,  s'élancèrent  contre  Bhî- 
maséna.  8,047. 

Blessé  par  des  traits  nombreux,  ce  bien  vigoureux  les 
perça  tous  individuellement  de  cinq  dards  acérés.  8,048. 

Combattus  par  Bhîma,  tous  les  Rakshasas  aux  âmes 
cruelles  jetèrent  de  grands  cris  et  s'enfuirent  aux  dix 
points  de  l'espace.   8,040. 

Lorsque  le  Démon  à  la  grande  force  les  vit  terrifiés  par 
ce  héros,  il  courut  avec  rapidité  et  le  couvrit  de  ses 
flèches.   8,050. 

Bhîmaséna  le  frappa  dans  le  combat  de  ses  traits  à  la 
pointe  acérée.  Alâyoudha  ensuite,  des  traits  envoyés  par 
l'ennemi  sur  le  champ  de  bataille,  8,051. 

Trancha  les  uns  avec  hâte  et  reçut  les  autres.  Quand 
Bhîma  au  courage  épouvantable  eut  vu  cet  Indra  des 
Rakshasas  agir  ainsi,  8,05*2. 

1)  Djaynlshiaas.  texte  «Je  Bombay 


276  LE  MAHA-BHARATA. 

11  lui  expédia  une  massue  au  vol,  semblable  à  la  chute 
de  la  foudre.  Vautre  de  frapper  avec  sa  massue  la  massue 
pleine  de  flamme,  qui  accourait  avec  rapidité,  et  le  pilon 
de  continuer  sa  course  vers  Bhîma.  Le  fils  de  Kountî 
submergea  de  ses  pluies  de  flèches  l'IndradesRakshasas. 
Les  Pântchâlains,  les  Srindjayas,  les  coursiers,  les  élé- 
phants de  la  plus  haute  taille,  8,053-8,054-8,055-8,056. 

Chargés  lourdement  par  les  Rakshasas,  ne  purent  ob- 
tenir là  un  moment  de  tranquillité.  Quand  il  vit  ce  grand 
combat  devenu  très-épouvantable,  8,057. 

Krishna,  le  plus  éminent  des  hommes,  tint  ce  langage 
à  Dhanandjaya  :  «  Vois  Bhîma  aux  longs  bras,  qui  tombe 
sous  le  pouvoir  de  l'Indra  des  Rakshasas  !  8,058. 

»  Suis  les  pas  de  ce  héros,  sans  balancer,  Pândouide  ! 
que  Dhrishtadyoumna  et  Çikhandî,  que  Youdhâmanyou 
et  Outtamaâudjas  de  compagnie,  que  les  grands  héros 
Draâupadéyains  aillent  affronter  Karna  !  Que  Nakoula, 
Sahadéva  et  le  vigoureux  Youyoudhâna  immolent,  d'après 
ton  ordre,  Pândouide,  les  autres  Rakshasas.  Arrête, 
guerrier  aux  longs  bras,  cette  armée,  qui  a  mis  à  sa  tête 
Drona;  car  un  grand  danger  nous  menace,  terrible  héros  !  » 
A  ces  paroles,  les  plus  vaillants  des  chars,  suivant  l'ordre, 
qu'ils  en  avaient  reçu  de  Krishna, 

8,059—8,060—8,061—8,062, 

Se  portèrent  dans  le  combat  vers  Karna,  le  fils  du  So- 
leil, et  vers  les  autres  Rakshasas.  L'auguste  Indra  des 
noctivagues  trancha  l'arc  de  Bhîma,  en  lui  adressant  des 
flèches  longues,  puissantes,  semblables  à  des  serpents. 
Le  vigoureux  monarque  tua  de  ses  traits  aigus  ses  chevaux 
et  son  cocher,  malgré  tous  les  efforts  de  Bhîmaséna  dans 


DRONA-PARVA.  277 

la  bataille^  Celui-ci.  qui  avait  perdu  son  cocher  et  de  qui 
les  chevaux  étaient  immolés,  s'élança  hors  du  banc  de 
son  char.  8,063—8,064—8,065. 

Il  poussa  un  cri  et  lui  envoya  sa  massue  pesante,  épou- 
vantable. Le  terrible  Rakshasa  de  frapper  avec  son  pilon 
cette  grande  arme,  qui  volait  avec  un  bruit  effrayant,  et 
de  jeter  un  cri  de  victoire.  Quand  il  vie  l'œuvre  du  roi  des 
Rakshasas,  glaçant  d'une  profonde  terreur, 

8,066—8,067. 

Bhîmaséna,  l'âme  pleine  d'ardeur,  saisit  une  massue 
formidable.  Ce  fut  alors  une  bataille  tumultueuse  que  ce 
combat  de  l'homme  et  du  Rakshasa,  8,068. 

Qui  ébranlaient  profondément  la  terre  du  bruit  de  leurs 
massues  déchargées.  Ces  deux  héros,  quittant  leurs  pi- 
lons, s'approchèrent  enfin  l'un  vers  l'autre  ;  8,069. 

Et  réciproquement  se  frappèrent  avec  leurs  poings,  qui 
avaient  le  bruit  de  la  foudre.  Pleins  de  colère,  ils  pre- 
naient tout  ce  qui  se  trouvait  sous  la  main,  les  roues  de 
char,  les  attaches  au  joug,  les  galeries  des  voitures,  les 
bancs,  les  armes  de  rechange,  et  s'en  portaient  des  coups 
mutuels.  Ruisselant  de  sang,  s'étreignant  l'un  l'autre,  ils 
s' entretiraient  comme  deux  gigantesques  éléphants.  A 
ce  spectacle,  Hrishîkéça,  qui  se  plaisait  dans  le  bien  des 
Pândouides,  8,070—8,071-8,072. 

Excita  l'Hidimbide  à  défendre  Bhîmaséna,  8,073. 

Dès  qu'il  vit  Bhîma,  que  le  Rakshasa  était  près  de  dé- 
vorer dans  le  combat,  le  Vasoudévide  adressa  ces  paroles 
à  Ghatotkatcha  :  8,07/i. 

«  Vois,  guerrier  aux  longs  bras,  Bhîma,  que  ce  Démon 
va  dévorer  dans  la  bataille  aux  yeux  de  tous  les  combat- 
battants  et  sous  tes  regards,  héros  à  la  grande  splen- 
deur !  8,075. 


278  LE  MAHA-BHA1UTA. 

»  Laisse  Karna!  et  couche  mort  sur  la  terre  Alàyoudha, 
héros  aux  longs  bras,  avant  que  ce  roi  des  Rakshasas  n'ait 
immolé  Karna!  »   8,876. 

A  ces  mots  du  Vrishnide,  le  vigoureux  Ghatotkatcha. 
le  cousin  (1)  de  Vaka,  abandonnant  Karna,  combattit  avec 
l'Indra  des  Rakshasas.   8,077. 

Horrible  et  tumultueux  était  le  combat  de  ces  deux 
héros,  l'Hidimbide  et  le  Rakshasa  Alàyoudha  au  milieu  de 
lannit.  8,078. 

L'héroïque  Youyoudhâna  irrité,  ses  arm?s  à  la  main. 
Nakoula  et  Sahadéva  blessèrent  de  leurs  flèches  acérées 
les  Rakshasas  d' Alàyoudha,  vaillants  guerriers,  à  l'aspect 
épouvantable,  accourant  avec  rapidité,  l'arc  au  poing. 

Disséminant  ses  traits  de  tous  les  côtés,  sire,  Bîbhatsou 
à  la  tiare  abattit  à  la  ronde  sur  le  champ  de  bataille  tous 
ces  éminents  kshatryas;  8,079—8,080—8,081. 

Et  Karna  dispersa  en  fuite  Dhrishtadyoumna,  Çikhandî 
et  les  autres  princes  et  grands  héros  des  Pàntchàlains. 

A  peine  Bhîma  au  courage  épouvantable  les  eut-il  vus 
taillés  en  pièces,  il  s'approcha  à  la  hâte  de  l'Adhirathide. 
qu'il  couvrit  de  ses  flèches  dans  le   combat. 

Alors,  victorieux  des  Rakshasas,  Nakoula,  Sahadéva 
et  le  grand  héros  Sâtyaki  s'avancèrent  vers  le  lieu  où  était 
le  fils  da  cocher.   8,082— 8,083— 8,084. 

Les  Pàntchàlains  combattirent  Karna  et  Drona  lui- 
même.  Alàyoudha  irrité  frappa  à  la  tête  avec  une 
massue  gigantesque  Ghatotkatcha,  le  dompteur  des 
ennemis.  Par  ce  coup,  le  vigoureux  Bhîmasénide  à  la 
grande  énergie  fut  étourdi,  et  son  âme  resta  un  instant 
frappée  de  stupeur.  Ensuite,  il  lui  expédia  une  massue 

■1)  Littéralement:  le  frère. 


DRONA-PARVA.  279 

ornementée  d'or,  embellie  par  cent  clochettes  et  sem- 
blable au  feu  allumé.  Lancée  rapidement  par  le  Démon 
aux  actes  épouvantables,  elle  réduisit  en  menus  fragments 
son  char  sonore,  son  cocher  et  ses  chevaux.  S' appuyant 
sur  la  magie  rakshasane  ,  il  s'élança  lestement  à  bas  de 
son  char,  qui  avait  son  timon  et  son  drapeau  fracassés, 
ses  moyeux,  ses  roues  et  ses  chevaux  brisés.  Recourant  à 
ses  prestiges,  il  lit  pleuvoir  un  torrent  de  sang.  (De  lu 
Hance  8,085  à  la  stance  8,091.) 

Le  ciel,  rempli  de  nuages  ténébreux,  était  illuminé  d'é- 
clairs, et  le  fracas  du  tonnerre  accompagnait  la  chute  ré- 
pétée de  la  foudre.  8,091. 

Un  vaste  cliquetis  d'armes  régnait  alors  dans  ce  combat. 
Quand  le  Rakshasa  vit  ses  prestiges  détruits  par  son  rival, 

L'Hidimbide  s'élança  dans  les  airs  et  paralysa  la  magie 
par  une  autre  magie.  Aussitôt  qu'il  vit  ses  illusions  ren- 
dues vaines  par  les  illusions  de  son  antagoniste, 

Il  fit  crever  l'orage  d'une  confuse  pluie  de  pierres  sur 
Ghatotkatcha.  Mais  le  vigoureux  dispersa  dans  toutes  les 
plages  du  ciel  par  ses  grêles  de  flèches  cette  effroyable 
averse  de  rochers  :  ce  fut  comme  un  prodige.  Ensuite,  ils 
déversèrent  l'un  sur  l'autre  les  pluies  de  divers  traits  : 
8,092— 8,093— 8,09/»—8,095. 

Des  pilons  en  fer,  des  lances,  des  massues,  des  mou- 
shalas,  des  maillets  d'armes,  des  tridents,  des  glaives,  des 
leviers  en  fer,  des  traits  barbelés  et  des  kampanas,  8,096. 

Des  nâràtchas,  des  bhallas  aigus,  des  flèches,  des  dis- 
ques de  guerre  et  des  haches,  des  boulets  de  fer,  des  bhin- 
dipâlas,  des  tètes-de-taureau  et  des  hibous  (1)   mêmes. 

(i)  Noms  de  différents  traits. 


280  LE  MAHA-BHARATA. 

De  fortes  branches,  qu'ils  arrachaient,  et  des  arbres 
variés,  qu'ils  déracinaient,  tels  que  des  acacias,  des 
pilous,  des  karils  et  des  champakas,  8,097 — 8,098. 

Des  ingoudis,  des  jujubiers,  des  ébéniers  en  fleurs,  des 
butéas  feuillus,  des  mimosas  fétides,  deshibisques  popul- 
néïdes,  des  nyagrodhas  et  des  figuiers  religieux.   8,099. 

11  se  frappaient  l'un  l'autre  en  ce  combat  avec  de 
grandes  cîmes  de  montagnes  diverses,  couvertes  de  nom- 
breux métaux.  8,100. 

Ils  produisaient  un  vaste  bruit,  comme  deux  tonnerres, 
qui  frappent.  Ce  combat  singulier  du  Bhîmide  et  d'A- 
lâyoudha,  sire,  fut  épouvantable  et  tel  que  fut  jadis  le 
duel  des  rois  simiens,  Bâli  et  Sougrîva.  Tous  deux  armés 
de  cimeterres,  ils  se  frappaient  l'un  l'autre  en  cette  ba- 
taille, tenant  à  la  main  différentes  armes  et  des  flèches 
acérées.  Ces  deux  athlètes  à  la  vigueur  immense  couru- 
rent se  prendre  mutuellement  aux  cheveux. 

8,101—8,102—8,103. 

Le  corps  brisé,  ils  versaient  la  sueur  à  flots;  et  le  sang 
coulait  de  leurs  vastes  membres ,  comme  la  pluie  dégoutte 
de  deux  nuages.  8,10/i. 

Soudain  l'Hidimbide  s'élance  avec  rapidité,  fait  tourner 
le  nocti vague  sur  lui-même,  l'abat  sous  le  poids  de  sa 
force  et  lui  tranche  sa  grande  tête.  8,105. 

Quand  il  eut  enlevé  au  corps  ce  chef,  orné  de  brillantes 
pendeloques,  le  Bhîmasénide  aux  vastes  forces  jeta  un 
cri  de  victoire  avec  toute  l'ampleur  de  sa  voix.  8,106. 

Dès  qu'ils  virent  mort  ce  géant,  dompteur  des  ennemis, 
ce  parent  de  Vaka,  les  Pântchâlains  et  les  Pândouides 
poussèrent  à  Cenvi  leurs  cris  de  guerre.   8,107. 

Les  enfants  de  Pândou  firent  parler  des  milliers  de  tam- 


DRONA-PARVA.  281 

bours  et  des  myriades  de  conques  pour  célébrer  la  chute 
de  ce  Rakshasa.  8,108. 

Cette  nuit,  qui  leur  apportait  la  victoire,  brillait  du 
plus  vif  éclat,  illuminée  de  tous  les  côtés  par  des  guir- 
landes de  lanternes.  8,109. 

Le  Bhîmasénide  à  la  grande  force  de  jeter  la  tête  d'A- 
lâyoudha  mort  sous  les  yeux  de  Douryodhana.  8,110. 

Celui-ci  à  la  vue  de  ce  héros,  privé  de  la  vie,  fut,  avec 
son  armée,  Bharatide,  en  proie  à  la  plus  vive  terreur. 

Car,  venu  au  camp  de  lui-même,  poussé  par  le  souvenir 
de  son  ancienne  inimitié,  il  avait  promis  qu'il  tuerait  Bhî- 
maséna  dans  la  bataille.    8,111 — 8,112. 

Et  le  monarque  regardait  Viikaudara comme  déjà  tombé 
sous  ses  coups  certains,  et  ses  frères  à  lui  comme  assurés 
d'une  longue  vie.  8,113. 

Mais  à  présent  qu'il  voyait  ce  héros  immolé  par  le  fils 
de  Bhîmaséna,  il  lui  semblait  au  contraire  que  c'était 
Bhîmaséna  lui-même,  qui  avait  déjà  rempli  sa  promesse. 

Après  qu'il  eut  tué  Alâyoudha,  Ghatotkatcha,  l'âme 
joyeuse  et  placé  à  la  tête  de  l'armée,  salua  son  triomphe 
par  différents  cris.  8,11  h — 8,115. 

A  l'audition  de  cette  clameur  tumultueuse,  qui  ébran- 
lait les  éléphants,  une  terreur  bien  épouvantable,  grand 
roi,  se  glissa  parmi  les  tiens.  8,116. 

Lorsqu'il  avait  vu  Alâyoudha  s'attacher  au  vigoureux 
Bhîmasénide,  Karna  aux  longs  bras  s'était  élancé  contre 
les  Pântchâlains.   8,117. 

Il  déchira  Dhrishtadyoumna  et  Çikhandi  chacun  avec 
dix  flèches, qu'il  envoya  longues,  solides,  fortes,  aux  nœuds 
inclinés.   8,118. 

Ensuite,  de  ses  nârâtchas  supérieurs,  il  ébranla  You- 


282  LE  MAHA-BHARATA. 

dhâmanyou  avec  Guttamâaudjas,et,  de  ses  traits,  Sâtyaki, 
le  grand  héros.   8,119. 

De  tous  ces  guerriers,  qui  décochaient  leurs  dards  à 
droite  et  à  gauche,  souverain  des  hommes,  on  voyait  les 
arcs  toujours  mis  en  cercle.   8,120. 

Le  bruit  éclos  à  la  surface  des  cordes  et  le  fracas  de  la 
roue  des  chars  étaient  aussi  tumultueux  clans  cette  nuit 
que  le  tonnerre  des  nuages  à  la  fin  de  l'été.   8,121. 

La  nuée  du  combat,  sire,  grosse  d'une  multitude  de 
flèches,  en  versait  la  funeste  pluie  ;  la  cîme  des  drapeaux 
marquait  sa  masse,  l'arc  était  sa  foudre  ;  elle  tonnait  avec 
le  son  des  roues  et  le  grincement  des  cordes.   8,122. 

Cette  merveilleuse  pluie  était  versée  dans  le  combat, 
Indra  des  hommes,  par  le  fils  du  Soleil,  qui  écrasait  les 
troupes  des  ennemis,  qui  était  inébranlable  comme  une 
montagne  et  de  qui  la  taille  égalait  une  montagne.   8,123. 

Le  magnanime  fils  du  Soleil,  qui  se  plaît  dans  le  bien 
de  ton  fils,  enlevait  dans  ce  combat  les  ennemis  par  ses 
flèches  aiguës  à  i'empennure  ornée  de  peinture  et  d'or, 
par  ses  leviers  de  fer,  qui  tombaient  comme  la  foudre. 

Les  uns  avaient  leurs  drapeaux  rompus,  mis  en  pièces  ; 
ceux-là  avaient  leurs  corps  déchirés  et  brisés  par  les 
flèches  violentes;  ceux-là  furent  bientôt  réduits  sans  char, 
sans  chevaux  par  l'Adhirathide.  8,12A — 8,125. 

L'armée  d'Youclhishthira  était  maintenant  plongée 
entre  ceux,  à  qui  la  fortune  ne  souriait  pas  dans  la  guerre. 
Quand  il  la  vit  enfoncée,  mise  en  déroute,  Ghatotkatcha 
entra  dans  une  bouillante  colère.   8,126. 

Monté  clans  son  grand  char,  varié  de  pierreries  et  d'or,  il 

jeta  son  cri  de  guerre;  et,  s'étant  approché  de  Rama,  le  fils 

du  Soleil,  il  le  perça  de  flèches,  semblables  au  tonnerre. 


DRONA-PARVA.  283 

Les  deux  guerriers  inondèrent  les  deux  de  karnis,  de 
nârâtchas,  de  çilimoukhas,  de  nâlîkas,  de  bâtons,  de 
foudres,  de  vatsadantas,  d'oreilles-de-sanglier,  de  pointes- 
de-déiense  et  de  dards  en  fer  à  cheval  (1). 

8,127— 8,128. 

Couverte  de  ces  traits,  empennés  d'or,  allant  droit  au 
but,  enflammés  de  splendeur,  l'atmosphère  brillait  dans 
ce  combat,  comme  de  bouquets  de  fleurs  variées.  8,129. 

Tous  deux,  ils  resplendissaient  également  d'un  éclat 
incomparable,  et  se  frappaient  des  plus  sublimes  astras  ; 
personne  ne  vit  en  ce  combat  une  supériorité  de  l'un  sur 
l'autre  dans  ces  guerriers  éminents  par  le  courage. 

Le  duel,  plein  de  trouble,  effrayant  par  la  chute  des 
traits,  entre  ces  deux,  le  fils  de  Bhîma  et  celui  du  Soleil, 
était  varié  à  l'infini,  d'une  forme  sans  comparaison  avec 
une  autre  et  tel  que,  dans  les  cieux,  la  lutte  enflammée  de 
Râhou  et  du  Soleil.   8,130—8,131. 

Voyant  qu'il  n'avait  pas  vaincu  Karna,  Ghatotkatcha, 
le  plus  habile  des  hommes,  versés  dans  les  astras,  sire, 
manifesta  alors  un  astra  violent.  8,132. 

A  peine  eut-il  tué  d'abord,  grâce  à  son  astra,  les  che- 
vaux et  le  cocher  de  ce  guerrier,  le  Démon  Hidimbide 
s'évanouit  aussitôt  dans  l'invisibilité.  8,133. 

«  Quand  ce  Rakshasa.  qui  combattait  avec  des  pres- 
tiges, eut  disparu,  interrompit  Dhritaràshtra,  conte-moi, 
Sandjaya,  ce  qui  fut  exécuté  par  les  miens.  »   8,13/i. 

Dès  qu'ils  virent  le  Rakshasa  disparu ,  lui  répondit 
Sandjaya  ,  tous  les  Kourouides  de  s'écrier  :  «  Com- 
ment ce   Démon  nocticague,  qui  combat  avec  la  fraude. 

(1)  Noms  de  flèches.  A  la  demande  d'une  spécialité,  le  dictionnaire  ne 
répond  que  wrow. 


284  LE  MAHA-BHARATA. 

ne  tuerait-il  pas  Rarna,  s'il  le  voyait  dans  le  combat.  » 

Celui-ci  aux  astras  divers  et  légers  couvrit  toutes  les 
plages  de  la  multitude  de  ses  traits,  et  l'on  ne  distingua 
plus  aucun  être  dans  l'atmosphère,  que  les  flèches  avaient 
remplie  de  ténèbres.  8,135—8,136. 

Soit  qu'il  prît  ses  dards,  soit  qu'il  les  encochât,  ou 
qu'il  touchât  ses  deux  carquois  avec  le  bout  de  ses  doigts, 
on  ne  voyait  pas  le  fils  du  cocher,  si  grande  était  sa  légè- 
reté !  faire  l'une  ou  l'autre  dé  ces  actions,  tandis  qu'il 
couvrait  toute  l'atmosphère  de  ses  flèches.  8,137. 

Ensuite,  nous  vîmes  le  Rakshasa  (1)  manifester  dans 
le  ciel  une  magie  terrible,  effrayante,  épouvantable  (2), 
pareille  à  un  nuage  de  sang  et  telle  que  la  flamme  violente 
d'un  feu  embrasé  au  plus  haut  point.  8,138. 

Des  éclairs  et  des  météores  flamboyants  apparurent, 
Indra  des  Kourouides  ;  puis,  éclatèrent  leurs  bruits,  gla- 
çant d'épouvante,  au  milieu  des  tambours,  qui  résonnaient 
par  milliers.  8,139. 

Des  airs,  il  tombait  des  flèches  empennées  d'or,  des 
lances  de  fer,  des  traits  barbelés,  des  moushalaset  d'au- 
tres armes,  des  haches  frottées  d'huile  de  sésame,  des 
cimeterres  au  tranchant  enflammé,  des  pattiças  et  des 
leviers  de  fer.  8,140. 

De  tous  les  côtés  apparaissaient  des  pilons  étincelants, 
garnis  de  fer,  des  massues  diverses,  des  tridents  aux 
pointes  aiguisées,  de  lourdes* massues  et  des  çataghnis, 
revêtus  d'étoffes  tissues  en  or.  8,141. 

Il  tombait  çà  et  là  par  milliers  de  vastes  rochers  et  des 
tonnerres,  accompagnés  de  foudres;  il  apparut  aux  yeux, 

(1-2)  Ddrounâm....  Rahshaséna,  texte  de  Bombay. 


DRONA-PARVA.  285 

en  plusieurs  centaines,  des  disques  de  guerre  et  des  ra- 
soirs, qui  avaient  l'éclat  du  feu.  8,142. 

Karna  ne  put  détruire  avec  la  multitude  de  ses  flèches 
cette  grande  pluie,  qui  tombait  embrasée,  de  lances  de 
fer,  de  lacets,  d'épées,  de  haches,  de  traits  barbelés,  de 
sabres,  de  foudres  et  de  maillets  d'armes.  8,1  Zi3. 

Il  régnait  un  bruit  immense  de  chevaux  tombant  sous 
l'atteinte  des  flèches,  de  grands  éléphants  abattus  par  les 
foudres,  de  fameux  héros  mordant  la  poussière,  immolés 
par  les  différents  projectiles.  S,lhh. 

Frappée  avec  la  chute  des  traits  ennemis  de  formes  va- 
riées, envoyés  par  Ghatotkatcha,  l'armée  de  Douryo- 
dhana  était  en  souffrance  de  tous  les  côtés  :  on  la  vit  dis- 
persée comme  les  nuages,  8,l/i5. 

Éplorée,  bouleversée,  périssant  et  les  formes  abattues. 
On  ne  voyait  pas  alors,  par  un  noble  mouvement  de  la 
nature,  les  plus  vaillants  des  hommes  montrer  le  front  à 
l'ennemi.  8,146. 

Lorsqu'ils  virent  tomber  cette  pluie  rakshasique,  épou- 
vantable, plus  effrayante  quun  orage,  composée  d'im- 
menses projectiles,  et  couchés  morts  la  plus  grande  partie 
de  leurs  gens  ,  un  vaste  effroi    se  glissa  dans  tes  fils. 

Les  chacals,  d'une  langue  enflammée  par  le  feu,  jetaient 
par  centaines  leurs  glapissements  épouvantables.  Enten- 
dant rugir  les  troupes  des  Rakshasas,  les  guerriers  de 
l' Indra  des  hommes  étaient  agités  par  la  terreur. 

La  bouche  et  la  langue  flamboyantes,  les  dents  en 
saillie,  le  corps  démesuré  comme  des  montagnes,  ceux-là, 
effroyables,  voyageant  par  les  airs,  des  flèches  suspendues 
à  la  main,  déchargeaient  comme  des  nuages,  leur  violente 
averse.  8,147— 8,148— 8,149, 


286  LE  MAHA-BHARATA. 

Et  les  ennemis  tombaient,  mis  en  pièces  par  les  flèches, 
les  lances  de  fer,  les  piques,  les  massues  terribles,  les 
haches  étincelantes,  les  tonnerres,  les  tridents,  le  coup 
des  foudres,  les  disques  de  guerre  et  le  çataghnî.   8,150. 

Ils  répandaient  sur  l'armée  de  ton  fils  les  balles,  les 
pierres,  les  bhouçoûndis  (1),  les  épieux,  les  enclumes  de 
fer,  revêtues  d'étoffes  ;  et  un  terrible  abattement  d'esprit 
saisit  alors  tes  guerriers.  8,151. 

Les  héros  gisaient,  les  membres  rompus,  les  têtes  fra- 
cassées, les  dards  éparpillés  en  morceaux,  leschevaux  dé- 
chirés, les  éléphants  brisés,  les  chars  mis  en  pièces  sous 
la  chute  des  pierres.   8,152. 

Ainsi  les  Yâtoudhânas  répandaient  sur  la  terre  une 
immense  pluie  de  traits  ;  et  les  magies,  créées  par 
Ghatotkatcha,  n'épargnaient  ni  l'homme  craintif,  ni 
C  humble  suppliant.   8,153. 

Dans  cette  horrible  destruction  des  héros  Kourouides 
et  dans  cette  extermination  des  kshatryas,  que  fit  naître 
la  mortj  tous  les  Kourouides  rompus  fuyaient  d'un  pied 
rapide  et  poussaient  alors  ces  cris  :  8,15Zi. 

«  Fuyez,  fils  de  Rourou!  Ce  n'est  pas  ce  que  vous  pen 
sez  :  ce  sont  les  Dieux  mêmes,  Indra  à  leur  tête,  qui  nous 
immolent  dans  l'intérêt  desPândouides!  »  Aucune  lampe 
ne  brillait  aux  yeux  de  ces  Bharatides,  plongés  dans  l'obscu- 
rité. 8,155. 

Tandis  que  ces  gémissements  confus  s'agitaient,  et  que 
l'armée  rompue  des  Kourouides  périssait,  on  ne  pouvait 
distinguer,  ni  les  enfants  de  Kourou,  ni  leurs  adversaires, 
dans  la  partie  même  éclairée  des  armées.  8,156. 

1)  Bhouçoundi,  texte  de  Bombay. 


DRONA-PARVA.  287 

Dans  cette  retraite  sans  borne,  aux  formes  épouvan- 
tables, cherchant,  vides  d'appui,  un  support  dans  toutes 
les  plages  du  ciel,  ils  n'y  voyaient  que  Karna  seul,  entré 
à  grands  pas,  au  milieu  de  cette  pluie  de  flèches.   8,157. 

Plein  de  pudeur,  accomplissant  une  prouesse  difficile 
et  noble,  Karna  ne  perdit  pas  la  tête  dans  la  guerre,  et, 
combattant  la  divine  magie  du  Rakshasa,  il  couvrit  l'at- 
mosphère de  ses  flèches.  8,158. 

Alors  les  Sindhiens  et  les  Vâhlîkas,  voyant  la  victoire 
du  Rakshasa,  mais  applaudissant  à  la  tranquillité  d'esprit 
du  fils  de  cocher,  tournèrent  de  son  côté  leurs  yeux  épou- 
vantés. 8,15  9. 

Lancé  par  lui,  le  çataghnî,  accompagné  du  tchakra, 
abattit  du  même  coup  les  quatre  chevaux  à  la  fois  de 
Ghatotkatcha  sans  langue,  ni  yeux,  ni  dents  ;  ceux-ci  de 
leurs  genoux  s'affaissèrent  sur  la  terre.  8,160. 

Jeté  dans  l'embarras,  il  s'élança  hors  de  son  char,  qui 
n'avait  plus  de  chevaux,  au  milieu  des  Rourouides  en 
déroute  ;  et,  quand  il  vit  son  astra  céleste  neutralisé  par 
la  magie,  l'Adhirathide  ne  se  laissa  pas  encore  égarer  par 
la  pensée  que  le  moment  d'employer  sa  lance  était  arrivé, 

A  l'aspect  de  cette  épouvantable  magie,  tous  les  Rou- 
rouides :  «  Tue  le  Rakshasa,  avec  ta  lance,  Karna,  lui 
dirent-ils  ;  car  il  entraîne  rapidement  aujourd'hui  à  leur 
perte  ces  Rourouides,  enfants  de  Dhritarâshtra. 

8,161—8,162. 

«  Que  peuvent  nous  faire  le  Prithide  et  Bhîmaséna? 
Tue  dans  cette  nuit  le  scélérat,  qui  nous  consume  !  Le 
guerrier,  qui  nous  sauvera  de  ce  combat  aux  formes  épou- 
vantables, pourra  combattre  les  Prithides  en  bataille  ! 

»   Tue  donc  avec  la  lance,  que  t'a  donnée   Indra,   ce 


288  LE  MAHA-BHARATA. 

Rakshasa  à  l'air  terrible  1  Que  les  Kourouides  avec  leurs 
guerriers  ne  meurent  pas  tous,  Karna,  dans  ce  combat  de 
nuit!  »   8,163—  8,164. 

Lorsqu'il  vit  la  terreur  régner  (1)  dans  la  nuit  au  mi- 
lieu de  l'armée,  et  qu'il  entendit,  sire,  ces  grands  cris  des 
Kourouides,  Karna,  blessé  par  le  Rakshasa  (2),  conçut 
aussitôt  la  pensée  d'envoyer  sa  lance.   8,165. 

Irrité,  comme  un  lion,  et  rempli  de  fureur,  ne  pouvant 
supporter  dans  ce  combat  les  représailles  du  Bhîmasé- 
nide,  et  voulant  accomplir  sa  mort,  il  saisit  la  lance  triom- 
phante, invincible,  et  la  meilleure  des  armes  ;  8,166. 

Excellente  pique,  tenue  en  réserve  des  multitudes 
d'années,  faite  convenablement  pour  la  mort  de  Phâl- 
gouna  (3)  dans  la  bataille,  et  que  Çakra  lui-même  avait 
donnée  au  fils  du  cocher,  en  échange  (û)  de  ses  pende- 
loques. 8,167. 

Le  fils  du  Soleil  envova  cette  lance  au  Rakshasa,  de 
même  qu'un  serpent  de  feu  épouvantable,  ou  comme  (5) 
la  langue  de  la  Mort  (6) ,  accompagnée  de  son  fatal  lacet, 
ou  telle  que  la  sœur  du  trépas,  ou  semblable  à  une 
torche  enflammée.  8,168. 

A  peine  eut-il  vu  cette  arme  flamboyante,  sublime,  des- 
tructive des  corps  de  l'ennemi,  placée  dans  la  main  de 
l'Adhirathide,  le  Rakshasa,  tremblant  de  terreur,  s'enfuit, 
sire,  et  se  donna  lui-même  une  taille  égale  (7)  à  la  hau- 
teur du  Vindhya.  8,169. 

Dès  qu'ils  virent  cette  lance,  tenue  au  poing  de  Karna, 


(1-2)  Sa  badyamanau  Rakshasa....  trâsyamânan  balan,  texte  de  Bombay. 

(3-4)  Phâlgounasya....  nimûya,  même  texte. 

(5-6)  [va  djihvân....  djvalitâm  ivaulkânij  môme  édition. 

(7)  Toutyapramânan,  texte  de  Bombay. 


DRONA-PARVA.  28» 

tou3  les  Bhoûtas  de  pousser  des  cris  au  milieu  des  airs  ; 
les  vents  tumultueux  de  souffler  comme  des  ouragans,  et 
la  foudre  de  tomber  sur  la  terre.   8,170. 

Aussitôt  qu'elle  eut  réduit  en  cendres  sa  magie  flam- 
boyante et  percé  d'outre  en  outre  le  cœur  du  Rakshasa, 
elle  s'éleva,  embrasée,  dans  la  nuit,  au  sein  des  cieux,  et 
prit  place  au  milieu  des  étoiles.  8,171. 

Après  qu'il  eut  combattu  avec  différentes  multitudes 
de  traits  admirables,  héroïques,  humains,  rakshasiques 
et  divins,  le  Démon  jeta  mainte  et  mainte  clameurs 
effroyables  et  fut,  par  l'arme  de  Çakra,  forcé  d'aban- 
donner sa  chère  existence.  8,172. 

Par  la  mort  de  l'ennemi,  C  Adfriratfri.de  accomplit  cette 
œuvre  et  une  autre  admirable,  ayant  les  formes  d'un  pro- 
dige. Dans  ce  temps,  C Hidimbide,  majesté,  ses  membres 
rompus  par  la  lance  merveilleuse,  brillait  comme  le  nuage 
d'une  montagne.  8,173. 

Quand  le  guerrier  aux  faits  épouvantables  eut  exécuté 
de  cette  manière  l'action  terrible,  effrayante,  le  Bhîma- 
sénide  tomba,  et  son  corps  écrasa  dans  sa  chute,  sire, 
une  partie  de  ton  armée.  8,1 7/i. 

Le  Rakshasa,  tout  privé  de  vie  qu'il  était,  fit  encore 
une  chose  agréable  aux  Pândouides,  en  écrasant  tout  à 
coup  ton  armée  complète  avec  la  chute  de  son  grand  corps, 
qui  s'étendit  par-delà  toute  mesure.   8,175. 

Ensuite,  on  entendit  les  conques,  les  tymbales,  les  tam- 
bourins mêler  leurs  symphonies  aux  acclamations  de 
guerre  ;  et  les  Kourouides,  voyant  la  magie  détruite  et  le 
Rakshasa  couché  mort,  éclatèrent  en  cris  joyeux.  8,17(5. 

Honoré  par  les  enfants  de  Kourou,  comme  Çakra  l'avait 
été  par  les  .vents  après  la  mort  de  Vritra,  l'Adhirathide 
îx  19 


290  LE  MAHA-BHARATA. 

monta  dans  le  char  de  ton  fils,  et  rentra,  admiré,  au  mi- 
lieu de  son  armée.  8,177. 

A  l'aspect  de  l'Hidimbide  tombé  sans  vie,  comme  une 
montagne  écroulée,  le  chagrin  remplit  de  ses  larmes  les 
yeux  de  tous  les  enfants  de  Pândou.   8,178. 

Inondé  d'une  grande  joie,  le  Vasoudévide  poussa  un 
rugissement  de  guerre,  dont  les  Pândouides  furent,  pour 
ainsi  dire,  agités.  8,179. 

Cette  clameur  jetée,  il  embrassa  Phâlgouna  et  modéra 
ensuite  les  transports  de  sa  joie.   8,180. 

Il  dansait,  environné  de  l'allégresse,  comme  un  arbre 
secoué  par  les  vents  ;  il  embrassa  de  nouveau  le  Prithide 
et  se  battit  les  bras  plus  d'une  fois.   8,181. 

Remonté  sur  le  banc  du  char,  le  sage  Atchyouta  poussa 
de  nouveaux  cris  ;  et  Dhanandjaya,  voyant  cette  joie,  qui 
transportait  Kéçava,  8,182. 

Lui  dit  ces  mots  d'une  âm  >  peu  joyeuse  :  «  Cet  excès 
de  joie,  meurtrier  de  Madhou,  n'est  point  ici  maintenant 
à  sa  place.  8,183. 

»  La  mort  de  l'Hidimbide  fait  naître  un  autre  moment, 
qui  est  celui  du  chagrin.  Nos  armées  ont  tourné  le  dos, 
quand  elles  ont  vu  Ghatotkatcha  étendu  sans  vie.  8,1 8k. 

»  La  mort,  donnée  à  l'Hidimbide,  nous  a  profondément 
émus  ;  la  cause  de  notre  douleur,  Djanârddana,  n'est 
donc  pas  légère.  8,185. 

»  Veuille  répondre  la  vérité  à  ma  question,  ô  le  plus 
excellent  des  hommes  véridiques  ;  daigne  me  dire,  vain- 
queur des  ennemis,  ce  qui  ne  te  fut  pas  confié  comme  un 
secret.  8,186. 

»  Dis-moi  en  cet  insiant,  meurtrier  de  Madhou,  àquelle 
cause  attribuer  ce  changement  de  ta  constance.  Cette  lé- 


DRONA-PAKVA..  291 

gèreté  de  ta  part  peut  surprendre,  à  mon  avis,  autant 
qu'on  le  serait  de  voir  l'océan  se  tarir,  ou  le  mont  Mérou 
marcher  sur  la  terre.  :>   8,187 — 8,188. 

u  Ecoute,  Dhanandjaya,  répondit  le  Vasoudévide,  cet 
excès  de  joie,  qui  m'arrive  et  fait  sortir  puissamment  de 
ses  bornes  la  placidité  di  mon  âme.   8,189. 

»  Sache,  héros  à  la  grande  splendeur,  que  Ghatotka- 
tcha,  de  cette  lance  même,  qu'il  a  renvoyée,  vient  d'im- 
moler Karna  sur  le  champ  de  bataille.  8,190. 

»  Il  n'était  pas  dans  ce  monde  un  seul  homme,  pas 
même  Kârttikéya,  qui  pût  tenir  ferme  dans  un  combat  en 
présence  de  Karna,  quand  cette  lance  armait  sa  main. 

»  Mais,  par  bonheur,  il  a  déposé  sa  cuirasse  naturelle  ! 
Par  bonheur,  on  lui  a  ravi  ses  pendeloques  !  Par  bonheur, 
il  a  déchargé  sur  Ghatotkatcha  cette  lance,  dont  le  coup 
ne  devait  pas  être  vain  (1).  8,191—8,192. 

»  S'il  portait  encore  sa  cuirasse,  s'il  portait  ses  boucles- 
d'oreilles,  le  vigoureux  Karna  seul  de  sa  personne  vain- 
crait les  trois  mondes  avec  les  Immortels  eux-mêmes  ! 

»  Soit  Indra,  soitKouvéraouleDieu  deseaux,  Varouna, 
soit  Yama,  aucun  d'eux  n'oserait  attaquer  Karna  dans  un 
combat!  8,193—8,194. 

»  Ton  altesse,  élevant  l'arc  Gândîva,  et  moi  le  disque 
de  guerre  Soudarçana,  nous  sommes  capables  de  triom- 
pher dans  un  combat  de  cet  éminent  guerrier,  qui  n'est 
plus,  accompagné  de  es  q  utilités.  8,195. 

»  C'est  dans  ton  intérêt  qu'une  fraude  de  Çakra  lui  a 
ravi  ses  pendeloques  ;  c'est  pour  toi  qu'il  a  dépouillé  de 
sa  cuirasse  ce  conquérant  des  cités  ennemies.  8,190. 

(1)  Amo ghdsy a,  texte  de  Bombay. 


•292  LE  MAHA-BHARATA. 

»  Parce  qu'il  a  coupé  sur  lui-même  sa  cuirasse  et  ses 
girandoles  étincelantes  pour  les  donner  à  Çakra,  Karna 
fut  appelé  à  cause  de  cette  action  Yaîkartana  ou  le  Dé- 
coupeur. 8,197. 

»  Karna  me  semble  comme  un  serpent  irrité,  qui  ne 
peut  fermer  sa  gueule  par  la  vertu  d'une  prière  magique, 
ou  pareil  à  un  feu,  qui  a  perdu  sa  flamme.  8,198. 

»  Depuis  le  temps  que  le  magnanime  Indra  lui  avait 
donné,  en  échange  (1)  de  ses  pendeloques  et  de  sa  divine 
cuirasse,  cette  lance  de  fer,  qu'il  a  déchaînée  aujourd'hui 
contre  Ghatotkatcha,  l'Adhirathide  t'avait  toujours  re- 
gardé comme  déjà  couché  mort  dans  le  combat. 

8,199—8,200. 

»  Les  choses  étant  ainsi,  il  est  possible  de  le  jeter  dans 
la  tombe,  mais  non  par  un  autre  quelconque,  si  ce  n'est 
par  toi,  irréprochable  héros  :  je  te  le  jure  sur  la  vérité. 

»  11  est  pieux,  véridique,  pénitent,  inébranlable  en  ses 
vœux,  plein  de  compassion  pour  ses  ennemis  eux-mêmes  : 
c'est  pour  cela  qu'il  fut  surnommé  Vrisha  (2)  ou  la  vertu. 

»  Ivre  de  batailles,  guerrier  aux  longs  bras,  l'arc  tou- 
jours levé,  rugissant,  comme  un  lion  dans  une  forêt  contre 
des  éléphants  en  rut,  chefs  d'un  troupeau, 

8,201—8,202—8,203 

»  Il  ravit  l'audace  aux  plus  éminents  des  héros,  sur  le 
front  de  la  bataille,  tel  que  le  soleil,  sur  qui  l'on  ne  peut 
fixer  les  yeux,  une  fois  parvenu  au  milieu  de  sa  carrière. 

»  De  même  que  l'auteur  du  jour  en  automne,  il  a  pour 
millier  de  rayons  ses  multitudes  de  flèches,  répandues  sur 

(1)  Nimâya,  texte  de  Bombay. 

(2)  Vrisha,  le  taureau,  ou  la  venu  symbolisée  dans  les  formes  de  ce 
ruminant. 


DRONA-PAIWA.  293 

les  tiens,  tigre  des  hommes,  sur  les  principaux  et  magna- 
nimes combattants.   8,20/i — 8,205. 

»  Pareil  au  nuage  a  la  fin  de  l'été,  il  verse  mainte  et 
mainte  fois  ses  torrents  de  flèches;  nuage  d'astras  cé- 
lestes, Rama  ressemble  a  la  nuée  enceinte  de  pluies. 

»  Il  est  impossible  de  le  vaincre  aux  Tridaças  mêmes, 
décochant  de  tous  côtés  une  averse  de  traits,  faisant 
couler  le  sang  et  la  chair.  8,206 — 8,207. 

»  Privé  de  sa  cuirasse  et  de  ses  pendeloques,  fils  de 
Pândou,  dépouillé  par  le  don,  qu'il  en  fit  à  Çakra,  il  est 
réduit  maintenant  à  la  pure  condition  d'un  homme. 

»  11  y  aurait  un  moyen  de  parvenir  à  sa  mort  :  com- 
mence par  l'observer  de  toute  ton  âme,  et,  bien  attentif  à 
surprendre  son  défaut,  tue-le,  lorsqu'il  n'est  pas  sur  ses 
gardes  et  qu'il  est  engagé  dans  une  crise,  la  roue  de  son 
char  embourbée.  8,208—8,209. 

»  Mais,  quand  il  tient  levé  son  arc  dans  un  combat, 
Indra  lui-même,  sa  foudre  à  la  main,  ce  héros  unique 
dans  le  monde,  ne  pourrait  tuer  cet  invincible!  Djarâ- 
sandha,  le  magnanime  roi  de  Tchédi,  et  le  souverain  du 
Nishâda,  Ékalavya  aux  longs  bras,  8,210. 

»  C'est  pour  ton  bien,  que  par  tel  ou  tel  moyen,  l'un 
après  l'autre,  j'ai  immolé  tous  ces  monarques.  C'est  aussi 
pour  toi  que  furent  tués  les  Indras  des  Rakshasas,  Hi- 
dimba,  Kirmîra  et  Vaka,  le  premier,  8,211. 

»  Alàyoudha,  qui  écrasait  l'armée  des  ennemis,  et  l'im- 
pétueux (1)  Ghatotkatcha  aux  terribles  exploits.  » 

«  Comment  et  par  quels  moyens,  Djanârddana,  furent- 
ils  immolés  pour  mon  bien,  lui  demanda  Phàlgouna,  ces 

(1)  Turasvi,  texte  de  Bombay. 


294  LE  MAHA-BHARATA. 

monarques  de  la  terre,   Djarâsandha  et  les  autres  ?  » 

«  Si  je  n'avais  pas  tué  d'abord,  répondit  le  Vasoudé- 
vide,  Djarâsandha,  le  roi  de  Tchédi  et  le  Nishâdhain  à  la 
grande  force,  ils  inspireraient  maintenant  une  immense 
terreur.   8,212—8,213—8,215. 

«  Douryodhana  certainement  choisirait  ces  éminents 
héros  pour  ses  alliés;  et  ces  guerriers,  qui  furent  toujours 
nos  ennemis,  embrasseraient  le  parti  des  Kourouides. 

»  Tous  ces  braves  aux  grands  arcs,  versés  dans  les 
armes,  combattants  solides,  défendraient  le  Dhritarâsh- 
tride  à  l'égal  des  Immortels.   8,215—8,216. 

»  Le  fils  du  cocher,  Djarâsandha,  le  roi  de  Tchédi  et 
le  fils  du  Nishâdain,  associés  à  Douryodhana,  triomphe- 
raient de  cette  terre.  8,217. 

»  Écoute  de  ma  bouche  les  moyens,  quels  qu'ils  furent, 
Dhanandjaya,  sous  lesquels  ont  succombé  ces  héros  invin- 
cibles aux  Dieux  mêmes,  s'ils  étaient  privés  de  ton  alliance. 

»  Chacun  d'eux  individuellement  affronterait  un  com- 
bat, fils  de  Prithâ,  avec  l'armée  entière  des  Dieux,  dé- 
fendue par  les  gardiens  du  monde.   8,218 — 8,219. 

»  Bouillant  de  colère,  l'audacieux  Djarâsandha,  le  Ro 
hinide,  envoya  pour  nous  donner  la  mort  une  massue, 
exterminatrice  de  tous  les  êtres,  qui  avait  l'éclat  du  feu  et 
dessinait  comme  une  raie  de  chair  sur  le  front  du  ciel. 
Elle  parut  aux  yeux  dans  son  vol,  telle  que  la  foudre 
d'Indra. 

»  Dès  que  le  fils  de  Rohini  vit  cette  massue  accourir,  il 
décocha,  pour  l'arrêter,  un  astra,  nommé  Sthoûnâkarna. 

»  Frappée  par  la  rapidité  de  cet  astra,  la  massue  tomba 
surtla  divine  terre,  lui  fendit  le  sein  et  fit  trembler,  pour 
ainsi  dire,  les  montagnes.  8,220 — 8,221 — 8,222 — 8,223. 


DRONA-PARVA.  295 

»  Une  Rakshasi  épouvantable,  d'une  grande  puissance, 
appelée  Djarâ,  avait  réuni  ensemble,  au  temps  de  sa  nais- 
sance, les  deux  parties  du  terrible  Djarâsandha.  8,224. 

v  Née  de  deux  mères,  chacune  à  part  avait  produit  la 
moitié  de  son  corps;  ces  deux  moitiés  furent  liées  dans  un 
seul  et  même  tout  par  C ange  impure,  et  de  là  vint  son  nom 
de  Djarâsandha.   8,225. 

»  Descendue  sur  la  terre,  la  Rakshasi  fut  tuée,Prithide, 
avec  ses  parents,  avec  son  fils,  par  la  massue  et  par  cet 
astra  Sthoûnâkarna.   8,226. 

»  L'union  artificielle,  ouvrage  de  Djarâ  (1),  fut  détruite 
par  la  massue  dans  ce  grand  combat  ;  et  le  roi  fut  tué  par 
Bhîmaséna  sous  tes  yeux,  Dhanandjaya.   8,227. 

»  Si  l'auguste  Djarâsandha  vivait  encore,  sa  massue  à 
la  main,  les  Dieux  mêmes  avec  Indra  seraient  incapables 
de  l'immoler  dans  une  bataille.  8,228. 

»  C'est  pour  toi  que  Drona,  feignant  de  lui  donner  ses 
leçons,  priva  du  pouce  le  fils  du  roi  des  Nishâdains  au 
courage  de  vérité.   8,229. 

»  Le  Nishadide  à  la  valeur  inébranlable,  ayant  attaché 
la  manique  autour  de  ses  doigts,  parcourut  les  forêts,  où 
il  brillait,  plein  de  fierté,  comme  un  second  Râma. 

»  Les  Ouragas,  les  Rakshasas,  les  Dânavas  et  les  Dieux 
étaient  incapables,  Piithide,  de  vaincre  jamais  dans  un 
combat  Ékalavya,  jouissant  du  pouce  ;  8,230 — 8,234. 

»  Mais  à  présent  qu'il  est  réduit  à  la  force  d'un  homme, 
il  est  possible  de  fixer  les  yeux  sur  lui.  Ce  guerrier  au 
poing  ferme,  adroit,  et  qui  pouvait  sans  cesse  décocher  ses 
traits  le  jour  et  la  nuit,  8,232. 

(i)  Explication  du  commentaire. 


296  LE  MAHA-BHARATA. 

»  Je  l'ai  tué  dans  ton  intérêt  au  front  du  combat  !  Le 
vaillant  roi  de  ïchédi  fut  immolé  sous  tes  regards, 

»  Lui,  que  n'auraient  pu  tuer  dans  une  bataille  tous 
les  Asouras  et  les  Dieux  mêmes  !  C'est  pour  lui  donner  la 
mort  et  à  tous  les  autres  ennemis  des  Dieux,  que  j'ai 
recula  naissance;  et  je  suis  devenu  ton  compagnon  par 
l'amour  du  bien  des  mondes.  Bhîmaséna  fit  mordre  aussi 
la  poussière  à  Hidimba,  à  Vaka,  à  Rirmîra, 

»  Qui  avaient  des  existences  égales  à  la  vie  de  Mvana, 
et  qui  étaient  les  destructeurs  des  sacrifices  et  des 
brahmes.  L'enchanteur  Alâyoudha  périt  encore  sous  les 
coups  de  l'Hidimbide  !  8,233— 8, 23A — 8,235— 8,236. 

»  Celui-ci  même  a  succombé  sous  un  moyen  merveil- 
leux, par  la  lance  de  Karna.  Certes,  si  l' Adhirathide  ne 
l'eût  immolé  de  sa  lance  dans  une  grande  bataille, 

»  Je  l'aurais  tué  moi-même,  ce  Ghalotkatcha,  le  fils  de 
Bhîmaséna  !  S'il  n'est  pas  d'abord  tombé  sous  mon  bras,  ce 
fut  par  le  désir  d'arriver  à  une  chose,  qui  vous  fût  agréable. 

»  Car  c'était    un   Rakshasa  à   l'âme  criminelle,   qui 
exécrait  les  brahmes,  qui  haïssait  les  sacrifices,  qui  détrui- 
sait les  cérémonies  religieuses  :  à  cause  de  cela,  il  méritai 
la  mort!   8,237—8,238—8,239. 

»  Un  moyen,  fourni  par  moi,   irréprochable  guerrier 
a  trompé  la  lance,  donnée  par  Indra.  Certes  !  aux  viola- 
teurs du  devoir,  je  dois  la  mort,  fils  de  Pândou.  8,240. 

»  J'ai  fait  cette  promesse  pour  l'établissement  de  la 
vertu.  Partout  où  l'on  voit  la  piété,  la  vérité,  la  répression 
des  sens,  la  pureté,  le  devoir,  la  pudeur,  le  succès,  la 
fermeté  et  la  patience,  je  suis  toujours  là.  11  te  faut  appor- 
ter de  l'attention  à  l'égard  de  Karna,  le  fils  du  Soleil. 

»  Je  t'enseignerai  l'expédient,  par  lequel  tu  pourras  le 


DRONA-PARVA.  297 

vaincre,  et  Vrikaudara  tuer  Souyodhana  dans  le  combat. 

»  Je  te  dirai,  Pândouide,  le  moyen  d'arriver  à  sa  mon. 
Mais  voici  un  bruit  tumultueux,  qui  s'élève  du  côté  de 
l'armée  des  ennemis.   8,241— 8,242— 8,243— 8,244. 

»  Tes  guerriers  s'enfuient  par  les  dix  points  de  l'espace. 
Les  Kourouides  ont  atteint  leur  but  et  dispersent  ton 
armée.   8,245. 

»  Le  meilleur  des  combattants,  Drdna  nous  consume 
dans  le  combat.  »   8,246. 

«  Puisque  (1  )  le  fils  du  cocher  n'avait  pas  besoin  de 
cette  lance  pour  tuer  un  chef  des  guerriers,  s'enquit 
Dhritarâshira,  pourquoi  n'abandonna-t-il  pas  tous  les 
autres  et  n' envoya -t -il  pas  sa  pique  au  fils  de  Prithâ? 

»  Tous  les  Pândouides  et  les  Srindjayas  auraient  suc- 
combé avec  lui  sous  les  coups  de  cette  lance.  Pourquoi 
ne  pensa-t-il  point  dans  le  combat  que  de  la  mort  cle 
Phâlgouna  dépendait  la  victoire?  8,247 — 8,248. 

«  Provoqué,  je  ne  m'abstiendrai  pas  !  »  C'est  le  vœu, 
qu'il  a  prononcé.  Il  fallait  donc  que  Phâlgouna  lui-même 
reçut  le  défi  du  fils  du  cocher.   8,249. 

»  Pourquoi,  l'ayant  fait  venir  dans  un  duel  en  char, 
Vrisha  n'a-t-il  pas  tué  Phâlgouna  avec  la  lance,  que 
Çakra  lui  avait  donnée?  Conte-moi  cela,  Sandjaya. 

»  Abandonné  certainement  de  son  intelligence  et 
dépourvu  de  compagnon,  comment  mon  fils  criminel  et 
brisé  déjà  par  ses  adversaires,  pourrait-il  vaincre  les 
ennemis?  8,250—8,251. 

»  De  cette  lance  sublime,  à  laquelle  était  attachée  sa 
victoire,  le  Vasoudévide  a  fait  dévier  le  coup  sur  Ghatot- 
katcha.   8,252. 

(1)  Yadâ,  texte  de  Bombay. 


298  LE  MAHA-BHARATA. 

»  Telle  que  le  fruit  du  kouni  (1),  tombé  sous  la  main, 
est  enlevé  par  un  plus  fort,  de  même  cette  lance  infaillible 
fut  rendue  vaine  en  Ghatotkatcha.  8,253. 

')  Le  Vasoudévide  recueille,  à  mon  avis,  homme  intelli- 
gent, dans  la  mort  de  Karna  et  de  l'Hidimbide,  le  même 
gain,  que  le  valet  d'un  chenil  ferait  à  la  mort  d'un  san- 
glier et  d'un  chien,  qui  se  livrent  un  combat  l'un  à  l'autre. 

»  En  effet,  si  Ghatotkatcha  avait  tué  Karna,  il  en  fût 
résulté  pour  les  Pàndouides  un  avantage  supérieur  dans 
le  combat  ;  mais  parce  que  c'est  le  fils  du  Soleil,  qui  fit 
tomber  sous  ses  coups  le  Rakshasa,  la  lance  disparaît, 
ayant  accompli  son  affaire.  »   8,25/1—8,255. 

Connaissant  le  dessein  de  Karna,  répondit  Sandjaya,  le 
meurtrier  de  Madhou,  Djanârddana  aux  longs  bras  en- 
gagea, sire,  Je  monarque  des  Rakshasas,  Ghatotkatcha  à 
la  grande  énergie  dans  ce  duel  en  chars  afin  d'anéantir 
cette  lance  infaillible  :  ce  fut  la  conséquence  des  mauvais 
conseils,  donnés  à  ta  majesté.  8,256 — 8,257. 

Nous  serions  heureux,  nous,  propagateur  delà  race 
des  Kourouides,  que  Krishna  ne  défendît  pas  le  Prithide 
contre  Karna,  le  grand  héros  (2).   8,258. 

Sans  Djanârddana,  l'auguste  maître  des  Yogas,  ce 
Prithide  serait  tué  dans  le  combat,  avec  ses  chevaux,  son 
drapeau  et  son  char  mis  en  pièces,  par  les  armées  du  roi 
Dhritarâshtra.   8,259. 

C'est  grâce  à  la  protection  de  Krishna  que  son  altesse 
le  fils  de  Prithâ,  conservé  par  divers  et  nombreux  moyens, 
remporte  la  victoire  sur  des  ennemis,  qui  lui  présentent 
le  front.  8,260. 


(1)  Cedrela  tunna. 

(2)  Pârthan  Karnûnmahârathât,    texte  de  Bombay. 


DRONA-PARVA.  299 

Krishna  a  sauvé  les  Pândouides  de  la  lance  infaillible, 
supérieure  à  toute  chose  :  telle  que  la  foudre  casse  un 
arbre,  cette  arme  aurait  bientôt  couché  mort  le  fils  de 
Kountî.   8,261, 

«  Mon  fils  a  le  cœur  jaloux,  il  est  mauvais  conseiller, 
il  est  orgueilleux  de  sa  science  :  comment,  s'enquit  Dhri- 
tarâshtra,  ceKarna  à  la  haute  intelligence,  le  plus  vaillant 
de  tous  ceux,  qui  portent  les  armes,  de  qui  le  moyen, 
donné  pour  la  mort  de  Djaya,  fut  éludé,  n'a-t-il  pas  en- 
voyé sa  lance  infaillible  sur  Dhanandjaya? 

»  Comment,  fils  de  Gavalgani,  as-tu  négligé  de  m'ins- 
truire  sur  cette  chose,  toi,  homme  d'une  vaste  intelli- 
gence (1)  ?  »    8,263—  8, 264— 8,265. 

Voilà  quelles  observations,  répondit  Sandjaya,  furent 
sans  cesse  et  tous  les  jours  mises  devant  ses  yeux  par 
Douryodhana,  Çakouni,  Douççâsana  et  moi  :  8,266. 

«  Abandonne  tous  les  guerriers,  Rarna  ;  immole  Dha- 
nandjaya; ensuite  nous  dévorerons,  comme  des  servi- 
teurs, les  Pântchâlains  et  les  Pândouides.   8,267. 

»  Mais  le  Prithicle  mort,  le  rejeton  de  Vrishni  pourrait 
le  lemplacer  dans  le  combat  par  un  autre  des  fils  de  Pân- 
dou,  que  Krishna  meure  à  cause  de  cela!  8,268. 

»  Krishna  est  la  racine  des  Pândouides,  le  Prithide  a 
cru  comme  le  tronc;  les  autres  enfants  de  Piïthâ  sont  les 
branches,  les  Pântchâlains  sont  nommés  les  feuilles. 

»  Les  Pândouides  ont  Krishna  pour  asy  le,  Krishna  pour 
force,  Krishna  pour  défenseur  ;  Krishna  est  leur  grand 
centre  d'attraction,  comme  la  lune  est  celui  des  étoiles. 

8,269—8,270. 

(1)  Mahâbouddhai,  texte  de  Bombay. 


300  LE  MAHA-BHARATA. 

»  Ayant  donc  abandonné  le  tronc,  les  branches  et  les 
feuilles,  sache,  fils  du  cocher,  que  Krishna  est  en  tout  et 
partout  la  racine  des  Pândouides.   8,271. 

»  Si  Karna  tue  le  Dâçârhain,  ce  fils  d'Yadou,  la  terre 
entière  sera  bientôt  sous  ta  puissance  :  il  n'y  a,  sire, 
aucun  doute  !  8,272. 

»>  Si  le  magnanime  fils  de  Pândou,  qui  descend  d'Ya- 
dou, gît  sans  vie  sur  la  terre,  tout  ce  globe,  Indra  des 
hommmes ,  ne  tombera-t-il  pas  sous  ta  puissance , 
avec  ses  mers ,  ses  montagnes    et    ses    forêts  ? 

»  Que  ton  intelligence,  établie  sur  ces  bases,  veille 
sur  Hrishîkéça,  l'Infini ,  le  monarque  des  Tridaças,  et 
ne  s'abandonne  point  à  la  défaillance. 

8,273-8,27^. 

»  Kéçava  toujours  conserve  Arjouna,  le  fils  de  Kountî, 
et  ne  veut  pas  le  placer  dans  le  combat  en  face  du  fils  de 
cocher.   8,275. 

»  L'impérissable  Atchyouta  a  jeté  devant  lui  d'autres 
grands  héros  :  «•Comment  rendrai-je  vaine  cette  lance 
infaillible?»  s'est-il  dit,  seigneur.  8,276. 

»  C'est  ainsi  que  Krishna  à  la  vaste  étendue  d'esprit 
sauve  de  Karna  le  Prithide  :  et  comment  le  plus  grand  des 
hommes  ne  l' environnerait-il  pas,  sire,  de  sa  protection  ? 

»  En  vain  j'y  pense,  en  vain  je  regarde  le  dompteur  des 
ennemis,  qui  a  pour  arme  un  tchakra  :  je  ne  vois  pas 
dans  les  trois  mondes  un  guerrier,  qui  puisse  vaincre 
Djanârddana.  »   8,277 — 8,278. 

Sâtyaki  au  courage  infaillible,  le  tigre  des  hommes, 
adressa  ensuite  une  demande  à  Krishna  aux  longs  bras, 
sur  l'héroïque  Karna  :  8,279. 

«  C'est  la  confiance  en  Karna,  qui  parle.  Pourquoi  le 


DRONA-PARVA.  301 

fils  du  cocher  n'a-t-il  pas  jeté  alors  cette  lance  à  la  puis- 
sance infinie  sur  Phâlgouna?  »  8,2S0. 

«  Douççâsana,  Karna,  Çakouni  et  leSindhien,  répondit 
le  Vasoudévide,  délibéraient  toujours  sous  la  présidence 
de  Douryodhana  :  8,281. 

«  Karna,  Karna  au  grand  arc,  guerrier  au  courage 
sans  mesure,  lui  disaient-ils,  c'est  à  toi,  ô  le  plus  vaillant 
des  conquérants,  et  non  point  à  un  autre  qu'il  appartient 
d'envoyer  cette  lance.  »  8,282. 

»  En  effet,  tel  qu'Indra  surpasse  les  Dieux,  tel  il  excel- 
lait sur  eux  en  renommée,  excepté  sur  le  très-héroïque 
Prithide,  Dhanandjaya,  le  fils  de  Kountî.  8,283. 

r,  Lui,  couché  mort,  tous  les  Pândouides  et  les  Srin- 
djayas  auraient  l'âme  abattue,  comme  jadis  les  Dieux, 
quand  le  Feu  les  eut  abandonnés.   8,284. 

«  Qu'il  en  soit  ainsi  !  »  c'est  la  promesse,  héros  des 
Çinides,  que  fit  alors  Karna  ;  et,  depuis  ce  moment,  la 
mort  du  guerrier  à  l'arc  Gândîva  fut  toujours  fixée  au 
fond  de  son  cœur.   8,285. 

»  Mais,  ô  le  plus  vaillant  des  combattants,  je  fascinai 
Râdhéya,  qui  n'a  point  envoyé  sa  lance  sur  le  Pândouide 
aux  blancs  coursiers.  8,280. 

«  Je  la  garde  pour  la  mort  de  Phâlgouna  (1),  disait -il  ; 
et  ni  le  sommeil  ni  la  joie  ne  peuvent  assoupir  dans  mon 
cœur  le  désir  de  combattre.  »   8,287. 

»  Aujourd'hui  que  j'ai  vu  cette  lance  épuiser,  héros  des 
Pândouides,  sa  vertu  dans  Ghatotkatcha,  je  regarde  Dha- 
nandjaya comme  échappé  à  la  gueule  de  la  Mort.  8,288. 

»  Je  ne  dois  pas  mettre  plus  de  soin  à  conserver,  ou 

(1)  Sa  mrityouriti,  texte  de  Bombay. 


302  LEMAHA-BHARATA. 

mon  père,  ou  ma  mère,  ou  bien  vous,  mes  hères,  ou  les 
souffles  de  ma  vie,  qu'à  sauver  Bîbhatsou  clans  un  combat. 

»  Je  n'ambitionnerais  pas,  Sâttwatide,  l'empire  même 
des  trois  mondes  ou  une  autre  chose,  quelle  qu'elle  fût, 
d'une  acquisition  bien  difficile,  si  Dhanandjaya,  le  fils  de 
Prithâ,  n'était  là  pour  en  jouir  avec  moi.  8,289 — 8,290. 

»  Je  ressentis  une  bien  vive  joie,  Youyoudhâna,  quand 
je  vis  aujourd'hui  Phâlgouna  ressuscité,  pour  ainsi  dire, 
d'entre  les  morts.  8,291. 

»  C'est  moi,  qui  envoyai  le  Rakshasa  au  combat  avec 
Karna;  car  nul  autre  n'était  capable  en  cette  nuit  d'af- 
fronter Karna  dans  une  bataille.  »   8,292. 

Tel  était  alors  ce  langage,  que  fit  entendre  à  Sâtyaki  le 
fils  de  Dévakî,  qui  embrassait  les  intérêts  de  Dhanandjaya 
et  se  faisait  toujours  un  plaisir  de  ce  qui  était  agréable  à 
son  frère.   8,293. 

«  Une  grande  puissance,  observa  Dhritarâshtra,  fut 
ravie  à  Karna,  à  Douryodhana  et  ses  frères,  à  Çakouni  le 
Soubalide,  et  principalement  à  toi-même,  mon  fils. 

»  Puisque  vous  saviez  (1)  que  cette  lance  ne  pouvait 
immoler  qu'une  seule  personne  dans  le  combat,  quoique 
les  Dieux  mêmes  avec  Indra  ne  pussent,  ni  l'arrêter,  ni  la 
supporter,  8,294—8,295. 

»  Pourquoi  Karna  n'avait-il  pas  commencé  plus  tôt  à 
s'en  servir  dans  la  bataille,  et  n'avait-elle  pas  été  en- 
voyée, Sandjaya,  au  fils  de  Dévakî  ou  même  à  Phâl- 
gouna? »   8,296. 

Voici  (2)  le  conseil,  monarque  des  hommes,  répondit 
Sandjaya,  qui  fut  donné  par  nous  tous,  qui  nous  étions 

(1)  Djùnîsha,  texte  de  Bombay. 

(2)  Mantrasayan,  même  texte. 


DR0NA-1URVA.  303 

abstenus  cette  nuit  du  combat,  ô  le  plus  vertueux  de  la 
race  des  Kourouides:  8,297. 

«  Karna  !  Karna  !  disions-nous  continuellement,  il  te 
faut,  demain,  au  retour  de  la  lumière,  envoyer  cette  lance 
à  Kéçava  ou  bien  sur  Arjouna  !  »   8/298. 

Mais,  à  la  naissance  du  jour,  les  Dieux  étouffèrent  cette 
pensée  dans  l'esprit  de  Karna  et  des  autres  combattants. 

Oui  !  ce  fut,  à  mon  avis,  par  la  force  du  Destin,  qui  est 
supérieur  à  tout,  que  Karna  n'immola  point  dans  le  com- 
bat avec  cette  lance,  qu'il  tenait  à  sa  main,  le  fils  de 
Prithàou  Krishna,  de  qui  Dévakî  fut  la  mère. 

8,299—8,300. 

Karna  n'a  pas  déchargé,  comme  la  nuit  de  la  mort,  cette 
lance,  placée  dans  sa  main,  où  elle  frémissait  d'ardeur, 
parce  que  le  Destin  avait  frappé  son  esprit.   8,301. 

11  n'a  pas  envoyé  l'arme  d'Indra  pour  la  mort,  ni  à 
Krishna,  le  fils  de  Dévakî,  parce  qu'il  était  fasciné  par  la 
magie  du  Dieu,  ni  au  fils  de  Prithâ,  parce  qu'il  était  sem- 
blable à  Çakra.   8,302. 

«  Vos  esprits  étaient  frappés,  observa  le  roi  Dhrita- 
râshtra,  par  le  Destin  et  par  Krishna  ;  et  la  lance  d'Indra 
poursuivit  son  vol,  après  qu'elle  eut  tué  Ghatotkatcha, 
traité  comme  une  poignée  d'herbes.   8,303. 

»  Cette  fausse  conduite  a  déjà  mené  aux  demeures  du 
Vivasvatide  Karna,  et  mon  fils,  et  tous  les  autres  princes. 

»  Raconte-moi  encore  de  quelle  manière  ce  combat  des 
Kourouides  et  des  Pântchâlains  s'est  déroulé,  après  la 
mort  de  l'Hidimbide  ;  8,30/1—8,305. 

»  Quelles  nombreuses  armées  fondirent,  les  armes  à  la 
main,  sur  Drona  ;  comment  les  Srindjayas  avec  les  Pân- 
tchâlains soutinrent  ce  combat;  8,306. 


30A  LE  MAHA-BHARATA. 

»  Comment  ils  résistèrent  h  Drona,  qui  s'avançait  après 
la  mort  du  Somadattide  et  du  Sindhien,  qui  se  plongeait 
dans  l'armée  et  qui  avait,  dans  sa  colère,  fait  le  sacrifice 
de  sa  vie;  8,307. 

»  Comment  les  Srindjayas  et  les  Pàndouides  vinrent-ils 
à  la  rencontre  de  ce  Drona,  qui  décochait  ses  traits,  sem- 
blable à  un  tigre  prêt  à  dévorer,  ou  tel  que  la  Mort,  sa 
bouche  ouverte  ;  8,308. 

»  Qui  furent  ceux,  qui  défendirent  l'Atchârya,  sous  les 
ordres  de  Douryodhana;  quels  exploits,  mon  fils,  ont  exé- 
cuté dans  ce  combat  le  Dronide,  Rarna  et  Kripa.  8,309. 

»  Dis-moi,  Sandjaya,  comment  les  miens  se  présentèrent 
dans  la  bataille  devant  Dhanandjaya  et  Vrikaudara,  qui 
désiraient  faire  mordre  la  poussière  au  Bharadwâdjide. 

»  Comment  soutinrent-ils  le  combat  dans  cette  nuit, 
irrités,  bouillants  de  fureur  par  la  mort  du  roi  deSindhou 
et  le  trépas  du  noclivague  Ghatotkatcha  ?  » 

8,310—8,311. 

Après  la  mort  du  Rakshasa  Ghatotkatcha,  tombé  dans 
cette  nuit  sous  les  coups  de  Rarna,  répondit  Sandjaya,  au 
milieu  des  tiens,  sire,  pleins  d'ardeur,  qui  désiraient  com- 
battre, poussaient  des  cris,  8,312. 

Et  se  portaient  sur  l'ennemi  avec  rapidité,  le  roi  You- 
dhishthira,  plongé  dans  un  abattement  suprême  de  l'es- 
prit, au  sein  de  cette  nuit,  qui  s'écoulait,  et  parmi  son 
armée,  taillée  en  pièces,  8,313. 

Ce  terrible  fléau  des  ennemis  dit  à  Bhîmaséna  :  «  Arrête, 
héros  aux  longs  bras,  l'armée  desDhritarâshtrides.  8,314. 

»  La  mort,  donnée  à  l'Hidimbide,  m'a  jeté  dans  un 
immense  trouble  de  l'esprit.  »  Quand  il  eut  prescrit  cet 
ordre  à  Bhîma,  il  s'assit  dans  son  char.  8,315. 


DRONA-PARVA.  305 

Le  visage  rempli  de  larmes,  poussant  maint  et  maint 
soupir,  le  monarque,  à  la  vue  du  courage  de  Rama,  fut 
jeté  dans  un  affaissement  d'esprit  épouvantable.   8,31(5. 

Dès  qu'il  l'eut  vu  dans  un  pareil  trouble,  Krishna  lui 
tint  ce  langage  :  «  Ne  t'abandonne  pas  à  cette  émotion, 
fils  de  Kountî  :  cela  ne  te  sied  pas.   8,317. 

»  La  faiblesse  d'esprit,  ô  le  plus  vertueux  des  Bhara- 
tides,  est  d'un  homme  vil.  Relève-toi,  sire  ;  combats  ! 
Porte,  seigneur,  ce  lourd  timon.  8,318. 

»  Si  tu  tombes  dans  l'abattement  d'esprit,  la  victoire 
va  devenir  incertaine.  »  A  ces  paroles  de  Krishna,  You- 
dhishthira,  le  fils  d'Yama,  8,319. 

Ayant,  de  ses  mains,  essuyé  ses  yeux,  répondit  ces 
mots  à  Krishna  :  «  Je  connais,  héros  aux  longs  bras,  la 
plus  haute  voie  des  vertus.  8,320. 

»  Ghatotkatrha  ne  s'est  pas  aperçu  qu'il  recevait  le 
fruit  de  la  mort,  donnée  par  lui  à  un  brahme.  Tandis  que 
nous  habitions  les  forêts,  le  magnanime  Hidimbide,  en- 
core dans  l'enfance,  fit  société  avec  nous,  Djanârddana. 
Quand  il  eut  appris  le  départ  du  Pànclouide  aux  blancs 
coursiers  à  la  recherche  d'un  astra,  8,321— 8,322. 

»  Ce  héros  au  grand  arc,  Krishna,  vint  me  voir  à 
Kâmyaka  ;  et  il  habita  avec  nous  tout  le  temps  que  Dha- 
nandjaya  fut  absent.   8,323. 

»  Dans  le  voyage  au  Gandhamâdana,  il  nous  fit  traverser 
des  lieux  infranchissables,  et  porta  sur  son  dos  même  la 
Pântchâlaine  fatiguée.   8,32/i. 

»  Tu  n'ignores  pas,  seigneur,  ce  qu'il  a  fait  dès  le 
commencement  (1)  des  combats  :  ce  magnanime  a  exé- 

(i)  Suivant  le  texte  de  Bombay:  ûrambhât. 

ix  20 


306  LE  MAHA-BHARAÎA. 

cuté    pour    moi    des    prouesses   bien    difficiles.  8,325. 

»  Ghatotkatcha  me  donnait  deux  fois  autant  de  joie, 
que  m'en  inspire,  Djanàrddana,  le  caractère  (1)  de  Saha- 
déva  lui-même.   8,326. 

»  Ce  héros  aux  longs  bras  m'était  dévoué  ;  j'étais  aimé 
de  lui  autant  que  je  l'a  mais  :  consumé  de  chagrins,  je 
trouvais  en  lui,  Vrishnide,  l'appaii-ement  de  mes  peines. 

»  Vois  nos  armi  es  mises  en  déroute  devant  les  Rou- 
rouides  !  Vois  ces  deux  grands  héros,  Rarna  et  Drona,  qui 
réunissent  leurs  t  fforts  dans  la  bataille!    8,327 — 8,828. 

»  Vois  cette  armée  des  Pândouides  écrasée  au  milieu 
de  la  nuit,  comme  une  grande  forêt  de  lotus,  foulée  aux 
pieds  par  deux  éléphants  en  rut  !  8,329. 

»  Sans  tenir  compte,  Mâdhava,  des  bras  vigoureux  de 
Bhîmaséna  et  de  l'habileté  en  astras  variés  du  fils  de 
Prithâ,  les  Rourouides  s'avancent  hardiment.   8,330. 

»  Voici  que  Drona,  sa  majesté  Raina  et  Douryodhana 
lui-même,  après  qu'ils  ont  abattu  le  Rakshasa  dans  le 
combat,  poussent  de  joyeux  cris  de  victoire.  8,331. 

»  Comment  l'Hidimbide,  tandis  que  nous  vivions  en- 
core, nous  et  toi,  Djanàrddana,  a-t-il  pu  trouver  la  mort 
dans  un  engagement  avec  le  fils  du  cocher?  8,332. 

»  Comment,  nous  ayant  tous  plongés  dans  l'infortune, 
le  Bhîmasénide  à  la  grande  force,  ce  fameux  Rakshasa 
a-t-il  succombé,  Rrishna,  aux  regards  de  l'Ambidextre? 

»  Quand  Abhimanyou  fut  immolé,  Rrishna,  par  ces 
criminels  Dhritarâshtrides,  l'héroïque  Dhanandjaya  n'était 
pas  ici  présent  au  combat.  8,333 — 8,33Zi. 

»  Nous  étions  tous  alors  arrêtés  par  le  magnanime  Sin- 

(1}  Sivabhôvadyû,  texte  de  Bombay. 


DRONA-PARVA.  307 

dhien  :  Drona  et  son  fils,  Açwntthâman,  lurent  donc  une 
cause  dans  cette  prouesse.   8,335. 

»  Le  gourou  lui-même  enseigna  à  Karna  le  moyen 
de  lui  donner  la  mort;  et  il  mit  en  morceaux  avec  son  ci- 
meterre le  cimeterre  du  héros,  qui  luttait  de  toutes 
ses  forces.  8,336. 

»  Soudain  Kritavarman  de  frapper  en  homme  méchant 
les  chevaux  du  guerrier,  plongé  dans  l'infortune,  et  les 
deux  valets  de  pied,  qui  conduisaient  les  deux  premiers 
de  ses  quatre  coursiers.  8,337. 

»  Les  autres  héros  ont  abattu  le  Soubhadride  dans  la 
guerre  (1)  ;  et  l'archer  du  Gândîva  immola,  ô  le  plus  ver- 
tueux des  Yadouides,  le  roi  du  Sindhou  dans  cette  cause 
pour  lui  assez  légère  ;  mais  qui  n'est  pas  très-agréable  pour 
moi.  S'il  convient  aux  Pàndouides  d'accomplir  la  mort 
d'un  ennemi,  8,338—8,339. 

»  Il  faut  avant  tout  que  je  fasse  mordre  la  poussière  du 
combat  à  Drona  et  à  Karna  !  voilà  mon  sentiment.  Car  ils 
sont  tous  les  deux,  ô  le  plus  grand  des  hommes,  la  racine 
de  nos  chagrins.  8,340. 

»  Que  Souyodhana  rassuré  s'avance  vers  eux  dans  la 
bataille,  où  Drona  doit  recevoir  la  mort,  ainsi  que  le  fils 
du  cocher  et  ses  suivants  !  8,3M. 

»  Le  héros  aux  longs  bras,  Arjouna,  a  couché  mort  le 
Sindhien,  qui  habitait  en  des  régions  lointaines  ;  c'est  à 
moi  nécessairement  de  faire  la  répression  de  l'Adhira- 
thide.  8,342. 

»  Je  vais  combattre,  héros,  avec  le  désir  d'arracher  la 
vie  au  fils  du  cocher  ;  et  le  vigourenx  Bhîmaséna  en  vien- 

(i)  Youdhy  opfirayan,  texte  de  Bombay. 


308  LE  MAHA-BHARATA. 

dra    aux    mains    avec    l'armée    cle    Drona.    »   8,343. 
A  ces  mots,  Youdhishthira  s'avança  à  la  hâte  vers 
Karna,  en  brandissant  son  grand  arc,  et  soufflant  dans  sa 
conque  des  notes  effrayantes.  8,344. 

Ensuite,  environné  par  trois  cents  milliers  de  chars  et 
d'éléphants,  par  cinq  mille  chevaux  et  trois  milliers  de 
braves,  Çikhandî  s'empressa  de  suivre  les  pas  du  roi. 
Puis,  les  Pântchâlains  et  les  Pândouides,  revêtus  de  la 
cuirasse,  Youdhishthira  à  leur  tête,  battirent  les  tambours 
et  soufflèrent  dans  les  conques.  Le  Vasoudévide  aux  longs 
bras  dit  alors  à  Dhanandjaya:  8,345 — 8,346— 8,347. 

«  Voici  Youdhishthira,  qui,  pénétré  de  colère,  s'a- 
vance à  pieds  hâtés  :  il  a  le  désir  d  ôter  la  vie  à  l'Adhira- 
thide,  et  il  ne  met  pas  en  toi  l'espérance  de  ce  projet  !  » 
Il  dit  ;  et  Hrishîkéça-Djanârddana  de  pousspr  rapide- 
ment ses  chevaux  et  de  suivre  le  roi,  qui  s'était  avancé 
déjà  loin.  8,348-8,349. 

Dès  qu'il  le  vit  s'approcher  lestement,  l'âme  frappée  de 
chagrin  et  consumé  comme  par  le  feu,  avec  le  désir  de 
porter  la  mort  au  fils  du  cocher,  Vyâsa  de  s'avancer  vers 
Youdhishthira,  le  fils  d'Yama,  et  de  lui  adresser  ce  lan- 
gage :  8,350—8,351. 

«  Phâlgouna  a  le  bonheur  de  conserver  la  vie,  après 
qu'il  alfrunta  Karna  dans  le  combat  ;  car  il  avait  gardé 
sa  lance  dans  le  désir  d'arriver  à  la  mort  de  l'Ambidextre. 
»  Par  bonheur,  Djishnou  n'est  pas  entré  dans  un  duel 
en  chars  avec  lui  au  milieu  d'un  grand  combat  (1)  !  Par 
bonheur,  ils  n'ont  fait  que  jeter  des  astras  célestes  de  tous 
les  côtés  à  l'envi  l'un  cle  l'autre  !  8,352—8,353. 

(1)  Taina  mahâranai,  édition  de  Bombay. 


DRONA-PARVA.  309 

»  Accablé  et  ses  astras  neutralisés,  le  fils  du  cocher  eût 
pour  sûr,  Youdhishthira,  envoyé  dans  le  combat  la  lance, 
qu'il  avait  reçue  d'Indra  ;  8,354. 

»  Et  de-là  fut  résulté  un  malheur  épouvantable,  ô  le 
plus  sage  des  Bharatides.  C'est  donc  un  bonheur  que  le 
fils  du  cocher  ait  tué  le  Rakshasa  dans  cette  bataille! 

»  Celui-ci  fut  touché  par  la  mort  elle-même,  grâce  à 
cette  lance,  qui  mit  en  œuvre  la  vertu  d'Indra:  c'est  à 
cause  de  toi,  mon  fils,  que  le  Rakshasa  fut  tué  dans  le 
combat.  8,355 — 7,356. 

»  Ne  livre  ton  âme,  ô  le  plus  excellent  des  Bharatides, 
ni  au  chagrin,  ni  à  la  colère  !  Il  a  subi,  Youdhishthira,  la 
condition  qui  est  ici-bas,  celle  de  tous  les  êtres  animés. 

»  Secondés  par  tes  frères  ,et  tous  ces  magnanimes 
princes,  soutiens  le  combat,  Bharatide,  contre  tous  les  en- 
fants de  Rourou.  8,357 — 8,358. 

»  Dans  cinq  jours,  la  terre  sera  à  toi  !  Garde  continuel- 
lement ta  pensée,  tigre  des  hommes,  fixée  uniquement 
sur  le  devoir.  8,359. 

»  Honore  dans  une  profonde  joie,  fils  de  Pândou,  la  pé- 
nitence, l'innocuité,  l'aumône,  la  patience  et  la  vérité  :  le 
devoir  accompli  te  donnera  la  victoire.   »   8,360. 

Dès  qu'il  eut  dit  ces  paroles  au  Pândouide,  Vyâsa  dis- 
parut alors  dans  l'invisibilité.   8,361. 


MORT  DE   DR.OM. 


après  ce  langage,  que  lui  avait  tenu  Vyâsa,  l'héroïque 
Youdhishthira-Dharmarâdja  s'abstint,  éminent  Bharatide, 
de  porter  lui-même  la  mort  à  Karna.  8,362. 

Tombé  sous  le  pouvoir  de  la  colère  et  du  chagrin,  à  la 
suite  de  la  mort,  que  le  fils  du  cocher  avait  donné  cette 
nuit  à  Ghatotkatcha,  8,363. 

11  dit  à  Dhrishtadyoumna,  lorsqu'il  vit  Bhîma  faire 
obstacle  à  ta  grande  armée  :  «  Arrête  le  brahme,  né  dans 
une  aiguière  ;  8,364. 

»  Car  tu  as  reçu  la  naissance  du  feu  de  f  autel  pour  la 
mort  de  Drona  !  Armé  de  ta  cuirasse,  de  ton  cimeterre,  de 
ton  arc  et  de  ta  flèche,  cours  joyeux  dans  ce  combat, 
fléau  des  ennemis.  Jamais  tu  ne  connus  la  crainte.  Que 
Djanamédjaya,  Çikhandi  et  l'illustre  fils  de   Dourmoukha 

8,365—8,366. 


DRONA-PAKVA.  311 

r,  Fondent  avec  colère  de  tous  les  côtés  sur  le  brahme, 
né  dans  une  aiguière.  Que  Nakoula,  Sahadéva  et  les  vail- 
lants Draâupadéyains,  8,367. 

»  Que  Dronpada  et  Virâta,  accompagnés  de  leurs  fils 
et  de  leurs  frères,  que  Sâtyaki,  les  Kaîkéyains  et  le  Pân- 
douide  Dhanandjaya  8,368. 

»  S'élancent  avec  rapidité  sur  le  Bharadwâdjide,  dési- 
reux de  lui  ôter  la  vie.  Que  tous  les  maîtres  de  chars,  que- 
tout  ce  que  nous  possédons  en  chevaux  et  en  éléphants, 

»  Que  les  hommes  de  pied  fassent  mordre  la  poussière 
du  combat  à  l'héroïque  Drona  !  »  Tous,  à  cet  ordre  du 
magnanime  Pàndouide,  8,369 — 8,370. 

Ils  coururent  avec  rapidité  sur  le  fils  d'une  aiguière, 
stimulés  par  le  désir  de  la  victoire.  Le  meilleur  de  ceux, 
qui  portent  les  armes,  Drona  les  reçut  dans  le  combat, 
ces  Pândouides,  qui  accouraient  hâtivement,  déployant 
tous  leurs  efforts.  Ensuite,  s'éleva  cette  bataille  aux  guer- 
riers, aux  chevaux  et  aux  chars  fatigués,  8,371 — 8,372. 

Entre  les  Pândouides  et  les  Rourouides,  qui  s'adres- 
saient de  mutuelles  menaces.  Les  grands  héros,  puissant 
monarque,  aveuglés  par  le  sommeil,  épuisés  de  force  dans 
la  guerre,  ne  pouvaient  exécuter  (1)  le  plus  minime  effort 
dans  le  combat.  Cette  nuit  à  trois  veilles  avait  des  formes 
épouvantables;  elle  inspirait  l'effroi,  8,373 — 8,37/j. 

Enlevait  l'existence  et  semblait  composée  de  mille 
veilles.  Couverts  de  blessures  pour  la  plus  grande  partie, 
tuant  et  surtout  aveuglés  par  le  sommeil,  ces  kshatryas 
arrivèrent  ainsi  à  la  moitié  de  la  nuit  :  tous,  ils  étaient  sans 
énergie  et  leur  âme  était  abattue.  8, 375 -—8, 376 — 8,377. 

I)  Abhyapadyanta,  texte  dp.  Boraba>. 


312  LE  MAHA-BHARATA. 

Les  uns,  dans  ton  armée  et  celle  des  ennemis,  ayant 
épuisé  leurs  flèches  et  vidé  leurs  astras,  vivaient  alors, 
faisant  preuve  de  pudeur  et  de  sagesse  ;  car,  tenant  les 
yeux  fixés  sur  le  devoir,  ils  n'abandonnaient  pas  chacun 
son  armée.  Les  autres,  qui  n'avaient  plus  de  traits  à 
lancer,  dormaient,  leurs  paupières  fermées  par  le  sommeil, 

Ceux-ci  sur  des  éléphants,  ceux-là  sur  des  chars,  beau- 
coup sur  des  chevaux  ;  et,  quoique  le  sommeil  ravît  à  leurs 
yeux  la  vision,  roi  des  hommes,  aucune  de  nos  actions 
n'échappait  à  leur  connaissance.   8,378 — 8,379 — 8,380. 

Des  combattants  éveillés  les  envoyaient  dans  le  monde 
d'Yama.  D'autres  rêvaient  et  le  mot  :  ennemis  !  sortait  de 
leur  bouche  en  délire.  8,381. 

Ils  se  frappaient  eux-mêmes,  leurs  gens  et  les  enne- 
mis dans  le  combat.  Diverses  étaient  les  paroles,  que  bal- 
butiaient ces  guerriers  à  demi- endormis.  8,382. 

Beaucoup  de  nos  gens,  debout  en  face  des  ennemis, 
leur  disaient  :  «  Il  faut  combattre  !  »  les  yeux  chargés  de 
sommeil.  8,383. 

Certains  marchaient  dans  le  combat  les  uns  contre  les 
autres,  les  yeux  fermés  par  l'assoupissement  :  les  héros 
frappaient  les  héros  au  milieu  de  ces  ténèbres  épouvan- 
tables.  8.384 

D'autres,  que  le  sommeil  avait  plongés  dans  une  pro- 
fonde aliénation  d'eux-mêmes,  ne  s'apercevaient  pas  qu'ils 
avaient  été  blessés  dans  la  bataille  par  les  ennemis. 

Quand  il  les  vit  dans  une  telle  condition,  îlîbhatsou,  le 
plus  éminent  des  hommes,  leur  adressa  à  tous  ces  paroles, 
qu'il  leur  cria  d'une  voix  éclatante  :  8,385 — 8,386. 

«  Vous  êtes  tous  fatigués,  seigneurs  ;  le  sommeil  a  fer- 
mé vos  paupières  et  celles  de  vos  montures  au  milieu  de 


DRONA-PARVA.  313 

cette  armée  couverte  des  ténèbres  de  la  nuit  et  d'une 
épaisse  poussière.  8,387. 

»  Si  vous  m'en  croyez,  guerriers,  cessez  vos  combats, 
fermez  vos  yeux  ici,  une  heure  seulement,  sur  ce  champ 
de  bataille.  8,388. 

»  Ensuite,  affranchis  du  sommeil  et  libres  de  la  fatigue, 
aux  rayons  de  la  lune  reparue,  vous  recommencerez,  en- 
fants de  Kourou  et  de  Pândou,  à  vous  envoyer  mutuelle- 
ment au  Swarga  !  »   8,389. 

Aussitôt  que  les  paroles  de  cet  homme  juste  furent 
arrivées  aux  oreilles  des  guerriers,  instruits  dans  le  devoir, 
ils  les  eurent  pour  agréables,  et  les  armées  se  les  dirent 
les  uns  aux  autres.  8,390. 

«  Rarna  !  Karna  !  Douryodhana  !  crièrent-ils,  sire; 
l'armée  des  Pândouides  se  repose  ;  elle  a  cessé  les  com- 
bats !  »   8,391. 

Tandis  que  Phâlgouna  s'en  allait,  criant  ses  paroles  çà 
et  là,  l'armée  des  Pândouides  et  la  tienne,  fils  de  Bharata, 
suspendit  l'exercice  des  armes.   8,392. 

Tous  les  Dieux,  et  les  rishis,  et  les  armées  applaudirent 
avec  joie  aux   nobles  paroles  de.,  ce    magnanime. 

Puis,  après  ces  éloges  donnés  à  sa  proposition  bienveil- 
lante ,  toutes  les  armées  fatiguées  dormirent  là  une 
heure,  sire,  le  plus  grand  des  Bharatides. 

8,393—8,394. 

Ton  armée  trouva  la  fin  de  ses  fatigues  ;  elle  obtint  une 
situation  de  bien-être,  et  renouvela  volontiers  ses  actions 
de  grâce  à  Arjouna  :   8,395. 

«  En  toi  reposent  les  Védas  et  les  astras  !  En  toi  sont 
le  courage  et  l'intelligence  1  En  toi,  héros  aux  longs  bras, 
siègent  la  béatitude  et  la  compassion  envers  tous  les  êtres! 


31A  LE  MAHA-BHARATA. 

»  Puisses-tu  jouir  de  la  joie,  que,  ranimés  par  ce  som- 
meil, Prithide,  nous  désirons  pour  toi  !  Obtiens  prompte- 
ment,  héros,  les  choses,  qui  sont  agréables  à  ton  cœur  !  » 

8,396—8,397. 

Ainsi  parlaient,  tigre  des  hommes,  ces  grands  héros 
dans  leurs  éloges  ;  et,  le  sommeil  effaçant  l'idée  des  com- 
bats, un  profond  silence,  roi  des  mortels,  régna  parmi  eux. 

Ceux-ci  étaient  couchés  sur  l'échiné  de  leurs  chevaux, 
ceux-là  sur  le  banc  des  chars,  les  uns  sur  les  épaules  d'un 
éléphant,  les  autres  dormaient  simplement  sur  la  terre. 

8,398—8,399. 

D'autres  hommes  reposaient,  chacun  à  part  avec  ses 
armes,  celui-ci  tenant  son  cimeterre,  celui-là  sa  massue, 
l'un  sa  hache,  un  autre  ses  flèches  et  revêtu  de  sa  cui- 
rasse. 8,/i00. 

Les  éléphants  aux  trompes  ornées  de  la  poussière  de  la 
plaine  et  semblables  à  des  peaux  de  serpents,  les  yeux 
fermés  par  le  sommeil,  rafraîchirent  la  terre  des  souffles 
de  la  vie.  8,/i01. 

Étendus  comme  des  montagnes  avec  des  reptiles  sif- 
flants, les  proboscidiens,  aspirant  et  respirant,  brillaient 
alors  sur  la  face  deJa  terre.  8,402. 

Portant  des  jougs  attachés  par  des  liens  d'or  et  sus- 
pendus sur  leur  crinière,  les  chevaux,  qui  avaient  uni  la 
terre  raboteuse  avec  les  coups  de  leur  sabot,  8,A03. 

Étaient  couchés  là  de  tous  les  côtés,  Indra  des  rois, 
attelés  encore  à  la  voiture  de  guerre.  Ainsi  dormaient, 
laissant  reposer  les  combats,  guerriers,  éléphants  et  che- 
vaux, remplis  d'une  grande  fatigue  :  ainsi,  plongée  dans 
le  sommeil,  l'armée  dormait,  ensevelie  dans  la  stupeur, 

8,/jO/i— 8,405. 


DRONA-PARVA.  315 

Et  semblable  à  un  chef-d'œuvre  de  peinture,  dont  les 
artistes  (1)  habiles  ont  enrichi  une  étoffe.  8,406. 

Jeunes,  ornés  de  pendeloques,  les  membres  couverts 
de  blessures  par  les  flèches  envoyées  l'un  à  l'autre,  les 
kshatryas  étaient  endormis,  appuyés  sur  les  globes  fron- 
taux des  éléphants,  comme  des  amants  assoupis  sur  le 
sein  de  leurs  maîtresses.  8,407. 

Ensuite,  la  plage  du  ciel,  consacrée  à  Mahéndra,  se 
para  avec  la  lune,  le  plaisir  des  yeux,  la  reine  des  lotus, 
pâle  comme  les  joues  d'un  amant.  8,408. 

Tel,  sorti  des  flancs  de  sa  montagne,  l'astre  aux  mille 
yeux,  rose,  lumineux,  étalant  sa  crinière  de  rayons,  le 
soleil  s'élève  sur  le  mont  Oudaya,  brisant  le  troupeau  des 
sombres  éléphants  de  la  nuit.   8,409. 

11  possède  un  éclat  égal  à  celui  de  la  tête  du  taureau  de 
Çiva  ;  sa  splendeur  ressemble  à  la  puissance  de  l'arc  de 
l'Amour  ;  et,  ravissant,  beau,  souriant,  comme  une  jeune 
épouse,  il  semble  le  frère  des  lotus,  entrouvrant  leurs  pé- 
tales. 8,410. 

Après  un  instant,  l'adorable  lune  apparut  devant  les 
yeux,  et  l'auguste  planète,  dévorant  la  lueur  des  étoiles, 
montra  sa  lumière  mêlée  de  rouge  et  de  noir.  8,411. 

La  grande  lune  envoya  lentement,  lentement,  son  ré- 
seau de  rayons,  de  qui  la  lumière  égale  semblait  être  la 
sœur  cadette  de  cette  lumière  basannée.  8,412. 

Ces  rayons  de  la  lune  aux  clartés  étendues  avec  lenteur 
arrivèrent  enfin  dans  tous  les  points  de  l'espace,  au  mi- 
lieu de  l'atmosphère  et  sur  la  terre.  8,413. 

On  moment  après,  le  monde  devint  tout  lumière;  et  le£ 

!    Çilpibhù,  texte  cfc  Bomba*. 


316  LE  MAHA-BHARATA. 

ténèbres  sans  clarté,  incomparables,  s'enfuirent  à  grands 
pas.  S, MA. 

Dans  le  monde  illuminé  aux  rayons  de  cette  lune,  qui 
s'était  faite  le  jour,  les  noctivagues,  qui  rôdaient,  cessèrent 
de  circuler.  8, A 15. 

Réveillée  par  ces  rayons  de  la  lune,  l'armée  parut,  sire, 
comme  une  vaste  forêt  de  lotus,  dont  le  pied  est  plongé 
dans  les  eaux.  8,416. 

Cette  apparition  de  la  lune  fit  se  lever  cet  océan  d'ar- 
mée, comme  la  mer  agitée  est  soulevée  au  jour  d'une 
pléoménie.  8,417. 

Ensuite,  recommença  dans  ce  monde  le  combat  pour  la 
ruine  du  monde  entre  ces  guerriers,  qui  avaient  l'ambi- 
tion d'un  monde  supérieur.  8,418. 

Tombé  sous  le  pouvoir  de  la  colère,  Douryodhana  de 
s'avancer  alors  vers  Drona,  et  de  lui  adresser  ces  paroles, 
mères  de  la  joie  et  de  la  force  :  8,419. 

«  On  ne  doit  plus  supporter  dans  le  combat,  surtout 
quand  ils  ont  obtenu  le  but  de  leur  âme  fatiguée,  des 
ennemis  remplis  encore  de  lassitude,  après  qu'ils  se  sont, 
reposés.   8,4*20. 

»  Nous  avons  souffert  cette  chose  par  le  désir  d'être 
agréables  à  ta  sainteté.  Ces  Pândouides  fatigués  sont 
maintenant  plus  forts.   8,421. 

»  Dépourvus  entièrement  de  vigueur  et  d'énergie,  mais 
sauvés  par  ta  sainteté,  ils  sont  accrus  de  plus  en  plus. 

»  C'est  en  toi  surtout  que  reposent  tous  ces  astras  bran  - 
iniques  et  ces  astras  célestes,  qu'ils  nous  décochent. 

8,422—8,423. 

»  Quand  ta  sainteté  combat,  elle  n'a  point  d'égaux  en 
ce  monde,  ni  dans  les  Pcàndouides,  ni  dans  nous-mêmes. 


DRONA-PARVA.  317 

ni  dans  les  autres  archers  :  c'est  une  vérité,  que  je  te 
dis  là.  8,424. 

»  Toi,  à  qui  tous  les  astras  sont  connus,  Ole  plus  excel- 
lent des  brahmes,  tu  pourrais  détruire  avec  tes  astras 
divins,  il  n'y  a  pas  de  doute,  ces  mondes  avec  les  Gan- 
dharvas,  les  Asouras  et  les  Dieux.   8,425. 

»  Mais,  recevant  ses  inspirations,  ou  de  l'ignorance,  ou 
de  mon  infortune,  ta  sainteté  supporte  ces  hommes,  qui 
sont  avant  tout  véritablement  effrayés.  »   8,426. 

Ulcéré  par  ton  fils,  Drona  irrité  répondit  avec  colère 
ces  paroles  à  Douryodhana  :  8,427. 

«  Je  déploie  dans  le  combat  des  efforts,  qui  surpassent 
mes  forces,  Douryodhana,  malgré  ma  vieillesse;  et, 
quoique  je  désire  la  victoire,  il  me  reste  peu  de  chose  à 
faire  de  plus  que  je  n'ai  déjà  fait.   8,428. 

»  Tout  ce  peuple,  qui  ne  connaît  pas  les  astras,  doit 
succomber  sous  les  coups  d'un  homme,  qui  en  possède  la 
connaissance  :  j'exécuterai  sur  ta  parole,  et  non  par  un 
autre  mobile,  Kourouide,  ce  que  ta  majesté  pense  bon  ou 
mauvais.  Donnant  l'essor  à  ma  valeur  dans  le  combat,  je 
déposerai  ma  cuirasse,  sire,  après  que  j'aurai  immolé 
tous  les  Pântchâlains  ;  je  touche  mes  armes  en  garantie 
de  cette  vérité  !  Arjouna,  le  fils  de  Rountt,  penses-tu,  s'est 
fatigué  dans  le  combat;  8,429— 8. 430-8, 431. 

»  Mais  écoute,  Kourouide  aux  longs  bras,  ce  qu'est  son 
courage  dans  la  vérité.  Les  Rakshasas,  les  Yakshas,  les 
Gaudharvas,  ni  les  Dieux  8,432. 

»  Ne  peuvent  soutenir  dans  un  combat  la  colère  de 
l'Ambidextre,  ce  magnanime,  qui,  versant  une  pluie  de 
flèches,  arrêta  dans  le  Khandava  l'adorable  souverain  des 
Dieux,  et  lui  rendit  ses  coups!  Les  Yakshas,  les  Nâgas, 


318  LE  MAHA-BHARATA. 

les  Daîtyas  et  les  autres,  à  qui  leur  force  inspirait  de  l'or- 
gueil, 8,433—  8,434. 

»  Ont  mordu  la  poussière  sous  le  bras  de  cet  Indra  des 
hommes  :  c'est  un  fait,  que  tu  n'ignores  pas.  Les  Gan- 
dharvas,  Tchitraséna  et  les  autres  furent  vaincus  dans 
Ghoshayâtrâ.  8,435. 

»  Quand  vous  fûtes  enlevés  par  eux,  ce  héros  à  l'arc 
solide  vous  a  délivrés  de  leurs  mains.  Les  Nivâtakava- 
tchas,  ces  ennemis  des  Dieux  mêmes,  8,436. 

»  A  qui  les  Immortels  ne  pouvaient  donner  la  mort, 
furent  domptés  par  ce  brave  dans  un  combat.  Ce  tigre  des 
hommes  a  vaincu  des  milliers  de  Dânavas,  qui  habitaient 
la  Ville-d'Or  :  comment  pourrait-il  être  vaincu  par  des 
enfants  de  Manou  ?  Tu  vois  que,  sous  tes  yeux  mêmes,  en 
dépit  de  nos  efforts  (1),  ton  armée  entière,  souverain  des 
hommes,  est  détruite  (2)  par  le  fils  de  Pândou  !  » 

8,437—8,438—8,439. 

Ton  fils  irrité,  sire,  répondit  alors  ces  paroles  au 
brahme,  qui  se  répandait  ainsi  en  éloges  d'Arjouna: 

«  Douççâsana,  Karna,  Çakouni,  mon  oncle,  et  moi,  au- 
jourd'hui même,  nous  immolerons  Arjouna  dans  le  com- 
bat, après  que  nous  aurons  mis  en  deux  l'armée  Bhara- 
tienne.  »  8,440—8,441. 

A  cette  parole  entendue,  le  Bharadwâdjidesemitàrire, 
et,  s' approchant  avec  vivacité,  lui  dit  :  «  Puisse  t' accom- 
pagner le  bonheur  !  8,44*2. 

»  Car  est-il  un  kshatrya,  qui  puisse  détruire  cet  émi- 
nent  guerrier,  l'impérissable  archer  du  Gândîva,  qui  brille 
comme  flamboyant  de  splendeur  ?  8,443. 

(1-2)  Kshapitan....tchéshtafân  nas,  texte  de  Bombay. 


DRONA-PARVA.  51» 

»  Ni  les  Rakshasas,  les  Ouragas  et  les  Asouras,  ni  le 
roi  des  eaux,  ni  Indra,  ni  Yama,  ni  le  souverain  des 
richesses  ne  pourrait  le  tuer,  quand  il  porte  à  la  main 
ses  armes!  8,444. 

»  Ceux,  qui  tiennent  ce  langage,  que  tu  as  prononcé, 
Bharatide,  sont  des  insensés.  Qui,  ayant  affronté  le  combat 
avec  Arjouna,  s'en  retournerait  heureux  dans  son  palais? 

»  Et  toi,  homme  dur,  aux  résolutions  criminelles,  tu 
viens  d'u e  ici  telles  et  telles  paroles  à  des  hommes  ver- 
tueux,  qui   ont  embrassé  tes  intérêts  ! 

8,445— 8,446. 

»  Va  repousser  le  fils  de  Rountî  dans  ta  propre  cause. 
Enfin,  tu  désires  le  combat,  car  tu  es  un  kshatrya,  né 
dans  une  noble  famille.   8,447. 

»  Pourquoi  veux-tu  faire  immoler  tous  ces  princes  inno- 
cents? La  racine  de  cette  guerre,  c'est  toi  !  Va  donc 
affronter  Arjouna.  8,448. 

»  Docte,  dévoué  aux  devoirs  du  kshatrya,  que  ton  oncle, 
Gândâride,  ce  joueur  frauduleux,  s'avance  au  combat 
contre  Phâlgouna  !  8,449. 

»  Cet  homme  pervers,  habile  à  faire  rouler  les  dés,  ce 
joueur  de  jeux  perfides,  ce  tricheur,  savant  dans  l'art  de 
la  méchanceté,  il  vaincra  les  Pândouides  dans  le  combat! 

»  Plus  d'une  fois  avec  Karna,  dans  ta  folle  ardeur, 
en  ton  âme  vide,  aveuglé  par  le  délire,  tu  t'es  vanté  de 
cela  par  de-là  toute  mesure,  aux  oreilles  mêmes  de  Dhri- 
tarâshtra. 

«  Karna,  Douççâsana,  mon  frère,  et  moi,  disais-tu, 
nous  trois  réunis  dans  le  combat,  mon  père,  nous  immo- 
lerons le  fils  de  Pàndou  !  »   8,450 — 8,451 — 8,45*2. 

»  Voilà  ce  qu'on  t'entendit  prononcer  mainte  fois  dans 


320  LE  MAHA-BHARATA. 

chaque  assemblée.  Fais  donc,  que  tu  as  promis  !  Sois  avec 
eux,  ayant  une  parole  de  vérité  !  8,453. 

->  Le  Pândouide,  cet  ennemi  intolérable,  est  devant  toi , 
observe  le  devoir  du  kshatrya.  et  tire  vanité  de  ta  mort, 
comme  de  la  victoire.   8,454. 

»  Tu  as  satisfait  aux  abstinences,  à  l'aumône,  à  la  lec- 
ture, à  l'ambition  d'un  grand  empire  ;  tu  es  au  comble  de 
tes  vœux,  tu  as  rempli  tes  obligations  :  sois  donc  sans 
crainte,  et  combats  le  fils  de  Pândou  !  »   8,455. 

Le  brahme  dit  et  s'en  retourna  ;  puis,  quand  il  eut  fait 
deux  parues  de  l'armée,  la  lutte  recommença  dans  une 
nouvelle  bataille.  8,456. 

Le  combat  des  Rourouides  et  des  Pândouides  se  dé- 
roula, souverain  des  hommes,  dans  cette  nuit,  à  laquelle 
il  ne  restait  plus  que  l'espace  de  sa  troisième  veille. 

Ensuite,  le  précurseur  du  soleil,  Arouna,  se  leva,  ra- 
vissant la  clarté  de  la  lune,  et  répandit  comme  une  teinte 
rouge  sur  le  ciel.   8,457 — 8,4<i8. 

Dans  la  plage  orientale,  le  disque  du  soleil,  astre  aux 
mille  rayons,  que  l'aurore  peignait  en  rouge,  resplendit 
au  milieu  des  airs,  tel  qu'un  tchakra  d'or.   8,45&. 

Abandonnant  les  chars,  les  chevaux  et  les  diverses 
montures  des  hommes,  tous  les  guerriers  de  Pândou etde 
Kourou,  tournant  la  face  vers  l'auteur  du  jour,  réunirent 
au  front  les  paumes  de  leurs  mains,  et,  parvenus  à  ce  mo- 
ment de  la  lumière  naissante,  récitèrent  la  prière  à  voix 
basse.  8,/i(50. 

Lorsqu'il  eut  divisé  l'armée  en  deux  parties,  Drona, 
que  devançait  Douryodhana,  fondit  sur  les  Pântchâlains, 
les  Somakas  et  les  Pândouides.  8,461. 

Aussitôt  qu'il  vit  les  Krouides  séparés  en  deux  moitiés, 


DRONA-PARVA.  321 

le  Vasoudévide  dit  à  Arjouna  :  «  Mets  les  ennemis  à  ta 
gauche,  et  celui-ci  à  ta  droite  !  »   8,462. 

«  Fais  !  i)  lui  répondit  Dhanandjaya,  donnant  sa  per- 
mission à  Mâdhava;  et  il  roula  çà  et  là,  tenant  à  sa  gauche 
Drona  et  Karna,  ces  guerriers  aux  grands  arcs.  8,463. 

A  peine  eut-il  connu  l'intention  de  Krishna,  Bhîmaséna, 
le  conquérant  des  cités  ennemies,  adressa  ce  langage  au 
Prithide,  placé  à  la  tête  du  combat  :  8,464. 

«  Arjouna  !  Arjouna-Bîbhatsou,  écoute  cette  parole  de 
moi  1  Voici  arrivé  ce  moment,  pour  lequel  sont  nés  les 
kshatryas.  8,465. 

»  Si  tu  n'accomplis  ce  qui  est  bien  dans  le  temps  oppor- 
tun, tu  feras  une  chose  très-mauvaise  (1)  avec  des  formes 
irréfléchies.  8,466. 

»  Décharge-toi  par  ton  courage  de  tes  obligations  en- 
vers la  vérité,  la  fortune,  le  devoir  et  la  renommée  :  en- 
fonce l'armée,  ô  le  meilleur  des  combattants,  et  mets  ces 
hommes  à  ta  droite.  »   8,467. 

Excité  par  Bhîmaséna  et  le  Vasoudévide,  l'Ambidextre, 
ayant  dépassé  Karna  et  Drona,  les  cerna  de  tous  côtés. 

Les  plus  vaillants  kshatryas  de  marcher  hardiment 
contre  le  héros,  qui,  déployant  sa  valeur,  s'avançait  à  la 
tête  du  combat  et  consumait  les  plus  braves  des  guerriers. 

8,468—8,469. 

Douryodhana,  Karna  et  Çakouni  le  Soubalide  ne  purent 
l'arrêter,  comme  un  incendie  dans  son  intensité.    8,470. 

Ils  inondèrent  avec  des  multitudes  de  flèches  Dhanan- 
djaya, le  fils  de  Kountî  :  le  meilleur  des  hommes  versés 
dans  les  plus  grands  astras,  il  frappa  leurs  astras  d'im- 

(1)  Twan  sunriçansan,  texte  de  Bombay. 

xi  21 


322  LE  M  AH  A-BHARATA. 

puissance,  Indra  des  rois,  et  répandit  sur  eux  ses  pluies 
de  traits.  Maître  de  ses  organes  des  sens,  à  la  main  lé- 
gère, il  paralysa  leurs  astras  avec  ses  astras, 

8,471— 8,472. 

Et  les  blessa  tous  individuellement  avec  dix  flèches  acé- 
rées. Une  pluie  de  poussière  s'éleva  en  même  temps  que 
la  pluie  des  flèches  ;  8,473. 

Une  obscurité  épouvantable  et  un  bruit  immense  ré- 
gnaient alors  de  concert  ;  et,  dans  une  telle  situation  des 
choses,  on  ne  distinguait  plus,  ni  le  ciel,  ni  la  terre,  ni 
les  points  cardinaux.  8,474. 

Dans  l'armée  (1),  la  poussière  ne  répandait  pas  seule- 
ment l'incertitude,  mais  tout  en  était  aveuglé  :  l'ennemi 
ne  pouvait  nous  reconnaître,  et  nous  ne  pouvions,  sire, 
nous  distinguer  les  uns  les  autres.   8,475. 

Tel  était  le  tableau  du  combat  de  ces  princes  :  réduits 
sans  chars,  sire,  les  maîtres  de  chars  s'approchaient  mu- 
tuellement ;  ils  se  prenaient  aux  cheveux,  et  par  les  cui- 
rasses et  les  bras.  On  voyait  là,  glacés  de  crainte,  comme 
s'ils  étaient  vivants,  les  maîtres  de  chars  sans  mouvement, 
leurs  chevaux  tués,  leurs  cochers  immolés.  Ils  tenaient 
embrassés,  tels  que  des  montagnes,  les  éléphants  sans  vie. 
Les  coursiers  8,476—8,477—8,479. 

Étaient  vus,  lame  exhalée,  à  côté  de  leurs  cavaliers 
inanimé*.  Passé  du  combat  dans  la  plage  septentrionale, 

Drona  s'y  tenait  de  même  qu'un  feu  sans  fumée.  11 
ébranlait,  souverain  des  hommes,  les  armées  des  Pân- 
douides,  qui  le  virent  s'avancer,  sans  être  accompagné, 
en  avant  de  la  tête  du  combat.  A  peine  eurent-ils  vu 

(1)  Saînéyna  radjasâ,  lisez  :  Sai?iyé  na  radjasâ. 


DRONA-PARVA.  323 

Drona  resplendir,  environné  de  prospérité,  et  flamboyer 
comme  de  splendeur,  les  ennemis  de  trembler,  de  se 
faner,  de  chanceler,  Bharatide.  Quand  il  porta,  tel  qu'un 
éléphant  en  rut,  le  défi  à  l'armée  contraire, 

8,/i80— 8,481—8,482. 

Ils  perdirent  l'espérance  de  le  vaincre,  comme  les  Dâ- 
navas  de  surmonter  le  fils  de  Vasou.  Les  uns  étaient 
sans  énergie,  quelques  braves  ressentaient  de  la  colère  ; 

Les  autres  étaient  frappés  de  stupeur  ;  ceux-là  étaient 
saisis  de  courroux  ;  ceux-ci,  les  monarques  des  hommes, 
se  broyaient  les  doigts  dans  les  paumes  des  mains. 

8,483—8,48/1. 

Remplis  de  fureur,  les  uns  se  mordaient  les  lèvres  de 
leurs  dents  ;  les  autres  brandissaient  leurs  armes  ;  il  en 
était  qui  se  meurtrissaient  les  bras.  8,485. 

Quelques-uns  à  la  grande  force,  ayant  fait  le  sacrifice 
de  leur  vie,  accouraient  vers  Drona.  Les  Pântchâlains  sur- 
tout, accablés  par  les  flèches  de  l'Atchârya,  8,486. 

Se  pelotonnaient  dans  le  combat,  en  proie  à  une  pro- 
fonde douleur,  autour  de  leur  monarque.  Ensuite,  Viràta 
et  Droupada  s'opposèrent  dans  la  bataille  à  Drona,  qui 
marchait  ainsi  dans  la  guerre  et  ne  laissait  espérer  qu'une 
victoire  de  la  plus  grande  difficulté.  Enfin,  trois  petit-fils 
mêmes  de  Droupada,  monarque  des  hommes, 

8,487—8,488. 

Et  les  Tchédiens  aux  grands  arcs  se  portèrent  dans  le 
combat  au-devant  du  brahme,  qui  ravit  les  existences 
avec  trois  flèches  acérées  aux  trois  petit-fils  de  Droupada. 
Ils  tombèrent  sans  vie  sur  la  terre.  Puis,  Drona  vainquit 
dans  le  combat  les  Tchédiens,  les  Srindjayas  et  les  Kaî- 
kéyains.  8,489— 8,4v)0. 

L'héroïque  Bharadwâdjide  défit  aussi  les  Malsyas;   et, 


324  LE  MAHA-BHARATA. 

dans  sa  colère,  Droupada  lui  déchargea  une  averse  de 
flèches.  8,491. 

Virâta  fit  tomber  dans  la  guerre,  puissant  roi,  une 
pluie  de  traits  sur  le  brahme.  Ce  broyeur  de  kshatryas 

Ensevelit  sous  ses  flèches  Virâta  et  Droupada.  Ces  deux 
héros  irrités,  couverts  de  dards  par  l'Atchârya  et  montés 
au  comble  de  la  fureur,  le  blessèrent  à  leur  tour  de  pro- 
jectiles accumulés.  Drona,  pénétré  de  ressentiment  et  de 
colère,  grand  roi,  8,492— 8,493— 8,494. 

Coupa  leurs  arcs  avec  deux  bhallas  très-acérés.  Virâta 
irrité  d'envoyer  dix  leviers  de  fer  et  dix  flèches,  par  le 
désir  d'arriver  à  la  mort  de  Drona:  et  Droupada  en  cour- 
roux de  darder  sur  le  brahme  une  lance  épouvantable  de 
fer,  ornementée  d'or  et  semblable  au  roi  des  serpents. 
Mais  il  trancha  avec  des  bhallas  très-  acérés  les  dix  leviers, 
et  avec  des  flèches  la  lance  aux  ornements  de  lapis-lazuli 
et  d'or.  Ensuite,  ce  broyeur  des  ennemis,  Drona  envoya 
dans  les  demeures  du  Vivasvatide  Doupada  et  Virâta  avec 
deux  bhallas,  très-avides  de  sang.  Après  la  mort  de  ces 
deux  héros,  et  celle  des  Kaîkéyains,  et  celle  des  Tchédiens, 
des  Matsyas  et  des  Pântchâlains,  et  celle  des  trois  héros, 
petit-fils  de  Droupada,  à  la  vue  de  cet  exploit  du  brahme, 
Dhrishtadyoumna  au  grand  cœur,  pénétré  de  douleur  et 
de  colère,  le  maudit  au  milieu  des  maîtres  de  chars  :  [De 
la  stance  8,495  à  la  stance  8,502.) 

«  Par  mes  sacrifices,  mes  œuvres  méritoires,  mes  actes, 
soit  du  brahme,  soit  du  kshatrya,  périsse  ce  Drona,  de 
qui,  je  serai  débarrassé  (1)  aujourd'hui  ;  et  ce  (2)  Drona 
périra!  »   8,502. 


(1-2)  Moutchyéta  yan  va.  Mettez  le  signe  de  quiescence  sous  le  second  t 
du  premier  mot  et  joignez  «  au  mot  suivant  :  mouichyét  ayanvû. 


DRONA-PARVA.  325 

A  peine  eut-il  articulé  cette  exécration  au  milieu  de  tous 
les  archers,  le  Pântchâlain,  meurtrier  des  héros  ennemis, 
s'avança  à  la  tête  de  son  armée  vers  l'Atchârya.   8,503. 

D'un  côté  les  Pàntchâlains,  et  de  l'autre  les  Pândouides, 
adressaient  leurs  coups  à  Drona.  Karna,  Çakouni  le  Sou- 
balide,  Douryodhana,  8,50/i. 

Ses  frères  germains  et  les  principaux  veillaient  au  salut 
du  brahme  dans  la  bataille  ;  et  les  Pàntchâlains,  redou- 
blant d'efforts,  ne  pouvaient  même  fixer  les  yeux  sur 
Drona,  défendu  par  ces  magnanimes  dans  le  combat. 
Alors  Bhîmaséna  de  s'irriter,  vénérable  monarque,  contre 
Dhrishtadyoumna  (1),  et  de  le  blesser  avec  ses  paroles 
mordantes:  8,505—8,506-8,507. 

«  0  toi,  le  plus  instruit  dans  l'art  de  lancer  la  flèche  et 
dans  la  science  des  astras  parmi  tous  les  hommes,  qui 
savent  les  astras,  quel  kshatrya  estimé,  né  dans  la  famille 
de  Droupada,  pourrait  regarder  un  ennemi,  ferme-en  son 
dessein?  8,508. 

»  Quel  homme  de  cœur  songerait  à  sauver  sa  vie  (2) , 
quand  il  a  vu  périr  son  fils  et  son  père,  et  surtout  quand 
il  a  prononcé  un  tel  serment,  comme  le  tien,  dans  l'assem- 
blée des  rois!  8,509. 

»  Tel  que  le  feu  allumé  brûle  de  ses  flammes,  tel  Drona, 


(i)  Pourquoi  cette  colère  de  Bhîmaséna?  Quelle  action  de  Drishta- 
dyoumna  voyons-nous  en  être  le  motil  ?  Pourquoi  cette  aigre  invective 
des  deux  premiers  vers?  le  poète  se  tait.  Je  pense  donc  qu'il  pourrait  bien 
se  trouver  ici  un,e  certaine  lacune  :  peut-être  un  sourire  trompeur  de  la 
fortune,  qui  parut  d'abord  favorable  au  vieux  brahme,  et  força  Dhrishta- 
dyoumna à  fuir  devant  ses  armes  un  instant  supérieures. 

(2)  Sous-entendu  ûtmânam,k  moins  qu'on  ne  veuille  lire  dans  le  texte  : 
paripalâyet,  au  lieu  de  jjaripâlayet  ;  ce  qui  donnerait  pour  sens  :  quel 
homme  songerait  à  fuir. 


326  LE  MAHA-BHARATA. 

qui  a  pour  bois  son  arc  et  ses  flèches,  consume  lekshatrya 
de  sa  splendeur.   8,510. 

»  Avant  qu'il  n'ait  exterminé,  jusqu'au  dernier  soldat, 
l'armée  des  Pândouides,  restez  ici  tranquilles  et  contem- 
plez ma  prouesse;  je  marche  à  Drona  même  !  »   8,511. 

A  ces  mots,  Vrikaudara  d'entrer  avec  colère  dans  l'ar- 
mée du  brahme,  et  de  mettre  en  fuite  tes  divisions  avec 
ses  flèches  bien  lancées,  longues  et  puissantes.   8,512. 

Le  Pântchâlain  Dhrishtadyoumna  lui-même  pénétra 
dans  la  grande  armée  et  s'avança  vers  l'Atchârya.  Alors 
s'éleva  une  bataille  grande,  tumultueuse,  telle  que  nous 
n'en  avons  jamais  vu  une  pareille,  ni  entendu  nos  devan- 
ciers parler  d'une  semblable.  Comme  au  lever  de  l'au- 
rore, sire,  il  régnait  dans  l'armée  un  vaste  désordre. 

8,513—8,51/1. 

On  voyait  les  chars  par  troupes  attachés  l'un  à  l'autre, 
vénérable  monarque,  les  corps  brisés  des  guerriers  immo- 
lés.  8,515. 

Les  uns  s'en  allaient  par  divers  chemins,  ceux-ci  trou- 
vaient le  malheur  dans  la  route,  ceux-là  fuyaient,  les 
autres  étaient  blessés  dans  le  clos  et  sur  les  côtés.  8,516. 

Un  combat  de  près  sévissait  avec  une  extrême  épou- 
vante :  enfin,  le  soleil  éclaira  dans  un  instant  et  naquit  au 
milieu  de  l'aurore.   8,517. 

Revêtus  de  leurs  cuirasses,  grand  roi,  les  guerriers 
adorèrent  au  front  de  la  bataille  l'auteur  du  jour,  aux 
mille  rayons  éclos  dans  les  premiers  feux  du  matin. 

Sous  les  rayons  de  lumière  du  soleil  levé  avec  la  splen- 
deur de  l'or  passé  au  feu,  la  bataille  recommença  au  mi- 
lieu des  mondes  éclairés.   8,518 — 8,519. 

Les  couples  de.  chars,  qui,  au  point  du  jour,    étaient 


DRONV-PARVA.  327 

voisins  les  uns  des  autres,  s'attachèrent  mutuellement, 
Bharatide,  quand  le  soleil  eut  paru.  8,520. 

Les  chevaux  se  rencontraient  avec  les  chars,  les  élé- 
phants avec  les  chevaux,  les  hommes  de  pied  avec  les 
éléphants,  les  coursiers  avec  les  coursiers,  les  fantassins 
avec  les  fantassins.   8,521. 

Les  combattants,  réunis  ou  séparés,  concouraient,  émi- 
nent  Bharatide,  les  chars  avec  les  chars,  les  éléphants, 
soit  avec  les  éléphants,  soit  avec  les  chevaux.  8,522. 

Un  grand  nombre  de  gens  habiles  dans  les  combats,  mais 
épuisés  déjà  par  la  splendeur  du  soleil,  les  membres 
enveloppés  de  soif  et  de  faim,  étaient,  dans  ce  jour,  sans 
vie  ni  sentiment.  8,523. 

Il  régnait,  sire,  un  vaste  son,  qui  s'élevait  jusqu'à  tou- 
cher le  ciel,  bruit  de  conques,  de  tambours,  de  tymbales, 
du  barrit  des  éléphants,  d'arcs  brandis,  tirés,  aux  flèches 
sifflantes,  de  fantassins  en  déroute,  d'armes  tombant,  du 
hennissement  des  chevaux,  de  chars  mis  en  fuite,  de  pro- 
boscidiens  criant  :  c'était  alors  un  hourvari  confus. 

8,524—8,525—8,526. 

Un  brouhaha  grand,  tumultueux,  s'élevait  alors  jus- 
qu'au ciel  en  s' accroissant  :  on  entendait  sur  la  terre  un 
bruit  immense  de  toutes  sortes  d'armes  cassées,  un  son 
plaintif  d'hommes  se  convulsant  dans  l'agonie;  c'était 
une  grande  pitié  que  de  voir  ces  éléphants,  ces  chevaux, 
ces  héros,  ces  hommes  de  pied  tombés  et  tombant. 

Dans  toutes  ces  armées  étroitement  attachées  en  grand 
nombre  les  unes  avec  les  autres,  les  Kourouides  frappaient 
leurs  gens,  et  les  Pândouides  ceux  de  leur  parti  ;  les  en- 
fants de  Kourou  perçaient  les  fils  de  Kourou,  et  les  enne- 
mis blessaient  nos  ennemis.  8,527 — 8,528—8,529. 


328  LE  MAHA-BHARATA. 

On  voyait  à  la  ronde,  comme  chez  les  blanchisseurs, 
parmi  les  combattants  et  parmi  les  éléphants  (1),  des  mon- 
ceaux de  vêtements,  que  les  héros  avaient  rejetés  de  leurs 
bras.   8,530. 

Le  mot  de  cette  métaphore  :  semblables  à  des  vêtements 
aux  mains  d'un  blanchisseur,  pouvait  s'appliquer  aussi  à 
des  amas  de  cimeterres,  brisés  par  les  bras  des  héros,  au 
moment  qu'ils  se  levaient  pour  frapper.  8,531. 

Un  combat  grand,  bien  épouvantable,  fut  engagé  alors 
avec  des  armes  vulgaires,  des  épées,  des  sabres,  des  le- 
viers de  fer  et  des  haches.  8,532. 

Les  héros  firent  couler  un  fleuve,  qui,  grossi  par  les 
corps  des  chevaux  et  des  éléphants,  roulait  dans  ses  flots 
les  cadavres  des  guerriers,  qui  avait  pour  sa  vase  la  chair 
et  le  sang,  qui  était  rempli  de  flèches  pour  ses  poissons, 
qui  avait  des  étendards  et  des  traits  (2)  en  guise  d'écume, 
qui  résonnait  de  plaintes  de  détresse,  et  qui  se  déchargeait 
dans  le  monde  des  morts.   8,533  — 8, 53/i. 

Les  coursiers  et  les  éléphants  se  tenaient,  immobiles  de 
tous  leurs  membres,  l'âme  presque  exhalée,  épuisés  de 
force,  affolés  par  la  nuit,  blessés  des  lances  et  des 
flèches  (3).  8,535. 

Le  visage  desséché  par  la  fatigue,  les  héros  brillaient 
çà  et  là  de  leurs  pendeloques  superbes,  des  parure*  de 
leur  tête  et  des  appareils  du  combat.  8,536. 

Quant  au  champ  de  bataille,  il  était  tout  rempli  de 
guerriers,  ou  morts,  ou  à  moitié  morts,  et  par  des  troupes 
de  carnassiers  :  il  n'y  avait  pas  là  de  route  pour  les  chars. 

(1)  Gadjéshu,  texte  de  Bombay. 

(2)  Çastraphénilân,  même  texte. 

(3)  Çaraçakti,  au  même  lieu. 


DRONV-PARVA.  399 

Les  chevaux  s' efforçant  de  tout  leur  courage,  coursiers 
doués  de  force,  d'ardeur,  d'un  noble  sang,  et  pareils  à. des 
éléphants,  fatigués,  tremblants,  tourmentés  par  les  bles- 
sures des  flèches,  traînaient  avec  peine  les  chars,  dont  les 
roues  plongeaient  dans  la  terre.  L'armée  entière,  à  l'excep- 
tion de  ces  deux  guerriers  seulement,  Arjouna  et  Drona, 
était  alors  émue,  semblable  à  la  mer,  Bharatide,  et  ma- 
lade de  peur.  Mais  ces  deux  héros  étaient  un  asyle,  ils 
étaient  la  voie  des  affligés. 

8,537—8,538-8,5/19— 8, 540. 

Quoiqu'ils  se  fussent  approchés  d'eux,  les  autres  des- 
cendirent aux  demeures  d'Yama.  Le  trouble  régnait  en 
toute  la  grande  armée  des  Kourouides,  aux  prisesavecles 
Pântchâlains.  Dans  l'immense  carnage  des  familles  de 
rois,  qui  s'était  élevé  sur  la  terre,  on  ne  distinguait  rien 
que  ce  fût,  au  milieu  de  cette  boucherie,  semblable  aux 
jeux  de  la  mort,  et  qui  accroissait  la  peur  des  gens 
timides.  Là,  ni  Karna,  ni  Drona,  ni  Arjouna,  ni  Youdhish- 
thira,  8,541— 8,542-8,543. 

Bhîmaséna,  les  deux  jumeaux,  le  Pântchâlain  et  Sâ- 
tyaki,  ni  Douççâsana,  le  Dronide,  Douryodhana  et  le  fils 
de  Soubala,  8,544. 

Ni  Kripa  ou  le  roi  de  Madra,  et  Kritavarman,  ni  les 
autres  et  soi-même,  ni  ta  terre  et  les  plages  du  ciel, 

Rien  dans  l'armée  n'était  vu  par  nous,  sire,  couverts 
de  poussière  et  faisant  corps  avec  elle.  Au  sein  de  ce 
nuage  épouvantable,  confus,  tourbillonnant  (1)  de  pous- 
sière, qui  s'était  élevé,  8,545 — 8,546. 

On  pensait  alors  qu'il  était  survenu  comme  une  seconde 

(1)  Sambhrântai,  édition  de  Bombay. 


330  LE  MAHA-BHARATA. 

nuit:  on  ne  discernait  plus,  ni  Kourouides,  ni  Pântchâ- 
lains,  ni  Pândouides,  ni  les  points  cardinaux,  ni- l'atmos- 
phère, ni  la  terre,  ni  rien  de  plane  ou  d'inégal.  Les  guer- 
riers, désirant  la  victoire,  faisaient  tomber  dans  ce  combat, 
ou  les  ennemis,  ou  les  leurs,  qu'ils  croyaient  reconnaître 
au  seul  toucher  des  mains.  En  secouant  la  poussière  de 
nos  habits,  en  les  arrosant  de  sang, 

8,547-8, 548— 8,549. 

Ou  grâce  au  souffle  léger  du  vent,  nous  nous  débarras- 
sions des  poudres  de  la  terre.  Là,  les  éléphants,  les  che- 
vaux, les  combattants,  maîtres  de  chars  et  fantassins, 

Resplendissaient,  humides  de  sang,  comme  des  forêts 
de  pâridjâtas  (1).  Ensuite  Douryodhana,  Rarna,  Drona 
et  Douççâsana,  8,550 — 8,551. 

Ces  quatre  héros  s'attachèrent  (2)  à  quatre  héros  Pân- 
douides. Douryodhana  et  son  frère  en  vinrent  aux  mains 
avec  les  deux  jumeaux  ;  8,552. 

Radhéya  avec  Bhîmaséna  et  Arjouna  avec  le  Bhara- 
dwâdjide.  Tous  contemplaient  de  tous  les  côtés  cet  engage- 
ment épouvantable  et  qui  semblait  une  grande  merveille. 

Les  maîtres  de  chars  virent  le  combat  admirable  et  plus 
qu'humain  de  ces  héros,  en  contact  chacun  avec  son  rival, 
de  ces  principaux  chefs  du  troupeau  des  hommes,  combat, 
rempli  de  chars  aux  belles  peintures,  et  surprenant  par 
les  tours  et  retours  des  chars.  Déployant  leurs  efforts, 
marchant  avec  courage,  désireux  de  se  vaincre  les  uns  les 
autres,  8,553—8,554 — 8,565. 

Ils  s'inondèrent  d'une  pluie  de  flèches,   comme  des 


(1)  L'arbre  corail,  erythrina  fulgens. 

(2)  Samasajjanta,   texte  de  Bombay. 


DRONi-PARVA.  331 

nuages  à  la  fin  de  l'été.  Ceséminents  héros,  montés  sur  des 
chars,  semblables  au  soleil,  8,556. 

Brillaient,  tels  que  des  nuées  en  automne,  accompa- 
gnées de  tremblants  éclairs  (1).  Ces  combattants,  pleins 
de  colère  et  de  fureur,  puissant  roi,  8,557. 

Pleins  d'émulation,  déployant  leurs  efforts,  ces  grands 
héros,  l'arc  au  poing,  s'approchèrent  les  uns  des  autres, 
comme  de  jeunes  éléphants  dans  l'ivresse.  8,558. 

Il  n'est  peut-être  point  une  seule  blessure  de  corps, 
par  laquelle  ces  vaillants  guerriers,  au  temps  arrivé  de  ce 
combat,  ne  se  soient  déchirés  tous  à  la  fois.  8,559. 

Là,  tel  qu'est  le  ciel  avec  les  troupeaux  des  étoiles,  tel 
était  le  champ  de  bataille,  jonché  de  têtes,  de  jambes  et 
de  bras  coupés,  de  superbes  pendeloques,  d'arcs  et  de 
flèches,  de  traits  barbelés,  de  cimeterres,  de  haches  et  de 
pattiças,  de  nâlikas,  de  rasoirs,  de  nârâtchas,  de  nakha- 
ras,  de  lances  et  de  leviers  en  fer,  d'autres  projectiles  re- 
luisants, supérieurs  et  de  forme  diverse,  de  cuirasses  ad- 
mirables et  différentes  d'exécution,  de  maints  et  maints 
chars  brisés,  de  chevaux  et  d'éléphants  tués,  de  voitures 
de  guerre  vides  (2),  semblables  à  des  cités,  avec  leurs 
drapeaux  rompus,  leurs  combattants  immolés,  de  cour- 
siers sans  cavaliers,  tremblants,  entraînés  çà  et  là,  de  hé- 
ros blessés,  qu'on  éventait  à  chaque  instant,  d'éventails, 
richement  ornés,  de  cottes  de  maille,  d'étendards  abattus, 
d'ombrelles,  de  parures,  de  vêtements,  de  bouquets  des 
fleurs  du  parfum  le  plus  exquis,  de  colliers,  de  diadèmes, 
de  tiares,   de   turbans,   de  clochettes  en  multitudes,  de 


(1)  Yathâ  méghâs...  tchalavidyoulas,  texte  île  Bombay. 

(2)  Çoùnyals,  même  le\te. 


3*2  LE  MAHA-BHARATA. 

pierreries  suspendues  sur  la  poitrine,  de  niskas,  de  dia- 
mants sertis  dans  les  aigrettes.  (De  la  stance8,b60  à  ta 
btance  8,567.) 

Ensuite  fut  livré  le  combat  de  Douryodhana  irrité,  fu- 
rieux, avec  Nakoula,  courroucé,  enflammé  de  ressenti- 
ment.  8,568. 

Placé  dans  cette  position  pour  combattre  par  son  enne- 
mi furieux,  sa  majesté  Douryodhana,  ton  fils,  grand  roi, 
plein  d'une  égale  fureur,  usa  de  représailles,  cherchant 
promptement  (1)  à  le  meitre  à  sa  droite  sur  le  champ  de 
bataille  :  mais  le  resplendissant  Nakoula,  instruit  en  des 
coups  d'escrime  admirables,  arrêta  ton  fils  dans  ce  mou- 
vement. Lorsqu'il  l'eut  empêché,  Nakoula  (2),  accablant 
son  ennemi  d'une  multitude  de  flèches,  le  contraignit  à 
tourner  le  dos  ;  et  les  guerriers  applaudirent  à  s&victoire. 
«Arrête,  arrête  !  disait- il  à  ton  fils. 

8,569—8,570—8,571—8,572. 

Car  il  conservait  le  souvenir  de  ses  nombreux  chagrins 
et  de  ta  mauvaise  politique.  8,573. 

Cela  fait,  ébranlant  la  terre  sous  la  rapidité  violente  de 
son  char,  Douççâsana  fondit  avec  colère  sur  Sahadéva. 

Tandis  qu'il  accourait,  le  héros,  qui  traîne  les  cadavres 
de  ses  ennemis,  le  fils  de  Mâdrî  irrité,  de  trancher  vite 
avec  un  bhalla  la  tête  de  son  cocher,  coiffée  même  de  son 
casque.   8,574 — 8,575. 

Ni  Douççâsana,  ni  même  quiconque  des  guerriers  ne 
s'aperçut,  tant  l'action  fut  rapide,  que  Sahadéva  avait 
coupé  la  tête  du  cocher.  8,576. 


(1)  Droutan,  texte  de  Bombay. 

(2)  Nakouluçtchakrai,  même  texte. 


DRONA-PARV\.  333 

Les  chevaux  du  char,  n'étant  plus  gouvernés,  allaient  à 
leur  fantaisie  ;  et  c'est  alors  que  Douççâsana  vit  que  son 
cocher  avait  rendu  l'âme.  8,577. 

Habile  à  conduire  des  coursiers,  il  prit  en  main  les  rê- 
nes de  son  chariot  sur  le  champ  de  bataille,  et  combattit 
comme  le  plus  excellent  des  maîtres  de  chars  avec  légèreté, 
avec  un  art  varié,  avec  un  grand  courage.   8,578. 

Les  siens  et  les  ennemis  applaudirent  à  cette  action 
dans  la  guerre  de  marcher  sans  crainte  sur  un  champ  de 
bataille  avec  un  char,  dont  le  cocher  avait  perdu  la  vie. 

Mais  Sahadéva  répandit  ses  flèches  brûlantes  sur  les 
chevaux,  qui  coururent  au  galop  çà  et  là  sous  les  traits, 
dont  ils  étaient  accablés.  8,579 — 8,580. 

Ton  fils  avait  abandonné  (1)  son  arc  afin  de  prendre  en 
main  les  rênes  ;  mais,  à  leur  tour,  il  abandonna  les  rênes, 
quand  il  voulut  faire  usage  de  son  arc.   8,581. 

Mettant  ces  fautes  à  profit,  le  fils  de  Màdrî  le  couvrit 
de  ses  flèches.  A  l'instant  même,  Karna  accourut  vers 
ton  fils,  désirant  le  sauver.  8,582. 

Aussitôt  Vrikaudara  de  blesser  Karna  d'un  œil  attentif 
avec  trois  bhallas,  tirés  jusqu'à  l'oreille  et  lancés  au  milieu 
des  bras  dans  sa  poitrine.   8,583. 

Tel  qu'un  serpent  foulé  aux  pieds,  Karna  revint  sur  ses 
pas  ;  il  arrêta  Bhîma  avec  une  averse  de  ses  flèches  acé- 
rées. 8,584. 

Alors  s'éleva  un  combat  tumultueux  entre  Bhîmaséna 
et  Râdhéya.  Comme  deux  taureaux  mugissants,  tous  deux, 
tournant  les  yeux,  ils  s'avancèrent  irrités  l'un  vers  l'autre 
avec  une  extrême  vivacité.  Après  qu'ils  eurent  épuisé 
leurs  flèches  coupées,  la  bataille  s'engagea  à  la  massue 
entre  ces  deux  guerriers  étroitement  unis,  ivres  du  com- 


33û  LE  MAHA-BIIARATA. 

bat.  Mais  Bhîma,  sire,  eut  bientôt  cassé  avec  sa  massue  le 
timon  du  char  de  Karna  :  ce  fut  comme  une  chose  mer- 
veilleuse. Le  puissant  Râdhéya  saisit  un  pilon,  qu'il  jeta 
sur  le  chariot  de  l'ennemi,  et,  de  sa  massue,  il  brisa  la 
massue  de  Bhîmaséna.  Celui-ci  à  son  tour  envoya  une 
massue  pesante  sur  la  voiture  de  l'Adhirathide,  {Delà 
stanceS,bSb  à  (a  stance  8,590.) 

Qui  la  reçut  avec  des  flèches  nombreuses,  bien  em- 
pennées, à  l'essor  très-rapide,  et  lui  rendit  ses  blessures 
avec  d'autres  coups.  Une  massue,  volant  avec  ses  traits, 
alla  de  sa  main  sur  Bhîma,  comme  une  serpente,  charmée 
par  une  incantation.  Quand  elle  s'abattit  des  airs,  l'im- 
mense drapeau  de  Ventre-de-Loup  8,590 — 8,591. 

Tomba,  et,  frappé  de  celte  massue,  son  cocher  s'éva- 
nouit. Le  vigoureux  Bhîma,  rempli  de  colère,  décocha  huit 
dards  à  Karna  ;  et,  de  ces  traits  aigus,  le  meurtrier  des 
héros  ennemis  lui  coupa,  en  riant,  Bharatide, 

8,592-8,593. 

Son  drapeau,  son  carquois  et  son  arc  même.  Aussitôt 
Karna  de  prendre  un  nouvel  arc  inaffrontable,  au  dos  en 
or.  8,59Zi. 

Cela  fait,  Râdhéya  abattit  avec  des  flèches  de  char  ses 
coursiers,  dont  le  pelage  ressemblait  à  celui  des  ours,  et 
les  deux  valets  de  pied,  qui  conduisaient  les  deux  premiers 
de  ses  quatre  chevaux.   8,595. 

Sautant  à  bas  de  son  char  en  détresse,  Bhîma,  le  domp- 
teur des  ennemis,  s'élança  sur  le  chariot  de  Sahadéva, 
comme  un  lion,  qui  foule  du  pied  le  sommet  d'une  mon- 
tagne. 8,596. 

Drona  et  Arjouna,  ces  deux  grands  héros,  le  maître  et 
le  disciple,  instruits  à  lancer  la  flèche  dans  la  bataille, 


DRONA- PAR  VA.  335 

Indra  des  rois,  combattirent  alors  d'une  manière  admi- 
rable. 8,597. 

Soit  qu'ils  fussent  à  pied,  soit  qu'ils  joignissent  les  deux 
chars,  leur  promptitude  à  encocher  un  dard  fascinait  les 
yeux  et  les  esprits  des  hommes.  8,598. 

Tous  les  guerriers  cessèrent  leurs  conflits  mutuels  et 
s'émurent  à  J'aspect  de  ce  combat,  qu'ils  n'avaient  pas 
encore  vu,  d'un  maître  et  de  son  disciple.  8,599. 

Ces  deux  vaillants  chars,  montrant  au  milieu  de  l'armée 
les  variétés  du  manège,  désiraient  chacun  prendre  la 
droite  l'un  sur  l'autre.  8,600. 

Les  combattants,  saisis  de  la  plus  haute  admiration, 
contemplaient  la  valeur  de  ces  deux  héros  ;  car  ce  combat, 
que  se  livraient  le  Pândouicle  et  Drona,  fut  grand,  et 
comme  la  lutte  de  deux  faucons,  qui  se  disputent,  grand 
roi,  un  morceau  de  chair  au  milieu  du  ciel.  Tout  ce  que  le 
désir  de  vaincre  le  fils  de  Kountî  lit  exécuter  au  brahme- 
guerrier,  8,001—8,602. 

Son  rival  en  riant  (1)  le  repoussa  bien  vite  par  des  coups 
opposés.  Drona,  voyant  qu'il  ne  pouvait  (2)  l'emporter  sur 
le  fils  de  Pàndou,  8,603. 

Instruit  dans  les  voies  des  astras,  en  manifesta  de 
toutes  les  sortes,  d'Indra,  de  Çiva,  de  Twashtri,  du  Vent 
et  de  Varouna.  8,60/i. 

Mais  Arjouna  frappait  soudain  chaque  astra  décoché 
par  l'arc  de  Drona.  Quand  les  astras  du  Pândouide  eurent 
paralysé,  conformément  aux  règles,  les  astras  de  son  rival, 


(1)  Tat  tat  pratijagliùna  àçu  prahasanstasya,  texte  de  Bombay. 

(2)  Pûndavan  sma,  môme  édition,  au  lieu  de  Pûndavasya  du  texte  de 
Calcutta;  car  les  dictionnaires  ne  donnent  pas  un  génitif  pour  régime  à 
viçaishitoun. 


336  LE  MAHA-BHARATA. 

Celui-ci  répandit  sur  le  Prithide  des  projectiles  supé- 
rieurs et  divins  ;  mais  à  toute  flèche,  qu'il  envoie  par  le 
désir  de  vaincre  le  fils  de  Prithâ,  8,605 — 8,606. 

Arjouna  en  oppose  une  autre  à  rencontre  de  son  coup. 
Dès  qu'il  le  vit  régulièrement  paralyser  tous  ses  traits, 
fussent-ils  célestes,  Drona  ne  put  s'empêcher  d'applaudir 
Arjouna  dans  le  fond  de  son  âme  ;  et  ce  terrible  ennemi 
estima  que  son  disciple  lui  donnait  à  soi-même  la  supé- 
riorité, Bharatide,  par-dessus  tous  ceux,  qui  possédaient 
la  science  des  astras  sur  la  terre  !  Arrêté  de  cette  manière 
par  le  fils  de  Prithâ  au  milieu  des  magnanimes, 

8,607—8,608—8,609. 

Et,  souriant  de  satisfaction,  il  s'étudia  à  repousser  les 
attaques  d' Arjouna.  Ensuite,  au  sein  des  airs,  lesGan- 
dharvas  par  milliers  et  les  Dieux,  8,610. 

Les  sept  grands  rishis  et  les  chœurs  des  Siddhas  se 
montrèrent  de  tous  côtés.  Le  ciel  était  plein  d'Apsaras, 
il  était  rempli  d'Yakshas  et  de  Rakshasas. 

L'atmosphère  était  plus  douce  que  d habitude ,  comme 
si  elle  était  voilée  par  des  nuages.  Là,  à  chaque  instant, 
circulaient  des  voix,  dont  les  auteurs  étaient  invisibles, 

8,611—8,612. 

Mariées  aux  éloges  de  Drona  et  du  magnanime  Pri- 
thide. Tandis  que  les  astras  lancés  flamboyaient  çà  et  là , 

Les  Siddhas  et  les  rishis  rassemblés  :  «  Voici  un  com- 
bat, disaient-ils,  qui  n'est  pas  une  bataille  d'hommes,  ni 
de  Rakshasas,  ni  d' Asouras,  ni  de  Gandharvas,  ni  même  de 
Dieux!  C'est,  pour  sûr,  un  duel  de  Brahmas?  C'est  admi- 
rable !  c'est  prodigieux  !  Cela  n'a  point  encore  été  vu  par 

(1)  Çrîmat,  édition  de  Bombay. 


DKONA-PARVA.  337 

nous!   Et  jamais  on  n'entendit  parler  de  chose  pareille! 

8,(513—8,61/1—8,615. 

»  L'Atchârya  est-il  au-dessus  du  Pândouide,  ou  le 
Pândouide  est-il  au-dessus  de  Drona?  Un  autre,  quel  qu'il 
soit,  ne  pourrait  saisir  une  différence  entre  ces  deux  héros  : 
on  dirait  que  Çiva  s'est  divisé  en  deux  et  qu'il  se  combat 
lui-même  avec  soi-même.  Il  est  impossible  d'établir  ici 
une  comparaison  d'une  autre  manière.  8,616 — 8,617. 

»  La  science  est  placée  dans  l'Atchârya,  la  science  et 
l'exercice  le  sont  dans  le  fils  dePândou  ;  le  courage  siège 
dans  l'Atchârya,  la  force  et  le  courage  dans  le  Pândouide. 

»  Les  ennemis  ne  sont  point  capables  d'abattre  dans  un 
combat  ces  deux  héros  ;  mais,  s'ils  le  voulaient,  ceux-ci 
pourraient  détruire  le  monde  et  les  Dieux  avec  lui.  » 

8,618—8,619. 

Ainsi  disaient  par  troupes,  à  la  vue  de  ces  deux  braves, 
puissant  roi,  les  êtres  invisibles  et  lumineux.   8,620. 

Ensuite,  Drona  à  la  haute  sagesse  de  manifester  l'astra 
de  Brahma  pour  consumer  dans  ce  combat  le  Prithide  et 
jusqu'aux  êtres  invisibles.   8,621. 

Aussitôt  la  terre  trembla  avec  ses  montagnes,  ses  eaux 
et  ses  forêts  ;  le  vent  souffla  d'une  haleine  inégale,  et  les 
ondes  de  l'océan  s'agitèrent.   8,622. 

Un  vaste  effroi  se  glissa  au  cœur  des  armées,  soit  de 
Kourou,  soit  de  Pândou  ;  et  tous  les  êtres  de  trembler, 
quand  le  magnanime  éleva  son  astra.  8,623. 

Mais  le  fils  de  Prithâ,  sans  trouble,  repoussa  le  charme 
et  calma  tout,  Indra  des  rois,  en  éteignant  l'astra  de 
Brahma.   8,62/i, 

Cette  lutte  mêlée,  où  l'on  n'arrivait  pas  à  saisir  un  point 
de  séparation  pour  tous  les  deux  à  la  fois,  ou  pour  l'un 
ix  22 


338  LE  MAHA-BHARATA. 

des  deux,  avait  jeté  la  confusion  dans  le  combat.  8,625. 

Rien  n'était  plus  distingué  en  ce  conflit,  qui  s'était  en- 
gagé de  nouveau,  en  cette  bataille  de  Drona  et  du  Pân- 
douide,  couverte  par  des  multitudes  de  flèches,  comme  le 
soleil  est  obscurci  par  des  masses  de  nuages.  Là,  ne  s'a- 
venturait à  voler  aucun  habitant  des  airs.  8,626 — 8,627. 

Tandis  que  sévissait,  grand  roi,  ce  carnage  des  chevaux, 
des  éléphants  et  des  guerriers,  Douççâsana  livra  le  com- 
bat à  Dhrishtadyoumna.  8,628. 

Accablé  par  les  flèches  de  Douççâsana,  mais  fermement 
appuyé  sur  son  char  d'or  et  bouillant  de  colère,  celui-ci 
inonda  de  ses  traits  les  chevaux  de  ton  fils.  8,629. 

Dans  un  instant,  grand  roi,  englouti  sous  les  dards  du 
Prishatide,  on  ne  vit  plus,  ni  le  char  de  l'ennemi,  ni  ses 
chevaux,  ni  son  cocher.  8,630. 

Noyé  dans  les  multitudes  de  ses  flèches,  Indra  des  rois, 
Douççâsana  ne  put  rester  de  pied  ferme  en  face  du  magna- 
nime Pântchâlain.   8,631. 

Dès  qu'il  eut  contraint  ton  fils  à  tourner  le  dos  devant 
ses  dards,  celui-ci  de  s'avancer,  semant  des  milliers  de 
projectiles,  vers  Drona  pour  lui  offrir  la  bataille.  8,632. 

Mais  soudain  Hârddîkya-Kritavarman  et  trois  de  ses 
frères  germains  se  jetèrent  devant  lui  et  arrêtèrent  ce 
héros.   8,633. 

Les  jumeaux,  ses  vaillants  défenseurs,  suivirent  les  pas 
du  guerrier,  qui  marchait  comme  un  feu  allumé,  présen- 
tant le  front  au  Bharadwâdjide.   8,634. 

Remplis  décolère,  pleins  d'énergie,  tous  ces  bien  grands 
héros,  qui  avaient  mis  la  mort  devant  leurs  yeux,  enga- 
gèrent donc  le  combat.   8,635. 

Doués  d'une  âme  pure,  menant  une  conduite  pure  et 


DRONA-PARVA.  339 

préférant  à  toute  chose  le  Svvarga,  ils  soutinrent,  sire,  une 
noble  bataille  avec  le  désir  de  remporter  l'un  sur  l'autre 
la  victoire.   8,636. 

Jetant  du  lustre  sur  leur  famille,  ces  monarques,  rem- 
plis de  sagesse,  engagèrent  ce  combat,  les  yeux  fixés  à 
travers  le  devoir  sur  la  voie  supérieure.  8,637. 

Le  combat,  qui  se  livrait  alors,  était  sans  traits  perfi- 
des :  il  n'y  avait  là,  ni  karni  (1),  ni  nâlika  (2) ,  ni  flèches 
empoisonnées,  ni  vastika  (3).  8,638. 

Il  n'y  avait  point  là  de  soûtchî  (/a),  ni  de  bouclier  fait 
avec  les  os  du  singe,  ou  du  bœuf,  ou  de  l'éléphant  (5)  :  il 
n'yavaitpas  là  de  serpent,  ni  de  flèche  imprégnée  de  poi- 
son ou  infectée  d'ordure.   8,639. 

Tous,  désirant  obtenir  les  mondes  supérieurs  et  la 
gloire  avec  un  digne  combat,  portaient  des  armes  franches 
et  loyales.   8,640. 

Cette  bataille,  exempte  de  toute  faute ,  des  quatre 
combattants  contre  les  trois  Pândouides  était  remplie  de 
tumulte.  8,641. 

Lorsque  Dhrishtadyoumna  vit  tes  vaillants  et  grands 
héros  arrêtés  devant  les  braves  jumeaux,  ce  guerrier  aux 
légers  astras  s'avança  vers  le  Bharadwâdjide.  8,6Zi2. 


(i)  Trait  avec  deux  hameçons  à  pointes  ajustées  en  sens  contraire,  pour 
qu'on  ne  puisse   le   retirer  sans    déchirer    des    organes   intérieurs. 
(Commentaire). 

(2)  Autre,  dont  la  petitesse  rend  l'extraction  très-difficile.  (Idem.) 

(3)  Flèche  à  plonger  dans  le  ventre,  et  dont  le  fut  est  si  peu  adhérent 
au  fer,  qu'il  sort  seul  à  la  main  du  chirurgien  et  laisse  le  fer  dans  la 
plaie.  (Idem) 

(4)  Dard  semblable  au  karni,  entouré  do  nombreuses  épines.  (Idem.) 

(5)  Sans  doute,  on  supposait  que  ces  matières  portaient  avec  elles  de  si. 
nistres  influences. 


340  LE  MAHA-BHARATA. 

Ces  courageux  combattants,  arrêtés  par  ces  lions  des 
hommes,  s'indignaient  comme  quatre  vents  en  face  de 
deux  montagnes.  8,643. 

Les  jumeaux,  ces  éminents  héros,  de  s'attacher  indivi- 
duellement à  deux  chars  ;  et  Dhrishtadyoumna répandit  sa 
pluie  de  fer  surDrona.  8,644. 

A  peine  eut-il  vu  ce  guerrier,  ivre  de  la  furie  des  com- 
bats, marchant  vers  le  brahme  et  les  jumeaux  engagés 
avec  les  Kourouides,  soudain  Douryodhana,  grand  roi, 
accourut,  semant  ses  traits,  avides  de  sang.  Mais  Sâtyaki 
s'approcha  de  lui  à  pas  très-hâ  es.  8,645 — 8,646. 

Quand  ils  se  furent  avancés  l'un  près  de  l'autre,  ces 
deux  tigres  des  hommes,  le  Kourouide  et  Mâdhava,  en 
vinrent  aux  mains,  sans  trembler  (1),  se  portant  des  coups 
mutuels.  8,647. 

Ils  se  rappelèrent  avec  plaisir  toutes  les  actions  de  leur 
enfance  ;  et,  fixant  l'un  sur  l'autre  des  regards  satisfaits, 
ils  s'adressèrent  maint  et  maint  sourire.  8,648. 

Le  roi  Douryodhana,  se  blâmant  lui-  même  de  sa  con- 
duite, dit  alors  à  Sâtyaki,  qui  était  resté  son  cher  ami  : 

«  Honniesoitlacolère,monami!Hontesoità  la  cupidité! 
Honnie  soit  l'extravagance  !  Honte  à  l'homme,  qui  s'aban- 
donne à  la  fureur!  Honte  à  la  conduite  du  kshatrya! 
Honnie  soit  la  force  des  muscles  !  8,649—8,650. 

»  Puisque  tu  lances  sur  moi  tes  flèches,  héros  des  Çi- 
nides,  et  que  je  décoche  sur  toi  mes  traits  !  Cependant  tu 
m'es  plus  cher  que  le  souffle  de  ma  vie,  et  je  suis  plus  aimé 
de  toi  que  les  souffles  de  l'existence!  8,651. 

»  Je  me  souviens  de  tout  ce  que  nous  avons  fait  dans 

(1)  Abhîtaâu,  texte  de  Bombay. 


DllONA-PAUVA.  3  Al 

notre  enfance  ;  mais  ce  sont  des  choses  vieilles  mainte- 
nant pour  nous  sur  ce  champ  de  bataille.   8,652. 

»  Que  vont  nous  dire  maintenant  la  colère  et  la  cupi- 
dité? Car  ce  moment,  Sâtyaki,  est  maintenant  celui  du 
combat  !  »  Au  prince,  qui  parlait  ainsi,  majesté,  le  Sàt- 
twatide,  versé  dans  les  plus  grands  astras,  fit  en  souriant 
cette  réponse,  tenant  levées  ses  flèches  mordantes:  «Cette 
assemblée  n'est  pas,  fils  de  roi,  la  maison  de  l'instituteur, 

»  Où,  réunis  ensemble,  sire,  nous  vaquions  à  diffé- 
rents jeux  !  »   8,(553 — 8,65/j — 8,655. 

«  Où  sont  allés  ces  jeux  de  notre  enfance,  héros  des 
Çinides?  reprit  Douryodhana.  Où  ce  combat  nous  con- 
duira-t-iiï  Certes,  ce  moment  est  difficile  à  passer. 

»  Mais  cet  amour  de  l'or  a  mis  dans  nos  cœurs  le  be- 
soin des  richesses,  puisque,  tous  rassemblés,  nous  com- 
battons, après  que  nous  avons  obtenu  les  richesses?  » 

A  ces  mots  du  roi,  le  Sâttwatide  répondit  :  «Oui  !  ce  fut 
toujours.  Les  kshatryas  tournent  ici  les  armes  contre 
leurs  vénérables  gourous.   8,656 — 8,657 — 8,658. 

»  Si  je  te  suis  agréable,  sire,  tue-moi,  sans  tarder  ! 
Que  j'aille  par  toi  clans  les  mondes  des  justes  !  8,659. 

»  Fais  voir  promptement  sur  moi  la  force  et  la  vigueur, 
que  tu  as  reçues.  Je  ne  veux  pas  voir  la  grande  infortune 
de  mes  amis  !  »   8,660. 

Après  cette  réponse  à  ces  paroles  résolues  du  prince, 
Sâtyaki  .s'avança  précipitamment,  troublé,  sans  même 
prendre  le  soin  de  se  couvrir.   8,661. 

Ton  fils  reçut  le  héros  aux  longs  bras  (1),  qui  venait  à 
lui,  sire,  et  noya  Çaînéya  de  ses  flèches.  8,662. 

(i)  Texte  de  Bombay 


342  LE  MAHA-BHARATA. 

Alors  commença  un  épouvantable  combat  entre  ces 
deux  lions  des  hommes,  Mâdhava  et  le  Kourouide,  irrités 
l'un  contre  l'autre;  telle  s'engage  la  lutte  entre  un  lion  et 
un  éléphant.   8,663. 

Douryodhana  de  blesser  avec  fureur  (1)  le  Sâttwatide, 
enivré  de  la  furie  des  batailles,  avec  des  flèches  bien  dé- 
cochées, longues  et  puissantes.   8,66/i. 

Sâtyaki  lui  rendit  ses  coups,  et  le  couvrit  même,  d'a- 
bord de  cinquante  dards  (2) ,  ensuite  de  trente,  ajoutés  à 
dix,  sur  le  champ  de  bataille.   8,665. 

Mais  ton  fils,  en  riant,  sire,  de  percer  Sâtyaki  dans  le 
combat  avec  trente  sagettes  aiguës,  lancées  d'un  arc  tiré 
jusqu'à  l'oreille.  8,666. 

Puis,  d'un  kshourapra,  il  coupa  en  deux  son  arc  avec 
sa  flèche.  Le  guerrier  à  la  main  légère  saisit  un  nouvel 
arc  solide;  8,667. 

Et  Sâtyaki  décocha  une  file  de  traits  à  ton  fils.  Mais 
soudain  celui-ci,  excité  par  le  désir  de  tuer,  les  trancha 
dans  leur  vol  en  mille  (3)  morceaux,  et  l'armée  se  répandit 
en  hautes  clameurs.  Il  accabla  avec  furie  le  Sâttwatide  de 
soixante-treize  flèches,  empennées  d'or,  éclaircies  avec 
la  pierre  et  lancées  d'un  arc  tiré  jusqu'à  l'oreille.  Au  mo- 
ment qu'il  encochait  les  dards,  Sâtyaki  lui  coupa  rapide- 
ment son  arc,  accompagné  des  traits,  et  l'inonda  d'une 
pluie  de  flèches.  Profondément  blessé,  celui-là  se  retira, 
dans  son  trouble,  vers  un  autre  char. 

8,668—8,669—8,670. 

Sous  l'oppression  des  flèches  du  Dâçârhain,   Douryo- 

(1)  Texte  de  Bombay. 

(2)  Même  texte. 

(3)  Littéralement  :  multiplicité): 


DRONA-PARVA.  343 

dhana,  ton  fils,  grand  roi,  s'avança  de  nouveau  en  gémis- 
sant vers  Sâtyaki.   8,671. 

Il  combattit,  envoyant  ses  multitudes  de  traits  sur  le 
char  de  son  rival  ;  et  celui-ci  jetait  sans  relâche,  majesté, 
ses  dards  sur  le  char  de  Douryodhana.  C'était  un  combat 
rempli  de  flèches,  lancées  et  volant  de  tous  les  côtés. 

8,6*72— 8,673. 

11  régnait  un  vaste  bruit,  qu'on  aurait  dit  causé  par  un 
incendie  au  milieu  d'une  immense  forêt  d'arbres  secs.  Le 
sol  de  la  terre  était  couvert  sous  les  milliers  de  leurs 
llèches.   8,674. 

Elles  avaient  donné  à  l'atmosphère  la  forme  d'une 
chose,  où  l'on  ne  pouvait  plus  aller.  Dès  qu'il  vit  la  supé- 
riorité de  Mâdhava,  le  plus  brave  des  héros,  8,675. 

Karna  de  voler  promptement  à  la  défense  de  ton  fils  ; 
mais  Rhîraaséna  à  la  grande  vigueur  le  vit  avec  indigna- 
tion. 8,676. 

Il  s'approcha  du  guerrier  à  la  hâte,  lui  décochant  ses 
dards  nombreux  ;  et  Karna  de  repousser  en  riant  ses  traits 
acérés.  8,677. 

De  ses  flèches,  il  trancha  l'arc  et  les  projectiles  du  héros, 
il  abattit  son  cocher.  Saisissant  une  massue,  le  Pândouide 
Bhîmaséna  irrité  8,678. 

Broya  dans  le  combat  l'arc,  le  drapeau  et  le  cocher  de 
l'ennemi  ;  et  le  robuste  guerrier  brisa  encore  la  roue  du 
char  de  Karna.   8,679. 

Sur  sa  voiture  à  la  roue  cassée,  l'Adhirathide  se  tenait, 
aussi  peu  ému  que  le  roi  des  montagnes  ;  et  ses  chevaux 
traînèrent  bien  long-temps  son  chariot,  soutenu  d'uneroue 
intacte:  8,680. 

Tels  les  sept  coursiers  du  soleil  emportent  son  char, 


Wi  LE  MAHA-BHARATA. 

qui  roule  sur  une  seule  roue.  Rama  à  la  colère  impatiente 
combattit  Bhîmaséna  ;  8,681. 

Et  celui-ci  irrité  fit  la  guerre  au  fils  du  cocher  avec  des 
multitudes  de  différents  traits  et  des  flèches  variées. 

Tandis  que  se  livrait  cette  bataille  confuse,  le  roi  fils 
d'Yama  tint  ce  langage  aux  héros  des  Pântchâlains 
et  aux  plus    excellents    des   Matsyas  : 

8,682—8,683. 

«  Ces  hommes  éminents,  qui  sont  nos  guerriers  à  la 
grande  force,  qui  sont  notre  tête,  qui  sont  comme  les 
souffles  de  notre  existence ,  sont  engagés  avec  les  Dri- 
tarâshtrides.   8,68Zi. 

»  Pourquoi  restez-vous  tous  ici,  frappés  de  stupeur, 
tels  que  des  corps  sans  vie?  Courez  au  lieu  où  combattent 
mes  héros  !  8,685. 

»  Si  vous  mettez  le  devoir  dukshatryaen  première  ligne 
et  bannissez  toute  inquiétude,  ayant  remporté  la  victoire 
ou  reçu  la  mort,  vous  irez  dans  la  voie,  qui  est  l'objet  de 
vos  désirs.   8,686. 

»  Victorieux,  vous  célébrez  maintes  fois  le  sacrifice, 
riche  de  nombreux  dons  honorifiques  ;  ou  morts  et  de- 
venus semblables  aux  Dieux,  vous  allez  dans  les  plus  hauts 
des  mondes.   »    8,687. 

Excités  par  ces  mots  du  roi,  les  héroïques  grands  mo- 
narques, mettant  avant  toute  chose  les  devoirs  du 
kshatrya,  s'élancèrent  d'un  pied  hâté  vers  Drona  pour  le 
combattre.   8,688. 

D'un  côté,  les  Pântchâlains  frappèrent  le  brahme  de 
flèches  nombreuses  ;  de  l'autre  part,  il  fut  enfermé  par 
les  guerriers,  que  commandait  Bhîmaséna.   8,689. 

Parmi  les  fils  de  Pândou,  il  y  avait  trois  fameux  héros, 


DUONA-PARVA.  3Zi5 

les  deux  jumeaux  et  Bhimaséna,  qui,  doutant  de  leur  force, 
appelèrent  à  grands  cris  Arjouna  :  8,690. 

«  Accours,  disaient-ils,  Arjouna  !  Chasse  les  Kou- 
rouides,  qui  environnent  le  brahme;  ensuite,  il  sera  facile 
aux  Pântchâlains  de  le  tuer,  séparé  de  ses  défenseurs  !  » 

Alors  Phâlgouna  de  se  porter  rapidement  sur  les  Kou- 
rouides.  Drona  et  ses  héros  broyèrent  le  cinquième  jour, 
Bharatide,  les  Pântchâlains,  qui  avaient  à  leur  tête  Drish- 
tadyoumna.   8,691—8,692—8,693. 

Le  Bharadwàdjide  accomplit  un  immense  carnage  des 
Pântchâlains  :  tel  jadis,  irrité  dans  le  combat,  Indra  fit 
l'extermination  des  Dânavas.  8,694. 

Frappés  de  son  astra  dans  un  nouveau  combat,  puissant 
roi,  les  grands  héros,  pleins  de  courage,  ne  tremblèrent 
pas  alors  devant  lui  sur  le  champ  de  bataille.  8,695. 

Combattant  avec  un  noble  courage,  les  Pântchâlains  et 
les  Srindjayas  s'avancèrent  vers  le  brahme  et  tentèrent 
sur  lui  des  attaques.  8,696. 

11  s'élevait  de  tous  les  côtés  un  cri  effroyable  de  ces 
Pântchâlains,  ensevelis  et  battus  par  ces  pluies  (J)  de 
flèches.   8,697. 

Tandis  que  ce  magnanime  frappait  les  Pântchâlains,  la 
terreur  se  glissa  au  cœur  des  Pândouides,  quand  il  en- 
voya son  astra.  8,698. 

Dès  qu'ils  virent  dans  le  combat  ce  vaste  carnage  de 
guerriers,  de  chevaux  et  d'hommes,  les  Pândouides,  grand 
roi,  cessèrent  alors  d'espérer  la  victoire  :  8,699. 

«  Drona,  qui  possèdeles  plus  puissants  astras,  disaient- 
ils,  ne  pourrait-il  nous  exterminer  tous,   comme  le  feu 

(1)  Vrishtibhis,  édition  de  Bombay. 


346  LE  MAHA-BHARATA. 

allumé  brûle  une  forêt  d'arbres  secs,   quand  la  saison 
froide  s'est  enfuie.  8,700. 

»  Personne  n'est  capable  de  fixer  un  regard  sur  lui 
clans  la  guerre;  et  Arjouna,  si" instruit  dans  la  vertu,  n'en- 
gagerait jamais  un  combat  avec  lui  !  »   8,701. 

Lorsqu'il  vit  trembler  les  fils  de  Kountî,  accablés  sous 
les  flèches  du  brahme,  le  sage  Kéçava,  attentif  aux  moyens 
de  salut,  adressa  ces  mots  au  vaillant  Arjouna  :  8,702. 

«  C'est  le  meilleur  des  archers  et,  lorsqu'il  a  son  arc  au 
poing,  les  Dieux  mêmes,  Indra  à  leur  tête,  ne  pourraient 
jamais  le  vaincre  dans  un  combat  !  8,703. 

»  Mais,  s'il  déposait  sa  flèche,  les  hommes  pourraient 
l'immoler  dans  la  guerre  !  Les  Pàndouides  renoncent  aux 
vertus  du  militaire  :  c'est  donc  à  Djaya  qu'il  appartient 

»  D'empêcher  que  le  brahme  au  char  d'orne  nous  fasse 
mordre  à  tous  la  poussière  !  Qu'Açwatthâman  soit  couché 
mort,  son  père  ne  combattra  plus  :  voilà  mon  sentiment. 

8,704—8,705. 

»  Ainsi,  qu'un  homme  s'en  aille  lui  annoncer  que  son 
fils  a  été  tué  dans  le  combat  î  »  Dhanandjaya,  le  fils  de 
Kountî,  n'approuva  point  ces  paroles.  8,706. 

Mais  tous  les  autres  les  eurent  pour  agréables;  You- 
dhishthira  se  rangea  avec  peine  à  cet  avis.  Ensuite  Bhîma 
aux  longs  bras,  sire,  assomma  d'une  massue  au  milieu  de 
son  armée  un  grand  éléphant,  qu'on  appelait  Açwatthâ- 
man  ,  terrible  massacreur  d'ennemis  et  monture  d'Indra- 
varman,  le  roi  du  Mâlava.  11  s'avança  dans  le  combat  vers 
le  brahme- guerrier,  et  lui  dit  en  rougissant  et  donnant 
à  sa  voix  un  grand  éclat:   «  Açwatthâman  est  tué  !  » 

8,707—8,708—8,709. 

On    appelait  du   nom   d' Açwatthâman    cet    éléphant 


DRONA-PAUVA.  347 

assommé  et,  pensant  à  lui,  Bhîma  dit  ces  mots  avec  une 
réserve  mentale.   8,710. 

Quand  il  entendit  la  parole  infiniment  affligeante  de 
Bhîmaséna,  le  corps  du  Bharadwâdjide  s'enfonça  dans  son 
àme,  comme  du  sable  au  fond  de  l'eau.  8,711. 

Puis,  il  soupçonna  cette  nouvelle  de  mensonge;  et, 
connaissant  la  bravoure  de  son  fils,  lorsqu'il  entendit  ce 
mot  :  «  Il  est  tué  !  »  il  ne  fut  pas  ébranlé  de  sa  fermeté. 

Dès  qu'il  fut  rendu  à  lui-même  et  qu'il  eut  pensé  que 
son  fils  était  insoutenable  aux  ennemis,  Drona  aussitôt 
de  reprendre  ses  esprits.   8,712 — 8,713. 

Désirant  de  le  tuer  et  semant  un  millier  de  flèches  acé- 
rées, il  fondit  sur  le  Prishatide,  né  pour  la  mort  de  lui- 
même.  8,71/1. 

Vingt  mille  grands  héros  des  Pântchâlains  de  l'ense- 
velir dans  sa  marche  de  tous  les  côtés  au  milieu  du  combat 
sous  leurs  traits  aigus.   8,715. 

Nous  cessâmes  de  voir  l'héroïque  Drona,  couvert  de 
ces  flèches,  comme  le  soleil,  lorsqu'il  est,  souverain  des 
hommes,  dans  la  saison  des  pluies,  masqué  par  les  nuages. 

Quand  ce  vaillant  dompteur  des  ennemis  eut  dissipé 
ces  masses  de  traits  lancés  par  les  Pântchâlains,  Drona, 
dans  sa  fureur,  de  manifester  l'astra  de  Brahma  pour  la 
mort  de  ces  héros  Pântchâlains.  Alors,  il  resplendit,  flam- 
boyant, comme  un  feu  sans  fumée; 

8,710—8,717—8,718. 

Et,  s'irritant  de  nouveau,  l'auguste  Bharadwâdjide 
brilla  encore,  immolant  tous  les  Somakas.   8,719. 

Il  abattit  dans  ce  grand  combat  les  têtes  des  Pântchâ- 
lains et  les  bras,  semblables  à  des  barres  de  porteset  parés 
de  leurs  bracelets  d'or.  8,720. 


348  LE  MAHA-BHARATA. 

Taillés  en  pièces  dans  la  bataille  par  leBharadwâdjide, 
les  princes  étaient  répandus  (1)  sur  la  terre,  comme  des 
arbres,  déracinés  par  le  souffle  du  vent.   8,721. 

Couverte  d'un  bourbier  de  chair  et  de  sang,  la  terre, 
Bharatide,  était  impraticable  par  les  corps  des  éléphants 
et  des  chevaux  tombant  là,  sans  vie.  8,722. 

Après  qu'il  eut  immolé  vingt-cinq  mille  foules  de  héros 
Pântchâlains,  Drona  se  tint  dans  le  combat,  flamboyant 
comme  un  feu  sans  fumée.  8,723. 

Et,  de  nouveau  irrité,  l'auguste  Bharadwâdjide  enleva 
avec  un  bhalla  la  tête  du  corps  de  Vasoudâna.  8,72/i. 

Il  tua  cinq  cents  Matsyas,  six  mille  Srindjayas,  unemy- 
riade  d'éléphants,  et  tua  encore  dix  mille  chevaux.  8,725. 

Aussitôt  qu'ils  eurent  vu  Drona  se  placer  pour  l'anéan- 
tissement des  kshatryas,  les  rishis  coururent  d'un  pied 
hâté,  devancés  par  le  Feu.  8,726. 

C'étaient  Viçvâmitra,  Djamadagni,  Bharadwâdja,  Go- 
tama,  Vaçishtha,  Kaçyapa,  Atri,  qui  tous  désiraient  le 
conduire  au  monde  de  Brahma;  8,727. 

Les  Sikatas,  les  Priçnis,  les  Gargides,  les  Bâlikhilyas, 
les  Marîtchipas,  les  Bhrigouides,  les  Angirasides,  les  Soû- 
khsmas,  et  d'autres  grands  rishis.   8,728. 

Tous,  ils  dirent  à  ce  Drona,  brillant  de  la  beauté  des 
batailles  :  «  Ce  combat,  soutenu  courtoisement,  est  le 
temps  fixé  pour  ta  mort.   8,729. 

»  Dépose  ton  arme  dans  le  combat,  maintenant  que  tu 
nous  as  vus  placés  ici  autour  de  toi,  Drona?  Ne  veuille 
point  aller  au-delà,  et  faire  une  œuvre  encore  plus  cruelle. 

»  Cela  ne  te  convient  pas,  à  toi,  qui  es  versé  dans  les 

(1)  Anwakiryanta,  texte  de  Bombay. 


DRONA-P/UWA  349 

Védângas  et  les  Védas,  qui  fais  ton  objet  principal  du 
devoir  et  de  la  vérité,  et  surtout  qui  es  un  brahme. 

»  Dépose  ton  arme,  et  tiens-toi  sans  délire  enveloppé 
dans  la  cuirasse  éternelle  ;  tu  as  accompli  aujourd'hui  le 
temps  de  ton  habitation  dans  ce  monde  des  hommes. 

»  Si  tu  envoyais  l'astra  de  Brahma,  les  hommes,  qui  ne 
connaissent  pas  les  astras,  en  seraient  consumés  sur  la 
terre  :  une  telle  œuvre  accomplie,  brahme,  n'est  pas 
honnête.   8,730—8,731—8,732—8,733. 

»  Dépose  promptement  ton  armure  ;  fais-le,  Drona,  sans 
balancer  ;  tu  n'accompliras  plus,  brahme,  de  ces  actions 
très-méchantes!  »   8,734. 

Ils  dirent.  Quand  il  eut  entendu  ces  paroles  des  véné- 
rables et  les  paroles  de  Bhîmaséna,  quand  il  vit  Dhrish- 
tadyoumna  devant  lui  dans  le  combat,  son  âme  fut  plongée 
dans  la  perplexité.  8,735. 

Troublé,  consumé  par  ses  pensées,  il  interrogea  sur 
le  sort  de  son  fils  Youdhishthira,  le  fils  de  Kountî:  «  A-t-il 
été  tué  ou  non  ?  8,736. 

»  Car  ce  fils  de  Prithâ possède  un  esprit  invariable  ;  Une 
pourra  jamais  dire  un  mensonge  à  Drona,  au  prix  même 
de  l'empire  des  trois  mondes  !  »   8,737. 

L'éminent  brahme  l'interrogea  donc,  et  non  un  autre, 
quelqu'il  fût.  Dès  son  enfance,  assurément  le  désir  de  la 
vérité  fut  en  ce  Pândouide.  8,738. 

Dès  qu'il  vit  Drona,  le  maître  des  combattants,  prêt  à 
rendre  la  terre  vide  des  Pcàndouides,  Govinda  troublé  tint 
à  Dharmarâdja  ce  langage  :  8,739. 

«  Si,  livré  à  sa  colère,  le  brahme  combat  seulement  un 
demi-jour,  je  te  dis  la  vérité,  ton  armée  sera  conduite  à  la 
mort!  8,7/iO. 


350  LE  MAHA-BHARATA. 

»  Que  ta  majesté,  le  plus  véridique  de  tous  les  hommes, 
nous  sauve  de  Drona  ;  ta  parole  sera  une  chose  manquant 
de  vérité  ;  mais  quiconque  dit  une  fausseté  pour  sauver  sa 
vie,  ne  se  rend  pas  coupable  de  mensonge.   8,741. 

»  Dans  les  amants,  dans  les  plaideurs,  dans  l'homme 
voué  au  culte  des  vaches  et  dans  la  défense  des  brahmes, 
le  mensonge  n'existe  pas  (1).  »  8,742. 

Tandis  que  ces  deux  guerriers  causaient  ainsi,  Bhîma- 
séna  leur  adressa  ce  langage  :  «J'ai  entendu  le  moyen, 
grand  roi,  qui  t'est  proposé  pour  la  mort  de  ce  magnanime. 

)>  Indravarman,  le  roi  du  Mâlava,  possédait,  au  moment 
qu'il  entra  dans  ton  armée,  un  éléphant,  semblable  à 
celui  d'Indra  et  qu'on  appelait  Açwatthâman. 

8,743— 8,744. 

»  Il  fut  tué  sur  le  champ  de  bataille  ;  je  m'avançai  alors 
et  je  dis  à  Drona:  «  Açwatthâman  est  tué,  brahme  ;  re- 
tourne-t'en du  combat  !  »   8,745. 

»  Peut-être  ce  personnage  éminent  (2)  n'ajouta  pas  foi 
à  mes  paroles  ;  toi,  fais-lui  accepter  ces  paroles  de  Go- 
vinda,  qui  désire  la  victoire.   8,746. 

»  Veuille  dire  à  Drona,  sire,  que  le  fils  de  la  Çâradvati 
est  tombé  mort  ;  et,  sur  ta  parole,  ce  taureau  des  brahmes 
ne  combattra  plus  jamais.  8,747. 

»  En  effet,  souverain  des  hommes,  ta  majesté  est  appelée, 
véridique  dans  ces  trois  mondes.  »  Quand  il  eut  ouï  son 
langage,  excité  d'ailleurs  parles  instigations  de  Krishna, 

Youdhishthira,  attaché  à  la  victoire,  mais  plongé  dans 


(1)  Ce  distique  d'une  moralité  très-contestable  ne  te  trouve  pas  dans   le 
texte  de  Bombay. 

(2)  Texte  de  Bombay,  qui  porte  au    nominatif   le    mot   au    vocatif  dans 
l'édition  de  Calcutta. 


DRONA-PARVA.  351 

la  crainte  de  faire  un  mensonge,  réfléchit,  grand  roi,  et 
se  mit  à  lui  parler.   8,7A8 — 8,7A9. 

Il  dit  ces  mots,  dont  il  était  impossible  de  bien  pénétrer 
le  sens  caché  :  «  Un  éléphant  fut  tué  !  »  Il  avait  d'abord 
fait  élever  sur  la  terre  le  char  d  Açwatthâman  long  de 
quatre  doigts,  et  il  ajouta  ces  paroles  :  «  Ses  chevaux 
touchent  la  terre  !  »  A  ce  langage  d'Youdhishthira,  l'hé- 
roïque Drona,  8,750 — 8,751. 

Consumé  de  chagrin  par  l'infortune  de  son  fils,  perdit 
toute  espérance  de  conserver  la  vie.  Se  regardant  comme 
une  expiation  du  péché  commis  contre  les  magnanimes 
Pândouides,  et  croyant  qu'il  avait  entendu,  comme  de  la 
bouche  même  d'un  grand  saint,  que  son  fils  était  mort, 
ce  dompteur  des  ennemis,  profondément  troublé,  sans 
âme,  fixa  ses  regards  sur  Dhrishtadyoumna,  sire,  et  n'eût 
pas  la  force  de  combattre  ainsi  qu'auparavant. 

Dès  qu'il  le  vit  dans  ce  trouble  immense  et  l'âme  battue 
par  la  douleur,  le  fils  du  roi  des  Pântchâlains,  Dhrish- 
tadyoumna fondit  sur  lui.  8,752—8,753—8,75/1—8,755. 

Droupada,  le  monarque  des  hommes,  l'avait  obtenu  du 
feu  allumé  dans  un  grand  sacrifice  pour  la  mort  de  Drona. 

Il  prit  son  arc  victorieux,  épouvantable,  au  son  du 
nuage,  à  la  solide  corde,  impérissable,  divin,  avec  des 
flèches  semblables  h  des  serpents  ;  et,  désirant  tuer  Drona, 
le  Pântchâlain  en  ajusta  sur  son  arc  une  pareille  au  feu 
d'une  grande  flamme.  8,756—8,757 — 8,758. 

La  forme  de  cette  flèche  était  celle  d'un  arc,  coupé  au 
milieu  de  sa  circonférence  par  la  corde  vibrante  :  tel  le 
disque  du  soleil  illumine  le  monde  à  la  fin  de  la  saison 
nébuleuse.  8,759. 


352  LE  MAHA-BHVRATA. 

Lorsque  les  guerriers  virent  le  Prishatide  saisir  le  grand 
arc,  qui  semblait  flamboyer,  ils  crurent  tous  arrivé  le  mo- 
ment de  la  mort.   8,760. 

Aussitôt  que  l'auguste  Bharadwâdjide  l'eut  vu  encocher 
son  trait,  il  pensa  que  la  révolution  du  temps  amenait 
pour  lui  un  changement  de  corps.  8,761. 

Alors  il  déploya  ses  efforts  pour  lui  mettre  obstacle  ; 
mais  les  astras  du  magnanime  Atchârya  refusèrent  de  se 
manifester.   8,762. 

Il  s'écoula  quatre  jours  et  une  nuit,  tandis  qu'il  déco- 
chait ;  mais  ses  flèches  se  perdirent  dans  les  trois  parties 
du  jour.   8,763. 

Ayant  subi  la  perte  de  ses  dards,  en  proie  au  chagrin, 
que  lui  causait  la  mort  de  son  fils,  et  voyant  ses  astras 
divers  et  divins  lui  dénier  une  faveur,  8,76Zi. 

11  ne  combattit  plus  comme  devant,  quoiqu'il  eût  le 
désir  de  lancer  des  traits,  qu'il  fût  stimulé  par  les  exhor- 
tations des  brahmes  et  qu'il  fût  rempli  d'énergie.  8,765. 

Il  prit  un  nouvel  arc  céleste,  présent  d'Angiras,  et  des 
flèches,  semblables  au  bâton  de  la  mort  ;  puis,  il  attaqua 
Dhrishtadyoumna.   8,766. 

Il  répandit  sur  lui  une  forte  averse  de  traits,  et,  dans 
sa  colère,  il  accabla  Dhrishtadyoumna  irrité.  8,767. 

Drona,  avec  des  flèches  acérées,  trancha  ses  dards  en 
cent  morceaux,  et  abattit  son  drapeau,  son  arc  et  son 
cocher.  8,768. 

Dhrishtadyoumna  saisit  en  riant  un  autre  arc,  et  lui 
rendit  ses  coups  au  milieu  des  seins  avec  un  seul  trait 
aigu.  8,769. 

Grièvement  blessé,  mais  comme  s'il  était  sans  émo- 


DRONA-PARVA.  353 

tion  (1)  dans  la  guerre.  Ce  héros  au  grand  .ire  lui  coupa 
de  nouveau  son  arc  avec  un  bhalla  au  tranchant  acéré. 

L'inaffrontable  Atchârya  de  couper  successivement, 
grand  roi,  tous  ses  arcs  et  toutes  ses  flèches  impuissantes  ; 
il  lui  fit  abandonner  la  massue  et  le  cimeterre. 

Ce  fléau  des  ennemis  blessa,  irrité,  Drishtadyoumna 
aux  formes  emportées  avec  neuf  traits  acérés,  mettant  fin 
à  la  vie,  8,770— 8,771— 8, 772. 

L'héroïque  Prishatide  à  l'âme  incommensurable  mêla 
les  coursiers  de  son  char  avec  les  chevaux  du  brahme  au 
moment  de  lui  darder  l'astra  de  Brahma.   8,773. 

Confondus  entrg  eux,  éminent  Bharatide,  ces  chevaux 
rouges  et  ces  coursiers  aux  couleurs  de  la  colombe  rece- 
vaient de  ce  mélange  un  vif  éclat.  8,774. 

Entrecroisés  à  la  tête  du  champ  de  bataille,  ils  brillaient, 
puissant  monarque,  comme  des  nuées  tonnantes,  accom- 
pagnées d'éclairs,  à  l'arrivée  des  nuages.   8,775. 

Le  brahme  à  l'âme  incommensurable  détruisit  les 
attaches  au  joug,  les  liens  des  roues,  l'assemblage  du 
char  même  de  Dhrishtadyoumna.   8,776. 

Sans  char,  avec  son  arc  coupé,  ses  chevaux  tués,  son 
cocher  immolé,  le  héros,  tombé  dans  la  plus  horrible  in- 
fortune, d'empoigner  une  massue.  8,777. 

Drona  irrité,  avec  un  courage,  qui  ne  se  démentit  jamais, 
frappa  de  ses  flèches,  grand  roi,  projectiles  acérés,  la 
massue  dans  son  essor.   8,778. 

Dès  qu'il  vit  son  pilon  abattu  par  les  traits  du  brahme, 
le  tigre  des  hommes  saisit  un  cimeterre  luisant  et  un  bou- 
clier lumineux.  8,779. 


M)  Asambhrànta,  texte  de  Bombay. 

ix  23 


354  LE  MAHA-BHARATA. 

Arrivé  sur  ce  point  à  la  certitude,  le  Pântchâlain  crut 
avec  raison  que  le  plus  grand  des  Atchâryas  était  parvenu 
au  temps  que  le  Destin  avait  fixé  pour  sa  mort.  8,780. 

Levant  son  glaive  et  son  bouclier  éclatants  de  lumière, 
il  s'avança,  dans  le  désir  de  lui  enlever  son  char,  vers 
l'héroïque  brahme,  qui  se  tenait  sur  le  banc  de  sa  voiture. 

Il  voulait,  dans  son  délire  de  guerre,  consommer  une 
difficile  prouesse  et  fendre  la  poitrine  du  Bharadwâdjide. 

8,781—8,782. 

Il  était  placé  au  milieu  des  couples,  entre  les  armures 
des  couples  ;  il  porta  ses  coups  à  demi-corps  des  chevaux 
rouges  ;  et  l'armée  applaudit  à  son  intrépidité.  8,783. 

Tandis  qu'il  se  tenait  entre  les  rangs  des  attelages  et 
qu'il  était  monté  même  sur  les  chevaux  rouges,  Drona  ne 
vit  pas  un  temps  à  saisir  :  ce  fut  à  l'instar  d'une  chose  mer- 
veilleuse ;  c'était  comme  un  faucon,  de  qui  l'envie  d'une 
chair  précipite  l'essor.  Tel  fut  alors  ce  combat  entre  le 
Prishatide  et  Drona.   8,784— S, 785. 

Irrité  et  plein  de  courage,  celui-ci  frappa  l'un  après 
l'autre,  avec  une  lance  de  char,  tous  ses  chevaux  à  la  cou- 
leur d'azur.   8,786. 

Les  coursiers  de  Dhrishtadyoumna  tombèrent  sans  vie 
sur  la  terre,  et  les  chevaux  rouges,  monarque  des  hommes, 
furent  délivrés  du  siège  mis  au  char  du  brahme.  8,787. 

Le  meilleur  des  combattants,  l'héroïque  Yajnasénide 
ne  put  voir  sans  impatience  que  le  terrible  Drona  eut  im- 
molé ses  chevaux.  8,788. 

Le  plus  adroit  à  manier  un  cimeterre,  sire,  privé  de  son 
chariot,  il  saisit  un  cimeterre  et  fondit  sur  le  brahme,  tel 
que  le  fils  de  Yinata  sur  un  serpent.  8,789. 

La  forme  de  ce  guerrier,  qui  désirait  coucher  mort  le 


DRONA-PARVA.  355 

Bharadwâdjide,    brillait    alors  telle    que  la  forme    de 
Vishnou,  quand  il  ôta  la  vie  au  Démon  Hiranyakaçipou. 

Le  Prishatide  fit  voir  les  coups  les  plus  savants  de  l'es- 
crime ;  il  en  pratiqua,  fils  de  Kourou,  vingt-et-un  dans  ce 
combat.    8,700—8,791. 

Portant  le  glaive  et  le  bouclier,  on  le  vitdoubleiTépée, 
lever  le  bras,  faire  tourner  son  arme  en  cercle,  marcher 
en  avant,  toucher  le  corps  de  l'ennemi  avec  le  bout  de 
son  cimeterre,  porter  le  coup  après  une  feinte,  de  droite 
passer  à  gauche,  reculer  (1),  8,79*2. 

Répondre  par  une  blessure  à  celle  de  son  rival  (2),  pro- 
mener son  arme  autour  des  membres  principaux  et  secon- 
daires, feindre  d'envoyer  son  coup,  jeter  après  un  instant 
de  repos  son  glaive  sur  le  bouclier  (3)  :  voilà  ce  que  le 
Prishatide  montra  dans  son  instruction.  8,793. 

Voilà  ce  qu'il  fit  voir  dans  sa  pratique  par  le  désir  d'ar- 
river, dans  la  guerre,  à  la  mort  de  Drona.  Tandis  que  le 
guerrier,  armé  d'un  cimeterre  et  d'un  bouclier,  mettait 
en  usage  ces  divers  moyens  de  l'escrime,  8,79/i. 

Les  combattants  et  les  Dieux  rassemblés  furent  saisis 
d'admiration  en  ce  combat.  Le  brahine  avec  un  millier  de 
Hèches  abattit  sa  cuirasse.  11  frappa  le  bouclier  et  le  cime- 
terre de  Dhrishtadyoumna  ;  mais  ces  dards  étaient  appelés 
des  vaîtastikas  (h)  et  n'étaient  pas  d'un  guerrier. 

8,795—8,796. 

Ils  sont  employés  dans  un  combat  de  près  ;  ils  séaient 
à  Drona,  et  non  à  d'autres,  si  ce  n'est  au  Çaradvatide,  au 
lils  de  Prithâ,   au   Dronide,  à  Karna,  à  Pradyoumna,  à 

(1-2-3)  Commentaire. 

(4)  Traits  longs  d'un  empan,  de  l'extrémité  du  petit  doigt  à  celle  du 
pouce. 


356  LE  MAHA-BHARATA. 

Youyoudhâna  et  Abhimanyou.  Il  encocha  un  trait  solide 
et  doué  de  la  plus  grande  vitesse,  8,797 — 8,798. 

L'Atchârya  voulait  tuer  ce  guerrier,  l'épée  même  de  la 
mort  et  semblable  à  son  fils.  Mais  le  rojeton  de  Çini  tran- 
cha la  llèche  avec  dix  traits  acérés,  aux  yeux  de  ton  fils  et 
du  magnanime  Karna.  11  délivra  Dhrishtadyoumna,  que 
dévorait  déjà  la  bouche  de  l'Alchârya.   8,799 — 8,800. 

Vishvakséna  et  Dhanandjaya,  ces  deux  braves  au  grand 
cœur,  virent  Sâtyaki,  de  qui  le  courage  est  une  vérité, 
décrire  les  circonvolutions  du  char  et  marcher  au  milieu 
de  Drona,  de  Karna  et  de  Kripa  lui-même.-  Ils  applau- 
dirent l'impérissable  Vrishnide,  qui  détruisait  les  astras 
divins  de  tous  les  héros  sur  le  champ  de  bataille,  et  lui 
crièrent  :  «  Bien  !  c'est  bien  !  »  Ensuite,  Vishvakséna  et 
Dhanandjaya  s'avancèrent  vers  l'armée  ; 

8,801—8,802—8,803. 
Et  Dhanandjaya  dit  à  Krishna  :   «  Vois,  Kéçava,   mon 
divin  maître  !  Voici  le  rejeton  de  Madhou,  qui  se  joue  au 
milieu  des  plus  grands  héros!  8,804. 

»  Sâtyaki  au  courage  infaillible  ajoute  encore  à  ma 
joie,  à  celle  du  roi  Youdhishthira,  de  Bhîma  et  des  ju- 
meaux (1),  fils  de  Mâdrî.   8,805. 

»  Sâtyaki  marche  au  milieu, du  combat,  non  égalé  dans 
son  instruction,  se  jouant  des  grands  héros,  et  accroissant 
la  gloire  des  Vrishnides.  8,806. 

»  Les  Siddhas  et  les  guerriers  le  saluent  avec  admira- 
tion. »  Tous  les  combattants  de  l'un  et  l'autre  parti,  ayant 
vu  le  Sâttwatide  invincible  dans  la  guerre,  applaudirent 
à  ses  exploits,  et  lui  crièrent  :  «  Bien  !  bien  !  » 

(1)  Mâdrtpoutraâu,  texte  de  Bombay. 


DRONA-PARVA.  357 

A  peine  Douryodhana  et  les  autres  eurent-ils  vu  cet 
exploit  du  Sâttvvatide,  qu'ils  se  Mtèrent  d'environner 
avec  colère  Çaînéya  de  tous  les  côtés. 

8,807—8,808—8,809. 

Kripa,  Karna  et  tes  fils,  vénérable  monarque,  s'em- 
pressent de  le  frapper  dans  le  combat  avec  tous  leurs 
dards  acérés.  8,810. 

Le  roi  Youdhishthira,  les  deux  Pândouides,  fils  de 
Mâdrî,  et  le  vigoureux  Bhîmaséna  entourent  le  Sàttwatide 
de  leur  défense.  8,811. 

Karna,  l'héroïque  Gaâutamide,  Douryodhana  et  les 
autres  inondent  Çaînéya  avec  une  forte  pluie  de  flèches. 

Mais  lui  soudain  arrêta  l'averse  de  fer,  qui  s'était  élevée 
avec  des  formes  terribles,  et  mit  obstacle  à  ces  vaillants 
guerriers.  8,812—8,813. 

Il  neutralisa  dans  ce  grand  combat,  par  ses  astras  di- 
vers et  divins,  sire,  les  astras  célestes,  que  ces  magna- 
nimes avaient  encoches.  8,81/1. 

Le  champ  de  bataille  devint  épouvantable  aux  yeux 
dans  cette  rencontre  des  rois,  comme  celui  où  Roudra 
irrité  détruisit  les  bestiaux.   8,815. 

On  voyait  çà  et  là  dans  la  plaine  du  combat,  Bharatide, 
des  monceaux  formés  de  trompes,  de  têtes,  d'arcs,  d'om- 
brelles et  de  chasses-mouche  abattus  et  dispersés  dans  ce 
grand  conflit.  La  terre  était  remplie  de  roues  brisées,  de 
chars  rompus,  de  grands  bras  étendus  et  de  vaillants  ca- 
valiers immolés.  Tes  combattants,  ô  le  plus  vertueux  des 
Kourouides,  mutilés  par  la  chute  des  flèches, 

8,816-8,817—8,818. 

On  les  voyait,  qui  se  convulsaient  dans  l'agonie  :  elle 
produisait  divers  mouvements  sur  ce  vaste  champ  de  ba- 


358  LE  MAHA-BHARATA. 

taille.  Tandis  que  ce  combat  se  développait  ainsi,  pareil  à 
celui  des  Asouras  et  des  Dieux,  8,819. 

Youdhishthira-Dharmarâdja  tint  alors  ce  langage  aux 
kshatryas:  «  Courez,  déployant  vos  efforts,  grands  héros, 
sur  le  brahme,  né  dans  une  aiguière  !   8,820. 

»  L'héroïque  Prishatide  en  est  venu  aux  mains  avec  lui  : 
il  tend  (l)de  toute  sa  puissance  à  la  mort  du  Bharadwâdjide. 

»  Suivant  les  signes,  que  l'on  voit  dans  cette  grande 
bataille,  aujourd'hui  le  Prishatide  irrité  fera  mordre  à 
Drona  la  poussière.  8,821—8,8*22. 

»  Vous  de  tout  es  vos  forces  réunies,  combattez  donc  le 
brahme,  qui  a  reçu  la  naissance  dans  une  aiguière.  »  A  cet 
ordre  d'Youdhishthira,   les  grands  héros  des  Srindjayas 

Se  précipitèrent,  déployant  leurs  efforts,  sur  le  Bhara- 
dwâdjide, qu'ils  désiraient  immoler.  Cet  héroïque  guerrier 
se  porta  rapidement  à  la  rencontre  des  combattants,  qui 
accouraient;  et,  résolu,  il  se  dit:  «  Il  faut  mourir!  » 
Tandis  que  s'avançait  ce  vieillard,  qui  avait  donné  sa  foi 
à  la  vérité,  la  terre  trembla.   8,823—8,824—8,825. 

Des  vents  terribles  soufflèrent,  effrayant  l'armée:  un 
vaste  météore  de  feu,  qui  paraissait  venir  du  soleil,  tomba 
sur  le  sol  de  la  terre.  8,826. 

11  semblait  illuminer  tout,  et  l'on  eût  dit  qu'il  annon- 
çait un  grand  malheur.  Les  flèches  du  fils  de  Bhara- 
dwâdja,  vénérable  monarque,  vomirent  des  rayons  de 
flamme.   8,827. 

Les  chars  résonnèrent  à  l'infini,  les  chevaux  répan- 
dirent des  larmes,  et  l'héroïque  Bharadwâdjide  lui-même 
sentit  expirer  sa  force.   8,828. 

(1)  Ghatatai,  texte  de  Bombay. 


DRONA-PARVA.  359 

Son  œil  et  son  bras  gauche  de  trembler  ;  et,  quand  il 
vit  dans  ce  combat  le  Prishatide  devant  lui,  il  demeura 
sans  âme.   8,829. 

Tandis  que  les  saints  rishis  récitaient  le  Véda  pour  son 
voyage  au  Swarga,  il  commença  à  respirer  dans  un  noble 
combat.  8,830. 

Drona,  environné  par  les  guerriers  de  Droupada,  par- 
courut dans  cette  bataille  les  quatre  plages,  en  consu- 
mant les  compagnies  de  kshatryas.   8,831. 

Après  que  l'immolateur  des  ennemis  eut  tué  vingt-cinq 
mille  guerriers,  il  en  frappa  dix  myriades  avec  ses  flèches 
acérées,  à  la  pointe  violente.   8,832. 

Il  parut,  déployant  ses  ellbrts  dans  ce  combat,  comme 
un  feu  sans  fumée,  et  lança  l'astra  de  Brahma  pour  la 
destruction  des  kshatryas.  8,833. 

Le  vigoureux  Bhîma  de  s'avancer  à  la  hâte  vers  l'insou- 
tenable et  magnanime  Pântchàlain,  réduit  sans  char  et 
toutes  ses  armes  brisées.  8,83/i. 

Le  broyeur  des  ennemis  le  fit  monter  dans  son  char  et 
dit  au  Prishatide,  lorsqu'il  vit  Drona  décocher  de  près  ses 
dards:  8,835. 

«  Nul  autre  homme  que  toi  ne  peut  ici  combattre  avec 
l'Atchàrya:  hâte-toi,  car  sa  mort  fixée  d'avance  est  une 
charge,  qui  te  fut  confiée.  »   8,836. 

11  dit,  et  précipitant  sa  marche,  le  guerrier  aux  longs 
bras  saisit  une  arme  solide,  neuve,  la  meilleure  de  toutes 
et  capable  de  supporter  une  charge  quelconque.   8,837. 

Irrité  et  dardant  ses  traits,  il  répandit  ses  pluies  de 
flèches  sur  le  brahme,  désirant  arrêter  dans  le  combat 
l'irrésistible  Atchârya.  8,838. 

Tous  deux  en  courroux,  les  plus  excellents  des  guer- 


360       •  LE  MAHA-BHARATA. 

riers,  qui  savent  arrêter  un  ennemi  et  brillants  de  la 
beauté  des  batailles,  ils  envoyèrent  en  grand  nombre 
des  astras  divins  et  brahmiques.   8,839. 

Quand  il  eut  frappé  d'impuissance  tous  les  astras  du 
Bharadwâdjide,  le  fils  de  Prishat,  le  couvrit  dans  le  com- 
bat, puissant  roi,  de  ses  grands  astras.  8,840. 

L'impérissable  héros  dissipa  dans  la  bataille  les  Vaçâ- 
tains,  les  Çiviens,  les  Vâhlikas  et  les  Rourouides  mêmes, 
qui  voulaient  sauver  Drona.  8,841. 

Ensuite,  Dhrishtadyoumna,  couvrant  de  tous  côtés  les 
plages  du  réseau  de  ses  flèches,  comme  le  soleil  de  ses 
rayons,  brilla  à  l'égal  du  Dieu  de  la  lumière.   8,842. 

Mais  Drona,  ayant  coupé  son  arc  et  l'ayant  frappé  lui- 
même  de  ses  dards,  lui  perça  encore  les  membres;  et  le 
blessé  tomba  clans  le  trouble  de  l'esprit.  8,843. 

Alors,  tout  rempli  de  colère,  Bhîma  de  s'avancer  vers 
le  char  de  Drona,  auquel,  Indra  des  rois,  il  adressa  ces 
mots,  prononcés  comme  avec  lenteur  :  8,844. 

«  Si,  instruits  par  tes  leçons  et  satisfaits  de  leurs 
œuvres,  tes  parents,  brahme,  ne  combattaient  pas,  ce 
kshatrya  n'irait,  certes  !  point  à  la  mort  !  8,845. 

»  L'innocuité  à  l'égard  de  tous  les  êtres  est  nommée 
l'accroissement  de  la  vertu,  et  ta  sainteté,  brahme,  le 
plus  docte  des  brahmes,  en  est  la  racine.   8,840. 

»  Le  désir  de  la  richesse,  d'une  épouse  et  d!:un  (ils  t'a 
porté  à  tuer,  comme  des  çwapâkas  (1),  des  troupes  de 
Mlétchhas,  et,  dans  ton  ignorance,  de  même  qu'un  in- 
sensé, d'autres  d'espèce  variée.  8,847. 


(1)  Parya,    d'une  tribu  dégradée  et  bannie,  de  qui  la  fonction  est  d'exé- 
cuter les  hautes  œuvres  et  de  porter  les  morts  au  cimetière 


DRO-NA-PARVA.  361 

»  Tu  connaissais  l'iniquité  du  fils,  quand  tu  as  immolé 
pour  un  seul  un  tel  nombre  d'hommes  :  comment  toi,  qui 
es  séparé  des  œuvres,  ne  rougis-tu  pas  de  ces  gens,  qui 
vivent,  attachés  à  leurs  propres  œuvres?  8,848. 

.)  Celui,  pour  lequel  tu  as  pris  cette  flèche,  celui,  que, 
vivant,  tu  as  vu,  il  gît  maintenant,  étendu  sur  le  dos,  car 
on  n'a  pas  connu  qu'il  fût  à  toi  !  8,849. 

»  La  voilà  cette  parole,  dont  tu  n'as  point  voulu  douter, 
émanée  d'Yondhishthira  !  »  À  ce  langage  de  Bhîmaséna, 
Drona  de  rejeter  son  arc  ;  8,850. 

Et,  désireux  d'abandonner  toutes  les  armes,  cet  homme 
vertueux  de  s'écrier  :  «  Karna,  Karna  au  grand  arc, 
Kripa  et  Douryodhana,  8,851. 

»  Que  l'on  fasse  des  efforts  dans  le  combat  !  Je  vous 
le  répète  trois  et  quatre  fois  ;  et  puisse  la  félicité  vous 
arriver  des  Pàndouides  !  Pour  moi,  je  renonce  aux 
armes  !  »   8,852. 

Il  dit,  grand  roi,  et,  déplorant  avec  des  cris  Açwatthàman 
lui-même,  il  déposa  la  flèche  dans  le  combat;  il  s'assit 
sur  le  banc  de  son  char  (1) ,  8,853. 

Et,  comme  entré  dans  l'absorption  en  Dieu,  il  donîT;i 
la  sécurité  à  tous  les  êtres.  Lorsque  Dhrishtadyoumna 
exaUé  le  vit  tombé  à  tel  point  dans  cette  défaillance,  et 
qu'il  avait  rejeté  dans  la  bataille  son  arc  avec  sa  flèche, 
il  sauta  à  bas  de  son  char,  le  cimeterre  à  la  main,  et 
s'avança  rapidement  vers  Drona.   8,854 — 8,855. 

Toutes  les  créatures,  humaines  et  autres,  furent  saisies 
de  compassion,  quand  elles  virent  le  brahme  ainsi  préci- 
pité sous  la  puissance  de  Dhrishtadyoumna.   8,856. 

(i)  Upasthci',  lexte  de  Bombay. 


362  LE  MAHA-BHARATA. 

Elles  poussèrent  un  cri  de  pitié:  «Oh!  malheur  !  dirent- 
elles,  ajoutant  :  Drona  vient  d'abandonner  son  trait  et  de 
plonger  son  âme  dans  le  Sankhya  !  »    8,857. 

A  ces  mots,  entré  dans  l'unification  avec  Dieu,  le  grand 
pénitent  resplendit  de  lumière  et  se  rendit  en  esprit  vers 
l'homme  des  anciens  temps,  Vishnou,  le  Très-Haut. 

Il  releva  un  peu  son  visage,  et,  l'ayant  appuyé  par 
devant  sur  sa  poitrine,  il  ferma  les  yeux  et  déposa  dans 
son  cœur  les  souffles  de  sa  vie. 

8,858—8,859. 

«  Aum  !  »  dit  le  grand  anachorète,  brillant  de  lumière; 
ce  monosyllabe  saint  prononcé,  son  souvenir  se  reporta 
vers  le  maître  du  Dieu  des  Dieux,  l'Éternel,  l'Auguste 
par  excellence.  8,860. 

L'Atchârya  de  monter  visiblement  au  ciel,  inaccessible 
même  aux  gens  de  bien  et  nous  pensâmes  :  «  Il  y  a  deux 
soleils,  »  quand  nous  le  vîmes  ainsi  rayonnant.   8,S61. 

Le  ciel  était  comme  flamboyant  de  lumière;  il  en  devint 
tout  rempli,  tant  le  soleil  du  Bharadwàdjide ressemblait  à 
l'auteur  du  jour.  8,862. 

Dans  l'espace  d'un  clin  d'oeil,  cette  vive  clarté  disparut, 
et  un  bruit  certain  d'applaudissements  retentit  parmi  les 
habitants  du  firmament,  ravis  de  joie.   8,863. 

Tandis  que  Drona  s'en  allait  au  ciel  et  que  Dhrishta- 
dyoumna  s'enivrait  de  joie,  nous  cinq,  nés  de  matrices 
humaines,  le  Prithide  Dhanandjaya,  le  fils  du  Bhara- 
dwàdjide, le  Vasoudévide,  fils  de  Vrishni,  le  Pândouide 
Dharmarâdja  et  moi,  nous  vîmes  alors  ce  magnanime, 
associé  à  l'unification  avec  Dieu,  suivre  sa  route  clans  la 
voie  suprême.  Mais  nul  autre  quelconque  ne  vit  le  sage 
fils  de  Bharadwâdja,  8,864—8,865—8,866. 


DR0NA-PA1WA.  363 

Puissant  roi,  s'acheminer  joint  à  l'yoga  vers  la  Gran- 
deur absolue  ;  car  ce  monde  céleste  de  Brahma  est  l'im- 
pénétrable secret  des  Dieux.  8,867. 

Ceux,  qui  sont  nés  des  hommes,  ne  virent  pas  que 
l'Atchârya,  identifié  avec  l'Être  absolu,  était  entré  dans  la 
voie,  d'où  il  n'y  a  plus  de  retour  (1),  et  qu'il  marchait, 
dompteur  des  ennemis,  avec  les  plus  grands  des  rishis, 
vers  le  monde  de  Brahma.  Son  corps,  blessé  par  les  mul- 
titudes des  flèches,  avait  mis  bas  son  arme,  d'où  le  sang 
dégouttait.  8,868—8,869. 

Dès  qu'il  le  vit  ainsi,  le  Prishatide,  blâmé  par  tous  les 
êtres,  saisit  la  tête  du  brahme,  de  qui  l'âme  avait  aban- 
donné le  corps.   8,870. 

Il  trancha  avec  son  glaive  la  tête  au  corps  du  brahme, 
qui  ne  disait  mot,  et,  rempli  de  joie  à  !a  vue  du  Bhara- 
dwàdjide,  étendu  sans  vie,  8,871. 

Il  proclama  son  cri  de  guerre  et  fit  tournoyer  son  cime- 
terre dans  le  combat.  La  vieillesse  avait  couvert  de  che- 
veux noirs  et  blancs  jusqu'aux  oreilles  la  tête  de  Drona.  Il 
était  de  cinq  ans  plus  qu'octogénaire  ;  mais,  à  cause  de  toi, 
il  circulait  dans  les  batailles,  comme  s'il  n'avait  eu  que 
seize  années.  Dhanandjaya,  le  fils  de  Kountî  aux  longs 
bras  :  dit  au  Prishatide  :  8,872-8,873. 

«  Amène  ici  l'Atchârya  vivant,  fils  de  Droupada  ! 
Garde-toi  de  le  tuer  !  Il  ne  faut  pas  lui  donner  la  mort  ! 
On  ne  doit  pas  luiôterlavie  !  »  Ainsi  les  guerriers  criaient 
avec  lui.  8,87/i. 

Arjouna,  plein  de  pitié,  courait  vers  le  héros,  en  jetant 
ces  cris  ;  et,  malgré  ces  clameurs  d' Arjouna,  en  dépit  des 

(i)  Aikâniakinin  ;  Bohtlingk  et  Roth  n'ont  pas  ce  mot. 


364  LE  MAHA-BHARATA. 

cris,  que  les  princes  poussaient  de  tous  les  côtés,  8,875. 

Dhrishtadyoumna  d'immoler  Drona,  le  plus  éminent 
des  hommes  (1),  sur  le  banc  de  son  char.  Arrosé  de  sang, 
comme  l'inaccessible  soleil,  qui  devint  un  jour  Lohi- 
tânga  (2)  aux  membres  de  sang,  il  le  précipita  de  sa  voi- 
ture sur  la  terre;  et  c'est  ainsi  que  les  gens,  qui  portent 
les  armes,  virent  dans  le  combat  son  corps  privé  de  la  vie. 

8,876—8,877. 

Ensuite,  Dhrishtadyoumna  à  l'arc  immense  jeta,  sire, 
cette  grande  tête  du  Bharadwâdjide  devant  tous  les 
tiens.  8,878. 

A  son  aspect,  l'énergie  de  tes  hommes  se  tournant  à  la 
fuite,  ils  se  dispersèrent  à  tous  les  points  de  l'espace. 

Entré  dans  le  ciel,  Drona  de  fouler  la  route  des  cons- 
tellations. Grâce  à  la  faveur  du  saint  anachorète  Krishna, 
le  fils  de  Satyavatî,  je  fus  alors  moi-même,  sire,  témoin 
de  la  mort  donnée  au  Bharadwâdjide.  Tel  qu'une  torche, 
que  l'on  porte  ici  (3)  flamboyante  et  sans  fumée, 

8,879—8,880—8,881. 

Nous  le  vîmes  soutenu  sur  les  routes  du  ciel,  y  mar- 
cher, revêtu  d'une  grande  lumière.  Après  sa  mort,  les 
Kourouides,  abandonnés  par  le  courage,  s'enfuirent  avec 
une  grande  vitesse  devant  (4)  les  Srindjayas  et  les  Pân- 
douides;  et  l'armée  fut  rompue.  Immolés  pour  la  plus 
grande  partie  dans  le  combat  par  les  flèches  acérées, 

8,082—8,883. 

Les  tiens  furent,  Drona  tué,  comme  s'ils  étaient  eux- 


(1)  Édition  de  Bombay. 

(2)  La  planète  de  Mars. 

<3)  VidhoûnAntha,  texte  de  Bombay. 

(4)  Nous  risquons  de  nous-mêmes  ce  changement:  nous  en  faisons  l'aveu. 


DRONA-PARVA.  365 

mêmes  sans  vie.  Ils  avaient  subi  la  défaite,  ils  ressentaient 
une  profonde  terreur  de  la  mort  imminente.   8,88/i. 

Flottants  entre  ce  monde  et  l'autre,  leur  âme  ne  pou- 
vait retrouver  sa  fermeté.  Les  princes,  désirant  le  corps 
du  Bharadwàdjide,  n'arrivaient  pas  à  le  reconnaître  au 
milieu  des  myriades  de  cadavres,  dont  il  était  environné. 
Les  Pândouides,  ayant  obtenu  la  victoire,  flattés  d'une 
grande  espérance  de  l'autre  vie,  8,885—8,886. 

Inspirèrent  des  sons  aux  conques  et  aux  flûtes  ;  ils 
poussèrent  d'illustres  cris  de  guerre.  Ensuite  on  vit,  au 
milieu  de  l'armée,  sire,  Bhîmaséna  et  le  Prishatide  s'em- 
brasser mutuellement  ;  et  Bhîma,  le  fléau  des  ennemis, 
dit  alors  au  vaillant  Pântchâlain  :  8,887 — 8,888. 

«  Je  t'embrasse  encore  une  fois,  Prishatide,  pour  ta 
victoire  ;  car,  dès  ce  jour,  le  criminel  fils  dt:  cocher  et  le 
Dhritarâshtride  sont  morts  dans  la  guerre  !  »  8,889. 

A  ces  mots,  le  Pândouide  Bhîma,  rempli  d'une  immense 
joie,  fit  trembler  toute  la  terre  avec  le  bruit  de  ses  bras. 

A  ce  fracas,  oubliant  le  devoir  du  kshatrya,  les  tiens 
épouvantés  se  mirent  en  pleine  déroute  sur  le  champ  de 
bataille,  n'ayant  plus  de  pensée  que  pour  la  fuite. 

8,890—8,891. 

Les  Pândouides,  qui  avaient  obtenu  l'extermination  des 
ennemis,  souverain  des  hommes,  et  la  victoire  dans  le 
combat,  en  éprouvèrent  de  la  joie,  et  ce  succès  les  enivra 
de  plaisir.  8,892. 


DÉLIVRANCE  DE  L'ASTRA  NARAYAMIN 


Aprè3  que  Drona  fut  immolé,  sire,  les  Kourouides,  sous 
l'oppression  des  flèches,  battus  et  leurs  fameux  héros 
tués,  se  plongèrent  dans  un  profond  chagrin.   8,893. 

Voyant  les  ennemis  enflés  d'orgueil,  ils  étaient,  souve- 
rain des  hommes,  effrayés,  consternés,  les  yeux  baignés 
de  larmes,  en  proie  à  une  continuelle  agitation.  8,894. 

Hors  d'eux-mêmes ,  les  efforts  enrayés,  la  vigueur 
frappée  d'impuissance,  ils  environnèrent  ton  fils  avec  de 
grands  cris  de  détresse,  8,895. 

Gomme  des  femmes  dans  leur  mois,  tremblants,  jetant 
les  yeux  sur  les  dix  points  de  l'espace,  baignant  leurs  cous 
de  larmes,  et  tels  qu'étaient  jadis  les  Daîtyas,  après  la 
mort  d'Hiranyâksha.   8,896. 

Entouré  de  ces  guerriers  tremblants,  sire,  comme  de 
faibles  gazelles,  ton  fils  ne  put  s'empêcher  de  lâcher 
pied.  8,897. 

Tes  combattants,  Bharatide,  épuisés  de  faim  et  de  soif, 


DRONA-PARVA.  367 

consumés  en  quelque  sorte  par  le  soleil,  étaient  aban- 
donnés entièrement  de  leur  âme.  8,898. 

Aussitôt  qu'ils  virent  la  chute  du  Bharadwâdjide,  aussi 
intolérable  que  si  le  soleil  tombait  lui-même  des  cieux,  ou 
pareille  au  dessèchement  de  la  mer,  ou  semblable  au  Mé- 
rou, qui  tournerait  sa  face  opposée,  ou  telle  qu'une  défaite, 
que  subirait  Indra,  les  Kourouides  s'enfuirent  de  terreur, 
sire,  avec  des  formes  plus  effrayées  qu'ils  n'avaient  aupa- 
ravant. 8,899—8,900. 

Le  roi  du  Gândhâra,  Çakouni  épouvanté  de  tourner  le 
dos,  accompagné  de  héros  encore  plus  tremblants,  dès 
qu'il  vit  le  brahme  au  char  d'or  étendu  sans  vie,  8,901. 

Entraînant  avec  lui  une  grande  armée,  division  com- 
plète, impétueuse,  dispersée  avec  ses  étendards,  le  fils  du 
cocher  se  retira,  frappé  d'efïroi.  8,902. 

A  son  aspect,  le  roi  de  Madra,  qui  mettait  avant  toute 
chose  une  armée  que  ses  chars,  ses  éléphants  et  ses  che- 
vaux rendaient  infranchissable,  Çalya  s'enfuit,  plein  d'é- 
pouvante.  8,903. 

Environné  de  nombreux  fantassins,  d'éléphants  et  de 
ses  éminents  héros,  dont  la  plus  grande  partie  était 
blessée,  le  Çaradvatide  battit  en  retraite,  s' écriant  : 
«Malheur  !  quel  malheur  !  »   8,90A. 

Kritavarman,  entouré,  sire,  de  Vâlhikas,  d'Arratas,  de 
Kalingas  et  d'une  armée  bien  disciplinée  de  Bhodjas, 
confia  son  salut  à  ses  chevaux  d'une  grande  vitesse. 

Tremblant,  talonné  parla  crainte,  Ouloûka,  enveloppé 
par  des  bataillons  d'hommes  de  pied,  s'enfuit,  dès  qu'il 
eut  vu  Drona  tombé.   8,905 — 8,906. 

Douççâsuna,  jeune,  admirable  à  voir  et  de  qui  le  cou- 
rage avait  accompli  ses  preuves,  tourna  le  dos  dans  un 


368  LE  MAHA-BHARATA. 

trouble  extrême,    couvert    par    des    éléphants.  8,907. 

Lorsqu'il  eut  pris  avec  lui  une  myriade  de  chars  et 
trois  mille  proboscidiens,  Vrishaséna  partit  d'un  pied 
hâté  à  la  vue  de  Drona,  étendu  sans  vie.  8,908. 

Accompagné  de  chevaux,  d'éléphants,  de  chars  et  en- 
touré de  fantassins,  ton  héroïque  Douryodhana  prit  lui- 
même  la  fuite,  majesté.  8,909. 

Souçarman,  emmenant  avec  lui  ce  qui  restait  des  con- 
jurés, abattus  sous  les  coups  de  Kirîti,  courut  en  arrière, 
site,  quand  il  vit  Drona  sans  mouvement.   8,910. 

Montant  sur  leurs  chars  et  sur  leurs  éléphants,  ou 
même  abandonnant  leurs  chevaux,  les  guerriers  couraient 
de  tous  les  côtés  dans  le  combat,  à  l'aspect  du  brahme 
au  char  d'or  expiré.   8,911. 

Les  Kourouides  s'enfuyaient,  excitant  leurs  pères,  des 
oncles,  des  frères  ;  d'autres  stimulant  des  frères  ou  des 
amis  ;  8,912. 

Les  uns  des  neveux  ;  ceux-ci  poussaient  devant  eux  les 
armées  ;  ceux-là  se  sauvaient  avec  leurs  parents  aux  dix 
points  de  l'espace.  8,913. 

Battus,  les  cheveux  épars,  deux  ne  couraient  pas  dans 
un  même  chemin  !  c,  Ce  n'est  point  là  ce  que  nous  atten- 
dions ,  s'écriaient -ils,  les  efforts  abattus,  la  vigueur 
brisée.   8,91  à. 

Les  autres  de  ton  parti,  seigneur,  fuyaient,  ayant  rejeté 
leurs  cuirasses  :  les  combattants  l'un  à  l'autre,  taureau 
des  Bharatides,  s'adressaient  des  reproches.   8,91 5. 

«  Arrête  !  arrête  !  »  disaient-ils  ;  mais  personne  ne 
s'arrêtait  en  ce  moment.  Ils  avaient  abandonné,  malgré 
qu'ils  fussent  décorés  d'ornements,  leurs  chars,  attelés 
de  vigoureux  chevaux.  8,916. 


DRONA-PARVA.  369 

Montés  sur  leurs  coursiers,  tes  guerriers  hâtaient  leur 
fuite  à  grands  coups  de  pied.  Tandis  que  l'armée  se  dis- 
persait ainsi ,  les  formes  tremblantes ,  la  force  éva- 
nouie, 8,917. 

Tel  qu'un  alligator,  qui  remonte  contre  le  courant,  le 
fils  de  Drona  marchait  dans  le  sens  opposé  aux  fuyards. 
Alors  s'éleva  une  bien  grande  bataille  entre  lui  et  les 
Prabhadrakas  ^1) ,  les  Pântchâlains,  les  Tchédiens  et  les 
Raîkayains,  troupes,  qui  avaient  Çikhandî  à  leur  tète. 
Quand  ce  héros,  ivre  de  la  furie  des  combats  (2),  eut 
immolé  diverses  armées  des  Pândouides,   8,918 — 8,919. 

Tel  qu'un  éléphant  en  rut,  délivré  à  l'instant  même 
d'un  défilé;  dès  qu'il  vit  l'armée  courir,  esclave  de  la 
fuite,  ce  fils  de  Drona  s'approcha  de  Douryodhana,  et  lui 
dit  ces  mots  :  «  Pourquoi  cette  armée  fuit-elle,  Bharatide, 
avec  un  air  effrayé,  '  8,920 — 8,921. 

o  Et  ne  l'arrêtes-tu  pas  dans  sa  fuite  (3),  Indra  des 
rois,  au  milieu  du  combat?  Toi-même,  souverain  des 
hommes,  tu  n'es  pas  dans  ton  état  naturel,  comme  tu 
étais  avant.   8,922. 

»  En  quel  éminent  héros  (4)  ton  armée  a-t-elle  été 
frappée  (5)  ?  Dis-moi,  royal  Kourouide,  le  guerrier,  qui 
est  tombé  dans  cette  malheureuse  condition?   8,923. 

»   Aucun  de  ces  héros,  à  commencer  par  Karna,  ne 


(1)  Prabhadruka.  Nous  avons  déjà  trouvé  ce  mot  plusieurs  fois: 
il  manque  dans  Wilson  ;  Bothlingk  et  Roth  ne  lui  donnent  pour  si- 
gnification que  très-beau.  Nous  pensons  que  c'est  un  nom  de  peuple,  à 
cause  de  la  conjonction  tcha,  qui  vient  immédiatement  après  ce  mot,  et 
qui  accompagne  chacun  des  noms  de  régnicoles  suivants. 

(2)  Youddhadurmadas,  texte  de  Bombay. 

(3)  Dravamânam,  même  texte. 

(4-5)  Hâtai....  rathasinhai,  texte  de  Bombay. 


370  LE  MAHA-BHAUATA. 

tient  plus  de  pied  ferme  :  ton  année  ne  fuyait  pas  ainsi 
dans  les  autres  combats.   8,924. 

»  Est-ce  que  le  bonheur,  puissant  roi,  ne  visiterait  pas 
en  ce  moment  ton  armée?  »  Douryodhana,  à  ce  langage 
du  fils  de  Drona,  n'eut  pas  la  force  de  lui  apprendre,  ô 
le  plus  excellent  des  princes,  cette  nouvelle  affligeante 
et  désagréable.  Ton  fils  plongé,  tel  qu'un  navire 
brisé  ,   dans  un   océan   de  chagrins  , 

8,925—8,926. 
Ayant  vu  le  fils  de  Drona  placé  dans  son  char,  sire,  dit 
ces  mots,  baigné  de  larmes,  au  Çaradvatide  avec  confu- 
sion >  8,927. 

«  Raconte  ici  d'abord,  s'il  te  plaît,  comment  cette 
armée  s'est  mise  en  déroute.  »  Et  le  Çaradvatide,  s'aban- 
donnant  mainte  et  mainte  fois  à  la  douleur,  8,928. 

De  narrer  au  fils  du  brahme,  comment  Drona  était 
tombé  de  son  char  :  8,929. 

«  Ayant  mis  à  notre  tête  l'Atchârya,  le  plus  grand  des 
héros  sur  la  terre,  nous  livrâmes  combat  à  tous  les  Pân- 
tchâlains.   8,930. 

»  Ensuite  la  bataille  s' étant  allumée,  les  Kourouides 
mêlés  aux  Somakas,  rugissant  les  uns  contre  les  autres, 
abattirent  avec  leurs  flèches  les  corps  des  guerriers. 

»  Tandis  que  ce  combat  se  livrait  et  que  les  Dhrita- 
râshtrides  périssaient  dans  la  guerre,  ton  père  dans  sa 
colère  envoya  un  astra.  8,931 — 8,932. 

»  Drona,  le  plus  éminent  des  hommes,  décocha  l'astra 
de  Brahma,  et  tua  de  sesbhallas  les  ennemis  par  centaines 
et  par  milliers.   8,933. 

»  Arrivés  devant  le  char  de  Drona,  où  les  poussait  la 
mort,  les  Pântchâlains,  les  Matsyas,  les  Kaîkayains  et  les 


DRONA-PAUVA.  371 

Pândouides  tombèrent  morts,   ô  le  plus    vertueux   des 
brahmes.  8,934. 

»  Grâce  à  cet  astra  de  Brahma,  l' Atchârya  d'expédier  à 
la  mort  un  millier  de  vaillants  guerriers  et  deux  mille 
éléphants.   8,935. 

»  Les  cheveux  blancs  et  noirs  jusqu'aux  oreilles,  de 
cinq  ans  plus  qu'octogénaire,  vieux,  il  se  promenait  dans 
le  combat  comme  s'il  n'eût  compté  que  seize  années. 

»  Au  milieu  de  ces  armées  frappées  par  la  douleur  et 
de  ces  rois  taillés  en  pièces,  les  Pântchâlains,  tombés  sous 
le  pouvoir  de  la  colère,  avaient  tourné  le  dos. 

8,936—8,937. 

»  Au  moment  où  ce  vainqueur  des  ennemis  lança  Fas- 
tra  de  Brahma  sur  ces  guerriers  à  demi  rompus  et  mis  en 
déroute,  il  parut  comme  le  soleil,  élevé  sur  l'horizon. 

»  Arrivé  au  milieu  des  Pândouides,  il  leur  était  diffi- 
cile de  fixer  les  yeux  sur  ton  auguste  père,  qui  avait  des 
flèches  pour  ses  rayons,  autant  qu'il  l'est  de  regarder 
le  soleil,  parvenu  au  milieu  de  sa  carrière. 

8,938—8,939. 

»  Consumés  par  Drona,  comme  par  l'auteur  éblouissant 
de  la  lumière,  ils  étaient  sans  effort,  l'âme  en  quelque 
sorte  exhalée  et  le  courage  comme  en  cendres.  8,940. 

»  Quand  le  meurtrier  de  Madhou  les  vit  accablés  des 
flèches,  qu'envoyait  Drona,  il  dit  alors  ces  mots,  que  lui 
inspirait  le  désir  de  la  victoire  pour  les  fils  de  Pandou  : 

«  Il  est  impossible  aux  ennemis,  fût-ce  au  meurtrier  de 
Vritra  lui-même,  de  vaincre  jamais  dans  un  combat  ce 
chef  des  chefs  de  héros,  le  plus  excellent  de  tous  ceux,  qui 
portent  les  armes.  S, 941— 8,942. 

»   Vous,  Pândouides,  renoncez  donc  au  devoir  un  ins- 


372  LE  MAHA-BHARATA. 

tant  pour  conserver  la  victoire,  dans  la  crainte  que  ce 
brahme  au  char  d'or  ne  vous  immole  tous  dans  le 
combat.   8,943. 

»  Açwatthâman  une  fois  tué,  son  père,  c'est  mon  sen- 
timent, n'aura  plus  la  force  de  combattre.  Qu'un  homme, 
il  n'importe  lequel,  lui  impose  donc  ce  mensonge  que  son 
fils  est  mort  dans  le  combat,  h   S, 9  h  II. 

»  Dhanandjaya,  le  fils  de  Rountî,  n'approuva  point  cet 
avis  ;  mais  tous  les  autres  l'acceptèrent;  Youdhishthira 
enfin  s'y  rendit  avec  peine.   8,9A5. 

»  Bhîmaséna  dit  à  ton  père  avec  une  sorte  de  confu- 
sion :  «  Açwatthâman  est  tué  !  »  et  ton  père  s'est  refusé  à 
le  croire.  8,946. 

»  Soupçonnant  que  c'était  un  mensonge,  ce  père,  le 
cœur  plein  de  tendresse  pour  son  fils,  demanda  à  Dhar- 
marâdja  si  tu  étais  mort  ou  non  sur  le  champ  de  ba- 
taille.  8,947. 

»  Youdhishthira,  attaché  à  la  victoire,  mais  plongé 
dans  la  crainte  de  faire  un  mensonge,  venait  de  voir  Aç- 
watthâman à  la  cuirasse  comme  une  montagne,  énorme 
éléphant,  que  Bhîmaséna  avait  tué  au  roi  du  Mâlava, 
Indravarma  ;  il  s'avança  donc  vers  Drona  et  lui  cria  ces 
mots  :  8,948—8,949. 

«  Celui,  pour  lequel  tu  as  pris  la  flèche  et  sur  lequel  tu 
fixais  tes  yeux  dans  la  vie,  cet  être  (1),  qui  te  fut  tou- 
jours cher...,  Açwatthâman  est  tombé  mort.   8,950. 

»  11  gît,  immolé  sur  la  terre,  comme  le  faon  d'un  lion  !  » 
Il  savait  cependant  quels  péchés  sont  attachés  au  men- 


(1)  Putra,  dit  le  texte;  je  remplace  par  un  autre  ce  mot,  qui  empêche  de 
supposer  vrai  ce  mensonge. 


DRONA-PARVA.  373 

songe;  aussi,  dit-il  en  mots  couverts  au  plus  vertueux 
des  brahmes  :  «  L'éléphant  est  tué  !  »  quon  pouvait  bien 
entendre  par  le  plus  grand  des  hommes.  A  peine  crut-il 
apprendre  que  tu  étais  frappé  mort ,  il  jeta  un  cri,  con- 
sumé par  sa  douleur.  8,951 — 8,952. 

»  Il  réprima  ses  astras  célestes,  et  ne  combattit  plus 
comme  avant.  Dès  qu'il  le  vit  clans  un  trouble  extrême, 
l'âme  frappée  de  chagrin,  8,953. 

»  Le  fils  du  roi  de  Pàntchâla  aux  œuvres  inhumaines 
fondit  sur  lui.  A  l'aspect  du  guerrier  résolu  à  sa  mort,  le 
brahme,  instruit  dans  la  vérité  du  monde,  ayant  déposé  ses 
astras  divins,  s'assit  dans  le  combat  pour  la  mort.  Alors, 
le  saisissant  aux  cheveux  de  la  main  gauche, 

»  Le  Prishatide  lui  trancha  la  tête,  malgré  les  cris  des 
héros  :  «  Il  ne  faut  pas  le  tuer  !  Il  ne  faut  pas  le  tuer  !  ») 
Ainsi  criaient-ils  de  toutes  parts.   8,95/i — 8,955—8,956. 

»  Arjouna  descendit  de  son  char,  il  courut  vers  lui,  et, 
levant  ses  deux  bras  à  la  hâte  à  plusieurs  fois  :  8,957. 

«  Amène  ici  l'Atchârya  vivant!  Ne  le  tue  pas,  homme 
juste!  »  Mais  bien  qu  Arjouna  et  les  Kourouides  le  dé- 
tournassent de  cette  action,  le  guerrier  barbare,  ô  le  plus 
grand  des  hommes,  immola  ton  père  lui-même.  Tous  les 
combattants  s'enfuirent,  talonnés  par  la  crainte. 

»  Et  ce  meurtrier  de  ton  père  nous  a  ravi  toute  énergie, 
mortel  sans  péché.  »   8,958—8,959—8,960. 

Quand  le  fils  de  Drona  eut  appris  la  mort  de  son  père 
sur  le  champ  de  bataille,  il  ressentit  une  violente  colère, 
comme  un  serpent  touché  par  le  pied.  8,961. 

Le  Dronide  irrité  dans  le  combat,  vénérable  monarque, 
jeta  de  vives  clartés;  tel  qu'un  feu  arrive  à  la  flamme, 
quand  il  a  reçu  dans  son  foyer  une  grande  abondance  de 
bois.   8,962. 


37/i  LE  MAHA-BHARATA. 

Broyant  l'une  dans  l'autre  ses  deux  paumes,  serrant 
ses  dents  contre  ses  dents,  soufflant  comme  un  boa,  il 
avait  ses  yeux  rouges-de  fureur.  8,963. 

«  Qu'est-ce  que  dit  Àçwatthâman,  s'enquil  Dhrita- 
râshtra,  lorsqu'il  apprit  que  le  brahme,  son  vieux  père, 
était  tombé  sous  les  coups  de  l'injuste  Dhrishtadyoumna? 

»  Que  dit  Açwatthâman,  lorsqu'il  eut  appris  que,  sous 
l'inique  Dhrishtadyoumna,  avait  succombé  dans  la  guerre 
ce  juste  et  courageux  Atchârya,  en  qui  se  trouvait  tou- 
jours les  astras  de  Nârâyana,  d'Indra,  de  Brahma,  d'Agni, 
de  Varouna  et  de  Manou?  8,964 -8,965—8,966. 

»  Ce  magnanime,  qui,  ayant  reçu  le  Dhanour-Véda  ici- 
bas  de  Râma,  le  Djamadagnide,  et  désirant  les  vertus 
dans  son  fils,  mit  en  jeu  des  astras  célestes  !  8,967. 

»  En  effet  dans  ce  monde,  les  hommes  désirent  toujours 
un  fils  plus  vertueux  qu'ils  ne  sont  eux-mêmes,  et  nulle- 
ment aucun  autre.   8,968. 

»  Si  les  magnanimes  Atchâryas  ont  des  secrets,  ils  les 
confieront  à  leur  fils,  ou  à  celui  de  leurs  disciples,  qui 
vient  après  eux.   8,969. 

»  Le  fils  de  la  Çaradvatî  est  un  disciple,  qui  les  a  tous 
obtenus,  Sandjaya,  et  d'une  manière  supérieure  :  c'est  un 
héros,  qui,  dans  les  combats,  suit  immédiatement  son 
père.  8,970. 

»  11  est  estimé  de  Râma  dans  les  combats,  égal  à  Pou- 
randara  dans  la  guerre,  semblable  à  Kârttavîrya  en  cou- 
rage, pareil  à  Vrihaspati  en  intelligence.  8,971. 

»  Il  est  équipollent  à  la  terre  pour  la  faculté  de  porter  ; 
c'est  un  jeune  homme,  de  qui  la  splendeur  est  telle  que  la 
clarté  du  feu  ;  il  est  aussi  profond  que  la  mer,  et  sa  colère 
est  comme  le  venin  des  serpents.  8,972. 

»  Il  est  le  premier  des  maîtres  de  chars  dans  le  monde  ; 


DRONA-PÀllVA.  375 

il  est  armé  d'un  arc  solide  (1)  ;  il  a  vaincu  la  fatigue  : 
il  crie  ainsi  que  le  vent  rapide  ;  il  marche  irrité  de  même 
que  la  mort.  8,973. 

»  Lance-t-il  ses  flèches  dans  un  combat,  la  terre  en  est 
tourmentée;  est-il  un  guerrier,  qu'il  ne  trouble  pas  dans 
la  bataille?  C'est  un  héros,  de  qui  le  courage  est  une  vé- 
rité.  8,97/i. 

»  11  a  accompli  ses  études,  il  a  juré  ses  vœux,  qu'il  a 
fait  suivre  du  bain;  toute  la  science  del'arc,  ill'alue;  il  est 
inébranlable  comme  la  mer  ou  comme  Râma,  le  fils  de 
Daçaratha. 

»  Que  dit  Açwatthâman,  quand  il  apprit  que  ce  ver- 
tueux instituteur  avait  succombé  dans  un  combat,  sous 
l'injuste  Dhrishtadyoumna  !  8,975 — 8,976. 

»  Ce  guerrier,  qu'il  avait  engendré  (2)  pour  être  la 
mort  de  Dhrishtadyoumna,  n'était-il  pas  le  fils  de  Drona, 
comme  le  Pântchâlain  était  né  d'Yajnaséni?  8,977. 

»  Qu'est-ce  que  dit  Açwatthâman,  lorsqu'il  sut  que  cet 
homme  méchant,  vil,  criminel,  à  très-courte  vue,  avait 
tuél'Atchârya?  »   8,978. 

A  la  nouvelle  que  son  père,  lui  répondit  Sandjaya,  était 
victime  d'un  mensonge  et  d'un  homme  scélérat,  majesté, 
le  Dronide  fut  rempli  à  la  fois  de  larmes  et  de  colère. 

On  vit  s'enflammer  le  corps  de  cet  homme  irrité,  Indra 
des  rois,  comme  celui  de  la  Mort,  quand  à  la  révolution 
des  temps,  elle  veut  enlever  toutes  les  créatures. 

8,979—8,980. 

Il  essuya  trois  et  quatre  fois  ses  yeux  remplis  de  larmes 


(1)  Drithadhanvâ,  texte  de  Bombay. 

(2)  Srishtai,  même  texte. 


376  LE  MAHA-BHARATA. 

et,  soupirant  de  colère,  il  tint  ce  langage  àDouryodhana  : 

«  Je  sais  que  mon  père  fut  tué  par  des  hommes  cruels, 
lorsqu'il  avait  quitté  les  armes,  et  que  ce  crime  fut  accom- 
pli en  apparence  sous  le  drapeau  du  devoir. 

8,981—8,982. 

»  Je  connais  la  parole  basse  et  d'une  insigne  méchan- 
ceté, qu'a  dite  le  fils  d'Yama.  Quiconque  s'engage  dans 
les  guerres  a  pour  son  lot  assuré  la  victoire  ou  la  défaite. 

Lorsque  ces  deux  chances  existent,  sire,  la  mort  est 
estimée  :  si  la  mort  arrive  dans  la  bataille  en  combattant, 
la  mort  est  donnée  avec  juste  convenance. 

8,983— 8,984. 

»  Comme  elle  est  toujours  placée  devant  les  yeux  des 
brahmes,  elle  ne  peut  leur  causer  de  la  douleur.  Mon 
père,  il  n'y  a  aucun  doute  pour  moi,  est  passé  dans  le 
monde  des  héros.  8,985. 

»  11  ne  faut  pas  pleurer  mon  père,  ce  tigre  des  hommes, 
parce  qu'il  est  descendu  au  tombeau.  Mais,  comme  il  s'est 
arraché  les  cheveux,  sous  les  yeux  de  toutes  les  armées  , 
lui,  qui  était  engagé  dans  la  vertu,  voilà  ce  qui  me 
déchire  le  cœur  !  Mon  père,  moi  vivant,  il  s'est  arraché 
les  cheveux!  8,986—8,987. 

»  Comment  après  la  mort  de  leurs  fils,  les  autres  pères 
témoigneront-ils  le  regret  d'un  fils?  Ils  font,  par  colère, 
amour,  ignorance,  haine,  et  même  par  enfantillage, 
des  choses  injustes,  quoiqu'ils  méprisent  ces  actions.  Le 
fils  de  Prishat  a  commis  cette  grande  offense  à  la  vertu. 

8,988—8,989. 

»  Sans  doute,  il  ne  me  connaissait  pas,  ce  barbare,  cet 
insensé  !  Mais  Dhrishtadyoumna  bientôt  verra  la  consé- 
quence très-épouvantable  de  son  action  !  8,990. 


DRONA-PARVA.  377 

»  Le  Pândouide  a  fait  une  chose  ignoble  au  premier 
chef;  il  a  dit  une  fausseté.  Certes!  la  terre  aujourd'hui 
même  boira  le  sang  du  fils  d'Yama,  qui  a  fait  abandonner 
ses  armes  à  l'Atchârya  par  un  mensonge  !  Je  le  jure  sur 
la  vérité,  Kourouide,  sur  mes  sacrifices  et  mes  actes  mé- 
ritoires! 8,991—8,992. 

»  Puissé-je  ne  pouvoir  jamais  vivre  que  je  n'aie  immolé 
tous  les  Pàntchâlains  !  Je  m'efforcerai,  par  tous  les  moyens, 
dans  ce  grand  combat  contre  les  gens  du  Pântchâla; 

»  Je  tuerai  dans  la  bataille  Dhrishtadyoumna,  aux 
œuvres  criminelles;  et,  quand  j'aurai  fait  le  massacre  des 
Pàntchâlains  dans  le  combat,  par  tel  ou  tel  moyen,  doux 
ou  rigoureux,  je  goûterai  enfin  la  tranquilité.  C'est  pour 
cela,  tigre  des  hommes,  que  les  mortels  désirent  un  fils  ! 

8,993—8,994—8,995. 

»  Cet  enfant  nous  sauvera,  disent-Us,  d'un  grand  péril 
dans  ce  monde  et  dans  l'autre.  Mon  père,  comme  il  était 
sans  parent,  obtint  cette  condition.   8,996. 

»  Et  je  vis  ici,  moi,  son  disciple  et  son  fils,  pareil 
à  une  montagne!  Honni  soit  de  mes  astras  divins!  Honte 
soit  à  mes  bras  !  Honni  soit  de  mon  courage  ! 

»  Car,  après  qu'il  m'eut  obtenu  pour  fils,  mon  père  fut 
réduit  à  s'arracher  les  cheveux.  Mais  je  ferai  en  sorte,  ô 
le  plus  grand  des  Bharatides,  que  je  sois  affranchi  de  mes 
dettes  à  l'égard  de  mon  père,  qui  est  passé  dans  l'autre 
monde.  Se  donner  des  éloges  «à  soi-même  est  une  chose, 
que  doit  toujours  éviter  un  homme  bien  né. 

8,997—8,998—8,999. 

»  Mais,  dans  l'impatience,  où  je  suis,  de  lainortdemon 
père,  je  veux  maintenant  proclamer  ici  mon  courage  :  que 


378  LE  MAHA-BHARATA. 

les  Pândouides  voient  donc  maintenant  avec  Djanârddana 
quelle  est  ma  valeur,  9,000. 

»  Quand  j'écrase  toutes  les  armées  et  que  j'accomplis 
comme  la  fin  d'un  youga!  Ni  les  Rakshasas,  les  Ouragas 
et  les  Asouras,  ni  les  Gandharvas,  ni  même  les  Dieux, 

»  Combien  moins  les  plus  éminents  des  hommes  ne  se- 
raient-ils point  capables  de  me  vaincre  dans  un  combat, 
aujourd'hui  que  je  me  tiens  sur  mon  char  !  Et  dans  ce 
monde,  guerrier,  versé  dans  les  astras,  il  n'existe  nulle 
part  un  autre  que  moi,  si  ce  n'est  Arjouna. 

9,001—9,002. 

»  Moi,  qui  suis  venu  dans  les  armées  lancer  des  astras 
créés  par  les  Dieux,  je  reste  au  milieu  des  flamboyants, 
comme  le  soleil  au  milieu  de  ses  rayons.  9,003. 

»  Lancées  en  foule  de  mon  arc  dans  un  grand  combat, 
mes  flèches,  proclamant  ma  valeur,  immoleront  les  Pân- 
douides !  9,004. 

»  Aujourd'hui,  couvertes  de  mes  dards,  comme  des 
gouttes  de  la  pluie,  toutes  les  plages  contempleront  mes 
traits  acérés.  9,005. 

»  Aujourd'hui,  semant  de  tous  côtés  les  réseaux  de 
mes  flèches,  avec  un  bruit  épouvantable,  j'abattrai  les  en- 
nemis comme  un  grand  vent  couche  les  arbres  à  terre. 

»  Cet  astra  n'est  connu,  ni  de  Bîbhatsou,  ni  de  Djanârd- 
dana, ni  de  Bhîmaséna,  ni  des  jumeaux,  ni  du  roi  You- 
dhishthira.  9,006—9,007. 

»  Ni  le  Prishatide,  ni  ce  cruel  Çikhandî,  ni  Sâtyaki  ne 
connaissent  l' astra,  qui  me  fut  donné  tout  armé  avec  le 
moyen  de  le  rappeler  à  moi.  9,008. 

»   Une  offrande,  qui  avait  la  forme  de  Brahma,   fut 


DRONA-PAUVA.  379 

consacrée  jadis  à  Nârâyana  par  mon  père,  incliné,  suivant 
la  règle.  9,009. 

»  Bhagavat  reçut  lui-même  son  présent  et  lui  donna  une 
grâce  :  mon  père  alors  choisit  un  astra  supérieur ,  celui 
de  Nârâyana.  9,010. 

»  Le  plus  grand  des  Dieux,  sire,  lui  dit  ces  paroles  : 
«  Nulle  part  et  quel  qu'il  soit,  nul  autre  homme  ne  lui 
sera  égal  dans  la  guerre.  9,011. 

»  Il  ne  faut  jamais  te  hâter,  brahme,  de  mettre  en  jeu 
cette  arme  ;  car  c'est  un  astra,  qui  ne  peut  revenir  sans 
avoir  tué  l'ennemi.  9,01*2. 

»  Il  est  impossible  de  connaître  toute  sa  puissance  : 
qui  ne  tuerait-elle  pas,  seigneur  ?  Elle  arracherait  la  vie  à 
un  immortel  lui-même.  Que  le  brahme  ne  s'en  serve  donc 
point  9,013. 

»  A  écarter  dans  le  combat,  soit  un  char,  soit  des  flè- 
ches, soit  des  ennemis,  qui  sollicitent  un  refuge  sous  sa 
protection.  9,01  Zj. 

»  On  doit  laisser  dormir,  fléau  des  ennemis,  l'usage  de 
ce  grand  astra;  car,  pressé  de  quelque  manière,  il  oppres- 
serait dans  le  combat  des  hommes,  qui  ne  doivent  pas 
mourir!  »    9,015. 

»  Mon  père  reçut  l' astra,  et  le  seigneur  lui  dit  encore 
ces  mots  :  «  Tu  briseras  en  grand  nombre  des  cuirasses 
et  des  traits  célestes.   9,016. 

»  Grâce  à  cet  arme,  tu  flamboieras  de  splendeur  au  mi- 
lieu du  combat.  »  A  ces  mots,  l'auguste  Bhagavat  remonta 
au  ciel.  9,017. 

»  La  succession  paternelle  a  mis  entre  mes  mains  cet 
astra  de  Nârâyana  :  avec  lui,  je  disperserai  en  fuite  dans 
le  combat  les  Kaîkayains,  les  Matsyas,  les  Pântchâlains  et 


380  LE  MAHA-BHARATA. 

les  Pàndouides,  comme  l'époux  de  Çatchî  jeta  la  déroute 
parmi  les  Asouras.  Mes  flèches,  ayant  pris  la  forme  de 
mes  désirs,  9,018—9,019. 

»  Tomberont,  Bharatide,  au  milieu  d'ennemis  pleins  de 
courage  (1).  Ferme  dans  la  bataille,  je  verserai  une  pluie 
d'astras,  suivant  ma  volonté.  9,020. 

»  Avec  mes  flèches  à  la  pointe  de  fer,  je  mettrai  en  dé- 
route les  plus  grands  héros,  et  j'abattrai  sur  la  terre,  sans 
aucun  doute,  les  diverses  haches.  9,021. 

»  Avec  ce  grand  astra  de  Nârâyana,  moi,  le  fléau  des 
ennemis,  j'accablerai  d'infortunes  les  Pàndouides  et  je 
taillerai  en  pièces  les  ennemis.  9,022. 

»  11  n'échappera  pas  vivant  de  mes  mains  cet  homme 
dur,  objet  des  plus  grands  reproches,  ennemi  des  gou- 
rous, des  brahmes,  de  leurs  amis,  et  le  dernier  des  Pân- 
tchâlains.  »   9,023. 

L'armée  entendit  ces  paroles  du  fils  de  Drona.  et  tous 
les  plus  illustres  des  hommes  remplirent  de  vent  leurs 
grandes  conques.  9,024. 

Ils  battirent  joyeux  les  tambours  et  les  tambourins  par 
milliers;  la  terre  résonna,  tourmentée  par  les  roues  des 
chars  et  les  sabots  des  coursiers.  9,025. 

Et  un  bruit  confus  remplit  les  échos  de  la  terre,  de 
l'atmosphère  et  du  ciel.  Aussitôt  que  les  Pàndouides 
eurent  ouï  ce  fracas,  semblable  au  son  des  nuages, 

Les  plus  excellents  des  maîtres  de  chars  se  rassemblè- 
rent de  compagnie  et  se  mirent  à  délibérer.  Quand  le  fils 
de  Drona  eut  parlé  ainsi,  il  toucha  l'eau,  Bharatide  ; 

9,026—9,027. 

(i)  Vikramatsou,  texte  de  Bombay. 


DRONA-PARVA.  381 

Et  manifesta  alors  cet  a9tra  divin,  le  Nârâyana.  9,028. 

Dès  qu'il  parut,  un  vent  souffla,  accompagné  des  gouttes 
de  la  pluie  et  de  tonnerres,  au  milieu  d'un  ciel  sans  nuages. 

La  terre  trembla,  les  mers  furent  agitées,  et  les  fleuves 
commencèrent  à  retourner  vers  leurs  sources. 

9,029—9,030. 

On  vit  alors  se  rompre  les  cîmes  des  montagnes,  et  les 
gazelles  mirent  à  leur  droite  les  fils  de  Pândou.  9,031. 

Partout  se  répandirent  les  ténèbres,  et  la  lumière  du 
soleil  parut  embrouillée.  Les  bêtes  carnassières  marchaient 
ensemble,  pleines  de  joie.  9,032. 

Les  Gandharvas,  les  Dânavas  et  les  Dieux  tremblèrent  ; 
à  la  vue  de  cette  arme  troublée,  ils  se  dirent:  «  Comment 
fut  donc  cet  entretien  violent?  »   9,033. 

La  crainte  agita,  souverain  des  hommes,  tous  les  rois, 
aussitôt  qu'ils  virent  cet  astra  épouvantable,  aux  terribles 
formes,  du  fils  de  Drona.  9,03Zi. 

«  Quand  les  armées,  s'enquit  Dhritarâshtra,  furent 
taillées  pièces  dans  la  guerre  par  le  Dronide,  consumé  de 
chagrin  et  impatient  de  la  mort  de  son  père  ;  9,035. 

»  Quand  ils  virent  les  Kourouides  accourir,  quel  des- 
sein arrêtèrent  les  Pândouides  pour  la  défense  de  Dhrish- 
tadyoumna  ?  Raconte-moi  cela,  Sanjaya  !  »   9,036. 

D'abord  qu'il  vit  les  Dhritaràshtrides  en  fuite,  répondit 
le  cocher,  et  qu'il  entendit  s'élever  de  nouveau  un  combat 
tumultueux,  Youdhishthira  dit  à  Arjouna  :  9,037. 

«  Dhrishtodyoumna  ayant  tué  dans  la  bataille  Drona, 
l'Atchârya,  comme  le  Dieu,  qui  tient  la  foudre,  tua  le 
grand  Asoura  Vritra,  9,038. 

»  Les  Kourouides,  l'âme  consternée,  Dhanandjaya, 
n'ont  plus  espéré  la  victoire  dans  Je  combat;  et,  mettant 


382  LE  MAHA-BHARATA. 

la  pensée  de  leur  esprit  dans  le  salut  d'eux-mêmes,  ils  se 
sont  enfuis  du  combat.  9,039. 

»  Entre  les  princes,  les  uns  courent  avec  les  chars 
éperdus,  les  cochers  et  lès  guides  immolés,  les  drapeaux, 
les  banderolles  et  les  ombrelles  éparses,  les  timons  brisés, 
les  bancs  cassés,  les  chevaux  troublés.  Ceux-ci,  hors 
d'eux-mêmes,  sont  montés  sur  les  chars  des  autres.  Ceux- 
là,  effrayés,  hâtent  des  pieds  les  coursiers;  plusieurs 
spontanément  pressent  la  fuite  de  leurs  chars. 

9,040-9,041. 

»  Les  autres  se  sauvent,  malades  de  peur,  avec  des 
moyeux,  des  roues,  des  jougs  brisés.  On  en  voit,  qui, 
montés  sur  l'échiné  des  chevaux,  sont  emportés  avec  des 
selles  à  demi  tombées.  9,042. 

»  Les  uns,  aux  palanquins  tremblants,  sont  cloués  par 
les  nârâtchas  sur  les  épaules  des  éléphants  ;  ceux-ci  sont 
emportés  (1)  aux  dix  points  de  l'espace  par  les  probosci- 
diens,  que  les  traits  ont  mis  en  fuite  (2)  ;  9,043. 

»  Ceux-là  sont  tombés  de  leurs  chevaux  avec  les  flèches 
et  les  cuirasses  éparses  ;  beaucoup,  les  roues  coupées,  les 
éléphants  et  les  coursiers  mis  en  pièces,  9,044. 

»  Fuient,  agités  par  la  peur,  appelant  à  grands  cris  : 
«  Mon  père!...  mon  fils!  »  et,  frappés  de  défaillance  dans 
leur  force,  ils  ne  se  reconnaissaient  pas  mutuelle- 
ment. 9,045. 

»  Les  autres,  qui  ont  placé  sur  leurs  chevaux  des  pères, 
des  fils,  des  amis,  des  frères,  grièvement  blessés,  ont  dé- 
posé leurs  cuirasses  et  sont  arrosés  d'eau.  9,046. 

»   Si  tu  sais  qui  peut  ramener  au  combat  cette  armée  en 

(1-2)  Çarârttals  vidrutaîs  hritds,  édition  de  Bombay. 


DRONA-PAIWA.  383 

déroute,  que  la  mort  de  Drona  vient  de  plonger  dans  une 
telle  condition,  dis-le  moi.  9,0/i7. 

»  On  entend  un  bruit  immense  de  hennissements  des 
chevaux  et  du  barrit  des  éléphants,  mêlés  aux  grincements 
de  la  roue  des  chars.  9,048. 

»  Ce  fracas  d'une  extrême  violence  éclate  dans  la  mer 
des  Rourouides  ;  il  se  renouvelle  à  chaque  instant  et  jette 
l'ébranlement  parmi  les  miens.  9,0Zi9. 

»  Le  son,  que  l'on  perçoit,  est  tumultueux,  épouvan- 
table :  il  semblerait  que  l'on  dévore  les  trois  mondes  eux- 
mêmes  avec  Indra  :  c'est  mon  sentiment.  9,050. 

»  Ce  bruit  au  son  effrayant  vient,  à  mon  avis,  du  Dieu, 
qui  porte  la  foudre  :  c'est  Indra,  qui  se  déclare  pour  les 
Kourouides  après  la  mort  de  Drona.  9,051. 

»  Quand  il  eurent  ouï  ce  fracas  épouvantable  et  pro- 
fond, Dhanandjaya,  les  plus  grands  des  héros  tombèrent 
dans  le  trouble  et  leur  poil  se  hérissa  sur  les  pores, 

»  Quel  est  ce  vaillant  héros,  qui  sait  affermir  le  pied 
des  Kourouides  (1)  enfoncés  et  ramène  leurs  pas  au 
combat,  comme  le  roi  des  Immortels  raffermit  les  Dieux 
dans  la  bataille  ?  »   9,052—9053. 

«  Voici  les  Kourouides,  qui  ont  repris  courage,  dis-tu, 
répondit  Àrjouna,  qu'une  œuvre  terrible  rend  à  la  fermeté, 
et  qui  saluent  de  leurs  conques  un  guerrier,  sous  la  valeur 
duquel  ils  se  réfugient.  9,05/i. 

»  Qui  jette  ces  cris,  sire,  ayant  raffermi  les  Dhritarâsh- 
trides  après  la  mort  donnée  à  Drona,  et  quand  il  eut  dé- 
posé ses  armes?  Le  guerrier,  sur  le  nom  duquel  tu  doutes, 

»  C'est  le  brave,  plein  de  pudeur,  aux  longs  bras,  à  la 

(1)  Kanuravûn,  texte  de  Bombay. 


384  LE  MAHA-BHARATA. 

démarche  d'éléphant  en  rut,  à  la  gueule  de  tigre,  aux  ter- 
ribles œuvres  et  qui  inspire  la  sécurité  aux  fils  de  Kourou; 

»  C'est  Açwatthâman  !  11  menace,  ce  héros,  à  la  nais- 
sance de  qui  Drona  aux  brahmes  les  plus  distingués  ac- 
corda une  opulence,  qui  s'élevait  à  dix  centaines  de  vaches. 

»  Ce  brave,  qui,  apeine  né,  hennissantcomme  Outchaîç- 
çravas,  ébranla  toute  la  terre  et  les  trois  mondes  entière- 
ment avec  elle!  9,055-— 9,056— 9,057— 9,058. 

»  A  ce  bruit  entendu ,  un  être  invisible,  seigneur,  lui 
donna  le  nom  d' Açwatthâman.  C'est  ce  vaillant  guerrier, 
qui,  fils  de  Pândou,  rugit  en  ce  moment.  9,059. 

»  Il  s'est  fait  le  vengeur  du  brahme,  qui,  s' étant  avancé 
comme  un  être  sans  défenseur,  tomba  victime  du  Prisha- 
tide  par  une  action  bien  inhumaine.  9,060. 

»  Quand  il  possède  le  sentiment  de  sa  vaillance,  le  Dro- 
nide  ne  supportera  jamais  que  le  Pânchâlain  ait  saisi  mon 
vénérable  instituteur  par  sa  longue  chevelure.  9,061. 

»  L'âme  du  révérend  fut  mise  dans  la  perplexité  par 
une  fausse  parole,  que  l'intérêt  d'un  royaume  inspirait  à 
ta  majesté  :  tu  es  juste,  assurément  !  mais  tu  as  commis 
alors  une  énorme  injustice.  9,062. 

»  L'Atchârya  devenu  une  telle  victime,  la  honte  en 
restera  long-temps  dans  ce  monde  des  choses  immobiles  et 
mobiles,  comme  celle  de  Râma  pour  la  mort,  qu'il  avait 
donnée  à  Bâli.  9,063. 

»  LePândouide  est  mon  disciple,  s' est-il  dit;  il  est  doué 
de  toutes  les  vertus,  il  n'avancerait  pas  une  chose  fausse  I» 
C'est  ainsi  qu'il  fut  conduit  à  te  prêter  sa  confiance  ! 

«  Un  éléphant  fut  tué  !  »  dis-tu  à  l'Achârya,  et  ta  ma- 
jesté est  entrée  ainsi  dans  le  mensonge  sous  une  trompeuse 
apparence  de  la  vérité.  9,06/i — 9,065. 


DRONA-PARVA.  385 

»  Alors,  déposant  ses  armes,  sans  aucun  amour  de  soi- 
même,  et  la  pensée  éteinte,  tu  as  jeté  le  trouble  en  lui, 
comme  si  un  Dieu  avait  apparu  devant  ses  yeux.  9,066. 

»  Plein  de  tendresse  pour  son  fils,  consumé  par  le  cha- 
grin et  détournant  la  tête,  ce  révérend  fut  tué  par  son 
disciple,  qui  avait  renoncé  à  l'éternel  devoir.  9,067. 

»  Que,  secondé  par  ses  ministres,  ta  majesté  défende, 
si  elle  peut,  l'inique  Piïshatide,  maintenant  qu  elle  lui  a 
fait  tuer  ce  vieillard  saint,  qui  avait  déposé  ses  armes  ! 

»  Nous  tous,  nous  ne  pouvons  pus  défendre  en  ce  mo- 
ment le  Prishatide,  ni  l'arracher  à  la  gueule  dévorante 
du  fils  de  l'Atchârya,  irrité  de  la  mort  de  son  père  ! 

9,068—9,069. 

»  A  la  nouvelle  que  son  père  fut  saisi  par  les  cheveux, 
cet  anachorète,  qui  pratique  l'amitié  envers  tous  les  êtres 
et  qui  est  plus  qu'un  homme,  nous  consumera  dans  le 
combat.  9,070. 

»  Un  disciple,  qui  avait  répudié  les  devoirs,  a  donc  im- 
molé ce  révérend,  malgré  tous  les  cris  violents,  que  m'ar- 
rachait le  désir  de  sauver  l' Atchârya  !  9,071. 

»  Quand  bien  même  une  autre  vie  viendrait  s'ajouter 
au  très-peu  d'années,  qui  nous  restent  à  vivre,  on  nepeu 
empêcher  qu'on  n'ait  commis  une  grande  offense  à  la 
vertu,  maintenant  qu'on  l'a  contraint  à  changer  dénature 

»  Ce  révérend,  qui  était  comme  un  père  et  de  qui  les 
vertus  ressemblaient  à  celles  d'un  père,  on  l'a  tué 
pour  un  royaume   de  quelques  jours  ! 

9,072—9,073. 

»  Dhritarâshtra  avait  donné  toute  la  terre  avec  ses  fils 
dévoués  à  sa  volonté,  souverain  des  hommes,  à  Bhîshma 
et  à  Drona.  9,07 h. 

ix  25 


386  LE  MAHA-BHARATA. 

»  Quand  il  eut  obtenu  une  telle  condition,  honoré  con- 
tinuellement de  respects  par  les  plus  grands,  le  révérend 
me  choisit  toujours  de  préférence  à  son  fils.  9,075. 

»  Cette  parole  de  toi  lui  coûta  la  vie  dans  le  combat  à 
cet  homme,  qui  périt,  quand  il  avait  déposé  ses  armes,  et 
que  n'aurait  pu  tuer  Çàtakratou  lui-même,  quand  il  les 
tenait  à  sa  main.  9,076. 

»  Et  c'est  nous,  hommes  vils  à  la  conduite  légère,  qui 
avons  nui  pour  un  royaume  à  ce  noble  vieillard,  de  qui  la 
vie  était  un  service  continuel.  9,077. 

»  Hélas  !  hélas  !  un  grand  crime  fut  commis  :  on  a  fait 
une  action  bien  épouvantable,  puisque  l'or,  le  plaisir  et 
l'ambition  d'un  royaume  ont  causé  la  mort  du  vertueux 
Drona.  9,078. 

»  Que  mon  âme  abandonne  mes  fils,  mes  frères,  les 
auteurs  de  mes  jours,  mes  épouses  et  ma  vie  elle-même, 
tout  enfin  ce  que  je  possède  avec  amour.  Mon  gourou  sait 
en  effet  9,079. 

»  Que  c'est  mon  désir  du  royaume,  qui  le  fit  voir 
étendu  mort.  Je  suis  donc,  auguste  sire,  descendu,  la  tête 
baissée,  au  Naraka.   9,080. 

»  Après  que  tu  as  fait  tuer  aujourd'hui  pour  un  royaume 
ce  vieux  brahme,  qui  avait  mis  bas  ses  armes,  cet  institu- 
teur, environné  d'une  grande  lumière,  ce  qui  vaut  le 
mieux  pour  moi,  c'est  la  mort,  non  la  vie  !  »   9,081. 

A  ce  langage  d'Arjouna,  les  grands  héros,  puissant  roi, 
ne  répondirent  pas  à  Dhanandjaya  un  seul  mot,  soit  de 
censure,  soit  d'éloge.  9,082. 

Alors  Bhîmaséna  aux  longs  bras  dit  avec  colère,  comme 
s'il  déversait  le  blâme  sur  le  fils  de  Kountî  :  9,083. 

«  Tu  parles,  enfant  de  Prithâ,  ainsi  qu'un  anachorète, 


DRONA-PÀRVA.  387 

retiré  dans  ses  forêts,  d'une  chose  accompagné  de  vertus; 
tu  en  parles  ainsi  qu'un  brahme  aux  vœux  parfaits,  qui  a 
déposé  son  bâton.  9,084. 

»  Le  kshatrya,  qui  sauve  des  blessures,  qui  vit  après 
les  blessures,  qui  est  patient  envers  les  femmes  et  les 
anachorètes,  obtient  promptement  le  succès,  la  renommée, 
les  fruits  du  devoir  et  la  terre  elle-même.   9,0S5. 

»  Ton  altesse  est  douée  de  toutes  les  qualités  d'un 
kshatrya ,  propagateur  de  ta  famille  ;  mais  cette  parole, 
ignorante,  qu'elle  a  prononcée,  ne  lui  donne  pas  un  grand 
éclat.   9,086. 

»  Ta  vaillance  ressemble  à  celle  de  Çakra,  l'époux  de 
Çatchî  ;  et  tu  ne  franchis  jamais  les  bornes  du  devoir, 
fds  de  Kountî,  comme  la  mer  ne  dépasse  en  aucun  temps 
son  rivage.  9,087. 

»  Qui  ne  t'applaudirait  maintenant,  lorsqu'il  te  voit 
désirer  encore  le  devoir,  et  rejeter  derrière  toi  une  colère, 
qui  a  couvé  dix  ans.  9,088. 

»  Heureusement  ton  cœur,  mon  ami,  suit  le  devoir 
propre;  heureusement,  Impérissable,  l'humanité  et  l'in- 
telligence sont  toujours  tes  assidues  compagnes!   9,089. 

»  Si,  pendant  que  tu  étais  engagé  dans  le  devoir, 
le  royaume  te  fut  ravi  injustement  ;  si,  traînée  par  les 
cheveux,  Draâupadî  fut  conduite  à  l'assemblée  par  des 
ennemis;  9,090. 

»  Si  nous  fûmes  bannis  dans  les  bois,  revêtus  de  val- 
kalas  et  de  la  dépouille  d'une  antilope  noire;  si  ce  traite- 
ment, que  nous  ne  méritions  pas,  nous  fut  infligé  treize 
ans  par  des  ennemis  ;  9,091. 

»  Toutes  ces  choses  faites  pour  inspirer  de  l'impatience, 
tu  les  as  supportées,  mortel  sans  péché  :  tout  cela  fût  ac- 


388  LE  MAHA-BHARATA. 

compli  par  toi,  attaché  au  devoir  du  kshatrya.  9,092. 

h  Accompagné  de  toi,  disais-tu,  et  me  rappelant  sans 
cesse  d'exstirper  cette  injustice,  je  détruirai  ces  vils  ravis- 
seurs d'un  royaume,  avec  tous  les  adhérents.  »   9,093. 

»  Voilà  ce  qui  fut  dit  par  toi  avant  la  guerre,  et  nous 
sommes  accourus  au  combat  :  nous  y  sommes  venus  avec 
toutes  nos  forces,  mais  tu  nous  méprises  maintenant. 

»  Tu  cherches  à  reconnaître  le  devoir  dans  une  parole 
fausse  pour  toi  :  tu  déchires  avec  ta  voix  nos  membres, 
quand  la  terreur  nous  afflige.  9,09/i — 9,095. 

Tu  sèmes  du  verre,  pour  ainsi  dire,  dans  les  plaies 
des  hommes  blessés,  ô  toi,  qui  traînes  les  cadavres  des 
ennemis  ;  et  mon  cœur  est  déchiré,  accablé  sous  les  flè- 
ches de  ta  voix.  9,096. 

»  Vertueux,  que  tu  es,  tu  ne  t'aperçois  pas  d'une 
grande  faute  ;  c'est  que  tu  nous  refuses  des  éloges,  à  nous- 
mêmes,  qui  méritons  d'être  loués.  9,097. 

»  En  présence  du  Vasoudévide,  tu  vantes  le  fils  de 
Drona,  qui  n'égale  pas,  Dhanandjaya,  la  seizième  partie 
du  diamètre  complet  de  ta  lune,  9,098. 

»  Comment  ne  rougis-tu  pas,  quand  tu  parles  toi- 
même  de  tes  propres  défauts  ?  Je  déchirerais  la  terre  dans 
ma  colère  ;  je  fendrais  les  montagnes  !  9,099. 

»  Lançant  sur  eux  cette  massue  pesante,  épouvanta- 
ble, aux  bouquets  d'or,  je  briserais  les  arbres  semblables 
à  des  montagnes,  comme  le  souffle  du  vent  !  9,100. 

»  Je  mettrais  en  fuite  devant  mes  flèches,  Prithide,  les 
enfants  de  Manou,  les  Ouragas,  les  Asouras,  les  troupes 
des  Rakshasas  et  les  Dieux  mêmes,  rassemblés  sous  Indra  ! 

»  Toi  donc,  éminent  homme,  tel  que  tu  es  et  sachant 
que  tu  m'as  pour  frère,  ne  veuille  pas,  héros  au  courage 


DRONA-PARVA.  389 

sans  mesure,  nous  inspirer  de  la  crainte  pour  le  fils  de 
Drona.  9,101—9,102. 

»  Reste  cependant,  si  tu  veux,  Bîbhatsou,  avec  tous 
ces  princes  de  la  guerre,  et  moi  seul,  une  massue  au 
poing,  je  triompherai  d' Açwatthâman  dans  une  grande 
bataille,  9,103. 

d  Comme  Vishnou  irrité,  menaçant,  vainquit  Hiranya- 
kaçipou  (1).  »  Ensuite,  le  fils  du  roi  des  Pàntchâlains 
tint  ce  langage  au  fils  de  Prithâ  :  9, ICA. 

«  Bîbhatsou,  les  sages  ont  attribué  aux  brahmes  ces 
fonctions  :  la  conduite  des  sacrifices,  l'enseignement  des 
livres  sacrés,  l'aumône,  l'acceptation  d'une  donation,  la 
célébration  des  sacrifices  et  la  lecture,  qui  est  la  sixième. 
Dans  quelle  de  ces  choses  est  donc  resté  ce  Drona,  qui 
fut  tué  par  moi,  fils  de  Prithâ?  Pourquoi  m'en  fais-tu  un 
reproche?  9,105—9,106. 

)>  Soit  qu'il  s'écarte  de  son  devoir  propre,  soit  qu'il 
demeure  appuyé  sur  le  devoir  du  kshatrya,  le  brafime 
auteur  d'actions  cruelles,  tue  avec  un  astra,  qui  n'a  rien 
d'humain.   9,107. 

»  Si  un  guerrier  immole  par  artifice  un  insupportable 
brahrne,  qui  sort  de  son  état  et  qui  emploie  contre  les 
autres  l'artifice  :  qu'y  a-t-il  là,  fils  de  Prithâ,  qui  ne  soit 
pas  convenable?  9,108. 

»  Si,  après  la  mort,  que  j'ai  donnée  ainsi  à  son  père,  le 
fils  de  Drona  fait  résonner  sa  colère  avec  des  éclats  épou- 
vantables, que  me  force-t-ilà  déserter  ici?  9,109. 

»   Il  n'est  pas  étonnant,  je  pense,  que  le  fils  de  Drona, 


(i)   Hiranyakar.ipoun    Haris,     lisons-nous,  au  lieu  de  Miranyakaçipoim 
Harin,  que  portent  les  deux  textes. 


390  LE  MA.HA-BHARATA. 

avec  la  connaissance,  qu'il  a  de  la  guerre,  sème  la  mort  et 
qu'il  ait  pu  sauver  les  Kourouides.  9,110. 

»  Quant  au  reproche,  que  tu  m'adresses,  homme  ver- 
tueux, d'être  le  meurtrier  d'un  gourou:  n'est-ce  pas  à 
cause  de  cela  que  je  suis  sorti  du  feu,  le  fils  du  Pântchâ- 
lain  ?  9,111. 

»  Le  guerrier,  de  qui  les  actions,  à  faire  ou  non,  sont 
également  indifférentes  dans  le  combat,  Dhanandjaya, 
l'appelera-t-on  un  brahme  ou  un  kshatrya  ?  9,112. 

»  Comment  ne  mettrait-on  pas  à  mort,  par  tous  les 
moyens,  ô  le  plus  grand  des  hommes,  celui,  qui,  rempli 
de  colère,  fait  servir  les  astras  de  Brahma  à  tuer  des  gens, 
qui  ne  connaissent  point  les  astras?  9,113. 

»  Tu  sais  que  déjà  les  hommes  vertueux  ont  dit  ; 
«  L'absence  des  vertus  est  égale  au  poison  !  »  Pourquoi 
me  blâmes-tu,  toi,  qui  connais  la  vraie  nature  du  juste  et 
de  l'utile.  9,llZj. 

»  Je  m'avançai  hardiment  et  je  renversai  ce  héros  cruel  : 
pourquoi  ne  m'en  félicites-tu  pas,  Bîbhatsou,  moi,  qui 
n'ai  point  mérité  de  reproches?  9,115. 

»  Tu  ne  loues  pas,  fils  de  Prithâ,  ce  qui  est  digne  d'é- 
loge, cette  épouvantable  tête  coupée  de  Drona,' semblable 
au  poison,  au  soleil,  à  la  flamme,  et  pareille  au  feu  de  la 
mort  !  9,116. 

»  Je  ne  suis  pas  encore  affranchi  d'inquiétude,  après 
que  j'ai  tranché  la  tête  de  ce  brahme,  qui  a  tué  dans  le 
combat  tant  de  parents,  non  d'un  autre,  mais  les  miens  ! 

»  Voilà  ce  qui  poignarde  mon  cœur,  c'est  que  je  n'aie 
pas  jeté  au  plus  vite  dans  la  terre  des  barbares  cette  tête 
du  brahme,  comme  le  fut  la  tête  de  Djayadratha. 

9,117—9,118. 


DRGNA-PAIWA.  391 

»  Et  j'entends  parler  de  la  mort  des  ennemis,  Arjouna, 
comme  d'un  crime;  mais  voici  le  devoir  du  kshatrya  : 
«  Qu'il  tue  ou  qu'il  soit  tué.  »   9,119. 

»  J'ai  immolé  dans  le  combat,  fils  de  Pândou,  cet  ennemi 
avec  justice,  de  même  qu'expira  sous  ta  main  le  héros 
Bhagadatta,  l'ami  de  ton  père  !  9,120. 

»  Quand  tu  as  tué  dans  le  combat  cet  aïeul,  tu  penses 
que  tu  as  rempli  ton  devoir  ;  pourquoi  ne  m'imputes-tu 
pas  à  devoir  également  la  mort  de  cet  ennemi  scélérat  ? 

»  Ne  veuille  pas  dire,  fils  de  Prithâ,  que  je  suis  comme 
un  éléphant,  qui  possède  un  point  d'appui,  un  escalier 
fait  de  membres,  incliné  vers  le  succès.  9,121 — 9,122. 

»  Si  je  supporte,  Arjouna,  que  tes  paroles  me  soient  à 
ce  point  contraires,  c'est  à  cause  de  Draâupadî  et  de  ses 
fils,  et  non  pour  une  autre  cause.  9,123. 

»  L'Atchârya  t'a  raconté  l'inimitié,  qui  m'est  venue  avec 
lui  par  la  succession  de  ma  famille  ;  ce  monde  la  connaît, 
et  ce  n'est  pas  seulement  vous,  fils  de  Pândou.  9,12Z|. 

»  Le  Pândouide,  ton  frère  aîné,  n'a  pas  dit  une  chose 
fausse,  Arjouna,  et  je  ne  suis  pas  un  homme  vicieux.  Le 
criminel,  qui  faisait  du  mal  à  ses  disciples,  fut  couché 
mort  ;  combats  !  Ta  victoire  est  certaine.  »   9,125. 

«  La  colère  n'éclata-t-elie  point  alors,  s'enquit  Dhrita- 
ràshtra,  contre  cet  homme  aux  œuvres  iniques,  le  scélérat 
vil,  à  l'âme  basse,  homicide  d'un  gourou,  qui  vous  donnait 
à  pleurer  Drona,  le  fils  d'un  grand  saint,  le  magnanime, 
par  qui  les  Védas  et  les  Angas  furent  lus,  suivant  la  con- 
venance, dans  lequel,  observateur  de  la  pudeur,  la  science 
de  l'arc  résidait  en  personne,  et  par  la  grâce  de  qui  les 
plus  grands  des  héros  accomplissaient  dans  la  guerre  (1) 

(i)  Sangrâmai,  texte  de  Bombay. 


392  LE  MAHA-BHAIIATA. 

des  actions  au-dessus  de  l'homme,  ardues  aux  Dieux 
mêmes.  Ne  s'ècria-t-on  pas  :  Honte  au  kshatrya  !  Honnie 
soit  la  colère  !  »   9,126— 9,127— 9,128— 9,129. 

»  Raconte-moi,  Sandjaya,  ce  qu'ont  dit  après  ce  lan- 
gage du  Pàntchâlain  ceux,  qui  portent  l'arc,  les  monarques 
de  la  terre  et  tous  les  Prithides  !  »   9,130. 

Dès  qu'ils  eurent  ouï,  répondit  Sandjaya,  les  paroles 
du  fils  de  Droupada  aux  œuvres  inhumaines,  tous  alors, 
auguste  monarque,  de  rester  dans  le  silence.  9,131. 

Mais  Arjouna,  jetant  avec  colère  ses  regards  obliques 
sur  le  Prishatide,  soupirant  profondément  et  les  yeux- 
noyés  de  larmes  :   «  Honte  !  honte  !  »   s'écria-t-il.   9,132. 

Youdhishthira,  Bhîmaséna,  les  jumeaux,  Krishna  et  les 
autres  étaient  remplis  de  confusion  ;  Sâtyaki  tint  alors  ce 
langage:  9,133. 

«  Est-ce  qu'il  n'y  a  point  (1)  ici  un  homme  quelconque 
pour  ôter  promptement  la  vie  à  ce  mortel  scélérat,  in- 
juste, le  dernier  de  son  espèce,  qui  vient  de  parler? 

»  Tous  ces  Pândouides  te  méprisent,  comme  les 
brahmes  un  çwapâka,  et  t'adressent  des  reproches  pour 
cette  action  coupable.  9,13/1—9,135. 

»  Après  que  tu  t'es  souillé  de  ce  crime,  comment, 
blâmé  par  tous  les  gens  de  bien,  ne  rougis-tu  pas  devenir 
dans  cette  brillante  assemblée  et  d'y  prendre  la  parole? 

»  Dans  ces  invectives,  que  tu  vomis  sur  le  révérend, 
comment  ta  langue  ne  se  fend -elle  pas  en  cent  morceaux 
et  ta  tête  ne  se  rompt-elle  point  en  cent  éclats?  Homme  vil, 
et  tu  ne  t'abaisses  pas  encore  dans  cette  offense  à  la 
vertu?  9,136—9,137. 

»  Tu  mérites  les  reproches  de  tous  les  Prithides,   des 

(1)  lha,  texte  de  Bombay. 


DRONA-PARVA.  393 

Andhakas  et  des  Vrishmdes,  toi,  qui,  après  avoir  commis 
une  action  de  souillure,  viens  t'en  glorifier  dans  ce;te  as- 
semblée des  hommes  !  9,138. 

»  Quand  tu  as  fait  dans  ta  haine  à  l'égard  d'un  révé- 
rend une  action  telle  et  sans  noblesse,  tu  es  digne  de 
mort  !  Quel  besoin  y  a-t-il  de  ton  existence  un  seul  instant 
même?  9,139. 

»  Quel  autre  homme  bien  né,  si  ce  n'est  toi,  ô  le  plus 
vil  des  hommes  (1) ,  eût  résolu  la  mort  de  ce  révérend  à 
l'âme  sainte  et  l'eût  saisi  aux  cheveux?  9,140. 

»  Tu  as  entraîné  dans  ta  chute  sept  de  tes  ancêtres  et 
sept  générations  de  tes  petits-fils  !  Rejetés  delà  renom- 
mée, ils  sont  punis  de  t' avoir  en  leur  famille,  toi,  opprobre 
de  ta  race  (2). 

»  N'est-ce  pas  ton  frère  germain,  qui  donna  lui-même 
la  mort  à  Bhîshma,  le  plus  vertueux  des  hommes,  ainsi 
que  ce  magnanime  l'avait  annoncé  au  fils  de  Prithâ  ? 
Auteur  de  la  plus  cruelle  action,  il  fut  son  meurtrier!  Il 
n'existe  pas  sur  la  terre  un  criminel,  qui  soit  autre  que 
les  fils  du  roi  des  Pântchâlains  !  9,141—  9,142— 9,143. 
»  Ton  père  a  formé  Çikhandî  pour  être  la  mort  de 
Bhîshma;  c'était  pour  apporter  le  trépas  à  ce  magna- 
nime, qu'il  le  tenait  en  réserve  !  9,144. 

»  Vils  auteurs  de  mauvais  traitements  à  l'égard  des  ré- 
vérends et  de  leurs  amis,  les  Pântchâlains  se  sont  écartés 
de  la  vertu  ;  tu  es  tombé  avec  ton  frère  dans  le  mépris  de 
tous  les  hommes  de  bien  !  9,145. 

»  Si  tu  répètes  encore  une  telle  parole  en  ma  présence, 

(1)  Purushddhama,  au  vocatif,  texte  de  Bombay. 

(2)  Kùla  pdnnanam,  même  texte. 


394  LE  MAHA-BHARATA. 

je  ferai  tomber  ta  tête  avec  ma  massue,  qui  est  semblable 
à  la  foudre!  9,146. 

»  Après  qu'on  t'a  vu  meurtrier  d'un  brahme,  on  te  verra 
devenir  le  soleil  ;  cette  expiation  est  ce  que  tu  mérites, 
scélérat,  pour  avoir  tué  un  brahme  !  9,147. 

»  Barbare  Pântchâlain,  en  présence  de  mon  frère  aîné, 
ne  viens-tu  pas,  sans  rougir,  déblatérer  ici  de  nouveau 
sur  la  mort  affligeante  du  révérend?  9,148. 

»  Reste,  reste  ici  de  pied  ferme  ;  supporte  un  coup  seul 
de  cette  massue,  ou  je  supporterai,  moi!  la  chute  redou- 
blée de  la  tienne  !  »   9,149. 

Ainsi,  invectivé  par  le  Sâttwatide  en  ces  paroles 
amères,  le  fils  irrité  de  Prishat  répondit  en  riant  à  Sâtyaki 
en  colère  :  9,150. 

«  J'entends!  j'entends,  Mâdhava,  et  je  le  supporte 
même  !  Homme  obscur  et  sans  noblesse,  tu  te  plais  tou- 
jours à  déprimer  en  moi  un;  illustre  personne?  9,151. 

»  La  patience  est  louée  dans  le  monde  ;  mais  un  mé- 
chant ne  mérite  pas  de  patience.  Une  âme  criminelle 
pense  d'un  être  patient  :  «  11  est  vaincu  !  »   9,152. 

»  Homme  à  l'âme  basse,  aux  résolutions  coupables,  à  la 
conduite  égale  à  tout  ce  qu'il  y  a  de  vil,  tu  aimes  à  dire 
sur  une  matière  jusqu'à  la  pointe  des  cheveux,  jusqu'au 
bout  des  ongles.   9,153. 

»  Mais  Bhoûriçravas,  arrêté  et  tué  par  toi,  lorsqu'il 
avait  le  bras  coupé  et  qu'il  s'était  assis  pour  le  jeûne,  est-il 
rien  de  plus  criminel  que  cette  chose?  9,154. 

»  Je  fondis  sur  Drona  aux  astras  divins,  et  je  le  frappai 
dans  la  guerre,  quand  il  avait  déposé  ses  armes,  où  vois- 
tu  là,  méchant,  une  mauvaise  action?  9,155. 

»  Que  dira-t-on,  Sâtyaki,  de  l'homme,  qui  tue  sur  le 


DRONA-PARVA  395 

champ  de  bataille  un  anachorète,  qui  n'y  combat  point, 
qui  est  assis  pour  le  jeûne  et  qui  a  le  bras  coupé?  9,156. 

»  Un  guerrier  vigoureux  t'a  frappé  du  pied  sur  la  terre, 
où  il  marche  hardiment,  pourquoi  ne  le  tuerais-tu  pas  au 
temps  où  tu  seras  devenu  le  plus  grand  des  hommes. 

».  Le  fils  de  Prithâ  avait  triomphé  d'abord  du  Soma- 
dattide,  alors  que  cet  auguste  héros  fut  tué  ensuite  par 
toi,  guerrier  sans  noblesse.  9,157 — 9,158. 

»  En  quelque  lieu  que  Drona  mît  en  déroute  l'armée 
des  Pândouides ,  je  m'avançai  toujours  là,  semant  des 
milliers  de  flèches.   9,159. 

»  Après  que  tu  as  fait  de  telles  actions,  comment  dé- 
sires-tu, réprochable  que  tu  es,  vomir  toi-même  des  pa- 
roles blessantes  sur  les  autres,  de  même  qu'un  tchândâla? 

»  Tu  es  coutumier  du  fait,  opprobre  de  la  race  des 
Vrishnides,  et,  certes  !  je  ne  le  suis  pas.  Toi,  qui  fais  ta 
demeure  en  des  actions  iniques,  ne  parle  plus  à  l'avenir. 

9,160—9,161. 

»  Garde  le  silence,  et  ne  veuille  plus  sur  moi  désormais 
dire  aucune  parole.  Que  la  chose  soit  très-haute  ou  très- 
basse  :  cesse  de  parler  sur  moi  !  9,162. 

»  S'il  t' arrive  encore  de  proférer  dans  ta  démence  un 
discours  tel  et  si  amer  sur  moi,  je  te  plongerai  avec  mes 
flèches,  conséquence  du  combat,  dans  les  demeures  du 
Vivasvatide!  9,163. 

»  Il  est  impossible,  insensé,  de  faire  tout  avec  de  la 
justice  seulement  :  écoute  quelles  actions  ces  hommes  ont 
accomplies  même  avec  injustice.   9,164. 

»  Jadis,  on  a  triché  le  Pândouide  Youdhishthira  avec 
injustice;  et  c'e.-!>t  aussi  à  l'injustice,  Sâtyaki,  que  Draâu- 
padî  a  dû  ses  vexations.  9,165. 


396  LE  MAHA-BHARATA. 

»  Vous  fûtes,  tous  les  fils  de  Pândou,  envoyés  en  exil 
avec  Krishna,  et  votre  patrimoine,  insensé,  vous  fut  ravi 
entièrement  avec  injustice.   9,166. 

»  Parérita,  le  roi  de  Madra  fut  dépouillé  avec  injustice; 
et  le  jeune  Soûbhadride  tomba  lui-même,  victime  de  l'in- 
justice.  9,167. 

»  La  même  injustice  coûta  la  vie  à  Bhîshma,  le  grand 
aïeul  des  Kourouides  ;  et  toi,  à  qui  le  devoir  est  connu,  tu 
as  tué  Bhoûriçravas  en  manquant  au  deyoir.  9,168. 

»  Voilà  quelle  conduite  ont  tenue  clans  la  guerre  les  en- 
nemis et  les  Pândouides,  des  héros,  qui  savaient  le  devoir 
et  qui  tenaient  leurs  yeux  fixés  sur  le  devoir.  9,169. 

»  La  justice,  très-haut  placée,  est  difficile  à  connaître; 
il  n'est  pas  facile  également  de  discerner  l'injustice.  Com- 
bats avec  les  Kourouides  et  ne  descends  pas  dans  l'habi- 
tation des  Mânes  !»   9,170. 

Lorsqu'on  lui  eut  fait  entendre  ces  paroles  injurieuses 
et  cruelles,  le  fortuné  Sâtyaki  en  fut,  pour  ainsi  dire, 
ébranlé.  9,171. 

A  l'audition  de  ce  langage,  les  yeux  rouges  de  colère, 
il  saisit  une  massue,  et,  soupirant  comme  un  serpent  boa, 
ayant  déposé  son  arc  sur  son  char,  9,172. 

Il  s'élança  sur  le  Pântchâlain  et  lui  dit  ces  mots  avec 
colère  :  «  Je  ne  t'adresserai  pas  de  parole  offensante  ; 
mais  je  te  tuerai,  puisque  tu  es  digne  de  mort.  9,173.  » 

Excité  par  le  Vasoudévide,  Bhîmaséna  à  la  grande  force 
sauta  à  bas  de  son  char  et,  précipitamment,  il  arrêta  dans 
ses  bras  ce  robuste  guerrier,  qui  accourait  lestement,  plein 
de  colère,  bouillant  de  fureur  et  semblable  à  la  mort, 
sur  le  Pântchâlain  pour  lui   arracher  la  vie. 

9,17/1—9,175. 


DRON  A-PARVA.  397 

Le  vigoureux  (1)  Bhîma,  ayant  saisi  le  vigoureux  (2) 
Sâtyaki  courant ,  fut  entraîné  malgré  lui  clans  ses  mouve- 
ments rapides.   9,176. 

Le  plus  fort  des  forts,  le  héros  des  Çinides,  retenu  par 
le  puissant  Bhîma,  s'arrêta  et  réprima  le  jeu  de  ses  pieds 
au  sixième  pas.   9,177. 

Sahadéva  de  sauter  hors  de  son  char,  souverain  des 
hommes,  et,  d'une  voix  douce,  il  dit  au  héros,  qu'arrêtait 
un  plus  fort.  9,178. 

ft  Nous  n'avons,  Mâdhava,  nul  autre  ami  plus  grand, 
tigre  des  hommes,  que  les  Andhakas,  les  Vrishnides  et  les 
Pântchâlains  ;  9,479. 

»  Et  il  n'existe  aucun  autre  ami  des  Andhakas,  des 
Vrishnides  et  surtout  de  Krishna  plus  grand  que  nous- 
mêmes.   9,180. 

a  Que  les  Pântchâlains  fouillent  jusqu'aux  lieux  où  tout 
finit  par  la  mer,  Vrishnide,  et  ils  ne  trouveront  nul  autre 
ami  supérieur  aux  fils  de  Pândou  et  de  Vrishni  !  9,181. 

»  Que  ton  altesse  pense  qu'elle  a  dans  eux  un  ami  égal 
à  ce  que  ton  altesse  est  pour  eux  (3)  ;  ce  que  vos  seigneu- 
ries sont  pour  nous,  nous  le  sommes  pour  vos  seigneu- 
ries (à).  9,182. 

»  Te  rappelant  ainsi,  ô  toi,  qui  connais  tous  les  devoirs, 
ce  qu'est  le  devoir  à  l'égard  des  amis,  comprime  ta  colère 
et  calme-toi,  héros  des  Çinides,  envers  le  Pânchâlain. 

»  Pardonne  au  Prishatide,  et  que  le  Prishatide  te  par- 
donne !  Et,  placés  sur  le  terrain  de  l'excuse,  qu'y  aura-t- 
il  ici,  qui  ne  soit  l'égalité.  »   9,183— 9, 18Zi. 


(1-2)  Bali  balinam. 

3-4)  Munyâtai  tclia  yathâ  bhavân,  texte  de  Bombay. 


398  LE  MAHA-BHARATA. 

Quand  Sahadéva  eut  réussi,  vénérable  monarque,  à 
calmer  Çaînéya,  le  fils  du  roi  des  Pântchâlains  tint  ce  lan- 
gage en  riant  :  9,185. 

«  Lâche,  Bhîma,  lâche  ce  petit-fils  de  Gini,  accompa- 
gné de  l'orgueil  des  combats  :  qu'il  s'approche  de  moi, 
comme  le  vent  d'une  montagne.  9,186. 

»  Laisse-moi,  fils  de  Rountî,  abattre  dans  un  combat 
sa  colère  sous  mes  flèches  acérées,  sa  confiance  dans  les 
batailles  et  sa  vie.  9,187. 

»  Est-il  possible  que  j'accomplisse  autrement  l'immense 
affaire,  qui  s'est  élevée  ici  pour  les  fils  de  Pândou?  Voici 
les  Kourouides,  qui  s'avancent.  9,188. 

»  Eh  bien,  Phâlgouna  les  arrêtera  tous  dans  le  combat  : 
et  moi,  je  ferai  tomber  sous  mes  flèches  la  tête  de  cet 
homme!  9,189. 

»  Il  pense  que  j'ai  le  bras  coupé  dans  la  bataille, 
comme  Bhoûriçravas  :  lâche-le  !  Que  je  le  tue,  ou  c'est 
lui,  qui  me  tuera.  »   9,190. 

A  ces  paroles  du  Pântchâlain,  le  vigoureux  Sâtyaki, 
soupirant  comme  un  serpent,  faisait  de  continuels  efforts 
de'  résistance  au  milieu  des  bras,  entre  lesquels  Bhîma 
l'avait  enchaîné.   9,191. 

Mugissants  comme  deux  taureaux,  ces  deux  robustes 
héros,  doués  chacun  de  bras  solides,  le  Vasoudévide  et 
Dharmaràdja,  se  hâtent,  respectable  roi,  d'employer  de 
grands  efforts  afin  de  l'arrêter  entièrement.  Ces  deux 
guerriers  à  l'arc  immense,  aux  yeux  rouges  de  colère,  y 
réussissent  enfin  ;  et  ces  nobles  kshatryas  tournent  leurs 
attaques  dans  le  combat  contre  d'autres  héros,  qui  avaient 
le  désir  de  combattre.   9,192— 9.193— 9,19/1. 

Ensuite,  le  fils  de  Drona  étendit  le  carnage  au  milieu 


DRONÀ-PARVA.  399 

des  ennemis,  comme  la  mort,  fille  du  temps,  parmi  toutes 
les  créatures  à  la  fin  d'un  youga.  9,195. 

Il  terrassa  les  ennemis  et  fit  avec  ses  bhallas  une  mon- 
tagne de  corps,  remplie  de  troupes  d'Yakshas  (1)  et  de 
Bhoûtas,  retentissante  (2)  de  volatiles  (3)  carnassiers  et  de 
quadrupèdes  carnivores,  hérissée  d'arcs  pour  lianes,  de 
drapeaux  en  guise  d'arbres,  de  traits  à  l'instar  de  cîmes, 
d'éléphants  tués  pour  ses  grands  rochers  et  remplie  de 
chevaux  à  l'imitation  des  Kimpouroushas.  9,196 — 7,197. 

Puis,  il  cria  avec  une  grande  énergie  et  fit  entendre  de 
nouveau  sa  promesse  à  ton  fils,  éminent  personnage. 

«  A  cause  que,  se  couvrant  sous  l'enveloppe  du  devoir, 
il  a  dardé  sa  flèche  sur  l'Atchârya,  qui  combattait,  dit 
Youdhishthira  (A),  le  fils  de  Kountî.  9,198—9,199. 

»  A  cause  de  cela,  je  mettrai  en  fuite  l'armée  devant 
ses  yeux,  et,  quand  je  les  aurai  dispersés  tous,  j'immo- 
lerai le  Pàntchàlain  scélérat.  9,200. 

»  Je  ferai  mordre  la  poussière  à  tous  ceux,  qui  oseront 
m' attaquer  ;  c'est  la  vérité,  que  je  te  promets  là  !  Fais 
revenir  l'armée  sur  ses  pas  !  >>  9,201. 

Ton  fils  à  ces  mots  fit  exécuter  un  demi-tour  à  l'armée, 
et  répandit  une  vaste  crainte  par  son  immense  rugisse- 
ment de  guerre.   9,202. 

Alors  eut  lieu,  sire,  le  choc  des  deux  armées  Kourouide 
et  Pândouide  ;  il  fut  encore  terrible,  comme  celui  de  deux 
mers  soulevées.  9,203. 

Le  fils  de  Drona  raffermit  le  pied  des  Rourouides  irrités, 
et  la  mort  de  Drona  accrut  l'attention  sur  eux-mêmes  des 
Pândouides  et  des  Pàntchâlains.  9,20/i. 

(1-2-3)  Pakshisanghoushtan  yahshaganâkoûlan,  texte  de  Bombay. 
(4)  Les  deux  éditions  portent  ce  texte  fautif  évidemment;  on    a  cru    et 
voulu  mettre,  sans  doute  :  Açivatthâman,  le  fils  de  Drona. 


AOO  LE  MAHA-BHARATA. 

Tous  ces  guerriers  en  courroux,  pleins  de  la  plus  vive 
ardeur,  et  qui  contemplaient  la  victoire  dans  leur  âme, 
manifestèrent  la  plus  grande  énergie  sur  le  champ  de 
bataille.  9,205. 

De  même  qu'âne  montagne  (1)  repousserait  une 
montagne,  et  comme  un  océan  (2)  frapperait  ses  coups 
sur  un  autre  océan  ;  ainsi  étaient,  Indra  des  rois,  les  Kou- 
rouides  et  les  fils  de  Pândou.  9,206. 

De  part  et  d'autre,  les  guerriers,  pleins  d:ardeur,  firent 
résonner  des  milliers  de  conques  et  des  myriades  de  tam- 
bours, 9,207. 

Or  (3) ,  le  bruit  de  ces  armées  était  immense,  comme  un 
prodige,  et  ressemblait  au  fracas  d'une  mer,  dont  les  flots 
se  bouleversent.  9,208. 

Alors,  le  fils  deDrona  de  manifester  l'astra  de  Nârâyana. 
Des  milliers  de  flèches  à  la  pointe  enflammée  apparurent 
et  dirigèrent,  comme  des  serpents  à  la  gueule  enflammée, 
leur  vol  sur  l'armée  des  Pândouides  et  des  Pântchâlains, 
pour  coucher  mort  les  fils  de  Pândou  sur  la  terre. 

9,209—9,210. 

Elles  couvrirent  dans  un  grand  combat  les  plages,  le 
ciel  et  l'armée;  tels,  dans  un  moment,  les  rayons  du  so- 
leil remplissent  le  monde.  9,211. 

D'autres  projectiles  se  manifestèrent  sous  la  forme  de 
boulets  enflammés,  forgés  de  fer  noir,  semblables  à  des 
astres  dans  un  ciel  sans  tâche,  maître  de  la  terre,  ou  de 
çataghnîs  divers,  ou  d'innombrables   {!i)  massues  et  de 


(1-2)  Çilautchtchayai  çaîlas...,    çâgarau  yathâ  pratihanyéta.  texte  de 
Bombay. 

(3)  Tuniswanas,  même  édition. 

(4)  Bahoulâgadfis,  texte  de  Bombay. 


DRONA-PARVA.  401 

disques  au  tranchant  de  rasoir,  pareils  au  disque  du  soleil, 
qui  envahirent  les  quatre  points  du  ciel.  9,212 — 9,213. 

Les  Srindjayas,  les  Pântchâlains  et  les  Pândouides 
tremblèrent,  éminent  Bharatide,à  la  vue  de  l'atmosphère, 
toute  remplie  de  ces  espèces  de  projectiles.  9,21/i. 

Plus  combattaient  les  grands  héros  des  Pândouides,  et 
plus  s'accroissait,  maître  de  la  terre,  la  puissance  de  ce 
charme.  9,215. 

Taillés  en  pièces  avec  cet  astra  Nârâyanain  et  consumés 
comme  par  le  feu,  ils  étaient  tourmentés  de  tous  côtés 
dans  le  combat.   9,216. 

Tels  que  le  feu  brûle  une  forêt  de  bois  sec  au  départ  de 
la  saison  froide,  ainsi  l' astra,  seigneur,  incendiait  l'armée 
des  Pândouides.  9,217. 

Ybudhishthira,  le  fils  d'Yama,  de  tomber  dans  une  pro- 
fonde terreur,  quand  cet  astra  déchaîné  répandit  la  mort 
dans  son  armée.  9,218. 

Dès  qu'il  vit  s'enfuir  ses  troupes,  hors  d'elles-mêmes  et 
l'indifférence  du  Prithide,  il  tint  alors  ce  langage:   9,219. 

«  Fuis,  Dhrishtadyoumna,  fuis  avec  l'armée  des  Pân- 
tchâlains; et  toi,  Sâtyaki,  marche  sur  ses  pas  toi-même, 
environné  des  Andhakss  et  des  Vrishnides.  9,220. 

»  Le  vertueux  Vasoudévide  montrera  ici  la  patience 
de  sa  personne  :  il  peut  enseigner  un  moyen  de  salut 
au  monde  (1),  pour  ne  pas  dire  à  lui-même.   9,221.    < 

»  Il  est  inutile  de  soutenir  un  combat,  je  le  dis  à  vous 
tous,  guerriers.  En  effet,  je  vais  entrer  avec  mes  frères 
dans  le  feu  d'un  bûcher.  9,222. 

»  Avoir,   dans  un  combat  effrayant,  infranchissable, 


1)  Çréyas,  texte  de  Bombay. 

IX  26 


402  LEMAHA-BHARATA. 

traversé  la  mer  de  Drona,  l'océan  de  Bhîshma,  et  me 
noyer  avec  mon  armée  dans  l'eau  si  étroite  d'Açwatthâ- 
man!  9,223. 

»  Que  le  roi  Douryodhana  accomplisse  maintenant  son 
désir  !  J'ai  causé  dans  le  combat  la  mort  de  l'Atchârya  à 
la  vie  juste;  9,224. 

»>  Moi,  à  cause  de  qui  le  jeune  Soubhadride,  inexpéri- 
menté dans  les  combats,  est  tombé  sans  défense,  immolé 
par  de  nombreux  et  cruels  guerriers,  plein  de  valeur. 

»  Moi,  à  cause  de  qui  Krishna  fut  traînée  dans  l'assem- 
blée, où  elle  m'adressa  une  question  ;  et  on  la  vit  avec  les 
esclaves  (1)  remplissant  les  fonctions  d'une  servante. 

9,225—9,226. 

(2) 9,227. 

»  Moi,  versé  dans  les  astras  de  Brahma,  qui  suis  Fau- 
teur que  les  Pântchàlains,  commandés  par  Satyadjit,  sont 
tombés  avec  leurs  racines  dans  les  efforts,  qu'ils  dé- 
ployaient pour  ma  victoire  ;  9,228. 

»  Moi,  qui  fus  la  cause  de  notre  injuste  exil  au  milieu 
des  bois,  sans  qu'on  nous  ait  arrêtés,  sans  qu'on  nous  ait 
suivis,  malgré  nos  désirs  ;  9,229. 

»  Moi,  qui,  gonflant  en  nous  le  cœur  outre  mesure, 


(1)  Je  me  rappelle  cette  observation,  qui  appartient  au  regrettable 
M.  Eugène  Burnouf  :  le  mot  poutra,  disait-il,  correspond  quelquefois  au 
pais  des  Grecs,  qui  veut  dire  un  enfant  et  un  esclave. 

(2)  Là,  vient  un  distique,  qui  n'est  point  à  sa  place,  qui  appartient  à  un 
autre  ordre  de  choses,  qui  ressemble  au  début  subitement  tronqué  d'une 
narration  commencée,  qui  touche  à  des  faits  antérieurs,  et  que  nous  pré- 
férons mettre  dans  une  note,  parce  qu'il  interrompt  ici  d'une  manière  fâ- 
cheuse la  suite  des  idées  :  «  Tandis  que  les  autres  étaient  fatigués,  le  Dri- 
tarâshtride,  qui  désirait  tuer  PhàlKOiina,  s'étant  revêtu  de  sa  cuirasse  pour 
la  défense  du  Sindhien,,...  » 


DRONA-PAKVA.  403 

m'en  irai  (1)  à  la  mort  de  cette  manière,  tué  avec  mes 
parents  !  »   0,230. 

Tandis  que  le  fils  de  Kountî  parlait  ainsi,  leDâçârhain, 
se  hâtant  d'arrêter  l'armée  avec  ses  deux  bras,  lui  ré- 
pondit en  ces  termes  :  9,231. 

«  Que  les  flèches  soient  promptement  déposées  !  Et  que 
l'on  descende  des  chars  !  C'est  le  moyen,  que  le  Magna- 
nime a  préparé  ici  pour  résister  à  son  arme.   9,232. 

»  Tous,  mettez  pied  à  terre  de  vos  chars,  de  vos  élé- 
phants, de  vos  coursiers  !  Ainsi  l'astra  ne  pourra  vous  ôter 
la  vie,  quand  vous  serez  à  terre  et  désarmés.  0,233. 

»  Car  plus  vous  combattez  contre  la  puissance  de  l'as- 
tra, et  plus  s'accroît  la  force  de  ces  Rourouides.  9,234. 

»  Mais  cette  arme,  elle  ne  pourra  tueries  hommes,  qui. 
descendus  de  leurs  montures,  auront  rejeté  leurs  dards. 

»  Tous  ceux,  quels  qu'ils  soient,  qui  combattent  ici 
contre  elle,  fût-ce  seulement  de  pensée,  elle  leur  arrachera 
la  vie  et  les  plongera  dans  le  Pâtâla.  »   9,235 — 9,236. 

A  ces  paroles  du  Vasoudévide,  tous  s'empressent  de 
quitter  les  armes,  et  de  fait  et  de  pensée.   9,237. 

Aussitôt  que  le  Pândouide  Bhîmaséna  les  vit  tous,  sire, 
avec  le  désir  d'abandonner  leurs  traits,  il  dit  ces  mots, 
transporté  de  joie  :  9,238. 

«  Qui  que  ce  soit  ne  doit  plus  d'aucune  manière  lancer 
de  flèches  ici  !  Je  vais  avec  mes  seuls  dards  arrêter  l'astra 
du  fils  de  Drona.  9,239. 

»  Avec  cette  massue  pesante  aux  formes  d'or,  j'atta- 
querai dans  ce  combat  le  talisman  du  Dronide,  et  je  le  dé- 
truirai !  9,240. 

»  Car  il  n'existe  sur  la  terre  aucun  homme  d'une  valeur 

(i)  Asmâsu....  Iiii/firt/iai...,  gamishyâmi,  texte  de  Bombay. 


AOA  LE  MAHA-BHARATA. 

égale  à  mon  courage,  comme  il  n'y  a  pas  dans  le  ciel  un 
astre  égal  au  soleil.  9,241. 

»  Voyez  mes  bras  solides,  semblables  à  la  trompe  du 
roi  des  éléphants  et  capables  de  renverser  la  montagne 
même  des  frimas  !  9,2Zi2. 

»  J'ai  un  souffle  de  vie,  qui  est  égal  à  celui  d'une  my- 
riade de  serpents  boas  ;  je  suis  l'unique  ici-bas  parmi  les 
hommes,  comme  Indra  est  dit  au  ciel  le  guerrier  unique 
entre  les  Dieux.  9,243. 

»  Qu'ils  contemplent  aujourd'hui  la  vigueur  de  mes 
bras  et  de  mes  grasses  épaules  pour  arrêter  l'astra  brû- 
lant, enflammé  du  Dronide  !9,  244. 

»  S'il  n'existe  pas  d'homme,  qui  puisse  affronter  l'astra 
Nârâyanain,  je  le  combattrai,  moi  !  sous  les  yeux  des 
Kourouides  et  des  fils  de  Pândou  ?  9,245. 

»  Arjouna  !  Arjouna-Bîbhatsou  !  il  ne  faut  pas  déposer 
ton  arc  !  Il  fera  tomber  sa  colère,  comme  un  nuage  la 
clarté  de  la  lune.  »   9,246. 

«  J'ai  déposé  mon  arc  Gândîva,  lui  répondit  son  frère, 
pour  les  brahmes,  pour  les  vaches  et  pour  l'astra  de  Nâ- 
râyana  :  c'est  là  mon  vœu  le  plus  sacré.  » 

A  cette  réponse  d' Arjouna,  Bhîma,  le  dompteur  des 
ennemis,  s'avança  vers  le  fils  de  Drona,  sur  un  char, 
qui  avait  l'éclat  du  soleil  et  le  fracas  des  nuages. 

9,247—9,248. 

Dans  l'espace  d'un  clin-d'œil,  le  fils  de  Kountî  à  la  ra- 
pide vaillance  s'approcha  de  lui  avec  légèreté,  dispersant 
une  multitude  de  flèches.  9,249. 

Açwatthàman,  l'inondant  à  son  tour  de  flèches  enchan- 
tées, déchirant  les  membres,  à  la  pointe  enflammée,  et 
telles  que  des  serpents  à  la  gueule  ardente,  dit  en  riant 
au  guerrier,  qui  accourait  :    «  (Test  assez  !  »  et  soudain  le 


DRONA-PARVA.  405 

fils  de  Prithà  se  vit  couvrir  dans  le  combat  comme  d'étin- 
celles d'or.   9,250—9,251. 

La  forme  de  Bhîma  était  alors  dans  cette  bataille,  sire, 
telle  qu'à  la  fin  du  jour  celle  d'une  montagne,  toute  cou- 
verte de  mouches  phosphorescentes.  9,252. 

Plus  il  envoyait  de  traits  et  plus  l'astra  de  Drona  s'ac- 
croissait, puissant  roi,  comme  un  feu  augmenté  par  le 
vent.  9,253. 

Lorsqu'elle  le  vit  prendre  des  forces  nouvelles,  l'armée 
des  Pân  clou  ides,  mais  non  Bhîma  au  courage  épouvan- 
table, fut  saisie  d'un  immense  effroi  ;  9,254. 

Et,  déposant  de  toute  part  ses  armes  célestes  sur  la  face 
de  la  terre,  elle  descendit  entièrement  de  ses  chars  et  de 
ses  chevaux.  9,255. 

Dès  qu'ils  eurent  rejeté  leurs  flèches  et  quitté  leurs 
coursiers,  l'astra  à  la  grande  vigueur  tomba  sur  la  tête 
de  Bhîmaséna.   9,256. 

Tous  les  êtres  et  surtout  les  Pândouides  de  pousser  des 
cris  plaintifs,  car  ils  voyaient  alors  Bhîma  environné  de 
flammes.  9,257. 

Aussitôt  que  Dhanandjaya  vit  son  frère  entouré  par 
l'astra  divin,  il  le  couvrit  avec  celui  du  souverain  des  eaux, 
afin  de  repousser  le  feu.  9,258. 

Personne  en  ce  moment  ne  put  entrevoir  le  héros  plongé 
dans  l'astra  de  Varouna,  tant  l'action  d'Arjouna  fut 
prompte,  et  le  feu  complètement  couvert  !  9,259. 

Enseveli  avec  son  cocher,  son  char  et  ses  coursiers  dans 
le  talisman  du  fils  de  Drona,  il  était  impossible  de  fixer 
les  yeux  sur  lui  ;  il  semblait,  avec  sa  guirlande  de 
flammes,  un  feu  déposé  dans  un  autre  feu.  9,260. 

Les  flèches  se  précipitaient  sur  le  char  de  Bhîma,  telles 


406  LE  MAHA-BHAR/VTA. 

qu'à  la  retraite  de  la  nuit,  sire,  les  étoiles  tombent  sur  le 
mont  Asta.  9,261. 

Couvert  par  le  fils  de  Drona  avec  son  cocher,  son  char 
et  ses  chevaux,  il  avait  disparu  dans  le  feu.  9,262. 

De  môme  qu'à  la  fin  des  temps  le  monde,  avec  ses  créa- 
tures inanimées  et  animées,  entrera  comme  nourriture 
dans  la  gueule  du  divin  Agni,  de  même  Bhîma  était  en- 
glouti par  la  puissance  du  talisman.   9,263. 

On  ne  distinguait  plus  le  Pàndouide  (1)  placé  dans  la 
splendeur  du  charme;  ainsi  le  feu  ne  serait  plus  distingué, 
s'il  était  mis  dans  le  soleil,  ou  l'auteur  du  jour  au  milieu 
du  feu.   9,264. 

Lorsqu'ils  virent  l'astra  ainsi  répandu  sur  le  char  de 
Bhîma,  le  Dronide  dans  l'exaltation  et  sans  aucune  oppo- 
sition dans  la  guerre,  9,265. 

Toutes  les  armées  des  Pàndouides,  qui  avaient  déposé 
leurs  armes  par  milliers,  et  les  grands  héros,  qui  avaient 
tourné  le  dos,  Youdhishthira  à  leur  tête,  9,266. 

Le  Vasoudévide  et  Arjouna  à  la  vive  splendeur,  ces 
deux  vaillants  guerriers,  descendirent  à  la  hâte  de  leur 
char  et  coururent  vers  Bhimaséna.  9,267. 

Ces  deux  braves  entrèrent  dans  le  feu  même  causé  par 
le  charme  du  fils  de  Drona,  et  se  plongèrent  en  cette 
pleine  magie.  9,268. 

La  flamme  née  de  l'astra  ne  put  les  brûler,  parce  qu'ils 
avaient  déposé  leurs  armes,  que  l'on  avait  mis  en  jeu 
l'astra  de  Varouna,  et  que  l'énergie  de  Krishna  était  su- 
périeure. 9,269. 

Nara  et  Nârâyana  arrachent  de  force  à  la  violence  du 

(i)  Pândavan,  texte  de  Bombay. 


DRONA-PARVA.  407 

eharme  Bhîma  et  toutes  ses  armes,  afin  de  calmer  l'astra 
de  Nâràyana.  9/270. 

En  vain  on  le  retirait  du  péril,  l'héroïque  fils  de  Kounti 
criait  encore,  et  l'invincible  astra  du  Dronide  s'accroissait 
toujours  plus  en  cruauté.   9,271. 

«  Qu'est-ce,  fils  de  Pândou  ?  lui  dit  le  Vasoudévide. 
On  a  beau  te  retenir,  enfant  de  Kountî,  tu  ne  t'abstiens 
pas  encore  du  combat.  9,272. 

»  Si  ces  rejetons  de  Kourou  pouvaient  être  vaincus 
dans  une  bataille,  nous  combattrions  avec  eux,  et  ces 
éminents  guerriers  combattraient  ici  avec  nous.   9,273. 

»  Nous  tous,  qui  sommes  les  tiens,  tu  nous  vois  des- 
cendus de  nos  voitures  ;  bâte-toi  donc,  fils  de  Kountî,  de 
quitter  aussi  ton  char.   »   9,274. 

A  ces  mots,  Krishna  l'enleva  de  son  chariot  et  le  mit  à 
terre,  soupirant  comme  un  serpent  et  les  yeux  rouges  de 
colère.  9,275. 

Aussitôt  qu'il  eût  mis  pied  à  terre,  et  qu'on  lui  eût  fait 
quitter  ses  armes,  l'astra  Nàràyanain  de  s'appaiser;  et  il 
ne  tourmenta  plus  les  ennemis.  9,276. 

Quand  ce  feu  intolérable  et  d'une  telle  nature  se  fut 
calmé,  la  sénérité  régna  sur  les  points  cardinaux  du  ciel 
et  dans  toutes  les  plages  intermédiaires.   9,277. 

Les  vents  soufflèrent  propices,  les  volatiles  et  les  qua- 
drupèdes vécurent  en  paix  ;  et  la  joie,  souverain  des 
hommes,  enivra  et  les  montures  et  leurs  cavaliers. 

Dès  que  le  feu  épouvantable  fut  retiré  de  ce  lieu,  Bha- 
ratide,  le  sage  Bhîma  resplendit  à  l'égal  du  soleil,  qui 
s'élève  à  la  fin  de  la  nuit.  9,278—9,279. 

Lorsqu'elle  vit  l'astra  funeste  appaisé,   l'armée  Pân- 


àOS  LE  MAHA-BHARATA. 

douide,  échappée  au  carnage,  se  releva  avec  le  désir  d'im- 
moler ton  fils.  7,280. 

L'armée  rétablie  de  pied  ferme  et  ce  charme  éludé, 
auguste  sire,  Douryodhana  adressa  ce  langage  au  fils  de 
Drona:  9,281. 

«  Açwatthâman,  lance  une  seconde  fois  cet  astra  im- 
pétueux, car  voici  que  les  Pântchâlains  ont  refait  leurs 
rangs  et  qu'ils  désirent  de  nouveau  la  victoire.   »  9,282. 

A  ces  paroles  de  ton  fils,  vénérable  monarque,  le  Dro- 
nide,  soupirant  avec  une  profonde  affliction,  lui  répondit 
en  ces  termes  :  9,283. 

«  Cet  astra  ne  revient  point  ;  il  ne  sied  pas  deux  fois, 
majesté  ;  rappelé,  il  donnerait  la  mort,  je  n'en  fais  aucun 
doute,  à  l'homme,  qui  le  mettrait  en  jeu.  9,284. 

»  Le  Vasoudévide  a  repoussé  de  la  manière,  que  tu  l'as 
vu,  cet  astra  ;  et  c'est  pour  cela,  souverain  des  peuples, 
qu'il  n'a  pas  exterminé  l'ennemi  sur  le  champ  de  bataille. 

»  Ou  la  défaite  ou  la  mort  !  La  mort  vaut  mieux  que  la 
victoire  !  Car  ils  étaient  vaincus  ces  ennemis,  semblables 
à  des  morts,  depuis  qu'ils  avaient  mis  bas  les  armes  !  » 

9,285—9,286. 

h  Fils  de  l'Atchârya,  lui  répondit  Souyodhana,  si  l'on 
ne  peut  lancer  deux  fois  cet  astra,  que  ces  meurtriers 
d'un  révérend  soient  immolés  par  d'autres,  ô  le  plus 
excellent  desjiommes,  qui  ont  la  science  des  astras. 

»  Ta  vigueur  est  sans  mesure,  et  tu  possèdes,  comme 
Tryambaka,  des  charmes  divins.  En  effet,  si  tu  le  voulais, 
Pourandara  lui-même  dans  sa  colère  ne  serait  pas  délivré 
de  tes  mains.  »   9,287—9,288. 

«  Après  que  cet  astra  eut  été  repoussé  et  que  Drona 


DRONA-PARVA.  409 

eut  succombé,  victime  de  la  trahison,  que  fit,  demanda 
le  roi  Dhritarâsthra,  que  lit  ensuite  le  Dronide,  quand 
Douryodhana  lui  eut  adressé  ces  paroles  ;  9,289. 

»  Quand  il  vit  les  Prithides  s'approcher,  les  armes  à  la 
main,  pour  le  combat,  et  marcher  en  tête  de  l'armée, 
affranchis  de  l'astra  Nârâyanain?  »   9,290. 

Aussitôt  qu'il  connut,  reprit  Sandjaya,  la  mort  de  son 
père,  le  guerrier,  qui  arbore  une  queue  de  lion  pour  en- 
seigne, ayant  mis  bas  la  crainte,  courut  avec  colère  sur  le 
Prishatide.  9,29i. 

A  la  fin  de  sa  course,  l'éminente  personne  le  blessa 
avec  une  rapidité  extrême,  de  vingt-cinq  kshoudrakas  ; 

Et  Dhrishtadyoumna  de  percer  le  fils  de  Drona,  flam- 
boyant comme  le  feu,  sire,  avec  soixante-quatre  flèches. 

9,292—9,293. 

Il  frappa  son  cocher  de  vingt  traits,  empennés  d'or,  ai- 
guisés sur  la  pierre,  et  ses  quatre  chevaux  de  quatre  dards 
acérés.  9,294. 

11  blessa,  en  poussant  des  cris,  le  Dronide  à  coups  redou- 
blés, ébranlant  en  quelque  sorte  la  terre,  et  ravit  les  exis- 
tences à  tout  le  monde,  pour  ainsi  dire,  en  ce  grand  com- 
bat, 9,295. 

Le  Prishatide,  consommé  dans  les  armes,  aux  résolu- 
tions arrêtées,  fondit  sur  le  fils  de  Drona  lui-même  et  fit 
revenir  la  mort  sur  ses  pas.  9, 296.* 

Le  meilleur  des  maîtres  de  chars,  lePântchâlainàl'ârne 
infinie  déchargea  sur  la  tête  d'Açwatthâman  une  pluie, 
faite  de  traits.  9,297. 

Le  Dronide  couvrit  de  ses  dards  dans  le  combat  ce  héros 
irrité,  et,  n'oubliant  point  la  mort  de  son  père,  le  blessa  de 
dix  flèches.  9,298. 


410  LE  MAHA-BHARATA. 

11  trancha,  avec  deux  rasoirs  bien  décochés,  l'arc  et  le 
drapeau  du  roi  des  Pântchâlains,  et  le  fatigua  avec  de 
nouveaux  traits.  9,299. 

Le  Dronide  le  réduisit  dans  ce  grand  combat  sans  co- 
cher, sans  char,  sans  chevaux  ;  il  couvrit  de  flèches  avec 
colère   tous  les  guerriers  attachés  à  ses  pas. 

Ensuite  il  courut,  monarque  des  hommes,  sur  l'armée 
des  Pântchâlains  en  détresse,  aux  formes  agitées,  aux  bles- 
sures infligées  par  la  pluie  de  ses  flèches. 

9,300-9,301. 

Voyant  les  guerriers  tourner  ledosetDhrishtadyoumna 
accablé,  Çaînéya  de  pousser  rapidement  son  chariot  sur  le 
char  du  fils  de  Drona.  9,302. 

11  perça  Açwatthâman  de  huit  flèches  aiguës,  et  blessa 
de  nouveau  ce  brahme  irrité  de  vingt  traits  aux  formes 
diverses.  9,303. 

Il  en  blessa  ainsi  le  cocher;  il  frappa  ses  quatre  chevaux 
de  quatre  dards  lancés  avec  étude,  et  coupa,  en  homme 
adroit,  son  arc  et  son  drapeau.   9,304. 

Il  dissipa  son  char  ornementé  d'or  avec  ses  quatre  che- 
vaux, et  le  blessa  grièvement  au  cœur  de  trente  flèches 
dans  le  combat.   9,305. 

Accablé  de  cette  manière,  sire,  Açwatthâman  à  la  grande 
force,  environné  par  des  multitudes  de  traits,  ne  trouvait 
pas  ce  qu'il  avait  h  faire.   9,306. 

Tandis  que  les  choses  se  passaient  ainsi  pour  le  fils  du 
révérend,  ton  héroïque  fils,  secondé  par  Kripa,  Karna  et 
les  autres,  ensevelit  sous  ses  flèches  le  Sâttwatide. 

Douryodhana  le  blessa  de  vingt  traits,  Kripa  le  Çarad- 
vatide  de  trois,  Kritavarman  de  dix,  Karna  de  cinquante, 
Douççàsana  de  cent  et  Vrishaséna  de  sept  dards.  Tous  le 


DRONA-PARVA.  411 

frappèrent  lestement  de  tous  les  côtés  avec  leurs  flèches 
acérées.   9,307—9,308—9,309. 

Mais  Sâtyaki  réduisit  en  un  seul  instant,  sire,  tous  ces 
grands  héros  sans  char,  et  les  contraignit  à  tourner  le 
dos.  9,310. 

Quand  Açwatthâman  eut  repris  la  connaissance,  émi- 
nent  Bharatide,  il  se  plongea  dans  ses  pensées,  tourmenté 
par  la  douleur  et  soupirant  mainte  et  mainte  fois.   9,311. 

Puis,  remontant  sur  un  autre  char,  le  terrible  fils  de 
Droha,  arrêtant  Sâtyaki,  répandit  sur  lui  plusieurs  cen- 
taines de  flèches.  9,312. 

Dès  qu'il  vit  le  fils  du  Bharadwâdjide  accourir  dans  le 
combat,  ce  grand  héros  le  réduisit  une  seconde  fois  sans 
char  et  le  força  de  nouveau  à  prendre  la  fuite. 

A  l'aspect  du  courage  de  Sâtyaki,  les  Pàndouides  firent 
résonner  leurs  conques  avec  des  sons  très-éclatants  et 
poussèrent  des  rugissements  de  guerre. 

9,313—9,31/1. 

Aussitôt  qu'il  l'eut  privé  de  son  char,  Sâtyaki  au  cou- 
rage infaillible,  immola  trois  mille  grands  héros  sous  les 
ordres  de  Vrishaséna.  9,315. 

Il  tua  avec  eux  une  myriade  d'éléphants,  conduits  par 
Rripa,  et  trente  milliers  de  chevaux,  commandés  par 
Çakouni.  9,310. 

Le  vigoureux  Dronide,  étant  remonté  sur  un  autre  char, 
s'avança  avec  colère  près  de  Sâtyaki,  désireux  de  lui  arra- 
cher la  vie.  9,317. 

L'ayant  vu  revenir,  armé  de  traits  acérés,  le  Çinide, 
dompteur  des  ennemis,  fendit  son  corps  mainte  et  mainte 
fois  avec  des  flèches  plus  en. elles  encore.   9,318. 

Profondément  blessé  par  Youyoudhàna  de  ses  dards, 


M2  LE  MAHA-BHARATA. 

marqués  de  différents  caractères,  l'héroïque  fils  de  Drona 
lui  dit,  en  riant,  avec  colère  :  9,319. 

«  Çaînéya,  je  sais  quelle  affection  tu  portes  au  meur- 
trier de  l'Atchârya;  tu  empêches  qu'il  ne  soit  lui-même 
dévoré  par  moi  ;  eh  bien!  je  te  jure,  Çaînéya,  sur  la  vérité 
et  sur  ma  pénitence,  que  je  ne  me  reposerai  pas  dans  la 
guerre  que  je  n'aie  exterminé  tous  les  Pântchâlains. 

9,320—9,321. 

»  Que  Ton  range  ici  toutes  les  armées,  qui  obéissent 
aux  fils  de  Pândou,  toutes  les  forces,  que  comptent  les 
Vrishnides,  j'anéantirai  les  Somakas!  »    9,322. 

A  ces  mots,  Açwatthâman  de  lancer  au  Sâttwatide  une 
flèche  supérieure,  aux  beaux  nœuds,  semblable  aux  rayons 
du  soleil,  tel  que  jadis  Hari  envoya  sa  foudre  sur  Vritra. 

Après  qu'il  eut  percé  le  guerrier  non  inférieur  (1)  en 
flèches,  le  trait  décoché  par  lui  de  percer  la  terre  et  de  s'y 
plonger,  comme  un  reptile  en  sifflant  entre  dans  une  ca- 
verne. 9,323-9,324. 

De  même  qu'un  éléphant,  tourmenté  par  le  croc  aigu, 
ce  héros,  la  cuirasse  brisée,  inondant  sa  blessure  de  sang, 
rejeta  des  mains  son  arc  et  sa  flèche.  9,325. 

Il  s'affaissa,  il  s'assit,  humide  de  sang,  sur  le  banc  de 
son  char,  et  son  cocher  le  ravit  en  toute  hâte  au  fils  de 
Drona.  Ce  fléau  des  ennemis  blessa,  au  milieu  des  sourcils, 
un  autre  héros,  Dhrishtadyoumna,  d'un  nouveau  trait, 
bien  empenné,  aux  nœuds  inclinés.  9,326 — 9,327. 

Atteint  grièvement  par-devant  et  blessé  par-derrière,  le 
Pântchâlain  s'évanouit  dans  le  combat,  et  chercha  un 
appui  dans  son  drapeau.   9,328. 

(1)  Nous  lisons  :  na,  au  lieu  de  :  sa  çarâvara. 


DRONA-PARV*.  A13 

Cinq  héros  du  parti  des  Pândouides  coururent  vîte- 
ment  à  lui,  qui  était,  sire,  comme  un  éléphant  en  rut, 
qu'un  lion  a  blessé.   9,329. 

C'étaient  Kirîti,  Bhimaséna,  Vrihatkshattra,  le  rejeton 
de  Pourou,  le  prince  héréditaire  des  Tchédiens  et  Soudar- 
çana  du  Mâlava.   9,330. 

Tous  ces  braves  ,  armés  de  leurs  arcs  et  jetant  des 
lamentations,  environnèrent  de  tous  côtés  l'héroïque 
filsdeDrona.  9,331. 

Déployant  leurs  efforts  au  vingtième  pas,  tous  de  lancer 
à  la  fois  de  toutes  parts  cinq  traits  individuellement  sur 
le  fils  irrité  de  l'anachorète.  9,332. 

Le  Dronide  avec  vingt-cinq  traits  aigus,  semblables  à 
des  serpents,  coupa  ensemble  leurs  vingt-cinq  dards. 

Il  perça  de  sept  flèches  acérées  le  petit-fils  de  Pourou, 
avec  trois  le  prince  du  Mâlava,  avec  un  seul  le  fils  de 
Prithâ,  et  Vrikaudara  de  six  traits.  9,333— 9,334. 

Ensuite,  tous  ces  grands  héros,  sire,  de  blesser  ensem- 
ble et  séparément,  le  fils  de  Drona  avec  leurs  dards  acérés, 
empennés  d'or.  9,335. 

Le  prince  héritier  frappa  Açwatthâman  de  vingt  flèches, 
Arjouna  de  huit  traits,  et  chacun  des  autres  avec  trois 
individuellement.  9,336. 

Açwatthâman  de  percer  Phâlgouna  de  vingt  dards,  le 
Vasoudévide  de  dix,  Bhîma  de  cinq,  le  roi  de  la  jeunesse 
avec  quatre,  le  prince  du  Mâlava  et  le  descendant  de  Pou- 
rou avec  deux  chacun.  9,337. 

Quand  il  eut  blessé  de  six  flèches  le  cocher  de  Bhima- 
séna, et  tranché  avec  deux  son  arc  et  son  drapeau  ;  quand 
il  eut  enseveli,  après  cet  exploit,  le  fils  de  Prithâsous  une 
pluie  de  traits,  le  Dronide  poussa  un  épouvantable  rugis- 
sement de  guerre.  9,338. 


414  LE  MAHA-BHARATA. 

La  terre,  l'atmosphère,  le  ciel,  les  points  cardinaux,  les 
plages  intermédiaires,  tout  était  couvert  des  flèches  très- 
acérées,  aux  formes  terribles,  à  la  pointe  de  couleur  jaune, 
que  le  Dronide  semait  devant  lui  et  par-derrière.  9,339. 

Des  splendeurs  formidables  étaient  répandues  sur  son 
char.  Le  héros,  semblable  au  roi  des  Dieux,  coupa  à  la 
fois  de  trois  dards  la  tête  de  Soudarçana  et  ses  bras,  pa- 
reils au  drapeau  d'Indra.  9,340. 

Dès  qu'il  eut  percé  le  Pourouide  avec  une  lance  de 
de  char,  qu'il  eut  réduit  à  coups  de  flèches  son  chariot  en 
morceaux  menus  comme  des  graines  de  sésame,  qu'il  eut 
coupé  ses  bras,  saupoudrés  du  sandal  le  plus  exquis,  il 
enleva  d'un  bhalla  la  tête  à  son  corps.   9,341. 

Lorsqu'il  eut  blessé  de  ses  traits,  semblables  au  feu  de 
la  flamme,  le  jeune  prince  héritier,  seigneur  de  Tchédi,  il 
donna  à  la  mort,  avec  son  cocher  et  ses  chevaux,  ce  héros, 
azuré  comme  un  lotus.  9,342. 

Quand  le  Pândouide  vit  immolés  devant  ses  yeux  le 
prince  du  Mâlava,  le  rejeton  de  Pourou  et  Y  auguste  Tché- 
dien,  roi  de  la  jeunesse,  9,3^3. 

Bhîmaséna  aux  longs  bras  ressentit  une  bouillante  co- 
lère; puis,  avec  des  centaines  de  flèches  acérées,  pareilles 
à  des  serpents,  le  terrible  ennemi  couvrit  dans  la  ba- 
taille ce  fils  de  Drona.  Celui-ci  à  la  grande  vigueur  dé- 
chaîne une  averse  de  traits,  9,344  —  9,345. 

Et  blesse  dans  sa  colère  Bhîmaséna  de  ses  flèches 
aiguës.  Le  Pândouide  aux  longs  bras,  à  la  grande  force, 
trancha  dans  ce  combat  son  arc  d'un  kshourapra  et  perça 
d'un  trait  le  fils  du  brahme.  Cet  homme  au  vaste  cœur, 
rejetant  son  arme  coupée,  9,346 — 9,347. 

Saisit  un  nouvel  arc  et  déchira  Bhîma  de  ses  dards.  Ces 
deux  vaillants  héros,  pleins  de  vigueur  dans  la  bataille, 


DRONA-PARVA..  415 

Répandirent  l'un  sur  l'autre  une  grêle  de  flèches,  tels 
que  deux  nuages  pluvieux.  Des  projectiles  à  l'empennure 
d'or,  aiguisés  sur  la  pierre,  gravés  avec  le  nom  de  Bhîma, 
couvrirent  le  Dronide,  comme  des  masses  de  nuages 
voilent  l'auteur  de  la  lumière  ;  et  des  traits  aux  nœuds  in- 
clinés, lancés  par  celui-ci  à  centaines  de  mille,  inondèrent 
Bhîma  rapidement.  Couvert  dans  ce  combat  par  le  fils  du 
Bharadwâdjide,  qui  a  la  science  des  batailles, 

9,3/i8— 9,349— 9,350— 9,351. 

Il  n'en  fut  nullement  ému,  grand  roi,  ce  fut  comme 
une  chose  merveilleuse  !  Ensuite,  Bhima  aux  longs  bras 
lui  envoya  dix  nârâtchas  acérés,  ornementés  d'or  et  sem- 
blables au  bâton  d'Yama.  Ils  arrivent  à  la  clavicule  du 
cou,  vénérable  monarque,  la  fendent,  et  pénètrent  chez  le 
Dronide,  comme  des  serpents  dans  une  fourmillière.  Pro- 
fondément blessé  par  le  magnanime  Pàndouide,  Açwat- 
thâman  9,352—9,353—9,354. 

De  s'appuyer  sur  la  hampe  de  son  drapeau  et  de  fermer 
les  yeux.  Quand  il  eut  repris  sa  connaissance  au  bout  d'un 
instant,  souverain  des  hommes,  9,355. 

Baigné  de  sang  au  milieu  du  combat,  il  entra  dans  la 
plus  vive  colère.  Atteint  grièvement  par  le  Pàndouide  au 
grand  cœur,  9,356. 

Le  guerrier  aux  longs  bras  se  lança  rapidement  sur  le 
char  de  Bhîmaséna,  auquel  il  envoya,  Bharatide,  une  cen- 
taine de  traits  à  la  splendeur  brûlante,  tirés  jusqu'à  l'o- 
reille et  semblables  à  des  serpents.  Orgueilleux  de  ses 
batailles,  le  Pàndouide  Bhîma,  songeant  à  l'énergie  de  ce 
héros,  fit  tomber  lestement  sur  lui  dos  averses  de  traits. 
Mais  le  Dronide.  ayant  coupé  son  arc  avec  des  flèches, 

9,357—9,358—9.359. 


Mrt  LE  MAHA-BHARATA. 

Le  frappa  dans  sa  colère  avec  des  traits  aigus  en  pleine 
poitrine.  Bhîmaséna,  au  comble  de  la  fureur,  saisit  un 
nouvel  arc,  9,360. 

Et  blessa  le  Dronide  de  cinq  dards  acérés  dans  le  com- 
bat. Versant  leurs  masses  de  flèches,  tels  que  deux  nuages 
à  la  fin  de  l'été,  9,361. 

Ils  s'en  couvrirent  l'un  l'autre  dans  la  bataille,  les  yeux 
rouges  de  colère  ;  ils  firent  éclater,  celui-ci  sur  celui-là, 
les  bruits  épouvantables  de  leurs  paumes.  9,362. 

Pltins  de  colère,  ils  se  combattirent  mutuellement,  dé- 
sirant chacun  tirer  vengeance  des  coups  reçus.  Faisant 
vibrer  un  arc  immense,  ornementé  d'or,  9,363. 

Le  Dronide  regarda  face  à  face  Bhîma,  décochant  ses 
flèches.  Tel  que  le  soleil  à  la  splendeur  enflammée,  par- 
venu en  automne  au  milieu  de  sa  révolution  diurne, 

Soit  qu'il  prît  sa  flèche  ou  qu'il  encochât  son  trait,  soit 
qu'il  tirât  sa  corde  ou  qu'il  lançât  le  dard,  les  spectateurs 
ne  pouvaient  saisir  aucun  intervalle.  9,364 — 9,365. 

L'arme  du  Dronide,  lançant  des  flèches,  était  alors, 
grande  majesté,  un  disque,  semblable  à  une  roue,  autour 
de  laquelle  pirouette  une  torche.  9,366. 

On  voyait  les  traits,  lancés  de  son  arc  par  centaines  et 
par  milliers,  voler  dans  les  airs,  tels  que  des  nuées  de 
sauterelles.  9,367. 

Partis  de  l'arc  du  Dronide,  les  dards  épouvantables, 
aux  ornements  d'or,  étaient  répandus  continuellement  sur 
le  char  de  Bhîma.  9,368. 

Nous  vîmes  alors,  Bharatide,  le  courage  merveilleux,  la 
force,  l'énergie,  la  puissance  et  là  résolution  de  Bhîma- 
séna !  9,369. 

De    tous  les    côtés,   il    amoncelait  des    pluies  très- 


DRONA-PARVA.  417 

effrayantes  de  flèches,  telles  que  des  pluies  d'eau  entassées 
par  les  nuages  à  la  fin  des  chaleurs.  9,370. 

Désirant  la  mort  du  fils  de  Drona,  Bhîma  à  l'effrayant 
courage  versait  des  pluies  de  traits,  comme  une  nuée  dans 
la  saison  pluvieuse.   9,371. 

Cet  arc  terrible  de  Bhima  au  dos  en  or  resplendissait 
dans  cette  grande  bataille,  de  même  qu'un  second  arc  de 
Çakra.  9,372. 

Les  flèches,  qui  apparaissaient  donc  par  centaines  et 
par  milliers,  couvraient  dans  ce  combat  le  fils  de  Drona, 
qui  avait  la  beauté  des  batailles.   9,373. 

Le  vent  ne  pouvait  circuler,  auguste  sire,  au  milieu  de 
ces  multitudes  de  flèches,  que  lançaient  ainsi  les  deux 
héros.   9,374. 

Ensuite,  le  Dronide  envoya,  par  le  désir  de  la  mort  du 
Pàndouide,  ses  traits  aux  ornements  d'or,  frottés  d'huile 
de  sésame,  à  la  pointe  reluisante.  9,375. 

Bhiuia  fit  tomber  du  haut  des  airs  chacun  de  ses  traits 
en  trois  morceaux  avec  ses  flèches  ;  et,  après  cette  vic- 
toire sur  le  fils  de  Drona,  lui  cria  :  «  Arrête  !  arrête  !  » 

Le  vigoureux  Pàndouide  irrité  jusqu'au  désir  de  sa 
mort,  lui  expédia  de  nouveau  une  averse  de  traits  hor- 
ribles, épouvantables.  9,376 — 9,377. 

Quand  il  eut  arrêté  par  la  magie  de  ses  astras  ces  pluies 
de  flèches,  le  fils  de  Drona,  qui  possédait  la  science  des 
astras,  lui  trancha  lestement  son  arc,  9,378. 

Et  le  blessa  lui-même  de  ses  flèches  innombrables  dans 
le  combat.  Le  vigoureux  à  l'arc  coupé  lui  rendit  prompte- 
ment  sa  blessure  et  lança  sur  le  char  du  fils  de  Drona  une 
pique  de  fer  bien  épouvantable.  Le  Dronide,  montrant  la 
légèreté  de  sa  main,  abattit  dans  le  combat  tout  à  coup, 
xi  '17 


M  S  LE  MAHA-BHARATA. 

avec  ses  flèches  acérées,  cette  lance,  qui  accourait,  sem- 
blable à  un  grand  météore  enflammé.  Dans  cet  instant 
même,  Bhîma  saisit  un  nouvel  arc, 

9,379—9,380—9,381. 

Et  Vrikaudara  de  blesser  en  riant  le  Dronide  avec  ses 
dards.  Açwatthâman  en  retour,  puissant  roi,  ouvrit,  d'une 
flèche  aux  nœuds  inclinés,  le  front  du  cocher  de  Bhîma- 
séna.  Profondément  blessé  par  le  vigoureux  fils  dubrahme, 
le  cocher  tomba  dans  l'évanouissement  et  lâcha  les  rênes 
de  ses  coursiers.  N'étant  plus  retenus  par  le  conducteur 
évanoui,  les  chevaux  de  Bhîma  se  mirent  à  courir,  Indra 
des  rois,  au  galop  sous  les  yeux  de  tous  les  archers.  Dès 
qu'il  vit  Bhîma  emporté  hors  du  champ  de  bataille  par 
ses  coursiers  en  fuite,  9,382—9,383—9,384—9,385. 

Le  brahme  invaincu  fit  résonner  joyeux  son  énorme 
conque  ;  alors  tous  les  Pântchâlains  et  le  Pândouide  Bhî- 
maséna,  9,386. 

Ayant  abandonné  le  char  de  Dhrishtadyoumna,  s'en- 
fuirent effrayés  à  tous  les  points  de  l'espace.  Le  Dronide, 
accroissant  le  trouble,  suivit  rapidement  les  pas  de  l'armée 
enfoncée  des  Pândouides,  les  harcelant  par-derrière  de  ses 
flèches  acérées  ;  et  la  crainte  d' Açwatthâman  chassa  aux 
divers  points  de  l'horizon  tous  les  kshatryas,  taillés  en 
pièces  par  ce  fils  de  Drona.  9,387—9,388—9,389. 

Dès  qu'il  vit  cette  armée  en  déroute,  le  fils  de  Kountî  à 
l'âme  incommensurable,  Dhanandjaya  de  l'arrêter,  dési- 
rant la  mort  du  fils  de  l'Atchârya.  9,390. 

Alors,  comprimés  ainsi  avec  des  efforts  par  le  Vasoudé- 
vide  et  Dhanandjaya,  sire,  les  guerriers  en  fuite  retinrent 
leurs  pas.  9,391. 

Quand  il  les  eut  rejoint  un  à  un  avec  les  membres  des 


DRONA-PAKVA.  419 

Somakas,  avec  les  Matsyas  et  les  autres,  il  retourna  vers 
les  Kourouides  (1).  9,39*2. 

Puis,  s'étant  avancé  en  courant  vers  le  guerrier,  qui 
a  pour  enseigne  une  queue  de  lion,  l'Ambidextre  dit  ces 
mots  à  l'héroïque  Açwatthâman  :  9,393. 

«  Fais-moi  voir  ce  que  tu  as  de  puissance  et  de  force, 
ce  que  tu  as  de  science  et  de  courage,  ce  que  tu  as  d'ami- 
tié pour  les  Dhritarâshtrides  et  de  haine  pour  nous! 
Montre-moi  encore  ton  énergie  suprême  !  Le  meurtrier  de 
Drona,  le  Prishatide  brisera  lui-même  ton  orgueil, 

9,39A—9,395. 

»  Semblable  au  feu  entier  de  la  mort,  égal  au  trépas 
des  ennemis.  Affronte  et  le  Pântchâlain,  et  moi,  accom- 
pagné de  Kéçava;  j'étoufferai  aujourd'hui,  présomp- 
tueux, ton  arrogance  dans  la  guerre.  » 

9,396—9,397. 

«  Le  fils  de  l'Atchârya  est  vigoureux,  Sandjaya  ;  il  est 
digne  d'honneur,  observa  le  roi  Dhritarâshtra  ;  son  amitié 
est  en  Dhanandjaya  et  l'amitié  de  ce  magnanime  est  en 
lui.  9,398. 

»  Jamais  avant,  on  ne  vit  en  Bîbhâtsou  un  discours  tel 
et  si  injurieux  (2).  Pourquoi  ce  fils  de  Kountî  adressa-t- 
il  à  son  ami  un  langage  si  amer? »   9,399. 

Quand  le  prince  héréditaire,  sire,  et  Vrihatkshattra,  le 
rejeton  de  Pourou,  eurent  trouvé  la  mort,  lui  répondit 
Sandjaya;  quand  Soudarçana  du  Mâlava  eut  satisfait  aux 
règles  de  l'arc  et  des  flèches;  9,400. 

Quand   Dhrishtadyoumna,  Sâtyaki  et   Bhîma  vaincus 


(1)  Kaduravdn,  texte  de  Bombay. 

(2)  Parousham,  même  texte. 


420  LE  MAHA-BHARATA. 

eurent  jeté  par  leurs  discours  l'agitation  dans  les  mem- 
bres d'Youdhishthira,  9,401. 

Un  déchirement  intérieur  naquit  à  Bîbhatsou  au  souve- 
nir de  ses  peines,  seigneur  ;  et  le  chagrin  engendra  une 
colère  plus  grande,  qu'il  n'avait  jamais  ressenti  avant. 

Il  adressa  donc  en  homme  vulgaire  ce  discours  gros- 
sier, indécent,  brutal  au  Dronide,  fils  d'un  Atchârya  et 
digne  de  ses  respects.  9,402 — 9,403. 

A  ces  mots  blessants,  que  le  Prithide  avait  prononcés 
d'une  voix  à  déchirer  tous  les  membres  (1),  le  plus  grand 
des  héros,  majesté,  soupirant  (2)  de  colère,  9,404. 

Le  Dronide  vigoureux  de  s'irriter  contre  le  fils  de 
Prithâ  et  surtout  contre  Kéçava.  Debout  sur  son  char  et 
déployant  ses  efforts,  il  toucha  l'eau.  9,405. 

Le  fils  de  l' Atchârya  prit  à  rencontre  des  troupes  d'en- 
nemis, qu'il  voyait  et  qu'il  ne  voyait  pas,  l'astra  d'Agni 
tout  à  fait  inaffrontable  aux  Dieux  mêmes.  9,406. 

Il  charma  une  flèche  ardente  comme  un  feu  sans  fu- 
mée ;  et  le  meurtrier  des  héros  ennemis,  entré  de  tous 
côtés  dans  la  colère,  décocha  son  arme.  9,407. 

Une  bruyante  averse  de  traits  se  produisit  dans  les 
airs  ;  et  le  Prithide,  enveloppé  dans  la  flamme  du  feu,  en 
fut  inondé.  9,408. 

Des  météores  tombèrent  du  ciel,  les  plages  ne  brillè- 
rent plus  ;  une  effrayante  obscurité  se  répandit  tout  à 
coup  sur  l'armée.  9,409. 

Les  Rakshasas  et  les  Piçâtchas  rassemblés  de  pousser 
des  cris;  des  vents  sinistres  soufflèrent,  et  le  soleil  avait 
perdu  sa  chaleur.   9,410. 

(1)  Çwasan....  sarvamarmabhidû  girâ,  texte  de  Bombay. 


DRONA-PARVA.  421 

Les  corneilles  de  criailler  dans  toutes  les  plages  d'une 
manière  épouvantable  ;  et  les  nuages  tonnaient,  versant 
une  pluie  de  sang.   9,411. 

Les  volatiles,  les  bestiaux  criaient  (1) ,  les  vaches  mu- 
gissaient (2)  et  les  solitaires  aux  vœux  saints,  une  fois 
qu'ils  étaient  sortis  de  leur  âme,  ne  retrouvaient  plus  la 
tranquillité.  9,M2. 

L'ensemble  des  trois  mondes  était  en  quelque  sorte 
consumé  et  pénétré  de  douleur,  ses  grands  éléments  con- 
fondus, le  soleil,  pour  ainsi  dire  ,  attiré  hors  de  sa 
place.  9,ûl3. 

Couchés  sur  la  terre,  les  serpents,  brûlés  par  la  flamme 
de  l'astra,  s'élançaient  dans  l'air  en  sifflant,  pour  éviter 
ce  feu  épouvantable.  9,/il/i. 

Les  êtres  aquatiques  eux-mêmes,  Bharatide,  étaient  la 
proie  des  flammes  ;  et,  dans  leur  humide  séjour  incendié, 
ils  ne  rencontraient  nulle  part  de  tranquillité.  9,/il5. 

De  tous  côtés,  tombaient,  en  haut  et  en  bas,  des  points 
cardinaux,  des  plages  intermédiaires,  de  l'atmosphère,  de 
la  terre,  les  pluies  de  flèches  avec  la  rapidité  du  vent  ou 
de  Garouda.  9, h  16. 

Atteints  par  les  traits  du  fils  de  Drona,  qui  avaient  la 
vélocité  de  la  foudre,  les  ennemis  tombaient  consumés, 
comme  des  arbres  brûlés  par  le  feu.  9, M  7. 

Torturés  par  les  flammes,  les  grands  éléphants  succom- 
baient de  tous  côtés  sur  la  terre,  poussant  des  cris  épou- 
vantables, qui  ressemblaient  au  fracas  des  nuages. 

D'autres  gigantesques  éléphants  couraient,  fuyant  les 
flammes;  tremblants,  ils  jetaient  des  barrits,  comme  jadis 

fl-2)  Vinédus,  texte  de  Bombay. 


422  LE  MAHA-BHARATA. 

dans  la  forêt,  quand  ils  étaient  environnés  par  l'incendie 
spontané  du  bois.   9,418 — 9,419. 

On  voyait,  auguste  seigneur,  des  troupes  de  chevaux 
ou  des  bandes  de  chars,  telles  que  des  cîmes  d'arbres,  en 
proie  au  feu  d'une  forêt  brûlante.  9,420. 

Des  multitudes  de  chars  tombaient  çà  et  là  par  milliers. 
Le  vénérable  feu,  Bharatide,  consumait  dans  le  combat 
toute  cette  armée,  comme  la  flamme  de  la  destruction  finale 
brûle  toutes  les  créatures  au  terme  d'un  youga.  Dès  qu'ils 
virent  dans  ce  grand  combat  l'armée  Pândouide  victime 
de  cet  incendie,  9,421—9,422. 

Transportés  de  joie,  les  tiens,  majesté,  firent  éclater  des 
rugissements  de  guerre.  Exaltés,  victorieux,  ils  battirent 
allègrement  des  milliers  de  tambours,  mnrqués  de  signes 
divers.  Au  milieu  des  ténèbres ,  qui  enveloppaient  le 
monde,  on  ne  voyait  pas,  dans  cette  vaste  bataille,  sire, 
l'armée  complète  et  le  Pândouide  Ambidextre.  Jamais 
avant,  nous  n'avions  pu  voir;  jamais  avant,  nous  n'avions 
entendu  parler  d'une  chose  telle 

9,423—9,424—9,425. 

Que  cet  astra,  suscité  dans  la  colère  du  fils  de  Drona  ! 
Mais  Arjouna  de  lancer,  puissant  roi,  l' astra  de  Brahma, 
créé  par  le  Dieu,  né  dans  un  lotus,  pour  repousser  tous  les 
astras.  Un  instant  après,  les  ténèbres  des'appaiser. 

9,426—9,427. 

Un  vent  favorable  souflla,  les  plages  devinrent  sereines, 
et  nous  vîmes  là  une  chose  merveilleuse  :  une  armée  com- 
plète immolée,  avec  des  formes  méconnaissables,  consu- 
mée par  le  feu  de  l' astra.  On  voyait  ces  deux  héros  aux 
grands  arcs,  Arjouna  et  Kéçava,  libres  d'ennemis, 

9,428—9,429. 


DRONA-PARVA.  423 

Tels  que  l'on  verrait  briller  ensemble  le  soleil  et  la  lune 
dans  les  cieux.  L'archer  du  Gândîva  et  le  Vasoudévide 
étaient  sans  blessures  l'un  et  l'autre.  9,430. 

Joint  (1)  à  son  allié,  Arjouna  avec  son  char,  ses  che- 
vaux, son  drapeau,  ses  guidons,  ses  armes  excellentes, 
brillait  sur  le  plancher  de  sa  voiture,  inspirant  la  terreur 
à  tes  gens.  9,431. 

Des  cris  de  joie,  mêlés  au  bruit  des  tambours  et  des 
conques,  éclatèrent  aussitôt  parmi  les  Pàndouides,  exul- 
tant d'allégresse.  9,432. 

L'opinion  des  deux  armées  était  alors  qu'ils  avaient 
succombé  ;  et  tout  à  coup  ils  voyaient  Arjouna  et  Kéçava 
revenus  à  la  vie,  remplis  de  joie,  sans  blessure,  inspirant 
des  sons  aux  deux  meilleures  des  conques.  A  la  vue  de 
cette  gaîté  des  Prithides,  les  tiens  furent  profondément 
émus.  9,433—9,434. 

Quand  le  Dronide  vit  ces  deux  héros  triomphants, 
échappés  au  danger,  il  s'abima  dans  la  douleur,  puissant 
roi,  et  songea  un  moment:  «Qu'est-ce que  c'est?»  9,430. 

Après  qu'il  eut  rêvé,  tout  livré  à  ses  pensées  affligeantes, 
il  poussa  de  longs  et  brûlants  soupirs,  et  fut  comme  aban- 
donné de  son  âme.  9,436. 

Le  Dronide,  ayant  rejeté  son  arc,  Indra  des  rois,  sauta 
à  bas  de  son  char  :  «  Honte!  s'écria-t-il,  honte  à  cet  astra 
avorté  !  u  et  il  se  précipita  hors  du  champ  de  bataille. 

Il  vit  devant  lui  Vyâsa  à  la  demeure  éminente,  le  com- 
pilateur du  Véda  et  des  Rasas  (2),  l'ordonnateur  sans  pé- 
ché des  Védas,  brillant,  comme  un  nuage  d'amour. 


(1)  Youktas,  texte  de  Bombay. 

[2)  Livre,  où  sont  renfermés  les  sentiments  poétiques. 


424  LE  MAHA-BHARATA. 

Dès  que  le  fils  de  Drona  l'eut  aperçu  debout  devant  lui, 
propagateur  de  la  race  de  Kourou,  il  lui  rendit  hommage, 
baissant  la  tête,  et  lui  adressa  ces  mots  en  homme  con- 
sterné :  9,437— 9,438— 9,439. 

c  Hélas,  hélas  !  Serait-ce  magie?  ou  libre  volonté?  Nous 
ne  savons  pas  !  Comment  cet  astra  est-il  tombé  sans  coup  ? 
Quelle  faute  ai-je  donc  commise?  9,440. 

»  Est-ce  une  chose  très-petite  ou  très-grande  que  la 
ruine  des  mondes  ?  La  vie  de  ces  deux  Krishnas  est  un 
moment  difficile  à  traverser  !  9,441. 

»  Jamais  ni  les  Piçâtchas  et  les  Rakshasas,  ni  les  Gan- 
dharvas  et  les  Asouras,  ni  les  oiseaux,  ni  ceux,  qui  ont 
pour  cause  de  leur  mouvement  le  saut  ou  les  ailes,  ni  les 
enfants  de  Manou  9,442. 

»  N'auraient  pu  frapper  d'impuissance  cet  astra,  que  j'ai 
lancé.  Ce  charme  flamboyant,  destructeur  de  tout,  ac- 
compagné de  la  plus  haute  épouvante,  envoyé  de  ma 
main,  ne  peut  se  calmer  qu'après  l'extermination  d'une 
armée  complète  en  ses  quatre  corps.  Pourquoi  n'a-t-il  pas 
tué  ces  deux  hommes  vertueux,  Arjouna  et  Kéçava? 

9,443—9,444. 

»  Réponds  à  ma  demande,  révérend,  selon  ce  qu'il  en 
est  :  je  désire  entendre  cette  chose,  grand  anachorète, 
suivant  la  vérité.  »   9,445. 

«  Je  vais  te  révéler  entièrement,  lui  répondit  Vyâsa, 
cette  grande  chose,  qui  inspire  une  telle  question  à  ton  in- 
certitude ;  applique  ton  esprit;  écoute!  9,446. 

»  Ce  Dieu  nommé  Nârâyana,  l'ancêtre  des  ancêtres,  le 
créateur  de  l'univers,  naquit  le  fils  d'Yama  pour  la  chose 
présente.   9,447. 

»  Tenant  ses  bras  levés  et  doué  d'une  vive  splendeur, 


DRONA-PARVA.  425 

semblable  au  soleil  flamboyant,  il  se  rendit  au  mont  des 
frimas,  où  il  pratiqua  une  austère  pénitence.   9,44S. 

»  Le  Dieu  aux  yeux  de  lotus  s'y  dessécha  lui-même,  vi- 
vant de  l'air,  pendant  six  milliers  et  autant  de  centaines 
d'années.  9,449. 

»  Quand  il  eut  enduré  deux  fois  cette  éminente  morti- 
fication, il  en  subit  de  nouveau  une  troisième,  remplissant 
de  splendeur  toute  la  cavité,  qui  s'étend  de  la  terre  au 
ciel.  9,450. 

')  Après  que  cette  pénitence  l'eut  identifié,  mon  fils, 
avec  l'Être  absolu,  il  vit  des  yeux  de  son  âme  le  créateur 
de  l'univers,  la  cause  première,  le  seigneur  du  monde, 
l'Invisible,  le  maître  de  tous  les  Dieux,  le  potentat  par  ex- 
cellence, plus  petit  que  ce  qui  est  égal  à  un  atome,  et 
plus  vaste  que  les  plus  grandes  choses  ; 

9,451—9,452. 

»  Roudra,  Içâna,  Rishabha,  Hara,  Çambhou,  Kapardî, 
la  cause  la  plus  efficace  des  êtres,  qui  pensent,  des  créa- 
tures immobiles  et  des  animaux,  qui  se  meuvent  ;  9,453. 

»  Prachétas  au  grand  cœur,  à  la  terrible  colère,  le  ra- 
visseur de  tout,  qu'il  n'est  pas  facile  de  voir,  qu'il  est  dif- 
ficile d'arrêter,  le  héros  à  la  vigueur  infinie,  armé  d'une 
cuirasse  d'or,  de  deux  carquois  célestes  et  d'un  arc  divin  ; 

»  Le  Dieu  à  l'arc  Pinâka,  qui  porte  la  foudre,  une  pique 
enflammée,  une  hache,  une  massue,  une  immense  épée, 
un  pilon  ;  qui  tient  à  sa  main  un  trident  ou  le  bâton  fatal, 
l'Éclatant,  le  Revêtu  de  la  dépouille  d'un  tigre,  le  coiffé 
endjata;  9,454 — 9,455. 

»  L'Immortel  aux  éblouissantes  pendeloques,  accompa- 
gné des  plus  éminents  sacrifices,  orné  de  toutes  les  quali- 
tés, environné  par  les  troupes  des  Bhoûtas,  l'Unique  en 


426  LE  MAHA-BHARATA. 

pénitence,  le  Dieu,  qui  s'approche  des  vieillards,  riches 
de  prières  tt  de  sacrifices  ;  9,656. 

»  L'Eau,  la  Plage,  l'Air,  la  Terre,  le  Soleil  et  la  Lune, 
le  Feu  et  la  parole,  le  monde  intelligible,  la  cause  de 
l'immortalité,  le  fils  d'Yama,  l'Être,  qui  tue  les  ennemis 
des  brahmes,  celui,  que  ne  peuvent  voir  les  mortels  à  la 
conduite  vicieuse.  9,457. 

»  Il  vit,  grâce  à  sa  dévotion,  ce  Devoir,  à  qui  sont  dus 
les  sacrifices  et  qui  a  la  forme  de  l'univers  ;  qui  brûle  par 
la  pénitence,  qui  ne  refuse  point  sa  vue  aux  brahmes  d'une 
vie  sainte,  et  que  voient  avec  les  yeux  de  l'âme  les  fortu- 
nés mortels,  quand  ils  ont  étouffé  le  péché.  9,458. 

»  Aussitôt  qu'il  le  vit  de  son  corps,  de  son  intelligence, 
de  son  cœur,  de  sa  voix  même,  le  Vasoudévide  s'en  ré- 
jouit d'une  âme  transportée.  9,459. 

»  Nârâyana  de  s'incliner  en  présence  du  Dieu,  qui  porte 
une  guirlande  d'yeux,  jetée  autour  de  soi,  le  plus  grand 
trésor  des  astras  et  l'origine  de  toutes  les  choses,  9,460. 

»  Le  magnanime  et  l'auguste  donateur  des  grâces,  ac- 
compagné de  Pârvatî  dans  sa  vaste  beauté,  et  qui  se  jouait, 
environné  de  chœurs,  escorté  des  troupes  de  Bhoûtas, 

»  Içâna,  l'Indistinct,  l'Impérissable,  qui,  sans  naissance, 
est  l'âme  de  toutes  les  origines.  L'Immortel  aux  yeux  de 
lotus,  s'étant  incliné  aussitôt  devant  Roudra,  Y  ineffable 
homicide  d'Andhaka,  célébra  avec  dévotion  les  louanges 
de  la  Divinité  aux  yeux  en  nombre  impair  : 

9,461—9,462—9,463. 

«  Dieu  premier,  Dieu,  qui  dois  être  le  choix  des  mortels, 
amoureux  de  la  délivrance  (1),  les  Pradjâpatis  (2),  qui 

(i-2J  Commentaire, 


DRONA-PARVA.  427 

jadis,  entrés  dans  cette  terre,  ont  conservé  ton  antique 
création  et  sont  devenus  les  gardiens  de  ce  monde,  ont 
reçu  de  toi  la  naissance.  9,464. 

»  De  toi  sont  nés  encore,  nous  le  savons,  toutes  les 
troupes  variées  des  êtres,  lesYakshas,  les  Gandharvas,les 
Garoudas,  les  hommes,  les  Piçâtchas,  les  Rakshasas,  les 
Nâgas,  les  Asouras,  les  Dieux  et  les  Viçvadévas.  9,465. 

»  Les  attributs  d'Yama,  d'Indra,  du  Dieu  des  richesses, 
de  Varouna,  des  Mânes,  de  Twashtri  et  de  Soma  t'appar- 
tiennent !  Ta  forme  est  la  lumière;  le  son  de  ta  voix,  c'est 
l'air,  le  vent  est  ton  toucher,  l'eau  est  ton  goût  et  la  terre 
ton  odeur.  9,466. 

»  Brahma,  le  temps,  les  brahmes,  ce  qui  est  mobile  et 
immobile  est  né  de  toi,  cause  divine!  Ainsi  que  les  gouttes 
de  la  pluie  viennent  individuellement  des  mers  (1),  de 
même  elles  y  retournent  une  à  une  à  la  dissolution  des 
mondes.  9,467. 

»  Possédant  cette  connaissance,  j'ai  pensé  que  la  nais- 
sance et  la  mort  des  êtres  sont  identiques  avec  toi!  Deux 
âmes  ont  la  racine  dans  le  ciel,  comme  deux  arbres  aux 
belles  feuilles  ;  les  paroles  en  sont  les  branches,  et  sept 
figuiers  religieux  en  sont  les  gardiens.  9,468. 

»  Dix  autres  organes,  que  tu  as  créés,  conservent  la 
cité,  qu'on  ne  peut  vaincre,  et  il  en  est  un  autre  au-dessus 
de  ces  dix.  Ce  qui  est,  ce  qui  fut  et  ce  qui  sera  tire  de  tol 
sa  naissance,  avec  tous  ces  mondes,  qui  circulent  ici. 

»  Aime-toi,  car  je  t'ai  aimé  et  je  t'aime  en  toi-même  ! 
Ne  me  fais  pas  du  mal,  si  j'ai  conçu  des  sentiments,  que 
tu  vois  d'un  œil  ennemi.  Il  n'y  a  d'autre  sagesse  que  la 

(i)  Commentaire. 


428  LE  MAHA-BHARATA. 

conscience  (1).  Quiconque  a  cette  science,  il  s'identifie  à 
la  cause  absolue  sans  partage  (2).  9,469 — 9,470. 

»  Je  t'ai  loué,  parce  que  j'ai  voulu  te  rendre  hommage 
et  que  j'ai  pensé,  6  le  plus  grand  des  Dieux,  que  tu  méri- 
tais un  tel  éloge  (3).  Célébré  par  moi,  accorde  les  grâces 
inaccessibles,  que  je  désire,  ô  toi,  qui  as  tiré  du  néant  la 
magie  des  êtres  par  ta  supériorité.  »   9,470  (4). 

»  A  ces  louanges  du  saint,  le  Dieu  à  l'âme  inconcevable, 
au  cou  d'azur,  à  l'arc  Pinâka,  accorda  au  Vasoudévide  les 
grâces,  dont  il  était  bien  digne.  9,471. 

«  Par  ma  faveur,  lui  dit-il,  Nâràyana,  tu  posséderas  une 
âme  à  la  vigueur  sans  mesure  parmi  les  hommes  et  parmi 
ceux,  qui  ont  reçu  la  naissance  des  Gandharvas  et  des 
Dieux.  9,472. 

»  Ni  les  hommes,  les  Piçâtchas,  les  Rakshasas  et  les 
grands  Ouragas,  ni  les  Gandharvas,  les  Asouras  et  les 
Dieux  mêmes  ne  pourront  soutenir  ton  attaque.  9,473. 

»  Ni  les  Garoudas,  les  Nâgas,  les  tigres  et  les  lions  (5) , 
ni  les  Viçvadévas  ou  un  Dieu  quelconque  ne  pourra  triom- 
pher de  toi  dans  le  combat.  9,474. 

»  Ni  par  le  trait  ou  la  foudre,  ni  par  le  feu  ou  le  vent, 
ni  par  le  sec  ou  l'humide,  qu'il  tremble  ou  qu'il  soit 
ferme,  personne  ne  causera  jamais,  grâce  à  moi,  tes  sou- 
cis ni  tes  alarmes  !  Si  même  tu  vas  à  la  guerre,  tu  y  seras 
supérieur  à  moi  !  9,476 — 9,477. 

»  Sache  que  Vishnou  jadis  obtint  ainsi  mes  grâces  :  ce 
Dieu  marcha  dès-lors,  fascinant  le  monde  par  sa  magie. 

(1-2)  Commentaire. 

(3)  Idem. 

(4)  Faute  de  numération  dans  le  texte  de  Calcutta. 

(5)  Viyonhljas,  Commentaire.  Ce  distique  est  marqué  9,475  :  nous  allons 
suivre  cette  erreur. 


DRONA-PARVA.  429 

»  Sa  pénitence  fit  naître  un  grand  anachorète,  sem- 
blable à  ce  Dieu,  nommé  Nara  :  n'oublie  jamais  qu'il  por- 
tera le  nom  d'Arjouna.   9,478 — 9,479. 

»  Les  livres  enseignent  que  ces  deux  rishis  sont  les 
premiers  des  anciens  Dieux,  et  que  chaque  guerre  les  vit 
naître  pour  se  mêler  aux  affaires  du  monde.   9,480. 

»  Né  terrible  par  l'œuvre  de  cette  violente  pénitence, 
conçois  promptement,  saint  anachorète,  de  la  colère  et  de 
l'énergie.  9,A81. 

»  Ton  excellence,  savante  comme  un  Dieu,  a  connu  que 
le  monde  est  tiré  de  la  substance  de  Çiva  ;  et  tu  as  mis 
ton  corps  dans  la  maigreur  (1)  par  des  macérations,  vou- 
lant faire  une  chose,  qui  me  fût  agréable.  9,482. 

»  Tes  mains  ont  façonné  ici  une  brillante  statue  de 
beurre  clarifié  (2),  qui  avait  la  forme  d'un  grand  homme; 
et  tu  m'as  sacrifié,  ô  toi,  qui  donnes  l'honneur,  par  des 
prières,  des  oblations  et  des  offrandes  jetées  dans  le  feu.» 

»  Ainsi  honoré  par  lui  (3)  dans  sa  première  existence, 
l'Ineffable  se  réjouit,  et  lui  accorda  les  dons  éminents, 
qu'il  savait  renfermés  dans  son  (4)  cœur.  9,483  —  9,484. 

»  La  cérémonie  de  la  nativité,  la  pénitence,  les  médita- 
tions en  l'Être  absolu  sont  excellentes  en  ces  deux  héros 
et  dans  toi  :  le  Dieu  est  honoré  dans  chacune  des  guerres 
par  eux  sous  la  forme  du  Linga  et  par  toi  dans  son 
image.  9,485. 

»  Kéçava  est  plein  de  dévotion  en  Roudra  :  il  est  né  de 


(1)  Commentaire. 

(2)  Âtra  havis,  texte  de  Bombay. 

(3-4)  Tai....  tava,  disent  les  deux  textes;  ce  doitêlre  une  faute;  en  effet, 
ce  n'est  pas  à  Nàràyana,  que  Vyâsa  parle,  mais  au  fils  de  Drooa. 


430  LE  MAHA-BHARATA. 

Roudra;  il  honore  l'auguste  Linga,  mais  il  sait  queBhava 
est  la  forme  de  tout.  9,  A 86. 

»  C'est  en  lui  que  se  font  les  abstractions  sur  l'âme  ; 
c'est  en  lui  que  se  font  les  méditations  sur  l'Écriture:  c'est 
en  lui  que  les  grands  Rishis,  les  Siddhas  et  les  Dieux  ont 
offert  leurs  sacrifices.  9, 487. 

»  L'éminent  Sthânou  est  dans  ce  monde  l'unique  objet 
des  désirs  ;  mais  Krishna,  l'auteur  de  toute  chose,  est  ce- 
lui-là seul,  auquel  on  doit  sacrifier  ;  il  est  même  le  sacrifice 
éternel.  9,488. 

»  L'auguste  Dieu,  qui  arbore  l'enseigne  du  taureau,  as- 
sure une  joie  incomparable  à  quiconque  honore  le  Linga, 
sachant  qu'il  est  l'origine  de  tous  les  êtres.  »   9,489. 

Aussitôt  qu'il  eut  ouï  ces  paroles  de  Vyâsa,  l'héroïque 
fils  de  Drona  fit  son  adoration  à  Roudra  et  mit  Kéçava 
dans  une  profonde  estime.  9,490. 

Le  poil  hérissé  et  l'âme  soumise,  il  salua  respectueuse- 
ment le  grand  anachorète  Vyâsa;  et,  quand  il  vit  l'armée 
devant  lui,  il  fit  conclure  une  suspension  d'armes.  9,491. 

Il  fut,  seigneur  des  hommes,  le  médiateur  de  l'armis- 
tice entre  les  fils  de  Pândou  et  les  Kourouides,  au  milieu 
de  qui  la  chute  de  Drona  avait  jeté  la  consternation. 

Ce  brahme,  qui  avait  lu  entièrement  les  Védas,  quand 
il  eut  soutenu  le  combat  cinq  jours  durant,  et  anéanti  une 
armée,  était  passé  dans  le  monde  de  Brahma. 

9,492—9,493. 

«  Après  que  le  Prishatide  eut  arraché  la  vie  à  l'héroï- 
que Drona,  s'enquit  Dhritarâshtra,  que  firent  ensuite  les 
miens  et  les  Pândouides  ?  »   9,494. 

Après  que  le  rejeton  de  Prishat  eut  immolé  cet  héroïque 


DRONA-PARVA.  431 

Drona,  répondit  Sandjaya,  Dhanandjaya,  le  fils  de  Kountî, 
au  milieu  des  Kourouides  enfoncés,  9,495. 

Ayant  vu,  immense  prodige,  qui  lui  apportait  la  vic- 
toire !  Vyâsa,  venu  de  lui-même,  éminent  Bharatide, 
adressa  à  son  compagnon  cette  demande  :  9,496. 

«  J'ai  tué  des  ennemis  dans  la  guerre  avec  les  multitu- 
des de  mes  flèches  reluisantes,  et  je  vois  devant  moi  venir 
un  homme,  qui  ressemble  au  feu  !  9,497. 

»  J'ai  levé  ma  lance  flamboyante,  et,  dans  quelque  plage, 
qu'elle  soit  allée,  mes  ennemis,  grand  anachorète,  ont  été 
brisés.  9,498. 

»  On  pense  que  les  ennemis  rompus  par  elle  ont  tous 
été  rompus  par  moi  ;  armé  d'elle,  je  vais  sur  les  pas  (1) 
des  armées  enfoncées.   9,499. 

»  Dis-moi,  Adorable,  quel  est  ce  mortel  éminent,  que  je 
vois,  le  trident  à  sa  main,  environné  de  splendeur  et  res- 
semblant au  soleil.  9,500. 

»  Il  ne  touche  pas  de  ses  pieds  la  terre  ;  il  ne  lance 
pas  son  trident,  et  des  milliers  de  tridents  tombent  devant 
la  splendeur  de  son  trident  !  »   9,501. 

«  Fils  de  Prithâ,  lui  dit  Vyâsa,  tu  as  vu  Içâna-Çankara, 
le  donateur  des  grâces,  le  premier  des  Pradjâpatis,  l'âme 
auguste  des  splendeurs,  le  monde,  la  terre,  l'atmosphère, 
le  Dieu  éminent,  souverain  de  l'univers  entier.  Va  implo- 
rer les  secours  de  ce  Dieu  magnifique ,  le  maître  du 
monde,  9,502—9,503. 

»  Mahadéva,  le  Magnanime,  le  Dominateur,  Çiva  aux 
trois  yeux,  aux  cheveux  en  gerbe,  Roudra  aux  longs  bras, 
le  Feu,  le  Revêtu  d'un  habit  d'écorce,  9,504. 

(1)  Anuvradjâmi,  texte  de  Bombay. 


/i32  LE  \JAHA-BHAR\TA. 

»  Le  Grand-Dieu,  Hara,  Sthânou,  celui,  qui  dispense 
les  grâces,  le  suzerain  du  monde,  le  chef  du  Cosmos,  le 
supérieur  à  tout,  la  joie  de  l'univers,  l'empereur  su- 
prême, 9,505. 

»  La  matrice  du  monde,  l'île  du  monde,  le  Victorieux 
et  la  voie ,  où  circule  ce  monde,  le  créateur  de  tout,  la 
forme  de  tout,  le  favori  de  la  renommée,  9,50b'. 

»  Le  seigneur  de  tout,  l'Homme  de  l'universalité  et  l'au- 
guste souverain  des  œuvres,  Çambhou,  l'Etre-existant-par- 
lui-même,  le  roi  des  créatures,  l'origine  de  ce  qui  est,  ce 
qui  fut  ou  ce  qui  doit  être,  9,507. 

»  L'Yoga,  le  maître  des  yogas,  Sarva,  le  souverain  des 
souverains  de  l'univers  entier,  ce  qu'il  y  a  de  mieux  en 
tout,  ce  qu'il  y  a  de  mieux  dans  le  monde,  le  bien  par  ex- 
cellence, l'Être  assis  au  plus  haut  des  cieux,  9,508. 

»  Le  créateur  des  trois  mondes,  l'Unique,  le  réceptacle 
des  trois  mondes,  l'Invincible,  le  protecteur  du  monde, 
celui,  à  qui  ne  sont  connus,  ni  la  naissance,  ni  la  vieil- 
lesse, ni  la  mort,  9,509. 

»  L'âme  de  la  science,  le  perceptible  seulement  à  la 
science,  le  trésor  de  la  science,  le  très-difficile  à  discer- 
ner, le  dispensateur  à  ses  fidèles  des  grâces,  que  sa  bien- 
veillance leur  a  préparées.  9,510. 

»  Ceux,  qui  composent  la  cour  de  cet  être  auguste,  ont 
des  formes  de  différente  espèce  :  ce  sont  des  nains,  des 
hommes  à  la  coiffure  en  gerbe,  des  chauves  ;  ceux-ci  ont 
le  cou  très-petit,  ceux-là  un  énorme  ventre.  9,511. 

»  Les  uns  ont  un  corps  gigantesque,  ils  sont  capables 
de  grands  efforts;  les  autres  ont  de  longues  oreilles.  Ils 
ont  des  bouches  horribles  et  sont  revêtus  d'habits,  qui 
inspirent  le  dégoût.   9,512. 


DRONA-PARVA.  433 

»  Adoré  par  de  tels  êtres,  Mahâdéva,  l'irrésistible  sei- 
gneur, le  resplendissant  Çiva  marche  toujours  devant  toi 
mon  fils,  accompagné  de  sa  faveur,  dans  cette  bataille 
effrayante,  qui  fait  se  dresser  le  poil  d'épouvante.  Qui, 
fils  de  Prithâ,  si  l'on  excepte  l'héroïque  Dieu  Mahéçwara 
aux  formes  multiples,  oserait  affronter  seulement  de  pen- 
sée cette  armée,  défendue  par  Karna,  le  Dronide  etKripa, 
ces  guerriers  aux  grands  arcs  ?  9,513 — 9,ôl/i — 9,515. 

»  Qui  pourrait  tenir  le  pied  ferme  devant  ce  Dieu  placé 
en  face  de  lui?  Il  n'existe  pas  dans  les  trois  mondes  un 
être,  qu'on  puisse  dire  son  égal.  9,516. 

»  A  l'odeur  seule  de  sa  colère  dans  le  combat,  les  en- 
nemis, déjà  tués  pour  le  plus  grand  nombre,  hors  d'eux- 
mêmes,  tremblent  et  tombent!   9,517. 

»  Les  Dieux  se  tiennent  dans  le  ciel,  lui  adressant  l'a- 
doration ,  et  les  hommes,  qui  ont  fait  la  conquête  du 
Swarga,  et  les  autres  enfants  de  Manou,  qui  habitent  ce 
monde!  9,518. 

a  Ceux,  qui  adorent,  Çiva,  le  Dieu  généreux,  Roudra, 
l'époux  d'Oumâ,  obtiennent  le  bonheur  dans  ce  monde  et 
passent  dans  la  plus  haute  des  voies.  9,519. 

»  Adresse  ton  adoration,  fils  de  Kountî,  à  cet  être  tou- 
jours paisible,  à  Roudra  au  cou  bleu,  doué  d'une  jeunesse 
éternelle,  environné  de  splendeur  ;  9,520. 

»  A  Kapardi  aux  longues  dents  saillantes,  au  distribu- 
teur des  grâces,  au  vertueux  Çankara,  les  yeux  dorés,  les 
cheveux  teints  avec  la  couleur  de  la  nuit  ;  9,521. 

»  A  l'Amour  aux  yeux  bruns,  à  Sthânou,  à  l'Homme, 
au  Dieu,  qui  porte  des  cheveux  noirs,  au  Dieu,  qui  est 
chauve,  plus  petit  qu'un  atome,  entouré  de  lumière  ; 

»  Au  Soleil,  au  Dieu  des  Dieux,  au  Rapide,  visité  par  de 
ix  28 


434  LE  MAHA-BHARATA. 

saints  pèlerinages,  à  Sarva,  doué  de  formes  multiples,  à 
l'Aimable,  revêtu  d'habits  charmants;  9,522 — 9,523. 

»  A  Mîthousha  (1),  coiffé  d'un  turban,  à  la  jolie  bouche, 
aux  mille  yeux,  à  l'hôte  de  la  montagne,  au  Très-humble, 
au  maître,  à  celui,  qui  porte  le  vêtement  d'anachorète  ; 

»  Au  seigneur  terrible  des  plages,  traîné  dans  un  char 
d'or.  Adoration,  sire,  à  celui,  qui  commande  aux  nuages, 
au  roi  des  créatures!  9,524— 9,525. 

»  Au  maître  des  arbres,  au  maître  des  vaches,  à  celui, 
de  qui  le  corps  fut  caché  par  les  arbres,  au  généralissime, 
au  Milieu,  où  tout  vient  aboutir,  9,526. 

»  Au  Dieu,  qui  tient  à  sa  main  la  cuiller  du  sacrifice,  à 
l'habile  archer,  au  fils  de  Bhrigou,  au^randTout,  vêtu  de 
plusieurs  formes,  au  seigneur,  qui  porte  le  cordon  du 
brahme,  9,527. 

»  A  Xlmmortel,  qui  a  mille  têtes,  mille  yeux,  mille 
bras  et  mille  pieds  !  9,528. 

»  Va,  fils  de  Rountî,  implorer  le  secours  du  dispensa- 
teur des  grâces,  du  maître,  qui  donne  ses  lois  au  monde, 
de  l'époux  d'Oumâ,  aux  yeux  en  nombre  impair,  au  des- 
tructeur du  sacrifice  de  Daksha,  9,529. 

»  Au  souverain  des  créatures,  à  l'âme  sans  trouble,  au 
souverain  des  êtres,  a  l'Impérissable,  à  Kapardi,  la  cou- 
ronne de  la  vertu,  l'ombilic  du  mérite  moral,  au  Dieu, 
qui  a  pour  enseigne  le  taureau,  9,530. 

»  Qui  a  l'orgueil  du  taureau,  qui  est  le  maître  du  tau- 
neau,  au  front  armé  delà  corne  du  taureau,  qui  est  le 
taureau  du  taureau,  qui  porte  un  taureau  dans  son  sein, 
taureau,  qui  a  les  yeux  du  taureau,  9,531. 

(i)  Un  des  noms  du  Soleil  ou  de  Çiva. 


DRÔNÀ-PARVA.  /435 

»  Qui  a  pour  son  arme  un  taureau,  qui  a  le  taureau  pour 
sa  flèche,  qui  s'est  revêtu  du  corps  d'un  taureau,  au  sei- 
gneur suzerain,  qui  possède  un  corps  sans  mesure,  qui  a 
un  grand  ventre,  et  qui  se  couvre  de  la  peau  d'un  tigre, 

»  Qui  départ  leurs  dons  aux  mondes,  qui  est  chauve, 
qui  est  un  brahme  et  l'ami  des  brahmes,  de  qui  la  main 
balance  une  arme  à  trois  pointes,  qui  est  libéral  en  ses 
présents,  splendide  et  portant  le  bouclier  et  le  cimeterre  ! 

»  Incline- toi  devant  le  secourable  Dieu  à  l'arc  Pinâka, 
qui  donne  ses  lois  aux  maîtres  des  mondes ,  l'autocrate 
des  Dieux,  qui  tient  le  glaive  et  porte  un  valkala. 

»  Adresse  ton  adoration  au  souverain  des  Immortels,  de 
qui  Kouvéra  est  l'ami!  Adoration  sans  fin  au  Dieu,  re- 
vêtu d'un  riche  costume,  lié  par  des  vœux  dignes  et  bran- 
dissant un  bel  arc  !  9,532 — 7,533—9,534—9,535. 

»  Adoration  au  Dieu,  qui  porte  l'arc,  à  l'archer,  de  qui 
l'arc  est  aimable!  Adoration  à  toi,  instituteur  de  l'arc, 
qui,  dans  la  science  de  l'arc,  en  a  pénétré  les  mystères  ! 

»  Adoration  au  plus  grand  des  Asouras  !  au  Dieu,  de 
qui  les  armes  sont  terribles!  Adoration  à  l'Être,  doué  de 
formes  multiples!  Adoration  à  toi,  puissant  archer! 

»  Adoration  soit  rendue  sans  fin  à  Sthânou  !  Adoration 
à  ce  grand  archer  !  Adoration  soit  au  meurtrier  de  Tri- 
poura!  Adoration  à  l'homicide  de  Bhaganétra? 

»  Adoration  au  maître  des  arbres  et  au  souverain  des 
hommes  !  Adoration  au  souverain  des  Mâlris  et  au  seigneur 
des  Ganas!  9,536—9,537—9,533—9,539. 

»  Adoration  sans  cesse  au  maître  des  vaches  et  au  maî- 
tre des  sacrifices  !  Adoration  sans  relâche  au  maître  des 
eaux  et  à  l'empereur  des  Dieux  !  9,540. 

»  Adoration  au  donateur  des  grâces,  à  Hara  aux  trois 


/j3<3  LE  MAHA-BHARATA. 

yeux,  au  cou  bleu,  aux  cheveux  d'or,  qui  brisa  les  dents 
du  soleil!  9,541. 

»  Jeté  raconterai,  suivant  ma  science,  selon  ce  qui  me 
fut  dit  à  moi-même,  les  œuvres  célestes,  qu'accomplit  ici 
le  sage  Mahâdéva.   9,542. 

»  Ni  les  Rakshasas,  les  Gandharvas  et  même  ceux,  qui 
sont  plongés  dans  les  cavernes  du  Pâtâla,  ni  les  Asouras, 
ni  les  Dieux  ne  prospèrent  pas  en  bonheur  dans  le  monde 
sous  le  poids  de  son  courroux  (1).  9,543. 

»  Jadis,  il  frappa  dans  sa  colère  le  sacrifice  accompli  de 
Daksha,  qui  le  célébrait,  suivant  les  rites,  et  fut  alors  sans 
pitié.  Il  envoya  les  flèches  de  son  arc  et  poussa  un  cri 
d'une  voix  éclatante. 

»  Les  Dieux,  qui  ne  savaient  plus  d'où  viendrait  la  joie 
pour  eux,  obtinrent  la  paix,  grâce  à  lui,  et  Daksha  de  fuir 
au  plus  vite  dans  le  sacrifice  devant  la  colère  de  Mahéçwara. 

»  Il  remplit  les  mondes  du  bruit  tonnant  à  la  surface  de 
sa  corde;  et  les  Asouras  et  les  Dieux  tombèrent,  soumis  à 
sa  domination. 

»  Les  eaux  s'émurent,  toute  la  terre  fut  ébranlée,  les 
montagnes  se  fendirent,  et  les  éléphants  de  l'espace  éthé- 
rée  se  troublèrent  eux-mêmes. 

»  Enveloppés  en  d'obscures  ténèbres,  les  mondes  avaient 
cessé  de  paraître  ;  et  la  lumière  de  toutes  les  étoiles  était 
éteinte  avec  la  clarté  du  soleil. 

(1)  Ici,  notre  édition  de  Calcutta  rompt  société  avec  nous  ;  car  son  relieur 
oublie  dans  son  assemblage  de  prendre  la  dernière  feuille.  Il  nous  faut 
donc  la  demander  au  texte  de  Bombay,  mais  nous  allons  cesser  de  numé- 
roter les  distiques  ;  car  cette  édition  rivale,  qui  écrit  tous  les  mots  les  uns 
après  les  autres,  sans  aucune  séparation,  ne  compte  point  les  çlokas,  en 
suivant  toujours  dans  toute  la  longueur  d'un  chant  ou  parva,  mais  en  re- 
commençant de  chapitre  en  chapitre  ou  de  lecture  en  lecture  quotidienne 
l'ordre  de  la  numération. 


DRONA-PARVA.  437 

»  Glacés  d'épouvante,  les  rishis,  qui  désiraient  le  bon- 
heur de  toutes  les  créatures  et  la  félicité  d'eux-mêmes,  cé- 
lébrèrent les  cérémonies  pour  détourner  le  péril. 

»  Çankara  fondit  en  riant  sur  le  Soleil,  qui  mangeait  le 
beurre  clarifié  avec  les  gâteaux  et  fit  voler  partout  ses  dents 
brisées. 

»  Ceux  des  Immortels,  qui  n'étaient  point  assis,  sorti- 
rent précipitamment  du  sacrifice;  mais  il  encocha  pour 
les  autres  Dieux  ses  flèches  aiguës,  enflammées,  remplies 
d'étincelles  et  de  fumée,  semblables  à  des  nuages  envelop- 
pés d'éclairs.  A  sa  vue,  tous  les  Souras  de  tomber  au  pied 
du  seigneur  suzerain. 

>>  Les  Tiïdaças  accordèrent  à  Roudra  une  portion  très- 
éminente  dans  les  sacrifices  ;  et  par  crainte,  majesté,  ils 
se  mirent  sous  sa  protection. 

»  Il  empêcha  alors  dans  son  ardente  colère  le  sacrifice 
commencé;  et  les  Dieux  rompus  étaient  frappés  de  terreur 
en  face  de  lui-même. 

»  Les  vigoureux  Asouras  possédaient  trois  villes  dans  le 
ciel  :  une  de  fer,  une  d'argent,  une  grande  cité  toute  d'or. 
Le  Génie  Yeux-de-lôtus  était  le  roi  de  la  ville  d'or  ;  Yeux- 
d'étoiles,  celui  de  la  cité  d'argent;  mais  leur  troisième 
ville,  celle  de  fer,  avait  un  roi  nommé  Guirlande-d'éclairs. 

»  Maghavan,  employant  toutes  ses  armes,  ne futpas ca- 
pable de  les  entamer;  et  tous  les  Dieux  vexés  s'en  vinrent 
implorer  l'assistance  de  Roudra. 

»  Conduits  par  Indra,  tous  les  Dieux  tinrent  ce  langage 
au  magnanime  :  «  Une  grâce,  que  Brahma  leur  adonnée, 
rend  formidables  ces  habitants  de  Tripoura. 

»  Aussi,  orgueilleux  de  cette  faveur,  oppressent-ils  avec 
tyrannie  ce  inonde;  nul  autre  que  toi,  maître  du  Dieu  des 
Dieux,  ne  peut  d'aucune  manière  tuer  les  Daîtyas.  Ini- 


438  LE  MAHA-BHARATA. 

mole  donc,  Mahâcléva,  ces  ennemis  des  Dieux.  Les  bes- 
tiaux seront,  dans  toutes  ses  œuvres,  contraires  à  Roudra. 

»  Mais  tu  feras  mordre  la  poussière,  souverain  du  monde, 
à  tous  ces  Asouras.  »  A  ce  langage  d'eux  :  «  Qu'il  en  soit 
ainsi!  »  répondit-il  aux  Dieux  avec  l'amour  de  leur  bien. 

»  Hara  choisit  alors,  comme  ses  petits  (1)  drapeaux,  le 
Gandhamâdana  et  le  Vindhya  ;  Çankara  fit  son  char  de 
la  terre  avec  son  océan  et  ses  forêts. 

»  L'Immortel  aux  trois  yeux  prit  l' Indra  des  Nâgas, 
nommé  Çésha,  en  guise  d'essieu  :  le  Dieu  des  Dieux,  armé 
de  l'arc  Pinâka  ajusta  pour  ses  roues  le  soleil  et  la  lune. 

»  Tryambaka  fit  servir  de  clavettes  à  son  timon  les  deux 
serpents  Feuille-de-Cardamome  et  Dents-de-fleurs  :  il 
adopta  le  mont  Malaya  pour  colonne  triomphale  et  em- 
ploya comme  traits  Y  immense  reptile  Takshaka. 

»  L'auguste  Çarva  mit  les  corps  des  animaux  pour  liens 
du  joug;  et  Mahéçwara  d'atteler  à  la  place  des  quatre 
chevaux  les  quatre  Védas. 

Le  Souverain  des  trois  mondes  attacha  pour  les  quatre 
mors  les  quatre  Védas  inférieurs  ;  et  le  grand  seigneur  prit 
laGâyatri  et  laSàvitrî  pour  ses  rênes. 

»  Il  fit  de  la  sainte  syllabe  Aum  son  aiguillon  et  nomma 
le  Dieu  Brahnia  pour  son  cocher.  Le  Mandara  devint  son 
arc  et  Vasouki  fut  sa  corde. 

»  Yishnou  fut  choisi  pour  la  plus  puissante  de  ses  flèches; 
Agni,  comme  sa  javeline;  il  adapta  le  Vent  et  le  Trépas, 
fils  de  Vivasvat,  aux  deux  ailes,  dans  la  partie  empennée 
de  son  dard. 

De  l'éclair,  il  fit  son  fer  et,  du  Mérou,  son  drapeau. 
Çiva,  le  melleur  des  combattants,  Sthânou  de  monter  dans 

(i)  Commentaire. 


DRONA-PARVA:  439 

ce  char  céleste,  composé  de  tous  les  Dieux,  pour  la  ruine 
de  Tripoura.  Accompagné  de  la  fortune  et  doué  d'un  cou- 
rage incomparable,  ce  Dieu,  la  mort  des  Asouras, 

»  Comblé  de  louanges  par  les  Immortels,  les  grands 
rishis  et  les  anachorètes,  riches  de  pénitence,  l'auguste 
adopta,  fils  de  Prithâ,  pour  son  ordre  de  bataille  incom- 
parable et  divin,  la  méditation  en  Mahéçwara. 

»  Il  se  tint  au  milieu  des  airs,  immobile  comme  une  co- 
lonne, durant  mille  années,  et  brisa  dans  ce  siège,  de  sa 
javeline  à  trois  pointes,  aux  trois  nœuds,  ces  trois  villes 
rassemblées  en  armes  devant  lui!  Il  était  impossible  aux 
Dânavas  ainsi  qu'aux  cités  d'arrêter  leurs  yeux  sur  le 
puissant  Immortel. 

Parvatî  de  tourner  un  regard  sur  lui,  tandis  qu'il  in- 
cendiait les  villes,  et  tenait  à  sa  main  la  flèche,  jointe  au 
feu  et  à  la  mort,  associée  au  soleil  et  à  la  lune. 

»  Ensuite  Oumâ  prit  dans  son  sein  un  enfant  à  cinq 
flammes  et,  désirantle  connaître,  elles'enquit  auprès  des 
Dieux  :  «  Quel  est  cet  enfant?  » 

»  Il  estnédeÇakra,  dirent-ils,  au  moment  qu'il  voulait 
combattre  avec  sa  foudre.  Est-ce  que  l'Auguste  craint  ce 
nourrisson  du  Dieu  irrité,  cet  enfant,  qui  se  tient  assis,  le 
bras  armé  du  tonnerre?  » 

»  Soudain  l'éminent  et  bienheureux  seigneur  de  l'uni- 
vers entier  se  mit  à  sourire,  et  Çakra  vit  son  bras  paralysé 
au  milieu  des  chœurs  de  Souras,  qui  l'environnaient. 
.  »  Il  se  rendirent  hâtivement  vers  l'excellent,  vers  l'im- 
périssable Brahma.  Inclinant  la  tête  et  portant  au  front 
les  mains  jointes,  les  Dieux  lui  dirent  : 

«  Quel  est  cet  enfant,  Brahma,  que  Dourgâ  tient  dans 
son  anka  ?  Nous    n'avons   pas    encore   vu   cette   mer- 


âAO  LE  MAHA-BHARATA. 

veille,    qui    est    revêtue    des    formes    d'un    enfant  ! 

»  Nous  désirons  te  présenter  une  question  sur  cet  en- 
fant, nous  et  Pourandara,  qu'il  a  vaincu  sans  combattre 
et  comme  en  se  jouant.  » 

»  Dès  qu'il  eut  ouï  ces  paroles  des  Dieux,  le  vénérable 
Brahma,  le  plus  excellent  des  êtres,  qui  savent  les  Védas, 
après  un  moment  de  réflexion,  trouva  que  cet  enfant  à  la 
splendeur  infinie  pouvait  être  Çambhou. 

»  Et  l'adorable  Brahma  dit  à  Çakra  et  aux  autres  plus 
grands  Dieux  :  «  C'est  le  bienheureux  Hara,  le  seigneur 
du  monde  avec  les  êtres  immobiles  et  mobiles. 

»  11  n'est  rien  nulle  part  de  plus  grand  que  ce  Mahéçwara 
à  la  lumière  sans  mesure,  que  vous  avez  pu  voir,  accom- 
pagné d'Oumâ. 

»  Çarva  s'est  donné  à  cause  de  Parvatî  les  formes  d'un 
enfant.  Venez  donc  auprès  de  lui  avec  moi! 

»  Ce  vénérable  Dieu  est  l'auguste  maître  de  l'univers 
entier  !  »  Ainsi,  les  Dieux  n'avaient  pas  reconnu  d'abord 
qu'il  était  le  seigneur  du  monde. 

Ils  allèrent  avec  tous  les  Pradjâpatis  vers  cet  enfant, 
qui  avait  une  splendeur  égale  au  soleil  adolescent.  Ensuite 
Brahma  dit  à  la  vue  de  Mahéçwara  : 

«  Voici  le  prééminent  !  »  Et  l'ayant  reconnu,  il  s'inclina 
devant  lui  :  «  Tu  es,  fit-il,  le  sacrifice  du  monde  !  Tu  es  la 
voie  !  Tu  es  le  point  culminant  des  désirs! 

»  Tu  es  l'origine,  tu  es  le  Grand-Dieu  !  Tu  es  la  région 
la  plus  élevée  de  la  lumière  !  Tu  remplis  ce  monde  entier 
avec  ses  créatures  immobiles  et  mobiles  ! 

»  Adorable  maître  de  ce  qui  fut  et  de  ce  qui  doit  être, 
protecteur  du  monde,  souverain  du  Cosmos,  accorde  ta 
bienveillance  à  Çakra,  qui  est  tourmenté  par  ta  colère!  » 


DRONA-PARVA.  Mil 

»  A  peine  eut-il  entendu  ces  paroles  du  Dieu,  qui  reçut 
la  naissance  dans  un  lotus,  Mahéçwara  joyeux  de  tourner 
son  visage  avec  bienveillance  et  d'éclater  en  un  violent 
rire. 

»  Les  Souras  à  leur  tour  adorèrent  Oumâ  et  Roudra. 
Puis,  le  bras  du  roicéleate,  qui  porte  la  foudre,  revint  à 
son  état  naturel. 

»  Le  destructeur  du  sacrifice  de  Daksha,  le  plus  grand 
des  Tridaças  et  des  Dieux,  l'Immortel  à.  l'enseigne  du  tau- 
reau lui  accorda  sa  bienveillance  et  Oumâ  sa  faveur. 

»  Il  est  Roudra,  il  est  Çiva,  il  est  Agni,  il  est  Sarva, 
qui  sait  tout,  il  est  Indra,  il  est  le  vent  même;  il  est,  et 
les  Açwins,  et  les  éclairs.  Il  est  l'origine,  il  est  Pardjanya, 
il  est  l'éternel  Grand-Dieu  ;  il  est  la  lune,  il  est  Içâna,  il 
est  le  soleil  et  Varouna  lui -même. 

»  Il  est  le  temps,  Yama,  le  trépas,  la  mort  ;  il  est  le 
jour  et  la  nuit  ;  il  est  le  mois,  le  demi-mois,  les  saisons, 
l'aurore  et  le  crépuscule,  l'année. 

»  Il  est  Dhatri  et  Vidhatri,  l'âme  de  l'univers,  l'agent 
de  toutes  les  actions  ;  et,  quoique  sans  corps,  il  porte  le 
corps  de  tous  les  Dieux. 

»  Cette  grande  Divinité  est  louée  par  tous  les  Dieux 
une  fois  et  plusieurs  fois,  par  centaines  et  par  milliers  de 
fois;  plus  encore,  par  centaines  de  milliers  de  fois. 

»  Les  brahmes,  à  qui  les  Védas  sont  connus,  n'ignorent 
point  que  deux  corps  appartiennent  à  ce  Dieu;  mainte  fois, 
il  a  un  corps  enrayant;  ensuite,  il  en  a  un  autre  aimable. 

»  Il  est  la  nuit  de  l'Yâtoudhâna;  il  est  Agni,  il  est 
Vishnou,  il  est  celui,  qui  fait  le  jour,  il  est  encore  les 
Saâumyas  (1),  il  est  les  eaux,  les  étoiles  et  la  lune. 

(1)  Cinq  étoiles  dans  la  tête  d'Orion. 


442  LE  MAHA-BHARATA. 

»  Il  est  le  Véda,  les  Angas,  les  Oupanishads,  les  Pou- 
rânas,  l'âme,  la  détermination  ;  le  Dieu  Mahéçwara  est 
ici-bas,  certes  !  ce  qui  est  le  plus  grand  des  mystères. 

»  Tel  est  et  plus  encore  ce  Grand-Dieu  adorable  et  sans 
naissance.  Il  est  impossible  que  j'énonce  toutes  les  quali- 
tés du  vénérable,  dussé-je  parler  même  continuellement, 
fils  de  Pândou,  durant  un  millier  d'années.  Il  délivre  ceux, 
qui  sont  tombés  aux  liens  de  toutes  les  furies;  il  purifie 
ceux,  qui  portent  les  souillures  de  tous  les  péchés;  secou- 
rable  et  bien  satisfait,  il  sauve  ceux,  qui  se  mettent  sous 
sa  protection.  Il  donne  aux  enfants  de  Manou  la  vie,  la 
santé,  la  puissance,  la  richesse,  les  excellents  objets  de 
tous  leurs  désirs  ;  puis,  sa  main  les  renverse  à  terre.  Les 
Tridaças  et  les  autres  Dieux  avec  Indra  confessent  que 
son  empire  est  suprême. 

»  Il  intervient  même  dans  toutes  les  affaires,  soit  bon- 
nes, soit  mauvaises,  des  hommes  ;  il  est  appelé  souverain, 
parce  que  sa  domination  s'étend  sur  tous  les  objets,  où 
se  portent  les  désirs. 

»  Mahéçwara  est  le  maître  suprême  des  grands  élé- 
ments ;  nombre  de  fois  (1) ,  il  a  rempli  le  monde  entier  de 
ses  formes  nombreuses  (2). 

»  La  bouche  de  ce  Dieu  habite  dans  la  mer  ;  et,  buvant 
le  havis,  composé  d'eau,  il  est  nommé  la  bouche  de  la 
cavale  ou  du  feu  sous-marin. 

»  Ce  Dieu  fait  dans  les  cimetières  eux-mêmes  sa  de- 
meure continuelle  :  ses  adorateurs  se  rendent  propice  ce 
Dieu  nommé  lçvara  ici,  dans  Us  cimetières  de  Bénarès  (3), 
le  séjour  des  mortels  héroïques,  qui  exercent  l'empire  sur 
les  passions  (4). 

(1-2)  Bahoubhis  bahoudhù. 
(3-4)  Commentaire. 


DRONA-PARVA.  hhï 

»  Ses  formes  sont  nombreuses,  épouvantables,  enflam- 
mées; et  les  hommes  confessent  les  formes  de  ce  Dieu, 
qui  sont  honorées  dans  l'univers. 

»  Il  reçoit,  comme  il  sied,  un  grand  nombre  de  noms  au 
milieu  du  monde  :  ils  lui  sont  assortis  d'après  la  grandeur 
et  la  souveraineté  de  son  œuvre. 

»  Cent  hymnes  sublimes  à  Roudra  sont  tous  renfermés 
dans  le  Véda  :  l'immortalité  est  dans  ce  nom  de  Roudra  ; 
par  lui,  certes  !  on  obtient  ce  magnanime. 

»  Ce  Dieu  tout-puissant  accomplit  les  vœux,  qui  sont 
conçus  par  les  cœurs  des  Dieux  et  par  ceux  des  mortels  : 
ce  Dieu  auguste,  éternel,  remplit  de  sa  présence  le  grand 
Tout. 

»  Les  brahmes  et  les  anachorètes  le  célèbrent  comme 
l'aîné  des  vivants;  c'est  en  effet  le  premier  des  Dieux,  et 
le  feu  lui-même  est  sorti  de  sa  bouche. 

Il  est  commémoré  sous  le  nom  de  Paçoupati,  parce 
qu'il  est  de  toute  manière  le  soutien  des  êtres  vivants,  qu'il 
fait  d'eux  son  plaisir  et  sa  joie,  qu'il  est  leur  maître 
suzerain. 

»  Comme  son  Linga  divin  magnifie  les  mondes  en  con- 
servant la  chasteté,  il  est  appelé  encore  Mahéçvvara. 

»  Les  rishis,  les  Dieux,  les  Gandharvas  et  les  Apsaras 
mêmes  ont  honoré  son  Linga  mis  en  érection. 

»  Çankara  se  réjouit  de  cet  hommage,  et  son  âme  sa- 
tisfaite est  pleine  de  joie  et  de  bonheur. 

»  Parce  que  sa  forme  multiple  embrasse  avec  les  êtres 
animés  et  immobiles  ce  qui  fut,  ce  qui  est,  ce  qui  sera, 
de-là  il  est  nommé  le  Multiforme. 

»  A  cause  qu'il  se  tient  tout  flamboyant  de  lumière  avec 
un  seul  œil  ou  même  qu'il  est  fait  d'yeux  partout;  à  cause 


khh  LE  MAHA-BHARATA. 

qu'il  est  entré  de  colère  dans  les  mondes,  il  est  commé- 
moré sous  le  nom  de  Sarva. 

»  Parce  que  la  couleur  de  la  fumée  enveloppe  sa  forme, 
il  est  appelé  Dhourjati  (1)  ;  et,  comme  les  Dieux  de  l'uni- 
vers sont  en  lui,  de-là  vient  son  nom  de  Viçvaroupa  (2). 

»  Considéré  sous  l'amour,  qu'il  porte  aux  trois  hautes 
Déesses,  les  eaux,  la  terre  et  le  ciel,  le  souverain  du  monde 
est  célèbre  sous  l'appellation  de  Tryambaka. 

»  Comme  il  va  sans  cesse  ,  de  toute  manière  et  dans 
toutes  les  choses,  au-devant  des  hommes,  dont  il  désire 
le  bonheur  (3),  il  est  commémoré  sous  le  nom  de  Çiva. 

»  Parce  qu'il  a  mille  yeux,  qu'il  est  doué  partout  d'yeux, 
ou  même  qu'il  est  fait  d'yeux,  et  qu'il  soutient  le  grand 
Tout,  de-là  vient  son  nom  du  Mahâdéva,  le  Grand- 
Dieu. 

»  A  cause  qu'il  est  le  grand  ancêtre,  qu'il  est  l'origine 
du  souffle  de  l'existence,  qu'il  est  le  Linga  érigé  dans  le 
monde,  il  est  nommé  Sthânou  dans  le  souvenir. 

»  Ces  clartés  du  soleil,  de  la  lune  et  du  feu  (h),  qui 
brillent  dans  le  monde,  ces  splendeurs,  qui  sont  nommées 
les  rayons  de  ses  trois  yeux,  l'ont  fait  appeler  le  Dieu,  qui 
a  le  ciel  pour  sa  chevelure. 

»  Comme  tout  ce  monde  sans  réserve  a  été,  est  et  doit 
être,  de-là  il  fut  dit  Bhava,  étant  l'origine  même  de  ce  qui 
fut,  de  ce  qui  est  et  de  ce  qui  sera. 

»  Le  singe  est  le  plus  grand  !  a-t-il  été  dit,  et  le  devoir 


(1)  C'est  contraire  aux  racines  du  mot  ;    il   veut    dire   proprement  :  qui 
porte  le  fardeau  des  trois  mondes. 

(2)  Qui  a  la  forme  de  tout. 

(3)  Çiva. 

(i)  Sous-entendu,  suivant  le  commentaire. 


DR0NA-PA1WA.  Ixkh 

est  nommé  le  taureau  :  voilà  d'où  l'adorable  Dieu  des 
Dieux  fut  appelé  Vrishâkapi  (t). 

»  Commémoration  est  faite  de  lui  sous  le  nom  de  Hara, 
parce  qu'il  a  vaincu  et  enlevé  (2)  Brahma,  Indra,  Varouna, 
Yama  et  le  Dieu,  maître  des  richesses. 

»  A  cause  qu'il  s'est  créé  au  milieu  du  front  un  troi- 
sième œil  par  sa  puissance  et  pour  suppléer  au  défaut  de 
ses  deux  yeux  fermés,  le  Dieu  Mahéçvvara  est  appelé  pour 
cette  raison  Trayaksha  (3). 

»  Il  se  tient  ici-bas  inégalement  et  d'une  manière  égale 
dans  les  corps  des  êtres  animés,  comme  le  vent  de  la  res- 
piration et  des  voies  inférieures  dans  le  corps  des  bons  et 
des  méchants. 

»  Que  l'adorateur  de  son  idole  ne  cesse  pas  d'honorer 
le  corps  et  le  Linga  de  ce  magnanime,  il  obtiendra  une 
grande  félicité  ! 

»  A  partir  de  ses  cuisses,  dont  jouissent  les  Vaçîyas  et 
doivent  jouir  les  Coudras  (h) ,  son  corps  favorable  est  moi- 
tié feu  et  moitié  lune,  On  dit  que  le  feu  et  la  lune  compo- 
sent chacun  une  moitié  de  lui-même. 

»  Son  corps  splendide,  grand,  enflammé  est  l'heureux 
partage  des  Dieux  ;  son  corps  lumineux  est  pour  les  choses 
humaines;  on  dit  que  le  feu  simple  est  terrible. 

»  Son  corps  propice  est  celui,  avec  lequel  Mahéçwara 
observe  la  continence  ;  mais  sa  forme  la  plus  horrible  est 
celle,  dont  il  se  revêt,  pour  dévorer  tous  les  êtres. 

»  Parce  qu'il  est  rempli  de  majesté,  qu'il  est  terrible, 


(1)  Le  taureau  et  le  singe. 

(2)  Haratai. 

(3)  Trinoculus. 

(4)  Commentaire. 


Uliô  LE  MAHA-BHARATA. 

qu'il  est  violent,  qu'il  consume,  qu'il  boit  le  sang  et  qu'il 
se  repaît  de  la  chair  et  du  sang,  de -là  vient  son  nom  de 
Roudra. 

»  Tel  est  ce  Dieu  Mahâ-Déva,  Prithide,  qui  marche  de- 
vant tes  pas  :  tu  ne  l'as  point  vu  dans  le  combat,  où  il 
abattait  les  ennemis  sous  les  coups  de  son  arc  Pinâka, 

»  Cette  bataille,  que  tu  avais  promise,  irréprochable 
altesse,  pour  la  mort  du  roi  de  Sindhou  !  Mais  Krishna 
te  le  fit  voir  dans  un  songe  sur  la  cîme  du  roi  des  mon- 
tagnes. 

»  Cet  adorable  Dieu,  il  marche  devant  toi  dans  le  com- 
bat; lui,  par  qui  te  furent  accordés  les  astras,  grâce  aux- 
quels tu  fis  mordre  la  poussière  aux  Dânavas  I 

»  Je  t'ai  raconté,  fils  de  Prithâ,  cette  pieuse  nomencla- 
ture de  Roudra,  le  Dieu  des  Dieux,  qui  donne  la  richesse, 
la  renommée,  une  longue  vie,  qui  est  sainte,  qui  est  sem- 
blable aux  Védas,  qui  accomplit  toute  chose,  qui  est  pure, 
qui  efface  toutes  les  souillures  du  péché,  qui  détruit  cha- 
cune des  fautes  et  ravit  la  crainte  de  toutes  les  douleurs. 

»  L'homme,  qui  prête  sans  cesse  l'oreille  à  cet  éloge, 
divisé  en  quatre  espèces,  victorieux  de  tous  ses  ennemis, 
est  exalté  dans  le  monde  de  Roudra. 

»  Quiconque  parmi  les  hommes  est  toujours  levé  pour 
lire  ou  écouter  cette  centurie  guerrière,  à  jamais  conser- 
vée dans  la  mémoire,  d'actions  exécutées  par  le  magna- 
nime Roudra,  ce  mortel,  dévot  au  Dieu  souverain  de  l'uni- 
vers, obtient  toujours  l'accomplissement  de  ses  désirs  les 
plus  chers  dans  la  faveur  de  Tryambaka. 

»  Val  Combats,  fils  de  Kountî!  La  défaite  n'est  point  à 
craindre  pour  toi,  qui  as  Djanârddana,  placé  à  tes  côtés, 
pour  conseiller  et  comme  protecteur.  » 


DRONA-PARVA.  klxl 

Alors  qu'il  eut  parlé  ainsi  à  Phâlgouna,  le  fils  de  Parâ- 
çara  s'en  alla,  comme  il  était  venu,  dompteur  des  enne- 
mis, vers  l'aîné  des  Bharatides. 

Après  qu'il  eut  soutenu  durant  cinq  jours  un  combat 
épouvantable,  le  brahme  à  la  grande  vigueur  fut  tué  et 
obtint  le  monde  de  Rrahma. 

La  vaste  renommée  des  intrépides  kshatryas  est  jointe 
au  chapitre  bien  lu  de  ce  Véda,  comme  sarécompense. 

Quiconque  lit  sans  cesse  ou  écoute  cette  lecture  est  dé- 
lié de  toutes  ses  fautes  et  des  actions  horribles,  qu'il  a 
commises. 

Toujours  ici-bas,  le  brahme  obtient  le  mérite  du  sacri- 
fice et  les  kshatryas  la  gloire  d'un  grand  nom.  Ces  deux 
classes  entre  les  quatre  castes  reçoivent  ce  que  leur  âme 
a  désiré  :  des  fils,  des  petits-enfants,  et  toujours  les  objets 
de  leur  vœu  les  plus  chers  ! 


FIN  DU  CHANT  DE  DRONA. 


KARNA-PARVÀ 


IX  29 


KARNA-PARVA 


LE  CHANT   DE   KARNA 


Honorez  d'abord  Nârâyana,  et  Nara,  le  plus  excellent 
des  hommes,  et  la  Déesse  Sarasvatî  ;  ensuite,  récitez  ce 
poème,  qui  donne  la  victoire  ! 

Après  que  Drona  fut  tombé  mort,  sire,  dit  Vaîçampâyana, 
les  rois,  conduits  par  Douryodhana,  coururent,  l'âme 
consternée,  vers  le  fils  du  Bharadvvâdjide.  1. 

Pleurant  Drona,  tourmentés  par  le  chagrin  et  frappés 
dans  leur  vigueur  par  le  découragement,  ils  s'assirent  en 
cercle  au-dessous  du  fils  de  la  Çaradvatî?2. 

Un  moment  après  et  quand  des  raisons,  assorties  aux 
Traités  de  morale,  eurent  remis  ces  maîtres  de  la  terre 
dans  leur  assiette  ordinaire,  ils  retournèrent  dans  leurs 
palais  à  l'arrivée  de  la  nuit.   3. 

Mais,  pensant  à  leur  perte  douloureuse,  plongés  dans 
la  peine  et  le  chagrin,   ces  monarques  n'arrivaient  pas 


452  LE  MAHA-BHARATA. 

dans  leur  habitation  même  à  retrouver  la  joie,  qu'ils 
avaient  perdue  ;  h. 

Surtout  le  fils  du  cocher,  le  roi  Douryodhana,  Douççâ- 
sana  et  Çakouni,  le  vigoureux  fils  de  Soubala.  5. 

Ils  habitèrent  cette  nuit  dans  la  maison  de  Douryodhana, 
songeant  aux  vexations  des  magnanimes  Pândouides.  6. 

Se  rappelant  que  ces  princes  avaient  été  maltraités  au 
jeu,  et  Krishna  traînée  dans  l'assemblée,  ils  en  éprou- 
vaient du  regret  et  leur  âme  en  était  profondément  trou- 
blée. 7. 

Au  milieu  des  pensées  de  ces  persécutions,  conséquen- 
ces du  jeu,  la  nuit  s'écoula  avec  peine,  sire,  et  pareille  à 
cent  années.  8. 

Aux  clartés  pures  de  l'aube,  ils  se  levèrent,  obéissant  à 
l'ordre  du  Destin,  et  tous  d'accomplir  les  cérémonies  obli- 
gatoires de  la  manière  enseignée  par  le  rituel.  9. 

Quand  ils  eurent  vaqué  à  ces  soins  indispensables,  fils 
de  Bharata,  et  repris  courage,  ils  commandèrent  un  ras- 
semblement et  sortirent  pour  la  bataille.  10. 

Ils  nomment  Karna  généralissime  de  l'armée  et,  dès 
qu'ils  eurent  fait  pour  cette  élection  les  cérémonies  de  bon 
augure,  auxquels  est  attachée  la  prospérité,  ils  honorent 
les  principaux  des  brahmes  avec  des  présents  de  grains 
frits,  du  beurre  clarifié  et  des  vases  de  lait  caillé,  des 
nishkas,  des  vaches,  de  l'or  et  des  vêtements  du  plus 
haut  prix;  et  les  ménestrels,  les  bardes  et  les  poètes  sa- 
luent ce  nouveau  chef  avec  des  vœux  de  victoire.  11 — 12. 

Les  Pândouides  eux-mêmes,  ayant  vaqué  aux  cérémo- 
nies du  matin,  sortent  précipitamment  de  leur  camp,  la 
résolution  arrêtée  pour  le  combat.   13. 

Ensuite  s'éleva  la  bataille  confuse,  épouvantable,  des 


1URNA-PARVA.  653 

Rourouideset  des  fils  de  Pândou,  qui  brûlaient  mutuelle- 
ment de  remporter  la  victoire,   lk. 

Deux  jours  entiers,  sire,  dura,  sous  le  commandement 
de  Karna,  le  généralissime,  ce  combat  des  deux  armées  de 
Kourou  et  de  Pândou  :  ce  fut  un  spectacle  merveilleux  ! 

Après  lesquels  Karna,  qui  avait  exécuté  un  immense 
carnage  des  ennemis,  tomba  sous  les  coups  de  Phâlgouna, 
à  la  vue  des  Dhritarâshtrides.   15—16. 

Puis,  étant  allé  rapidement  dans  la  ville  des  éléphants, 
Sandjaya  de  raconter  à  Dhritarâshtra  tout  ce  qui  s'était 
passé  clans  le  Kouroudjàngala.   17. 

«  Lorsqu'il  eut  appris  la  mort  du  fils  de  la  rivière  avec 
celle  de  l'héroïque  Drona,  interrompit  Djanamédjaya,  le 
vieux  roi,  fils  d'Ambikâ,  est  tombé  dans  la  plus  profonde 
douleur.  18. 

»  Mais,  quand  il  sut  que  Karna  lui-même  n'était  plus, 
lui,  de  qui  le  bien-être  de  Douryodhana  formait  tous  les 
désirs,  comment  put-il,  ô  le  meilleur  des  brahmes,  sup- 
porter la  vie  dans  son  affliction?  19. 

»  Après  que  fut  tombé  ce  héros,  dans  lequel  ce  prince 
regardait  comme  attachée  la  victoire  de  ses  fils,  comment 
ce  rejeton  de  Kourou  put-il  encore  supporter  de  vivre  ? 

»  Il  est  bien  difficile  de  mourir,  suivant  moi,  aux  hom- 
mes, qui  vivent  dans  la  souffrance,  puisque  ce  monarque 
n'abandonna  point  la  vie,  à  la  nouvelle  de  la  mort  du  fils 
décocher.   20—21. 

»  Comme  il  ne  délaissa  point  la  vie  en  apprenant  que 
le  vieux  Çàntanouide  et  Vâhlîka  même,  Drona,  le  Soma- 
dattide,  Bhoûriçravas  et  d'autres  ses  amis,  ses  fils  et  pe- 
tits-fils avaient  succombé,  je  pense  alors,  brahnie,  qu'il 
n'est  pas  facile  de  renoncer  à  l'existence.   22 — 23. 


hbh  LE  MAHA-BHARATA. 

»  Raconte-moi  tout  cela  en  détail,  grand  anachorète  ; 
je  ne  me  rassasie  pas  d'entendre  les  hautes  actions  de  tous 
ces  héros.  »   24. 

Après  la  mort  de  Karna,  le  Gavalganide  consterné,  lui 
répondit  Vaîçampâyana,  se  rendit  la  nuit,  avec  ses  che- 
vaux, rapides  comme  le  vent,  dans  la  cité,  qui  tire  son 
nom  des  éléphants.   25. 

Arrivé  dans  cette  ville,  l'âme  profondément  troublée, 
il  porta  ses  pas  vers  la  demeure  de  Dhritarâshtra,  qui 
avait  sa  famille  dévastée.   2(5. 

Aussitôt  qu'il  vit  ce  roi,  de  qui  le  découragement  avait 
frappé  la  vigueur,  il  inclina,  joignant  ses  mains  au  front, 
sa  tête  aux  pieds  de  cet  auguste  monarque.   27. 

Dès  qu'il  eut  rendu  son  hommage,  suivant  la  conve- 
nance, à  Dhritarâshtra,  le  souverain  de  la  terre,  il  s'écria  : 
«  Oh  !  malheur  !  »  et  prit  aussitôt  la  parole  :   28. 

«  Je  suis  Sandjaya,  roi  de  la  terre  !  Comment  ta  ma- 
jesté est-elle  assise  tranquillement,  et  ne  perd-elle  point 
la  tête,  quand  tes  fautes  ont  attiré  sur  toi  l'infortune  ?  29. 

»  Est-ce  que  tu  n'entres  pas  dans  le  trouble  de  l'es- 
prit, si  tu  te  rappelles  ces  bonnes  paroles,  que  tu  n'as 
pas  voulu  recevoir,  sorties  des  bouches  de  Vidoura,  de 
Drona,  du  fils  de  la  rivière  et  de  Kéçava?  30. 

»  Est-ce  que  tu  n'entres  pas  dans  le  trouble  de  l'esprit, 
lorsque  ces  utiles  paroles,  que  Râma,  Nârada,  Kanva  et 
les  autres  saints  ont  prononcées  sur  le  sol  de  l'assemblée, 
et  que  tu  n'as  point  acceptées,  seprésententà  ta  mémoire? 

»  Est-ce  que  tu  n'entres  pas  dans  le  trouble  de  l'esprit, 
au  souvenir  des  bons  amis,  dévoués  à  ton  bien,  à  com- 
mencer par  Bhîshina  et  Drona,  que  les  ennemis  ont  tués 
dans  le  combat  ?  »   31—  32. 


KARNA-PARVA.  455 

Le  roi,  plongé  dans  l'affliction,  ayant  gémi  bien  long- 
temps, répondit  en  ces  termes  au  fils  du  cocher,  qui  par- 
lait ainsi  et  se  tenait  devant  lui,  ses  mains  jointes  :  33. 

«  Cette  mort  du  vaillant  fils  de  la  rivière  aux  astras 
célestes,  Sandjaya,  et  du  brahme  au  grand  arc,  jette  un 
trouble  profond  dans  mon  âme.   3/i. 

»  Ce  guerrier  impétueux,  qui,  tous  les  jours,  immolait 
au  fils  d'Indra  dix  milliers  de  ses  héros,  couverts  de  la 
cuirasse,  35. 

»  Mon  âme  est  toute  émue  à  la  nouvelle  qu'il  est 
tombé  ici  sous  les  coups  du  fils  d'Yajnaséna,  tué  par  ce 
Çikhandî,  que  défendaient  les  Pàndouides  !  36. 

»  Lui,  à  qui  le  rejeton  de  Bhrigou  avait  donné  un  astra 
supérieur  dans  un  grand  combat;  lui,  à  qui,  dans  son 
enfance,  Râma  en  personne  avait  accordé  la  science  de 
l'arc!  37. 

»  Mon  âme  est  profondément  troublée  à  la  nouvelle 
que  Dhrishtadyoumna  a  frappé  dans  la  bataille  le  brave 
Drona,  qui  avait  donné  sa  foi  à  la  vérité  et  par  la  grâce 
de  qui  les  Kountides,  ces  vaillants  fils  de  roi,  et  d'autres 
monarques  de  la  terre,  sont  parvenus  à  un  éminent  hé- 
roïsme. 38—39. 

»  Mon  âme  est  émue  à  la  nouvelle  que  Drona  et 
Bhîshma  ont  succombé,  ces  deux  braves,  qui  ne  voyaient 
pas  dans  le  monde  un  homme  leur  égal  pour  l'astra  en 
ses  quatre  divisions.   40. 

»  Qu'est-ce  que  firent  les  miens,  après  qu'ils  eurent 
appris  la  mort  de  Drona,  pour  lequel  il  n'existait  pas 
dans  les  trois  mondes  un  homme  égal  en  science  des 
astras?  Al. 

»  Que  firent  les  miens  au  milieu  des  troupes  en  fuite, 


450  LE  MAHA-BHARATA. 

quand  le  magnanime  Pândouide,  de  qui  le  courage  avait 
envoyé  dans  le  séjour  d'Yama  l'armée  des  conjurés,  Dha- 
nandjaya  eut  paralysé  l'astra  Nârâyanain  du  sage  fils  de 
Drona?  42— 43. 

»  Après  que  Drona  fut  tombé,  ils  se  dispersèrent,  je 
pense,  abîmés,  engloutis  dans  un  océan  de  chagrins, 
comme  des  navires  submergés  dans  la  mer.   44. 

»  Au  milieu  de  ces  armées  en  déroute,  quelle  était, 
Sandjaya,  la  couleur  du  visage  de  Douryodhana,  de 
Rarna,  de  Bhodja-Kritavarman,  de  Çalya,  le  roi  de 
Madra,  d'Açwatthâman,  de  Kripa,  de  Çésha,  mon  fils,  ei 
des  autres?  45 — 46. 

»  Raconte-moi  tout  cela,  fils  de  Gavalgani,  suivant  que 
la  chose  est  arrivée;  dis-moi  quelle  fut  la  valeur  des 
Pândouides  et  des  miens  ?  »   47. 

En  apprenant  ce  que  ta  faute,  vénérable  roi,  a  fait 
tomber  sur  les  Kourouides,  lui  répondit  Sandjaya,  ne  te 
livre  pas  au  trouble  :  un  sage  n'est  pas  ému  de  l'œuvre 
du  Destin.  48. 

Qu'une  chose  soit  donc  pour  être  ou  non,  relativement 
à  un  homme,  le  sage,  quel  qu'il  soit,  n'est  jamais  trou- 
blé, s'il  l'obtient  ou  ne  l'obtient  pas.  49. 

«  Il  n'existe  pas  en  moi,  reprit  Dhritarâshtra ,  un 
trouble  bien  grand,  Sandjaya  ;  je  pense  que  c'est  une 
œuvre  que  le  Destin  jadis  a  préparée.  Raconte  donc,  sui- 
vant mon  désir.  »   50. 

Aussitôt  que  Drona  au  grand  arc  eut  succombé,  repartit 
Sandjaya,  le  visage  de  tes  héroïques  fils  n'exprima  plus 
la  résolution  ;  ils  furent  abattus,  l'âme  éteinte.   51. 

Tous  les  archers  eux-mêmes,  baissant  la  tête,  souve- 
rain des  hommes,  se  regardaient  les  uns  les  autres,  tour- 


RARNA-PARVi.  457 

mentes  par  le  chagrin,    sans  dire  un    $fa\  mot.   52. 
Tes  armées,  ayant  vu  ces  héros  avec  des  formes  trou- 
blées, fils  de  Bharata,  fixaient  maintes  fois,  tremblants  de 
crainte,  les  regards  de  leurs  yeux  sur  le  ciel.   53. 

A  la  vue  de  Drona  étendu  mort  sur  le  champ  de  ba- 
taille, Indra  des  rois,  les  traits,  humides  de  sang,  échap- 
paient de  tous  les  côtés  a  leurs  doigts.   h!x. 

Semblables  à  des  constellations  dans  les  cieux,  on 
voyait  tomber,  grand  roi,  ces  bataillons  sans  .blessure. 

Dès  qu'il  vit  ton  armée  immobile  d effroi,  comme  un 
corps  d'où  l'âme  est  exhalée,  le  roi  Douryodhana  de  parler 
en  ces  termes  :  55 — 56. 

«  Me  confiant  à  la  vigueur  des  bras  de  vos  seigneuries 
dans  une  bataille,  j'ai  provoqué  les  fils  de  Pândou,  et  ce 
combat  fut  livré.   57. 

»  Mais  on  vit  cette  armée  comme  accablée  du  coup, 
qui  a  frappé  Drona  ;  les  guerriers  tombent  de  tous  les 
côtés,  les  armes  à  la  main  (1) ,  dans  le  combat.  58. 

»  Ou  la  victoire  ou  la  mort  !  que  telle  soit  la  devise  du 
guerrier  dans  la  bataille!  Qu'y  a-t-il  là  d'étonnant? 
Combattez,  attentifs  de  toutes  parts.   59. 

»  Contemplez  ce  magnanime  Rarna  au  grand  arc,  ce 
vigoureux  fils  du  Soleil,  qui  s'avance  dans  le  combat  avec 
ses  astras  divins  ;  60. 

»  Lui,  devant  la  peur  duquel  Dhanandjaya,  ce  lâche 
fils  de  Rounti,  s'enfuit  toujours  dans  la  bataille,  comme 
une  vile  gazelle  aux  approches  d'un  lion  !  61. 

»  Lui,  qui,  dans  un  combat  purement  humain,  réduisit 
à  cette  condition  même  Bhîoiaséna  à  la  grande  force,  qui 

(i)  Youdhyamnnûs. 


458  LE  MAHA-BHARATA. 

est  doué  d'un  souffle  de  vie  égal  à  celui  d'une  myriade  de 
serpents  !  62. 

»  Lui,  par  qui  l'héroïque  magicien  Ghatotkatcha , 
versé  dans  les  astras  divins,  fut  tué  d'une  lance  infail- 
lible,  malgré  ses  cris  épouvantables.  63. 

»  Vous  verrez  dans  la  bataille  aujourd'hui  la  force  im- 
périssable des  bras  de  ce  héros,  sage,  véridique,  à  la 
vaillance  irrésistible.  6h. 

»  Que  les  fils  de  Pândou  contemplent  la  valeur  de 
l'Adhirathide  et  du  fils  de  Drona,  héroïque  couple,  sem- 
blable à  celle  de  Vishnou  et  d'Indra.  65. 

»  Vous  êtes  tous,  pris  un  à  un,  capables  de  vaincre  en 
bataille  les  enfants  de  Pândou  avec  leurs  armées  ;  com- 
bien plus,  quand  vous  êtes  réunis.  66. 

»  Pleins  de  courage  et  consommés  dans  les  armes, 
vous  allez  montrer  aujourd'hui  quelle  est  la  vaillance  les 
uns  des  autres.  »   67. 

Quand  il  eut  dit  ces  mots,  ton  fils  à  la  grande  vigueur, 
accompagné  de  ses  frères,  monarque  sans  péché,  choisit 
Karna  pour  général  des  armées.  68. 

Après  qu'il  eut  obtenu  le  généralissimat ,  l'héroïque 
Karna  de  proclamer  son  cri  de  guerre  à  haute  voix  ;  et  il 
combattit,  ivre  de  combats.  69. 

Il  accomplit  un  grand  carnage,  vénérable  monarque, 
de  tous  les  Vidéhains,  des  Kaîkayains,  des  Srindjayas  et 
des  Pântchâlains.  70. 

Les  pointes  de  ses  flèches,  attachées  par  l'autre  bout 
à  de  riches  empennures,  se  manifestèrent  à  centaines 
hors  de  son  arc,  comme  des  files  de  grandes  abeilles 
noires.  71. 

Quand  il  eut  accablé  les  Pântchâlains  et  les  Pândouides 


KARNA-PARVA.  A59 

impétueux  ;  quand  il  eut  immolé  des  combattants  par 
milliers,  il  tomba  sous  un  coup  d'Arjouna.  72. 

Lorsqu'il  eut  dit  ces  mots,  grand  roi,  ajouta  Vaîçam- 
pâyana,  le  fils  d'Ambikâ,  Dhritarâshtra,  ne  voyant  pas  de 
terme  à  son  chagrin,  pensa  que  Douryodhana  était  aussi 
frappé  de  mort.  73. 

Il  tomba  plein  de  trouble,  la  pensée  éteinte,  comme  un 
éléphant,  sur  la  terre.  A  cette  chute  du  plus  grand  des 
rois,  llx. 

Ses  femmes  poussèrent,  éminent  Bharatide,  les  plus 
hauts  cris  de  détresse  ;  et  le  son  en  remplit  entièrement  la 
terre  de  tous  les  côtés.  75. 

Plongées  dans  un  océan  de  chagrins  très-épouvantable, 
les  concubines  du  Bharatide,  tourmentées  par  la  douleur, 
pleuraient,  l'âme  abandonnée  dans  une  profonde  émotion. 

Alors  s'étant  avancée  vers  le  roi,  Gândhârî  tomba  sans 
connaissance  elle-même  sur  la  terre,  avec  toutes  les 
femmes.  76 — 77, 

Sandjaya  fit  reprendre  la  connaissance  à  ces  infortu- 
nées, malades  de  chagrin,  sire,  délirantes,  versant  mainte 
et  mainte  fois  l'eau,  qui  naît  dans  les  yeux.  78. 

Ces  femmes,  rappelées  au  sentiment,  étaient  trem- 
blantes à  chaque  instant,  de  tous  les  côtés,  comme  des 
bananiers  agités  par  le  vent.   79. 

Vidoura  alors  s'approcha  du  roi  Kourouide,  ce  mo- 
narque, éclairé  par  l'œil  de  la  science,  et  l'arrosa  d'eau. 

Dès  que  ce  prince  eut  recouvré  avec  lenteur  sa  connais- 
sance, il  vit,  Indra  des  rois,  ses  épouses  rangées  autour 
de  lui  en  silence,  comme  privées  de  raison.  80 — 81. 

Il  rêva  un  long  temps,  soupira  mainte  et  mainte  fois, 
censura  beaucoup  ses  fils  et  pensa  aux  Pândouides.  82. 


460  LEMAHA-BHARATA. 

Il  blâma  l'esprit  funeste  de  Çakouni  le  Soubalide,  et  se 
blâma  soi-même  ;  il  songea  bien  long-temps,  tremblant 
à  chaque  instant.  83. 

Quand  il  eut  ramené  son  âme  à  l'immobilité,  ce  roi, 
doué  naturellement  de  fermeté,  interrogea  de  nouveau 
son  cocher,  le  fils  de  Gavalgani  :  8Zi. 

«  J'ai  entendu,  Sandjaya,  la  parole,  qui  fut  dite  par 
toi,  est-ce  que  Douryodhana,  cocher,  n'est  pas  descendu 
au  séjour  d' Yama  ?  85. 

»  Mon  fils,  sans  espérance  de  la  victoire,  conserve-t-il 
toujours  en  lui-même  l'amour  de  la  victoire?  Fais-moi  une 
seconde  fois,  Sandjaya,  ce  récit  avec  vérité.  »   86. 

Sur  de  telles  paroles,  Djanamédjaya,  le  cocher  répondit 
au  roi:  «  L'héroïque  fils  du  Soleil  a  été  tué,  sire,  avec  ses 
fils  eux-mêmes  et  ses  frères  au  grand  arc,  qui  avaient  re- 
noncé à  la  vie.  Douççâsana  fut  immolé  par  le  Pândouide 
à  la  vaste  renommée,  Bhîmaséna,  qui,  dans  sa  colère,  en 
but  le  sang,  au  milieu  du  combat.  »   87 — 88 — 89. 

A  cette  nouvelle,  puissante  majesté,  reprit  Vaîçam- 
pâyana,  le  fils  d'Ambikâ,  Dhritarâshtra,  l'âme  affligée  de 
chagrin,  dit  à  Sandjaya,  son  cocher  :  90. 

«  Le  chagrin  déchire  sans  doute  les  membres  de  mon 
fils  à  la  courte  vue,  depuis  qu'il  a  reçu,  mon  ami,  la  nou- 
velle que  Karna  est  tombé  mort,  conséquence  de  mes  fu- 
nestes conseils.  91. 

»  Retranche-moi  ce  doute,  car  je  désire  aborder  à  la 
rive  ultérieure  de  mes  peines  :  qui  sont  ceux  qui  vivent, 
ou  qui  sont  morts,  parmi  les  Kourouides  et  les  Srin- 
djayas?  »   92. 

L'auguste  et  inaffrontable  fils  de  Çântanou,  répondit 
Sandjaya,  est  mort,  sire,  après  qu'il  eut  immolé  durant 


KARNA-PARVA.  Ml 

dix  jours  cent  millions   de  guerriers  Pândouides.  93. 

Drona  au  grand  arc,  ayant  détruit  aux  Pântchâlains  des 
multitudes  de  chars,  l'inaccessible  au  chariot  d'or  fut 
abattu  lui-même  dans  le  combat  en  dernier  lieu.  94. 

Quand  il  eut  renversé  morte  la  moitié  de  l'armée, 
échappée  aux  coups  de  Bhîshma  et  du  magnanime  Drona, 
le  fils  du  Soleil,  Karna  est  tombé  sans  vie.  95. 

Le  vigoureux  Vivinçati,  le  noble  fils  du  roi,  puissant 
monarque,  a  mordu  la  poussière  dans  le  combat, 
où  il  avait  exterminé  les  guerriers  Anarttains  par  cen- 
taines. 96. 

Vikarna,  ton  fils,  n'oubliant  pas  son  vœu  de  kshatrya, 
et  qui,  ses  armes  brisées,  ses  chevaux  tués,  se  tenait  en 
héros,  la  face  tournée  vers  les  ennemis,  97. 

A  succombé  sous  le  bras  de  Bhîmaséna  lui-même,  se 
souvenant  de  sa  promesse  et  des  nombreuses  vexations 
aux  formes  épouvantables,  queDouryodhana  avait  exercées 
à  l  égard  des  Pândouides.  98. 

Vinda  et  Anouvinda  d'Avanti,  ces  deux  grands  héros, 
fils  de  roi,  après  qu'ils  eurent  accompli  un  exploit  diffi- 
cile, sont  descendus  au  séjour  du  "Vivasvatide.   99. 

Ce  héros,  qui  se  tenait  soumis  à  tes  ordres,  qui  avait 
conquis  dix  royaumes,  annexés  comme  provinces  à  l'em- 
pire de  Sindhou,  et  vaincu,  de  ses  flèches  acérées,  onze 
armées  complètes,  Djayadratha  à  la  grande  valeur  fut  à 
la  fin,  sire,  immolé'par  Arjouna.  100—101. 

L'impétueux  fils  de  Douryodhana,  ivre  de  la  cruelle 
passion  des  batailles,  obéissant  à  un  ordre  de  son  père, 
fut  étendu  sans  vie  par  le  Soubhadride.  102. 

L'héroïque  Douççâsanide  aux  bras  puissants,  furieux 


402  LE  MAHA-BHARATA. 

de  combats,  engageant  une  bataille  avec  le  iils";  de  Drou- 
pada,  fut  envoyé  par  lui  au  monde  d'Yama.  103. 

Le  souverain  des  Kirâtas,  qui  habitent  les  rives  hu- 
mides de  l'océan,  cet  ami  bien-aimé  du  roi  des  Dieux,  ce 
prince  en  grande  estime  auprès  d'Indra,  104. 

Bhagadatta,  le  roi  de  la  terre,  qui  se  plaisait  à  vaquer 
aux  devoirs  du  kshatrya,  fut  envoyé  par  Arjouna,  malgré 
son  courage,  aux  demeures  d'Yama.  105. 

Et  le  héros  Bhoûriçravas  à  la  haute  renommée,  sire,  le 
fils  d'un  Rourouide,  fut  immolé  dans  le  combat  par  Sâ- 
tyaki,  bien  qu'il  eut  mis  bas  ses  armes.  106. 

Groutâyoush  l'Ambashthain ,  l'homme  de  peine  des 
kshatryas,  marchant  avec  intrépidité  dans  la  bataille,  fut 
abattu  par  l'Ambidextre.  107. 

Douççâsana  ton  fils,  puissant  monarque,  toujours  irrité, 
consommé  dans  les  armes,  ivre  de  la  furie  des  combats, 
tomba  sous  les  coups  de  Bhîmaséna.  108. 

Quoiqu'il  eut  une  merveilleuse  armée  de  plusieurs 
milliers  d'éléphants,  Soudakshina  n'en  fut  pas  moins  ren- 
versé par  l'Ambidextre.  109. 

L'empereur  des  Raîlâsains,  après  qu'il  eut  immolé  des 
ennemis  très-estimés  pour  la  valeur,  marchant  avec  har- 
diesse contre  le  Soubhadride,  fut  envoyé  par  lui  au  séjour 
d'Yama.  110. 

Tchitraséna,  ton  fils,  ayant  nombre  de  fois  attaqué  Bhî- 
maséna, expira  sous  les  coups  de  ce  grand  héros.  111. 

Le  héros  fortuné  fils  du  roi  de  Madra,  accroissant  la 
terreur  chez  les  ennemis,  trouva  la  mort  sous  le  bras  du 
Soubhadride,  malgré  le  bouclier  et  l'épée,  dont  il  s'était 
armé.  112. 


KARNA-PARVA.  /»63 

Égal  &  Karna  dans  la  guerre,  Vrishaséna  à  la  grande 
splendeur,  rapide  archer,  au  courage  solide,  déployant  sa 
valeur  contre  Dhanandjaya,  fut  envoyé  aux  demeures 
d'Yama  par  ce  héros,  qui  avait  ouï  la  mortd'Abhimanyou 
et  se  rappelait  sa  promesse.  113 — 114. 

Le  Prithide  coucha  mort  Çroutâyoush,  le  maître  de  la 
terre,  qui  avait  proclamé  son  inimitié  sans  cesse  attachée 
aux  Pândouides.  115. 

Roukmaratha,  le  vaillant  fils  de  Çalya,  fut  tué,  auguste 
roi,  par  Sahadéva  dans  le  combat  ;  et  cependant  il  était 
son  cousin  (1),  né  de  son  oncle  maternel.  116. 

Le  vieux  roi  Bhagîratha  et  le  Raîkéyain  Vrihatkshat- 
tra,  tous  deux  forts,  courageux,  furent  également  immolés, 
malgré  leur  énergie  supérieure.  117. 

Le  robuste  fils  de  Bhagadatta,  sire,  qui  avait  conquis  la 
science,  fut  abattu  sans  vie  par  Nakoula,  qui  marchait 
comme  un  faucon  sur  le  champ  de  bataille.  118. 

Vâhlika,  ton  ayeul,  rempli  de  force  et  de  courage,  périt 
avec  ses  troupes  Yâhlikaines  sous  les  coups  de  Bhîmaséna. 

Le  Mâgadhain  Djayatséna,  ce  Djârâsandhide  à  la  grande 
vigueur,  exhala  son  âme  dans  le  combat,  sous  les  armes 
du  magnanime  Soubhadride.  119 — 120. 

La  massue  de  Bhîmaséna,  sire,  assomma  ton  fils  Dour- 
mouka  et  le  grand  héros  Doussaha,  malgré  leur  orgueil 
tout  martial.  121. 

Dourmarshana,  Dourvishala  et  le  vaillant  Dourjaya  sont 
descendus  au  palais  du  Vivasvatide,  après  qu'ils  eurent 
accompli  de  pénibles  exploits.  122. 

Ces  deux  frères  ivres  de  la  furie  des  batailles,  les  plus 

(1)  Revoyez  la  note,  page  130  de  ce  môme  volume. 


à6h  LE  MAHA-BHARATA. 

éminents  du  Kalinga,  les  ont  suivis  chez  la  mort,  ayant 
exécuté  une  difficile  prouesse.  123. 

Vrishavarman,  ton  héroïque  conseiller,  d'un  courage 
supérieur,  déployant  sa  vaillance  contre  Bhîinaséna,  fut 
plongé  dans  l'habitation  d'Yama.  12/i. 

Savyasâtchi,  le  fils  de  Pândou,  immola  dans  le  combat 
sa  majesté  Paâurava  à  la  haute  stature,  qui  avait  la  force 
d'une  myriade  de  serpents.  125. 

Deux  mille  combattants  Vaçâtiens  et  Çoûrasénas,  tous 
vaillants,  puissant  roi,  sont  tombés  dans  la  bataille.  126. 

Les  Abhîshâhas,  combattant  avec  la  cuirasse,  enivrés 
de  combats,  et  les  Çiviens  aux  grands  chars  furent  im- 
molés, accompagnés  des  Kalingas.  127. 

Ces  troupes  de  conjurés,  ces  bandes,  qui  s'élevaient  à 
plusieurs  milliers  et  que  des  pâtres  accroissaient  toujours, 
ces  héros,  pleins  de  la  plus  ardente  colère  dans  la  bataille, 
contraints  à  tourner  le  dos  devant  l'Ambidextre,  tous, 
ayant  affronté  le  fils  de  Prithâ,  furent  immolés  et  préci- 
pités par  lui  dans  l'empire  d'Yama.  128 — 129. 

Atchala  et  Vrishaka,  ces  deux  princes  ,  tes  beaux- 
frères,  puissant  roi,  dans  leur  bouillante  valeur  pour  ta 
cause,  tombèrent  sous  les  coups  de  l'Ambidextre.  130. 

Le  héros  aux  longs  bras,  souverain  de  Çâlva,  Ougra- 
karman  (1),  de  fait  et  de  nom,  fut  couché  mort  par  Bhî- 
maséna.  131. 

Aughavat  et  Vrihanta,  victorieux  dans  la  cause  d'un 
ami,  sont  allés  dans  le  combat  d'un  pas  égal  aux  demeures 
d'Yama.  132. 

Le  meilleur  de  tes  maîtres  de  chars,  Kshémadhoûrti, 

(1)  De  qui  les  œuvres  sont  terribles,  suivant  les  racines  du  mot. 


KARNA-PARVA.  465 

souverain  des  hommes,  est  tombé  dans  la  bataille  sous  la 
massue  de  Bhhnaséna  ;  et  Djalasandha,  au   grand  arc,  à 
la  grande  vigueur,  fut  tué  par  Sâtyaki,  après  qu'il  eu 
accompli  un  immense  carnage.   133 — 134. 

L' Indra  des  Rakshasas  ,  Alambousha,  au  char  attelé 
d'ânes,  fut  conduit  par  Ghatotkatcha,  malgré  sa  valeur, 
au  séjour  d'Yama.  135. 

L'Ambidextre  immola  Karna,  le  fils  adoptif  du  cocher, 
et  les  héros  ses  frères,  et  les  Kaîkéyains  de  tous  les 
côtés,  136. 

Et  les  Mâlavas,  les  Madrakas,  les  Drâvidas  aux  formi- 
dables actions,  et  les  combattants  Lalitthas,  les  Rshou- 
drakas,  et  Jes  Ouçînaras,  et  les  Mâvellakas,  etlesToundi- 
kéias,  et  les  Sàvitripoutrakas,  et  les  habitants  de  l'Orient, 
de  l'Occident  et  du  Midi.   \  37—138. 

Des  légions  de  fantassins  et  des  millions  de  chevaux 
furent  détruits,  des  multitudes  de  chars  renversés  et  les 
meilleurs  des  éléphants  massacrés.  139. 

Des  héros  aux  efforts  redoublés,  à  la  gloire  long-temps 
accrue  par  des  actions  de  courage,  étendus  avec  leur  dra- 
peau, leurs  armes,  leurs  cuirasses,  leurs  riches  décora- 
tions, et  d'antres  à  la  force  sans  mesure,  qui  s'étaient, 
eux  et  les  rivaux,  désiré  mutuellement  la  mort,  furent 
immolés  dans  le  combat  par  le  Prithide  aux  œuvres  infa- 
tigables. lZiO—  lZil . 

Ceux-là  et  d'autres  nombreux  monarques  avec  leurs 
armées  ont  été  immolés  par  milliers  en  bataille.  Ainsi  fut 
ce  carnage,  qui  est  l'objet  de  ta  demande,  sire,  et  qui 
a  sévi  dans  la  rencontre  de  Karna  et  d'Arjouna.  Tel  que 
Vritra  fut  tué  par  le  grand  Indra,  que  Râvana  périt  sons 
la  main  de  Râma,  lli'l — 1/j3. 

ix  30 


/I66  LE  MAHA-BHARATA. 

De  même  que  Naraka  et  Moura  succombèrent  dans  une 
lutte  avec  Krishna,  de  même  que  Kârttavîrya  fut  immolé 
pa  rRâma,  le  rejeton  de  Bhrigou  ;  J/iZi. 

Ainsi  le  héros  Karna,  ivre  de  la  furie  des  batailles,  fut 
tué  (1)  avec  sa  famille  et  ses  amis  dans  un  duel  en 
chars  (2)  par  Arjouna,  après  qu'il  eut  soutenu  un  combat 
grand,  épouvantable,  jetant  la  stupeur  dans  les  trois 
mondes,  comme  Mahisha  mourut  sous  le  bras  de  Skanda, 
comme  Andhaka  périt  sous  les  coups  de  Roudra. 

1Zi5— IZ16. 

Il  périt  avec  ses  parents  et  ses  ministres,  ce  Karna,  le 
meilleur  des  combattants,  l'espérance  de  la  victoire  pour 
les  Dhritarâshtrides  et  la  source,  d'où  était  sortie  la 
guerre.   1Z|7. 

Ayant  rejeté  une  offre,  chose,  que  tu  n'as  pas  sue 
d'abord,  il  fut  appelé  fils  de  Pàndou  par  des  parents,  qui 
désiraient  tirer  de  lui  un  avantage.   4Zi8, 

C'est  toi,  sire,  qui  désirais  cependant  le  bien  pour  tes 
fils  (3),  qui  as  fait  tomber  sur  eux  cette  infortune,  ter- 
rible châtiment  de  leur  ambition  d'un  royaume.   !Z|9. 

Des  choses  ennemies  et  même  déchirantes:  voilà  quel 
fruit  ils  en  ont  retiré.   150. 

«  Tu  m'as  raconté,  mon  ami,  observa  le  roi  Dhrita- 
râshtra,  qui  furent  ceux  des  miens  immolés  par  les  fils  de 
IMndou  ;  maintenant  d  s-moi ,  Sandjaya,  ceux  des  Pân- 
douides,  qui  ont  succombé  sous  les  miens.  »   151. 

Le  fils  de  la  Gangâ,  répondit  Sandjaya,  a  renversé  les 
énergiques  enfants  de  Kountî  à  la  grande  âme,  à  la  grande 


(1-2)  Ilatau  dvuaîrnthai,  texte  de  Bombay. 
(3)  Twayd  hiiaiahinâ,  même  texte. 


KARNA-PARVA.  467 

force,  avec  leurs  parents,  avec  leurs  ministres.   152. 

L'héroïque  Bhîshma  abattit  encore  par  milliers,  dans 
ses  combats,  les  autres  vaillants  guerriers  de  Nârâyana 
et  de  Bàladéva,  attachés  à  la  cause  des  Pândouides.   153. 

Égal  en  force  et  en  courage  à  Kirîti  dans  la  guerre, 
Satyadjit  tomba  sous  les  coups  du  véridique  Drona.   15Zi. 

Tous  les  héros  des  Pântchâlains,  habiles  dans  les  com- 
bats, qui  en  vinrent  aux  mains  avec  Drona,  furent 
envoyés  par  lui  au  séjour  du  Vivasvatide.   155. 

Drona  fit  mordre  aussi  la  poussière  du  combat  aux  rois 
Droupada  et  Virâta,  ainsi  qu'à  leurs  fils,  ces  deux  vieil- 
lards, qui  triomphaient  dans  la  cause  de  leurs  amis.   156. 

L'inaffrontable  Abhimanyou,  qui  était,  quoique  enfant, 
semblable  à  l'Ambidextre  même,  seigneur,  à  Kéçava  ou  à 
Bàladéva,  environné  par  six  chars  (11  supérieurs,  aux 
vastes  dimensions,  qui  ne  pouvaient  affronter  Bîbhatsou, 
tomba  sans  vie,  malgré  qu'il  fût  habile  à  conduire  un 
grand  char,  après  qu'il  eut  accompli  le  carnage  du  parti 
contraire.  Entouré  d'une  forte  armée,  le  Douççâsanide, 
meurtrier  des  ennemis,  tua  dans  la  bataille,  Mahàrâdja,  le 
Soubhadridt,  privé  de  char,  mais  toujours  ferme  dans  le 
devoir  du  kshatrya.   157 — 158—159 — 160. 

Le  fortuné  fils  d'Ambashtha,  victorieux  dans  la  cause  de 
ses  amis,  s'étant  approché  dans  le  combat  du  héros  Laksh- 
mana,  fils  de  Douyodhana,  descendit  au  séjour  du  Vi- 
vasvatide, après  qu'il  eut  fait  un  immense  carnage.  Vri- 
hanla  au  grand  arc,  consommé  dans  les  armes,  ivre  de  la 
furie  des  batailles,  161 — 162. 

Déployant  sa  valeur,  fut  plongé  par   Douççâsana  dans 

1,  Drona,  Açwatthàman,  Çalya,  Karna,  Kripa  et  Kritavarmun. 


468  LE  MAHA-BHARATA. 

les  demeures  d'Yama.  Les  d^ux  rois  Manimat  et  Dinda- 
dhâra,  pleins  de  la  cruelle  ivresse  des  combats,  163. 

Étalant  leur  courage  dans  une  cause  amie,  sont  tombés 
dans  la  bataille,  sous  le  fer  de  i)rona.  Le  grand  héros  An- 
çoumat,  roi  de  Bhodja,  montrant  sa  valeur,  fut  précipité 
avec  son  armée,  dans  l'habitation  d  Yama,  par  le  Bhara- 
dwâdjide.  Le  prince,  né  sur  les  bords  de  la  mer,  Tchitra- 
séna  avec  son  fils,  Bharatide,  16/j — 1(55. 

Fut  contraint  par  Samoudraséna  de  visiter  le  royaume 
d'Yama.  Nila,  habitant  les  rivages  humides  de  l'océan,  et 
le  vigoureux  Vyâghr&datta  y  sont  descendes  eux-mêmes 
avec  un  trait,  lancé  par  Açwatthâman.  Le  héros  Tchitrâ- 
youdha,  après  qu'il  eut  accompli  un  vaste  carnage, 

166—167. 

Fut  tué  clans  le  combat,  où  il  étalait  son  courage,  d'un 
vikarna,  décoché  par  Tchitramârga.  Égal  à  Vrikaudara 
dans  la  guerre,  environné  de  guerriers  Kaîkéyains,  frère 
tué  par  un  frère,  il  tomba,  déployantsa  bravoure,  sous  les 
coups  d'un  Kaîkéyain.  L'auguste  Djanamédjaya,  le  mon- 
tagnard, qui  combattait  avec  la  massue,  168—169. 

Fut  immolé  sous  la  main  de  Dourmoukha,  ton  fils, 
grand  roi.  Les  Rotchunânas,  deux  tigres  des  hommes, 
brillant  comme  des  planètes,  obtinrent  de  pair  le  ciel,  ma- 
jesté, par  les  flèches  de  Drona.  Des  monarques  triom- 
phants, les  armes  à  la  main  (1),  ail  rent  visiter,  souverain 
des  hommes,  l'empire  d'Yama,  après  avoir  exécnté  des 
prouesses,  qui  n'étaient  pas  faciles.  Pouroudjit  et  Koun- 
tibhodja,  les  deux  oncles  maternels  de  l'Ambidextre, 

170—171—172. 

([   Pratiyoudhyantas. 


KARNA-PARVA.  469 

Sont  descendus,  sous  les  (lèches  de  Drona,  dans  les 
mondes,  que  l'on  conquiert  par  le  combat.  Abhibhoûs,  le 
roi  de  Kàçi,  entouré  de  nombreux  Kcâçikas,  173. 

Fut  contraint  dans  la  bataille  à  mettre  bas  son  corps 
par  le  fils  de  Va-oudàna.  Youdhâmanyou  et  le  vigoureux 
Outtamaâudjas,  deux  héros  à  la  splendeur  sans  mesure, 

Ayant  tué  des  braves  par  centaines,  furent  tués  enfin 
par  les  nôtres.  Le  Pàntchâlain  Mitravarman  et  Kshatra' 
dharman,  l'un  et  l'autre  guerrier  an  grand  arc,  furent 
précipités,  par  Drona,  dans  l'empire  d'Yama.  Le  fils  de 
Çikhanclî,  Kshattradéva,  le  maître  des  batailles,  fut  tué 
dans  le  combat  par  Lakshmana,  ton  petit-fils,  sire.  Les 
deux  g  ands  héros,  Soutchitra  et  Tchitravarman,  le  père 
et  le  fils.  174— 175  —  17o  — 17^. 

Furent  abattus  par  Drona  dans  la  bataille,  où  ils  s'avan- 
çaient avec  un  courage  supérieur.  Le  Vriddhakshémide, 
tel  qu'une  mer  au  temps  de  la  pleine  et  de  la  nouvelle 
lune,  ayant  affronté  Ayoudhakshaya,  s'est  endormi  du 
sommeil  et  rnel.  Le  plus  vaillant  des  fils  de  Sénavindou, 
le  meilleur  dans  le  combat,  ses  traits  à  la  main, 

178-179. 

Tomba  sous  le  fer  de  Vâhlîka,  l'Indra  des  Rourouides. 
Dhiishiakétou,  le  plus  grand  héros  des  Tchédiens,  Mahâ- 
râdja,  après  qu'il  eut  accompli  une  prouesse,  qui  n'était 
pas  très-facile,  descendit  au  palais  du  Vivasvatide.  De 
même  y  furent  plongés  l'héroïque  Satyaclritide,  triomphant 
pour  la  cause  des  Pà  idouides,  dès  qu'il  eut  semé  de  car- 
nage le  champ  de  bataille;  et  Sénavindou  lui-même,  le 
plus  grand  des  enfants  de  Kourou,  quand  il  eut  grossi  de 
funérailles  la  terre  du  combat.  180-181—182. 

Soukétou,  le. maître  de  la  terre  et  le  fils  de  Çiçoupàla, 


470  LE  MAHA-BHARATA. 

fut  abattu  par  Drona  au  milieu  des  ennemis,  qu'il  avait 
immolés  dans  la  bataille.  183. 

Ainsi  tombèrent,  sous  les  flèches  de  Drona,  et  le  héros 
Satyadhriti,  et  le  vigoureux  Madirâçwa,  et  le  courageux 
Souryadatta.   184. 

Le  brave  Çrénimat,  auteur  d'un  exploit  difficile,  grand 
roi,  est  descendu  combattant  au  séjour  du  Vivasvati de  ;  et 
le  Magadhain,  à  qui  sont  connus  les  premiers  des  astras 
dans  une  bataille,  ce  vaillant  destructeur  des  héros  enne- 
mis, gît  à  cette  heure,  sire,  immolé  par  Bhîshma. 

Çankha,  fils  de  Virâta,  et  l'héroïque  Outtara  sont  allés 
au  monde  du  Vivasvatide,  en  faisant  d'admirables  exploits. 

Exécutant  un  immense  carnage  sur  le  champ  de  ba- 
taille, Vasoudàna,  étalant  sa  valeur,  fut  envoyé  par  le 
Bharadwâdjide  au  royaume  d'Yama.   485-186-187-188. 

Ceux-là  et  d'autres  fameux  héros  des  Pândouides  en 
grand  nombre  furent  immolés  par  Drona,  dans  le  temps, 
où  ils  montraient  leur  bravoure  :  j'ai  donc  répondu  à  ta 
demande.  189. 

«  Maintenant  que  cette  cîme  de  montagne  est  brisée ,  je 
ne  vois  pas,  reprit  Dhritarâshtra,  qu'il  soit  un  reste,  San- 
djaya,  à  mon  armée,  dont  les  débris  ont  été  anéantis.  190. 

»  A  cette  heure,  où  j'ai  appris  que  ces  deux  héros  aux 
grands  arcs,  les  plus  excellents  des  Kourouides,  Bhîshma 
et  Drona,  furent  tués  à  cause  de  moi,  qu'a-t-on  besoin 
davantage  de  la  vie  d'un  malheureux  abandonné?  191. 

»  Maintenant  que  l'Adhirathide  est  mort,  je  ne  le  verrai 
plus,  brillant  de  la  beauté  des  batailles,  lui,  de  qui  la 
orce  des  bras  était  semblable  à  celle  de  cent  et  cent  (1) 
éléphants.   192. 

(1)  C'est-à-dire,  suivant  le  commentaire,  de  dix  mille  pachydermes. 


KARNA-PARVA.  471 

»  Dis-moi  ceux,  qui  ont  échappé  à  la  mort  (1),  comme 
tu  m'as  dit,  Sandjaya,  l'armée  de  mes  plus  braves,  que  le 
fer  a  détruite.  Quels  sont  ceux,  qui  vivent  encore  ?  Et  qui 
ne  sont  plus?  193. 

»  Ces  morts  sont  maintenant  célébrés  par  toi  ;  mais 
ceux,  qui  vivent,  sont  déjà  morts:  c'est  mon  sentiment.  » 

Ce  héros,  à  qui  furent  confiés,  répondit  Sandjaya,  des 
astras,  grands,  divers,  resplendissants,  célestes,  des 
quatre  espèces,  et  composés  par  Drona  lui-même  ; 

194—195. 

Ce  grand  héros  act:f,  à  la  main  prompte,  aux  armes  so- 
lides, au  poing  ferme,  à  la  flèche  invariable,  cet  impé- 
tueux et  vigoureux  fils  de  Drona,  se  tient,  le  pied  assuré, 
désirant  combattre  dans  ta  cause.   496. 

Ce  fameux  héros,  qui  demeure  chez  les  Anarttas,  ce  fils 
de  Hridika,  le  plus  excellent  des  Sâtwatas,  Bhodja-Krita- 
varman,  consommé  dans  les  armes,  se  tient,  le  pied  as- 
suré, désirant  combattre  dans  ta  cause.   197. 

Le  rapide  Arttàyanide,  ce  général  inébranlable  dans 
un  combat,  le  premier  des  tiens,  qui,  ayant  abandonné  les 
Pândouides,  ses  neveux,  désire  c!onner  une  vérité  à  sa 
parole,  198. 

L'inafirontable  et  d'une  valeur  égale  à  celle  de  Çakra. 
Çalya,  qui  promit  son  courage  en  présence  d'Adjâtaçatrou, 
qui  promettait  la  mort  à  l'Adhirathide,  se  tient,  le  pied 
assuré,  désirant  combattre  clans  ta  cause.  199. 

Le  roi  du  Gândhâra,  appuyé  sur  sa  vigueur  et  son  atte- 
lage rapide,  de  bonne  race,  né  dans  le  Kambodje,  sur  les 
rives  du  fl.uve,  dans  la  montagne  ou  sur  les  bords  du  Sin- 

(1)  Ahatdn,  texte  de  Bombay. 


A72  LE  MAHA-BHARATA. 

tlhou,  se  tient,  le  pied  assuré,  désirant  combattre  dans  ta 
cause.   200. 

Le  Çaradvatide,  fils  aux  longs  bras  de  Gotama,  qui 
combat  avec  des  astras  de  nombreuse  (1)  espèce  et  porte 
un  arc  admirable,  en  état  de  supporter  un  immense  far- 
deau, se  tient,  le  pied  assuré,  désirant  combattre  dans  ta 
cause.   201. 

Le  grand  héros,  fils  du  roi  des  Kaîkéyains,  monté  sur 
un  char,  ombragé  d'une  enseigne,  auquel  sont  attelés  des 
coursiers  généreux,  se  tient,  ô  le  plus  excellent  des  Rou- 
rouides,  le  pied  assuré,  désirant  combattre  dans  ta  cause. 

Et  Pouroumitra,  ton  fils,  le  plus  éminent  héros  des 
Kourouides,  placé  dans  un  char,  qui  a  l'éclat  du  soleil  ou 
de  la  flamme,  s'y  tient,  Indra  des  hommes,  comme  le  so- 
leil resplendissant  au  milieu  d'un  ciel  sans  nuage. 

202-203. 

Douryodhana,  au  centre  d'une  tribu  d'éléphants,  s'y 
manifeste,  comme  un  lion,  dans  la  lumière  d'un  char  aux 
ornements  d'or,  appelant  de  ses  vœux  la  bataille.   204. 

Environné  des  rois,  le  plus  éminent  des  hommes,  brille 
sous  une  cuirasse  admirable  d'or  avec  l'éclat  d'un  lotus, 
ou  comme  un  ieu,  d'où  sort  une  légère  portion  de  fumée, 
ou  tel  que  la  splendeur  du  soleil  au  milieu  des  nuages. 

Soushéna,  ton  fils,  une  épée  à  la  main,  un  bouclier  au 
bras,  et  le  héros  Satyaséna  se  tiennent,  l'âme  exaltée, 
avec  Tchitraséna,  brûlants  de  livrer  un  combat. 

205—20(5. 

Hrînishéva,  fils  du  roi  des  Bbaratides,  Ougrâyoudha, 
Kshanabhodji,  Soudarças  le  Djârâsandhide,  Prathama  et 

(1)  Buhoutchitru.  texte  de  Bombay. 


RARNA-PARVA.  A73 

Adritha,   Tchitrâyoudha,   Çroutivarman  et   Djaya,  207. 

Cala,  Satyavrata  et  Douççala,  ces  tigres  des  hommes, 
qui  commandent  chacun  à  une  armée  ;  et  Çoûramâni,  le  fils 
de  roi,  le  chef  des  Raîtavyas,  homicide  des  ennemis  dans 
chaque  bataille,  208. 

Possédant  un  excellent  char  et  de  bons  coursiers,  suivi 
par  des  fantassins  et  des  éléphants,  se  tiennent,  le  pied 
assuré,  désirant  combattre  dans  ta  cause.  Le  vaillant 
Çroutâyoush,  et  Dhritâyoudha,  Tchitrângadaet  l'héroïque 
Tchitraséna,  209. 

Ces  guerriers,  tigres  des  hommes,  orgueilleux,  véri- 
diques,  vivent  à  la  tête  d'une  armée.  Le  magnanime  Sa- 
tyasandha,  fils  de  Rarna,  se  tient,  appelant  de  ses  vœux 
lecomb.it.   210. 

Deux  autres  fils  de  Rarna  à  la  main  prompte,  aux  traits 
excellents,  Indra  des  hommes,  doués  d'une  grande  force, 
difficiles  à  briser  pour  des  guerriers  de  moindre  valeur,  se 
tiennent  encore,  le  pied  assuré,  désirant  combattre  dans 
ta  cause.   211. 

Semblable  au  puissant  Indpa,  le  roi  des  Rourouides  est 
placé  (1),  pour  la  victoire,  au  milieu  d'une  tribu  d'élé- 
phants, sire,  environné  de  ces  héros  et  d'autres,  les  plus 
grands,  les  princes  des  guerriers,  doués  d'une  puissance 
sans  mesure.   212. 

«  Les  autres,  qui  vivent  dans  le  parti  des  ennemis,  re- 
prit Dhritarâshtra,  m'ont  été  racontés  fidèlement  :  ainsi, 
je  vois  clairement  d'où  naîtra  la  victoire.  »   213. 

Alors  qu'il  parlait  ainsi,  dit  Vaîçampâyana.  le  filsd'Am- 
bikâ,  Dhritarâshtra,  ayant  appris  que  son   armée  avait 

(l)  VyavasihitaUf  au  nominatif  singulier,  texte  de  Bombay. 


l\7h  LE  MAHA-BHARATA. 

perdu  les  plus  grands  héros,  qu'elle  était  battue  et  qu'il 
lui  restait  à  peine  quelque  chose,  les  organes  des  sens 
troublés  par  le  chagrin,  tomba  en  syncope  ;  et,  après  un 
ins'ant  d'évanouissement,  il  prononça  ces  mots  :  «  Reste, 
Sandjaya.   21  h— 215. 

»  Mon  esprit  s'i  st  troublé,  mon  ami,  en  apprenant  cette 
nouvelle  bien  douloureuse  :  mon  esprit  est  dans  le  délire, 
et  je  n'iii  pas  la  force  de  supporter  mes  débiles  membres.  » 

Quand  il  eut  parlé  en  ces  termes,  le  fils  d'Ambikâ  et  le 
maître  du  monde,  Dhritarâshtra  de  rester,  l'âme  troublée. 

216-217. 

«  Dès  qu'il  eut  appris,  fit  Djanamédjaya,  que  Karna 
avait  été  tué  dans  la  bataille,  et  que  ses  fils  mêmes  étaient 
tombés  morts  (1),  qu'est-ce  que  dit,  vertueux  brahme, 
l'Indra  des  hommes,  lorsqu'il  eut  recouvré  ses  sens  (2). 

»  Réponds  à  ma  demande!  Que  dit-il  en  ce  temps,  où 
il  était  plongé  dans  un  immense  et  profond  chagrin,  causé 
par  l'infortune  de  ses  fils?  »   218—219. 

Aussitôt  qu'il  eut  reçu,  lui  répondit  Vaîçampàyana,  la 
nouvelle  de  la  mort  donnée  à  Karna,  comme  un  prodige 
incroyable,  effrayant,  qui  causait  aux  créatures  une  stu- 
péfaction égale  à  celle,  que  ferait  naître  la  marche  du 
iMérou  sur  la  terre,  ou  une  défaillance  del'âmedusage  (3) 
fils  de  Bhrigou  {h),  ou  telle  qu'en  donnerait  à  ses  ennemis 
une  défaite  d'Indra  aux  œuvres  épouvantables  !  220 — 221. 

Ou  la  chute,  du  ciel  sur  la  terre,  du  soleil  à  la  grande 
lumière,  ou  le  tarissement  inconcevable  de  l'océan  aux 
ondes  impérissables,  222. 

(1-2)  Nipdtitân....  (içwastas,  texte  de  Bombay. 

(3)  Mahâmatés,  même  texte. 

(4)  Parasourâma  ou  Çoukru,  dit  le  commentaire. 


KARNA-PARVA.  475 

Ou  la  destruction  universelle,  merveilleuse,  des  eaux 
de  l'espace,  de  la  terre  et  des  deux,  ou  la  stérilité  des 
œuvres  dans  l'une  et  l'autre  cause,  le  vice  et  la  vertu, 

Dhritarâshtra,  le  roi  des  hommes,  ayant  fouillé  savam- 
ment au  milieu  de  son  esprit,  et  pensé  à  la  mort  de  Karna 
dans  la  bataille,  se  dit:  «  Puisse  cela  ne  pas  être,  même 
au  prix  de  la  vie  des  autres  mortels  !  »  Et,  consumé  par 
le  feu  du  chagrin  comme  dans  un  foyer,  où  il  est  excité, 

223—2:1Zi— 225. 

Soupirant,  consterné,  vivement  affligé,  grand  roi,  les 
membres  tombés  (1),  s' écriant  :  «Hélas!  hélas!  »  Dhri- 
tarâshtra, le  fils  d'Ambikâ,  se  mit  à  gémir  :  226. 

«  Le  héros  Adhirathide,  Sandjaya,  qui  a  le  courage  d'un 
éléphant  ou  d'un  lion,  dit-il,  qui  a  des  épaules,  sem- 
blables à  celles  d'un  taureau,  qui  s'avance  avec  la  dé- 
marche et  les  yeux  d'un  taureau,  227. 

»  Ce  taureau  par  le  nom,  qui  ne  s'éloignerait  pas  du 
combat,  pour  ainsi  dire,  avec  un  taureau,  ni  avec  le  grand 
Indra,  fût-il  même  son  ennemi,  ce  jeune  homme  au  corps 
de  diamant,  228. 

»  Devant  lequel  au  bruit  échappé  à  la  surface  de  sa 
corde,  au  crépitement  de  la  pluie  de  ses  flèches,  ni  les 
chevaux,  ni  les  chars,  ni  les  éléphants,  ni  les  hommes  ne 
tiennent  pas  dans  la  bataille,  229. 

»  Sous  le  vigoureux  bras  duquel  abrité,  Douryodhana  a 
déclaré  sa  guerre  aux  grands  héros,  fils  de  Pândou,  parle 
désir  de  remporter  la  victoire  sur  les  ennemis,    230. 

»  Comment  Karna,  doué  d'un  courage,  qu'on  ne  peut 
soutenir,  ce  tigre  des  hommes,  le  meilleur  des  maîtres  de 

(l)  Visrastânga,  texte  de  Bombay. 


A76  LE  MAHA-BHARATA. 

chars,  a-t-il  succombé  violemment  au  milieu  de  la  ba- 
taille*sous  les  coups  du  fils  de  Prithâ?  231. 

»  Lui,  qui,  fier  de  la  force  de  ses  bras,  n'estimait  pas 
toujours  Dhanandjaya  et  l'impérissable  Vasouoévide,  ni 
les  autres  Vrishnides,  réunis  avec  eux.   '232. 

«  Moi  seul,  disait-il,  j'abattrai  ensemble,  dans  la  guerre, 
au  pied  de  leur  char  divin  les  deux  archers  invaincus  du 
Çâ  nya  et  du  Gândîva  !  »   233.     . 

»  Lui,  qui  appelait  toujours  vil  et  lâche  Douryodhana, 
délirant  de  cupidité,  malade  de  ses  passions,  ambitieux 
d'un  royaume  ;  23â. 

»  Lui,  qui  avait  pu  vaincre  tous  les  Kâmbodjains,  les 
Avantiens  réunis  au  Kaikayains,  les  Gândàras,  les  Ma- 
drakas,  les  Matsyas,  les  Trigartains  et  les  Tanganas,  les 
Çakas,  les  Pântchâlains,  les  Vidéhains,  les  Kalindas,  les 
Kaçikoçalas,  les  Souhnânangas  et  les  Vangas,  les  Nishâ- 
das,  les  Poundratrhîrakas,  les  Vatsas,  les  Kalingas,  les 
Taralas,  les  Açmakas  et  les  Risbikas mêmes;  Râdhéya,  le 
meilleur  des  maîtres  de  chars,  qui  força  jadis,  pour  l'ac- 
croissement de  Douryodhana,  sous  ses  multitudes  de 
flèches  aux  ailes  de  héron,  très-acérées  et  bien  mordantes, 
tous  ces  héros  à  lui  payer  le  tribut,  conséquence  de  sa  vic- 
toire !   235—236—237—238. 

»  Comment  Rama,  le  fils  du  Soleil,  Vrisha  à  la  grande 
splendeur,  qui  savait  les  astras  divins,  comment  ce  gé- 
néral des  armées,  à  qui  les  plus  puissants  astras  étaient 
connus,  est-il  tombé  dans  le  combat,  sous  les  héros  Pân- 
douides,  ces  ennemis,  cloués  de  vigueur?  Mahéndra  est  le 
taureau  parmi  les  Dieux,  Karna  est  le  taureau  entre  les 
hommes.   239— 240. 

»   Nous  n'avons  pas  ouï  dire  qu'il  existât,   dans  les 


KARNA-PARVA.  477 

inondes,  un  troisième  taureau  Outchaîççravas  est  l'unique 
parmi  les  chevaux,  le  Vaiçravanide  est  l'unique  parmi  les 
Dieux.  241. 

»  Mahéodra  est  le  plus  grand  des  Dieux,  Karna  est  le 
premier  des  combattants.  Uni  dans  la  bataille  avec  de 
vaillants  princes,  doués  d'énergie,  il  a  vaincu  toute  la 
terre  pour  l'accroissement  de  Douryodhana.  Après  qu'il 
l'eut  obtenu,  le  roi  du  Magadha,  loué  pour  ses  amitiés,  en- 
ferma les  enfants  de  Rourou  et  les  Yadouides,  excepté  le 
prince  kshatrya.  Maintenant  à  la  nouvelle  que  Karna  fut 
tué  par  l'Ambidextre  dans  un  duel  en  char, 

242— 243— 244. 

»  Je  suis  plongé  dans  un  océan  de  chagr  ns,  comme  un 
navire  brisé  dans  la  mer.  A  la  nouvelle  que  le  plus  exe  1- 
lent  des  maîtres  de  chars  a  fait  mordre  la  poussière  à 
Vrisha  dans  un  duel  en  chars,  je  suis  noyé  dans  un  océan 
de  chagrins,  et  semblable  à  un  malheureux,  qui  ne  trouve 
pas  dans  la  mer  une  planche  de  salut.  Si,  en  proie  à  de 
telles  douleurs,  je  n'y  succombe  point,  Sandjaya, 

245—246. 

C'est  que  mon  cœur,  plus  dur  que  le  diamant,  est  dif- 
ficile à  briser!  \  la  nouvelle  de  cette  défaite  de  mesamis, 
de  mes  parents  et  de  mes  alliés,  247. 

»  Quel  autre  homme  que  moi  dans  le  monde,  cocher, 
n'abandonnerait  point  la  vie?  Que  choisirai-je?  Le  poison, 
le  feu,  ou  le  précipice  du  haut  d'une  montagne?  248. 

»  Je  n'ai  pas  la  force  de  supporter,  Sandjaya,  mes  dou- 
loureuses infortunes!  »   249. 

Lorsqu'ils  te  voient  environné  de  science,  de  renommée, 
de  pénitence,  de  famille  et  de  prospérité,   lui  répondit 


478  LE  MAHA-BHARAÏA. 

Sandjaya,  les  hommes  de  bien  te  regardent  maintenant 
comme  Yayâti,  fils  de  Nahousha.  "250. 

Tu  es  semblable  à  un  grand  rishi  par  la  science  ;  tu  as 
accompli  ta  destinée,  seigneur;  ne  mets  pas  ton  cœur- 
dans  le  trouble,  en  te  plaçant»  toi-même  dans  un  état  de 
contradiction  avec  tes  principes.   251. 

«  Le  Destin  est  tout- puissant,  à  mon  avis,  reprit  Dhri- 
tarâshtra;  honni  soit  du  courage  inutile  !  puisque  Karna, 
qui  était  semblable  à  un  chêne,  a  succombé  dans  la 
guerre.   252. 

»  Après  qu'il  eut  détruit  l'armée  d'Youdhishthira  et 
les  multitudes  des  chars  des  Pàntchâlains  ;  après  que  ce 
grand  héros  eut  incendié  toutes  les  plages  du  ciel  par  ses 
pluies  de  flèches,  253. 

»  Et  qu'il  eut  jeté  le  délire  dans  le  combat  parmi  les 
Prithides,  comme  le  Dieu,  qui  tient  la  foudre,  parmi  les 
Asouras,  comment  Karna  gît-il  sans  mouvement,  tel  qu'un 
arbre,  cassé  par  le  souffle  du  vent?  25â. 

»  Je  ne  vois  pas  uu  terme  à  mon  chagrin,  comme  on 
n'aperçoit  pas  du  bord  extérieur  le  rivage  ultérieur  de  la 
mer.  Ma  pensée  se  creuse  profondément  et  fait  naître  en 
moi  le  désir  de  quitter  la  vie.  depuis  que  j'ai  appris  la 
mort  de  Karna  et  la  victoire  de  Phâlgouna.  Cette  mort  de 
Karna  est,  à  mon  avis,  Sandjaya,  une  chose  incroyable  ! 

255—256. 

»  Mon  cœur,  fait  sans  doute  avec  l'essence  même  du 
diamant,  est  difficile  à  rompre,  puisqu'il  n'éclate  pas  en 
morceaux  à  la  nouvelle  que  Karna,  ce  tigre  des  hommes, 
est  tombé  sans  vie  dans  le  combat.   2h~. 

»   Une  vie  sans  doute  bien  longue  me  fut  destinée  jadis 


KARNA-PARVA.  479 

par  les  Dieux,  puisque  je  vis  encore  ici  dans  une  profonde 
affliction,  après  que  j'ai  appris  la  mort  de  Karna  !  253. 

»  Malheur  à  cette  vie  d'un  homme  privé  d'amis,  San- 
djaya  !  Et  me  voici  tombé  dans  cette  condition  méprisée  ! 

»  Homme  d'un  faible  jugement,  je  mènerai,  déplorable 
à  tous,  une  vie  misérable  î  Moi,  qui  naguère  étais  honoré 
même  de  l'univers  entier,  259—200. 

»  Comment  supporterai-je  de  vivre,  cocher,  objet  de 
mépris  pour  les  autres?  Les  morts  de  Bhîshma,  de  Drona 
et  du  magnanime  Karna  m'ont  précipité,  Sandjaya,  dans 
une  infortune  b'en  douloureuse,  plus  que  la  douleur  elle- 
même.  Je  ne  vois  pas  ce  qui  me  reste  encore,  après  que 
ce  fils  du  cocher  est  tombé  dans  la  bataille.    261 — 262. 

»  Ce  grand  héros,  qui  décochait  de  nombreuses  flè- 
ches, immolé  dans  le  combat,  était,  Sandjaya,  comme  un 
rivage  ultérieur  pour  mes  fils.   263. 

»  Qu'ai-je  donc  besoin  de  la  vie,  sans  ce  taureau  des 
hommes?  L'Adhirathide  est  tombé  sans  doute  à  bas  de  son 
char,  tourmenté  par  les  flèches,  comme  le  sommet  d'une 
montagne,  déchirée  par  la  chute  du  tonnerre  !  11  gît  sans 
doute,  embellissant  la  terre  de  son  sang  versé,  tel  qu'un 
éléphant  couché  sur  la  plaine  par  un  Indra  en  rut  des  élé- 
phants. Lui,  qui  était  la  force  des  Dhritarâshtrides  et 
d'où  venait  la  terreur  des  fils  de  Pândou, 

264— 265— 266. 

»  Karna,  le  modèle  des  archers,  fut  immolé  par  Ar- 
jouna!  Ce  héros  au  grand  arc,  qui  environnait  de  sécurité 
ses  amis,  267. 

»  Il  gît  frappé,  ce  vaillant,  comme  une  montagne  par 
le  roi  des  Dieux  !  Tel  qu'est  un  voyage  pour  un  boiteux  et. 
l'amour  pour  un  indigent,  ainsi  furent  les  desseins  de 


480  LE  MAHA-BHARATA. 

Douryodhana  :  ce  sont  des  gouttes  d'eau  pour  un  homme 
altéré.  On  pense  une  chose,  mais  l'acte,  qui  naît,  est  diffé- 
rent de  la  pensée.  208 — 209. 

»  Hélas  !  le  Destin  est  puissant  et  la  mort  difficile  à 
vaincre  !  Ce  malheureux,  qui  fuyait,  l'âme  consternée,  le 
courage  abattu,  270. 

»  Douççâsana,  mon  fils,  a  donc  succombé,  cocher  ?  N'a- 
t-il  pas  fait  dans  la  guerre,  mon  ami,  une  action,  qui  fût 
d'un  lâche?  271. 

-)  Ce  héros  n'est-il  pas  tombé,  comme  un  homme  vil  (1) , 
parmi  les  principaux  kshatryas  ?  «  Ne  combats  point!  » 
lui  criait-on  de  tous  les  côtés.  Mais  tel  qu'un  insensé  re- 
fuse un  remède  efficace,  Douryodhana  ne  reçut  pas  les 
paroles  d'Youdhishthira.  Le  bien  magnanime  Bhîshma. 
couché  sur  un  lit  de  flèches,  272 — 273. 

Demanda  à  boire  au  fils  de  Prithâ,  qui  fendit  la  surface 
de  la  terre;  et,  voyant  les  gouttes  de  l'eau,  que  faisait 
naître  ce  fils  de  Pândou,  le  héi  os  aux  longs  bras,  rafraîchi, 
grâce  au  secours  de  Phâlgouna,  dit  ces  mots:  «  Que  cet 
étanchement  de  ma  soif  vous  donne  la  paix  !  Et  puisse  la 
guerre  finir  pour  vous  en  moi  !   27Zi — 275. 

»  Jouis  de  la  terre  avec  les  fils  de  Pàndou  et  dans  les 
sentiments  d'un  frère  !  »  Sans  doute,  mon  fils  gémit,  et 
c'est  parce  qu'il  n'exécute  p-.s  les  paroles  dece  morte! aux 
longues  vues,  qu'il  est  tombé  dans  cette  infortune.  Et 
moi,  Sandjaya,  mes  ministres  immolés  et  mes  fils  détruits, 

270—277. 

»  Tel  qu'un  arbre  coupé,  c'est  leur  jeu,  qui  m'a  jeté  au 
milieu  de  ces  embarras.  Comme  si  j'avais  pris  un  oiseau 

{{)  Kshoudra,  texte  de  Bombay. 


KARNA-PAHVA.  481 

et  coupé  ses  deux  ailes,  mes  jeunes  altesses  blessées, 
mais  toujours  présomptueuses,  repoussent  les  conseils. 
La  marche  ne  convient  pas  à  celui,  de  qui  l'on  a  coupé  les 
ailes,  278 — 279. 

»  Et  je  suis  arrivé  à  cette  condition,  semblable  à  un 
arbre  sapé.  Malheureux,  dénué  de  toute  ressource,  sans 
parents,  délaissé  de  mes  amis,  détruit,  tombé  sous  le  pou- 
voir de  mes  ennemis,  dans  quel  parage  vais-je  porter  mes 
pas?  »    280—281. 

C'est  ainsi  que  Dhritarâshtra  gémissait,  vivement  af- 
fligé, reprit  Vaiçampâyana,  et  de  nouveau  il  adressa  ces 
mots  à  Sandjaya,  l'àme  troublée  par  la  douleur  :   282. 

«  Celui,  qui  a  vaincu  tous  les  Kambodjains,  les  Am- 
bashthas  et  les  Kaîkayains,  les  Gândhâras  et  les  Vidéhains, 
l'auguste,  qui,  après  avoir  surmonté  toutes  les  difficultés 
dans  le  combat,  vainq  it  la  terre  pour  l'accroissement  de 
Douryodhana,  il  a  donc  été  vaincu  dans  la  bataille,  parles 
héros  Pândouides,  doués  de  la  vigueur  des  bras  ! 

283— 284. 

»  Ce  Karna  au  grand  arc  tombé  mort  dans  le  combat 
sous  les  coups  do  Kirîti,  quels  héros,  dis-le-moi,  Sandjaya, 
résistent  encore  ?  285. 

»  N'était-il  pas  seul,  abandonné,  quand  il  fut  tué  dans 
la  bataille  par  les  fils  de  Pàndou?  Tu  as  dit  d'abord,  mon 
ami,  que  ce  héros  avait  succombé.   286. 

»  Çikhandi  dans  le  combat  abattit,  sous  des  flèches 
invincibles,  Bhîshma,  dans  un  temps  où  il  ne  combattait 
pas,  B/iishma,  le  meilleur  de  tous  ceux,  qui  portent  les 
armes.   287. 

»  Drona  au  grand  arc,  paré  de  flèches  nombreuses,  qui 
avait  déposé  lui-même  toutes  ses  armes,  et  s'était  absorbé 
ix  31 


A82  LE  MAHA-BHARATA. 

dans  l'unification  avec  Dieu  (1),  fut  tué  ainsi  par  le  fils 
de  Droupada  sous  le  cimeterre  levé,  Sancljaya,  du  terrible 
Dhrishtadyoumna  !  J'ai  ouï  dire  surtout  que  Bhîshma  et 
Drona  avaient  succombé  sous  des  formes  perfides.  Le 
Dieu  même,  qui  porte  la  foudre,  certes  !  n'aurait  pas  tué 
ces  héros  dans  le  combat,  288—289—290. 

Où  ils  se  comportaient  avec  honneur  :  je  te  dis  la  vé- 
rité. Comment  la  mort  a-t-elle  pu  toucher  de  sa  main 
Karna,  semblable  à  Indra,  quand  il  décochait  ses  astras 
nombreux  et  divins,  ce  héros,  à  qui  une  lance  brillante 
d'éclairs,  céleste,  ornementée  d'or,  291 — 292. 

Destructive  des  ennemis,  fut  donnée  par  Çakra  en 
échange  de  ses  pendeloques  ;  lui,  qui  possédait  un  dard 
céleste,  décoré  d'or,  à  la  gueule  de  serpent  ?  293. 

»  Karna,  le  meurtrier  des  ennemis,  est  couché  mort 
dans  la  bataille,  paré  du  sandal  des  flèches  (2).  Lui,  qui 
avait  du  dédain  pour  les  autres  vaillants  héros,  à  com- 
mencer par  Bhîshma  et  Drona  ;  29Zi. 

»  Lui,  à  qui  fut  enseigné  par  le  Djamadagnide  le  grand 
astra  de  Brahma,  accompagné  d'une  grande  épouvante  ; 
ce  guerrier  aux  longs  bras,  qui,  voyant  les  troupes,  com- 
mandées par  Drona,  tourner  le  dos  devant  les  flèches  acé- 
rées du  Soubhadride,  réveilla  son  arc  endormi;  lui,  qui, 
ayant  réduit  dans  un  instant  sans  char  l'impérissable  Bhî- 
maséna  à  la  rapidité  de  la  foudre,  au  souffle  de  vie  égal  à 
celui  d'une  myriade  de  Nâgas,  se  mit  à  rire  ;  lui,  qui, 
ayant  vaincu  et  mis  à  pied  sans  char  Sahadéva,  sous  des 
flèches  aux  nœuds  inclinés,  ne  voulut  pas  le  tuer,  et  le 


(1)  Youktayogn,  texte  de  Bombay. 

(2)  Patritchandancsou,  même  édition. 


KARNA-PARVA.  m 

couvrit  d'une  pensée  de  vertu  et  de  miséricorde  ;  lui,  qui 
immola  avec  la  lance  de  Çakra  le  roi  des  Rakshasas,  Gha- 
totkatcha,  qui  désirait  la  victoire  et  mettait  en  jeu  des 
milliers  de  magie;  lui,  avec  qui  Dhanandjaya  effrayé  ne 
vint  pas,  dans  ces  jours,  engager  un  duel  en  chars,  com- 
ment ce  héros  est-il  tombé  dans  le  combat!  Si  son  char 
n'a  pas  été  brisé,  si  son  arc  n'a  pas  été  rompu,  (De  la 
stante  295  à  la  stance  300  inclusivement.) 

»  Et  ses  asti-as  frappés  d'impuissance,  comment  les 
ennemis  ont-ils  pu  l'abattre  dans  le  combat  ?  Qui  est  ca- 
pable de  vaincre  dans  la  guerre  ce  tigre  des  hommes,  sem- 
blable à  un  tigre  impétueux,  ce  Karna,  brandissant  un 
grand  arc  et  décochant  au  milieu  de  la  bataille  ses  traits 
épouvantables  et  ses  astras  célestes?  301 — 302. 

»  Sans  aucun  doute,  son  arc  était  rompu,  ou  son  char 
renversé  à  terre,  ou  ses  astras  paralysés,  puisque  tu  m'as- 
sures qu'il  fut  inimolé  !   303. 

»  Je  ne  vois  pas  une  autre  cause  dans  sa  mort.  «  Je 
tuerai  Phâlgouna,  disait-il,  en  moins  de  temps  qu'il  n'en 
faut  pour  se  laver  les  pieds  ?  »  30Zi. 

«  C'était  là  ce  vœu  très-terrible,  qu'avait  prononcé  le 
magnanime,  de  qui  la  crainte  dans  un  combat  ne  permit 
pas  toujours,  durant  treize  années,  au  plus  éminent  des 
princes,  Youddhishthira-Dharmarâdja,  de  goûter  le 
sommeil  :  ce  vigoureux  au  grand  cœur,  sur  la  force  duquel 
appuyé,  305 — 306. 

»  Mon  fds  conduisit  malgré  elle  dans  l'assemblée  l'é- 
pouse des  Pândouides  ;  et  là,  au  milieu  de  l'assemblée, 
sous  les  yeux  mêmes  des  fils  de  Pàndou,  307. 

»  Il  dit  à  la  Pântchâlaine,  en  présence  des  Kourouides: 
«  Femme  d'esclave,  tes  époux  ne  sont  plus  !  Tous  ils  res- 


liM  LE  MAHA-BHARATA. 

semblent,  Krishna,  à  l'huile  de  sésame,  qui  a  servi  pour 
des  eunuques.   308. 

»  Approche-toi  d'un  autre  époux,  noble  femme.  » 
Comment  l'homme,  qui,  dans  sa  colère,  fit  entendre  ces 
paroles  mordantes  à  Krishna  dans  l'assemblée,  ce  fils  du 
cocher  a-t-il  succombé  sous  les  ennemis  ?  «  Si  Bhîshma, 
qui  a  la  fierté  de  ses  batailles,  disait-il,  ou  Drona  ivre  de 
la  furie  des  combats,  309 — 310. 

»  Ne  tue  pas  les  fils  de  Kountî  clans  l'intervalle  d'un 
clin-d'œil,  Souyodhana,  moi-même,  je  les  tuerai  tous: 
que  l'inquiétude  s'en  aille  de  ton  esprit  !  31J . 

»  Que  feront  l'arc  Gàndîva  et  les  deux  impérissables 
carquois  contre  ma  flèche  (1)  au  vol  ennemi,  imprégnée  de 
sandal  et  d'huile?  »   312. 

»  Comment  donc  ce  guerrier  aux  épaules  de  taureau 
est-il  tombé  sous  un  coup  d'Arjouna,  lui,  qui  ne  pensait 
pas  au  toucher  terrible  des  traits  décochés  par  le  Gândîva? 

«  En  vérité,  Krishna,  tu  n'as  plus  d'époux  !  »  Et,  ce 
disant,  il  regardait  les  fils  de  Prithâ,  lui,  qui  ne  sentit  ja- 
mais de  crainte  à  l'égard  des  Prithides,  secondés  par  leurs 
fils,  accompagnés  par  Djanârddana!   313 — 31û. 

»  Je  ne  pense  pas  qu'il  aurait  à  craindre  dans  l'instant, 
où  il  s'appuie  sur  la  force  naturelle  de  ses  bras,  la  mort, 
que  lui  apporteraient  les  Dieux,  commandés  par  Indra 
lui-même,  315. 

»  Combien  moins  celle,  qui  viendrait,  mon  ami,  des 
Pândouides  ,  accourant  en  ennemis  !  Il  n'est  pas  un 
homme  quelconque,  Sandjaya,  qui  pourrait  tenir  en  face 
de  l'Adhirathide,  touchant  la  corde  de  son  arc,  ou  prenant 

(1)  Matchtchharaiya,  texte  de  Bombay. 


KARNA-PARVA.  £85 

sa  cuirasse.  La  radieuse  lumière  du  soleil  et  de  la  lune 
ferait  défaut  à  la  terre  plutôt  que  cet  Indra  des  hommes, 
qui  ne  fuit  pas  la  mort  dans  les  combats  !  Mon  fils  insensé 
et  lâche,  à  qui,  lier  de  l'avoir  pour  compagnon,  lui  et 
Douççâsana,  son  frère,  ne  plurent  pas  les  reproches  du 
Vasoudévide,  sans  doute,  maintenant  qu'il  voit  Karna 
aux  épaules  de  taureau  tombé  mort  et  Douççâsana  immolé, 
s'abandonne,  je  pense,  aux  larmes  et  aux  gémissements. 
Qu'est-ce  que  dit  sa  majesté  Douryodhana,  en  voyant  les 
Pântlouides  victorieux  et  le  fils  du  Soleil  tué  par  l'Ambi- 
dextre dans  un  duel  en  chars?  Que  dit-il  à  la  vue  de 
l'inaffrontable  Vrishaséna,  tombé  dans  la  guerre?  [De  la 
stance  316  à  la  stance  322.) 

»  A  l'aspect  de  son  armée  rompue,  taillée  en  pièces  par 
les  grands  héros?  Et  des  rois,  qui  tournaient  le  dos  et 
n'avaient  de  pensée  que  pour  la  fuite.   322. 

»  Mon  fils  se  livre  aux  gémissements,  je  pense,  à  la  vue 
des  maîtres  de  chars  dispersés  dans  la  fuite.  Que  dit  l'in- 
gouvernable, l'arrogant,  l'insensé  Douryodhana  aux  sens 
déréglés,  en  voyant  son  armée,  les  efforts  brisés?  Qu'est-ce 
que  dit  l'auteur  même  de  cette  vaste  guerre,  Douryo- 
dhana, qui  fut  empêché  par  les  troupes  de  ses  amis,  dont 
la  plus  grande  partie  a  déjcà  succombé  dans  la  bataille  ? 
Que  dit  Çakouni,  le  fils  de  Soubala,  maintenant  que 
Karna  est  privé  de  la  vie,  cet  homme,  qui  jadis  était  si 
joyeux,  mon  fils,  lorsqu'il  organisa  le  jeu  et  qu'il  tricha 
les  Pândouides?  Qu'est-ce  que  dit  Hàrddikya-Kritavarman 
au  grand  arc,  le  fameux  héros  des  Sâtwatas,  lorsqu'il  vit 
mort  le  fils  du  Soleil?  Qu'est-ce  qu'a  dit  le  sage  fils  de 
Drona,  Açwatthâman,  de  qui  l'instruction  est  honorée  par 
les  bralnnes,  les  kshatryas  et  les  vaîçyas,  qui  aspirent  à 


A 86  LE  MAHA-BHARATA. 

la  science  de  l'arc,  ce  jeune  homme,  doué  de  beauté,  à  la 
haute  renommée,  admirable  avoir,  quand  Karna fut  tombé 
mort,  Sandjaya?  Que  dit  Rripa,  le  Çaradvatide,  institu- 
teur dans  la  science  de  l'arc,  ce  Gaâutamide,  le  plus  grand 
des  héros,  quand  il  vit  Karna  sans  mouvement?  Et  Çalya 
au  grand  arc,  le  roi  de  iVladra,  beau  de  ses  batailles,  (De- 
là stance  323  à  la  stance  331.) 

»  Que  dit-il,  en  voyant  Krishna  mort,  ce  plus  excel- 
lent des  maîtres  dans  l'art  de  conduire  un  char,  ce  vigou- 
reux enfant  du  Souvîia,  ce  souverain  des  hôtes  de 
Madra?  331. 

»  Que  dirent  à  la  vue  de  ces  héros  morts ,  tous  les 
guerriers,  invincibles  dans  leurs  chars  ?  Et  ces  rois  quel- 
conques, venus  sur  la  terre  afin  d'y  combattre,  332. 

»  Qu'ont-ils  dit,  Sandjaya,  en  voyant  mort  le  fils  du 
Soleil?  Après  que  ce  mortel  éminent,  ce  tigre  des  héros, 
ce  vaillant  Karna  eut  péri,  333. 

»  Qui  étaient,  Sandjaya,  la  tête  des  armées,  suivant  ses 
divisions?  Gomment  le  roi  de  Madra,  Çalya,  le  meilleur 
des  maîtres  de  chars,  fut-il  préposé  à  la  conduite  du  char 
de  Vaîkartana?  Raconte-moi  cela,  Sandjaya.  Quels  guer- 
riers ont  défendu  à  droite  la  roue  de  l'Adhirathide  com- 
battant? 334-335. 

»  Qui  protégèrent  sa  roue  gauche  ou  qui  couvrirent  les 
derrières  du  héros?  Quels  braves  n'abandonnèrent  point 
Karna?  Qui  furent  les  guerriers  lâches,  qui  prirent  la 
fuite?  336. 

»  Comment  Karna  au  grand  char  fut-il  tué  au  milieu 
de  vous  rassemblés?  Et  comment  lesvaillantsPândouides, 
ces  fameux  héros,  s'avancèrent-ils  à  votre  rencontre,  dé- 
cochant des  pluies  de  traits,  comme  les  nuages  versent 


KARNA-PARVA.  487 

des  gouttes  d'eau?  Dis-moi,  Sandjaya,  comment  cette 
grande  flèche,  céleste,  la  plus  excellente,  à  la  gueule  de 
serpent,  est  tombée  dans  l'impuissance.  Après  que  cette 
grande  cîme  de  montagne  fut  abattue,  je  ne  vois  pas, 
Sandjaya,  qu'il  reste  encore  quelque  chose  à  cette  mienne 
armée,  dont  les  efforts  sont  tous  brisés.  Après  que  j'ai 
appris  la  mort  de  ces  deux  héros  aux  grands  arcs,  qui  ont 
abandonné  la  vie  à  cause  de  moi  ;  après  la  nouvelle  que 
Bhîshma  et  Drona  ne  sont  plus,  est-il  besoin  que  je  vive 
davantage?  Je  ne  puis  supporter  la  pensée  que  les  Pân- 
douides  aient  immolé  ce  Karna,  qui  avait  m:e  force  de 
bras  égale  à  la  vigueur  de  dix  mille  éléphants  !  Lorsque 
le  Drona  des  Kourouides  eut  succombé,  raconte-moi, 
Sandjaya,  comment  l' Adhirathide  engagea  le  combat  avec 
les  fils  de  Kouutî,  en  sorte  que  le  meurtrier  des  ennemis 
dans  le  combat  soit  dit  maintenant  un  défunt,  un  mortel, 
qui  en  a  fini  avec  les  fondions  des  armes.  »  {De  la  stance 
337  à  la  stance  $kk.) 

Ce  jour  où  Drona  au  grand  arc  fut  immolé,  répondit  San- 
djaya, et  la  pensée  de  l'héroïque  fils  de  Drona  rendue  vaine, 

Tandis  que  la  fuite  emportait  l'armée  des  Kourouides, 
comme  le  vent  chasse  la  mer  devant  lui,  Arjouna,  ayant 
rangé  son  armée  en  bataille,  puissant  roi,  se  tint,  envi- 
ronné de  ses  frères.  Zkk — 3Z»5. 

Lorsque  ton  fils  sut  qu'il  attendait  l'ennemi  de  pied 
ferme  et  qu'il  vit  son  armée  en  déroute,  il  se  mit  à  l'ar- 
rêter par  son  courage.   3ZiO. 

Appuyé  sur  la  force  de  ses  bras,  après  qu'il  eut  raffermi 
la  constance  de  son  armée,  il  combattit  encore  un  long 
temps  avec  les  Pàndouides,  ennemis  joyeux,  qui  avaient 
atteint  leur  but  et  déployaient  d'opiniâtres  efforts.  Alors 


Û88  LE  JV1AHÀ-BHARATA. 

qu'il  fut  ainsi  parvenu  à  l'heure  du  crépuscule,  il  fit  con- 
clure une  suspension  d'armes.   3A7 — 3ZI8. 

Cet  armistice  réglé  entre  les  guerriers,  il  rentra  dans 
son  camp,  où  les  Kourouides  de  compagnie  délibérèrent 
en  conseil  les  uns  avec  les  autres.   3Zi9. 

Ils  étaient  assis  sur  des  palanquins  les  plus  éminents  et 
sur  de  nobles  sièges,  couverts  des  tapis  les  plus  dignes 
d'envie,  tels  que  des  Immortels  sur  des  lits  de  repos.  350. 

Le  roi  Douryodhana,  leur  adressant  la  parole  de  sa 
voix  la  plus  douce,  tint  à  ces  héros,  en  les  flattant,  ce 
langage  à  propos  :   351. 

«  Vous  tous,  qui  êtes  les  plus  excellents  des  sages, 
donnez-moi  votre  avis,  sans  tarder  !  Dans  l'état  où  sont 
arrivées  les  choses,  que  devrons-nous  faire,  majestés?  Que 
doit-il  être  fait  immédiatement  ?   »   352. 

À  ces  mots  de  l'ïndra  des  mortels ,  ces  lions  .des 
hommes,  qui  désiraient  la  guerre,  de  manifester  par  diffé- 
rents gestes  leur  opinion  sur  les  sièges,  où  ils  étaient 
assis.   353. 

Dès  qu'il  eut  vu  les  signes  de  ces  guerriers,  qui  faisaient 
le  sacrifice  de  leur  vie  dans  le  combat,  et  qu'il  eut  fixé  ses 
yeux  sur  le  visage  du  roi,  qui  resplendissait  comme  le 
soleil  adolescent,  35Zi. 

L'intelligent  fils  de  l'Atchârya,  habile  à  manier  le  dis- 
cours, prit  en  ces  termes  la  parole  :  «  L'attachement  au 
maître  (1),  la  connaissance  du  temps  et  du  lieu  (2),  la 
force  et  la  politique  sont  des  choses  utiles.   355. 

»  Des  sages  ont  dit  les  Oupâyas  ;  mais  les  grands  héros, 
les  plus  excellents  du  monde,  appuyés  sur  le  Destin,  rem- 

(1-2)  Commentaire. 


KARNA-PARVA.  489 

plis  de  science  politique,  doués  de  vertus,  habiles,  dé- 
voués et  semblables  aux  Dieux,  que  possédait  notre  cause, 
ont  tous  péri.  Cependant,  il  ne  faut  pas  encore  désespérer 
de  la  victoire.   356 — 357. 

»  Car  l'on  rend  ici  le  ï)estin  propice  par  une  sage 
politique  et  tous  les  plus  excellents  moyens.  Nous  tous,  il 
nous  faut  sacrer,  Bharatide,  dans  les  fonctions  de  gé- 
néral, Karna  même,  le  plus  grand  des  hommes,  orné  en 
foule  de  toutes  les  vertus  !  Quand  nous  l'aurons  inauguré 
généralissime,  nous  écraserons  les  ennemis.   358—359, 

»  En  effet,  ce  héros  immensément  fort,  consommé  dans 
les  armes,  enivré  de  la  furie  des  batailles,  aussi  insoute- 
nable que  la  mort,  est  capable  de  vaincre  les  adversaires 
dans  un  combat.   »    360. 

A  ces  mots  du  fils  de  l'Atchârya,  celui,  à  qui  ta  majesté 
donna  le  jour,  sire,  mit  alors  dans  Karna  une  grande  espé- 
rance de  la  victoire.   361. 

«  Bhîshma  et  Drona  morts,  se  dit-il,  c'est  Karna,  qui 
triomphera  des  Pàndouides.  »  Dès  qu'il  eut  mis  cette 
espérance  dans  son  cœur  et  repris  courage,  fils  de  Bha- 
rata,  362. 

Joyeux  à  l'ouïe  de  cette  parole  aimable,  vraie,  char- 
mante, utile  pour  lui-même,  unie  au  culte  de  l'amitié, 
Douryoclhana,  ayant  raffermi  son  cœur  et  recourant  à  la 
force  des  bras,  tint  à  Ràdhéya  ce  langage  :  363 — 36/1. 

«  Karna,  je  sais  quelle  est  ta  force  et  l'amitié  supé- 
rieure, que  tu  as  mise  en  moi  ;  cependant,  guerrier  aux 
longs  bras,  je  vais  te  dire  cette  parole  utile.  365. 

»  Tu  as  entendu  selon  tes  désirs,  fais  donc,  héros,  ce 
que  lu  approuves  ;  ta  majesté  est  toujours  plus  savante 
que  moi,  et  la  voie  est  la  plus  haute  de  toutes.   366. 


490  LE  MAHA-BHARATA. 

»  Bhîshma  etDrona,  qui  combattaient  sur  des  chars, 
furent  tués  à  la  tête  de  mes  armées  ;  sois  notre  généralis- 
sime à  leur  place  :  tu  es  plus  fort  qu'eux.   367. 

»  Ces  deux  vieillards  aux  grands  arcs,  superbes,  rem- 
plis de  magie  et  de  vigueur,  ont  ménagé  Dhanandjaya, 
comme  tu  l'as  dit  toi-même.   368. 

»  Tenant  les  yeux  fixés  sur  sa  qualité  d'aïeul,  les  fils  de 
Pândou  furent  dix  jours  durant,  mon  ami,  conservés  par 
Bhîshma  dans  une  grande  bataille.   369. 

»  Celui-ci,  notre  aïeul,  ayant  mis  bas  sa  flèche,  fut 
immolé  dans  un  vaste  combat  par  Phâlgouna,  qui  s'était 
couvert  de  Çikhandî.   370. 

»  Ce  grand  héros  tombé  fut  étendu  sur  un  lit  de  flèches: 
et  dociles  à  ta  voix,  tigre  des  hommes,  nous  élûmes  Drona 
pour  notre  général  en  chef.   371. 

»  Les  Prithides  furent  encore  sauvés  par  celui-ci, 
c'est  mon  sentiment  !  à  cause  de  l'instruction,  qu'ils 
avaient  reçue  de  lui.  Mais  ce  vieillard  tomba  lui-même 
bientôt  sous  le  glaive  de  Dhrishtadyoumna.   372. 

»  Après  la  mort  de  ces  deux  chefs,  j'ai  beau  cher- 
cher dans  ma  pensée,  je  ne  vois  pas  un  autre  guerrier  égal 
à  toi  clans  le  combat,  héros  au  courage  sans  mesure.  373. 

»  Ta  majesté  est  pleine  de  force  pour  notre  victoire  :  il 
n'y  a  pas  de  doute  !  Avant,  pendant  et  après,  tu  as  fait 
toujours  ce  qui  était  bien.    37/i. 

»  Telle  qu'un  cheval  de  somme,  ta  majesté  est  capable 
de  porter  ce  fardeau  de  la  guerre.  Donne-toi  l'inaugura- 
tion à  toi-même  clans  le  généralissimat.   375. 

h  De  même  que  l'auguste  et  l'impérissable  Skanda  est 
le  général  des  Dieux,  ainsi  que  ton  excellence  porte  cette 
armée  des  Dhritarâshtrides.  376. 


KARNA-PA1WA.  491 

»  Immole  toutes  les  armées  des  ennemis,  comme  Mahén- 
dra  extermina  les  Dânavas.  Les  grands  héros  Pândouides 
et  les  Pântchâlains,  te  voyant  tenir  le  pied  ferme  dans  le 
combat,  s'enfuiront,  tels  que  les  Dânavas  à  la  vue  de 
Vishnou.  Ainsi,  conduis  cette  grande  armée,  tigre  des 
hommes  ;  377 — 378. 

»  Car  les  Pândouides  à  l'âme  timide  s'enfuiront  avec 
leurs  ministres,  les  Pântchâlains  et  les  Srindjayas  devant 
la  constance  de  ta  majesté.   379. 

»  Incendie  les  ennemis,  comme  le  soleil  élevé  sur  C ho- 
rizon brûle  par  sa  chaleur,  et  dissipe  l'épaisse  obscu- 
rité. »  380. 

Ton  fils,  sire,  nourrissait  une  puissante  espérance  : 
«  Drona  et  Bhîshma  n'étant  plus,  Karna,  se  disait-il, 
vaincra  les  ennemis!  »   381. 

11  mit  cette  espérance  dans  son  cœur  et  tint  alors  ce 
langage  à  Karna  :  «  Placé  en  face  de  toi,  fils  du  cocher, 
l'enfant  de  Prithâ  ne  te  défiera  point  au  combat  !  »  382. 
«  Jadis  ce  mot  fut  dit  par  moi  en  ta  présence,  Gândâ- 
ride,  répondit  Karna  :  «  Je  vaincrai  tous  les  Pândouides 
avec  leurs  fils,  avec  Djanàrddana  !  »   383. 

»  Je  serai  le  général  en  chef  de  ion  armée  :  il  n'y  a  point 
de  doute  ici  !  Sois  ferme,  grand  roi  !  Sache  que  les  fils  de 
Pândou  sont  déjà  vaincus!  »   384. 

Ensuite,  puissant  monarque,  le  roi  Douryodhana,  à  qui 
ces  paroles  étaient  adressées,  se  leva,  environné  des  rois, 
pour  honorer  Karna  dans  le  généralat,  comme  Çatakratou, 
accompagné  des  Dieux-Immortels,  afin  de  rendre  hom- 
mage à  Skanda.   385 — 386. 

Karna  fut  sacré  de  la  manière  enseignée  par  le  rituel. 
Puis,  la  face  tournée  vers  Douryodhana,  les  souverains 


492  LE  MAHA-BHARATA. 

qui  désiraient  la  victoire,  le  sacrèrent  avec  des  vases,  faits 
d'or  et  de  corail,  387. 

Avec  des  cornes  de  grands  taureaux,  de  rhinocéros, 
d'éléphants,  sire,  ornées  de  pierreries  et  de  perles,  rem- 
plies d'eau,  pleines  des  simples  les  plus  efficaces  et  des 
odeurs  les  plus  exquises.   388. 

Il  était  assis  sur  un  siège  exécuté  en  oudoumbara,  cou- 
vert d'un  tapis  de  lin  et  entouré  de  toutes  les  choses,  que 
prescrit  la  règle,  enseignée  par  les  Castras.   389. 

Les  brahmes,  les  kshatryas,  les  vaîçyas  et  les  coudras 
se  réjouissaient  clans  un  commun  accord  du  sacre  de  ce 
magnanime  à  la  noble  figure.   390. 

Quand  il  fut  sacré,  Indra  des  rois,  le  destructeur  des 
héros  ennemis,  Râdhéya,  les  comblant  de  nishkas,  de 
vaches  et  d'or,  fit  réciter  les  bénédictions  aux  principaux 
des  brahmes  :  391. 

«  Triomphe  des  Prithides,  secondés  par  Govinda,  ac- 
compagnés de  leurs  suivants  !  »  dirent  les  encomiastes  et 
les  brahmes  à  l'éminent  guerrier.   392. 

»  Extermine  les  Pândouides  et  les  Pàntchàlains,  Râ- 
dhéya, et  donne-nous  la  victoire,  comme  le  soleil  en  se 
levant  dissipe  les  ténèbres  par  ses  rayons  victorieux  ! 

»  Aidés  par  Kéçava,  les  Pândouides  sont  incapables  de 
soutenir  l'aspect  des  flèches  lancées  par  toi,  de  même  que 
les  hibous  ne  peuvent  supporter  la  vue  des  rayons  flam- 
boyants du  soleil.  Les  Prithides  avec  les  Pàntchàlains  ne 
sont  point  capables  de  tenir  le  pied  ferme  en  face  de  toi, 
comme  les  Dânavas  devant  le  grand  Indra,  quand  vous 
avez  pris  l'un  et  l'autre  vos  armes.  »    393 — 394 — 395. 

Après  qu'on  l'eut  sacré,  Râdhéya,  enveloppé  d'une 
immense  lumière,  surpassait  les  autres  par  sa  splendeur 


KARNA-PÀRVA  493 

et  ses  formes,  tel  qu'un  second  auteur  du  jour.   396. 
Dès  que  ton  fils  eut  inauguré  l'Aclhirathide  dans  le  gé- 
néralissimat,  poussé  par  la  mort,  il  se  crut  alors  arrivé  au 
comble  de  ses  vœux.   397. 

Lorsqu'il  eut  obtenu  cette  fonction  suprême,  sire,  Karna 
lui-même  commanda  le  rassemblement  des  armées  poul- 
ie temps  où  le  soleil  se  lève.   398. 

Environné  par  tes  fils,  Bharatide,  il  brillait  alors,  tel 
que  Skanda,  entouré  par  les  Immortels,  dans  le  combat 
de  Târakâmaya.   399. 

«  Alors  que  Karna  eut  obtenu  ce  commandemeut  des 
armées,  s'enquit  Dhritarâshtra,  qu'il  eut  reçu  du  roi  ces 
paroles  affectueuses  comme  le  langage  d'un  frère,  400. 
»  Et  commandé  le  rassemblement  des  armées  pour 
l'heure  où  le  soleil  se  lève,  que  fit  ce  prince  à  la  vaste 
science  ?  Raconte-moi  cela,  Sandjaya  !  »  401. 

Aussitôt  que  tes  fils,  ô  le  plus  excellent  des  Bharatides, 
lui  répondit  Sandjaya,  connurent  le  sentiment  de  Karna, 
ils  firent  annoncer  le  rassemblement  précédé  par  les  con- 
certs joyeux  des  instruments  de  musique.   402. 

Ce  grand  lendemain  arrivé,  ton  armée,  respectable  mo- 
narque, fit  éclater  soudain  un  bruit  immense  :  «  Le  ras- 
semblement !  Voici  [heure  du  rassemblement  !  »  s'é- 
criait-on de  toutes  parts.  403. 

C'était,  souverain  des  hommes,  les  cavaliers  et  les  fan- 
tassins, qui  s'armaient,  les  chariots,  leurs  gardes  et  les 
principaux  des  éléphants,  que  l'on  équipait.  404. 

C'était  un  fracas  tumultueux,  confus,  immense,  s'éle- 
vant  jusqu'aux  cieux,  de  guerriers,  qui  jetaient  des  cris, 
en  s'excitant  à  se  presser  les  uns  les  autres.  405. 

Ensuite,  le  fils  du  cocher  apparut  avec  son  char,   dont 


494  LE  MAH/Y-BHARATA. 

le  vent  loi  soufflait  l'étendard  au  visage  (1),  ce  véhicule, 
rempli  de  cent  carquois,  muni  d'arcs  resplendissants 
comme  le  soleil  pur,  avec  son  drapeau  blanc,  ses  che- 
vaux couleur  du  plumage  des  ardées,  son  arc  au  dos  en 
or,  et  son  insigne  de  la  ceinture  d'éléphant,  avec  ses 
gardes,  parés  de  bracelets,  portant  des  leviers  de  fer,  des 
tridents,  des  lances,  des  clochettes  et  des  çataghnîs. 

Z,06— 407— 408. 

Il  remplissait  de  vent  sa  conque,  semée  de  points  d'or, 
sire,  et  brandissait  un  grand  arc,  ornementé  d'or.  409. 

Dès  qu'ils  virent  debout  sur  son  char  l'héroïque Karna, 
le  meilleur  des  maîtres  de  chars,  tel  que  l'inaccessible  so- 
leil levant,  qui  dissipe  les  ténèbres,  410. 

Qui  que  ce  fût  des  Kourouides  ne  songea  en  ce  mo- 
ment, tigre  des  hommes,  à  l'infortune  de  Bhîshma,  ni  aux 
malheurs  de  Drona,  ni  à  ceux  des  autres.  411. 

Stimulant,  auguste  sire,  les  guerriers  avec  le  bruit  de 
sa  conque,  l'Adhirathide  entraîna  la  grande  armée  des 
Kourouides.   412. 

L'héroïque  Karna,  le  destructeur  des  ennemis,  ayant 
adopté  l'ordre  de  bataille  en  Makara,  d'attaquer  les  Pân- 
douides  avec  le  désir  de  les  vaincre.   413. 

Râdhéya,  sire,  de  se  placer  dans  le  muffle  du  monstre 
marin  ;  le  vaillant  Çakouniet  le  grand  héros  Ouloûka  for- 
mèrent ses  deux  yeux.  414. 

Le  fils  de  Drona  se  rangea  dans  la  tête  ;  tous  les  frères 
germains  prirent  position  dans  le  cou;  environné  d'une 
puissante  armée,  le  roi  Douryodhana  se  mit  au  milieu  du 
corps.  415. 

(1)  Commentaire  sur  le  mot  abhipatâka,  inconnu  aux  dictionnaires: 
c'était,  dit-il,  un  sinistre  augure. 


KARNA-PARVA.  495 

Entouré  de  vaillants  et  vigoureux  combattants  et  de 
rois  ivres  de  la  furie  des  combats,  Kritavarman  fit,  Indra 
des  rois,  son  quartier  du  pied  gauche.   416. 

Le  Gotamide  au  courage  infaillible  se  tint  ferme  dans 
le  pied  droit,  environné  de  méridionaux  et  de  Trigart- 
tains  aux  arcs  de  vastes  dimensions.   417. 

Celui,  qui  se  massa  dans  la  jambe  gauche  avec  une 
nombreuse  armée,  levée  dans  la  contrée  de  Madra,  fut 
Çalya.   418. 

Le  véridique  Soushéna,  entouré,  puissant  roi,  d'un 
millier  de  chars  et  de  trois  centaines  d'éléphants,  se  jeta 
dans  la  jambe  droite.   419. 

Deux  princes,  deux  frères  à  la  grande  vigueur,  Tchitra 
et  Tchitraséna,  accompagnés  d'une  nombreuse  armée, 
furent  placés  dans  la  queue.  420. 

Tandis  que  Karna,  le  plus  éminent  entre  les  premiers 
des  hommes,  s'avançait,  Indra  des  rois,  dans  cet  ordre  de 
bataille,  Dharmaràdja,  ayant  fixé  les  yeux  sur  Dhanan- 
djaya,  lui  adressa  ce  langage  :  421. 

«  Vois,  héros,  fils  de  Prithâ,  cette  armée  des  Dhiïta- 
ràshtrides,  défendue  par  de  vaillants  guerriers  aux  grands 
arcs  ;  vois  comme  l' Adhirathide  l'a  disposée  icien  bataille  ! 

»  Cette  grande  armée  du  Dhritarâshlride  a  perdu  ses 
plus  braves  héros  :  le  reste  n'a  aucune  saveur,  guerrier 
aux  longs  bras,  et  ta  victoire  est  certaine,  Phàlgouna. 

422-423. 

»  Arrache-moi  ce  dard,  qui  est  depuis  douze  aimées 
dans  ma  blessure  !  Ayant  ainsi  la  connaissance  des  choses, 
guerrier  aux  longs  bras,  range  l'armée  en  bataille,  dans 
l'ordre,  qui  te  plaît.  »   424. 

Ces  paroles  de  son  frère  entendues,  le  Pândouide  aux 


896  LE  MAHA-BHARATA. 

blancs  coursiers  disposa  son  armée  à  l' encontre  des  enne- 
mis dans  un  ordre  de  bataille  en  demi-lune.   425. 

Bhîmaséna  d'assurer  le  côté  gauche  et  Dhrishtadyoumna 
au  grand  arc  le  côté  droit.   426. 

Le  roi  et  le  Pcàndouide  Dhanandjaya  se  tinrent  au  mi- 
lieu de  cette  lune  ;  Nakoula  et  Sahadéva  se  mirent  der- 
rière Dharmarâdja.   427. 

Les  deux  Pântchâlains,  gardes  de  ses  roues,  défendus 
à  leur  tour  par  Kirîti,  Youdhâmanyou  et  Outtamaâudjas, 
n'abandonnèrent  pas  Arjouna  dans  la  bataille.   428. 

Les  autres  héroïques  souverains  des  hommes  soutenaient, 
la  cuirasse  endossée,  cette  disposition  militaire,  suivant 
leur  part,  suivant  leur  énergie,  suivant  leurs  efforts.  429. 

Les  Pândouides  avaient  ainsi  disposé  ce  grand  ordre 
de  bataille;  et  les  tiens  aux  vastes  arcs  d'appliquer  leur 
esprit  au  combat.   430. 

Quand  le  Dhritarâshtride  avec  ses  amis  vit  son  immense 
armée  soumise  à  l'Adhirathide  dans  la  guerre,  il  regarda 
les  fils  de  Pândou  comme  déjà  frappés  de  mort  ;   431. 

Et  de  même  Youdhishthira,  le  souverain  des  peuples, 
ayant  vu  l'armée  Pândouide  dans  son  large  développement, 
estima  déjà  mort  le  Dhritarâshtride,  accompagné  de 
Rarna.  432. 

De  tous  côtés  résonnaient  les  conques,  étaient  frappés 
les  tymbales,  les  panavas,  les  tambourins,  les  doundou- 
bhis,  les  tambours  et  les  grosses  caisses.  433. 

Dans  l'une  et  l'autre  armée,  les  instruments  de  musique 
firent  éclater  de  grands  sons  ;  et  le  cri  de  guerre  naquit 
parmi  les  guerriers,  qui  désiraient  la  victoire.   434. 

De  toutes  parts,  le  hennissement  des  chevaux  ,  le  barrit 
des  éléphants,  le  grincement  des  roues  du  char  mêlaient 


KAUNA-PARVA.  497 

ensemble,  souverain  des  hommes,  leurs  sons  terribles.  435. 

Quiconque  n'a  point  connu  l'infortune  de  Drona,  la  sait, 
maintenant  qu'il  voit  l'héroïque  Karna,  revêtu  de  sa  cui- 
rasse, à  la  tête  de  cet  ordre  de  bataille.  436. 

Ces  deux  armées,  remplies  d'hommes  pleins  d'ardeur, 
se  tenaient,  sire,  altérées  de  combat,  avec  un  désir  mutuel 
de  se  donner  la  mort  sous  leur  puissance  réciproque.  ZI37. 

Dès  qu'ils  se  virent  l'un  L'autre  déployant  leurs  efforts, 
le  pied  ferme,  irrités,  le  Pândouide  et  Karna  (1)  de  s'a- 
vancer au  milieu  des  armées.   438. 

Celles-ci  croisèrent  les  armes  en  dansant  ;  et  ceux,  qui 
désiraient  combattre,  sortirent  des  ailes  et  des  troupes  les 
plus  avancées.   439. 

Ensuite  s'éleva,  puissant  roi,  ce  combat  de  chars,  d'élé- 
phants, de  coursiers  et  d'hommes,  qui  s'adressaient  mu- 
tuellement la  mort.   440. 

Ces  deux  grandes  armées  d'éléphants,  de  chevaux  et  de 
guerriers  pleins  d'ardeur,  s'étant  approchées  l'une  de 
l'autre,  combattirent,  égales  en  splendeur  aux  Asouras  et 
aux  Dieux.  441. 

Ces  fantassins,  éléphants,  chevaux,  chars  et  guerriers, 
à  la  valeur  formidable,  se  livrèrent  de  violents  combats, 
qui  détruisaient  la  vie  et  le  péché  dans  leurs  corps.  442. 

Ces  héros  jonchèrent  la  terre  des  têtes  de  héros,  sem- 
blables à  des  parfums,  et  qui  avaient  la  beauté  des  lotus, 
du  soleil  ou  de  la  lune  en  son  plein.   443. 

Avec  des  bhallas,  semblables  à  des  demi-lunes,  des 
flèches  en  fer  à  cheval,  des  épées,  des  pattiças  et  des 
haches,  ils  tranchaient  les  têtes  des  combattants.   444. 

(1)  Texte  de  Bombay. 

ix  32 


498  LE  MAHA-BHARATA. 

Abattus  par  les  bras  longs  et  bien  nourris  des  guerriers 
aux  bras  longs  et  potelés  (1),  les  bras  tombés  brillaient 
sur  la  terre,  avec  leurs  armes  et  leurs  bracelets.  445. 

Le  sol  resplendissait  de  mains  aux  doigts  rouges,  pal- 
pitants comme  des  serpents  horribles  à  cinq  têtes,  rejetés 
des  serres  de  Garouda.  446. 

Sous  les  coups  d'un  ennemi,  les  héros  tombaient  des 
chars,  des  éléphants,  des  chevaux,  tels  que  des  person- 
nages, admis  parmi  les  hôtes  du  Swarga,  tombent  de  leurs 
chars  divins,  quand  ils  ont  épuisé  la  récompense  de  leurs 
vertus,  447. 

Broyés  par  centaines,  les  braves  étaient  abattus  dans  le 
combat  sous  les  massues  pesantes,  les  haches  et  les  pilons 
de  plus  vigoureux  braves.  448. 

Dans  cette  bataille  infiniment  troublée,  les  cavaliers 
étaient  écrasés  par  les  chars  et  les  cavaliers,  comme  les 
éléphants  ivres  par  des  éléphants  enivrés.  449. 

Les  guerriers  étaient  renversés  par  les  chars,  les  chars 
eux-mêmes  par  les  éléphants,  et  les  hommes  de  pied  sous 
les  pas  des  cavaliers;  les  fantassins  gisaient  dans  le  combat, 
immolés  par  les  hommes  portés  sur  des  chevaux  ;  les  chars, 
les  chevaux  et  les  fantassins  par  des  éléphants  ;  les  che- 
vaux, les  chariots  et  les  éléphants  par  des  hommes  de 
pied  ;  les  chars,  le  fantassin,  les  pachydermes  et  les  guer- 
riers, qui  combattent  sur  des  éléphants,  tombaient  eux- 
mêmes,  abattus  par  de  simples  cavaliers. 

450—451. 

Un  grand  carnage  de  guerriers,  d'éléphants,  de  cour- 
siers et  de  chariots  fut  accompli  par  les  héros,  les  traits, 

(1)  Tuatologie: 


KARNA-PARVA.  499 

les  pieds  et  les  mains,  les  chars,  les  chevaux,  les  éléphants 
et  les  hommes  de  guerre.   452. 

C'est  ainsi  que  dans  cette  armée  battue  et  détruite  par 
des  héros,  les  fils  de  Prithâ,  conduits  par  Vrikaudara, 
s'approchèrent  de  nous.   453. 

Dhrishtadyoumna,  Çikhandî,  les  beaux  Draâupadéyains, 
Sâtyaki,  Tchékitana  et  les  guerriers  Drâvidas,  454. 

Les  Pândyas,  les  Tcholas  et  les  Rérâlas,  environnés 
d'une  nombreuse  armée,  à  la  poitrine  large,  aux  longs 
bras,  à  la  haute  stature,  aux  grands  yeux,  455. 

Aux  bouquets  de  fleurs  sur  le  sommet  de  la  tête,  aux 
dents  rouges,  au  courage  d'éléphants  enivrés,  portant  des 
habits  de  différentes  couleurs,  arrosés  d'une  poudre  par- 
fumée, 456. 

Ceints  de  leur  épée,  le  lasso  à  la  main,  revêtus  de  cottes- 
de-maille  et  de  cuirasses,  estimant  la  mort,  sire,  au  même 
prix  que  la  vie,  ils  ne  s'abandonnaient  pas  les  uns  les 
autres.  457. 

Ceux-ci,  environnés  declochettes,  l'arc  àla  main,  lesche- 
veux longs,  des  paroles  aimables  a  la  bouche,  fantassins  et 
cavaliers,  avaient  un  courage  aux  formes  épouvantables. 

Ceux-là  couraient,  revenant  sur  leurs  pas,  guerriers 
Tchédiens,  Pântchâlains,  Kaîkayains,  Karoûshas,  Ko- 
çalas,  Kântchyas  et  Mâgadhains.   458 — 459. 

Les  chars,  les  éléphants,  les  héroïques  et  terribles  fan- 
tassins de  ces  peuples  dansaient  et  riaient;  et  des  musi- 
ciens, portant  divers  instruments,  exprimaient  leur  joie. 

Environné  des  braves  à  la  riche  taille  d'une  nombreuse 
armée,  Vrikaudara,  qui  chargeait  de  son  poids  un  élé- 
phant, s'avança  au  milieu  des  tiens,  460 — 461. 

Infiniment  terrible,  il  brillait  sur  le  plus  excellent  des 


500  LE  MAHA-BHARATA. 

proboscidiens,  équipé  suivant  l'art,  comme  le  soleil,  monté 
sur  l'horizon,  qui  s'élève  sur  un  palais  ou  sur  la  cîme  d'une 
montagne  (1).  462. 

Exécutée  en  fer,  son  éminente  cuirasse,  ornée  des  plus 
riches  pierreries,  avaient  un  éclat  égal  au  ciel  d'automne, 
parsemé  d'étoiles.  463. 

La  main  non  embarrassée  d'un  levier  de  fer,  sa  tête  bien 
ornée  d'un  riche  diadème,  il  incendiait  les  ennemis  par 
une  splendeur  égale  au  soleil,  quand  il  est  parvenu  en  au- 
tomne au  milieu  du  jour.  464. 

Ayant  aperçu  de  loin  ce  grand  pachyderme,  Rshéma- 
dhoûrtti,  accourut,  monté  sur  un  éléphant  et  provoquant 
•evec  arrogance  ce  héros,  encore  plus  arrogant  que  lui- 
même.  465. 

Le  combat  de  ces  deux  éléphants  aux  formes  terribles 
fut  tel  que  serait  le  choc  de  deux  grandes  montagnes, 
couvertes  d'arbres  et  douées  d'un  mouvement  spontané. 

Ces  deux  guerriers  aux  éléphants  entrecroisés  étroite- 
ment se  percèrent  mutuellement  de  leviers  en  fer,  sem- 
blables aux  rayons  du  soleil,  et  poussèrent  des  cris  l'un 
contre  l'autre.  466—467. 

Puis,  s' éloignant  avec  leurs  éléphants,  ils  décrivent  des 
circonvolutions  ;  et,  prenant  deux  grands  arcs,  ils  se 
blessent  réciproquement.  468. 

Tous  deux,  réjouissant  le  peuple  avec  le  sifflement  des 
flèches  envoyées  de  tous  côtés,  le  bruit  des  mains  sur  les 
bras  et  le  son  des  clochettes,  y  ajoutaient  encore  le  rugis- 
sement de  la  guerre.  469. 


(1)  Je  traduis  moins  suivant  la  lettre  que  sur  la  syntaxe,  à   laquelle    ce 
texte  devrait  obéir. 


KARNA-PAPtVA.  501 

L'un  et  l'autre  habiles,  doués  d'une  grande  vigueur,  ils 
combattaient  sur  leurs  éléphants  avec  la  trompe  levée, 
sous  leurs  drapeaux  secoués  par  le  vent.  470. 

S'étant  coupé  leurs  arcs  mutuellement,  ils  s'appro- 
chèrent et  firent  pleuvoir  l'un  sur  l'autre  les  tridents  et 
les  leviers  de  fer,  comme  les  nuages  versent  leurs  eaux 
dans  la  saison  des  pluies.   471. 

Kshémadhoûrtti  de  blesser  Bhîma  au  milieu  des  seins 
avec  un  levier  de  fer  immensément  rapide  et  d'en  faire 
siffler  six  autres.  472. 

Le  corpsenflammé  de  colère,  Bhîmaséna,  de  ces  leviers, 
qui  avaient  pénétré  dans  ses  membres,  brillait  comme  le 
soleil  aux  sept  coursiers,  voilé  par  des  nuages.   473. 

Déployant  ses  efforts,  Bhîmaséna  d'envoyer  à  l'ennemi 
un  levier  de  fer  au  vol  rapide,  à  la  couleur  semblable  à 
celle  du  soleil.  474. 

Le  souverain  des  Kouloûtas  banda  un  arc,  coupa  ce  le- 
vier avec  dix  flèches,  et  blessa  avec  soixante  le  fils  de 
Pândou.  475. 

Ensuite,  ayant  pris  un  arc,  sonore  comme  les  nuages, 
le  Pândouide  Bhîma  vociférant  blessa  l'éléphant  de  son 
rival.   476. 

Ce  colosse,  tourmenté  par  les  multitudes  de  flèches, 
que  lançait  Bhîmaséna,  ne  tint  pas,  tout  retenu  qu'il  fût 
par  son  maître,  et  s'enfuit,  comme  un  nuage  chassé  par 
lèvent.  477. 

Le  gigantesque  éléphant,  que  montait  Bhîma,  tel  qu'une 
nuée  poussée  par  le  souffle  du  vent,  courut  sur  le  pachy- 
derme fuyant,  de  même  qu'une  nue  emportée  à  la  fougue 
d'un  vent  orageux.   478. 

L: auguste  Kshémadhoûrtti,   ayant  arrêté  son  éléphant, 


502  LE  MAHA-BHARATA. 

blessa  de  ses  flèches  l'éléphant  de  Bhîmaséna,  qui  accou- 
rait. 479. 

D'un  trait  en  rasoir  habilement  décoché,  aux  nœuds  in- 
clinés, il  coupa  l'arc  de  son  rival,  et  tourmenta  l'animal 
ennemi.  480. 

Kshémadhoûrtti  en  colère  fendit  Bhîmaséna  dans  le 
combat,  et  frappa  dans  tous  les  membres  son  éléphant  de 
nârâtchas  acérés.   481. 

Le  grand  pachyderme  de  Bhîmaséna  tomba  ;  mais, 
avant  sa  chute,  celui-ci  était  sauté  à  terre,  où,  des  coups 
de  sa  massue,  il  broya  l'éléphant  de  son  rival.  Vrikaudara 
de  frapper  même  avec  ce  pilon  Kshémadhoûrtti,  descendu 
de  son  proboscidien  meurtri,  et  qui  s'avançait,  ses  armes 
levées.  Il  tomba  à  côté  de  son  éléphant,  son  épée  à  la 
main,  sans  vie,  frappé  comme  une  montagne  brisée  de  la 
foudre,  ou  tel  qu'un  lion  atteint  par  le  tonnerre.  Dès 
qu'elle  vit  couché  mort  ce  monarque  des  Kouloûtas,  qui 
répandait  sur  elle-même  sa  renommée, 

482— 483— 484— 485. 

Ton  armée  de  s'enfuir,  pleine  de  trouble,  fils  de  Bha- 
rata.  486. 

L'héroïque  Rarna  au  grand  arc  immola  dans  le  combat, 
de  ses  flèches  aux  nœuds  inclinés,  l'armée  des  fils  de 
Pândou.  487. 

Et  les  héros  Pândouides  (1)  irrités,  sire,  détruisaient 
aux  yeux  de  Karna,  l'armée  de  ton  fils.   488. 

Ce  guerrier  lui-même,  sire,  extermina  dans  ce  combat 
l'armée  Pândouide  avec  les  nârâtchas  de  son  arc  resplen- 
dissant, et  semblables  aux  rayons  (2)  du  soleil.  489. 

(1)  Pdndavds,  texte  de  Bombay. 

(2)  Texte  de  Bombay. 


RARNA-PARVA.  505 

Blessés  par  ses  traits,  les  éléphants  criaient,  s'affais- 
saient, languissaient,  erraient  aux  dix  points  de  l'espace. 

Tandis  que  cette  armée  tombait,  taillée  en  pièces  par 
le  fils  du  cocher,  Nakoula  se  jeta  devant  lui  d'un  pied  ra- 
pide dans  ce  grand  combat.  490 — 491. 

Bhîmaséna  arrêta  le  fils  de  Drona,  tandis  qu'il  exécu- 
tait un  exploit  difficile  ;  et  Sâtyaki  s'opposa  aux  deux 
Raîkéyains,  Vinda  et  Anouvinda.  492. 

Çroutakarman  fut  empêché  dans  sa  marche  par  Tchitra- 
séna,  le  maître  de  la  terre  ;  et  Prativindhya  fit  obstacle  à 
Tchitra,  qui  portait  un  arc  et  un  drapeau  variés.  493. 

Douryodhana  courut  sur  le  roi  Youdhishthira,  fils 
d'Yama;  et  Dlianandjaya  fondit  avec  colère  sur  les  troupes 
des  conjurés.  494. 

Dhrishtadyoumna  combattit  avec  pitié  dans  ce  carnage 
des  plus  grands  héros,  Çikhandî  s'approcha  de  l'impéris- 
sable Kritavarman.  495. 

Le  fils  illustre  de  Mâdrî  se  joignit,  puissant  monarque, 
avec  ton  fils  Çalya,  et  l'auguste  Sahadéva  avec  Douççâ- 
sana.  496. 

Les  deux  Raîkéyains  couvrirent  Sàtyaki  d'une  pluie 
lumineuse  de  flèches  ;  et  Sâtyaki  leur  répondit  par  une 
averse  de  traits.  497. 

Ces  deux  héroïques  frères  le  blessèrent  profondément 
au  cœur,  tels  que  deux  nâgas  frappent  de  leur  corne  dans 
une  vaste  forêt  un  nâga  ennemi.   498. 

Ces  deux  frères,  la  cuirasse  brisée  par  les  dards,  frap- 
pèrent de  leurs  traits  dans  le  combat,  sire,  Sâtyaki,  aux 
œuvres  de  vérité.  499. 

Celui-ci  les  couvrit  en  riant  d'une  pluie  de  flèches, 
grand  roi,  et  les  arrêta  de  tous  les  côtés.  500. 

Empêchés  par  la  pluie  de  ses  traits,  ceux-ci  répan- 


504  LE  MAHA-BHARATA. 

dirent  lestement  le  voile  de  leurs  dards  sur  le  char  de 
Çaînéya.   501. 

Quand  le  rejeton  de  Çoûra,  à  la  vaste  renommée,  eut 
coupé  les  arcs  merveilleux  de  ces  deux  héros,  il  les  cou- 
vrit dans  la  guerre  de  ses  flèches  mordantes.  502. 

Ils  prirent  d'autres  arcs  admirables  et  de  grands  pro- 
jectiles ;  puis,  ils  s'avancèrent  légèrement,  avec  art,  et 
d'en  submerger  Sâtyaki.   503. 

Lancées  par  eux,  ces  longues  flèches,  qui  étaient  revê- 
tues des  plumes  du  paon  et  du  héron,  tombèrent  avec 
leurs  ornements  d'or,  illuminant  toutes  les  plages  du  ciel. 

Il  régna  une  profonde  obscurité  de  flèches  dans  leur 
grande  bataille,  et  ces  fameux  héros  se  tranchèrent  mu- 
tuellement leurs  arcs.   bOli — 505. 

Alors  Sâtyaki  irrité,  ivre  de  la  furie  des  combats,  prit 
un  nouvel  arc,  Maharâdja,  et  le  munit  de  sa  corde  dans  la 
bataille.   506. 

D'un  kshourapra  bien  acéré,  il  enleva  la  grande  tête 
d'Anouvinda,  qui  tomba,  sire,  enflammée  de  ses  boucles- 
d'oreille.  507. 

Ainsi  immolé  dans  cette  bataille  acharnée,  la  tête  de 
cet  éminent  héros  croula  rapidement  sur  la  terre,  jetant  la 
douleur  chez  tous  les  Kaîkayains.   508. 

Dès  qu'il  vit  ce  brave  étendu  mort,  son  vaillant  frère 
munit  de  sa  corde  un  nouvel  arc  et  enferma  de  tous  côtés 
Çaînéya  dans  le  réseau  de  ses  /lèches.   509. 

Il  blessa  Sâtyaki  de  soixante  dards  empennés  d'or,  ai- 
guisés sur  la  pierre  ;  il  poussa  un  cri  hors  de  sa  vigou- 
reuse poitrine,  et  lui  dit  :  «  Arrête  !  arrête  !  »   510. 

Le  grand  héros  des  Kaîkéyains  décocha  rapidement  sur 
Sâtyaki,  entre  ses  deux  bras,  dans  sa  poitrine,  plusieurs 
milliers  de  traits.   511. 


KARNA-PA1WA.  605 

Sàtyaki  au  courage  de  vérité,  blessé  de  ses  flèches  en 
tout  son  corps,  brillait  dans  le  combat,  sire,  comme  un 
kinçouka  en  fleurs.   512, 

Atteint  par  ce  magnanime,  il  frappa  en  riant  le 
Kaîkéyain  de  vingt-cinq  traits.  513. 

Ces  deux  éminents  maîtres  de  chars  se  tranchèrent 
l'un  à  l'autre  dans  ce  combat  leurs  arcs  magnifiques, 
firent  mordre  rapidement  la  poussière  à  leurs  cochers  et 
se  tuèrent  leurs  agiles  chevaux.   h\l\. 

Réduits  sans  chars,  ils  prirent  à  leurs  bras  vigoureux 
des  boucliers,  parsemés  de  cent  lunes,  et  s'affrontèrent 
dans  la  bataille  pour  un  combat  à  l'épée.   515. 

Armés  des  deux  meilleurs  cimeterres,  ils  brillaient 
dans  ce  grand  champ  de  bataille,  tels  que  jadis  ces  deux 
vigoureux  athlètes  Djambha  et  Çakra  dans  la  guerre  des 
Asouras  et  des  Dieux.   516. 

Ils  décrivaient  des  cercles  ;  puis  ,  ils  s'approchaient 
rapidement  l'un  de  l'autre  dans  ce  grand  combat.  517. 

Ils  déployèrent  les  plus  vastes  efforts  pour  se  donner 
mutuellement  la  mort  ;  ensuite  le  Sâtwatide  de  trancher 
en  deux  le  bouclier  du  Kaîkéyain.   518. 

Mais  ce  prince  coupa  aussi  la  parme  de  Sâtyaki.  Quand 
il  eut  fendu  ce  bouclier  couvert  par  des  troupes  d'étoiles, 

Il  décrivit  des  cercles,  des  marches  et  des  contre- 
marches, au  milieu  desquels  le  rejeton  de  Çini,  doué  de 
rapidité,  blessa  d'un  coup  oblique  ce  guerrier,  qui  mar- 
chait sur  le  champ  de  bataille,  armé  du  plus  excellent  des 
cimeterres.  L'héroïque  Kaîkéyain,  coupé  en  deux  avec  sa 
cuirasse,  tomba  comme  une  montagne  sous  un  coup  de  la 
foudre.  Quand  il  l'eut  tué  dans  le  combat,  le  brave  Çaî- 
néya,  ce  fléau  des  ennemis,  le  plus  grand  des  héros, 


506  LE  MAHA-BHARATA. 

monta  précipitamment  sur  le  char  de  Youdhâmanyou. 
Ensuite,  roulant  sur  un  nouveau  char,  équipé  suivant  les 
prescriptions,  519—520—521—522—523. 

Sâtyaki  dissipa  avec  ses  flèches  la  grande  armée  des 
Kaîkéyains.  Elle  fut  taillée  en  pièces  dans  le  combat  ;  et, 
abandonnant  l'ennemi  (1) ,  il  courut  par  les  dix  points  de 
l'espace.  524 — 525. 

Çroutakarman  irrité,  sire,  perça  de  cinquante  flèches 
dans  le  combat  Tchitraséna,  le  maître  de  la  terre.  526. 

Après  que  son  rival  eut  frappé  de  neuf  traits  aux  nœuds 
inclinés  Çroutakarman,  il  blessa  de  cinq  son  cocher. 

Irrité,  Çroutakarman  envoya  un  nârâtcha  bien  acéré 
frapper  Tchitraséna,  à  la  tête  de  l'armée,  dans  un  organe 
de  la  vie.  527—528. 

Grièvement  blessé  de  la  flèche  de  fer  lancée  par  ce 
magnanime,  le  héros  tomba  en  syncope  et  entra  dans  la 
défaillance  de  l'esprit.  529. 

Dans  cette  conjoncture,  Çroutakîrti  à  la  haute  renom- 
mée couvrit  de  neuf  traits  le  maître  de  la  terre  ;  530. 

Et  l'héroïque  Tchitraséna,  revenu  à  la  connaissance, 
coupa  son  arc  d'un  bhalla  et  le  blessa  lui-même  de  sept 
flèches.   531. 

Çroutakarman  prit  un  nouvel  arc,  ornementé  d'or, 
destructeur  de  la  rapidité,  et  fit  porter,  sous  les  flots  de 
ses  traits,  des  formes  variées  à  Tchitraséna.  532. 

Ce  jeune  roi,  sur  la  tête  duquel  était  un  bouquet  de 
fleurs  différentes,  brillait  dans  le  combat  tel  qu'un  jeune 
homme  dans  une  riche  parure  au  milieu  d'une  assem- 
blée. 533. 

(1)  Çatroun,  texte  de  Bombay. 


RàRNA-PARVA.  507 

Il  blessa  de  nouveau  avec  hâte  Çroutakarman  d'un 
nàrâtcha  au  milieu  des  seins,  et  lui  cria  :  «  Arrête  !  ar- 
rête !  »   53/i. 

Çroutakarman  à  son  tour  le  frappa  d'un  nàrâtcha  avec 
colère,  et  le  sang  coula  en  ce  moment  comme  l'or  dans 
les  ruisseaux  d'une  montagne.   535. 

Les  membres  imprégnés  de  sang,  revêtu  de  splendeur 
par  le  sang,  ce  héros  brillait  dans  le  combat,  semblable  à 
un  kinçouka  en  fleurs.   53(3. 

Çroutakarman,  poursuivi  par  l'ennemi,  trancha  dans 
sa  colère,  sire,  la  cuirasse  de  son  rival  et  coupa  son  arc 
en  deux.   537. 

Il  couvrit  dans  ce  combat  le  héros  à  l'arc  brisé  de  trois 
cents  nârâtchas,  et  le  blessa  de  ses  bonnes  flèches. 

Puis,  avec  un  autre  bhalla,  violent,  acéré,  il  enleva  la 
tête  du  magnanime,   coiffée  de  son  casque. 

538—539. 

Le  chef  enflammé  de  Tchitraséna  tomba  sur  le  sol, 
comme  la  lune,  qui,  d'un  mouvement  spontané,  irait  du 
ciel  sur  la  terre.  5/iO. 

Dès  qu'ils  virent  leur  royal  compagnon  étendu  mort, 
auguste  monarque,  les  guerriers  de  Tchitraséna  s'enfuirent 
d'un  pied  rapide.   541. 

Le  héros  irrité  courut  avec  ses  flèches  sur  l'armée,  de 
même  que  le  roi  des  morts  fond  sur  toutes  les  créatures  à 
la  fin  d'un  youga.  542. 

Taillés  en  pièces  dans  le  combat  par  ce  vaillant  archer, 
ton  petit-fils,  ils  fuyaient  précipitamment  dans  toutes  les 
plages,  comme  des  éléphants,  consumés  par  l'incendie 
d'une  forêt.   5/i3. 

A  la  vue  de  ces  ennemis,  qui  couraient  sans  espérance 


508  LE  MAHA-BHAKATA. 

dans  la  victoire,  Çroutakarman  de  briller,  accélérant  la 
fuite  par  ses  traits  acérés,  544. 

Prativindhya  déchire  Tchitra  de  cinq  dards  ;  il  blesse 
de  trois  son  cocher  et  fend  son  drapeau  avec  une  seule 
flèche.  545. 

Tchitra  lui  décoche  entre  les  bras,  dans  la  poitrine, 
neuf  bhallas,  empennés  d'or,  à  la  pointe  luisante,  volant 
avec  l'aile  des  paons  et  des  ardées.  546. 

Prativindya  trancha  son  arc  avec  des  flèches,  Bharatide; 
et  le  frappa  lui-même  de  cinq  traits  acérés.   547. 

L'autre  envoya  à  ton  petit-fils  (1),  grand  roi,  une  lance 
inaflrontable,  aux  clochettes  d'or,  pareille  à  l'épouvan- 
table flamme  du  feu.  548. 

Mais  Prativindya  soudain  frappa  dans  son  vol  cette 
arme  semblable  à  un  grand  météore,  et,  riant,  il  en  fit 
deux  morceaux.  549, 

Les  fragments  de  cette  lance,  causés  par  les  traits  aigus 
de  Prativindya,  tombèrent  comme  la  foudre  à  la  fin  d'un 
youga,  portant  la  terreur  chez  toutes  les  créatures.   550. 

Dès  qu'il  vit  son  épieu  détruit,  Tchitra  saisit  une  grande 
massue,  parsemée  de  points  d'or,  et  l'envoya  sur  Prati- 
vindya.  551. 

Elle  assomma  ses  chevaux,  son  cocher  dans  ce  grand 
combat  et,  quand  elle  eut  broyé  son  char,  elle  entra  avec 
rapidité  au  sein  de  la  terre.   552. 

Dans  l'instant  même,  il  avait  déjà  sauté  à  bas  de  son 
char,  Bharatide,  et  dardé  sur  Tchitra  une  lance  en  fer, 
ornée  d'un  manche  d'or.  553. 

(1)  Prativindhya,  fils  d'Youddishthira  et  petit-fils  supposé  de  Dhritaràsh- 
tra,  par  suite  de  cette  paternité  honorifique,  transportée  de  Pàndou  à  son 
frère  aine. 


KARNA-PARVA.  509 

ïchitra  au  grand  cœur,  sire,  la  rempauma  dans  son  vol 
et  la  renvoya,  seigneur,  à  Prativindhya.  554. 

Douée  d'une  vive  lumière,  elle  atteignit  le  héros  dans  le 
combat,  lui  broya  le  bras  droit  et  pénétra  dans  le  sein  de 
la  terre.  555. 

Elle  tomba,  illuminant,  comme  la  foudre,  ces  lieux  à  la 
ronde.  Irrité  jusqu'à  désirer  la  mort  de  Tchitra,  Prati- 
vindhya lui  envoya  un  levier  de  fer,  ornementé  d'or. 
L'arme  fendit  la  cuirasse,  qui  défendait  son  corps  et  lui 
déchira  le  cœur.   556 — 557. 

Elle  entra  précipitamment  dans  la  terre,  comme  un 
long  serpent  dans  son  trou.  Alors  ce  roi  tomba,  frappé  de 
ce  levier  de  fer.  558. 

Aussitôt  que  les  tiens,  brillants  de  la  beauté  des  ba- 
tailles, virent  Tchitra,  couché  mort,  étendant  ses  bras 
longs,  potelés,  semblables  à  des  massues,  559. 

Ils  coururent  lestement  de  tous  les  côtés  sur  Prativin- 
dhya, lui  décochant  des  traits  divers  et  des  çataghnîs,  ac- 
compagnés de  clochettes.  560. 

Ils  le  couvrirent  comme  le  soleil  est  voilé  par  les  nuages; 
mais  ce  héros  aux  longs  bras  les  dissipa  dans  le  combat 
par  les  multitudes  de  ses  flèches.  561. 

Il  mit  en  déroute  ton  armée,  comme  le  Dieu,  qui  tient 
la  foudre,  dispersa  l'armée  Asourique.  Les  tiens,  sire, 
battus  par  les  Pândouides  dans  le  combat,  562. 

Furent  aussitôt  disséminés,  tels  que  des  nuages  chassés 
par  le  vent.  Tandis  que  cette  armée  fuyait,  battue  de  tous 
les  côtés,  le  Dronide  s'avança  d'un  pied  hâté,  seul,  vers 
Bhîmaséna  à  la  grande  vigueur.  Alors  eut  lieu  soudain 
la  rencontre  épouvantable  de  ces  deux  héros,  comme  fut, 
dans  le  combat  des  Asouras  et  des  Dieux,  le  choc  de 


510  LE  MAHA-BHARATA. 

Vritra  et  du  maître  des  Immortels.    563 — 564 — 565. 

Ensuite,  accompagné  de  la  plus  grande  hâte,  sire,  et 
montrant  la  légèreté  de  ses  traits,  le  Dronide  blessa  d'une 
flèche  Bhîmaséna  ;   566. 

Et  de  nouveau,  en  homme  agile,  qui  n'ignore  pas  les 
organes  de  la  vie,  ayant  observé  tous  ses  membres,  il  le 
frappa  de  neuf  traits  acérés.   567. 

Hérissé  de  ces  dards  aigus  par  le  Dronide,  Bhîmaséna 
resplendissait  dans  le  combat,  sire,  tel  que  le  soleil,  envi- 
ronné de  ses  rayons.  568. 

Avec  un  millier  de  flèches  bien  décochées,  le  Pândouide 
couvrit  le  fils  de  Drona  et  jeta  son  cri  de  guerre.  569. 

Celui-ci  d'arrêter  les  traits  avec  ses  traits,  et  de  blesser 
en  riant  d'un  nârâtcha  dans  la  guerre  le  fils  de  Pândou  au 
milieu  du  front.   570. 

Il  portait  cette  flèche  implantée  dans  son  front,  sire,  de 
même  qu'un  fier  rhinocéros  porte  sa  corne  au  sein  d'une 
forêt.  571. 

A  son  tour%  le  courageux  Bhîma  en  riant  de  blesser  de 
trois  nârâtchas  au  milieu  du  front  le  Dronide,  qui  déployait 
ses  efforts  dans  la  bataille.  572. 

Le  brahme  resplendissait  de  ces  flèches  mises  dans  son 
front,  comme  une  sourcilleuse  montagne  à  trois  pitons 
arrosés  d'eau  dans  la  saison  des  pluies.  573. 

Le  fils  de  Drona  harcela  le  Pândouide  avec  des  cen- 
taines de  traits,  sans  réussir  à  l'ébranler  plus  qu'une  mon- 
tagne n'est  émue  du  vent.  57/i. 

De  même  le  Pândouide,  rempli  d'ardeur,  ne  put  ébranler 
dans  le  combat  avec  des  centaines  de  flèches  aiguës  le 
Dronide,  comme  une  averse  d'eau  n'émeut  pas  une  mon- 
tagne. 575. 


KARNA-PARVA.  511 

Ces  deux  grands  héros  à  l'immense  vigueur,  se  couvrant 
l'un  l'autre  de  traits  épouvantables,  resplendissaient,  de- 
venus les  chefs  des  héros.  576. 

Tous  deux  semblables  à  des  soleils  enflammés,  auteurs 
de  la  ruine  des  mondes,  ils  se  consumaient  l'un  l'autre  par 
leurs  flèches  triomphantes,  pareilles  aux  rayons  du  soleil. 

Tous  deux,  faisant  efforts  dans  ce  grand  combat  pour 
contre-carrer  le  jeu  de  leur  adversaire,  ils  s'étudiaient  sans 
crainte  par  des  multitudes  de  flèches  à  faire  coup  et  ri- 
poster. 577 — 578. 

Les  plus  éminents  des  hommes,  ils  se  promenaient  dans 
la  bataille,  comme  deux  tigres  inaffrontables,  inspirant 
l'effroi  par  leur  gueule  en  forme  d'arc,  et  leurs  dents  en 
figures  de  flèches.  579. 

Ils  étaient  invisibles  par  les  multitudes  de  traits,  qui 
tombaient  de  tous  les  côtés,  de  même  que  le  soleil  et  la 
lune,  quand  ils  sont  voilés  dans  les  cieux  par  des  masses 
de  nuages.   580. 

Un  instant,  ces  dompteurs  des  ennemis  apparurent  aux 
yeux,  comme  Angâraka  et  Boudha,  débarrassés  d'une 
foule  de  nuées.  581. 

Tandis  que  ce  combat  très-épouvantable  se  livrait,  le 
Dronide  y  mit  à  sa  droite  Vrikaudara.  582. 

Répandant  sur  lui  ses  terribles  centaines  de  flèches, 
telles  que  les  gouttes  de  la  pluie  sur  une  montagne,  Bhîma 
ne  put  supporter  que  ce  brahme  offrît  les  signes  de  la 
victoire  sur  un  ennemi.  583. 

Quoiqu'il  fût  placé  à  droite,  le  Pândouide  lui  résista, 
sire,  en  des  portions  de  cercles,  en  des  allées  et  des 
retours.  584. 

Le  combat  de  ces  deux  hommes-lions  fut  tumultueux. 


512  LE  MAHA-BHARATA. 

Après  qu'ils  eurent  exécuté  différentes  figures,  le  cercle 
et  même  l'action  de  rester  immobile,  ils  se  frappèrent  l'un 
l'autre  de  flèches  longues,  bien  lancées,  et  déployèrent  les 
plus  grands  efforts  pour  arriver  à  leur  mort  mutuelle. 

585—586. 

Ils  avaient  le  désir  de  se  réduire  l'un  l'autre  sans  char 
dans  ce  combat.  Ensuite,  le  vaillant  héros  Açwatthâman 
fit  apparaître  de  grands  astras.   587. 

Le  Pândouide  frappa  ces  astras  des  siens  dans  le  com- 
bat. Alors  se  développa,  grand  roi,  une  bataille  épouvan- 
table d' astras,  telle  que  l'horrible  guerre  entre  les  pla- 
nètes à  la  destruction  des  créatures.  Lancés  par  eux,  Bha- 
ratide,  les  traits  s'attachaient  ensemble,  588 — 589. 

Illuminant  toutes  les  plages  et  ton  armée  de  tous  les 
côtés.  L'atmosphère  était  devenue  épouvantable  sous  les 
multitudes  de  flèches,  dont  elle  était  environnée.  590. 

On  eût  dit  le  combat  entouré  de  la  chute  des  météores 
ignés,  sire,  dans  l'extermination  des  créatures.  Les  dards 
en  s' entrechoquant  y  firent  naître  le  feu.  591. 

La  splendeur  enflammée,  que  produisaient  les  étincelles, 
brûlait,  grand  roi,  les  deux  armées  ;  et  les  Siddhas,  se  ras- 
semblant dans  ce  champ  de  bataille,  tinrent  alors  ce  lan- 
gage: 592. 

u  Ce  combat  est  au-dessus  de  tous  les  combats  !  Tous 
les  autres  ensemble,  dirent-ils,  seigneur,  n'équivalent 
point  à  la  seizième  partie  du  diamètre  de  celui-ci.  593. 

»  Jamais  il  n'y  eût  et  jamais  on  ne  verra  un  combat 
pareil  à  cette  bataille  !  Oh  !  que  ces  deux  héros  sont  bien 
doués  de  la  science  du  brahme  et  du  kshatrya  !  59/i. 

»  Oh  !  que  leur  courage  est  terrible  !  Comme  ils  sont 
pourvus  l'un  et  l'autre  d'héroïsme  !  Oh  !  que  fihîmaséna 


KARNA-PARVA.  fiit 

possède  une  vigueur  épouvantable  !  La  science  des  armes 
est  en  lui  parfaite.    595. 

»  Oh  !  combien  grande  est  la  force  de  ce  héros  !  Oh  ! 
qu'il  y  a  d'excellence  en  ces  deux  athlètes-  !  Ils  se  tiennent 
dans  le  combat  semblables  au  Trépas,  à  la  Mort,  à 
Yama! 

»  Ces  deux  tigres  des  hommes  aux  formes  terribles  dans 
la  bataille,  ressemblent  (1)  à  deux  Roudras,  ou  ce  sont 
deux  soleils,  ou  ce  sont  deux  Yamas  !  »   596 — 597. 

Telles  se  firent  mainte  et  mainte  fois  entendre  les  pa- 
roles des  Siddhas  ;  au  milieu  d'elles,  éclata  le  cri  de 
guerre  des  hôtes  du  ciel  rassemblés.   598. 

La  vue  des  exploits  merveilleux,  inimaginables  de  ces 
deux  héros  dans  la  guerre,  fit  naître  l'admiration  des 
troupes  de  Siddhas  et  de  Tchâranas.   599. 

Ils  furent  célébrés  par  les  Dieux,  les  Siddhas  et  les  plus 
excellents  Rishis:  «  Bien,  Dronide  au  grand  arc,  s'é- 
criaient-ils ;  bien,  Bhîmaséna!  »   600. 

Ces  deux  héros,  qui  avaient  exercé  leurs  violences  l'un 
contre  l'autre  dans  le  combat,  se  regardaient  mutuelle- 
ment avec  colère,  tenant  levés  leurs  arcs.  601. 

Les  yeux  rouges  de  colère,  les  lèvres  de  colère  toutes 
tremblantes,  grinçant  les  dents  avec  colère,  ils  se  mor- 
daient les  lèvres.   602. 

Ces  deux  grands  héros,  se  couvrant  l'un  l'autre  d'une 
pluie  de  dards,  ressemblaient  dans  la  bataille  à  deux 
nuages,  qui  ont  des  traits  pour  éclairs  et  des  flèches  pour 
eau.  603. 

Après  qu'ils  se  furent  coupé  leurs  drapeaux  et  percé 

(i)Sambhoûtaâv'.  teïfefle  Bombât. 


514  LE  MAHA-MARATA. 

leurs  cochers  dans  ce  grand  combat;  après  qu'ils  se 
furent  massacré  leurs  chevaux,  ils  s'adressèrent  des  coups 
réciproques.  60ZI. 

Irrités,  puissant  roi,  ils  saisissent  deux  traits  clans  cette 
immense  bataille;  et,  animés  par  un  désir  mutuel  de 
leur  mort,  ils  envoient  à  la  hâte  l'un  sur  l'autre  ces  deux 
flèches.  605. 

Illuminant  avec  ces  dards  le  front  des  armées,  grand 
roi,  ils  s'approchèrent,  insoutenables,  et  se  frappèrent 
avec  la  rapidité  de  la  foudre.   606. 

Ces  deux  vaillants  héros,  atteints  profondément  de 
leurs  flèches  et  de  leur  rapidité  mutuelle,  tombèrent  alors 
sur  le  siège  de  leurs  chars.  607. 

Dès  qu'il  vit  le  fils  de  Drona  sans  connaissance,  aussi- 
tôt, sire,  son  cocher  l'emmena  hors  du  champ  de  bataille, 
à  la  vue  de  toute  l'armée.  608. 

De  même,  quand  le  cocher  du  Pândouide  vit  Bhîma- 
séna  montrer  à  chaque  instant,  sire,  le  dérangement  de 
son  esprit,  il  retira  sur  le  char,  hors  de  la  plaine  du 
combat,  ce  destructeur  des  ennemis.   609. 

«  Raconte-moi  comment  fut  la  bataille  d'Arjouna  avec 
les  conjurés,  interrompit  Dhritarâshtra,  et  des  autres  mo- 
narques avec  les  Pândouides  ;  610. 

»  S'il  y  eut  un  nouveau  combat  d'Açwatthâman  avec 
Arjouna,  et  des  autres  souverains  avec  les  fils  de  Pàndou  ; 
raconte- le-moi,  Sandjaya?  »   611. 

Ecoute,  sire,  de  ma  bouche,  répondit  l'interrogé,  com- 
ment se  déroula,  des  ennemis  avec  nos  guerriers ,  ce 
conflit,  qui  détruisait  les  existences  dans  les   corps.   612. 

Quand  le  Prithide  fut  entré  dans  l'armée  des  conjurés, 
semblable  à  une  mer,  il  l'agita  par  ses  coups  destructeurs 


KARNA-PARVA  515 

des  ennemis,  de  même  que  l'océan  est  troublé  par  un 
vent  orageux.  613. 

Dhanandjaya  de  trancher,  avec  ses  bhallas  acérés,  les 
têtes  des  héros,  et  d'abattre  leurs  visages,  ornés  de  jolies 
dents,  de  beaux  sourcils,  de  charmants  yeux,  et  semblables 
à  la  lune  en  son  plein  ;  Qïlx. 

Il  en  eut  bientôt  jonché  la  terre  comme  de  lotus  séparés 
de  leurs  tiges.  Arjouna  de  couper  aux  ennemis  dans  ce 
combat  avec  ses  flèches  en  rasoir  leurs  bras  longs,  pote- 
lés, bien  arrondis,  parfumés  d'aloës  et  de  sandal,  revêtus 
de  la  manique,  portant  leurs  armes  et  semblables  à  des 
serpents  à  cinq  têtes.   615 — 616. 

Plus  d'une  fois,  le  Pândouide  trancha  de  ses  bhallas 
les  mains,  armées  de  leurs  flèches,  ornées  de  leurs  joyaux, 
les  arcs,  les  drapeaux,  les  cochers,  les  chevaux  et  les 
cavaliers  (1).   617. 

Arjouna  conduisit  dans  le  combat  au  palais  d'Yama, 
sire,  avec  plusieurs  milliers  de  flèches,  les  chars,  les  élé- 
phants, les  chevaux  et  les  cavaliers.  618. 

Remplis  de  colère,  les-premiers  des  braves,  mugissants 
comme  des  taureaux,  qui  ont  senti  les  fumées  d'un  rival, 
couraient,  pleins  d'ébriété  sur  le  héros  irrité,  échangeant 
avec  lui  des  coups  de  flèches,  tels  que  des  taureaux  avec 
leurs  cornes.  Ce  combat  de  lui  et  d'eux  faisait  se  hérisser 
le  poil  d'épouvante;  619 — 620. 

Ainsi  fut,  pour  la  conquête  des  trois  mondes,  la  bataille 
des  Daîtyas  avec  le  Dieu,  qui  tient  la  foudre.  Lorsqu'il  eut 
arrêté  de  tous  les  côtés  avec  ses  astras  les  astras  des  enne- 
mis, Arjouna  621. 

fl)  Dourydn  douri/agntûn,  texte  île  Bomoay. 


516  LE  MAHA-BHARATA. 

Les  perça  d'une  main  hâtée  avec  ses  flèches  nombreuses 
et  leur  ôta  la  vie.  Les  combattants  immolés  avec  les  co- 
chers, les  ceintures  des  éléphants  et  les  caisses  des  chars 
en  pièces,  622. 

Les  carquois  et  les  armes  dispersés,  les  drapeaux  dé- 
chirés, les  chars  réduits  à  ne  pas  laisser  après  eux  un  seul 
morceau,  comme  le  vent  fait  des  grands  nuages,  les  roues 
et  les  moyeux  échappés,  les  attaches  et  les  couples  tom- 
bées, sans  timons,  sans  gardes,  les  traits  et  les  rênes 
cassés  :  tel  fut  l'exploit  admirable,  causant  la  stupéfac- 
tion de  tous,  accroissant  l'épouvante  des  ennemis,  égal  à 
la  prouesse  d'un  millier  de  grands  héros,  qui  fut  accompli 
par  le  Victorieux  Arjouna.  623 — 624 — 625. 

Les  Tchâranas,  les  Siddhas,  les  chœurs  des  Dévarshis 
le  célébrèrent  ;  les  tambours  des  Dieux  battirent,  et  des 
pluies  de  fleurs  tombèrent  du  ciel  sur  la  tête  de  Réçava 
et  d' Arjouna.  Une  voix,  qui  ne  venait  pas  d'un  corps,  dit 
ces  mots  :  «  Ces  deux  héros,  Arjouna  et  Kéçava,  ont  tou- 
jours porté  la  splendeur  de  l'armée  enflammée  des  étoiles, 
du  feu,  du  vent,  de  la  lune  et  du  soleil.  Ces  deux  héros 
invincibles,  montés  dans  un  même  char,  sont  comme 
Brahma  et  Içâna.  626—627—628. 

»  Ce  sont  Nara  et  Nârâyana.  les  héros  les  plus  grands 
entre  tous  les  êtres!  »  Dès  qu'il  eut  vu  et  qu'il  eut  en- 
tendu ce  merveilleux  prodige,  629. 

Açwatthâman  fondit  aussitôt  dans  le  combat  sur  les 
deux  Krishnas  ;  et  le  fils  de  Drona  dit  en  riant  et  le  pro- 
voquant, son  dard  à  la  main,  ces  mots  au  Pândouide,  qui 
lançait  des  flèches,  destructives  des  ennemis  :  «  Si  tu 
penses,  héros,  que  je  suis  venu  ici  en  hôte  digne  de  toi, 

630— 631. 


KARNA-PARVA.  517 

»  Donne-moi  donc  maintenant  de  toute  ton  àme  l'hos- 
pitalié  du  combat!  »  Défié  par  le  fils  de  l'Atchârya,  au- 
quel le  désir  de  combattre  inspirait  ces  nobles  paroles, 

Arjouna  crut  en  estime  pour  ce  héros  même  et  tint  ce 
langage  à  Djanârddana  :  «  11  faut  que  je  tue  les  conjurés  ; 
mais  voici  le  Dronide,  qui  me  provoque  !  632 — (533. 

»  Dis -moi,  Mâdhava,  ce  qui  convient  immédiatement 
ici  !  Que  les  honneurs  de  cette  hospitalité  soient  accordés, 
s'il  te  plaît,  au  rival,  qui  se  lève  devant  nous  !  »   634. 

A  ces  mots,  Krishna  de  voiturer  le  Prithide,  défié 
d'une  manière  triomphante,  en  présence  du  fils  de  Drona  : 
ainsi,  le  Vent  mène  Indra  au  sacrifice.  635. 

Kéçava  de  saluer  le  Dronide,  qui  n'avait  qu'une  seule 
pensée,  et  de  lui  dire  :  «  Açwatthâman,  sois  ferme  et  ris; 
tu  vas  combattre  à  l'instant.  636. 

»  Voici  le  moment  pour  les  vivants  d'offrir  le  gâteau 
funèbre  aux  mânes  d'un  parent  ;  c'est  une  question  sub- 
tile de  savoir  si  ces  deux  vigoureux  kshatryas  sont  in- 
vincibles ou  non  à  des  brahmes.  637. 

<>  Sois  ferme  et  combats  maintenant  le  Pândouide  avec 
le  souhait  d'obtenir  de  lui  cette  pieuse  cérémonie  funèbre, 
où  tu  aspires  dans  ta  démence.  »   638, 

A  ces  mots  du  Vasoudévide  :  «  Qu'il  en  soit  ainsi!  » 
répondit  le  plus  grand  des  brahmes,  qui  blessa  Kéçava 
de  soixante  et  Arjouna  de  trois  nâràtchas.  639. 

Phàlgouna,  dans  une  ardente  colère,  trancha  son  arc 
avec  trois  flèches  ;  mais  le  fils  de  Drona  s'arma  d'un 
autre  beaucoup  plus  terrible  ;  6/i0. 

Et, l'ayant  muni  de  sa  corde  dans  l'intervalle  d'un  clin- 
d'œil,  il  fr  ppa  Kéçava  et  Arjouna;  il  perça  de  trois  cents 
le  Vasoudévide  et  de  mille  le  fils  de  Prithâ.   6M. 


518  LE  MAHA-liHARATA. 

Puis,  d'arrêter  Arjoùna  qui  s'avançait  dans  le  combat, 
et  de  lancer  des  traits  par  milliers,  par  million?,  par  cen- 
tae86S.de  millions.   6û2. 

K)  Las  flécteg,  tombaient  au  récitateur  des  saintes  écri- 
jtaDQs[de-)Si0iI  aaafqçolSj  de  son  arc,  de  sa  corde,  de  ses 
bras,.^Jse^ft&iu^demi$©hrihuj  ,de  son  visage,  de  son 
t>rgiaiî^dJ&u3tiqik&}yfeieosi  ses 

jasetonbi>es,J  cteKBes)J^f)f^£'0<^e9^ss>  p&upièffesipdeesbni  .nfha'rl'et 
de  se&MlrapôaiiQœjï  fifc&f^tôâ'&l  92  'rfr*   ' 
oilQuarcêirîlrélit'  percé   d'une  nombreuse  multitude  de 
flèches  Mâdhava  et  le  Pândouide ,  Açwatthàman  joyeux 
poussa  un  cri  égal  au  son  d'une  masse  de  grands  nuages. 

A  peine  eut-il  entendu  son  cri,  le  Pândouide  tint  ce 
langage  à  l'Immortel  :  «  Vois,  Mâdhava,  quelle  est  à  mon 
égard  la  méchanceté  du  fils  de  l'Atchârya  !  tf&5 — 646. 

»  Il  nous  regarde  comme  arrivés  (1)  à  la  mort  et  déposés 
déjà  sur  un  lit  de  flèches!...  Me  voici  !  Je  détruirai  cette 
pensée  de  lui  par  ma  science  et  ma  vigueur  !  »   647. 

Il  coupa  en  trois  chacun  des  traits,  que  décochait 
Açwatthàman,  et  le  plus  éminent  des  Bharatides  les  dis- 
sipa comme  le  vent  emporte  une  gelée  blanche.   6/18. 

Ensuite,  le  fils  de  Pândou  extermina  une  seconde  fois, 
de  ses  terribles  dards,  les  conjurés  avec  les  chevaux,  les 
cochers,  les  chars,  les  éléphants,  les  drapeaux  et  les  ba- 
taillons de  fantassins.   649. 

Chacun  des  hommes,  que  l'on  vit  étaler  ces  formes  de 
blessures,  pensait  alors  qu'il  s'était  rempli  soi-même 
de  (lèches  par  sa  propre  puissance.  650, 

Les  traits  aux  formes  diverses,  lancés  par  le  Gandiva, 

(1)  Pràptaâu,  texte  de  Bombay. 


RARNA-PAIWA.  519 

frappent  dans  ce  combat  les  hommes  et  les  éléphants,  fus- 
sent-i's  placés  à  la  distance  d'une  grande  lieue.  651. 

Tranchées  par  les  bhallas,  les  trompes  des  éléphants, 
qui  versent  le  mada  comme  une  pluie,  tombaient,  telles 
que  des  arbres  immenses  sous  les  coups  de  la  hache.  652. 

Ensuite,  s'affaissaient,  comme  des  montagnes,  avec  les 
guerriers,  qu'ils  portaient,  les  proboscidiens  eux-mêmes, 
tels  que  des  massifs  d'arbres  brisés  par  la  foudre  du  Dieu, 
qui  tient  le  tonnerre.   653. 

Plein  de  la  furie  des  combats,  Dhanandjaya  fit  pleuvoir 
la  grêle  de  ses  traits  sur  des  chars  bien  équipés,  ayant  les 
formes  de  la  ville  des  Gandharvas,  montés  de  vaillants 
guerriers,  attelés  de  chevaux  rapides  et  bien  dressés,  il 
réduisit  en  morceaux  les  ennemis,  fantassins  et  cavaliers 
aux  riches  ornements.  65ZI  — 655. 

Tel  que  le  soleil  au  terme  d'un  youga,  Dhanandjaya  tarit 
la  grande  mer  des  conjurés,  difficile  à  dessécher,  avec  ses 
flèches  acérées  en  guise  de  rayons  lumineux.  656. 

A  son  tour,  en  se  hâtant,  le  Dronide  fendit  cette  alpe 
sourcilleuse  avec  ses  nârâtchas  d'une  grande  vitesse  et 
semblables  à  la  foudre,  comme  une  montagne  est  brisée 
par  le  tonnerre.  657. 

Animé  par  le  désir  des  combats,  le  fils  irrité  de  l'A- 
tchârya  s'en  alla  combattre  le  Prithide,  ses  chevaux  et  son 
cocher,  avec  ses  flèches  ;  mais  Phâlgouna  de  lui  trancher 
ses  dards.  658. 

Açvvatthâman,  au  comble  de  la  colère,  décocha  ses 
traits  au  Pàndouide,  comme  on  enverrait  une  épouse  à  un 
pandit,  son  hôte.   659. 

Et  Dhanandjaya,  abandonnant  les  conjurés,  s'avança 
vers  le  lils  de  Drona,  de  même  qu'un  bienfaiteur,  s'éloi- 


520  LE  iYiAHA-BHAUATA. 

gnant  d'un  indigent  prolétaire,  s'approche  du   pauvre, 
qui  est  de  son  rang.   (560. 

Ensuite,  naquit  ie  combat  de  ces  deux  héros,  quiavaient 
ia  splendeur  d'Angiras  et  de  Çoukra  :  ainsi,  dans  les 
deux,  près  des  constellations,  se  passe  la  bataille  entre  ces 
deux  rishis.   661. 

Se  brûlant  mutuellement  par  les  rayons  enflammés  des 
flèches,  ils  se  tenaient,  causant  l'effroi  des  mondes,  comme 
deux  planètes  malfaisantes.  662. 

Arjouna  le  perça  grièvement  d'un  nârâtcha  au  milieu 
des  sourcils,  et  le  Dronide  brillait  sous  cette  blessure,  de 
même  que  le  soleil,  qui  projette  en  haut  ses  rayons.  663. 

Atteints  fortement  par  les  centaines  de  flèches,  que  lan- 
çait Açwatthâman,  les  deux  Krishnas  ressemblaient  à  deux 
soleils,  pleinement  épanouis  dans  la  multitude  de  leurs 
rayons  à  la  fin  d'un  youga.   664. 

Dans  ce  moment  où  le  Vasoudévide  était  vaincu,  Ar- 
jouna d'envoyer  un  astra,  qui  avait  un  tranchant  de  tous 
les  côtés,  et  de  frapper  le  fils  de  Drona  avec  des  flèches, 
qui  ressemblaient  à  la  foudre,  au  feu,  au  sceptre  d'Yama. 

Le  brahme  à  la  grande  splendeur,  aux  œuvres  très-épou- 
vantables blessa  dans  les  membres  Arjouna  et  Kéçava. 
Dès  que  celui-là  eut  arrêté  les  flèches  du  Dronide  en  ses* 
efforts  avec  deux  fois  autant  de  traits  bien  associés,  bien 
empennés,  de  la  plus  terrible  vitesse,  et  dont  les  coups 
auraient  ému  la  mort  elle-même  ;  dès  qu'il  en  eut  couvert 
ce  chef  des  guerriers  avec  son  drapeau,  ses  chevaux  et  son 
cocher,  il  s'avança  contre  l'armée  des  conjurés, 

Les  ares,  les  dards,  les  carquois,  la  corde  de  l'arc,  les 
mains,  les  bras,  la  flèche  tenue  au  poing,  les  ombrelles, 
les  drapeaux,  les  coursiers,  les  couvertures  des  chars,  les 


KARNA-PARVA.  521 

bouquets  de  ileurs  et  les  parures.  665 — 666 — 667 — 6H8. 

Les  plus  vaillants  des  hommes,  les  éléphants,  les  che- 
vaux, les  chariots  parfaitement  équipés,  montés  par  des 
guerriers  héroïques,  qui  avaient  déployé  leurs  efforts, 
tombèrent,  abattus  sous  les  centaines  de  traits,  décochés 
par  le  fils  de  Prithâ.  669. 

Continuellement  croulaient  sur  la  terre,  coupés  par  les 
rasoirs,  les  demi-lunes,  les  bhallas,  les  têtes  des  héros, 
flamboyantes  de  parures,  de  bouquets,  de  tiares,  avec  des 
visages  semblables  à  la  lune  en  son  plein,  au  soleil  et  au 
lotus.   670. 

Les  héros  Nishâdas,  Angas,  Bangas  et  Kalingas,  brû- 
lants de  lui  arracher  la  vie,  fondirent,  avec  des  éléphants, 
pareils  aux  éléphants  des  Asouras,  ennemis  des  Immor- 
tels, sur  le  violent  Pândouide,  qui  enlevait  l'orgueil  aux 
ennemis  des  Dieux.   671. 

Le  fils  de  Prithâ  coupa  les  cuirasses,  les  boucliers,  les 
trompes,  les  cornacs  (1),  les  drapeaux  de  ces  éléphants  ;  et 
les  étendards  tombèrent  comme  des  cimes  de  montagnes, 
frappées  du  tonnerre.  672. 

Aussitôt  qu'il  les  eut  rompus,  Kirîti  de  couvrir  le  (ils  du 
gourou  avec  ses  dards,  semblables  au  soleil  nouveau, 
comme  le  vent  masque  l'astre  radieux  à  son  lever  avec  des 
masses  de  grands  nuages.  673. 

Ensuite,  le  Dronide  abattit  de  ses  traits  acérés  les  traits 
d'Arjouna  :  il  en  couvrit  entièrement  Phâlgouna  et  le  Va- 
soudévide,  tel  qu'un  nuage  voile  au  milieu  du  ciel,  à  la  fin 
des  chaleurs,  le  soleil  ou  la  lune,  et  poussa  un  rugissement 
de  guerre.  674 . 

(1)  Niyantrin,  texte  de  Bombay; 


522  LE  MAHA-BHARATA. 

Mais,  en  proie  à  ces  flèches,  Arjouna  de  s'avancer  vers 
les  tiens,  il  produisit  soudain  une  obscurité  de  traits  et  les 
blessa  tous  de  ses  dards  à  la  belle  empennure.  675. 

On  ne  voyait  pas  Arjouna  dans  son  char,  ni  prendre  ses 
dards  au  carquois,  ni  les  encocher,  ni  les  tirer  ;  mais  on 
voyait  les  chars,  les  éléphants,  les  coursiers,  les  fantas- 
sins immolés  et  le  corps  cousu  de  flèches.  676. 

Le  Dronide  encocha  lestement  dix  excellents  nârâtchas 
et  les  envoya  comme  un  seul  d'une  main  hâtée;  cinq  de 
ces  traits  bien  empennés  blessèrent  Arjouna  et  cinq  fen- 
dirent le  Vasoudévide.   677. 

Les  premiers  de  tous  les  hommes,  ces  deux  braves, 
semblables  à  Indra  etKouvéra,  laissaient  échapper  le  sang 
de  leurs  veines,  et  les  autres  guerriers  pensèrent:  «Ces 
deux  héros  blessés  dans  le  combat,  furent  vaincus  par  un 
mortel,  qui  possède  complètement  la  science  de  l'arc  !  » 

«  Pourquoi  balancer  ?  dit  à  Arjouna  le  roi  des  Daçâ- 
rhains.  Immole  ce  guerrier  !  Une  faute  sera  commise  par 
l'homme  trop  circonspect!  Il  ressemble,  cet  infortuné,  à 
une  maladie,  contre  laquelle  on  n'emploie  pas  de  remède.  » 

«  Oui  !  »  répondit-il  à  l'Atchyouta  !  et,  mettant  décote 
la  négligence,  [envoya  des  traits,  qui  frappèrent  au  Dro- 
nide avec  effort  ses  bras  arrondis,  imprégnés  de  l'essence 
même  du  sandal,  sa  tête  et  sa  poitrine  grandes,  incompa- 
rables.  678—679—680. 

Irrité,  il  blessa  Le  fils  de  Drona  dans  cette  bataille  avec 
des  traits  lancés  par  le  Gândîva,  et  qui  ressemblaient  aux 
vikarnas  ;  et,  quand  il  eut  coupé  ses  rênes  et  ses  chevaux, 
les  spectateurs  dirent  qu'il  se  trouvait  extrêmement  loin 
du  combat  !  681. 

Complètement  vaincu  par  les  flèches  du  Prithide,  em- 


KARNA-PARVA.  523 

porté  par  ses  chevaux,  rapides  comme  le  vent,  le  sage  s'en 
alla;  il  n'aspira  plus  à  un  nouveau  combat  avec  le  fils  de 
Prithâ,  dont  il  avait  fait  l'expérience.   682. 

Ayant  reconnu  que  la  victoire  était  fidèle  à  Dhanandjaya, 
protégé  par  l'ineffable  Vrishnide,  le  plus  excellent  des  An- 
girasides  entra  légèrement  dans  l'armée  de  Karna,  ses 
efforts  brisés,  ses  moyens,  ses  astras  et  ses  traits  dé- 
truits. 

Quand  il  eut  arrêté  ses  coursiers  et  raffermi  son  cou- 
rage, le  Dronide  entra  donc  en  l'armée  de  Karna,  remplie 
de  guerriers,  de  chevaux  et  de  chars.  683 — 68Zi. 

Dès  que  ses  coursiers  eurent  entraîné  hors  du  champ  de 
bataille  Açwatthâman,  l'ennemi  acharné,  de  même  qu'une 
maladie  est  chassée  du  corps  par  la  combinaison  des  re- 
mèdes, des  simples  et  des  vers  magiques,  685. 

Arjouna  et  Kéçava  de  s'avancer,  le  front  tourné  vers  les 
conjurés,  sur  un  char,  qui  résonnait  comme  les  flots  et 
dont  le  drapeau  était  agité  par  le  souffle  du  vent.  686. 

Cependant  il  s'élevait  au  nord,  dans  l'armée  des  Pàn- 
douides  un  bruit  de  chars,  d'éléphants,  de  chevaux  et  de 
fantassins,  que  le  roi  taillait  en  pièces.   687. 

Kéçava,  ayant  fait  retourner  le  char,  dit  à  Phâlgouna, 
en  ramenant  sur  leurs  pas  ses  coursiers,  qui  avaient  la  ra- 
pidité du  vent  ou  de  Garouda  :  688. 

<.  Mâgadha,  d'une  vaillance  extrême  et  monté  sur  son 
éléphant  meurtrier,  n'était  pas  inférieur  à  Bhagadatta 
lui-même,  ni  en  instruction,  ni  en  force.  689. 

»  Quand  tu  l'auras  immolé  tu  abattras  ensuite  les  con- 
jurés. »  Comme  il  achevait  ces  mots,  il  conduisit  le  fils 
de  Prithâ  en  lace  de  Dandadhâra  :  690. 

«  Ce  roi  des  Mâgadhains,  tel  qu'une  comète  sans  che- 


524  LE  MAHA-BHARATA. 

veux,  n'est  inférieur  à  personne,  quand  il  a  pris  son  élé- 
phant et  son  croc  aigu.  Épouvantable,  il  a  broyé  la  terre 
entière  et  l'armée  des  ennemis,  comme  une  comète  épa- 
nouie !  601. 

»  Voilà  ce  broyeur  des  ennemis  au  son  pareil  à  celui 
d'un  grand  nuage,  le  voilà  bien  équipé,  et  semblable  aux 
bataillons  des  Dânavas  !  Les  attaquant,  il  a  détruit  de 
par  milliers  les  troupes  des  éléphants,  des  chevaux,  des 
ses  flèches  chars,  et  des  guerriers  eux-mêmes.  »   692. 

Affrontant  les  chars,  les  coursiers,  les  cochers  et  les 
guerriers,  le  géant  pachyderme  les  broyait  sous  ses 
j >ieds  :  il  écrasait  de  sa  trompe  et  de  sa  marche  les  éléphants 
ennemis,  tel  que  la  mort  malfaisante.   693. 

Ayant  renversé  les  guerriers,  ornés  de  leurs  cuirasses 
de  fer,  et  les  chevaux,  et  les  fantassins,  il  les  triturait 
bruyamment,  comme  de  grands  roseaux,  sous  les  pieds  de 
son  vigoureux  éléphant,  le  plus  excellent  des  pachy- 
dermes. 69Zi. 

Arjouna  (1)  fondit  sur  le  gigantesque  éléphant  avec  son 
éminent  chariot,  retentissant  de  tambourins,  de  tambours, 
de  plusieurs  conques,  avec  le  grincement  des  roues  et  le 
bruit  de  sa  corde,  dans  ce  combat  rempli  de  chars,  d'élé- 
phants et  de  chevaux  par  milliers.   695. 

Ensuite,  Dandadhara  atteignit  Arjouna  avec  douze  et 
Djanârddana  avec  seize  flèches  ;  il  frappa  ses  chevaux  de 
trois  dards  individuellement  et  se  mit  à  rire  trois  et  quatre 
lois.   696. 

En  retour,  le  fils  de  Prithâ  lui  coupa  sa  corde,  ses 

(1)  Arjounas,  du  texte  de  Bombay,  au  nominatif,  qu'il  faut  à  la  phrase 
pour  lui  donner  un  sens,  au  lieu  d'Arjounan  à  l'accusatif,  que  rien  ne 
justifie  dans  l'édition  de  Calcutta. 


KARNA-PARVA.  525 

flèches,  son  arc,  son  drapeau  avec  ses  ornements  ;  puis, 
il  blessa  ceux,  qui  menaient  ses  chevaux  et  les  hommes 
attachés  à  ses  pas;  enfin,  il  s'irrita  comme  le  Dieu,  qui 
préside  aux  chaînes  de  montagnes.  697. 

L'autre,  qui  désirait  ébranler  fortement  Arjouna  avec 
son  éléphant  aux  joues  fendues,  qui  versait  une  épaisse 
liqueur  de  mada,  et  possédait  une  vigueur  égale  à  celle 
du  vent,  frappa  de  ses  leviers  de  fer  Djanârddana  et 
Dhanandjaya.  698. 

Le  Pândouide  eut  bientôt  coupé  de  trois  flèches  en  ra- 
soir ses  bras  semblables  à  la  trompe  de  l'éléphant,  sa  tête 
et  son  visage  pareil  à  une  lune  en  son  plein  ;  puis,  il  diri- 
gea des  centaines  de  traits  sur  le  proboscidien  lui-même. 

Atteint  par  les  flèches  du  Prithide,  l'éléphant,  couvert 
d'ornements  d'or  et  qui  portait  une  cuirasse  d'or,  brillait 
en  ce  moment,  tel  que  l'on  voit  dans  la  nuit  resplendir 
une  montagne,  dont  les  plantes  annuelles  et  les  arbres 
brûlent  dans  l'incendie  spontanée  d'une  forêt. 

699—700. 

En  proie  à  la  douleur,  l'animal  errait,  mugissait,  se 
mouvait,  chancelait  et  courait,  avec  le  bruit  des  nuages  ; 
enfin,  percé  d'outre  en  outre,  il  tomba  avec  son  conduc- 
teur, comme  une  montagne,  que  le  tonnerre  a  déchirée. 

Après  la  mort  de  son  frère,  tué  avec  cet  éléphant  cou- 
leur d'or,  aux  bouquets  de  fleurs  en  or,  et  semblable  à  la 
cîme  en  or  d'une  alpe  élevée,  Danda  de  s'avancer,  impa- 
tient d'arracher  la  vie  à  Dhanandjaya,  le  frère  mineur 
d'Indra.  701—702. 

Il  darda  trois  leviers  de  fer,  pareils  aux  rayons  de  la 
lumière  ou  à  la  flamme  du  soleil  ;  il  en  expédia  cinq  à 
Dhanandjaya,  et  poussa  un  vaste  cri;  mais,  répondant 


526  LE  MAHA-BHARATA. 

avec  sa  voix  à  cette  immense  clameur,  Phâlgouna  de  lui 
couper  les  bras.   703. 

Entièrement  tranchés  par  ces  dards  en  rasoir,  ces  deux 
bras  avec  leurs  grands  leviers  de  fer,  leurs  éblouissants 
bracelets,  et  la  poudre  de  sandal,  dont  ils  étaient  arrosés, 
tombés  du  même  coup  sur  la  terre,  y  brillaient  comme 
deux  resplendissants  reptiles,  qu'une  même  chute  amène 
du  sommet  d'une  montagne.   70Zi. 

Sa  tête,  que  Rirîii  enleva  avec  une  demi-lune,  croulant 
du  pachyderme  sur  la  terre,  illumina  cette  région  avec  le 
sang,  qu'elle  répandait,  comme  le  père  du  jour,  descendu 
au  mont  Asta,  éclaire  de  ses  rayons  la  contrée  occiden- 
tale.  705. 

Le  fils  de  Prithâ  fendit  de  ses  flèches  triomphantes, 
semblables  à  des  rayons  de  lumière,  cet  éléphant,  égal 
aux  grandes  masses  de  nuées  blanches  ;  et  l'animal,  pous- 
sant des  cris,  tomba,  comme  le  sommet  d'une  montagne, 
que  le  tonnerre  d'Indra  vient  de  frapper.  706. 

Les  autres  éléphants  de  haute  taille,  pareils  à  celui-ci 
et  désireux  de  remporter  la  victoire,  furent  traités  de  cette 
manière  par  Kirîti  dans  la  bataille  ;  et  ces  deux  éléphants 
abattus,  l'immense  armée  de  l'ennemi  fut  enfoncée.   707. 

Des  chars,  des  éléphants,  des  chevaux,  des  bataillons 
de  guerriers  s'affaissaient  à  la  ronde,  s' entr' égorgeant 
les  uns  les  autres  ;  et  des  hommes,  de  qui  la  renommée 
avait  beaucoup  parlé,  tombaient  dans  le  combat,  chance- 
lant sous  leurs  mutuelles  blessures.  708. 

Arjouna  fut  environné  de  ses  guerriers,  comme  Pou- 
randara  est  entouré  par  les  chœurs  des  Dieux  :  «  Créa- 
tures animées,  que  nous  sommes,  lui  dirent-ils,  nous 
avons  craint  la  mort,   qu'il  pouvait  nous  donner,  mais 


KARNA-PARVA.  527 

heureusement,  héros,  tuas  immolé  notre  ennemi!  709. 

!>  Si  tu  ne  sauves  pas  (1)  de  la  crainte  ce  peuple  tour- 
menté ainsi  par  des  ennemis  puissants,  tu  feras  plaisir  à 
nos  rivaux  ;  comme  (2)  la  joie  sera  pour  nous,  dompteur 
des  ennemis,  si  tu  leur  donnes  la  mort.  »   710. 

Lorsqu'il  fut  revenu,  Djishnou  immola  un  grand  nombre 
de  conjurés,  comme  la  planète  Angarâkadans  son  passage 
malfaisant  et  sinistre.  711. 

Atteints  par  les  flèches  du  Prithide,  sire,  les  éléphants, 
les  chars,  les  chevaux,  les  guerriers  vacillaient,  erraient, 
périssaient,  s'affaissaient  et  languissaient.   712. 

Les  coursiers  et  les  cavaliers,  les  cochers,  les  drapeaux, 
les  arcs,  les  flèches,  les  mains,  les  armes  portées  à  la  main, 
les  bras  et  les  têtes  des  héros  ennemis,  combattant  contre 
lui,  furent  coupés  dans  la  bataille  par  le  Pàndouide  avec 
ses  bhallas,  ses  rasoirs,  ses  demi-lunes  et  sesvatsadantas. 

713— 71  h. 

Les  braves  tombaient  par  centaines  et  par  milliers  dans 
leur  désir  de  combattre  Arjouna,  comme  des  taureaux, 
qui  veulent  combattre  un  taureau,  aussitôt  qu'ils  ont  senti 
ses  fumées.  715. 

Ce  combat  d'eux  et  de  lui  était  épouvantable,  pareil  à 
celui  où  les  Daîtyas  disputaient  au  Dieu,  qui  tient  la 
foudre,  la  conquête  des  trois  mondes.  716. 

Le  fils  d'Ougrâyoudha  le  blessa  de  trois  flèches,  sem- 
blables à  des  serpents  venimeux  ;  et  le  Pàndouide  enleva 
la  tête  à  son  corps.   717. 

(1)  Deux  négations  valent  une  affirmation  :  si  tu  sauves  ce  peuple, 
implique  un  contre  sens;  quand  deux  négations  sont  de  suite,  dirons-nnu? 
paradoxalement,  la  seconde  confirme  la  première  :  Na  tchéd  arakshya. 

(2)  Yathà,  texte  de  Bombay. 


528  LE  MAHA-BHARATA. 

Irrités,  ils  firent  pleuvoir  de  tous  les  côtés  sur  Arjouna 
des  traits  de  plusieurs  sortes  :  tels,  au  départ  de  la  saison 
des  chaleurs,  les  nuages,  chassés  par  le  souffle  du  vent, 
inondent  l'Himavat.   718. 

Mais  aussitôt  qu'il  eut  arrêté  de  toutes  parts  les  traits 
avec  ses  traits,  Arjouna,  de  ses  flèches  bien  décochées, 
fit  mordre  la  poussière  à  tous  les  ennemis  en  grand 
nombre.  719. 

Arjouna  de  ses  dards  les  eut  bientôt  réduits  sans  dra- 
peaux, sans  chars,  sans  disque  de  guerre,  toutes  leurs  ar- 
mures détachées,  les  carquois  échappés  de  leurs  mains, 
les  caisses  de  chars  renversées  en  multitude,  les  conduc- 
teurs à  pied  de  leurs  premiers  chevaux  abattus  à  droite  et 
à  gauche,  les  moyeux,  les  attaches,  les  traits  cassés,  les 
voitures  sans  couple,  sans  pièces  de  soutènement  (1). 

Ces  chars,  tombés  là,  souvent  plusieurs  à  la  fois,  bril- 
laient comme  les  plus  excellents  et  ressemblaient  aux  pa- 
lais des  riches,  où  les  cérémonies  du  feu,  du  vent  et  de 
l'eau  sont  interrompues.  720 — 721 — 722. 

Les  éléphants  aux  cuirasses  brisées  sous  les  flèches, 
semblables  au  tonnerre  de  la  foudre,  tombaient,  tels  que 
des  cîmes  de  montagnes  ou  le  sommet  des  palais  abattus 
sous  la  chute  des  feux  du  tonnerre.  723. 

Les  chevaux  et  les  cavaliers  tombaient  en  grand  nombre, 
percés  par  les  guerriers  ;  il  avaient  la  langue  et  les  en- 
trailles saillantes,  et  la  vie  éteinte,  ils  mouraient  sur  la 
terre.  724. 

Cousus  de  nârâtchas  par  l'Ambidextre,  les  guerriers, 
les    chevaux,    les    éléphants,   tombaient,    auguste   roi, 

'{)  Commentaire. 


KARNA-PA1WA.  529 

erraient,  poussaient  des  plaintes,  vacillaient  et  languis- 
saient.  725. 

Ainsi  que  le  grand  Indra  faisait  mordre  la  poussière  aux 
Dânavas,  de  même  le  fils  de  Prithà  les  inondait  sous  ses 
flèches  en  grand  nombre,  semblables  au  poison  de  la 
foudre  et  resplendissantes  sur  la  pierre,  comme  le  ton- 
nerre. 726. 

Les  héros  avec  leurs  drapeaux,  avec  leurs  chars,  avec 
leurs  armes  excellentes,  parés  de  cuirasses  d'un  grand 
prix,  gisaient  sous  diverses  formes,  immolés  par  le  fils 
de  Prithâ.   727. 

Des  mortels  aux  œuvres  saintes,  cités  par  leur  famille 
distinguée,  sont  allés  de  leur  corps  sur  la  terre,  comme 
l'on  conquiert  le  ciel  par  des  œuvres  puissantes.  728. 

Les  tiens,  chefs  de  plusieurs  contrées  habitées,  fon- 
dirent avec  leur  armée  et  le  sentiment  de  la  colère  sur 
Arjouna,  le  meilleur  des  maîtres  de  chars.   729. 

Des  héros,  portés  sur  des  éléphants,  des  chevaux, 
des  chars,  et  des  hommes  de  pied,  ambitionnant  la  victoire, 
accoururent  (1),  disséminant  diverses  armes  au  vol  ra- 
pide. 730. 

Alors  ce  vent  d' Arjouna  dissipa  bientôt  sous  ses  flèches 
acérées  cette  grande  pluie,  formée  d'armes,  que  versaient 
de  grands  nuages  composés  de  combattants.   731. 

«  Prithide,  pourquoi  t'aventurer,  mortel  sans  péché  ? 
dit  le  Vasoudévide  au  fils  de  Prithâ,  qui  désirait  traverser 
sur  un  pont,  bâti  d'astras  et  de  traits,  ce  combat  rempli 
d'une  multitude  de  grandes  flèches,  avec  des  chars,  des 
éléphants,  des  fantassins  et  des  chevaux.  732 — 733. 


(1)  Samabhyadhâvan,  texte  de  Bombay. 

ix  34 


530  LE  MAHA-BHARATA. 

«  Oui  !  »  répondit-il  à  Krishna,  et,  les  abattant  avec  sa 
flèche,  il  tua  violemment  ce  qui  restait  des  conjurés, 
comme  Indra  extermina  les  Daîtyas.   734. 

Les  hommes,  qui  apportent  le  plus  de  soin  dans  leur 
observation ,  ne  le  voient  pas  même  dans  le  combat 
prendre  son  trait  au  carquois,  et  encocher,  ou  lancer  ra- 
pidement sa  flèche.  735. 

«  C'est  un  prodige  !  »  disait  en  lui-même  Govinda.  Et 
ses  dards  pénétraient  dans  l'armée,  comme  les  cygnes 
entrent  dans  un  lac  du  mont  Asta,  doré  par  les  rayons  du 
soleil.  736. 

Tandis  que  ce  carnage  des  peuples  se  déployait  sur  la 
terre  du  combat,  Govinda,  regardant  l'Ambidextre,  lui 
tint  ce  langage  :  737. 

«  Voici  un  immense  carnage,  fils  de  Prithâ,  infiniment 
épouvantable,  des  Bharatides  et  des  princes  'de  la  terre, 
qui  s'exécute  à  cause  de  Douryodhana  !  738. 

»  Vois,  Bharatide,  ces  arcs  au  dos  en  or  des  fameux 
archers,  et  ces  carquois,  et  ces  parures,  qu'ils  ont  rejetés. 

»  Vois  ces  flèches  aux  nœuds  inclinés,  aux  empennures 
faites  d'or,  et  ces  nârâtchas,  imprégnés  d'huile  de  sé- 
same, qui  ressemblent  à  des  serpents  déchaînés  ! 

»  Et  ces  leviers  de  fer  épars,  divers,  dont  l'or  fait  les 
ornements,  Bharatide,  et  ces  boucliers  rejetés  au  dos 
en  or!  739— 740— 741. 

»  Et  ces  traits  barbelés,  dont  l'or  a  changé  la  matière, 
et  ces  lances  de  fer,  ornementées  d'or,  et  ces  vastes  mas- 
suas,  où  sont  attachés  des  rubans  tissus  d'or!  742. 

»  Et  ces  glaives  forgés  d'or,  et  ces  pattiças,  dont  l'or 
fait  la  décoration,  et  ces  bâtons  de  commandement  diver- 
sifiés par  l'or,  et  ces  haches  disséminées  !  743. 


KARNA-PARVA.  581 

»  Les  pilons,  les  bhindipâlas,  les  bhouçoundis,  les 
épieux,  les  traits  harponnés  de  fer  et  les  pesants  mousha- 
las,  épars  sur  la  terre.   7hà. 

»  On  voit,  comme  s'ils  étaient  vivants,  des  hommes 
agiles,  l'âme  exhalée,  qui  tiennent  à  la  main  leurs  traits 
de  différentes  sortes  et  qui  semblent  désirer  la  victoire. 

»  Vois  les  guerriers  à  milliers  broyés  par  les  chars,  les 
éléphants,  les  chevaux,  la  tête  écrasée  par  les  moushalas, 
les  membres  piles  sous  les  coups  de  la  massue.   7/j5-7/i6. 

»  Vois  les  champs  du  combat,  meurtrier  des  ennemis, 
couverts  des  corps  expirés,  baignés  par  des  flots  de  sang, 
coupés  en  mille  morceaux,  des  coursiers,  des  éléphants, 
des  guerriers  par  les  flèches,  les  lances,  les  glaives  et  les 
leviers  de  fer,  les  cimeterres,  les  pattiças,  les  traits  bar- 
belés, les  nakharas,  et  les  bâtons  ferrés  eux-mêmes. 

»  Voici  la  terre,  qui  brille  de  bras  saupoudrés  de  san- 
dal,  ornés  de  leurs  bracelets  inférieurs  et  supérieurs, 
Bharatide,  avec  leurs  étincelantes  pierreries,  et  ceints 
de  leurmanique;  7k7—7li8 — 7Zi9. 

»  Et  de  grandes  mains  de  guerriers  impétueux,  semées 
çà  et  là  avec  leurs  décorations,  et  la  défense  de  leurs 
doigts,  coupées  telles  que  des  trompes  d'éléphants!  750. 

»  Et  de  têtes  avec  leurs  pendeloques,  riches  de  joyaux 
et  d'aigrettes  attachées,  de  chars  abattus  en  grand  nom- 
bre et  de  brillantes  clochettes  d'or.  751. 

»  Vois  ces  milliers  de  chevaux ,  arrosés  de  sang,  ces 
caisses  de  chars  brisées,  ces  carquois,  ces  drapeaux,  que 
différencient  les  enseignes,  752. 

»  Et  les  grandes  conques  des  guerriers,  leurs  blancs 
chasse-mouches,  et  les  éléphants,  la  langue  saillante, 
étendus,  semblables  à  des  montagnes,  753. 


532  LE  MAHA-BHARATA. 

»  Les  bannières  victorieuses,  les  héros,  qui  aspiraient 
à  la  victoire,  immolés,  les  couvertures  peintes  des  élé- 
phants, et  les  tapis  aux  couleurs  bien  assorties  !  75/i. 

»  Et  les  caparaçons  admirables,  aux  formes  diverses, 
arrachées  du  corps  des  proboscidiens,  et  les  sonnettes 
broyées  par  milliers  dans  la  chute  des  éléphants,  755. 

»  Les  bâtons  de  pierreries  et  de  lapis-lazuli,  les  crocs 
tombés  sur  la  terre,  les  chapelets,  liés  sur  la  tête,  dé- 
pouillés de  cheveux,  et  les  armures,  admirables  de  pierres 
fines  !  756. 

»  Et  les  cravates,  dont  l'or  a  changé  la  matière,  liées 
au  sommet  des  drapeaux  des  cavaliers,  et  les  peintures 
ornées  d'or,  aux  pierreries  admirables,  75^. 

»  Et  les  housses,  tissues  en  poil  de  rankou,  et  tombées 
du  corps  des  chevaux  sur  la  terre ,  et  les  aigrettes  en 
pierres  fines  des  souverains,  et  leurs  bouquets  en  fleurs 
d'or!  758. 

»  Vois  les  ombrelles,  les  arcs  épars,  les  chasse-mouches, 
les  éventails,  la  terre,  qui  présente  aux  yeux  l'aspect  de 
visages  aux  barbes  nouvellement  faites  (1),  comme  un 
lac  épanoui  de  koumoudas  blancs,  cl'outpalas  azurés  et  de 
lotus  rouges,  resplendissants  d'héroïsme  ou  semblables  à 
la  lune  en  son  plein.  759 — 760. 

»  Vois  cette  guirlande  de  flèches,  pareille  au  zodiaque 
dans  les  cieux,  qui  a  la  splendeur  de  la  lumière  pure  du 
ciel,  orné  du  troupeau  des  étoiles,  et  qui  étale  ses  visages 
de  souverains,  égaux  à  la  fleur  des  koumoudas  blancs  et 
des  lotus  d'azur.  Fais  dans  ce  grand  combat,  Arjouna,  ce 
qui  est  digne  de  toi,  ou  l'exploit,  qui  fut  consommé  par 

(1)  Kripta,  texte  de  Bombay. 


KARNA-PARVA.  533 

toi  dans  le  ciel  en  ta  guerre  pour  le  roi  des  Immortels.  » 

.761—762—763. 

Tandis  que  Krishna  faisait  voir  ainsi  la  terre  du  combat 
à  Rirîti,  il  entendit,  en  marchant,  un  grand  bruit  s'élever 
dans  l'armée  de  Douryodhana  :  c'était  le  rugissement  des 
tambours  et  des  conques;  c'était  le  fracas  des  tambourins 
et  des  panavas.   76ZI. 

C'était  le  bruit,  le  hennissement,  le  barrit  des  élé- 
phants, des  chevaux  et  des  chars,  auquel  se  mêlait  l'épou- 
vantable sifflement  des  flèches.  Dès  qu'il  fut  entré  dans 
cette  armée,  semblable  à  la  rapidité  des  vents,  Krishna 
vit  avec  étonnement  ces  divisions  accablées  par  le  Pân- 
dhyen.  Le  meilleur  à  lancer  des  astras,  des  dards  et  diffé- 
rentes flèches  dans  un  combat,  il  immolait  de  ses  dards  aux 
traits  de  plusieurs  espèces  les  multitudes  des  ennemis, 
comme  la  mort  détruit  les  hommes,  de  qui  la  vie  s'est 
exhalée  Le  plus  excellent  des  guerriers,  les  ayant  percés 
de  ses  traits,  fit  tomber  sous  ses  flèches  acérées  les  têtes 
des  éléphants,  des  coursiers  et  des  combattants,  leur  âme 
chassée  du  corps.  Ensuite,  le  Pândhyen  immola  les  enne- 
mis, les  plus  grands  héros  (1),  avec  ses  flèches,  qui 
étaient  rangées  parmi  les  traits  les  plus  excellents  des 
astras  (2) ,  comme  Çakra  détruisit  les  Asouras. 

765—766—767—768-  769. 
«  Tu  as  commencé  par  dire,  observa  le  roi  Dhritarâsh- 
tra,  que  cet  illustre  héros  était  renommé  dans  le  monde  ; 
mais  tu  n'as  point  raconté,  Sandjaya,  quels  exploits  il 
accomplit  dans  la  guerre.  770. 


(1-2)  Nous  établissons  le  sens  comme  il  est  exigé  par  la    raison:  pravi- 
râns....  astrais  nânâçasiraîs. 


534  LE  MAHA-BHARATA. 

»  Narre-moi  en  détail  la  valeur  de  ce  fameux  guerrier, 
son  instruction,  sa  puissance,  son  énergie,  sa  taille  et 
même  sa  fierté.  »   771. 

Bhîshma,  Drona,  Kripa,  Açwatthâman,  Karna,  Arjouna 
et  Djanârddana  à  la  science  consommée  dans  l'arc  et 
ceux,  que  tu  regardes  comme  les  plus  grands  des  héros, 
lui  répondit  Sandjaya,  772. 

Ce  général  (1)  ne  pense  pas  que  tous  ces  fameux  guer- 
riers aient  une  valeur  égale  à  son  courage  :  il  ne  regarde 
pas  un  souverain  quelconque,  comme  égal  à  soi-même. 

Il  ne  supporte  pas  l'égalité  avec  lui  de  Bhîshma  et  de 
Drona  ;  il  désirait  donc  (2)  l'infériorité  avec  lui-même  du 
Vasoudévide  et  d' Arjouna.  773 — 17!\. 

Le  plus  excellent  de  tous  ceux,  qui  portent  les  armes, 
le  Pândouide,  le  plus  grand  des  souverains,  tailla  en 
pièces,  comme  la  mort  elle-même,  l'armée  défaite  de 
Karna.   775. 

Le  Pândouide  immola  cette  réunion  de  troupes,  qui 
tournait  sous  sa  force,  comme  la  roue  d'un  potier,  et  que 
remplissait  les  plus  éminents  des  fantassins,  les  chevaux 
et  les  chars  les  plus  excellents.  776. 

Tel  que  le  vent  dissipe  les  nuages,  le  Pândouide  dis- 
persa, sous  ses  flèches  convenablement  décochées,  les  élé- 
phants aux  armes  rejetées  çà  et  là,  et  les  héros  sans  dra- 
peaux, sans  cochers,  sans  chevaux.   777. 

(i)  Tous  les  dictionnaires,  même  Bohtlingk  et  Roth  ne  disent  rien  sur 
le  mot  ûkshipati;  dans  leur  silence,  je  traduis  comme  s'il  y  avait  akshaâu- 
hinipati;  mais  le  nom  de  Karna  ne  devrait  pas  se  trouver  dans  l'énumé- 
ration  précédente. 

(2)  Le  texte  de  Bombay  écrit  :  nnitchtchhara,  qui  fait  un  contre-sens. 
Au  lieu  du  tai,  qui  n'a  point  de  signification  dans  l'édition  de  Calcutta, 
supposez  une  autre  particule,  que  le  sens  appelle. 


KARNA-PARVA.  535 

De  même  que  le  roi  des  Monts  abat,  sous  les  coups  de 
sa  foudre,  le  sommet  des  montagnes,  .ainsi  le  Pândouide 
renversa  les  gardes  à  pied,  les  éléphants  et  les  guerriers, 
qui  combattent  sur  les  éléphants,  réduits  sans  drapeaux, 
sans  armes  et  sans  guidons.   778. 

Après  qu'il  eut  fait,  avec  ses  flèches,  sans  cuirasses  et 
sans  traits,  les  Poulindas,  les  Khasas,  les  Vâhlîkas,  les 
Nishâdas,  les  Andrakas,  les  Kountalas,  les  habitants  du 
midi  et  les  héros  Bhodjains,  sans  pitié  dans  les  batailles, 
et  les  chevaux,  et  les  cavaliers,  armés  de  lances,  de  traits 
barbelés  et  de  carquois,  il  les  priva  tous  de  la  vie. 

779—780. 

Dès  que  le  fils  de  Drona  eut  vu  l'armée  en  corps  taillée 
en  pièces  sous  les  dards  du  fils  de  Pândou,  il  s'approcha 
sans  trouble  du  héros,  dont  rien  ne  troublait  la  tranquillité  ; 

Et  le  plus  excellent  des  combattants,  adressant  d'une 
voix  douce  et  sans  crainte  la  parole  à  ce  guerrier  sans 
crainte,  lui  dit,  en  le  provoquant  et  mettant  un  sourire 
avant  ses  paroles  :  781 — 782. 

«  Sire,  qui  es  vanté  pour  ton  illustre  famille,  de  qui  le 
corps  ressemble  au  diamant  et  les  yeux  aux  pétales  du 
lotus,  toi,  de  qui  l'on  célèbre  le  courage  et  la  vigueur, 

»  Ta  longue  corde,  que  tu  embrasses  avec  ta  main,  et 
cet  arc  immense,  que  tu  fais  vibrer  en  tes  bras  rivaux,  te 
donnent,  une  ressemblance  parfaite  avec  un  grand  nuage. 

783—78/j. 

»  Quand  tu  verses  tes  flèches  à  la  vaste  impétuosité  sur 
les  ennemis,  je  ne  vois  pas  un  autre  guerrier,  si  ce  n'est 
moi,  qui  te  soit  opposé.   785. 

»  Seul,  tu  accables  en  grand  nombre  les  chevaux,  les 
hommes  de  pied,  les  éléphants  et  les  chars,  comme  l'intré- 


53rt  LE  MAHA-BHARATA. 

pide  Vishnou  à  la  vigueur  épouvantable  arrêta  dans  la 
forêt  les  multitudes  de  gazelles.   786. 

»  Remplissant  la  terre  et  le  ciel  d'un  immense  bruit  de 
chars,  tu  semblés,  Prithide,  un  nuage,  auquel  tient  la  ma- 
turité et  qui  est  environné  de  tonnerres,  à  la  fin  de  la  sai- 
son des  pluies.   787. 

)>  Prenant  au  carquois  tes  flèches  acérées  et  semblables 
aux  serpents,  combats  avec  moi  seul  en  personne,  comme 
l'Asoura  Andhaka  avec  le  Dieu  Tryambaka.  »   788. 

A  ces  mots:  «  Oui!  répondit  l'autre,  et  combats!  » 
Percé  par  le  fils  de  Drona,  celui,  qui  a  pour  enseigne  le 
Malaya,  blessa  d'un  karni  le  fils  du  Bharadwâdjide.  789. 

Le  plus  excellent  des  Atchâryas,  le  Dronide,  en  sou- 
riant, frappa  lePândyen  de  ses  flèches  très-violentes,  qui 
fendaient  les  organes  de  la  vie  et  ressemblaient  à  la  flamme 
du  feu.  790. 

Açwatthâman  de  lancer  même  dans  sa  dixième  attaque 
d'autres  nârâtchas  bien  associés,  à  la  pointe  très- resplen- 
dissante et  qui  déchiraient  les  articulations.   791. 

Le  Pândyen  de  trancher  ces  traits  de  neuf  dards  acérés, 
et  d'offenser  avec  quatre  flèches  ses  quatre  chevaux,  qui 
furent  bientôt  privés  de  la  vie.  792. 

Après  qu'il  eut  coupé  de  ses  dards  aigus  les  flèches  du 
fils  de  Drona,  le  Pândyen  d'une  autre,  qui  avait  l'éclat  du 
soleil,  trancha  la  grande  corde  de  son  arc.  793. 

A  peine  avait-il  muni  de  sa  corde  un  arc  céleste,  le 
Dronide,  meurtrier  des  ennemis,  vit  de  nouveaux  cour- 
siers ôminents,  que  ses  compagnons  (1)  venaient  d'atteler 
à  son  char.   79Zi. 

(1)  Narais,  texte  de  Bombay. 


IURNA-PARVA.  557 

Ensuite,  le  brahme  envoya  des  milliers  de  traits,  et 
remplit  complètement  l'atmosphère  et  les  plages  de  ses 
flèches.  795. 

Le  Pândhien,  l'éminent  guerrier,  à  qui  les  Akshayâs  (1) 
étaient  connus,  fit  périr  tous  les  traits  du  magnanime,  dé- 
cochés par  le  fils  de  Drona.  796. 

Quand  l'ennemi  eut  coupé  les  flèches,  que  le  Dronide 
lançait  avec  effort,  il  repoussa  de  ses  flèches  acérées,  dans 
ce  combat,  les  deux  gardes  de  ses  roues.  797. 

Dès  que  le  fils  de  Drona  à  l'arc  toujours  mis  en  cercle 
vit  cette  légèreté  de  son  ennemi,  il  dissipa  avec  ses  traits 
ceux  de  son  rival,  comme  le  fils  du  soleil  repousse  la  pluie. 

L'arme,  qu'on  appelle  les  huit  chars  attelés  de  huit 
taureaux,  le  Dronide,  auguste  roi,  la  décocha  dans  la  hui- 
tième partie  d'un  jour.   798 — 799. 

Tous  ceux,  qui  virent  alors,  irritée  comme  la  Mort  et  pa- 
reille au  trépas,  cette  arme  du  guerrier,  qui  ressemblait 
à  Yama,  eurent,  pour  la  plus  grande  partie,  l'esprit  jeté 
dans  l'égarement.  800. 

Le  fils  de  l'Atchârya  inonda  l'armée  de  l'averse  de  ses 
flèches,  tel  que  le  nuage  submerge  de  sa  pluie,  à  la  fin  des 
chaleurs,  la  terre  avec  ses  forêts,  avec  ses  montagnes. 

Le  vent  du  Pândhien,  qui  lança  avec  succès  l'astra  de 
Vâyou,  dissipa  cet  orage  inaccessible  de  traits  décochés 
par  le  nuage  du  Dronide.   801 — 802. 

Quand  celui-ci  eut  tranché ,  sans  qu'il  jetât  un  cri, 
son  drapeau,  semblable  au  Malaya,  parfumé  d'aloës  et  de 
sandal,  il  immola  (*2)  ses  quatre  chevaux.  803. 

(1)  Le  6e  jour  d'un  mois  lunaire,  qui  tombe  un  dimanche  ou  un  lundi, 
et  le  4e,  qui  arrive  un  mercredi. 

(2)  Ahanat,  texte  de  Bombay. 


538  LE  MAHA-BHARATA. 

Après  qu'il  eut  frappé  son  cocher  d'une  seule  flèche,  il 
trancha  d'une  demi-lune  son  arc,  qui  avait  le  son  des 
grands  nuages,  et  réduisit  son  char  en  morceaux,  comme 
des  grains  de  sésame.  80 h. 

Lorsqu'il  eut  arrêté  ses  as t ras  avec  des  astras,  et  coupé 
toutes  ses  armes,  Açwatthâman  ne  tua  point  l'ennemi, 
tombé  en  son  pouvoir  par  le  désir  de  se  réserver  un  nou- 
veau combat.   805. 

Dans  ce  moment,  Karna  fondit  sur  la  grande  armée  des 
éléphants,  et  dispersa  alors  cette  grande  armée  des  Pân- 
douides.  806. 

Les  maîtres  de  chars  furent  mis  sans  chars;  il  réduisit 
les  proboscidiens  et  les  chevaux  sans  cavaliers  ;  il  abattit 
les  éléphants  sous  des  flèches  nombreuses  aux  nœuds  in- 
clinés. 807. 

Et  le  Dronide  au  grand  arc  ne  tua  point  l'homicide  des 
ennemis,  le  Pândhien,  le  meilleur  des  maîtres  de  chars, 
privé  de  sa  voiture,  par  le  désir  de  se  réserver  une  nou- 
velle  bataille.  808. 

Et  le  guerrier  habile  dans  les  combats  d'éléphants,  le 
héros,  à  qui  est  pour  enseigne  le  Malaya,  resta  assis  sur 
son  éléphant,  le  plus  grand  des  proboscidiens,  semblable 
à  une  montagne,  comme  Hari,  poussant  des  cris,  sur  le 
sommet  d'une  montagne  (1).  809. 

Le  meilleur  des  éléphants,  bien  équipé,  son  maître  tué, 
ayant  une  vigueur  accrue  par  le  bruit  de  l'ennemi,  fondit 
légèrement  avec  rapidité  sur  lui,  et,  blessé  des  flèches  du 
Dronide,  répondit  aux  menaces  de  sa  partie  adverse.  810. 

L'ennemi  darda  au  fils  du  révérend,  accablant  son  pa- 

(1)  Ce  vers  manque  à  l'édition  de  Calcutta. 


KARNA-PARVA.  539 

chyderme,  un  rapide  levier  de  fer,  qui  avait  l'éclat  des 
rayons  du  soleil,  lancé  avec  de  suprêmes  efforts  de  colère, 
accompagné  du  déploiement  d'un  astra  vigoureux  :  tel  le 
maître  souverain  des  montagnes  décharge  une  foudre  avec 
des  clameurs.  81 1 . 

Elle  était  ornée  de  perles,  de  diamants  les  plus  riches 
et  des  pierreries  les  plus  précieuses  ;  l'or  s'y  joignait  aux 
bouquets  de  fleurs  et  aux  mousselines.  «  Tu  es  mort  !  lui 
cria-t-il  joyeux,  à  plusieurs  fois  :  tu  es  mort  !  »  et  il  re- 
poussa le  héros,  qui  portait  l'ornement  de  tête  du  Dro- 
nide.   812. 

Cette  arme,  tombée  sur  le  sol  de  la  terre,  réduite  en 
poudre,  excédant  les  bornes,  à  coup  sûr,  comme  une  cîme 
de  montagne  au  vaste  bruit,  déchirée  par  la  foudre  de 
Mahéndra,  avait  la  splendeur  de  la  laque,  des  étoiles,  de 
la  lune  et  du  soleil.  813. 

Celui-ci  flamboya  de  la  plus  ardente  colère,  de  même 
qu'un  souverain  des  éléphants,  blessé  au  pied  ;  et  il  enco- 
cha  quatorze  flèches,  semblables  au  bâton  de  la  Mort  et 
produisant  les  douleurs  des  ennemis.  81/i. 

Avec  cinq,  il  abattit  ceux,  qui  défendaient  la  trompe  et 
le  bout  des  pieds  de  l'éléphant  ;  avec  trois,  il  jeta  à  terre 
les  deux  bras  et  la  tête  du  roi  ;  avec  six,  il  renversa  les  six 
grands  héros,  compagnons  du  roi  des  Pândyens,  six  des 
principaux  ennemis.   815. 

Les  deux  bras  du  prince,  arrondis,  bien  longs,  arrosés 
du  sandal  le  plus  exquis  et  parés  d'or,  de  perles,  de 
joyaux  et  de  diamants,  tombèrent  sur  le  sol  et  s'y  convul- 
sèrent  comme  deux  serpents,  blessés  par  Garouda.   816. 

Son  énorme  tête  au  visage  pareil  à  une  lune  en  son 
plein,  aux  yeux  grands,  enflammés  de  colère,  brillait  sur 


540  LE  MAHA-BHARATA. 

la  terre,  entre  ses  deux  pendeloques,  comme  l'astre  des 
nuits,  placé  au  milieu  des  deux  Viçâkhâs  (1).   817. 

L'éléphant,  mis  en  six  morceaux  par  cinq  flèches  victo- 
rieuses, et  les  quatre  portions  du  monarque,  résultat  de 
trois  flèches,  c'étaient  dix  parts,  qu'avait  faites  ce  vail- 
lant (2)  combattant,  comme  les  dix  portions  divines  d'une 
oblation.  818. 

Lorsqu'il  eut  donné  successivement  aux  Rakshasas 
cette  nourriture  abondante  de  chevaux,  d'éléphants,  de 
guerriers  et  du  roi  Pândhien,  et  que  le  feu  eut  obtenu, 
pour  ainsi  dire,  le  Swadhâ,  cet  ami  des  Mânes  se  calma, 
comme  sous  l'effusion  (3)  de  l'eau.  819. 

Quand  ce  roi  des  hommes  eut  rencontré  le  fils  du 
brahme  à  la  science  accomplie  ;  quand  il  eut  fait  parvenir 
à  cette  prouesse  éminente  celui-ci,  environné  de  ses  amis, 
il  lui  rendit  des  honneurs  infinis,  comme  le  souverain  des 
Immortels  offrit  ses  hommages  à  Vishnou  après  sa  victoire 
surBali.  820. 

«  Que  fit  Arjouna  dans  la  guerre,  s'enquit  Dhritarâsh- 
tra,  après  que  Karna,  ce  héros  unique,  Sandjaya,  eut  mis 
en  déroute  les  ennemis?  821. 

»  Il  m'est  née  une  crainte  violente,  profonde,  de  ce 
Dhanandjaya,  homicide  des  ennemis,  ce  héros,  sage,  vi- 
goureux, à  la  science  accomplie,  ce  fils  de  Pândou,  de  qui 
le  magnanime  Çankara  vanta  la  bataille  entre  toutes  les 
créatures  ;  raconte-moi  donc,  Sandjaya,  ce  que  fit  alors 
cePrithide.  »   822—823. 


(1)  Le  16e  astérisme  lunaire,  figuré  par  une  guirlande  et  contenant  deux 
étoiles. 

(2)  Kouçaléna,  texte  de  Bombay. 

(3)  Pravâhatas,  même  texte. 


RARNA-PARVA.  5M 

Après  la  défaite  du  Pândhien,  répondit  Sandjaya, 
Krishna,  se  hâtant,  n'adressa  pas  une  seule  bonne  pa- 
role à  Arjouna,  et  je  ne  vois  pas  les  Pândouides  s'enfuir 
du  roi  Youdhishthira.  82/|. 

La  grande  armée  des  ennemis  fut  enfoncée  par  les  Pri- 
thides,  ramenés  au  combat  :  et,  suivant  les  conseils 
d'Açwatthâman,  les  Srindjayas  furent  immolés  par  Karna. 

L'héroïque  Vasoudévide  raconta  à  Kirîti  tout  l'immense 
carnage  de  chars,  d'éléphants  et  de  chevaux,  qui  avait  été 
accompli.  825—826. 

Dès  qu'il  entendit  et  qu'il  vit  le  danger  immense,  épou- 
vantable, que  courait  son  frère  :  «  Hrishîkéça,  dit  lePân- 
douide,  conduis  rapidement  mes  chevaux  de  ce  côté.  827. 

Alors  Hrishîkéça  de  s'avancer  avec  son  char  ennemi, 
une  rencontre  terrible  d'éclater  là  de  nouveau.   828. 

Les  Rourouides  et  les  Pândouides  s'affrontèrent  sans 
crainte  une  seconde  fois,  les  Prithides  conduits  par  Bhî- 
maséna,  et  nous,  ayant  à  notre  tête  le  fils  du  cocher.  829. 

Ensuite  s'éleva  de  rechef,  ô  le  plus  vertueux  des  rois, 
à  l'accroissement  de  l'empire  d'Yama,  l'effrayant  combat 
de  Rarna  et  des  Pândouides.  830. 

Les  arcs  à  la  main,  les  flèches,  les  pilons,  les  épées,  les 
pattiças,  les  leviers  de  fer,  les  moushalas,  les  bhou- 
çoundis,  les  lances,  les  glaives  et  les  haches,  les  massues, 
les  traits  aigus  barbelés,  les  javelots  harponnés,  lessarba- 
cannes  et  les  énormes  crocs,  ils  s'élancèrent  rapidement 
les  uns  sur  les  autres  avec  le  désir  de  leur  trépas  mutuel. 

831—832. 

Ils  s'approchèrent  de  l'ennemi,  en  remplissant  Je  ciel, 
les  points  cardinaux,  les  plages  intermédiaires,  l'atmos- 
phère et  les  échos  de  la  terre  avec  le  roulement  des  roues, 
avec  le  bruit  de  la  corde  et  des  flèches  sifflantes.  833. 


542  LE  MAHA-BHARATA. 

Remplis  d'ardeur  et  désirant  aborder  à  la  rive  ultérieure 
de  cette  bataille,  les  héros  soutinrent  contre  les  héros  ce 
combat  d'une  grande  épouvante,  enveloppé  d'un  immense 
tumulte.   834. 

Grand  était  le  bruit  de  l'arc,  de  la  manique,  de  la  corde 
et  des  grands  éléphants  ;  grand  était  le  fracas  des  hommes 
de  pied  tombants.   835. 

Après  qu'ils  eurent  entendu  les  sons  divers  de  la  main 
sur  les  bras  et  les  menaces  des  héros,  les  guerriers  de 
trembler  vivement  alors,  de  se  flétrir,  de  tomber.   836. 

L'héroïque  Adhirathide  immola  de  nombreux  ennemis 
entre  ces  guerriers,  qui  vociféraient  et  lançaient  une  pluie 
de  flèches.  837. 

Rarna  de  ses  traits  conduisit  au  séjour  d'Yama,  avec 
leurs  drapeaux,  leurs  cochers,  leurs  chevaux,  cinq  et  cinq 
chars  de  dix  héros  Pântchâlains.  838. 

Se  hâtant  (1)  de  couvrir  Rarna  dans  la  bataille,  les 
principaux  combattants  des  Pândouides,  guerriers  à  la 
grande  vigueur,  aux  astras  rapides,  l'environnèrent  de  tous 
les  côtés.  839. 

Rarna,  par  ses  pluies  de  flèches,  agita  la  grande  armée 
des  ennemis,  et  pénétra  au  milieu  d'elle,  comme  le  chef 
d'un  troupeau  d'éléphants  dans  un  bassin  de  lotus,  rempli 
d'oiseaux.  840. 

Parvenu  au  milieu  des  ennemis,  Râdhéya,  faisant  vibrer 
un  arc  immense,  abattit  les  têtes,  qu'il  détachait  de  ses 
flèches  acérées.  841. 

Ces  cuirasses  des  mortels  et  les  boucliers  tombèrent 
rompus  sur  la  terre,  et  n'attendirent  pas  la  chute  d'une 
seconde  flèche.  842. 

(1)  Toûrnam  âvritya,  texte  de  Bombay. 


KARNA-PARVA.  543 

De  ces  traits  lancés  par  la  corde  et  l'arc,  entre  ces 
hommes  munis  de  la  manique,  de  ces  projectiles  destruc- 
teurs des  armures,  des  corps  et  des  astras,  il  frappa, 
comme  on  flagelle  du  fouet,  les  chevaux  rétifs.  SA3. 

Krishna  de  broyer  rapidement  les  Pântchâlains,  les 
Srindjayas,  les  Pândouides,  venus  à  la  portée  de  ses  traits, 
de  même  qu'un  lion  écrase  les  troupeaux  de  gazelles.  844. 

Ensuite,  le  roi  des  Pântchâlains,  les  Draâupadéyains, 
auguste  roi,  les  deux  jumeaux,  accompagnés  d'Youyou- 
dhâna,  s'approchèrent  de  Karna.  845. 

Tandis  que  les  Pântchâlains,  les  fils  de  Pândou  et  de 
Kourou  multipliaient  les  efforts,  ces  guerriers,  abandon- 
nant leur  chère  existence,  se  chargèrent  de  coups  mutuels. 

Les  cuirasses,  les  parures,  les  casques  bien  attachés, 
tenant  au  poing,  comme  les  bâtons  levés  de  la  mort,  les 
massues,  les  moushalas,  les  pilons,  ces  guerriers  à  la 
grande  vigueur,  s'entre-coururent  d'un  pied  rapide,  pous- 
sant des  cris,  s'adressant  l'un  à  l'autre  des  provocations 
et  bondissant  avec  ardeur.   846 — 847 — 848. 

Ils  se  frappaient  réciproquement,  ils  se  portaient  des 
coups  mutuels,  et,  vomissant  le  sang  de  leurs  membres, 
ils  avaient  pour  armure  les  yeux,  que  ne  secondait  plus 
une  cervelle  tronquée.   849. 

Ceux-ci,  vivant  encore  avec  des  bouches  ensanglantées, 
semblables  à  des  pommes  de  grenade,  et  remplies  de 
dents,  paraissaient,  comme  armés  de  toutes  pièces.  850. 

Ceux-là,  tenant  des  pilons,  des  pattiças,  des  épées  et 
des  lances,  des  bhindipalas,  des  nakaras,  des  traits  bar- 
belés et  des  leviers  de  fer,  déchiraient  et  fendaient  ;  les 
autres  coupaient,  rompaient,  abattaient,  tranchaient,  mar- 
chaient avec  colère  dans  ce  grand  océan  du  combat. 


bklx  LE  MAHA-BHARATA. 

S'étant  frappés  les  uns  les  autres,  ils  tombaient,  sans 
vie,  humides  de  sang,  mutilés,  versant  à  torrent  le  sang, 
comme  du  sandal.   851—852—853. 

Par  milliers,  tombaient  les  chars  renversés  par  les  chars, 
les  éléphants  par  les  éléphants,  les  guerriers  par  les  guer- 
riers, les  chevaux  par  les  chevaux.   85Zi. 

Les  drapeaux,  les  têtes,  les  ombrelles,  les  trompes  des 
éléphants,  les  bras  des  hommes  étaient  abattus  sur  le  sol 
de  la  terre,  tranchés  par  les  flèches  en  rasoir,  les  bhallas, 
les  demi-lunes.  855. 

Les  braves  écrasaient  dans  le  combat  les  guerriers,  les 
éléphants,  les  chevaux  et  les  chars  ;  ils  succombaient  sous 
les  coups  des  cavaliers  ;  et  les  pachydermes  aux  trompes 
coupées,  85(5. 

Aux  drapeaux,  aux  guidons  abattus,  tombaient,  comme 
des  montagnes  écroulées.  Les  éléphants  et  les  chars  tués, 
tuant,  étaient  renversés  de  tous  les  côtés  par  les  hommes 
de  pied,  dont  ils  étaient  inondés.  Les  cavaliers,  s' appro- 
chant au  galop,  étaient  jetés  sans  vie  par  les  fantassins. 

Des  bataillons  de  piétons  gisaient  sur  le  champ  de 
bataille,  immolés  par  les  cavaliers.  Tels  que  des  massifs  de 
lotus,  foulés  aux  pieds,  ou  comme  des  guirlandes  fanées, 

Le  visage  et  le  corps  des  éléphants,  des  chevaux  et  des 
guerriers  tués  dans  ce  grand  combat,  sire,  étaient  passés 
à  des  formes  infiniment  brillantes.  857— 85S — 859—860. 

De  même  que  des  vêtements  imbibés  d'eau,  ils  étaient 
parvenus  à  un  état,  dont  il  était  impossible  de  soutenir  la 
vue.  861. 

Stimulés  par  ton  fils,  des  hommes  à  la  haute  taille,  im- 
patients de  tuer  Dhrishtadyoumna,  s'approchèrent  avec 
colère  du  Prishatide,  avec  leurs  éléphants.  862. 


RARNA-PARVA.  Ô/i5 

Les  plus  vaillants  guerriers  de  l'orient  et  du  midi,  qui 
combattent,  montés  sur  des  proboscidiens,  les  Angas,  les 
Bangas,  les  Poundras  et  les  Mâgadhains  au  teint  rouge, 
aux  traits  empoisonnés,  863. 

Les  Mékalas,  les  Roçalas,  les  Madras,  les  Daçârnas  et 
les  Nishadas,  habiles  dans  les  combats  d'éléphants,  Bha- 
ratide,  avec  les  Ralingas,  86/i. 

Versant  des  pluies  de  flèches,  de  nârâtchas  et  de  leviers 
de  fer,  tous,  semblables  à  des  nuages,  ils  inondèrent  dans 
-ce  combat  l'armée  des  Pântchâlains.   865. 

Le  Prishatide  inonda,  par  ses  pluies  de  flèches  et  de  nâ- 
râtchas ces  éléphants,  qui  avaient  le  désir  de  la  victoire, 
et  qui  étaient  poussés  à  grande  hâte  avec  les  talons,  le 
pouce  et  le  croc  acéré.  866. 

11  blessa  individuellement  de  six,  de  huit,  avec  dix 
traits  bien  décochés,  ces  animaux  semblables  à  des  mon- 
tagnes. 867. 

Tandis  que  Dhrishtadyoumna  était  caché  par  ces  élé- 
phants, comme  l'auteur  de  la  lumière  est  voilé  par  des 
nuages,  les  Pântchâlains  et  les  Pândouides  aux  armes 
aiguisées  s'avancèrent,  en  poussant  des  cris.  868. 

Us  versaient  leurs  pluies  sur  les  éléphants,  et,  dansant 
la  danse  des  héros  ;  ils  s  approchaient  à  la  cadence,  que 
les  braves  marquaient  (1)  de  leurs  mains,  répétée  par  la 
corde  et  le  nerf  des  arcs.  869. 

Nakoula,Sahadéva,  les  beaux  Draâupadéyains,  Sâtyaki, 
Gikhandî  et  le  vigoureux  ïchékitâna,  870. 

Inondèrent  C ennemi  de  tous  les  côtés,  comme  l'eau  des 
nuages  inonde  les  montagnes.  Envoyés  par  les  Mlétchhas 

(1)  Soûra....  pratchoditais,  texte  île  Bombay. 

)x  35 


546  LE  MAHA-BHARATA. 

sur  les  chevaux,  les  guerriers  et  les  chars,  les  éléphants, 
remplis  d'une  bouillante  furie,  écrasaient  sous  leurs  pieds 
les  héros,  qu'ils  avaient  renversés  avec  leurs  trompes,  ou 
les  déchiraient  avec  la  pointe  de  leur  défense,  ou  rejetaient 
brusquement  ceux,  qu'ils  avaient  attirés.  Les  autres  d'en- 
vironner sans  crainte  les  enr.emis  attachés  à  leurs  dé- 
fenses. Dès  que  Sâtyaki  eut  blessé  l'Anga  dans  ses 
membres,  il  abattit  d'un  nârâtcha  à  l'horrible  vitesse  son 
éléphant,  placé  à  la  tête  du  combat.  Il  le  frappa  d'une 
flèche  de  fer  au  moment  qu'il  s'élançait  à  bas  du  pachy- 
derme, dégarni  de  sa  cuirasse  (1).  Celui-ci  tomba  sur  la 
terre  ;  et,  déployant  ses  efforts,  Sahadéva,  de  trois  nârâ- 
tchas,  blessa  le  proboscidien  du  Pânclyah,  blessé,  qui 
se  mouvait,  comme  une  montagne.  Quand  Sahadéva 
eut  de  nouveau  réduit  le  pachyderme  à  vivre  sans  drapeau , 
sans  cuirasse  (2),  sans  conducteur,  sans  guidons,  il  s'a- 
vança vers  l'Anga.  Mais  Nakoula,  ayant  arrêté  son  frère, 
envoya  au  barbare  trois  nârâtchas,  semblables  au  bâton 
d'Yama,  et  cent  à  son  éléphant.  L'Anghain  de  lui  déco- 
cher des  leviers  de  fer,  pareils  aux  rayons  du  soleil.  [De 
la  stance  871  à  ta  stance  879.) 

Et  Nakoula  de  trancher  un  par  un  en  trois  mor- 
ceaux ces  huit  cents  projectiles  ;  puis,  le  Pândouide  de  lui 
couper  la  tête  avec  une  demi-lune.  879. 

Le  Mlétchha  tomba  mort  sur  la  terre  avec  son  élé- 
phant. Dès  que  le  fils  de  l'Anghain,  habile  à  dresser  les  élé- 
phants, fut  étendu  sans  vie,  880. 

Les  Anghas  à  la  haute  stature,  impatients  de  colère, 


(1)  Commentaire. 
(2j  Te^te  de  Bombay. 


KARNA-PARVA.  5Z|7 

s'avancèrent,  désirant  vaincre  et  pressant  le  pas  vers  Na- 
koula,  avec  les  premiers  de  leurs  éléphants,  comme  des 
montagnes,  aux  drapeaux  mouvants,  aux  cuirasses,  aux 
ceintures  d'or,Les  Mékalas,  les  Outkalas,  les  Kalingas  et 
les  Nishadas  au  teint  de  cuivre,  aux  traits  empoisonnés, 

881—882. 

Versaient  des  pluies  de  flèches  et  de  leviers  d  3  fer, 
voulant  arracher  la  vie  à  Nakoula,  caché  de  ces  projec- 
tiles, comme  la  lumière  du  soleil  est  voilée  par  les  nuages. 

Les  Somakas,  les  Pântchâlains  et  les  Pândouides  de  l'en- 
vironner avec  colère.  Alors  de  s'élever  le  combat  entre  ces 
maîtres  de  chars  et  ces  propriétaires  d'éléphants,  versant 
des  pluies  de  flèches  et  lançant  des  leviers  en  fer  par  cen- 
taines. Les  membres  divers,  les  défenses,  les  ornements  et 
les  bosses  frontales  avaient  éclaté,  éparses  sous  les  pro- 
fondes blessures  des  éléphants.  Sahadéva  eutpromptement 
immolé  huit  de  ces  pachydermes,  gigantesques  probos- 
cidiens,  sous  soixante-quatre  éblouissants  projectiles;  ils 
tombèrent,  avec  les  cavaliers  à  la  marche  rapide.  Le  plaisir 
de  sa  famille,  Nakoula,  ayant  levé  avec  effort  un  arc 
immense,  frappa  de  ses  nâràtchas  les  éléphants.  Le 
Pântchâlain  et  Çaînéya,  et  les  charmants  Draâupa- 
déyains,   {De   la  stance  88/i  à  ta  stance  889.) 

Et  Çikhanclî  arrosèrent  de  fortes  pluies  de  flèches  ces 
grands  pachydermes.  Quand  ces  montagnes  d'éléphants 
ennemis  eurent  été  submergées  par  ces  nuages  des  combat- 
tants Pândouides,  889. 

En  proie  aux  grêles  des  flèches,  ils  s' abîmèrent,  pareils 
à  des  cîmes  en  butte  aux  pluies  et  à  la  foudre.  Aussitôt 
que  ces  éléphants  blancs  eurent  immolé  ainsi  tes  pachy- 
dermes, 890. 


548  LE  MAHA-BHARATA. 

Ils  virent  l'armée  fuir  en  déroute,  comme  un  fleuve, 
dont  le  rivage  est  rompu.  Les  guerriers  du  filsdePândou 
de  bouleverser  encore  cette  armée  ;  puis,  de  courir  vers 
celle  de  Karna  pour  y  jeter  à  son  tour  l'agitation. 

891—892. 


FIN  DE  LA 


VINGT-DEUXIÈME  LECTURE  OU  CHAPITRE  DUKARNA-PARVA 


ET 


FIN  DE  CE  NEUVIÈME  VOLUME. 


ERRATUM 


Page  69,  deuxième  ligne  de  la  stance,  lisez:  s'ils  en  étaient  venus... 

Page  13Zi,  commencement  de  la  U  stance,  lisez  :  épouvantable. 

Stance  7,167,  première  de  la  3e  stance,  lisez  :  qui  ne  savait  pas 
fuir. 

Page  191,  stance  7,207,  lisez  :  Bhîma  de  changer  la  terre. 

Page  206,  stance  7,310,  à  la  fin,  la  même  faute,  que  le  typo- 
graphe a  faite  dans  le  volume  précédent.  Il  y  a  splendeurs  à 
mettre  dans  la  phrase,  et  il  oublie  la  première  partie  de  ce 
mot  1  Lisez  donc  :  cause  des  splendeurs. 

Page  602,  note  première.  Je  confirme  mon  opinion  sur  le  mot 
pouttra,  qui,  correspondant  au  pais  des  Grecs,  signifie  un  fils  et 
un  esclave.  Dans  le  rapport  supposé,  que  Ton  fait  à  Drona  sur  la 
mort  de  son  fils,  le  mot  pouttra,  et  je  regrette  de  ne  l'avoir  pas 
considéré  ainsi,  rendrait  le  mensonge  plus  croyable.  Mais  j'ai 
besoin  de  nouvelles  études,  je  reviendrai  là-dessus  à  l'occasion 
du  volume  suivant. 


TABLE  DES  MATIÈRES 


Avant-propos l 

Suite  du  Drona-parva 2 

La  mort  de  Ghatotkatcha 128 

La  mort  de  Drona 31° 

Délivrance  de  l'astra  Nârâyanain 368 

Commencement  du  Rarna-parva 4A9 


SOUS  PRESSE  : 

LE  MAHA-BHARATA 

CONTINUATION    DU    CHANT    DE    KAI1NA, 

ET    SUITE    DU    ÇALYA-PARVA 

Jusqu'à  la  600e  page  du  volume  de  traduction. 


ON  TBOiTE  EK  VESTE  CHEZ  MES  MÊMES   L9B&AtRF:<4 

OU    CHEZ   L'AUTEUR    : 

Hippulyte  Fauelie.  Le  Mahâ-BhûTata,  8  volumes,  18(fo, 
186Z»,  1865,  1866,  1867  et  1868,  gr.  in-8°.  80    » 

—  Bhartn'hari  et  Tchâaura,  ou  la  Pantchaçikâ  du  second,  et  les 
sentences  erotiques,  morales  et  ascétiques  du  premier,  expli- 
quées du  sanscrit  en  français,  pour  la  première  fois,  1852, 
in-12.  3    „ 

—  Le  Gîta-Govinda  et  le  Ritou-Sanhara,  traduits  du  sanscrit  en 
français,  pour  la  première  fois,  avec  deux  hymnes  du  Rig- 
Véda,  1850,  in-12.  4    ,> 

—  Le  Râmàyana,  poème  sanscrit  deValmîki,  traduit  en  français, 
185Zi— 58,  9  vol.  in-12.  90    » 

—  Ràmâyana  réduit,  2  vol.  in-18,  édition  des  gens  du  monde, 
des  dames  et  des  jeunes  collégiens.  7    » 

—  Les  Œuvres  complètes  de  Kàlidâsa,  traduites  du  sanscrit  en 
français  pour  la  première  fois,  1858-60, 2  vol.  gr.  in-8".     20    »  | 
Chaque  volume  se  vend  séparément  10    » 

—  OEuvres  choisies  de  Kàlidâsa,  contenant  la  Reconnaissance  de 
Çakountala,  le  iiaghou-Vança  et  le  Mégha-DovLi,  1  volume 
in-18.  3  75 

—  Une  Tétrade,  contenant  le  Mrilclihakatika,  le  Mahimna-.Stava, 
le  Daça-Koumth  a-Tcharitra  et.  le  Çiçoupâla-badlia,  3  vpl. 
même  format.  30    » 

—  Panthéon,  poème  théologique  en  cinq  chants,  avec  une  intro- 
duction et  des  notes.  3    „ 


Mlï.Al'X.    —   IMPRIMERIE   J.   CARRO. 


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UNIVERSITY  OF  TORONTO  LIBRARY 


PK     Mahabharata.  French 

3635      Le  Maha-bharata 

F7 

18— 

v.9