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http://www.archive.org/details/lemessiedaprslOOstee
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LE MESSIE
D'APRÈS LES PROPHÈTES
JULES STEEG
LICENCIÉ EN THÉOLOGIE.
a Je vous le dis en vérité : Beaucoup de prophètes
et de justes ont désiré voir ce que vous voyez et ne
l'ont pas vu; entendre ce que vous entendez et ne
l'ont pas entendu. » (Matlli. XIII , t 7.)
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STRASBOURG,
TREUTTEL ET WURTZ, LIBRAIRE»^-ÉDITEURS.
PARIS,
J. CHERBULIEZ, 33, RUE DE SEINE.
1867
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LE MESSIE
D'APRÈS LES PROPHÈTES
JULES STEEG
LICENCIE EN THEOLOGIE.
« Je vous le dis eu vérité : Beaucoup de |iiopliétes
et de justes ont désiré voir ce que vous voyez et ne
l'ont pas vu; entendre ce que vous entendez et ne
l'ont pas entendu.» (Matth, XIII, 17.)
STRASBOURG,
TREUTTEL ET WURTZ, LIBRAIRES- ÉDITEURS.
PARIS.
J. CHERBULIEZ, 33, RUE DE SEINE.
4867.
STRASBOURG, IMPRIMERIE DE G. SILBERMANN.
A MAURICE SCHWALB ET A PIERRE GOY.
Témoignsige d'amitié frater^nella.
« Est autem amicitia nihil aliud , nisi omnium
divinarum humanarumque rerum , cum benevolentia
et caritale, summa consensio. (Cic. de Amie, VI.)
J. STEEG.
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:SI
AVANT-PROPOS.
Un des groupes les plus considérables dans l'histoire
religieuse du monde, et l'on peut dire aussi dans l'his-
toire morale et littéraire, ce sont les prophètes hébreux.
Leurs écrits, outre les Psaumes et le livre de Job, font
toute la beauté de la littérature hébraïque. On ne sau-
rait dire s'ils furent des poètes, des orateurs, des po-
litiques; ils furent tout cela en même temps. Tribuns et
prédicateurs, conseillers des rois, instituteurs du peuple,
apôtres de Jéhovah, défenseurs des coutumes natio-
nales contre l'envahissement des mœurs et des supers-
titions étrangères, ministres et réformateurs de la re-
ligion, parfois en lutte ouverte avec les prêtres, les
princes et les magistrats; parfois fustigeant de leurs
sanglants reproches les masses populaires, ils ont oc-
cupé au milieu des leurs une place dont les autres na-
tions ne nous offrent aucun exemple. Eschyle et Dé-
mosthène, Pindare et Socrale, G. Gracchus et Gaton,
saint Paul, saint Ambroise, saint Bernard, Savona-
role, Luther et quelques autres génies, puissants par
la parole ou l'action, en reproduisent vaguement quel-
ques traits épars. S'ils n'exercèrent qu'une faible in-
^uence sur leurs contemporains, plus accessibles aux
entraînements de la mode qu'à la voix sévère des pro-
phètes, ils n'en furent pas moins, dans la suite, par le
souvenir de leurs paroles et par leurs écrits, les fonda-
teurs ou les restaurateurs de la piété Israélite. G'est
grâce à eux que leur peuple a été une des plus vives lu-
s. 1
2
mières du monde. C'est eux qui furent les vrais pré-
parateurs du christianisme. Jésus aimait à méditer et
à expliquer leurs livres. La prédication apostolique est
pleine d'idées et d'images qui leur sont empruntées. Ils
ont répandu à flots sur la chrétienté des trésors d'élo-
quence et de poésie. Ils ont inspiré tous les grands ora-
teurs de l'Église, les Pères, les moines errants du
moyen âge, les réformateurs, les Puritains et les Cami-
sards, Bossuet, Whitefield et Parker.
Malgré cette notoriété éclatante, les prophètes sont
mal connus. On confond leur doctrine avec celle des
apôtres et des théologiens. On les voit, non tels qu'ils
ont été, mais tels que la tradition les représente. Il est
un point surtout, le centre et le nœud de leur enseigne-
ment, que d'épaisses ténèbres recouvrent: ce sont leurs
idées sur l'âge messianique, sur le Messie et sur son
œuvre. Non pas qu'ils n'aient clairement et assez lon-
guement développé leur pensée à cet égard ; mais on
n'a pas cherché à la connaître. On s'est contenté d'ex-
traire de leurs écrits des oracles détachés, des mots,
des versets, pour en composer une description prophé-
tique, une préfiguration des événements de la vie de
Jésus-Christ et de l'histoire de son Église. On s'est jeté
en pleine allégorie; on a vu partout des tjpes; on a dé-
tourné de leur sens les expressions les plus simples
pour y lire des prédictions biographiques ou les dogmes
de l'Église. Ce procédé était certainement conforme
aux habitudes d'esprit qui ont régné pendant tant de
siècles; mais il ne pouvait être qu'une source d'erreur
et d'obscurité. Aujourd'hui qu'on a plus de souci de la
vérité historique, d'autres méthodes doivent prévaloir.
Pour avoir une idée nette et précise de la doctrine
3
messianique des prophètes, voici ce que nous avons
fait: nous avons pris chacun d'eux selon son rang
chronologique, et nous l'avons interrogé, en dehors de
toute prévention et de tout parti pris; dans ce but, il
fallut les traduire complétenient et à nouveau. Après
avoir recueilli tour à tour les réponses de chacun, nous
les avons rapprochées et comparées; nous en avons
constaté les ressemblances et les différences; nous
avons cherché dans les événements du temps l'explica-
tion des unes et des autres, et nous avons exposé sim-
plement ce que nous avions loyalement découvert. Il se
peut que nos résultats ne soient pas irréprochables,
mais notre méthode est bonne. C'est la seule que des
hommes de sens suivent désormais en ces matières.
L'ordre chronologique n'est pas celui dans lequel
les prophètes ont été rangés par les rabbins qui ont re-
cueilli leurs oeuvres. Elles sont pêle-mêle; c'est la taille,
et non l'âge des livres qui a déterminé leur position :
les trois plus gros précèdent, les autres suivent un peu
au hasard. Il y a cependant comme un essai de chro-
nologie dans la série des petits prophètes, ainsi appelés
parce que leurs écrits sont moins volumineux. En tout
cas, rien de plus naturel que de chercher à rétablir
l'ordre véritable, dût-on changer la disposition adoptée
par les rabbins. D'ailleurs la plupart des prophètes in-
diquent eux-mêmes sous quels règnes ils ont vécu; lorS'
que ces indications (soit de leur main, soit d'une main
étrangère) sont absentes, le contenu des écrits met faci-
lement sur la voie. Ainsi, qu'un prophète ne connaisse à
son peuple d'autres ennemis que Tyr et Sidon, les Phi-
listins et l'Egypte, il est tout simple d'en conclure
qu'il précède les grandes invasions assyriennes et chai-
N
4
déennes; qu'un autre exalte les victoires de Cyrus et
qu'il en tire des sujets de joie et d'espérance, on recon-
naît aussitôt qu'il vit à la fin de l'exil; qu'un autre
nous parle du temple reconstruit, qu'il condamne tout
ensemble les mariages avec les femmes étrangères et
les divorces trop facilement consentis, ce sont là des
traits, entre plusieurs autres, qui annoncent l'époque
d'Esdras et de Néhémie. C'est en s'appuyant sur les
principes les plus élémentaires de la critique qu'on est
parvenu à établir la date approximative de chaque pro-
phète.
Comme les rabbins avaient mêlé les dates, ils ont
aussi confondu, sous un même nom d'auteur, des
œuvres très-diverses : en revenant à la réalité histo-
rique on est amené à distinguer, par exemple, trois
Esaïe, trois Zacharie, où ils n'en avaient vu qu'un seul.
Des trois Ésaïe, l'un^ vécut sous les règnes d'Achaz,
d'Ézéchias, et fut témoin de la chute du royaume
d'Éphraïra, dans le huitième siècle; un autre- vivait
dans l'exil, au sixième siècle, et fut contemporain de
Cyrus : les faits racontés, les idées, le langage, les dé-
clarations expresses de ces deux prophètes indiquent
clairement leur époque; un troisième Esaïe ^ qu'il faut
placer entre les deux autres et qui est moins important,
nous montre la terre sainte ravagée, les habitants partis
pour l'exil ; il est resté pour maudire l'odieuse conduite
des Moabites, qui ont lâchement profité des désastres
* Ésaïe -1 à 39.
2 Ésaïe 40 à 66.
3 Ésaïe 24 à 27. Nous ne voulons rien préjuger ici sur d'autres
fragments qu'on pourrait contester encore au premier Ésaïe ou à
Jérémie. Ces détails n'importent pas à l'objet spécial de notre étude.
5
d'Israël, et pour prêcher l'espérance aux quelques Is-
raélites demeurés dans leur triste patrie. Cet Esaïe ne
peut raisonnablement se confondre avec aucun des deux
autres, ni les deux autres ensemble. On ne peut plus
soutenir l'identité des trois que par amour du paradoxe.
Il y a aussi trois Zacharie : le premier en rang est
le dernier en date; il a prophétisé sous Darius, fils
d'Hystaspe, vers 520^. Il suffit d'une étude même su-
perficielle pour distinguer les huit premiers chapitres,
qui lui appartiennent, des chapitres qui suivent : c'est
un autre ordre d'idées, d'autres faits, une autre forme
littéraire, un autre âge. Le plus ancien des trois ^ con-
naît déjà les Assyriens; mais il prophétise dans un
temps où les deux royaumes d'Éphraïm et de Juda sub-
sistaient encore côte à côte : tous les traits de son livre
concordent parfaitement avec ceux d'Osée; ce sont les
mêmes craintes, les mêmes dangers, les mêmes enne-
mis, les mêmes menaces, les mêmes perspectives. Il
convient donc de le placer à peu près dans la même
époque. Les détails confirment ce que nous ne faisons
qu'indiquer. Le second Zacharie^ ne dit plus mot du
royaume du Nord; il ne connaît, il n'aime que Juda;
il ne craint que pour la montagne de Sion; il vit donc
après la ruine de Samarie, avant la prise de Jérusalem,
peu de temps après la bataille de Mégiddo, où Josias
perdit la vie (609), et dont le souvenir lui arrache en-
core des larmes*. Il prévoit que Jérusalem va être as-
siégée; il semble même assister du dehors au siège.
1 Zacharie 1 à 8.
' Zacharie 9 à i ^ .
3 Zacharie 42 à 14.
* Zacharie XII, 41.
6
Gela ne signifierait rien chez Zacharie, fils de Béréchie,
contemporain de Darius. On est ici au début de l'inva
sion chaldéenne, au temps de Nébucadnetzar, de Jéré-
mie^
Au reste, ce sont là des problèmes d'histoire, de cri-
tique, de pure érudition. On assure qu'il y a des gens
qui apportent à ces questions de la passion et de l'a-
mertume. Gela paraît difficile à croire. L'intérêt de la
religion, disent-ils, est enjeu. Nous ne voyons pas ce
que la religion peut avoir à craindre du plus ou moins
de sagacité des rabbins qui se sont chargés de réunir
en un seul corps les livres hébreux. Eussent-ils com-
mis les plus grossières méprises , la religion n'aurait
rien à perdre à ce qu'on les corrigeât. Bien plus 5
comme l'intérêt de la religion ne peut se séparer de
celui de la vérité, il nous semble qu'elle ne pourrait
qu'en tirer profit. Et même, s'il faut tout dire, c'est
au nom de la religion chrétienne et avec une intention
apologétique, que nous avons commencé cette étude
sur les prophètes, et que nous en livrons au public
les résultats. Voici comment nous l'entendons.
Pendant longtemps, ceux qui entreprenaient la dé-
fense du christianisme vis-à-vis de ses détracteurs, ne
connaissaient pas de meilleure démonstration que les
miracles et les prophéties. Ils disaient : l'établissement
de la religion chrétienne a été accompagné de miracles
éclatants; or un miracle est un signe manifeste de l'in-
tervention divine; donc la religion chrétienne est d'ins-
titution divine. Mais on s'est mis à contester les pré-
misses de ce raisonnement, et la conclusion s'est
trouvée dans le vide. On a nié que ces miracles eussent
^ Voy. les intéressants travaux de Knobel , d'Ewald.
réellement eu lieu , que les documents qui les rappor-
tent fussent des garanties suffisantes pour des faits si
extraordinaires; on a constaté que toutes les religions
s'appuient également sur des miracles; on a soutenu
que des faits matériels, quelque inexpliquables qu'ils
soient à la science humaine, ne peuvent témoigner en
faveur de la vérité et de l'excellence d'une doctrine re-
ligieuse et morale, parce qu'il convient que les preuves
et la chose prouvée soient de même ordre; on a pro-
testé enfin que Dieu est également présent dans toutes
ses œuvres et que le cours régulier de la création est
la marque de son intervention permanente. Les apo-
logistes de la religion chrétienne disaient aussi : la
plus grande des preuves, ce sont les prophéties. Une
suite d'hommes inspirés, pendant quatre mille ans,
ont annoncé dans tous ses détails la naissance, la vie
et la mort de Jésus-Christ, son œuvre et son Église.
Toutes ces prophéties se sont réalisées, et témoignent,
par cet accord surnaturel entre la prédiction et l'effet,
de la divinité du christianisme. Mais il se trouve qu'on
peut tourner la défense en attaque: on répond qu'un
examen attentif des prophéties démontre qu'elles ont
eu lieu dans un sens tout ditïérent de celui où les
prend l'Eglise; que la plupart ne se sont pas réalisées
parce qu'elles étaient irréalisables; qu'il faut faire une
singulière violence aux textes hébreux, pour y lire le
Nouveau Testament; que dans ce dernier l'on recon-
naît, à ne s'y pas méprendre, un effort réitéré pour
introduire dans l'histoire de Jésus certains traits de la
prophétie; et que même la rencontre entre les vues
messianiques des prophètes et celles de Jésus, si elle
était certaine, tournerait au préjudice du fondateur de
\
la religion chrétienne, parce qu'elle le rabaisserait au
niveau des préjugés et des erreurs de la nation juive.
Ces objections sont considérables. Ce qui ajoute en-
core à leur force, c'est qu'elles ne proviennent pas
d'ennemis de la religion chrétienne, mais de ses plus
intelligents et dévoués adhérents. Ils pensent que cette
vieille méthode apologétique est usée , comme la con-
ception particulière du christianisme, à la défense de
laquelle on l'employait. Pour eux, le christianisme
n'est pas un ensemble savamment construit de dogmes
qui s'enchaînent, et qu'il faut accepter en bloc sur la
parole de l'Église, sur la garantie des Écritures, et en
vertu d'un syllogisme fondé soit sur les miracles, soit
sur l'accomplissement des prophéties, soit sur la cor-
ruption native et la misère de l'homme. Ce n'est point
une série de faits merveilleux ou de doctrines mysté-
rieuses, si étroitement et solidairement unis que qui
touche l'un touche l'autre. Le christianisme tel qu'ils
l'entendent est un principe de vie religieuse que l'his-
toire fait remonter jusqu'à la personne et à l'enseigne-
ment de Jésus-Christ, mais qui a ses attaches dans le
cœur humain, qui n'a besoin d'autre apologie que lui-
même, qui se démontre aux âmes pieuses comme la
lumière aux yeux clairvoyants, qui est confirmé par
des miracles incessants d'abnégation , d'enthousiasme ,
de vertu, d'austérité, d'amour, et qui a été prophétisé
dans tous les âges, dans tous les lieux, dans toutes les
langues par l'instinctive aspiration de l'humanité vers
Dieu.
S'il en est ainsi, la tâche des défenseurs de la reli-
gion chrétienne est transformée. Loin d'entrer en lutte
avec la critique pour conserver intactes toutes les doc-
9
Irines de l'Église, loin de craindre les objections, les
doutes, les innovations, ils doivent nnontrer que la re-
ligion chrétienne n'a rien à redouter des investigations
quelconques de la science, de l'histoire, de la philo-
sophie; qu'elle ne peut que briller d'un plus pur éclat
à mesure que se fera la lumière sur toutes les ques-
tions débattues parmi les hommes; qu'elle ne peut que
gagner à se dégager d'une solidarité compromettante
et injuste avec les traditions et les systèmes, quelque
ingénieux, vraisemblables et respectables qu'ils soient
d'ailleurs; que même, à vrai dire, elle appartient do-
rénavant à l'humanité tout entière, qu'elle en est l'âme,
la gloire, la consolation, et qu'à ce titre elle ne peut
avoir pour adversaires que ceux qui ne la connaissent
pas ou ne se connaissent pas eux-mêmes. Les défen-
seurs de la religion chrétienne ne se laisseront donc
devancer par personne dans la recherche, dans la cri-
tique; ils ouvriront eux-mêmes la voie et pousseront
plus loin que les autres; ils auront tout intérêt à dé-
couvrir sur tous les points la vérité et l'erreur, non
que leur foi dépende de l'authenticité d'un écrit, de la
réalité d'un fait, de l'interprétation d'un texte, mais
parce que la religion chrétienne, étant l'éternelle vé-
rité, satisfait d'autant mieux les cœurs et les esprits,
que plus d'illusions s'évanouissent, que plus de voiles
tombent et nous la découvrent plus complètement dans
sa simplicité.
\
10
• ÉTUDE SUR LE DÉVELOPPEMENT
DE
L'IDÉE MESSIANIQUE
CHEZ LES PROPHÈTES.
CHAPITRE PREMIER.
ORIGINES.
La croyance en un seul Dieu s'était établie dans la
race d'Abraham. C'est là un fait que l'histoire constate
sans parvenir à l'expliquer : comme tout ce qui est pri-
mitif, il échappe à notre investigation , et ses origines
sont cachées dans la volonté du Créateur. Il est pro-
bable que les adorateurs de ce Dieu unique ne recon-
naissaient pas d'abord en lui le Dieu de toute la terre,
mais seulement celui de leur tribu. Une partie de cette
tribu, ceux que la tradition désigne comme les descen-
dants de Jacob, parmi les longues et obscures pérégri-
nations qui aboutirent à la conquête du pays de Ca-
naan, vit se lever au milieu d'elle un puissant réfor-
mateur, que l'on compte parmi les plus illustres génies
de l'humanité , Moïse. Autant que nous pouvons en
juger par les effets, il régularisa le culte, formula des
lois, donna au Dieu de la tribu son nom distinctif,
philosophique pour ainsi dire, le révéla à ses adorateurs
comme le Dieu suprême, le Créateur du ciel et de la
terre, en même temps que le Dieu spécial d'Israël, le
il
Dieu jaloux qui ne souffre point de rivaux , et ainsi , soit
qu'il n'ait fait que mettre en lumière la foi inconsciente
des aïeux, soit qu'il y ait introduit des éléments nou-
veaux, jeta les fondements de cette nationalité si vivace,
dont le rêve devait être un jour de conquérir le monde.
On peut faire remonter jusque-là les espérances mes-
sianiques du peuple hébreu, en ayant soin toutefois de
se les représenter sous les contours les plus indéter-
minés. C'est du moment où les enfants de Jacob ont
eu conscience d'être non-seulement le peuple d'un
seul Dieu, mais le peuple privilégié' du plus puis-
sant des dieux, ou plus, le peuple unique du Dieu
unique, c'est de ce moment que date leur conviction,
plus ou moins obscure encore, qu'ils sont destinés à
dominer tous les autres peuples. Cette vocation ne s'est
pas présentée d'abord sous une forme précise ; ils n'au-
ront fait que l'entrevoir. Des siècles de luttes, de té-
nèbres , d'idolâtrie parfois , les séparaient encore du
temps des prophètes, où l'idée se dégagea et se revêtit
d'une forme toujours plus nette, sous l'action des évé-
nements.
Dans les espérances messianiques des Juifs, l'impor-
tant c'est la foi que le gouvernement des nations est
réservé au peuple de Jéhovah dans une période finale
de félicité; l'accessoire, c'est l'attente d'un Messie S
qui changera cette foi en réalité. L'attente du Messie
est née la dernière; mais elle est devenue dans la suite
si prépondérante, si fiévreuse, qu'elle a envahi toutes
les imaginations, et qu'elle peut à bon droit désigner
tout cet ensemble de rêveries, de prétentions, d'ambi-
^ Oint, prince qui a reçu l'onction, le signe de la royauté (i Sa-
muel X,XVI).
12
lions, de croyances chimériques et de vœux légitimes
que le mot de messianisme rappelle à l'esprit.
Si la critique appliquée à l'Ancien Testament n'avait
pas jeté la plus grande incertitude sur l'âge des livres
historiques, on pourrait chercher dans ces livres les
premières traces de l'idée messianique. Mais on sait
que ces livres ne sont pas contemporains des faits qu'ils
racontent; on croit que les plus anciens documents ont
subi des remaniements successifs, qui ne permettent d'y
recourir qu'avec la plus grande réserve; on admet una-
niment que ces livres ont été ou recueillis , ou com-
plétés, ou rédigés à une époque tardive dont les idées
pouvaient facilement s'introduire dans des récits d'un
autre âge , et que leur clôture définitive est postérieure
aux écrits de tous les prophètes. D'où il résulte qu'une
histoire sérieuse des idées messianiques ne peut com-
mencer qu'avec ces derniers, qui sont d'ailleurs les
plus fidèles échos des aspirations populaires et les vé-
ritables apôtres du messianisme.
Indépendamment de leur origine incertaine et peut-
être assez récente, les traits du Pentateuque, qu'on a
regardés comme messaniques, sont loin de l'être tous.
La parole de la Genèse ^, qu'on appelle V Évangile pri-
mitif, est trop vague pour qu'on en puisse rien con-
clure; elle ne dit rien de la conversion et du bonheur
final de l'humanité. L'oracle de Noé^ n'a d'autre objet
que l'asservissement de Canaan à ses deux frères , et
doit sans doute s'expliquer par quelque événement de
guerre de l'antiquité. Le chant de Jacob ^ n'a en vue
* Genèse m, 15.
2 Genèse IX, 17.
3 Genèse XLIX. Silo, ville d'Éphraïm, dont la position centrale
13
que les douze tribus et non la domination de Juda sur
le reste du monde. La prophétie de Balaam^ vante, il
est vrai, la force et la grandeur d'Israël, mais ne lui
propose pas de but plus élevé que la ruine de Moab et
l'asservissement d'Edom. La promesse du Deutéronome^
ne franchit pas l'horizon de la Judée : elle s'applique
uniquement au prophétisme hébreu etn'a pas le moindre
pressentiment du Messie, ni des temps messianiques.
Ce pressentiment peut se lire avec plus de raison dans
les promesses faites à Abraham et à Jacob '^. Ces pro-
messes signifient : toutes les nations porteront envie à
Israël, le déclareront bienheureux, se serviront de son
nom comme d'une formule de bénédiction , disant :
«Puissions-nous, puissiez-vous jouir du même bon-
heur qu'Israël ! » Ce désir des nations proclame l'in-
contestable supériorité du peuple qui doit briller d'un
si vif éclat. La vocation messianique se trouve ainsi
placée comme une promesse et un programme au ber-
ceau même d'Israël, qui n'en eut vraiment conscience
en la personne de ses prophètes que dans sa lente et
laborieuse maturité.
Il est facile de comprendre que dans les temps agi-
tés des Juges ou sous le règne belliqueux de David, on
ait eu peu de loisir pour les théories. Il ne s'agissait
pas alors de gouverner l'univers , mais de s'établir so-
lidement dans un petit pays dont on disputait chaque
convenait à la capitale du nouvel État. L'arche d'alliance y demeura
jusqu'au temps de Samuel. «Jusqu'à ce qu'il vienne à Silo, » signifie
donc : Jusqu'à ce que le peuple soit installé dans le pays de Canaan.
1 Nombres XXIV.
» Deutér. XVIII, IS et suiv.
^ Genèse XII, 2, 3; XViU, 18; XXII, 18; XXVI, 4; XXVilî, 14,
14
lambeau les armes à la main. Lorsque la possession de
la Palestine fut incontestée, sous un Salomon, si les
notions religieuses ne s'étaient pas obscurcies et sin-
gulièrement mélangées au contact des religions indi-
gènes, les prétentions théocratiques auraient pu se
développer. Mais le pouvaient-elles sous ce voluptueux
monarque, adorateur de plusieurs dieux i? Nous ne
savons malheureusement rien de certain sur la situa-
tion ni sur les idées des Israélites à cette époque. La
critique conteste à David la plupart des psaumes ins-
crits sous son nom; ce qui nous empêche d'en rien dé-
duire avec certitude pour notre sujet. L'Ecclésiaste et
les Proverbes, attribués à Salomon, ne renferment au-
cun trait messianique. C'est alors que fût bâti le temple
de Jérusalem, qui devint le centre du culte de Jého-
vah et, plus tard, le point de ralliement de toutes les
espérances. Cette époque de David et de Salomon ap-
parut dans la suite comme l'âge d'or de l'histoire Is-
raélite : les ennemis vaincus , Sion conquise et embel-
lie, toutes les tribus soumises à une autorité centrale,
le roi honoré , son alliance briguée par les princes voi-
sins ou même lointains, une paix profonde et glorieuse
succédant à de glorieuses conquêtes, le culte de Jého-
vah recevant une magnifique et solennelle consécra-
tion, tel fut le fond brillant sur lequel brodèrent en-
suite les imaginations, exallées par l'humihation, la
crainte ou la souffrance. Le schisme et les guerres ci-
viles ou étrangères qui succédèrent à ce temps si court
d'unité et de repos contribuèrent à le faire briller et
regretter davantage. David et le fds de David restèrent
1 1 Rois XI.
15
les héros du peuple; la légende s'empara de leur his-
toire, et les esprits se consolèrent sans cesse des mal-
heurs présents en reconstruisant pour l'avenir ce beau
passé disparu.
Ce sont surtout les prophètes qui excitèrent et entre-
tinrent en Israël ces espérances , si intimement liées
à leur foi en Jéhovah et en sa protection spéciale. Ils
ont été les représentants et parfois les martyrs du mo-
nothéisme au milieu d'un peuple destiné à garder et
à répandre dans le monde le monothéisme. Ils ont
vécu dans l'attente du bouleversement final , qui de-
vait donner raison à leur foi , et livrer l'univers au
peuple élu. Tous ou presque tous ont indiqué les cir-
constances précises, les conditions exactes, les pré-
sages certains du triomphe d'Israël et de la soumission
des Gentils. En vain, siècle après siècle, génération
après génération , prophète après prophète , voyaient
les événements démentir sans pitié toutes les prédic-
tions, le prophète survenant ne se sentait pas ébranlé,
espérait contre toute espérance, expliquait les faits au
profit de son idée, et attendait pour lui-même ce que
ses prédécesseurs avaient inutilement attendu. Émou-
vant spectacle ! Admirable confiance ! Il y avait sous
ce flot mobile d'illusions que chaque jour transfor-
mait, un roc éternel que le temps n'a pas déraciné;
ils ont vraiment deviné l'avenir ; leur foi ne les a pas
trompés !
\
CHAPITRE IV.
JOËL. AMOS. OSÉE. ZACHARIE IX A XL
§ 4. Le plus ancien des prophètes dont les écrits
nous soient parvenus est Jo'él^ fils dePéthuel. Son livre,
fort court, se divise en deux parties, l'une de tristesse,
d'anxiété, d'exhortation à la repentance; l'autre de joie,
de promesses , d'espérances. Comme le feront plus
tard, à son exemple, tous les autres prophètes, Joël
attend prochainement le jugement de Jéhovah , qui
livrera le monde aux Israélites ; il rattache à cette
attente les circonstances du temps présent; les maux
comme les biens lui sont de sûrs indices que le mo-
ment arrive. Le schisme est depuis longtemps con-
sommé. Joël habite le royaume de Juda, et ne daigne
pas même tourner les yeux sur l'état voisin ; c'est à
Jérusalem qu'est réservée la gloire et à ceux qui lui
sont demeurés fidèles. Quelque temps auparavant , des
incursions de Phéniciens et de Philistins avaient pé-
nétré sur le territoire de Juda, jusque dans Jérusa-
lem, avaient pillé les trésors sacrés, et emmené bon
nombre de prisonniers , pour les vendre comme es-
1 Nous avons consulté avec le plus grand profit, pour ces études
sur les prophètes :
Ewald , Die propheiischen Bûcher des A. T. \ 840.
Hilzig, Exegetisches Handbuch zum A. T. 1838 et suiv.
Umbreit, Prakiischer Commentar ûber die Propheten des A. B.
1844.
Bunsen , Bibelwerk.
Knobel, Der Prophetismus der Hebraser. 1837.
Kœster, Die Propheten des Alten und Neuen Tesiamentes. 1838.
Stœhelin , Die messianischen fVeissagimgen.
17
claves. De plus, une effrayante invasion de sautereHes
ravageait le pays. Des critiques autorisés placent ce
fléau vers le comrnencenfient du règne de Joas, entre
870 et 860. Ce fut l'occasion des prophéties de Joël.
Rien ne subsistait sur le passage de ces formidables
colonnes d'insectes. La disette était dans toutes les
maisons, l'épouvante dans tous les cœurs. Le prophète
considère cette calamité comme un prélude du juge-
ment dernier : il exhorte ses concitoyens à un jeûne
solennel. Il est assuré que leur repentance apaisera
Jéhovah , qui ne peut pas laisser périr son peuple.
«Que les prêtres, les serviteurs de Jéhovah, aillent
pleurer entre le portique et l'autel , et qu'ils disent :
Jéhovah, épargne ton peuple! Ne livre pas ton héritage
à la honte , en sorte que les nations s'en moquent !
Pourquoi dirait-on parmi les païens : Où est leur Dieu?;)
Ainsi se termine la première partie.
Nous manquons de renseignements sur ce qui se
passa dans l'intervalle. Il est probable qu'un violent
orage dispersa les sauterelles. Le vent du midi les avait
amenées , le vent du nord les emporta. La seconde par-
tie les montre dispersées aux quatre coins des cieux,
la Judée délivrée, les pâturages reverdissants, les
granges pleines de grains, les cuves débordant de vin
et d'huile. La foi du prophète a été justifiée. Aussi elle
s'exalte , et comme elle avait vu dans le fléau l'annonce
du jugement dernier, elle voit dans la délivrance le
symptôme de l'âge messianique, c'est-à-dire de la do-
mination joyeuse, incontestée, universelle du peuple
de Jéhovah , au milieu de l'abondance , après la ruine
de ses ennemis. Nous allons citer tout au long, parce
que c'est ici le point de départ de la prophétie , et le
s. ''
^
18
résumé des idées fondamentales que nous retrouverons
dans la suite sous des formes et en des circonstances
diverses.
II. 25. «Je vous restituerai les années qui ont été
dévorées par les sauterelles , ma grande armée que j'ai
envoyée contre vous. Vous mangerez et vous vous ras-
sasierez, et vous célébrerez le nom de Jéhovah votre
Dieu, qui a fait pour vous des merveilles, et jamais mon
peuple n'aura plus à rougir...
III. « Il arrivera ensuite que je répandrai mon esprit
sur toute chair; vos fils et vos filles prophétiseront,
vos vieillards auront des songes , vos jeunes gens des
visions ; même sur les serviteurs et sur les servantes
je répandrai mon esprit dans ces jours-là. Je mettrai
des signes aux cieux et sur la terre, du sang, du feu,
et des colonnes de fumée ; le soleil se changera en té-
nèbres et la lune en sang, en signe du jour de Jéhovah,
du grand et redoutable jour. Et il arrivera que qui-
conque invoquera le nom de Jéhovah sera sauvé. Car
le salut se trouvera sur la montagne de Sion et dans
Jérusalem , ainsi que Jéhovah l'a dit, et ceux que Jé-
hovah appelle, seront parmi les rachetés !
IV. (( Car voici , dans ces jours-là et dans ces temps-
là , je ferai revenir les prisonniers Judéens et Jérusalé-
mites. Je rassemblerai tous les peuples, et les ferai
descendre dans la vallée de Josaphat^, et là, je leur
ferai leur procès à cause de mon peuple et d'Israël ,
mon héritage, qu'ils ont dispersé parmi les nations...
«Que me voulez-vous, Tyr et Sidon, et toutes les
provinces des Philistins?... Bientôt, bientôt, je ferai
* Josaphat signifie : Jéliovalj juge, cf. 2 Chron. 20.
19
relomber votre mauvaise acticn sur vos têtes, vous qui
m'avez pris mon argent et mon or, et qui avez emporté
dans vos temples mes précieux joyaux , vous qui avez
vendu les fils de Juda, les fils de Jérusalem aux fils
des Grecs , pour les éloigner autant que possible de leur
patrie !. . .
(( Publiez ces choses parmi les nations ! Préparez la
guerre , excitez les héros ! Que tous les hommes de
guerre montent et s'approchent ! Forgez avec vos char-
rues des épées, et des lances avec vos serpes ! . . . Ac-
courez tous, peuples d'alentour!... Jéhovah , fais-y
descendre tes héros M Que les peuples s'éveillent et
montent à la vallée de Josaphat! Car c'est là que je
siégerai pour juger toutes les nations d'alentour. Mettez
la faucille, car la moisson est mûre. Venez et foulez,
car le pressoir est plein; les cuves débordent...
« Des foules , des foules dans la vallée du jugement !
Car le jour de Jéhovah est proche. Le soleil et la lune
s'obscurcissent , et les étoiles perdent leur éclat. Jého-
vah rugit de Sion ; il élève sa voix depuis Jérusalem :
les cieux et la terre tremblent. Mais Jéhovah est un
asile pour son peuple, et un abri pour les fils d'Israël.
Vous connaîtrez que c'est moi, Jéhovah, qui suis votre
Dieu , et que j'ai établi une demeure à Sion , ma sainte
montagne. Jérusalem sera sacrée , et les étrangers n'y
entreront plus!...
« Il arrivera dans ce temps-là que les montagnes dé-
goutteront de vin doux, que les collines ruisselleront
de lait, que dans toutes les plaines de Juda les eaux
couleront, que de la maison de Jéhovah jaillira une
1 Dans la vallée de Josaphat.
\
20
source qui arrosera même la vallée de Sittim '^. L'Egypte
deviendra une solitude et l'Edomie un désert, à cause
de leur violence à l'égard des fils de Juda .... Mais
Juda subsistera toujours et Jérusalem de génération
en génération ! ...»
Dans ces paroles du plus ancien prophète , qui se
répercuteront à travers les prophéties de presque tous
ses successeurs, se trouvent clairement annoncées deux
choses : le jugement de Jéhovah sur les peuples , et une
ère définitive de bonheur complet pour les Israélites.
Ce jugement de Jéhovah, le prophète le voit dans un
prochain avenir, puisqu'il en attend , comme effet im-
médiat , le retour des Israélites enlevés par les Phéni-
ciens et les Philistins, et vendus comme esclaves aux
Grecs. Les peuples que ce jugement frappera sont ces
deux voisins, plus les Édomites et les Égyptiens «peu-
ples d'alentour.» Le cercle géographique n'est pas très-
étendu. Joël pense que ces peuples tenteront encore
une fois d'envahir la terre sainte : ils monteront contre
Jérusalem. Les héros de Jéhovah , les guerriers de la
ville sainte descendront au devant d'eux. La rencontre
aura lieu dans la vallée de Josaphat, choisie par le pro-
phète, soit à cause de son nom significatif, cde juge-
ment de Jéhovah,» soit en souvenir de batailles déjà
livrées en ce lieu. Les Israélites seront vainqueurs, et
enverront leurs captifs dans l'Orient lointain , les ven-
dront aux Arabes du désert, comme les captifs pris en
Judée avaient été vendus à l'extrême Occident (IV,
1 On ne sait pas exactement où il faut placer cette vallée des
acacias. Il y a un Sittim de l'autre côté du Jourdain. Il s'agit ici de
quelque vallée renommée pour sa sécheresse , ou fort éloignée de
Jérusalem.
21
6 à 8). Cette terrible exécution, qui livrera les nations
à Israël , sera accompagnée de signes étranges au ciel
et sur la terre , et sera suivie pour le peuple de Jéhovah
d'une ère indéfinie de prospérité, tandis que les pays
voisins seront réduits en solitude. L'élément spirituel
n'est pas absent: l'esprit prophétique, au lieu d'être
le partage d'un seul ou de quelques-uns , sera répandu
sur tous à des degrés divers, selon les âges et les con-
ditions. Tous les Israélites participeront à ce bienfait:
les païens seuls seront exclus , car le salut est attaché
à Jérusalem. On pourrait entrevoir une lueur d'univer-
salisme dans ces mots: «Quiconque invoquera le nom
de Jéhovah sera sauvé,» si les mots qui suivent immé-
diatement n'avertissaient qu'il s'agit de ceux qui se
réclament du nom de Jéhovah en leur qualité de mem-
bres de son peuple et d'habitants de la montagne
sainte. — Joël ne prévoit aucun changement dans la
constitution civile ou religieuse du peuple, ne préco-
nise aucun Messie, et ne surcharge d'aucune compli-
cation les traits de son tableau apocalyptique. L'ab-
sence d'écrits prophétiques antérieurs nous empêche
de comprendre comment s'était formée dans ses dé-
. taiis cette attente du jugement final et du prochain
triomphe, et la part qu'il faut faire dans ce tableau à
la tradition et à l'initiative du prophète.
Les esclaves hébreux ne furent pas rendus. Philis-
tins et Phéniciens vécurent comme par le passé. La
vallée de Josaphat ne fut témoin d'aucune catastrophe.
Rien ne changea aux cieux et sur la terre, et l'attente
de Joël fut ajournée.
§ 2. Amos, berger à Thékoa, petite ville au sud de
Jérusalem, reprit, plus d'un demi siècle ensuite, ces
22
prophéties suspendues. Ce fut sous les règnes d'Osias,
roi de Juda, et de Jéroboam II, roi d'Israël, entre 811
et 784. L'important royaume d'Israël, dont Joël ne
s'était pas même occupé, attira vivement l'attention
d'Amos, et l'arracha aux paisibles travaux de Thékoa ,
pour le jeter dans le périlleux ministère de la prophétie.
Il quitta ses troupeaux, se rendit au milieu des prêtres
et des grands du royaume du JYord, et leur dénonça
énergiquement leurs péchés et la colère divine. Sous
le long et glorieux règne de Jéroboam II, le royaume
avait atteint une situation prospère; mais la corruption
avait marché d'un pas plus rapide encore que la pros-
périté. D'après Amos, l'iniquité était à son comble;
les riches opprimaient scandaleusement les pauvres;
l'idolâtrie s'était établie au grand jour avec tout son
cortège de rites infâmes; le culte de Jéhovah était
abandonné ou déshonoré par des pratiques crimi-
nelles. Le prophète importun fut chassé par le grand-
prêtre Amasia, avec l'agrément du roi. Il revint chez
lui, où probablement il rédigea et compléta ses dis-
cours.
Il reprend, justifie, continue les prophéties de Joël.
Il étend le cercle de ses menaces. Dans huit prophéties
successives et de forme semblable, il annonce à huit
peuples, dont les deux derniers sont Juda et Israël,
le châtiment et la ruine. Non-seulement «les peuples
d'alentour, i) comme le pensait Joël, mais les enfants
d'Israël eux-mêmes, les deux royaumes subiront le ju-
gement à cause de leurs péchés. Gomme ses prophéties
sont toutes débordantes de menaces, Amos se sent con-
traint de les terminer par les promesses et les espé-
rances messianiques, tant la conviction s'était enraci-
23
née, que nul châtiment, si sévère et si bien mérité
qu'il fût, ne pouvait amener la ruine définitive du peuple
élu, ni anéantir son droit à la domination du monde.
Les menaces sont terribles :
IX, 1. «Je vis le Seigneur se tenant près de l'autel',
et il dit 2 : Frappe le chapiteau de telle sorte que le
temple en soit ébranlé, et brises-en les morceaux sur
leurs têtes! J'exterminerai par l'épée ce qui restera.
Nul d'entre eux ne pourra échapper. S'ils pénètrent
dans les enfers, ma main les en arrachera; s'ils montent
aux cieux, je les en ferai descendre; s'ils se cachent sur
la cime du Carmel, je les y découvrirai et les en arra-
cherai ; s'ils se dérobent loin de mes regards au fond
de la mer, j'ordonnerai au serpent de les mordre; s'ils
se laissent emmener captifs par leurs ennemis, j'ordon-
nerai au glaive de les égorger...! Voici, les yeux du
Seigneur Jéhovah sont fixés sur le royaume coupable :
je le ferai disparaître de la surface de la terre!»
Après ces paroles, le prophète est effrayé lui-même
de sa violence, et il ajoute : «Cependant je ne ferai pas
entièrement disparaître la maison de Jacob, affirme
Jéhovah. Car voici, je donnerai mes ordres, je secoue-
rai parmi tous les peuples la maison d'Israël , comme
on secoue le blé avec le van , sans qu'un seul grain
tombe à terre. Mais les pécheurs de mon peuple péri-
ront par l'épée. En ce jour là je relèverai la maison
écroulée de David, et je la rebâtirai comme aux jours
d'autrefois, afin que les enfants d'Israël s'emparent du
reste d'Édom et de toutes les nations sur lesquelles est
1 L'autel du temple des faux dieux , où le proplièle suppose que
tout le peuple est rassemblé.
- A l'un des anges ou au prophète.
prononcé mon nom^. Voici, les jours viendront, dit
Jéhovah, où le laboureur touchera le moissonneur, et
celui qui foule le raisin, celui qui répand la semence^
«Les montagnes dégoutteront de vin, et les collines
en ruisselleront. Je ferai revenir les exilés de mon
peuple d'Israël; ils rebâtiront les villes désertes et y
habiteront; ils planteront des vignes et boiront eux-
mêmes leur vin; ils cultiveront leurs jardins et en
mangeront les fruits. Je les planterai sur leur propre
sol, et ils ne seront plus arrachés du terrain que je
leur aurai donné, dit Jéhovah! »
Joël n'avait vu, entre le moment où il écrivait et ce-
lui où l'ère messianique devait commencer, d'autre in-
termédiaire que le jugement et le châtiment des enne-
mis du peuple. Amos met un plus grand intervalle : il
fait intervenir le jugement et le châtiment des enfants
de Jacob. Ils seront secoués parmi les nations, comme
le blé dans un van. Si Joël semblait admettre que tout
membre du peuple élu qui en revendiquerait la qualité,
devait participer à la gloire et au bonheur prédits,
Amos attend une distinction, un discrimen, une sépa-
ration entre les bons et les méchants. Ceux-ci, quoi-
qu'ils fassent partie du peuple, seront exclus du relè-
vement. Ils périront par l'épée; ils seront la balle qui
s'échappe du van, où les grains de blé demeurent. Puis
les exilés reviendront à la fm de leur épreuve, la mai-
son de David reprendra sa splendeur première, le
^ En signe de menace — ou bien : qui sont ma propriété, dont je
peux disposer à mon gré, comme l'esclave est désigné par le nom
de son maître.
2 II y aura une telle abondance que la vendange durera jusqu'aux
semailles, et la moisson jusqu'au labour.
25
schisme cessera, les deux royaumes n'en feront plus
qu'un, et tous les Israélites couleront des jours pai-
sibles au sein de l'abondance.
Nous avons là, à peu de chose près, les éléments
messianiques de toutes les prophéties ultérieures. Ce
sont du moins les traits généraux. Les détails varieront
selon les temps et les théâtres. Ici toutefois, la domina-
tion que promet le prophète n'a encore rien de religieux
ni de spirituel. C'est dans ce sens que l'idée messia-
nique a le plus de progrès à faire.
§ 3. Cependant le royaume d'Israël continuait à
suivre les mêmes errements. Le vieux Jéroboam II ve-
nait de mourir. A peine sa main énergique a-t-elle
cessé de tenir les rênes, que l'anarchie et la guerre
civile se déchaînent avec violence. Zacharie, Sallem,
Menahem se succèdent rapidement sur les degrés san-
glants du trône. Les Assyriens pressent au Nord, les
Égyptiens pressent au Sud. En face de ce double dan-
ger, les esprits se divisent, deux partis opposés se
forment parmi le peuple et dans les conseils du roi.
Les uns veulent se jeter dans les bras de l'Egypte, les
autres se livrer à l'Assyrie. Menahem accepte ce dernier
avis; il appelle Phul , et lui promet en échange de son
alliance de grosses sommes d'argent, dont le paiement
écrase le peuple. C'est dans ces circonstances critiques
que prophétisa Osée, fils de Bééri. Habitant du royaume
du Nord, écrivain un peu rude et inculte, Osée semble
avoir connu les prophéties d'Amos, qui ne doit lui être
antérieur que de quelques années. Il s'élève avec une
grande force contre les vices, les crimes, l'idolâtrie de
ses compatriotes. Il leur prédit les plus grands mal-
heurs, la défaite, l'exil, la ruine, la mort. Il prévoit que
\
26
le peuple, corrompu dans ses mœurs, affaibli par ses
discordes, abandonné de son Dieu, deviendra prochai-
nement la proie de ses deux redoutables voisins, que
les Assyriens, dont la puissance grandit chaque jour,
dévoreront ceux qui les appellent si imprudemment,
et que les Égyptiens les aideront dans cette œuvre de
destruclion. Il semble un moment espérer un sort
meilleur pour le royaume de Juda; mais ayant appris
sans doute à le connaître de plus près, et y ayant re-
marqué les mêmes misères, il renonce tristement à son
espoir, et menace Juda des mêmes calamités qu'Israël.
Un des traits distinctifs de ce prophète est le carac-
tère hypothétique de ses menaces. A quelque degré de
culpabilité que soit descendu son peuple, il ne peut se
résoudre à le condamner sans appel. 11 croit que la re-
pentance peut encore écarter tous les maux qu'il pré-
dit, et qu'elle sera une plus sûre et plus prompte pré-
paration à l'âge messianique que les châtiments. Pour
provoquer cette repentance salutaire, il fait briller de-
vant les regards les biens qu'elle amènerait :
II, 1. «Le nombre des enfants d'Israël sera comme
le sable de la mer, qu'on ne peut mesurer ni calculer.
Au Heu de leur dire : «Vous n'êtes pas mon peuple,»
on les appellera fds du Dieu vivant! Les fils de Juda
et les fils d'Israël se réuniront ensemble et se donne-
ront un seul chef..! »
Mais il est douteux que cette repentance se produise
maintenant; elle ne sera amenée que par l'épreuve.
C'est ce qu'Osée exprime en termes touchants que
d'autres prophètes relèveront après lui : «C'est pour-
quoi, voici, je l'attirerai et la conduirai dans le dé-
sert, et je parlerai à son cœur. Je lui donnerai là ses
27
vignobles, et la vallée d'Achor sera comme une porte
d'espérance^. Elle y chantera comme aux jours de sa
jeunesse, comme aux jours de sa sortie d'Egypte, et il
arrivera en ce jour là, dit Jéhovah, que tu t'écrieras :
mon mari! et non plus mon maître!... Et je ferai pour
eux dans ce jour là un contrat avec les bêtes des champs
et les oiseaux du ciel et les reptiles de la terre. Je bri-
serai arc, épée et guerre, et les jetterai loin du pays, et
je ferai en sorte qu'on y habite avec sécurité. — Dans
ce jour là j'exaucerai les cieux et ils exauceront la
terre, et la terre exaucera le blé, le vin et l'huile... et
je ferai grâce à Disgraciée, et je dirai à Tu n'es plus
mo7i peuple : a Tu es mon peuple » et il me répondra :
«Tu es mon Dieu! »
Au chapitre III, il revient sur cette pensée que le
châtiment produira la repentance, et la repentance
tous les heureux fruits de l'âge messianique : «Les fds
d'Israël resteront de longs jours sans roi, ni prince, ni
sacrifice, ni statue, sans éphod ni théraphim. » Ce qui
veut dire, d'après l'allégorie dont ces mots sont précé-
dés dans le texte, que pendant un temps assez long,
temps d'épreuve, les Israélites seront privés de tout
culte, aussi bien du vrai Dieu que des faux dieux, afin
qu'ils aient le loisir et le recueillement nécessaires pour
entendre les reproches de leur conscience et se livrer
au repentir. «Ensuite les fils d'Israël se convertiront,
et ils chercheront Jéhovah leur Dieu et David leur roi;
et ils accourront tout tremblants au devant de Jéhovah
' AcIior = amertume. Ou bien il veut dire que les amertumes de
l'épreuve ouvriront la porte à l'epérance; ou bien il désigne la
vallée d'Achor, qui est à la limite nord de Juda, comme le lieu par
où l'on pourra espérer de rentrer dans la patrie.
28
et de sa bénédiction à la fin de ces jours. » La même
espérance se reproduit un peu plus loin en termes obs-
curs, mais expressifs : a La faute d'Éphraïm est liée,
son péché est scellé^. Les douleurs d'une femme en
couches vont lui survenir. C'est un fils insensé qui ne
se trouve pas à temps à l'issue de la matrice... Je les
arracherai à l'étreinte de l'enfer; je les délivrerai de la
mort. — Où sont tes pestes, ô mort? où est ton aiguil-
lon, ô enfer?-» On voit le sens de cette allégorie.
L'Éphraïm inconverti doit donner naissance à un nou-
vel Éphraïm plus pieux et plus heureux. Ce qui doit
amener la transformation, c'est la souffrance; ce sont
les douleurs de l'enfantement. Mais si le nouvel Éphraïm
tarde à sortir du sein de l'autre, ils risqueront de périr
tous les deux. C'est ce que Jéhovah ne pourra pas per-
mettre.
Le dernier chapitre est une pressante péroraiso n
« Reviens, Israël, à Jéhovah ton Dieu : car tu es tombé
par ta faute! Faites provision de bonnes paroles et re-
venez à Jéhovah! Dites -lui : Pardonne toute notre faute,
et veuille agréer que nous t'offrions le sacrifice de nos
lèvresM Ce n'est pas l'Assyrien qui nous aidera... Nous
ne dirons plus: tu es notre Dieu, à ce qui est l'œuvre
de nos mains, ô toi près de qui l'orphelin trouve grâce! j>
— Voici quelle sera la réponse de Jéhovah aux Israé-
lites repentants: «Je guérirai votre infidélité*. Je les
aimerai volontiers, car ma colère s'est éloignée d'eux.
1 C'en est fait: on ne peut plus revenir sur le passé; il faut main-
tenant que la justice ait son cours.
2 Cf. 4 Cor. XV, 55.
5 Nos hommages et nos prières.
* II considère le péché comme une maladie.
29
Je serai comme une rosée pour Israël; il fleurira comme
un lis; il jettera des racines comme le Liban. Ses re-
jetons s'étendront; son éclat sera comme celui de l'oli-
vier, et son odeur comme celle du Liban. Ceux qui ont
leurs demeures à son ombre reviennent^ produisent
du froment, prospèrent comme la vigne. Leur réputa-
tion est comme celle du vin du Liban. Qu'Ëphraïm dise
seulement." Qu'ai-je à faire encore avec les idoles? —
et moi, je l'exaucerai, je le regarderai avec amour; je
serai sur sa tête comme un cyprès verdoyant; c'est de
moi que tu recevras tes fi'uits! »
Ces images incohérentes sont une peinture de l'âge
messianique, que la repentance introduira. Le peuple
d'Israël renouvelé, r(?^e?ie'r(?' par la souffrance, jouira
de toutes sortes de biens dans son pays fortuné. Osée
attend aussi, comme Amos, la réunion des deux royau-
mes. Quoiqu'on sente bien que son cœur est avec le
royaume du Nord, sa patrie, il ne peut cependant se
décider à séparer Juda des destinées d'Israël : cette
division est contre nature. Dégoûté des continuels
changements de maître et de dynastie dont le peuple
est la première victime, il tourne ses regards et ses
désirs vers la paisible et immuable maison de David.
C'est un roi de cette maison privilégiée qui doit régner
sur le peuple de Dieu. Osée est trop fatigué des agita-
tions et des tumultes de son temps pour souhaiter en-
core la guerre dans l'âge messianique. Il soupire après
la paix, après le moment où « Jéhovah brisera' les arcs,
les flèches et la guerre, et où l'on pourra vivre dans la
sécurité. » Il désire moins la domination du monde
1 Les Israélites exilés reviendront.
30
que le repos, l'ordre, la paix, dans rabondance et la
piété.
§ 4. Ce même sentiment se retrouve chez un autre
prophète, dont le nom, l'âge, la patrie nous sont in-
connus, mais que plusieurs indices portent à placer
dans ce même temps. C'est l'auteur des Ghap. IX A XI
DE Zagharie. Dans ces pages, comme dans le livre
d'Osée, ce sont les Égyptiens et les Assyriens qui se
lèvent menaçants à l'horizon. C'est un temps de meur-
tres et d'anarchie. Il n'y a pas de roi , tant les rois se
succèdent avec rapidité. C'est un interrègne, un chaos.
Le prophète prévoit encore des maux plus dangereux,
d'effroyables bouleversements (IX, 1 à 8). Puis, fatigué
de tant de guerres et de bruits de guerres, il s'arrête,
il repose ses regards sur des images pacifiques. Après
tant de combats, le roi d'Israël cessera de guerroyer,
d'être un chef d'armée: il répudiera les insignes du
combat, les armes, le fougueux cheval de bataille; on
le verra paisiblement cheminer sur un âne, et un pro-
fond repos s'étendra sur les deux royaumes, comme
sur le monde entier, ce Aie grande joie, fille de Sionî
Réjouis-toi, fille de Jérusalem ! Voici, ton roi vient à
toi, juste et vainqueur, débonnaire et monté sur un
âne, sur le poulain d'une ânesse. Je détruirai les cha-
riots d'Éphraïm et les chevaux de Jérusalem. Tout arc
de guerre sera détruit. — -Il déclarera la paix aux na-
tions, et sa domination s'étendra d'une mer à l'autre,
depuis le» Fleuve jusqu'aux confins de la terre'. »
Le roi est mis plus avant sur la scène que chez les
' De la mer Méditerranée à la mer Rouge , et du Nil jusqu'au terres
sans nom du fond de l'Asie. C'est tout l'horizon géographique des
Israélites de cette époque.
8i
prophètes antérieurs. Sans doute, il n'est encore ici
que le représentant de son peuple; mais il se dégage
déjà assez nettement sur le fond commun. Joël ne
l'avait pas vu. Amos ne parlait que de la maison de
David. Osée place un roi quelconque de cette maison à
la tête des deux royaumes. Notre anonyme donne à ce
roi un rôle, un caractère, et pour ainsi dire, une phy-
sionomie qui attire les regards. C'est ce roi qui a dompté
les ennemis avec le secours de Jéhovah; c'est lui qui
fait son entrée pacifique sur un âne; c'est lui qui ac-
corde la paix aux nations; c'est lui qui étend sa domi-
nation, c'est-à-dire celle de son peuple, d'une mer à
l'autre et jusqu'aux extrémités de la terre. Cette image
ne se perdra pas. Nous allons la voir se refléter plus
brillante, mieux ornée, plus complète, dans les pro-
phètes qui suivent.
CHAPITRE IIL
ÉSAÏE, FILS d'AMOS. MIGHÉE. (PÉRIODE ASSYRIENNE).
§1. Nous arrivons au livre prophétique le plus im-
portant, celui qui porte le nom d'Ésaïe, fils d'Ainos.
Ce livre, à proprement parler, est une anthologie. Sur
les 66 chapitres dont il se compose, une quarantaine
appartiennent à d'autres auteurs que celui qui a fourni
son nom au recueil. La seconde partie, de 40 à 66,
nous occupera plus tard. Dans la première partie on
peut éliminer avec assez de certitude ceux des mor-
ceaux qui montrent, par des allusions à des faits pos-
térieurs, qu'ils ne proviennent pas d'Esaïe. Il est tou-
tefois bien difficile de déterminer exactement ce qui
lui appartient, et encore plus d'introduire dans ses
32
prophéties l'ordre chronologique. Nous nous borne-
rons aux passages qui sont de lui le plus manifeste-
ment, et nous en traduirons plusieurs en entier, parce
qu'ils développent longuement les idées et les espé-
rances dont nous retraçons l'histoire.
ÉsAÏE, fils d'Amos, habitant de Jérusalem, com-
mença à prophétiser l'année de la mort d'Osias, l'an 759
selon une chronologie, 747 selon une autre, et conti-
nua sous les règnes de Jotham, d'Achaz et d'Ezéchias,
c'est-à-dire pendant toute la seconde moitié du huitiè-
me siècle. Osias avait laissé à son fds Jotham le royanme
de Juda paisible et florissant. Celui-ci le maintint dans
l'état où son père le lui avait légué. Cependant la con-
science du prophète n'était pas satisfaite. Cette prospé-
rité ne lui paraît pas reposer sur une base solide; les
péchés de la nation sont graves; aussi prévoit-il, mal-
gré de si belles apparences, un avenir de châtiment et
de misères. Syriens et Assyriens dévasteront le pays, le
dépeupleront. Ceux qui seront épargnés, instruits enfin
par de si grandes catastrophes, s'attacheront de tout
leur cœur à Jéhovah. Ils auront eu le privilège de ne
pas quitter la ville sainte : ils seront comme la souche
restée en terre, la racine invisible de laquelle un reje-
ton sorlira, qui formera de nouveau un grand arbre.
Mais avant d'en arriver là, il faut qu'une destruction
complète passe sur le pays. Tel est le sens de la pro-
phétie qui est la première en date, la vocation d'Ésaïe.
YI, 9. «Va et dis à ce peuple: Vous entendrez,
mais vous ne comprendrez pas etc. — El je dis: Jus-
qu'à quand, Seigneur? — Et il dit: Jusqu'à ce que les
villes s'écroulent, vides d'habitants, et les maisons,
vides de gens, et que le pays soit réduit en désert. Je-
33
. hovah éloignera tout homme, et la solitude sera grande
dans l'intérieur du pays. Et quand il n'y en aurait plus
qu'un dixième, ce dixième sera encore livré à la des-
truction. Mais de même que le térébinthe et le chêne,
quand on les abat, laissent une racine, ce qui restera
du peuple sera une sainte semence !...»
Cette époque de ruine ne tardera pas; car si Esaïe
la prévoyait déjà sous le règne vigoureux de Jotham,
que sera-ce sous son faible successeur? Le jeune et fol
Achaz en effet, présomptueux dans la prospérité, lâche
devant le péril, n'inspire aucune crainte aux rois d'E-
phraïm et de Syrie, qui se concertent pour anéantir la
maison de David, et placer sur le trône de Juda une
de leurs créatures. A l'approche des armées ennemies,
Achaz se trouble. Il ne voit d'autre moyen de salut que
d'appeler à son secours les Assyriens. Esaïe tente inu-
tilement de lui rendre courage, de le dissuader de son
humiliant et dangereux dessein; il lui annonce la ruine
prochaine des deux princes et des deux peuples devant
lesquels il tremble : Éphraïm et la Syrie se sont en vain
coalisés pour se défendre contre l'envahissement des
Assyriens ; c'est en vain que dans le même but ils
cherchent à augmenter leurs forces en y joignant celles
de la Judée qu'ils attaquent. L'Assyrie est déjà trop
puissante et s'étend trop rapidement pour qu'ils lui ré-
sistent longtemps encore. Elle les engloutira bientôt.
C'est elle qui est à craindre. Sans qu'on l'appelle, elle
saura bien réduire à son obéissance les ennemis qui
attaquent Juda. Voilà la bonne nouvelle qu'Esaïe fait
entendre au roi. Mais il la fait suivre d'une menace.
Juda lui-même ne peut manquer de succomber sous
les coups des Assyriens et des Egyptiens, soit réunis,
s. ^
34
soit divisés. Le royaume sera dévasté et mis en friche.
Les quelques habitants qui y demeureront n'auront
plus d'autre nourriture que le lait des animaux qu'ils
feront brouter au milieu des ruines, et le miel sauvage.
Cette délivrance et cette catastrophe, amenées par les
mêmes mains, se suivront de si près que le même enfant
à qui l'on aura pu donner à sa naissance le nom Dieu-
est-avec-noiis , en signe de la défaite des deux alliés ,
sera témoin, et assez promptement, de la grande mi-
sère qui doit survenir: lui aussi en sera réduit au lait
et au miel sauvage. Cet enfant peut être le premier
venu, et sa mère, une des femmes présentes au dis-
cours d'Ésaïe; elle peut être aussi la femme du pro-
phète, soit la mère de ses deux autres fils, qui portent
également des noms symboliques, soit une seconde
femme; elle peut enfin être une des femmes de la mai-
son royale, et l'enfant peut, dans la pensée d'Ésaïe, dé-
signer le Messie. Quoi qu'il en soit, le sens est le même:
la dispersion et la ruine des deux armées coalisées,
puis l'attaque et la ruine de Juda par les Assyriens,
cette délivrance et ce désastre, tout cela aura lieu suc-
cessivement dans le court intervalle qui sépare la nais-
sance prochaine de l'enfant du moment où il saura dis-
tinguer le bien et le mal. Après ces explications préa-
lables d'un texte qu'on a obscurci comme à plaisir,
écoutons le prophète lui-même:
VII, 10. (( Jéhovah continua de parler à Achaz et lui '
dit: Demande donc un signe à Jéhovah ton Dieu; de-
mande-le, d'en bas ou d'en haiit^! Achaz répondit: Je
ne demanderai rien, je ne veux pas tenter Jéhovah!
' C'est-à-dire un miracle qui se voie dans le ciel, ou qui ait lieu
sur la terre.
35
I Alors le prophète dil: Écoulez donc, maison de David!
j est-ce trop peu pour vous de fatiguer les hommes, que
; vous fatiguiez aussi mon Dieu ''^ C'est pourquoi le Sei-
; gneur lui-même va vous donner un signe: voici, la
jeune femme ^ est enceinte, et elle enfantera un fils et
I elle l'appellera Dieu-est-avec-nous. Du lait caillé et du
j miel sauvage seront sa nourriture vers le temps où il
saura rejeter le mal et choisir le bien. Car avant que l'en-
fant sache rejeter le mal et choisir le bien, le pays dont
les deux rois te jettent dans l'épouvante sera tout aban-
donné! Puis Jéhovah enverra sur toi et sur ton peuple
et sur la maison de ton père des jours comme il n'en
j est point venu depuis le temps où Ephraïm s'est séparé
I de Juda : ce sera le roi d'Assyrie !... Et il arrivera en
ce temps-là que Jéhovah appellera en sifflant les mous-
tiques qui sont à l'extrémité des fleuves de l'Egypte,
et les abeilles du pays d'Assur^, et ils viendront,
et ils se poseront sur les plaines escarpées , dans
les fentes des rochers, sur toutes les haies et sur tous
les buissons... Et il arrivera en ce temps-là que qui-
conque aura une génisse et deux brebis pourra man-
ger du lait caillé, à cause de la grande quantité de
.lait* ; car c'est de lait caillé et de miel que se nourri-
ront ceux qui seront restés dans le pays. Et il arrivera
dans ce temps-là que tout terrain où se trouvent ac-
tuellement mille pieds de vigne de la valeur de mille
1 Le jeune roi faisait des mécontents parmi ses sujets, et fatiguait
Dieu par son incrédulité et sa légèreté,
2 LeSmot (HÏÏ'PP} ^^ma signifie Jeune fille nubile, jeune femme :
Voy. Prov. XXX, 19. Cantique des Cant. VI, 8.
3 Les innombrables armées d'Egypte et d'Assyrie.
* 11 restera si peu d'habitants en Judée, qu'avec peu d'animaux, il
y aura encore trop de lait, quoique le lait et le miel doivent faire
alors presque toute la nourriture, tant la misère sera grande.
36
pièces d'argent, ne sera plus couvert que de ronces et
d'épines; on n'y arrivera qu'avec flèches et arcs, car il
n'y aura que ronces et buissons d'épines dans le pays
entier!...))
Mais ce n'est pas là le dernier plan du tableau. Après
la ruine vient le relèvement. C'est la pensée sur laquelle
Ésaïe insiste et revient sans cesse ; c'est même sous
l'invocation de cette espérance que le livre tout entier
est placé; elle en est la note dominante. Toutes ces
épreuves doivent servir à améliorer le peuple et à pré-
parer l'âge de la perfection et du bonheur.
I, 24. «Voici l'oracle du Seigneur, de Jéhovah des
armées, du héros d'Israël: 0 je me satisferai sur mes
adversaires, je me vengerai sur mes ennemis! je tour-
nerai ma main contre toi; je ferai fondre comme du
savon tes scories, j'écarterai tout ton plomb. Je rendrai
tes juges comme ils étaient autrefois, et tes conseillers
comme jadis. Après cela, tu seras appelé ville de jus-
tice, cité fidèle!... Il arrivera à la fin des temps que la
montagne de la maison de Jéhovah sera placée sur le
sommet des montagnes, sera élevée au-dessus des hau-
teurs, et que tous les peuples y accourront. Des na-
tions nombreuses y viendront et diront: Allons, mon-
tons à la montagne de Jéhovah, à la maison du Dieu
de Jacob, pour qu'il nous enseigne ses voies et que
nous marchions dans ses sentiers! — Car c'est de Sion
que sortira la Loi, et la parole de Jéhovah viendra de
Jérusalem. Il jugera entre les nations et sera l'arbitre
de peuples nombreux. Ils forgeront avec leurs épées des
socs de charrue, et avec leurs lances des faucilles. Un
peuple ne lèvera plus l'épée contre l'autre, et l'on ne
fera plus l'apprentissage de la guerre !))
37
On voit à quelle hauteur s'élève le premier et du
premier coup le fils d'Amos, l'aigle de la prophétie. Il
aura des descriptions plus animées, des promesses
plus glorieuses, il peindra l'âge messianique sous de
plus riches couleurs, mais nulle part il ne fera une part
plus belle aux destinées religieuses de l'humanité. Ce
qu'il connaît Je plus grand et de meilleur, la loi, dont
la nation est si fière, il veut le donner en partage à
tous les peuples. La domination qu'il promet aux Is-
raélites sera une domination spirituelle. Jéhovah ne
sera plus seulement le punisseur, mais l'arbitre pacifi-
que de peuples nombreux. Ce langage était nouveau.
Plus tard, probablement vers la fin de sa longue car-
rière, il revient encore, et avec de touchants détails,
sur cette généreuse intuition. C'est au chap. XIX, dans
sa prophétie sur l'Egypte. Il la représente souffrant de
la tyrannie, de la guerre civile, de la sécheresse; les
chefs sont impuissants, le peuple est dans l'épouvante.
((Ils sont, dit-il, comme des femmes; ils frémissent et
ils tremblent sous la main de Jéhovah. » Mais ils fini-
ront par comprendre que tous les maux sont envoyés
de Jéhovah, et que par conséquent c'est auprès de lui
qu'il faut chercher la guérison.
(( En ce jour-là, il y aura cinq villes sur la terre d'E-
gypte qui parleront la langue de Canaan * ; l'une d'elles
s'appellera ville de délivrance'^. En ce jour là un autel
^ Cinq veut probablement dire quelques. Plusieurs villes où se
trouvent peut-être déjà des Hébreux exilés^, commenceront à parler
la langue religieuse d'Israël, et entraîneront tout le pays dans leur
foi à Jéhovah.
2 D'après l'étymologie arabe (Hitzig) ou : ville de destruction.
Les LXX et certains manuscrits changent le Meyn en Samedi : ville
du Soleil, illustre, brillante. (Peut-être une allusion à ow, Hélio-
polis ou s'élevait un temple magnifique consacré au Soleil.)
38
sera dressé à Jéhovah au milieu du pays d'Egypte, et
à sa frontière on élèvera une colonne consacrée à Jé-
hovah. Ce sera un signe et un monument en l'honneur
de Jéhovah des armées dans le pays d'Egypte, parce
qu'ils auront supplié Jéhovah à cause de leurs oppres-
seurs, et qu'il leur aura envoyé un sauveur et un dé-
fenseur pour les délivrer*. Ainsi Jéhovah se fera con-
naître à l'Egypte : les Égyptiens connaîtront Jéhovah
dans ce temps; ils. lui offriront des sacrifices et des pré-
sents ; ils lui feront des vœux et les tiendront. C'est Jé-
hovah qui frappe l'Egypte, qui la frappe et qui la guérit.
Ils se tourneront vers Jéhovah : il les exaucera et les
guérira ! — En ce même temps il y aura une route de
l'Egypte en Assyrie , et l'Assyrien ira en Egypte , et
l'Égyptien ira en Assyrie, et les Égyptiens avec les As-
syriens serviront Dieu. — En ce même temps Israël
s'adjoindra en tiers à l'Egypte et à l'Assyrie, et il y
aura une bénédiction au sein de leur pays, bénédiction
que donnera Jéhovah des armées, disant: Béni soit mon
peuple, Mitzraïm (l'Egypte), — et l'œuvre de mes mains,
Assur, — et mon héritage, Israël ! — i>
Si nous avons dit du passage précédent que nul pro-
phète avant Ésaïe ne s'était élevé si haut, nous pouvons
dire de celui-ci que nul prophète après lui n'a atteint
cette profondeur. Je ne connais rien dans l'Ancien Tes-
tament de plus émouvant, de plus humble, de plus
évangélique que ces quelques paroles à peine remar-
quées. Ce juif qui a passé toute sa vie à maudire l'E-
gypte et l'Assyrie, qui est si fier des privilèges de sa
race, qui regarde de si haut le reste du monde, qui a
* C'est probablement le Messie, le roi d'Israël, qui interviendra de
sa main puissante chez les peuples voisins.
39
tant souffert des insolences de ses deux puissants voi-
sins, qu'on a élevé dans la haine de l'Egypte, qui ex-
prime lui-même avec tant de passion les fureurs de la
vengeance, tout à coup saisi de compassion, d'amour,
pour l'ennemi national qu'il voit souffrir, il oublie, il
pardonne, il renonce non-seulement à ses haines, mais
à ses privilèges , et il confond Egyptiens, Israélites et As-
syriens dans une fraternelle étreinte! Israël cesse d'être
le peuple spécial de Jéhovah ; les noms dont les fils de
Jacob étaient le plus orgueilleux, Ésaïe n'hésite pas à
en décorer Mitzraïm et Assur: l'Egypte est le peuple
de Jéhovah , l'Assyrie est l'œuvre de ses mains !
Cette domination spirituelle des Hébreux (qui s'élar-
git jusqu'à devenir la communion religieuse des peu-
ples) n'est pas le seul développement nouveau qu'Ésaïe
ait introduit dans les espérances messianiques. C'est
lui qui a le premier annoncé un Messie, un chef spé-
cial, prédestiné, sous la conduite duquel le peuple de
Jéhovah doit marcher à la gloire. Pour ne pas augmen-
ter ni diminuer la portée des paroles du prophète, il
importe de les citer au complet.
VIII, 23. (( Ce qui est maintenant opprimé ne restera
pas toujours dans les ténèbres. Comme d'abord Jéhovah
a maudit la terre de Zabulon et la terre de Nephtali,
ensuite il les glorifiera, le chemin qui longe la mer,
l'autre côté du Jourdain, le district des nations *. Le
* La Galilée des Gentils, ainsi appelée à cause des nombreux
étrangers qui s'y étaient établis. Le prophète veut dire que les pro-
vinces qui ont été les plus exposées au ravages de l'ennemi, l'extrême
Nord de la Palestine, le rivage de la mer, la Galilée, dont les habi-
tants ont été emmenés en captivité par Tiglath-Pilésar, les tribus de
l'autre côté du Jourdain, dépeuplées par Phul, verront enfin luire
40
peuple qui marche dans les ténèbres voit une grande
lumière; ceux qui sont assis dans le pays d'ombre mor-
telle, sur eux resplendit la lumière. Tu agrandis le
peuple, tu augmentes sa joie; ils se réjouissent devant
toi comme on se réjouit au temps de la moisson, comme
tressaillent ceux qui se partagent le butin. Car tu brises
le joug de son fardeau, le bâton qui frappe ses épaules,
la verge de son oppresseur, comme au jour de Midian...\
Car un enfant nous est né; un fils nous est donné ; le
pouvoir est sur ses épaules; on l'appellera merveille,
conseiller, dieu fort'^ père du butin, prince de paix.
Il doit étendre la domination et donner une prospérité
ininterrompue sur le trône de David et dans son royaume,
qu'il consolidera et fortifiera par le droit et par la jus-
tice. C'est le zèle de Jéhovah des armées qui fera ces
choses !»
A cette doctrine du Messie, Ésaïe ajoute celle du
Reste, qu'il a rendue populaire par le nom de son fils
aîné Schear-iaschoub. L'idée s'en trouve déjà chez Osée.
Notre prophète la joint intimement à l'attente du Messie.
Les Assyriens décimeront le peuple hébreu ; mais un
petit reste sera épargné, et c'est à la tête de ce Reste,
franchement rallié au vrai Dieu, que le Messie se met-
tra pour chasser l'ennemi et rendre à la Judée son an-
de meilleurs jours au temps du Messie, et que leurs maux seront
réparés.
2 La défaite des Assyriens sera aussi complète au temps du Messie
que le fut celle des Madianites au temps de Gédéon (Juges VII).
* Ce nom de El, Elohim, est donné à des rois, des princes ou des
juges, Ps. LXXXII (cf. Jean X, 34). 11 exprime surtout l'idée de force,
de puissance. Dans Ézéchiel XXXI, 11 , il est donné à Nabuchodono-
sor ou Cyaxare, El Goïm , prince ou dieu des nations.
41
cien éclat, auquel s'ajouteront une puissance et une
prospérité nouvelles.
((Il arrivera en ce temps-là que le Reste d'Israël, que
les échappés de la maison de Jacob cesseront de s'ap-
puyer sur celui qui les frappe ^ mais ils s'appuieront
fidèlement sur Jéhovah, le saint d'Israël. Un Reste se
convertira, un Reste de Jacob se convertira au Dieu
fort. Quand même ton peuple, ô Israël, serait comme
le sable de la mer, un Reste seulement se convertira .
car la destruction est résolue!... — C'est pourquoi,
ainsi dit le Seigneur, Jéhovah des armées : o mon peuple
qui habites Sion, ne redoute pas l'Assyrien. Il t'a frappé
avec la verge, et il a levé sur toi son bâton à la façon
de l'Egypte... Encore un peu de temps, et la fureur
aura une fin, et ma colère s'allumera pour les exter-
miner... Il sortira un rameau du tronc d'Isaï, et un re-
jeton naîtra de ses racines. L'esprit de Jéhovah repo-
sera sur lui, esprit de sagesse et d'intelligence, esprit
de conseil et de courage, esprit de la connaissance el
de la crainte de Dieu. Il ne jugera point sur l'appa-
rence, il ne décidera pas sur les ouï-dire. Mais il jugera
les pauvres avec équité , et prononcera selon la droiture
sur les affligés du pays. Il frappera le pays avec la verge
de sa bouche, et avec l'esprit qui sort de ses lèvres il
fera périr le méchante La justice sera la ceinture de
ses hanches, et la vérité, la ceinture de ses reins. —
Le loup habitera avec l'agneau , et le léopard se couchera
à côté du chevreau. Le veau, le lionceau et le gros bé-
tail seront ensemble, un jeune garçon les conduira. La
1 C'est-à-dire sur l'Assyrien , qu'on avait d'abord appelé en aide.
- Ses jugements atteindront les coupables.
\
42
vache et l'ourse paîtront ensemble, et le lion se nour-
rira de paille comme le bœuf. Le nourrisson jouera sur
le trou de la vipère, et l'enfant sevré mettra la main
dans la retraite du basilic. On ne fera plus aucun mal
ni aucune nuisance sur toute ma sainte montagne : car
la contrée sera remplie de la connaissance de Jéhovah,
comme les eaux couvrent la mer ! — Et il arrivera dans
ce temps là que le rejeton dlsaï , dressé pour être la
bannière des peuples, sera recherché des nations, et sa
demeure ne sera que gloire ! — Et il arrivera en ce
temps-là que Jéhovah étendra une seconde fois^ la
main pour racheter le reste de son peuple, ce qu'en au-
ront laissé de reste Assur, Mitzraïm, Patros*, Gusch^,
Ëlam, Sinear^, Hamath ^ et les îles de la mer ^. Il dres-
sera un étendard pour les nations ; il rassemblera les
expulsés d'Israël, et il réunii-a les dispersés de Juda des
quatre coins de la terre. La jalousie d'Ephraïm dispa-
raîtra , les persécutions de la part de Juda cesseront;
Ephraïm ne sera plus jaloux de Juda et Juda ne persé-
cutera plus Ephraïm. Mais ils voleront sur les épaules
des Philistins, du côté de la mer; ensemble ils pille-
ront les fils de l'Orient; ils étendront la main sur Moab
et sur Édom , et les fils d'Ammon leur seront soumis.
Jéhovah détruira la langue de mer de l'Egypte ' ; il
agitera sa main sur l'Euphrate, dans une violente tem-
* La première fois, ce fut lors de la sortie d'Egypte.
2 Mitzraïm et Patros, la Haute et la Basse-Egypte.
" L'Ethiopie.
* Élam et Sinear, la Suziane et la Babylonie, provinces alliées ou
plutôt tributaires des Assyriens.
^ Ville de Syrie, désignée au lieu de la contrée tout entière.
*" Mer Méditerranée.
■ Mer Rouge.
pête, et il le divisera en sept ruisseaux, qu'on pourra
traverser en sandales. Ce sera une route pour le reste
de son peuple !... »
Il nous faut ajouter maintenant le cbap. IV, pour
être complet dans nos citations, et pour achever de
montrer le caractère exclusivement israélite de l'âge
messianique prophétisé par Esaïe en dépit de quelques
inspirations plus hautes, qui ne se font jour qu'un
moment à travers les préjugés nationaux :
« En ce temps là le germe de Jéhovah * sera une
splendeur et une gloire, et le fruit de la terre un hon-
neur et un ornement pour les réchappes d'Israël. Et
il arrivera que ceux qui seront restés à Sion et qui de-
meureront encore à Jérusalem, on les appelera saints,
tous ceux, dis-je, de Jérusalem qui sont inscrits pour
survivre. Quand le Seigneur aura lavé la boue des
filles de Sion, quand il aura nettoyé Jérusalem de ses
taches de sang, par son esprit de justice, par son esprit
de destruction , alors Jéhovah créera sur toute l'é-
tendue de la montagne de Sion et sur ceux qui s'y
rassemblent, un nuage et une vapeur pendant le jour,
et l'éclat d'un feu flamboyant pendant la nuit. »
Gomme les prophètes qui l'ont précédé , Ésaïe attend
donc prochainement, c'est-à-dire après que Dieu aura
achevé de punir son peuple, la réalisation de l'âge
d'or. «Encore un peu de temps,» et les Assyriens,
triomphants maintenant, seront défaits. Le peuple
israélite, sous la conduite d'un prince de la maison de
* Le germe de Jéltovah peut désigner le peuple lui-même, ou bien
ce n'est qu'un synonyme àeJ'ruUde la terre, selon la loi du paral-
lélisme hébreu. Quelques commentateurs pensent qu'il s'agit du
Messie.
44
David, chassera tous ses ennemis. Le châtiment aura
sans doute singulièrement diminué le nombre des en-
fants d'Israël. Une petite quantité seulement restera,
mais ce Reste ne se composera que de fidèles, et,
guidés par le descendant d'Isaï, ils seront invincibles.
Il est facile de voir que ces prophéties ont été écrites
dans des moments bien différents, car il y a un cer-
tain vacillement dans les pensées. Tantôt le prophète
déclare que le Reste se composera de ceux qui auront
pu demeurer dans la Terre sainte, à Jérusalem ; tantôt
ce Reste se compose des exilés qui reviennent. Tantôt
Ésaïe espère que les Israélites prendront une éclatante
revanche sur leurs ennemis, les pilleront et les déci-
meront; tantôt il fait accourir paisiblement les peuples
à Sion et annonce une ère de paix. Peut-être concihait-
il ces divergences dans son esprit. Il pouvait penser
que les exilés viendraient se joindre au Reste épargné
sur la Terre sainte, que tous ensemble ils voleraient
à la vengeance et au pillage, et qu'ensuite comnûence-
rait le temps du repos sous le règne du Messie, qui est
c( père du butin )) aussi bien que « prince de la paix. »
Nous avons déjà expliqué comment le souvenir de
David planait au-dessus de toutes les espérances théo-
cratiques. Aussi est-ce à un descendant de David, un
rejeton d'Isaï, doué par Jéhovah d'une sagesse et d'une
puissance extraordinaires, que le prophète décerne le
commandement des deux royaumes réunis. Il paraît
hors de doute qu'Ésaïe lui-même espérait être témoin
de ces grands événements: «l'enfant nous estné!))
s'écrie-t-il. Si l'enfant Immanuel est le Messie, on voit
qu'Ésaïe renvoyait à peine à quelques années l'accom-
plissement de ses désirs. Les rabbins pensent que le
45
«rejeton d'isaï » n'est autre qu'Ëzéchias, le fils aîné
d'Achaz. Il n'y a vraiment rien de péremptoire à op-
poser à cette interprétation. On dirait presque, à en-
tendre Ésaïe dans un de ses derniers chapitres dé-
crire tranquillement, sans fiction ni enthousiasme,
le gouvernement sage et moral du roi messianique,
qu'il ne fait que tracer à Ézécfiias le modèle qu'il doit
imiter: ((Voici, le roi régnera selon la justice et
les grands gouverneront selon l'équité, de sorte que
chacun d'eux sera comme un asile contre la tempête
et un abri contre l'ouragan , comme des courants
d'eau dans la sécheresse et comme l'ombre d'une
énorme roche sur une terre altérée. Et les yeux des
clairvoyants ne seront plus aveuglés et les oreilles de
ceux qui entendent seront attentives. Le cœur des in-
sensés sera intelligent pour apprendre, et la langue de
ceux qui bégaient parlera avec aisance et clarté. On
n'appellera plus le vaurien un homme d'honneur et l'on
ne dira plus le dissipé honorable.. . » (XXXII). Il y a
loin de ce règne honnête à ces tableaux d'un temps
où les astres eux-mêmes brilleront d'une plus ardente
lumière, où les animaux féroces s'ébattront gracieu-
sement avec' les animaux domestiques , où la nature
bienfaisante prodiguera tous ses dons avec une richesse
merveilleuse et changera les déserts en vallons arrosés.
Qu'il y ait eu ou non de? modifications dans la pensée
d'Ésaïe , il en a apporté lui-même au courant des idées
messianiques de son peuple. Il en a reçu les germes de
la tradition et des écrits de ses prédécesseurs; mais il
a développé ces germes de telle manière qu'il est de-
venu comme le prophète classique du messianisme. Le
Reste qui se convertira , la domination spirituelle des
w
\
46
Hébreux et l'extension universelle de leur religion,
enfin l'enfant royal, le descendant de David , le roi pré-
destiné de l'âge d'or, telles sont les doctrines qu'il lègue
à la prophétie.
§ 2. A Ésaïe se rattache intimement son contempo-
rain et compatriote Michée, de Moreschet. Ses pro-
phéties, divisées en trois livres, qui paraissent rangés
selon Tordre chronologique (1 à 3, 4 à 5, 6 à 7), se
rapportent au règne d'Ezéchias. La chute toujours plus
imminente de Samarie, capitale du royaume du Nord,
et la crainte d'une invasion de Salmanazar en furent
l'occasion. C'était vers 722. Michée voit dans les mal-
heurs d'Israël un avertissement et une menace pour
Juda. Il semble avoir pressenti pour son peuple une
ruine plus grave que n'avait fait Esaïe, car il n'entre-
voit la réalisation des espérances messianiques que sur
les débris de la ville sainte et même du temple. « A
cause de vous, dit-il aux pécheurs, la charrue passera
sur Sion comme sur un champ; Jérusalem ne sera
plus qu'un monceau de ruines, et la montagne du
temple qu'une hauteur boisée!» C'est alors seulement
que s'accomplira la promesse déjà faite par Esaïe:
« que la montagne de la maison de Jéhovah sera pla-
cée sur le sommet des montagnes et que tous les peuples
y accourront*;)) et chacun, ajoute Michée, chacun
demeurera sous sa vigne et sous son figuier , sans qu'au-
cune crainte vienne jamais l'assaillir. «En ce jour-là,
dit Jéhovah , je réunirai le troupeau boiteux , et je ras-
semblerai le troupeau dispersé et tous ceux que j'ai
' Quelques commentateurs pensent que ce passage avait déjà été
emprunté par Ésaïe à un prophète plus ancien , auquel Michée l'em-
prunterait à son tour.
47
mallraités. Je ferai de ce qui est boiteux le Reste, et de
ce qui était chassé, un peuple nombreux, et Jéhovah
sera leur roi sur la montagne de Sion dès maintenant
et à toujours ! Et toi , tour du troupeau , coteau de la
fille de Sion, vers toi reviendra la domination d'autre-
fois, le règne de la fille de Jérusalem! Et toi, Bethlé-
hem Ephrata, trop petite pour être un des districts de
Juda, c'est (Je toi que sortira celui qui doit gouverner
Israël, et dont les origines datent de l'antiquité, des
jours d'autrefois. C'est pourquoi Dieu les livrera jusqu'à
ce que celle qui doit enfanter l'ait enfanté ; alors le reste
de ses frères reviendra auprès des enfants d'Israël. Il
se maintiendra au pouvoir, et il les mènera paître, avec
la force de Jéhovah, avec la gloire du nom de Jéhovah
son Dieu, et ils habiteront en paix, car sa grandeur
s'étendra jusqu'aux extrémités de la terre, et alors ré-
gnera la paix 1 ))
D'après Michée, le futur libérateur du peuple de
Dieu n'est pas encore né. Il sortira de la race de David,
et sera par conséquent originaire, soit par sa propre
naissance, soit par sa famille, de Belhléhem, patrie de
David. Cette bourgade, berceau d'une si glorieuse dy-
nastie, recevra un nouveau lustre par l'éclat que jettera
sur elle ce rejeton de David, appelé à reconstruire le
royaume, à renouveler et à dépasser les exploits de son
illustre ancêtre. Ces souvenirs du fils d'Isaï remontent
déjà loin ; les origines de cette dynastie s'enfoncent
dans le passé, et cette longue succession de princes est
un signe de la faveur divine et un présage de grandeur
future. Sion , jadis l'humble coteau, la tour des bergers,
couronnée de gloire par David, qui en avait fait le siège
de son gouvernement, verra revenir à elle le pouvoir
48 I
d'Liulretbis et dictera des lois à toute la terre. «Et le |
Reste de Jacob sera au milieu d'un grand nombre de '
peuples comme une rosée venant de Jéhovah, comme
les gouttes de pluie sur l'herbe verte, laquelle n'espère
rien de l'homme et n'attend rien du fils de l'homme.
Et le Reste de Jacob sera au milieu des peuples nom-
breux, comme le lion parmi les animaux de la forêt,
comme un lionceau parmi des troupeaux de brebis : il
se précipite , il écrase et il emporte sans qu'on puisse
lui arracher sa proie!...» Ce sont des images de l'in-
fluence tour à tour bienfaisante et terrible d'Israël sur
les autres peuples, à l'époque messianique, selon qu'ils
seront bien ou mal disposés à son égard. Cette influence
s'étendra sur tout le monde, tel qu'il était connu au
temps du prophète :
VII, 7. (c Un jour viendra pour relever tes murailles;
en ce jour-là les frontières seront reculées. En ce jour-
là on reviendra vers toi de l'Assyrie et des villes de
l'Egypte, depuis l'Egypte jusqu'à l'Euphrate, depuis
une mer jusqu'à l'autre mer, depuis une montagne
jusqu'à l'autre montagne... »
Rien d'autre en tout cela que des échos d'Ésaïe. Le
salut paraît plus lointain ; l'exil est mieux marqué , plus
proche. Mais c'est la même doctrine du reste, du roi
davidique et de l'influence d'Israël sur les peuples
païens. Avec ces deux prophètes les espérances messia-
niques sont complètes ; elles sont formées de toutes
pièces. C'est dans les termes où ils les ont exprimées
qu'elles passeront à la postérité et qu'elles deviendront
la substance du patriotisme hébreu, Elles subiront en-
core quelques variations, mais le thème principal ne
changera pas. Voilà pourquoi nous avons été prodigue
de citations. Nous en serons piuS sobre désormais,
sans pourtant nous les interdire, car rien ne les rem-
place en un sujet si complètement dépendant des textes.
CHAPITRE IV.
SOPHONIE. ZACHARIE XII A XIV. JÉRÉMIE. PÉRIODE
CHALDÉENNE.
§ 4. Un siècle tout entier passa sans donner raison
aux craintes ni aux espérances d'Esaïe et de Michée:
Ils ne virent ni les catastrophes qu'ils redoutaient, ni
le Messie qu'ils attendaient, ni la gloire qu'ils espé-
raient pour leur peuple. Ce fut un siècle marqué des
mêmes péripéties que tous les autres et du même train
journalier. Ni la Judée ne fut prise, ni Jérusalem ren-
versée, et les Israélites non plus n'eurent pas à prendre
la revanche qui leur avait été promise. L'empire des
Assyriens, dont la chute devait coïncider avec le bou-
leversement et la rénovation de toutes choses, tomba
de faiblesse, de lente décadence, sans l'aide d'Israël,
sous les attaques de deux provinces révoltées, la Médie
et la Babylonie. L'Asie changea de maître. Ce ne fut
plus de Ninive, mais de Babylone que devait relever
l'obéissance des provinces. En 625 ce fut un fait ac-
compli.
§2. Vers la même époque, c'est-à-dire vers le mi-
lieu du règne de Josias, le roi réformateur, eut lieu
une invasion considérable de peuplades du Nord, de
Scythes*, qui ravagèrent la Phénicie et la Palestine,
se dirigeant vers l'Egypte. On crut que c'était le cata-
clysme final. SoPHONiE (Zephaniah) , fils de Gouschi,
» Cf. Hérodote I, 105.
50
petit-fils de Guedalia, se leva pour annoncer que le
jour, le terrible jour des jugements arrivait. Tous
les peuples dont Israël avait à se plaindre allaient être
écrasés. Dans cette redoutable crise, Jérusalem elle-
même ne serait pas épargnée. Le but de cette catas-
trophe devait être :
1° La destruction de toute idolâtrie et la conversion
des peuples: «Jéhovah se jettera sur eux, terrible,
lorsqu'il détruira toutes les divinités de la terre, —
— et tous se prosterneront devant lui , chacun de sa
place, toutes les îles des païens... Alors je donnerai aux
Gentils des lèvres pures pour qu'ils invoquent tous le
nom de Jéhovah, et qu'ils le servent d'un même accord.
De l'autre coté des torrents de Gousch* j'aurai des ado-
rateurs... »
2° La sanctification et la gloire d'Israël, du Reste
de Jacob: «En ce même jour tu n'auras plus à rougir
de toutes les actions par lesquelles tu m'as offensé; car
j'éloignerai de ton sein tous les insolents, et tu ne te
livreras plus à l'orgueil sur ma sainte montagne. Mais
je laisserai au milieu de toi une pauvre et chétive po-
pulation, qui mettra sa confiance dans le nom de Jé-
hovah. Le Reste de Jacob ne comro.ettra pas de péché,
ne proférera pas de mensonge, et il ne se trouvera pas
dans sa bouche une langue de fourberie... — Chante,
fille de Sion; criez d'allégresse, Israël; réjouis -toi,
égaie-toi de tout ton cœur, fille de Jérusalem! Jéhovah
a écarté tes châtiments, a balayé tes ennemis. Le roi
d'Israël, c'est Jéhovah qui siège au milieu de toi: tu ne
verras plus aucun mal. En ce jour-là on dira à Jéru-
1 L'Ethiopie.
5i
salem: ne crains pas! et à Sion : ne perds pas courage!
Jéhovah, ton Dieu, est au milieu de toi, le héros, le
libérateur... Ceux qui sont tristes loin de l'assemblée
de mon peupleS je les ramènerai. Ils sont séparés de
toi; la honte pèse sur eux. C'est moi qui en ce jour-là
aurai à faire avec tous tes oppresseurs. J'aiderai le trou-
peau boiteux, et je rassemblerai le troupeau dispersé:
je leur donnerai la gloire et la célébrité dans les pays
où ils ont eu la honte. En ce temps-là je vous ferai re-
venir; en ce temps-là je vous rassemblerai; je vous don-
nerai la célébrité et la gloire parmi tous les peuples de
la terre, lorsque, sous vos yeux, je ramènerai vos exi-
lés , dit Jéhovah ! ))
Cet avenir est proche, puisqu'il est la conséquence
directe de l'invasion devant laquelle tout tremblait. Les
captifs des guerres précédentes , ceux que les Scythes
vont faire dans leurs premières victoires, reviendront
pour être témoins de la prospérité qui suivra l'immense
défaite des envahisseurs. La grande pensée de la con-
version des païens, qui est vraiment la plus digne d'at-
tention , ne s'est pas effacée de la conscience prophé-
tique. Sophonie s'est emparé de la meilleure inspira-
tion d'Ésaïe. Il ne fait pas affluer les peuples à Jérusa-
lem. Non, c'est chez eux, «chacun dans son lieu,»
qu'ils se prosterneront devant Jéhovah. Tous les pro-
phètes ne se maintiendront pas à cette hauteur de vues.
Soit que Josias lui paraisse un roi selon le cœur de
Dieu , et tel qu'on pourrait le souhaiter pour l'âge
messianique, soit que la personne royale lui soit indif-
férente et disparaisse à ses yeux derrière la majestueuse
' Dans l'exil.
m
personne de Jéhovah, Sophonie ne lait aucune men-
tion du chef davidique glorifié par Élsaïe. «Le roi d'Is-
raël est Jéhovah. » C'est la pure théocratie. Nous la
retrouverons semblable chez un des plus grands pro-
phètes, l'illustre anonyme de l'exil.
§ 2. L'invasion des Scythes s'est dissipée sans ame-
ner les résultats qu'annonçait le prophète. Une autre
invasion devait être plus funeste dans ses suites : ce
fut celle des Ghaidéens sous la conduite de Nebucad-
netzar. Ils envahirent la Judée et assiégèrent Jérusa-
lem dans les dernières années du septième siècle. Ne-
bucadnetzar, ayant triomphé à Garchémis (606) de
l'Egypte qui lui disputait l'empire de l'Asie, résolut
d'abattre une fois pour toutes la puissance de sa rivale
en réduisant tous ses alliés. La Judée se trouvait au
premier rang. G'est pendant le siège de Jérusalem (se-
lon l'ingénieuse hypothèse d'Ewald, que tous les traits
du texte semblent confirmer), que furent prononcés,
par un des habitants de la campagne juive, les dis-
cours contenus dans Zagharie XII à XIV. Le prophète,
ignorant les ressources militaires de la ville, mais per-
suadé que la cité sainte ne peut tomber aux mains des
profanes, attend une délivrance extraordinaire, comme
celle qui avait tant frappé les imaginations au temps
de Sennachérib. Les efforts de tous les peuples seront
vains. Jérusalem sera comme une coupe où ils boiront
une ivresse mortelle, comme une lourde pierre qu'ils
essaieront en vain de soulever et qui les écrasera. Jé-
hovah frappera de démence la cavalerie ennemie et
rendra les chefs de Juda semblables à une torche au
milieu des gerbes, qui consume tout ce qui l'entoure.
Ge siège est ie grand événement prophétique, est
l'occasion du dénouement universel et, comme le pivot
sur lequel vont tourner les destinées du monde. La dé-
livrance ne va pas tarder, et avec elle commencera le
jugement des peuples.
XII, 8. «En ce jour-là, Jéhovah protégera les habi-
tants de Jérusalem; celui qui chancelle sera en ce jour-
là comme David lui-même, et la maison de David sera
comme un Dieu , comme l'ange de Jéhovah devant eux.
Et il arrivera en ce jour-là que j'entreprendrai d'exter-
miner toutes les nations qui sont venues contre Jéru-
salem. Et je répandrai sur la maison de David et sur
les habitants de Jérusalem un esprit de bienveillance
et de prière, et ils regarderont vers celui que (les en-
nemis) ont percé \ et ils mèneront deuil sur lui comme
on mène deuil sur un fils unique, et ils le pleureront
amèrement comme on pleure amèrement son premier-
né!...)) Suit rénumération des familles considérables
de Jérusalem qui prendront part à ce deuil. Il n'est au-
cunement question du Messie dans ce passage. Jéhovah
surexcitera les habitants de Jérusalem pour mettre leur
courage à la hauteur du danger; il fera, des plus faibles
d'entre eux, des héros comme David; la maison royale
sera digne des circonstances et représentera Dieu lui-
même au milieu des assiégés. Les ennemis ne pour-
ront résister à une telle vaillance; ils seront extermi-
* Il y a dans le texte C /X) élaï, vers moi. 11 est impossible que
même par hyperbole poétique, un Hébreu ait jamais comparé Jéhovah
à un homme mort, percé de coups, sur le cadavre duquel on mène
deuil. 11 faut lire (T'^îO e'/ay , vers hd. Le sujet du verbe ont percé
est sous-entendu : ce sont les ennemis. Ces constructions se re-
trouvent à chaque page. Dans tous les cas, il ne s'agit aucunement
du Messie , dont ce prophète ne dit pas un mot.
54
nés. La paix ravivra chez les vainqueurs le souvenir
des pertes passées, particulièrement de la mort du roi
martyr, du pieux monarque Josias, tombé à Mégiddo
sous les coups des Égyptiens en défendant sa patrie (61 1).
Le danger disparu, on pourra librement honorer sa
mémoire. En effet, sa fin héroïque fut longtemps un
sujet de complaintes dans Israël *.
Le chap. XIV a dû être écrit quelque temps plus
tard : l'auteur a changé d'avis sur le sort probable de
Jérusalem. Il s'est convaincu que toute résistance est
inutile, et il a perdu l'espoir de voir la cité sainte
épargnée. « La ville sera prise, les maisons pillées, les
femmes violées et la moitié de la ville s'en ira en cap-
tivité... Mais le Reste du peuple ne sera pas exterminé
et chassé de la ville, car Jéhovah se lèvera et com-
battra!.. ))
Après cette douloureuse mais nécessaire exécution
commencera enfin l'âge messianique, trop retardé,
mais d'autant plus glorieux. Il n'y aura plus les pé-
nibles vicissitudes des saisons, l'ardeur du soleil suc-
cédant aux rigueurs de l'hiver ; on aura une lumière cons-
tante, unique, égale, comme celle dont Jéhovah jouit
éternellement. Des eaux vives sortiront de Jérusalem
pour se répandre en partie dans la mer Morte, en partie
dans la Méditerrannée, et arroseront le pays dans
toutes les saisons. Jéhovah sera roi de la terre entière,
et lui seul sera adoré, invoqué de tous. Il y aura unité
de culte. Jérusalem reconstruite sera un sûr asile pour
ses habitants. Ceux des Gentils qui auront échappé au
jugement, monteront chaque année à Jérusalem pour
i 2 Chron. XXXV, 23. Cf. Zach. XII ,11,
55
adorer le Roi, qui est Jéhovah des armées, et pour cé-
lébrer la fête des tabernacles. S'il y a des récalcitrants,
ils seront punis par quelque fléau de la nature, comme
la sécheresse. Dans la ville sainte tout sera saint. Les
sonnettes des chevaux porteront Tinscription qui se
trouve sur le front du souverain sacrificateur. Tous
les vases seront purs, et non pas seulement ceux qui
sont destinés à des usages sacrés. Il n'y aura plus rien
de souillé, ni hommes ni choses. «Il n'y aura plus de
Cananéen dans la maison de Jéhovah. »
Chez ce prophète inconnu le particularisme israélite
se marque très-nettement. Je ne sais quelle allure y
décèle le prêtre. Son rêve est que tous les peuples
montent annuellement à Jérusalem pour prendre part
à la fête des tabernacles, qui acquerra ainsi un lustre
inusité. Il faut qu'ils viennent sous peine de châtiment.
Ce n'est pas conversion, mais soumission. La pureté
cérémonielle paraît aussi estimée que la pureté morale.
La temps viendra où il n'y aura plus de prophétie, ni
bonne ni mauvaise, plus d'agitation d'aucun genre
(Xlïl). Cela aussi semLIe un trait sacerdotal. — Quoi
qu'il en soit, son attente messianique ne dépasse en
rien celle des prophètes antérieurs ; elle se montre
plutôt à maint égard moins spirituelle et moins reli-
gieuse, et est probablement une plus fidèle image des
espérances de la nation.
§ 3. Cependant le temps des douleurs sérieuses était
arrivé. Jérémie, fils d'Hilkia, eut le triste privilège
d'être témoin d'une ruine tant de fois annoncée et tant
de fois ajournée. Prêtre à Anathoth, aux environs de
Jérusalem, il fut activement mêlé aux événements qui
décidèrent du sort de sa patrie aux dernières convul-
56
sions de laquelle il assista. Spectateur sympathique,
peut-être même instigateur de la réforme religieuse
entreprise par Josias, il se promettait sans doute, au
commencement de sa carrière, de relever son peuple
par la seule repentance, sans secousse ni châtiment.
Il compare le sort si heureux de ses compatriotes au
rude traitement auquel le royaume d'Israël a été con-
damné; et il reproche aux siens d'être d'autant plus
coupables qu'ils n'ont pas encore tiré enseignement
de ce douloureux exemple. Il pense qu'Éphraïm du
moins en aura profité, que bientôt il rentrera en grâce,
que son retour rétablira l'union des deux parties du
■peuple, et que l'ère messianique commencera.
III, il. (( Jéhovah me dit: le rebelle Israël est plus
juste que l'infidèle Juda. Va et prononce ces paroles
du côté du nord et dis : Reviens, Israël rebelle, dit
Jéhovah; je ne vous ferai point mauvais visage, car je
suis miséricordieux, dit Jéhovah; je ne garde point
toujours ma colère. Connais seulement la faute : Tu as
prodigué tes attentions aux dieux étrangers sous tout
arbre vert, et tu n'as point écouté ma voix, dit Jéhovah.
Revenez, fils rebelles, car c'est moi qui veux être votre
maître. Je vous prendrai, n'y en eût-il de reste qu'un
seul par ville et deux par district, et je vous conduirai
à Sion et je vous donnerai des pasteurs qui vous mènent
avec sagesse et intelligence. Lorsque dans ces jours-
là vous croîtrez et fructifierez au sein du pays, dit
Jéhovah, on ne parlera plus de l'arche d'alliance de
Jéhovah, on n'en aura plus souci, on ne s'en sou-
viendra plus, on ne la cherchera plus, on n'en fera
pas une nouvelle. Dans ce temps-là on appellera Jéru-
salem le trône de Jéhovah, et tous les peuples s'y ras-
57
sembleront au nom de Jéhovah , et ils ne suivront plus
désormais les inspirations de leur inéchant cœur. — ^
En ces jours-là la maison de Juda marchera avec la
maison d'Israël; elles viendront ensemble du pays du
nord vers la terre que j'ai donnée à vos pères en héri-
tage !...))
Mais ce pacifique espoir ne fut pas de longue durée.
Jérémie et son peuple étaient destinés à de rudes tour-
mentes. Le roi Josias, comme nous l'avons rappelé tout
à l'heure, fut tué à Mégiddo en 61i, et avec lui périrent
ses tentatives de réforme. Nécho, roi d'Egypte, son
vainqueur, disposa à son gré du trône. Puis vinrent
bientôt après les armées de la Babylonie; Jérusalem
fut prise et une partie considérable du peuple fut dé-
portée. Au milieu de ces orages , Jérémie , qui n'épar-
gnait pas les conseils, les reproches, les menaces, at-
tira fréquemment sur sa tête la colère des grands, et
se vit plus d'une fois en danger de mort. Comprenant
bientôt que tonte résistance à l'empire tout puissant
de Babylone serait une folie, que la Judée et l'Egypte,
soit isolément, soit en réunissant leurs forces, ne pou-
vaient se soustraire à cette domination, il engagea
sagement son peuple, tout frémissant encore, à subir
un mal inévitable et à se préserver, par une altitude
paisible, de maux plus graves et irréparables. Ces con-
seils ne furent pas goûtés par Sédécias, l'inconstant
ami de Babylone. Il se ligua avec l'Egypte, tenta de
secouer le joug de Nebucadnetzar, attira sur son pays
une nouvelle expédition chaldéenne, fut privé du
trône, de la liberté et de la vue ; le reste du peuple fut
emmené captif et le temple saccagé. Jérémie obtint du
vainqueur la permission de rester pour pleurer sur les
58
ruines de la patrie, 586. Bientôt après il fut emmené
^de force en Egypte par une bande de Juifs qui croyaient
prudent de fuir la colère de Nebucadnetzar, qu'ils
avaient excitée par je ne sais quelle rébellion. C'est
dans ce lamentable exil qu'il termina obscurément ses
jours.
Le sens politique de Jérémie, si l'on peut ainsi par-
ler, paraît avoir été trop sagace et trop juste pour qu'il
pût, parmi tant de désastres, se livrer à de trop promptes
espérances. Ce triste état lui paraît fait pour durer
longtemps; il va même jusqu'à assigner une date : l'exil
durera soixante-dix ans. Aussi son langage est-il
empreint de tristesse; c'est la tristesse d'un homme
destiné à survivre à tout ce qui lui est cher, et à mou-
rir avant de voir des jours meilleurs. C'est de l'abat-
tement, mais non du désespoir. Il sait que si l'épreuve
est longue et cruelle , elle est passagère. Les espérances
messianiques sont là pour le soutenir. Le mal provient
des mauvais pasteurs du peuple; c'est eux qui sont
cause que le troupeau est dispersé. Mais patience! «l Je
rassemblerai de tous les pays où je les ai dispersées, le
reste de mes brebis, et je les ramènerai dans leurs pâ-
turages pour qu'elles croissent et se multiplient. Et je
leur donnerai des bergers qui les feront paître, en
sorte qu'elles ne craignent plus, ni ne tremblent plus,
ni qu'aucune vienne à manquer. — Voici, les jours
viendront, dit Jéhovah, que je ferai naître à David un
juste rejeton, qui régnera, et se montrera sage, et
exercera le droit et la justice dans le pays. Sous son
règne Juda sera heureux, et Israël habitera en sécu-
rité. Le nom qu'on lui donnera sera: Jéhovah-est-notre-
salut! » (XXIII). A la vue des humiliations de son pauvre
59
peuple, traité par les vainqueurs comme un vil bétail,
le prophète aime à se transporter par la pensée dans
le temps où ce le joug qui pèse sur leur cou sera brisé,
où leurs liens seront arrachés!» où ils ne serviront
plus l'étranger, mais «Jéhovah leur Dieu et David leur
roi! )) — ce Toi donc ne crains point, mon serviteur
Jacob, dit Jéhovah, ne tremble point, Israël! Car voici,
je te délivrerai du pays lointain, et ta postérité, de la
terre de servitude. Oui, Jacob reviendra et sera pai-
sible , bien abrité , et nul ne l'effraiera plus. » Car Jé-
hovah veut bien châtier son peuple pour un temps , mais
non l'anéantir. Ce dernier sort est plutôt réservé aux
Gentils, maintenant si sûrs d'eux-mêmes et si con-
fiants en l'avenir. Quant aux blessures et aux plaies
d'Israël, elles sont graves, elles sont mortelles; Jéhovah
pourtant les guérira. Il rétablira l'ancien ordre de
choses; bien plus, une prospérité inconnue se répandra
sur le pays.
« Voici, je ramènerai ceux qui ont été. emmenés cap-
tifs loin des tentes de Jacob; j'aurai pitié de ces de-
meures; la ville sera rebâtie sur sa colline , et le palais,
habité comme à son ordinaire. On y entendra retentir
des actions de grâces et le son des instruments de mu-
sique. — Je multiplierai le nombre des habitants, et
leurs fils seront nombreux comme autrefois... Le chef
de la nation sera tiré du milieu d'elle, et son gouver-
neur sortira de son sein. Quand je l'appellerai, il s'ap-
prochera de moi... Ainsi vous serez mon peuple et je
serai votre Dieu! — Je te rebâtirai d'une manière du-
rable, vierge d'Israël. Tu te pareras encore de .tes cym-
bales, et tu entreras dains les rangs des danseurs. Tu
planteras encore des vignes sur les montagnes de Sa-
\1
60
marie : et ce sont ceux qui les planteront qui en profi-
teront. Oui, il y aura un jour où les veilleurs crieront
sur les montagnes d'Éphraïm: Allons, montons à Sion,
vers Je ho va h notre Dieu ! »
En voyant partir ces longues files d'exilés qui s'en
vont peupler les rives de TEuphrate, il songe déjà aux
émotions du retour. «Ils reviendront en grande troupe.
Ils reviendront avec larmes. Je les ramènerai au milieu
des pleurs. Je les conduirai à des ruisseaux d'eau , sur
un chemin droit où ils ne broncheront pas. Car je suis
un Père pour Israël , et Ephraïm est mon premier-né !
— Ils viendront et chanteront d'allégresse sur la col-
line de Sion ; ils se réjouiront de la bénédiction de
Jéhovah , du blé, du vin, de l'huile, des brebis et des
bœufs. Leur âme sera comme un jardin bien arrosé,
et ils cesseront de languir... Je changerai leur deuil
en joie... J'abreuverai de graisse l'âme des prêtres,
et mon peuple se rassasiera de ma bénédiction, dit
Jéhovah !»
Instruit par une longue expérience, et habitué à ré-
fléchir sur les maux de son peuple, sur leurs causes
et leurs remèdes, il avait su s'élever à un idéal théo-
cratique dont le spiritualisme a des affinités avec celui
de l'Évangile : «Voici , les jours viennent, dit Jéhovah,
où je ferai avec la maison d'Israël et avec la maison de
Juda une nouvelle alliance : non point comme l'al-
liance que j'ai faite avec leurs pères, au jour où je les
ai pris par la main pour les tirer du pays d'Egypte;
car c'est eux qui ont rompu mon alliance, et pourtant
je suis leur maître, dit Jéhovah. Mais voici l'alliance
que je ferai avec la maison d'féraël après ces jours là,
dit Jéhovah : je mettrai ma loi nu dedans d'enx , et je
y
61
l'écrirai dans leur cœur, et je serai leur Dieu, et ils
seront mon peuple. Dès lors, ils ne s'instruiront plus
les uns les autres, disant: Connais Jéhovah — cai-
tous me connaîtront, les petits comme les grands, dit
Jéhovah, lorsque j'aurai pardonné leur faute et que je
ne me souviendrai plus de leurs péchés ! »
Toutefois ce spiritualisme ne lui fait point perdre
de vue les institutions, les frontières, le sol même de
la patrie : il n'attend pas seulement une nouvelle ère
de piété, mais aussi la réintégration des Israélites dans
leur pays, dans leurs limites, sous la direction de leurs
prêtres, et avec le gouvernement de leurs rois : « Voici,
les jours viendront où la ville de Jéhovah sera rebâtie,
depuis la tour Ghananéel jusqu'à la Porte du Coin, et
le cordeau s'étendra droit devant lui jusqu'à la colline
Gareb, et se détournera vers Goath. Et toute la vallée
des Morts et de la Gendre, et toute la campagne jus-
qu'au torrent de Gédron, jusqu'au coin de la Porte des
Chevaux, à l'Est, tout cela sera consacré à l'Éternel,
et ne sera plus jamais ravagé ni détruit. »
C'est la même espérance qui l'inspire (XXXII) lors-
que du fond de son cachot il consent à se rendre
acquéreur du champ que son cousin Hanaméel lui
propose, dans un moment où les propriétés foncières
n'avaient plus de valeur à cause de la gravité des évé-
nements politiques et pouvaient changer de maître d'un
moment à l'autre au gré des vainqueurs. Jérémie sait
que la Terre sainte ne peut demeurer toujours aux
mains des païens, que Jéhovah ramènera les exilés,
qu'il fera avec eux une alliance éternelle, que le temps
reviendra où l'on pourra se livrer avec sécurité à toutes
les transactions sociales ^vendre et acheter des champs,
\
62
non seulement à Anathoth, ntiais dans toutes les par-
ties de la Palestine, dans le pays de Benjamin, aussi
bien qu'aux alentours de Jérusalem, dans les districts
de la montagne comme dans ceux de la plaine:
XXXIII, 7. «Je ferai revenir les exilés de Juda et
les exilés d'Israël , et je les rétablirai comme autrefois.
Je les purifierai de toutes les fautes qu'ils ont com-
mises contre moi, et je leur pardonnerai toutes les
transgressions par lesquelles ils m'ont offensé et trahi.
Jérusalem sera pour moi un nom de joie , une gloire
et une splendeur parmi toutes les nations de la terre ,
qui entendront parler de tout le bien que je lui ferai.
— Voici, les jours viendront, dit Jéhovah, où j'accom-
plirai la bonne promesse que j'ai faite à la maison
d'Israël et à la maison de Juda. Dans ce jour-là je
ferai naître à David un rejeton de justice , qui établira
le droit et la justice dans le pays. Dans ces jours-là
Juda sera sauvé, et Jérusalem habitera en sécurité, et
elle sera appelée Jéhovah est notre salut. — Car ainsi dit
Jéhovah : il ne manquera jamais de successeurs * à
David pour s'asseoir sur le trône de la maison d'Israël ;
il n'en manquera jamais non plus aux prêtres , aux
lévites, devant ma face, pour présenter des holo-
caustes, briller de l'encens, et faire des sacrifices tous
les jours.»
Celte perpétuité de la dignité royale dans la maison
de David , et du sacerdoce lévitique dans le temple de
Jérusalem , après le trouble mome;ntané où les rois
d'Egypte et de Babylone ont jeté le trône et l'autel ,
paraît au prophète d'une iroporlanee si capitale et d'une
' Textuellement : un successeur ne manquerai jamais.
63
certitude si absolue, qu'il y revient à deux reprises,
prenant solennellement à témoin la stabilité immuable
de l'ordre de l'univers.
(( Ainsi dit Jéhovah : Si vous parvenez à briser mon
alliance avec le jour et mon alliance avec la nuit, de
telle sorte que le jour et la nuit ne viennent plus en
leur temps, — ^ alors, oui, mon alliance avec David mon
serviteur pourra être brisée, en sorte qu'il n'y ait plus
de descendant de sa race qui s'assoie sur son trône ,
et aussi mon alliance avec les prêtres, les lévites, mi-
nistres de mon culte . . . Ainsi dit Jéhovah : S'il est vrai
que je n'ai pas établi mon alliance avec le jour et avec
la nuit, et l'ordonnance des cieux et de la terre , — il
est également vrai que je rejetterai la race de Jacob et
de David mon serviteur, et que je ne prendrai pas dans
sa postérité ceux qui doivent régner sur la race d'A-
braham, d'Isaac et de Jacob!...»
C'est là le dernier mot des espérances messianiques
de Jérémie. Elles n'ont rien de grandiose ; elles se tien-
nent dans la sphère du possible, de l'ordinaire. Pen-
dant un certain nombre d'années (je pense que soixante-
dix est un chifjfre symbolique, mystérieux, choisi parce
qu'il est un des composés de sept^), le peuple hébreu
demeurera soumis au roi de Babylone. Après ce temps,
Dieu délivrera son peuple , châtiera les oppresseurs ,
qu'il réduira à néant, fera rentrer de toutes parts les
exilés, aussi bien ceux d'Ephraïm que ceux de Juda ,
aussi bien les captils de Ninive que ceux de Babylone ;
il les ramènera dans la Terre promise, la Terre sainte ,
leur laissera rebâtir Jérusalem, et suscitera au milieu
1 Cf. ÉsaïeXXill, io, 17.
^^
64
d'eux un prince de la maison royale de David , qui
gouvernera selon la justice , et qui assurera au pays la
paix et la sécurité. En voyant se succéder les Joachas,
les Joachim , les Joiakin , les Sédécias, princes infi-
dèles, impuissants, inhabiles, inconstants dans tous
leurs desseins, causes incessantes de malheurs pour
l'État dont ils précipitaient la ruine , Jérémie appelait
de tous ses vœux le roi de l'avenir, prophétisé par Ésaïe,
le rejeton de David , qui devait gouverner avec justice ,
avec intelligence, avec fermeté, avec piété. En subis-
sant avec larmes le joug honteux de l'étranger, en
voyant un Nebucadnetzar fouler effrontément le sol sa-
cré du temple, il invoquait en esprit le chef national ,
sorti du sein même de son peuple, issu delà famille
des rois légitimes, et qui ne se permettrait d'entrer
dans le sanctuaire que sur l'ordre exprès de Jéhovah.
Ce prince , destiné à relever la dynastie de David , ne
doit pas régner au delà du terme ordinaire de la vie
humaine: mais une lignée non interrompue de rois de
sa race lui succédera d'âge en âge. Le trait le plus
remarquable de ces temps nouveaux sera la dévotion
entière du peuple à son Dieu : une alliance nouvelle
sera contractée entre Jéhovah et les Israélites, alliance
fondée, de la part de Jéhovah, sur son amour inébran-
lable en faveur d'Israël , et de la part d'Israël, sur la
reconnaissance pour les bienfaits reçus, et sur la con-
sécration du cœur au service de Dieu. Aussi n'y aura-
t-il plus besoin de l'arche d'alliance en signe ou sym-
bole de la présence de Dieu: Jéhovah lui-même, en
personne, sera présent au milieu des siens. C'est ce
que déjà Ésaïe avait fait obscurément pressentir. La
conséquence naturelle de cet état de justice et de pu-
r
65
reté sera Ja bénédiction temporelle, la fécondité des
champs, l'abondance des récoltes, la beauté des trou-
peaux, la joie, les danses et les fêtes. Une autre con-
séquence sera la suppression des prophètes , devenus
inutiles, puisqu'il n'y aura plus personne à reprendre
ou à enseigner; car ce tous, les petits comme les grands,
connaîtront Jéhovah.» Mais si les prophètes dispa-
raissent, il n'en sera pas de même des prêtres. 11 y
aura toujours des prêtres. On ne peut se passer de
prêtres. Ils dureront aussi longtemps que les rois, aussi
longtemps que les astres et leurs révolutions. S'il n'y
avait plus ni prêtres ni lévites, qui donc pourrait a offrir
l'encens et les holocaustes, et faire des sacrifices quo-
tidiens ? ))
Comme nous avons vu tel prophète, dans un temps
de guerres et de craintes de guerres, soupirer après la
paix , Jérémie , dans une époque de troubles et de
bouleversements, soupire après l'ordre, la stabilité,
la succession, la durée. Tout absorbé par les doulou-
reuses vicissitudes de son peuple , il ne se préoccupe
pas de l'avenir des peuples voisins ; il n'a pas souci de
leur bonheur; il ne songe guère à eux que pour appe-
ler sur leurs têtes la malédiction et la ruine. S'il a un
moment accepté la prophétie d'Ésaïe à leur égard, et
s'il les laisse se rassembler à Jérusalem au nom de
Jéhovah , pour se convertir à lui , il ne tarde pas à les
oublier et à concentrer sur sa malheureuse patrie tout
ce qu'il a de force d'espérance. Cette concentration
même est loin de nuire à sa pensée i.elle lui fait dé-
couvrir dans le domaine du judaïsme des horizons
nouveaux, et, bien qu'il soit resté presque toujours
fidèle à son caractère de prêtre dans ses vues messia-
S. .5
66
niques, elle ne lui en a pas moins inspiré la prédica-
tion de la ((Nouvelle Alliance. »
CHAPITRE V.
L'eXTL. ÉZÉCHIEL. ÉSAÏE XXIV A. XXVII — XL A LXVl.
§ 1. Nous voici en plein exil. Selon la coutume
dès longtemps pratiquée par les Assyriens , qui fai-
saient entre leurs provinces nouvellement conquises
des échanges de population , soit comme châtiment ,
soit comme mesure de précaution , afin de gouverner
plus facilement ces masses d'hommes dépaysés, Nebu-
cadnetzar avait transféré une bonne partie des habi-
tants de Jérusalem sur les rives du fleuve Kébar , en
Mésopotamie. Un peu plus tard , d'autres furent expé-
diés vers Babylone et l'Euphrate. Parmi les premiers ,
en compagnie du roi Joiakin, se trouvait Ezéghiel, fils
du prêtre Bouzi (597). Transporté probablement assez
jeune, il ne tarda pas à acquérir de la réputation et de
l'influence dans la colonie. Sa vocation prophétique,
d'abord étouffée par l'envie ou la lâcheté de ceux qui
l'entouraient, finit par se l^aire jour. Il avait à com-
battre l'idolâtrie , dont la contagion se répandait parmi
les exilés, les vices et les crimes qui marchaient à sa
suite, ou seulement un découragement funeste, qui
gagnait même les meilleurs. Les yeux toujours tournés
vers les montagnes de la patrie, il suivait d'un cœur
inquiet et tremblant les destinées de Jérusalem, et l'on
conçoit avec quelle avidité lui et ses compagnons de-
vaient accueillir les nouvelles qui -lui en arrivaient. On
apprend un jour que ceux qui sont restés dans la ville
sainte ne parlent qu'avec dédain des exilés (bien que
61
ceux-ci justement aient été choisis parmi les familles
les plus considérables du royaume), qu'ils les regardent
comme exclus à jamais de la Palestine, et qu'ils se
croient les seuls possesseurs légitimes du temple et du
pays. Alors Ézéchiel se lève, fort des promesses an-
tiques , et Jéhovah déclare par sa bouche que, tout au
contraire, ce sont les exilés qui seront mis en posses-
sion du pays d'Israël : XI, 48 , « ils y reviendront , ils
en écarteront toutes les horreurs et tous les crimes ;
je leur donnerai un même cœur, et je mettrai en eux
un esprit nouveau ; j'ôterai de leur poitrine le cœur de
pierre, et je leur donnerai un cœur de chair, afin qu'ils
marchent dans mes commandements, qu'ils gardent
mes lois et les accomplissent. Ils seront mon peuple et
je serai leur Dieu ! »
Le prophète ne se faisait pourtant pas l'illnsion de
croire que les souffrances d'Israël touchassent déjà à
leur fin. Du fond de son exil, il annonce à Sédécias que
le jour de sa perte est arrivé, et que la destruction
complète de Jérusalem ne tardera pas. Il a sans doute
appris la nouvelle expédition de Nebucadnetzar, entre-
prise pour punir la trahison du roi de Juda; il sait que
de nombreuses troupes assiègent Jérusalem, et l'issue
ne lui paraît pas douteuse. Le prince coupable qui a at-
tiré ce nouveau malheur sera détrôné, «sa couronne
lui sera ôtée, sera détruite, anéantie... jusqu'à ce que
vienne celui à qui le jugement appartient: je la lui don-
nerai^!» — Plus lard, lorsque le sacrifice est con-
' Le régime du verbe donnerai peut êU'e la couronne ou le juge-
ment. Le prophète veut dire que Sédécias s'étant montré indigne de
régner, le trône va rester vacant jusqu'à ce que vienne le roi promis,
le roi digne de gouverner Israël.
sommé, que le roi et les grands ont expié leur trahison
par la mort, les supplices ou l'exil, et que le reste du
peuple a été dispersé aux quatre vents des cieux, Ézé-
chiel repasse en esprit toutes les péripéties de ce triste
drame, et les retrace sous la forme d'une allégorie dont
il donne lui-même l'explication. Il suppose qu'un aigle
(Nebucadnetzar), après avoir brisé le sommet d'un cèdre
élevé (le cèdre est le peuple hébreu, dont la cime brisée
est Joiakin ou la famille royale tout entière), a trans-
planté une branche de cet arbre, laquelle grandit, mais
en étendant ses rameaux du côté d'un autre aigle. C'est
Sédécias, placé sur le trône parle roi deBabylone,
mais entretenant des intelligences avec le roi d'Egypte.
Puis le prophète rappelle le châtiment du traître;
et rattachant à la même image ses espérances, il
ajoute :
XVII, 22 : ce Ainsi dit le Seigneur Jéhovah : moi
aussi je prendrai une bouture à la cime du cèdre
élevé..., je cueillerai un rameau délicat à la plus haute
des branches, et je le planterai sur une montagne
haute et élevée. Je le planterai sur la haute montagne
d'Israël, et il produira du feuillage, et donnera du fruit,
et deviendra un cèdre magnifique; toutes sortes d'oi-
seaux y viendront habiter, et demeureront à l'ombre
de ses branches. Et tous les arbres de la campagne
reconnaîtront que c'est moi, Jéhovah, qui abaisse l'arbre
élevé, qui élève l'arbre abaissé, qui fais sécher l'arbre
vert et reverdir l'arbre sec.»
Cette allégorie (qui rappelle celle de Matth. XIII, 32)
signifie que si l'empire de Chaldée est actuellement
semblable à un arbre vigoureux, et le pauvre peuple
israélite à un arbre sec et abattu, Jéhovah chanoera
V
69
plus lard la face des choses, que sur cette cime main-
tenant brisée, il prendra un rejeton, une bouture, la
plus délicate des branches, c'est-à-dire un enfant royal,
issu de cette famille jadis puissante, maintenant déchue;
cet enfant grandira pour relever et couvrir de gloire sa
dynastie, qui, identifiée avec le peuple d'Israël et la
théocratie dont elle sera le représentant visible, abritera
sous saprotection et sous son gouvernement toutes les
nations de la terre. Ici reparaît l'espoir un moment
effacé d'une domination d'Israël sur le monde. Cette
domination ne sera pas une tyrannie, mais une sorte
d'autorité paternelle, fondée sur l'influence morale, sur
l'expérience de la justice et des compassions de Dieu.
C'est ce que déclare Êzéchiel, lorsqu'après avoir dure-
ment reproché à la nation judéenne ses «prostitutions,»
ses infidélités, et lui avoir déclaré qu'elle est plus cou-
pable que Samarie et que Sodome, il lui annonce sa
rentrée en grâce, ainsi que celle des autres péche-
resses, les nations ses sœurs, qui seront pour elle
comme des filles (XVI, 60).
Tant que l'exil se présentait de loin, comme une me-
nace, on pouvait. penser qu'il serait un enseignement
efficace, qu'il provoquerait la repentance, qu'il chan-
gerait les cœurs, et que tous ceux qui seraient appelés
à subir ce châtiment en expiation des .fautes de tout le
peuple, s'attachei'aient dorénavant avec énergie au culte
de Jéhovah et à la pratique de sa loi. Mais Ezéchiel,
vivant au milieu des exilés, se convainquit bientôt
qu'il était loin d'en être ainsi, que le train du péché
continuait aussi bien sur la terre étrangère que sur le
sol de la patrie, qu'un nouveau triage serait nécessaire,
que tons les exilés ne répondaient pas aux intentions
70
de Dieu, Aussi Jéhovah écartera-t-il avec soin les mé-
chants et les rebelles; les autres, ceux que l'épreuve
aura purifiés et définitivement convertis, rentreront
dans le pays de l'alliance, où ils seront comblés de
biens : XX, 40. «C'est sur ma sainte montagne, sur la
haute montagne d'Israël que toute la maison d'Israël
me servira, tous, tant qu'ils seront dans le pays. C'est
là que je les recevrai avec bienveillance, et que je ré-
clamerai vos offrandes et les prémices de vos dons, avec
tous vos biens consacrés... Je vous recevrai avec bien-
veillance lorsque je vous retirerai du milieu des nations,
et que je vous rassemblerai de toutes les contrées où
vous avez été dispersées, — et je serai proclamé saint
par vous en face des nations! )) Il semble que le pro-
phète réponde ici à ceux qui croyaient qu'on pourrait
rester indéfiniment en exil sans inconvénient, parce
qu'ils commençaient à s'y trouver bien. Ce n'est que
sur la montagne sainte que Jéhovah recevra avec bien-
veillance les dons et les offrandes. Les vrais fidèles
rentreront, les méchants seuls seront laissés dehors.
Le peuple sera devenu pieux ainsi que ses chefs.
Il n'y aura plus de ces pasteurs mercenaires qui ont
attiré de si grands maux sur les brebis de Jéhovah :
XXXIV, 23. «J'établirai sur mes brebis un berger
qui les paisse bien; ce sera mon serviteur David. Il les
paîtra, il sera leur bergei', et moi, Jéhovah, je serai
leur Dieu, tandis que mon serviteur David sera prince
au milieu d'elles... Je ferai une alliance de paix avec
elles, et j'exterminerai du pays tout animal sauvage
pour qu'elles puissent habiter avec confiance dans les
plaines et sommeiller dans les bois.» Les campagnes
et les collines de la Judée seront habitées de nouveau,
71
et deviendront plus riches en liomnaes et en troupeaux
qu'auparavant (XXXV[).
Toutes ces promesses ne doivent cependant pas enor-
gueillir les enfants d'Israël, car. féhovah a moins égard
à eux-mêmes qu'à sa propre gloire, qui est intéressées
leur salut. Gomme ils sont le peuple de Jéhovah, le
nom de leur Dieu est actuellement blasphémé par les
païens, qui ne mesurent (comme il est raisonnable) la
puissance d'une divinité que par la prospérité de ses
adorateurs. C'est pourquoi Jéhovah a décidé de les re-
tirer du milieu des nations païennes, et de les ramener
dans leiir pays. Il répandra sur eux une eau pure, pour
les laver de toutes les taches qui les souillent, et il y
joindra beaucoup d'autres bienfaits, tant spirituels que
temporels. XXXVI, 26: «Je vous donnerai un cœur
nouveau, et je mettrai en vous un esprit nouveau; j'ô-
terai de votre chair le cœur de pierre, et je vous don-
nerai un cœur de chair. Je mettrai mon esprit en vous,
et je ferai que vous marchiez dans mes ordonnances,
que vous gardiez ma loi et que vous la pratiquiez. Et
vous habiterez le pays que j'ai donné à vos pères; vous
serez mon peuple e.t je serai votre Dieu. Je vous déli-
vrerai de toutes vos souillures... Je multiplierai le fro-
ment et je ne vous enverrai plus la famine. Je multi-
plierai le fruit des arbres et le produit des champs,
afin que vous n'ayez plus de honte parmi les païens...
Et vous vous souviendrez de toutes vos voies mauvaises,
de toutes vos actions criminelles, et vous aurez du dé-
goût de vos fautes et de votre conduite. Ce n'est pas à
cause de vous que je le fais, dit le Seigneur, remar-
quez-le bien!... D Quand toutes les fautes d'Israël seront
pardonnées, les ruines relevées, les villes repeuplées,
75
le pays transformé en un Eden , alors les païens eux-
mêmes seront obligés de reconnaître la grandeur et la
puissance de Jéhovah (vers. 33 à 36).
Tout le monde connaît le magnifique chapitre
XXXYII, la vision des ossements desséchés et rappelés
à la vie. C'est l'image du peuple d'Israël, dont les
membres sont dispersés en tout lieu, secs, sans vie,
disjecta mem^m/... Les vastes plaines de l'Assyrie et
de la Ghaldée sont jonchées de ses débris épars.Il pré-
sente un aspect de mort. La terre d'exil est son sépulcre.
Mais quelles que soient les apparences, ce peuple re-
vivra. A la voix des prophètes, ces débris se réuniront;
au souffle de Jéhovah, au souffle de son esprit, une
vie nouvelle les animera; les deux parties de la nation,
ÉphraïmetJuda, si longtemps séparées par la jalousie,
par le péché, puis par le malheur, se rejoindront; ce
sera vraiment la résurrection d'un peuple. Ils forme-
ront une seule et bienheureuse nation, un seul corps,
sous le commandement d'un chef unique, appartenant
à la famille de David, (c Mon serviteur David les gou-
vernera, et ils n'auront qu'un seul berger. Ils marche-
ront dans mes ordonnances, ils garderont mes lois et
les accompliront. Ils demeureront dans le pays que j'ai
donné à mon serviteur Jacob, où vos pères ont de-
meuré; ils y demeureront avec leurs enfants et leurs
petits-enfants à toujours; et David, mon serviteur, sera
prince sur eux à toujours ! Et je ferai avec eux une al-
liance de paix, une alliance éternelle... J'établirai mon
sanctuaire au milieu d'eux pour toujours, et ma de-
meure sera chez eux, et je serai leur roi, et ils seront
mon peuple, et les païens reconnaîtront que c'est moi
Jéhovah qui sanctifie Israël, puisque mon sanctuaire
r
73
y sera établi gi toujours ! » Ézéchiel affecte de répéter
le mot ((toujours,)) comme pour bien se persuader
que le retour des malheurs dont il a été victime sera
impossible, et que le rétablissement de l'état israélite
sera bien complet, définitif, éternel. — Hélas! y a-t-il
rien d'éternel parmi les choses d'ici-bas?
Voilà donc, d'après Ézéchiel, le peuple israélite ren-
tré dans sa patrie, où il voit se réaliser les promesses
de Dieu , où il vit sous le gouvernement d'un bon prince ,
en paix et en prospérité. C'est alors que pour achever
le cours de ses destinées glorieuses, et pour accomplir
les antiques prophéties, il entrera encore une fois en
lice avec les peuples, mais une dernière fois, et pour
une lutte décisive. Le paganisme tout entier, dans la
personne des peuples du Nord, appelés Magog, et sous
la conduite d'un chef du nom de Gog, se précipitera
sur Israël. Mais Jéhovah se lèvera alors, combattra
lui-même pour son peuple, et exterminera l'immense
armée des ennemis. C'est le jugement dernier des na-
tions qu'attendait Joël, et qu'Ezéchiel dépeint sous des
couleurs apocalyptiques, peut-être empruntées à l'O-
rient. C'est Jéhovah lui-même qui attire Gog des extré-
mités du Nord, afin de montrer sa puissance aux na-
tions. Il fera pleuvoir des pierres, du feu et du soufre
sur les innombrables escadrons. Le carnage aura lieu
sur les monts d'Israël. Tous les oiseaux des cieux sont
conviés d'avance au funèbre festin^.
La fin du livre d'Êzéchiel, de XL à XLVIII , est
comme la confidence de ses pensées secrètes, de ses
songes, son Utopia, son royaume de Salente. Pendant
les loisirs et les regrets de son long exil, il s'est plu à
^Cf. LucXVH, 37.
\
74
peindre, jusque dans les plus minutieux détails, l'ave-
nir qu'il désirait. Le souvenir venait en aide à l'espé-
rance. Il décrit la cité idéale de l'avenir. Mais fils de
prêtre et sans doute prêtre lui-même, il arrête avec la
plus grande complaisance son attention et sa rêverie
sur le temple et le sacerdoce. La ville sera carrée; le
temple aussi. Peut-être songeait-il aux magnificences
du temple de Bel, dont s'enorgueillissait la Ghaldée.
11 veut un sacerdoce parfaitement pur; il étend à tous
les prêtres les exigences auxquelles le Pentateuque ne
soumet que le souverain sacrificateur. Il marque géo-
graphiquement les limites des douze tribus, par des
lignes droites. Il désigne l'apanage du prince, ses rap-
ports avec les prêtres, l'étiquette qu'il doit observer à
l'égard du temple : il ne lui est pas pei'mis d'y entrer;
il attendra à une porte que les prêtres prennent de sa
main et offrent de sa part les sacrifices. Ses posses-
sions, sa liste civile, sont déterminées, assez considé-
rables cependant pour qu'il ne soit pas tenté de s'em-
parer du bien d'autrui. Même son droit de disposer de
ce qui lui appartient est réglé. La Palestine, arrosée
par un fleuve qui jaillit d'une des portes du temple
(peut-être une image des bienfaits que le sacerdoce
répandra autour de lui), devient une contrée extrême-
ment fertile, même dans ses parties jusqu'alors les
plus ingrates; la mer Morte cesse d'être un marais fu-
neste, tant la vie et la fécondité débordent sur tout le
pays. Quant au futur temple, Ézéchiel en donne toutes
les dimensions, toutes les proportions, toutes les divi-
sions; il a oublié les tristesses du temps présent pour
vivre tout entier par l'imagination dans le bienheureux
sanctuaire.
75
Dans cette organisation si minutieusement prévue et
réglée, il ne laisse pas de place pour l'extraordinaire;
il a perdu de vue l'être merveilleux annoncé par Ésaïe.
Le rejeton de l'arbre royal doit être tout simplement
le premier roi qui régnera après l'exil sur les douze
tribus réunies et auquel succéderont sans interruption,
((toujours,)) des rois de la même race. Ezéchiel sépare
avec un soin jaloux les attributions toutes politiques du
prince des privilèges des prêtres; il prévoit même de
sa part des velléités d'injustice , de spoliation ou de dis-
sipation folle, auxquelles il oppose prudemment une
digue légale. Le roi dans son palais, les prêtres dans
leur temple splendide , les douze tribus sous le même
sceptre, chacune enfermée dans ses limites, le sol fer-
tile, les ennemis abattus, les nations respectueuses et
sympathiques, Jéhovah fidèlement servi par les siens et
honoré par tous, tel est le tableau de l'âge messianique
ti'acé par Ezéchiel. *
§ 5. Pendant qu'Ézéchiel espérait au dehors, d'autres
espéraient au dedans. Cette espérance était d'autant plus
naturelle que les malheurs dont on souffrait avaient été
prédits et n'étaient pour ainsi dire que la préface ou le
prélude du rétablissement. Les chap. XXIV à XXVII du
LIVRE d'Ésaïe ont dti être écrits en Palestine, peu de
temps après la destruction de Jérusalem. Le pays est
horriblement dévasté. Les barbares triomphent, mais
leur triomphe ne durera pas toujours. Jéhovah tuera le
monstre, le Léviathan (l'empire Ghaldéen) et fera de la
ville puissante des barbares un amas de ruines. Puis il
rassemblera au son de la grande trompette tous les fds
d'Israël dispersés depuis le Nil jusqu'à l'Euphrate , et ils
viendront adorer Jéhovali sur sa sainte montagne, à Je-
76
rusalem. Sur cette même montagne Jéhovah offrira aux
nations « un banquet de viandes grasses et de vins cla-
rifiés , )) et il dissipera l'obscurité dont elles sont enve-
loppées, c'est-à-dire qu'il les nourrira du pur et salu-
taire enseignement de sa Loi et les arrachera aux
ténèbres de l'idolâtrie et aux maux qui en sont la con-
séquence. « Il détruira la mort pour toujours ; il essuiera
les larmes de tous les visages et fera disparaître de
toute la terre la honte de son peuple ! » Mais toutes les
nations ne seront pas également favorisées : Moab, par
exemple, qui s'est joint sans doute aux Ghaldéens ou
qui s'est glissé sur leurs traces pour faire souffrir ceux
des Israélites que l'exil n'avait pas emportés, «Moab
sera foulé au lieu où il se trouve, comme on foule la
paille dans la mare au fumier; il y étendra les mains,
comme fait le nageur pour nager; mais Jéhovah le fera
retomber ! »
<{]n autre prophète, Abdias (Obadia), peut-être aussi
en Palestine et vers la même époque, menace de la co-
lère divine, non pas Moab, mais les Iduméens, qui
avaient lâchement profité des désastres d'Israël pour
l'accabler. Il annonce le grand jour du châtiment et le
retour des exilés dans la patrie , qu'ils agrandiront aux
dépens des peuples voisins.
§ 3. Cependant l'exil se prolongeait, triste, mono-
tone, sans issue. Il avait eu sur un grand nombre d'Is-
raélites la plus funeste influence. Les mœurs et les
cultes des païens au milieu desquels ils vivaient les
avaient fascinés. Ceux qui avaient retenu la religion de
leurs pères et continuaient à observer les sabbats, les
jeûnes, les pratiques de la loi, le faisaient mollement
et non sans de fréquentes infractions : ils alliaient à
77
une certaine fidéiilé extérieure une conduite blâmable.
Quelques-uns seulement, de petits groupes, perdus au
milieu des multitudes hostiles, protestaient par leur
vie pieuse et par leur inébranlable attachement à Jéhovah
contre tant de crimes ou d'insouciance. Ceux-là, en
butte aux moqueries, aux outrages, à la haine de tous,
étaient également persécutés par les païens dont ils
avaient la religion en horreur, par les apostats qui se
vengeaient sur eux de leurs remords, et par les indiffé-
rents auxquels ils étaient un vivant reproche. Vrais re-
présentants d'Israël , ils étaient les seuls qui souffrissent
réellement de la captivité et dont l'âme soupirât après
la délivrance, après la pa'rie, après la sainte montagne
de Sion. Mais ils soupii'aient en vain. Rien ne leur lais-
sait présager la fin de leurs maux et de leur exil , et ils
en étaient réduits à ne trouver de repos que dans la
tombe.
Tout à coup la scène change. L'empire si solide *de
la Babyionie est ébranlé. De l'Orient et du Nord une
irrésistible invasion se déchaîne. Ce sont les Perses,
âpres montagnards ; ce sont les Mèdes, que les Perses
entraînent avec eux. Un chef jusqu'alors invaincu les
conduit à la conquête du monde. L'Egypte est mena-
cée , la Lydie est soumise , la Ghaldée est envahie. Bien-
tôt Babylone elle-même, la fière, la reine des nations,
tombera au pouvoir des vainqueurs. On devine avec
quelle émotion les exilés, ceux du moins qui n'avaient
pas perdu le souvenir de la Terre sainte, suivaient les
progrès de Gyrus et ressentaient le contre-coup de toutes
ses victoires. C'est alors , entre la prise de Sardes et celle
de Babylone (entre 546 et 539), qu'un prophète, dont
le nom malheureusement n'a pas été transmis à la pos-
78
térité, écrivit, pour ranimer ses compagnons d'exil et
les préparer aux grandes destinées qui les attendaient,
les admirables pages dont se compose la deuxième moi-
tié DU LIVRE d'Ésaïe , XL à LXVI.
Il salue dans Cyrus l'envoyé, le berger, le serviteur
de Jéhovah , «le Messie, )> qui doit exécuter les juge-
ments divins, châtier l'insolence des oppresseurs,
rendre aux enfants d'Israël leur patrie et ouvrir ainsi
l'ère prédite par les prophètes.
«Ainsi parle Jéhovah à Cyrus, son Messie, qu'il a
pris par la main . pour lui assujettir les nations : Je
dénouerai les ceintures des rois; les portes ne te seront
pas fermées , je les ouvrirai devant toi à deux battants.
C'est moi qui marcherai devant toi; j'aplanirai les co-
teaux, je romprai les portes d'airain; je briserai les
verrous de fer... , afin que tu saches que c'est moi , Jé-
hovah, le Dieu d'Israël, qui t'ai appelé par ton nom...
C'est moi qui ai suscité Cyrus dans ma bonté; j'ai aplani
tous ses chemins; il rebâtira ma ville et renverra mes
exilés sans rançon ni présent, dit Jéhovah des armées
(XLV), L'homme qu'aime Jéhovah exécutera ses ordres
dans Babylone, et son bras s'appesantira sur les Chal-
déens ! C'est moi qui en ai parlé et qui l'ai appelé ; je l'ai
fait venir et son entreprise réussira » (XLVIII, d4, 15).
Babylone a trop longtemps abusé de la puissance que
Dieu lui avait confiée : elle a trop lourdement pesé sur
les enfants d'Israël; elle s'est montrée sans pitié, sans
pudeur, sans conscience; l'heure des rétributions est
arrivée. A cette pensée, tout ce qui s'était amassé de
douleur, de honte, de découragement, de rancune dans
le cœur des exilés pendant leur longue servitude, éclate
sous la plume du prophète en violentes imprécations,
en sanglante ironie , en implacable triomphe.
79
Si Jéhovah a tanl tardé, c'est à cause des péchés
du peuple. Les Israélites avaient été abandonnés à
l'oppression en châtiment de leurs fautes : l'oppres-
sion ne les a pas rendus meilleurs. Malgré cet en-
durcissement, la délivrance, quelque tardive qu'elle
lut, était inévitable. Le prophète en donne deux rai-
sons, en apparence contraires, mais qui se conci-
lient à une certaine profondeur. La première, c'est
que l'expiation est achevée ou près de l'être (XL, 2) :
« Parlez au cœur de Jérusalem et criez-lui que son
temps de corvée est accompli, que son péché est ex-
pié, qu'elle a reçu le double pour ses fautes!» La
domination des Ghaldéens a été si écrasante, si humi-
liante, que le châtiment semble avoir dépassé le crime.
Tous pourtant n'ont pas souffert. L'expiation n'a été
subie, offerte que par quelques-uns, les vrais fidèles.
Ils ont porté les fautes des autres, ils ont servi de vic-
time expiatoire, de propitialion. Gomme un rejeton qui
pousse inopinément dans une terre sèche, ils ont grandi
devant Dieu malgré toutes les influences contraires;
sans défaillir, ils ont tout supporté : mépris, injures,
coups, même la mort. Un tombé, l'autre était encore
là. On eût dit un seul homme chargé de boire jusqu'à
la lie la coupe de la colère divine (XLII, XLIX, LU,
LUI). — Mais après l'épreuve vient la récompense :
« Quand son àme aura souffert l'expiation , il se verra
de la postérité, il prolongera sa vie, et l'œuvre de
Jéhovah prospérera dans sa main. Délivré des peines
de son âme, il vivra dans l'abondance... Je lui donne-
rai son héritage parmi les grands, et il partagera le bu-
tin avec les puissants...» La seconde cause de la déli-
vrance, c'est la promesse infaillible de Dieu qui avait
\j
80
résolu dès l'origine qu'Israël serait son peuple élu, son
serviteur dans le monde. C'est là un sceau ineffaçable,
un caractère indélébile de prêtrise, une vocation qui
subsiste à travers toutes les vicissitudes et toutes les
chutes. Israël ne l'a pas mérité; il ne peut non plus en
démériter : cela provient de la pure grâce, de la pure
volonté de Dieu, (c Qui est aveugle comme mon servi-
teur, et sourd comme mon envoyé ?d Israël demeure
le serviteur, l'envoyé, l'apôtre de Jéhovah en dépit de
sa cécité, de sa surdité, de son ingratitude, malgré les
éclipses de son intelligence et de sa foi. « Je me suis
formé ce peuple.» «Il est le peuple éternel. » On voit
qu'il ne peut pas périr. Il a de grandes destinées : il
doit servir à la gloire de Jéhovah,, à la destruction des
idoles, à la conversion des païens, au renouvellement
de la nature entière. C'est moins un peuple qu'une idée,
une abstraction, un idéal auquel les faits sont encore
contradictoires, mais auquel ils devront tôt ou tard se
soumettre. Pour le moment, cet Israël -Messie, ce
peuple-prêtre, ce serviteur collectif de Jéhovah est sur-
tout représenté par le groupe des vrais fidèles. Ils sont
semblables à «ce jus de bénédiction)) qui se trouve
dans la grappe, et grâce auquel la grappe tout entière
est épargnée, bois, pellicules et pépins. Ainsi sera
épargné le reste du peuple, grâce aux serviteurs fidèles
qui portent en eux le sort d'Israël et du monde : ils
serviront à rallier les indifférents et les coupables; ils
seront « l'alliance du peuple,)) rassembleront les tribus
dispersées, et élèveront au milieu des nations l'étendard
de Jéhovah !
Mais il la ut avant tout rentrer en Palestine, c'est la
condition sans laquelle l'âge messianique ne saurait
81
commencer. Sion est le rendez-vous de tous les enfants
d'Israël. Tous n'étaient pas disposés à y revenir. Plu-
sieurs avaient fini par s'habituer à leur nouvelle exis-
tence; la Ghaldée leur était devenue une seconde patrie,
ils y étaient nés pour la plupart; ils y avaient leurs
biens, leurs gains, leurs habitudes. Ce voyage en masse
à travers les dangers du désert leur souriait peu. Ils
préféraient les bords familiers de l'Euphrateou du.Gha-
boras à ceux du Jourdain. La Palestine était désolée;
les villes en ruine, les champs en friche ou possédés
par des étrangers, qui ne se laisseraient pas dépouiller
sans lutte. C'est pour répondre à ces objections et à ces
craintes que le prophète dépeint le passage du désert
sous de si riantes couleurs, ce J'établirai dans le désert
une route et des ruisseaux d'eau dans la sohtude, les
bêtes des champs, les chacals et les autruches me cé-
lébreront, parce que je mettrai dans le désert des eaux
et des ruisseaux dans la solitude pour abreuver mon
peuple, mon élii... — Ils n'auront pas soif au milieu
des déserts où Jéhovah les conduira : il leur fera jaillir
des eaux du rocher! » Des miracles les précéderont : une
onde fraîche jaillira sous leurs pas, des arbres de toute
sorte produiront un épais ombrage. Ce long voyage se
fera sans fatigue et ne ressemblera pas aux quarante
années du désert sous la conduite de Moïse. Puis la
V,
Terre sainte sera repeuplée comme par enchantement;
les intrus seront chassés sans peine; les Hébreux dis-
persés reviendront de tous les bouts de la terre, et une
abondance incomparable sera leur partage.
Aussitôt après que les enfants d'Israël auront quitté
la Babylonic, traversé le désert et mis le pied sur la
Terre sainte, l'âge messianique commencera. Au lieu de
s. ^
\
résumer la pensée du prophète, laissons- le plutôt dé-
ployer lui-naême devant nous toute la richesse de ses
espérances. Il s'adresse à Jérusalem : (LX) «Lève toi,
resplendis; car ta lumière apparaît, et la gloire de Jé-
hovah se lève sur toi. Voici, les ténèbres couvrent la
terre, et l'obscurité les peuples; mais sur toi se lève
Jéhovah, et sa gloire brille au-dessus de toi. Les peuples
marcheront à ta lumière, et les rois à l'éclat de ta
splendeur. Regarde autour de toi... Tes fils viennent à
toi des pays lointains; tes filles sont portées sur les
bras. Oui regarde et réjouis-toi ! Que ton cœur bondisse
et se dilate! Car l'opulence de la mer se tournera vers
toi, et les richesses des nations viendront à toi... Elles
apportent de l'or et de l'encens; elles célèbrent les
louanges de l'Éternel... Tous les troupeaux de Kédar se
rassemblent chez toi; les béliers de Nébaioth sont à ton
service; ils monteront sur mon autel... Je couvrirai de
gloire ma glorieuse Maison (le Temple). Les fils de
l'étranger rebâtiront tes murailles, et leurs rois te ser-
viront : car, si je t'ai frappée dans ma colère, j'ai com-
passion de toi dans ma bienveillance. Tes portes seront
ouvertes sans cesse; on ne les fermera ni jour ni nuit,
pour laisser entrer dans ton sein les richesses des na-
tions et leurs rois captifs. Le peuple et le royaume qui
ne le serviront pas périront : ces nations là se desséche-
ront. La gloire du Liban viendra chez toi, le cyprès, le
platane et le mélèze croîtront pour orner mon sanc-
tuaire, pour que je glorifie le lieu où mes pieds se
posent. Les fils de tes oppresseurs viendront vers toi,
courbés, et ceux qui te méprisaient se prosterneront
jusqu'à la plante de tes pieds, et t'appelleront : Cité de
Jéhovah, Sion du saint d'Israël!»
r
83
Il esL beau de voir ici les espérances du prophète
croître et s'exalter et s'élever d'un vol hardi en décrivant
des cercles toujours plus vastes et plus radieux, jusque
dans les régions de la pure poésie :
((Tu étais abandonnée, haïe, solitaire; désormais je
lerai de toi une splendeur éternelle, un délice pour
toutes les générations. Tu suceras le lait des peuples,
tu fetterasà la mamelle des rois, et tu reconnaîtras que
c'est moi, Jéhovah qui suis ton sauveur, et que ton li-
bérateur est le héros de Jacob! Au lieu d'airain, je fe-
rai venir de l'or, au lieu de fer je ferai venir de l'argent,
au lieu de bois de l'airain, au lieu de pierres, du fer.
Et je le donnerai pour surveillants la Paix, et pour
gouverneurs la Justice. On n'entendra plus parler de
violence sur ton territoire, de ruine ni de destruction
dans tes frontières. Tu nommeras tes remparts Salut,
et tes portes Gloire. Le soleil ne sera plus ta lumière
pendant ie jour, ni la lune ne t'éclairera plus de sa
lueur pend^ant la nuit : mais Jéhovah te sera une lumière
éternelle, et ton Dieu sera ta gloire. Ton soleil ne se
couchera plus, et ta lune ne décroîtra plus : car Jého-
vah te sera une lumière éternelle : les jours de ton deuil
seront passés. Tout ton peuple sera un peuple de justes :
rejeton que j'ai planté, ouvrage C[ue j'ai fait pour ma
gloire, il possédera le pays à toujours!... Les étrangers
seront à vos ordres et paîtront vos troupeaux; les fils de
l'étranger seront vos laboureurs et vos vendangeurs.
Mais vous, vous serez appelés prêties de Jéhovah; on
vous nommera serviteurs de notre Dieu. Vous absor-
berez la richesse des nations, et vous vous substituerez
à elles dans leur 2:loire ! »
Enfin, le monde tel qu'il est. '' vieux monde décré-
84
pit où l'on a tant souffert, ne suffit plus à contenir les
transports du prophète, et ne lui paraît pas un lieu
digne de la gloire et de la félicité qu'il rêve pour le
peuple d'îsraël : LXV, 17. ((Voici, je créerai de nou-
veaux cieux et une nouvelle terre; on ne se souviendra
plus des choses passées, et elles ne reviendront plus en
mémoire. Au contraire, vous serez éternellement con-
tents et joyeux de ce que j'aurai créé : car voici, je crée-
rai Jérusalem pour la joie, et son peuple pour l'allé-
gresse. Je ferai ma joie de Jérusalem, et mon bonheur
de mon peuple. On n'entendra plus dans son sein la
voix des pleurs et des gémissements ! — On n'y verra
point d'enfant qui vive peu de jours, ni de vieillard qui
n'atteigne les limites de la vie; car ce sera mourir
jeune que de mourir centenaire ; le pécheur ne sera
emporté par la malédiction qu'à cent ans ! Ils bâtiront
des maisons et les habiteront; ils planteront des vignes
et en mangeront les fruits. Ils ne bâtiront pas de mai-
sons pour qu'un autre y habite; ils ne plaiiteront pas
de vignes pour qu'un autre en mange les fruits. Car
l'âge de mon peuple atteindra le grand âge des arbres,
et mes élus jouiront de Fœuvre de leurs mains. Ils ne
travailleront pas en vain; ils n'enfanteront pas pour
l'épouvante. Car ils .sont la race des bénis de Jéhovah,
et leurs rejetons avec eux! Et il arrivera qu'avant qu'ils
m'invoquent, je répondrai; ils parleront encore, j'aurai
exaucé! — Le loup et l'agneau paîtront ensemble; le
lion mangera du fourrage comme le bœuf, et le serpent
se nourrira de poussière. Il ne se fera aucun mal sur
toute ma sainte montagne, dit Jéhovah!»
Dans tout le cours de ces prophéties, nous ne voyons
pas une seule fois apparaître le chef davidique auquel
/
/
85
la prospérité du peuple semblait attachée. Non-seule-
ment ce chef spécial n'est pas annoncé, mais il n'est
pas même question de roi ni de race royale. C'est que,
pendant la longue durée de l'exil, la race de David
s'était obscurément éteinte, s'était fait oublier. Ses
derniers représentants sur le trône avaient fait si triste
figure qu'on n'avait plus guère intérêt à rechercher
leur lignée. Le Messie attendu paraît dans la personne
d'un conquérant qui se précipite des profondeurs de
l'orient et du nord. Il faut saisir le salut d'où qu'il
vienne; après tout il ne vient que de Jéhovah, dont
les mystérieux desseins concourent tous au relèvement
de son peuple. Ce que notre prophète attend ce n'est
pas un roi, quelque grand qu'il puisse être, c'est la
vraie théocratie, telle qu'elle existait dans les jours de
Samuel, des Juges, de Moïse ou des patriarches, c'est
le gouvernement direct et visible de Jéhovah. Mais il
y a dans sa pensée un progrès manifeste sur l'ancienne
théocratie; 'car il paraît ignorer le sacerdoce; il le
supprime ou le laisse dans l'ombre, — combien différent
en cela de Jérémie et d'Ézéchiel ! « Je te donnerai pour
chef la Paix et pour gouverneur la Justice. » Tous les
Israélites seront prêtres parce que tous seront justes.
C'est ((un peuple de justes,» c'est «un peuple de
prêtres.» La communauté dont ils sont prêtres, c'est
la vaste assemblée des nations qui se convertissent au
Dieu d'Israël : les peuples sont les Idicjîies, les Israé-
lites sont le clergé. Bien plus, dans un élan de géné-
rosité suprême, le prophète va jusqu'à briser cette
barrière qu'il avait déjà tant élargie , et il montre Jé-
hovah se choisissant des prêtres et des lévites jusque
parmi les païens, dont quelques-uns se consacreront
\
\
86
à la conversion de leurs frères et deviendront de vrais
apôtres des Gentils.
LXVI, i8. «Le temps vient de rassembler tous les
peuples et toutes les langues, pour qu'ils viennnent et
qu'ils voient ma gloire. Je leur donnerai un signal, et
je renverrai les échappés d'entre eux aux nations, à
Tarsis, à Put et à Lud, pays des archers, à Tubal et
Javan , aux îles lointaines qui n'ont jamais entendu
parler, de moi ni vu ma gloire ; ceux-là annonceront
ma gloire aux nations. Et ils ramèneront tous vos frè-
res (les Israélites dispersés) du milieu de tous les peu-
ples, comme une offrande à Jéhovah , sur des chevaux,
sur des chars, en litière, sur des mulets, sur des dro-
madaires, jusqu'à ma sainte montagne, à Jérusalem,
dit Jéhovah, comme les fils d'Israël portent dans un
vase pur leur offrande à la maison de Jéhovah. Je
prendrai même parmi eux des prêtres et des lévites,
dit Jéhovah. »
Il semble qu'il n'y ait plus qu'un pas à faire (et
pourtant c'était un abîme) pour arriver à la religion
sans prêtres et sans temple , à la rehgion définitive ,
celle de Jésus-Christ. Il fallut des siècles pour que ce
pas fût franchi. Notre prophète anonyme veut encore
qu'on adore à Jérusalem , que « de nouvelle lune en
nouvelle lune, et de sabbat en sabbat» toute chair
vienne se prosterner devant Jéhovah dans son sanc-
tuaire , dans le lieu qu'il habite de préférence, à Sion.
C'est là que doivent affluer les dons, les offrandes, les
caravanes des nations. Les bénédictions qu'un tel culte
répandra sur ses adhérents sont temporelles comme le
culte lui-même; c'est une longue vieillesse, une inta-
rissable abondance, une jouissance ininterrompue.
87
CHAPITRE VI.
LE RETOUR. AGGÉE. ZACHARIE. MALACHIE.
§1. Babylone fut prise en 539 par Gyrus, qui se
garda bien de détruire la ville splendide dont il voulait
faire la capitale de son vaste empire. Il commença ainsi
à tromper l'attente des prophètes, qui croyaient que le
premier acte de l'intervention divine serait l'anéantis-
sement de l'orgueilleuse cité. Trois ans plus tard, sans
doute sur leurs pressantes instances, Cyrus accorda
aux Juifs la permission de rentrer dans leur patrie
(536). Le moment tant désiré était donc enfin venu !
L'âge messianique allait donc commencer! Des foules
d'exilés, portés sur les bras des peuples, allaient en-
trer en triomphe à Jérusalem ! Toutes les magnifi-
cences promises allaient se réaliser ! — Non. La grande
majorité des enfants dTsraël refusa de quitter une pos-
session certaine pour des biens douteux. Un petit
nombre seulement profita de la permission accordée
par Cyrus. Un des leurs, Zorobabel, que l'on disait
appartenir à la famille royale, fut nommé gouverneur
de la Judée au nom du roi des Perses. Jérusalem ne re-
leva ses ruines qu'à grand'peine. La construction du
temple, qui d'ailleurs paraît avoir été mesquin , n'avan-
çait qu'avec lenteur. Elle fut me-^ne entièrement inter-
rompue par l'hostilité des colons qui avaient été en-
voyés en Palestine lors de la déportation des Israélites.
Un ordre formel, qu'ils obtinrent de la cour des Perses,
suspendit les travaux. Après la mort du faux Smerdis,
de qui provenait cette défense , et sous le gouverne-
ment moins tyrannique de Darius, fils d'Hystaspe, les
88
travaux furent repris à l'instigation des prophètes
Aggée et Zacharie.
§ 2- Aggée, dans le dessein d'encourager Zorobabel,
fils de Salathiel , gouverneur de Judée, et Josué, fils
de Jossadak, grand-prêtre, à activer les travaux, et tous
les Juifs à y contribuer de leurs dons et de leurs bras,
déclare que la disette dont on souffre est un châtiment
de la nonchalance du peuple à l'égard de la maison
de Jéhovah, et qu'avec l'achèvement du temple coïnci-
dera l'âge messianique, dont le temps présent offre si
peu l'image : II, 6. «Encore un peu de temps, et j'é-
branlerai le ciel et la terre, la mer et le désert, et j'ébran-
lerai tous les peuples, et leurs plus précieux trésors af-
flueront ici \ et je remplirai de gloire cette Maison , dit
Jéhovah des armées : à moi l'argent, à moi l'or, dit Jé-
hovah des armées ! La gloire de cette dernière Maison
dépassera celle de la première, dit Jéhovah des armées!
C'est dans ce lieu que je mettrai la paix , dit Jéhovah des
armées! » C'est-à-dire, la paix définitive, l'accomplis-
sement {Schâlôm) sont attachés à la construction du
temple. Dès qu'il sera achevé, la grande catastrophe
aura lieu ; les peuples se détruiront eux-mêmes dans
des guerres fratricides, leurs richesses afflueront au
temple, et la Terre sainte jouira enfin des biens promis,
sous le commandement de Zorobabel, qui est le chef
prédit, élu, choisi, le Messie annoncé: «Dis à Zoro-
babel, le gouverneur de Juda : Je vais ébranler le ciel
et la terre; je vais renverser le trône des royaumes,
j'anéantirai la force des royaumes des païens; je ren-
verserai les chariots avec leurs conducteurs, les çhe-
* Ou peut-être : «les meilleurs d'enire-eux viendront...»
89
vaux avec leurs cavaliers; chacun périra par l'épée de
son frère. En ce jonr-là , dit Jéhovah des armées , je te
prendrai, toi Zorobabel, fils de Salathiel, mon servi-
teur, dit Jéhovah, et je te garderai comme un cachet ' :
CAR c'est toi que j'ai CHOISI, dit Jéhovah des ar-
mées ! )) —
C'est par ces paroles significatives que se. terminent
les prophéties d'Aggée.
§ 3. Zacharie, fils de Béréchie, prophétisa dans ie
même temps, dans le môme esprit et dans le même
dessein qu'Aggée. Son livre (I à YIIÏ) se divise en trois
parties inégales, dont la seconde (I, 7 à VI, 15) est la
plus étendue et la plus importante ; elle se compose de
sept visions. L'exil n'a pas été sans influence sur cette
forme nouvelle de la prophétie, que nous avons déjà
rencontrée chez Ézéchiel. La doctrine des anges a ac-
quis de nouveaux développements, dont nous trouvons
la preuve chez Zacharie, et qui dans le livre de Daniel
s'appliqueront même aux idées messianiques. Nous al-
lons relever rapidement dans les prophéties de Za-
charie tous les passages qui se rapportent à notre
sujet.
La première vision , celle des cavaliers , se termine
par des promesses qui ne diffèrent en rien de celles
des anciens p^^ophètes: Jéhovah fera éclater sa colère
sur les peuples qui vivent maintenant en paix après
avoir fait tant de mal aux enfants d'Israël. Il aura
pitié de Jérusalem ; son temple y sera enfin construit, et
toutes les villes de la terre sainte regorgeront de biens.
La deuxième vision, celle des quatre cornes et des
1 C'est-à-dire : Je te garderai comme celui qui doit mettre le sceau
à toutes mes promesses.
N
90
quatre forgerons , annonce le grand jugement des peu-
ples qui ont été hostiles à Juda.
La troisième vision, celle de l'homme avec un cor-
deau, précise davantage ce que les deux premières
n'ont fait qu'indiquer. Jérusalem sera si vaste et si peu-
plée qu'il ne faudra pas songer à l'enfermer dans des
murailles. Jéhovah lui-même sera une muraille de feu
autour d'elle. Les Israélites demeurés dans la Babylonie
n'ont qu'à se hâter de revenir, parce que les jugements
de Dieu vont éclater sur les nations. Il, 14 : ((Réjouis-
toi et tressaille, fille de Sion, car voici, je viens, et j'ha-
biterai au milieu de toi , dit Jéhovah , et dans ce temps-là
un grand nombre de peuples s'attacheront à Jéhovah,
et ils seront mon peuple... Jéhovah aura Juda en héri-
tage pour sa portion sur la Terre sainte; il se choisira
encore Jérusalem. Que toute chair se taise devant Jé-
hovah : car il s'élance de sa sainte demeure ! »
Le chap. III raconte le jugement fictif du grand-
prêtre Josué ; cet épisode rappelle le prologue de Job.
Zacharie suppose que le grand-prêtre Josué est accusé
par Satan devant Dieu, qui l'acquitte ^ L'ange qui lui
annonce cet acquittement, lui promet en même temps
de la part de Jéhovah, que s'il reste fidèle, il aura le
privilège d'achever la construction du temple et de voir
l'avènement du Messie. «Écoute donc, Josué, grand-
prêtre, toi et tes amis qui sont assis avec toi... Voici,
je fais venir mon serviteur Germe^ !... En ce jour-là , dit
Jéhovah, vous vous inviterez l'un l'autre sous la vigne
et le figuier. »
' Ewald suppose que c'est une allusion aux accusations dont Josué
aura été l'objet à la cour du grand roi. S'il est acquiUé au ciel . qui
le condamnera sur la terre?
r
91
Le chap. IV renferme ia vision du chandelier et des
deux branches d'olivier. Jéhovah fera reposer son esprit
sur Zorobabel, en sorte que tout lui soil facile, que
tous les obstacles s'aplanissent devant lui, et qu'il pose
la dernière pierre de l'édifice sacré, comme il en a posé
les fondements. fcLes mains de Zorobabel ont fondé
cette maison; ce sont aussi ses mains qui l'achève-
ront!» Les deux branches d'olivier sont «les deux fils
de llmile^ qui se tiennent devant le Seigneur de toute
la terre,)) c'est-à-dire Zorobabel et Josué, Oints tous
deux, tous deux Messies. Cette pensée, surprenante au
premier abord, trouve sa confirmation dans le chap. VI,
aux vers. 12 à 15. Trois juifs, Heldaï, Tobia et Jedaia,
étaient venus de la Babylonie, envoyés sans doute par
ceux de leurs compatriotes qui étaient restés volontai-
rement dans l'exil , et ils apportaient de riches pré-
sents pour le temple. Le prophète y voit un signe des
temps. Cette ambassade le transporte de joie. Dans son
enthousiasme il propose de faire avec l'or et l'argent
des trois juifs des couronnes destinées à représenter la
gloire prochaine de l'âge messianique. Tel est l'ordre
qu'il reçoit de Jéhovah : ((Prends l'argent et l'or, et en
fais des couronnes, et les mets sur la tête de Josué,
fils de Jéhossadak , grand-prêtre^, et dis-lui: Ainsi dit
Jéhovah des armées : Voici venir l'homme dont le nom
est Germe; sous lui tout germe {i. e. prospère). Il bâ-
tira le temple de Jéhovah, oui, il bâtira le temple de
Jéhovah î II sera couronné de majesté; il siégera, il
1 Tsêmach^ germe, rejeton, c'est le nom du Messie, d'après la
métaphore d'Ésaïe.
- Comme il semble, d'après les noms propres du vers. 14, que ce
texte a subi quelques altérations, on serait tenté d'ajouter ici le nom d?
Zorobahel à celui de .losué, puisqu'il s'agit de plus d'une couronne.
régnera sur son trône. Et il y aura un prêtre sur son
trône, et un conseil de paix sera entre les deux ! ... »
La seule explication plausible de ce passage est celle
qu'a donnée l'école rabbinique: l'homme dont le nom
est Germe , c'est-à-dire qui est le Messie annoncé par
Ésaïe et les autres prophètes, n'est autre que Zoro-
babel , le gouverneur de la Judée, le descendant de
David, celui qui achèvera le temple, comme Zacharie
le lui a formellement prédit , qui réparera toutes les
brèches du passé , et qui régnera avec gloire ; il asso-
ciera à sa majesté et à sa puissance le grand -prêtre
Josué, qui aura comme lui bien mérité de la patrie et
du culte , et auquel il sera uni par les liens de l'affec-
tion et d'une gloire commune. Ces deux personnages,
agissant de concert, formeront, pour ainsi parler, un
Messie à double caractère et à double fonction, tout
ensemble prêtre et roi.
Au chap. VIII , Zacharie prophétise que Jéhovah ha-
bitera Jérusalem, qu'elle sera appelée ville de fidélité,
que les vieillards y demeureront paisiblement , que les
enfants joueront gaîment dans les rues, et qu'il ne
restera plus sur la terre étrangère un seul des enfants
d'Israël , dont l'exil volontaire était un scandale pour
le prophète. En prévision de cette ère de bonheur qui
s'approche, il veut qu'on change en fêtes de joie les
jours de jeûne consacrés au souvenir de la prise de
Jérusalem. Il montre enfin tous les peuples de la terre
tournés vers Israël, lui enviant sa religion et sa pros-
périté. «Ainsi dit Jéhovah des armées: Il arrivera
que des peuples viendront, et les habitants de beau-
coup de villes ; les habitants de l'une iront vers l'au-
tre en disant : a Allons implorer Jéhovah !» — « al-
93
Ions chercher Jéhovah des armées ! » — « Moi aussi
j'y veux aller !» — a Et beaucoup de peuples vien-
dront, et des nations nombreuses, pour chercher
Jéhovah des armées h Jérusalem , pour implorer Jé-
hovah. Ainsi dit Jéhovah des armées : Dans ces jours-
là, dix hommes de toutes les langues des païens sai-
siront le bout du manteau d'un Juif, en lui disant:
Nous voulons aller avec vous, car nous savons que
Jéhovah est avec vous ! » — Quel orgueil dans ces pa-
roles, mais qu'il est légitime ! Quel sentiment profond
de la supériorité de la religion juive sur les poly-
théismes antiques, et quelle énergique confiance en
l'avenir !
§4. Cette confiance ne devait pas, pendant long-
temps encore, être justifiée par les événements. Les ef-
forts d'Esdras, puis de Néhémie, préfets ou satrapes
chargés par le roi des Perses du gouvernement de la
Judée, ne réussirent qu'avec la plus grande peine à
donner quelque cohésion et quelque ordre à l'État re-
naissant. Néhémie cependant, un juif qui occupait un
rang élevé à la cour deBabylone, parvint, grâce à une
fermeté un peu rude, à réduire l'opposition et la mau-
vaise volonté de ses compatriotes. Jérusalem, malgré
tant de brillantes promesses, regorgeait si peu d'habi-
tants qu'il dut employer, pour la peupler, le procédé
un peu brutal de décimer les campagnes, c'est-à-dire
de tirer au sort (i sur 10) ceux qui seraient contraints
de venir habiter la ville. Cette perspective était si peu
agréable qu'on acclamait, qu'on bénissait ceux qui se
dévouaient volontairement au séjour de la capitale. On
comprend qu'avec de telles dispositions et une telle ré-
pugnance, le temple, les fêtes, les cérémonies du
94
culte, dont le siège était à Jérusalem, fussent singu-
lièrement négligés. Les prêtres eux-mêmes observaient
avec peu de fidélité et de conscience les pratiques de la
religion. C'est le sujet des plaintes de Malaghie, pro-
phète qui secondait de sa parole les efforts de Néhé-
mie. On présume qu'il est de près d'un demi-siècle
postérieur à Aggée et à Zacharie. Il blâme sévèrement
les prêtres d'être si peu attentifs au culte de Jéhovah
et si peu scrupuleux dans le choix des victimes qu'ils
ofïrent sur son autel. Il se plaint que Jéhovah soit si
mal honoré à Jérusalem, tandis que les Israélites dis-
persés parmi les païens savent faire respecter son nom.
Il paraît qu'on commençait à s'étonner que l'accom-
plissement des prophéties tardât tant, que le fameux
jugement des peuples n'arrivât point. Malachie déclare
aux impatients qu'ils ont tort d'oublier que le jugement
de Dieu s'exercera d'abord sur eux, pour les punir de
leurs infidélités. Toutefois avant que le terrible jour
se lève, Jéhovah fera encore une tentative auprès des
pécheurs; il enverra son messager, dont la prédication
réveillera les consciences, et préparera la venue ven-
geresse du Seigneur, de Jéhovah lui-même. «(Voici,
j'envoie mon messager pour préparer le chemin devant
moi, et tout à coup le Seigneur, que vous désirez,
viendra dans son sanctuaire; le messager de l'alliance*,
voici, il vient! dit Jéhovah des armées. Qui supportera
le jour de sa venue, et pourra subsister lorsqu'il nppa-
raitrs? Car il est comme le feu du fondeur et le savon
^ Ou bien c'est le prophète précurseur du grand jugement, qui
cherchera à réiablir l'alliance entre Jéiiovah et son peuple; ou bien
c'est Jéhovah lui-même qui vient en personne rétablir son alliance
et purifier les fils de Lévi.
95
des blanchisseurs. Il se tiendra comme celui qui fond et
purifie l'argent; il purifiera les fils de Lévi, et les affi-
nera comme on affine l'or et l'argent, afin qu'ils ofi"rent
à Jéhovah des sacrifices justes, et que les sacrifices de
Juda et de Jérusalem soient agréables à Jéhovah comme
aux jours de jadis, comme aux années d'autrefois. —
Je m'approcherai de vous pour vous juger, et je serai
un témoin actif contre les devins, les adultères, les par-
jures, contre ceux qui frustrent l'ouvrier de son sa-
laire, qui oppriment la veuve et l'orphelin, qui écrasent
l'étranger, et qui ne me craignent pas, dit Jéhovah des
armées. — Voici, le jour vient, brûlant comme un
four. Alors tous les orgueilleux et tous ceux qui font le
mal seront comme de la paille, et le jour qui vient les
embrasera, dit Jéhovah des armées, et il ne leur lais-
sera ni racine ni branche. Mais pour vous qui craignez
son nom, le soleil de justice se lèvera, portant la gué-
rison sur ses ailes. Et vous sortirez et vous bondirez
comme des veaux gras. Vous écraserez les méchants,
car ils seront comme de la cendre sous la plante de vos
pieds, dans le jour que je prépare, dit Jéhovah des
armées. — Pensez à la loi de Moïse, mon serviteur, à
qui j'ai donné mes lois et mes ordonnances sur le mont
Horeb pour tout Israël ! — Voici, je vous enverrai Élie
le prophète, avant que vienne le jour de Jéhovah, le
grand et redoutable jour! Il ramènera le cœur des
pères vers les fils et le cœur des fils vers leurs pères,
de peur que je ne vienne et que je ne frappe le pays
d'anathème! »
Les grands traits du messianisme classique se sont
elfacés. Il est bien question dans Malachie d'un âge
d'or, où la Judée sera une tei're de délices, où Tabon-
ciaiice remplira les greniers, où les fidèles observateurs
de la loi de Moïse écrasei'ont sous leurs pieds les in-
fidèles comme de la cendre. Mais où est l'espoir de la
conversion du monde, de la domination universelle
d'Israël, d'une nouvelle et plus intime alliance entre
Dieu et son peuple? Où est l'attente du glorieux chef
national? où est même la croyance en un jugement
solennel de tous les peuples? Ce que Malachie prédit,
ce ne sont plus les grandes Assises de l'univers, mais
seulement une épuration du peuple juif et surtout de
la tribu de Lévi. C'est elle qui occupe la plus grande
place dans les préoccupations du prophète. Malgré les
sanglants reproches adressés aux prêtres, et dans ces
reproches mêmes, se trahit une tendance sacerdotale.
Que l'on cesse de négliger les prescriptions du culte
lévi tique, et l'on échappera aux jugements de Dieu. Ce
n'est pas à dire que l'élément moral soit absent : pour
Malachie, légalité et sainteté étaient synonymes.
CHAPITRE VII.
l'apocalypse de DANIEL.
Il se présente ici une lacune considérable dans l'his-
toire des Juifs. De Néhémie jusqu'aux Maccabées, c'est
presque une durée de trois siècles dont il ne nous reste
aucun monument. La Judée partagea le sortdes autres
provinces de l'Asie occidentale : d'abord échue auxPto-
lémées, elle leur fut ravie par les Séleucides, et devint
un champ de bataille aussi bien qu'un objet de convoi-
tise pour les rois d'Egypte et de Syrie. A l'intérieur,
les prêtres avaient conquis une influence prépondé-
rante, comme représentants de la religion nationale' on
97
face delà domination étrangèi-e. L'inspiration avait dis-
paru devant le pouvoir croissant de la hiérarchie. La
prophétie s'était éteinte sous la cléricature. On compi-
lait, on rassemblait, on numérotait les écrits des an-
ciens, mais avec plus de zèle que d'intelligence. C'était
le temps de la Grande Synagogue. Il fallut de nouveaux
malheurs, l'angoisse et la persécution violente pour
faire encore une fois jaillir le feu sacré. Antiochus Épi-
phane, roi de Syrie (175), avait résolu, soit par amour
de l'uniformité, soit pour briser les derniers ressorts
de la résistance, de détruire les mœurs particulières et
le culte national des Juifs. Il ravagea le temple, y fit
élever un autel à Jupiter Olympien, et offrir des sacri-
fices en l'honneur de ce dieu (168). Il exigea que tout
le peuple y prît part; une sanglante persécution fut
organisée contre les réfractaires.
C'est alors qu'eut lieu la généreuse insurrection des
Maccabées. C'est alors aussi que fut écrit le livre de
Daniel. Ce livre a pour but d'encourager la révolte et
de soutenir les courages par la perspective d'un succès
prochain et définitif. Il essaie en même temps de con-
cilier les événements de l'histoire avec les prédictions
des anciens prophètes, le fait de la domination du
monde livrée jusqu'à présent aux païens, avec les pro-
messes toutes contraires faites au peuple du vrai Dieu.
Il se divise en deux parties, de six chapitres chacune,
dont la première est historique et la seconde prophé-
tique. L'histoire de Nabuchodonosor et de Balthasar,
toute pleine d'allusions au temps présent, est destinée
à montrer que même au sein de ses malheurs et de son
humiliation, le peuple d'Israël avait vu se manifester
avec éclat la puissance de Jéhovah , qui seul a droit aux
s. 7
98
hommages, et qui châtie sévèrement les princes païens
qui insultent à sa majesté. Cette première partie est
une sorte d'allégorie relative à l'insolence d'Antiochus
Épiphane, qui est figuré tour à tour par les deux rois
de Babylone. La deuxième partie explique l'histoire du
monde au point de vue juif. Les quatre grands empires
qui se sont succédé depuis la décadence d'Israël sont
décrits avec des détails d'autant plus abondants que
l'auteur se rapproche davantage du moment où il écrit:
l'empire chaldéen, celui des Mèdes, celui des Perses,
et enfin celui des Grecs et ses démembrements jus-
qu'au règne abominable d'Antiochus Épiphane, le per-
sécuteur des Saints. La pressante et capitale question
est celle ci : combien dureront encore les souffrances
du peuple de Dieu? L'auteur en attend prochainement
la fin. Re[)renant, avec l'exégèse d'alors, la prophétie
non accomplie de Jérémie sur les soixante-dix années
que devait durer l'épreuve, il en fait soixante-dix se-
maines d'années, qui le conduisent, moyennant un
étrange partage, jusqu'au temps d'Antiochus. IX, 24 :
«Soixante- dix semaines sont déterminées sur ton peu-
ple et sur la ville sainte, jusqu'à ce que l'iniquité soit
au comble, que le péché soit scellé, que la faute soit
expiée, jusqu'à ce que la justice des siècles soit accom-
plie, que le sceau soit mis sur la vision et le prophète,
et que le saint des saints soit consacré. » C'est-à-dire ,
il faut que soixante-dix semaines d'années s'écoulent
avant que le péché des ennemis de Dieu ait atteint son
apogée et qu'ils reçoivent leur châtiment, avant que les
fautes d'Israël soient suffisamment expiées par la souf-
france, avant que la prophétie de Jérémie et la vision
de Daniel soient justifiées, et que le temple, le sanc-
99
tuaire prolané par Antiochus, soit purifié et consacre
de nouveau au service de Jéhovah. Puis vient le détail
de ces soixante-dix semaines: « Depuis le moment où
a été faite la promesse que Jérusalem serait rebâtie
jusqu'à un prince-oint, il y a sept semaines; soixante-
deux semaines pour qu'elle soit rebâtie avec rue et
fossé, mais dans l'angoisse des temps, » C'est-à-dire,
depuis le moment où Jérémie a prophétisé jus^ju'à l'ap-
parition de Gyrus, le prince qui a reçu l'onction de
Dieu, que le second Ésaïe appelait le Messie, et dont les
Juifs ont gardé avec vénération la mémoire, il s'est
écoulé sept semaines d'années, 49 ans, ce qui est à peu
près exact. En outre, depuis ce même moment où Jé-
rémie a prophétisé, soixante-deux semaines doivent
s'écouler pendant lesquelles la ville sera rebâtie sans
doute, avec ses rues et ses fossés, mais au milieu d'é-
preuves, d'angoisses; c'est le temps de la domination
des Perses, puis des Égyptiens, puis des Syriens. Ces
soixante-deux semaines, qui font 434 ans, conduisent
en effet en remontant en arrière, du temps d'Antiochus
Épiphane au temps de Jérémie. Outre qu'on ne peut
pas demander à notre auteur une chronologie rigou-
reuse, qui n'était pas dans les habitudes de l'antiquité,
nous ne savons pas au juste à quelle date il plaçait la
prophétie qu'il explique. Reste encore une semaine
d'années, la dernière. C'est évidemment celle pendant
laquelle le livre a été écrit.
C'est pendant cette semaine-là (dont l'auteur dit
expressément qu'elle vient après les soixante-deux) que
le crime déborde, qu'il atteint le comble de l'horreur,
que des sacrifices odieux sont établis, ceux de Jupiter,
tandis que le sacrifice perpétue!, celui qui était offert
v\
100
à Jéhovah , est aboli. C'est l'abomination dans le sanc-
tuaire. C'est le commencement de la fin. A partir de
ce moment-là les Juifs seront encore livrés à la fureur
d'Antiochus pendant trois ans et demi (VII, 25). « Qu'ils
prennent seulement patience pendant 1335 jours ! . . .ï»
XII, 12 : Telle est la durée précise que l'auteur as-
signe désormais au règne et à la vie d'Antiochus,
aux souffrances des Juifs, aux courageux efïorts des
Maccabées. Ensuite « le Dieu du ciel fondera un
royaume qui ne périra jamais et dont la puissance ne
passera à aucun autre peuple ; ce royaume-là brisera
et détruira tous les autres royaumes et il subsistera
éternellement.)) C'est le royaume d'Israël dans l'âge
messianique.
Après que les quatre grands empires sous la figure
de bêtes fauves ont passé successivement devant les re-
gards du Voyant, l'Ancien des jours apparaît dans la
majesté des cieux; les crimes d'Antiochus lui sont dé-
noncés par l'insolence du criminel lui-même ; l'empire
est enlevé à la quatrième bête... La vision continue :
«Je regardais dans les visions nocturnes, et voici que
sur les nuées du ciel vint comme un fils d'homme; il
s'approcha du Vieillard, on l'amena devant lui. Et la
domination, la gloire et le règne lui furent donnés, en
sorte que tous les peuples et toutes les nations et toutes
les langues le servaient. Sa domination est une domi-
nation éternelle qui ne passera jamais, et son règne
ne périra pas... — Le règne, la puissance et la force
de tous les empires qui sont sous le ciel seront don-
nés au peuple des Saints du Très-Haut. Son règne est
un règne éternel et toutes les puissances le serviront
et lui obéiront! )) (VII).
Rien ne paraît plus naturel que de voir dans ce fils
d'homme le symbole du peuple des saints, c'est-à-dire
du peuple juif, comme le lion, l'ours, le léopard et la
monstrueuse licorne sont les symboles des empires suc-
cessifs de l'Asie. Peut-être la véritable explication est-
elle indiquée dans ce passage, qui sera notre dernière
citation : (c Dans ce temps-là se lèvera Michel, le grand
prince, qui tient pour les fils de son peuple. Il y aura
un temps d'angoisse comme il n'y en a pas eu depuis
que le peuple existe jusqu'à ce moment-là. Mais dans
ce même temps ton peuple sera .délivré, tous ceux du
moins qui sont inscrits dans le livre. Et beaucoup de
ceux qui dorment dans la poussière de la terre se ré-
veilleront, les uns pour la vie éternelle et les autres
pour la honte, pour l'opprobre éternel. Ceux qui au-
ront été intelligents resplendiront comme la splendeur
du firmament, et ceux qui en auront amené plusieurs
à la justice brilleront comme des étoiles à toujours et
à perpétuité! » (XII).
Le messianisme de Daniel diffère en plus d'un point
de celui des anciens prophètes. Il est plus extérieur
que chez aucun. C'est la domination matérielle sur le
monde. L'empire qui a été tour à tour aux mains des
Ghaldéens, des Mèdes, des Perses et des Grecs, pas-
sera pour toujours aux Juifs. Mais depuis si longtemps
ce dénouement s'est fait attendre en vain par tant de
fidèles Israélites, morts sans avoir vu se lever l'aurore
de la délivrance, que notre auteur s'est senti ému de
pitié pour toutes ces générations déçues dans leur at-
tente : elles ressusciteront pour prendre leur part du
triomphe d'Israël. C'est la première fois que l'idée de
résurrection des morts apparaît dans la théologie hé-
102
braïque * ; ce n'est pas encore le dogme de l'immorta-
lité personnelle; mais c'en est comme le vestibule ou
le pressentiment. Gomme au temps de l'exil, la famille
de David est oubliée. Voilà plus de quatre cents ans
qu'elle s'est évanouie dans l'obscurité et la honte. On
ne compte plus sur un Messie royal; le Messie, c'est-à-
dire le chef d'Israël pendant l'ère de la délivrance,
c'est le grand prince Michel, un ange sous figure
d'homme. C'est lui qui déjà préside aux destinées
du peuple de Dieu: car chaque peuple a son ange,
son protecteur céleste 2. Un de ces anges, sans doute
un des plus élevés dans la hiérarchie divine, Micael,
chef des Juifs ^ combattra l'ange protecteur de la Perse
et l'ange protecteur de Javan (la Grèce), c'est-à-dire
ruinera la puissance des Séleucides, rois d'origine
grecque, qui se sont emparés de l'empire des Perses ;
après la défaite et la mort d'Antiochus, il viendra sur
les nuées du ciel et recevra des mains de Jéhovah le
gouvernement du monde, usurpé jusqu'alors par les
nations païennes; il transmettra ce don au peuple juif
dont il est en somme la personnification, le Génie ou le
symbole, et qui connaîtra enfin et savourera , au sein de
la théocratie pure, cette vengeance, cette gloire, ce re-
pos que tant de siècles de souffrances ont préparés * !
1 Dans Ézéchiel ce n'était qu'une allégorie. Le peuple dispersé était
comparé à des ossements secs.
2 Comme plus tard chaque Église. Voy. Apoc. II et III.
3 X, 21; XII, 1.
* Le livre de Daniel ne se trouve point rangé dans la Bible hé-
braïque parmi les prophètes, mais parmi les écrits d'origine récente
ou incertaine {Ketoubim). Il appartient, en effet, à un genre particu-
lier, dont il est le seul exemple dans l'Ancien Testamenf. On peut
lui comparer les Apocalypses d'Hénoch , d'Esdras et de Jean, aux-
403
CHAPITRE YIIl.
CONCLUSION.
Nous n'avons pas le dessein de poursuivre ici l'his-
toire des idées messianiques jusqu'au temps de Jésus-
Christ, et de rechercher quelle fut leur influence sur
la formation des doctrines chrétiennes. Nous tenions
seulement à mettre en pleine lumière la vraie pensée
des prophètes, si étrangement défigurée par l'igno-
rance, les préjugés ou l'imagination trop vagabonde de
leurs interprètes. Dans nos traductions ordinaires ils
ont une physionomie si bizarre, ils parlent une langue
si fantasque, ils remuent un tel chaos d'idées incohé-
rentes que l'on renonce généralement à les comprendre;
on peut leur faire dire tout ce qu'on veut: rien n'é-
tonne de leur part. Ce sont des sphinx ; ils parlent par
énigmes; on laisse à la théologie la tâche peu enviable
de déchiffrer ces logogriphes, et l'on admire sans con-
teste et sans contrôle toutes les belles inventions qui
leur sont attribuées. Et pourtant ces prophètes furent
des hommes, et c'est à des hommes qu'ils ont parlé.
Quand ils élevaient la voix sur la place publique, par-
laient-ils pour n'être pas compris de leurs auditeurs?
Quand ils leur adressaient des conseils, des exhorta-
tions, des menaces, des promesses, avaient-ils ou non
pour but de convaincre et d'entraîner les esprits? Ils
s'adressaient à des gens simples, sans culture, sans
quelles il a servi de modèle. Nous n'avons pourtant pas cru qu'il fût
déplacé dans cette étude, parce qu'il est un des plus puissants échos
de l'antique prophétie, dont il a tenu lieu à une difficile et glorieuse
époque de l'histoire juive.
104
raffinements, dépourvus de facultés mystiques, inca-
pables de pénétrer dans les profondeurs d'une éloquence
mystérieuse et à double sens. Si nous voulons com-
prendre les prophètes, il faut, autant que possible,
nous mettre à la place de leurs contemporains , nous
reporter dans le pays, dans le temps, dans les circons-
tances, dans les mœurs , dans les idées , dans l'horizon
et comme dans l'air où ils ont vécu. Il faut prendre
leurs écrits tels qu'ils sont, n'y rien mettre et n'en rien
ôter. Il faut discerner le but qu'ils se proposaient, les
moyens qu'ils employaient pour y atteindre, les obs-
tacles qu'ils rencontraient, le courant d'idées dont ils
étaient soutenus. Il faut se garder de brouiller les dates,
de confondre les temps de guerre avec les temps de
paix, l'époque du premier temple avec l'exil ou le re-
tour, les Assyriens avec les Perses, de mettre les Ro-
mains, les Chrétiens ou les Turcs là où ils n'ont que
faire, de se jouer avec les plus grossiers anachronismes,
de transformer les prophètes en nécromanciens, en
rabbins, en docteurs subtilisants, et de voir dans leurs
discours un almanach de prédictions obscures. Il faut
se rendre compte de la situation politique et religieuse,
des changements qui surviennent, ou qui sont atten-
dus, des alliances, des dangers, des inclinations du
peuple. Il faut évoquer tout un monde enseveli. Il faut
non-seulement compulser des parchemins , analyser
des verbes, comparer des textes, mais aussi écouter
battre les cœurs, pénétrer dans le secret des espérances
et des craintes, entrer dans l'intimité de ces hommes
de Dieu. Il faut les aimer sans fétichisme, et les criti-
quer sans pédanterie. Il faut les faire descendre du
piédestal nuageux où la superstition les avait placés,
105
sans les dépouiller pourtant de l'auréole de sainteté ei
de poésie qui les enveloppe. Il faut chérir leur cause,
qui est celle de la justice et de la vérité, se ranger à
leur suite, applaudir à leurs généreux travaux, sans
voiler leurs erreurs, sentir en eux des frères, les ho-
norer comme des précurseurs du Christ, des prophètes
du Dieu vivant, tout en leur déniant l'infaillibilité, à
laquelle nul homme ne peut prétendre ici-bas sans blas-
phème ou sans folie.
C'est dans cet esprit qu'on s'est mis de nos jours à
étudier les prophètes, et leur gloire y a gagné. Ils nous
apparaissent plus grands, plus virils, plus héroïques,
maintenant que nous ne voyons plus en eux des harpes
retentissantes qui vibraient au souffle d'en haut, ou
les bouches fatidiques qui prononçaient les arrêts du
ciel. Ils sont des nôtres; ils ont eu leurs faiblesses, leurs
ténèbres , leurs entraînements , leurs erreurs. Mais au
milieu de ces misères humaines ils ont levé haut leurs
fronts; ils ont dominé de leur voix puissante le tumulte
des cris vulgaires ; ils ont jeté au monde des paroles de
vérité qui ont survécu à leur nation et qui ne s'oublie-
ront jamais.
La partie de leur prédication la plus mélangée d'il-
lusions et de sublimes vérités est celle qui développe
les espérances messianiques. Nous venons de lire en-
semble tout ce que ces espérances leur ont inspiré. Au
lieu d'arracher au texte des lignes isolées, qu'il est fa-
cile de faire miroiter devant les yeux éblouis des lec-
teurs, nous avons patiemment traduit et reproduit des
pages entières, sans rien omettre de ce qui se rattache
à un sujet auquel les prophètes revenaient sans cesse.
Celle méthod), fâcheuse sans doute au point de vue de
406
l'art, qui exige une exposition plus brève et plus vi-
vante, était rendue nécessaire par le nombre prodi-
gieux d'idées fausses et fantastiques qu'il s'agissait
d'écarter: l'unique moyen était de se placer loyalement
en face des textes, et de les examiner dans toute leur
étendue.
Nous avons reconnu dans ces espérances des pro-
phètes deux éléments : l'un immuable, l'autre variable.
Le premier, c'est la certitude du triomphe final pour
la race et la religion d'Israël; le second, ce sont les
préliminaires, les circonstances, les formes de ce
triomphe. Le premier a traversé tous les âges et toutes
les péripéties de l'histoire des Hébreux; le second a
subi l'influence des événements et des perspectives qui
se déroulaient au cours des siècles. Tous les prophètes
admettent que l'ère messianique sera précédée de la
ruine des ennemis, sans pourtant tomber d'accord sur
l'époque et les circonstances où celte ruine arrivera.
Joël pense que les Philistins et les Phéniciens, dont
les Hébreux venaient de subir les insultes , que les Édo-
mites et les Égyptiens, contre lesquels on nourrissait
de vieilles rancunes, tous coalisés contre Israël, vont
être brisés d'un seul coup dans la plaine de Josaphat,
y laisseront de nombreux prisonniers qu'on vendra au
loin comme esclaves et seront mis désormais dans l'im-
puissance de nuire. Amos , qui s'aperçoit que les évé-
nements sont loin de suivre cette marche, déclare
qu'auparavant il faudra que les Israélites eux-mêmes
aient à souffrir et soient châtiés à cause de leurs pé-
chés. Osée précise ce châtiment : les Égyptiens et les
Assyriens seront chargés de l'exécuter. Les malheurs
dont ils accableront le peuple produiront chez celui-ci
107
une repentance salutaire, qui sera la condition et le
signal de l'âge messianique. Ésaïe, qui voyait grandir
d'une manière inquiétante la puissance assyrienne, ne
doute pas que la catastrophe ne doive venir de ce côté
là ; mais le triomphe des Assyriens sera de courte du-
rée, juste le temps nécessaire pour purifier le peuple
coupable, dont un Reste, digne des plus glorieuses
destinées, rentrera dans la patrie ou s'y ralliera après
les désastres et fondera la domination Israélite sur les
ruines de l'empire païen. Michée pense même que ni
la ville sainte ni le temple n'auront été épargnés; mais
il annonce les mêmes réparations qu'Ésaïe. Sophonie,
plus récent d'un siècle, ne redoute plus l'Assyrie; Ni-
nive s'est affaissée et a comme disparu derrière Baby-
lone; mais il attend d'une invasion formidable de peuples
du Nord (de Scythes peut-être), le bouleversement du
monde, l'anéantissement de toutes les idolâtries et la
purification d'Israël. Jerm^e n'est pas réduit aux con-
jectures. Ses yeux voient le châtiment promis : c'est
l'invasion des Ghaldéens, la ruine et l'exil. Après une
période déterminée (soixante-dix ans), l'exil cessera et
le retour émouvant des tribus dispersées inaugurera
l'âge d'or. C'est aussi l'opinion à'Ézéchiel, qui me-
nace d'une chute éclatante l'orgueilleuse Babylone,
dont Jérusalem prendra bientôt la place à la tête des
nations. Le prophète anonyme, que nous appelons le
second Ésaïe, déclare que les victoires de Cyrus vont
mettre fin aux souffrances du peuple hébreu, que la
ruine de l'empire chaldéen est le signal du retour
dans la Terre sainte, et que ce retour, signalé par les
plus étranges merveilles, va ouvrir l'ère de félicité et
de triomphe.
408
Après le retour, la scène est changée : Aggée, Za-
charie n'annoncent plus de nouveaux châtiments; ils
trouvent, comme l'Anonyme, que la mesure est suffi-
sante, et ils renvoient à courte échéance l'accomplisse-
ment des promesses divines; ils le rattachent à l'achè-
vement du second temple. Dès que l'édifice sera cou-
ronné, Jéhovah ébranlera le ciel et la terre, brisera dans
des guerres civiles, où ils se déchireront les uns les
autres, la force des païens et assoira la prépondérance
d'Israël sur l'universel affaiblissement. Malachie ne
parle plus de guerres : il annonce un jour de jugement
terrible qui consumera les Israélites impénitents, afin
que les justes jouissent en paix des biens qui leur se-
ront prodigués. Le livre de Daniel^ au contraire, nous
transporte dans une époque agitée, au sein de guerres
• redoutables, allumées par la violence d'Antiochus, et
dans lesquelles il doit périr avec tous les siens. Sa dé-
faite laissera la terre aux mains du peuple élu.
Ainsi, d'une part, châtiment purificateur d'Israël par
les nations païennes; d'autre part, une fois le châti-
ment subi, ruine des nations païennes par Israël; tel
est, chez presque tous les prophètes, sauf les change-
ments de noms propres et de circonstances spéciales,
le double préambule de l'âge messianique. La guerre
sera le grand instrument de Jéhovah; la vengeance
sera l'avant-goût de la félicité. Gomment jouir, en effet,
sans trouble, du repos, du bonheur, de la domination,
aussi longtemps que les peuples païens n'ont pas expié
leurs violences contre la sainte race d'Abraham, aussi
lojagtemps qu'ils demeurent, menaçants , sur les fron-
tières d'Israël, et qu'ils insultent, par leur prospérité
et leur culte impie, à la puissance de Jéhovah, le Dieu
109
des cieux et de la terre? Il faut donc, avant tout,
l'abaissement définitif et la ruine complète des Philis-
tins, ou des Édomites, ou des Égyptiens, ou des Assy-
riens, ou des Ghaldéens, ou des Perses, ou des Grecs-
Syriens, selon le temps où vivait le prophète et le nom
que portaient alors les ennemis ou les oppresseurs de
sa patrie.
Cette guerre suprême sera conduite par un prince
de la maison de David , qui, semblable à son illustre
ancêtre , réduira toutes les nations environnantes , se
baignera dans le sang des rebelles, vengera sur eux les
humiliations de son peuple, ramènera les captifs et
régnera glorieusement sia^ un Israël épuré. Après d'ef-
froyables batailles, il imposera la paix au monde et
l'âge des bénédictions commencera. Ainsi Osée, le
premier Zacharie, Ésaïe, Mickée, Jérémie, Ézéchiel.
Les autres prophètes se taisent sur cette personne royale.
Le but seul les préoccupe. Peu leur importe le chef,
pourvu que la victoire soit obtenue: ils attendent tout
de Jéhovah lui-même, avec ou sans intermédiaire. Le
second E saie nomme expressément Gyrus, un prince
étranger, comme le héros prédestiné; Aggée eX Zacha-
rie, fils de Béréchie , désignent Zorobabel. En somme,
le Messie, rejeton de David, n'occupe qu'une place
restreinte dans les espérances propliétiques; Joël, A?nos,
Sophonie, le second Ésdie, Malachie, Daniel, ne le
mentionnent même pas.
Les conséquences de cette crise sanglante seront:
4° La défaite irrémédiable des ennemis.
2o La suppression du schisme et la réunion de toutes
les tribus sous la dynastie de David ou en une répu-
blique religieuse.
110
3° La reconstruction de Jérusalem et du temple et
la prospérité merveilleuse de la Terre sainte, désormais
fermée au mal physique et moral.
4° La domination incontestée d'Israël sur toute la
terre.
5° La conversion des païens au culte de Jéhovah et
la transformation du monde.
Tous les prophètes n'ont pas exposé toutes ces con-
séquences de la même manière : mais chacun d'eux
a ajouté quelques traits au tableau, qui présente dans
son ensemble une conception grandiose et d'une éton-
nante hardiesse. On ne saurait trop admirer comment,
au sein de ce petit peuple, sans industrie, sans ri-
chesse, sans armée, toujours battu, pillé, décimé,
déporté, jouet de ses puissants voisins, ont pu se pro-
duire, avec une telle persévérance, de si gigantesques
ambitions! Eh hien , ces ambitions, tout audacieuses
et chimériques qu'elles paraissent, n'ont pas été dé-
çues ; elles se sont accomplies et s'accomplissent en-
core chaque jour devant nos yeux, non point sans
doute sous la forme particulière imaginée par les pro-
phètes, mais avec plus d'ampleur encore et de magni-
ficence. Il est vrai que la grande catastrophe n'a pas
eu lieu comme ils l'attendaient, que les divers em-
pires d'Asie se sont écroulés les uns après les autres
sans ébranler la terre en tombant , que les douze tri-
bus ne se sont pas réunies, que l'état juif, qui, d'après
Ezéchiel , devait durer toujours, n'a pas été recons-
titué ; que la dynastie royale , dont Jérémie croyait que
les rejetons occuperaient le trône aussi longtemps que
les étoiles brilleraient aux cieux , n'a pas repris le
sceptre en main : au contraire, les derniers restes de
m
la nation juive ont été dispersés à tous les vents, le
second temple a été détruit comme le premier, Jéru-
salem a changé de peuple et de religion; la Palestine
tout entière n'est plus qu'un tombeau, et Sion , une
relique. De ce côté-là , tout espoir est vain.
Mais la partie la plus surprenante des prophéties,
celle qui annonce l'influence universelle des enl^nts
de Jacob, la conversion des Gentils au culte du vrai
Dieu, et l'avènement d'un monde nouveau, n'a-t-elle
pas commencé à se réaliser? Depuis dix-huit siècles,
Israël n'est-il pas comme sorti de lui-même pour s'é-
lancer à la conquête des âmes, et n'est-ce pas par mil-
liers et centaines de milliers que les âmes sont venues
se soumettre? Un monde nouveau n'a-t-il p^s com-
mencé depuis lors ? — Un juif a fait celte merveille que
d'autres juifs avaient prédite. Ce juif, c'est Jésus de
Nazareth, le vrai Messie, plus grand dans son humble
ministère et sur sa croix ignominieuse que David et
Salomon à la tête de leurs armées. Jésus fut l'épanouis-
sement suprême et la fleur d'Israël, vieil arbre vingt fois
séculaire, qui avait dès longtemps perdu sa verte vigueur,
et qui n'eut plus qu'à mourir, ayant donné au monde
ce divin parfum. Ce qui s'agitait obscurément dans la
conscience des prophètes, les plus nobles enfants d'A-
braham , Jésus l'a produit au grand jour; il a établi la
saerificature universelle dont leur foi avait un vague
pressentiment; il a élevé le judaïsme à ces hauteurs
sublimes de la piété, qu'atteignit parfois l'aile des pro-
phètes, et où sa parole l'a maintenu à toujours, au-
dessus des formules et des rites ; il a rajeuni l'antique
religion de Jéhovah et brisé les entraves qui l'empê-
chaient d'envahir la terre; il a fondé la théocratie spi-
112
rituelle à laquelle appartiennent les générations fu-
tures, c'est-à-dire la seule domination de Dieu sur les
consciences, affranchies de tout autre joug; il a inau-
guré une ère de sainteté et de vie divine, dont les seules
prémices ont déjà surpassé les plus hautes aspirations
des anciens. Quelles conquêtes valent celles que sa pa-
role a déjà faites? Ce n'est pas du Nil à l'Euphrate, et
de la Méditerranée au golfe Arabique, ou même depuis
les îles grecques jusqu'aux déserts d'Asie et d'Afrique,
mais c'est dans de vastes régions inconnues aux pro-
phètes, sur d'immenses continents, de mer en mer,
d'un pôle à l'autre , et partout où s'étend la civilisation ,
que son nom est aimé, que sa doctrine règne, et que
son Dieu , le Dieu d'Abraham , d'Isaac et de Jacob est
adoré. Ce que d'obscurs prédicateurs, agités parles
convulsions de la pauvre petite Judée, ou perdus dans
un triste exil, avaient eu l'audace de concevoir, n'est-il
pas atteint, obtenu, dépassé, et les faits ne sont-ils
pas ici infiniment plus beaux et plus grands que les
rêves ?
Les prophètes avaient donc raison , et leurs espé-
rances, dégagées du vêtement grossier qui les recouvre,
se montrent à nous brillantes de fraîcheur et de vérité.
L'idée messianique, à laquelle ils ont consacré leur vie
et qui les a consolés dans toutes leurs douleurs, c'est la
conviction, imprimée par Dieu dans l'âme humaine,
que la justice prévaudra toujours sur l'iniquité et la
violence, que le triomphe définitif est réservé aux
saints, et que, en cherchant le royaume de Dieu par
dessus toutes choses, on reçoit les autres biens en
surcroît. Saisissant par la foi ces réalités invisibles,
sans se laisser détourner par de vaines apparences ,
413
les prophètes , divinement inspirés , ont vraiment lu
dans l'avenir, qui n'a déjoué une partie de leurs pré-
visions que pour mieux accomplir le reste , et qui a
donné à leurs paroles une immortelle consécration.
Que leur noble exemple nous serve d'enseignement !
Nous , plus heureux qu'eux , qui voyons ce qu'ils ont
désiré voir, et qui possédons 'ce qu'ils ont à peine
entrevu, comment perdons-nous si facilement courage
au milieu des difficultés et des luttes de la vie ? Ne s'est-
il pas levé sur nos têtes une lumière plus brillante que
celle qui les éclairait?
114
TABLE DES MATIÈRES.
Avant-propos 1
Chapitre premier. Origines. (La race d'Abraham. Moïse. Les
livres historiques. David et Salomon.) 40
CnkviTRE 11. Joël, Jmos. Osée. Le premier Zacharie. . . 16-31
Joël 16
Amos 21
Osée 25
Zacharie IX à XI 30
Chapitre III. Ésaïe. Mîchée. (Période assyrienne.) . . . . 31-49
Ésaïe 32
Michée 46
Chapitre IV. Sophonie. Le second Zacharie. Jérémie. (Pé-
riode chaldéenne.) 49-66
Sophonie 49
Zacharie XII à XIV 52
Jérémie 55
Chapitre V. Ézéchiel. Ésaïe XXIV à XXVII. Le second Ésaïe
ou l'Anonyme. (L'exil.) ' 66-87
Ézéchiel 66
Ésaïe XXIV à XXVII 75
Ésaïe XL à LXVI • • 76
Chapitre VI. Aggée. Zacharie, fils de Béréchie. Malachie.
(Le retour.) 87-96
Aggée 88
Zacharie I à VIII 89
Malachie 93
Chapitre VII. V Apocalypse de Daniel. (Les Macchabées.) . 96-102
Chapitre VIII. Conclusion 1 03
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