LE MAHA-BHARATA
POÈME ÉPIQUE.
La reproduction et la traduction nême de cette traduction sont
interdites en France et dans les pays étrangers.
Meaux. — Imp. J.Carro.
LE
MAHA-BHARATA
POÈME ÉPIQUE
DE KMSHNA-DWAIPAYANA
PLUS COMMUNÉMENT APPELÉ
G' EST- A-DIRE LE COMPILATEUR ET L ORDONNATEUR DES VÉDAS
Traduit complètement pour la première fois du sanscrit en français
PAR
H1PP0LYTE FAUCHE
Traducteur du Râmâyana, des Œuvres complètes de Kàlidàsa, etc.
Abréviateur du Râmâyana
Chevalier de la Légion-d'honneur.
NEUVIÈME VOLUME
PARIS
FRIEDRICH KLINCKSIECK, LIBRAIRE
Rue de Lille, 11
AUGUSTE DURAND ET PEDONE-LAURIEL, LIBRAIRES
Rue Cujas, 9
ERNEST THORIN, LIHRA1RE
Boulevard Saint-Michel, 58.
1868
"•
1 i 1973
v-7
AVANT-PROPOS
Ce neuvième volume est parvenu à sa fin vers
lepoque, que nous avions fixée nous-même, le pre-
mier d'août, il y aurait donc peu de chose à dire.
Seulement, victime des chaleurs, jeté dans un
état, non de souffrance, mais de faiblesse, atteint
d'une disette de pensée, ce qui ne nous est pas ordi-
naire, nous avons dû arrêter ce volume après le
vingt-deuxième chapitre du Karna, au numéro 892,
avant d'atteindre le chiffre 1,036, comme c'était
d'abord notre intention.
On a pu en abuser et détourner peut-être dans
les dernières feuilles, sur un ouvrage nouveau venu,
les heures du travail, qui nous étaient destinées,
lorsqu'il en coûtait à notre langueur de crier pour
rappeler à nous l'activité égarée de nos typographes.
Interrompu, sans égard, peut-être sans politesse,
au milieu de nos promenades au parc du collège de
Juilly, nous tournons avec inquiétude nos yeux sur
le volume suivant. Comment traduire ce dixième
volume, sans promenades? Comment traîner tout
un hiver ces frimats à la voix rauque, ces vents plu-
vieux, ces journées si courtes, ces soirées si longues,
quand on ne les a point fait précéder de quelque
n AV\NT-PROPOS.
exercice déambulatoire? Combien de fois aurions-
nous à replier sur elle-même ma petite cour bri-
quetée avant qu'elle n'atteignît à ce demi-kilomètre
de la grande allée de Juilly?
Mais tout passe, le mal comme le bien. L'en-
nuyeuse saison s'est écoulée avec lenteur dans sa ca-
rapace endormie, et nous voici revenus au futur
printemps. J'ai suivi pas à pas les levers du soleil ;
un frais zéphir balance les tiges presque en fleurs
des rosiers ; et je me sens heureux d'être accoudé à
mon bureau dans un moment où l'astre du jour tient
encore sa paupière fermée sous l'horizon, qui vase
réveiller. Mais le printemps de 1869 a rendu aux
années de 1 797 mes anciennes promenades du Bois
des Pères, avec les mêmes conditions que l'année
précédente, plus fatigantes, par conséquent plus
lourdes encore, plus insupportables qu'elles n'é-
taient auparavant.
De Juilly à ce bois, il y a presque une demi-lieue
de plaine exposée au soleil. Aller et s'en revenir,
c'est donc une lieue à défalquer chaque jour sur le
travail de la traduction. Aussi, quand nous avions ar-
penté quatre fois cette allée monotone, sans aucun
site , sans aucun banc, fût-ce une pierre seulement
pour s'asseoir, sans rien qui reposât un instant
nos yeux, nous nous en revenions distrait, fatigué,
incapable de tout travail pour le reste de la soirée.
D'ailleurs, que va bientôt devenir ce bois?
Dans les mains duquel des trois héritiers Simo-
nard le hasard fera-t-il tomber ce lot pour sa ruine
ou sa conservation?
AVANT-PROPOS. m
Que vais-je faire? à quoi m'arrêter? je n'en sais
absolument rien !
Il est un mot que nous avons mal traduit dans nos
premiers volumes, faute de renseignements : Wilson
et Bopp n'ont pas cette expression cependant très-
usitée : c'est pârshnisârathî. Nous attachant aux ra-
cines, nousavions cru voir ici le cocher de l'avant-
train etlecocher de derrière, c'était un contre-sens.
Depuis Bohtlingk et Roth sont arrivés eux-mêmes à
ce mot, et je me suis fait expliquer ce que ces
deux érudits laborieux en avaient dit.
Les chars de guerre étaient attelés de quatre cour-
siers, les premiers chevaux étaient sous la conduite
immédiate du cocher, Sârathi. Les deux autres, qui
manœuvraient en avant, étaient sous la surveillance
de deux valets de pied, à droite et à gauche, c'é-
taient là ce pârshnisârathî (1) ; ce mot, qui, une fois
dégagé de ses voiles, n'a plus donné lieu à la moin-
dre incertitude.
Une gravure accompagne chaque parva du com-
mentaire; ces dessins auraient une grande valeur,
s'ils étaient la reproduction d'antiques images, qui
nous eussent conservé une exquisse de ce qu'était la
société dans l'Inde en ces temps reculés, à une
époque presque voisine de la naissance du Mahâ-
Bhârata. Mais l'artiste, si j'ose lui donner ce nom,
ne paraît pas s'inspirer de la méditation du poème :
Deux chevaux seulement sont attelés à ses chars de
(I) Page 170, stance 7,194 et suivante.
iv AVANT-PROPOS.
guerre, sa flèche est le trait ordinaire : où sont les
vatsadantas, les oreilles-de-sangliers, les bhin-
dîpâlas, les pattiças, les andjalikas, les bouçoundhis,
les nakharas et tant d'autres, dont la seule énumé-
ration suffirait à remplir toute une page de leur
nomenclature inexpliquée? Où voit-on représentée
cette arme, qu'on nommait les huit chars attelés de
huit taureaux (1) ? Rien qui présente à nos yeux un
guerrier armé de pied en cap ; rien qui fasse voir un
si grand nombre d'armures offensives, étranges,
inouïes, particulières à cette contrée, et tant de
raffinnements apportés dans l'art indigne de tuer
les hommes.
Un dernier mot avant de finir.
Quand je vois au bas des pages du présent volume
tant de notes, où la nécessité m'a forcé de recourir
à l'édition de Bombay, je ne puis, certes, m'em-
pêcher de regretter mes trois ou quatre premiers
volumes, où, trop dévot à mon texte, je cherchais à
traduire fidèlement une lettre souvent intraduisible.
Mais elles serviront du moins à prouver le désir du
mieux, et même le soin, dépourvu de toute ambi-
tion, que j'apporte à ce travail, au sommet duquel
je suis arrivé enfin ; et maintenant, grâce à Dieu et
à vous, mes bienvellants lecteurs, je vais descendre
la verdoyante colline !
(1) Page 537, stance 797,
Hippolyte FAUCHE.
Juilly, de ma tour, le 8 août 1868.
LE MAHA-BHARATA
POÈME SANSCRIT.
SUITE DU DRONA-PARVA
« Que dit Douryodhana, s'enquit Dhritarâshtra, quand
il vit ce guerrier, en qui mes fils, Sandjaya, avaient posé
une grande espérance de la victoire, tourner le dos devant
Bhîmaséna ? 5,413.
» Comment combattit Bhîma, qui est glorieux de son
courage? Ou que lit Karna dans la bataille, après qu'il
eut vu, mon ami, Bhîmaséna dans le combat tel qu'un feu
flamboyant?» 5,414— 5, 415.
Etant monté sur un autre char, équipé suivant l'art,
répondit Sandjaya, Karna de s'avancer une seconde fois
vers le Pândouide, comme une mer soulevée par le
vent. 5,416.
ix 1
2 LE MAHA-BHARATA.
Dès qu'ils virent l'Adhirathide irrité, tes fils, souverain
des hommes, pensèrent que Bhîmaséna était déjà sacrifié
dans la bouche de la mort. 5,417.
Ayant tiré le bruit de son arc et fait résonner d'une
manière épouvantable ses mains, battues l'une contre
l'autre, Râdhéya, fit éclater une pluie de flèches sur le
char de Bhîmaséna. 5,418.
Le combat de ces deux guerriers, de l'héroïque fils du
Soleil et du magnanime Bhîmaséna, fut de nouveau épou-
vantable. 5,419.
En effet, ces deux guerriers aux longs bras, bouillants
de colère, se désirant mutuellement la mort, se regar-
daient l'un l'autre comme s'ils allaient se brûler des
yeux. 5,420.
Avec des regards ù se peignait la fureur, tous deux
violents, soupirants comme des serpents, ces héros,
dompteurs des ennemis, s' étant approchés, commencèrent
à se déchirer. 5,421.
Ils se combattirent mutuellement, irrités comme deux
çarabhas, fondant rapides comme deux vautours, remplis
d'une ardente colère comme deux tigres. 5,422.
Ensuite, le terrible Bhîma, se rappelant quelles vexa-
tions il avait éprouvées au jeu des dés et dans la forêt
même, quelle peine il avait subie dans la cité de Virâta,
L'enlèvement de leurs trônes et de leurs riches pier-
reries par tes fils, les soucis, dont vous les aviez conti-
nuellement abreuvés, toi et tes enfants ; 5,423—5,424.
N'oubliant pas que tu désiras consumer de chagrins
l'innocente Rountî avec ses fils, les outrages subis par
Krishna de la part d'hommes cruels au milieu de l'assem-
blée, 5,425.
DRONA-PARVA. 8
Que Douççàsana l'avait traînée par son abondante che-
velure, Bharaticle, et les paroles mordantes, prononcées
par Rarna : 5,426.
« Désire qu'on t'unisse avec un autre époux; tes maris
ne sont plus ! Tous les Prithides, semblables au sésame
d'un eunuque, sont tombés dans le Naraka; » 5,427.
Se souvenant de ces paroles, que les Rourouides ont
proférées alors en ta présence, rejeton de Rourou ; se
rappelant que tes fils voulaient posséder Rrishnâ, réduite
à la qualité d'esclave ; 5,428.
Le langage blessant, que Rarna avait tenu dans l'as-
semblée en ta présence sur les fils de Kounti, qui
allaient en exil, revêtus de la peau d'une antilope
noire ; 5,Z|29.
Que ton fils irrité, l'esprit égaré, placé dans un lieu
plane, tandis que les fils de Prithâ étaient posés dans un
lieu inégal, en avait sauté de joie et fait d'eux le même
cas que d'une poignée d'herbes ; 5, 430.
Pensant à ses peines, en remontant depuis son enfance
jusqu'à ce jour, Vrikaudara, le vertueux homicide des
ennemis, en devenait comme indifférent à la vie. 5,431.
Alors, faisant vibrer son arc immense, inaffrontable,
au dos en or, le tigre des Bharatides s'approcha de Rarna
en homme, qui a fait le sacrifice de sa vie. 5,432.
Bhîma couvrit la clarté du soleil avec des rézeaux de
flèches lumineuses, aiguisées sur la pierre et lancées sur
le char de Rarna. 5,433.
L' Adhirathide en riant mit en pièces rapidement avec ses
traits les rézeaux de dards affinés sur la pierre, envoyés
par Bhîmaséna. 5,434.
Le fils du cocher aux longs bras, au grand char, à la
h LE MAHA-BHARATA.
vaste force, perça alors Bhîma de neuf grandes flèches
acérées. 5,435.
Arrêté comme un éléphant à coups d'aiguillon, Vri-
kaudara ému fondit sur l'Adhirathide, en le couvrant de
ses traits. 5,436.
Aussitôt que Karna irrité vit l'éminent Pàndouide, doué
de légèreté, rapidement accourir, il se porta à sa ren-
contre comme un éléphant en rut marche au-devant d'un
autre pachyderme en folie. 5,437.
11 remplit de vent sa conque, fille des eaux, égale au
bruit de cent tambours, et agita l'armée, comme la mer
est soulevée de joie, à l'arrivée de la pleine lune. 5,438.
Dès qu'il vit s'émouvoir toutes ces divisions, grosses
de fantassins, de chars, de chevaux et d'éléphants,
Bhîma d'attaquer Karna et de l'ensevelir sous des
flèches. 5,439.
Karna de mêler ses grands chevaux, de couleur sem-
blable à celle des cygnes, aux chevaux du Pàndouide, qui
égalaient les ours en couleur, et de le couvrir avec ses
traits. 5,440.
Quand l'armée de tes fils eut vu les coursiers noirs
comme des ours, et rapides comme le vent mêlés aux
coursiers blancs comme les cygnes, elle poussa de toutes
parts ses cris de : « Hélas! hélas! » 5,441.
Grâce à ce mélange de noir et de blanc, ces chevaux,
non moins légers que Maroute, brillaient, puissant roi,
tels que des nuages au milieu du ciel. 5,442.
A l'aspect de Karna et de Vrikaudara furieux, les yeux
enflammés de colère, les grands héros des tiens étaient
ébranlés d'effroi. 5,443.
Leur champ de bataille était épouvantable ; il ressem-
DRONA-PARVA. 5
blait au royaume d'Yama : la vue en était aussi difficile à
soutenir, ô le plus vertueux des Bharatides, que celle de
la ville des morts. 5,444.
En voyant le spectacle admirable de cette grande
scène (1) , les fameux héros ne pouvaient apercevoir
évidemment à qui resterait la victoire dans ce vaste
combat. 5,445.
Ils voyaient arrivée près d'eux, sire, la bataille de ces
deux guerriers armés de grands astras, et cela par suite
de ta mauvaise politique et de celle de ton fils, souverain
des hommes. 5,4/16.
Se couvrant mutuellement de traits acérés, ces deux
meurtriers des ennemis au courage admirable, voilaient
le ciel d'un réseau de flèches. 5,447.
Ces deux illustres héros, qui désiraient se porter la
mort l'un à l'autre, se tenaient, admirables à voir, armés
de leurs flèches aiguës, comme deux nuées, enceintes de
pluies. 5,448.
Ces dompteurs des ennemis, qui se lançaient des flè-
ches, dont l'or avait changé la matière, jetèrent la splen-
deur au milieu du ciel, seigneur, comme avec de grands
météores enflammés. 5,449.
Les flèches aux plumes de vautour, envoyées par ces
deux héros, sire, brillaient, telles que dans le ciel, en au-
tomne, des files de grues, enivrées de la saison. 5,450.
Quand Krishna et Dhanandjaya virent Bhîmaséna, le
dompteur des ennemis, engagé dans une lutte avec le fils
du cocher, ils pensèrent que c'était une charge au-dessus
de ses forces, mise sur les épaules de Bhîmaséna. 5,451.
(1) Samâdjan signifie ici rangan, dit le commentaire.
6 LE MAHA-BHARATA.
Les éléphants, les guerriers, les chevaux tombèrent,
profondément blessés des traits, lancés par les deux rivaux
et qui avaient dépassé la portée ordinaire des flèches.
La perte de tes fils, sire, Mahârâdja, se fit p^r des
hommes tombants ou tombés et d'autres en grand
nombre, dont la vie était exhalée. 5,452 — 5,453.
La terre fut dans un instant couverte, éminent Bhara-
tide, de corps inanimés des éléphants, des chevaux et
des enfants de Manou. 5,454.
« Je considère la valeur de Bhîmaséna comme au-
dessus du prodige, observa le roi Dhritarâshtra, en ce
qu'il soutint la bataille contre ce Karna au rapide cou-
rage, 5,455.
» Qui est capable d'arrêter ceux, qu'on appelle les
vents (1), munis de toutes les armes, et les treize grands
Dieux avec les Yakshas, les Asouras et les hommes !
» Comment n'a-t-il point surpassé dans la guerre ce fils
de Pândou et de Prithâ, qui semble être le favori de la
Fortune ? Raconte-moi cela, Sandjaya. 5,456 — 5,457.
» Comment le combat se déploya-t-il entre ces deux
guerriers dans ce jeu des existences? C'est de sa chance,
à mon avis, que dépendent la victoire et la défaite.
» Soutenu par le bras de Karna, est-il possible que
Douryodhana, mon fils, espère une victoire sur les Pri-
thides, qui sont défendus par le Sâttwatide, qui le sont
même par Govinda! 5,458 — 5,459.
» Quand j'apprends que Bhîmaséna aux œuvres épou-
vantables a pu vaincre Karna dans la bataille, le délire
s'empare de moi. 5,460.
(1) Vâyoûktàn, édition de Bombay.
DRONA-PARVA. 7
» Je pense que les Kourouides succombent par les
mauvais conseils donnés à mon fils, et que, certes! Karna
au grand arc, Sandjaya, ne sera jamais le vainqueur des
Prithides. 5,461.
» Les Pândouides ont vaincu sur le champ de bataille
Karna en tous les combats, qu'il a soutenus avec les fils de
Pândou. 5,462.
» Les Pândouides sont invincibles, mon fils, aux Dieux
mêmes, Indra à leur tête ; mais c'est une vérité, qu'ignore
Douryodhana, mon fils insensé. 5,463.
» Lorsque mon fils eut ravi ses trésors au Prithide
comme au Dieu des richesses, il ne vit plus le rivage, tel
qu'un insensé, qui s'est plongé dans l'ivresse. 5,464.
» Homme à la science cruelle, dès qu'il eut enlevé par
sa méchanceté le royaume de ces magnanimes : « Je
l'ai conquis! » pensa-t-il ; et de mépriser les Pân-
douides. 5,465.
» Insensé et vaincu par l'amour de mon fils, j'ai persé-
cuté plus d'une fois les magnanimes fils de Pândou, quoi-
qu'ils se tinssent dans le devoir. 5,466.
» L'amour de la paix suivit toujours le fils de Prithâ,
Youdhishthira à la vue perçante : « Elle est impossible ! »
pensaient mes fils, qui rejetaient son désir. 5,467.
» Quand il eut ramassé dans son cœur ces peines en
grand nombre et ces injures, venues de tous les côtés,
Bhîma aux longs bras combattit le fils du cocher. 5,468.
» Dis-moi donc, Sandjaya, comment Bhîma et Karna,
ces deux plus vaillants guerriers dans un combat, et qui
désiraient se porter mutuellement la mort, soutinrent cette
bataille. » 5,469.
Écoute circonsianciellement, sire, lui répondit San-
a Lfc] MAHA-BHARATA.
djaya, ce combat singulier de Bhîma et de Karna, tel
que, dans un bois, la lutte de deux éléphants, qui dési-
rent arriver l'un à la mort de l'autre. 5,470.
Le lils du Soleil irrité, se promenant autour de l'invin-
( ible dompteur des ennemis, Bhîma, plein de colère, sire,
le blessa de trente flèches. 5,471.
Vaîkartana de percer, ô le plus vertueux des Bhara-
tides, Bhîma avec dix traits, ornementés d'or, à la grande
vitesse, à la pointe reluisante. 5,472.
Bhîma, lui décochant trois dards aigus, trancha son
arc et fit tomber d'un bhalla son cocher du siège sur la
terre. 5,473.
Plein d'un ardent désir pour la mort de Bhîmaséna,
le fils du Soleil saisit une lance de fer au manche d'or,
ornée d'or et de lapis-lazuli. 5,474.
Dès que Râdhéya eut pris cette longue pique, semblable
à l'épieu de la mort, qu'il l'eut dirigée contre lui et levée
avec une grande force, 5,475.
Il l'envoya à Bhîmaséna, comme la mort, qui met fin à
la vie. Quand Râdhéya eut jeté sa lance de fer, tel que
Pourandara sa foudre, 5,476.
Ce vigoureux fils du cocher poussa une vaste clameur.
A ce bruit entendu, tes fils ressentirent de la joie. 5,477.
Mais Bhîma de sept dards trancha au milieu du ciel
cette pique, lancée par le bras de Karna et qui avait la
splendeur du soleil ou du feu. 5,478.
Après qu'il eut coupé cette lance, semblable à un ser-
pent déchaîné, vénérable monarque, et qui cherchait,
pour ainsi dire, la vie du fils de cocher, 5,479.
Bhîma, sa colère allumée, envoya dans ce combat des
flèches, revêtues des plumes du paon, au tranchant fourbi
DRONA-PARVA. 9
sur la pierre, à l'empennure d'or et pareilles au bâton
d'Yama. 5, 4 80.
Karna à la grande splendeur, ayant pris un nouvel arc,
inaffrontable,audosen or, le banda et décocha des traits.
Mais, de neuf dards aux nœuds inclinés, le fils de Pân-
dou trancha ces grandes flèches, roi des hommes, que lui
adressait Vasoushéna. 5,481 — 5,482.
Une fois qu'il les eut coupées, Bhîma de pousser un
cri, qui semblait un rugissement de lion. Tels que deux
taureaux vigoureux, qui mugissent, à peine senties leurs
fumées, 5,483.
Comme deux tigres, qui crient l'un contre l'autre à
l'occasion d'une chair à dévorer, qui ont l'un de l'autre
une honte mutuelle et qui désirent saisir l'un sur l'autre
un moment favorable ; 5, 484.
De même que deux grands taureaux se jettent mutuel-
lement des regards jaloux au milieu des troupeaux, ou
tels que deux gigantesques éléphants s'attaquent récipro-
quement avec l'extrémité de leurs défenses ; 5,485.
Ainsi, grand roi, ces deux guerriers, se remplissant de
leurs traits décochés, s'avancèrent l'un contre l'autre, se
déchirant mutuellement avec leurs averses de flèches ;
Et, les yeux tout grands ouverts de colère, altérant
l'un de l'autre toutes les formes sous leurs coups réci-
proques. 5,486—5,487.
Riant, s' adressant mainte et mainte fois de mutuelles
menaces, tirant le son de leurs conques, ils combattirent
l'un contre l'autre. 5,488.
Mais Bhîma de ses flèches lui trancha son arc au poing
et plongea dans le séjour d'Yama ses chevaux, couleur de
la conque, 5,489.
10 LE MAHA-BHARATA.
Il enleva son cocher au siège du char et l'abattit sur ta
terre. Alors le fils du Soleil, Rama de tomber dans une
pensée accablante. 5,690.
Couvert de traits, ses chevaux tués, son cocher im-
molé, l'esprit égaré par la multitude des flèches, il ne
voyait plus ce qu'il avait à faire. 5,49].
Quand le roi Douryodhana vit Karna engagé dans cette
voie périlleuse, il donna ses ordres à Dourjaya, comme
en tremblant de colère : 5, £92.
u Va, Dourjaya, avant que le Pândouide n'ait dévoré
Karna! Hâte-toi de tuer cet eunuque avant qu'il n'ait ravi
la force à Karna ! » 5,493.
Aussitôt que ton fils eut ainsi parlé à ton fils, le guer-
rier, auquel ces mots étaient adressés, courut, dispersant
sur lui ses flèches, contre Bhîmaséna, occupé de son
combat. 5,494.
Il harcela Bhîma de neuf traits, ses chevaux de huit,
son cocher de six, son drapeau de trois, et le guerrier lui-
même pour la seconde fois de sept dards. 5,495.
Mais Vrikaudara de plonger, les membres rompus de
ses flèches, Dourjaya dans le séjour d'Yama avec ses
chevaux et son cocher. 5,496.
Karna en pleurs, désolé, décrivit un pradakshina
autour de ton fils, tombé avec ses riches ornements sur
la terre, où il se convulsait comme un serpent. 5,497.
Bhîma souriant, quand il eut réduit sans char son
indomptable ennemi, le couvrit de la multitude de ses
flèches, comme un çataghni d'aiguillons. 5,498.
Le fléau des ennemis remonta dans un char, et le brise-
ment de ses membres par les traits ne lui i;t point aban-
donner dans le combat Ventre-de-Loup aux formes irritées.
DRONA-PARVA. 11
Karna, entièrement privé de char et vaincu de nouveau
par Bhîma, étant remonté dans un autre char, blessa
dans un instant le fils de Pândou. 5,499 —5,500.
Tels que deux grands éléphants, qui s'attaquent mu-
tuellement avec l'extrémité de leurs défenses; tels ces
deux héros de se blesser réciproquement, se remplissant
de traits décochés. 5,501.
Karna de lancer sur Bhîmaséna des multitudes de
flèches ; vigoureux, il jeta un cri et le frappa de nouveau
dans la poitrine. 5,502.
Bhîma lui rendit en échange dix traits au vol droit, et
le perça de nouveau avec une vingtaine de flèches aux
nœuds inclinés. 5,503.
Mais Karna, ayant blessé entre les seins Bhîma de neuf
dards, perça son drapeau, sire, d'un trait acéré. 5,504.
Il frappa en retour le fils de Prithâ avec soixante-trois
flèches, tel qu'un grand éléphant à coups d'aiguillon ou
comme un coursier à coups de fouet. 5,505.
Grièvement blessé par l'illustre fils de Pândou, grand
roi, le héros, léchant les angles de sa bouche et les yeux
rouges de colère, 5,506.
Tel qu'Indra lance sa foudre, envoya à Bhîmaséna pour
la mort une ilèche, Mahârâdja, qui fendait tous les
corps. 5,507.
Le trait à l'empennure variée, sorti de l'arc du fils de
cocher, ayant fendu le fils de Prithâ dans la bataille,
entra dans la terre, en déchirant son sein. 5,508.
Sans balancer, Bhîma aux longs bras, les yeux rouges
de colère, envoya au fils du cocher une lance pesante,
ornée de bracelets d'or, longue de quatre coudées, forte
de six tranchants et semblable au tonnerre. De même
12 LE MAHA-BHARATA.
qu'Indra immola de sa foudre les Asouras, ainsi le Bhara-
tide irrité fit tomber sa massue sur les quatre chevaux,
instruits à bien conduire le char de l'Adhirathide. Après
que Bhîma aux longs bras eut tranché avec deux flèches
en rasoir, éminent Bharatide, le drapeau de Radhéya,
il perça le cocher de ses traits. Aussitôt j abandon-
nant son char au drapeau abattu, aux chevaux tués, au
cocher privé de vie, l'intraitable Karna se tint, brandis-
sant un arc. Nous vîmes en ce moment le courage admi-
rable de Râdhéya ; {De la s tance 5,509 à (a sta?ice
5,514.)
Car, tout dénué de char, qu'il fût, ce meilleur des
maîtres de chars arrêta l'ennemi ! Dès qu'il vit l'Adhira-
thide, le plus vaillant des hommes, sire, privé de son
char dans le combat, Douryodhana dit alors ces mots h
Dourmoukha : « Voici que Bhîma a réduit le fils de
Râclhâ sans char, Dourmoukha. 5,514 — 5,515.
» Donne le secours de ion char à ce grand héros, le plus
brave des hommes. » Dourmoukha, à ces paroles de Dou-
ryodhana, s'avança d'un pied hâté vers Karna et arrêta
Bhîma de ses flèches. Aussitôt qu'il vit Dourmoukha se
faire dans ce combat le suivant, attaché au pas du fils de
cocher, 5,510—5,517.
Le fils du Vent, léchant les angles de sa bouche, en
ressentit de la joie. Après qu'il eut arrêté Karna de ses
flèches, 5,518.
Le Pândouide lança rapidement son char sur Dour-
moukha, qu'il envoya, grand roi, dans ce combat sanglant,
de neuf traits bien supérieurs, au. séjour d'Yama. Monté
sur le chariot du vaincu, Dourmoukha immolé, l'Adhira-
thide brilla, sire, comme le soleil enflammé. A la vue
DRONA-PARVA. 13
de ce héros étendu mort, arrosé de sang, les membres
rompus, Karna, les yeux remplis de larmes, ne se dé-
tourna pas un seul instant. Il s'avança au-delà du guerrier
sans vie et décrivit autour de lui un pradakshina.
5,519- 5,520—5,521-5,522.
Le héros poussa de longs et brûlants soupirs; il ne
trouvait rien qu'il dût faire. Dans cette absence de
moyens, sire, Bhimaséna d'envoyer au fils du cocher
quatorze nârâtchas, revêtus des plumes du vautour.
Quand ces traits, empennés d'or, à la grande vitesse, di-
versifiés par l'or, illuminant les dix points de l'horizon,
eurent fendu sa cuirasse, Indra des rois, ils burent le
sang du fils de cocher, se repaissant de sa vie (1), comme
des serpents en courroux, excités par la mort. Ils bril-
laient, en se glissant au sein de la terre, (De la stance
5,523 à la stance 5,527.)
Où, à demi-entrés, ils reluisaient irrités, comme de
grands reptiles, qui s'introduisent dans leurs cavernes.
Râdhéya, sans balancer, le blessa en retour de quatorze
nârâtchas plus que terribles, ornementés d'or. Une fois
brisé le bras gauche de Bhîmaséna, ces flèches
Terribles entrèrent dans le sein de la terre, comme des
oiseaux, qui s'abattent sur le mont Kraâuntcha (2).
Ces nârâtchas resplendissaient, en pénétrant dans la
terre, 5,527—5,528—5,529.
Tels que les rayons enflammés, qui rentrent dans le
soleil parvenu au mont Asta. Blessé dans ce combat par
les nârâtchas, qui brisent les articulations, Bhîma 5,530.
Versait des ruisseaux de sang, comme les montagnes
(1) Littéralement : de sang.
(2) KroAuntrhon, texte de Bombay.
U LE MAHA-BHARATA.
répandent l'eau. Vrikaudara blessé perça de trois dards le
fils du cocher, et de sept, aussi rapides que le vol de Ga-
rouda, le conducteur de son char. Affligé par la vigueur
de Bhîina, Karna, plein de trouble, puissant roi,
5,531—5,532.
Abandonna le champ de bataille, et s'enfuit avec ses
légers chevaux. Mais Bhîmaséna à la vaste renommée,
brandissant son arc, ornementé d'or, se tenait, monté
sur son char dans ce combat, comme le feu flamboyant.
5,533 — 5, 534.
« Je pense que le Destin est tout-puissant, observa le
i oi Dhritarâshtra : honte soit au courage inutile, puisque
l'Adhirathide, malgré ses efforts, n'a point surpassé le fils
de Pândou en ce combat! 5,535.
a Karna est capable de vaincre dans une bataille les
Prithides, secondés par Govinda ! Je ne vois aucunement
dans le monde un combattant égal à Karna! » 5,536.
» Voilà ce que j'ai entendu dire mainte et mainte fois à
Douryodhana. « Karna est certainement un héros, plein
de vigueur ; son arc est solide ; il a vaincu la fatigue. »
» C'est ainsi que m'a parlé avant la guerre, cocher,
l'insensé Douryodhana. « Indra même ne serait pas mon
égal dans une guerre, où j'ai Vasoushéna pour compa-
gnon. 5,537—5,538.
» Que sont les fils de Pândou sans âme, au courage
évanoui, sire? » Qu'est-ce qu'a dit Douryodhana, quand
il vit s'enfuir du combat ce Karna vaincu, tel qu'un ser-
pent, désarmé de son venin? Hélas! infortuné Dour-
moukha ! Il était l'unique, le plus habile des combattants,
5,539 — 5,540.
« Et l'insensé l'a jeté dans son délire, comme une sau-
DRONA-PARVA. 15
terelle, au milieu du feu! Açwatthâman, le roi de Macira,
Kripa et Karna réunis ne sont pas capables sans doute,
Sandjaya, de rester, le pied ferme, en face de Bhîma. Us
connaissent sa vigueur très-épouvantable et pareille à la
force d'une myriade de serpents boas; ils savent les travaux
cruels de ce héros, qui a la puissance du vent. Pourquoi,
connaissant sa force, sa colère, son courage dans la guerre,
allumèrent-ils le courroux de ce guerrier aux terribles
actions, qui ressemble (1) au trépas, à la mort, à Yama?
Mais seul le fils du cocher aux longs bras, Karna, appuyé
sur la force de ses bras, sans faire cas de Bhîmaséna, lui
a livré bataille ! Nul guerrier n'est capable de surmonter
dans un combat ce fils de Pândou, qui a dompté Karna,
comme Pourandara a vaincu l'Asoura, ce Bhîma, qui,,
occupé à rechercher Dhanandjaya, est entré dans mon ar-
mée, après qu'il eut jeté le trouble en Drona! Quel
homme attaché à la vie l'affronterait dans un combat? Qui
donc oserait, Sandjaya, demeurer, le pied ferme, en face
de Bhîma, (De la stance 5.541 à la stance 5,548.)
» Tel qu'un Dânava en présence de Mahéndra, sa foudve
levée? Un homme, arrivé à la cité du roi des morts,
pourrait encore en revenir ; mais, s'il affronte Bhîma, il n'y
a pour lui nul retour! D'une faible énergie, ils se sont
jetés dans le feu comme des sauterelles, 5,5/18 — 5,549.
» Ces princes, qui, dans leur délire, ont couru sur
Bhîmaséna en colère ! Pour sûr, la vue de Karna vaincu a
dû leur rappeler ces paroles, que le terrible Bhîma irrité,
promettant la mort à mes fils, prononça dans l'assemblée,
aux oreilles des Kourouides. &,550 — 5,551.
(1) Antakaupaman, texte de Bombay.
16 LE MAHA-BHARATA.
» La crainte fit déposer les armes, tournées contre
Bhîma, à Douççâsana et son insensé frère, qui, Sandjaya,
avait dit tant de fois dans l'assemblée : 5,552.
« Karna, Douççâsana et moi, nous vaincrons les Pân-
douides dans le combat ! » Sans doute, Sandjaya, depuis
qu'il a vu Karna sans char, vaincu par Bhîma, il se re-
proche vivement d'avoir repoussé (1) les propositions de
Krishna! Depuis qu'il a vu ses frères, en dépit de leurs
cuirasses, abattus sous les coups de Bhîmaséna, mon fils
ressent, pour sûr, une bien vive douleur au souvenir de
sa faute 1 Qui, attaché à la vie, affronterait comme un en-
nemi le Pândouide, 5,553 — 5,554 — 5,555.
» Bhîma irrité, ses armes levées, debout devant lui, tel
que la Mort en personne? Il se peut qu'un homme soit
délivré, engagé même au milieu de la gueule d'un volcan
sous-marin; 5,556.
» Mais on ne saurait le retirer, — c'est mon sentiment,
— s'il est entré dans la bouche de Bhîmaséna ! Ni les
Piïthides, ni les Pântchâlains, ni Sâtyaki et Kéçava ne
savent pas, dans leur colère, ménager leur vie dans le
combat» Hélas ! cocher, la vie de mes fils est tombée dans
le plus grand danger ! » 5,557—5,558.
Au milieu de ce carnage sévissant des hommes, que tu
déplores, lui répondit Sandjaya, c'est toi, il n'y a nul
doute, qui es l'auteur de cette destruction du monde.
Tu as fait naître toi-même (2) cette grande inimitié,
en suivant la parole de tes fils. Mortel, que tu es appelé,
tu n'agis pas, comme ferait un médicament efficace.
5,559—5,560.
(1) PratyAkhyûnût, édition de Bombay.
(2) Swayan, texte plus correct de Bombay.
DRONA-PARVA. 17
Tu as bu de ta pleine volonté, grand roi, le plus indi-
geste des poisons : accepte maintenant, ô le plus excellent
des hommes, ce fruit entièrement, puisque c'en est le
résultat. 5,501.
Mais, comme tu maudis ces guerriers, qui combattent
suivant leurs forces, je vais te décrire ici de quelle ma-
nière se déroula ce combat. 5,56*2.
Quand tes fils virent Karna vaincu par Bhîmaséna,
cinq héros, frères germains, ne purent supporter ce spec-
tacle, respectable roi. 5,563.
C'étaient Dourmarshana, Doussaha, Dourmada, Dour-
dhara et Djaya, qui, revêtus d'armures diverses, couru-
rent à l'encontre du Pândouide. 5,56/i.
Ces guerriers, environnant de tous les côtés Vrikau-
dara aux longs bras, couvrirent toutes les plages du ciel
avec des flèches comme avec des nuées de sauterelles.
Bhîmaséna accueillit en riant, pour ainsi dire, ces
jeunes princes aux formes divines, qui arrivaient tout à
coup dans le combat. 5,565—5,566.
Aussitôt qu'il eut vu tes fils, à la rencontre desquels
marchait Bhîmaséna, Râdhéya de s'avancer sur ce héi\,s
à la grande force. 5,567.
Décochant sur lui des flèches empennées d'or, péné-
trantes, aiguisées sur la pierre, Bhima s'approcha du
guerrier rapidement et l'arrêta, lui et tes fils. 5,568.
Mais, environnant Karna de tous les côtés, les Kou-
rouides firent pleuvoir sur Bhîmaséna des traits aux nœuds
inclinés. 5,569.
Bhîma, de vingt-cinq dards, plongea ces pluséminents
des hommes aux arcs terribles dans le séjour d'Yama,
avec leurs chevaux, avec leurs cochers. 5,570.
ix 2
18 LEMAHA-BHARA^A.
Ornés de fleurs variées, ils tombèrent sans vie de leurs
chars avec les cochers, tels que de grands arbres, que le
vent a rompus. 5,571.
Nous admirâmes ce merveilleux courage de Bhîmaséna;
après qu'il eut arrêté de ses flèches l'Adhirathide, il ravit
l'existence à tes fils. 5,572.
Arrêté de tous les côtés par ses traits acérés, le fils du
cocher, puissant roi, contemplait Bhîmaséna. 5,573.
Et celui-ci, les yeux rouges de colère, brandissant un
grand arc, jetait à chaque instant sur Karna des regards
irrités. 5,574.
Quand l'auguste Karna vit tes fils étendus morts, pé-
nétré d'un vif sentiment de fureur, il méprisa alors sa vie
elle-même. 5,575.
11 pensa que Bhîma n'avait tué dans le combat tes fils
sous ses yeux que parce que son âme était souillée d'un
péché. 5,576.
Plein d'émotion au souvenir de son ancienne ini-
mitié, Bhîmaséna irrité implanta dans Karna ses flèches
acérées. 5,577.
Dès que Râdhéya eut percé Bhîma en riant de cinq
traits, il le blessa de nouveau avec soixante-dix flèches,
empennées d'or, aiguisées sur la pierre. 5,578.
Mais, sans penser aux dards, que lançait Karna, Vri-
kaudara de frapper dans le combat le fils de Râdhâ de
cent traits aux nœuds inclinés. 5,579.
Il le perça de nouveau de cinq dards acérés dans les
membres, et trancha d'un bhalla, vénérable monarque,
l'arc du fils de cocher. 5,580.
Karna au cœur intraitable, ayant pris un nouvel arc,
couvrit de tous les côtés Bhîmaséna de ses flèches.
DRONA-PARVA. 19
Dès que Bhima eut tué ses chevaux, qu'il eut immolé
son cocher, il éclata d'un vaste rire, joyeux d'avoir tiré
de lui cette vengeance. 5,581 — 5,582.
Homme éminent, il en trancha l'arc de ses flèches, et
l'arme au grand son, au dos en or, tomba, puissant roi,
sur la terre. 5,583.
Karna, le fameux héros, descendit de ce char; il saisit
une massue, et l'envoya dans la bataille avec colère à
Bhîmaséna. 5,584.
Lorsqu'il vit la massue voler à lui rapidement, Vri-
kaudara de l'arrêter avec ses flèches, aux yeux de toute
l'armée. 5,585.
Ensuite, le courageux Pândouide, d'une main hâtée par
le désir de porter la mort au fils du cocher, lui envoya
des milliers de traits. 5,586.
Aussitôt qu'il eut arrêté dans ce grand combat les dards
avec ses dards, Karna fit tomber sous ses flèches la cuirasse
de Bhîmaséna. 5,587.
Il décocha sur lui vingt-cinq kshoudrakas (1) aux
regards de tous les guerriers : ce fut comme une chose
admirable. 5,588.
Bhîma alors envoya dans sa colère au fils du cocher,
vénérable et grand roi, neuf traits aux nœuds inclinés.
Quand ils eurent fendu sa cuirasse et son bras droit,
ces dards acérés de pénétrer dans le sein de la terre,
comme des serpents dans une fourmillière.
5,589—5,590.
Couvert de ces multitudes de traits, lancés par l'arc de
(1) Ce mot veut dire : petit, exigu. Mais, employé sans aucun substantif,
et non plus comme adjectif, c'est probablement le nom d'une espèce de
ilèche. Bothlingk et Roth n'en parlent pas.
20 LE MAHA-BHARATA.
Bhîmaséna, Karna, une seconde fois, tourna le dos devant
lui. 5,591.
Dès qu'il eut vu le fils du cocher fuyant, à pied, cou-
vert des flèches du fils de Rountî, le roi Douryodhana de
s'écrier: 5,592.
« Hâtez-vous de courir, pleins de d'ardeur, de toutes
parts, vers le char de Râdhéya! » Tes fils, à peine en-
tendue cette auguste parole de leur frère, 5,593.
S'avancent, décochant leurs flèches, vers le Pândouide
dans le combat : c'étaient Tchitra, Oupalchitra, Tchi-
trâksha, Tchâroutchitra, Çarâsana, 5,594.
Tchitrâyoudha et Tchitravarman, tous héros dans la
bataille. Sans tarder, l'héroïque Bhîma de frapper chacun
de tes fils dans leur course même avec une flèche mortelle.
Atteints, ils tombèrent sur la terre, comme des arbres,
que le vent a rompus. 5,595 — 5,596.
Quand il vit ces grands héros, tes fils, sire, étendas
sans vie, Karna, le visage rempli de larmes, se souvint
alors des paroles de Kshattri. 5,597.
11 monta dans un autre char, équipé suivant la règle,
et, d'une course hâtée, plein de courage, il s'avança de
nouveau contre Bhîmaséna. 5,598.
Lorsqu'ils se furent blessés mutuellement de traits
empennés d'or, aiguisés sur la pierre, ils brillèrent
comme deux nuages, cousus avec les rayons du soleil.
Au moyen de trente-six bhallas acérés à la splendeur
brûlante, Bhîmaséna irrité mit en pièces la cuirasse du
fils de cocher. 5,599.-5,600.
L'Adhirathide aux longs bras, éminent Bharatide,
blessa le fils de Kountî de cinquante flèches aux nœuds
inclinés. 5,601.
DRONA-PARVA. 21
Le corps oint de sandal rouge, arrosé de sang, portant
de grandes blessures ouvertes par les traits, ils brillaient,
comme le soleil et la lune, élevés sur l'horizon. 5,602.
Avec leurs membres humides de sang, avec leurs cui-
rasses fendues par les flèches, Karna et Bhima resplen-
dissaient, comme deux serpents déchaînés. 5,603.
Semblables à deux tigres, qui se déchirent mutuelle-
ment de leurs dents aiguës, ces deux héros, les tigres des
hommes, versaient leurs grêles de flèches, tels que deux
nuages, qui répandent la pluie. 5,604t.
De même que deux éléphants, qui se blessent récipro-
quement de leurs défenses , ces dompteurs des ennemis
brillaient sous les flèches, dont ils se déchiraient les
membres. 5,605.
Tirant des sons l'un de l'autre, versant les traits comme
la pluie, se faisant mutuellement un jeu de leur adver-
saire, les deux plus excellents des hommes à conduire un
chariot de guerre, ils décrivaient des cercles avec leurs
chars. 5,606.
Semblables à deux taureaux vigoureux, mugissants,
au moment qu'ils ont senti leurs fumées, ou tels que deux
lions courageux, ces lions des hommes à la vaste force,
se jetant l'un à l'autre les regards de leurs yeux rouges
de colère, combattaient avec une grande valeur, comme
Indra et le Virotchanide. 5,607—5,608.
Ensuite Bhîma de rejeter l'arc, qu'il tenait à ses bras;
et Ventre-de-loup resplendit, tel que le nuage, envi-
ronné de l'éclair. 5,609.
Rugissant avec le bruit de son arc, versant pour eau
le d luge de ses flèches, le grand nuage de Bhîma, puis-
sant roi, couvrit la montagne de Karna. 5,610.
22 LE MAHA-BHARATA.
Le Pàndouide Vrikaudara à l'épouvantable courage ré-
pandit sur l'Adhirathide un millier de traits, envoyés par
son arc. 5,611.
Tes fils contemplèrent la valeur de Bhîma, car il ense-
velit Karna sous ses flèches bien empennées, revêtues des
plumes du héron. 5,612.
Inspirant la joie dans son combat au Prithide, à l'il-
lustre Réçava, à Sâtyaki, aux deux gardes des roues,
Bhîma fit la guerre à Karna. 5,613.
Le cœur manqua à tes fils, grand roi, quand ils virent
la force des bras, la valeur et la fermeté de ce guerrier,
qui avait la conscience de soi-même. 5,61/i.
Dès qu'il eut entendu le bruit de la corde attachée à
l'arc de Bhîma, Râdhéya ne put l'endurer, comme un
éléphant enivré le bruit d'un éléphant ennemi. 5,615.
S'étant éloigné un instant de la portée des traits, que
lançait Bhîmaséna, il vit tes fils, que ce héros avait
étendus morts. 5,616.
A ce spectacle, le cœur brisé, contristé, poussant de
longs et brûlants soupirs, ô le plus vertueux des
hommes, il s'avança de nouveau vers le fils de Pàndou.
Ses yeux rouges de colère, soupirant comme un grand
serpent, Karna brillait, décochant ses flèches, comme le
soleil, environné de ses rayons. 5,617 — 5,618.
Vrikaudara était couvert des dards, lancés par l'arc de
Karna, ô le plus grand des Bharatides, comme de filets
des rayons allongés du soleil. 5,619.
Les traits variés, revêtus des plumes du paon, sortis de
l'arc de l'Adhirathide, entrèrent de tous les côtés dans le
fils de Prithâ, comme des oiseaux dans un arbre, où ils
veulent se nicher. 5,620.
DRO.NA-PARVA. 23
Volant çà et là, les flèches, empennées d'or, parties de
l'arc de Râdhéya, resplendissaient, comme des cygnes
rangés en lignes. 5,621.
Supérieures au drapeau, à l'ombrelle et autres signes
de la puissance, on voyait les flèches de Karna prévaloir
sur l'arc, le drapeau et tout l'appareil de guerre. 5,622.
Remplissant les airs, l'Adhirathide lança des flèches,
revêtues de la plume des vautours, dont l'or avait changé
la matière et semblables à des oiseaux d'une grande
vitesse. 5,623.
Aussitôt qu'il le vit accourir, ayant renoncé à la vie et
furieux comme la mort, Ventre-de-Loup s'esquiva de lui
et le blessa de neuf flèches. 5,624.
Quoiqu'il vit l'impétuosité insoutenable de Karna et les
grandes multitudes de ses flèches, le vigoureux Prithide
n'en fut pas même ébranlé. 5,625.
Le fils de Pândou brisa les rézeaux de traits de l'Adhira-
thide; ensuite, il blessa Râdhéya avec vingt autres flèches
acérées. 5,626.
Tel que le fils du cocher couvrait de ses dards le fils de
Prithâ, tel le Pàndouide ensevelissait Karna sous ses traits
dans le combat. 5,627.
Quand ils virent le courage de Bhîmaséna dans la
guerre, Bharatide, les tiens (1) lui applaudirent et le<
Tchâranas en conçurent de la joie. 5,628.
Bhoûriçravas, Kripa, Açwatthâman, le roi du Madra,
(i) Il n'est pas ordinaire de voir un ennemi applaudir au courage d'un
ennemi, tandis qu'on voit souvent les Génies Sidd/ias marcher de pair avec
les Tchâranas. Cependant nous n'osons de nous-mème proposer à nos
lecteurs cette petite correction :
Abhi/anandan tu Sidddstcha sanprahrùhtdstcha Tchâranas.
n LE MAHA-BHARATA.
Djayadratha, Outtamaâudjas, Youdhâmanyou, Sâlyaki,
Arjouna et Kéçava; 5,629.
Ces dix grands héros, sire, les meilleurs desKourouides
et des Pàndouides, de s'écrier : « Bien ! bien ! » et de jeter
soudain un rugissement de guerre. 5,630.
Tandis que ce bruit confus, inspirant l'effroi, roulait
encore sous la voûte des deux, le roi Douryodhana dit
d'une voix hâtée à tes fils, 5,631.
Aux rois, aux fils de rois et surtout à ses frères ger-
mains : « Allez vers Karna; la félicité descende sur vous!
et sauvez-le de Vrikaudara, 5,632.
» Avant que les flèches, envoyées par l'arc de Bhîma-
séna, n'aient porté la mort à Râdhéya ! Faites donc vos
efforts, héros aux grands arcs , pour le salut du fils de
cocher. » 5,633.
Au commandement de Douryodhana, sept de ses frères
germains, vénérable sire, coururent avec colère, et d'en-
vironner Bhîmaséna. 5,634.
S' étant approchés de lui, ils ensevelirent le fils de
Kountî sous les pluies de leurs flèches ; tels, dans la sai-
son humide , les nuages couvrent une montagne des
gouttes de leur eau. 5,635.
Les sept grands héros accablèrent irrités Bhîmaséna,
comme sept planètes, sire, oppressent la lune dans la des-
truction des choses créées. 5,636.
Soudain, le fils de Kountî et de Pândou serra dans son
poiug ferme son arc aux riches ornements ; 5,637.
Et, connaissant l'égalité, dont ils jouissaient parmi les
hommes, l'auguste encocha sept flèches et lança avec co-
lère sur eux ces traits, semblables aux rayons du soleil.
Se rappelant son ancienne inimitié, grand roi, Bhîma-
DRONA-PARVA. 25
séna bannit, pour ainsi dire, du corps de tes fils les souf-
fles de l'existence. 5,638—5,639.
Quand ces traits , empennés d'or, aiguisés sur la
pierre, lancés par Bhîmaséna, eurent fendu les Bhara-
tides, ils s'envolèrent, fils de Bharata, au milieu des
airs. 5.6ZI0.
Dès qu'elles eurent ravi leurs âmes, ces flèches aux or-
nements d'or, Mahârâdja , brillèrent, comme des Garou-
das, qui se promènent dans les cieux. 5.6M.
Ointes de sang, ornées d'or, les sept flèches rapides (1),
ayant bu le sang de tes fils, Indra des rois, volent dans
ï atmosphère. 5,6/i2.
Les princes tombent de leur char sur la terre, les corps
brisés par les flèches : tels , rompus par un éléphant
croulent de grands arbres, crus sur le plateau d'une
montagne. 5,6/13.
Çatroundjaya , Çatrousaha, Tchitra , Tchitrâyoudha,
Dritha, Tchitraséna et Vikarna : ce sont les sept, qui fu-
rent renversés. 5,6Z|Zl.
Le Pândouide Vrikaudara pleura amèrement le sort de
tous ces fils de roi, couchés morts, et surtout celui de
Vikarna, son ami : 5,6&5.
« J'ai donné en promesse la mort , qui fut apportée à
ceux, que je devais immoler; et c'est pour cela que tu
fus tué par moi, Vikarna, qui ai conservé ma promesse.
» Cette guerre est un crime ; mais toi, héros, qui trou-
vais, avec juste raison, oui! avec juste raison, du plaisir
dans notre bien et surtout dans celui du roi Youdlrishtlnra,
tu t'es rappelé ton devoir de kshatrya. 5,6/16— 5,6'j7.
(1) Vâdjûgràs. texte de Bombay.
26 LE MAHA-BHARATA.
» Hélas! ce prince à la grande splendeur n'est point ici
mon seul chagrin. » Après qu'il les eut immolés, puissant
roi, sous les yeux mêmes de Râdhéya, 5,648.
Le fils de Pândou jeta un épouvantable cri de guerre.
Cette clameur semblait annoncer par son volume à Dhar-
marâdja le combat (J) de ce héros et sa victoire. Aussitôt
qu'il eut entendu cette immense vocifération de l'archer
Bhîmaséna, 5,6/19—5,650,
Dharmarâdja en ressentit la plus vive satisfaction dans
la guerre. Le Pândouide joyeux accueillit avec les con-
certs des instruments de musique, grand roi, l'explosion
du cri de guerre, que fit éclater son frère. Après que Vri-
kaudara eut proclamé son nom , le plus excellent de tous
ceux, qui connaissent les armes, s'avança, comblé d'une
grande joie, vers le bra lime -guerrier Drona. Il avait ren-
versé morts trente-et-un de tes fils , puissante majesté.
5,651—5,652—5,653.
Quand il les vit privés de la vie , Douryodhana se sou-
vint alors du langage de Kshattri : « Voici donc arrivé
l'eflet de ces paroles bonnes conseillères de Vidoura ! »
S'écria-t-il. Et ce monarque eut beau y penser, il ne
trouvait rien à répondre , ni sur le fait que Douççâsana,
ton fils à l'esprit dépravé et de peu d'intelligence, associé
avec Karna, fit amener la Pântchâlaine dans l'assemblée ;
ni sur les paroles outrageantes, que Rarnadans la réunion
adressait à Krishna, 5,654 — 5,655 — 5,656.
En face de toi, souverain des hommes , vis-à-vis des
iils de Pândou, à tes oreilles, Indra des rois , à celles de
tous les Kourouides : 5,657.
(1) Youddham, texte de Bombay.
DRONA-PARVA. 27
« Les fils de Pândou ont succombé, Krishna ; ils sont
tombés dans le Naraka et rnel ; choisis un autre époux !»
Voilà donc le fruit de ces paroles arrivé ! 5,658.
Il ne trouvait pas d'excuse aux mots : « Huile de
sésame, » et autres paroles blessantes , adressées aux
Pândouidespar tes fils, excitant leur colère. 5,659.
« Bhîmaséna, le fils de Pândou (1), vomissant (2) le feu
de sa colère, qu'il a couvée treize années , marche à l'ex-
termination de tes fils. » 5,660.
En jetant ces nombreuses lamentations, Kshattri ne
retrouva pas en toi sa tranquillité d'esprit. Mange donc
avec ton fils, ô le plus grand des Bharatides, ces prémices
du fruit. 5,661.
Toi, vieillard prudent, de qui la vue embrasse le sens
et la vraie nature des choses, tu n'as point accompli la
parole de tes amis ; c'est le Destin, qui prédomine ici.
N'en gémis donc pas , tigre des hommes ; grand est
ton manque de politique. Je pense que la perte de tes fils
a sa cause elle-même dans ta majesté. 5,662—5,663.
Vikarna est mort, Indra des rois ; il n'est plus, le vigou-
reux Tchitraséna, et les plus excellents de ceux, qui sont
nés de toi, et les autres grands héros, tes fils ! 5,66/i.
Bhîma d'immoler à la hâte, monarque aux longs
bras, tes autres fils, qu'il voit arrivés à la portée de ses
yeux. 5,665.
Moi-même, je vis l'armée consumée à cause de toi par
les flèches, que le Pândouideet Vrisha décochaient à mil-
liers. 5,666.
'1-2) Pândavas..., oudgiranstavan..., texte de Bombay.
28 LE MAHA-BHARATA.
« Mon défaut de politique est grand, surtout ici, cocher,
observa le roi Dhritarâshtra. Il est arrivé maintenant , je
pense, à l'instant du regret, Sandjaya. 5,667.
« Arrive ce qui doit arriver ! » Telle fut la résolution
mise dans mon esprit. Maintenant que dois-je faire ici,
Sandjaya? 5,668.
» Comme le carnage, qui se déploya, eut pour cause
mon absence de politique , raconte-moi, Sandjaya, cette
destruction des héros : je suis tout oreille. » 5,669.
Les vaillants Karna et Bhîma, puissant roi, lui répon-
dit Sandjaya, déchargèrent dans ce grand combat des
averses de flèches, comme deux nuages versent la pluie.
Des traits, empennés d'or, aiguisés sur la pierre,
marqués du nom de Bhîmaséna , volent sur Karna et pé-
nétrent dans son corps, brisant, pour ainsi dire, sa vie ;
5,670—5,671.
Et Bhîma fut rempli dans ce combat, par centaines et
par milliers, des flèches, que décochait Karna, comme
des serpents venimeux. 5,672.
Ces dards, qui volaient de tous les côtés , grand roi ,
causèrent parmi tes guerriers un ébranlement, semblable
à l'agitation de la mer. 5,673.
Les flèches épouvantables, vomies par l'arc de Bhîma et
pareilles à des serpents, dompteur des ennemis, frap-
paient au milieu de ton armée. 5,67/i.
La terre s'offrait aux yeux, sire, couverte d'éléphants ,
de chevaux et de leurs cavaliers, étendus sans vie, comme
on la voit remplie d'arbres, que le vent a rompus. 5,675.
Transpercés dans la bataille des traits, envoyés par
l'arc de Bhîma , tes guerriers fuyaient : « Qu'est-ce que
cela?» disaient-ils? 5,676.
DRONA-PARVA. 29
Cette armée, rompue (1) des Kaâuraviens, des Saâuvî-
ras et du Sindhou, était chassée par les flèches très-impé-
tueuses du Pândouide et de Karna. 5,677.
Blessés pour le plus grand nombre, leurs chevaux tués,
leurs éléphants immolés, ces héros, laissant Karna et
Bhîma, couraient par tous les points de l'espace. 5,678.
« Sans doute, ce sont les hôtes du ciel eux-mêmes, qui
jettent le trouble parmi nous dans l'intérêt du fils de Pri-
thâ ; car notre armée est mise à mort par les flèches ,
qu'elles viennent de Bhîma ou de Karna ! » 5,679.
En parlant ainsi, tes guerriers accablés de crainte , se
mettant hors de la portée des flèches, s'y tinrent avec le
désir de voir le combat. 5,680.
Un bruit de forme épouvantable, causant la joie des
héros, accroissant la peur des gens timides, s'éleva sur le
champ de bataille. 5,681.
La terre était couverte d'un fleuve, produit par des
ruisseaux de sang, que versaient les chevaux, les élé-
phants et les hommes ; elle était jonchée de coursiers, de
proboscidiens et de guerriers, d'étendards et de caisses de
chars, d'ornements des pachydermes, des chevaux et des
chariots, de voitures brisées, de roues et de timons rom-
pus, d'arcs b; en retentissants, ornementés d'or, de flèches,
empennées de ce riche métal, et de nârâtchas, que lan-
çaient par milliers, comme des serpents déchaînés, l'A-
dhirathide et le fils de Pândou, de traits barbelés et de le-
viers en fer par monceaux, de cimeterres et de haches, de
massues, de pilons et de pattiças, dont l'or avait changé
la matière, de foudres aux formes diverses, de tridents et
(1) Le commentaire explique le mot par âshiptan.
30 LE MAHA-BHARATA.
de parighas (1). La terre était resplendissante, Bhara-
tide, de çataghnîs variés, de colliers et de bracelets d'or,
de pendeloques et de tiares, (De la stance 5,682 à la
stance 5,687 inclusivement.)
D'armilles brisées et d'anneaux à ceindre les doigts, au-
guste roi, d'aigrettes en pierreries, de turbans, de parures
en or, 5,688.
De cuirasses, de maniques, de colliers mêmes, de vête-
ments, d'ombrelles, d'éventails et de chasse-mouches,
disséminés dans leur chute. 0,689.
Le champ de bataille resplendissait d'éléphants, de che-
vaux, d'hommes brisés et de flèches diverses, tombées,
rompues, ointes de sang, éparses çà et là : ainsi le ciel est
parsemé d'étoiles. Les actions de ces deux héros étaient
plus qu'humaines, merveilleuses, inconcevables.
5,690—5,691.
Ce spectacle fit naître l'admiration des Siddhas et des
Tchâranas ; on marchait en ce combat, comme le feu, ac-
compagné du vent, au milieu d'une forêt de bois sec.
Épouvantable était la rencontre de l'Adhirathide et de
Bhîma, son émule, avec des chars et des drapeaux renver-
sés, des coursiers, des éléphants et des guerriers immo-
lés. 5,692-5,693.
Ton armée, souverain des hommes, ressemblait à une
masse de nuages ; elle était comme une forêt de roseaux ,
où sont entrés deux éléphants. 5,69/i.
Cette destruction, que Bhîma et Rarna exerçaient dans
la bataille, touchait à son plus haut degré. 5,695.
Après qu'il eut percé Bhîma de trois flèches, grand roi,
(1) 1° Clava ; 2° Pessulus. Ropp.
DRONA-PARVA. 31
Karna fit tomber sur lui des pluies de traits admirables et
nombreuses. 5,696.
Le Pândouide Bhîmaséna aux longs bras, frappé par
le fils du cocher, n'en fut pas ému plus qu'une montagne
rompue. 5,667.
Il blessa grièvement à l'oreille (1) Karna dans la bataille
d'un trait barbelé, altéré de sang, acéré, frotté d'huile
de sésame.
H abattit sur la terre la pendeloque de Karna, faite d'or,
enflammée, d'une grande beauté , comme une étoile, qui
se détache du ciel. 5,698—5,699.
Vivement irrité, Vrikaudara en riant frappa le fils du
cocher entre les seins d'un autre bhalla. 5,700.
Ensuite Bhîma aux longs bras, d'une main hâtée, lui
envoya dans le combat dix nârâtchas , semblables à des
serpents déchaînés. 5,701.
Lancés par lui, ces dards entrèrent dans le front de
l'Adhirathide, qu'ils avaient brisé, vénérable roi, comme
des serpents dans une fourmillière. 5,702.
Le fils du cocher brillait de ces traits, implantés en son
front, de même qu'il avait brillé jadis couronné d'un
bouquet de fleurs, composé de lapis-lazuli. 5,703.
Profondément blessé par le rapide Pândouide, Karna
de s'appuyer sur le timon de son char et de fermer les
yeux. 5,70/j.
Mais, au bout d'un instant, revenu à la connaissance,
le terrible Karna, tous ses membres humides de sang, fut
enflammé d'une bouillante colère. 5,705.
Alors accablé dans le combat par son arc solide, Karna
(1) Jeu de mots, qui rpparatt ici pour la troisième ou la quatrième, foi..
32 LE MAHA-BHARATA.
à la grande impétuosité s'élança avec fureur sur le char
de Bhîmaséna. 5,706.
Plein de ressentiment, le vigoureux héros irrité lui en-
voya une centaine de flèches, revêtues des plumes du
vautour. 5,707.
Sans faire cas de lui dans le combat, sans penser à sa
vigueur, le Pândouide lança sur lui de violentes pluies de
traits. 5,708.
Karna irrité, grand et terrible roi, frappa de neuf
flèches dans la poitrine le Pândouide aux formes courrou-
cées. 5,709.
Ces deux tigres des hommes, tels que des tigres aux
longues dents, ou comme deux nuages, firent tomber
leur averse l'un sur l'autre dans le combat. 5,710.
Ils s'effrayèrent mutuellement par le battement de leurs
mains; désirant tirer vengeance des blessures faites, ils
s'épouvantèrent dans le combat réciproquement par des
multitudes de flèches. Ensuite Bhîma, le puissant homi-
cide des héros ennemis, trancha avec un kshourapra l'arc
du fils décocher et jeta un cri. Soudain, l'héroïque Adhira-
thide, rejetant cette arme coupée, 5,711—5,712 — 5,713.
Saisit un nouvel arc plus impétueux , brisant la charge
des cuirasses; * mais Vrikaudara le lui trancha dans la
moitié d'un clin d'œil (1) *. Quand il vit détruits sa force
et son courage, et rompus en même temps ceux du Sin-
dhou, des Saâuvîras et de Kourou; 5,71Zi.
Quand il vit la terre de tous les côtés couverte d'armes,
de drapeaux, de cuirasses tombées; quand il vit les chars,
(1) Nous empruntons le vers contenu entre ces deux étoiles à l'édition de
Bombay, pour l'enchaînement des idées.
DRONA-PARVA. 33
les éléphants, les chevaux, les hommes privés de la vie,
Les formes de l'Adhirathide se montrèrent enflammées
par la colère; et, brandissant un grand arc, ornementé d'or,
Râdhéya lançait à Bhîma, sire, les regards épouvan-
tables de ses yeux. Puis, décochant des flèches dans son
courroux, le fils du cocher brilla, 5,715—5,716 — 5,717.
Tel qu'en automne le radieux auteur de la lumière,
parvenu au milieu du jour. Comme le disque du soleil,
sire, épanoui dans ses rayons, 5,718.
Le corps de l'Adhirathide, couvert par des centaines
de flèches, était effrayant à voir, soit qu'il prit de ses
mains, soit qu'il encochàt ses traits. 5,719.
Entre tirer du carquois et lancer ses dards , on
n'apercevait aucun intervalle; son arc toujours mis en
cercle était épouvantable et pareil au tchakra du feu.
Karna décochait ses projectiles, souverain de la terre,
soit de la main droite, soit de la gauche ; les flèches,
sorties de son arc, étaient finement aiguisées, empennées
d'or. 5,720—5,721.
11 couvrait les dix points de l'espace et la clarté du
soleil. On vit nombre de fois au milieu du ciel et partie
de son arc une multitude de flèches, empennées d'or,
aux nœuds inclinés. Les traits, qu'envoyait l'arc de l'Adhi-
rathide, resplendissaient. 5,722—5,723.
Ils brillaient, tels quedesardées, sire, disposées en files
au sein du ciel. Le fils du cocher lança des flèches à la
grande vitesse, à la pointe enflammée, ornementées d'or,
fourbies sur la pierre et revêtues des plumes du vautour.
Ces traits, parés d'or, mis en jeu par la force de l'arc,
Tombaient sans arrêt sur le char de Bhîmaséna. Les
dards tout plaqués d'or, envoyés par Karna, comme des
ix 3
34 LE MAHA-BHARATA.
nuées de sauterelles, illuminaient par milliers au milieu
de l'atmosphère. Les traits, sortis de l'arc de l'Adhira-
thide, éclairaient en tombant.
Une seule flèche laissait après elle dans l'atmo-
sphère une traînée lumineuse, excessivement longue. Tel
qu'un nuage couvre une montagne des gouttes de son
eau ; 5,724 — 5,725— 5,72*3— 5,727— 5,72S.
Tel Karna irrité ensevelit Bhima sous la pluie de ses
flèches. Là, tes fils purent voir avec tous les guerriers la
force, l'énergie, le courage et la résolution de Bhîma.
Karna était semblable à une mer soulevée ou pareil à un
orage de flèches déchaîné. Mais Bhîma, sans y penser,
fondit sur le héros avec colère. Le grand arc de Bhîma,
souverain des hommes, au dos en or,
5,729—5,730—5,731.
Mis en cercle, quand il décochait le dard, paraissait
être un second arc de Çakra. Les traits qui se mani-
festaient en-dehors de cette arme, semblaient remplir le
ciel. 5,732.
Les flèches aux nœuds inclinés, à l'empennure d'or,
que lançait Bhîmaséna, formaient comme un bouquet Ce
Heurs en or, qui brillait dans le ciel. 5,733.
Les multitudes de traits, que rencontraient dans les
airs les dards envoyés par Bhîma, s'y brisaient aheurtés
en plusieurs morceaux. 5,734.
Le ciel était couvert des foules de projectiles, empennés
d'or, au vol rapide, à l'attouchement d'étincelles en-
flammées, dont Karna et Bhîma se lançaient mutuelle-
ment les rézeaux. Alors, ni le soleil ne pouvait luire, ni
le vent souffler. 5,735—5,736.
11 n'était rien, qu'il fût possible de distinguer sons ce
DRONA-PARVA. 35
ciel enveloppé d'un rézeau de flèches. Le fils du cocher
couvrit Bhîma de ses traits variés. 5,737.
Sans faire cas de sa valeur, il s'approcha de ce magna-
nime. Alors que ces deux héros se lançaient des multi-
tudes de flèches, vénérable monarque, 5,738.
On voyait ces dards s'attacher l'un à l'autre par la force
du vent. Le feu naissait dans l'atmosphère, ô le plus ver-
tueux des Bharathides, grâce au contact réciproque des
flèches de ces deux hommes-lions. Et Karna irrité en-
voya, par le désir de lui donner la mort, des traits aigus,
fourbis par l'art de l'ouvrier et dont l'or avait changé la
matière. Bhîma anéantit ces flèches au milieu des airs et
fît de chacune d'elles trois morceaux.
5,739— 5,740— 5,741.
Bhîma, qui surpassait le fils du cocher, lui cria:
« Arrête! » et le Pàndouide vigoureux, irrité, plein de
ressentiment, semblable à un feu, qui veut incendier,
lui décocha de nouveau les pluies terribles de ses flèches.
Ensuite un bruit de cliquetis naquit du battement de
leur manique, 5,742 — 5,743.
Auquel se joignirent le fracas immense de leurs
paumes entrechoquées, le formidable rugissement de
guerre, le grincement de la roue des chars et l'épouvan-
table son de la corde des arcs. 5,744.
Brûlants de contempler la bravoure de Karna et du
Pàndouide, sire, qui désiraient la mort l'un de l'autre,
les guerriers cessèrent de combattre. 5,745.
Les Gandharvas, les Siddhas, les sept rishis et les
Dieux applaudirent: « Bien! bien! » disaient-ils; et les
chœurs des Vidyâdharas versèrent du ciel une pluie de
fleurs. 5,74G.
3(5 LE MAHA-BHARATA.
Plein de colère, Bhîma aux longs bras, au courage
inébranlable, ayant arrêté avec ses astras les astras de
son rival, blessa de ses traits le fils du cocher. 5,7/i7.
Raina lui-même à la grande force, ayant mis une digue
aux flèches de Bhîmaséna, lui expédia en ce combat neuf
nârâtchas, semblables à des serpents venimeux. 5,7/iS.
Bhîma de trancher au milieu des airs ces nârâtchas
avec un égal nombre de flèches : « Arrête ! arrête ! »
cria-t-il au fils du cocher. 5,7&9.
L'héroïque Bhîma aux longs bras lança de colère à
l'Adhirathide un trait semblable à la mort et tel qu'un
autre bâton d'Yama. 5,7o0.
Mais l'auguste Râdhéya de couper en riant, sire, dans
son vol avec trois Hèches le trait du Pândouide. 5,751.
De nouveau, le fils de Pândou jeta sur lui de violentes
pluies de flèches, et Karna sans crainte reçut tous les as-
tras de son ennemi. 5,752.
Tandis que Bhîma combattait avec la magie de ses as-
tras, Karna irrité coupa dans le combat avec des traits
aux nœuds inclinés ses deux carquois, la corde de son arc,
ses rênes et les attaches de ses coursiers à leur joug. De
nouveau, après qu'il eut tué ses chevaux, il blessa decinq
dards son cocher. 5,753 — 5,75/i.
Celui-ci se retira en courant et monta sur le char d' You-
dhâmaniou. Resplendissant comme le feu de la mort,
Râdhéya irrité trancha en riant le drapeau de Bhîma et
renversa ses guidons. Le héros aux longs bras, privé
même de son arc, saisit une lance de fer; 5,755—5,756.
Et, la dardant avec colère, il l'envoya sur le char de
Rarna. L'Adhirathide avec dix flèches trancha cette pique
effilée, ornée d'or, qui accourait comme un grand nié-
DRONA-PARVA. 37
téore enflammé. Klle tomba, coupée en dix morceaux par
les traits acérés de Karna, ce héros, le fils du cocher, qui
lançait des projectiles dans l'intérêt d'un ami. Le fils de
Kountî prit un bouclier, ornementé d'or,
5,577—5,578—5,579.
Et un cimeterre, désireux d'obtenir à l'instant même la
victoire ou la mort. Soudain Karna souriant mit en piè-
ces, fils de Bharata, avec des traits nombreux et plus que
terribles son bouclier d'une grande splendeur. Alors, sans
bouclier, sans char, le héros, plein de colère, envoya d'une
main hâtée, grand roi, son glaive d'une violence extrême
sur le char de Karna. La grande épée trancha l'arc et la
corde du fils de cocher. 5,760 — 5,761 — 5,762.
Puis, l'arme irritée tomba sur la terre , Indra des rois,
comme un serpent descend du ciel. L'Adhirathideen riant
saisit avec colère un nouvel arc, impétueux, à la corde
solide, destructeur des ennemis dans le combat. Karna,
bouillant du désir de tuer le fils de Kountî, étendit avec
lui ses flèches lancées par milliers, Mahârâdja, très-lui-
santes, empennées d'or. Le vigoureux héros, blessé par
les traits, que vomissait l'arc de l'Adhirathide ,
5,763—5,76/1—5,765.
Se mit à marcher dans l'air, portant le trouble au
cœur de Karna. Aussitôt qu'il vit dans ce combat la con-
duite du héros, qui désirait la victoire, 5,766.
Râdhéya de réduire le volume de ses membres (li et
d'éluder Bhîmaséna. Dès que celui-ci le vit assis , les or-
ganes des sens troublés, sur le banc de son char, 5,767.
(t) Layam, que le commentaire explique par ongasankautcham, texte
de Bombav.
38 LE MAHA-BHARATA.
S' approchant de son drapeau, Bhîma se tint sur le sol
de la terre : tous les Kourouides et les Tchâranas applau-
dirent à ce fait du héros , qui désirait enlever Karna de
son char, comme Garouda enlève un serpent. Le guerrier
sans char, à l'arc coupé, gardant son devoir de kshatrya,
5,768—5,769.
Ayant secoué la pensée de son char, se tint de pied
ferme pour le combat. Râdhéya lui fit obstacle et s'avança
dans ce conflit avec colère vers le Pândouide, placé réso-
lument pour la bataille. Les deux éminents hommes à la
grande force, luttant à qui mieux mieux, en vinrent aux
mains, puissant roi, de même que deux nuages rugissants
au terme de l'été : ce fut un combat entre deux hommes-
lions, remplis de fureur, 5,770 — 5,771—5,772.
Irrités dans la bataille, comme un Dieu et un Dànava.
Mais le fils de Kountî, ses armes brisées, attaqué vive-
ment par l'Adhirathide, 5,773.
Ayant vu, couchés morts et semblables a des mon-
tagnes, les éléphants immolés par Arjouna, entra pour
frapper, quoique sans armes, dans la route de son char.
S' étant approché de la foule des éléphants, entré dans
la masse inexpugnable des chars, le Pândouide ne com-
battit plus avec le fils de Râdhâ, dont il voulait épargner
la vie. 5,774— 5,775.
Désirant se mettre à couvert des traits de son ennemi,
le conquérant des cités ennemies, le fils de Prithâ se tint,
levant dans ses bras un éléphant, tué par les flèches de
Dhanandjaya;tel Hanoûmat portait une montagne, semée
des simples les plus efficaces. Mais Karna de ses traits
coupa le proboscidien en morceaux. 5,776 — 5,777.
Le fils de Pândou envoya sur Karna les membres de
DRONA-PARVA. 39
l'éléphant. Il ramasse les roues, les chevaux et toute
autre chose, qu'il voit étendue sur le sol de la terre, et le
Pàndouide les jette avec colère à son rival, qui tranche de
ses dards acérés tout ce qui est lancé par lui. Levant son
poing, enfant de la foudre et cause de grande épouvante,
Bhhna voulait en écraser le fils du cocher ; mais il se sou-
vint à l'instant d'Arjouna. 5,778 — 5,779 — 5.780.
Quoiqu'il le pût, le vigoureux fils de Pcândou ne tua
point Karna, respectant ia promesse, qu'avait jurée
Arjouna. 5,781.
Encore et de nouveau, avec ses traits acérés, le fils du
cocher remplit Bhhna de trouble et enveloppa tous ses
membres d'égarement. 5,782.
Se souvenant des paroles de Kounti, Karna ne le tua
point, quoiqu'il fût sans armes, et, fondant (1) sur lui, il
le loucha avec l'extrémité de son arc. 5,783.
Irrité de se voir frappé avec l'arc (2) et soufflant
comme un serpent, il brisa son arc et de blesser Karna
sur le front. 5,784.
A ce coup de Bhîmaséna, les yeux rouges de colère,
Râdhéya de lui adresser en riant ces paroles : 5,785.
'«Encore! encore! Eunuque (3), insensé, homme ti-
mide! Ne combats point, toi, qui ne possèdes pas les
astras, enfant inhabile aux combats! 5,786.
» Où il s'agit de festoyer, où il faut manger et boire
de diverses manières, là, tu es convenable, homme igno-
rant; mais, dan.; les batailles, pas du tout! 5,787.
» Tu es accoutumé, par tes vœux et tes pénitences, à
(1) Sa ubhirlroutya, texte de Bombay.
(2) Dhanoushd, même édition.
(3) Toûvara, texte de Bombay.
40 LEMAHA-BHARATA.
faire dans les bois ta nourriture de fleurs, de fruits et
de racines ; mais tu n'es pas instruit dans l'art des
combats. 5,788.
» Il y a bien de la différence entre les batailles et la vie
d'un ascète! Retourne dans les forêts, Viïkaudara! Tu
n'as point l'habitude des combats, mon fils ; c'est dans le
séjour des bois, qu'est le plaisir de ton altesse. 5,789.
» Fais se hâter en diligence dans ton palais tes servi-
teurs, tes cuisiniers, les gens, que tu nourris; tu n'es
bon, Vrikaudara, qu'à frapper dans ta colère, excité par
l'envie de manger! 5,790.
>. Mais redeviens anachorète ; et va, insensé, recueillir
des fruits! Retourne au bois, iils de Kountî; tu n'es pas
instruit dans les combats ! 5,791.
» Tu es propre à manger des racines et des fruits, à
rendre aux hôtes les honneurs dus; mais je ne crois pas,
Ventre-de-Loup, que tu conviennes au maniement des
armes. » 5,792.
Il lui lit entendre avec étendue les choses désagréables,
qui s'étaient passées dans son enfance, monarque des
hommes, et tout ce qu'il y avait de plus blessant. 5,793.
Tandis qu'il restait là, Vrisha le frappa une seconde
fois de son arc et ajouta en riant ces nouvelles paroles à
Bhîma: 5,79/i.
« 11 faut combattre d'une autre manière, homme res-
pectable : ce n'est pas ainsi que l'on combat avec des
guerriers tels que moi. Ces armes et d'autres semblables
ne se voient pas aux mains des guerriers, qui combattent
avec des héros pareils à moi. 5,795.
» Va où sont les deux Krishnas! Ils te défendront
au milieu du combat; ou va dans ton palais, fils de
DRONA-PARVA. M
Kountt. Enfant, qu'as-tu besoin de combat? » 5,796.
Dès qu'il eut ouï ces paroles plus qu'épouvantables,
Bhîmaséna en riant tint ce langage à Karna, aux oreilles
de tous les guerriers : 5,797.
« On t'a vaincu plus d'une fois, méchant : pourquoi te
glorifier toi-même sans raison? Les hommes des antiques
jours ont vu dans ce inonde la victoire et la défaite du
grand Indra. 5,798.
» Livre-moi un combat au pugilat, ô toi, qui tires ta
naissance d'une mauvaise famille. De même que Kîtchaka
à la grande force, à la grande fortune, fut immolé par
moi, ainsi je te tuerai sous les yeux de tous les rois! » A
peine eut-il connu le sentiment de Bhîmaséna, Karna,
le plus excellent des hommes judicieux,
5,799-5,800.
Cessa le combat sous les regards de tous les archers.
Quand il l'eut ainsi réduit sans char, Karna, sire, de s'en
glorifier devant le lion de Vrishni et le magnanime Pri-
thide. Alors ce prince, qui a pour son drapeau un singe,
envoya, stimulé par Kéçava, ses flèches éclaircies sur la
pierreau fils du cocher. Ces traits, ornementés d'or, sortis
du Gândiva et lancés par le bras du Prithide, entrèrent
dans Karna, comme des cygnes dans te mont Kva-duntchz.
Dhanandjaya éc.irta de Bhîmaséna le fils du cocher avec
ses flèches lancées par le Gàndîva, entrées dans l'ennemi
comme des serpents. Blessé des traits de Dhanandjaya et
son arc cassé par Bhima, (De la stance 5,800 à ta siance
5,806.)
Karna, hâtant sa course, s'éloigna sur son grand char
de Vrikaudara. Celui-ci même, étant monté sur le char <!<■
42 LE MAHA-BHARATA.
Sâtyaki, suivit, ô le premier des hommes, son frère,
l' Ambidextre Pândonirîe au milieu du coml)at. Alors
Dhanandjaya d'une main hâtée, ayant visé Karna, lança
sur lui, ses yeux rouges de colère, un nàrâtcha, comme
Yatna envoie la mort. Tel que Garouda, quand, du haut
des airs, il veut enlever le plus grand des serpents,
Le nàrâtcha, lancé par le Gândîva , tomba rapidement
sur Karna. Mais, d'une flèche, le Dronide coupa ce nà-
râtcha au milieu des airs. 5,806—5,807—5,808—5,809.
Le grand héros s'avança vers Dhanandjaya, désirant
arracher Karna de ses mains ; et, brûlant de colère, Ar-
jouna de b!esser Açwafthâman de soixante-quatre dards,
et de lui crier, grand roi : « N'av;mce pas ! Arrête-toi ! »
Le Dronide, en proie aux flèches cl'Arjouna, se réfugia
précipitamment au milieu de l'armée , pleine d'éléphants
enivrés et regorgeante de chars. Le vigoureux iiis de
Kounti surmontait par le rugissement de son Gàndiva le
bruit des arcs au dos en or et gazouillants dans la bataille.
Dhanandjaya, jetant avec ses flèches la terreur dans l'ar-
mée (1), s'approcha à une assez courte distance derrière
les pas d'Açwatthâman, qui s'avançait. Quand il eut
brisé les corps des hommes, des coursiers et des élé-
phants (2), Dhanandjaya mit l'armée en pièces avec ses
nârâtchas, revè;us des plumes du paon ou du héron. Re-
doublant d'efforts, le fils d'Indra et de Kounti, ô le plus
excellent des Bharatides, immola cette armée avec ses
guerriers, ses éléphants et ses rapides coursiers. (De la
stance 5,840 à la stance 5,817. )
(1-2) Balan.... vàrana..., édition de Bombay.
DRONA-PARVA. A3
« De jour en jour, la flamme de l'espérance s'éteint
dans mon cœur, Sandjaya, interrompit Dhritaràshtra.
Un grand nombre de mes combattants a succombé sous le
fer : c'est l'ordre, je pense, interverti de la mort. 5,817.
» Malgré qu'elle fût défendue par le Dronide et
Karna, Dhanandjaya, bouillant de colère, a pénétré dans
mon armée, impénétrable aux Dieux eux-mêmes. 5,818.
» Sa valeur indomptable est secondée par Krishna et
Bhima aux puissants courages, et par le lion (1) des
(unides. 5,719.
» Désormais le chagrin me consume comme le feu
brûle une habitation. Je vois dans l'avenir les maîtres de
la terre dévorés, pour ainsi dire, avec les Sindhiens.
» Après qu'il a exécuté un immense exploit odieux à
K.îriti, comment, tombé sous la portée de ses yeux, le roi
du Sindhou obtiendrait-il de continuer la vie?
5,8-20—5,821.
» Je le vois par analogie, Sandjaya ; le Sindhien n'est
déjà plus. Mais raconte- moi dans la vérité ce combat,
suivant les circonstances. 5,822.
» Comment, après qu'il l'eut agitée et qu'il eut semé le
trouble au milieu d'elle, est-il entré seul dans la grande
armée, tel qu'un éléphant dans un champ de lotus?
» Dis-moi avec exactitude le combat, que soutint le
héros de Vrishni dans la cause de Dhanandjaya; car tu es
un habile conteur, Sandjaya. » 5,823 — 5,824.
Dès qu'il eut vu le plus vaillant des hommes, lui ré-
pondit Sandjaya, ce fils du Soleil, accablé ainsi dans sa
marche contre Bhîma, 1.' plus brave guerrier de; Çi-
(i) Littéralement : le taureau.
àh LE MAHA-BHARATA.
uides, sire, le suivit avec son char au milieu des héros.
Il rugissait comme le Dieu, qui tient la foudre, au
terme de l'été ; il brûlait comme le soleil à la fin de la
saison humide ; il immolait les ennemis avec son arc so-
lide ; il jetait l'ébranlement dans l'armée de ton fils.
5,825—5,826.
Tous les tiens , fils de Bharata, furent incapables d'ar-
rêter ce frère aîné de Màdhava, le plus brave sur un
champ de bataille, qui s'avançait en criant, avec ses che-
vaux, semblables à l'argent. 5,827.
Alambousha, le plus excellent des rois, guerrier, qui
ne fuyait pas, accourant, plein de colère, armé d'un arc
et revêtu d'une cuirasse d'or, mit obstacle à Sâtyaki, ce
frère aîné de Màdhava. 5,828.
La bataille entre ces deux héros fut telh; qu'on n'en vit
pas une autre de même nature. Tes guerriers et tous les
ennemis contemplèrent ces deux braves, qui brillaient de
la beauté même des combats. 5,829.
Alambousha, le meilleur des rois, lui décocha dix traits
avec violence ; mais le petit-fils de Çini les trancha de
ses dards avant qu'ils ne fussent arrivés. 5,830.
De nouveau, il blessa Sâtyaki d'un arc tiré jusqu'à l'o-
reille avec trois flèches acérées, bien empennées et sem-
blables au feu. Les traits fendirent sa cuirasse et se plon-
gèrent dans son corps. 5,831.
Après qu'il eut déchiré ses membres, il immola ses
quatre chevaux, pareils à l'argent , de quatre flèches
acérées, flamboyantes, douées de la puissance du vent.
Blessé par lui, l'agile petit-fils de Çini, lui, de qui la
puissance égalait celle de Krishna, abattit les chevaux
d' Alambousha avec quatre dards supérieurs en vitesse,
DRONA-PARVA. W
II trancha d'un bhalla, semblable au feu de la mort,
la tête de son cocher; et le resplendissant guerrier enleva
des épaules ce chef, orné de pendeloques et non moins
beau que l'astre des nuits en son plein.
Lorsqu'il eut immolé ce petit- fils du souverain de la
terre, l'homicide héros, chef des Yadouides, suivit Ar-
jouna, après qu'il eut arrêté, sire, les armées de ta ma-
jesté. 5,S32—5,833—5,83/i—5,835.
Quand il vit le héros de Vrishni suivi, restant au mi-
lieu des ennemis, immolant mainte et mainte fois de ses
(lèches les armées des Rourouides , tel que le vent brise
les nuages rassemblés, 5,836.
Ce lion des hommes fut conduit partout où il voulut aller
par les chevaux du Sindhou, coursiers généreux , habile-
ment domptés, couverts de filets d'or et semblables à la
neige, à la lune, au jasmin multiflore, au lait, substance
des vaches. 5,837.
Ensuite tes fils et les autres de tes guerriers se hâtent
de se réunir ; et, après qu'ils eurent parlé, ils élurent, ô
toi, de qui Adja est l'ami (1), Douççàsana, ton fils, pour
chef des combattants. 5,838.
L'ayant cerné de tous côtés , les soutiens des armées
frappèrent Çaînéya dans la bataille; et , de son côté,\e
plus vaillant des Sâttwatides, ce héros de les arrêter par
la multitude de ses flèches. 5,839.
Dès qu'il leur eut fait obstacle avec ses dards, sem-
blables au feu, le petit-fils de Çîni, ayant élevé son arc,
ô toi, qui est l'ami d'Adja, abattit les chevaux de ton fils
Douççàsana. 5,840.
(\) Adjamitha, au vocatif, édition de Bombay.
46 LE MAHA-BHARATA.
Enfin, la vue de ce grand héros des hommes causa de
la joie à Krishna et Arjouna. 5,841 .
Les héros Trigarttains aux drapeaux, dont l'or avait
changé la matière, d'environner ce guerrier vaillant, qui
avait pénétré dans la mer des armées, ce héros aux longs
bras, qui s'avançait d'un pied hâté vers le char de ce
Douççâsana, qui savait se hâter dans les choses exigeant
de la promptitude, et qui désirait la victoire sur Dhanan-
djaya. 5,842—5,843.
Pleins de colère, maniant leur arc avec supériorité, ils
l'entourèrent de toutes parts avec la foule de leurs chars
et l'inondèrent avec la multitude de leurs flèches. 5,844.
Seul dans ce grand combat, quand il fut arrivé au
milieu de l'armée Bharatienne, où régnait un bruit confus
de maniques frappées, remplie de massues, de tridents,
d'épées, et telle qu'une onde sans nacelle, Sâtyaki au cou-
rage de vérité triompha de cinquante ennemis, tous fils
de rois, tous ayant la fierté des rois. 5,845 — 5,846.
Alors nous vîmes la conduite, admirable de Çaînéya
dans la bataille ; car, après qu'il se fut montré à nous
dans la plage occidentale, nous le vîmes paraître aussitôt
par sa légèreté dans la plage orientale. 5,847.
Le héros se promenait à la fois comme en dansant et
tel qu'une centaine de chars dans les parages du septen-
trion et du midi, du levant et du couchant, et dans les
plages intermédiaires. 5,848.
Ayant vu quelle manière d'agir avait ce guerrier à la
marche hardie du lion, les Trigarttains en détresse s'ap-
prochèrent des peuples, leurs parents et alliés. 5,849.
Les autres héros des Çoûrasén'ens l'arrêtèrent dans le
combat, le retenant par des multitudes de flèches, comme
DRONA-PAUVA. 47
un éléphant en rut à coups de crocs acérés. 5,850.
Sâtyaki à l'âme noble fit la guerre un instant avec eux;
ensuite, ce héros à la force, à ia bravoure inconcev ble
combattit avec les Kâlingains. 5,851.
Quand il eut dépassé l'armée de ces combattants, diffi-
cile à surmonter, le guerrier aux longs bras fit sa jonction
avec le Prithide Dhanandjaya. 5,852.
Tel qu'un navire, fatigué (1) au milieu des eaux, par-
venu enfin à la terre sèche, Youyoudhâna commença ,;>
respirer, dès qu'il aperçut ce tigre des hommes. 5,853.
Aussitôt qu'il le vit approcher, Kéçava dit au fils de
Prithà : c Voici Çaînéya, qui s'avance à la recherche de
tes pas, enfant de Kountî. 5,854.
» Ce guerrier au courage de vérité est ton ami et ton
disciple; ce taureau des hommes a vaincu tous les com-
battants, les estimant ce qu'est une poignée d'herbes.
» Scàtyaki s'avance, lui, qui a fait peser une effroyable
calamité sur les guerriers Kourouides ; lui, Kirîti, qui
t'est plus cher que les souffles de la vie. 5,855— -,5856.
» Sàtyaki s'approche , après que ses flèches , Phâl -
gouna, ont jeté dans l'infortune Drona et Kritavarman-
Bhodja. 5,857.
» Sâtyaki vient à nous, Phàlgouna, ce héros consommé
dans les astras, qui, recherchant ce qui est agréable à
Dharmarâdja, étendit mort tout ce qu'il y a de plus
brave parmi les combattants. 5,858.
» Sàtyaki à la grande vigueur s'avance, fils de Pândou,
lui, qui, aspirant à voir ta personne, vient d'accomplir au
(1) Crantas, texte de Bombay.
48 LE MAHA-BHARATA.
milieu des ennemis une œuvre d'une bien difficile exécu-
tion. 5,859.
» Voici Sâtyaki, qui s'avance, fils de Prithâ; lui, qui,
avec un seul char, fit tête sur le champ de bataille a
de nombreux et grands héros, sous les ordres de l'A-
tchârya. 5,860.
» Voici, enfant de Prithâ, Sâtyaki, qui s'approche, en-
voyé par le fils d'Yama; lui, qui, appuyé seulement par
la force de son bras, a déchiré l'armée. 5,861.
» Voici Sâtyaki, qui s'avance, ivre de la fureur des
combats, fils de Rountî, lui, auquel d'aucune manière
jes Rourouides ne peuvent opposer un guerrier son égal
dans les batailles. 5,862.
» Voici Sâtyaki, qui vi< nt à nous, victorieux de nom-
breuses armées, fils de Prithâ, et lâché au milieu des
guerriers de Rourou , comme un lion parmi tes
vaches. 5,863.
» Voici Sâtyaki, qui s'approche d'un pied hâté, fils de
Prithâ, après qu'il a jonché la terre de visages, sem-
blables à des lotus, enlevés à des milliers de rois ! 5,864.
» Voici Sâtyaki, qui s'avance à grands pas, ayant tué
Djalasandha et vainqueur de Douryodhana, défendu par
ses frères dans la bataille. 5,865.
» Voici Sâtyaki, qui vient ici, ayant abattu les Rou-
rouides, comme on fauche des herbes, et répandu un
fleuve, qui roule du sang à travers un limon de même
nature. » 5,866.
Alors le fils de Rountî, à qui l'on arrachait sa victoire,
fit une réponse en ces termes à Réçava : « Je ne vois poin
avec plaisir, guerrier aux longs bras, Sâtyaki s'avancer
vers moi. 5,867.
DRONA-PARYA. Û9
» Car je ne sais pas dans quelle condition Dharma-
râdja se trouve, Kéçava, si, privé du Sâttwatide, il est
encore vivant ou s'il est mort. 5,868.
» En effet, ce prince devait être gardé par lui : comment
se fait-il, Krishna, que, l'ayant abandonné, il ait suivi mes
pas? 5,869.
>) Le roi est abandonné à la fureur de Drona, et le Sin-
dhien n'est pas abattu ! Voici Bhoûriçravas, qui s'avance
dans le combat à la rencontre de Çaînéya. 5,870.
» Voilà une charge plus lourde, quelle n'était avant,
imposée dans l'affaire du Sindhien : il faut que j'obéisse
au roi et que je sauve Sâtyaki. 5,871.
-) Il faut que j'immole Djayadratha et Y astre, auteur
du jour, incline à son couchant. Sâtyaki, ce héros aux
longs bras, est fatigué; c'est à peine maintenant s'il
respire (1). 5,872.
» Ses chevaux sont las ; son cocher, Mâdhava, partage
leur fatigue; mais ni Bhoûriçravas, ni ses compagnons,
Kéçava, ne sont eux-mêmes fatigués. 5,873.
» Puisse maintenant son bonheur se trouver dans cette
rencontre! Est-ce que Sâtyaki au courage de vérité n'au-
rait pas encore traversé cette mer? 5,87/i.
» Arrivé dans cet étroit espace, ce héros des Canidés à
la grande splendeur y trouverait-il la mort? Puisse Sâ-
tyaki être environné par la bonne fortune dans ce conflit
avec le magnanime Bhoûriçravas, consommé clans les
astras et le chef des Kourouides ! Il faut, à mon avis,
Kéçava, rejeter cette faute sur Dharmarâdja.
5,875—5,376.
(1) Alpaprâna, texte de Bombay.
IX
50 LE MAHA-BHARATA.
» C'est lui, qui, secouant la crainte, venue de l'A-
tchârya, nous a envoyé Sâtyaki ! Drona espère toujours
qu'il fera le fils d'Yama son prisonnier, comme un faucon,
qui plane dans les airs, compte sur une proie facile.
Pourra-t-on sauver ce roi des hommes? » 5,877 — 5,878.
Dès qu'il vit le Sâttwatide accourir, enivré, sire, de la
furie des combats, soudain Bhoûriçravas fondit sur lui
avec colère. 5,879.
Le Rourouide parla en ces termes, grand roi, au re-
jeton de Çini : « Par bonheur, te voilà donc arrivé main-
tenant à la portée de mes yeux ! 5,880.
» Je vais obtenir l'objet de mes vœux, long-temps
désiré dans la guerre; car tu ne seras pas délivré
vivant de mes mains, à moins que tu n'abandonnes le
combat. 5,881.
» Aujourd'hui, après que je t'aurai tué dans la ba-
taille, Dâçârhain, toi, qui n'abandonnes jamais l'arro-
gance du héros, je réjouirai Souyodhana, le roi des Rou-
rouides. 5,882.
>) Aujourd'hui, Réçava et Arjouna, ces» deux héros, te
verront de compagnie consumé dans le combat par mes
flèches, étendu sur la face de la terre. 5,883.
» Aujourd'hui, le monarque fils d'Yama, qui t'a fait
entrer ici, sera à l'instant même couvert de honte, en
apprenant que tu es mort sous mes coups! 5,884.
» Aujourd'hui, Dhanandjaya, le fils de Prithâ, con-
naîtra mon courage, quand il te verra couché mort et
baigné dans ton sang! 5,885.
» Certes! 11 y a long-temps que je désire cette ren-
contre avec toi, comme jadis, en la guerre des Asouras et
des Dieux, celle de Çakra avec Bali! 5,886.
DRONA-PARVA. 51
» Aujourd'hui, je te livrerai, Sâttwatide, ce combat
d'une grande épouvante : par-là, tu connaîtras dans la
vérité mon énergie, ma force et mon courage! 5,887.
» Aujourd'hui, tué par moi clans la bataille, tu descen-
dras (1) dans Sanyamanî, comme le Ravanide immolé
sur le champ de bataille par Lakshmana, le frère puîné
deRâma. 5,888.
» Aujourd'hui, Krishna, et le Prithide, et Dharma-
râdja, tués en ta personne, Mâdhava, abandonneront sans
doute, privés de courage, le champ de bataille. 5,889.
» Aujourd'hui, quand j'aurai accompli ta mort, grâce
à mes flèches acérées, je réjouirai les épouses des guer-
riers, que tu as immolés dans le combat! 5,890.
» Arrivé à la portée demies yeux, tu ne seras point dé-
livré, Mâdhava, de même qu'une vile gazelle, tombée
sous les regards d'un lion. » 5,891.
Youyoudhâna lui répondit en riant, sire : « La crainte
n'existe pas, Rourouide, pour moi clans la guerre.
» 11 est impossible de m' effrayer par le seul bruit des
paroles : le guerrfer, qui m'aura privé de mes armes dans
un combat, pourra m'ôter la vie. 5,892 — 5,893.
» Mais qui me tuerait dans la guerre, tuerait en moi
des années éternelles ! A quoi bon tant de paroles inutiles?
Prouve ton dire avec tes actions ! 5,89Zi.
» Tes clameurs ne portent aucun fruit, comme le bruit
d'un nuage en automne. Quand j'ai entendu ces cris,
héros, il m'a pris une envie de rire. 5,895.
» Que ce combat si long-temps désiré dans le monde,
Kourouide, soit donc livré clans ce moment. Mon âme
(1) La 3e personne du futur où il faudrait grammaticalement la seconde!
52 LE MAHA-BHARATA.
s'élance vers cette bataille, qu'elle désire, mon ami, avec
la même impatience que toi. 5,896.
» Je ne m'en irai pas, ô le dernier des mortels, que je
ne t'aie arraché la vie à l'instant même. » C'est ainsi que
ces deux éminents hommes se déchiraient l'un l'autre avec
des paroles. 5,897.
Au comble de la colère et désirant se porter la mort,
ils se frappèrent dans ce combat. Ces deux héros aux
prises, robustes, se disputant la victoire en cette ba-
taille, 5,898.
Irrités comme deux éléphants dans la furie du rut, en-
vironnés des fumées du mada, ces dompteurs des enne-
mis, Bhoûriçravas et Sàtyaki de s'adresser l'un à l'autre,
comme deux nuages, leurs averses de flèches épouvan-
tables. Le Somadattide couvrit' Çaînéya de ses traits au
vol rapide. 5,899—5,900.
Désireux de le tuer, ô le plus grand des Bharatides, il
le blessa de dix flèches acérées; et, quand il l'eut percé,
le guerrier lui décocha d'autres dards aigus, aspirant à
retrancher de la vie ce héros des ÇinideS. Mais Sàtyaki,
par la magie de ses astras, auguste seigneur des hommes,
dévora dans l' atmosphère, avant qu'elles ne fussent ar-
rivées, ces flèches aiguës. Ils déversèrent l'un sur l'autre,
chacun en son particulier, deux pluies de projectiles.
5,901—5,902—5,903.
Ces deux héros, nés en des familles supérieures, ac-
croissant la renommée de Vrishni et de Kourou, déchi-
rant leurs membres et stillants de sang, se fendirent l'un
l'autre par leurs flèches et les lances de fer, attachées au
chars, comme deux tigres avec leurs griffes, comme deux
grands éléphants avec leurs défenses. 5,904— 5,905.
DRONA-PARVA. 53
Ces guerriers aux actions les plus hautes, accroissant
la gloire de Kourou et de Vrishni, jouant ainsi au jeu des
existences, se forcèrent l'un l'autre à l'immobilité. 5,906.
Ils se combattaient réciproquement, comme deux élé-
phants, chefs de bande. Initiés depuis un court espace de
temps au monde de Brahma, aspirant au siège le plus
élevé, ils s'adressaient mutuellement des menaces. Sâ-
tyaki et le Somadattide, sous les yeux des Dhritarâsh-
trides joyeux, firent éclater l'un sur l'autre une pluie de
flèches. Les peuples contemplaient ces deux maîtres
dans l'art des combats, qui se livraient bataille, comme
deux éléphants, chefs de troupeaux, que les senteurs du
mada auraient mis aux prises. Quand ils se furent tué
leurs chevaux et tranché leurs arcs mutuellement,
5,907—5,908—5,909—5,910.
Réduits sans char, ils croisèrent leurs mains pour un
duel à l'épée. S'étant armés de boucliers admirables,
larges, reluisants, faits en peau de bœuf, 5,911.
Et, mettant leurs épées hors du fourreau, ils se prome-
nèrent dans la bataille, en traçant, suivant l'art, des pas
en avant et des portions de cercles. 5,912.
Portant le cimeterre , revêtus de merveilleuses cui-
rasses, parés de nishkas et de bracelets, ces deux exter-
minateurs des ennemis se frappèrent mainte et mainte
fois avec colère. 5,913.
Ces guerriers illustres firent voir la circonvolution , le
saut, le percer, le plonger, l'émersion, la marche, le vol et
la descente des airs (1). 5,91 h.
Ces deux héroïques dompteurs des ennemis se portè-
(1) Différent,» termes d'escrime.
54 LE MAHA-BHARATA.
rent de mutuels coups d'épée, et, désirant surprendre un
défaut en leur ennemi, ils exécutaient des bonds agiles.
Les deux plus excellents des hommes exercés aux com-
bats, ils montraient leur science , leur légèreté, leur ex-
cellence, et s'entraînaient l'un l'autre à la ronde.
Après que ces deux braves se furent , Incira des rois,
chargés de coups' mutuels pendant une heure environ, aux
yeux de tous les guerriers, ils reprirent haleine ensuite.
Quand ces tigres des mortels se furent à coups d'épée,
souverain des hommes, tranché leurs boucliers admira-
bles, ornés de cent lunes, ils commencèrent une lutte à
bras-le-corps. 5,915— 5,916— 5, 917--5, 918.
Tous deux à la vaste poitrine, aux longs bras, habiles
dans les combats singuliers, ils s'étreignirent de leurs
bras comme avec des barres de fer. 5,919.
La prise et l'étreinte de ces lutteurs, sire, étaient égales
aux blessures, que faisaient les bras : leur science et leur
force causaient la joie de tous les combattants. 5,920.
Épouvantable était le bruit immense, sorti de la ba-
taille, sire, que se livraient ces deux plus vaillants des hom-
mes, semblables à deux montagnes de diamant. 5,921.
Tels que deux éléphants avec la pointe de leurs dé-
fenses ou deux taureaux avec leurs cornes, ces magna-
nimes héros de Kourou et de Vrishni combattirent, s'en-
laçant avec les câbles de leurs bras et se frappant avec les
coups de leurs têtes, se tirant les pieds par un croc-en-
jambe, se meurtrissant comme avec des leviers de fer, se
déchirant (1) comme avec des aiguillons, se tenant le
(1) Ldsanah, que le commentaire explique par avaluntchunois, texte
le Bombay.
DRONA-PARVA. 55
ventre et les pieds unis, embrassés ; et par des bondisse-
ments en l'air, par quelques pas en rvant, des retours en
arrière, et de soudaines poussées (1) , en se baissant, en se
levant, en s' ébranlant (2), 5,922— 5,923— 5,92/j.
Ces héros à la grande vigueur montrèrent là, Bharatide,
dans ce duel les combats, que l'on peut livrer avec les
trente-deux moyens. 5,925.
Alors que le Sâttwatide combattait, ses armes brisées,
le Vasoudévide parla en ces termes à Arjouna : « Vois ce
héros, le plus brave de tous ceux, qui manient l'arc. Il
combat, réduit sans char ! 5,926.
» Il est entré dans l'armée Bharatienne, qu'il a en-
foncée derrière toi : ce guerrier à la grande vigueur,
Bharatide, fut attaqué par tous les enfants de Bharata.
>; Bhoûridakshina s'est avancé, impatient de combattre,
vers ce héros, le plus brave dans les combats, que la
fatigue n'a pas empêché de s'avancer lui-même. Cela
n'est pas convenable ainsi, Arjouna. 5,927 — 5,928.
» Irrité, ivre de la furie des batailles, Bhoûiïçravas se
hâtant arrêta Sâtyaki, comme un éléphant en rut, sire,
s'oppose à un éléphant en folie. » 5.929.
Tandis que se livrait le combat singulier en char de ces
deux principaux des combattants, courroucés, montés
dans leurs chariots, sire, aussi admirables à voir dans la
bataille que le Vasoudévide et Arjouna, 5,930.
Krishna aux longs bras dit encore à celui-ci : « Voici
le tigre d'Andhaka et de Vrishni tombé au pouvoir du
Somadattide! 5,931.
fi) Le texle de Bombay porte : ôkshépuis.
(2) Samploutais, même texte.
56 LE MAHA-BHARATA.
» Arrivé plein de fatigue, il a accompli sur la terre un
exploit très-difficile ; Arjouna, sauve donc l'héroïque Sâ-
tyaki, qui s'est jeté pour toi dans la mort ! 5,932.
» Que ce brave ne tombe point à cause de toi, Arjouna,
sous la puissance cVYajnaçîla. Que cette action, noble
tigre des hommes, soit promptement exécutée ! » 5,933.
Ensuite Dhanandjaya, rempli d'ardeur, répondit au
Vasoudévide : « Voici le héros de Kourou, qui se joue
avec le plus grand des guerriers de Vrishni ; 5,93Zi.
» Tel, dans la forêt, un lion enivré avec un gigantesque
éléphant, chef de troupeaux (1). » A peine le Pândouide
Dhanandjaya eut-il parlé ainsi, 5,935.
Un grand brouhaha de naître parmi tous les guer-
riers, éminent Bharatide, car le Kourouide aux longs
bras, élevant Sâtyaki, le renversa sur la terre, comme un
éléphant abattu par un lion. Bhoûridakshina, traînant çà
et là ce plus grand des Sâttwatides, le plus brave des
Kourouides brillait dans le combat. 5,936 — 5,937.
Puis, Bhoûriçravas , mettant son cimeterre hors du
fourreau, le saisit aux cheveux dans la bataille et le
frappa du pied au milieu de la poitrine. 5,938.
Et, comme il s'apprêtait à lui trancher la tête, ornée
de ses pendeloques, et à t enlever des épaules, le Sâttwa-
tide en ce moment suprême fit tourner rapidement ^on
cou, de même qu'un potier fait tourner sa roue, fils de
Bharata, frappée d'un bâton. Aussitôt que le Vasoudévide
eut vu Bhoûriçravas, qui, avec son bras tenant sa cheve-
(1) Je pense qu'il y a ici une altération dans le teite, je n'ose dire un
hypallage; carde semblables tropes seraient le renversement de toute syn-
taxe. Voici les changements, que j'ai osé faire : mattam hurin yoûthapéno.
DRONA-PARVA. 57
lure, traînait Sâtyaki autour du champ de bataille, il
adressa de nouveau, sire, ces paroles à Arjouna :
5,939— 5,940— 5,941.
« Le voici, tombé au pouvoir du Somadattide en ce
combat, où Bhoûiïçravas au courage, qui est un men-
songe, l'emporte sur le Vrishnide Sâtyaki au courage,
qui est une vérité, ce tigre d'Andhaka et de Vrishni, ton
disciple, guerrier aux longs bras, non inférieur à toi-
même dans l'art de tirer l'arc! » 5,94*2 — 5,943.
A ces mots du Vasoudévide, le Pândouide aux longs
bras applaudit au fond de son cœur à Bhoûriçravas dans
ce combat : 5,944.
« J'aime à le voir se jouer dans cette bataille, traîner
çà et là le plus brave des Sàttwatides et ajouter encore à
la gloire des Kourouides. 5,945.
» Prenons garde, certes ! qu'il n'immole Sâtyaki, le
meilleur des héros de Vrishni ! Il le traîne, comme le roi
des quadrupèdes traîne dans un bois un grand éléphant ! »
Quand le fils de Prithâ aux longs bras eut honoré ainsi
le Kourouide en son cœur, Arjouna de parler en ces termes
au Vasoudévide : 5,946 — 5,947.
« En vain, je tiens, Mâdhava, la vision de mes yeux,
attachée du côté où est le Sindhien, je ne puis encore
l'apercevoir : je ferai donc pour le rejeton d'Yadou cette
œuvre conservatrice de la vie. » 5,948.
A ces mots, le fils de Pândou, qui avait adressé ce lan-
gage au Vasoudévide, encocha sur le Gândîva un kshou-
rapra acéré. 5,949.
Tel qu'un grand météore tombé du ciel, le trait, en-
voyé par la main du Prithide, trancha le bras d'Yajnaçîla
avec son cimeterre, avec son bracelet. 5,950.
58 LE MAHA-BHARATA.
Le membre coupé tomba sur la terre, armé de son
glaive, portant son resplendissant bracelet, et répandit
sur le monde de la vie une douleur extrême et prodi-
gieuse. 5,951.
Enlevé au moment qu'il allait frapper par l'invisible
Kirîti, il tomba rapidement sur le sol, comme un serpent
à cinq têtes. 5,952.
Dès que le Rourouide vit que le fils de Prithâ avait
déjoué son dessein, il jura de colère et abandonna Sâ-
tyaki. 5,953.
« Hélas 1 fils de Kountî, c'est toi, qui as fait cette action
cruelle, qui as coupé mon bras sans que je te visse, alors
que cette lutte absorbait mon attention ! 5,95Z|.
» Diras-tu au fils d'Yama, au monarque Youdhishthira
de quelle chose j'étais occupé, moi Bhoûriçravas, quand
tu m'as frappé dans le combat? 5,955.
» Est-ce ici l'astra, que t'enseigna le magnanime Indra
même en personne, ou Çiva, et Drona ou Kripa? 5,956.
» Toi, qui, dans le monde, es supérieur aux ennemis,
est-ce que tu ne connais pas le devoir des astras? Comment
as-tu pu lancer ta flèche sur moi, occupé à soutenir le
combat? 5,957.
» Les sages n'envoient pas de traits au lâche, au soldat
réduit sans char, au suppliant, à l'homme tombé dans le
malheur, à celui, qui n'est pas sur ses gardes!
» Comment , fils de Prithâ, as-tu fait cette action
très -méchante , criminelle , exécutée par des âmes
viles, en usage chez des hommes sans cœur?
5,958—5,959.
» Une âme noble trouve facile à faire une action noble;
mais il n'est pour une âme honnête, dit-on, rien, qui soit
DRONA-PARVA. 59
plus difficile à accomplir sur la terre qu'un acte dés-
honnête. 5,960.
» Quelles que soient les actions, au milieu desquelles
vit un homme, le naturel, fils de Prithâ, a bien vite repris
son empire : n'est-ce pas ce que l'on voit maintenant se
manifester en toi? 5,961.
» Gomment toi, qui es vertueux, fidèle observateur de
ton vœu, né dans la famille des rois et surtout prenant
ton origine de Kourou, as-tu pu t' écarter ainsi du devoir
des kshatryas? 5,962.
» Cette action estimée du Vasoudévide, que tu as faite
dans l'intérêt du fils de Vrishni, est extrêmement vile, et
peut-être ne te séyait-elle pas? 5,963.
» Qui donc, après avoir plongé dans une telle infortune
un homme, qui n'était pas sur ses gardes et qui combat-
tait un ennemi, ne serait pas maintenant l'ami de Krishna ?
» Des Vrâtyas (1) sont blâmés eux-mêmes des actions,
qu'ils ont faites pour causer de la douleur (2) : comment
peux-tu, fils de Prithâ, invoquer l'autorité des Andhakas
et, des Vrishnides? » 5,964—5,965.
A ces mots, le Prithide répondit à Bhoûriçravas dans
le combat : 5,966.
« Évidemment une vieillesse de l'intelligence s'ajoute
encore chez l'homme à la vieillesse du corps; car tout ce
qui fut dit par toi est dénué de sens. 5,967.
» En effet, quoique tu connaisses Hrishîkéça, que tu
saches le devoir, que tu sois parvenu à la rive ultérieure
(1) Personne non initiée (pour qui les cérémonies prescrites n'ont pas
été accomplies, qui n'a pas reçu l'investiture). Amarakocha, Loisehur
ueslongchamps.
(2) Sankklishta, texte de Bombay.
60 LE MAHA-BHARATA.
des Castras, tu jettes ton blâme sur moi, qui suis un fils
de Pândou. 5,968.
» Je ne ferais pas une chose opposée au devoir; tu le
sais, et tu parles contre la raison. Les kshatryas com-
battent l'ennemi, environnés chacun de leurs gens ;
» Soutenus par la force de leurs bras et secondés par
leurs pères, leurs fils, leurs frères, leurs parents et alliés,
leurs amis et connaissances. 5,969 — 5,970.
» Comment aurais je abandonné Sâtyaki, mon parent,
mon ami, mon disciple, qui combattait dans notre cause,
qui nous a fait le sacrifice de sa vie, si difficile à quitter,
enivré de la furie des batailles et mon bras droit, sire,
dans les combats? Et moi-même ne devais-je pas être,
majesté, défendu par ce héros, s'il venait dans une ba-
taille? 5,971—5,972.
» Quiconque fait la guerre dans les intérêts de qui que
ce soit, monarque des hommes, doit être défendu par lui!
Un souverain doit être protégé dans un grand combat
par ceux-là mêmes, qu'il protège. 5,973.
» Si je vois mettre à mort Sâtyaki dans une bataille
acharnée, ,/e dois C empêcher : ou ma séparation d'avec
lui par la mort sera un crime, qui accusera ma lâcheté.
» Pourquoi t'irriter contre moi, si je l'ai sauvé?
Blâmes-tu, sire, mon amitié avec un autre? 5,97/i — 5,975.
» Tu m'as persécuté, alors naquit l'agitation de mon
esprit. Je secouai pour toi ma cuirasse, je montai sur
mon char en personne, je tirai la corde de mon arc et je
combattis avec les ennemis dans cette profonde mer des
armées, qui était ainsi pleine d'éléphants et de chars,
clouée de fantassins et de cavaliers, du milieu de qui les
cris de guerre s'élevaient, comme le bruit de ses flots. Il
DRONA-PARVA. 61
vint cette pensée aux guerriers placés entre les deux
armées (1) dans cet engagement avec le Sâttwatide :
5,076—5,977—5,978.
« De quelle manière va se dérouler ce combat singu-
lier?» Le Sâttwatide, qui avait déjà combattu avec un
grand nombre et vaincu de fameux héros, 5,979.
» Était fatigué, dans une situation perplexe, accablé
de flèches, traîné par des chevaux, harassés de lassitude.
Telle était sa position, quand tu as vaincu le très-héroïque
Sâtyaki. 5,980.
» Tu n'ignores pas que sa valeur a courbé toute supé-
riorité sous sa puissance. Et, puisque tu désirais couper
de ton épée sa tête dans le combat, 5,981.
» Qui aurait pu souffrir que Sàtyaki fût tombé dans
une telle infortune? Adresse tes reproches à toi-même,
qui n'as pas su défendre ta personne. 5,982.
» Que feras-tu maintenant , héros, toi ou celui, qui
s'appuie sur toi? » 5,983.
Après qu'Arjouna lui eut ainsi parlé, le guerrier aux
longs bras, à la vaste renommée, abandonnant Youyou-
dhâna dans le combat, s'en alla s'asseoir dans un jeûne
jusqu'à la mort. 5,9SZi.
Le guerrier aux marques saintes étendit ses flèches de
la main gauche et, désirant aller au monde de Brahma,
il sacrifia les souffles de sa vie dans les souffles de son
existence. 5,985.
11 déposa ses yeux dans le soleil, son cœur paisible
dans l'eau, et, méditant un grand Oupanishad, il devint
un solitaire uni à l'yoga. 5,986.
(1) Littéralement : près des leurs et des ennemis'.
62 LE MAHA-BHARATA.
Le peuple en toute l'armée blâma de cette action
Krishna et Dhanandjaya, et rehaussa dans ses louanges
cet homme éminent. 5,987.
Les deux Krishnas ne répondirent pas aux reproches
un seul mot désagréable, et le guerrier au drapeau de
la colonne victimaire garda le silence au milieu des
éloges. 5,988.
Le cœur de Dhanandjaya ne put supporter que tes fils,
majesté, parlassent ainsi; et, son esprit se rappelant quels
discours eux et lui avaient prononcés, Phâlgouna, le fils
de Pândou, leur dit avec l'accent du blâme, mais d'un
cœur sans colère : 5,989 — 5,990.
« Tous les monarques connaissent le grand vœu, par
lequel je me suis lié! Il est impossible de le rompre à
quiconque sera venu à la portée de mes flèches. 5,991.
n Ayant considéré cette chose, ô toi, qui as pour dra-
peau une colonne victimaire (1) , ne veuille pas me blâmer;
car le blâme ne sied pas dans la bouche d'un ennemi, qui
ne connaît pas le devoir. 5,992.
» Si j'ai coupé ton bras, lorsque tu avais pris tes armes
et que tu voulais égorger dans ce combat le héros de
Vrishni, ce n'est pas un devoir, qu'il faille me reprocher;
» Quel homme vertueux, mon fils, pourrait applaudir
à la mort d'Abhimanyou, un enfant, sans char, sans
cuirasse, qui avait déposé même ses traits ! a
A ces mots du Prithide, le mutilé toucha la terre avec
sa tête, et, de sa main gauche, lui tendit son bras droit et
sa main coupés. 5,993 — 5,994 — 5,995.
Quand il eut entendu ces paroles du fils de Prithâ,
(1) Yoùpakétau, vocatif, texte de Bombay.
DRONA-PARVA. 6S
Yoûpakétou à la grande splendeur, baissa la tête, grand
roi, et garda le silence. 5,996.
«L'amitié, que je porte à Sahadéva, lui dit Arjouna,
à Nakoula, à Bhîma, le plus fort des hommes forts, et à
Dhamiarâdja même, je la ressens pour toi, frère aîné de
Cala. 5,997.
» Avec mon congé, avec celui du magnanime Krishna,
va dans les mondes des bonnes œuvres, comme Cini, le
fils d'Ouçinara! » 5,998.
« Va promptement, je te l'accorde, ajouta le Vasoudé-
vide, dans ces mondes purs, fondés par Brahma et les
Dieux suprêmes (1), désirés même par les plus grands
desSouras, habités par ceux, qui ont offert les sacrifices
et pieusement conservé le feu perpétuel. Sois égal à moi
et que le corps du sublime Garouda soit ton char éter-
nel ! » 5,999—6,000.
Délivré du Somadattide, Çaînéya s'étant relevé, tira
son cimeterre, désireux de couper la tête de ce magna-
nime. 6001.
Sâtyaki voulait décapiter Bhoûriçravas, mutilé par le
filsdePândou, quand il n'était pas sur ses gardes, ce
frère aîné de Cala, assis, net de souillure, le bras coupé,
comme un éléphant, privé de sa trompe. Le héros dans
une bouillante colère excita les cris et le blâme de toute
l'armée. 6,002—6,003.
Il fut arrêté par Krishna, le magnanime Prithide,
Bhîma, Açwatthâman et Kripa, les deux gardes des
roues, 6,004.
Karna, Vrishaséna et le roi du Sindhou Ini-même. Au
(i) Le texte dit simplement : âdy<Os, et les autres, et cœteris.
64 LE MAHA-BHARATA.
milieu des armées, qui s'écriaient : « Il a tué le guerrier
aux vœux constants ! 6,005.
» Sâtyaki, de son cimeterre, enleva la tête au Kou-
rouide, qui, le bras coupé dans la bataille par le fils
de Prithâ, s'était assis dans le jeûne jusqu'à la
mort. » 6,006.
Les armées n'approuvaient pas Sâtyaki en ce fait
qu'il voulait tuer le rejeton de Rourou, qu'Arjouna avait
déjà mis hors du combat. 6,007.
Quand les Siddhas, les Tchâranas et les enfants de
Manou virent Bhoûriçravas, semblable au Dieu à mille
regards, qui, blessé dans la bataille, était entré dans le
jeûne, 6,008.
Les Dieux, que ses œuvres jetaient dans l'étonnement,
applaudirent à sarésignation. Tes guerriers firent entendre
de bien nombreux discours, suivant le sentiment de chacun
d'eux. 6,009.
« Le Vrishnide ne commettra point d'offense! Cette
chose doit être faite ainsi ! Vous ne devez pas en conce-
voir de ressentiment : la colère est chez les hommes ce
qu'il y a de plus douloureux. 6,010.
» 11 faut que ce héros le tue ! On ne doit pas hésiter.
Brahma lui-même a placé dans le combat Sâtyaki pour
être la mort de ce guerrier ! » 6,011.
« 11 ne faut pas le tuer ! Il ne faut pas le tuer ! me
dites-vous, répondit Sâtyaki, hommes vicieux sous des
paroles de vertu et qui vous êtes fourrés dans la peau du
devoir? 6,012.
» Quand vous avez tué dans le combat le fils de Sou-
bhadrâ, un enfant, réduit sans char, où donc alors s'en était
allée votre vertu? 6,013.
1>R0M-PARVÀ 65
» J'ai fait cette promesse, il y a déjà un certain laps
de temps : «L'ennemi, qui vivant, m' ayant renversé dans
la bataille, me frappera du pied aveccolère, qu'il soit mis
à mort par moi, fût-il engagé même dans les liens de
l'anachorète! » Vous avez pensé sur le témoignage de vos
yeux, héros de Kourou, me voyant m' efforcer avec la
main de repousser le coup, que j'étais mort : telle fut la
légèreté de votre esprit. La résistance, que je faisais
contre lui, était convenable. 6,01/1—6,015—6,016.
» La promesse, que le Prithide m'avait faite par amour,
fut observée : le bras fut enlevé avec son cimeterre et je
déjouai son dessein. 6,017.
»■ Le présent et l'avenir sont remués, pour ainsi dire,
par le Destin. Ce guerrier fut frappé dans le combat : y
a-t-il là un effort de la vertu? 6,018.
» Jadis, Vâlmiki lui-même chanta ce çloka sur la terre :
« Il ne faut pas tuer les femmes ! » Voilà ce que tu dis (1) ,
singe. 6,019.
» Mais un homme doué de résolution exécutera toujours
dans tous les temps ce qui doit causer la torture des en-
nemis. » 6,020.
Quand il eut ainsi parlé, tous les enfants de Kourou et
de Pàndou ne répondirent pas un seul mot, grand roi,
et l'approuvèrent au fond du cœur. 6,021.
Il n'y eut personne, qui n'applaudit point à la mort de
ce guerrier illustre, consacré par les formules des prières,
qui avait donné un millier de riches présents au milieu
des grands sacrifices et qui déjà s'était confiné d intention
dans les forêts, comme un anachorète. 6,022.
(1) Bravtshi, texte de Bombay.
IX
66 LE MAHA-BHARATA.
La tète coupée de ce héros, donateur de choses dési-
rées, aux yeux rouges comme ceux de la colombe, aux
cheveux bien noirs, fut déposée sur la terre : telle, dans
l'intérieur d'une maison (1), l'offrande de beurre clarifié
d'un açva-médha. 6,023.
Purifié dans ce grand combat par le fer, qui avait
tranché sa force, ayant abandonné le plus beau des corps,
il s'éleva dans les régions suprêmes, après qu'il eut
rempli le ciel et la terre du plus grand des devoirs.
« Non vaincu par Drona, Râdhéya, Vikarna et Krita-
varman, s'enquit Dhritarâshtra, ayant traversé l'océan
des armées, suivant la promesse, qu'il en avait faite à
Youdhishthira ; 6,02Zi— 6,025.
» Comment ce héros, que n'avait pu arrêter le Kou-
rouide, a-t-il été renversé violemment sur la terre dans
les étreintes de Bhoûriçravas? » 6,026.
Écoute, roi, lui répondit Sandjaya, quelle fut dès l'an-
tiquité l'origine de Çaînéya et quelle fut celle de Bhoûri-
çravas : ces deux points, seigneur, qui font naître tes
doutes. 6,027.
Sonia fut le fils d'Atri; le personnage, qu'on appelle
Boudha, était le fils de Soma; et Boudha eut pour fils
Pourouravas, égal au grand Indra. 6,028.
Il fut père d'Ayoush, et celui-ci de Nahousha, qui fut
le père du Râdjarshi Yayâti, estimé comme un Dieu.
Yadou, conçu au sein de Dévayanî, était le fils aîné de
Yayâti : le prince, nommé Divamîtha, était le fils dans la
famille d'Yadou. 6,029—6,030.
Celui-ci avait pour fils l'Yadouide Çoûra, estimé dans
(1) Explication du commentaire.
■à
DRONA-PARVA. «7
les trois mondes. Çoûra eut pour son fils le courageux
Vasoudéva à la vaste renommée, le plus vaillant des
hommes, héros égal dans les combats à Kârttavîrya, non
inférieur dans la science de l'arc. Le brave Çini, seigneur,
naquit dans la famille de ce monarque. 6,031 — 6,032.
Or, dans ce temps, sire, le magnanime Dévaka avait
rassemblé tous les kshatryas pour le Swayanvara (1)
de sa fille. 6,033.
Dès qu'il eut, dans une rapide victoire, défait tous ces
princes, Çini fit monter dans son char pour Vasoudéva la
reine Dévakî. 6,03Zi.
A peine eut-il vu, seigneur, souverain des hommes,
Dévakî, placée dans le char du vaillant Çini, Somadatta
ne put supporter ce spectacle. 6,035.
De-là, un combat entre eux, qui fut varié, admirable et
dura toute la moitié d'un jour; ensuite, ces deux bien
vigoureux lutteurs, éminent roi, de s'étreindre avec la
chaîne des bras. 6,036.
Somadatta fut renversé avec violence sur la terre par
Çini, qui leva son épée, le saisit aux cheveux et le frappa
du pied, au milieu de mille rois, de tous les côtés ré-
pandus, spectateurs de cette lutte. Mais le vainqueur
renvoya par pitié le vaincu avec la vie sauve.
Réduit par lui à cette condition, vénérable monarque,
Somadatta, tombé sous la puissance du ressentiment,
adressa des prières à Mahâ-Déva. 6,037—6,038—6,039.
Satisfait de sa dévotion, le Grand-Dieu, seigneur su-
prême de ceux, qui font des grâces, lui accorda une
faveur, et le roi arrêta son choix. 6,040.
(1) Sivayanvarai ', texte de Bombay.
68 LE MAHA-BHARATA.
« Je désire un'Jils, Bhagavad, qui puisse tuer le fils de
Çini, des milliers de rois étant les spectateurs, et qui le
frappe du pied dans la bataille. » 6, (Ml.
Aussitôt qu'il eut ouï, seigneur, la parole de Soma-
datta : « Qu'il en soit ainsi ! » et, sur ce mot, le Dieu
rentra dans l'invisibilité. 6,042.
C'est grâce à cette faveur qu'il avait obtenu la nais-
sance de Bhoûridakshina, que le Somadattide avait ren-
versé dans le combat, et qu'il avait frappé du pied le fils
de Çini, sous les yeux de tous les rois. Je viens de te racon-
ter là, sire, ce qui fut l'objet de ta question. 6,043 — 6,044.
11 est impossible aux plus vaillants hommes de vaincre
le Sâttwatide dans un combat. De nombreux héros, qui
ont obtenu dans le combat des marques de distinction,
Vainqueurs du Gandharva, du Dânava et du Dieu
même, ne sont pas, assurément ! étonnés de sa victoire.
Ces foules d'ennemis sont incapables de vaincre sa
puissance. 6,045 — 6,046.
On ne voit rien ici en ce qui est, en ce qui fut, en ce
qui doit être, seigneur, qui soit égal en force aux Vrish-
nides. 6,047.
Ils n'ont pour leurs parents aucun mépris, ils se com-
plaisent dans l'obéissance aux vieillards. Ni les Rakshasas,
les Ouragas et les Yakshas, ni les Gandharvas, les Asou-
ras et même les Dieux ne peuvent vaincre les héros des
Vrishnides dans un combat, combien moins les hommes !
Les richesses des brahmes, les richesses des Gourous,
les richesses des parents ne provoquent pas leurs offenses.
Sauveurs des hommes, qui seraient tombés dans un
malheur quelconque: riches, mais non orgueilleux, pieux,
Véridiques, 6,048—6,049—6,050.
DRONA-PARVA. 69
Ils honorent les gens, qui sont capables, ils relèvent
les humbles : toujours dévoués aux Dieux, domptés, géné-
reux, ils ne se glorifient jamais. 6,051.
C'est pour cela qu'on ne peut repousser le disque de
guerre des fameux héros de Vrishni : un homme porterait
plutôt la masse du Mérou et traverserait Y Océan, séjour
des makaras. 6,052.
Mais il n'irait pas, auguste sire, jusqu'à l'extermination
des illustres héros Vrishnides, s'ils en sont venus aux
mains avec lui. Ici, j'ai fini de te narrer tout oe qui faisait
naître ton incertitude. 6,053.
Roi des Kourouides, ô le plus vertueux des hommes,
grande est ton absence de politique! 6,05/i.
« Quand ce Bhoûriçravas, le Kourouide, fut tombé
dans cette condition, s'enquit Dhritarâshtra, quel fut le
combat, qui s'éleva de nouveau? Raconte-moi cela,
Sandjaya! » 6,055.
Lorsque Bhoûriçravas fut descendu dans l'autre inonde,
répondit Sandjaya, Arjouna aux longs bras d'exciter le
Vasoudévide en ces termes : 6,056.
« Pousse rapidement tes chevaux, Krishna, vers ce
lieu où se tient Djayadratha : veuille faire, irréprochable
guerrier, que ma promesse porte son fruit. 6,057.
» L'auteur du jour, héros aux longs bras, s'avance à
pas hâtés vers le mont Asta. J'ai levé sur moi la charge
de cette grande affaire, tigre des hommes, et ce guerrier
est défendu par les vaillants héros de l'armée Kourouide.
Que cette parole soit une vérité, avant que le soleil n'ar-
rive à son couchant! 6,058—6,059.
» Pousse donc tes chevaux, Krishna, de manière que
je puisse immoler Djayadratha! » Alors Krishna aux longs
bras, qui possédait la science des chevaux, de lancer ses
70 LE MAHA-BHARATA.
coursiers, pareils à l'argent, sur le char du Sindhien. Les
principaux de l'armée, Douryodhana, Karna, Vrishaséna,
le souverain du Madra, Açvatthâman, Rripa et le roi du
Sindhou lui-même, s'avancèrent d'un pied bâté, grand
roi, au-devant de ce héros, qui s'approchait, assuré de
ses coups, avec des flèches, qui semblaient voler. Or,
Bîbhatsou de se porter sur le Sindhien, debout en face de
lui. 6,060—6,061—6,062—6,063.
11 jeta sur lui ses regards, comme s'il voulait le consu-
mer de ses yeux, enflammés par la colère. Ensuite, le roi
Douryodhana, ton fils, sire, ayant vu Arjouna s'avancer
pour la mort de Djayadratha, tint, précipitant ses mots,
ce langage à Karna, le fils de Râdhâ : 6,064 — 6,065.
« Voici le moment du combat, fils du Soleil ! Considère
la force de ta personne. Agis de telle sorte, Karna,
qu' Arjouna ne puisse immoler dans la bataille Djayad-
ratha! 6,066.
» Fais périr maintenant l'ennemi, héros des hommes,
dans ce peu de jour, qui nous reste encore, sous les mul-
titudes de tes flèches. Si nous pouvons arriver à la chute
du jour, ce temps gagné sera pour nous, assurément! une
victoire. 6,067.
» Et, si nous conservons le Sindhien jusqu'à l'instant,
où le soleil se couche, le fils de Kountî, voyant qu'il a
promis en vain, montera sur un bûcher. 6,068.
» Ses frères et leurs suivants, ô toi, qui donnes l'hon-
neur, ne pourront pas vivre une heure seulement sur une
terre, qui sera privée de son Arjouna. 6,069.
» Les Pàndouides une fois morts, nous jouirons de cette
terre, Karna, débarrassée enfin de ses ennemis, avec ses
forêts, ses eaux et ses montagnes! 6,070.
» Frappé par le Destin, honorable seigneur, le fils de
DRONA-PARVA. 71
Prithâ, qui a juré une promesse clans ce combat, ne sa-
chant plus ce qui est ou n'est point à faire, 6,071.
» Ce serment, qui fut prononcé par Kirîti le Pândouide
pour la mort de Djayadratha, il retombera sans doute sur
la mort de lui-même. 6,072.
» Comment Phâlgouna pourrait-il vivre, si tu déploies
ta vigueur invincible, Râdhéya? Comment pourrait-il
immoler au coucher du soleil le roi de Sindhou, si on ne
l'abandonne pas? 6,073.
» Comment Dhanandjaya tuerait-il au front de la bataille
Djayadratha, qui sera défendu par le souverain du Madra
et le magnanime Kripa ? 6,07/j.
» Comment, poussé par la mort, Bîbhatsou arriverait-il
jusqu'au Sindhien, qui sera protégé par Drona, moi et
Douççâsana? 6,075.
» De nombreux héros combattent ; et le soleil, ô toi, qui
qui donnes l'honneur, descend au mont Asta; le Prithide,
j'en doute beaucoup, n'arrivera pas jusqu'à Djayad-
ratha. 6,676.
» Toi, Karna, secondé par moi et d'autres braves, tous
grands héros, accompagné par Drona, le souverain du
Madra et Kripa, 6,077.
» Déployant tes plus grands efforts, combats donc en
cette guerre avec le fils de Prithâ! » A ces paroles de ton
fils, Râdhéya, vénérable sire, 6,078.
» Le corps grièvement percé des maintes foules de
traits, lancés par Bhîmaséna, l'héroïque archer, assuré
dans son but, répondit en ces termes à Douryodhana, le
plus grand des Kourouides : « Il faut rester de pied
ferme! dis-tu. Ainsi je reste maintenant dans le combat,
honorable monarque. 6,079 — 6,080.
72 LE MAHA-BHARATA.
» Dévoré même de ces grandes flèches, mon corps ne
vacille pas le moins du monde ; je combattrai de toutes
mes forces, ma vie t'est dévouée. 6,08d.
» J'empêcherai que ce chef des Pândouides ne tue le
souverain du Sindhou. Tant que je combattrai et déco-
cherai des traits aigus, le héros Ambidextre Dhanandjaya
ne parviendra jamais à lui. J'exécuterai, Kourouide, ce
qui peut être accompli par un mortel dévoué et qui a le
désir de ton bien : mais la victoire dépend du Destin. Au
reste, je déploierai aujourd'hui les plus grands efforts
dans la guerre pour l'intérêt du Sindhien.
6,082—6,083—6,08/1.
» Appuyé sur ma valeur personnelle (1), afin de t'être
agréable, je combattrai aujourd'hui, Arjouna; mais la
victoire dépend du Destin. 6,085.
» Aujourd'hui sera livré pour toi, tigre des hommes, le
plus vaillant des Rourouides, le combat singulier d' Ar-
jouna et de moi, ce grand duel de tous les deux. 6,086.
»> Que toutes les armées voient cette bataille effrayante,
épouvantable, de Karna et du rejeton de Kourou l » Tan-
dis qu'ils parlaient de cette manière sur le champ de
bataille, 6,087.
Arjouna de percer ton armée de ses flèches acérées,
de trancher avec ses bhallas aigus les bras, semblables
aux barreaux d'une porte, pareils aux trompes des élé-
phants, ces bras de héros, qui ne savaient pas fuir dans
le combat. Le vigoureux guerrier coupa leurs têtes de ses
traits affilés, 6,088-6,089.
Et de tous côtés les trompes des éléphants, les cous
(1) Swan vyapàçritàs, texte de Bombay.
DRONA-PARVA. 73
des chevaux, les roues des chars, les cavaliers, oints de
sang, les traits barbelés et les leviers de fer, qu'ils
tenaient à la main. De toutes parts tombaient les chevaux
et les premiers des éléphants. Bibhatsou, de ses dards en
forme de rasoirs, coupa individuellement en deux et en
trois 6,090—6,091.
Les drapeaux, les ombrelles, les arcs, les chasse-
mouches et les têtes. Consumant ton armée, comme un
incendie, qui s'est élevé dans une forêt de bois sec,
Le robuste Prithide couvrit en très-peu de temps la
terre avec un lac de sang et tua dans ton armée le plus
grand nombre de ses combattants. 6,09*2—6,093.
Défendu par Bhîinaséna et le Sâttwatide, l'intraitable
Bibhatsou au courage, qui jamais ne se démentit, s'ap-
procha du monarque de Sindhou. 6,09Zi.
Il brillait, ô le plus grand des Bharatides, tel qu'un
feu allumé. Quand ils le virent, enveloppé de ce fortuné
courage, les tiens, les plus éminents héros des hommes,
ne purent supporter que Phâlgouna se tînt dans une telle
condition. Douryodhana, et Karna, et Vrishaséna, le roi
de Madra, 6,095—6,096.
Açwatthâman, Kripa et le Sindhien lui-même d'envi-
ronner Kirîti avec colère, pour l'intérêt, qu'ils portaient à
Djayadratha. 6,097.
Tous habiles dans les combats, ils entourèrent Dha-
nandjaya, instruit dans les batailles et qui dansait dans
les routes de son char, au son de la corde tirée de son arc.
Ayant mis le Sindhien sur leurs derrières, désirant
tuer Arjouna et l'Impérissable, ils formèrent sans crainte
un cercle autour de lui, tel que la Mort, sa bouche ou-
verte. 6,098—6,099.
Ih LE MAHA-BHARATA.
Aspirant au coucher du soleil, à l'heure où l'astre du
jour n'envoie que des rayons affaiblis, ils inclinèrent,
de leurs mains, semblables à des chaperons de serpents,
les flèches aiguës sur leurs arcs; 6,100.
Et lancèrent par centaines sur le char de Phâlgouna
leurs dards, pareils aux rayons du soleil. Rirîti, ivre de la
furie des batailles, trancha un par un ces traits décochés
en deux, en trois, en huit, et blessa chacun des archers
individuellement. Le Çaradvatide, au drapeau, qui
portait une queue de lion, sire, étalant sa vigueur, d'ar-
rêter Arjouna. Quand il eut blessé de dix flèches le
Prithide, et de sept le fils de Vasoudéva,
6,101—6,102—6,103.
Il s'arrêta, couvrant le Sindhien clans les routes de son
char; et les plus vaillants des Kourouides, tous grands
héros, assurément! brandissant leurs arcs et décochant
leurs flèches, le cernèrent de toutes parts avec une grande
multitude de chars. 6,104 —6,105.
Dociles à l'ordre de ton fils, ils défendirent de tous
côtés le monarque du Sindhou. Alors on vit la vigueur
des bras de l'héroïque fils de Prithâ avec la durée impéris-
sable de ses flèches et de l'arc Gandîva. Aussitôt qu'il eut
arrêté avec ses astras les astras du fils de Drona et du
Çaradvatide, 6,106—6,107.
Il darda sur eux tous individuellement neuf traits.
Açwatthâman le blessa de vingt-cinq dards, Vrishaséna
de sept, Douryodhana de vingt, Karna et Çalya de trois
chacun. Lui adressant des reproches, le blessant mainte
et mainte fois, agitant leurs arcs, ils l'environnèrent de
tous les côtés. Ces grands héros, qui aspiraient au cou-
cher du soleil, firent à la hâte, autour de lui, rapidement,
DRONA-PARVA. 75
un cercle fermé de toutes parts. Rugissant contre lui,
agitant leurs arcs, ils l'inondèrent de leurs flèches acé-
rées, comme des nuages couvrent une montagne de leurs
eaux. Montrant alors, sire, des astras grands, célestes,
{De la stance 6,108 à la stance 6,112 inclusivement.)
Ces vaillants guerriers aux bras, tels que des massues,
implantèrent leurs flèches dans le corps de Dhanandjaya.
Dès que le puissant héros eut tué à ton armée le plus
grandnombre de ses combattants, 6,113.
Intraitable, au courage infaillible, il s'approcha du
Sindhien; mais Karna, sire, de l'arrêter en ce combat
avec ses flèches, en dépit de Bhîmaséna et du Sâttwatide.
Le Prithide aux longs bras perça en échange avec dix
traits le fils du cocher sur le champ de bataille, aux yeux
de toute l'armée. Le Sâttwatide blessa Karna, vénérable
monarque, avec trois flèches; Bhîmaséna avec trois et le
Prithide une seconde fois avec sept. L'héroïque Karna
leur envoya en échange à chacun d'eux soixante dards.
6,114—6,115—6,116—6,117.
Ce combat de Karna avec plusieurs fut admirable, sire.
Nous vîmes alors, auguste roi, le fils du cocher accomplir
un prodige; en effet, seul dans ce combat, il arrêta avec
colère ces trois héros. Phâlgouna aux longs bras de blesser
Karna, le fils du Soleil, avec cent traits en tous ses mem-
bres. Tout le corps inondé de sang, le resplendissant
héros, fils du cocher, rendit en échange cinquante flè-
ches à Phâlgouna. Quand celui-ci vit dans le combat sa
légèreté de main, il ne put la supporter.
L'héroïque fils de Prithâ, Dhanandjaya, d'une main
hâtée, coupa son arc et le blessa lui-même entre, les seins
avec neuf traits. 6,118—6,119—6,120 -6,121—6,122.
76 LE MAHA-BHARATA
* L'auguste fils du cocher saisit un nouvel arc et couvrit
de huit mille flèches le fils de Pândou (1) *.
Plein de hâte en ce moment, où la promptitude était
nécessaire, Dhanandjaya dans ce combat lui envoya pour
la mort un dard, qui avait l'éclat du soleil. 0,123.
Le Dronide trancha la flèche, qui volait avec rapidité :
et le trait, coupé par une demi-lune acérée, tomba sur la
terre. 6,12A.
L'illustre fils du cocher saisit un nouvel arc, et ense-
velit le Pândouide sous plusieurs milliers de flèches (2).
Le fils de Prithâ dissipa avec ses traits l'incomparable
averse de flèches, élevée par l'arc de Karna : telle une
nuée de sauterelles est dissipée par le vent.
Montrant sa légèreté de main, Arjouna, aux yeux de tous
les combattants, le couvrit de ses flèches dans le combat.
Karna de son côté, le meurtrier des ennemis, ensevelit
Phâlgouna sous les nombreux milliers des siennes, par le
désir de faire les représailles des coups, qui lui étaient
portés. 6,125—6,126—6,127—6,128.
Ces deux grands héros, lions des hommes, tels que
deux taureaux mugissants, remplirent l'atmosphère de
leurs flèches au vol droit. 6,129.
Se rendant l'un l'autre invisibles par leurs multitudes
de traits et se frappant de coups mutuels : « Je suis le Pri-
thide, disait celui-ci ; arrête ! » — «Je suis Karna, s'écriait
celui-là; arrête, Phâlgouna! » 6,130.
(1) Nous empruntons cette stance, marquée par les deux étoiles, au
texte de Bombay : il y a ici une petite, lacune ou plutôt une transposition,
peu judicieuse, dans l'édition de Calcutta. 11 manque ici la réaction indis-
pensable de Karna, sa riposte au coup d'Arjouna.
(2) Ici est transposée la stance, que nous avons donnée plus haut j
mais elle n'est pas moins nécessaire ici.
DRONA-PARVA. 77
Se menaçant ainsi, les deux héros se blessaient avec les
flèches de leurs voix : ils se livraient un combat avec va-
riété, légèreté et d'une manière convenable. 6,131.
Ils étaient admirables dans ce rassemblement de tous
les guerriers; ils étaient comblés d'éloges dans cette
bataille par les Siddhas, les Tchâranas étales Vents.
Ils combattirent, grand roi, avec le désir de se donner
la mort l'un à l'autre. Ensuite, Douryodhâna , sire,
adressa aux tiens ces paroles : 6,132—6,133.
« Sauvez Râdhéya de tous vos efforts ; il ne sortira
point du combat, qu'il n'ait tué Arjouna : c'est ce que
Vrisha m'a dit. » 6,134.
Sur ces entrefaites, le guerrier aux blancs coursiers,
ayant vu la valeur de Karna, fit descendre au inonde de
la mort ses quatre chevaux avec quatre flèches tirées
jusqu'à l'oreille; et, d'un bhalla, il enleva son cocher au
siège du char. 6,135—6,136.
Il couvrit de traits l'Adhirathide^aux regards de ton
fils. Enseveli sous les dards, ses chevaux tués, son cocher
immolé, hors de lui-même par la multitude des flèches,
Karna n'arrivait point à trouver quelle chose il avait à
faire. Quand il le vit ainsi réduit à pied, Açvatthàman le
fit alors, puissant roi, monter sur un char, et Râdhéya
combattit de nouveau Arjouna. Le souverain du Madra
blessa de trente dards le fils de Kountî.
6,137—6,138—6,139.
Le Çaradvatide en darda vingt sur le fils de Vasoudéva
et frappa de douze flèches Dhanandjaya. 6,140.
Le roi du Sindhou lui envoya quatre projectiles et
Vrishaséna sept traits. Karna et le Prithide de se blesser
chacun individuellement. 6,1/il.
78 LE MAHA-BHAR\T\.
Le fils de Kountî, Dhanandjaya, les perça en retour, le
iils de Drona avec cinquante-quatre flèches, le souverain
du Madra avec dix, 6,162.
Le Sindhien avec dix bhallas , Vrishaséna de trois
dards; et, quand il eut blessé le Çaradvatide avec une
vingtaine de traits, le fils de Prithâ jeta dans l'air un cri
élevé. 6.143.
Désirant détourner la promesse de l'Ambidextre, les
tiens avec colère accoururent d'une course précipitée vers
Dhanandjaya. 6,144.
Arjouna, inspirant la terreur aux Dhritarâshtrides, de
manifester l'astra de Varouna. Les Kourouides se por-
tèrent à la rencontre du fils de Pândou avec des chars de
grand prix, et versèrent des pluies de flèches. 6,145.
Au milieu du combat, qui s'était élevé, bien épouvan-
table et qui remplissait de stupéfaction, le guerrier, qui
porte une guirlande sur sa tiare, versant la pluie de ses
flèches, ne perdit pas l'esprit, quand il fut arrivé près de
Douryodhana, le fils du roi. 6,146.
Voulant reconquérir son royaume, le magnanime Am-
bidextre, hors de toute mesure, se rappelant les vexations
des Kourouides, qui avaient duré douze années, remplit
toutes les plages du ciel avec les traits décochés par l'arc
Gândîva. 6,147. <%
L'atmosphère n'était qu'un météore de feu embrasé;
les oiseaux s'abattaient sur les corps par milliers ; car le
guerrier à la tiare ornée d'une guirlande semblait
écraser les ennemis avec l'arc Adjagava, docile au Dieu
Çiva. 6,148.
Kirîti, le vainqueur des armées, décochant ses traits
avec son grand arc, fit mordre la poussière aux plus
DRONA-PARVA. 7&
grands héros des Kourouides, aux attelages, aux élé-
phants, aux chefs, aux coursiers venus dans le combat.
S' étant armés de lourdes massues, de pilons en fer
massif, d'épées, de lances, de puissants astras, les mo-
narques de la terre, effrayants à voir, fondirent à l'ins-
tant sur le fils de Prithâ dans la bataille. 6,lZi9 — 6,150.
Mais, poussant un vaste éclat de rire, tirant avec ses
bras son immense Gândiva, pareil à l'arc de Mahéndra,
au son, qui égalait le bruit des nuages à la fin d'un youga,
il s'avança, consumant les tiens et accroissant l'empire
d'Yama. 6,151.
Il envoya les archers d'un rang élevé, qui avaient toutes
leurs armes et leur vie même brisées dans ce combat,
augmenter les royaumes de la mort avec leurs chars,
avec leurs éléphants, avec leurs troupes de fantas-
sins. 6, 4 52.
Dès qu'elle eut ouï le bruit, éclatant, bien épouvan-
table, retentissant de cet arc tiré par Dhanandjaya, bruit
semblable au fracas du tonnerre de Çakra et tel que celui
de la mort, à la fin d'un youga, 6,153.
Ton armée, sire, agitée, troublée par la terreur, était
comme les eaux d'une mer aux makaras, aux poissons mou-
rants, aux flots d'une onde vacillante, émue par le vent à
la fin d'une destruction du monde. Le fils de Prithâ, Dha-
nandjaya, admirable à voir, se promenait dans la ba-
taille, 6,154— 6,155.
Montrant à la fois des astras admirables dans toutes les
plages du ciel. Nous ne vîmes pas le fils de PÂndou, —
telle était sa légèreté! — prendre ses flèches au carquois,
les encocher, grand roi, tirer son arc et décocher les traits.
Courroucé, le héros aux longs bras, inspirant la terreur
80 LEMAHA-BHARATA.
à tous les Bharathides, manifesta l'astra invincible d'In-
dra. Ensuite apparurent, par centaines et par milliers,
des flèches enflammées, à la pointe de feu, charmées par
des astras célestes. Lancées d'un arc tiré jusqu'à l'oreille,
pareilles au feu, semblables aux rayons du soleil, ces
flèches remplissaient l'atmosphère, comme des météores
enflammés, et rendaient la vue du ciel extrêmement dif-
ficile à soutenir. Le Pândouide, étalant son courage, dis-
sipa avec ses dards, enchantés par des astras divins, les
ténèbres, soulevées par les traits des Kourouides, obscu-
rité, pour ainsi dire, semée à la ronde, impossible à con-
cevoir par d'autres avec l'imagination seulement. (De la
stance 6,156 à la stance 6,162 exclusivement.)
Tel, au commencement du jour, le soleil a bientôt dé-
truit par ses rayons les ténèbres de la nuit. L'auguste
dispersa ton armée de ses flèches, comme le soleil d'été
par ses rayons enflammés dissipe les brouillards des ma-
rais (1). Les rayons des flèches, envoyées par ce guerrier,
qui avait la science des astras célestes, inondèrent l'armée
des ennemis, comme les rayons du soleil remplissent le
inonde. Décochés par lui, ses traits ennemis, à la splen-
deur brûlante, d'entrer rapidement dans les cœurs des
héros, comme pour faire un plaisir à son frère. Tes guerriers
à l'héroïque fierté se portèrent contre lui dans le combat :
6,162—6,163—6,164—6,165.
De même des sauterelles courent à leur perte, attirées
par un feu embrasé. Ainsi, broyant les vies et les espé-
rances des ennemis, 6,166.
Le fils de Prithâ circulait dans la bataille comme la
(1) Palvalânboûni, texte de Bombay.
DRONA-PARVA. 81
mort incarnée. Ses flèches enlevaient aux ennemis les têtes
avec leurs tiares, les grands bras avec leurs bracelets,
les oreilles ornées de leurs pendeloques. Le fils de Pândou
tranchait les bras des cavaliers sur des éléphants avec
leurs piques, des cavaliers sur des chevaux avec leurs
traits barbelés, des fantassins avec leurs boucliers, des
maîtres de chars avec leurs arcs, et des cochers avec
leurs aiguillons. 6,167—6,168 -6,169.
Armé de ses flèches à la pointe embrasée, Dhanan-
djaya brillait alors comme le soleil ou comme le feu flam-
boyant, dont l'extrémité de la flamme jette des étin-
celles. 6,170.
Les princes à la fois ne purent même, en dépit de leurs
efforts, fixer un regard en tous les points de l'espace sur
Dhanandjaya admirable à voir, monté sur son char, le meil-
leur de tous ceux, qui manient les flèches, le plus vaillant
des mortels, disséminant de puissants astras, dansant
dans les routes de sa voiture de guerre, faisant résonner
à la surface le nerf de son arc, et semblable au monarque
des Dieux : tel, au milieu du ciel, le soleil, qui échauffe,
parvenu à la moitié du jour. 6,171—6,172—6,173.
Rirîti, qui porte des flèches à la pointe enflammée,
brillait, comme un nuage, où se peint l'arc d'Indra et qui
a tari dans les pluies la masse de ses eaux. 6,17Z|.
Les plus nobles combattants furent engloutis dans
cette inondation de puissants astras, qu'avait répandus
Djishnou, déluge, d'une grande épouvante et difficile à
traverser. 6,175.
Au milieu de ces corps aux bras coupés, de ces guer-
riers aux visages mutilés, de ces bras séparés de leurs
mains, de ces mains veuves de leurs doigts, 6,176.
ix 6
82 LE MAHA-BHARATA.
De ces éléphants, furieux d'ivresse, le bout de leurs
trompes abattu, l'extrémité de leurs défenses cassée, de
ces chars mis en pièces, de ces chevaux privés de leur
encolure, 6,177.
Les uns avec les entrailles répandues, ceux-là avec les
jambes coupées, ceux-ci avec les articulations tranchées,
palpitants, se convulsant, par centaines et par mil-
liers, 6,178.
Nous vîmes, souverain de la terre, cette grande arme
du fils de Prithâ, qui accroissait la terreur des gens
timides et qui se jouait à porter les coups de la mort :
Tel ce divertissement de Roudra, quand jadis il tuait
les bestiaux. La terre semblait couverte de serpents à
cause des trompes de proboscidiens, tranchées par la
flèche en rasoir. 6,179 — 6,180.
Çà et là, elle brillait, comme sous des bouquets de
(leurs, jonchée du lotus des visages, des diadèmes et des
turbans variés, des colliers, des bracelets et des pende-
loques. 6,181.
Elle était semée çà et là de cuirasses d'or, admirable-
ment travaillées, et de bhândas (1) pour orner la poi-
trine des coursiers et des éléphants; elle était couverte
par des centaines de tiares. 6,18*2.
Telle qu'une nouvelle épouse, la terre resplendissait
d'une éclatante richesse. Baignée d'un fleuve, qui
roulait des flots de sang, sur un limon de graisse et de
moelles, 6,183.
Profond d'os et de membres, ayant pour jeune gazon les
vallisnéries des chevelures, pour rochers de ses rivages
(1) Ornement autour du cou et du poitrail d'un cheval ou d'un éléphant.
DRONA-PARVA. 83
des bras et des têtes, encombré d'ossements et de plas-
trons d'or ; 6,18/i.
Riche de drapeaux et d'étendards variés, enguir-
landé, comme de flots, par des arcs et des ombrelles,
rempli de grands corps, privés de la vie, et de cadavres
des éléphants; 6,185.
Ayant des chars pour ses nacelles, des multitudes de
chevaux pour ses rivages, offrant aux pas une marche dif-
ficile par les timons, les débris de chars, les brancards,
les attelages, les roues et les voitures brisées; 6,186.
Inaccessible par des flèches, des haches, des lances,
des épées, des traits barbelés, comme par des serpents,
furieux par des chacals en guise de makaras, des corneilles
et des ardées au lieu de grands crocodiles; 6,187.
Infiniment terrible par ses chacals et ses féroces vau-
tours pour énormes requins, hantée par des centaines de
Bhoûtas, des Piçâtchas, des Mânes et d'autres, qui trépi-
gnaient de joie; 6,188.
Il fit couler ce fleuve horrible, effrayant, accroissant
la terreur des hommes timides, semblable à la Vaitaranî,
que versait une armée aux centaines de corps, privés de
la vie, ou de guerriers se convulsant au milieu de l'agonie.
Quand ils virent la valeur de ce héros, qui avait comme
les formes de la mort, 6,189—6,190.
Un effroi, qu'on n'avait pas eu avant, courut au milieu
des Kourouides sur le champ de bataille. Le Pândouide
reçut avec ses astras les astras des héros ennemis, et,
placé dans une œuvre terrible, il apparut terrible lui-
même. Arjouna, sire, de s'avancer alors vers les plus
vaillants des héros. 6,191—6,192.
Tous les êtres ne pouvaient fixer un regard sur le Pân-
84 LE MAHA-BHARATA.
douide, comme sur le soleil ardent, parvenu dans le ciel
au milieu du jour. 6,193.
Nous vîmes les multitudes des flèches de ce magna-
nime, lancées dans le combat par son Gândîva, telles
que, dans l'atmosphère, des rangées de cygnes. 6,19/j.
Placé dans une œuvre terrible et se montrant terrible
lui-même, il arrêta par ses astras les astras des héros en-
nemis (1). 6,195.
Arjouna, par le désir de parvenir à la mort de Djayad-
ratha, les fascinant de ses nârâtchas, arrêta alors, sire,
les plus vaillants des héros. 6,196.
Dhanandjaya avec son cocher de couleur azurée se pro-
menait, admirable à voir, au milieu du combat, décochant
des traits dans tous les points de l'espace. 6,197.
On voyait, se tenant dans l'atmosphère, par centaines
et par milliers, comme le disque du soleil, les multitudes
des flèches du magnanime. 6,198.
Nous ne vîmes pas alors cet héroïque Pân douide prendre
ses dards au carquois, ni les coucher sur l'arc, ni les dé-
cocher. 6,199.
Après que le fils de Kountî eut jeté en ce combat le
trouble dans tous les points de l'espace et parmi tous les
maîtres de chars, il courut sur Djayadratha, 6,200.
Et le frappa de soixante-quatre flèches aux nœuds in-'
clinés. Aussitôt que les guerriers l'eurent vu s'avancer
en face du Sindhien, 6,201.
Ces héros cessèrent le combat, ayant perdu toute espé-
rance pour sa vie. De tout homme, qui, dans cette bataille
sanglante, courut sur le Pândouide, sa flèche, destructive
(1) Cette stance et une partie de la suivante ont déjà été vues plus haut.
DRONA-PARVA. 85
de la vie, se plongea dans le corps. Le grand héros Ar-
jouna, le plus grand des victorieux, couvrit ton armée de
troncs mutilés par ses flèches, semblables au feu. Ainsi,
quand alors ton armée en quatre corps, Indra des rois,
6,202— 6,203— 6,204.
Eut été mise dans la confusion par Arjouna, il fondit
sur Djayadratha. Il perça le Dronide avec cinquante dards,
Vrishaséna avec trois flèches. 6,205.
Touché de compassion (1), il fatigua Kripa (2) de neuf
traits, Çalya de seize et Karna de trente-deux projec-
tiles. 6,206.
Dès qu'il eut frappé le'Sindhien de soixante-quatre
flèches, il rugit comme un lion. Or, le roi du Sindhou
alors, blessé des traits, lancés par l'arc Gândîva, ne put
dans sa colère supporter ce traitement, comme un élé-
phant, battu par le croc acéré. Le héros, qui porte un
sanglier dans le champ de son drapeau, envoya rapide-
ment sur le char de Phâlgouna des flèches au vol droit,
fourbies par l'art de l'ouvrier, parties d'un arc tiré jusqu'à
l'oreille et semblables à des serpents irrités (3).
6,207—0,208—6 209.
Quand il eut blessé Govinda de trois, Arjouna de six,
il frappa ses chevaux de huit traits et son drapeau d'une
seule flèche. 6,210.
Mais, ayant lancé des traits aigus adressés au Sindhien,
Arjouna avec deux flèches trancha à la fois la tête du
corps de son cocher et son drapeau richement orné.
Atteint par le trait, brisé, son immense hampe coupée,
(1-2) Kripâyamâ?iakripam, encore un jeu de mots!
(3) Krouddhàçivishasankâsdm, teite de Bombay.
86 LE MAHA-BHARATA.
Le sanglier du roi de Sindhou tomba, semblable à la
flamme du feu. Dans cet instant même, où le soleil des-
cendait rapidement, 6,211—6,212—6,213.
Djanârddana, précipitant ses mots, adressa alors ces
paroles au fils de Pândou : « Voilà le Sindhien, que six
vaillants guerriers, tous fameux héros, ont placé au milieu
d'eux. 6,214.
» Il s'y tient, guerrier aux longs bras, tremblant et
désirant sauver sa vie. Si tu ne commençais, taureau des
hommes, par vaincre ces six héros, 6,215.
» Il serait impossible que tu triomphasses du Sindhien.
Ainsi donc, Arjouna, je vais s^ns fraude (5) disposer mon
yoga de telle sorte que le soleil en soit couvert. 6,216.
«Il est descendu à son couchant! » dira-t-il. Alors,
transporté de joie, ce prince aux mauvaises mœurs, qui
désire la vie, ne veillera plus d'aucune manière sur lui-
même pour te donner la mort. Là, il te faut saisir,
ô le plus vaillant des Rourouides, un défaut dans sa
garde. 6,217—6,218.
» Tu dois surtout éviter toute négligence, car le soleil
marche à son couchant, » Il dit. u Qu'il en soit donc
ainsi ! » répondit Bibhatsou à Kéçava. 6,219.
Ensuite, l'ascète Hari-Rrishna, le seigneur des Yogîs,
absorbé dans l'yoga, répandit l'obscurité sur le disque du
soleil. 6,220.
A ces ténèbres, qu'il avait créées : « L'auteur de la lu-
mière est descendu au mont Asta! » s'écrièrent les tiens,
souverain des hommes, enchantés de la mort espérée du
Prithide. 6,221.
(i) Yatoumrvyâdjam , texte de Bombay.
DRONA-PARVA. 87
Les guerriers joyeux ne voyaient plus le soleil dans le
combat : le roi Djayadratha, levant alors son visage et
tourné vers la cause du jour, ce monarque du Sindhou ne
put apercevoir le soleil. Krishna, adressant de nouveau la
parole à Dhanandjaya, dit ces mots : 6,222 — (5,223.
«Vois l'héroïque souverain du Sindhou, qui regarde
l'astre, auteur de la lumière ! Il a secoué la crainte, que
tu lui inspires, ô le plus vaillant des Bharatides. 6,22û.
» Voici le moment pour la mort de ce prince vicieux !
Tranche-lui promptementlatête, guerrier aux longs bras,
fais rendre son fruit à ta promesse. » 6,225.
A ces mots de Réçava, l'auguste fils de Pândou immola
ton armée de ses flèches, pareilles au feu ou semblables
au soleil. 6,226.
Il blessa Kripa de vingt traits et Karna de cinquante :
il frappa Çalya et Douryodhana de six dards individuel-
lement, Vrishaséna de huit et le Sindhien lui-même de
soixante. Quand le Pândouide aux longs bras, sire, eut,
de ses flèches, bless'; grièvement les tiens, il courut sur
Djayadratha. Dès qu'ils le virent près d'eux, tel qu'un
feu, armé de ses langues flamboyantes (1),
6,227—6,228—6,229.
Les défenseurs de Djayadratha tombèrent dans la plus
grande incertitude. Alors, tous les guerriers de ta puis-
sante majesté, désirant la victoire, inondèrent dans ce
combat le Pâkaçâsanide des averses de leurs flèches. En-
seveli sous plusieurs multitudes de traits, le filsdeKountî
6,230—6,231.
Aux longs bras, le rejeton invaincu de Kourou s'en
(i) Littéralement : comme un feu, qui lèche.
88 LE MAHA-BHARATA.
irrita. Ce tigre des hommes, aspirant à tuer ton armée,
déploya sur elle un épouvantable filet aux mailles de
flèches. Frappés par ce héros dans la bataille, tes com-
battants, sire, 6,232—6,233.
Abandonnèrent, pleins d'effroi, le monarque du Sin-
dhou. Deux ne fuyaient pas ensemble. Nous vîmes alors
le prodigieux courage du fils de Kountî. 6,23Zi.
Il n'y a et il n'y eut jamais rien d'égal à ce que fit ce
prince à la haute renommée. Tel que Roudra jadis exter-
mina les bestiaux, tel il tua les éléphants à côté des élé-
phants, les chevaux près des chevaux et les cochers eux-
mêmes. Je ne vis personne dans le combat, souverain des
hommes, qui ne fût blessé des flèches du Prithide, ni un
homme, ni un coursier, ni un éléphant. Les yeux enve-
loppés de poussière et d'obscurité, les combattants
6,235—6,236—6,237.
Tombèrent dans un abattement d'esprit effroyable; ils
ne se distinguaient pas les uns les autres. Les guerriers,
poussés par la mort et les membres percés des traits,
Tournaient sur eux-mêmes, Bharatide, vacillaient,
tombaient, s'évanouissaient, expiraient. Tandis que s'agi-
tait cette bataille grande, bien épouvantable, semée d'une
froide terreur, à laquelle il était difficile d'échapper, et
telle que la destruction des créatures, la poussière de la
terre se calma sur la surface du sol, arrosé de sang, grâce
à ses flots répandus et à la rapidité du vent. Les roues
des chars étaient plongées dans le sang jusqu'aux moyeux.
6,238— 6,239— 6,2ZiO-6,2/jl.
Ivres (1), rapides, leurs cavaliers tués, leurs membres
(1) Mattâs, texte de Bombay.
DRONA-PARVA. 89
déchirés par milliers, les éléphants des tiens, sire, écra-
saient leurs armées sur le champ de bataille et fuyaient,
poussant des cris de détresse. Les chevaux, leurs hommes
de selle immolés, et les fantassins, monarque des hommes,
6,242— 6,243.
Couraient, talonnés par la peur, sire, blessés des flè-
ches de Dhanandjaya. Les cheveux épars, sans cuirasse,
versant leur sang par des blessures, 6,244.
Les hommes fuyaient, épouvantés, ayant abandonné la
tête de la bataille. Quelques-uns étaient là, se tenant sur
la terre par les enlacements des cuisses : 6,245.
D'autres tombaient au milieu des éléphants tués. C'est
ainsi que Dhanandjaya, sire, avait mis en déroute ton
armée. 6,246.
11 immola de ses flèches effroyables les gardes du roi
de Sindhou ; il couvrit d'un rézeau de traits acérés Karna,
le Dronicle, Kripa, Çalya, Vrishaséna et Souyodhana. On
ne voyait Arjouna, à cause de la rapidité de ses mouve-
ments (1), ni prendre ses flèches au carquois, ni les jeter,
ni les tirer, ni les encocher dans le combat. Sans cesse
lançant des flèches, son arc paraissait toujours arrondi
en cercle. 6,247— 6,248— 6,249.
Ses dards se montraient disséminés de tous les côtés.
Dès qu'il eut tranché l'arc de Karna et celui même de
Vrishaséna, 6,250.
Arjouna, le plus vaillant des victorieux, enleva d'un
bhalla le cocher de Çalya au siège de son char. Après
qu'il eut grièvement blessé de ses traits dans ce combat
l'oncle et le neveu, Açvatthâman et le Çaradvatide ;
(i) Littéralement : de ses traits.
90 LE MAHA-BHARATA.
quand il eut ainsi jeté le trouble parmi les grands héros
des tiens, 6,251—6,252.
Le fils de Pândou leva une flèche épouvantable, pareille
au feu, d'une ressemblance égale à la foudre d'Indra et
charmée par un astra céleste, 6,253.
Capable de supporter toute charge, éternelle, grande,
honorée de bouquets et de parfums. Le rejeton de Kourou
joignit avec elle l' astra de la foudre, récité suivant la
règle donnée. 6,25/i.
Arjouna aux longs bras de l'encocher sur le Gândîva.
A peine ce trait à la splendeur flamboyante fut-il appliqué
sur l'arc, 6,255.
Il naquit dans l'atmosphère, seigneur, un immense tu-
multe, élevé par les Bhoûtas; et Djanârddana d'une voix
hâtée dit ces nouvelles paroles : 6,256.
« Dhanandjaya, tranche la tête de ce Sindhien vicieux :
voici le soleil, qui veut se cacher derrière l'Asta, la plus
haute des montagnes. 6,257.
» Écoute de ma bouche cette parole sur Djayad-
ratha. Son père Vriddhakshattra fut célèbre dans le
monde. 6,258.
» Après un long espace de temps, il obtint ici pour 'son
fils le Sindhien Djayadratha, l'homicide des ennemis. Une
voix, de qui la cause était invisible, non formée d'un
corps, et qui avait le son du tambour des nuages, parla
en ces termes au souverain des hommes : « Ce fils, qui
t'est donné, seigneur, sera toujours égal à deux familles
entre les mortels par sa naissance, le caractère, la placi-
cidité de l'âme et les autres qualités. Le plus excellent
des kshi tryas dans le monde, il sera toujours honoré des
héros. 6,259—6,260—6,261.
DRONA-PARVA. 91
» Mais un ennemi, considéré sur la terre comme le plus
éminent des guerriers, lui tranchera, dans sa colère, la
tête dans un combat avec lui. » 6,262.
» Quand la voix eut parlé ainsi, vaincu par l'amour de
son fils, le dompteur des ennemis, le roi de Sindhou,
ayant rêvé long-temps, dit à tous ses parents : 6,263.
« La tête du guerrier, qui fera tomber sur la terre dans
une bataille la tête de mon fils, combattant et soutenant
une immense charge dans sa lutte, sera brisée en cent
morceaux (1). 11 n'y a nul doute. » Après ces mots, il fit
asseoir Djayadratha sur le trône. 6,26/j — 6,265.
» Embrassant les mortifications et les sacrifices,
Vriddhakshattra se confina dans les forêts ; cet homme
énergique y pratiqua une pénitence effrayante, incompa-
rable. 6,266.
» Sorti de ce champ de bataille, qui s'étend de tous les
côtés, ô toi, de qui le drapeau est un singe, lorsque tu
auras coupé dans un grand combat la tête de Djayad-
ratha, 6,267.
» Et défait les ennemis par une œuvre merveilleuse et
un astra céleste, épouvantable, fais tomber promptement,
frère mineur du fils de Maroute, la tête du roi de Sindhou,
ornée de ses pendeloques, sur le sein de Vriddhakshattra;
et, quand tu auras abattu son chef sur le sol de la terre,
(1) Ceci n'est pas conforme au dénouement; là, ce n'est point la tète
d'Arjouna, mais celle du père lui-même, qui éclate en cent morceaux. Il
y a donc erreur évidemment ou corruption dans l'un et l'autre texte.
N'aurait-il pas fallu dire ici : «Quand uirguerrier fera tomber sur mon
sein la tête de mon fils abattu sur la t rre, la mienne volera en cent
éclats? » Il nous appartient ici, quoiqu'il en soit, de recommander ce
passage à ceux, qui, dans l'Inde, s'occuperont dans un jour prochain de
rechercher des manuscrits moins imparfaits.
92 LE MAHA-BHARATA.
» Alors ta tête éclatera en cent morceaux ; il n'y a nul
doute. Appuyé sur un astra céleste, fais en sorte, ô le
plus vertueux des Kourouides, que ce mystère échappe à
la connaissance du roi, souverain de la terre; car il
n'existe rien d'aucune manière qu'il te soit impossible
d'exécuter, fils d'Indra, dans les trois mondes entiers. »
A peine eut-il ouï ces paroles, léchant les angles de sa
bouche, 6,278—6/279—6,270—6,271 —6,272.
Arjouna saisit pour la mort du Sindhien et lança une
flèche éternelle, honorée de bouquets et de parfums, ca-
pable de supporter tous les fardeaux, céleste, charmée
par les formules des prières, et dont l'attouchement était
semblable à la foudre d'Indra. Égal au vol rapide du
faucon, ce trait, envoyé par le Gàndiva, 6,273 — 6,27Zi.
Ayant coupé la tête du monarque de Sindhou, s'en-
vola dans les airs, emportant au milieu du ciel cette
royale tête (1), que son fer avait tranchée, au désespoir
de ses ennemis, à la joie de ses amis. Dans le temps que
le Pândouide faisait du Sindhien un tronc (2) décapité par
ses flèches, 6,27/1—6,275.
Et qu'il transportait (3) cette tête hors de tout l'espace
du champ de bataille, dans ce même temps, le souverain
de la terre, Vriddhakshattra, 6,276.
Ton énergique parent, vénérable souverain, adressait
(1) Texte de Bombay.
(2) Les deux éditions portent kadambakikritija ; ce doit être une faute
de copiste, qui a transposé une syllabe, en altérant une lettre. Le sens de-
mande : kabandhakîkritya. Nous faisons de nous-mème ce changement, en
signalant cette mauvaise leçon à l'attention des futurs éditeurs du Mahâ-
Bhârata.
(3) Édition de Bombay.
DRONA-PARVA. 9S
alors sa prière au soleil couchant. Arjouna fit tomber
dans le sein de ce monarque assis la tête du roi de Sindhou
avec ses pendeloques et sa noire chevelure. Sa majesté
Vriddhakshattra ne vit pas d'abord cette tête, dompteur
des ennemis, qui tombait dans son giron avec ses étince-
lantes girandoles. Ensuite, quand le sage vieillard eut
récité sa prière à voix basse, il se leva, et la tête soudain
tomba sur le sol de la terre : à peine la tête du fils de cet
Indra des hommes eut-elle touché la terre, dompteur des
ennemis, celle du vieux monarque au même instant éclata
en cent morceaux (1). Tous les Bhoûtas furent alors saisis
du plus profond étonnement : {De la stance 6,277 à ta
stance 6,283.)
Ils exaltèrent le Vasoudévide et Bîbhatsou à la grande
vigueur. Après que Kirîti eut immolé, sire, le monarque
du Sindhou, 6,283.
L'obscurité du ciel fut enlevée par Krishna. Tes fils
alors, souverain de la terre, et leurs suivants reconnurent
que c'était une illusion, enfantée par le Vasoudévide.
C'est ainsi que le prince du Sindhou, ton gendre, sire,
le vainqueur de huit armées, fut à son tour abattu par le
Prithide a la splendeur infinie. Une fois qu'ils eurent vu
couché mort Djayadratha, le monarque du Sindhou, la
douleur fit couler l'eau des yeux de tes fils. A la suite de
cette victoire du fils de Prithâ, sire, Kéçava aux longs
bras et Arjouna, le fléau des ennemis, remplirent de vent
leurs conques; et Bhîmaséna lui-même, portant, pour
ainsi dire, l'annonce de cet exploit au fils de Pândou, cou-
vrit le ciel et la terre avec un vaste cri de guerre. A
(1) Relisez, page 91, l'observation mise en la note.
9h LE MAHA-BHARATA.
cette immense clameur entendue, "Youdhishthira, le fils
d' Varna, (De la stance 6,28ù à la stance 6,290.)
Pensa que le magnanime Phâlgouna avait terrassé
le monarque du Sindhou. Alors, il fit porter la joie (1)
à ses guerriers par les accords de ses instruments de mu-
sique; 6,290.
Et ils revinrent au combat, impatients de tuer le Bha-
radwâdjide. Une bataille épouvantable de Drona avec les
Somakas de s'élever au moment, où le soleil descendait
au mont Asta. Les grands héros, après la mort du roi de
Sindhou, combattirent de tous leurs efforts, désirant im-
moler le fils de Bharadwâdja. Quand ils eurent obtenu la
victoire et tué le prince du Sindhou, les Pândouides
6,291—6,292—6,293.
Combattirent, dans l'ivresse de leur triomphe, Drona
çà et là. Arjouna lui-même, victorieux du roi Djayad-
ratha, livra bataille, sire, aux grands héros, tes com-
battants. 6,29£— 6,295.
Le guerrier, qui porte sur sa tiare une guirlande, les
dispersa tous, comme le roi des Immortels sut exterminer
les ennemis des Dieux ; et le héros accomplit sa promesse
antécédente, tel que le soleil, élevé sur l'horizon, dissipe
les ténèbres. 6,296.
« Après que l'Ambidextre, s'enquit Dhritarâshtra, eut
décollé cet héroïque Sindhien, dis-moi, Sandjaya, ce que
firent les miens. » 6,297.
Aussitôt qu'il vit, auguste roi, le Prithide immoler
dans ce combat le monarque du Sindhou , Kripa , le
Çaradvatide, tomba sous le pouvoir de la colère.
(t) Abhiharsayat, texte de Bombay.
DRONA-PARVA. 95
Il répandit (1) sur le Pândouide une grande averse
de flèches. Le Dronide fondit sur Phâlgouna, le fils
de Prithâ, monté sur son char de guerre. 6,298-6,299.
Ces deux plus vaillants héros, les meilleurs des maîtres
de chars, firent tomber de leurs deux chars des pluies de
flèches acérées. 6,300.
Ce héros aux longs bras, le plus excellent des maîtres
de chars, accablé de ces deux immenses orages de flèches,
fut plongé dans la plus amère détresse. 6,301.
Désirant tuer son gourou et le fils de son gourou,
Dhanandjaya, le fils de Prithâ, accomplit une noble
prouesse; 6,302.
Ayant arrêté avec ses astras les astras d'Açwatthâman
et du Çaradvatide, impatient de tuer ces héros, il décocha
des traits d'une certaine vitesse. 6,303.
Lancées par Djaya, ses flèches blessaient profondément;
et la multitude des projectiles, jetait ces deux guerriers
dans la plus profonde détresse. 6,304.
Ensuite, le Çaradvatide, accablé par les flèches du fils
de Kounti, s'affaissa sur le banc de son char, majesté, et
tomba dans la défaillance. 6,305.
Le cocher, voyant son frère jeté dans le trouble, accablé
par les traits : « Il est frappé à mort! » se dit-il, et de le
dérober aux coups de l'ennemi. 6,306.
Quand ce Kripa, le Çaradvatide, eut été brisé clans la
guerre, Açwatthâman lui-même s'enfuit loin du Pân-
douide, au milieu des chars. 6,307.
Dès que le Prithide, héros au grand arc, eut vu le
Çaradvatide, accablé de ses flèches, tombé dans l'éva-
(1) Samavakirat.
96 LE MAHA-BHARATA.
nouissement, il donna des plaintes au sort de Kripa.
Consterné, la face remplie de larmes, il exhala ces
mots : « Le voici donc, ce guerrier à la grande science,
qui a dit au roi ces paroles, au moment où venait de
naître ce criminel Souyodhana, qui entraîne sa famille à
la mort: « Allons! jetez dans l'autre monde cet opprobre
de sa race! 6,308—6,309—6,310—6,311.
» Car il fera naître un immense péril pour les princi-
paux des Kourouides ! « La voilà donc accomplie la parole
de cet homme, organe de la vérité. 6,B12.
» A cause de lui, je vois déjà mon vieux gourou étendu
sur un lit de flèches ! Malheur au métier du guerrier !
malheur à la force et au courage ! 6,313.
» Quel homme tel que moi pourrait nuire à un brahme,
instituteur spirituel? Ce fils de saint anachorète est mon
âtchârya et l'ami chéri de Drona. 6,31/i.
» Le voilà, qui gît sur le banc de son char, accablé de
mes flèches! Il souffre cruellement de mes traits, lancés
contre ma volonté ! 6,315.
» Sur le banc de ce chariot de guerre, où il rend le
dernier soupir, il ferme, pour ainsi dire, la voix aux
souffles de mon existence. Atteint par mes flèches nom-
breuses, ce brahme à la grande lumière, admirable à voir,
il est percé de traits, envoyés par moi, homme, qui ai re-
noncé aux dix vertus! Son Destin m'accable continuelle-
ment de douleur plus encore que la mort de mon fils !
6,316—6,317.
» Vois, Krishna, vois Kripa affaissé sur le banc de son
char, comme un corps privé de la vie. Les hommes émi-
nents, qui donnent les présents désirés aux âtchâryas,
de qui ils ont reçu la science, passent au rang des Dieux;
DRONA-PAHVA. 97
mais les abjects mortels, qui apportent à leurs gourous
la mort en échange de la science, qu'ils ont aspirée d'eux,
ces méchants descendent aux enfers. C'est l'œuvre, assu-
rément digne du Naraka, que j'ai accomplie, moi, qui ai
.tué horriblement un Atchârya dans son char sous la pluie
de mes flèches! Voilà ce que m'a dit Kripa, quand jadis
il me donnait un astra : 6,317— 6,318— 6,319— 6,320.
« Il ne faut, rejeton de Kourou, en aucune manière le
diriger contre ton gourou. » Mais je n'ai pas obéi à cette
parole de mon vertueux et magnanime instituteur, moi,
qui ai fait tomber sur lui une averse de flèches sur le
champ de bataille. Hommage lui soit rendu à ce Gota-
mide, bien honorable, à qui la fuite est inconnue !
» Honte à moi, Vrishnide, qui ai lancé mon trait sur
lui! » Tandis que l'Ambidextre se lamentait ainsi,
Râdhéya, à la vue du Sindhien immolé, de fondre sur
lui. Les deux Pântchâlains et Sâtyaki s'élancèrent à l'ins-
tant sur l'Adhirathide, qui accourait contre le char d'Ar-
jouna. Quand le fils de Prithà au grand char vit Râdhéya
s'approcher, 6,321-6,322—6,323—6,324-6,325.
Il dit en riant ces paroles au fils de Dévaki : « Voici
l'Adhirathide, qui s'avance contre le char de Sâtyaki.
« Sans doute, il ne peut supporter la mort de Bhoûri-
çravas dans le combat! Pousse tes chevaux, Djanârddana,
du côté par où il vient ! 6,326 — 6,327.
» Prenons garde que Vrisha ne conduise le Sâttwa-
tide dans la route du fils de Somadatta ! » A ces paroles
de l'Ambidextre, Kéçava aux longs bras, à la grande
splendeur, lui répondit en ces mots opportuns : « Ce
guerrier aux bras vainqueurs suffit seul, Pândouide, pour
le combat de Rarna ; 6,328 — 6,329.
jx 7
98 LE MAHA-BHARATA.
» A plus forte raison, quand ce taureau des Sâttwatides
est secondé par deux Pântchâlains. Cette bataille avec
Karna ne te convient pas, fils de Priihâ. 6,330,
» La force (1) de ce guerrier est semblable au météore
enflammé : c'est pour toi, vaillant meurtrier des héros
ennemis, qu'elle est honorée et conservée. 6,331.
» Ainsi, laisse Karna s'avancer, de quelque manière
qu'il voudra, du côté où est le Sâttwatide. Je te ferai con-
naître l'instant fixé pour ce méchant, afin que tu abattes
sur le sol de la terre cet homme sous tes flèches acé-
rées. » 6,332—6,333.
« Voyons donc la rencontre du Vrishnide avec l'hé-
roïque Karna! demanda Dhritarâshtra. Après que Bhoû-
riçravas fut immolé et le roi du Sindhou tué, 6,33A.
» Sur quel char est monté Sâtyaki, réduit alors sans
char? Conte-moi cela, Sandjaya, avec ce qui a trait aux
deux Pântchâlains, gardes des roues. » 6,335.
Eh bien ! je vais te raconter, suivant les circonstances,
cette grande bataille, répondit Sandjaya. Disposé à
écouter, sois immobile d'attention, et maudis ta mauvaise
conduite. 6,336.
Cette pensée vint jadis, seigneur, à l'esprit du Vasou-
dévide, que le guerrier au drapeau de la colonne victi-
maire doit vaincre le héros Sâtyaki ; 6,337.
Car Djanârddana connaît le passé et l'avenir. * Ni les
hommes, quels qu'ils soient, ni les Rakshasas, les Ou-
ragas et les Yakshas, ni les Gandharvas, ni les Dieux
mêmes ne sont capables de vaincre les deux Krishnas.
Les Sindhiens et les Immortels, sous la conduite du Pita-
(1) Explication du commentaire.
DRONA-PARVA. 99
mâha, connaissent la puissance incomparable de ces deux
héros. Youyoudhâna, ayant donc fait venir son cocher
Dârouka, lui avait prescrit cet ordre : « Que mon char
soit préparé et attelé! » Ainsi avait parlé, sire, ce guerrier
à la grande force. Dès qu'il eut vu Sâtyaki sans char et
Karna exalté dans le combat, Mâdhava remplit avec le
souffle du taureau (1) sa conque au grand son (2)*. Ayant
connu l'ordre et entendu le son de la conque, Dârouka
[De ta stance 6,338 à la s lance 6,343.)
Lui amena son char, sur lequel s'élevait le drapeau de
Garouda ; et le petit-fils de Çini, avec le consentement de
Kéçava, monta dans son chariot de guerre, semblable au
feu ou au soleil et conduit par Dârouka. Quand il fut
monté dans sa voiture, pareil au char des Immortels,
attelée de Çaîvya, Sougrîva, Méghapoushpa et Valahâka,
chevaux pleins d'ardeur, à la grande vitesse, ornés de
médaillons en or, et qui allaient partout où ils voulaient,
6,343— 6, 344— 6,3/15.
Il courut sur Râdhéya, dispersant des flèches nom-
breuses. Alors Outtamaâudjas et Youdhâmanyou, les
deux gardes des roues, 6,346.
Abandonnant le char de Dharmarâdja, s'élancèrent au-
devant de Râdhéya. Celui-ci même, grand roi, déchaîna
une averse de flèches ; 6,347.
Et fondit, bouillant de colère, Impérissable, sur Çaî-
néya dans la bataille. Jamais on n'entendit parler sur la
terre ou dans le ciel d'un combat semblable, ni parmi les
Rakshasas, les Ouragas et les Yakshas, ni parmi les
(1) Arsliabhéna, texte de Bombay.
(2) Nous avons transposé les vers contenus entre ces deux étoiles, suivant
l'ordre, où la raison nous a paru les demander.
100 LEMAHA-BHARATA.
Gandharvas, ni même entre les Dieux. Cette armée, com-
posée d'éléphants, de chevaux et de chars, cessa de com-
battre, 6,358— 6,349.
Et contempla d'une âme pleine de stupéfaction, Mahâ-
râdja, les prouesses de ces deux guerriers. Tous, ils
virent le combat plus qu'humain de ces deux éminents
hommes, sire, et l'habileté à conduire un char de Dâ-
rouka. Ils admiraient, saisis d'étonnement, les allées, les
retours, les cercles enveloppés dans les cercles, et les cir-
convolutions du cocher Râçyapide (1), monté sur le char.
Les Dânavas, les Gandharvas et les Dieux, attirés sur la
voûte du ciel, 6,350—6,351—6,352.
Y vinrent contempler, d'une âme pleine d'attention, le
combat de Karna et de Çaînéya. Ces deux braves, Karna,
semblable à un Immortel, et Sâtyaki-Youyoudhâna, plein
de vigueur dans la bataille, rivalisant d'audace pour la
cause de leurs amis, firent éclater l'un sur l'autre,
grand roi, des averses de flèches. 6,353 — 6,354.
Ne pouvant supporter la mort du prince Kourouide et
de Djalasandha, Karna d'écraser le petit -fils de Çini sous
les pluies de ses traits. 6,355.
Pénétré de chagrin, soupirant comme un grand ser-
pent, l'Adhirathide, irrité dans le combat, brûlait, pour
ainsi dire, Çaînéya de son regard dans le combat. 6,356.
Il courut mainte fois sur lui avec rapidité, domp-
teur des ennemis ; mais Sâtyaki, le regardant avec des
yeux irrités, lui rendit des blessures en échange des
siennes; 6,357.
Et l'inonda avec une vaste grêle de traits, comme un
(1) Dâfouka.
DRONA-PARVA. 101
éléphant, qui attaque un pachyderme ennemi. Ces deux
tigres des hommes, impétueux comme deux tigres des
forêts, et d'une valeur sans égale dans le combat, en
étant venus aux mains, se déchirèrent mutuellement.
Ensuite, le petit fils de Çini blessa mainte fois en tous ses
membres Rarna, le vainqueur ' des ennemis, avec des
flèches, toutes de fer massif, et il enleva son cocher au
siège du char avec un bhalla. (5,358—6,359—6,360.
Il tua de ses dards acérés les quatre chevaux blancs ;
et, quand ce plus éminent des guerriers eut tranché avec
cent traits son drapeau en cent morceaux, 6,361.
Il réduisit Karna sans char aux yeux mêmes de ton
fils. Alors, les tiens découragés, sire, éminent Bhara-
tide, 6,362.
Vrishaséna, le fils de Karna, Çalya, le roi de Madra et
le fils de Drona arrêtèrent de tous les côtés Çaînéya. 6,363.
Partout régnait le trouble; on ne distinguait plus rien :
au milieu de toutes les armées s'éleva un vaste brouhaha,
quand Sàtyaki eut mis à pied l'héroïque fils du cocher.
Karna lui-même agité, sire, et couvert des flèches du
Sâttwatide, 6,364—6,365.
Monta, gémissant, dans le char de Douryodhana. Il
avait été, dès sa plus tendre jeunesse, honoré au rang de
ses amis, 6,366.
Et il avait gardé la promesse, qu'il fit au temps où un
royaume lui fut donné. Quand il eut réduit Karna sans
char, Sâtyaki prédominant de frapper, sire, les héros, tes
fils, cà la tète de qui marchait Douççâsana. Observant la
promesse, que Bhîmaséna et le Prithide avaient faite
jadis, 6,367—6,368.
11 jeta le trouble parmi ces guerriers, réduits sans char;
mais il ne les priva pas de l'existence. Vrikaudara avait
102 LE MAHA-BHARATA.
promis la mort à tes fils ; mais le Prithide, dans le mo-
ment du jeu, avait juré la mort de Rarna. Les héros, qui
recevaient les ordres de celui-ci, déployèrent leurs efforts
pour lui donner la mort; 6,369 —6,370.
Mais les premiers des braves ne purent immoler Sâ-
tyaki. Le Dronide, Kritavarman et les autres fameux
héros, les plus grands des kshatryas, furent vaincus cent
fois par son arc seul, qui désirait l'autre monde et le
plaisir de Dharmarâdja. 6,371 —6,372.
Sâtyaki, égal en bravoure aux deux Krishnas, ce héron,
qui traîne les cadavres des ennemis, vainquit en riant
toutes tes armées. 6,373.
Ce monde aura pour son vainqueur, ou Krishna, ou le
Prithide, qui porte l'arc, ou Sâtyaki ; mais on n'en voit
pas un quatrième, ô le plus grand des hommes. 6,37Zi.
« Monté sur le char invincible du Vasoudévide, Sâ-
tyaki a réduit Karna sans char, observa le roi Dhrita-
râshtra. Associé à Dârouka et fier de la force de ses bras,
il est égal au Vasoudévide dans la guerre. Est-ce que
Sâtyaki est remonté sur un autre char? 6,375 — 6,376.
» Je désire entendre cette chose : car tu es un habile
narrateur. Ce héros est, je pense, impossible à soutenir!
Raconte-moi cela, Sandjaya, » 6,377.
Écoute, sire, lui répondit l'interrogé, que ce cocher à
la haute sagesse, le frère mineur de Dârouka, lui amena
précipitamment un autre char, construit suivant les règles
de l'art, 6,378.
Possédant un timon, armé de fer et revêtu d'or jusqu'à
la valeur d'un padma(1), constellé par un millier d'étoiles,
(1) Dix milliards.
DRONA-PARVA. 105
abrité sous des guidons et un drapeau à l'enseigne du
lion. 6,379.
Il lui avait préparé, dis-je, un char, ayant le bruit
profond des nuages, attelé de chevaux rapides comme le
vent, et parés sur le poitrail de médaillons en or. 6,380.
Çaînéya, monté sur ce char, fondit sur ton armée, et
Dârouka lui-même du pas, qu'il voulut, s'avança vers le
Vasoudêvide Kéçava. 6,381.
On fit même pour Karna un chariot sublime, grand
roi, attelé de chevaux de noble race, à la rare vitesse,
revêtus d'armures en or varié, et blancs comme le lait de
la vache ou la conque, ombragé d'un drapeau, muni d'une
galerie en or, doué d'un vexillaire et d'un cocher, avec
un conducteur habile, un appareil de guerre et toutes
sortes de flèches. Étant monté sur ce char, Karna fondit
sur les ennemis. Ici, j'ai fini de te raconter entièrement
les choses, sur lesquelles tu m'interroges.
6,382—6,383—6,384.
Écoute encore la haine, qui est enfantée par ton ab-
sence de politique! Trente-et-un de tes fils, ayant mis
Dourmoukha à leur tête, sont tombés sous les coups de
Bhîmaséna, que son héroïsme n'abandonne jamais; des
héros par centaines, sous la conduite de Bhîshma et de
Bhagadatta, ont mordu la poussière sous le fer d'Arjouna
et du Sâttwatide; et cette catastrophe, auguste monarque,
est arrivée à la suite de tes mauvais conseils.
6,385—6,386—6,387.
« Les héros tombés en cette condition dans la guerre,
qu'eux et moi nous faisons, s'enquit Dhritarâshtra, que
fit alors Bhîmaséna? Dis-moi cela, Sandjaya. » 6,388.
Réduit sans char, accablé par Çalya, en proie aux
10Û LE MAHA-BHARATA.
flèches de Karna, lui répondit le narrateur, Bhîmaséna,
plongé sous la puissance de la colère, dit ces mots à
Phâlgouna : 6,389.
« Eunuque, insensé, glouton! Homme, qui n'as pas
étudié les armes, contre qui as-tu fait cette guerre (1),
enfant, privé de force dans les combats? » Voilà ce que
m'a dit mainte et mainte fois Karna, sous tes yeux, Dha-
nandjaya; et je me suis écrié, Bharatide : « Il faudra que
je donne la mort à l'homme, qui parle ainsi ! »
6,390—6,391.
» J'ai fait ce serment avec toi, guerrier aux longs bras;
et, de même qu'il est obligatoire pour moi, il n'y a nul
doute, fils de Rountî, que tu ne sois obligé par lui.
» Rappelle-toi cette parole, ô le plus vertueux des
hommes, et observe-la. Agis de telle sorte, Dhanandjaya,
que ce soit une vérité! » 6,392 — 6,393.
A ces mots de Bhîmaséna, Arjouna, au courage sans
mesure, s'approcha un peu de Karna sur le champ de
bataille et lui parla en ces termes : 6,394.
« Karna! Karna! Homme à la vue fausse, fils de co-
cher, qui te donnes à toi-même des éloges, esprit dépravé,
écoute maintenant ce que je vais te dire ! 6,395.
» Les faits des héros sont de deux sortes dans le com-
bat : la victoire et la défaite! Ces deux choses, Râdhéya,
sont transitoires dans les combats, que livre Indra lui-
même. 6,396.
Réduit sans char, les organes des sens troublés, sur le
(i) Réunissez dans un seul mot la dernière syllabe de akritàstruka avec
la première lettre du mot suivant màyotsis : cette mauvaise lecture vous
trompe et vous arrête un moment.
DRONA-PARVA. 105
point de mourir sous les coups d'Youyoudhâna, il se
rappela que j'avais dit : « Tu seras mis à mort par moi ! »
et il te laissa vivant te retirer après sa victoire. 6,397.
» Tu as eu le plaisir de mettre à pied Rhîmaséna;
mais, quant à ces paroles, Râdhéya, que tu lui as jetées
en homme vicieux, apprends ceci-. 6,398.
» Quand ils ont vaincu un ennemi, les hommes émi-
nents, qui sont des héros, ne parlent pas avec jactance;
ils ne disent rien de blessant, ils n'adressent aucun re-
proche. 6,399.
» Mais toi, qui as la science d'un homme abject, tu as
vomi des paroles choquantes contre Bhîma, un héros,
qui combat, qui marche avec audace, qui fait sa joie d'un
noble vœu : aucune de ces choses n'est vraie! Aux yeux
de tous les guerriers, de Kéçava et de moi-même,
6,400— 6,401.
» Nombre de fois , Bhîmaséna t'a réduit sans char
dans le combat; et ce fils de Pândou ne t'a dit rien, qui
fût une injure! 6,40*2.
» Parce que tu as fait entendre à Vrikaudara tant de
paroles dures, et parce que vous avez tué loin de mes
yeux le Soubhadride, mon fils, 6,403.
» Reçois maintenant le fruit de cette insolence ! C'est
pour ta mort à toi-même, guerrier stupide, que tu as
tranché mon arc! 6,404.
» A cause de cela, insensé, il faut que tu périsses de
ma main, toi, tes coursiers, tes serviteurs et ton armée!
Déploie tes efforts entièrement; tu es tombé dans un
grand danger! 6,405.
» J'ai tué Viïshaséna, ton fils, dans !e combat, sous
tes yeux mêmes ; et je tuerai tous les autres souverains
106 LE MAHA-BHARATA.
de la terre, que leur démence fera s'approcher de moi :
c'est aussi vrai que je touche mes armes ! Quand le stu-
pide Douryodhana t'aura vu couché sur le champ de
bataille, toi, orgueilleux, insensé, qui n'as point acquis
la science, il sentira les pointes d'un amer repentir! »
Après qu'Arjouna eut fait cette promesse de la mort au
fils du cocher (1), 7,406— 6,407— 6,408.
Les maîtres de chars élevèrent alors un bruit vaste et
bien tumultueux. Tandis que se livrait la bataille con-
fuse, inspirant l'épouvante, 6,409.
L'astre aux mille rayons rendait au mont Asta sa lu-
mière émoussée. Hrishlkéça, embrassant Bîbhatsou,
qui se tenait à la tête du combat et qui avait rempli sa
promesse de lui parler en ces termes : « Tu as heureu-
semement, Djishnou, accompli ta grande promesse! »>
6,410-6,411.
Ce criminel Vriddaksthattra fut heureusement immolé
avec son fils ! A peine arrivé dans l'armée du Dhritarâsh-
tride, Dévaséna lui-même, s'est affaissé dans le combat :
il n'y a, Djishnou, nul doute à faire ici. J'ai beau y pen-
ser, je ne vois nulle part dans les mondes aucun homme,
si ce n'est toi, tigre des hommes, qui puisse combattre
avec cette armée ! Les souverains de la terre nombreux,
à la grande puissance, égaux ou même supérieurs à toi,
rassemblés ici par les ordres du fils de Dhritarâshtra ,
une fois arrivés en présence de ta colère, au milieu du
combat, n'ont pu s'en retourner en dépit de leurs cuirasses,
6,412-6,413—6,414—6,415.
(1) Les deux éditions portent au fils de Karna ; mais c'est à Karua
qu'il s'adresse et c'est à lui-même, qu'il vient de promettre la mort.
DRONA-PARVA. 107
« Ta valeur et ta force sont égales à celles de Çiva, d'In-
dra ou de la mort ! Personne ne pourrait accomplir dans la
bataille un exploit semblable à ce que ton bras seul a fait
aujourd'hui, fléau des ennemis! Quand tu auras tué
ainsi l'odieux Karna avec sa famille, je t'exalterai encore
plus, victorieux de tes rivaux et foulant aux pieds tes
ennemis. » Arjouna lui répondit : a C'est grâce à toi,
Mâdbava, 6,416— 6,417— 6,418.
s Que j'ai rempli cette promesse, qui serait difficile à
tenir aux Immortels eux-mêmes. La victoire n'a rien, qui
étonne en ceux, de qui tu es le protecteur, Kéçava.
» Youdhishthira, grâce à toi, obtiendra la surface
entière de la terre! La puissance est à toi, Vrishnide! La
victoire t'appartient, seigneur. 6,419 — 6,420.
k Nous te devrons notre élévation, meurtrier de Ma-
dhou, et nous sommes tes serviteurs! » Krishna, à qui
ces mots, étaient adressés, conduisant les chevaux avec
lenteur, lit contempler en souriant au fils de Prithâ cette
vaste scène du combat à l'aspect épouvantable.
« Des princes, qui ambitionnaient la victoire dans la
bataille, répondit Karna, et une grande renommée, ré-
pandue au loin, héros, que tes flèches ont privés de la vie,
gisent maintenant sur la terre. 6, 421 — 6,422 — 6,423.
» Ou, les parures et les flèches éparses çà et là, leurs
cuirasses déchirées, fendues en morceaux, les éléphants,
les chars, les coursiers plongés dans l'infortune, ils
sont tombés dans le plus profond abattement; 6,424,
» Les uns vivants, les autres morts, et tous doués de
la plus haute splendeur. On voit les souverains des
hommes, ceux-là presque animés encore des souffles vi-
taux, ceux-ci déjà l'àuie exhalée. 6,425.
108 LE MAHA-BHARATA.
» Vois la terre toute remplie de leurs flèches, empen-
nées d'or, et de leurs javelots divers, et de leurs che-
vaux, et de leurs armes, 6,426.
» De cuirasses et de colliers de perles, de têtes ornées
de pendeloques, de turbans, de tiares, de bouquets et
même d'aigrettes en pierreries. 6,427.
» La terre resplendit, Bharatide, de fils d'or à cein-
dre le cou, de bracelets, de nishkas bien étincelants, et
d'autres parures admirables, 6,428.
» De caisses de chars, de carquois, de drapeaux et
d'étendards, d'appareils de guerre, de rênes, de timons
et d'attaches au joug, 6,429.
» De disques acérés, de roues diverses, brisées en plu-
sieurs morceaux dans le combat, d'attelages, de cochers,
de décorations, d'arcs et de traits, 6,430.
» De housses coloriées, de couvertures, de massues, de
crocs, de lances en fer, de bhindipâlas, d'étuis à flèches,
de tridents et de haches, 6,431.
» De traits barbelés, de javelots harponnés, de bâtons
mêmes, de çataghnîs, de bhouçoundîs, de cimeterres et
de couperets, 6,432.
» De moushalas, de maillets d'armes, de pilons et de
cadavres, de fouets au travail d'or, fils de Bharata, 6,433.
)> De clochettes et de différents médaillons pour les In-
dras des éléphants, de guirlandes, de parures diverses
et de vêtements de grands prix ; 6,434.
» La terre brille de ces objets épars, comme le ciel
automnal des étoiles, dont il est émaillé. Étendus sans
vie sur la terre, parce que la jouissance de cette terre,
fut la cause de leurs combats, les maîtres de la terre dans
l'éternel sommeil tiennent la terre, embrassée de leurs
DRONA-PARVA. 109
membres, comme une amante chérie! Ces éléphants, pa-
reils à des cîmes de montagnes semblables à Aîrâvata,
6,435— 6,436.
» Vois-les, héros, verser un fleuve de sang par les ou-
vertures de leurs blessures, telles que des cavernes, et
ressembler à des montagnes, que les bouches de leurs an-
tres arrosent de tous les côtés avec des ondes aux pépites
d'or ! Renversés sous tes flèches, ils gisent sans mouve-
ment sur la terre! Vois ces chevaux abattus, parés de
médaillons d'or, 6,437—6,438.
» Leurs maîtres immolés, les chars semblables à la
ville des Gandharvas, les drapeaux et les étendards ren-
versés, leurs galeries détruites, sans roues, leurs cochers
tués. 6,439.
» Vois égorgés sur la terre, auguste Prithidc, ces cou-
ples de chevaux, qui offrent un aspect tel que les chars
des Dieux, avec les timons coupés, les attaches des jougs
brisées; 6,440.
» Ces fantassins privés de la vie, héros, par centaines
et par milliers, qui endossent la cuirasse et portent l'arc,
endormis à jamais, baignés de sang ! 6,441.
» Vois, guerrier aux longs bras, ces combattants, le
corps rompu de tes flèches, les cheveux épars dans la
poussière, qui ont embrassé la terre de tous leurs mem-
bres! 6,442.
» Vois, ô le plus grand des hommes, la surface de la
terre à l'aspect hideux, pleine de coursiers, d'éléphants et
de chars abattus, couverte d'un limon de chair, de graisse
et de sang, cause de réjouissances pour les Piçâtchas, les
loups, les chiens et les Rakshasas! 6,443.
» Ce carnage, vaste, et qui ajoute à la renommée de
110 LE MAHA-BHARATA.
tes œuvres sur un champ de bataille, est digne de toi,
seigneur, comme d'un Çatakratou, le plus élevé des
Dieux, qui veut exterminer les Daîtyas et les Dânavas
dans un grand combat (1). 6,!ihli.
Le meurtrier de ses rivaux, Djanârddana, montrant à
Kirîti la terre des ennemis, s'approcha du Pândouide
Adjâtaçatrou, et lui annonça que Djayadratha était mort.
» Vois, comme si elle était couverte d'étoffes admira-
bles de soie, la terre jonchée d'éléphants, de chars, de
chevaux, de drapeaux, d'ombrelles, de chasse-mouches
et d'éventails, de housses peintes, variées à l'usage des
coursiers, de caisses de chars, de différentes couvertures
et des guerriers à la grande opulence réduits sans char.
6,ZiZi5— 6,û46— 6,û/j7.
» En voici d'autres, qui sont tombés du haut de leurs
éléphants caparaçonnés, et les proboscidiens eux-mêmes
avec eux, tels que des lions renversés des sommets d'une
montagne, que la foudre a brisée. 6,ZU8.
» Ces autres sont cloués, pour ainsi dire, à leurs che-
vaux, les arcs aux poings ; voici des hommes de pied,
voici des troupes de cavaliers, arrosés de tous les côtés
par des fleuves de sang (2). » 6,Zi/|9.
Montrant ainsi à Kirîti le champ de bataille, Krishna,
réuni avec les siens, remplis de joie, fit résonner le Pan-
tchadjanya. 6,Zj50.
(1) Ce discours parasite, qui interrompt la suite de la narration, qui est
lui-même interrompu à l'arrivée inopportune du vers suivant (6,445), et qui
ne semble nullement convenir au caractère de Karna, respire une intrusion
maladroite de l'un à l'autre bout, ou plutôt une inadvertance : c'est
Kéçava et non Karna qu'on a voulu dire à la page 107, ligne 21. 11 fau-
drait ici, pour éviter l'interruption, supprimer cette stance 6,445.
(2) Ces quatre stances manquent avec raison dans l'édition de Bombay.
DRONA-PARVA. 111
Il s'approcha du monarque Youdhishthira, le fils
d'Yama, et, s'inclinant en sa présence, lui annonça d'une
âme joyeuse la victoire du Prithide sur le roi du Sin-
dhou : 6,451.
« Par bonheur, tes affaires s'accroissent, Indra des
rois ; ton ennemi est tué, ô le plus grand des hommes !
Avec bonheur, ton frère puîné vient d'accomplir sa pro-
messe ! s 6,452.
A ces mots de Krishna, le conquérant des cités enne-
mies, le roi Youdhishthira joyeux s'élança, Bharaùde,
hors de son char. 6,453.
Les yeux enveloppés des larmes de la joie, il embrassa
alors les deux Krishnas ; puis, essuyant son beau visage
d'un éclat semblable à la fleur du lotus, il dit au Vasou-
dévide et au Pândouide Dhanandjaya : c Je vous revois
avec bonheur, grands héros, qui avez supporté voire
charge dans le combat! 6,454 — 6,455.
» Grâce au Destin, le plus vil des hommes, le criminel
Sindhien fut immolé ! Grâce au Destin, vous deux,
Krishnas, vous m'avez fait obtenir une grande joie !
» Grâce au Destin, les armées des ennemis ont été
plongées dans une mer de chagrins ! Ceux, de qui tu es
le protecteur, meurtrier de Madhou, ne commettent pas
dans les trois mondes la moindre action criminelle, docte
précepteur de tous les mondes. Grâce à toi, Govinda,
la victoire sur les ennemis nous est assurée,
6,456—6,457—6,458.
» Comme jadis sous ta protection, Pâkaçâsana vainquit
les Dânavas. De même que leur victoire est certaine sur
la terre, de même, honorable Vrishni, ceux, de qui tu es
satisfait, sont-ils assurés de vaincre les trois mondes eux-
112 LE MAHA-BHARATA.
mêmes ! 11 n'existe pour eux ni une faute à commettre,
ni une défaite à subir dans la guerre. 6,459 — 6,460.
» Tu es le protecteur, souverain des Tridaças, ô toi,
qui donnes l'honneur, de ceux, qui te procurent le con-
tentement. C'est par ta grâce, Hrishîkéça, que Çakra est
le monarque du chœur des Immortels. 6,Zi61.
» Favori de la fortune, tu as obtenu au front du
combat la victoire sur les trois mondes : seigneur des
Tridaças, les Dieux mêmes sont un présent de ta
grâce. 6,Zj62.
» Entrés dans l'immortalité, Krishna, ils jouissent des
mondes éternels. Grâce à toi, Çakra, aux mains de qui
est tombé le sceptre des Dieux, a vaincu par son courage
élevé les Daîtyas par milliers. Grâce à toi, Hrishîkéça,
ce monde des êtres immobiles et mobiles, 6,A63 — 6,464.
» Constitué dans ses routes, décrit sa révolution au
milieu des prières à voix basse et des oblations de beurre
clarifié. Au commencement des choses, tout n'était qu'une
mer, enveloppée d'obscurité ; 6,465.
» Grâce à toi, Dieu aux bras puissants, le monde est
arrivé à l'être, ô le plus grand des hommes. Quiconque
sait que Hrishîkéça est le créateur de tous les mondes,
l'Éternel, l'âme première, n'est jamais le jouet du délire.
Ceux, qui sont parvenus à la science que tu es le Dieu
premier, l'antique, l'éternel Dévadéva, le gourou des
Souras, ne sont jamais le jouet du délire. Ceux, qui sont
dévots en toi, sans commencement, sans fin, le Dieu
sempiternel, l'architecte du monde, l'homme primitif,
antique, qui précède même les premières choses créées,
traversent heureusement, Hrishîkéça, des renaissances
infranchissables. 6,466— 6,467—6,468— 6,469.
DROM-PARVA. 113
» La plus haute félicité est préparée à quiconque s'in-
cline devant ce premier, par qui tout commence. On
chante quatre Védas, et je me prosterne devant le magna-
nime, qui est chanté dans les Yédas : je goûte la plus
haute félicité, seigneur des origines, souverain des sou-
verains des premiers êtres, maître des animaux, seigneur
des enfants de Manou. 6,470 — 6,471.
» Adoration à toi, le plus grand des hommes, su-
zerain des empereurs de toutes les dominations. Tu es
le maître, le seigneur, le souverain ; prospère, auguste
Màdhava ! 6,472.
» Sois la bonne fortune elle-même de l'univers, Dieu
aux grands yeux, âme de l'univers ! Quiconque s'est
approché du protecteur de Dhanandjaya, quiconque est
l'ami de Dhanandjaya, quiconque est zélé pour son bien,
il s'accroît en bonheur ! » A ces paroles du magnanime,
Kéçava et le Pândouide 6,473 — 6,474.
Dirent joyeux au monarque , maître de la terre :
« Le criminel roi Djayadratha fut consumé par le feu de
ta colère. 6,475.
» Nous avons traversé (1) dans le combat (2) l'armée
immense du Dhritarâshtride. Les Kourouides, que nos
coups ont atteints, sont morts, et les autres périront,
meurtrier de tes ennemis, frappés de ta colère. Le stu-
pide Souyodhana, qui a soulevé ton ressentiment, héros,
qui consume de tes regards, abandonnera les souffles de
la vie dans le combat, avec ses amis, avec ses parents. Le
bisaïeul des Kourouides , Bhîshma , inaccessible aux
Dieux mêmes, une des premières victimes de ta colère,
(1-2) Uttlrnam.... ranai, texte de Bombay.
ix 8
114 LE MAHA-BHARATA.
gît, couché sur un lit de flèches. Certes ! homicide des
ennemis, la victoire est pour eux difficile à obtenir dans
un combat. 6,470 — 6,477— 6,478— 6,479.
» Ceux, que tu hais, fils de Pândou, sont tombés sous
le pouvoir de la mort : ceux, contre qui tu es irrité, fléau
des ennemis, ont vu périr depuis long-temps leurs joies
diverses, leurs amis, leurs fils, leur trône et les souffles
mêmes de la vie. Les Kourouides sont déjà morts, je
pense, avec leurs fils, leurs parents, leurs troupeaux,
sous le poids de ta colère, fléau des ennemis, qui occupes
toujours le plus haut rang dans le devoir d'un roi. » En-
suite Bhîmaséna aux longs bras (1) et le grand héros
Sâtyaki, 6,480—6,481—6,482.
Couverts des blessures dues aux flèches, s'inclinèrent
devant le plus vertueux des hommes, qui méritaient le
respect. Ces deux puissants héros blessés étaient envi-
ronnés des Pântchâlains. 6,483.
Dès qu'il vit s'approcher ces deux braves (2) joyeux et
les mains jointes, le fils de Kountî les salua : 6,484.
« Grâce à la fortune, je vous revois, héros, échappés à
la mer des armées, à Drona, l' in affron table requin, à
l'océan de Hârddikya, séjour des monstres marins!
» Grâce à la fortune, nous avons triomphé dans le
combat (3) de tous les princes de la terre !
« Grâce à la fortune, je vous revois tous deux
triomphants au milieu de la guerre! Grâce à la fortune,
Drona et le grand Hârddikya ont été vaincus dans le
combat! 6,485.
(1) Mahàbdhous, texte de Bombay.
(2) Le texte en répète ici les noms.
(3) Sankhyai, texte de Bombay.
DRONA-PARVA 115
» Grâce à la fortune, les Vikarnins (1) ont conduit
dans la bataille Karna à la défaite; et Çalya fut réduit
par vous deux, hommes éminents, à tourner le dos.
6,486—6,487—6,488.
» Grâce à la fortune, je vous revois, instruits dans les
combats et les deux plus excellents maîtres de chars, re-
venus, la vie sauve, du combat! 6,489.
» Grâce à la fortune, je vous revois, soumis à mon au-
torité, ayant exécuté ma parole et traversé la mer des
armées! 6,490.
» Grâce à la fortune, je vous revois, héros, qui vous
glorifiez de vos combats, qui ne fuyez pas dans les ba-
tailles et qui êtes égaux l'un et l'autre aux souffles de ma
vie! » 6,491.
A ces mots, sire, le Pàndouide embrassa les deux tigres
des hommes, Youyoudhâna et Vrikaudara, et versa des
larmes de joie. 6,492.
Toute l'armée fut ravie de satisfaction, souverain des
mortels, et, joyeuse du combat des Pândouides, elle mit
son esprit à la bataille. 6,493.
Après la mort du Sindhien, ton fils Souyodhana, sire,
le visage baigné de larmes, contristé, sans énergie pour
la victoire des ennemis, 6,494.
Le cœur affligé, poussant de brûlants soupirs, comme
un serpent, les dents brisées, ton fils, le plus grand
pécheur du monde entier, tomba dans la plus profonde
anxiété. 6,495.
(1) Ce composé veut dire : gui est dépourvu d'oreilles. Mais il manque
chez "Wilson, dans Bopp et l'Amara-Kosha ; Bohtlingk et Roth ne sont
pas arrivés encore à ce mot. Faute de renseignements, nous évitons de le
traduire.
116 LE MAHA-BHARATA.
Quand il vit cette grande, cette épouvantable confusion,
qu'avaient jetée dans ton armée au milieu de la
guerre Djishnou, Bhîmaséna et le Sâttwatide, 6,496.
Pâle, maigri, affligé, les yeux baignés de larmes:
« Il n'existe pas sur la terre, pensa-t-il, un guerrier s m-
blable à Arjouna, 6,497.
» Ni Drona, ou Râdhéya, ni Açwatthâman ou Rripa
n'est capable de rester, le pied ferme, devant sa colère! »
Telles étaient, auguste roi, ses pensées. 6,498.
» Quand le Prithide eut vaincu tous mes grands héros
dans le combat, il immola le Sindhien, et il n'y eut per-
sonne, qui pût l'empêcher. 6,499.
» Les Pàndouides ont battu même de toute manière
cette mienne grande armée et il n'y eut personne, qui
pût nous sauver de lui, fût-ce même Pourandara en
personne. 6,500.
» Arrivé près de ce héros, et déployant les efforts de
ses armes dans la bataille, Karna fut vaincu et Djayad-
ratha immolé dans le combat! 6,501.
» Karna, à l'énergie duquel me confiant, j'ai regardé
et traité comme une poignée d'herbes Atchyouta, qui
sollicitait la paix, a été vaincu dans la bataille! » 6,502.
Le cœur ainsi consterné, sire, il s'en alla voir Drona.
Ton fils, éminent Bharatide, le plus grand pécheur de tout
l'univers, 6,503.
Lui exposa entièrement le carnage effrayant des Kou-
rouides, et les prouesses a" Arjouna, qui triomphait des
ennemis et plongeait dans l'infortune les fils de Dhrita-
ràshtra. 6,504.
« Vois, Atchârya, lui dit-il, vois la grande confusion
des hommes au front consacré! Quand nous eûmes mis à
DRONA-PARVA. 117
notre tête l'héroïque Bhishma, mon bisaïeul, 6,505.
» Le cupide Çikhandî , l'arrogance en sa plénitude,
l'abattit, et, accompagné de tous les Pântchâlains, il
s'approcha du front de mon armée. 6,506.
» Un autre, Dourdharsha, ton disciple, fut encore tué
par l'Ambidextre; et, quand il eut défait sept armées
complètes, il immola même le roi Djayadratha. 6,507.
» Ces amis, mes auxiliaires, ces maîtres de la terre,
qui désiraient ma victoire, qui voulaient pour moi
conquérir la terre, comment ai-je pu acquitter ma dette
envers eux, qui sont descendus au séjour d'Yama?ils ont
abandonné la souveraineté de la terre, et gisent, étendus
sur le sein de la terre! 6,508 6,509.
» Après que j'ai fait, moi, homme méprisable, une telle
perte de mes amis, mille sacrifices ne suffiraient point à
purifier mon âme. 6,510.
» Désirant la victoire pour moi, cupide, criminel et qui
me suis écarté du devoir, le combat les a conduits au
monde de la mort. 6,511.
» Comment la terre n'a-t-elle pu, dans l'assemblée des
princes (1), me donner une fosse, à moi, de qui la con-
duite est déchue et qui nuis à mes amis! 6,512.
» Que dirai-je (2), au milieu des rois, à mon bisaïeul,
de qui les membres sont humides de sang (3)? Que
dira-t-il, quand je m'approcherai de lui, cet inafîrontable
vainqueur du monde des ennemis? 6,515.
» Vois, puissant guerrier, ce héros, qui avait aban-
donné sa vie, tandis qu'il déployait ses efforts à cause
(1) Pârthivasansadi, texte de Bombay.
(2-3) Yau'hanradhirasiktângan,... pitâmahan, teite de Bombay.
118 LE MAHA-BHARATA
de moi, Djalasandha au grand arc, tombé sous les coups
deSâtyaki! 6,51/i.
» Qu'ai-je affaire encore de la vie, quand je vois, cou-
chés sur la terre, et le Rambodjain, et Alambousha, et
tant d'autres, mes nombreux amis? 6,515.
» Des braves, qui ne savaient pas tourner le dos, qui
se consumaient en efforts dans l'intérêt de ma cause et
luttaient par-delà leurs forces pour vaincre mes ennemis,
ont mordu la poussière. 6,516.
» Aujourd'hui, j'irai acquitter ma dette envers eux,
autant qu'il dépendra de moi, et je rassasierai d'eau leurs
mânes, le long des rives de l'Yamounâ (1). 6,517.
» Je le promets avec vérité, ô le meilleur de tous
ceux, qui manient l'arc; je le jure sur mes sacrifices,
mes œuvres méritoires, mon courage et les Dieux
mêmes: 6,518.
» Je les immolerai tous, les Pândouides et les Pân-
tchâlains, ou je recevrai (2) d'eux la mort dans le combat
et j'irai m' unir aux éléments. 6,519.
» Je m'en irai là, où sont tes éminents guerriers, que
Kirîti immola dans le combat, où ils employaient leurs
armes pour ma cause. 6,520.
» Mes compagnons, qui ne sont pas secourus, n'atta-
quent plus maintenant : ce sont les Pândouides , héros
aux longs bras, et non pas nous, qu'ils regardent comme
la voie de salut. 6,521.
» Placé véritablement toi-même comme la mort dans
le combat, ta sainteté usa de ménagements à l'é-
(1) Yamanâmanu, texte de Bombay.
(2) Édition de Bombay.
DRONA-PARVA. 110
gard d'Arjouna, parce qu'il est ton disciple. 6,522.
<> De-là furent immolés tous ceux, qui voulaient as-
surer ma victoire. Mais je vois Rarna, qui désire main-
tenant encore mon triomphe. 6,523.
» Quiconque ne sait pas de quelque manière distin-
guer un ami et le sacrifie à la victoire, si un jour il a
besoin de trouver en lui un ami, est victime de la mort.
» On m'a prêté un tel caractère, dont je dois être af-
fublé par mes plus grands amis : je suis cupide jusqu'au
délire, vicieux, hypocrite, et je soupire pour la richesse !
6,524— 6,525.
» Le roi Djayadratha fut immolé, et le courageux So-
madattide, et les Abhîshahas, les Souraçénains, les Çi-
vayens et les Vaçâtayens. 6,526.
» Je m'en irai maintenant là, où sont tes éminents
guerriers, que Rirîti immola dans le combat, où ils em-
ployaient leurs armes pour ma cause. 6,527.
» Qu'ai-je à faire de la vie, sans ces hommes éminents ?
Que ta sainteté, institutrice des fils de Pândou, nous
accorde sa permission. »> 6,528.
« Après que l' Imbidextre eut tué le roi Djayadratha
et Bhoûriçravas lui-même, quels furent alors, mon fils,
s'enquit Dhritarâshtra, quels furent vos sentiments?
» Quand Douryodhana eut parlé ainsi à Drona dans
l'assemblée des Kourouides, quelle réponse lui a faite
celui-ci : raconte-moi cela, Sandjaya. » 6,530.
Dès qu'ils virent l'armée et Bhoûriçravas lui-même
couchés sur la terre, lui répondit Sandjaya, un vaste mur-
mure s'éleva parmi tes guerriers. 6,531.
Tous, ils méprisèrent les conseils donnés à ton fils, qui
avaient coûté la vie à des centaines des plus éminents
guerriers. 5,532.
120 LE MAHA-BHARATA.
Aussitôt que Drona, la tristesse dans le cœur, eut ouï
ces paroles de ton fils, il réfléchit un instant, Indra des
rois, et lui dit, profondément affligé : 6,533.
« Douryodhana , pourquoi me blesses- tu avec les
flèches de tes paroles, alors que je dis l'Ambidextre invin-
cible dans un combat ! 6,534.
» Ce fait suffit seul à faire connaître ce qu'est Arjouna
dans une bataille, que, défendu par Djishnou, Çikhandî
a renversé Bhîshma sur le champ du combat? 6,535.
» Quand je vis abattre celui, à qui ni les Dânavas, ni
les Dieux mêmes ne pouvaient ôter la vie, j'en vins à re-
connaître cette vérité : « C'en est fait de l'armée Bhara-
tienne! » 6,536.
» Une fois tombé ce héros, que nous estimions dans
les trois mondes le plus brave de tous les hommes, quel
cas ferons-nous du reste? 6,537.
» Les dés, que faisait rouler Çakouni dans l'assemblée
des Kourouides, ce n'était pas des dés, mon fils, mais
des flèches acérées, qui détruisent les ennemis! 6,538.
» Ces traits, décochés par la Victoire (1) , nous arra-
cheront la vie dans le combat ! Tu n'as pas compris ces
paroles, qui te furent adressées par Vidoura. 6,539.
» Tu as entendu le langage de cet homme sage et ma-
gnanime, de qui les plaintes laissaient échapper de belles
choses pour la paix ! 6,540.
» Ce grand, cet épouvantable carnage, qui est arrivé,
se déroule par ton mépris de ses paroles dans une affaire,
qui est la tienne, Douryodhana. 6,541.
» L'insensé, qui, méprisant la parole utile de ses amis
et des hommes, qui jouissent de sa confiance intime,
(1) Un des surnoms d'Arjouna.
DRONA-PARVA. 121
n'obéit qu'à sa propre volonté dans ses actions, ne mé-
rite pas de bien longs regrets. 6, 542.
» Comme il fit amener sous nos yeux, en pleine as-
semblée, Krishna, issue d'une famille royale, indigne de
ce traitement et qui pratiquait toutes les vertus, le ter-
rible châtiment de cette offense, retombera sur le Gân-
dâral Si la faute est à nous, tu iras dans l'autre monde ;
mais nous avons à expier une faute plus grande que cela :
6,543— 6,544.
» C'est qu'après avoir vaincu au jeu les Pândouides
dans une partie inégale, tu les as relégués dans les bois,
revêtus de la dépouille d'un rourou (1). 6,545.
» Mais quel homme récitateur des Védas, autre que
moi, pourrait nuire à des guerriers, qui sont comme ses
fils et toujours occupés des vertus? 6,546.
» Ce ressentiment à l'égard des Pândouides, que, réuni
avec Douççâsana et secondé par Karna, tu as soulevé dans
l'assemblée des Kourouides avec l'approbation de Dhri-
tarâshtra, tu l'as mainte et mainte fois mis en pratique,
au mépris des paroles de Kshattri. 6,547—6,548.
» Tous ceux, qui déployaient leurs efforts avec les
tiens pour arrêter Arjouna, ont péri. Comment a-t-il
trouvé la mort au milieu de vous, ce roi de Sindhou,
votre appui? 6,549.
» Quand Karna, Kripa, Çalya et toi, Kourouide, vous
respiriez encore, comment le Sindhien a-t-il pu descendre
au tombeau? 6,550.
» Tous les rois aidaient la force dévorante du guerrier,
qui combattait pour sauver Djayadratha, comment fut-il
immolé au milieu de nous? 6,551.
(1) Espèce de daim.
122 LE MAHA-BHARATA.
» Dans le temps que toi, Douryodhana, et moi surtout,
nous vivions, il espérait, ce monarque de la terre, qu'il
serait sauvé d'Arjouna. 6,552.
» Ce prince n'ayant pas obtenu d'échapper à Phâl-
gouna, je ne vois plus dans la vie aucun lieu pour ton
âme. 6,553.
» Je me vois moi-même, sans avoir tué les Pântchâ-
lains et Çikhandî, tombé déjà dans le malheur, dont je
suis menacé par ce vicieux Dhrishtadyoumna. 6,55/i.
» Pourquoi donc me déchires-tu, moi, qui suis con-
sumé de chagrins, avec les flèches de tes paroles, toi,
Bharatide, qui n'as pu sauver Djayadratha? 6,555.
» Quand tu ne vois plus dans le combat ce drapeau
d'or de Bhîshma aux œuvres infatigables, qui avait donné
sa foi à la vérité, comment peux-tu encore espérer la vic-
toire? 6,556.
» Entre ces grands héros, au milieu desquels Djayad-
ratha fut immolé et Bhoûriçravas abattu, à quoi bon es-
timer les survivants? 6,557.
» Si l'indomptable Kripa lui-même vit encore, je le
félicite, prince, de ce qu'il n'est pas entré dans la route
de Djayadratha, où j'ai vu Bhîshma tomber, sous les
yeux de Douççâsana, ton frère mineur, au moment, fils
de Kourou, qu'il accomplissait un difficile exploit.
» A la chiite de ce vieillard, semblable à un être, que
les Dieux mêmes, Indra à leur tête, ne sauraient frapper
de mort, je pensai aussitôt, prince, que ce globe cessait
de t' appartenir! 6,558 — 6,559 — ,560.
» Ces armées des Pandouides et des Srindjayas, véné-
rable Bharatide, courent maintenant (1) réunies contre moi!
(i) Sahitânyadya, texte de Bombay.
DRONA-PARVA. 123
» Sans que j'aie fait mordre la poussière à tous les
Pântchâlains, je déposerai ma cuirasse dans le combat, où
je vais trouver la mort, fils de Dhritarâsthra : c'est une
chose, qui sera utile pour toi-même. 6,562.
» Tu diras, sire, à mon fils Açwatthâman dans la ba-
taille : « Un homme, qui veut sauver sa vie, ne doit pas
épargner les Somakas! » 6,563.
» Observe la parole, qui te fut enseignée par ton bi -
saïeul (1) : sois inébranlable dans la douceur, la placi-
dité, la vérité, la droiture. 6,56/j.
« Instruit dans l'amour, l'intérêt et le devoir, te disait-
il mainte et mainte fois, sans étouffer l'utile et le juste,
exécute les choses, comme faisant du devoir ta plus im-
portante affaire. » 6,565.
» Rassasie les brahmes de présents ; on doit les hono-
rer de toute manière. Il ne faut rien faire, qui leur dé-
plaise ; car ils ressemblent à la flamme du feu. 6,566.
» Quant à moi, blessé des flèches de tes paroles, j'en-
trerai, joint avec toi, immolateur des ennemis, au milieu
des armées, pour y livrer un grand combat. 6,567.
» Toi, Douryodhana, conserve ton armée, si tu peux:
car tu verras, aujourd'hui même, les Srindjayas et les
Rourouides combattre avec colère.» 6,568.
A ces mots, Drona, ravissant la splendeur aux ksha-
tryas, comme le soleil dérobe la clarté aux étoiles, s'a-
vança vers les Pândouides et les Srindjayas. 6,569.
Excité par le. fils de Bharadwâdja et tombé sous le pou-
voir de la colère, le monarque Douryodhana de tourner
son esprit au combat. 6,570.
(i) Littéralement : par (on père.
J24 LE MAHA-BHARATA.
(i Vois, dit ton fils à Karna, vois le Pândouide Kirlti,
qui a Krishna pour son compagnon, et qui a rompu
notre ordre de bataille, difficile à enfoncer par les Dieux,
et que Drona avait disposé lui-même. Le Sindhien fut
abattu, malgré les principaux combattants, en dépit des
efforts du magnanime Drona et des tiens. Vois, Râdhéya,
les plus excellents des rois, qui soient dans les batailles
sur la terre, 6,571 — 6,572.
» Immolés par le Prithide seul, tels que d'autres ga-
zelles, leurs semblables en destin, égorgées par un lion.
En dépit de mes efforts, malgré ceux du magnanime Drona,
ce fils d'Indra a réduit mon armée à un faible nombre de
combattants. Comment Arjouna-Phâlgouna, après qu'il
eut tué Djayadratha est-il passé à la rive ultérieure de sa
promesse, malgré les efforts de Drona? Comment le Pân-
douide a-t-il pu, héros, contre la volonté de Drona, qui
s'y opposait même dans la guerre, enfoncer notre ordre
de bataille bien difficile à rompre ? Arjouna est infiniment
cher au magnanime Atchârya.
6,573- -6,574—6,575—6,567.
» De-là, s' abstenant de combattre , il a laissé Phâl-
gouna s'emparer d'une porte dans la guerre. Après que
Drona, le fléau des ennemis, eut dans le commencement
donné au Sindhien l'assurance contre les dangers, 6,577.
» Il a permis cette porte à Kirîti ! Vois donc comme je
suis dépourvu de ressources. Si jadis il a promis qu'il re-
viendrait dans son palais, ce roi de Sindhou ne devait
pas voir une destruction de ses gens dans le combat!
Djayadratha désirait la vie et voulait revenir dans son
habitation; 6,578—6,579.
» Il en fut empêché par moi, homme abject, sur la se-
DRONA-PARVA. 125
curité, que m'avait inspirée Drona ! Aujourd'hui mes frè-
res, Tchitraséna et les autres, ont péri dans la bataille,
à nos regards affligés, sous les coups de Bhîmashéna! »
« Ne blâme pas l'Atchârya, lui répondit Rarna. Ce
brahme se conduit au combat de tout son pouvoir, suivant
ses forces, selon son énergie : il a fait le sacrifice de sa
vie. 6,580—6,581—6,582.
» Si, lui passant sur le corps, le guerrier aux blancs
coursiers est entré dans notre armée, il n'y a point la
moindre faute, qu'on puisse rejeter d'aucune manière sur
l'Atchârya. 6,583.
» Héros jeune, habile, adroit, à la valeur légère, con-
sommé dans les armes et revêtu d'une cuirasse imbri-
sable, Arjouna était monté sur un char à l'enseigne du
singe, muni de tous les astras, dont Krishna lui-même
gouvernait les chevaux vigoureux ;
» Armé du Gândîva, arc divin, inaltérable, et fier de
la richesse de ses bras, il fit pleuvoir des flèches acérées.
Si Arjouna a fondu sur Drona attaqué, c'est lui seul que
ce fait regarde. 6,58/1—6,585—6,587.
» L'Atchârya est vieux, sire, incapable de se tenir sur
un char à la course rapide ; il est sans pouvoir, souverain
des hommes, dans les efforts et l'exercice des bras. 6,588.
» C'est pour cela qu'il fut vaincu par le guerrier aux
chevaux blancs, quia Krishna p ur son cocher. Je ne vois
donc aucune faute, qu'il faille pour cette raison imputer à
Drona. 6,589.
» Les Pândouides sont, à mon avis, invincibles dans
un combat à Drona lui-même, malgré sa connaissance des
astras. Ainsi, le guerrier aux blancs coursiers, l'ayant
dépassé, est entré dans notre armée! 6,590.
126 LE MAHA-BHARATA.
» Je ne crois pas qu'il existe nulle part une nature
constituée d'une autre manière qu'il n'a plu au Destin.
Voilà pourquoi, Souyodhana, nous avons eu beau com-
battre par de-là nos forces, 6,591.
» Le Sindhien fut tué dans le combat. La puissance du
Destin est dite suprême 1 l\ous avons déployé avec toi les
plus grands efforts sur le champ de bataille, 6,592.
» Mais le Destin a paralysé notre courage et nous a
donné l'infériorité ! Dans ces luttes incessantes, soit avec
lâcheté , soit avec courage , quelque chose que fasse
l'homme, se'gneur, il est toujours soumis au Destin.
Tout, oui tout, dans la chute de Djayadratha est l'ou-
vrage du Destin. 6,593— 6, 59/i.
» Ce que peut faire un homme, qu'on a toujours vu
accompagné de résolution, je le ferai, sans doute, mais
le succès dépend du Destin. 6,595.
» Les Prithides furent livrés en jouet à la méchanceté ;
ils ont subi les atteintes du poison : on les a brûlés dans
la maison de laque ; on les a vaincus au jeu. 6,596.
» Après qu'ils eurent ceint le diadème des rois, ils fu-
rent exilés dans la forêt. Dans toutes les choses faites
avec des efforts, c'est le Destin, qui les fait arriver.
» Combats, déployant ton ardeur, sans penser à la
puissance du Destin. Le sort entrera (1) toujours dans la
route d'eux et de toi, en dépit de tes efforts.
» Nulle part, il n'existe sans le Destin, ou d'eux, un
acte de vertu, précédé par l'intelligence, ou de toi, hé-
roïque fils de Rourou, une action vicieuse, dépourvue de
raisonnement. 6,597—6,598—6,599.
(i) Yâsyati, texte de Bombay.
DRONA-PARVA. 127
» Le Destin est l'arbitre de tout (1) , du bien et du mal :
une chose occupe seulement sa vigilance : c'est la ma-
nière, dont il arrivera. 6,600.
» Nombreuses sont tes armées et nombreux sont tes
combattants ; mais ce n'est point ainsi que s'est déroulé
ce combat pour les fils de Pândou. 6,601.
» Vous, guerriers innombrables, vous fûtes conduits à
la mort par une poignée d'hommes : ce fut, je pense,
l'œuvre du Destin, qui nous ravit le courage. » 6,602.
Tandis qu'ils s'entretenaient longuement de cette ma-
nière sur tel et tel sujet, on vit apparaître les armées des
Pândouides sur le champ de bataille. 6,603.
Il s'éleva aussitôt, entre les tiens et les ennemis, résul-
tat de tes mauvais conseils, un combat, sire, où les chars
et les éléphants étaient mutuellement serrés. 6,504.
{i)Sarvasya, édition de Bombay.
LA MORT DE GHATOTKATCM.
Quand elle eut dépassé les troupes des Pândouides, ton
armée, à laquelle était jointe une excellente division d'é-
léphants combattit de tous les côtés. 6,605.
Initiés pour l'autre monde au vaste royaume d'Yama,
les Pântchâlains et les Rourouides se combattirent, les
uns les autres. 6,606.
Les héros, en venant aux mains avec les héros, se bles-
saient dans le combat avec des flèches, des lances et des
leviers en fer, et s'envoyaient lestement au monde d'Ya-
ma. 6,607.
Il y avait, des maîtres de chars avec les maîtres de
chars, qui s' entr' égorgeaient les uns les autres, une ba-
taille grande, épouvantable par ses ruissellements de
sang. 6,608.
Les éléphants irrités, enivrés par le mada, s'atta-
quaient mutuellement, grand roi, et se frappaient à coups
de trompes. 6,609.
DRONA-PARVA. 129
Désirant une vaste renommée dans cette bataille con-
fuse, les cavaliers fendaient les cavaliers avec des haches,
des lances de fer et des traits barbelés. 6,608.
Sans cesse rivalisant d'ardeur, les fantassins par cen-
taines, tenant des javelots à leur main, terrible guerrier
aux longs bras, couraient les uns sur les autres. 6,609.
Nous distinguions seulement les Pântchâlains d'avec
les Kourouides, vénérable roi, en entendant proclamer
les races et les noms de leurs familles. 6,610.
Dans le combat, où ils se promenaient sans crainte,
les combattants de s'envoyer réciproquement dans l'autre
monde avec des haches, des flèches et des lances de fer.
Ces dards, qu'ils lançaient à milliers par les dix points
de l'espace, ne brillaient pas de leur éclat naturel, sire ;
car le soleil était descendu au mont Asta.
0,611—6,612.
Tandis que les Pândouides combattaient de cette ma-
nière, puissant fils de Bharata, Douryodhana se plongea
dans cette armée. 6,613.
Pénétré d'une profonde douleur par la mort du Sin-
dhien, il pensait ainsi : « 11 faut mourir ! » Et il entra
dans les bataillons des ennemis, ébranlant, faisant ré-
sonner la terre au bruit de son char. Ton fils s'avança
vers l'armée des Pândouides. 6,614—6,615.
La mêlée confuse de lui et d'eux, Bharatide, faisait
mourir au loin tous les guerriers d'épouvante. 6,616.
Tel que, parvenu au milieu du jour, le soleil brûle de
ses rayons, tel, à mon avis, ton fils les consumait par la
splendeur de ses flèches. 6,617.
Les Pândouides ne pouvaient fixer les yeux dans ce
jx 9
130 LE MAHA-BHARATA.
combat sur leur héroïque cousin (1). Sans énergie dans
la victoire sur les ennemis, n'ayant de force que pour la
fuite, les Pântchâlains couraient çà et là, frappés à mort
par le magnanime. Les combattants des Pàndouides tom-
baient, frappés des flèches acérées, à la pointe luisante,
empennées d'or, lancées par l'archer, ton fils. Les Pàn-
douides n'accomplirent pas dans ce combat un exploit
semblable à celui, qui fut exécuté par le roi, ton fils,
monarque des hommes. Immolés par son bras dans cette
bataille, les Pàndouides
6,618—6,619—6,620—6,621.
Ressemblaient à un bassin de lotus, agité de tous les
côtés par un éléphant. Grâce à la splendeur des flèches
de ton fils, l'armée Pàndouide était comme un étang de
nymphées à la splendeur évanouie et dont l'eau fut tarie
par le vent et le soleil. Quand ils virent l'armée de
Pàndou détruite par ton fils, Bharatide, les Pântchâlains
de s'enfuir, malgré quils fussent commandés par Bhi-
maséna. Le héros Kourouide de blesser Viïkaudara avec
dix traits, les deux fils de Madrî avec trois individuelle-
ment, 6,622—6,623—6,624.
Virâta et Droupada de six, Çikhandi de cent, Dhrishta-
dyoumna de soixante-dix et le fils d'Yama de sept.
Dès qu'il eut frappé les Kaîkayains et les Tchédiens de
nombreuses flèches acérées, le Sâttwatide de cinq,
chacun des Draâupadéyains de trois, 6,625 — 6,626.
Et percé Ghatotkatcha, il poussa dans la bataille un
rugissement de lion. Irrité, il tua d'autres combattants,
(1) Littéralement : frère. C'est ainsi que ce mot est employé dans
l'Évangile avec la même signification de cousin.
DRONA-PARVA. 131
par centaines, et, tel que la mort extermine les êtres, il
trancha dans ce grand combat les corps des éléphants et
des coursiers. L'aîné des Pândouides avec deux bhallas
coupa en trois son grand arc au dos en or, et blessa avec
dix autres flèches aiguës, lancées du même coup, véné-
rable monarque, ce héros, qui donnait la mort aux en-
nemis. 6,627— 6, 62S— 6,629.
Tous ces traits, ayant fendu son corps, se plongeaient
ensemble clans la terre. Ensuite, ces guerriers entourés
environnèrent Youdhishthira ; 6, 630.
TelslesDieux pour la mort de Vritra environnaient
Pourandara.
Le roi Youdhishthira d'envoyer à ton fils dans le com-
bat, respectable roi, un trait de la plus grande puissance.
Celui-ci, profondément blessé par le dard, s'affaissa sur
son char sublime. 6.631 — 6,632.
Un grand bruit de clameurs poussées s'éleva bien haut
parmi les guerriers Pàntchâlains : «Le roi est mort!»
s'écriait-on; et de-là naquit un vaste tumulte.
On entendait le bruit du sifflement des flèches. Enfin,
Drona apparut dans ce combat; 6,633.
Et, saisissant un arc solide, Douryodhana lui-même se
se porta devant les Pândouides, en criant au roi : « Halte-
là ! arrête!» 6,634.
Désireux de sauver le roi, les Pàntchâlains s'élancè-
rent à leur rencontre d'un pied hâté; et Drona les ac-
cueillit, voulant défendre le plus élevé des Kourouides :
Ainsi, l'astre aux mille rayons dissipe les nuages ras-
semblés par le vent irrité. Ensuite, une grande bataille,
sire, enrichissant la terre de funérailles, surgit entre les
tiens et les ennemis, que le désir de combattre avait mis
aux prises. 6,635—6,636—6,637.
132 LE MAHA-BHARATA.
« Maintenant que tu m'as dit que le vigoureux Drona
était entré avec colère au milieu des Pândouides, inter-
rompit Dhritarâshtra, et que mon insensé (1) fils, Dou-
ryodhana, le violateur des préceptes de morale, 6,638.
» Se promenait, héros monté sur son char, au milieu
de l'armée ennemie, dis-moi comment les Pândouides ont
arrêté Drona au grand arc. 6,639.
» Qui défendit à droite les roues de l'Atchârya dans ce
grand combat ? Qui les défendit à gauche, quand il im-
molait impitoyablement les ennemis? 6,6ZiO.
» Quels héros ont protégé les derrières de cet héroïque
combattant? Quels maîtres de chars ennemis se jetèrent
devant ses pas? 6,641.
» Ils ont senti, je pense, un froid excessif, hors de
saison ; ils ont dû trembler, je pense, comme des bœufs
en hiver. 6,6Zi2.
» Tu m'as dit que ce héros invaincu, le meilleur de
tous ceux, qui portent les armes, est entré au milieu des
Pântchâlains, où il semblait danser dans les routes de son
char. 6,643.
» Comment ce taureau des hommes, qui consumait les
armées des Pântchâlains, comme un furieux météore, est-
il descendu dans la tombe ? » 6,644.
Victorieux du Sindhien, répondit Sandjaya, le Prithide,
s'étant réuni au roi, et le Sâttwatide au grand arc cou-
rurent dans la soirée sur Drona. 6,645.
Youdhishthira et le Pàndouide Bhîmaséna, chacun à
la tête d'une armée, fondirent également sur lui. 6,646.
Le sage Nakoula et l'invincible Sahadéva, Dhrishta-
dyoumna avec sa division et Virâta avec les Kaîkayains,
(1) Manda», texte de Bombay.
DRONA-PARVA. 133
Les Matsyas et les Çâlyas se portèrent avec des armées
contre le fils de Bharadwâdja. Défendu par les Pântchà-
lains, le roi Droupada, père de Dbrishtadyoumna, s'ap-
procha de Drona. Les Draâupadéyains aux grands arcs
et le Rakshasa Gathotkatcha 6,647— 6,6ZiS— 6,6/i9.
Firent tête avec des armées au brahme à la grande
lumière. Les fortunés Pântchâlains au nombre de
six mille combattants, 6,650.
Ayant élu Çikhandî pour chef, s'avancèrent vers
Drona, et les autres tigres des hommes, héros illustres
des Pàndouides, s'approchèrent, les rangs unis, de l'At-
chârya. Tandis que ces héros s'avançaient pour le com-
bat, taureau des hommes et des Bharathicles,
6,651— 6, 65V.
Il se répandit une nuit épouvantable, accroissant l'ef-
froi des gens timides. Ces ténèbres horribles, tournant à
la mort des combattants mêmes, dérobaient en ce mo-
ment les souffles de l'existence aux hommes, aux cour-
siers , aux éléphants. Dans cette nuit terrible de tous
côtés, les chacals se réjouissant 6,653 — 6,65Zi.
Annonçaient de leurs gueules, qui semblaient dévorer
des flammes, un formidable péril; et des météores de
feu crépitants prédisaient un vaste sujet d'épouvante.
Ils étaient surtout au plus haut point alarmants au
milieu de l'armée des Kourouides. Soudain, Indra des
rois, éclata parmi les armées un bruit immense. La ter-
reur dominait de toute part au vaste roulement des tam-
bours, au son des tympanons, au barrit des éléphants, au
hennissement des coursiers, au trépignement de leurs
pieds. Ensuite, commença au coucher du soleil un combat
plus qu'épouvantable, 6,655 — 6,656 — 6,6576, — 658.
134 LE MAHA-BHARATA.
De tous les côtés, puissant monarque, entre le fils de
Bharadwâdja et les Srindjayas. Au milieu des ténèbres,
dont le monde était enveloppé, on ne pouvait rien distin-
guer. 6,659.
Le sang du cheval, de l'éléphant, du guerrier se coagu-
lait avec la poussière, que l'armée soulevait de tous les
côtés. 6,660.
Plongés dans l'abattement , nous ne voyions pas la
poussière de la terre, comme on ne voit pas dans la nuit
celle d'une forêt de roseaux, qui brûle sur une montagne.
On entendait un cliquetis épouvantatable de flèches
tombant : tout semblait rempli du son des tambours et
des tympanons, des tymbales et des patahas, plein de
formes indécises entre le barrit et le hennissement. Enve-
loppés d'obscurité, sire, on ne distinguait, ni les siens, ni
les ennemis. 6,661 — 6,662 — 6,663.
Tout semblait dans le soir s'enivrer de folie : le sang
montait dans le ciel, Indra des rois, avec la poussière de
la terre. 6,66Zi.
L'obscurité se répandait au milieu de l'or, des cuirasses,
des parures : l'armée Bharatienne, ornée dejoyauxetd'or,
Ressemblait, éminent Bharatide, au ciel delà nuit, par-
semé de constellations. Elle était peuplée de hérons et de
chacals, remplie de drapeaux et de lances en fer.
6,665—6,666.
Effrayante, elle répétait le barrit des éléphants; elle
résonnait de blessures retentissantes ; il régnait un bruit
grand, confus, horripilant, semblable au fracas de la fou-
dre du grand Indra, et qui remplissait tous les points de
l'espace. Dans cette nuit profonde, grand roi, on n'entre-
voyait pas l'armée Bharatienne, parée de bracelets , de
DRONA-PARVA. 135
pendeloques, de nishkas et même de ses armes. Là,
étaient ornés d'or les chars et les éléphants eux-mêmes.
6,667—6,668—6,669.
Ils paraissaient dans la nuit comme des nuages entre-
lacés d'éclairs. On voyait tomber, comme des feux res-
plendissants, les pattiças, les traits barbelés, les mousha-
las, les cimeterres, les massues, les lances de fer et les
épées. Désirant livrer un combat, les guerriers d'entrer
dans cette armée terrible, surprenante, épouvantable,
largement unie au froid et au chaud, pleine de drapeaux,
précédée par le vent de Douryodhana, qui avait pour
nuages les divisions des chars, pour tonnerre le biuit
des instruments de musique, pour éclairs les arcs, pour
nuées les Pàndouides et Drona, pour foudres les cime-
terres, les massues et les lances de fer. Dans cette ef-
frante soirée, qui résonnait d'un fracas immense, qui fai-
sait naître la terreur des gens timides et accroissait la joie
des héros, tandis que s'agitait ce combat de nuit, très-
formidable, plein d'épouvante, les Pàndouides et lesSrin-
djayas réunis fondirent avec colère sur Drona; mais à
tous les magnanimes, sire, il fit tourner le dos, quels
qu'ils fussent, et les plongea dans la ville d'Yama. Les
milliers d'éléphants et les myriades de chars, [De lastance
6,670 à la stance 6,681. )
Les millions et les centaines de millions des fantassins
et des cavaliers furent, par compagnies, percés dans cette
soirée des nârâtchas, que décochait la main seule de Drona.
« Quand cette armée intraitable, irritée, insoutenable,
mais à la force non sans mesure, des Srindjayas eut été
enfoncée, s'enquit Dhritarâsthra, quels furent alors vos
sentiments? 6,681— 6,682.
136 LEMAHA-BHARATA.
» Qu'est-ce qui fut accompli par le Prithide à l'âme in-
commensurable, cet immolaient' de l'héroïque Sin >hien
et de Bhoûriçravas, quand il fut entré dans l'armée,
après qu'il eut adressé un tel langage à mon fils Douryo-
dhana, le transgresseur des préceptes de morale? Tu dis
que le brahme invaincu à la grande splendeur s'est
_approché des Pândouides? 6,683 — 6,684.
» Après que cet inaffrontable fléau des ennemis fut entré
au milieu d'eux, quel ie. chose Douryoclhana pensa-t-il à
propos de faire ? 6,685.
» Qui suivirent les pas de ce héros, donateur de grâces,
le plus excellent des brahmes ? Quels braves, cocher,
ont protégé les derrières de ce vaillant guerrier dans sa
bataille ? 6,686.
» Qui ont combattu devant lui, tandis qu'il détruisait
les ennemis dans le combat ? Tous les Pândouides, à mon
avis, furent la proie des flèches du Bharaclwâdjide !
» Ils ont dû trembler, seigneur, comme des bœufs mai-
gres en hiver. Comment ce héros, le tigre des hommes,
qui broie les ennemis entre ses mâchoires, est-il des-
cendu au tombeau dans l'armée des Pântchâlains, où il
s'était introduit ? 6,6S7 -6,688—6,689.
» Dans cette nuit, où toutes les armées étaient rassem-
blées, où les grands héros en vinrent aux mains, où le
trouble agitait chaque troupe (1) en particulier, qui furent
alors parmi vous les esprits intelligents ? 6,690.
» Tu dis que les maîtres de chars d'entre les miens
étaient dans ces combats, ou mourants, ou couchés morts,
1) Vrithufjbétdsku, texte de Bombay.
DRONA-PARVA. 187
ou suspendus entre la mort et la vie, ou réduits même
sans chars. 6,691.
h Dans quels sentiments furent alors ces hommes agi-
tés, l'esprit frappé par les Pândouides et plongés en des
ténèbres obscures ? 6,692.
» Les Pândouides sont remplis d'ardeur, me dis-tu ;
ils sont hautains même ; et les miens n'ont plus de res-
sort, ils ont perdu le cœur, ils tremblent d'effroi ! 6,693.
» Comment la valeur de ces Prithides, qui ne fuient
jamais, Sandjaya, s'est-elle déployée cette nuit contre les
Kourouides ! » 6,69/i.
Tandis que se déroulait ce combat de nuit très-épou-
vantable, répondit Sandjaya, tous les Prithides avec les
Somakas de courir sur Drona. 6,695.
Alors celui-ci, de ses flèches au vol rapide, plongea
dans l'autre monde les Kaîkayains et tous les fils de
Dhrishtadyoumna. 6,696.
Ce grand héros envoya au monde des Mânes, sire, tous
les princes, qui venaient s'offrir devant lui. 6,697.
-L'auguste roi Çivi s'avança alors avec colère vers le
vaillant fils de Bharadwâdja, qui immolait en grand héros
les ennemis. 6,698.
Quand il vit accourir cet éminent brave des Pândouides,
Drona de le frapper avec dix flèches, toutes de fer
massif. 6,699.
Çivi le blessa en retour de trente dards, et abattit en
riant son cocher d'un bhalla. 6,700.
Après qu'il eut tué les chevaux et le cocher de ce ma-
gnanime, Drona ravit à son corps la tète, coiffée elle-
même avec le casque. 6,701.
138 LE MAHA-BHARATA.
Douryodhana (11 promptement donna ses ordres à un
autre cocher ; et, celui-ci modérant ses chevaux, il fondit
une seconde fois sur les ennemis. 6,702.
Irrité par la mort de son père, tombé précédemment
sous les coups de Blwna, le fils du roi de Kalinga s'élança,
avec une armée de Kalingains, sur Vrikaudara. 6,703.
Il blessa d'abord Bhîmaséna de cinq flèches, ensuite
de sept ; il décocha trois dards sur Yiçoka, un seul à son
drapeau. 6, 70 A.
Courroucé contre le roi des Kalingains en courroux,
Vrikaudara sauta de son char sur le char de son ennemi,
et le frappa de sa main fermée. 6,705.
Frappé du poing par ce vigoureux Pândouide, tous ses
os tombèrent soudain sur le champ de bataille, les uns
ici, les autres là. 6,706.
Karna et ses frères ne purent, fléau des ennemis, sup-
porter son infortune ; aussi percèrent-ils Bhîmaséna de
nârâtchas, semblables à des serpents. 6,707.
De-là, abandonnant le char de l'ennemi, Bhîma de
passer dans le char de Certain (2), qu'il broya de son
poing, et la mort éternelle du guerrier fut certaine (3).
11 tomba sous le coup du vigoureux fils de Pândou.
Après cette victoire, puissant roi, Bhîmaséna à la grande
force, arrivé au chariot de Djayafâta, rugit trois et quatre
fois comme un lion, et, tout en jetant ces cris, il renversa
(1) Évidemment, cette stance interpolée n'est point ici à sa place, dans
l'une et l'autre édition ; car l'action précédente s'est accomplie avec Çivi,
qui vient de périr décapité, non avec Douryodhana, qui d'ailleurs compte
Drona pour un de ses combattants.
(2-3) Dhrouvan. .Mais nous avons traduit le nom, contre notre usage,
afin de pouvoir rendre ici le jeu de mots.
DRONA-PARVA. 139
la maître de sa main gauche. 6,708 — 6,709— (5,710.
Placé devant Karna lui-même, il immola Djayarâta
d'un coup de sa paume, mais Karna de lancer au Pàn-
douide une lance toute faite d'or. 6,711.
Le fils de Pàndou arrêta cette arme en riant ; et l'iriaf-
frontable Vrikaudara la renvoya elle-même à Karna sur
le champ de bataille. 6,712.
Çakouni la trancha dans son vol avec un trait imbu de
sésame. Quand- il eut accompli cette grande prouesse, le
guerrier au courage admirable remonta dans son char et
fondit sur ton armée. Ton fils aux longs bras , souverain
des hommes, arrêta Bhîmaséna, qui s'approchait, telle
que la mort irritée, avec le désir de tuer. Les grands
héros de l'ensevelir sous une forte averse de flèches.
6,713—6,71/1—6,715.
Ensuite Bhîma, en riant, conduisit dans ce combat le
cocher et les chevaux de Dourmada au séjour d'Yama.
Sur le champ, Dourmada de monter sur le chariot de
Dourkarna ; et ces deux frères, destructeurs des ennemis,
montés sur un seul et même char, de courir sur Bhîma
au milieu du front de la bataille, comme jadis les deux
souverains des eaux fondirent sur Tàraka, le plus excel-
lent des Daîtyas. 6,716 — 6,717 — 6,718.
Alors Dourmada et Dourkarna, tes fils, sur la voiture,
où ils étaient montés l'un et l'autre, blessèrent Bhîmaséna
de leurs flèches. 6,719.
Mais, en dépit de Karna, d'Açwatthâman, de Douryo-
dhana, de Kripa, de Somadattà et de Yâhlika, le Pàn-
douide, dompteur des ennemis, fit entrer dans la terre
d'un coup du son pied le char de Dourkarna et de l'hé-
roïque Dourmada. 6,720.
l/,0 LE MAHA-BHARATA.
Puis, bouillant de colère, il broya sous un coup de
son poing ces deux vigoureux héros, tes fils, et jeta un
cri. 6,721.
Quand ils virent Bhîma dans l'année gémissante :
« C'est Roudra lui-même sous la forme de Bhîma ! di-
rent les rois ; il a faim des fils de Dhritarâshtra ! » 6,722.
A ces mots, tous les princes de s'enfuir, Bharathide.
Ils gouvernaient leurs chevaux en hommes privés de sens,
et deux ne couraient pas ensemble. 6,723.
Le soir, au milieu de cette armée profondément agitée,
Vrikaudara à la grande force, aux yeux de lotus sortis du
sommeil, fut honoré par les plus excellents des rois, et le
vigoureux honora lui-même le monarque Youdhlshthira.
Ensuite les deux jumeaux, Droupada, Virâta, les Kaî-
kéyains et Youdhishthira furent comblés d'une grande
joie ; ils répandirent les plus grands honneurs sur Vri-
kaudara, comme jadis les Immortels avaient honoré Çiva,
de qui le bras venait d'immoler Andhaka. 6,72 h — 6,725.
Semblables aux fils de Varouna et pleins de ressentiment,
tes fils, accompagnés du magnanime Gourou, environnè-
rent, brûlants de continuer cette bataille, Bhîmaséna avec
les rangs épais de leurs fantassins, éléphants et chariots
de guerre. 6,726.
Dans cette soirée d'une extrême épouvante et qui sem-
blait couverte de nuages ténébreux, se déroula entre ces
magnanimes, ô le meilleur des rois, un combat suprême,
terrible, inspirant le plus profond effroi et cause de joie
pour les vautours, les loups et les hérons. 6,728.
Après que Sàtyaki eut immolé ton fils, qui s'était assis
dans le jeûne, Somadatta, plein de colère, lui adressa ces
paroles : 6,7:: 9.
DRONA-PARVA. 141
« Toi, que les Dieux magnanimes ont vu jadis observer
le devoir du kshatrya, comment, Sâttwatkle, déserteur
de ce devoir, te complais-tu dans celui du voleur ?
» Comment un guerrier sage, qui trouve son plaisir
dans les devoirs du kshatrya, aurait-il exercé une vio-
lence (1), Sâtyaki (2), sur un homme malheureux, qui
avait détourné sa face du combat et qui avait même
déposé ses armes ? 6,730—6,731.
>• Certes ! vous êtes ici deux grands héros, le premier
des Vrishnides dans le combat, Pradyoumna à la grande
splendeur et toi, Scàtyaki. 6,732.
» Comment as -tu pu commettre une telle barbarie, un
si énorme péché contre un guerrier assis dans le jeûne, à
qui le Prithide avait même coupé le bras (3) ? 6,733.
» Goûte, homme abject, le fruit de cette action! Au-
jourd'hui, marchant avec audace, insensé, je vais d'une
flèche trancher ta tête dans le combat. 6,734.
» Je le jure par mes deux fils, Sâttwatide, par mes sa-
crifices et par mes bonnes œuvres! Si, avant que la nuit
soit écoulée, je ne t'ai pas tué, avec ton fils et ton frère
mineur, toi, qui as le vain orgueil d'un héros et que
ne défend pas Djishnou le Prithide, puisse- je tomber,
opprobre des Vrishnides, dans l'épouvantable Naraka! »
6,735—6,736.
A ces mots, Sodamatta à la grande force remplit de
vent sa conque avec colère, et poussa d'une voix écla-
tante son cri de guerre. 6,737.
Le robuste Sâtyaki aux longues dents de lion, aux
(1-2) Praharait,.... Sâtyakai, texte de Bombay.
(3) Tchinnabùhavai, même texte.
1A2 LE MAHA-BHARATA.
yeux pareils aux pétales du lotus, bouillant de colère,
répondit eu ces termes à Somadatla : 6,738.
« Kourouicle , il n'existe pas en mon cœur la plus
minime appréhension, quand je combats, soit avec toi,
soit avec d'autres. 6,739.
» Si, défendu par une armée complète, tu voulais me
combattre, fils de Kourou, je ne sentirais pas môme dans
cette condition la moindre alarme. 6,740.
» Observant la conduite du kshatrya, tu ne peux me
faire trembler par ta parole sans vigueur dans la guerre,
estimée seulement des hommes sans cœur. 6,741.
» Si tu as le désir de combattre maintenant avec moi,
souverain des mortels, envoie sur moi sans pitié tes flè-
ches acérées, et je t'enverrai les miennes. 6,742.
» J'ai fait mordre la poussière à Bhoûriçravas , le
grand héros, ton fils, vaillant sire, et j'ai traîné les cada-
vres de Cala même et de Vrishaséna. 6,743.
» Je t'immolerai toi-même à cette heure avec ton fils,
avec tes parents : tiens ferme maintenant dans le combat;
tu peux, Kourouicle, déployer de vigoureux efforts.
» L'aumône, la placidité, la patience, la pureté, la pu-
deur, l'innocuité, la constance, toutes ces qualités, on les
trouve toujours vivantes dans le roi Youdhishthira.
6,7ZiZi — 6,7A5.
» Tu fus frappé jadis par l'énergie de ce prince, qui
a pour son enseigne un tambour. Tu iras ta la mort dans
le combat avec Rarna, avec le Soubalide! 6,7Zi6.
» Je le jure par les pieds de Krishna, mes sacrifices et
mes actes méritoires! Si, enflammé de colère, je ne t'a-
bats point sous mes flèches dans la bataille avec ton
fils,... 6,747.
DRONA-PARVA. lh'à
» A moins que, désertant le combat, tu ne t'éloignes
du champ de bataille : c'est ainsi que tu m'échapperas. »
Quand il eut parlé de cette manière, ces deux guerriers
éminents, les yeux étincelantule courroux, commencèrent
à faire tomber les flèches l'un sur l'autre. Mais Douryo-
dhana se tint de pied ferme, lorsqu'il eut environné So-
madatta d'un millier de chars et d'une myriade de che-
vaux et d'éléphants. Çakouni, bouillant de colère., ayant
pour escorte toutes les espèces d'armes,
6,7/iS— 6,749— 6,750.
Ton beau-frère, grand roi, jeune, avec un corps de
diamant, entouré de ses fils, de ses petit-fils et de ses
frères, tous vaillants comme Indra; 6,751.
Flanqua de tous côtés l'héroïque Somadatta. Cent mil-
liers de chevaux formaient le front de ce prudent guer-
rier. 6,752.
Protégé de ces vigoureux combattants, Somadatta ense-
velit Sâtyaki sous des flèches aux nœuds inclinés. Aussitôt
qu'il le vit couvert de ces traits, 6,753.
Dhrishtadyoumna de s'approcher avec colère à la tête
d'une grande armée. Le bruit de ces flots d'armées, sire,
qui se meurtrissaient l'une l'autre, ressemblait au son
des mers soulevées par les vents en furie. Somadatta de
blesser le Sâttwatide avec neuf flèches; 6,754 — 6,755.
Et Sâtyaki de percer l'é minent Kourouide avec neuf
autres. Profondément atteint dans le combat par ce vi-
goureux et solide archer, 6,756.
Il se laissa tomber sur le banc du char et s'évanouit,
l'âme presque exhalée. Dès que son cocher l'eut vu privé
de sentiment, il retira, déployant sa vitesse, l'héroïque
Somadatta du champ de bataille. Quand il le vit sans
U& LEMAHA-BHARATA.
connaissance, en proie aux flèches d'Youyoudhâna,
6,757—6,758.
Drona courut, entraîné par le désir de tuer le héros des
Yadouides. A peine V eurent-ils vu accourir, les guerriers
sous les ordres d'Youdhishthira, 6,759.
Désirant sauver le fils d'Yadou, environnèrent ce ma-
gnanime. Alors commença le combat de Drona avec les
Pândouides, 6,760.
Comme jadis celui de Bali avec les Dieux par le désir
de vaincre les trois mondes. Ensuite, couvrant l'armée des
Pândouides avec un rézeau de flèches, 6,761.
Le Bharadwâdjide à la grande splendeur blessa You-
dhishthira, Sâtyaki (1) avec dix traits, et le Prishatide
avec une vingtaine de projectiles. 6,762.
Il perça Bhîmaséna de neuf, Nakoula de cinq,
Sahadéva de huit et Çikhandî de cent dards.
Le guerrier aux longs bras de frapper les Draâupa-
déyains de cinq flèches individuellement , Virâta le
Matsya de huit et Droupada avec dix traits,
6,763— 6,76â.
Youdhâmanyou de trois, Outtamaâudjas de six ; et,
quand il eut blessé d'autres guerriers dans le combat, il
courut sur Youdhishthira. 6,765.
Frappés à mort par Drona, les combattants du fds de
Pândou s'enfuirent de peur, sire, poussant des cris de dé-
tresse, par les dix points de l'espace. 6,766.
Quand Phâlgouna vit cette armée, que Drona massa-
crait impitoyablement, il ressentit un peu de colère et
s'avança rapidement vers son instituteur spirituel. 6,767.
(i) Sâtyakin, texte de Bombay.
DRONA-PAUVA. 145
Dès qu'il ent vu Bibhatsou accourir c'ans le combat,
Drona de nouveau s'avança vers l'armée d'Youdhish-
thira. 6,768.
Alors recommença la bataille du fils de Bbaradwâdja
avec les Pândouidés. Environné, sire, de tous côtés
par tes fils, le bralime dissipa les armées de Pândou avec
la même rapidité que le feu dévore un monceau de coton.
On voyait, majesté, la splendeur sans terme, sans
mesure, des flèches de Drona, qui avaient un éclat pareil
au feu enflammé ou semblable au soleil flamboyant ; on
voyait son arc mis en cercle, comme l'astre brûlant du
ciel. 6,769—6,770—6,771.
Qui que ce soit dans l'armée ne put l'arrêter, tandis
qu'il incendiait les ennemis. Tout guerrier, qui se tenait,
présentant le front à Drona, 6,772.
La flèche du brahme soudain tranchait sa tête, et se
plongeait dans la terre. Ainsi l'armée des Pândouides,
taillée en pièce par le magnanime, s'enfuyait de nouveau,
tremblante sous les regards de l'Ambidextre. A peine eut-
il vu son armée, Bharatide, que Drona avait rompue au
commencement delà, nuit, 6,773 — 6,774.
Djishnou parla en ces termes à Govinda : « Pousse tes
chevaux contre le char de Drona ! » A ces mots, le Dâçâ-
rhain de lancer contre le char du brahme-guerrier ses
coursiers d'une blancheur telle que la lune, le jasmin
multillore, le lait et l'argent. A la vue de Phàlgouna, qui
s'élançait vers le brahme, Bhîmaséna lui-même
6,775—6,776.
Dit ces mots à son cocher : « Conduis-moi à l'armée de
Drona ! » Viçoka, dès qu'il eut entendu ces paroles, ai-
guillonna ses chevaux sur les pas de Djishnou, qui avait
10 IX
J/16 LE MAHA-BHARATA.
donné sa foi à la vérité. A peine eurent-ils vu, ô le plus
grand des Bharatides, ces deux frères, déployant leurs
efforts, se précipiter vers l'armée de Drona,
6,777-6,778.
Les Srindjayas, les Pântchâlains, les Matsyas, les
Tchédiens, les Kâroûshas, les Roçalains et les grands
héros Kaîkéyains suivirent cet élan. 6,779.
Alors fut livrée, sire, une bataille effrayante, qui fit se
dresser les cheveux d'épouvante. Bîbhatsou au côté du
midi, Vrikaudara à celui du nord, 6,780.
Saisirent ton armée entre deux grandes masses de
chars. A la vue de ces deux tigres des hommes, Dhanan-
djaya et Bhîmaséna, 6,781.
Dhrishtadyoumna et Sâtyaki à la vaste force de s'appro-
cher également, sire. Le bruit de ces flots d'armées, se
meurtrissant l'une l'autre, ressemblait alors, majesté, au
son des mers soulevées par les vents en furie (1). Irrité
de la mort du Somadattide, Açwatthâman, à l'aspect de
de Sâtyaki dans le combat, s'élança contre lui avec colère
au front du champ de bataille; Le Bhîmasénide à la
grande force, le puissant Rakshasa se porta dans ce con-
flit à la rencontre du héros, qui courait sur le chariot de
Çaînéya.
11 était monté sur un grand char, horriblement épouvan-
table, construit en fer noir, couvert (2) de la dépouille des
ours, et qui mesurait trente nalvas de l'un à l'autre bout.
Des armures et des machines de guerre s y trouvaient
(1) Deux vers déjà vus, stances 6,754 et 6,753.
(2) ParitMiada, texte de Bombay, qui fait disparaître le mot inutile et
surabondant mahat du texte de Calcutta.
DRONA-PARVA. 147
disséminées çà et là; il résonnait comme une masse de
grands nuages. (De la slance 6,782 à la slance (5,787.)
Il avait pour attelage des coursiers, qui ressemblaient
à des éléphants et qui n'étaient ni des chevaux ni des élé-
phants, mais des Piçâtchas (1) ; ses roues bruyantes
étaient couvertes de pieds et d'ailes parsemées. 6,787.
Une hampe élevée portait son drapeau, anGaroada, le
roi des vautours, en argent : son étendard, humide de
sang, était hideusement paré de bouquets d'entrailles.
Il était monté dans ce char immense, qui roulait sur
huit roues : il était environné d'une armée complète de
Rakshasas aux formes épouvantables, qui tenaient à la
main des maillets d'armes et des lances de fer, des arbres
et des montagnes. Les monarques furent troublés, quand
ils le virent élever son grand arc,
6,788—6,789—6,790.
De même que la mort son bâton au poing, à l'heure de
la destruction, au temps final d'un youga. A peine eut-elle
vu ce Ghatotkatcha aux formes terribles, inspirant la ter-
reur, semblable à la cime d'une montagne, sa bouche aux
dents horribles et longues, ses oreilles en fer de pieux,
ses énormes mâchoires, ses cheveux hérissés, ses yeux di-
vergeants, sa bouche embrasée, son ventre profond (2),
le bas de son cou, qui s'ouvrait comme une caverne,
sa chevelure, que recouvrait un diadème; à peine eut-
elle vu ce puissant Rakshasa , cause d'effroi pour
tous les êtres, s'avancer, pareil à un monceau de flammes,
tel que la mort, sa gueule ouverte, et, levant son grand
arc, jeter l'agitation au milieu des ennemis ;
(1) Explication du commentaire.
(2) Nimmta, édition de Bombay.
1ZI8 LE MAHA-BHARATA.
En proie à la terreur, l'armée de ton fils en fut troublée,
comme le Gange, quand le vent creuse ses tourbillons et
soulèveses ondes. 6,791— 6,792— 6, 793-6, 794 - 6,795.
Effrayés par le cri de guerre, que poussa le Démon
Ghatotkatcha, les éléphants de lâcher sous eux l'urine et
les souverains de tomber dans la plus grande agitation.
Les Rakshasas aux forces invincibles tirent pleuvoir de
tous côtés sur la terre, au temps du crépuscule, une
averse démesurée de rochers et de pierres.
6,796—6,797.
Les disques de fer, les bhouçoundis, les maillets d'ar-
mes, les piques de fer, les tridents, les çataghnis et les
pattiças de tomber sans arrêt. 6,798.
A la vue de ce combat terrible et plus qu'épouvantable,
les monarques delà terre, et tes fils, etRarna de s'enfuir,
troublés par la peur. 6799.
Mais là, seul, le fier Açwatthâman, qui s'enorgueillit
de sa forces et de ses astras, n'en fut aucunement troublé :
il arrêta alors cette magie, créée par Ghatotkatcha.
Furieux de voir ses prestiges détruits, celui-ci de lancer
des flèches redoutables, qui se plongèrent dans Açwat-
thâman, 6,800—6801.
Comme des serpents, qui entrent avec colère et d'une
course rapide dans une fourmillière. Ces traits, quand ils
eurent percé le fils de laÇâradvatî, se plongèrent aussitôt,
les membres imbus de sang, au sein de la terre, tels que
des reptiles dans un monticule de fourmis. Irrité, l'au-
guste Açwatthâman à la main légère, 6,802 — 6,803.
Enflammé de ressentiment, fendit avec dix flèches le
corps de Ghatotkatcha. Grièvement blessé dans ses mem-
bres parle fils de Drona, celui-ci, 6,804.
Profondément troublé, saisit un disque de guerre à
drona-parva: 149
cent mille angles ou dents, an tranchant de rasoir, orné
de diamants et de perles, et semblable au soleil enfant.
Et le Bhiinasénide, impatient de le tuer, envoya cette
arme contre Açwattbâman. Volant avec une grande vi-
tesse, le disque de guerre, abattu par les flèches du
I)ronide: tomba sans porter coup sur le sol, comme la vo-
lonté d'un homme sans caractère. Dès qu'il vit son tcha-
kra tombé rapidement, Ghatotkatcha
6,805—6,806—6,807.
D'ensevelir Açwatthâman sous ses dards, de même que
Swarbhânou couvre l'auteur du jour. Le fortuné fils de
Ghatotkatcha, semblable à une masse de collyre brisé,
Arrêta le Dronide, qui s'avançait, tel que le roi des
montagnes oppose au vent son obstacle. Açwatthâman
irrité, égal en courage à Indra, à Oupéndra, à Çivamême,
brillait sous les coups d'Andjanaparvan, l'héroïque petit -
fils de Bhîmaséna, comme le mont Mérou battu par les
gouttes dé pluie, que répand un nuage.
6,808—6,809—6,810.
Andjanaparvan de trancher son drapeau avec un bhalla,
l'un etl'autrede ses cochers avecdeux, la partie essentielle
de son char avec trois. 6,811.
D'une flèche, il coupa son arc, et, de quatre, il frappa ses
quatre chevaux. D'un trait bien acéré» il fit de son cime-
terre deux morceaux ; et le glaive, resplendissant de
larmes d'or, tomba delamain du guerrier, réduit sanschar.
Le rejeton de Hidimbâ saisit précipitamment, sire, une
massue aux bracelets d'or, la darda, en tournoyant ; et
l'arme, ayant frappé le Dronide, retomba avec ses flèches.
Ensuite, il s'éleva dans les airs, en poussant des cris,
comme le nuage de la mort. 6,812—6,813 — 6,81 'j.
150 LEMAH/V-BHARATA.
Andjanaparvan fit tomber' de la voûte des deux une
pluie d'arbres. Mais Açwatthâman perça de ses dards au
milieu du ciel le fils de Ghatotkatcha, l'auteur de cette
magie, de même que le soleil perce un nuage de ses
rayons. Le favori de la fortune, Andjanaparvata redes-
cendit alors du ciel et se replaça sur son char, ornementé
d'or, comme une suprême infortune tombée sur la terre.
Le Dronide blessa le petit-fils de Bhîmaséna à la cuirasse
faite de fer; tel Mahéçvara jadis sut percer Andhaka.
Quand il vit son vigoureux fils accablé par Açwatthâman,
6,815 -6,816—6,817—6,818.
Ghatotkatcha se présenta avec colère, ses bracelets
flamboyants, devant le Dronide et dit avec calme au héros,
fils de la Çâradvatî, qui consumait l'armée des Pàn-
douides, comme le feu allumé incendie une forêt :
6,819—6,820.
a Halte-là ! arrête ! Fils de Drona, tu ne t'en iras pas
vivant de mes mains ! Je vaist'immoler à l'instant, comme
le fils du Feu tua jadis Kraâuntcha ! » 6,821.
« Va-t-en, mon fils; combats avec d'autres, ô toi, qui
as le courage d'un Immortel, reprit Açwatthâman ; il ne
sied point au père d'écarter son fils du combat. 6,822.
» Il n'existe pas en moi, vraiment , la moindre colère à
ton égard, fils d'Hidimbâ; mais, tourmenté par la colère,
un homme s'arracherait la vie à soi-même. » 6,823.
A ces mots, les yeux enflammés de colère, le Bhîmasé-
nide, pénétré de chagrin à cause de son fils, répondit, plein
de ressentiment, ces paroles au vaillant Açwatthâman :
r En quoi suis-je un homme timide et comme du vul-
gaire dans la bataille, fils de Drona, pour que tu veuilles
m' effrayer par des paroles : ce langage ne te convient pas.
DRONA-PARVA. 151
» Certes! je suis né de Bhîmaséna, dans la grande
famille des Kourouides ; je suis le fils, des Pândouides,
qui ne savent pas tourner le dos dans les batailles.
6,824—6,825— 6,826.
» Je suis le souverain monarque des Rakshasas ; je
suis égal en vigueur à Daçagrîva. Arrête ! arrête ! Fils de
Drona, tu ne sortiras pas vivant de mes mains! 6,827.
» Aujourd'hui, j'accomplirai pour toi sur le champ de
bataille les cérémonies funèbres du combat. » Il dit, et,
les yeux enflammés de courroux, le Rakshasa à la vigueur
immense 6,828.
Courut avec colère sur le fils de Drona, comme un fier
lion sur un Indra des éléphants. Ghatotkatcha fit pleuvoir
sur Açwatthàman, le plus excellent des maîtres de chars,
une grêle de flèches aussi grandes que les roues d'un
char; tel un nuage répand ses gouttes d'eau. Mais le
Dronide avec ses traits dissipa cette pluie de flèches
avant qu'elle ne fût arrivée à son but.
6,829—6,830.
Alors, il y eut, en quelque sorte, une autre bataille de
flèches au milieu des airs, qui reluisaient d'étincelles pro-
duites par les multitudes de traits. 6,831.
Le ciel brillait dans cette soirée, comme peint, de soleils
Quand il vit sa magie détruite par le Dronide, qui avait
l'orgueil des combats, 6,832.
Ghatotkatcha produisit un nouveau prestige ; il dispa-
rut soudain ; il s'était changé en une très-haute montagne,
dont les arbres touffus rétrécissaient l'intervalle entre les
sommets. 6,833.
Tout fut inondé par une grande averse d'eau, de mas-
sues, d'épées, de traits- barbelés et de tridents. Lorsque
152 LE MAHA-BHARATA.
le fils de Drona vit la montagne, semblable à une masse
de collyre, 6,83ft.
Ces nombreux amas d'armes, qui tombaient, ne lui
causèrent aucune émotion. Le Dronideen souriantalorsde
susciter l'astra de la foudre. 0,835.
Sous les coups de cet enchantement, la sublime mon-
tagne périt bientôt. Ensuite un sombre nuage, marqué de
l'arc d'Indra, s'épaissit dans le ciel. 6,836.
Et le terrible Démon ensevelit dans ce combat le Dro-
nide sous des pluies de pierres. Le plus excellent des
hommes, qui ont la science des astras, sur le champ d'en-
cocher l'astra du vent. 6,837.
Le fils de Drona dissipa le sombre nuage, qui s'était
élevé ; et couvrit de tous côtés les plages du ciel par ses
multitudes de flèches.
Ce plus grand des hommes immola cent milliers
de héros. Il vit Ghatotkatcha, tenant un arc immense,
revenir tranquillement sur son char, environné de nom-
breux Rakshasas, qui ressemblaient aux tigres et aux
lions, qui avaient le courage des éléphants, ivres de rut.
Assis surdesproboscidiens, montés sur des chars, portés
sur l'échiné des coursiers, mêlés aux suivants de Hi-
dimba (1), avec des cous, des têtes, des bouches difformes,
6,838— 6, 839-6, S/iO— 6,8M.
Escortés des Yatoudhânas de Poulasti au teint noir (2),
à la valeur d'Indra, héros, armés de projectiles variés,
ornés de diverses cuirasses, 6,842.
Rakshasas irrités, ivres de la furie des batailles, qui
s'étaient approchés dans le combat, inspirant un vaste
(1) Hidimbânutcharaîs, texte de Bombay.
(2) Tâmasais, édition de Bombay.
DPiONA-PARVA. 153
effroi et faisant tournoyer leurs yeux de colère. 6,8/13.
A la vue de ton fils, agité par le trouble : « Tiens ferme,
Douryodhana ! lui dit Açwatthâmao ; tu ne dois pas con-
cevoir de crainte ici. 6,844.
» Avec tes héroïques frères et ces princes, qui ont la va-
leur d'Indra, je tuerai tes ennemis; la défaite n'est point
ici pour toi ! 6,845.
» C'est une vérité, que je te promets : fais reprendre
courage à l'armée. » 6,8/16.
« Ce qui n'est pas surprenant pour toi, lui répondit
Douryodhana, cela même est grand à mes yeux. Nous
avons pour toi, fils du Gotamide,laplus profonde estime. »
Quand il eut ainsi parlé à Açwatthâman, il dit ces mots
au Soubalide, environné décent mille héros, qui brillaient
de la beauté des batailles: 6,847— 6,848.
« Avance-toi vers Dhanandjaya avec soixante milliers
de héros. Karna, Vrishaséna, Kripa et Nila même, 6,849.
» Les méridionaux, Kritavarman et Pouroumitra (1),
grande cause de destruction, Douççâsana, Nikoumbha^,
Koundabhédi, Parakrama, 6,850.
» Pourandjaya, Dbritharatha, Patâki, Hémakampana (2) ,
Çalya, Arouni et Indraséna, Sandjaya, Vidjaya et Djaya,
» Kamalâksha, Parakràthi, Djayadharman et Souda-
kshina : ces guerriers et six myriades d'hommes de pied
suivront tes pas. 6,851 — 6,852.
» Immole Bhîmaséna, les jumeaux et Dharmarâdja,
comme jadis les Asouras tombèrent sous les coups du
roi des Dieux. En toi, mon onc!e, repose mon espérance de
la victoire. 6,853.
(1) Pouroumitras soutà panas, texte de Bombay.
(2) Même texte.
154 LE MAHA-BHARATA.
» De même que le fils du Feu extermina les Asouras,
ainsi fais mordre la poussière, mon oncle, à ces enfants
de Rounti, qui sont déchirés déjà et dont les flèches du
fils de Drona ont couvert largement les corps de bles-
sures. » 6,85/j.
A ces mots de ton fils aine, le Soubalide s'avança à
à grands pas, inspirant la joie à tes enfants, sire, et
désirant incendier les Pândouides. 6,855.
Ensuite commença dans la nuit, sur ce champ de ba-
taille, le combat très-tumultueux du Dronide et des
Rakshasas, comme celui de Prahlâda et du Dieu Çakra.
Alors Ghatotkatcha irrité de frapper en pleine poitrine
le fils du Gotamide avec dix flèches solides, semblables
au feu du poison. 6,85*5 — 6,857.
Atteint profondément de ces traits, lancés par le fils de
Bhimaséna, il chancela sur le banc de son chariot , comme
un arbre déraciné par le vent. 6,858.
Ghatotkatcha soudain trancha d'une flèche et, redou-
blant son coup, d'un andjalika l'arc à la grande splen-
deur, placé dans les mains du Dronide. 6,859.
Celui-ci prit un nouvel arc solide, capable de supporter
un lardeau et fit pleuvoir des flèches acérées, comme un
nuage répand ses gouttes d'eau. 6,860.
Le fils de la Çàradvatî envoya, Bharatide, à l'homme-
volatile (1) des flèches volantes (2) , empennées d'or et des-
tructives des ennemis. 6,861.
(1-2 Khatcharân khatcharam prati, un nouveau jeu de mots! Cet
exemple démontre encore que le mot khatchara, qu'on ne trouve en ce
eens nulle part, même dans Bhollingk et Roth, veut dire métaphorique-
ment une flèche, in aère iens.
DRONA-PARVA. 155
Les hordes de ces Rakshasas à la poitrine tannée bril-
laient, accablés par ses traits, comme un troupeau rem-
pli d'éléphants en rut par les dents et les griffes des
lions. 6,862.
Il dispersa sous la verge de ses dards les Rakshasas
avec leurs chevaux, cochers, éléphants et chars, de même
que le vénérable feu brûle toutes les créatures à la lin
d'un youga. 6,8(33.
Quand il eut consumé de ses flèches l'armée complète
des Nirritas, il fut environné du plus haut lustre, comme
jadis le Dieu Mahéçvara, après qu'il eut incendié au sein
des deux la ville de Tripoura. 6,864.
Tel qu'à la fin d'un youga, le Feu en personne brûle
tous les êtres, tel ce plus grand des conquérants, le fils
de Drona resplendissait, ayant consumé les ennemis de
Donryod/iann, qui sont missiles tiens. 6,865.
Puis, Ghatotkatcha d'exciter la grande armée des
Rakshasas aux œuvres terrribles, en lui criant : « A moi,
la mort du Dronide ! 6,866.
Sa promesse fut accueillie par tous les Rakshasas, ins-
pirant l'effroi, aux formes terribles, aux dents flambo-
yantes, 6,867.
Aux mâchoires démesurément ouvertes, aux langues
pendantes et longues, aux yeux affreusement enflammés
parla colère , et faisant trembler la terre d'un vaste cri de
guerre. 6,868.
Ils fendirent, portant des armes et des projectiles di-
vers, sur le (ils de Drona, pour lui arracher la vie. Sans
trembler (1) et les yeux rouges de colère, les Rakshasas
(1) Asantrustds, tevte de Bombay.
156 LE MAHA-BHARATA.
au courage épouvantable firent pleuvoir, par centaines et
par milliers, sur la tête d'Açwatthâman les lances de fer,
les çataghnîs, les massues, les foudres, les tridents, les
pattiças, les cimeterres, les pilons, les bhindipâlas, les
moushalas, les haches, les traits barbelés, les épées, les
leviers de fer, les pieux, les kampanas acérés, les lances,
les bhouçoundis, les boulets de pierres, les enclumes
faites de fer noir (1) et les maillets d'armes à la grande
terreur, qui brisent les ennemis dans le combat.
6,869— 6,870— 6, S71— 6,872.
Dès qu'ils virent cette immense pluie d'armes répandue
sur la tête du fils de Drona, tes combattants furent saisis
d'effroi, 6,873.
Mais, sans être ému, le Dronide d'arrêter cette épouvan-
table averse déchaînée avec ses traits, pareils à la foudre ,
aiguisés sur la pierre. 6, 87/i.
Ensuite, avec d'autres flèches, empennées d'or, char-
mée» par des astras divins, il immola rapidement les ma-
gnanimes Rakshasas. 6,875.
Les hordes de ces Démons à la poitrine tannée brillaient,
accablés par ses dards, comme un troupeau rempli d'élé-
phants en rut par les dents et les griffes des lions (2).
Bouillants de colère, ces Rakshasas à la grande force
s'élancèrent avec fureur contre le fils de Drona, impa-
tients de lui anacher la vie. 6,876—6,877.
Açwatthàman fit preuve alors d'un courage admirable,
impossible à montrer par un autre, rejeton de Bharata,
au milieu de tous les êtres. 6,878.
(i) Sthûnônkàrshnâyasànstathâ, édition de Bombay.
(2) C'est la stance déjà vue ci-dessus et numérotée 6,862.
DRONA-PARVA. 157
Car seul, clans un instant, le Dronide, instruit dans les
grands astras, consuma l'armée Rakshasane de ses flèches
enflammées, sous les yeux de l' Indra même des Rak-
shasas ! G, 879.
Consumant l'armée des noctivagues, il resplendissait
dans le combat, comme le feu de la destruction, qui
brûle toutes les créatures à la fin d'un youga. 6,880.
Dans ces milliers de Rakshasas et de Pàndouides, qui
que ce soit, Bharatide, ne put fixer les yeux sur le fils de
Drona, tandis qu'il consumait les armées de ses flèches,
semblables aux serpents, excepté Ghatotkatcha à la
grande force, l'héroïque Indra des Rakshasas.
6,881—6,882.
Mais lui, ses yeux troublés par la fureur, ô le plus ex-
cellent des Bharatides, battant les paumes de ses mains
l'une avec l'autre et mordant ses lèvres, il dit avec colère
à son cocher : « Conduis -moi vers le fils de Drona ! »
Avec son étendard victorieux aux formes terribles, ce
meurtrier des ennemis revint sur ses pas engager un duel
en char avec le fils de Drona ; et ce guerrier à la valeur
formidable poussa un vaste rugissement comme un lion.
6,883-6,88/1—6,885.
Il encocha pour cette bataille une foudre à huit clo-
chettes, à la grande épouvante, ouvrage des Dieux, etl'en-
voya au fils de Drona. 6,886.
Ayant santé à bas de sa voiture, où il abandonnait son
arc, le Dronide rempauma l'arme et la renvoya au Démon
lui-même, qui s'élança hors de son véhicule. 6,887.
Quand cette foudre à la vaste splendeur et grandement
épouvantable eut mis en pièces son char, son drapeau,
son cocher, ses chevaux, et les eut réduits tous en
158 LE MAEA-BHARATA.
cendres, elle se plongea clans le sein de la terre. 6,888.
A la vue de cet exploit d' Açwatthâman, toutes les créa-
tures de lui applaudir, le félicitant d'avoir sauté à bas de
son char et rempaumé cette foudre terrible, créée par Çan*
kara. 6,889.
Le Bhîmasénide se rendit au char de Dhrishtadyoumna,
où il prit un arc effrayant, seigneur, pareil à la grande
arme de Mahéndra; 6,890.
Et il décocha de nouveau des traits acérés au magna-
nime Dronide. Dhrishtadyoumna lui-même, sans émotion,
lança les plus excellentes des flèches, empennées d'or et
semblables à des serpents, dans la poitrine du fils de Drona.
Celui-ci, en échange, darda ses nârâtchas par milliers.
6,891—6,892.
Ces deux guerriers se brisèrent les traits, celui-ci de
celui-là, avec des flèches égales à la flamme du feu. Ainsi
se déroula avec une violence extrême le combat de ces
deux hommes-lions (1), causant, éminent Bharatide, la
joie des combattants et du fils de Drona. Avec un millier
de chars, trois centaines d'éléphants et six mille chevaux,
Bhîma s'avançait alors vers ce lieu, clans le temps que le
vertueux Dronide au courage élevé combattait l'héroïque
Bhîmasénide et Dhrishtadyoumna accompagné de ses
suivants. 11 étalait sa valeur plus que merveilleuse, que
nul autre, Bharatide, n'aurait pu reproduire. Dans le seul
intervalle d'un clin-d'œil, il abattit l'armée complète des
Rakshasas avec les éléphants, les chars, les cochers et les
(1) Joignez, car c'est une mauvaise lecture ou plutôt une faute d'im-
pression, la dernière syllabe de pourousasin avec la première du mot
suivant : hayos.
DRONA-PARVA. 159
chevaux, en dépit de Bhîmaséna et sous les regards de
l'Hidimbide (De la stance (3,893 à la stance 6,898 in-
clusivement).
Des jumeaux, du fils d'Yama et de l'impérissable Vi-
djaya. Profondément blessés de ses nârâtchas au vol im-
pétueux, les éléphants tombaient sur la terre, comme des
montagnes privées de sommets (1). 6,899-6,900-6,901.
La terre brillait, remplie de trompes coupées et palpi-
tantes (2) çà et là, telles que des serpents, qui rampent :
le sol resplendissait d'ombrelles au manche d'or, tranchées
sur le front des rois,
Comme si l'on voyait dans les cieux se lever en même
temps le soleil et la lune, environnés d'étoiles, à la fin
d'un youga. Le fils de Drona fit couler une rivière à la
grande impétuosité, aux ondes de sang, qui avait pour
bruit les cris de détresse des combattants, qui était rem-
pli de vagues sanguinolentes, qui avait des drapeaux
épars en guise de grenouilles, qui était rempli de tambours
au lieu de tortues, semée d'ombrelles pour ses bandes de
cygnes, enguirlandée de chasse-mouches pour son écume,
infestée de vautours et de hérons pour grands crocodiles,
encombrée d'armes diverses à la place de poissons, rem-
plie, pour rochers, d'éléphants étendus, pullulante de
chevaux et de proboscidiens sans vie pour ses makaras,
bordée, pour ses grands rivages, de chars renversés, riche
de brillants étendards pour ses arbres, affreusement épou-
vantable, frétillante de traits au lieu de poissons, four-
(1) Mais l'édition de Bombay dit saçringâ, c'est-à-dire, avec lews
sommets.
(2) Vitchaladbhis, texte de Bombay.
160 LE MAHA-BHARATA.
raillante de sabres, de lances et de dards barbelés pour
amphisbènes, jonchée d'une épaisse vase de chair et de
moelle, ne manquant pas de cadavres à l'imitation des
nacelles, bigarrée de chevelures à l'instar de vallisnéries,
inspirant la crainte aux gens timides, apportant la destruc-
tion des corps aux guerriers, aux chevaux, aux Indrasdes
éléphants, (De la stunce 6,902 à la stance 6,908.)
Au-dessus de l'extrême épouvante par ses bêtes ravis-
santes (1), et telle que la grande mer du royaume (2)
d'Yama. Après qu'il eut abattu les Rakshasas, le Dronide
tourmenta de ses flèches le lils de la Hidimbâ. 6,908.
Ensuite, quand il eut, bouillant de colère, avec les
masses de ses nârâtchas, blessé les grands héros du Pri-
thide, joints à ceux de Vrikaudara et du Prishatide,
L'auguste immola Souratha, fils de Droupada. Après
lui, il tua dans ce combat Çatroudjaya, le frère puîné de
Sourathra, Balâkîka, Djayânîka et Djaya. Puis, rugissant
comme un lion, il fit mordre la poussière, avec une flèche
aiguë à Prishadrou et à l'orgueilleux Tchandraséna. Sous
dix traits, il coucha morts dix fils de Kountîbhodja.
6,909—6,910—6,911—6,912.
Il conduisit, Indra d( s rois, avec trois autres flèches
acérées, bien empennées, Çroutâyousha aux guirlandes
d'or (3) dans le séjour d'Yama. 6,913.
Il fit entrer le vigoureux Çroutâdvaya (h) au monde de
Çakra. Plein de colère, ayant encoche un dard suprême,
terrible, effrayant, au vol droit, semblable au bâton
(1) Çwùpndàtimahùghorân, texte de Bombay.
(2) Hâs/ttra, même édition.
(3) Hémamâlinan, texte de Bombay.
(4) Même édition.
DRONA-PARVA. 161
d'Yama, Açwatthâman, visant Ghalotkatcha, l'envoya au
même lieu, d'un arc tiré jusqu'à l'oreille. 6,914—0,915.
Quand la grande flèche bien empennée, maître de la
terre, eut fendu le cœur de ce Rakshasa, elle entra, d'un
vol rapide (1), dans le sein de la terre. 6,916.
Aussitôt que l'illustre héros Dhrishtadyoumna l'eut vu
tombé mort, il déroba vite, Indra des rois, son char su-
blime à la présence de Drona. 6,917.
Dès qu'il eut contraint ce héros à tourner le dos, l'hé-
roïque fils de Drona, triomphant, sire, des armées d'You-
dhishthira, jeta un cri de victoire ; 6,918.
Et tous les mondes, et tes fils, respectable roi, le com-
blèrent à l'envi d'homeur. 6,919.
Couverte de tous les- côtés par ces Démons immolés,
étendus, le corps déchiré, fendu par des centaines de
flèches, la vie exhalée, l'aspect de la terre était infiniment
terrible ; il était aussi difficile d'y marcher que si elle
était couverte par des cîmcs de montagnes. 6,920.
Les troupes des Piçâtchas, les Nàgas, les Garoudas, les
Mânes, les oiseaux, les bandes de Rakshasas, les chœurs
des Bhoûtas, les Siddhas, les Gandharvas, les Apsaras et
les Dieux, tous applaudissaient au fils de Drona. 6,9*21.
Quand ils virent les fils de Droupada, ceux de Kountî-
bhodja et les Rakshasas, qae le Dronide avait tués par
milliers, 6,922.
Youdhishthira, Bhîinaséna, Dhrishtadyoumna le Prisha-
tide, Youyoudhâna, redoublant d'efforts (1), mirent leur
esprit au combat. 6,923.
(1) Çigran, texte de Bombay.
(2) Texte de Bombay : sunyuttùs.
ix 41
162 LE MAHA-BHARATA.
Le fils irrité de Somadatta, ayant aperçu Sâtyaki dans
ce combat, le couvrit, Bharatide, avec une grande averse
de flèches. 6,924.
Alors se développa une bataille épouvantable, àl'aspect
infiniment merveilleux, entre les tiens et les ennemis, qui
désiraient les uns et les autres la victoire. 6,925.
Bhîmaséna, au nom du Sâttwatide, blessa avec dix
traits le fils de Somadatta ; et celui-ci rendit en échange
une centaine de flèches à l'héroïque guerrier. 6,926.
Le Sâttwatide perça de dix traits aigus, à l'impétuosité
de la foudre, ce vieillard, environné des fils les plus
excellents, lui, qui était doué de qualités supérieures,
comme Yayâti, le fils de Nahousha ; et, déchirant son
corps avec puissance, il le blessa de rechef avec sept pro-
jectiles. 6,927—6,928.
Bhîmaséna, dans l'intérêt de Sâtyaki, déchargea sur
la tête du Somadattide une massue solide, neuve, épou-
vantable. 6,929.
Irrité, Sâtyaki lança dans la poitrine du Somadattide,
en ce combat, une flèche sublime, acérée, bien empennée
et semblable au feu. 6,930.
Ces deux guerriers aux traits, aux massues épouvan-
tables, tombèrent ensemble, chacun avec le héros son ad-
versaire; mais le grand héros Sâtyaki tomba sur le corps
du Somadattide. 6,931.
Quand cette terrible chute eut privé ton fils de senti-
ment, Vâhlîka, dispersant la grêle de ses flèches, comme le
nuage pluvieux de la mort, fondit sur l' ennemi vainqueur.
Bhîma, dans l'intérêt du Sâttwatide, accabla Vâhlîka de
neuf flèches et blessa ce magnanime à la tête du combat.
Irrité, le Pratipéyide aux longs bras de plonger une
DRONA-PARVA. \ 63
lance de fer dans la poitrine de Bhîma, de même que Pou-
randara lance sa foudre. 0,932—6,933 — 6,93/i.
Atteint par elle, Bhîmaséna chancela et s'évanouit. Dès
qu'il fut revenu à lui-même, le vigoureux héros d'envoyer
à l'ennemi sa massue. 6,935.
Dardée par le Pândouide, elle broya la tête de Vâhlîka,
qui tomba mort sur la terre, comme un arbre, que le vent
a déraciné. 6,936.
Quand l'éminent guerrier, l'héroïque Vâhlîka fut cou-
ché mort, Bhîma fut harcelé par ces dix fils de toi, égaux
aux fils de Daçaratha : 6,937.
Nâgadatta, Dritharatha, Mahâbâhou, Ayaboudja, Dri-
tha, Souhasta, Viradjas, Pramâthyou, Ougra, Anou-
yayi (1). 6,938.
A leur vue, Bhîma s'irrita, il prit des fléchi s capables
de supporter un fardeau ; et, visant ces guerriers l'un
après l'autre, il fit choir ces dards en leurs membres.
Blessés, ils tombèrent de leurs chars, sans vie, la vi-
gueur éteinte, comme de grands arbres, que le vent a
brisés, croulent du sommet d'une montagne.
6,939—6,9/40.
Après qu'il eut, avec dix nârâtchas, immolé tes fils,
Bhîma répandit ses traits sur Vrishaséna, le fils chéri de
Karna. 6,941.
Alors l'illustre frère de l'Adhirathide, nommé Vrika-
ratha, de blesser Bhîmaséna ; et celui-ci le frappa, en re-
tour, de ses flèches de feu. 6,942.
Puis, lorsque le vaillant Bhîma eut abattu sept héros
(i) L'édition de Calcutta ne nomme que neuf héros : nous empruntons
cette énumération au texte de Bombay, qui en a dix, comme il devait avoir.
164 LE MAHA-BHARATA.
de tes beaux-frères, fils de Bharata, il broya Çatatchan-
dra sous ses nârâtchas. 6,943.
Les deux héros, frères de Çakouni (1), Gavâksha et
l'auguste Çarabha ne purent supporter qu'il eut tué ce
grand héros. 6,944.
Et, courant, ils frappèrent Bhîmaséna de leurs traits
acérés. Aussi peu bh ssé de ces dards, qu'une montagne
ne l'est d'une pluie orageuse, 6,9/45.
11 terrassa de cinq flèches les cinq monarques à la force
supérieure. Les plus grands des rois s'émurent à la vue
de ces héros immolés. 6,946.
Ensuite, Youdhishthira irrité tailla en pièces ton armée,
malgré les efforts du brahme, né dans une aiguière, et
ceux de tes fils, monarque sans péché. 6,947.
Il envoya dans le combat au monde de la mort, en
troupes, les Ambashthas, les Mâlavas, les héros Trigart-
tains et les Çivis. 6,948.
Après qu'il eut tué les Abhishâhas, les Çourasénas, les
Vâhlikas et les Vâçâtiens, il changea la terre en un bour-
bier de chair et de sang. 6,949.
Il plongea par troupes dans le combat, sire, au monde
d'Yama, les vaillants guerriers Mâlavas et Madrakas sous
ses multitudes de flèches. 6,950.
« Enlevez ceux, qui sont blessés ! Faites-le prison-
nier ! Percez ! Sabrez ! » On n'entendait que ces clameurs
confuses devant le char d'Youdhish.hira. 6,951.
A l'aspect de ce monarque, qui dispersait en fuite les
armées, Drona, excité par ton fils, le couvrit de ses
flèches. 6,952.
(1) Çakounés brârtarauvirâ, texte Je Bombay.
DR0NA-PA11VA. 165
Au comble de la colère, il blessa le Pândouide avec
I'astra du Veut; mais celui-ci de repousser son astradiviu
avec I'astra contraire. 6,953.
Dès qu'il vit son astra paralysé, le Bharadwâdjide, dé-
sirant tuer le fils de Pândou, envoya, dans sa bouillante
fureur, sur Youdhishthira les astrasde Varouna, d'Yama,
d'Agni, de Twâsbtri et du soleil. Le fils aux longs bras
d'Yi ma (1) frappa, sans trembler, de ses astras les astras
lancés et paralysés du guerrier, né dans une aiguière.
Celui-ci, désirant donner une vérité à sa promesse,
6,954—6,955—6,956.
Par la mort de l'Yamide, et trouvant son plaisir dans
le bien de ton fils, manifesta les astras d'Indra et du
Pradjàpati. 6,957.
Le chef des Kourouides aux grands yeux, à la démarche
d'un lion ou d'un éléphant, aux larges regards de sang,
à la force d'un serpent boa, de manifester un autre astra
de Mahéndra et de paralyser, grâce à lui (2), I'astra du
brafune. 6,958.
Voyant ses astras neutralisés, Drona, doué de colère et
voulant obtenir la mort d' Youdhishthira, lui envoya I'astra
brahmique. 6,959.
Par suite de ce prestige, nous ne pûmes rien distinguer,
tout se trouvant enveloppé d'une épouvantable obscurité ;
et tous les êtres de tomber, souverain des hommes, dans
le plus profond effroi. 6,960.
Quand Youdhishthira, le fils de Kounti, eut vu I'astra
brahmique exercer sa puissance , il l'arrêta soudain ,
(1) Dharmadjas, texte de Bombay.
(2) Taina, môme texte.
166 LE MAHA-BHARATA.
Indra des rois, avec un autre de la même espèce.
Les principaux des guerriers exaltèrent alors ces deux
éminents hommes, le héros Drona et le fils de Prithà,
habiles dans tous les combats. 6.961 — 6,962.
Lorsqu'il eût écarté le fils de Kountî, Drona, les yeux
troublés par la colère et répondant à l'astra par un autre,
dispersa l'armée de Droupada. 6,963.
Taillés en pièces par Drona, les Pântchâlains s'en-
fuirent, talonnés par la crainte, aux regards de Bhîma-
séna et du magnanime Prithide. 6,96/i.
Soudain Rirîti et Bhîma, ayant pris une armée, re-
vinrent alors sur leurs pas, accompagnés par deux fortes
multitudes de chars, 6,965.
Bîbhatsou au midi, Vrikaudara au côté du nord, firent
pleuvoir sur le Bharadwâdjide, deux grandes averses de
flèches. 6,966.
Les Kaîkéyains, les Srindjayas, les Pântchâlains à la
grande force, les Matsyas avec les Sâttwatas de suivre
ces princes. 6,967.
En proie aux flèches de Rirîti, l'armée Bharatienne
était vaincue encore par les ténèbreset le sommeil. 6.968.
Arrêtés par Drona lui-même et par son fils, les com-
battants ne pouvaient, grand roi, les arrêter eux-mêmes.
Quand il vit la grande armée des Pândouides, lancée
contre lui, Douryodhana, pensant qu'il était impossible
de la soutenir, parla en ces termes à Karna :
6,969—6,970.
« Voici le moment arrivé, Karna, cher au Soleil, où se
montrent les amis ! Sauve dans le combat tous ces
héroïques guerriers ! 6,971.
» Les Pântchâlains, les Raikéyains, les Matsyas et les
DRONA-PARVA. 167
grands héros Pântlouides nous entourent de tous les côtés,
comme des reptiles sifflants, la colère excitée. 6,972.
» Entends ces cris, que jettent, pleins d'ardeur, les
Pàndouides victorieux et ces troupes nombreuses de
Pântchâlains, semblables à Gakra! » 6,973.
« Si Pourandara venait ici pour sauver le Prithide, ré-
pondit Rarna, je l'aurais bientôt vaincu, et j'immolerais
ensuite le fils de Pândou. 6,97/j.
» C'est la vérité, que je promets là ! Rassure-toi, Bha-
ratide ! Je tuerai les enfants de Pàndou, réunis aux Pân-
tchâlains. 6,975.
» Je te donnerai la victoire, comme le fils du Feu jadis
la donna au Vasavide : je dois faire toujours ce qui t'est
agréable ; c'est pour cela que je vis, seigneur (1). 6,976.
» De tous les Pàndouides, le plus vaillant, c'est Phâl-
gouna : aussi est-ce contre lui-même que j'enverrai ma
lance de fer au coup certain, que les mains de Çakra ont
forgée. 6,977.
» Ce grand héros une fois couché mort, ses frères, ô
toi, qui donnes l'honneur, ou tomberont sous ta puissance,
ou retourneront dans les forêts. 6,978.
» Quand je vis, Rourouide, ne te livre pas à l'inquié-
tude ; je triompherai dans ce combat de tous les Pàn-
douides réunis. 6,979.
» Lorsque j'aurai mis en pièces par les multitudes de
mes flèches les Pântchâlains, les Raîkéyains et les
Vrishnides eux-mêmes rassemblés, je te donnerai la
terre. » 6,980.
(1) Texte de Bombay. Au lieu de ce demi-vers bien rempli, l'édition de
Calcutta porte celui-ci d'une complète insignifiance : dans cette jonction
du combat.
168 LE MAHA-BHARATA.
Tandis que Karma parlait ainsi, Kripa aux longs bras,
le Çaradvatide, adressa en souriant ce langage au fils du
cocher : 5,981.
« Heureusement, heureusement, Karna, le héros des
Rourouides jouit d'un protecteur. Si le succès vient des
paroles, Râdhéya, il l'obtiendra, grâce à ta protection !
» Nombre de fois, Karna, tu t'es glorifié devant le
Kourouide : mais est-ce que la valeur ou son fruit exista
jamais en toi ? 6,9S2 — 6,983.
» Nombre de fois, on t'a vu croiser le fer dans le com-
bat avec les fils de Pândou, et partout, fils du cocher, tu
fus vaincu par les Pândouides ! 6,98/i.
» Alors que le fils de Dhritarâshtra fut couvert de con-
fusion par les Gandharvas, ses armées combattirent, et
seul tu pris la fuite devant les guerriers. 6,985.
» Dans la cité de Virâta, tous les Kourouides en
vinrent aux mains; et là, toi, Karna, secondé par tes
frères mineurs, tu fus encore vaincu dans ce combat par
les Pândouides. 6,986.
« Tu ne peux tenir pied sur un champ de bataille
contre Phâlgouna seul, comment pourrais-tu vaincre tous
les Pândouides, appuyés sur Krishna lui-môme? 6,987.
» Combats, sans parler, Karna ; tu te vantes beaucoup
trop ! Celui, qui accomplit le vœu d'un homme de cœur,
s'avancera vaillamment, sans dire un seul mot. 6,988.
» Tes paroles, fils du cocher, ne donnent aucun fruit,
comme un nuage d'automne. On te voit stérile, Karna, et
le roi ne s'en aperçoit pas. 6,989.
» Pendant que tu cries, Râdhéya, tu ne vois pas le
Prithide; mais, tant que tu verras ce héros dansl'éloigue-
ment, il te sera difficile de mettre tes menaces à exécution.
DRONA-PARVA. 169
» Tu menaces, sans t' approcher des flèches du Pri-
thkle ; mais, blessé de ses traits, il te serait encore peu
facile de réaliser tes menaces ! 6,990—0,991.
» C'est dans les bras que les kshatryas mettent leur
bravoure (1); c'est en paroles, que les brahmes
témoignent de leur courage ; Phâlgouna est un héros par
son arc, Karna n'est un brave que par ses désirs. 0,992.
» Qui pourrait immoler ce Prithide; qui fit plaisir à
Roudra lui-même ? <> Alors sa colère excitée ainsi par le
Çaradvatide, 0,993.
Karna, le meilleur des combattants, répondit en ces
termes à Rripa : « Les héros tonnent toujours comme les
nuages au temps des pluies. 0,99/i.
» Ils donnent promptement leur fruit , comme une
graine semée dans la saison (2). Je ne vois point ici une
seule faute à reprocher aux braves, qui tiennent le front
du combat, 0,995.
» Qui se glorifient de telle ou telle chose, et de qui les
épaules supportent dans les combats la charge , que
l'homme a résolu de porter. 0,990.
» Le Destin est à mon rival, pour sûr : la bonne fortune
vient s'allier à lui. Moi, qui ai pour second mon courage
et qui porte la charge, résolue dans mon cœur, 0,997.
» Quand j'ai frappé dans le combat les fils de Pàndou,
unis à Krishna, unis au Sàttwatide, si je menace, quelle
est l'affaire de toi, brahme, qui soit ici en danger de
périr? 0,998.
» Tels que les nuages dans l'automne, les héros ne me-
(1) Çoùrùs, texte de Bombay.
(2) Ritùviva, même texte.
170 LE MAHA-BHARATA.
nacent pas en vain. C'est le sentiment de leur force, qui
inspire les menaces des hommes instruits. 6,909.
» J'ai dans ce moment l'espérance que je puis vaincre
Krishna et le Pândouide. réunis, déployant leurs efforts
dans le combat: voilà ce qui met, Gotamide, ces menaces
en rna bouche. 7,000.
» Vois, brahme, les résultats de cette menace, que j'ai
faite ! Quand j'aurai immolé les fils de Pândou, avec leurs
suivants, avec Krishna, avec le Sâttwatide, je donnerai
à Douryodhana cette terre , débarrassée de ses enne-
mis.» 7,001 — 7,002.
a Cette plainte de tes désirs, fils du cocher, n'est point
acceptable par moi, repartit Kripa. Tu blâmes sans cesse
les deux Krishnas et Dharmarâdja le Pândouide. 7,003.
» La victoire est assurée au parti, Karna, où se trouvent
ces deux guerriers habiles dans les combats. Krishna et
le Pândouide sont invincibles dans les batailles aux mor-
tels, armés de cuirasses, aux volatiles, aux serpents, aux
Yakshas, aux Gandharvas , aux Dieux mêmes. Le fils
d'Yama, Youdhishthira est pieux, véridique , dompté,
adorateur des Mânes et des Dieux ; il se complaît dans le
devoir de la vérité, il est surtout consommé dans les ar-
mes ; il a de la constance, il est reconnaissant.
7,004—7,005—7,006.
» Ses frères sont vigoureux, endurcis à la fatigue de
toutes les armes; ils aiment à demeurer dans la con-
duite, que leur a t acée l'instituteur spirituel, ils sont
instruits, toujours dans le devoir, et les favoris de la
renommée. 7,007.
» Leurs parents ont la force d'Indra; ce sont des corn •
battants remplis de dévouement que Dhrishtadyoumna,
DRONA-PARVA 171
Çikhandi, le Douraioukhide , Djanamédjaya, 7,008.
» Tchandraséna, Roudraséna, Kîrttivarman, Dhrouva
et Dhara, Vasoutchandra, Dâmatchandra, Sinhatchandra
et Soutédjana, 7,009.
» Droupada, versé dans les grands astras, et les fils
de Droupada, pour lesquels le roi des Matsyas et ses frè-
res mineurs déploient leurs efforts, 7,010.
» Et Gadjànîka, Çroutânika, Virabhadra, Soudarçana,
Çroutadhvadja, Balànîka, Djayànîka, Djayapriya, 7,011.
» Vidjaya , Labdhalaksha, Djayâçwa, Rathavàhana ,
Tchandraudaya et Kâmaratha, les splendides frères de
Viràta, 7,012.
» Les deux jumeaux, les Dràaupadéyains et le Rak-
shasa Ghatotkatcha ! Le parti, en faveur duquel ils por-
tent les armes, n'est pas soumis à la mort. 7,013.
» Voilà et d'autres compagnies nombreuses quels sont
les guerriers du fils de Pàndou! Sans doute, il serait
facile à Bhîma et Phâlgouna d'exterminer jusqu'au der-
nier tout ce monde avec ses éléphants, ses serpents, ses
Bhoûtas, avec ses troupes de Rakshasas et d'Yakshas,
avec ses hommes, ses Asouras et ses Dieux.
7,01/1—7,015.
» Youdhishthira pourrait consumer la terre de son re-
gard épouvantable : aucune borne n'est à la force de
Çaâuri, qui pour eux endossa la cuirasse! 7,016.
» Comment peux-tu vaincre, Karna, les ennemis dans
une bataille? Grand et continuel est ton écart de la bonne
politique, ô toi, qui as l'audace, fils du cocher, d'engager
un combat contre Çaâuri. » 7,017 — 7.018.
A ces mots le fils adoptïfds Hâdhà, Karna dit en riant,
éminent Bharatide , à l'instituteur spirituel, Kripa le
Çaradvatide : 7,019.
172 LE MAHA-BHARATA.
« Ce langage, que tu as tenu, brahme, sur les Pân-
douides, est vrai :ces vertus et d'autres en grand nombre
se trouvent dans les fils de Pândou. 7,020.
» Les Prithides sont invincibles dans un combat aux
Rakshasas, aux Ouragas, aux Piçâtchas, aux Gandhar-
vas, aux Yaksas, aux Daîtyas et même aux Dieux, Indra
à leur tête, 7,021.
» Cependant je triompherai des Prithides, grâce à
cette lance de fer, que m'a donnée Indra lui-même. Oui,
brahme, Çakra m'a fait présent de cette pique, dont le
coup n'est jamais vain. 7,022.
» Avec elle, je tuerai l'Ambidextre dans un combat!
Ce héros mort, ni Krishna, ni ses frères germains ne pour-
ront nullement jouir de cette terre, sans Arjouna! Eux
une fois sortis de la vie, ce globe avec ses mers restera
sans effort, fils de Gotama, en la puissance de l'Indra
des Kourouides. C'est la bonne direction, que l'on donne
aux affaires, il n'y a nul donte, qui les fait toutes pros-
pérer ici-bas. 7,023—7,02/1-7,025.
» Instruit de cette vérité, c'est pour cela que je me-
nace, Gotamide; mais tu n'es, toi! qu'un vieux brahme,
sans connaissance acquise dans la guerre, et qui as placé
ion affection sur les Pândouides : voilà quelle est la cause
de ton dédain pour moi. Si tu contenues à dire ici,
brahme, ce qui est si offensant pour moi,
7,026—7,027—7,028.
» Je mettrai le cimeterre à la main, insensé, et je cou-
perai ta langue ! Quant aux éloges, que tu veux bien, jetant
la terreur parmi toutes les armées Kouraviennes, brahme
stupide, prodiguer aux Pândouides dans la guerre, écoute
ici attentivement, Gotamide, cette parole de ma bouche:
7,029—7,030.
DRONA-PARVA. 173
» Là, où se tiennent Douryoclhana, Drona, Çakouni,
Dourmouka et Djaya, Douççâsana, Vrishaséna, le roi de
Madra et toi-même, 7,031.
» Somadatta,Bhoûri, leDronide et Vivinçati, tousguer-
riers vêtus de la cuirasse, tous habiles dans la guerre ;
» Quel ennemi, eut-il une force égale à celle de Çakra,
pourrait les vaincre dans un combat? Ces héros vigou-
reux, consommés dans les armes, désirant de conquérir
le ciel, 7, 032— 7,033.
» Versés dans la cience des devoirs, instruits dans les
batailles, tueraient dans un combat les Souras eux-mê-
mes! La victoire, à mon avis, des hommes les plus ro-
bustes dépend du Destin; 7,03/i.
» Puisque Bhîshmaaux longs bras gît, enseveli sous des
centaines de flèches, et Vikarna, et Tchitraséna, et Vàh-
lîka, et Djayadratha, et Bhouriçravas, et Djaya, et Dja-
lasandha, et Soudakshina, et Cala, le meillenr des maî-
tres de chars, et le vigoureux Bhagadatta. 7,035 — 7,036.
» Ces héros et d'autres en grand nombre, difficiles à
vaincre aux Dieux mêmes et supérieurs en force aux Pân-
douides, furent vaincus par eux dans la bataille. 7,037.
>' Quelle autre chose crois-tu hors de l'influence, qui
joint tout au Destin ? Ces héros furent immolés, à cen-
taines et à milliers, par ces ennemis de Douryodhana,
que tu combles sans cesse de tes louanges, ô le plus vil des
hommes. Les armées des Kourouides sont entraînées toutes
à leur perte, pêle-mêle avec les Pàndouides.
7,038 — 7,039.
» Je ne vois nullement ici la supériorité des Pàndoui-
des, ô le plus abject des mortels, qui vois sans cesse la
force de ces hommes. 7,0/iO.
174 LE MAHÀ-BHARATA.
» Je déploierai mes efforts, au-dessus même de mes
forces, dans l'intérêt de Douryodhana, pour soutenir un
combat avec eux; mais la victoire dépend du Destin. »
Quand il vit le fils du cocher exaspérer son oncle, le
Dronide mit sur-le-champ son cimeterre à la main, et s'é-
lança sur lui. 7,041 — 7,042.
Enflammé de la plus grande colère et rugissant comme
un lion contre un éléphant en rut, il s'avança vers Karna,
sous les regards des Kourouides: 7,043.
« Tu menaces dans ta colère le héros, mon oncle, ô le
plus insensé des hommes vils , parce qu'il reconnaît
ces vertus d'Arjouna comme identiques à la vérité. At-
teint par une enflure de l'orgueil et ne comptant pour rien
maintenant dans un combat, tu invectives un guerrier,
que sa bravoure a fait l'archer de l'univers entier !
7,044— 7,045.
» Qu'était devenu ton courage? Qu'avais-tu fait de tes
astras, quand l'archer du Gândîva, t' ayant vaincu dans
le combat, immola sous tes yeux Djayadratha? 7,040.
» C'est en Vain que tu prétends en tes désirs, ô le plus
vil des cochers, triompher d'un héros, qui jadis soutint
un combat avec Mahâdéva lui-même en personne! 7,047.
i) Les Asouras et les Dieux mêmes , réunis sous les
ordres d'Indra, ne sont point capables de remporter une
victoire sur cet homme, secondé par Krishna et le meil-
leur de tous ceux, qui portent les armes, Arjouna, le
guerrier invaincu, le héros unique du monde : à plus
forte raison est-il suffisant pour te vaincre, toi et tous ces
maîtres de la terre. 7,048 — 7,049.
» Vois maintenant, stupide Karna; tiens ferme à cette
heure, insensé; je vais à l'instant même enlever sa
DRONA-PARVA. 175
tête à ton corps, ô le plus vil des cochers. » 7,050.
Le roi Douryodbana lui-même à la grande splendeur,
l'arrêta dans son élan rapide, lui et Kripa, le plus ver-
tueux des hommes. 7,051.
« Voilà un héros, fier de ses combats, et un insensé, le
plus vil des brahmes ! reprit Knrna. Qu'il s'approche
de ma vigueur! Lâche-le, ô le plus grand des Kou-
rouides ^1). »
« Nous supportons cette arrogance de toi, insensé fils
du cocher! répliqua Açwatthâman. Mais Phâlgouna te
guérira de cette enflure d'orgueil. » 7,Q52 — 7,053.
« Açwatthâman, calme- toi ! reprit Douryodhana ; veuille
pardonner, ô toi, qui donnes l'honneur. Tu ne dois pas
concevoir de colère, homme sans péché, à l'égard de l'A-
dhirathide. 7,05/i.
» Voilà qu'il nous arrive une grande affaire, qui doit
être soutenue par le Soubalide, le roi de Madra, Drona,
Kripa, Karna et toi : calme-toi donc, ô le plus excellent
des brahmes! 7,055.
)> Voici tous les Pândouides, qui s'avancent, le front
tourné au combat, par le désir de combattre Râdhéya, et
qui nous provoquent de tous les côtés. » 7,056.
Accompagné par la fougue de la colère, puissant roi,
le Dronide au grand cœur, supplié par le roi, étouffa son
ressentiment. 7,057.
Ensuite, ramené bientôt à la douceur par son naturel
placide, Kripa le bien magnanime àtchârya de parler en
ces termes : 7,058.
« Nous supportons cette arrogance de toi, insensé fils
(1) Kourousattama, texte île Bombay.
176 LE MAHA-BHARATA.
du cocher; mais Phâlgouna te guérira de ce déborde-
ment d'orgueil. » 7,059.
Les Pândouides et, réunis avec eux, sire, les illustres
Pântchâlains arrivèrent là par milliers, vomissant des me-
naces contre nous. 7,060.
Levant son arc, le vigoureux Karna, le meilleur des
maîtres de chars, environné des principaux Kourouides,
comme Gakra est entouré par les chœurs des Dieux,
L'impétueux guerrier, appuyé sur la force de ses bras,
leur opposa la face à tous. Alors se déroula, très-puissant
roi, un combat effroyable, retentissant des cris de guerre,
entre Karna et les Pândouides. Les illustres Pântchâlains,
sire, et les fils de Pândou, 7,061—7,062—7,063.
A son aspect, accueillirent avec de hautes clameurs ce
Karna aux longs bras: «Voici Karna! D'où vient-il, ce
Karna? Pieste le pied ferme, Karna, dans cette grande
bataille! 7,066.
» Combats, réuni à d'autres, combats avec nous, ô le
plus vil des hommes méchants. » Maisplusieurs, àlavue
de Râdhéya, disaient, les yeux enflammés de colère :
« A mort, ce lutteur, ce fils du cocher, cet homme à
l'âme méprisable! Qu'ont-ils besoin qu'il conserve la vie,
tous ces éminents fils de Pàndou? 7,065 — 7,066.
» Cet homme vicieux fut toujours l'ennemi mortel des
Prithides : c'est en effet la source de tous nos malheurs,
au sentiment de Douryodhana lui-même. 7,067.
» Tuez-le ! » s'écriaient toua ces kshatryas; et, ce disant,
les grands héros couraient , l'inondant avec une forte
averse de flèches, excités par le Pàndouide à la mort du
fils de cocher. Quand il vit tous ces enfants de Pândou à la
grande force, 7,068—7,069.
DRONA-PARVA. 177
L' Adhirathide n'en fut aucunement ému ; il ne descendit
pas au sentiment de la peur.
A la vue de cet océan merveilleux d'armée, qui ressem-
blait au jour de la destruction du monde, 7,070.
Ce guerrier vigoureux, invaincu dans les combats, à la
grande force, à la main agile, le bienfaiteur de tes fils
arrêta cette armée de tous les côtés, éminent Bharatide, par
la multitude de ses flèches ; et les Pàmlouidesde l'arrêter
lui-même par une pluie de traits. 7,071 — 7072.
Agitant leurs arcs par centaines et par milliers, ils com-
battirent le fils de Ràdhà, comme les Daîtyas jadis ont
combattu les Dieux. 7,073.
Le vigoureux Rama dissipa de tous les côtés avec une
grande averse de flèches l'orage de traits, suscité par ces
princes. 7,07Zi. ■
Le combat de ces guerriers, qu'animait le désir de tirer
vengeance des blessures faites, ressemblait au combat
des Dànavas et de Çakra dans la guerre des Asouras et
des Dieux. 7,075.
Nous vîmes alors la légèreté merveilleuse du fils de
cocher; en effet, malgré tous leurs efforts dans la bataille,
les ennemis ne purent venir à bout de sa personne.
L'hér. ïque Râdhéya d'arrêter les multitudes de flè-
ches, que lui décochaient ces princes. Il fit tomber ses
traits épouvantables, gravés de son nom, sur les jougs,
les timons, les ombrelles, les chevaux et les chars. Le
trouble se mit parmi les monarques, accablés par les /le.
che» de Karna. 7,076—7,077—7,078.
Ils erraient çà et là, comme des vaches tourmentées
par le froid : on voyait çà et là des troupes de coursiers
morts, d'éléphants et de maîtres de chars eux-mêmes,
« 12
178 LE MAHA-BHARATA.
les victimes deKarna. Tonte la terre était jonchée de tous
côtés des têtes abattues et des bras enlevés à ces héros,
qui ne savaient pas fuir. Telle que la ville du Vivasvatide,
le champ de bataille était semé par tous les côtés, sire, de
guerriers morts, ou expirants, ou gémissants. Douryo-
dhana, à la vue du courage de l'Adhiratide,
7,079— 7, ObO— 7,081— 7,082.
S'approcha d'Açwatthâman et lui parla en ces termes :
« Voici Karna, que tous les Pàndouides contemplent,
revêtu de sa cuirasse ! 7,083.
» Vois cette armée en fuite sous l'atteinte des flèches
de Rarna, comme l'armée Asourique, dissipée devant
Kârttikéya. 7,084.
A pe ne a-t-il vu le prudent Karna vainqueur de son
armée, voici que déjà Bîbhatsou s'approche avec le désir
de tuer l'Adhirathide. 7,085.
» Ainsi, adopte un plan de conduite dans le combat, de
telle sorte que le Pândouide ne puisse immoler sous nos
yeux, les armes à la main (1), ce grand héros fils du
cocher. » 7,086.
Alors le Dronide, Kripa, Çalya et l'héroïque Hârd-
dikya, volant au secours de l'Adhirathide, se portèrent à
la rencontre du Prithide. 7,087.
Ils virent le fils de Kountî s'avancer, tel que Çakra
s'offrit aux yeux de l'armée des Daîtyas, Bîbhatsou lui-
même, environné des Pàntchâlains, Indra des rois,
S'élança au-devant de Rarna, comme Pourandara jadis
se présenta aux regards de Vitra. 7,0S8 — 7,0S9.
« Quand il vit Phâlgouna irrité, semblable à Yama, au
(1) Sankhym.
DRONA-PARVA. 179
trépas, à la mort, s'enquit Dhritarâshtra, que fit ensuite,
cocher, Karna, le fils du Soleil? 7,090.
» Lorsqu'il vit arrivé tout k coup son ennemi acharné de
tous les instants, ce Bibhatsou bien épouvantable (]),
qu'il espérait vaincre dans un combat (-2), et avec qui ce
grand héros était dans une rivalité continuelle, quelles
autres prouesses, cocher, exécuta ce Karna, le fils du
Soleil? » 7,091—7,092.
Dès qu'il vit des mêmes yeux, qu'un éléphant voit s'a-
vancer un éléphant ennemi, répondit Sàndjiya, le Pàn-
douide s'approcher, Karna, sans émotion, se porta de son
côté à la rencontre de Dhanandjaya. 7,093.
Au moment qu'il s'avançait rapidement, le Prithide
couvrit le fils du Soleil (3) de ses flèches au vol droit, et
Karna (A) ensevelit Vicljaya sous les siennes. 7,09/i.
Le Pândouide fit éclater sur Karna l'orage de ses traits;
et celui-ci, enflammé d'une bouillante colère, le blessa de
trois dards. 7,095.
Quand il vit sa légèreté, ce grand héros, le fléau des
ennemis, ne put la supporter, et il envoya au fils du co-
cher trente flèches aiguisées sur la pierre, au vol droit, à
la pointe enflammée. Eusuite, le vigoureux Dhanandjaya
le perça d'un seul trait dans sa colère.
7,096—7,097.
Ce brave le frappa en riant à l'extrémité du bras gauche,
et l'arc tomb.i rapidement de sa main blessée.
Le guerrier à la grande force ramassa l'arc plus tôt
(1-2) Youddaijétoum souddrounam, texte de Bombay.
(3) Vaikarlanan, môme éditiou.
(4) Karnus tu, au même te.vte.
180 LE MAHA-BHARATA.
même qu'il n'eût fléchi un clin d'oeil, et couvrit en homme
agile Phâlgouna de ses multitudes de traits.
7,098—7,099.
Dhanandjaya dissipa en riant par la pluie de ses flè-
ches, Bharatide, la grêle de flèches, que lançait le fils du
cocher. 7,100.
Ces deux héros (1), qui désiraient faire les représailles
des coups, qu'ils avaient reçus, s' étant approchés l'un de
l'autre, se couvrirent de toutes parts avec des multitudes
de flèches. 7,101.
Cette lutte de Karna et du Pânflouide ne fut pas moins
admirable clans cette bataille, que celle de deux éléphants
des forêts, qui ont l'odorat affecté de leur mutuel mada.
Dès que l'héroïque Prithide eut vu la bravoure de
Karna, il trancha, plein de hâte, son arc même à l'endroit
où son poing le serrait à sa main. 7,10*2 — 7,103.
Le fléau des ennemis plongea avec des bhallas ses
quatre chevaux au séjour d'Yama, et enleva du corps la
tête de son cocher. 7,10Zi.
Ensuite, le fils de Piïthâ et de Pândou blessa de quatre
flèches ce héros à l'arc coupé, aux coursiers tués, au
cocher immolé. 7,105.
L'éminent personnage, en but aux traits, s' étant élancé
précipitamment hors de son char privé de chevaux ,
monta à la hâte dans le chariot de Kripa. 7,106.
Chassé par les multitudes de flèches d'Arjouna et cou-
vert de dards, comme un porc-épic d'aiguillons, il sauta
dans le char de Kripa, désireux d'obtenir le salut de sa
vie. 7,107.
(1) Mahéshvûsaâu, texte de Bombay.
DRONA-PARVA. 181
A la vue de Ràdhéya vaincu, les tiens, éminent Bhara-
tide, dispersés par les traits de Dhanandjaya, couraient
par les dix points de l'espace. 7.108.
Quand il les vit de ses yeux mêmes fuir de cette ma-
nière, le roi Douryodhana les arrêta et leur adressa ces
paroles : 7,109.
« C'est assez fuir, héros ! Tenez ferme, éminentsksha-
tryas ! Moi; qui vous parle, je vais entrer dans la bataille
pour donner la mort au Prithide ! 7,110.
» Je vais tuer le fils de Prithâ et le Pàntchâlain réunis !
Les Prithides me verront aujourd'hui même com-
battre avec l'archer du Gàndiva ; ils connaîtront ma
valeur comme celle de la mort à la fin d'un youga !
Aujourd'hui, les Prithides verront, comme des nuées de
sauterelles, les multitudes de mes flèches, que je vais
lancer par milliers dans le combat ! Aujourd'hui, mes
guerriers verront, tel qu'un nuage à la fin de la saison
chaude, la pluie formée de traits, que vomira mon arc
dans ce combat ! Aujourd'hui, je triompherai du Prithide
dans la bataille avec mes flèches aux nœuds inclinés !
7,111— 7,112 — 7,113— 7, 114.
» Restez fermes en ce combat, héros ! Abandonnez
la crainte, que vous inspire Phàlgouna ! Qu'il s'approche
de ma valeur, il ne tiendra pas devant elle, comme lamer,
séjour des makaras, ne tient pas devant son rivage ! »
A ces mots environné d'une nombreuse armée, le roi
s'avança, 7,115—7,116.
Irrité, les yeux enflammés de fureur contre Phàlgouna.
Aussitôt que le Çaradwatide vit le héros aux longs bras
s'approcher, 7,117.
Il s'avança vers Açvatthâman et lui dit ces mots :
182 LE MAHA-BHARATÀ.
« Voici le puissant monarque, qui, plein de colère, en-
flammé de courroux. 7,118.
» Imitant la sauterelle en sa manière d'agir, veut com-
battre avec Phâlgouna. Arrête-le, Kourouide, afin que le
plus excellent des princes n'abandonne point sa vie sous
nos yeux dans une bataille avec ce Prilhide. Que ce héros,
monarque des Rourouides, se tienne paisible en cette
lutte, de peur qu'il ne tombe sous la portée des flèches de
Phâlgouna ! Que le roi s'abstienne du combat dans la
crainte qu'il ne soit réduit en cendres par les multitudes
de traits, que le Prithide décoche, semblables à des ser-
pents déchaînés. La chose, que nous voyons s 3 passer
ici, est comme inconvenante, ô toi, qui donnes l'honneur.
Tan '.lis que nous restons les bras croisés, le roi marche
sans aide au-devant du Prithide (1) pour le combattre !
S'il combat avec Riiîti, le Kourouide, aura, je pense,
autant de difficultés à conserver sa vie clans ce combat
qu'un éléphant aux prises avec un tigre. » A ces mots de
son oncle, Açwatthàman, le plus excellent de ceux, qui
portent les armes, {De la stance 7,119 à la stance
7,125.)
Dit précipitamment ces paroles àPouryodhana : « Tant
que je vivrai, Gàndhâride, ne veuille pas livrer un com-
bat, sans tenir compte de moi, toujours désireux de ton
bien, fils de Rourou. 11 ne faut pas te hâter à la victoire
du Prithide. 7,125—7,126.
» Je l'arrêterai, moi ! Quant àtc\i, Souyodhana, reste
ici tranquillement! »> 7,127.
» L'Atchârya veille au salut des fils de Pândou, comme
(1) Pârthan, texte de iïombay, au lieu du mot superflu xpnàn.
DRONA-PARVA. 183
s'il était leur propre fils ! lui répondit Douryodhana. Tu
fais sans cesse mépris de moi, quand il s'agit d'eux, mes
ennemis ! 7,128.
» Ton courage 'est stérile dans la guerre, soit par la
cause de mon infortune, soit que tu veuilles faire une
chose agréable, ou à Dharmarâdja, ou à Draàupadi : c'est
là ce que nous ne savons point. 7,129.
» Honte à moi, homme cupide! En effet, pour moi,
tous mes parents, qui désirent les douceurs de la vie,
sont tombés, par la défaite, dans les plus grands chagrins.
» Qui, le meilleur de tous ceux, qui portent les armes,
égal à Çiva dans la guerre, mais qui n'est pas le fils du
Gaàutamide, ne détruirait pas un ennemi, qui est puis-
sant? 7,130—7,131.
» Açwatthâman, sois-nous propice! Détruis ces enne-
mis de mon pouvoir: les Dânavas et les Dieux mêmes ne
sont point capables de tenir à la portée de tes astras !
» Immole, Dronide, les Pântchâlairrs et les Somakas
avec leurs suivants ! Sauvés par toi-même, le reste mordra
la poussière sous nos coups? 7,132—7,133.
» Car ces Somakas, brahme, et ces illustres Pântchâ-
Iains se promènent avec colère dans mes armées, comme
l'incendie au milieu d'une forêt. 7,134.
» Arrête-les, guerrier aux longs bras, et les Kaîkéyains
avec eux, avant que, défendus par Kiriti, ô le plus grand
des hommes, ils ne nous aient exterminés jusqu'au der-
nier. 7,135.
» Avance-toi promptement, Açwatthâman ! Fais dili-
gence, dompteur des ennemis ! Que tu agisses d'abord ou
ensuite, c'est ton affaire, brahme ! 7,136.
» Tu es né pour la mort des Pàntchâlains, si tu te
184 LE MAHA-BHARATA.
hâtes, guerrier aux longs bras, tu enlèveras sans doute à
la terre jusqu'au dernier des Pântcbâlains. 7,137.
» Les Siddhas ont dit cette parole (1) : « Il en sera
ainsi ! » Terrasse donc, tigre-des hommes, ces Pântcbâ-
lains avec leurs suivants ! 7,138.
» Les Dieux avec Indra (2) ne sont pas capables de tenir
à la portée de tes astras : à plus forte raison, les fils de
Prithâ avec les Pântchâlains. Cette parole de moi est une
vérité. 7,139.
» Les Pândouides et les Somakas ne sont point ca-
pables, héros, de te combattre avec une armée sur un
champ de bataille : ce que je te dis est une vérité.
» Va ! va, guerrier aux longs bras ! Que la destruction
de la mort ne nous atteigne pas ; car voici l'armée, qui
fuit sous l'oppression des flèches du Pandouide !
7,140— 7,141.
» Tu es capable, ô toi, qui donnes l'honneur, de ré-
primer les fils de Pândou et les Pântchâlains, grâce à ta
vigueur divine. » 7,142.
A ces mots de Douryodhana, le Dronide, ivre de la
furie des batailles, déploya ses efforts à la mort des
ennemis, comme Indra jadis à la mort des Daîtyas.
Le guerrier aux longs bras fit cette réponse à ton fils :
« Ce que tu dis est vrai, puissant Kourouide.
7,143—7,144.
» Les fils de Pândou me sont toujours chers ainsi qu'à
mon père lui-même. Ainsi, il ne nous est nullement
agréable de combattre jamais contre eux. 7,145.
(1) Vàichas, texte de Bombay.
(2) Savùsavas, même texte.
DRONA-PARVA. 185
» Combattant de tout notre pouvoir, ayant renoncé in-
trépidement à la vie, mon fils,Karna, Çalya, Rripa, Hârd-
dikya et moi, nous avons dispersé dans un clin-d'œil, ô
le plus grand des princes, l'armée des Pândouides; et
eux, dans le même espace de temps, ils auraient dissipé
les bataillons des Kourouides, si nous n'assistions point
au combat. Lorsque nous combattons les Pândouides et
que ceux-ci veulent nous faire la guerre (1), fils de Bha-
rata, ces deux forces s'entrechoquent, se balancent et se
neutralisent l'une et l'autre. Tant que vivent les Pân-
douides, il est impossible à notre fougue de vaincre leur
armée. Les fils de Pândou sont puissants, parce qu'ils
combattent dans leur cause. (De la stance 7,146 à la
stance 7,151.)
» Pourquoi ne tueraient-ils pas ton armée, fils de Bba-
rata? Mais toi, sire, tu as la science de la méchanceté; tu
es le plus avide des hommes, 7,151.
» Un orgueilleux, rempli de soupçon pour tout, et de-
là toujours en doute de nous. Tu es, à mon avis, un être
vil, une âme criminelle, un mortel méprisable. 7,152.
» Animé de sentiments pervers, tu nous soupçonnes
d'être, homme abject, autres que nous ne sommes. Mais,
déployant mes efforts et renonçant pour toi à la vie,
» J'irai au combat pour tes intérêts, ô le plus grand
des Kourouides, je combattrai avec les ennemis, et je
ferai mordre la poussière à de nombreux adversaires.
7,153—7,154.
» J'affronterai dans cette bataille, pour faire une chose,
qui te soit agréable, dompteur des ennemis, les Pân-
(1) Nas, sous-enlendu, youdhyatàn Pdndavàn... Icshàn, texte de Bombay.
186 LÉ MAHA-BHARATA.
châlains, les Somakas, les Kaîkéyains et les Pândonide s.
» Aujourd'hui consumés par mes flèches, les Tché-
diens, les Somakas et les Pàntchâlains s'enfuiront de tous
les côtés, comme des bœufs, qu'un lion a remplis d'effroi.
7,155—7,156.
» Aujourd'hui, quand il aura vu ma bravoure, le roi
fils d'Yama pensera avec les Somakas, que le monde est
fait d'Açwatthâman. 7,157.
» Le fils de Dharma, Youdhishthira, tombera dans le
mépris de soi-même, quand il aura vu les Pàntchâlains
immolés dans le combat avec les Somakas. 7,158.
» Je tuerai, Bharatide, ceux qui oseront m'aïïronter
dans la guerre : accablés par la force de mes bras, héros,
ils ne m'échapperont certainement pas ! » 7,159.
Dès qu'il eut parlé ainsi à ton fils Douryodhana, le
guerrier aux longs bras, le meilleur de ceux, qui respirent
l'air du ciel, retourna au combat, désirant fai»*e une chose
agréable à ton fils, et mettant en faite tous les archers.
Ensuite, le fils du Gaâutamide dit aux Pàntchâlains réunis
aux Kaîkéyains: 7,160— 7, 161.
« Lancez d'ici tous, fameux héro-, vos traits sur mon
corps ! Embrassant la fermeté, combattez, montrant la
légèreté de vos astras ! » 7,162.
A ces mots, tous, ils firent tomber sur le Dronide une
grêle de flèches, tels que des nuages, Mahârâdja, déver-
sent leur eau sons les deux. 7,163.
Quand il en eut paralisé tes traits (J), le Dronide abat-
tit, «seigneur, dix héros en face des fils de Pândou et (2)
de Prishtadyoumna. 7,16/i.
(1-2) Çarân.... tcha, texte de Bombay.
DRONA-PARVA. 187
Taillés en pièces dans le combat, les Pâhtchâlains et les
Somakas, abandonnant le Dronide, s'enfuyaient aux dix
points de l'espace. 7.165.
Dès qu'il vit ces héros courir çà et là, grand roi, Dhrish-
tadyoumna, sur le champs de bataille, s'élança contre le
fils de Drona. 7,166.
Environné d'une centaine de vaillants héros, qui ne
savaient pas fuir, admirables d'or et bruyants comme des
nuages chargés de pluies, 7,167.
Le fils du roi des Pântchâlains, le grand héros.
Dhrishtadyoumna dit ces mots au Dronide, quand il le vit
immoler ses combattants : 7,168.
« Stupide fils d'un âtchàrya, qu'as-tu besoin d'autres
victimes ? Combats avec moi sur le champ de bataille, si
tu es un héros! 7.169.
» Tu vas mordre la poussière sous mes coups ! Halte-
là! S>is ferme, maintenant! » A ces mots, l'auguste
Dhrishtadyoumna de frapper le fils de l'At hârya dans ses
membres avec des flèches acérées, pleine d'épouvante , et
les rangées de traits, empennés d'or, au vol rapide, à la
pointe luisante, déchirant tous les corps, de pénétrer
dans le fils de Drona, comme de grandes abeilles, dont le
désir du miel attira le vol dans un arbre fleuri.
7J 70—7,171—7,172.
Grièvement blessé, au comble de la colère, tel qu'un
serpent, qu 'un passant a foulé du pied, le fier Açwatthâ-
man dit, sa flèche à la main : 7,173.
« Dhrishtadyoumna, sois ferme ! Attends un instant
que je t'envoie de mes bhallas aigus dans l'habitation
d'Yama! » 7.17/j.
Quand il eut parlé ainsi, le destructeur des héros en-
188 LE MAHA-BHARATA.
gémis, le Dronide à la main agile de le couvrir partout
avec les multitudes de ses flèches. 7,175.
Hérissé de traits par son bras, le fils du roi des Pân-
tchâlains, ivre de la furie des batailles, menaça alors en
ces termes le fils de Drona : 7,176.
« Ne connais-tu point ma promesse, brahme, et mon
origine? Tu seras tué par moi, homme bien insensé, après
que j'aurai immolé Drona lui-même. 7,177.
» C'est pour cela que tu ne mords poim la poussière, im-
pur, quand Drona vit encore ! Mais une fois que cette nuit
sera parvenue à l'aube du jour, homme sans jugement,
» J'abattrai mort ton père, et je te plongerai clans ce
combat même au monde des morts. C'est ainsi qu'il est
arrêté dans mon cœur. 7,178 — 7,179.
» Montre bien l'inimitié, que tu as vouée aux fils de Pri-
thà, et le dévouement, que tu as juré aux Rourouides ;
sois ferme! Tu ne t'en iras pas vivant de mes mains!
» Tout brahme, qui, désertant le caractère saint du
brahme, trouve son plaisir dans les fonctions du ksha-
trya, doit être mis à mort, comme toi, ô le plus vil des
hommes du monde entier (1).» 7,180 — 7,181.
A ces atnères paroles du Prishatide, le plus grand des
brahmes ressentit une brûlante colère: « Arrête! arrête! »
lui cria-t-il. 7,182.
Il regarda le rejeton de Prishat, le consumant, pour
ainsi dire, de ses yeux, et, soupirant comme un serpent,
il le couvrit de ses flèches dans le combat. 7,183.
Percé de ses traits, Dhrishtadyoumna, le plus grand
(1) Sarva/okasya, texte de Bombay
DRONA-PARVA. 189
des héros, environné de toutes les armées des Pântchâ-
lains, 7,lSZi.
Appuyé sur sa force, le guerrier aux longs bras n'en
fut pas ébranlé, et il décocha sur Açwatthâman des flèches
diverses. 7,185.
Ces deux joueurs du jeu des existences revinrent dans
une colère mutuelle, paralysant les multitudes de traits
l'un de l'autre. 7,186.
Ces deux héros envoyaient de tous les côtés leurs aver-
ses de dards. A la vue du combat aux formes terribles,
inspirant l'épouvante, du Dronide et du fils de Prishat, les
Siddhas, les Tchâranas et les Vents de leur applaudir. Em-
plissant l'air et les plages intermédiaires par des torrents
de flèches, 7,187—7,188.
Ils combattaient invisibles, leurs projectiles causant
une vaste obscurité. Leurs arcs mis en cercle, ils sem-
blaient danser dans le combat. 7,189.
Inspirant l'effroi à tous les êtres, l'esprit appliqué à la
mort l'un de l'autre, ces héros aux longs bras combat-
taient d'une manière variée, avec légèreté et d'une façon
excellente. 7,190.
Les premiers des guerriers les applaudirent par mil-
liers dans le combat : une joie confuse naquit dans les
deux armées, lorsqu'on les vit dans cette lutte sembla-
bles à deux éléphants sauvages au milieu d'une forêt.
Il s'éleva un bruit de cris de guerre, et les combattants
remplirent de vent les conques. 7,191 — 7,192.
Dans cette bataille tumultueuse, accroissant la crainte
des gens timides, les instruments de musique résonnaient
par centaines et par milliers. 7,493.
Un instant, ce combat n'offrit aux yeux qu'une seule et
190 LE MAHA-BHARATA.
même forme. Ensuite, quand le Dronide eut tranché,
puissant roi, au magnanime Prishatide, son arc, son dra-
peau, son ombrelle, les deux valets de pied, qui condui-
saient les deux premiers chevaux, son cccheret ses quatre
coursiers, il poursuivit dans le combat tous les Pàntchâ-
lains de ses flèches aux nœuds inclinés. Le guerrier à
l'âme incommensurable les mit en déroute, par centaines
et par milliers. 7,194— .7.195— 7,19(5.
Quand elle vit dans la guerre, éminent fils de Bharata,
ce grand exploit du Dronide, semblable à ceux d'Indra,
l'armée Pândoukle fut agitée par la crainte.
Lorsque le fameux héros eut tué cent Pântchalains avec
une centaine de traits, et qu'il eut abattu morts trois des
plus illustres personnages avec trois flèches aiguës,
7,197— 7, 198.
Le Dronide immola un très-grand nombre de Pântcha-
lains, qui se trouvaient là présents, aux yeux mêmes de
Phàlgouna et du fils de Droupada. 7,199.
Taillés en pièces dans la bataille, les Pântchalains et
les Srindjayas se retirèrent, leurs drapeaux et leurs chars
étendus çà et et là sur la terre. 7,200.
Dès qu'il eut vaincu les ennemis dans le combat, l'hé-
roïque fils de Drona jeta dans (air un bien vaste cri,
comme un nuage à la fin de l'été. 7,201.
Homicide de ses nombreux ennemis, Açwatthâman res-
plendissait, tel que le soleil, quand il consume tous les
êtres à la fin d'un youga, 7,202.
Honoré dans la guerre par les Kourouides, ayant vaincu
des foules d'ennemis dsns le combat, l'auguste fils de
Drona brillait, comme le roi des Immortels, quand il eut
terrassé les troupes de ses rivaux. 7,203.
DRONA-PARVA. 191
Alors, puissant monarque, le roi Yonrlhishthira et le
Pàndouide Bhîmaséna environnèrent de^tous côtés le fils
de Drona. 7,*20Zi.
Escorté du Bharadwâdjide, le royal Douryodhana s'a-
vança vers les Pândouides dans cette bataille et revint au
combat à la forme terrible, à la grande épouvante, ac-
croissant la terreur des gens timides. Les Ambasthas,
les Màlavas, les Vângas, les Çiviens et les Trigarttas eux-
mêmes 7/205 — 7,206.
Furent envoyés, en troupes, par Youdhishthira irrité
dans le monde des morts. Terrassant les guerriers Abbî-
shabas et Çourasénas, ivres de la furie des batailles,
Bhîma de charger la terre en un bourbier de sang.
Kirîti aux blancs coursiers plongea dans le monde des
morts les combattants montagnards, sire, les Madrakas
et les Mâlavas eux-mêmes; Profondément blessés par
les nârâtchas au vol rapide , les éléphants tombaient
sur la terre, comme des montagnes à deux pitons. La
terre brillait, remplie de trompes coupées, remuantes ça
et là, des éléphants, (elles que des serpents, qui rampent.
Le sol éiincelait d'ombrelles de rois éparses et de pein-
tures d'or, 7,207— 7,208— 7,209— 7,210— 7,211.
Comme un ciel, où luiraient en même temps, à la des-
truction d'un youga, le soleil, la lune et les autres pla-
nètes. « Frappez ! décochez ! blessez ! tranchez sans
crainte ! » 7,212.
Ces cris régnaient en bruit confus autour du char aux
chevaux rouges. Le terrible Drona au comble de la colère
dispersa les ennemis dans le combat avec l'astra du vent,
tel qu'un souffle orageux dissipe les nuages. Battus par
Drona, les Pàntchâlains couraient, talonnés par Ja peur,
192 LE MAHA-BHARATA.
Sous les yeux de Bhîmasénaet du magnanime Prithide.
Ayant pris une grande armée, Kiiîti et Bhîmaséna revin-
rent promptement, environnés d'une nombreuse multitude
de chars. Bîbhatsou au midi, Vrikaudara au côté du
septentrion 7,213— 7,21/1 — 7,215—7,216.
Firent éclater sur le Bharadwâdjide de fortes nuées de
flèches. Les Srindjayas et les grands héros Pântchâlains
suivirent ces deux princes avec les Matsyas et les Soma-
kas. Les guerriers aux grands chars de ton fils,
7,217—7,218.
Formant une nombreuse armée, sire, se portèrent vers
le char de Drona. Taillée en pièces par Rirîti, l'armée
Bharatienne était déchirée de nouveau par les ténèbres et
le sommeil. Arrêtés par ton fils et par Drona en personne,
7,219—7,220.
Les guerriers ne purent alors, puissant roi, les arrêter
eux-mêmes. La grande armée, frappée de mort par les
flèches du fds de Pàndou, 7,221.
Courait dans le monde, enveloppée d'obscurité et tour-
nant sa face de tous les côtés : quelques monarques des
hommes, abandonnant leurs chevaux par centaines,
grand roi, s'enfuyaient, pénétrés de terreur. •
7,222—7,223.
Irrité contre Somadatta et brandissant un grand arc,
Sâtyaki dit à son cocher : « Conduis-moi près de Soma-
datta! 7,224 .
» Car je ne m'en irai pas du combat, cocher, que je
n'aie tué Vâhlîka, le plus vil des Kourouides : je dis cette
parole comme une vérité. » 7,225.
Le cocher alors de pousser les chevaux Sindhiens à la
grande légèreté, à la couleur de la conque, et qui sur-
DRONA-PARVA. 193
passaient en vitesse toutes les flèches dans le combat.
Aussi rapides que Mâroute ou la pensée, ces chevaux
traînaient Youyoudhâna, comme jadis les coursiers verts
portaient Indra, quand il s'élançait à la mort des Daîtyas.
7,226—7,227.
Dès qu'il vit le Sâttwatide accourir d'une marche préci-
pitée dans la bataille, grand roi, Somadatta sans trouble
y reporta ses pas. 7,228.
Déchargeant ses averses de flèches, tel qu'un nuage
pluvieux, il couvrit le Cinide comme une nuée masque le
le soleil. 7,229.
Et, sans trouble, Sâtyaki, de son côté, couvrit de tou-
tes parts dans le combat l'éminent Rourouide avec les
multitudes de ses flèches. 7,230.
Mais Somadatta de blesser Mâdhava dans la poitrine avec
soixante traits ; et Sâtyaki le frappa, sire, de dards acérés,
S' étant déchirés mutuellement de leurs flèches, ils res-
plendissaient l'un et l'autre, comme deux fleurs brillantes
dans la saison des fleurs ou tels que deux kinçoukas fleu-
ris. 7,231—7,232.
Tous les membres humides de sang, ces rejetons de
Kourou et de Vrishni, causes de renommée, se regar-
daient réciproquement, comme s'ils voulaient se brûler
des yeux. 7,233.
Se promenant dans les routes et les circonvolutions des
chars, ces deux broyeurs des ennemis se tenaient l'un
vis-à-vis de l'autre avec des formes terribles , tels que-
deux nuages chargés de pluie. 7,234.
Le corps brisé par les traits, mis en pièces (1) de tous
(1) Çakallkritaâu, texte de Bombay.
ix 13
194 LE MAHA-BHARATA.
les côtés, ils paraissaient, Indra des rois, comme deux
porcs-épics sous les flèches, dont ils étaient blessés.
Couverts de traits empennés d'or, ils resplendissaient
ainsi que deux arbres, sire, enveloppés de myopides en-
flammés dans la saison des pluies. 7,235—7,236.
Ces deux grands héros, tous les membres comme al-
lumés par des flèches, semblaient dans le combat deux
éléphants, dont la colère est excitée avec des torches.
Enfin l'héroïque Somadatta, puissant roi, coupa dans
la bataille avec une demi-lune le grand arc de Màdhava.
7,237-7,238.
Il décocha sur lui vingt-cinq traits, et, se pressant,
lorsqu'il était à propos de se hâter, il le blessa encore
avec dix flèches. 7,239.
S' armant d'un nouvel arc plus rapide, Sâtyaki préci-
pitamment frappa son rival de cinq projectiles. 7,240.
Puis, Sâtyaki, en riant, de trancher dans le combat
avec un autre bhalla, sire, le drapeau en or de Vâhlika.
Quand il vit son enseigne abattue, Somadatta, sans émo-
tion, sire, entassa vingt-cinq traits sur le petit-fils de
Çini. 7,241—7,242.
Irrité dans ce combat, le Sâttwatide trancha lui-même,
d'un kshourapra aiguisé, l'arc du sagittaire Somadatta.
11 accumula sur lui, semblable à un serpent, de qui
les dents sont brisées, une centaine de flèches, empen-
nées d'or, aux nœuds inclinés. 7,243 — 7,244.
Ensuite, Somatta au grand char , à la grande force,
ayant pris un autre arc, couvrit Sâtyaki d'une averse de
traits. 7,245.
Sâtyaki en colère blessa dans le combat Somadatta, et
celui-ci accabla Sâtyaki d'une multitude de flèches.
DRONA-PARVA. 195
De dix sagettes, Bhîrna de frapper dans l'intérêt de Sà-
tyaki le fils de Vâhlîka; et Somadatta, sans émotion de
riposter à ce coup de Bhîma par une centaine de flèches.
7,246—7,247.
Le Sâttwatide irrité lança dans la poitrine de Soma-
datta une massue neuve, solide, épouvantable, emman-
chée d'or. 7,248.
En riant, le Kourouide dans le combat trancha en
deux ce pilon à l'aspect effrayant, qui accourait avec ra-
pidité. 7,249.
Coupée, la grande massue de fer tomba sur la terre en
deux morceaux, comme la haute cîme d'une montagne,
que la foudre a frappée. 7,250.
Mais Sâtyaki trancha d'un bhalla, sire, l'arc de Soma-
datta dans la guerre, et de cinq le bracelet de sa main.
Il envoya lestement de quatre flèches auprès du roi des
morts ses coursiers de la plus riche taille. 7,251 — 7,252.
En riant, Bharatide, ce tigre des héros enleva du corps
avec un bhalla aux nœuds inclinés la tête de son cocher.
Il lança une flèche empennée d'or, luisante d'huile de.
sésame, aiguisée sur la pierre, grandement formidable et
flamboyante comme le feu. 7,253 — 7,254.
Décoché par le vigoureux Çaînéya, le trait sublime et
terrible, seigneur, s'abattit dans la poitrine de son rival
avec le rapide essor du faucon. 7,255.
Le fameux héros Somadatta , profondément blessé ,
puissant roi, par le robuste Sâttwatide, tomba sur la
terre et rendit le dernier soupir. 7,256.
Dès qu'ils virent là, couché mort l'illustre Somadatta,
les tiens fondirent sur Youyoudhâna avec une multitude
de chars. 7,257.
196 LE MAHA-BHARATA.
Suivis de tous leurs plus vaillants guerriers, les Pân-
douides, à la tête d'une nombreuse armée, coururent,
puissant monarque, sur l'armée dubrahme. 7,258.
Alors Youdhishthira irrité dispersa en fuite de ses flè-
ches les héros du Bharadwâdjide, aux regards de Drona
lui-même. 7,259.
Quand celui-ci eut vu Youdhishthira jeter ses armées
en déroute, il fondit rapidement sur lui, les yeux enflam-
més de colère. 7,260.
Il perça le Prithide avec sept traits bien acérés ; et, dans
sa colère, Youdhishthira lui rendit ses traits avec cinq
flèches. 7,261.
Atteint profondément et léchant mainte fois les angles
de sa bouche, le grand héros coupa l'arc et le drapeau
d' Youdhishthira. 7,262.
Privé de son arc, mais faisant diligence, quand il
était à propos de se hâter, le plus grand des rois saisit
rapidement dans cette lutte un nouvel arc solide. 7,263.
Le Pândouide frappa le brahme-guerrier d'un millier
de flèches avec son char, son drapeau, ses chevaux et son
cocher : ce fut comme une chose merveilleuse. 7,26/j.
Accablé par la multitude des flèches et jeté dans le
trouble, le plus grand des brahmes s'affaissa un instant
sur le banc de son char. 7,265.
Ensuite, ayant recouvré ses sens, pénétré d'une forte
colère et soupirant, comme un serpent, il lança l'astra
du vent.
Mais, sans trouble, le vigoureux Prithide, saisissant
son arc dans le combat, neutralisa l'astra du régénéré
par un astra contraire. 7,266 — 7,267.
Le Pândouide trancha le grand arc du brahme, et
DRONA-PARVA 197
Drona, le destructeur des kshatryas, s'arma d'un nouvel
arc. 7,268.
Le chef de la race Kourouide le coupa lui-même de
bhallas acérés. Alors le Vasoudévide parla ainsi à You-
dhishthira, le fils de Kountî : 7,269.
« Écoute ce que je vais te dire, Youdhishthira aux longs
bras : cesse ton combat avec Drona, ô toi, qui es le plus
grand de tes frères : 7,270.
» Car Drona ne cesse pas de déployer tous ses efforts
dans la bataille pour te faire prisonnier. Son combat avec
toi est de forme variée, à mon avis. 7,271.
» Le guerrier, qui fut créé pour sa mort, lui ôtera la
vie ! Laisse donc le Gourou, et va-t-en là où est le roi
Souyodhana. 7,272.
» En effet, un roi doit combattre avec un roi; il ne va
point faire la guerre avec un homme, qui ne porte pas la
couronne! Environné de chevaux, de chars et d'éléphants,
rends-toi là, fils de Kountî, pendant que Dhanandjaya
reste avec moi pour seul compagnon, et va où Bhîma, le
tigre des hommes, soutient le combat avec les Kou-
rouides. » 7,273— 7, 274.
Dès que Youdhishthira-Dharmarâdja eut ouï ces paroles
du Vasoudévide, il songea un instant à sa lutte épouvan-
table ; 7,275.
Et ce destructeur des ennemis se porta là où Bhîma se
tenait de pied ferme et semait la mort parmi tes guer-
riers, comme le trépas, sa bouche ouverte. 7,276.
Le Pândouide Youdhishthira, le roi des rois, faisant
résonner la surface de la terre, tel qu'un nuage à la fin de
l'été, par le vaste bruit de ses chars, couvrit les derrières
de Bhîma, qui immolait les ennemis; et Drona lui-même
198 LE MAHA-BHARATA.
dissipa les ennemis Pântchâlains à l'heure où commence
la nuit. 7,277—7,278.
Tandis que ce combat, inspirant l'épouvante, se dérou-
lait ainsi avec des formes terribles, que la terre était en-
veloppée de poussière et le monde par les ténèbres, 7,279.
Les guerriers, acteurs dans ce combat, ne se reconnais-
saient pas les uns les autres, et les plus vaillants ksha-
tryas se combattaient, seigneur, ayant pour signe de re-
connaissance leurs noms et les inductions, quils tiraient
de leurs armes, dans cet effroyable carnage de fantassins,
de chevaux, d'éléphants et de guerriers. Les héros Drona,
Karna et Kripa d'une part, le Prishatide, Bhîmaséna et
le Sâttwatide de l'autre, 7,280—7,281.
Portèrent le trouble, éminent Bharatide, dans leurs
mutuelles armées. Défaites de tous les côtés par ces fa-
meux héros, leurs divisions 7,282.
Couraient éparses de toutes parts au milieu des ténè-
bres, qui couvraient tout. Les combattants, l'àme abattue,
fuyant dans toutes les directions, 7,283.
Se donnaient la mort l'un a l'autre : les fuyards se
tuaient de tous les côtés. Des milliers de grands chars se
frappaient de coups réciproques dans ce combat, 7,28/i.
Insensés, au milieu de cette obscurité, qui dérobait la
vision aux yeux, résultat des conseils donnés à ton fils.
Tous les êtres et les principaux de l'armée, Bharatide,
avaient l'esprit égaré, épouvantés qu'ils étaient dans ce
combat, enveloppé de ténèbres. 7,285 — 7286.
« Alors que les Pândouides avaient jeté le trouble parmi
vous, s'enquit Dhritarâshtra, que votre force était brisée
et que vous étiez plongés dans ces obscures ténèbres, que
turent vos sentiments? 7,287.
DRONA-PARVA. 199
» Comment se lit le rayonnement des ennemis ou com-
ment mon armée revint-elle à verser de nouveau sa lu-
mière, Sandjaya, dans le monde ainsi enveloppé de ténè-
bres? » 7,288.
Toutes les armées, qui survivaient aux victimes de ces
combats, lui répondit l'interrogé, désignant les chefs de
l'armée, disposèrent un nouvel ordre de bataille. 7,289.
Drona veillait par-devant, Çalya par-derrière, Açwat-
thâman et le Soubalide se tenaient sur les côtés, et le
monarque lui-même inspectait, sire, toutes les armées de
son examen suprême. 7,290.
Douryodhana dit aux princes et à toutes les compagnies
de fantassins, mettant devant ses paroles un mot de flat-
terie : « Abandonnez vos grandes armes, et prenez tous
à votre main des lampes flamboyantes. » 7,291.
Ainsi, excités par le plus élevé des princes et pleins de
joie, ils saisirent des lanternes allumées. Les troupes des
Rishis, des Dieux, des Gandharvas et des Dévarshis, les
Vidyadharas et les chœurs des Apsaras, 7,292.
Les Nâgas, les Yakshas, les Ouragas et les Kinnaras,
hôtes des airs, prirent joyeux des lampes. On voyait des
lampes au sésame d'une exquise odeur allumées aux mains
des Dieux de l'espace. 7,293.
Ils avaient reçu principalement cet ordre des saints
anachorètes, Nàrada et Parvata, dans l'intérêt du plus
éminent des Kourouides. L'armée brillait encore, pendant
la nuit, des splendeurs du feu, que lui prêtaient ses orne-
ments d'une grande richesse et ses traits enflammés, imi-
tant les armes célestes. Cinq lanternes brillaient sur cha-
cun des chars, et chaque éléphant enivré s enorgueillissait
de porter également trois lampes à la flamme enfermée.
200 LE MAHA-BHARATA.
Sur chaque coursier reluisait une grande lanterne : les
Kourouicles, rivaux des Pândouides, avaient allumé ces
feux. Disposées dans un moment, toutes ces lampes je-
tèrent sur ton armée une prompte et vive lumière.
7,294—7,295.
Elles servaient d'ornement à toute l'armée par ces
hommes de pied, qui tenaient à leur main de l'huile de
sésame enflammée. Resplendissantes, elles semblaient
dans la nuit telles que, dans l'atmosphère, des nuages
avec des éclairs. 7,296 —7,297.
Drona, pareil au feu, courait de tous les côtés au milieu
de cette armée illuminée : il brillait avec sa cuirasse d'or,
Indra des rois, comme le soleil avec sa guirlande de
rayons, quand il est parvenu au milieu de sa carrière.
Le feu venait alors se réfléchir dans les traits excellents,
les arcs (1) reluisants, les nishkas, les parures et les flè-
ches d'or. 7,298—7,209.
Tandis que les massues et leurs attaches, les pilons
éclatants et les lances de char pirouettaient et roulaient,
leurs reflets radieux reproduisaient mainte et mainte fois
des lampes. 7,300.
Les ombrelles, les éventails et les chasse-mouches, les
cimeterres et les grands tisons enflammés, agités avec des
rayons d'or dans la main des guerriers, qui déployaient
leurs efforts, resplendissaient alors çà et là. 7,301.
L'armée brillait en ce moment de la clarté des armes et
de la clarté des lampes ; l'air était éclairé au loin, ma-
jesté, par la lueur des ornements. 7,302.
Arrosées de sang, les flèches de couleur jaune, très-
(i) Çarâsanéshu, texte de Bombay.
DRONA-PARVA. 201
éclatantes, brandies à la main des héros, enfantaient dans
l'atmosphère une splendeur enflammée, telle que l'éclair
à la fin de l'été. 7,303.
Ébranlés, atteints par de promptes blessures (1)
abattus rapidement, les visages des hommes, brillaient
comme de grands lotus agités par le vent. 7,30/i.
L'armée aux formes épouvantables, inspirant une vaste
terreur (2), était toute enflammée, comme une immense
forêt plantée de pins, dont l'incendie éclipserait (3) la lu-
mière elle-même du soleil. 7,305.
Aussitôt que les Pândouides eurent vu notre armée en
feu, ils s'empressèrent de donner des ordres aux compa-
gnies de fantassins, et firent comme les Kourouides dans
toutes leurs armées. 7,306.
Sur chacun des éléphants, on mit sept lanternes ; dix
fuient placées sur chacun des chars ; deux étaient portées
sur l'échiné des chevaux, d'autres sur les flancs, d'autres
sur les drapeaux, d'autres encore à la croupe. 7,307.
On voyait dans toutes les divisions rayonner des lu-
mières par-devant, par-derrière, sur les côtés et de toutes
parts; d'autres lanternes allumées flamboyaient au milieu
de l'une et de l'autre armée. 7,308.
Dans toutes les armées, des compagnies de fantassins
étaient mêlées avec les masses de chars, de chevaux et
d'éléphants : d'autres placés au milieu, tenant à leur
majn des brandons de feu allumés, illuminaient l'armée
du fils de Pândou. 7,309.
Ta puissante armée recevait de cette armée autant de
lumière que de ses propres lampes : tel le feu est
(1) Abhigdtavéguis , texte de Bombay.
(2-3) Muhùbhayâ.... api nasyét, môme texte.
202 LE MAHA-BHARATA.
communiqué par le soleil, planète lumineuse, cause des
deurs. 7,310.
Les immenses clartés de ces deux armées s'étendaient
au-delà de la terre, de toute l'atmosphère et des plages
du ciel : l'armée des ennemis et la tienne étaient mises
dans le plus grand jour par cette prodigieuse lumière.
Tous les chœurs des Dieux furent réveillés par cette
splendeur artificielle, qui envahit les cieux. Les Yakshas
et les Gandharvas, les troupes des Siddhas, les Dieux et
toutes les Apsaras se réunirent en société. 7,311—7312.
Rempli de Gandharvas et d'Immortels, ce champ de
bataille ressemblait au ciel par les Siddhas, les Yakshas,
les chœurs des Apsaras et les héros immolés, devant qui
s'étaient ouvertes déjà les portes du ciel. 7,313.
Cette grande armée, regorgeante de chevaux, d'élé-
phants et de chars, pleine de guerriers en courroux, de
coursiers étendus morts ou mis en déroute, exubérante de
pruboscidiens, de sonipèdes et de héros, était semblable à
l'armée en bataille des Asouras et des Dieux. 7,314.
Dans cette nuit, pareille à un immense incendie, fut
livré entre ces Dieux-hommes ce combat de chevaux, de
pachydermes et de guerriers, qui avait du sang pour eau,
des flèches en guise de pluie, pour nuages de grands chars
et pour vents en fureur le croissement des lances. L'Indra
des hommes, le magnanime chef des brahmes consumait
les Pândouides, comme le soleil brûle de ses rayons,
quand, à la fin de la saison des pluies, il parvient au milieu
de sa carrière. 7,315—7,316.
Dans le monde enveloppé de poussière, mais éclairé de
ces lumières, les grands héros en vinrent aux mains, en-
llammés par le désir de la mort les uns des autres.
Armés de tlèches,de traits barbelés et d'épées,ilscroi-
DRONA-PARVA. 203
sèrent leurs armes dans ce combat, s'adressant de mu-
tuels regards, sire, et s'infligeant un mal réciproque.
7,317-7,318.
Telle que le ciel avec ses étoiles, la terre brillait alors,
Uharatide, par ces milliers de lanternes, arrosées de sé-
same odorant, allumées de tous les côtés, par des amas
de pierreries, de manches d'or, et par différentes splen-
deurs du plus grand éclat, autres que des lanternes et
jetées par les Gândharvas et les Dieux. 7,319—7,320.
La terre resplendissait par des centaines de torches
flamboyantes : on eût dit alors que le globe brûlait au
jour de la fin des mondes. 7,321.
Toutes les plages de l'espace étaient brillantes de lan-
ternes éclairant de tous les côtés, comme si les arbres,
dans une soirée pluvieuse, étaient couverts de mouches
étincelantes. 7,322.
Chacun en particulier, le héros se joignait à un héros,
sire, l'éléphant se doublait avec un éléphant, le cavalier
avec un cavalier ennemi. 7,323.
Les chars dans cet horrible commencement de la nuit,
s'affrontaient, pleins de joie, avec les plus excellents des
chars, au commandement de ton fils. 7,324.
11 y eut un grand choc de l'armée en quatre corps; et
Arjouna, déployant sa vitesse, renversa tous les princes,
Mahârâdja, et dispersa l'armée des Kourouides.
« Quand ce héros inaffrontable, irrité, insoutenable,
fut entré dans l'armée de mon fils, quelles furent alors,
s'enquit Dhritarâshtra, les dispositions de votre cœur ?
» Que pensèrent les armées, quand elles virent ce fléau
des ennemis entré au milieu <£ elles ? Quelle chose Dou-
ryodhana jugea- t-il à propos de faire ?
204 LEMAHA-BHARATA.
» Quel dompteur des ennemis se porta dans le combat
à la rencontre de ce héros ? Qui défendirent Drona, quand
le guerrier aux chevaux blancs fut entré dans son
armée ? 325—7,326—7,327 — 7,328—7,329.
» Quels héros furent les défenseurs de sa roue droite ?
Qui furent les défenseurs de sa roue gauche ? Qui ont pro-
tégé ses derrières, tandis que Drona combattait ? 7,330.
» Qui se jetèrent devant lui dans le combat, lorsqu'il
abattait les ennemis. Ce grand héros non vaincu, ce vigou-
reux tigre des hommes, qui, dansait, pour ainsi dire, dans
les routes de son char, qui était entré dans l'armée des Pân-
tchâlains, ce Drona, qui, semblable à une comète, consu-
mait dans sa colère les multitudes de chars des Pântchâ-
lains, comment donc a-t-il trouvé la mort ? Tu dis que
les ennemis sont inaccessibles au trouble et même à la
défaite ; 7,331—7,332—7,333.
» Mais que les miens, Sandjaya, n'ont point d'ardeur
au combat, ni le cœur élevé. Ne racontes-tu pas que les
miens sont mis en déroute, que la peur fait pâlir leur vi-
sage, qu'ils sont taillés en pièces et que les maîtres de
chars sont réduits sans chars ? » 7,334 — 7,335.
Aussitôt qu'il connut le sentiment de Drona, qui vou-
lait combattre la nuit, répondit le narrateur, Douryo-
dhana dit à tous ses frères, soumis à sa volonté,
A Vikarna, à Tchitraséna, à Souparçwan, à Dour-
dharsha, à Dîrghabâhou et à leurs suivants :
7,336—7,337.
« Que tous les héros, déployant leurs efforts, défendent
les derrières de Drona ! Hârddikya protégera le flanc droit,
et Çalya le flanc gauche ! » 7,338.
Les héros des Trigarttains, restés survivants aux
DRONA-PARVA. 205
combats, ton fils les stimula tous à la face d'eux mêmes :
« L'Atchârya est doué de patience; mais les Pàn-
douides mettent en jeu de grands efforts. Défendez-le,
observant bien de rester unis, tandis qu'il fait mordre
la poussière aux ennemis dans le combat !
7,339—7,3^0.
» Drona a de la vigueur, du courage, une main légère
dans les batailles : il triompherait des Tridaças eux-
mêmes; à plus forte raison, des Prithides joints aux So-
makas ! 7,341.
» Vous tous réunis, déployant d'immenses efforts dans
un grand combat, sauvez l'inaffrontable Drona du grand
héros Dhrishtadyoumna ! 7,342.
» Je ne vois pas entre les combattants Pândouides un
seul guerrier, si ce n'est Dhrishtadyoumna, qui puisse
vaincre Drona dans une bataille. '7,343.
» Je pense qu'il faut veiller ici de toute votre âme au
salut de Drona : bien gardé, il peut vaincre les Srindjayas,
les Somakas et les Pândouides (1). 7,344.
» Tous les Srindjayas une fois tombés à la tête de
l'armée, Açwatthâman ensuite immolera, je n'en doute
pas, Dhrishtadyoumna lui-même ; 7,3/15.
» Et l'héroïque Rama pourra vaincre Arjouna dans la
bataille, et je vaincrai moi-même dans un combat sous leurs
cuirasses les autres Pândouides, à commencer par Bhîma-
séna. J'étoufferai de force la splendeur des combattants,
et ma victoire, c'est évident ! durera long-temps sur la
terre. 7,346— 7,347.
(1) Texte de Bombay, au lieu de kramdyatân de l'édition de Calcutta
marcliant flans un ordre régulier.
206 LE MAHA-BHARATA.
» Ainsi, défendez au milieu de la bataille ce bien hé-
roïque Drona. » Quand il eut parlé ainsi, ton fils Douryo-
dhana, ô le plus grand des Bharatides, donna l'ordre à
ses divisions dans ces ténèbres obscures. Alors se déroula
ce combat de nuit 7,3/18 — 7,3/i9.
Entre les deux armées, sire, qui désiraient la victoire.
Arjouna d'accabler l'armée Kouravienne, et les Rou-
rouides d'accabler Arjouna des coups mutuels de leurs
multitudes de flèches diverses. De ses traits aux nœuds
inclinés, Açwatthâman couvrit dans ce combat le mo-
narque des Pântchâlains, et le Bharadwâdjide couvrit les
Srindjayas. Epouvantable était le murmure de ces guer-
riers Pândouides, Pântchâlains et Kourouides, qui s'entré-
gorgeaient les uns les uns les autres. Jamais avant il
n'avait été vu, ni par nous, ni par nos devanciers, une
chose de semblable nature, telle que cet effroyable
combat de nuit.
7,350—7,351—7,352—7,353—7,35/1.
Tandis qu'il se développait avec terreur et causant la
perte de toutes les créatures , Youdhishthira-Dharma
râdja 7,355.
Adressa ces paroles, souverain des hommes, aux So-
makas, aux Pântchâlains et aux Pândouides eux-mêmes
pour la ruine des éléphants, des chars et des mortels :
L'auguste Youdhishthira, le souverain des hommes,
dit à ses combattants : « Allez! Courez sur Drona avec le
désir de lui donner la mort ! » 7,356 — 7,357,
A ces mots du roi, les Pântchâlains et les Somakas,
sire, de fondre sur le brahme en poussant des cris
effroyables. 7,358.
Mais nous, répondant à leurs menaces, nous nous
DRONA-PARVA. 207
avançâmes à leur rencontre, pleins de courroux, de tou-
tes nos forces, de toute notre énergie, de tout notre cou-
rage dans la guerre. 7,359,
Kritavarraan-Hârddikya s'élança sur Youdhishthira,
qui, tel qu'un éléphant en rut court sur un éléphant en
folie, s'avançait vers Drona. 7,360.
Le Kourouide Bhoûri, qui broyait tout dans le combat,
majesté, fondit sur Çaînéya,qui lançait partout des pluies
de flèches. 7,361.
Rarna, le fils du Soleil, arrêta le Pândouide Sahadéva,
ce grand héros, qui venait avec le désir de faire le brahme
son prisonnier. 7,362.
Douryodhana en personne marcha contre Bhîmaséna,
le meilleur des maîtres de chars, qui accourait, monté sur
son chariot, comme la mort ennemie des existences.
Çakouni le Soubalide d'arrêter à la hâte, sire, Nakoula,
le plus grand des combattants , habile dans tous les
combats. 7,363— 7, 36/i.
Rripa le Çaradvatide fit obstacle dans la guerre à Çi-
khandî, qui, le plus excellent à conduire un char, s'a-
vançait dans sa voiture de bataille. 7,365.
Douççâsana se jeta avec résolution devant Prativindhya,
qui s'approchait résolument sur ses chevaux, semblables
à des paons. 7,366.
Açwatthâman d'arrêter, grand roi, le Rakshasa, fils de
Bhîmaséna, qui s'avançait, habile en des centaines de
prestiges. 7,367.
Vrishaséna de neutraliser Droupada à la force im-
mense, qui marchait avec une armée, escorté de ses sui-
vants, pour faire le Bharadwâdjide prisonnnier. 7,368.
Enflammé de colère, le roi de Madra enchaîna les pas
208 LE MAHA-BHARATA.
de Virâta, qui accourait, Bharatide, donner la mort à
Drona. 7,369.
Tchitraséna enferma de ses flèches le fils de Nakoula,
Çatân'ika, qui s'avançait rapidement dans le combat pour
ôter la vie au fils de Bharadwâdja. 7,370.
Alambousha, l'Indra des Rakshasas, se jeta devant le
plus grand des combattants, l'héroïque Arjouna, qui pré-
cipitait sa course. 7,371.
Le Pântchâlain Dhrishtadyoumna fit tête à l'héroïque
Drona, qui, les formes joyeuses, abattrit les ennemis
dans le combat. 7,372.
Tes maîtres de chars, sire, arrêtèrent devant leur force
d'autres grands héros des fils de Pândou, arrivés sur le
champ de bataille. 7,373.
Par centaines et par milliers, des guerriers, montés sui-
des éléphants , s'élançaient mutuellement d'une course
rapide sur les éléphants de l ennemi, qu'ils combattaient
et broyaient dans ce grand combat. 7,37/i.
Les chevaux se précipitaient, sire, les uns sur les au-
tres dans la nuit : on les voyait tout à coup paraître,
comme des montagnes, auxquelles on n'avait pas ravi
leurs ailes. 7,375.
Tenant à leur main des glaives, des lances de 1er, des
lacets, les cavaliers concouraient avec les cavaliers, Mahâ-
râdja, et poussaient des cris les uns contre les autres.
Des guerriers en grand nombre se donnaient en foule
une mort réciproque, avec des massues, des moushalas
et des flèches de formes variées. 7,376—7,377.
Hârddikya-Kritavarman , plein de courroux , arrêta
Youdhishthira, le fils cl'Yama, comme une mer soulevée
est retenue par son rivage. 7, 378.
DRONA-PARVA. 209
Youdhishthira d'abord blessa Hârddikya de cinq flè-
ches; ensuite, il le blessa de vingt, et lui cria : « Arrête!
arrête! » 7,379.
Kritavarman irrité, vénérable monarque, trancha d'un
bhalla l'arc de Dharmarâdja et le frappa de sept dards.
L'héroïque fils de Dharma saisit un nouvel arc, et dé-
cocha dix traits à Hârddikya, entre les bras, dans sa
poitrine. 7,380—7,381.
Blessé par l'Yamide, auguste roi, Mâdhava-À>î7tfîwr-
mon vacilla dans le combat, et, de colère, lui déchaîna
sept flèches. 7,382.
Le fils de Prithâ, ayant tranché son arc et coupé le bra-
celet de sa main, lui envoya, sire, cinq bhallas acérés,
aiguisés sur la pierre. 7,383.
Quand ils eurent fendu sa précieuse cuirasse, au sein
d'or, ces traits formidables de se plonger dans la terre,
comme des serpents dans une fourmillière. 7,38/j.
Dans le seul intervalle d'un clin-d'œil, il prit un nouvel
arc et blessa le Pândouide, d'abord de soixante dards,
ensuite avec dix flèches. 7,385.
Mais le héros à l'âme incommensurable lui expédia
en retour une lance de fer, semblable à un serpent.
Lancée par le Pândouide, qui avait déposé dans le char
son arc gigantesque, l'arme immense, variée d'or, fen-
dit le bras droit du guerrier et pénétra dans le sein de la
terre. 7,386—7,387.
En ce moment, le Prithide, ayant repris son grand arc,
couvrit Hârddikya de flèches aux nœuds inclinés. 7,388.
L'héroïque maître de chars, le plus excellent des Vrish-
nides, dans la moitié d'un clin-d'œil, rendit Youdhishthira
sans cocher, ni char, ni chevaux. 7,389.
ix U
210 LE MAHA-BHARATA.
L'aîné des Pândouicles saisit aussitôt un cimeterre et
un boucler; mais, avec des bhallas aigus, Mâdhavasemit
dans le combat à l'abri de son élan. 7,390.
Yondhislithira mr le champ s'arma d'un levier de fer,
inaffrontable, au manche d'or, et l'envoya d'un rapide
essor dans la bataille au magnanime Hâiddikya. 7,391.
Soudain celui-ci à la main prompte fit en riant deux
morceaux dans son vol même de cette arme, lancée par le
bras d'Youdhishthira. 7,392.
11 répandit une centaine de flèches dans le combat sur
le fils d'Yama, et dispersa courroucé, sur le champ de
bataille, les débris de sa cuirasse, sous des multitudes
de traits. 7,393.
Décorée d'or et couverte des flèches de Hârddikya, elle
se dissémina sur la terre du combat, comme une foule
d'étoiles tombée du ciel. 7,394.
Sans char, sa cuirasse brisée, en proie aux flèches de
Kritavarman, Youdhishthira, le fils d'Yama, se retira
précipitamment de la bataille. 7,395.
Cette victoire obtenue, le grand héros défendit de nou-
veau l'armée elle-même du brahme-guerrier.
Bhoûris arrêta dans sa marche même, au milieu du
combat, le meilleur des maîtres de chars, Çainéya,
comme on arrête l'attaque d'un éléphant.
7,396—7,397.
Sâtyaki courroucé le blessa de cinq flèches acérées dans
le cœur, et son sang ruissela. 7,398.
Mais, sans perdre de temps, le Rourouide en cette ba-
taille perçi avec dix traits entre les deux bras Çainéya,
ivre de la furie des combats. 7,399.
Tous deux, les yeux enflammés de colère, ils se déchi
DRONA-PARVA. 211
rèrent mutuellement par clés coups réciproques, brandis-
sant leurs arcs solides. 7,400.
La pluie de flèches, qu'ils vomissaient l'un et l'autre,
puissant roi, inspirait la plus grande épouvante. Une dé-
charge de traits fut envoyée par ces deux guerriers en
colère, semblables à la mort. 7,401.
Le pied ferme nu combat, ils se couvrirent l'un et l'au-
tre de projectiles. Un moment cette lutte eut des formes
toutes semblables. 7,402.
Ensuite, Çaînéya irrité coupa en riant, Mahârâdja, dans
ce conflit l'arc du magnanime Rourouide. 7,403.
Il perça à la hâte, de neuf traits acérés dans le cœur, le
guerrier à l'arc coupé et lui cria : «Arrête! arrête là! »
Profondément blessé par l'ennemi vigoureux, le fléau
des ennemis, saisissant un nouvel arc, blessa en retour le
Sâttwatide. 7,404—7,405.
Quand il eut blessé Sâtyaki de trois flèches, monarque
des hommes, il trancha en riant son arc d'un bhalla très-
acéré. 7,406.
Enflammé de colère à la vue de son arme coupée, le
Sâttwatide envoya dans sa large poitrine une lance de fer
à la grande impétuosité. 7,407.
Le corps rompu de cette pique, il tomba du haut de son
char : on eût dit Lohitânga aux rayons enflammés, qui de
lui-même croule des airs. 7,408.
A l'aspect du brave étendu mort, Bharatide, l'héroïque
Açwatthâman s'élança rapidement contre Çaînéya. 7,409.
« Arrête! arrête! » lui cria-t-il, souverain des hommes;
et de répandre ses multitudes de flèches sur le Sâttwa-
tide, comme un nuage verse des pluies sur le Mérou.
L'héroïque Ghatotkatcha de pousser un cri (1), sire, et
212 LE MAHA-BHARATA.
de parler ainsi à lui, qui accourait (2) contre le char de
Çaînéya ; 7, MO— 7, Ail.
« Arrête! arrête, fils de Drona ! Tu n'échapperas point
vivant à mes mains! Je vais t'immoler, comme le Dieu
aux six têtes extermina ja is Mahisha! 7,A12.
» J'accomplirai pour toi sur le champ de bataille, au-
jourd'hui même, les cérémonies funèbres du combat, >♦ A
ces mots, les yeux rouges décolère, leRakshasa, destruc-
teur des héros ennemis, 7,M3.
Courut irrité sur le Dronide, comme un lion sur un gi-
gantesque éléphant. Ghatotkatcha de lancer des flèches,
aussi grandes que la roue d'une voiture, 7,hlli.
Sur le Dronide, le plus excellent des maîtres de chars :
tel un nuage verse les gouttes de sa pluie. Mais, avant
que cette averse de flèches ne fût arrivée, le Dronide avec
des traits semblables à des serpents, l'eut bientôt anéantie
dans le combat. Il couvrit le dompteur des ennemis, l' In-
dra des Rakshasas, Ghatotkatcha avec des centaines de
flèches acérées, au vol rapide, qui déchiraient les mem-
bres. Hérissé de ses dards, le Démon, au front du combat,
7,415— 7, /il6— 7,M7.
Brillait comme un porc-épic, grand monarque, revêtu
de ses aiguillons. L'auguste Bhîmasénide, pénétré de co-
lère, 7, M 8.
Coupa les membres d'Açwatthâman avec des flèches
terribles, qui avaient le son de la foudre et du tonnerre,
avec des kshourapras, des demi-lunes, des traits de fer,
des çilîmoukhas. 7,419.
Il fit pleuvoir sur lui des oreilles-de-sanglier, des nâ-
(1-2) Muktwâ.... ûpatantam, texte de Bombay.
DRONA-PARVA. 213
lîkas et des vikarnas. Tel que le vent dissipe les grands
nuages, puissant roi, le Dronide, ses organes des sens
non troublés, dispersa avec des flèches terribles, charmées
par des astras célestes, cette pluie de traits, incompa-
rable, bruyante, de même que le tonnerre et la foudre, se
déchaînant sur lui, épouvantable, très-difficile à soutenir.
Ensuite, il- y eut dans l'atmosphère comme un combat de
flèches, 7,420— 7,421— 7,422.
Grand roi, aux formes effrayantes, accroissant la joie
des guerriers. Le ciel brillait d'étincelles, répandues ça
et là, causées par l'émulation de ces deux guerriers : on
l'eût dit, au commencement de la nuit, semé de mouches
luisantes. Quand le Dronide eut couvert de tous côtés les
dix plages d'une foule de traits, il en inonda le Démon
pour faire une chose agréable à tes fils. Alors recommença
le combat d'Açwatthàman et du Rakshasa,
7,423—7,424—7,425.
Au milieu de cette nuit profonde, comme celui de
Çakra et de Prah'âda. Ghatotkatcha irrité frappa dans ce
combat le Dronide en pleine poitrine avec dix flèches,
semblables au feu de la mort. Grièvement blessé par le
Rakshasa, le vigoureux fils de Drona, les sens troublés
dans la bataille, chancela, tel qu'un arbre déraciné par le
vent. Saisi d'un évanouissement, il s'appuya sur la hampe
de son drapeau. 7,426 — 7,427 — 7,428.
Ton armée entière de pousser des cris, souverain des
hommes; tous les tiens, majesté, de penser qu'il était
mort. 7,4-9.
A la vue d'Açwatthàman réduit à cette conlition, les
Pàntcbàlains et les Srindjayas de jeter leurs cris de
guerre. 7,430.
214 LE MAHA-BHARATA.
Le grand héros, qui traîne les cadavres des ennemis,
reprit connaissance; il serra son arc de la main gauche ;
Et bientôt, visant Ghatotkatcha, il lui décocha d'un arc
tiré jusqu'à l'oreille une flèche sublime, épouvantable,
pareille au bâton de la mort. 7,431 — 7,432.
Après qu'elle eut fendu le cœur de ce Rakshasa, la
flèche immense, terrible, bien empennée, monarque du
monde, se plongea dans la terre. 7,433.
Profondément blessé par le Dronide, orgueilleux de ses
combats, le vigoureux Indra des Rakshasas s'affaissa sur
le banc de son char. 7,434.
A peine eut-il vu l'Hidimbide évanoui, son cocher
troublé l'emmena, plein de hâte, hors du champ de ba-
taille, loin de la présence du Dronide. 7,435.
Et, dès qu'il eut percé dans ce combat Ghatotkatcha,
l'Indra des Rakshasas, l'héroïque fils de Drona jeta dans
l'air une immense clameur. 7,436.
Honoré par tous les guerriers et par tes fils, Bharatide,
il flamboya de beauté, comme le soleil au mlieu du jour.
Le roi Douryodhana lui-même frappa de flèches acérées
Bhîmaséna, qui combattait, opposé au char du Bhara-
dwâdjide. 7,437—7,438.
Bhîmaséna le blessa de neuf traits, Bharatide, et Dou-
ryodhana lui rendit les blessures d'une vingtaine de dards.
On voyait sur le champ de bataille, ces deux guerriers,
couverts de flèches, tels qu'au sein des cieux, le soleil et
la lune, voilés par des multitudes de nuages.
Enfin, le roi Douryodhana de percer Bhîma avec cinq
traits, ô le plus éminent des Bharatides, et de lui crier :
« Arrête! arrête là! » 7,439 — 7,440—7,441.
Quand Bhîma eut tranché son arc et son drapeau, il
DRONA-PARVA. 215
frappa le plus excellent des Kourouides de neuf dards aux
nœuds inclinés. 7,442.
L'auguste Douryodhana saisit alors un nouvel arc plus
grand, et, sur le front du combat, il accabla Bhîmasénade
flèches aiguës aux regards de tous les archers. Lorsqu'il
eut paralysé ces traits envoyés par l'arc de Douryodhana,
Ventre-de-loup 7,443— 7,444.
Décocha sur le Kourouide vingt-cinq kshoudrakas.
Mais Douryodhana irrité, ayant coupé d'un kshourapra
l'arc de Bhîmaséna, respectable roi, le blessa en échange
avec dix flèches. Vrikaudara à la grande force prit un
nouvel arc, 7,445— 7,446.
Et blessa précipitamment le roi des mortels avec sept
traits acérés. Celui ci, en homme à la main légère, de
couper vite son arc. 7,447.
Un second, un troisième, un quatrième, un cinquième,
chaque arc, en un mot, que prit Bhîma, fut tranché au
même instant par ton fils triomphant, puissante majesté,
et qui respirait l'ivresse des combats. Alors qu'il vit tous
ses arcs coupés l'un après l'autre, 7,448 — 7,449.
Il lui envoya dans ce combat une lance solide, toute de
fer massif, sœur de la mort et flamboyante, comme la
flamme du feu (1), 7,450.
Qui faisait, en quelque sorte, une raie de chair sur le
front du ciel et qui avait la splendeur d'Agni. Le Kou-
rouide coupa en trois morceaux cette pique avant qu'elle
ne fût arrivée, 7,451.
Aux yeux du monde entier et devant Bhîmaséna. Ce-
lui-ci ensuite expédia rapidement sur le char de Douryo-
(i) Agni, texte de Bombay.
216 LE MAHA-BHARATA.
dhana, qui l'avait blessé d'abord, une massue pesante,
environnée d'un grand éclat. Ce lourd pilon broya les
chevaux de ton fils dans le combat, son cocher, son char
enfin. Effrayé par Bhîma et son ardeur éteinte, ton fils,
Indra des rois, 7,A52 — 7,453 — 7,Zi54.
Monta sur le char, que lui prêta le magnanime Nan-
daka. Estimant, grâce au milieu de la nuit, qu'il avait tué
Souyodhana, Ventre-de-loup 7, £55.
Jeta un immense cri de guerre, comme s'il menaçait
les Kourouides. Tes guerriers crurent eux-mêmes que
leur monarque n'était plus; 7,456.
Et tous alors crièrent de tous les côtés : «Hélas ! hélas ! »
Lorsqu'il entendit les plaintes de tous ces combattants
effrayés, 7,457.
Et qu'il eut ouï, sire, le cri du magnanime Bhîmaséna,
le roi Youdhishthira de penser aussi que Souyodhana
avait cessé d'être. 7,458.
Il s'approcha rapidement du lieu où était le Prithide
Vrikaudara. Les Pântchâlains, lesSrindjayas, les Matsyas,
les Kaîkéyains et les Tchédiens'7,459.
S'avancèrent lestement avec le désir d'employer tous
leurs efforts à la mort du Bharadwâdjide. Alors il y eut là
une bien grande bataille entre les gens de Drona et les
ennemis, plongés dans cette effroyable obscurité et s'en-
trégorgeant les uns les autres. 7,460 — 7,461.
Karna, le fils du Soleil, arrêta dans ce combat l'hé-
roïque Sahadéva, qui marchait, sire, avec le désir de
faire Drona son prisonnier. 7,462.
Ayant percé d'abord Râdhéya de neuf traits, Sahadéva
le frappa ensuite dans ce même combat de neuf flèches
aux nœuds inclinés. 7,463.
DRONA-PARVA. 217
Karna le blessa en retour avec une centaine des mêmes
dards, et trancha lestement en homme agile son arc avec
sa corde. 7,464.
Ayant pris un nouvel arc, l'auguste fils de Mâdrî perça
de vingt traits Karna : ce fut comme une chose merveil-
leuse. 7,465.
Aussitôt qu'il eut tué ses chevaux de flèches aux nœuds
inclinés, Karna de plonger lestement son cocher avec un
bhalla dans les demeures d'Yama. 7,466.
Réduit sans char, Sahadéva saisit un cimeterre et un
bouclier ; mais son ennemi les dissipa eux-m^mes en riant
avec ses traits acérés. 7,467.
Alors ce robuste guerrier d'envoyer sur le char de Vaî-
kartana (1) dans ce combat une massue embellie d'or,
pesante, épouvantable. 7,468.
Soudain, Karna avec des flèches arrêta dans son vol et
fit tomber sur la terre cette arme, envoyée par Sahadéva.
Quand il vit sa massue rendue vaine, celui-ci plein de
hâte, expédia sur Karna une lance de fer; mais ce der-
nier la coupa également de ses flèches. 7,469 — 7,470.
Le fils de Mâdrî sauta précipitamment à bas de son
char sublime; et, comme enflammé de colère à la vue de
Karna, le pied ferme, 7,471.
11 empoigna une roue de char et la jeta sur l' Adhirathide ;
elleaniva soudain, comme le tchakra hà é de la mort;
Mais le fils du cocher la trancha avec plus d'un millier
de flèches. Quand il vit sa roue coupée, vénérable mo-
narque, Sahadéva, 7,472 — 7,'i73.
Prenant Karna pour but, fit tomber sur lui , et les
(1) C'est â dire, le fils du Soleil.
218 LE MAHA-BHARATA.
manches de charrue, et les attaches, et les différents
jougs, et les corps des éléphants, et les chevaux, et les
nombreux cadavres des guerriers; mais Karna de ses flè-
ches dissipa cet orage. Lorsque le fils de Mâdrî se vit
sans armes, 7,474 — 7,475.
Arrêté par les flèches, Sahadéva de quitter le champ
de bataille. Râdhéya courut un instant sur lui, éminent
Bharatide, 7,476.
Et lui adressa en riant cet amer langage : «Héros, n'en-
gage pas un combat avec les excellents maîtres de chars!
» Crois-en mes paroles : combats avec des hommes
tels que toi ! » — Et, le touchant avec le bout de son
arc, il dit encore ces mots : 7,li77 — 7,478.
« Voici Arjouna, qui combat avec les Kourouides, dé-
ployant ses efforts dans le combat : ou va auprès de lui,
fils de Mâdrî, ou, si tu le préfères, retourne dans ton
palais! » 7,479.
A ces mots, Karna, le meilleur des maîtres de chars,
s'avança en riant, monté dans son char, vers les armées
du roi des Pântchàlains. 7,480.
Le destructeur des ennemis ne tua point dans ce combat
le fils de Mâdrî, qui voulait arriver à sa mort, car ce
grand héros, qui avait donné sa foi à la vérité, n'avait
point oublié les paroles de Kountî. 7,481.
Tremblant, sans char, en but aux traits et blessé par
les flèches des paroles du guerrier, Sahadéva eut bonté
de la vie, qu'on lui avait laissée. 7,482.
Ce fameux héros, usant de vitesse, monta dans le com-
bat à la hâte sur le char de Djanamédjaya, le magnanime
Pântchâlain. 7.483.
Le roi de Madra, servant la cause de Drona, couvrit de
DRONA-PARVA. 210
tous côtés par la multitude de ses flèches Virâta, qui ar-
rivait précipitamment à la tête d'une armée. 7,484.
Alors, sire, eut lieu entre ces deux archers solides un
combat tel que jadis celui de Bali et d'Indra, 7,485.
Prompt et bouillant, le roi de Madra perça, grand roi,
d'une centaine de flèches aux nœuds inclinés Virâta, le
général des armées. 7,486.
Le monarque en échange le frappa d'abord avec neuf
flèches acérées, ensuite avec soixante-treize, enfin avec
dix. 7,487.
Après qu'il eut frappé les quatre chevaux de son char,
le souverain du Madra abattit sur le champ de bataille
son ombrelle et son drapeau avec deux flèches. 7,488.
Le roi de la terre sauta précipitamment à bas de son
char, privé de chevaux, et se tint, brandissant son arc et
décochant des flèches acérées. 7,489.
A la vue de son frère, qui avait perdu ses coursiers,
Çatânîka de s'avancer rapidement sur son chariot, sous
les yeux de l'univers entier. 7,490.
Le roi de Madra, le souverain de la terre, blessa de
traits acéré» Çatânîka, qui s'approchait et le conduisit au
séjour d'Yama. 7,491.
Après sa mort, Virâta, le général des armées, s'élança
rapidement hors de son char aux chevaux tués, et re-
monta dans le char du héros, qui n'était plus. 7,492.
Alors, faisant rouler ses yeux et la colère doublant son
courage, il couvrit lestement de flèches le char du roi de
Madra. 7,493.
Celui-ci irrité frappa grièvement dans la poitrine de
cent traits aux nœuds inclinés Virâta, le général des ar-
mées, 's 494.
220 LËMAHA-BHARATA.
Profondément blessé par ce vigoureux guerrier, le
grand héros s'affaissa sur le banc de son char, et tomba
aussitôt dans l'évanouissement. 7,495.
Son cocher l'emporta, blessé des flèches, hors du champ
de bataille, et sa nombreuse armée s'enfuit au milieu de
la nuit, Bharatide, 7,496.
Taillée en pièces par des centaines de traits, qu'en-
voyait Çalya, resplendissant dans les batailles. Quand le
Vasoudévide et Dhanandjaya eurent vu l'armée en fuite,
Ils s'avancèrent, Indra des rois, là où se tenait
Çalya ; mais le roi des Rakshasas, sire, Alambousha se
jeta devant eux. 7,497 — 7,498.
Il était monté sur le meilleur des chars, roulant sur
huit roues, attelé de Piçâtchas à l'aspect horrible, avec
des têtes de chevaux ; 7,499.
Épouvantable véhicule, orné de la dépouille des ours,
construit en fer noir, décoré de bouquets rouges (1) , om-
bragé d'un étendard humide de sang. 7,500.
Semblable à une masse brisée de noir collyre, le Démon
brillait, sire, par une grande roue bruyante, par un dra-
peau à la hampe élevée, orné d'un francolin terrible et
d'une flèche en forme de vautour. Il arrêta Arjouna dans
sa marche, comme le roi des montagnes fait obstacle au
vent. 7,501 — 7,502.
Il répandit ses multitudes de flèches pour la plus
grande partie sur la lête d' Arjouna ; et il naquit sur le
champ de bataille, entre l'homme et le Rakshasa, un
combat très-violent, inspirant la satisfaction à tous ceux,
qui voyaient là ce conflit, Bharatide, et causant la joie des
(1) Rakta, texte de Bombay.
DRONA-PARV\. 221
vautours, des corbeaux, des corneilles, des hibous, des
hérons et des chacals. 7,503— 7, 504.
Arjouna d'accabler Alambousha de six flèches, et de
trancher même son drapeau avec dix traits acérés. 7,505.
Il frappa son cocher de trois dards et de trois autres la
partie essentielle de son char : il trancha son arc avec un
seul, et tua ses quatre chevaux avec quatre flèches. 7,506.
De nouveau, il lui coupa en deux un arc déjà mis avec
sa corde (1), et le blessa lui-même, éminent Bharatide,
de quatre dards acérés. Atteint par le Prithide, l'indra
des Rakshasas s'enfuit, talonné par la peur. Après cette
victoire, Arjouna s'élança rapidement à la mort deDrona,
Et répandit les multitudes de ses flèches, majesté, sur
les coursiers, les éléphants et les hommes. Les guerriers,
combattants avec l'illustre Pàndouide, tombaient sur la
terre, comme des arbres déracinés par le vent; et, tandis
qu'ils périssaient sous les coups de cet homme en renom,
tous les autres fuyaient, éperdus comme des gazelles,
saisies d'effroi. 7,507—7,508—7,509-7,510—7,511.
Tchitraséna, ton fils, arrêta, Bharatide, Çatânîka (2),
qui, de ses flèches brûlantes, consumait ton armée. 7,512.
Le Nakoulide frappa de cinq dards Tchitraséna, qui
lui rendit ses blessures de dix traits acérés ; 7,513.
Et ce guerrier blessa encore dans le combat, grand roi,
Çatânîka de neuf traits aigus en pleine poitrine. 7,51 h.
Le fils de Nakoula, ayant accumulé sur lui des flèches
aux nœuds inclinés, fit tomber du corps sa cuirasse : ce
fut comme une chose merveilleuse, 7,515.
(1 ) Sadjyan, texte de Bombay.
(2) C'est un autre guerrier du même nom que Çatânîka, fila de Nakoula.
222 LE MAHA-BHARATA.
Quand ton fils, Indra des rois, eut perdu sa cuirasse* il
répandit un bien vif éclat, tel qu'un serpent, qui, dans la
saison, a rejeté sa vieille peau. 7,516.
Le JNakoulide coupa encore de ses flèches acérées le
drapeau et l'arc du guerrier, qui se consumait en vains
efforts dans ce combat. 7,517.
Sans char, sans cuirasse, et son arc tranché, l'ennemi
saisit un nouvel arc très-solide et plus rapide. 7,518.
Le grand héros des Bharatides, Tchitraséna de blesser
ensuite avec agilité dans ce combat le JNakoulide de
ses flèches aux nœuds inclinés. 7,519.
Et le vigoureux Çatânîka irrité, fils de Bharata, perça
les quatre chevaux et le cocher de Tchitraséna lui-même.
Ce héros à la haute renommée sauta à bas de ce char
et, d'une main robuste, il harcela de vingt-cinq traits le
fils de Nakoula. 7,520—7,521.
Celui-ci trancha dans le combat avec une demi-lune
l'arc, ornementé d'or, du guerrier, qui accomplissait
un tel fait d'armes. 7,522.
L'ennemi sans char, son arc coupé, ses chevaux tués,
son cocher immolé, monta précipitamment sur le chariot
du magnanime Hârddikya. 7,523.
Vrishaséna répandit, grand roi, des centaines de flèches
sur l'héroïque Droupada, qui, désireux de faire Drona
son prisonnier, s'avançait à la tête d'une armée. 7,52Zi.
Yadjnaséna de percer dans ce combat l'héroïque fils de
Karnaavec soixante traits, seigneur, dans le bras et (1)
dans la poitrine. 7,525.
Mais celui-ci irrité frappa lestement de flèches nom-
(1) 7cha, texte de Bombay.
DRONA-PARVA. 223
breuses entre les seins Yajnaséna, debout sur son char.
Ces deux guerriers, les membres hérissés de traits,
rendus par ces dards comme des buissons, en brillaient,
grand roi, tels que deux porcs-épics sous leurs aiguillons.
7,526—7,527.
Arrosés par des fleuves de sang, sous des flèches em-
pennées d'or, au vol droit, aux nœuds inclinés, ils res-
plendissaient sur ce grand champ de bataille. 7,528.
Admirables, ressemblants à l'or, merveilleux comme
deux arbres Rai pas, tels que deux k'mçoukas, riches de
fleurs, ils flamboyaient sur la terre du combat. 7,529.
Quand Vrishaséna eut blessé d'abord, sire, Droupada
de neuf traits, il le perça de nouveau avec soixante-dix ;
puis, avec trois nouveaux dards. 7,530.
Décochant des milliers de flèches, le fils de Karna, puis-
sant monarque, brillait dans ce combat, tel (1) qu'un
nuage, versant la pluie. 7,531.
A la suite de cela, Droupada irrité coupa en deux l'arc
de Vrishaséna avec un bhalla acéré, ivre de sang. 7,532.
Celui-ci prit un autre arc neuf, solide, assemblé d'or,
et tira du carquois un bhalla de couleur jaune, aigu, ro-
buste et sans tache. 7,533.
Il encocha ce trait à l'arc, et, visant Droupada, le tira
jusqu'à l'oreille ; puis, terrifiant tous les Somakas, lâcha
son dard. 7,534.
Le projectile, dès qu'il eut fendu le cœur de l'ennemi,
se plongea clans le sein de la terre, et, frappé du trait de
Vrishaséna, le roi tomba dans l'abattement de l'esprit.
Ce grand héros des Pàutchalains brisé, Indra des rois,
(1) Iva, édition de Bombay.
224 LE MAHA-BHARATA.
son cocher, n'oubliant pas les devoirs du cocher, l'emmena
hors du champ de bataille. 7,535—7,536.
L'armée de Droupada, son armure rompue par les flè-
ches, s'enfuit alors, sire (1), dans cette nuit devenue épou-
vantable. 7,537.
Car, ayant abandonné de tous côtés les lanternes flam-
boyantes, la terre semblait aux yeux, sire, comme un ciel,
dont les nuages ont couvert les étoiles. 7,538.
La terre étincelait de bracelets tombés, telle que, dans
la saison des pluies, un nuage est scintillant d'éclairs.
Effrayés par le fils de Rarna, ils couraient de tous côtés,
comme les Dânavas, que la peur d'Indra fit trembler dans
Târakâmaya. 7,539— 7, 540.
Harcelés par lui dans le combat, les Pântchâlains avec
les Somakas semblaient, grand roi, éclairés par des lan-
ternes. 7,541.
Mais, triomphant d'eux en cette bataille, le fils de Karna
resplendissait comme l'astre aux rayons chauds, Bhara-
tide, arrivé au milieu du jour. 7,542.
Entre ces milliers de rois, parmi les tiens et les en-
nemis, on ne voyait flamboyer que l'auguste Vrishaséna
lui-même. 7,543.
Lorsqu'il eut vaincu dans ce combat les vaillants guer-
riers et les grands héros Somakas, il se rendit à la hâte
au lieu où était le roi Youdhishthira. 7,544.
Douççâsana, ton fils, revint vers l'héroïque Prativin-
dhya, qui s'avançait, consumant les ennemis dans le
combat. 7,545.
La rencontre de ces deux guerriers eut des formes va-
(1) Tadâ rûdjan, du texte de Bombay, remplaçant l'inutile tautologie.,
tchamoû sorvâ, du texte de Calcutta.
DRONA-PAUVA. 225
riées, telles que, dans les cieux, libres de nuages, le con-
flit de Boudha et du fils de Bhrigou. 7,54(3.
Douççâsana de blesser au front avec trois flèches Prati-
vindhya, qui accomplissait dans le combat un exploit
épouvantable. 7,5Zi7.
Atteint profondément par le vigoureux archer, ton fils,
il resplendissait, grand roi, comme une montagne, sur-
montée de ses pitons. 7,5Z|8.
L'héroïque Prativindhya blessa d'abord de neuf flèches,
ensuite de sept Douççâsana dans le combat. 7,549.
Là, ton fils, Bhuratide, consomma un difficile exploit;
car il abattit sous des traits mordants les chevaux de Pra-
tivindhya. 7,650.
Il renversa d'un bhalla son drapeau et son cocher; il
dispersa en menus fragments, sire, le char de ce vaillant
archer. 7,551.
Il coupa dans sa colère avec ses flèches aux nœuds in-
clinés, seigneur, en morceaux, comme des graines de sé-
same, ses guidons, ses deux carquois, ses rênes et ses
attaches au joug. 7,552.
Mais lui, homme du devoir, se tenant de pied ferme,
sans char, portant son arc à la main, il combattit avec ton
fils, envoyant sur lui plusieurs centaines de flèches.
En guerrier, de qui la main est exercée, il trancha son
arc d'un ksourapra, et fatigua avec dix traits ce héros,
qui avait son arc coupé. 7,553 — 7,55/i.
Quand les grands héros, ses frères, eurent vu leur vail-
lant frère engagé dans ce combat, ils accoururent vers
lui, environnés d'une nombreuse armée. 7,555.
Il fondit sur le char lumineux de Croutasoma ; il prit
un arc, grand roi, et blessa ton fils. 7,55(i.
jx 15
226 LE MAHA-BHARATA.
Ensuite tous les tiens, ayant couvert ton fils, s'appro-
chèrent avec rapidité, conduisant une nombreuse armée.
Alors, dans cette nuit, au milieu de ce temps épouvan-
table, s'éleva le combat des tiens (1) et d'eux pour l'ac-
croissement du royaume d'Yama. 7,55 7 — 7,558.
Le Soubalide s'approcha avec colère de Nakoula, qui
immolait ton armée de ses rapides coups, et lui cria :
a Halte-là! arrête! » 7,559.
Ces deux héros à l'inimitié déclarée, se désirant la mort
l'un à l'autre, se frappèrent de coups mutuels avec des
flèches tirées, longues et puissantes. 7,560.
De même que le Nakoulide vomissait des pluies de
projectiles, de même le Soubalide montrait aussi son ins-
truction dans la guerre. 7,561.
Tous deux, hérissés de flèches dans le combat, ils res-
plendissaient, grand roi, comme deux porcs-épics, sous
leurs aiguillons. 7,562.
La cuirasse fendue par des traits empennés d'or, à la
pointe droite, arrosés de ruisseaux de sang, ils brillaient
dans ce vaste combat. 7,563.
Admirables, ressemblant à l'or brûlé, tels que deux
arbres Ralpas, ou comme deux kinçoukas épanouis,
ils reluisaient dans ce grand champ de bataille.
Couverts de flèches dans le combat, ces deux héros
brillaient, puissant monarque, de même que deux bom-
bax à sept feuilles sous leurs épines.
7,564— 7,565.
Se jetant les regards bien obliques de leurs yeux tou^
grands ouverts, ils flamboyaient, Mahârâdja, comme s'ils
(1) Littéralement : de toi.
DRONA-PARVA. 227
voulaient se consumer réciproquement de ces yeux, dont
la colère avait rougi les angles. 7,56(5.
Ton beau-frère, bouillant de courroux, blessa en riant le
fils de Mâdri au cœur, avec une flèche aiguë, barbelée.
Atteint grièvement par l'archer, ton beau-frère,
JNakoula de s'affaisser sur le banc de son char, et de
tomber [alors, sire (1), dans l'abattement de l'esprit.
7,567—7,568.
Quand il vit réduit à cette condition l'ennemi, que
séparait de lui une inimitié sans borne, Çakouni jeta un
vaste cri, tel que le nuage à la fin de l'été. 7,569.
Dès qu'il eut recouvré sa connaissance, Nakoula, le
fils de Pàndou, s'avança de nouveau près du Soubalide,
comme la Mort, sa bouche ouverte. 7,570.
Irrité, il frappa d'abord de soixante traits, ensuite, de
cent nârâtchas Çakouni au milieu desseins. 7,571.
Il coupa en deux à la place, où était son poing, l'arc
encoche du trait, et lit tomber du char sur la terre son
drapeau abattu à la hâte. 7,572.
Nakoula, fils de Pandou, lui fendit encore les deux
cuisses (2) d'une flèche acérée, terrible, altérée de sang.
Il le fit tomber alors, comme le chasseur abat un
faucon, qui fendait les airs de ses ailes. Profondément
blessé, le Soubalide s'assit, grand roi, sur le banc de son
char. 7,573 — 7,57/i.
Saisi de douleur, il serra la hampe de son drapeau ; tel
nn amant presse de son cœur une amante.
Lorsqu'il vit ton beau-frère tombé dans l'évanouis-
(1) Tadârùjan, texte de Bombay.
(2) Oûroù, édition de Bombay.
228 LE MAHA-BHARATA.
sèment, irréprochable roi, son cocher l'entraîna bien vite
sur le char hors de la bouche du combat. Des cris écla-
tèrent alors au milieu des Prithides et de leurs suivants.
A peine eurent-ils vaincu l'ennemi (1), Nakoula, le
fléau des ennemis, dit à son cocher : « Conduis-moi vers
l'armée de Drona ! » 7,575 — 7,576 — 7,577.
Dès qu'il eut ouï cette parole, le cocher se transporta
au lieu, où le Bharadwâdjide se tenait de pied ferme.
Mais Kripa le Çaradvatide s'élança résolument avec
promptitude, au-devant de Çikhandi à la grande force,
qui voulait faire Drona son prisonnier dans le combat.
7,578—7,579.
Le dompteur des ennemis, Çikhandî, blessa en riant,
avec neuf flèches, le Gaâutamide, qui s'avançait rapide-
ment au secours du vaillant Drona. 7,580.
L'Atchârya, ami de tes fils, puissant roi, le frappa
d'abord de cinq flèches, ensuite de vingt. 7,581.
11 y eut une grande bataille aux formes terribles entre
ces deux guerriers, monarque des hommes, telle que fut,
dans la guerre des Asouras et des Dieux, le combat de
Çambara et du roi des Immortels. 7,582.
Semblables à deux nuages au départ des chaleurs, ces
héros aux grands chars, ivres de la furie des combats en-
veloppèrent le ciel des multitudes de leurs flèches. 7,583.
Tout ce qui avait naturellement une forme terrible en
empruntait à la peur une plus terrible encore. La nuit
de ces combattants, resplendissants de leurs batailles,
ressemblait, ô le meilleur des Bharatides, à la nuit du
trépas ; elle avait des formes horribles, elle inspirait la
(1) Çatroun, texte de Bombay.
DRONA-PARVA. 229
terreur. Mais Çikhandi trancha avec un trait en demi-lune
le grand arc du Gaâutamide, et lança des flèches acérées.
Kripa irrité lui expédia, sire, une pique épouvantable,
7,584— 7, 5S5— 7,586.
Au manche d'or, à la pointe rapide, fourbie par l'art
de l'ouvrier. Çikhandi la trancha dans son vol, avec dix
traits. 7,587.
Cette lance, décorée d'or, tomba sur la terre. Le meil-
leur des êtres doués de la parole, le Gaâutamide de
prendre un nouvel arc, 7,568.
Et de couvrir, puissant roi, Çikhandi de flèches aiguës.
Inondé de ces traits dans le combat par le magnanime
Gaâutamide, 7,589.
Le plus excellent des maîtres de chars s'affaissa sur le
banc de sa voiture ; et, lorsque le Çaradvatide l'eut vu
abandonné de ses forces dans la guerre, 7,590.
il le frappa de flèches nombreuses, comme s'il désirait
lui arracher la vie. A l'aspect de l'héroïque Yadjasénide
réduit à tourner le dos, 7,5wJ.
Les Pàntchâlains et les Somakas l'environnèrent de tous
les côtés ; et tes fils, agissant de la même façon, entou-
rèrent le plus excellent des brahmes avec une puissante
armée. Alors se renouvela, sire, le combat entre ces
maîtres de chars, qui fondaient les uns sur les autres.
7,592—7,593.
La course des cavaliers et des éléphants, souverain des
hommes, produisait un bruit confus, qui ressemblait,
Bharatide, au fracas des nuages. 7,59/i.
Ce champ de bataille, sire, où les guerriers se portaient
des coups mutuels, resplendissait épouvantable. La terre
était ébranlée au bruit des pas de fantassins et de chevaux
230 LE MAHA-BHARATA.
ou d'éléphants, qui couraient eux-mêmes : on eût dit
qu'elle tremblait de peur d'une épouse, sa rivale. Montés
sur leur voiture, les maîtres de chars couraient avec la
plus grande vitesse. 7,595 — 7,596.
Redoublant d'efibrts, des éléphants, le visage largement
arrosé de mada, arrêtaient des pachydermes en rut,
comme de nombreuses corneilles font obstacle h des nuées
de sauterelles. Le cavalier, affrontant le cavalier, l'homme
de pied attaquant l'homme de pied, remportaient les uns
sur les autres, sire, avec colère, de mutuelles victoires
dans ce combat. Là, se mêlaient dans la nuit les clameurs
confuses des guerriers, qui couraient, qui fuyaient, qui
revenaient même sur leurs pas. On voyait, tels que de
grands météores, tombés du ciel, puissant roi, les lampes
allumées sur les chevaux, les éléphants et les chars. Cette
nuit, éclairée par des lanternes, sire, elle ressemblait au
jour sur la face du combat. De même que le soleil fait mou-
rir les horribles ténèbres, de même cette obscurité épou-
vantable, répandue sur le champ de bataille, et qui avait
rempli le ciel et la terre, expirait à la lueur de ces lan-
ternes allumées. Ensevelis sous la poussière et les ténèbres,
les points cardinaux et les plages intermédiaires étaient
éclairés d'une autre lumière. Toutes les splendeurs des
traits, des cuirasses et des joyaux, que portaient ces héros
magnanimes, disparaissaient, absorbées par ces feux allu-
més. Tandis que ce combat, environné d'une grande
épouvante, se déroulait à l'entrée de la nuit, {De Instance
7,597 à la s tance 7,(306.)
Qui que ce soit ne pouvait reconnaître âme, qui rive :
« Me voici devant toi ! » disait le père menaçant à son fils
dans le combat, ô le plus excellent des Bharatides. 7,606.
DRONA-PARVA. 231
Le fils, en son délire, adressait les mêmes paroles à son
père, l'ami à son ami, le parent à son parent, l'oncle à son
neveu. 7,607.
Là, on massacrait les siens ; les ennemis tuaient leurs
gens. Le combat dans cette nuit, sire, était épouvantable,
sans règle. 7,608.
Tandis que ce combat très-tumultueux s'agitait, inspi-
rant l'épouvante, Dhrishtadyoumna, grand roi, s'avança
vers Drona. 7,609.
Encochant le meilleur des arcs, tirant mainte et mainte
fois sa corde, il fondit sur le char, ornementé d'or, qui
portait le bralime- guerrier. 7,610,
Les Pàntchàlains et les Pândouides se hâtèrent d'envi-
ronner Dhrishtadyoumna, qui marchait avec le désir d'ar-
racher la vie à Drona. 7,611.
Quand ils virent le plus excellent des âtchàryas entouré
d'ennemis, tes fds, déployant leurs efforts, le gardèrent de
toute part dans le combat. 7,612.
Ces deux océans d'armées en vinrent aux mains à l'en-
trée de la nuit, comme deux mers effrayantes aux pois-
sons troublés, agitées par les vents. 7,613.
Le Pântchâlain frappa lestement au cœur Drona de
cinq flèches, Mahârâdja, et poussa un rugissement de
guerre. 7,61/i.
Dès que Drona l'eut percé de vingt-cinq traits dans le
combat, il trancha d'un autre bhalla son arc d'une grande
splendeur. 7,615.
Sous les profondes blessures du brahme, Dhrishta-
dyoumna, mordant ses lèvres, éminent Bharatide, rejeta
vite son arc. 7,616.
232 LE MAHA-BHARATA.
Irrité, l'auguste prince, dans son désir de porter la
mort à Drona, saisit un autre arc meilleur. 7,617.
Aussitôt qu'il eut bandé cette arme, le fortuné destruc-
teur des héros ennemis lança une flèche épouvantable, qui
devait porter la mort à Drona. 7,618.
Décochée par ce robuste guerrier dans cette horrible
et grande bataille, elle éclaira toute l'armée, comme le
soleil élevé sur l'horizon. 7,619.
A la vue de cette flèche épouvantable, sire, les Dânavas,
les Gandharvas et les Dieux adressèrent dans le combat
ce vœu pour le Bharadwâdjide : « Le salut soit avec toi ! »
Mais avant qu'elle ne fût arrivée sur la voiture de l'Air
chàrya, Karna, en homme adroit, sire, fit douze morceaux
de cette flèche. 7,620—7,621.
Tranché en maintes parties, vénérable monarque, le
trait de Dhrishtadyounina tomba rapidement, comme un
serpent, qui n'a plus de venin. 7,622.
Quand il eut neutralisé dans le combat ses projectiles
avec d'antres aux nœuds inclinés, Karna de blesser Dhrish-
tadyoumna lui-même de flèches acérées. 7,623.
Le fils de Drona le frappa de cinq traits, Drona d'un
égal nombre, Çalya de neuf bhallas et Douççâsana de
trois ; 7,62/i.
Douryodhana de vingt, Çakouni de cinq, et tous les
grands héros mêmes blessèrent le Pântchâlain d'une main
hâtée. 7,625.
Sous les coups des sept guerriers, qui combattaient
pour la défense de Drona, le prince du Pântchala de ri-
poster à tous avec trois dards individuellement. 7,626.
Usant de hâte dans ce grand combat, Dhrishtadyoumna
DRONA-PARVA. 233
de blesser, grand roi, Drona, Karna, le Dronide et ton
fils. 7,627.
Atteints par ce vailltmt archer, tous réunis et poussant
des cris épouvantables, ils percèrent en représailles
Dhrishtadyoumna dans le combat. 7,628.
Droumaséna irrité, sire, le blessa d'une flèche et, re-
doublant son coup, de traits aigus, précipités, en lui
criant : « Halte-là! arrête ! » 7,629.
Le Pântcltàlain lui rendit en échange dans le combat
trois dards brûlants, au vol droit, empennés d'or, imbus
d'huile de sésame et destructeurs de la vie. 7,630.
D'un autre bhalla, il ravit au corps du brave Droumaséna
dans la guerre sa tète, ornée de pendeloques en or et
flamboyantes. 7,631.
Mordant la coupe de ses lèvres, elle tomba sur la terre,
comme le fruit d'un palmier, secoué par un grand vent.
Dès que le vaillant guerrier eut frappé encore les com-
battants de ses flèches bien acérées, il trancha de ses
bhallas l'arc de l'héroïque fils de Râdha.
7,632—7,633.
Celui-ci vit alors avec indignation qu'il eût coupé son
arc ; tel le bien terrible Vishnou s'indigna du retranche-
ment de sa queue. 7,634.
11 prit un nouvel arc, et, soupirant de fureur, les yeux
rouges de colère, il déversa un torrent de flèches sur
Dhrishtadyoumna à la grande force. 7,635.
Aussitôt que les six vaillants et fameux héros (1) eurent
vu le courroux de Karna, ils se hâtèrent de cerner le fils
(1) Douryodhana, Douççàsana, Druua, kania, Çalya et Çakouni, euiyant
l'énumération du commentateur.
nh LE MAHA-BHARATA.
du Pântchâlain, animés par le désir de lui donner la mort.
Dès que nous vîmes Dbrishtadyoumna en présence de
tes six meilleurs combattants, nous pensâmes (1) qu'il
était tombé dans la gueule du trépas. 7,636 — 7,637.
Mais, clans ce moment, le Dâçârhain Sâtyaki, déchar-
geant ses flèches, vint se rangerauprès du vaillant Dhrish-
tadyoumna. 7,638.
Quand il vit accourir le Sâttwatide, ivre de la furie des
combats, Râdhéya le frappa avec dix traits clans la guerre.
Sâtyaki, à son tour, grand roi, le perça de dix flèches,
sous les yeux de tous les héros, et lui cria : « N'avance
pas ! arrête ! » 7,639— 7, 6A0.
Cette lutte du vigoureux Sâtyaki et du magnanime
Karna ressemblait, sire, au combat de Bali et d'Indra.
Effrayant les guerriers par le bruit de son char, le plus
éminent des kshatryas, Sâtyaki de blesser Karna aux yeux
de lotus. 7, 6/il— 7,6/(2.
L'Adhirathide, ébranlant la terre, pour ainsi dire, puis-
sant roi, avec le bruit de son arc, rendit à Sâtyaki ses
blessures. 7,643.
Karna de percer Çaînéya en représailles avec clés vipâ-
thas, des karnis, des nàrâtchas, des vatsadantas (2), des
rasoirs et des centaines de flèches. 7,6/iZi-
De même Youyoudhâna, le plus excellent des Vrisli-
nides dans la guerre, versa en pluies ses flèches sur
Karna: ce combat se balança d'abord avec des formes
semblables. 7,6/15.
Tes fils, s' étant rangés sous la conduite de Karna, frap-
(1) Dhrishtaclyoumnam amansmahi, texte de Bombay.
(2) Divers noms de traits.
DRONA-PARVA. ï>35
pèrent tous de tous côtés, souverain des hommes, Scàtyaki
de flèches acérées. 7,6/16.
Dès qu'il eut, seigneur, arrêté leurs astras par les siens,
Sàtyaki perça lestement Vrishaséna au milieu des seins.
Profondément blessé de ce trait, le vigoureux Vrisha-
séna à la grande lumière tomba tout à coup dans son char
et laissa lui échapper son arc. 7,6/17— 7,6/i8.
Croyant alors que l'héroïque Vrishaséna n'était plus
et consumé du regret de son fils, Karna en représailles
accabla Sâtyaki de ses flèches. 7,6Zi9.
Sous la charge de ses dards, le vaillant Youyouclhàna,
redoublant ses coups pressés, frappa l' Adhirathide de traits
nombreux. 7,650.
Aussitôt qu'il eut percé Karna de dix flèches et Vrisha-
séna de cinq, le Sâttwatide trancha les deux arcs et les
bracelets de leurs mains. 7,651.
Ayant bandé d'autres arcs épouvantables, ils blessèrent
de tous côtés Youyoudhàna de traits acérés. 7,652.
Tandis que cet effroyable carnage des plus vaillants hé-
ros sévissait, on entendit à pleines oreilles le grand son
du Gàndiva. 7,653.
A peine eut-il ouï le fracas du char et le bruit du Gân-
dîva, le fils du cocher, sire, adressa ces paroles àDouryo-
dhana : 7,65/i.
« Ce grand son du Gândîva nous annonce qu'Arjouna
vient d'immoler toute l'armée, et principalement les héros
Kouraviens, les plus vaillants des hommes. 7,655.
» On entend' le fracas de son char, comme un rugisse-
ment de la foudre d'Indra. Evidemmem, ce filsdePàndou
exécute l'œuvre, qui est propre à lui-même. 7,656.
» Ce fils de Prilhâ, puissant monarque, il écraserait de
236 LE MAHA-BHARATA.
bien nombreuses armées : plusieurs d'un grand dévelop-
pement ne tiendraient jamais le pied ferme devant lui.
» A peine s'est-elle approchée de l'Ambidextre, une
armée est engloutie comme un navire brisé dans la mer,
et dissipée comme une masse de nuages, agitée par le
vent. 7,657—7,658.
» On entend un grand bruit, sire, des principaux guer-
riers, qui fuient dans le combat et qui tombent sous les
flèches, envoyées par le Gândîva. 7,659.
» Écoute, tigre des rois, le roulement du tambour, qui
éclate devant le char d'Arjouna, comme dans la nuit, au
milieu du ciel, le fracas du tonnerre. 7,660.
» Écoute ces plaintes et ces gémissements, ces éminents
cris de guerre et ces bruits de toute sorte, qui s'élèvent
près du char d'Arjouna! 7,661.
» Voici que Sâtyaki, le plus vaillant des Vrishnides, se
tient au milieu de nous. Si nous le prenons pour but,
nous vaincrons tous les ennemis. 7,662.
» Environné de tous côtés par des braves et par des
héros, les plus grands des hommes, le fds du roi des
Pàntchàlains en est venu ainsi aux mains avec le Bhara-
dwàdjide. 7,663.
» Si nous pouvons immoler Sàtyaki et Dhrishtadyoumna
le Prishatide, la victoire, sans aucun doute, grand roi,
nous est assurée. 7,664.
» Ayant cerné ces deux braves aux grands chars, comme
fut le Soubhadride, efforçons-nous, Mahâràdja, de cou-
cher morts le rejeton de Vrishni et le fds de Prishat.
» Sachant que Sâtyaki avait affronté des héros Kou-
rouidcs en grand nombre, l'Ambidextre a marché en avant,
Bharatide, pour entrer dans l'armée de Drona.
DRONA-PARVA. 237
» Que de nombreux guerriers, les plus distingués par
le rang et le courage, se rendent là, avant que le Pri-
thide n'ait appris que Sàtyaki est environné par de nom-
breux ennemis. 7,665—7,6(56 — 7,667.
» Vous, grands héros, frappez-le, déchargeant une
grêle de flèches, en sorte que Màdhava descende ici-même
dans l'autre monde. » 7,668.
Quand il connut le sentiment de Karna , ton fils, sire,
dit au Soubalide, ainsi qu'Indra à la haute renommée par-
lait dans le combat à Vishnou : 7,669.
« Environné par dix mille éléphants, qui ne tournent
jamais le dos, et par dix milliers de héros, marche rapide-
ment (l) sur Dhanandjaya. 7,670.
» Douççâsana, Dourvishaha, Soubâhou et Doushpra-
dharshana, ces quatre héros suivront tes pas, accompa-
gnés par de nombreux fantassins. 7,67:1.
» Tue, mon oncle, tue les deux Krishnas et Dharma-
râdja, Nakoula, Sahadéva et le Pândouide Bhîmaséna !
» J'ai en toi une espérance de la victoire aussi ferme
que celle des Dieux mêmes, dans le roi des Immortels.
Tue, mon oncle, les enfants de Kountî, comme le fils du
Feu, Kârttikéya, immola jadis les Asouras. »
7,672 — 7,673.
A ces mots de ton fils, et désirant consumer les enfants
dePândou pour faire une chose agréable à tes fils, le Sou-
balide (2), escorté d'une nombreuse armée et de tes fils
eux-mêmes, "seigneur (3) marcha contre les Prithides.
Alors commença le combat entre les tiens et les ennemis.
7,674—7,675.
(1) Tournant, texte de Bomliuv.
(2-3) Même texte.
238 LE MAHA-BHARATA.
Tandis qu'il s'avançait vers l'armée des Pândouides, le
fils du cocher, environné d'une grande armée, marchait
lui même d'un pied hâté vers le Sâttwatide, et répandait
ses nombreuses centaines de flèches dans le combat. Tous
les tiens, en venant aux mains, cernèrent donc Sâtyaki.
7,676—7,677.
S'étant approché du char, où combattait Dhrishta-
dyoumna, Y Adldratkide engagea alors, au milieu de la
nuit, éminent Bharatide, un combat grand et merveilleux
avec ce héros et les Pântchàlains. 7,678 — 7,679.
Bouillants d'impatience et de colère, tous ceux de ton
parti, ivres de la furie des combats, coururent (1), hâtant
leurs pas, sur le char de Youyoudhâna, 7,680.
Ils environnèrent le Sâttwatide avec des cavaliers, sire,
des éléphants, des chars équipés, ornés de pierreries et
d'or. 7,681.
Quand ces fameux héros l'eurent cerné de tous les côtés,
ils poussèrent de grands cris de guerre, faisant résonner
de leurs menaces les quatre plages du ciel. 7.682.
Ces vaillants hommes, qui désiraient la mort de Mâ-
dhava, déchargèrent d'une main hâtée sur Sâtyaki, de
qui le courage était une vérité, des flèches acérées.
Aussitôt que le meurtrier des héros ennemis, Çaînéya
aux longs bras les vit s'abattre d'un vol précipité, il les
reçut avec de nombreux dards, qu'il envoyait en échange.
7,683—7,68Zi.
Ensuite le héros au grand arc, Sâtyaki, ivre de la furie
des combats, trancha les têtes avec des flèches terribles,
aux nœuds inclinés. 7,685.
De ses traits en fer achevai, Mâdhava, parmi les tiens,
(l) Prâdravan, texte de Bombay.
DRONA-PARVA. 239
abattit les trompes des éléphants, les cous des chevaux et
les bras mêmes, ornés de leurs bracelets. 7,686.
Telle qu'un ciel parsemé d'étoiles, la terre brillait, sei-
gneur, jonchée de chasse-mouches épars et de blanches
ombrelles. 7,687.
Le bruit de ces hommes, frappés de mort par Youyou-
dhâna dans le combat, ressemblait aux gémissements
confus des trépassés dans C autre monde. 7,68S.
La terre était remplie de ces grandes voix : la nuit,
inspirant l'effroi, avait des formes épouvantables. 7,689.
Dès qu'il vit son armée en butte aux flèches de You-
youdhâna et mise en pièces, dès qu'il entendit ces im-
menses, ces effroyables clameurs dans la nuit, 7,690.
Le meilleur des maîtres de chars, ton fds, sire, dit
mainte fois à son cocher : « Pousse tes coursiers vers le
côté d'où vient ce bruit ! » 7,691.
Stimulé par lui, son cocher fouetta donc les chevaux
de la plus haute taille vers le char d'Youyoudhâna.
Le roi héroïque, Douryodhana, l'archer ferme, à la fa-
tigue vaincue, à la main prompte, fondit sur le Vrishnide.
7,69-2—7,693.
Mâdhava de percer en retour Douryodhana avec douze
flèches, qu'il décocha, longues, puissantes, tirant leur
nourriture de la chair et du sang. 7,694.
Celui-ci, antérieurement blessé par lui et ne pouvant
supporter ce traitement, rendit à Çaînéya ses blessures
avec dix traits. 7,695.
Ensuite, un combat s'éleva d'un aspect semblable à une
merveille, entre tous les Pântchâlains et les tiens rassem-
blés entièrement. 7,696.
Irrité dans la bataille, Çaînéya de blesser le grand
no LE MAHA-BHARATA.
héros, ton fils, rejeton de Bharata, en pleine poitrine,
avec quatre-vingts flèches. 7,697.
Il plongea, de ses traits, les chevaux du guerrier dans
les demeures d' Varna, et, destructeur des ennemis, il en
abattit promptement le cocher à bas du char. 7,(398.
Debout dans sa voiture de guerre, privée de chevaux,
ton fils, souverain des hommes, lança des flèches acérées
sur le char de Çaînéya. 7,699.
Mais celui-ci trancha par cinquantaines, en homme
adroit, sire, les traits, que ton fils envoyait dans le com-
bat ; 7,700.
Et d'un autre bhalla, Mâdhava lestement coupa dans
la bataille à l'endroit, où le tenait son poing, le grand arc
de ton fils. 7,701.
Sans char, sans arc, le seigneur suzerain du monde
entier monta rapidement sur le char lumineux de Krita-
varman. 7,702.
Douryodhana une fois réduit à tourner le dos, souve-
rain des hommes, Çaînéya mit en déroute, sous ses flèches,
ton armée au milieu de la nuit. 7,703.
Çakouni arrêta de tous les côtés Arjouna. Il engagea
de toutes parts une mêlée confuse, avec des milliers de
chars, des éléphants mêmes, amenés par milliers, et des
milliers de chevaux. Les kshatryas, stimulés par la mort,
combattaient Arjouna, répandant sur lui des astras puis-
sants et célestes. Déployant ses efforts, le héros, arrêtant
ces milliers de chevaux, d'éléphants et de chars, fit tour-
ner le dos à l'ennemi. L'homicide Arjouna fut blessé dans
ce combat par le Soubalide
7,70A— 7,705— 7,706— 7,707.
Irrité, les yeux rouges de colère, à coups profonds, de
DRONA-PARVA. 241
vingt flèches: son grand char fut arrêté encore par lui avec
cent traits. 7,708.
Mais Arjouna le perça de vingt projectiles dans cette
bataille, et frappa les autres grands héros de trois dards
individuellement. 7,709.
Quand il eut neutralisé leurs multitudes de flèches dans
le combat, Dhanandjaya, sire, immola tes combattants
sous des traits sublimes, qui avaient la rapidité de la
foudre. 7,710.
Jonchée de bras coupés et de cadavres étendus par
milliers, la terre sur ce champ de bataille resplendissait,
comme si elle était couverte de fleurs. 7,71].
Semée de têtes au nez charmants, aux pendeloques su-
perbes^ à la coupe des lèvres mordue, à l'air courroucé,
aux yeux sortis de l'orbite, coiffées encore de la tiare,
portant des pierreries, des aigrettes et des nishkas, à qui la
voix des kshatryas avait inspiré naguère d'aimables pa-
roles, la terre brillait, comme de montagnes aux cham-
pakas écroulés. 7,712 — 7,713.
Dès que Bîbhatsou au terrible courage eut accompli
cette œuvre terrible (1) et qu'il eut blessé encore Çakouni
de cinq traits aux nœuds inclinés ; 7,714.
11 frappa avec colère Ouloûka d'une flèche dans le com-
bat, sous les yeux du Soubalide même, et poussa une
vaste clameur, qui remplit toute la terre. Puis, le fils de
l'Indrades Dieux trancha l'arc de Çakouni, 7,715-7,716.
Et plongea ses quatre chevaux dans les demeures
d'Yama. Alors, sautant à bas de son char, le Soubalide
monta d'un pied hâté, rapidement, sur le char d'Ouloûka.
(1) Ougram ougraparâkrnma .
ix 16
242 LE MAHA-BHARATA.
Debout clans un même chariot, ces deux illustres héros,
le père et le fils, 7,717 — 7,718.
Submergèrent le Prithide sous une averse de flèches,
comme deux nuages, qui se sont élevés, inondent une
montagne. Mais, quand ce fils de Pândou, grand roi, les
eut blessés de ses traits acérés, il mit en déroute ton ar-
mée, par centaines et par milliers. Tel que le vent dis-
perse les nuages çà et là, 7,719 — 7,720.
Telles étaient, souverain des hommes, divisées tes ar-
mées. Alors, taillées en pièces dans la bataille, on les
voyait toutes courir, fouettées par la peur, à tous les points
de l'espace. Les uns, abandonnant les rênes à leurs che-
vaux, les excitaient encore dans le combat. 7,721 — 7,722.
Ils fuyaient à la ronde (1), effrayés en ces ténèbres
épouvantables. Après qu'ils eurent-vaincu dans la bataille
tes combattants, éminent Bharatide, 7,723.
Dnanàndjayâ et le Vasoudévide, pleins de joie, rem-
plirent de vent leurs conques. Aussitôt que Dhrishta-
dyoumna eut percé Drona de trois flèches, 7,72/i.
Il trancha rapidement la corde de son arc avec un dard
aigu. Mais, rejetant son arme sur la terre, l'héroïque
Drona, le destructeur des kshatryas, saisit un nouvel arc
rapide, très-fort, et de frapper avec lui Dhrishtadyoumna
de sept flèches. 7,725 — 7,726.
Il blessa encore, éminent Bharatide, son cocher de cinq
traits. Lorsque le vaillant Dhrishtadyoumna eut arrêté
Drona de ses flèches, 7,727.
11 dispersa l'armée Kouravienn'e, comme Méghavat mit
en déroute l'armée des Asouras. Au milieu de cette ar-
(1) Paryadhâvanta, texte de Bombay.
DRONA-PAIIVA. 245
niée mise en fuite de ton fils, vénérable roi, 7,728.
Il coulait une épouvantable rivière, qui roulait des
ondes de sang, et qui, semblable à la Vaitaranî, auguste
sire, dans le royaume d'Yama, entraînait au milieu de ses
flots les éléphants, les chevaux et les guerriers de l'une et
de l'autre armée. Quand le majestueux Dhrishtadyoumna
eut dispersé en fuite cette armée, 7,729—7,730.
11 brilla, plein de splendeur, tel que Çakra entre les
chœurs des Dieux. Dhrishtadyoumna et Çikhandî firent
alors résonner leurs grandes conques. 7,731.
Les deux jumeaux, Youyoudhâna et le Pândouide Bhi-
maséna, ces grands héros (1), ayant vaincu les milliers de
chars (2) des tiens, 7,732.
Ivres de la furie des combats, jetèrent victorieux leurs
rugissements de guerre, sous les yeux de ton fils, souve-
rain des hommes, de Rarna, de l'héroïque Drona etd'Aç-
vvatthâman lui-même. 7,733 — 7,73Zi.
A peine eut-il vu son armée en déroute, taillée en
pièces par ces magnanimes, ton fils, souverain des
hommes, pénétré d'une grande colère, 7,735.
S'avança soudain vers Karna et vers Drona, le plus
excellent des victorieux, et leur tint ce langage, habile à
manier la parole et tombé sous le pouvoir du cour-
roux : 7,736.
« C'est à vous deux irrités à soutenir ici la bataille.
Vous avez vu le Sindhien immolé dans le combat par
l'Ambidextre. 7,737.
» Mon armée est battue par la vigueur des fils de Pân-
dou. Vous êtes forts et vous voyez, comme si vous étiez
(1-2 RathasnhasrAni.... mahûratluîs, texte de Bombay.
244 LE MAHA-BH ARATA.
faibles, que la victoire a conduit les choses à ce résultat.
» Si vous devez m' abandonner, alors je ne suis plus
digne que l'on parle de moi. Vous triompherez, m'avez-
vous dit, ô vous, qui m'inspiriez un sentiment d'orgueil,
vous triompherez des fils de Pândou dans la bataille.
7,738—7,739.
» Si je n'avais alors entendu cette parole, à laquelle
tous deux vous donnâtes votre assentiment, je n'aurais
pas engagé avec les Pândouides cette guerre, qui détruit
mes combattants. 7,7/i0.
» Si je ne dois pas être abandonné par vous, éminents
personnages, combattez avec un courage digne de vous,
qui êtes remplis d'une ardente valeur. » 7,741.
Ces deux héros, que ton fils stimulait avec l'aiguillon
de ses paroles, recommencèrent le combat, tels que deux
serpents foulés du pied (1). 7,742.
Ces deux archers du monde entier, les meilleurs des
maîtres de chars, fondirent alors dans la bataille sur les
Prithides, à la tête de qui marchait Çaînéya. 7,743.
Et, de même, les Prithides, accompagnés de tous les
côtés par leur armée, s'avancèrent vers ces deux héros,
qui poussaient mainte et mainte fois des cris. 7,744.
Et le plus excellent de tous ceux, qui portent la flèche,
l'héroïque Drona, de blesser à la hâte, avec dix traits, le
grand héros des Çinides. 7,745.
Karna le perça d'un égal nombre, ton fils de sept dards,
Vrishaséna de dix et le Soubalide de sept également.
Ceux-ci, dans la bataille des Kourouides, répandirent
à l'entour de Çaînéya la pluie de leurs flèches. Quand ils
(1) Explication du commentaire.
DRONA-PARVA. 245
virent Drona immoler dans ce combat l'armée Pàndouide,
7,7/i'J — 7,7li~.
Les Somakas, d'une main hâtée, le frappèrent de tous
côtés avec des averses de projectiles ; et Drona alors de
ravir, souverain des hommes, les existences des kshatryas,
tel que les rayons du soleil, sire, enlèvent les ténèbres à
la ronde. Tandis que Drona taillait les Pàntchâlains en
pièces, 7,748 — 7,749.
Voici qu'on entend un bruit d'hommes, qui s'appe-
laient mutuellement, les uns demandaient leurs fils, les
autres leurs pères, ceux-ci leurs frères, ceux-là un oncle ;
Plusieurs un neveu, un grand nombre un ami, et des
parents invoquaient un parent. S' abandonnant les uns les
autres, ils allaient, désireux de conserver leurs vies.
7,750—7,751.
Ceux-ci, la tête égarée, s'en venaient droit à lui, con-
duits par le délire ; d'autres, combattants dans l'armée
des Pândouides, tombaient dans l'autre monde. 7,75*2.
Accablée par ce magnanime, l'armée Pândouide s'en-
fuyait, sire, au milieu de la nuit, rejetant ça et là ses
torches de tous les côtés, 7,753.
Aux yeux de Bhîmaséna, d'Atchyouta le Vasoudévide,
de Viçljaya, des jumeaux, du fils d'Yama, et sous les re-
gards du Prishatide. 7,754.
En ce monde, enveloppé de ténèbres, rien n'était plus
distingué ; on en voyait d'autres, qui fuyaient à Ja lu-
mière des Kourouides. 7,755.
Les deux héros, Drona et Karna, dispersant des grêles
de flèches, suivaient les pas, sire, de cette armée mise en
déroute. 7,756.
Tandis que les Pàntchâlains rompus mouraient de toutes
246 LE MAHA-BHARATA.
parts, Djanârddana, l'âme consternée, adressa ce langage
à Phâlgouna : 7,757.
« Les flèches de Drona et de Karna, ces deux héros,
tombent dans le combat sur le Prishatide et Sâtyaki,
accompagnés des Pântchâlains ! 7,758.
» L'armée est maintenant (1) rompue sous les pluies
des traits, et les divisions arrêtées, fils de Kountî, se
débandent. » 7,759.
A l'aspect de l'armée en déroute, Arjouna et Réçavade
s'écrier : « Ne fuyez pas, tremblants de peur ! Soldats de
Pândou, rejetez la crainte ! 7,760.
» Ces deux, que l'on voit ici, Drona et le fils du cocher,
nous allons marcher, nos armes bravement levées, pour les
arrêter avec tous nos escadrons rangés en ordre de ba-
taille (2). » 7,761.
Ayant vu Vrikaudara s'avancer de ce côté, Djanârddana
dit encore ces mots au fils de Pândou, comme pour exci-
ter son ardeur : 7,762.
« Voici le guerrier, qui se vante de ses batailles, Bhîma,
accompagné de Pândouides et deSomakas, qui s'approche
à pas légers de ces deux héros, Drona et Karna ! 7,763.
» Combats, secondé par lui et par les grands héros
Pântchâlains : inarche maintenant, fils de Pândou, à
l'extermination des guerriers ! » 7,7Ql\.
Alors ces deux tigres des hommes, Mâdhava et le Pàn-
douide, s'étant approchés de Drona et Karna, se tinrent
au front de la bataille. 7,765.
Ensuite, la grande armée d'Youdhishthira revint au
(1) Littéralement : alors.
(2) Vyoùliais, texte de Bombay.
DRONA-PAUVA. W
lieu du combat, où Drona et Karna écrasaient les enne-
mis. 7,766.
Une vaste et tumultueuse bataille s'éleva donc en cette
nuit, comme si c'étaient deux mers, sire, dont le lever de
la lune avait accru la masse des eaux. 7,767.
Ayant rejeté les lanternes, qu'elle tenait à ses mains,
ton armée, saisie d'ivresse, pour ainsi dire, fils de Bha-
rata, combattit avec les Pândouides. 7,768.
Dans cette bataille extrêmement épouvantable par les
ténèbres et la poussière, les guerriers, désirant la vic-
toire (1), combattaient seulement sur l'exposé des fa-
milles (2) et des noms. 7,769.
On entendait là des noms, puissant roi, dignes d'être
entendus par des princes, qui luttaient dans ce combat,
comme dans un swayambara. 7,770.
D'abord régna un silence sans voix ; puis, ce fut une
vaste clameur d'hommes irrités, combattant, vainqueurs
et vaincus même. 7,771.
En tous lieux où l'on voit des lampes, héros des Kou-
rouides, là. accourent les braves, comme des sauterelles,
[.es fils de Pândou et les Kourouides combattant,
Indra des rois, étaient plongés dans une nuit profonde.
7,772-7,773.
liés que le destructeur des héros ennemis, Karna vit
le Prishatide dans le combat, il le frappa dans la poitrine
avec dix traits, qui déchiraient les membres. 7,77/i
Dhrishtadyoumna à son tour de blesser rapidement
Karna, dans cette grande bataille, avec cinq flèches, en
lui criant: « Halte-là ! arrête! » 7,775.
(1-2) Ndmagotrénu.... djayalshinas, texte de Bombay.
248 LE MAHA-BHARATA.
Ces deux héros se couvrirent l'un l'autre de traits en
cette immense bataille ; ils se percèrent mutuellement de
dards longs, puissants, bien décochés. 7,776.
L'Adhirathide conduisit dans la guerre au séjour
d'Yama le cocher et les quatre chevaux de Dhrishta-
dyoumnr, le chef des Pântchâlains. 7,777.
Il trancha avec des flèches acérées son arc, la meilleure
des armes, et, d'un bhalla, il abattit son cocher du siège
de son chariot. 7,778.
Le vigoureux Dhrishtadyoumna, réduit à pied, ses
chevaux tués, son cocher immolé, sauta lestement à bas
de son char, et saisit une massue. 7,779.
Malgré les dards aux nœuds inclinés, dont il était
blessé par le fils du Soleil, il s'avança vers Karna et tua
ses quatre chevaux. 7,780.
Le meurtrier des héros ennemis, le Prishatide revint
sur ses pas rapidement, et, le plus excellent des maîtres
de chars, il monta avec légèreté dans la voiture de Dha-
nandjaya (1). 7,781.
11 voulait encore se porter sur Karna, mais il en fut
empêché par Youdhishllrira, le fils d'Yama. L'Adhira-
thide à l'immense splendeur fit résonner son arc d'un
vaste bruit, mêlé au rugissement d'un cri de guerre, et
remplit sa conque de notes éclatantes. Quand les grands
héros virent le Prishatide vaincu dans le combat,
Les Pântchâlains et les Somakas, tombés sous le pou-
voir de la colère, saisirent des traits de tous les côtés
pour la mort du fils de cocher. 7,782—7,783 — 7,784.
(1) De Sahadéva, dit le texte d<; Bombay ; ce qui se lie bien mieux avec
le vers suivant.
DRONA-PARVA. 2/19
Us s'avancèrent, visant Rama et revenant sur les pas
de la mort. Le cocher de l'Adhirathide attela d'autres che-
vaux à son char. C'étaient des Sindhiens à la grande
vitesse, à la couleur de la conque, habiles à bien con-
duire (1). Râdhéya, prenant les grands héros Pântchà-
lains pour but, 7,785—7,786.
Les submergea de ses flèches, comme un nuage inonde
une montagne. Accablée par Karna, l'armée desPàntchà-
lains (-2), 7,787.
Courait, tremblante de peur, comme des gazelles, qu'un
lion poursuit. On voyait tomber tout à coup de tous les
côtés, auguste monarque, des maîtres de chars au milieu
des coursiers, des éléphants et des chariots. Karna tran-
chait de ses flèches en fer à cheval la tête, ornée de pende-
loques, et les bras à tous les combattants, qui fuyaient
dans ce grand combat; il coupait les cuisses d'un autre,
souverain des hommes, monté sur un éléphant,
7,788—7,789—7,790.
Équitant sur l'échiné d'un coursier ou marchant à pied
sur la terre. D'autres grands héros ne voulaient plus re-
connaître, dans leur fuite, 7,791.
Leurs propres membres et leurs chars mêmes, coupés
dans la guerre. Taillés en pièces par les terribles flèches,
les Pântchâlains et les Srindjayas, 7,792.
S'imaginaient appercevoir le fils du cocher dans un
:seul tremblement des herbes. L'âme égarée, ils pensaient
voir Karna lui-même dans un des leurs, qui fuyait, et
(1) Sàdhouvâhinas, texte de Bombay.
(2) L'édition de Calcutta porte ici une faute d'impression; elle écrit
Pântchândn, oubliant la syllabe médiale la dans ce mot Pdntchàlanûm.
250 LE MAHA-BHAR.ATA.
de-là ils se mettaient à courir, pleins d'épouvante. Dis-
persant ses traits de tous les côtés, Rarna de précipiter
sa course, Bharatide, sur les armées rompues et mises en
pleine déroute. Fuyant, l'âme perdue, les guerriers
étaient immolés dans le combat ;
7,793—7,79/1—7,795.
Agités, ils ne pouvaient pas rester de pied ferme de-
vant ce magnanime Rarna. Les Pântchâlains, frappés de
ses grandes flèches, 7,796.
Couraient à tous les points de l'espace, sous les regards
de Drona. Lorsqu'il vit son armée en fuite, le roi You-
dhishthira, 7,797.
Tournant son esprit vers la pensée de la retraite, adressa
ces mots à Phâlgouna : « Vois ce héros Karna, le pied
ferme et son arc à la main, 7,798.
» Qui nous consume, comme le soleil, dans le temps
même de cette nuit épouvantable. Ces cris, qua l'on en-
tend continuellement, (ils dePrithâ,sont les gémissements
de nos amis, qui, chassés par les flèches de Karna, jettent
des plaintes comme des abandonnés. 11 ne met pas un in-
tervalle, que je puisse saisir, entre encocher et lancer sa
llèche : pour sûr (1), fils de Prithâ, il nous (2) détruira.
Exécute ce que tu vois opportun de faire immédiatement
ici, Dhanandjaya, et qui s'unit à la mort de Karna. » A
ces mots, grand roi, le Prithide tint ce langage à Krishna:
7,799— 7,800— 7,801— 7,802.
« Le roi lils d' Vania est effrayé maintenant du courage
de liâdhéya. Dans cette situation, que ta seigneurie dé-
cide promptement deux et trois fois ce ce qu'il est opportun
(1-2) Naud/nvuvan, texte de Bombay.
DRON A-PAU VA. 251
de faire dans l'armée de Karna. En effet, nos troupes
sont en fuite.
» Il n'existe plus rien, qui tienne, meurtrier de Madhou,
parmi nos gens rompus, chassés par les flèches de Drona
et terrifiés par Karna. Je le vois ici, qui se promène sans
crainte, 7,803— 7,804—7,805.
» Et qui répand ses traits acérés sur les grands chars,
dispersés en déroute. De même qu'un serpent ne peut
souffrir qu'on le touche du pied, ainsi je ne puis endurer,
tigre des Vrishnides, qu'il se promène devant mes jeux
au front du combat. Que ta majestés' eD aille doncpromp-
lement là où est l'héroïque Karna. 7,806—7,807.
» Je lui ferai mordre la poussière, meurtrier de Ma-
dhou, ou c'est lui, qui m'abattra mort sur la terre ! » 7,80S.
«Je vois, fils de Kountî, lui répondit le Vasoudévide.
Karna, le tigre des hommes, doué d'un courage plus
qu'humain, qui se promène au milieu du combat, sem-
blable au roi des Dieux. 7,809.
» Nul autre ne s'élèvera contre lui dans la bataille,
tigre des hommes, si ce n'est toi, Dhanandjaya, ou le
Rakshasa Ghatotkatcha. 7,810.
» Alais je ne pense pas, irréprochable guerrier, que
cette rencontre avec le fils du cocher dans la guerre soit
maintenant opportune, héros aux longs bras. 7,81:1.
» En effet, cette lance d'Indra se tient dans son char,
comme une grande torche allumée ; c'e-t pour toi, formi-
dable guerrier, que le fils du cocher la tient en réserve
dans la guerre : elle porte un aspect épouvantable.
Ghatotkatcha te fut toujours dévoué, et toujours il dé-
sira ton bien. 7,812 — 7,813.
» Que le vigoureux Ghatotkatcha s'en aille donc affronter
252 LE MAHA-BHARATA.
Râdhéya ! Il a reçu la vie du robuste Bhîma; son courage
est semblable à celui des Dieux. 7,81/i.
» Il possède des astras célestes, Asouriques et Raksha-
siques ; il triomphera de Karna dans la bataille : je n'en
fais aucun doute. » 7,815.
A ces mots, le Prithide aux yeux de lotus, aux longs
bras, appela ce Rakshssa, qui apparut aussitôt devant lui.
Il portait la cuirasse et le cimeterre, souverain des
hommes, un arc et sa flèche. Quand il se fut incliné de-
vant Krishna et le Pândouide Dhanandjaya, il dit avec
fierté : « Me voici ! Donne-moi tes ordres ! » Alors, le
Dâçârhain fit en souriant cette réponse à l'Hidimbide,
les yeux enflammés, la bouche ardente, et semblable à un
nuage. 7,816—7,817—7,818—7,819.
« Apprends-les, Ghatotkatcha ; écoute bien ce que je
vais te dire : l'heure, qui arrive, est pour toi, et non pour
un autre, quel qu'il soit, l'heure de montrer ton courage.
» Que ta valeur (1) soit une barque de salut pour tes
parents (2), que ce combat veut engloutir. Tu possèdes
différents astras et la magie Rakshasique. 7,820 — 7,S21 .
» Vois Karna, qui agite, fils de Hidimba, l'armée des
Pândouides au front de la bataille, comme un pâtre son
troupeau de vaches. 7,822.
» Ce Karna, est un héros, plein de prudence, au grand
arc, au courage ferme ; il consume dans les armées des
Pândouides les plus vaillants kshatryas. 7,823.
« Quoiqu'ils semassent d'immenses averses de traits,
des archers solides n'ont pu tenir le pied ferme, accablés
par la splendeur de ses flèches. 7,82/i.
'1) Bhavân.... bandoùnâm, texte de Bombay.
DRONA-PARVA. 253
» Sous l'oppression des grêles de dards, que verse le fils
du cocher au milieu de la nuit, voici les Pàntchâlains, qui
fuient, comme des gazelles devant la poursuite d'un lion.
» Il n'existe pas un autre que toi, guerrier au courage
épouvantable, qui puisse arrêter ce fils du cocher, qui a
fait de tels progrès dans la guerre. 7,825 —7,826.
» Exécute ici, héros aux longs bras, avec énergie et
vigueur, une œuvre digne de tes oncles, de tes pères et de
toi-même. 7,827.
» C'est pour cela, Hidimbide, que les hommes dési-
rent des fils : sauve tes parents de ces infortunes, quel-
que soit la manière, dont il est possible de nous (1) en
affranchir. 7,828.
» Les pères, Ghatotkatcha, désirent des fils pour leur
bien propre : les bons fils nous sauvent de ce monde-ci
dans l'autre monde. 7,829.
» La force du magnanime Karna est effrayante dans le
combat, mais non semblable à la tienne ; il n'existe pas
un guerrier égal à toi, déployant ta vigueur dans le com-
bat. 7,830.
» Dans ce fleuve des Dhritarâshtrides, où les flèches de
Karna ont submergé les Pândouides, rompus dans cette
nuit, sois, fléau des ennemis, leur rivage ultérieur. 7,831.
» Les Rakshasas ont encore plus dans la nuit un cou-
rage sans mesure; ils sont plus forts, plus inaffrontables,
plus héroïques ; ils combattent avec plus de valeur. 7,832.
» Immole dans le combat par ta magie Karna au grand
arc sous les ombres de la nuit. Les Prithides, commandés
par Dhrishtadyoumna sauront bien tuer Drona. » 7,833.
(1) Kathan nas târayét, texte de Bombay.
25A LE MAHA-BHARATA.
Dès qu'il eut ouï, Kourouicle, ces paroles de Kéçava,
Bîbhatsou lui-même dit au Rakshasa Ghatotkatcha, le
dompteur des ennemis : 7,834.
« Ta seigneurie, Ghatotkatcha, et Sàtyaki aux longs
bras, et le Pàndouide Bhîmaséna, vous êtes estimés par
moi entre tous les guerriers. 7,835.
» Que ta majesté aille donc engager dans la nuit un
duel en char avec Karna; le grand héros Sâtyaki défen-
dra tes derrières. 7,836.
» Secondé par l'héroïque Sâttwatide, fais mordre la
poussière du combat à Karna : tel Indra jadis, aidé par
Kàrttikéya, abattit mort Tàraka sur la terre. » 7,837.
« Je suffis pour Karna, répondit Ghatotkatcha ! et ces
autres magnanimes kshatryas, consommés dans les armes,
Bharatide, suffisent pour Drona. 7,838.
» Je livrerai cette nuit même au fils du cocher un com-
bat, tel qu'il en sera parlé, tant que la terre portera des
habitants. 7,839.
• » Je n'épargnerai ni les braves, ni les lâches, ni ceux,
qui m'adresseront des supplications, les mains jointes ;
et, fermement attaché au devoir du guerrier, j'immolerai
même tout Rakshasa, quel qu il soit. » 7,840.
Quand il eut parlé ainsi, le destructeur des héros en-
nemis, l'Hidimbide aux longs bras, jetant la terreur dans
ton armée, s'avança vers Karna dans le combat. 7,841.
Le terrible fils du cocher, le reçut en riant, lorsqu'il
s'approchait, irrité, la bouche enflammée, les cheveux
flamboyants. 7,842.
Alors s'éleva sur ce champ de bataille le combat de
Karna et du Rakshasa, vomissant la menace, tel que fut
jadis, tigre des rois, le conflit de Çakra et de Prahlâda.
DRONA-PARVA. 255
Lorsqu'il vit Ghatotkatcha aux longs bras, majesté,
s'avancer sur le char du fils de cocher, avec le désir de
tuer Karna dans la bataille, 7,8/io.
Ton fils tint alors ce langage à Douççâsana : « Parce
qu'il a vu le courage de l'Adhirathide dans le combat, ce
Rakshasa s'approche à pas hâtés afin de le combattre.
Arrête ce grand héros ! Environné d'une nombreuse ar-
mée, va où est ce guerrier à la grande force.
7,844— 7,845— 7,846.
Karna, le fils du Soleil, désire combattre avec ce Rak-
shasa : entouré d'une armée, mets tes soins, ô toi, qui
donnes l'honneur, à sauver Karna dans ce combat. Em-
pêche que ce Démon terrible ne tue Karna dans son
ivresse d'orgueil. » En ce moment, sire, le vigoureux fils
de Djatâsoura, 7,847—7,848.
Le meilleur des combattants s'approcha de Souyodhana
et lui dit : « Avec ta permission, Douryodhana, je désire
tuer les Pândouides et leurs suivants, tes illustres enne-
mis, ivres de la furie des batailles. Djatâsoura, mon vi-
goureux père, était jadis le monarque des Rakshasas :
7,849— 7,850.
» 11 est tombé sous les coups des vils Prithides, qui
s'étaient dévoués à une prouesse, exterminatrice des
Rakshasas. -Je désire apaiser ses Mânes, en lui offrant
pour hommage le sang et la chair des ennemis : veuille
bien, Indra des rois, m'accorder ta permission. » Le
monarque joyeux lui dit à plusieurs fois :
7,851—7,852.
« Il me suffit de Drona et de Karna pour vaincre cet
ennemi : mais vas, avec ma permission ; immole dans le
combat Ghalotkatcha. ce Démon aux œuvre? cruelles.
266 LE MAHA-BHARATA.
Rakshasa toi-même, plonge (1) en cette bataille au séjour
d'Yama ce Rakshasa, né d'un homme, toujours zélé poul-
ies Pândouipes, exterminateur des éléphants et des che-
vaux, destructeur des chars et venu dans ces régions par
la voie des airs. » — « Oui ! » dit le Rakshasa au grand
corps, qui porta un défi à Ghatotkatcha.
7,853—7,854—7,855.
Le Djatâsouride inonda le Bhîmasénide de flèches di-
verses. Seul, le fils de Hidimbâ écrasa, et Alambousha, et
Karna, et l'invincible armée des Kourouides, comme un
grand vent disperse les nuages. A peine Alambousha eut-
il vu que ce Ghatotkatcha était puissant en magie, il l'en-
sevelit sous des multitudes de traits, marqués de diffé-
rents caractères. Quand il eut blessé l'Hidimbide avec des
flèches nombreuses, 7,856—7,857—7,858.
Ses dards jetèrent rapidement l'armée des Pândouides
en pleine déroute. Disséminées par lui, 7,859.
Ces divisions s'éparpillèrent dans la nuit, comme des
nuages dispersés par le vent ; et ton armée, chassée par
les traits de Ghatntkatcha, 7,860.
Rejetant ses torches par milliers, courait, sire, au milieu
des ténèbres. Alambousha irrité frappa dans un grand
combat le Bhîmasénide avec une foule de dards, tel
qu'un gigantesque éléphant à coups d'aiguillons. Ghatot-
katcha 7,861.
De couper en menus fragments son char, son cocher et
toutes ses armes ; puis , il fit pleuvoir ses multitudes de
traits par milliers sur Karna, sur les Kourouides et sur
Alambousha, comme les nuages inondent le mont Mérou.
(1) Préshayés, texte de Bombay.
DRONA-PARVA. 257
L'armée des Kourouides, maltraitée parle Rakshasa, était
bouleversée. 7,861— 7,862— 7,863— 7, 864.
Du haut des airs, ils se brisent mutuellement une ar-
mée complète. Le Djatâsouride, sans char, puissant roi,
son cocher immolé, 7,865.
Blessa avec colère Ghatotkatcha au poing dans le com-
bat. Celui-ci de chanceler sur le coup ; 7,866.
Telle dans un tremblement de terre, une montagne
avec ses arbrisseaux, ses herbes et ses arbres touffus.
Transporté de colère, le Bhîmasénide frappa le Djatâsou-
ride avec son bras, exterminateur de l'ennemi et sem-
blable à une massue. Dès qu'il eut écrasé le Démon
irrité, l'Hidimbide soudain le renversa,
7,867—7,868.
Le serra entre ses deux bras et le broya sur la surface
de la terre. Aussitôt que le Djatâsouride se fut débarrassé
de l'étreinte de Ghatotkatcha, 7,869.
Il se releva lestement et fondit sur son rival. Alambou-
sha lui-même debout fit perdre pied à son tour au Rak-
shasa, 7,870.
Et le broya avec fureur dans le combat sur le sol de la
terre. Le combat de ces deux géants, la menace à la
bouche, Alambousha et Ghatotkatcha, fut tumultueux,
inspirant la terreur. Plus que des hommes et se surpas-
sant l'un l'autre par leurs magies, 7,871 — 7,872.
Ces deux héros à la grande vigueur combattaient, de
même que jadis Indra et le Virotchanide. Tantôt, ils de-
venaient l'océan et le feu, ou Takshaka et Garouda ;
Tantôt, ils se métamorphosaient en nuages et en grand
vent ; tantôt, ils étaient une haute montagne et le ton-
nerre ; une autre fois, ils se changeaient en éléphant et
xi 17
258 LE MAHA-BHARATA.
en tigre; enfin, l'on voyait en eux le soleil et Râhou, te
Démon de f éclipse. 7,873— 7, 874.
Ainsi, créateurs de cent prestiges et se désirant mu-
tuellement la mort, Alambousha et Ghatotkatcha variaient
à l'infini leur manière de combattre. 7,875.
Ils se frappaient l'un l'autre avec des pilons, des mas-
sues, des traits barbelés, des maillets d'armes, des pat-
tiças, des moushalas et des quartiers de montagnes.
Sur des chevaux, sur des éléphants (1), à pied ou
montés sur des chars, ces Démons à la grande magie
combattaient, les meilleurs des Rakshasas dans la guerre.
7,876—7,877.
Alors, bouillant de colère, Ghatotkatcha, par le désir
d'arriver à la mort de son rival, s'éleva dans l'air, puis
s'abattit comme un faucon. 7,878.
11 étreignit Alambousha au grand corps, l'Indra des
Rakshasas, et le frappa sur la terre, malgré sa résistance,
comme jadis Vishnou immola le Démon Maya dans le
combat. 7,879.
Ensuite, ayant tiré du fourreau son cimeterre à l'aspect
horrible, il enleva du corps sa tête effrayante, de qui la
vue inspirait le dégoût. 7,880.
Malgré ses vains efforts, puissant roi, et quoiqu'il
poussât des cris effroyables dans le combat, ce héros au
courage infini trancha le cou de son rival. 7,881.
Il saisit par les cheveux cette tête humide de sang, et
Ghatotkatcha fut précipitamment avec elle près du char
de Douryodhana. 7,882.
Le Rakshasa aux longs bras de s'approcher et de lu
(1) Gadjâbhyâm, texte de Bombay.
DRONA-PARVA. 259
jeter dans son char en riant ce hideux chef, dont les che-
veux et la bouche inspiraient l'horreur. 7,883.
Il poussa un cri effroyable, comme un nuage dans la
saison de l'automne et tint, sire, ce langage à Douryo-
dhana: 7,884.
« Voici la tête de ton ami, quoique tu aies vu son cou-
rage : tu verras encore dans un tel état celle de Karna
lui-même. 7,885.
» L'homme, qui désire la vertu, la richesse et l'amour,
cette troisième des affections humaines, ne va pas voir,
les mains vides, un brahme, un roi, ni une femme !
» Reste ici, heureux et content, jusqu'à ce que j'aie tué
Karna ! » Il dit, monarque des hommes, et, disséminant
des centaines de flèches acérées, les décochant au front
de la bataille (1) , il s'avança vers Karna. Alors se dé-
roula entre l'homme et le Rakshasa ce combat à la forme
épouvantable, inspirant la terreur et rempli d'illusions.
7,886—7,887—7,888—7,889.
« Comment fut ce combat, s'enquit Dhritarâshtra, où
Karna, le fils du Soleil, et le Rakshasa Ghatotkatcha s'at-
chèrent dans la nuit, l'un avec l'autre? 7,890.
» Quelle était la forme de ce Démon formidable?
Comment était son char? Quels étaient ses chevaux ?
Comment toutes ses armes étaient-elles? 7,891.
» De quelle taille étaient ses coursiers ? Quelles étaient
son arc et le drapeau, qui ombrageait son char? Comment
était sa cuirasse? Quel était son casque? 7,892.
» Réponds à ces questions, Sandjaya ; car tu es un ha-
bile narrateur ! » 7,893.
(1) Ranamourddhani, texte de Bombay.
260 LE MAHA-BHARATA.
Il avait les yeux de sang, reprit l'interrogé, un grand
corps, la bouche enflammée, un ventre profond, les che-
veux hérissés, la barbe verte, des oreilles en forme d'é-
pieu et de vastes mâchoires. 7,89/1.
Sa bouche était fendue jusqu'aux oreilles ; il avait les
dents aiguës, en saillie, comme des boutoirs. Ses lèvres
et sa langue étaient rouges et très-longues ; il avait les
sourcils grands et larges, le nez gros. 7,895.
Épouvantables, ses membres étaient noirs, son cou
rouge ; il avait la hauteur d'une montagne ; son vaste
corps avait de longs bras, une grande tête, une vigueur
immense. 7,896.
C'était un Démon terrible, grand, adulte, inspirant le
dégoût, au toucher rude, au nombril caché, à la croupe
volumineuse, mais molle et relâchée dans sa substance
musculaire (1). 7,897.
Versé dans la grande magie, les mains ornées de
joyaux, les bras ceints de bracelets, il portait sur la poi-
trine un médaillon, comme une montagne élève un bou-
quet de fleurs. 7,898.
Sur sa tête brillait une tiare étincelante, admirable,
faite d'or, embellie de plusieurs figures et semblable à
une porte arcadée. 7,899.
11 portait des pendeloques pareilles au soleil enfant, un
éblouissant bouquet de fleurs d'or et une vaste cuirasse
de cuivre à la grande splendeur. 7,900.
Décoré de drapeaux et de guidons rouges, son grand
char, couvert de la dépouille des ours et gazouillant par
des centaines de clochettes, mesurait un nalva (2). 7,901.
(1) Explication du commentaire.
(2) Nalvamâtran, texte de Bombay.
DRONA-PARVA. 261
Il était monté dans ce char, enguirlandé de drapeaux,
qui roulait sur huit roues, qui avait le bruit profond des
nuages, qui était muni des plus excellentes de tontes les
armes. 7,902.
Ses chevaux d'une couleur changeante à volonté, les
yeux teints de sang, étaient vigoureux, inspirant l'effroi,
doués de rapidité et semblables à des éléphants en rut.
Robustes, ayant vaincu la fatigue, secouant de grands
faisceaux de crinière, hennissant mainte et mainte fois,
ils portaient le formidable Rakshasa. 7,903 — 7,90Zi.
Son cocher Viroûpaksha aux pendeloques, à la bouche
enflammée, modérait les chevaux de ce Rakshasa dans le
combat, avec des rênes, semblables aux rayons du soleil.
Accompagné de lui, Ghatotkatcha se tenait dans ce
char comme le soleil avec Arouna : d'une stature élevée,
il semblait un grand nuage, suspendu sur une montagne.
7,905—7,906.
Un vautour carnassier, qui de sa tête allait toucher le
ciel, emblème frappant de la plus grande terreur, était le
drapeau immense, qui s'élevait en sa voiture de guerre.
Il tirait la corde solide d'un arc, qui avait le son du
tonnerre d'Indra et qui mesurait douze coudées manifestes
en longueur sur une coudée de circonférence.
7,907— 7, 908.
Il couvrait tous les dix points de l'espace avec ses
flèches, aussi grandes que la roue d'un char ; il s'avança
vers Karna dans cette nuit, exterminatrice des héros.
Se tenant le pied bien appuyé dans son char, le bruit
de l'arc, qu'il déchargeait, se fit entendre comme le fracas
du tonnerre. 7,909— 7, 910.
Effrayées par le son, toutes les armées de ta majesté,
262 LE MAHA-BHARATA.
Bharatide, étaient ébranlées comme les grandes vagues
de la mer. 7,911.
Quand il vit accourir, le terrible Viroûpaksha, Râ-
dhéya, en riant, se hâta de l'arrêter. 7,912.
Lançant des flèches, Karna s'avança de l'autre part
vers lui, qui décochait : tel un éléphant s'approche d'un
rival ; tel un taureau, chef d'un troupeau, affronte un
autre taureau. 7,913.
La rencontre de ces deux héros, de Karna et du Rak-
shasa, était pleine de tumulte, souverain des hommes;
elle ressemblait à celle d'Indra et de Çambara. 7,91/i.
Ayant pris deux arcs bien terribles au son épouvan-
table, se meurtrissant de leurs grandes flèches, ils s'en
couvrirent l'un et l'autre. 7,915.
Puis, quand ils eurent, s' envoyant des traits longs,
puissants, aux nœuds inclinés, rompu leurs cuirasses de
cuivre, ils se déchirèrent mutuellement. 7,916.
Tels que deux tigres avec leurs ongles, ou tels que
deux éléphants avec leurs défenses ; ils se mirent en
pièces réciproquement avec leurs flèches, avec leurs
grandes lances de char. 7,917.
11 était impossible de fixer les regards sur eux, tandis
qu'ils se coupaient les membres, qu'ils encochaient leurs
traits, qu'ils consumaient C ennemi par les multitudes de
leurs flèches. 7,918.
Tous les organes du corps blessés par les dards, ar-
rosés par des flots de sang, ils brillaient, comme deux
montagnes, qui roulent de l'or dans le cours de leurs
eaux. 7,919. *
Tous les membres déchirés par la pointe des flèches et
se déchirant l'un l'autre, ces deux grands héros, en dépit
DRONA-PARVA. 263^
de leurs efforts, ne purent s'ébranler mutuellement. 7,920.
Ce combat de nuit, qui fut livré sur ce champ de ba-
taille, par ces deux joueurs du jeu des existences, Karna
et le Rakshasa, était égal et varié. 7,921.
Le bruit de l'arc du guerrier, qui encochait ses flèches
acérées et les envoyait sans relâche, répandit également
la terreur parmi les ennemis et parmi les siens. 7,922.
Karna ne surpassa point alors Ghatotkatcha, sire ; et, le
plus excellent des héros, qui connaissent les astras, il fit
apparaître un astra céleste. 7,923.
A peine eut-il vu Karna lier à sa flèche l'astra divin,
Ghatotkatcha, le souverain des Rakshasas, de manifester
soudain la magie Rakshasique. 7,924.
11 apparut, environné d'une nombreuse armée de Rak-
shasas aux formes épouvantables, portant des maillets
d'armes et des lances, tenant à leurs mains des arbres et
des montagnes (1). 7,925.
Les souverains des hommes furent émus de terreur,
lorsqu'ils le virent, élevant sa grande flèche, comme le
bâton terrible de la mort, s'avancer, tel que la fin de tous
les êtres. 7,926.
Saisis de crainte aux cris de guerre, que vomissait Gha-
totkatcha, les éléphants de lâcher sous eux l'urine, et les
guerriers de ressentir un profond effroi. 7,927.
Ensuite, ce fut une immense, une très-épouvantable
averse de pierres, qui plut de tous les côtés. Lancés en
masse, au milieu de la nuit, par les Rakshasas aux forces
supérieures, 7,928.
Les disques de fer, les bhouçoundis, les lances, les le-
viers, les tridents, les çataghnis et les pattiças, infli-
(1) Çoûlamoudgaradhdrinyû çailapâdahastayâ, texte de Bombay.
264 LE MAHA-BHARATA.
geaient à chaque "instant leur cuisante brûlure. 7,929.
Dès^qu'ils virent ce. combat terrible, plus qu'effrayant,
les combattants, et les rois, et tes fils s'enfuirent, émus
de crainte. 7,930.
Seul, l'orgueilleux Karna, qui se vante de sa force et
de ses traits, n'en fut aucunement troublé ; il dissipa de
ses flèches la magie créée par Ghatotkatcha. 7,931.
Lorsqu'il eut vu ses prestiges détruits, celui-ci, dans
sa colère, envoya d'épouvantables dards, en son désir
d'arriver à la mort du fils de cocher. 7,932.
Aussitôt qu'ils eurent fendu le corps de Karna, ces
traits, imprégnés de sang, se plongèrent dans le sein de
la terre, comme des serpents irrités. 7,933.
Étalant son audace, l'auguste fils du cocher à la main
légère déchira, dans son courroux, le Bhîmasénide avec
dix flèches. 7,93Zi.
Blessé dans ses membres par l'Adhirathide, Ghatotka-
tcha, plein de trouble, saisit un disque céleste à cent
angles, 7,935.
Au tranchant de rasoir, orné de joyaux et de perles,
semblable au soleil enfant , et l'envoya irrité au fils
du cocher, avec le désir de lui arracher la vie. 7,936.
Lancé d'une extrême vitesse, mais abattu par les flèches
de Karna, ce projectile, sans porter coup, comme la vo-
lonté d'un misérable, tomba sur la terre. 7,937.
Bouillant de colère à la vue de son disque renversé,
Ghatotkatcha couvrit Karna de ses traits : ainsi Râhou
masque le soleil. 7,938.
Sans être ému, le fils du cocher, qui avait le courage
d'Indra, d'Oupéndra et de Roudra, ensevelit rapidement
l'Hidimbide sous ses dards. 7,939.
Alors une massue, ceinte de bracelets d'or, lancée en
DRONA-PARVA. 265
tournoyant par Ghatotkatcha, tomba, frappée des flèches
de l'Adhirathide. 7,940.
Ensuite, le grand magicien s'éleva dans les airs, en
poussant des cris comme le nuage de la mort, et déchaîna
une pluie d'arbres de la voûte des cieux. 7,9/11.
Mais Rarna de blesser avec ses dards, au milieu du
ciel, cet enchanteur, le fils de Bhîmaséna, tel que le soleil
perce un nuage de ses rayons. 7,94*2.
Quand il eut abattu tous ses chevaux et divisé son char
en cent morceaux, l'Adhirathide répandit une averse de
llèches, comme un nuage pluvieux verse les eaux. 7,943.
Il n'y eut pas dans le corps de son rival un espace large
de deux doigts seulement, qui fût exempt de blessures: on
le vit dans un moment tel qu'un porc-épic, hérissé d'ai-
guillons. 7,944.
On ne vit, ni ses chevaux, ni son char, ni son drapeau,
ni Ghatotkatcha lui-même, qui ne fussent pas dans cette
bataille couverts par des multitudes de flèches. 7,945.
L'enchanteur, détruisant l'astra céleste de l'Adhirathide
par un autre, opposa au fils du cocher un combat de ma-
gie. 7,946.
Il fit la guerre à Karna par ses prestiges et sa légèreté ;
il envoya alors dans le ciel- des foules de traits invisibles.
Le Bhîmasénide, grand magicien, ô le plus excellent
des Kourouides, fascinant son ennemi, se changea lui-
même au moyen de la magie. 7,947—7,948.
Plein d'énergie, il se donna des bouches monstrueuses,
horribles à voir, et dévora les astras célestes de l'Adhira-
thide. 7,949.
On le vit ensuite tomber sur le champ de bataille, la
266 LE MAHA-BHARATA.
vie détruite, le courage éteint, son vaste corps coupé en
cent morceaux. 7,950.
Croyant qu'il n'était plus, les héros de Kourou jetèrent
des cris joyeux: -mais il reparut en toutes les plages du
ciel avec d'autres corps nouveaux. 7,951.
Après ce prestige, on en vit un autre, Mahârâdja ; son
corps gigantesque avait une centaine de ventres et cent
têtes, comme le mont Maînaka. 7,952.
Puis, le Rakshasa de nouveau se montra avec la taille
d'un pouce seulement : tel que s'il était soulevé par une
vague au sein des mers, tantôt il était de travers, et tantôt
il surnageait à la surface, 7,953.
On le vit encore fendre la terre et se plonger dans les
eaux ; puis, en resortir et se montrer d'un autre côté !
Lorsque, revêtu de sa cuirasse, il eut parcouru la terre,
les airs et les plages du ciel, il en redescendit et se tint
dans son char, ornementé d'or. 7,954 — 7,955.
Le visage paré de pendeloques vacillantes, il s'avança
vers le char de Rarna, et tint, souverain des hommes, ce
langage au fils du cocher : 7,956.
« Reste maintenant ! Où t'en iras-tu vivant, échappé
de mes mains? Je conduirai aujourd'hui même pour toi,
fils du cocher, la cérémonie funèbre du combat sur le
champ de bataille! » 7,957.
A ces mots, le Rakshasa au courage terrible, ses yeux
rouges de colère, prit son essor dans les airs et se mit à
rire d'une manière éclatante. 7,958.
Ghatotkatcha de frapper Karna, comme un lion s'élance
sur un Indra des éléphants, et de verser sur le plus excel-
lent des maîtres de chars une pluie de flèches, grandes
DRONA-PARVA. 267
comme les roues d'un char: tel un nuage répand ses
gouttes d'eau. L'Adhirathide abattit une averse de traits,
venus de loin. 7,959 — 7,960.
Quand il vit Karna détruire son prestige, Ghatotkatcha
disparut, et manifesta une nouvelle illusion. 7,961.
On vit se dresser une montagne très-élevée, dont les
arbres rendaient les sommets impraticables : il y avait une
grande cataracte, où les tridents, les traits barbelés, les
épées, les massues remplaçaient la chute des eaux. 7,962.
Dès qu'il vit cette montagne, roulant des armes terribles
dans ses cascades, ressembler à une masse de collyre,
Karna n'en fut nullement ému. 7,963.
Il produisit en riant un astra céleste et, renversée par
lui, la reine des montagnes périt. 7,964.
Ensuite le très-épouvantable enchanteur, s'étant méta-
morphosé en un sombre nuage, sur leçjuel était peint l'arc
d'Indra, inonda le fils du cocher avec une pluie de rocs et
de pierres. 7,965.
Le fils du Soleil, Karna-Vrisha, le plus habile des
hommes versés dans les astras, encocha l'astra du vent et
dissipa ce nuage de la mort. 7,966.
Il couvrit de tous côtés les plages du ciel avec la foule
de ses flèches, et paralysa, grand roi, l'astra, qu'avait
envoyé le Bhîmasénide à la grande force. Celui-ci, en
riant, de manifester dans le combat une puissante magie
contre le fameux héros, son rival. 7,967—7,968.
Lorsqu'il vit le meilleur des maîtres de chars, Ghatot-
katcha sans émotion s'avancer de nouveau sur un char,
environné de nombreux Rakshasas, 7,969.
Portés sur l'échiné des coursiers, montés en des chars,
ou se tenant sur des éléphants, semblables à des probos-
268 LE MAHA-BHARATA.
cidiens en rut et tels que des tigres ou des lions ; 7,970.
Lorsqu'il le vit entouré de ces terribles guerriers, ar-
més de traits variés, avec des ornements et des cuirasses
de toutes les sortes, comme Indra marche escorté des
Vents, 7,971.
Karna au grand arc combattit le Rakshasa, et Ghatot-
katcha le blessa de cinq flèches. 7,972.
Il poussa un cri épouvantable, effrayant tous les
princes ; et, redoublant ses coups, il trancha lestement
avec force, d'un andjalika, l'arc placé dans la main de
Karna, avec le faisceau de ses dards. Celui-ci prit un nou-
vel arc grand, solide, capable de supporter une charge,
élevé comme l'arme d'Indra ; mais l'autre le coupa vigou-
reusement dans le poing de Karna, qui décocha, puis-
sante majesté, des flèches, 7,973—7,974—7,975.
Empennées d'or, homicides de l'ennemi, volant au sein
des airs, aux plus vaillants des Rakshasas. En proie à ces
dards, la horde des Rakshasas à la poitrine tannée 7,976.
Fut comme un troupeau confus d'éléphants sauvages,
attaqués par un lion. Quand l'auguste eut dispersé de ses
flèches les Rakshasas avec leurs chevaux, leurs cochers et
leurs éléphants, 6,977.
Gomme le vénérable Feu, qui incendie les êtres à la fin
d'un youga, le fils du cocher, destructeur de l'armée
Rakshasane, resplendit, 7,978.
Tel que le Dieu Mahéçwara, après qu'il eut jadis brûlé
dans les cieux la ville de Tripoura. Entre ces milliers de
monarques et de Pândouides, respectable roi, 7,979.
Qui que ce fût ne pouvait fixer les yeux sur lui, puis-
sant seigneur, excepté Ghatotkatcha à la grande force,
l' Indra des Rakshasas, doué de la vigueur de Bhîmaséna,
DRONA-PARVA. 269
irrité comme la mort en personne ! La colère fit naître le
feu dans ses deux yeux, comme la flamme fait poindre des
gouttes de résine à deux grandes torches. Frottant l'une
avec l'autre les deux paumes de ses mains et mordant ses
lèvres, 7,980—7,981—7,982.
LHidimbide monta dans son chariot, créé par la ma-
gie, attelé de chevaux, pareils à des éléphants, et d'ânes
aux visages de Piçâtchas. 7,983.
Il dit avec colère à son cocher: « Conduis-moi vers
l'Adhirathide ! » Et le plus excellent des maîtres de chars
s'en fut avec son char livrer, souverain des hommes, un
duel en chars au fils du cocher. Le Rakshasa de lancer à
Râdhéya une foudre à huit disques aigus, toute remplie
d'épouvante et forgée par Çiva lui-même. Ayant sauté à
bas de son char, où il avait déposé son arc, Karna reçut
le tonnerre ; 7,984— 7,985— 7,986.
Et renvoya son arme au Rakshasa. Celui-ci de s'élancer
hors de son char léger. Quand le trait à la grande splen-
deur eut mis en cendres sa voiture, son drapeau, son
cocher et ses chevaux,
Il fendit la terre et s'y plongea. Tous les Dieux furent
saisis d'étonnement, et soudain tous les êtres applaudirent
à Karna, parce qu'il était sauté à bas de son char, et qu'il
avait rempaumé la grande foudre, ouvrage du Dieu des
Dieux. Après cette prouesse dansle combat, l'Adhirathide
remonta dans son char, 7,987—7,988—7,989.
Ei, homicide des ennemis, il se mit à décocher des
traits acérés. Nul autre parmi tous les êtres ne peut ac-
complir, ô toi, qui donnes l'honneur, ce que Râdhéya
exécuta alors dans ce combat à l'aspect épouvantable.
Frappé de ses nârâtchas, comme une montagne l'est par
les eaux de la pluie, 7.990 — 7,991.
270 LE MAHA-BHARATA.
Son char, qui avait les formes de la ville des Gandhar-
vas, disparut de nouveau. C'est ainsi que ce grand magi-
cien, destructeur des ennemis, réduisait à néant ces astras
divins par sa magie et sa légèreté. Malgré que ses astras
fussent neutralisés par la magie du Rakshasa,
7,992—7,993
Rarna sans trouble combattait avec lui. Irrité, Mahâ-
râdja, le Bhîmasénide à la grande force, 7,994.
Jetant la terreur parmi les grands héros, se multiplia
soi-même. Alors on vit accourir de compagnie les hyènes,
les tigres, les lions, des serpents aux langues de feu, des
oiseaux à la tête de fer. Submergé des flèches, envoyées
par l'arc de Karna, 7,995 — 7,996.
Le Démon à l'aspect semblable au roi des montagnes
disparut encore une fois. Des Rakshasas, des Piçâtchas et
des Yâtoudhânas, 7,997.
Des chacals et des loups en grand nombre à la gueule
difforme accoururent de tous les côtés, fondant sur Rarna
comme pour le dévorer. 7,998.
Ils cherchèrent à l'effrayer avec leurs menaces et leurs
cris épouvantables; mais Rarna les blessa- tous indivi-
duellement avec plus d'une flèche et par ses armes levées,
nombreuses, terribles, humides de sang ; il opposa à la
magie Rakshasique les coups de son astra céleste.
7,999—8,000.
Il immola ses formidables coursiers avec des flèches aux
nœuds inclinés ; et les chevaux rompus, les membres dé-
truits, le dos mis en lambeaux par les flèches, 8,001.
Tombèrent sur la terre sous les yeux du Rakshasa.
L'Hidimbide, qui voyait sa magie paralysée, dit à Rarna,
le fils du Soleil : « Celui, qui te parle, a juré ta mort ! »
Et, ce disant, il disparut. 8,002—8,003.
DRONA-PARVA. 271
Tandis que le combat du Rakshasa et de Karna se dé-
roulait ainsi, le roi des Rakshasas, le vigoureux Alâyou-
dha s'approche 8,004.
A la tête d'une nombreuse armée, environné par des
milliers de Rakshasas hideux, tous héros, tous portant des
formes variées ; il se rendit auprès de Souyodhana. Il
n'avait pas oublié son ancienne inimitié; en effet, le
vaillant Vaka, le mangeur de brahmes, était de sa famille.
8,005—8,006.
// comptait parmi ses parents Kirmîra à la grande
splendeur, il avait eu Hidimba pour ami ; et, depuis long-
temps, il gardait le souvenir de cette vieille haine. 8,007.
Ayant eu connaissance de ce combat de nuit, il désirait
tuer Bhîmaséna dans cet engagement. Tel qu'un éléphant
en rut ou comme un serpent irrité, 8,008.
Aspirant à cette bataille, il tint ce langage à Douryo-
dhana : « Il est connu de toi, grand monarque, que Bhîma
fit mordre la poussière à ces Rakshasas, mes parents, Hi-
dimba, Vaka et Kirmîra, que le choix, fait jadis par la
jeune Hidimbâ, montra son dédain pour nous autres Rak-
shasas : quelle autre chose te dirai -je ? Je suis venu ici
de ma seule volonté pour tuer cet Hidimbide avec ses con-
seillers, son armée, ses éléphants, ses chars de guerre et
ses chevaux ! Aujourd'hui, quand j'aurai immolé tous ces
fils de Kountî, à commencer par le Vasoudévide, je les
dévorerai avec tous leurs suivants. Arrête cette armée en-
tière; nous combattrons, nous, avec les Pàndouides! »
{De la stance 8,009 à la stance 8,014.)
Joyeux de ces paroles entendues, Douryodhanadel'em-
brasser et de lui répondre, environné de ses frères :
« Nous te mettrons au premier rang et nous combat-
272 LE MAHA-BHARATA.
trons les ennemis : certes ! mes guerriers tiendront main-
tenant le pied firme, et leur esprit ne sera, plus tourné
vers la fin de cette guerre ! » 8,014—8,015.
« Qu'il en soit ainsi ! » répondit au roi le plus grand
des Rakshasas ; et, environné de ses antropophages, il se
hâta de se rendre vers Bhîmaséna. 8,016.
Le corps flamboyant et monté sur un char couleur du
soleil, tel enfin, Indra des rois, qu'était Ghatotkatcha lui-
même. 8,017.
Son grand char, peint de nombreuses arcades, mesurait
un nalva ; toutes ses parties étaient couvertes avec des
cuirs de taureaux, et son retentissement était égal à celui
du char de l'Hidimbide. 8,018.
Son attelage de cent chevaux aux grands corps, à la
taille d'éléphants, aux pieds agiles, au bruit immense, ti-
raient leur nourriture de la chair et du sang. 8,019.
Le roulement de son char était semblable au fracas des
grands nuages ; son arc était sans mesure, sa corde ferme
et très-forte. 8,0*20.
Ses flèches, empennées d'or, aiguisées sur la pierre,
étaient pareilles à des roues. C'était, comme Ghatotkatcha,
un héros aux longs bras. 8,021.
Les chacals et les corneilles respectaient son drapeau,
égal au soleil ou à la flamme : sa bouche, plus heureuse
par la forme que celle de Ghatotkatcha (?) était flam-
boyante d'un feu troublé. 8,022.
11 portait des bracelets flamboyants, un bouquet de
fleurs et un diadème flamboyant; une guirlande était liée à
son turban ; il était ceint d'un cimeterre. Armé d'une mas-
sue, d'un bhouçoundi, d'un pilon, d'un soc de charrue,
d'un arc, la duretéde son corps valait une cuirasse. 8,023.
DRONA-PARVA. 273
Errant çà et là sur son char à la splendeur du feu, et
mettant l'armée des Pândouidesen déroute, il brillait dans
le combat, tel qu'au milieu des cieux un nuage par sa
guirlande d'éclairs. 8.02/j.
Les plus grands rois à la force immense, revêtus de
cuirasses et portant des boucliers, les vaillants guerriers
des Pândouides combattirent de tous les côtés, remplis
d'ardeur. 8,025.
Aussitôt qu'ils virent ce héros aux œuvres épouvan-
tables arrivé dans le combat, tous les Kourouides ressen-
tirent de la joie ; 8,02(5.
Et tes fils, Douryodhana à leur tête, ayant rencontré ce
navire, lorsqu'ils étaient sans barque, eurent, en quelque
sorte, le désir de traverser cette mer. 8,027.
Tous les princes alors, se regardant comme des morts,
rendus à la vie, applaudirent à l'Indra des Rakshasas,
Alâyoudha, par des acclamations de bien-venue. 8,028.
Tandis que ce combat, qui n'avait rien d'humain et qui
inspirait l'effroi, se déroulait entre Karna et le Rakshasa,
cette nuit prit un aspect épouvantable. 8,029.
Les Pântchâlains et l'assemblée des rois regardèrent
en souriant avec mépris (1) ; et tes fils, jetant les yeux (2) ,
çà et là, Drona, Açwatthâman, Kripa et les autres, s'é-
crièrent avec émotion, à la vue de cette prouesse de l'Hi-
dimbide sur le champ de bataille : « Ce n'est pas postule!»
Tout était dans le trouble, hors de soi-même et s'écriait :
« Hélas ! hélas ! » Ton armée perdit alors toute espérance,
Mahârâdja, pour la vie de Karna. 8,030—8,031 — 8,032.
(1) De quoi s'agit-il ? Quelle est celte prouesse de l'Hidimbide ? Cela
ne se lie pas avec ce qui précède: il y aurait donc ici une lacune?
(2) Vikshamânds, texte de Bombay.
ix 48
274 LE MAHA-BHARATA.
Quand Douryodhana le vit tombé au fond de cette in-
fortune, il appela Alâyoudha, l'Indrâ des Rakshasas, et
lui dit ces mots : 8,033.
« Voici le fils du Soleil, Karna, qui en est venu aux
mains avec l'Hidimbide; il accomplit dans le combat une
œuvre immense et qui est digne de lui-même. 8,034.
» Vois ces vaillants princes immolés sous les flèches
variées du Bhîmasénide, comme des arbres, qu'un élé-
phant a frappés. 8,035.
» C'est un lot, que je t'ai réservé entre tous les rois
dans le combat ; marche donc hardiment, héros, avec ma
permission, et tue ce Rakshasa, 8,036.
» Avant que ce criminel Ghatotkatcha, appuyé sur la
puissance de sa magie, ô toi, qui traînes les cadavres des
ennemis, n'ait immolé Karna, le fils du Soleil ! » 8,037.
A ces mots du roi, le Rakshasa aux longs bras, au bouil-
lant courage, lui répondit : « Il en sera ainsi ! » et fondit
sur Ghatotkatcha. 8,038.
Le Bhîmasénide alors, abandonnant Karna, broya de
ses flèches, majesté, le nouvel ennemi, qui s'avançait.
11 s'éleva entre ces deux rois irrités des Rakshasas un
combat tel que, dans une forêt, celui de deux éléphants
en rut, aux fumées de leur mada. 8,039 — 8,040.
Délivré du Rakshasa, le meilleur des maîtres de chars,
Karna de s'avancer vers Bhîmaséna sur son char, flam-
boyant comme le soleil. 8,041
Sans tenir compte du héros, qui s'approchait, dès qu'il
vit Alâyoudha, qui dévorait Ghatotkatcha dans le combat,
de même qu'un lion dévore un taureau, chef d'un trou-
peau, 8,042.
Le plus vaillant des combattants, Bhîma, sur son char,
DRONA-PARVA. "275
semblable au soleil, s'avança, dispersant des multitudes
de traits, vers le char d'Alâyoudha. 8,043.
Aussitôt qu'il le vit s'approcher, Àlâyoudha, seigneur,
abandonnant alors son combat avec Ghatotkatcha, marcha
à la rencontre de Bhîmaséna. 8,044.
Le destructeur des noctivagues, celui-ci, l'affrontant
soudain, ensevelit sous des pluies de traits l'Indra des
Rakshasas et ses gens. 8,045.
De même, le dompteur des ennemis, Alâyoudha, l'ayant
déchiré de ses flèches reluisantes, en fit tomber mainte et
mainte pluie sur le fils de Kountî. 8,046.
Tous les horribles Rakshasas, portant des traits divers
et désirant (1) la mort de tes fils, s'élancèrent contre Bhî-
maséna. 8,047.
Blessé par des traits nombreux, ce bien vigoureux les
perça tous individuellement de cinq dards acérés. 8,048.
Combattus par Bhîma, tous les Rakshasas aux âmes
cruelles jetèrent de grands cris et s'enfuirent aux dix
points de l'espace. 8,040.
Lorsque le Démon à la grande force les vit terrifiés par
ce héros, il courut avec rapidité et le couvrit de ses
flèches. 8,050.
Bhîmaséna le frappa dans le combat de ses traits à la
pointe acérée. Alâyoudha ensuite, des traits envoyés par
l'ennemi sur le champ de bataille, 8,051.
Trancha les uns avec hâte et reçut les autres. Quand
Bhîma au courage épouvantable eut vu cet Indra des
Rakshasas agir ainsi, 8,05*2.
1) Djaynlshiaas. texte «Je Bombay
276 LE MAHA-BHARATA.
11 lui expédia une massue au vol, semblable à la chute
de la foudre. Vautre de frapper avec sa massue la massue
pleine de flamme, qui accourait avec rapidité, et le pilon
de continuer sa course vers Bhîma. Le fils de Kountî
submergea de ses pluies de flèches l'IndradesRakshasas.
Les Pântchâlains, les Srindjayas, les coursiers, les élé-
phants de la plus haute taille, 8,053-8,054-8,055-8,056.
Chargés lourdement par les Rakshasas, ne purent ob-
tenir là un moment de tranquillité. Quand il vit ce grand
combat devenu très-épouvantable, 8,057.
Krishna, le plus éminent des hommes, tint ce langage
à Dhanandjaya : « Vois Bhîma aux longs bras, qui tombe
sous le pouvoir de l'Indra des Rakshasas ! 8,058.
» Suis les pas de ce héros, sans balancer, Pândouide !
que Dhrishtadyoumna et Çikhandî, que Youdhâmanyou
et Outtamaâudjas de compagnie, que les grands héros
Draâupadéyains aillent affronter Karna ! Que Nakoula,
Sahadéva et le vigoureux Youyoudhâna immolent, d'après
ton ordre, Pândouide, les autres Rakshasas. Arrête,
guerrier aux longs bras, cette armée, qui a mis à sa tête
Drona; car un grand danger nous menace, terrible héros ! »
A ces paroles, les plus vaillants des chars, suivant l'ordre,
qu'ils en avaient reçu de Krishna,
8,059—8,060—8,061—8,062,
Se portèrent dans le combat vers Karna, le fils du So-
leil, et vers les autres Rakshasas. L'auguste Indra des
noctivagues trancha l'arc de Bhîma, en lui adressant des
flèches longues, puissantes, semblables à des serpents.
Le vigoureux monarque tua de ses traits aigus ses chevaux
et son cocher, malgré tous les efforts de Bhîmaséna dans
DRONA-PARVA. 277
la bataille^ Celui-ci. qui avait perdu son cocher et de qui
les chevaux étaient immolés, s'élança hors du banc de
son char. 8,063—8,064—8,065.
Il poussa un cri et lui envoya sa massue pesante, épou-
vantable. Le terrible Rakshasa de frapper avec son pilon
cette grande arme, qui volait avec un bruit effrayant, et
de jeter un cri de victoire. Quand il vie l'œuvre du roi des
Rakshasas, glaçant d'une profonde terreur,
8,066—8,067.
Bhîmaséna, l'âme pleine d'ardeur, saisit une massue
formidable. Ce fut alors une bataille tumultueuse que ce
combat de l'homme et du Rakshasa, 8,068.
Qui ébranlaient profondément la terre du bruit de leurs
massues déchargées. Ces deux héros, quittant leurs pi-
lons, s'approchèrent enfin l'un vers l'autre ; 8,069.
Et réciproquement se frappèrent avec leurs poings, qui
avaient le bruit de la foudre. Pleins de colère, ils pre-
naient tout ce qui se trouvait sous la main, les roues de
char, les attaches au joug, les galeries des voitures, les
bancs, les armes de rechange, et s'en portaient des coups
mutuels. Ruisselant de sang, s'étreignant l'un l'autre, ils
s' entretiraient comme deux gigantesques éléphants. A
ce spectacle, Hrishîkéça, qui se plaisait dans le bien des
Pândouides, 8,070—8,071-8,072.
Excita l'Hidimbide à défendre Bhîmaséna, 8,073.
Dès qu'il vit Bhîma, que le Rakshasa était près de dé-
vorer dans le combat, le Vasoudévide adressa ces paroles
à Ghatotkatcha : 8,07/i.
« Vois, guerrier aux longs bras, Bhîma, que ce Démon
va dévorer dans la bataille aux yeux de tous les combat-
battants et sous tes regards, héros à la grande splen-
deur ! 8,075.
278 LE MAHA-BHA1UTA.
» Laisse Karna! et couche mort sur la terre Alàyoudha,
héros aux longs bras, avant que ce roi des Rakshasas n'ait
immolé Karna! » 8,876.
A ces mots du Vrishnide, le vigoureux Ghatotkatcha.
le cousin (1) de Vaka, abandonnant Karna, combattit avec
l'Indra des Rakshasas. 8,077.
Horrible et tumultueux était le combat de ces deux
héros, l'Hidimbide et le Rakshasa Alàyoudha au milieu de
lannit. 8,078.
L'héroïque Youyoudhâna irrité, ses arm?s à la main.
Nakoula et Sahadéva blessèrent de leurs flèches acérées
les Rakshasas d' Alàyoudha, vaillants guerriers, à l'aspect
épouvantable, accourant avec rapidité, l'arc au poing.
Disséminant ses traits de tous les côtés, sire, Bîbhatsou
à la tiare abattit à la ronde sur le champ de bataille tous
ces éminents kshatryas; 8,079—8,080—8,081.
Et Karna dispersa en fuite Dhrishtadyoumna, Çikhandî
et les autres princes et grands héros des Pàntchàlains.
A peine Bhîma au courage épouvantable les eut-il vus
taillés en pièces, il s'approcha à la hâte de l'Adhirathide.
qu'il couvrit de ses flèches dans le combat.
Alors, victorieux des Rakshasas, Nakoula, Sahadéva
et le grand héros Sâtyaki s'avancèrent vers le lieu où était
le fils da cocher. 8,082— 8,083— 8,084.
Les Pàntchàlains combattirent Karna et Drona lui-
même. Alàyoudha irrité frappa à la tête avec une
massue gigantesque Ghatotkatcha, le dompteur des
ennemis. Par ce coup, le vigoureux Bhîmasénide à la
grande énergie fut étourdi, et son âme resta un instant
frappée de stupeur. Ensuite, il lui expédia une massue
■1) Littéralement: le frère.
DRONA-PARVA. 279
ornementée d'or, embellie par cent clochettes et sem-
blable au feu allumé. Lancée rapidement par le Démon
aux actes épouvantables, elle réduisit en menus fragments
son char sonore, son cocher et ses chevaux. S' appuyant
sur la magie rakshasane , il s'élança lestement à bas de
son char, qui avait son timon et son drapeau fracassés,
ses moyeux, ses roues et ses chevaux brisés. Recourant à
ses prestiges, il lit pleuvoir un torrent de sang. (De lu
Hance 8,085 à la stance 8,091.)
Le ciel, rempli de nuages ténébreux, était illuminé d'é-
clairs, et le fracas du tonnerre accompagnait la chute ré-
pétée de la foudre. 8,091.
Un vaste cliquetis d'armes régnait alors dans ce combat.
Quand le Rakshasa vit ses prestiges détruits par son rival,
L'Hidimbide s'élança dans les airs et paralysa la magie
par une autre magie. Aussitôt qu'il vit ses illusions ren-
dues vaines par les illusions de son antagoniste,
Il fit crever l'orage d'une confuse pluie de pierres sur
Ghatotkatcha. Mais le vigoureux dispersa dans toutes les
plages du ciel par ses grêles de flèches cette effroyable
averse de rochers : ce fut comme un prodige. Ensuite, ils
déversèrent l'un sur l'autre les pluies de divers traits :
8,092— 8,093— 8,09/»—8,095.
Des pilons en fer, des lances, des massues, des mou-
shalas, des maillets d'armes, des tridents, des glaives, des
leviers en fer, des traits barbelés et des kampanas, 8,096.
Des nâràtchas, des bhallas aigus, des flèches, des dis-
ques de guerre et des haches, des boulets de fer, des bhin-
dipâlas, des tètes-de-taureau et des hibous (1) mêmes.
(i) Noms de différents traits.
280 LE MAHA-BHARATA.
De fortes branches, qu'ils arrachaient, et des arbres
variés, qu'ils déracinaient, tels que des acacias, des
pilous, des karils et des champakas, 8,097 — 8,098.
Des ingoudis, des jujubiers, des ébéniers en fleurs, des
butéas feuillus, des mimosas fétides, deshibisques popul-
néïdes, des nyagrodhas et des figuiers religieux. 8,099.
11 se frappaient l'un l'autre en ce combat avec de
grandes cîmes de montagnes diverses, couvertes de nom-
breux métaux. 8,100.
Ils produisaient un vaste bruit, comme deux tonnerres,
qui frappent. Ce combat singulier du Bhîmide et d'A-
lâyoudha, sire, fut épouvantable et tel que fut jadis le
duel des rois simiens, Bâli et Sougrîva. Tous deux armés
de cimeterres, ils se frappaient l'un l'autre en cette ba-
taille, tenant à la main différentes armes et des flèches
acérées. Ces deux athlètes à la vigueur immense couru-
rent se prendre mutuellement aux cheveux.
8,101—8,102—8,103.
Le corps brisé, ils versaient la sueur à flots; et le sang
coulait de leurs vastes membres , comme la pluie dégoutte
de deux nuages. 8,10/i.
Soudain l'Hidimbide s'élance avec rapidité, fait tourner
le nocti vague sur lui-même, l'abat sous le poids de sa
force et lui tranche sa grande tête. 8,105.
Quand il eut enlevé au corps ce chef, orné de brillantes
pendeloques, le Bhîmasénide aux vastes forces jeta un
cri de victoire avec toute l'ampleur de sa voix. 8,106.
Dès qu'ils virent mort ce géant, dompteur des ennemis,
ce parent de Vaka, les Pântchâlains et les Pândouides
poussèrent à Cenvi leurs cris de guerre. 8,107.
Les enfants de Pândou firent parler des milliers de tam-
DRONA-PARVA. 281
bours et des myriades de conques pour célébrer la chute
de ce Rakshasa. 8,108.
Cette nuit, qui leur apportait la victoire, brillait du
plus vif éclat, illuminée de tous les côtés par des guir-
landes de lanternes. 8,109.
Le Bhîmasénide à la grande force de jeter la tête d'A-
lâyoudha mort sous les yeux de Douryodhana. 8,110.
Celui-ci à la vue de ce héros, privé de la vie, fut, avec
son armée, Bharatide, en proie à la plus vive terreur.
Car, venu au camp de lui-même, poussé par le souvenir
de son ancienne inimitié, il avait promis qu'il tuerait Bhî-
maséna dans la bataille. 8,111 — 8,112.
Et le monarque regardait Viikaudara comme déjà tombé
sous ses coups certains, et ses frères à lui comme assurés
d'une longue vie. 8,113.
Mais à présent qu'il voyait ce héros immolé par le fils
de Bhîmaséna, il lui semblait au contraire que c'était
Bhîmaséna lui-même, qui avait déjà rempli sa promesse.
Après qu'il eut tué Alâyoudha, Ghatotkatcha, l'âme
joyeuse et placé à la tête de l'armée, salua son triomphe
par différents cris. 8,11 h — 8,115.
A l'audition de cette clameur tumultueuse, qui ébran-
lait les éléphants, une terreur bien épouvantable, grand
roi, se glissa parmi les tiens. 8,116.
Lorsqu'il avait vu Alâyoudha s'attacher au vigoureux
Bhîmasénide, Karna aux longs bras s'était élancé contre
les Pântchâlains. 8,117.
Il déchira Dhrishtadyoumna et Çikhandi chacun avec
dix flèches, qu'il envoya longues, solides, fortes, aux nœuds
inclinés. 8,118.
Ensuite, de ses nârâtchas supérieurs, il ébranla You-
282 LE MAHA-BHARATA.
dhâmanyou avec Guttamâaudjas,et, de ses traits, Sâtyaki,
le grand héros. 8,119.
De tous ces guerriers, qui décochaient leurs dards à
droite et à gauche, souverain des hommes, on voyait les
arcs toujours mis en cercle. 8,120.
Le bruit éclos à la surface des cordes et le fracas de la
roue des chars étaient aussi tumultueux clans cette nuit
que le tonnerre des nuages à la fin de l'été. 8,121.
La nuée du combat, sire, grosse d'une multitude de
flèches, en versait la funeste pluie ; la cîme des drapeaux
marquait sa masse, l'arc était sa foudre ; elle tonnait avec
le son des roues et le grincement des cordes. 8,122.
Cette merveilleuse pluie était versée dans le combat,
Indra des hommes, par le fils du Soleil, qui écrasait les
troupes des ennemis, qui était inébranlable comme une
montagne et de qui la taille égalait une montagne. 8,123.
Le magnanime fils du Soleil, qui se plaît dans le bien
de ton fils, enlevait dans ce combat les ennemis par ses
flèches aiguës à i'empennure ornée de peinture et d'or,
par ses leviers de fer, qui tombaient comme la foudre.
Les uns avaient leurs drapeaux rompus, mis en pièces ;
ceux-là avaient leurs corps déchirés et brisés par les
flèches violentes; ceux-là furent bientôt réduits sans char,
sans chevaux par l'Adhirathide. 8,12A — 8,125.
L'armée d'Youclhishthira était maintenant plongée
entre ceux, à qui la fortune ne souriait pas dans la guerre.
Quand il la vit enfoncée, mise en déroute, Ghatotkatcha
entra dans une bouillante colère. 8,126.
Monté clans son grand char, varié de pierreries et d'or, il
jeta son cri de guerre; et, s'étant approché de Rama, le fils
du Soleil, il le perça de flèches, semblables au tonnerre.
DRONA-PARVA. 283
Les deux guerriers inondèrent les deux de karnis, de
nârâtchas, de çilimoukhas, de nâlîkas, de bâtons, de
foudres, de vatsadantas, d'oreilles-de-sanglier, de pointes-
de-déiense et de dards en fer à cheval (1).
8,127— 8,128.
Couverte de ces traits, empennés d'or, allant droit au
but, enflammés de splendeur, l'atmosphère brillait dans
ce combat, comme de bouquets de fleurs variées. 8,129.
Tous deux, ils resplendissaient également d'un éclat
incomparable, et se frappaient des plus sublimes astras ;
personne ne vit en ce combat une supériorité de l'un sur
l'autre dans ces guerriers éminents par le courage.
Le duel, plein de trouble, effrayant par la chute des
traits, entre ces deux, le fils de Bhîma et celui du Soleil,
était varié à l'infini, d'une forme sans comparaison avec
une autre et tel que, dans les cieux, la lutte enflammée de
Râhou et du Soleil. 8,130—8,131.
Voyant qu'il n'avait pas vaincu Karna, Ghatotkatcha,
le plus habile des hommes, versés dans les astras, sire,
manifesta alors un astra violent. 8,132.
A peine eut-il tué d'abord, grâce à son astra, les che-
vaux et le cocher de ce guerrier, le Démon Hidimbide
s'évanouit aussitôt dans l'invisibilité. 8,133.
« Quand ce Rakshasa. qui combattait avec des pres-
tiges, eut disparu, interrompit Dhritaràshtra, conte-moi,
Sandjaya, ce qui fut exécuté par les miens. » 8,13/i.
Dès qu'ils virent le Rakshasa disparu , lui répondit
Sandjaya , tous les Kourouides de s'écrier : « Com-
ment ce Démon nocticague, qui combat avec la fraude.
(1) Noms de flèches. A la demande d'une spécialité, le dictionnaire ne
répond que wrow.
284 LE MAHA-BHARATA.
ne tuerait-il pas Rarna, s'il le voyait dans le combat. »
Celui-ci aux astras divers et légers couvrit toutes les
plages de la multitude de ses traits, et l'on ne distingua
plus aucun être dans l'atmosphère, que les flèches avaient
remplie de ténèbres. 8,135—8,136.
Soit qu'il prît ses dards, soit qu'il les encochât, ou
qu'il touchât ses deux carquois avec le bout de ses doigts,
on ne voyait pas le fils du cocher, si grande était sa légè-
reté ! faire l'une ou l'autre dé ces actions, tandis qu'il
couvrait toute l'atmosphère de ses flèches. 8,137.
Ensuite, nous vîmes le Rakshasa (1) manifester dans
le ciel une magie terrible, effrayante, épouvantable (2),
pareille à un nuage de sang et telle que la flamme violente
d'un feu embrasé au plus haut point. 8,138.
Des éclairs et des météores flamboyants apparurent,
Indra des Kourouides ; puis, éclatèrent leurs bruits, gla-
çant d'épouvante, au milieu des tambours, qui résonnaient
par milliers. 8,139.
Des airs, il tombait des flèches empennées d'or, des
lances de fer, des traits barbelés, des moushalaset d'au-
tres armes, des haches frottées d'huile de sésame, des
cimeterres au tranchant enflammé, des pattiças et des
leviers de fer. 8,140.
De tous les côtés apparaissaient des pilons étincelants,
garnis de fer, des massues diverses, des tridents aux
pointes aiguisées, de lourdes* massues et des çataghnis,
revêtus d'étoffes tissues en or. 8,141.
Il tombait çà et là par milliers de vastes rochers et des
tonnerres, accompagnés de foudres; il apparut aux yeux,
(1-2) Ddrounâm.... Rahshaséna, texte de Bombay.
DRONA-PARVA. 285
en plusieurs centaines, des disques de guerre et des ra-
soirs, qui avaient l'éclat du feu. 8,142.
Karna ne put détruire avec la multitude de ses flèches
cette grande pluie, qui tombait embrasée, de lances de
fer, de lacets, d'épées, de haches, de traits barbelés, de
sabres, de foudres et de maillets d'armes. 8,1 Zi3.
Il régnait un bruit immense de chevaux tombant sous
l'atteinte des flèches, de grands éléphants abattus par les
foudres, de fameux héros mordant la poussière, immolés
par les différents projectiles. S,lhh.
Frappée avec la chute des traits ennemis de formes va-
riées, envoyés par Ghatotkatcha, l'armée de Douryo-
dhana était en souffrance de tous les côtés : on la vit dis-
persée comme les nuages, 8,l/i5.
Éplorée, bouleversée, périssant et les formes abattues.
On ne voyait pas alors, par un noble mouvement de la
nature, les plus vaillants des hommes montrer le front à
l'ennemi. 8,146.
Lorsqu'ils virent tomber cette pluie rakshasique, épou-
vantable, plus effrayante quun orage, composée d'im-
menses projectiles, et couchés morts la plus grande partie
de leurs gens , un vaste effroi se glissa dans tes fils.
Les chacals, d'une langue enflammée par le feu, jetaient
par centaines leurs glapissements épouvantables. Enten-
dant rugir les troupes des Rakshasas, les guerriers de
l' Indra des hommes étaient agités par la terreur.
La bouche et la langue flamboyantes, les dents en
saillie, le corps démesuré comme des montagnes, ceux-là,
effroyables, voyageant par les airs, des flèches suspendues
à la main, déchargeaient comme des nuages, leur violente
averse. 8,147— 8,148— 8,149,
286 LE MAHA-BHARATA.
Et les ennemis tombaient, mis en pièces par les flèches,
les lances de fer, les piques, les massues terribles, les
haches étincelantes, les tonnerres, les tridents, le coup
des foudres, les disques de guerre et le çataghnî. 8,150.
Ils répandaient sur l'armée de ton fils les balles, les
pierres, les bhouçoûndis (1), les épieux, les enclumes de
fer, revêtues d'étoffes ; et un terrible abattement d'esprit
saisit alors tes guerriers. 8,151.
Les héros gisaient, les membres rompus, les têtes fra-
cassées, les dards éparpillés en morceaux, leschevaux dé-
chirés, les éléphants brisés, les chars mis en pièces sous
la chute des pierres. 8,152.
Ainsi les Yâtoudhânas répandaient sur la terre une
immense pluie de traits ; et les magies, créées par
Ghatotkatcha, n'épargnaient ni l'homme craintif, ni
C humble suppliant. 8,153.
Dans cette horrible destruction des héros Kourouides
et dans cette extermination des kshatryas, que fit naître
la mortj tous les Kourouides rompus fuyaient d'un pied
rapide et poussaient alors ces cris : 8,15Zi.
« Fuyez, fils de Rourou! Ce n'est pas ce que vous pen
sez : ce sont les Dieux mêmes, Indra à leur tête, qui nous
immolent dans l'intérêt desPândouides! » Aucune lampe
ne brillait aux yeux de ces Bharatides, plongés dans l'obscu-
rité. 8,155.
Tandis que ces gémissements confus s'agitaient, et que
l'armée rompue des Kourouides périssait, on ne pouvait
distinguer, ni les enfants de Kourou, ni leurs adversaires,
dans la partie même éclairée des armées. 8,156.
1) Bhouçoundi, texte de Bombay.
DRONA-PARVA. 287
Dans cette retraite sans borne, aux formes épouvan-
tables, cherchant, vides d'appui, un support dans toutes
les plages du ciel, ils n'y voyaient que Karna seul, entré
à grands pas, au milieu de cette pluie de flèches. 8,157.
Plein de pudeur, accomplissant une prouesse difficile
et noble, Karna ne perdit pas la tête dans la guerre, et,
combattant la divine magie du Rakshasa, il couvrit l'at-
mosphère de ses flèches. 8,158.
Alors les Sindhiens et les Vâhlîkas, voyant la victoire
du Rakshasa, mais applaudissant à la tranquillité d'esprit
du fils de cocher, tournèrent de son côté leurs yeux épou-
vantés. 8,15 9.
Lancé par lui, le çataghnî, accompagné du tchakra,
abattit du même coup les quatre chevaux à la fois de
Ghatotkatcha sans langue, ni yeux, ni dents ; ceux-ci de
leurs genoux s'affaissèrent sur la terre. 8,160.
Jeté dans l'embarras, il s'élança hors de son char, qui
n'avait plus de chevaux, au milieu des Rourouides en
déroute ; et, quand il vit son astra céleste neutralisé par
la magie, l'Adhirathide ne se laissa pas encore égarer par
la pensée que le moment d'employer sa lance était arrivé,
A l'aspect de cette épouvantable magie, tous les Rou-
rouides : « Tue le Rakshasa, avec ta lance, Karna, lui
dirent-ils ; car il entraîne rapidement aujourd'hui à leur
perte ces Rourouides, enfants de Dhritarâshtra.
8,161—8,162.
« Que peuvent nous faire le Prithide et Bhîmaséna?
Tue dans cette nuit le scélérat, qui nous consume ! Le
guerrier, qui nous sauvera de ce combat aux formes épou-
vantables, pourra combattre les Prithides en bataille !
» Tue donc avec la lance, que t'a donnée Indra, ce
288 LE MAHA-BHARATA.
Rakshasa à l'air terrible 1 Que les Kourouides avec leurs
guerriers ne meurent pas tous, Karna, dans ce combat de
nuit! » 8,163— 8,164.
Lorsqu'il vit la terreur régner (1) dans la nuit au mi-
lieu de l'armée, et qu'il entendit, sire, ces grands cris des
Kourouides, Karna, blessé par le Rakshasa (2), conçut
aussitôt la pensée d'envoyer sa lance. 8,165.
Irrité, comme un lion, et rempli de fureur, ne pouvant
supporter dans ce combat les représailles du Bhîmasé-
nide, et voulant accomplir sa mort, il saisit la lance triom-
phante, invincible, et la meilleure des armes ; 8,166.
Excellente pique, tenue en réserve des multitudes
d'années, faite convenablement pour la mort de Phâl-
gouna (3) dans la bataille, et que Çakra lui-même avait
donnée au fils du cocher, en échange (û) de ses pende-
loques. 8,167.
Le fils du Soleil envova cette lance au Rakshasa, de
même qu'un serpent de feu épouvantable, ou comme (5)
la langue de la Mort (6) , accompagnée de son fatal lacet,
ou telle que la sœur du trépas, ou semblable à une
torche enflammée. 8,168.
A peine eut-il vu cette arme flamboyante, sublime, des-
tructive des corps de l'ennemi, placée dans la main de
l'Adhirathide, le Rakshasa, tremblant de terreur, s'enfuit,
sire, et se donna lui-même une taille égale (7) à la hau-
teur du Vindhya. 8,169.
Dès qu'ils virent cette lance, tenue au poing de Karna,
(1-2) Sa badyamanau Rakshasa.... trâsyamânan balan, texte de Bombay.
(3-4) Phâlgounasya.... nimûya, même texte.
(5-6) [va djihvân.... djvalitâm ivaulkânij môme édition.
(7) Toutyapramânan, texte de Bombay.
DRONA-PARVA. 28»
tou3 les Bhoûtas de pousser des cris au milieu des airs ;
les vents tumultueux de souffler comme des ouragans, et
la foudre de tomber sur la terre. 8,170.
Aussitôt qu'elle eut réduit en cendres sa magie flam-
boyante et percé d'outre en outre le cœur du Rakshasa,
elle s'éleva, embrasée, dans la nuit, au sein des cieux, et
prit place au milieu des étoiles. 8,171.
Après qu'il eut combattu avec différentes multitudes
de traits admirables, héroïques, humains, rakshasiques
et divins, le Démon jeta mainte et mainte clameurs
effroyables et fut, par l'arme de Çakra, forcé d'aban-
donner sa chère existence. 8,172.
Par la mort de l'ennemi, C Adfriratfri.de accomplit cette
œuvre et une autre admirable, ayant les formes d'un pro-
dige. Dans ce temps, C Hidimbide, majesté, ses membres
rompus par la lance merveilleuse, brillait comme le nuage
d'une montagne. 8,173.
Quand le guerrier aux faits épouvantables eut exécuté
de cette manière l'action terrible, effrayante, le Bhîma-
sénide tomba, et son corps écrasa dans sa chute, sire,
une partie de ton armée. 8,1 7/i.
Le Rakshasa, tout privé de vie qu'il était, fit encore
une chose agréable aux Pândouides, en écrasant tout à
coup ton armée complète avec la chute de son grand corps,
qui s'étendit par-delà toute mesure. 8,175.
Ensuite, on entendit les conques, les tymbales, les tam-
bourins mêler leurs symphonies aux acclamations de
guerre ; et les Kourouides, voyant la magie détruite et le
Rakshasa couché mort, éclatèrent en cris joyeux. 8,17(5.
Honoré par les enfants de Kourou, comme Çakra l'avait
été par les .vents après la mort de Vritra, l'Adhirathide
îx 19
290 LE MAHA-BHARATA.
monta dans le char de ton fils, et rentra, admiré, au mi-
lieu de son armée. 8,177.
A l'aspect de l'Hidimbide tombé sans vie, comme une
montagne écroulée, le chagrin remplit de ses larmes les
yeux de tous les enfants de Pândou. 8,178.
Inondé d'une grande joie, le Vasoudévide poussa un
rugissement de guerre, dont les Pândouides furent, pour
ainsi dire, agités. 8,179.
Cette clameur jetée, il embrassa Phâlgouna et modéra
ensuite les transports de sa joie. 8,180.
Il dansait, environné de l'allégresse, comme un arbre
secoué par les vents ; il embrassa de nouveau le Prithide
et se battit les bras plus d'une fois. 8,181.
Remonté sur le banc du char, le sage Atchyouta poussa
de nouveaux cris ; et Dhanandjaya, voyant cette joie, qui
transportait Kéçava, 8,182.
Lui dit ces mots d'une âm > peu joyeuse : « Cet excès
de joie, meurtrier de Madhou, n'est point ici maintenant
à sa place. 8,183.
» La mort de l'Hidimbide fait naître un autre moment,
qui est celui du chagrin. Nos armées ont tourné le dos,
quand elles ont vu Ghatotkatcha étendu sans vie. 8,1 8k.
» La mort, donnée à l'Hidimbide, nous a profondément
émus ; la cause de notre douleur, Djanârddana, n'est
donc pas légère. 8,185.
» Veuille répondre la vérité à ma question, ô le plus
excellent des hommes véridiques ; daigne me dire, vain-
queur des ennemis, ce qui ne te fut pas confié comme un
secret. 8,186.
» Dis-moi en cet insiant, meurtrier de Madhou, àquelle
cause attribuer ce changement de ta constance. Cette lé-
DRONA-PAKVA.. 291
gèreté de ta part peut surprendre, à mon avis, autant
qu'on le serait de voir l'océan se tarir, ou le mont Mérou
marcher sur la terre. :> 8,187 — 8,188.
u Ecoute, Dhanandjaya, répondit le Vasoudévide, cet
excès de joie, qui m'arrive et fait sortir puissamment de
ses bornes la placidité di mon âme. 8,189.
» Sache, héros à la grande splendeur, que Ghatotka-
tcha, de cette lance même, qu'il a renvoyée, vient d'im-
moler Karna sur le champ de bataille. 8,190.
» Il n'était pas dans ce monde un seul homme, pas
même Kârttikéya, qui pût tenir ferme dans un combat en
présence de Karna, quand cette lance armait sa main.
» Mais, par bonheur, il a déposé sa cuirasse naturelle !
Par bonheur, on lui a ravi ses pendeloques ! Par bonheur,
il a déchargé sur Ghatotkatcha cette lance, dont le coup
ne devait pas être vain (1). 8,191—8,192.
» S'il portait encore sa cuirasse, s'il portait ses boucles-
d'oreilles, le vigoureux Karna seul de sa personne vain-
crait les trois mondes avec les Immortels eux-mêmes !
» Soit Indra, soitKouvéraouleDieu deseaux, Varouna,
soit Yama, aucun d'eux n'oserait attaquer Karna dans un
combat! 8,193—8,194.
» Ton altesse, élevant l'arc Gândîva, et moi le disque
de guerre Soudarçana, nous sommes capables de triom-
pher dans un combat de cet éminent guerrier, qui n'est
plus, accompagné de es q utilités. 8,195.
» C'est dans ton intérêt qu'une fraude de Çakra lui a
ravi ses pendeloques ; c'est pour toi qu'il a dépouillé de
sa cuirasse ce conquérant des cités ennemies. 8,190.
(1) Amo ghdsy a, texte de Bombay.
•292 LE MAHA-BHARATA.
» Parce qu'il a coupé sur lui-même sa cuirasse et ses
girandoles étincelantes pour les donner à Çakra, Karna
fut appelé à cause de cette action Yaîkartana ou le Dé-
coupeur. 8,197.
» Karna me semble comme un serpent irrité, qui ne
peut fermer sa gueule par la vertu d'une prière magique,
ou pareil à un feu, qui a perdu sa flamme. 8,198.
» Depuis le temps que le magnanime Indra lui avait
donné, en échange (1) de ses pendeloques et de sa divine
cuirasse, cette lance de fer, qu'il a déchaînée aujourd'hui
contre Ghatotkatcha, l'Adhirathide t'avait toujours re-
gardé comme déjà couché mort dans le combat.
8,199—8,200.
» Les choses étant ainsi, il est possible de le jeter dans
la tombe, mais non par un autre quelconque, si ce n'est
par toi, irréprochable héros : je te le jure sur la vérité.
» 11 est pieux, véridique, pénitent, inébranlable en ses
vœux, plein de compassion pour ses ennemis eux-mêmes :
c'est pour cela qu'il fut surnommé Vrisha (2) ou la vertu.
» Ivre de batailles, guerrier aux longs bras, l'arc tou-
jours levé, rugissant, comme un lion dans une forêt contre
des éléphants en rut, chefs d'un troupeau,
8,201—8,202—8,203
» Il ravit l'audace aux plus éminents des héros, sur le
front de la bataille, tel que le soleil, sur qui l'on ne peut
fixer les yeux, une fois parvenu au milieu de sa carrière.
» De même que l'auteur du jour en automne, il a pour
millier de rayons ses multitudes de flèches, répandues sur
(1) Nimâya, texte de Bombay.
(2) Vrisha, le taureau, ou la venu symbolisée dans les formes de ce
ruminant.
DRONA-PAIWA. 293
les tiens, tigre des hommes, sur les principaux et magna-
nimes combattants. 8,20/i — 8,205.
» Pareil au nuage a la fin de l'été, il verse mainte et
mainte fois ses torrents de flèches; nuage d'astras cé-
lestes, Rama ressemble a la nuée enceinte de pluies.
» Il est impossible de le vaincre aux Tridaças mêmes,
décochant de tous côtés une averse de traits, faisant
couler le sang et la chair. 8,206 — 8,207.
» Privé de sa cuirasse et de ses pendeloques, fils de
Pândou, dépouillé par le don, qu'il en fit à Çakra, il est
réduit maintenant à la pure condition d'un homme.
» 11 y aurait un moyen de parvenir à sa mort : com-
mence par l'observer de toute ton âme, et, bien attentif à
surprendre son défaut, tue-le, lorsqu'il n'est pas sur ses
gardes et qu'il est engagé dans une crise, la roue de son
char embourbée. 8,208—8,209.
» Mais, quand il tient levé son arc dans un combat,
Indra lui-même, sa foudre à la main, ce héros unique
dans le monde, ne pourrait tuer cet invincible! Djarâ-
sandha, le magnanime roi de Tchédi, et le souverain du
Nishâda, Ékalavya aux longs bras, 8,210.
» C'est pour ton bien, que par tel ou tel moyen, l'un
après l'autre, j'ai immolé tous ces monarques. C'est aussi
pour toi que furent tués les Indras des Rakshasas, Hi-
dimba, Kirmîra et Vaka, le premier, 8,211.
» Alàyoudha, qui écrasait l'armée des ennemis, et l'im-
pétueux (1) Ghatotkatcha aux terribles exploits. »
« Comment et par quels moyens, Djanârddana, furent-
ils immolés pour mon bien, lui demanda Phàlgouna, ces
(1) Turasvi, texte de Bombay.
294 LE MAHA-BHARATA.
monarques de la terre, Djarâsandha et les autres ? »
« Si je n'avais pas tué d'abord, répondit le Vasoudé-
vide, Djarâsandha, le roi de Tchédi et le Nishâdhain à la
grande force, ils inspireraient maintenant une immense
terreur. 8,212—8,213—8,215.
« Douryodhana certainement choisirait ces éminents
héros pour ses alliés; et ces guerriers, qui furent toujours
nos ennemis, embrasseraient le parti des Kourouides.
» Tous ces braves aux grands arcs, versés dans les
armes, combattants solides, défendraient le Dhritarâsh-
tride à l'égal des Immortels. 8,215—8,216.
» Le fils du cocher, Djarâsandha, le roi de Tchédi et
le fils du Nishâdain, associés à Douryodhana, triomphe-
raient de cette terre. 8,217.
» Écoute de ma bouche les moyens, quels qu'ils furent,
Dhanandjaya, sous lesquels ont succombé ces héros invin-
cibles aux Dieux mêmes, s'ils étaient privés de ton alliance.
» Chacun d'eux individuellement affronterait un com-
bat, fils de Prithâ, avec l'armée entière des Dieux, dé-
fendue par les gardiens du monde. 8,218 — 8,219.
» Bouillant de colère, l'audacieux Djarâsandha, le Ro
hinide, envoya pour nous donner la mort une massue,
exterminatrice de tous les êtres, qui avait l'éclat du feu et
dessinait comme une raie de chair sur le front du ciel.
Elle parut aux yeux dans son vol, telle que la foudre
d'Indra.
» Dès que le fils de Rohini vit cette massue accourir, il
décocha, pour l'arrêter, un astra, nommé Sthoûnâkarna.
» Frappée par la rapidité de cet astra, la massue tomba
surtla divine terre, lui fendit le sein et fit trembler, pour
ainsi dire, les montagnes. 8,220 — 8,221 — 8,222 — 8,223.
DRONA-PARVA. 295
» Une Rakshasi épouvantable, d'une grande puissance,
appelée Djarâ, avait réuni ensemble, au temps de sa nais-
sance, les deux parties du terrible Djarâsandha. 8,224.
v Née de deux mères, chacune à part avait produit la
moitié de son corps; ces deux moitiés furent liées dans un
seul et même tout par C ange impure, et de là vint son nom
de Djarâsandha. 8,225.
» Descendue sur la terre, la Rakshasi fut tuée,Prithide,
avec ses parents, avec son fils, par la massue et par cet
astra Sthoûnâkarna. 8,226.
» L'union artificielle, ouvrage de Djarâ (1), fut détruite
par la massue dans ce grand combat ; et le roi fut tué par
Bhîmaséna sous tes yeux, Dhanandjaya. 8,227.
» Si l'auguste Djarâsandha vivait encore, sa massue à
la main, les Dieux mêmes avec Indra seraient incapables
de l'immoler dans une bataille. 8,228.
» C'est pour toi que Drona, feignant de lui donner ses
leçons, priva du pouce le fils du roi des Nishâdains au
courage de vérité. 8,229.
» Le Nishadide à la valeur inébranlable, ayant attaché
la manique autour de ses doigts, parcourut les forêts, où
il brillait, plein de fierté, comme un second Râma.
» Les Ouragas, les Rakshasas, les Dânavas et les Dieux
étaient incapables, Piithide, de vaincre jamais dans un
combat Ékalavya, jouissant du pouce ; 8,230 — 8,234.
» Mais à présent qu'il est réduit à la force d'un homme,
il est possible de fixer les yeux sur lui. Ce guerrier au
poing ferme, adroit, et qui pouvait sans cesse décocher ses
traits le jour et la nuit, 8,232.
(i) Explication du commentaire.
296 LE MAHA-BHARATA.
» Je l'ai tué dans ton intérêt au front du combat ! Le
vaillant roi de ïchédi fut immolé sous tes regards,
» Lui, que n'auraient pu tuer dans une bataille tous
les Asouras et les Dieux mêmes ! C'est pour lui donner la
mort et à tous les autres ennemis des Dieux, que j'ai
recula naissance; et je suis devenu ton compagnon par
l'amour du bien des mondes. Bhîmaséna fit mordre aussi
la poussière à Hidimba, à Vaka, à Rirmîra,
» Qui avaient des existences égales à la vie de Mvana,
et qui étaient les destructeurs des sacrifices et des
brahmes. L'enchanteur Alâyoudha périt encore sous les
coups de l'Hidimbide ! 8,233— 8, 23A — 8,235— 8,236.
» Celui-ci même a succombé sous un moyen merveil-
leux, par la lance de Karna. Certes, si l' Adhirathide ne
l'eût immolé de sa lance dans une grande bataille,
» Je l'aurais tué moi-même, ce Ghalotkatcha, le fils de
Bhîmaséna ! S'il n'est pas d'abord tombé sous mon bras, ce
fut par le désir d'arriver à une chose, qui vous fût agréable.
» Car c'était un Rakshasa à l'âme criminelle, qui
exécrait les brahmes, qui haïssait les sacrifices, qui détrui-
sait les cérémonies religieuses : à cause de cela, il méritai
la mort! 8,237—8,238—8,239.
» Un moyen, fourni par moi, irréprochable guerrier
a trompé la lance, donnée par Indra. Certes ! aux viola-
teurs du devoir, je dois la mort, fils de Pândou. 8,240.
» J'ai fait cette promesse pour l'établissement de la
vertu. Partout où l'on voit la piété, la vérité, la répression
des sens, la pureté, le devoir, la pudeur, le succès, la
fermeté et la patience, je suis toujours là. 11 te faut appor-
ter de l'attention à l'égard de Karna, le fils du Soleil.
» Je t'enseignerai l'expédient, par lequel tu pourras le
DRONA-PARVA. 297
vaincre, et Vrikaudara tuer Souyodhana dans le combat.
» Je te dirai, Pândouide, le moyen d'arriver à sa mon.
Mais voici un bruit tumultueux, qui s'élève du côté de
l'armée des ennemis. 8,241— 8,242— 8,243— 8,244.
» Tes guerriers s'enfuient par les dix points de l'espace.
Les Kourouides ont atteint leur but et dispersent ton
armée. 8,245.
» Le meilleur des combattants, Drdna nous consume
dans le combat. » 8,246.
« Puisque (1 ) le fils du cocher n'avait pas besoin de
cette lance pour tuer un chef des guerriers, s'enquit
Dhritarâshira, pourquoi n'abandonna-t-il pas tous les
autres et n' envoya -t -il pas sa pique au fils de Prithâ?
» Tous les Pândouides et les Srindjayas auraient suc-
combé avec lui sous les coups de cette lance. Pourquoi
ne pensa-t-il point dans le combat que de la mort cle
Phâlgouna dépendait la victoire? 8,247 — 8,248.
« Provoqué, je ne m'abstiendrai pas ! » C'est le vœu,
qu'il a prononcé. Il fallait donc que Phâlgouna lui-même
reçut le défi du fils du cocher. 8,249.
» Pourquoi, l'ayant fait venir dans un duel en char,
Vrisha n'a-t-il pas tué Phâlgouna avec la lance, que
Çakra lui avait donnée? Conte-moi cela, Sandjaya.
» Abandonné certainement de son intelligence et
dépourvu de compagnon, comment mon fils criminel et
brisé déjà par ses adversaires, pourrait-il vaincre les
ennemis? 8,250—8,251.
» De cette lance sublime, à laquelle était attachée sa
victoire, le Vasoudévide a fait dévier le coup sur Ghatot-
katcha. 8,252.
(1) Yadâ, texte de Bombay.
298 LE MAHA-BHARATA.
» Telle que le fruit du kouni (1), tombé sous la main,
est enlevé par un plus fort, de même cette lance infaillible
fut rendue vaine en Ghatotkatcha. 8,253.
') Le Vasoudévide recueille, à mon avis, homme intelli-
gent, dans la mort de Karna et de l'Hidimbide, le même
gain, que le valet d'un chenil ferait à la mort d'un san-
glier et d'un chien, qui se livrent un combat l'un à l'autre.
» En effet, si Ghatotkatcha avait tué Karna, il en fût
résulté pour les Pàndouides un avantage supérieur dans
le combat ; mais parce que c'est le fils du Soleil, qui fit
tomber sous ses coups le Rakshasa, la lance disparaît,
ayant accompli son affaire. » 8,25/1—8,255.
Connaissant le dessein de Karna, répondit Sandjaya, le
meurtrier de Madhou, Djanârddana aux longs bras en-
gagea, sire, Je monarque des Rakshasas, Ghatotkatcha à
la grande énergie dans ce duel en chars afin d'anéantir
cette lance infaillible : ce fut la conséquence des mauvais
conseils, donnés à ta majesté. 8,256 — 8,257.
Nous serions heureux, nous, propagateur delà race
des Kourouides, que Krishna ne défendît pas le Prithide
contre Karna, le grand héros (2). 8,258.
Sans Djanârddana, l'auguste maître des Yogas, ce
Prithide serait tué dans le combat, avec ses chevaux, son
drapeau et son char mis en pièces, par les armées du roi
Dhritarâshtra. 8,259.
C'est grâce à la protection de Krishna que son altesse
le fils de Prithâ, conservé par divers et nombreux moyens,
remporte la victoire sur des ennemis, qui lui présentent
le front. 8,260.
(1) Cedrela tunna.
(2) Pârthan Karnûnmahârathât, texte de Bombay.
DRONA-PARVA. 299
Krishna a sauvé les Pândouides de la lance infaillible,
supérieure à toute chose : telle que la foudre casse un
arbre, cette arme aurait bientôt couché mort le fils de
Kountî. 8,261,
« Mon fils a le cœur jaloux, il est mauvais conseiller,
il est orgueilleux de sa science : comment, s'enquit Dhri-
tarâshtra, ceKarna à la haute intelligence, le plus vaillant
de tous ceux, qui portent les armes, de qui le moyen,
donné pour la mort de Djaya, fut éludé, n'a-t-il pas en-
voyé sa lance infaillible sur Dhanandjaya?
» Comment, fils de Gavalgani, as-tu négligé de m'ins-
truire sur cette chose, toi, homme d'une vaste intelli-
gence (1) ? » 8,263— 8, 264— 8,265.
Voilà quelles observations, répondit Sandjaya, furent
sans cesse et tous les jours mises devant ses yeux par
Douryodhana, Çakouni, Douççâsana et moi : 8,266.
« Abandonne tous les guerriers, Rarna ; immole Dha-
nandjaya; ensuite nous dévorerons, comme des servi-
teurs, les Pântchâlains et les Pândouides. 8,267.
» Mais le Prithicle mort, le rejeton de Vrishni pourrait
le lemplacer dans le combat par un autre des fils de Pân-
dou, que Krishna meure à cause de cela! 8,268.
» Krishna est la racine des Pândouides, le Prithide a
cru comme le tronc; les autres enfants de Piïthâ sont les
branches, les Pântchâlains sont nommés les feuilles.
» Les Pândouides ont Krishna pour asy le, Krishna pour
force, Krishna pour défenseur ; Krishna est leur grand
centre d'attraction, comme la lune est celui des étoiles.
8,269—8,270.
(1) Mahâbouddhai, texte de Bombay.
300 LE MAHA-BHARATA.
» Ayant donc abandonné le tronc, les branches et les
feuilles, sache, fils du cocher, que Krishna est en tout et
partout la racine des Pândouides. 8,271.
» Si Karna tue le Dâçârhain, ce fils d'Yadou, la terre
entière sera bientôt sous ta puissance : il n'y a, sire,
aucun doute ! 8,272.
»> Si le magnanime fils de Pândou, qui descend d'Ya-
dou, gît sans vie sur la terre, tout ce globe, Indra des
hommmes , ne tombera-t-il pas sous ta puissance ,
avec ses mers , ses montagnes et ses forêts ?
» Que ton intelligence, établie sur ces bases, veille
sur Hrishîkéça, l'Infini , le monarque des Tridaças, et
ne s'abandonne point à la défaillance.
8,273-8,27^.
» Kéçava toujours conserve Arjouna, le fils de Kountî,
et ne veut pas le placer dans le combat en face du fils de
cocher. 8,275.
» L'impérissable Atchyouta a jeté devant lui d'autres
grands héros : «•Comment rendrai-je vaine cette lance
infaillible?» s'est-il dit, seigneur. 8,276.
» C'est ainsi que Krishna à la vaste étendue d'esprit
sauve de Karna le Prithide : et comment le plus grand des
hommes ne l' environnerait-il pas, sire, de sa protection ?
» En vain j'y pense, en vain je regarde le dompteur des
ennemis, qui a pour arme un tchakra : je ne vois pas
dans les trois mondes un guerrier, qui puisse vaincre
Djanârddana. » 8,277 — 8,278.
Sâtyaki au courage infaillible, le tigre des hommes,
adressa ensuite une demande à Krishna aux longs bras,
sur l'héroïque Karna : 8,279.
« C'est la confiance en Karna, qui parle. Pourquoi le
DRONA-PARVA. 301
fils du cocher n'a-t-il pas jeté alors cette lance à la puis-
sance infinie sur Phâlgouna? » 8,2S0.
« Douççâsana, Karna, Çakouni et leSindhien, répondit
le Vasoudévide, délibéraient toujours sous la présidence
de Douryodhana : 8,281.
« Karna, Karna au grand arc, guerrier au courage
sans mesure, lui disaient-ils, c'est à toi, ô le plus vaillant
des conquérants, et non point à un autre qu'il appartient
d'envoyer cette lance. » 8,282.
» En effet, tel qu'Indra surpasse les Dieux, tel il excel-
lait sur eux en renommée, excepté sur le très-héroïque
Prithide, Dhanandjaya, le fils de Kountî. 8,283.
r, Lui, couché mort, tous les Pândouides et les Srin-
djayas auraient l'âme abattue, comme jadis les Dieux,
quand le Feu les eut abandonnés. 8,284.
« Qu'il en soit ainsi ! » c'est la promesse, héros des
Çinides, que fit alors Karna ; et, depuis ce moment, la
mort du guerrier à l'arc Gândîva fut toujours fixée au
fond de son cœur. 8,285.
» Mais, ô le plus vaillant des combattants, je fascinai
Râdhéya, qui n'a point envoyé sa lance sur le Pândouide
aux blancs coursiers. 8,280.
« Je la garde pour la mort de Phâlgouna (1), disait -il ;
et ni le sommeil ni la joie ne peuvent assoupir dans mon
cœur le désir de combattre. » 8,287.
» Aujourd'hui que j'ai vu cette lance épuiser, héros des
Pândouides, sa vertu dans Ghatotkatcha, je regarde Dha-
nandjaya comme échappé à la gueule de la Mort. 8,288.
» Je ne dois pas mettre plus de soin à conserver, ou
(1) Sa mrityouriti, texte de Bombay.
302 LEMAHA-BHARATA.
mon père, ou ma mère, ou bien vous, mes hères, ou les
souffles de ma vie, qu'à sauver Bîbhatsou clans un combat.
» Je n'ambitionnerais pas, Sâttwatide, l'empire même
des trois mondes ou une autre chose, quelle qu'elle fût,
d'une acquisition bien difficile, si Dhanandjaya, le fils de
Prithâ, n'était là pour en jouir avec moi. 8,289 — 8,290.
» Je ressentis une bien vive joie, Youyoudhâna, quand
je vis aujourd'hui Phâlgouna ressuscité, pour ainsi dire,
d'entre les morts. 8,291.
» C'est moi, qui envoyai le Rakshasa au combat avec
Karna; car nul autre n'était capable en cette nuit d'af-
fronter Karna dans une bataille. » 8,292.
Tel était alors ce langage, que fit entendre à Sâtyaki le
fils de Dévakî, qui embrassait les intérêts de Dhanandjaya
et se faisait toujours un plaisir de ce qui était agréable à
son frère. 8,293.
« Une grande puissance, observa Dhritarâshtra, fut
ravie à Karna, à Douryodhana et ses frères, à Çakouni le
Soubalide, et principalement à toi-même, mon fils.
» Puisque vous saviez (1) que cette lance ne pouvait
immoler qu'une seule personne dans le combat, quoique
les Dieux mêmes avec Indra ne pussent, ni l'arrêter, ni la
supporter, 8,294—8,295.
» Pourquoi Karna n'avait-il pas commencé plus tôt à
s'en servir dans la bataille, et n'avait-elle pas été en-
voyée, Sandjaya, au fils de Dévakî ou même à Phâl-
gouna? » 8,296.
Voici (2) le conseil, monarque des hommes, répondit
Sandjaya, qui fut donné par nous tous, qui nous étions
(1) Djùnîsha, texte de Bombay.
(2) Mantrasayan, même texte.
DR0NA-1URVA. 303
abstenus cette nuit du combat, ô le plus vertueux de la
race des Kourouides: 8,297.
« Karna ! Karna ! disions-nous continuellement, il te
faut, demain, au retour de la lumière, envoyer cette lance
à Kéçava ou bien sur Arjouna ! » 8/298.
Mais, à la naissance du jour, les Dieux étouffèrent cette
pensée dans l'esprit de Karna et des autres combattants.
Oui ! ce fut, à mon avis, par la force du Destin, qui est
supérieur à tout, que Karna n'immola point dans le com-
bat avec cette lance, qu'il tenait à sa main, le fils de
Prithàou Krishna, de qui Dévakî fut la mère.
8,299—8,300.
Karna n'a pas déchargé, comme la nuit de la mort, cette
lance, placée dans sa main, où elle frémissait d'ardeur,
parce que le Destin avait frappé son esprit. 8,301.
11 n'a pas envoyé l'arme d'Indra pour la mort, ni à
Krishna, le fils de Dévakî, parce qu'il était fasciné par la
magie du Dieu, ni au fils de Prithâ, parce qu'il était sem-
blable à Çakra. 8,302.
« Vos esprits étaient frappés, observa le roi Dhrita-
râshtra, par le Destin et par Krishna ; et la lance d'Indra
poursuivit son vol, après qu'elle eut tué Ghatotkatcha,
traité comme une poignée d'herbes. 8,303.
» Cette fausse conduite a déjà mené aux demeures du
Vivasvatide Karna, et mon fils, et tous les autres princes.
» Raconte-moi encore de quelle manière ce combat des
Kourouides et des Pântchâlains s'est déroulé, après la
mort de l'Hidimbide ; 8,30/1—8,305.
» Quelles nombreuses armées fondirent, les armes à la
main, sur Drona ; comment les Srindjayas avec les Pân-
tchâlains soutinrent ce combat; 8,306.
30A LE MAHA-BHARATA.
» Comment ils résistèrent h Drona, qui s'avançait après
la mort du Somadattide et du Sindhien, qui se plongeait
dans l'armée et qui avait, dans sa colère, fait le sacrifice
de sa vie; 8,307.
» Comment les Srindjayas et les Pàndouides vinrent-ils
à la rencontre de ce Drona, qui décochait ses traits, sem-
blable à un tigre prêt à dévorer, ou tel que la Mort, sa
bouche ouverte ; 8,308.
» Qui furent ceux, qui défendirent l'Atchârya, sous les
ordres de Douryodhana; quels exploits, mon fils, ont exé-
cuté dans ce combat le Dronide, Rarna et Kripa. 8,309.
» Dis-moi, Sandjaya, comment les miens se présentèrent
dans la bataille devant Dhanandjaya et Vrikaudara, qui
désiraient faire mordre la poussière au Bharadwâdjide.
» Comment soutinrent-ils le combat dans cette nuit,
irrités, bouillants de fureur par la mort du roi deSindhou
et le trépas du noclivague Ghatotkatcha ? »
8,310—8,311.
Après la mort du Rakshasa Ghatotkatcha, tombé dans
cette nuit sous les coups de Rarna, répondit Sandjaya, au
milieu des tiens, sire, pleins d'ardeur, qui désiraient com-
battre, poussaient des cris, 8,312.
Et se portaient sur l'ennemi avec rapidité, le roi You-
dhishthira, plongé dans un abattement suprême de l'es-
prit, au sein de cette nuit, qui s'écoulait, et parmi son
armée, taillée en pièces, 8,313.
Ce terrible fléau des ennemis dit à Bhîmaséna : « Arrête,
héros aux longs bras, l'armée desDhritarâshtrides. 8,314.
» La mort, donnée à l'Hidimbide, m'a jeté dans un
immense trouble de l'esprit. » Quand il eut prescrit cet
ordre à Bhîma, il s'assit dans son char. 8,315.
DRONA-PARVA. 305
Le visage rempli de larmes, poussant maint et maint
soupir, le monarque, à la vue du courage de Rama, fut
jeté dans un affaissement d'esprit épouvantable. 8,31(5.
Dès qu'il l'eut vu dans un pareil trouble, Krishna lui
tint ce langage : « Ne t'abandonne pas à cette émotion,
fils de Kountî : cela ne te sied pas. 8,317.
» La faiblesse d'esprit, ô le plus vertueux des Bhara-
tides, est d'un homme vil. Relève-toi, sire ; combats !
Porte, seigneur, ce lourd timon. 8,318.
» Si tu tombes dans l'abattement d'esprit, la victoire
va devenir incertaine. » A ces paroles de Krishna, You-
dhishthira, le fils d'Yama, 8,319.
Ayant, de ses mains, essuyé ses yeux, répondit ces
mots à Krishna : « Je connais, héros aux longs bras, la
plus haute voie des vertus. 8,320.
» Ghatotkatrha ne s'est pas aperçu qu'il recevait le
fruit de la mort, donnée par lui à un brahme. Tandis que
nous habitions les forêts, le magnanime Hidimbide, en-
core dans l'enfance, fit société avec nous, Djanârddana.
Quand il eut appris le départ du Pànclouide aux blancs
coursiers à la recherche d'un astra, 8,321— 8,322.
» Ce héros au grand arc, Krishna, vint me voir à
Kâmyaka ; et il habita avec nous tout le temps que Dha-
nandjaya fut absent. 8,323.
» Dans le voyage au Gandhamâdana, il nous fit traverser
des lieux infranchissables, et porta sur son dos même la
Pântchâlaine fatiguée. 8,32/i.
» Tu n'ignores pas, seigneur, ce qu'il a fait dès le
commencement (1) des combats : ce magnanime a exé-
(i) Suivant le texte de Bombay: ûrambhât.
ix 20
306 LE MAHA-BHARAÎA.
cuté pour moi des prouesses bien difficiles. 8,325.
» Ghatotkatcha me donnait deux fois autant de joie,
que m'en inspire, Djanàrddana, le caractère (1) de Saha-
déva lui-même. 8,326.
» Ce héros aux longs bras m'était dévoué ; j'étais aimé
de lui autant que je l'a mais : consumé de chagrins, je
trouvais en lui, Vrishnide, l'appaii-ement de mes peines.
» Vois nos armi es mises en déroute devant les Rou-
rouides ! Vois ces deux grands héros, Rarna et Drona, qui
réunissent leurs t fforts dans la bataille! 8,327 — 8,828.
» Vois cette armée des Pândouides écrasée au milieu
de la nuit, comme une grande forêt de lotus, foulée aux
pieds par deux éléphants en rut ! 8,329.
» Sans tenir compte, Mâdhava, des bras vigoureux de
Bhîmaséna et de l'habileté en astras variés du fils de
Prithâ, les Rourouides s'avancent hardiment. 8,330.
» Voici que Drona, sa majesté Raina et Douryodhana
lui-même, après qu'ils ont abattu le Rakshasa dans le
combat, poussent de joyeux cris de victoire. 8,331.
» Comment l'Hidimbide, tandis que nous vivions en-
core, nous et toi, Djanàrddana, a-t-il pu trouver la mort
dans un engagement avec le fils du cocher? 8,332.
» Comment, nous ayant tous plongés dans l'infortune,
le Bhîmasénide à la grande force, ce fameux Rakshasa
a-t-il succombé, Rrishna, aux regards de l'Ambidextre?
» Quand Abhimanyou fut immolé, Rrishna, par ces
criminels Dhritarâshtrides, l'héroïque Dhanandjaya n'était
pas ici présent au combat. 8,333 — 8,33Zi.
» Nous étions tous alors arrêtés par le magnanime Sin-
(1} Sivabhôvadyû, texte de Bombay.
DRONA-PARVA. 307
dhien : Drona et son fils, Açwntthâman, lurent donc une
cause dans cette prouesse. 8,335.
» Le gourou lui-même enseigna à Karna le moyen
de lui donner la mort; et il mit en morceaux avec son ci-
meterre le cimeterre du héros, qui luttait de toutes
ses forces. 8,336.
» Soudain Kritavarman de frapper en homme méchant
les chevaux du guerrier, plongé dans l'infortune, et les
deux valets de pied, qui conduisaient les deux premiers
de ses quatre coursiers. 8,337.
» Les autres héros ont abattu le Soubhadride dans la
guerre (1) ; et l'archer du Gândîva immola, ô le plus ver-
tueux des Yadouides, le roi du Sindhou dans cette cause
pour lui assez légère ; mais qui n'est pas très-agréable pour
moi. S'il convient aux Pàndouides d'accomplir la mort
d'un ennemi, 8,338—8,339.
» Il faut avant tout que je fasse mordre la poussière du
combat à Drona et à Karna ! voilà mon sentiment. Car ils
sont tous les deux, ô le plus grand des hommes, la racine
de nos chagrins. 8,340.
» Que Souyodhana rassuré s'avance vers eux dans la
bataille, où Drona doit recevoir la mort, ainsi que le fils
du cocher et ses suivants ! 8,3M.
» Le héros aux longs bras, Arjouna, a couché mort le
Sindhien, qui habitait en des régions lointaines ; c'est à
moi nécessairement de faire la répression de l'Adhira-
thide. 8,342.
» Je vais combattre, héros, avec le désir d'arracher la
vie au fils du cocher ; et le vigourenx Bhîmaséna en vien-
(i) Youdhy opfirayan, texte de Bombay.
308 LE MAHA-BHARATA.
dra aux mains avec l'armée cle Drona. » 8,343.
A ces mots, Youdhishthira s'avança à la hâte vers
Karna, en brandissant son grand arc, et soufflant dans sa
conque des notes effrayantes. 8,344.
Ensuite, environné par trois cents milliers de chars et
d'éléphants, par cinq mille chevaux et trois milliers de
braves, Çikhandî s'empressa de suivre les pas du roi.
Puis, les Pântchâlains et les Pândouides, revêtus de la
cuirasse, Youdhishthira à leur tête, battirent les tambours
et soufflèrent dans les conques. Le Vasoudévide aux longs
bras dit alors à Dhanandjaya: 8,345 — 8,346— 8,347.
« Voici Youdhishthira, qui, pénétré de colère, s'a-
vance à pieds hâtés : il a le désir d ôter la vie à l'Adhira-
thide, et il ne met pas en toi l'espérance de ce projet ! »
Il dit ; et Hrishîkéça-Djanârddana de pousspr rapide-
ment ses chevaux et de suivre le roi, qui s'était avancé
déjà loin. 8,348-8,349.
Dès qu'il le vit s'approcher lestement, l'âme frappée de
chagrin et consumé comme par le feu, avec le désir de
porter la mort au fils du cocher, Vyâsa de s'avancer vers
Youdhishthira, le fils d'Yama, et de lui adresser ce lan-
gage : 8,350—8,351.
« Phâlgouna a le bonheur de conserver la vie, après
qu'il alfrunta Karna dans le combat ; car il avait gardé
sa lance dans le désir d'arriver à la mort de l'Ambidextre.
» Par bonheur, Djishnou n'est pas entré dans un duel
en chars avec lui au milieu d'un grand combat (1) ! Par
bonheur, ils n'ont fait que jeter des astras célestes de tous
les côtés à l'envi l'un cle l'autre ! 8,352—8,353.
(1) Taina mahâranai, édition de Bombay.
DRONA-PARVA. 309
» Accablé et ses astras neutralisés, le fils du cocher eût
pour sûr, Youdhishthira, envoyé dans le combat la lance,
qu'il avait reçue d'Indra ; 8,354.
» Et de-là fut résulté un malheur épouvantable, ô le
plus sage des Bharatides. C'est donc un bonheur que le
fils du cocher ait tué le Rakshasa dans cette bataille!
» Celui-ci fut touché par la mort elle-même, grâce à
cette lance, qui mit en œuvre la vertu d'Indra: c'est à
cause de toi, mon fils, que le Rakshasa fut tué dans le
combat. 8,355 — 7,356.
» Ne livre ton âme, ô le plus excellent des Bharatides,
ni au chagrin, ni à la colère ! Il a subi, Youdhishthira, la
condition qui est ici-bas, celle de tous les êtres animés.
» Secondés par tes frères ,et tous ces magnanimes
princes, soutiens le combat, Bharatide, contre tous les en-
fants de Rourou. 8,357 — 8,358.
» Dans cinq jours, la terre sera à toi ! Garde continuel-
lement ta pensée, tigre des hommes, fixée uniquement
sur le devoir. 8,359.
» Honore dans une profonde joie, fils de Pândou, la pé-
nitence, l'innocuité, l'aumône, la patience et la vérité : le
devoir accompli te donnera la victoire. » 8,360.
Dès qu'il eut dit ces paroles au Pândouide, Vyâsa dis-
parut alors dans l'invisibilité. 8,361.
MORT DE DR.OM.
après ce langage, que lui avait tenu Vyâsa, l'héroïque
Youdhishthira-Dharmarâdja s'abstint, éminent Bharatide,
de porter lui-même la mort à Karna. 8,362.
Tombé sous le pouvoir de la colère et du chagrin, à la
suite de la mort, que le fils du cocher avait donné cette
nuit à Ghatotkatcha, 8,363.
11 dit à Dhrishtadyoumna, lorsqu'il vit Bhîma faire
obstacle à ta grande armée : « Arrête le brahme, né dans
une aiguière ; 8,364.
» Car tu as reçu la naissance du feu de f autel pour la
mort de Drona ! Armé de ta cuirasse, de ton cimeterre, de
ton arc et de ta flèche, cours joyeux dans ce combat,
fléau des ennemis. Jamais tu ne connus la crainte. Que
Djanamédjaya, Çikhandi et l'illustre fils de Dourmoukha
8,365—8,366.
DRONA-PAKVA. 311
r, Fondent avec colère de tous les côtés sur le brahme,
né dans une aiguière. Que Nakoula, Sahadéva et les vail-
lants Draâupadéyains, 8,367.
» Que Dronpada et Virâta, accompagnés de leurs fils
et de leurs frères, que Sâtyaki, les Kaîkéyains et le Pân-
douide Dhanandjaya 8,368.
» S'élancent avec rapidité sur le Bharadwâdjide, dési-
reux de lui ôter la vie. Que tous les maîtres de chars, que-
tout ce que nous possédons en chevaux et en éléphants,
» Que les hommes de pied fassent mordre la poussière
du combat à l'héroïque Drona ! » Tous, à cet ordre du
magnanime Pàndouide, 8,369 — 8,370.
Ils coururent avec rapidité sur le fils d'une aiguière,
stimulés par le désir de la victoire. Le meilleur de ceux,
qui portent les armes, Drona les reçut dans le combat,
ces Pândouides, qui accouraient hâtivement, déployant
tous leurs efforts. Ensuite, s'éleva cette bataille aux guer-
riers, aux chevaux et aux chars fatigués, 8,371 — 8,372.
Entre les Pândouides et les Rourouides, qui s'adres-
saient de mutuelles menaces. Les grands héros, puissant
monarque, aveuglés par le sommeil, épuisés de force dans
la guerre, ne pouvaient exécuter (1) le plus minime effort
dans le combat. Cette nuit à trois veilles avait des formes
épouvantables; elle inspirait l'effroi, 8,373 — 8,37/j.
Enlevait l'existence et semblait composée de mille
veilles. Couverts de blessures pour la plus grande partie,
tuant et surtout aveuglés par le sommeil, ces kshatryas
arrivèrent ainsi à la moitié de la nuit : tous, ils étaient sans
énergie et leur âme était abattue. 8, 375 -—8, 376 — 8,377.
I) Abhyapadyanta, texte dp. Boraba>.
312 LE MAHA-BHARATA.
Les uns, dans ton armée et celle des ennemis, ayant
épuisé leurs flèches et vidé leurs astras, vivaient alors,
faisant preuve de pudeur et de sagesse ; car, tenant les
yeux fixés sur le devoir, ils n'abandonnaient pas chacun
son armée. Les autres, qui n'avaient plus de traits à
lancer, dormaient, leurs paupières fermées par le sommeil,
Ceux-ci sur des éléphants, ceux-là sur des chars, beau-
coup sur des chevaux ; et, quoique le sommeil ravît à leurs
yeux la vision, roi des hommes, aucune de nos actions
n'échappait à leur connaissance. 8,378 — 8,379 — 8,380.
Des combattants éveillés les envoyaient dans le monde
d'Yama. D'autres rêvaient et le mot : ennemis ! sortait de
leur bouche en délire. 8,381.
Ils se frappaient eux-mêmes, leurs gens et les enne-
mis dans le combat. Diverses étaient les paroles, que bal-
butiaient ces guerriers à demi- endormis. 8,382.
Beaucoup de nos gens, debout en face des ennemis,
leur disaient : « Il faut combattre ! » les yeux chargés de
sommeil. 8,383.
Certains marchaient dans le combat les uns contre les
autres, les yeux fermés par l'assoupissement : les héros
frappaient les héros au milieu de ces ténèbres épouvan-
tables. 8.384
D'autres, que le sommeil avait plongés dans une pro-
fonde aliénation d'eux-mêmes, ne s'apercevaient pas qu'ils
avaient été blessés dans la bataille par les ennemis.
Quand il les vit dans une telle condition, îlîbhatsou, le
plus éminent des hommes, leur adressa à tous ces paroles,
qu'il leur cria d'une voix éclatante : 8,385 — 8,386.
« Vous êtes tous fatigués, seigneurs ; le sommeil a fer-
mé vos paupières et celles de vos montures au milieu de
DRONA-PARVA. 313
cette armée couverte des ténèbres de la nuit et d'une
épaisse poussière. 8,387.
» Si vous m'en croyez, guerriers, cessez vos combats,
fermez vos yeux ici, une heure seulement, sur ce champ
de bataille. 8,388.
» Ensuite, affranchis du sommeil et libres de la fatigue,
aux rayons de la lune reparue, vous recommencerez, en-
fants de Kourou et de Pândou, à vous envoyer mutuelle-
ment au Swarga ! » 8,389.
Aussitôt que les paroles de cet homme juste furent
arrivées aux oreilles des guerriers, instruits dans le devoir,
ils les eurent pour agréables, et les armées se les dirent
les uns aux autres. 8,390.
« Rarna ! Karna ! Douryodhana ! crièrent-ils, sire;
l'armée des Pândouides se repose ; elle a cessé les com-
bats ! » 8,391.
Tandis que Phâlgouna s'en allait, criant ses paroles çà
et là, l'armée des Pândouides et la tienne, fils de Bharata,
suspendit l'exercice des armes. 8,392.
Tous les Dieux, et les rishis, et les armées applaudirent
avec joie aux nobles paroles de., ce magnanime.
Puis, après ces éloges donnés à sa proposition bienveil-
lante , toutes les armées fatiguées dormirent là une
heure, sire, le plus grand des Bharatides.
8,393—8,394.
Ton armée trouva la fin de ses fatigues ; elle obtint une
situation de bien-être, et renouvela volontiers ses actions
de grâce à Arjouna : 8,395.
« En toi reposent les Védas et les astras ! En toi sont
le courage et l'intelligence 1 En toi, héros aux longs bras,
siègent la béatitude et la compassion envers tous les êtres!
31A LE MAHA-BHARATA.
» Puisses-tu jouir de la joie, que, ranimés par ce som-
meil, Prithide, nous désirons pour toi ! Obtiens prompte-
ment, héros, les choses, qui sont agréables à ton cœur ! »
8,396—8,397.
Ainsi parlaient, tigre des hommes, ces grands héros
dans leurs éloges ; et, le sommeil effaçant l'idée des com-
bats, un profond silence, roi des mortels, régna parmi eux.
Ceux-ci étaient couchés sur l'échiné de leurs chevaux,
ceux-là sur le banc des chars, les uns sur les épaules d'un
éléphant, les autres dormaient simplement sur la terre.
8,398—8,399.
D'autres hommes reposaient, chacun à part avec ses
armes, celui-ci tenant son cimeterre, celui-là sa massue,
l'un sa hache, un autre ses flèches et revêtu de sa cui-
rasse. 8,/i00.
Les éléphants aux trompes ornées de la poussière de la
plaine et semblables à des peaux de serpents, les yeux
fermés par le sommeil, rafraîchirent la terre des souffles
de la vie. 8,/i01.
Étendus comme des montagnes avec des reptiles sif-
flants, les proboscidiens, aspirant et respirant, brillaient
alors sur la face deJa terre. 8,402.
Portant des jougs attachés par des liens d'or et sus-
pendus sur leur crinière, les chevaux, qui avaient uni la
terre raboteuse avec les coups de leur sabot, 8,A03.
Étaient couchés là de tous les côtés, Indra des rois,
attelés encore à la voiture de guerre. Ainsi dormaient,
laissant reposer les combats, guerriers, éléphants et che-
vaux, remplis d'une grande fatigue : ainsi, plongée dans
le sommeil, l'armée dormait, ensevelie dans la stupeur,
8,/jO/i— 8,405.
DRONA-PARVA. 315
Et semblable à un chef-d'œuvre de peinture, dont les
artistes (1) habiles ont enrichi une étoffe. 8,406.
Jeunes, ornés de pendeloques, les membres couverts
de blessures par les flèches envoyées l'un à l'autre, les
kshatryas étaient endormis, appuyés sur les globes fron-
taux des éléphants, comme des amants assoupis sur le
sein de leurs maîtresses. 8,407.
Ensuite, la plage du ciel, consacrée à Mahéndra, se
para avec la lune, le plaisir des yeux, la reine des lotus,
pâle comme les joues d'un amant. 8,408.
Tel, sorti des flancs de sa montagne, l'astre aux mille
yeux, rose, lumineux, étalant sa crinière de rayons, le
soleil s'élève sur le mont Oudaya, brisant le troupeau des
sombres éléphants de la nuit. 8,409.
11 possède un éclat égal à celui de la tête du taureau de
Çiva ; sa splendeur ressemble à la puissance de l'arc de
l'Amour ; et, ravissant, beau, souriant, comme une jeune
épouse, il semble le frère des lotus, entrouvrant leurs pé-
tales. 8,410.
Après un instant, l'adorable lune apparut devant les
yeux, et l'auguste planète, dévorant la lueur des étoiles,
montra sa lumière mêlée de rouge et de noir. 8,411.
La grande lune envoya lentement, lentement, son ré-
seau de rayons, de qui la lumière égale semblait être la
sœur cadette de cette lumière basannée. 8,412.
Ces rayons de la lune aux clartés étendues avec lenteur
arrivèrent enfin dans tous les points de l'espace, au mi-
lieu de l'atmosphère et sur la terre. 8,413.
On moment après, le monde devint tout lumière; et le£
! Çilpibhù, texte cfc Bomba*.
316 LE MAHA-BHARATA.
ténèbres sans clarté, incomparables, s'enfuirent à grands
pas. S, MA.
Dans le monde illuminé aux rayons de cette lune, qui
s'était faite le jour, les noctivagues, qui rôdaient, cessèrent
de circuler. 8, A 15.
Réveillée par ces rayons de la lune, l'armée parut, sire,
comme une vaste forêt de lotus, dont le pied est plongé
dans les eaux. 8,416.
Cette apparition de la lune fit se lever cet océan d'ar-
mée, comme la mer agitée est soulevée au jour d'une
pléoménie. 8,417.
Ensuite, recommença dans ce monde le combat pour la
ruine du monde entre ces guerriers, qui avaient l'ambi-
tion d'un monde supérieur. 8,418.
Tombé sous le pouvoir de la colère, Douryodhana de
s'avancer alors vers Drona, et de lui adresser ces paroles,
mères de la joie et de la force : 8,419.
« On ne doit plus supporter dans le combat, surtout
quand ils ont obtenu le but de leur âme fatiguée, des
ennemis remplis encore de lassitude, après qu'ils se sont,
reposés. 8,4*20.
» Nous avons souffert cette chose par le désir d'être
agréables à ta sainteté. Ces Pândouides fatigués sont
maintenant plus forts. 8,421.
» Dépourvus entièrement de vigueur et d'énergie, mais
sauvés par ta sainteté, ils sont accrus de plus en plus.
» C'est en toi surtout que reposent tous ces astras bran -
iniques et ces astras célestes, qu'ils nous décochent.
8,422—8,423.
» Quand ta sainteté combat, elle n'a point d'égaux en
ce monde, ni dans les Pcàndouides, ni dans nous-mêmes.
DRONA-PARVA. 317
ni dans les autres archers : c'est une vérité, que je te
dis là. 8,424.
» Toi, à qui tous les astras sont connus, Ole plus excel-
lent des brahmes, tu pourrais détruire avec tes astras
divins, il n'y a pas de doute, ces mondes avec les Gan-
dharvas, les Asouras et les Dieux. 8,425.
» Mais, recevant ses inspirations, ou de l'ignorance, ou
de mon infortune, ta sainteté supporte ces hommes, qui
sont avant tout véritablement effrayés. » 8,426.
Ulcéré par ton fils, Drona irrité répondit avec colère
ces paroles à Douryodhana : 8,427.
« Je déploie dans le combat des efforts, qui surpassent
mes forces, Douryodhana, malgré ma vieillesse; et,
quoique je désire la victoire, il me reste peu de chose à
faire de plus que je n'ai déjà fait. 8,428.
» Tout ce peuple, qui ne connaît pas les astras, doit
succomber sous les coups d'un homme, qui en possède la
connaissance : j'exécuterai sur ta parole, et non par un
autre mobile, Kourouide, ce que ta majesté pense bon ou
mauvais. Donnant l'essor à ma valeur dans le combat, je
déposerai ma cuirasse, sire, après que j'aurai immolé
tous les Pântchâlains ; je touche mes armes en garantie
de cette vérité ! Arjouna, le fils de Rountt, penses-tu, s'est
fatigué dans le combat; 8,429— 8. 430-8, 431.
» Mais écoute, Kourouide aux longs bras, ce qu'est son
courage dans la vérité. Les Rakshasas, les Yakshas, les
Gaudharvas, ni les Dieux 8,432.
» Ne peuvent soutenir dans un combat la colère de
l'Ambidextre, ce magnanime, qui, versant une pluie de
flèches, arrêta dans le Khandava l'adorable souverain des
Dieux, et lui rendit ses coups! Les Yakshas, les Nâgas,
318 LE MAHA-BHARATA.
les Daîtyas et les autres, à qui leur force inspirait de l'or-
gueil, 8,433— 8,434.
» Ont mordu la poussière sous le bras de cet Indra des
hommes : c'est un fait, que tu n'ignores pas. Les Gan-
dharvas, Tchitraséna et les autres furent vaincus dans
Ghoshayâtrâ. 8,435.
» Quand vous fûtes enlevés par eux, ce héros à l'arc
solide vous a délivrés de leurs mains. Les Nivâtakava-
tchas, ces ennemis des Dieux mêmes, 8,436.
» A qui les Immortels ne pouvaient donner la mort,
furent domptés par ce brave dans un combat. Ce tigre des
hommes a vaincu des milliers de Dânavas, qui habitaient
la Ville-d'Or : comment pourrait-il être vaincu par des
enfants de Manou ? Tu vois que, sous tes yeux mêmes, en
dépit de nos efforts (1), ton armée entière, souverain des
hommes, est détruite (2) par le fils de Pândou ! »
8,437—8,438—8,439.
Ton fils irrité, sire, répondit alors ces paroles au
brahme, qui se répandait ainsi en éloges d'Arjouna:
« Douççâsana, Karna, Çakouni, mon oncle, et moi, au-
jourd'hui même, nous immolerons Arjouna dans le com-
bat, après que nous aurons mis en deux l'armée Bhara-
tienne. » 8,440—8,441.
A cette parole entendue, le Bharadwâdjidesemitàrire,
et, s' approchant avec vivacité, lui dit : « Puisse t' accom-
pagner le bonheur ! 8,44*2.
» Car est-il un kshatrya, qui puisse détruire cet émi-
nent guerrier, l'impérissable archer du Gândîva, qui brille
comme flamboyant de splendeur ? 8,443.
(1-2) Kshapitan....tchéshtafân nas, texte de Bombay.
DRONA-PARVA. 51»
» Ni les Rakshasas, les Ouragas et les Asouras, ni le
roi des eaux, ni Indra, ni Yama, ni le souverain des
richesses ne pourrait le tuer, quand il porte à la main
ses armes! 8,444.
» Ceux, qui tiennent ce langage, que tu as prononcé,
Bharatide, sont des insensés. Qui, ayant affronté le combat
avec Arjouna, s'en retournerait heureux dans son palais?
» Et toi, homme dur, aux résolutions criminelles, tu
viens d'u e ici telles et telles paroles à des hommes ver-
tueux, qui ont embrassé tes intérêts !
8,445— 8,446.
» Va repousser le fils de Rountî dans ta propre cause.
Enfin, tu désires le combat, car tu es un kshatrya, né
dans une noble famille. 8,447.
» Pourquoi veux-tu faire immoler tous ces princes inno-
cents? La racine de cette guerre, c'est toi ! Va donc
affronter Arjouna. 8,448.
» Docte, dévoué aux devoirs du kshatrya, que ton oncle,
Gândâride, ce joueur frauduleux, s'avance au combat
contre Phâlgouna ! 8,449.
» Cet homme pervers, habile à faire rouler les dés, ce
joueur de jeux perfides, ce tricheur, savant dans l'art de
la méchanceté, il vaincra les Pândouides dans le combat!
» Plus d'une fois avec Karna, dans ta folle ardeur,
en ton âme vide, aveuglé par le délire, tu t'es vanté de
cela par de-là toute mesure, aux oreilles mêmes de Dhri-
tarâshtra.
« Karna, Douççâsana, mon frère, et moi, disais-tu,
nous trois réunis dans le combat, mon père, nous immo-
lerons le fils de Pàndou ! » 8,450 — 8,451 — 8,45*2.
» Voilà ce qu'on t'entendit prononcer mainte fois dans
320 LE MAHA-BHARATA.
chaque assemblée. Fais donc, que tu as promis ! Sois avec
eux, ayant une parole de vérité ! 8,453.
-> Le Pândouide, cet ennemi intolérable, est devant toi ,
observe le devoir du kshatrya. et tire vanité de ta mort,
comme de la victoire. 8,454.
» Tu as satisfait aux abstinences, à l'aumône, à la lec-
ture, à l'ambition d'un grand empire ; tu es au comble de
tes vœux, tu as rempli tes obligations : sois donc sans
crainte, et combats le fils de Pândou ! » 8,455.
Le brahme dit et s'en retourna ; puis, quand il eut fait
deux parues de l'armée, la lutte recommença dans une
nouvelle bataille. 8,456.
Le combat des Rourouides et des Pândouides se dé-
roula, souverain des hommes, dans cette nuit, à laquelle
il ne restait plus que l'espace de sa troisième veille.
Ensuite, le précurseur du soleil, Arouna, se leva, ra-
vissant la clarté de la lune, et répandit comme une teinte
rouge sur le ciel. 8,457 — 8,4<i8.
Dans la plage orientale, le disque du soleil, astre aux
mille rayons, que l'aurore peignait en rouge, resplendit
au milieu des airs, tel qu'un tchakra d'or. 8,45&.
Abandonnant les chars, les chevaux et les diverses
montures des hommes, tous les guerriers de Pândou etde
Kourou, tournant la face vers l'auteur du jour, réunirent
au front les paumes de leurs mains, et, parvenus à ce mo-
ment de la lumière naissante, récitèrent la prière à voix
basse. 8,/i(50.
Lorsqu'il eut divisé l'armée en deux parties, Drona,
que devançait Douryodhana, fondit sur les Pântchâlains,
les Somakas et les Pândouides. 8,461.
Aussitôt qu'il vit les Krouides séparés en deux moitiés,
DRONA-PARVA. 321
le Vasoudévide dit à Arjouna : « Mets les ennemis à ta
gauche, et celui-ci à ta droite ! » 8,462.
« Fais ! i) lui répondit Dhanandjaya, donnant sa per-
mission à Mâdhava; et il roula çà et là, tenant à sa gauche
Drona et Karna, ces guerriers aux grands arcs. 8,463.
A peine eut-il connu l'intention de Krishna, Bhîmaséna,
le conquérant des cités ennemies, adressa ce langage au
Prithide, placé à la tête du combat : 8,464.
« Arjouna ! Arjouna-Bîbhatsou, écoute cette parole de
moi 1 Voici arrivé ce moment, pour lequel sont nés les
kshatryas. 8,465.
» Si tu n'accomplis ce qui est bien dans le temps oppor-
tun, tu feras une chose très-mauvaise (1) avec des formes
irréfléchies. 8,466.
» Décharge-toi par ton courage de tes obligations en-
vers la vérité, la fortune, le devoir et la renommée : en-
fonce l'armée, ô le meilleur des combattants, et mets ces
hommes à ta droite. » 8,467.
Excité par Bhîmaséna et le Vasoudévide, l'Ambidextre,
ayant dépassé Karna et Drona, les cerna de tous côtés.
Les plus vaillants kshatryas de marcher hardiment
contre le héros, qui, déployant sa valeur, s'avançait à la
tête du combat et consumait les plus braves des guerriers.
8,468—8,469.
Douryodhana, Karna et Çakouni le Soubalide ne purent
l'arrêter, comme un incendie dans son intensité. 8,470.
Ils inondèrent avec des multitudes de flèches Dhanan-
djaya, le fils de Kountî : le meilleur des hommes versés
dans les plus grands astras, il frappa leurs astras d'im-
(1) Twan sunriçansan, texte de Bombay.
xi 21
322 LE M AH A-BHARATA.
puissance, Indra des rois, et répandit sur eux ses pluies
de traits. Maître de ses organes des sens, à la main lé-
gère, il paralysa leurs astras avec ses astras,
8,471— 8,472.
Et les blessa tous individuellement avec dix flèches acé-
rées. Une pluie de poussière s'éleva en même temps que
la pluie des flèches ; 8,473.
Une obscurité épouvantable et un bruit immense ré-
gnaient alors de concert ; et, dans une telle situation des
choses, on ne distinguait plus, ni le ciel, ni la terre, ni
les points cardinaux. 8,474.
Dans l'armée (1), la poussière ne répandait pas seule-
ment l'incertitude, mais tout en était aveuglé : l'ennemi
ne pouvait nous reconnaître, et nous ne pouvions, sire,
nous distinguer les uns les autres. 8,475.
Tel était le tableau du combat de ces princes : réduits
sans chars, sire, les maîtres de chars s'approchaient mu-
tuellement ; ils se prenaient aux cheveux, et par les cui-
rasses et les bras. On voyait là, glacés de crainte, comme
s'ils étaient vivants, les maîtres de chars sans mouvement,
leurs chevaux tués, leurs cochers immolés. Ils tenaient
embrassés, tels que des montagnes, les éléphants sans vie.
Les coursiers 8,476—8,477—8,479.
Étaient vus, lame exhalée, à côté de leurs cavaliers
inanimé*. Passé du combat dans la plage septentrionale,
Drona s'y tenait de même qu'un feu sans fumée. 11
ébranlait, souverain des hommes, les armées des Pân-
douides, qui le virent s'avancer, sans être accompagné,
en avant de la tête du combat. A peine eurent-ils vu
(1) Saînéyna radjasâ, lisez : Sai?iyé na radjasâ.
DRONA-PARVA. 323
Drona resplendir, environné de prospérité, et flamboyer
comme de splendeur, les ennemis de trembler, de se
faner, de chanceler, Bharatide. Quand il porta, tel qu'un
éléphant en rut, le défi à l'armée contraire,
8,/i80— 8,481—8,482.
Ils perdirent l'espérance de le vaincre, comme les Dâ-
navas de surmonter le fils de Vasou. Les uns étaient
sans énergie, quelques braves ressentaient de la colère ;
Les autres étaient frappés de stupeur ; ceux-là étaient
saisis de courroux ; ceux-ci, les monarques des hommes,
se broyaient les doigts dans les paumes des mains.
8,483—8,48/1.
Remplis de fureur, les uns se mordaient les lèvres de
leurs dents ; les autres brandissaient leurs armes ; il en
était qui se meurtrissaient les bras. 8,485.
Quelques-uns à la grande force, ayant fait le sacrifice
de leur vie, accouraient vers Drona. Les Pântchâlains sur-
tout, accablés par les flèches de l'Atchârya, 8,486.
Se pelotonnaient dans le combat, en proie à une pro-
fonde douleur, autour de leur monarque. Ensuite, Viràta
et Droupada s'opposèrent dans la bataille à Drona, qui
marchait ainsi dans la guerre et ne laissait espérer qu'une
victoire de la plus grande difficulté. Enfin, trois petit-fils
mêmes de Droupada, monarque des hommes,
8,487—8,488.
Et les Tchédiens aux grands arcs se portèrent dans le
combat au-devant du brahme, qui ravit les existences
avec trois flèches acérées aux trois petit-fils de Droupada.
Ils tombèrent sans vie sur la terre. Puis, Drona vainquit
dans le combat les Tchédiens, les Srindjayas et les Kaî-
kéyains. 8,489— 8,4v)0.
L'héroïque Bharadwâdjide défit aussi les Malsyas; et,
324 LE MAHA-BHARATA.
dans sa colère, Droupada lui déchargea une averse de
flèches. 8,491.
Virâta fit tomber dans la guerre, puissant roi, une
pluie de traits sur le brahme. Ce broyeur de kshatryas
Ensevelit sous ses flèches Virâta et Droupada. Ces deux
héros irrités, couverts de dards par l'Atchârya et montés
au comble de la fureur, le blessèrent à leur tour de pro-
jectiles accumulés. Drona, pénétré de ressentiment et de
colère, grand roi, 8,492— 8,493— 8,494.
Coupa leurs arcs avec deux bhallas très-acérés. Virâta
irrité d'envoyer dix leviers de fer et dix flèches, par le
désir d'arriver à la mort de Drona: et Droupada en cour-
roux de darder sur le brahme une lance épouvantable de
fer, ornementée d'or et semblable au roi des serpents.
Mais il trancha avec des bhallas très- acérés les dix leviers,
et avec des flèches la lance aux ornements de lapis-lazuli
et d'or. Ensuite, ce broyeur des ennemis, Drona envoya
dans les demeures du Vivasvatide Doupada et Virâta avec
deux bhallas, très-avides de sang. Après la mort de ces
deux héros, et celle des Kaîkéyains, et celle des Tchédiens,
des Matsyas et des Pântchâlains, et celle des trois héros,
petit-fils de Droupada, à la vue de cet exploit du brahme,
Dhrishtadyoumna au grand cœur, pénétré de douleur et
de colère, le maudit au milieu des maîtres de chars : [De
la stance 8,495 à la stance 8,502.)
« Par mes sacrifices, mes œuvres méritoires, mes actes,
soit du brahme, soit du kshatrya, périsse ce Drona, de
qui, je serai débarrassé (1) aujourd'hui ; et ce (2) Drona
périra! » 8,502.
(1-2) Moutchyéta yan va. Mettez le signe de quiescence sous le second t
du premier mot et joignez « au mot suivant : mouichyét ayanvû.
DRONA-PARVA. 325
A peine eut-il articulé cette exécration au milieu de tous
les archers, le Pântchâlain, meurtrier des héros ennemis,
s'avança à la tête de son armée vers l'Atchârya. 8,503.
D'un côté les Pàntchâlains, et de l'autre les Pândouides,
adressaient leurs coups à Drona. Karna, Çakouni le Sou-
balide, Douryodhana, 8,50/i.
Ses frères germains et les principaux veillaient au salut
du brahme dans la bataille ; et les Pàntchâlains, redou-
blant d'efforts, ne pouvaient même fixer les yeux sur
Drona, défendu par ces magnanimes dans le combat.
Alors Bhîmaséna de s'irriter, vénérable monarque, contre
Dhrishtadyoumna (1), et de le blesser avec ses paroles
mordantes: 8,505—8,506-8,507.
« 0 toi, le plus instruit dans l'art de lancer la flèche et
dans la science des astras parmi tous les hommes, qui
savent les astras, quel kshatrya estimé, né dans la famille
de Droupada, pourrait regarder un ennemi, ferme-en son
dessein? 8,508.
» Quel homme de cœur songerait à sauver sa vie (2) ,
quand il a vu périr son fils et son père, et surtout quand
il a prononcé un tel serment, comme le tien, dans l'assem-
blée des rois! 8,509.
» Tel que le feu allumé brûle de ses flammes, tel Drona,
(i) Pourquoi cette colère de Bhîmaséna? Quelle action de Drishta-
dyoumna voyons-nous en être le motil ? Pourquoi cette aigre invective
des deux premiers vers? le poète se tait. Je pense donc qu'il pourrait bien
se trouver ici un,e certaine lacune : peut-être un sourire trompeur de la
fortune, qui parut d'abord favorable au vieux brahme, et força Dhrishta-
dyoumna à fuir devant ses armes un instant supérieures.
(2) Sous-entendu ûtmânam,k moins qu'on ne veuille lire dans le texte :
paripalâyet, au lieu de jjaripâlayet ; ce qui donnerait pour sens : quel
homme songerait à fuir.
326 LE MAHA-BHARATA.
qui a pour bois son arc et ses flèches, consume lekshatrya
de sa splendeur. 8,510.
» Avant qu'il n'ait exterminé, jusqu'au dernier soldat,
l'armée des Pândouides, restez ici tranquilles et contem-
plez ma prouesse; je marche à Drona même ! » 8,511.
A ces mots, Vrikaudara d'entrer avec colère dans l'ar-
mée du brahme, et de mettre en fuite tes divisions avec
ses flèches bien lancées, longues et puissantes. 8,512.
Le Pântchâlain Dhrishtadyoumna lui-même pénétra
dans la grande armée et s'avança vers l'Atchârya. Alors
s'éleva une bataille grande, tumultueuse, telle que nous
n'en avons jamais vu une pareille, ni entendu nos devan-
ciers parler d'une semblable. Comme au lever de l'au-
rore, sire, il régnait dans l'armée un vaste désordre.
8,513—8,51/1.
On voyait les chars par troupes attachés l'un à l'autre,
vénérable monarque, les corps brisés des guerriers immo-
lés. 8,515.
Les uns s'en allaient par divers chemins, ceux-ci trou-
vaient le malheur dans la route, ceux-là fuyaient, les
autres étaient blessés dans le clos et sur les côtés. 8,516.
Un combat de près sévissait avec une extrême épou-
vante : enfin, le soleil éclaira dans un instant et naquit au
milieu de l'aurore. 8,517.
Revêtus de leurs cuirasses, grand roi, les guerriers
adorèrent au front de la bataille l'auteur du jour, aux
mille rayons éclos dans les premiers feux du matin.
Sous les rayons de lumière du soleil levé avec la splen-
deur de l'or passé au feu, la bataille recommença au mi-
lieu des mondes éclairés. 8,518 — 8,519.
Les couples de. chars, qui, au point du jour, étaient
DRONV-PARVA. 327
voisins les uns des autres, s'attachèrent mutuellement,
Bharatide, quand le soleil eut paru. 8,520.
Les chevaux se rencontraient avec les chars, les élé-
phants avec les chevaux, les hommes de pied avec les
éléphants, les coursiers avec les coursiers, les fantassins
avec les fantassins. 8,521.
Les combattants, réunis ou séparés, concouraient, émi-
nent Bharatide, les chars avec les chars, les éléphants,
soit avec les éléphants, soit avec les chevaux. 8,522.
Un grand nombre de gens habiles dans les combats, mais
épuisés déjà par la splendeur du soleil, les membres
enveloppés de soif et de faim, étaient, dans ce jour, sans
vie ni sentiment. 8,523.
Il régnait, sire, un vaste son, qui s'élevait jusqu'à tou-
cher le ciel, bruit de conques, de tambours, de tymbales,
du barrit des éléphants, d'arcs brandis, tirés, aux flèches
sifflantes, de fantassins en déroute, d'armes tombant, du
hennissement des chevaux, de chars mis en fuite, de pro-
boscidiens criant : c'était alors un hourvari confus.
8,524—8,525—8,526.
Un brouhaha grand, tumultueux, s'élevait alors jus-
qu'au ciel en s' accroissant : on entendait sur la terre un
bruit immense de toutes sortes d'armes cassées, un son
plaintif d'hommes se convulsant dans l'agonie; c'était
une grande pitié que de voir ces éléphants, ces chevaux,
ces héros, ces hommes de pied tombés et tombant.
Dans toutes ces armées étroitement attachées en grand
nombre les unes avec les autres, les Kourouides frappaient
leurs gens, et les Pândouides ceux de leur parti ; les en-
fants de Kourou perçaient les fils de Kourou, et les enne-
mis blessaient nos ennemis. 8,527 — 8,528—8,529.
328 LE MAHA-BHARATA.
On voyait à la ronde, comme chez les blanchisseurs,
parmi les combattants et parmi les éléphants (1), des mon-
ceaux de vêtements, que les héros avaient rejetés de leurs
bras. 8,530.
Le mot de cette métaphore : semblables à des vêtements
aux mains d'un blanchisseur, pouvait s'appliquer aussi à
des amas de cimeterres, brisés par les bras des héros, au
moment qu'ils se levaient pour frapper. 8,531.
Un combat grand, bien épouvantable, fut engagé alors
avec des armes vulgaires, des épées, des sabres, des le-
viers de fer et des haches. 8,532.
Les héros firent couler un fleuve, qui, grossi par les
corps des chevaux et des éléphants, roulait dans ses flots
les cadavres des guerriers, qui avait pour sa vase la chair
et le sang, qui était rempli de flèches pour ses poissons,
qui avait des étendards et des traits (2) en guise d'écume,
qui résonnait de plaintes de détresse, et qui se déchargeait
dans le monde des morts. 8,533 — 8, 53/i.
Les coursiers et les éléphants se tenaient, immobiles de
tous leurs membres, l'âme presque exhalée, épuisés de
force, affolés par la nuit, blessés des lances et des
flèches (3). 8,535.
Le visage desséché par la fatigue, les héros brillaient
çà et là de leurs pendeloques superbes, des parure* de
leur tête et des appareils du combat. 8,536.
Quant au champ de bataille, il était tout rempli de
guerriers, ou morts, ou à moitié morts, et par des troupes
de carnassiers : il n'y avait pas là de route pour les chars.
(1) Gadjéshu, texte de Bombay.
(2) Çastraphénilân, même texte.
(3) Çaraçakti, au même lieu.
DRONV-PARVA. 399
Les chevaux s' efforçant de tout leur courage, coursiers
doués de force, d'ardeur, d'un noble sang, et pareils à. des
éléphants, fatigués, tremblants, tourmentés par les bles-
sures des flèches, traînaient avec peine les chars, dont les
roues plongeaient dans la terre. L'armée entière, à l'excep-
tion de ces deux guerriers seulement, Arjouna et Drona,
était alors émue, semblable à la mer, Bharatide, et ma-
lade de peur. Mais ces deux héros étaient un asyle, ils
étaient la voie des affligés.
8,537—8,538-8,5/19— 8, 540.
Quoiqu'ils se fussent approchés d'eux, les autres des-
cendirent aux demeures d'Yama. Le trouble régnait en
toute la grande armée des Kourouides, aux prisesavecles
Pântchâlains. Dans l'immense carnage des familles de
rois, qui s'était élevé sur la terre, on ne distinguait rien
que ce fût, au milieu de cette boucherie, semblable aux
jeux de la mort, et qui accroissait la peur des gens
timides. Là, ni Karna, ni Drona, ni Arjouna, ni Youdhish-
thira, 8,541— 8,542-8,543.
Bhîmaséna, les deux jumeaux, le Pântchâlain et Sâ-
tyaki, ni Douççâsana, le Dronide, Douryodhana et le fils
de Soubala, 8,544.
Ni Kripa ou le roi de Madra, et Kritavarman, ni les
autres et soi-même, ni ta terre et les plages du ciel,
Rien dans l'armée n'était vu par nous, sire, couverts
de poussière et faisant corps avec elle. Au sein de ce
nuage épouvantable, confus, tourbillonnant (1) de pous-
sière, qui s'était élevé, 8,545 — 8,546.
On pensait alors qu'il était survenu comme une seconde
(1) Sambhrântai, édition de Bombay.
330 LE MAHA-BHARATA.
nuit: on ne discernait plus, ni Kourouides, ni Pântchâ-
lains, ni Pândouides, ni les points cardinaux, ni- l'atmos-
phère, ni la terre, ni rien de plane ou d'inégal. Les guer-
riers, désirant la victoire, faisaient tomber dans ce combat,
ou les ennemis, ou les leurs, qu'ils croyaient reconnaître
au seul toucher des mains. En secouant la poussière de
nos habits, en les arrosant de sang,
8,547-8, 548— 8,549.
Ou grâce au souffle léger du vent, nous nous débarras-
sions des poudres de la terre. Là, les éléphants, les che-
vaux, les combattants, maîtres de chars et fantassins,
Resplendissaient, humides de sang, comme des forêts
de pâridjâtas (1). Ensuite Douryodhana, Rarna, Drona
et Douççâsana, 8,550 — 8,551.
Ces quatre héros s'attachèrent (2) à quatre héros Pân-
douides. Douryodhana et son frère en vinrent aux mains
avec les deux jumeaux ; 8,552.
Radhéya avec Bhîmaséna et Arjouna avec le Bhara-
dwâdjide. Tous contemplaient de tous les côtés cet engage-
ment épouvantable et qui semblait une grande merveille.
Les maîtres de chars virent le combat admirable et plus
qu'humain de ces héros, en contact chacun avec son rival,
de ces principaux chefs du troupeau des hommes, combat,
rempli de chars aux belles peintures, et surprenant par
les tours et retours des chars. Déployant leurs efforts,
marchant avec courage, désireux de se vaincre les uns les
autres, 8,553—8,554 — 8,565.
Ils s'inondèrent d'une pluie de flèches, comme des
(1) L'arbre corail, erythrina fulgens.
(2) Samasajjanta, texte de Bombay.
DRONi-PARVA. 331
nuages à la fin de l'été. Ceséminents héros, montés sur des
chars, semblables au soleil, 8,556.
Brillaient, tels que des nuées en automne, accompa-
gnées de tremblants éclairs (1). Ces combattants, pleins
de colère et de fureur, puissant roi, 8,557.
Pleins d'émulation, déployant leurs efforts, ces grands
héros, l'arc au poing, s'approchèrent les uns des autres,
comme de jeunes éléphants dans l'ivresse. 8,558.
Il n'est peut-être point une seule blessure de corps,
par laquelle ces vaillants guerriers, au temps arrivé de ce
combat, ne se soient déchirés tous à la fois. 8,559.
Là, tel qu'est le ciel avec les troupeaux des étoiles, tel
était le champ de bataille, jonché de têtes, de jambes et
de bras coupés, de superbes pendeloques, d'arcs et de
flèches, de traits barbelés, de cimeterres, de haches et de
pattiças, de nâlikas, de rasoirs, de nârâtchas, de nakha-
ras, de lances et de leviers en fer, d'autres projectiles re-
luisants, supérieurs et de forme diverse, de cuirasses ad-
mirables et différentes d'exécution, de maints et maints
chars brisés, de chevaux et d'éléphants tués, de voitures
de guerre vides (2), semblables à des cités, avec leurs
drapeaux rompus, leurs combattants immolés, de cour-
siers sans cavaliers, tremblants, entraînés çà et là, de hé-
ros blessés, qu'on éventait à chaque instant, d'éventails,
richement ornés, de cottes de maille, d'étendards abattus,
d'ombrelles, de parures, de vêtements, de bouquets des
fleurs du parfum le plus exquis, de colliers, de diadèmes,
de tiares, de turbans, de clochettes en multitudes, de
(1) Yathâ méghâs... tchalavidyoulas, texte île Bombay.
(2) Çoùnyals, même le\te.
3*2 LE MAHA-BHARATA.
pierreries suspendues sur la poitrine, de niskas, de dia-
mants sertis dans les aigrettes. (De la stance8,b60 à ta
btance 8,567.)
Ensuite fut livré le combat de Douryodhana irrité, fu-
rieux, avec Nakoula, courroucé, enflammé de ressenti-
ment. 8,568.
Placé dans cette position pour combattre par son enne-
mi furieux, sa majesté Douryodhana, ton fils, grand roi,
plein d'une égale fureur, usa de représailles, cherchant
promptement (1) à le meitre à sa droite sur le champ de
bataille : mais le resplendissant Nakoula, instruit en des
coups d'escrime admirables, arrêta ton fils dans ce mou-
vement. Lorsqu'il l'eut empêché, Nakoula (2), accablant
son ennemi d'une multitude de flèches, le contraignit à
tourner le dos ; et les guerriers applaudirent à s&victoire.
«Arrête, arrête ! disait- il à ton fils.
8,569—8,570—8,571—8,572.
Car il conservait le souvenir de ses nombreux chagrins
et de ta mauvaise politique. 8,573.
Cela fait, ébranlant la terre sous la rapidité violente de
son char, Douççâsana fondit avec colère sur Sahadéva.
Tandis qu'il accourait, le héros, qui traîne les cadavres
de ses ennemis, le fils de Mâdrî irrité, de trancher vite
avec un bhalla la tête de son cocher, coiffée même de son
casque. 8,574 — 8,575.
Ni Douççâsana, ni même quiconque des guerriers ne
s'aperçut, tant l'action fut rapide, que Sahadéva avait
coupé la tête du cocher. 8,576.
(1) Droutan, texte de Bombay.
(2) Nakouluçtchakrai, même texte.
DRONA-PARV\. 333
Les chevaux du char, n'étant plus gouvernés, allaient à
leur fantaisie ; et c'est alors que Douççâsana vit que son
cocher avait rendu l'âme. 8,577.
Habile à conduire des coursiers, il prit en main les rê-
nes de son chariot sur le champ de bataille, et combattit
comme le plus excellent des maîtres de chars avec légèreté,
avec un art varié, avec un grand courage. 8,578.
Les siens et les ennemis applaudirent à cette action
dans la guerre de marcher sans crainte sur un champ de
bataille avec un char, dont le cocher avait perdu la vie.
Mais Sahadéva répandit ses flèches brûlantes sur les
chevaux, qui coururent au galop çà et là sous les traits,
dont ils étaient accablés. 8,579 — 8,580.
Ton fils avait abandonné (1) son arc afin de prendre en
main les rênes ; mais, à leur tour, il abandonna les rênes,
quand il voulut faire usage de son arc. 8,581.
Mettant ces fautes à profit, le fils de Màdrî le couvrit
de ses flèches. A l'instant même, Karna accourut vers
ton fils, désirant le sauver. 8,582.
Aussitôt Vrikaudara de blesser Karna d'un œil attentif
avec trois bhallas, tirés jusqu'à l'oreille et lancés au milieu
des bras dans sa poitrine. 8,583.
Tel qu'un serpent foulé aux pieds, Karna revint sur ses
pas ; il arrêta Bhîma avec une averse de ses flèches acé-
rées. 8,584.
Alors s'éleva un combat tumultueux entre Bhîmaséna
et Râdhéya. Comme deux taureaux mugissants, tous deux,
tournant les yeux, ils s'avancèrent irrités l'un vers l'autre
avec une extrême vivacité. Après qu'ils eurent épuisé
leurs flèches coupées, la bataille s'engagea à la massue
entre ces deux guerriers étroitement unis, ivres du com-
33û LE MAHA-BIIARATA.
bat. Mais Bhîma, sire, eut bientôt cassé avec sa massue le
timon du char de Karna : ce fut comme une chose mer-
veilleuse. Le puissant Râdhéya saisit un pilon, qu'il jeta
sur le chariot de l'ennemi, et, de sa massue, il brisa la
massue de Bhîmaséna. Celui-ci à son tour envoya une
massue pesante sur la voiture de l'Adhirathide, {Delà
stanceS,bSb à (a stance 8,590.)
Qui la reçut avec des flèches nombreuses, bien em-
pennées, à l'essor très-rapide, et lui rendit ses blessures
avec d'autres coups. Une massue, volant avec ses traits,
alla de sa main sur Bhîma, comme une serpente, charmée
par une incantation. Quand elle s'abattit des airs, l'im-
mense drapeau de Ventre-de-Loup 8,590 — 8,591.
Tomba, et, frappé de celte massue, son cocher s'éva-
nouit. Le vigoureux Bhîma, rempli de colère, décocha huit
dards à Karna ; et, de ces traits aigus, le meurtrier des
héros ennemis lui coupa, en riant, Bharatide,
8,592-8,593.
Son drapeau, son carquois et son arc même. Aussitôt
Karna de prendre un nouvel arc inaffrontable, au dos en
or. 8,59Zi.
Cela fait, Râdhéya abattit avec des flèches de char ses
coursiers, dont le pelage ressemblait à celui des ours, et
les deux valets de pied, qui conduisaient les deux premiers
de ses quatre chevaux. 8,595.
Sautant à bas de son char en détresse, Bhîma, le domp-
teur des ennemis, s'élança sur le chariot de Sahadéva,
comme un lion, qui foule du pied le sommet d'une mon-
tagne. 8,596.
Drona et Arjouna, ces deux grands héros, le maître et
le disciple, instruits à lancer la flèche dans la bataille,
DRONA- PAR VA. 335
Indra des rois, combattirent alors d'une manière admi-
rable. 8,597.
Soit qu'ils fussent à pied, soit qu'ils joignissent les deux
chars, leur promptitude à encocher un dard fascinait les
yeux et les esprits des hommes. 8,598.
Tous les guerriers cessèrent leurs conflits mutuels et
s'émurent à J'aspect de ce combat, qu'ils n'avaient pas
encore vu, d'un maître et de son disciple. 8,599.
Ces deux vaillants chars, montrant au milieu de l'armée
les variétés du manège, désiraient chacun prendre la
droite l'un sur l'autre. 8,600.
Les combattants, saisis de la plus haute admiration,
contemplaient la valeur de ces deux héros ; car ce combat,
que se livraient le Pândouicle et Drona, fut grand, et
comme la lutte de deux faucons, qui se disputent, grand
roi, un morceau de chair au milieu du ciel. Tout ce que le
désir de vaincre le fils de Kountî lit exécuter au brahme-
guerrier, 8,001—8,602.
Son rival en riant (1) le repoussa bien vite par des coups
opposés. Drona, voyant qu'il ne pouvait (2) l'emporter sur
le fils de Pàndou, 8,603.
Instruit dans les voies des astras, en manifesta de
toutes les sortes, d'Indra, de Çiva, de Twashtri, du Vent
et de Varouna. 8,60/i.
Mais Arjouna frappait soudain chaque astra décoché
par l'arc de Drona. Quand les astras du Pândouide eurent
paralysé, conformément aux règles, les astras de son rival,
(1) Tat tat pratijagliùna àçu prahasanstasya, texte de Bombay.
(2) Pûndavan sma, môme édition, au lieu de Pûndavasya du texte de
Calcutta; car les dictionnaires ne donnent pas un génitif pour régime à
viçaishitoun.
336 LE MAHA-BHARATA.
Celui-ci répandit sur le Prithide des projectiles supé-
rieurs et divins ; mais à toute flèche, qu'il envoie par le
désir de vaincre le fils de Prithâ, 8,605 — 8,606.
Arjouna en oppose une autre à rencontre de son coup.
Dès qu'il le vit régulièrement paralyser tous ses traits,
fussent-ils célestes, Drona ne put s'empêcher d'applaudir
Arjouna dans le fond de son âme ; et ce terrible ennemi
estima que son disciple lui donnait à soi-même la supé-
riorité, Bharatide, par-dessus tous ceux, qui possédaient
la science des astras sur la terre ! Arrêté de cette manière
par le fils de Prithâ au milieu des magnanimes,
8,607—8,608—8,609.
Et, souriant de satisfaction, il s'étudia à repousser les
attaques d' Arjouna. Ensuite, au sein des airs, lesGan-
dharvas par milliers et les Dieux, 8,610.
Les sept grands rishis et les chœurs des Siddhas se
montrèrent de tous côtés. Le ciel était plein d'Apsaras,
il était rempli d'Yakshas et de Rakshasas.
L'atmosphère était plus douce que d habitude , comme
si elle était voilée par des nuages. Là, à chaque instant,
circulaient des voix, dont les auteurs étaient invisibles,
8,611—8,612.
Mariées aux éloges de Drona et du magnanime Pri-
thide. Tandis que les astras lancés flamboyaient çà et là ,
Les Siddhas et les rishis rassemblés : « Voici un com-
bat, disaient-ils, qui n'est pas une bataille d'hommes, ni
de Rakshasas, ni d' Asouras, ni de Gandharvas, ni même de
Dieux! C'est, pour sûr, un duel de Brahmas? C'est admi-
rable ! c'est prodigieux ! Cela n'a point encore été vu par
(1) Çrîmat, édition de Bombay.
DKONA-PARVA. 337
nous! Et jamais on n'entendit parler de chose pareille!
8,(513—8,61/1—8,615.
» L'Atchârya est-il au-dessus du Pândouide, ou le
Pândouide est-il au-dessus de Drona? Un autre, quel qu'il
soit, ne pourrait saisir une différence entre ces deux héros :
on dirait que Çiva s'est divisé en deux et qu'il se combat
lui-même avec soi-même. Il est impossible d'établir ici
une comparaison d'une autre manière. 8,616 — 8,617.
» La science est placée dans l'Atchârya, la science et
l'exercice le sont dans le fils dePândou ; le courage siège
dans l'Atchârya, la force et le courage dans le Pândouide.
» Les ennemis ne sont point capables d'abattre dans un
combat ces deux héros ; mais, s'ils le voulaient, ceux-ci
pourraient détruire le monde et les Dieux avec lui. »
8,618—8,619.
Ainsi disaient par troupes, à la vue de ces deux braves,
puissant roi, les êtres invisibles et lumineux. 8,620.
Ensuite, Drona à la haute sagesse de manifester l'astra
de Brahma pour consumer dans ce combat le Prithide et
jusqu'aux êtres invisibles. 8,621.
Aussitôt la terre trembla avec ses montagnes, ses eaux
et ses forêts ; le vent souffla d'une haleine inégale, et les
ondes de l'océan s'agitèrent. 8,622.
Un vaste effroi se glissa au cœur des armées, soit de
Kourou, soit de Pândou ; et tous les êtres de trembler,
quand le magnanime éleva son astra. 8,623.
Mais le fils de Prithâ, sans trouble, repoussa le charme
et calma tout, Indra des rois, en éteignant l'astra de
Brahma. 8,62/i,
Cette lutte mêlée, où l'on n'arrivait pas à saisir un point
de séparation pour tous les deux à la fois, ou pour l'un
ix 22
338 LE MAHA-BHARATA.
des deux, avait jeté la confusion dans le combat. 8,625.
Rien n'était plus distingué en ce conflit, qui s'était en-
gagé de nouveau, en cette bataille de Drona et du Pân-
douide, couverte par des multitudes de flèches, comme le
soleil est obscurci par des masses de nuages. Là, ne s'a-
venturait à voler aucun habitant des airs. 8,626 — 8,627.
Tandis que sévissait, grand roi, ce carnage des chevaux,
des éléphants et des guerriers, Douççâsana livra le com-
bat à Dhrishtadyoumna. 8,628.
Accablé par les flèches de Douççâsana, mais fermement
appuyé sur son char d'or et bouillant de colère, celui-ci
inonda de ses traits les chevaux de ton fils. 8,629.
Dans un instant, grand roi, englouti sous les dards du
Prishatide, on ne vit plus, ni le char de l'ennemi, ni ses
chevaux, ni son cocher. 8,630.
Noyé dans les multitudes de ses flèches, Indra des rois,
Douççâsana ne put rester de pied ferme en face du magna-
nime Pântchâlain. 8,631.
Dès qu'il eut contraint ton fils à tourner le dos devant
ses dards, celui-ci de s'avancer, semant des milliers de
projectiles, vers Drona pour lui offrir la bataille. 8,632.
Mais soudain Hârddîkya-Kritavarman et trois de ses
frères germains se jetèrent devant lui et arrêtèrent ce
héros. 8,633.
Les jumeaux, ses vaillants défenseurs, suivirent les pas
du guerrier, qui marchait comme un feu allumé, présen-
tant le front au Bharadwâdjide. 8,634.
Remplis décolère, pleins d'énergie, tous ces bien grands
héros, qui avaient mis la mort devant leurs yeux, enga-
gèrent donc le combat. 8,635.
Doués d'une âme pure, menant une conduite pure et
DRONA-PARVA. 339
préférant à toute chose le Svvarga, ils soutinrent, sire, une
noble bataille avec le désir de remporter l'un sur l'autre
la victoire. 8,636.
Jetant du lustre sur leur famille, ces monarques, rem-
plis de sagesse, engagèrent ce combat, les yeux fixés à
travers le devoir sur la voie supérieure. 8,637.
Le combat, qui se livrait alors, était sans traits perfi-
des : il n'y avait là, ni karni (1), ni nâlika (2) , ni flèches
empoisonnées, ni vastika (3). 8,638.
Il n'y avait point là de soûtchî (/a), ni de bouclier fait
avec les os du singe, ou du bœuf, ou de l'éléphant (5) : il
n'yavaitpas là de serpent, ni de flèche imprégnée de poi-
son ou infectée d'ordure. 8,639.
Tous, désirant obtenir les mondes supérieurs et la
gloire avec un digne combat, portaient des armes franches
et loyales. 8,640.
Cette bataille, exempte de toute faute , des quatre
combattants contre les trois Pândouides était remplie de
tumulte. 8,641.
Lorsque Dhrishtadyoumna vit tes vaillants et grands
héros arrêtés devant les braves jumeaux, ce guerrier aux
légers astras s'avança vers le Bharadwâdjide. 8,6Zi2.
(i) Trait avec deux hameçons à pointes ajustées en sens contraire, pour
qu'on ne puisse le retirer sans déchirer des organes intérieurs.
(Commentaire).
(2) Autre, dont la petitesse rend l'extraction très-difficile. (Idem.)
(3) Flèche à plonger dans le ventre, et dont le fut est si peu adhérent
au fer, qu'il sort seul à la main du chirurgien et laisse le fer dans la
plaie. (Idem)
(4) Dard semblable au karni, entouré do nombreuses épines. (Idem.)
(5) Sans doute, on supposait que ces matières portaient avec elles de si.
nistres influences.
340 LE MAHA-BHARATA.
Ces courageux combattants, arrêtés par ces lions des
hommes, s'indignaient comme quatre vents en face de
deux montagnes. 8,643.
Les jumeaux, ces éminents héros, de s'attacher indivi-
duellement à deux chars ; et Dhrishtadyoumna répandit sa
pluie de fer surDrona. 8,644.
A peine eut-il vu ce guerrier, ivre de la furie des com-
bats, marchant vers le brahme et les jumeaux engagés
avec les Kourouides, soudain Douryodhana, grand roi,
accourut, semant ses traits, avides de sang. Mais Sâtyaki
s'approcha de lui à pas très-hâ es. 8,645 — 8,646.
Quand ils se furent avancés l'un près de l'autre, ces
deux tigres des hommes, le Kourouide et Mâdhava, en
vinrent aux mains, sans trembler (1), se portant des coups
mutuels. 8,647.
Ils se rappelèrent avec plaisir toutes les actions de leur
enfance ; et, fixant l'un sur l'autre des regards satisfaits,
ils s'adressèrent maint et maint sourire. 8,648.
Le roi Douryodhana, se blâmant lui- même de sa con-
duite, dit alors à Sâtyaki, qui était resté son cher ami :
« Honniesoitlacolère,monami!Hontesoità la cupidité!
Honnie soit l'extravagance ! Honte à l'homme, qui s'aban-
donne à la fureur! Honte à la conduite du kshatrya!
Honnie soit la force des muscles ! 8,649—8,650.
» Puisque tu lances sur moi tes flèches, héros des Çi-
nides, et que je décoche sur toi mes traits ! Cependant tu
m'es plus cher que le souffle de ma vie, et je suis plus aimé
de toi que les souffles de l'existence! 8,651.
» Je me souviens de tout ce que nous avons fait dans
(1) Abhîtaâu, texte de Bombay.
DllONA-PAUVA. 3 Al
notre enfance ; mais ce sont des choses vieilles mainte-
nant pour nous sur ce champ de bataille. 8,652.
» Que vont nous dire maintenant la colère et la cupi-
dité? Car ce moment, Sâtyaki, est maintenant celui du
combat ! » Au prince, qui parlait ainsi, majesté, le Sàt-
twatide, versé dans les plus grands astras, fit en souriant
cette réponse, tenant levées ses flèches mordantes: «Cette
assemblée n'est pas, fils de roi, la maison de l'instituteur,
» Où, réunis ensemble, sire, nous vaquions à diffé-
rents jeux ! » 8,(553 — 8,65/j — 8,655.
« Où sont allés ces jeux de notre enfance, héros des
Çinides? reprit Douryodhana. Où ce combat nous con-
duira-t-iiï Certes, ce moment est difficile à passer.
» Mais cet amour de l'or a mis dans nos cœurs le be-
soin des richesses, puisque, tous rassemblés, nous com-
battons, après que nous avons obtenu les richesses? »
A ces mots du roi, le Sâttwatide répondit : «Oui ! ce fut
toujours. Les kshatryas tournent ici les armes contre
leurs vénérables gourous. 8,656 — 8,657 — 8,658.
» Si je te suis agréable, sire, tue-moi, sans tarder !
Que j'aille par toi clans les mondes des justes ! 8,659.
» Fais voir promptement sur moi la force et la vigueur,
que tu as reçues. Je ne veux pas voir la grande infortune
de mes amis ! » 8,660.
Après cette réponse à ces paroles résolues du prince,
Sâtyaki .s'avança précipitamment, troublé, sans même
prendre le soin de se couvrir. 8,661.
Ton fils reçut le héros aux longs bras (1), qui venait à
lui, sire, et noya Çaînéya de ses flèches. 8,662.
(i) Texte de Bombay
342 LE MAHA-BHARATA.
Alors commença un épouvantable combat entre ces
deux lions des hommes, Mâdhava et le Kourouide, irrités
l'un contre l'autre; telle s'engage la lutte entre un lion et
un éléphant. 8,663.
Douryodhana de blesser avec fureur (1) le Sâttwatide,
enivré de la furie des batailles, avec des flèches bien dé-
cochées, longues et puissantes. 8,66/i.
Sâtyaki lui rendit ses coups, et le couvrit même, d'a-
bord de cinquante dards (2) , ensuite de trente, ajoutés à
dix, sur le champ de bataille. 8,665.
Mais ton fils, en riant, sire, de percer Sâtyaki dans le
combat avec trente sagettes aiguës, lancées d'un arc tiré
jusqu'à l'oreille. 8,666.
Puis, d'un kshourapra, il coupa en deux son arc avec
sa flèche. Le guerrier à la main légère saisit un nouvel
arc solide; 8,667.
Et Sâtyaki décocha une file de traits à ton fils. Mais
soudain celui-ci, excité par le désir de tuer, les trancha
dans leur vol en mille (3) morceaux, et l'armée se répandit
en hautes clameurs. Il accabla avec furie le Sâttwatide de
soixante-treize flèches, empennées d'or, éclaircies avec
la pierre et lancées d'un arc tiré jusqu'à l'oreille. Au mo-
ment qu'il encochait les dards, Sâtyaki lui coupa rapide-
ment son arc, accompagné des traits, et l'inonda d'une
pluie de flèches. Profondément blessé, celui-là se retira,
dans son trouble, vers un autre char.
8,668—8,669—8,670.
Sous l'oppression des flèches du Dâçârhain, Douryo-
(1) Texte de Bombay.
(2) Même texte.
(3) Littéralement : multiplicité):
DRONA-PARVA. 343
dhana, ton fils, grand roi, s'avança de nouveau en gémis-
sant vers Sâtyaki. 8,671.
Il combattit, envoyant ses multitudes de traits sur le
char de son rival ; et celui-ci jetait sans relâche, majesté,
ses dards sur le char de Douryodhana. C'était un combat
rempli de flèches, lancées et volant de tous les côtés.
8,6*72— 8,673.
11 régnait un vaste bruit, qu'on aurait dit causé par un
incendie au milieu d'une immense forêt d'arbres secs. Le
sol de la terre était couvert sous les milliers de leurs
llèches. 8,674.
Elles avaient donné à l'atmosphère la forme d'une
chose, où l'on ne pouvait plus aller. Dès qu'il vit la supé-
riorité de Mâdhava, le plus brave des héros, 8,675.
Karna de voler promptement à la défense de ton fils ;
mais Rhîraaséna à la grande vigueur le vit avec indigna-
tion. 8,676.
Il s'approcha du guerrier à la hâte, lui décochant ses
dards nombreux ; et Karna de repousser en riant ses traits
acérés. 8,677.
De ses flèches, il trancha l'arc et les projectiles du héros,
il abattit son cocher. Saisissant une massue, le Pândouide
Bhîmaséna irrité 8,678.
Broya dans le combat l'arc, le drapeau et le cocher de
l'ennemi ; et le robuste guerrier brisa encore la roue du
char de Karna. 8,679.
Sur sa voiture à la roue cassée, l'Adhirathide se tenait,
aussi peu ému que le roi des montagnes ; et ses chevaux
traînèrent bien long-temps son chariot, soutenu d'uneroue
intacte: 8,680.
Tels les sept coursiers du soleil emportent son char,
Wi LE MAHA-BHARATA.
qui roule sur une seule roue. Rama à la colère impatiente
combattit Bhîmaséna ; 8,681.
Et celui-ci irrité fit la guerre au fils du cocher avec des
multitudes de différents traits et des flèches variées.
Tandis que se livrait cette bataille confuse, le roi fils
d'Yama tint ce langage aux héros des Pântchâlains
et aux plus excellents des Matsyas :
8,682—8,683.
« Ces hommes éminents, qui sont nos guerriers à la
grande force, qui sont notre tête, qui sont comme les
souffles de notre existence , sont engagés avec les Dri-
tarâshtrides. 8,68Zi.
» Pourquoi restez-vous tous ici, frappés de stupeur,
tels que des corps sans vie? Courez au lieu où combattent
mes héros ! 8,685.
» Si vous mettez le devoir dukshatryaen première ligne
et bannissez toute inquiétude, ayant remporté la victoire
ou reçu la mort, vous irez dans la voie, qui est l'objet de
vos désirs. 8,686.
» Victorieux, vous célébrez maintes fois le sacrifice,
riche de nombreux dons honorifiques ; ou morts et de-
venus semblables aux Dieux, vous allez dans les plus hauts
des mondes. » 8,687.
Excités par ces mots du roi, les héroïques grands mo-
narques, mettant avant toute chose les devoirs du
kshatrya, s'élancèrent d'un pied hâté vers Drona pour le
combattre. 8,688.
D'un côté, les Pântchâlains frappèrent le brahme de
flèches nombreuses ; de l'autre part, il fut enfermé par
les guerriers, que commandait Bhîmaséna. 8,689.
Parmi les fils de Pândou, il y avait trois fameux héros,
DUONA-PARVA. 3Zi5
les deux jumeaux et Bhimaséna, qui, doutant de leur force,
appelèrent à grands cris Arjouna : 8,690.
« Accours, disaient-ils, Arjouna ! Chasse les Kou-
rouides, qui environnent le brahme; ensuite, il sera facile
aux Pântchâlains de le tuer, séparé de ses défenseurs ! »
Alors Phâlgouna de se porter rapidement sur les Kou-
rouides. Drona et ses héros broyèrent le cinquième jour,
Bharatide, les Pântchâlains, qui avaient à leur tête Drish-
tadyoumna. 8,691—8,692—8,693.
Le Bharadwàdjide accomplit un immense carnage des
Pântchâlains : tel jadis, irrité dans le combat, Indra fit
l'extermination des Dânavas. 8,694.
Frappés de son astra dans un nouveau combat, puissant
roi, les grands héros, pleins de courage, ne tremblèrent
pas alors devant lui sur le champ de bataille. 8,695.
Combattant avec un noble courage, les Pântchâlains et
les Srindjayas s'avancèrent vers le brahme et tentèrent
sur lui des attaques. 8,696.
11 s'élevait de tous les côtés un cri effroyable de ces
Pântchâlains, ensevelis et battus par ces pluies (J) de
flèches. 8,697.
Tandis que ce magnanime frappait les Pântchâlains, la
terreur se glissa au cœur des Pândouides, quand il en-
voya son astra. 8,698.
Dès qu'ils virent dans le combat ce vaste carnage de
guerriers, de chevaux et d'hommes, les Pândouides, grand
roi, cessèrent alors d'espérer la victoire : 8,699.
« Drona, qui possèdeles plus puissants astras, disaient-
ils, ne pourrait-il nous exterminer tous, comme le feu
(1) Vrishtibhis, édition de Bombay.
346 LE MAHA-BHARATA.
allumé brûle une forêt d'arbres secs, quand la saison
froide s'est enfuie. 8,700.
» Personne n'est capable de fixer un regard sur lui
clans la guerre; et Arjouna, si" instruit dans la vertu, n'en-
gagerait jamais un combat avec lui ! » 8,701.
Lorsqu'il vit trembler les fils de Kountî, accablés sous
les flèches du brahme, le sage Kéçava, attentif aux moyens
de salut, adressa ces mots au vaillant Arjouna : 8,702.
« C'est le meilleur des archers et, lorsqu'il a son arc au
poing, les Dieux mêmes, Indra à leur tête, ne pourraient
jamais le vaincre dans un combat ! 8,703.
» Mais, s'il déposait sa flèche, les hommes pourraient
l'immoler dans la guerre ! Les Pàndouides renoncent aux
vertus du militaire : c'est donc à Djaya qu'il appartient
» D'empêcher que le brahme au char d'orne nous fasse
mordre à tous la poussière ! Qu'Açwatthâman soit couché
mort, son père ne combattra plus : voilà mon sentiment.
8,704—8,705.
» Ainsi, qu'un homme s'en aille lui annoncer que son
fils a été tué dans le combat î » Dhanandjaya, le fils de
Kountî, n'approuva point ces paroles. 8,706.
Mais tous les autres les eurent pour agréables; You-
dhishthira se rangea avec peine à cet avis. Ensuite Bhîma
aux longs bras, sire, assomma d'une massue au milieu de
son armée un grand éléphant, qu'on appelait Açwatthâ-
man , terrible massacreur d'ennemis et monture d'Indra-
varman, le roi du Mâlava. 11 s'avança dans le combat vers
le brahme- guerrier, et lui dit en rougissant et donnant
à sa voix un grand éclat: « Açwatthâman est tué ! »
8,707—8,708—8,709.
On appelait du nom d' Açwatthâman cet éléphant
DRONA-PAUVA. 347
assommé et, pensant à lui, Bhîma dit ces mots avec une
réserve mentale. 8,710.
Quand il entendit la parole infiniment affligeante de
Bhîmaséna, le corps du Bharadwâdjide s'enfonça dans son
àme, comme du sable au fond de l'eau. 8,711.
Puis, il soupçonna cette nouvelle de mensonge; et,
connaissant la bravoure de son fils, lorsqu'il entendit ce
mot : « Il est tué ! » il ne fut pas ébranlé de sa fermeté.
Dès qu'il fut rendu à lui-même et qu'il eut pensé que
son fils était insoutenable aux ennemis, Drona aussitôt
de reprendre ses esprits. 8,712 — 8,713.
Désirant de le tuer et semant un millier de flèches acé-
rées, il fondit sur le Prishatide, né pour la mort de lui-
même. 8,71/1.
Vingt mille grands héros des Pântchâlains de l'ense-
velir dans sa marche de tous les côtés au milieu du combat
sous leurs traits aigus. 8,715.
Nous cessâmes de voir l'héroïque Drona, couvert de
ces flèches, comme le soleil, lorsqu'il est, souverain des
hommes, dans la saison des pluies, masqué par les nuages.
Quand ce vaillant dompteur des ennemis eut dissipé
ces masses de traits lancés par les Pântchâlains, Drona,
dans sa fureur, de manifester l'astra de Brahma pour la
mort de ces héros Pântchâlains. Alors, il resplendit, flam-
boyant, comme un feu sans fumée;
8,710—8,717—8,718.
Et, s'irritant de nouveau, l'auguste Bharadwâdjide
brilla encore, immolant tous les Somakas. 8,719.
Il abattit dans ce grand combat les têtes des Pântchâ-
lains et les bras, semblables à des barres de porteset parés
de leurs bracelets d'or. 8,720.
348 LE MAHA-BHARATA.
Taillés en pièces dans la bataille par leBharadwâdjide,
les princes étaient répandus (1) sur la terre, comme des
arbres, déracinés par le souffle du vent. 8,721.
Couverte d'un bourbier de chair et de sang, la terre,
Bharatide, était impraticable par les corps des éléphants
et des chevaux tombant là, sans vie. 8,722.
Après qu'il eut immolé vingt-cinq mille foules de héros
Pântchâlains, Drona se tint dans le combat, flamboyant
comme un feu sans fumée. 8,723.
Et, de nouveau irrité, l'auguste Bharadwâdjide enleva
avec un bhalla la tête du corps de Vasoudâna. 8,72/i.
Il tua cinq cents Matsyas, six mille Srindjayas, unemy-
riade d'éléphants, et tua encore dix mille chevaux. 8,725.
Aussitôt qu'ils eurent vu Drona se placer pour l'anéan-
tissement des kshatryas, les rishis coururent d'un pied
hâté, devancés par le Feu. 8,726.
C'étaient Viçvâmitra, Djamadagni, Bharadwâdja, Go-
tama, Vaçishtha, Kaçyapa, Atri, qui tous désiraient le
conduire au monde de Brahma; 8,727.
Les Sikatas, les Priçnis, les Gargides, les Bâlikhilyas,
les Marîtchipas, les Bhrigouides, les Angirasides, les Soû-
khsmas, et d'autres grands rishis. 8,728.
Tous, ils dirent à ce Drona, brillant de la beauté des
batailles : « Ce combat, soutenu courtoisement, est le
temps fixé pour ta mort. 8,729.
» Dépose ton arme dans le combat, maintenant que tu
nous as vus placés ici autour de toi, Drona? Ne veuille
point aller au-delà, et faire une œuvre encore plus cruelle.
» Cela ne te convient pas, à toi, qui es versé dans les
(1) Anwakiryanta, texte de Bombay.
DRONA-P/UWA 349
Védângas et les Védas, qui fais ton objet principal du
devoir et de la vérité, et surtout qui es un brahme.
» Dépose ton arme, et tiens-toi sans délire enveloppé
dans la cuirasse éternelle ; tu as accompli aujourd'hui le
temps de ton habitation dans ce monde des hommes.
» Si tu envoyais l'astra de Brahma, les hommes, qui ne
connaissent pas les astras, en seraient consumés sur la
terre : une telle œuvre accomplie, brahme, n'est pas
honnête. 8,730—8,731—8,732—8,733.
» Dépose promptement ton armure ; fais-le, Drona, sans
balancer ; tu n'accompliras plus, brahme, de ces actions
très-méchantes! » 8,734.
Ils dirent. Quand il eut entendu ces paroles des véné-
rables et les paroles de Bhîmaséna, quand il vit Dhrish-
tadyoumna devant lui dans le combat, son âme fut plongée
dans la perplexité. 8,735.
Troublé, consumé par ses pensées, il interrogea sur
le sort de son fils Youdhishthira, le fils de Kountî: « A-t-il
été tué ou non ? 8,736.
» Car ce fils de Prithâ possède un esprit invariable ; Une
pourra jamais dire un mensonge à Drona, au prix même
de l'empire des trois mondes ! » 8,737.
L'éminent brahme l'interrogea donc, et non un autre,
quelqu'il fût. Dès son enfance, assurément le désir de la
vérité fut en ce Pândouide. 8,738.
Dès qu'il vit Drona, le maître des combattants, prêt à
rendre la terre vide des Pcàndouides, Govinda troublé tint
à Dharmarâdja ce langage : 8,739.
« Si, livré à sa colère, le brahme combat seulement un
demi-jour, je te dis la vérité, ton armée sera conduite à la
mort! 8,7/iO.
350 LE MAHA-BHARATA.
» Que ta majesté, le plus véridique de tous les hommes,
nous sauve de Drona ; ta parole sera une chose manquant
de vérité ; mais quiconque dit une fausseté pour sauver sa
vie, ne se rend pas coupable de mensonge. 8,741.
» Dans les amants, dans les plaideurs, dans l'homme
voué au culte des vaches et dans la défense des brahmes,
le mensonge n'existe pas (1). » 8,742.
Tandis que ces deux guerriers causaient ainsi, Bhîma-
séna leur adressa ce langage : «J'ai entendu le moyen,
grand roi, qui t'est proposé pour la mort de ce magnanime.
)> Indravarman, le roi du Mâlava, possédait, au moment
qu'il entra dans ton armée, un éléphant, semblable à
celui d'Indra et qu'on appelait Açwatthâman.
8,743— 8,744.
» Il fut tué sur le champ de bataille ; je m'avançai alors
et je dis à Drona: « Açwatthâman est tué, brahme ; re-
tourne-t'en du combat ! » 8,745.
» Peut-être ce personnage éminent (2) n'ajouta pas foi
à mes paroles ; toi, fais-lui accepter ces paroles de Go-
vinda, qui désire la victoire. 8,746.
» Veuille dire à Drona, sire, que le fils de la Çâradvati
est tombé mort ; et, sur ta parole, ce taureau des brahmes
ne combattra plus jamais. 8,747.
» En effet, souverain des hommes, ta majesté est appelée,
véridique dans ces trois mondes. » Quand il eut ouï son
langage, excité d'ailleurs parles instigations de Krishna,
Youdhishthira, attaché à la victoire, mais plongé dans
(1) Ce distique d'une moralité très-contestable ne te trouve pas dans le
texte de Bombay.
(2) Texte de Bombay, qui porte au nominatif le mot au vocatif dans
l'édition de Calcutta.
DRONA-PARVA. 351
la crainte de faire un mensonge, réfléchit, grand roi, et
se mit à lui parler. 8,7A8 — 8,7A9.
Il dit ces mots, dont il était impossible de bien pénétrer
le sens caché : « Un éléphant fut tué ! » Il avait d'abord
fait élever sur la terre le char d Açwatthâman long de
quatre doigts, et il ajouta ces paroles : « Ses chevaux
touchent la terre ! » A ce langage d'Youdhishthira, l'hé-
roïque Drona, 8,750 — 8,751.
Consumé de chagrin par l'infortune de son fils, perdit
toute espérance de conserver la vie. Se regardant comme
une expiation du péché commis contre les magnanimes
Pândouides, et croyant qu'il avait entendu, comme de la
bouche même d'un grand saint, que son fils était mort,
ce dompteur des ennemis, profondément troublé, sans
âme, fixa ses regards sur Dhrishtadyoumna, sire, et n'eût
pas la force de combattre ainsi qu'auparavant.
Dès qu'il le vit dans ce trouble immense et l'âme battue
par la douleur, le fils du roi des Pântchâlains, Dhrish-
tadyoumna fondit sur lui. 8,752—8,753—8,75/1—8,755.
Droupada, le monarque des hommes, l'avait obtenu du
feu allumé dans un grand sacrifice pour la mort de Drona.
Il prit son arc victorieux, épouvantable, au son du
nuage, à la solide corde, impérissable, divin, avec des
flèches semblables h des serpents ; et, désirant tuer Drona,
le Pântchâlain en ajusta sur son arc une pareille au feu
d'une grande flamme. 8,756—8,757 — 8,758.
La forme de cette flèche était celle d'un arc, coupé au
milieu de sa circonférence par la corde vibrante : tel le
disque du soleil illumine le monde à la fin de la saison
nébuleuse. 8,759.
352 LE MAHA-BHVRATA.
Lorsque les guerriers virent le Prishatide saisir le grand
arc, qui semblait flamboyer, ils crurent tous arrivé le mo-
ment de la mort. 8,760.
Aussitôt que l'auguste Bharadwâdjide l'eut vu encocher
son trait, il pensa que la révolution du temps amenait
pour lui un changement de corps. 8,761.
Alors il déploya ses efforts pour lui mettre obstacle ;
mais les astras du magnanime Atchârya refusèrent de se
manifester. 8,762.
Il s'écoula quatre jours et une nuit, tandis qu'il déco-
chait ; mais ses flèches se perdirent dans les trois parties
du jour. 8,763.
Ayant subi la perte de ses dards, en proie au chagrin,
que lui causait la mort de son fils, et voyant ses astras
divers et divins lui dénier une faveur, 8,76Zi.
11 ne combattit plus comme devant, quoiqu'il eût le
désir de lancer des traits, qu'il fût stimulé par les exhor-
tations des brahmes et qu'il fût rempli d'énergie. 8,765.
Il prit un nouvel arc céleste, présent d'Angiras, et des
flèches, semblables au bâton de la mort ; puis, il attaqua
Dhrishtadyoumna. 8,766.
Il répandit sur lui une forte averse de traits, et, dans
sa colère, il accabla Dhrishtadyoumna irrité. 8,767.
Drona, avec des flèches acérées, trancha ses dards en
cent morceaux, et abattit son drapeau, son arc et son
cocher. 8,768.
Dhrishtadyoumna saisit en riant un autre arc, et lui
rendit ses coups au milieu des seins avec un seul trait
aigu. 8,769.
Grièvement blessé, mais comme s'il était sans émo-
DRONA-PARVA. 353
tion (1) dans la guerre. Ce héros au grand .ire lui coupa
de nouveau son arc avec un bhalla au tranchant acéré.
L'inaffrontable Atchârya de couper successivement,
grand roi, tous ses arcs et toutes ses flèches impuissantes ;
il lui fit abandonner la massue et le cimeterre.
Ce fléau des ennemis blessa, irrité, Drishtadyoumna
aux formes emportées avec neuf traits acérés, mettant fin
à la vie, 8,770— 8,771— 8, 772.
L'héroïque Prishatide à l'âme incommensurable mêla
les coursiers de son char avec les chevaux du brahme au
moment de lui darder l'astra de Brahma. 8,773.
Confondus entrg eux, éminent Bharatide, ces chevaux
rouges et ces coursiers aux couleurs de la colombe rece-
vaient de ce mélange un vif éclat. 8,774.
Entrecroisés à la tête du champ de bataille, ils brillaient,
puissant monarque, comme des nuées tonnantes, accom-
pagnées d'éclairs, à l'arrivée des nuages. 8,775.
Le brahme à l'âme incommensurable détruisit les
attaches au joug, les liens des roues, l'assemblage du
char même de Dhrishtadyoumna. 8,776.
Sans char, avec son arc coupé, ses chevaux tués, son
cocher immolé, le héros, tombé dans la plus horrible in-
fortune, d'empoigner une massue. 8,777.
Drona irrité, avec un courage, qui ne se démentit jamais,
frappa de ses flèches, grand roi, projectiles acérés, la
massue dans son essor. 8,778.
Dès qu'il vit son pilon abattu par les traits du brahme,
le tigre des hommes saisit un cimeterre luisant et un bou-
clier lumineux. 8,779.
M) Asambhrànta, texte de Bombay.
ix 23
354 LE MAHA-BHARATA.
Arrivé sur ce point à la certitude, le Pântchâlain crut
avec raison que le plus grand des Atchâryas était parvenu
au temps que le Destin avait fixé pour sa mort. 8,780.
Levant son glaive et son bouclier éclatants de lumière,
il s'avança, dans le désir de lui enlever son char, vers
l'héroïque brahme, qui se tenait sur le banc de sa voiture.
Il voulait, dans son délire de guerre, consommer une
difficile prouesse et fendre la poitrine du Bharadwâdjide.
8,781—8,782.
Il était placé au milieu des couples, entre les armures
des couples ; il porta ses coups à demi-corps des chevaux
rouges ; et l'armée applaudit à son intrépidité. 8,783.
Tandis qu'il se tenait entre les rangs des attelages et
qu'il était monté même sur les chevaux rouges, Drona ne
vit pas un temps à saisir : ce fut à l'instar d'une chose mer-
veilleuse ; c'était comme un faucon, de qui l'envie d'une
chair précipite l'essor. Tel fut alors ce combat entre le
Prishatide et Drona. 8,784— S, 785.
Irrité et plein de courage, celui-ci frappa l'un après
l'autre, avec une lance de char, tous ses chevaux à la cou-
leur d'azur. 8,786.
Les coursiers de Dhrishtadyoumna tombèrent sans vie
sur la terre, et les chevaux rouges, monarque des hommes,
furent délivrés du siège mis au char du brahme. 8,787.
Le meilleur des combattants, l'héroïque Yajnasénide
ne put voir sans impatience que le terrible Drona eut im-
molé ses chevaux. 8,788.
Le plus adroit à manier un cimeterre, sire, privé de son
chariot, il saisit un cimeterre et fondit sur le brahme, tel
que le fils de Yinata sur un serpent. 8,789.
La forme de ce guerrier, qui désirait coucher mort le
DRONA-PARVA. 355
Bharadwâdjide, brillait alors telle que la forme de
Vishnou, quand il ôta la vie au Démon Hiranyakaçipou.
Le Prishatide fit voir les coups les plus savants de l'es-
crime ; il en pratiqua, fils de Kourou, vingt-et-un dans ce
combat. 8,700—8,791.
Portant le glaive et le bouclier, on le vitdoubleiTépée,
lever le bras, faire tourner son arme en cercle, marcher
en avant, toucher le corps de l'ennemi avec le bout de
son cimeterre, porter le coup après une feinte, de droite
passer à gauche, reculer (1), 8,79*2.
Répondre par une blessure à celle de son rival (2), pro-
mener son arme autour des membres principaux et secon-
daires, feindre d'envoyer son coup, jeter après un instant
de repos son glaive sur le bouclier (3) : voilà ce que le
Prishatide montra dans son instruction. 8,793.
Voilà ce qu'il fit voir dans sa pratique par le désir d'ar-
river, dans la guerre, à la mort de Drona. Tandis que le
guerrier, armé d'un cimeterre et d'un bouclier, mettait
en usage ces divers moyens de l'escrime, 8,79/i.
Les combattants et les Dieux rassemblés furent saisis
d'admiration en ce combat. Le brahine avec un millier de
Hèches abattit sa cuirasse. 11 frappa le bouclier et le cime-
terre de Dhrishtadyoumna ; mais ces dards étaient appelés
des vaîtastikas (h) et n'étaient pas d'un guerrier.
8,795—8,796.
Ils sont employés dans un combat de près ; ils séaient
à Drona, et non à d'autres, si ce n'est au Çaradvatide, au
lils de Prithâ, au Dronide, à Karna, à Pradyoumna, à
(1-2-3) Commentaire.
(4) Traits longs d'un empan, de l'extrémité du petit doigt à celle du
pouce.
356 LE MAHA-BHARATA.
Youyoudhâna et Abhimanyou. Il encocha un trait solide
et doué de la plus grande vitesse, 8,797 — 8,798.
L'Atchârya voulait tuer ce guerrier, l'épée même de la
mort et semblable à son fils. Mais le rojeton de Çini tran-
cha la llèche avec dix traits acérés, aux yeux de ton fils et
du magnanime Karna. 11 délivra Dhrishtadyoumna, que
dévorait déjà la bouche de l'Alchârya. 8,799 — 8,800.
Vishvakséna et Dhanandjaya, ces deux braves au grand
cœur, virent Sâtyaki, de qui le courage est une vérité,
décrire les circonvolutions du char et marcher au milieu
de Drona, de Karna et de Kripa lui-même.- Ils applau-
dirent l'impérissable Vrishnide, qui détruisait les astras
divins de tous les héros sur le champ de bataille, et lui
crièrent : « Bien ! c'est bien ! » Ensuite, Vishvakséna et
Dhanandjaya s'avancèrent vers l'armée ;
8,801—8,802—8,803.
Et Dhanandjaya dit à Krishna : « Vois, Kéçava, mon
divin maître ! Voici le rejeton de Madhou, qui se joue au
milieu des plus grands héros! 8,804.
» Sâtyaki au courage infaillible ajoute encore à ma
joie, à celle du roi Youdhishthira, de Bhîma et des ju-
meaux (1), fils de Mâdrî. 8,805.
» Sâtyaki marche au milieu, du combat, non égalé dans
son instruction, se jouant des grands héros, et accroissant
la gloire des Vrishnides. 8,806.
» Les Siddhas et les guerriers le saluent avec admira-
tion. » Tous les combattants de l'un et l'autre parti, ayant
vu le Sâttwatide invincible dans la guerre, applaudirent
à ses exploits, et lui crièrent : « Bien ! bien ! »
(1) Mâdrtpoutraâu, texte de Bombay.
DRONA-PARVA. 357
A peine Douryodhana et les autres eurent-ils vu cet
exploit du Sâttvvatide, qu'ils se Mtèrent d'environner
avec colère Çaînéya de tous les côtés.
8,807—8,808—8,809.
Kripa, Karna et tes fils, vénérable monarque, s'em-
pressent de le frapper dans le combat avec tous leurs
dards acérés. 8,810.
Le roi Youdhishthira, les deux Pândouides, fils de
Mâdrî, et le vigoureux Bhîmaséna entourent le Sàttwatide
de leur défense. 8,811.
Karna, l'héroïque Gaâutamide, Douryodhana et les
autres inondent Çaînéya avec une forte pluie de flèches.
Mais lui soudain arrêta l'averse de fer, qui s'était élevée
avec des formes terribles, et mit obstacle à ces vaillants
guerriers. 8,812—8,813.
Il neutralisa dans ce grand combat, par ses astras di-
vers et divins, sire, les astras célestes, que ces magna-
nimes avaient encoches. 8,81/1.
Le champ de bataille devint épouvantable aux yeux
dans cette rencontre des rois, comme celui où Roudra
irrité détruisit les bestiaux. 8,815.
On voyait çà et là dans la plaine du combat, Bharatide,
des monceaux formés de trompes, de têtes, d'arcs, d'om-
brelles et de chasses-mouche abattus et dispersés dans ce
grand conflit. La terre était remplie de roues brisées, de
chars rompus, de grands bras étendus et de vaillants ca-
valiers immolés. Tes combattants, ô le plus vertueux des
Kourouides, mutilés par la chute des flèches,
8,816-8,817—8,818.
On les voyait, qui se convulsaient dans l'agonie : elle
produisait divers mouvements sur ce vaste champ de ba-
358 LE MAHA-BHARATA.
taille. Tandis que ce combat se développait ainsi, pareil à
celui des Asouras et des Dieux, 8,819.
Youdhishthira-Dharmarâdja tint alors ce langage aux
kshatryas: « Courez, déployant vos efforts, grands héros,
sur le brahme, né dans une aiguière ! 8,820.
» L'héroïque Prishatide en est venu aux mains avec lui :
il tend (l)de toute sa puissance à la mort du Bharadwâdjide.
» Suivant les signes, que l'on voit dans cette grande
bataille, aujourd'hui le Prishatide irrité fera mordre à
Drona la poussière. 8,821—8,8*22.
» Vous de tout es vos forces réunies, combattez donc le
brahme, qui a reçu la naissance dans une aiguière. » A cet
ordre d'Youdhishthira, les grands héros des Srindjayas
Se précipitèrent, déployant leurs efforts, sur le Bhara-
dwâdjide, qu'ils désiraient immoler. Cet héroïque guerrier
se porta rapidement à la rencontre des combattants, qui
accouraient; et, résolu, il se dit: « Il faut mourir! »
Tandis que s'avançait ce vieillard, qui avait donné sa foi
à la vérité, la terre trembla. 8,823—8,824—8,825.
Des vents terribles soufflèrent, effrayant l'armée: un
vaste météore de feu, qui paraissait venir du soleil, tomba
sur le sol de la terre. 8,826.
11 semblait illuminer tout, et l'on eût dit qu'il annon-
çait un grand malheur. Les flèches du fils de Bhara-
dwâdja, vénérable monarque, vomirent des rayons de
flamme. 8,827.
Les chars résonnèrent à l'infini, les chevaux répan-
dirent des larmes, et l'héroïque Bharadwâdjide lui-même
sentit expirer sa force. 8,828.
(1) Ghatatai, texte de Bombay.
DRONA-PARVA. 359
Son œil et son bras gauche de trembler ; et, quand il
vit dans ce combat le Prishatide devant lui, il demeura
sans âme. 8,829.
Tandis que les saints rishis récitaient le Véda pour son
voyage au Swarga, il commença à respirer dans un noble
combat. 8,830.
Drona, environné par les guerriers de Droupada, par-
courut dans cette bataille les quatre plages, en consu-
mant les compagnies de kshatryas. 8,831.
Après que l'immolateur des ennemis eut tué vingt-cinq
mille guerriers, il en frappa dix myriades avec ses flèches
acérées, à la pointe violente. 8,832.
Il parut, déployant ses ellbrts dans ce combat, comme
un feu sans fumée, et lança l'astra de Brahma pour la
destruction des kshatryas. 8,833.
Le vigoureux Bhîma de s'avancer à la hâte vers l'insou-
tenable et magnanime Pântchàlain, réduit sans char et
toutes ses armes brisées. 8,83/i.
Le broyeur des ennemis le fit monter dans son char et
dit au Prishatide, lorsqu'il vit Drona décocher de près ses
dards: 8,835.
« Nul autre homme que toi ne peut ici combattre avec
l'Atchàrya: hâte-toi, car sa mort fixée d'avance est une
charge, qui te fut confiée. » 8,836.
11 dit, et précipitant sa marche, le guerrier aux longs
bras saisit une arme solide, neuve, la meilleure de toutes
et capable de supporter une charge quelconque. 8,837.
Irrité et dardant ses traits, il répandit ses pluies de
flèches sur le brahme, désirant arrêter dans le combat
l'irrésistible Atchârya. 8,838.
Tous deux en courroux, les plus excellents des guer-
360 • LE MAHA-BHARATA.
riers, qui savent arrêter un ennemi et brillants de la
beauté des batailles, ils envoyèrent en grand nombre
des astras divins et brahmiques. 8,839.
Quand il eut frappé d'impuissance tous les astras du
Bharadwâdjide, le fils de Prishat, le couvrit dans le com-
bat, puissant roi, de ses grands astras. 8,840.
L'impérissable héros dissipa dans la bataille les Vaçâ-
tains, les Çiviens, les Vâhlikas et les Rourouides mêmes,
qui voulaient sauver Drona. 8,841.
Ensuite, Dhrishtadyoumna, couvrant de tous côtés les
plages du réseau de ses flèches, comme le soleil de ses
rayons, brilla à l'égal du Dieu de la lumière. 8,842.
Mais Drona, ayant coupé son arc et l'ayant frappé lui-
même de ses dards, lui perça encore les membres; et le
blessé tomba clans le trouble de l'esprit. 8,843.
Alors, tout rempli de colère, Bhîma de s'avancer vers
le char de Drona, auquel, Indra des rois, il adressa ces
mots, prononcés comme avec lenteur : 8,844.
« Si, instruits par tes leçons et satisfaits de leurs
œuvres, tes parents, brahme, ne combattaient pas, ce
kshatrya n'irait, certes ! point à la mort ! 8,845.
» L'innocuité à l'égard de tous les êtres est nommée
l'accroissement de la vertu, et ta sainteté, brahme, le
plus docte des brahmes, en est la racine. 8,840.
» Le désir de la richesse, d'une épouse et d!:un (ils t'a
porté à tuer, comme des çwapâkas (1), des troupes de
Mlétchhas, et, dans ton ignorance, de même qu'un in-
sensé, d'autres d'espèce variée. 8,847.
(1) Parya, d'une tribu dégradée et bannie, de qui la fonction est d'exé-
cuter les hautes œuvres et de porter les morts au cimetière
DRO-NA-PARVA. 361
» Tu connaissais l'iniquité du fils, quand tu as immolé
pour un seul un tel nombre d'hommes : comment toi, qui
es séparé des œuvres, ne rougis-tu pas de ces gens, qui
vivent, attachés à leurs propres œuvres? 8,848.
.) Celui, pour lequel tu as pris cette flèche, celui, que,
vivant, tu as vu, il gît maintenant, étendu sur le dos, car
on n'a pas connu qu'il fût à toi ! 8,849.
» La voilà cette parole, dont tu n'as point voulu douter,
émanée d'Yondhishthira ! » À ce langage de Bhîmaséna,
Drona de rejeter son arc ; 8,850.
Et, désireux d'abandonner toutes les armes, cet homme
vertueux de s'écrier : « Karna, Karna au grand arc,
Kripa et Douryodhana, 8,851.
» Que l'on fasse des efforts dans le combat ! Je vous
le répète trois et quatre fois ; et puisse la félicité vous
arriver des Pàndouides ! Pour moi, je renonce aux
armes ! » 8,852.
Il dit, grand roi, et, déplorant avec des cris Açwatthàman
lui-même, il déposa la flèche dans le combat; il s'assit
sur le banc de son char (1) , 8,853.
Et, comme entré dans l'absorption en Dieu, il donîT;i
la sécurité à tous les êtres. Lorsque Dhrishtadyoumna
exaUé le vit tombé à tel point dans cette défaillance, et
qu'il avait rejeté dans la bataille son arc avec sa flèche,
il sauta à bas de son char, le cimeterre à la main, et
s'avança rapidement vers Drona. 8,854 — 8,855.
Toutes les créatures, humaines et autres, furent saisies
de compassion, quand elles virent le brahme ainsi préci-
pité sous la puissance de Dhrishtadyoumna. 8,856.
(i) Upasthci', lexte de Bombay.
362 LE MAHA-BHARATA.
Elles poussèrent un cri de pitié: «Oh! malheur ! dirent-
elles, ajoutant : Drona vient d'abandonner son trait et de
plonger son âme dans le Sankhya ! » 8,857.
A ces mots, entré dans l'unification avec Dieu, le grand
pénitent resplendit de lumière et se rendit en esprit vers
l'homme des anciens temps, Vishnou, le Très-Haut.
Il releva un peu son visage, et, l'ayant appuyé par
devant sur sa poitrine, il ferma les yeux et déposa dans
son cœur les souffles de sa vie.
8,858—8,859.
« Aum ! » dit le grand anachorète, brillant de lumière;
ce monosyllabe saint prononcé, son souvenir se reporta
vers le maître du Dieu des Dieux, l'Éternel, l'Auguste
par excellence. 8,860.
L'Atchârya de monter visiblement au ciel, inaccessible
même aux gens de bien et nous pensâmes : « Il y a deux
soleils, » quand nous le vîmes ainsi rayonnant. 8,S61.
Le ciel était comme flamboyant de lumière; il en devint
tout rempli, tant le soleil du Bharadwàdjide ressemblait à
l'auteur du jour. 8,862.
Dans l'espace d'un clin d'oeil, cette vive clarté disparut,
et un bruit certain d'applaudissements retentit parmi les
habitants du firmament, ravis de joie. 8,863.
Tandis que Drona s'en allait au ciel et que Dhrishta-
dyoumna s'enivrait de joie, nous cinq, nés de matrices
humaines, le Prithide Dhanandjaya, le fils du Bhara-
dwàdjide, le Vasoudévide, fils de Vrishni, le Pândouide
Dharmarâdja et moi, nous vîmes alors ce magnanime,
associé à l'unification avec Dieu, suivre sa route clans la
voie suprême. Mais nul autre quelconque ne vit le sage
fils de Bharadwâdja, 8,864—8,865—8,866.
DR0NA-PA1WA. 363
Puissant roi, s'acheminer joint à l'yoga vers la Gran-
deur absolue ; car ce monde céleste de Brahma est l'im-
pénétrable secret des Dieux. 8,867.
Ceux, qui sont nés des hommes, ne virent pas que
l'Atchârya, identifié avec l'Être absolu, était entré dans la
voie, d'où il n'y a plus de retour (1), et qu'il marchait,
dompteur des ennemis, avec les plus grands des rishis,
vers le monde de Brahma. Son corps, blessé par les mul-
titudes des flèches, avait mis bas son arme, d'où le sang
dégouttait. 8,868—8,869.
Dès qu'il le vit ainsi, le Prishatide, blâmé par tous les
êtres, saisit la tête du brahme, de qui l'âme avait aban-
donné le corps. 8,870.
Il trancha avec son glaive la tête au corps du brahme,
qui ne disait mot, et, rempli de joie à !a vue du Bhara-
dwàdjide, étendu sans vie, 8,871.
Il proclama son cri de guerre et fit tournoyer son cime-
terre dans le combat. La vieillesse avait couvert de che-
veux noirs et blancs jusqu'aux oreilles la tête de Drona. Il
était de cinq ans plus qu'octogénaire ; mais, à cause de toi,
il circulait dans les batailles, comme s'il n'avait eu que
seize années. Dhanandjaya, le fils de Kountî aux longs
bras : dit au Prishatide : 8,872-8,873.
« Amène ici l'Atchârya vivant, fils de Droupada !
Garde-toi de le tuer ! Il ne faut pas lui donner la mort !
On ne doit pas luiôterlavie ! » Ainsi les guerriers criaient
avec lui. 8,87/i.
Arjouna, plein de pitié, courait vers le héros, en jetant
ces cris ; et, malgré ces clameurs d' Arjouna, en dépit des
(i) Aikâniakinin ; Bohtlingk et Roth n'ont pas ce mot.
364 LE MAHA-BHARATA.
cris, que les princes poussaient de tous les côtés, 8,875.
Dhrishtadyoumna d'immoler Drona, le plus éminent
des hommes (1), sur le banc de son char. Arrosé de sang,
comme l'inaccessible soleil, qui devint un jour Lohi-
tânga (2) aux membres de sang, il le précipita de sa voi-
ture sur la terre; et c'est ainsi que les gens, qui portent
les armes, virent dans le combat son corps privé de la vie.
8,876—8,877.
Ensuite, Dhrishtadyoumna à l'arc immense jeta, sire,
cette grande tête du Bharadwâdjide devant tous les
tiens. 8,878.
A son aspect, l'énergie de tes hommes se tournant à la
fuite, ils se dispersèrent à tous les points de l'espace.
Entré dans le ciel, Drona de fouler la route des cons-
tellations. Grâce à la faveur du saint anachorète Krishna,
le fils de Satyavatî, je fus alors moi-même, sire, témoin
de la mort donnée au Bharadwâdjide. Tel qu'une torche,
que l'on porte ici (3) flamboyante et sans fumée,
8,879—8,880—8,881.
Nous le vîmes soutenu sur les routes du ciel, y mar-
cher, revêtu d'une grande lumière. Après sa mort, les
Kourouides, abandonnés par le courage, s'enfuirent avec
une grande vitesse devant (4) les Srindjayas et les Pân-
douides; et l'armée fut rompue. Immolés pour la plus
grande partie dans le combat par les flèches acérées,
8,082—8,883.
Les tiens furent, Drona tué, comme s'ils étaient eux-
(1) Édition de Bombay.
(2) La planète de Mars.
<3) VidhoûnAntha, texte de Bombay.
(4) Nous risquons de nous-mêmes ce changement: nous en faisons l'aveu.
DRONA-PARVA. 365
mêmes sans vie. Ils avaient subi la défaite, ils ressentaient
une profonde terreur de la mort imminente. 8,88/i.
Flottants entre ce monde et l'autre, leur âme ne pou-
vait retrouver sa fermeté. Les princes, désirant le corps
du Bharadwàdjide, n'arrivaient pas à le reconnaître au
milieu des myriades de cadavres, dont il était environné.
Les Pândouides, ayant obtenu la victoire, flattés d'une
grande espérance de l'autre vie, 8,885—8,886.
Inspirèrent des sons aux conques et aux flûtes ; ils
poussèrent d'illustres cris de guerre. Ensuite on vit, au
milieu de l'armée, sire, Bhîmaséna et le Prishatide s'em-
brasser mutuellement ; et Bhîma, le fléau des ennemis,
dit alors au vaillant Pântchâlain : 8,887 — 8,888.
« Je t'embrasse encore une fois, Prishatide, pour ta
victoire ; car, dès ce jour, le criminel fils dt: cocher et le
Dhritarâshtride sont morts dans la guerre ! » 8,889.
A ces mots, le Pândouide Bhîma, rempli d'une immense
joie, fit trembler toute la terre avec le bruit de ses bras.
A ce fracas, oubliant le devoir du kshatrya, les tiens
épouvantés se mirent en pleine déroute sur le champ de
bataille, n'ayant plus de pensée que pour la fuite.
8,890—8,891.
Les Pândouides, qui avaient obtenu l'extermination des
ennemis, souverain des hommes, et la victoire dans le
combat, en éprouvèrent de la joie, et ce succès les enivra
de plaisir. 8,892.
DÉLIVRANCE DE L'ASTRA NARAYAMIN
Aprè3 que Drona fut immolé, sire, les Kourouides, sous
l'oppression des flèches, battus et leurs fameux héros
tués, se plongèrent dans un profond chagrin. 8,893.
Voyant les ennemis enflés d'orgueil, ils étaient, souve-
rain des hommes, effrayés, consternés, les yeux baignés
de larmes, en proie à une continuelle agitation. 8,894.
Hors d'eux-mêmes , les efforts enrayés, la vigueur
frappée d'impuissance, ils environnèrent ton fils avec de
grands cris de détresse, 8,895.
Gomme des femmes dans leur mois, tremblants, jetant
les yeux sur les dix points de l'espace, baignant leurs cous
de larmes, et tels qu'étaient jadis les Daîtyas, après la
mort d'Hiranyâksha. 8,896.
Entouré de ces guerriers tremblants, sire, comme de
faibles gazelles, ton fils ne put s'empêcher de lâcher
pied. 8,897.
Tes combattants, Bharatide, épuisés de faim et de soif,
DRONA-PARVA. 367
consumés en quelque sorte par le soleil, étaient aban-
donnés entièrement de leur âme. 8,898.
Aussitôt qu'ils virent la chute du Bharadwâdjide, aussi
intolérable que si le soleil tombait lui-même des cieux, ou
pareille au dessèchement de la mer, ou semblable au Mé-
rou, qui tournerait sa face opposée, ou telle qu'une défaite,
que subirait Indra, les Kourouides s'enfuirent de terreur,
sire, avec des formes plus effrayées qu'ils n'avaient aupa-
ravant. 8,899—8,900.
Le roi du Gândhâra, Çakouni épouvanté de tourner le
dos, accompagné de héros encore plus tremblants, dès
qu'il vit le brahme au char d'or étendu sans vie, 8,901.
Entraînant avec lui une grande armée, division com-
plète, impétueuse, dispersée avec ses étendards, le fils du
cocher se retira, frappé d'efïroi. 8,902.
A son aspect, le roi de Madra, qui mettait avant toute
chose une armée que ses chars, ses éléphants et ses che-
vaux rendaient infranchissable, Çalya s'enfuit, plein d'é-
pouvante. 8,903.
Environné de nombreux fantassins, d'éléphants et de
ses éminents héros, dont la plus grande partie était
blessée, le Çaradvatide battit en retraite, s' écriant :
«Malheur ! quel malheur ! » 8,90A.
Kritavarman, entouré, sire, de Vâlhikas, d'Arratas, de
Kalingas et d'une armée bien disciplinée de Bhodjas,
confia son salut à ses chevaux d'une grande vitesse.
Tremblant, talonné parla crainte, Ouloûka, enveloppé
par des bataillons d'hommes de pied, s'enfuit, dès qu'il
eut vu Drona tombé. 8,905 — 8,906.
Douççâsuna, jeune, admirable à voir et de qui le cou-
rage avait accompli ses preuves, tourna le dos dans un
368 LE MAHA-BHARATA.
trouble extrême, couvert par des éléphants. 8,907.
Lorsqu'il eut pris avec lui une myriade de chars et
trois mille proboscidiens, Vrishaséna partit d'un pied
hâté à la vue de Drona, étendu sans vie. 8,908.
Accompagné de chevaux, d'éléphants, de chars et en-
touré de fantassins, ton héroïque Douryodhana prit lui-
même la fuite, majesté. 8,909.
Souçarman, emmenant avec lui ce qui restait des con-
jurés, abattus sous les coups de Kirîti, courut en arrière,
site, quand il vit Drona sans mouvement. 8,910.
Montant sur leurs chars et sur leurs éléphants, ou
même abandonnant leurs chevaux, les guerriers couraient
de tous les côtés dans le combat, à l'aspect du brahme
au char d'or expiré. 8,911.
Les Kourouides s'enfuyaient, excitant leurs pères, des
oncles, des frères ; d'autres stimulant des frères ou des
amis ; 8,912.
Les uns des neveux ; ceux-ci poussaient devant eux les
armées ; ceux-là se sauvaient avec leurs parents aux dix
points de l'espace. 8,913.
Battus, les cheveux épars, deux ne couraient pas dans
un même chemin ! c, Ce n'est point là ce que nous atten-
dions , s'écriaient -ils, les efforts abattus, la vigueur
brisée. 8,91 à.
Les autres de ton parti, seigneur, fuyaient, ayant rejeté
leurs cuirasses : les combattants l'un à l'autre, taureau
des Bharatides, s'adressaient des reproches. 8,91 5.
« Arrête ! arrête ! » disaient-ils ; mais personne ne
s'arrêtait en ce moment. Ils avaient abandonné, malgré
qu'ils fussent décorés d'ornements, leurs chars, attelés
de vigoureux chevaux. 8,916.
DRONA-PARVA. 369
Montés sur leurs coursiers, tes guerriers hâtaient leur
fuite à grands coups de pied. Tandis que l'armée se dis-
persait ainsi , les formes tremblantes , la force éva-
nouie, 8,917.
Tel qu'un alligator, qui remonte contre le courant, le
fils de Drona marchait dans le sens opposé aux fuyards.
Alors s'éleva une bien grande bataille entre lui et les
Prabhadrakas ^1) , les Pântchâlains, les Tchédiens et les
Raîkayains, troupes, qui avaient Çikhandî à leur tète.
Quand ce héros, ivre de la furie des combats (2), eut
immolé diverses armées des Pândouides, 8,918 — 8,919.
Tel qu'un éléphant en rut, délivré à l'instant même
d'un défilé; dès qu'il vit l'armée courir, esclave de la
fuite, ce fils de Drona s'approcha de Douryodhana, et lui
dit ces mots : « Pourquoi cette armée fuit-elle, Bharatide,
avec un air effrayé, ' 8,920 — 8,921.
o Et ne l'arrêtes-tu pas dans sa fuite (3), Indra des
rois, au milieu du combat? Toi-même, souverain des
hommes, tu n'es pas dans ton état naturel, comme tu
étais avant. 8,922.
» En quel éminent héros (4) ton armée a-t-elle été
frappée (5) ? Dis-moi, royal Kourouide, le guerrier, qui
est tombé dans cette malheureuse condition? 8,923.
» Aucun de ces héros, à commencer par Karna, ne
(1) Prabhadruka. Nous avons déjà trouvé ce mot plusieurs fois:
il manque dans Wilson ; Bothlingk et Roth ne lui donnent pour si-
gnification que très-beau. Nous pensons que c'est un nom de peuple, à
cause de la conjonction tcha, qui vient immédiatement après ce mot, et
qui accompagne chacun des noms de régnicoles suivants.
(2) Youddhadurmadas, texte de Bombay.
(3) Dravamânam, même texte.
(4-5) Hâtai.... rathasinhai, texte de Bombay.
370 LE MAHA-BHAUATA.
tient plus de pied ferme : ton année ne fuyait pas ainsi
dans les autres combats. 8,924.
» Est-ce que le bonheur, puissant roi, ne visiterait pas
en ce moment ton armée? » Douryodhana, à ce langage
du fils de Drona, n'eut pas la force de lui apprendre, ô
le plus excellent des princes, cette nouvelle affligeante
et désagréable. Ton fils plongé, tel qu'un navire
brisé , dans un océan de chagrins ,
8,925—8,926.
Ayant vu le fils de Drona placé dans son char, sire, dit
ces mots, baigné de larmes, au Çaradvatide avec confu-
sion > 8,927.
« Raconte ici d'abord, s'il te plaît, comment cette
armée s'est mise en déroute. » Et le Çaradvatide, s'aban-
donnant mainte et mainte fois à la douleur, 8,928.
De narrer au fils du brahme, comment Drona était
tombé de son char : 8,929.
« Ayant mis à notre tête l'Atchârya, le plus grand des
héros sur la terre, nous livrâmes combat à tous les Pân-
tchâlains. 8,930.
» Ensuite la bataille s' étant allumée, les Kourouides
mêlés aux Somakas, rugissant les uns contre les autres,
abattirent avec leurs flèches les corps des guerriers.
» Tandis que ce combat se livrait et que les Dhrita-
râshtrides périssaient dans la guerre, ton père dans sa
colère envoya un astra. 8,931 — 8,932.
» Drona, le plus éminent des hommes, décocha l'astra
de Brahma, et tua de sesbhallas les ennemis par centaines
et par milliers. 8,933.
» Arrivés devant le char de Drona, où les poussait la
mort, les Pântchâlains, les Matsyas, les Kaîkayains et les
DRONA-PAUVA. 371
Pândouides tombèrent morts, ô le plus vertueux des
brahmes. 8,934.
» Grâce à cet astra de Brahma, l' Atchârya d'expédier à
la mort un millier de vaillants guerriers et deux mille
éléphants. 8,935.
» Les cheveux blancs et noirs jusqu'aux oreilles, de
cinq ans plus qu'octogénaire, vieux, il se promenait dans
le combat comme s'il n'eût compté que seize années.
» Au milieu de ces armées frappées par la douleur et
de ces rois taillés en pièces, les Pântchâlains, tombés sous
le pouvoir de la colère, avaient tourné le dos.
8,936—8,937.
» Au moment où ce vainqueur des ennemis lança Fas-
tra de Brahma sur ces guerriers à demi rompus et mis en
déroute, il parut comme le soleil, élevé sur l'horizon.
» Arrivé au milieu des Pândouides, il leur était diffi-
cile de fixer les yeux sur ton auguste père, qui avait des
flèches pour ses rayons, autant qu'il l'est de regarder
le soleil, parvenu au milieu de sa carrière.
8,938—8,939.
» Consumés par Drona, comme par l'auteur éblouissant
de la lumière, ils étaient sans effort, l'âme en quelque
sorte exhalée et le courage comme en cendres. 8,940.
» Quand le meurtrier de Madhou les vit accablés des
flèches, qu'envoyait Drona, il dit alors ces mots, que lui
inspirait le désir de la victoire pour les fils de Pandou :
« Il est impossible aux ennemis, fût-ce au meurtrier de
Vritra lui-même, de vaincre jamais dans un combat ce
chef des chefs de héros, le plus excellent de tous ceux, qui
portent les armes. S, 941— 8,942.
» Vous, Pândouides, renoncez donc au devoir un ins-
372 LE MAHA-BHARATA.
tant pour conserver la victoire, dans la crainte que ce
brahme au char d'or ne vous immole tous dans le
combat. 8,943.
» Açwatthâman une fois tué, son père, c'est mon sen-
timent, n'aura plus la force de combattre. Qu'un homme,
il n'importe lequel, lui impose donc ce mensonge que son
fils est mort dans le combat, h S, 9 h II.
» Dhanandjaya, le fils de Rountî, n'approuva point cet
avis ; mais tous les autres l'acceptèrent; Youdhishthira
enfin s'y rendit avec peine. 8,9A5.
» Bhîmaséna dit à ton père avec une sorte de confu-
sion : « Açwatthâman est tué ! » et ton père s'est refusé à
le croire. 8,946.
» Soupçonnant que c'était un mensonge, ce père, le
cœur plein de tendresse pour son fils, demanda à Dhar-
marâdja si tu étais mort ou non sur le champ de ba-
taille. 8,947.
» Youdhishthira, attaché à la victoire, mais plongé
dans la crainte de faire un mensonge, venait de voir Aç-
watthâman à la cuirasse comme une montagne, énorme
éléphant, que Bhîmaséna avait tué au roi du Mâlava,
Indravarma ; il s'avança donc vers Drona et lui cria ces
mots : 8,948—8,949.
« Celui, pour lequel tu as pris la flèche et sur lequel tu
fixais tes yeux dans la vie, cet être (1), qui te fut tou-
jours cher..., Açwatthâman est tombé mort. 8,950.
» 11 gît, immolé sur la terre, comme le faon d'un lion ! »
Il savait cependant quels péchés sont attachés au men-
(1) Putra, dit le texte; je remplace par un autre ce mot, qui empêche de
supposer vrai ce mensonge.
DRONA-PARVA. 373
songe; aussi, dit-il en mots couverts au plus vertueux
des brahmes : « L'éléphant est tué ! » quon pouvait bien
entendre par le plus grand des hommes. A peine crut-il
apprendre que tu étais frappé mort , il jeta un cri, con-
sumé par sa douleur. 8,951 — 8,952.
» Il réprima ses astras célestes, et ne combattit plus
comme avant. Dès qu'il le vit clans un trouble extrême,
l'âme frappée de chagrin, 8,953.
» Le fils du roi de Pàntchâla aux œuvres inhumaines
fondit sur lui. A l'aspect du guerrier résolu à sa mort, le
brahme, instruit dans la vérité du monde, ayant déposé ses
astras divins, s'assit dans le combat pour la mort. Alors,
le saisissant aux cheveux de la main gauche,
» Le Prishatide lui trancha la tête, malgré les cris des
héros : « Il ne faut pas le tuer ! Il ne faut pas le tuer ! »)
Ainsi criaient-ils de toutes parts. 8,95/i — 8,955—8,956.
» Arjouna descendit de son char, il courut vers lui, et,
levant ses deux bras à la hâte à plusieurs fois : 8,957.
« Amène ici l'Atchârya vivant! Ne le tue pas, homme
juste! » Mais bien qu Arjouna et les Kourouides le dé-
tournassent de cette action, le guerrier barbare, ô le plus
grand des hommes, immola ton père lui-même. Tous les
combattants s'enfuirent, talonnés par la crainte.
» Et ce meurtrier de ton père nous a ravi toute énergie,
mortel sans péché. » 8,958—8,959—8,960.
Quand le fils de Drona eut appris la mort de son père
sur le champ de bataille, il ressentit une violente colère,
comme un serpent touché par le pied. 8,961.
Le Dronide irrité dans le combat, vénérable monarque,
jeta de vives clartés; tel qu'un feu arrive à la flamme,
quand il a reçu dans son foyer une grande abondance de
bois. 8,962.
37/i LE MAHA-BHARATA.
Broyant l'une dans l'autre ses deux paumes, serrant
ses dents contre ses dents, soufflant comme un boa, il
avait ses yeux rouges-de fureur. 8,963.
« Qu'est-ce que dit Àçwatthâman, s'enquil Dhrita-
râshtra, lorsqu'il apprit que le brahme, son vieux père,
était tombé sous les coups de l'injuste Dhrishtadyoumna?
» Que dit Açwatthâman, lorsqu'il eut appris que, sous
l'inique Dhrishtadyoumna, avait succombé dans la guerre
ce juste et courageux Atchârya, en qui se trouvait tou-
jours les astras de Nârâyana, d'Indra, de Brahma, d'Agni,
de Varouna et de Manou? 8,964 -8,965—8,966.
» Ce magnanime, qui, ayant reçu le Dhanour-Véda ici-
bas de Râma, le Djamadagnide, et désirant les vertus
dans son fils, mit en jeu des astras célestes ! 8,967.
» En effet dans ce monde, les hommes désirent toujours
un fils plus vertueux qu'ils ne sont eux-mêmes, et nulle-
ment aucun autre. 8,968.
» Si les magnanimes Atchâryas ont des secrets, ils les
confieront à leur fils, ou à celui de leurs disciples, qui
vient après eux. 8,969.
» Le fils de la Çaradvatî est un disciple, qui les a tous
obtenus, Sandjaya, et d'une manière supérieure : c'est un
héros, qui, dans les combats, suit immédiatement son
père. 8,970.
» 11 est estimé de Râma dans les combats, égal à Pou-
randara dans la guerre, semblable à Kârttavîrya en cou-
rage, pareil à Vrihaspati en intelligence. 8,971.
» Il est équipollent à la terre pour la faculté de porter ;
c'est un jeune homme, de qui la splendeur est telle que la
clarté du feu ; il est aussi profond que la mer, et sa colère
est comme le venin des serpents. 8,972.
» Il est le premier des maîtres de chars dans le monde ;
DRONA-PÀllVA. 375
il est armé d'un arc solide (1) ; il a vaincu la fatigue :
il crie ainsi que le vent rapide ; il marche irrité de même
que la mort. 8,973.
» Lance-t-il ses flèches dans un combat, la terre en est
tourmentée; est-il un guerrier, qu'il ne trouble pas dans
la bataille? C'est un héros, de qui le courage est une vé-
rité. 8,97/i.
» 11 a accompli ses études, il a juré ses vœux, qu'il a
fait suivre du bain; toute la science del'arc, ill'alue; il est
inébranlable comme la mer ou comme Râma, le fils de
Daçaratha.
» Que dit Açwatthâman, quand il apprit que ce ver-
tueux instituteur avait succombé dans un combat, sous
l'injuste Dhrishtadyoumna ! 8,975 — 8,976.
» Ce guerrier, qu'il avait engendré (2) pour être la
mort de Dhrishtadyoumna, n'était-il pas le fils de Drona,
comme le Pântchâlain était né d'Yajnaséni? 8,977.
» Qu'est-ce que dit Açwatthâman, lorsqu'il sut que cet
homme méchant, vil, criminel, à très-courte vue, avait
tuél'Atchârya? » 8,978.
A la nouvelle que son père, lui répondit Sandjaya, était
victime d'un mensonge et d'un homme scélérat, majesté,
le Dronide fut rempli à la fois de larmes et de colère.
On vit s'enflammer le corps de cet homme irrité, Indra
des rois, comme celui de la Mort, quand à la révolution
des temps, elle veut enlever toutes les créatures.
8,979—8,980.
Il essuya trois et quatre fois ses yeux remplis de larmes
(1) Drithadhanvâ, texte de Bombay.
(2) Srishtai, même texte.
376 LE MAHA-BHARATA.
et, soupirant de colère, il tint ce langage àDouryodhana :
« Je sais que mon père fut tué par des hommes cruels,
lorsqu'il avait quitté les armes, et que ce crime fut accom-
pli en apparence sous le drapeau du devoir.
8,981—8,982.
» Je connais la parole basse et d'une insigne méchan-
ceté, qu'a dite le fils d'Yama. Quiconque s'engage dans
les guerres a pour son lot assuré la victoire ou la défaite.
Lorsque ces deux chances existent, sire, la mort est
estimée : si la mort arrive dans la bataille en combattant,
la mort est donnée avec juste convenance.
8,983— 8,984.
» Comme elle est toujours placée devant les yeux des
brahmes, elle ne peut leur causer de la douleur. Mon
père, il n'y a aucun doute pour moi, est passé dans le
monde des héros. 8,985.
» 11 ne faut pas pleurer mon père, ce tigre des hommes,
parce qu'il est descendu au tombeau. Mais, comme il s'est
arraché les cheveux, sous les yeux de toutes les armées ,
lui, qui était engagé dans la vertu, voilà ce qui me
déchire le cœur ! Mon père, moi vivant, il s'est arraché
les cheveux! 8,986—8,987.
» Comment après la mort de leurs fils, les autres pères
témoigneront-ils le regret d'un fils? Ils font, par colère,
amour, ignorance, haine, et même par enfantillage,
des choses injustes, quoiqu'ils méprisent ces actions. Le
fils de Prishat a commis cette grande offense à la vertu.
8,988—8,989.
» Sans doute, il ne me connaissait pas, ce barbare, cet
insensé ! Mais Dhrishtadyoumna bientôt verra la consé-
quence très-épouvantable de son action ! 8,990.
DRONA-PARVA. 377
» Le Pândouide a fait une chose ignoble au premier
chef; il a dit une fausseté. Certes! la terre aujourd'hui
même boira le sang du fils d'Yama, qui a fait abandonner
ses armes à l'Atchârya par un mensonge ! Je le jure sur
la vérité, Kourouide, sur mes sacrifices et mes actes mé-
ritoires! 8,991—8,992.
» Puissé-je ne pouvoir jamais vivre que je n'aie immolé
tous les Pàntchâlains ! Je m'efforcerai, par tous les moyens,
dans ce grand combat contre les gens du Pântchâla;
» Je tuerai dans la bataille Dhrishtadyoumna, aux
œuvres criminelles; et, quand j'aurai fait le massacre des
Pàntchâlains dans le combat, par tel ou tel moyen, doux
ou rigoureux, je goûterai enfin la tranquilité. C'est pour
cela, tigre des hommes, que les mortels désirent un fils !
8,993—8,994—8,995.
» Cet enfant nous sauvera, disent-Us, d'un grand péril
dans ce monde et dans l'autre. Mon père, comme il était
sans parent, obtint cette condition. 8,996.
» Et je vis ici, moi, son disciple et son fils, pareil
à une montagne! Honni soit de mes astras divins! Honte
soit à mes bras ! Honni soit de mon courage !
» Car, après qu'il m'eut obtenu pour fils, mon père fut
réduit à s'arracher les cheveux. Mais je ferai en sorte, ô
le plus grand des Bharatides, que je sois affranchi de mes
dettes à l'égard de mon père, qui est passé dans l'autre
monde. Se donner des éloges «à soi-même est une chose,
que doit toujours éviter un homme bien né.
8,997—8,998—8,999.
» Mais, dans l'impatience, où je suis, de lainortdemon
père, je veux maintenant proclamer ici mon courage : que
378 LE MAHA-BHARATA.
les Pândouides voient donc maintenant avec Djanârddana
quelle est ma valeur, 9,000.
» Quand j'écrase toutes les armées et que j'accomplis
comme la fin d'un youga! Ni les Rakshasas, les Ouragas
et les Asouras, ni les Gandharvas, ni même les Dieux,
» Combien moins les plus éminents des hommes ne se-
raient-ils point capables de me vaincre dans un combat,
aujourd'hui que je me tiens sur mon char ! Et dans ce
monde, guerrier, versé dans les astras, il n'existe nulle
part un autre que moi, si ce n'est Arjouna.
9,001—9,002.
» Moi, qui suis venu dans les armées lancer des astras
créés par les Dieux, je reste au milieu des flamboyants,
comme le soleil au milieu de ses rayons. 9,003.
» Lancées en foule de mon arc dans un grand combat,
mes flèches, proclamant ma valeur, immoleront les Pân-
douides ! 9,004.
» Aujourd'hui, couvertes de mes dards, comme des
gouttes de la pluie, toutes les plages contempleront mes
traits acérés. 9,005.
» Aujourd'hui, semant de tous côtés les réseaux de
mes flèches, avec un bruit épouvantable, j'abattrai les en-
nemis comme un grand vent couche les arbres à terre.
» Cet astra n'est connu, ni de Bîbhatsou, ni de Djanârd-
dana, ni de Bhîmaséna, ni des jumeaux, ni du roi You-
dhishthira. 9,006—9,007.
» Ni le Prishatide, ni ce cruel Çikhandî, ni Sâtyaki ne
connaissent l' astra, qui me fut donné tout armé avec le
moyen de le rappeler à moi. 9,008.
» Une offrande, qui avait la forme de Brahma, fut
DRONA-PAUVA. 379
consacrée jadis à Nârâyana par mon père, incliné, suivant
la règle. 9,009.
» Bhagavat reçut lui-même son présent et lui donna une
grâce : mon père alors choisit un astra supérieur , celui
de Nârâyana. 9,010.
» Le plus grand des Dieux, sire, lui dit ces paroles :
« Nulle part et quel qu'il soit, nul autre homme ne lui
sera égal dans la guerre. 9,011.
» Il ne faut jamais te hâter, brahme, de mettre en jeu
cette arme ; car c'est un astra, qui ne peut revenir sans
avoir tué l'ennemi. 9,01*2.
» Il est impossible de connaître toute sa puissance :
qui ne tuerait-elle pas, seigneur ? Elle arracherait la vie à
un immortel lui-même. Que le brahme ne s'en serve donc
point 9,013.
» A écarter dans le combat, soit un char, soit des flè-
ches, soit des ennemis, qui sollicitent un refuge sous sa
protection. 9,01 Zj.
» On doit laisser dormir, fléau des ennemis, l'usage de
ce grand astra; car, pressé de quelque manière, il oppres-
serait dans le combat des hommes, qui ne doivent pas
mourir! » 9,015.
» Mon père reçut l' astra, et le seigneur lui dit encore
ces mots : « Tu briseras en grand nombre des cuirasses
et des traits célestes. 9,016.
» Grâce à cet arme, tu flamboieras de splendeur au mi-
lieu du combat. » A ces mots, l'auguste Bhagavat remonta
au ciel. 9,017.
» La succession paternelle a mis entre mes mains cet
astra de Nârâyana : avec lui, je disperserai en fuite dans
le combat les Kaîkayains, les Matsyas, les Pântchâlains et
380 LE MAHA-BHARATA.
les Pàndouides, comme l'époux de Çatchî jeta la déroute
parmi les Asouras. Mes flèches, ayant pris la forme de
mes désirs, 9,018—9,019.
» Tomberont, Bharatide, au milieu d'ennemis pleins de
courage (1). Ferme dans la bataille, je verserai une pluie
d'astras, suivant ma volonté. 9,020.
» Avec mes flèches à la pointe de fer, je mettrai en dé-
route les plus grands héros, et j'abattrai sur la terre, sans
aucun doute, les diverses haches. 9,021.
» Avec ce grand astra de Nârâyana, moi, le fléau des
ennemis, j'accablerai d'infortunes les Pàndouides et je
taillerai en pièces les ennemis. 9,022.
» 11 n'échappera pas vivant de mes mains cet homme
dur, objet des plus grands reproches, ennemi des gou-
rous, des brahmes, de leurs amis, et le dernier des Pân-
tchâlains. » 9,023.
L'armée entendit ces paroles du fils de Drona. et tous
les plus illustres des hommes remplirent de vent leurs
grandes conques. 9,024.
Ils battirent joyeux les tambours et les tambourins par
milliers; la terre résonna, tourmentée par les roues des
chars et les sabots des coursiers. 9,025.
Et un bruit confus remplit les échos de la terre, de
l'atmosphère et du ciel. Aussitôt que les Pàndouides
eurent ouï ce fracas, semblable au son des nuages,
Les plus excellents des maîtres de chars se rassemblè-
rent de compagnie et se mirent à délibérer. Quand le fils
de Drona eut parlé ainsi, il toucha l'eau, Bharatide ;
9,026—9,027.
(i) Vikramatsou, texte de Bombay.
DRONA-PARVA. 381
Et manifesta alors cet a9tra divin, le Nârâyana. 9,028.
Dès qu'il parut, un vent souffla, accompagné des gouttes
de la pluie et de tonnerres, au milieu d'un ciel sans nuages.
La terre trembla, les mers furent agitées, et les fleuves
commencèrent à retourner vers leurs sources.
9,029—9,030.
On vit alors se rompre les cîmes des montagnes, et les
gazelles mirent à leur droite les fils de Pândou. 9,031.
Partout se répandirent les ténèbres, et la lumière du
soleil parut embrouillée. Les bêtes carnassières marchaient
ensemble, pleines de joie. 9,032.
Les Gandharvas, les Dânavas et les Dieux tremblèrent ;
à la vue de cette arme troublée, ils se dirent: « Comment
fut donc cet entretien violent? » 9,033.
La crainte agita, souverain des hommes, tous les rois,
aussitôt qu'ils virent cet astra épouvantable, aux terribles
formes, du fils de Drona. 9,03Zi.
« Quand les armées, s'enquit Dhritarâshtra, furent
taillées pièces dans la guerre par le Dronide, consumé de
chagrin et impatient de la mort de son père ; 9,035.
» Quand ils virent les Kourouides accourir, quel des-
sein arrêtèrent les Pândouides pour la défense de Dhrish-
tadyoumna ? Raconte-moi cela, Sanjaya ! » 9,036.
D'abord qu'il vit les Dhritaràshtrides en fuite, répondit
le cocher, et qu'il entendit s'élever de nouveau un combat
tumultueux, Youdhishthira dit à Arjouna : 9,037.
« Dhrishtodyoumna ayant tué dans la bataille Drona,
l'Atchârya, comme le Dieu, qui tient la foudre, tua le
grand Asoura Vritra, 9,038.
» Les Kourouides, l'âme consternée, Dhanandjaya,
n'ont plus espéré la victoire dans Je combat; et, mettant
382 LE MAHA-BHARATA.
la pensée de leur esprit dans le salut d'eux-mêmes, ils se
sont enfuis du combat. 9,039.
» Entre les princes, les uns courent avec les chars
éperdus, les cochers et lès guides immolés, les drapeaux,
les banderolles et les ombrelles éparses, les timons brisés,
les bancs cassés, les chevaux troublés. Ceux-ci, hors
d'eux-mêmes, sont montés sur les chars des autres. Ceux-
là, effrayés, hâtent des pieds les coursiers; plusieurs
spontanément pressent la fuite de leurs chars.
9,040-9,041.
» Les autres se sauvent, malades de peur, avec des
moyeux, des roues, des jougs brisés. On en voit, qui,
montés sur l'échiné des chevaux, sont emportés avec des
selles à demi tombées. 9,042.
» Les uns, aux palanquins tremblants, sont cloués par
les nârâtchas sur les épaules des éléphants ; ceux-ci sont
emportés (1) aux dix points de l'espace par les probosci-
diens, que les traits ont mis en fuite (2) ; 9,043.
» Ceux-là sont tombés de leurs chevaux avec les flèches
et les cuirasses éparses ; beaucoup, les roues coupées, les
éléphants et les coursiers mis en pièces, 9,044.
» Fuient, agités par la peur, appelant à grands cris :
« Mon père!... mon fils! » et, frappés de défaillance dans
leur force, ils ne se reconnaissaient pas mutuelle-
ment. 9,045.
» Les autres, qui ont placé sur leurs chevaux des pères,
des fils, des amis, des frères, grièvement blessés, ont dé-
posé leurs cuirasses et sont arrosés d'eau. 9,046.
» Si tu sais qui peut ramener au combat cette armée en
(1-2) Çarârttals vidrutaîs hritds, édition de Bombay.
DRONA-PAIWA. 383
déroute, que la mort de Drona vient de plonger dans une
telle condition, dis-le moi. 9,0/i7.
» On entend un bruit immense de hennissements des
chevaux et du barrit des éléphants, mêlés aux grincements
de la roue des chars. 9,048.
» Ce fracas d'une extrême violence éclate dans la mer
des Rourouides ; il se renouvelle à chaque instant et jette
l'ébranlement parmi les miens. 9,0Zi9.
» Le son, que l'on perçoit, est tumultueux, épouvan-
table : il semblerait que l'on dévore les trois mondes eux-
mêmes avec Indra : c'est mon sentiment. 9,050.
» Ce bruit au son effrayant vient, à mon avis, du Dieu,
qui porte la foudre : c'est Indra, qui se déclare pour les
Kourouides après la mort de Drona. 9,051.
» Quand il eurent ouï ce fracas épouvantable et pro-
fond, Dhanandjaya, les plus grands des héros tombèrent
dans le trouble et leur poil se hérissa sur les pores,
» Quel est ce vaillant héros, qui sait affermir le pied
des Kourouides (1) enfoncés et ramène leurs pas au
combat, comme le roi des Immortels raffermit les Dieux
dans la bataille ? » 9,052—9053.
« Voici les Kourouides, qui ont repris courage, dis-tu,
répondit Àrjouna, qu'une œuvre terrible rend à la fermeté,
et qui saluent de leurs conques un guerrier, sous la valeur
duquel ils se réfugient. 9,05/i.
» Qui jette ces cris, sire, ayant raffermi les Dhritarâsh-
trides après la mort donnée à Drona, et quand il eut dé-
posé ses armes? Le guerrier, sur le nom duquel tu doutes,
» C'est le brave, plein de pudeur, aux longs bras, à la
(1) Kanuravûn, texte de Bombay.
384 LE MAHA-BHARATA.
démarche d'éléphant en rut, à la gueule de tigre, aux ter-
ribles œuvres et qui inspire la sécurité aux fils de Kourou;
» C'est Açwatthâman ! 11 menace, ce héros, à la nais-
sance de qui Drona aux brahmes les plus distingués ac-
corda une opulence, qui s'élevait à dix centaines de vaches.
» Ce brave, qui, apeine né, hennissantcomme Outchaîç-
çravas, ébranla toute la terre et les trois mondes entière-
ment avec elle! 9,055-— 9,056— 9,057— 9,058.
» A ce bruit entendu , un être invisible, seigneur, lui
donna le nom d' Açwatthâman. C'est ce vaillant guerrier,
qui, fils de Pândou, rugit en ce moment. 9,059.
» Il s'est fait le vengeur du brahme, qui, s' étant avancé
comme un être sans défenseur, tomba victime du Prisha-
tide par une action bien inhumaine. 9,060.
» Quand il possède le sentiment de sa vaillance, le Dro-
nide ne supportera jamais que le Pânchâlain ait saisi mon
vénérable instituteur par sa longue chevelure. 9,061.
» L'âme du révérend fut mise dans la perplexité par
une fausse parole, que l'intérêt d'un royaume inspirait à
ta majesté : tu es juste, assurément ! mais tu as commis
alors une énorme injustice. 9,062.
» L'Atchârya devenu une telle victime, la honte en
restera long-temps dans ce monde des choses immobiles et
mobiles, comme celle de Râma pour la mort, qu'il avait
donnée à Bâli. 9,063.
» LePândouide est mon disciple, s' est-il dit; il est doué
de toutes les vertus, il n'avancerait pas une chose fausse I»
C'est ainsi qu'il fut conduit à te prêter sa confiance !
« Un éléphant fut tué ! » dis-tu à l'Achârya, et ta ma-
jesté est entrée ainsi dans le mensonge sous une trompeuse
apparence de la vérité. 9,06/i — 9,065.
DRONA-PARVA. 385
» Alors, déposant ses armes, sans aucun amour de soi-
même, et la pensée éteinte, tu as jeté le trouble en lui,
comme si un Dieu avait apparu devant ses yeux. 9,066.
» Plein de tendresse pour son fils, consumé par le cha-
grin et détournant la tête, ce révérend fut tué par son
disciple, qui avait renoncé à l'éternel devoir. 9,067.
» Que, secondé par ses ministres, ta majesté défende,
si elle peut, l'inique Piïshatide, maintenant qu elle lui a
fait tuer ce vieillard saint, qui avait déposé ses armes !
» Nous tous, nous ne pouvons pus défendre en ce mo-
ment le Prishatide, ni l'arracher à la gueule dévorante
du fils de l'Atchârya, irrité de la mort de son père !
9,068—9,069.
» A la nouvelle que son père fut saisi par les cheveux,
cet anachorète, qui pratique l'amitié envers tous les êtres
et qui est plus qu'un homme, nous consumera dans le
combat. 9,070.
» Un disciple, qui avait répudié les devoirs, a donc im-
molé ce révérend, malgré tous les cris violents, que m'ar-
rachait le désir de sauver l' Atchârya ! 9,071.
» Quand bien même une autre vie viendrait s'ajouter
au très-peu d'années, qui nous restent à vivre, on nepeu
empêcher qu'on n'ait commis une grande offense à la
vertu, maintenant qu'on l'a contraint à changer dénature
» Ce révérend, qui était comme un père et de qui les
vertus ressemblaient à celles d'un père, on l'a tué
pour un royaume de quelques jours !
9,072—9,073.
» Dhritarâshtra avait donné toute la terre avec ses fils
dévoués à sa volonté, souverain des hommes, à Bhîshma
et à Drona. 9,07 h.
ix 25
386 LE MAHA-BHARATA.
» Quand il eut obtenu une telle condition, honoré con-
tinuellement de respects par les plus grands, le révérend
me choisit toujours de préférence à son fils. 9,075.
» Cette parole de toi lui coûta la vie dans le combat à
cet homme, qui périt, quand il avait déposé ses armes, et
que n'aurait pu tuer Çàtakratou lui-même, quand il les
tenait à sa main. 9,076.
» Et c'est nous, hommes vils à la conduite légère, qui
avons nui pour un royaume à ce noble vieillard, de qui la
vie était un service continuel. 9,077.
» Hélas ! hélas ! un grand crime fut commis : on a fait
une action bien épouvantable, puisque l'or, le plaisir et
l'ambition d'un royaume ont causé la mort du vertueux
Drona. 9,078.
» Que mon âme abandonne mes fils, mes frères, les
auteurs de mes jours, mes épouses et ma vie elle-même,
tout enfin ce que je possède avec amour. Mon gourou sait
en effet 9,079.
» Que c'est mon désir du royaume, qui le fit voir
étendu mort. Je suis donc, auguste sire, descendu, la tête
baissée, au Naraka. 9,080.
» Après que tu as fait tuer aujourd'hui pour un royaume
ce vieux brahme, qui avait mis bas ses armes, cet institu-
teur, environné d'une grande lumière, ce qui vaut le
mieux pour moi, c'est la mort, non la vie ! » 9,081.
A ce langage d'Arjouna, les grands héros, puissant roi,
ne répondirent pas à Dhanandjaya un seul mot, soit de
censure, soit d'éloge. 9,082.
Alors Bhîmaséna aux longs bras dit avec colère, comme
s'il déversait le blâme sur le fils de Kountî : 9,083.
« Tu parles, enfant de Prithâ, ainsi qu'un anachorète,
DRONA-PÀRVA. 387
retiré dans ses forêts, d'une chose accompagné de vertus;
tu en parles ainsi qu'un brahme aux vœux parfaits, qui a
déposé son bâton. 9,084.
» Le kshatrya, qui sauve des blessures, qui vit après
les blessures, qui est patient envers les femmes et les
anachorètes, obtient promptement le succès, la renommée,
les fruits du devoir et la terre elle-même. 9,0S5.
» Ton altesse est douée de toutes les qualités d'un
kshatrya , propagateur de ta famille ; mais cette parole,
ignorante, qu'elle a prononcée, ne lui donne pas un grand
éclat. 9,086.
» Ta vaillance ressemble à celle de Çakra, l'époux de
Çatchî ; et tu ne franchis jamais les bornes du devoir,
fds de Kountî, comme la mer ne dépasse en aucun temps
son rivage. 9,087.
» Qui ne t'applaudirait maintenant, lorsqu'il te voit
désirer encore le devoir, et rejeter derrière toi une colère,
qui a couvé dix ans. 9,088.
» Heureusement ton cœur, mon ami, suit le devoir
propre; heureusement, Impérissable, l'humanité et l'in-
telligence sont toujours tes assidues compagnes! 9,089.
» Si, pendant que tu étais engagé dans le devoir,
le royaume te fut ravi injustement ; si, traînée par les
cheveux, Draâupadî fut conduite à l'assemblée par des
ennemis; 9,090.
» Si nous fûmes bannis dans les bois, revêtus de val-
kalas et de la dépouille d'une antilope noire; si ce traite-
ment, que nous ne méritions pas, nous fut infligé treize
ans par des ennemis ; 9,091.
» Toutes ces choses faites pour inspirer de l'impatience,
tu les as supportées, mortel sans péché : tout cela fût ac-
388 LE MAHA-BHARATA.
compli par toi, attaché au devoir du kshatrya. 9,092.
h Accompagné de toi, disais-tu, et me rappelant sans
cesse d'exstirper cette injustice, je détruirai ces vils ravis-
seurs d'un royaume, avec tous les adhérents. » 9,093.
» Voilà ce qui fut dit par toi avant la guerre, et nous
sommes accourus au combat : nous y sommes venus avec
toutes nos forces, mais tu nous méprises maintenant.
» Tu cherches à reconnaître le devoir dans une parole
fausse pour toi : tu déchires avec ta voix nos membres,
quand la terreur nous afflige. 9,09/i — 9,095.
Tu sèmes du verre, pour ainsi dire, dans les plaies
des hommes blessés, ô toi, qui traînes les cadavres des
ennemis ; et mon cœur est déchiré, accablé sous les flè-
ches de ta voix. 9,096.
» Vertueux, que tu es, tu ne t'aperçois pas d'une
grande faute ; c'est que tu nous refuses des éloges, à nous-
mêmes, qui méritons d'être loués. 9,097.
» En présence du Vasoudévide, tu vantes le fils de
Drona, qui n'égale pas, Dhanandjaya, la seizième partie
du diamètre complet de ta lune, 9,098.
» Comment ne rougis-tu pas, quand tu parles toi-
même de tes propres défauts ? Je déchirerais la terre dans
ma colère ; je fendrais les montagnes ! 9,099.
» Lançant sur eux cette massue pesante, épouvanta-
ble, aux bouquets d'or, je briserais les arbres semblables
à des montagnes, comme le souffle du vent ! 9,100.
» Je mettrais en fuite devant mes flèches, Prithide, les
enfants de Manou, les Ouragas, les Asouras, les troupes
des Rakshasas et les Dieux mêmes, rassemblés sous Indra !
» Toi donc, éminent homme, tel que tu es et sachant
que tu m'as pour frère, ne veuille pas, héros au courage
DRONA-PARVA. 389
sans mesure, nous inspirer de la crainte pour le fils de
Drona. 9,101—9,102.
» Reste cependant, si tu veux, Bîbhatsou, avec tous
ces princes de la guerre, et moi seul, une massue au
poing, je triompherai d' Açwatthâman dans une grande
bataille, 9,103.
d Comme Vishnou irrité, menaçant, vainquit Hiranya-
kaçipou (1). » Ensuite, le fils du roi des Pàntchâlains
tint ce langage au fils de Prithâ : 9, ICA.
« Bîbhatsou, les sages ont attribué aux brahmes ces
fonctions : la conduite des sacrifices, l'enseignement des
livres sacrés, l'aumône, l'acceptation d'une donation, la
célébration des sacrifices et la lecture, qui est la sixième.
Dans quelle de ces choses est donc resté ce Drona, qui
fut tué par moi, fils de Prithâ? Pourquoi m'en fais-tu un
reproche? 9,105—9,106.
)> Soit qu'il s'écarte de son devoir propre, soit qu'il
demeure appuyé sur le devoir du kshatrya, le brafime
auteur d'actions cruelles, tue avec un astra, qui n'a rien
d'humain. 9,107.
» Si un guerrier immole par artifice un insupportable
brahrne, qui sort de son état et qui emploie contre les
autres l'artifice : qu'y a-t-il là, fils de Prithâ, qui ne soit
pas convenable? 9,108.
» Si, après la mort, que j'ai donnée ainsi à son père, le
fils de Drona fait résonner sa colère avec des éclats épou-
vantables, que me force-t-ilà déserter ici? 9,109.
» Il n'est pas étonnant, je pense, que le fils de Drona,
(i) Hiranyakar.ipoun Haris, lisons-nous, au lieu de Miranyakaçipoim
Harin, que portent les deux textes.
390 LE MA.HA-BHARATA.
avec la connaissance, qu'il a de la guerre, sème la mort et
qu'il ait pu sauver les Kourouides. 9,110.
» Quant au reproche, que tu m'adresses, homme ver-
tueux, d'être le meurtrier d'un gourou: n'est-ce pas à
cause de cela que je suis sorti du feu, le fils du Pântchâ-
lain ? 9,111.
» Le guerrier, de qui les actions, à faire ou non, sont
également indifférentes dans le combat, Dhanandjaya,
l'appelera-t-on un brahme ou un kshatrya ? 9,112.
» Comment ne mettrait-on pas à mort, par tous les
moyens, ô le plus grand des hommes, celui, qui, rempli
de colère, fait servir les astras de Brahma à tuer des gens,
qui ne connaissent point les astras? 9,113.
» Tu sais que déjà les hommes vertueux ont dit ;
« L'absence des vertus est égale au poison ! » Pourquoi
me blâmes-tu, toi, qui connais la vraie nature du juste et
de l'utile. 9,llZj.
» Je m'avançai hardiment et je renversai ce héros cruel :
pourquoi ne m'en félicites-tu pas, Bîbhatsou, moi, qui
n'ai point mérité de reproches? 9,115.
» Tu ne loues pas, fils de Prithâ, ce qui est digne d'é-
loge, cette épouvantable tête coupée de Drona,' semblable
au poison, au soleil, à la flamme, et pareille au feu de la
mort ! 9,116.
» Je ne suis pas encore affranchi d'inquiétude, après
que j'ai tranché la tête de ce brahme, qui a tué dans le
combat tant de parents, non d'un autre, mais les miens !
» Voilà ce qui poignarde mon cœur, c'est que je n'aie
pas jeté au plus vite dans la terre des barbares cette tête
du brahme, comme le fut la tête de Djayadratha.
9,117—9,118.
DRGNA-PAIWA. 391
» Et j'entends parler de la mort des ennemis, Arjouna,
comme d'un crime; mais voici le devoir du kshatrya :
« Qu'il tue ou qu'il soit tué. » 9,119.
» J'ai immolé dans le combat, fils de Pândou, cet ennemi
avec justice, de même qu'expira sous ta main le héros
Bhagadatta, l'ami de ton père ! 9,120.
» Quand tu as tué dans le combat cet aïeul, tu penses
que tu as rempli ton devoir ; pourquoi ne m'imputes-tu
pas à devoir également la mort de cet ennemi scélérat ?
» Ne veuille pas dire, fils de Prithâ, que je suis comme
un éléphant, qui possède un point d'appui, un escalier
fait de membres, incliné vers le succès. 9,121 — 9,122.
» Si je supporte, Arjouna, que tes paroles me soient à
ce point contraires, c'est à cause de Draâupadî et de ses
fils, et non pour une autre cause. 9,123.
» L'Atchârya t'a raconté l'inimitié, qui m'est venue avec
lui par la succession de ma famille ; ce monde la connaît,
et ce n'est pas seulement vous, fils de Pândou. 9,12Z|.
» Le Pândouide, ton frère aîné, n'a pas dit une chose
fausse, Arjouna, et je ne suis pas un homme vicieux. Le
criminel, qui faisait du mal à ses disciples, fut couché
mort ; combats ! Ta victoire est certaine. » 9,125.
« La colère n'éclata-t-elie point alors, s'enquit Dhrita-
ràshtra, contre cet homme aux œuvres iniques, le scélérat
vil, à l'âme basse, homicide d'un gourou, qui vous donnait
à pleurer Drona, le fils d'un grand saint, le magnanime,
par qui les Védas et les Angas furent lus, suivant la con-
venance, dans lequel, observateur de la pudeur, la science
de l'arc résidait en personne, et par la grâce de qui les
plus grands des héros accomplissaient dans la guerre (1)
(i) Sangrâmai, texte de Bombay.
392 LE MAHA-BHAIIATA.
des actions au-dessus de l'homme, ardues aux Dieux
mêmes. Ne s'ècria-t-on pas : Honte au kshatrya ! Honnie
soit la colère ! » 9,126— 9,127— 9,128— 9,129.
» Raconte-moi, Sandjaya, ce qu'ont dit après ce lan-
gage du Pàntchâlain ceux, qui portent l'arc, les monarques
de la terre et tous les Prithides ! » 9,130.
Dès qu'ils eurent ouï, répondit Sandjaya, les paroles
du fils de Droupada aux œuvres inhumaines, tous alors,
auguste monarque, de rester dans le silence. 9,131.
Mais Arjouna, jetant avec colère ses regards obliques
sur le Prishatide, soupirant profondément et les yeux-
noyés de larmes : « Honte ! honte ! » s'écria-t-il. 9,132.
Youdhishthira, Bhîmaséna, les jumeaux, Krishna et les
autres étaient remplis de confusion ; Sâtyaki tint alors ce
langage: 9,133.
« Est-ce qu'il n'y a point (1) ici un homme quelconque
pour ôter promptement la vie à ce mortel scélérat, in-
juste, le dernier de son espèce, qui vient de parler?
» Tous ces Pândouides te méprisent, comme les
brahmes un çwapâka, et t'adressent des reproches pour
cette action coupable. 9,13/1—9,135.
» Après que tu t'es souillé de ce crime, comment,
blâmé par tous les gens de bien, ne rougis-tu pas devenir
dans cette brillante assemblée et d'y prendre la parole?
» Dans ces invectives, que tu vomis sur le révérend,
comment ta langue ne se fend -elle pas en cent morceaux
et ta tête ne se rompt-elle point en cent éclats? Homme vil,
et tu ne t'abaisses pas encore dans cette offense à la
vertu? 9,136—9,137.
» Tu mérites les reproches de tous les Prithides, des
(1) lha, texte de Bombay.
DRONA-PARVA. 393
Andhakas et des Vrishmdes, toi, qui, après avoir commis
une action de souillure, viens t'en glorifier dans ce;te as-
semblée des hommes ! 9,138.
» Quand tu as fait dans ta haine à l'égard d'un révé-
rend une action telle et sans noblesse, tu es digne de
mort ! Quel besoin y a-t-il de ton existence un seul instant
même? 9,139.
» Quel autre homme bien né, si ce n'est toi, ô le plus
vil des hommes (1) , eût résolu la mort de ce révérend à
l'âme sainte et l'eût saisi aux cheveux? 9,140.
» Tu as entraîné dans ta chute sept de tes ancêtres et
sept générations de tes petits-fils ! Rejetés delà renom-
mée, ils sont punis de t' avoir en leur famille, toi, opprobre
de ta race (2).
» N'est-ce pas ton frère germain, qui donna lui-même
la mort à Bhîshma, le plus vertueux des hommes, ainsi
que ce magnanime l'avait annoncé au fils de Prithâ ?
Auteur de la plus cruelle action, il fut son meurtrier! Il
n'existe pas sur la terre un criminel, qui soit autre que
les fils du roi des Pântchâlains ! 9,141— 9,142— 9,143.
» Ton père a formé Çikhandî pour être la mort de
Bhîshma; c'était pour apporter le trépas à ce magna-
nime, qu'il le tenait en réserve ! 9,144.
» Vils auteurs de mauvais traitements à l'égard des ré-
vérends et de leurs amis, les Pântchâlains se sont écartés
de la vertu ; tu es tombé avec ton frère dans le mépris de
tous les hommes de bien ! 9,145.
» Si tu répètes encore une telle parole en ma présence,
(1) Purushddhama, au vocatif, texte de Bombay.
(2) Kùla pdnnanam, même texte.
394 LE MAHA-BHARATA.
je ferai tomber ta tête avec ma massue, qui est semblable
à la foudre! 9,146.
» Après qu'on t'a vu meurtrier d'un brahme, on te verra
devenir le soleil ; cette expiation est ce que tu mérites,
scélérat, pour avoir tué un brahme ! 9,147.
» Barbare Pântchâlain, en présence de mon frère aîné,
ne viens-tu pas, sans rougir, déblatérer ici de nouveau
sur la mort affligeante du révérend? 9,148.
» Reste, reste ici de pied ferme ; supporte un coup seul
de cette massue, ou je supporterai, moi! la chute redou-
blée de la tienne ! » 9,149.
Ainsi, invectivé par le Sâttwatide en ces paroles
amères, le fils irrité de Prishat répondit en riant à Sâtyaki
en colère : 9,150.
« J'entends! j'entends, Mâdhava, et je le supporte
même ! Homme obscur et sans noblesse, tu te plais tou-
jours à déprimer en moi un; illustre personne? 9,151.
» La patience est louée dans le monde ; mais un mé-
chant ne mérite pas de patience. Une âme criminelle
pense d'un être patient : « 11 est vaincu ! » 9,152.
» Homme à l'âme basse, aux résolutions coupables, à la
conduite égale à tout ce qu'il y a de vil, tu aimes à dire
sur une matière jusqu'à la pointe des cheveux, jusqu'au
bout des ongles. 9,153.
» Mais Bhoûriçravas, arrêté et tué par toi, lorsqu'il
avait le bras coupé et qu'il s'était assis pour le jeûne, est-il
rien de plus criminel que cette chose? 9,154.
» Je fondis sur Drona aux astras divins, et je le frappai
dans la guerre, quand il avait déposé ses armes, où vois-
tu là, méchant, une mauvaise action? 9,155.
» Que dira-t-on, Sâtyaki, de l'homme, qui tue sur le
DRONA-PARVA 395
champ de bataille un anachorète, qui n'y combat point,
qui est assis pour le jeûne et qui a le bras coupé? 9,156.
» Un guerrier vigoureux t'a frappé du pied sur la terre,
où il marche hardiment, pourquoi ne le tuerais-tu pas au
temps où tu seras devenu le plus grand des hommes.
». Le fils de Prithâ avait triomphé d'abord du Soma-
dattide, alors que cet auguste héros fut tué ensuite par
toi, guerrier sans noblesse. 9,157 — 9,158.
» En quelque lieu que Drona mît en déroute l'armée
des Pândouides , je m'avançai toujours là, semant des
milliers de flèches. 9,159.
» Après que tu as fait de telles actions, comment dé-
sires-tu, réprochable que tu es, vomir toi-même des pa-
roles blessantes sur les autres, de même qu'un tchândâla?
» Tu es coutumier du fait, opprobre de la race des
Vrishnides, et, certes ! je ne le suis pas. Toi, qui fais ta
demeure en des actions iniques, ne parle plus à l'avenir.
9,160—9,161.
» Garde le silence, et ne veuille plus sur moi désormais
dire aucune parole. Que la chose soit très-haute ou très-
basse : cesse de parler sur moi ! 9,162.
» S'il t' arrive encore de proférer dans ta démence un
discours tel et si amer sur moi, je te plongerai avec mes
flèches, conséquence du combat, dans les demeures du
Vivasvatide! 9,163.
» Il est impossible, insensé, de faire tout avec de la
justice seulement : écoute quelles actions ces hommes ont
accomplies même avec injustice. 9,164.
» Jadis, on a triché le Pândouide Youdhishthira avec
injustice; et c'e.-!>t aussi à l'injustice, Sâtyaki, que Draâu-
padî a dû ses vexations. 9,165.
396 LE MAHA-BHARATA.
» Vous fûtes, tous les fils de Pândou, envoyés en exil
avec Krishna, et votre patrimoine, insensé, vous fut ravi
entièrement avec injustice. 9,166.
» Parérita, le roi de Madra fut dépouillé avec injustice;
et le jeune Soûbhadride tomba lui-même, victime de l'in-
justice. 9,167.
» La même injustice coûta la vie à Bhîshma, le grand
aïeul des Kourouides ; et toi, à qui le devoir est connu, tu
as tué Bhoûriçravas en manquant au deyoir. 9,168.
» Voilà quelle conduite ont tenue clans la guerre les en-
nemis et les Pândouides, des héros, qui savaient le devoir
et qui tenaient leurs yeux fixés sur le devoir. 9,169.
» La justice, très-haut placée, est difficile à connaître;
il n'est pas facile également de discerner l'injustice. Com-
bats avec les Kourouides et ne descends pas dans l'habi-
tation des Mânes !» 9,170.
Lorsqu'on lui eut fait entendre ces paroles injurieuses
et cruelles, le fortuné Sâtyaki en fut, pour ainsi dire,
ébranlé. 9,171.
A l'audition de ce langage, les yeux rouges de colère,
il saisit une massue, et, soupirant comme un serpent boa,
ayant déposé son arc sur son char, 9,172.
Il s'élança sur le Pântchâlain et lui dit ces mots avec
colère : « Je ne t'adresserai pas de parole offensante ;
mais je te tuerai, puisque tu es digne de mort. 9,173. »
Excité par le Vasoudévide, Bhîmaséna à la grande force
sauta à bas de son char et, précipitamment, il arrêta dans
ses bras ce robuste guerrier, qui accourait lestement, plein
de colère, bouillant de fureur et semblable à la mort,
sur le Pântchâlain pour lui arracher la vie.
9,17/1—9,175.
DRON A-PARVA. 397
Le vigoureux (1) Bhîma, ayant saisi le vigoureux (2)
Sâtyaki courant , fut entraîné malgré lui clans ses mouve-
ments rapides. 9,176.
Le plus fort des forts, le héros des Çinides, retenu par
le puissant Bhîma, s'arrêta et réprima le jeu de ses pieds
au sixième pas. 9,177.
Sahadéva de sauter hors de son char, souverain des
hommes, et, d'une voix douce, il dit au héros, qu'arrêtait
un plus fort. 9,178.
ft Nous n'avons, Mâdhava, nul autre ami plus grand,
tigre des hommes, que les Andhakas, les Vrishnides et les
Pântchâlains ; 9,479.
» Et il n'existe aucun autre ami des Andhakas, des
Vrishnides et surtout de Krishna plus grand que nous-
mêmes. 9,180.
a Que les Pântchâlains fouillent jusqu'aux lieux où tout
finit par la mer, Vrishnide, et ils ne trouveront nul autre
ami supérieur aux fils de Pândou et de Vrishni ! 9,181.
» Que ton altesse pense qu'elle a dans eux un ami égal
à ce que ton altesse est pour eux (3) ; ce que vos seigneu-
ries sont pour nous, nous le sommes pour vos seigneu-
ries (à). 9,182.
» Te rappelant ainsi, ô toi, qui connais tous les devoirs,
ce qu'est le devoir à l'égard des amis, comprime ta colère
et calme-toi, héros des Çinides, envers le Pânchâlain.
» Pardonne au Prishatide, et que le Prishatide te par-
donne ! Et, placés sur le terrain de l'excuse, qu'y aura-t-
il ici, qui ne soit l'égalité. » 9,183— 9, 18Zi.
(1-2) Bali balinam.
3-4) Munyâtai tclia yathâ bhavân, texte de Bombay.
398 LE MAHA-BHARATA.
Quand Sahadéva eut réussi, vénérable monarque, à
calmer Çaînéya, le fils du roi des Pântchâlains tint ce lan-
gage en riant : 9,185.
« Lâche, Bhîma, lâche ce petit-fils de Gini, accompa-
gné de l'orgueil des combats : qu'il s'approche de moi,
comme le vent d'une montagne. 9,186.
» Laisse-moi, fils de Rountî, abattre dans un combat
sa colère sous mes flèches acérées, sa confiance dans les
batailles et sa vie. 9,187.
» Est-il possible que j'accomplisse autrement l'immense
affaire, qui s'est élevée ici pour les fils de Pândou? Voici
les Kourouides, qui s'avancent. 9,188.
» Eh bien, Phâlgouna les arrêtera tous dans le combat :
et moi, je ferai tomber sous mes flèches la tête de cet
homme! 9,189.
» Il pense que j'ai le bras coupé dans la bataille,
comme Bhoûriçravas : lâche-le ! Que je le tue, ou c'est
lui, qui me tuera. » 9,190.
A ces paroles du Pântchâlain, le vigoureux Sâtyaki,
soupirant comme un serpent, faisait de continuels efforts
de' résistance au milieu des bras, entre lesquels Bhîma
l'avait enchaîné. 9,191.
Mugissants comme deux taureaux, ces deux robustes
héros, doués chacun de bras solides, le Vasoudévide et
Dharmaràdja, se hâtent, respectable roi, d'employer de
grands efforts afin de l'arrêter entièrement. Ces deux
guerriers à l'arc immense, aux yeux rouges de colère, y
réussissent enfin ; et ces nobles kshatryas tournent leurs
attaques dans le combat contre d'autres héros, qui avaient
le désir de combattre. 9,192— 9.193— 9,19/1.
Ensuite, le fils de Drona étendit le carnage au milieu
DRONÀ-PARVA. 399
des ennemis, comme la mort, fille du temps, parmi toutes
les créatures à la fin d'un youga. 9,195.
Il terrassa les ennemis et fit avec ses bhallas une mon-
tagne de corps, remplie de troupes d'Yakshas (1) et de
Bhoûtas, retentissante (2) de volatiles (3) carnassiers et de
quadrupèdes carnivores, hérissée d'arcs pour lianes, de
drapeaux en guise d'arbres, de traits à l'instar de cîmes,
d'éléphants tués pour ses grands rochers et remplie de
chevaux à l'imitation des Kimpouroushas. 9,196 — 7,197.
Puis, il cria avec une grande énergie et fit entendre de
nouveau sa promesse à ton fils, éminent personnage.
« A cause que, se couvrant sous l'enveloppe du devoir,
il a dardé sa flèche sur l'Atchârya, qui combattait, dit
Youdhishthira (A), le fils de Kountî. 9,198—9,199.
» A cause de cela, je mettrai en fuite l'armée devant
ses yeux, et, quand je les aurai dispersés tous, j'immo-
lerai le Pàntchàlain scélérat. 9,200.
» Je ferai mordre la poussière à tous ceux, qui oseront
m' attaquer ; c'est la vérité, que je te promets là ! Fais
revenir l'armée sur ses pas ! >> 9,201.
Ton fils à ces mots fit exécuter un demi-tour à l'armée,
et répandit une vaste crainte par son immense rugisse-
ment de guerre. 9,202.
Alors eut lieu, sire, le choc des deux armées Kourouide
et Pândouide ; il fut encore terrible, comme celui de deux
mers soulevées. 9,203.
Le fils de Drona raffermit le pied des Rourouides irrités,
et la mort de Drona accrut l'attention sur eux-mêmes des
Pândouides et des Pàntchâlains. 9,20/i.
(1-2-3) Pakshisanghoushtan yahshaganâkoûlan, texte de Bombay.
(4) Les deux éditions portent ce texte fautif évidemment; on a cru et
voulu mettre, sans doute : Açivatthâman, le fils de Drona.
AOO LE MAHA-BHARATA.
Tous ces guerriers en courroux, pleins de la plus vive
ardeur, et qui contemplaient la victoire dans leur âme,
manifestèrent la plus grande énergie sur le champ de
bataille. 9,205.
De même qu'âne montagne (1) repousserait une
montagne, et comme un océan (2) frapperait ses coups
sur un autre océan ; ainsi étaient, Indra des rois, les Kou-
rouides et les fils de Pândou. 9,206.
De part et d'autre, les guerriers, pleins d:ardeur, firent
résonner des milliers de conques et des myriades de tam-
bours, 9,207.
Or (3) , le bruit de ces armées était immense, comme un
prodige, et ressemblait au fracas d'une mer, dont les flots
se bouleversent. 9,208.
Alors, le fils deDrona de manifester l'astra de Nârâyana.
Des milliers de flèches à la pointe enflammée apparurent
et dirigèrent, comme des serpents à la gueule enflammée,
leur vol sur l'armée des Pândouides et des Pântchâlains,
pour coucher mort les fils de Pândou sur la terre.
9,209—9,210.
Elles couvrirent dans un grand combat les plages, le
ciel et l'armée; tels, dans un moment, les rayons du so-
leil remplissent le monde. 9,211.
D'autres projectiles se manifestèrent sous la forme de
boulets enflammés, forgés de fer noir, semblables à des
astres dans un ciel sans tâche, maître de la terre, ou de
çataghnîs divers, ou d'innombrables {!i) massues et de
(1-2) Çilautchtchayai çaîlas..., çâgarau yathâ pratihanyéta. texte de
Bombay.
(3) Tuniswanas, même édition.
(4) Bahoulâgadfis, texte de Bombay.
DRONA-PARVA. 401
disques au tranchant de rasoir, pareils au disque du soleil,
qui envahirent les quatre points du ciel. 9,212 — 9,213.
Les Srindjayas, les Pântchâlains et les Pândouides
tremblèrent, éminent Bharatide,à la vue de l'atmosphère,
toute remplie de ces espèces de projectiles. 9,21/i.
Plus combattaient les grands héros des Pândouides, et
plus s'accroissait, maître de la terre, la puissance de ce
charme. 9,215.
Taillés en pièces avec cet astra Nârâyanain et consumés
comme par le feu, ils étaient tourmentés de tous côtés
dans le combat. 9,216.
Tels que le feu brûle une forêt de bois sec au départ de
la saison froide, ainsi l' astra, seigneur, incendiait l'armée
des Pândouides. 9,217.
Ybudhishthira, le fils d'Yama, de tomber dans une pro-
fonde terreur, quand cet astra déchaîné répandit la mort
dans son armée. 9,218.
Dès qu'il vit s'enfuir ses troupes, hors d'elles-mêmes et
l'indifférence du Prithide, il tint alors ce langage: 9,219.
« Fuis, Dhrishtadyoumna, fuis avec l'armée des Pân-
tchâlains; et toi, Sâtyaki, marche sur ses pas toi-même,
environné des Andhakss et des Vrishnides. 9,220.
» Le vertueux Vasoudévide montrera ici la patience
de sa personne : il peut enseigner un moyen de salut
au monde (1), pour ne pas dire à lui-même. 9,221. <
» Il est inutile de soutenir un combat, je le dis à vous
tous, guerriers. En effet, je vais entrer avec mes frères
dans le feu d'un bûcher. 9,222.
» Avoir, dans un combat effrayant, infranchissable,
1) Çréyas, texte de Bombay.
IX 26
402 LEMAHA-BHARATA.
traversé la mer de Drona, l'océan de Bhîshma, et me
noyer avec mon armée dans l'eau si étroite d'Açwatthâ-
man! 9,223.
» Que le roi Douryodhana accomplisse maintenant son
désir ! J'ai causé dans le combat la mort de l'Atchârya à
la vie juste; 9,224.
»> Moi, à cause de qui le jeune Soubhadride, inexpéri-
menté dans les combats, est tombé sans défense, immolé
par de nombreux et cruels guerriers, plein de valeur.
» Moi, à cause de qui Krishna fut traînée dans l'assem-
blée, où elle m'adressa une question ; et on la vit avec les
esclaves (1) remplissant les fonctions d'une servante.
9,225—9,226.
(2) 9,227.
» Moi, versé dans les astras de Brahma, qui suis Fau-
teur que les Pântchàlains, commandés par Satyadjit, sont
tombés avec leurs racines dans les efforts, qu'ils dé-
ployaient pour ma victoire ; 9,228.
» Moi, qui fus la cause de notre injuste exil au milieu
des bois, sans qu'on nous ait arrêtés, sans qu'on nous ait
suivis, malgré nos désirs ; 9,229.
» Moi, qui, gonflant en nous le cœur outre mesure,
(1) Je me rappelle cette observation, qui appartient au regrettable
M. Eugène Burnouf : le mot poutra, disait-il, correspond quelquefois au
pais des Grecs, qui veut dire un enfant et un esclave.
(2) Là, vient un distique, qui n'est point à sa place, qui appartient à un
autre ordre de choses, qui ressemble au début subitement tronqué d'une
narration commencée, qui touche à des faits antérieurs, et que nous pré-
férons mettre dans une note, parce qu'il interrompt ici d'une manière fâ-
cheuse la suite des idées : « Tandis que les autres étaient fatigués, le Dri-
tarâshtride, qui désirait tuer PhàlKOiina, s'étant revêtu de sa cuirasse pour
la défense du Sindhien,,... »
DRONA-PAKVA. 403
m'en irai (1) à la mort de cette manière, tué avec mes
parents ! » 0,230.
Tandis que le fils de Kountî parlait ainsi, leDâçârhain,
se hâtant d'arrêter l'armée avec ses deux bras, lui ré-
pondit en ces termes : 9,231.
« Que les flèches soient promptement déposées ! Et que
l'on descende des chars ! C'est le moyen, que le Magna-
nime a préparé ici pour résister à son arme. 9,232.
» Tous, mettez pied à terre de vos chars, de vos élé-
phants, de vos coursiers ! Ainsi l'astra ne pourra vous ôter
la vie, quand vous serez à terre et désarmés. 0,233.
» Car plus vous combattez contre la puissance de l'as-
tra, et plus s'accroît la force de ces Rourouides. 9,234.
» Mais cette arme, elle ne pourra tueries hommes, qui.
descendus de leurs montures, auront rejeté leurs dards.
» Tous ceux, quels qu'ils soient, qui combattent ici
contre elle, fût-ce seulement de pensée, elle leur arrachera
la vie et les plongera dans le Pâtâla. » 9,235 — 9,236.
A ces paroles du Vasoudévide, tous s'empressent de
quitter les armes, et de fait et de pensée. 9,237.
Aussitôt que le Pândouide Bhîmaséna les vit tous, sire,
avec le désir d'abandonner leurs traits, il dit ces mots,
transporté de joie : 9,238.
« Qui que ce soit ne doit plus d'aucune manière lancer
de flèches ici ! Je vais avec mes seuls dards arrêter l'astra
du fils de Drona. 9,239.
» Avec cette massue pesante aux formes d'or, j'atta-
querai dans ce combat le talisman du Dronide, et je le dé-
truirai ! 9,240.
» Car il n'existe sur la terre aucun homme d'une valeur
(i) Asmâsu.... Iiii/firt/iai..., gamishyâmi, texte de Bombay.
AOA LE MAHA-BHARATA.
égale à mon courage, comme il n'y a pas dans le ciel un
astre égal au soleil. 9,241.
» Voyez mes bras solides, semblables à la trompe du
roi des éléphants et capables de renverser la montagne
même des frimas ! 9,2Zi2.
» J'ai un souffle de vie, qui est égal à celui d'une my-
riade de serpents boas ; je suis l'unique ici-bas parmi les
hommes, comme Indra est dit au ciel le guerrier unique
entre les Dieux. 9,243.
» Qu'ils contemplent aujourd'hui la vigueur de mes
bras et de mes grasses épaules pour arrêter l'astra brû-
lant, enflammé du Dronide !9, 244.
» S'il n'existe pas d'homme, qui puisse affronter l'astra
Nârâyanain, je le combattrai, moi ! sous les yeux des
Kourouides et des fils de Pândou ? 9,245.
» Arjouna ! Arjouna-Bîbhatsou ! il ne faut pas déposer
ton arc ! Il fera tomber sa colère, comme un nuage la
clarté de la lune. » 9,246.
« J'ai déposé mon arc Gândîva, lui répondit son frère,
pour les brahmes, pour les vaches et pour l'astra de Nâ-
râyana : c'est là mon vœu le plus sacré. »
A cette réponse d' Arjouna, Bhîma, le dompteur des
ennemis, s'avança vers le fils de Drona, sur un char,
qui avait l'éclat du soleil et le fracas des nuages.
9,247—9,248.
Dans l'espace d'un clin-d'œil, le fils de Kountî à la ra-
pide vaillance s'approcha de lui avec légèreté, dispersant
une multitude de flèches. 9,249.
Açwatthàman, l'inondant à son tour de flèches enchan-
tées, déchirant les membres, à la pointe enflammée, et
telles que des serpents à la gueule ardente, dit en riant
au guerrier, qui accourait : « (Test assez ! » et soudain le
DRONA-PARVA. 405
fils de Prithà se vit couvrir dans le combat comme d'étin-
celles d'or. 9,250—9,251.
La forme de Bhîma était alors dans cette bataille, sire,
telle qu'à la fin du jour celle d'une montagne, toute cou-
verte de mouches phosphorescentes. 9,252.
Plus il envoyait de traits et plus l'astra de Drona s'ac-
croissait, puissant roi, comme un feu augmenté par le
vent. 9,253.
Lorsqu'elle le vit prendre des forces nouvelles, l'armée
des Pân clou ides, mais non Bhîma au courage épouvan-
table, fut saisie d'un immense effroi ; 9,254.
Et, déposant de toute part ses armes célestes sur la face
de la terre, elle descendit entièrement de ses chars et de
ses chevaux. 9,255.
Dès qu'ils eurent rejeté leurs flèches et quitté leurs
coursiers, l'astra à la grande vigueur tomba sur la tête
de Bhîmaséna. 9,256.
Tous les êtres et surtout les Pândouides de pousser des
cris plaintifs, car ils voyaient alors Bhîma environné de
flammes. 9,257.
Aussitôt que Dhanandjaya vit son frère entouré par
l'astra divin, il le couvrit avec celui du souverain des eaux,
afin de repousser le feu. 9,258.
Personne en ce moment ne put entrevoir le héros plongé
dans l'astra de Varouna, tant l'action d'Arjouna fut
prompte, et le feu complètement couvert ! 9,259.
Enseveli avec son cocher, son char et ses coursiers dans
le talisman du fils de Drona, il était impossible de fixer
les yeux sur lui ; il semblait, avec sa guirlande de
flammes, un feu déposé dans un autre feu. 9,260.
Les flèches se précipitaient sur le char de Bhîma, telles
406 LE MAHA-BHAR/VTA.
qu'à la retraite de la nuit, sire, les étoiles tombent sur le
mont Asta. 9,261.
Couvert par le fils de Drona avec son cocher, son char
et ses chevaux, il avait disparu dans le feu. 9,262.
De môme qu'à la fin des temps le monde, avec ses créa-
tures inanimées et animées, entrera comme nourriture
dans la gueule du divin Agni, de même Bhîma était en-
glouti par la puissance du talisman. 9,263.
On ne distinguait plus le Pàndouide (1) placé dans la
splendeur du charme; ainsi le feu ne serait plus distingué,
s'il était mis dans le soleil, ou l'auteur du jour au milieu
du feu. 9,264.
Lorsqu'ils virent l'astra ainsi répandu sur le char de
Bhîma, le Dronide dans l'exaltation et sans aucune oppo-
sition dans la guerre, 9,265.
Toutes les armées des Pàndouides, qui avaient déposé
leurs armes par milliers, et les grands héros, qui avaient
tourné le dos, Youdhishthira à leur tête, 9,266.
Le Vasoudévide et Arjouna à la vive splendeur, ces
deux vaillants guerriers, descendirent à la hâte de leur
char et coururent vers Bhimaséna. 9,267.
Ces deux braves entrèrent dans le feu même causé par
le charme du fils de Drona, et se plongèrent en cette
pleine magie. 9,268.
La flamme née de l'astra ne put les brûler, parce qu'ils
avaient déposé leurs armes, que l'on avait mis en jeu
l'astra de Varouna, et que l'énergie de Krishna était su-
périeure. 9,269.
Nara et Nârâyana arrachent de force à la violence du
(i) Pândavan, texte de Bombay.
DRONA-PARVA. 407
eharme Bhîma et toutes ses armes, afin de calmer l'astra
de Nâràyana. 9/270.
En vain on le retirait du péril, l'héroïque fils de Kounti
criait encore, et l'invincible astra du Dronide s'accroissait
toujours plus en cruauté. 9,271.
« Qu'est-ce, fils de Pândou ? lui dit le Vasoudévide.
On a beau te retenir, enfant de Kountî, tu ne t'abstiens
pas encore du combat. 9,272.
» Si ces rejetons de Kourou pouvaient être vaincus
dans une bataille, nous combattrions avec eux, et ces
éminents guerriers combattraient ici avec nous. 9,273.
» Nous tous, qui sommes les tiens, tu nous vois des-
cendus de nos voitures ; bâte-toi donc, fils de Kountî, de
quitter aussi ton char. » 9,274.
A ces mots, Krishna l'enleva de son chariot et le mit à
terre, soupirant comme un serpent et les yeux rouges de
colère. 9,275.
Aussitôt qu'il eût mis pied à terre, et qu'on lui eût fait
quitter ses armes, l'astra Nàràyanain de s'appaiser; et il
ne tourmenta plus les ennemis. 9,276.
Quand ce feu intolérable et d'une telle nature se fut
calmé, la sénérité régna sur les points cardinaux du ciel
et dans toutes les plages intermédiaires. 9,277.
Les vents soufflèrent propices, les volatiles et les qua-
drupèdes vécurent en paix ; et la joie, souverain des
hommes, enivra et les montures et leurs cavaliers.
Dès que le feu épouvantable fut retiré de ce lieu, Bha-
ratide, le sage Bhîma resplendit à l'égal du soleil, qui
s'élève à la fin de la nuit. 9,278—9,279.
Lorsqu'elle vit l'astra funeste appaisé, l'armée Pân-
àOS LE MAHA-BHARATA.
douide, échappée au carnage, se releva avec le désir d'im-
moler ton fils. 7,280.
L'armée rétablie de pied ferme et ce charme éludé,
auguste sire, Douryodhana adressa ce langage au fils de
Drona: 9,281.
« Açwatthâman, lance une seconde fois cet astra im-
pétueux, car voici que les Pântchâlains ont refait leurs
rangs et qu'ils désirent de nouveau la victoire. » 9,282.
A ces paroles de ton fils, vénérable monarque, le Dro-
nide, soupirant avec une profonde affliction, lui répondit
en ces termes : 9,283.
« Cet astra ne revient point ; il ne sied pas deux fois,
majesté ; rappelé, il donnerait la mort, je n'en fais aucun
doute, à l'homme, qui le mettrait en jeu. 9,284.
» Le Vasoudévide a repoussé de la manière, que tu l'as
vu, cet astra ; et c'est pour cela, souverain des peuples,
qu'il n'a pas exterminé l'ennemi sur le champ de bataille.
» Ou la défaite ou la mort ! La mort vaut mieux que la
victoire ! Car ils étaient vaincus ces ennemis, semblables
à des morts, depuis qu'ils avaient mis bas les armes ! »
9,285—9,286.
h Fils de l'Atchârya, lui répondit Souyodhana, si l'on
ne peut lancer deux fois cet astra, que ces meurtriers
d'un révérend soient immolés par d'autres, ô le plus
excellent desjiommes, qui ont la science des astras.
» Ta vigueur est sans mesure, et tu possèdes, comme
Tryambaka, des charmes divins. En effet, si tu le voulais,
Pourandara lui-même dans sa colère ne serait pas délivré
de tes mains. » 9,287—9,288.
« Après que cet astra eut été repoussé et que Drona
DRONA-PARVA. 409
eut succombé, victime de la trahison, que fit, demanda
le roi Dhritarâsthra, que lit ensuite le Dronide, quand
Douryodhana lui eut adressé ces paroles ; 9,289.
» Quand il vit les Prithides s'approcher, les armes à la
main, pour le combat, et marcher en tête de l'armée,
affranchis de l'astra Nârâyanain? » 9,290.
Aussitôt qu'il connut, reprit Sandjaya, la mort de son
père, le guerrier, qui arbore une queue de lion pour en-
seigne, ayant mis bas la crainte, courut avec colère sur le
Prishatide. 9,29i.
A la fin de sa course, l'éminente personne le blessa
avec une rapidité extrême, de vingt-cinq kshoudrakas ;
Et Dhrishtadyoumna de percer le fils de Drona, flam-
boyant comme le feu, sire, avec soixante-quatre flèches.
9,292—9,293.
Il frappa son cocher de vingt traits, empennés d'or, ai-
guisés sur la pierre, et ses quatre chevaux de quatre dards
acérés. 9,294.
11 blessa, en poussant des cris, le Dronide à coups redou-
blés, ébranlant en quelque sorte la terre, et ravit les exis-
tences à tout le monde, pour ainsi dire, en ce grand com-
bat, 9,295.
Le Prishatide, consommé dans les armes, aux résolu-
tions arrêtées, fondit sur le fils de Drona lui-même et fit
revenir la mort sur ses pas. 9, 296.*
Le meilleur des maîtres de chars, lePântchâlainàl'ârne
infinie déchargea sur la tête d'Açwatthâman une pluie,
faite de traits. 9,297.
Le Dronide couvrit de ses dards dans le combat ce héros
irrité, et, n'oubliant point la mort de son père, le blessa de
dix flèches. 9,298.
410 LE MAHA-BHARATA.
11 trancha, avec deux rasoirs bien décochés, l'arc et le
drapeau du roi des Pântchâlains, et le fatigua avec de
nouveaux traits. 9,299.
Le Dronide le réduisit dans ce grand combat sans co-
cher, sans char, sans chevaux ; il couvrit de flèches avec
colère tous les guerriers attachés à ses pas.
Ensuite il courut, monarque des hommes, sur l'armée
des Pântchâlains en détresse, aux formes agitées, aux bles-
sures infligées par la pluie de ses flèches.
9,300-9,301.
Voyant les guerriers tourner ledosetDhrishtadyoumna
accablé, Çaînéya de pousser rapidement son chariot sur le
char du fils de Drona. 9,302.
11 perça Açwatthâman de huit flèches aiguës, et blessa
de nouveau ce brahme irrité de vingt traits aux formes
diverses. 9,303.
Il en blessa ainsi le cocher; il frappa ses quatre chevaux
de quatre dards lancés avec étude, et coupa, en homme
adroit, son arc et son drapeau. 9,304.
Il dissipa son char ornementé d'or avec ses quatre che-
vaux, et le blessa grièvement au cœur de trente flèches
dans le combat. 9,305.
Accablé de cette manière, sire, Açwatthâman à la grande
force, environné par des multitudes de traits, ne trouvait
pas ce qu'il avait h faire. 9,306.
Tandis que les choses se passaient ainsi pour le fils du
révérend, ton héroïque fils, secondé par Kripa, Karna et
les autres, ensevelit sous ses flèches le Sâttwatide.
Douryodhana le blessa de vingt traits, Kripa le Çarad-
vatide de trois, Kritavarman de dix, Karna de cinquante,
Douççàsana de cent et Vrishaséna de sept dards. Tous le
DRONA-PARVA. 411
frappèrent lestement de tous les côtés avec leurs flèches
acérées. 9,307—9,308—9,309.
Mais Sâtyaki réduisit en un seul instant, sire, tous ces
grands héros sans char, et les contraignit à tourner le
dos. 9,310.
Quand Açwatthâman eut repris la connaissance, émi-
nent Bharatide, il se plongea dans ses pensées, tourmenté
par la douleur et soupirant mainte et mainte fois. 9,311.
Puis, remontant sur un autre char, le terrible fils de
Droha, arrêtant Sâtyaki, répandit sur lui plusieurs cen-
taines de flèches. 9,312.
Dès qu'il vit le fils du Bharadwâdjide accourir dans le
combat, ce grand héros le réduisit une seconde fois sans
char et le força de nouveau à prendre la fuite.
A l'aspect du courage de Sâtyaki, les Pàndouides firent
résonner leurs conques avec des sons très-éclatants et
poussèrent des rugissements de guerre.
9,313—9,31/1.
Aussitôt qu'il l'eut privé de son char, Sâtyaki au cou-
rage infaillible, immola trois mille grands héros sous les
ordres de Vrishaséna. 9,315.
Il tua avec eux une myriade d'éléphants, conduits par
Rripa, et trente milliers de chevaux, commandés par
Çakouni. 9,310.
Le vigoureux Dronide, étant remonté sur un autre char,
s'avança avec colère près de Sâtyaki, désireux de lui arra-
cher la vie. 9,317.
L'ayant vu revenir, armé de traits acérés, le Çinide,
dompteur des ennemis, fendit son corps mainte et mainte
fois avec des flèches plus en. elles encore. 9,318.
Profondément blessé par Youyoudhàna de ses dards,
M2 LE MAHA-BHARATA.
marqués de différents caractères, l'héroïque fils de Drona
lui dit, en riant, avec colère : 9,319.
« Çaînéya, je sais quelle affection tu portes au meur-
trier de l'Atchârya; tu empêches qu'il ne soit lui-même
dévoré par moi ; eh bien! je te jure, Çaînéya, sur la vérité
et sur ma pénitence, que je ne me reposerai pas dans la
guerre que je n'aie exterminé tous les Pântchâlains.
9,320—9,321.
» Que Ton range ici toutes les armées, qui obéissent
aux fils de Pândou, toutes les forces, que comptent les
Vrishnides, j'anéantirai les Somakas! » 9,322.
A ces mots, Açwatthâman de lancer au Sâttwatide une
flèche supérieure, aux beaux nœuds, semblable aux rayons
du soleil, tel que jadis Hari envoya sa foudre sur Vritra.
Après qu'il eut percé le guerrier non inférieur (1) en
flèches, le trait décoché par lui de percer la terre et de s'y
plonger, comme un reptile en sifflant entre dans une ca-
verne. 9,323-9,324.
De même qu'un éléphant, tourmenté par le croc aigu,
ce héros, la cuirasse brisée, inondant sa blessure de sang,
rejeta des mains son arc et sa flèche. 9,325.
Il s'affaissa, il s'assit, humide de sang, sur le banc de
son char, et son cocher le ravit en toute hâte au fils de
Drona. Ce fléau des ennemis blessa, au milieu des sourcils,
un autre héros, Dhrishtadyoumna, d'un nouveau trait,
bien empenné, aux nœuds inclinés. 9,326 — 9,327.
Atteint grièvement par-devant et blessé par-derrière, le
Pântchâlain s'évanouit dans le combat, et chercha un
appui dans son drapeau. 9,328.
(1) Nous lisons : na, au lieu de : sa çarâvara.
DRONA-PARV*. A13
Cinq héros du parti des Pândouides coururent vîte-
ment à lui, qui était, sire, comme un éléphant en rut,
qu'un lion a blessé. 9,329.
C'étaient Kirîti, Bhimaséna, Vrihatkshattra, le rejeton
de Pourou, le prince héréditaire des Tchédiens et Soudar-
çana du Mâlava. 9,330.
Tous ces braves , armés de leurs arcs et jetant des
lamentations, environnèrent de tous côtés l'héroïque
filsdeDrona. 9,331.
Déployant leurs efforts au vingtième pas, tous de lancer
à la fois de toutes parts cinq traits individuellement sur
le fils irrité de l'anachorète. 9,332.
Le Dronide avec vingt-cinq traits aigus, semblables à
des serpents, coupa ensemble leurs vingt-cinq dards.
Il perça de sept flèches acérées le petit-fils de Pourou,
avec trois le prince du Mâlava, avec un seul le fils de
Prithâ, et Vrikaudara de six traits. 9,333— 9,334.
Ensuite, tous ces grands héros, sire, de blesser ensem-
ble et séparément, le fils de Drona avec leurs dards acérés,
empennés d'or. 9,335.
Le prince héritier frappa Açwatthâman de vingt flèches,
Arjouna de huit traits, et chacun des autres avec trois
individuellement. 9,336.
Açwatthâman de percer Phâlgouna de vingt dards, le
Vasoudévide de dix, Bhîma de cinq, le roi de la jeunesse
avec quatre, le prince du Mâlava et le descendant de Pou-
rou avec deux chacun. 9,337.
Quand il eut blessé de six flèches le cocher de Bhima-
séna, et tranché avec deux son arc et son drapeau ; quand
il eut enseveli, après cet exploit, le fils de Prithâsous une
pluie de traits, le Dronide poussa un épouvantable rugis-
sement de guerre. 9,338.
414 LE MAHA-BHARATA.
La terre, l'atmosphère, le ciel, les points cardinaux, les
plages intermédiaires, tout était couvert des flèches très-
acérées, aux formes terribles, à la pointe de couleur jaune,
que le Dronide semait devant lui et par-derrière. 9,339.
Des splendeurs formidables étaient répandues sur son
char. Le héros, semblable au roi des Dieux, coupa à la
fois de trois dards la tête de Soudarçana et ses bras, pa-
reils au drapeau d'Indra. 9,340.
Dès qu'il eut percé le Pourouide avec une lance de
de char, qu'il eut réduit à coups de flèches son chariot en
morceaux menus comme des graines de sésame, qu'il eut
coupé ses bras, saupoudrés du sandal le plus exquis, il
enleva d'un bhalla la tête à son corps. 9,341.
Lorsqu'il eut blessé de ses traits, semblables au feu de
la flamme, le jeune prince héritier, seigneur de Tchédi, il
donna à la mort, avec son cocher et ses chevaux, ce héros,
azuré comme un lotus. 9,342.
Quand le Pândouide vit immolés devant ses yeux le
prince du Mâlava, le rejeton de Pourou et Y auguste Tché-
dien, roi de la jeunesse, 9,3^3.
Bhîmaséna aux longs bras ressentit une bouillante co-
lère; puis, avec des centaines de flèches acérées, pareilles
à des serpents, le terrible ennemi couvrit dans la ba-
taille ce fils de Drona. Celui-ci à la grande vigueur dé-
chaîne une averse de traits, 9,344 — 9,345.
Et blesse dans sa colère Bhîmaséna de ses flèches
aiguës. Le Pândouide aux longs bras, à la grande force,
trancha dans ce combat son arc d'un kshourapra et perça
d'un trait le fils du brahme. Cet homme au vaste cœur,
rejetant son arme coupée, 9,346 — 9,347.
Saisit un nouvel arc et déchira Bhîma de ses dards. Ces
deux vaillants héros, pleins de vigueur dans la bataille,
DRONA-PARVA.. 415
Répandirent l'un sur l'autre une grêle de flèches, tels
que deux nuages pluvieux. Des projectiles à l'empennure
d'or, aiguisés sur la pierre, gravés avec le nom de Bhîma,
couvrirent le Dronide, comme des masses de nuages
voilent l'auteur de la lumière ; et des traits aux nœuds in-
clinés, lancés par celui-ci à centaines de mille, inondèrent
Bhîma rapidement. Couvert dans ce combat par le fils du
Bharadwâdjide, qui a la science des batailles,
9,3/i8— 9,349— 9,350— 9,351.
Il n'en fut nullement ému, grand roi, ce fut comme
une chose merveilleuse ! Ensuite, Bhima aux longs bras
lui envoya dix nârâtchas acérés, ornementés d'or et sem-
blables au bâton d'Yama. Ils arrivent à la clavicule du
cou, vénérable monarque, la fendent, et pénètrent chez le
Dronide, comme des serpents dans une fourmillière. Pro-
fondément blessé par le magnanime Pàndouide, Açwat-
thâman 9,352—9,353—9,354.
De s'appuyer sur la hampe de son drapeau et de fermer
les yeux. Quand il eut repris sa connaissance au bout d'un
instant, souverain des hommes, 9,355.
Baigné de sang au milieu du combat, il entra dans la
plus vive colère. Atteint grièvement par le Pàndouide au
grand cœur, 9,356.
Le guerrier aux longs bras se lança rapidement sur le
char de Bhîmaséna, auquel il envoya, Bharatide, une cen-
taine de traits à la splendeur brûlante, tirés jusqu'à l'o-
reille et semblables à des serpents. Orgueilleux de ses
batailles, le Pàndouide Bhîma, songeant à l'énergie de ce
héros, fit tomber lestement sur lui dos averses de traits.
Mais le Dronide. ayant coupé son arc avec des flèches,
9,357—9,358—9.359.
Mrt LE MAHA-BHARATA.
Le frappa dans sa colère avec des traits aigus en pleine
poitrine. Bhîmaséna, au comble de la fureur, saisit un
nouvel arc, 9,360.
Et blessa le Dronide de cinq dards acérés dans le com-
bat. Versant leurs masses de flèches, tels que deux nuages
à la fin de l'été, 9,361.
Ils s'en couvrirent l'un l'autre dans la bataille, les yeux
rouges de colère ; ils firent éclater, celui-ci sur celui-là,
les bruits épouvantables de leurs paumes. 9,362.
Pltins de colère, ils se combattirent mutuellement, dé-
sirant chacun tirer vengeance des coups reçus. Faisant
vibrer un arc immense, ornementé d'or, 9,363.
Le Dronide regarda face à face Bhîma, décochant ses
flèches. Tel que le soleil à la splendeur enflammée, par-
venu en automne au milieu de sa révolution diurne,
Soit qu'il prît sa flèche ou qu'il encochât son trait, soit
qu'il tirât sa corde ou qu'il lançât le dard, les spectateurs
ne pouvaient saisir aucun intervalle. 9,364 — 9,365.
L'arme du Dronide, lançant des flèches, était alors,
grande majesté, un disque, semblable à une roue, autour
de laquelle pirouette une torche. 9,366.
On voyait les traits, lancés de son arc par centaines et
par milliers, voler dans les airs, tels que des nuées de
sauterelles. 9,367.
Partis de l'arc du Dronide, les dards épouvantables,
aux ornements d'or, étaient répandus continuellement sur
le char de Bhîma. 9,368.
Nous vîmes alors, Bharatide, le courage merveilleux, la
force, l'énergie, la puissance et là résolution de Bhîma-
séna ! 9,369.
De tous les côtés, il amoncelait des pluies très-
DRONA-PARVA. 417
effrayantes de flèches, telles que des pluies d'eau entassées
par les nuages à la fin des chaleurs. 9,370.
Désirant la mort du fils de Drona, Bhîma à l'effrayant
courage versait des pluies de traits, comme une nuée dans
la saison pluvieuse. 9,371.
Cet arc terrible de Bhima au dos en or resplendissait
dans cette grande bataille, de même qu'un second arc de
Çakra. 9,372.
Les flèches, qui apparaissaient donc par centaines et
par milliers, couvraient dans ce combat le fils de Drona,
qui avait la beauté des batailles. 9,373.
Le vent ne pouvait circuler, auguste sire, au milieu de
ces multitudes de flèches, que lançaient ainsi les deux
héros. 9,374.
Ensuite, le Dronide envoya, par le désir de la mort du
Pàndouide, ses traits aux ornements d'or, frottés d'huile
de sésame, à la pointe reluisante. 9,375.
Bhiuia fit tomber du haut des airs chacun de ses traits
en trois morceaux avec ses flèches ; et, après cette vic-
toire sur le fils de Drona, lui cria : « Arrête ! arrête ! »
Le vigoureux Pàndouide irrité jusqu'au désir de sa
mort, lui expédia de nouveau une averse de traits hor-
ribles, épouvantables. 9,376 — 9,377.
Quand il eut arrêté par la magie de ses astras ces pluies
de flèches, le fils de Drona, qui possédait la science des
astras, lui trancha lestement son arc, 9,378.
Et le blessa lui-même de ses flèches innombrables dans
le combat. Le vigoureux à l'arc coupé lui rendit prompte-
ment sa blessure et lança sur le char du fils de Drona une
pique de fer bien épouvantable. Le Dronide, montrant la
légèreté de sa main, abattit dans le combat tout à coup,
xi '17
M S LE MAHA-BHARATA.
avec ses flèches acérées, cette lance, qui accourait, sem-
blable à un grand météore enflammé. Dans cet instant
même, Bhîma saisit un nouvel arc,
9,379—9,380—9,381.
Et Vrikaudara de blesser en riant le Dronide avec ses
dards. Açwatthâman en retour, puissant roi, ouvrit, d'une
flèche aux nœuds inclinés, le front du cocher de Bhîma-
séna. Profondément blessé par le vigoureux fils dubrahme,
le cocher tomba dans l'évanouissement et lâcha les rênes
de ses coursiers. N'étant plus retenus par le conducteur
évanoui, les chevaux de Bhîma se mirent à courir, Indra
des rois, au galop sous les yeux de tous les archers. Dès
qu'il vit Bhîma emporté hors du champ de bataille par
ses coursiers en fuite, 9,382—9,383—9,384—9,385.
Le brahme invaincu fit résonner joyeux son énorme
conque ; alors tous les Pântchâlains et le Pândouide Bhî-
maséna, 9,386.
Ayant abandonné le char de Dhrishtadyoumna, s'en-
fuirent effrayés à tous les points de l'espace. Le Dronide,
accroissant le trouble, suivit rapidement les pas de l'armée
enfoncée des Pândouides, les harcelant par-derrière de ses
flèches acérées ; et la crainte d' Açwatthâman chassa aux
divers points de l'horizon tous les kshatryas, taillés en
pièces par ce fils de Drona. 9,387—9,388—9,389.
Dès qu'il vit cette armée en déroute, le fils de Kountî à
l'âme incommensurable, Dhanandjaya de l'arrêter, dési-
rant la mort du fils de l'Atchârya. 9,390.
Alors, comprimés ainsi avec des efforts par le Vasoudé-
vide et Dhanandjaya, sire, les guerriers en fuite retinrent
leurs pas. 9,391.
Quand il les eut rejoint un à un avec les membres des
DRONA-PAKVA. 419
Somakas, avec les Matsyas et les autres, il retourna vers
les Kourouides (1). 9,39*2.
Puis, s'étant avancé en courant vers le guerrier, qui
a pour enseigne une queue de lion, l'Ambidextre dit ces
mots à l'héroïque Açwatthâman : 9,393.
« Fais-moi voir ce que tu as de puissance et de force,
ce que tu as de science et de courage, ce que tu as d'ami-
tié pour les Dhritarâshtrides et de haine pour nous!
Montre-moi encore ton énergie suprême ! Le meurtrier de
Drona, le Prishatide brisera lui-même ton orgueil,
9,39A—9,395.
» Semblable au feu entier de la mort, égal au trépas
des ennemis. Affronte et le Pântchâlain, et moi, accom-
pagné de Kéçava; j'étoufferai aujourd'hui, présomp-
tueux, ton arrogance dans la guerre. »
9,396—9,397.
« Le fils de l'Atchârya est vigoureux, Sandjaya ; il est
digne d'honneur, observa le roi Dhritarâshtra ; son amitié
est en Dhanandjaya et l'amitié de ce magnanime est en
lui. 9,398.
» Jamais avant, on ne vit en Bîbhâtsou un discours tel
et si injurieux (2). Pourquoi ce fils de Kountî adressa-t-
il à son ami un langage si amer? » 9,399.
Quand le prince héréditaire, sire, et Vrihatkshattra, le
rejeton de Pourou, eurent trouvé la mort, lui répondit
Sandjaya; quand Soudarçana du Mâlava eut satisfait aux
règles de l'arc et des flèches; 9,400.
Quand Dhrishtadyoumna, Sâtyaki et Bhîma vaincus
(1) Kaduravdn, texte de Bombay.
(2) Parousham, même texte.
420 LE MAHA-BHARATA.
eurent jeté par leurs discours l'agitation dans les mem-
bres d'Youdhishthira, 9,401.
Un déchirement intérieur naquit à Bîbhatsou au souve-
nir de ses peines, seigneur ; et le chagrin engendra une
colère plus grande, qu'il n'avait jamais ressenti avant.
Il adressa donc en homme vulgaire ce discours gros-
sier, indécent, brutal au Dronide, fils d'un Atchârya et
digne de ses respects. 9,402 — 9,403.
A ces mots blessants, que le Prithide avait prononcés
d'une voix à déchirer tous les membres (1), le plus grand
des héros, majesté, soupirant (2) de colère, 9,404.
Le Dronide vigoureux de s'irriter contre le fils de
Prithâ et surtout contre Kéçava. Debout sur son char et
déployant ses efforts, il toucha l'eau. 9,405.
Le fils de l' Atchârya prit à rencontre des troupes d'en-
nemis, qu'il voyait et qu'il ne voyait pas, l'astra d'Agni
tout à fait inaffrontable aux Dieux mêmes. 9,406.
Il charma une flèche ardente comme un feu sans fu-
mée ; et le meurtrier des héros ennemis, entré de tous
côtés dans la colère, décocha son arme. 9,407.
Une bruyante averse de traits se produisit dans les
airs ; et le Prithide, enveloppé dans la flamme du feu, en
fut inondé. 9,408.
Des météores tombèrent du ciel, les plages ne brillè-
rent plus ; une effrayante obscurité se répandit tout à
coup sur l'armée. 9,409.
Les Rakshasas et les Piçâtchas rassemblés de pousser
des cris; des vents sinistres soufflèrent, et le soleil avait
perdu sa chaleur. 9,410.
(1) Çwasan.... sarvamarmabhidû girâ, texte de Bombay.
DRONA-PARVA. 421
Les corneilles de criailler dans toutes les plages d'une
manière épouvantable ; et les nuages tonnaient, versant
une pluie de sang. 9,411.
Les volatiles, les bestiaux criaient (1) , les vaches mu-
gissaient (2) et les solitaires aux vœux saints, une fois
qu'ils étaient sortis de leur âme, ne retrouvaient plus la
tranquillité. 9,M2.
L'ensemble des trois mondes était en quelque sorte
consumé et pénétré de douleur, ses grands éléments con-
fondus, le soleil, pour ainsi dire , attiré hors de sa
place. 9,ûl3.
Couchés sur la terre, les serpents, brûlés par la flamme
de l'astra, s'élançaient dans l'air en sifflant, pour éviter
ce feu épouvantable. 9,/il/i.
Les êtres aquatiques eux-mêmes, Bharatide, étaient la
proie des flammes ; et, dans leur humide séjour incendié,
ils ne rencontraient nulle part de tranquillité. 9,/il5.
De tous côtés, tombaient, en haut et en bas, des points
cardinaux, des plages intermédiaires, de l'atmosphère, de
la terre, les pluies de flèches avec la rapidité du vent ou
de Garouda. 9, h 16.
Atteints par les traits du fils de Drona, qui avaient la
vélocité de la foudre, les ennemis tombaient consumés,
comme des arbres brûlés par le feu. 9, M 7.
Torturés par les flammes, les grands éléphants succom-
baient de tous côtés sur la terre, poussant des cris épou-
vantables, qui ressemblaient au fracas des nuages.
D'autres gigantesques éléphants couraient, fuyant les
flammes; tremblants, ils jetaient des barrits, comme jadis
fl-2) Vinédus, texte de Bombay.
422 LE MAHA-BHARATA.
dans la forêt, quand ils étaient environnés par l'incendie
spontané du bois. 9,418 — 9,419.
On voyait, auguste seigneur, des troupes de chevaux
ou des bandes de chars, telles que des cîmes d'arbres, en
proie au feu d'une forêt brûlante. 9,420.
Des multitudes de chars tombaient çà et là par milliers.
Le vénérable feu, Bharatide, consumait dans le combat
toute cette armée, comme la flamme de la destruction finale
brûle toutes les créatures au terme d'un youga. Dès qu'ils
virent dans ce grand combat l'armée Pândouide victime
de cet incendie, 9,421—9,422.
Transportés de joie, les tiens, majesté, firent éclater des
rugissements de guerre. Exaltés, victorieux, ils battirent
allègrement des milliers de tambours, mnrqués de signes
divers. Au milieu des ténèbres , qui enveloppaient le
monde, on ne voyait pas, dans cette vaste bataille, sire,
l'armée complète et le Pândouide Ambidextre. Jamais
avant, nous n'avions pu voir; jamais avant, nous n'avions
entendu parler d'une chose telle
9,423—9,424—9,425.
Que cet astra, suscité dans la colère du fils de Drona !
Mais Arjouna de lancer, puissant roi, l' astra de Brahma,
créé par le Dieu, né dans un lotus, pour repousser tous les
astras. Un instant après, les ténèbres des'appaiser.
9,426—9,427.
Un vent favorable souflla, les plages devinrent sereines,
et nous vîmes là une chose merveilleuse : une armée com-
plète immolée, avec des formes méconnaissables, consu-
mée par le feu de l' astra. On voyait ces deux héros aux
grands arcs, Arjouna et Kéçava, libres d'ennemis,
9,428—9,429.
DRONA-PARVA. 423
Tels que l'on verrait briller ensemble le soleil et la lune
dans les cieux. L'archer du Gândîva et le Vasoudévide
étaient sans blessures l'un et l'autre. 9,430.
Joint (1) à son allié, Arjouna avec son char, ses che-
vaux, son drapeau, ses guidons, ses armes excellentes,
brillait sur le plancher de sa voiture, inspirant la terreur
à tes gens. 9,431.
Des cris de joie, mêlés au bruit des tambours et des
conques, éclatèrent aussitôt parmi les Pàndouides, exul-
tant d'allégresse. 9,432.
L'opinion des deux armées était alors qu'ils avaient
succombé ; et tout à coup ils voyaient Arjouna et Kéçava
revenus à la vie, remplis de joie, sans blessure, inspirant
des sons aux deux meilleures des conques. A la vue de
cette gaîté des Prithides, les tiens furent profondément
émus. 9,433—9,434.
Quand le Dronide vit ces deux héros triomphants,
échappés au danger, il s'abima dans la douleur, puissant
roi, et songea un moment: «Qu'est-ce que c'est?» 9,430.
Après qu'il eut rêvé, tout livré à ses pensées affligeantes,
il poussa de longs et brûlants soupirs, et fut comme aban-
donné de son âme. 9,436.
Le Dronide, ayant rejeté son arc, Indra des rois, sauta
à bas de son char : « Honte! s'écria-t-il, honte à cet astra
avorté ! u et il se précipita hors du champ de bataille.
Il vit devant lui Vyâsa à la demeure éminente, le com-
pilateur du Véda et des Rasas (2), l'ordonnateur sans pé-
ché des Védas, brillant, comme un nuage d'amour.
(1) Youktas, texte de Bombay.
[2) Livre, où sont renfermés les sentiments poétiques.
424 LE MAHA-BHARATA.
Dès que le fils de Drona l'eut aperçu debout devant lui,
propagateur de la race de Kourou, il lui rendit hommage,
baissant la tête, et lui adressa ces mots en homme con-
sterné : 9,437— 9,438— 9,439.
c Hélas, hélas ! Serait-ce magie? ou libre volonté? Nous
ne savons pas ! Comment cet astra est-il tombé sans coup ?
Quelle faute ai-je donc commise? 9,440.
» Est-ce une chose très-petite ou très-grande que la
ruine des mondes ? La vie de ces deux Krishnas est un
moment difficile à traverser ! 9,441.
» Jamais ni les Piçâtchas et les Rakshasas, ni les Gan-
dharvas et les Asouras, ni les oiseaux, ni ceux, qui ont
pour cause de leur mouvement le saut ou les ailes, ni les
enfants de Manou 9,442.
» N'auraient pu frapper d'impuissance cet astra, que j'ai
lancé. Ce charme flamboyant, destructeur de tout, ac-
compagné de la plus haute épouvante, envoyé de ma
main, ne peut se calmer qu'après l'extermination d'une
armée complète en ses quatre corps. Pourquoi n'a-t-il pas
tué ces deux hommes vertueux, Arjouna et Kéçava?
9,443—9,444.
» Réponds à ma demande, révérend, selon ce qu'il en
est : je désire entendre cette chose, grand anachorète,
suivant la vérité. » 9,445.
« Je vais te révéler entièrement, lui répondit Vyâsa,
cette grande chose, qui inspire une telle question à ton in-
certitude ; applique ton esprit; écoute! 9,446.
» Ce Dieu nommé Nârâyana, l'ancêtre des ancêtres, le
créateur de l'univers, naquit le fils d'Yama pour la chose
présente. 9,447.
» Tenant ses bras levés et doué d'une vive splendeur,
DRONA-PARVA. 425
semblable au soleil flamboyant, il se rendit au mont des
frimas, où il pratiqua une austère pénitence. 9,44S.
» Le Dieu aux yeux de lotus s'y dessécha lui-même, vi-
vant de l'air, pendant six milliers et autant de centaines
d'années. 9,449.
» Quand il eut enduré deux fois cette éminente morti-
fication, il en subit de nouveau une troisième, remplissant
de splendeur toute la cavité, qui s'étend de la terre au
ciel. 9,450.
') Après que cette pénitence l'eut identifié, mon fils,
avec l'Être absolu, il vit des yeux de son âme le créateur
de l'univers, la cause première, le seigneur du monde,
l'Invisible, le maître de tous les Dieux, le potentat par ex-
cellence, plus petit que ce qui est égal à un atome, et
plus vaste que les plus grandes choses ;
9,451—9,452.
» Roudra, Içâna, Rishabha, Hara, Çambhou, Kapardî,
la cause la plus efficace des êtres, qui pensent, des créa-
tures immobiles et des animaux, qui se meuvent ; 9,453.
» Prachétas au grand cœur, à la terrible colère, le ra-
visseur de tout, qu'il n'est pas facile de voir, qu'il est dif-
ficile d'arrêter, le héros à la vigueur infinie, armé d'une
cuirasse d'or, de deux carquois célestes et d'un arc divin ;
» Le Dieu à l'arc Pinâka, qui porte la foudre, une pique
enflammée, une hache, une massue, une immense épée,
un pilon ; qui tient à sa main un trident ou le bâton fatal,
l'Éclatant, le Revêtu de la dépouille d'un tigre, le coiffé
endjata; 9,454 — 9,455.
» L'Immortel aux éblouissantes pendeloques, accompa-
gné des plus éminents sacrifices, orné de toutes les quali-
tés, environné par les troupes des Bhoûtas, l'Unique en
426 LE MAHA-BHARATA.
pénitence, le Dieu, qui s'approche des vieillards, riches
de prières tt de sacrifices ; 9,656.
» L'Eau, la Plage, l'Air, la Terre, le Soleil et la Lune,
le Feu et la parole, le monde intelligible, la cause de
l'immortalité, le fils d'Yama, l'Être, qui tue les ennemis
des brahmes, celui, que ne peuvent voir les mortels à la
conduite vicieuse. 9,457.
» Il vit, grâce à sa dévotion, ce Devoir, à qui sont dus
les sacrifices et qui a la forme de l'univers ; qui brûle par
la pénitence, qui ne refuse point sa vue aux brahmes d'une
vie sainte, et que voient avec les yeux de l'âme les fortu-
nés mortels, quand ils ont étouffé le péché. 9,458.
» Aussitôt qu'il le vit de son corps, de son intelligence,
de son cœur, de sa voix même, le Vasoudévide s'en ré-
jouit d'une âme transportée. 9,459.
» Nârâyana de s'incliner en présence du Dieu, qui porte
une guirlande d'yeux, jetée autour de soi, le plus grand
trésor des astras et l'origine de toutes les choses, 9,460.
» Le magnanime et l'auguste donateur des grâces, ac-
compagné de Pârvatî dans sa vaste beauté, et qui se jouait,
environné de chœurs, escorté des troupes de Bhoûtas,
» Içâna, l'Indistinct, l'Impérissable, qui, sans naissance,
est l'âme de toutes les origines. L'Immortel aux yeux de
lotus, s'étant incliné aussitôt devant Roudra, Y ineffable
homicide d'Andhaka, célébra avec dévotion les louanges
de la Divinité aux yeux en nombre impair :
9,461—9,462—9,463.
« Dieu premier, Dieu, qui dois être le choix des mortels,
amoureux de la délivrance (1), les Pradjâpatis (2), qui
(i-2J Commentaire,
DRONA-PARVA. 427
jadis, entrés dans cette terre, ont conservé ton antique
création et sont devenus les gardiens de ce monde, ont
reçu de toi la naissance. 9,464.
» De toi sont nés encore, nous le savons, toutes les
troupes variées des êtres, lesYakshas, les Gandharvas,les
Garoudas, les hommes, les Piçâtchas, les Rakshasas, les
Nâgas, les Asouras, les Dieux et les Viçvadévas. 9,465.
» Les attributs d'Yama, d'Indra, du Dieu des richesses,
de Varouna, des Mânes, de Twashtri et de Soma t'appar-
tiennent ! Ta forme est la lumière; le son de ta voix, c'est
l'air, le vent est ton toucher, l'eau est ton goût et la terre
ton odeur. 9,466.
» Brahma, le temps, les brahmes, ce qui est mobile et
immobile est né de toi, cause divine! Ainsi que les gouttes
de la pluie viennent individuellement des mers (1), de
même elles y retournent une à une à la dissolution des
mondes. 9,467.
» Possédant cette connaissance, j'ai pensé que la nais-
sance et la mort des êtres sont identiques avec toi! Deux
âmes ont la racine dans le ciel, comme deux arbres aux
belles feuilles ; les paroles en sont les branches, et sept
figuiers religieux en sont les gardiens. 9,468.
» Dix autres organes, que tu as créés, conservent la
cité, qu'on ne peut vaincre, et il en est un autre au-dessus
de ces dix. Ce qui est, ce qui fut et ce qui sera tire de tol
sa naissance, avec tous ces mondes, qui circulent ici.
» Aime-toi, car je t'ai aimé et je t'aime en toi-même !
Ne me fais pas du mal, si j'ai conçu des sentiments, que
tu vois d'un œil ennemi. Il n'y a d'autre sagesse que la
(i) Commentaire.
428 LE MAHA-BHARATA.
conscience (1). Quiconque a cette science, il s'identifie à
la cause absolue sans partage (2). 9,469 — 9,470.
» Je t'ai loué, parce que j'ai voulu te rendre hommage
et que j'ai pensé, 6 le plus grand des Dieux, que tu méri-
tais un tel éloge (3). Célébré par moi, accorde les grâces
inaccessibles, que je désire, ô toi, qui as tiré du néant la
magie des êtres par ta supériorité. » 9,470 (4).
» A ces louanges du saint, le Dieu à l'âme inconcevable,
au cou d'azur, à l'arc Pinâka, accorda au Vasoudévide les
grâces, dont il était bien digne. 9,471.
« Par ma faveur, lui dit-il, Nâràyana, tu posséderas une
âme à la vigueur sans mesure parmi les hommes et parmi
ceux, qui ont reçu la naissance des Gandharvas et des
Dieux. 9,472.
» Ni les hommes, les Piçâtchas, les Rakshasas et les
grands Ouragas, ni les Gandharvas, les Asouras et les
Dieux mêmes ne pourront soutenir ton attaque. 9,473.
» Ni les Garoudas, les Nâgas, les tigres et les lions (5) ,
ni les Viçvadévas ou un Dieu quelconque ne pourra triom-
pher de toi dans le combat. 9,474.
» Ni par le trait ou la foudre, ni par le feu ou le vent,
ni par le sec ou l'humide, qu'il tremble ou qu'il soit
ferme, personne ne causera jamais, grâce à moi, tes sou-
cis ni tes alarmes ! Si même tu vas à la guerre, tu y seras
supérieur à moi ! 9,476 — 9,477.
» Sache que Vishnou jadis obtint ainsi mes grâces : ce
Dieu marcha dès-lors, fascinant le monde par sa magie.
(1-2) Commentaire.
(3) Idem.
(4) Faute de numération dans le texte de Calcutta.
(5) Viyonhljas, Commentaire. Ce distique est marqué 9,475 : nous allons
suivre cette erreur.
DRONA-PARVA. 429
» Sa pénitence fit naître un grand anachorète, sem-
blable à ce Dieu, nommé Nara : n'oublie jamais qu'il por-
tera le nom d'Arjouna. 9,478 — 9,479.
» Les livres enseignent que ces deux rishis sont les
premiers des anciens Dieux, et que chaque guerre les vit
naître pour se mêler aux affaires du monde. 9,480.
» Né terrible par l'œuvre de cette violente pénitence,
conçois promptement, saint anachorète, de la colère et de
l'énergie. 9,A81.
» Ton excellence, savante comme un Dieu, a connu que
le monde est tiré de la substance de Çiva ; et tu as mis
ton corps dans la maigreur (1) par des macérations, vou-
lant faire une chose, qui me fût agréable. 9,482.
» Tes mains ont façonné ici une brillante statue de
beurre clarifié (2), qui avait la forme d'un grand homme;
et tu m'as sacrifié, ô toi, qui donnes l'honneur, par des
prières, des oblations et des offrandes jetées dans le feu.»
» Ainsi honoré par lui (3) dans sa première existence,
l'Ineffable se réjouit, et lui accorda les dons éminents,
qu'il savait renfermés dans son (4) cœur. 9,483 — 9,484.
» La cérémonie de la nativité, la pénitence, les médita-
tions en l'Être absolu sont excellentes en ces deux héros
et dans toi : le Dieu est honoré dans chacune des guerres
par eux sous la forme du Linga et par toi dans son
image. 9,485.
» Kéçava est plein de dévotion en Roudra : il est né de
(1) Commentaire.
(2) Âtra havis, texte de Bombay.
(3-4) Tai.... tava, disent les deux textes; ce doitêlre une faute; en effet,
ce n'est pas à Nàràyana, que Vyâsa parle, mais au fils de Drooa.
430 LE MAHA-BHARATA.
Roudra; il honore l'auguste Linga, mais il sait queBhava
est la forme de tout. 9, A 86.
» C'est en lui que se font les abstractions sur l'âme ;
c'est en lui que se font les méditations sur l'Écriture: c'est
en lui que les grands Rishis, les Siddhas et les Dieux ont
offert leurs sacrifices. 9, 487.
» L'éminent Sthânou est dans ce monde l'unique objet
des désirs ; mais Krishna, l'auteur de toute chose, est ce-
lui-là seul, auquel on doit sacrifier ; il est même le sacrifice
éternel. 9,488.
» L'auguste Dieu, qui arbore l'enseigne du taureau, as-
sure une joie incomparable à quiconque honore le Linga,
sachant qu'il est l'origine de tous les êtres. » 9,489.
Aussitôt qu'il eut ouï ces paroles de Vyâsa, l'héroïque
fils de Drona fit son adoration à Roudra et mit Kéçava
dans une profonde estime. 9,490.
Le poil hérissé et l'âme soumise, il salua respectueuse-
ment le grand anachorète Vyâsa; et, quand il vit l'armée
devant lui, il fit conclure une suspension d'armes. 9,491.
Il fut, seigneur des hommes, le médiateur de l'armis-
tice entre les fils de Pândou et les Kourouides, au milieu
de qui la chute de Drona avait jeté la consternation.
Ce brahme, qui avait lu entièrement les Védas, quand
il eut soutenu le combat cinq jours durant, et anéanti une
armée, était passé dans le monde de Brahma.
9,492—9,493.
« Après que le Prishatide eut arraché la vie à l'héroï-
que Drona, s'enquit Dhritarâshtra, que firent ensuite les
miens et les Pândouides ? » 9,494.
Après que le rejeton de Prishat eut immolé cet héroïque
DRONA-PARVA. 431
Drona, répondit Sandjaya, Dhanandjaya, le fils de Kountî,
au milieu des Kourouides enfoncés, 9,495.
Ayant vu, immense prodige, qui lui apportait la vic-
toire ! Vyâsa, venu de lui-même, éminent Bharatide,
adressa à son compagnon cette demande : 9,496.
« J'ai tué des ennemis dans la guerre avec les multitu-
des de mes flèches reluisantes, et je vois devant moi venir
un homme, qui ressemble au feu ! 9,497.
» J'ai levé ma lance flamboyante, et, dans quelque plage,
qu'elle soit allée, mes ennemis, grand anachorète, ont été
brisés. 9,498.
» On pense que les ennemis rompus par elle ont tous
été rompus par moi ; armé d'elle, je vais sur les pas (1)
des armées enfoncées. 9,499.
» Dis-moi, Adorable, quel est ce mortel éminent, que je
vois, le trident à sa main, environné de splendeur et res-
semblant au soleil. 9,500.
» Il ne touche pas de ses pieds la terre ; il ne lance
pas son trident, et des milliers de tridents tombent devant
la splendeur de son trident ! » 9,501.
« Fils de Prithâ, lui dit Vyâsa, tu as vu Içâna-Çankara,
le donateur des grâces, le premier des Pradjâpatis, l'âme
auguste des splendeurs, le monde, la terre, l'atmosphère,
le Dieu éminent, souverain de l'univers entier. Va implo-
rer les secours de ce Dieu magnifique , le maître du
monde, 9,502—9,503.
» Mahadéva, le Magnanime, le Dominateur, Çiva aux
trois yeux, aux cheveux en gerbe, Roudra aux longs bras,
le Feu, le Revêtu d'un habit d'écorce, 9,504.
(1) Anuvradjâmi, texte de Bombay.
/i32 LE \JAHA-BHAR\TA.
» Le Grand-Dieu, Hara, Sthânou, celui, qui dispense
les grâces, le suzerain du monde, le chef du Cosmos, le
supérieur à tout, la joie de l'univers, l'empereur su-
prême, 9,505.
» La matrice du monde, l'île du monde, le Victorieux
et la voie , où circule ce monde, le créateur de tout, la
forme de tout, le favori de la renommée, 9,50b'.
» Le seigneur de tout, l'Homme de l'universalité et l'au-
guste souverain des œuvres, Çambhou, l'Etre-existant-par-
lui-même, le roi des créatures, l'origine de ce qui est, ce
qui fut ou ce qui doit être, 9,507.
» L'Yoga, le maître des yogas, Sarva, le souverain des
souverains de l'univers entier, ce qu'il y a de mieux en
tout, ce qu'il y a de mieux dans le monde, le bien par ex-
cellence, l'Être assis au plus haut des cieux, 9,508.
» Le créateur des trois mondes, l'Unique, le réceptacle
des trois mondes, l'Invincible, le protecteur du monde,
celui, à qui ne sont connus, ni la naissance, ni la vieil-
lesse, ni la mort, 9,509.
» L'âme de la science, le perceptible seulement à la
science, le trésor de la science, le très-difficile à discer-
ner, le dispensateur à ses fidèles des grâces, que sa bien-
veillance leur a préparées. 9,510.
» Ceux, qui composent la cour de cet être auguste, ont
des formes de différente espèce : ce sont des nains, des
hommes à la coiffure en gerbe, des chauves ; ceux-ci ont
le cou très-petit, ceux-là un énorme ventre. 9,511.
» Les uns ont un corps gigantesque, ils sont capables
de grands efforts; les autres ont de longues oreilles. Ils
ont des bouches horribles et sont revêtus d'habits, qui
inspirent le dégoût. 9,512.
DRONA-PARVA. 433
» Adoré par de tels êtres, Mahâdéva, l'irrésistible sei-
gneur, le resplendissant Çiva marche toujours devant toi
mon fils, accompagné de sa faveur, dans cette bataille
effrayante, qui fait se dresser le poil d'épouvante. Qui,
fils de Prithâ, si l'on excepte l'héroïque Dieu Mahéçwara
aux formes multiples, oserait affronter seulement de pen-
sée cette armée, défendue par Karna, le Dronide etKripa,
ces guerriers aux grands arcs ? 9,513 — 9,ôl/i — 9,515.
» Qui pourrait tenir le pied ferme devant ce Dieu placé
en face de lui? Il n'existe pas dans les trois mondes un
être, qu'on puisse dire son égal. 9,516.
» A l'odeur seule de sa colère dans le combat, les en-
nemis, déjà tués pour le plus grand nombre, hors d'eux-
mêmes, tremblent et tombent! 9,517.
» Les Dieux se tiennent dans le ciel, lui adressant l'a-
doration , et les hommes, qui ont fait la conquête du
Swarga, et les autres enfants de Manou, qui habitent ce
monde! 9,518.
a Ceux, qui adorent, Çiva, le Dieu généreux, Roudra,
l'époux d'Oumâ, obtiennent le bonheur dans ce monde et
passent dans la plus haute des voies. 9,519.
» Adresse ton adoration, fils de Kountî, à cet être tou-
jours paisible, à Roudra au cou bleu, doué d'une jeunesse
éternelle, environné de splendeur ; 9,520.
» A Kapardi aux longues dents saillantes, au distribu-
teur des grâces, au vertueux Çankara, les yeux dorés, les
cheveux teints avec la couleur de la nuit ; 9,521.
» A l'Amour aux yeux bruns, à Sthânou, à l'Homme,
au Dieu, qui porte des cheveux noirs, au Dieu, qui est
chauve, plus petit qu'un atome, entouré de lumière ;
» Au Soleil, au Dieu des Dieux, au Rapide, visité par de
ix 28
434 LE MAHA-BHARATA.
saints pèlerinages, à Sarva, doué de formes multiples, à
l'Aimable, revêtu d'habits charmants; 9,522 — 9,523.
» A Mîthousha (1), coiffé d'un turban, à la jolie bouche,
aux mille yeux, à l'hôte de la montagne, au Très-humble,
au maître, à celui, qui porte le vêtement d'anachorète ;
» Au seigneur terrible des plages, traîné dans un char
d'or. Adoration, sire, à celui, qui commande aux nuages,
au roi des créatures! 9,524— 9,525.
» Au maître des arbres, au maître des vaches, à celui,
de qui le corps fut caché par les arbres, au généralissime,
au Milieu, où tout vient aboutir, 9,526.
» Au Dieu, qui tient à sa main la cuiller du sacrifice, à
l'habile archer, au fils de Bhrigou, au^randTout, vêtu de
plusieurs formes, au seigneur, qui porte le cordon du
brahme, 9,527.
» A Xlmmortel, qui a mille têtes, mille yeux, mille
bras et mille pieds ! 9,528.
» Va, fils de Rountî, implorer le secours du dispensa-
teur des grâces, du maître, qui donne ses lois au monde,
de l'époux d'Oumâ, aux yeux en nombre impair, au des-
tructeur du sacrifice de Daksha, 9,529.
» Au souverain des créatures, à l'âme sans trouble, au
souverain des êtres, a l'Impérissable, à Kapardi, la cou-
ronne de la vertu, l'ombilic du mérite moral, au Dieu,
qui a pour enseigne le taureau, 9,530.
» Qui a l'orgueil du taureau, qui est le maître du tau-
neau, au front armé delà corne du taureau, qui est le
taureau du taureau, qui porte un taureau dans son sein,
taureau, qui a les yeux du taureau, 9,531.
(i) Un des noms du Soleil ou de Çiva.
DRÔNÀ-PARVA. /435
» Qui a pour son arme un taureau, qui a le taureau pour
sa flèche, qui s'est revêtu du corps d'un taureau, au sei-
gneur suzerain, qui possède un corps sans mesure, qui a
un grand ventre, et qui se couvre de la peau d'un tigre,
» Qui départ leurs dons aux mondes, qui est chauve,
qui est un brahme et l'ami des brahmes, de qui la main
balance une arme à trois pointes, qui est libéral en ses
présents, splendide et portant le bouclier et le cimeterre !
» Incline- toi devant le secourable Dieu à l'arc Pinâka,
qui donne ses lois aux maîtres des mondes , l'autocrate
des Dieux, qui tient le glaive et porte un valkala.
» Adresse ton adoration au souverain des Immortels, de
qui Kouvéra est l'ami! Adoration sans fin au Dieu, re-
vêtu d'un riche costume, lié par des vœux dignes et bran-
dissant un bel arc ! 9,532 — 7,533—9,534—9,535.
» Adoration au Dieu, qui porte l'arc, à l'archer, de qui
l'arc est aimable! Adoration à toi, instituteur de l'arc,
qui, dans la science de l'arc, en a pénétré les mystères !
» Adoration au plus grand des Asouras ! au Dieu, de
qui les armes sont terribles! Adoration à l'Être, doué de
formes multiples! Adoration à toi, puissant archer!
» Adoration soit rendue sans fin à Sthânou ! Adoration
à ce grand archer ! Adoration soit au meurtrier de Tri-
poura! Adoration à l'homicide de Bhaganétra?
» Adoration au maître des arbres et au souverain des
hommes ! Adoration au souverain des Mâlris et au seigneur
des Ganas! 9,536—9,537—9,533—9,539.
» Adoration sans cesse au maître des vaches et au maî-
tre des sacrifices ! Adoration sans relâche au maître des
eaux et à l'empereur des Dieux ! 9,540.
» Adoration au donateur des grâces, à Hara aux trois
/j3<3 LE MAHA-BHARATA.
yeux, au cou bleu, aux cheveux d'or, qui brisa les dents
du soleil! 9,541.
» Jeté raconterai, suivant ma science, selon ce qui me
fut dit à moi-même, les œuvres célestes, qu'accomplit ici
le sage Mahâdéva. 9,542.
» Ni les Rakshasas, les Gandharvas et même ceux, qui
sont plongés dans les cavernes du Pâtâla, ni les Asouras,
ni les Dieux ne prospèrent pas en bonheur dans le monde
sous le poids de son courroux (1). 9,543.
» Jadis, il frappa dans sa colère le sacrifice accompli de
Daksha, qui le célébrait, suivant les rites, et fut alors sans
pitié. Il envoya les flèches de son arc et poussa un cri
d'une voix éclatante.
» Les Dieux, qui ne savaient plus d'où viendrait la joie
pour eux, obtinrent la paix, grâce à lui, et Daksha de fuir
au plus vite dans le sacrifice devant la colère de Mahéçwara.
» Il remplit les mondes du bruit tonnant à la surface de
sa corde; et les Asouras et les Dieux tombèrent, soumis à
sa domination.
» Les eaux s'émurent, toute la terre fut ébranlée, les
montagnes se fendirent, et les éléphants de l'espace éthé-
rée se troublèrent eux-mêmes.
» Enveloppés en d'obscures ténèbres, les mondes avaient
cessé de paraître ; et la lumière de toutes les étoiles était
éteinte avec la clarté du soleil.
(1) Ici, notre édition de Calcutta rompt société avec nous ; car son relieur
oublie dans son assemblage de prendre la dernière feuille. Il nous faut
donc la demander au texte de Bombay, mais nous allons cesser de numé-
roter les distiques ; car cette édition rivale, qui écrit tous les mots les uns
après les autres, sans aucune séparation, ne compte point les çlokas, en
suivant toujours dans toute la longueur d'un chant ou parva, mais en re-
commençant de chapitre en chapitre ou de lecture en lecture quotidienne
l'ordre de la numération.
DRONA-PARVA. 437
» Glacés d'épouvante, les rishis, qui désiraient le bon-
heur de toutes les créatures et la félicité d'eux-mêmes, cé-
lébrèrent les cérémonies pour détourner le péril.
» Çankara fondit en riant sur le Soleil, qui mangeait le
beurre clarifié avec les gâteaux et fit voler partout ses dents
brisées.
» Ceux des Immortels, qui n'étaient point assis, sorti-
rent précipitamment du sacrifice; mais il encocha pour
les autres Dieux ses flèches aiguës, enflammées, remplies
d'étincelles et de fumée, semblables à des nuages envelop-
pés d'éclairs. A sa vue, tous les Souras de tomber au pied
du seigneur suzerain.
>> Les Tiïdaças accordèrent à Roudra une portion très-
éminente dans les sacrifices ; et par crainte, majesté, ils
se mirent sous sa protection.
» Il empêcha alors dans son ardente colère le sacrifice
commencé; et les Dieux rompus étaient frappés de terreur
en face de lui-même.
» Les vigoureux Asouras possédaient trois villes dans le
ciel : une de fer, une d'argent, une grande cité toute d'or.
Le Génie Yeux-de-lôtus était le roi de la ville d'or ; Yeux-
d'étoiles, celui de la cité d'argent; mais leur troisième
ville, celle de fer, avait un roi nommé Guirlande-d'éclairs.
» Maghavan, employant toutes ses armes, ne futpas ca-
pable de les entamer; et tous les Dieux vexés s'en vinrent
implorer l'assistance de Roudra.
» Conduits par Indra, tous les Dieux tinrent ce langage
au magnanime : « Une grâce, que Brahma leur adonnée,
rend formidables ces habitants de Tripoura.
» Aussi, orgueilleux de cette faveur, oppressent-ils avec
tyrannie ce inonde; nul autre que toi, maître du Dieu des
Dieux, ne peut d'aucune manière tuer les Daîtyas. Ini-
438 LE MAHA-BHARATA.
mole donc, Mahâcléva, ces ennemis des Dieux. Les bes-
tiaux seront, dans toutes ses œuvres, contraires à Roudra.
» Mais tu feras mordre la poussière, souverain du monde,
à tous ces Asouras. » A ce langage d'eux : « Qu'il en soit
ainsi! » répondit-il aux Dieux avec l'amour de leur bien.
» Hara choisit alors, comme ses petits (1) drapeaux, le
Gandhamâdana et le Vindhya ; Çankara fit son char de
la terre avec son océan et ses forêts.
» L'Immortel aux trois yeux prit l' Indra des Nâgas,
nommé Çésha, en guise d'essieu : le Dieu des Dieux, armé
de l'arc Pinâka ajusta pour ses roues le soleil et la lune.
» Tryambaka fit servir de clavettes à son timon les deux
serpents Feuille-de-Cardamome et Dents-de-fleurs : il
adopta le mont Malaya pour colonne triomphale et em-
ploya comme traits Y immense reptile Takshaka.
» L'auguste Çarva mit les corps des animaux pour liens
du joug; et Mahéçwara d'atteler à la place des quatre
chevaux les quatre Védas.
Le Souverain des trois mondes attacha pour les quatre
mors les quatre Védas inférieurs ; et le grand seigneur prit
laGâyatri et laSàvitrî pour ses rênes.
» Il fit de la sainte syllabe Aum son aiguillon et nomma
le Dieu Brahnia pour son cocher. Le Mandara devint son
arc et Vasouki fut sa corde.
» Yishnou fut choisi pour la plus puissante de ses flèches;
Agni, comme sa javeline; il adapta le Vent et le Trépas,
fils de Vivasvat, aux deux ailes, dans la partie empennée
de son dard.
De l'éclair, il fit son fer et, du Mérou, son drapeau.
Çiva, le melleur des combattants, Sthânou de monter dans
(i) Commentaire.
DRONA-PARVA: 439
ce char céleste, composé de tous les Dieux, pour la ruine
de Tripoura. Accompagné de la fortune et doué d'un cou-
rage incomparable, ce Dieu, la mort des Asouras,
» Comblé de louanges par les Immortels, les grands
rishis et les anachorètes, riches de pénitence, l'auguste
adopta, fils de Prithâ, pour son ordre de bataille incom-
parable et divin, la méditation en Mahéçwara.
» Il se tint au milieu des airs, immobile comme une co-
lonne, durant mille années, et brisa dans ce siège, de sa
javeline à trois pointes, aux trois nœuds, ces trois villes
rassemblées en armes devant lui! Il était impossible aux
Dânavas ainsi qu'aux cités d'arrêter leurs yeux sur le
puissant Immortel.
Parvatî de tourner un regard sur lui, tandis qu'il in-
cendiait les villes, et tenait à sa main la flèche, jointe au
feu et à la mort, associée au soleil et à la lune.
» Ensuite Oumâ prit dans son sein un enfant à cinq
flammes et, désirantle connaître, elles'enquit auprès des
Dieux : « Quel est cet enfant? »
» Il estnédeÇakra, dirent-ils, au moment qu'il voulait
combattre avec sa foudre. Est-ce que l'Auguste craint ce
nourrisson du Dieu irrité, cet enfant, qui se tient assis, le
bras armé du tonnerre? »
» Soudain l'éminent et bienheureux seigneur de l'uni-
vers entier se mit à sourire, et Çakra vit son bras paralysé
au milieu des chœurs de Souras, qui l'environnaient.
. » Il se rendirent hâtivement vers l'excellent, vers l'im-
périssable Brahma. Inclinant la tête et portant au front
les mains jointes, les Dieux lui dirent :
« Quel est cet enfant, Brahma, que Dourgâ tient dans
son anka ? Nous n'avons pas encore vu cette mer-
âAO LE MAHA-BHARATA.
veille, qui est revêtue des formes d'un enfant !
» Nous désirons te présenter une question sur cet en-
fant, nous et Pourandara, qu'il a vaincu sans combattre
et comme en se jouant. »
» Dès qu'il eut ouï ces paroles des Dieux, le vénérable
Brahma, le plus excellent des êtres, qui savent les Védas,
après un moment de réflexion, trouva que cet enfant à la
splendeur infinie pouvait être Çambhou.
» Et l'adorable Brahma dit à Çakra et aux autres plus
grands Dieux : « C'est le bienheureux Hara, le seigneur
du monde avec les êtres immobiles et mobiles.
» 11 n'est rien nulle part de plus grand que ce Mahéçwara
à la lumière sans mesure, que vous avez pu voir, accom-
pagné d'Oumâ.
» Çarva s'est donné à cause de Parvatî les formes d'un
enfant. Venez donc auprès de lui avec moi!
» Ce vénérable Dieu est l'auguste maître de l'univers
entier ! » Ainsi, les Dieux n'avaient pas reconnu d'abord
qu'il était le seigneur du monde.
Ils allèrent avec tous les Pradjâpatis vers cet enfant,
qui avait une splendeur égale au soleil adolescent. Ensuite
Brahma dit à la vue de Mahéçwara :
« Voici le prééminent ! » Et l'ayant reconnu, il s'inclina
devant lui : « Tu es, fit-il, le sacrifice du monde ! Tu es la
voie ! Tu es le point culminant des désirs!
» Tu es l'origine, tu es le Grand-Dieu ! Tu es la région
la plus élevée de la lumière ! Tu remplis ce monde entier
avec ses créatures immobiles et mobiles !
» Adorable maître de ce qui fut et de ce qui doit être,
protecteur du monde, souverain du Cosmos, accorde ta
bienveillance à Çakra, qui est tourmenté par ta colère! »
DRONA-PARVA. Mil
» A peine eut-il entendu ces paroles du Dieu, qui reçut
la naissance dans un lotus, Mahéçwara joyeux de tourner
son visage avec bienveillance et d'éclater en un violent
rire.
» Les Souras à leur tour adorèrent Oumâ et Roudra.
Puis, le bras du roicéleate, qui porte la foudre, revint à
son état naturel.
» Le destructeur du sacrifice de Daksha, le plus grand
des Tridaças et des Dieux, l'Immortel à. l'enseigne du tau-
reau lui accorda sa bienveillance et Oumâ sa faveur.
» Il est Roudra, il est Çiva, il est Agni, il est Sarva,
qui sait tout, il est Indra, il est le vent même; il est, et
les Açwins, et les éclairs. Il est l'origine, il est Pardjanya,
il est l'éternel Grand-Dieu ; il est la lune, il est Içâna, il
est le soleil et Varouna lui -même.
» Il est le temps, Yama, le trépas, la mort ; il est le
jour et la nuit ; il est le mois, le demi-mois, les saisons,
l'aurore et le crépuscule, l'année.
» Il est Dhatri et Vidhatri, l'âme de l'univers, l'agent
de toutes les actions ; et, quoique sans corps, il porte le
corps de tous les Dieux.
» Cette grande Divinité est louée par tous les Dieux
une fois et plusieurs fois, par centaines et par milliers de
fois; plus encore, par centaines de milliers de fois.
» Les brahmes, à qui les Védas sont connus, n'ignorent
point que deux corps appartiennent à ce Dieu; mainte fois,
il a un corps enrayant; ensuite, il en a un autre aimable.
» Il est la nuit de l'Yâtoudhâna; il est Agni, il est
Vishnou, il est celui, qui fait le jour, il est encore les
Saâumyas (1), il est les eaux, les étoiles et la lune.
(1) Cinq étoiles dans la tête d'Orion.
442 LE MAHA-BHARATA.
» Il est le Véda, les Angas, les Oupanishads, les Pou-
rânas, l'âme, la détermination ; le Dieu Mahéçwara est
ici-bas, certes ! ce qui est le plus grand des mystères.
» Tel est et plus encore ce Grand-Dieu adorable et sans
naissance. Il est impossible que j'énonce toutes les quali-
tés du vénérable, dussé-je parler même continuellement,
fils de Pândou, durant un millier d'années. Il délivre ceux,
qui sont tombés aux liens de toutes les furies; il purifie
ceux, qui portent les souillures de tous les péchés; secou-
rable et bien satisfait, il sauve ceux, qui se mettent sous
sa protection. Il donne aux enfants de Manou la vie, la
santé, la puissance, la richesse, les excellents objets de
tous leurs désirs ; puis, sa main les renverse à terre. Les
Tridaças et les autres Dieux avec Indra confessent que
son empire est suprême.
» Il intervient même dans toutes les affaires, soit bon-
nes, soit mauvaises, des hommes ; il est appelé souverain,
parce que sa domination s'étend sur tous les objets, où
se portent les désirs.
» Mahéçwara est le maître suprême des grands élé-
ments ; nombre de fois (1) , il a rempli le monde entier de
ses formes nombreuses (2).
» La bouche de ce Dieu habite dans la mer ; et, buvant
le havis, composé d'eau, il est nommé la bouche de la
cavale ou du feu sous-marin.
» Ce Dieu fait dans les cimetières eux-mêmes sa de-
meure continuelle : ses adorateurs se rendent propice ce
Dieu nommé lçvara ici, dans Us cimetières de Bénarès (3),
le séjour des mortels héroïques, qui exercent l'empire sur
les passions (4).
(1-2) Bahoubhis bahoudhù.
(3-4) Commentaire.
DRONA-PARVA. hhï
» Ses formes sont nombreuses, épouvantables, enflam-
mées; et les hommes confessent les formes de ce Dieu,
qui sont honorées dans l'univers.
» Il reçoit, comme il sied, un grand nombre de noms au
milieu du monde : ils lui sont assortis d'après la grandeur
et la souveraineté de son œuvre.
» Cent hymnes sublimes à Roudra sont tous renfermés
dans le Véda : l'immortalité est dans ce nom de Roudra ;
par lui, certes ! on obtient ce magnanime.
» Ce Dieu tout-puissant accomplit les vœux, qui sont
conçus par les cœurs des Dieux et par ceux des mortels :
ce Dieu auguste, éternel, remplit de sa présence le grand
Tout.
» Les brahmes et les anachorètes le célèbrent comme
l'aîné des vivants; c'est en effet le premier des Dieux, et
le feu lui-même est sorti de sa bouche.
Il est commémoré sous le nom de Paçoupati, parce
qu'il est de toute manière le soutien des êtres vivants, qu'il
fait d'eux son plaisir et sa joie, qu'il est leur maître
suzerain.
» Comme son Linga divin magnifie les mondes en con-
servant la chasteté, il est appelé encore Mahéçvvara.
» Les rishis, les Dieux, les Gandharvas et les Apsaras
mêmes ont honoré son Linga mis en érection.
» Çankara se réjouit de cet hommage, et son âme sa-
tisfaite est pleine de joie et de bonheur.
» Parce que sa forme multiple embrasse avec les êtres
animés et immobiles ce qui fut, ce qui est, ce qui sera,
de-là il est nommé le Multiforme.
» A cause qu'il se tient tout flamboyant de lumière avec
un seul œil ou même qu'il est fait d'yeux partout; à cause
khh LE MAHA-BHARATA.
qu'il est entré de colère dans les mondes, il est commé-
moré sous le nom de Sarva.
» Parce que la couleur de la fumée enveloppe sa forme,
il est appelé Dhourjati (1) ; et, comme les Dieux de l'uni-
vers sont en lui, de-là vient son nom de Viçvaroupa (2).
» Considéré sous l'amour, qu'il porte aux trois hautes
Déesses, les eaux, la terre et le ciel, le souverain du monde
est célèbre sous l'appellation de Tryambaka.
» Comme il va sans cesse , de toute manière et dans
toutes les choses, au-devant des hommes, dont il désire
le bonheur (3), il est commémoré sous le nom de Çiva.
» Parce qu'il a mille yeux, qu'il est doué partout d'yeux,
ou même qu'il est fait d'yeux, et qu'il soutient le grand
Tout, de-là vient son nom du Mahâdéva, le Grand-
Dieu.
» A cause qu'il est le grand ancêtre, qu'il est l'origine
du souffle de l'existence, qu'il est le Linga érigé dans le
monde, il est nommé Sthânou dans le souvenir.
» Ces clartés du soleil, de la lune et du feu (h), qui
brillent dans le monde, ces splendeurs, qui sont nommées
les rayons de ses trois yeux, l'ont fait appeler le Dieu, qui
a le ciel pour sa chevelure.
» Comme tout ce monde sans réserve a été, est et doit
être, de-là il fut dit Bhava, étant l'origine même de ce qui
fut, de ce qui est et de ce qui sera.
» Le singe est le plus grand ! a-t-il été dit, et le devoir
(1) C'est contraire aux racines du mot ; il veut dire proprement : qui
porte le fardeau des trois mondes.
(2) Qui a la forme de tout.
(3) Çiva.
(i) Sous-entendu, suivant le commentaire.
DR0NA-PA1WA. Ixkh
est nommé le taureau : voilà d'où l'adorable Dieu des
Dieux fut appelé Vrishâkapi (t).
» Commémoration est faite de lui sous le nom de Hara,
parce qu'il a vaincu et enlevé (2) Brahma, Indra, Varouna,
Yama et le Dieu, maître des richesses.
» A cause qu'il s'est créé au milieu du front un troi-
sième œil par sa puissance et pour suppléer au défaut de
ses deux yeux fermés, le Dieu Mahéçvvara est appelé pour
cette raison Trayaksha (3).
» Il se tient ici-bas inégalement et d'une manière égale
dans les corps des êtres animés, comme le vent de la res-
piration et des voies inférieures dans le corps des bons et
des méchants.
» Que l'adorateur de son idole ne cesse pas d'honorer
le corps et le Linga de ce magnanime, il obtiendra une
grande félicité !
» A partir de ses cuisses, dont jouissent les Vaçîyas et
doivent jouir les Coudras (h) , son corps favorable est moi-
tié feu et moitié lune, On dit que le feu et la lune compo-
sent chacun une moitié de lui-même.
» Son corps splendide, grand, enflammé est l'heureux
partage des Dieux ; son corps lumineux est pour les choses
humaines; on dit que le feu simple est terrible.
» Son corps propice est celui, avec lequel Mahéçwara
observe la continence ; mais sa forme la plus horrible est
celle, dont il se revêt, pour dévorer tous les êtres.
» Parce qu'il est rempli de majesté, qu'il est terrible,
(1) Le taureau et le singe.
(2) Haratai.
(3) Trinoculus.
(4) Commentaire.
Uliô LE MAHA-BHARATA.
qu'il est violent, qu'il consume, qu'il boit le sang et qu'il
se repaît de la chair et du sang, de -là vient son nom de
Roudra.
» Tel est ce Dieu Mahâ-Déva, Prithide, qui marche de-
vant tes pas : tu ne l'as point vu dans le combat, où il
abattait les ennemis sous les coups de son arc Pinâka,
» Cette bataille, que tu avais promise, irréprochable
altesse, pour la mort du roi de Sindhou ! Mais Krishna
te le fit voir dans un songe sur la cîme du roi des mon-
tagnes.
» Cet adorable Dieu, il marche devant toi dans le com-
bat; lui, par qui te furent accordés les astras, grâce aux-
quels tu fis mordre la poussière aux Dânavas I
» Je t'ai raconté, fils de Prithâ, cette pieuse nomencla-
ture de Roudra, le Dieu des Dieux, qui donne la richesse,
la renommée, une longue vie, qui est sainte, qui est sem-
blable aux Védas, qui accomplit toute chose, qui est pure,
qui efface toutes les souillures du péché, qui détruit cha-
cune des fautes et ravit la crainte de toutes les douleurs.
» L'homme, qui prête sans cesse l'oreille à cet éloge,
divisé en quatre espèces, victorieux de tous ses ennemis,
est exalté dans le monde de Roudra.
» Quiconque parmi les hommes est toujours levé pour
lire ou écouter cette centurie guerrière, à jamais conser-
vée dans la mémoire, d'actions exécutées par le magna-
nime Roudra, ce mortel, dévot au Dieu souverain de l'uni-
vers, obtient toujours l'accomplissement de ses désirs les
plus chers dans la faveur de Tryambaka.
» Val Combats, fils de Kountî! La défaite n'est point à
craindre pour toi, qui as Djanârddana, placé à tes côtés,
pour conseiller et comme protecteur. »
DRONA-PARVA. klxl
Alors qu'il eut parlé ainsi à Phâlgouna, le fils de Parâ-
çara s'en alla, comme il était venu, dompteur des enne-
mis, vers l'aîné des Bharatides.
Après qu'il eut soutenu durant cinq jours un combat
épouvantable, le brahme à la grande vigueur fut tué et
obtint le monde de Rrahma.
La vaste renommée des intrépides kshatryas est jointe
au chapitre bien lu de ce Véda, comme sarécompense.
Quiconque lit sans cesse ou écoute cette lecture est dé-
lié de toutes ses fautes et des actions horribles, qu'il a
commises.
Toujours ici-bas, le brahme obtient le mérite du sacri-
fice et les kshatryas la gloire d'un grand nom. Ces deux
classes entre les quatre castes reçoivent ce que leur âme
a désiré : des fils, des petits-enfants, et toujours les objets
de leur vœu les plus chers !
FIN DU CHANT DE DRONA.
KARNA-PARVÀ
IX 29
KARNA-PARVA
LE CHANT DE KARNA
Honorez d'abord Nârâyana, et Nara, le plus excellent
des hommes, et la Déesse Sarasvatî ; ensuite, récitez ce
poème, qui donne la victoire !
Après que Drona fut tombé mort, sire, dit Vaîçampâyana,
les rois, conduits par Douryodhana, coururent, l'âme
consternée, vers le fils du Bharadvvâdjide. 1.
Pleurant Drona, tourmentés par le chagrin et frappés
dans leur vigueur par le découragement, ils s'assirent en
cercle au-dessous du fils de la Çaradvatî?2.
Un moment après et quand des raisons, assorties aux
Traités de morale, eurent remis ces maîtres de la terre
dans leur assiette ordinaire, ils retournèrent dans leurs
palais à l'arrivée de la nuit. 3.
Mais, pensant à leur perte douloureuse, plongés dans
la peine et le chagrin, ces monarques n'arrivaient pas
452 LE MAHA-BHARATA.
dans leur habitation même à retrouver la joie, qu'ils
avaient perdue ; h.
Surtout le fils du cocher, le roi Douryodhana, Douççâ-
sana et Çakouni, le vigoureux fils de Soubala. 5.
Ils habitèrent cette nuit dans la maison de Douryodhana,
songeant aux vexations des magnanimes Pândouides. 6.
Se rappelant que ces princes avaient été maltraités au
jeu, et Krishna traînée dans l'assemblée, ils en éprou-
vaient du regret et leur âme en était profondément trou-
blée. 7.
Au milieu des pensées de ces persécutions, conséquen-
ces du jeu, la nuit s'écoula avec peine, sire, et pareille à
cent années. 8.
Aux clartés pures de l'aube, ils se levèrent, obéissant à
l'ordre du Destin, et tous d'accomplir les cérémonies obli-
gatoires de la manière enseignée par le rituel. 9.
Quand ils eurent vaqué à ces soins indispensables, fils
de Bharata, et repris courage, ils commandèrent un ras-
semblement et sortirent pour la bataille. 10.
Ils nomment Karna généralissime de l'armée et, dès
qu'ils eurent fait pour cette élection les cérémonies de bon
augure, auxquels est attachée la prospérité, ils honorent
les principaux des brahmes avec des présents de grains
frits, du beurre clarifié et des vases de lait caillé, des
nishkas, des vaches, de l'or et des vêtements du plus
haut prix; et les ménestrels, les bardes et les poètes sa-
luent ce nouveau chef avec des vœux de victoire. 11 — 12.
Les Pândouides eux-mêmes, ayant vaqué aux cérémo-
nies du matin, sortent précipitamment de leur camp, la
résolution arrêtée pour le combat. 13.
Ensuite s'éleva la bataille confuse, épouvantable, des
1URNA-PARVA. 653
Rourouideset des fils de Pândou, qui brûlaient mutuelle-
ment de remporter la victoire, lk.
Deux jours entiers, sire, dura, sous le commandement
de Karna, le généralissime, ce combat des deux armées de
Kourou et de Pândou : ce fut un spectacle merveilleux !
Après lesquels Karna, qui avait exécuté un immense
carnage des ennemis, tomba sous les coups de Phâlgouna,
à la vue des Dhritarâshtrides. 15—16.
Puis, étant allé rapidement dans la ville des éléphants,
Sandjaya de raconter à Dhritarâshtra tout ce qui s'était
passé clans le Kouroudjàngala. 17.
« Lorsqu'il eut appris la mort du fils de la rivière avec
celle de l'héroïque Drona, interrompit Djanamédjaya, le
vieux roi, fils d'Ambikâ, est tombé dans la plus profonde
douleur. 18.
» Mais, quand il sut que Karna lui-même n'était plus,
lui, de qui le bien-être de Douryodhana formait tous les
désirs, comment put-il, ô le meilleur des brahmes, sup-
porter la vie dans son affliction? 19.
» Après que fut tombé ce héros, dans lequel ce prince
regardait comme attachée la victoire de ses fils, comment
ce rejeton de Kourou put-il encore supporter de vivre ?
» Il est bien difficile de mourir, suivant moi, aux hom-
mes, qui vivent dans la souffrance, puisque ce monarque
n'abandonna point la vie, à la nouvelle de la mort du fils
décocher. 20—21.
» Comme il ne délaissa point la vie en apprenant que
le vieux Çàntanouide et Vâhlîka même, Drona, le Soma-
dattide, Bhoûriçravas et d'autres ses amis, ses fils et pe-
tits-fils avaient succombé, je pense alors, brahnie, qu'il
n'est pas facile de renoncer à l'existence. 22 — 23.
hbh LE MAHA-BHARATA.
» Raconte-moi tout cela en détail, grand anachorète ;
je ne me rassasie pas d'entendre les hautes actions de tous
ces héros. » 24.
Après la mort de Karna, le Gavalganide consterné, lui
répondit Vaîçampâyana, se rendit la nuit, avec ses che-
vaux, rapides comme le vent, dans la cité, qui tire son
nom des éléphants. 25.
Arrivé dans cette ville, l'âme profondément troublée,
il porta ses pas vers la demeure de Dhritarâshtra, qui
avait sa famille dévastée. 2(5.
Aussitôt qu'il vit ce roi, de qui le découragement avait
frappé la vigueur, il inclina, joignant ses mains au front,
sa tête aux pieds de cet auguste monarque. 27.
Dès qu'il eut rendu son hommage, suivant la conve-
nance, à Dhritarâshtra, le souverain de la terre, il s'écria :
« Oh ! malheur ! » et prit aussitôt la parole : 28.
« Je suis Sandjaya, roi de la terre ! Comment ta ma-
jesté est-elle assise tranquillement, et ne perd-elle point
la tête, quand tes fautes ont attiré sur toi l'infortune ? 29.
» Est-ce que tu n'entres pas dans le trouble de l'es-
prit, si tu te rappelles ces bonnes paroles, que tu n'as
pas voulu recevoir, sorties des bouches de Vidoura, de
Drona, du fils de la rivière et de Kéçava? 30.
» Est-ce que tu n'entres pas dans le trouble de l'esprit,
lorsque ces utiles paroles, que Râma, Nârada, Kanva et
les autres saints ont prononcées sur le sol de l'assemblée,
et que tu n'as point acceptées, seprésententà ta mémoire?
» Est-ce que tu n'entres pas dans le trouble de l'esprit,
au souvenir des bons amis, dévoués à ton bien, à com-
mencer par Bhîshina et Drona, que les ennemis ont tués
dans le combat ? » 31— 32.
KARNA-PARVA. 455
Le roi, plongé dans l'affliction, ayant gémi bien long-
temps, répondit en ces termes au fils du cocher, qui par-
lait ainsi et se tenait devant lui, ses mains jointes : 33.
« Cette mort du vaillant fils de la rivière aux astras
célestes, Sandjaya, et du brahme au grand arc, jette un
trouble profond dans mon âme. 3/i.
» Ce guerrier impétueux, qui, tous les jours, immolait
au fils d'Indra dix milliers de ses héros, couverts de la
cuirasse, 35.
» Mon âme est toute émue à la nouvelle qu'il est
tombé ici sous les coups du fils d'Yajnaséna, tué par ce
Çikhandî, que défendaient les Pàndouides ! 36.
» Lui, à qui le rejeton de Bhrigou avait donné un astra
supérieur dans un grand combat; lui, à qui, dans son
enfance, Râma en personne avait accordé la science de
l'arc! 37.
» Mon âme est profondément troublée à la nouvelle
que Dhrishtadyoumna a frappé dans la bataille le brave
Drona, qui avait donné sa foi à la vérité et par la grâce
de qui les Kountides, ces vaillants fils de roi, et d'autres
monarques de la terre, sont parvenus à un éminent hé-
roïsme. 38—39.
» Mon âme est émue à la nouvelle que Drona et
Bhîshma ont succombé, ces deux braves, qui ne voyaient
pas dans le monde un homme leur égal pour l'astra en
ses quatre divisions. 40.
» Qu'est-ce que firent les miens, après qu'ils eurent
appris la mort de Drona, pour lequel il n'existait pas
dans les trois mondes un homme égal en science des
astras? Al.
» Que firent les miens au milieu des troupes en fuite,
450 LE MAHA-BHARATA.
quand le magnanime Pândouide, de qui le courage avait
envoyé dans le séjour d'Yama l'armée des conjurés, Dha-
nandjaya eut paralysé l'astra Nârâyanain du sage fils de
Drona? 42— 43.
» Après que Drona fut tombé, ils se dispersèrent, je
pense, abîmés, engloutis dans un océan de chagrins,
comme des navires submergés dans la mer. 44.
» Au milieu de ces armées en déroute, quelle était,
Sandjaya, la couleur du visage de Douryodhana, de
Rarna, de Bhodja-Kritavarman, de Çalya, le roi de
Madra, d'Açwatthâman, de Kripa, de Çésha, mon fils, ei
des autres? 45 — 46.
» Raconte-moi tout cela, fils de Gavalgani, suivant que
la chose est arrivée; dis-moi quelle fut la valeur des
Pândouides et des miens ? » 47.
En apprenant ce que ta faute, vénérable roi, a fait
tomber sur les Kourouides, lui répondit Sandjaya, ne te
livre pas au trouble : un sage n'est pas ému de l'œuvre
du Destin. 48.
Qu'une chose soit donc pour être ou non, relativement
à un homme, le sage, quel qu'il soit, n'est jamais trou-
blé, s'il l'obtient ou ne l'obtient pas. 49.
« Il n'existe pas en moi, reprit Dhritarâshtra , un
trouble bien grand, Sandjaya ; je pense que c'est une
œuvre que le Destin jadis a préparée. Raconte donc, sui-
vant mon désir. » 50.
Aussitôt que Drona au grand arc eut succombé, repartit
Sandjaya, le visage de tes héroïques fils n'exprima plus
la résolution ; ils furent abattus, l'âme éteinte. 51.
Tous les archers eux-mêmes, baissant la tête, souve-
rain des hommes, se regardaient les uns les autres, tour-
RARNA-PARVi. 457
mentes par le chagrin, sans dire un $fa\ mot. 52.
Tes armées, ayant vu ces héros avec des formes trou-
blées, fils de Bharata, fixaient maintes fois, tremblants de
crainte, les regards de leurs yeux sur le ciel. 53.
A la vue de Drona étendu mort sur le champ de ba-
taille, Indra des rois, les traits, humides de sang, échap-
paient de tous les côtés a leurs doigts. h!x.
Semblables à des constellations dans les cieux, on
voyait tomber, grand roi, ces bataillons sans .blessure.
Dès qu'il vit ton armée immobile d effroi, comme un
corps d'où l'âme est exhalée, le roi Douryodhana de parler
en ces termes : 55 — 56.
« Me confiant à la vigueur des bras de vos seigneuries
dans une bataille, j'ai provoqué les fils de Pândou, et ce
combat fut livré. 57.
» Mais on vit cette armée comme accablée du coup,
qui a frappé Drona ; les guerriers tombent de tous les
côtés, les armes à la main (1) , dans le combat. 58.
» Ou la victoire ou la mort ! que telle soit la devise du
guerrier dans la bataille! Qu'y a-t-il là d'étonnant?
Combattez, attentifs de toutes parts. 59.
» Contemplez ce magnanime Rarna au grand arc, ce
vigoureux fils du Soleil, qui s'avance dans le combat avec
ses astras divins ; 60.
» Lui, devant la peur duquel Dhanandjaya, ce lâche
fils de Rounti, s'enfuit toujours dans la bataille, comme
une vile gazelle aux approches d'un lion ! 61.
» Lui, qui, dans un combat purement humain, réduisit
à cette condition même Bhîoiaséna à la grande force, qui
(i) Youdhyamnnûs.
458 LE MAHA-BHARATA.
est doué d'un souffle de vie égal à celui d'une myriade de
serpents ! 62.
» Lui, par qui l'héroïque magicien Ghatotkatcha ,
versé dans les astras divins, fut tué d'une lance infail-
lible, malgré ses cris épouvantables. 63.
» Vous verrez dans la bataille aujourd'hui la force im-
périssable des bras de ce héros, sage, véridique, à la
vaillance irrésistible. 6h.
» Que les fils de Pândou contemplent la valeur de
l'Adhirathide et du fils de Drona, héroïque couple, sem-
blable à celle de Vishnou et d'Indra. 65.
» Vous êtes tous, pris un à un, capables de vaincre en
bataille les enfants de Pândou avec leurs armées ; com-
bien plus, quand vous êtes réunis. 66.
» Pleins de courage et consommés dans les armes,
vous allez montrer aujourd'hui quelle est la vaillance les
uns des autres. » 67.
Quand il eut dit ces mots, ton fils à la grande vigueur,
accompagné de ses frères, monarque sans péché, choisit
Karna pour général des armées. 68.
Après qu'il eut obtenu le généralissimat , l'héroïque
Karna de proclamer son cri de guerre à haute voix ; et il
combattit, ivre de combats. 69.
Il accomplit un grand carnage, vénérable monarque,
de tous les Vidéhains, des Kaîkayains, des Srindjayas et
des Pântchâlains. 70.
Les pointes de ses flèches, attachées par l'autre bout
à de riches empennures, se manifestèrent à centaines
hors de son arc, comme des files de grandes abeilles
noires. 71.
Quand il eut accablé les Pântchâlains et les Pândouides
KARNA-PARVA. A59
impétueux ; quand il eut immolé des combattants par
milliers, il tomba sous un coup d'Arjouna. 72.
Lorsqu'il eut dit ces mots, grand roi, ajouta Vaîçam-
pâyana, le fils d'Ambikâ, Dhritarâshtra, ne voyant pas de
terme à son chagrin, pensa que Douryodhana était aussi
frappé de mort. 73.
Il tomba plein de trouble, la pensée éteinte, comme un
éléphant, sur la terre. A cette chute du plus grand des
rois, llx.
Ses femmes poussèrent, éminent Bharatide, les plus
hauts cris de détresse ; et le son en remplit entièrement la
terre de tous les côtés. 75.
Plongées dans un océan de chagrins très-épouvantable,
les concubines du Bharatide, tourmentées par la douleur,
pleuraient, l'âme abandonnée dans une profonde émotion.
Alors s'étant avancée vers le roi, Gândhârî tomba sans
connaissance elle-même sur la terre, avec toutes les
femmes. 76 — 77,
Sandjaya fit reprendre la connaissance à ces infortu-
nées, malades de chagrin, sire, délirantes, versant mainte
et mainte fois l'eau, qui naît dans les yeux. 78.
Ces femmes, rappelées au sentiment, étaient trem-
blantes à chaque instant, de tous les côtés, comme des
bananiers agités par le vent. 79.
Vidoura alors s'approcha du roi Kourouide, ce mo-
narque, éclairé par l'œil de la science, et l'arrosa d'eau.
Dès que ce prince eut recouvré avec lenteur sa connais-
sance, il vit, Indra des rois, ses épouses rangées autour
de lui en silence, comme privées de raison. 80 — 81.
Il rêva un long temps, soupira mainte et mainte fois,
censura beaucoup ses fils et pensa aux Pândouides. 82.
460 LEMAHA-BHARATA.
Il blâma l'esprit funeste de Çakouni le Soubalide, et se
blâma soi-même ; il songea bien long-temps, tremblant
à chaque instant. 83.
Quand il eut ramené son âme à l'immobilité, ce roi,
doué naturellement de fermeté, interrogea de nouveau
son cocher, le fils de Gavalgani : 8Zi.
« J'ai entendu, Sandjaya, la parole, qui fut dite par
toi, est-ce que Douryodhana, cocher, n'est pas descendu
au séjour d' Yama ? 85.
» Mon fils, sans espérance de la victoire, conserve-t-il
toujours en lui-même l'amour de la victoire? Fais-moi une
seconde fois, Sandjaya, ce récit avec vérité. » 86.
Sur de telles paroles, Djanamédjaya, le cocher répondit
au roi: « L'héroïque fils du Soleil a été tué, sire, avec ses
fils eux-mêmes et ses frères au grand arc, qui avaient re-
noncé à la vie. Douççâsana fut immolé par le Pândouide
à la vaste renommée, Bhîmaséna, qui, dans sa colère, en
but le sang, au milieu du combat. » 87 — 88 — 89.
A cette nouvelle, puissante majesté, reprit Vaîçam-
pâyana, le fils d'Ambikâ, Dhritarâshtra, l'âme affligée de
chagrin, dit à Sandjaya, son cocher : 90.
« Le chagrin déchire sans doute les membres de mon
fils à la courte vue, depuis qu'il a reçu, mon ami, la nou-
velle que Karna est tombé mort, conséquence de mes fu-
nestes conseils. 91.
» Retranche-moi ce doute, car je désire aborder à la
rive ultérieure de mes peines : qui sont ceux qui vivent,
ou qui sont morts, parmi les Kourouides et les Srin-
djayas? » 92.
L'auguste et inaffrontable fils de Çântanou, répondit
Sandjaya, est mort, sire, après qu'il eut immolé durant
KARNA-PARVA. Ml
dix jours cent millions de guerriers Pândouides. 93.
Drona au grand arc, ayant détruit aux Pântchâlains des
multitudes de chars, l'inaccessible au chariot d'or fut
abattu lui-même dans le combat en dernier lieu. 94.
Quand il eut renversé morte la moitié de l'armée,
échappée aux coups de Bhîshma et du magnanime Drona,
le fils du Soleil, Karna est tombé sans vie. 95.
Le vigoureux Vivinçati, le noble fils du roi, puissant
monarque, a mordu la poussière dans le combat,
où il avait exterminé les guerriers Anarttains par cen-
taines. 96.
Vikarna, ton fils, n'oubliant pas son vœu de kshatrya,
et qui, ses armes brisées, ses chevaux tués, se tenait en
héros, la face tournée vers les ennemis, 97.
A succombé sous le bras de Bhîmaséna lui-même, se
souvenant de sa promesse et des nombreuses vexations
aux formes épouvantables, queDouryodhana avait exercées
à l égard des Pândouides. 98.
Vinda et Anouvinda d'Avanti, ces deux grands héros,
fils de roi, après qu'ils eurent accompli un exploit diffi-
cile, sont descendus au séjour du "Vivasvatide. 99.
Ce héros, qui se tenait soumis à tes ordres, qui avait
conquis dix royaumes, annexés comme provinces à l'em-
pire de Sindhou, et vaincu, de ses flèches acérées, onze
armées complètes, Djayadratha à la grande valeur fut à
la fin, sire, immolé'par Arjouna. 100—101.
L'impétueux fils de Douryodhana, ivre de la cruelle
passion des batailles, obéissant à un ordre de son père,
fut étendu sans vie par le Soubhadride. 102.
L'héroïque Douççâsanide aux bras puissants, furieux
402 LE MAHA-BHARATA.
de combats, engageant une bataille avec le iils"; de Drou-
pada, fut envoyé par lui au monde d'Yama. 103.
Le souverain des Kirâtas, qui habitent les rives hu-
mides de l'océan, cet ami bien-aimé du roi des Dieux, ce
prince en grande estime auprès d'Indra, 104.
Bhagadatta, le roi de la terre, qui se plaisait à vaquer
aux devoirs du kshatrya, fut envoyé par Arjouna, malgré
son courage, aux demeures d'Yama. 105.
Et le héros Bhoûriçravas à la haute renommée, sire, le
fils d'un Rourouide, fut immolé dans le combat par Sâ-
tyaki, bien qu'il eut mis bas ses armes. 106.
Groutâyoush l'Ambashthain , l'homme de peine des
kshatryas, marchant avec intrépidité dans la bataille, fut
abattu par l'Ambidextre. 107.
Douççâsana ton fils, puissant monarque, toujours irrité,
consommé dans les armes, ivre de la furie des combats,
tomba sous les coups de Bhîmaséna. 108.
Quoiqu'il eut une merveilleuse armée de plusieurs
milliers d'éléphants, Soudakshina n'en fut pas moins ren-
versé par l'Ambidextre. 109.
L'empereur des Raîlâsains, après qu'il eut immolé des
ennemis très-estimés pour la valeur, marchant avec har-
diesse contre le Soubhadride, fut envoyé par lui au séjour
d'Yama. 110.
Tchitraséna, ton fils, ayant nombre de fois attaqué Bhî-
maséna, expira sous les coups de ce grand héros. 111.
Le héros fortuné fils du roi de Madra, accroissant la
terreur chez les ennemis, trouva la mort sous le bras du
Soubhadride, malgré le bouclier et l'épée, dont il s'était
armé. 112.
KARNA-PARVA. /»63
Égal & Karna dans la guerre, Vrishaséna à la grande
splendeur, rapide archer, au courage solide, déployant sa
valeur contre Dhanandjaya, fut envoyé aux demeures
d'Yama par ce héros, qui avait ouï la mortd'Abhimanyou
et se rappelait sa promesse. 113 — 114.
Le Prithide coucha mort Çroutâyoush, le maître de la
terre, qui avait proclamé son inimitié sans cesse attachée
aux Pândouides. 115.
Roukmaratha, le vaillant fils de Çalya, fut tué, auguste
roi, par Sahadéva dans le combat ; et cependant il était
son cousin (1), né de son oncle maternel. 116.
Le vieux roi Bhagîratha et le Raîkéyain Vrihatkshat-
tra, tous deux forts, courageux, furent également immolés,
malgré leur énergie supérieure. 117.
Le robuste fils de Bhagadatta, sire, qui avait conquis la
science, fut abattu sans vie par Nakoula, qui marchait
comme un faucon sur le champ de bataille. 118.
Vâhlika, ton ayeul, rempli de force et de courage, périt
avec ses troupes Yâhlikaines sous les coups de Bhîmaséna.
Le Mâgadhain Djayatséna, ce Djârâsandhide à la grande
vigueur, exhala son âme dans le combat, sous les armes
du magnanime Soubhadride. 119 — 120.
La massue de Bhîmaséna, sire, assomma ton fils Dour-
mouka et le grand héros Doussaha, malgré leur orgueil
tout martial. 121.
Dourmarshana, Dourvishala et le vaillant Dourjaya sont
descendus au palais du Vivasvatide, après qu'ils eurent
accompli de pénibles exploits. 122.
Ces deux frères ivres de la furie des batailles, les plus
(1) Revoyez la note, page 130 de ce môme volume.
à6h LE MAHA-BHARATA.
éminents du Kalinga, les ont suivis chez la mort, ayant
exécuté une difficile prouesse. 123.
Vrishavarman, ton héroïque conseiller, d'un courage
supérieur, déployant sa vaillance contre Bhîinaséna, fut
plongé dans l'habitation d'Yama. 12/i.
Savyasâtchi, le fils de Pândou, immola dans le combat
sa majesté Paâurava à la haute stature, qui avait la force
d'une myriade de serpents. 125.
Deux mille combattants Vaçâtiens et Çoûrasénas, tous
vaillants, puissant roi, sont tombés dans la bataille. 126.
Les Abhîshâhas, combattant avec la cuirasse, enivrés
de combats, et les Çiviens aux grands chars furent im-
molés, accompagnés des Kalingas. 127.
Ces troupes de conjurés, ces bandes, qui s'élevaient à
plusieurs milliers et que des pâtres accroissaient toujours,
ces héros, pleins de la plus ardente colère dans la bataille,
contraints à tourner le dos devant l'Ambidextre, tous,
ayant affronté le fils de Prithâ, furent immolés et préci-
pités par lui dans l'empire d'Yama. 128 — 129.
Atchala et Vrishaka, ces deux princes , tes beaux-
frères, puissant roi, dans leur bouillante valeur pour ta
cause, tombèrent sous les coups de l'Ambidextre. 130.
Le héros aux longs bras, souverain de Çâlva, Ougra-
karman (1), de fait et de nom, fut couché mort par Bhî-
maséna. 131.
Aughavat et Vrihanta, victorieux dans la cause d'un
ami, sont allés dans le combat d'un pas égal aux demeures
d'Yama. 132.
Le meilleur de tes maîtres de chars, Kshémadhoûrti,
(1) De qui les œuvres sont terribles, suivant les racines du mot.
KARNA-PARVA. 465
souverain des hommes, est tombé dans la bataille sous la
massue de Bhhnaséna ; et Djalasandha, au grand arc, à
la grande vigueur, fut tué par Sâtyaki, après qu'il eu
accompli un immense carnage. 133 — 134.
L' Indra des Rakshasas , Alambousha, au char attelé
d'ânes, fut conduit par Ghatotkatcha, malgré sa valeur,
au séjour d'Yama. 135.
L'Ambidextre immola Karna, le fils adoptif du cocher,
et les héros ses frères, et les Kaîkéyains de tous les
côtés, 136.
Et les Mâlavas, les Madrakas, les Drâvidas aux formi-
dables actions, et les combattants Lalitthas, les Rshou-
drakas, et Jes Ouçînaras, et les Mâvellakas, etlesToundi-
kéias, et les Sàvitripoutrakas, et les habitants de l'Orient,
de l'Occident et du Midi. \ 37—138.
Des légions de fantassins et des millions de chevaux
furent détruits, des multitudes de chars renversés et les
meilleurs des éléphants massacrés. 139.
Des héros aux efforts redoublés, à la gloire long-temps
accrue par des actions de courage, étendus avec leur dra-
peau, leurs armes, leurs cuirasses, leurs riches décora-
tions, et d'antres à la force sans mesure, qui s'étaient,
eux et les rivaux, désiré mutuellement la mort, furent
immolés dans le combat par le Prithide aux œuvres infa-
tigables. lZiO— lZil .
Ceux-là et d'autres nombreux monarques avec leurs
armées ont été immolés par milliers en bataille. Ainsi fut
ce carnage, qui est l'objet de ta demande, sire, et qui
a sévi dans la rencontre de Karna et d'Arjouna. Tel que
Vritra fut tué par le grand Indra, que Râvana périt sons
la main de Râma, lli'l — 1/j3.
ix 30
/I66 LE MAHA-BHARATA.
De même que Naraka et Moura succombèrent dans une
lutte avec Krishna, de même que Kârttavîrya fut immolé
pa rRâma, le rejeton de Bhrigou ; J/iZi.
Ainsi le héros Karna, ivre de la furie des batailles, fut
tué (1) avec sa famille et ses amis dans un duel en
chars (2) par Arjouna, après qu'il eut soutenu un combat
grand, épouvantable, jetant la stupeur dans les trois
mondes, comme Mahisha mourut sous le bras de Skanda,
comme Andhaka périt sous les coups de Roudra.
1Zi5— IZ16.
Il périt avec ses parents et ses ministres, ce Karna, le
meilleur des combattants, l'espérance de la victoire pour
les Dhritarâshtrides et la source, d'où était sortie la
guerre. 1Z|7.
Ayant rejeté une offre, chose, que tu n'as pas sue
d'abord, il fut appelé fils de Pàndou par des parents, qui
désiraient tirer de lui un avantage. 4Zi8,
C'est toi, sire, qui désirais cependant le bien pour tes
fils (3), qui as fait tomber sur eux cette infortune, ter-
rible châtiment de leur ambition d'un royaume. !Z|9.
Des choses ennemies et même déchirantes: voilà quel
fruit ils en ont retiré. 150.
« Tu m'as raconté, mon ami, observa le roi Dhrita-
râshtra, qui furent ceux des miens immolés par les fils de
IMndou ; maintenant d s-moi , Sandjaya, ceux des Pân-
douides, qui ont succombé sous les miens. » 151.
Le fils de la Gangâ, répondit Sandjaya, a renversé les
énergiques enfants de Kountî à la grande âme, à la grande
(1-2) Ilatau dvuaîrnthai, texte de Bombay.
(3) Twayd hiiaiahinâ, même texte.
KARNA-PARVA. 467
force, avec leurs parents, avec leurs ministres. 152.
L'héroïque Bhîshma abattit encore par milliers, dans
ses combats, les autres vaillants guerriers de Nârâyana
et de Bàladéva, attachés à la cause des Pândouides. 153.
Égal en force et en courage à Kirîti dans la guerre,
Satyadjit tomba sous les coups du véridique Drona. 15Zi.
Tous les héros des Pântchâlains, habiles dans les com-
bats, qui en vinrent aux mains avec Drona, furent
envoyés par lui au séjour du Vivasvatide. 155.
Drona fit mordre aussi la poussière du combat aux rois
Droupada et Virâta, ainsi qu'à leurs fils, ces deux vieil-
lards, qui triomphaient dans la cause de leurs amis. 156.
L'inaffrontable Abhimanyou, qui était, quoique enfant,
semblable à l'Ambidextre même, seigneur, à Kéçava ou à
Bàladéva, environné par six chars (11 supérieurs, aux
vastes dimensions, qui ne pouvaient affronter Bîbhatsou,
tomba sans vie, malgré qu'il fût habile à conduire un
grand char, après qu'il eut accompli le carnage du parti
contraire. Entouré d'une forte armée, le Douççâsanide,
meurtrier des ennemis, tua dans la bataille, Mahàrâdja, le
Soubhadridt, privé de char, mais toujours ferme dans le
devoir du kshatrya. 157 — 158—159 — 160.
Le fortuné fils d'Ambashtha, victorieux dans la cause de
ses amis, s'étant approché dans le combat du héros Laksh-
mana, fils de Douyodhana, descendit au séjour du Vi-
vasvatide, après qu'il eut fait un immense carnage. Vri-
hanla au grand arc, consommé dans les armes, ivre de la
furie des batailles, 161 — 162.
Déployant sa valeur, fut plongé par Douççâsana dans
1, Drona, Açwatthàman, Çalya, Karna, Kripa et Kritavarmun.
468 LE MAHA-BHARATA.
les demeures d'Yama. Les d^ux rois Manimat et Dinda-
dhâra, pleins de la cruelle ivresse des combats, 163.
Étalant leur courage dans une cause amie, sont tombés
dans la bataille, sous le fer de i)rona. Le grand héros An-
çoumat, roi de Bhodja, montrant sa valeur, fut précipité
avec son armée, dans l'habitation d Yama, par le Bhara-
dwâdjide. Le prince, né sur les bords de la mer, Tchitra-
séna avec son fils, Bharatide, 16/j — 1(55.
Fut contraint par Samoudraséna de visiter le royaume
d'Yama. Nila, habitant les rivages humides de l'océan, et
le vigoureux Vyâghr&datta y sont descendes eux-mêmes
avec un trait, lancé par Açwatthâman. Le héros Tchitrâ-
youdha, après qu'il eut accompli un vaste carnage,
166—167.
Fut tué clans le combat, où il étalait son courage, d'un
vikarna, décoché par Tchitramârga. Égal à Vrikaudara
dans la guerre, environné de guerriers Kaîkéyains, frère
tué par un frère, il tomba, déployantsa bravoure, sous les
coups d'un Kaîkéyain. L'auguste Djanamédjaya, le mon-
tagnard, qui combattait avec la massue, 168—169.
Fut immolé sous la main de Dourmoukha, ton fils,
grand roi. Les Rotchunânas, deux tigres des hommes,
brillant comme des planètes, obtinrent de pair le ciel, ma-
jesté, par les flèches de Drona. Des monarques triom-
phants, les armes à la main (1), ail rent visiter, souverain
des hommes, l'empire d'Yama, après avoir exécnté des
prouesses, qui n'étaient pas faciles. Pouroudjit et Koun-
tibhodja, les deux oncles maternels de l'Ambidextre,
170—171—172.
([ Pratiyoudhyantas.
KARNA-PARVA. 469
Sont descendus, sous les (lèches de Drona, dans les
mondes, que l'on conquiert par le combat. Abhibhoûs, le
roi de Kàçi, entouré de nombreux Kcâçikas, 173.
Fut contraint dans la bataille à mettre bas son corps
par le fils de Va-oudàna. Youdhâmanyou et le vigoureux
Outtamaâudjas, deux héros à la splendeur sans mesure,
Ayant tué des braves par centaines, furent tués enfin
par les nôtres. Le Pàntchâlain Mitravarman et Kshatra'
dharman, l'un et l'autre guerrier an grand arc, furent
précipités, par Drona, dans l'empire d'Yama. Le fils de
Çikhanclî, Kshattradéva, le maître des batailles, fut tué
dans le combat par Lakshmana, ton petit-fils, sire. Les
deux g ands héros, Soutchitra et Tchitravarman, le père
et le fils. 174— 175 — 17o — 17^.
Furent abattus par Drona dans la bataille, où ils s'avan-
çaient avec un courage supérieur. Le Vriddhakshémide,
tel qu'une mer au temps de la pleine et de la nouvelle
lune, ayant affronté Ayoudhakshaya, s'est endormi du
sommeil et rnel. Le plus vaillant des fils de Sénavindou,
le meilleur dans le combat, ses traits à la main,
178-179.
Tomba sous le fer de Vâhlîka, l'Indra des Rourouides.
Dhiishiakétou, le plus grand héros des Tchédiens, Mahâ-
râdja, après qu'il eut accompli une prouesse, qui n'était
pas très-facile, descendit au palais du Vivasvatide. De
même y furent plongés l'héroïque Satyaclritide, triomphant
pour la cause des Pà idouides, dès qu'il eut semé de car-
nage le champ de bataille; et Sénavindou lui-même, le
plus grand des enfants de Kourou, quand il eut grossi de
funérailles la terre du combat. 180-181—182.
Soukétou, le. maître de la terre et le fils de Çiçoupàla,
470 LE MAHA-BHARATA.
fut abattu par Drona au milieu des ennemis, qu'il avait
immolés dans la bataille. 183.
Ainsi tombèrent, sous les flèches de Drona, et le héros
Satyadhriti, et le vigoureux Madirâçwa, et le courageux
Souryadatta. 184.
Le brave Çrénimat, auteur d'un exploit difficile, grand
roi, est descendu combattant au séjour du Vivasvati de ; et
le Magadhain, à qui sont connus les premiers des astras
dans une bataille, ce vaillant destructeur des héros enne-
mis, gît à cette heure, sire, immolé par Bhîshma.
Çankha, fils de Virâta, et l'héroïque Outtara sont allés
au monde du Vivasvatide, en faisant d'admirables exploits.
Exécutant un immense carnage sur le champ de ba-
taille, Vasoudàna, étalant sa valeur, fut envoyé par le
Bharadwâdjide au royaume d'Yama. 485-186-187-188.
Ceux-là et d'autres fameux héros des Pândouides en
grand nombre furent immolés par Drona, dans le temps,
où ils montraient leur bravoure : j'ai donc répondu à ta
demande. 189.
« Maintenant que cette cîme de montagne est brisée , je
ne vois pas, reprit Dhritarâshtra, qu'il soit un reste, San-
djaya, à mon armée, dont les débris ont été anéantis. 190.
» A cette heure, où j'ai appris que ces deux héros aux
grands arcs, les plus excellents des Kourouides, Bhîshma
et Drona, furent tués à cause de moi, qu'a-t-on besoin
davantage de la vie d'un malheureux abandonné? 191.
» Maintenant que l'Adhirathide est mort, je ne le verrai
plus, brillant de la beauté des batailles, lui, de qui la
orce des bras était semblable à celle de cent et cent (1)
éléphants. 192.
(1) C'est-à-dire, suivant le commentaire, de dix mille pachydermes.
KARNA-PARVA. 471
» Dis-moi ceux, qui ont échappé à la mort (1), comme
tu m'as dit, Sandjaya, l'armée de mes plus braves, que le
fer a détruite. Quels sont ceux, qui vivent encore ? Et qui
ne sont plus? 193.
» Ces morts sont maintenant célébrés par toi ; mais
ceux, qui vivent, sont déjà morts: c'est mon sentiment. »
Ce héros, à qui furent confiés, répondit Sandjaya, des
astras, grands, divers, resplendissants, célestes, des
quatre espèces, et composés par Drona lui-même ;
194—195.
Ce grand héros act:f, à la main prompte, aux armes so-
lides, au poing ferme, à la flèche invariable, cet impé-
tueux et vigoureux fils de Drona, se tient, le pied assuré,
désirant combattre dans ta cause. 496.
Ce fameux héros, qui demeure chez les Anarttas, ce fils
de Hridika, le plus excellent des Sâtwatas, Bhodja-Krita-
varman, consommé dans les armes, se tient, le pied as-
suré, désirant combattre dans ta cause. 197.
Le rapide Arttàyanide, ce général inébranlable dans
un combat, le premier des tiens, qui, ayant abandonné les
Pândouides, ses neveux, désire c!onner une vérité à sa
parole, 198.
L'inafirontable et d'une valeur égale à celle de Çakra.
Çalya, qui promit son courage en présence d'Adjâtaçatrou,
qui promettait la mort à l'Adhirathide, se tient, le pied
assuré, désirant combattre clans ta cause. 199.
Le roi du Gândhâra, appuyé sur sa vigueur et son atte-
lage rapide, de bonne race, né dans le Kambodje, sur les
rives du fl.uve, dans la montagne ou sur les bords du Sin-
(1) Ahatdn, texte de Bombay.
A72 LE MAHA-BHARATA.
tlhou, se tient, le pied assuré, désirant combattre dans ta
cause. 200.
Le Çaradvatide, fils aux longs bras de Gotama, qui
combat avec des astras de nombreuse (1) espèce et porte
un arc admirable, en état de supporter un immense far-
deau, se tient, le pied assuré, désirant combattre dans ta
cause. 201.
Le grand héros, fils du roi des Kaîkéyains, monté sur
un char, ombragé d'une enseigne, auquel sont attelés des
coursiers généreux, se tient, ô le plus excellent des Rou-
rouides, le pied assuré, désirant combattre dans ta cause.
Et Pouroumitra, ton fils, le plus éminent héros des
Kourouides, placé dans un char, qui a l'éclat du soleil ou
de la flamme, s'y tient, Indra des hommes, comme le so-
leil resplendissant au milieu d'un ciel sans nuage.
202-203.
Douryodhana, au centre d'une tribu d'éléphants, s'y
manifeste, comme un lion, dans la lumière d'un char aux
ornements d'or, appelant de ses vœux la bataille. 204.
Environné des rois, le plus éminent des hommes, brille
sous une cuirasse admirable d'or avec l'éclat d'un lotus,
ou comme un ieu, d'où sort une légère portion de fumée,
ou tel que la splendeur du soleil au milieu des nuages.
Soushéna, ton fils, une épée à la main, un bouclier au
bras, et le héros Satyaséna se tiennent, l'âme exaltée,
avec Tchitraséna, brûlants de livrer un combat.
205—20(5.
Hrînishéva, fils du roi des Bbaratides, Ougrâyoudha,
Kshanabhodji, Soudarças le Djârâsandhide, Prathama et
(1) Buhoutchitru. texte de Bombay.
RARNA-PARVA. A73
Adritha, Tchitrâyoudha, Çroutivarman et Djaya, 207.
Cala, Satyavrata et Douççala, ces tigres des hommes,
qui commandent chacun à une armée ; et Çoûramâni, le fils
de roi, le chef des Raîtavyas, homicide des ennemis dans
chaque bataille, 208.
Possédant un excellent char et de bons coursiers, suivi
par des fantassins et des éléphants, se tiennent, le pied
assuré, désirant combattre dans ta cause. Le vaillant
Çroutâyoush, et Dhritâyoudha, Tchitrângadaet l'héroïque
Tchitraséna, 209.
Ces guerriers, tigres des hommes, orgueilleux, véri-
diques, vivent à la tête d'une armée. Le magnanime Sa-
tyasandha, fils de Rarna, se tient, appelant de ses vœux
lecomb.it. 210.
Deux autres fils de Rarna à la main prompte, aux traits
excellents, Indra des hommes, doués d'une grande force,
difficiles à briser pour des guerriers de moindre valeur, se
tiennent encore, le pied assuré, désirant combattre dans
ta cause. 211.
Semblable au puissant Indpa, le roi des Rourouides est
placé (1), pour la victoire, au milieu d'une tribu d'élé-
phants, sire, environné de ces héros et d'autres, les plus
grands, les princes des guerriers, doués d'une puissance
sans mesure. 212.
« Les autres, qui vivent dans le parti des ennemis, re-
prit Dhritarâshtra, m'ont été racontés fidèlement : ainsi,
je vois clairement d'où naîtra la victoire. » 213.
Alors qu'il parlait ainsi, dit Vaîçampâyana. le filsd'Am-
bikâ, Dhritarâshtra, ayant appris que son armée avait
(l) VyavasihitaUf au nominatif singulier, texte de Bombay.
l\7h LE MAHA-BHARATA.
perdu les plus grands héros, qu'elle était battue et qu'il
lui restait à peine quelque chose, les organes des sens
troublés par le chagrin, tomba en syncope ; et, après un
ins'ant d'évanouissement, il prononça ces mots : « Reste,
Sandjaya. 21 h— 215.
» Mon esprit s'i st troublé, mon ami, en apprenant cette
nouvelle bien douloureuse : mon esprit est dans le délire,
et je n'iii pas la force de supporter mes débiles membres. »
Quand il eut parlé en ces termes, le fils d'Ambikâ et le
maître du monde, Dhritarâshtra de rester, l'âme troublée.
216-217.
« Dès qu'il eut appris, fit Djanamédjaya, que Karna
avait été tué dans la bataille, et que ses fils mêmes étaient
tombés morts (1), qu'est-ce que dit, vertueux brahme,
l'Indra des hommes, lorsqu'il eut recouvré ses sens (2).
» Réponds à ma demande! Que dit-il en ce temps, où
il était plongé dans un immense et profond chagrin, causé
par l'infortune de ses fils? » 218—219.
Aussitôt qu'il eut reçu, lui répondit Vaîçampàyana, la
nouvelle de la mort donnée à Karna, comme un prodige
incroyable, effrayant, qui causait aux créatures une stu-
péfaction égale à celle, que ferait naître la marche du
iMérou sur la terre, ou une défaillance del'âmedusage (3)
fils de Bhrigou {h), ou telle qu'en donnerait à ses ennemis
une défaite d'Indra aux œuvres épouvantables ! 220 — 221.
Ou la chute, du ciel sur la terre, du soleil à la grande
lumière, ou le tarissement inconcevable de l'océan aux
ondes impérissables, 222.
(1-2) Nipdtitân.... (içwastas, texte de Bombay.
(3) Mahâmatés, même texte.
(4) Parasourâma ou Çoukru, dit le commentaire.
KARNA-PARVA. 475
Ou la destruction universelle, merveilleuse, des eaux
de l'espace, de la terre et des deux, ou la stérilité des
œuvres dans l'une et l'autre cause, le vice et la vertu,
Dhritarâshtra, le roi des hommes, ayant fouillé savam-
ment au milieu de son esprit, et pensé à la mort de Karna
dans la bataille, se dit: « Puisse cela ne pas être, même
au prix de la vie des autres mortels ! » Et, consumé par
le feu du chagrin comme dans un foyer, où il est excité,
223—2:1Zi— 225.
Soupirant, consterné, vivement affligé, grand roi, les
membres tombés (1), s' écriant : «Hélas! hélas! » Dhri-
tarâshtra, le fils d'Ambikâ, se mit à gémir : 226.
« Le héros Adhirathide, Sandjaya, qui a le courage d'un
éléphant ou d'un lion, dit-il, qui a des épaules, sem-
blables à celles d'un taureau, qui s'avance avec la dé-
marche et les yeux d'un taureau, 227.
» Ce taureau par le nom, qui ne s'éloignerait pas du
combat, pour ainsi dire, avec un taureau, ni avec le grand
Indra, fût-il même son ennemi, ce jeune homme au corps
de diamant, 228.
» Devant lequel au bruit échappé à la surface de sa
corde, au crépitement de la pluie de ses flèches, ni les
chevaux, ni les chars, ni les éléphants, ni les hommes ne
tiennent pas dans la bataille, 229.
» Sous le vigoureux bras duquel abrité, Douryodhana a
déclaré sa guerre aux grands héros, fils de Pândou, parle
désir de remporter la victoire sur les ennemis, 230.
» Comment Karna, doué d'un courage, qu'on ne peut
soutenir, ce tigre des hommes, le meilleur des maîtres de
(l) Visrastânga, texte de Bombay.
A76 LE MAHA-BHARATA.
chars, a-t-il succombé violemment au milieu de la ba-
taille*sous les coups du fils de Prithâ? 231.
» Lui, qui, fier de la force de ses bras, n'estimait pas
toujours Dhanandjaya et l'impérissable Vasouoévide, ni
les autres Vrishnides, réunis avec eux. '232.
« Moi seul, disait-il, j'abattrai ensemble, dans la guerre,
au pied de leur char divin les deux archers invaincus du
Çâ nya et du Gândîva ! » 233. .
» Lui, qui appelait toujours vil et lâche Douryodhana,
délirant de cupidité, malade de ses passions, ambitieux
d'un royaume ; 23â.
» Lui, qui avait pu vaincre tous les Kâmbodjains, les
Avantiens réunis au Kaikayains, les Gândàras, les Ma-
drakas, les Matsyas, les Trigartains et les Tanganas, les
Çakas, les Pântchâlains, les Vidéhains, les Kalindas, les
Kaçikoçalas, les Souhnânangas et les Vangas, les Nishâ-
das, les Poundratrhîrakas, les Vatsas, les Kalingas, les
Taralas, les Açmakas et les Risbikas mêmes; Râdhéya, le
meilleur des maîtres de chars, qui força jadis, pour l'ac-
croissement de Douryodhana, sous ses multitudes de
flèches aux ailes de héron, très-acérées et bien mordantes,
tous ces héros à lui payer le tribut, conséquence de sa vic-
toire ! 235—236—237—238.
» Comment Rama, le fils du Soleil, Vrisha à la grande
splendeur, qui savait les astras divins, comment ce gé-
néral des armées, à qui les plus puissants astras étaient
connus, est-il tombé dans le combat, sous les héros Pân-
douides, ces ennemis, cloués de vigueur? Mahéndra est le
taureau parmi les Dieux, Karna est le taureau entre les
hommes. 239— 240.
» Nous n'avons pas ouï dire qu'il existât, dans les
KARNA-PARVA. 477
inondes, un troisième taureau Outchaîççravas est l'unique
parmi les chevaux, le Vaiçravanide est l'unique parmi les
Dieux. 241.
» Mahéodra est le plus grand des Dieux, Karna est le
premier des combattants. Uni dans la bataille avec de
vaillants princes, doués d'énergie, il a vaincu toute la
terre pour l'accroissement de Douryodhana. Après qu'il
l'eut obtenu, le roi du Magadha, loué pour ses amitiés, en-
ferma les enfants de Rourou et les Yadouides, excepté le
prince kshatrya. Maintenant à la nouvelle que Karna fut
tué par l'Ambidextre dans un duel en char,
242— 243— 244.
» Je suis plongé dans un océan de chagr ns, comme un
navire brisé dans la mer. A la nouvelle que le plus exe 1-
lent des maîtres de chars a fait mordre la poussière à
Vrisha dans un duel en chars, je suis noyé dans un océan
de chagrins, et semblable à un malheureux, qui ne trouve
pas dans la mer une planche de salut. Si, en proie à de
telles douleurs, je n'y succombe point, Sandjaya,
245—246.
C'est que mon cœur, plus dur que le diamant, est dif-
ficile à briser! \ la nouvelle de cette défaite de mesamis,
de mes parents et de mes alliés, 247.
» Quel autre homme que moi dans le monde, cocher,
n'abandonnerait point la vie? Que choisirai-je? Le poison,
le feu, ou le précipice du haut d'une montagne? 248.
» Je n'ai pas la force de supporter, Sandjaya, mes dou-
loureuses infortunes! » 249.
Lorsqu'ils te voient environné de science, de renommée,
de pénitence, de famille et de prospérité, lui répondit
478 LE MAHA-BHARAÏA.
Sandjaya, les hommes de bien te regardent maintenant
comme Yayâti, fils de Nahousha. "250.
Tu es semblable à un grand rishi par la science ; tu as
accompli ta destinée, seigneur; ne mets pas ton cœur-
dans le trouble, en te plaçant» toi-même dans un état de
contradiction avec tes principes. 251.
« Le Destin est tout- puissant, à mon avis, reprit Dhri-
tarâshtra; honni soit du courage inutile ! puisque Karna,
qui était semblable à un chêne, a succombé dans la
guerre. 252.
» Après qu'il eut détruit l'armée d'Youdhishthira et
les multitudes des chars des Pàntchâlains ; après que ce
grand héros eut incendié toutes les plages du ciel par ses
pluies de flèches, 253.
» Et qu'il eut jeté le délire dans le combat parmi les
Prithides, comme le Dieu, qui tient la foudre, parmi les
Asouras, comment Karna gît-il sans mouvement, tel qu'un
arbre, cassé par le souffle du vent? 25â.
» Je ne vois pas uu terme à mon chagrin, comme on
n'aperçoit pas du bord extérieur le rivage ultérieur de la
mer. Ma pensée se creuse profondément et fait naître en
moi le désir de quitter la vie. depuis que j'ai appris la
mort de Karna et la victoire de Phâlgouna. Cette mort de
Karna est, à mon avis, Sandjaya, une chose incroyable !
255—256.
» Mon cœur, fait sans doute avec l'essence même du
diamant, est difficile à rompre, puisqu'il n'éclate pas en
morceaux à la nouvelle que Karna, ce tigre des hommes,
est tombé sans vie dans le combat. 2h~.
» Une vie sans doute bien longue me fut destinée jadis
KARNA-PARVA. 479
par les Dieux, puisque je vis encore ici dans une profonde
affliction, après que j'ai appris la mort de Karna ! 253.
» Malheur à cette vie d'un homme privé d'amis, San-
djaya ! Et me voici tombé dans cette condition méprisée !
» Homme d'un faible jugement, je mènerai, déplorable
à tous, une vie misérable î Moi, qui naguère étais honoré
même de l'univers entier, 259—200.
» Comment supporterai-je de vivre, cocher, objet de
mépris pour les autres? Les morts de Bhîshma, de Drona
et du magnanime Karna m'ont précipité, Sandjaya, dans
une infortune b'en douloureuse, plus que la douleur elle-
même. Je ne vois pas ce qui me reste encore, après que
ce fils du cocher est tombé dans la bataille. 261 — 262.
» Ce grand héros, qui décochait de nombreuses flè-
ches, immolé dans le combat, était, Sandjaya, comme un
rivage ultérieur pour mes fils. 263.
» Qu'ai-je donc besoin de la vie, sans ce taureau des
hommes? L'Adhirathide est tombé sans doute à bas de son
char, tourmenté par les flèches, comme le sommet d'une
montagne, déchirée par la chute du tonnerre ! 11 gît sans
doute, embellissant la terre de son sang versé, tel qu'un
éléphant couché sur la plaine par un Indra en rut des élé-
phants. Lui, qui était la force des Dhritarâshtrides et
d'où venait la terreur des fils de Pândou,
264— 265— 266.
» Karna, le modèle des archers, fut immolé par Ar-
jouna! Ce héros au grand arc, qui environnait de sécurité
ses amis, 267.
» Il gît frappé, ce vaillant, comme une montagne par
le roi des Dieux ! Tel qu'est un voyage pour un boiteux et.
l'amour pour un indigent, ainsi furent les desseins de
480 LE MAHA-BHARATA.
Douryodhana : ce sont des gouttes d'eau pour un homme
altéré. On pense une chose, mais l'acte, qui naît, est diffé-
rent de la pensée. 208 — 209.
» Hélas ! le Destin est puissant et la mort difficile à
vaincre ! Ce malheureux, qui fuyait, l'âme consternée, le
courage abattu, 270.
» Douççâsana, mon fils, a donc succombé, cocher ? N'a-
t-il pas fait dans la guerre, mon ami, une action, qui fût
d'un lâche? 271.
-) Ce héros n'est-il pas tombé, comme un homme vil (1) ,
parmi les principaux kshatryas ? « Ne combats point! »
lui criait-on de tous les côtés. Mais tel qu'un insensé re-
fuse un remède efficace, Douryodhana ne reçut pas les
paroles d'Youdhishthira. Le bien magnanime Bhîshma.
couché sur un lit de flèches, 272 — 273.
Demanda à boire au fils de Prithâ, qui fendit la surface
de la terre; et, voyant les gouttes de l'eau, que faisait
naître ce fils de Pândou, le héi os aux longs bras, rafraîchi,
grâce au secours de Phâlgouna, dit ces mots: « Que cet
étanchement de ma soif vous donne la paix ! Et puisse la
guerre finir pour vous en moi ! 27Zi — 275.
» Jouis de la terre avec les fils de Pàndou et dans les
sentiments d'un frère ! » Sans doute, mon fils gémit, et
c'est parce qu'il n'exécute p-.s les paroles dece morte! aux
longues vues, qu'il est tombé dans cette infortune. Et
moi, Sandjaya, mes ministres immolés et mes fils détruits,
270—277.
» Tel qu'un arbre coupé, c'est leur jeu, qui m'a jeté au
milieu de ces embarras. Comme si j'avais pris un oiseau
{{) Kshoudra, texte de Bombay.
KARNA-PAHVA. 481
et coupé ses deux ailes, mes jeunes altesses blessées,
mais toujours présomptueuses, repoussent les conseils.
La marche ne convient pas à celui, de qui l'on a coupé les
ailes, 278 — 279.
» Et je suis arrivé à cette condition, semblable à un
arbre sapé. Malheureux, dénué de toute ressource, sans
parents, délaissé de mes amis, détruit, tombé sous le pou-
voir de mes ennemis, dans quel parage vais-je porter mes
pas? » 280—281.
C'est ainsi que Dhritarâshtra gémissait, vivement af-
fligé, reprit Vaiçampâyana, et de nouveau il adressa ces
mots à Sandjaya, l'àme troublée par la douleur : 282.
« Celui, qui a vaincu tous les Kambodjains, les Am-
bashthas et les Kaîkayains, les Gândhâras et les Vidéhains,
l'auguste, qui, après avoir surmonté toutes les difficultés
dans le combat, vainq it la terre pour l'accroissement de
Douryodhana, il a donc été vaincu dans la bataille, parles
héros Pândouides, doués de la vigueur des bras !
283— 284.
» Ce Karna au grand arc tombé mort dans le combat
sous les coups do Kirîti, quels héros, dis-le-moi, Sandjaya,
résistent encore ? 285.
» N'était-il pas seul, abandonné, quand il fut tué dans
la bataille par les fils de Pàndou? Tu as dit d'abord, mon
ami, que ce héros avait succombé. 286.
» Çikhandi dans le combat abattit, sous des flèches
invincibles, Bhîshma, dans un temps où il ne combattait
pas, B/iishma, le meilleur de tous ceux, qui portent les
armes. 287.
» Drona au grand arc, paré de flèches nombreuses, qui
avait déposé lui-même toutes ses armes, et s'était absorbé
ix 31
A82 LE MAHA-BHARATA.
dans l'unification avec Dieu (1), fut tué ainsi par le fils
de Droupada sous le cimeterre levé, Sancljaya, du terrible
Dhrishtadyoumna ! J'ai ouï dire surtout que Bhîshma et
Drona avaient succombé sous des formes perfides. Le
Dieu même, qui porte la foudre, certes ! n'aurait pas tué
ces héros dans le combat, 288—289—290.
Où ils se comportaient avec honneur : je te dis la vé-
rité. Comment la mort a-t-elle pu toucher de sa main
Karna, semblable à Indra, quand il décochait ses astras
nombreux et divins, ce héros, à qui une lance brillante
d'éclairs, céleste, ornementée d'or, 291 — 292.
Destructive des ennemis, fut donnée par Çakra en
échange de ses pendeloques ; lui, qui possédait un dard
céleste, décoré d'or, à la gueule de serpent ? 293.
» Karna, le meurtrier des ennemis, est couché mort
dans la bataille, paré du sandal des flèches (2). Lui, qui
avait du dédain pour les autres vaillants héros, à com-
mencer par Bhîshma et Drona ; 29Zi.
» Lui, à qui fut enseigné par le Djamadagnide le grand
astra de Brahma, accompagné d'une grande épouvante ;
ce guerrier aux longs bras, qui, voyant les troupes, com-
mandées par Drona, tourner le dos devant les flèches acé-
rées du Soubhadride, réveilla son arc endormi; lui, qui,
ayant réduit dans un instant sans char l'impérissable Bhî-
maséna à la rapidité de la foudre, au souffle de vie égal à
celui d'une myriade de Nâgas, se mit à rire ; lui, qui,
ayant vaincu et mis à pied sans char Sahadéva, sous des
flèches aux nœuds inclinés, ne voulut pas le tuer, et le
(1) Youktayogn, texte de Bombay.
(2) Patritchandancsou, même édition.
KARNA-PARVA. m
couvrit d'une pensée de vertu et de miséricorde ; lui, qui
immola avec la lance de Çakra le roi des Rakshasas, Gha-
totkatcha, qui désirait la victoire et mettait en jeu des
milliers de magie; lui, avec qui Dhanandjaya effrayé ne
vint pas, dans ces jours, engager un duel en chars, com-
ment ce héros est-il tombé dans le combat! Si son char
n'a pas été brisé, si son arc n'a pas été rompu, (De la
stante 295 à la stance 300 inclusivement.)
» Et ses asti-as frappés d'impuissance, comment les
ennemis ont-ils pu l'abattre dans le combat ? Qui est ca-
pable de vaincre dans la guerre ce tigre des hommes, sem-
blable à un tigre impétueux, ce Karna, brandissant un
grand arc et décochant au milieu de la bataille ses traits
épouvantables et ses astras célestes? 301 — 302.
» Sans aucun doute, son arc était rompu, ou son char
renversé à terre, ou ses astras paralysés, puisque tu m'as-
sures qu'il fut inimolé ! 303.
» Je ne vois pas une autre cause dans sa mort. « Je
tuerai Phâlgouna, disait-il, en moins de temps qu'il n'en
faut pour se laver les pieds ? » 30Zi.
« C'était là ce vœu très-terrible, qu'avait prononcé le
magnanime, de qui la crainte dans un combat ne permit
pas toujours, durant treize années, au plus éminent des
princes, Youddhishthira-Dharmarâdja, de goûter le
sommeil : ce vigoureux au grand cœur, sur la force duquel
appuyé, 305 — 306.
» Mon fds conduisit malgré elle dans l'assemblée l'é-
pouse des Pândouides ; et là, au milieu de l'assemblée,
sous les yeux mêmes des fils de Pàndou, 307.
» Il dit à la Pântchâlaine, en présence des Kourouides:
« Femme d'esclave, tes époux ne sont plus ! Tous ils res-
liM LE MAHA-BHARATA.
semblent, Krishna, à l'huile de sésame, qui a servi pour
des eunuques. 308.
» Approche-toi d'un autre époux, noble femme. »
Comment l'homme, qui, dans sa colère, fit entendre ces
paroles mordantes à Krishna dans l'assemblée, ce fils du
cocher a-t-il succombé sous les ennemis ? « Si Bhîshma,
qui a la fierté de ses batailles, disait-il, ou Drona ivre de
la furie des combats, 309 — 310.
» Ne tue pas les fils de Kountî clans l'intervalle d'un
clin-d'œil, Souyodhana, moi-même, je les tuerai tous:
que l'inquiétude s'en aille de ton esprit ! 31J .
» Que feront l'arc Gàndîva et les deux impérissables
carquois contre ma flèche (1) au vol ennemi, imprégnée de
sandal et d'huile? » 312.
» Comment donc ce guerrier aux épaules de taureau
est-il tombé sous un coup d'Arjouna, lui, qui ne pensait
pas au toucher terrible des traits décochés par le Gândîva?
« En vérité, Krishna, tu n'as plus d'époux ! » Et, ce
disant, il regardait les fils de Prithâ, lui, qui ne sentit ja-
mais de crainte à l'égard des Prithides, secondés par leurs
fils, accompagnés par Djanârddana! 313 — 31û.
» Je ne pense pas qu'il aurait à craindre dans l'instant,
où il s'appuie sur la force naturelle de ses bras, la mort,
que lui apporteraient les Dieux, commandés par Indra
lui-même, 315.
» Combien moins celle, qui viendrait, mon ami, des
Pândouides , accourant en ennemis ! Il n'est pas un
homme quelconque, Sandjaya, qui pourrait tenir en face
de l'Adhirathide, touchant la corde de son arc, ou prenant
(1) Matchtchharaiya, texte de Bombay.
KARNA-PARVA. £85
sa cuirasse. La radieuse lumière du soleil et de la lune
ferait défaut à la terre plutôt que cet Indra des hommes,
qui ne fuit pas la mort dans les combats ! Mon fils insensé
et lâche, à qui, lier de l'avoir pour compagnon, lui et
Douççâsana, son frère, ne plurent pas les reproches du
Vasoudévide, sans doute, maintenant qu'il voit Karna
aux épaules de taureau tombé mort et Douççâsana immolé,
s'abandonne, je pense, aux larmes et aux gémissements.
Qu'est-ce que dit sa majesté Douryodhana, en voyant les
Pântlouides victorieux et le fils du Soleil tué par l'Ambi-
dextre dans un duel en chars? Que dit-il à la vue de
l'inaffrontable Vrishaséna, tombé dans la guerre? [De la
stance 316 à la stance 322.)
» A l'aspect de son armée rompue, taillée en pièces par
les grands héros? Et des rois, qui tournaient le dos et
n'avaient de pensée que pour la fuite. 322.
» Mon fils se livre aux gémissements, je pense, à la vue
des maîtres de chars dispersés dans la fuite. Que dit l'in-
gouvernable, l'arrogant, l'insensé Douryodhana aux sens
déréglés, en voyant son armée, les efforts brisés? Qu'est-ce
que dit l'auteur même de cette vaste guerre, Douryo-
dhana, qui fut empêché par les troupes de ses amis, dont
la plus grande partie a déjcà succombé dans la bataille ?
Que dit Çakouni, le fils de Soubala, maintenant que
Karna est privé de la vie, cet homme, qui jadis était si
joyeux, mon fils, lorsqu'il organisa le jeu et qu'il tricha
les Pândouides? Qu'est-ce que dit Hàrddikya-Kritavarman
au grand arc, le fameux héros des Sâtwatas, lorsqu'il vit
mort le fils du Soleil? Qu'est-ce qu'a dit le sage fils de
Drona, Açwatthâman, de qui l'instruction est honorée par
les bralnnes, les kshatryas et les vaîçyas, qui aspirent à
A 86 LE MAHA-BHARATA.
la science de l'arc, ce jeune homme, doué de beauté, à la
haute renommée, admirable avoir, quand Karna fut tombé
mort, Sandjaya? Que dit Rripa, le Çaradvatide, institu-
teur dans la science de l'arc, ce Gaâutamide, le plus grand
des héros, quand il vit Karna sans mouvement? Et Çalya
au grand arc, le roi de iVladra, beau de ses batailles, (De-
là stance 323 à la stance 331.)
» Que dit-il, en voyant Krishna mort, ce plus excel-
lent des maîtres dans l'art de conduire un char, ce vigou-
reux enfant du Souvîia, ce souverain des hôtes de
Madra? 331.
» Que dirent à la vue de ces héros morts , tous les
guerriers, invincibles dans leurs chars ? Et ces rois quel-
conques, venus sur la terre afin d'y combattre, 332.
» Qu'ont-ils dit, Sandjaya, en voyant mort le fils du
Soleil? Après que ce mortel éminent, ce tigre des héros,
ce vaillant Karna eut péri, 333.
» Qui étaient, Sandjaya, la tête des armées, suivant ses
divisions? Gomment le roi de Madra, Çalya, le meilleur
des maîtres de chars, fut-il préposé à la conduite du char
de Vaîkartana? Raconte-moi cela, Sandjaya. Quels guer-
riers ont défendu à droite la roue de l'Adhirathide com-
battant? 334-335.
» Qui protégèrent sa roue gauche ou qui couvrirent les
derrières du héros? Quels braves n'abandonnèrent point
Karna? Qui furent les guerriers lâches, qui prirent la
fuite? 336.
» Comment Karna au grand char fut-il tué au milieu
de vous rassemblés? Et comment lesvaillantsPândouides,
ces fameux héros, s'avancèrent-ils à votre rencontre, dé-
cochant des pluies de traits, comme les nuages versent
KARNA-PARVA. 487
des gouttes d'eau? Dis-moi, Sandjaya, comment cette
grande flèche, céleste, la plus excellente, à la gueule de
serpent, est tombée dans l'impuissance. Après que cette
grande cîme de montagne fut abattue, je ne vois pas,
Sandjaya, qu'il reste encore quelque chose à cette mienne
armée, dont les efforts sont tous brisés. Après que j'ai
appris la mort de ces deux héros aux grands arcs, qui ont
abandonné la vie à cause de moi ; après la nouvelle que
Bhîshma et Drona ne sont plus, est-il besoin que je vive
davantage? Je ne puis supporter la pensée que les Pân-
douides aient immolé ce Karna, qui avait m:e force de
bras égale à la vigueur de dix mille éléphants ! Lorsque
le Drona des Kourouides eut succombé, raconte-moi,
Sandjaya, comment l' Adhirathide engagea le combat avec
les fils de Kouutî, en sorte que le meurtrier des ennemis
dans le combat soit dit maintenant un défunt, un mortel,
qui en a fini avec les fondions des armes. » {De la stance
337 à la stance $kk.)
Ce jour où Drona au grand arc fut immolé, répondit San-
djaya, et la pensée de l'héroïque fils de Drona rendue vaine,
Tandis que la fuite emportait l'armée des Kourouides,
comme le vent chasse la mer devant lui, Arjouna, ayant
rangé son armée en bataille, puissant roi, se tint, envi-
ronné de ses frères. Zkk — 3Z»5.
Lorsque ton fils sut qu'il attendait l'ennemi de pied
ferme et qu'il vit son armée en déroute, il se mit à l'ar-
rêter par son courage. 3ZiO.
Appuyé sur la force de ses bras, après qu'il eut raffermi
la constance de son armée, il combattit encore un long
temps avec les Pàndouides, ennemis joyeux, qui avaient
atteint leur but et déployaient d'opiniâtres efforts. Alors
Û88 LE JV1AHÀ-BHARATA.
qu'il fut ainsi parvenu à l'heure du crépuscule, il fit con-
clure une suspension d'armes. 3A7 — 3ZI8.
Cet armistice réglé entre les guerriers, il rentra dans
son camp, où les Kourouides de compagnie délibérèrent
en conseil les uns avec les autres. 3Zi9.
Ils étaient assis sur des palanquins les plus éminents et
sur de nobles sièges, couverts des tapis les plus dignes
d'envie, tels que des Immortels sur des lits de repos. 350.
Le roi Douryodhana, leur adressant la parole de sa
voix la plus douce, tint à ces héros, en les flattant, ce
langage à propos : 351.
« Vous tous, qui êtes les plus excellents des sages,
donnez-moi votre avis, sans tarder ! Dans l'état où sont
arrivées les choses, que devrons-nous faire, majestés? Que
doit-il être fait immédiatement ? » 352.
À ces mots de l'ïndra des mortels , ces lions .des
hommes, qui désiraient la guerre, de manifester par diffé-
rents gestes leur opinion sur les sièges, où ils étaient
assis. 353.
Dès qu'il eut vu les signes de ces guerriers, qui faisaient
le sacrifice de leur vie dans le combat, et qu'il eut fixé ses
yeux sur le visage du roi, qui resplendissait comme le
soleil adolescent, 35Zi.
L'intelligent fils de l'Atchârya, habile à manier le dis-
cours, prit en ces termes la parole : « L'attachement au
maître (1), la connaissance du temps et du lieu (2), la
force et la politique sont des choses utiles. 355.
» Des sages ont dit les Oupâyas ; mais les grands héros,
les plus excellents du monde, appuyés sur le Destin, rem-
(1-2) Commentaire.
KARNA-PARVA. 489
plis de science politique, doués de vertus, habiles, dé-
voués et semblables aux Dieux, que possédait notre cause,
ont tous péri. Cependant, il ne faut pas encore désespérer
de la victoire. 356 — 357.
» Car l'on rend ici le ï)estin propice par une sage
politique et tous les plus excellents moyens. Nous tous, il
nous faut sacrer, Bharatide, dans les fonctions de gé-
néral, Karna même, le plus grand des hommes, orné en
foule de toutes les vertus ! Quand nous l'aurons inauguré
généralissime, nous écraserons les ennemis. 358—359,
» En effet, ce héros immensément fort, consommé dans
les armes, enivré de la furie des batailles, aussi insoute-
nable que la mort, est capable de vaincre les adversaires
dans un combat. » 360.
A ces mots du fils de l'Atchârya, celui, à qui ta majesté
donna le jour, sire, mit alors dans Karna une grande espé-
rance de la victoire. 361.
« Bhîshma et Drona morts, se dit-il, c'est Karna, qui
triomphera des Pàndouides. » Dès qu'il eut mis cette
espérance dans son cœur et repris courage, fils de Bha-
rata, 362.
Joyeux à l'ouïe de cette parole aimable, vraie, char-
mante, utile pour lui-même, unie au culte de l'amitié,
Douryoclhana, ayant raffermi son cœur et recourant à la
force des bras, tint à Ràdhéya ce langage : 363 — 36/1.
« Karna, je sais quelle est ta force et l'amitié supé-
rieure, que tu as mise en moi ; cependant, guerrier aux
longs bras, je vais te dire cette parole utile. 365.
» Tu as entendu selon tes désirs, fais donc, héros, ce
que lu approuves ; ta majesté est toujours plus savante
que moi, et la voie est la plus haute de toutes. 366.
490 LE MAHA-BHARATA.
» Bhîshma etDrona, qui combattaient sur des chars,
furent tués à la tête de mes armées ; sois notre généralis-
sime à leur place : tu es plus fort qu'eux. 367.
» Ces deux vieillards aux grands arcs, superbes, rem-
plis de magie et de vigueur, ont ménagé Dhanandjaya,
comme tu l'as dit toi-même. 368.
» Tenant les yeux fixés sur sa qualité d'aïeul, les fils de
Pândou furent dix jours durant, mon ami, conservés par
Bhîshma dans une grande bataille. 369.
» Celui-ci, notre aïeul, ayant mis bas sa flèche, fut
immolé dans un vaste combat par Phâlgouna, qui s'était
couvert de Çikhandî. 370.
» Ce grand héros tombé fut étendu sur un lit de flèches:
et dociles à ta voix, tigre des hommes, nous élûmes Drona
pour notre général en chef. 371.
» Les Prithides furent encore sauvés par celui-ci,
c'est mon sentiment ! à cause de l'instruction, qu'ils
avaient reçue de lui. Mais ce vieillard tomba lui-même
bientôt sous le glaive de Dhrishtadyoumna. 372.
» Après la mort de ces deux chefs, j'ai beau cher-
cher dans ma pensée, je ne vois pas un autre guerrier égal
à toi clans le combat, héros au courage sans mesure. 373.
» Ta majesté est pleine de force pour notre victoire : il
n'y a pas de doute ! Avant, pendant et après, tu as fait
toujours ce qui était bien. 37/i.
» Telle qu'un cheval de somme, ta majesté est capable
de porter ce fardeau de la guerre. Donne-toi l'inaugura-
tion à toi-même clans le généralissimat. 375.
h De même que l'auguste et l'impérissable Skanda est
le général des Dieux, ainsi que ton excellence porte cette
armée des Dhritarâshtrides. 376.
KARNA-PA1WA. 491
» Immole toutes les armées des ennemis, comme Mahén-
dra extermina les Dânavas. Les grands héros Pândouides
et les Pântchâlains, te voyant tenir le pied ferme dans le
combat, s'enfuiront, tels que les Dânavas à la vue de
Vishnou. Ainsi, conduis cette grande armée, tigre des
hommes ; 377 — 378.
» Car les Pândouides à l'âme timide s'enfuiront avec
leurs ministres, les Pântchâlains et les Srindjayas devant
la constance de ta majesté. 379.
» Incendie les ennemis, comme le soleil élevé sur C ho-
rizon brûle par sa chaleur, et dissipe l'épaisse obscu-
rité. » 380.
Ton fils, sire, nourrissait une puissante espérance :
« Drona et Bhîshma n'étant plus, Karna, se disait-il,
vaincra les ennemis! » 381.
11 mit cette espérance dans son cœur et tint alors ce
langage à Karna : « Placé en face de toi, fils du cocher,
l'enfant de Prithâ ne te défiera point au combat ! » 382.
« Jadis ce mot fut dit par moi en ta présence, Gândâ-
ride, répondit Karna : « Je vaincrai tous les Pândouides
avec leurs fils, avec Djanàrddana ! » 383.
» Je serai le général en chef de ion armée : il n'y a point
de doute ici ! Sois ferme, grand roi ! Sache que les fils de
Pândou sont déjà vaincus! » 384.
Ensuite, puissant monarque, le roi Douryodhana, à qui
ces paroles étaient adressées, se leva, environné des rois,
pour honorer Karna dans le généralat, comme Çatakratou,
accompagné des Dieux-Immortels, afin de rendre hom-
mage à Skanda. 385 — 386.
Karna fut sacré de la manière enseignée par le rituel.
Puis, la face tournée vers Douryodhana, les souverains
492 LE MAHA-BHARATA.
qui désiraient la victoire, le sacrèrent avec des vases, faits
d'or et de corail, 387.
Avec des cornes de grands taureaux, de rhinocéros,
d'éléphants, sire, ornées de pierreries et de perles, rem-
plies d'eau, pleines des simples les plus efficaces et des
odeurs les plus exquises. 388.
Il était assis sur un siège exécuté en oudoumbara, cou-
vert d'un tapis de lin et entouré de toutes les choses, que
prescrit la règle, enseignée par les Castras. 389.
Les brahmes, les kshatryas, les vaîçyas et les coudras
se réjouissaient clans un commun accord du sacre de ce
magnanime à la noble figure. 390.
Quand il fut sacré, Indra des rois, le destructeur des
héros ennemis, Râdhéya, les comblant de nishkas, de
vaches et d'or, fit réciter les bénédictions aux principaux
des brahmes : 391.
« Triomphe des Prithides, secondés par Govinda, ac-
compagnés de leurs suivants ! » dirent les encomiastes et
les brahmes à l'éminent guerrier. 392.
» Extermine les Pândouides et les Pàntchàlains, Râ-
dhéya, et donne-nous la victoire, comme le soleil en se
levant dissipe les ténèbres par ses rayons victorieux !
» Aidés par Kéçava, les Pândouides sont incapables de
soutenir l'aspect des flèches lancées par toi, de même que
les hibous ne peuvent supporter la vue des rayons flam-
boyants du soleil. Les Prithides avec les Pàntchàlains ne
sont point capables de tenir le pied ferme en face de toi,
comme les Dânavas devant le grand Indra, quand vous
avez pris l'un et l'autre vos armes. » 393 — 394 — 395.
Après qu'on l'eut sacré, Râdhéya, enveloppé d'une
immense lumière, surpassait les autres par sa splendeur
KARNA-PÀRVA 493
et ses formes, tel qu'un second auteur du jour. 396.
Dès que ton fils eut inauguré l'Aclhirathide dans le gé-
néralissimat, poussé par la mort, il se crut alors arrivé au
comble de ses vœux. 397.
Lorsqu'il eut obtenu cette fonction suprême, sire, Karna
lui-même commanda le rassemblement des armées poul-
ie temps où le soleil se lève. 398.
Environné par tes fils, Bharatide, il brillait alors, tel
que Skanda, entouré par les Immortels, dans le combat
de Târakâmaya. 399.
« Alors que Karna eut obtenu ce commandemeut des
armées, s'enquit Dhritarâshtra, qu'il eut reçu du roi ces
paroles affectueuses comme le langage d'un frère, 400.
» Et commandé le rassemblement des armées pour
l'heure où le soleil se lève, que fit ce prince à la vaste
science ? Raconte-moi cela, Sandjaya ! » 401.
Aussitôt que tes fils, ô le plus excellent des Bharatides,
lui répondit Sandjaya, connurent le sentiment de Karna,
ils firent annoncer le rassemblement précédé par les con-
certs joyeux des instruments de musique. 402.
Ce grand lendemain arrivé, ton armée, respectable mo-
narque, fit éclater soudain un bruit immense : « Le ras-
semblement ! Voici [heure du rassemblement ! » s'é-
criait-on de toutes parts. 403.
C'était, souverain des hommes, les cavaliers et les fan-
tassins, qui s'armaient, les chariots, leurs gardes et les
principaux des éléphants, que l'on équipait. 404.
C'était un fracas tumultueux, confus, immense, s'éle-
vant jusqu'aux cieux, de guerriers, qui jetaient des cris,
en s'excitant à se presser les uns les autres. 405.
Ensuite, le fils du cocher apparut avec son char, dont
494 LE MAH/Y-BHARATA.
le vent loi soufflait l'étendard au visage (1), ce véhicule,
rempli de cent carquois, muni d'arcs resplendissants
comme le soleil pur, avec son drapeau blanc, ses che-
vaux couleur du plumage des ardées, son arc au dos en
or, et son insigne de la ceinture d'éléphant, avec ses
gardes, parés de bracelets, portant des leviers de fer, des
tridents, des lances, des clochettes et des çataghnîs.
Z,06— 407— 408.
Il remplissait de vent sa conque, semée de points d'or,
sire, et brandissait un grand arc, ornementé d'or. 409.
Dès qu'ils virent debout sur son char l'héroïque Karna,
le meilleur des maîtres de chars, tel que l'inaccessible so-
leil levant, qui dissipe les ténèbres, 410.
Qui que ce fût des Kourouides ne songea en ce mo-
ment, tigre des hommes, à l'infortune de Bhîshma, ni aux
malheurs de Drona, ni à ceux des autres. 411.
Stimulant, auguste sire, les guerriers avec le bruit de
sa conque, l'Adhirathide entraîna la grande armée des
Kourouides. 412.
L'héroïque Karna, le destructeur des ennemis, ayant
adopté l'ordre de bataille en Makara, d'attaquer les Pân-
douides avec le désir de les vaincre. 413.
Râdhéya, sire, de se placer dans le muffle du monstre
marin ; le vaillant Çakouniet le grand héros Ouloûka for-
mèrent ses deux yeux. 414.
Le fils de Drona se rangea dans la tête ; tous les frères
germains prirent position dans le cou; environné d'une
puissante armée, le roi Douryodhana se mit au milieu du
corps. 415.
(1) Commentaire sur le mot abhipatâka, inconnu aux dictionnaires:
c'était, dit-il, un sinistre augure.
KARNA-PARVA. 495
Entouré de vaillants et vigoureux combattants et de
rois ivres de la furie des combats, Kritavarman fit, Indra
des rois, son quartier du pied gauche. 416.
Le Gotamide au courage infaillible se tint ferme dans
le pied droit, environné de méridionaux et de Trigart-
tains aux arcs de vastes dimensions. 417.
Celui, qui se massa dans la jambe gauche avec une
nombreuse armée, levée dans la contrée de Madra, fut
Çalya. 418.
Le véridique Soushéna, entouré, puissant roi, d'un
millier de chars et de trois centaines d'éléphants, se jeta
dans la jambe droite. 419.
Deux princes, deux frères à la grande vigueur, Tchitra
et Tchitraséna, accompagnés d'une nombreuse armée,
furent placés dans la queue. 420.
Tandis que Karna, le plus éminent entre les premiers
des hommes, s'avançait, Indra des rois, dans cet ordre de
bataille, Dharmaràdja, ayant fixé les yeux sur Dhanan-
djaya, lui adressa ce langage : 421.
« Vois, héros, fils de Prithâ, cette armée des Dhiïta-
ràshtrides, défendue par de vaillants guerriers aux grands
arcs ; vois comme l' Adhirathide l'a disposée icien bataille !
» Cette grande armée du Dhritarâshlride a perdu ses
plus braves héros : le reste n'a aucune saveur, guerrier
aux longs bras, et ta victoire est certaine, Phàlgouna.
422-423.
» Arrache-moi ce dard, qui est depuis douze aimées
dans ma blessure ! Ayant ainsi la connaissance des choses,
guerrier aux longs bras, range l'armée en bataille, dans
l'ordre, qui te plaît. » 424.
Ces paroles de son frère entendues, le Pândouide aux
896 LE MAHA-BHARATA.
blancs coursiers disposa son armée à l' encontre des enne-
mis dans un ordre de bataille en demi-lune. 425.
Bhîmaséna d'assurer le côté gauche et Dhrishtadyoumna
au grand arc le côté droit. 426.
Le roi et le Pcàndouide Dhanandjaya se tinrent au mi-
lieu de cette lune ; Nakoula et Sahadéva se mirent der-
rière Dharmarâdja. 427.
Les deux Pântchâlains, gardes de ses roues, défendus
à leur tour par Kirîti, Youdhâmanyou et Outtamaâudjas,
n'abandonnèrent pas Arjouna dans la bataille. 428.
Les autres héroïques souverains des hommes soutenaient,
la cuirasse endossée, cette disposition militaire, suivant
leur part, suivant leur énergie, suivant leurs efforts. 429.
Les Pândouides avaient ainsi disposé ce grand ordre
de bataille; et les tiens aux vastes arcs d'appliquer leur
esprit au combat. 430.
Quand le Dhritarâshtride avec ses amis vit son immense
armée soumise à l'Adhirathide dans la guerre, il regarda
les fils de Pândou comme déjà frappés de mort ; 431.
Et de même Youdhishthira, le souverain des peuples,
ayant vu l'armée Pândouide dans son large développement,
estima déjà mort le Dhritarâshtride, accompagné de
Rarna. 432.
De tous côtés résonnaient les conques, étaient frappés
les tymbales, les panavas, les tambourins, les doundou-
bhis, les tambours et les grosses caisses. 433.
Dans l'une et l'autre armée, les instruments de musique
firent éclater de grands sons ; et le cri de guerre naquit
parmi les guerriers, qui désiraient la victoire. 434.
De toutes parts, le hennissement des chevaux , le barrit
des éléphants, le grincement des roues du char mêlaient
KAUNA-PARVA. 497
ensemble, souverain des hommes, leurs sons terribles. 435.
Quiconque n'a point connu l'infortune de Drona, la sait,
maintenant qu'il voit l'héroïque Karna, revêtu de sa cui-
rasse, à la tête de cet ordre de bataille. 436.
Ces deux armées, remplies d'hommes pleins d'ardeur,
se tenaient, sire, altérées de combat, avec un désir mutuel
de se donner la mort sous leur puissance réciproque. ZI37.
Dès qu'ils se virent l'un L'autre déployant leurs efforts,
le pied ferme, irrités, le Pândouide et Karna (1) de s'a-
vancer au milieu des armées. 438.
Celles-ci croisèrent les armes en dansant ; et ceux, qui
désiraient combattre, sortirent des ailes et des troupes les
plus avancées. 439.
Ensuite s'éleva, puissant roi, ce combat de chars, d'élé-
phants, de coursiers et d'hommes, qui s'adressaient mu-
tuellement la mort. 440.
Ces deux grandes armées d'éléphants, de chevaux et de
guerriers pleins d'ardeur, s'étant approchées l'une de
l'autre, combattirent, égales en splendeur aux Asouras et
aux Dieux. 441.
Ces fantassins, éléphants, chevaux, chars et guerriers,
à la valeur formidable, se livrèrent de violents combats,
qui détruisaient la vie et le péché dans leurs corps. 442.
Ces héros jonchèrent la terre des têtes de héros, sem-
blables à des parfums, et qui avaient la beauté des lotus,
du soleil ou de la lune en son plein. 443.
Avec des bhallas, semblables à des demi-lunes, des
flèches en fer à cheval, des épées, des pattiças et des
haches, ils tranchaient les têtes des combattants. 444.
(1) Texte de Bombay.
ix 32
498 LE MAHA-BHARATA.
Abattus par les bras longs et bien nourris des guerriers
aux bras longs et potelés (1), les bras tombés brillaient
sur la terre, avec leurs armes et leurs bracelets. 445.
Le sol resplendissait de mains aux doigts rouges, pal-
pitants comme des serpents horribles à cinq têtes, rejetés
des serres de Garouda. 446.
Sous les coups d'un ennemi, les héros tombaient des
chars, des éléphants, des chevaux, tels que des person-
nages, admis parmi les hôtes du Swarga, tombent de leurs
chars divins, quand ils ont épuisé la récompense de leurs
vertus, 447.
Broyés par centaines, les braves étaient abattus dans le
combat sous les massues pesantes, les haches et les pilons
de plus vigoureux braves. 448.
Dans cette bataille infiniment troublée, les cavaliers
étaient écrasés par les chars et les cavaliers, comme les
éléphants ivres par des éléphants enivrés. 449.
Les guerriers étaient renversés par les chars, les chars
eux-mêmes par les éléphants, et les hommes de pied sous
les pas des cavaliers; les fantassins gisaient dans le combat,
immolés par les hommes portés sur des chevaux ; les chars,
les chevaux et les fantassins par des éléphants ; les che-
vaux, les chariots et les éléphants par des hommes de
pied ; les chars, le fantassin, les pachydermes et les guer-
riers, qui combattent sur des éléphants, tombaient eux-
mêmes, abattus par de simples cavaliers.
450—451.
Un grand carnage de guerriers, d'éléphants, de cour-
siers et de chariots fut accompli par les héros, les traits,
(1) Tuatologie:
KARNA-PARVA. 499
les pieds et les mains, les chars, les chevaux, les éléphants
et les hommes de guerre. 452.
C'est ainsi que dans cette armée battue et détruite par
des héros, les fils de Prithâ, conduits par Vrikaudara,
s'approchèrent de nous. 453.
Dhrishtadyoumna, Çikhandî, les beaux Draâupadéyains,
Sâtyaki, Tchékitana et les guerriers Drâvidas, 454.
Les Pândyas, les Tcholas et les Rérâlas, environnés
d'une nombreuse armée, à la poitrine large, aux longs
bras, à la haute stature, aux grands yeux, 455.
Aux bouquets de fleurs sur le sommet de la tête, aux
dents rouges, au courage d'éléphants enivrés, portant des
habits de différentes couleurs, arrosés d'une poudre par-
fumée, 456.
Ceints de leur épée, le lasso à la main, revêtus de cottes-
de-maille et de cuirasses, estimant la mort, sire, au même
prix que la vie, ils ne s'abandonnaient pas les uns les
autres. 457.
Ceux-ci, environnés declochettes, l'arc àla main, lesche-
veux longs, des paroles aimables a la bouche, fantassins et
cavaliers, avaient un courage aux formes épouvantables.
Ceux-là couraient, revenant sur leurs pas, guerriers
Tchédiens, Pântchâlains, Kaîkayains, Karoûshas, Ko-
çalas, Kântchyas et Mâgadhains. 458 — 459.
Les chars, les éléphants, les héroïques et terribles fan-
tassins de ces peuples dansaient et riaient; et des musi-
ciens, portant divers instruments, exprimaient leur joie.
Environné des braves à la riche taille d'une nombreuse
armée, Vrikaudara, qui chargeait de son poids un élé-
phant, s'avança au milieu des tiens, 460 — 461.
Infiniment terrible, il brillait sur le plus excellent des
500 LE MAHA-BHARATA.
proboscidiens, équipé suivant l'art, comme le soleil, monté
sur l'horizon, qui s'élève sur un palais ou sur la cîme d'une
montagne (1). 462.
Exécutée en fer, son éminente cuirasse, ornée des plus
riches pierreries, avaient un éclat égal au ciel d'automne,
parsemé d'étoiles. 463.
La main non embarrassée d'un levier de fer, sa tête bien
ornée d'un riche diadème, il incendiait les ennemis par
une splendeur égale au soleil, quand il est parvenu en au-
tomne au milieu du jour. 464.
Ayant aperçu de loin ce grand pachyderme, Rshéma-
dhoûrtti, accourut, monté sur un éléphant et provoquant
•evec arrogance ce héros, encore plus arrogant que lui-
même. 465.
Le combat de ces deux éléphants aux formes terribles
fut tel que serait le choc de deux grandes montagnes,
couvertes d'arbres et douées d'un mouvement spontané.
Ces deux guerriers aux éléphants entrecroisés étroite-
ment se percèrent mutuellement de leviers en fer, sem-
blables aux rayons du soleil, et poussèrent des cris l'un
contre l'autre. 466—467.
Puis, s' éloignant avec leurs éléphants, ils décrivent des
circonvolutions ; et, prenant deux grands arcs, ils se
blessent réciproquement. 468.
Tous deux, réjouissant le peuple avec le sifflement des
flèches envoyées de tous côtés, le bruit des mains sur les
bras et le son des clochettes, y ajoutaient encore le rugis-
sement de la guerre. 469.
(1) Je traduis moins suivant la lettre que sur la syntaxe, à laquelle ce
texte devrait obéir.
KARNA-PAPtVA. 501
L'un et l'autre habiles, doués d'une grande vigueur, ils
combattaient sur leurs éléphants avec la trompe levée,
sous leurs drapeaux secoués par le vent. 470.
S'étant coupé leurs arcs mutuellement, ils s'appro-
chèrent et firent pleuvoir l'un sur l'autre les tridents et
les leviers de fer, comme les nuages versent leurs eaux
dans la saison des pluies. 471.
Kshémadhoûrtti de blesser Bhîma au milieu des seins
avec un levier de fer immensément rapide et d'en faire
siffler six autres. 472.
Le corpsenflammé de colère, Bhîmaséna, de ces leviers,
qui avaient pénétré dans ses membres, brillait comme le
soleil aux sept coursiers, voilé par des nuages. 473.
Déployant ses efforts, Bhîmaséna d'envoyer à l'ennemi
un levier de fer au vol rapide, à la couleur semblable à
celle du soleil. 474.
Le souverain des Kouloûtas banda un arc, coupa ce le-
vier avec dix flèches, et blessa avec soixante le fils de
Pândou. 475.
Ensuite, ayant pris un arc, sonore comme les nuages,
le Pândouide Bhîma vociférant blessa l'éléphant de son
rival. 476.
Ce colosse, tourmenté par les multitudes de flèches,
que lançait Bhîmaséna, ne tint pas, tout retenu qu'il fût
par son maître, et s'enfuit, comme un nuage chassé par
lèvent. 477.
Le gigantesque éléphant, que montait Bhîma, tel qu'une
nuée poussée par le souffle du vent, courut sur le pachy-
derme fuyant, de même qu'une nue emportée à la fougue
d'un vent orageux. 478.
L: auguste Kshémadhoûrtti, ayant arrêté son éléphant,
502 LE MAHA-BHARATA.
blessa de ses flèches l'éléphant de Bhîmaséna, qui accou-
rait. 479.
D'un trait en rasoir habilement décoché, aux nœuds in-
clinés, il coupa l'arc de son rival, et tourmenta l'animal
ennemi. 480.
Kshémadhoûrtti en colère fendit Bhîmaséna dans le
combat, et frappa dans tous les membres son éléphant de
nârâtchas acérés. 481.
Le grand pachyderme de Bhîmaséna tomba ; mais,
avant sa chute, celui-ci était sauté à terre, où, des coups
de sa massue, il broya l'éléphant de son rival. Vrikaudara
de frapper même avec ce pilon Kshémadhoûrtti, descendu
de son proboscidien meurtri, et qui s'avançait, ses armes
levées. Il tomba à côté de son éléphant, son épée à la
main, sans vie, frappé comme une montagne brisée de la
foudre, ou tel qu'un lion atteint par le tonnerre. Dès
qu'elle vit couché mort ce monarque des Kouloûtas, qui
répandait sur elle-même sa renommée,
482— 483— 484— 485.
Ton armée de s'enfuir, pleine de trouble, fils de Bha-
rata. 486.
L'héroïque Rarna au grand arc immola dans le combat,
de ses flèches aux nœuds inclinés, l'armée des fils de
Pândou. 487.
Et les héros Pândouides (1) irrités, sire, détruisaient
aux yeux de Karna, l'armée de ton fils. 488.
Ce guerrier lui-même, sire, extermina dans ce combat
l'armée Pândouide avec les nârâtchas de son arc resplen-
dissant, et semblables aux rayons (2) du soleil. 489.
(1) Pdndavds, texte de Bombay.
(2) Texte de Bombay.
RARNA-PARVA. 505
Blessés par ses traits, les éléphants criaient, s'affais-
saient, languissaient, erraient aux dix points de l'espace.
Tandis que cette armée tombait, taillée en pièces par
le fils du cocher, Nakoula se jeta devant lui d'un pied ra-
pide dans ce grand combat. 490 — 491.
Bhîmaséna arrêta le fils de Drona, tandis qu'il exécu-
tait un exploit difficile ; et Sâtyaki s'opposa aux deux
Raîkéyains, Vinda et Anouvinda. 492.
Çroutakarman fut empêché dans sa marche par Tchitra-
séna, le maître de la terre ; et Prativindhya fit obstacle à
Tchitra, qui portait un arc et un drapeau variés. 493.
Douryodhana courut sur le roi Youdhishthira, fils
d'Yama; et Dlianandjaya fondit avec colère sur les troupes
des conjurés. 494.
Dhrishtadyoumna combattit avec pitié dans ce carnage
des plus grands héros, Çikhandî s'approcha de l'impéris-
sable Kritavarman. 495.
Le fils illustre de Mâdrî se joignit, puissant monarque,
avec ton fils Çalya, et l'auguste Sahadéva avec Douççâ-
sana. 496.
Les deux Raîkéyains couvrirent Sàtyaki d'une pluie
lumineuse de flèches ; et Sâtyaki leur répondit par une
averse de traits. 497.
Ces deux héroïques frères le blessèrent profondément
au cœur, tels que deux nâgas frappent de leur corne dans
une vaste forêt un nâga ennemi. 498.
Ces deux frères, la cuirasse brisée par les dards, frap-
pèrent de leurs traits dans le combat, sire, Sâtyaki, aux
œuvres de vérité. 499.
Celui-ci les couvrit en riant d'une pluie de flèches,
grand roi, et les arrêta de tous les côtés. 500.
Empêchés par la pluie de ses traits, ceux-ci répan-
504 LE MAHA-BHARATA.
dirent lestement le voile de leurs dards sur le char de
Çaînéya. 501.
Quand le rejeton de Çoûra, à la vaste renommée, eut
coupé les arcs merveilleux de ces deux héros, il les cou-
vrit dans la guerre de ses flèches mordantes. 502.
Ils prirent d'autres arcs admirables et de grands pro-
jectiles ; puis, ils s'avancèrent légèrement, avec art, et
d'en submerger Sâtyaki. 503.
Lancées par eux, ces longues flèches, qui étaient revê-
tues des plumes du paon et du héron, tombèrent avec
leurs ornements d'or, illuminant toutes les plages du ciel.
Il régna une profonde obscurité de flèches dans leur
grande bataille, et ces fameux héros se tranchèrent mu-
tuellement leurs arcs. bOli — 505.
Alors Sâtyaki irrité, ivre de la furie des combats, prit
un nouvel arc, Maharâdja, et le munit de sa corde dans la
bataille. 506.
D'un kshourapra bien acéré, il enleva la grande tête
d'Anouvinda, qui tomba, sire, enflammée de ses boucles-
d'oreille. 507.
Ainsi immolé dans cette bataille acharnée, la tête de
cet éminent héros croula rapidement sur la terre, jetant la
douleur chez tous les Kaîkayains. 508.
Dès qu'il vit ce brave étendu mort, son vaillant frère
munit de sa corde un nouvel arc et enferma de tous côtés
Çaînéya dans le réseau de ses /lèches. 509.
Il blessa Sâtyaki de soixante dards empennés d'or, ai-
guisés sur la pierre ; il poussa un cri hors de sa vigou-
reuse poitrine, et lui dit : « Arrête ! arrête ! » 510.
Le grand héros des Kaîkéyains décocha rapidement sur
Sâtyaki, entre ses deux bras, dans sa poitrine, plusieurs
milliers de traits. 511.
KARNA-PA1WA. 605
Sàtyaki au courage de vérité, blessé de ses flèches en
tout son corps, brillait dans le combat, sire, comme un
kinçouka en fleurs. 512,
Atteint par ce magnanime, il frappa en riant le
Kaîkéyain de vingt-cinq traits. 513.
Ces deux éminents maîtres de chars se tranchèrent
l'un à l'autre dans ce combat leurs arcs magnifiques,
firent mordre rapidement la poussière à leurs cochers et
se tuèrent leurs agiles chevaux. h\l\.
Réduits sans chars, ils prirent à leurs bras vigoureux
des boucliers, parsemés de cent lunes, et s'affrontèrent
dans la bataille pour un combat à l'épée. 515.
Armés des deux meilleurs cimeterres, ils brillaient
dans ce grand champ de bataille, tels que jadis ces deux
vigoureux athlètes Djambha et Çakra dans la guerre des
Asouras et des Dieux. 516.
Ils décrivaient des cercles ; puis , ils s'approchaient
rapidement l'un de l'autre dans ce grand combat. 517.
Ils déployèrent les plus vastes efforts pour se donner
mutuellement la mort ; ensuite le Sâtwatide de trancher
en deux le bouclier du Kaîkéyain. 518.
Mais ce prince coupa aussi la parme de Sâtyaki. Quand
il eut fendu ce bouclier couvert par des troupes d'étoiles,
Il décrivit des cercles, des marches et des contre-
marches, au milieu desquels le rejeton de Çini, doué de
rapidité, blessa d'un coup oblique ce guerrier, qui mar-
chait sur le champ de bataille, armé du plus excellent des
cimeterres. L'héroïque Kaîkéyain, coupé en deux avec sa
cuirasse, tomba comme une montagne sous un coup de la
foudre. Quand il l'eut tué dans le combat, le brave Çaî-
néya, ce fléau des ennemis, le plus grand des héros,
506 LE MAHA-BHARATA.
monta précipitamment sur le char de Youdhâmanyou.
Ensuite, roulant sur un nouveau char, équipé suivant les
prescriptions, 519—520—521—522—523.
Sâtyaki dissipa avec ses flèches la grande armée des
Kaîkéyains. Elle fut taillée en pièces dans le combat ; et,
abandonnant l'ennemi (1) , il courut par les dix points de
l'espace. 524 — 525.
Çroutakarman irrité, sire, perça de cinquante flèches
dans le combat Tchitraséna, le maître de la terre. 526.
Après que son rival eut frappé de neuf traits aux nœuds
inclinés Çroutakarman, il blessa de cinq son cocher.
Irrité, Çroutakarman envoya un nârâtcha bien acéré
frapper Tchitraséna, à la tête de l'armée, dans un organe
de la vie. 527—528.
Grièvement blessé de la flèche de fer lancée par ce
magnanime, le héros tomba en syncope et entra dans la
défaillance de l'esprit. 529.
Dans cette conjoncture, Çroutakîrti à la haute renom-
mée couvrit de neuf traits le maître de la terre ; 530.
Et l'héroïque Tchitraséna, revenu à la connaissance,
coupa son arc d'un bhalla et le blessa lui-même de sept
flèches. 531.
Çroutakarman prit un nouvel arc, ornementé d'or,
destructeur de la rapidité, et fit porter, sous les flots de
ses traits, des formes variées à Tchitraséna. 532.
Ce jeune roi, sur la tête duquel était un bouquet de
fleurs différentes, brillait dans le combat tel qu'un jeune
homme dans une riche parure au milieu d'une assem-
blée. 533.
(1) Çatroun, texte de Bombay.
RàRNA-PARVA. 507
Il blessa de nouveau avec hâte Çroutakarman d'un
nàrâtcha au milieu des seins, et lui cria : « Arrête ! ar-
rête ! » 53/i.
Çroutakarman à son tour le frappa d'un nàrâtcha avec
colère, et le sang coula en ce moment comme l'or dans
les ruisseaux d'une montagne. 535.
Les membres imprégnés de sang, revêtu de splendeur
par le sang, ce héros brillait dans le combat, semblable à
un kinçouka en fleurs. 53(3.
Çroutakarman, poursuivi par l'ennemi, trancha dans
sa colère, sire, la cuirasse de son rival et coupa son arc
en deux. 537.
Il couvrit dans ce combat le héros à l'arc brisé de trois
cents nârâtchas, et le blessa de ses bonnes flèches.
Puis, avec un autre bhalla, violent, acéré, il enleva la
tête du magnanime, coiffée de son casque.
538—539.
Le chef enflammé de Tchitraséna tomba sur le sol,
comme la lune, qui, d'un mouvement spontané, irait du
ciel sur la terre. 5/iO.
Dès qu'ils virent leur royal compagnon étendu mort,
auguste monarque, les guerriers de Tchitraséna s'enfuirent
d'un pied rapide. 541.
Le héros irrité courut avec ses flèches sur l'armée, de
même que le roi des morts fond sur toutes les créatures à
la fin d'un youga. 542.
Taillés en pièces dans le combat par ce vaillant archer,
ton petit-fils, ils fuyaient précipitamment dans toutes les
plages, comme des éléphants, consumés par l'incendie
d'une forêt. 5/i3.
A la vue de ces ennemis, qui couraient sans espérance
508 LE MAHA-BHAKATA.
dans la victoire, Çroutakarman de briller, accélérant la
fuite par ses traits acérés, 544.
Prativindhya déchire Tchitra de cinq dards ; il blesse
de trois son cocher et fend son drapeau avec une seule
flèche. 545.
Tchitra lui décoche entre les bras, dans la poitrine,
neuf bhallas, empennés d'or, à la pointe luisante, volant
avec l'aile des paons et des ardées. 546.
Prativindya trancha son arc avec des flèches, Bharatide;
et le frappa lui-même de cinq traits acérés. 547.
L'autre envoya à ton petit-fils (1), grand roi, une lance
inaflrontable, aux clochettes d'or, pareille à l'épouvan-
table flamme du feu. 548.
Mais Prativindya soudain frappa dans son vol cette
arme semblable à un grand météore, et, riant, il en fit
deux morceaux. 549,
Les fragments de cette lance, causés par les traits aigus
de Prativindya, tombèrent comme la foudre à la fin d'un
youga, portant la terreur chez toutes les créatures. 550.
Dès qu'il vit son épieu détruit, Tchitra saisit une grande
massue, parsemée de points d'or, et l'envoya sur Prati-
vindya. 551.
Elle assomma ses chevaux, son cocher dans ce grand
combat et, quand elle eut broyé son char, elle entra avec
rapidité au sein de la terre. 552.
Dans l'instant même, il avait déjà sauté à bas de son
char, Bharatide, et dardé sur Tchitra une lance en fer,
ornée d'un manche d'or. 553.
(1) Prativindhya, fils d'Youddishthira et petit-fils supposé de Dhritaràsh-
tra, par suite de cette paternité honorifique, transportée de Pàndou à son
frère aine.
KARNA-PARVA. 509
ïchitra au grand cœur, sire, la rempauma dans son vol
et la renvoya, seigneur, à Prativindhya. 554.
Douée d'une vive lumière, elle atteignit le héros dans le
combat, lui broya le bras droit et pénétra dans le sein de
la terre. 555.
Elle tomba, illuminant, comme la foudre, ces lieux à la
ronde. Irrité jusqu'à désirer la mort de Tchitra, Prati-
vindhya lui envoya un levier de fer, ornementé d'or.
L'arme fendit la cuirasse, qui défendait son corps et lui
déchira le cœur. 556 — 557.
Elle entra précipitamment dans la terre, comme un
long serpent dans son trou. Alors ce roi tomba, frappé de
ce levier de fer. 558.
Aussitôt que les tiens, brillants de la beauté des ba-
tailles, virent Tchitra, couché mort, étendant ses bras
longs, potelés, semblables à des massues, 559.
Ils coururent lestement de tous les côtés sur Prativin-
dhya, lui décochant des traits divers et des çataghnîs, ac-
compagnés de clochettes. 560.
Ils le couvrirent comme le soleil est voilé par les nuages;
mais ce héros aux longs bras les dissipa dans le combat
par les multitudes de ses flèches. 561.
Il mit en déroute ton armée, comme le Dieu, qui tient
la foudre, dispersa l'armée Asourique. Les tiens, sire,
battus par les Pândouides dans le combat, 562.
Furent aussitôt disséminés, tels que des nuages chassés
par le vent. Tandis que cette armée fuyait, battue de tous
les côtés, le Dronide s'avança d'un pied hâté, seul, vers
Bhîmaséna à la grande vigueur. Alors eut lieu soudain
la rencontre épouvantable de ces deux héros, comme fut,
dans le combat des Asouras et des Dieux, le choc de
510 LE MAHA-BHARATA.
Vritra et du maître des Immortels. 563 — 564 — 565.
Ensuite, accompagné de la plus grande hâte, sire, et
montrant la légèreté de ses traits, le Dronide blessa d'une
flèche Bhîmaséna ; 566.
Et de nouveau, en homme agile, qui n'ignore pas les
organes de la vie, ayant observé tous ses membres, il le
frappa de neuf traits acérés. 567.
Hérissé de ces dards aigus par le Dronide, Bhîmaséna
resplendissait dans le combat, sire, tel que le soleil, envi-
ronné de ses rayons. 568.
Avec un millier de flèches bien décochées, le Pândouide
couvrit le fils de Drona et jeta son cri de guerre. 569.
Celui-ci d'arrêter les traits avec ses traits, et de blesser
en riant d'un nârâtcha dans la guerre le fils de Pândou au
milieu du front. 570.
Il portait cette flèche implantée dans son front, sire, de
même qu'un fier rhinocéros porte sa corne au sein d'une
forêt. 571.
A son tour% le courageux Bhîma en riant de blesser de
trois nârâtchas au milieu du front le Dronide, qui déployait
ses efforts dans la bataille. 572.
Le brahme resplendissait de ces flèches mises dans son
front, comme une sourcilleuse montagne à trois pitons
arrosés d'eau dans la saison des pluies. 573.
Le fils de Drona harcela le Pândouide avec des cen-
taines de traits, sans réussir à l'ébranler plus qu'une mon-
tagne n'est émue du vent. 57/i.
De même le Pândouide, rempli d'ardeur, ne put ébranler
dans le combat avec des centaines de flèches aiguës le
Dronide, comme une averse d'eau n'émeut pas une mon-
tagne. 575.
KARNA-PARVA. 511
Ces deux grands héros à l'immense vigueur, se couvrant
l'un l'autre de traits épouvantables, resplendissaient, de-
venus les chefs des héros. 576.
Tous deux semblables à des soleils enflammés, auteurs
de la ruine des mondes, ils se consumaient l'un l'autre par
leurs flèches triomphantes, pareilles aux rayons du soleil.
Tous deux, faisant efforts dans ce grand combat pour
contre-carrer le jeu de leur adversaire, ils s'étudiaient sans
crainte par des multitudes de flèches à faire coup et ri-
poster. 577 — 578.
Les plus éminents des hommes, ils se promenaient dans
la bataille, comme deux tigres inaffrontables, inspirant
l'effroi par leur gueule en forme d'arc, et leurs dents en
figures de flèches. 579.
Ils étaient invisibles par les multitudes de traits, qui
tombaient de tous les côtés, de même que le soleil et la
lune, quand ils sont voilés dans les cieux par des masses
de nuages. 580.
Un instant, ces dompteurs des ennemis apparurent aux
yeux, comme Angâraka et Boudha, débarrassés d'une
foule de nuées. 581.
Tandis que ce combat très-épouvantable se livrait, le
Dronide y mit à sa droite Vrikaudara. 582.
Répandant sur lui ses terribles centaines de flèches,
telles que les gouttes de la pluie sur une montagne, Bhîma
ne put supporter que ce brahme offrît les signes de la
victoire sur un ennemi. 583.
Quoiqu'il fût placé à droite, le Pândouide lui résista,
sire, en des portions de cercles, en des allées et des
retours. 584.
Le combat de ces deux hommes-lions fut tumultueux.
512 LE MAHA-BHARATA.
Après qu'ils eurent exécuté différentes figures, le cercle
et même l'action de rester immobile, ils se frappèrent l'un
l'autre de flèches longues, bien lancées, et déployèrent les
plus grands efforts pour arriver à leur mort mutuelle.
585—586.
Ils avaient le désir de se réduire l'un l'autre sans char
dans ce combat. Ensuite, le vaillant héros Açwatthâman
fit apparaître de grands astras. 587.
Le Pândouide frappa ces astras des siens dans le com-
bat. Alors se développa, grand roi, une bataille épouvan-
table d' astras, telle que l'horrible guerre entre les pla-
nètes à la destruction des créatures. Lancés par eux, Bha-
ratide, les traits s'attachaient ensemble, 588 — 589.
Illuminant toutes les plages et ton armée de tous les
côtés. L'atmosphère était devenue épouvantable sous les
multitudes de flèches, dont elle était environnée. 590.
On eût dit le combat entouré de la chute des météores
ignés, sire, dans l'extermination des créatures. Les dards
en s' entrechoquant y firent naître le feu. 591.
La splendeur enflammée, que produisaient les étincelles,
brûlait, grand roi, les deux armées ; et les Siddhas, se ras-
semblant dans ce champ de bataille, tinrent alors ce lan-
gage: 592.
u Ce combat est au-dessus de tous les combats ! Tous
les autres ensemble, dirent-ils, seigneur, n'équivalent
point à la seizième partie du diamètre de celui-ci. 593.
» Jamais il n'y eût et jamais on ne verra un combat
pareil à cette bataille ! Oh ! que ces deux héros sont bien
doués de la science du brahme et du kshatrya ! 59/i.
» Oh ! que leur courage est terrible ! Comme ils sont
pourvus l'un et l'autre d'héroïsme ! Oh ! que fihîmaséna
KARNA-PARVA. fiit
possède une vigueur épouvantable ! La science des armes
est en lui parfaite. 595.
» Oh ! combien grande est la force de ce héros ! Oh !
qu'il y a d'excellence en ces deux athlètes- ! Ils se tiennent
dans le combat semblables au Trépas, à la Mort, à
Yama!
» Ces deux tigres des hommes aux formes terribles dans
la bataille, ressemblent (1) à deux Roudras, ou ce sont
deux soleils, ou ce sont deux Yamas ! » 596 — 597.
Telles se firent mainte et mainte fois entendre les pa-
roles des Siddhas ; au milieu d'elles, éclata le cri de
guerre des hôtes du ciel rassemblés. 598.
La vue des exploits merveilleux, inimaginables de ces
deux héros dans la guerre, fit naître l'admiration des
troupes de Siddhas et de Tchâranas. 599.
Ils furent célébrés par les Dieux, les Siddhas et les plus
excellents Rishis: « Bien, Dronide au grand arc, s'é-
criaient-ils ; bien, Bhîmaséna! » 600.
Ces deux héros, qui avaient exercé leurs violences l'un
contre l'autre dans le combat, se regardaient mutuelle-
ment avec colère, tenant levés leurs arcs. 601.
Les yeux rouges de colère, les lèvres de colère toutes
tremblantes, grinçant les dents avec colère, ils se mor-
daient les lèvres. 602.
Ces deux grands héros, se couvrant l'un l'autre d'une
pluie de dards, ressemblaient dans la bataille à deux
nuages, qui ont des traits pour éclairs et des flèches pour
eau. 603.
Après qu'ils se furent coupé leurs drapeaux et percé
(i)Sambhoûtaâv'. teïfefle Bombât.
514 LE MAHA-MARATA.
leurs cochers dans ce grand combat; après qu'ils se
furent massacré leurs chevaux, ils s'adressèrent des coups
réciproques. 60ZI.
Irrités, puissant roi, ils saisissent deux traits clans cette
immense bataille; et, animés par un désir mutuel de
leur mort, ils envoient à la hâte l'un sur l'autre ces deux
flèches. 605.
Illuminant avec ces dards le front des armées, grand
roi, ils s'approchèrent, insoutenables, et se frappèrent
avec la rapidité de la foudre. 606.
Ces deux vaillants héros, atteints profondément de
leurs flèches et de leur rapidité mutuelle, tombèrent alors
sur le siège de leurs chars. 607.
Dès qu'il vit le fils de Drona sans connaissance, aussi-
tôt, sire, son cocher l'emmena hors du champ de bataille,
à la vue de toute l'armée. 608.
De même, quand le cocher du Pândouide vit Bhîma-
séna montrer à chaque instant, sire, le dérangement de
son esprit, il retira sur le char, hors de la plaine du
combat, ce destructeur des ennemis. 609.
« Raconte-moi comment fut la bataille d'Arjouna avec
les conjurés, interrompit Dhritarâshtra, et des autres mo-
narques avec les Pândouides ; 610.
» S'il y eut un nouveau combat d'Açwatthâman avec
Arjouna, et des autres souverains avec les fils de Pàndou ;
raconte- le-moi, Sandjaya? » 611.
Ecoute, sire, de ma bouche, répondit l'interrogé, com-
ment se déroula, des ennemis avec nos guerriers , ce
conflit, qui détruisait les existences dans les corps. 612.
Quand le Prithide fut entré dans l'armée des conjurés,
semblable à une mer, il l'agita par ses coups destructeurs
KARNA-PARVA 515
des ennemis, de même que l'océan est troublé par un
vent orageux. 613.
Dhanandjaya de trancher, avec ses bhallas acérés, les
têtes des héros, et d'abattre leurs visages, ornés de jolies
dents, de beaux sourcils, de charmants yeux, et semblables
à la lune en son plein ; Qïlx.
Il en eut bientôt jonché la terre comme de lotus séparés
de leurs tiges. Arjouna de couper aux ennemis dans ce
combat avec ses flèches en rasoir leurs bras longs, pote-
lés, bien arrondis, parfumés d'aloës et de sandal, revêtus
de la manique, portant leurs armes et semblables à des
serpents à cinq têtes. 615 — 616.
Plus d'une fois, le Pândouide trancha de ses bhallas
les mains, armées de leurs flèches, ornées de leurs joyaux,
les arcs, les drapeaux, les cochers, les chevaux et les
cavaliers (1). 617.
Arjouna conduisit dans le combat au palais d'Yama,
sire, avec plusieurs milliers de flèches, les chars, les élé-
phants, les chevaux et les cavaliers. 618.
Remplis de colère, les-premiers des braves, mugissants
comme des taureaux, qui ont senti les fumées d'un rival,
couraient, pleins d'ébriété sur le héros irrité, échangeant
avec lui des coups de flèches, tels que des taureaux avec
leurs cornes. Ce combat de lui et d'eux faisait se hérisser
le poil d'épouvante; 619 — 620.
Ainsi fut, pour la conquête des trois mondes, la bataille
des Daîtyas avec le Dieu, qui tient la foudre. Lorsqu'il eut
arrêté de tous les côtés avec ses astras les astras des enne-
mis, Arjouna 621.
fl) Dourydn douri/agntûn, texte île Bomoay.
516 LE MAHA-BHARATA.
Les perça d'une main hâtée avec ses flèches nombreuses
et leur ôta la vie. Les combattants immolés avec les co-
chers, les ceintures des éléphants et les caisses des chars
en pièces, 622.
Les carquois et les armes dispersés, les drapeaux dé-
chirés, les chars réduits à ne pas laisser après eux un seul
morceau, comme le vent fait des grands nuages, les roues
et les moyeux échappés, les attaches et les couples tom-
bées, sans timons, sans gardes, les traits et les rênes
cassés : tel fut l'exploit admirable, causant la stupéfac-
tion de tous, accroissant l'épouvante des ennemis, égal à
la prouesse d'un millier de grands héros, qui fut accompli
par le Victorieux Arjouna. 623 — 624 — 625.
Les Tchâranas, les Siddhas, les chœurs des Dévarshis
le célébrèrent ; les tambours des Dieux battirent, et des
pluies de fleurs tombèrent du ciel sur la tête de Réçava
et d' Arjouna. Une voix, qui ne venait pas d'un corps, dit
ces mots : « Ces deux héros, Arjouna et Kéçava, ont tou-
jours porté la splendeur de l'armée enflammée des étoiles,
du feu, du vent, de la lune et du soleil. Ces deux héros
invincibles, montés dans un même char, sont comme
Brahma et Içâna. 626—627—628.
» Ce sont Nara et Nârâyana. les héros les plus grands
entre tous les êtres! » Dès qu'il eut vu et qu'il eut en-
tendu ce merveilleux prodige, 629.
Açwatthâman fondit aussitôt dans le combat sur les
deux Krishnas ; et le fils de Drona dit en riant et le pro-
voquant, son dard à la main, ces mots au Pândouide, qui
lançait des flèches, destructives des ennemis : « Si tu
penses, héros, que je suis venu ici en hôte digne de toi,
630— 631.
KARNA-PARVA. 517
» Donne-moi donc maintenant de toute ton àme l'hos-
pitalié du combat! » Défié par le fils de l'Atchârya, au-
quel le désir de combattre inspirait ces nobles paroles,
Arjouna crut en estime pour ce héros même et tint ce
langage à Djanârddana : « 11 faut que je tue les conjurés ;
mais voici le Dronide, qui me provoque ! 632 — (533.
» Dis -moi, Mâdhava, ce qui convient immédiatement
ici ! Que les honneurs de cette hospitalité soient accordés,
s'il te plaît, au rival, qui se lève devant nous ! » 634.
A ces mots, Krishna de voiturer le Prithide, défié
d'une manière triomphante, en présence du fils de Drona :
ainsi, le Vent mène Indra au sacrifice. 635.
Kéçava de saluer le Dronide, qui n'avait qu'une seule
pensée, et de lui dire : « Açwatthâman, sois ferme et ris;
tu vas combattre à l'instant. 636.
» Voici le moment pour les vivants d'offrir le gâteau
funèbre aux mânes d'un parent ; c'est une question sub-
tile de savoir si ces deux vigoureux kshatryas sont in-
vincibles ou non à des brahmes. 637.
<> Sois ferme et combats maintenant le Pândouide avec
le souhait d'obtenir de lui cette pieuse cérémonie funèbre,
où tu aspires dans ta démence. » 638,
A ces mots du Vasoudévide : « Qu'il en soit ainsi! »
répondit le plus grand des brahmes, qui blessa Kéçava
de soixante et Arjouna de trois nâràtchas. 639.
Phàlgouna, dans une ardente colère, trancha son arc
avec trois flèches ; mais le fils de Drona s'arma d'un
autre beaucoup plus terrible ; 6/i0.
Et, l'ayant muni de sa corde dans l'intervalle d'un clin-
d'œil, il fr ppa Kéçava et Arjouna; il perça de trois cents
le Vasoudévide et de mille le fils de Prithâ. 6M.
518 LE MAHA-liHARATA.
Puis, d'arrêter Arjoùna qui s'avançait dans le combat,
et de lancer des traits par milliers, par million?, par cen-
tae86S.de millions. 6û2.
K) Las flécteg, tombaient au récitateur des saintes écri-
jtaDQs[de-)Si0iI aaafqçolSj de son arc, de sa corde, de ses
bras,.^Jse^ft&iu^demi$©hrihuj ,de son visage, de son
t>rgiaiî^dJ&u3tiqik&}yfeieosi ses
jasetonbi>es,J cteKBes)J^f)f^£'0<^e9^ss> p&upièffesipdeesbni .nfha'rl'et
de se&MlrapôaiiQœjï fifc&f^tôâ'&l 92 'rfr* '
oilQuarcêirîlrélit' percé d'une nombreuse multitude de
flèches Mâdhava et le Pândouide , Açwatthàman joyeux
poussa un cri égal au son d'une masse de grands nuages.
A peine eut-il entendu son cri, le Pândouide tint ce
langage à l'Immortel : « Vois, Mâdhava, quelle est à mon
égard la méchanceté du fils de l'Atchârya ! tf&5 — 646.
» Il nous regarde comme arrivés (1) à la mort et déposés
déjà sur un lit de flèches!... Me voici ! Je détruirai cette
pensée de lui par ma science et ma vigueur ! » 647.
Il coupa en trois chacun des traits, que décochait
Açwatthàman, et le plus éminent des Bharatides les dis-
sipa comme le vent emporte une gelée blanche. 6/18.
Ensuite, le fils de Pândou extermina une seconde fois,
de ses terribles dards, les conjurés avec les chevaux, les
cochers, les chars, les éléphants, les drapeaux et les ba-
taillons de fantassins. 649.
Chacun des hommes, que l'on vit étaler ces formes de
blessures, pensait alors qu'il s'était rempli soi-même
de (lèches par sa propre puissance. 650,
Les traits aux formes diverses, lancés par le Gandiva,
(1) Pràptaâu, texte de Bombay.
RARNA-PAIWA. 519
frappent dans ce combat les hommes et les éléphants, fus-
sent-i's placés à la distance d'une grande lieue. 651.
Tranchées par les bhallas, les trompes des éléphants,
qui versent le mada comme une pluie, tombaient, telles
que des arbres immenses sous les coups de la hache. 652.
Ensuite, s'affaissaient, comme des montagnes, avec les
guerriers, qu'ils portaient, les proboscidiens eux-mêmes,
tels que des massifs d'arbres brisés par la foudre du Dieu,
qui tient le tonnerre. 653.
Plein de la furie des combats, Dhanandjaya fit pleuvoir
la grêle de ses traits sur des chars bien équipés, ayant les
formes de la ville des Gandharvas, montés de vaillants
guerriers, attelés de chevaux rapides et bien dressés, il
réduisit en morceaux les ennemis, fantassins et cavaliers
aux riches ornements. 65ZI — 655.
Tel que le soleil au terme d'un youga, Dhanandjaya tarit
la grande mer des conjurés, difficile à dessécher, avec ses
flèches acérées en guise de rayons lumineux. 656.
A son tour, en se hâtant, le Dronide fendit cette alpe
sourcilleuse avec ses nârâtchas d'une grande vitesse et
semblables à la foudre, comme une montagne est brisée
par le tonnerre. 657.
Animé par le désir des combats, le fils irrité de l'A-
tchârya s'en alla combattre le Prithide, ses chevaux et son
cocher, avec ses flèches ; mais Phâlgouna de lui trancher
ses dards. 658.
Açvvatthâman, au comble de la colère, décocha ses
traits au Pàndouide, comme on enverrait une épouse à un
pandit, son hôte. 659.
Et Dhanandjaya, abandonnant les conjurés, s'avança
vers le lils de Drona, de même qu'un bienfaiteur, s'éloi-
520 LE iYiAHA-BHAUATA.
gnant d'un indigent prolétaire, s'approche du pauvre,
qui est de son rang. (560.
Ensuite, naquit ie combat de ces deux héros, quiavaient
ia splendeur d'Angiras et de Çoukra : ainsi, dans les
deux, près des constellations, se passe la bataille entre ces
deux rishis. 661.
Se brûlant mutuellement par les rayons enflammés des
flèches, ils se tenaient, causant l'effroi des mondes, comme
deux planètes malfaisantes. 662.
Arjouna le perça grièvement d'un nârâtcha au milieu
des sourcils, et le Dronide brillait sous cette blessure, de
même que le soleil, qui projette en haut ses rayons. 663.
Atteints fortement par les centaines de flèches, que lan-
çait Açwatthâman, les deux Krishnas ressemblaient à deux
soleils, pleinement épanouis dans la multitude de leurs
rayons à la fin d'un youga. 664.
Dans ce moment où le Vasoudévide était vaincu, Ar-
jouna d'envoyer un astra, qui avait un tranchant de tous
les côtés, et de frapper le fils de Drona avec des flèches,
qui ressemblaient à la foudre, au feu, au sceptre d'Yama.
Le brahme à la grande splendeur, aux œuvres très-épou-
vantables blessa dans les membres Arjouna et Kéçava.
Dès que celui-là eut arrêté les flèches du Dronide en ses*
efforts avec deux fois autant de traits bien associés, bien
empennés, de la plus terrible vitesse, et dont les coups
auraient ému la mort elle-même ; dès qu'il en eut couvert
ce chef des guerriers avec son drapeau, ses chevaux et son
cocher, il s'avança contre l'armée des conjurés,
Les ares, les dards, les carquois, la corde de l'arc, les
mains, les bras, la flèche tenue au poing, les ombrelles,
les drapeaux, les coursiers, les couvertures des chars, les
KARNA-PARVA. 521
bouquets de ileurs et les parures. 665 — 666 — 667 — 6H8.
Les plus vaillants des hommes, les éléphants, les che-
vaux, les chariots parfaitement équipés, montés par des
guerriers héroïques, qui avaient déployé leurs efforts,
tombèrent, abattus sous les centaines de traits, décochés
par le fils de Prithâ. 669.
Continuellement croulaient sur la terre, coupés par les
rasoirs, les demi-lunes, les bhallas, les têtes des héros,
flamboyantes de parures, de bouquets, de tiares, avec des
visages semblables à la lune en son plein, au soleil et au
lotus. 670.
Les héros Nishâdas, Angas, Bangas et Kalingas, brû-
lants de lui arracher la vie, fondirent, avec des éléphants,
pareils aux éléphants des Asouras, ennemis des Immor-
tels, sur le violent Pândouide, qui enlevait l'orgueil aux
ennemis des Dieux. 671.
Le fils de Prithâ coupa les cuirasses, les boucliers, les
trompes, les cornacs (1), les drapeaux de ces éléphants ; et
les étendards tombèrent comme des cimes de montagnes,
frappées du tonnerre. 672.
Aussitôt qu'il les eut rompus, Kirîti de couvrir le (ils du
gourou avec ses dards, semblables au soleil nouveau,
comme le vent masque l'astre radieux à son lever avec des
masses de grands nuages. 673.
Ensuite, le Dronide abattit de ses traits acérés les traits
d'Arjouna : il en couvrit entièrement Phâlgouna et le Va-
soudévide, tel qu'un nuage voile au milieu du ciel, à la fin
des chaleurs, le soleil ou la lune, et poussa un rugissement
de guerre. 674 .
(1) Niyantrin, texte de Bombay;
522 LE MAHA-BHARATA.
Mais, en proie à ces flèches, Arjouna de s'avancer vers
les tiens, il produisit soudain une obscurité de traits et les
blessa tous de ses dards à la belle empennure. 675.
On ne voyait pas Arjouna dans son char, ni prendre ses
dards au carquois, ni les encocher, ni les tirer ; mais on
voyait les chars, les éléphants, les coursiers, les fantas-
sins immolés et le corps cousu de flèches. 676.
Le Dronide encocha lestement dix excellents nârâtchas
et les envoya comme un seul d'une main hâtée; cinq de
ces traits bien empennés blessèrent Arjouna et cinq fen-
dirent le Vasoudévide. 677.
Les premiers de tous les hommes, ces deux braves,
semblables à Indra etKouvéra, laissaient échapper le sang
de leurs veines, et les autres guerriers pensèrent: «Ces
deux héros blessés dans le combat, furent vaincus par un
mortel, qui possède complètement la science de l'arc ! »
« Pourquoi balancer ? dit à Arjouna le roi des Daçâ-
rhains. Immole ce guerrier ! Une faute sera commise par
l'homme trop circonspect! Il ressemble, cet infortuné, à
une maladie, contre laquelle on n'emploie pas de remède. »
« Oui ! » répondit-il à l'Atchyouta ! et, mettant décote
la négligence, [envoya des traits, qui frappèrent au Dro-
nide avec effort ses bras arrondis, imprégnés de l'essence
même du sandal, sa tête et sa poitrine grandes, incompa-
rables. 678—679—680.
Irrité, il blessa Le fils de Drona dans cette bataille avec
des traits lancés par le Gândîva, et qui ressemblaient aux
vikarnas ; et, quand il eut coupé ses rênes et ses chevaux,
les spectateurs dirent qu'il se trouvait extrêmement loin
du combat ! 681.
Complètement vaincu par les flèches du Prithide, em-
KARNA-PARVA. 523
porté par ses chevaux, rapides comme le vent, le sage s'en
alla; il n'aspira plus à un nouveau combat avec le fils de
Prithâ, dont il avait fait l'expérience. 682.
Ayant reconnu que la victoire était fidèle à Dhanandjaya,
protégé par l'ineffable Vrishnide, le plus excellent des An-
girasides entra légèrement dans l'armée de Karna, ses
efforts brisés, ses moyens, ses astras et ses traits dé-
truits.
Quand il eut arrêté ses coursiers et raffermi son cou-
rage, le Dronide entra donc en l'armée de Karna, remplie
de guerriers, de chevaux et de chars. 683 — 68Zi.
Dès que ses coursiers eurent entraîné hors du champ de
bataille Açwatthâman, l'ennemi acharné, de même qu'une
maladie est chassée du corps par la combinaison des re-
mèdes, des simples et des vers magiques, 685.
Arjouna et Kéçava de s'avancer, le front tourné vers les
conjurés, sur un char, qui résonnait comme les flots et
dont le drapeau était agité par le souffle du vent. 686.
Cependant il s'élevait au nord, dans l'armée des Pàn-
douides un bruit de chars, d'éléphants, de chevaux et de
fantassins, que le roi taillait en pièces. 687.
Kéçava, ayant fait retourner le char, dit à Phâlgouna,
en ramenant sur leurs pas ses coursiers, qui avaient la ra-
pidité du vent ou de Garouda : 688.
<. Mâgadha, d'une vaillance extrême et monté sur son
éléphant meurtrier, n'était pas inférieur à Bhagadatta
lui-même, ni en instruction, ni en force. 689.
» Quand tu l'auras immolé tu abattras ensuite les con-
jurés. » Comme il achevait ces mots, il conduisit le fils
de Prithâ en lace de Dandadhâra : 690.
« Ce roi des Mâgadhains, tel qu'une comète sans che-
524 LE MAHA-BHARATA.
veux, n'est inférieur à personne, quand il a pris son élé-
phant et son croc aigu. Épouvantable, il a broyé la terre
entière et l'armée des ennemis, comme une comète épa-
nouie ! 601.
» Voilà ce broyeur des ennemis au son pareil à celui
d'un grand nuage, le voilà bien équipé, et semblable aux
bataillons des Dânavas ! Les attaquant, il a détruit de
par milliers les troupes des éléphants, des chevaux, des
ses flèches chars, et des guerriers eux-mêmes. » 692.
Affrontant les chars, les coursiers, les cochers et les
guerriers, le géant pachyderme les broyait sous ses
j >ieds : il écrasait de sa trompe et de sa marche les éléphants
ennemis, tel que la mort malfaisante. 693.
Ayant renversé les guerriers, ornés de leurs cuirasses
de fer, et les chevaux, et les fantassins, il les triturait
bruyamment, comme de grands roseaux, sous les pieds de
son vigoureux éléphant, le plus excellent des pachy-
dermes. 69Zi.
Arjouna (1) fondit sur le gigantesque éléphant avec son
éminent chariot, retentissant de tambourins, de tambours,
de plusieurs conques, avec le grincement des roues et le
bruit de sa corde, dans ce combat rempli de chars, d'élé-
phants et de chevaux par milliers. 695.
Ensuite, Dandadhara atteignit Arjouna avec douze et
Djanârddana avec seize flèches ; il frappa ses chevaux de
trois dards individuellement et se mit à rire trois et quatre
lois. 696.
En retour, le fils de Prithâ lui coupa sa corde, ses
(1) Arjounas, du texte de Bombay, au nominatif, qu'il faut à la phrase
pour lui donner un sens, au lieu d'Arjounan à l'accusatif, que rien ne
justifie dans l'édition de Calcutta.
KARNA-PARVA. 525
flèches, son arc, son drapeau avec ses ornements ; puis,
il blessa ceux, qui menaient ses chevaux et les hommes
attachés à ses pas; enfin, il s'irrita comme le Dieu, qui
préside aux chaînes de montagnes. 697.
L'autre, qui désirait ébranler fortement Arjouna avec
son éléphant aux joues fendues, qui versait une épaisse
liqueur de mada, et possédait une vigueur égale à celle
du vent, frappa de ses leviers de fer Djanârddana et
Dhanandjaya. 698.
Le Pândouide eut bientôt coupé de trois flèches en ra-
soir ses bras semblables à la trompe de l'éléphant, sa tête
et son visage pareil à une lune en son plein ; puis, il diri-
gea des centaines de traits sur le proboscidien lui-même.
Atteint par les flèches du Prithide, l'éléphant, couvert
d'ornements d'or et qui portait une cuirasse d'or, brillait
en ce moment, tel que l'on voit dans la nuit resplendir
une montagne, dont les plantes annuelles et les arbres
brûlent dans l'incendie spontanée d'une forêt.
699—700.
En proie à la douleur, l'animal errait, mugissait, se
mouvait, chancelait et courait, avec le bruit des nuages ;
enfin, percé d'outre en outre, il tomba avec son conduc-
teur, comme une montagne, que le tonnerre a déchirée.
Après la mort de son frère, tué avec cet éléphant cou-
leur d'or, aux bouquets de fleurs en or, et semblable à la
cîme en or d'une alpe élevée, Danda de s'avancer, impa-
tient d'arracher la vie à Dhanandjaya, le frère mineur
d'Indra. 701—702.
Il darda trois leviers de fer, pareils aux rayons de la
lumière ou à la flamme du soleil ; il en expédia cinq à
Dhanandjaya, et poussa un vaste cri; mais, répondant
526 LE MAHA-BHARATA.
avec sa voix à cette immense clameur, Phâlgouna de lui
couper les bras. 703.
Entièrement tranchés par ces dards en rasoir, ces deux
bras avec leurs grands leviers de fer, leurs éblouissants
bracelets, et la poudre de sandal, dont ils étaient arrosés,
tombés du même coup sur la terre, y brillaient comme
deux resplendissants reptiles, qu'une même chute amène
du sommet d'une montagne. 70Zi.
Sa tête, que Rirîii enleva avec une demi-lune, croulant
du pachyderme sur la terre, illumina cette région avec le
sang, qu'elle répandait, comme le père du jour, descendu
au mont Asta, éclaire de ses rayons la contrée occiden-
tale. 705.
Le fils de Prithâ fendit de ses flèches triomphantes,
semblables à des rayons de lumière, cet éléphant, égal
aux grandes masses de nuées blanches ; et l'animal, pous-
sant des cris, tomba, comme le sommet d'une montagne,
que le tonnerre d'Indra vient de frapper. 706.
Les autres éléphants de haute taille, pareils à celui-ci
et désireux de remporter la victoire, furent traités de cette
manière par Kirîti dans la bataille ; et ces deux éléphants
abattus, l'immense armée de l'ennemi fut enfoncée. 707.
Des chars, des éléphants, des chevaux, des bataillons
de guerriers s'affaissaient à la ronde, s' entr' égorgeant
les uns les autres ; et des hommes, de qui la renommée
avait beaucoup parlé, tombaient dans le combat, chance-
lant sous leurs mutuelles blessures. 708.
Arjouna fut environné de ses guerriers, comme Pou-
randara est entouré par les chœurs des Dieux : « Créa-
tures animées, que nous sommes, lui dirent-ils, nous
avons craint la mort, qu'il pouvait nous donner, mais
KARNA-PARVA. 527
heureusement, héros, tuas immolé notre ennemi! 709.
!> Si tu ne sauves pas (1) de la crainte ce peuple tour-
menté ainsi par des ennemis puissants, tu feras plaisir à
nos rivaux ; comme (2) la joie sera pour nous, dompteur
des ennemis, si tu leur donnes la mort. » 710.
Lorsqu'il fut revenu, Djishnou immola un grand nombre
de conjurés, comme la planète Angarâkadans son passage
malfaisant et sinistre. 711.
Atteints par les flèches du Prithide, sire, les éléphants,
les chars, les chevaux, les guerriers vacillaient, erraient,
périssaient, s'affaissaient et languissaient. 712.
Les coursiers et les cavaliers, les cochers, les drapeaux,
les arcs, les flèches, les mains, les armes portées à la main,
les bras et les têtes des héros ennemis, combattant contre
lui, furent coupés dans la bataille par le Pàndouide avec
ses bhallas, ses rasoirs, ses demi-lunes et sesvatsadantas.
713— 71 h.
Les braves tombaient par centaines et par milliers dans
leur désir de combattre Arjouna, comme des taureaux,
qui veulent combattre un taureau, aussitôt qu'ils ont senti
ses fumées. 715.
Ce combat d'eux et de lui était épouvantable, pareil à
celui où les Daîtyas disputaient au Dieu, qui tient la
foudre, la conquête des trois mondes. 716.
Le fils d'Ougrâyoudha le blessa de trois flèches, sem-
blables à des serpents venimeux ; et le Pàndouide enleva
la tête à son corps. 717.
(1) Deux négations valent une affirmation : si tu sauves ce peuple,
implique un contre sens; quand deux négations sont de suite, dirons-nnu?
paradoxalement, la seconde confirme la première : Na tchéd arakshya.
(2) Yathà, texte de Bombay.
528 LE MAHA-BHARATA.
Irrités, ils firent pleuvoir de tous les côtés sur Arjouna
des traits de plusieurs sortes : tels, au départ de la saison
des chaleurs, les nuages, chassés par le souffle du vent,
inondent l'Himavat. 718.
Mais aussitôt qu'il eut arrêté de toutes parts les traits
avec ses traits, Arjouna, de ses flèches bien décochées,
fit mordre la poussière à tous les ennemis en grand
nombre. 719.
Arjouna de ses dards les eut bientôt réduits sans dra-
peaux, sans chars, sans disque de guerre, toutes leurs ar-
mures détachées, les carquois échappés de leurs mains,
les caisses de chars renversées en multitude, les conduc-
teurs à pied de leurs premiers chevaux abattus à droite et
à gauche, les moyeux, les attaches, les traits cassés, les
voitures sans couple, sans pièces de soutènement (1).
Ces chars, tombés là, souvent plusieurs à la fois, bril-
laient comme les plus excellents et ressemblaient aux pa-
lais des riches, où les cérémonies du feu, du vent et de
l'eau sont interrompues. 720 — 721 — 722.
Les éléphants aux cuirasses brisées sous les flèches,
semblables au tonnerre de la foudre, tombaient, tels que
des cîmes de montagnes ou le sommet des palais abattus
sous la chute des feux du tonnerre. 723.
Les chevaux et les cavaliers tombaient en grand nombre,
percés par les guerriers ; il avaient la langue et les en-
trailles saillantes, et la vie éteinte, ils mouraient sur la
terre. 724.
Cousus de nârâtchas par l'Ambidextre, les guerriers,
les chevaux, les éléphants, tombaient, auguste roi,
'{) Commentaire.
KARNA-PA1WA. 529
erraient, poussaient des plaintes, vacillaient et languis-
saient. 725.
Ainsi que le grand Indra faisait mordre la poussière aux
Dânavas, de même le fils de Prithà les inondait sous ses
flèches en grand nombre, semblables au poison de la
foudre et resplendissantes sur la pierre, comme le ton-
nerre. 726.
Les héros avec leurs drapeaux, avec leurs chars, avec
leurs armes excellentes, parés de cuirasses d'un grand
prix, gisaient sous diverses formes, immolés par le fils
de Prithâ. 727.
Des mortels aux œuvres saintes, cités par leur famille
distinguée, sont allés de leur corps sur la terre, comme
l'on conquiert le ciel par des œuvres puissantes. 728.
Les tiens, chefs de plusieurs contrées habitées, fon-
dirent avec leur armée et le sentiment de la colère sur
Arjouna, le meilleur des maîtres de chars. 729.
Des héros, portés sur des éléphants, des chevaux,
des chars, et des hommes de pied, ambitionnant la victoire,
accoururent (1), disséminant diverses armes au vol ra-
pide. 730.
Alors ce vent d' Arjouna dissipa bientôt sous ses flèches
acérées cette grande pluie, formée d'armes, que versaient
de grands nuages composés de combattants. 731.
« Prithide, pourquoi t'aventurer, mortel sans péché ?
dit le Vasoudévide au fils de Prithâ, qui désirait traverser
sur un pont, bâti d'astras et de traits, ce combat rempli
d'une multitude de grandes flèches, avec des chars, des
éléphants, des fantassins et des chevaux. 732 — 733.
(1) Samabhyadhâvan, texte de Bombay.
ix 34
530 LE MAHA-BHARATA.
« Oui ! » répondit-il à Krishna, et, les abattant avec sa
flèche, il tua violemment ce qui restait des conjurés,
comme Indra extermina les Daîtyas. 734.
Les hommes, qui apportent le plus de soin dans leur
observation , ne le voient pas même dans le combat
prendre son trait au carquois, et encocher, ou lancer ra-
pidement sa flèche. 735.
« C'est un prodige ! » disait en lui-même Govinda. Et
ses dards pénétraient dans l'armée, comme les cygnes
entrent dans un lac du mont Asta, doré par les rayons du
soleil. 736.
Tandis que ce carnage des peuples se déployait sur la
terre du combat, Govinda, regardant l'Ambidextre, lui
tint ce langage : 737.
« Voici un immense carnage, fils de Prithâ, infiniment
épouvantable, des Bharatides et des princes 'de la terre,
qui s'exécute à cause de Douryodhana ! 738.
» Vois, Bharatide, ces arcs au dos en or des fameux
archers, et ces carquois, et ces parures, qu'ils ont rejetés.
» Vois ces flèches aux nœuds inclinés, aux empennures
faites d'or, et ces nârâtchas, imprégnés d'huile de sé-
same, qui ressemblent à des serpents déchaînés !
» Et ces leviers de fer épars, divers, dont l'or fait les
ornements, Bharatide, et ces boucliers rejetés au dos
en or! 739— 740— 741.
» Et ces traits barbelés, dont l'or a changé la matière,
et ces lances de fer, ornementées d'or, et ces vastes mas-
suas, où sont attachés des rubans tissus d'or! 742.
» Et ces glaives forgés d'or, et ces pattiças, dont l'or
fait la décoration, et ces bâtons de commandement diver-
sifiés par l'or, et ces haches disséminées ! 743.
KARNA-PARVA. 581
» Les pilons, les bhindipâlas, les bhouçoundis, les
épieux, les traits harponnés de fer et les pesants mousha-
las, épars sur la terre. 7hà.
» On voit, comme s'ils étaient vivants, des hommes
agiles, l'âme exhalée, qui tiennent à la main leurs traits
de différentes sortes et qui semblent désirer la victoire.
» Vois les guerriers à milliers broyés par les chars, les
éléphants, les chevaux, la tête écrasée par les moushalas,
les membres piles sous les coups de la massue. 7/j5-7/i6.
» Vois les champs du combat, meurtrier des ennemis,
couverts des corps expirés, baignés par des flots de sang,
coupés en mille morceaux, des coursiers, des éléphants,
des guerriers par les flèches, les lances, les glaives et les
leviers de fer, les cimeterres, les pattiças, les traits bar-
belés, les nakharas, et les bâtons ferrés eux-mêmes.
» Voici la terre, qui brille de bras saupoudrés de san-
dal, ornés de leurs bracelets inférieurs et supérieurs,
Bharatide, avec leurs étincelantes pierreries, et ceints
de leurmanique; 7k7—7li8 — 7Zi9.
» Et de grandes mains de guerriers impétueux, semées
çà et là avec leurs décorations, et la défense de leurs
doigts, coupées telles que des trompes d'éléphants! 750.
» Et de têtes avec leurs pendeloques, riches de joyaux
et d'aigrettes attachées, de chars abattus en grand nom-
bre et de brillantes clochettes d'or. 751.
» Vois ces milliers de chevaux , arrosés de sang, ces
caisses de chars brisées, ces carquois, ces drapeaux, que
différencient les enseignes, 752.
» Et les grandes conques des guerriers, leurs blancs
chasse-mouches, et les éléphants, la langue saillante,
étendus, semblables à des montagnes, 753.
532 LE MAHA-BHARATA.
» Les bannières victorieuses, les héros, qui aspiraient
à la victoire, immolés, les couvertures peintes des élé-
phants, et les tapis aux couleurs bien assorties ! 75/i.
» Et les caparaçons admirables, aux formes diverses,
arrachées du corps des proboscidiens, et les sonnettes
broyées par milliers dans la chute des éléphants, 755.
» Les bâtons de pierreries et de lapis-lazuli, les crocs
tombés sur la terre, les chapelets, liés sur la tête, dé-
pouillés de cheveux, et les armures, admirables de pierres
fines ! 756.
» Et les cravates, dont l'or a changé la matière, liées
au sommet des drapeaux des cavaliers, et les peintures
ornées d'or, aux pierreries admirables, 75^.
» Et les housses, tissues en poil de rankou, et tombées
du corps des chevaux sur la terre , et les aigrettes en
pierres fines des souverains, et leurs bouquets en fleurs
d'or! 758.
» Vois les ombrelles, les arcs épars, les chasse-mouches,
les éventails, la terre, qui présente aux yeux l'aspect de
visages aux barbes nouvellement faites (1), comme un
lac épanoui de koumoudas blancs, cl'outpalas azurés et de
lotus rouges, resplendissants d'héroïsme ou semblables à
la lune en son plein. 759 — 760.
» Vois cette guirlande de flèches, pareille au zodiaque
dans les cieux, qui a la splendeur de la lumière pure du
ciel, orné du troupeau des étoiles, et qui étale ses visages
de souverains, égaux à la fleur des koumoudas blancs et
des lotus d'azur. Fais dans ce grand combat, Arjouna, ce
qui est digne de toi, ou l'exploit, qui fut consommé par
(1) Kripta, texte de Bombay.
KARNA-PARVA. 533
toi dans le ciel en ta guerre pour le roi des Immortels. »
.761—762—763.
Tandis que Krishna faisait voir ainsi la terre du combat
à Rirîti, il entendit, en marchant, un grand bruit s'élever
dans l'armée de Douryodhana : c'était le rugissement des
tambours et des conques; c'était le fracas des tambourins
et des panavas. 76ZI.
C'était le bruit, le hennissement, le barrit des élé-
phants, des chevaux et des chars, auquel se mêlait l'épou-
vantable sifflement des flèches. Dès qu'il fut entré dans
cette armée, semblable à la rapidité des vents, Krishna
vit avec étonnement ces divisions accablées par le Pân-
dhyen. Le meilleur à lancer des astras, des dards et diffé-
rentes flèches dans un combat, il immolait de ses dards aux
traits de plusieurs espèces les multitudes des ennemis,
comme la mort détruit les hommes, de qui la vie s'est
exhalée Le plus excellent des guerriers, les ayant percés
de ses traits, fit tomber sous ses flèches acérées les têtes
des éléphants, des coursiers et des combattants, leur âme
chassée du corps. Ensuite, le Pândhyen immola les enne-
mis, les plus grands héros (1), avec ses flèches, qui
étaient rangées parmi les traits les plus excellents des
astras (2) , comme Çakra détruisit les Asouras.
765—766—767—768- 769.
« Tu as commencé par dire, observa le roi Dhritarâsh-
tra, que cet illustre héros était renommé dans le monde ;
mais tu n'as point raconté, Sandjaya, quels exploits il
accomplit dans la guerre. 770.
(1-2) Nous établissons le sens comme il est exigé par la raison: pravi-
râns.... astrais nânâçasiraîs.
534 LE MAHA-BHARATA.
» Narre-moi en détail la valeur de ce fameux guerrier,
son instruction, sa puissance, son énergie, sa taille et
même sa fierté. » 771.
Bhîshma, Drona, Kripa, Açwatthâman, Karna, Arjouna
et Djanârddana à la science consommée dans l'arc et
ceux, que tu regardes comme les plus grands des héros,
lui répondit Sandjaya, 772.
Ce général (1) ne pense pas que tous ces fameux guer-
riers aient une valeur égale à son courage : il ne regarde
pas un souverain quelconque, comme égal à soi-même.
Il ne supporte pas l'égalité avec lui de Bhîshma et de
Drona ; il désirait donc (2) l'infériorité avec lui-même du
Vasoudévide et d' Arjouna. 773 — 17!\.
Le plus excellent de tous ceux, qui portent les armes,
le Pândouide, le plus grand des souverains, tailla en
pièces, comme la mort elle-même, l'armée défaite de
Karna. 775.
Le Pândouide immola cette réunion de troupes, qui
tournait sous sa force, comme la roue d'un potier, et que
remplissait les plus éminents des fantassins, les chevaux
et les chars les plus excellents. 776.
Tel que le vent dissipe les nuages, le Pândouide dis-
persa, sous ses flèches convenablement décochées, les élé-
phants aux armes rejetées çà et là, et les héros sans dra-
peaux, sans cochers, sans chevaux. 777.
(i) Tous les dictionnaires, même Bohtlingk et Roth ne disent rien sur
le mot ûkshipati; dans leur silence, je traduis comme s'il y avait akshaâu-
hinipati; mais le nom de Karna ne devrait pas se trouver dans l'énumé-
ration précédente.
(2) Le texte de Bombay écrit : nnitchtchhara, qui fait un contre-sens.
Au lieu du tai, qui n'a point de signification dans l'édition de Calcutta,
supposez une autre particule, que le sens appelle.
KARNA-PARVA. 535
De même que le roi des Monts abat, sous les coups de
sa foudre, le sommet des montagnes, .ainsi le Pândouide
renversa les gardes à pied, les éléphants et les guerriers,
qui combattent sur les éléphants, réduits sans drapeaux,
sans armes et sans guidons. 778.
Après qu'il eut fait, avec ses flèches, sans cuirasses et
sans traits, les Poulindas, les Khasas, les Vâhlîkas, les
Nishâdas, les Andrakas, les Kountalas, les habitants du
midi et les héros Bhodjains, sans pitié dans les batailles,
et les chevaux, et les cavaliers, armés de lances, de traits
barbelés et de carquois, il les priva tous de la vie.
779—780.
Dès que le fils de Drona eut vu l'armée en corps taillée
en pièces sous les dards du fils de Pândou, il s'approcha
sans trouble du héros, dont rien ne troublait la tranquillité ;
Et le plus excellent des combattants, adressant d'une
voix douce et sans crainte la parole à ce guerrier sans
crainte, lui dit, en le provoquant et mettant un sourire
avant ses paroles : 781 — 782.
« Sire, qui es vanté pour ton illustre famille, de qui le
corps ressemble au diamant et les yeux aux pétales du
lotus, toi, de qui l'on célèbre le courage et la vigueur,
» Ta longue corde, que tu embrasses avec ta main, et
cet arc immense, que tu fais vibrer en tes bras rivaux, te
donnent, une ressemblance parfaite avec un grand nuage.
783—78/j.
» Quand tu verses tes flèches à la vaste impétuosité sur
les ennemis, je ne vois pas un autre guerrier, si ce n'est
moi, qui te soit opposé. 785.
» Seul, tu accables en grand nombre les chevaux, les
hommes de pied, les éléphants et les chars, comme l'intré-
53rt LE MAHA-BHARATA.
pide Vishnou à la vigueur épouvantable arrêta dans la
forêt les multitudes de gazelles. 786.
» Remplissant la terre et le ciel d'un immense bruit de
chars, tu semblés, Prithide, un nuage, auquel tient la ma-
turité et qui est environné de tonnerres, à la fin de la sai-
son des pluies. 787.
)> Prenant au carquois tes flèches acérées et semblables
aux serpents, combats avec moi seul en personne, comme
l'Asoura Andhaka avec le Dieu Tryambaka. » 788.
A ces mots: « Oui! répondit l'autre, et combats! »
Percé par le fils de Drona, celui, qui a pour enseigne le
Malaya, blessa d'un karni le fils du Bharadwâdjide. 789.
Le plus excellent des Atchâryas, le Dronide, en sou-
riant, frappa lePândyen de ses flèches très-violentes, qui
fendaient les organes de la vie et ressemblaient à la flamme
du feu. 790.
Açwatthâman de lancer même dans sa dixième attaque
d'autres nârâtchas bien associés, à la pointe très- resplen-
dissante et qui déchiraient les articulations. 791.
Le Pândyen de trancher ces traits de neuf dards acérés,
et d'offenser avec quatre flèches ses quatre chevaux, qui
furent bientôt privés de la vie. 792.
Après qu'il eut coupé de ses dards aigus les flèches du
fils de Drona, le Pândyen d'une autre, qui avait l'éclat du
soleil, trancha la grande corde de son arc. 793.
A peine avait-il muni de sa corde un arc céleste, le
Dronide, meurtrier des ennemis, vit de nouveaux cour-
siers ôminents, que ses compagnons (1) venaient d'atteler
à son char. 79Zi.
(1) Narais, texte de Bombay.
IURNA-PARVA. 557
Ensuite, le brahme envoya des milliers de traits, et
remplit complètement l'atmosphère et les plages de ses
flèches. 795.
Le Pândhien, l'éminent guerrier, à qui les Akshayâs (1)
étaient connus, fit périr tous les traits du magnanime, dé-
cochés par le fils de Drona. 796.
Quand l'ennemi eut coupé les flèches, que le Dronide
lançait avec effort, il repoussa de ses flèches acérées, dans
ce combat, les deux gardes de ses roues. 797.
Dès que le fils de Drona à l'arc toujours mis en cercle
vit cette légèreté de son ennemi, il dissipa avec ses traits
ceux de son rival, comme le fils du soleil repousse la pluie.
L'arme, qu'on appelle les huit chars attelés de huit
taureaux, le Dronide, auguste roi, la décocha dans la hui-
tième partie d'un jour. 798 — 799.
Tous ceux, qui virent alors, irritée comme la Mort et pa-
reille au trépas, cette arme du guerrier, qui ressemblait
à Yama, eurent, pour la plus grande partie, l'esprit jeté
dans l'égarement. 800.
Le fils de l'Atchârya inonda l'armée de l'averse de ses
flèches, tel que le nuage submerge de sa pluie, à la fin des
chaleurs, la terre avec ses forêts, avec ses montagnes.
Le vent du Pândhien, qui lança avec succès l'astra de
Vâyou, dissipa cet orage inaccessible de traits décochés
par le nuage du Dronide. 801 — 802.
Quand celui-ci eut tranché , sans qu'il jetât un cri,
son drapeau, semblable au Malaya, parfumé d'aloës et de
sandal, il immola (*2) ses quatre chevaux. 803.
(1) Le 6e jour d'un mois lunaire, qui tombe un dimanche ou un lundi,
et le 4e, qui arrive un mercredi.
(2) Ahanat, texte de Bombay.
538 LE MAHA-BHARATA.
Après qu'il eut frappé son cocher d'une seule flèche, il
trancha d'une demi-lune son arc, qui avait le son des
grands nuages, et réduisit son char en morceaux, comme
des grains de sésame. 80 h.
Lorsqu'il eut arrêté ses as t ras avec des astras, et coupé
toutes ses armes, Açwatthâman ne tua point l'ennemi,
tombé en son pouvoir par le désir de se réserver un nou-
veau combat. 805.
Dans ce moment, Karna fondit sur la grande armée des
éléphants, et dispersa alors cette grande armée des Pân-
douides. 806.
Les maîtres de chars furent mis sans chars; il réduisit
les proboscidiens et les chevaux sans cavaliers ; il abattit
les éléphants sous des flèches nombreuses aux nœuds in-
clinés. 807.
Et le Dronide au grand arc ne tua point l'homicide des
ennemis, le Pândhien, le meilleur des maîtres de chars,
privé de sa voiture, par le désir de se réserver une nou-
velle bataille. 808.
Et le guerrier habile dans les combats d'éléphants, le
héros, à qui est pour enseigne le Malaya, resta assis sur
son éléphant, le plus grand des proboscidiens, semblable
à une montagne, comme Hari, poussant des cris, sur le
sommet d'une montagne (1). 809.
Le meilleur des éléphants, bien équipé, son maître tué,
ayant une vigueur accrue par le bruit de l'ennemi, fondit
légèrement avec rapidité sur lui, et, blessé des flèches du
Dronide, répondit aux menaces de sa partie adverse. 810.
L'ennemi darda au fils du révérend, accablant son pa-
(1) Ce vers manque à l'édition de Calcutta.
KARNA-PARVA. 539
chyderme, un rapide levier de fer, qui avait l'éclat des
rayons du soleil, lancé avec de suprêmes efforts de colère,
accompagné du déploiement d'un astra vigoureux : tel le
maître souverain des montagnes décharge une foudre avec
des clameurs. 81 1 .
Elle était ornée de perles, de diamants les plus riches
et des pierreries les plus précieuses ; l'or s'y joignait aux
bouquets de fleurs et aux mousselines. « Tu es mort ! lui
cria-t-il joyeux, à plusieurs fois : tu es mort ! » et il re-
poussa le héros, qui portait l'ornement de tête du Dro-
nide. 812.
Cette arme, tombée sur le sol de la terre, réduite en
poudre, excédant les bornes, à coup sûr, comme une cîme
de montagne au vaste bruit, déchirée par la foudre de
Mahéndra, avait la splendeur de la laque, des étoiles, de
la lune et du soleil. 813.
Celui-ci flamboya de la plus ardente colère, de même
qu'un souverain des éléphants, blessé au pied ; et il enco-
cha quatorze flèches, semblables au bâton de la Mort et
produisant les douleurs des ennemis. 81/i.
Avec cinq, il abattit ceux, qui défendaient la trompe et
le bout des pieds de l'éléphant ; avec trois, il jeta à terre
les deux bras et la tête du roi ; avec six, il renversa les six
grands héros, compagnons du roi des Pândyens, six des
principaux ennemis. 815.
Les deux bras du prince, arrondis, bien longs, arrosés
du sandal le plus exquis et parés d'or, de perles, de
joyaux et de diamants, tombèrent sur le sol et s'y convul-
sèrent comme deux serpents, blessés par Garouda. 816.
Son énorme tête au visage pareil à une lune en son
plein, aux yeux grands, enflammés de colère, brillait sur
540 LE MAHA-BHARATA.
la terre, entre ses deux pendeloques, comme l'astre des
nuits, placé au milieu des deux Viçâkhâs (1). 817.
L'éléphant, mis en six morceaux par cinq flèches victo-
rieuses, et les quatre portions du monarque, résultat de
trois flèches, c'étaient dix parts, qu'avait faites ce vail-
lant (2) combattant, comme les dix portions divines d'une
oblation. 818.
Lorsqu'il eut donné successivement aux Rakshasas
cette nourriture abondante de chevaux, d'éléphants, de
guerriers et du roi Pândhien, et que le feu eut obtenu,
pour ainsi dire, le Swadhâ, cet ami des Mânes se calma,
comme sous l'effusion (3) de l'eau. 819.
Quand ce roi des hommes eut rencontré le fils du
brahme à la science accomplie ; quand il eut fait parvenir
à cette prouesse éminente celui-ci, environné de ses amis,
il lui rendit des honneurs infinis, comme le souverain des
Immortels offrit ses hommages à Vishnou après sa victoire
surBali. 820.
« Que fit Arjouna dans la guerre, s'enquit Dhritarâsh-
tra, après que Karna, ce héros unique, Sandjaya, eut mis
en déroute les ennemis? 821.
» Il m'est née une crainte violente, profonde, de ce
Dhanandjaya, homicide des ennemis, ce héros, sage, vi-
goureux, à la science accomplie, ce fils de Pândou, de qui
le magnanime Çankara vanta la bataille entre toutes les
créatures ; raconte-moi donc, Sandjaya, ce que fit alors
cePrithide. » 822—823.
(1) Le 16e astérisme lunaire, figuré par une guirlande et contenant deux
étoiles.
(2) Kouçaléna, texte de Bombay.
(3) Pravâhatas, même texte.
RARNA-PARVA. 5M
Après la défaite du Pândhien, répondit Sandjaya,
Krishna, se hâtant, n'adressa pas une seule bonne pa-
role à Arjouna, et je ne vois pas les Pândouides s'enfuir
du roi Youdhishthira. 82/|.
La grande armée des ennemis fut enfoncée par les Pri-
thides, ramenés au combat : et, suivant les conseils
d'Açwatthâman, les Srindjayas furent immolés par Karna.
L'héroïque Vasoudévide raconta à Kirîti tout l'immense
carnage de chars, d'éléphants et de chevaux, qui avait été
accompli. 825—826.
Dès qu'il entendit et qu'il vit le danger immense, épou-
vantable, que courait son frère : « Hrishîkéça, dit lePân-
douide, conduis rapidement mes chevaux de ce côté. 827.
Alors Hrishîkéça de s'avancer avec son char ennemi,
une rencontre terrible d'éclater là de nouveau. 828.
Les Rourouides et les Pândouides s'affrontèrent sans
crainte une seconde fois, les Prithides conduits par Bhî-
maséna, et nous, ayant à notre tête le fils du cocher. 829.
Ensuite s'éleva de rechef, ô le plus vertueux des rois,
à l'accroissement de l'empire d'Yama, l'effrayant combat
de Rarna et des Pândouides. 830.
Les arcs à la main, les flèches, les pilons, les épées, les
pattiças, les leviers de fer, les moushalas, les bhou-
çoundis, les lances, les glaives et les haches, les massues,
les traits aigus barbelés, les javelots harponnés, lessarba-
cannes et les énormes crocs, ils s'élancèrent rapidement
les uns sur les autres avec le désir de leur trépas mutuel.
831—832.
Ils s'approchèrent de l'ennemi, en remplissant Je ciel,
les points cardinaux, les plages intermédiaires, l'atmos-
phère et les échos de la terre avec le roulement des roues,
avec le bruit de la corde et des flèches sifflantes. 833.
542 LE MAHA-BHARATA.
Remplis d'ardeur et désirant aborder à la rive ultérieure
de cette bataille, les héros soutinrent contre les héros ce
combat d'une grande épouvante, enveloppé d'un immense
tumulte. 834.
Grand était le bruit de l'arc, de la manique, de la corde
et des grands éléphants ; grand était le fracas des hommes
de pied tombants. 835.
Après qu'ils eurent entendu les sons divers de la main
sur les bras et les menaces des héros, les guerriers de
trembler vivement alors, de se flétrir, de tomber. 836.
L'héroïque Adhirathide immola de nombreux ennemis
entre ces guerriers, qui vociféraient et lançaient une pluie
de flèches. 837.
Rarna de ses traits conduisit au séjour d'Yama, avec
leurs drapeaux, leurs cochers, leurs chevaux, cinq et cinq
chars de dix héros Pântchâlains. 838.
Se hâtant (1) de couvrir Rarna dans la bataille, les
principaux combattants des Pândouides, guerriers à la
grande vigueur, aux astras rapides, l'environnèrent de tous
les côtés. 839.
Rarna, par ses pluies de flèches, agita la grande armée
des ennemis, et pénétra au milieu d'elle, comme le chef
d'un troupeau d'éléphants dans un bassin de lotus, rempli
d'oiseaux. 840.
Parvenu au milieu des ennemis, Râdhéya, faisant vibrer
un arc immense, abattit les têtes, qu'il détachait de ses
flèches acérées. 841.
Ces cuirasses des mortels et les boucliers tombèrent
rompus sur la terre, et n'attendirent pas la chute d'une
seconde flèche. 842.
(1) Toûrnam âvritya, texte de Bombay.
KARNA-PARVA. 543
De ces traits lancés par la corde et l'arc, entre ces
hommes munis de la manique, de ces projectiles destruc-
teurs des armures, des corps et des astras, il frappa,
comme on flagelle du fouet, les chevaux rétifs. SA3.
Krishna de broyer rapidement les Pântchâlains, les
Srindjayas, les Pândouides, venus à la portée de ses traits,
de même qu'un lion écrase les troupeaux de gazelles. 844.
Ensuite, le roi des Pântchâlains, les Draâupadéyains,
auguste roi, les deux jumeaux, accompagnés d'Youyou-
dhâna, s'approchèrent de Karna. 845.
Tandis que les Pântchâlains, les fils de Pândou et de
Kourou multipliaient les efforts, ces guerriers, abandon-
nant leur chère existence, se chargèrent de coups mutuels.
Les cuirasses, les parures, les casques bien attachés,
tenant au poing, comme les bâtons levés de la mort, les
massues, les moushalas, les pilons, ces guerriers à la
grande vigueur, s'entre-coururent d'un pied rapide, pous-
sant des cris, s'adressant l'un à l'autre des provocations
et bondissant avec ardeur. 846 — 847 — 848.
Ils se frappaient réciproquement, ils se portaient des
coups mutuels, et, vomissant le sang de leurs membres,
ils avaient pour armure les yeux, que ne secondait plus
une cervelle tronquée. 849.
Ceux-ci, vivant encore avec des bouches ensanglantées,
semblables à des pommes de grenade, et remplies de
dents, paraissaient, comme armés de toutes pièces. 850.
Ceux-là, tenant des pilons, des pattiças, des épées et
des lances, des bhindipalas, des nakaras, des traits bar-
belés et des leviers de fer, déchiraient et fendaient ; les
autres coupaient, rompaient, abattaient, tranchaient, mar-
chaient avec colère dans ce grand océan du combat.
bklx LE MAHA-BHARATA.
S'étant frappés les uns les autres, ils tombaient, sans
vie, humides de sang, mutilés, versant à torrent le sang,
comme du sandal. 851—852—853.
Par milliers, tombaient les chars renversés par les chars,
les éléphants par les éléphants, les guerriers par les guer-
riers, les chevaux par les chevaux. 85Zi.
Les drapeaux, les têtes, les ombrelles, les trompes des
éléphants, les bras des hommes étaient abattus sur le sol
de la terre, tranchés par les flèches en rasoir, les bhallas,
les demi-lunes. 855.
Les braves écrasaient dans le combat les guerriers, les
éléphants, les chevaux et les chars ; ils succombaient sous
les coups des cavaliers ; et les pachydermes aux trompes
coupées, 85(5.
Aux drapeaux, aux guidons abattus, tombaient, comme
des montagnes écroulées. Les éléphants et les chars tués,
tuant, étaient renversés de tous les côtés par les hommes
de pied, dont ils étaient inondés. Les cavaliers, s' appro-
chant au galop, étaient jetés sans vie par les fantassins.
Des bataillons de piétons gisaient sur le champ de
bataille, immolés par les cavaliers. Tels que des massifs de
lotus, foulés aux pieds, ou comme des guirlandes fanées,
Le visage et le corps des éléphants, des chevaux et des
guerriers tués dans ce grand combat, sire, étaient passés
à des formes infiniment brillantes. 857— 85S — 859—860.
De même que des vêtements imbibés d'eau, ils étaient
parvenus à un état, dont il était impossible de soutenir la
vue. 861.
Stimulés par ton fils, des hommes à la haute taille, im-
patients de tuer Dhrishtadyoumna, s'approchèrent avec
colère du Prishatide, avec leurs éléphants. 862.
RARNA-PARVA. Ô/i5
Les plus vaillants guerriers de l'orient et du midi, qui
combattent, montés sur des proboscidiens, les Angas, les
Bangas, les Poundras et les Mâgadhains au teint rouge,
aux traits empoisonnés, 863.
Les Mékalas, les Roçalas, les Madras, les Daçârnas et
les Nishadas, habiles dans les combats d'éléphants, Bha-
ratide, avec les Ralingas, 86/i.
Versant des pluies de flèches, de nârâtchas et de leviers
de fer, tous, semblables à des nuages, ils inondèrent dans
-ce combat l'armée des Pântchâlains. 865.
Le Prishatide inonda, par ses pluies de flèches et de nâ-
râtchas ces éléphants, qui avaient le désir de la victoire,
et qui étaient poussés à grande hâte avec les talons, le
pouce et le croc acéré. 866.
11 blessa individuellement de six, de huit, avec dix
traits bien décochés, ces animaux semblables à des mon-
tagnes. 867.
Tandis que Dhrishtadyoumna était caché par ces élé-
phants, comme l'auteur de la lumière est voilé par des
nuages, les Pântchâlains et les Pândouides aux armes
aiguisées s'avancèrent, en poussant des cris. 868.
Us versaient leurs pluies sur les éléphants, et, dansant
la danse des héros ; ils s approchaient à la cadence, que
les braves marquaient (1) de leurs mains, répétée par la
corde et le nerf des arcs. 869.
Nakoula,Sahadéva, les beaux Draâupadéyains, Sâtyaki,
Gikhandî et le vigoureux ïchékitâna, 870.
Inondèrent C ennemi de tous les côtés, comme l'eau des
nuages inonde les montagnes. Envoyés par les Mlétchhas
(1) Soûra.... pratchoditais, texte île Bombay.
)x 35
546 LE MAHA-BHARATA.
sur les chevaux, les guerriers et les chars, les éléphants,
remplis d'une bouillante furie, écrasaient sous leurs pieds
les héros, qu'ils avaient renversés avec leurs trompes, ou
les déchiraient avec la pointe de leur défense, ou rejetaient
brusquement ceux, qu'ils avaient attirés. Les autres d'en-
vironner sans crainte les enr.emis attachés à leurs dé-
fenses. Dès que Sâtyaki eut blessé l'Anga dans ses
membres, il abattit d'un nârâtcha à l'horrible vitesse son
éléphant, placé à la tête du combat. Il le frappa d'une
flèche de fer au moment qu'il s'élançait à bas du pachy-
derme, dégarni de sa cuirasse (1). Celui-ci tomba sur la
terre ; et, déployant ses efforts, Sahadéva, de trois nârâ-
tchas, blessa le proboscidien du Pânclyah, blessé, qui
se mouvait, comme une montagne. Quand Sahadéva
eut de nouveau réduit le pachyderme à vivre sans drapeau ,
sans cuirasse (2), sans conducteur, sans guidons, il s'a-
vança vers l'Anga. Mais Nakoula, ayant arrêté son frère,
envoya au barbare trois nârâtchas, semblables au bâton
d'Yama, et cent à son éléphant. L'Anghain de lui déco-
cher des leviers de fer, pareils aux rayons du soleil. [De
la stance 871 à ta stance 879.)
Et Nakoula de trancher un par un en trois mor-
ceaux ces huit cents projectiles ; puis, le Pândouide de lui
couper la tête avec une demi-lune. 879.
Le Mlétchha tomba mort sur la terre avec son élé-
phant. Dès que le fils de l'Anghain, habile à dresser les élé-
phants, fut étendu sans vie, 880.
Les Anghas à la haute stature, impatients de colère,
(1) Commentaire.
(2j Te^te de Bombay.
KARNA-PARVA. 5Z|7
s'avancèrent, désirant vaincre et pressant le pas vers Na-
koula, avec les premiers de leurs éléphants, comme des
montagnes, aux drapeaux mouvants, aux cuirasses, aux
ceintures d'or,Les Mékalas, les Outkalas, les Kalingas et
les Nishadas au teint de cuivre, aux traits empoisonnés,
881—882.
Versaient des pluies de flèches et de leviers d 3 fer,
voulant arracher la vie à Nakoula, caché de ces projec-
tiles, comme la lumière du soleil est voilée par les nuages.
Les Somakas, les Pântchâlains et les Pândouides de l'en-
vironner avec colère. Alors de s'élever le combat entre ces
maîtres de chars et ces propriétaires d'éléphants, versant
des pluies de flèches et lançant des leviers en fer par cen-
taines. Les membres divers, les défenses, les ornements et
les bosses frontales avaient éclaté, éparses sous les pro-
fondes blessures des éléphants. Sahadéva eutpromptement
immolé huit de ces pachydermes, gigantesques probos-
cidiens, sous soixante-quatre éblouissants projectiles; ils
tombèrent, avec les cavaliers à la marche rapide. Le plaisir
de sa famille, Nakoula, ayant levé avec effort un arc
immense, frappa de ses nâràtchas les éléphants. Le
Pântchâlain et Çaînéya, et les charmants Draâupa-
déyains, {De la stance 88/i à ta stance 889.)
Et Çikhanclî arrosèrent de fortes pluies de flèches ces
grands pachydermes. Quand ces montagnes d'éléphants
ennemis eurent été submergées par ces nuages des combat-
tants Pândouides, 889.
En proie aux grêles des flèches, ils s' abîmèrent, pareils
à des cîmes en butte aux pluies et à la foudre. Aussitôt
que ces éléphants blancs eurent immolé ainsi tes pachy-
dermes, 890.
548 LE MAHA-BHARATA.
Ils virent l'armée fuir en déroute, comme un fleuve,
dont le rivage est rompu. Les guerriers du filsdePândou
de bouleverser encore cette armée ; puis, de courir vers
celle de Karna pour y jeter à son tour l'agitation.
891—892.
FIN DE LA
VINGT-DEUXIÈME LECTURE OU CHAPITRE DUKARNA-PARVA
ET
FIN DE CE NEUVIÈME VOLUME.
ERRATUM
Page 69, deuxième ligne de la stance, lisez: s'ils en étaient venus...
Page 13Zi, commencement de la U stance, lisez : épouvantable.
Stance 7,167, première de la 3e stance, lisez : qui ne savait pas
fuir.
Page 191, stance 7,207, lisez : Bhîma de changer la terre.
Page 206, stance 7,310, à la fin, la même faute, que le typo-
graphe a faite dans le volume précédent. Il y a splendeurs à
mettre dans la phrase, et il oublie la première partie de ce
mot 1 Lisez donc : cause des splendeurs.
Page 602, note première. Je confirme mon opinion sur le mot
pouttra, qui, correspondant au pais des Grecs, signifie un fils et
un esclave. Dans le rapport supposé, que Ton fait à Drona sur la
mort de son fils, le mot pouttra, et je regrette de ne l'avoir pas
considéré ainsi, rendrait le mensonge plus croyable. Mais j'ai
besoin de nouvelles études, je reviendrai là-dessus à l'occasion
du volume suivant.
TABLE DES MATIÈRES
Avant-propos l
Suite du Drona-parva 2
La mort de Ghatotkatcha 128
La mort de Drona 31°
Délivrance de l'astra Nârâyanain 368
Commencement du Rarna-parva 4A9
SOUS PRESSE :
LE MAHA-BHARATA
CONTINUATION DU CHANT DE KAI1NA,
ET SUITE DU ÇALYA-PARVA
Jusqu'à la 600e page du volume de traduction.
ON TBOiTE EK VESTE CHEZ MES MÊMES L9B&AtRF:<4
OU CHEZ L'AUTEUR :
Hippulyte Fauelie. Le Mahâ-BhûTata, 8 volumes, 18(fo,
186Z», 1865, 1866, 1867 et 1868, gr. in-8°. 80 »
— Bhartn'hari et Tchâaura, ou la Pantchaçikâ du second, et les
sentences erotiques, morales et ascétiques du premier, expli-
quées du sanscrit en français, pour la première fois, 1852,
in-12. 3 „
— Le Gîta-Govinda et le Ritou-Sanhara, traduits du sanscrit en
français, pour la première fois, avec deux hymnes du Rig-
Véda, 1850, in-12. 4 ,>
— Le Râmàyana, poème sanscrit deValmîki, traduit en français,
185Zi— 58, 9 vol. in-12. 90 »
— Ràmâyana réduit, 2 vol. in-18, édition des gens du monde,
des dames et des jeunes collégiens. 7 »
— Les Œuvres complètes de Kàlidâsa, traduites du sanscrit en
français pour la première fois, 1858-60, 2 vol. gr. in-8". 20 » |
Chaque volume se vend séparément 10 »
— OEuvres choisies de Kàlidâsa, contenant la Reconnaissance de
Çakountala, le iiaghou-Vança et le Mégha-DovLi, 1 volume
in-18. 3 75
— Une Tétrade, contenant le Mrilclihakatika, le Mahimna-.Stava,
le Daça-Koumth a-Tcharitra et. le Çiçoupâla-badlia, 3 vpl.
même format. 30 »
— Panthéon, poème théologique en cinq chants, avec une intro-
duction et des notes. 3 „
Mlï.Al'X. — IMPRIMERIE J. CARRO.
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UNIVERSITY OF TORONTO LIBRARY
PK Mahabharata. French
3635 Le Maha-bharata
F7
18—
v.9