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Full text of "Le Maréchal Bugeaud: d'après sa correspondance intime et des documents inédits, 1784-1840"

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I 




LE 



MARÉCHAL BUGEAUD. 



56'é>Mjg. ^ 



OUVRAGES DU MÊME AUTEUR : 



Journal d'un Diplomate en Italie. NqU» intimes pour servir à r histoire 
du Second Empire. — (Tarin, 1859-1862). 3» édition. Chez Hachette, éditenr. 

Journal d'un Diplomate en Italie. Notes intimes pour servir à r histoire 
du Second Empire. — (Borne, 1862-1866). 3« édition. Chez Hachette, éditeur. 

Journal d'un Diplomate en Allemagrne, en G-rèoe. Notes intimes 

pouvant servir à F histoire du Second Empire. — (Athènes, 1866 ; Dresde, 1867.) 
8« édition. Hachette , éditeur. 

Les Piëmontais à Rome. Lettres du comte de Bésie, recueillies et éditées 
par Henry d'Ideville. — (Mentana, 1867; la prise de Borne, 1870). In-18. Li- 
brairie Yaton. Épuisé. 

M. Beulé. Souvenirs personnels, avec portrait et autographes. — In- 18. Michel 
Lévy. Épuisé. 

Monseigneur Xavier de Môrode. — In-18. Yaton , éditeur. 

Pie IX. — In-18. Chez Palmé, éditeur. 

Viotor Emmanuel. — In- 18. Chez Palmé, éditeur. 

Vieilles maisons et jeunes souvenirs. — {Le Collège, r École de Droit, 

le Ministère des Affaires étrangères) 1840-1860. — In-18. Chez Charpentier, 
éditeur. 

Les Prisonniers de la Ctommune , extraits inédits de mon journal. — 
In-18. Chez l'auteur. 

Les Ohàteaux de mon enfanoe ( Auvergne et Bourbonnais ). — Grand 
in-8<>. 10 eaux-fortes. Épuisé. 

G-UStave Courbet. Sa vie, documents inédits. — In-8o carré. 10 eaux-fortes. 
Chez Tauteur. 



Typographie Firmin-Didot. — Mesnil ( Eure ). 




m^^K^ -— «J^V^ *''-y>^if .r^^ '^^♦''*^ 







LE 



MARÉCHAL BUGEAUD, 

d'après 
SA CORRESPONDANCE INTIME 

ET DES DOCUMENTS INÉDITS, 

1784 — 1849, 

PAR 

LE C" h' 'tfxDEVILLE, 

ANCIEN PBÊFET D'ALOGR. 



TOME PREMIER. 



>OÇ3«'^< 



iv. • 



PARIS, 

LIBRAIRIE DE FIRMIN-DIDOT ET C■^ 

IMPRIMEURS DE L'INSTITUT, RUE JACOB , 56. 

1881. 









// 



y ■■ 



Paris, 20 août 1881. 



Plusieurs motifs nous ont décidé à entreprendre 
cette étude sur la vie du maréchal Bugeaud : un pen- 
chant instinctif pour les hommes simples et très éner- 
giques, un goût nettement prononcé pour les tempé- 
raments autoritaires et non compliqués, un profond 
dédain de toutes les fictions, de toutes les malfaisan- 
ces des prétendus libéraux modernes, enfin Thorreur 
invétérée de la race impuissante des révolutionnaires. 
— Toutes ces attractions, toutes ces répulsions join- 
tes à la nostalgie ardente d'un état de choses fort et 
respecté, nous ont amené à choisir pour héros, entre 
tous, un grand soldat, un grand caractère, qui fiit 
homme de devoir et de discipline. C'est ainsi que nous 
nous sommes attaché à cette tâche salutaire et récon- 
fortante, étudier par le menu la vie entière d'un Fran- 
çais dont le glorieux nom, béni dans les chaumières du 
Périgord, respecté par les tribus du désert et du Tell 
algérien, a aujourd'hui encore le privilège de n'être 
prononcé qu'avec épouvante par les démagogues de 
Paris. 

T. I. a 



VI 



Après la figure de Napoléon P', la plus grande 
figure militaire de ce siècle, la plus complète est celle 
du maréchal Bugeaud. Nos désastres et nos fautes 
nous ont placés aujourd'hui à un tel rang en Europe, 
qu'il nous a paru bon de remettre en lumière la phy- 
sionomie d'un des plus illustres soldats de la France, 
qui fut en même temps un de ses meilleurs citoyens. 
— Une telle existence peut à tous servir d'enseigne- 
ment : ce n'est point, en effet, seulement l'homme de 
guerre, le patriote dont la présence d'esprit, la loyauté, 
l'éloquence un peu brutale, stupéfiaient ses adver- 
saires à la tribune, c'est aussi l'écrivain militaire hors 
ligne, l'agriculteur consommé, et enfin l'homme de 
foyer, austère , tendre et désintéressé , que nous nous 
sommes proposé de faire connaître. 

S'il est pour la famille du maréchal, si orgueilleuse, 
à juste droit, de son héros, un sujet de consolation et 
de fierté, c'est la pensée que nos ennemis eux-mêmes 
ont conservé religieusement la mémoire du vain- 
queur d'Isly, du conquérant, de l'organisateur de nos 
possessions africaines. — Au mois de septembre 1870, 
un jeune Français, frappé mortellement sur le champ 
de bataille, allait expirer dans l'hôpital de Haguenau. 
Appelée en toute hâte, sa mère survint pour arracher 
à la mort son cher mutilé. Lorsque l' état-major alle- 
mand apprit que cette noble femme, veuve d'un gé- 
néral, était la fille du maréchal Bugeaud, tous les fronts 
s'inclinèrent : oc Ce fut pour moi, d nous dit la com- 



VII 



tesse Feray, d une joie bien douce d'entendre de 
a la bouche des officîers prussiens le récit enthou- 
oc siaste des campagnes de mon père et dé voir de 
(ï quel respect son nom était entouré. La plupart de 
« ses livres, de ses Instructions au soldat, sont tra- 
d duits en allemand , répandus dans les écoles mili- 
« taires et, faut-il Tavouer? plus populaires peut-être 
d au delà du Rhin que dans son propre pays. 2> 



/ 



L'étude que nous avons entreprise est moins une 
œuvre personnelle que la mise en ordre des précieux 
documents que nous devons aux amis et à la famille 
du maréchal Bugeaud, et particulièrement à ses deux 
filles. C'est, en effet, dans le culte touchant et passionné 
voué par l'une d'elles, la plus jeune. M"* la comtesse 
Feray, à la mémoire de son illustre père, que cette 
femme admirable a puisé la force de supporter le 
poids d'infortunes et de douleurs sans nom. Pour faci- 
liter notre travail, elle a bien voulu rassembler ses 
plus lointains souvenirs et nous dicter des notes inap- 
préciables où se retrouvent vivants tous les récits 
dont fut bercée son enfance. C'est grâce à cette piété 
filiale que nous avons pu assister, en quelque sorte, 
aux premières années du maréchal qui s'écoulèrent 
si rudes dans la vieille demeure de famille, reconsti- 
tuer dans son exactitude ce modeste intérieur de pro- 
vince au début de la Révolution, et suivre pas à pas 
l'héroïque soldat dans les épisodes de sa vie. 



vin 



L'intérêt saisissant qui s'attache aux réminiscences 
de M""® la comtesse Feray, si exquises de naïveté 
et d'émotion, est doublé de l'intérêt qu'offrent les 
lettres du maréchal, pieux trésor conservé dans la 
famille et que nous avons, grâce à l'obligeance de M. Ro- 
bert Gasson-Bugeaud d'Isly, le petit-fils aîné du ma- 
réchal, la bonne fortune de révéler pour la première 
fois au public. Cette correspondance trop souvent in- 
terrompue sera reliée par des commentaires et des 
éclaircissements historiques, qui permettront de com- 
bler de trop longues lacunes. Dans chaque ligne de ces 
lettres se révèle le caractère de l'homme tout entier, 
et se trahit une individualité puissante, mais toujours 
simple et loyale. On le retrouve partout le même, de- 
puis les lettres familières oii le jeune vélite de la garde 
conte à ses soeurs les misères et les aventures de gar- 
nison, jusqu'aux récits palpitants qu'il leur fait de la 
bataille d'Austerlitz ou du siège de Lerida. Plus tard, 
ce sont les billets écrits à la maréchale sous la tente, le 
soir d'un engagement, au fond de la Kabylie, et dans 
lesquels le glorieux père se livre à des épanchements 
pleins de tendresse au sujet de ses enfants et de leur 
avenir, sans négliger, en terminant, les recommanda- 
tions agricoles pour la Durantie, les avoines à semer en 
temps utile, lés vieux arbres à arracher avant l'hiver. 
Ses confidences à son gendre, à sa femme, à ses filles, 
sont quelquefois fort piquantes; les hommes et les 
événements sont appréciés par lui avec une justesse 



IX 

et une netteté singulières. Il peint un portrait en trois 
lignes , et c'est avec une vive curiosité qu'on lira les 
jugements portés par lui, après 1848, sur chacun des 
généraux d'Afrique dont la plupart furent, par la 
suite, appelés au gouvernement de la colonie. 

Tous les événements importants auxquels se trouva 
mêlé le maréchal, ses premières campagnes, ses faits 
d'armes, son séjour à Blaye, ses luttes au Parlement, 
les difficultés de toute nature dont il eut à triompher 
en Afrique, ses rapports avec le roi et avec les minis- 
tres, son rôle en 1848, sont éclaircis par sa correspon- 
dance intime, par les notes de sa fille et les pièces 
inédites mises à notre disposition. 

Il existe plus d'une méthode d'écrire l'histoire d'un 
homme et de raconter sa vie. Les mémoires com- 
posés par le personnage lui-même, de son vivant, 
offrent sans doute une source riche et fort utile de 
documents intéressants. Nul, en effet, ne saurait avec 
plus de clarté et plus de précision établir l'enchaîne- 
ment de toute une vie, et fournir de meilleurs com- 
mentaires des actes de cette vie, que celui-là même 
qui l'a vécue. — Toutefois, dans ces révélations 
posthumes souvent si précieuses, la vérité absolue 
n'est pas toujours respectée. — En réalité, aurait-on 
le courage de reprocher à un homme d'avoir, dans un 
travail suprême, tenté ou de se justifier ou de se gran- 
dir devant la postérité? Voilà pourquoi les confes- 




eioQB publiées après la mort, quels que soient leur 
mérite littéraire ou leur valeur historique, pèchent 
généralement du côté de l'exactitude. — Quel est le 
personnage, ayant joué un rôle important en ce monde, 
qui, au déclin de la vie, faisant l'osamen de ses ac- 
tions, n'ait la coquetterie bien excusable de passer 
sur certaines faiblesses, d'atténuer certaines erreurs 
et de disposer, de grouper les événements dans le 
jour qui lui est le plus favorable? Les Mémoires d'ou- 
tre-tmnhe^ de Chateaubriand, les Mémoires pour ser- 
vir à lliistoire de mon temps, de Guizot, ces deux 
livres admirables, ceux ptut-être qui survivront le 
plus longtemps, j'oserai le dire, à l'œuvre de ces 
grands écrivains, ne confirment-ils pas notre pensée? 




Sans avoir la vanité d'inaugurer une méthode nou- 
velle d'écrire l'histoire, nous estimons que le mode 
employé par nous dans ce récit de la vie du maré- 
chal Bugeaud doit, plus qu'aucun autre, nous conduire 
à respecter la vérité et ii éveiller l'intérût. La lettre 
familière adressée à une mère, à une sœur, & un ami, 
les confidences épanchées dans l'âme d'une fille, d'une 
femme, ne eont-elles pas l'émanation la plus sincère 
de la conscience d'un homme, ne traduisent-elles pas 
exactement ses impressions vraies et ne portent-elles 
pas l'empreinte des sentiments qui l'agitent au mo- 
ment même oà il écrit? Dans ces correspondances 
pleines d'abandon, rapides, primesautières, le calcul 



XI 



est absent, et la vérité échappe, rhomme voulût-il 
même la dissimuler. 

Ce sera donc le plus souvent notre héros en per- 
sonne que nous évoquerons, afin de retracer son his- 
toire. Le temps, les événements n'ont permis de con- 
server qu'une assez faible partie de ses lettres ; mais là 
où elles feront défaut, les documents authentiques de 
l'époque et, avant tout, les souvenirs des contempo- 
rains du maréchal et ceux de M°*® la comtesse Feray, 
narrateur si fidèle, lorsqu'elle n'est point le témoin, 
de la vie de son père, nous aideront à combler les 
vides. 

Une seule pensée nous préoccupe : c'est l'ardent 
désir que cette œuvre, qui sera d'autant plus intéres- 
sante que nous parviendrons à nous effacer davantage, 
* puisse apporter à la figure si pure et si» originale de 
ce grand soldat, homme de bien, un juste regain 
d'admiration et de popularité. 

Henry d'Ideville. 



LE 



MARÉCHAL BUGEAUD, 



SA VIE, 



DAPRÈS DES DOCUMENTS INÉDITS ET SA CORRESPOXDASCE INTIME. 



CHAPITRE PREMIER. 



Naissance de Thomas-Robert Bageaud de la Piconnerie, octobre 1784. — Sa 
famille. — Contrat de mariage de son ï)ère. — Son acte de baptême. — 
Généalogie de la famille. — Enfance da maréchal. — La Bévolation. — La 
prison de Limoges. — Mort de la marquise de la Piconnerie. — Le vieux gen- 
tilhomme et son fils aîné. — Les tantes et l'aïeul. — Fuite de Limoges. — Le 
château de la Durantie. — Description de la vieHle habitation. — Education 
rustique de Thomas Bugeaud. — L'habit de noce. — Sévérité du pore de fa- 
mille. — La chasse au clair de lune. 



Né à Limoges le 15 octobre 1784, mort à Paris le- 
10 juin 1849, Thomas-Robert Bugeaud de la Picon- 
nerie, duc d'Isly, maréchal de France, était fils d'un 
gentilhomme périgourdin, Jean-Arabroise Bugeaud, 
seigneur, marquis de la Piconnerie, et de Françoise 
de Sutton de Clonard, issue d'une famille irlandaise 
fixée en France avec Jacques IL — D'après une lettre 
adressée au rédacteur de la Tribune en 1844, le ma- 
réchal aurait fait remonter ironiquement sa généa- 
logie à une source quelque peu roturière : (( Mon 
grand-père, y est-il dit, était un forgeron; avec ses 

T. I. 1 



2 LE MARÉCHAL BUGEAUD. 

bras vigoureuxet en se brûlant les yeux et les mains, 
il acquit une propriété que mon père, aristocrate oi- 
sif, exploita avec intelligence et activité, » — Deux 
pièces authentiques, Tacte de naissance du maréchal 
et d'abord le contrat de mariage de son père, que 
nous reproduisons ci-dessous, établissent sa filiation 
d'une façon précise. 

CONTRAT DE MARIAGE entre M. de la Piconnerie et 
M"® Clonard, père et mère de Thomas Bugeaud, passé de- 
vant W Blacque, notaire à Paris, le 8 avril 1771. (Ex- 
trait.) 

« Par-devant les conseillers du Roy notaires au Châtelet 
soussignés, furent présents François de Boisseuilh, seigneur, 
comte de Boisseuilh, mestre de camp de cavalerie, chevalier 
de Saint- Louis, demeurant à Paris en son hôtel, me Sainte- 
Avoye, paroisse Saint-Merry, au nom et conmie fondé de pro- 
curation de Messire Simon Bugeaitd de la Ryberolie, chetalie?- 
de la Piconnerie, de la Durantie, des Places et autres lieux, et 
de dame Marie dAlesme, son épouse autorisée, stipulant en 
leurs noms et au profit de Jean-Ambroise Bugeatid, marquis 
de la Ryhérolie, chevalier de la Piconnerie^ demeurant or- 
dinairement avec ses père et mère en leur château de la 
Durantie, paroisse de la Nouaille, en Périgord, étant de pré- 
sent logé à l'hôtel des Indes, me Traversière, d'une part; 
messire Thomas Sutton, comte de Clonard, seigneur de Ltigo 
et autres lieux, et dame Philis Master de Castletown, son 
épouse, demeurant à Paris, rue Colbert, en leur nom et pour 
Françoise Sutton de Clonard, demoiselle, leur fille mineure, 
d'autre part. 

<L En présence de leurs parents et amis, savoir : du côté 



CHAPITRE PREMIER. 3 

du futur, Jean-Ambroîse Bugeaud de la Piconnerie, prêtre, 
prieur de Sainte-Eulalie, son frère. — Jean-Louis, marquis 
de Lubersac, lieutenant au régiment des gardes françaises, 
colonel d'infanterie, chevalier de Saint-Louis, son cousin. 

« Du côté de la future, Jean Sutton, baron de Clonard, 
capitaine à la suite du régiment de Berwick infanterie irlan- 
daise, son frère. — Richard Sutton, chevalier de Clonard, 
frère. — Le comte de Walsh-Serrant, colonel du régiment 
de Walsh infanterie irlandaise, parent maternel. — André- 
Jacques de Whyte, chevalier, colonel d'infanterie au régiment 
irlandais de Dillon, chevalier de Saint-Louis, cousin mater- 
nel. — Godefroy-Charles-Heniy, prince de la Tour-d'Au- 
vergne, ami. — Prince de Turenne, maréchal de camp, pair 
et grand chambellan de France, ami. — Gabriel-Marie de 
Talleyrand-Périgord, prince de Chalais, ami. — De Félix 
de Vintimille, comte du Luc. — Jean-Baptiste de Mac- 
Mahon, marquis d'Eguilly, naaréchal des camps. — Patrice 
de Walsh. — Marie de Law, comtesse de Lacour. — 
François de Rothe. 

« Les conventions civiles du mariage seront réglées sui- 
vant la coutume de Périgord, pays où les futurs prendront 
leur domicile. H y aura société formée des acquêts qui pour- 
ront être faits pendant le mariage, dans laquelle ne tombera 
point le mobilier donné par les père et mère du futur, qui 
font donation universelle de leurs biens. La donation univer- 
selle est faite à charge de payer doiize mille livres aux dona- 
teurs, de les nourrir leur vie durant, de les entretenir leur 
vie durant, eux, leurs chevaux, une femme de chambre, un 
laquais, un palefrenier, chauffés, logés, éclairés, blanchis, 
plus mille livres de pension annuelle, d 

Suivent diverses dispositions qui règlent les droits des 
puînés au décès des donateurs, et les obligations du futur 



4 LE MARléCHAL BUGEAUD. 

envers ses frères cadets. On y fait mention du seigneur de 
la Benaudie , Tun des cadets y officier dans les troupes em- 
ployées dans rinde, et de ses deux filles. Suit la donation de 
quarante mille livres en argent comptant faite par la famille 
de Clonard à leur fille. Ce fut sa dot. Le douaire de la fiiture 
est de quinze cents livres de rente, il y a substitution du tiers 
des biens en faveur de l'aîné des enfants à naître. 

Du mariage de Jean-Ambroise Bugeaud de la Pi- 
connerie avec M"® de Clonard sont nés quatorze en- 
fants, dont sept ont vécu : 

1^ Patrice de la Piconnerie ; 

2® Ambroise de la Piconnerie ; 

3® Thomassine de la Piconnerie, mariée au vicomte 
d'Orthez ; 

4® Phillis de la Piconnerie^ mariée à M. de Puys- 
segenez, de Lignac ; 

5*" Hélène de la Piconnerie, mariée à M. Sermen- 
san; 

G® Antoinette de la Piconnerie, mariée à M. de 
Saint-Germain ; 

7^ Thomas -Robert Bugeaud de la Piconnerie , duc 
d'Islv. 

Patrice Bugeaud, frère aîné du maréchal,, avait 
épousé M"' Durand d'Auberoche, fille du vicomte 
d'Auberoche, très ancienne famille du Périgord. 

Ambroise de la Piconnerie, officier comme son frère 
aîné Patrice, servit dans les armées des princes pen- 
dant rémigration; il périt dans un naufrage, se ren- 
dant aux Indes avec son régiment. 



CHAPITRE PREMIER. Ô 

Le vicomte d'Orthez, mari de Thomassine, descen- 
dait en ligne directe du comte d'Orthez, gouverneur 
de Bayonne , qui refusa de faire massacrer les protes- 
tants à la Saint-Barthélémy. 

Un Sutton de Clonard, frère de M"* de la Picon- 
nerie, mère du maréchal, périt avec la Peyrouse, 
dont il était le second. 

Enfin Thomas Bugeaud, maréchal de France, a 
épousé M"* de Lafaye en 1818 (1). Le maréchal Bu- 
geaud a laissé trois enfants : deux filles et un fils; 
l'aînée, mariée à M. Gasson ; la seconde, mariée au gé- 
néral comte Feray, mort en 1870, Le fils unique du ma- 
réchal, Charles, duc d'Isly, marié à M"* C. de Saint Paul 
est mort sans enfants en 1868. Tous les petits-fils du 
maréchal Bugeaud ont été autorisés à porter son nom. 

EXTRAIT du registres des actes de l'état civil de la com- 
mune de Limoges (Haute- Vienne). 

Acte de baptême du maréchal Bugeaud. 

a Le quinze octobre mil sept cent quatre-vingt-quatre, 
j'ai baptisé Thomas-Eobert, né le même jour, fils légitime de 

(1) M*' la maréchale Bageaad, duchesse d'Isly, née Elisabeth Joa£Ere de La- 
faye, était fille de Léonard Jouffre, seigneur de Lafaye, et de Catherine Ânbar- 
bier de Manègre. Sa mère descendait des Marqnessac, une des plus anciennes 
familles de la noblesse du Périgord. Les oncles de la maréchale Bugeaud, les 
barons de Manègre, avaient émigré, et possédaient une fortune considérable aux 
colonies. Lors de la révolte des nègres, ils furent massacrés. Les titres instituant 
leur nièce comme unique héritière furent brûlés. Un de ses grands-oncles, le 
comte Alain de Solminihac, après avoir été brillant gentilhomme, entra dans les 
ordres. C'est à lui que l'on doit la fondation du grand séminaire de Périgueux. 
Sa sainteté était célèbre dans toute la province et l'on venait le visiter de toutes 
parts. On lui attribue plusieurs miracles authentiques relatés dans sa biographie. 
U est mort évêque de Cahors et a été béatifié. Son tombeau est demeuré en grande 
vénération et l'on s'y rend encore en pèlerinage. 



1 



1 



6 LE MARÉCHAL BUGEAUD. 

mcssire Jean-Ambroise Bugeaud, chevalier, seigneur, marquis 
de la Piconnerie, et de dame Françoise de Sutton de Clonard, 
dame de la Piconnerie, son épouse ; a été paiTain M. Robert 
le Sutton, vicomte de Clonard, lieutenant des vaisseaux du 
roi, chevalier de l'ordre royal et militaire de Saint-Louis, et 
marraine, dame Thomassine-Marie de Sutton de Clonard, 
lame de Toinet. Le parrain a été représenté par M. Louis 
Letoi^q et la marraine par demoiselle Anne Peyrimony, qui 
ont signé avec moi. Signé au registre : Louis Letocq, Anne 
Peyrimony et Dayma , vicaire de Saint- Pierre. » 



Bien que plusieurs membres de sa famille eussent 
émigré dans les années qui suivirent 1789, le marquis 
de la Piconnerie, après être sorti des prisons de Li- 
moges, ne songea point cependant à quitter la France. 
L'enfance du maréchal fut loin d'être heureuse ; sou 
père, vieux gentilhomme, dur et égoïste, ruiné par la 
Révolution, avait relégué ses filles et son jeune fils 
à la Durantie et continua à résider à Limoges avec 
son fils aine Patrice, sur lequel s'était reportée toute 
son affection. — Voici, d'ailleurs, sur cette enfance, 
des notes dictées par la comtesse Feray que nous 
croyons devoir reproduire presque sans rien modifier : 

« Mon père est né à Limoges , dans un hôtel de la rue de 
la Cruche-d'Or, située dans le vieux Limoges, autrefois le 
quartier aristocratique ; une plaque de marbre indique la 
maison, transformée aujourd'hui en magasin. 

a C'était le quatorzième enfant du marquis de la Picon- 
nerie. Destiné à l'Eglise, il entra dans le monde avec le 
titre de Monsieur l'abbé. Il fut retiré de noiu-rice à six ans. 



CHAPITRE PRE3flEK. 7 

L'enfant était superbe ; son père lui fit faire un bel habit 
et le mit à l'école, oh ses progrès furent rapides. 

c( Un an après, en 1791, tout était changé dans la famille ; 
la Révolution avait éclaté ; mon grand-père, ma grand'mère 
et leur dernière fille, Antoinette, étaient en prison, leurs fils 
aînés émigrés. Thomassine, l'aînée de mes tantes, mariée au 
comte d'Orthez, et les plus jeunes enfants, abandonnés, furent 
obligés de travailler pour nourrir leurs parents prisonniers. 
— Phillis, alors âgée de seize ans, se mit sans hésiter à faire 
des chemises, du matin au soir, avec sa sœur Hélène. Leur 
frère, qui n'avait pas huit ans, faisait la cuisine, les commis- 
sions, et rendait le travail terminé. 

<c Ma tante Phillis était souvent mandée au tribunal ré- 
volutionnaire, où sa beauté avait frappé les monstres. Aussi 
se faisait-elle toujours accompagner de son petit frère ; l'un 
et l'autre témoignaient tant de courage, tant de calme, qu'ils 
par\'inrent à être respectés par ces hommes, et grâce à eux 
fut ainsi retardée la condamnation de leurs parents. Malgré 
leurs efforts, cependant, l'arrêt avAit été prononcé. Le jour 
du supplice était fixé pour M. et M"*® de la Piconnerie, 
quand la nouvelle de la mort de Robespierre les sauva de 
l'échafaud. 

« Ma grand'mère, sortie de prison, fit reprendre ses étu- 
des à son jeune fils. Quelques jours avant la distribution des 
prix de l'école, elle eut, nous a-t-on raconté, une apparition 
pendant la nuit. Son père et sa mère, le comte et la com- 
tesse de Clonard, ouvrirent les rideaux de son lit et lui 
dirent ces mots en lui prenant la main : c( Ma fille, prépa- 
rez-vous à venir nous rejoindre au ciel, vous mourrez dans 
quatre jours. y> L'heure même fut indiquée. Ma grand'mère, 
sans aucune faiblesse, remplit tous ses devoirs de chrétienne 
et, après avoir assisté aux succès de son petit Thomas, ren- 



8 LE MARÉCHAL BUGEAUD. 

tra chez elle, et mourut au jour et à l'heure annoncés par les 
fantômes. 

<L Mon grand-père, dont la fortune était fort modeste, à 
peu près ruiné par la Révolution, renvoya ses filles au châ- 
teau de la Durantie, resta à Limoges avec son fils aîné Pa- 
trice, le seul dont il se fût jamais occupé. Quant à son der- 
nier né, Thomas, il ne lui tint jamais fort à cœur. Au temps 
jadis, tel était souvent le sort des cadets. 

a Mon grand-père était un homme d'un caractère terrible ; 
dans le pays, il est resté légendaire. Nos paysans sont con- 
vaincus que longtemps après sa mort il revenait les nuits dans 
les bois de la Durantie, suivi d'une meute formidable et 
d'une troupe de gentilshommes. Les braves gens prétendaient 
entendre sa voix résonnant comme le tonnerre sous la futaie, 
ajoutant que son grand cheval blanc, aux yeux rouge de 
feu, se distinguait de loin au clair de lune. Dans le dernier 
récit qui m'a été fait, une vieille paysanne me jurait avoir 
entendu ledit coursier galopant avec fureur sous les châ- 
taigniers. Il faut espérer aujourd'hui que notre aïeul repose 
en paix. 

« Patrice, comme son père, était superbe et violent; l'un 
et l'autre, du reste, fort aimables à leurs moments. Phillis, sa 
sœur aînée, était d'une beauté de statue avec une expression 
pleine de fierté et de calme. Elle aurait été remarquée dans 
les plus hautes situations et se borna à agrandir son horizon 
par le bien répandu autour d'elle, par la gloire de son frère 
Thomas, élevé par elle et qu'elle adorait. Hélène, ravis- 
sante figure, aux cheveux d'or, avait une beauté toute fémi- 
nine; sa souple et gracieuse intelligence se pliait à toutes 
les circonstances et à toutes les nécessités de la vie. On di- 
sait d'elle dans la famille : <l Bonne à la cour et à la basse- 
cour. j> Antoinette était petite et laide, mais excellente; son 



CHAPITRE PREMIER. 9 

esprit pétillant^ son entrain^ son étonnante mémoire^ faisaient 
le charme de la famille ^ et sa mort a laissé parmi nous un 
vide immense. Ambroise, officier de marine, que ses sœars 
ont souvent comparé à mon père, est mort à vingt-cinq ans 
dans l'expédition de la Peyrouse. 

« Le château de la Durantie, près de la Nouaille (Dor- 
dogne), était jadis habité par les frères de mon grand-père, 
prêtres ou vieux garçons, par ses sœurs, vieilles filles ou re- 
ligieuses sorties du couvent de Périgueux et de Limoges 
pendant la tourmente révolutionnaire. 

€ Mon grand-père avait eu vingt-trois frères ou sœurs. 
Sa mère, privée d'enfants pendant cinq années, fit un pèle- 
rinage à la célèbre Vierge de Rocamadour dans le Lot : on 
voit que sa prière fut exaucée et au delà.* 

€ Mon père, dont personne ne s'occupait à Limoges, — le 
marquis et Patrice lui parlant à peine, — apprenait peu, car 
depuis la mort de sa mère on l'avait retiré de l'école. Isolé^ 
se sentant abandonné, il supportait avec résignation toutes les 
privations. Un jour cependant, désespéré de l'abandon dans 
lequel on le reléguait, après avoir écrit à son père qu'il allait 
rejoindre ses sœurs, l'enfant se fit donner un morceau de pain 
par les domestiques et, le soir venu, quitta Limoges. Il marcha 
la nuit, fit toute la route (seize lieues) à pied, arriva à la 
Durantie exténué, mais ravi de revoir ses sœurs, sa seule fa- 
mille ; il avait alors treize ans. 

€ On appelait cette pauvre résidence château de la Du- 
rantie, sans doute par tradition, en souvenir des anciennes 
habitations de la famille. H y avait eu, dans les temps re- 
culés, un château féodal à la Piconnerie, situé à quelque 
cent mètres de la Durantie. On croit qu'il fut détruit par 
l'invasion anglaise, mais je ne suis pas assez sûre du fait 
pour l'affirmer. Ce dont je suis certaine, c'est qu'il a existé; 



10 LE MARÉCHAL BUGEAUD. 

j'ai VU encore en 1840 une tour au milieu de la ferme. Le 
plan de ce manoir existe dans les papiers, chez notre cousin 
le marquis de la Piconnerie. La famille habita le château 
de la Ganduraas (1) et la Durantie pendant des temps in- 
finis. Depuis mon grand-père, on ne l'appelait que la vieille 
Durantie. C'était une maison longue et étroite, avec un pa- 
villon également long et étroit en retour, composé d'un rez- 
de-chaussée et d'un grenier. Un bâtiment en face formait le 
carré autour d'une grande cour, fermée sur le chemin par une 
palissade en bois. 

« On pénétrait dans la maison par une porte basse garnie 
de gros clous, et Ton entrait dans un vestibule pavé de 
petits cailloux. En face, la porte du grenier avec un trou 
dans le bas pour lès chats. Derrière cette porte, un escalier 
presque droit montant au magasin de blé. A droite du ves- 
tibule, une antre porte donnant dans une grande cuisine cail- 
loutée ; au milieu, une table immense entourée de bancs ; au 
mur de droite, un vaissellier en bois sculpté très beau, mon- 
tant au plafond, contenant autrefois la vaisselle d'étain aux 
armoiries de la maison. Un potager dans un coin, puis d'é- 
normes bahuts aux provisions, noircis par le temps. Tout un 
côté de l'antique cuisine était occupé par une large et pro- 
fonde cheminée. C'était la place de prédilection des chas- 
seurs qui le soir, à la flamme d'énormes fagots, se séchaient, 
leurs chiens entre les genoux. — Une fenêtre donnant sur la 
cour permettait d'en surveiller le mouvement. A droite du 
vestibule, le salon, ou pour mieux dire, la salle commune. H 
y avait là, je n'ose dire un parquet, mais une sorte de plan- 

(1) Le château de Li Ganduma?, qui existe encore, était la terre de famille. C'est 
là que le grand-iK're du maréchal avait établi des forges importantes, aujourd'hui 
encore en activité. Grâce à cette industrie, l'aïeul put élever ses vingt-trois en- 
fants. CTest à lui que faisait alhision le mirjchal Bug^aad, lorsqu'il disait : 
« Mon grand-père était forgeron. )» 



CHAPITRE PREMIER. 11 

cher mal joint. Un buffet garnissait tout un côté de la mu- 
raille ; une porte vitrée sur le jardin rendait cette pièce assez 
gaie Tété. Une croisée en face, sur la cour; au fond, une 
haute cheminée avec quelques prétentions de boiserie. Comme 
ornements, sur la cheminée, l'été, de gros bouquets de nar- 
cisses des prés et de chèvrefeuille s'étalaient dans de vieux 
vases de faïence , l'hiver, une rangée de betteraves mons- 
tres, quelques belles pommes et de petites gerbes d'épis de 
blés rares. Au milieu de la pièce, une longue table épaisse en 
noyer ciré ; des chaises et deux fauteuils de paille. Ces deux 
fauteuils représentaient tout le confort de l'habitation. 

<c A droite de la cheminée se trouvait la chambre du chef 
de famille ; à gauche une petite porte sur un corridor long et 
étroit qui conduisait aux trois grandes chambres du bâtiment 
en retour. On arrivait à celle du fond par un passage ouvert 
à tous les vents : c'était la plus élégante, elle avait une glace 
au-dessus de la cheminée ; ses deux grands lits antiques, en- 
tourés d'étoffe de soie magnifique, un débris sans doute du 
mobilier de Limoges, étaient peu en harmonie avec la rus- 
tique simplicité de l'habitation. 

<L De l'autre côté de la cour, formant le carré, un large bâ- 
timent contenait la cave, les ateliers de toute sorte et les gre- 
niers. Le puits, entouré d'une auge de pierre pour abreuver 
les bœufs, faisait face à la porte de la maison. Enfin, dans 
la cour, des poules, des canards, des dindons^ sans oublier 
le gros tas de fumier. Voilà la demeure où s'est passée, en 
compagnie de ses sœurs, la première jeunesse de mon 
père. 

<L De ses oncles, plusieurs étaient allés en Amérique cher- 
cher fortune ; d'autres étaient restés sous l'autorité du cadet, 
M. de la Durantie. Deux ou trois sœurs étaient mariées. 
M"®* de Saint-Martin et des Places étaient restées au nid 



12 LE MARÉCHAL BUGEAUD. 

avec leur rouet pour toute distraction. Mon père vivait à la 
Durantie comme Robinson ; se levant à Taube pour aller à 
r affût, il rentrait triomphant à Theure du dîner, rapportant 
presque toujours du gibier, qui s'ajoutait au menu de la fa- 
mille, dont les châtaignes, selon l'usage, formaient le plat de 
fondation. Pour se reposer, il travaillait avec ses sœurs, qui 
lui enseignaient, les pauvres filles, tout ce qu'elles avaient 
retenu du couvent. Ensemble ils apprenaient par cœur Mo- 
lière et Racine, puis récitaient des scènes, se donnant la ré- 
plique. Quarante ans plus tard, mon père et l'une de mes 
tantes nous ont donné une représentation d'un dialogue de 
Molière, qu'ils avaient récité dans leur enfance, sans oublier 
un mot. Après l'étude, le petit frère repartait pour aller pê- 
cher, recrutant pour ces courses vagabondes les petits paysans 
de son âge. Tous lui sont restés fidèles, et la plupart sont 
morts sur sa propriété comme métayers. Quant à ses repas, 
il ne s'en embarrassait guère : un feu de branches sèches était 
bientôt allumé pour cuire les pommes de terre et les châtai- 
gnes des champs voisins ; ou bien il demandait l'hospitalité 
dans les fermes, 0(1 le jeune maître était partout connu et 
aimé. Mon père m'a raconté qu'il n'avait pas de souliers ; les 
sabots duraient peu avec cette existence si active; il avait 
donc imaginé de se faire des sandales avec de Técorce de 
cerisier et de la ficelle, ce qui lui avait parfaitement réussi. 
Ses sœurs manquaient de chaussure et restaient des mois 
sans sortir. 

« Invité à une noce, dans un château des environs, où l'on 
devait s'amuser conmie on s'amusait dans ce bon vieux 
temps, mon père fut fort en peine. Impossible de se présenter 
avec son costume de toile grise rapiécée. Au moment où, le 
cœur gros, il allait renoncera se rendre au mariage, il se rap- 
pelle avoir vu au grenier, dans une antique armoire, un cos- 



CHAPITRE PREMIER. 13 

tume qa'un ancêtre avait porté à la cour de Louis XV. Aidé 
de ses sœurs^ il sort Thabit de sa poussière et les chères de- 
moiselles ont bientôt fait d'habiller leur petit frère. Celui-ci 
ne s'était de sa vie vu si beau ; et le voilà parti pour cette 
fête tant souhaitée^ où il dansa pendant trois jours avec un 
succès dont il était resté très fier. 

€ A la Durantie, la vie calme des demoiselles de la Picon- 
nerie et de leur jeune frère n'était interrompue que par de 
rares visites de mon grand-père et de mon oncle Patrice. Tout 
tremblait devant le seigneur et maître. Ses enfants ne de- 
vaient jamais lui adresser la parole^ à moins d'être interrogés. 
— Un jour, mon grand-père donne un ordre à un de ses do- 
mestiques à propos d'un travail d'agriculture; mon père, 
alors âgé de quinze ans, se permet, sans y réfléchir, une ob- 
servation. Le marquis, furieux, lève sur l'enfant un gros 
bâton qu'il tenait à la main. Mon père, effrayé de sa hardiesse 
et prévoyant les résultats de la colère paternelle, quitte ses 
gros sabots et se sauve pour esquiver le coup. Mon grand-père 
trébuche contre la lourde chaussure de son fils et le bâton 
s'abat violemment sur le mur. U était temps ! 

n Mon père avait des larmes dans les yeux en se rappelant 
la dureté de notre aïeul : a Jamais, nous disait-il, il ne m'a 
donné une caresse ; je ne me souviens pas avoir reçu de 
lui un seul baiser. J'aime tant, moi, à vous embrasser, mes 
chers enfants ; voilà pourquoi je vous accable de ces ten- 
dresses qui ont tant manqué à mon coeur aimant, d Pauvre 

« Depuis la mort de sa mère, l'enfant n'avait rencontré 
d'affection que chez ses sœurs, qui avaient pour lui une pas- 
sion toute maternelle. Toutefois, il se consolait aisément, grâce 
à son goût pour la chasse et la vie au grand air. Une nuit 
d'hiver, par un superbe clair de lune, il était à l'affût du 



14 LE MARÉCHAL BUGEAUD. 

renard^ non loin de la maison. Ayant aperça an bois une 
troupe de bécasses qui sautillaient sur la neige durcie^ il 
trouva la scène si charmante qu'il courut à la maison forcer 
ses sœurs à se lever pour jouir avec lui, malgré la tempéra- 
ture, de ces émotions de chasseur. j> 



CHAPITRE II. 



Thomas Bugeaud sollicite une place de commis dans les forges de M. Festugiéres. 
— Son engagement. — La vie de caserne. — Sa passion pour l'étude. — Le 
premier duel. — Begrets du pays. — Le bal des blanchisseuses de Fontai- 
nebleau. — Éducation d'un soldat de fortune, — Une lettre du général Tro- 
chu sur les imperfections du maréchal : « Le maréchal Bugeaud, le plus grand 
des chefs militaires et le dernier des professeurs de guerre de l'armée française 
contemporaine. » 



Cependant le temps s'écoulait, Thomas Bugeaud 
allait avoir dix-huit ans ; la vie des champs , la chasse 
et l'étude ne lui suffisaient plus. Il fallait se créer un 
avenir. Après avoir réfléchi qu'il manquait de protec- 
tion pour le pousser dans le monde, et désirant ne 
point quitter son pays, il demanda une place de com- 
mis à M. Festugiéres, qui avait épousé la sœur £unée 
de M"* Elisabeth de Lafaye, laquelle devait plus tard de- 
venir, par son mariage, maréchale Bugeaud. M. Festu- 
giéres , qui possédait des forges importantes en Péri- 
gord, fit venir le jeune homme, causa longuement avec 
lui : « Mon enfant, lui dit-il, je ne veux pas d'un gen- 
tilhomme pour commis, ce n'est pas votre place; vo- 
tre intelligence vous mènera à de grandes positions 
dans l'armée. Entrez-y donc, puisque vous êtes pau- 



16 LE MARÉCHAL BUGEAUD. 

vre. y> Thomas désespéré revint embrasser ses sœurs, 
repartit pour Limoges; deux jours après, il était 
décidé qu'il serait soldat . 

Les deux lettres que Ton va lire furent écrites, 
de la Durantie, par Thomas Bugeaud, peu de temps 
avant son engagement. Ses hésitations prouvent com- 
bien il avait peu de goût pour la vie errante et d'a- 
ventures. En effet, bien que Tenfance et la jeunesse 
du pauvre enfant se fussent écoulées sans grandes 
joies, sans distractions, presque misérables, nous le 
verrons longtemps encore, dans chacune de ses lettres, 
îispirer au retour, et regretter, du plus profond du 
cœur, le calme et l'intimité de la famille. 

- 1 mademoiselle Phillis Bugeaud de la Piconneriej à Bordeaux . 

La Durar e, mai 1804. 

Si je n'ai pas répondu tout de suite à ta aernière lettre, ma 
chère amie, c'est que j'attendais Patrice, pour prendre ses 
conseils et me décider, d'un côté on de l'autre. Après avoir 
réfléchi , tons les deux , que le meilleur parti à prendre pour 
le moment est celui que tn as eu la bonté de me donner, je 
n'ai plus hésité. 

J'ai pensé que, dans quatorze ou quinze mois d'ici, je 
serais peut-être forcé de partir, et alors ce serait du temps de 
perdu. Si, dans trois ou quatre ans, je n'ai pas le goût de 
poursuivre la carrière militaire, je pourrai obtenir un 
congé, et serai encore à môme de prendre un autre état. 
Ainsi donc, ma chère Phillis, je suis entièrement déci- 
dé, et je compte partir aux environs de PAques. Veux-tu, ma 



CHAPITRE II. 17 

chère amîe, avoir la bonté de m'envoyer la lettre de recom- 
mandation que ta m'as promise ; pois, fais-moi part de tontes 
tes idées, snr la détermination que je prends. 

Quoique tu le prétendes , ma chère amie, je ne crois pas 
pouvoir aller tout seîil; je ne suis pas encore assez pré- 
somptueux, n faut que tu me connaisses bien peu, pour 
avoir cru que je ne voulais pas de tes conseils. Non, ma 
chère amie, je n'ai jamais prétendu dire cela. J'en ai besoin, 
et beaucoup. Je disais seulement que tu ne pouvais plus me 
faire voir bleu lorsque c'est noir, et noir lorsque c'est bleu. 
Du reste, tu as toujours les mêmes droits sur mon cœur et 
sur mon esprit. 

Je suis bien fâché de ne pas avoir les moyens d'aller vous 
voir avant mon départ. Mais tu sais, ma bonne amie, que 
je n'ai guère d'argent. J'ai déjà dépensé presque toute mon 
année en effets nécessaires et en maladie ; je ne suis pas en- 
core bien remis, et j'ai de temps en temps la fièvre. J'espère 
être parfaitement guéri au premier beau temps, et pouvoir 
partir. 

Comme je voudrais que Bordeaux fût sur ma route, ou 
au moins peu éloigné! Avec quel plaisir j'irais vous faire 
mes adieux; mais, hélas! vous êtes au midi, et je suis au 
nord. 

J'espère cependant n'être pas séparé de vous i>our toujours, 
et je compte, dans quelques années, vous présenter un frère 
digne de vous. 

Tu trouves sans doute que j'écris bien mal. Mais, depuis ma 
fièvre, j'ai entièrement perdu l'usage d'écrire, et j'ai totale- 
ment besoin de reprendre mon écriture. 

Adieu, ma chère amie, fais-moi réponse de suite. Em- 
brasse Hélène, Edouard, dis-leur un million de choses pour 
moi. 

T. I. 2 



18 LE MARÉCHAL RUGEAUD. 

Ne m'oublie pas près de ma tante (1), cousins et cou- 
sines. 

Ton afFectionné frère, 

Thomas. 
A mademoiselle Phillis de la Piconnerie, à Bordeaux. 

La Barantie, 11 juin 1804. 

J'attendais en vain, ma chère Phillis, une lettre de toi, de 
jour en jour, et je commençais à être inquiet , lorsque Antoi- 
nette, à son retour de Limoges, m'a donné de tes nouvelles. 
Une lettre d'Hélène à Patrice m'a, en outre, assuré que tu te 
portais bien. Cette dernière, par l'intérêt qu'elle me porte, 
craint beaucoup que je ne me décide à rien, que je ne m'ac- 
coutume à l'oisiveté ; enfin, que je devienne comme l'oncle de 
la Durantie. Elle paraît croire aussi que je trouverais grand 
avantage, — ajoutant que c'est ce dont je suis le plus capable, 
— à entrer dans un régiment de dragons. 

Hélène ne me rend pas justice. J'ai, plus qu'elle ne le 
pense, le désir de parvenir. 

Si j'ai paru mettre de l'indolence dans l'exécution des 
moyens que vous m'avez ofi*erts, c'est beaucoup de fièvre et 
un peu de prudence qui en sont la cause. D'ailleurs il n'y 
avait rien de pressé ; je ne suis pas encore à l'âge de la cons- 
cription, et il était plus sage d'attendre les événements. 

Maintenant les choses sont changées et je puis prendre un 
parti , bien meilleur que celui d'entrer dans un régiment de 
cavalerie; je pourrais choisir les vélites, par exemple. Tu as 
entendu parler de ce corps; je le crois très avantageux pour 
moi; aussi suis-je à la veille d'y entrer. Je n'avais pas réussi 

(1) "iioïc Mac-Karthy, sœur de la marquise Bugeaud de la Piconnerie. 



CHAPITRE 11. 19 

ày être incorporé. Dans mon départemant^ il se trouvait un si 
grand nombre déjeunes gens portés avant moi sur le tableau^ 
que la chose était impossible. M lis Patrice a écrit à ce sujet 
à M. Blondeau de Combas , qui lui a répondu de me faire 
partir tout de suite, qu'il était sûr de m'y faire entrer. H 
paraît que M. Blondeau a de nombreuses connaissances capa- 
bles de lui rendre ce service ; enfin il me promit de bonnes 
recommandations . 

Cette nouvelle, ma chère Phillis, me fait grand plaisir 
quoiqu'elle soit cependant mîlée de beaucoup de peine. Je 
vois avec douleur que je suis obligé de m'éloigner avant 
d'avoir le plaisir de t'embrasser ; un retard pourrait me faire 
grand tort, et je suis persuadé que , malgré le désir que tu as 
de me voir, tu préfères que je parte tout de suite. 

Je n'ai pas besoin de te dire à quel point je suis triste de ce 
que le sort ne me dirige pas vers ce que j'ai de plus cher au 
monde ; tu le sais bien assez , tu connais assez mon amitié , 
pour juger quelle jouissance j'aurais à te faire mes adieux 
à prendre tes conseils. Je m3 b3rçais de la douce espéra nce 
de goûter ce bonheur à la fin du mois, et point du tout. Ma 
fortune me porte ailleurs, c'est ainsi que va le monde. Il 
n'est que privations ! 

Je vais maintenant fixer mon esprit sur des espérances 
plus éloignées. Je songe déjà au moment où mon état me 
permettra de revenir dans ma famille, de revoir ma chère 
Phillis, de lui ramener un frère vertueux, peut-être en passe 
de parvenir à une honnête fortune. — U sera bien doux , 
ma chère Phillis, ce moment, et dès maintenant cet espoir 
me remplit le cœur des idées les plus agréables. 

Je vais donc à présent, ma bonne amie, sortir de ma famille. 
Je vais entrer dans ce monde que l'on m'a fait tant redou- 
table. Ou m'a tant prêché, à propos de mon caractère, que je 



20 LB MARléCHAL BUGEAUD. 

m'en méfie beaucoup. Je me tiens grandement sur mes gar- 
des, afin de ne pas réaliser tout ce que ma famille m'a pré- 
dit Ce qui contribue beaucoup à me faire craindre mes 
défauts, c'est un petit propos qu'Hélène, qui est si juste, 
si raisonnable, si impartiale, a t^nu. Elle a dit à Patrice 
€ que pour rien au monde elle ne voudrait vivre avec moi. ï> 

Je ne crois pas avoir mérité d'elle un tel propos, et voilà 
qui me prouve qu'il faut une grande surveillance sur soi- 
même, car au moment où Ton croit bien faire, on fait mal. 

Je reviens d'un petit voyage à Limoges, chez Patrice, ou 
j'ai été parrain du petit Gustave. On m'a fort bien reçu, on 
a été extrêmement honnête et amical, et sans <r la vieille 
plaie, » j'aurais été enchanta d'eux. 

Bonjour, ma bonne amie, embrasse Hélène et Edouard 
pour moi, présente mes respects à ma tante Mac-Karthy. 

Ton frère affectionné, 

Thomas. 

C'est presque toujours à sa sœur aînée Phîllîs, la 
confidente fidèle et dévouée, que s'adresse le dernier 
des fils du marquis de la Piconnerie. Pour elle, rien 
de caché ; il lui fait part de toutes ses impressions, de 
ses pensées secrètes, de tous les actes de sa vie, et 
nous ne connaissons rien de plus touchant que cet 
attachement tendre et filial de ce jeune frère pour celle 
qui lui servit de mère et auprès de laquelle s'écoulè- 
rent ses premières années dans la vieille demeure de 
la Durantie. Cette affection profonde que le jeune Bu- 
geaud avait vouée à sa sœur Phillis ne se démentit 
jamais. La comtesse de Puyssegenetz conserva toute 
sa vie l'ascendant qu'elle avait eu sur son frère pen- 



CHAPITRE U. 21 

dant son enfance et sa jeunesse. On nous a conté, 
à ce sujet, une touchante anecdote. Quelque temps 
avant sa mort, le maréchal Bugeaud, dans un dîner 
de famille à la Durantie, avait eu une légère discus- 
sion avec sa sœur aînée. Sans le vouloir, il avait sans 
doute un peu froissé sa chère sœur, si bien qu'une 
petite larme avait perlé à ses yeux. A cette vue, le 
maréchal s'était levé subitement, et, se jetant au cou > 
de sa sœur, lui-même avait fondu en larmes! « Oh! 
ma bonne Phillis, ô ma bien-aimée, est-il possible 
que ce soit moi qui t'aie fait pleurer, je ne me le 
pardonnerai jamais ! » 

Entré à Fontainebleau, le 29 juin 1804, dans les gre- 
nadiers à pied de la garde impériale (corps des vé- 
lites), Thomas Bugeaud avait dix-neuf ans et quelques 
mois. L'admission aux vélites de la garde était déjà 
une légère faveur accordée au jeune engagé limousin. 
Le corps des vélites, en effet, se composait de jeunes 
soldats un peu plus instruits que les autres et devait 
être, dans l'intention du premier consul, une pépinière 
de sous-officiers. 

« La vie de caserne fut une vie de souffrance pour mon 
père, a reprend M™" la comtesse Feray ; » l'avenir ne lui pa- 
raissait pas brillant, n'ayant ni relations ni argent. U consa- 
crait à l'étude tout le temps que lui laissaient les corvées et 
les exercices. Pour se procurer des^livres, il en était arrivé à 
vendre une partie de son pain. Ses faibles ressources ne lui 
permettaient pas d'avoir de la chandelle. Quand ses cama- 
rades dormaient, il lisait au lumignon enfumé de la cham- 
brée. Souvent il avait bien faim et dévorait en rêve les 



22 LE MARÉCHAL BUGEAUD. 

cbâf aigres et les femmes de terre farinenses de la vieille 
Durantîe. Ccmme congcrit, il était fort malmené par les 
anciens ; ses mains blanches et fines , quelques traces de pe- 
tite vérole, scn menton imberbe, tes cheveux rouges, et sur- 
tout son gcût pour les livres, étaient le sujet d'attaques con- 
tinuelles, mais il était obligé de se taire par discipline. 

€ A cette époque, les soldats avaient une seule gamelle 
de soupe pour six; on la plaçait sur un banc ou sur une 
table, les convives formaient un rond autour et la manière 
de manger était réglée. Chacun à son tour plongeait sa 
cuiller de bois et la retirait pendant que le voisin exécu- 
tait la même manœuvre. Un jour, mon père, afiamé, oublia 
la consigne, et, après avoir avalé la première cuillerée, en 
prit immédiatement une seconde. Sur ce, un des vieux gro- 
gnards se précipite vers le gourmand et lui crie en fureur : 
« Avec tes thématiques et ta gérographie, tu n'es qu'un f.... 
blanc-bec. » A cette apostrophe, l'insolent reçut sur la 
figure le c(>ntenu de la gamelle. Un duel s'ensuivit ; le vieux 
grenadier fut tué, et de ce jour les jeunes conscrits souffre- 
douleur et martyrs furent respectés davantage dans le régi- 
ment (1). 



(1 ) Ce fut le premier duel du maréchal. D'après un de ses anciens amis, le 
gtn^ral X... qui nous le contait récemment, sa seconde rencontre eut lieu dans les 
circonstances f uÎTantes : le fait se ferait papst peiidant la campagne d'Autriche, 
dans un château près de Vienne, cù le détachement dont faisait partie le jeune 
Bugeaiul recevait l'hospitalité. — Le maître de la maison, le comte X... et ses 
filles, avaient offert aux Français tout ce qui était en leur possession. Le sergent 
cjul commandait le détachement, homme grossier et cynique, comme en comptaient 
ninlheureuFtmtnt les hataillons des volontaires de la République, ayant porté ses 
vues Fur ses jeunes hôtesses, annonça hautement s(n intention de pi'nétrer la nuit 
(lar.s leur chambre, accompagné de deux de ses soldats. Le caporal Bugeaud ne 
craifjnit i atJ de Llfmcr la lâcheté de l'acte: un duel eut lieu sur l'heure et le 
sergent fut tué raide, d'un coup de pointe de Fon adversaire. Ce fut le second duel 
du mart'chal Bugeaud. Un troisitme, dont nous aurons occasion de parler longue- 
ment plus taid, eut une issue également funeste. En effet, le député Dulong 
fut, (n 1882, ccnme îe sergent, moi tellement frappé par son adversaire. 



CHAPITRE II. 23 

€ Malgré le calme dont il jouissait, mon père sentait peu 
de goût pour la carrière des armes. Il écrivait sans cesse à 
ses sœurs en déplorant la pauvreté qui l'avait chassé de 
son pays. Sa suprême consolation était d'aller s'asseoir au 
pied d'un arbre, dans la forêt de Fontainebleau, pour y 
pleurer toutes ses larmes : « J'étais un jour, nous a-t-il ra- 
conté, dans un état lamentable, lorsqu'un camarade m'aper- 
çoit. Que fais-tu, grand imbécile? Au lieu de pleurnicher 
comme un veau, viens au bal des blanchisseuses. 11 m'en- 
traîne de force, j'étais encore bien ému en entrant. Mon com- 
pagnon, habitué du lieu, donne le mot d'ordre aux plus jo- 
lies demoiselles ; me voilà entouré, et bientôt ma mélancolie 
se dissipe dans le tourbillon d'une valse. J'étais fou de la 
danse ; ce bal me fit grand bien, et je retournai moins souvent 
confier mes ennuis aux solitudes de la forêt. » 

Les deux lettres suivantes, adressées de Fontaine- 
bleau et de Courbevoie par le jeune vélite de la garde, 
à sa sœur Phillîs, montrent le héros acceptant déjà avec 
plus de patience les misères de son état. 

Fontainebleau, 1 1 thermidor 1804. 

J'attendais, ma chère Phillis, ta lettre avec bien de l'im- 
patience ; enfin la voici arrivée. Sans elle je ne serais pas 
encore accoutumé à mon métier; mais à présent que tu 
m'approuves, je suis content, et je n'ai d'autre ennui que 
d'être séparé de toi. Je commence à avoir une meilleure idée 
des vues du gouvernement sur notre corps. Il nous envoie 
souvent des généraux pour voir si nous sommes bien et pour 
examiner nos progrès. Le maréchal Bessières nous passa 
hier en revue : il nous promit nos maîtres, et il est à peu 
près gûr que, dans une quinzaine de jours, tout sera orga- 



24 LE MARECHAL BUGEAUD. 

nisé. Ça me fait grand plaisir, j'ai repris beaucoup de goût 
pour l'étude, et je suis vraiment effrayé de ce que Texercice 
et le service militaire me permettent d'étudier si peu. Mais 
dans trois ou quatre mois nous saurons manœuvrer, alors 
nous aurons beaucoup plus de temps. On ferait peu de 
progrès en n'ayant que les maîtres du corps. Nous serons si 
nombreux qu'à peine pourra-t-on avoir chacun dix minutes 
de leçon. En sorte que je me propose d'avoir un maître par- 
ticulier pour chaque cours que je suivrai publiquement, 
c'est le moyen de se distinguer. J'ai fort peu d'espoir 
d'avancer si M. Blondeau n'est pas placé ; les vélites arri- 
vés les premiers ont tout l'avantage; ils ont attiré avant 
nous l'attention des chefs, et déjà il y en a une quarantaine 
nommés instructeurs, qui, dans peu, deviendront sous-offi- 
ciers. 

Il est assez difficile de se famihariser avec les chefs. Ceux-ci 
craignent de nous donner de la jalousie les uns aux autres, en 
ayant l'air d'en protéger un. Du reste, il n'y a que deux de nos 
officiers qui soient d'une société à rechercher : les autres sont 
de bons militaires, mais des gens de peu de naissance et de 
peu de moyens. Je compte cependant faire mes efforts pour 
bien seyrvir avec eux, parce qu'il faut se faire connaître ; sans 
cela, l'on reste toujours dans l'ornière. Je compte m'ouvrir 
la connaissance d'un jeune capitaine par le moyen de la 
chasse ; il l'aime passionnément. Je lui ai déjà fait parler de 
moi par un sergent que je connais; je me suis donné pour un 
grand chasseur, et j'espère que bientôt je sortirai avec lui. 
Dès que nous aurons chassé deux ou trois fois ensemble, nous 
serons bons amis. 

Il est bien difficile encore de faire des connaissances un 
peu respectables en ville ; <r le militaire d est fort peu estimé; 
on se méfie beaucoup de tout ce qui en porte l'habit, et sans 



CHAPITRE II. 25 

considérer que les vêtements ne font pas le moine^on ne 
reçoit presque aucun de nous, pas même les officiers supé- 
rieurs. On m'a assuré qu'il n'y avait qu'un vélite qui fréquen- 
tât la bonne société à Fontainebleau; encore est-ce parce qu'il 
y a des parents. Ce qui a le plus contribué à nous faire ban- 
nir de la société honnête, c'est que plusieurs vélites ont fait 
des malhonnêtetés à des femmes et se sont mal comportés 
sous beaucoup d'autres rapports. Us sont parvenus à nous 
réduire à la société des courtisanes et des cafetières. J'espère 
que tu crois que je ne les fréquente pas. Lorsque j'ai un mo- 
ment de libre, je préfère le passer à la caserne ou dans la 
chambre que j'ai louée, à lire ou étudier l'anglais et la géogra- 
phie. J'ai acheté à Paris un dictionnaire. Ne crains pas, 
ou du moins crains peu pour mes passions ; elles ne furent 
jamais plus calmes : quand même je serais disposé au mal, 
je n'ai pas le temps d'y songer. On exige une si grande pro- 
preté dans nos armes et sur nos personnes que nous som- 
mes sans cesse à travailler; nous avons tout au plus une 
heure par jour ; ainsi tu ne dois craindre rien de « la mère de 
tous les vices. i> Jamais je ne fus dans une meilleure dispo- 
sition d'&me, et, dans un corps de grenadiers, je suis bien 
plus sage peut-être que je ne le serais dans un ermitage. Je 
vais à la messe les dimanches matin; j'entends aussi un ser- 
mon ce jour-là, autant par plaisir que par dévotion. Je fais 
quelquefois ma prière, jamais je n'ai été en butte à aucune 
plaisanterie de mes camarades. Beaucoup d'ailleurs font 
comme moi, et les autres ne s'en moquent pas. 

Il y a un grand nombre de ces jeunes gens qui ne sont 
pas de bonnes familles, des fils de paysans, artisans, etc. ; il 
y en a aussi de très distingués, mais en général ce corps 
n'est pas ce qu'on le croit. Il y a fort peu d'intimité entre 
vélites ; on se rencontre et on se voit comme si on était des 



20 LE MARÉCHAL BUGEAUD. 

étrangers ; on ne fait pas de parties nombreuses. Chacun a 
deux ou trois amis avec lesquels il sort et partage ses plai- 
sirs ; on est peu engagé à des dépenses, ni sollicité pour faire 
le mal. 

La discipline est très exacte et en même temps très sé- 
vère. Le jeu de billard est défendu, et pour peu que l'on sache 
qu'un jeune homme perd de l'argent, on lui fait de vertes 
réprimandes. On est obligé de rentrer à neuf heures, et, si 
Ton 'y manque, on est consigné ; si on récidive, à la salle de 
discipline I 

Il n'y a que sur l'article des femmes que l'on n'est pas 
sévère. Plusieurs vélites mènent une très mauvaise vie ; on 
ne leur dit rien, ou, si on leur dit quelque chose, c'est pour 
les engager à ménager leur argent et non leur &me. 

Nos chefs ont tous une très mauvaise morale ; ils croient 
qu'après la mort tout est fini, qu'ils sont des animaux comme 
les autres ; ils croient à un Être suprême, mais ils le suppo- 
sent neutre. Voici le langage de tous ceux à qui j'ai parlé, 
et ce sont eux-mêmes qui ont amené cette conversation. Il 
n'y aura malheureusement que trop déjeunes gens disposés 
à les écouter. 

J'espère, ma tonne amie, que je suivrai sans peine tes 
sages conseils, et que, lorsque Dieu me fera la grâce de te 
revoir, tu me trouveras vertueux et reconnaissant pour la 
grande part que tu auras dans ma bonne conduite, et pour 
les avis que tu m'as donnés et que tu me donneras encore, 
j'espère. 

J'ai trouvé X... si peu disposé à me donner ce qui me re- 
vient de nos parents, d'après son propre aveu, que je n'ai 
osé lui demander rien de plus. Nous n'avons fait aucun 
arrangement ensemble. Je lui ai vendu mon linge ; avec ce 
qu'il me devait d'ailleurs, c'est monté à cinq cents francs. 



CHAPITRE II. 27 

Je l'ai prié de m'avancer les premiers six mois de ma pen- 
sion, et il m'a refusé en me traitant d'indiscret ; il m'a ce- 
pendant promis de ne pas me laisser manquer et de me 
renvoyer exactement ma pension.* Tu conçois qu'après avoir 
payé mon voyage , être resté treize jours à Paris dans un 
hôtel avec M. Blondeau, avoir acheté beaucoup de choses 
dont j'avais besoin, telles que livres, cartes, culottes de nan 
kin, gilets de basin, boucles en argent, chapeau, uniforme, 
et quantité de choses nécessaires pour n'avoir pas l'air d'un 
manant, il doit me rester peu de chose, et je crains que 
X... ne se presse guère de m'en envoyer. Avec la plus stricte 
économie et en ne faisant que les dépenses indispensables, 
comme de payer mes maîtres, j'aurai de la peine à l'attendre 
deux mois. X... croyait que 500 francs suffiraient à ma dé- 
pense, n'ayant besoin de rien acheter; il se trompe furieu- 
sement : outre qu'il faudra payer en partie les maîtres que 
nous aurons, il faut encore beaucoup de dépense pour sa mise. 
On nous permet d'avoir l'uniforme aussi beau que nous vou- 
lons. Après le service militaire, on ne peut sortir qu'avec 
des culottes de nankin, bas de soie ou de beau coton, ou avec 
des pantalons de casimir et des bottes. H n'y a que les 
paysans qui sortent habillés différemment, et le moyen de se 
faire remarquer est de montrer qu'on n'est pas un homme 
de rien et d'avoir une très belle tenue. M. Blondeau, qui est 
au fait de cela, me l'a grandement recommandé. Je te donne 
tous ces détails afin que tu ne penses pas que je mange mon 
argent mal à propos. 

Mille choses à tous, et mes respects à ma tante. 

Adieu, ma bonne amie, je suis pour Hélène tout ce que 
peut être un bon frère. 

Thomas Bugeaud, 

vélite aiuc grenadiers de la garde. 



28 LE MARECHAL BUGEAUD. 

Fontainebleau, 10 fructidor 1804« 

Ta n'avais pas besoin, ma bonne amie, de jostifications 
pour le retard de ta lettre! J'étais fâché seulement, attristé 
de ne pas m'entretenir avec toi ; car je suis trop persuadé de 
ton affection, et tu m'en donnes trop de preuves, pour que je 
puisse croire que tu me négliges. Je savais d'avance que tu 
avais de bonnes raisons : je m'en prenais aux incidents et non 
à ta paresse. En effet, je ne me trompais pas : hier, je vis 
avec le plus grand plaisir que, bien loin de m'oublier, tu 
songes sans cesse à moi et que tu attendais de pouvoir m'an- 
noncer une recommandation que ta vigilante amitié cherche 
à m'obtenir. Je ne saurais t'exprimer, ma chère Phillis, l'effet 
que ta lettre tendre et affectueuse a produit sur moi. Elle 
m'a appris à connaître les jouissances de la sensibilité et de 
l'amitié ; elle a renouvelé dans mon cœur une foule de senti- 
ments plus doux les uns que les autres, auxquels il s'est 
livré sans retenue. Il n'est rien de plus agréable que la recon- 
naissance pour quelqu'un que l'on aime. Quoique je doive 
être habitué à recevoir de toi tous les bons procédés que 
peut avoir une sœur, néanmoins il n'en est pas de ceci comme 
de phisieurs choses qui, répétées souvent, deviennent ordi- 
naires. Plus je vois les marques de ta tendresse, et plus j'en 
suis touché. Tu es trop généreuse, ma chère ; ta générosité 
est au centuple de tes moyens. Je croirais être indigne d'être 
ton frère, si j'acceptais tes offres ; tu sais que je les ai déjà re- 
fusées, permets-moi de le faire encore. Tu m'as mal compris 
et tu as cru que mes moyens n'étaient pas suffisants pour 
les dépenses que j'ai à faire ; je te jure qu'ils sont tout ce 
qu'il faut et qu'avec de l'économie je pourrai bien mettre 
quelques écus de côté. Tous les détails que je t'ai donnés 
étaient pour justifier l'emploi de mon argent; comme je 



CHAPITRE II. 29 

tiens beaucoup à ton opinion, je serais fâché que tu crusses 
que je le dépense en folies, et comme je m'imaginais que tu 
pouvais penser que ma situation me permettait de faire de 
fortes économies, je voulais t'en dissuader. Sois donc bien 
tranquille sur mon compte : pourvu qu'on me paie exacte- 
ment ma pension, je puis me donner l'utile et l'agréable. 
Je pourrais même économiser, mais tu dois concevoir que, 
lorsqu'on s'ennuie quelque part, on cherche à adoucir autant 
que possible les désagréments de sa position. Ne m'en veux 
donc pas, ma chère amie, si je te refuse; tu dois me suppo- 
ser les mêmes sentiments qu'à toi ; tu veux me donner ton 
argent , parce que tu crains que j'en manque, et moi je ne 
l'accepte pas, parce que je sais que tu en as plus besoin que 
moi, et je serais au désespoir si je savais que tu fasses 
privée de quelque chose. Ce serait plutôt à moi à faire un 
pareil sacrifice en ta faveur. Ainsi, ma bonne amie, reçois 
mes tendres remerciements, et fais-moi le plaisir de ne plus 
m'en parler. 

La recommandation dont tu me parles pourrait m'être 
très utile, quoiqu'il soit assez rare que ce genre de protection 
réussisse, attendu que tous les hommes en place reçoivent tant 
de demandes qu'à peine y font-ils attention. Cependant, 
celles qui viennent d'un frère doivent être un peu mieux 
accueillies ; aussi je te prie de ne pas négliger celle-ci. Je 
préférerais que la lettre fût adressée au général Bessières 
lui-même, parce qu'on est très embarrassé pour présenter 
pareille chose à un homme de son rang. H me connaît déjà ; 
c'est lui qui m'a reçu à Fontainebleau, au dernier voyage 
qu'il y fit avec l'Empereur. 

En lui rappelant ces circonstances, s'il a envie de me ser- 
vir, il me trouvera facilement. Je désirerais beaucoup être de 
]a classe de la théorie : ceux qui y ont été reçus sont à peu 



:jO le maréchal bugeaud. 

prc:i sûrs d'être nommés oflSciers, puisqu'on leur en apprend 
les devoirs. Il n'y a eu de choisis que ceux qui avaient des 
protections;, l'intelligence et les talents n'ont compté pour 
rien. Plus des trois quarts de ceux-là ont fort peu de mérite, 
tandis qu'on rencontre dans notre corps des jeunes gens 
instruits auxquels on n'a fait aucune attention. 

Je n'ai pas perdu l'espérance de fréquenter de bonnes so- 
ciétés. J'ai fait connaissance de la dame chez qui j'ai loué 
une chambre; c'est la femme d'un imprimeur; mais dans ce 
pays-ci les femmes de cette classe ont un bien meilleur ton 
que celles de chez nous , d'une classe supérieure. Elle m'a 
promis de m'introduire dans les sociétés qui vont se former 
a l'entrée de Thiver; elle me procurera des invitations de 
bals et concerts; quand j'y serai, je tâcherai petit à petit de 
faire des relations et peut-être réussirai-je à me former une 
l>onne société bourgeoise. 

Dernièrement j'assistais à un grand concert donné par un 
joueur de harpe célèbre et par cent des vélites qui sont bons 
musiciens. C'eût été charmant s'il y avait eu plus de fem- 
mes. Je n'en découvris que trois qui étaient passables ou jeu- 
nos, les autres étaient déjà vieilles et conservaient cepen- 
dant la coquetterie du jeune âge; elles joignaient à cela un 
air pédant tout à fait d ésagréable. Il était facile de lier la 
conversation avec elles, l'envie qu'elles avaient de faire voir 
qu'elles connaissaient la musique les excitant à parler. Je me 
trouvai placé près de deux extrêmement laides; je m'aperçus 
tout de suite qu'elles avaient l'envie de m'adresser la pa- 
role; en eftet, deux minutes après nous parlâmes ensemble; 
elles ne m'entretinrent que de sciences et de musique; je 
m'ennuyais infiniment parce que je n'y entendais rien, mais 
enfin je faisais bonne contenance, espérant que des femmes 
plus agréables viendraient près d'elles, et qu'ayant commencé 



CHAPITRE II. 31 

la conversation avec les vieilles, je la continuerais avec les 
jeunes. Point du tout, je fus trompé dans mon attente. 
Deux demoiselles, qui chantaient très bien, terminèrent le 
concert par un duo ; elles s'accompagnaient de la harpe, et 
chacun s'en fut chez soi. 

Notre conmiandant nous a surpris Tautre jour d'une très 
agréable manière : après nous avoir fait beaucoup manœu- 
vrer, il paraissait si content de nous, qu'il nous dit que pour 
nous punir il allait nous mener à la promenade militaire. 
En effet, nous nous mîmes en marche, mais à peine eûmes- 
nous fait un demi-quart de lieue, que nous aperçûmes des 
paniers remplis de pains, de bouteilles, de fromage et de 
saucisses. Nous tressaillîmes de joie à cette vue, et dès que 
le commandant nous eut fait reposer nos armes, nous for- 
mâmes des cercles et fîmes un excellent déjeuner. Nous 
portâmes des toasts pour le commandant, pour nos chefs, 
pour les succès de la France. Je m'approchai de lui et lui fis 
au nom de nos camarades uti petit compliment sur la fête 
qu'il nous donnait. Il en parut satisfait et me mit entre les 
bras un gros fromage de Brie et un panier de vin de Bour- 
gogne pour le partager entre nos camarades. Le repas ter- 
miné, nous dansâmes au son du tambour. 

Voici, ma chère Phillis, le seul moment agréable que 
j'aie passé depuis que je suis ici. Cette petite scène me donna 
un peu de goût pour le militaire, et je ressentis, presque 
pour la première fois, un léger souffle d'ambition. 

Je me suis lié avec un jeune homme de Saint- Yrieix, 
nommé Lamothe ; il est très bon enfant. J'ai cru lui recon- 
naître les mêmes goûts et les mêmes sentiments qu'à moi, 
ce qui a fait que nous avons été tout de suite intimes. Il 
n'est guère plus instruit que moi, mais il a envie d'acquérir, 
et nous devons travailler ensemble. Il me sera, je crois, d'un 



32 LE MARÉCHAL BUGEAUD. 

grand secoors, car lorsqu^on est sans parents et sans amis 
on est bien malheorenx. 

AdieU; ma chère Phillis^ ne me fais pins languir ; si ta 
savais tout le plaisir que ta me donnes^ ta te hâterais bien 
vite de me répondre. 

tTe^re que ta n'as pas besoin de nouvelles assurances 
pour me croire tous les sentiments du plus tendre des frères. 

Thomas Bugeaud, 

vélite aux grenadiers de la garde. 

Le côté sérieux et candide de ce caractère se ré- 
vèle bien dans ces confidences intimes, dans ces re- 
grets amers de ne pouvoir s'instruire. Ce désir d'ap- 
prendre éclate dans toutes ses lettres. C'est en effet 
à lui seul que le maréchal dut ce qu'il sut. Durant cette 
période troublée de la Révolution et sous le Directoire, 
il était presque impossible à un enfant, à un jeune 
homme sans fortune et habitant la campagne, de re- 
cevoir une instruction sérieuse. — Nous avons vu plus 
haut que le séjour de la Durantie était peu fait pour 
agrandir le cercle des idées et les connaissances du fils 
du marquis de la Piconnerie. Aussi devons-nous rendre 
hommage à la persévérance et à la force de volonté du 
pauvre Périgourdin, passionné pour l'étude, rougissant 
de son ignorance, et s'élevant par lui-même et seul à 
un degré d'instruction fort raisonnable pour un soldat 
de fortune. Il compléta largement , plus tard , ce défaut 
d'éducation première, et s'il n'avait pas a la culture 
qui est le résultat des fortes études, i> comme le re- 
grette un peu sévèrement M. le général Trochu, il 



CHAPITRE U. 33 

remplaça ces imperfections par des qualités bien supé- 
rieures (1). 

(1) A ce propos, nous croyons pouvoir reproduire ici une intéressante lettre 
du général Trochu, si longtemps Taide de camp du maréchal Bageaad, et qui 
mieox que personne a pu l'apprécier. 

Désireux il y a quelque temps de recueillir, sur Thomme dont nous avions en* 
trepris rhistoire, les jugements de ceux qui Tavaient le plus approché, je me 
permis d'écrire à M. le général Trochu, qui voulut bien me répondre la lettre 
suivante : 

Toon, le 6 mars 1879. 

J*ai longuement véoa, en elZet, dans Tintimitô du général Bageaod ; c'est à loi que se 
rattachent, avec les origines de ma carrière, les plus chers sonvenlis de ma jeunesse mi- 
Utaire. 

Du portrait que vous me faites Thonneur de me demander, vous trouvères les traits piiod- 
paoz dans deux livres dont je ne fais, devant vous, aucune difflculté de me reconnattre 
raateor : r Armée /rançaUe en 1867 (Paris, Amyot), oii le maréchal est vu de face : et 
t Armée françaUe en 1879, o& il est vu de profil (Paris, Hetxel). 

Ceet on ensemble complet, bien que sommaire, et qui montre l'illustre soldat comme il 
a vécu et comme il était. 

Je ne parle id, bien entendu, que de son portrait militaire ; si c'est Thomme que vous 
vons proposez d'étudier, j'ai le devoir et en même tempe le regret de me récuser comme 
informateur. Le maréchal, envisagé sous cet aspect, avait pourtant beaucoup de parties 
snpériemres : la plus sincère bonhomie, la bienveillance, l'esprit vif, original et plein de 
saillies imprévues. Mais les leçons d'une éducation bien conduite loi avalent manqué, et fl 
n'avait pas la culture qui est le résultat des fortes études. 

Son mérite n'en fut que plus grand, de s'être élevé par ses propres efforts jusqu'à la haute 
dtnation ob nous l'avons vu. 

Mais enfin, sons divers rapports, il avait des inégalités, des imperfections, que l'ampleur 
de ses facultés naturelles et l'édat de ses services ont fait oublier. Je ne saurais me résou- 
dre à les remettre en lumière. 

Vous assurant que votre nom comme vos écrits m'étaient connus, et que vous n'avles pas 
à être introduit auprès de moi, je vous oilre. Monsieur le comte, l'expression de mes senti- 
ments les plus distingués. 

Général Tbochu. 

M. le général Trochu, à notre humble avis, a peut^tre trop appuyé, dans 
cette lettre, sur les prétendues inégalités et imperfections de Fillttstre homme de 
guerre dont il eut l'honneur d'être l'aide de camp. En effet, « si les leçons d'une 
éducation bien conduite et la culture qui est le résultat de fortes études n man- 
quèrent au maréchal on s'en aperçoit peu en lisant ses lettres, ses écrits rnUi* 
taires et ses admirables proclamations. Aussi, avons-nous reoiarqné avec plaisir 
certaine page du livre que voulait bien nous signaler M. le général Trochu, le- 
quel cette fois rend complète justice, sincère hommage au plus grand homme de 
guerre de son temps. 

Cette page, un peu mélancolique, fait trop d'honneur à M. Trochu, écrivain et 
philosophe, pour que nous ne la reproduisions pas tout entière. 

La gnerre d'Afrique, telle qu'elle fut, a cependant formé beaucoup d'offlders distingués. 
Elle a fait ou plutdt eUe a préparé quelques généraux considérables qui seraient peut-être 

T. I. 3 



34 LE MARÉCHAL BUGEAUD. 

(lerenns de grantls chefu d'aniKÏ-c, si \& fortune, ptdasanoe infinie dont personne ne dispoie 
qui domine dans 1* gneire encore plus que dans le reste des afbdree humaines, et qni fait 
plus sonrent que le talent les renommées militaires, les avait serris. Je yeaz évoquer ici 
la mt moire de trois de ces génvnxa, — trois pairs k des titres diiférentii, — tons les trois des- 
cendns au tombeaa dans la disgrâce des gouvernants, des partis politiques ou des foules, 
tous les txx>is abamlonnés, k l'heure de la disgrâce, i«r ceux-là mOme qni avaient été à U 
fmerre leurs compagnons : de la Moridère, qui eut les facultés supérieures ; Cavaignac, qui 
eut le haut caractère ; Beilean, qui eut la grande vertu. — Cest avec un oœor pénétré de 
Mwi^ect et plein de souvenirs émus que j'offre k ces morts, à ces généreuses victimes de nos 
diKorles )x4itiques el de notre dccliéauce morale, qui curent tour à tour des idolâtres et des 
iwultcoxv, k« hommages de l'ancienne armée. 

!;# avuikr.t nçn les leçons et eu les exemples irun homme de guerre qui leur était in- 
férieur par riu^truction et la culture de l'esprit, qui les «léi^assait par l'ampleur des facultés 
natUR'Ues où le i^lus rarv bon sens tenait le premier rang, qui les dominait de haut par l'expé- 
jVrirtK* de la «rrande guerre : le maréchal Bugeaud. Cvlui-là était un soldat d'Austerlitx. Il 
avait vu » forater, marcher, subsister, les armées «le cent mille hommes. Il avait vu les 
fnr«ni)c!t lignes de bataille, les grands chocs d'où sortent la victoire avec ses eilets d'cxalta- 
tl«%n fWT les trvHii^es, et la défaite avec ses effets de démoralisation et ses retraites disputées. 
lAMt^cmitd aQ*a.cn Espagne, il avait fait, avec de brillants succès, la guerre d'embuscades 
et tK» iturprisra. Il y avait en lui, k proportions presque égales, du général d'armée, du çue- 
rilltr^ et c'e^t avec l'aut^vité de ce double savoir expérimental qu'il réforma les préjugés et 
rrciifia les méthodes pratiquées depuis 1830 à l'armée d'Afrique, fondant le solide état mo- 
ral et consacrant les proadés auxquels sont dus la conquête définitive de l'Algérie et les 
commencements do sa colonisation. 

Le mait^hal Bugeaud fut notre maître à toui, le maître des grandes personnalités dont 
je Tiens de rapi«el<T les titres à la gratitude du i ays, le maître des iietites parmi lesquelles 
beaucoup d'officiers de ma génération l'ont vu d'at^sez près pour le juger. Cest devant lui 
que non* dev^ms nous incliner comme devant le plus grand des chefs militaires et le der- 
nier de« |v«»fe«atur8 de guerre qu'ait eus l'armée française contemporaine. ( L'Armée /ran- 
çatteen 1871.) 



CHAPITRE III. 



Lettres de Thomas Bugeaud & sa sœur Phillis. — Les petits ruisseaux. ^ L'ami 
Lamothe. — Il se concilie les bonnes grâces de son commandant. — Dégoût pour 
'c le militaire ». — Bévue de FEmpereur. — » Entrevue de Napoléon et du pape 
Pie VII. — Le couronnement. — Départ pour Courbevoie. — H est sur le 
point de partir pour l'Italie. ^- Singulières mœurs rappelant la fin du Direc- 
toire. — L'aventure de Fontainebleau. — Ses projets d'entrée à l'École mi- 
litaire. 



Dans les lettres qui suivent, le jeune frère continue 
à prendre sa bien-aimée Phillis pour confidente. Son 
caractère se révèle tout entier dans ses épanche- 
ments intimes ; le petit vélite reste toujours un peu 
fier et sauvage, et son goût a: pour le militaire, d 
selon son expression, diminue chaque jour, au lieu 
de s'accroître. 

Sa sœur l'ayant sans doute plaisanté dans une de 
ses réponses à propos.de ses comparaisons, on verra, 
au début de la seconde lettre, de quelle façon char- 
mante il promet d'être plus simple dans sa correspon- 
dance. — Les fatigues et les déboires du régiment 
s'accusent davantage, si bien que l'engagé volontaire 
songe à entrer à l'École militaire. Mais la pension est 
chère, le frère aîné Patrice un peu dur, et ce n'est 



36 LE MARÉCHAL BUOEAUD. 

point, hélas I avec la très modeste fortune laissée par 
le marquis de la Piconnerie que Thomas peut subve- 
nir seul à de si fortes dépenses. 

A mademoiselle Phillis de la Piconnerie, à Bordeaux. 

Fontainebleaa, 1804. 

J'attendais en effet; avant de te répondre , ma chère Phil- 
lis , la lettre que tu m'avais promise ; mais le courrier qui 
me Ta portée était le dernier que je voulusse attendre. J'étais 
trop impatient, et mon cœur, de môme que les rivières qui , 
grossies par mille petits ruisseaux, ne peuvent retenir leurs 
ondes écumantes, brûlait de s'épancher et de te faire part de 
tout ce qu'il ressentait. Tu trouveras sans aucun doute cette 
comparaison déplacée, mais comme elle exprime mes sen- 
sations, quoiqu'elle ne soit pas bonne dans le style épistolaire, 
je l'emploie quand même. Mais, me diras-tu, est-ce seule- 
ment le besoin de faire part de ta joie ou de ta peine qui te 
donne le désir de m'écrire? Je sens que sur ce point ma com- 
paraison n'est pas juste, car, outre le besoin, le désir d'ex- 
primer à ma sœur tout ce que je ressens pour elle est un 
bien grand motif, et cependant n'est pas une nécessité ; en 
sorte que (par une autre comparaison) je suis plutôt comme 
ces ruisseaux qui se plaisent à couler dans les prairies émail- 
lées de fleurs. Mais laissons là toutes ces figures et venons 
au fait. 

Depuis ma dernière lettre, il m'est arrivé une foule de 
petites aventures tant en bien qu'en mal. Je me rappelle 
que tu me disais de t&cher de me rapprocher de mes chefs. 
Eh bien! ma chère, je l'ai fait malgré moi, et cela par un évé- 
nement qui devait m'en éloigner. Je ne sais pas si je t'ai dit 



CHAPITRE III. 37 

que j'avais nn ami nommé Lamothe. Cet ami eut une dis- 
pute et me pria d'être son témoin ; je ne pus lui refuser, quoi- 
qu'il soit expressément défendu de se battre ou d'être témoin. 
Comme nous allions au rendez-vous, nous fûmes arrêtés par 
la garde ; on mit Lamothe ainsi que son adversaire à la salle 
de discipline, et moi on me laissa libre jusqu'à nouvel ordre. 
A peine les deux champions furent-ils ensemble qu'ils se 
battirent à outrance ; ils se seraient sans doute étranglés, si 
on ne les avait séparés. Le commandant très en colère vou- 
lait les punir très sévèrement ; mais comme quelqu'un lui fit 
observer que Lamothe n'avait pas tort, qu'il avait été in- 
sulté , il suspendit le ch&timent et fit dire à Lamothe et à 
moi d'exposer nos raisons et les faits par écrit. Mon ami 
était incapable d'écrire, parce que dans le combat il s'était 
disloqué un poignet, aussi me pria-t-il de le faire pour lui; 
en sorte que je m'érigeai en Démosthène en présentant sa 
défense et la mienne. 

Tu sais que dans le pays des aveugles les borgnes sont rois. 
Nod chefs, qui sont de bons militaires , mais que la valeur 
seulement a conduits où ils sont, jugèrent que ce que je 
disais était superbe et nous acquittèrent tous les deux. Depuis 
lors, leurs manières avec moi ont changé et le commandant 
me parle souvent. Dernièrement il m'accosta très amicale- 
ment et me fit plusieurs questions sur ma situation, sur la 
manière dont je suis traité par les chefs inférieurs et sur mille 
autres choses; je lui dis que j'étais fort content, parce que c'est 
une mauvaise méthode que de se plaindre. Il me dit ensuite : 
« Vous êtes une de mes recrues, monsieur de la Piconnerie. 
C'est moi qui vous ai présenté au général Bessières. d Je 
ne manquai pas de lui en accorder le mérite et de lui témoi- 
gner toute ma reconnaissance. Alors il me frappa doucement 
sur l'épaule et me réitéra plusieurs fois la promesse de ne 



38 LE MARÉCHAL BUGEAUD. 

pas m'oublier. Il me dit ensuite : « Vous écrivez bien, mon- 
sieur de la Piconnerie? — Très peu, mon commandant, mais 
si mes faibles talents peuvent vous être de quelque utilité , 
vous me feriez bien plaisir d'en disposer. » Il les a333;>ti, 
et depuis ce temps il m'a occupé plusieurs fois, ce qui 
m'a procuré le plaisir de voir ses filles qui sont fort gen- 
tilles. 

Tu vois, ma chère Phillis, que j'ai lieu d'espérer, lorsqu'il y 
aura des places parmi les vélites, que je ne serai pas oublié, car 
le commandant peut tout et ce sera à lui qu'on s'en rappor- 
tera pour le choix des sujets. Cela me fait grand plaisir, quoi- 
que je ne sois pas ambitieux. Mon goût pour d le militaire, » 
au lieu de s'accroître, diminue chaque jour, et j'en arrive à dé- 
sirer de ne pas toujours rester simple soldat, seulement pour 
être moins malheureux. Peut-être, dans quelque temps d'ici, 
penserai-je différemment; mais c'est un état si dur, on est 
si esclave, et soumis à tant de personnes qui, le plus souvent, 
vous maltraitent, qu'il faut absolument être insensible, — 
comme le marbre, — pour être soldat. Je t'assure, ma chère, 
que (( le militaire d est une bonne école de patience et bien 
propre à former le caractère. J'ai dans l'idée que lorsque tu 
me re verras, je serai doux comme un agneau. 

Patrice se trompe quand il dit que je fais des progrès dans 
les mathématiques ; je lui ai seulement dit que je les étudiais. 
Comment ferais-je des progrès, ayant si peu de temps à moi ? 
Nos fatigues ne sont pas diminuées, et ne diminueront, je crois, 
qu'après le couronnement de l'Empereur, parce que, comme 
nous devons aller à Paris à cette époque, le commandant 
met sa gloire à nous faire égaler en manœuvre les plus vieux 
grenadiers. 

Quant à l'anglais, je le travaille fort peu. On nous a donné 
enfin un maître de dessin, de grammaire et d'écriture; mais 



CHAPITRE 111. 39 

il est difficile de faire des progrès à C3S écoles publiqu es, 
parce qu'on est trop nombreux. Nous sommes plus de trois 
cents au dessin ; aussi me suis-je décidé à prendre le même 
maître en particulier. 

Adieu, ma chère Phillis, crois-moi ton tendre frère, 

Thomas. 

P.- S. — Pour Antoinette : 

Je suis enchanté, ma chère Toiny, que tu sois enfin sortie 
du désagréable la Durantie ; il faut que tu aies eu bien de 
la patience pour y être restée si longtemps, et en même 
temps que tu sois bien bonne pour vous être séparés bons 
amis. Je vois avec peine que nous n'avons pas mal jugé cette 
petite femme, quoique dans le temps nous fussions très 
fort prévenus contre elle. Il n'est donc que trop vrai qu'elle 
a un mauvais caractère et qu'elle réalise tout ce que le res- 
sentiment et la colère m'ont fait dire d'elle. Ah, ma chère 
Toiny, comme tu dois être heureuse I que le contraste doit te 
sembler grand, à présent que tu es avec deux bonnes sœurs 
qui t'aiment, et j'espère que tu n'auras pas envie de retour- 
ner avec eux. 

J'envie bien ton bonheur, ma chère amie; comme je 
voudrais être avec vous! Sans la raison qui tyrannise tou 
jours les hommes sans les rendre plus heureux, j'irais 
vous voir cette année, car on donnera des permissions ; 
mais cela ferait tort à mon avancement, et j'achèterais 
peut-être deux mois de jouissance par cinq ou six années de 
peines. 

Patrice m'a appris les malheurs de la pauvre Diane à peu 
près dans les mêmes termes que toi ; je ne puis me figurer 
qu'ils aient attenté à ses jours. 

Adieu, ma chère Toiny, écris-moi souvent, si tu en as le 



40 LE 3L\RÉCHAL BUGEAUD. 

temps. Embrasse Hélène^ Sennensan pour moi et assure-les 

de ma sincère amitié. 

Ton tendre frère, 

Thomas de la Piconnkrie. 

A monsieur Carre, à Bordeaux j rue Gautian, section n* 10, 
pour remettre à mademoiselle Pkillis de la Piconnerie. 

Fontainebleau, 1804. 

Je suis enchanté, ma chère amie, qne mes expressions 
poétiques t'aient amusée, je sais content de m'être donné cette 
licence, puisqu'elle t'a procuré quelques moments de gaieté. 
Cependant je ne me permettrai plus pareille chose, pai'ce 
que je sais que tu es de bon goût, et que ce qui t'a amusée 
une fois pourrait bien t'ennuyer une autre. Les comparai- 
sons sont venues par hasard au bout de ma plume, je m'en 
suis servi pour nous distraire tous deux et non ]>ar habitude, 
car je cherche toujours à les éloigner de mon style. J'espère 
que, dorénavant, je trouverai quelque chose de simple pour 
te dire ce que je sens, car si je ne trouvais rien, j'aurais encore 
recours aux comparaisons pour ne pas me priver du plaisir 
de te dire que mon cœur a besoin de s'épancher dans le tien, 
que j'ai trop de confiance en toi pour ne pas te rendre compte 
de toutes mes sensations, que j'ai besoin de tes conseils, que 
je t'aime, etc. Mais tout cela est si naturel et si vrai que je te 
le dirai toujours avec facilité , parce que je serai pour toi tou- 
jours le même. 

Nous avons fait, les jours passés, un voyage à Paris qui m'a 
beaucouj) fatigué, parce que nous avions le sac sur le dos et 
que je m'étais beaucoup chargé, croyant demeurer quelques 
jours. Mais on ne nous donna mOme pas le temps de 
nous reposer. Nous arrivâmes le soir, et le lendemain nous 



CHAPITRE 111. 41 

pass&mes la revae de TEmpereur, où nous manœuvrâmes 
longtemps devant Sa Majesté, qui fat, dit-on, très satisfaite 
de nous. Le jour après, nous repartîmes; j'eus à peine le 
temps de dire bonjour à M. Blondeau. II me fit beaucoup 
d'amitiés, me donna par ses discours et ses conseils un peu 
de courage, dont j'avais grand besoin. H promit de m'écrire 
dès qu'il aurait réussi, afin que j'aille le trouver à Paris, où il 
compte m'être très utile. — J'oubliais, dans ma dernière 
lettre , de te donner les détails que tu me demandes, je vais 
le faire à présent. 

H est vrai que je songe à l'École militaire, parce qu'on 
est sûr, y étant, de sortir avec le grade de sous-lieutenant et 
que l'on s'y instruit réellement, parce qu'on ne s'attache pas, 
comme chez nous, seulement à faire faire aux jeunes gens 
l'exercice, mais encore à leur donner les connaissances néces- 
saires pour devenir un bon ofl5cier, un vrai militaire, car un 
officier ignorant ne mérite pas ce nom. Il est vrai que dans 
cette école on soufire un esclavage des plus rudes pendant 
un an ou dix-huit mois, mais je ferais volontiers le sacrifice de 
ma liberté pendant ce temps, si je me décidais à faire del'état 
militaire mon état. Je suis fort bien avec mes chefs et, comme 
soldat, aussi heureux qu'il est possible. On me traite avec la 
plus grande douceur. Cependant ce qui m'ennuie, c'est qu'ils 
comptent trop sur ma complaisance et qu'il ne se passe pas 
de moment qu'ils ne me surchargent d'ouvrage. De sorte 
qu'avec tout le tracas de la caserne, je puis à peine dérober 
un moment pour mon maître de mathématiques. En revanche, 
ils m'ont dispensé de monter la garde et de faire la patrouille, 
ce qui est fort agréable. On m'a nommé instructeur : il faut 
étudier l'école du soldat et assister à une leçon de deux heures. 
Comme j'ai commencé longtemps après les autres, j'ai besoin 
de travailler dur pour les rattraper. Je crois fort que de trois 



42 LE MARÉCHAL BUGEAUD. 

mois je ne pourrai étudier des choses plus essentielles. Je vais 
te nommer mes chefs principaux : le commandant s'appelle 
Chéry ; radjudant-major, Véjut : il est de Lyon, et le comman- 
dant, des environs de Fontainebleau. Le général conmiandant 
le corps s'appelle Ulat. Le maréchal Bessières est le général 
en chef, au moins à ce que je crois, car il nous a passés plu- 
sieurs fois en revue. 

Adieu, ma bonne amie, je t'embrasse. 

Ton frère, 
Thomas. 

L'entrevue deTEmpereuretduPape à Fontainebleau, 
le couronnement du césar tout-puissant dans la basili- 
que de Notre-Dame, quels souvenirs pour le soldat de 
vingt ans ! Aussi quel empressement met-il à raconter 
aux chères demoiselles de la Piconnerie tout ce qu'ils 
voit ! Il a vu TEmpereur de près , et Sa Majesté lui 
a adressé la parole ! Bien mieux : placé de garde dans 
Tantichambre des appartements de Tlmpératrice , il 
a vu c( madame Bonaparte d et a eu une conversa- 
tion d'un quart d'heure avec une femme de sa suite, 
très jolie et très aimable. Les vélites enfin ont assisté 
à une curée chaude dans la cour du château de Fon- 
tainebleau. Quel spectacle ! 

Après, surviennent les dures étapes sur Paris, sac 
au dos. Toute la garde doit assister au couronnement 
du souverain maître. Thomas décrit avec minutie les 
carrosses dorés, les chevaux caparaçonnés, et l'en- 
trée solennelle du Pape et de l'Empereur. Mais, hélas! 
au milieu de toutes ces magnificences, en faisant la 



CHAPITRE HJ. 43 

haie devant le cortège, le pauvre soldat, les pieds 
dans la boue, grelotte de froid et de fièvre, si bien 
qu'il est expédié à l'hôpital, a: oîi Ton est fort bien d ail- 
leurs. y> Là, cependant, le petit campagnard fait un 
retour a sur la Durantie, son chien et son fusil, pré- 
férables à cette folle ambition qui fait quitter son 
chez-soi pour courir après la fortune à travers mille 
désagréments, d 

Mais les plaintes sont passagères. Le brave garçon 
songe <r à son état » et déplore seulement qu'il ne 
lui soit pas possible d'avoir une petite chambre pour 
travailler, empêché qu'il en est par le « sabbat d'en- 
fer D de ses camarades. 

A mddemoiselle Phillis de la Piconnerie. 

Fontainebleau, 25 frlmilre 1804. 

Ma bonne amie, j'attendais ta lettre avec impatience^ mais 
je ne marmurais pas ; jamais cela ne m'arrivera, je sais trop 
assuré de toi pour craindre la moindre chose. 11 est donc inatile 
de parler davantage sentiment, il n'est pas nécessaire de nous 
le dire à chaque lettre ; bornoDS-nous à Thistoriqae, laissons 
à nos cœurs le soin du reste et donaons-Ieur carte blanche. 

J'ai vn une foule de choses nouvelles pour moi. L'Empereur 
est venu, comme tu sais, à Fontainebleau pour recevoir le 
Pape ; j'ai eu le plaisir de le voir plusieurs fois de très près , 
lorsqu'il allait à la chasse; il m'a môme parlé, pour me 
demander s'il y avait beaucoup de vélites' dans une caserne 
séparée devant laquelle il passait. Je répondis en le saluant, 
il me rendit mon salut et passa outre avec la rapidité de 
l'éclair. Quelques jours après, il fat au-devant da Pape, qu'il 



44 LE MARÉCHAL BUGEAUD. 

ramena dans sa voiture. Tons les soirs, j 'allais me promener 
dans la cour du château pour voir Tattirail de la cour, et, 
quoique je ne sois plus de garde depuis longtemps, je deman- 
dai à la monter, dansTespoir que je serais placé dans l'anti- 
chambre de l'Empereur ou de l'Impératrice. Mon attente ne 
fut pas trompée ; je me trouvai de garde à l'appartement de 
M™* Bonaparte ; je la vis plusieurs fois et j'eus une conversa- 
tion d'un quart d'heure avec une femme de sa suite très jolie 
et très aimable. 

Le même jour, l'Empereur fut à la chasse : un cerf fut pris, 
et on fit la curée dans la cour du château, en présence de Sa 
Majesté. Plus de deux cents chiens se jetèrent sur le pauvre 
animal, qui fut dévoré en un instant. Tu penses si c'était pour 
moi un beau spectacle! Nous avons donné un superbe repas à 
nos frères d'armes qui avaient accompagné l'Empereur. Tout 
se passa gaiement et plus d'une bouteille de vin ftit vidée en 
buvant à nos santés. — Nous avons fait le voyage de Paris 
pour assister aa couronnement de Sa Majesté ; il a duré dix 
ou douze jours. Nous y avons eu beaucoup de peine et pas 
du tout de plaisir. Le temps était très mauvais ; nous étions 
extrêmement chargés et, par surcroît de malheur, on nous fit 
dépasser Paris, et on nous casema à une lieue et demie de cette 
ville. A chaque fête, nous sommes restés toute la journée 
sous les armes, par un grand firoid et une boue abominable. 
 la fin du jour, nous retournions à notre maudite caserne, 

# 

où il fallait travailler comme des nègres pour nettoyer nos 
armes et nous approprier pour le lendemain. Voilà, ma 
bonne amie, le plaisir que j'ai eu ; je me suis dérobé un jour 
pour voir M. Blondeau ; je n'ai pu rester qu'un instant, parce 
qu'il était très affairé : il n'a pas encore réussi. 

Tu ne te fais pas une idée de la beauté et de la magnifi- 
cence du cortège du Pape et de celui de l'Empereur, le jour 



CHAPITRE III. 45 

du sacre : le Pape passa le premier, pour se rendre à Notre- 
Dame. Une foule de voitures magnifiques précédaient et sui- 
vaient la sienne, qui effaçait toutes les autres : elle était 
attelée de huit chevaux gris pommelés d'une merveilleuse 
beauté ; leur crinière était couverte de plumes qui retom- 
baient jusque sur leur tête, et la voiture ne le cédait en rien 
à Tattelage. Un ecclésiastique marchait à quelques pas en 
avant, monté sur une mule et portant la croix : il avait 
Pair d'une mascarade et fit beaucoup rire lés anciens militai- 
res qui n'ont pas beaucoup de foi en tout cela. 

L'Empereur passa quelques minutes après ; il surpassait 
tout le reste ; son cortège était dans le même genre que celui 
du Pape, mais sa voiture beaucoup plus belle : ses huit che- 
vaux Isabelle semblaient la faire voler avec majesté. Elle était 
tout or et portait sur le sommet l'aigle impériale avec la 
couronne. Plus de 80,000 hommes de troupe habillés à neuf 
formaient une haie aussi belle que formidable. Ce que je trou- 
vai de plus beau fut l'illumination : tout était en feu, et les 
lampions, brûlant avec art; représentaient par leur arrange- 
ment des arbres et des dessins de toute espèce. Ici on aper- 
cevait un feu d'artifice; plus loin, une énorme étoile qui éclai- 
rait une fontaine qui versait du vin. 

Enfin, tout avait Tair divin; je me serais cru dans 
rOlympe, si je n'avais senti les misères humaines. La fièvre 
m'attrapa le premier jour de la fête et je l'ai toujours eue 
depuis, en sorte que j'ai souffert, parce que je ne pouvais 
quitter mon rang et que, malgré un froid mortel, il fallait 
rester dans la boue droit comme un piquet et souvent pré- 
senter les armes. 11* fallait ensuite faire au moins deux lieues 
pour me mettre au lit. J'ai même été obligé de prendre une 
voiture pour me rendre à Fontainebleau, sans cela je n'au- 
rais jamais pu y retourner. Aujourd'hui j'entre à l'hôpital, où 



40 LE 31ARÉCHAL BUGEAUD. 

Ton est fort bien, et j'espère que sous peu je serai rétabli. Ahl 
ma chère Phillis^ comme dans tous ces moments de souffrance 
je trouvais la Durantie, mon chien et mon fusil préféra^ 
blés à cette folle ambition qui fait quitter son chez-soi pour 
courir après la fortune à travers mille désagréments! Comme 
je désirerais y être avec mes sœurs! Au moins elles me 
plaindraient et par leurs soins me rendraient mon mal sup- 
portable, au lieu qu'ici je suis avec des étrangers qui ne font 
pas même attention à moi. 

On doit, sous peu, nommer des caporaux parmi nous; j'ai 
l'espérance d'en être : ce serait un pas de fait, et je serai bien 
moins n.alheureux ; car caporal dans la garde équivaut à 
sergent-major dans la ligne. 

On nous a défendu d'avoir des chambres en ville. Aussi 
m'est-il presque impossible de rien fiedre jusqu'à ce que je 
puisse obtenir quelque place qui me vaudra une petite cham- 
bre à deux. Dans ce moment, nous sommes dix dans une 
chambre où il n'y a qu'une petite table, et comme peu ont le 
goût de travailler, on y fait un sabbat d'enfer. 

Adieu, ma chère Phillis. 

Ton frère affectionné, 

Thomas. 

Survient un premier incident dans la vie du mili- 
taire, le transfèrement des vélites de la garde de 
Fontainebleau à Courbevoîe, et le déboire de n'avoir 
pas été choisi parmi les vélites incorporés dans Tar- 
mée d'Italie. Cette garnison de banlieue n'a point 
laissîsé d'excellents souvenirs à notre Périgourdin. Pour 
la première fois, le dégoût l'étreint et l'oppresse, a Si 
j'arrive jamais à ne plus être soldat, j'aimerai mieux 



CHAPITRE III. 47 

m'ensevelir dans une campagne que de courir davan- 
tage les aventures. Peut-être le ton pathétique que 
je prends te fait croire que je suis faible, que je ne 
sais rien supporter ; mais si tu savais combien il est 
dur d'être soldat pour tout homme qui a de la fierté, 
tu changerais de manière de penser, d — Il revien- 
dra à son projet d'entrer à l'École militaire, et, en 
attendant, travaille les mathématiques et emploie ses 
faibles ressources à payer un maître. La sage Phillis 
avait dû morigéner son cher frère, et nous en verrons 
la trace dans une des lettres de ce dernier. 

En attendant, voici deux lettres assez curieuses et 
qui témoignent du relâchement des mœurs du temps. 

Fontainebleau, plnviôse 1805. 

A peine, ma chère Phillis, ai-je le temps de lire ta lettre, 
je la dévore par morceaux en faisant mon sac, en prenant 
mon sabre et en courant au rappel du tambour. Au moment 
où je la reçois, on nous avertit que dans une heure il faut 
être prêt et partir pour Paris, de là en Italie. On ne nous 
donne pas une minute, nous ne pouvons pas mettre nos effets 
en sûreté, rassurer nos créanciers, ni prendre le linge que 
nous avons chez les blanchisseuses. Il faut partir dans l'ins- 
tant, il est quatre heures du soir, et il faut être arrivé demain 
à deux heures après midi à Courbevoie, vingt lieues de Fon- 
tainebleau. 

Courbevoie, playiôse 1806. 

Nous sommes arrivés à l'heure dite, on a choisi quatre 
cents hommes parmi nous pour l'Italie : j'en étais uni Mais 
un second ordre est arrivé pour n'en prendre que deux 



48 LE MARÉCHAL BUGEAUD. 

cents, desquels je ne me suis pas trouvé, à mon grand regret. 
On a incorporé ceux qui partent avec les anciens grenadiers 
de la garde qui étaient pour la même destination, et nous 
avec ceux qui restent, de sorte que nous sommes admis dans 
la garde de Sa Majesté. Voilà l'espoir d'avancer qui s'éva- 
nouit pour moi. Maintenant que nous sonmies amalgamés 
avec de vieux militaires célèbres, non par leur science, mais 
par leurs services, leur courage et leurs exploits, qui ont 
presque tous la croix de mérite, il n'est pas à présumer, et il 
serait même injuste que de jeunes blancs-becs qui ont six 
mois de service commandent jamais à ces vainqueurs de l'Eu- 
rope ; c'est déjà beaucoup qu'on ait bien voulu nous placer 
dans leurs rangs. Aussi je désirais beaucoup partir pour l'I- 
talie avec ces braves qui s*y sont immortalisés. Je l'ai ré- 
clamé, mais on m'a refusé, je m'y suis pris un peu trop tard. 

J'hésitais d'abord, parce que je n'avais pas un sou et que 
je laissais quelques petites dettes à Fontainebleau et que 
mes effets n'étaient nullement en sûreté. Je regrettais encore 
d'abandonner tous les moyens de m'instruire ; mais lorsque je 
fis attention à la situation où j'allais me trouver à Courbevoie, 
je fis mes efforts pour partir, mais ils furent inutiles. 

U ne fallait que deux cents hommes et tous étaient de 
bonne volonté. Je suis à présent au désespoir de n'avoir pas 
parlé plus tôt, je vais mener ici la vie la plus monotone. 
Courbevoie est un fort \âllage, à une lieue de Paris, où il n'y 
a aucune ressource en fait de livres, pas un maître d'au- 
cune espèce, et trop loin de Paris pour aller puiser dans 
ce séjour des sciences quelque peu d'instruction. Je suis ré- 
duit à passer mes jours à monter la garde aux Tuileries, à 
manger et dormir. Je n'ai d'autres ressources que le vice qui 
règne partout ici ; tu penses qu'à ce prix je ne m'amuse guère 
et que je préférerais m'ennuyer dans ma chambre que d'aller 



CHAPITRE III, 49 

chercher dans de mauvais lieux une mattresse vénale ou de 
noyer dans le vin mes chagrins et mes ennuis. Les jeunes 
gens sans principes sont ici dans le séjour des délices. Nulle 
part les fenmies ne sont aussi complaisantes et aimantes ; 
bien différentes des autres, la plupart font tous les frais au- 
près des hommes, surtout des militaires : loin d'être payées, 
elles les payent. Il n'est presque pas un grenadier de la garde 
qui n'ait une maîtresse dans la classe des lingères de Paris, 
qui le blanchit, l'entretient, lui donne le dimanche le produit 
du travail de la semaine, trop heureuse encore s'il veut la 
payer d'un peu de fidélité. 

C'était vraiment une comédie de voir, la veille du départ 
pour l'Italie, une troupe de femmes assez bien mises venir 
assiéger la caserne et faire, les larmes aux yeux, leurs adieux 
à leurs amis. On les voyait, en se jetant à leur cou, glisser 
dans leurs poches le peu d'argent qu'elles avaient économisé. 
Je connais un grenadier à qui une lingëre a donné quinze 
louis pour faire sa route. Je te vois déjà trembler que je ne 
trouve une bonne amie : sois bien tranquille, ma chère, ja- 
mais tu n'apprendras que je me suis avili et que je m'écarte 
des principes dont tu m'as donné le germe. Puisque je ne 
puis jouir légitimement des tendresses de la femme, j'aime 
mieux m'en passer que de les chercher dans une classe aussi 
peu vertueuse. 

Ton frère qui t'aime, 

Thomas Bugeaud. 

Courbevoie, 1805, 

Tu avais raison de croire que j'attendais tes conseils pour 

demander un congé de semestre. De moi-même, j'étais déjà 

décidé à rester au corps, j'avais repris avec la santé le goût 
T. I. ■ 4 



50 LE 3IARÉCHAL BUGEAUD. 

de Tétude ; j'étudiais tonjours les mathématiqnes et un peu 
le dessin, et je crois qu'au printemps j'aurais été en état 
de lever des plans. Le succès que j'espérais obtenir m'avait 
déterminé & faire le sacrifice de l'envie que j'avais de revoir 
mes amis. Célie (sa belle-sœur, femme de son frère aîné Pa- 
trice) a tranché, à sa manière ordinaire, qnand elle a dit 
qu'elle m'attendait. Pour sonder un peu Patrice, je lui de- 
mandais s'il croyait que je ferais bien d'aller en Périgord, 
mais il ne m'a pas encore répondu, par conséquent Célie pou- 
vait croire que j'étais eu route. Patrice me néglige toujours 
beaucoup, il ne m'a pas écrit depuis la lettre où il nous con- 
fond avec les jeunes gens de l'Ecole militaire. Je suis en- 
chanté de voir comme tu juges sainement ce que je devais 
faire. Il semble que tu as une connaissance parfaite de l'état 
des choses. On dirait, en jugeant toi et Patrice par les let- 
tres que vous m'av(»z écrites sur le même sujet, que tu as été 
militaire, que tu as couru le monde, et que lui n'est qu'un 
petit enfant qui n'a jamais quitté sa mère. 

Je suis bien moins étonné que tu ne penses, à la vue de 
tant de choses nouvelles ; je regarde tout avec assez d'indiffé- 
rence, tuut cela me paraissant frivole, et rien, selon moi, ne 
valant les plaisirs que j'avais h la Durantie. Les jolies dames 
me faisaient pourtant bien i)laisir ; je t'assure que je ne ferme 
pas les yeux, je ne suis plus comme quand je jouais Pctrelle, 
j'ai bien appris à les ouvrir. 

A propos d'aventure, il faut que je t'en conte une qui m'est 
arrivée; elle est des plus romanesques et t'amusera, j'en suis 
sûr. Il y a quelque temps qu'en me j^romenant auprès de 
Fontainebleau, je rencontrai un jeune homme d'environ dix- 
huit ans, la figure charmante et les manières entièrement 
gracieuses. Il m'aborda et me parla pendant longtemps, et 
me fit plusieurs questions, me demanda mon nom, et }mrnt 



CHAPITRE m. 51 

vouloir se lier avec moi. Tout en marchant, nous rentrâmes 
en ville et il me proposa d'entrer dans un café; j'accepte et 
nous buvons ensemble de la liqueur, après quoi il me quitte. 
Dès qu'il fut sorti, la maîtresse du café dit : « J'ai dans l'idée 
que ce jeune homme est une femme, il en a absolument la 
tournure. t> Je fis peu d'attention à ces paroles, et je m3 re- 
tirai. Le lendemain je reçois une belle lettre de lui oîi il me 
dit qu'il est une femme et me fait une déclaration d'amour, 
ajoutant qu'elle ne s'était déguisée hier comme je l'avais vue 
que pour avoir occasion de me parler, et finit par m3 donner 
un rendez-vous. Je ne me laissais pas prendre à toutes ces 
belles choses, mais la singularité du fait m'engagea à aller 
au lieu indiqué. Je n'eus pas la peine d'attendre ma belle, 
elle y était déjà; l'entretien fut long, elle m3 jura qu'elle 
m'aimait avec passion, me dit qu'elle était riche et voulut 
me donner pour preuve de sa tendresse une belle bague en 
diamants que je refusai. 

Comme elle voyait que je ne croyais pas tout ce qu'elle me 
disait, elle faisait encore plus d'efibrts pour me persuader et 
me parlait avec un esprit étonnant. Enfin elle me proposa de 
déserter et de m'enfuir avec elle, me disant qu'elle avait en 
argent et en bijoux de quoi nous faire vivre avec aisance dans 
tous les pays. Je refusai toutes ces ofi'res et ne pus pourtant la 
quitter sans lui promettre de revenir le lendemain au même 
endroit. Le lendemain même répétition, mêmes offres, mêmes 
refus ; je ne savais pourtant que penser de tout cela. La dame 
me paraissait charmante et pleine d'esprit, je me sentais déjà 
disposé à l'aimer, et ne voulais pourtant pas me livrer sans 
prendre des informations. Je me déterminai à en parler à 
un jeune honmie que je connais en ville. Dès que je lui eus 
conté mon histoire, il partit d'un éclat di rire et me dit que 
cette aimable personne était un jeune homme arrivé à Fou- 



52 LE MARÉCHAL BUGEAUD. 

tainebleau depuis cinq ou six mois, qui grâce à cette ma- 
nœuvre avait enflammé plusieurs hommes de Fontainebleau 
et leur avait arraché beaucoup d'argent. 

Après m'avoir quitté, mon ami fut chez le maire et lui ra- 
conta tout. Celui-ci m'envoya chercher ainsi qu'un autre vé- 
lite, qui était encore plus dupe que moi, car il avait loué à 
cette prétendue femme une chambre garnie où il devait fournir 
à tous ses besoins. 

Voilà, chère Foenr, une singulière histoire. 

Ton frère qui t'aime , 

Thomas Bugeaud. 

A mademoiselle Pkillis de la Piconnerie. 

Courbe voie, 25 ventôse 1805. 

J'ai tardé longtemps à t' écrire, ma chère Phillis, tu es 
peut-être fâchée contre moi ; mais je n'avais rien de nouveau 
à te dire, aucun changement à t'annoncer dans mes affaires^ 
encore moins dans mon amitié, car elle n'est susceptible ni 
d'augmentation ni de diminution. Je n'ai encore rien à te 
dire à part le chapitre sentiment, sur lequel nous n'avons plus 
besoin de parler, mais de réfléchir, parce qu'il est doux de 
penser à chaque instant aux personnes qu'on aime. U n'est 
presque pas de moments dans le jour que je ne me donne cette 
douceur, et c'est pour ainsi dire le seul de mes plaisirs. Lar 
raothe et moi nous nous entretenons sans cesse de notre fa- 
mille. Nous faisons des châteaux en Espagne. Nous parlons 
du doux moment qui nous réunira à nos frères et à nos sœurs. 
Souvent je m'endors dans la douce idée que je suis prêt à 
vous surprendre à Bouillac. J'arrive, je vous vois, je me crois 
heureux... un maudit roulement m'avertit que je suis encore 
dans une misérable caserne, bien loin, hélas! de l'objet de 



CHAPITRE III. 53 

mon rêve. Je fais mes eflforts pour retomber dans d'aussi 
charmantes illusions, mais l'heure de l'exercice arrive et, au 
lieu de serrer dans mes bras mes bonnes sœurs, je vais ma- 
nier pendant deux heures une arme pesante, qu'il faut 
éclaircir à tour de bras. Faire l'exercice, nettoyer mes armes, 
monter la garde, voici ma vie, voici les maîtres que le gou- 
vernement nous promettait ! . 

Ah ! ma chère Phillis, si tu savais combien cet état m'ennuie 
etcomme j'apprends à apprécier la vie tranquille qu'on mène 
au milieu des siens! Si j'arrive jamais à ne plus être soldat, 
j'aimerai mieux m'ensevelir dans une campagne que de courir 
davantage les aventures. Peut-être le ton pathétique que je 
prends te fait croire que je suis faible, que je ne sais rien sup- 
porter ; mais si tu savais combien il est dur d'être soldat pour 
tout homme qui a de la fierté, tu changerais de manière de 
penser. Personne ne daigne seulement nous regarder, on ne 
noas admet dans aucune société. Ceux qui nous auraient re- 
cherchés lorsque nous étions bourgeois, nous parlent à peine. 
Tu ne to fais pas idée comme tout cela change le caractère. 
Depuis que je suis éloigné de mon pays, je le trouve plus 
aimable. Je me sens plus sensible, plus aimant, et ce qui 
autrefois faisait mon ennui ferait mon bonheur à présent. 

Je suis absolument décidé à tenter des efforts pour entrer 
à l'École militaire, je crois que c'est le meilleur parti à 
prendre. Je végéterai peut-être dix ans avant d'être officier, 
car je pense que le gouvernement ne veut faire de nous que 
des sous-officiers. Entrant à cette école, dans deux ans au 
plus je sortirai sous-lieutenant, et pendant ce temps j'ac- 
querrai des connaissances utiles. Il m'en coûtera, il est vrai, 
4,000 fr., mais aussi j'aurai un état qui pourra me faire vivre 
et qui me permettra avec de l'économie de rattraper en 
quelques années l'avance que j'aurai faite, en laissant ac- 



54 LE MARÉCHAL BUOEAUD. 

cumuler mon revenu. Ce n'est pas un parti pris au hasard, il 
y a six mois que je le rumine ; dis-moi, je te prie, si tu penses 
comme moi. 

J'ai peu de moyens d'étudier; cependant j'espère, à pré- 
sent que les jours vont être longs, que je pourrai employer 
quelques heures, en payant peur faire mon service. 

Je vais écrire à Patrice pour savoir s'il veut m'avancer les 
sommes nécessaires à mon projet et me procurer quelques 
papier?. 

Adieu, chère Phillis. 

Ton frère affectionné, 

Thomas. 

A maiUmoiselle PhiUis de la Piconnerie, 

Courbcvoie, grenadiers vélitcfl, 7* c'«, 17 germinal 1806. 

J'ai reru ta lettre, ma chère Phillis. Tu crains que je n'aie 
pas une résolution assez forte pour me faire un état et qu'a- 
près avoir sacrifié 4,0C0 fr., je me retire à la campagne 
manger dans l'oisiveté le revenu du reste. Non, ma bonne 
amie ; si j'entre à l'Ecole militaire, ce sera p(»ur en faire l'état 
de toute ma vie. Je sens parfaitement que le reste de ma for- 
tune serait trop modeste pour me procurer une vie agréable 
sans rien faire, et je ne vois que trop qu(» je serai militaire 
toute ma vie. Si j'avais l'espoir d'obtenir mon congé dans 
peu d'années, je ne ferais aucuns frais pour m'ouvrir une car- 
rière dans l'état militaire. J'attendrais mon congé avec pa- 
tience dans la douce idée que je serai bientôt arraché à l'es- 
clavage, à l'ennui pour aller couler des jours tranquilles et 
libres au sein de la campagne et goûter toutes les jouissances 
rustiques. Car, sois-en sûre, ma bonne amie, je préférerais 
cette vie à toute autre, si j'étais libre de choisir. Tu trembles 



CHAPITRE III. 00 

que je la reprenne, et moi je brûle de la reprendre. Il n'en est 
pas de plus libre et de plus analogue à mes goûts; mais 
comme je serai obligé d'être soldat au moins dix ans, je veux 
faire mes efforts pour me rendre cet état aussi agréable que 
possible, et si au bout de cinq à six ans, par exemple, j'obte- 
nais une place honnête, alors je poursuivrais cet état qui me 
plairait comme officier et me déplaît comme soldat. 

L'École militaire m'offre d'assez bonnes espérawces. On en 
sort, dans deux ans au plus, sous-lieutenant, c'est déjà joli; 
ensuite on a espoir d'avancer ; les officiers qui sortent de cette 
école ont de l'avancement. Ils sont instruits ou au moins 
censés l'être, et les troupes sont remplies d'officiers de for- 
tune qui ne savent rien. On enseigne dans cette école les 
mathématiques, l'histoire, la géographie, le dessin, les for- 
tifications, l'artillerie, etc. 

J'ai été chez M. Walsh de Serrant qui m'a reçu très honnê- 
tement, il m'a promis de faire pour moi tout ce qui serait en 
son pouvoir; « mais il est malheureux, me dit- il, que vous 
vous y soyez pris si tard ; l'Empereur est sur son départ, le 
ministre de la guerre aussi, et je regarde comme impossible 
de faire votre affaire pour le moment. Je crois qu'il faut re- 
culer pour mieux sauter et attendre le retour de Sa Majesté. :► 
Je n'aime guère à reculer, cependant je n'osais insister. Il 
faut se résigner à attendre quatre ou cinq mois ; en attendant, 
je vais faire mes efforts pour faire des progrès dans les scien- 
ces, lesquels, si je les obtiens, me permettront de sortir plus 
tôt de l'école. J'ai grandement envie de faire un voyage en 
Périgord, surtout maintenant que Toiny y est. Tu penses que 
je n'y serai pas longtemps sans voler sur les bords de la Ga- 
ronne ; mais je ferai le sacrifice de ce plaisir, si je vois quelque 
possibilité de travailler : je vous verrais ensuite avec plus de 
plaisir. L'Empereur vient de nous faire cadeau d'une petite 



56 LE MARIÉCHAL BUGEAUD. 

médaille d'or en l'honneur de son couronnement : d'un côté 
est sa face, de l'autre le Sénat et le peuple. 

Adieu^ ma chère amie, embrasse Hélène ; pour toi, devine 
tout ce que je pourrais te dire, si j'avais plus de papier. 

Ton frère, 
Thomas. 



CHAPITRE IV. 



Départ de Courbevoie. — Préparatifs de l'armée d'invasion. — Le camp de Wi- 
mereux. — Eelation d'un coaibat naval ; les marins improvisés. — Les An- 
glais et les Hollandais. — Avortement des projets de l'Empereur. 



Le Consulat à vie avait duré deux ans. Premier 
ôonsul le 2 août 1802 (an X) , le général Bonaparte 
était proclamé empereur héréditaire le 18 mai 1804 
(an XII), et le peuple ratifiait, par 3,572,239 oui, ré- 
tablissement de la dynastie nouvelle. Le vélite de la 
garde Bugeaud avait alors vingt ans. Après avoir 
assisté au départ pour l'Italie de ses compagnons plus 
heureux , il ne tarda pas lui-même à changer de 
garnison. Cette année 1804, la première de Tempire, 
fut tellement agitée, tellement féconde, qu'un demi- 
siècle après, le maréchal se souvenait de ces événe- 
ments qu'il avait traversés bien humble comparse 
sans doute, mais que son esprit observateur et son 
bon sens avaient sainement jugés. 

Ce fut pendant l'été de 1805 que le régiment oîi se 
trouvait Thomas Bugeaud fut désigné pour le camp 
de Boulogne. Les immenses préparatifs du premier 
consul et l'activité prodigieuse qu'il avait déployée 
dans ses projets de descente en Angleterre avaient 



58 LE MARÉCHAL BUGEAUD. 

été un peu entravés par les graves événements de 
Tannée 1804, la conspiration royaliste de Georges 
Cadoudal et de Moreau, et la proclamation de Tem- 
pire. 

Un mouvement depuis longtemps inconnu régnait 
dans nos ports et nos arsenaux. Pour porter Tarmée 
d'expédition en Angleterre et atteindre le but rêvé 
par le génie audacieux de Napoléon, il ne fallait point 
de vaisseaux de haut bord, mais une myriade de cha- 
loupes canonnières, de bateaux plats, de péniches, 
de chalands, allant à la voile et à la rame ; tous nos 
ports, nos grandes villes même de Tintérieur, furent 
mis à réquisition, et des chantiers s'établirent dans 
toute la France. Une prompte exécution devait suivre 
toutes les pensées du maître. A Paris, quatre-vingts 
chaloupes canonnières furent construites sur le bord 
de la Seine, lancées et conduites au Havre ou réunies 
à d'autres divisions; elles furent équipées, armées, et 
dirigées le long des côtes vers le pas de Calais. Des 
escadrons de cavalerie et d'artillerie légères suivaient 
sur le rivage tous leurs mouvements , prêts à les pro- 
téger contre une attaque ennemie. De la Loire, de la 
Gironde, de la Charente, de TAdour, de tous les ports 
de la côte, sortirent de pareilles flottilles. 1,200 à 1,300 
bâtiments ainsi rassemblés devaient être concentrés 
à Boulogne et dans les ports du voisinage, à Wime- 
reux, à Etables, à Ambleteuse. 

Le beau rêve que Tliomas Bugeaud avait fait d'en- 
trer i\ l'Ecole militaire allait bientôt cesser de par le 
César tout-puissant. Il était, en effet, à cette époque 



CHAPITRE IV. 59 

assez dangereux, ou du moins fort inutile, pour les 
sujets de Sa Majesté, et principalement pour un vélite 
de la garde, d'édifier un projet et de tabler sur un 
lendemain. Le régiment de Courbevoie reçut Tordre, 
en vingt-quatre heures, de se diriger surBoulogne- 
sur-Mer. 

Une lettre d'Abbeville, à la date du 16 messidor 
1805, est écrite pendant une étape. Il y a dans les 
lignes tracées à la hâte par le jeune soldat, comme 
un léger souffle patriotique : c'est le premier, a On va 
donc entrer en campagne, et au moins les peines 
que Ton endure seront utiles à TÉtat ! d 

N'est-ce point dans ce sentiment inconscient du de- 
voir et dans cette vision de la gloire lointaine , que 
Ton trouve l'explication de ces admirables renonce- 
ments, de cette abnégation, de cette discipline, de cet 
héroïsme sublime enfin qu'Alfred de Vigny a décrits 
dans son livre si profond : Grandeurs et Servitudes 
militaires. 

A mademoiselU Pkillis de la Piconnerie. 

Abbeville, vendredi 1(5 messidor 1805, 

Tu as dû être étonnée de mon long silence, mais, ma bonne 
amie, tu ne me blâmeras pas quand tu sauras que j'attendais 
pour te répondre d'être fixé sur un bruit de départ qui enfin 
s'est réalisé. Nous sommes depuis six jours partis pour Bou- 
logne, et je n'ai su qu'ici notre véritable destination. L'incer- 
titude de l'endroit où nous allions m'a encore empêché de 
t'écrire plus tôt. Me voici, ma chère, trottant tous les jours 
de grand matin, le sac sur le dos, et arrivant toujours bien 



00 LK MAKLCHAL BIGEAUD. 

fatigué au logement. J'ai déjà traversé toute TIle-de-France 
et presque toute la Picardie, qui est une grande province 
qui ressemble assez au Limousin pour la nature du sol, mais 
elle est mieux cultivée. Les villages y sont horribles, les mai- 
sons ne sont pas plus jolies que les cabanes de nos charbon- 
niers, et les habitants ne sont pas plus aimables que nos rus- 
tres de Limousins. Amiens, la capitale, qui est célèbre par le 
fameux traité, m'a paru fort peu remarquable. Il ne vaudrait 
ims la peine d'en parler sans sa cathédrale, qui est magnifi- 
que, et quelques jolies promenades. 

Je suis enfin à Abbeville, plus jolie qu'Amiens; je suis 
logé chez un jardinier qui a Tair très brave homme; je viens 
de visiter son jardin , et par conséquent nous avons causé de 
jardinage. Il m'a appris plusieurs petites choses que je ne 
connaissais pas, et jo veux te donner une de ses recettes qui 
pourra vous être utile. Quand vous aurez beaucoup de lai- 
tues pommées à la fois, pour les conserver dans cet aimable 
état pendant longtemps , il faut passer légèrement un cou- 
teau sous le pied de la plante et couper la grosse racine qui 
lui sert de pivot; les autres petites racines suffiront pour la 
nourrir, mais ne lui fourniront pas assez de suc pour jeter sa 
tige en Tair. 

Je travaillais sérieusement pour entrer à l'Ecole militaire, 
et voilà ({u'il faut partir. Je n'abandonne pourtant pas ce 
projet, car je puis y travailler, quoique éloigné. Il n'est pas 
dans mon caractère de me plaindre de ce dernier événement, 
puisque c'est pour faire la guerre. Aussi je ne dis plus rien, 
et, quoique les peines redoublent, tu ne me verras jamais 
murmurer, puisque celles que j'endure sont utiles à l'État. 
Ce n'est qu'en garnison qu'un soldat peut se plaindre. Je 
pourrais facilement me disi)enser de partir pour poursuivre 
mon projet, mais je n'ai pas voulu faire la moindre démar- 



CHAPITRE IV. 61 

che : il y aurait eu lâcheté. D'ailleurs, en dehors démon 
plan, je suis enchanté de faire cette campagne. On parle d'une 
expédition dont sans doute nous serions ; mais les gens ver- 
sés dans la politique croient que c'est seulement pour déci- 
der les Anglais à faire la paix. Ce qu'il y a de sûr, c'est que la 
moitié de la garde se rend sur les côtes, et on assure que 
l'autre partie, qui revient d'Italie, arrive pour nous rejoin- 
dre. On nous a donné des pantalons et des vestes de toile 
pour l'embarquement. Nous serons campés à peu de distance 
de Boulogne. Nous possédons un souverain qui ne veut pas 
laisser les troupes dans l'inaction et il a de la confiance dans 
les vélites, car dans cette expédition nous sonmies en plus 
grand nombre que les anciens grenadiers. Quant à moi, je 
suis bien persuadé que, s'il y a une afiaire, nous nous distin- 
guerons, car l'esprit est on ne peut meilleur et tous nous 
sommes enchantés de partir. En général, pour les combats 
singuliers, c'est-à-dire les duels, nous sommes plus braves 
que les anciens grenadiers de la garde. Au commencement, 
ils ont voulu nous mener, mais ils commencent à nous res- 
pecter. Au fait, je croîs que l'Empereur nous estime beau- 
coup plus qu'eux, et qu'un jour ou l'autre les vélites feront 
un corps à part. 

Adieu, ma chère amie. 

Ton frère, 

Thomas. 

Ce fut sur le camp de Wimereux que le détache- 
ment de Thomas Bugeaud reçut Tordre de se diriger, 
et c'est de Wimereux qu'il écrivit à sa sœur la lettre 
suivante, qui rend compte de plusieurs engagements 
avec les bâtiments anglais en croisière sur nos côtes, 
et qui avaient pour mission d'inquiéter nos travaux et 



62 LE MARJÉCHAL BUGEAUD. 

de s'opposer au ralliement de la plupart de nos petites 
flottes à Boulogne. 



"Wimereux près Boulogne, 1805. 

Je suis arrivé en très bonne santé, ma chère Pliillis, au 
camp de Wimereux , près Boulogne ; j'ai examiné avec beau- 
coup de curiosité tous ces objets nouveaux pour moi : un camp 
immense, des ports, des flottilles, la mer ; tout cela m*a fait 
le plus grand plaisir à voir. Notre camp, qui est à une portée 
de fusil delà mer, est fort joli, on le prendrait de loin pour un 
beau village. A la vérité, on n'est pas très bien, on a pour 
se coucher un peu de paille, le lit n'est pas excellent, mais 
on est moins mal que je m y attendais. D'ailleurs, je suis à 
présent accoutumé ii cela, et ce ne sont ni les privations phy- 
siques ni les fatigues qui me causent du chagrin. Trois jours 
après mon arrivée, on a embarqué un détachement dont je 
faisais partie. Nous avons été onze jours en mer, et tu ne te 
douterais pas que, pendant ce temps , j'ai été à trois combats 
navals, dont deux assez vifs. Tu dois en avoir la relation 
dans les papiers , mais je pense que quelques détails t'inté- 
resseront encore parce que tu sais que j'y étais. 

A notre sortie, les Anglais sont venus nous attaquer 
avec plusieurs frégates, des bricks et des corvettes; nous 
fûmes un j^eu surpris, parce que nous ne nous attendions pas 
au combat, et presque tout l'équipage n'avait jamais vu la 
mer. Nous ne connaissions aucun terme de marine pour faire 
la manœuvre des voiles, ni d'artillerie pour tirer les pièces; 
cependant il nous fallait faire ces deux services dans lesquels 
nous étions également neufs. Quand on nous disait de larguer 
une corde, nous la halions de toute notre force, ce qui causa 
d'abord un peu de confusion et nous porta plus près de l'en- 



CHAPITRE IV. 63 

nemi que nous ne voulions. Cependant, au bout de quelques 
moments, nous fûmes au courant de notre affaire, et nous 
fîmes un feu vigoureux avec le secours des forts et des bat- 
teries de la côte; l'ennemi fut forcé de gagner le large 
et nous en fûmes quittes pour quelques avaries assez lé- 
gères. 

Deux boulets portèrent sans beaucoup d'effet à bord de la 
canonnière où j'étais. Après cette escarmouche, nous mouillâ- 
mes dans la rade, où nous sommes restés quelques jours assez 
tranquilles; je n'ai eu la maladie de mer que pendant un 
quart d'heure. 

Durant les jours de repos, nous nous exerçâmes à la ma- 
nœuvre , et nous ne tardâmes pas à faire usage de notre théo- 
rie, car on signala une flottille venant de Calais; et soit 
pour faire diversion, soit pour la protéger, nous appareillâ- 
mes à la pointe du jour. Les Anglais s'aperçurent bientôt de 
notre mouvement et vinrent nous attaquer avec furie ; nous 
les reçûmes de même et le combat fut assez vif pendant une 
heure et demie : l'ennemi fut encore forcé de gagner le large, 
et on assure qu'il a subi beaucoup d'avaries. De notre côté, 
nous fûmes très heureux, car il n'y eut que trois ou quatre 
hommes blessés, quelques mâts coupés et d'autres dégâts 
assez légers. Dans notre canonnière, il n'y eut qu'un boulet 
qui traversa de tribord à bâbord et sans tuer personne. La 
flottille hollandaise ne fut pas aussi heureuse, elle eut à sou- 
tenir depuis Dunkerque jusqu'ici un combat contre quarante- 
sept voiles dont trois ou quatre vaisseaux de ligne ; le soir 
elle parut à notre vue toujours harcelée par les Anglais et 
se défendant avec vigueur. Une partie de notre ligne prit part 
au combat, qui ne dura pas longtemps après, parce que l'en- 
nemi était très maltraité par les forts et les batteries de la 
côte. Les Hollandais eurent quatre-vingts hommes tués ou 



64 LE aL\ilÉCHAL BUGEAUD. 

blessés. Il est temps, ma chère, de finir cette gazette, qui 
t'ennuie j^eut-être, mais qui m'amuse bien à t'écrire. 

Ton frère qui t'aime, 

Thomas Bugeaud. 

Napoléon avait imaginé plusieurs moyens pour te- 
nir l'ennemi à distance. Il établit de nombreuses lignes 
de batteries sous-marines armées de gros canons que la 
marée haute recouvrait et que la mer basse découvrait ; 
de sorte que les feux semblaient avancer et reculer 
avec la mer même. Cinq cents bouches à feu, du plus 
fort calil^re, furent mises en batterie sur les falaises 
que les Anglais appelèrent la côte de fer, et des forts 
construits en pleine mer achevèrent d'interdire à l'en- 
nemi l'approche du port. Plusieurs de ces batteries 
lançaient des projectiles creux dont un seul, éclatant 
sur le corps d'un navire, y faisait d'irréparables rava- 
ges. 

Tout était prêt : l'armée comme la flottille se di- 
visaient en six grands corps campant autour de Bou- 
logne, chaque corps dans le voisinage de la rade où 
mouillait la division de la flottille désignée pour son 
embarquement. Les dispositions avaient été si bien 
prises, que cette opération difficile et compliquée 
pouvait, ainsi que celle du débarquement, se faire en 
une heure et demie. 

On n'attendait plus que la saison favorable, le vent 
nécessaire et le moment. — Un premier plan de des- 
cente avait été abandonné parce que l'amiral de La- 
touche -Tré ville tomba malade et mourut à Toulon. 



CHAPITRE IV. 65 

— Un autre plan fut conçu et déjà Taïuîral de Vil- 
leneuve commençait à l'exécuter. Toutefois Thomme 
n'était point à la hauteur de sa mission, et l'Empereur 
ne pouvait être partout ni suffire à tout : il s'agissait 
de faire d'abord une diversion, d'entraîner les flottes 
anglaises hors de la Manche et de les disperser en 
Afrique, en Asie, en Amérique ; puis, pendant que l'An- 
gleterre hésiterait entre les points importants à défen- 
dre, opérer brusquement un retour en Europe, vers la 
mer du Nord. A ce moment la flottille de Boulogne 
devait se détacher des côtes de France. 

On touchait au mois de juillet 1805. Napoléon 
écrivait au vice-amiral Villeneuve : a Partez, ne perdez 
pas un moment; avec mes escadres réunies, entrez 
dans la Manche ; l'Angleterre est à nous. Nous sommes 
tous prêts, tout est embarqué. Paraissez vingt-quatre 
heures, et tout est terminé, d 

Dans une autre lettre : a Si vous me rendez maître 
pendant le seul espace de trois jours du pas de Calais 
et avec l'aide de Dieu, je mettrai un terme aux des- 
tins et à l'existence de l'Angleterre. Allez! jamais 
pour un plus grand but une escadre n'aura couru 
quelques hasards, et jamais mes soldats de terre et 
de mer n'auront pu répandre leur sang pour un plus 
grand et un plus noble résultat. Pour le grand objet 
de favoriser une descente chez cette puissance qui de- 
puis six siècles opprime la France, nous pourrions tous 
mourir sans regretter la vie. d 

L'Angleterre , après avoir en vain essayé d'arrêter 
ces formidables préparatifs, avait eu recours, pour 

T. I. 5 



66 LE MARÉCHAL BUGEAUD. 

conjurer Timmense péril qui la menaçait, à son ex- 
pédient habituel, les coalitions. Dès le 3 décembre 
1804, elle attirait la Suède dans son hostilité par 
un traité secret. Le 30 mars 1805, elle s'enga- 
geait à payer à la Russie et à TAutriche un subside 
de 31 millions de francs par chaque force de cent 
mille hommes que ces puissances mettraient sur pied. La 
Russie et l'Autriche devaient entrer en campagne avec 
450,000 hommes. Enfin, le 8 août 1805, l'Angleterre 
signait à Saint-Pétersbourg un traité ayant pour but 
de contraindre tous les Etats de l'Europeii se coaliser 
contre la France. L'Autriche accédait à cette stipula- 
tion le 9 août 1805, et le 8 septembre suivant elle 
commençait la guerre par l'invasion de la Bavière. 

« Mon intention n'est pas de laisser l'Autriche et 
la Russie se combiner avec l'Angleterre, disait Napo- 
léon. Ma conduite dans cette circonstance sera celle 
du grand Frédéric dans sa première guerre. y> Il 
écrivait au maréchal Berthier, le 25 août : a Le mo- 
ment décisif est arrivé, vous sentez quelle est l'im- 
portance d'un jour dans cette affaire. L'Autriche ne 
se contient plus; elle croit sans doute que nous som- 
mes tous noyés dans l'Océan. » 

Le doute n'était plus possible, le temps s'écoulait ; 
aucune nouvelle n'arrivait de l'escadre, Villeneuve 
s'était évidemment retiré à Cadix. La violence et 
l'injustice des expressions de l'Empereur désespéraient 
l'amiral Decrès. <^c Villeneuve est un misérable qu'il 
faut chasser ignominieusement, s'écriait-il, sans com- 
binaisons, sans courage, sans intérêt général; il 



CHAPITRE IV. 07 

sacrifierait tout, pourvu qu'il sauve sa peau, d II 
s'emportait ainsi devant Monge, pour lequel il avait 
conservé une véritable amitié, malgré les opinions con- 
nues du savant, qui était demeuré républicain. Trou- 
blé par la colère de Napoléon, Monge alla prévenir 
M. Daru, alors principal commis de la guerre. Daru se 
rendit chez TEmpereur. Mal instruit des intentions du 
maître et des causes de son mécontentement, il atten- 
dait silencieusement; TEmpereur vint à lui. ce Savez- 
vous où est Villeneuve? s'écria-t-il. Il est à Cadix! y> 
Et déroulant devant M. Daru tous les projets qu'il 
avait nourris depuis six mois, attribuant leur échec 
à la lâcheté et à l'incapacité des hommes qu'il avait 
employés, il se répandait en invectives et en récrimi- 
nations. Tout à coup, et comme s'il avait soulagé 
son âme par le débordement de sa passion : «Asseyez- 
vous là, dit-il à M. Daru, écrivez. » 

Un puissant effort et le jeu naflirel d'une imagi- 
nation féconde, dit M. Guizot, l'avaient rappelé aux 
combinaisons qui devaient faire trembler ses ennemis 
et lui assurer sur l'Autriche le triomphe qui lui échap- 
pait contre l'Angleterre. Le plan de sa campagne 
était fixé ; toutes ses pensées se tournèrent vers une 
foudroyante exécution de sa volonté. 



CHAPITRE V. 



Lettres de Thomas Bugcaud pendant la campagne d'Allemagne (1805). — Les 
horreurs de la guerre. — Arrivée & Vienne ; description de la ville et de Bea 
environs. — E»iK>ir du paix. — Récit de la bataille d'Austerlitz (2 décembre 
18<>')). — Enthousiasme de la victoire. — Entrevue des deux empereur». — 
Procla nuit ion de Najmléon. — Les premiers galons. — Ketour eu France. 
— Nouveau départ i>our l'Allemagne. 



Notre armée de terre allait se trouver dans son 
véritable élément, et bientôt des émotions plus 
fortes devaient succéder aux entreprises avortées 
du camp de Boulogne. La capitulation d'Ulm, la ba- 
taille d'^Austerlitz, le remaniement de TAUemagne, 
allaient dans cette même année (1S05) notifier à 
l'Europe ravènement du nouvel empereur. Par un 
de ces liasards fréquents à la guerre, notre jeune 
soldat ne fut, jusqu'au jour d'Austerlitz, qu'un spec- 
tateur de ce grand drame. Plusieurs lettres à ses 
sœurs, confidentes de ses premières ardeurs de guer- 
rier non moins que de ses premières impressions de 
jeune homme, peignent, mieux que nous ne saurions 
le faire, le futur maréchal durant cette phase encore 
intime de sa vie. C'est donc au néophyte ignorant 
de ses facultés militaires, presque niconscient de l*œu- 
vre qu'il acconi])lit, ettrayé parfois des horreurs de la 



CHAPITRE V. 69 

guerre et des horizons sans bornes qui s^ ouvrent cha- 
que jour devant le souverain transformé en dieu, 
que nous laisserons la parole. Rien de plus intéressant 
que ces lettres dans lesquelles le jeune soldat raconte 
ses marches. — Bientôt nous le verrons décrire Vienne 
et ses environs, puis la plaine d'Austerlitz et les évé- 
nements dont elle fut le théâtre. 

A mademoiselle Phillis de la Piconnerie. 

Saint-Quentin, 22 fructidor 1805. 

Pardon, ma chère Phillis, du long silence que j'ai gardé ; 
tu dois être bien fllchée contre moi, et en vérité tu as rai- 
son, car j'ai eu certainement le temps de t'écrire. Je ne 
veux pas chercher à m'excuser, tu ne voudrais pas de mes 
raisons, aussi je me confie à ton indulgence. Ce qui doit me 
la faire mériter, ce sont tous les différents voyages que j'ai 
faits depuis quelque temps. Avant que Texpédition fût man- 
quée, nous étions toujours en alerte. Nous embarquions et 
débarquions tous les jours, de sorte qu'on était sans cesse 
sur le qui-vive. Un beau jour, on nous dit que tout est man- 
qué et que nous allons partir pour l'armée du Rhin, que 
l'Empereur va commander. Les troupes et tout l'attirail de 
guerre ont été débarqués à l'instant, et quelques jours après 
nous nous sommes mis en route pour Strasbourg. Nous 
voici déjà à Saint-Quentin, à six journées de Boulogne. J'ai 
été très content de ce changement : en effet, je te l'avoue à 
présent, nous étions horriblement mal à Boulogne. La route 
est pénible, il est vrai, mais au moins avons-nous le plaisir 
de voyager. Après m'être reposé une heure, je vais regarder 
ce qu'il y a de curieux dans les villes où je passe. 

Ce qui est triste pour moi, c'est que, si nous avons la 



70 LE MARÉCHAL BUGEAUD. 

guerre, me voici dans rimpossibilité d'eflfectner mon plan 
sur l'École militaire. Outre que je serai fort éloigné de Pa- 
ris, la chose est plus difficile à obtenir. Il est bien fâcheux 
que je n'aie eu personne pour veiller à mes affaires ; maintenant 
je serais à TÉcole comme tant d'autres de mes connais- 
sances. Mais il faut prendre son sort en brave : sans doute 
le sort le veut ainsi. Je suis soutenu dans toutes ces fatigues 
par l'honneur et l'espérance ; je pense que je suis utile à ma 
patrie, que je lui paye un tribut que je lui dois, et cette idée 
me fera supporter patiemment bien des maux ; d'un autre 
côté, j'espère qu'un jour je serai plus heureux! 

J'ai vu Arras, la patrie de Robespierre et de Lebon. 
C'est une très jolie ville, et j'y ai logé chez la baronne de Neu- 
chèze, vieille dame qui a perdu son fils à l'armée. Elle est 
d'abord venue étudier notre caractère à la cuisine, où nous 
reposions, mon camarade et moi, et dès qu'elle crut recon- 
naître que nous étions honnêtes, elle nous fît mille politesses, 
s'excusa de nous avoir méconnus et nous offrit d'excellent 
vin. Bref, pendant les deux jours que nous sommes restés à 
Arras, la bonne dame nous a traités comme des princes. Je 
traverse dans mon voyage l'Artois, la Picardie, la Champa- 
gne, la Lorraine et j'entre dans l'Alsace. Les belles villes où je 
passe à présent sont Rheims, Châlons, Nancy et Strasbourg. 
Adieu, ma bonne sœur, adresse-moi : Strasbourg , grena- 
dier vélite, garde impériale, 3*^ compagnie du 4*^ bataillon. 

Ton frère, 
Thomas. 

A macknnoisdlc Pltillls de la Piconnerie. 

Aiipsbourg, 1 8 vcndémhire 1805. 

Ma chère amie, je ne suis resté qu'un jour à Strasbourg; 
nous avons passé le Rhin et fait des marches forcées qui 



CHAPITRE V. 71 

nous ont beaucoup fatigués. Nous partons tous les jours de 
grand matin et nous ne nous arrêtons que lorsqu'il est nuit. 
Toute l'armée marche avec la môme vigueur et notre petit 
homme conduit la barque avec une vitesse sui-prenante. Il 
faut avoir bon pied pour seconder son génie actif. Tu jugeras 
de la rapidité avec laquelle nous avons marché, quand tu 
sauras qu'en sept jours nous avons fait quatre-vingts lieues, 
ce qui est beaucoup pour des troupes chargées, car outre 
notre sac nous portons sur le dos tous nos ustensiles de cam- 
pagne : marmites, bidons, pioches, bêches, etc. 

Je suis absolument éreinté et je ne conçois pas comment 
le corps peut résister à des fatigues si continuelles. Encore 
si, en arrivant au logement, nous avions un bon lit ; mais pas 
du tout, nous n'avons qu'un peu de paille, qu'il faut encore 
attendre trois ou quatre heures, et souvent on ne peut se 
coucher que dehors, auprès d'un feu. La faim est encore un 
autre tyran. Juge si dix mille hommes arrivant dans un vil- 
lage peuvent trouver facilement chacun de quoi manger. Ce 
<jui me cause encore de la peine, ce sont les vexations et les 
vols que Ton fait aux paysans : leur volaille, leur bois, leur 
lard leur est enlevé de gré ou par rapine. Je ne fais pas ces 
choses-là, mais quand je suis bien affamé je tolère en secret 
et je goûte bien ma part du vol. Tout ceci prouve bien que 
jusqu'à présent je n'avais vu que des roses. 

Ne crois pourtant pas, malgré le dégoût que je parais ex- 
primer, que je manque de force et de courage pour supporter 
tous ces maux. Au contraire, je les endure avec patience et 
je fais mes efforts pour remplir mon état avec honneur. Je 
t'assure que je mourrai, ou que je me distinguerai. Je me 
sens le plus vif désir de gagner la croix de mérite : il ne 
s'agit que de trouver une occasion. 

On s'est déjà battu et les avantages ont été pour nous. Le 



72 LE MARÉCHAL BUGEAUD. 

16, on a fait quatre mille prisonniers qae j*ai va défiler; il 
y avait beaucoup d'officiers qui avaient fort bonne mine; 
plusieurs étaient couverts de sang. On assure que le général 
Murât tient encore onze mille hommes bloqués à trois lieues 
d'ici, et que demain nous marchons pour déterminer 1)1 us 
promptement leur reddition. 

Ne sois pas étonnée si je reste longtemps sans t'écrire, 
peut-être deux mois. 

Adieu, ma chère sœur. 

Ton frère, 
Thomas. 

3*^ compagnie du 4® bataillon, garde impériale, Grande 
Armée. 

Linz en Autriche, le 16 brumaire 1805. 

Jusqu'à présent, ma bonne amie, je n'ai pas eu le temps 
de te donner des détails sur la campagne que nous faisons, 
ou plutôt que nous avons déjà faite, car l'Empereur nous 
compte déjà une campagne en raison de nos brillants suc- 
cès. A })eine ai-je pu respirer; nous avons toujours couru, 
soit pour couper rennemi, soit pour le poursuivre ; je profite 
d'un ])eu de repos pour m'eutretenir avec toi et te décrire en 
grand les difterentes affaires et opérations qui ont eu lieu. 

Depuis Strasbourg, nous avons marché à grandes journées; 
après avoir traversé la princii)auté de IJade, Télectorat de 
Wurtemberg, nous sommes entrés dans la Souabe. L'en- 
nemi fuyait devant nous; les premières affaires ont eu lieu 
près d'Aug.sbourg, où nous avons lait cinq mille ou six 
mille prisonniers. Plusieurs petites allaires, qui ont eu lieu 
jus<iu*à la prise d'Ulm, ont toujours été à notre avantage, 
mais c'est à Ulm (iue nous avons eu un plein succès par les 
manœuvres vives et habiles de l'armée française. L'ennemi 



CHAPITRE V. 73 

s'est trouvé cerné et il a été obligé de se rendre : j'ai eu le 
plaisir de voir défiler vingt-huit mille hommes qui ont mis 
bas les armes. C'était un bien beau spectacle ; l'armée était 
rangée par échelons en amphithéâtre sur une colline peu éle- 
vée qui entoure Ulm ; l'Empereur était sur un rocher près 
duquel nous étions en bataille, il était entouré des princi- 
paux généraux de l'armée et voyait passer comme à ses pieds 
l'armée ennemie qui sortait par une des portes de la ville et 
rentrait par l'autre après avoir déposé ses armes. Il regar- 
dait tout d'un œil tranquille et modeste, en se chaufiant près 
d'un feu que nous lui avions allumé et où, par parenthèse, 
il a brûlé cette redingote grise à laquelle il semble attacher 
un peu de superstition. Après avoir fait défiler à l'ennemi 
cette belle parade, nous avons tourné bride et sommes reve- 
nus à Augsbonrg, oi\ nous avons très peu séjourné, car l'Em- 
pereur ne veut pas se donner de repos qu'il n'ait entièrement 
vaincu ses ennemis. 

Nous avons traversé la Bavière, que notre avant-garde 
avait déjà fait évacuer aux Autrichiens, et nous sommes res- 
tés deux jours à Munich, qui est la capitale. C'est une assez 
belle ville, mais on n'y trouve aucune de ces commodités 
ni aucun de ces agréments que l'on rencontre dans nos villes 
françaises. L'ennemi était retranché sur les bords de l'Inn, 
rivière qui sépare la Bavière de l'Autriche. On l'en a chassé 
sans eflforts et nous avons marché jusqu'ici avec la même 
facilité que l'on voyage, à part quelques petites escarmou- 
ches. Nous avons vu, de distance en distance, sur la route, 
les endroits oîi l'on s'était un peu battu. A peine voyait-on 
cinq à six Russes sur le champ de bataille, pas du tout de 
Français : sans doute ils étaient enterrés. Au moment où je 
t'écris, il vient d'arriver eu cette ville deux mille prisonniers, 
tant Russes qu'Autrichiens^ que l'on a faits hier et avant- 



74 LE MARÉCHAL BUGEAUD. 

hier. On s'est battu avec chaleur et tout l'avantage est de 
notre côté. Notre camp est, à ce qu'on dit, à vingt-cinq lienes 
d'ici, et nous ne sommes qu'à quarante-huit lieues de poste 
de Vienne. Je crois très fort que, s'il n'y a pas d'arrange- 
ments, avant peu nous verrons cette fameuse capitale, car 
l'ennemi ne paraît pas en état de nous faire résistance : il se 
défend si mal qu'on est presque sûr de le battre. Tu te figures 
sans doute, après tant de succès, que je me suis battu sou- 
vent et que ma vie a été vingt fois exposée. Eh bien ! point 
du tout, ma chère, Je n'ai couru presque aucun danger, 
notre corps n'a pas encore donné, et c'est ce qui le rend désa- 
vantageux. Il n'y a rien à espérer, car peut-être nous ne 
nous battrons pas de toute cette campagne, et alors point 
d'avancement ! A la guerre, ce ne sont point les combats que 
l'on redoute; au contraire, on les désire souvent pour se déli- 
vrer des souffrances, des fatigues et des privations qui sont 
plus cruelles que la mort. Je t'assure qu'un jour où nous 
étions en présence de l'ennemi, c'est-à-dire en seconde ligne, 
mais très près, qu'il pleuvait, neigeait, grêlait alternative- 
ment, j'ai vingt fois désiré qu'on nous fît charger. Nous 
étions obligés de rester en bataille, sac sur le dos, sans pou- 
voir allumer du feu, n'ayant rien à manger, n'ayant pas eu 
de pain depuis quatre ou cinq jours, mouillés jusqu'aux os, 
et cela dura toute la journée et une partie de la nuit, jusqu'à 
ce que nous prîmes possession d'un village très fort qu'occu- 
pait l'ennemi. J'ai été assez faible, ce jour-là, pour désirer 
la mort, et j'appelîiis à moi quelques-uns de ces boulets que 
je voyais rouler dans nos rangs. Si, dans ces moments, on 
nous avait fait charger, certainement que nous aurions mis 
tout à sang. Je ne te parle pas des horreurs de la guerre, 
des villages saccagés, des injustices et des barbaries qu'elle 
entraîne. Je réserve ces détails pour le moment heureux qui 



CHAPITRE V. 75 

nous verra réunis. Je me bornerai à te dire que le métier de 

héros est si fort celui d'un brigand que je le déteste de toute 

mon âme. Il faut avoir un cœur de rocher, dénué de toute 

humanité, pour aimer 1^ guerre. 

Ton frère qui t'aime, 

Tliomas Bugeaud. 

Brlinnen, le 4 frimaire 1805. 

Tu ne te doutais pas, ma chère amie, que ma première 
lettre serait de quarante lieues plus loin que Vienne, c'est-à- 
dire de la capitale de la Moravie. Je voulais t'écrire de cette 
orgueilleuse capitale que nous venons d'humilier, mais nous 
n'avons fait que la traverser. A peine l'ai-je assez vue pour 
t'en donner quelques détails ; cependant il faut bien que je 
t'en dise un mot, car tu m'accuserais de ne savoir rien remar- 
quer. 

Vienne est située dans une très petite plaine ; ses environs 
sont très peuplés, et ses villages sont si multipliés et si 
beaux, que l'on prendrait toute la plaine pour une immense 
ville. Mais les maisons de plaisance qui composent ces vil- 
lages ne sont pas ornées des agréments de la nature, comme à 
Paris. On ne voit pas les charmants jardins anglais, les bos- 
quets, les charmilles, les labyrinthes qui font le charme de 
ces sortes d'habitations. Les maisons sont toutes nues, à peine 
aperçoit-on quelques arbres qui puissent donner un peu 
d'ombre. En arrivant à la ville, du côté de France, on voit 
un grand faubourg, plus beau qu'aucun de Paris. Au bout 
de ce faubourg est une place pubhque après laquelle on trouve 
le palais de l'empereur, qui est sur la porte de la ville. L'in- 
térieur en est très mesquin, il n'est entouré d'aucun embel- 
lissement, et j'oserais dire que la cour n'est pas deux fois 
grande comme la cour de la Durantie. En revanche, on as- 



76 LE MARÉCHAL BUGEAUD. 

sure que les appartements sont d'une magnificence sans 
égale. Pour moi, tout ce que j'ai vu de beau, ce sont deux 
statues colossales qui sont à Tune des portes. Le reste de la 
ville ne m'a oflFert rien de remarquable ; cependant les mai- 
sous sont presque toutes bien bâties. Ce qui m'a surpris, 
c'est que la confiance régnait partout dans cette ville ; les 
boutiques étaient ouvertes, les femmes même les plus élé- 
gantes passaient dans les rues au travers des militaires fran- 
çais, et les visages étaient aussi sereins que si nous eussions 
été en pleine paix. 

Ali ! ma chère Phillis, comme le cœur me saignait quand 
j'ai vu que nous passions cette ville, dont la prise semblait 
devoir être le terme de nos travaux et de nos misères! Je 
me faisais un tableau bien déplorable de mon sort à venir ; 
je prêtais déjà à notre empereur l'ambition d'Alexandre, et 
je me mettais à la place des vieux Macédoniens qu'il traînait 
par tout l'univers et qui soupiraient sans cesse après leur 
patrie et leur famille. — Pour me consoler, nous marchâmes 
l)resque toute la nuit, et en trois jours nous avons fait 40 et 
quelques lieues. Nous avons vu en passant la place où ve- 
nait d'avoir lieu un combat. C'est là que s'est battu Joseph 
Debetz ; j'ai craint pour ses jours lorsque j'ai vu un grand 
nombre de morts, \fint Eusses que Français. Je regardais sur 
les boutons et je voyais beaucoup de morts du 75% qui est 
son régiment. Je quittai ce lieu en croyant notre ami mort, 
parce que l'on me dit qu'il y avait eu beaucoup d'ofli- 
ciers tués; mais, dans le village voisin, je trouvai un soldat 
de son corps qui me dit qu'il se portait bien, et depuis il m'a 
fait faire ses compliments. 

Enfin rEiiipereur vient de suspendre sa foudre, à notre 
grand étonnement ; nous nous sommes arrêtés dans cette 
ville, sans trop en savoir la cause, car, quoique tout se passe 



CHAPITRE V. 77 

autour de nous, notre ignorance est complète et nous som- 
mes de vraies machines. L'inaction où sont les troupes me 
fait espérer que peut-être on est sur le point de faire des 
arrangements. On assure même que nous allons reprendre la 
route de Vienne. 

Le jour oh je retournerai mes pas vers cette chère France 
sera un jour bien heureux pour moi. Les journées de marche 
ne me paraîtront plus longues, parce que chaque pas me 
rapprochera de ma famille et surtout de mes bonnes sœurs. 
— Je me suis toujours bien porté, mais un très gros rhume 

m'a attrapé ici. Pour le guérir, le moyen est bon : nous som- 

« 

mes toujours sous les armes à passer des revues, des inspec- 
tions; on nous tyrannise vraiment trop; on exige, après 
500 lieues de marche, la même propreté qu'à Paris, et, pour 
la plus petite minutie qui nous manque, on est puni ou 
grondé comme pour un crime capital. 

Brunnen, capitale de la Moravie, 19 frimaire 1805. 

Ne sois pas étonnée de mon silence, chère amie, la rapi- 
dité de notre marche et le peu de repos qu'on nous donne 
ne m'ont pas même permis de t'écrire ces derniers jours ; mais 
aujourd'hui je vais me dédommager un peu. Une indisposi- 
tion de l'Empereur nous retient dans cette ville deux ou trois 
jours, ce qui me donne un moment pour m'entretenir avec 
toi. Comme je sais que tu es curieuse de tous les détails, je 
vais reprendre le récit de la campagne depuis Augsbourg. 
Après mon retour d'Ulm, nous partîmes de cette ville et 
nous fûmes droit à Munich, capitale de la Bavière, où nous 
Testâmes trois jours. Nous traversâmes ensuite le reste de la 
Bavière pour marcher contre les Russes, qui étaient sur les 
bords de l'Inn. Les ennemis ont toujours battu en retraite, 
et on n'a eu jusqu'à Vienne que quelques légers combats avec 



78 LK MARÉCHAL BUGEAUD. 

leurs arrière-gardes. Nous avons donc traversé rAotriche 
comme des voyageurs, et, après nous être arrêtés trois jours 
h Lentz, nous sommes arrivés dans cette capitale orgueil- 
leuse, dont la prise semblait être le terme de nos travaux et 
de nos misères ; mais, hélas ! ma chère, quelle fut ma surprise 
et ma douleur quand je vis que nous traversions la ville sans 
nous y arrêter! 

A i)eu de distance de Vienne, on a fait un grand nombre 
de prisonniers, et Ton s'est emparé d'un parc considérable. 
Le lendemain nous sommes arrivés sur le champ de bataille 
d'un combat très vif <iue Ton venait d'avoir avec les Russes; 
les morts couvraient la plaine des deux côtés de la route. J'en 
regarde quelques-uns pour V(»ir les différents régiments qui 
ont donné ; j'en ajHTeois beaucoup du T.V ; je m'informe, on 
me dit que ce régiment a été très maltraité et qu'il a perdu 
beaucoup d'oi'ficiers , mais enfin j'apprends que Joseph se 
porte bien et (ju'il en a été <piitte pour quelques coups de 
crosse sur la tête. Nous sommt»s entrés en Moravie et nous 
avons demeuré <[uel({ues jours dans la capitale, où je suis 
encore à présent. Là, on a parlé de i)aix; il est venu des 
ambassadtîurs, mais sans dojîte les conditions leur ont paru 
trop dures. Les ennemis ont voulu tenter le sort d'une ba- 
taille, ils ont réuni leurs forces à quatre lieues d'ici; leur 
armée était Ibrmidable et les deux empereurs les comman- 
daient en personne. 

Trois jours avant la bataille, on nous a fait sortir de la 
ville et nous avt»ns été camper h une lieue de l'ennemi. L'Em- 
pereur y est vt»iiu lui-même et a couché dans sa voiture, au 
milifu de notre camp. Pendant les trois jours qui ont pré- 
cédé la bataille, il n'a cessé de se promener dans tous les 
camps et de j)arb'r taurùt aux soldats, tantôt aux chefs. 

Nous faisions irroupe autour de lui. J'ai entendu plusieurs 



CHAPITRE V. 79 

de ses conversations qui étaient très simples, mais qui rou- 
laient toujours sur les devoirs des militaires. Enfin, la veille 
de la bataille, qui était celle de l'anniversaire de son couron- 
nement, il fit une proclamation dans laquelle il nous engagea 
à nous conduire avec notre intrépidité ordinaire et nous promit 
de se tenir loin de nous tant que la victoire nous suivrait, a Mais, 
dit-il, si par malheur vous balancez un moment, vous me ver- 
rez voler dans vos rangs pour y remettrele bon ordre. » Il nous 
promit ensuite de nous donner la paix après cette bataille, 
nous assurant que nous prendrions nos cantonnements. Nous 
répondîmes par des cris de joie qui annoncèrent un heureux 
succès. Des torches s'allumèrent, la musique se joignit aux 
chants d'allégresse de toute l'armée. Il semblait que chacun 
célébrait son retour dans sa famille et éprouvait la joie qu'on 
ressent en voyant son père , sa mère et ses frères. Cependant 
combien de ces hommes si joyeux ne devaient plus revoir 
leur patrie ! 

Dès l'aurore, les tambours et les trompettes annoncent le 
combat ; on part au cri de Vive VEinpereurf on bat la charge. 
Ces mots sont encore répétés avec plus de force et portent 
la terreur dans les rangs ennemis. Nous chargeons avec la 
rapidité de l'éclair et le carnage est horrible. Les balles sif- 
flent. L'air gémit au bruit des canons et de nos voix mena- 
çantes que la mort suit de près. Bientôt les phalanges enne- 
mies s'ébranlent et se mettent en désordre ; enfin nous les cul- 
butons entièrement. Un point nous résiste ; les batteries en un 
instant sont enlevées, les canonniers hachés sur leurs pièces, 
et ce qui échappe à notre fer cherche son salut dans la fuite 
ou une mort plus lente dans les lacs. On n'a rien vu d'égal, 
ma bonne amie, à cette bataille mémorable. De l'avis des 
plus vieux militaires, c'est la plus meurtrière qu'il y ait 
encore eu. Je ne veux pas te peindre l'horreur du champ de 



80 LE MARIÉCHAL BUGEAUD. 

bataille : les blessés, les monrants implorant la pitié de leurs 
camarades. J'aime mieux ménager ta sensibilité et me bor« 
nerai à te dire que j'ai été très ému et que j'ai désiré que les 
empereurs et les rois qui cherchent la guerre sans des motifs 
légitimes fussent condamnés, pour leur vie, à entendre les 
cris des misérables blessés qui sont restés trois jours sur le 
champ de bataille sans qu'on leur ait porté aucun secours. La 
perte du côté des Russes est innombrable ; ce qu'il y 'a de 
sûr, c'est qu'on voit sur le champ de bataille au moins soixante 
Russes pour un Français ; ce n'est qu'en un endroit que j'ai 
vu presque autant de Français que de Russes. 

Depuis ce jour, il n'y a plus eu de combat. Les deux empe- 
reurs se sont vus en notre présence ; on assure que celui 
d'Allemagne a promis tout ce qu'a voulu celui de France. 
Les troupes se retirent, nous retournons à Vienne demain et 
j'espère que nous ne tarderons pas à reprendre la route de 
Paris. Arrivé, je demande une permission et je vole dans 
ma famille. C'est près de toi, c'est près de vous tous que je 
compte nie dédommager de toutes mes fatigues et oublier 
toutes mes peines. Un seul instant effacera tout cela et je 
t'embrasserai de grand cœur. 

L'Empereur nous a fait un jxîtit discours en proclamation 
qui a été lu dans toute l'armée. Il y a témoigné sa satisfac- 
tion pour notre courage et commence par ces mots : « Sol- 
dats, je suis content de vous! » Il nous promet ensuite une 
paix digne de nous , et puis nous annonce notre prochain 
retour dans notre patrie et la joie de nos compatriotes en 
nous revovant. Il termina ainsi sa haranjSfue : « Il vous suf- 
fira de dire : ce J'étais à la bataille d'Austerlitz d pour qu'on 
s'écrie : (C Voilîi un brave! » 

Ton frère, 

Thomas Bugeaud. 



CHAPITRE V. 81 

En Usant ces lettres d'un vélite inconna, ne croît-on 
pas entendre la grande armée tout entière révélant 
au monde ses pensées intimes empreintes tour à tour 
d'une tristesse touchant au désespoir ou d'un enthou- 
siasme atteignant à la superstition? Qu'on remarque 
seulement dans quelles villes sont rédigés ces épan- 
chements fraternels. A cette simple énumération de 
capitales, ne voit-on pas la grande ombre du César 
moderne enlevant à l'antique maison de Hapsbourg 
ses électorats allemands et ses royaumes slaves, ar- 
rachant au seul héritier de Rodolphe la couronne 
impériale d'Occident, refaisant le monde à coups de 
cognée, pour employer l'expression célèbre de l'au- 
teur des Châtiments. Quel effet presque surnaturel 
doit produire cet homme sur les générations appelées 
à le contempler ou à lui servir de pâture! Et cepen- 
dant combien de héros obscurs entraînés à sa suite 
demandaient grâce au futur captif de Sainte-Hélène, 
voyant, comme les Macédoniens d'Alexandre, dans 
chaque fleuve la limite extrême de leurs conquêtes, 
dans chaque ville importante le but de leurs travaux! 
Après avoir conquis sur le champ de bataille d' Aus- 
terlitz ses deux galons de caporal, le futur maréchal 
de France, qui portait dans sa giberne son bâton d'or 
semé d'abeilles, fut réexpédié pour la France. C'est 
de Courbevoie, dépôt de la garde impériale, qu'il 
adresse ces bonnes nouvelles à sa sœur, le 26 février 
1806. Il ne date plus sa correspondance en langage 
républicain. Son glorieux maître avait déjà supprimé 

les souvenirs révolutionnaires. 

T. I. a 



82 LE MAIŒCHAL BICJEAUI). 

A mademoiscUc Phillis de la Picoïmcrie, à Bordeaux. 

Courbe voie, 20 février lt<0<î. 

Enfin, ma bonne amie, mo voici de retour à Paris. A mon 
arrivée ici, j'ai aj)i)ris, comme je Tattendais, que j'avais été 
nommé cnporal dans la garde. Mon capitaine me Ta 
annoncé, et les marques d'estime qu'il m'a données sont les 
premières jouissances que j'aie eues dans mon état. Il m'a 
dit qu'il était extrêmement fâché de n'avoir pu me faire 
nommer fourrier; qu'il avait fait tout .son possible, mais 
que malheureusement d'autres jeunes gens avaient eu des 
protections plus puissantes que n<» pouvait être la sienne et 
que c'était la seule chose qui m'eût fait tort. « Au reste, 
m'a-t-il dit, vous devez être assez satisfait de la place de 
caporal ; elle est plus importante que vous ne pensez et peut 
vous mener fort loin, surtout l'ayant rerue en campagne. Il 
faut i)asser par là pour arriver ailleurs, et, un degré de plus, 
vous êtes sous-lieutenant dans un corps de ligne. » 

J'attenils, ma bonne amie, ce degré avec bien de l'impa- 
tience, }>arct» qu'il me fournira les moyens de recouvrer, si je 
veux, ma liberté et, par là, de me rapprocher de vous. Jusqu'à 
ce moment je suis forcé par la prudence de faire le sacrifice 
d'une aussi douce réunion. Tu sais et tu m'as dit souvent 
<( qu'il faut calculer l'avenir, qu'il ne faut pas sacrifier les 
jouissances de quarante ans à ses désirs du moment, et qu'il 
est prudent de reculer pour mit'ux sauter, d 

Eh bien! ma chère, c'est ce que je veux faire. C'est à notre 
amitié (|ui, j'espère, durera ]>lns de quarante ans, que je sa- 
crifie Kî bonheur de te revoir ; mais si une fois je puis attra- 
per Tépault tte, alors aucune autre ambition ne pourra m'ar- 
rétrr : je vt»lerui i»rès do toi, près de vous tous, et je jouirai 



CHAPITRE V. 83 

doublement, parce- que j'aurai acquis en quelque sorte la 
liberté de rester près de ma famille, si mon goût ne me 
porte pas vers l'état militaire. Il me serait dans ce moment 
impossible d'obtenir une permission. Je suis attaché au 
nouveau corps de vélites, et leur instruction exige absolu- 
ment la présence de tous les sous-oflSciers. 

Adieu, chère Phillis. 

Ton frère, 

Thomas. 

Le 6 avril 1806, deux mois après, Thomas annon- 
çait de Paris à Phillis sa nomination de sous-lieute- 
nant au 64® régiment de ligne. Caporal dans la garde 
équivalait alors au grade de sergent-major dans la 
ligne. Le voilà avec Tépaulette. d Lorsque je consi- 
dère, dit-il, qu'enfin je suis sorti des dégoûts, il me 
semble que c'est un songe, et un songe bien agréable. » 

A mademoiselle Phillis de la Piconnerie, 

Paris, le 6ayriI1836« 

Tu as eu, ma chère, une haute idée de mon mérite en 
apprenant que j'étais caporal. Que penserais-tu à présent, si 
tu apprenais que je suis sous-lieutenant? Lorsque je consi- 
dère qu'enfin je suis sorti des dégoûts de l'état militaire, il 
me semble que c'est un songe, et un songe bien agréable. 
Après avoir su positivement ma nouvelle nomination, je vou- 
lais te donner des détails sur mon nouveau régiment, ce qui 
m'a retardé ; car j'ignore encore celui dont je fais partie, et 
je crois fort que je ne recevrai mon brevet qu'à la fête. Je 
crois que je ne suis pas actif, car on assure que la moitié de 



84 LE MARÉCHAL BUGEAUD. 

ceux qui comme moi ont été nommés sons-lieatenants seront 
à la suite des régiments. Aussi ai-je fait des démarches pour 
n'être pas de ce nombre, et Ton m'a promis formellement 
de me porter aux actifs. 

J'ai eu le bonheur dans tout cela de me trouver dans la 
compagnie d'un capitaine avec qui j'avais été dans trois ou 
quatre combats & Boulogne et qui a cru apercevoir en moi 
du courage. Joins à ceci une conduite régulière, un peu 
d*adresse & me rendre utile dans les moments difficiles, et 
voilà les causes de mon avancement. 

Je compte avec bien de l'impatience les moments qui me 

séparent d'une permission qui ne i>eut me manquer. 

Adieu, ma bonne sœur. 

Ton frère, 

Thomas. 

Mais les désillusions ne tardent pas à refroidir 
cette belle joie. — Aprî's un séjour à Besançon, il est 
de nouveau envoyé en Allemagne. Les chemins de 
fer, il est vrai, manquaient à l'Empereur; mais ses 
troupes valeureuses voltigeaient du nord au midi, 
sans souci du danger et des fatigues. Une lettre datée 
de Waldhausen en Franconie, — G août 1806, — nous 
montre le lieutenant aux prises avec un farouche co- 
lonel. Dès lors il devient mélancolique : a Oui, ma 
a chère, je quitterai le militaire aussitôt que nous au- 
^( rons la paix continentale. Tous les jours, je me raf- 
a fermis de plus en plus dans cette intention. Il faut 
« penser t\ l'avenir, car je vois clairement que ce n'est 
a: point un état pour toute la vie. d 



CHAPITRE V. 85 

A mademoiselle de la Piconnerie. 

Besançon, 9 juillet 1806. 

Tu me croîs bien loin, ma chère, en Allemagne sans doute. 
Eh bien ! pourtant je suis encore en France, et voici com- 
ment. Le dépôt de mon régiment est à Besançon ; cette ville 
se trouvant sur ma route, j'ai été rendre visite au major qui 
la commande. Il m'a retenu ici, parce qu'il a besoin d'oflS- 
ciers et qu'ils sont complets aux bataillons de guerre. 

La ville est charmante, mais j'ai peu le temps d'en jouir. 
Je travaille beaucoup à tout ce qu'un officier ne peut se dis- 
penser de savoir. D'abord aux manœu\Tes, puis encore à la 
partie administrative du corps pour les finances, les lois mi- 
litaires. Tout cela ne me donne pas un instant, parce que je 
ne voudrais pas paraître ignorer toutes les choses qui consti- 
tuent le militaire éclairé, et qui ne peuvent s'acquérir que 
par de l'étude ou une longue habitude. 

Le gros major est charmant pour moi. Il est spirituel, parle 
avec bonté, et c'est vraiment l'officier supérieur le plus ai- 
mable qui se puisse voir. U a eu en moi assez de confiance 
pour me donner à commander une compagnie où il n'y a 
point d'autres officiers. 

Mon voyage jusqu'ici a été très agréable; j'ai toujours 
voyagé avec de jolies femmes ou des hommes d'esprit en tra- 
versant de belles contrées. Moulins et Lyon sont les plus 
belles villes que j'ai vues, mais Lyon surtout est magnifique, 
non pas tant par la beauté de ses édifices que par la rareté 
de sa position. D'un côté la ville est appuyée & des coteaux 
très fertiles, de l'autre à une plaine féconde et immense. Le 
Rhône la traverse et l'entoure du côté du levant, puis se 
joint à la Saône un peu au-dessous, en sorte qu'une partie 



80 LE MARÉCHAL Bl'GEArD. 

de la ville est dans une île. Cette ville, quoique très peuplée, 
est triste en ce moment, parce que le commerce est anéanti. 

J'espère qu'on t'a expliqué les raisons qui m'ont empêché 
d'aller jusqu'à Bordeaux ; en effet, les dépenses pour mon 
équipement m'avaient mis fort en arrière. En partant de 
Paris, j'examinai ma bourse pour voir si elle pourrait me 
conduire jusiju'à Bordeaux; mais je vis avec douleur qu'elle 
pourrait à peine me conduire à la Durantie. Arrivé là, je 
trouvai un très bon accueil, mais fort peu d'argent. Aussi, en 
partant, n'ai-je demandé que dix louis ; mais Patrice m'a fait . 
cadeau d'une jument que j'ai vendue en route, ce qui m'a 
beaucoup aidé. 

Ecris-moi, ma bonne sœur. 

Thomas BuGEArD, 

Officier, C4* régiment, Besançon. 

A mademoiselle rhillis de la Piconnerie, à Bordeaux. 

Besançon, 19 juillet 1806. 

Oh mon Dieu! ma chère Phillis, comme je suis étourdi! 
Tu -ne le croirais peut-être pas, mais il me semblait t'avoir 
répondu. Mon amitié m'a donné quelques doutes, et, en bien 
cherchant, j'ai trouvé que j'étais en arrière. Cet oubli te pa- 
raîtra surprenant, mais ton étonnement cessera, si tu consi- 
dères que, pensant toujours à toi, je crois avoir écrit ce que j'ai 
pensé. J'ai besoin d'un calcul pour me le rappeler, parce que 
j'ai j)lusieurs manières de m'entretenir avec toi : celle par 
lettre est la plus sèche; mes idées sont renfermées dans de 
certaines règles qui leur ôtent rexj)ression. Mais quand je me 
promène seul, cela est bien différent. Je donne alors un libre 
cours à mes sentiments. Ils se poussent, ils se culbutent, s'en- 
tassent les uns sur les autres; puis, sans me consulter, d'un 



CHAPITRE V. 87 

trait volent jusqu'à Bordeaux. Ton frère est un peu fou dans 
ses châteaux en Espagne ; mais, dans ces'moments-là, il mé- 
rite ton amitié , car il te place toujours dans le plus beau. 

Je mène une vie bien active depuis mon retour. Je n'ai pas 
le temps de penser au mal ; je remplis les fonctions d'adju- 
dant-major, ce qui me charge de l'instruction ainsi que de la 
police de tout le bataillon. 

Tu ne seras peut-être pas fâchée de connaître l'emploi de 
mon temps, le voici : à 5 heures du matin, l'exercice jusqu'à 
7 ; de 7 à 9, dans ma chambre à m'instruire ; à 9 heures, je 
rassemble les sergents-majors pour les conduire chez le gros 
major prendre ses ordres pour le service; à 10 heures, je 
réunis tous les sous-officiers et caporaux pour les instruire 
dans la théorie et le règlement militaires; à 11 1/2, je passe 
l'inspection des hommes de garde. De midi à 3 heures, je suis 
assez libre. Cependant j'ai l'administration particulière d'une 
compagnie qui remplit une })artie de ce temps. A 3 heures, 
je vais dîner, ensuite au café, lire la gazette. Cela me con- 
duit jusqu'à heures, où recommence l'exercice; il dure 
jusqu'à 7. 

Après cela je vais faire un tour de promenade ou quelques 
visites, et je reviens dans ma chambre oîije m'occupe jusqu'à 
11 heures. Joins à tout ce tracas quatre ou cinq toilettes par 
jour, et tu peux juger si j'ai du temps de reste. La place 
d'adjudant-major est pénible, cependant je la prendrais vo- 
lontiers, parce que j'aurais rang de capitaine et que cela 
donne un certain relief, quand on a bien fait son métier. 

Adieu, ma chère Phillis. 

Ton frère, 

Thomas. 



88 LE MARÉCHAL BUGEAUD. 

A mademoiselle Phillis de la Piconnerie. 

Waldhauscn en Franconie, 6 août 1806. 

Je n'ai reçu ta lettre, ma bonne amie, que depuis mon re- 
tour à la grande armée. Elle est arrivée très à propos, car je 
m'ennuyais à périr. Il y avait deux jours que Ton m^avait 
<»nvoyé dans un village isolé pour commander un détache- 
ment; je n'étais pas encore accoutumé à mon habitation sau- 
vage et j'avais besoin de quelque chose d'agréable pour me 
remettre dans ma gaieté ordinaire ; car j'espère bien que main- 
tenant tu changeras d'opinion et que tu te seras expliqué les 
raisons qui m'ont empêché de faire le voyage de Bordeaux. 

Le devoir me faisait une loi pressante de rejoindre inœs- 
samment, et les nouvelles politiques devaient encore accé- 
lérer mon départ. On parlait d'une guerre dans le Nord; 
mon régiment se trouvait de ce côté-là, j'avais tout lieu de 
craindre qu'il se mît en marche avant mon arrivée. Il m'en 
aurait beaucoup coûté pour le suivre isolément et j'aurais pu 
avoir le déplaisir d'apprendre qu'il en était venu aux mains 
avec l'ennemi avant mon arrivée. Voici, je crois, des raisons 
bien majeures, mais ce n'est pas encore tout : en arrivant & 
la Durantie, je me trouvais sans le sou, et le peu d'argent 
que j'ai trouvé pour faire face à un long voyage précipité ne 
m'aurait pas permis d'aller jusqu'à toi. J'ai pensé qu'il était 
plus sage d'aller de suite au régiment, et de demander une 
permission quand mes économies me permettront de faire ce 
voyage si désiré. 

Je crois t'avoir parlé de l'amabilité du major (c'est le se- 
cond personnage d'un régiment) et de la bonne réception 
qu'il m'avait faite. Eh bien ! ma chère, celle du colonel a été 
aussi mauvaise que la sienne fut bonne. 11 a l'abord extrê- 



CHAPITRE V. 89 

mement dur, et a toujours Pair de vous en vouloir. A peiue 
mVt-il dit quatre mots, et ses premières paroles ont été : 
« Vous vous êtes bien fait attendre, Monsieur. 3> 

Je me suis empressé de lui demander ses ordres, afin de 
le quitter plus vite, me promettant bien de ne pas le venir 
voir souvent. Si mon intention était de continuer ma car- 
rière militaire, je trouverais bien le moyen de m'insinuer dans 
son esprit ; mais comme je compte abandonner entièrement 
cet état, je ne veux faire aucuns frais. 

Oui, ma chère amie, je quitterai « le militaire » aussitôt que 
nous aurons la paix continentale. Tous les jours je me raf- 
fermis de plus en plus dans cette intention. Il faut penser & 
l'avenir, et je vois clairement que ce n'est point un état pour 
toute la vie. Je conviens qu'étant officier, il y a beaucoup d'a- 
gréments ; mais ce n'est bon que pendant la jeunesse, et en- 
core se trouve-t-on souvent dans des positions bien désa- 
gréables. Il faut tirer le diable par la queue pour avoir la 
tenue qu'on exige, et souvent on est exposé à manger son pa- 
trimoine; ce que je ferais certainement, si je restais, parce 
que le moyen de se faire remarquer est de faire de l'étalage. 
Ensuite, si on a le malheur de déplaire au chef de corps, il 
vous force sous maiu à prendre votre démission, et l'on perd 
en un instant ses services de dix ans. Tous les jours je vois des 
officiers dans ce cas-là. Cela seul suffira pour me faire retirer, 
et je ne veux pas m'exposer à perdre des années que je puis 
employer plus utilement. Jusqu'à présent j'ai plus gagné que 
perdu, puisque j'ai beaucoup voyagà, vu le monde, et que je 
n'ai pas mangé ma petite légitime. 

Mon voyage en Allemagne a été des plus faciles. J'ai tou- 
jours eu une voiture à quatre chevaux qui ne me coûtait rien, 
et je me faisais un plaisir d'offrir des places aux dames qui 
suivaient la même route. Dans ce moment il ne me manque 



90 LE MARIÎCHAL BUGKAUD. 

pour ressembler à nos seigneurs d'autrefois que de la fierté, 
de l'orgueil ; car j'ai vraiment sous mes ordres une seigneurie. 
Je commande cinq villages qui sont occupés par mou déta- 
chement. Je n*ai qu'à parler, dans l'instant je suis ol>éi. Mal- 
gré tous ces avantages, je m'ennuie passablement : je n'ai 
d'autre société que celle des paysans, point de livres. 

Tu nrobligenis, ma bonne amie, de me donner tes conseils 
sur mon envie de quitter le militaire. Observe, en me les 
donnant, que, sous le régime actuel, il ne peut plus y avoir 
d'avancement rapide comme pendant la Révolution; qu*il 
faut (juatre ans de sons-lieutenance pour passer lieutenant, 
autant pour le grade de capitaine, et ainsi de suite. Je te le 
dis franchement, les malheurs de la guerre, le pillage, les 
vexations, la cruauté, la ruine des habitants, me font souvent 
détester mon état. Il ne me flatte que quand je* i)ense à la 
gloire et aux grands hommes qui se sont illustrés. Mais c'est 
une bouffée de vent qui est bientùt passée. 

Aussi les pauvres habitants doivent être entièrement 
ruinés. Tous les grugent, depuis le soldat jus^pi'au général en 
chef. Il y a des généraux (pii donnent des fêtes et des re- 
pas qui coûtent jus(|u'îi GOO florins (ly^oO francs), h* tout 
aux dépens des habitants. (Garde ceci pour toi.) Je t'assure 
que je ne fais que les dépenses indispensables et que l'au- 
bergiste gagne» sur m(»i. 

Adieu, ma chère amie. 

Ton frère, 
Thomas. 



CHAPITRE VI. 



Campagne de Pologne (180G). — Poursuite des Russes, — Récit du combat de 
Pultusk. — Bugeaud est blessé à la jambe. — Il est nommé lieutenant (dé- 
cembre 1806). — Séjour à Varsovie. — Les dames polonaises. — Retour en 
France. 



Cependant le traité de Presbourg était signé et 
Napoléon organisait la Confédération du Rhin sur les 
ruines de TEmpire d'Allemagne : l'Europe put croire 
à la paix. Mais, à peine commencé, cet entr'acte était 
déjà près de finir : le repos ne devait pas être de cette 
époque. 

Moins d'un an après la bataille des trois empereurs, 
la Prusse tentait d'éclipser l'Autriche, sous prétexte 
de la venger. Pensée téméraire , que devaient amè- 
rement dissiper des revers plus honteux et surtout 
plus décisifs que ceux de sa rivale. Les batailles 
d'Iéna et d'Auerstaedt, la capitulation d'Erfurth et 
quelques combats maintenant oubliés livrèrent à Bo- 
naparte le royaume des Hohenzollern. 

Comme les descendants de Marie-Thérèse, les héri- 
tiers du grand Frédéric mendièrent l'appui de la Rus- 
sie, et Napoléon retrouva dans les steppes de la Po- 
logne ses anciens adversaires de Moravie. Avec l'armée 



92 LE MARÉCHAL BUGEAUI). 

française, le sous-lieutenant Bugeaud exécuta cette 
nouvelle marche triomphale, dont il devait garder 
toute sa vie un amer souvenir : car la journée de Pul- 
tusk lui valut sa première blessure, comme celle d' Aus- 
terlitz lui avait valu ses premiers galons. 

Varsovie, le 29 décembre 1806. 

Il y a cinq ou six jours, ma chère amie, que je voulais 
t'écrire ; mais & peine avais-je commencé qu'un ordre subit 
arriva pour se mettre à la poursuite dos Russes. Le tambour 
rappelle : on part, et, après avoir quitté Varsovie, nous avons 
passé de suite la Vistule et le Bug, distants d'environ sept 
lieues. Dans la nuit, nous avons" enlevé à la baïonnette les 
retranchements de l'ennemi et l'avons chassé vers la Newa. 
C'était le 24 qu'a eu lieu cette affaire ; le 25 il n'y a eu qu'une 
légère escarmouche de cavalerie, mais le 20 notre corps 
d'armée s'est trouvé en présence de l'ennemi, dans une 
petite ])laine proche de la Newa. Nous étions très inférieurs 
en nombre, parce que nos forces n'étaient pas toutes arrivées, 
entre autres notre artillerie, ii cause des mauvaises routes. 
Ce})endant on n'a point balancé à attaquer, parce que nous 
sommes accoutumés à toujours vaincre. La plus grande partie 
de nos forces fut portée sur notre gauche, car l'ennemi 
meuarait de nous envelopper de ce côté à la faveur d'un 
bois qui le couvrait. Nous n'avions à notre droite que trois 
bataillons de notre brigade, qui n'étaient soutenus par 
aucune cavalerie. Avec cette poignée de monde, nous atta- 
quons une grande ligne d'infanterie protégée par plusieurs 
batteries et soutenue par beaucoup de cavalerie. Notre impé- 
tuosité les mit en désordre ; ils fuient de tous côtés, et déjà 
les canons étaient eu notre pouvoir si la grande boue nous eût 



CHAPITRE VI. 93 

permis de nous remuer avec célérité. Mais c'est à peine si 
Ton peut en arracher ses jambes. Dans ce moment, la cava- 
lerie charge notre gauche, qui n'a pas le temps de se former, 
parce que tous les soldats s'enterraient dans la boue et ne 
pouvaient agir que très lentement. Malgré leur feu terriblç, 
les deux bataillons de gauche ont été culbutés et chassés sur 
le premier, dont je fais partie. Heureusement nous avions eu 
le temps de former un carré solide, mais nous craignions 
d'être culbutés par nos propres camarades qui cherchaient à 
éviter la mort, et nous étions forcés d'en tuer beaucoup, pour 
sauver les autres , attendu qu'ils se trouvaient entre nous et 
la cavalerie. Nous attendons cette masse à vingt pas. Tout à 
coup une décharge horrible confond et arrête les cava- 
liers; ils tombent comme la grêle; la terreur s'empare 
du reste et une fuite honteuse leur enlève le peu de 
gloire qu'ils n'avaient due qu'au mauvais terrain. Pendant 
notre court revers, les canonniers ennemis étaieut revenus 
bravement & leurs pièces, et l'infanterie ennemie s'était 
ralliée. Il a fallu encore supporter un feu très supérieur. 
Nous avons tenu bon, et, après avoir tiré toutes nos cartou- 
ches, les oflSciers prenaient celles des moiis et les passaient 
aux soldats. Jusqu'à ce moment j'avais été heureux, mais 
voilà qu'une balle arrive et me perce le jarret gauche. Un 
soldat me prend sous le bras pour me conduire à l'ambu- 
lance ; après avoir fait quelques pas, mon conducteur est em- 
porté par un boulet. Je reste donc abandonné dans la boue, 
et pour surcroit de malheur, de nouveaux escadrons de cava- 
lerie arrivent par le derrière sur notre carré et passent jus- 
tement où j'étais. Je n'eus d'autre ressource que de faire le 
mort ; cette charge ne leur fut pas plus heureuse que la pre- 
mière. Un homme s'empara de moi et me conduisit dans un 
village où je fus pansé. 



1)4 LE MARKCIIAL BrOEAm. 

Pour rendre la scène pins tragique, le feu se mit à la 
maison oîi j'étais, je me traînai comme je pus dans un autre 
logis, et de là j'ai été transporté à Varsovie, oii je suis main- 
tenant assez bien. Ma seule crainte est que je ne marcherai 
jamais avec facilité, parce que le nerf a été attaqué. Je n'ai 
pas su au juste comment s'est terminé le combat ; je crois 
que c'est h l'avantage des Français. 

Je t'ai conté mes malheurs. Maintenant, pour t'égayer, je 
vais te peindre ma bonne fortune : j'ai été fait lieutenant, il y 
a huit jours, par Sa Majesté l'Empereur, à une revue qu'il a 
passée ici. Voilù la consolation! 

Ton frère, qui t'aime, 

Thomas Bcgeaud. 

J^a lettre suivante, datée aussi de Varsovie, nous 
donne des détails sur cette blessure qui ne devait pas 
avoir de suites. Une certaine difficulté dans quelques 
mouvements devait seule rappeler au maréchal cette 
conséquence presque inévitable de la carrière des 
armes. Quant à l'horreur que lui inspirent les villages 
en ruines, les plaines jonchées de cadavres, les blessés 
abandonnés sans secours, les appels infructueux adres- 
sés par les survivants à leurs amis de la veille, qu'ils 
ne doivent plus revoir, les guerres d'P^spagne , de 
France et d'Afrique montrèrent à quel point le nouvel 
officier dut s'en guérir. Du reste, combien de grands 
hommes de guerre s'attendrirent, comme Théroïne de 
Domremy, t\ la vue du premier combat, qui devaient 
plus tard sacrifier des générations entières avec Tin- 
souciance de la grande Catherine! 

Dans cette lettre, le ton du jeune officier s'est sîngu- 



CHAPITRE VI. 95 

lièrement modifié. Nous le trouvons homme du monde 
très civilisé, et nous gagerions que le séjour du blessé 
à Varsovie, cette Capoue du Nord, fut pour beau- 
coup dans la transformation opérée. La fréquentation 
des dames polonaises, ces enchanteresses, a fort éveillé 
en effet la verve et l'esprit du jeune Français, qui nous 
semble parfois bien raisonnable et bien expérimenté 
pour un officier de vingt-deux ans. 

A mademoiselle Pkillis de la Piconnerie, 

Varsovie, 21 février 1807. 

Rassure-toi, ma bonne amie, je ne suis pas estropié ! Je 
pourrai marcher facilement, mais peut-être ne sorai-je plus 
aussi robuste pour les marches forcées, car ceci, joiut à une 
entorse que j'ai eue, me constitue une assez mauvaise jambe. 
J'étais presque entièrement guéri dans les jours du carna- 
val, mais ayant voulu sortir trop tôt, et même ayant passé 
la nuit au bal masqué, ma plaie a saigné de nouveau et 
j'ai été aussi malade qu'auparavant, pendant quelques 
jours. A présent cela va beaucoup mieux, et j'espère que 
sous peu de jours je serai en état de rejoindre mon corps. 

Il me semble que je t'entends dire : « Il est toujours le 
même, toujours étourdi , il ne changera jamais, d Peut-être 
as-tu raison. Cependant si je suis sorti trop tôt, c'est que 
j'avais grande envie de rejoindre mon corps et qu'il fallait 
par des promenades s'accoutumer à des marches pénibles. 
Je suis encore plus impatient depuis que j'ai reçu ta lettre. 
Tu ne te contentes pas de la lieutenance, et mes camarades 
vont gagner la croix, dis-tu, tandis que je suis dans l'oisi- 
veté!. Cette idée me désespère, car puisque je suis sol- 



96 LE MARÉCHAL BUGEAUD. 

dat, je voudrais tirer parti de ma carrière, en suivre tontes 
les chances et tirer les derniers coups de fusil, comme j'ai tiré 
les premiers à Boulogne. 

J'étais fort en colère contre toi jusqu'au 18. Je n'avais reçu 
aucune lettre : elles sont arrivées toutes deux à la fois, et je 
peux t'assurer qu'elles ont été les bienvenues. J'ai laissé de 
côté toute ma mauvaise humeur et les ai lues cinq ou six fois 
de suite. 

Je tremble que le régiment ne se soit battu, comme on le 
dit, dans les dernières affaires ; si cela est, je n'ai plus d'es- 
poir. Les nouveaux traits effacent les anciens ; on me croira 
suffisamment récompensé avec la lieutenance. Je ne puis guère 
te donner de détails sur les combats qui ont eu lieu les 4, 6 
et 8 ; je sais seulement que l'ennemi a été bien battu, quoi- 
que infiniment supérieur, qu'on a pris beaucoup d'hommes, 
de canons et de drapeaux, mais que nous avons perdu plu- 
sieurs braves généraux et officiers supérieurs. 

Je suis logé chez un peintre en miniature qui a beaucoup 
de réputation, et ce qui contribue à rendre sa maison agréa^ 
ble, c'est (pi'il est très bon musicien, ainsi que ses enfants. 
Quoique très jeunes encore, ils parlent six ou sept langues, 
entre autres le français, avec assez de pureté. 

Je suis absolument au centre des sciences et des arts. 
Jamais je n'avais éprouvé comme aujourd'hui la privation 
des talents ; j'y pense à chaque instant. Pourquoi suis-je né 
dans un maudit pays où les sciences et les arts sont presque 
ignorés? Pourquoi mes parents ont-ils été insouciants? Et 
mille autres réflexions aussi pénibles qu'inutiles. 

Les Polonais cultivent les langues vivantes, surtout le 
français, qu'on parle fort bien dans toutes les maisons un peu 
comme il faut. Ils aiment beaucoup la musique, et partout 
où j'ai logé il s'est toujours trouvé un musicien plus ou 



CHAPITRE VI. 97 

moins bon. Cependant mon orgueil national a été flatté, quand 
j'ai vu que dans cette partie, comme dans plusieurs autres, 
nous étions les maîtres. La plupart de leur musique est fran- 
çaise, les livres français remplissent la moitié de leurs biblio- 
thèques et Ton voit dans toutes les mains nos meilleurs poè- 
tes et nos meilleurs auteurs, tels que Boileau, Racine, Molière, 
Voltaire, Fontenelle et le bon Florian, que lisent tous les 
enfants et que relisent les grandes personnes. 

On est, dans ce pays-ci, très entiché de noblesse. Les 
gentilshommes sont d'une fierté insupportable, surtout vis- 
àrvis de leurs paysans, qui ne les approchent pas sans leur 
baiser les pieds ou en faire le simulacre. Us ont été très éton- 
nés de ce que les Français ne considéraient pas plus un pala-^ 
tin ou un gentilhomme que tout autre bourgeois. Comme nous 
ne savons pas baisser la tête jusqu'à terre, nous avons été 
traités d'incivils. 

Dernièrement, deux dames racontaient assez maladroite- 
ment, devant moi, des incivilités françaises : « Aujourd'hui, 
disait l'une, un officier m'a dit très cavalièrement de lui indi- 
quer son logement. 3> — « Mais, Madame, c'est bien pis, 
disait l'autre. Deux oflSciers tout crottés furent logés chez 
moi l'autre jour. On les introduisit dans mon appartement ; 
je sortis pour donner quelques ordres, et ces messieurs, se 
croyant chez eux, changèrent de bottes, de chemises, enfin 
firent toute leur toilette, d Je songeai immédiatement à 
ma vengeance, cette passion nous étant très naturelle; 
je crus que le meilleur moyen était de faire l'apologie des 
Françaises. « Mesdames, leur dis-je, nous sommes élevés 
dans les camps, il n'est pas étonnant que nos manières se 
ressentent quelquefois de la rudesse de nos exercices. Mais 
si vous connaissiez les Françaises, vous jugeriez bien mieux 
de la nation. Elles sont polies et honnêtes, elles ont le bon 

T. I. 7 



^ 



9S !.F. SIAKIÎCHAL BrcEArU. 

ton de la société-, et enrtotit beanconp de candeur et d'iudul- 
gence : jamais dans leur conversation, le moindre mot qnî 
pnÎBBe froisser personne. Elles sont délicates et emploient 
mille petites attentions qui charment tout le monde, même 
les personnes qui se croyaient d'abord négligées. Elles sont 
vertneuses sans pruderie ; au contraire, la gaieté et l'enjone- 
ment sont leurs plus aimables attribats. Enfin, Mesdames, 
elles ont en général toutes les qualités aimables et solides 
qu'un homme raisonnable, nu fou, un étourdi on un philo- 
sophe peuvent désirer. ma chère patrie, quand te rever- 
rai-jc ? B 

Je Toyais mes deux Polonaises se mordre les lèvres et 
rougir, mais pas une ne dit mot. Je me tns, et je m'aperçïis 
que le portrait que je venais de faire de mes compatriotes, 
m'avait attiré un peu de considération. 

Elles pensaient sans doute qu'un homme qni avait su 
apercevoir dans lem* sexe autant de qualités, ne mauquertût 
pas de voir aussi cellt^s qui leur manquaient. 

Je crois, ma bonne amie, que c'est assez babillé pour 
aujourd'hui. Je ne venx ponrtant pas ra'aller coucher avant 
de l'assurer que je suis le plus tendre des frères. 

Thomas. 

Guéri de sa blessure, le lieutenant Bugeaud dat 
regagner la France et le d^pôt de son régiment, Be- 
sançon. — 11 traversa Berlin et y séjourna quelque 
temps. Ses observations sont courtes, mais piquantes. 
5 Nous Boinraes vraiment considérés dans ce pays-là, 
écrit-il, tant eu raison de nos succès, qu'à cause de 
iiotre manque d'orgueil. Ils nous comparent à leurs 
oBiciers qui étaient vains et insolents ; ceux-là n'y 



CHAPITRE VI. 99 

gagnent pas. Hélas! leur orgueil est bien abaissé. » 
Le lieutenant Bugeaud, lorsqu'il écrivait cette 
phrase, il y a trois quarts de siècle, était loin de pré- 
voir que les Prussiens, si abaissés alors, entreraient 
un jour à Paris, soixante -quatorze ans après, en 
vainqueurs et camperaient aux Champs-Elysées, de- 
vant le monument triomphal élevé à la Grande Ar- 
mée. 

A mademoiselle Pkillis de la Piconnerie, 

Besançon, 28 mai 1807. 

Ma chère Phillis, après un voyage mêlé d'orages et de plai- 
sirs, je suis heureusement arrivé à Besançon, où une de tes 
bonnes longues lettres m'attendait déjà. Merci de tes con- 
seils, qui sont toujours bons et prudents, quoique tu ne les 
fondes que sur ton simple jugement. Ce qui te fera grand 
plaisir, c'est que je suis entièrement décidé à rester au service. 
De fausses espérances m'avaient pendant longtemps fait pen- 
ser autrement, mais comme je me suis aperçu que j'étais 
abusé, j'ai changé d'idée, me promettant bien de ne plus 
être aussi faible. 

J'oublie de te raconter les malheurs de mon voyage. Je 
faisais route avec deux capitaines près de Francfort-sur- 
rOder, lorsque nous avons été arrêtés par des partisans qui 
ne sont autre chose que des prisonniers prussiens évadés 
dans les bois. Ils nous ont pris tout ce que nous possédions ; 
je n'ai pu sauver que six louis et un ducat que j'avais cousu 
dans mon gilet. A Berlin, j'ai attrapé un mal de gorge dont 
j'ai failli mourir. Un aimable médecin m'a soigné pendant 
douze jours et n'a point voulu .d'argent, disant qu'il était 
trop content d'avoir fait la connaissance d'un officier français. 



100 LE MARIÉCHAL BUGEAUD. 

Nous sommes vraiment considérés dans ce pays-là, tant par 
rapport à nos exploits qu'à cause de notre manque d'orgueil. 
Ils nous comparent à leurs officiers qui étaient vains et in- 
solents. Ceux-là n'y gagnent pas; leur orgueil est bien 
abaissé. De l'aveu de tous les habitants, Berlin est plus tran- 
quille que du temps du roi, les denrées bien meilleur mar- 
ché, quoiqu'il y ait moins de conmierce. 

Je ne compte plus du tout entrer dans les légions qui se 
forment. A part la garde impériale ou royale de Hollande 
(ce qui ne me plaît pas du tout), il n'est pas un corps avec 
lequel je troquerai le mien. Selon les apparences, dans trois 
ans je serai capitaine. 

Adieu, mille amitiés, etc. 

Ton frère, 

Thomas. 
A madeinoiselle de la Piconnerie. 

Besançon, 1807. 

Quoique je sois devenu un peu philosophe, j'ai dans ce mo- 
ment des chagrins que je tâche d'étouffer, mais en vain 1 Le 
gouvernement \ient de nommer un étranger au régiment à 
la place d'adjudant-major, à laquelle j'aspirais. Le mi^'or est 
contrarié de n'avoir pas eu un officier de son choix. Voici 
une occasion qui ne se retrouvera pas de longtemps. L'adja- 
dant-major n'est pas encore arrivé, j'en remplis toujours les 
fonctions et fais contre fortune bon cœur. 

Je désirerais vivement aller dans l'état-major du général 
Souhaus ; les places sont très agréables près d'un général ai- 
mable;. La place de capitaine adjoint, que je pourrai avoir, est 
à peu près comme celle d'aide de camp. On fait toutes les 
affaires qui ont rapport au service de la division, entre autres, 
une grande partie de la correspondance du général. On est 



CHAPITRE VI. 101 

obligé d'avoir deux chevaux en temps de guerre. On a 180 

francs par mois et le fourrage, ce qui est fort gentil. 

Adieu, ma bonne Phillis. 

Ton frère, 

Thomas Bugeaud. 

Le blessé de Pultusk, dans T impossibilité de suivre 
ses compagnons d'armes, ne vit donc point la bataille 
d'Eylau, victoire contestable, œuvre des cavaliers de 
Murât plus que des combinaisons de Bonaparte , et 
signe précurseur, aux yeux du généralissime russe 
Benningsen, d'une éclatante revanche; ni celle de 
Friedland, a: cette fille de Marengo, » comme disait le 
héros corse dans le langage imagé qu'affectionnent 
les peuples du Midi ; ni tant d'autres événements mi- 
litaires, origine de la paix de Tilsitt. Quelle erreur de 
conquérant et d'autocrate fut Futopie impériale qui de- 
vait augmenter de la Bessarabie et de la Finlande l'em- 
pire des czars, aliéner à la France la Turquie et la Suède, 
enfin préparer dans les régions du nord un centre de 
résistance aux appétits de son auteur! Le vaincu 
d'Austerlitz et de Friedland, devenu, grâce à des 
combinaisons moins dignes de César que de Char- 
les XII, l'héritier présomptif de Constantin, devait 
entraîner à sa perte le (( grand homme » dont il se 
proclamait l'ami devant un parterre de rois. Toutefois, 
le traité de Presbourg, dont on ne pouvait prévoir alors 
tous les résultats, allait assurer à l'Europe épuisée et 
haletante un instant de répit. 



CHAPITRE VIL 



Thomas Bugeaud obtient un congé de semestre. — Il adresse sa démission au 
ministre, mais ses sœurs retiennent sa lettre. — Il est envoyé en Espagne. — 
Insurrection de Madrid. — Une aventure galante. — Siège et prise de Sara- 
gossc. — Il est nommé capitaine. — Appréciation de la situation de Tar- 
mée française en Espagne. — Départ de Saragosse. — Combats de Maria et 
de Balahite. — Sa promotion au grade de commandant. 



Il y avait deiix ans que Thomas Bugeaud était lieu- 
tenant d'infanterie de ligne (30 juin 1808), lorsqu'il 
obtint un congé de semestre. Depuis son engagement^ 
c'était la première fois qu'il faisait un si long séjour en 
Périgord. La vie de famille, l'air du pays, l'affection dont 
il avait tant besoin, lui inspirèrent de nouveau le dégoût 
de la vie militaire, dégoût qu'il avait si souvent mani- 
festé dans ses lettres à sa sœur Phillis. Il se décida 
donc, un beau matin, à rompre avec le passé, et ce fut 
sans hésitation et sans regret qu'il écrivit au ministre 
pour lui envoyer sa démission. Sa sœur Antoinette 
s'offrit à porter elle-même la lettre à la poste de la 
ville. Mais, après avoir consulté ses sœurs, elle serra 
précieusement dans un placard l'importante missive. 
Le jeune démissionnaire, enchanté de sa détermina- 
tion et tout fier d'avoir recouvré à jamais sa liberté, 
se mit sérieusement à étudier l'agriculture, aidé de sa 



CHAPITRE Tll. 103 

sœur Pliillis. II commençait toutefois à s"étonaer de la 
lenteur du ministre à lui adresser son accusé de récep- 
tion, lorsque, au lieu du congé définitif qu'il atten- 
dait, ce fut l'ordre d'aller rejoindre son régiment qu'il 
reçut. Tout s'expliqua : le complot des sœurs fut dé- 
couvert et pardonné; et le pauvre officier, qui avait 
de si bonne grâce renoncé A la glorieuse carrière des 
armes, alla rejoindre son régiment, le 116' de ligne, 
qui venait d'être dirigé sur l'Espagne. 

La paix de Tilsitt avait pu faire croire un instant 
au sous-lieutenant Bugeaud que ses vœux seraient 
exaucés. Isolée de toute l'Europe par les échecs de ses 
alliés et surtout par la mauvaise foi dont elle avait 
payé leur concours, l'Angleterre devait, au dire des 
diplomates d'alors, assister en spectatrice envieuse, 
mais impuissante, h l'élévation des empires d'Orient 
et d'Occident, ces deux tronçons du monde civilisé. 

Mais le nouveau pacificateur de l'Europe n'avait pas 
encore dépouillé le conquérant de l'Italie et de l'Au- 
triclie, pour consacrer la fin d'une existence déjà si 
remplie à l'organisation administrative de ses États. 
Un jour, cet infatigable accapareur de couronnes re- 
marqua l'Espagne et, ayant embrassé d'un coup d'teil 
sa situation intérieure, les ressources qu'elle conte- 
nait et son étrange gouvernement, décida de la con- 
quérir. 

Peuaprès, Charles IV, cet héritier éventuel de la cou- 
ronne de France, remettait les Etats de Charles-Quint 
et de Philippe V entre les mains de M. de lîonaparte, 
lieutenant général des armées de Louis XVIII, iuter- 



104 LE MARï5cHAL BUGEAUD. 

venu dans les discordes intimes de la Péninsule, au 
nom de la morale outragée ! 

Toutefois, le peuple se montra d'humeur moins ac- 
commodante que son souverain. Dédaigneuse des avan- 
tages que lui semblait promettre le gouvernement de 
Napoléon, la patrie de Viriathe et du Cid ne parut 
pas désireuse de prendre place parmi les nations servi- 
lement soumises à la nouvelle dynastie. En outre, 
par une de ces résolutions instantanées qu'enregistre 
souvent l'histoire, tous les auxiliaires de Bonaparte 
lui manquèrent à la fois. Détrôné, Charles IV perdit 
tout son prestige aux yeux du peuple. Complice 
volontaire de Napoléon jouet de la première venue de 
ses créatures, il parut, aux classes dirigeantes, indigne 
de sa grandeur passée. Le piteux monarque proclama 
vainement Tinfamie de son fils dépossédé et les 
droits de son astucieux vainqueur à la couronne d'Es- 
pagne. Les chefs de l'armée et certains grands sei- 
gneurs qu'effrayaient une lutte entreprise sans armes 
et sans direction générale contre la première puissance 
militaire de l'époque, et peut-être davantage encore la 
levée générale des classes inférieures, payèrent de 
leur vie cet hommage à la raison. Les libérales du 
littoral, perdus dans une masse fanatique, ne furent 
plus, dès le début des hostilités, qu'une colonie mer- 
cantile, timide, et plus gênante par la protection qu'elle 
exigeait qu'utile par les suffrages qu'elle marchandait 
au nouveau roi. 

Enfin, les partisans de la maison d'Autriche, qui, 
dans r Aragon, la Catalogne et le royaume de Valence, 




CHAPITRE VII. 105 

avaient constitué une faible mais perpétuelle entrave 
au fonctionnement des institutions bourbonniennes et, 
la veille encore, rêvaient un changement de djmastie, 
disparurent à jamais devant cette nouvelle invasion 
française. D'autre part, Murât, dont la belle prestance, 
les allures tapageuses et quelques mesures intelligen- 
tes avaient ébloui d'abord le peuple de Madrid, devint 
subitement aussi impopulaire que son impérial beau- 
frère. Un catéchisme, d'un nouveau genre, apprit aux 
jeunes Espagnols que Satan était en trois personnes : 
Napoléon^ Murât et Godoy. D'après ces étranges théo- 
logiens, le grand-duc de Berg ne le cédait en infamie 
ni à l'ancien maire du palais ni au diplomate de 
Bayonne. Entraîné par son génie aussi persévérant que 
créateur, Bonaparte ne se laissa point arrêter par des 
événements contraires à ses projets, et usa d'autres 
moyens pour attacher à sa fortune ce peuple qu'il ne 
devait jamais comprendre. 

Toutefois, les promesses les plus fallacieuses, l'in- 
tronisation d'idées nouvelles à l'usage des classes in- 
férieures, le prestige d'un homme qui dépassait de 
toute la hauteur de la réalité les plus brillantes fic- 
tions des romanceros^ le discrédit de l'ancienne maison 
régnante et même les plus basses avances aux pas- 
sions populaires, ne purent triompher du vieux sen- 
timent national. 

Avec l'activité fébrile particulière aux peuples du 
Midi, que des efforts aussi excessifs que momentanés 
condamnent dans la suite à des siècles de stagnation, les 
Espagnols organisèrent, en quelques mois, un gouver- 



-■*- 




106 



LK MARÉCHAL BUGEAL'H 



nement insurrectionnel et une défense en rtgle. Aussi 
nombreuses que les provinces, les Juntes, qui d'abord 
avaient payé cher leur tribut aux idées locales, for- 
mèrent les Certes centralistes de Cadix. De cette ca- 
pitale provisoire, constamment exposée au feu des 
batteries françaises, allaient bientôt sortir les libéra- 
teurs civils et militaires de l'Espagne. 

Devant ce roc, surmonté d'une forteresse adossée 
à l'Océan, et qui constituait tout l'empire européen 
du captif de Valençay, devait se briser l'épée du Na^ 
poléon. 

Au moment de cette explosion, Madrid n'oublia 
point qu'elle était l'a tète de l'Espagne. La guerre 
de l'Indépendance commença sur le seuil du palais 
royal. Le 2 mai 1808 vit briller au grand jour la va- 
leur des Castillans, oubliée la veille, et fut la date 
d'une ère de gloire. 

Pour la premi^-re fois, le lieutenant liugeaud com- 
battit l'émeute. Quelle impression produisit sur la fu- 
ture épée de la monarchie de Juillet cette guerre 
sans règle ni loi, mais entreprise, il est vrai, au nom 
de la religion nationale, de la patrie envahie, du roi dé- 
trôné? La lettre suivante, qui ne paraît paa refléter La 
férocité si longtemps légendaire du a; général de 
Transnonain, i> répondra à cette question. 

A mademoiselle AntoinelCe <îe la Piconnerie. 



Tu us la cousoieuce bien tranciuille et bien complaisaot^, 
ma chère Toîuy; [larcc ijiie je ne t'ai pas écrit dix fois, ta 



CHAPITRK VU, 107 

crois n'avoir pas de reproches & te faire. EU bien ! tu te trompes, 
tu es extrêmement coupable, nou pas ponr le mol que tu as 
fait, mais pour le bieu que tu os négligé de faire, Penses-tu 
qu'un pauvre baraqué, éloigné de tonte espèce de plaisir, ne 
mérite pas des égards, et ue devais-tu pas chasser mes en- 
nuis par plusieurs longues lettres? Rappelle-toi bien que je 
les Ha an moins six fois le premier jour, de deux henies en 
deux heures, et que j'y pense dans les intervalles. Voilà donc 
une journée qui se passe agréablement, donc tu as tort. Voilà 
qui est bien prouvé : ainsi dorénavant sois plus sage. 

Tu ne t'attends pas à entendre la canonnade et la fusillade : 
eh bien ! mets du coton dans tes oreilles, car tu vas être ca- 
nonnée... Il a pris iantaisie à la populace de Madrid de se 
mettre en révolte le 2 mai. Elle s'est jetée anr les Français 
isolés qu'elle a égorgés, pnis s'est portée à l'Arsenal, s'en est 
emparée, a sorti des canons, s'est munie de tiisils et a com- 
mencé dans les rues la petite guerre avec quelques postes 
français. De notre côté, nous n'étions pas dans l'inaction. La. 
générale a été battne, nous avons couru eu ville, et leurs 
snccês n'ont pas été longs. Nous les avons attaqués avec vi- 
gueur sur tous les pointa. lia ont été culbutés, leurs pièces 
ont été prises, et dans une heure cette masse confuse n'exis- 
tait déjà pins. Le même jour on a fusillé un bon nombre de 
coupables. Nous avons perdu quelques hommes dans cette 
action. J'en ai été quitte pour nue contusion et une écorchnre 
légère. Les insurgés ont voulu égorger nos malades de Vhù- 
pital général, mais les mieux portants ont enfoncé les maga- 
sins d'armes et ont exterminé leurs asaailiants. La tranquil- 
lité paraît rétablie ; mais il ne faut pas s'y fier, malgré que 
le i)rince fasse son possible pour apaiser les esprits par ses 
proclamations et sa générosité envers plusieurs coupables. Il 
s'est comporté avec humanité, en arrêtant sur tons les points 



108 LE MARÉCHAL BUGEAUD. 

notre vengeance , au moment où le carnage était le pins 
fort. 

Je t'assnre qae je ne suis guère tranquille, en passant dans 
les rues ; j'ai toujours la main sur mon épée, car on assassi- 
nait journellement avant la révolte, et ces messieurs pre- 
naient notre modération pour de la faiblesse. Maintenant ils 
sont plus doux. Penses-tu que cette petite vie soit bien pré- 
férable au fusil et au havresac dont tu me parles? 

Il ne fait pas bon, je t'assure, à flùter la nuit sous les croi- 
sées des belles, et puis nous n'en avons pas le loisir. Aussi 
l'article amour va-t-il très mal en général. Chacun se 
plaint de la pénurie d'intrigues, et je suis peut-être un des 
plus heureux sans l'être beaucoup. Une assez jolie petite 
marchande de modes, Française, vient de me promettre de 
m'aimer pendant trois jours, et de continuer au bout de ce 
temps, si je suis encore sur terre. Elle dit, pour ses raisons, 
que nos amours étant passagers, on ne peut s'engager pour 
longtemps. J'ai répondu que les preuves ne devaient point 
être passagères, et, afin qu'elles durassent plus longtemps, 
j'en ai demandé sur-le-champ. On m'a répondu que, si je les 
obtenais, peut-être dans trois jours ne soUiciterais-je pas la 
continuation, et qu'il fallait attendre. Je me suis rendu à ces 
grandes raisons, mais j'ai demandé des gages : on m'a donné 
une bague et prêté les Lettres à Emilie. J'ai prié de les 
lire avec moi, afin de me fournir des applications. Tu vois 
toute l'histoire de mes amours d'Espagne, car tu sais que 
nous en avons de tous les pays... Tu ne me parles pas des 
trèfleô, ni de Polisson... (le chien de chasse du lieutenant 
Bugeaud). Mes amitiés à tous les parents et voisins. Pour toi, 
tu n'auras rien jusqu'à une autre réponse. 

Bugeaud. 



CHAPITRE vn. 109 

Cette explosion de patriotisme, dont l'imagination 
toujours si féconde des Espagnols exagéra singuliè- 
rement rimportance, fut en réalité le commencement 
de la guerre la plus sainte, la plus acharnée, et la plus 
glorieuse pour le peuple qui la soutint, mentionnée 
dans rhistoire contemporaine de TEurope. 

Un instant, Napoléon put croire au succès des in- 
trigues de Bayonne, car une assemblée complaisante 
avait proclamé le nouveau roi des Espagnes, Joseph 
Bonaparte, dans le salon provisoire de son prédéces- 
seur et sous la pression des baïonnettes étrangères. 
Quant à Charles IV et à tous les siens , ils demandè- 
rent au sublime mystificateur de cette époque de 
Tor, des plaisirs, et surtout le repos qu'interdisaient 
aux petits-fils de Louis XIV le trône et les efforts 
qui permettent d'y atteindre. Malheureusement pour 
la France, qui devait payer si cher cette fantaisie de 
despote, les princes dépossédés et les grands de Cas- 
tille qui s'étaient découverts devant un empereur, ne 
purent imposer leur volonté au peuple qu'ils avaient 
déshonoré. Pendant les six années que dura cette 
guerre exceptionnelle, le roi Joseph ne régna que sur 
un palais et ne comiut d'autres sujets que quelques 
courtisans traîtres à la dynastie déchue, odieux aux 
Espagnols et méprisés des Français. Mais l'his- 
toire de ce prince, dépaysé dans son royaume d'oc- 
casion, nous entraînerait trop loin du sujet de ce 
livre, pour que nous racontions, une à une, ses fuites 
précipitées de Madrid et ses marches triomphales 
à la remorque des troupes françaises et dans le dé- 



LK SIARÉCHAL BUGEAfU. 



sert que faisait autour de lut la liaine de son peuple. 
Moins d'un an après la révolte de Madrid, le lieu- 
tenant Bugeaud participait à la prise de Saragosse. 
Quel homme sensible au mot de patrie ne connaît la 
légende, sinon Thistoire, de cette défense épique? Dans 
tous les âges, une ville de l'Ibérie s'est offerte en holo- 
causte pour la gloire nationale : Saragosse fut h la 
hauteur de Sagonte et de Numance. Aussi quelle ad- 
miration inspirèrent aux Français cette armée impro- 
visée, ces édifices publics ou privés transformés en 
forteresses, ces chefs héroïques arrachés aux douceurs 
de l'oisiveté, comme Palafox, ou à la tranquillité des 
mona8t^rcs, comme Mérîno ! La lettre du jeime officier 
est empreinte de tristesse; on comprend en la lisant 
toute l'admiration que lui inspirait ce peuple qu'il 
était forcé de combattre. 

A mademoiaelle Phillis de la Picùnnerie. 

Aa birousc devant Soragowc, le 1S février ISW. 

J'ai reçu, ma chère Phillis, ta petito lettre de grands re- 
proches, et comme je ne les ai pas mérîtéB, je ne veux ;«« 
m' excuser. Je veux diriger ta colère et la mienne sur les as- 
sassins espagnols ([ui égorgent beanconp de courriers, malgré 
|p3 précantioDS que l'cm prend. Anssi tont le monde xe plaint 
de la correepondance. Le colonel da r^-giment a reçu la lettre 
où tn t'informes de niui ; il m'a dît cju'il y répondra ; mais de 
peur qu'il oublie dt> te rassurer, je ne laisse pas écliapjier l'oc- 
casion d'un officier qui va en France escorter nn g^n^ral 
blessé. Je puis l'écrire librement, parce qu'il mettra la lettre 



i 



CHAPITRE TTI. 



m 



à la poste après avoir pasaé Eayonne, et alora elle ne ris- 
quera pas d"Étre décachetée. 

Nona sommes tonjonrs auprès de cette maadite, de cette in- 
fernale Saragosse. Qnoiqiie nons ayons pris lears remparts 
d'asaant depuis plus de quinze jonrs, et qne nous possédions 
une partie de la ville, lesliabitauts, excités par la haine qu'ils 
nous portent, par les prfitreB et le fanatisme, paraissent vou- 
loir s'ensevelir sons les ruines de lenr ville, & l'exemple de 
l'ancienne Numance. Ils se défendent avec un acharnement 
incroyable et nous font payer bien cher la plus petite victoire. 

Chaque couvent, chaque maison, fait la même résistance 
qu'une citadelle, et il faut pour chacun un siège particulier. 
Tout 3c dispute pied à pied, de la cave an grenier, et ce n'est 
qne quand on a tout tué il coups de baïonnettes ou tout jeté 
par les fenêtres, qu'on peut se dire maître de la maison, A 
peine est^on vainqueur qne la maison voisine nons jette, par 
des trous faits exprès, des grenades, des obua et une grCle de 
coups de fusil. L faut se barricader, se couvrir bien vite, jus- 
qu'à ce qu'on ait pris des mesures pour attaquer ce nouveau 
fort, et on ne le fait qu'en peri,'ant les murs, car passer dans 
les rues est chose impossible : l'armée y périrait toute en 
deux heures. Ce n'était pas assez de faire la guerre dans les 
maisons, on la. fait sous terre. Un art inventé par les démons, 
sans doute, conduit les mineurs jnsqnc sous l'édifice occupé 
par l'ennemi. Là, on comprime une grande quantitédo poudre 
et, à un signal donné, le coup part, et les malheureux volent 
dans les airs ou sont ensevelis sous des ruines. L'explosion 
fait évacuer à l'ennemi les maisons voisines, pour lesquelles 
il craint le même sort ; nous sommes postés tout près, et aus- 
sitôt nous nous précipitons dedans. Voilà comment nous che- 
minons dans cette malheureuse ville ; tu dois penser combien 
uue telle guerre doit coûter de soldats. Qne de jeunes geus, 



112 LE MARECHAL BUGEAUD. 

Fespoir de leur famille^ ont déjà péri dans ces décombres I 
Notre brigade a déjà perdu deux généraux. Le général de 
génie Lacoste, jeune bomme de la plus grande espérance, 
qui, sorti des écoles depuis peu de temps, se trouvait déjà 
aide de camp de TEmpereur, a péri victime de son dévoue- 
ment ainsi que tant d'autres. Enfin, il n'y a pas de jour où 
l'on ne compte quelques officiers parmi les morts, beaucoup 
plus que de soldats en proportion, parce que l'ennemi, tirant 
à coup sûr, quand nous attaquons, choisit ses victimes. 

Ah 1 ma bonne amie, quelle vie, quelle existence I Voilà 
deux moisque nous sommes entre la vie et la mort, les cadavres 
et les ruines. Quand on devrait retirer de cette guerre tous 
les avantages que nous avons espérés, c'est les acheter bien 
cher. Mais ce qu'il y a de plus affreux, c'est de penser que 
nos travaux et notre sang ne serviront point au bien de notre 
patrie. Je me souviens toujours de ces vers de Voltaire ; 

Encor si pour votre patrie 
Vous saviez vous sacrifier; 
Mais non, vous vendez votre vie 
A ceux qui veulent la payer. 

Qui peut prévoir la fin de tant de maux? Heureux ceux 
qui l'entrevoient. 

Je t'écris bien tristement, ma chère amie, mais que veux- 
tu? l'esprit est affecté. Sans doute, si j'avais l'espoir de te 
revoir bientôt, je serais plus gai, mais, hélas 1 ce moment est 
bien éloigné. En attendant qu'il vienne, que Dieu te con- 
serve joie et santé, il exaucera mes vœux les plus chers. 

Mille amitiés à Toiny et à toute ta famille. 

Thomas Bugeaud, 

capitaine an 1 16«. 

Saragosse était enfin vaincue, et Palafox allait gros- 
sir le nombre de ses compatriotes détenus en France 



CHAPITRE Vn. 113 

jusqu'à la terrible échéance de 1814. Ce siège, pres- 
que aussi populaire au nord qu'au sud des Pjrrénées, 
valut au lieutenant Bugeaud le grade de capitaine. 
Du reste, à cette époque, le futur duc d'Isly paraît 
s'être moins préoccupé de son avancement que de ce 
Périgord, qu'il désirait si ardemment revoir afin d'y 
vivre encore de sa vie passée. 

A mademoiselle Faillis de la Piconnerie. 

Pampelane, 20 man 1809. 

Comment faire, ma chère Phillis, pour t'exprimer ma joie 
et ma tristesse? Ces deux sentiments offrent un si grand 
contraste, qu'il est difficile de croire qu'ils existent & la fois 
dans la même tête. Cependant c'est ce qui m'arrive aujour- 
d'hui ; mais il est vrai que ma peine est plus forte que mon 
contentement. Parlons d'abord du plus mauvais. 

Tu sais que j'espérais que mon retour en France ou un 
voyage en Allemagne me procurerait la douce satisfaction 
d*être témoin du premier jour de ton bonheur. A cette ai- 
mable attente s'était jointe l'assurance de faire le voyage 
de Bordeaux, par ordre du colonel, pour acheter des instru- 
ments de musique de notre régiment. J'avais l'ordre dans ma 
poche, j'étais prêt à partir, quand l'ordre de retourner en Es- 
pagne est arrivé ; mon capitaine s'est trouvé malade, il n'y 
avait à la compagnie qu'un officier de dix-huit ans. Le colonel 
m'a déclaré qu'il ne pouvait m'envoyer en mission, parce* 
qu'une compagnie de grenadiers ne pouvait pas entrer en 
campagne sans un officier pour la commander. Juge de 
mon dépit à cette nouvelle; mais je ne pouvais pas faire 
d'observation. On parlait d'un nouveau siège ; c'eût été com- 

T. I. 8 



114 LE MARÉCHAL BUGEAUD. 

promettre et perdre ce qae j'aurais pu avoir gagné au siège 
de Saragosse. Je partis donc^ et me voilà à Pampelune, où ce 
matin nous avons passé la revue du gouverneur. Pendant 
que nous étions sons les armes, le colonel, qui me ménageait 
une surprise, ainsi que je te la ménage jusqu'à présent, m'ap- 
pelle, me reçoit capitaine et me remet mon brevet 1 Voilà donc 
le sujet de ma joie. 
Adieu, etc. Bugeaud, 

Capitaine du 2 mars. 

(Notre général de di\âsion est mort; c'est le cinquième de- 
puis notre entrée en Espagne, dont quatre par le feu de l'en- 
nemi et un de la maladie régnante.) 

A mademoiselle Hélène de la Piconnerie, 

Saragosse, 31 ayril 1809. 

Ma chère Hélène, 

Ta bonne lettre est venue me trouver à Saragosse, où je 
suis depuis quelques jours. Une fausse alerte nous a fait 
quitter nos cantonnements pour nous réunir auprès de la ca- 
pitale. Maintenant il paraît que l'ennemi n'a pas fait de mou- 
vements offensifs. Nous avons beaucoup perdu à ces change- 
ments ; les soldats n'ont plus d'aussi bons vivres ; il faut 
prendre de nouvelles habitudes et changer d'existence sui- 
vant les lieux où l'on est envoyé. 

Je ne pense pas, certes, qu'il ne soit avantageux d'entrer 
dans la garde avec mon grade, et ceux qui le disent se trom- 
pent fort. Un capitaine dans la garde a le rang de chef de 
bataillon de la ligne et il ne peut en sortir que comme tel, 
il y en a même plusieurs qui sont sortis majors. Voilà déjà 
un avantage bien clair ; examinons maintenant les difficultés 
qu'il y a à être nommé chef de bataillon dans la ligne. Il y 



m 



CHAPITRE VII. 115 

a hait capitaines pour un chef de bataillon, voilà donc huit 
concurrents. Or, je suis le plus jeune capitaine de mon régi- 
ment, je n'ai donc point lieu d'espérer d'être choisi de préfé- 
rence à mes camarades. Tâchons donc de gagner de suite un 
grade que je ne puis acquérir ici qu'avec du temps. 

Je suis très sensible aux souvenirs des C*** ; tu peux les 
assurer de ma reconnaissance pour leurs bonnes dispositions 
à m'ôtre utiles, et du vif désir que j'ai, de me trouver à 
portée de faire plus ample connaissance. 

Je vous embrasse de tout cœur. 

BUGEAUD, 
Capitaine de voltigeurs an 11 6^ 

Déjà la fortune se montrait moins favorable à 
rhomme qu'elle avait comblé de ses faveurs. La résis- 
tance de TEspague préparaît l'esprit public aux fata- 
les campagnes de Russie et de Saxe. ' 

Après un court séjour dans Saragosse, le nouveau 
capitaine parcourut deux fois le nord-ouest de l'Es- 
pagne , à la recherche de l'ennemi insaisissable que 
la grande armée ne devait jamais amener à merci. 
Ceô marches et contremarches, qui constituent pres- 
que toutes les guerres de ce genre, le firent participer 
aux combats de Moria et de Balahite (1), et lui valu- 
rent l'épaulette d'officier supérieur. 

(1) M«rr le duc d'Anmale a bien voulu nous donner d'intéressants] détails 
confirmant Timportance que le marécharBugeaud ne cessa toute sa vie d*ac- 
corder à ses campagnes d'Espagne. — <c C*est le snjet qu'il abordait le plus 
volontiers et le plus souvent, nous disait le prince ; les sièges de Saragosse 
et de Lérida, ses campagnes d'Aragon, revenaient sans cesse dans ses con- 
versations, n racontait avec feu et animation les batailles, et aimait à se 
rappeler cette époque. Ses récits étaient d'ailleurs remplis de traits. — Combien 
de fois, en Afrique, au bivouac, avons-nous passé, un peu malgré nous, la 
nuit à l'écouter ! Le maréchal, en effet, dormait peu et à volonté ; il n'en était pas de 



116 LE MARÉCHAL BUGEAUD. 

.1 rfiademoiselle Phillis de la Piconnerie. 

Saragosse, 29 septembre 1809. 

Je n'ai pas vouln répondre de suite à ta dernière lettre, ma 
chère Phillis, parce que j'attendais de pouvoir te dire quel- 
que chose de positif sur la commission que tu m'as donnée 
relativement à TEspagnol. Je me suis déterminé ensuite à 
en rendre compte à Combemoreau lui-même. Je m'en suis 
acquitté avec exactitude pour te faire plaisir ainsi qu'à notre 
parent ; mais je n'ai rien fait pour le paysan aragonais, je dé- 
teste trop cette classe d'assassins et de fanatiques. Cependant 
le frère de Gregorio m'a manifesté beaucoup de reconYiais- 
sance pour les nouvelles que je lui ai données. 

Nous sommes toujours à Saragosse, pour notre ennui et 
pour le malheur de notre bourse. Tout est si cher, que les 
appointements des lieutenants et sous-lieutenants ne leur 
suffisent pas pour vivre. Cette malheureuse ville se ressent 
toujours des désastres du siège. Elle est dépeuplée, et les 
habitants qui restent sont si tristes qu'ils glacent tout ce 
qui les entoure. Point de sociétés amusantes, point de tertuU 
lias (veillées). Chacun reste enfermé dans sa maison. 

Je ne puis t'exprimer combien je m'ennuie ici ; je vais 
jusqu'à désirer de rentrer en campagne pour m'arracher de 
ce maudit endroit. Les seules ressources que nous ayons 
contre les longueurs du temps sont boire, manger et dormir, 

même de ses aides de camp et de moi, qui souvent tombions de sommeil, n^i» que 
le respect tenait à i>eu près éveillés. — Que de fois, lorsqu'un officier se pUI- 
gnait d'être oublié ou sacrifié , ai-je entendu le maréchal lui dire : « Ah I si 
* vous avivz vécu au temps de l'empire , c'eût été bien autre chose ! Apxés les 
campagnefl d'Allemagne, après Austerlitz, Pulstuck, après les guerres d'Es- 
pagne, les sièges de Saragosse, de Lérida et le reste, j'étais capitaine, Tieux 
caintiinc, entendez- vous bien? et pas décoré! Xous ne songions pas k nous 
plaindre alors, i) 



CHAPlTIiË VII. 117 

et le3 setUs comestibles 4u'il y ait nons sont apportés pat 
dea Français qui, attirés & l'arinée par le aenl intérêt, pro- 
fitent des circonstances pour nous grager. Notre avenir ne 
parait pas devoir être plus brillant. Si l'on ne fait la paix en 
Autriche, tout traînera en longueur ici. Nous sommée assez 
forts pour battre reitnemi, mais non pour le poursuivre 
après la victoire. Cette maudite Péninsule est si grande, si 
montagneuse, qu'il faudrait trois cent mille hommes pour 
l'occuper de mauîÈre k la soumettre bientôt. Ce que nous 
avons fait jusqu'ici ne sert presque à rien. Nous avons oc- 
cupé plusieurs provinces qui se sont soulevées de nouveau 
dés que nous en sommes sortis, et même celles que nous 
occupons aujourd'hui sont remplies de petits partis qui, trop 
faibles pour attaquer l'armée, tomljent sur les petits détache- 
ments, les convois mal escortés, les courriers, les ordonnan- 
ces, etc., etc. Mais c'est assez parlé de choses tristes ; il faut 
que je répare l'effet qu'elles ont produit sur toi, en te disant 
qu'il ne manque rien à ma satisfaction qu'une meilleure si- 
tuation politique. Je suis dans un régiment que je regarde 
comme une seconde famille : mes camarades m'aiment; je 
crois que mes chefs m'estiment, car ils m'en donnent des 
preuves tous les jours; je commande une belle compagnie 
bien habillée, bien disciplinée, et qui ne peut que m'acqnérir 
de l'honneur un jour d'affaire. Que manque-t-il à, mou bon- 
heur? Ponvais-je raisonnablement espérer d'aussi heureux 
résultats, étant entré au service sans protection et sans ces 
talents brillants qui fout qu'un jeune homme perce toujours, 
s'il sait eu faire usage? Par exemple, il est bon de te prévenir 
que je m'attends à rester longtemps dans le nouveau grade 
que je viens d'obtenir. Il n'est pas rare de voir des capitaines 
qui ont quinze aus de ce grade. II y a dans un régiment 
vingt-hnit capitaines : ce sont autant de concurrents pour 



118 LK MARÉCHAL BCGEAL'D. 



une place de chef de bataillou, qui t^e tronre Ta«ftnte. Je te 
dis tout cela, afïit que tu ne t'impatieutes pas an bout de 
quelques auni-esi' Si je suis oflScîer supérieur a trente-denx 
ans, je serai bîeu content. 

Je Buis très impatient de savoir si mes affaires avec Patrica 
sont arrangées. Sais-tu que je lui ai écrit deu.^ fois depois 
quelques mois et qu'il ne m'a pas répondu. 

Dis-moi ce qti'est devenu Dubois, dans cette galère. Si ta 
pouvais loi faire pour moi nn cadeau utile, tu me ferais plai- 

8i tu connais quelques jeunes gens qui veulent on qui doi- 
vent entrer an service, bien élevés et sachant bien écrire, ta 
peux leur conseilier hardiment de prendre près dn préfet un 
engagement pour le 116° régiment, dont le dépôt est h Aire, 
en Gascogne. Je leur promets que, s'ils ont les qualités ci- 
dessoB énoncées, ils seront sergents avant six mois. Si tu 
t'intéresses à qnelques-nns de ceux qui pourraient prendre ce 
parti, il faut me donner avis de leur arrivée au dépOt. Je 
demanderai leur venue aux bataillons de guerre, et là je leur 
donnerai un bon conp d'épaule jusqu'au grade de sous-offi- 
cier. 11 no tiendra plus qu'à eux de se faire nommer c 



Je chasse ici, quand j'eu ai le temps. Je tue beaucoup de 
cailles très grasses ; bien souvent je t'en ai désiré une dou- 
zaine. 

Dans le moment ofi je t'écris, j'apprends deux nouvelles ; 
l'une, ni bonne ni mauvaise, c'est notre départ de SaragOBSe 
jwur une expédition; la seconde, affreuse pour le régiment, 
la voici : il nous arrivait du dépôt douze cents paires de sou- 
liers, quatre cents habits, du drap pour tous les officiers, des 
épaulettes, une trentaine de soldats, et vingt-neuf musiciens 



i 



CHAPITRE VII. 



110 



avec, leurs instmiuents. Les insurgée des montagnes ont atta- 
ijné et pris ce convoi, ce qni nons canse une perte de 40,000 ir. 
Celie de notre musique surtout ne sera réparée de longtemps. 
Adieu, chère sœur. 

Tliomas BruGAUD. 

-1 mademoiselle Antoinette de la Piconnerie. 

BarbnBtro, ville du uord do l'Atagou, 
peu éloignÉedes Pyiénéee (1809). 

J*ai rei;u ton aimable lettre, ma chère Toiuy, au momeut 
ofi j'arrivais devant Saragosse et que je me trouvais en pré- 
sence de l'ennemi ; elle m'a fait oublier pour au instant que le 
canon grondait, et quand on nous a donné Tordre d'attaquer, 
le seul sentiment pénible que j'ai éprouvé était de ne pouvoir 
la lire une seconde fois. Aussi, après l'affaire, je me suis dé- 
dommagé amplement. J'ai lu tout doucement les détails que 
tu me donnes ; quelle joie d'apprendre ce qui se passe au pays 1 
Mais, bah! voilà que j'ai écrit une page et je n'ai encore rien 
dit. Commençons. 

Tu sais peuWtre qu'à notre retour de Bayonne en Espagne, 
on nous envoya ii Burgos, de là au royaume de Léon ; qn'en- 
auite nous fîmes une expédition en Galice et que nous allâmes 
jusqu'auprès de la Corogne. Maintenant prends la carte, 



Me voilà en marche pour revenir & Léon, en traversant les 
montagnes et le pays de Vierys. Arrivés à la capitale du 
royaume de Léon, nous trouvons une réunion de troupes qui 
doivent faire l'expédition des Astnries, et l'on noua annonce 
que nous devons en être. Nous partons par le chemin escarpé 
qui conduit à Oviedo, et, la veille du jour oii nous devions 
arriver à cette capitale, notre brigade reçoit l'ordre de rétro- 
grader pour se diriger sur l' Aragon, oEi l'horizon commen- 



120 



LE HABÉCHÂL BUGEAVD. 



çait à s'obacarcîr. Nous partons à grandes joaniées ponr 
retoarner aur h théâtre de notre ancienne gloire. Xons tra- 
Tersons avec rapidité Léon , la vieille Citstille, le midi de la 
Kavarre, et nous arrivons enfin dans la plaine de Saragosae. 
Quelle fat notre anrprise de voir tous les bagages de l'ar- 
mée en retraite et toutes les dispositions prises ponr aban- 
donner une ville qui, quelques mois avant, avait coûté tant 
de peines I Nons apprîmes que le général Blake, ayant sa 
qae le 5" corps avait qnitté l'Aragon et qu'il n'y avait plag 
qno 10,000 du -i', avait réuni 30,000 hommes des armées de 
Valence et de Catalogue, jioiir s'emparer de nos conquêtes, 
et n'était plus qa*& deux lieues de la capitale. 

La petite armée française l'aisait bonne contenance en pré- 
sence de l'ennemi qni était posté an village de Maria, leqael se 
trouve dans un vallon bordé de montagnes assez liantes, ce 
qui favorisait notre j)etît nombre. Ce[)endant le général Sa- 
chet avait toat lieu de craindre d'être accablé par la multi- 
tude, et depnis deux jours il évitait un engagement général, 
afin d'attendre notre arrivée. Ce fut le 17 juin, à midi, qae 
nons fîmes notre jonction. On nons annonça à l'armée poar 
donner la confiance, et de suite nons eutr&mes en ligne, après 
avoir fait sept lieues (ce fut alors qu'on me remit ta lettre). 
L'ennemi, impatient d'arriver à Saragosse, nons attaqua; dès 
qu'il s'ébranla, nons nmrch&mes à lui, et dans un instant 
tonte la ligne fut engagée. Le général Suchet fit plusieurs 
luanœu^Tes fort habiles, et la dernière fut celle qui décida da 
snccës. 

Pendant que tonte la cavalerie, qui s'était portée sor le 
flanc gancbe de l'ennemi, chargeait entre ses deux lignes, tonte 
l'infanterie attaqua h la baïonnette le front de bataUle. Les 
boudes orgneillenses ne purent résister & notre impétuosité. 
Elles se rompirent de tontes parts, et dans moins d'noe 



J 



riiAriTRK vu. 



121 



demi-heure nous eûmes nne victoire complète. L'enoemi laissa 
entre nos mains TÎogt-sept canoDs, trois drapeaux, beaucoup 
de bagages, de munitions, et un grand nombre de taés, de 
blessés et de prisonniers. Dans ci's derniers, on compte 
detix généraux et beaucoup d'officiers supérieurs. 

Dana cette bataille, j'ai été fait par hasard capitaine de 
voltigeurs. J'avais été renvoyé avec ma compagnie du cen- 
tre Bona les ordres d'un capitaine de voltigeurs du même 
régiment, qui se trouvait plus ancien que moi ; nous étions 
en tirailleurs dans des oliviers et dans un village sur le bord 
d'une petite rivière appelée la Warba, poste important lï 
garder. Le j)auvre capitaine de voltigeurs fut tué d'un éclat 
de mitraille et, par conséi|Ufut, je me trouvai commandant. 
L'ennemi tenta plusieurs fois d'enlever ce poste, mais noua 
le reçûmes toujours par un feu si vif, qu'il fut contraint 
d'abandonner son projet, après avoir laissé beaucoup de 
morts devant nos embuscades, d'ofi nous ne tirions qu'à bout 
portant. Par cett« conduite, nous empêchâmes l'enuemi de 
passer par la seule ruute praticable pour tourner la gauche 
de notre armée. II est vrai que nous étions soutenus par un 
escadron, mais qui n'eut pas besoin de charger. 

Après la bataille, le général Suchet vint au régiment et 
demanda quel était le capitaine qui commandait les tirail- 
lenrs du village. On me fit sortir, a II faut, dit-il, le faire rece- 
voir capitaine de voitigeurs, car il m'a l'air d'un tirailleur. » 
H est bon de te dire que j'avais un fusil à deux coups eu 
bandouliëre, ce qui. joint au reste de mon accoutrement, 
me donnait bien l'air d'un sacripant. Je remerciai, et me 
voici commandant des épaulettes vertes et des cors de chasse. 
Ça ne convient guère & ma taille ; mais il est vrai que je ne 
suis pas exclu delà compagnie des grenadiers, ce qui vaudrait 
mieux, au moins sous le rapport de l'avancement. 



122 LE MARÉCHAL BUGBAUD. 

Après Moria, vint le combat de BalahitC; où nous prîmes 
à l'ennemi tout le canon qui lui restait avec beaucoup de 
prisonniers. Depuis ce jour nous avons parcouru l'Aragon à 
marches forcées, et nous voici maintenant à Barbastro, ob 
nous nous reposons un peu. 

Je ne puis t'écrire plus longuement, je suis forcé de pro- 
fiter d'une occasion pour Saragosse, et cela ne se présente 
pas tous les jours. Je te prie de donner de mes nouvelles à 
Pbillis, à Patrice et à toute la famille, et tu peux, au besoin, 
faire de ma lettre une circulaire, etc., etc. 

Thomas Bugeaud. 
A mademoiselle Phillis de la Picannerie. 

Saragosse, 2 septembre 1809. 

Ma chère Phillis, 

Je ne veux pas tarder un instant à te dire ce qui m'arrive 
d'heureux ou de malheureux, puisque tu y prends le même 
intérêt que moi ; ce serait vraiment un crime de lèse-amitié 
que de ne pas t'instruire de tout. Eh bien I tu sauras donc 
que je viens d'être fait capitaine de grenadiers, que je com- 
mande la V^ compagnie, composée des cent vingt plus beaux 
hommes de régiment et des meilleurs sujets ; que j'occupe 
un poste honorable, auquel je ne devais pas m'attendre par 
mon peu d'ancienneté de service. Ce qui doit aussi entrer en 
ligne de compte, c'est que cela me vaut 600 francs de plus 
par an. Me voilà donc un petit seigneur à 2,400 francs de 
rente. Tu comprends bien qu'avec cela je n'ai plus besoin 
pour vivre de mon i3etit revenu, aussi tu dois être moins cir- 
conspecte à le ménager. 

Je n'ai rien de nouveau à Rapprendre ; nous sommes dans 
l'inaction, malgré que nous soyons entourés d'ennemis, tî- 




CHAPITRE VII. 123 

mides, à la vérité, à cause de leurs nombreuses défaites. Il 
est à croire que nous entreprendrons quelque chose vers la 
fin de ce mois-ci, où les chaleurs ne seront plus si fortes. 

Je t'ai parlé de Barbastro dans une autre lettre, et nous 
l'avons quitté de la façon suivante : un chef de bataillon, 
posté à 14 lieues de Saragosse, fut attaqué avant le jour 
paf une poignée d'insurgés ; la peur s'empare de lui, et il se 
sauve avec ce qu'il peut ramasser de son bataillon, laissant 
deux ou trois compagnies à la merci des prétendus ennemis. 
Non content de cette lâcheté, il écrit de suite au général en 
chef qu'il a été chassé par des forces considérables, qu'il a 
perdu une partie de son bataillon, qui ne s'est rendu qu'après 
un combat terrible. Qu'arriva-t-il? c'est que lesdites compa- 
gnies, plus braves que leur chef, voulurent attendre d'être at- 
taquées sérieusement avant de se retirer ; le jour vint, elles 
virent la faiblesse des attaquants, sortirent du village, les 
chassèrent et conservèrent la position. Mais le général, avant 
de savoir cette circonstance, expédia des ordres à toutes les 
troupes pour se concentrer au plus vite sur la capitale. Voilà 
pourquoi j'ai quitté l'agréable Barbastro. 

On croit que le chef de bataillon sera destitué. Adieu... 

Ton dévoué frère, 

Thomas Bugeaud, 

Capitaine de grenadiers au 116*. 

Depuis le combat de Balahite, le commandant Bu- 
geaud suivit très constamment la fortune du maréchal 
Suchet. Aussi, quelques mois après ces derniers en- 
gagements, le retrouvons-nous, dans la Catalogne, 
occupé à la guerre de; sièges qui eut lieu dans cette 
province. 



CHAPITRE VIII. 



Siège de Lérida (1810). — Attitude des Espagnoles vis-à-Tis de leurs Tainquenn, 
— Combats de Tivisa. — Thomas Bugeaud désespère de son ayancement. — 
Immoralité des troupes françaises. — Aspirations au retour. — Le 9^ léger. — 
Béticences patriotiques en songeant à l'armée de nord de l'Espagne. — Dé- 
part de l'Espagne. 



Une fois encore, nous laisserons le spectateur du 
siège de Lérida raconter lui-même comment cette 
place forte perdit sa vieille réputation d'imprenable. 

A mademoiselle Antoinette de la Piconnerie. 

Lérida, le 4 juin 1810. 

Je t'ai écrit, ma chère ToiDy, par mon colonel qui est allé 
en France, mais comme cette lettre pourrait tarder long- 
temps à te parvenir et que je ne veux pas que tu aies occa- 
sion de te plaindre de moi, je veux t'en adresser une autre. 
Tu cesseras, j'espère, de penser que j'ai quelque partialité 
pour Phillis, surtout si tu examines qu'elle m'écrivait plus 
souvent que toi, et qu'il était bien juste que je lui répondisse ; 
la différence d'amitié n'y entre pour rien, et je crois que 
je vous aime toutes également, c'est-à-dire toutes beaucoup. 

Tu abandonnes la politique et la guerre à Phillis : tu ne 
veux que des descriptions historiques, ne serais-tu pas bien 
aise cependant d'avoir un aperçu du siège et de l'assaut de 



CHAPITRE VIII. 125 

Lérida? Après quoi je te parlerai de l'efifet qu'a produit 
sur les belles, comme sur les laides, notre vigoureuse at- 
taque. 

La tranchée fut ouverte tout près de la place, avec cette 
audace qui caractérise l'armée française. Les travaux se con- 
tinuaient avec ardeur, quand on apprit qu'une armée venait 
au secours de l'ennemi. Rien ne fut suspendu pour cela, 
on se contenta de détacher la cavalerie et quelques bataillons 
pour combattre 12,000 hommes des meilleures troupes 
d'Espagne. Le combat eut lieu en vue même de la ville, qui 
voulut faire diversion par une sortie de 2,000 hommes. La 
victoire se déclara de suite en notre faveur : une charge 
brillante du 13® cuirassiers et du 4® hussards décida seule 
cette affaire à jamais glorieuse pour notre cavalerie. Les 
rangs ennemis furent enfoncés d'une manière terrible , son 
infanterie sabrée et désunie fut obligée de mettre bas les 
armes, et pas un homme de la 1^ division, composée de 
7,000 combattants, ne put s'échapper ; la cavalerie ne dut 
sa conservation qu'à une prompte retraite ; la garnison ne 
fut guère plus heureuse, on la repoussa , la baïonnette aux 
reins, jusqu'auprès de ses portes. 

Peu de jours après, les batteries furent établies et tirèrent 
sur la place ; elles ne furent pas très heureuses ; le feu du 
ch&teau les écrasa et au bout de trois heures elles furent 
éteintes, et il fallut en construire d'autres. Le mauvais 
temps nous contraria. Cependant, cinq jours après , qua- 
rante pièces se trouvèrent en position et ouvrirent deux 
larges brèches. 

L'ennemi devait craindre l'assaut pour ce jour-là ; on le 
trompa en attaquant des redoutes formidables qu'il avait 
sur un autre point et qui furent prises avec beaucoup de va- 
leur. Le lendemain, l'assaut de la place fut ordonné ; dix 



126 LE MARIÈCHAL BUGEAUD. 

compagnies d'élite ^ dont la mienne faisait partie, farent 
commandées et réanies dans les tranchées les plus proches 
des brèches. 

Environ à six heures du soir, au signal donné, qui le 
fut par quatre bombes, on s'élança avec la rapidité de l'é- 
clair. Les murs sont escaladés ; on pénètre dans les ouvrages ; 
plusieurs barricades sont brisées, nos ennemis en foule expi- 
rent sous nos coups. Une porte qui devait nous ouvrir l'en- 
trée des quais nous arrête un instant; là, plusieurs de nos 
braves sont tués à bout portant. Enfin la porte est brisée ; 
nous entrons en foule, à l'envi l'un de l'autre. Chacun vou- 
drait porteries premiers coups, rien ne saurait nous arrêter : 
les baïonnettes, les balles, les lances ne peuvent suspendre 
notre ardeur. J'ai le bonheur de percer la foule avec ma 
compagnie, j'arrive le premier à un poste fortifié et je coupe 
un gros d'ennemis que nous passons au fil de l'épée et de la 
baïonnette ; les redoutes, les canons, la ville, tout tombe en 
notre pouvoir. L'Espagnol épouvanté se sauve dans le fort 
et y porte la terreur ; une foule d'habitants s'y réfugie aussi. 
Les soldats, avides de pillage, se répandent dans les mai- 
sons ; le carnagiî cesse et fait place à des scènes d'un 
tout autre genre : partout on voit les vainqueurs dans 
les bras des vaincues. Carmélites, sœurs grises, vieilles, 
jeunes nonnettcs, toutes éprouvent les transports de nos 
grenadiers, et plusieurs s'écriaient, dit-on : « Ohl si nous 
avions su que ce n'était que cela, nous n'aurions pas eu 
aussi peur! » 

Le lendemain de cette journée terrible, les forts, épouvan- 
tés, demandèrent à capituler ; c'est ainsi que nous nous 
sommes rendus maîtres en peu de temps d'une ville for- 
midable, qui vit échouer le grand Condé au pied de ses 
murs, et que le duc d'Orléans ne prit en 1707 qu'après 



CHAPITRE VIII. 127 

trente-trois jours de tranchée. Mais le plus bel avantage de 
notre victoire, c'est d'avoir disposé en notre faveur l'esprit 
de toutes les femmes. Elles ne respiraient que vengeance 
et qu'horreur ; aujourd'hui elles sont devenues si douces et 
si humaines, qu'il n'est plus besoin d'assaut. Pour la forme 
elles exigent les honneurs de la guerre, qu'on leur accorde 
toujours. Nous sommes pour quelques jours à Lérida; on 
parle déjà du siège de Valence et de Tortose. C'est toujours à 
recommencer! 

Ton frère, 

Thomas Bugeaud. 

Le temps marche, le roi Joseph a déjà perdu, puis 
recouvré sa capitale, où il n'a marqué son autorité que 
par des actes de clémence, usant en vain du plus 
noble attribut que laissent encore aux chefs d'État les 
constitutions du siècle. Dans les différentes provinces 
de la Péninsule, l'œuvre de conquête n'aboutit tou- 
jours qu'à de stériles victoires. La Catalogne est divi- 
sée en départements organisés sur le modèle de ceux 
de France ; mais les villes fortes , les montagnes , les 
villages isolés, tout ce que protège contre nos armes 
l'art, la nature ou la solitude, résistent encore aux en- 
vahisseurs et abritent les soldats de l'indépendance. 
Les adversaires héroïques et patients des Maures se 
sont réveillés au son des batteries de Saragosse, et 
chaque jour des succès partiels soutiennent cette ar- 
deur guerrière qui leur permet d'espérer une vic- 
toire définitive. 



LE HABBCH&L BUGEAll). 



A mademoiselle Phillis de la Piconnerie. 

Au bivouac da Tiiisn (CatAlogns). k 8 lienca d« Torto««, 
nu la rive gauche de l'Èbre. Juillet 1810. 

Je suis affligé de ne pas recevoir de tea nourelleB, ma 
chère PUillis, mais je ne t'accuse pas. Il y a tant de courriers 
interceptés, que je crains fort on que mes lettres ne te soient 
pas parvenueB ou que tea réponses soieut tombées entre les 
mains de quelque partisan espagnol qui aura fait bien pea 
de cas d'une chose qui m'est si chère. Si ces messieurs vou- 
laient se réconcilii^r avec moi, ils m'enverraient ta correspon- 
dance. Je me répondrais h, leur faire des prisonniers; mais 
comme ils n'ont pas en cette galanterie, je K^nr déclare 
guerre & mort, et tontes les fois qu'il en tombera sous ma 
main, je les enverrai chez Pluton pour leur apprendre à vivre. 

Je t'ai dit dans mes lettres ]»récédent«s que tu pouvais 
disposer h ton gré de mon petit revenn, sans avoir besoin de 
me coDSalter. 

Je t'ai rendu compte du siège de Lérida ; je t'ai dit que je 
m'y étais acquis quelque réputation. Si j'avais eu la moindre 
protection, j'aurais été fait lieutenant-colonel. Mon colonel a 
demandé ce grade ponr moi, et Pascal m'a assuré avoir vn 
cette demande dans l'état qu'envoya le général de division an 
comte Snchet. J'ignore si elle sera parvenue an gouveruo- 
ment. Je ne suis cependant pas sans quelques espérances, 
et deux combats consécutifs, que nous venons d'avoir & Ttvisa, 
les ont renouvelées. Le 116* régiment s'est acquis beaucoup 
d'honnenr. Je te raconterai cela en sou lieu. Je vais com- 
mencer par te mettre an fait de nos o])érations primitives. 

Le 3* corps s'est mis en marche par les deux rives de l'Èbre 
pour se porter sur Tortosa, afin d'en faire b' siège. Ce mon- 
vemest paraissait être combiné avec le maréchal Mac-Donald, 



CHAPITRE VIII. 129 

qni commande en Catalogne : mais il parait que le délabre- 
ment dans lequel était cette armée, et le défaut de magasins 
dans un pays ruiné, l'ont empêché de se mettre en campagne 
aussitôt que nous. Malgré ce contretemps, le général Suchet 
établit son quartier général à Nora, forma le blocus de la tête 
de pont de Tortosa, qui est sur la rive droite, et poussa notre 
division sur la rive gauche, à deux lieues de la place. Il éta- 
blit deux ponts volants pour communiquer, l'un à Tibinys, 
l'autre devant Mora. Où a eu soin de les couvrir par des ou- 
vrages de campagne. Cependant l'armée espagnole, n'étant 
pas attaquée du côté de Taragone , porta toute son attention 
sur nous. Le général Odonilla fait une proclamation, dans la- 
quelle il engage tous les habitants à se réunir à l'armée pour 
nous précipiter dans l'Èbre. Il indique pour point de réunion 
Falcet et Tivisa, d'où il lui était facile d'empêcher nos com- 
munications ainsi que la navigation de l'Èbre. En efiet, trois 
mille Espagnols et quelques centaines de paysans vinrent oc- 
cuper Tivisa. Un pareil nombre se rendit à l'autre point, qui 
n'est qu'à quatre lieues de distance. 

Le général Suchet, instruit de cela, commanda le 115® et 
le 116® en partie pour attaquer ceux de Tivisa. Le combat 
ne fut pas sanglant ; l'ennemi lâcha pied au premier abord , 
laissant en notre pouvoir on très petit nombre de prisonniers 
et quelques munitions. 

Nous restâmes dans cette position au nombre de sept cents; 
le 115® retourna à Mora. 

Le 16 juillet, nous avons été attaqués par six mille hom- 
mes, commandés par trois généraux. Nos forces étant dis- 
persées sur divers mamelons qu'il était important de garder, 
il ne fut pas très difficile de nous en chasser. Cependant nous 
ne lui cédâmes que pied à pied et lorsqu'étant attaqués par 
des forces très supérieures^ nous pouvions craindre d'être en- 

T. I. 9 



130 LE MARÉCHAL BUGEAUD. 

veloppés. Nons fîmes plusieurs charges brillantes, mais enfin 
il fallut céder au nombre. On nous enleva successivement 
toutes nos positions , et nous nous vîmes forcés de nous retirer 
sur la route de Mora. Je fus chargé de protéger la retraite, 
dans laquelle j'ai perdu dix-neuf hommes; mais, ayant ar- 
rêté l'ennemi dans plusieurs postes, je l'ai empêché de tirer 
avantage du'désordre qui régnait dans la colonne, sur laquelle 
il n'eût pas manqué de faire un bon nombre de prisonniers. 
Le général Abbé reforma la colonne sur un plateau cou- 
vert de vignes et bordé de ravins assez difficiles. L'ennemi 
manœuvrait sur trois colonnes : deux tentaient de déborder 
nos ailes, et la troisième nous attaquait de front Un peu 
d'audace, jointe à une ruse de guerre assez simple, nous tira 
de cet embarras. Kous venions de recevoir trois compagnies 
fraîches ; deux furent placées en tête avec la mienne, la troi- 
sième, dispersée sur les flancs pour écarter les tirailleurs. 
Dans cet ordre, nous résolûmes de charger à la baïonnette 
la colonne du centre, jugeant avec raison que les ravins em- 
pêcheraient pour quelque temps les autres de preùdre part à 
l'action. Nous avions combattu toute la journée en shakos 
de toile blanche; nous les 6tames,et, cette mesure prise, 
nous fondîmes sur la colonne avec la plus grande vivacité. 
Etonnée de notre audace et croyant par ce changement de 
décoration qu'il nous était arrivé un renfort considérable, 
elle ne fit qu'une décharge et fut mise dans la plus affreuse 
déroute. Sans leur donner le temps de se rallier, nous les pour- 
suivîmes , la baïonnette aux reins , jusqu'au ^ned d'une grande 
montagne où elle se dispersa, laissant en notre pouvoir ses 
blessés et grand nombre de prisonniers. Le reste, épouvanté 
par la défaite du centre, se sauva dans les montagnes. Nous 
les poursuivîmes jusqu'à la nuit, en leur tuant et blessant 
beaucoup de mond(». 



CHAPITRE Vin. 131 

Ce combat est une preuve bien sensible que ce n'est pas 
toujours le nombre qui décide de la victoire. Une troupe in- 
férieure à son ennemi, mais composée de braves gens et 
maniée par un homme habile, ne doit douter de rien. Elle 
peut avoir un échec momentané, mais sa constance et son 
obstination fourniront à son chef les moyens de saisir une oc- 
casion heureuse et de réparer tout dans un instant. 

Cette petite victoire n'a servi qu'à prouver notre supério- 
rité, puisque avec mille hommes au plus nous en avons battu 
six mille; mais les résultats ne sont pas assez considérables 
pour que l'ennemi abandonne ses projets. Il se renforce à 
Falcet ; nous, à Tivisa. Sous peu de jours, il y aura une ba- 
taille. Le succès n'est point douteux, ils seront battus; mais 
je doute que l'action soit décisive, à cause de la difficulté du 
terrain, qui ne permet pas à notre cavalerie de manœuvrer, et 
qui offre à l'armée battue mille moyens de s'échapper. 

Nous avons perdu dans l'aflfaire du 16 un chef de bataillon 
(nous en avions un à la suite qui Ta remplacé), trois lieute- 
nants et sous-lieutenants, vingt-deux soldats ou sergents, et 
quarante-huit blessés. Perte très légère pour un combat aussi 
sérieux, où il y a eu plusieurs engagements à la baïonnette. 

Je crois pouvoir t'annoncer quejesuis membre delà Légion 
d'honneur. Il y a quatorze croix pour mon régiment. La liste 
est faite, et je suis en tête. On l'a envoyée à la chancellerie, et 
nous attendons nos brevets de jour en jour. Quant à la lieu- 
tenance-colonel, ce n'est pas aussi certain ; cependant, comme 
je te l'ai déjà dit, il y a encore de l'espoir. Après l'affidre du 
16, le général Abbé me dit : « Jeune homme, je crois pou- 
voir vous promettre qu'avant la fin de l'année vous serez 
chef de bataillon. i> 

Je te parle avec un peu d'immodestie de ces choses flatteuses 
pour un jeune homme qui suit la carrière des armes ; mais 



132 LE SUBÉCHAJ. BUGEAUD. 

j'espère qne cela ne sortira pns de la famille, et qae tu me 
jugera!) assez bien pour penser que c'est la gronde confiance 
qne j'ai ea toi qui fait que je m'épanche ainsi. 

Écris-moi deux fois pour une et répète-moi les mômus 
choses, car jamais les routes n'ont été aussi peu sûres. A me- 
sure que nous avançons dans nos conquêtes, les briganda se 
multiplient snr nos derrières. Il faot qu'il n'y ait plus d'ar- 
mée pour nons occuper d'eux. 

BCGEAUD. 

Qui pouvait alors prévoir que l'année 1813, qui ve- 
nait de commencer, verrait disparaître la grande 
armée dans les neiges de la Russie, tandis qu'en 
Espagne chaque jour amenait la prise d'une forte- 
resse ou la destruction d'une ijuerilla. Ci.'pendant cette 
guerre acharnée n'était pas sur le point de finir. 

Le maréchal Suchet, le plus remarquable organisa- 
teur de la conquête de la Péninsule, s'emparait de la 
ville de Valence et recevait le titre de duc. 

^1 mademoiselle Toimjde la Piconnerie. 

Ail ctinijidi'iiiia Valence, I"iimïiet 181S. 
Ai-je liesoin de te dire que je te souhaite la bonne an- 
née? Non, sans doute, car tu sais mieux que personne qne, 
quand onaime bien, oD désire pour l'objet aimé tontes leH pros- 
pérités imaginables. Je m'abstiendrai donc des compliments 
d'usage ;maisje voudrais bien, liélasl vous envoyer des étrcn- 
nes. Je pourrais vous donner des oranges, des chonx-fiears, 
des petits pois, des artichauts, des asperges et des fraises. 
Oui, ma chère, nous jouissons de tous les agréments du prin- 
temps, au moins pour lu température ; car l'amour, que cette 



2 



CHAPITRE vni. 133 

belle saison amène toujours sur l'aile des zéphyrS; n'a point 
osé s'approcher de nous; effrayé par le bronze terrible, il a 
remis sa visite à un autre temps et s'est enfui avec les beau- 
tés de Valence. 

Ce n'est pas qu'il n'y ait eu une multitude de scènes que 
nos brutes prennent pour de l'amour, mais que les hommes dé- 
licats prennent pour de la barbarie et de la bestialité. Une 
grande partie de la population de cette belle plaine s'était ré- 
fugiée à notre approche dans un marais sur le bord de la mer, 
nommé VAlbu/éra. Là, les soldats allaient chercher des fem- 
mes comme on prend des poules au marché. Les maris , ar- 
més de fusil de chasse, cherchaient en vain & les défendre 
et, par leur résistance , multipliaient ces scènes d'horreur. 
On vient de faire cesser ces désordres. Des parlementaires 
ont été envoyés à ces malheureux fugitifs pour les engager 
à rentrer dans leurs maisons. J'ai envoyé quelques soldats 
avec un paysan pour chercher les maîtres de la maison que 
j'occupe. 

Le hasard les a fait rencontrer, et je me trouve avoir une 
nombreuse famille qu'il faut que je nourrisse, car elle n'a 
rien. Tout ce qu'elle avait laissé ou emporté lui a été pris par 
les soldats. 

Nous passâmes le Gualdalaviar le 26, et, après un com- 
bat assez vif, la ville fut investie de fort prés. Le général en 
chef Blake, président de la junte insurrectionnelle, est de- 
dans avec 15,000 hommes. Le reste de ses troupes s'est sauvé 
à Alicante. Notre armée est superbe, pleine de confiance et 
jouissant d'un excellent esprit; celle des Espagnols, au con- 
traire, est entièrement découragée par ses nombreuses dé- 
faites et sera bientôt dénuée de tout. Cette différence de situa- 
tion ne peut manquer d'amener très promptement la chute 
de Valence et la conquête du royaume de ce nom. 



134 



LE UÂR^CHAL BUCEAUD. 



Nous avons ouvert la tranchée la nnit passée, tont va s 
()érienrement- 
Adieu, etc. 

BuilEAl'P. 



Parmi les lettres de Thomas Bugeaud à sa famille, 
lettres dont cous devons la précieuse communication 
à M. Robert Gasson-Bugeaudd'Isly, possesseur de tous 
les papiers de son grand-p^re, noua en avons trouvé 
une, datée de Barcelone et adressée à un vieux servi- 
teur de la famille de la Piconnerie. Nous la publions, 
et jugeons inutile de faire remarquer sa touchante 
simplicité et les sentiments exquis qu'elle renferme. 

A if. Pierre Lionnet, à Bordeaux. 

BiLTudone, le 3 «eptvmbrD taiî. 

J'ai reçu votre lettre et vos félicitations avec plaisir, je 
doisdirc même qoe j'ai été flatté qa'im bon et vieux servit«nr, 
comme vous, ait conservé le souvenir d'nn homme qu'il a'a 
connu qne très enfant ; c'est plus que lesouvenîr, c'est de l'iu- 
térétet de l'affection. Je vous assure que j'y suis très sensible. 
Je me suis rappelé bien souvent notre estimable Lionnet, et 
j'ai toujours cru qu'il était heureux, parce que je Ini conuais 
les qualités nécessaires pour s'attirer l'amitié des maître* 
qu'il sert. J'ignore pourquoi il a quitté la maison Lajudie, 
mais ja présume qu'il n*y a pas de sa faute et qu'une autre 
place l'aura dédommagé de cette pert*'. Si je me trompais, 
mon cher Lionnet, adrc^isez-vous & M"" Phillis, elfe a daa 
fonds & moi et vous fera passer quelques seconrs ; il suffit 
que VOUE préseutiez ma lettre, usez-en sans fa^xina et sans 
scrupules. 



CHAPITRE Vin. 135 

n est vrai, mon cher Lionnet, que j'ai prospéré dans la car- 
rière des armes; il m'a fallu plus de peine et de dévoue- 
ment qu'à un autre. J'étais sans protection et sans cette édu- 
cation brillante qui promet de grands succès, j'ai acquis le 
grade que j'ai par beaucoup de travaux, de dangers et de pri- 
vations. Je me porte bien , et me sens encore dans le cas 
de faire quinze campagnes, si elles sont nécessaires au 
salut de notre patrie , ce qui ne peut être. 

Nos affaires en Espagne ont un peu déchu , mais j'espère 
que nous les remonterons dans la campagne prochaine. 

Adieu, mon cher Lionnet, portez-vous bien et croyez à 

mon attachement pour vous. 

Thomas Bugeaud. 

A madame de Puyssegenez (PAillis de la Piconnerie), 

GranoUers, 1818. 

Ma chère Phillis, 

J'ai tardé à t'écrire, parce que je voulais te dire quelque 
chose de positif sur mon sort. La fortune est avec moi fort 
capricieuse, elle me sert au combat, partout ailleurs elle 
m'abandonne. Tu sais que j'avais l'espérance la mieux fon- 
dée d'être nommé colonel. Eh bien, le ministre m'a envoyé 
un brevet de major pour l'armée de réserve à Montpellier. 
M. le maréchal Suchet en a été très mortifié. Il m'a traité 
avec la plus grande bonté, a changé ma destination en me 
donnant le commandement du 14® de ligne, et a écrit de nou- 
veau pour presser le ministre de me nommer colonel de ce 
régiment ou de tout autre. Voilà ma situation. Dorénavant 
tu m'adresseras : « Major commandant le 14® de ligne, 1"^ di- 
vision de l'armée d'Aragon et de Catalogne. 

Je vais rejoindre mon régiment, qui est à Girone. 



136 LE M.UIÉCHAL BUGEAUD. 

Le 16, j'ai été attaqué, à Saint- Vincent, par 9 bataillons, 
800 chevaux et 4 bouches à feu. La partie était inégale, il 
fallait se retirer, après avoir contenu l'ennemi assez longtemps 
pour que les troupes de Barcelone puissent arriver à la po- 
sition fortifiée d'Esplugas. A l'aide de quelques petits retran- 
chements, je me suis soutenu deux heures sur la rive droite, 
et j'ai tué ou blessé 300 hommes à l'ennemi. Ma perte a été 
de 70 hommes blessés et 7 tués. Un cheval que m'amenait 
mon domestique a été tué. J'y tenais beaucoup, c'était un 
andalous que j'avais depuis trois ans. 

M. le maréchal m'a donné des éloges sur ma défense du 
Bobrégal. Cela vaut mieux que rien. L'ennemi n'avait d'autre 
projet que d'enlever les garnisons de Saint- Vincent et Molins- 
del-Rey. Son but manqué, il s'est retiré, et nous avons repris 
nos positions que nous avons gardées jusqu'au 19. J'apprends 
qu'on a rapproché les avant-postes de Barcelone. 

Je crois t'avoir dit que, sur l'envoi d'argent dans lequel se 
trouvaient mes 7,000 francs, on avait volé près de Toulouse 
une caisse de 10,000 fr. On plaide avec le roulage, mais je 
crois que nous perdrons. J'en serai pour 1,800 francs. Notre 
solde est arriérée de cinq mois. Je commence à avoir peu 
d'argent. 

Je crois que l'armée du maréchal Soult va bien, et qu'il 
n'est pas à craindre que les Anglais pénètrent plus avant. 

Amitiés à tous. 

Ton dévoué frère, Thomas Bugeaud. 

P. S. Il est passé en Catalogne un personnage important 
qui, dit-on, va proposer la paix aux cortès. Je regarde cette 
négociation comme très difficile. 

(Envoie ma lettre à Toiny et à Hélène.) 



CHAPITRE vni. 137 

A madame de Puyssegenez ÇPkillis de la Piconneiie). 

Saint- Vincent (près Barcelone), 22 décembre 1813. 

Ma chère Phillis, tu verras peut-être, dans la gazette, 
que, le 10 de ce mois, j'ai enlevé un piquet de trente-cinq 
chevaux et un officier. J'ai reçu de Son Exe. le maréchal des 
compliments flatteurs. C'est tout ce que j'en reçois depuis 
trois ans. L'envie qu'il a eue de me conserver dans son corps 
d'armée me fait bien du tort. Je serais colonel aujourd'hui , 
si j'avais été major il y a un an, comme je pouvais l'être et 
comme Son Excellence ne voulut pas, sous prétexte qu'elle 
me réservait un régiment de son armée. 

Un petit domestique espagnol m'a volé près de 800 pié- 
cettes en or d'Espagne ; en revanche, j'ai eu sur la prise deux 
beaux chevaux qui valent 80 louis, et qui m'ont coûté une 
petite somme que j'ai mise à la masse pour les soldats qui se 
trouvaient à l'expédition. Chacun d'eux a eu 66 fr. Cette ca- 
valerie est très bien montée. 

Une lettre de Mont-de- Marsan m'annonce une victoire 
remportée sur les Anglo-Espagnols devant Bayonne. La ma- 
nœuvre du maréchal Soult, si elle est telle qu'on le dit, est 
belle, savante et hardie. 

Ah ! ma chère Phillis, quand nous reverrons-nous ? Quand 
cesserons-nous de tourmenter le monde? Ah! sans le pa- 
triotisme, que je serais las du premier de tous les métiers! 
Tu me trouveras vieilli, je commence à grisonner; ne dis pas 
cela aux belles du pays, elles se prévaudraient, et j'espère 
qu'avec un peu de toilette je cacherai en partie les ravagea 
du temps. 

Ton dévoué frère, 

BUGEAUD. 



138 LE MAKécHAL BITOEAïSi. 

Quoique le duc d'Albiiféra fût parvenu ii établir un 1 
semblant d'organisation dans le royaume de Valence, I 
d'ofi le roi Joseph reçut parfois quelques secours, ill 
n'en fallut pas moins combattre quotidiennement lesl 
petites bandes armées qui interceptaient toutes nos 
communications et tiraient un nouveau secours de 
l'appui des Anglais. L'insurrection espagnole va enHn J 
triompher. Mais avant de quitter ce pays, auquel l'at- 1 
tachent cinq années de luttes et de fatigues, l'ancien ' 
vélite d'Austerlitz remporte, k Ordal et au Bobrégal, 
ses premières victoires et obtient l'épaulette de major 
(lieutenant-colonel ) ( 1 ). 

A madame de Saint- Germain {Antoinette de la Ptconnerie), \ 

BûdI- Vincent (prùa Bnrcetone), le 32 décembre 1813. 

Ma chère Toiny, tn ne m'écris plna : penses-tu que je ii'aî 
plus de plaisir h. recevoir tes lettres ? Tu te tromperais fort. 

(1) Dsni Ica M.-<amm du marèchitl Sueliel, co livre admirable écrit, en I8M, I 
par letoldat laî-mSiiie, îl eat eouvent i|iiestioD da chef du bataillon B 
Ht preiiTD, ea iilusiears occaiiooa. " de capacité et d'intrépïditj », : 
au combat d'Ordal. Il eit intérEssant de roprodaice ce récit, en vrâci nn c 
trsit : • Un peloton de Bopenn marchaot arec notre avant-Baida aniva dM 
pcemlen i la redoute arec Ub roltigeura. L'ennemi fit une récinance cil>tiiift>m 
et noua en cbiusa déni fois. Une Bocande tcdonte. placée très hant st tria 
pr^ éornuit da aa: (eux lea aiaalU>nt« dès qu'ils j avaient péndtié. Le génftal 
Meaclop, l'épée à lamaiD, le» Tnmena en faisant battre la charge ; le oluf d« 
bataillon FfucIiAth tôt blcasA , et pliuicun braTci périrent dan* la mllte. I* 
redoute IHU enfin en notro ponroir : presque tona *es défeoaeun funnt 
tués. Aussitôt le Duréohal Sachet fitavaDoer la diriiion Habert k pnche fut 
la rentes et La rtaerre du général E^iiispe n porta derrière la brigade Meaclop. 
Le batailloa dn 1I6<), qoe canduluit Is «•ntmantlfin/ Bagraud , fit nn moOT*- 
menl pour tourner par U gHiiche les secondes redoutes ; elles furent en n£DM 
temps aitoqaéfa de rront, aliiaiqne lea retiAnehementa qui en appajatent loi 
Bsni» snr la crâte de la motitagiiB. Ton', fui emporté afec Impétaoaitd ; 
l'ennemi , Uiuuit beaucoup de morts et de blcasés . se mit en ntmlle , oentv 
par sa caialvrie. ■ I^Himairt* du atarrcM Sachrt.) 



CHAPITRE VIII. 139 

Je t'aime et , par conséquent, aime à recevoir de tes nouvelles. 
J'écris peu, j'en conviens ; mais tu écris encore moins, bien 
que tu puisses le faire plus aisément que moi. Tous les jours 
j'ai cinq ou six lettres à écrire, sans compter beaucoup d'au- 
tres écritures. J'ai en outre de grandes occupations, et ce 
sera bien pis lorsque je serai colonel. Alors tu me devras 
trois lettres pour une. Entends-tu bien? 

Je t'ai donné, il y a quelque temps, de mes nouvelles par 
les gazettes. Il est possible que tu y voies encore que, le 
10 décembre, j'ai enlevé un piquet anglais de trente-cinq 
chevaux et un officier. Ils ont eu beau dire God-dam! il a 
fallu capituler. 

Je me porte bien, mais j'ai l'esprit un peu malade ; cepen- 
dant je ne suis pas amoureux. 

■ 

Il y a une fatalité bien singulière contre mon avancement. 
J'ai souvent l'occasion de me faire remarquer ; mes chefs di- 
sent tous qu'ils veulent me faire arriver, et je ne reçois jamais 
rien ! Prenons patience et armons-nous de patriotisme. 

Adieu, chère sœur; mille choses à ton mari. 

BUGEAUD, 
Chef de bataillon. 

A madame de Piojssegenez {Phillis de la Piconnerie). 

Girone, 18 février 1814. 

Je t'ai écrit pour t'annoncer que j'ai été nommé major, et que 
S. Exe. m'avait donné le commandement du 14° régiment, 
pour me dédommager, s'ij est possible , de la rigueur du mi- 
nistre. J'ai la certitude que S. Exe. M. le maréchal a fait pour 
moi tout ce qu'il a pu. C'est une lettre du ministre de la 
guerre qui me le prouve. Il est chargé, dit-il, de me témoigner 
la satisfaction de l'Empereur pour ma bonne conduite à Ordal, 
et en toute occasion. Je garde cette lettre dans mes archives. 



Ï40 



LE MARÉCHAL BUGEAUD. 



Je t'euToie la lettre du bon général Harispe, quoiqu'il y 
ait de l'orgueil b, le faire ; elle est en effet estrômement flat- 
tense, mais avec sa sœur on ne doit pas craindre la critique : 
tn verras qu'il faut que je sois très malheureux pour n'être 
pas colonel sous peu. 

J'ai un fort beau régiment que je désire bien conserver. Je 
ne connais pas le 9* léger. Je sais qu'il a une brillante répn- 
tatiou, mais il doit avoir perdu la plus grande partie de ses 
vieux soldats. 

Le tiers de notre année, la moitié de la cavalerie, toute 
l'artillerie légère, ont marché sur Lyon. Nous sommes aor 
Ter, et je pense que bientôt nous serons à la Flueia. Il n'y 
a pas eu de combat depuis celui du 10, L'ordre de l'armée, 
relative à cette affaire, me cite d'nne mauiëre très flatteuse. 
Je forcerai le ministre à me donner de l'avancement ! 

Nos appointements sont diminués d'un cinquième pour 
tont le temps que l'ennemi sera sur le territoire franr^ais. 
On ne nous paie pas ; j'aurai bientôt besoin de demander de 
l'argent. Je suis et je serai longtemps un pauvre diable. On 
ne s'euricliit pas au métier des armes, quaud on le fait hon- 
nêtement et grandcmeut. Sans la hante paye dn royaume 
de Talence, je serais sans le son. Il faut aimer la gloire, 
cor noua n'avons que cela et nous l'achetons bien cher. 
Notre état est des plus illusoires, et cependant on s'y attache 
d'une manière incroyable : c'est au point qu'on a beaucoup 
de peine & redevenir Iwurgeois ; lors même que nos forces 
physiques ne nous permettent plus de servir, nous voulons 
toiyours courir après ce fantôme de gloire et J'iiouneur. C'e«t 
ainsi que Gil-Blas quitta sa jolie campagne de Lîvia poar 
retourner » la cour o(i il avait éjirouvé tons les caprices de 
la fortune. 

J'aime beaaconji la manière dont tu traites le chapitre 



CHAPITRE VIII. 141 

des déchéances; mais je suis fik;hé de ne pouvoir croire à la 
modération des jeunes innocentes et des filles raisonnables. 
Je connais trop votre espèce gentille pour croire à une in- 
dalgence gratuite de sa part. On exigera peu de moi, je le 
crois ; mais le chapitre des dédommagements ? Ah ! je me 
t&te le front... mais remettons-nous , on n'en meurt pas! 

Si pourtant tu peux me trouver un phénomène tel qu'é- 
taient mes quatre sœurs, montre-le-moi de suite, et je vole 
en Périgord pour m'engager sous ses lois. Je promets de 
l'aimer toute ma vie et de la rendre heureuse autant qu'il me 
sera possible. 

Mille amitiés... Thomas Bugeaud, 

Major. 

A madame de Puyssegenez {Phillis de la Piconnerie), 

Moxente, le 29 aTril 1814. 

Ma bonne Phillis, j'ai reçu hier ta lettre du P*" avril. 
Elle est bien bonne, parce qu'elle est bien longue, et je t'en- 
gage à continuer ainsi. Les courriers arrivent assez exacte- 
ment de dix jours en dix jours. 

Il est vrai que le colonel Rouelle est nommé général , et 
il est aussi très vrai que j'avais le plus grand espoir de le 
remplacer dans le régiment du 116®. Il était fondé sur les 
promesses positives du maréchal duc d'Albuféra, et sur le 
désir qu'avaient tous mes chefs et tous mes camarades que 
cela fût. Tout le monde me regardait comme colonel, et les 
ofiSciers m'en faisaient compliment ; mais souvent les choses 
qui nous paraissent les plus assurées nous échappent au mo- 
ment où nous croyons les tenir. La prospérité dans l'état 
militaire dépend beaucoup du hasard et de la fortune. Il ne 
suffit pas de bien jouer, il faut encore être heureux. Jusqu'à 
présent j'ai eu le bonheur de trouver de fréquentes occasions 



142 



LS MARÉCHAL BUGEAtTD. 



de me l'aire reraarqtier. Dernièrement encore, au combat 
Yecla, le 10 avril, le maréchal duc d'Albnféra me dit 
u Monaienr Bngeaud, il y a un mois que j'ai demandé pour 
vous uu régiment, voue venez d'acquérir de nouveanx droits, 
et j'eepère fort que vous aurez le 116'; du moius, je le de- 
manderai juflqn'à ce que je l'aie obtenu. » D'après cela ta 
vois que je poavais espérer : eh bien, ma chère, hier nous 
reçûmes une lettre adressée au conseil d'administration 
du lie, venant de M. Chevalier, major au 11', qui uous 
auuoQce qu'il est nommé colonel du 116". Le général Hom 
en est désolé. 

Mon avancement est donc retardé jasqQ'à oue autre 
constance heureuse. J'ai chargé Hélène de te donner i 
naissance d'une longue lettre, où je lui donne toQS les 
toils sur nos combats des lû, 11, 12 et 13 avril. 

Un de nos compatriotes, 31. Mesclop de Bergerac, vi 
d'être nommé général, il m'est très attaché; je joins 
deux de ses lettres qu'il m'écrivit après de petites expéditions 
oftje fus heureux. 

C'est un malheur qu'on m'ait voulu trop de bien. Sî Von 
eilt demandé pour moi la croix d'officier, on Veut obtenue. Oii 
a demandé le grade de colonel qui est bien préférable, parce 
qu'il conduit à tout, et c'est pour cela qne je n'aurai riou. 

Je crois que le maréchal n'est pas bien arec le ministre 
de la guerre, parce qne dans le principe il ne s'adressail 
qu'an mi^'or général (Berthier). Maintenant que celui-ci 
malade, le duc de Feltre ne s'empresse pas de servir le 
réchal. C'est, hélas ! jl tontes ces petites passions qu'est 
Iwrdonné notre avancement, lorsque Sa Majesté n'est 
ans armées. 

Amitiés b. Patrice et b. tout le monde. 

Thomas Bl'geaud. 




CHAPITRE VIII. 143 

A madame de Puyssegenez {Phillis de la Piconnerie). 

Barcelone, 29 août 1813. 

Je suis à Barcelone, ma chère PhîUis, pour faire diver- 
sion un moment avec la vie des camps et des montagnes. 
Cette ville est belle, elle mérite bien qu'on fasse quelques 
lieues pour la voir. 

J'apprends que, demain, il part un courrier pour France, 
je ne veux pas laisser échapper cette occasion de te dire que 
je me porte bien et que je t'aime toujours. 

Il est probable que nous ne tarderons pas à nous rappro- 
cher de France. La force des circonstances nous y entraîne, 
mais l'ennemi direct ne nous y force pas. On respecte encore 
l'armée d'Aragon. Depuis notre retraite , nous n'avons pas 
tiré un coup de fusil. 

J'ai le cœur navré de tout ce que j'apprends de l'armée 
du nord de l'Espagne. Il est bien malheureux pour nous de 
perdre ainsi le fruit de nos brillants travaux, etc., etc., etc., 
je n'en dis pas davantage... je souffre trop. 

Adieu, je t'embrasse de tout mon cœur. 

BUGEAUD. 

L'Empereur avait pour le maréchal Suchet une es- 
time particulière, et il le considérait a comme un des 
meilleurs généraux français, d d Ce qu'il écrit, disait 
Napoléon, vaut encore mieux que ce qu'il dit, et ce 
qu'il fait vaut mieux que ce qu'il écrit : c'est le con- 
traire de bien d'autres. » — Le commandant des deux 
armées d'Aragon et de Catalogne avait remarqué l'of- 
ficier Bugeaud. Entre le jeune caporal d'Austerlitz, 
futur duc d'Isly, et le maréchal duc d'Albuféra, il y 



eut, dts lors, en quelque sorte comme une mysté- 
rieuap parenté d'honneur, de bonté et de gloire. Napo- 
léon disait que, s'il avait eu deux maréchaux comme 
Suchet en Espagne, non seulement il aurait conquis la 
Péninsule, mais il l'aurait conservée. Son esprit juste, 
conciliant, administratif, son tact militaire et sa bra- 
voure lui avaient fait obtenir des succès inouïs. « Il 
est fâcheux, ajoutait-il, que des souverains ne puis- 
sent improviser des hommes comme ceux-là. » 

Les cinq campagnes que fit, en Espagne, le maré- 
chal Suchet, en qualité de général en chef, resteront 
comme un exemple impérissable de tout ce qu'il faut 
de combinaisons savantes, d'audace, d'habileté, pour 
asseoir la domination d'une armée étrangère au sein 
d'un grand peuple insurgé. 

Ce fut le 1" janvier 1814 que commença l'invasion 
des armées alliées sur toutes les frontières de l'em- 
pire, excepté du côté des Alpes, que le prince Eu- 
gène Beauhamais, vice-roi, couvrait encore à la tôte 
de l'armée d'Italie. Aussitôt que la guerre fut allumée 
au cœur de la France, il fallut songer à abandonner l'oc- 
cupation de l'Espagne, et à évacuor le royaume que 
le traité de Valençay restituait au roi Ferdinand. 

Le 14 janvier, sur l'ordre du ministre de la guerre, 
duc de Feltre, eut lieu, de Barcelone le départ on 
poste de dix mille hommes d'infanterie et des deux 
tiers de la cavalerie de l'armée. C'est sur Lyon qu'étiût 
dirigée cette première colonne, que devaient suivre 
bientôt les derniers restes de notre armée d'occupa- 
tion. 



CHAPITRE VUI. 145 

Le commandant Bugeaud fit partîe de ces derniers 
convois, et quitta TEspagne en même temps que le 
général en chef. Celui-ci avait pour instruction de 
contenir l'ennemi devant lui, soit pour sauver ses 
garnisons, soit pour protéger le territoire français, 
et se mettre en mesure de couvrir pour sa part le 
cœur de l'empire menacé (1). 

(1) Dans les états de service déliyrés au colonel Bugeaud , je trouve, à la 
rubrique : actions d'éclat, blessures^ les mentions suivantes, que je transcris 
tout entières. 

CAMPAGNES D'ESrAGNE. 

A raasaut de Lérida, le 13 mai 1810, les brèches furent franchies avec audace; mais 
les assaillants, arrivés sur le quai, furent arrêtés par le feu vigoureux de six pièces d'ar- 
tillerie légère et beaucoup de moosqueterie. Le capitaine de grenadiers Bugeaud , h la tête 
de sa compagnie, se précipita sur les canons, qui furent encloués ; il tua lui-même en cette 
occasion plusieurs soldats et canoniiiers. 

Le 16 juillet 1810, au combat de Tivisa, on conféra au capitaine de grenadiers Bu- 
geaud le soin de soutenir la retraite, ce qu'il fit avec le plu 3 grand sang* froid et le plus 
grand courage, et il fut le premier à reprendre Toflensive qui décida du sort du combat. 

Au siège de Tortase, Tennemi fit une sortie générale le 28 décembre 1810; le capitaine 
Bugeaud, avec sa compag{iie, coupa quatre à cinq cents hommes, en baXonnetta un bon 
nombre , en prit quelques-uns , et poursuivit le reste jusque sur le glacis. Cette action lui 
valut d'être honorablement cité à l'ordre de l'armée. 

Pendant le siège de Tarragone^ le 11 mai 1811, le chef de bataillon Bugeaud fut en- 
voyé avec sept compagnies pour délivrer les garnisons à^Amposta et de la RapitOy atta- 
quées par quatre bataillons et 300 chevaux ; au i)oint du jour, il tombe sur le flanc de 
l'ennemi , le bat complètement , délivre ces deux garnisons , prend cinq bouches à feu , ser- 
vies par des artilleurs anglais, cent cinquante hommes et un colonel. 

Le 1*' novembre, en arrivant à Barroeca, pour renforcer le général Mazzuchelli, avec 
six compagnies du 4* italien , il aperçut la bande de Dnran , composée de deux mille 
dnq cents fantassins et trois cents chevaux , qui était À la poursuite de quelques compa- 
gnies du 1*' régiment italien; il attaqua cet ennemi en flanc, lui fit lâcher prise, le 
chassa de plusieurs fortes positions et le força A la retraite, laissant un bon nombre de 
morts et de blessés. Le 8, il fut détaché pour aller an secours d'^/mtmto, et, le 4, il fut 
attaqué par toutes les bandes réunies au nombre de six mille fftn**«»^n» et de huit cents 
chevaux ; il fut toujours enveloppé ijendant la retraite qu'il fit d'Almunia à la Jluela ; il 
rompit toujours l'ennemi qui se plaça sur sa route, repoussa plusieurs charges de cava- 
lerie, et arriva à Saragotse avec les trois quarts de son monde, y compris ses blessés, qu'il 
emporta presque tous. 

Le 20 novembre, il fut détaché \yax M. le général Mnsnier contre la bande de Campillo ; 
le 28, à minuit, il surprit la cavalerie de ce chef, tua une vingtaine d'hommes, prit 
trente-<leux chevaux, douze soldats et l'officier commandant; U marcha de suite sur l'in- 
fanterie, espérant la surprendre; il ne put la joindre qu'au point du jour; il tomba 
dessus avec rapidité, tua plusieurs officiers, une centaine d'hommes et dispersa le 
reste. 
Le 1*' septembre 1812, il fut détaché avec qiiatre compagnies et qiiatre-vingts che- 

T. I. 10 



146 LE MARÉCHAL BUGEAUD. 

▼aux ]iour dt'-tniirc, dans la vollùc do Concenteyna, un rosiomblement de gnérfllas; n In 
attaqua au iwint du jour et les dispersa; à son retour, oos brigands, rénnii à uu grand 
nonibro de paysans . attaquèrent ses flancs ; imr une faite simulée , il les attira dans on 
terrain facile où il en tua trois cents. 

Le 26 décembre 1812, il fat chargé de surprendre la garnison d*Ibl, composée de trois 
oomiiagidcâ et quarante chevaux. Un de ses détachements donna trop tût l'alarme à Feu- 
nenii, cependant il prit deux cent seize hommes , quatorze cheyaax, un capitaine ci un 
lieutenant des dragons d'Àlnmnza. 

Au combat d'Ordaly le 13 M*ptcmbrc 1813, il détermina ronlèvcment des redoutes et de 
la ]x»ition jinr une attaque vigoureuse sur le flanc droit de l'ennemi, ce qu'il fit aveo 
quatre comimgnies de son butuillon. 

Le 13 iléccmbrc 1813, une embuscade, qu'il pla';a près du col d'Orlal, enleva treute- 
dnq chevaux anglais et un officier. 

CAMPAGNE DE FRANCE. 

Le 14 juin 1816. il fut chargé de l'attaque de gauche sur la ligue ])iémontiùse ; il s'em. 
luira de Con/lams (Savoie), battit les chcufi-urs Robert et le rrgimtnt df Piémont; il fit 
deux cents prisonniers et tua ou blessa cinq à six ccnto hommes. — Le 23, il enleva une 
Oomi>agnic ii Muntiers. — Le 28. il fut attaqué par sept mille PiémontaU et Autridiieiu 
aux onircs du maréchal Trenck ; il reprit trois fuis , à la tête de ses grenadiers, le bourg 
de l'Hôpital , et culbuta dans la rivière une colonne de deux mille hommes , qui voulait le 
tourner : aprî-s 8e])t heures de combat , il resta maître du terrain ; il tua et bleasft dans 
cette afl!airc douze cents hommes et fit cinq cents prisonidcrs. Sa force oonsiatait en 
quinze cents hommes et (luoninte chevaux. 



CHAPITRE IX. 



1814. — Proclamation de Napoléon I*»". — Sa déchéance. — Thomas Bugeaud 
est nommé colonel et envoyé à Orléans. — Une chanson légitimiste du co- 
lonel Bugeaud. — Attitude du colonel Bugeaud pendant la période des Cent- 
jours. — Le colonel Bugeaud apprécié par M. le comte de Chambord. 



Ce fut un jour lugubre en France que le 1"^ janvier 
de Tannée 1814. Les armées coalisées enserraient nos 
frontières ; sur tous les points les villes et le territoire 
étaient envahis; enfin, une lutte sanglante, acharnée, 
s'engageait autour de la capitale. Durant la courte 
campagne de France, où furent déployées toutes les 
ressources d'un merveilleux génie, l'espoir n'aban- 
donna Napoléon P' qu'au dernier moment, lorsqu'il 
comprit que tout lui échappait. La victoire à la fin 
était lasse de le suivre, l'armée épuisée, à bout de 
forces, les maréchaux gorgés, à bout de dévouement. 

Dans la soirée du 3 décembre, l'Empereur quitta 
le quartier général et survint à Paris pour recevoir, 
comme jadis aux temps prospères, les grands corps 
de l'Etat assemblés aux Tuileries. Piteuse et navrante 
comédie ! 

Aux compliments embarrassés du Sénat, la réponse 
du souverain fut nette, significative, c: Le Béarn, 



rAUace, la Franclie-Comt^-, le Brabant, sont entamés y 
dit-i!. Les .cris de cette partie de ma famille me dé- 
cliirent l'âme. J'appelle les Français au secours de« 
Français; j'appelle les Français de Paris, de la Breta- 
gne, de la Normandie, de la Champagne, de la Bour- 
gogne et dos autres départements au secours de leurs 
frères. Les abandonnerons-nous dans le malheur? Paix 
et délivrance de notre territoire doit être notre signe 
de ralliement. A l'aspoct de tout ce peuple en armes, 
l'étranger fuira ou signera la paix sur les bases qu'il 
a lui-même proposées. Il n'est plus question de re- 
couvrer les conquêtes que nous avions faites. » — 
La France resta muette. 

Deux mois après, le Sénat, obéissant aux événe- 
ments et suivant en cela le vœu de la nation, en même 
temps que ses instincts propres, couronnait et enregis- 
trait la défection. Le 3 avril 1814, une proclamation 
du Sénat annonçait que, a Napoléon étant déchu du 
trône, le droit d'hérédité est aboli dans sa famille, le 
peuple et l'arméo sont déliés du serment de fidélité. » 
Le surlendemain, la maison de Bourbon était restau- 
rée en France. 

Devant la fatalité, toute résistance eût été folle. Le 
peuple d'ailleurs , fatigué et ruiné, réclamait la paix 
avec impatience. Quant à l'armée, il faut bien l'avouer, 
elle accepta avec empressement le nouveau gouver- 
nement. A part quelques généraux, quelques soldats 
restés fidèles, et qu'une faveur particulière, un lien 
personnel, rattachaient à l'Empereur, tous acclamèrent 
avec enthousiasme l'avènement du roi Louis XVIIL 



CHAPITRE IX. 149 

L'armée d'Espagne, dont faisait partie le major 
Thomas Bugeaud, avait été plus qu'aucun autre corps 
négligée et sacrifiée par le maître. Les lettres écrites 
par le jeune officier, durant les six années qu'il passa 
en Espagne, témoignent souvent d'un" profond décou- 
ragement et d'un dépit bien pardonnable. En dépit 
des faits de guerre les plus brillants, les propositions 
réitérées de ses chefs immédiats, celles même du 
commandant en chef de l'armée de Catalogne, le 
maréchal Suchet, étaient restées sans résultat et sans 
réponse. Ces négligences, paraît-il , résultaient de l'in- 
curie des bureaux et de l'animosité du ministre de la 
guerre, duc de Feltre, contre le maréchal Suchet, 
duc d'Albuféra. 

Bien que Thomas Bugeaud eût conquis ses galons 
de caporal sur le champ de bataille d'Austerlitz, le fils 
du marquis de la Piconnerie, engagé à vingt ans dans 
les vélites de la garde, n'était point demeuré long- 
temps sous le charme du grand César victorieux. Nous 
l'avons vu à plusieurs reprises, pendant la campagne 
d'Allemagne, soupirer ardemment après le retour au 
pays, et la longue et curieuse correspondance qu'il en- 
tretient avec ses soeurs à cette époque, contient de 
fréquentes et d'amères critiques sur le métier des ar- 
mes qu'il avait embrassé sans aucun goût. 

Au moment de la rentrée en France de la maison 
royale, le 14® régiment de ligne, dont faisait partie 
Thomas Bugeaud en qualité de major, fut désigné 
pour tenir garnison à Orléans. Peu de temps après 



150 LE MARÉCHAL BUGEAUD. 

arrivait sa nomination de colonel. Voici la lettre dans 
laquelle il annonce à sa sœur cette heureuse nouvelle. 
C'est presque toujours à son aînée Phillis, confidente 
fidèle et dévouée, qu'est adressée la longue corres- 
pondance du maréchal, conservée pieusement dans 
la famille, et qui commence en 1804, au moment de 
son engagement dans les vélites de la garde (1). Pour 

Cl) États de service du maréchal Bugeaud de h Pirnnnerie, duc d'Isly (Tho- 
maR-Robert), fils de Jean-Ambroise et de Françoise de Sutton de Cionard, né le 
15 octobre 1784. à Limoges (Haute-YieuDe), marié le 30 mars 1818, à demoi- 
selle Elisabeth Jouffre de JMfnut (autorisation miniistérielle du 27 décembre 
1><17). Mort à Paris le 6 juin 1»49. 

Vélite dans les grenadiers de la garde impériale, le. . . . 29 juin 1804. 

Caix)ral, le 22 décembre 1805. 

SouK-lieutenant au ()4'* régiment de ligne, le 19 arril 1806. 

Lieutenant, le 21 décembre 1806* 

Passé au 11»»** rt-giment de ligne, le 1**" juillet 1808. 

Capitaine, le 2 mars 1k09. 

Chef de bataillon, le 2 mars 1811. 

Major du l-l* régiment de ligne, le 10 jiuivier 1H14. 

Colonel, le 11 juin 1814. 

Licencié et mis en demi-solde, le 11 novembre 1815. 

Admis au traitement de réforme, conformément ia l'or- 
donnance du r> mai 1824, & compter du l*' juillet 1828. 

Colon<.-l du 5(>« régiment de ligne, le 8 septembre 1880. 

Maréchal de camp, le 2 avril 1831, 

Commandant une brigade d'infanterie à Paris, le 30 novembre 1832. 

Commandant supérieur de la ville et du château de 

JJlaye. le 31 janvier 1888. 

Disix>nible, le 22 juUlct 1883. 

Commandant une brig:ide d'infanterie k Parii», le 8 octobre 1833. 

Commandant dos troui>cs de la province d'Oran. le 23 m.ii 1886. 

Lieutenant giuéral , h* 2 août 1886. 

DiMIK^nible, le l'' octobre 1836. 

Commandant la division active d'Oran, le l**" mars 1887. 

In^J^ecteur, pour 1^37, des troupe.* d'infanterie soiw 

son commandement, le 22 juillet 1887. 

Ilentré en France , le 12 décembre 1887, 

DisiKinible, le 1" janvii-r 1888. 

Conimnnilant Li 4" division d'infantvrie du corj^s de 

nisFcmblement sur la frontière du Nord, le 22 janTicr 1889. 

Kentré en disponibilité . par ^uite du licenciement de 

corp-*, le 2'i mai 1839. 



CHAPITRE IX. 151 

sa sœur, rien de caché. Il lui fait part de ses impres- 
sions, de ses pensées secrètes, de tous les actes de sa 
vie. Nous ne connaissons rien de plus touchant que 
cette affection tendre et filiale du soldat pour celle 
qui lui tint lieu de mère et auprès de laquelle s'écou- 
lèrent ses premières années dans la vieille demeure 
de la Durantie. Ce sentiment profond ne se démentit 
jamais. M"" de Puissegenetz conserva toute sa vie Tas- 
cendant qu'elle avait eu sur son frère pendant son en- 
fance et sa jeunesse. 

A madame de Puissegenetz (PkillisBugeaud de la Piconnerie). 

La Ferté-Saint- Aubin, près Orléans, le 12 juillet 1814. 

Chère sœur, 

J'apprends dans ce moment même que le roi m'a nommé 
colonel par décision du 1 1 juin. J'étais donc colonel lorsque 

Membre du comité de l'infanterie et de la caTalerie, le 31 janvier 1840. 

Gouverneur général de l'Algérie, le 29 décembre 1840. 

Maréchid de France , le 81 juillet 1848. 

Remplacé dans le gouvernement général de l'Algérie, le 29 juin 1847. 

Commandant en chef de l'armée des Alpes, le 20 décembre 1848. 

Décédé à Paris, le 6 juin 1849. 

CAMPAGNES. 

1804, sur les côtes ; vendémiaire an XIV, 1805, 1806 et 07, à la Grande 
Armée; 1808, 1809, 1810, 1811, 1812^ 1813 et 1814 en Espagne; 1815, armée 
des Alpes; 1836, 1837, 1840, 1842, 1843, 1844, 1845, 1846 et 1847 en Algérie. 

BLESSURES. 

Blessé d'un coup de feu au jarret gauche, à la bataille de Pulstuck, le 26 dé- 
cembre 1806. 

DÉCORATIONS. 

Membre de la Légion d'honneur le 6 juin 1811. 

Officier — le 17 mars 1815. 

Commandeur — le 8 mai 1815. 

Grand officier — le 24 décembre 1887. 

Grand-croix — le 9 avril 1848. 

Chevalier de Saint-Louis le 20 août 1814. 

Créé duc d'Isly par ordonnance royale du 18 septembre 1844. 



152 



LK MAKÉCHAL BUGEAUD. 



j'étais & Puisgegenetz. La fortune me sert & merveille et 
semble ménager mes plaiBirs poar que j'en aie pour tuus les 
temps. Ainai, elle n'a pas vouln que je connusse mon nou- 
veau grade pendant que j'étais près de toi ; c'eût été trop de 
lionhenr& la l'ois. 

La faveur que je viens d'obtenir est très grande, par 
rapport aux circonstances actuelles. Plnaieurs anciens colo- 
nels sollicitaient le 14". Si je n'avais pas ét^ nommé, j'au- 
rais eu & concourir avec cinquante-sept majors plus ancicnii 
que moi. H est donc probable qne j'aurais été renvoyé avec 
la demi-solde. 

Je te charge de faire connaître ma nomination à toute 
la famille du Périgord. Je te prie d'envoyer ensuite ma lettre 
k Hélène, qni en fera part à Toiny ; mais non, je réfléchis : 
malgré mes affaires, je vais écrire k Hélène, et ta n'es 
chargée que du Périgord. ' 

J'arrive demain k Orléans, j'y entrerai i la tête de 
1,100 hommes en Vdle tonne. M. le maréchal Sucliet, qui 
nous a vus k son entrée h. Vierzon, m'a dît que c'était le 
régiment le plus beau et le plus nombreux de l'armée 
entière. Toot va au mieux de mes désirs. H ne manque b 
mou entière satisfaction que de conserver les braves officiers 
qui ont si fort contribué k me faire nommer leur ooloDel. 
Je crains d'en perdre un bon nombre. 

J'écrirai peu pendant nne quinzaine de jours. J'aurai 
beaucoup & faire pour la nouvelle organisation de mon ré- 
giment. 

J'embrasse tout le monde du fond du cœur. 

BCGEAUD, 
Colonel (la 14*. 

La ville d'Orléans, ardemment royaliste, célébra 
avec allégresse le retour de ses princes si longtemps 



CHAPITRE IX. 153 

exilés. Le nouveau colonel s'associa avec effusion à 
toutes les manifestations et notamment aux fêtes don- 
nées par la ville à Toccasion d'une visite de la du- 
chesse d'Angoulême (1). 

Ainsi"s' écoula à Orléans, sans incident, la première 
période de la Restauration jusqu'au retour de Tîle 
d'Elbe. On a prétendu qu'en mars 1815, au moment 
du débarquement de l'empereur Napoléon à Cannes, 
après avoir annoncé qu'il allait combattre l'usurpa- 
teur, le colonel Bugeaud avait lui-même donné à ses 
soldats le signal de la défection. D'après un récit qui 
eut cours alors, le colonel Bugeaud n'aurait même 

(1) Cest à Tobligeance de M. H. de Lacombe que nous devons tous les ren- 
seignements relatifs au séjour du colonel Bugeaud à Orléans, et la communica- 
tion d'une pièce fort curieuse qui porte bien l'empreinte du temps. C'est une 
petite feuille imprimée, surmontée d'un écusson aux fleurs de lis, avec ce titre : 
Couplets faite à l'occasion de la fête donnée par la ville d'Orléans à MM. les 
oficiers de la garnison. 

Air : J'ai queîqu^ois chanté, la tjtoire. 

Loin (Iv notre bonne patrie, 
Naguère noun portions nos \vt&, 
Et le printemps de notre vie 
N'était semé que de combats ; 
Aujourd'hui le sort, moins sévère, 
Nous a fait on double présent : 
En LouU il nous donne un père, ^ 
Et nous fixe dans Orléans. j 

Allez, nous dit ce bon monarque, 
Vivez heureux, il en est temps ; 
Je veux qu'une joj'euao Parque 
File les jours de mes enfants. 
Les plaisire, les jeux, la tendresse. 
Ici rempliront vos loisirs ; 
MuLt au milieu de votre ivresse | 

Donnez à Mars dcé souvenirs. j 



bis. 



hit. 



Suivent deux autres couplets de même facture. Le tout est signé : le colonel 
Bugeaud f colonel du 14* régiment de ligne. 

Au bas de la page, on lit : A Orléans, de l'imprimerie de Rouzcau-Montaut, 
imprimeur du roi, de la mairie, etc., rue Royale, n^ 11. 



IM ut MAR^CflAL BT^BAUP. 

paB attcnda d'avoir quitté Orléans poar se pronon- 
cer; il anrait, dans te faubourg Bourgogne, fait pren- 
dre la cocarde tricolore à ses troupes. 

< Nous croyons ces allégations sans fondement^ 
Inons dit M. H. 'Je Lacombe; il est d'aburd établi, 
"par des pif-ces officielles, que la scène dont le fau- 
bourg Bourgogne aurait été le théâtre est imaginaire. 
Quelques mauvais propos ayant été tenus par des sol- 
dats de son régiment, le colonel Bugeaud les avut 
iminédiatemeut réprimés. Le maréchal Moncey, pre- 
mier inspecteur général de la gendarmerie, avait fait 
part au ministre de la guerre des bruits qui avaient 
couru à ce sujet. » — Aucun soupçon ne planait alors 
sur la conduite du colonel Bugeaud, et cependant il 
avait quitté Oriéans depuis quelques jours; il étwt 
déjà arrivé h Montargis, où il devait opérer avec le 
corps d'armée qui devait s'opposer à Napoléon débou- 
chant par la Bourgogne. Le ministre de la guerre, le 
duc de Feltre, écrivait le 16 mars 1815 au colonel 
Bugeaud , eu lui parlant du mauvais esprit dont 
quelques-uns de ses soldats auraient fait preuve à 
Montargis : i Je sais, il est vrai, que plein de zèle et 
pénétré de vos obligations, vous avez fait, ainsi que le 
corps d'officiers, tous vos efforts pour contenir la troupe 
et la maintenir dans le devoir. Mais ces mesures sont 
insufEsantes. )> 

Or, ces bruits mêmes d'actes d'insubordination fac- 
tieuse, qui se seraient produits dans le 14* de ligne, 
avaient été très exagérés. Avant même d'avoir reçu la 
lettre du ministre de laguerre, lecolonel Bugeaud avait 



CHAPITRE IX. 155 

écrit au préfet du Loiret pour les démentir. Le préfet 
s'était empressé de faire passer au ministère la pro- 
testation du colonel. Le ministre de la guerre reçut 
le document préfectoral le jour même où il venait d'a- 
dresser au colonel Bugeaud la missive qu'on a lue plus 
haut. Il écrivit immédiatement au colonel une seconde 
lettre, ainsi conçue, et qui, comme la précédente, se 
trouve aux archives du ministère de la guerre : 

Paris, 17 mars 1815. 

• Monsieur le colonel, 

Je reçois à l'instant, avec une lettre de M. le préfet 
du Loiret, copie de celle dans laquelle vous vous plaignez 
des bruits désavantageux qui ont couru sur le mauvais esprit 
de quelques militaires de votre régiment. H m'était en effet 
parvenu à ce sujet un rapport qui m'a déterminé à vous 
écrire aujourd'hui même directement. J'apprends avec plaisir 
que ce rapport n'a aucune espèce de fondement, et que vous, 
votre corps d'officiers et tous les soldats sous vos ordres, 
êtes animés des sentiments qui donnent la plus entière ga- 
rantie de cette fidélité à Sa Majesté. Je ferai rechercher les 
auteurs de ces bruits mensongers. 

De ces pièces il ressort donc clairement que, si le 
colonel Bugeaud se rallia aux Cent-jours, il ne prit 
aucune initiative. 11 adhéra aux événements consom- 
més, alors que, la question dynastique écartée, il ne 
restait plus, devant la coalition reconstituée, que la 
question militaire et nationale. 

Mais, tout faux qu'ils étaient, ces bruits eurent l'effet 
funeste de faire traiter le colonel Bugeaud en ennemi 



158 LE MARÉCHAL BUOIACD. 

et en suspect par la Kestaiiration. C'est aiosî que le 
gouvernement du roi Louis XVIIl et le pays furent 
privés d'un grand serviteur. 

« Je tiens d'une source très sûre, ajoute M. de La- 
combe, qu'un officier très royaliste, le commandant 
comte d'EscIaibes, qui était l'atoi du colonel Bugeaud, 
et qui connaissait sa valeur et ses sentiments, voulut 
faire cesser une injuste disgrâce et rendre à la mo- 
narchie ce précieux concours. Il présenta, après les 
Cent-jours, aux Tuileries, le colonel lîugeaud au duc 
d'Angoulême, président de la commission supérieure 
de l'armée. L'entretien fut excellent et laissa une 
bonne Impression; il n'eut malheureusement aucun 
résultat pratique. i> 

Dans la correspondance de M. le comte de Cham- 
boril (1), il existe une lettre datée d'octobre 1848, et 



A Hmuirw Jt'... 

Je profile, mon cher ami, d'une occuion «On pour voiu remsnàer des iU*<t- 
«M loto» que Toiu m'arei odrcMéCH dcpuii quelque temps. J'ai la aveo boiB- 
CQup d'inUrit Uioi les d6UUa que toui me âooBta *ar la siCoatioD dm chom 
et dei cBpriU, touii ce qui m'a leploa frappé, c'est de Tairles homme» deccear 
et do talent dee diveri partis oublier leora anulenaes dirisioos et l'unie (tMu 
lenn offotta pour la dffeoie de la eocidtd ptii da p4rir. Ceat U UD ■j'mptjnu 
heureux et qui doit fortifier noj cipéraDCea pouc l'aroDir. Je mi rÉjouî* eurtont 
de oe que Tone me dit£> dee bonnes disposition! du mirtohal Bugeand. Je tM 
m'en itanne pa«, car l'eicelleut colonel d'Saclalbei, que oona atooi eu le mal- 
heur de perdre et qui «toit eon ami, m'a«ait appri* à te eonaattre depuii lo&g- 
lem|M. Paraee talent* militaires, ea haute capacité, eon caractère terme et tsM- 
giqne, et l'influence qu'il exerce eur l'armée, le maniehai peut être appeU fc 
rendre à notre patrie, duu lea circonetancei actuelle!, le* terTicee les plu 
dKnaUa. Quant à mol, dont la deTiie a toujonra été : • Tout pour la nanoe I ■ 
moB «nI van, ma t«uU ambition, Tone le earei, e«t de eerrir ma patrie, de 
me déroner pour elle et ceni qui ni'aidi-ront t la aanver, 1 lui rendre rapoa, It- 
b«Tt4 ptMpArlt^ grandeur. Ab ', oeu-U peureut bleu compter au tonU ma 



CHAPITRE IX. 157 

dans laquelle le prince, se félicitant des dispositions 
patriotiques du maréchal Bugeaud , ajoute que depuis 
longtemps le regretté colonel d'Esclaibes les lui 
avait communiquées. 



leconnaissance. Ils me trouveront toujoars prêt à leur tendre la main, de quel- 
que côté qu'ils viennent Signé : Henry. 



CHAPITRE X. 



Les Cent-joars. Le colonel Bugeaud à rarméc des Alpes. — Combat de Saint* 
Pierre d'Albigny, où il fait prisonnier deux émigrés français. — Brillant 
combat de Conflans-l'Hôpital. — Lu seconde Restauration. — Le colonel Bu- 
geaud est licencié. 



Le retour de l'Empereur de Tîle d'Elbe avait ral- 
lumé la guerre en P]urope, et les frontières de la 
France s'étaient hérissées de nouveau d'une ceinture 
de baïonnettes. Le 14® de ligne, désigné pour former 
Favant-garde de l'armée des Alpes, se trouvait encore 
sous les ordres du maréchal Suchet, et avait cette 
fois à combattre l'armée austro-sarde, laquelle occu- 
pait les vallées et les défilés de la Savoie. Notre gloire 
militaire, si près de s'engloutir dans les champs de 
bataille de Waterloo, allait, sur les frontières italien- 
nes , jeter un dernier éclat , et ce fut à l'intrépide 
colonel du 14*" de ligne que nous devons cet héroïque 
fait d'armes. 

Ce glorieux incident de guerre, demeuré presque 
ignoré au milieu du tumulte effroyable que fit en s'é- 
croulant le colosse de l'empire, nous apparaît comme 
une de ces clartés suprêmes qui parfois illuminent le 
ciel au moment où l'astre mourant disparaît. N'y 



CHAPITRE X. 159 

auraît-il pas encore un curieux rapprochement à faire 
en songeant que le jeune colonel qui accomplissait, 
dans un coin obscur de la Savoie , le lendemain du 
désastre de Waterloo, le dernier fait d'armes qui illus- 
tra l'ère impériale, devra, après un long sommeil forcé 
de quinze ans, se réveiller comme le soldat le plus 
accompli de son temps, le seul homme de guerre de 
la monarchie de 1830? 

L'ouverture des hostilités avait été fixée au 15 juin. 
Le 14% qui était posté au Châtelard, dans les mon- 
tagnes de Banges, en Savoie, avait reçu l'ordre dé 
descendre dans la vallée de Tar entai se, que gardait un 
corps piémontais, et de s'emparer des petites villes de 
Conflans et de l'Hôpital. 

C'est alors que le colonel Bugeaud, tout en se con- 
formant aux ordres reçus, tenta un de ces hardis coups 
de main qui lui avaient si bien réussi en Espagne. 
Un bataillon ennemi, bataillon Comte- Hoberf^ était 
établi en grand'garde à Saint-Pierre d'Albigny. Le 
colonel Bugeaud résolut de l'envelopper et de s'en 
emparer presque sans coup férir. A cet effet, il dirigea 
trois compagnies par un sentier de montagnes qui 
aboutissait à une demi-lieue en arrière du village, et 
leur donna l'ordre de s'embusquer. Puis il attaqua de 
front avec le reste de ses forces. Une partie du déta- 
chement ennemi fut prise ou tuée ; le reste s'enfuit 
et tomba dans l'embuscade préparée; pas un homme 
n'échappa, et, à quatre heures du matin, le bataillon 
piémontais tout entier était prisonnier. 

Dans ce combat, le colonel Bugeaud fit lui-même 



160 l-K MARÉCHAL BUGEAfD. 

deux prisonniers, qui se trouvaient Être deux Fran- 
çais, MM. de Polignac et de Macarthy, commissaires 
du roi Louis XVIII auprès de l'ariuée auetro-sarde. 
Nous laisserons la parole au colnnel lîugeaud, ijui 
raconte cet épisode dans une lettre adressée par lui k 
une de ses sœurs à la date du 3 août, et que nous re- 
trouverons plus loin. 

Une brigade piémontaise, forte de 3,000 hommes, 
était accourue au secours de sa grand'garde, dont elle 
ne recevait plus de nouvelles. Elle se heurta contre 
le 14°, victorieiix, fut mise en déroute à la suite d'un 
combat assez vif, et se retira abandonnant à son ad- 
versaire 200 prisonniers, ses morts, ses blessés et la 
possession des villes de Conflans et de l'Hôpital , dont 
elle n'essaya même pas de défendre les abords, et que 
le 14* occupa conformément aux ordres reçus. 

Quelques jours plus tard, le colonel Bugeaud, obser- 
vant que l'ennemi continuait à commettre la même 
faute, et que ses avant-postes ne gardaient pas suffisam- 
ment leur ligne de communication avec le gros de 
leurs troupes, se donna de nouveau la satisfaction d'en- 
lever un bataillon de grand'garde établi à Moutien». 
Il employa les mêmes procédés qui lui avaient déjà 
si bien réussi, porta sur la ligne de retraite de l'en- 
nemi un détachement qui dut marcher pendant onze 
heures par des chemins affreux, puis attaqua de front 
la grand'garde, qui, prise entre deux feux, mit bas les 
armes. 

Il semble que le maréchal Bugeaud ait eu plu» tard 
particuUèrement présent à l'esprit le souvenir de ces 



CHAPITRE X. 161 

deux faits d'armes, lorsqu'il écrivit dans ses Maximes 
de Vart de la guerre : ce On n'est bien gardé que de 
loin, et qu'autant que l'ennemi ne peut se glisser ina- 
perçu à travers la chaîne des avant-postes. Une faute 
généralement commise par le chef d'un détachement 
préposé à la garde, à une grande distance, d'un corps 
plus nombreux, est de s'entourer de mesures propres 
à se préserver lui-même d'être surpris, mais de laisser 
derrière lui un espace considérable dans lequel un 
parti ennemi peut s'embusquer, et tomber sur le dé- 
tachement quand celui-ci, attaqué d'un autre côté par 
des forces supérieures, croit se retirer aisément vers 
les siens ; alors il est enlevé et découvre l'espace qu'il 
était chargé d'occuper. » 

C'était là un heureux début pour l'armée des Alpes ; 
mais ce début devait être suivi d'un combat plus glo- 
rieux encore, et qui aurait eu grand retentissement si, à 
cette même époque, la sanglante journée de Waterloo, 
par l'immensité de la lutte dont elle fut l'occasion et 
les conséquences incalculables qu'elle devait entraîner 
avec elle, n'eût absorbé l'attention de la France et de 
l'Europe entière. Mais il ne nous déplaît pas, laissant 
de côté cette grande page de l'histoire à laquelle nous 
n'avons rien à voir, de nous arrêter en compagnie du 
vaillant homme de guerre dont nous essayons de pein- 
dre la vie, à ces combats obscurs, mais bien dignes d'ê- 
tre mis en lumière, qui terminèrent si honorablement 
la guerre sur notre frontière des Alpes. Il n'est pas 
douteux, au reste, que le souvenir de ce succès ne fût 
particulièrement précieux au maréchal, arrivé à un 

T. I. 11 



163 LK MAItl^C'IIAL BCUEAUU. 

âge avancé et comblé (l'Iionneurs, car il en donna ud 
récit très complet dans une brochure sans nom d'au- 
teur «[ui fut imprimée à Alger un 1845, à l'imprime- 
ric du gouvernement , et à laiiuelle nous empruntons 
une partie des détails qui suivent 

Dans les derniers jours du moi» <le juin 1815, le 
14° de ligne, renforcé d'un bataillon du SC de ligiiCj 
occupait encore les deux villes de Conflans et Je l'Hô- 
pital, baignées par le ruiseean de l'Arly, petit con- 
Suent de l'Isère. Quelques prisonniers faits dans la 
journée du 26 apprirent au colonel Bugeaud qu'il 
devait ftre attaqué le surlendemain par 10,00(> Au- 
trichiens, sous les ordres du général Trenck, descen- 
dant du petit Saint- Bernard , tandis (jue le général 
Bubna, venant du mont Cenis avec 20,000 hommes, 
devait se porter dans la vallée de Maurienne, qiie dé- 
fendait de notre côté la brigade Mesclop. Le colonel 
Bugeaud s'empressa de transmettre ces renseigne- 
ments au général en chef, et demanda judicieusement 
que la brigade Mesclop vînt se joindre à lui sans retanl 
dans la vallée de la Tarentaise, de manière à combiner 
leurs efforts communs pour écraser le général Trenrk, 
tandis que la eolontie Bubna i donnerait dans le vide 
et viendrait se casser le nez contre la tête de pont 
de Montmeillan. » Mais le maréchal Suchet venait de 
recevoir'la nouvelle du désastre de Waterloo, et, ju- 
geant inutile de poursuivre les hostilités, avait adressé 
au général Bubna une proposition d'armistice. Dans 
la conviction où il était que cette proposition serait 
agréée et que la marche en avant des corps antrichiena 



CHAPITRE X. 163 

serait arrêtée, il ne donna aucun ordre au 14* de ligne, 
non plus qu'à la brigade Mesclop. Le 28 au matin, au 
lieu du renfort si ardemment désiré, le colonel Bugeaud 
recevait le bulletin officiel de la bataille de Waterloo, 
et, par une singulière coïncidence, la députation du 
régiment qui avait été envoyée au champ de mai pour 
la distribution des aigles, rejoignait au même moment, 
apportant l'aigle du régiment et la nouvelle de l'abdi- 
cation de l'Empereur. 

Pendant que ces bruits sinistres se répandaient 
dans les rangs et y causaient une vive émotion, un 
sous-officier de cavalerie accourait à toute bride et 
apportait la nouvelle de l'approche des Autrichiens. 
Les circonstances étaient graves : résister à un ennemi 
dont la supériorité numérique était considérable avec 
des soldats troublés et déconcertés par les cruelles 
nouvelles que l'on venait de recevoir, pouvait sembler 
une entreprise hasardeuse; mais le colonel Bugeaud, 
ne s'inspirant que d'un patriotisme ardent, trouva des 
paroles généreuses qui allèrent au cœur des soldats et 
relevèrent leur moral. Après avoir formé son régiment 
en colonne serrée, il lut lui-même le bulletin de Wa* 
terloo, et fit recevoir l'aigle au nom de la patrie, en 
prononçant ces mots d'une voix forte : a: Soldats du 14®, 
voici votre aigle. C'est au nom de la patrie que je vous 
la présente, car si l'Empereur, comme on assure, n'est 
plus notre souverain, la France reste. C'est elle qui 
vous confie ce drapeau ; il sera toujours pour vous le 
talisman de la victoire. Jurez que tant qu'il existera 
un soldat du 14®, aucune main ennemie n'en appro* 



1H4 



LE VAHÉCHAL Ul'OEAlD. 



cliura I > s Nous le jurons ! s b' écrièrent tous les 
eoMats, et les officiers sortirent des rangs en brantlîs' 
sarit leurs épées et *jn s' écriant une deuxième fois : 
« Nous lo jurons! » 

Heureux lets soldats commandés par de tels cbcta! 
De quels douloureux sentiments l'àme n'est-etle pas 
assaillie, ((uand on pense aux résultats qu'eût pu obte- 
nir dîins la guerre fatale de 1870 notre vaillante ar- 
mée de Metz, si elle eût eu il sa tC-te un homme aussi 
énergiquement trempé, et qui eût su faire planer au- 
dessus des ruines d'un gouvernement effondré la grande 
image de la patrie I 

C'est dans ces dispositions que le 14' allait recevoir 
' l'ennemi. 

Le colonel liugeaud, afin de mieux résister A des 
forces aussi BUpérieures, se proposa de ne défendre que 
la rive droite de l'Arly et de laisser l'ennemi fran- 
chir ce ruisseau par petites fractions, de manière à 
en avoir meilleur marché et l'écraser en détail. Il 
(.■onmiein;a donc par déft-ndre mollement les positions 
de la rive gauche, de manière à détourner l'enneiui du 
projet qu'une résistance énergique eût pu lui faire 
concevoir de traverser l'Arly à une certaine distance 
et de tourner la position. Dans le même ordre d'idées, 
il s'opposa à la destruction du pont qui relie Conflans 
à l'Hôpital. Ce qu'il avait prévu arriva. Après s'être 
emparés de la rive gauche, qui leur fut abandonnée 
rapidement, les Autrichiens essayèrent à diverses re- 
prises de déboucher du pont. Chaque fois ils furent 
reçus par une vive fusillade ù courte distance ; puis 



CHAPITRE X. 165 

nos troupes, quittant leurs abris, s'avançaient sur l'en- 
nemi, la baïonnette en avant, et le rejetaient de Tautre 
côté du ruisseau avec des pertes considérables. 

Désespérant de forcer le passage de la sorte, les 
Autrichiens firent passer à gué au-dessous de la ville 
une colonne de 2,000 hommes pour couper la ligne de 
retraite des défenseurs de THôpital. Le colonel Bu- 
geaud, ne voulant pas dégarnir cette petite ville, ne 
disposait pour s'opposer à ce mouvement que de six 
compagnies du centre. Il suppléa à cette infériorité 
numérique par un excès d'audace et se porta avec ces 
quelques hommes sur la queue de la colonne enn.enïie, 
qui, se voyant menacée elle-même d'être coupée du gué 
par lequel elle avait franchi la rivière, se démoralisa, 
lâcha pied et fut rejetée en désordre dans l'Isère et 
l'Arly, après avoir fait sous une fusillade nourrie et 
bien dirigée des pertes considérables. Une seconde 
tentative du même genre, sur un autre point, ne 
réussit pas davantage. 

Toutefois les cartouches commençaient à manquer, et 
le colonel se fût peut-être décidé à se retirer, s'il n'eût 
craint de livrer à l'ennemi un bataillon du 67*^ qui 
arrivait au bruit de l'engagement par la vallée d'Udine 
et venait de s'annoncer à lui. Ne pouvant tenir plus 
longtemps dans l'Hôpital sans munitions, le colonel 
Bugeaud rallie ses troupes et leur fait prendre posi- 
tion sur les coteaux en arrière. Les Autrichiens entrent 
dans la ville abandonnée et la mettent au pillage. Pen- 
dant ce temps, un détachement de vingt mulets char- 
gés de cartouches a été amené; les cartouchières sont 



166 LK MAIlIÏCIUL BUGKAri). 

regarnies, et le bataillon du 67° survient accoiDpagoé 
de quelques pièces d'artillerie. Son aiTÎvée est le 
signal de la reprise de l'offensive ; le 14" se reporte en 
avant, tue ou prend les 1,500 Autrichiene qui occu- 
paient l'Hôpital, et (ipère sa jonction avec le bataillon 
du 67" sur un monceau de morts. 

Au même moment arrivait par la route de C'iiam- 
Mry un bataillon du 20' de ligne. Le colonel Bujçeaud, 
voyant hcs forcée accrues de deux bataillons, se dis- 
posait à franchir à son tour l'Arly l't à achever la des- 
truction de la division autrichienne, lorsque arriva un 
officier d'état-major annonçant que l'armistice était 
signé, et à son grand regret l'intrépide Bugtaud dut 
interrompre' le mouvement commencé. Mais il se donna 
le plwsir d'attendre que l'ennemi lui dénonçât luî- 
mÇme l'armistice, ainsi que la satisfaction bien méritée 
de n'évacuer qu'au lendemain le champ de bataille. 

Ainsi se termina ce combat dans lequel 1,750 Fran- 
çais combattirent pendant dix heures contre près de 
10,000 Autrichiens, leur tu6rent 2,000 hommes et leur 
firent 960 prisonniers. 

Après les désastres de Waterloo (18 juin 1815) ^ 
et la seconde abdication de l'empereur Napoléon I*! 
(23 juin 1815), l'armée française, d'après les conven- 
tions avec les armées alliées, dut se retirer derrière la 
Loire, et le corps d'armée du maréchal Suchet aban- 
donner la Savoie. 

Une lettre du colonel Bugeaud, écrite à sa sœur le 
3 août 1815, fait pressentir la décision qui allait bien- 
tôt être prise contre lui. 



CHAPITRE X. 167 

A madame de Piùasegenetz, 

Saint-Symphorien, le 8 août 1815. 

Chère sœur, j'ai reçu à Saint-Symphorien ta lettre du 
20 juillet. Celle que tu m'as adressée à l'armée de la Loire 
ne m'est pas encore parvenue. Ton opinion s'accorde avec la 
mienne. Revenu de ce premier moment de dégoût, j'ai pensé 
qu'il fallait attendre à mon poste qu'on me dît : « AUez- 
<L vous-en, j> et qu'alors on me donnât le droit de dire : 
« J'ai servi mon pays tant que j'ai pu, et ce n'est pas ma 
(L faute, si je ne le sers pas encore. j> Je pense bien qu'on 
nous renverra, mais les mesures de proscription ne promet- 
tent rien de bon. 

Je ne serais pas fâché de jouir pendant un an ou deux de mon 
traitement de réforme, afin de laisser consolider les choses. 

Notre armée est soumise et très soumise. Il y a plusieurs 
jours que nous avons la cocarde blanche. J'ai repris ce signe 
dans le régiment sans éprouver de nouvelles désertions. 

Tu peux être assurée que, dans aucun temps, je ne 
prendrai part à la guerre civile, à moins que des persécutions 
ne m'y forcent. Je suis trop Français pour verser jamais le 
sang de mes concitoyens, si mes concitoyens ne menacent pas 
mon existence. 

Je m'attends de jour eu jour à quitter ce pays-ci pour 
me rapprocher de Clermoiit. Tu peux cependant m'écrire à 
Roanne jusqu'à nouvel ordre ; ta lettre me suivra. 

Tu seras bien aise sans doute de connaître notre acte de 
soumission. Je te le transcris littéralement ci-contre : 

« Sire, 

a: Les officiers, sous-officiers et soldats du 14*^ régiment 
« de ligne présentent à Votre Majesté l'hommage de leur 



KiS LE MARlScHAL BUGKAUD. 

<( entière soumission. Noas nous rallions franchement sous 
n la bannière des lis. Le sort de la patrie est désormais atta- 
<( ché à celui de votre personne sacrée. Cette vérité vous sera 
ce la garantie de notre fidélité et de notre amour. 

€ Puissent tous les Français, oubliant leurs divisions ^ ne 
<( former qu'une grande famille et n'avoir comme nous qu'un 
« seul cri : Vive le roi! vive la France dans toute son inté- 
« grité! 

« Vous connaîtriez notre dévouement, Sire, si jamais cette 
« intégrité se trouvait menacée, d 

(Suivent les signatures.) 

J'ai reçu une longue et bonne lettre d'Hélène. Je lui ai 
répondu. Demande-lui ma lettre de la fin de juillet, elle t'in- 
téressera. Je lui donne des détails que je ne t'ai jias transmis ; 
je vais, à ton tour, t'en donner qu'elle n'a pas reçus et que 
tu pourras lui envoyer en échange. 

Le 15 juin, à deux heures du matin, je surpris les avant- 
postes piémontais à Saint-Pierre d'Albigny. J'étais entré 
dans la ville avec les premiers voltigeurs. J'entendis deux ca- 
valiers qui se sauvaient dans une rue. N'ayant aucun homme 
à cheval , je les poursuivis moi-même , et les ayant coupés au 
tournant de la route, je les fis prisonniers. « Qui êtes-vous? 
— Nous sommes voyageurs français. — Des voyageurs fran- 
çais à cette lieure-ci , armés et dans les rangs de nos ennemis ! 
Je ne puis vous reconnaître pour tels. Non, Messieurs, vous 
n'êtes pas Fran<;ais. — Si, Monsieur, nous le sommes, et, 
])uisqu*il faut vous le dire, nous sommes émigrés français. 
Nous avons quitté notre pays pour fuir Bonaparte et servir 
le roi. — Ah! je conçois, vous êtes royalistes, mais étrangers 
et point citoyens français. — Monsieur, nous sommes Fran- 
çais d'honneur, nous en suivons la route, et il n'est i)as lûen 



CHAPITRE X. 169 

sûr que vous soyez dans le même chemin ! — Messieurs, ne 
me forcez point à abuser de l'autorité que j'ai sur vous, comme 
mes prisonniers, pour vous dire des choses dures qu'il serait 
facile de trouver dans votre propre conduite. Brisons là. Vous 
serez conduits au quartier général avec les autres prison- 
niers, et vous pourrez vous expliquer avec M. le maréchal 
Suchet. 

J'étais pressé, je continuai ma route sans m'informer du 
nom de mes prisonniers. Le soir, j'appris que l'un d'eux était 
M. Jules de PolignaCj l'autre M. de Macarthy, de Toulouse; 
qu'ils étaient depuis plusieurs jours sur la frontière pour en- 
tretenir des intelligences avec la France et qu'ils rendaient 
compte aux Piémontais de tout ce que faisait l'armée fran- 
çaise. 

M. le maréchal les fit conduire au fort Bareau; mais 
bientôt je sus qu'ils avaient été mis secrètement en li- 
berté. 

Il y a trois ou quatre jours que je reçus une lettre de 
M. Macarthy qui me prie de lui céder pour 1,000 francs deux 
chevaux de voiture que j'ai dû prendre à l'affaire de Saint- 
Pierre et qui lui appartiennent. 

Je lui ai répondu que, croyant que les Macarthy de Tou- 
louse sont parents de ceux de Bordeaux, qui sont mes cousins 
germains, je ne pouvais regarder les chevaux comme de 
bonne prise, et qu'il pouvait les envoyer prendre, non pour 
1,000 francs, mais pour rien. J'ajoutai quelques phrases 
tendant à le persuader que ce procédé n'est aucunement l'effet 
des circonstances et qu'il le doit au nom de Macarthy. 

Je vous aime tous et vous embrasse cent fois. Adieu. 

BUGEAUD. 



LE UABicBÂL BUGBAUI]. 



vl madame de Puiaaegenetz. 



Clermont, te Î7 :u>Dt ISIS. 

Chère sœnr, j'ai reça ici tes lettres du 13 et du 21 août. 
Puisque ta le veuXj je t'écrirai Bonvent,qnand même je n'au- 
rais rien de nouvean à te dire. 

On va travailler h. notre licencîcmeat. Cela demandera 
ao moins un mois de grande occnpation et retardera d'autant 
le plaisir que j'aurai & te serrer dans mes bras. 

Les conseils d'administration seront provisoirement cod- 
Bcrvés, pour rendre leurs comptes avec les archives et les ma- 
gasins. Celui du 14° doit être versé dans ta légion du dépar- 
tement de la CAte-d'Or. Il est dit qu'il en formera le noyau. 
Si l'on emploie queliines colonels dans chaque légion, je snis 
presque assuré que je serai du nomlire des élns. M, le mare- ' 
chai m'a ditplusienrs fois : « Si qnelqn'uu dans l'armée doit 
être employé , c'est vous. » 

Aussitôt après le licenciement, si l'es circonstances te per- 
mettent, j'irai t*- voir. Je voyagerai à cheval par la traverse 

Tu apprendras avec plaisir que plusieurs personnes dis- 
tinguées du département de la Loire ae sont réunies pour prier 
leurs députés de demander pour moi au roi la légion de la 
Loire. C'est ce que m'écrivaient MIH. de Montenacet te mar- 
quis de Talaruc , jiair de France. Je compte peu sur la réussite, 
mais je snis flatté de cett<> marque de bienveillance que je 
dois fi la bonne cunduite de mon régiment et lï un léger ser- 
vice que j'ai rendu aux gens du pays. Le voici : nue I>ande 
de hnssards autrichiens désolaient la campagne, pillaient, 
volaient, violaient , etc., etc... Je me mis h sa poursuite arec 
huit officiers montés. Nous les atteignîmes an village de Hé- 
giiy, où nous la prîmes tout entière. 



CHAPITRE X. 171 

J'ai reçu une longue et bonne lettre d'Hélène. Elle s'oc- 
cupe beaucoup de moi. 

Les habitants du Midi, ou du moins les royalistes, se 
couvrent d'infamie par de nombreux assassinats. Us paraissent 
vouloir s'attaquer au duc d'Angoulême plutôt qu'au roi. Ils 
sont dans une anarchie complète. 

Le parti du souverain illégitime n'a pas commis de sem- 
blables crimes. J'espère que, dès que Sa Majesté le pourra, 
elle châtiera ces brigands à cocarde blanche et verte. Tu sais 
sans doute tout ce qui se passe dans ces pays-là. On a assas- 
siné à Toulouse le général envoyé par le roi. 

Dans beaucoup d'autres endroits les autorités nommées 
par le roi n'ont pu entrer en fonctions. 

Amitiés à ton mari, à Julien, à toute la famille, et à tous 
les amis. 

Tu ne me parles pas de mes fonds. Granger me payera- 

t-il? 

Ton frère dévoué, 

BUGEAUD. 

Le 16 septembre 1815, ainsi qu'il Tavait prévu, le 
colonel Bugeaud était licencié, comme brigand de la 
Loire, et cessait d'appartenir à Tarmée. Peut-être trou- 
verions-nous l'explication de cette mesure en la rap- 
prochant d'un incident assez obscur dont malheureu- 
sement aucune lettre du maréchal, aucun document 
précis, ne nous donnent les détails. Nous avons vu que 
l'ancien major des guerres d'Espagne avait reçu du 
roi Louis XVIII son grade de colonel (11 juin 1814). 
Quant à la sincérité des sentiments royalistes déployés 
par lui à Orléans, on ne saurait en douter. Le fils du 



marquis de la Plconnerle n'avait d'ulleurs aucun lien 
étroit de reconnaissance qui le rattachât à l'Erapereur. 
Survinrent les Cent-jours. Avec l'armée tout entière, 
le colonel se range sous les drapeaux de l'usurpateur, 
et, sur l'ordre de st-a chefs, il va le rejoindre avec son 
régiment à Auxerre. Que se passa-t-il ensuite? Il fal- 
lut que le colonel du 14° de ligne eût alors dans les 
bureaux du ministère de bien puissants ennemis, car 
ceux-ci parvinrent à lui enlever son régiment. L'ordre 
en fut donné par le ministère, mais non exécuté. Pour- 
quoi (1)? Le curieux autographe suivant de l'Empereur, 
que nous avons entre les mains, va nous l'apprendre : 

Monaienr le colonel Buge&nd,j'ai été satisfait de votre 
condnîte. 

C'est fi tort qu'on vous a Até le commandement du 1 4'^ régi- 
ment de ligne sn'ec lequel vous m'avez rejoint à Auxerre. 
J'ai ordonué qu'il vous soit rendu, ut , comme preuve de m» 
satisfaction, je vous ai nommé conuiiandeur de la Légion 
d'honneur. 

Pari*, le 8 nui ISIS. 

iSiy/c' ; Napoi.iîon. 

Essayons de reconstituer les faite. Voici sans doute 
ce qui dut se passer, peut-être même à l'insu du colo- 
nel Bufçeaud. Son protecteur, le maréchal Suchet, qui 
témoignait au brillant soldat de l'armée de Catalogne 
une estime particulière, ayant été informé de l'injus- 



(I) Dana lu &UIa de sen-îce do martalisl, relerM d-denoii mi miniiUr« dt 
la guerre, uous ne troaTcmi aneane tnce da cette Ctruige meinre. Ia lettra Ml' 
tographo ils rKtDperciir est le seul docmnoit qui j f»a*e alliudoo. 



CHAPITRE X. 173 

tice dont son compagnon d'armes allait être victime, 
parvint à en conjurer l'effet. Il lui fut aisé de faire 
revenir l'Empereur sur la décision de son ministre, en 
lui démontrant combien il était important, à cette 
heure critique, de se rallier et de se ménager un mi- 
litaire de la valeur du colonel Bugeaud. De là, la lettre 
impériale et la nomination tout à fait inattendue de 
commandeur de la Légion d'honneur. 

En effet, chevalier de la Légion d'honneur en 1811, 
Thomas Bugeaud avait été fait officier de l'ordre le 17 
mars 1815. Deux mois après, le voici commandeur! 
Cette nomination toute politique était un acte habile 
de Napoléon P', qui voulait évidemment s'attacher, 
par une faveur particulière, un colonel des plus jeunes, 
des plus intelligents et des plus solides de l'armée. 
On a vu de quelle façon brillante Bugeaud méritait, 
à Conflans-l'Hôpital, la haute distinction que la faveur 
impériale, comme par une sorte de divination, de pres- 
cience, lui avait d'avance octroyée. Malgré le beau fait 
d'armes du colonel, malgré ses services , malgré son 
nom et ses amis, il est certain qu'après Waterloo et 
l'abdication de Napoléon I", les ennemis acharnés 
qu'il avait au ministère de la guerre évoquèrent fort 
à propos cette marque irrécusable de la bienveillance 
de l'usurpateur et en profitèrent pour faire compren- 
dre le commandeur Bugeaud parmi les licenciés. 



CHAPITRE XI. 



Le colonel Bngcand dans le Périgord (1815-1830). — Ses essais d'argicnltnre. 
— Son iictivité et son goût pour les travaux des champs. — H fonde un comioe 
agiicole. — Son mariage avec M"« de Lafaye. — Transformation da pajrs an 
point de vue agricole. — LeK soldat laboureur ;>. — Le colonel Bageaud et 
les paysans. 



Cette période de quinze années (1815-1830), du- 
rant laquelle le brillant soldat se vit contraint par les 
événements d'abandonner la vie militaire, fut loin 
d'être oisive, et le vaillant, Tinfatigable oflBcier apporta 
dans sa retraite cette même ardeur, ce dévouement, 
ce besoin d'activité qui avait déjà rempli la première 
partie de son existence. Ce n'était pas la première 
fois, d'ailleurs, qu'il allait s'occuper d'agriculture, et 
les travaux des champs l'avaient depuis longtemps 
déjà attiré. Nous avons raconté par suite de quelle 
circonstance il foillit, plusieurs années auparavant, 
interrompre sa carrière et se consacrer entièrement à 
l'exploitation de son petit domaine. 

En 1815, cette fois, sa vio allait changer définiti- 
vement d'objet. Xnus trouvons dans ses notes ma- 
nuscrites, sorte de biographie dictée par lui-même à 



CHAPITRE XI. 175 

Tune de ses filles, l'histoire de ses premiers essais et 
de rînstallation du premier comice agricole qui fonc- 
tionna en France. 

d Frappé de la misère des paysans de sa contrée, 
il en trouva les causes dans le système d'agriculture 
qui était la jachère dans son état primitif. Il comprit 
que s'il ne pouvait plus servir de son épée le pays, il 
pouvait encore être utile au peuple des campagnes 
en lui enseignant l'art d'améliorer son sort par un 
travail plus intelligent. Cette mission, qu'il se donna 
avec une ardeur sans égale, contribua puissamment à 
le consoler de la perte d'une carrière qui lui ofirait la 
perspective la plus brillante. 

d Une femme aussi vertueuse que belle s'associa 
bientôt à son sort, et le soldat ne fut plus que l'agro- 
nome le plus actif et le plus zélé. Dès l'aube du jour, 
il était dans les champs, à la tête de ses ouvriers, leur 
montrant lui-même la manière dont les travaux de- 
vaient être exécutés. 

d Pour être professeur avec plus d'autorité, il s'était 
formé au plus vite à manier la charrue, la faux et 
tous les instruments agricoles avec autant de dexté- 
rité que l'ouvrier le plus exercé. Mais c'était surtout 
par ses enseignements qu'il ouvrait l'esprit des cul- 
tivateurs et qu'il excitait chez ses voisins bourgeois le 
goût pour l'agriculture. 

d II comprit bientôt cependant que ses efforts, s'ils 
restaient isolés, ne seraient pas suffisants pour vaincre 
les mauvaises routines qui régnaient depuis des siè- 
cles. Il songea donc à s'associer tous les propriétaires 



176 LK MAKÉIHA.L BUGEAri». 

du canton. Dès qu'il put montrer en bel état l'assole- 
ment dont il avait fait choix en raison de la nature 
des terres et du climat, il réunit tous ses voisins. 
Après le déjeuner, on fut visiter les champs; on s'ex- 
tasia sur la beauté des prairies artiScielles, des ra- 
cines et de toutes ces cultures toutes nouvelles pour 
le pays. Il se manifesta un véritable enthousiasme, 
parce qu'on ne croyait pas que ces terres fussent eus- 
ceptibles de pareils produits. Le colonel Bugeaud 
avait préparé à l'avance un cahier contenant un acte 
d'association et un programme pour les encourage- 
ments à donner à l'agriculture dans le canton. II pro- 
fita de la disposition des esprits pour le présenter à 
la réunion, et tous les assistants le signèrent. Ainsi 
fut organisé le premier comice agricole de la Dordo- 
gne, et, nous le croyons, de France. Ceci se passait 
en 1819. 

« Le coraice prospéra et fit faire dans le canton des 
progrès qui frappèrent les cantons voisins. Le colonel 
Bugeaud les excita à l'imitation, et il eut le bonheur 
de devenir l'inspirateur et l'organisateur de plusieurs 
autres comices, v 

Au commencement de l'année 1818, le colonel Bu- 
geaud épousa M"' de Lafaye, issue d'une des familles 
les plus respectées du pays. Voici une lettre fort inté- 
ressanU', adressée par l'impatient fiancé à son futur 
beau-père, et dans laquelle le colonel se dépeint 
tout entier avec une originale et charmante fran- 
diise : 



CHAPITRE XI. 177 

Excideuil, le 27 octobre 1817. 

Monsieur, 

Vous excuserez, je Tespère, une impatience bien na- 
turelle dans celui qui aspire au bonheur d'entrer dans votre 
famille. Il m'est impossible d'attendre jusqu'à la Saint-Mar- 
tin, pour vous demander une réponse de laquelle dépend ma 
félicité. Vous avez eu la bonté de me la promettre dans 
quelqms jours. Ce n'est qu'indirectement que j'ai appris que 
vous aviez fixé une époque plus éloignée. Vous ne me l'avez 
pas dit : je suis donc fondé, sans que vous puissiez me taxer 
d'indiscrétion, à vous prier de remplir votre première parole. 
Eh! pourquoi remettriez-vous un instant si désiré pour moi? 

Me connaîtriez-vous mieux dans quinze jours? N'avez- 
vous pas eu le temps de faire vos réflexions? N'avez-vous 
pas pu prendre toutes les informations possibles? De gr&ce. 
Monsieur, ne différez plus de me fixer. Consultez votre cœur : 
il vous dira, car il est bon , que vous ne pouvez pas me laisser 
plus longtemps dans cette cruelle attente. 

Mais c'est surtout votre fille qu'il faut consulter, si 
vous ne l'avez déjà fait. Je tiens avant tout à son choix bien 
déterminé ; sans cela, point de bonheur! Du reste, je sais 
bien que vous ne ferez rien que d'après son goût; vos inten- 
tions à cet égard sont assez connues, et votre caractère les 
indiquerait. 

Je sais que quelques personnes ont jeté des doutes sur 
mon caractère. Les militaires, a-t-on dit, étant accoutumés à 
commander, sont ordinairement despotes : je ne saurais réfu- 
ter cette opinion qu'en faisant mon apologie et celle de mes 
camarades. Je me bornerai donc à observer qu'il n'y a pas de 
militaire qui ne soit commandé, peut-être plus qu'il ne com- 

T. I. 12 



178 LK MAlliîCHAL BUGEAUD. 

mande, et que cette subordination graduelle, qui commence 
au soldat et ne finit qu'au chef de TÉtat, apprend tout autant 
à obéir qu'à ordonner. Assurément, un fils unique riche, qui 
n'est jamais sorti de chez lui, a bien plus l'habitude du 
commandement absolu qu'un maréchal de France, et il 
serait à désirer que les cuiauts gâtés servissent quatre ou 
cinq ans. Je crois que leur caractère y gagnerait! 

Ma fortune n'est pas ce que pensait M. Festugiëres, je ne 
sais sur quelles données, car je ne l'ai jamais portée au delà 
de ce qu'elle est. J'ai 78,000 francs en portefeuQle ou bien 
placés. Je ferais toiit de suite une acquisition de cette valeiir, 
si vous l'exigiez. J'ai, outre cela, mes appointements qui 
vont à près de 3,000 francs. C'est peu, j'en conviens, d'après 
la manière ordinaire de considérer les choses. Votre fille est 
plus riche ; je voudrais qu'elle le fût moins qu'elle l'est, ou 
je voudrais Tétre plus, ce qui vaudrait encore mieux. Cepen- 
dant ma fortune su Ait à tous mes besoins, et je n'en désirerais 
davantage que dans le cas où ce serait un moyen d'aplanir 
les difficultés qui s'opposeraient à une union que je désire 
plus que je n'aie rien désiré au monde ! 

Mon messager a ordre d'attendre votre réponse jusqu'à 
demain ; je compte sur votre bonté pour ne pas me la faire 
désirer plus lougtemi)s. 

Recevez, Monsieur, l'assurance de mes sentiments res- 
pectueux et de ma parfaite considération. 

BUGKAIJD, 

Colonel d'infanterie* 

Rentré (hins ses foyers et devenu bientôt chef de 
famille, le colonel Bugeaud ne pouvait demeurer inao 
tif. A son imagination vive, à son esprit élevé, à son 
cœur toujours plein du désir de bien faire, il fallait 



CHAPITRE XI. 179 

un aliment qui lui fit oublier les champs de bataille. 
Il Teut bientôt trouvé. Un horizon immense s'ouvrait 
devant lui. Le Limousin, où il était né, le Périgord, sa 
terre d'adoption, étaient loin de compter alors parmi 
nos provinces les plus fertiles. La misère s'étendait 
partout, a: Le colonel regarda autour de lui, i^ nous dit 
M. de Bezancenetz, un Algérien, qui avait voué au 
maréchal Bugeaud un véritable culte; a: il vît une 
lande semée de maigres bruyères, plus loin d'immen- 
ses terrains sans végétation, grillés comme s'ils eus- 
sent été dévastés par le feu, et sur lesquels ressortaient 
seulement des pierres grises semblables à des ossements 
dans un cimetière abandonné. Il tourna ses regards 
d'un autre côté : sur une colline, de maigres ceps 
étendaient avec peine leurs rameaux rabougris ; dans 
la vallée, une prairie marécageuse fournissait à peine 
assez de joncs pour nourrir les quelques vaches éti- 
ques qui y paissaient tristement. Ici une châtaigneraie 
clairsemée, aux arbres mutilés ; là-bas un taillis dont 
le feuillage jaunissait avant le temps. Une émo- 
tion puisisante s'empara du vieux soldat de trente 
ans. Il sortit pour voir si les champs étuent mieux 
tenus : hélas I la moitié était en jachère, et ceux que 
la charrue avait retournés semblaient ne promettre 
qu'un demi*salaire aux laboureurs. 

ce Par un chemin effondré, encombré de pierres rou- 
lantes, sillonné d'ornières, le colonel arriva à une mé- 
tairie. Des enfants déguenillés, à moitié nus, jouaient 
sur du fumier que grattaient les poules et que foulaient 
les porcs. Il entra dans la maison dont la porte tom-- 



180 LE MAUÉlUAL UUIIEAI'D. 

bait. La pièce unique de l'habitation n'avait pour toute 
ouverture que deux petites fenêtres Bans croisées et 
pourvues seulement d'un volet intérieur que l'on ler- 
mait ta nuit, lorsqu'on n'avait plus besoin d'y voir 
clair. Des planches grossières réunies en forme de 
coffres et recouvertes de paille, avec quelques hailluns 
par-dessus, formaient comme deux lits destinés à re- 
cevoir toute la famille; un vieux bahut vermoulu, 
une planche à pain, deux bancs, deux eseabeaux, com- 
plétaient le mobilier du métayer. Le sol inégalement 
battu pour plancher, une échelle de meunier qui con- 
duisait à un grenier presque vide, tel était l'aspect 
des métalriusdn Périgord en 1816, lorsque vint s'ins- 
taller dans son pays le colonel licencié. 

« Celui qui maintenant parcourt le pays qu'a cofo- 
ntsé le colonel Bugeaud, » ajoutait M. de- Bezancenetz 
en 1852, « ne pourrait croire qu'en si peu de temps, 
dans l'espace de quinze ans, l'aspect des campagnes 
ait pu être changé ainsi par l'inHuence d'un seul 
homme. Eu admirant ces champs aux sillons si bien 
tracés et couverts d'un blé vigoureux, ces prairies ar- 
tificielles à. la toison si grasse, si épaisse; ces chemins 
à la chaussée solidement raaca^laniiséo, ces fermes 
riantes et coufurtablee, ces villageois pleins de santé 
et bien vêtus, il ne pourrait pas croire que cette abon- 
dance, cette prospérité ne datent que d'uue vingtaine 
d'années. — Comment n'en serait-il pas ainsi? Les ha- 
bitante mêmes du pays, habitués à ce miracle, ne se sou- 
viennent plus que confusément du passé. 

< Les tentatives du colonel Bugeaud avaient d'à- 



CHAPITRE XI. 181 

bord été jugées avec défiance. En lui voyant tout 
défaire et tout détruire dans ses domaines, les paysans 
secouaient la tête et les propriétaires avançaient 
hardiment que le novateur se ruinerait. Chaque nou- 
vel essai, chaque instrument inconnu au pays, étaient 
Tobjet de la curiosité maligne et de la critique de 
tous. A quoi bon ces herses? Jamais leurs dents ne 
briseraient les mottes aussi bien que le hoyau du 
vieux paysan. A quoi bon ces rouleaux de pierre 
pour séparer les grains de la paille? Mais le fléau 
connu de toute l'antiquité faisait bien mieux sa beso- 
gne. Le colonel n'avait-il pas aussi la folle idée de 
faire fouler sur Taire les récoltes par les pieds des che- 
vaux? Évidemment le colonel était possédé d'une 
manie d'innovation qui le conduirait à la ruine et 
aux plus funestes résultats. 

<t Mais quand, au bout d'un certain nombre d'an- 
nées, les plus entêtés ne purent plus nier la lumière, 
lorsqu'on vit qu'au lieu de se ruiner, le novateur avait 
considérablement augmenté son revenu, on fit trêve 
aux dénigrements, on commença même à reconnaître 
que M. Bugeaud avait parfois de bonnes idées, et on 
finît par l'imiter. C'est là que le colonel attendait ses 
hommes. Améliorer ses propriétés, ce n'était que 
remplir la moitié de ses projets : ce qu'il voulait, c'était 
régénérer le canton, l'arrondissement, le département 
tout entier. » 

Il avait fait rebâtir ses domaines ; les hommes qu'il 
employait étaient mieux vêtus, mieux nourris, plus 
intelligents que leurs semblables. Par ses soins en- 



182 LE MARÉCHAL BUGEAUD. 

core, une école avait été fondée dans sa propre mai- 
son pour les enfants de sa commune. Mais ce n'était 
pas assez : il fallait que le bien se propageât de pro- 
che en proche, comme autrefois le mal contagieux. 
Le colonel, loin de repousser ceux qui semblaient 
vouloir marcher avec lui dans la voie qu'il parcourait 
avec tant de succès, se mit donc entièrement à leur 
disposition. II les aida de ses conseils, les fit entrer 
graduellement dans ses vues, et, un matin, comme il 
nous l'a conté lui-même, le comice agricole fat fondé. 
Ce fut un beau jour pour le colonel Bugeaud. Dans 
sa pensée, l'existence d'un comice agricole était une 
source de prospérité pour la contrée au progrès et 
au bien-être de laquelle il s'était consacré. « L'agri- 
culture étant une science de pratique locale, disait- 
il, c'est aux hommes éclairés des localités à faire choix 
des pratiques qui conviennent le mieux aux localités 
diverses ; c'est là l'idée mère des comices agricoles. » 
Et ce n'était pas seulement dans son département qu'il 
voulait introduire ces réunions d'agriculteurs prati- 
ques, c'est dans toute la France ; il demandait plus tard 
à la Chambre qu'une somme de deux millions fût al- 
louée pour encourager la formation d'institutions sem- 
blables dans tous les cantons de France, afin que deux 
cent mille individus fussent moralement associés à la 
même œuvre de régénération. Son rêve s'est réa- 
lisé, et sous le second Empire les comices agricoles 
annuels et régionaux ont été établis sur toute la 
surface de notre territoire. Toutefois, il ne faut point 
oublier que cette idée si simple, si féconde, c'est à 



CHAPITRE XI. 183 

rinitiative du colonel Bugeaud que nous la devons. 

Un jour, à la tribune, il dit, au sujet de l'agricul- 
ture, des paroles bien profondes : a La principale cause 
de nos divisions, c'est la difficulté de placer toutes les 
capacités inoccupées. Ne pouvant pas toujours pren- 
dre place au budget qu'elles se disputent, elles de- 
viennent turbulentes. Eh bien! quand l'agriculture 
sera mieux connue et donnera des résultats certains, 
elle deviendra une carrière qui absorbera toutes les 
intelligences oisives et que leur oisiveté rend si dan- 
gereuses. 3> 

(ï Que l'on colonise Alger, disait-il une autre fois, 
c'est très bien ; mais il serait plus intéressant encore 
de coloniser les grandes landes de la Bretagne et de 
Bordeaux. Une partie de l'armée pourrait être em- 
ployée à cela ; des villages y seraient bâtis, mis en 
forme de camps, mais sur un plan commode pour l'ex- 
ploitation agricole ; les troupes les occuperaient dans 
le double but de se former à la guerre et de mettre 
en culture les terrains environnants. Ce dernier ré- 
sultat obtenu de manière à ce que les familles pus- 
sent y vivre, ces villages et leurs dépendances seraient 
vendus et affermés; l'armée pourrait alors produire 
une partie de ce qu'elle coûte et contribuer puissam- 
ment à la prospérité de la nation. » 

d Quelques esprits qui n'ont pas observé les im- 
menses ressources de l'agriculture sont effrayés de 
l'accroissement de la population. On dit qu'il y en a 
trop; moi, je prouverai qu'il n'y en a pas assez. Nous 



184 LE MARIÎCHAL BUGEAUD. 

pouvons en nourrir, et nourrir mieux, plus du double. 
Il est vrai que la population est en ce moment mal 
répartie. Il y a du trop-plein dans les villes, mais je 
me chargerais d'employer dans le Limousin tout l'ex- 
cédent de Lyon, Bordeaux, Rouen, Marseille et Pa- 
ris. » 

Ces idées du « soldat laboureur » se propagèrent 
dans ses alentours. La semence fructifia, et ses exem- 
ples et ses conseils furent si bien suivis, que le canton 
de Lanouaille devint bientôt, au point de vue agricole, 
un des plus avancés d'une partie des provinces du Cen- 
tre et de tout le Midi. Le mouvement ne s'arrêta point 
là, et le mode de culture qu'il préconisait se répandit 
dans le Périgord et une partie du Limousin ; des co- 
mices furent installés dans plusieurs cantons, et le pays 
prit partout im nouvel aspect. 

Le colonel Bugeaud était adoré des paysans. Sa pa- 
role à la fois affable, encourageante et grave, sa sol- 
licitude paternelle, entrèrent pour bonne part dans la 
réussite de son entreprise de régénération agricole et 
morale. Il parvint A améliorer ces natures généreu- 
ses et un peu abruptes. Aussi le paysan périgourdin 
garde- 1- il encore précieusement dans sa mémoire le 
souvenir du maître de là Durantie. Dans ses entretiens 
familiers, au coin du feu de la ferme, sur la botte 
de paille A la grange, sur la place de l'église, comme 
dans les solennités champêtres des distributions de 
primes, son langage était simple, énergique et naïf. Il 
trouvait toujours le moyen d'enseigner aux laboureurs 
mille choses qu'ils ignoraient, et de redresser leurs 



CHAPITRE XI. 



185 



idées sur des objets qu'ils connaissaient mal. ir causait 
familièrement avec eux, politique, industrie, agricul- 
ture, économie sociale même, de façon à leur faire 
comprendre les questions les plus ardues. 

Voici le passage d'une de ses allocutions en patois, 
comme Tétaient d'ailleurs presque tous les discours 
prononcés par le colonel et plus tard par le maréchal 
Bugeaud, dans les comices agricoles : 



Mes amis, depuis longtemps les 
bourgeois se creusent la cervelle 
pour améliorer le sort des classes 
pauvres ; car les bourgeois vous ai- 
ment, et ils ont usé, pour cher- 
cher ce secret, plus de papier que 
vous ne pouvez vous imaginer. Les 
uns ont dit : u II faut leur donner 
beaucoup de liberté et de Tinstruc- 
tion ; )) mais déjà vous êtes libres 
comme les oiseaux des airs, et vous ' 
n'êtes pas plus riches!... 

Ni la liberté , ni l'art d'écrire et 
de lire, ne vous donneront du pain, 
des habits, des souliers, une bonne 
maison, des meubles et le reste. 
C'est peu de chose que la liberté, 
quand elle n'est pas accompagnée 
d'aisance. La misère, mes amis, est 
la cause de votre ignorance ; c'est 
aussi la seule oppression qui pèse 
sur vous, et c'est le plus dur de tous 
les esclavages. 

Eh bien, ce tyran, nous voulons 
vous aider à le combattre; nous 
avons trouvé ce secret ; il est sim- 
ple et tout entier renfermé dans 
ces trois mots : Progrès de l'agri- 
culture. 



Moû ômi , depei lounten loû 
bourdzei se viren lo têto per fâ 
vôtre bounur ; v'aïmen loû bourd- 
zei I — et per v'autrei an plô 
grata dé papié... N'iô que disen : 
(( Loû f oudrio îSl librei , loû f â sa- 
bin ; n ma sei plô librei coumo loû 
auzeu; n'en sei p& mai ritzei!... 



Si érâ librei, si sabia letzi, 
voû dounôriô co dô pô, de' là 
vestâ, dô sutzou, *no meîtzou, dô 
meublei... È sabi io que !... Sei 
paobrei , que volei sobei ? È à cÔ 
que voû abrâco, lo misério!... qu'è 
loû pu terrible de toû loû escla- 
vatzei ! 



E! bé, n'autréi vôlen v'aïdâ : 
lou sécré l'aven troubâ ; é plô sim- 
ple : — iin méliour trobaï ; surtei 
mé dé qui vîèi meitzan tzomî !... 



180 



LE BIARÉCHAL BUGEAT'D. 



Ma, moù ômi, si n*aiitrei aven 
lou mouïen dé fâ rîtzei loû tro- 
bailladoû , ne poden ré per loû 
f cnian ! Hé né vë sin trobaî ; lou 
trobaï revîcoulo lo tèro ! Pre- 
nei zou coumo voudrei; fan que 
lo meïta dô moundé fâzé véni lou 
blâ que faï viaûre toû loû pôT. 

Loû que démôren dî là YÎlâ 
trobaien de n'autro feîssons : 

Lou onbrié dé loûr ma, tobé 
coumo voù, fan çé que né p6dei 
fA; loû moussur fan là leT; dos u 
fan lou coumerçé que voû faî 
vendre ço que massa. Si toû lou 
moundé bessavo n*i aurio dégu 
per tzotâ vautrei bravcï biaû. 



Mais, mes amis, si nous avons 
des recettes pour rendre riches les 
gens vaillants, nous ne pouvons rien 
pour les fainéants. Bien ne vient 
sans travail ; la terre est un corps 
mort, si elle n'est pas travaillée. De 
quelque manière qu'on arrange les 
choses, il faut que 20 ou 25 mil- 
lions de Français travaillent pour 
que la nation puisse vivre. Ceux 
qui ne travaillent pas la terre s'oc- 
cupent d'une autre façon, et sont 
loin d'être inutiles ; les artisans em- 
brassent des professions qui vous 
sont nécessaires et que vous ne 
pouvez pas faire, parce que la terre 
vous occupe assez. Les messieurs 
étudient les lois et font aller le 
commerce, sans lequel vous ne 
pourriez vendre vos denrées. Si les 
huit cent mille personnes qui ha- 
bitent Paris travaillaient la terre , 
nous ne leur vendrions pas nos 
magnifiques bœufs. 

Ce fiit ail milieu de ces attachantes occupations , 
de ces jouissances si pures, que s'écoulèrent pour le 
colonel Bugeaud les années de la Restauration. Il se 
mêlait fort peu de politique, refusant d'assister aux 
conciliabules' républicains et bonapartistes qui entre- 
tenaient à Périgueux, et surtout à Limoges, le feu 
sacré de la Révolution. 

Le gouvernement de la Restauration, qui avait si 
maladroitement tenu à l'écart le jeune colonel, n'inspi- 
rait cependant à ce dernier aucune aversion. Il comp- 
tait môme, parmi les hommes influents du jour, des 
amis intimes et dévoués qui déploraient amèrement 



CHAPITRE XI. 187 

que tant de qualités solides et brillantes fussent en- 
fouies dans un fond du Périgord, sans se douter des 
prodiges et des transformations accomplis dans sa 
province par cet homme de bien, énergique et 
persévérant. 



CHAPITRE XII. 



La ruTolntion de Juillet. — Le colonel Bugeand reprend dn scnricc. On lui confie 
le commandement du 50* de ligne, en garnison à Grenoble. — Lettre de Gre- 
noble où le colonel Bugeaud apprécie la situation militaire de la France. -^ 
Sa haine pour les journaux et les démagogues. — Il obtient an congé qu'il 
va passer à Excideuil, dans la Dordogne, où il achète une propriété. — II 
est élu député, puis nommé général. — Le général Bugeaud, homme politique. 
— Lettre de M°»«' Scrmcnsan (Hélène de la Piconnerie) à son frère. 



Le lendemain de la révolution de Juillet, croyant 
à une guerre imminente, le colonel Bugeaud de- 
manda du service. Il reçut au mois de septembre 
le commandement du 5G^ de ligne, en garnison à 
Grenoble. Tout entier à T instruction de son régiment, 
il suivait néanmoins avec intérêt la politique de Paris, 
témoignant une égale aversion pour les manifestations 
démagogiques et les déclarations belliqueuses qui se 
produisaient à la tribune, dans la presse et dans la rue. 

Nous avons eu sous les yeux plusieurs lettres dans 
lesquelles ce sentiment est exprimé dans un langage 
vif, éloquent, pratique, où il est aisé de reconnaître non 
seulement le bon citoyen, mais l'homme de guerre et 
l'homme d'Etat appelé aux plus hautes destinées. Ces 
lettres étaient adressées de Grenoble par le colonel du 
56* t\ l'un de ses meilleurs amis, M. de Lacombe, 



CHAPITRE XII. 189 

royaliste, qui avait profondément regretté que la Res- 
tauration n'eût employé le vaillant officier. Nous pu- 
blions une de ces lettres, écrite dix jours après Tavè- 
nement du ministère réparateur de M. Casimir Périer 
(13 mars 1831). 

Grenoble, 23 mars 1831. 

Mon cher ami (1), 

... Ce ministère nous offre des garanties, et je voudrais 
fort qu'on Tappuyât lors môme qu'il ne serait pas infiniment 
bon, car nous avons besoin d'un peu de stabilité pour réta- 
blir l'ordre et la confiance, sans lesquels nous serons faibles 
au moment du danger! 

Malheureusement, le train de la presse ne laisse guère 
espérer de succès pour la nouvelle administration ; la presse, 
cet auxiliaire indispensable dans un gouvernement repré- 
sentatif, paraît ne pouvoir vivre que de troubles et de com- 
bats. Si elle combattait avec désintéressement, en dehors des 
ambitions déçues ou non satisfaites, ce serait bien ; mais il 
n'est que trop évident que, depuis les journées de Juillet, elle 
est l'expression, en grande partie, de ce qui n'a pas pu trou- 
ver place au festin. De là l'injustice, la mauvaise foi des 
accusations, qui rend le rôle des ministres presque impossi- 
ble. Il est bien déplorable qu'une poignée d'individus trouble 
ainsi l'industrie, la sécurité, l'avenir de toute la France. 

Pensez-vous, en effet, que la majorité dans les villes (je 
ne dirai pas dans la nation, car la négative ne serait pas 
douteuse) veuille la guerre, comme l'assurent la Tribune^ 

(1) Noas devons la communication de cette lettre à MM. Hilaire et Charles de 
Lacombe, d'Orléans, les fils de Tami à qui le maréchal Bngeaud Payait adressée. 



lOU 



; MAKI^aiAL UUOEAl'D. 



le National, la liéeotution? QuainI ce airrait vrai, cela ne de- 
vrait jHiB (lécidur le gouvcruement, parce que les masses rai- 
sonnent de la gtierre comme un aveugle diB couleurs. Il 
n'y u pas fle [lartif moins comprise, même de ceux qui la 
fuot! il eHt bien évident que, sur la foi des joiiruaux qui out 
dérai&ouué à la toise sur cette matière, nu certain pnbtiCf 
BurtJ]Ut les commerçants, la désirent sans réflexion, parce 
qu'ils espèrent qu'il en sortira un meilleur aveuir. Quant 
AUX moyens de la faire, an nombre d'ennemis que nous 
aurons à combattre, aux désordres qui en résnlterout dans 
l'intérieur, aux suites des défaites possibles, ils n'y ont paa 
pensé le moins du monde. Ce qui le prouve mieux que tous 
les raisonuements, c'est qu'ils voulaient nous fairi' faire la 
gnerre, il y a six mois, lorsque nous ne pouvions pas mettre 
40,000 liommes eu ligue. Aujourd'hui mâme, notre armée 
est-elle bieu prête à lutter contre l'Europe ? L'infanterie ne 
mettrait pas S00,000 hommes eu ligue. Nous n'avons eu 
France at^taellemcut que 7ô régiments. Je kur donne un 
effectif de 2,âO0 hommes, ce qui ferait 2,100 combattants 
^'cu puis juger pur mon régiment) par régiment, ou 157,500 
pour l'armée. La cavalerie n'aura pas 30,000 cavaliers à 
cheval; l'artillerie et le génie 20,000. Cela fait 207,500, 
C'est peu pour tenir tête à l'Europe! 

Si l'on veut absolument la gnerre, il faut commencer 
pur organiser 400 ou 300 bataillons tie g-ardes nationales on 
de volontaires, et bien vile les exercer et les équiper. Ce 
n'est pas une petite besogm-, mais tous ces écrivains snper- 
Ôciels croient que cela se fait eu un tour de main. Ajoutons 
que l'armée a besoiu d'instruction, et que la cavalerie et 
l'artillerie ne sont pas priâtes. Cependant ces impudents t»' 
varda (1) fout tout ce qu'ils peuveut pour nous brouiller avec 
(l)OiiroiCpu: celM leUnquelnluiiuelËgcndûrednbraTemutehBlBBi^uil 



CHAPITRE XII. 191 

tout le monde. Qu'ils rendent grâce au gouvernement de ne 
les avoir pas écoutés ; à Theure qu'il est, ils ne bavarderaient 
plus! Les armées d'Allemagne seraient à Paris ; on n'arrête 
pas 400.000 ou 500,000 hommes de bonnes troupes avec des 
rassemblements tumultueux. Plus ceux-ci sont nombreux, et 
mieux ils sont battus. 

A présent, nous aurions dix fois plus de chances de suc- 
cès ; notre armée formerait de bonnes avant-gardes pour la 
nation, quelques peuples nous aideraient, et, à la fin de l'an- 
née, nous aurions une formidable armée. Mais que de dépen- 
ses, que de pertes, que de malheurs I Cela fait frémir. Les 
avantages seraient achetés bien cher. Certes, je n'ai qu'à ga- 
gner à la guerre : ou je serai tué, ou j'avancerai. Et cepen- 
dant je ne la désire pas, parce que je crains surtout la guerre 
civile et l'anarchie républicaine. 

Mon régiment va de mieux en mieux. Nous sommes 



à l'endroit des gens de presse, datait de loin. Lui qui avait tant de fermeté de 
caractère, un si profond dédain pour les sots et pour le danger, ne pouvait lire 
dans une feuille, sans frémir d^ndignation^ une calomnie dirigée contre sa per- 
sonne. Les journalistes et les hommes de l'opposition , qui n'ignoraient pas 
ce malheureux travers, cette faiblesse du maréchal, en abusèrent étrange- 
ment. On lui épargnait d'autant moins les attaques et les diatribes, qu'on 
le savait plus sensible et prenant au sérieux toutes les infamies débitées contre 
lui. Son exaspération ne connaissait point de bornes, lorsqu'il voyait dans une 
gazette quelconque ses intentions méconnues, ses actes faussement interprétés, 
ses paroles travesties. Il voulait tout aussitôt répoudre à l'article, le réfuter, et 
confondre le méchant calomniateur. C'est en vain qu'on cherchait à le con- 
vaincre de rinjutilité de sa défense et à lui faire comprendre que le silence et le 
mépris étaient contre ces misérables les seules armes à employer. « Il n^était pas 
toujours facile de le retenir, nous disait M^*^ le duc d'Aumale. Combien de fois 
les ministres furent-ils embarrassés ! Bien que le maréchal se trouvât sous les 
ordres du ministre de la guerre, ce dernier ne se souciait guère de lui enjoindre 
une défense ; on ne pouvait, en effet, oublier que le maréchal était le plus grand 
personnage du royaume. Mon père envoyait alors auprès de lui un de ses aides 
de camp en ambassadeur, moi-même quelquefois je fus chargé de lui conseiller 
de s'abstenir. » Jusqu'aux derniers temps de sa vie, le maréchal conserva pour les 
journalistes et la gente des folliculaires cette haine féroce qu'il manifestait déjà 
étant coloneL 



VJ2 LE MABÉCHAL BUGEAUD. 

pai$sablement forts en manœuvres, et nous donnons même 
une certaine extension & Tinstruction de la guerre. Je m*at- 
ta/:he à présent à former le moral, sans lequel il nV a pas 
d'année... 

BUGEAUD. 

La fille cadette du maréchal Bugeaud, M°^ la com- 
tesse Feray, qui a bien voulu nous seconder dans 
notre (Louvre, a pris la peine de reconstituer pour nous, 
dans de précieuses notes, la vie intime de son illustre 
p^re. (y'est grâce à elle, à ses pieux souvenirs, que 
nous avons déjà pu donner à nos lecteurs ces pages 
si touchantes qui retracent dans ses moindres détails 
renfaiice et la jeunesse du grand soldat. 

Voici ce (jui se rapporte à Tannée 1830 : 

Ii(î départ pour Grouoble fut très pénible. Que de larmes 
vfTHécs! Ma mère voyait avec tristesse mon père rentrer 
dîiriH la vie publique. Nous étions si heureux ! L'appartement 
qui nous attendait était sombre, dans une rue étroite. Le 
nouveau colonel devint bientôt l'idole du régiment et fat 
Tobjet de soins touchants dans la grande maladie qui le re- 
tint longtemps en convalescence. Peu de mois après notre 
arrivée, le plus jeune de mes deux frères fut enlevé par une 
fièvre cérébrale. Léo avait trois ans. Comme mon frère atné, 
il était d'une beauté remarquable, et son intelligence trop 
iléveloppée avait toujours inspiré des craintes. Il est des 
douleurs qui ne se peuvent exprimer. Je n'oublierai jamais 
ciîlle de mes parents. A genoux, dans un coin delà chambre, 
j<! d(*rnandai à Dieu de venir me chercher et de rendre mon 
frère. Jamais prière plus fervente n'est montée au ciel. Ma 



CHAPITRE XII. 193 

sœur commençait à comprendre la résignation, elle pleurait 
l)rès de ma mère. 

Mon père ne fat pas nommé général, comme on le lui 
avait promis. Sa santé altérée ne se rétablissait point. Il 
demanda un congé et tonte la famille retrouva avec bonheur 
la modeste et champêtre existence de la Durantie. 

Avec quel plaisir les amis, les paysans vinrent au-devant 
du maître, qui reprit ses occupations agricoles! La santé 
de ma mère tourmentait mon père ; il acheta une maison à 
Excideuil, où nous fûmes nous installer. C'était une de- 
meure bien simple, mais nous nous y trouvions si bien ! Des 
fruits, des fleurs dans le jardin, du soleil partout. Mon père 
cherchait sans cesse à la rendre plus agréable, et nous ai- 
mions tous la maison si gaie. Que de choses ne pourrait-on 
dire sur l'influence qu'une habitation peut exercer sur la 
vie! Cette nouvelle demeure devint bientôt le rendez-vous 
de toute la société des environs et de la ville. 

Mon père, élu député, était général depuis le 2 avril 1831. 
Il commandait & Paris, et nous l'attendions à la campagne, 
lorsque, au mois de janvier 1833, ma mère, recevant une 
lettre de lui, éclata en sanglots. Mon père lui annonçait son 
départ pour Blaye ; le roi, en lui donnant cet ordre, ne lui 
avait pas accordé le temps de refuser, encore moins d'en parler 
à sa femme. Il ajoutait que la mission était difficile, qu'il la 
remplirait comme celles qui lui avaient été confiées, en homme 
de cœur et d'honneur. « Pauvre Thomî disait ma mère, il juge 
les hommes bons comme lui, il croit toujours, malgré tout, & 
leur justice. N'importe, en dépit de son dévouement et de son 
désintéressement , il sera calomnié par les partis excités. Le 
roi le sacrifie sans penser qu'il a uneTamille, et, devant le dé- 
chaînement des partis, le gouvernement ne le soutiendra pas ! i^ 

Ma mère ne se trompait pas entièrement. 

T. I. 13 



11)4 LE MARÉCHAL BUGEAVD. 

Avant d'arriver aux détails de Tépisode de Blaye, 
il est intéressant d'établir d'une façon précise, par 
la correspondance que nous avons entre les mains, 
les dispositions d'esprit du général Bugeaud , député 
d'Excideuil, et ses relations avec les hommes politi- 
ques du jour. 

Voici ime lettre, à la date du 7 juillet 1832, écrite 
par lui à l'un de ses meilleurs amis, M. Gardère, riche 
négociant à Paris, et qui demeura le confident le plus 
intime de ses pensées. Retenu à la Durantie par ses 
affaires et son exploitation agricole, le général-député 
Bugeaud, qui d'ailleurs n'avait point encore de com- 
mandement, ne se trouvait point à Paris au moment 
des troubles de juin 1832. 

La Durantie, 7 juillet 1832. 

Je suis vraiment honteux , mon cher Gardère , d'avoir 
tant tardé & réi)ondre à votre originale et bonne lettre. 
Croyez qu'il n'y a pas indifférence, et que je vous aime au- 
tant que qui que ce soit après ma famille, parce que vous le 
méritez. 

Oui, vous avez eu raison de me dire : « Pends-toi, brave 
Grillon. j> Je me serais peut-être i)eudu, si les bousingoU 
avaient triomphé! Vous pouvez croire que j'ai regretté ma 
part des coups que l'on a donnés à ces implacables ennemis 
du repos de la France, et que je ferai en sorte à Tavenir de 
m'y trouver. Je trouve qu'on ne les a pas assez tapés. Et 
comment trouvez-vous ces arguties sur Tétat de siège faites 
par les mêmes hommes qui avaient demandé les mêmes me- 
sures contre la Vendée avec tant d'acharnement? La guerre 



CHAPITRE XII. 195 

est finie & Paris, disaient-ils! Qaoi ! les sociétés secrètes ne 
sont-elles pas continuellement en guerre I... 

Il leur sera permis d'attaquer toujours, et, après la dé- 
faite, de se retrancher derrière une absurde légalité ? S'il en 
était ainsi, il faudrait ne pas faire de prisonniers, puisque les 
lois seraient impuissantes à punir ces grands coupables. 

Comment trouvez-vous ces lurons qui voulaient porter 
la guerre en Pologne, en Italie, qui prétendaient avec leurs 
cartouches citoyennes et leur enthousiasme renverser toutes 
les armées de l'Europe, et qui aux premiers coups de fusil se 
cachent derrière des barricades, qu'ils ne savent pas défendre, 
et tirent par les soupiraux et les œils-de-bœuf ? Quoi ! vous 
voulez culbuter un million d'Allemands et de Russes, et vous 
ne savez pas défendre des défilés de forteresses ! 

Comment supporterez-vous en rase campagne la canon- 
nade de mille bouches à feu et des charges de 20,000 che- 
vaux? Vous pensiez, sans doute, qu'on vous ferait suivre 
par un quartier de Paris monté sur des roulettes? Mais les 
combats des 5 et 6 juin ont prouvé que cela n'aurait pas 
suffi aux exubérants ! 

Est-il vrai, comme le disent les journaux, qu'on se 
plaignait généralement & Paris de l'état de siège? Je ne l'ai 
pas cru. 

Que fera-t-on de ces gredins de Garnier-Pagès, Cabet et 
Laboissière? Certes ils sont coupables. Ils nous avaient assez 
manifesté leurs projets pour que l'on ne puisse pas en douter! 

Garnier est, de tous, le plus dangereux et le plus per- 
vers. Dieu veuille que le jury fasse son devoir envers eux! 

Je croyais me reposer en Périgord. Vain espoir ! Je suis 
accablé de visites ; beaucoup sont intéressées ; c'est & n'eu 
pas finir. Dernièrement un jeune homme vint de l'extrémité 
du département, et resta un jour chez moi sans me dire le 



190 LE MAUKCHAL BrOEArU. 

sujet de sa visite, qni était la première, a Monsieur, lui dis-je 
le lendemain matin , votre visite a sans doute un but, quel 
est-il ? — Général, je suis venu vous prier de me faire donner 
une place. — Quelle place? — Je n'en sais rien : celle que 
vous croyez que je puisse remplir. — Mais, Monsieur, je ne 
vous connais pas, et, quand je vous connaîtrais, je n'ai pas 
de places & ma disposition pour vous les donner, ou des 
destitutions à demander tout exprès pour vous coUoquer ! » 
n repartit, après avoir amplement déjeuné. 

Si je trouve beaucoup d'ardeur pour les places, j'en trouve 
moins pour le bien public. Je sue sang et eau pour orga- 
niser des comices agricoles, et je ne puis y réussir. 

Je suis obsédé d'affaires : je bâtis une caserne de gen- 
darmerie h Lanouaille, je bâtis & Excideuil 0(1 j'ai mes foins 
et ma récolte. Vous devez donc m'excuser du retard. J'ai à 
répondre à cinquante personnes. 

Adieu, cher ami, je pense que nous ne tarderons pas à 
nous voir; je voudrais pourtant bien que ce ne fût qu'en 
octobre. 

Amitiés à Pascal. B. 

Nous trouvons vers la même époque une lettre de 
madame Sermensan , Hélène de la Piconnerie, sœur 
du maréchal, lettre qui mérite d'être recueillie. 

Madame Sermensan au (jrnéral BugeaiuL 

HangniraD, 22 ayril 1882. 

Cher frère. 

Je viens de recevoir une lettre de M. Reculet et une de 
Cliéry Colomb, tout exprès pour me témoigner leur admira- 
tion et leur joie, en lisant dans le Mcmorial bordelais ta let- 



CHAPITRE XII. 197 

tre an mioistre de la gaerre, où ta refuses un commande- 
ment à Paris ; il est certain qu'elle m'a donné un véritable 
bonheur et que j'ai senti une fois de plus que j'étais fière, 
que le même sang coulât dans nos veines. 

Je me suis reportée en 1816, époque où M. de Montu- 
reux écrivait : « C'est un homme dangereux et qu'il faut 
surveiller, car il est le point de mire de tous les officiers en 
demi-solde. » A cette môme époque, M. Laine écrivant au 
duc de Feltre pour savoir à quelle classe tu étais porté dans 
les fameuses catégories, les bureaux répondirent : <i II est dans 
la 14^ classe, d et le ministre ajouta de sa main, au-dessous : 
C'est-à-dire de la plus mauoaise. 

Ah! comme cette lettre me fit mal, comme elle me dit 
en grosses lettres : Ne te flatte plus, ton frère ne sera jamais 
employé sous un semblable gouvernement ! 

Et cet homme si dangereux ne chercha, alors comme 
aujourd'hui, qu'à rallier tout le monde ; il prêcha, par l'exem- 
ple, l'obéissance aux lois; il s'occupa d'agriculture, des 
grandes routes, de tout ce qui était d'utilité publique; il fut 
maire zélé, estimé de tout le monde, etc., etc., et cependant 
ce gouvernement le crut indigne de reprendre son grade & 
l'armée. honte! Mais autre temps, autres mœurs. 

Une seule chose, cher ami, me fait une véritable peine : 
c'est de te voir dans l'indécision de revenir à la Chambre 
l'année prochaine. Je comprends la chienne de vie que tu mè- 
nes, je comprends tous les désagréments de ta situation, sur- 
tout éloigné de toutes tes affections ; mais il est digne de toi 
de persister à soutenir le gouvernamant et des ministres 
admirables par leur courage, qui supportent avec tant de 
dignité les attaques de tous ces énergumènes, Mauguin, 
Salverte et consorts. Je lis les gazettes depuis que tu es à la 
Chambre avec un redoublement d'attention ; il y a des jours 



1$)8 L?: 3IAU1ÊCHAL BUGEAl'D. 

o(i je suis furieuse de tonte leur mauvaise foi, d^autres où ils 
me font pitié; telle est la séance orageuse, pour le mot su- 
jets, qu'il leur serait si difficile de remplacer convenablement, 
et je ne comprends pas que, après Texplication de M. de 
Montalivet, ils aient pu continuer & en faire taut de bruit. 
On voit qu'ils étouffent de colère et qu'ils cherchent le sujet 
de répandre toute leur bile. 

Oh ! les vilains hommes, je les méprise trop pour les haïr; 
mais je ne puis croire qu'une semblable opposition soit une 
chose nécessaire pour un gouvernement représentatif. Par 
contre, je suis dans tm redoublement d'admiration pour les 
ministres, surtout pour M. Casimir Périer. On a voté pour 
M. de Richelieu une récompense nationale ; je ne mets pas 
en doute son mérite, mais, selon moi, il n'y a rien de compa- 
rable au président des ministres. Son courage et son dévoue- 
ment sont bien au-dessus des héros qui gagnent des batailles; 
ils risquent leur vie, il est vrai ; mais s'ils trouvent une mort 
honorable, leur mémoire vivra honorablement dans l'histoire, 
tandis que M. Casimir Périer sacrifie tous les jours sa vie 
abreuvée d'amertume, son repos, sa réputation, son bonheur 
enfin. Et peut-être que cet entier dévouement, qui sauve la 
France, n'obtiendra rien que l'ingratitude. Heureusement que 
les hommes de sa trempe doivent trouver dans leur cœur 
leurs plus douces récompenses ! 

Après tout ce que je vois, cher ami, je n'ai plus aucune 
ambition pour toi. Achève jusqu'au bout ta tâche de député, 
et reviens tranquillement reprendre ta charrue au sein de 
ta famille et de tes afiections; il n*y a de véritable bonheur 
(|ue celui-là et une honnête aisance; on disait autrefois : 
Heureux comme un roi ; on peut aujourd'hui retourner la 
phrase. 

Je te remercie mille fois de tout ce que tu me dis d'affec- 



CHAPITRE xir. 199 

tueux et de toutes tes oflfres géûéreuses ; je ne crains pas de 
manquer jamais du nécessaire, parce que mes dépenses sont 
trop bien calculées. 



Mon jeune couple est admirable par l'ordre et l'écono- 
mie, et leur affection semble prendre tous les jours plus de 
force. Azia est vraiment très remarquable par sa raison pré- 
maturée. 

C'est trop heureux de réussir quand on marie un fils 
de vingt-trois ans. J'ai de bonnes nouvelles d'Excideuil et 
Puissegeney. La bonne Élisa nous a envoyé une excellente 
dinde aux truflfes, que nous avons mangée avec nos voisins, 
et nous avons bu à la santé de cette excellente et digne femme, 
et au général Bugeaud, bon et loyal député. 

Phillis me dit que tes petites filles deviennent bien 
gentilles ; tant mieux, car je suis comme les hommes, je 
n'aime pas les laides. 

Adieu, bon frère, je t'aime comme tu le mérites. 

Hélène Sermensan (1). 

P. S. — J'écrirai à Pascal incessamment. En attendant, 
tendre amitié à E. Gardère et à tous les Clonard. 

(IJ M. le colonel Louis Sermensan, qui commande aujourd'hui à Périgueux le 
50* régiment d'infanterie, se trouve être à la fois petit-fils des deux sœurs du 
maréchal Bugeaud, d'Hélène de la Piconnerie, épouse Sermensan, et de Phillis 
de la Piconnerie, mariée à M. de Lignac de Pu^'ssegenez. Son père, en effet, 
M. Sermensan, avait épousé sa cousine germaine, M^*** de Puyssegenez. — En 
qualité de légataire de sa grand'mère maternelle Phillis, le colonel Sermensan 
avait eu jadis en sa possession la plupart des lettres et documents relatifs à son 
grand oncle le maréchal. Ils passèrent depuis entre les mains des filles de 
ce dernier. — Le nom de Puyssegenez, nom de fief, est orthographié de façons 
différentes. Thomas Bugeaud lui-même l'écrivait tantôt Puyssegeney, Puisse- 
genez, Puyssegenetz . 



CHAPITRE XIII. 



Coup d'œil sur la situation politique en France au commencement du règne du 
roi de Loui^i-Philippe. — Lettres* de M. Thiers, ministre de Tintérieiir, au gé- 
néral Bugeaud. — Arrestation de la duchesse de Berry. — Instructions du gou- 
Temement au colonel Chousserie, commandant de la citadelle de Blaye. — Le 
général Bugeaud est désigné pour remplacer le colonel Chousserie. — Sou- 
Tcnirs de madame la comtesse Féray. — Arrivée à Blaye. — Impression pro- 
duite par le général Bugeaud sur la duchesse de Berry. — Le fauteuil de 
duvet. — Le chien Bévis. — M. de Saint -Arnaud. — Injustes attaques contre 
le général Bugeaud. 



Nous voici maintenant arrivés à une période des 
plus graves et des plus intéressantes de la vie du ma* 
réchal Bugeaud. Il y aura tantôt un demi-siècle que 
se sont passés les événements dont nous allons par- 
ler. L'heure est venue, croyons-nous, de dire la vérité 
tout entière; les passions, les haines politiques qui 
suivirent la révolution de 1830, se sont calmées, et il 
nous sera permis, nous Tespérons, d'aborder les premiè- 
res années du règne du roi Louis-Philippe sans trou- 
bler la sérénité de Thîstoire. Notre œuvre, d'ailleurs, 
n'est point une œuvre de polémique, et l'on ne saurait 
nous accuser de porter sur les faits un jugement par- 
tial. Nous nous bornerons à mettre en lumière les inci- 
dents personnels à notre héros et à bien circonscrire 



CHAPITRE XIII. 201 

la part de responsabilité qui lui incombe dans un évé- 
nement d'une haute importance politique et qui fut, 
au milieu de Tanimosité des partis, très diversement 
apprécié. 

Dès les débuts de son règne, le roi Louis-Philippe 
s'était trouvé aux prises avec d'immenses difficultés. 
Toutefois, il eut cette rare bonne fortune de rencon- 
trer à ces heures de crise un grand ministre, homme 
d'autorité et de liberté à la fois, Casimir Périer, dont 
l'énergie, le bon sens politique et le patriotisme l'aidè- 
rent puissamment à consolider son trône. Ce trône, en 
eifet, n'avait pas tardé à être ébranlé à la fois par 
des ennemis différents, mais également acharnés : d'un 
côté, les républicains, dont le prince avait trompé les 
espérances anarchiques;de l'autre, les partisans de l'an- 
cien régime, qui ne pouvaient pardonner au neveu du 
roi Charles X de n'avoir pas refusé la couronne offerte 
par les représentants de la nation. Au moment même 
où mourait Casimir Périer (IG mai 1832), après avoir, 
dans une lutte terrible, étouffé l'émeute à Paris et 
à Lyon, les légitimistes agitaient les provinces de 
l'Ouest, et M™* la duchesse de Berry, débarquée en 
France, ne tardait pas à décréter une prise d'armes 
dans la Vendée. C'est alors que le Moniteur du 11 
octobre 1832 appela aux affaires étrangères M. le duc 
de Broglie, à l'intérieur M. Thiers, M. Guizot à l'ins- 
truction publique. Le maréchal Soult gardait le minis- 
tère de la guerre avec la présidence du conseil. 

Dans le volumineux dossier, correspondance offi- 
cielle et intime du maréchal, qui nous a été gracieu- 



202 LE MARÉCIIAL BUGEAUD. 

sèment remis par un de ses petits-fils, M. Robert Gas- 
son-Bugeaud d'isly, nous avons découvert un grand 
nombre de lettres de M. Thiers. En voici deux, à la 
date du 12 et du 28 octobre 1832, adressées par le 
nouveau ministre de l'intérieur à son collègue le gé- 
néral Bugeaud, député d'Excideuil; on y voit le jeune 
député d'Aix, — M. Thiers avait alors trente-cinq 
ans, — pour la première fois ministre, demander au 
général « de lui donner du courage, et solliciter les 
gens de cœur de soutenir sa jeunesse calomniée, bat- 
tue par les vents de l'envie. ï) 

Monsieur Thiers, ministre (h V intérieur , à monsieur 

le (fCncral Bmjeaud, députe. 

FariB, 12 octobre 183S. 

Mon cher général, vous êtes la i)remii;re personne à 
laquelle j'écris, depuis le martyre qui m'est imposé et qui 
va passer pour une élévation. Je jure sur riiouneur que je 
ne suis entré au ministère que par devoir. Le roi avait songé 
non à moi, non à M. Guizot, mais \\ M. Dupia seul. M. Du- 
pin a voulu être chef absolu, faire et défaire à sa volonté, 
et surtout s'allier à la gauelie, sous ])rétextc de transiger 
avec ses chefs les plus modérés. En tout autre temps, un 
tel projet aurait pu avoir ses avantages , mais dans un mo- 
ment oïL nous avions besoin de prouver à l'Europe que le 
vaisseau n'avait pas perdu ses ancres, Tidée de la transac- 
tion était insensée. Trois fois on s'est adressé à M. Dupia, 
sur ma proposition expresse, trois fuis il a refusé dure- 
ment. Le roi s'est alors adressé à nous. Je ne demandais 
pas ce qu*on ap{)elle les doctrinaires^ et eux, plus désinté- 



CHAPITRE XIII. 203 

ressés que personne, ne demandaient pas le pouvoir. Mais 
il fallait des forces, et oîi les prendre quand Dupin refii- 
sait? Nous sommes entrés, le désespoir dans l'âme, car le 
fardeau est énorme. Mais, en conscience, où trouver des 
liommes plus capables, plus honorables, plus dignes de la 
liberté que MM.de Broglie, Guizot et Humann? Ne faut-il 
pas un infâme génie de calomnie pour trouver à dire contre 
des hommes pareils ? 

Appuyez-nous, je vous prie, donnez-moi du courage, 
à moi qui ai besoin que les gens de cœur soutiennent une 
jeunesse calomniée, battue par les vents de l'envie. Écrivez- 
moi, je vous en serai très reconnaissant. Je suis sous l'im- 
pression douloureuse des journaux, et je vous écris avec 
trop de vivacité peut-être. 

Adieu, mon cher général, je vous embrasse et vous 

souhaite une meilleure santé. Les Chambres sont convoquées 

pour le 19. Adieu. 

Signe : A. Thiers. 

Monsieur Thiers , ministre de l'intérieur, à monsieur 
le général Bugeaud, député. 

Paris, 28 octobre 1832. 

Mon cher général, on ne peut avoir ni plus de jugement, 
ni plus de patriotisme que vous n'en montrez. Ce que 
vous pensez, je le pense comme vous, et j'ai trouvé ex- 
cellents vos articles dans le Journal de la Dordogne. Nous 
sommes décidés à tenir le langage que vous souhaitez, aux 
puissances, et nous l'avons déjà fait. J'espère que nous au- 
rons Anvers. Quant à la Vendée, je voudrais tenir la du- 
chesse ; je n'ai pas l'espoir et la prétention de détruire les 
bandes en un mois. Jacqueminot a montré un peu d'hu- 



204 LE MARlêCHAL BUGEAUD. 

meur, mais il est calmé. Il n'est pas question de sa démis- 
sion. Nous attendons de Londres des réponses positives sur 
la question belge. Nous sommes décidés à entrer (ceci en- 
tre nous : secret d'État!). Adieu, mon cher général, je sois 
prêt ù. me retirer quand le bien du pays le voudra. Je vous 
souhaite im prompt rétablissement de santé. 

Signé: A. Thiers. 

Le 7 novembre, M"Ma duchesse de Berry était arrêtée 
à Nantes. Nous n'avons point à qualifier ni à juger les 
procédés d'arrestation employés par le zélé et ardent 
ministre de l'intérieur. — La lettre suivante, écrite par 
lui au moment même de l'événement, exprime bien 
l'état de surexcitation des esprits à cette époque : 

Monsieur Thiers. ministre de V intérieur, à monsieur 

le gcncral Bugeaud, député. 

Paris, mardi 13 novembre lSd2. 

Mon cher général , 

Je vous demande pardon de ne pas avoir répondu à 
votre lettre. Je suis si fatigué, si tourmenté de soucis, que 
j'ai 21 peine le temps de songer aux choses les plus urgen- 
tes. Vous nous êtes indispensable, mon cher collègue. N0118 
ne pouvons d*aucune manière nous passer de vous. J'ai pris 
la duchesse de Berr)^, et cependant je n'ai encore essuyé que 
des sottises et des injures. Maintenant, on voudrait que 
nous l'eussions traînée de tribunaux en tribunaux , que nous 
eussions donné un odieux scandale ; on voudrait nous impo- 
ser des indignités, au lieu de nous renfermer dans une simple 
mesure de sûreté ! Je n'ai jamais vu tant d'injustice et de 



CHAPITRE XIII. 205 

manvaise foi. Notre projet est de proposer aux Chambres 
de la détenir autant que l'exigera la sûreté de l'État. Ve- 
nez, mon cher général, venez nous aider de vos conseils et 
de votre utile vote. Adieu , il faut que tous nos amis soient 
présents, ou nous sommes perdus ! Je vous embrasse et 
souhaite que Dieu vous envoie une meilleure santé. Adieu. 

Siffné : A. Thiers. 

Il nous paraît intéressant de placer ici une lettre 
du général Bugeaud adressée à M. Mourgues, préfet 
du département de la Dordogne. Le général, en par- 
lant de la duchesse de Berry, était loin de] prévoir 
que, quelques jours plus tard, il allait être chargé de la 
délicate mission de gouverneur de Blaye. 

Le général Bugeaud à monsieur Mourgues, pré/et 

de la Dordogne. 

Paris, le 4 janvier 1883. 

. . . Nous aurons demain une séance dramatique à l'oc- 
casion de vingt-huit ou trente pétitions pour la duchesse 
de Berry ; nous passerons a Tordre du jour sur tout cela, et 
nous tirerons une terrible épine du pied du ministère. 

L'ordre du jour sera très significatif : il voudra dire 
que les choses restent dans le statu quo. Au reste, il est 
probable qu'il se motivera fortement par la discussion. 

De cette manière, la duchesse de Berry ne sera pas 
jugée, selon toute apparence, et on la détiendra jusqu'à ce 
que les circonstances permettent de la mettre en liberté, 
à condition qu'elle n'y reviendra plus. 

Je sais bien que les carlistes lèvent le masque, à sup- 
poser qu'ils aient eu un masque, car je trouve qu'ils ne 



200 LK MARIÎCHAL BUCîKAUD. 

se sont jamais cachés. Il faat attribuer rcla non pas à leur 
courage, mais h la douceur du gouvernement et des lois. 
Ils ne sont pas dangereux physiquement, et soyez convaincu 
(|ue, loin de s'aggraver, comme vous le pensez, la situa- 
tion s'améliore chaque jour. Les émeutes ne sont plus ù 
craindre ; l'Europe nous respecte et nous craint ; le com- 
merce et l'industrie marchent bien : tout nous annonce 
des jours plus i)rospères ; il y aura encore de petits embarras , 
mais nous eu triompherons aisément. 
Votre aftectionné et dévoué serviteur, 

Bu(jKArj>. 

Bien que la mission du général Bngeaud soit pos- 
térieure de plus de trois mois à Tarrestation de ma- 
dame la duchesse de Berry, — le gouvernement de la 
ville et du château de Blaye ne lui ayant été confié que 
le 31 janvier 1833, — il est intéressant de connaître 
les premières instructions adressées par M. Thiers au 
colonel Cliousserie, lequel précéda le général Bugeaud, 
en qualité de commandant supérieur de la citadelle de 
Blaye. Ces documents furent remis au nouveau gou- 
verneur, lorsqu'il vint remplacer M. le colonel Chous- 
serie. 

Momieur Thiers, ministre de l'intcrivur^ à monsieur le colonel 
Chousseric, commandant supérieur à Blaye (Gironde). 

Paris, I M novembre 1h32. 

Monsieur le colonel, après une traversée prolongée , vous 
êtes arrivé à Blaye où vous attendaient la notification du 
commandement supérieur qui vcus est confié, et les pre- 
mières instructions de M. le ministre de la guerre. 



CHAPITRE XIII. 207 

Avant de les compléter, eu ce qui me concerne, j'ai 
besoin de connaître wos observations particolières ; je me 
bornerai donc moi-même à des aperçus. 

H fallait d'abord pourvoir au plus pressé , et c'est ce 
qu'a fait, d'après mes recommandations, -M. le préfet de la 
Gironde. Il s'est, comme vous devez le savoir, muni d'une 
lettre de crédit du receveur général sur le receveur particu- 
lier de Blaye. Cette lettre, sous sa responsabilité person- 
nelle, a été délivrée au nom du sous-préfet de l'arrondisse- 
ment de Blaye, qui tiendra, au fur et à mesure des besoins, 
les fonds nécessaires à votre disposition. 

La haute surveillance que vous êtes appelé à exercer et 
à diriger, se divise nécessairement en trois parties : celle 
de l'intérieur, celle de l'extérieur du château, et celle de 
la côte. 

Pour la première, deux commissaires civils seront nom- 
més ; un commissaire de police sera chargé de la seconde ; 
voici, relativement à la troisième, copie des instructions 
transmises par M. le ininistre de la marine : 

Surveillance intérieure du château (1). 

L'enlèvement de la duchesse ne semble point à crain- 



( 1) La citadelle de Blaye s'élève sur la rive droite de la Gironde et domine une 
ville d*un aspect misérable et morne. Quelques mes formées par des casernes, 
une place d'armes, des magasins pour l'artillerie et le génie, voilà de quoi se 
compose l'intérieur de cette citadelle. Le sommet en est couronné par un vieux 
château, que Boland construisit, dit une légende populaire, et où son corps fut 
déposé après la défaite de Roncevaux. Autour, règne une terrasse qui n'a que 
dix on douze pieds de large et qui est de niveau avec le mur de revêtement. Du 
haut de cette espèce de parapet, sablé dans la plus grande partie de son étendue, 
et coupé de distance en distance par des embrasures qu'on passe sur des planches, 
le regard domine un immense horizon. A l'ouest, c'est le âëuve qui a dans cet 
endroit la majesté mélancolique de la mer ; du nord à l'est et au sud, ce sont 
des coteaux couverts de vignes, de maisons de plaisance, de moulins, de fabri- 
ques. Le séjour de la citadelle est froid; les brises y sont dangereuses ; les phti- 
siques y meurent vite. (Louis Blanc, Histoire de dix ans.) 



208 LE 3iIARéCHAL BUGEAUD. 

dre, mais on doit supposer que de nombreux projets d'éva- 
sion seront formés. , 

Deux personnes seront placées auprès d'elle : M. de 
Mesnard, serviteur dévoué, mais âgé et peu propre à Pin- 
trigue; M"® de Kersabiec, non moins dévouée, mais ac- 
tive , entreprenante , habituée à une vie aventureuse ; elle 
serait nécessairement l'intermédiaire de toutes les entre- 
prises. 

Des femmes de chambre seront probablement réclamées 
par la duchesse. Le premier choix qui en sera fait ne sera 
pa§ sans importance. Il ne suffira pas de s'assurer de leur 
moralité. Quelles étaient leurs relations? A quelle famille 
appartiennent-elles ? La condition qui leur sera imposée de 
ne conserver aucune communication avec l'extérieur ne pour- 
rait-elle pas être illusoire ? Voilà ce qu'il importera d*é- 
claircir. 

Des livres, des habillements, des instruments, etc., se- 
ront demandés à Bordeaux. Des communications jonmaliëres 
vont être entretenues avec cette ville, où le parti légitimiste 
a toujours compté de nombreux affidés. Ces livres, ces ha- 
billements devront être examinés avec un soin scrnpnleiix : 
des renseignements seront pris sur les fournisseurs. Il n'en 
faut pas d'attitrés. En se procurant les marchandises, tan- 
tôt chez un marchand, tantôt chez un autre, en laissant 
ignorer la destination , on évitera des tentatives de commu- 
nication et de relations avec le château. 

Les lettres ne pourront être remises et reçues qu'ou- 
vertes. Les bandes de journaux seront enlevées. Le commis* 
saire de police devra avoir, pour faire au besoin ressortir 
l'encre sympathique, un appareil chimique à sa dispo^ 
sition. 

Ces précautions seront autant que possible inaperçues^ 



CHAPITRE XIII. 209 

mois elles seront indispensables. Une surveillance de tous 
les instants et de tous les objets peut se concilier avec beau- 
coup d'égards, de ménagements, de complaisance. Le but 
constant de cette surveillance est de ne laisser aucune chance 
d'évasion à la duchesse. 

Je vous laisse le soin, colonel, de rédiger un règle- 
ment spécial, les articles relatifs au mode de bien cons- 
tater l'identité des personnes, lors des communications 
indispensables à l'emploi de l'aumônier, au service de 
santé, etc. Les personnes attachées à celui de la duchesse 
seront averties qu'une fois entrées, elles ne pourront plus 
sortir. 

Ce sera par vos soins que la duchesse recevra les jour- 
naux que vous vous procurerez vous-même; aucun abon- 
nement ne sera pris en son nom. 

Ce qu'il importe par-dessus tout d'éviter, c'est qu'aucune 
communication directe , aucun moyen de concert ne puisse 
s'établir. Votre intermédiaire et celui de M. le commissaire 
civil ne sauraient en aucun cas être illusoires. Il faut qu'en 
tout et partout, dans le château dont le commandement vous 
est confié, votre présence et votre action se manifestent. 
C'est la duchesse de Berry que renferme le château ! 

Agréez, etc. 

Signé : A. Thiers. 

M. Thiers, dans sa sollicitude pour les graves in- 
térêts qui lui étaient confiés, ne négligeait aucun dé- 
tail, aucune précaution. Voici , parmi tant d'autres, la 
lettre confidentielle qu'il écrivait lui-même au commis- 
saire spécial, M. Joly, particulièrement chargé de la 
surveillance de l'illustre prisonnière : 

T. I. 14 



210 LE MARÉCHAL BUGEAUD. 

Monsieur Tkiers, ministre de l'intérieur, à monsieur Jbfy, 

commissaire spécial d Blaye. 

Parie, 12 décembre 1882. 

Monsieur, je venais de vous adresser des instructions 
dont vous trouverez ci-joint copie, au moment où vous vous 
êtes mis en route pour Paris. Votre retour ù Blaye m'im- 
pose l'obligation de les compléter. 

Votre titre, à cette résidence, est celui de commissaire 
spécial, attendu que vous êtes spécialement chargé de la po- 
lice de Blaye et de l'arrondissement dont vous m'avez soamis 
à cet égard votre plan d'organisation : je l'approuve. 

Votre surveillance éprouvera d'autant moins d'entraves, 
que je viens de recommander a MM. les préfets de défendre 
l'expédition ou le visa de passeports pour l'arrondissement 
de Blaye, à moins d'une autorisation formelle de ma part. 

Le commissaire spécial est autorisé à correspondre avec 
mon ministère ; il profitera au besoin du départ des estafettes. 

Ses rapports seront régulièrement adressés à M. le com- 
mandant supérieur. 

Il n'emploiera que des agents discrets et choisis qui se- 
ront placés sous sa discipline. Ses relations avec le commis- 
saire civil seront fréquentes et immédiates. Toutefois, leur 
service respectif étant essentiellement distinct, il ne saurait 

avoir ni rivalité ni double emploi. 

Le commissaire civil, M. Dufresne, aura, comme agent 
comptable, la mission d'ordonner et de régulariser les dé- 
penses. 

Telle est la distinction établie. Voici sous quel rapport 
les deux fonctionnaires concourront au même service de sur- 
veillauce et de sûreté : 



CHAPITRE XIII. 211 

Les deax commissaires établiront leurs chambres à cou- 
cher au rez-de-chaussée du bâtiment occupé par la duchesse 
(n° 53 du plan de la citadelle). A cet effet, le commissaire 
spécial reprendra le logement indiqué sur ce plan FFFG ; la 
chambre E sera occupée par le commissaire civil. 

Pour plus de régularité, et après avoir pris les instruc- 
tions de M. le commandant supérieur, il est bien établi que, 
chaque nuit, Tun des deux commissaires couchera dans la 
chambre P avec l'officier de gendarmerie. Ils feront le ser- 
vice alternativement. 

Pendant le jour, un agent de service sera placé avec Tof- 
ficier de gendarmerie dans la pièce P. 

Le soir, la clef de la porte fermant intérieurement le cor- 
ridor des appartements de M°^® la duchesse de Berry sera 
remise par le commandant de place à celui des deux commis- 
saires qui couchera au rez-de-chaussée. La clef de la porte 
extérieure sera remise, comme cela se pratique actuellement, 
au commandant de la place. 

Une sonnette sera disposée dans la pièce P, de manière 
à communiquer avec le rez-de-chaussée et à pouvoir appeler 
le commissaire civil, qui devra toujours y passer la nuit. 

L'un des deux agents placés pendant le jour dans la 
pièce P ne devra jamais perdre de vue M™® la duchesse de 
Berry, lorsqu'elle descendra dans son jardin. 

On n'admettra dans l'enceinte palissadée que le colonel 
chargé en chef du gouvernement de la citadelle de Blayé, le 
commandant de la place, les officiers de gendarmerie de ser- 
vice auprès des prisonniers, les troupes gardant les portes 
extérieures, les commissaires civils, leurs agents et les domes- 
tiques chargés du service de la maison. 

Les domestiques attachés au service des prisonniers ne 
pourront sortir de la citadelle; les femmes de chambre et 



Î212 LE MARÉCHAL BUGEAT'D. 

valets de chambre attachés plus particulièrement u la per- 
sonne des prisonniers ne sortiront pas de la maison n® 33, de 
la cour et du jardin. On veillera & ce qu'ils ne puissent com- 
muniquer avec les troupes de la garnison. 

Le commissaire spécial et le commissaire civil devront 
avoir connaissance de toutes les consignes données aux postes 
intérieurs de l'enceinte, ainsi que du mot d'ordre et de celui 
de ralliement. 

Je n'ai pas cru devoir me dispenser d'entrer dans ces 
détails. U s'agit d'une mission toute spéciale et dont lahaate 
responsabilité exige le concours des garanties les mieux con- 
certées. D'autres précautions encore semblent devoir être 
prises et ne pas présenter moins d'importance ; elles sont in- 
diquées dans la note ci-jointe. Vous en réclamerez l'adoption 
et vous veillerez à ce qu'elles soient exécutées sans retard. 

Je reviendrai sur divers articles de cette correspondance ; 
des additions, des modifications seront successivement recon- 
nues nécessaires. J'accueillerai toujours avec empressement 
de judicieuses observations, mais ce qui a été décidé avec 
maturité doit être exécuté ponctuellement ; riiésitation et les 
retards ne pourraient qu'entraîner de graves inconvénients. 
Telle est la direction qui doit être suivie. M. le comman- 
dant supérieur imprimera le mouvement, et je me plais & 
croire (qu'aucune partit» du ser\'ice ne restera en souffrance. 

Il serait bon que, chaque jour, le cuisinier remît note 
des vivres dont il aurait besoin au commissaire chargé de la 
dépense. Les pourvoyeurs préposés à cet eftet remettront, en 
présence d'un agent, les provisions qu'ils se seront procurées 
au dehors. En tout et pour tout, lorsqu'il s'agit de communi- 
ration avec l'intérieur, le contrôle le plus sévère est indis- 
jK'nsable. 

Agréez, etc. Sfff?ir : A. Thieks. 



CHAPITRE xiir. 213 

Le colonel Chous série, assez justement jaloux de 
son autorité, avait vu non sans déplaisir le commis- 
saire spécial de police, M. Joly, installé par M. Thiers 
au château de Blaye ^t ayant en quelque sorte pour 
mission de contrôler la surveillance et les actes du 
commandant supérieur. La lettre ci-dessous de 
M. Thiers fait allusion à ces conflits, que le gouverne- 
ment d'ailleurs devait, peu de temps après, éviter en 
confiant le commandement de la citadelle non plus 
à un colonel, mais à un maréchal de camp, ainsi que 
Ton désignait alors les généraux de brigade. 

Monsieur Thiers, ministre de l'intérieur, à monsieur le colonel 
Ckousserie, commandant supérieur à Blaye (écrite de la 
main du ministre). 

Paris, 21 décembre 1832. 

Monsieur le colonel, 

Je vous tromperais, si je vous disais que je suis complè- 
tement satisfait de la manière dont vous vous prêtez aux 
arrangements que j'avais projetés. Je vous ai montré assez 
de bienveillance pour que vous fassiez quelque sacrifice pour 
me satisfaire, et assez de confiance pour que vous ne doutas- 
siez pas du motif qui me ferait accumuler tant de précau- 
tions. Au surplus, comme je ne veux pas être servi par des 
mécontents, je cède à vos désirs. J'ordonne à Joly de s'éta- 
blir à Blaye, eu dehors de la citadelle, pour y faire la po- 
lice de l'arrondissement... Dufresne restera seul au dedans 
et continuera d'exercer les fonctions qui lui ont été confiées. 
Je vous prie d'avoir pour lui tous les égards dus à un hon- 
nête homme, qui, pour n'être pas militaire, n'en est pas 



214 LE MARÉCHAL BUGEAUD. 

moins plein dMionnenr et digne de toute confiance. Je Tavais 
bl&mé de son désir d'être présenté à W^^ la duchesse de 
Berry, car mes agents sont chargés de la garder, de la res- 
pecter, et nullement de lui plaire et de se faire agréer par 
elle. Mais depuis que j'ai appris que c'était pour la connaître 
et avoir l'occasion d'entrer chaque jour chez elle, s'assurer 
que tout est en ordre, je l'approuve et je vous engage & le 
satisfaire. 

Je tiens expressément à ce que la fenêtre de l'officier de 
gendarmerie qui est de garde jour et nuit entre la porte du 
corridor de la duchesse et la porte extérieure du bâtiment, 
je tiens à ce que cette fenêtre soit grillée. 

On m'a fait part de plusieurs détails dont je vous ferai 
envoyer la note et qui mériteraient d'être rectifiés pour ache- 
ver de compléter la sûreté matérielle de la prison. 

Quant à M"*^ Chousserie et à sa jenne fille, je ne vous 
en parlerai pas, puisque vous ne m'en avez point entretenu. 
Pour moi, je serais tout à fait disposé à m'en rapporter à 
votre opinion et à vous permettre cette compagnie, si vous 
n'y voyez aucun inconvénient. Mais je m'en remets à ce que 
vous écrira M. le maréchal. 

Au surplus, je n'ai pas moins de confiance et d'estime 
pour M. le colonel Chousserie, bien que je me plaigne de lui 
h lui-même. Je remets toujours avec la même sécurité l'hon- 
mmv du gouvememeht dans ses mains. 

Agréez, colonel, Tassurance de ma haute considération* 

Sif/né : A. Thiehs. 

Malgré tout son zèle, M. Thiers ne put conserver 
le portefeuille de l'intérieur. Il fut remplacé, le 1" jan- 
vier 1833, par le comte d'Argont, ancien auditeur 
du conseil d'Etat sous Napoléon P', préfet, conseiller 



CHAPITRE xiir. 215 

d'Etat et pair de France sous le roi Louis XVIII. 
M. d'Argout, homme laborieux, conciliant, légère- 
ment sceptique, accepta ces fonctions délicates sans 
grand enthousiasme ; mais le programme politique 
étant admis, il s'y confirma sans hésitation. 

Nous trouvons, dans un livre assez curieux : les 
Salons cTautrefotSj par M°** la comtesse de Bassan- 
ville, le passage suivant : 

« Un de ceux qui tenaient le plus souvent et le 
plus volontiers tête à M"® de Girardin, était le maré- 
chal Bugeaud, que les légitimistes habitués de Thôtel 
d'Osmond regardaient toujours d'un mauvais œil, lui 
reprochant d'avoir sollicité Vinfâme honneur d'être 
le geôlier de M""® la duchesse de Berry à Blaye. Ce 
reproche était lui-même une infâme calomnie. D'ail- 
leurs, la lettre parfaitement authentique qu'il m'a été 
permis de copier le prouve, et son caractère histori- 
que ne peut laisser aucun doute sur ce triste évé- 
nement, bien loin de nous aujourd'hui, mais qui pou- 
vait marquer une tache sur la mémoire de l'honnête 
homme qui n'avait fait qu'obéir, comme soldat, à un 
ordre dont il gémissait d'être chargé. 

a Cette lettre, la voici : 

Blaye, le 13 janvier 1833. 

C'est avec un bien vif plaisir, mon cher F..., que j'ai appris 
votre nomination. Je souffrais, chaque jour, lorsque j'y pen- 
sais, de vous voir dans ce délaissement. Mais je vous en 
estimais davantage, parce que vous supportiez cela sans mur-; 
murer, sans attaquer le gouvernement, comme font tiant de 



216 LE MARECHAL BCGEAUD. 

gens qui n'ont pu obtenir les emplois auxquels ils niaient 
nuls droits. 

Vos droits étaient patents^ et vous ne vous êtes pas plaint, 
parce que vous savez que les gouvernements ne peuvent pas 
toujours faire tout ce qui est juste, ni le faire tout de suite ; 
que, dans tous les cas, le roi et le gouvernement ne sauraient 
être accusés de ces petits dénis de justice, qui auront lieu 
sous tous les gouvernements , parce qu'ils sont formés avec 
des hommes, et que les hommes ne sont pas des dieux. 

Vous ne vous attendiez pas plus que moi à me voir aller à 
Blaye. Voici comment cela m'est advenu : 

Le 30, j'étais au bal chez le roi ; M. d'Argout vint à moi, 
et me dit : « J'ai toujours pensé, général, que vous étiez très 
dévoué à la monarchie et au gouvernement de Juillet. Accep- 
teriez-vous une mission de confiance et de dévouement?... » 
et il me regarda d'une façon étrange, en prononçant ces mots. 
<c Quand je me dévoue à une cause, ce n'est point à demi, 
répondis-je; donc j'accepterai, et je ferai tout ce qui ne sera 
pas contraire à l'honneur ; plus Temploi sera périlleux et dif- 
ficile, plus j'en serai flatté I — Je m'attendais à cela , et je 
vais porter votre réponse au roi, » fit M. d'Argout, s'éloi- 
gnant aussitôt. 

Là-dessus, mon esprit travaille à deviner de quoi il s^agit. 
Faut-il aller aider don Pedro?... ou bien est-ce en Turquie 
qu'on veut m'envoyer?... à moins que ce ne soit en Grèce... 
— Mais je finis par me confier au sort sans y plus penser, et 
je restai au bal jusqu'à cinq heures du matin. 

En rentrant chez moi, je trouvai l'ordre de partir pour 
Blaye ; je fus chez MM. d'Argout et Soult prendre mes instruc- 
tions. Ijc roi me fit demander, me remercia d'avoir accepté, et 
me donna aussitôt ses instructions. Je vous assure que j'au- 
rais préféré conduire 0,000 hommes à don Pedro, ou au Gand 



CHAPITRE XIII. 217 

Turc... Ce métier de gardien convieiit peu à mon caractère et à 
mon esprit ; mais il faut bien obéir!... car, nous autres soldats, 
nous ne devons pas agir selon nos convenances, mais marcher 
quand on nous ordonne de marcher... D'ailleurs, n'est-ce 
point par l'entier dévouement des hommes de cœur que la 
France peut être mise à l'abri des factions et des factieux? 
Adieu , mon cher F..., amusez-vous, soyez heureux et pen- 
sez quelquefois au pauvre prisonnier. 

Votre aflTectionné, 

BUGEAUD. 

« J'ai voulu citer cette lettre, ajoute M°^ de Bas- 
sanville, dans toute son étendue, parce qu'elle appar- 
tient à rhistoire, et que, d'ailleurs, on ne peut trop 
s'efforcer d'essuyer la poussière qui pourrait ternir 
une aussi belle vie que celle du maréchal , dont la 
m émoire est adorée par le soldat. Il était très sen- 
si ble alors à l'opinion qui s'éleva contre lui, et voua 
une haine implacable aux journalistes et aux journaux 
d ont les articles le déchiraient impitoyablement. » 

Voici les înst ructions que M. d'Argout adressa au 
général Bugeaud, la veille de son départ : 

Monsieur le comte dArgaut, ministre de Vintcrieur, 
à monsieur le général Bugeaud. 

Paris, V^ janvier 1883, 3 heures après midi. 

Cher général , 

Voici vos instructions, ainsi que les lettres destinées 
au préfet, au sous-préfet, au colonel Chousserie, & M. Du- 
fresne et à M. Joly. J'y joins toutes les copies que j'ai pu 
faire faire, depuis ce matin, des instructions données par mon 




2Î8 



LE ItUlÉenAL BCCKAI-D. 



prédécesaeiir ou par moi an colonel Chooaserie. Son dpvoïr 
est de TOUS laisser tontes eelles iju'il a r&^nea ; mais h tout 
f-véïiement je ne snis pas l&ché de vous les remettre moi-mCme. 
J'y joïna encore copie dus instructions adressées à M. Joly, 
afin qnc; vous n'ignoriez de rien. 

Le maréclial vous fera parvenir avant 4 heures votre 
nomination et vos instructïoua. J'ai fait commander It-a 
chevanx de posUi pour cette henre-Ià. Je ne serais pas îAcbè 
que voua vous missiez en route avant !e départ du courrier. 
Faites eonrir devant votre voiture, pour aller pins vite. Jo 
pense que vous ne devez pas vous arrêter & Bordeaux, ce qui 
vous ferait perdre du temps, mais vous rendre directement h 
Bkye, d'od vous adresseriez an conseiller de préfecturo la 
lettre qni lui est destinée avec quelques mots de regrets et de 
compliments. Ces précautions sont sans doute surabondant^?», 
mois il vaut mieux pécher par excès que par défaut. Dan s 
Toa relations avec le colonel Chouaaerie, veuillez lui expri- 
mer que cette mesure n'est point nne disgrâce, mais nne af- 
faire de convenance et d'utilité de service que lui-môme avait 
comprise, en exprimant an gouvernement la pensée qu'un 
commandement de cette îm[iortaDce ne ponvait être confié 
qn'tt un maréchal de camp. 

Adieu, cher général, je vous réi<éte du nouvean combieu 
je suis henreux de voir confier en des mains si loyales, si 
habiles et si dévouées nn poste dont la snrveillance et la di- 
rection fonchent de si près aux plus grands intérêts de l'État. 
Comiitez entièrement, je vous prie, snr mon zèle à voua se- 
conder en toutes choses et à vous tùder dans cette tAcbe dif- 
ficile. Croyez anasi , cher général , & la sincérité de mon bien 
cordial attachement. 

Écrivez-moi tria souvent et dans les plus grands détails. 



C u'Argott. 



4 



CHAPITRE XIII. 219 

P. S. — J'ai pris bonne note de M. Desvignes et de l'in- 
térêt que vous voulez bien lui porter. 

De tous les témoins oculaires de la captivité de 
Blaye, deux personnes seulement, croyons-nous, sur- 
vivent : les deux filles du général Bugeaud. L'une 
d'elles, la plus jeune, M*"* la comtesse Feray d'Isly, a 
bien voulu pour nous recueillir encore ses souvenirs 
de cette époque. Nous nous permettons de reproduire, 
sans le^ modifier, ces notes intimes écrites aU' courant 
de la plume, mais tout imprégnées de la saveur des 
souvenirs d'enfance, toujours si pleins de fraîcheur 
et de vérité : 

Mon père, le lendemain de son arrivée à Blaye, se pré- 
senta à M™® la duchesse de Berry, qui comprit bien vite que 
sa situation serait adoucie. Elle sut apprécier ce caractère si 
ouvert et si complètement honnête. L'excessive surveillance 
à laquelle elle était soumise cessa. Elle recevait qui lui plai- 
sait. Les personnes qu'elle refusait de recevoir, dans leur 
amour-propre offensé, en accusaient le gouvernement. Bien 
peu de temps après sa nomination, les relations de mon père 
avec M™® la duchesse de Bcrry devinrent très cordiales. 

Dès notre arrivée, sans attendre que ma mère eût sollicité 
l'honneur de lui être présentée , M*"° la duchesse lui fit de- 
mander de venir la voir avec ses enfants. On nous fit à tontes 
deux, à ma sœur et à moi, une belle toilette (robe d'alépine 
aventurine, chapeau également aventurine, recouvert d'un 
colossal nœud rose). J'insiste sur ces détails pour vous con- 
vaincre de l'exactitude de mes souvenirs. Depuis la veille, je 
recevais de ma mère des sermons sur la bonne tenue que je 
devais observer, et le lieutenant Saint-Arnaud me faisait ré- 



220 



LK MAR^CHAI. BrOEAVD. 



I)ét«r mes r<5viîreiices. Nons partons avec mon père J> l'heure 
indiqnée par Son Altesse, qni vînt très gradeasenient iin-'Ic- 
vaQt de ma mère dans son ealon.La duchesse, pour saluer 
ma mère, avait quitté na très grand fautenil garni de gros 
comsioB de duvet ; l'aspect confortable de ce siège me fas- 
cina Bana donte; j'oulilie tont à conp les eemious, les révé- 
rences, je me précipite dans le fatitenil en disparaissant dans 
le moellenx dnvet. On ne vit plus que le ncend rose de mon 
chapean. La duclieese se mit à rire anx éclats, autant de la 
coufnsioD de ma mère que de mon procédé pea civilisé; elle 
s'opposa fonnellcinent h ce que je fusse dérangée et prit on 
autre fauteuil. Heureusement, ma sœnr s'était condm'Ie en 
fille de bonne maison ; mais quand elle me vit si bien en 
possession de mon agréable retraite, elle s'enhardit et vint 
le partager. 

Depuis cette visite, chaqne fois que nons étions toutes 
les deux dans la chambre de M"' la duchesse, elle nons don- 
nait le fautenil de duvet, chacune îi notre tour. La duchesse 
fut charmante pour ma mère; quand nons quîtt&mes le sa- 
lon, mon père sortait le dernier; elle lui cria : a Général^ 
vous m'enverrez souvent vos enfants ; votre petite sauvagine 
me plaît, c'est la miture! n Ma sœur allait chaijne matin 
prendre des leçons dans une pension. Elle ne se rendait cheK 
la dnchcssc qne le jeudi et le dimanche , et lui portait chaqtie 
fois un l)onquet. Son Altesse nous caressait Iwanconp, nous 
faisait servir & goûter, aimait à nous voir coarir au jardin. 
Plus libre que ma sœur, je la voyais presque tous les joure. 
Quelquefois elle me regardait fixement, me prenait sur ses 
genoux et m'embrassait. < Nini, me disait-elle, tu me rap- 
pelles mon fils; il est blond comme toi. Bien des personnes 
me demandent de ses cheveux; je vais envoyer des tiens, 
ils sont semblables. » Ktla diicbesseme coupait de loagaea 



CHAPITRE XIII. 221 

mèches de cheveux. Ma mère mettait une grande discrétion 
dans ses visites ; Son Altesse était assez bonne pour le lui re- 
procher. 

Souvent mon père allait avec M. de Saint- Arnaud (1) 
passer quelques heures près de Son Altesse. La conversation 
était toujours intéressante, très souvent animée par une grande 
gaieté. La duchesse riait de bien bon cœur des histoires que 
ces messieurs lui contaient. D'autres fois, mon père formait 
des projets avec elle, dans l'espérance qu'elle resterait en 
France. Il lui disait : a Votre Altesse aurait fait un bon géné- 
ral d'armée, elle fera un très bon agriculteur. Je serai là. 
Madame, pour vous aider de mon expérience. i> D'autres 
fois, la duchesse lui racontait sa campagne de Vendée. Les 
lettres publiées dans l'ouvrage de M. Henri Lecharpentier 
prouvent que mes souvenirs sont très fidèles. Ces conversa- 
tions, auxquelles je ne prêtais aucune attention, me sont 
revenues à la mémoire depuis que j'ai su les comprendre. 

L'appartement de Son Altesse était meublé avec tout 
le luxe auquel elle était habituée. Elle avait sa maison , son 
chevalier d'honneu;* et ses dames d'honneur, tout le per- 
sonnel que Son Altesse pouvait désirer. Elle sortait rarement 
hors du jardin , invitait souvent à dîner mon pète et ses of- 
ficiers, rarement les personnes qui venaient soit de Paris ou 
d'ailleurs. Elle n'aimait pas toujours à recevoir ces visites 
et avait une grande liberté à cet égard. 

M™° la duchesse possédait un chien nommé Bcvis , un 
perroquet et deux perruches ; une personne était uniquement 
occupée au service de ces animaux. La maison oii logeait 
mon i)ère n'était pas très éloignée de l'habitation royale. 

(1) La correspondance si remarquable du maréchal de Saint* Arnaud, publiée 
après sa mort, contient de précieux renseignements et des détails sur la captivité 
de M™<^ la duchesse de Berry. Nous les reproduisons plus loin. 



222 LK 3L\R1ÎCHAL BUGKAUD. 

Moins élégante, elle était fort spacieuse ; ses sœnrs, mes tantes 
de Puyssegenetz et Semiensan vinrent nons rejoindre. Les of- 
ficiers, les nombreuses visites des amis de mon père ren- 
daient la vie intérieure de la famille très mouvementée. 
M. de Saint^Arnaud était lieutenant dans un régiment dMn- 
fanterie en garnison à Blaye. Mon père découvrit vite en lui 
riiommc charmant, intelligent et dévoué qu'il était; il en 
fit son officier d'ordonnance. Depuis cet instant, ils n'ont 
cessé d'entretenir les plus intimes relations. M. de Saint-Ar- 
naud s*occupait des distractions. Il organisait les soirées de 
lecture ou de chant ; et personne mieux que lui ne découvrait 
des jeux, des tours de carte, des amusements de toute sorte. 
Les grands jours de représentations données par les officiers , 
on ofi*rait aux enfants une représentation de marionnettes. 
M™® la duchesse se faisait rendre compte de la fête , et de- 
mandait une seconde représentation chez elle. C'est ainsi qae 
M. de Saint- Arnaud, par sa gaieté, son entrain et ces distrac- 
tions, essayait de faire oublier, le soir, & mes chers parents les 
amertumes qui les accablaient. 

Je n'ai parlé que du bon côté de la situation. Combien de 
fois ma mère ni'a-t-elle parlé des revers de la médaille! Son 
séjour à Blaye aurait été le temps le plus heureux de sa vie ; 
mais son cœur était brisé des calomnies abominables dont mon 
père était Tobjet. Pas une insulte ne lui était épargnée. Avec 
quelle patience il su])portait ces injustices ! Il cherchait à con- 
soler ma mère, à calmer les colères de M. de Saint-Arnaud et 
de mes tantes, a On me rendra justice plus tard, disait-il ^ le 
roi me défendra, on saura que j'ai rempli ma mission en 
gentilhomme. y> Pauvre {)ère! quelle illusion! Les ministres 
ont laissé ilire ; ce fut plus commode que de prendre la défense 
de riiomme du devoir. La calomnie dure encore! Il y a quel- 
ques mois, j'ai entendu répéter toutes ces inf&mes absurdités 



CHAPITRE XIII. 223 

par une personne qui touchait de près au roi , ou du moins au 
gouvernement de cette époque. 

Les attaques osaient s'adresser jusqu'à ma mère. Je ne fus 
pas épargnée, bien que j'eusse & peine sept ans. Ma sœur, 
qui était studieuse et travaillait avec succès, fut respectée. 
J'avais décidé que je n'apprendrais pas à lire, ma mère ne 
savait comment m'inspirer de l'émulation. M. de Saint- Ar- 
naud voulait me donner des leçons qui n'aboutissaient qu*à 
des jeux. Un matin, arrive un journal contenant des calomnies 
plus affreuses que de coutume. Le titre en était : Le<;(m de 
lecture à M^"^ Nini. Dans cette leçon supposée par les jour- 
naux, ma mère me faisait épeler les lettres d*un mot. Je 
répondais par une injure grossière contre mon père. Ces 
lionm[ies, sans conscience, n'avaient pas honte de mettre de 
pareilles horreurs dans la bouche d'une enfant; l'article était 
long, et se terminait par cette réflexion flatteuse : <t La 
petite fille du geôlier de Blaye promet beaucoup d'intelli- 
gence. » Toutes les personnes présentes étaient indignées. 
Ma mère eut une inspiration ; elle m'appelle , me lit l'ar- 
ticle : la leçon me fut profitable. Quelques mois après, je 
savais lire. 

M*"® laduchesse recevaitd'étranges cadeaux ; c'étaient quel- 
quefois d'assez jolis objets : un couvre-pied de satin blanc 
brodé à ses armes, des robes, une toilette ; d'autres fois, des 
envois plus sérieux : une grosse couverture de laine, avec un 
morceau de papier attaché par une épingle et portant ces 
mots : ce Pour réchauffer les membres glacés de Madame, d 
Je vis une fois arriver une paire de souliers, vrais souliers 
de roulier, avec de gros clous sous la semelle ; sur un papier, 
cette indication : a: Pour préserver Son Altesse de la terre 
humide de son cachot; d et beaucoup d'autres attentions 
du même genre. 



ti24 LE MARÉCHAL BUGEAUD. 

Vous connaissez les détails du mariage de Son Altesse, 
révélé par elle-même; inutile de les répéter. 

Je me souviens encore parfaitement de rémotion causée 
par la naissance de la petite princesse Marie-Caroline , née 
h 4 heures du matin ! Quelques jours après cet événement, 
la duchesse fit prier ma mère de venir et de noos amener 
pour voir la ])etite princesse. 

Son Altesse était couchée dans un flot de dentelles et de 
satin bleu. A côté de son lit, un berceau également bleu oii 
donnait la petite fille, que nous vînmes contempler en mar- 
chant timidement sur la pointe des pieds. Son Altesse nons 
dit de TenibrassiT ; l'enfant fut réveillée sans doute par ces 
baisers trop empressés et se mit à crier comme une simple 
mortelle! La nourrice n'était pas dans la chambre ; la dame 
d'Iionneur, M"'** d'Hautefort, resta droite sur son fituteoil, 
probablement Tétiquette des cours la retenait. L^enfiint 
criait toujours ! Ma mère, si timide, ne put résister long- 
temps à cette petite voix! Elle se lève, prend la princesse 
dans ses l)ras et la berce doucement. Il me semble voir 
encore le regard de la duchesse de Berry remerciant ma 
mère. 

Je rej)ris bien vite mes habitudes chez ma chère duchesse ; 
seulement, JJccis et les perruches n'avaient plus mesfavenrs, 
tout mon amour était pour la gentille petite princesse. J^étais 
au comble du bonheur quand Sou Altesse me faisait asseoir 
dans son grand fauteuil et me permettait de tenir quelques 
minutes et de bercer sa petite fille sur mes bras. Pauvre en- 
fant; son passage sur la terre fut bien court! j'éprouvai un 
vrai chagrin lors<prelle mourut. 

La veille de son départ de Blaye pour Palerme, Son Altesse 
reçut des arbustes avec le papier de rigueur : a: Pour ombrager 
h) }>rison de Madame, n ils sont chanuants, s'écria la duchesse, 



CHAPITRE XIU. 225 

de croire qae je vais rester ici jusqu'au moment où ces lilas 
me donneront de Pombre. Tenez, mes enfants, je vous les 
donne, vous les planterez dans votre jardin d'Exideuil. i^ Ces 
lilas , violets, d'une espèce rare alors , ont vécu très longtemps ; 
on les connaissait sous le nom de lilas de la duchesse; les 
lilas blancs n'ont pas résisté au froid. 

Le lendemain, par une journée très chaude, nous étions 
sur le quai pour assister au départ de la duchesse; Son Al- 
tesse aperçut ma mère qui se tenait à l'écart, lui fit les 
adieux les plus affectueux (1), nous donna un baiser et 
nous fit embrasser la petite princesse. La foule était con- 
sidérable; des gens de tous les partis étaient réunis sur 
le quai, attendant du hasard une circonstance qui prouve- 
rait à cette masse de témoins que l'enfant n'appartenait 
pas à la princesse et que rinf&me gouverneur avait supposé 
un enfant. Au moment de descendre dans le canot, la du- 
chesse se retourna cherchant avec anxiété la nourrice, dont 
elle était séparée par quelques personnes. A ce moment, un 
rayon de soleil dardait sur la figure de l'enfant. La duchesse, 
s'avançant brusquement, donna son embrelle pour abriter sa 
fille, n y eut un murmure dans la foule, le doute n'était 
plus permis ! Cette scène, dont je ne comprenais pas la portée, 
est très présente à ma mémoire ; M. Veuillot l'a racontée 
dans un de ses livres. 

Pendant la traversée de Blaye à Païenne , Son Altesse , 
excitée par le commandant du navire qui voulait faire du 
zèle, oubliant un instani; qu'au lieu d'un gouverneur elle 



(1) Au seuil de la porte Danphine, Marie-Caroline ayant aperça les deux filles 
au (çouvemeur et leur mère, elle se pencha pour les embrasser; puis, se tonnant 
veiB Mm« Bugeaud, qu'elle savait douée d'un noble caractère et d'une ftme com- 
patissante : « J'espère, lui dit-elle, que dans peu vous reverrez votre mari bien 
portant. » (Louis Blanc, HiHoirtde dix ans.) 

T. I. 15 



226 LE MARÉCHAL BUGEAUD. 

avait trouvé un ami dévoué et sûr, fut très blessante ponr 
mon père. (Je ne suis pas assez sûre de la circonstance pour 
la citer.) Toutefois, comme elle était excellente, elle revînt 
très vite à ses premiers sentiments et témoigna à mon père 
les regrets de sa capricieuse boutade en termes chalenrenx. 
Cet épisode fut raconté par le commandant suivant son 
bon plaisir, et commenté de la façon la plus malveillante 
pour mon père par plusieurs écrivains, Louis Blanc entre 
autres. Les lettres écrites par la duchesse & mon père, après 
son retour à Exideuil, prouvent ce que j'avance. On ne pent, 
hélas! empêcher les méchants de parler. La lumière s'est 
faite chez les légitimistes intelligents. On a rendu justice 
au caractère de mon père. Depuis que je connais l'histoire 
de cotte époque, je trouve que l(;s amis véritables de 
S. A. Madame la duchesse de Berry et du' roi son fils au. 
raient pu prouver leur dévouement à, Tauguste prisonnière 
par plus de tact et de silence. 



CHAPITRE XIV. 



Coup d'oeil rétroepectif sur la situation politique. — La duchesse de Berry et 
le parti légitimiste en France en 1883. — Journal de la citadelle de Blaye. 
— Le colonel Cbousserie remet le service à son successeur. — La duchesse re- 
fuse d'abord de recevoir le général Bugeaud. — Elle ne consent à le faire 
que quinze jours après son arrivée (le 17 février), — Lettre du général Bu- 
geaud aux ministres, relative aux mesures à prendre envers la duchesse. — 
M. de Brissac et M°>« d'Hautefort. — La duchesse de Berry informe le gé- 
néral Bugeaud de son état et lui annonce son mariage secret. — Indisposition 
de la duchesse. 



Aujourd'hui, après un demi-siècle, n'est-il pas per- 
mis à un historien impartial et impassible de revenir 
sur le passé et de mettre au jour tout document éma- 
nant des acteurs d'un grand drame politique ? Parmi 
les documents placés sous nos yeux, nous n'en con- 
naissons pas de plus intéressant que le Journal de la 
citadelle de Blaye. Ce précieux manuscrit est écrit 
en partie de la main même du général Bugeaud, de 
M"' Bugeaud et de l'aide de camp du général, le capi- 
taine de Saint- Arnaud. C'est un simple cahier de papier 
ordinaire, revêtu du timbre de la Citadelle de Blaye. Le 
gouverneur, homme d'ordre, y consignait les princi- 
paux événements du jour, relatait les dépêches qu'il 
recevait et celles qu'il adressait à Paris, soit au comte 



d'Ârgout, miuistre de rintérienr, soit au maréchal 
Soult, président du CoDseil, ministre de la Guerre. 
Nous compléterons cette importante correspondance 
en intercalant en notes les lettres que le ministre de 
l'Intérieur et le maréchal écrivaient de leur côté, et le 
plus souvent de leur main, à leur collègue le député- 
général Bugeaud; détenteur à ce moment des intérêts 
les plus graves du royaume. 

Nous avons transcrit, presque sans en retrancher 
un mot, ce journal émouvant. Ainsi seulement, croyons- 
nous, la vérité peut éclater au grand jour; ainsi seu- 
lement, pourront s'expliquer bien des faits restés mys- 
térieux et que l'opposition républicaine, alliée pour la 
circonstance aux chefs légitimistes, avait tant d'intér&t 
à obscurcir ou à dénaturer. 

Pour comprendre ce qui se passait alors, il faut, 
avant tout, se transporter à l'année 1832. Le roi 
Louis- Philippe, souverain de fait et de droit national, 
— ceci est indiscutable, — se trouvait placé dans une 
situation des plus critiques et des plus perplexes, le 
lendemain de l'arrestation de sa nièce M°" la duchesse 
de lieiry. Sans vouloir atténuer d'aucune façon les 
hautes qualités d'esprit et de creur, la noblesse et 
l'énergie de l'héroïque princesse, il est impossible de ne 
point admettre qu'à ce moment Son Altesse Royale 
avait levé en France l'étendard de la guerre civile. 
Prisonnière d'Ltat, elle efit certainement été immédia- 
tement rendue i\ la liberté, si la presse d'opposition, les 
journaux républicains, n'avaient, le lendemain de son 
arrestation, révélé chez la jeune princesse un état que 



CHAPITRE XIV. 229 

son veuvage rendait déshonorant, alors qu'on igno- 
rait qu'un mariage secret avait été précédemment 
conclu. 

Le parti carliste, — c'est sous cette dénomination 
que l'on désignait alors le parti de la branche dnée, 
— n'hésita pas un moment à nier ouvertement l'état 
de la princesse. Le gouvernement du roi Louis-Phi- 
lippe se trouvait donc acculé devant une douloureuse et 
terrible alternative. Pour sortir d'embarras et repous- 
ser les calomnies, il lui fallait choisir entre deux réso- 
lutions. Rendre immédiatement la liberté à la du- 
chesse, c'était se déclarer coupable, aux yeux des légi- 
timistes , d'un mensonge infâme et assumer cette res- 
ponsabilité odieuse d'avoir voulu, pour vaincre une 
opposition dynastique, déshonorer une noble prin- 
cesse de sang royal, la propre nièce du roi! Détenir 
la duchesse en captivité, de façon à constater l'état 
de grossesse, le mariage secret et la naissance de 
l'enfant royal, était sans doute une triste et pénible 
nécessité, mais la raison d'Etat, la responsabilité de 
l'ordre, dictaient impérieusement ces dernières me- 
sures. C'est à celles-ci que le gouvernement du roi 
Louis-Philippe s'arrêta. 

Quel autre souverain, en présence de semblables 
circonstances, au moment où les feux de la guerre 
civile étalent à peine éteints, devant l'exaltation des 
partis révolutionnaires, devant l'Europe menaçante 
ou mal disposée, eût pris un autre parti? 



230 LE MARÉCHAL BUGEAl'D. 

JOUKNAL DE LA CITADELLE DE BLAYE. 

Correspondance du général commandant supérieur, commencée 

le 3 fé'vrier 1833. 

A M. le Maréchal y Président du Conseil, ministre de la Guore. 

Citadelle de Blaje, 8 février 1833. 

Monsieur le maréchal, je suis arrivé ici à minuit et je 
suis entré à la citadelle à sept heures du matin. Le colonel 
Chousserie m'a rendu le service avec toute la franchise 
militaire qu'il paraît avoir à un haut degré. 

Jusqu'à présent tout m'a paru bien organisé, et les 
changements que je pourrai apporter sur le service ne roule- 
ront que sur des détails de peu d'importance (1). Au reste, 

(1) Le général Bugeand héflitint à accepter la mission de Blaye, une longue 
conversation avait eu lieu entre lui et M. d'Argout. Voici la lettre de ce dernier 
remercûint au nom du roi le nouveau gouverneur de son acceptation t 

Le comte d'Argout, ntlHUtre dt Vlntérteur^ au fjém'ral Bu'jraud, 

• Ce mercredi 30 janvier, à minuit. 

• Cher et excellent g^'U^Tml, je me noiii emprcaK do rendre compte au Rot de notre oon- 
Teraation. Il a été tK-s sensible à cette marque de dértmcment. Avec un homme tel que 
T otw, nouM pouvouM défier les attaqne8 et les intrigues carlistes. Le maréchal est enchanté 
pareillement d'avoir une si bonne garantie. Le désir du Roi est que vous imrtiez demain 
matin. Je tiendrai une Toiture à votre dinpoeition. Si vous avei la complaL'UUice de venir 
au niiiii^tti'rp de l'Intérieur à dix heures , nous causerons des affaircM de Blaje et je vous 
mènerai chez le mart'-chal, qui vous remettra Tordonnanœ royale et let lettieM de iCTTice. 

• Adieu, cher général, tout à vous et de tout cœar. 

« iU'jm : D'Arijoit. • 

Voici, d'autre part, les instructions oftîcielles et les lettres de scr\'ice adressées 
au nouveau gouverneur, le jour de son départ, par le ministre de Tlntérlear : 

A t»oH»ifiir h yr'nt'riil Rugtaud, commandant sNjttrteHr df la ctfwMh' de Blajfe, 

• PorL*, 81 janvier 183t. 

Général, je nte félicite AiitciTcment des ropitorts que va établir entre nous votre no- 
miiiatl<>n iiu comninndenient ï>u|iéririir de la citndelle de Dkiye. Lc> ch<4x de tsu Msjett^ ne 



CHAPITRE XIV. 231 

il faut voir, et ce n'est que dans deux ou trois jours que je 
connaîtrai parfaitement mon poste. Il fait, d'ailleurs, une 
tempête affreuse qui ne permet pas de tout visiter en quel- 
ques heures. 



pouTait tomber tur on liomme dont Texpérienoe, le patriotUme et U loyauté rc^pondissent 
mieux aux obligations d'un lerrioe d'une aussi hante oonflanoe. Vous le trouverez tout 
établi, général, et tous aurez bientôt reconnu de quelles modifications il serait susceptible, 
tant sous le rapport des dispositions militaires que sous celui du personnel. 

« En ce qui concerne radministratlon , deux agents officiels concourent 4 ce senrice. 
Leur titre respectif indique la nature de leurs attributions, qui, sans se confondre ni s'en- 
traver, doivent se prêter un mutuel appui. 

« L'un, M. Olivier Dufresne, commissaire civil et agent comptable, habite l'intérieur 
du chAteau : il pourvoit aux besoins journaliers, règle les dépenses et tait les payements . 
L'inspection que tous exercez en assure et en garantit l'aocomplisBement. Sa tAche mnAt 
incomplète si, en qualité de commissaire dvil^ U ne surveillait et ne rendait compte. J'ai la 
oouvlction que vous trouverez en lui un auxiliaire loyal et dévoué. 

« Le commissaire de police attaché 4 mon ministère, M. Joly, a été envoyé successive- 
ment 4 Nantes et Blaye, où il prend, en vertu d'une onlonnance royale, le titre et exerce 
les fonctions de commissaire spécial. Le service de surveillance et cle sûreté lui est parti- 
culièrement confié 4 l'extérieur du château, sans préjudices aux droits et aux attribations 
(lu sous-préfet. Il a sous ses ordres des agents choisis, et le commissaire de police ordi- 
naire !)econde son action. M. Joly loge dans la ville. 

• Entre lui et le commissaire civil, il est de toute nécessité que les relations et les com- 
munications soient habituelles et journalières. Ils ne dépendent point l'un de l'autre, mais 
(le leurs obligations réciproques. La première de toutes est de s'avertir. Tous les deux 
vous doivent des rapports qui ne vous laissent rien ignorer. Sans ce concours de tods les 
instants et exempt de toute réserve, la surveillance serait illusoire et la sfiietô intérieure 
et extérieure sans oesse exposée 4 être compromise. 

■ U importe que la gendarmerie seconde efficacement le commissaire spécial et n'oppose 
pas, pour des actes où sa cooi)ération serait nécessaire et dont l'urgence serait reconnue, 
des formalités qui n'auraient d'autre résultat que de paralyser le service. 

« Afin de vous faire connaître avec plus de précision le Véritable état des choses, j'ai 
riionneur de vous remettre, général, copie des premières instructions données par mon 
jinklécesseur, ainsi que celles que je venai de transmettre moi-même. L'exécution en 
avait été éludée ou même refusée. Cest 4 vous qu'il appartient, dans la plénitude de vos 
pouvoirs, de veiller au maintien d'un ordre constant et régulier. 

« Cest de concert avec M. le ministre de la Guerre qu'ont été rédigées les instruc- 
tions dont il s'agit. Dans l'intérêt d'une responsabilité dont il est facile d'apprécier l'im- 
portance, un contrôle a été reconnu indispensable. Tout d'ailleurs aboutit 4 vous, général : 
vous appréciez les rapports, vous les mettez 4 profit, vous donnez vos ordres. 

« Je ne répéterai pas ici ce que vous trouverez explicitement énoncé dans la copie des 
))ièccfl qui accomiiagnent cette lettre : votre excellent esprit en saisira l'ensemble. Les 
explications dont vous avez besoin vous seront données sans retard. Je compte , ainsi que 
M. le ministre de la Guerre, sur la fréquence de vos communications avec nous. Dans la 
position où vous allez vous trouver placé, aucun détail ne peut être indifférent ; aucun 
incident ne doit être mis en oubli, ne fût-ce que pour démentir les articles mensongers 
qui ne cessent de se reproduire sur Blaye dans les journaux. 

« Agréez, général, l'assurance de ma considération distinguée. 

c Le pair de France, ministre de l'Intérieur, 
c Ck>mte d'Aroout. » 



23â LE MARÉCHAL BUGEAUD. 

M. le colonel Chousserie a écrit à la Duchesse pour 
savoir si elle pouvait me recevoir. Elle lui a fait la réponse 
suivante : e: J'ai reçu, monsieur le colonel, avec une vive 
« peine la nouvelle que vous me donnez ! C'est une nouvelle 
a: vexation du Gouvernement. Je vous avais déjà dit, mon- 
« sieur le colonel, que celles que je pourrais empêcher, je 
«c le ferais. Ainsi, je ne recevrai pas M. le général Bugeaud, 
<c ni les personnes qui seront probablement de sa suite. Je 
ce saurai me renfermer seule, si c'est nécessaire, dans mon 
<{ appartement. Mais les ministres sauront répondre à la 
a France et à l'Europe de ce qu'une fille de Henri IV et 
<( de Marie-Thérèse aura souffert. Elle saura mourir sous 
a les fers plutôt que de céder à la tyrannie. Voilà ma dé- 
« termination. J'e8i>ère que je vous verrai , monsieur le co- 
ii lonel ; soyez sûr que je n'oublierai jamais vos bons pro- 
<c cédés envers moi. » 

Je lui ai fait réi)ondre en peu de mots qu il n'y avait 
aucune tyrannie dans le changement de gouverneur, loin 
de laïque le Roi lui-même m'avait recommandé toutes sortes 
d'égards et de bons procédés ; qu'elle s'en convaincrait par 
les paroles expresses qu'il m'avait chargé de lui rapporter, 
et que si ma mission avait dil avoir quelque chose d'acerbe, 
je ne l'aurais pas acceptée. Ma qualité d'officier français et 
de mandataire du pays en est la garantie. J'ai attendu sa 
réponse avant de commencer ma dépêche. C'est M. de Bris- 
sac qui m'a répondu en substance... etc. Nous en sommes 
là... etc. 

Du reste, il n'y a rien de nouveau... etc. 

Je verrai demain les troupes... etc. 

Je {KMise (|u'on peut être tranquille quant à l'évasion de 
la prisonnière. L'heure étant très avancée, je n'écris pas k 
M. d'Argout ; je vous prie de lui envoyer copie de ma dépêche. 



CHAPITRE XIV. 233 

La lettre suivante du général Bugeaud à son ami 
M. Gardère, à Paris, confirme les curieux détails de la 
première entrevue du général avec M"' la duchesse de 
Berry. 

Ch&tean de Blaye, 3 février 1888. 

Mon cher ami, je suis arrivé ici sain et sauf; j'ai de 
suite pris possession de mon commandement, et je connais 
déjà mes hommes et mon poste comme ma poclie. Je suis 
bien logé, bien nourri, bien chauffé, bien éclairé (en lampes 
et bougies) ; quand j'aurai ma femme , je pourrai très bien 
supporter ma prison. 

La Duchesse n'a pas voulu me voir. Elle a prétendu 
que c'était une nouvelle vexation du Gouvernement qu'elle 
ne souffrirait pas. Je n'ai pas insisté, et, pour exploiter le 
caractère féminin, j'ai simplement annoncé que j'avais du 
Roi des communications verbales à faire ; que je ne me 
présenterais que quand on voudra m'entendre. 

Me rappelant qu'une bonne tactique avec les belles est 
quelquefois de paraître indifférent, j'ai dit à M°^* d'Hautefort 
que la manière dont j'avais été reçu en prenant connais- , 
sance des lieux m'ôtait tout désir d'être admis, et que, sans 
descendre d^ Henri IV et de Marie-Thérèse {ex'pression dont 
s'était servie la dame), j'avais aussi ma fierté, qui était fon- 
dée sur mes antécédents personnels. Cette ruse paraît avoir 
réussi : M"* d'Hautefort vient de dire à mon aide de camp 
qu'elle croyait que Madame demanderait à me voir demain. 

Signé: Bugeaud. 

A monsieur le Maréchal. 

4 février 1883. 

Monsieur le maréchal, il n'y a aucun événement nouveau. 
La Duchesse paraît jouir d'une bonne santé. Elle a pris hier 



234 



I-E MAItécUAI. BlOEAUr. 



OU bftinqiii tni aoccasiooDéle soir une tons asaez fréquente. 
Elle refnse de me recoroir, disant qu'elle vent s'oppoaer à 
toutes les noarelics vexations da GouverDement. J'ai visité 
eon appartement aveclecdlonel Oioiisserie. Je Ini ai ailressé 
la parole avec une dignité reapectoeuse. Elle m'a dit : 
« CoDtiuoez votre visite et laissez-moi tranquille. 

— Aucan raisonDement ne pourrait me faire apercevoir, 
Madame, une nouvelle vexation dans le changement du com- 
maudant supérieur; je vous le répète, quel que soit mon dé- 
vouement pour le Roi, je ne me serais point chargé d'une mis- 
BÎon qui aurait dû aggraver votre sort. Je ne suis point ud 
geôlier farouche, et comme j'ai l'ordre et le désir d'avoir 
pour vous tous les égania compatibles avec votre position, 
je respecterai même ce qui me piirattrait un préjugé, et je 
vous épargnerai autant que possible ma présence, puis- 
qu'elle vous semble nue vexation. Je suis chargé par le Eoi 
de vous rapporter ses parsles expresses; quand vous désire- 
rez m'entendre, je me rendrai h vos ordres. 

— Non, Monsieur, ditea-le-moi par écrit. 

— Je ne le puis, Madame, j'ai ordre de vous le dire 
verbalement. » 

J'ai voulu ainsi piquer sa curiosité et lui donner le désir 
di' m'eutreteuir. Il serait très important que je pusse la vwr 
tous les jours. Ce serait le meilleur contrôle possible, puis- 
qu'on ne veut introduire près d'elle que des personnes de 
choix. Dana la nuit dernière et aujourd'hui, j'ai pris con- 
naissance exacte des lieux ; le service militaire est bien fait. 
La surveillance des cantiniers, vivandières, ouvrières et 
hommes de corvée laisse à désirer : j'ai déjà donné des or- 
dres pour régulariser cela. Je vais tsîclier de placer la 
blanchisseuse hors de la citadelle. Les hommes de corvée 
pour l'eau et pour ta viande sortiront une seule foîa par 



CHAPITRE XIV. 235 

jour, ainsi que les cantinières. Les uns et les autres seront 
surveillés par la police du dehors. 

L'enlèvement de vive force est impossible. Il n'y a que 
la séduction qui puisse amener une évasion. Le service le 
plus important roule sur deux officiers qui couchent à tour 
de rôle dans une chambre qui est à côté de la porte d'en- 
trée des appartements de la Duchesse. Celui qui n'est pas 
de service couche au rez-de-chaussée. Ils ont les clefs de 
communication (jusqu'à dix heures du soir) avec le dehors, 
la cuisine et le jardin. Il est évident que si ces deux officiers 
n'étaient point fidèles, ils auraient de grandes chances pour 
faire évader la prisonnière. M. Petit-Pierre, adjudant de 
place de Nantes, et l'officier de gendarmerie Chousserie occu- 
pent ce poste. Je crois que l'on peut compter sur eux. Mais 
M. Petit-Pierre surtout désire s'en aller, et c'est, celui que 
j'aurais voulu le plus retenir, tout le monde louant son 
zèle, son dévouement et son intelligence. Je saisis cette 
occasion, monsieur le maréchal, pour vous recommander 
cet officier, qui attend depuis longtemps le grade de capi- 
taine (1). 

Vous jugerez, monsieur le maréchal, combien il est 
urgent que je remplace ces deux officiers par deux autres qui 
aient ma confiance. En conséquence, j'ai l'honneur de vous 
demander M. le capitaine Gérard, officier d'ordonnance près 
du Hoi ; à son défaut, M. le capitaine Fagantj commandant 
la compagnie de vétérans de la Dordogne, qui se rend à 
Clermont. Ces fonctions seraient sans préjudice des droits 
qu'il peut avoir à conserver le commandement de la compa- 
gnie réorganisée. Pour second officier, je vous prie de me 



(1) Il m'a déclaré que, croyant avoir mérité ce grade antérieurement, il le 
rcfiiflerait, 8*11 lui était donné à Blaye pour ses serrices dans cette forteresse, et 
ne raccepterait qu*à Nantes. {Note du gouverneur.) 



236 LE MARÉCHAL BU6EAUD. 

donner le maréchal des logis de gendarmerie Solabel, qai 
est à Thenon (Dordogne) ; il est proposé depuis longtemps 
pour Tavancement ; il a tout ce qu'il faut , avec ma con- 
fiance, pour remplir ces fonctions. Je demande aussi à con- 
server les deux sous-officiers de gendarmerie qui sont a^oints 
aux deux officiers de service près de la Duchesse. 

Trente hommes de gendarmerie sont établis à Blaje. Us 
font un service très important. La nuit, ils éclairent les 
routes aboutissant à plusieurs points et font des patromlles 
à pied sur les glacis de la citadelle. Ces patrouilles ont le 
double avantage d'éclairer les approches et de tenir alertes 
les sentinelles qui sont sur le rempart. Ils concourent ég^ 
lement au service de police de la ville. Je demande que ce 
détachement soit maintenu & son poste. 

Les visites des carlistes à Blaye ont presque entièrement 
cessé ; ils se contentent d'adresser tous leurs journaux à là 
Duchesse. Je ne lui envoie que les l)éb(Us, le Temps ^ le 
Courrier Français et le National, Elle recevait le Càarwari; 
j'ai cru devoir le supprimer. 

Même date. 

Même dépêche à M. d'Argout, à qui je demande en 
outre une gratification pour les deux officiers de service dans 
l'intérieur de l'appartement de la Duchesse (1). 



(1) Voici la réponse de M. d'Argout à la lettre du général écrite le 4 Hnimi 
il est intéressant de la reproduire. On y Terra que le ministre, bien qu'il mmj^ 
çonnât, non sans raison, le curé de Blaye d'être l'intermédiaire entra la dm» 
chesse et ses amis, hésitait et reculait devant un acte arbitraire et inoonstUs* 
tionnel. La France alors n'était point en républitiue ! 

• Paris, lo 8 férrier 181t. 

• Général, M. le président du Conseil m'avait fait connaître raccoeilqae Tfins iThn nçu 
de M"M la dnchene de Berry. La lettre que vous me faites l'honneur de m'adiwnr» à la 
date du 4, entre à cet égard dans de nouveaux détails. Vous avei fait entendra à la 
«esse un langage plein de raison et de dignité. Le temps et des égards qui ne ■ 



 



CHAPITRE XIV. 237 

A Monsieur le marécIiaL 

6 février 1833. 

Monsieur le maréchal , 

Il n'y aura rien de nouveau relativement à M™* la 

Duchesse. Elle jouit de la même santé. Elle s'est promenée 

aujourd'hui dans son jardin avec ses compagnons de capti- 

'vité. Elle n'a pas manifesté le désir de me voir, et j'ai évité 

de me trouver en sa présence. Je ne visite sa demeure que 



point feront le reste. Vous saurez vous ménager les oocasions et les moyens d'exercer Totre 
oontrftle personnel. C'est un droit auquel, dans l'état actuel des choses, tous ne sauriez re- 
noncer. 

• Quelle est, me demandez-yous, mon opinion sur le curé de Blaye? Vous aurez san» 
doute appris qu'il a déjà été question de lui donner un successeur. Mais la chose était plus 
désirable qu'elle n'était facile. Agréé sur la présentation de l'archevêque de Bordaanx, et 
d'après d'excellents témoignages, cet ecclésiastique n'a pas montré toute la rèserre qui eût 
convenu à son rôle. Il faut espérer que les avis qu'il a reçus, la promesse d'une indemnité, 
et surtout la règle à laquelle vous venez si judicieusement de l'astreindre pour son service 
Ix)urront le maintenir dans une juste mesure sans inspirer, je dois en convenir, une entière 
sécurité. Ses démarches et ses relations doivent donc être observées de près par le commis- 
saire spécial. S'U s'agissait actuellement de le changer, la princesse ne manquerait pas de 
crier à la tyrannie et à la contrainte : elle l'a déjà fait, et elle a formellement déclaré 
qu'elle se passerait de messe plutôt que d'accueillir un nouveau prêtre. Toutefoto, général, 
si une mutation pM-aissait indispensable, si elle devait être pratiquée, oe ne pourrait être 
que par l'intermédiaire de M. l'archevêque de Bordeaux, et après que le curé de Blaye au- 
rait été amené à demander sa démission. Dans ce cas, un aumônier serait établi à demeure 
au château pour n'en {dus sortir : il y aurait à la fois convenance et sécurité. Je crois que 
c'est à cela qu'il faut tâcher d'arriver. 

• Cette question doit être traitée dans les pièces dont je vous ai envoyé copie par la 
poste, indépendamment de celles que je vous avais remises. Les avez-voua reçues? 

• Vous avez réglé le service de la domesticité de manière à permettre et à faciliter une 
exacte surveillance. Vous regrettez de ne pouvoir retenir les deux officiers qui coudient à 
toiir de rôle dans une chambre contiguë à l'appartement de la Duchesse, et, en rendant 
justice à leur intelligence et à leur zèle, vous demandez pour eux une gratifloation. Bien de 
plus juste. Il était déjà convenu de leur en donner une. Consultez, je vous prie, à oe mjet, 
M. Olivier Dufresne, et faites oe qui vous paraîtra le plus convenable. Vous savez d'avance 
que tout œ que vous déterminerez aura mon plein et entier consentement. 

« J'insiste pour le maintien de votre gendarmerie mobile. M. Marchand-Dubreuil craint 
que M. l'inspecteur général ne venOle la retirer. Cette gendarmerie est votre seul moyen 
d'exploration, et ce service est indispensable, malgré l'interruption des pèlerinages à Blaye. 
Le maréchal m'a formellement promis de ne point la retirer. 

• Vous avez placé le commissaire spécial comme U devait l'être : c'est à lui à se main- 
tenir dans son emploi. H vient de recevoir de moi des instructions analogues à ce que vous 
avez établi. Voici ce qu'il écrit lui-même : « Nous sommes maintenant bien en mesme et 
• sur nos gardes. J'agis tout à fait de concert et de la manière la plus cordiale avec M. le 



238 LE MARÉCHAL BUGEAUD. 

la imit pour lui laisser venir Fenvie de me voir. Si elle per- 
siste dans son refus , je la verrai dans quelques jours à sa 
promenade du jardin, afin d'observer l'état de sa santé. 
Je dois rendre justice au colonel Chousserie; le service mi- 
litaire étant bien organisé, j'ai eu peu de changements à 
y faire. Je fais surveiller les entrées et les sorties. Le com- 
mandant de la place est un excellent serviteur, d'une hono- 
rabilité x^&rf&ite et de beaucoup d'activité. Le bataillon du 
64^ sert bien, et a une bonne tenue. Quelques officiera lais- 
sent à désirer pour l'instruction du service des places. J'ai 
ordonné qu'on commenç&t cette théorie pour ceux qui sont 
faibles. Les gazettes légitimistes de la contrée ont annoncé 
mon arrivée sans réflexions. J'ai l'honneur de vous trans- 
mettre une dépêche de M"** la duchesse de Berry. 
J'ai l'honneur, etc. 

Même date. 

Même dépêche à M. d'Argout. 

A monsieur et Arçout. 

6 fénier 1888. 

La Duchesse se porte bien. Les soupçons se fortifient. 



• Mnu-préfct. Je le tiens au ooorant de tout oe qol ett service ; il m'aocordo la mftnM oon- 

• fU&ce et a poor moi la même franchise. • 

• Serait-oe bien le cas, d*après cela, de oliarger M. ICarcliand-Dabnoil d*iuM patlt* 
contre-police? Tout va bien : tout pourrait changer si de nouTeUes susoeptibUités éUkBt 
éveillées. Toutefois, si tous juges utile que M. ICarchand-Dubrenil ait une contre^iolioi^ 
veuilles me le mander, je lui donnerai Tordre d'en établir une à Tinstant. Il va mbi ûtn 
d'ailleurs que le sous-préfct, homme grave et bon observateur, vous fera part de ■•■ rt- 
marques particulières. 

< Agréez, monsieur le générai, l'aMiuranoe de ma considération très distingaée, 

• Le pair de France, ndnittze de rintéitonr. 
• Siçné : Comte D'Anoorr. • 



CHAPITRE XIV. 23Ô 

A monsieur le Ministre de la Guerre. 

Même date. 

Même dépêche. 

Au Ministre de la Guerre. 

7 février 1888. 

Demandé le Spectateur militaire et autres journaux. 

A monsieur dArgout. 



8 février 1883. 

M™® la Duchesse prétend que le Ministre de la Guerre 
lui a promis dans tous les cas M"® de Béchu ; elle lui de- 
mande quelques morceaux de Capohtï, de Monteschi et de 
Bellini. 

A monsieur d^Argaut. 

9 février 1888. 

Explication de la lettre écrite de Bordeaux à Aix. An- 
nonce de l'envoi d'une boîte de peinture apportée par le sieur 
Destrilles de Cnbzac. M. Barthès demande sa femme. La 
couturière de la Duchesse part demain (1). 



(1) La lettre Bui vante da ministre de Tlntérieur montre combien l'état moral de 
rillustre prisonnière préoccupait le roi et le gouvernement, et quelle impor- 
tance on attachait à tout ce qui la touchait. 

MIXISTikRB DB L'DTriRISUB. 

• PariB, le % février 18S3. 



• Général, d'après Tordre da Roi, U dernière lettre que M">* la dncheeee de Berry dee- 
t inait à la duchesse d'Angoolème a dû vous être renvoyée par M. le président da Conseil. 
Cette lettre contient, lor de prétendues vexations auxquelles M">* la duchesse deBerzy se- 
rait en butte, des plaintes que nous savons dénuées de tout fondement. M. Olivier Dnfresne, 



24 (» LE MARECHAL BUGEAUD. 

A monsieur dArgout. 

10 février 1883. 

Des réflexions platôt que des choses officielles. 

A monsieur cCArgout. 

11 février 1888 

Pour lui annoncer que j'ai accordé 60 francs par mois 
aux officiers près la Duchesse, 25 francs aux portiers. Rendu 
compte des chants des soldats à Toccasion d'un assaut. 

puisqu'il est reçu par la Duchesse, devra la loi remettre, en la priant de vouloir bien s*ez- 
]iliqticr BUT ce qu^elIe entend par les rexations qu'elle éprouverait. Il n'était aasnrément 
pas convenable de donner oouis à de semblables accusations. Une lettre de cette natittiB us 
pouvait C'tre transmise à sa destination. 

c L'impuissance où se trouvera la princesse d'articuler aucun fait qui justifie ses plaintes 
manifestera qu'elle a été mise en demeure de s'expliquer. 

■ Au chagrin qu'elle a pu concevoir de l'éloignement du colonel Chousserie se joint pco- 
bablement l'intention de profiter de la cin'onstance iionr se soustraire à votre snrvellbmee, 
et cette affectation de mécontentement pourrait bien n'être qu'un jeu. Il est à propos d*7 
ponn-oir : le oommisiwire civil y contribuera en multipliant lui-môme ses visites, autant 
que les convenances et le bien du service l'exigeraient. Le peu d' emp res se ment qne tous 
montrerez, de votre côté, à en rendre et à être admis par la Dudiesse sera probablement Is 
plus sûr moyen de la faire renoncer à ses dispositions. 

«( Tout s'arrangera de soi-même en profitant, sans avoir l'air de la rechercher, de In 
I)remière occasion qui se pnisentera. Vous êtes entièrement juge du moment et de roppor» 
tunité. Il est bien entendu toutefois que, si vous regardiea votre présencs anprts de la 
princesse comme nécessaire ou seulement utile, vous avcs à œt égard toute latitude. 

< Agréez, général, l'assurance de ma considération très distinguée. 

• Le pair de France, ministre de rintérieur, 
« SUjni, : Comte D'AnooUT. » 

Postscriptum de la uiain du ministre. — « Mon cher général, je reçois à Hnstant wétn 
lettre du 6. Vous définissez avec votre sagacité habituelle la différence de oaiactèic de 
M. Dufmne et de M. Joly. Vous aves fait disparaître en un instant ces snaœptiUUtAs (pii 
nuisaient tant au service, et qui, comme vous le dites furt bien, ressemblaient an pimHgUa 
d'ambassadeurs cherchant à faire prévaloir leurs petites prétentions. Désormais ces donz 
hommes, qui sont dévoués et actifs, ne rivaliseront plus que do zèle pour vous Uen seoono 
der en toutes choses où ils pourront vous î-tre utiles. Je vois avec plaisir que la Docfaesse 
s'humanise avec votre aide de camp. Cest une preuve qu'elle recevra bientdi le généml 
comme elle aurait dû le faire toujours. L'article de la santi' mérite une sérieuse attention. 
Nous vous expédierons bientôt le médecin choisi par MM.Orfila et Auvity. Ce sera tonjoon 
nu motif de tranquillité que d'avoir à portée on moyen de secours. Je vais porter vos dé- 
p^hcs au Roi. 

« Tout à vous, cher général. 

D'A. » 



CHAPITRE XIV. 241 

A monsieur le Ministre dès Travaux publics. 

Même date. 

Pour une place à l'École des arts et métiers. Pour les 
comices agricoles. 

A monsieur le MarcckaL 

Même date. 

Je regrette qu'à l'approche du printemps et de la saison 
pluvieuse , on ait retiré l'indemnité de la troupe. Je lui rends 
compte du chant des soldats du 10 février courant. 

A monsieur le Maréchal. 

12 février 1883. 

Écrit relativement à M. l'adjudant de place Lafond. 
Demandé que M. Solabel soit promptement fait officier, 
pour qu'il ait l'autorité nécessaire , et parce qu'il le mérite. 

A monsieur le Maréchal. 

13 février 1838. 

Écrit pour lui dire que tous les services marchent bien, 
avec une harmonie parfaite ; que la police fidt exactement 
le sien ; que les rapports entre les généraux de division et 
maréchaux de camp sont rétablis. 

A monsieur le Maréchal. 

16 février 1888. 

L'installation des blanchisseuses dans la ville. -— Dé- 
part du docteur Barthës. *— Les carlistes ont des fréqueiH 

T. I. 16 



242 LE 3L\R&HAL BUGEAUD. 

tations avec le cnré ; qu'il dise la messe an vestibule et qu'il 
parte. 

A messieurs les Ministres de la Guerre et de TlntCrieur. 

17 féTTier 1833. 

Pour leur annoncer réception des dépèches du 14, et 
que les dÎ8i)Ositions sont arrêtées pour loger la couturière, 
etc. Ma première visite à la Duchesse. 



A mœxsieur le Marcchal. 

18 février 1833. 

Pour lui annoncer l'arrivée du docteur Ménière, et mes 
projets pour l'introduire sans importance et sans solennité. 
J'ai vu la duchesse de Berry pour la seconde fois. Toujours 
d'une gaieté qui surprend. Envoi de la réclamation de M. Fon- 
talbe, commandant de la station de gendarmerie de Blaye (1). 



'1) Le mcmc jour, le général écrivait à un de ses amis la lettre tr&s intéres- 
Bante ci-deepoup, relatant les détails de sa première entrevue : 

Jjt: (jt'n^ral Bwjeaud ù Jf. Afotit-yutr*^ pi^'/^f <i^ ^ DoiiSo-jnt. 

a Blaye, le 18 février 1833. 

M J<; fsuiM on ne peut pins rernnnnissant. mon cher nupnsienr. des offres obligeantes que 
vou-f nie fait*t<. et je ne les refuse pa.^ absolnment. 3Ia femme n'est qn'embarrsss^-e âa choix 
parmi les ehevnlien* qui n'offrent. Elle acceptera probablement on ron frère on son neren. 
KIlc cA, trop timide iionr accepter un pn'-fet. et, quoiqu'elle soit bien eonvaincne de votre 
extrf me obligcunoe, je Fai;* ponDadé qn'elle aimerait mieux aller seule. J'accepterais pour 
elle (car elle n'accepterait rien) votre calèche, fd la sienne, qui est en trts mauvais état, parce 
qu'il n'y a pax irouvriers à Exideuil, ne pouvait pas la conduire ici. Cest «pendant ce 
(|U(( je ne iir^iume pas. 

< Ma pauvre femme!... elle me donne bien de l'inquiétude!... Cette oT)stniction de rate 
licrsistc : elle en souffre soiivent. Sou teint est jaune; sa santé, si brillante, parait altérée 
jiour longtemps!... 

< Je suis bien déci<lé & lais^ier cette annt'e les honneur^, les cnmmamlements. itour m*oc- 
cujier d'elle, car elle vnnt mieux qiie tout cela. Elle prendra les bains de mer aunitdt que 
powible, et de là, à Vichy o\\ ailleurs. 

tf Le tableau que \o\\» fuitox <le la situation du driNirtement est tri>s satisfaisant, ezœpté 
que le grain n'est pa» M^n cher. Le mouvement d^-sordonm* perd donc du terrain. Cest là 
l'essentiol, car kv carli-^tes n'ont de chances que par lui : ik ne jieuvent arriver que par 
l'anarchie. 



CHAPITRE XIV. 243 

A monsieur le Minisûre de F Intérieur. 

19 février 1838. 

Arrivée de M. Ménière, docteur. Je dîne ce soir avec 
la Duchesse. Mes intentions pour l'introduire près de Ma- 

« A-t>on rien tu d'aussi comioo-tragique que les duels de joumalistes? Quelle impor- 
tance les républicains ont vonln y attacher! Ils ont essayé de faire un héros de Carrel (1). 
On ne donna pas autant d'éloges à ViUars après Denain ; on ne chanta pas autant Na- 
poléon après Marengo, AusterlitB, léna, Friedland et autres grandes batailles. 

c On Ta s'inscrire chez M. Oarrel, on l'honore dans les journaux modérés : rollà ce que je 
ne puis comprendre. Je ne sais pas rendre des hommages an talent qui s'exeroe à boule- 
verser le pajB, Je le maudiraiB bien plntdt. 

€ Mais, measteors qui tous inscriTez chez Carrel, pourquoi n'honorez-vons pas le Tolenr 
de grands chemins qui tous déTalise avec adresse? n est moins habile en sophismes sans 
doute, mais aussi il est moins dangereux que le chef républicain. Les gens querelleurs 
reçoiTont toujours des hommages ; le débonnaire juste-milieu, plein de tolérance pour tout 
le monde, ne reçoit que des Injures. Faites-Tous moutons, et l'on tous tondra ; faites-Tous 
lions, on tous baisera la griffe. Pour moi, j'aime mieux aToir des griffes que de baiser 
celles des lions! 

< Vous saTez, je pense, que je fus très mal reçu par M'°<' la duchesse de Berry, qui re< 
fusa de me Toir à l'aTenir autrement qu'en Tisitc de geôlier. Je lui tins un langage qui a 
été jugé digne par le GouTemement, et je m'abstins de la Toir. J'avais piqué sa curiosité 
en lui annonçant que j'étais chargé par le ^i de lui rapporter ses paroles expresses ; que, 
quand elle voudrait m'entendre, je me rendrais à ses ordres. 

« Ce moyen, si puissant sur le sexe, ne réussit pas ; il fallut en essayer un autre. Il y 
a quelques jours qu'ayant demandé une audience àM">* d'Hautefort, je lui dis : < Madame, je 
c n'insiste pas pour être admis près de M"^* la duchesse de Berry ; la manière dont j'ai été 
c reçu m'en a Oté le désir. Sans descendre de Henri IV et de Marie-Thérèse, j'ai aussi ma 
c flsîté, fondée sur ma vie entière. Cependant, conmie je ne Tenx pas que la santé de 
c Manama puisse soufErir de l'absence de relations entre nous, je lui offre de la faire ac- 
c oompagner par un offlder toutes les fois qu'elle voudra se promener. » 

c La Duchesse répondit qu'elle ac me ferait pas la grossièreté de sortir aTeo d'autres 
qn'aTec moi ; que ce qu'elle aTait fait ne m'était nullement personnel : c'était une leçon 
qu'elle aTait touIu donner an Qouvemement. Depuis elle manifesta plusieurs fois à mon aide 
de camp l'intention de me voir. Je me suis laissé désirer quelques jours ; enfin, hier, je lui 
ai fait une visite qui a été parfaitement accueillie. 

c Elle a été d'une gaieté remarquable. Elle m'a parlé agriculture, abeilles, poésie, guerre 
et diplomatie. Deux fois elle a voulu aborder la politique du jour, j'ai changé la oonver- 
satioii. Elle s'est touillée avec viTadté tsib M™* d'Hautefort, et lui a dit la première fois : 
c CommA U rompt les chiens STeo adresse! » l4t seconde fois : c /< a du tact! » Nous 
nous sommes quittés les meilleurs amis du monde* Sa gaieté m'étonne et me déroute; 
sa santé est parfaite... 

c Je pense que, comme moi, vous êtes content de M. Venillot; le petit journal ne contribue 
pas peu à ramener l'opinion. Il est certain que le rédacteur a du talent et de l'esprit 
plus que Y Echo et la Otuette ensemble. Il faut tout faire pour le soutenir. 

« fieoevez rassurunce de ma considération distinguée et de mon sincère attl^chement. 

c BUGKAUD. » 

(I) Qurrol venAit de is twttre à l'épée aT«c M. Roox-Laborie, et aT»it été asiez grièrement blewé 
d'un coup dam le ventre qui mit ainsi, une première foie déjà, m vie en péril. 



244 LE MARÉCHAL BUGEAUD. 

dame^ ainsi que la coutarière. Sur la réduction du supplé- 
ment. Demande d'instruction pour annoncer révénement que 
nous attendons. 

A monsieur le Ministre de la Guerre. 

20 féTrier 1888. 

Annoncé l'arrivée de M"* Garnier. Projets pour l'intro- 
duire ainsi que le docteur Ménière. Arrivée de M. Solabel. 
Conversation avec la duchesse de Berry sur la politique , la 
Vendée. 

Même lettre au ministre de l'Intérieur. 

Aiuic Ministres de la Guerre et de P Intérieur. 

21 férrier 1888. 

Envoi de deux lettres de la duchesse de Berry. Conver- 
sation avec elle sur la durée présumée de sa captivité. 

A messieurs les Ministres de la Guerre et de r Intérieur. 

22 février 1888. 

Messieurs les ministres , 

J'ai reçu vos dépêches du 10, et les deux instructions qui 
y sont jointes. Ces instructions, comme toutes celles qui sont 
rédigées loin des lieux de l'exécution, sont susceptibles de 
nombreuses modifications, à moins que l'on ne soit abeola- 
ment décidé à ne garder plus aucune espèce de ménage- 
ment avec la Duchesse. Bien convaincu qu'une pareille dé- 
termination ne serait ni dans l'intérêt du Roi ni dans celui 
du pays, je vous prierais de charger un antre que moi de 
l'application des mesures extrêmes. Comme il n'y a pas ur- 
gence dans les mesures prescrites, je me permets de eue- 



CHAPITRE XIV. 245 

pendre rexécution des points même que je juge susceptibles 
d'application, jusqu'à ce que vous ayez répondu aux obser- 
vations qui vont suivre et à l'analyse que je vais faire des 
instructions, paragraphe par paragraphe (1). 

S'il est vrai que la duchesse de Berry soit grosse (et mon 
opinion est qu'elle l'est), elle l'est au plus de six mois. Donc, 

(1) Il nous parait inutile de faire remarquer Textréme importance de ces li- 
Cpies. Le caractère dn général Bugeaud 8*7 rÔTële toat entier. Le Taillant 
soldat, esclave de son devoir et de la discipline, avait accepté, bien malgré Ini, 
comme noos Tavons vu, cette délicate et difficile mission. On verra ici avec quelle 
indépendance et avec queUe fermeté le gouverneur de Blaye répondait aux 
ministres ses chefs, lorsqu'il jugeait sa dignité compromise. Ainsi tombent toutes 
les calomnies répandues sur son compte ; ainsi s'expliquent les relations si 
courtoises et même amicales qui s'établirent entre le geôlier et la prisonnière. 

Nous avons entre les mains une lettre toute récente et bien caractéristique ; 
elle est écrite par le général comte de Trobriand et adressée d'Amérique à une 
amie de la famiUe dn maréchal Bugeaud. C'est la justification la plus absolue, 
la plus complète, de la conduite de ce dernier, car cette justification émane de 
I^Dio la duchesse de Berry elle-même : 

Le ginéi'al de Trobriand à madame la marquise de JT... 

c NoaveUe-Orléans, 6 avril 1878. 

< Chère madame, l'Incident auquel se rapporte votre lettre du 12 man dernier est par- 
faitement exact. Mes souvenirs à ce sujet sont encore très précis. — C'était en 1848. J*ha- 
bitais alors Yeniee, où j'avais l'honneur d'être fréquemment admis cbes M** la duchesse 
de Berry, an palais Vendramin. Un soir, nous étions en petit comité, l'on vint à parler de 
la captivité de Blaye, et l'un des visiteurs crut pouvoir s'exprimer avec sévérité sur les 
procédés qoe l'on attribuait généralement au général Bugeaud, alon qu'il était gonvemenr 
de cette citadelle. ^ 

c La princesse prit aussitôt la parole : c Je vols, dit-elle, qœ vous partages remur 
< commune, mais je vous assure que le général Bugeaud n'était point tel qu'on l'a repré- 
€ sente généralement. Au fond, le maréchal est un brave homme, qui avait alors à rem- 
« plir une mission difficile, et qui s'm est acquitté de son mieux, en tAohant de concilier 
€ ses devoirs de soldat avec les égards qui m'étaient dus. Aussi n*ai-je pas en réeUement 
« à me plaindre de lui. C'était un honnête homme, et nous scnnmes restés bons amis quand 
« nous nous sommes quittés. 1» — Les paroles de Madame me frappèrent vivement ; elle était 
la dernière personne au monde de qui j'eusse attendu la défense de celui qui fut gouver- 
neur de Blaye, alors qu'elle y était prisonnière. Son affirmation à ce .sujet bonlevenait 
complètement les idées reçues généralement et celles que j'avais basées moi-mtaie sur des 
autorités que je croyais incontestaUes. 

< Ceci vous expliquera, chère madame, comment l'inddent a laissé dans ma mémoire 
une trace si nette, que, après tant d'années, j'y retrouve encore le langage presque textuel 
dont M** la duchesse de Berry se servit à cette occasion. 

< Veuillez agréer, chère madame, l'hommage lointain, mais sincère, de mes sentiments 
fidèlement dévou;^. 

c Signé : R. DS Troboiaxo. • 



24â 



LP. MARÉCHAL IlUGE-iCD. 



il a"y a pas urgence d'employer de euite des moyens d'anto- 
rité pour lui imposer le doctenr Méniëre et la sage-femme. 
11 y a pins d'avantage & temporiser et il obtenir par la con- 
fiance, et i^nrtotit par ane rigonrense suiveillaoce, le même 
résultat qu'on pourrait espérer de la présence des deux [wr- 
sonnages précités. Mais, supposons qu'on les imposât d'sa- 
torité dans l'intérieur dn local, on n'en serait jiafl plus 
avancé. La Duchesse, qui est d'un caractère très décidé, se re- 
tirerait dans sa chambre, ue voudrait voir ni le docteur ni la 
sage-femme, et, s'ils s'approchaient d'elle, je suis couvainca 
qn'elle se porterait à des extrémilés ; elle leur arracherait les 
yenx. Dans l'un ou l'autre cas, elle aurait des attaques de 
nerfs qui pourraient 5tre fort dangerenses. Si, après tontes 
ces scènes, qui ne manqueraient pas d'Otre connues, fût ou 
tard, du public, elle ne se trouvait pas grosse, ou si ces mesu- 
res rigoureuses produisaient des accidents, soit en la faisant 
accoucher avant l'heure, soit en altérant sa santé, il est aîsé 
de prévoir qu'il en résulteTaît pour le Gouvernement trim- 
meusea inconvénients. La presse de tontes les couleurs, les 
hounOtes gens de toutes les opinions, nous jetteraient la 
pierre. I^ haine pour le Roi, dans une certaine classe, re- 
doublerait d'intensité, et il perdrait dans l'esprit de ses 
amis. 

Mais le but est-il assez grand pour s'opposer & de pa- 
reilles choses et ne peut-oa l'atteindre par d'autres moyens? 
•Te u'bésite pas à dire : noni le but n'est pas assez grand et 
il y a d'ailleurs d'autres moyeus de l'atteindre. Ces moyens, 
ils sont pris en majeure partie, et je me propose de les 
compléter successivement, mais avec adresse, avec méiia- 
gements, car c'est la seule voie qui me paraisse bonne, ta 
teule que je puisse adopter. 

Dans cet ordre de conduite, je place sans hésitation 



CHAPITRE XIV. 247 

la franchise entière que vous me recommandez avec 
jjme d'Hantefort. C^était déjà dans mes projets. J'attendrai 
d'être plus familier, car je n'en suis qu'à sa quatrième vi- 
site. Vos dépêches, vos instructions, me déterminent à 
m'ouvrir avec elle dès aujourd'hui, à 9 ou 10 heures, afin 
de pouvoir vous en faire connaître le résultat. En atten- 
dant^ voici l'état des choses actuellement. 

J'ai demandé à monsieur le général Janin un briga- 
dier de gendarmerie. J'ai donc trois hommes de cette arme, 
et j'en mets un chaque nuit à veiller dans l'appartement 
qui est directement au-dessous de la chambre à coucher de 
la Duchesse. De ce point, le plus petit bruit est entendu. Un 
autre sous-officier est de garde au-dessus, et à côté du corri- 
dor qui communique aux appartements il y a aussi un offi- 
cier. L'un deux veillera toujours près du guichet d'où l'on 
voit et l'on entend tout. On ne peut voir de mouvement que 
jusqu'à l'heure du coucher des détenus, car alors ils sont iso- 
lés par le moyen de crochets que l'on pose sans bruit à leur 
porte, quand ils sont couchés, et qu'on enlève de même le ma- 
tin de bonne heure. M. de Brissac, la Duchesse et M"*® Hans- 
ler peuvent communiquer, car ils sont dans le même appar- 
tement : M. de Brissac à gauche en entrant au salon , la 
Duchesse à droite, et W°^ Hansler à côté de sa maîtresse, 
dans un petit cabinet. 

Je serais loin de vouloir isoler M. de Brissac. Je crois à 
cet homme l'âme si honnête qu'il serait incapable de se prê- 
ter à un crime. Sa présence me paraît donc une garantie. 
Ses lettres et celles de sa femme m'ont convaincu qu'A y a 
dans ce couple beaucoup de vertus. Je suis bien avec M. de 
Brissac. Je compte lui parler aussi. Il a servi dans nos rangs. 
Il aime les militaires, et il a peu de malice. 

J'espère en tirer un bon secours de surveillance. Au 



248 LE MARECHAL BUGKAUD. 

moindre hniit extraordinaire, le Hous-officier placé soos la 
chambre h coucher préviendra l'oflScier de garde par le moyen 
d'ane Bentiaelle qui est placée devant la croisée da pre- 
mier. J'ait fait griller ce rez-de-chaussée ; l'officier qui a est 
pas de service, les deux sons-ofliciers, dont l'un est de plaa- 
ton éveillé soas la chambre, sont renfermés k neuf heures da 
soir. La même Bentinelle dit au portier-consigne de m'ap- 
peler au moindre bruit, ainsi que le commandant de lu place 
et le rommissaîre civil, qui logent à coté de l'enceinte. Le 
docteur Méuiëre, qui est aussi à deux pas, est averti. La 
sage-femme couche prè» du tour et peut s'introduire & l'ins- 
tant sana pouvoir elle-même sortir du local . 

Je Yois la Duchesse tons les jours. 

Mon aide de camp, M. de Saiut-Ârnaud, SODS un pr^ 
texte ou sons un antre , la voit deux on trois fois. Il est fin 
et observateur. L'officier de service et le sous-officier la 
voient tonte la jouroée. Il est bien difBcile qu'on ne s'aper- 
çoive pas d'an événement on du plus petit dérangement de 
santé. 

Je suis très f&ché du départ du lieutenant Petit-Pierre, 
parce qu'il avait accqutumé la Duchesse h le voir h tout ins- 
tant et qu'il l'avait préparée à recevoir sa visite de nuit, s'il 
entendait dans sa chambre nu bruit qui annoueUt qu'elle fût 
malade. Dans ce but, il lui avait dit plusieurs fois : e Le vif 
€ intérêt que je vous porte ne me permettrait pas d'attendre 
« le gouverneur [jour monter à votre appartement, si je 
c eoapçounais que vous fussiez malade. » 

Elle n'avait pas décliné cette attention. Je saisis cetto 
occasiou pour faire l'éloge de M. Petit^Pîerre. C'est nu 
officier rempli d'honneur, d'intelligence et de bons senti- 
ments pour le Gkiuveruement actuel. Il pousse si loin la dé- 
licatesse qu'd m'a déclaré qu'il n'accepterait pas le grade de 



CHAPITRE XIV. 249 

capitaine^ s'il lui était donné en récompense de sa mission 
à Blaye. Il croit l'avoir mérité à Nantes et dans la Vendée. 
U ne le recevrait que là et pour cela. U mérite et votre bien- 
veillance et votre estime entières. 

Le respect, l'estime dont les compagnons de la Du- 
chesse l'environnent 9 \2k gaieté constante de celle-ci, qui nous 
est confirmée par les observations que nous faisons à son 
insu, tout me persuade que, s'il y a grossesse, il y a en 
même temps un manteau préparé pour conserver sa réputa- 
tion, c'est-à-dire un mariage secret ou simulé. Dans cette 
supposition, il n'est pas douteux qu'elle le déclarera aux 
approches du moment fatal. Ce qui prouve que ce mo- 
ment n'est pas voisin, c'est qu'elle ne demande pas que 
M™® d'Hautefort couche dans son appartement, et que rien 
n'est changé dans ses habitudes. Ce qui achève de me con- 
vaincre de ce que je dis, c'est qu'elle ne prend aucun soin 
de dissimuler son état. Deux fois M"" d'Hautefort, remar- 
quant que je l'observais, s'est mise entre elle et moi. 

Je suspends là ma dépêche jusqu'à ce que j'aie vu 
jyjme d'Hautefort. Je vais examiner les instructions sur 
d'autres feuillets. 

22 février 1833, 3 heares après midi. 

La botte est portée. Les choses iront mieux que je ne 
le croyais et que je n'osais Tespérer. J'ai fiût demander 
]^me d'Hautefort. a Madame, lui ai-je dit, le moment 
a est venu d'employer avec vous la plus grande franchise 
€ Chez les belles âmes, la franchise provoque la réciprQci- 
« té, je compte là-dessus. Le Grouvernement veut enfin sortir 
« de l'incertitude où il est, et il veut s'assurer que l'évé- 
K nement qui doit être la suite de l'état qu'on suppose, 



250 



LE MARÉCHAL BUGEAVD. 



c OU plutôt dont on a la presque certitude, ne pourra pas 
t lui Être diBsimuIé. Il m'ordoone de» mesures qui doî- 
•I vent ^tre prises k l'amiable on d'autorité. Je n'appliqae- 
a rai pas ce dernier moyen : vous allez le voir par la pre- 
« mière page de ma réponse. Mais un luitre i'appliqnera. 
« C'est k vous k juger, Madame, s'il est plus avantageux 
« pour vous de porter M"" de Bi?rry à prendre un grand 
«. parti, n y en a deux : l'aveu de la grossesse, si elle existe t 
i la constatation de l'état, s'il u'y a pas de grossesse. Dam 
« ce dernier cas, il doit être assez pressant pour M"" de Beny 
n de faire cesser les liruits répandus dans tonte la France 
K chez amis eteiinemis, et reparaître avec toot sou éclat aux 
•I yenx de ses partisans. Si elle est grosse, il y a pent-ëtn 
<i nn mariage secret, et le même intérêt doit le fuire avonerJ 
x S'il n'y a pas de mariage, il y a l'intérêt di- faire cesa 

< une foule de petites mesures qu'elle appellera vexatoîresj 
« mais qui seront toutes du devoir du Gonvernement envei 

c( le pays qui a intérêt à ce que l'événement soit constaté 
<( Voyez, Madame, si vous voua sentez assez de force ( 
« assez d'attacliement à la Duchesse pour aborder la quea 

< tion. Je pense qu'il faut le faire avec une extrême franchi 
d se, lui montrer la dépêche du Gouvernement et les deoi 

H premières pages de nia réponse. Elle connaîtra mes seiiti-l 
« ments. Elle jugera si elle doit me conserver auprès d'elle' 
« en avouant son état, on en le faisant constater, 
K sontl'rant t*! l'amiable qu'on prenne auprès d'elle tontes les 
K mesures ordonnées par les ministres, n 

M'"''d'Hautefort écoutait attentivement ce discours, qttoi*n 
que ses traits fussent visiblement altérés. 

•i Général, m'a-t-elle répondu, je vous jure sur rfaoDDetO 
« que M"' de Berry ne nous a jamais fait ancnne confidence 
•i sur 8<>n état. Elle n'en a pas fait non pins & M*"' Hansler.l 



CHAPITRE XIV. 251 

^ Comme tout le monde, nous soupçonnons; nous la voyons 
<c grossir à vue (fosiL M. de Brissac et moi nous en avons 
a c anse, et, ponr provoquer les confidences de la Duchesse, 
<i nous lui disions Tautre jour : € Madame, dans votre posi- 
a tion, vous ne devez pas seulement nous considérer comme 
ce chevalier d'honneur et dame d'honneur, mais encore 
<r comme des amis à qui vous devez confier toutes vos peines, 
a pour qu'ils vous aident à les supporter. }> Ce langage n'a 
« rien produit : nous ne savons rien! i> 

Sur ce, M°*® d'Hautefort a lu votre dépêche et partie de la 
miepne. « Vos sentiments, général, sont, m'a-t-elle dit, on 
CL ne peut plus honorables : votre franchise appelle la 
oc mienne, votre abandon appelle le mien. Je ferai tout pour 
<L vous conserver près de nous, mais appelons M. de Brissac 
ce pour tenir conseil, d 

M. de Brissac s'est exprimé comme M"** d'Hautefort; il a 
juré à plusieurs fois qu'il ne savait rien , mais qu'il soupçon- 
nait. Il était plus altéré que M™* d'Hautefort. Après un assez 
long silence, j'ai repris la parole. <i Allons, du courage; il 
€ faut enfin prendre un parti. Qui de vous deux se charge 
« d'aller tout dire à la Duchesse? j> Long silence... « Il me 
« semble, ai-je repris, que cela convient mieux à M°* d'Hau- 
cc tefort. — Oh! oui, a dit M: de Brissac, car pour moi je 
« n'en aurai pas la force. — Je vais me dévouer, a dit 
ce M"** d'Hautefort. — Eh bien. Madame, lui ai-je répondu, 
ce prenez la lettre du ministre, cette feuille de ma réponse 
« (pages 1 et 2), et tâchez de vous rappeler les motifs que 
ce j'ai fait valoir pour que Madame prenne un parti. > 

jyfme d'Hautefort est rentrée une minute après. Elle était 
si troublée qu'elle avait oublié tous les moyens à faire valoir. 
J'ai vu qu'il fallait les lui écrire. J'y ai ajouté cette considé- 
ration : ce Ce qui doit déterminer M°* la duchesse de Berry 



252 LE MARÉCHAL BUGEAUI). 

à faire constater son état, c'est le désir qu'elle a de recouvrer 
sa liberté promptemeut. S'il est constaté qu'il n'y a pas 
grossesse , il est probable qu'elle sera libre et que le dé- 
sarmement sera réglé avec l'Europe ^ et que cela ne peut 
tarder. » 

M°^® d'Hautefort est rentrée, au bout d'une heure, le vi- 
sage très altéré, et m'a dit : <l Général, j'ai tout dit à 
<L Madame. Elle a lu la lettre du ministre et la vôtre. Elle 
(( est extrêmement touchée de vos procédés, de vos senti- 
n ments. Elle a beaucoup pleuré, mais elle n'avoue rien. — 
n Eh bieni Madame, que ferons-nous? Qae faut-il que j'é- 
« crive au Gouvernement? Faut-il que je dise qu'il m'envoie 
« un successeur? — Général, donnez-nous quelques jours, 
« je vous en supplie. — Madame, je ne puis vous donner 
<{ que jusqu'à dimanche , à cinq heures du soir. Si un parti 
n n*est pas pris en ce moment, ou si l'on ne souffre pas 
<{ que j'applique tontes les mesures ordonnées par le mi- 
ii uistre, je demande mon remplaçant. — Général, nous fe- 
<ï rons tout ce que nous pourrons. j> 

L'expression de la physionomie de M™® d'Hautefort me 
donne l'espérance d'un dénouement prochain. 

Je suspends l'exécution de vos ordres, mais c'est par 
attachement pour le Boi, si nécessaire au pays. J'ai tou- 
jours pensé qu'un général éloigné de ses chefs devait pren- 
dre sur lui de changer ou modifier les ordres suivant les 
circonstances et sous sa responsabilité. J'ai la confiance que 
nous atteindrons le but par des moyens honorables. C!omp- 
tez sur mon patriotisme. 

Votre respectueux serviteur. 

BUGEAl'D. 



CHAPITRE XIV. 253 

5 heures et demie du soir (!]. 

P. S. — On vient de m'appeler près de la Duchesse. Elle 
s'est presque jetée dans mes bras en pleurant. Elle me ser- 
rait la main en m'avouant qu'elle est mariée secrètement en 
Italie et qu'elle est grosse^ qu'elle croit devoir à ses enfants^ 
à ses amis, à elle-même, d'en faire l'aveu. Je l'en ai vive- 
ment félicitée et je lui en ai demandé la déclaration écrite. 
Elle a un peu hésité, mais enfin elle j a consenti; je l'at- 
tends pour la joindre à cette seconde dépêche. 

s 

J'ai trois cents livres de moins sur le cœur; je suis 
heureux, le but est atteint. L'honneur du Roi et du pays est 
sauvé I Tout favorise le trône de Juillet. 

Déclaration de Marie- Caroline, duchesse de Berry. 

c( Pressée par les circonstances et les mesures ordonnées 
« par le Gouvernement , quoique j'eusse les motifs les plus 
« graves pour tenir mon mariage secret, je crois me devoir 
<L à moi-même, ainsi qu'à mes enfants, de déclarer m'être 
<L mariée secrètement pendant mon séjour en Italie. 
« De la citadelle de Blaye, ce 22 février 1833. 

<L Marie-Caroline. » 

(]) Piquante lettre du général, pour annoncer la nouyelle au préfet, son ami : 

« Blaye, 37 férrier 1888. 
« Mon cher mondear, 

c Qaand tous reoeTrez cette lettiv, les joumauz Tons auront d^à appris TaTen qu'a fait 
la dacbease de Berry, et tob carlistes seront atterrés, indignés. Noos serons bientôt obUg^és 
de défendre contre eox la duchesse de Berry, « rbéroiqne captiTe, la nouTslle Jeanne d*Arc, 
Harie-Tbérëse 1 etc., etc. i 

< Ce qui est certain, c'est que je m*intéres8e 4 elle depuis que son malheur est an com- 
ble ; elle m'appelle «m ami : elle a presque raison, et je compte bien lui offrir mes services 
pour l'aTenir, si par exemple elle obtenait de rester <>n Fnnce (ce qui ne serait pas bien 
dangereux à présent). Je lui ferais acheter une terre en Périgord, et je mettrais à sa dis- 
])oeition mon expérience agricole et tous mes soins de bon Toisinage. 



254 LE MARECHAL BUGEAUD. 

Au Président du Conseil. 

23 février 1888. 

Demandé par le télégraphe rantorisation pour M. de 
Brissac d'aller à Paris. 

Demandé des instmctions ponr la circonstance et la sus- 
pension dn départ de M. de Brissac. 

Aux Ministres efe la Guerre et de l'Intérieur, 

2i férrier 1888. 

M°^^ la Duchesse a été indisposée ; elle a fait appeler le 
docteur Gintrac. Elle va mieux. 

26 février 1888 (1}. 

Dépêche télégraphique de Blaye, le 27, à six heures et 
demie du matin : 



« Je croyaifl que Timmensité existait entre moi et un diplomate. Je viens pourtant de 
faire de la diplomatie ; il est vrai qu'elle a été franche, ouverte, généreuse : la mae des 
Mcttcmich, dee Talleyrand, n'aurait pas auvi bien réussi peut-être. Souvent les almpU» 
vous attrapent plus vite que les habiles. Enfin, j*ai réussi à obtenir un aveu qui va dm- 
pliflcr ma mission et celle du Gouvernement. Ça n'a pas été sans quelques peines I 

C BUGKAUD. » 

(1) Le ministre de l'Intérieur, justement préoccupé de Tétat delà duchene, 
remercie avec effusion, dans ces deux lettres particulières, le général BogeMul, 
de la part du gouvernement, pour le tact et Thabileté qu'il déploie, dans wt 
mission. 

Le comte cTAiyoutf minUtre de F Inférieur , au fjinCral Bugeaud, 

c Paris, 24 février 1838. 

« Mon cher général, il est impossible de mieux faire que vous ne faites. Vous avea oon- 
ihiit toute cette affaire avec toute l'habilet.!' et la prudence imaginables. Vos lettres sont très 
curieuses, et le Bol les lit avec un >if intérêt ; il m'a chargé de vous le dire. J*mphtt qns 
vous conduirez également à bon port radniission de M^** Oarnicr et du docteur Ménièn. 

« Rien d'important en politique. Le duo de Broglie a eu deux très grands snocès à te 
Chambre dee députés. 81 la duchesse de Bcrry a prétendu à tort qu'il s'y était d'abord «n- 
ferré, elle doit reconnaître aujourd'hui qu'il s'ost parfaitement bien d^fcrrj. Barthe, Ooiiot 



CHAPITRE XIV. 255 

A monsieur le Président du Conseil. 

M. de Brissac insiste pour se rendre à Paris. Son but 
principal est de faire part de ses craintes pour la santé de 
la Duchesse. Il est vrai qu'elle a une irritation de poitrine 
qui la fait tousser plus fort depuis la scène de l'aveu du 22. 
M. de Brissac dit que, lui ayant promis formellement qu'il 
quitterait Blaye quand il voudrait, on ne pourrait l'y rete- 
nir sans déloyauté. Il offre de revenir à Blaye, si on l'exige. 

M. Ménière verra la Duchesse, vendredi, avec M. Gin- 
trac. C'est une affaire convenue. Elle ne veut pas entendre 
parler de sage-femme, qui devient inutile par les circons- 
tances. 



et Barante ont très bien dit leur fait à MM. de Brézé et de NoaiUes. Ces derniers ne souf- 
flent phis mot. Tout me parait marcher fort bien. 

« Adieu, cher général, je vous renouvelle rcxprcssion d'une t^n sincère et bien cordiale 
amitié. 

« Signé : D'Aroout. » 

Le &nnte d'Argout au général Bugeaud, 

■ Paris, 86 février 1833. 

« Mon cher général, le maréchal et moi nous Tons répondons officiellement anjonrd'hal ; 
mais je ne veux pas laisser partir le courrier sans vons répéter combien nous sommes en- 
chantés de tout ce que vous avez fait. Il est impossible de conduire nne affaire aussi dif- 
ficile arec plus de talent, de loyauté et de convenance. Si tous avez un poids de 100 ki- 
los de moins sur la poitrine, je tous en dirai autant pour mon compte. Maintenant nous 
ne craignons plus que la duchesse de Berry fasse on coup de tète qui compromette sa vie 
et notre responsabilité. D'un antre côté, ce qu*il était dans Tintérèt du pays et de la ré- 
volution de Juillet de constater le sera, sans être obligé de recourir à des mesures qui 
eussent é(é pénibles. Vons avez rendu un grand service, et vons Tavez rendu avec nne sa- 
gacité et une habileté au-dessus de tons éloges. Vos lettres sont du plus vif intérêt; le Roi 
les lit avec la plus grande satisfaction. Multipliez-les le plus possible. 

« Dufresne a fait une sottise. Vous avez en la générosité de la passer sons silence. J'ai 
grande envie d'après cela de le retirer de Blaye. Mandez-moi ce que vons en pensez. La sage- 
femme est une personne très recommandable, et MM. Orfila et Aavity font le plus grand 
éloge de sa moralité. 

< Les carlistes sont atterrés : vons n*avez pas l'idée de la sensation que produit la décla- 
ration insérée an Moniteur, 

< Nous sommes bien aises que le docteur Ménitee soit reçu par la princesse. Il importe 
que M. de Brissac ne quitte point Blaye jusqu'à l'accouchement. 

« Mille cordiales assurances d'attachement. 

c D'Argout. » 



LK MARÉCHAL BUGEAUD. 



.-I monsieur ïe Maréchal. 



Madame la duchesse de Berry souffrant d'une iiritatiou 
de poitrine qui loi donne nne toux fréquente et sèi-he, j'ai 
fait appeli^r le docteur Gintraf , qui est arrivé ce matin. 
Ainsi qu'il avait été convenu, il a introduit le do<^tear Ma- 
nière. Dans la première visite il n"a été question que de l'ir- 
ritation ; mais étant Informé qne les carlistes, à Bordeaux, 
nient la déclaration delà Duchesse, l)ien qu'elle leur ait été 
affirmée par M. Giutrac, j'ai engagé ces messieura à t&cher 
d'amener la Duchesse h permettre une consultation de plu- 
sieurs médecins, en apiiaronci; pour Ha poitrine seule, mais 
en réalité pour constater son état de grossesse. Ces messienrn 
sont en ce moment auprès d'elle. Je vons dirai le résultat 
quand ils seront rentrés. S'il est possible de faire nue con- 
sultation, je ferai appeler trois autres médecins, et la consul- 
tation, signée de cinq, vons sera adressée, afin que Toas 
{missiez fermer la bouche à la presse carliste , qui ne va pas 
manquer de dire que c'est par la force ou la captation qu'on 
a arraché à la Duchesse cette déclaration. Quant à la con- 
naissance de l'époque du mariage, du lien, du nom de 
l'époux, etc., je ne négligerai pas de tâcher de l'obtenir par 
la confiance et les bons proi.'édés. Je sais qu'il serait impor- 
tant d'en avoir des preuves authentiques : je crains qu'il soit 
diflScile à la Duchesse de les donner, mon opinion étant 
qu'elle n'est pas mariée. Si réellement elle l'est, sa conduite 
a été Lien bizarre. En causant hier avec elle, je la priai 
de me raconter son voyage de Paria & Cherbourg. Elle le 
fit avec complaisance, et je pense vous intéresser en voua 
rapportant ce fragment de narration : i M. de Schonea fut 



CHAPITRE XIV. 257 

pour moi poli et prévenant. M. Odilon Barrot fut austère 
et sec. Quel fut donc mon étonnement lorsque, au mo- 
ment de m'embarquer, il me dit : « Conservez, Madame, 
ce précieux enfant, en montrant le duc de Bordeaux : il sera 
peut-être un jour bien nécessaire pour assurer le bonheur 
de la France. » — Êtes-vous très sûre. Madame, de vous 
rappeler ces paroles ? — Oui, général, je me les rappelle, 
parce que j'en fus très étonnée ; elles m'auraient moins sur- 
prise de la part de M. de Schonen. » Je compte prier la Du- 
chesse de me les écrire de sa main. 

5 heures et demie da soir. 

La Duchesse consent à la consultation. Je fais appeler 
MM. Canihac, Grateloup et Bourges. Les deux premiers sont 
légitimistes : c'est ce qu'il faut. J'exigerai d'eux une con- 
sultation écrite et signée de tous cinq. J'ai l'honneur, etc. 

Copie à M. d'Argout. 

Aux Ministres de la Guerre et de t Intérieur. 

l«'' mars 1833. 

Pour leur envoyer la consultation des cinq médecins et 
leur parler de la santé menaçante de la duchesse de 
Berry. 

^4 monsieur dArgmt. 

2 mars 1833. 

Pour lui envoyer un article infâme et lui donner des 
nouvelles de la duchesse de Berry. 

T. I. 17 



258 LE MARÉCHAL BlGEAl'I». 

-.1 memeurs les Ministres de la Guerre et de t Intérieur {l). 

8 mars 1883. 

La duchesse de Berry est toujours indisposée. Les calom- 
uies de la Guyenne ont été démenties. Causé avec M. de 
Brissac et M"* d'Hautefort pour déterminer la Duchesse & 



(1) La consUtation de l'état de la dachease était, dans ces circonstanGCt, 
de la plus grave importance pour le goaycmement. Le président du Conseil 
et le ministre de l'Intérienr adressent an gouTemenr de Blaye les instructions 
les plus précises. 

Lt prttident du conseil de» ininUtrts et le minUtre de l'Intérieur au fjourerueur de Blaye, 

« Gén<!^ral, M^^ la dnchcsse de Berry consent & reccroir les doctears Ménière et Otntxac : 
k'QfB soins dcvlcnuent IndispensahleK. Noiu n'aTons pas lïcfoin de tous recommander 
•le multiplier les précantloiis et les égards. Quant à la sage-femme, il ne peut être question 
de la faire admettre contre le gré de la Princesse. 

« Mais il faut tout préToir, général, et l'uvénemcnt qui doit terminer la grossesse pon- 
vant arriver d'un moment à Tantre, roici, d'ainnès les indications de M. le garde des sceanx, 
un modèle de l'ucte de nainsanoe qu'il conviendra de rédiger. Le cas c'tait déjà iném par 
n<)« instructions. 

H Ki M. le comte de BrisMic intdste })our revenir à Paris, tous ne deres pas l'en empêdber^ 
Aux termes mûmes de mii engafreuicnt volontaire ]x>ur rester auprèx de la Princesse, il est 
libre de le rompre et de sortir du elmtcau. 

H 1 ji santé de M*"* la dncliessc de Berry lui paratt compromise, il dédro donner des ren- 
seignements à cet égard. Ce sera donc pour Paris seulement qu'il }>rendra un i>aJMC)iort qui 
Ini Itéra expédié par l'autorité civile, à moins qu'il ne iiarai^sc suflUiant de faire viser celai 
dont il était porteur à son arrivi-e à Blaye. 

K No })ourries-vous demander à M. de Brissnc, pour votre propre com]ite ou pour votre aa- 
tisfaction personnelle, wn attestation sur les circonjttanoeis qui ont accompagné la didarm» 
fion librement faite de la duchesse de Berry? 

H 8a démarche ne pouvait éi>n>uver aucune oppmdtinn de votre part, maL» c'est à oea 
(^•nditions qu'elle sera pleinement justifiée d'après la loyauté reconnue de son caractère. 

H Ci-joint trois lettres qui devront être remiws & M"* la duchefwe do Berry. 

« A^rri-os, gt-néral, l'amurance de notre oon8idérati<m tri>8 tli^ininiee. 

M Le président du Contieil, miniiftrc de la Querrc, 
< Sttjné : Maréchal duc I)K Datjcatik. 

« Le pair de France, ministre de l'Intérieur. 
• Comte D'Amioi T. »• 

•< Noufi vouri répétons qu'il eïtt convenable de demander & M"** la dnclrtHw de Beny qœ^ 
VHt l'an'oiu'henr dont elle dt'sire recevoir le» wins, bien entendu que le doctenr ICénlère et 
If doctctir G intrac, »i ce dernier est à Blaye, «?ront ti'moins de rnoconchemcnt. 

M Man-chal s. D'A. > 



CHAPITRE XIV. 259 

déclarer avec qui, où et quand elle s'est mariée. Remis aa 
premier entretien. Le départ de M. Petit-Pierre et du bri- 
gadier Roussel. Accusé réception du contre-ordre pour l'ad- 
judant Lafond. 

A monsieur le Maréchal et à monsieur ctArgout. 

i mais 1833. 

Je reconnaissais l'exagération d'indisposition de la Du- 
chesse. — M. de Brissac ayant pris son parti de rester, je ne 
lui ai pas dit qu'on était disposé à le laisser partir. Lorsqu'il 
pensait à s'en aller, il montra à M. Lombard, mon aide de 
camp, une lettre de la Duchesse à sa famille, et dont voici 
la substance : <i Je reconmiande mes enfants à M°^ la Dau- 
« phine ; je crois avoir assez fait pour eux, pour la France, 
a pour ma famille. Il est temps que je pense à moi. Je 
d désire aller passer en Sicile le peu de mois qui me res- 
« tent à vivre, car je sens bien que je porte la même mala- 
<r die que mes père et mère, d 

Le docteur Ménière gagne dans la confiance de la Du- 
chesse. J'espère qu'elle le choisira pour son accoucheur. 

J'attends avec impatience un brevet de sous-lieutenant 
pour le maréchal des logis de gendarmerie Solabel. 

A monsieur le Maréchal et à monsieur le Ministre 

de r Intérieur, 

5 mars 1833» 

La Duchesse se porte bien mieux. On a vu remuer l'en- 
fant. Il est inutile d'envoyer les docteurs Orfila et Auvity, 
c;a tourmenterait la Duchesse, sans rien ajouter aux garan- 
ties et il la certitude. L'offre que j'ai faite aux légitimistes 



260 LE MARÉCHAL BUGEAUD. 

a produit un bon effet. Je n'ai pas causé avec la Duchesse de 
son mariage. 

Au Maréchal, ministre de la Guerre, et au Ministre 

de rintérieur. 

8 mars 18S8. 

M°*® la Duchesse est en meilleure santé. Elle remet à de- 
main pour se prononcer. M°*® d'Hautefort parle de la gros- 
sesse de la Duchesse comme d'une chose toute simple. Elle 
pense que dans quinze jours, on pourra la constater, qa^a- 
lors le Gouvernement n'aura plus de prétexte pour la garder 
en captivité. 

M. l'avocat Lacroix -Dufrcsne, d'après mes offres, se 
présente pour voir M™^ la Duchesse. Elle s'y est refusée. 
M. de Brissac seul a constaté tous les soins et les égards 
dont on entoure Madame. Un mot de la poUce et de M. Dn- 
fresne (Olivier). 



CHAPITRE XV. 



Suite da journal de Blaye. — Le général Bugeaud échoue dans les tentatiyes 
qu'il fait auprès de la duchesse de Berry pour obtenir qu'elle déclare les 
drconstanoes de son mariage. — A conseille la mise en liberté de la prison- 
nière. — Arrivée du docteur Dubois. — Lettre du général Bugeaud an sujet 
des agitations parisiennes : instructions et plan de défense en cas d'insur- 
rection. ^ Le traité sur la guerre det rues, — ArriTée du docteur Deneux. 
— Rappel du docteur Méniére, qne le général Bugeaud déplore en insistant 
pour qu'on le laisse auprès de la Duchesse. 



JOURNAL DE LA CITADELLE DE BLAYE (suite). 
Le général Bugeaud au maréchal Soult. 

9 mars 1833. 

Dès que j*ai reça votre dépêche du 6, je me suis rendu 
chez la duchesse de Berry, et je lui ai dit : c Madame, le 
Grouvernement, toujours prévoyant, pour vous entourer du 
secours que nécessite votre état, et pensant qu*il est possible, 
puisque cela est déjà arrivé, qne vous accouchiez à sept mois, 
me charge de vous engager à désigner par écrit votre accou- 
cheur. C'est une mesure de prudence qui ne préjuge rien sur 
la détermination ultérieure du Grouvemement. > 

Elle m'a répondu (d'abord avec calme) : € Général, il n'y 
a rien... qui presse, j'ai encore plus de trois mois. Je n'ai ja- 
mais accouché à sept mois, c'était une fausse couche; j'aur 
rai le temps de penser à cela... Mais le Gouvernement prétend 



262 



LE MARÉCHAL BUGEATT). 



donc me retenir encore en prÏBon?... Ma déclaration <levrut 
me fure mettre en liberté. C'est une infamie... une atrocité ! 

— Madame, je vons l'ai dit, vos partisans vooa font le 
plus grand tort en niant votre déclaration et en calomniaot 
le Gonvernement. Vons savez si je désire qu'on puisse vous 
mettre en liberté. Eh bien! dans l'état actuel des choses, 
je serais le premier & bllmer le Gouvernement, s'il voua ren- 
voyait ; il faut, auparavant, qu'on ne nie plus ou qu'il y ait 
quelque chose de très authentique. 

— Mais dans ma prison je ne pois imposer silence, vt 
quoi de plus authentique que ma déclaration ? 

— Vonlez-vona que je voua le diae, Madame? 

— Oui, général. • 

— Ce serait de déclarer tontes les circonstances de vo- 
tre mariage ; avec qui, oîi et quand vons vons êtes mariée. 

— Je n'ai plus rien ù déclarer, je n'écrirai pins rieu. Le 
Glonvernement vent ma mort. Si j'accouche dans cette pri- 
son, j'en mourrai. Eh bien, eoit! Mais je ne ferai ancane 
déclaration. 

— Soyez coovaincne, Madame, que le Oonvernemont est 
loin de vouloir votre mort. Il serait heureux de pouvoir 
vons rendre la liberté, mais il a des devoirs h remplir envers 
le pays, et il ne peut vons renvoyer, — tranchons le mot, 
— qne qoand vons ne serez pins un personnage politique. 

— Eh bien, je le répète, j'en mourrai ! 

— Non, Madame, vous n'en mourre>ï pas. Xa force de 
votre caractère vous fera surmonter cette contrariété, car, 
Madame, ce n'est pas antre chose. Matériellement, vous 
serez aussi bien ici ponr accoucher qne partout ailleurs, 
mieux même, car vons pourrez avoir le premier acconchenr 
de France, et à l'étranger voua ponrriez bien n'avoir pas 
de pareil homme. Vous sere» entourée de tons lea soins 



CHAPITRE XV. 263 

désirables et, j'ose dire, de tout l'intérêt que vous pourriez 
trouver ailleurs. 

— C'est très bien, général. J'y suis sensible, mais ce n'est 
pas la liberté. 

— Eh bien! Madame, suivez un conseil d'ami, si je me 
permets ce titre, et dites-nous les circonstances du mariage. 

— Général (avec une extrême vivacité) , ne m'en parlez 
plus, je neveux plus rien écrire. Le Gouvernement est in- 
fâme... Il veut ma mort... il l'aura! » 

En disant cela, elle s'est précipitée dans sa chambre et 
m'a brusquement fermé la porte au nez. Une minute après, 
elle est reparue et a dit : 

« Ma colère n'est pas conêre le général, dont je n'ai 
qu'à me louer, mais contre le Gouvernement. » 

Puis elle est rentrée chez elle. 

M. de Brissac et M™* d'Hautefort ont continué la con- 
versation sur le même sujet. Même attaque contre le Grouver- 
nement, même défense de ma part. Je leur ai prouvé que le 
mal actuel venait des légitimistes, et que la nécessité, la rai- 
son d'État, ne permettaient pas d'agir autrement que comme 
on le faisait. Après une longue argumentation, je les ai lais- 
sés sans mot dire. 

Je leur ai dit ensuite : <{ Je n'ai voulu annoncer à Ma- 
dame la venue de M. le docteur Dubois que parce que je 
veux conseiller au Grouvernement de retarder encore le 
voyage de ce grand chirurgien, et qu'il n'est pas convenable 
de l'en fatiguer à l'avance. i> 

Tous deux à la fois s'écrièrent : « Conmient! le docteur 
Dubois vient?... Elle l'a en horreur! » — a Général, a ajouté 
M. de Brissac, Madame a en horreur M. Dubois depuis la 
mort de çon mari. Elle nous l'a dit cent fois. Il se mon- 
tra dur, ne témoigna aucune pitié et déplut à tout le 



204 



LE HAIl£cHAL Bt'GEAln. 



monde. St on l'impOBe à Madame, cela seul est capable tle 
la faire mourir. » 

Je répondis que le Gouvernement, lastmit décela, re- 
tiendrait M. DnljoÎB. Je parlai alors de M, Ménière. Je con- 
seillai h M. de Brissac et h, M"" d'Hautefort dVngager 
Madame à le choisir. Je l'avais déjà dît moi-même û la iJu- 
chesse, qtii n'avait pas repoussé cette idée. M. Ménière est 
très bien vu des prisonniers, et je ne doute pas qu'eu lie 
bnisiiuant rien, ou ne tînisse par l'adopter officiellement. Il 
l'est déj& de fait, et voilfi pourquoi noua aurions pu. sans în- 
couvéuientet avec avantage, attendre jusqu'à la Su du mois 
avant de faire aucune proposition à la Duchesse. Ces scêaes, 
d'ailleurs, lui fout beaucoup de mal, et, k l'avenir, il fant le» 
éviter le plus poesibU'. 

Je persiste & penser qu'à la fia du mots on peut constater 
la grossesse bien authentiquement et qu'alors, malgré la mau- 
vaise foi du parti carliste, on peut renvoyer la Duchesse sans 
danger. Klle n'exercera plus d'inflaence politique, car même 
ceux qui nieut aujourd'hui sont intérieurement convaincus. 
En lui faisant traverser la France & petites journées, îl ne 
restera plus le moindre doute. L'acte même de son renvoi 
sera la meilleure des preuves. Cette mesure montrerait, à 
mou avis, Je la magnanimité et de l'humanité. Elle aurait cit 
outre l'avantage d>' Bi>uatraire le Gouvernement aux inconvc-- 
nients de l'éventualité d'accidents qui peuvent accompugnor 
un accouchement survenu sous de fiû-heuses influences mo- 
rales. Tel est l'avis que je donnerais, la uiaiu sur la cons- 
cience, si j'étais appelé au conseil des miuistres ( I }. 



(l'i On De aaiinit te diuimuler qu'il 

table courage à ooiueiller d'uoe façon b..~. _ -..~ .» ...>»«. — _ ^^-r 

e. Aituî qn'il ilMil alaé de U préioir, le coascil du gotmruHnr ne tit p)u 
n, de la part àe» mmiittta du rai, pltu de gnuidenr , 



it de I* part dit géuùnl un < 
!o liberU de U p 



■niTl Sans doute j e&t-îl ei 



CHAPITRE XV. 205 

A monsieur le Ministre de f Intérieur. 

< 10 mars 1833 (1). 

Je renvoie les trois commissaires Joly, Dubois et Frenau. 



plus de magnanimité. Mais les haines des partis se fassent-elles éteintes? 
Bien au contraire. Il faut se placer au mois de mars 1833 pour porter on ju- 
gement impartial sur la conduite du gouTemement. 

(1} Le gouyemement, afin de répondre à tontes les calomnies et aux atta- 
ques, décida d'envoyer à Blaye l'éminent docteur Dubois, doyen de la Faculté et 
le premier accoucheur du tempe. On verra quelles difficultés causa au général 
TarriTée du sarant docteur. 

MixiarricnB db L'cmbuEun. 

• Paris, le 9 mars 18S8. 

« Général, l'honorable docteur Dubois, dont je vous ai déjà annoncé le départ prochain 
))onr le château de Blaye, vous remettra lui-même cette lettre. Je n'ai pas besoin de vous 
recommander de lui faire raocneil que son âge, ses rares talents, et le dévouement dont il 
donne encore une preuve si marquante, lui méritent à tant de titres. Le local pour le 
recevoir convenablement aura sans doute été préparé, et il pourra se reposer de fatigues 
que. ses infirmités lui auront rendues plus sensibles. Vous savez en quelle qualité le doc- 
teur Dubois se rend à Blaye. Cest un témoin irrécusable dont le Gouvernement s'est assuré 
la présence & Blaye. 

« Quant à raocouchenr, je vous répète que M"* la duchesse de Berry est libce de le 
choisir. Mais si elle a une demande spéciale & faire à cet éganl, il est nécessaire que cette 
ilemande soit de sa part exprimée par écrit. Tons les égards désirables lui sont dus ; mais 
aucune précaution, aucune garantie ne sont à négliger. 

<c Agréez, général, Tassuranoe de ma considération distinguée. 

« Le pair de France, ministre de Tlntérieur, 
< ^gné : Comte d'Aboout. » 

UOXB DB BATOXXB, DIRECTION DB BLATB. 

Dépêche télégraphique de Paris, le 11 mars 1888, & 8 heures du soir, qui 
n'est parvenue à Blaye que le 12 : 

Le Ministre de V Intérieur à monsieur le Commandant supérieur^ à Blaye, 

« Ne pressez pas M** la duchesse de Berry de déclarer son éiionx. 

K Elle ne sera acooudiée que par tme personne de son choix. 

« U vaut mieux qu'elle désigne un antre accoucheur que M. Ménière, envoyé par le 
Gouvernement. 

« M. Dubois est parti. Il doit simplement assister aux couches de la Princesse. H n'est 
\\a» nécessaire, quant à présent, qu'il la voie, à moins qu'elle ne le désire. 

c Pour copie : 

c Le Directeur du télégraphe, 

« Signé : Bbrrier. » 



'ZW ].K >L\i:ÉCHAL BUOEAL'D. 

J*: <J*:iiiaride le rappel de 3r^ Garnier. La duchesse de Berry 

-*: porur bieu. 

] ] Tijars^ rien. 

-1 monsieur le Maréchal. 

1-2 miurs 1833 (1). 

'!<: trou\X' ^laflamc ù peu près en même état de santé. J^aî 



\) Danfa l'atcenic de réTéncxnent. le goaTemexnent du roi multiplie 
cautioDu prjur arriver à une couotatation officielle. — Les lettres oflldeUei dn 
Uii bistre sont souvent accompsgnéeft de poit-scriplum de sa main, dans lesquels il 
r'ouTP: ^D toutes: confiance arec iwn collègue, le génénil-dêputé. 

HIMfl-KIlK m: L'iNTSfUKUK. 

•• Pari-i. le M man 18SS. 

- <ri-ii<:nil, V01I» avn fra|i]«- jatU- on ]iu>iliiuit votre interpellation à SC, Baves, et ee défl 
:niiir)ifiii(-iit «zi'rimé a r«v>luit tout l'cflét qiie voof poavlci en attendre. Il s'sgiaialt d*iiB 
'.Alt mir lM|iKrl v^iu ne pouvbi iia^-*L-r coij<lauination ; mais, dani« l'i'tat actuel des 
MiQ' \»iiafT*-% cfimmc moi ■ans iloate qu'il est à \ir*i\itm ilo tie montrer avec 1m 
Mfhre fU: communications fur tout cr qui w psMie au i-hâteau île Blaye. 

•• Kii.-n m- n'upini^' a a qw* vous fawies à M** ladoclicsw de Berry la nmise des ol^els 
<|iil lui •'•raient diftim'-s et que voa4 avcs tenus en rnserve. Vous aom toutefois I* jiréemn' 
titut 'II- h-n faire vii<iter avet^ iwiin avant de les mettre en sa possession. 

M I/'ipinifin f\f* nj«-<Ie<rfnii de Paris qui ont i-té a«lmls k Blaye étant qtie les coocbes sont 
l>n«:tiuini-M. vous ne (levis |nii4 iliffénT de prier, idnsiqtic je voum y ai déjà invité. M** la dn> 
r\ufmf iif Bi-rry à (li''«igni*r ]iar t-crit wn act.*onchcar. 

« Jf nt* dfiis patt voun ]aii««er ignorer qne M. le comte de Briiiwc fait Id de vives las- 
iiiii<v-s jioiir !•• n't«mr fie wm fn-rv. V'itu avex obtena «le ce dernier qu'il restât, et il est à 
défiin-r «jiie \in\* 1«> pentuadii-s «le pcrKi-ttcr dan^ cette résolution. S'il en changeait, génénl, 
<-t «(u'il dcmundât â {«rtir. viiui* objecteriez la néocssité de K'clamer de nouveanz ordres. Je 
rii'rn mp|Nirt4' à voum jMiur bien tcnniner cotte négociation. 

« SaiiH ajouter foi entière à leur (exactitude, recueillez toujours les renseifoenents 
dauM Mii •■jianrbcmentM confidentiels, la Princesse aurait encore occasion de vous 
niiuiiqiMT ; il i«nt s'en trouver d'utiles. Celui qui conoeme M. Olilon Barrot est très 
curieux. 

< Agne7, ràiéral, l'asHurance île ma ooinidération diitinsiK'e. 

« Le pair de France, mliiliitre de rintérleur, 
< tVyité : Comte d^Abgoct. » 

« /'. A. Viis lettreM, mon «'lier frénéral, n«)nA font le pins frrand plaisir. MnltipUei-les le 
;>lim pii««ibl4'. Je di-«in- iM>:incimp Mivoir *i vouri comiontoz au dé|nrt de Joly. J'en animis 
iw-^in ii-i, nini't je ne ix-nx iam le faire revenir saiw votre conNeutenient. Je erols qne la 
\-\i v.'uy.w A\*i'. h'-* «'nrli«tf"< «le Bfinletuix est maintenant arrivée à stm terme. Vous y avcs 



CHAPITRE XV. *367 

ea la visite des journalistes. Je les ai fait changer de ma- 
nière de voir. Je renvoie à M. d'Argout, Joly, Frenau et 
Dubois. 

13 mars, rien. 

A monsieur le MaréchaL 

14 mars 1888 (1). 

Nouvelles de la santé de Madame. Ses paroles à Tannonce 



été viotorieux ; mais A elle se prolongeait, elle ne pourrait que diminuer d'effet et d'u- 
tilité. 

« D'A. )i 

c Paris, 11 mars 1883. 

c Général, noua avons reçn oe matin votre dépèche télégraphique du 8, retardée par le 
mauvais temps, et l'estafette que vous nous avez adressée le même jour. 

c Vous ne devez plus questionner M"** la duchesse de Beny sur les circonstances du 
mariage qu'elle dit avoir contracté en Italie, puisque ces questions l'irritent. Il est d'ail- 
leurs évident, d'après ses réponses, qu'elle se tiendra dans la réserve qu'elle parait s'être 
imposée. 

« L'avis unanime du Conseil est que M"** la duchesse de Berry ne peut et ne doit être 
relâchée qu'après ses couches. JX faut donc qu'elle se résigne à rester à Blaye jnsqn'à cette 
époque. Nous laissons à votre prodenoe de décider s'il convient de lui faire connaître 
cette détermination. U faut éviter de lui donner des espérances qui ne pourraient se 
réaliser. 

c La présence du docteur Dubois & l'aocouchement de la Princesse est indispensable, 
mais seulement comme témoin. Si sa vue est pénible à M*^ la duchesse de Berry, il 
n'est nullement nécessaire qu'il paraisse à présent devant elle, à moins qu'elle ne le de- 
mande. 

c Un avis, venu de très bonne source, nous indique qu'il faut se méfier du docteur Gin- 
trac Il parait brouillé dans ce moment avec les carlistes, mais nous avons des motifs de 
penser que cette brouille n'est qu'apparente. L'esprit de parti peut séduire ou égarer des 
hommes d'ailleurs recommandables. Nous nous empressons de vous transmettre cet avis, 
afin que vous puissies surveiller les relations du docteur Gintrao avec la Princesse. 

« Nous croyons qu'il serait utile que la polémique qui s'est ouverte dans les joumanx de 
Bordeaux fût maintenant arrêtée. Vous y avec triomphé jusqu'ici, mais vous ne fenncrez 
jamais la bouche à des gens de mauvaise foi, et la prolongation de cette discnssion, sans 
rien ajouter à la conviction publique, pourrait offrir d'assez graves inconvénients. 

c Le Roi nous charge de vous témoigner de nouveau sa satisfaction de votre zèle et de 
votre dévouement, qu'il apprécie sincèrement. 

« Agrées, général, l'assurance de notre considération très distinguée. 
«[ Le président du Ck>n8eil, ministre de la Guerre, 

it Maréchal duc de Dalmatie. 

« Le pair de France, ministre de rintérieor, 
c Comte d'Aboout. » 
(1) Les fonctions du gouTemeur de Blaye étaient hérissées ^de dllBcaltés, et 



268 LE MARÉCHAL BUGEAUD. 

de l'arrivée de M. Dubois : « On veut que je meure îcî. 
Louis-Philippe^ mieux qu'un autre^ sait combien je dois dé- 
tester M. Dubois, mais il veut me faire mourir. Eh bien I je 
mourrai. Mon testament est fait ; il dira la vérité. i> 

M. Gintrac est réellement en brouille avec les carlistes. 
Je suis extrêmement flatté du témoignage de satisfaction du 
Roi ; si j'y peux joindre celle du pays, je serai assez récom- 
pensé. Je ne veux pas autre chose pour mes services actuels. 

Rien le 15. 



chaque jour il lui fallait lutter de diplomatie, de tact et de fermeté pour con- 
cilier les exigences du gouvernement et les ordres qu'il recevait avec les égards 
dont il était bien décidé à ne jamais se départir vis-à-vis de la duchesse. 

Le comte irArgnut au général Buçeaud, 

« Paris, 18 mars 1888. 

H Mon cher général, divers reiiseigiiemonts traiisiniH par M. Ménlëre me donnent à psu- 
>or que le ilocteur Duboitt sera fort mal à Blayo, s'il s'établit dam le logement de Ménière : 
noa4 en aarions grand regret, car & son Age et avec ses inflrmitéB il a besoin d'être établi 
d'une manière convenable. Je pense qu'il serait nécessaire de lui donner le logement de 
M. Dufresne; celui -d se tirerait d'affaire oomme il le pourrait. 

M II C!!>t fâcheux que M"* la duchesse de Berry ait dos préventions contre le docteur 
Dnboi.4 ; rien ne l'oblige h. le voir avant le moment fie ses couches, mais il est Indi^pen- 
wtblc qu'il soit prissent à l'accouchement, non pour assister la Princesse, mais pour certifier 
le fait. 

M En attendant, il sera utile que Méulèro remle au docteur Dubois un compte exact et 
journalier de l'état de M"** la duchensc de Berry. M. MéniïTe trouvera dans la vieille expé- 
rience du doyen de la eliinirgie de.i renseignements dont il pourra profiter sur toat oe qot 
concerne la grossesse. 

K Les relations de Gintrac avec la Princesse doivent être surveillées avec soin : des avi* 
tri-s importants qui nous ont «'•t<'> «ionnés à Paris nous portent à penser que sa moralité ne 
tiendrait pas contre l'intluenoc du i>arti carliste. 

<( La Princesse s'est livrée à quelques aocés de colère : la certitude de ne sortir de Bbij-e 
qu'npri* ses couches expliquent ces accès de mauvaise humeur, mais sa mise en llfaert 
avnnt cette époque est impossible ; le Conseil est unanime sur ce point. J'augure d*alllenrs 
que les couches auront lieu prochainement. Je puis me tromper, mais je prénime qne Ir 
iO'iM^ewe date d'une époque plus éloignée que celle que la Princesse a indiquée. J'envole 
nujnunrhui à votre adrewe pliuieurs romans qu'elle a demandés par l'organe du docteur 
Ménière. Je vous ai mandé que vous pouviez remettre à la Princesse les objets adrcM^it 
)M)nr elle à Blayc ; miiiA aupararunt vous aurez soin de les fair? vi»iter soigneusement. 

« Je vous i-crirni domain stur Li sage-femme, apri'S avoir pris les onlres du Bol. 
(I Hocevez. mon cher général, led nouvelles aseurnnces de^ sentiments do In consMiTatlon 
\\\ plus diïitinguéo et de l'attachement le plus «inoîTi-. 

« &>/«/ : Comte n'AïUîoi'T. * 



CHAPITRE XV. 269 



1 Tnonsieur dArgouL 



16 mars 1838. 



Nouvelles de la santé de Madame. Arrivée à Bordeaux 
dn docteur Dubois. 



CABINBT DU MINISTRE DB L'iKTltelBOR. 

^ « Paria, le 16 mars 1883. 

Monsieur le général Bvgeaud^ commandant supérieur, à Blaye, 

« Général, oonvaincn de la suffisance de la police ordinaire h Blaye, tous avez antorisc* 
M. Joly & revenir; les sienrs Diibois et Tresnot doivent le suivre. tTavais prévu la conve- 
nance de œtte diminution dans le personnel et donné en conséquence mes instructions à 
M. le sous-préfet de Blaye. A sa demande, les quatre valets de ville ont reçu une indem- 
nité de traitement. Je compte sur la même vigilance et siu* la même activité dans le 
service. 

«( Les soins de M"' Gamier devenant entièrement inutiles, procorez-lui les facilités dé- 
sirables pour son retour. Il mt essentiel de diminuer le nombre des hôtes qui habitent le 
chÂteau. Elle sera payée à son retour. 

c( M. Olivier Dufresne a pensé & tort qn*il pourrait être diargé, en Fabeenoe de M. Joly, 
(Vun service de police. Cest des soins de 1* comptabilité qu'il doit s'occuper exolndvement. 
Les mouvements qui viennent de iCopérer au chAteaa ont dû en compliquer la difficulté. 
J'ai fait adresser à 3f . le préfet de la Gironde un nouveau mandat de 20,000 francs, et je 
l'ai s])écia]ement chargé de veQler à ce que le service des payements ne soulfrtt aucune 
interruption. M. le ministre des Finances est prévenu de cet état de dioaet et donnerait 
«es oplres au besoin. 

« Je vous ai envoyé l'uitorisation que vous réclames pour la remise, après examen, 
(les bottes de peinture et d'ouvrages offertes à M"** la duchesse de Berry. Quelques romans 
n^ciamés pour elle par le docteur Ménière viennent de lui être expédiés. 

< Agréez, général, l'assurance de ma considération très distinguée. 

c Le pair de France, ministre de l'Intérieur, 
« Si'jné : Comte d'Aboout. » 

« P, S. Ci-joint deux lettres destinées à H"* la duchesse de Berry. Vous en trouverez 
également une à l'adresse dn docteur Diéniëre. Je reçois votre lettre du 12 : je vois quels 
K)nt vos embarras pour le logement de l'honorable docteur Dubois. IThàritez pas & l'é» 
tablir dans celui de H. Dufresne : celui-ci prendrait à Blaj*^ l'habitation que laisse 
vacante M. Joly. Le soin de sa comptabilité n'en pourrait souffrir. Votre franchise, géné- 
ral, a converti quelques journalistes : de tous les bons résultats que tous avex obtenus, 
celui-là n'était pas le plus faible. Soignez votre santé, ménagez vos yeux : personne ne vous 
remplacerait. 

4 Nous tenons beaucoup à ce que le docteur Dubois soit installé dans la citadelle ; le 
logtnient de Dufresne doit être convenable, et celui-ci peut très bien déménager. » 



270 LE MARÉCHAL BUGEAUD. 

A monaietir le Maréchal et à monsieur (tArgout. 

17 mars 1833. 

La santé de madame la duchesse de Beny est chaque jour 
plus languissante. Elle a beaucoup maigri ; ses joues sont 
rentrées, ses yeux sont cernés, et l'état de la paupière at- 
teste qu'elle pleure souvent. Elle s'est pourtant levée au- 
jourd'hui. Elle a entendu la messe. J'ai été la voir, et l'ayant 
trouvée si triste, j'ai prolongé ma visite. Je lui ai lu quel- 
ques articles du Cabinet de lecture. Si cet état se prolongeait, 
il mériterait une sérieuse attention. 

18 mars, rien. 

A monsieur le Maréchal et à monsieur (tArgout. 

19 mars 1833 (1). 

La Duchesse refuse de désigner son accoucheur. M. Dubois 
est arrivé; il prendra le logement de M. Dufresne. Je réitère 
ma demande pour M. Solabel. 



(1) Encore l'incident relatif an docteur Dnbois. Nona ne Bavons Jwint 1* 
nature du grief reproché par la duchesse, et ce que signifie cette dureté Tin- 
a-vis de la princesse au moment de la mort du duc de Berry. 

CABIXIT DU MUlUrrBS DB L'iRTlbUKUR. 
Monsieur Ir général Buffeattd, commandant tupérietur à Bla^e, 

c Paris, le 17 man 18U. 

c Général, je m'explique difficUemeut la violente irritation de M"* la dachsHe de Berry 
à la nouTeUe de l'arrivée du docteur Dut)oiii & Blayc. Ce n'est ni nn médecin, ni on m>- 
coacbeur qui lui w>it imposé : il n'y a pas de sa iwrt, obligation de le leoevolr avant le 
moment de l'accoachement ; main, dans la circonstanoo actoelle, la préeenœ sa ebileaa 
d'un homme aosai expérimenté et d'un témoin aoni irrécoaable, sous le rH»port de Twttt 
fine le docteur Dubois, présente une garantie également raamrante pour le OonverasaMni 
et }iour la personne qui est l'objet d'une semblable ptécantion. 

« 11 i«ralt que M"* la comtesse de Hantefort a partagé Fexaspération de 11^ la duclMMe 
de Berry. Je ne ilonte pas que vous ne l'ayes facilement ramenée à des senUmeiits phM 
convenables à son caract^Te et à la saine raison dont elle a donné tant de preovek 

c Quoi qn'il en soit, géurral. c'o«it natiu^llenient an cbAtoau même qu'est la plan d*iui 



CHAPITRE XV. 271 



A monsieur ctArgouL 



20 mars 1833. 



Madame ne va pas mieux^ ni pins mal. J'ai la certitude 
que, vis-à-vis de moi, elle se fait pins malade qu'elle n'est. 
Aujourd'hui je l'ai quittée à quatre heures et demie ; elle 
était au lit et faisait fort la dolente. En la saluant, je lui 
ai dit : « Vous allez sans doute vous lever, Madame ; il ne 
faut pas trop vous écouter, car ce serait un moyen d'aug- 
menter votre mal. Je vous conseille même de vous pro- 
mener beaucoup aussitôt que le temps sera plus doux. — 
Général, je suis bien faible, je ne sais pas si je me lèverai 
anjourd'hui. i> 

Cinq minutes après, le docteur Ménière y est allé et l'a 



Ticillard qui vient de foire, avec tant de déyouement, an voya^ pénible ponr remplir nne 
mission de c<viflancc. Les deux chambres garnies lonées par Tagent comptable ne peuvent 
loi convenir ; il est essentiel qu'il occape durant son séjour le logement même de M. Dnfresne. 
Je vous prie de donner vos ordres & cet égard. Cet arrangement pourra avoir lieu avec 
toute la réserve et la discrétion qu'imposent les dispositions actuelles de M"** la duchesse 
de Berry. Je m'en rapporte à vos bons soins pour tout terminer à cet égard. Vous êtes 
dans l'habitude d'aplanir des difficultés sans cesse renaissantes. 

« Agréez, général, rassurance de ma considération très distinguée. 

« Le pair de France, ministre de l'Intérieur, 
« Siçni : Comte d'Abqodt. » 

Le docteur Dubois, envoyé à Blaye bien malgré lui, s'acquitte néanmoins 
scrupuleusement de sa mission et redoute fort de causer des embarras. 

c Blaye, 21 mars 1883. 

c Mon général, j'ai un grand désir d'avoir des nouvelles de votre santé et de celle de 
votre chère famille ; mais les bavardages des journaux me font peur, je n'y suis pas encore 
accoutumé. Je vous prie de m'excuser si je m'abstiens d'aller à la citadelle ponr vous 
offrir mes civilités. 

€ Ces journaux diraient demain que j'ai encore tenté de me faire recevoir , et vous savez, 
mon général, que ce sont autant de mensonges. 

« J'écris & mon confrère, M. Ménière, pour l'engager & venir causer avec moi relativement 
ii une note qui m*a été remise par MM. Orflla et Auvity. J'espère que je pourrai le voir 
dans la journée. 

« J'ai l'honneur d'être, mon général, votre plus dévoué et affectionné serviteur. 

« Sifjtté : Am. DUBOB. » 






» 



LK MARECHAL BUGEAUD. 



trouvée levée. Je sais en outre qu'elle a bien soupe hier, et 
(]ue ce matiu elle a mangé à son déjeuner du poulet et des 
confitures. Le docteur Ménière est tout à fait intime avec 
(>lle, et comme il paraît très sensible, il s'alarme, je crois, 
un peu trop sur son sort. 

Je vais jugcT à l'avenir de sa santé par ce qu elle man- 
gera. J'aurai, soir et matin, le bulletin du repas. Nous ne 
pouvons pas espérer que M. de Brissac et M*"* d'Hautefort 
veuillent rien attester par écrit sur l'événement que nons 
attendons. Je les ai sondés là-dessus. Ils ont déclaré qu^ils 
ne signeraient aucun acte, ni de naissance ni autre ; voici 
à cet égard notre dialogue : 

« M. (le Brissac, — Général, nous sommes ici tout simple- 
ment les amis de M°® la duchesse de Berry ; nous n'avons 
rien d'officiel , nous ne mettrons notre signature sur rien. 

« I^ gouverneur. — Mais c'est précisément comme ami de 
M™* la Duchesse que vous devez signer l'acte de naissance 
de son enfant. 

« M, de Brissac, avec force. — Nous ne ferons rien ; je ne 
vi»ux voir mou nom sur rien. 

<c Le gouverneur. — Comment, Monsieur, vous refuseriez 
d'attester la vérité? Et si vous étiez interpellé, vous ne 
diriez donc pas que la Duchesse est accouchée ? 

c M. de Brissac. — Je n'ai besoin de me mêler en rien 
de cette affaire. 

« Le gouverneur. — Je vois , Monsieur, que le Grouveme- 
nient a besoin de bien prendre ses mesures et ses précau- 
tions, puisqu'il ne peut même pas espérer que vous diriez 
la vérité. 

<c M. de Brissac, piqué. — Monsieur, je suis homme d'hon- 
neur, je sais ce que j'ai à répondre dans l'occasion ; mais, je 
le répète, je ne veux rien signer. 



CHAPITRE XV. 273 

« Le gouverneur. — Soit, Monsieur, le Grouvernement 
prendra ses précautions ; mais que ni vous ni votre parti ve- 
niez plus tard vous plaindre des mesures qu'on va prendre. 
Vous y forcez, d 

M"® Gumier est partie d'ici. Le docteur Dubois a l'air con- 
tent de son sort. 

Copie au ministre de la Guerre pour M. d' Argout. 

Lettre confidentielle. 

22 mars 1888 (1). 

Mon cher monsieur d' Argout, 

Cette lettre n'est point officielle ; elle n'a pas [pour objet 
de vous parler de ma mission. Cependant je veux vous dire 



(1) En dépit des soucis joumaliera que lui canaait la garde de sa prison- 
nière, le général Bageand n'était point tellement absorbé qu'il ne se préoccupât 
de l'état politique de Paris. Cette lettre confidentielle, adressée au ministre de 
l'Intérieur le 22 mars, est des plus curieuses. L'agitation qui régnait alors à 
Paris suggère au député-général l'idée d'euToyer au comte d' Argout tout un 
plan de défense, des instructions détaillées aux chefs de corps, des conseils à tous, 
en cas d'insurrection. C'est un véritable traité de la guerre des med. Du reste, 
nous aTons entre les mains un des trois exemplaires manuscrits d'un petit 
traité sur cette délicate matière, composé par le maréchal sous ce titre : la 
Cfuerre des rues, et certainement la lettre de Blaye n'est autre chose que la pen- 
sée première, le germe du curieux travail que le général devait plus tard ooia- 
pléter. 

La question Dubois revient encore ; le gouvernement, à notre avis , attache 
une bien grande importance à la présence de ce praticien, importance que nous 
ne noua expliquons pas. 

CABINET DU MINISTOB DE L'IKTArIKUR. 

c Paris, le 99 mars 1888. 

c Général, en insistant sur la néoeasité de loger au château même le docteur Dubois, 
honmie âgé et infirme, j'ai surtout consulté oe qui m*a paru devoir entrer dans ses conve- 
nances personnelles ; mais vous aurez remarqué qu'il en est de plus graves encore en ce 
qui oonoeme le docteur Deneuz. C'est comme acoonchenr qu'il se rend à Blaye. Cest auprès 
de M"* la duchrase de Berry elle-même qu'il se trouve appelé. Le besoin de la résidence 
au château est donc indiqué avant toute antre considération. 

< Donnez vos instructions en conséquenoe, général ; le docteur Dubois trouve de Toocu- 

T. I. 18 



274 



LE MAKÉCHAL I 



en passant que la dnchesee de Berry, qnui qu'elle en dise, 
ne se porte pas très mal. Pour preuve, je vous tnuiBiuet»! 
le bulletin de son dîner d'hier et de aou déjeuner, ce matin. 
Je suis fondé à croire que la BacheBse s'est mise hier su 
lit pour me recevoir. 

Le docteur DnboÎB désire, et je suIb de son aris, qne le 
docteur Denenx fasse le voyage de Blaye ponr offrir ee« 
services lui-même k la Duchesse. II répond qn'il s'offre et 
que le Gonvernemeut ne le vent pas. On pourrait le Ini 
oflFrir et publier l'offre. J'ai la conviction que Madame ne 
désigne personne , qu'elle veut le docteur Ménière et qoe 
(probablement) elle ne voudra pas le désigner par écrit. 
Nous ferons tout pour l'y décider, car c'est important-, 
mais le triumvirat paraît résolu à ne rien écrire. 

J'arrive au véritable sujet de ma k-ttre. Le procès Berge- 
ron nous a révélé la puissance de la Société des droits de 
l'hommp. Je la crois dangereuse, et je [}ense qu'où doit 
multiplier les précautions contre ses tentatives présumables. 
L'attention du Gouvernement est sans donte éveillée l&-deasas. 
Je u'ai pas la prétention de lui donner la première alerte, 




CHAPITRE XV. 275 

mais je sais que des hommes très occupés ne pensent pas 
toujours à tout, et j^ai cru qu'il était de mon patriotisme de 
vous donner une idée à cet égard. Abondance de bien ne 
saurait nuire. 

Ce qui parait oiseux peut être fort utile. Un auteur mili- 
taire^ écrivant sur les sièges, dit, en parlant de Touverture 
de la tranchée : <i Et Ton jettera la terre du côté de la 
place. — C'est inutile à dire, observa un de ses amis. — Lais- 
sons-le, répondit-il, si ça ne fait pas de bien, ça ne fait pas 
de mal. d Quelque temps après, au siège de Philipsbourg, 
on ouvrit la tranchée, et on jeta la terre du côté du camp. 

Vous vous étonnerez peut-être que je ne m'adresse pas 
plutôt au ministre de la Guerre qu'à vous. Vous compren- 
drez aisément que la réserve militaire envers les chefs, la 
grande distance qui existe entre le Maréchal et moi, sous 
les rapports du grade, de l'expérience et du service, ne me 
permet guère de lui donner des conseils, et, quels que fus- • 
sent les ménagements que j'emploierais dans l'expression de 
mon opinion, cela «n aurait l'air. 

( Mes yeux n'étant pas entièrement guéris, je fais conti- 
nuer par mon aide de camp.) 

Je pense que le Gk)uvemement doit être dans Paris 
comme aux avant-postes et prendre les précautions sui- 
vantes : 

Fortifier et créneler les principaux corps de garde, y 
mettre un petit approvisionnement de cartouches, de bis- 
cuits et de vin pour deux ou trois jours, le tout réglé sur 
le nombre d'hommes qui doivent s'y rallier et s'y défendre 
à outrance. 

Les mairies doivent aussi posséder des cartouches. Je 
sais que des moyens sont pris pour assurer le ralliement de 
la garde nationale. 



276 LE MARECHAL BUGEAUD. 

Donner des cartouches aux chefs de corps de la ligne, 
qui n'en distribueront qu'une partie aux soldats et mettront 
les autres en sûreté dans la caserne. 

Leur donner également, pour être déposés dans les caser- 
nes, des haches, des pinces, des leviers. Us seront respon- 
sables de ces objets et les remettront aux troupes qui les 
relèveraient. 

S'assurer que les principaux officiers du corps de la ligne 
aient une connaissance assez exacte de Paris, et plus parti- 
culièrement des lieux où ils doivent agir, des postes qn*ils 
doivent défendre. 

Faire bien connaître, au plus grand nombre possible , les 
plans de défense de la ville de Paris. 

Porter la manutention de Paris à Vincennes, à Coor- 
l)evoie et à l'École militaire ; la tenir toujours approvi- 
sionnée et avoir dans deux ou trois lieux sûrs un petit 
approvisionnement de biscuits. On se rappelle que la garde 
royale manqua de vivres, et ce fut une des causes de sa dé- 
faite. 

Il n'est pas prudent d'avoir toute Tartillerie à Vincennes 
ou à l'École militaire. Je voudrais placer deux batteries à 
Courbevoie. 

Avoir continuellement un corj^s de douze mille hommes 
d'infanterie et artillerie et de deux mille chevaux à une mar- 
che de Paris, qui aurait le double objet de servir à l'instmc- 
tion des princes, des officiers généraux et supérieurs, et qui 
])Ourraient s'y relever et tenir eu respect les factieux de la 
capitale. 

Annoncer hautement l'objet de ces mesures, afin de ras- 
surer les bons citoyens et d'arrêter les interprétations mal- 
veillantes de la presse. Je dirais franchement que ces moyens 
sî^o nt pris pour garantir la liberté des attaques des sociétés 



CHAPITRE XV. 277 

secrètes, telles que la Société des droits de rhomme, des 
amis da peuple, etc. 

Les mêmes mesures ou à peu près doivent être prises & 
l'égard de Lyon ou autres villes où il y aurait de la fermen- 
tation et des sociétés secrètes. 

Donner tout de suite des instructions à tous les comman- 
dants de division et de subdivision militaire, pour le cas 
d'insurrection qui, par impossible, réussirait dans Paris. Il 
leur serait ordonné de n'obéir à aucun ordre qui leur arrive- 
rait de tout autre pouvoir que celui du Roi, soit par le 
télégraphe, soit par le courrier. Us seraient toujours appro- 
visionnés de munitions. 

De concentrer, en cas d'insurrection dans Paris , toute la 
force de la division et de la subdivision; à cet effet, d'avoir 
des ordres de concentration écrits à l'avance et qu'on n'ait 
plus besoin que de dater. 

Une proclamation toute faite pour pareille circonstance 
leur serait envoyée, afin que, le cas échéant, on puisse pu- 
blier à l'instant par toute la France les mêmes idées, les 
mêmes principes. Cette proclamation doit faire un ^.ppel à 
l'amour de la véritable liberté, à l'intérêt matériel du com- 
merce et du propriétaire, au patriotisme, à l'honneur de 
tous les bons citoyens et de l'armée. 

Les généraux auraient ordre de mobiliser une partie dç 
la garde nationale. Un travail serait préparé à l'avance à 
cet effet, afin de ne mettre sous les armes que les hommes 
les plus sûrs. 

Partout oh la tranquillité locale serait assurée, le général 
marcherait avec ses troupes sur Paris, sans attendre aucun 
ordre. 

Les préfets recevraient l'ordre de seconder toutes ces dis- 
positions ; les instnictions seraient secrètes. 



278 LE MARÉCHAL BL'GEAUD. 

On ne doit laisser h la tête des divisions et subdivisions 
que des hommes de cœur et d'énergie , etc. , etc. 

Sans tontes ces précautions prises ù Tavance, il est oertaia 
qu'on trouvera à la tête des divisions et des départements des 
hommes faibles et irrésolus, qui se laisseront entraîner par 
le mouvement populaire, faute d'avoir nne conduite tracée. 

La plupart des hommes ont besoin d'être dirigés par des 
instructions dans lesquelles il fiiut prévoir, autant que pos- 
sible , les éventualités. 

Des événements prévus perdent les trois quarts de lenr 
influence morale, et des instructions données en conséquence 
de la prévision font cesser toute irrésolution et toute di- 
vergence dans les actions des divers organes du Gouverne- 
ment. 

Les mesures relatives à Paris, aux grandes villes, au camp, 
n'alarmeront pas Topinion publique, si leur objet est avoué 
ouvertement et annoncé par une proclamation bien faite qui, 
on même temps qu'elle rassurera sur les intérêts de la li- 
berté, déclarera que ces précautions sont uniquement dirigées 
contre les mêmes factieux qui ensanglantèrent la capitale. 

L'audace de la Société des droits de l'homme dans le 
procès Bergeron, l'inquiétude vague qui, m'assure-t-on, 
agite Paris, fournissent une excellente occasion d'adopter 
ouvertement un système qui doit donner beaucoup de sécu- 
rité à tous les amis dn pays, au commerce et à l'industrie. 
Je suis convaincu que cela vaut mieux que dissimuler et 
laisser régner la sourde inquiétude. Notre position vis-à-vis 
de l'Europe me paraît nous permettre aussi cette conduite. 
En y joignant les développements raisonnables de nos ins- 
titutions, on aura bientôt acquis la confiance générale du 
pays et partant une grande force. Les factieux , n'ayant au- 
cun espoir de renverser Tordre établi, finiront par y renon- 



CHAPITRE XV. 279 

cer. Ils chercheront à se caser ^autrement que par Tinsurrec- 
tion, et les sociétés populaires s'éteindront. 

Et pourquoi n'agirait-on pas ainsi? La presse, les sociétés 
populaires, ont déclaré ouvertement la guerre au Gouverne- 
ment. Il faut leur montrer qu'on est prêt à les recevoir et à 
prendre l'offensive. Je ne prétends pas avoir prévu tout ce 
qu'il faudrait faire. Un examen plus approfondi suggérerait 
d'autres moyens ; ceci n'est qu'un premier jet. Mais j'étais 
oppressé par le besoin de vous dire rapidement mon opinion 
sur les moyens de parer aux circonstances présumables d'a- 
près la situation actuelle des partis en France. Vous voyez 
que la douceur, la légalité, la stricte exécution des lois, ne 
les ont pas rattachés au Gouvernement. H faut joindre à 
cela la force et l'énergie. Si j'en avais eu le temps, j'aurais 
châtié et mis au net mon travail, mais vous saurez m' ex- 
cuser en faveur des motifs qui me dirigent. 

Becevez, mon cher monsieur d' Argent , etc. 

A mûnsieur le Maréchal. 

25 mars 1888 (1). 

J'annonce l'arrivée de M. le docteur Deneux. Je suis con- 
vaincu que l'intention de la duchesse de Berry était de de- 

(1) CABnrET Dc McnernuE Ds L^nnÉBiKDB. 

c Paris, le 25 mars 1883. 

«I Oénéral, vons deres sans doute avoir oonnaiuaooe du oontenn d'une lettre que Tient 
d'adreflaer le docteur Ménière à M. le doyen Ue la Faculté de Paris ; mais cette lettre est 
tellement expressive, elle rend si bien compte de la position et sortont des idées de M"** la 
iluohesse de Berry, que je crois devoir vous en adresser une copie. Vous tronverec également 
ci -joint mie dépèche du docteur Orflla pour M. Ménière. Veuilles, je vous prie, en faire la 
remise à ce dernier après l'avoir close. 

n Je communique à M. le maréchal celle que vous m'aves écrite le 91 : elle ne permet 
pas de douter des résolutions de M. le comte de Brissac et de M"** d'Hautefort. Vos répli- 
ques fermes et précises les ont mia en demeure. Je vous transmets, de concert avec IL le 
ninréchal, les instructions convenables à ce sujet. Les observations que vous faites pcrson- 



2"*0 LE MAP.éCHAL BUGEAUD- 

mander le docteur Menière ponr son aocouchement ; il est très 
bien ETCC elle. Je crois qa*eUe va faire nne proposition au 
GonvememenL 

A monteur (fAramU. 
A peu près la même rbose, et réponse à sa dépêche du 23. 

A monsieur dArgouL 

26 man 1833. 

Nouvelles de la Duchesse. Elle n^a point fait de proposi- 
tion; elle a beaucoup mangé hier à souper. 

Dépêche télégraphique du 27, à 6 heures du matin. 

A messieurs fes Ministres de la Guerre et de f Intérieur. 

27 mars 1833. 

Le docteur Ménière est parti hier à 9 heures du soir avec 
mon aide de camp. J'ai donné permission à ce dernier jus- 
qu'au 10 avril, parce qu'il a des affaires et que je suis bien 
aise qu'il puisse vous donner les renseignements dont vous 
pourriez avoir besoin. 

Je tiens infiniment au retour de M. Ménière ; quelques in- 
discrétions qu'il peut avoir commises et que j'ignore ne doi- 
vent pas vous empêcher de le rétablir a Blaye. H nous est 
indispensable pour soutenir le moral de la Duchesse, qui Ta 

lu-llomfiit imr la uianirrc île vivre de la PriiK-esw voiu mettront à portte de mienz «iniré- 
cifT KM plaintes sur IV-tat de sa santé et de dissiper en iiartie les iuqaiétudes qii*il ponmit 
faire concerulr. Cest ane /'tude perpétuelle que tous (•tes ohli^é de faire; maia jusqu'à » 
.innr vous voas en êtes acquitté avec bonheur : le snooi-a doit vous encourager ; il faut aclie- 
v«r votre ouvnitre. 
«M. lie RcntomlKi n'cHt i)es encore parti : il parait vouloir changer de r&iolntioii. 

« Sii/Ht : Comte D'AlGOCT. 1 



CHAPITRE XV. 281 

pris en grande affection et qni ^ livrerait sans lui à tout le 
chagrin qne doit loi donner sa position. H suffit donc de lui 
recommander d'être plus circonspect à l'avenir. Au reste, il 
a bien pu donner quelques petites nouvelles, montrer dans sa 
conversation un intérêt pour sa malade, mais je le crois inca- 
pable de trahison ; il est certain qu'il ne pouvait rien faire, 
et que, sans aucune crainte, je lui accordais toute liberté 
près de la Duchesse, dans le but de soutenir son moral, et 
partant sa santé. Vous en sentirez, j'espère, toute l'impor- 
tance. Une maladie grave de la Duchesse ou sa mort met- 
trait le Gouvernement dans un grand embarras. 

A monsieur dArgovJt. 

28 mars 183d. 

Monsieur le ministre, 

Bien ne pouvait plus déranger mes plans que le brusque 
rappel de M. Méniëre. H m'était indispensable pour aider la 
Duchesse à supporter sa prison pendant trois mois encore. 
La douceur des manières de ce médecin, l'amabilité de sa 
conversation, l'intérêt qu'il prenait à sa malade, l'avaient 
rendu indispensable. Je vous prie donc de me le renvoyer le 
plus tôt possible. 

Comme rien dans ma correspondance n'a pu motiver le 
rappel de M. Méniëre, je dois croire que cela a été produit 
par Dufresne, qui fait dans l'intérieur de la prison une police 
dont il ne me parle jamais. Vous comprendrez, monsieur le 
ministre, que les choses ne peuvent à l'avenir aller ainsi, ni 
dans votre intérêt, ni dans celui du pays, ni dans celui de 
rhonneur. Les rapports de Dufresne se croisant avec les 
miens vous exposent à prendre de fausses mesures. Il faut, 
pour que cette affaire se termine bien, une direction unique. 



282 LE HARIÊCHAL BUGEAUD. . 

Plosîenrs rapports vons jettent dans le donte^ parce que les 
mêmes choses ne sont pas vaes de la même manière par 
tout le monde. C'est ainsi qne Dafresne voyait avec jalousie 
rintimité de Méniëre, pendant qne je la voyais avec satîsfiu^ 
tion, parce qne je connais toute l'influence du moral sur le 
physique. Je suis convaincu que la maladie de la Duchesse 
deviendrait très grave, si elle n'était pas entourée de person- 
nes ayant sa sympathie. 

D'après ce qui précède , monsieur le ministre, je pense qne 
Dufresne ne doit plus vous faire des rapports qu^en ce qni 
touche sa comptabilité, son service matériel^ ou, si vons te-* 
nez absolument à des rapports de lui, il faut que ces rapports 
me soient soumis, que j'y mette mon visa; ou que je com- 
batte tout de suite près de vous les choses qui me paraîtront 
fausses ou mal jugées. Je ne puis accepter la responsabilité 
qu'à ce prix. 

Je vous l'avoue avec franchise (1) , je commence & me méfier 
de la duplicité de Dufresne. Indépendamment de ce qu'il est 
très dissimulé avec moi , depuis la scène avec M"® Gramier, 
une lettre de M. Petit-Pierre à mon aide de camp me fait 
connaître que M. Chousserie a eu de graves reproches à lui 
faire (je saurai ce que c'est). Pour moi, je n'ai rien de 
grave à lui reprocher. Je reconnais seulement que c'est nn 
homme qui a peu de dignité et des manières communes, quoi- 
que avec de Tesprit et des connaissances. H prétend qu'il n'a 
pas voulu être préfet au commencement de la révolution de 

( 1 ) Le général Bugcaud, on le voit, n*hésitc "povat à parler franc aa piéii- 
dent du conseil et au ministre de l'Intérieur. Il exprime avec une netteté ain- 
gulière Bon Bcntiment, dût- il déplaire au gouvernement du roi. A ses yeux le 
rai>pcl du docteur Méuiêre est une faute, et il ne le cache pas. Quant à Do* 
frcsne, on comprend aisément qu'un général^ nn député, dans la sitoatioii où 
8c trouvait le gouverneur de Blayc, ne voulût point souffrir d'être contrftlé par 
un simple commis. 



CHAPITRE XV. 283 

Juillet. Cette place lui conviendrait fort peu. Quand vous me 
Tenlèverez d'ici, il lui faut un emploi qui n'exige ni dignité 
ni bonnes manières. 

Je pense que peut-être ferez-vous mieux de le placer tout 
de suite ailleurs. L'intendant militaire à Blaye, ayant en sous- 
ordre un officier de la garnison, remplirait fort bien ces fonc- 
tions et à moins de frais. Toutefois je consens volontiers à 
remplir ma mission avec Dufresne, pourvu qu'il ait l'ordre de 
me soumettre ses rapports ou de n'en plus faire. 

Je vous transmets la lettre de M. Petit-Pierre touchant 
Dufresne. Je joins aussi un petit billet de M"*^ d'Hautefort 
h Ménière, qui vous fera connaître combien ce dernier était 
devenu nécessaire. La santé de la Duchesse n'était pas aussi 
bonne hier soir que les jours précédents , cependant elle a 
assez bien dîné. 

Je vous l'ai fait connaître : on a exagéré son mal par tac- 
tique pour la faire mettre en liberté. Le docteur Ménière a 
été un peu pris, mais il y a un fond de vrai qui mérite toute 
votre attention : c'est sa poitrine, 

27 mars 1833.. 

Dépèche télégraphique à M. le président du Conseil pour 
lui faire part d'une lettre anonyme, écrite de Bordeaux, 
dans laquelle on nous prévenait que nous devons être atta- 
qués et qu'un complot se trame contre nous. Loin de le crain- 
dre, nous le désirons. 



CHAPITRE XVI. 



.^uite du jonrnal de Blaye. — Lettre du ministre de Tlntérienr an général Bu- 
geaud. — Tactique des légitimistes. — Précaations à prendre i>oiir constater 
Faccouchement do la duchesse. — Lettre de la duchesse de Beny an géné- 
ral Bugeaud. — Lettre du docteur Deneux. — Instructions da GouTememait 
au général Bugeaud réglant les formalités qui devront accompagner l'aoooo- 
chement de la duchesse de Beny. — Formule de la convocation adreiaée ans 
personnes appelées comme témoins de l'accouchement de la dnohesae. — 
Persistance du parti légitimiste à mettre en doute Tétat de gfroaseue de la 
duchesse de Berrv. 

JOURNAL DE LA CITADELLE DE BLAYE {suite). 

Le (jcncral Bugeaud à monsieur le comte d'Argout, ministre 

de rintcrieur. g 

28 msirs 1833. 

Moiisieur le ministre, 

J'ai reçu par le courrier votre bonne lettre particulière du 
^1\ et, par estafette, la dépêche (1) sans date signée de vous 

(1) Cette dépêche du gouvernement au gouverneur de Blaye est une des 
]>luH importantes de la correspondance. Elle ert remarquablement faite et ré- 
sume d'une façon précise et claire les faits, et déduit toutes les conséquences 
']ui ][K;uvaient résulter pour le gouvernement d*un défaut de surveillance. 

Lf pit'sûient du coniifil th* winistrt* ft If minittrt «/«• Vlnt^rirur 

(Ht 'jONnrH^ur ilt Matfr, 

« Man 1833. 

't G^nênl, votre déiiSchc iln 21 ilc ce moi* noo* aiiiirend qnc M. île Briasac ci M** d'Han. 
cfort n.f useront de «liguer l'acte de uni-vaiice de l'enfant de M"' la duchesse île hvnj 



t 



CHAPITRE XVI. 285 

et du ministre de la Guerre. La première m'a fait peine et 
plaisir, parce qu'en me montrant beaucoup d'éléments de 
8uccès, elle m'apprend aussi qu'il y a beaucoup de difficultés 
à vaincre ; avec du courage nous triompherons de tout. 

Les cinq premières pages de la dépêche collective ne sont 
que des considérations générales sur des faits accomplis ou 
des circonstances passées. Je ne m'arrête qu'à la sixième 
page, paragraphe numéroté 4. Il m'y est recommandé de 
chercher à empêcher la correspondance de la duchesse de 
Borry, 

Je vous le répète, il n'y a pas d'autre moyen que d'empê- 



\'<ms cil oonclnez, avec TOtre sagacité ordinaire, que tous ne pourries prendre trop de jiré- 
cit niions pour constater œt éTénement do la manière la plos aothentiqne. 

K Diverses particolarités dont uons allons tous donner connaissance nous font également 
sentir cette nécessité. 

c IWmièrtmerU : Depuis quelque tempe M"* la dnchease de Berry a trooré le mojen de 
correspondre avec plusieurs de ses partisans ; notamment elle a écrit en demior liea à M. de 
Vitrollcs et à M. Hyde de Neaville. Nous en avons la certitude, et si vous trouTei une oc- 
coKion de lui dire que vous n'ignorez pas cette particularité, elle n'en disconviendra point. 
Dans une démarche que M. «le Vitrollcs a faite auprès du président du Conseil, du mi- 
nistre des Affaires ÉtrHngi>ret( et du ministre «le l'Intérieur, il a avoué qu'il avait reçu nu 
billet de la Princesse, et nous savons qu'il en a reçu dcnz. Nous savons pareiUenient qn'il 
part toutes les semaines de Bordeaux un homme qui porte ses dépèches à Paris. 

€ Sfcoiuîemtnt : Elle rei;oit dans sa prison les avis que lui adressent tes conseilB. Cest à la 
imite de ces avis qu'elle repousse avec tant de vivacité la présence du docteur Dnhois, 
(lout elle redoute la clairvoyance, et nous sommes convaincus que les refus de M. de BrisHu: 
et de M"** d'Uautefort leur ont été pareillement suggérés par la même voie. 

« Troisièmement : Vous vous êtes aperçu que la sollicitude du docteur Méniëre pour sa 
malade semble exci-der les limites de l'intérêt très naturel qu'il doit lui porter. Sn effet, le 
(U>cteur Méuière ne se borne pas à des conseils méilicaaz, U s'occupe avec la Princesse de 
c}nciitions qui ne sont nullement de sa compétence. U écrit à beaucoup de journaux de 
PariA, et il semble vouloir profiter de sa position pour se donner une importance politique 
qu'il ne convient pas de lui laisser prendre. U ne serait même pas impossible que ce ne fût 
Itar le canal de Ménière qu'une partie de la correspondance de la Duchesse est parvenue à 
Hon adrewe. Mais ceci n'est qu'une conjecture que nous laissons à Totre vigilance le soin 
de vérifier. Vous jugeres sans doute opportun de recommander plus de léserre aa docteur 
Méniére, et, eu lui prescrivant de continuer à vous informer etr à nous infonner areo la 
plus grande sincérité et les plus amples détails de tout ce qui concerne la santé de X** la 
(Inchcsse de Berry, vous l'inviterex à cesser toutes correspondances, sauf arec le ministère. 
MM. Orfila et Auvity. 

« Quatrièmement : M. do Rosambo, président du conseil de famille du duc de Bardeaux, 
et fondé de pouvoirs de M"** la duchesse de Berry, a demandé à voir la Princesse, afin de 
»'ontendrc avec elle sur les moyens de suppléer à la proooration qu'elle lui avait donnée, et 
que la «k^claration d'un second mariage a rendu caduque. Ges relations auraient pu avoir 
liiu iwr une stiinplc corre«ix>ndance, et nous n'eussions fait aocnne difficulté pour faire par- 



286 i-K >rAnÉt-HAL iiuuKArp. 

cher rentrée cla curé, (tu doctear Gintrac ou <Ie toute autre 
l^ersonne qui retonrne cDsoite bq dehors ; maie le remède 
serait peut-être pire que le mal. Au reste, nous tonchona an 
terme dn drame, et il y a tout lien de croire que c'est le der- 
nier effort fautasmagori que du carlisme. Après cela, il serm 
l>eut-étre assez inseusé pour tenter uu simulacre de coup de 
main, ainsi qu'il en menace. Cela achèvera de le perdre daa» 
l'opinion du pays. 

Quoi qu'il en soit, c'est à voua déjuger si je dois proBcrire 
le curé. Ce n'est point mou opinion. Ce serait nous donner 
de l'odieux pour uu bien petit profit. Les carlistes clabandioDt 




[Ota «iB muiiËnr que Iv iJucteur U^iilËn (tjiën i 
B qna Ton oralt l'arotr gagné J> la onic do U PrinCBiv, K 
tu l«ina pattelcn n lUi rr^paUlian noqniN. ob ponm « 
L lia lulUU. Bt at ;e doctanr tîtoitu st le mil imlsu 
iniprll il la Ihiaocaio ne nie soHltiVt cet ncooQcIbcim 



cliom le* plu flintnina à la TMtA. Ceci mMte d*iulCHt |diu d'MIcDtfeHI QM la 
InoEiH ■cuouotw arec 1« ptni gnnde lacdllti). et qoe d ks Kuiiut u iDnt [M >fCTtl* 
w la pliB gnwte MMiiW, 11* uriTergut lonque U besogna mm Urmlnea. 
I Dan* en éUI ds nhw^ qoelk* août Ira uienire* qn'U cmTlent d< pnDdnpowTdltarll 




■ !■ Vntn penidisdu nna a ludlqar) qn'U Atalt ncUe de nui* tain iHhlr* amrtt il 
nn» 'le la Vrlimeae: Il aal tm «mllcl que «nna la Tnyln Ism Ik J.iiinat nlneiit 
•leim (ulï i«r loar; btoi une ïoua i» «ija pu mdlcrt». la jmin» ilc mine rnajid'a 



CHAPITRE XVI. 287 

encore pendant nn mois ou six semaines ; après qaoi ils t(Hn- 
beront tout à plat. Nous tenons la corde par le bon bout. Le 
gage est entre les mains du Gouvernement, et je suis bien 
décidé, au moment solennel, à ne rien négliger pour donner à 
Taccouchement tonte Tauthenticité possible. 

J'ai déjà fait des reproches à M™® la duchesse de Berry, & 
]^me d'Hautefort et à M. de Brissac d'avoir eu au dehors des 
correspondances non tolérées, et je leur en ai fait sentir les 
dangers pour eux. Ils ont nié, mais avec maladresse» Je re- 
viendrai là-dessus. 



vous fera discerner ce qu'il y a de réel ou d*af fecté ilans son état, et nous nous en rappor* 
tons plus à vos appréciations qu'à tous les bulletins médicaux du monde. 

€ 2" Recommander au docteur Ménière d'envoyer tons les jours xm bulletin détaillé de la 
santé (le la Duchesse. Il est pareillement néoessalrc qu'il rende compte avec une gfrande 
exactitude du traitement appliqué et du régime suivi. Ce bulletin sera communiqué tons 
les jours aux docteurs Orfila et Auvity, qui sauront bien distinguer si, dans les symptdmfls 
indiqués, il en existe d'alarmants. 

< 3° Inviter le docteur Ménière à vous rendre compte de toutes ses conversations avec la 
duchrase de Berry, de s'abstenir de traiter avec elle d'autres questions que celles qui sont 
relatives & sa sauté, de n'avoir de correspondance qu'avec les ministères de la Ghierre ou de 
l'Intérieur et avec MM. Orfila et Auvity. 

« 4*^ Chercher à empêcher les correspondances de la duchesse de Berry et chercher à em- 
pocher pareillement qu'elle ne reçoive des lettres de ses partisans. 

« fi" Si M. de Rosambo se rend à Blaye, empêcher qu'il ait aucune communication avec 
M. de Brissac et M"* d'Hantefort ; n'autoriser que deux conférences avec M"* la duchesse 
de Berry, et y assister de manière qu'ils ne puissent se rien dire secrètement. 

« 6** Faire entendre, quand vous en trouvera l'occasion, à M. de Brissac et 4 M"* d'Han- 
tefort que leur refus de signer l'acte de naissance tient à un système général, et que ce sys- 
tème est précisément celui qui prolongera la captivité de la duchesse de Berry, car on ne lui 
permettra de quitter Blaye, même après ses couches, qu'autant que la naissance de l'enfant 
sera aaUientiquement constatée. 

« 7* Bngager M. Dubois à s'établir dans la citadelle et à y occuper le logement de M. Dn- 
fresne, afin qu'il puisse être présent à l'accouchement. 

« 8" Loger pareillement M. Deneux dans la citadelle ; mais, si cela n'est pas possible, l'é- 
tablir en ville à la plus grande proximité possible de la dtadelle. Ne pas permettre 4 M. De- 
neux de voir la duchesse de Berry hors la présence de M. Dubois. 

« 9** Faire coucher dans l'appartement ou an-dessous de la chambre à coucher de la Prin- 
cesse un homme sûxf ayant le sommdl léger, et qui vous avertira au moindre bruit. 

« A ces précailtions vous pourrez ajouter toutes celles que votre sagesse et votre prudence 
vous suggéreront. 

<c Agrées, général, l'assurance de notre oonddération distinguée. 

« Le président du Conseil, ministre de la Guerre, 

« Siçné : Maréchal duc dk Dalmatib. 

€ Le pair de France, ministre de r Intérieur, 

< Signé : Comte d'Abgout. » 



288 LE MARECHAL BUGEAUD. 

Je suivrai vos instractions relativement à M. de Bo- 
sambo. 

Je fais déjà coucher un sous-officier au-dessous de Tappar- 
tement de la Duchesse, mais avant peu je ferai coucher 
M. Deneux ou M. Méniëre dans le salon à côté de sa chambre 
h coucher, et les officiers de service entreront cinq on six 
fois pendant la nuit dans le salon. Il sera bien difficile que 
Tévénement nous échappe. 

Ce que je viens de dire de M. Deneux ne peut encore s^ex- 
pliquer pour vous, parce que je ne vous ai pas dit que la Du- 
chesse consent à ce qu'il reste, mais elle ne veut pas le de- 
mander, parce que sans doute le co/iseil que vous me signales 
lui a recommandé de n'écrire plus un mot. Quoi qu'il en 8oit| 
elle a cru devoir répondre par la lettre suivante à celle que 
je lui ai écrite hier et dont je vous donne copie & la suite. 

J'avais jugé par plusieurs conversations avec la Duchesse 
ou avec sa suite que la première désirait ou faire des propo- 
sitions au Gouvernement, ou que le Gouvernement lui en fit* 
J'avais, en outre, cru m'apercevoir que l'on était embarrassé 
sur les propositions et sur la manière de les formuler; cela 
me détermina à écrire la lettre que je transcris ci-après. Je 
n'ai })as lieu de m'en repentir lorsqu'elle m'a attiré la réponse 
ci-dessous, qui me permet de garder Deneux, homme si 
nécessaire pour constater l'événement que nous attendons.. 

(Suit la lettre de M. le général Bugeaud.) 

n M. Deneux va loger & la citadelle & la place de Da- 
tresne. Il mangera avec nous, ne sortira pas de la citadelle 
et verra la Duchesse avec Ménière, s'il revient, comme je 
le désire. Deneux est un homme borné que nous conduirona 
aisément. 

(( Je crois qu'il ne faut pas publier en ce moment la 
l>lirase de la lettre de la Duchesse qui est relative à De- 



CHAPITRE XVI. 289 

€ neux. Cela lui reviendrait et peut-être ne voudrait-elle 
« plus le voir. Plus tard on pourra publier ou constater 
<r solennellement la lettre entière, si besoin est. 

(( J^ai communiqué hier & M. le maréchal Soult un avis 
« anonyme sur un prétendu complot, s'organisant à Bor- 
o: deaux pour enlever la duchesse de Berry de vive force. 
c( J'aurais méprisé cet avis s'il ne coïncidait pas avec d'au- 
<r très petits faits^ d'autres propos lancés dans la chaleur de 
« la conversation, 

<r Ainsi, par exemple, un de mes amis voulant venir me 
« voir, sa femme, très carliste, le supplia de n'en rien faire, 
m et finit par lui dire : m Tu pourrais t'y trouver dans un 
« moment de danger. y> 

<si Une autre femme de ma connaissance, très carliste aussi, 
ce discutait chaudement sur la duchesse de Berry. Dans un 
ce moment d'impatience, il lui échappa de dire : ^ Bira bien 
<c qui rira le dernier, on le verra dans peu à Blaye. » 

ce Je suis prêt à jtout événement, et s'ils pénétraient dkas 
a la place par ruse ou trahison, ils y seraient immolés comme 
<r les Anglais & Berg-op-Zoom en 1814. Au reste, je ne me 
a bornerai pas à la défensive, à moins qu'ils ne soient très 
<r nombreux. S'ils attaquent par une porte, je sortirai par 
n l'autre. 

d Jamais entreprise ne serait plus insensée, mais nous 
c( avons vu plus fort que cela. Il serait moins insensé de ten- 
ce ter d'enlever Blaye d'un coup de main, que de vouloir aller 
ce en Pologne en laissant l'Autriche, la Confédération germa- 
m nique et le Piémont sur notre flanc droit ; la Hollande à 
a: gauche ; les factions, la guerre civile, l'Espagne et l'An- 
« gleterre derrière nous! j> 



T. I. 19 



^itl.t l.K MARÉCUAL BlHiEArU. 

Lettre île M""" la duchesse de Beiri/ au yéiûral Uut/caucl, 
De U citadelle de Blafe, c« 27 nftn 1BII3. 

Je ue ptÙB voaa savoir qne très bon gré , général , des 
motifs qui vous ont dicté les propositions que vona m'avez 
soumises. A la première lecture, je m'étaîs décidée à répou- 
dre nég'ativement : en y réfléchissant, je n'ai point changé 
d'idée, et je ne ferai décidément aucune démarche au Gou~ 
vermmoit. S'il croit devoir mettre des conditions & nne li- 
berté si nécessaire h ma santé tout à fait détruite, qu'il me 
li's fasse connaître par écrit. Si elles sont compatibles arec 
ma dignité, je jngerai ai je ]mi8 les accepter. En tonte occur- 
rence, je ne pais oublier, général, que vona avez su allier le 
respect et les égards dus à l'infortaue aox devoirs qui voa» 
étaient imposés; j'aime à vons en témoigner ma recounaïs- 
sance. 

Si-jné: Mauik-CabuUKK. 



P.-S. — J'apprends h l'instant le départ de M. Méiiîin- 
et la défense que M. Deneox a de we voir sans le docteur 
Dnbois. Je déclare que, dans aucune circonstance, je n'œ/met- 
trai auprès de moi M. Dubois. Quoique je ne puisse voir qn'«- 
vec beancoap de pciao la défiance du Gouvernement pour 
M. Deneux , cependant je ne m'oppose pas k ce qu'il re«te ; 
mais je nu ferai aucune demande à cet égard. 



A monsieur le Maréchal, président du Conseil (extrait). 



Le docteur Qintrac est venu voir la Duchesse. H lui k 
ravivé son vésicatoire avec de la pommade épispastique ; il ft 
vivement conseillé & la Duchesse de se prêter tout de suite 



CHAPITRE XVI. 291 

à la constatation solennelle de soa état, afin d'avoir la liberté 
trois mois plus tôt. M,^^ la Dnchesse, M. de Brissac et 
jyjmo d'Hautefort se renferment dans nn système de refus 
absurde. 

Précautions prises en cas d'alerte. 

A monsieur (TArgœU, ministre de l^ Intérieur. 

30 mars 1888 (1). 

Monsieur le Ministre, 

M"'^ la duchesse de Berry est mieux aujourd'hui qu'elle 
ne l'a été depuis quinze jours. H est vrai qu'elle dissimule 
moius^ parce qu'elle est bien convaincue que je ne suis pas 



(1) Le ministre de rintériear, il faut Favoner, n'omet aucun détail, aucune 
recommandation. Il supplie le général de redoubler de vigilance ; toutefois ces 
précautions, qui nous semblent puériles et tracassières aujourd'hui, devaient 
alors avoir leur raison d'être. 

Le œmte d'Argout au général Bugeaud. 

Paria, 3C mars 1833. 

Mou cher général, d'après mie résolatlon prise en Conseil, nous venons, le maréchal et 
moi, de vous expédier une dépêche télégraphique, dont je vous transmets le double par esta- 
fette, crainte que Tétat de l'atmosphère n'empêche on ne retarde la communication par 
le télégraphe. L'amélioration de la santé de la duchesse de Berry permet qu'elle se passe 
Iiendant quelques jours d'un médecin qui soit 4 chaque instant à ses ordres, et dans tous 
les cas vous pouvez faire venir M. Ointrac, de Bordeaux, ou bien la Princesse peut recevoir 
les soins de M. Dencux, pourvu qu'elle ne puisse voir ce dernier qu'en présence du doctenr 
Dubois. Son aversion pour M. Dubois est, dit-on, réelle, mais beaucoup moins forte qu'elle 
ne le prétend. Cest par suite des conseils venus de Paris qu'elle témoigne une aussi grande 
répugnance pour le voir. J'imagine que le motif du départ de Ménière contribuera à la con- 
soler de son absence, puisqu'il s'agit de rendre compte de sa santé et de mettre Ménière 
en présence d'Orfila, d'Anvity et de quelques autres médecins, afin d'établir dans une oon- 
flultation détaillée le véritable état de santé de la Princesse. Nous avons aussi nn antre motif : 
nous avons à questionner M. Ménière sur faits et articles. Sa conduite est devenue infini- 
ment suspecte, et nous avons d'assez fortes raisons de penser qu'O n'est pas étranger aux 
facilités que la Princesse a trouvées en dernier lieu pour correspondre avec ses partisans : de 
jour en jour de nouveaux renseignements noua parviennent sur le plan des meneurs car- 
listes à Paris. Us veulent forcer la main au Gouvernement en l'effrayant sor la santé de la 
Princesse, afin d'obtenir qu'elle soit mise en liberté avant ses couches. Or Us y mettent 
d'autant plus d'instanoe que, d'après quelques probabilités, la grossesse serait beaucoup plus 
voisine de son terme qu'on ne l'imagine. S'ils ne parviennent pas à faire mettre eu Uberté 



292 



LE HAUéCHAL BUGBAUD. 



sa dape. Hier, sou enfant remutùt tellement qu'elk- en était 
fatigaée. Pour calmer la mère et l'enfant, M. Denenx fit 
preudre à la première du tilli'al avec qat-lqueg gouttes d'Hoff- 
niann. 

A propos du docteur Denenx, t'est la meiUeare souche 
d'homme possible ; il se plie a tout ce que Ton vent. Je l'ai 
iustallé daus l'appartement qui est au-dessous de celai de 
la Ducliesse ; il s'est engagé à ne [wiot sortir de l'enceinte 
qu'avec moi, quaad j'irai le prendre pour le faire dSner avec 
nous, ce qui paraît lui plaire beaucoup parce que nons le 
faisons rire. Il m'a promis aussi de n'écrire qu'à sa femme, 
de ne sti charger d'aucune missive des prisonniers. De t«nt 
cela, il a juré en levant la main et en présence de M. Dii- 
boia. Je vons assure que je suis fort aise d'avoir là M. Dc 
neux. 




à [Btlt hnit, en 

• il'Umutehn ]<iw|a'i « qiw Utul^ Id truMpoctât bon de lu 
I, u^* !■ duelwBHD da Bbttx mtenit m lit i elle y itsiueruvTïH ai 
miii ixu (n« do m cDUsbci. «t «Db w nlèisndl db bsui finir 
fl l't^ grow. Tu ptan mv pumlt chlmârlque « lofiina 
K>miniu>a>nl tami vigilant si uwl ]iciii)ilcace q» tod 
.[on-uTia dis ^r» lumiDU du puU, et le ne wnl* pu 

lUon 'Ip ee pnjci. Quoi qu'il an i 

eU trti Ugar. M qui toib HtttljH aa molndn tnJt. U Inipocw «salUMiit que no* 

» pcopc» jnii. Rnfln (M «d ot du plm baut biUiCl), K m 





' CHAPITRE XVI. 293 

Le curé est encore venu aujourd'hui; je l'ai questionné, 
tantôt avec douceur et insinuation, de notre reconnaissance, 
tantôt avec sévérité, pour savoir s'il avait été l'intermédiaire 
des correspondances de la Duchesse, Il le nie avec force et 
proteste de son dévouement à nos intérêts. 

Je ne peux pas me persuader que la Duchesse ait la pensée 
de nous dérober son accouchement. Elle parle de sa gros- 
sesse comme d'une chose toute simple et fait remarquer, 
de temps en temps, que son enfant remue. Elle ne dissimule 
pour personne, et cependant les carlistes de la viUe de Blaye 
se feraient crucifier plutôt que de convenir qu'elle est 
grosse. 

J'ai l'espoir que nous arriverons & l'événement sans ac- 
cident grave. Je redoute plutôt les suites : la poitrine est 
sèche, la bouche est fanée, les gencives sont un peu scorbu- 
tisées; voilà ce qu'il ne faut pas perdre de vue, pour le cas 
où elle nous présenterait les moyens de la mettre en liberté 
avant l'accouchement. 

Sur trois voitures, je vous en ai expédié deux : l'une, par 
le docteur Ménière ; l'autre, par un sous-officier de gendar- 
merie, qui la fera marcher à la suite du fourgon accéléré de 
Bordeaux. 

Le docteur Dubois désire vivement garder la troisième 
pour son retour à Paris, et je suis bien aise de faire ce qui 
peut être agréable & cet excellent homme. 

Quand vous aurez un moment , je vous supplie de me dire 
quelques mots sur la marche générale de nos afiaires. Au- 
rons-nous toujours de nouvelles difficultés à vaincre? Les 
hommes du tiers parti, les inconséquents de toute espèce, 
devraient bien sentir l'importance de ne pas briser notre 
majorité. Il s'agit bien vraiment pour des hommes patriotes 
d'accrocher un portefeuille ou de faire triompher une légère 



204 LE AIARéCHAL BUGEAUD. 

nuance d'opinion! II s'agit d'empêcher le pays de tomber 
entre les mains des anarchistes^ de sanver l'ordre et la liberté 
de leurs horribles griffes. L'ambition, la vanité, doivent s'ef- 
facer devant de pareils intérêts. Et croient-ils donc, ces hom- 
mes du tiers parti, qu'il n'y a qu'eux capables d'être mi- 
nistres? N'y a-t-il pas dans les centres cinquante ou soixante 
membres qui s'en tireraient aussi bien qu'eux ? Et s'ils ve- 
naient & nous renverser, pourquoi ne chercherions-nous pas 
à les renverser aussi, si nous aimons le pays aussi peu qu'ils 
le font, ou du moins qu'ils le semblent, d'après leur conduit^ ? 
Je me crois capable d'être ministre aussi bien que Viennet 
et quelques autres de cette trempe, quoique je ne sache pas 
faire de vers, et cependant je vous proteste que je suis bien 
loin d'envier votre héritage, même dans le futur contingent 
le plus éloigné. 

A propos de Viennet, je dois lui rendre justice pour les 
choses vraies qu'il a dites avec courage. C'est un homme de 
bien. Vous savez que je suis de son avis sur la loi de l'état 
de siège. 

Recevez, monsieur le Ministre, etc. 

Dépêche télêffraphique ff imnsiettr le comte etAn/aut, 
mivisfre de rhitrrieur, i\ heures du soir, 

81 mars 1888. 

Je rc<,*ois à riiistant votre dépêche du 29 courant. 
MM. Ménière et Lombard ont été légers, même indiscrets, 
un peu vaniteux, mais non coupables. Je désire qu'ils revien- 
nent tous les deux , bien qu'à la rigueur on pourrait s'en 
passer, puisque j'ai Deneux et un officier du 6P, M. de Saint- 
Aruaud, (jue j'aime et estime. 

Lombard et Ménièrc ont d'cxcel lentes qualités ; je serais 



CHAPITRE XVI. 295 

fâché qu'ils eussent même l'apparence d'une disgrâce. Cette 
leçon leur servira, et je suis sûr qu'ils se conduiront bien. 

Lombard tenait par mon ordre un journal ; quant aux 
mémoires, il ne devait pas les publier sans mon approbation^ 
et je comptais demander celle du Gouvernement. 

Je suis enchanté de m'être trompé sur Dufresne. Je vois 
que mes premiers jugements sur lui étaient justes. Ce n'est 
pas un méchant homme. Je le garderai , ne fût-ce que parce 
que j'ai été un moment injuste envers lui. 

Bien de nouveau. La Duchesse va comme de coutume. Les 
projets carlistes sont vains. Nous constaterons l'accouche- 
ment, il ne sera pas dérobé. Nous avons fait de Deneux un 
ami. Il a écrit à sa femme la grossesse de la duchesse de 
Berry. Il en parle ouvertement et déclare qu'il signera tout 
ce qu'il faudra. 

A Tnansieur le Président du Conseil. 

2 avril 1833. 

Monsieur le Maréchal, 

Le docteur Gintrac est venu aujourd'hui voir la Duchesse. 
Il a laissé par écrit les observations que je joins ici. lia fièvre 
dont il parle est bien peu de chose, puisque l'appétit ne 
diminue pas. Au reste, cette légère fièvre ne parait que 
de deux à trois heures après midi et finit de bonne heure , 
puisque le repas du soir est assez copieux, comme vous 
pouvez vous eu convaincre par les deux bulletins ci- 
joints. 

M. Gintrac n'a pu juger de ce qu'il dit que par les rap- 
ports de la Duchesse, qui l'a trompé sur ce qu'elle mange. 
Elle lui a affirmé qu'elle mangeait extrêmement peu. 



2de 



; MAHÉCHAI, BUGEAUD, 



Les douleurs d'abdoiQED dout il parle ont en lieu il y a 
trois joors. M. Dencux voulait qu'il ajoutAt i qu'elles ont 
agité l'enfaut. — C'est inutile, » a-t^il répondu. 

Pour moi, je pense que l'état u'a pas changé, que le 
danger n'e^t pas présent , mais que les suites de l'accoa- 
chement peuvent étro graves sous des influences morales, 
pénil'lea néeessairement h cause de la constatation indis- 
pensable. 

Toutefois nous avons des garanties dans rattachement h 
la vie que manifeste Madame par plusieurs circonstances et 
snrtout par les prévisions de l'amour maternel. Elle a beau- 
coup questionné le docteur Denenx sur le désir qu'elle a 
d'allaJter Bon pnfant et pour les précautions ù. prendre en 
pareil cas. Les médecins sont d'avis que cela serait auiBÎble 
& sa santé. Je ferai donc chercher une nourrice. J'en connais 
déj& one bonne. 

M. Qintrac a encore pressé vivement la Duchesse de faire 
constater son état authentiquement, afin d'obtenir la liberté 
si nécessaire ti sa santé. Elle a para peu éloignée de cela, 
a J'y réfléchirai, i> a-t^lle dit. 

Dencnx a écrit h sa femme qu'elle pouvait dire partout 
que la Dncliesse était réellement enceinte, qu'elle pouvait le 
dire hautement. Il y est autorisé par la Duchesse. 

Je lui ai demandé s'il trouverait manvuîs que cela fibt 
publié dans le journal. JVijn. assun^ment , a-t^il répondu,^ 
vous jure ^ttejf ne le (frmentirai pas. C'est h vons de juger, 
monsieur le Ministre, si cela est utile et opportun. Voiu 
pouvez compter sur la sincérité de Deneux. Ses conversa» 
lions avec la Duchesse, en ma présence, nie le prouvent 
chaque jour. 



CHAPITRE xvr. 297 

Extrait de la lettre de M. Deneux à sa femme , en 
date du 3 avril : 

Blaje, 8 avril 1888. 

J'ai pris possession de mon logement dans la citadelle, le 
samedi 30 mars, à deux heures de l'après-midi. J'y avais 
couché jeudi et vendredi, mais je n'ai pas voulu entrer à 
demeure dans l'enceinte le vendredi... Tu te moqueras de 
moi et de ma superstition. Glose tant que tu voudras ton 
mari, il convient de sa faiblesse, et qu'il a une aussi grande 
antipathie pour ce jour que pour les 13. Je vois la Prin- 
cesse tous les jours, matin et soir, à neuf heures. Je la 
retrouve toujours comme je l'ai connue, bonne, excellente, 
vive, pleine d'énergie vitale, mais c'est la lame de l'épée 
qui use le fourreau. Elle a encore une petite toux sèche, 
qui cependant est moins tenace que quand je suis arrivé 
auprès de la prisonnière. Toutes les fois, elle éprouve un mou- 
vement fébrile bien caractérisé par la fréquence, l'élévation 
du pouls et la chaleur de la peau. Cet accès de fièvre se ter- 
mine par de la sueur toutes les nuits. J'avais cru entrevoir 
que ce mouvement fébrile avait un caractère tierce, mais la 
suite m'a prouvé qu'il n'avait rien de semblable, et j'en suis 
fâché, car la quinine nous en aurait fait justice. La Princesse 
a en outre les gencives en fort mauvais état ; elles sont gon- 
flées, violettes, et saignent facilement, même en mangeant. 
Cet état me donne des craintes, non pour le moment, mais 
pour plus tard. Quant à la grossesse, elle marche son train, 
et depuis mon arrivée le ventre a pris un grand développe- 
ment. Les mouvements de l'enfant sont très prononcés ; ces 
jours derniers, à la suite d'une affection morale, je crois, 
ils avaient pris un caractère convnlsif ; des calmants les ont 



LB MASSCHAL BUOSlUDr 

ramenés h l'état aormal. Il y a ea aussi , samedi et diiuan- 
ciie, des colîqaes neiveuseB qui ont également cédé aux 
mêmes moyens, 

Tu pourrais croire, mon amie, que les affections momies 
pourraient renir des personnes qui environnent la Princesse ; 
eli TjJen ! mon ange, désabiisc-toi : tu sais que rien au monde 
ne me ferait dire le contraire de ce que je pense et mentir à 
ma conscience. Le général et ses subordonnés ont des devoirs 
à remplir, et tous doivent le faire; mais depuis le général 
jusqu'au dernier de ses subordonnés, tout ici est rempli d'é- 
gards pour la prisonnière, et tous, s'ils pouvaient faire plus, 
le feraient. Mon bon Cliarles (domestique de M. Deneux) le 
voit comme moi ; il en est tout ébabt, car tu sais qu'il crorait 
tout ce que disaient les journaux comme articles de foi. Lors- 
que nous serons rendus dans nos foyers, noua ne cesserons 
de le dire, et même de le publier, si besoin est. » ' 

.-1 monsieur lu comte d'Argout, ministre (le rinlcrieur. 



Monsieur le Ministre, 

M"" la duchesse de Berrj' était hier tra peu plus fati- 
guée que de coutume , par l'effet de la tempête qni a régné 
pendant deux jours. Le vent était si grand que plusïeors 
réverbères de la citadelle ont été enlevés. Du reste, il n'y n 
réellement aucun rliangement notable dans sa santé. 

Une lettre de M. Peneux, que je mets dans mon paquet, 
et qu'il m'autorise h laisser décachetée pour que vous la 
voyiez, vous fera connaître plus en détail son exacte situa- 
tion. Ce qu'il me dit me paraît vrai. C'est une bonne fortune 
pour nous d'avoir acquis le docteur Denenx ; c'est un homme 



CHAPITRE XVI. 299 

rempli de sincérité. Il est incapable de se livrer à aucune 
supercherie criminelle ; c'est aussi une garantie pour nous 
dans l'opinion. J'ai cru devoir prendre sur moi de le laisser 
entrer chez la duchesse de Berry sans le docteur Dubois, 
parce que si j'eusse exigé la présence de ce dernier, Deneux 
n'aurait pas été reçu. 

J'espère que vous m'excuserez d'avoir modifié vos ordres 
dans l'intérêt de la chose. Il n'y a, d'ailleurs, aucun danger, 
puisque Deneux et son domestique ne sortent pas de l'en- 
ceinte (son domestique est ce Charles dont il parle dans sa 
lettre), et que ses lettres me sont remises décachetées. Je 
compte cet arrangement-là au nombre de mes plus utiles 
négociations. La présence de M. Deneux ici et la franchise 
de ses déclarations sapent et saperont d'une terrible manière 
l'incrédulité carliste. 

J'ai suspendu ici ma dépèche pour aller demander à De- 
neux l'autorisation de publier dans les journaux un extrait 
de sa lettre ; il y a consenti sans difficulté. Il me semble 
qu'il serait bon qu'un journal qui n'appartiendrait pas au 
Gouvernement fît cette publication. Le Constitutionnel, le 
Temps, le Courrier j ne le reftiseraient pas. Vous pourriez, 
d'ailleurs, le leur faire présenter par un tiers qui leur mon- 
trerait l'original et au besoin ma dépêche ; le lendemain les 
journaux ministériels le répéteraient. Il faudrait transcrire 
les troisième et quatrième paragraphes en entier. 

Ci-joint le bulletin du dîner d'hier et du déjeuner de ce 
matin. 

Je joins aussi trois lettres pareilles pour les Débats, le 
Constitutionnel, et la Tribune, Je vous prie de les faire par- 
venir sans frais. Je laisse celle des Débats ouverte pour que 
vous puissiez la lire. 



' LE MABÈCHAL BUGEArn, 

Le général Bugeaudà monsieur le comte tfArgotit , 
ministre de l'Intérieur. 

CitadeUe de BUfc, i avril isas. 

Monsieur le Ministre, 

J'ai reçu le cahier d''iDBtructiouB e&Ds dnte, et signé de 
M, le Président du Conseil et de vons (1 )■ Je me conformerai 
ponctaellement à vos ordres. M. le docteur Dubois entrera 
aujourd'hui & la citadelle ei logera dans l'appiirtement de Du- 



(I) Cette dépêche coUuctive (lu deux miautrcB renfern» 
erâtd tris imporlaiiiu. SUe règle les formulit^» lui devronl neeomiMgiier la 
conataUition du lu naisauDce de l'enfaot de M°" la DuchiHse et indique mtnu- 
ticiuement tontes len muareB & prendre. 



O^n^nt, il'uprh le iléalr qua Taua 
Bh;«. lis TtiJlntlDiu qo'll nom a 



m lUnt La condolEe de U. Lombanl q' 



Rtoanient i Blajg (nMIOt que TotH le 
11 luirait évident que le ont* de Bl 



B plnalenn cartlitee. «t n 



pw d'une Duniin dUUnnM. Voua loi DotUen 
déclaiwall qu'elle vent h eoDlmer, il ne dott 



la plu énergique MpnMlan 
I ontyoai pa» qn'ib uLent i 
lu'uii pareil |iR>jet n'enCn paa liant 



Le par qoslqne entante peidw du puU, et U mtI 



» qnl occupe toijonro la ii 
acl*. r«polr de parrenir i 



« de Berry iTtUlt Dtatin«i 



B danii (nCre daml^n Séyiiia DDneDnlBd 
ucilllH 4 I>arl>. Vont itb nmaniiA «■ 



301 

fresue. Le respectable docteur eu sera très contrarié et dési- 
rait vivement rester en ville jusqn'à la fin du mois. 

J'espère que ma dépêche d'avant-hier vous a convaincu que 
vous n'avez rien k craindre de M. Deneux. Je lui aï parlé ce 
matin, en présence de M. Dubois, MéniÈre, Dufresne et plu- 
sieurs otHciers, de la déclaration qu'il aurait ii faire lors de 
l'Eicconchemeot. Il m'a répondu , comme il l'a déjà fait pln- 
sieurs fois, que la loi l'y obligeait et qu'il me donnait aa pa- 
role d'honneur qu'il n'y manquerait pas. Je lui ai dit que je 
comptais plus sur sa parole d'houoëte homme que Bur la loi. 



U- la Aftcicoï OlDtrv fooi laJ vra lA ro m iu pour qu'elle fît nnt défllirmllon qui mU tt 
groncsBe lutït da toaU controrcnt L'cstrAo» d^sir Ae li ("riiioan At râoapércr pnoipls' 
atait H llberU u'> pu mAme Im dédder iV DCMa dàiUnitioii : clin a alMnment muIbsU 
rintintioD de » rien dgner, do oa rien dMOnnir. de ne rlsn attoiter. Bt, dut le nifana 



o&tLqiML Pi OA dbtpofltXdLkB loi parÊltÉoA rigoumuec. «De ne doit l'aii 
e aon puti ■ dirlgin contn le Oaurcrnsaoïil. 
mrpln^ le lyntèiae ntgitll qu'elle > adopW, eliid qoe V campaguaui île cipIlTlU, si 
[^bâmiuit co qui readriL n mlHO m libott^ plua difficUt Q> Kyst^rmo raoi coumuuida du 
tiablcrdo prteautioa. Houe voui rtpâloDS qu'il atlndiiponubloqae le dot^Uur Dubois toit 
Allé àmn U dtadello, m9n d'«tn k iraiiaûtà ml momeul de l'Ksnii'lisiieiit. qui imit mr- 

iftitemeat da IL Durmoe. Veolllei non* loi» «ounuttre que cet oiiln «l eiicnU : 
i> en ■ttendom la Donrelle mToi bnuconp d'impKUeiice. 






Id miréchU dM lagti, mit par toute uutn pu 
lolt d'au ef trtme tI^Iudo. Cette pnnotme 



lu FrioetiBe et qnl dMwtenlt qii 



302 LK MARÉCHAL BUGEAUI». 

J'ai ajouté que je le prierais cependant, si le ministre l'exi- 
geait, de m'en donner la dédaratiou écrite. — a Ah ! si j'é- 
tais assez malhonnête homme ponr trahir la vérité, ce ne 
serait pas l'écrit qui m'arrêterait. » Je n'ai pas cra devoir in- 
sister de peur de le blesser, et parce que je le crois très ain- 
cère. 

Quoique le docteur Deueux occupe un appartement qni est 
au-dessous de celui de la Princesse, il est impossible qu'il l'ac- 
conche sans témoins. Outre qu'il est enfermé tous les soirs 
dans sa chambre, il faut, pour entrer chez la Duchesse, qn'il 
passe par l'appartement des officiers de service, lesquels sont 
eux-mêmes sous la clef du dehors que prend tous les soirs & 
dix heures le commandant de la place. 

Je crois qu'il sera prndent de faire coucher Ménière. & la 




ttn «ppeM» dsQB be ttlon qal prioide la dumbn A c«m^icT Aa 
pKCtm-^trbtl devili Ctre draai si lign^ pu toua ta uaMaiiu. 
par toifa itttn <lu 33. s'il m ooniivui pas d^Apinlfii à BUj« une di^pntttJoq i 
nja}t de Bordnax et K. de LoTooigncn : nou no le pcniou (uic : iriifc«nl pH 
promptlliul* pitauntt de rkdxmcbeiiHnt m ]i«rm*Un<lt pu de ttin Brlnr I 
(alunite pAroe qa'll va «nlt pÊa fauponlblo qua tdiu d^inniFKvdei au trtoM, 
tvLtcr- Nom rroyona iLodc que Tcnfl devs Tenu borner * ■ppeler le pr^aklent .! 
civil rtle iinKUnqrilD Roi, la Kmi-iif4(et.]Dmiilnet1t>cnr£ ile Bli7e.eii j jolg 
FTteDaMetilBflucoDuoudiotiialaplKaeCdclf.dsBrlmcet deX-'d'Hwi 
■afSt« : oji appellerait dnqnnnto Lémoliw qi» ovnaiaH carlfgtn tilar«kol Un 
rvq qa^ll iiitervl^Tuie duii oec acM mi nombrr de lémcrfu (ntl 



« blaua r^ïpartdiDHit de la docboiaii i 
I ; rantn cal la ntauuea da doctiiar Dubi^ à 



CHAPITRE XVI. 303 

tin du mois, dans le salon à côté de l'appartement de la Du- 
chesse. Indépendamment de cela, je laisserai à l'officier de 
service la clef de l'entrée du corridor qui conduit aux ap- 
partements, et, cinq ou six fois dans la nuit, il ira aux 
écoutes. 

Au reste , je ne crois nullement qu'on dérobe cet acte ; on 
n'en a pas même l'intention. La Duchesse parle de sa gros- 
sesse plus librement qu'une bourgeoise de Paris bien légiti- 
mement mariée. Elle manifeste le désir de nourrir son enfant; 
elle est en outre entourée de six personnes qu'il faudrait pous- 
ser à un crime. Tout cela est impossible. Mais, direz-vous, on 
pourrait dérober l'enfant sur le tour. C'est encore impossible, 
parce qu'il n'y a qu'une issue et qu'elle est gardée par deux 
postes, un officier et un sous-officier de confiance. N'ayez 

Ces deux circonstauccs sont très importantes, pour qu'il ne manque rien à Tacte qui 
sera dressé et h la conviction qu'il doit commander ; mais en même temps ces opérations 
])cuvent offrir des inconvénients graves, en œ que des émotions pénibles sont quelquefois 
dongcurcuses pour les femmes en couche. Or la violenœ habituelle du caractère de la Prin- 
cesse et Téloignement qu'elle a manifesté en dernier lieu pour le docteur Dabois, prescri- 
vent de ne pas procéder à ces formalités sans ménagements. 

Vous et le docteur Ménière, vous pourrez dès à présent travailler à familiariser la Prin> 
cesse à cette idée, en la pénétrant bien de cette vérité que sa mise en liberté dépend de 
l'authenticité complète de son accouchement. Vous parviendres sans doute par lA à lui 
faire souliaiter elle-même que rien ne manque à cette authenticité. 

S'il devenait entièrement impo^ible de concilier la sûreté de la Princesse avec l'accom- 
plijMcnicnt entier de cca formalités, il faudrait restreindre les formalités plutôt qw d'ex- 
poser sa vie au moindre danger. Dans cette hypothèse, nous nous en rapportons à votro 
prudence pour faire tout marcher de front. Ne serait-il pas possible, par exemple, que la 
visite antérieure à l'accouchement fût faite seulement par les docteurs Deneux, Ménière et 
par M"'*^ d'Hautcfort, dont les déclarations seraient iumiédiatcment recueillies par les au- 
torités et les autres, témoins rassemblés dans le salon à côté? Pendant l'accouchement le 
docteur Dubois ne poiurrait-il |>as être placé auprès de la porte, qui doit rester ouverte, de 
manière & vohr sans être vu? Eu laissant ignorer sa présence à la Princesse, qui a la vue 
basse, on aurait tous les avantages de sa présence sans en subir les inconvénients. On 
]>eut enfin recommander le plus grand sUenoe aux témoins rassemblés pour que la Princesse 
n'éprouve aucun trouble d'esprit. 

Enfin, général, nous nous en rapportons à votro innidence et à votre sagesse, qui uoua 
sont connues, poiu* concilier, autant que possible, ces deux grands intérêts. 

Agréez, général, l'assurance de notre considération très distinguée. 
Le président du Conseil, ministre de la Ouerre, 

Siçné : Maréchal duc DE Dalmatis. 

Le pair de France, ministre de l'Intériem-, 

Signé : Comte d'Aroout. 



304 LE MARÉCHAL BUGEAUD. 

m 

donc aucune inquiétude sur ces deux poiuts ; la seule que 
vous deviez avoir, et que je partage avec vous, est la sauté de 
la Duchesse, à la suite de raccouchement. Il y a tous les 
jours un mouvement fébrile ; sa figure a maigri, sa bouche 
est fanée, ses dents sont décharnées : cela n'annonce pas nne 
bonne santé. 

M*"® la Duchesse, M"*° d'Hautefort, M. de Brissac et les 
trois femmes de chambre ont communié hier en ma présence. 
En recevant son Dieu, la Duchesse a versé quelques larmes , 
qui ont provoqué celles de ses femmes. M°® d'Hautefort a 
eu Tœil sec ; M. de Brissac était sans nul doute le plus pé- 
nétré de componction, le i)lus fervent des trois. 

Comme je vous l'ai dit, je juge nécessaire d'avoir à l*a- 
vance mes lettres de convocation toutes faites pour les per- 
sonnes qui, d'après vos instructions, doivent concourir à 
la constatation de raccouchement; en conséquence , je sou- 
mets la formule de la convocation ci-dessous à votre appro- 
bation : 

<ic Monsieur, 

i( En vertu des ordres formels du Gouvernement, j*ai 
a l'honneur de vous inviter à vous rendre sur-le-champ à 
(I la citadelle, afin de concourir à la constatation de raccon- 
« chement de la princesse des Deux-Siciles, duchesse de 
« Berry (1). » 



(1) Ceût été bien peu counaitrc le cœur humain, que de craindre an refus 
de la pnrt des personnes invitcK» par le gouverneur à constater raooouohanient 
(l'une princesse royale et la naissance de l'enfant de M"« la duchesM de Beny. 
Tous acceptèrent, non senlcmcnt sans hésitation, mais avec empressement. Quel- 
ques-unes des lettres ci-dessous ]>euvcnt nous sembler aujourd'hui ridiculei, 
en nous rappelant (H!rt;iin tyiHï popularisé au théâtre. Toutefois, ces réponses 
]>i>ignent admirablement l'époque et démontrent avec quel enthousiasme, U y 



CHAPITRE xvr. 305 

Dépêche télégraphique à M, le comte cTArgout. 

5 avril. 

M. Dubois est entré à la citadelle. M. Ménière est arrivé 
hier matin et vous écrira aujourd'hui. 

La santé de la Duchesse est toujours la même. Sa fièvre 
continue. Vous n'avez aucune inquiétude à concevoir pour 
Deneux, etc. 



a cinquante ans, la haute boorgeoisie de province, sans parler de celle de Pa- 
ris, avait accueilli et accepté ravèncment du roi Louis- Philippe. 

MoHiifur Merletf maire de la vUle de Blaj^, à monsieur le OinénU commandant supérieur 

de la place. 

Blaye, le 16 anU 18SS. 

MoDsiear le fçénéraU j'accepte, j'ose dire arec reconnaissanoe, la marque de oonllanoe dont 
Toust Toulex bien m'honorer, tous et le Oonremement, en me désignant parmi les penonnes 
«lestinéefl à constater raooouchement de M"* la dnoliewe de Berry. 

Je 8uli heureux, monsieur le général, de pouvoir donner au thVne de Juillet et à mou 
t)ayii un nouveau gage, et un gage certain, de mon entier dévouement. 

J'ai l'honneur d'ôtre, areo une hante considération, monsieur le g<>ncral, votre très hum- 
ble et très dévoué serviteur. 

Le maire de Blaje, 

Signé: 



Monsieur Mlon, adjoint de la rUle de Blajff^ à monsieur le général Bugeamd, 

Blaye. le 16 avril 18St. 

Monsieur le général, j'ai reçu la lettre que voim m'aves fait l'honneur ds m*écrire le 16 
(le oe mois pour m'informer que je suis l'une des personnes désignées pour assister à la 
constatation de l'aooouobemeut de M"* la duchesse de Berry. 

Jaloux de répondre à la oonflauce de ceux qui m'ont désigné, je m'empraHS de voos faire 
connaître que j'accepte cette mLnion et que je me ferai un devoir de me raidre à votre 
appel lorsque je serai prévenu de l'époque à laquelle cette constatation devra avoir lieu. 

J'ai l'honneur d'étro, avec les sentiments U» plus distingués, monsieur le général, votre 
trèâ humble et très obéissant serviteur . 

L'adjoint du maire de la ville dt Blaje, 

atgné : Bxllo5. 

Monsieur Bordes^ commandant de la garde na t iomaU dt Blage, 
à monsieur le général Bugeamd, 

Blaye, !• 16 avril 18tf . 

Mundieur le général je reçois à l'instant l'honneur de votre lettre, dans laqneUe je vois 
que je initt une des personnes désignée» pour oon^ater l'acoonchemimt de M*< la dnchesie 

«If Ilerry. 

T. I. 20 



:)00 LE MAUÉCHAL BUGEAUD. 

M. Ménière couchera à la fin du mois dans le salon qui 
touche aux appartements de la Duchesse. 

.1 momieur le Marichal, ministre de la Guerre, 
prvsidcnt du Conseil. (Extrait.) 

8 a\TiI. 

Accusé de réception de la nomination de M. Solabel. De- 
mande qu'il (obtienne une autre destination et qu'il reste 
ici jusqu'à la fin de la mission. 

M"'^ la Diichesse continue à aller passablement bien. Elle 



Tonjonra dévoue à toutes Ick lueimreB qui '«ront prises puar convalucre les cunemis dt 
iioii inAtitutioiM vt *\n n'ixis «le uutrc patrie, je serai pr&t, amsitot qne j'en ret.'evFai Tor- 
dre, à me rendre uupriK de vouk. 

J'ai riionneur d'être, niunslenr le géiiérRl, yntrc trîs humble et très ubdlssant serviteur. 

Lc> ecminiiiiidaiit de la garde naxiunale de Blajc, 

stffHr : Bordes. 

JlvusUur Jifi/nift-y juçi' ih j-aix «/r* la rtV/n «/^ /i/ay^, à monsirNr le t/t'n^ral Buçmv*^, 

Monsieur le (u'éni-ral, la mitssion ù laquelle vous m'appelez est trop honorable pour que 
je ne l'aceepto imsbien Tolontien» : c'e«t un acte de dévouement, d'aiUeois» que je doiaaa 
mi et à son gouvernement. 

irfeulenicnt. mon gi n(!-ral, je craimlmii* «le ne pus me trouver en ville au moment oppcntou, 
<n miMtn «le uie-« habitude« qui me retiennent à la campagne. Mali, ayertl à peu |n^ de 
r^poqiie , je t<aurui ruuiiire avec elle^ et ine tenir sur le qui-vive. 

Veuillez agréer, monsieur le gentil, les civilités rcriitectueoMsct empressées de TOtve Ucn 
humble i4er\'itenr. 

si'jHt : RkuHiER, juge de paix. 

.\fvniiftir Pattounmi, pn'sidtnt tlu tribunal ciril df Jilayfy à ntonsûvr U maréchal de camp 

commandant wj^^ritur dr la j>hicr d*- Blofir. 

Bluye, le 17 aTrill889. 

Mirnsicnr le ctimniandant, ul^eut «le Blaye de]iuis quelques jours, jen'iU pu répoudre de 
^uite à votre lettre du 16 du courant. 

En conséquence, je m'empresse de tous iirévenir que j*aime trop mon pa)'s pour me refa- 
»<'r à constater imr nia présence un fait «lui peut, par sou résultat, oonsdUdcr la tranquillité 
publique, que nous devons tous désirer; j'accepte donc la mission patriotique que le Oou- 
vemement veut bien me confier, et £-uii> à votre disposition iiour sou exécution lonqa*U en 
'■vrn tempe. 

Agréez, monsieur le commandant, l'iisifuraiice de ma considintiou trî» distinguée. 

Le ] rtsident du tribunal civil de Blaye, 

>>Vm»' .' rAKn>unEAr. 



CHAPITRE XVI. 307 

reçoit deux visites par jour de MM. Deneux et Ménière. Elle 
ne fait plus de propositions au Gouvernement. Le motif se- 
cret de cette détermination vient sans doute des instigations 
de son parti. 

'A monsieur le comte eTjlrf/oiU. (Extrait.) 

9 avril. 

Monsieur le ministre, 

M™* la duchesse de Berry va encore mieux depuis deux 
jours, et si elle a eu un peu de fièvre et a été très faible, elle 
paraît prendre de l'énergie et se résigner à faire ses couches 
ici. 

Dépcche téL'ijrapIiiqxie du \0 avril, à 2 heures, 
à monsieur le Président du Conseil. 

10 avril. 

Monsieur le ministre, 

M™* la duchesse de Berry vient de m'adresser à l'instant 
la lettre ci-jointe, que j'ai l'honneur de vous communiquer 
textuellement. J'ai l'espoir, bien fondé, que les deux conseil- 
lers que demande M"' la Duchesse la détermineront aisé- 

J/oHsieur yotlaud, procureur du roi à Btape^ à momiew le çéméral Bajeaud, 

Blaye, te 16 arrU 183S. 

• 

Moiisiour le général, j'ai riioniiear de vooi aociuer réception de votre tettie en date dn 
Id de c« moU, inr laquelle voua m'aononoei que je sois du nombre des pfTtftnnm déiignéee 
)iour constater raooouobement de la dnchesse de Berry. 

Je m'eminrrwe de toos informer qne f accepte cette miMion, et qa'à compter de œ mo< 
ment toim me trouvem toajoom dinposé à la remplir. 

Veuillez agrî-er, moiMienr te général, rassorance de la haate ooosidénttion avec laqnd 
j'ai l'honneur de von» saluer. 

Le procureur dn roi près te tribunal de pnmière instance de Blaye, 

Signf : N'adacd. 



308 LE BtARéCHAL BUOEAUD. 

ment à faire tout ce qa'il faudra pour que le Gh>UTemement 
puisse la mettre en liberté sans ineonvéDient pour lui. 

oc J'ai voulu réfléchir pendant plusieurs jours , monsieur le 
<c général, à nos diverses conversations. Je me suis con- 
(L vaincue que, malgré mon vif désir de mise en liberté, je ne 
<( pouvais me décider à faire au Gouvernement aucune pro- 
ie position sans m'ôtre consultée avec quelques-uns de mes 
<( amis. Je me réduirai à deux seulement ; mais, bien en- 
« tendu , j'aurai la possibilité de les voir sans témoins. Si le 
a ministère y consent, j'écrirai moi-même à M. le vicomte de 
<( Chateaubriand et i\ M. Hennequin pour leur demander de 
i( se rendre auprès de moi à Blaye. J'ai tout lieu d'espérer 
<( que les propositions que je serai dans le cas de leur soa- 
« mettre auront leur approbation. Le Grouvernement, dans 
« cette hypothèse, en recevrait de suite communication. Je 
(( vous prie de faire connaître mou désir au Président da 
« Conseil. Ma démarche vous prouve, général, que j'ai sa 
(( apprécier vos bonnes intentions à mon égard. Je ne ces- 
«( serai de vous conserver une véritable reconnaissance. 

<jc Marie-Caroline. » 

A tmnsieur le comte (fAr^out. 

10 avril. 

Confirmation de la dépêche ci-dessus. — Copie de la lettre 
Il monsieur le ministre. 

A monsieur le comte d'Anjout (1). 

U arriL 

Madani i la duchesse de Berry est restée au lit avec un 
peu de fièvre; elle est moins bien qu'à l'ordinaire. 

(1) Le billet suivant du ministre, écrit A la lidte au sortir d'une séance, montre 



CHAPITRE XVI. 309 



A monsieur le comte dArgouL 



12 avril. 



Monsieur le ministre, j'ai l'honneur de vous adresser une 
lettre de madame de Brissac à son mari, laquelle lettre 
renferme un passage qui m'a paru digne de fixer votre atten- 
tion. Je l'ai souligné en entier, et doublement la partie qui 
semble indiquer que l'on feindrait une grossesse pour se faire 
mettre en liberté, ou du moins que monsieur de Brissac 
l'aurait donné à entendre à sa femme. Ce serait une nouvelle, 
tactique de fourberie à ajouter. 

Cette découverte pourrait bien nous rendre moins faciles 



bien toutes les difficultés qui assaillirent à son début la monaxcliie de Juillet. Les 
sociétés républicaines trouvaient à la Chambre des éléments de force et des 
encouragements. Obligé, en outre, de compter avec les libéraux, qui Favaient 
porté au pouvoir, le nouveau gouvernement avait été, comme on le verra, con- 
traint d'accorder quatre millions de subsides aux révolutionnaires polonais. 

Le comte d'Arçôut^ ministre de V Intérieur ^ au çiniral Bugtaud. 

Paris, jeudi 11 avril ISSt. 

Mon cher général , on mot d'amitié seulement aujourd'hui. Les deux dernières séances 
de la Chambre ont été excellentes. L'opposition a perdu tontes les questions qu'elle avait 
soulevées et les centres ont montré une grande énergie. L'anarchie est toujours parmi les 
sociétés bawingottei. Deux comités directeuis, l'un girondin, l'autre montagnard, se sont 
organisés et se font la guerre. Ces discussions ajoutent à leur faiblesse. Ils ne tenteront 
rien ; mais si, contre tonte apparence, ils tentaient quelque chose, je vous réponds qu'ils 
seront vigoureusement réprimés. On travaille à la fois les esprits pour exciter les insur- 
rections en Italie, en Allemagne et en France. Les sociétés républicaines de ces trois pays 
s'entendent parfaitement à cet égard. C'est ce dont nous recueillons des preuves chaque 
jour : trois cents Polonais réfugiés viennent de quitter furtivement Besançon pour aller 
prêter main-forte aax insurrecteurs allemands ; quarante sont également partis de Dijon ; 
une trentaine a quitté Luxeuil et Vesoul pour se rendre dans le grand-duché de Bade. 
D'un antre côté, les olfiders polonais qui viennent d'être envoyés à Bergerac crient à tue- 
tête : € Vive la république! à bas les tyrans! b Nous avons là une bien turbulente en- 
geance, et nous leur donnons 4 millions! 

Adieu, cher général ; il paraîtrait que la Duchesse serait plus disposée à céder anx con- 
seils de Ménière pour demander une constatation de son état. Je présume qu'il parviendra 
avec Deneox à l'y décider. 

Tout à vous. 
Signé: d'Aiigolt. 



MO LE MARÉCHAL BUGEAUD. 

pour les propositions qu'aurait pu faire la Duchesse et même 
sur renvoi des conseillers qu'elle vous demande. 

Il est évident que le parti se dispose à présenter la gros- 
sesse comme un subterfuge pour obtenir la liberté. Qaant k 
moi, je crois à la grossesse bien réelle, car pour ne pas y croire, 
il faudrait n'avoir pas d'yeux et penser que messieurs Gintiac 
et Deneux sont deux fourbes ou deux ignorants. La seule 
chose qui me paraisse évidente, c'est qu'on veut profiter de 
notre bonté et de notre humanité pour nous jouer, obtenir la 
liberté et rire après. 

. La Duchesse est un peu plus fatiguée aujourd'hui qu'hier 
et cependant son appétit ne varie pas, ainsi que vous le verrez 
[)ar le bulletin ci-joint. 

Copie de l'extrait de la lettre de madame de Brissac, 

(( M. de Sémouville a dit hier à quoiqu'un f/ui me ta dit que 
<( son Gouvornemont était tout ii fait décidé j\ rendre la li- 
« berté à Madame après ses couches. Cela ne nous avance pas 
« de grand'chose, nous qui ne croyons pas à la grossesse. 

« Malgré même les lettres de Deneux, quel inconcevable 
« moyen à choisir pour obtenir quoi que ce puisse être an 
<i monde, que de compromettre ce qui est mille fois plus pré- 
ce cieux que la vie! Pauvre ami, je suis constamment occui>ée 
<( de toi. Je m'identifie à ce que ton noble cœur et ton âme 
<( si pure doivent éprouver dans toutes les hypothèses sup- 
«( posables. » 

A monsieur d Anjout. (Extrait.) 

13 aTril, 

Transmission d'une lettre de monsieur Deneux à sa fem- 
me. Considérations donnant de la force à la certitude qu'on a 



CHAPITRE XVr. 311 

(le la grossesse. Itéâexions sur les considérations qai doivent 
influer sur la délibération des ministres relative à Tenvoi des 
conseillers. L*hunianité invoquée autant qu'elle s'accorde 
avec la politique. La Duchesse est plus mal depuis sa 
lettre. Envoi du bulletin. 



CHAPITRE XVII. 



Suite du journal de Blajc. — Visite du comte de Choulot. — Francliise et nm- 
plicité du gtnc'ral Bugcaud en avouant qu'il a été mystifié par ce person- 
nage. — Convereation du général avec M. de BriMac et Mi»« d*Hantefort. Il 
leur reproche avec impatience leur mauvaii!e foi. — Nouvelles tentatives du 
général auprès de la Duchesse pour obtenir d'elle une déclaration. — Il pro- 
I)OPc au Gouvernement d'autoriser la visite de MM. de Chateaubriand et Hen- 
nequin. — Résistance du général Bugeaud auprès du Gou v erne m ent pour 
l't'ngagcr à renoncer & Li constatation lors de raccouchement et à s'en tenir 
à une di-claration de naissance certifiée par les témoins. — Son avis prévant, 

JOURNAL DE LA CITADELLE DE BLAYE. (Suite,) 
A monsieur le Frésitlent du Conseil. (Extrait.) 

16 avril. 

Demandé monsieur de Saint-Arnaud comme officier d'or- 
donnance. Parlé du 14^ et du G4^. La Duchesse est souffrante. 
Elle attend la ré])onse & sa lettre avec impatience. 

.1 monsieur (TAryout (1 ). 

15 avril. 

Monsieur le ministre, je n'avais i>as voulu vous parler 
d'un petit événement presque sans imiK)rtance jmrce que 

(T Tn-s jolif et tri's inté rossa lit o lettre du comte d'Argout à son ami et 
i-ollèguc. Ia's rt'volutionnairi's et les intrigants impuissants de 1838 ne se sont- 
il-* i>;is. hélas! i>erpi'tué8 juMju'A nos jours. Il n'y a rien de nouveau en France, 



CHAPITRE XVII. 313 

j'avais été nn pen mystifié et qu'on n'aime pas avouer cela. 
Mais le sous-préfet m'ayant appris qu'il vous en avait dit 
quelque chose et que vous attendiez de moi des détails, je 
crois de mon devoir de vous en parler. 

Un certain comte de Choulot ayant fait le voyage de Pra- 
gue et apportant avec lui le portrait des deux enfants de la 
duchesse de Berry, me demanda une audience pour me re- 
mettre les deux miniatures. Je la lui accordai. Sa conversa- 
tion dénotait la franchise ; il me dit à plusieurs reprises 



et les botuingois de 1880 arrivés au poaToir sont aussi nuls et aussi grotesques 
que Tétaient leurs pères de 1880 dans Topposition. 

L*incident de Choulot, dont parle longuement et avec une extrême franchise 
le général Bngeaud, fit gnnd bruit à cette époque. N'est-ce point là la vérité 
tout entière? 

Le comte d'Argout^ ministre de V Intérieur ^ au général Bugeaud. 

Paris, 17 avril 183S. 

Mon cher général, vous deves être content de la Chambre : elle s'est conduite avec fer- 
meté et sagesse. Les républicains Cavaignacet Marrast se sont complètement démasqués : 
la répnbliqoe universelle, la gnerre universelle, le nivellement universel, voilà ce qu'ils 
demandent hautement I Le pays a entendu, et ces manifestations ne seront pas perdues 
pour l'opinion publique. Quant à l'armée boutingotte, elle n'a pas osé se montrer; loin de 
faire aucune manifestation de désordre, elle s'est tenue à l'écart. Plusieurs chefs ont mAme- 
déoouché de chez eux parce qu'ils se sont imaginé que je voulais les faire arrêter. 

Je vous ai demandé hier dM renseignements sur la course que le baron de Choulot avait 
faite à Blaje. Vous trouvères dans la (^luMdienne de ce matin un article dans lequel on 
annonce qu'il a vu la Duchesse. Je sais qu'il s'est vanté d'avoir obtenu de sa bouche des 
détails sur la contrainte morale qui aurait été exercée sur elle lorsqu'dle a rédigé la fa- 
meuse déclaration qui a été insérée au Moniteur. 

M. de Choulot a dressé une protestation contenant les prétendus dires de la Princesse, et 
il l'a déposée ches nn notaire. Cet homme, comme je vous l'ai mandé, est un intrigant 
très dangereux ; je serai très impatient d'avoir votre réponse, afin de pouvoir répondre 
moi-même aux questions que l'on m'adresse et pour aviser à remédier à l'inconvénient 
«lue présente cet incident. Au surplus, il est de peu de gravité. Les carlistes ont leur thème 
et ils n'en démordront pas ; règle générale, il ne faut jamais croire à aucun de leurs discours, 
à aucune de leurs promesses, à aucun de leurs serments. Rien ne les lie et ne les a jamais 
liés ; ils sont passés maîtres en fait do perfidie. 

La santé de la Dochene éprouvant quelque aggravation, d'après les rapports du docteur 
Mt-ni^re, nous nous sommes décidés à renvoyer à Blaye, Orfila et Anvity et un troisiènie 
médecin. Ils partiront demain matin. N'en sonfflex mot. Si cette nouvelle était sue d'avance 
de la Duchesse, elle s'arrangerait sans doute pour paraître plus malade. 

Tout à vous de cœur, cher généraL 
.Signé : C. d'Arooct. 

Je n'oublie pas votre sous-prs-fet. 



314 LE MARÉCHAL BUGEAUD. 

<|if il ne dontait pas qne la ducliesse de Berry ne fût ma- 
riée et grosse, que la plu])art des légitimistes le crojraieiit 
comme lui, et que la presse eu le niant faisait beauconp de 
mal à la Duchesse, njoutant que s'il pouvait la voir, il lui 
dirait de ne pas écouter les mauvais conseils dont elle était 
entourée, de so ])rêter à toutes les constatations et à toutes 
les garanties qu'exigerait le Gouvernement jwur la mettre 
en liberté. Il m'avoua que monsieur de Brissac et madame 
d'Hautefort étaient des i)ersonnes sans esprit qui ne pou- 
vaient que très mal conseiller la Duchesse. Il me répéta plu- 
sieurs fois ces choses-là en me priant de lui laisser voir un 
instant madame la Duchesse. Je consentis à la lui laisser 
voir tête à tête, pendant dix minutes, à condition qu'il se 
laisserait fouiller minutieusement. Il accéda à la condition 
et il entretint la Duchesse pendant dix minutes, montre à la 
main. J'étais dans le salon à côté. Quand il fut sorti, je 
Teninu^nai chez moi et je lui fis les questions suivantes : 
n Eh bien! avez-vous bien vu si la duchesse de Berrv est 
grosse? Vous l'a-t-elle dit? Et qu'en direz-vous en public? 
— Mais je ne pourrai i)as dire qu'elle est grosse, mais bien 
qu'elle est mariée, parce qu'elle me Ta dit. — Conunent, 
Monsieur, vous n'avt»z ]>as vu qu'elle est grosse ; est^îe qu^elIe 
a i>u dissimuler son énorme ventre? — Mais, général, elle 
est toujours restée assise, et je n'ai pas j)u en juger. — 
Monsieur (avec indignation), vous ne doutiez de rien avant 
de l'avoir vue, et vous doutez à présent : c'est iniJlme! > 

Là-dessus mon officier d'ordonnance, M. de Saint-Arnaud, 
l'a aiK>3tro])hé de la manière la plus outrageante en lui disant 
qu'il était un homme sans foi et sans honneur : < Saint- 
Arnaud, ai-je dit, allez-vous-en au])rès de madame la Du- 
chesse et demandez-lui de ma part s'il est vrai qu'elle ne 
se soit pas levée devant monsieur, et si elle ne lui a pas dit 



CHAPITRE XVII. 315 

qu'elle était mariée et grosse; nous verrous si monsieur 
est aussi menteur qu'il est homme de mauvaise foi. 3> 

Saint- Arnaud part comme un trait et revient de même , 
avec l'indignation peinte sur la figure, n Monâieur est un 
lâche imposteur, dit-il; il est indigne des complaisances 
que vous avez pour lui, indigne de porter la décoration qu'il 
a à la boutonnière. Madame la duchesse de Berry m'a dit 
qu'elle s'est promenée devant lui et lui avait positivement 
déclaré qu'elle était mariée et grosse; elle vous offre, géné- 
ral, de le lui dire encore en votre présence. j> 

Là-dessus nous avons traité ce misérable comme il le 
méritait, et il faut qu'il n'ait pas l'ombre d'honneur pour 
ne pas nous avoir demandé raison de tant d'injures. Enfin , 
je l'ai mis honteusement à la porte, mais non sans un vif 
désir de le faire sauter par l'ouverture ou de lui faire pas- 
ser un ou deux jours de suite dans une casemate. II a fallu 
toute l'autorité de nos mœurs modernes pour me détourner 
de cette pensée. 

Voilà, comme vous voyez, un échantillon de la loyauté de 
ce parti. Je les connais à présent : ou ne m'y reprendra plus. 

Si vous voulez des informations sur ce monsieur de Chou- 
lot, adressez-vous chez un monsieur Darmand, table d'hôt€, 
rue de Rivoli, 10. 

La preuve que l'entrevue de monsieur de Choulot avec 
la Duchesse n'a produit aucun effet important, c'est que, 
deux jours après, la Duchesse m'a écrit la lettre que je vous 
ai transmise. 

Madame est triste et agitée. Elle attend impatiemment 
la réponse à sa lettre. Je suis surpris de ne l'avoir pas re- 
çue. Nous la préparons à la constatation. 

J'ai écrit ma lettre de convocation en priant les personnes 
de me répondre si elles acceptent, oui ou non. (Voir ci-dessus.) 



316 LE MARÉCHAL BUGEAUD. 

II n'y a assurément aucune importance à publier la nar- 
ration sur monsieur le comte de Choulot. Quant à moi , 
je lui ai déclaré que s'il publiait dans les journaux qnelqne 
cliose de contraire à la vérité, non seulement je ferais con- 
naître son infamie, mais qu'encore je lui casserais la figare 
partout où je le rencontrerais. 

A monsieur le Maréchal président du Conseil (1). 

16 avril. 

Je n'ai communiqué que ce matin à madame la duchesse 
de Berry votre dépêclie du 13, que j'avais reçue hier à cinq 



(1) La lettre ci^dossons, écrite par M™^ Sermensan, sœur du général Bu- 
geaud, à la date da 15 avril, explique bien tontes les appréhensions du goaveme- - 
nient et les mesures de précaution qu'il ordonnait au commandant de la cita* 
délie. Pour sauver, en effet, l'honneur de la Princesse, dont plusieurs ignoxaient 
le mariage secret, ses partisans étaient décidés à tout entreprendre. 

Les deux lettres qm suivent, adressées par le gouverneur de Blaye à son ami 
intime, M. Gardêrc, négociant ù Paris, montrent jusqu'à quel point le général 
se préoccupait de l'état des esprits et des émeutes sans cesse renaissantes qui 
troublaient alors Paris. 

Afadaint SermtttiaM à sa Mli^-taur madame Bngtand. 

Die, le 15 avril 1833. 

• •••...•....••..•......••••.•••a 

II me tarde de savoir oi la ntfTociation aura du suooiv et si enfin voiu verres H. de Gha- 
teaubriand. Je crains toujoura que tout ceci ne soit des nues de guerre de la priaoBiilèn 
pour que wm fjfùlirr, tout occu]K' de grands projets, s'cndomie sur kt mystères de ses mp" 
partements. La conduite des carlistes, leur crédulité affectée prouvent qu'ils oonterveat dw 
espérance». La }*Iua coupable serait la plus facile, et je pense qu'on en garderait un pro f on d 
i^ecret & la Princesse, lui persuadant qu'il y a quelques portiers et un officier de gagnés. Bfc 
lo paquet serait mU en lieu de sûreté. 

Les carlistes de ve pays se disent à l'oreille : « Elle K moqao du gouvernement ; un 
licau jour, elle se K'veruavec une taille svclte. » 

Je sais bien qu'on voiui faisant part de mes craintes, Thomas no peut rien de pins ; mab 
j<' regrette que M. Dubois ne soit ix>int revu : il me semble que son oril acrutatenr anmit 
pu prévoir le moment... Je ne puii< m'empOchcr de conserver une sorte dedéflanoe des deux 
autrc!<; l'un parce <iu'il est un sot facile à séduire, l'autre pazce qu'il reste un b<»nnM d*ca- 
prit, jeune, impressionnable; qu'il est dons la nature de s'attacher à une femme jctnief 
iimlhciurcuso. qu'un voit tons les jours dans la plus grande intimité, et que sa fortune sctait 
l<liLt nïiffun!^ de ce c<'>tv--Ià qu'en rei^tant fl<lèle su Gouvernement... 



CHAPITRE XVII. 317 

heures. Je vonlais loi laisser passer une bonne nuit, et, en 
effet, elle a mieux dormi que de coutume. 

Le refus de lui envoyer messieurs de Chateaubriand et 
Hennequin Ta fortement exaspérée ; elle s'est déchaînée en 
invectives contre le Gouvernement. Je l'ai laissée dire un 
instant pour ne pas amener une scène nuisible à. sa santé; 
mais monsieur de Brissac et madame d'Hautefort ayant fait 
chorus avec elle, la patience m'a échappé et je les ai traités 
comme ils le méritaient. « C'est vous, leur ai-je dit, et votre 



Je souhaite que le dernier acte du drame finiaae bien yite, et que ce dernier acte arxire 
la nuit : on entend mieux. 

Le çénétxU Buçeaud à monsieur Gardère, négociant à Paris, 

Blaye, le 15 arril 1838. 

Voua êtes bien sombre, mon clier G^ardère, et je oonyiens que œ n'est pas sans motif. Je 
yeux cependant essayer de jeter un peu de baume sur votre âme oppressée. Il est rrai que 
deux horribles factions cherchent non seulement à reuTerser le Gouvernement, mais encore 
à bouleverser tout l'ordre social. Slles portent la perturbation dans tons les esprits et sur 
tous les intérêts matériels. Elles nous tourmenteront encore longtemps ; elles feront souvent 
prendre les armes an camp, elles nous donneront mille fois l'alerte ; mais elles ne nous 
vaincront pas. Le Gouvernement a de grands moyens de résister et de réduire mue poi- 
gnée de factieux qui n'ont d'autre force réelle que leur imprudente audace. Que sont, en 
présence de cela, quelques miUiers de bandits tant soit peu organisés an sein de la capitale 
et dans deux ou trois grandes viUes? Sans doute c'est très ttcheux, mais ce n'est pas de 
nature à nous alarmer sur notre existence, pour peu que nous ayons d'énergie ; heureuse- 
ment le Gouvernement est ferme, et la majorité de la Chambre, appréciant enfin le danger, 
commence à entrer dans les voies de fermeté. Vous ponrres bien avoir un combat, c'est 
croyable, c'est même désirable. Malheur et regret à ceux qui succomberont, mais la masse 
de la société en retirera de grands avantages. On saisira roccasion pour châtier sévèrement 
les factieux et donner une grande force an système d'ordre et de légalité I 

Vous me conseiUez de donner des avis au Gouvernement, pour qu'il se mette en garde 
contre les attaques des sociétés secrètes ; je l'ai déjà fait, il y a trois semaines ; mes avis 
ont été goûtés : ma lettre, qui était de huit pages, a été portée an Roi ; il l'a lue deux fois 
et a dit qu'il la discuterait avec le ministre de la gruerre. On a déjà pris une grande partie des 
précautions que je recommande, mais on en a négligé quelqoes-nnes qui sont importantes ; 
j'en ai encore écrit à M. d'Argout,il y a deux jours. Au reste, le Gouvernement parait avoir 
les yeux très ouverts : il est régulièrement informé des plus petites actions, des idns légères dé- 
marches des sociétés, et il est| en mesure de réprimer durement tontes leurs tentatives. Outre 
la garde nationale, qu'on dit animée d'un très bon esprit, il y a 40,000 hommes dans Paris 
ou autour de Paris. Avec cela on peut bien braver 20,000 botutnçots^ et ils ne sont pas si 
nombreux. Toutefois je crois qu'ils attaqueront, parce que les factions armées ne forent 
jamais sages, et que la révolution de Juillet leur a donné des idées très fauases anr la force 
militaire. Ils se croient capables de lutter contre l'univers. 

La seule chose qui puisse retarder ou paralyser leurs efforts, c'est la division qtd règne 
parmi eux : vous savez qu'ils sont scindés en Girondins et Montagnards ; que les niais, 
que les inconséquents qui secondent la marche de ces affreux perturbateurs, croient encore 



:îl8 LE MARÉCHAL llUGEAUD. 

|)arti qai êtes les véritables ennemis de madame la duchesse 
de Berry , c'est vous qui la sacrifiez à Tesprit de parti ! Vous 
rendez sa mise en liberté actuelle impossible, par votre mau- 
vaise foi, vos dénégations machiavéliques, les outrages et les 
calomnies de tout genre que vous lancez contre le Grouveme- 
ment. Il faut enfin que madame la duchesse de Berry con- 
naisse ses amis. Pendant que Madame autorisait monsieur 
Deneux de dire qu'elle était grosse, voilà ce que madame 
de Brissac écrivait à son mari. x> (J*ai lu le paragraphe 



:ï ropportuniti* «1c nous rapi^roclicr des institutions réimblicaines, et mftmc à la potribiUté 
•l'avoir uno république ><-ntimcntaIe!... I^s statuts de la Sociétt* des droits de rbamme 
^nt là pour les dt-sabiuer, ou ix)nr prouver qu'ils sont Insc-nsés et aveuglai. Pnijqii*fls 
<ont ■liviMS' avant la victoire, que serait-ce nprte avoir vaincu ? Les Montagnards minmiait 
bientôt le de-wus. 

Quoi qu'il en »>oit, mon nmi, je vous conseille de vous approviidonncr do scrfxanto oor* 
toucht's. de vous exercer à charger lestement votre arme et à tirer JQst«. Bngmgci vos 
iimL} A en fain> autant. Soyes prêt à tout événement. 

Si, i>iir impo<«jjiible, ils réussi^waient dans Paris, soyes convaincu qne je ne resterai pas inae- 
tif aux lieux où je me trouverai ; je saurai m'y organiser nn centre de r<>sistaiioe et y timt- 
v('r bionti'it des moyens d'atta<iuer. 

Adieu, mon cher GanK-rc. prenez confiance et donnezKn ù vo< amis. 

Votre ami dévoad^ 

BL'ORAUD. 

Ma femme et mes i-nfants vont bien; mes yeux «ont KiiOris.' 

Z< 'jn'niitil BH'jatud à nWHMieur (îaniirfy Hf'*/ociaHt à Porh^ 

Blayc. 30 avril 1838. 

J*ei>iK're, mon clitT Ganh-re. que vous avez l'ûme tm peu plus tranquille que kmqiw toih 
m'écrivîtes votre dernière lettre. IjC procès de la Tribune a dû vous foire bien plolalrl Oon- 
tes-moi cela, et ditix'-moi l'impression qu'a produite ce débat dans la capitale. F<mr mol. J'en 
:ii été pins content que si j'avais gagné 25,(>04> fr. Vous voyes que ces farouches répalili- 
cains ne sont pas si terribles quand on om> les repanier en face. Les dcfcnseun, et mitoat 
(.'avaignuc, ont été du dinn'er mt-diocre. Ils ont mis à mort leurs sales dodrinet; cela 
peut-être ouvrir les yeux à toiu ws niais qui croyaient & la possibilité d'une Aypnbllqi 
sentimentale. J'ai eu le Ix)nheur île voir votre mère en allant et en revenant de Baint-Gcr- 
maiii. Elle est excellente et toujours aimable. Elle nous aime, dit^elle, seulement un peu molna 
que vouii. son Hh*. J'avai:» vu en même temiM M""* tiermendon, fc?aint-Gemiain, UnstaT««t 
sa femme. 

Mil l*rinoesi(c va rmssablement ; j'esiière que tout ira bien. Elle aceonchera du 30 on 
30 mai, peut-î-trc du 15 au 2». 

Si vous pouvez lire le mémoiri! de Bordeaux, voyez une lettre de moi au yational, àaa» 
le numéro du 21, et ditcô-m'cn votre sentiment. 

BUUKAUD. 

LomTmrd n'est iilua avec moi. Ne lui donnez plus irargent à nu>n compte. 



CHAPITRE xvir. 319 

de la lettre de madame de Brissac qae vous connaissez. ) 

a Vous voyez, Madame, que de ces phrases il résulte que 
monsieur de Brissac n'a jamais dît à sa femme que Madame 
fût grosse et que peut-être il lui donne à entendre que la 
grossesse est simulée pour la faire mettre en liberté. Jugez à 
présent si vous n'êtes pas victime de l'esprit de i^arti. Il ne 
fallait prendre conseil que de vous-même ! » 

Monsieur de Brissac a été d'abord tout consterné ; cepen- 
dant il s'est écrié qu'il n'avait rien dit à sa femme, parce 
qu'il ne voulait rien dire et qu'il ne dirait jamais rien, qu'on 
voulait lui faire jouer un rôle politique, mais qu'il ne voulait 
pas le jouer ; qu'il ne tenait pas à se faire imprimer tout vif. 

a II ne s'agit pas, Monsieur, ai-je répondu, déjouer un rôle 
politique, mais bien d'agir dans le même sens que M*^® la 
duchesse de Berry en faisant parler le docteur Deneux. Par 
là, vous auriez empêché les dénégations et les calomnies qui 
arrêtent le Gouvernement dans les bonnes dispositions où il 
aurait été de donner la liberté à la duchesse de Berry. Avec 
des gens qui ont pris le parti de tout nier, il faut bien se*ré- 
soudre à attendre la dernière et la plus forte des preuves. 

d — Fallait-il, a ajouté M"® d'Hautefort, publier la grossesse 
de Madame pour faire plaisir au juste milieu,^ Général, vous 
aurez beau faire, vous ne me convertirez pas. •— Madame et 
Monsieur, mettez-vous bien dans la pensée que je ne cherche 
pas à vous convertir, qu'il ne s'agit pas ici de Juste milieu, 
mais seulement de la duchesse de Berry. Si j teste milieu a 
son gage, dans six semaines il convaincra les plus incrédules, 
il leur présentera un enfant. — Non, général, s'est écriée la 
duchesse de Berry, vous ne convaincrez personne, ils met- 
traient le nez dessus... ils me verraient, moi et mon enfant, 
qu'ils le nieraient encore! Au lieu de cela je voulais faire des 
propositions au Gouverneînefit , si MM. de Chateaubriand et 



320 LE MARécHAL BrGEAVD. 

Hetineqnin Tae l'avaient conseillé : cela aurait luieax valu 
pour lui qne raccoiiclieraent. 

a. • — Il est alors bii'n mallienrenx, Madame, que Votre Al- 
tesse ait vonin recourir à l'esprit de parti. Ces messieurs, d'a- 
près leure allnres, ne Touâ aoraient conseillé que des choseit 
conformes & leurs intérêts. Des conseillers désintéressés, t#l3 
que moi, par exemple, eussent été préféraliles. — Monsieur, 
s'est écrié M. de Briasac . votre Gonvernenient se i>erd ; s'il ar- 
rive quelque chose à M™* la dochesHe de Berry, il est perda. 
— Monsieur, l'immense majorité desCiiambres et de la nation 
pensent comme le Grouvernement sur lu question de madame 
la dochesse de Berry. v 

Plusieurs expressions incouvenantes do 5Ï. de Brissac lui 
avaient attiré cette aiiostroplie. La conversation a continué 
assez longtemps sur ce ton. M"" la duchesse de Berry lu'a 
répété plusieurs fois que le plan qu'elle voulait pro|K>8cr était 
très favorable au Gouvernement, qu'il valait mieux qne 
toute constatation. — J'ai insisté pour connaître ce plan, 
et M"" la duchesse de Berry a paru un instant disposée h 
me le commnuiquer, mais M. de Brissuc s'y est opposé. O 
personnage et M"" d'Hautefort sont sortis dans cette circous- 
tance de leur cantctère habttnel. Dana le cours d<^ la discus- 
sion, il est échappé à M, de Brissac et il M"™ d'Hautefort de 
me dire que je faisais du prosélytisme, mais que je ne les ga- 
guerais [las &a Juste milieu. 

« Soyez bieu couvaiucuK, lenr ai-je dit avec force, que le 
juste milieu n"a pas besoiu de vous, qu'il ne vous craint pas 
et que vous lui seriez d'un faible secours, si même vous ne 
loi étiez pas nuisibles, car vous avez gâté presque tontes les 
causes auxquelles vous vous ét^-'S voués. Vous secondez dans 
ce moment-ci de tous vos efforts la république, et vous ou- 
tragez le tionvemement qui voua protège et qui s'est même 



CHAPITRE XVII. 321 

dépopularisé aux yeux d'un parti pour vous protéger. Si la 
république arrivait, elle aurait soin de nous venger. Voyez 
plutôt la déclaration de la Société des droits de l'homme 
{Journal des Débats du 12) I » 

La duchesse de Berry a déclaré à plusieurs reprises qu'elle 
ne ferait rien, qu'elle ne proposerait rien, si l'on ne lui lais- 
sait pas voir des conseillers de son choix, mais qu'il lui pa- 
raissait bien évident que le Grouvernement voulait la tuer. 

« Non, Madame, non, le Grouvernement est loin de vou- 
loir votre mort; mais il veut des garanties, et il n'en avait 
aucune dans des hommes qui, ayant pris machiavéliquement 
le parti de tout nier, auraient profité de leur visite à Blaye 
pour confirmer le public légitimiste dans la pensée que vous 
n'êtes pas grosse, — Je suis assurée qu'ils ne l'auraient 
pas fait, parce que je leur aurais dit de publier ma grossesse, 
et l'assertion d'hommes aussi importants aurait convaincu 
tout le monde, tandis que tous les autres moyens que prendra 
le Gouvernement ne convaincront personne. t> 

Je vous ai rendu fidèlement, monsieur le maréchal, cette 
curieuse conversation. Vous en tirerez les conséquences. 
S'il m'était permis d'exprimer mon opinion au Conseil, je di- 
rais que je ne puis voir un grand danger dans l'envoi à Blaye 
de MM. de Chateaubriand et Hennequin, en établissant les 
conditions nécessaires. Il est bien certain que la publication 
de la grossesse par -M. de Chateaubriand aurait fait dispa- 
raître tous les doutes, et j'ai de la peine à croire qu'un honmie 
comme lui se fût refusé à dire ce que Deneux a publié. Il 
aurait trouvé là l'occasion d'écrire quelques belles pages ro- 
mantiques, et l'on sait qu'il ne laisse guère échapper une au- 
baine de telle nature. D'un autre côté, nous approchons beau- 
coup de l'événement et peut-être vaut-il mieux l'attendre que 
de se jeter dans une négociation dont on ne saurait prévoir 

T. I. 21 



322 LE 3rARéCHAL BUGEAUD. 

rissne. Dans ce dernier parti nous courons aossi les chances 
de maladie et d'accidents à la suite de racconchement. 
(Envoi d'une lettre de M. de Brissac à sa femme.) 

A monsieur dArgoid, ministre de t Intérieur. 

17 avril (1). 

M"*^ la duchesse de Berry est calmée, me dit-on, car je ne 
l'ai pas vue depuis hier que je lui ai annoncé le refus. Elle 



(]) Lettre confidentielle de 'Si. d*Argout. accompagnant ses dépêcliefl offi- 
cielle?. Il annonce Tarrivée de M. do Choulot, qu'il qualifie déjà d'intrigant 
dangereux, sans se douter que le général allait au moment même tomber dans 
Hon piège. 

Le coHit^ d'An/out au giniral But/taud, 

Fans, 16 avril 18SS. 

Mon cIht gi'-néral, Toici xxa long IxiTRidage qne je tous ai écrit hier toir et que je TaJifr 
panir. Il contient quelques détailii qui peuvent vous ttre utiks, en ce qu'ils oonllniient les 
notions que la lettre de M"*' de Brissac vous avait données sur la véritable oplnUm des 
meneurïi carlistes. Us aiment mieux voir mourir la duchesse de Beny, plutdt qa*elle ne 
consente & demander et à souffrir une constatation de son état. 

Oc que vous me mandez aujouxtl'liui de sa santé me fait de la ])eine. Je n*aime pas cette 
fiùvre de quatre jours et ces suciuv abondantes. Mais la Duchesse n'a jamais voulu co— ntir 
à la démarche qui aurait peut-être autorisé le ministère ù la mettre en liberté avant m» 
couches, et c'est son obstination qui prolonge sa captivité : le temps s'est écoulé pendant tontes 
les hf'-aitations. et maintenant il en reste bien peu pour terminer cette affaire, alon m£me 
que la Duclicase se raviserait aujour^l'hui. 

Yoyei hi , dons une conversation familit-rc, vous no pourriez pas lui présenter la question 
sons H<in véritable jomr, mais comme chose venant de vou8-m(>me. Croyes-vons qn*en lut 
lisant, coume par indiscrétion, quelques ]nssages de la lettre ci-incluse, cela ne fit impres- 
sion sur son esprit? Je lai«e cela à votre SAgesse. Dans aucun cas, il ne fendrait lui lire 
ce qui concerne l'opinion de Mcnars, car cette opinion agirait sur la sienne. 

Hennequin et Chateaubriand n'iraient à Blaye que pour obtenir de la Dncfaesee nne pro- 
testation contre la doi'larntion qu'elle vous a faite. 

Un certain comte de Choulot s'cst-il présenté à Blaye? (Test un intrigant dangerenz. Il 
n demande au maréchal la permission de voir la Dudiesse, ce qui a été refusé. S'il se pré- 
sente duns vos parages, tenez-vous en garlc contre lui. 

Engagez Méuiérc à ii'pondre de suite aux questions posées dans la lettre d'Orflla. 

En vous (.''Cri vaut tout ceci, je dois vous avertir que je n*ai pas la certitude qoe, sJon 
iiirme que lu duchesse de Berry ferait la demande iniliquce, le Conseil otmaentlt à ift Ubé- 
ration. 

Tout à vuua, cher générrj. 

Signé : D'AnuocT. 
•le vuis a lu Chambre i>oiu: l'af faire de Murrast. 



CHAPITRE XVU. 323 

s'est informée de ma santé et <r si je suis toujours en colère. 3> 
J'avoue que j'ai vivement éprouvé ce sentiment contre M. de 
Brissac et M™° d'Hautefort. Leurs injures contre le (Gouver- 
nement; leur injustice envers lui, m'avaient fait oublier qu'ils 
étaient mes prisonniers, et je les ai traités peut-être un peu 
trop durement^ IL de Brissac surtout. H n'en conserve pas de 
rancune. La santé de Madame ne paraît pas plus altérée que 
de coutume. 

J'ai cru devoir m'assurer si toutes les personnes que je 
dois convoquer répondraient à l'appel. Elles l'ont toutes fait 
au gré de mes désirs. Je vous envoie leurs letti'es. Il y manque 
la réponse du sous-préfet et du curé. Il n'était pas nécessaire 
d'avoir le premier, et je ne veux appeler le deuxième qu'au mo- 
ment même et sans lui donner le motif. 

Je demande l'approbation de M. le ministre pour faire ve- 
nir de même le président de la cour royale de Bordeaux et deux 
conseillers, qui viendront à Blaye en avance. 

A tnansieur le comte et Argent. (Extrait.) 

19 avril. 

Nouvelles tentatives inutiles auprès de la Duchesse pour 
une constatation. Ménière obtient l'exposé de son plan. Je le 
juge insuffisant. Je lui écris la lettre ci-dessous ; elle y ré- 
pond par la lettre copiée plus bas. 

Il n'y a plus rien à espérer. Il faut qu'elle fasse ses cou- 
ches ici et que la constatation de la naissance par témoins soit 
solennelle. 

A madame la duchesse de Berry. 

Madame, les moments sont précieux; nous n'avons pas de 
temps à perdre en allées, venues, conventions, explications ; 



324 LE MARÉCHAL BUGEAUD. 

il faut doue que je paisse du premier coup proposer au 6oa- 
vernement quelque chose d'acceptable. 

La chose la moius fatigante pour vous est celle-ci : MM. de 
(Jhateaubriand et Hennequin viendraient recevoir de vous et 
de cinq témoins la déclaration que vous êtes mariée et encein- 
te ; ils s'engageraient, avant de venir, à publier cette déclara- 
tion. De son côté, le Grouveruement prendrait l'engagement 
formel de vous mettre eu liberté immédiatement après la pu. 
blication dont les termes seraient convenus à l'avance. M. de 
Chateaubriand pourrait, selon vos désirs, se rendre à Pra- 
gue. 

Il me faut votre parole seulement. 

Ainsi se trouvent évitées les propositions que vous ne voulez 
pas faire au Gouvernement. 

Réponse de Son Altesse. 

De la citadelle de Blayc, 19 avril 1888. 

Par la démarche que je vous ai prié de faire auprès du 
Gouvernement en réclamant M. le vicomte de Chateaubriand 
et Hennequin comme conseils, j'ai voulu, monsieur le général, 
m'éclairer de l'avis de deux légitimistes marquants et leur 
soumettre les propositions que je pourrais avoir à faire, mais 
jamais je n'ai eu la pensée de prendre à l'avance aucun en- 
gagement pour mes amis. Je dois tout souffrir plutôt que de 
manquer & moi-même et aux miens. 

Je ne pense pas que l'on puisse mettre aucune condition à 
renvoi de M. de Chateaubriand & Prague. 

Croyez, général, à toute mon estime. 

Siffné : Marie-Caroline. 



CHAPITRE XVII. 325 

A monsieur le comte d'Argout. (^Extrait.) 

22 avril (1). 

Monsieur le mimstre, je rends compte que M™® la duchesse 
de Berry n'a pas voulu recevoir les docteurs, que cela vaut 



(1) L'état maladif de la Dachesse n'était point sans causer an gouvernement 
du roi de vives préoccupations. Aussi comprend-on vite Vodieux qui rejaillirait 
sur le roi Louis- Philippe et ses conseillers si la Princesse venait à mourir 
prisonnière d'État dans la citadelle de Blaye, et se décide-t-on à envoyer eu 
consultation auprès d'elle les premiers praticiens de Paris. 

Le conUe d'Argout au général Bugeaud. 

20 avril 1833. 

Mon cher général, je vons aocQse réception de vos lettres da IC et da 17. Voua avez dit 
de bonnes vérités à M. de Briaaac et à M"* d'Hautefort. Cette Bcène va être ntlle, elle le» 
a complètement démasqués ; elle achève de faire connaître la résolution du parti. Si noas 
eussions permis que M. de Chateaubriand et M. Hennequin se rendissent à Blaye, leur 
voyage n'aurait eu d'autre but que d'obtenir par écrit de la Duchesse ce que M. de Chou- 
lot prétend qu'il en a obtenu verbalement : savoir qu'on avait usé de contrainte pour lui 
faire faire la déclaration qui a été insérée au Moniteur, Le Qouvemement a donc fait sage- 
ment de se refuser à ce voyage, et d'ailleurs il eût été contre les convenances qu'il traitAt 
pour ainsi dire de pair avec les ennemis avoués de l'ordre de choaes actuel. J'ignore quelle 
peut être la belle proposition que la Duchesie voulait faire, mais soyez convaincu d'avance 
que c'était une extravagance ou un piège. Ne vous a-t-elle pas dit elle-même que ses par- 
tisans la verraient accoucher et qu'Us n'en croiraient rien ? 

Les dépèches d'hier disaient la Princesse assez souffrante, celles d'aujourd'hui sont plus 
satisfaisantes. C'est un grand point que de savoir avec exactitude quel est son état ; s'il 
présente un danger immédiat ou prochain, ou bien si son indisposition n'est que la consé- 
quence de son état de grossesse aggravé par la violence de son caractère et par les exagé- 
rations maladives qu'elle peut feindre pour jeter plus d'intérêt sur sa situation. Cest pour 
éclairdr ces doutes que nous avons envoyé à Blaye les docteurs Orflla, Auvity, Fouquler 
et Andral. Ils ont dû arriver aujourd'hui. J'en attendais la nouvelle par le télégraphe et 
ne l'ai point reçue . Je vous ai expédié de mon côté une dépêche télégraphique dont je vous 
envoie le double par estafette. Elle a pour objet d'engager les doctearj réunis de nous ex- 
pédier par la voie la plus prompte une première consultation sur l'état de la Duchesse et 
de les inviter à rester à Blaye jusqu'à notre réponse à cette consultation. U ne serait paH 
impossible, en effet, que nous ne la trouvassions incomplète et que nous n'eussions besoin 
de réclamer quelques éclaircissemeuts; or, pour les réclamer avec fruit, il faot que les 
mêmes docteurs se trouvent encore réunis. Donc il faut qu'ils restent quelques jonri à 
Blaye. Du reste, nous répondrons par estafette et snr-le-champ. Ne perdez pas de vae, 
cher général, que, dans cette consultation, deux questions très essentielles doivent être 
traitées : l'étet de santé et la grossesse. Et cette grossesse doit être établie de la manière 
la plus péremptoire, puisqu'elle est maintenant une vérité incontestable. 

Vos convocations pour l'accouchement ont produit le résultat désiré. U n'est nullement 
nécessaire de faire venir des membres de la joour royale de Bordeaux. 

Adieu, cher général, recevez la nouvelle assurance de mon cordial attachement. 

Signé : Comte d'Argout. 



•V26 LE MARECHAL BUGEAUD. 

mieux qu'une demi-constatation ^ quMl n'y a plus aucune né- 
gociation à faire ; que la Duchesse est résignée et qu'elle va 
bien. 

Dépt'che télégraphique à monsieur le Président du Conseil. 

21 arriL 

M*"^ la duchesse de Berry avait demandé deux conseillers. 
IjC Gouvernement a refusé. H envoie quatre médecins à son 
tour. Son Altesse Boyale refuse de les voir. Madame veut, 
avant de se décider à les admettre, qu'on promette à MM. de 
Chateaubriand et Hennequin de venir, sans qu'il leur soit 
imposé aucune condition, lui donner les conseils qu'ils juge- 
raient lui être le plus utiles, et, à cet effet, ils auront la li- 
berté de causer sans témoins avec la duchesse de Beny pen- 
dant le temps nécessaire. 

Conmie il importerait de ne pas perdre de temps, si cette 

C'ABDCXT DU MINIOTRK DK L*IN-TtlUXrK. 

Le minitirr dr V Intérieur, conUe d'Argout, au général Bugeaud, 

Paris, le » arrll 18SS. 

Gtnérnl, la déiW-clio que je Tons ai adreatée le SI par le téUsrapbe, de conoot vno 
M. le maréchal, a dû Tons prércnlr. Les quatre médecins arriT^s à Blayeimt dû en repartir 
kI m** la duchesse de Berry persista dans le refns de les noeroir. Ce refus est nue noa- 
Tclle preuve de la résolution profondément arrttée dans Tesprit de la Duchfe et de aon 
parti de mettre obstacle aux constatations de racconchement. Cest mi motif de ph» àt 
leur imprimer un caractère incontestable d'authenticité. Aucune indication, anomie pcécao- 
tion ne semble avoir été omise dans ks instructions que tous aTcs reçues à ce sujet. 

Des réponses afflrmatiTcs ont été adressées à tos lettres de oonTocation : je Tona lea 
rrnToic. Quant aux magistrats de Bordeaux, je tous répiie que je ne vois aucune uéiiasilé 
à les mander. Vue témoins sont pK-ts et suffisants. XapprouTe tos délais et Totie réaerTe à 
l'i'Kard «lu curé. 

Vous ne pouviez parler avec plus d'énergie et d*à-propos que tous raTSa fait à M. de 
Briiwac et à 11"** la comtesse d'Hautefort : tous agircs comme tous aTCa parlé. 

Agréez, ginéral, TaiiBurance de ma considération trèa distinguée. 

Le i>air de France, ministre de nntérieur, 
Signé : a d'Ahgout. 

L«' Journal tlfs Lkhats va inKércr votre excellente lettre au Nati<maU 



CHAPITRE XVII. 327 

proposition était admise, le Gouvernement inviterait de suite 
MM. de Chateaubriand et Hennequin à se rendre immédia* 
tement à Blaye, et ils trouveraient, avant leur entrée à la 
citadelle, une lettre de Madame demandant leur présence au- 
près d'elle. 

Je vous conseille de laisser venir ces messieurs ; mais nous 
serons trop voisins de l'accouchement pour mettre la Du- 
chesse en liberté sans toutes les garanties désirables. Toutes 
ses tergiversations sont dictées par le désir de se faire mettre 
en liberté, en laissant une porte de derrière aux passions de 
son parti. Songez qu'il n'y a plus qu'un mois et que sa santé 
est aussi bonne que toujours ; mais ne vous donnez pas le 
tort apparent de lui refuser un conseil, ce qui ne peut avoir 
aucun danger. Si vous autorisez la venue des légitimistes, fai- 
tes-les précéder par des instructions pour terminer l'affaire 
ou y renoncer définitivement. Ce doit être la dernière négo- 
ciation. 

MM. les médecins sont très impatients de retourner à Paris. 
Réponse de suite. 

Dépêche télégraphiqtte à monsieur le comte dArgmt, 

ministre de V Intérieur. 

22 avril. 

La duchesse de Berry refusait constamment de recevoir les 
quatre médecins. Cependant les docteurs Deneux et Ménière, 
à force de raisonnements, l'avaient presque ébranlée ; elle a 
demandé quelques instants de réflexion, et, après deux heu- 
res, elle m'a envoyé la lettre suivante : 

a De la citadeUe de Blaye, le 22 avril 1838. 

« Monsieur le général, puisque le Gouvernement me re- 
K fuse toute espèce de conseil et qu'il ne me donne même au- 



î^28 LE MAKéCHAL BUGEAUD. 

a cuDe frarnotie de me mettre en liberté après la constata- 
« tion, je ne puis recevoir MM. Orfila et Auvity. Je vous 
m prie de leur témoigner tous mes regrets. 

<K Je continuerai à recevoir les soins empressés de MM. De- 
ce neux , Gintrac et Ménière, dont je suis on ne peut plus con- 
<i tente ; je ne veux pas qu'on puisse m'accuser de ne pas faire 
m tout ce qui dépend de moi pour conserver une mère à ses 
a enfants. 

m Je saisis toujours, monsieur le général, avec empresse- 
a ment toute circonstance de rendre justice à votre cœur et ii 
« vos intentions. 

<L Mabie-Carolike. » 

Voilà de quoi faire un bon article de journal pour assorer, 
d'une part, que vous avez pris toutes les précautions possibles 
pour sa santé, et de l'autre, puisqu'elle a refusé les avis des 
quatre médecins distingués, c'est qu'elle n'est pas bien ma- 
lade. 

Amonsieur (F Argout, ministre de Vlntcrieur. (Extrait.) 

24 avril. 

J'ai vu la Duchesse pondant deux heures. D'abord gaie et 
enjouée, elle s'est tout & coup fâchée et a trouvé infîlmes les 
I)récautions que je veux j^rendre. Je n'en persiste pas moins 
& prendre tontes les précautions. M. Ménière couchera dans 
le snlon, un sous-officier dans le corridor. Je serai averti an 
premii'r bruit par l'officier qui chaque nuit fera des rondes 
continuelles. La Duchesse était bien portante. Tout fait pré- 
sumer qu'elle tient à la vie et aussi beaucoup à son enfant, 
elle n'osera pas accoucher seule. Accusé de réception de la 
dépêche du 20 avril. 



CHAPITRE XVII. 329 

A Tnonsieur le Président du Conseil. (Extrait.) 

25 ayril. 

Monsieur le maréchal, j'ai eu hier une scène violente avec 
la Duchesse au sujet des mesures de précaution à prendre 
pour la constatation. Elle s'est emportée, est entrée dans sa 
chambre et a eu une attaque de nerfs. Aujourd'hui elle est 
entièrement remise. Son caractère irritable me met entre deux 
dangers : celui de ne pas prendre toutes les mesures en ne 
voulant pas la contrarier et de ne pas constater, et celui de 
nuire à sa santé en la contrariant. Je lui ai adressé la lettre 
suivante : 

a Madame, 

<L J'ai été vraiment désespéré de la scène d'hier; j'étais 
(( loin de l'avoir préméditée, et de même je croyais, d'après 
« ce que m'avait dit M. Ménière, que Votre Altesse avait pris 
« son parti sur toutes les mesures qu'elle doit regarder 
« comme inévitables. 

« J'ai regretté vivement den'avoir pas fait traiter ces ques- 
d tious par une personne tierce. Je suis peu accoutumé à en- 
ce velopper ma pensée de peintures oratoires, mais vous devez 
a être convaincue que j'ai fortement à cœur de continuer 
« aussi avec vous tous les ménagements compatibles avec 
a mes devoirs. J'espère, Madame, que vous comprendrez les 
CL difficultés de ma position et que vous m'en tiendrez conapte; 
d j'espère aussi que vous comprendrez vos véritables intérêts, 
<L et que, pour ménager les illusions et les passions d'un parti 
a qui est aveugle , vous ne voudrez pas compromettre votre 
« santé et votre liberté. 

<ï A Dieu ne plaise que j'aie jamais eu d'autre soupçon que 



330 LE MARlêCHAL BUGEAUD. 

(( ceini des ménagements qni permettraient aux légitimistes 
« de nier l'événement que nous attendons. Je sais recon- 
(V naître l'élévation de votre âme. Vos sentiments si élevés, 
<( la franchise de votre caractère, sont nos meilleures garan- 
te ties. Mais, Madame, vous savez vous-même combien la 
a naissance du duc de Bordeaux trouva d'incrédules parce 
« que vos témoins n'étaient arrivés qu'après l'accouchement. 
« La môme incrédulité se rencontrerait aujourd'hui et ne se- 
(( rait pas moins préjudiciable pour vous, tout en nuisant à 
<( notre cause. Ces considérations. Madame, vous feront, j'en 
« suis sûr, adopter sans murmurer les mesures que j'ai ar- 
« rêtées hier avec M. de Brissac. 

« Je suis, etc., etc. » 

- 1 monsieur le comte (CArijoui. 

20 avril. 

Madame la Duchesse est mieux qu'elle ne Ta été depnis 
longtemps. Elle ne veut pas de layette, mais une bercelon- 
nette simple , sans tige et avec rideaux verts. Je vais faire 
coucher les témoins à la citadelle du 10 au 12. 

- 1 monsieur le Maréchal, président du Conseil. 

27 avril. 

l&Iadame la duchesse de Berry va très bien. Son appétit 
paraît même s'être augmenté, comme vous le verrez par le 
bulletin ci-joint. 

J'ai réuni aujourd'hui tous les témoins qui doivent consta- 
ter raccouchemeiit de la Duchesse pour discuter avec eux la 
forme du procès-verbal à dresser , afin d'être parfaitement 
d'accoixl sur tous les points au moment de Tévénement et 



CHAPITRE X.VII. 331 

éviter ainsi des dissidences qui auraient pu devenir fik^heuses. 
L'expérience m'a prouvé que j'avais bien fait, car il s'est 
manifesté plusieurs manières de voir sur la plupart des arti- 
cles. Nous sommes cependant parvenus facilement à arrêter 
nos principales bases. Je vais essayer de les faire adopter par 
M™' la duchesse de Berry. Je crois devoir prendre toutes les 
précautions nécessaires pour éviter des émotions qui pour- 
raient être plus nuisibles à notre cause qu'une légère irrégu- 
larité dans la constatation. 

A monsieur le comte cTArgout. 

28 avril. 

Envoi du procès-verbal pour qu'on l'approuve et qu'on le 
retourne. Je demande qu'on m'envoie copie de ma lettre que 
je n'ai pas pu transcrire. 

A monsieur h Maréchal, président du Conseil. 

2 mai. 

Depuis deux jours, M™® la Duchesse est moins bien; un 
peu de fièvre et d'agitation se sont fait remarquer chez 
elle (1). 

(1) Dans la lettre suivante, le général confirme Tétai d^esprit de la Du- 
chesse. 

Le général Bugeaud à J/. Mourgues, 

Citadelle de Blaye, 6 mai 1883. 

Je ne veux pas vous adreraer nu paquet pour autrui aans vous donner signe devie.drainDe 
oi^talmie qui m'empêche de vous écrire moi-même. Du reste, ma santé est fort bonne. 

Celle de ma prisonnière est variaUe : son irritation de poitrine dure toujours ; quelquefois 
elle mange au lit ; d'autres fois elle se lève. Son moral est affecté depuis qu'elle soupçonne 
avec raison, je crois, qu'on veut lui laisser faire sra couches 4 Blaye. Je cherche 4 relever 
âon 'courage ; les officiers qui l'approchent en font autant : 

• Mon courage m'abandoime, me disait-elle l'autre jour : c'est trop long! 

— Mais, Madame, répondis- je, vous avez franchi le pas le plus difficile : c'était d'avouer 



332 LE MARECHAL BUGEAUD. 

Le projet de procès-verbal de coustatation, qui avait été 
d'abord approuvé par elle, a ensuite été rejeté. J'attri- 
bue ce changement aux conseils de M. de Brissac et de 
M"° d'Hautefort. Détails sur la fête du Roi. Tout s'est 
passé dans l'ordre le ])lus parfait. 

A monsieur le comte cTArr/otit. 

2 mai. 

Les mêmes détails que dans la lettre ci-dessus, qui est 
adressée au président du Conseil. 

Dépêche télcfjraphiqite à messieurs les ministres de la Guerre 

et de l'Intérieur. 

3 mai. 

En approchant de l'événement, on aperçoit mieux les 
difficultés. On fera tout pour nous dérober l'accouchement. 
Qu'on y parvienne ou non, ou quoi que nous fassions poar 
constater, on niera. 

La Guyenne a déjà prévu Taccouchement comme la fin 
du drame que Ton joue. D'après ces réflexion8,je vous adresse 
les questions suivantes auxquelles je vous prie de répondre 

votm inaringe, paisque oct aveu derait vouh faire perdre votre inflaenoc politique. Toat le 
reste n'est plus rieu à l'ôté de ocIa. Votre Biiiitc est anjonrd'hai la principale affaire, et, 
souB ce rapport, foire vos oonchcs à Blaye ])ent vons £tre favorable : car, dans lanuuiTaiee 
fiaisson où nous sommes et dans nne grossesse si avanci-e, des voyages par tezre on permer 
pi)urraient être nuisibles. 

- Général, si je croyais faire mes couches ici, j'en mourrais I 

— Non, Madame, non I Vous trouverez dans la force de votre Ame les moyens néces- 
saires pour surmonter cette dernière contrariété. Sans vouloir me comparer avons. Je Tout 
dinti que j'ai éprouvé dos peines plus fortes que les vôtres, et j'ai su les dominer. 

— Mais, général, vous êtes militaire ! 

— Miiis ne l'avez- vous i)ascté. Madame? 9 

Elle s'est niLte à rire, i-t le reste de la conversation a été assos gai C'est ainsi qoe 
nous cherchons à fnirc diversion à sou humeur noire. Naturellement» son caractère ert 
enjoué: elle a dû ttrc fort bvn t-nfant au (em]M de sa prospérité... 

BCOBAUD. 



CHAPITRE XVII. 333 

catégoriquement : J'attache plus d'importance à <l l'acte 
de l'état civil, d pour lequel on aura, j'en suis sûr, la dé- 
claration de Deneux, qu'à la constatation quelle quelle soit. 
Pensez-vous comme moi? 

Cela résolu affirmativement, devons-nous passer par-des- 
sus les considérations d'humanité, de danger et même de 
décence? 

Je pense énergiquement que non/ Pensez-vous comme 
moi (1)? 

La constatation ne sera-t-elle pas une superfétation de 
l'acte de Tétat civil, et ne servira-t-elle pas plutôt à nier qu'à 
convaincre? 

Ne vaudrait-il pas mieux faire certifier tout simplement 
la déclaration de Deneux par les témoins désignés en même 
temps que par le maire, et leur faire tous signer l'acte de l'é- 
tat civil? 

C'est mon opinion. Outre que cela vous dispenserait de 
moyens odieux, dangereux, qui vous porteraient peu de 
profit, cet act^ ne pourrait jamais être accusé de fausseté; 
on poursuivrait devant les tribunaux les écrivains qui l'at- 
taqueraient. Pourrez-vous me dire si vous mettrez Madame 
en liberté, si la constatation a lieu? Je pourrais m'en servir. 

Béponse, s'il vous plaît, le plus tôt possible. 

BUGBAUD. 



(1) Uaviâ da général Bageand prévalut. Grâce à son insistance auprès des 
ministres, cette pénible et douloureuse épreuve, la constatation, fut épargnée 
à M™« la duchesse de Berry. 



CHAPITRE XYIII. 

Fin du journal de la citadelle de Blayc. — Lettre à K. de Briasao et à 
^m« d'Hautefort. — Bcdoublement de précautions dans Tattente de l'éré- 
nement. — Le général Bugcaud jugé par M. Louis BlAnc — Aooonclie* 
ment de la duchesse de Berr}-. -^ Procès • verbal de déclaration. -* PM« 
paratifs de départ. — Propositions du général Bug^ud en faTeor des ofB* 
ciers de la garnison de Blaye. — Dispositions particulières relatÎTes à l*em« 
barqncment de la duchesse de Berrj'. -^ Départ pour Palermc* 

JOURNAL DE LA CITADELLE DE BLAYE. {Fin.) 

Le général Bugcaud à monsieur le comte de Brissac 
et à madame la comtesse d'Hautefort. 

Blaye, 8 mai. 

MoDsieur et madame, Tindignation qne me causa hier 
l'article de la Guyenne, et que me cause chaque jour le ma- 
chiavélisme du parti légitimiste, me fit sortir hier de mon 
caractère et de mes résolutions. J'avais résolu de ne plus 
rien ménager pour faire bonne et sûre garde. 

Aujourd'hui, plus calme, je renonce à toute mesure pré- 
ventive autre que celle de faire coucher MM. Ménière et 
Dencux dans le salon, dont aucune porte ne sera fermée à 
clef. 

Je préfère que la constatation de Taccouchement soit 
imparfaite, plutôt que d'être barbare envers une fenune mal- 
heureuse qui dans un haut rang a de si précieuses qualités. 
Mais en même temps que je renonce aux moyens que votre 



CHAPITRE XVIII. 335 

conduite et celle de la presse me donnent le droit de prendre, 
je vous rends responsables de la liberté de Madame. J'ai 
la certitude que le Goayernement la mettrait en liberté im- 
médiatement après raccouchement, s'il était bien constaté. 
C'est à vous de savoir si vous désirez qu'elle soit libre. Si 
vous ne prévenez pas dès que vous serez informés des pre- 
mières douleurs, il sera prouvé au monde que vous avez 
sacrifié la Duchesse à l'espérance la plus illusoire, la plus 
vide qui fut jamais. La barbarie sera de votre côté -et je 
n'aurai rien à me reprocher, car j'ai tout fait pour faire 
mettre Madame en liberté. Je vous l'ai dit, vous n'hériterez 
pas. La Société des droits de l'homme saura nous venger. 
Je vous aurais préféré à elle, il y a peu de temps; aujour- 
d'hui je suis dans le doute, car vos organes ont le même 
langage, employant les mêmes moyens. 
J'ai l'honneur, etc., etc. 

Dépêche télégraphique à monsieur le comte et Ar goût. 

8 mai. 

M. le docteur Dubois, fatigué du rôle qu'il jouait, a 
chargé les docteurs Deneux et Ménière de demander à la 
Duchesse si elle voulait qu'il restât pour attendre ses 
couches. Dans le cas d'une réponse négative qui ne me 
paraît pas douteuse, le docteur Dubois veut se mettre 
en route immédiatement pour Paris. 

A Tnonsieur le comte (fArgotit. 

8 mai 

Je vous ai adressé ce matin une dépêche télégraphique 
qui a besoin d'être développée. 



336 LE ÏIABÉCHAL BUGEAL'D. 

Pins j'y réfléchis, plus je suis convaincu de rioatUité 
et du d&nger d'nne constatation. Quoi qne vons fassiez, 
cet acte sera taxé de nnllité. Enasiez-vons cent témoins 

qui auraient vu que les journaux IégîtimieU>s n'en 

diraient pas moins que c'est faux. Ce serait donc sans 
aucun profit que nous prendrions préventivement des me- 
sures acerbes et qu'au moment du travail d'enfautement 
nous exposerions la Princesse aux dangers des inipri^ssions 
trop vives. L'acte de constatation n'est pas protégé par la 
loi. n est vulnérable de toute parc. lioin d'être un ansî- 
liaire utile, il servira de conducteur ù. tons les coups qu'on 
voudra porter à l'acte de l'état civil. Celui-ci, s'il était 
seni, serait despote : quiconque l'attaquerait serait coudait 
devant les tribunaux. Avec le plastron de l'acte de cons- 
tatation, il sera mille fois percé de part eu part. II ne 
faut pas donner ces avantages h nos ennemis. Laissons le 
glaive de la loi suspendu sur leur tète en ne faisant qu'an 
acte de l'état civil. Aisément, sans violence aucune, nous 
l'entourerons de toute la solennité que vous voudrez. Tous les 
témoins désignés jwur constater l'accouchement pourront 
assister ii la déclaration ijne MM. Deneux et Méniùre fe- 
ront devant le maire, et signer l'acte de l'état civil. Noas 
les réunirions également dans le salou de la Duchesse dès 
que noua serions informés des douleurs de l'enfantement. 

Ce parti me parait incontestablement le plus sage, sur- 
tout quand on consid^TC qne, selon toute apparence, nous 
n'aurions qu'une constatation très imparfaite. Je connais 
la tactique qu'on se propose d'employer et la voici : On 
n'acceptera rien h l'amiable, c'est nu parti pris; on B'op- 
Itosera & tout, et voici la réponse arrêtée : « Ce que vous 
voulez faire «st atroce, mais vous avez la force. » On doit en- 
durer sa douleur le pins longtemps possible etpuisTon appel- 



CHAPITRE XVIU. 337 

lera Deneux lequel, en arrivant, déclarera que la présence 
d'autres personnes que les accoucheurs et deux femmes serait 
dangereuse pour la Duchesse. A supposer que nous arrivions 
à temps, nous serions forcés de rester dans le salon, à moins 
d'être barbares ; et que pourrions-nous faire et dire qui vaille 
la déclaration que viendra faire Deneux devant le maire et 
nous? Je disposerais de cent voix (1) dans le Conseil qu'elles 
seraient toutes pour l'acte unique de fêtât civil. C'est le parti 
le plies sûr, le plus simple, le plus Jacile , le plus honorable. 

Déclarez cela bien vite au Conseil et donnez-moi vos ordres 
promptement; songez que, malgré toutes les précautions pri- 
ses, je n'ai aucune certitude d'être prévenu à temps, lors 
même que je ne quitterais pas la Duchesse. J'ajoute que nos 
témoins de constatation sont extrêmement pointilleux ; ils ne 
veulent rien signer, s'ils n'ont point visité la chambre et le lit. 
Pesez aussi cette circonstance que M. Deneux déclare que, s'il 
ne fait pas l'accouchement, il ne fera aucune déclaration, il 
ne signera rien, et que, le faisant, il déclarera la naissance. 
Il faut donc lui laisser toute liberté, car il est notre meil- 
leure garantie physique et morale. 

M. Dubois ne sera admis qu'en cas de dangers graves et sur 
la demande des docteurs Deneux et Ménière. 

Le général Bugeaud au conUe ctArgout. 

4 mai. 

M°^° la duchesse de Berry, qui, comme je le prévoyais, a si- 
mulé une grande émotion de ce que MM. Deneux et Ménière 



(1) Le général revient encore avec énergie sur l'inutilité de la constata- 
tion préalable de l'état de la Duchesse. Le gouyemement, à Paris, ne se ren- 
dant pas compte des dangers et surtout de la cruauté de cette mesure, insis* 
tait très vivement pour qu'elle eût lieu. Député important et personnellement 
T. I. 22 



338 LE MARÉCHAL BUGEAUD. 

allaient coucher dans le salon et moi dans la chambre de ser» 
vice, de ce que j'ai déclaré que M. Ménîère devait lavoir trois 
fois par jour, etc., etc., va, cependant, comme à l'ordinaire, 
c'est-à-dire d'une manière très satisfaisante. Ses repas nous 
le prouvent mieux que toute autre chose. 

Je crois avoir pris toutes les précautions imaginables ponr 
être averti des premières douleurs, ou du moins des prenoiiers 
soins qu'on lui donnera. J'ai sous le plancher un sous-offi- 
cier aux écoutes, et dans la nuit un officier va plusieurs fois 
à sa porte. Le jour, nous la visiterons cinq fois. Ménière, de 
une heure à deux de l'après-midi ; moi, de deux à quatre, et 
]\Iénière de sept à dix ou onze heures du soir. Dans les interval- 
les, Tofficier de service y entre sous un prétexte ou un aatre. 
D'après nos jurisconsultes de Blaye, je me suis complète- 
ment trompé dans l'opinion que l'acte de l'état civil pouvait 
suffire. Je suis tout honteux d'avoir mis tant de précipitation 
à vous iiiire part de ce que je regardais comme une bonne dé- 
couverte, mais j'étais ému des scènes que j'avais eues à la 
tour. J'avais maltraité le fier M. de Brissac. <l Que me di- 
riez-vous, m'avait-il dit , si dans de pareils moments j 'allais 
visiter la cliambre de votre femme et tâter son lit? » Comme 
son geste et son ton étaient impertinents, je lui répondis : 
a Je vous donnerais un souflSet et un coup d'épée ; mais ma 
femme n'a pas fait la guerre civile ; elle n'a pas non plus 
couché devant un nombreux public et montré à trente 
uadiers et à uu maréchal de France que son enfant allait naî- 
tre. y> Ces gens-h\ parlent et argumentent comme s'ils étaient 
encore aux Tuileries. Je suis bien décidé à ne plus leur par- 
ler de rien jusqu'au moment de l'exécution, où il faudra bien 

responsable des j^vcs intérêts qui lui avaient vU: confi<[fi, le général Bugemnd 
fit comprendre aux ministres qu'il ne pourrait ee charger d'exécuter lenn 
onircs, le jour où cea ordres lui p:iraitraient excéder certaines limites. 



CHAPITRE XVIII. 339 

qu'ils subissent la constatation de la naissance, constatation 
qui n'aura rien de bien dur, si vous adoptez notre procès-ver- 
bal. Il ne faudra pas rester cinq minutes dans l'appartement 
de Ii^ Princesse. Cela ne peut pas lui faire mal. Il est certain 
que Deneux s'opposera à notre entrée ; mais, en y réfléchis- 
sant bien, je reconnais que nous devons passer outre, parce 
que, chez lui, ce ne sera qu'une affaire de tactique de parti. 
A partir du 10, mes témoins couchent à la citadelle. Le 
jour, je les préviendrai par trois coups de canon tirés du ba- 
teau du port (1). 



(1) Le caractère dn général Bugeaud se révèle encore toat entier dans cette 
lettre : tour à tour violent, passionné et sensible. Le système d'inertie, le si- 
lence et les dénégations dans lequel se renfermait habilement l'entourage de 
Mme la Duchesse exaspérait l'infortuné gouverneur. Il avait, en effet, assumé 
auprès de son gouvernement une grave responsabilité en déconseillant la 
constatation de Vétat de la Duchesse, qui, d'après l'avis des ministres, devait 
précéder la constatation de la naissance. Aussi, l'attitude de M. de Brissac et 
de M™*' d'Hautcfort, qui tous deux, d'avance, refusaient nettement d'intervenir 
en quoi que ce soit comme témoins, exaspérait-elle justement le général. 

Sans contredit, l'historien qui a donné sur cet événement les détails les plus 
précis et les plus circonstanciés, c'est M. Louis Blanc, dépnté actuel du dé- 
partement de la Seine. Son Histoire de dix ans, œuvre remarquable, bien 
qu'elle soit empreinte de partialité, sera toujours utile à consulter, et nous ne 
connaissons pas de plus vivante, de plus intéressante peinture de cette époque. 
Les renseignements, les documents abondent dans cet ouvrage, écrit par un 
républicain fervent et convaincu, mais dont les opinions sont respectables, at- 
tendu qu'elles n'ont jamais varié. Comme je le trouve supérieur à M. Thiers ! 

Le chapitre consacré à la détention de Blaye est particulièrement curieux. Il 
prouve l'alliance étroite qui unissait alors les républicains aux légitimistes purs. 
L'auteur s'étend avec complaisance sur le martyre infligé à la Princesse, cher- 
chant & jeter l'odieux sur le gouvernement du roi, plus encore que sur le sou- 
verain. Quant au général Bugeaud, le portrait que M. Louis Blanc trace de lui 
est des plus singuliers. On sent que Técrivain lutte entre sa conscience, l'amour 
de la vérité et la passion politique, ce C'était un militaire doué, comme tel, de 
qualités éminentes, possédant, en de certaines matières , une instruction solide 
remarquable par un bon sens grotesque. (Voyez- vous le bon sens grotesque!) 
Moins méchant que bizarre, sensible même par accès; mais emporté, brutal, 
dépourvu de tact, impatient du joug des procédés délicats, et animé d'un zèle 
de subalterne dont il savait à peine relever l'humilité par son arrogance, sa 
franchise et ses airs fanfarons. L'arrivée d'un tel homme fut un coup de foudre 
pour la prisonnière. Elle devina sans peine ce qu'il était k travers les égards 
qu'il essaya sincèrement de sHmposer, et elle eut peur de lui. j> 



340 LE MARISCHAL BUGEAUD. 



A monsieur dArgauJt. (Extrait.) 



5 mai. 



M. Dubois a annoncé son intention de rester à Blayé jas- 
qa*à la fin. Proposition de modification de la constatation. 

-1 monsieur dAnjout, (Extrait.) 

8 mat 

Accusé de réception de la lettre de la duchesse de Berry. 
Toutes les précautions qu'il recommande sont prises. Envoie 
une lettro de M'"*^ la Duchesse. Elle va bien. 

A monsieur le comte (TArgouL (Extrait.) 

9 mai. 

Reçu votre dépêche télégraphique du 8. La Duchesse est 
toujours très bien. Dois-je faire connaître l'événement aux au- 
torités de Bordeaux? Je crois que ce qu'on vous a dit du doc- 
tc'ur Ménière est faux. 

A monsieur le Président du Conseil. 

10 mai (1). 

Nos incertitudes; nos appréhensions sont terminées ! Les 



(1) « L'un mil huit cent trente-trois, le 10 mai, à crois heures et demie du 
matin. 

(( Nous f>ou5signé<« : 

<( Thiimîi*-nol>ert liugcautl, memlirc de lu Chambre des dépatés, maréchal 
<k' Cl m p. commandant supérieur de Biayc; 

« Aritu.uc Dubois, i>rf»fe!«seur honoraire à la faculté de médecine de Paris; 

<i (.'li.iik&'Frauvois Marchaiid-Dubreuil, sous-préfet de FarrondiBsement de 
Bhive : 



CHAPITRE xvin. 341 

choses se sont passées à notre satisfaction^ et j'espère que le 
Gronvernement et le pays seront contents. 

J'étais resté hier soir avec M"*® la dnchesse de Berry de- 
pnis deux heures après midi jusqu'à son dîner; je la vis se 
mettre à table. Les docteurs Ménière et Denenx passèrent la 
soirée avec elle jusqu'à dix heures. Rien n'annonçait un aussi 
prochain accouchement. 

A trois heures, le lieutenant de gendarmerie Solabel, qui 
observait le bas, a entendu tomber de l'eau au premier étage, 
et il est bien vite venu frapper à ma porte. Dans le même mo- 
ment, M"° Hansler sortait dans la galerie pour appeler les 



« Daniel-Théotime Pastoureau, président du tribunal de première instance 
de Blaye ; 

c( Pierre Nadaud, procureur du Roi près le même tribunal ; 

a Guillaume Bellon, président du tribunal de commerce, adjoint au maire 
<le Blaye ; 

a Charles Bordes, commandant de la garde nationale de Blaye ; 

(( Pierre -Camille Delort, commandant la place de Blaye ; 

(( Claude-Ollivier Dufresne, commissaire civil du Gouvernement ; 

(( Elie Descrambes, curé de Blaye ; 

a Témoins appelés à la requête du général Bugeaud, à Teffet d'assister à 
Taccouchement de Son Altesse Royale Marie-Caroline, princesse des Deux- 
Siciles, duchesse de Berry , nous nous sommes transportés à la citadelle de 
Blaye, et, dans la maison habitée par Son Altesse Royale, nous avons été 
introduits dans un salon qui précède une chambre dans laquelle la Princesse 
se trouvait couchée. 

<r M. le docteur Dubois, M. le général Bugeaud, et M. Delort, commandant 
de la place, étaient dans le salon dès les premières douleurs ; ils ont déclaré 
aux autres témoins que M™» la duchesse de Berry venait d'accoucher, après 
de très courtes douleurs, à trois heures vingt minutes ; qu'ils l'avaient vue ac- 
couchant et recevant les soins de MM. Deneux et Ménière. 

d M. Dubois était resté dans l'appartement jusqu'à la sortie de l'enfant. 

i( M. le général Bugeaud est entré demander à M*"® la Duchesse si elle 
voulait recevoir les témoins ; elle a répondu : 

a — Oui, aussitôt qu'on aura nettoyé et habillé l'enfant. » 

a Quelques instants après, M™' d'Hautefort s'est présentée dans le salon 
en invitant, de la part de M»« la Duchesse, les témoins à entrer, et nous som- 
mes immédiatement entrés. 

u Nous avons trouvé la duchesse de Berry couchée dans son lit, ayant un 
enfant nouveau-né à sa gauche. Auprès de son lit était assise M"* d'Hautefort. 

a M°><> Hansler, MM. Deneux et Ménière étaient debout à la tête du lit. 



342 LE Maréchal bugeaud. 

accoucheurs, qui sont accouras dans la chambre à coucher. 
J'ai fait à Tinstant tirer trois coups de canon qui étaient 
chargés à Tavance pour avertir mes témoins, et en même 
temps je les ai fait appeler à domicile. Us sont arrivés sao- 
cessivcmeut. M. Dubois, arrivé des premiers avec le com- 
mandant de la place, a pn voir parfaitement accoucher la 
Duchesse. H s'est tenu dans Tappartement jusqu'à la déli- 
vrance de l'enfant, et rien n'empêchait de voir le lit en plein. 
Le commandant de la place et moi regardions à la porte. La 
mère a crié plusieurs fois, et ensuite l'enfant. 

Dès que raccouchement a été terminé, je suis allé au lit 



<( M. le président Pastonrcau s'est alors approché et lui a adressé les ques- 
tions .suivantes : 

« — Est-ce à M™e la ducliesfie de Berry que j'ai llionnear de parler? 

(( — Oui. 

(£ — Vous êtes bien M°>'' la duchesse de Berry? 

(( — Oui, Monsieur. 

(X — L'enfant nouvcau-nc qui est auprès de vous est-il le vôtre? 

« — Oui, Monsieur, cet enfant est de moi. 

a — De quel sexe est-il? 

<( — Il est du sexe féminin. J*ai d'ailleurs chargé M. Deneux d'en faire 
la. déclaration, j) 

(X Et, à l'instant, M. Louis-Charles Deneux, docteur en médecine, ex-pro- 
fesseur de clinique d'accouchement à la faculté de Paris et membre tita- 
laire de l'Académie royale de médecine, a fait la déclaration suivante : 

(C — Je viens d*accoucher M"' la duchesse de Berry, ici présente, épouse 
eu légitime mariage du comte Hector Lucchesi-Palli, des princes de Gunpo- 
Frauco, gentilhomme de la chambre du roi des Deux-Siciles, domicilié à Pa- 
ïenne. » 

a M. de Brissac et M™** d'Kautefort, interpellés par nous s'ils signeraient 
la déclaration de ce dont ils ont été témoins, ont répondu a qu'ils étaient veniu 
(( ici i)our donner des soins & la duchesse de Berry comme amis, mais non pour 
<( signer un acte quelconque. D 

a Do tout quoi nous avons dressé le présent procès-verbal en triple expédi- 
tion, dont l'une a été déposée, en notre présence, aux archives de la citadelle ; 
les deux antres ont été remises à M. le général Bugeaud, que nous avons 
cliargé de les adresser au Gouvernement, et avons signé, après lecture faite, les 
jour, mois et an que dessus. 

(Suivent les signatures.) 
ce Pour copie conforme : 

(I Siffnc : BUGIAUD. J> 



CHAPITRE XVIII. 343 

de la Duchesse sur sa demande. Elle m'a tenda la main, que 
j'ai serrée ; elle m'a renda la pression. Je lui ai In votre dé- 
pêche télégraphique d'hier, qui lui assure sa liberté dans le cas 
oti la constatation aurait lieu convenablement. <c Général, je 
tiendrai tout ce que je vous ai promis, -p Le procès-verbal vous 
dit le reste. 

Si l'accouchement avait eu lieu seulement la nuit pro- 

■ 

chaine, j'aurais eu tous les témoins sous la main. Malheu- 
reusement, le maire et le juge de paix étaient allés à la cam- 
pagne pour terminer des affaires et être libres à compter de 
demain. Ils feront l'acte civil etpeut-être feront-ils un procès- 
verbal pour leur compte. Donnez-moi le plus tôt possible vos 
instructions pour la conduite à tenir ultérieurement, sur les 
préparatifs à faire pour le départ, si je dois accompagner la 
Duchesse, etc., etc. Dites-moi si je puis vous demander des 
récompenses pour les officiers et sous-officiers qui m'ont été 
les plus utiles ; ils sont en si petit nombre ! M. Solabel est 
déjà récompensé. 

Je vous prie de me dire aussi s'il n'est pas convenable que 
j'attaque la Guyenne à la première dénégation qu'elle fera 
après la publication, en m'adjoignant ceux des témoins qui 
le voudront. 

Dépêche télégraphique à monsieur le Président du Conseil. 

lOmaL 

La duchesse de Berry est accouchée heureusement d'une 
fille à trois heures et demie. Les douleurs de l'accouchement 
ont duré vingt minutes. M. Dubois a été témoin de l'accou- 
chement, ainsi que moi. Les autres témoins sont arrivés après. 
La constatation va avoir lieu comme il a été convenu entre 
la Duchesse et moi. Elle présentera elle-même l'enfant et dé- 



:i44 LE XABÉCHAL BUGEAUD. 

clarera qu'il lai appartient. La mère et TenfaDt se portent 
bien, seulement la petite fille est un peu fidble. La Duchesse 
est pleine d'amour maternel : elle déclare qu'elle ne veut pas 
de nourrice. 

Au moment de signer sa déclaration, M. Deneux a ajouté : 
« J*ai accouché M'"^ la duchesse de Berry, épouse en légitime 
*< mariage du comte Hector Lucchesi-Palli, des princes de 
«< Campo-Franco, gentilhonune de la chambre du roi des 
'c Deux-Siciles, domicilié à Païenne (1). :^ 

A monsieur le comte (FAnjout, (Extrait.) 

10 maL 

Vous devez être satisfait de la constatation. Je ypus 
adresse l'extrait des registres de l'état civil et une lettre de 
M'"*^Han8ler qui vous prouvera que la Ducliesse elle-même a 
été surprise. 

Projets de Madame pour son départ et son voyage. De- 
mande de gratifications, s'il est possible. M. Dubois part de- 
main pour Paris. 



(1) M""' la duchesse de I^rn* (Maric-Carolinc-FcrdiDande-LoiiiBe), née à 
NapIcA le h novembre 17i)8, était fille de FraDçois-JoBCph- Xavier, alon prince 
lu'K-ili taire des l>eiix-Siciles (Fnmçois l»*'', roi des Deiuc-Siciles) et de Taiclii- 
iluchesse d'Autriche Marie-Clémentine. Elle est morte en avril 1870. 

Elle avait épousé, le 17 juin ItflC. Chiirles-Fenliuand d'Artois, duc de Beny, 
Fils de Fnmce, fils du prince Charles- Philippe de France, comte d*Art<^ 
Monsieur, frère du Roi. Le duc de Berry mourut assassiné à Paris, le 18 fé- 
vrier 1H20. 

De ce mariage elle eut une tille : Louiae- Marie-Thérèse, née le 21 septembre 
IK19, devenue ducheHRc de Parme, et un fils posthume : Henri-Charlcs-Ferdi- 
nand-Marie-Dieudonné, duc de Bonleaux, comte de Chambord, né le 29 
tenibrc 1H20, h Paris. M'"*' la duchei«!>e de Bcrry avait donc trente et un 
au momvnt où elle mit au monde, dans la citadelle de Blaye, Tcnfant né de 
son Kccond mariage avec le comte Lucchesi-Palli, gentilhomme sicilien, chargé 
<1*afraircs du roi de Naples & la Haye. 



CHAPITRE XVIII. 345 

A monsieur le comte ctArgout. (Extrait.) 

11 mai (1). 

Envoi de deux lettres de M. de Brissac et de M™® d'Haute- 
fort. Je sais très content de M. Deneux et du curé. J'ai invité 
la Duchesse à nous envoyer le plus tôt possible l'itinéraire 
qu'elle veut prendre, etc. On croit qu'elle pourra se mettre en 
route à la fin du mois. La petite comtesse Lucchesi n'a point 
encore pris le sein. M™® la Duchesse demande que M. de Mé- 
nard vienne à Blaye le plus promptement possible. 

A monsieur le Président du Conseil. 

13 mai. 

Je suis complètement récompensé par l'approbation du Roi 
que vous avez été chargé de m'exprimer. Je n'ambitionne rien 
autre chose, et comme je voudrais éviter au Gouvernement le 
désagrément d'un refus, je vous prie, dans le cas où vous au- 
riez la pensée de m'accorder une récompense quelconque, de 

(1) Le général Bugw^d à M. Oardère, à Paris. 

Blaye, le 11 mai 188S. 

Vous avez appris avec plaisir, mon ami, que j*ai henreusemcnt terminé ma mission, car 
je la considère comme achevée. Bn tout cela j*ai travaillé à concilier des intérêts bien éloi- 
gnés, et j'ai la satisfaction d'y avoir complètement réusai. 

Le Gouvernement a toutes les g^aranties désirables. Il n'a plus aucun motif pour retenir 
la Duchesse ; il la mettra incessamment en liberté. 

Pour moi, je n'attends et ne veux rien de cette affaire que le bonheur d'aUer passer cinq 
ou six mois avec mes bœufs et mes trèfles. 

La Duchesse me considère comme l'un de ses meilleurs amis. Elle me serrait hier les 
mains avec effusion. Elle m'estime, parce qu'elle reconnaît que f ai servi fidèlement mon 
Gouvernement et mon pays, tout en respectant ce que je devais à une femme dans sa posi- 
tion. 

Écrivez -moi de suite et longuement sur les on dit de Paris touchant cette aflUre et les 
affaires générales, physionomie de Paris, des partis, de la garde nationale, etc., etc. 

Votre ami de cceur. 

BUGIAUD. 

Demandez à Lombard mon pistolet. 



346 LK mar]^:châl bugeâud. 

n'en rien faire. S'il m'était permis de vous exprimer un désir, 
je vous dirais que j'ai celui d'être libre jusqu'au mois d'oc- 
tobre, époque à laquelle je prendrais volontiers un comman- 
dement à Paris. 

A monsieur le Président du Conseil. 

15 mai. 

Je reçois à l'instant votre dépêche télégraphique d'hier; je 
m'y conforme. 

La Duchesse, étant en sueur, n'a pu me recevoir. Cependant 
elle va bien. J'attends la liste des personnes (1) qui doivent ac- 

;1) Etat th* im*Myer* qui /embarquèrent à bord de TAgathe. 

S. A. 11. M"»'" la duchesse de Bcrr>'. 

Le frûnér.il Biigcaud. 

M. de ^^int-Amaud, officier d'ordonnance {*). 

M. le comte de Mesnard. 

M. do Beauf remont. 

M>"« de Bcaufremont. 

M. le docteur Deneux. 

M. le docteur Méniùrc. 

^r. l'abbé Sabatier, aumônier de Madame. 

M"»^.. nourrice. 

•.m. -r L » * ( femmes de chambre de Madame. 
M"* Lcbcschu, J 

Martin, valet de chambre de Madame. 

Charles Mouillez, domestique de M. Denciix. 

M... domestique de ^r. de Beaufremont. 

M... femme de chambre de M"'" de Bcaufremont. 

(*) La première lettre du maréchal Saint-Arnaud datée de BLiyc est da 25 
janvier 1833. Le souB-lieutenant Saint-Arnaud avait quitté Parthenay, le 30 
novembre 1832, pour la citadelle de Bhiye. 



« De coiirpur do cIioiuiih, nio vnilA ilevoiiii Kt?«*iUcr, » t'-crit-ll le 12 du mois suiTaat. 
iwiin'tSy Icfl dineni du frouvonifur, U> culonol C)uiiiiW4>ric, lui iloniK'-ivnt tiieii quelques db- 
tnu-tioiM; « m»» toujuiira niûnie vie ici, iiioiintoiu', saii4 activit4>. Bien ne c1iangc;oii finit 
imr s'vtiiitijer ■!«> tout, m 

25 janrifr. — « Tji Ihichoiiiw t>st sortie avnnt-Iiier! Qu'elle e^^t jHile et qu'elle a manvalae 
mine ! Tout, jus<]a*ii ^a druian-ho, purtf rcniiin'intc ilu lunlAisc. Noiw aroiuiea htergramlo 
(■oiiriultatioii lie ini''i1ocIi)«. MM. Orflla et Au vit y, aocompagiiût île M. CUntno île 
Bi>rdfaux, «ont vniui* voir la DucIiokmc et teiiireoii«cil ; k» doux i)ivDilen «ont repartia œ 



CHAPITRE XVUI. 347 

» 

compagner Madame. M™® d'Hautefort ne sera pas du voyage. 
Peut-être craint-elle la mer; elle n'est pas très bien avec la 
Duchesse. Je sais qu'il y a eu une scène entre elles à cause 
du démenti, ou plutôt de l'accusation de faux que M"® d'Hau- 
tefort a fait mettre dans la Guyenne, car nous savons que 
c'est elle. Nous attaquerons la Guyenne, et probablement 
M™® d'Hautefort viendra devant la cour d'assises. Je joins la 
liste des personnes que demande Madame. 

matin pour Paris. Tout cela poomii bien faire croire qne la prisonnière ne le sera pas 
longtemps et qu'on la rendra à oue températore plus en bannonie avec \e& besoins de ta 
santé. » 

Saint-Arnaud passe lieutenant. Le 3 février lSd3, le colonel Chonsserie, gou- 
verneur de la citadelle de Blaye, est remplacé par le général Bngeaud, et le 
jeune officier ne tarde pas pénétrer dans les bonnes grâces de son nouveau chef. 

2 mars. — < Depuis ma dernière lettre, la duchesse de Berry a officiellement avoué 
qu'elle était enceinte. Elle s^ prétend mariée secrètement, sans pourtant nonuner la per- 
sonne. Le Oouvcmement a de suite nommé cinq docteurs pour former une consultation 
dont le but serait de déclarer si la prolongation du séjour de la Princesse ici pourrait 
devenir pn!'judiciable à sa santé. La Duchesse les a reçus avec une gravité pleine de 
noblesse, a répondu à toutes les questions et a renouvelé la déclaration qu'elle était 
enceinte de six mois, mais que ses amis n'avaient point à rougir de sa conduite, qu'elle 
était mariée et que bientôt elle en fournirait les preuves. Le général Bugeaud avait de- 
mandé au Président du Conseil la permission de nous présenter, le chef de bataillon 
Clianlon et moi, pour faire de 4a musique chez elle ; je pense que tous ces événements 
feront tomber ce projet à l'eau. Le général Bugeand, qui ne manque pas d'influence au- 
près du pouvoir, m'a donné à table, devant quinxe personnes, sa parole d'honneur que, si 
jamais il avait une ambassade, il me présenterait pour son secrétaire d'ambassade , et cela 
parce que Je lui ai traduit en trois langues différentes un petit ouvrage de lui intitulé : 
Aperçu sur l'art mUitaire. » 

9 mart. — < Je me suis lié avec le médecin envoyé à Blaye, le docteur Ménière, médecin 
des sourds-muets, honmie distingué sous tous les rapports. Il voit la Duchesse tous les 
jours, et il me donne de corienz détails. Bile est enceinte de plus de six mois ; sa santé n'est 
pas bonne. Elle tousse beaucoup et se plaint de la poitrine qu'elle a toujours eue faible. 
Tous les rapports à l'autorité tendent à démontrer que le séjour prolongé ici et dans toute 
prison ne peut qu'être nuisible, dangereux même ; mais avec tout cela rien ne se décide. 
Si la princesse fait ses oouclies ici, elle le devra à la maladresse de ses amis et de leurs 
journaux qui, loin de la servir, la feront rester ici. Elle est blessée de leur sottise. Je vois 
très souvent le général Bugeaud, chez lequel je dîne plusieurs fois chaque semaine. » 

37 mart 1883. — < Sais-tu d'où je t'écris? du cabinet du général Bugeaud, auprès du- 
quel je fais les fonctions d'officier d'ordonnance depuis hier. Je suis heureux, car le général 
est l'homme le meilleur et le plus aisé à vivre que je connaisse, et il me comble de bontés. 
Je dtne à sa table et ne le quitte pas do la journée. Je lui donne des leçons d'anglais, et il 
fait des progrès inconcevables. » 

Présenté le 28 mars chez la Duchesse, M. de Saint- Arnaud y passe les soixées avec ICH. De- 
neux et Ointrac. n y va très souvent faire de la musique. U devient aide de camp en pied 
du général Bugeand. < La Princesse va bien, écrit-U le 8 mai, du 15 sn 25 mai nous aoxons 
un petit duc de Blaye. > 



; MARÉCHAL BUeiEAfD. 



.1 monsieur le Président du Conseil. 



Snr votre antorisation, j'ai rhonueur de vous adresser de» 
mémoires de propositions pour trois avancements ot oeaf 
propositions ponr la Légion d'honneur. Mais quand j'ai eii 
clos mes états, je me suis rappelé que j'avais oublié le soas- 

bien dtnt ft r>ult ton gale, Kleu i|-uu]ODi,<iL<t l'ïTteMnail. M « mUtn t » hnn n bK 
mon DTFitir le ftatai qnJ )* ■ onni. La tmt< omiv* de «noa ont Ct» UcH. pmir «nnJr 
If* témulDi, qui KD( kititM mmastniDent. vais Unp twil , car, *p>^ d'' qout d'ticon 



( î* I>upbaw ■*(■[ aiDdniu ««: (nocliiK rt noMma. Au moi 
lu piwëï-Tnbiil, cll« 1 diclud qn'elle 4Ult li^glllmeoicul moilM i 
(de* p'io™ do Cuipo-Fruioo), BvnUlbomnH de lu duunlire du nïl 
complM*, CMBllB ■ dtelu* i: 
\6 XvAe da DAiHuiûfi de la Jcnae itrio 



da Dnu-S)cU^ donl- 
ofwli'al ■UmtHBdM 



IT kOitnttUIM 



M Mof lïIS. — < Le g^n^ral Bugcaud ucfitnpagOD 1i 

La DaTsMe tut Ir)i«B* «t p«Dti>lD i boH da l'.l^fikf : It g«n«ral BngMOd Mail malid* 
de U Uttc. ■ Nnna meomuDiidltliU Tie A borL Dinii parlli «nil ai pcHta«. On iTeia. 
ID|D« ; qoalquef ola mL'me on h toiae ; |du< ■■ DuclwMa npiirODhi] de la Sldle, Hb' *Ub d*- 
Tlenc mide et (Mbc ; elle bll bande à lart aiee ta inlte. Le ntcUInir nt H. du ISnmrà. 
Od mcmlUs le S Jnlllet. A midi, deranl Falen» ; i*ii de Uuih aprM, ciuelqiu* aatorlUi. 



de l'iTini-TelIlp, et on D'aralt tu quo [■ >d1le par Ig brick &aii«al> YAritun, Binj* de 
Tooloii, l'aixiree iiroabalne de la dncbeaie de Borrj-. > 

leur pcnoDIK et mal k l'alae. Fenduit ce tempi, le comte LnocbMl »'<:iiilt lUime etiei ■> 
DoUa ipMM. tia wnt Had^mult pHade deux heiimetioni euiulle urtii eiuetsl<le>ai le 

Loccbcri D'avalt pai fait la vint liïctn actcnllon * l'rnfaiii que la umnia irnail mr la 

PrlnsOK. Elle eat deloadae daiu un aauol de l' J^aU» anc am inart , U. d> Xnmar*. 
IL et U" de Beanfremont. Tonl onla a il«nI6 an mlllea d'one qnaottt* de pdlua Imqw 
nmpUa de Biuldeiu, decurieiu,deiBaliiii>. demendlaiita. L'^^joilti tnmblaltwiulia ran^ 

■ODla mr feipilt do paj*. Païenne ait mWnble an dernier 'legrC, en vnt» à iJbiImr par 
th. Ciil nn penptode gara qnl pour ilngt lali aantcapabln de tunt. Lia TMigtaii— 



Itulleni 

mlu'c, la PrlDHaae Mant ï Païenne. Le iMifral arall enin ■ 

délivre jiar le iirlacedo Campe. Franco, premier mialrtn & 



CHAPITRE xvm. 349 

officier d'artillerie le plus méritant par ses services de guerre 
et sou aucienneté. 

J'ai rhonneur de vous le recommander d'une manière par- 
ticulière, et de préférence, s'il le faut, au dernier sous-offi- 
cier d'artillerie porté sur l'état. 

Il n'eût pas été sage de faire des mémoires de proposition 
pour les officiers supérieurs qui se prennent dans toute l'ar- 
mée ; mais, la circonstance étant exceptionnelle, j'en ai fait un 
pour le commandant Chardon que je propose pour lieutenant- 
colonel, et pour le capitaine Fayant que je propose pour chef 
de bataillon. Je vous recommande surtout le capitaine Fayant 
conmie un officier d'un grand dévouement et d'une haute éner- 
gie. C'est un officier sur lequel on compte en toute occasion. 
Les périls sont son élément de prédilection. Au reste , tous les 
sujets que je vous présente sont vraiment distingués. Ils le 
seraient partout, mais sans nul doute ils sont les plus distin- 
gués de la garnison. D'ailleurs, je n'ai qu'âme louer de la gar- 
nison. J'en excepte le capitaine Guy, de l'artillerie, capitaine 
en second : c'est un officier instruit, mais il est frondeur du 
Gouvernement et, je crois, peu dévoué. A la revue de la fête 
du Roi, il ne voulait pas commander un peloton , sous prétexte 
que le règlement n'assigne pas de place de bataille aux capi- 
taines en second. Je fus forcé de le lui ordonner impérativement. 
S'il eût refusé de nouveau, je l'aurais fait conduire à Bordeaux 
par quatre gendarmes. Il est en outre peu militaire. Il a une 
très mauvaise tenue, c'est une espèce de Diogène. Toutefois il 
est incapable de mar.ouer à ses devoirs envers le Gouverne- 
ment autrement que par quelques critiques. U était de même 
sous la Restauration. 

Si vous honorez la garnison de Blaye de quelques récom- 
penses, je serais bien jaloux, monsieur le ministre, de pou- 
voir les distribuer avant mon départ. 



3.j0 le >IABéCHAL BUGEAIH). 

Je sains cette occasion, monsîeiir le nmiistre, pour n^ 

peler à votre sonvenir le clief de bataillon da 56*. «Faî en 
rbonneur de voas entretenir plusieurs fois de cet excellent 
officier. C'est nn homme qoi a tont ce qn*il fant pour fSEtire 
nn excellent chef de corps. 

Dt'pCche tél:graphique à monsieur le Président du ConseîL 

16 maL 

Les frégates remontent jnsqn*& la rade de Richard. Il y a 
sept brasses d'eau. Le lonvoyage permet Tentrée et la sortie 
aussi facilement. Le Verdon est plus éloigné. Le transbor- 
dage est moins fa^-ile. Madame et son enfant se portent bien. 
La Duchesse verrait avec plaisir M. le comte Lucchesi ; elle 
ne Ta pas vu depuis l'été dernier. 

^4 monsieur le Président du Conseil. 

16 mai. 

J'ai fait hier dans mes propositions un singulier oabli : 
c'est celui des cauonuicrs sédentaires, dans lesquels se trouve 
un sous-oflScier plus ancien que tous ceux que j'ai proposés. 
C'est aussi uu très bon scr\^iteur. Je vous adresse an mé- 
moire de proposition pour son admission dans la Légion 
d'honneur. 

M. le capitaine Husson, adjudant de place à Blaye, pré- 
sumant qu'au départ de M™° la duchesse de Berry il ne res- 
tera pas d'adjudants ici, me prie de vous demander de ren- 
voyer ou dans le Nord ou dans l'Est. C'est un homme criblé 
de blessures et l'un des meilleurs officiers de place qu'il y 
ait en France. Il prétend que sa santé ne s'accorde pas avec 
les climats chauds. Je vous prie, monsieur, le ministre, de 
faire ce qu'il demande, car c'est uu excellent homme. 



CHAPITRE XVIII. 351 

A monsieur le comte ctArgoiU, ministre de l'Intérieur. 

16 mai. 

Nouvelles de la Duchesse. Demandes d'ordres pour le dé- 
part. 

A monsieur le Ministre de la Guerre. 

17 mai. 

Rappel de la proposition à la Légion d'honneur pour le 
sergent Franquin des canonniers sédentaires. Rapport sur 
l'officier italien réfugié, etc. 

A monsieur le comte d^ArgoiU. 

19 mai. 

La Duchesse va bien et sa fille aussi. 
Dialogue entre moi, M™® la Duchesse, M. de Brissac et 
W^ d'Hautefort. 

Je demande des instructions sur l'embarquement. 

A monsieur le Ministre de la Guerre. 

20 mai. 

Pour proposer à l'admission dans la Légion d'honneur 
Fenel, sergent consigne, et Laurent, maréchal des logis au 
1*^ régiment de gendarmerie. 

A monsieur le Commissaire général de la marine, à Bordeaux. 

23 maL 

Monsieur, j'adopte entièrement votre projet sur les prépa- 
ratifs préliminaires pour l'embarquement de M"® la duchesse 



352 



LB MARÉCHAL BUGEAUD. 



de Berry. C'est an Richard qu'il faut faire remonter la fré- 
gate. — Voilà maintenant an aperçn des dispositions qui 
me sont particulières ; 

La Pnchesse s'embarquera dans le chenal de Blaye et à 
marée hante du matin , le 4 on 5 jniu , près du pont qui eet en 
face de la porte Dauphine, etrejoiudra le batean à vapeur 
snr les ciiDOts de la Capricieuse. Elle sera seule dans son ranot 
avec la nourrice, sou enfant et moi. MM. de Meauard, Deueus 
et les antres personnes de sa suite seront dans no antre canot. 

Je placerai vingt hommes armés de l'équipage de la Ca~ 
pricieuse & bord dn bateau à vapeur. Trois on quatre jours à 
l'avance, j'enverrai tontle gros bagage, ainsi qnevoasie pro- 
l)0sez par un des chasae-marées. Je vous eu préviendrai à 
temps ; donnez-lui des instructions à cet effet. Je passe sona 
silence les dispositions que je ferai prendre à la garnison 
et & la garde nationale, pour maintenir la police do l'em- 
barquement, pour empêcher les assistants de B'api>rocher 
de la Duchesse. 

Le bateau à vapeur se réapprovisionnera de combustible , 
à sa volonté, soit & Blaye, soit à Pauillac. Je ferai dresser 
par le commissaire des classes, eu triple expédition, le pro- 
cès-verbal d'embarqnement des passagers et vous en rece- 
vrez une expédition après qu'elle aura été signée par le 
commissaire aux revnes de VAi/aC/te, l'officier chargé dn 
détail et )e commandant. 

D'après l'état de la duchesse de Berry et le temps qu'il 
faut encore jionr recevoir les personnes qu'elle n deman- 
dées, je pense qne le départ n'anra lieu que du 3 au 5 juin. 
J'écris au préfet maritime à Eochefort. Il sera convenable 
de traiter avec le batean à vajienr pour un ou plusieurs 
jours, h notre volonté et tant i>ar jour. Dès que le jour sera 
irrévocablement fixé, je vous écrirai. 



CHAPITRE xvm. 353 

A t amiral préfet maritimey à Bochefort. (Extrait.) 

23 mai. 

Écris pour approuver les préparatifs préliminaires d'em- 
harquement et pour remonter la frégate au Richard. 

A monsieur le maréchal ministre de la Guerre. 

24 mai (1). 

La Duchesse continue à bien aller ; cependant elle ne re- 
prend pas ses forces aussi vite qu'on pouvait l'espérer d'après 



(1) Selon rengagement pris par le général Bugeaud, et que le gonvemement 
s'était empressé de ratifier, M"* la Duchesse allait être rendue à la liberté et 
quitter Blaye, dès que son état le permettrait. 

La frégate V Agathe fut désignée pour conduire la Princesse à Palerme. 

Dès que la nouvelle de l'accouchement de la Duchesse fut authentique et qu'il 
devint impossible de nier les faits, l'infiuenee et le prestige qui s'attachaient au 
nom de l'héroïne de la Vendée diminuèrent notablement. Le parti légitimiste en 
conçut une irritation d'autant plus profonde, qu'il avait espéré jusqu'au dernier 
moment que la Princesse quitterait Blaye avant l'événement. On sait avec quelle 
cruauté les chefs du parti abandonnèrent l'infortunée Princesse et quelle rigueur 
le roi Charles X déploya à l'endroit de sa belle-fille, en lui retirant la tutelle de 
son fils Monseigneur le duc de Bordeaux. 

Le comte Lucchesi, dont parle M. d'Argout dans la lettre ci-dessous, n'était 
point à Paris, ainsi qu'on l'avait annoncé. 

La lettre de M. de Pinguy, commissaire général de la marine, an général 
Bugeaud indique les égards avec lesquels le gouvernement désirait traiter l'il- 
lustre prisonnière. 

Le comte d'Argent^ minittre de Vlntérieur, au çénéral Bugeaud^ à Blaye, 

Paris, 24 mai 1833. 

Général, je vous ai fait connaître par le télégraphe que Y Agathe arrivera dans la rivière 
de la Gironde le l^' oa le deux du mois prochain, que M. de Lucchesi se trouve diez la 
princesse de Bcaufrcmont, qu'il ne nous a pas demandé à se rendre auprès de la Piinœsse, 
et que, s'il se présentait sans permission, il ne fallait pas l'admettre avant qu'il l'eût récla- 
mée et obtenue. 

Un avis que je reçois à l'instant me met grandement en doute sur la présenoe de M. de 
Lucchesi à Paris ; il est possible que la personne qui est arrivée ditti M"* de Beanfremont 
soit un autre que lui. 

Enfin nous consentons, puisque vous en exprimes le désir, an voyage d'agrément du doc- 
teur Ménière. 

T. I. 23 



3M 



tE MAJt^CHAL BUGEAUD. 



la marche des premiers joars. La petite comt«sse va bien. 

L'arrivée de M. de Ménars n'a rien i^hangé aux manières 

de la Princesse ni h ses projets. M. le comte a ceiieadant ane 



Boa Ukltemtnt lai •« «oi 
mile pour le nMot. 
La mtrqol* <>• DMIiliy 4i 



'i Piknae : il lui aan tenn ci 
lorUstlun -te faim mw cnnrle < 



[. Bmnvinlii, ellg son wnaiit k Is JiUWnUoa do 

I contliUnClon tiéi dtatliiB 
Le piiLc de Fnuic*, m 



/-. 8, — d-jolil une lettre pour U. da lUun. 



BoEtleAni;. le ït miU lâSlt. 
Tt It Koareruear, j'il rtaonnsor de mu [réTenti que It. le pn'frt miriUinc à Ro- 
« que r.-liMfAi qqitten la nie de nie d'Ali le 3» on le iS un plu laML 
Ic-i-il. «Btf^tctnent puM et appravlilDante pour le wnloe qo^alh 
doit Tvmpllr : U n'; tara à lui toonlt que de> Ugasoe» rerU onUu>]mi. 

• Je D'aï rien «[largnA. ojonle U. le pl*Ist. pour que Uadame seU apiAirMUnwar loaéaM 
pûtit qn>lle tnnive A IwJ btu lea agrémente que oomporte le navln. Lea niiniiiiuii qol 
raccompagnenl scnmt, Je l'ttptre. également bien. ■ 

D'apria cet aTK mondcur le gunranear, je me blte d'cipUitr aa-deraot île MiMCW 
DM Dlialanpe de l'Âtat arec uoedâpAcha pour U. Tnrpln. qui eomniADdo fm bAtliunl, 

SolTaoI la dilporftlona de la leltie que Toni m'avei lall rbonnnir de m'MrIn le » da 
00 moti, JB riurite à mouiller i'Affot^t en raile de Rkliard» ob f«u 1rs la ivjtdDdn m va 
bateau i Tapeur qui roue Kia eipcdlé en tempa utile. 






1. (II •> 



urationt de la CaprielimK eemot 

h Glaye da pnKte-Tnbani qn'il ai 



le (gancncur, l» ai 
aiumiïulrc gén^ni]. 



CHAPITBB XYin. 355 

tenue qui dénote une longue habitude de dominer, et Fon ne 
dit pas un mot sana chercher dans ses yeux s'il approuve. 
Toutefois la Duchessa demande deux ou trois fois par jour 
si Ton a des nouvelles de M. le comte Lucchesi. Tout consi- 
déré , le départ ne peut avoir lieu que du 3 au 5 juin. J'en ai 
informé le préfet maritime h Bochefort et le commandant de 
marine à Bordeaux. Je me suis entendu avec eux sur les pré- 
liminaires de l'embarquement. La frégate remontera jusqu'au 
Bichard. Un b&timent à vapeur, qui viendra de Bordeaux la 
veille, nous y portera. Deux ou trois jours avant, j'enverrai 
tout le bagage à bord de YA^Ae par un des chasse-marée 
attachés à la Capricieuse; de là il continuera la route jusqu'à 
Rochefort. Le bateau à vapeur sera monté par vingt honmies 
armés de l'équipage de la Capricieuse. Les canots de ce 
bâtiment prendront la Duchesse et sa suite dans le chenal de 
Blaye, tout près de l'avancée de la porte Dauphine. Ce sera 
à la haute mer du matin. 

Partie de la troupe de ligne bordera la haie tout le long 
du chenal du côté de la place ; la garde nationale de l'autre 
côté. Des deux côtés, il y aura de petites réserves ; la gendar- 
merie sera derrière la foule, qui ne manquera pas d'être assez 
considérable, parce que l'arrivée du bateau à vapeur an- 
noncera le départ, conune cela est inévitable. Le sous-préfet, 
par une affiche, invitera la population à ne faire aucune 
manifestation indécente. Je m'assurerai du style ; du reste , 
M. Marchand est très capable. Toutes mes mesures n'empêche- 
ront pas que les assistants ne voient très bien la duchesse de 
Berry, son enfant et la nourrice, qui seront seules avec moi 
dans un des canots. M. le commandant Delord veut que je 
vous exprime le désir qu'il a de troquer le conmiandement 
de Blaye pour celui de (Malins. Vous ne pouvez montrer que 
de robligeance à un ofScier aussi zélé et aussi dévoué que lui. 



356 LE MARECHAL BUGEAUD. 

Je ne voas ai pas parlé de M. Secretan, sons-intendaiit 
militaire à Blaye, parce que je sais qu'il a un représentant 
près de vous, M. Barada; mais je dois joindre ma voix à la 
sienne pour affirmer que M. Secretan est an servitear actif et 
très dévoué à la monarchie de Juillet 

Vous me donnerez sans doate, monsieur le maréchal, des 
instructions pour la manière de terminer ma mission à F^ 
lerme. Peut-être pourrais-je vous être de quelque utilité au 
retour en Italie? 

Dcpcclie télêtjraphique au ministre de l'Intérieur. 

28 mai (1). 

J'ai reçu hier soir votre dépêche télégraphique, partie le 
même jour à onze heures et demie. 

Au dire du préfet maritime de Rochefort, la frégate arri- 
vera aujourd'hui au bas de la rivière. Je fais emBaller les 
effets de la Duchesse pour les envoyer sur V Agathe le 29 
ou le 30 (2). 

(1) Lin NE DE nATOSSE. — DIRECTION DE BLAYE. 

Dcpcchc télé(rrai)biqac de Paris, le 26 mai 1888, à onze heures et demie du 
matin, dont le commencement a été communiqué le 2() au soir. 
Reçue le 27 mai, sept heures du matin. 

Lt minittrt d< Tlntirlcur à monsieur /f commandant supérieur à Bloft. 

Les rin'jt-4iuatrf mille franct npimrteuant à In dachcsac de Bcny Tont lai être remU. 

La fp^fratv nrrlyeni le 1" ou \t 2 dau-t la Olronde. 

^[inc (x^M Ctuttt'ja n'a inir enoore n>i)nndu. 

M. d'Hautffort i-st i>arti il* Angers pour Blayc. 

FoitpA-moI coDiiidtrL' à quelle éiioquc les mëilecins pensent que la Duchesse pniae partir 
iians inconvénient ])our 8a eanté. 

XoTis p'poiulroiw sons peu relativement A M. Ilennequin. 

Si M. le comte de Luccliesi e^t à Tari^. il y e«t A bien caché qnc nous ne ponTons Vj 
dri-ouvrir. 

Cependant il est certain qu'il est parti de la ITayc. 

(2) ÈTAT*U* nuruhhA ef efFrf* qui ouf /fé tranjtporté* à hord de la frégate l'Agathe, 

l>our II' coniptrd*' J/'"* la dueht'SM' de /ierrtft Ir 30 mai 1833. 

N" 1. — Cai'('«e contenant nne tnY>lecn acnjou, «lifft'Tonts effets d'habillement pour monter 
& iheval, et iruutn» effets de linge <le D>rp3. 



CHAPITRE xviir. 357 

La Dachesse se remet bien. Pourra partir le 4 oa le 5 juin, 
pourvu que le départ de M. d'Hautefort n'empêche pas M. le 
comte de venir à Blaye. On désire savoir des nouvelles de 
Mademoiselle. 

Dépêche télégraphique au mini8tre.de f Intérieur. 

28 mai. 

M°^® la duchesse de Berry ne veut pas donner la peine à 
M™® de Béthisy de se rendre ici, elle va lui écrire pour la re- 
mercier de cette nouvelle preuve d'attachement à laquelle 
elle est bien sensible (1). 

M. d'flautefort doit arriver aujourd'hui ou demain: faut-il 
l'introduire à la citadelle? La Duchesse va très bien. Elle se 
promènera demain dans le jardin. Elle est à peu près décidée 



N» 3. — Caisse contmant trois grands tableaax. 

No 8. — Caisse contenant huit petits cadres et portraits. 

No 4. — Caisse contenant nn fauteoil prie-Dieu, on écrin, on métier 4 broder et une 
lampe de salon. 

No 5. — Caisse contenant nn nécessaire à ouvrage pour dame. 

No 6. — Caisse contenant des lirres, et dans laquelle il y a une autre petite caisse ren- 
fermant un tabouret de pied et des pantoufles, mie deuxième petite boite renfermant difBé- 
rentes fourrures. 

N» 7. — Caisse contenant une botte de peinture. 

No 8. — Caisse contenant une pendule. 

No 9. — Caisse contenant différentes pièces en bronze et en porcelaine fine. 

No 10. — Caisse contenant deux rases en porcelaine fine, représentant les enfants de 
Madame. 

No 11. — Caisse contenant des chapeaux de dame, des chaussures et du linge de 
dame. 

No* IS, 13, 14 et 15. — Caisses contenant du vin. 

NO le. — Caisse contenant des effets de linge et chaussure. 

NO 17. — Caisse contenant une toque en velours. 

Les no* 11 et 17 ne partiront qu'avec la Duchesse. 

(1) La Dachesse avait hAte de quitter sa prison ; mais le gonvemenr, de son 
côté, ne voulait point permettre qae la Dachesse quittât la citadeUe de Blaye 
avant d'être entièrement remise. Les amis dévoués restés fidèles à l'infortune 
se faisaient rares, et un petit nombre seulement de royalistes solUcita Fhonneui 
d'être reçu par Madame avant son départ. 



à ne partir que le 5 (1). Je tue sois mia en commonication 
avec XÂgaihe. Toob les préparatifs sont faits (2). 



npirirar. à Blan. 



X" de CuMji tetOM pour oasn de mqU. 

Faat-ll ^i^lKinT à une aut» dmi» 7 

Idi PrlnoiBa <»iucBt«l]a k merolr H" de DMhliQ, qni buMc ponr tat fiUre m 

B<p(nidgi-m(i[ t»r le t^Ugniilie. 

J'd 4ofIt i ninna pour mnlartier X. Hcnnaquin k h midn 4 Bll^e 1» 4. 

Il eit DBiUin <]» H. [b coatte LnccliHi n'«t pu k Piric 

«"• LrtcKhD H met Hi route. 

OnHlnnei 

Il n'en ]>H 

(!) M. \e miiiiatrc de la Marine, en kdresaaiit ses Inatmctioni au commanduil 
40 l'Agathe pour ie TOyage de M"" la ducheMa de Beny, appoia rar lea préean- 
tiaas L prendre an Cna où la maté de Madame le foiceraic & ccUcher duu an 
port d'Eapagne. Voici eu lettre : 



Porb, k IS nui ISIt. 
. iwi ét^ prérenn par U. te préfet maritime de Ret^idort que la 



Tooto. iM .lUporfli™. ont 

Cncrr JDiqn'k ■■ ilislliiatlen. 

Voui Iklactra k U" la dm 
alla dMpieni ka paannnia qu 



Iti )b gtoenl Bogmid, alnil qne kn autre* pungen ayant le rang t 
VU no MTont pai dWgn^ pnu manger aiei! elle, wrDi» admla k nu 
«inp de IC le (ènenl DageaDd emi plaoA k eelle ite TMat-maJor da I 
ir BoD AltcK Rojale Uni la (fui 



m poritlan, et de n!ll«' k 
roDic rtUctae dans Ici poi 



rtugnl voiu eat ataolameiït le 









)ft damaadr qui venu an irralt falle avait pour tnotU VOmt de la «lit» de 11-' la dad 
de Btnj- *oi(l rDu «iteoilitia wte IL le gdnknl Bogeaud ponr qo'nn 
Om BMadna emtiarqnte aTvo la Pilaeetn Mrrlt fioM lart k JnitiaEr le [arU que roua m». 
itoa irl* k «M <cBid. Akn D eonTieiidralt*fu)OTadenepaBcntm'daDi In pertioO Isa par- 
tli Vil dlrtamt ^m HW0no]> mit la ptua anlinlB ; et, aona se rapport, Malaga amalt pMi. 



CHAPITRE XVIII. 359 

Dépêche télégraphique au mintêtre de t Intérieur. 

29 mai. 

La duchesse de Beny est contrariée da retard de son dé- 
part ; elle comptait partir le 4 on le 5. Elle désire qn'on fiusse 
prévenir W^ de Beanfiremont de ce retard dans la pensée 
que cela pourra la décider à venir. M. de Ménars a écrit à 
cette dame. Tous les préparatifs de départ sont faits. Je vou- 
drais bien partir le 5 on le 6. 

A monsieur le ministre de la Guerre. 

29 mai. 

Tous les préparatifs pour l'embarquement sont faits. La 
corvette VAyathe est approvisionnée de tout, excepté de légu- 

ètre celui qu'il faudrait préférer. Maifl, à toiu égards, fl est 4 désirer que tous tous rnidies 
directement et le plus promi>tement possible à Palerme. Toutefois, afin de rendre la trarer- 
sée plus agréable, lorsque vous sera arriré 4 la hanteor da cap Sainte-lCarte, rons derrei 
faire en sorte do naviguer en longeant la oOte d'aussi près que le temps et Fétat de la mer 
TOUS pemiottront de le faire sans danger. 

Aussitôt que tous serez arrivé, vous en aTertirei les antoritéa locales, et, de concert arec 
M. le général Bugeaud, vous arrHeres toutes les mesures nécessaires pour le débarquement 
de M"** la duchesse de Berry, et vous la fera saluer comme AltesM Royale, lorsqu'elle 
quittera le borl pour se rendre 4 terre. 

A remborquement de la Princesse dans la Gironde, comme 4 son débarquement 4 Pa- 
lermc, vous ferez dresser un procès*Torbal authentique de tout ce qui se passera. Ces deux 
pièces dcvrout être en double expédition, signéca par les oAtciers du bord et par IL le gé- 
néral Bugeaud. Vous les ferea enregistrer sur le journal de la corvette ; puis vous en join> 
drcz une expcilition an rapport que vous m'adresserez 4 votre retour. L'autre expédition 
sera dcposi-e 4 Toulon, au bureau de l'inspection. Tous les panigririi, sans exception, de- 
vront être in5crit8 sur le rôle d'équipage de Y Agathe, 

Vous ne ferez 4 Palerme que le séjour néeeasaire pour attendre M. le général Bugeaud, 
et voa<< le ramènerez à Toulon avec ceux des autres iTsssgrn qui oe doivent pas rester 4 
Palerme avec M"** la duchesse de Berry. 

U Agathe attendra à Toulon de nouveaux ordres et une nouvelle destinakloiii. 

Kn proposant an Roi de vous confier la missioii que vous allei remidlr, f ai dit 4 Sa 
Majesté qu'elle pouvait compter sur votre aèle, sur votre dérooement et sur rcxoèDsnt ea> 
prit qui vouii distingue. Je.suis persuadé, Monsieiir, que vous justifleres complétemsnt cette 
opinion, et que je n'aurai que des éloges 4 tous donner 4 ce sujet, en vous acoosant récep- 
tion du rapport que vous m'adr e sse r ez 4 votre retour, et dans lequel je tous recommande 
de n'omettre aucun des faits intéressants qui auront pu se passer pendant Totr« traveisée 
de Blaye 4 Paicmie. 

Recevez, etc. 

at^ : Comte Di Riojrr. 



360 LE MARÉCHAL BUGEAUD. 

mes frais et de viande fraîche ; elle recevra cela la veille da 
départ. La duchesse de Beriy s*est mise en colère de ce qne 
son départ est retardé jasqa'aa 8 on 9. Elle voulait partir 
le 5. Sa santé se fortifie rapidement. 

Je désire bien, monsieur le maréchal, connaître vos inten- 
tions relativement aux récompenses que j'ai en Thonnear de 
vous proposer. Je ne laisserai jamais échapper roccasion de 
vous donner des renseignements que je croirai utiles, soit pour 
l'armée, soit pour la politique. Il existe dans le 64* nn chef 
de bataillon, nommé Imard, qui jouit d'une très maavaise 
réputation, car ou le considère conmie un homme dangereux, 
et très peu dévoué au Gouvernement. H est d'ailleurs très 
peu instruit dans son métier. 

J'ai remarqué dans le 64® un usage qui me paraît devoir 



Rcmid à H. Turpin, capitaine de fn^gate oommaudant la corretto VAffotke, la 

'le lft.000 fr. » c 

3 iwur lUO II dô<1uire 4M » 

Net 14.M0 fr. » c. 

Drpentes faite» à Roehf/ort. 

Au uiarchaïKl épicier 1,160 fr. 10 c. 

Au coitfisi-ur 265 60 

Vins et liqueur» S,003 » 

Cou lest ibloii S59 > 

CiUuvTves pn"i>arées à Rochofort 801 39 

Linge de tnhlo 1,203 9 

K moutons et agneaux 348 > 

Ferblanterie 86 > 

Batterie de cuisine 192 10 

Volailles 7«3 » 

Argenterie 1.296 » 

SiropA, i*onlitunr!*. oIuK-olot. etc 898 AC 

Coutellerie 121 > 

2 vaclu-jt et 3,000 de foin 580 > 

PoroelaineA et criiitanx 68A » 

Son 40 » 

Dépcn«.'S preuuniéeit à Bonleaux 2,iK)0 » 19,091 fr. 64 e. 

Il resterait alon en caisse S,4M fr. Se e. 

Certifie par le capitaine de fn^gatc commandant. 

Si'jHi : TURFXSr. 



CHAPITRE XVIII. 361 

être étendu à tonte l'infanterie. On y cire les gibernes avec 
le cirage ministériel prescrit pour la chaussure. La giberne 
ne s'écaille jamais, elle est belle et luisante. A l'égal de la 
giberne la mieux cirée avec de la cire, la palette ne peut 
jamais être brûlée, et l'on sait que dans le système actuel 
cet accident est bien fréquent et devient très onéreux soit 
aux soldats, soit à l'État. Le changement que je propose 
n'exige ni temps ni dépenses : quatre mots de circulaire suf- 
fisent, et c'est vraiment une bonne amélioration de détail. 

Le colonel du 64® est venu visiter son bataillon ; cet of- 
ficier est instruit en détails régimentaires. 11 a cherché à 
atténuer la faute du capitaine Fontiel, sur lequel je vous ai 
fait un rapport. Il m'a assuré que la conduite de cet officier 
dans la Vendée avait été parfaite. Il est très blâmable, a-t-il 
ajouté, par les propos qu'il a tenus ; mais ses actions doi- 
vent faire pardonner ses paroles, qu'on peut appeler une 
boutade. 

Peu après, Pontiel est venu près de moi s'excuser, et pro- 
tester de son dévouement au roi et au pays. Il y avait vrai- 
ment dans ses paroles, dans sa physionomie tant de sincérité, 
que j'en ai été touché. Je pense aujourd'hui qu'on pourrait 
user d'indulgence envers ce capitaine et se contenter d'une 
réprimande donnée à l'ordre du régiment, parce que la chose 
est connue dans ce régiment. — Vous en jugerez dans votre 
sagesse. 

Vous avez eu la bonté de me demande^ quel emploi on 
pourrait donner à Alger à l'ex-tambour maître Sagossat. 
J'ignore quels sont les emplois dont vous disposez à Alger. 
Je ne puis donc que vous dire que cet ancien soldat sait bien 
lire et un peu écrire, qu'il est honnête homme et homme 
brave. Je joins u'n certificat de bonne conduite qui lui a été 
donné à Bordeaux. 



362 LE MABÉCHAL BUGEAUD. 

Il n'est pas douteux, monsieur le maréchal, que la presse 
et les caricatures produisent un mauvais effet but les sol- 
dats. Diverses anecdotes, qui me sont revenues, m'en ont con- 
vaincu. L'armée étant une des plus fortes garanties d'ordre, 
nous devons être très attentifs à ne pas la laisser corrompre 
par les anarchistes. 

Puisqu'il est inévitable que les troupes lisent des jour- 
naux, je voudrais qu'on leur en ftt qui, tout en traitant des 
matières militaires, leur donneraient des idées justes sur 
la politique et l'amour du gouvernement du Boi. Je cnns 
qu'on ne doit pas les livrer aux factions sans contrepoisou. 
Je désire, depuis longtemps, dans le même cercle d'idées, que 
les honnêtes gens, les gens aisés, qui ont intérêt à Tordre, 
s'associent pour combattre la mauvaise presse avec la presse, 
parce que c'est la seule arme convenable. Nous aurions bien- 
tôt vaincu cette cruelle ennemie du repos et du pays, si on 
voulait y mettre un peu de bonne volonté. Quel avantage 
n'aurions-nous pas sur les journalistes, si nous faisions des 
journaux sans esprit de spéculation, mais seulement pour 
faire triompher la vérité ? Nous pourrions donner nos feuilles 
à bon marché, souvent gratis, car les actionnaires n'hésite- 
raient pas, en souscrivant, à consacrer leur mise au triomphe 
des principes d'une sage liberté, sans espoir d'en retirer un 
intérêt, — bien déterminés, au contraire, à perdre lenn 
actions, s'il le fallait. 

-1 monsieur le comte dAnjout. (Extrait.) 

29 mai 

M"*® la duchesse de Berry est contrariée du retard. J'ai vn 
le commandant de YAijathe. Tout est prêt. Je n'attends qne- 
vos ordres. Envoi de la quittance de VAgoJtht. Bemerdements 



CHAFTTBB XVni. 363 

pour M. Desvignes. Je reçois votre dépêche du 27. La Du- 
chesse ne peut plus rien pour les légitimistes. Elle leur fera 
voir sa fille, qu'elle aime beaucoup. 

Dépêche télégraphiqtie au ministre de f Intérieur. 

81 mai (1). 

Si M°® de Beaufremont ne peut venir, M°*® la Duchesse 
demande Tautorisation d'emmener M. et M°^® de Dampierre. 
M°^® la Duchesse et sa fille vont bien. Elle se promène 
chaque jour dans son jardin. Tous les préparatifs sont 
faits. 



(1) L'anUral ministre de la Marine^ wmtede Riçny^à monsieur le commandant de rJLgatlie. 

(Secrète.) 

Paris, le 31 mai 1833. 

Monsieur, sur la demande de IC rarcherèqne de Bordeaux, le Oonremement a antoriaé 
rembarquement d'un ecclésiastique à bord de Y Agathe pour accompagner M"* la duchesK 
de Berry. 

Je vous prie de vous entendre à ce sujet avec ce prélat, avec M. le général Bngeaad et 
avec M. le préfet de la Gironde. 

L'ecclésiastique dont il s'agit sera admis à la table du commandant, et les dépenses aux- 
quelles donnera lieu le passage qui lui est accordé seront acquittées par le département de 
l'Intérieur, ainsi que doivent l'être toutes celles de même nature faites à bord du même 
bAtiment, 

Recevez, Monsieur, etc. 

Le ministre de la Marine, etc. 

Signé : Comte ds Rioxt. 
Four copie : Le chef maritime, 

Signé : DK PorouT. 

yote du cf»^ maritime. 

L'ecclésiastique désigné par Uf rarchevèque est M. Tabbé Sabatier. 11 est autorisé pat 
M*' l'archevêque à embarquer pour l'exercice du culte, à bord de Y Agathe, le matériel et 
la pierre sacrée qui existent aujourd'hui pour le même objet dans la ch^)elle de M** la 
duchesse de Berry, à la citadelle de Blaye. M. l'abbé Sabatier recevra les instructions de 
M. le général Bngeaud relatirement au temps et an mode de cet embarquement et du sien 
propre. 

Bordeaux, le S juin 1888. 

Le commissaire général de la marine, chef maritime^ 

Signé: dx Pihoxtt. 



364 LE MABécHAL BUGEAUD. 

A monsieur le comte iArgouU 

s juin. 

M"® la Duchesse va à merveille. M"* Lebescha est arrÎTée 
anjourdTiui avec l'abbé Sabatier, désigné pour aumônier par 
rarchevèqiie de Bordeaax. L'abbé a été admis, mais ne doit 
commencer son service que du jour de l'embarquement. Je 
l'ai fait loger en ville. On attend la réponse de M"* de 
fremont. M. et M'''** de Dampierre sont bien décidés à 
compagner Madame. Vous me direz ce qu'il faudra &ire da 
prêtre après mon arrivée à Païenne. J'ignore comment on 
vous a fait la demande de l'aumônier, elle n'a pas passé 
par moi. La Duchesse désire vivement partir le plus tôt 
])0S8ible. 

A mœmeur le comte ctArgout et au maréchal SaalL 

4 juin. 

Messieurs les ministres, je reçois à l'instant les instruc- 
tions pour le départ, que vous m'avez adressées le 2 cou- 
rant (1). Il n'y a aucune difficulté dans leur ponctuelle exécu- 



(1) Voici les instructions, décidées en conseil des ministres, qui mettent fin àlm 
délicate et i>énible mission du général Bug^ad, gouTemeur de la citaâéUe de 
Blaye. Les moindres détails du voyage de la Duchesse à Païenne sont rf\glCm 
avec un soin minutieux, et il faut avouer que les hommes qui occupaient alon 
le pouvoir, étaient des politiques sérieux autant que prévojrants. 

Lf minhtrc dr la Guerre, prétMtnt du CotueU, et te minittre de tfntiHntr, 
à fnofuh'ur le ijtnii'nl Buçeaud, commandant tupirieur de la cUadette de Bia§e, 

Puis, 9 Juin 18». 

Gi'n^'ml, la loi <1u 10 avril 1832 bannit du territoire français tous les membres de la ft^ 
mille royale «lêcliuo. Ce])eudnnt des conMilératlons de Tordre le pins élerép et le twotu de 
confw>lidcr la traii<|iiillit<> publique, un instant troublée dans les départements de TOoeri 
une tentative auK<i criminelle qu'insensée, ont déterminé le OoQTemement à détenir, 
dant quelques moif, M"* la duchesse de Betry dans la citadelle de Blaye; nuds Toidie 



CHAPITRE XYIU. 365 

tion. L'embarqnementy à Blaye, aura lien vers onze henres 
dn matin, le 8, avec solennité sans on ta'op grand conconrs. 
Ni le maire ni le sous-préfet ne feront de proclamations ; 
mais les officiers de la garde nationale, avec lesquels je 
suis très bien, circuleront à Tavance dans la foule pour in- 
viter les citoyens à ne proférer aucun cri. Je crois pouvoir 
vous assurer que tout se passera conformément aux bien- 
séances. Vous aurez un procès-verbal d'embarquement, signé 
par tous les signataires du procès-verbal de naissance et par 



trouvant aujourd'hui complètement rétabli dam la Vendée, U n'existe plus de motifs pour 
<lifl<^rcr de se conformer à la loi. 

Déjà la frégate qui doit tranaportor en Sicile M"* la docbeaae de Berry est arrirée dans 
la rivière de Bordeaux ; déjà une partie des bagagea sont embarquf« ; 11 nous reste à tous 
donner nos dernières instructions : 

l» Vous réclamerez des doctenri Denenx, Ointrao et Ménière, une consultation consta- 
tant que M** la duchesse de Berry est assex rétablie de ses couches \xtxir qu'un voyage par 
mer ne présente aucun danger pour sa santé et poor celle de son enfant. 

2*' VouH inviterez M"** la duchesse de Berry à vons écrire une lettre portant qn^elJe se 
trouve en assez bon état de santé pour supporter on royage par mer et qu'elle demande à 
être conduite à Païenne dans le plus bref délai possible, avec les personnes de sa suite 
et de son service dont elle vous donnera la liste. Voos n'oublierez pns de faire porter dan* 
cette liste son enfant, sa nourrice et M. Deneux. 

3" Les personnes qui doivent l'accompagner par ordre du Gouvernement sont, comme 
voas le savez déjà : 
1" Vous, général; 
2° Vos deux aides de camp ; 
8" Le docteur Ménièrc ; 
4» M. l'abbé Sabatier. 

40 Vous êtes autorisé à prendre avec M. Sabatier, qui remplira les fonctions d'aimk^nier, 
tous les arrangements pécuniaires que vous jogeres convenables. 

M*' l'archevêque de Bonleanx consentira, sana doute, à confier à cet ecclésiastiqne les 
vases sacrés et autres objets nécessaires à la célébration de la messe. Dans le cas contraire, 
vous chercherez à vous pourvoir de ce qui sera indispensable pour cet objet. 

6«> Vous donnerez ordre à M. Olivier Dnfresne, chargé dea fonctions d'agent comptable. 
de liquider, aussi promptement que possible, tous les comptes de l'établissement de Blaye, 
et de se rendre ensuite à Paris, où il recevra une nouvelle destination. Faitea>noas oon« 
naître quelle est la gratification que vous croyei qae le Oonvemement doit loi accorder 
on raison des peines qu'il s'est données. 

6" A moins d'enip£cbements imprévus, rembarquement demeurera fixé an samedi 8 juin. 

70 ^mr l^^ duch»sc de Berry doit sortir de la citadelle en plein jour, dans une calèche 
découverte, de manière à être bien vue, ainsi que son enfant. 

8" Pcut^-trc conviendrait-il do n'annoncer le jour de son départ que la veille an soir, 
afin que la foule ne soit pas trop considérable et que les carlistes de Bordeaux n'acooarent 
pns en trop grand nombre pour être témoins de ce spectade. Vous pourries taire dicnler 
dans le public que l'embarquement aura lieu le 10, et tous entendre confidentiellement 
avec le capitaine de frégate pour qu'il ait lieu le 8. Bn faisant connaître à Blajre le 7 an 
ttoir, ou le 8 (le bon matin, IcTéritablo moment de l'embarquement, vons auriez pour t^oins 



366 LE UABÉCHAL BUOEAL'D. 

ploaieuTB ofHcierB de la garde natioiiale. J'emmènerai, par le 
batean îi vapenr, deux ou trois légitimistee, haut happés, qui 
accompagneront la Dnchesse jusqu'à. VAgaChe. Âareste, il 
y a, en ce moment, bleu pen de gens qui dontent. 

M. Hennequia est ici depuis hier. Il a va anjonrd'hoî la 
DQchesBe et diné avec elle. Je l'invitai Uer à dîner. Sa cou- 
versatioD est spirituelle et animée. Il cause volontiers des 
affaires du jour, et surtout de son plaidoyer à Rennes, qa'tl 
assare devoirle faire passer à la postérité. Il a soutenu contre 




CHAPITRE xvni. 367 

nous plusieurs des questions qui y sont agitées, et, qaelqne 
habile qn'il soit, il a été qnelqaefois enfoncé. Il a fait l'éloge 
de l'esprit ou plutôt, dit-il, de la capacité du Boi, car, selon 
lui, l'esprit peut lui être contesté, attendu qu'il n'a pas laissé 
échapper de ces mots heureux qui restent, parce qu'ils ren- 
ferment une ou plusieurs pensées. «Ha fait mieux que cela, 
lui ai-je répondu, il a laissé échapper de nombreux discours 
marqués au coin de la raison et d'une grande portée politi- 
que. Il a fait mieux encore, il a su juger sa position, résister 
aux mauvais conseils et suivre les bons ; comparez cela aux 
bons mots de Charles X! d Au reste, M. Hennequin a un ton 
très convenable et me montre beaucoup d'estime. 

A monsieur le maréchal ministre de la Guerre. (Extrait.) 

5 juin. 

M°^° la Duchesse s'est mise dans une violente colère en 
entendant que le Gouvernement exigeait d'elle une lettre où 
elle déclarât sa santé et celle de sa fille assez bonnes pour 
supporter la mer, et demandât à aller à Palerme, en nom- 
mant les personnes de sa suite. Vociférations contre le 
Gouvernement, les ministres, etc. Elle se retire ftirieuse... 
Rentre plus calme. Je la quitte en lui disant d'y réflé- 
chir. 

Je suis sûr qu'elle écrira, mais sans parler de sa fille. Le 
procès-verbal d'embarquement, quatre à cinq mille témoins 
détruiront ce reste d'obstination. 

Ordre donné au détachement de gendarmerie de retour- 
ner à Niort. — La 14*^ batterie reste pour désarmer. 



368 LE MARECHAL BUGEAUD. 

Dépêche télégraphique au ministre de H Intérieur, 

6 juin. 

Pour lui annoncer la lettre de la Duchesse, qui dît que sa 
santé lui permet de supporter la mer et qu'elle désire être 
conduite à Palerme. — Je lui fais observer que cette lettre 
annonce dos arrière-pensées. Elle s'en défend. Elle écrira à 
ses amis Kergorlay et autres pour qu'ils ne nient plus. 

A monsieur le comte cCArgout. 

6 juin (1). 

Pour rinstruire de tous les détails et de tous les prépara- 
tifs de l'embarquement. 

A monsieur le ministre de la Guerre. 

7 juin. 

Pour envoyer la consultation et l'ordre du jour. 

FIN DV JOITINAL DE LA CITADELLE DE BLAYE. 



(1) L^ gt'néral Buyeaud à motuifttr Oardtre, à Paris, 

Blayc, 7 jaiu 188S. 

Un mot, mon cher Gardèrc, avant do monter sur le sabot. 

Le <lranio est tini! Demain j'embarque la comtesse Lncchesd et m flllo Anne-lCwrie-Bo- 
«alie. Il y nom an nombreux iniblic. Chacun Terra la mère et Tenfànt, qui aexont «eulee 
avec moi sur nn canot \>oxa gat^iier le bateau la (îironâf, qui nous xxnrtcnb mr VAguihf à 
la nule de Richarl. Nous filons à Falcrme ; je reviens 4 Toulon en passant par ntalle, Huif 
meilleur avis. Je serai. j'csiK-re, ilani mes iH'nntcs à la fin de juillet, et à Paria à la fin de 
novembre. 

Mon vin, mes nfTniroB, mes papiers vont bien vous embarrasser, malt je oompCe evr 
votre amitié. J'y compte aufssi pour que vous alliez aux bureaux de la Ame de i^MrU, Rerme 
Britannique et XounlliAfr, aux trois, pour faire adresser à ma femme, à Bxddenll, le 
d'attonnemcnt <iui a étù fait par rentrendsc da ministère. Je tais que Totra mèie Ta 
bien, sauf sa sunlitc. 

Vous savez qu'Edouard n succombé; c'est un grand débarras pour ta famUlc. 

Adieu, mon ami, au revoir. 

BuoEAxn>. 



CHAPITRE xvni. 369 

Ainsi finit le drame de la citadelle de Blaye. Le 
général Bugeaud accompagna la Princesse jusqu'en 
Sicile. 

Nous raconterons plus tard les suites de cette 
douloureuse odyssée, qui pesa d'une façon si injuste 
et si terrible sur la vie du gouverneur de Blaye, et qui 
devait amener peu de temps après la mort tragique 
du député Dulong. 



T. I. 24 



CHAPITRE XIX. 



Départ de Blaye. — Opinions des légitiàiistes en France. — La lettre du doc- 
teur Chavoix. — Arrivée de la dachesse de Beny à Païenne. — Débuqne- 
ment. — Le comte Lacchesi-Pallî. — Bemise de la princesse anx autorités 
napolitaines. — Départ du général Bngeaud. — Bon retour en France. —Dé- 
tails adressés par le docteur Ménière sur Tintérienr dn palais Bntem. 



A peine l' événement accompli et la naisBance de 
la fille de M"® la duchesse de Beny dûment constatée, 
que de tous côtés éclatèrent, dans la presse légiti- 
miste et républicaine, les imputations les plus odieu- 
ses, les calomnies les plus grotesques sur les ministres 
du roi et en particulier sur le gouverneur de Blaye. 
Ces injures sans nom, ces fables ridicules, auxquelles 
les gens sensés n'attachaient aucune importance, bles- 
saient cruellement Thomme qui en était la victime. 
Nous en trouvons la confirmation dans des lettres 
écrites à cette époque par le général Bugeaud au pré- 
fet de la Dordogne , pour lequel il avait une grande 
afiection. 

Le (jcncral BiKjcaud à M. Maurgues^ préfet à Péripueux. 

Blaye, le 2 join 1888. 
••• 

...Je me crois plus indépendant que ceux qui affichent 
riiidépendance dans leurs écrits et dans leurs discouis. 



CHAPITRE XIX. 371 

Indépendants et même insolents envers le poavoir^ ils se 
traînent devant le peaple des mes. 

Moi, je ne flatte personne, ni rois, ni préfets, ni peuple ! Je 
ne demande rien, je n'ai besoin de rien; je ne veux être 
que ce que je sois ; je pois l'être sans les ministres ; je Tai 
gagné sans eux, et je saurais, an besoin, gagner un grade 
sans les ministres et sans ma position à la CShambre!... 

En un mot, ils ont besoin d'hommes comme moi, et je n'ai 
pas besoin d'eux. Voilà, je crois, une complète indépendance ; 
mais elle ne me rendra pas injuste, parce que mon esprit et 
mon âme ne sont pas indépendants de ma raison... 

Blaye, le 5 jain 1833. 

... Décidément, nous partons le 8. 

Tout est prêt, prévu, pour ce petit dessein. Nous avons 
enfin, après trois refus, une dame d'honneur : c'est M"® de 
Beaufremont. J'ai vu le moment où il faudrait partir sans 
cela. Le noble faubourg Saint-Grermain se récusait. Il est 
furieux contre la Duchesse : je l'en aime un peu plus. 

J'avais d'abord reçu l'ordre de chercher un aumônier, et 
j'avais désigné l'abbé Souffron ; mais il paraît que M. de Bris- 
sac a fait choisir un abbé Sabatier. 

H m'a fallu décommander le pauvre abbé Soufiron, et 
j'en ai du chagrin, d'autant mieux que l'abbé Sabatier est 
sans doute un descendant de Goliath, qui mange de manière 
à affamer le navire. Cinq pieds dix pouces, gros à proportion , 
de manières hussardes ; assez d'esprit, beaucoup de n^onde 
et de voyage, a l'air d'aimer la gaieté. Voilà ce que j'ai vu 
dans notre vénérable aumônier. Nous ne lui chercherons pas 
querelle en route, car il est capable de nous assommer d'un 
coup de poing !... 



872 



LE MARÉCHAL BUGEADD. 



Tandis que VAgaOïe faisait voile vers les cÔtes de 
Sicile, M"" Bugeaud quittait avec bonheur la citadelle 
de Blaye et rentrait à Excideuil avec ses enfants. 
Bien que la lettre ci-dessoua ait un caractère intime, 
nous pensons utile de la publier. Elle témoigne de 
l'état des esprits à cette époque et do la tendresse 
profonde que le général inspirait aux siens. 

Mcutame Buijmud au général Bugpauâ, 

EicideoU, le 15 juin 1833. 
Cher ami, noua veuons d'arriver en boune santé, mais bien 
tristes d'être ici sans toi. Je no puis te dire tout le cba^n 
que me cause ton départ ; j'ai toujours devant les yeux ce 
batean qnî t'éloignait de nous. Oh! que je fus malliearense 
qoand ma mauvaise vue ne me permît plus de te distin- 
guer siir le pont; il me sembla que je ne devais plus te re- 
voir : un froid glacial a'est emparé de moi, je ne voyais ni 
u'entendata ; je sais remontée dans cet état & la citadelle, 
dans cette maison que tu venais de quitter ; mais, arrivée là, 
je suis sortie de cette espèce de sommeil. Alors tons les dan- 
gers que je redoute pour toi se sont présentés ii ma pensée. 
Combien j'anrais voulu être seule ! je n'ai pas même en cette 
triste satisfaction. Il a fallu recevoir les adieux et les com- 
pliments d'une foule de personnes qui ne paraissaient guère 
se douter combien tout cela me tonrmentait. Enfin uoas 
sommes partis ; je souffrais beaucoup : on attribua mon ma- 
laise ù. la chaleur; je fns bien aise de le laisser croire poar 
éviter les consolations que ta bonne sœur, qui nous acconi- 
gagnait, n'aurait pas manqué de me donner. Je n'eu vou- 
lais pas, je voulais être bbre de penser h, toi et me livrer 
& tontes mes idées. Qn'elles étaient péuîblesl Nous nous 



CHAPITRE XIX. 373 

sommes arrêtés à Saint-Mer ; les enfants ont désiré y rester, 
j'y ai consenti... En arrivant, j'ai entendu sonner. On m'a 
dit que c'était pour la bénédiction, j'y courus. Oh! si Dieu 
exauce les prières et les vœux bien sincères, ton voyage sera 
heureux ; car, cher ami , je priai pour toi, et jamais, je crois, 
on ne pria d'atlssi grand cœur. J'étais si malheureuse et je 
t'aime tantl Le lendemain, nous sommes arrivés à X..., où 
j'ai été accablée de visites et de questions sur ta santé, ton 
retour ; à Excideuil, même répétition. Ta sœur, Fanny, Am- 
broise, leurs enfants et Gustave sont venus de suite. Us ont 
dîné avec nous ; ils se portent bien. 

Le 18. — Les enfants se portent bien; elles ont repris leurs 
anciennes occupations ; elles seraient bien contentes si leur 
cher papa était de retour. 

Le voyage m'avait fatiguée ; mais à présent je ne m'en res- 
sens plus. Je prends des pilules, je suis un régime sévère. 
J'espère que tu ne diras pas que je ne veux pas guérir. 

Je reçois une quantité de visites. Tous demandent de tes 
nouvelles, quand tu nous reviendras, quel chemin tu pren- 
dras, etc., etc. Ces questions, qui se renouvellent sans cesse 
et auxquelles je ne puis répondre, sont un vrai supplice 
pour moi. Plusieurs carlistes se sont montrés très empressés 
à venir me voir ; ils semblent vouloir nous dédommager des 
infamies de leur Gazette^ (\m est épouvantable. Les honnê- 
tes gens, le Mémorial ^ même YÉcho^ en ont fait justice pleine 
et entière. Tous disent qu'un honnête homme ne peut ni ne 
doit y faire attention ; beaucoup de ses abonnés n'en veulent 
plus. Ainsi, mon ami, il faut fermer les yeux et les oreilles 
là-dessus, et le mépris est la seule chose à répondre; mais 
c'est trop te parler de cela, venons à la fontaine (1) : ton dé- 

(1) Après la mission de Blaje, le roi ofiErit 20,000 francs an général Bugeand, 



874 



LE MARÉCHAL BUGEAUD. 



sintéresscment est trouvé auLlîme; on t'aime, on t'admire, 
jamais il n'y ent du homme comparable à toi, à ton d^vone- 
ment ponr ton pays I 

Le 23. — J'arrive cle la Dnrantie ; lea blêa sont magnifi- 
ques, même le blé de mars, mais il y a du ]30urri dans ce der- 
nier. On a commeucé h. fancher ; il y a peu d'herbe druis les 
prairû'S maigres ; les trèfles sont un peu clairs. 

La charpente de Saîut-Pantaly sera montée demain ; la 
conr d'Excîdeoil est commencée h paver, il y en a encore pour 
longtemps avant que tout soit terminé. M. Lestang a beaa 
faire, les onvriers ne vont pas vite. J'espère pourtant qno ce 
sera avancé qnand tu viendras. 

J'ai rei;u une lettre de ta sœnr, qui me donne des détails 
sur votre voyage jusqu'à la frégate. Pauvre Thomas, tn 
aonfTrais déjà, que feras-tu donc eu pleine merl Ah! qu'il me 
tarde de te voir de retour I Jusque-là, je tremblerai tonjoars 
qu'il t'arrive quelque accident. 

Adieu, mou ami; voyage le plus promptement po.sâible, 
je sois si inquiète, il me tarde de t'embrasser. Marie veut te 
dire un petit mot. Adieu, adien. 

Siffnc ; E. B. 

Bien <]u'elle eoit d'une date antérieure à la lettre 
que l'on vient de lire, nous croyons fort utile de repro- 
duire la lettre ci-jointe, écrite au général Bugeaud, 
pendant son séjour à Blaye, par un haliitant notable 
d'Excideuil, M. le docteur Cliavoix {!) : 



qui les refusa, en dcmandiuit 
bliltelQCQt de la font-iini! BDr U plu> 

(I) H. le docteur Chavoii, uajaurd'haî diïputt' iria K-pab1icain dn d^panc- 
ment de U Dordogne, noiui paidinueTa, lau* nul doute, d'eibumei riplfrtPMmM 
^ttie qa'il adnsialt, il f > quarauto-tept bub, k son iimi le giiiénl dépuM dïiei- 



CHAPITRB XIX. 375 

Le docteur Chavoix au général BtigeoMd. 

Ezcidenil, le 26 mai 1834. 

Nous avons appris aujourd'hui , général , l'annonce de l'u- 
tile établissement dont votre générosité désintéressée a gra- 
tifié la ville d'Excideuil. Je m'empresse de vous témoigner, 
comme ami et citoyen d'Excideuil, mais surtout comme ami 
bien dévoué, toute l'admiration que j'éprouve pour une con- 
duite aussi belle que la vôtre. J'ai été tellement touché de 
cette action noble et patriotique, qu'aujourd'hui même j'ai 
proposé à plusieurs membres du conseil municipal, ne sa- 
chant comment vous témoigner toute la reconnaisance que 
vous méritez, j'ai proposé, dis-je, d'abord de vous voter des 
remerciements publics, ensuite de placer sur le monument qui 
s'élèvera sous vos auspices une inscription simple et modeste, 
qui rappellera à la fois le patriotique désintéressement d'un 
citoyen et la reconnaissance de ses compatriotes. Sur une pla- 
que de marbre noir, on placerait ces mots : 

AU GÉNÉRAL BUGEAUD 
LA VILLE d'eXCIDEUIL RECONNAISSANTE. 

Jusqu'à présent, mon projet n'a trouvé que des approba- 
teurs. J'espère qu'à force de patriotisme nous obligerons les 
criards à se taire, bu du moins à bavarder dans l'ombre. 
Les bousingots indigènes n'ont pas encore osé, que je sache, 
crier contre cet avantage immense, obtenu pour l'utilité et 
l'embellissement de notre ville. Sans doute qu'ils n'oseront 

deuil. Si M. Chavoix a quelque peu changé d'opinions en 1881, qui oserait, le 
premier, lui jeter la pierre ? D'ailleurs, les sentiments nobles et patriotiques expri- 
més par l'honorable docteur et ami de la famUle Bugeaud sont de tous les temps, 
et nous sommes persuadé que M. Chavoix n'hésiterait pas aujourd^iui à les 
reproduire. 



37« 



LB HAR^CHAL BUGEAUD. 



pas dire qae c'est la sneur ilu peaplc qa'on consacre & cette 
fantaisie, car une pareille création eut bien ponr le penple, si 
je ne me trom{)e. Ils paraissent, d'ailleurs, assez pen con- 
tents de la toarnnre que prend leur affaire. Je crois, comme 
le Courrier /rançais , qni était forcé de l'avoner l'autre jour, 
que la république a perdu dn terrain par les efforts mfr- 
mes de ees partisans. C'est, ou reste, nue chose extrême- 
ment curieuse et instructive à la fois qae de voir ces gens- 
là se démasquer sDccossivement. Après le procès de la Sa- 
ciêti'. des droits de thomme, voici venir celui de VAviso, de 
Toulon, qui dépasse encore en audace et en scélératesse les 
maximes de la susdite société. Il en vient à dire positive- 
ment (vous l'avez la, sans dout^) qu'il faut dépouiller les 
boargeois, les capitalistes, les banquiers, les industriels, etc., 
etc., parce que ce sont des oisifs qui exploitent le peuple et 
s'engraissent de ses sueurs, etc., etc. Si le jury ne condamne 
pas de tels loupa-garoua , il faut tirer l'échelle et s'appr^ 
ter avant peu pour tirer des coups do fusil. Je crois que le 
gouvernement a besoin de tenir solidement ces mAlins-lè 
en bride, d'interdire leurs bals, leurs banquets, etc., et, s'ils 
s'avisent de vouloir encore donner des charivaris i. des hom- 
mes honorables, de les houspiller de manière & leur faire per- 
dre l'envie d'y revenir. Voilà ce qu'on réclame en général. Je 
me âattc que l'annonce de pareilles estravagances nous ramè- 
nera quelques hommes de bonne foi ; j'augurerais bien mal 
de ceux qui s'appuieraient sur de pareils forcenés. 

J'étais l'autre jour à Hautefort ; on parla beaucoup de 
M"* la Duchesse, Il n'y trouvait un monsieur qui était vena 
passer quelques jours au château, et qu'on nomme M. le mar- 
quis de la Fare. C'est un homme qui a passé la soixantaioe , 
bien élevé, ancien militaire, et qui vous a vu en Espagne 
pendant que vous y faisiez la guerre ; il habite Marseille. C'est 



CHAPITRE XIX. 377 

un des légitimistes les plus raisonnables que j'aie guère 
vus. On témoignait de l'étonnement de ce que vous aviez 
accepté le commandement de Blaye : « Mais, dis-je, je 
crois qu'un militaire doit obéir à son chef, lorsqu'il n'y a rien 
dans l'ordre qu'il reçoit qui soit contre l'honneur. — Vous 
avez raison, me dit-il, c'est ainsi que cela doit être, d Ils me 
firent ensuite plusieurs questions sur Blaye. Je satisfis leur 
curiosité avec des renseignements que j'étais autorisé & leur 
donner. « Mais, dit M°** de Damas, comment se fait-il que 
le commissaire de police Joly, que M. Chousserie avait re- 
fusé de recevoir, ait eu ses entrées dans la citadelle dès 
que le général Bugeaud en a eu le commandement? — C'est 
un conte de vos journaux, lui répondis-je, rien n'est 
plus faux que l'empire prétendu de M. Joly dans la ci- 
tadelle de Blaye. Je sais que le général Bugeaud ne l'au- 
rait pas souffert, et, d'ailleurs, je m'en rapporte à M. le mar- 
quis de la Fare, qui a été militaire. N'est-il pas vrai que 
les militaires n'aiment pas la police? — C'est très vrai, me 
répondit-il, il n'y a pas l'ombre de vraisemblance que le géné- 
ral Bugeaud, qui a la réputation d'un rigoureux militaire, 
ait voulu admettre un commissaire de police & le surveiller, d 

Du reste, M. de Damas, ni M. l'abbé, ni personne, ne 
nient la grossesse et l'accouchement. M. l'abbé faisait 
même plus : il convertissait, comme il me l'a dit, les incré- 
dules de son parti, pour ne pas les exposer au ridicule qui s'at- 
tache à la négation de l'évidence : « Je suis bien aise, au 
moins, que ce soit une fille, me dit-il, parce que, quand 
on parlera des deux princes, on ne demandera pas : Lequel? » 

Il n'y a vraiment que les légitimistes encroûtés qui nient 
encore l'accouchement. M. l'abbé me dit qu'on en voulait, 
dans leur parti, à ceux qui y croyaient (1). 

(1 ) Les légendes les plus sottes sont souvent les plus difficiles & détruire. On ne 



378 LE UAB^CBAL BUGEAID. 

Je sois allé denx fols, en passaut, à \& DaraDtîe. C'est 
magnifiqae, admirable, qu'aue pareille agricultnre. Vos 
svoÎDes sont les plaa belles ou & peu près les seatea que 
j'aie vocB. 

Je vous apprendrai une nouvelle qui vous fera plaisir : 
j'ai rencontré, l'autre jour, les commissaires dn comice de 
Lanooaille pour la visite des trèfles. Ils m'ont dit qu'ils 
avaient trouvé de plus belles pièces de trèfle que l'an der- 
nier, et que l'an prochain il y en aurait de pins belles, de plus 
nombreuses encore. Ou voua attendra pour les fttea agrico- 
les de Lanouaille. 

Nous nous sommes réunis au comicf d'Excidouil pour 
nommer an jeune homme îi envoyer à h. ferme modèle de 
Grigoan, pour qu'il y jouisse de l'avantage que voua loi 
procurez, ainsi qu'à notre pays. Le choix est tombé snr on 
des fils de Martel, qui paraît être intelligent et capable d'en 
profiter. 



■■unit «'imaginer tontes lei tables ripandnea & cette époqae aa nijet de ta a^p- 
tiTlti de U™' la ducbeue de Berrf . Cette donlourenic néceiditè politique, qui 
■TÛt contraint le roi Louis-Philippe k anStvr ta nii-ce pont mettre fiti 4 niut 
teotatiTe de gncire clrile, fut commentée ds la façon la pltu odlmue. QnaBt 
k riotortante ptinceiee, doat la réeolntion, l'esprit et la bonté itonl rctlèi 
légendaires, slle fut cmcllement chitiée. par la suite, de sas h^roiquca impm- 

Toatefalt, la persoDce qui ent te plos i souffrir de ces fables fat la gteénl 
Bngeaad. Bien des années après le dr>me de Blaye, lea légitiniistea, snrtODt en 
proTince, ne prononçaient qa'sTec borrenr le nom de ce féroce gefilier. If»* )■ 
comtesse Feraj noua racontait qu'en 1B6T, le gènérol Fera; ayant été chargé, 
aprts le départ du maréchal Biel, da commandement du coips d'année de Tod- 
lonse, elle fut, an début de son séjour dans cette rille, l'objet d'une réserre 
et d'one frcddenr calcolées de la part de la société légitimiste. La noblesse 
du pajs pounnivait en eQe, avec acbamemcnt , la GUe du gouremenr de 
Blsje. 

Ce ne tut que plus tard, lorsque des témoignages irrécusable*, tcdiu do 
madame lu dncheuo de Beny elle-même, eurent apporté la vérité anx îucnf- 
dotea, que la Bociété légitimiste de Touionee reriiit sur son premier aoci 
prodigon alors, Q Tant bien le dire, & l'innocente victime dm passions poUtlqM 
dca roanines non équiroqnea d'ertime et do sympathie. 



CHAPITRE XIX. 379 

Je vous prie d'offrir à M™® Bugeaud mes respectueux 
hommages et Tassurance de mon dévouement sans bornes. 

Chavoix. 

Partie de Bordeaux le 8 juin, V Agathe n'arriva à 
Palerme que le 5 juillet. Voici la dépêche du général 
Bugeaud, écrite sur le bateau même et rendant compte 
au maréchal Soult de sa mission : 

Le général Bugeaud au président du Conseil, maréchal duc de 

Dalmatie, ministre de la Chierre. 

Rade de Palerme, le 5 juillet 1833. 

Monsieur le maréchal, 

Je n'attends pas le débarquement pour vous écrire. On 
aperçoit un brick qui appareille et que l'on croit français, je 
veux saisir l'occasion, me réservant de vous rendre compte 
du débarquement, et des nouvelles que j'apprendrai, par une 
autre lettre ou à la fin de celle-ci. 

Notre traversée a été souvent contrariée par les vents ou 
par les calmes. 

La duchesse de Berry s'est parfaitement portée ; la terri- 
ble, l'affreuse affection de poitrine dont on parlait ne l'a pas 
fait tousser une seule fois ; sa fille a beaucoup profité. 

Dès son entrée sur le navire, les manières de la Duchesse 
avec moi, mon aide de camp et M. Ménière, ont complète- 
ment changé. Elle nous a mis à l'écart avec une affectation 
qui tient de l'enfantillage et annonce de la petitesse d'esprit. 
Elle a oublié nos soins, nos égards pendant sa captivité de 
Blaye, et nous a traités presque comme si nous avions été 
pour elle des geôliers farouches. Par opposition et pour 
mieux nous faire sentir l'acerbe de ses procédés, elle a 



380 



LE MARÉCHAL BDGEAVD, 



comblé de politesses tonte la marine, elle allait jasqa'ft 
prendre le bras à un simple élève. Enfin, elle vient de don- 
ner une gratification de '20 jours de solde b. toat l'éqnlpage. 

Voyant son intention bien formelle de me mortifier, je me 
suis renfermé dans ma dignité et je me suis contenté de Int 
demander de ses nonvelles nne fois par jour. 

Le commandant du brick français (M. Noiette, capi- 
taine de corvette), qni était en rade depnis hier, arrive k 
notre bord. Il nons annonce qne les gouvemenrB de Naples 
et de Palerme ne sont pas prévenus de l'arrivée de la du- 
chesse de Berry, que le consul français est dans la même 
ignorance, que rien n'est préparé pmir recevoir la Prin- 
cesse. M. le comte Lncchesi est seidement arrivé hier au soir 
à Palerme. 

Le brick repartant aur-le-cliamp pour Toulon, je fenne 
ma lettre sans ponvoir vons donner d'autres renseiguementR. 

Itecevez, monsieur le maréchal, l'assurance de mon pro- 
fond respect. 

TÎDGEACn. 



Eu même temps qu'il écrivait à Paris, le général 
Bugeaud adressait au consul de France la lettre sui- 
vante, afin d'obtenir des autorités napolitaines un 
procèB-verbal du débarquement de la princesse. 

Le gttiiral liut/eaud au consul de France, à Palerme. 



En mdi do Palerme, 8 jaillct 1803. 

Monsieur, 
Je m'empresse de vous envoyer nne dépêche de M. le mi- 
nistre des Relations Extérieures. Probablement vous en 
aurez reçu le duplicata par l'Italie. 



CHAPITRE XIX. 



381 



Il y est sûrement question d^one pièce qne je sais chargé 
de réclamer des autorités siciliennes, qni atteste le débarque- 
ment de la duchesse de Berry et de son enfant à Palerme. 
Sans doute, le ministre, ainsi que moi, compte sur vos rela- 
tions amicales avec elles pour l'obtenir. Mais je crois qu'il 
faut joindre à cela la plus grande célérité. Si nous laissons 
débarquer la Duchesse avant de demander la reconnaissance, 
avant d'avoir dressé et même fait signer la pièce, nous ne 
l'aurons pas (1). La Duchesse craint infiniment de donner le 
moindre papier dont le Gouvernement puisse tirer avantage. 
Il faut donc, selon moi, faire sur-le-champ cette demande à 
qui de droit ; si l'on accède, dresser et faire signer la pièce 
pour qu'elle me soit rendue au moment du débarquement. 

Dans le premier moment d'effusion, on ne refusera pas 
une chose contre laquelle on se raidirait peut-être plus tard. 
C'est pour atteindre ce but que je me suis dépêché de vous 



(1) 



Signor générale, 



Mi ë pervenato il di lel pregiatisaimo 
foglio datato oggi stesso, ool qoale ti è ella 
compiaduta rendenni oosapcTOle del se- 
gaito arrivo in qaesta in baona sainte di 
S. A. R. la dnchessa di Beny, di gna figlia 
c (lel suo seguito a bordo délia frcgata I'^- 
çata. 

Nello accujBare io qnindi a lel, signor gé- 
nérale, la ricezione del di lei saooennato fo- 
gllo, e nel render le in oontraocambio i miei 
ringraziamenti per la commnnicaiione, che 
si ë servita di farmene, mi reoo ad onore di 
farle in riscontro conoscere, che la prelodata 
S. A. R. la dnchessa di Beny di nnita a sua 
flgiia, ed al suo segnita ë de già disbarcata 
in qnesta, in bnona sainte dal bordo délia 
fregata di sopra enunciata, aile ore ft po- 
meridiane di questo stesso giorno. 

Lo prego intanto di aggradire le protes- 
tazione délia mia maggiore oonsiderazione 
mentre ho Tonore di essere, 

Di lei signor générale, 
Devotissimo oblig<> servo, 

Il principe di Campo-Formio. 

Falermo, 6 luglio 1838. 



Monsieur le général. 

Je viens de reoevoir votre trèt appréciée 
lettre, en date d'aujourd'hui même, par la- 
quelle il vous a plu de me faire savoir Tarri- 
vée immédiate dans cette ville, et en bonne 
santé, de S. A. B. la duchesse de Berry, de 
sa fille et de sa suite, à bord de la fipégate 
VAgaÛie. 

En conséquence, monsieur le général, en 
vous accusant réception de votre lettre et 
en vous remerciant, en échange de la com- 
munication que vous avez bien voulu me 
faire, je tiens à honneur de vous faire connaî- 
tre, à mon tour, que S. A. R. la duchesse de 
Berry, avec sa fille et sa suite, est débarquée 
en cette ville, en bonne santé, de ladite fré- 
gate VAgathe^ aujourd'hui même, à cinq heu- 
res de l'après-midi. 

Je vous prie de recevoir les assurances de 
la plus haute considération avec laquelle j'ai 
l'honneur d'êtrts. 

Monsieur le général, 
Votre très dévoué et très obligé 
serviteur. 
Le prince de Campo-Fobkio. 

Païenne, 6 juillet 1833. 



382 ^mabschE^Û^Âd^ 

envoyer mon aide de camp ponr voue prter de ne venir h 
bord qn'après avoir uégocié cette affaire. 

Il est évident que pins les autorités qni signeront la pièce 
seront élevées, meilleure serait-elle. 

S'il y avait refus, il vous resterait peut-être & réunir 
une commission composéede voaamîs pour signer un procèfl- 
Terbal de débarquement; mais je donte qu'au pis aller, le 
commandant du port nous refuse une pièce que, dans tons 
les cas, il nous faut demander pour lu responsabilUr per- 
sonnelle du général et du commandant de ta /n-^ale TA- 
getbe. 

L'énonciation anivante, ou l'équivalente, doit se tronver 
dans la pièce : 

s M. le général Bugeand, membre de la Chambre des 

« députés de France, escortant M'"' la duchesse de Berry, 

« princesse des Deux -Siciles, est arrivé anjoardhni devant 

« Palerme sur la frégate VAgatke, commandée par le capi- 

« taine Turpin, à (henre). La Princesse est débarquée, ac- 

« compagnée de sa fille et de la noarrîce, de M. le comte de 

« Ménars, son écuyer, de M, le prince et M"" la princesse 

« de Beaufremont et de ses domestiques, etc. b 

Au reste, votre habitude des affaires, jointe anx ïnstractions 
du ministre, me garantit que cette petite négociation aem 
en tout point menée il bien. 

Pour vous donner dn temps, noas allons traîner en lon- 
gneur les préparatifs du débarquement. 

A présent il me reste à vous prier de vouloir bien me pro- 
curer des journaux de France, car j'en suis affamé. Us me 
manquent depuis lu 7 juin inclus. 

H«cevez, etc. 

BUGEAl'U. 



CHAPITRE XIX. 383 

Le général Bugeaud ne séjourna pas à Palerme et 
reprît avec empressement le chemin de la France. Le 
docteur Ménière, qui avait été, on se le rappelle, une 
des personnes désignées par M"* la duchesse de Berry 
elle-même pour raccompagner jusqu'à Palerme, de- 
meura quelque temps en Sicile. Voici la lettre, fort 
curieuse, écrite par le docteur au général, et qui nous 
donne sur l'attitude de la cour de Naples à Tégard de 
la princesse des détails tout à fait inédits : 

M. le docteur Ménière au général Btigeaud, à Excideuil. 

Naples, le 27 juiUet 1888. 

Mon cher général, 

Vous trouverez peut-être que j'ai un peu tardé à tenir 
ma promesse, mais écoutez mon histoire et vous me par- 
donnerez. 

A peine étais-je débarqué, que j'appris qu'il me serait dif- 
ficile de quitter le pays aussitôt que je l'avais projeté. Les 
fêtes de Sainte-Rosalie devant commencer le 1 1 et durer 
cinq jours, le bateau à vapeur s'était arrangé de façon à ne 
partir de Palerme que le 19 ou le 20, et je me voyais cloué 
en Sicile pour quinze jours. Cela ne me souriait pas du tout. 
Après m'être installé tant bien que mal dans ce pays de sau- 
vages, j'allai faire, an bout de quatre à cinq jours, une vi- 
site à M. Deneux, qui, ainsi que l'abbé, logeait au palais 
Butera chez la Duchesse. Je trouvai le docteur fort peu en- 
chanté de son habitation; sa petite chambre à peine meublée 
était contiguë à celle des femmes, et le cher homme soupi- 
rait. Il est vrai qu'il avait l'honneur de manger à la table 



3S4 



LE MARÉCHAL BlifiEArC 



de la comtesse Lacchesi, et il ebt été henreax de cette fa- 
veur insigne, si la cuisine palermîtaine eût vain celle de 
Blaje ou de V Agathe; maie il ne pouvait manger touB ces ra- 
goûts de l'enfer, et il ne tarda paa h être tont à fait indisposé. 
Pendant que je bavardais avec lui, M"" Hansler vint me 
dire que la Princesse désirait me voir. Je paesoî dans la 
cfaambro des deux damea d'atours, et quel(iui?3 iustants après 
la Duchesse y entra, sautillant comme de coutume, à moitié 
habillée et de fort bonne humeur. Elle me fît aussitôt vingt 
questions, me demanda oîi j'étais logé, si je me plaisais k 
Falerme, etc.; elle me parla de sa tille, de M. Lnccheai. Tout 
cela me parut assez naturel. Lorsque je pris congé d'elle, je 
lui fis mes adieux, mais elle me dit qu'elle eapéraît bien que 
je ne partirais pas sana revenir la voir. Voilà pour la partie 
historique. Maintenant, voici le chapitre des cancans. Chez 
elle, la Princesse n'est que comtesse, et tout est établi sur ce 
pied de simple particnlière. Au palais du vice-roi, elle a un pe- 
tit appartement comme Altesse Royale, mais cette subtile dis- 
tinction n'a pu s'établirqu'après de longs pourparlers. 11 yeut 
gala h la conr k l'occasion de la fête de la reine mère. C'est 
surtout eu cette circonstance qne les maîtres des cérémonies 
ont été embarrassés, et beaucoup de personnages n'ont jias 
voulu assister au baisemain. Le fait est qne la voix pnblîqae 
est contre le mariage. Dans le grand monde, on en fait des 
gorges chaudes. La Duchesse sort beaucoup ; elle se promène 
presque ton» les soirs sur la Afan'wa, jolie promenade au bord 
de la mer. Elle a près d'elle M"" de lîeaufremont, et sur le 
devant de la voiture se trouve son mari, flanqué de MM. de 
Ménars et de Beaufremout. Un coureur précède l'équipage. 
J'ai vn sou appartement, qui est bien ; celui de Monsieur est 
voieia ; mats, pour dire la vérité, il y a commtmîcatîon possi- 
ble. {Nota bme, les verrooa sont chez elle.) Eu somme, l'é- 



CHAPITRE XIX. 385 

poux a toujours sa mine froide, comme vous l'avez vu à bord 
de X Agathe. 

Quand il s'est agi du départ, il y a eu une foule d'opinions 
différentes. Tous les jours, c'était un arrangement nouveau. 
Ainsi M. Deneux, l'abbé et moi, nous avions retenu nos trois 
places sur le bateau à vapeur. Le lendemain, ces messieurs 
en retenaient une quatrième pour M°*® Hansler; un autre 
jour, on contremandait cette place, M°^® Hansler devant res- 
ter jusqu'à la fin du mois. Plus tard, M°** Hansler et la 
nourrice de la petite fille devaient venir avec nous; on embar- 
quait même là chèvre, et le lendemain tout ce projet n'exis- 
tait plus. Le fait est que la Duchesse désirait se rendre & 
Naples, puis & Rome, puis & Prague en traversant la haute 
Italie. Je vous dirai même qu'au bureau du bateau à vapeur 
on avait fait inscrire la nourrice sous ce titre : ce M°*® Portier 
nourrice, et son enfant. » Il a fallu avoir un passeport pour 
l'enfant, qui est Sicilienne, et alors sont survenues les diffi- 
cultés. Il paraît que l'on a signifié à la Duchesse qu'elle ne 
pourrait aller à Naples ni en Italie. On a même ajouté que 
la cour d'Autriche lui reftisait le passage pour aller auprès 
de son beau-père, le roi Charles X. 

Le 19, j'allai faire mes adieux à la Princesse. M. de 
Ménars m'annonça, m'introduisit auprès de Madame, et 
j'eus une audience toute solennelle. Je trouvai les mines fort 
allongées, M. Deneux tout rouge, M™^ Hansler pleurant de 
chagrin de ne pas partir, etc. En passant chez la nourrice, 
je caressai la petite Anna, et, en la berçant sur mes bras, 
je l'embrassai en lui disant que je l'aimais presque autant 
que si j'étais son père. La nourrice me dit : « Oh! elle 
serait bien heureuse d'avoir un père comme vous, pauvre 
petital y> 

Voilà, mon cher général, tout ce que je peux vous dire 

T. I. 25 



386 LE MARÉCHAL BUGEAUD. 

sar ce sojet intéressant. Mon séjour à Païenne a été long^ 
mais j'en ai tiré parti. J'ai vu beaucoup de monde. J'ai été 
appelé en consultation par les gens de la plus haute volée. 
On m'a fait bien des questions, et il n'était pas difficile de 
voir le sentiment qui perçait au travers de cette cnriosité. 
Les incrédules sont nombreux. J'ai eu & démentir bien des 
bruits ridicules. On a dit, par exemple, que la Dnchease 
avait montré sur ses poignets la trace des fers qu'elle por- 
tait à Blàye. J'ai beaucoup regretté la précipitation de votre 
départ. Vous auriez pu séjourner ici sans le moindre incon- 
vénient. On ])orte de singuliers jugements quand on voit 
les choses à distance. Le général, le député eût éclipsé toute 
la petite cour de Butera, et le pubhc eût été pour vous. J'ai 
été reçu dans beaucoup de grandes maisons par des person- 
nages qui ont refusé d'aller au palais. Des dames n'ont pas 
voulu se trouver avec notre Princesse, qui ne me paraît 
pas avoir gagné grand 'chose à son changement offi- 
ciel. Si elle est forcée de rester ici, je pense qu'elle trouvera 
moyen de s'échapper. 

Adieu, mon cher général. Je ne vous souhaite rien, car 
(jue vous manque-t-il à Excideuil ou à la Durantie? Grar- 
dcz-moi un souvenir amical, car vous me devez cela pour 
prix du véritable attachement que j'ai pour vous. Oubliez 
mes boutades, mes contradictions, ma mauvaise humeur. Tout 
cela, c'est la forme ; le fond vaut mieux, j'ose le dire, et j^cs- 
père que vous m'en aurez tenu compte. Permettez-moi d'of- 
frir mes civilités respectueuses à M°^® Bugeaud et de faire pour 
elle des souhaits de bonne santé. J'embrasse très amicale- 
ment ma camarade Marie et la chère Drondron. Soyez assez 
1)011 pour me rappeler au souvenir de mesdames vos sœurs, 
et généralement de toute votre famille et de vos amis, que 
j*ai eu ravantage de connaître à Blaye. Je n'oublie pas le 



CHAPITRB XIX. 387 

cher Saint- Arnand. Croye»-moi toujours votre dévoué servi- 
teur. 

Je n'ai pas encore écrit à M. d'Argout les petites nouvel- 
les que je vous transmets. Si vous aviez quelque chose à me 
mander, écrivez-moi à Florence, poste restante. 



CHAPITRE XX. 



Retour du général Bugcand. — Confidences à son ami AL Gardère et à M. Monr- 
gues sur la presse & Paris et en province. — Session de 1838. — Attitude du 
député d*£xcideuil ; son aversion pour les journalistes. — Séance da 25 jan- 
vier. — Le duel Dulong. — Récit du général Bugeaud. — Les jonmaaxdu 
temps. — Les insurrections de Lyon et de Paris en avril 1834. — Les légendes 
de la rue Transnonnain. — Générosité du général Bugeaud. — La lettre de 
1848 an ministre colonel Charras. 



En quittant Païenne, le général Bugeaud se dirigea 
directement sur Paris, où il dut rendre compte au gou- 
vernement du roi de la délicate et pénible mission qui 
lui avait été confiée. Peu de jours après, il regagnait 
son cher Périgord oîi sa famille et ses amis l'attendaient 
avec impatience. La lettre ci-dessous, adressée à son 
ami M. Gardère, montre combien lui étaient sensibles 
les attaques de la presse : 

Le (jcntral Bugeaud à M. Gardère, à Bordeaux. 

Excideuîl, le 3 août 1888. 

Les détails que vous me donnez, mon cher Gardère, sur 
les letcs de Paris m'ont fait le plus grand plaisir. J'ai tant 
appris à me méfier de Todieuse presse que je ne crois qu'aux 
l^aroles de riionuête homme qui n'est pas journaliste. Je me 
méfie même de la presse ministérielle. Ah ! si tous les Fraa- 



CHAPITRE XX. 389 

çais jugeaient le jonmaliste comme moi, il ne serait plus 
dangereux et serait bientôt forcé de changer d'allure. Quel 
horrible despotisme que celui des folliculaire&I... Celui des 
barons, des rois et des jésuites fut-il jamais à comparer? Ont- 
ils jamais eu cette horrible puissance de dénigrement et de 
calomnie continuelle? Ont-ils ordonné aux postes du royaume 
de porter chaque jour le poison du sophisme et du mensonge 
sur toute la surface de la France? La presse vous rend 
fous et féroces d'abord, pour vous rendre esclaves et miséra- 
bles après. Et cependant, comment combattre cette hydre? 
Ce n'est qu'avec de grands dangers que nous chercherions à 
revenir à la censure. Tout le monde n'a pas encore vu les 
cornes et les grififes du monstre. Lui interdire les attaques 
contre le principe du gouvernement serait un vain palliatif. 

Je ne vois que deux remèdes : le vote , sans délibération 
pour le jury, et la presse elle-même pour combattre la presse. 
Ce dernier moyen, pour être efficace, doit être employé par 
les citoyens et non par le gouvernement. Outre que celui-ci 
n'a pas assez d'argent pour remplir l'objet, tous ses écrits sont 
frappés de suspicion par les hommes qui doivent être rame- 
nés. C'est aux hommes riches et amis de l'ordre à s'associer 
pour l'extension de la presse dans toutes les villes, dans 
toutes les provinces, mais surtout à Paris, où les journaux 
peuvent se faire mieux qu'ailleurs et se répandre de là dans 
toute la France. Serait-il difficile de former dans Paris dix 
sociétés de ce genre, composées de cinquante ou soixante 
membres, qui consacreraient à cela un capital qui trouverait 
son intérêt et son amortissement dans l'amélioration de la 
raison publique et le plus grand mouvement des affaires? 

Ces sociétés inonderaient la France de journaux à bon 
marché , quoique bien faits et intéressants sous tous les rap- 
ports. On chercherait 9 partons les moyens possibles , à ga- 



390 LE MARIÊCHAL BUGEAUD. 

gner et sartout à acheter les bons écrivains des factions. Ce 
serait une double victoire, puisqu'on ferait la guerre au 
moyen des soldats ennemis. 

Je vous invite, mon ami, à penser sérieusement à cela y 
à en parler à vos connaissances. N'est-il pas préférable de 
consacrer de l'argent à une telle entreprise et de se donner 
quelque peine, que d'être peq)étuellement exiK)sé & des- 
cendre dans la rue et k faire le coup de feu ? 

Je ne vous parle pas de mon voyage , ce serait trop long. 
Enfin tout s'est bien passé. J'ai remis à Païenne M"^ la Du- 
chesse et sa fille eu bonne 8anté,*et j'en ai obtenu un reçu qui 
m'a été donné par M. de Campo-Fonnio, père du comte Luc- 
chesi. Lo Roi m'a fait complimenter par les ministres do 
l'Intérieur et de la Guerre. Us s'en sont acquittés de la ma- 
nière la plus flatteuse. 

Mes concitoyens se disposaient à venir au-devant de moi 
on cavalcade à Excideuil ; mais je les ai surpris en arrivant 
un jour plus tôt. Dé<;us dans ce projet, ils m'ont donné une 
sérénade et un feu d'artifice improvisé. Tout Injuste milieu et 
tout le peuple y étaient avec quelques républicains ; naturelle- 
ment, ancuii carliste. Ce parti m'a en horreur, et je le paye 
de retour, (quoique moins aveugle et mieux fondé dans ma 
haine. 

Adieu, mon cher (îardére, etc. 

Si(jnc : Bugeaud. 

Les confidences du général à son préfet, M. Mour- 
guos, ne sont pas moins intéressantes. Depuis Tannée 
1831, le général Bugeaud était député et conseiller gé- 
néral d^Excideuil. Les intérêts de son département lui 
tenaient fort j\ cœur, et le préfet , M. IMourgues , était 
devenu un ami pour lui. Le jeune rédacteur du journal 



CHAPITRE XX. 391 

officieux de la préfecture, auquel il est fait allusion 
dans cette lettre, n'était autre que le grand écrivain 
Louis Veuillot, qui, plus tard, devait accompagner le 
général en Afrique et lui servir de secrétaire. 

Le général Bitgeaud au préfet^de la Dordogne. 

Excideuil, le 2 octobre 1883. 

C'est encore moi, cher monsieur Mourgues. Vous allez 
me prendre pour le plus grand solliciteur de France; mais, 
en effet, qu'est-ce autre chose qu'un député qui a la grande 
réputation d'avoir un petit crédit? N'est-il pas voué toute 
sa vie à être solliciteur? 

Nous avons détruit^ les manœuvres de l'ancienne cour, 
les favoris titrés, les favorites , les courtisanes dominantes, 
la puissance du confesseur. Mais l'intrigue et l'ambition, en 
quittant les Tuileries et Versailles, se sont subdivisées à 
l'infini et ont envahi la ville et la province. 

En y bien pensant, nous avons tort de craindre la ré- 
publique, tant que le plus petit emploi aura mille postu- 
lants. L'amour des places, l'égoïsme, dirigent presque toutes 
les actions; ils président à l'élection d'un député, forment 
l'opposition et grossissent la majorité. 

C'était bien la peine de déclamer, quarante ans, contre la 
corruption des cours, pour arriver à la dilater sur tout le 
corps social! Avant, elle était cantonnée comme une épi- 
zootie ; aujourd'hui elle est partout, comme le choléra. C'est 
sans doute un moyen de gouvernement, et peut-être le nôtre 
n'est-il si difficile à établir qu'en raison du mélange de vertu 
et de corraption qu'on remarque dans notre Parlement. 

Une bonne majorité corrompue, sous un ministère habile, 



302 LE MARÉCHAL BCGEAtD. 

ferait Lien les affaires du pays. Il est eniel de le dire, mais 
c'est comme cela!... 



J'espère un l»on succès pour notre journal (le Mémorial) : je 
lui ai fait adresser nombre d'abonnements. II me parait être 
dans les besoins de la morale politique du département. On 
est si las de l'exagération, du mensonge, de la calomnie!... 
Je conseille à notro rédacteur d'extraire les morceaux des 
meilleurs journaux (eu indiquant la source, ce qu'il ne fait 
]ias). et quelques-uns des articles les plus enragés du Cour- 
7'i' i\ du yational, de la Tribune, du Corsaire, avec un pe- 
tit commentaire. 

Des dieux fine nous serrons, voyez la différence! 

Le Figaro est un journal peu connu dans le département ; 

il y a parfois des articles fort piquants qui pourraient égayer 

le Mtmorial. 

Votre affectionné et dévoué. 

Signé : BroEAUD. 

Rentré à Paris à la fin de Tautomne 1833 pour la 
session des Chambres, le général prit, selon son habi- 
tude, une part active aux travaux parlementaires. 
Toutes les questions qui toudiaient, de près ou de 
loin, i\ rarniee, étaient traitées par lui. Or, comme il 
connaissait parfaitement les choses dont il parlait, il 
('tait toujours écouté par la Chambre, dont il ne man- 
quait jamais d'éclairer Tophiion. Les utopies gouver- 
nementales, les théories révolutionnaires , trouvaient 
en lui un adversaire passionné. Sa franchise, son bon 
sens, sa hardiesse d'idées et d'opinions exaspéraient 
les journaux d'opposition. 



CHAPITRE XX. 393 

d Aux uns et aux autres, » écrivait en 1851 un bio- 
graphe du maréchal, M. Bezancenetz, a il disait sa pen- 
sée avec une netteté et sou vent une rudesse de langage 
qui ne tardèrent pas à le faire mettre au ban de cette 
presse prétendue libérale qu'il caractérisait avec tant 
de vérité en la nommant plaisamment Y aristocratie de 
récrttoire. Avant même que, par ses actes, le général 
fût mis hors la loi des journalistes de l'opposition, 
ceux-ci, ayant compris qu'ils avaient affaire à un ad- 
versaire qui ne leur laisserait ni paix ni trêve, lui dé- 
clarèrent une de ces guerres acharnées de publicistes 
à homme politique, dans laquelle il est bien rare que 
le second ne succombe pas. Les grosses pièces et l'ar- 
tillerie légère de la presse opposante furent dirigées 
contre lui. Sa vie fut scrutée pour la calomnier ; on 
travestit ses paroles ; ses intentions furent incriminées ; 
le mot d'ordre était donné partout, et Ton espéra en 
avoir raison par le ridicule, l'intimidation ou la calom- 
nie. Cette fois, les calculs des journalistes se trouvè- 
rent faux. Ils s'étaient attaqués à un homme qui ne 
prenait pas au sérieux le quatrième pouvoir de l'État 
et que leurs attaques ne préoccupaient que très mé- 
diocrement. y> (En cela, croyons-nous, le biographe se 
trompe.) « Le député d'Excideuil laissa dire les jour- 
naux et n'en marcha pas moins avec fermeté dans la 
ligne droite qu'il avait abordée, sans chercher, mais 
sans éviter les occasions d'exprimer sa pensée tout 
entière sur cette tyrannie que quelques hommes pré- 
tendaient exercer, au nom de la liberté, sur le pays 
tout entier. » . 



394 LE MARlSCHAL BUGEAUD. 

Le 25 janvier, dans une discussion sur le budget de 
la guerre , un des députés les plus exaltés de Toppo- 
sition, M. Dulong, ayant apostrophé insolemment le 
général Bugeaud, celui-ci releva le mot. Une rétracta- 
tion primitivement faite ayant été retirée, une ren- 
contre eut lieu. L'issue en fut fatale, et l'adversaire du 
général reçut une balle en plein front. Cet événement 
passionna au plus haut degré les esprits, d'autant plus 
que M. Dulong était fils naturel de M. Dupont de 
l'Eure, un des chefs vénérés de l'opposition. 

Nous avons extrait des journaux du temps quelques 
détails significatifs. Toutefois, le plus précieux docu- 
nient est sans contredit la lettre ci-dessous, adressée 
par le général à Tun de ses anciens camarades, 
^I. Fayant, commandant des vétérans en province. 
Cette lettre, commencée avant la rencontre et achevée 
le lendemain du duel, contient le récit de la sinistre 
aventure. Cette narration simple, faite sans forfanterie, 
sans passion, mais aussi sans regrets hypocrites et sans 
faux attendrissement, montre bien le caractère du gê- 
ner al. 

Lr f/ctural Bugeaud au capitaine Fayant. 

Paris, le 28 janvier 1834. 

Mon cher Fayant , 

Le ministre m'a promis formellement que vous seriez sur 
la ])reniière ordonnance de nomination de la Légion d^hon- 
neur, comme otîicier. Le général Sc^hneyder m'a dît que le 
travail était préparé. 



CHAPITRE XX. 395 

Je regrette vivement que vous vous soyez cassé le cou dans 
ces vétérans; c'est bien vous qui l'avez voulu; sans cela, 
vous seriez chef de bataillon depuis plus d'un an. Mais je 
vous conseille de prendre votre retraite bientôt, elle sera 
presque aussi bonne que celle d'un chef de bataillon, et puis, 
nous avons peut-être à redouter qu'on modifie la loi du 
11 avril 1831. 

Vous avez eu des désagréments, des peines, des ennuis 
dans votre position. Eh bien! je vous assure que ma situation 
n'est pas agréable. Je n'ai le temps ni de boire ni de manger ; 
je suis assailli de partout par des milliers de solliciteurs ; 
ajoutez la Chambre, qui seule peut occuper bien assez, puis 
ma brigade, et vous jugerez de mes embarras. 

30 janvier 1834. — Je viens d'avoir une affaire. Dans la 
séance du 25, j'ai dit, de ma place, à Larabit : « On com- 
mence par obéir, et l'on réclame après. y> M. Dulong me cria 
de sa place : « L'obéissance conduit-elle jusqu'à se faire 
geôlier? j> 

: i Je fus lui demander raison de cette injure. Il s'excusa, 
mais imparfaitement, ce A demain, » lui dis-je. Le lendemain, 
il consentit à écrire une lettre eux Journal des Débats, qui seul 
avait rapporté l'outrage. Le lendemain, la lettre ne parut pas : 
j'appris qu'il l'avait retirée. Une nouvelle explication était in- 
dispensable. Je compris bien vite que les bousingots l'avaient 
poussé à retirer sa déclaration et l'excitaient à se battre. Je 
dis qu'il fallait la lettre ou le combat. Us ne voulurent faire 
aucune concession ; je pris leur heure, et je choisis l'épée. Les 
témoins de Dulong ne voulurent jamais. « Eh bien I Messieurs, 
nous tirerons chacun un coup de pistolet, et nous prendrons 
Tépée, s'il n'y a pas de résultat. » Même obstination dans le 
rejet. Je proposai successivement deux coups de pistolet et 
répée, le sabre, le fusil, et, sur leur refus de tout, je proposai 



396 LE MARECHAL BUGEÂUD. 

par dérision le bâton. Enfin, fatigaé d'une si longne discus- 
sion, je finis par dire : a Eh bien ! Messieurs, puisqu'il faut que 
Toffensé fasse toutes les concessions, je me battrai au pisto- 
let, jusqu'à ce que l'un des deux soit sur le carreau. > 

Hier, à dix heures du matin, nous nous sommes rencon- 
trés au bois de Boulogne ; on nous a mis à trente pas, pou- 
vant marcher l'un sur l'autre jusqu'à vingt. Je l'ai couché en 
joue deux fois pour le faire tirer, mais sans succès ; arrivés 
à la limite, j'ai cru prudent de me donner le premier feu, 
ayant une très bonne arme. Ayant abaissé mon pistolet dans 
la ligne de son nez jusqu'à sa cravate, mon coup est parti 
contre ma volonté, et je lui ai cassé la tète. Il est tombé raide, 
et il a respiré jusqu'à ce matin à six heures. 

Ce malheureux était le plus grand insolent du côté gauche. 
Le malheur arrivant, il vaut mieux qu'il soit tombé là 
(jfu'ailleurs. Les dieux ont été justes. Vous voyez comme il 
m'avait outragé! 

J'avais expressément demandé avancement de bourse 
pour votre fils et le petit Desramières; j'apprends que Des- 
ramières Ta seul obtenu, à cause de ses bonnes notes. Je 
vais insister de nouveau pour vous. 

Votre amî, 

BuGEAUD. 

Voici en quels termes fut rapporté Févénement par 
le Messager du 30 janvier 1834 : 

Une rencontre fatale a eu lieu ce matin au bois de Bou- 
logne, au rond-point du Cèdre, entre M. Dulong, député, et 
son collègue M. le général Bugeaud. L'arme convenue était 
le pistolet. 

Les témoins de M. Dulong étaient MM. Georges Lafayette 



CHAPITRE XX. 397 

et le colonel César Bacot. Ceux de M. Bugeaud étaient le 
général de Rumigny et le colonel Lamy. 

Les deux adversaires ont été placés à quarante pas. Ils se 
sont avancés Tuà sur l'autre et tenant tous deux le pistolet 
ajusté. Ils avaient à peine fait chacun deux pas, lorsque le 
général Bugeaud a tiré. M. Dulong est tombé sur le coup ; 
la balle, ayant frappé le rebord du chapeau de M. Dulong au- 
dessus du sourcil gauche, a pénétré dans la tête et n'est pas 
ressortie. 

M. Dulong a été saigné sur le terrain par M. Jules Clo- 
quet et ramené chez lui, rue de Castiglione, en voiture, par 
M. Georges Lafayette. A deux heures, on lui a fait une seconde 
saignée très abondante. Depuis qu'il a reçu le coup, le blessé 
n'a pas repris connaissance un seul instant. A quatre heures 
il vivait encore, mais la gravité de sa blessure laissait bien 
peu d'espoir. 

Tous ceux des amis et collègues de M. Dulong qui avaient 
été prévenus de ce déplorable événement, se sont empressés 
de se réunir autour de son lit de douleur. On s'est entendu 
là pour faire porter cette nouvelle par un exprès à M. Du- 
pont de l'Eure, le parent et le meilleur ami de M. Dulong, 
et lui remettre une lettre que ce dernier lui avait écrite dans 
la prévision du malheur qui est arrivé. 

La cause du duel remonte au récit suivant qu'avait 
fait dans ces termes le Journal des Débats : 

M. LE MARÉCHAL SouLT. — Il faut qu*un militaire obéisse. 

M. Lara BIT. — M. le président du Conseil me fait observer qu'on doit obéir ; 
je le reconnais ; mais quand on est dans son droit et qu'on veut vous faire recaler, 
Messieurs, on renonce à l'obéissance. 

Voix nombreuses. — Jamais ! jamais ! 

M. LK GÉNÉRAL BcGEAUD. — On obéit d'abord. 

M. Dulong, au milieu du bruit. — Faut-il obéir jusqu'à se faire geôlier ? 
(<M7nM/ie) jusqu'à l'ignominie? [bruit ^ tumulte.) 



308 LE MARÉCHAL BUGRAUD. 

Par suite des explications auxquelles ce récit inexact 
avait donné lieu, M. Dulong avait écrit une lettre qui 
devait être insérée dans le Journal des Déhais. Mais, 
le lundi soir, le Bulletin ministériel parla de cette cir- 
constance dans les termes suivants : 

Le Journal des Débats a rapporté hier une expression ou- 
trageante adressée i)ar M. Dulong à Thonorable général Bu- 
geaud. Aujourd'hui on disait à la Chambre que Thonorable 
général en a demandé raison, et qu'il a exigé de M. Dulong 
lïne lettre qui paraîtra demain dans le Journal des Déàais. 

La manière dont la démarche de M. Dulong était présen- 
tée dans cette note décida l'honorable député à redemander 
sa lettre au général Bugeaud, en se mettant à sa disposition. 
Cette note avait ainsi fait reprendre la querelle. 

Cependant, hier encore, le général Bngeaud avait déclaré 
qu'il accepterait toutes les explications qui seraient consen- 
ties parles témoins. Malheureusement, il pan^t que Ton tenait 
à faire de cette discussion une affaire de parti. 

A deux heures, MM. Lafayette et Bacot se rendirent aux 
Tuileries, pour retirer des mains de M. de Rnmigny la lettre 
qne M. Dulong avait d'abord écrite. Mais là M. de Bumigny 
leur déclara que la lettre avait été brûlée par lui en présence 
du Boi. La déclaration écrite de la destruction de la lettre a 
été signée par M. Bugeand. 

La déplorable issue de cette rencontre fait ressortir ce qu 'il 
y a d'insensé dans les duels parlementaires, et ce que pré- 
senterait d'odieux la condaite de ceux qui auraient envenimé 
l'affaire. 

Que prouve, en effet, ce sang versé pour Thonnenr de 
M. Biigeaud ? Eu a-t-il moins été l'agent préposé à la garde 
d'une captivité illégale? 



CHAPITRE XX. 399 

Le nom de geôlier n'était pas exact ; cela est vrai. Mais 
pourquoi? parce que ce nom est celui que la loi donne aux 
gardiens légaux des prisonniers , parce qu'il ne peut être 
appliqué à l'homme qui s'est chargé de fonctions qui, étant 
en dehors du droit, n'ont de nom dans aucune langue. Le 
sang de M. Dulong ne lave rien. 

Tous les journaux républicainp, la Tribune^ le Na- 
tional et autres, dont les articles n'avaient pas été 
étrangers à cette fatale rencontre, avaient cherché, 
avec cette bonne foi qui les caractérise, à toutes les 
époques, à envenimer la querelle et à faire jouer un 
rôle odieux aux Tuileries. L'un d'eux, la Tribune no- 
tamment, terminait ainsi son article : 

Ah ! c'est que tout se tient dans un système. Entre les 
citoyens la guerre civile, entre les particuliers les duels... 
Ne voyez-vous pas du sang partout? 

Vous avez un habit de général, vous le souillerez à des 
fonctions de geôlier. Puis, il y aura un jour où votre souil- 
lure vous sera reprochée, et alors vous vous battrez, et vous 
tuerez ou vous serez tué ; et, pour que rien n'y manque, vos 
journaux exciteront, les aides de camp serviront de timoins, 
et le chef de l'État sera dépositaire des pièces et les brû- 
lera! 

Et tout ceci s'est exécuté à propos d'une question où la 
loi d'avancement a été violée, où le corps tout entier de l'ar- 
tillerie a été outragé par le caprice d'un ministre! 

Est-ce assez d'infamies? Ce soir, on danse à la cour! 

Les obsèques de M. Dulong ont eu lieu aujourd'hui et 
seront à jamais remarquables par la généreuse sympathie et 



400 LE MARÉCHAL BUGEAUD. 

l)ar le caractère de sagesse que la population parisienne a 
déployés en cette occasion. 

Dès le point du jonr, la capitale présentait sor tonte la li- 
gne comprise entre les Champs-Elysées et le Përe-Lachaise 
Taspcct d'nn vaste camp. Toutes les tronpes étaient snr 
])ied. Les rues de Rivoli et de Castiglione étaient remplies 
de gardes municipaux, de sergents de ville réunis par 
escouades/et de ces individus, reconnaissables par leur aspect 
et leur t-enuc, qui forment les brigades de la police secrète. 
Des pièces d'artillerie avaient été promenées dans les mes 
et sur les boulevards ; on savait qu'elles étaient chargées à 
mitraille, et la mècho allumée qui les accompagnait montrait 
suffisamment qu'on était décidé à s'en servir. 

Tout cet appareil de force n'a intimidé personne, et hea- 
reuscmcnt aussi n'a point fait naître l'exaspération qui sou- 
vent est produite par un déi)loiement inutile de forces hos- 
tiles. L'admirable population de la capitale (elle est éternel- 
lement admirable, cette population) remplissait tons les 
quartiers qui environnent la maison mortuaire et tons ceux 
(juc devait parcourir le cortège. Les cris de : Vive Lafayette! 
se firent entendre sur tout le parcours. 

MM. de Sa! verte, Cabet, Tardieu, Langlois, Carrel et Du- 
pont ont ])rononcé des discours patriotiques et émus snr la 
tombe du représentant du peuple. 

{Tribune y 3 février 1834.) 

Le duc (le Broglie et le comte d' Argent ayant quitté 
le ministère au mois de février, M. ïhiers reprît le por- 
tefeuille de rintérieur. 

Peu de temps après (avril 1834], éclatait la terrible 
iusurrectiou de Lyon, qui précéda de quelques jours 



CHAPITRE XX. 401 

seulement une nouvelle prise d'armes à Paris. Il ne 
nous déplaît point, en rappelant ces événements, d'é- 
voquer le témoignage d'un historien que Ton ne sau- 
rait accuser de partialité pour la monarchie de Juillet, 
nous voulons parler de M. Louis Blanc. 

Sans doute sommes -nous loin de vouloir excuser 
les douloureux incidents qui accompagnèrent la ré- 
pression de rémeute, dans ces jours néfastes, durant 
lesquels des soldats, mitraillés par les fenêtres, se 
livrèrent d'eux-mêmes à de terribles représailles. 
Mais, hélas! n'est-ce point plutôt sur les hommes qui 
avaient publiquement émis cette maxime : d L'insur- 
rection est le plus sacré des devoirs, » que l'histoire 
doit faire retomber la responsabilité du sang répandu, 
les massacres des Cordeliers de Lyon, 3u faubourg de 
Vaise et de la maison n** 12 de la rue Transnonnain ? 

Voici le début du récit cynique de ces journées ter- 
ribles des 13 et 14 avril 1834 ingénumept fait par 
M. Louis Blanc : 

Cependant Tordre est donné (par le comité de la Société 
des droits de V homme) j à plusieurs sectionnaires de descen- 
dre sur la voie publique, d'y rester un instant dans une atti- 
tude prudente, puis de disparaître. Il ne s'agit pas, leur 
a-t-on dit, de commencer l'attaque ; il s'agit de répandre 
dans l'air une agitation qui indique quelles sont les disposi- 
tions du peuple. Cet ordre fut mal compris ou mal exécuté. 
Le dimanche 13, dans les rues Beaubourg, Geoffroy-Lan- 
gevin, Aubry-le-Boucher, aux Ours, Transnonnain, Mau- 
buée, Grenier-Saint-Lazare, des barricades furent construi- 
tes par une poignée d'hommes exaltés dont il paraît certain 

T. 1. 26 



402 LE MAUECHAL BUGEAUD. 

que des agents de police aiguillonnaient perfidement Tar- 
deur. (Ceci va de soi. ) 

Da reste, partout le brait et Tappareil des armes, le mo- 
notone retentissement du rappel, les promenades circons- 
pectes des patrouilles et les cavaliers courant la ville por- 
teurs de messages redoutés. Car le gouvernement avait cru 
devoir déployer toutes ses ressources ; et c'était avec une ar- 
mée de près de 40,000 hommes, c'était avec le secours de la 
garde nationale de la banlieue convoquée, c'était avec 30 
pièces de canon braquées dans différents quartiers que les 
généraux Torton, Bugeaud, Bumigny et de Lasconrs se 
disposaient & soutenir le combat. 

L'attaque commença vers sept heures du soir, et avec 
elle le deuil de tant de familles. Un officier d'état-m^jor de 
la garde nationale, M. Baillot fils, portait des ordres à la 
mairie du 12^ arrondissement et quatre chasseurs raccompa- 
gnaient : une balle le blessa mortellement. M. ChapaiSy co- 
lonel de la 4^ légion, fut atteint au bras d'une grave blessoie 
Des soldats, des insurgés tombèrent pour ne plus se relever; 
toutefois la lutte fut courte. A neuf heures, le feu s'éteignait 
et Ton remettait au jour suivant la prise, désormais inévi- 
table, des barricades qui coupaient encordes rues Transnon- 
nain, Beaubourg et Montmorency. 

(Louis Blanc, Histoire de dix ans.) 

Ici nous trouvons, dans les notes intimes de la com- 
tesse Feray, <le graves révélations sur un fait resté 
obscur et (jue nous croyons de notre devoir d'éclaircir 

aujourcriiui complètement : 

Pendant les émeutes d'avril 1834, quelles furent nos 
angoisses ! Après une longue journée, mon père, qui était «Ion 



CHAPITRE XX. 403 

caserne à l'École militaire, rentra brisé de fatigne et de cha- 
grin. Cette lutte entre Français le désolait. Il avait servi de 
point de mire aux émeutiers, qui remarquaient de loin sa 
grande taille et sa forte tête blanche. M. Thiers, curieux d'é- 
tudier sur le terrain les manœuvres militaires qu'il a décrites 
plus tard avec tant de talent, ne l'avait point quitté, malgré 
ses instances. Mon père craignait à chaque instant de le voir 
atteint par les balles qui pleuvaient autour d'eux. 

En 1871, M. Thiers, président de la république, me ra- 
contait encore cette journée. 

Mon père fut atterré en lisant, le jour suivant, le récit 
abominable de l'affaire de la rue Transnonnain , où il était 
traité de mitrailleur, d'égorgeur de femmes et d'enfants. 
Ses yeux se remplirent de larmes, ce Mais, c'est horrible, 
disait-il, moi le meilleur ami des humbles et du brave peu- 
ple! — Il faut tout de suite protester, répondit ma mère, 
et ne pas laisser cette accusation sur ta mémoire. — Je ne 
puis pas : j'aurais l'air d'accuser mon camarade. Le géné- 
ral de Lascours, qui commandait dans ce quartier, ne pou- 
vait malheureusement pas empêcher ses soldats, assassinés 
par les soupiraux des caves, par les lucarnes, de tirer sur les 
maisons d'où partaient les coups. Il va certainement dire 
ce qui s'est passé et me disculper. Tu peux être sûre qu'il le 
fera, c'est son devoir, et il n'a guère à craindre les attaques, 
n'étant point, comme moi, la bête noire des journalistes. r> 

Le général de Lascours a gardé le silence. Aussi , quand 
mon père voyait ma mère et ses sœurs pleurer devant ces 
lâches outrages, il leur disait avec sérénité : ce Mes amies, je 
vous en prie, soyez plus calmes, croyez-vous que je ne 
souffre pas ? Dieu a été méconnu, outragé, abreuvé d'in- 
gratitude sur cette terre. Ai-je le droit de me plaindre? » 
Quand je songe que cette triste histoire est encore ex- 



USCEAL BUOEAUD. 



ploitée par les fanatiques du parti légitimiste et par ceux 
du parti républicain, je tronve que mon p&re a été Lifn gé- 
néreux. 



Dieu nous garde de vouloir troubler la sérénité de 
l'histoire par de pénibles et inopportunes réminis- 
cences; mais n'est-il pas permis de constater ici qne, 
dans les plus graves circoDstaoces de sa vie, le maré- 
chal Bugeaud eut cruellement à souffrir d'avoir été, 
par les hasards de la politique et de la hiérarchie, placé 
iV plusieurs reprises sous les ordres ou aux côtés de 
M. Thiera. Sans parler des attaques furibondes, des 
diatribes incessantes auxquelles fut en butte, durant 
toute sa vie, le maréchal, eu raison de certains faits, 
combien de gens, en effet, accolent-ils encore à son nom 
les épithètes de geôlier de Blaije^ d'exécuteur de hau- 
tes œuvres, de bourreau de Ti-ansnoimain ! Or, à 
M. Thiers incombe tout entière, comme ministre de 
l'Intérieur, la responsabilité de ces deux actes politi- 
ques : l'arrestation et la captivité de M"' la duchesse 
de Berry et la répression de l'émeute de 18.34. Par une 
singulière méprise, c'est sur le général Bugeaud seul 
qu'est constamment jusqu'ici retombée l'impopularité. 

Pendant la durée du règne du roi Louïs-Philippe, 
le maréchal Bugeaud s'abstint de toute récrimination 
et dédaigna de se justifier au sujet du rôle qui lui avait 
été attribué d'uue façon si imméritée. 11 lui en coûtait 
de relever un fait d'histoire qui n'avait à ses yeux rien 
de déshonorant sans doute, mais douloureux néan- 
moins pour le général sous lequel il s'était accompli. 



CHAPITRE XX. 405 

Toutefois, la révolution de 1848 ayant amené réta- 
blissement d'un nouveau gouvernement, et les atta- 
ques recommençant incessantes de plus belle contre le 
prétendu massacreur de Transnonnain, la patience et la 
résignation échappèrent au vieux maréchal de France. 
Son éternel rôle de bouc émissaire lui pesa, et il crut, 
pour la première fois, devoir mettre fin à une odieuse 
et mensongère légende. 

Voici en quels termes superbes et indignés Tancien 
caporal d'Austerlitz écrivit au ministre de la guerre 
de la République française, qui se trouvait alors être 
le colonel Charras : 

Le maréchal Bugeaud 
au ministre de la Guerre, M. le colonel Charras. 

Paris, 28 mars 1848. 

Citoyen ministre, 

Vous êtes mon recours naturel contre une calomnie qui 
m'aflSige et effraye ma famille, car elle se produit en articles 
de journaux, en motions de clubs, en lettres anonymes. Il 
est évident qu'on veut me vouer à la colère du peuple de Pa- 
ris, en m'accusant d'avoir ordonné le massacre de la rue 
Transnonnain en avril 1834. Eh bieni monsieur le ministre, 
je ne suis point allé dans cette rue, ni aucune fraction des 
troupes que je commandais. J'avais sous mes ordres le 32® de 
ligne, colonel Duvivier, aujourd'hui général de division, et la 
9® légion, colonel Boutarel. Il est facile de faire une enquête , 
et je viens la demander instamment pour faire cesser des 
bruits qui me révoltent. Oui! j'ai voulu défendre les lois du 



pays violemment attaquées ; mais ordonner de tuer des vieil- 
lards, des femmes, des enfants! la pensée seule m'en lait 
horreur. 

L'homme qui a éprouvé souvent l'enthousiasme pur de la 
victoire sur les ennoraîs de la France , ne peut descendre h 
des ordres liarbares. L'enquête prouvera que, loin de montrer 
delà férocitiS, j'ai arraché à de mauvais traitements une fonte 
de priBonniers. Les gardes uatiouans de la 9* légion, qni se 
trouvaient sur la place de riliîtel-de-Ville, l'attesteront, et, 
entre autres, M. Galiîs, capitaine et d^pnté. 

Après une longue carrière tonte de dévouement à mon paj's, 
après avoir soumis les Arabes de toute l'Algérie, j'étais loin 
de penser que je serais attaqué avec tant de violence et d'in- 
justice par des hommes qui font profession de patriotisme 
élevé. 

Agréez, etc. 

Thomas BuGHAro, 

Une criée minietérielle survint après les émeutes de 
Paris et de Lyon, et des élections générales eurent Uea 
au mois de juin 1834. Les événements auxquels venait 
d'être mtilé le député d'Exciileuil avaient excité contre 
lui les haines les plus farouches. Toutefois, il sortît 
vainqueur de la lutte, et en rend compte dans ces 
termes à son ami M. Gardère : 

Le gvncral Buijcaud à ^f. Gardère. d Paru. 



Eïcidcuil, lo 3" juillet I«3i. 

J'aurais dû & l'instant, mon cher Grardère, vous informer 
de mon triomphe ; mais j'avoue qu'an milieu da chaos de vi- 



CHAPITRE XX. 407 

sites, de félicitations, de dîners, de déjeuners, je l'ai oublié. 
Vous savez déjà que j'ai vaincu les deux factions réunies con- 
tre moi avec un acharnement et un ensemble incroyables. 
Tous les moyens, même les plus vils, ont été tentés pour 
m'éloigner. 

A quel degré de dépravation politique la presse nous a 
conduits! Les hommes les plus opposés de principes et de 
mœurs se sont unis dans le but de renverser et de précipiter 
la France dans le gouffre des révolutions. Cela fait horreur! 
Mais les deux oppositions, et surtout la républicaine, sont 
bien punies. Presque partout elles sont battues. La Chambre 
sera excellente, et nous pouvons espérer de meilleurs jours. 

BUGEAUJ). 

Toutefois, cette vie de luttes politiques et parlemen- 
taires, dans laquelle s'usaient cette puissante organisa- 
tion et ce robuste tempérament, allait bientôt cesser, et 
nous ne tarderons pas à retrouver le général Bugeaud 
sur son véritable terrain, devant Tennemi, en Afrique. 



FIN DU TOME PREMIER. 



TABLE DES MATIERES. 



Introduction 



CHAPITRE PREMIER. 

Nais-sancc de Thomas-Robert Bug^ud de la Piconnerle, octobre 1784. 
— Sa famille. — Contrat de mariage de son père. — Son acte de 
baptt^me. — Généalogie de la famille. — Enfance du maréchal. — La 
RévolutioD. — La prison de Limoges. — Mort de la marquise de la 
PiconDcrie. — Le vieux gentilhomme et son fils atné. — Les tantes et 
raïeul. — Fuite de Limoges. — Le château de laDurantie. — Description 
de la vieille habitation. — Éducation rustique de Thomas Bngeaud. — 
L'habit de noce. — Sévérité du père de famille. — La chasse au clair 
de lune 1 

CHAPITRE II. 

Thomas Bugeaud sollicite une place de commis dans les forges de M. Fes- 
tugièrcs. — Son engagement. — La rie de caaeme. — Sa passion pour 
l'étude. — Le premier duel. — Regrets du pays. — Le bal des blan- 
chisseuses de Fontainebleau. — Éducation d'un soldat de fortune. — 
Une lettre du général Trochu sur les imperfections du maréchal : « Le 
maréchal Bugeaud, le plus grand des chefs militaire» et le dernier des pro- 
fesseurs de guerre de l'armée française contemporaine, u 15 



410 TABLE DES MATIÈRES. 



CHAPITRE III. 



Lettres do Thomas Bugeaud à sa sœur Phillis. — Les petits rnisseaiix. <— > 
L'ami Lamothe. — Il se concilie les boxmes gr&ces de son commandant. — 
Dégoût pour « le militaire ». — Revue do r£mi)ereur. — Entreme de Na- 
poléon et du pape Pie VU. — Le couronnement. — Départ pour Oonr^ 
beyoie. — Il est sur le point de partir pour l'Italie. — Sing^ulièret moenn 
rappelant la fin du Directoire. — L'aventure de Fontainebleau. — Ses 
projeta d'entrée à l'École militaire 85 

CHAPITRE IV. 

Départ de Courbevoie. — Préparatifs de l'armée d'invasion. — Le camp 
de Wimereux. — Relation d'un combat naval ; les marins improTlsée. -* 
Les Anglais et les Hollandais. — Avortement des projets de l'Empe- 
reur 67 

CHAPITRE V. 

Lettres de Thomas Bugeaud pendant la campagne d'Allemagne (1805). 

— Les horreurs de Li guerre. — Arrivée à Vienne ; description de la TiUe 
et de SCS environs. — Espoir de paix. — Récit delà bataille d'Aneter- 
litz (2 décembre 1805). — Enthousiasme de la victoire. — Entreme des 
deux empercuTB. — Proclamation de Napoléon. — Les premiers ga- 
lons. — Retour en France. — Nouveau départ pour l'Allemagne 68 

CHAPITRE VL 

Campagne de Pologne (ISOt)). — Poursuite des Rnsses. — Récit du com- 
bat do Piiltusk. — Bugeaud est blessé & la jambe. — Il est nommé 
lieutenant (décembre 1806). — Séjour à Varsovie. — Les dames poloiud- 
ses. — Retour en Franco 91 

CHAPITRE VIL 

Thomas Bugeaud obtient un congé de semestre. — Il adresse n démis- 
sion au ministre, mais ses sœurs retiennent sa lettre. — U est envoyé en 
Esixigne. — Insurrection do Madrid. — Une aventure galante. — Siège 
et prise do Saragosse. — Il est nommé capitaine. «^ Appréciation de 
la situation de l'armée française en Espagne. — Départ de Barmgosse. 

— Combats de Maria et de Balahite. — Sa promotion an grade de com- 
mandant lOS 



TABLE DES MATIÈRES. 411 

CHAPITRE VIII. 

P«ffW. 

Siège de Lérida (1810). — Attitude des Espagnoles yis-à-ris de leurs vain- 
queurs. — Combats de Tiyisa. — Thomas Bugeaud désespère de son 
avaucement. — Immoralité des troupes françaises. » Aspirations au re- 
tour. — Le 9« léger. — Béticences patriotiques en songeant à l'armée dn 
nord de TEspagne. — Départ de l'Espagne 124 

CHAPITRE IX. 

1814. — Proclamation de Napoléon I*'. — Sa déchéance. <— > Thomas Bu- 
geaud est nommé colonel et envoyé & Orléans. — Une chanson légiti- 
miste du colonel Bugeaud. -<- Attitude du colonel Bugeaud pendant la 
période des Cent-jours. — Le colonel Bugeaud apprécié par M. le comte 
de Chambord. ; 147 

CHAPITRE X. 

Les Cent-jours. Le colonel Bugeaud à l'armée des Alpes. — Combat de 
Saint-Pierre d'Albignj, où il fait prisonniers deux émigrés français. — 
Brillant combat de Conflans-l'Hôpital. — La seconde Restauration. — 
Le colonel Bugeaud est licencié 158 

CHAPITRE XL 

liO colonel Bugeaud dans le Périgord (1815-1880). — Ses essais d'agri- 
culture. — Son activité et son goût pour les travaux des champs. — Il 
fonde un comice agricole. — Son mariage avec M^* de Lafaye. — Trans- 
formation du pays au point de vue agricole. — Le « soldat laboureur » . 
— Le colonel Bugeaud et les paysans 174 

CHAPITRE XIL 

La révolution de Juillet. — Le colonel Bugeaud reprend du service. On loi 
confie le commandement du 66* de ligne , en garnison à Grenoble. — 
Lettre de Grenoble, où le colonel Bugeaud apprécie la sitoation militaire 
de la France. — Sa haine pour les journaux et les démagogues. ^ Il 
obtient un congé qu'il va passer à Exddeuil, dans la Dordogne, où il 
achète une propriété. — Il est élu député, puis nommé généraL — I^ 
général Bugeaud, homme politique. — Lettre de M^* Sermensan (Hé- 
lène de la Piconnerie) à son frère 188 



412 TABLE DBS MATIÈRES. 



CHAPITRE XIII. 



Coup (l'œil sur la situation politique en France au commencement du 
règne du roi Louis-Philippe. — Lettres de M. Thiers, ministre de l'In- 
térieur, au général Bugeaud. — Arrestation de la duchesee de Berxy. — 
Instructions du Gouycmemcnt au colonel Chousserie, commandant de la 
citadelle de Blajc. — Le général Bugeaud est désigné ponr xemplaoer 
le colonel Chousserie. — Souvenirs de madame la comtesse Féray. — 
Arrivée & Blaje. — Impression produite par le général Bngesud sur la 
duchesse de Berry. — Le fauteuil de duvet. — Le chien Bévis. — H. de 
Saint- Arnaud. — Injustes attaques contre le général Bageand. 200 

CHAPITRE XIV. 

Coup d'œil rétrospectif sur la situation politique. — La duchesse de Berxy 
et le parti légitimiste en Franco en 1833. — Jaumal de la cUadUie de 
lilaye . — Le colonel Chousserie remet le service à son suoceseenr. -^ Ia 
Duchesse refuse d'abord de recevoir le général Bngeand. — Elle ne 
consent à le faire que quinze jours après son arrivée (le 17 février}. — 
Lettre du général Bugeaud aux ministres, relative aux mesoret à pren- 
dre envers la Duchesse. — M. de Brissac et M*" d'Hantefort. — Ia 
duchesse de Berry informe le général Bugeaud de son état et loi an- 
nonce son mariage secret. — Indisposition de la Duchesse. 2S7 

CHAPITRE XV. 

Suite du Journal de Blaye, — Le général Bugeaud échone dans les ten* 
tatives qu'il fait auprès de la duchesse de Berry pour obtenir qu'elle 
déclare les circonstances de son mariage. — H conseille la mise en li* 
berté de la prisonnière. — Arrivée du docteur Dubois. — Lettre dn 
général Bugeaud au sujet des agitations parisiennes; instmctîoiis et 
plan de défense en cas d'insurrection. — Le traité sur la Guerm dn 
rues, — Arrivée du docteur Deneuz. — Rappel du docteur KènSète, 
que le gt'néral Bugeaud déplore en insistant pour qu'on le Imiaie an« 
prcs de la Duchesse 261 

CHAPITRE XVI. 

Suite du Journal de Blaye. — Lettre du ministre de Tlntérienr au généiml 
Bugeaud. — Tactique des légitimistes. — Précautions à pxendie pour 



TABLE DES MATIÈRES. 413 

PAfM. 

constater raccouchement de la Dachesse. — Lettre de la duchesse de 
Bcrry au général Bugeaud. — Lettre du docteur Deneux. — Instruc- 
tions du Gouvernement au général Bugeaud réglant les formalités qui 
devront accompagner raccouchement de la duchesse de Beny. — For- 
mule de la convocation adressée aux personnes appelées comme témoins 
de l'accouchement de la Duchesse. — Persistance du parti légitimiste à 
mettre en doute l'état de grossesse de la duchesse de Berrj 284 

CHAPITRE XVIL 

Suite du Journal de Blaye. — Visite du comte de Choulot. — Franchise 
et simplicité du général Bugeaud avouant qu'il a été mystifié par 
ce personnage. — Conversation du général avec M. de Brissac et 
M""' d'Hautefort. Il leur reproche avec impatience leur mauvaise foi. — 
Nouvelles tentatives du général auprès de la Duchesse pour obtenir 
d'elle une déclaration. — Il propose an Gouvernement d'autoriser la vi- 
site de MM. de Chateaubriand et Hennequin. — Insistance du général 
Bugeiiud auprès du Gouvernement pour l'engager à renoncer à la 
constatation lors de l'accouchement et à s'en tenir à une déclaration de 
naissance certifiée par les témoins. — Son avis prévaut 812 

CHAPITRE XVIIL 

Fin du Journal jie la citadelle de Blaye, — Lettre à M. de Brissac et à 
M"" d'Hautefort. — Redoublement de précautions dans l'attente de l'é- 
vénement. — Le général Bugeaud jugé par M. Louis Blanc. — Accouche- 
ment de la duchesse de Berry. — Procès- verbal de déclaration. — Pré- 
paratifs de départ. — Propositions du général Bugeaud en faveur des 
officiers de la garnison de Blaye. — Dispositions particulières rela- 
tives & l'embarquement de la duchesse de Berry. — Départ pour Pa- 
ïenne 334 

CHAPITRE XIX. 

Départ de Blaye. — Opinions des légitimistes en France. — La lettre du 
docteur Chavoix. — Arrivée de la duchesse de Berry à Païenne. — Dé- 
barquement. — Le comte Lucchesi-Palli. — Remise de la princesse aux 
autorités napolitaines. — Départ du général Bugeaud. — Son retour çn 
France. — Détails adressés par le docteur Ménière sur l'intérieur du pa- 
lais Butera 870 



414 TABLE DES MATIÈRES. 

CHAPITRE XX. 

Retour du général Bugeaud. — Confidences fc son ami H. Gardera et à 
M. Mourgues sur la presse à Paris et en province. — Session de 1838. — 
Attitude du député d'Excideuil ; son aversion pour les joomalistes. — 
Séance du 25 janvier. — Le duel Dulong. — Récit du général Bageaad. 
— Les journaux du temps. — Les insurrections do Lyon et de Paris en 
avril 1884. — Les légendes de la rue Transnonnain. — Générosité du 
général Bugeaud. — Lettre de 1848 au ministre de la guerre, oolonél 
Cliarras 



FIN DK LA TABLE DU PUEMIER VOLUME. 



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