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Full text of "Le Messie d'après les prophètes"

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in  2010  with  funding  from 

Boston  Public  Library 


http://www.archive.org/details/lemessiedaprslOOstee 


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LE  MESSIE 

D'APRÈS  LES  PROPHÈTES 


JULES  STEEG 

LICENCIÉ   EN   THÉOLOGIE. 


a  Je  vous  le  dis  en  vérité  :  Beaucoup  de  prophètes 
et  de  justes  ont  désiré  voir  ce  que  vous  voyez  et  ne 
l'ont  pas  vu;  entendre  ce  que  vous  entendez  et  ne 
l'ont  pas  entendu.  »  (Matlli.  XIII ,  t  7.) 


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STRASBOURG, 

TREUTTEL  ET  WURTZ,  LIBRAIRE»^-ÉDITEURS. 

PARIS, 

J.    CHERBULIEZ,    33,    RUE    DE  SEINE. 


1867 


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LE  MESSIE 


D'APRÈS  LES  PROPHÈTES 


JULES   STEEG 


LICENCIE   EN   THEOLOGIE. 


«  Je  vous  le  dis  eu  vérité  :  Beaucoup  de  |iiopliétes 
et  de  justes  ont  désiré  voir  ce  que  vous  voyez  et  ne 
l'ont  pas  vu;  entendre  ce  que  vous  entendez  et  ne 
l'ont  pas  entendu.»  (Matth,  XIII,  17.) 


STRASBOURG, 

TREUTTEL  ET  WURTZ,   LIBRAIRES- ÉDITEURS. 

PARIS. 

J.    CHERBULIEZ,    33,    RUE    DE    SEINE. 

4867. 


STRASBOURG,  IMPRIMERIE  DE  G.  SILBERMANN. 


A  MAURICE  SCHWALB  ET  A  PIERRE  GOY. 

Témoignsige  d'amitié  frater^nella. 


«  Est  autem  amicitia  nihil  aliud ,  nisi  omnium 
divinarum  humanarumque  rerum ,  cum  benevolentia 
et  caritale,  summa  consensio.  (Cic.  de  Amie,  VI.) 


J.  STEEG. 


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AVANT-PROPOS. 

Un  des  groupes  les  plus  considérables  dans  l'histoire 
religieuse  du  monde,  et  l'on  peut  dire  aussi  dans  l'his- 
toire morale  et  littéraire,  ce  sont  les  prophètes  hébreux. 
Leurs  écrits,  outre  les  Psaumes  et  le  livre  de  Job,  font 
toute  la  beauté  de  la  littérature  hébraïque.  On  ne  sau- 
rait dire  s'ils  furent  des  poètes,  des  orateurs,  des  po- 
litiques; ils  furent  tout  cela  en  même  temps.  Tribuns  et 
prédicateurs,  conseillers  des  rois,  instituteurs  du  peuple, 
apôtres  de  Jéhovah,  défenseurs  des  coutumes  natio- 
nales contre  l'envahissement  des  mœurs  et  des  supers- 
titions étrangères,  ministres  et  réformateurs  de  la  re- 
ligion, parfois  en  lutte  ouverte  avec  les  prêtres,  les 
princes  et  les  magistrats;  parfois  fustigeant  de  leurs 
sanglants  reproches  les  masses  populaires,  ils  ont  oc- 
cupé au  milieu  des  leurs  une  place  dont  les  autres  na- 
tions ne  nous  offrent  aucun  exemple.  Eschyle  et  Dé- 
mosthène,  Pindare  et  Socrale,  G.  Gracchus  et  Gaton, 
saint  Paul,  saint  Ambroise,  saint  Bernard,  Savona- 
role,  Luther  et  quelques  autres  génies,  puissants  par 
la  parole  ou  l'action,  en  reproduisent  vaguement  quel- 
ques traits  épars.  S'ils  n'exercèrent  qu'une  faible  in- 
^uence  sur  leurs  contemporains,  plus  accessibles  aux 
entraînements  de  la  mode  qu'à  la  voix  sévère  des  pro- 
phètes, ils  n'en  furent  pas  moins,  dans  la  suite,  par  le 
souvenir  de  leurs  paroles  et  par  leurs  écrits,  les  fonda- 
teurs ou  les  restaurateurs  de  la  piété  Israélite.  G'est 
grâce  à  eux  que  leur  peuple  a  été  une  des  plus  vives  lu- 
s.  1 


2 

mières  du  monde.  C'est  eux  qui  furent  les  vrais  pré- 
parateurs du  christianisme.  Jésus  aimait  à  méditer  et 
à  expliquer  leurs  livres.  La  prédication  apostolique  est 
pleine  d'idées  et  d'images  qui  leur  sont  empruntées.  Ils 
ont  répandu  à  flots  sur  la  chrétienté  des  trésors  d'élo- 
quence et  de  poésie.  Ils  ont  inspiré  tous  les  grands  ora- 
teurs de  l'Église,  les  Pères,  les  moines  errants  du 
moyen  âge,  les  réformateurs,  les  Puritains  et  les  Cami- 
sards,  Bossuet,  Whitefield  et  Parker. 

Malgré  cette  notoriété  éclatante,  les  prophètes  sont 
mal  connus.  On  confond  leur  doctrine  avec  celle  des 
apôtres  et  des  théologiens.  On  les  voit,  non  tels  qu'ils 
ont  été,  mais  tels  que  la  tradition  les  représente.  Il  est 
un  point  surtout,  le  centre  et  le  nœud  de  leur  enseigne- 
ment, que  d'épaisses  ténèbres  recouvrent:  ce  sont  leurs 
idées  sur  l'âge  messianique,  sur  le  Messie  et  sur  son 
œuvre.  Non  pas  qu'ils  n'aient  clairement  et  assez  lon- 
guement développé  leur  pensée  à  cet  égard  ;  mais  on 
n'a  pas  cherché  à  la  connaître.  On  s'est  contenté  d'ex- 
traire de  leurs  écrits  des  oracles  détachés,  des  mots, 
des  versets,  pour  en  composer  une  description  prophé- 
tique, une  préfiguration  des  événements  de  la  vie  de 
Jésus-Christ  et  de  l'histoire  de  son  Église.  On  s'est  jeté 
en  pleine  allégorie;  on  a  vu  partout  des  tjpes;  on  a  dé- 
tourné de  leur  sens  les  expressions  les  plus  simples 
pour  y  lire  des  prédictions  biographiques  ou  les  dogmes 
de  l'Église.  Ce  procédé  était  certainement  conforme 
aux  habitudes  d'esprit  qui  ont  régné  pendant  tant  de 
siècles;  mais  il  ne  pouvait  être  qu'une  source  d'erreur 
et  d'obscurité.  Aujourd'hui  qu'on  a  plus  de  souci  de  la 
vérité  historique,  d'autres  méthodes  doivent  prévaloir. 
Pour  avoir  une  idée  nette  et  précise  de  la  doctrine 


3 

messianique  des  prophètes,  voici  ce  que  nous  avons 
fait:  nous  avons  pris  chacun  d'eux  selon  son  rang 
chronologique,  et  nous  l'avons  interrogé,  en  dehors  de 
toute  prévention  et  de  tout  parti  pris;  dans  ce  but,  il 
fallut  les  traduire  complétenient  et  à  nouveau.  Après 
avoir  recueilli  tour  à  tour  les  réponses  de  chacun,  nous 
les  avons  rapprochées  et  comparées;  nous  en  avons 
constaté  les  ressemblances  et  les  différences;  nous 
avons  cherché  dans  les  événements  du  temps  l'explica- 
tion des  unes  et  des  autres,  et  nous  avons  exposé  sim- 
plement ce  que  nous  avions  loyalement  découvert.  Il  se 
peut  que  nos  résultats  ne  soient  pas  irréprochables, 
mais  notre  méthode  est  bonne.  C'est  la  seule  que  des 
hommes  de  sens  suivent  désormais  en  ces  matières. 

L'ordre  chronologique  n'est  pas  celui  dans  lequel 
les  prophètes  ont  été  rangés  par  les  rabbins  qui  ont  re- 
cueilli leurs  oeuvres.  Elles  sont  pêle-mêle;  c'est  la  taille, 
et  non  l'âge  des  livres  qui  a  déterminé  leur  position  : 
les  trois  plus  gros  précèdent,  les  autres  suivent  un  peu 
au  hasard.  Il  y  a  cependant  comme  un  essai  de  chro- 
nologie dans  la  série  des  petits  prophètes,  ainsi  appelés 
parce  que  leurs  écrits  sont  moins  volumineux.  En  tout 
cas,  rien  de  plus  naturel  que  de  chercher  à  rétablir 
l'ordre  véritable,  dût-on  changer  la  disposition  adoptée 
par  les  rabbins.  D'ailleurs  la  plupart  des  prophètes  in- 
diquent eux-mêmes  sous  quels  règnes  ils  ont  vécu;  lorS' 
que  ces  indications  (soit  de  leur  main,  soit  d'une  main 
étrangère)  sont  absentes,  le  contenu  des  écrits  met  faci- 
lement sur  la  voie.  Ainsi,  qu'un  prophète  ne  connaisse  à 
son  peuple  d'autres  ennemis  que  Tyr  et  Sidon,  les  Phi- 
listins et  l'Egypte,  il  est  tout  simple  d'en  conclure 
qu'il  précède  les  grandes  invasions  assyriennes  et  chai- 


N 


4 

déennes;  qu'un  autre  exalte  les  victoires  de  Cyrus  et 
qu'il  en  tire  des  sujets  de  joie  et  d'espérance,  on  recon- 
naît aussitôt  qu'il  vit  à  la  fin  de  l'exil;  qu'un  autre 
nous  parle  du  temple  reconstruit,  qu'il  condamne  tout 
ensemble  les  mariages  avec  les  femmes  étrangères  et 
les  divorces  trop  facilement  consentis,  ce  sont  là  des 
traits,  entre  plusieurs  autres,  qui  annoncent  l'époque 
d'Esdras  et  de  Néhémie.  C'est  en  s'appuyant  sur  les 
principes  les  plus  élémentaires  de  la  critique  qu'on  est 
parvenu  à  établir  la  date  approximative  de  chaque  pro- 
phète. 

Comme  les  rabbins  avaient  mêlé  les  dates,  ils  ont 
aussi  confondu,  sous  un  même  nom  d'auteur,  des 
œuvres  très-diverses  :  en  revenant  à  la  réalité  histo- 
rique on  est  amené  à  distinguer,  par  exemple,  trois 
Esaïe,  trois  Zacharie,  où  ils  n'en  avaient  vu  qu'un  seul. 
Des  trois  Ésaïe,  l'un^  vécut  sous  les  règnes  d'Achaz, 
d'Ézéchias,  et  fut  témoin  de  la  chute  du  royaume 
d'Éphraïra,  dans  le  huitième  siècle;  un  autre-  vivait 
dans  l'exil,  au  sixième  siècle,  et  fut  contemporain  de 
Cyrus  :  les  faits  racontés,  les  idées,  le  langage,  les  dé- 
clarations expresses  de  ces  deux  prophètes  indiquent 
clairement  leur  époque;  un  troisième  Esaïe ^  qu'il  faut 
placer  entre  les  deux  autres  et  qui  est  moins  important, 
nous  montre  la  terre  sainte  ravagée,  les  habitants  partis 
pour  l'exil  ;  il  est  resté  pour  maudire  l'odieuse  conduite 
des  Moabites,  qui  ont  lâchement  profité  des  désastres 

*  Ésaïe  -1  à  39. 

2  Ésaïe  40  à  66. 

3  Ésaïe  24  à  27.  Nous  ne  voulons  rien  préjuger  ici  sur  d'autres 
fragments  qu'on  pourrait  contester  encore  au  premier  Ésaïe  ou  à 
Jérémie.  Ces  détails  n'importent  pas  à  l'objet  spécial  de  notre  étude. 


5 

d'Israël,  et  pour  prêcher  l'espérance  aux  quelques  Is- 
raélites demeurés  dans  leur  triste  patrie.  Cet  Esaïe  ne 
peut  raisonnablement  se  confondre  avec  aucun  des  deux 
autres,  ni  les  deux  autres  ensemble.  On  ne  peut  plus 
soutenir  l'identité  des  trois  que  par  amour  du  paradoxe. 
Il  y  a  aussi  trois  Zacharie  :  le  premier  en  rang  est 
le  dernier  en  date;  il  a  prophétisé  sous  Darius,  fils 
d'Hystaspe,  vers  520^.  Il  suffit  d'une  étude  même  su- 
perficielle pour  distinguer  les  huit  premiers  chapitres, 
qui  lui  appartiennent,  des  chapitres  qui  suivent  :  c'est 
un  autre  ordre  d'idées,  d'autres  faits,  une  autre  forme 
littéraire,  un  autre  âge.  Le  plus  ancien  des  trois ^  con- 
naît déjà  les  Assyriens;  mais  il  prophétise  dans  un 
temps  où  les  deux  royaumes  d'Éphraïm  et  de  Juda  sub- 
sistaient encore  côte  à  côte  :  tous  les  traits  de  son  livre 
concordent  parfaitement  avec  ceux  d'Osée;  ce  sont  les 
mêmes  craintes,  les  mêmes  dangers,  les  mêmes  enne- 
mis, les  mêmes  menaces,  les  mêmes  perspectives.  Il 
convient  donc  de  le  placer  à  peu  près  dans  la  même 
époque.  Les  détails  confirment  ce  que  nous  ne  faisons 
qu'indiquer.  Le  second  Zacharie^  ne  dit  plus  mot  du 
royaume  du  Nord;  il  ne  connaît,  il  n'aime  que  Juda; 
il  ne  craint  que  pour  la  montagne  de  Sion;  il  vit  donc 
après  la  ruine  de  Samarie,  avant  la  prise  de  Jérusalem, 
peu  de  temps  après  la  bataille  de  Mégiddo,  où  Josias 
perdit  la  vie  (609),  et  dont  le  souvenir  lui  arrache  en- 
core des  larmes*.  Il  prévoit  que  Jérusalem  va  être  as- 
siégée; il  semble  même  assister  du  dehors  au  siège. 

1  Zacharie  1  à  8. 
'  Zacharie  9  à  i  ^ . 
3  Zacharie  42  à  14. 
*  Zacharie  XII,  41. 


6 

Gela  ne  signifierait  rien  chez  Zacharie,  fils  de  Béréchie, 
contemporain  de  Darius.  On  est  ici  au  début  de  l'inva 
sion  chaldéenne,  au  temps  de  Nébucadnetzar,  de  Jéré- 
mie^ 

Au  reste,  ce  sont  là  des  problèmes  d'histoire,  de  cri- 
tique, de  pure  érudition.  On  assure  qu'il  y  a  des  gens 
qui  apportent  à  ces  questions  de  la  passion  et  de  l'a- 
mertume. Gela  paraît  difficile  à  croire.  L'intérêt  de  la 
religion,  disent-ils,  est  enjeu.  Nous  ne  voyons  pas  ce 
que  la  religion  peut  avoir  à  craindre  du  plus  ou  moins 
de  sagacité  des  rabbins  qui  se  sont  chargés  de  réunir 
en  un  seul  corps  les  livres  hébreux.  Eussent-ils  com- 
mis les  plus  grossières  méprises ,  la  religion  n'aurait 
rien  à  perdre  à  ce  qu'on  les  corrigeât.  Bien  plus  5 
comme  l'intérêt  de  la  religion  ne  peut  se  séparer  de 
celui  de  la  vérité,  il  nous  semble  qu'elle  ne  pourrait 
qu'en  tirer  profit.  Et  même,  s'il  faut  tout  dire,  c'est 
au  nom  de  la  religion  chrétienne  et  avec  une  intention 
apologétique,  que  nous  avons  commencé  cette  étude 
sur  les  prophètes,  et  que  nous  en  livrons  au  public 
les  résultats.  Voici  comment  nous  l'entendons. 

Pendant  longtemps,  ceux  qui  entreprenaient  la  dé- 
fense du  christianisme  vis-à-vis  de  ses  détracteurs,  ne 
connaissaient  pas  de  meilleure  démonstration  que  les 
miracles  et  les  prophéties.  Ils  disaient  :  l'établissement 
de  la  religion  chrétienne  a  été  accompagné  de  miracles 
éclatants;  or  un  miracle  est  un  signe  manifeste  de  l'in- 
tervention divine;  donc  la  religion  chrétienne  est  d'ins- 
titution divine.  Mais  on  s'est  mis  à  contester  les  pré- 
misses de  ce  raisonnement,  et  la  conclusion  s'est 
trouvée  dans  le  vide.  On  a  nié  que  ces  miracles  eussent 

^  Voy.  les  intéressants  travaux  de  Knobel ,  d'Ewald. 


réellement  eu  lieu  ,  que  les  documents  qui  les  rappor- 
tent fussent  des  garanties  suffisantes  pour  des  faits  si 
extraordinaires;  on  a  constaté  que  toutes  les  religions 
s'appuient  également  sur  des  miracles;  on  a  soutenu 
que  des  faits  matériels,  quelque  inexpliquables  qu'ils 
soient  à  la  science  humaine,  ne  peuvent  témoigner  en 
faveur  de  la  vérité  et  de  l'excellence  d'une  doctrine  re- 
ligieuse et  morale,  parce  qu'il  convient  que  les  preuves 
et  la  chose  prouvée  soient  de  même  ordre;  on  a  pro- 
testé enfin  que  Dieu  est  également  présent  dans  toutes 
ses  œuvres  et  que  le  cours  régulier  de  la  création  est 
la  marque  de  son  intervention  permanente.  Les  apo- 
logistes de  la  religion  chrétienne  disaient  aussi  :  la 
plus  grande  des  preuves,  ce  sont  les  prophéties.  Une 
suite  d'hommes  inspirés,  pendant  quatre  mille  ans, 
ont  annoncé  dans  tous  ses  détails  la  naissance,  la  vie 
et  la  mort  de  Jésus-Christ,  son  œuvre  et  son  Église. 
Toutes  ces  prophéties  se  sont  réalisées,  et  témoignent, 
par  cet  accord  surnaturel  entre  la  prédiction  et  l'effet, 
de  la  divinité  du  christianisme.  Mais  il  se  trouve  qu'on 
peut  tourner  la  défense  en  attaque:  on  répond  qu'un 
examen  attentif  des  prophéties  démontre  qu'elles  ont 
eu  lieu  dans  un  sens  tout  ditïérent  de  celui  où  les 
prend  l'Eglise;  que  la  plupart  ne  se  sont  pas  réalisées 
parce  qu'elles  étaient  irréalisables;  qu'il  faut  faire  une 
singulière  violence  aux  textes  hébreux,  pour  y  lire  le 
Nouveau  Testament;  que  dans  ce  dernier  l'on  recon- 
naît, à  ne  s'y  pas  méprendre,  un  effort  réitéré  pour 
introduire  dans  l'histoire  de  Jésus  certains  traits  de  la 
prophétie;  et  que  même  la  rencontre  entre  les  vues 
messianiques  des  prophètes  et  celles  de  Jésus,  si  elle 
était  certaine,  tournerait  au  préjudice  du  fondateur  de 


\ 


la  religion  chrétienne,  parce  qu'elle  le  rabaisserait  au 
niveau  des  préjugés  et  des  erreurs  de  la  nation  juive. 

Ces  objections  sont  considérables.  Ce  qui  ajoute  en- 
core à  leur  force,  c'est  qu'elles  ne  proviennent  pas 
d'ennemis  de  la  religion  chrétienne,  mais  de  ses  plus 
intelligents  et  dévoués  adhérents.  Ils  pensent  que  cette 
vieille  méthode  apologétique  est  usée ,  comme  la  con- 
ception particulière  du  christianisme,  à  la  défense  de 
laquelle  on  l'employait.  Pour  eux,  le  christianisme 
n'est  pas  un  ensemble  savamment  construit  de  dogmes 
qui  s'enchaînent,  et  qu'il  faut  accepter  en  bloc  sur  la 
parole  de  l'Église,  sur  la  garantie  des  Écritures,  et  en 
vertu  d'un  syllogisme  fondé  soit  sur  les  miracles,  soit 
sur  l'accomplissement  des  prophéties,  soit  sur  la  cor- 
ruption native  et  la  misère  de  l'homme.  Ce  n'est  point 
une  série  de  faits  merveilleux  ou  de  doctrines  mysté- 
rieuses, si  étroitement  et  solidairement  unis  que  qui 
touche  l'un  touche  l'autre.  Le  christianisme  tel  qu'ils 
l'entendent  est  un  principe  de  vie  religieuse  que  l'his- 
toire fait  remonter  jusqu'à  la  personne  et  à  l'enseigne- 
ment de  Jésus-Christ,  mais  qui  a  ses  attaches  dans  le 
cœur  humain,  qui  n'a  besoin  d'autre  apologie  que  lui- 
même,  qui  se  démontre  aux  âmes  pieuses  comme  la 
lumière  aux  yeux  clairvoyants,  qui  est  confirmé  par 
des  miracles  incessants  d'abnégation  ,  d'enthousiasme , 
de  vertu,  d'austérité,  d'amour,  et  qui  a  été  prophétisé 
dans  tous  les  âges,  dans  tous  les  lieux,  dans  toutes  les 
langues  par  l'instinctive  aspiration  de  l'humanité  vers 
Dieu. 

S'il  en  est  ainsi,  la  tâche  des  défenseurs  de  la  reli- 
gion chrétienne  est  transformée.  Loin  d'entrer  en  lutte 
avec  la  critique  pour  conserver  intactes  toutes  les  doc- 


9 

Irines  de  l'Église,  loin  de  craindre  les  objections,  les 
doutes,  les  innovations,  ils  doivent  nnontrer  que  la  re- 
ligion chrétienne  n'a  rien  à  redouter  des  investigations 
quelconques  de  la  science,  de  l'histoire,  de  la  philo- 
sophie; qu'elle  ne  peut  que  briller  d'un  plus  pur  éclat 
à  mesure  que  se  fera  la  lumière  sur  toutes  les  ques- 
tions débattues  parmi  les  hommes;  qu'elle  ne  peut  que 
gagner  à  se  dégager  d'une  solidarité  compromettante 
et  injuste  avec  les  traditions  et  les  systèmes,  quelque 
ingénieux,  vraisemblables  et  respectables  qu'ils  soient 
d'ailleurs;  que  même,  à  vrai  dire,  elle  appartient  do- 
rénavant à  l'humanité  tout  entière,  qu'elle  en  est  l'âme, 
la  gloire,  la  consolation,  et  qu'à  ce  titre  elle  ne  peut 
avoir  pour  adversaires  que  ceux  qui  ne  la  connaissent 
pas  ou  ne  se  connaissent  pas  eux-mêmes.  Les  défen- 
seurs de  la  religion  chrétienne  ne  se  laisseront  donc 
devancer  par  personne  dans  la  recherche,  dans  la  cri- 
tique; ils  ouvriront  eux-mêmes  la  voie  et  pousseront 
plus  loin  que  les  autres;  ils  auront  tout  intérêt  à  dé- 
couvrir sur  tous  les  points  la  vérité  et  l'erreur,  non 
que  leur  foi  dépende  de  l'authenticité  d'un  écrit,  de  la 
réalité  d'un  fait,  de  l'interprétation  d'un  texte,  mais 
parce  que  la  religion  chrétienne,  étant  l'éternelle  vé- 
rité, satisfait  d'autant  mieux  les  cœurs  et  les  esprits, 
que  plus  d'illusions  s'évanouissent,  que  plus  de  voiles 
tombent  et  nous  la  découvrent  plus  complètement  dans 
sa  simplicité. 


\ 


10 


•  ÉTUDE  SUR  LE  DÉVELOPPEMENT 

DE 

L'IDÉE  MESSIANIQUE 

CHEZ  LES  PROPHÈTES. 


CHAPITRE  PREMIER. 

ORIGINES. 

La  croyance  en  un  seul  Dieu  s'était  établie  dans  la 
race  d'Abraham.  C'est  là  un  fait  que  l'histoire  constate 
sans  parvenir  à  l'expliquer  :  comme  tout  ce  qui  est  pri- 
mitif, il  échappe  à  notre  investigation ,  et  ses  origines 
sont  cachées  dans  la  volonté  du  Créateur.  Il  est  pro- 
bable que  les  adorateurs  de  ce  Dieu  unique  ne  recon- 
naissaient pas  d'abord  en  lui  le  Dieu  de  toute  la  terre, 
mais  seulement  celui  de  leur  tribu.  Une  partie  de  cette 
tribu,  ceux  que  la  tradition  désigne  comme  les  descen- 
dants de  Jacob,  parmi  les  longues  et  obscures  pérégri- 
nations qui  aboutirent  à  la  conquête  du  pays  de  Ca- 
naan, vit  se  lever  au  milieu  d'elle  un  puissant  réfor- 
mateur, que  l'on  compte  parmi  les  plus  illustres  génies 
de  l'humanité ,  Moïse.  Autant  que  nous  pouvons  en 
juger  par  les  effets,  il  régularisa  le  culte,  formula  des 
lois,  donna  au  Dieu  de  la  tribu  son  nom  distinctif, 
philosophique  pour  ainsi  dire,  le  révéla  à  ses  adorateurs 
comme  le  Dieu  suprême,  le  Créateur  du  ciel  et  de  la 
terre,  en  même  temps  que  le  Dieu  spécial  d'Israël,  le 


il 

Dieu  jaloux  qui  ne  souffre  point  de  rivaux ,  et  ainsi ,  soit 
qu'il  n'ait  fait  que  mettre  en  lumière  la  foi  inconsciente 
des  aïeux,  soit  qu'il  y  ait  introduit  des  éléments  nou- 
veaux, jeta  les  fondements  de  cette  nationalité  si  vivace, 
dont  le  rêve  devait  être  un  jour  de  conquérir  le  monde. 

On  peut  faire  remonter  jusque-là  les  espérances  mes- 
sianiques du  peuple  hébreu,  en  ayant  soin  toutefois  de 
se  les  représenter  sous  les  contours  les  plus  indéter- 
minés. C'est  du  moment  où  les  enfants  de  Jacob  ont 
eu  conscience  d'être  non-seulement  le  peuple  d'un 
seul  Dieu,  mais  le  peuple  privilégié'  du  plus  puis- 
sant des  dieux,  ou  plus,  le  peuple  unique  du  Dieu 
unique,  c'est  de  ce  moment  que  date  leur  conviction, 
plus  ou  moins  obscure  encore,  qu'ils  sont  destinés  à 
dominer  tous  les  autres  peuples.  Cette  vocation  ne  s'est 
pas  présentée  d'abord  sous  une  forme  précise  ;  ils  n'au- 
ront fait  que  l'entrevoir.  Des  siècles  de  luttes,  de  té- 
nèbres ,  d'idolâtrie  parfois ,  les  séparaient  encore  du 
temps  des  prophètes,  où  l'idée  se  dégagea  et  se  revêtit 
d'une  forme  toujours  plus  nette,  sous  l'action  des  évé- 
nements. 

Dans  les  espérances  messianiques  des  Juifs,  l'impor- 
tant c'est  la  foi  que  le  gouvernement  des  nations  est 
réservé  au  peuple  de  Jéhovah  dans  une  période  finale 
de  félicité;  l'accessoire,  c'est  l'attente  d'un  Messie  S 
qui  changera  cette  foi  en  réalité.  L'attente  du  Messie 
est  née  la  dernière;  mais  elle  est  devenue  dans  la  suite 
si  prépondérante,  si  fiévreuse,  qu'elle  a  envahi  toutes 
les  imaginations,  et  qu'elle  peut  à  bon  droit  désigner 
tout  cet  ensemble  de  rêveries,  de  prétentions,  d'ambi- 

^  Oint,  prince  qui  a  reçu  l'onction,  le  signe  de  la  royauté  (i  Sa- 
muel X,XVI). 


12 

lions,  de  croyances  chimériques  et  de  vœux  légitimes 
que  le  mot  de  messianisme  rappelle  à  l'esprit. 

Si  la  critique  appliquée  à  l'Ancien  Testament  n'avait 
pas  jeté  la  plus  grande  incertitude  sur  l'âge  des  livres 
historiques,  on  pourrait  chercher  dans  ces  livres  les 
premières  traces  de  l'idée  messianique.  Mais  on  sait 
que  ces  livres  ne  sont  pas  contemporains  des  faits  qu'ils 
racontent;  on  croit  que  les  plus  anciens  documents  ont 
subi  des  remaniements  successifs,  qui  ne  permettent  d'y 
recourir  qu'avec  la  plus  grande  réserve;  on  admet  una- 
niment  que  ces  livres  ont  été  ou  recueillis ,  ou  com- 
plétés, ou  rédigés  à  une  époque  tardive  dont  les  idées 
pouvaient  facilement  s'introduire  dans  des  récits  d'un 
autre  âge ,  et  que  leur  clôture  définitive  est  postérieure 
aux  écrits  de  tous  les  prophètes.  D'où  il  résulte  qu'une 
histoire  sérieuse  des  idées  messianiques  ne  peut  com- 
mencer qu'avec  ces  derniers,  qui  sont  d'ailleurs  les 
plus  fidèles  échos  des  aspirations  populaires  et  les  vé- 
ritables apôtres  du  messianisme. 

Indépendamment  de  leur  origine  incertaine  et  peut- 
être  assez  récente,  les  traits  du  Pentateuque,  qu'on  a 
regardés  comme  messaniques,  sont  loin  de  l'être  tous. 
La  parole  de  la  Genèse  ^,  qu'on  appelle  V Évangile  pri- 
mitif, est  trop  vague  pour  qu'on  en  puisse  rien  con- 
clure; elle  ne  dit  rien  de  la  conversion  et  du  bonheur 
final  de  l'humanité.  L'oracle  de  Noé^  n'a  d'autre  objet 
que  l'asservissement  de  Canaan  à  ses  deux  frères ,  et 
doit  sans  doute  s'expliquer  par  quelque  événement  de 
guerre  de  l'antiquité.  Le  chant  de  Jacob  ^  n'a  en  vue 

*  Genèse  m,  15. 

2  Genèse  IX,  17. 

3  Genèse  XLIX.  Silo,  ville  d'Éphraïm,  dont  la  position  centrale 


13 

que  les  douze  tribus  et  non  la  domination  de  Juda  sur 
le  reste  du  monde.  La  prophétie  de  Balaam^  vante,  il 
est  vrai,  la  force  et  la  grandeur  d'Israël,  mais  ne  lui 
propose  pas  de  but  plus  élevé  que  la  ruine  de  Moab  et 
l'asservissement  d'Edom.  La  promesse  du  Deutéronome^ 
ne  franchit  pas  l'horizon  de  la  Judée  :  elle  s'applique 
uniquement  au  prophétisme  hébreu  etn'a  pas  le  moindre 
pressentiment  du  Messie,  ni  des  temps  messianiques. 
Ce  pressentiment  peut  se  lire  avec  plus  de  raison  dans 
les  promesses  faites  à  Abraham  et  à  Jacob  '^.  Ces  pro- 
messes signifient  :  toutes  les  nations  porteront  envie  à 
Israël,  le  déclareront  bienheureux,  se  serviront  de  son 
nom  comme  d'une  formule  de  bénédiction ,  disant  : 
«Puissions-nous,  puissiez-vous  jouir  du  même  bon- 
heur qu'Israël  !  »  Ce  désir  des  nations  proclame  l'in- 
contestable supériorité  du  peuple  qui  doit  briller  d'un 
si  vif  éclat.  La  vocation  messianique  se  trouve  ainsi 
placée  comme  une  promesse  et  un  programme  au  ber- 
ceau même  d'Israël,  qui  n'en  eut  vraiment  conscience 
en  la  personne  de  ses  prophètes  que  dans  sa  lente  et 
laborieuse  maturité. 

Il  est  facile  de  comprendre  que  dans  les  temps  agi- 
tés des  Juges  ou  sous  le  règne  belliqueux  de  David,  on 
ait  eu  peu  de  loisir  pour  les  théories.  Il  ne  s'agissait 
pas  alors  de  gouverner  l'univers ,  mais  de  s'établir  so- 
lidement dans  un  petit  pays  dont  on  disputait  chaque 

convenait  à  la  capitale  du  nouvel  État.  L'arche  d'alliance  y  demeura 
jusqu'au  temps  de  Samuel.  «Jusqu'à  ce  qu'il  vienne  à  Silo,  »  signifie 
donc  :  Jusqu'à  ce  que  le  peuple  soit  installé  dans  le  pays  de  Canaan. 

1  Nombres  XXIV. 

»  Deutér.  XVIII,  IS  et  suiv. 

^  Genèse  XII,  2,  3;  XViU,  18;  XXII,  18;  XXVI,  4;  XXVilî,  14, 


14 

lambeau  les  armes  à  la  main.  Lorsque  la  possession  de 
la  Palestine  fut  incontestée,  sous  un  Salomon,  si  les 
notions  religieuses  ne  s'étaient  pas  obscurcies  et  sin- 
gulièrement mélangées  au  contact  des  religions  indi- 
gènes, les  prétentions  théocratiques  auraient  pu  se 
développer.  Mais  le  pouvaient-elles  sous  ce  voluptueux 
monarque,  adorateur  de  plusieurs  dieux i?  Nous  ne 
savons  malheureusement  rien  de  certain  sur  la  situa- 
tion ni  sur  les  idées  des  Israélites  à  cette  époque.  La 
critique  conteste  à  David  la  plupart  des  psaumes  ins- 
crits sous  son  nom;  ce  qui  nous  empêche  d'en  rien  dé- 
duire avec  certitude  pour  notre  sujet.  L'Ecclésiaste  et 
les  Proverbes,  attribués  à  Salomon,  ne  renferment  au- 
cun trait  messianique.  C'est  alors  que  fût  bâti  le  temple 
de  Jérusalem,  qui  devint  le  centre  du  culte  de  Jého- 
vah  et,  plus  tard,  le  point  de  ralliement  de  toutes  les 
espérances.  Cette  époque  de  David  et  de  Salomon  ap- 
parut dans  la  suite  comme  l'âge  d'or  de  l'histoire  Is- 
raélite :  les  ennemis  vaincus  ,  Sion  conquise  et  embel- 
lie, toutes  les  tribus  soumises  à  une  autorité  centrale, 
le  roi  honoré  ,  son  alliance  briguée  par  les  princes  voi- 
sins ou  même  lointains,  une  paix  profonde  et  glorieuse 
succédant  à  de  glorieuses  conquêtes,  le  culte  de  Jého- 
vah  recevant  une  magnifique  et  solennelle  consécra- 
tion, tel  fut  le  fond  brillant  sur  lequel  brodèrent  en- 
suite les  imaginations,  exallées  par  l'humihation,  la 
crainte  ou  la  souffrance.  Le  schisme  et  les  guerres  ci- 
viles ou  étrangères  qui  succédèrent  à  ce  temps  si  court 
d'unité  et  de  repos  contribuèrent  à  le  faire  briller  et 
regretter  davantage.  David  et  le  fds  de  David  restèrent 


1 1  Rois  XI. 


15 

les  héros  du  peuple;  la  légende  s'empara  de  leur  his- 
toire, et  les  esprits  se  consolèrent  sans  cesse  des  mal- 
heurs présents  en  reconstruisant  pour  l'avenir  ce  beau 
passé  disparu. 

Ce  sont  surtout  les  prophètes  qui  excitèrent  et  entre- 
tinrent en  Israël  ces  espérances ,  si  intimement  liées 
à  leur  foi  en  Jéhovah  et  en  sa  protection  spéciale.  Ils 
ont  été  les  représentants  et  parfois  les  martyrs  du  mo- 
nothéisme au  milieu  d'un  peuple  destiné  à  garder  et 
à  répandre  dans  le  monde  le  monothéisme.  Ils  ont 
vécu  dans  l'attente  du  bouleversement  final ,  qui  de- 
vait donner  raison  à  leur  foi ,  et  livrer  l'univers  au 
peuple  élu.  Tous  ou  presque  tous  ont  indiqué  les  cir- 
constances précises,  les  conditions  exactes,  les  pré- 
sages certains  du  triomphe  d'Israël  et  de  la  soumission 
des  Gentils.  En  vain,  siècle  après  siècle,  génération 
après  génération ,  prophète  après  prophète ,  voyaient 
les  événements  démentir  sans  pitié  toutes  les  prédic- 
tions, le  prophète  survenant  ne  se  sentait  pas  ébranlé, 
espérait  contre  toute  espérance,  expliquait  les  faits  au 
profit  de  son  idée,  et  attendait  pour  lui-même  ce  que 
ses  prédécesseurs  avaient  inutilement  attendu.  Émou- 
vant spectacle  !  Admirable  confiance  !  Il  y  avait  sous 
ce  flot  mobile  d'illusions  que  chaque  jour  transfor- 
mait, un  roc  éternel  que  le  temps  n'a  pas  déraciné; 
ils  ont  vraiment  deviné  l'avenir  ;  leur  foi  ne  les  a  pas 
trompés  ! 


\ 


CHAPITRE  IV. 

JOËL.    AMOS.   OSÉE.    ZACHARIE  IX  A  XL 

§  4.  Le  plus  ancien  des  prophètes  dont  les  écrits 
nous  soient  parvenus  est  Jo'él^  fils  dePéthuel.  Son  livre, 
fort  court,  se  divise  en  deux  parties,  l'une  de  tristesse, 
d'anxiété,  d'exhortation  à  la  repentance;  l'autre  de  joie, 
de  promesses ,  d'espérances.  Comme  le  feront  plus 
tard,  à  son  exemple,  tous  les  autres  prophètes,  Joël 
attend  prochainement  le  jugement  de  Jéhovah ,  qui 
livrera  le  monde  aux  Israélites  ;  il  rattache  à  cette 
attente  les  circonstances  du  temps  présent;  les  maux 
comme  les  biens  lui  sont  de  sûrs  indices  que  le  mo- 
ment arrive.  Le  schisme  est  depuis  longtemps  con- 
sommé. Joël  habite  le  royaume  de  Juda,  et  ne  daigne 
pas  même  tourner  les  yeux  sur  l'état  voisin  ;  c'est  à 
Jérusalem  qu'est  réservée  la  gloire  et  à  ceux  qui  lui 
sont  demeurés  fidèles.  Quelque  temps  auparavant ,  des 
incursions  de  Phéniciens  et  de  Philistins  avaient  pé- 
nétré sur  le  territoire  de  Juda,  jusque  dans  Jérusa- 
lem, avaient  pillé  les  trésors  sacrés,  et  emmené  bon 
nombre  de  prisonniers ,   pour  les  vendre  comme  es- 

1  Nous  avons  consulté  avec  le  plus  grand  profit,  pour  ces  études 
sur  les  prophètes  : 
Ewald ,  Die  propheiischen  Bûcher  des  A.  T.  \  840. 
Hilzig,  Exegetisches  Handbuch  zum  A.  T.  1838  et  suiv. 
Umbreit,  Prakiischer  Commentar  ûber  die  Propheten  des  A.  B. 

1844. 
Bunsen ,  Bibelwerk. 

Knobel,  Der  Prophetismus  der  Hebraser.  1837. 
Kœster,  Die  Propheten  des  Alten  und  Neuen  Tesiamentes.  1838. 
Stœhelin ,  Die  messianischen  fVeissagimgen. 


17 

claves.  De  plus,  une  effrayante  invasion  de  sautereHes 
ravageait  le  pays.  Des  critiques  autorisés  placent  ce 
fléau  vers  le  comrnencenfient  du  règne  de  Joas,  entre 
870  et  860.  Ce  fut  l'occasion  des  prophéties  de  Joël. 
Rien  ne  subsistait  sur  le  passage  de  ces  formidables 
colonnes  d'insectes.  La  disette  était  dans  toutes  les 
maisons,  l'épouvante  dans  tous  les  cœurs.  Le  prophète 
considère  cette  calamité  comme  un  prélude  du  juge- 
ment dernier  :  il  exhorte  ses  concitoyens  à  un  jeûne 
solennel.  Il  est  assuré  que  leur  repentance  apaisera 
Jéhovah ,  qui  ne  peut  pas  laisser  périr  son  peuple. 
«Que  les  prêtres,  les  serviteurs  de  Jéhovah,  aillent 
pleurer  entre  le  portique  et  l'autel ,  et  qu'ils  disent  : 
Jéhovah, épargne  ton  peuple!  Ne  livre  pas  ton  héritage 
à  la  honte ,  en  sorte  que  les  nations  s'en  moquent  ! 
Pourquoi  dirait-on  parmi  les  païens  :  Où  est  leur  Dieu?;) 
Ainsi  se  termine  la  première  partie. 

Nous  manquons  de  renseignements  sur  ce  qui  se 
passa  dans  l'intervalle.  Il  est  probable  qu'un  violent 
orage  dispersa  les  sauterelles.  Le  vent  du  midi  les  avait 
amenées ,  le  vent  du  nord  les  emporta.  La  seconde  par- 
tie les  montre  dispersées  aux  quatre  coins  des  cieux, 
la  Judée  délivrée,  les  pâturages  reverdissants,  les 
granges  pleines  de  grains,  les  cuves  débordant  de  vin 
et  d'huile.  La  foi  du  prophète  a  été  justifiée.  Aussi  elle 
s'exalte ,  et  comme  elle  avait  vu  dans  le  fléau  l'annonce 
du  jugement  dernier,  elle  voit  dans  la  délivrance  le 
symptôme  de  l'âge  messianique,  c'est-à-dire  de  la  do- 
mination joyeuse,  incontestée,  universelle  du  peuple 
de  Jéhovah ,  au  milieu  de  l'abondance ,  après  la  ruine 
de  ses  ennemis.  Nous  allons  citer  tout  au  long,  parce 
que  c'est  ici  le  point  de  départ  de  la  prophétie ,  et  le 
s.  '' 


^ 


18 
résumé  des  idées  fondamentales  que  nous  retrouverons 
dans  la  suite  sous  des  formes  et  en  des  circonstances 
diverses. 

II.  25.  «Je  vous  restituerai  les  années  qui  ont  été 
dévorées  par  les  sauterelles ,  ma  grande  armée  que  j'ai 
envoyée  contre  vous.  Vous  mangerez  et  vous  vous  ras- 
sasierez, et  vous  célébrerez  le  nom  de  Jéhovah  votre 
Dieu,  qui  a  fait  pour  vous  des  merveilles,  et  jamais  mon 
peuple  n'aura  plus  à  rougir... 

III.  «  Il  arrivera  ensuite  que  je  répandrai  mon  esprit 
sur  toute  chair;  vos  fils  et  vos  filles  prophétiseront, 
vos  vieillards  auront  des  songes ,  vos  jeunes  gens  des 
visions  ;  même  sur  les  serviteurs  et  sur  les  servantes 
je  répandrai  mon  esprit  dans  ces  jours-là.  Je  mettrai 
des  signes  aux  cieux  et  sur  la  terre,  du  sang,  du  feu, 
et  des  colonnes  de  fumée  ;  le  soleil  se  changera  en  té- 
nèbres et  la  lune  en  sang,  en  signe  du  jour  de  Jéhovah, 
du  grand  et  redoutable  jour.  Et  il  arrivera  que  qui- 
conque invoquera  le  nom  de  Jéhovah  sera  sauvé.  Car 
le  salut  se  trouvera  sur  la  montagne  de  Sion  et  dans 
Jérusalem  ,  ainsi  que  Jéhovah  l'a  dit,  et  ceux  que  Jé- 
hovah appelle,  seront  parmi  les  rachetés  ! 

IV.  ((  Car  voici ,  dans  ces  jours-là  et  dans  ces  temps- 
là  ,  je  ferai  revenir  les  prisonniers  Judéens  et  Jérusalé- 
mites.  Je  rassemblerai  tous  les  peuples,  et  les  ferai 
descendre  dans  la  vallée  de  Josaphat^,  et  là,  je  leur 
ferai  leur  procès  à  cause  de  mon  peuple  et  d'Israël , 
mon  héritage,  qu'ils  ont  dispersé  parmi  les  nations... 

«Que  me  voulez-vous,  Tyr  et  Sidon,  et  toutes  les 
provinces  des  Philistins?...  Bientôt,  bientôt,  je  ferai 

*  Josaphat  signifie  :  Jéliovalj  juge,  cf.  2  Chron.  20. 


19 

relomber  votre  mauvaise  acticn  sur  vos  têtes,  vous  qui 
m'avez  pris  mon  argent  et  mon  or,  et  qui  avez  emporté 
dans  vos  temples  mes  précieux  joyaux  ,  vous  qui  avez 
vendu  les  fils  de  Juda,  les  fils  de  Jérusalem  aux  fils 
des  Grecs ,  pour  les  éloigner  autant  que  possible  de  leur 
patrie  !. . . 

((  Publiez  ces  choses  parmi  les  nations  !  Préparez  la 
guerre ,  excitez  les  héros  !  Que  tous  les  hommes  de 
guerre  montent  et  s'approchent  !  Forgez  avec  vos  char- 
rues des  épées,  et  des  lances  avec  vos  serpes  ! . . .  Ac- 
courez tous,  peuples  d'alentour!...  Jéhovah ,  fais-y 
descendre  tes  héros  M  Que  les  peuples  s'éveillent  et 
montent  à  la  vallée  de  Josaphat!  Car  c'est  là  que  je 
siégerai  pour  juger  toutes  les  nations  d'alentour.  Mettez 
la  faucille,  car  la  moisson  est  mûre.  Venez  et  foulez, 
car  le  pressoir  est  plein;  les  cuves  débordent... 

«  Des  foules ,  des  foules  dans  la  vallée  du  jugement  ! 
Car  le  jour  de  Jéhovah  est  proche.  Le  soleil  et  la  lune 
s'obscurcissent ,  et  les  étoiles  perdent  leur  éclat.  Jého- 
vah rugit  de  Sion  ;  il  élève  sa  voix  depuis  Jérusalem  : 
les  cieux  et  la  terre  tremblent.  Mais  Jéhovah  est  un 
asile  pour  son  peuple,  et  un  abri  pour  les  fils  d'Israël. 
Vous  connaîtrez  que  c'est  moi,  Jéhovah,  qui  suis  votre 
Dieu ,  et  que  j'ai  établi  une  demeure  à  Sion ,  ma  sainte 
montagne.  Jérusalem  sera  sacrée ,  et  les  étrangers  n'y 
entreront  plus!... 

«  Il  arrivera  dans  ce  temps-là  que  les  montagnes  dé- 
goutteront de  vin  doux,  que  les  collines  ruisselleront 
de  lait,  que  dans  toutes  les  plaines  de  Juda  les  eaux 
couleront,  que  de  la  maison  de  Jéhovah  jaillira  une 

1  Dans  la  vallée  de  Josaphat. 


\ 


20 

source  qui  arrosera  même  la  vallée  de  Sittim  '^.  L'Egypte 
deviendra  une  solitude  et  l'Edomie  un  désert,  à  cause 
de  leur  violence  à  l'égard  des  fils  de  Juda ....  Mais 
Juda  subsistera  toujours  et  Jérusalem  de  génération 
en  génération  ! ...» 

Dans  ces  paroles  du  plus  ancien  prophète ,  qui  se 
répercuteront  à  travers  les  prophéties  de  presque  tous 
ses  successeurs,  se  trouvent  clairement  annoncées  deux 
choses  :  le  jugement  de  Jéhovah  sur  les  peuples ,  et  une 
ère  définitive  de  bonheur  complet  pour  les  Israélites. 
Ce  jugement  de  Jéhovah,  le  prophète  le  voit  dans  un 
prochain  avenir,  puisqu'il  en  attend ,  comme  effet  im- 
médiat ,  le  retour  des  Israélites  enlevés  par  les  Phéni- 
ciens et  les  Philistins,  et  vendus  comme  esclaves  aux 
Grecs.  Les  peuples  que  ce  jugement  frappera  sont  ces 
deux  voisins,  plus  les  Édomites  et  les  Égyptiens  «peu- 
ples d'alentour.»  Le  cercle  géographique  n'est  pas  très- 
étendu.  Joël  pense  que  ces  peuples  tenteront  encore 
une  fois  d'envahir  la  terre  sainte  :  ils  monteront  contre 
Jérusalem.  Les  héros  de  Jéhovah ,  les  guerriers  de  la 
ville  sainte  descendront  au  devant  d'eux.  La  rencontre 
aura  lieu  dans  la  vallée  de  Josaphat,  choisie  par  le  pro- 
phète, soit  à  cause  de  son  nom  significatif,  cde  juge- 
ment de  Jéhovah,»  soit  en  souvenir  de  batailles  déjà 
livrées  en  ce  lieu.  Les  Israélites  seront  vainqueurs,  et 
enverront  leurs  captifs  dans  l'Orient  lointain  ,  les  ven- 
dront aux  Arabes  du  désert,  comme  les  captifs  pris  en 
Judée  avaient  été  vendus  à  l'extrême  Occident  (IV, 

1  On  ne  sait  pas  exactement  où  il  faut  placer  cette  vallée  des 
acacias.  Il  y  a  un  Sittim  de  l'autre  côté  du  Jourdain.  Il  s'agit  ici  de 
quelque  vallée  renommée  pour  sa  sécheresse ,  ou  fort  éloignée  de 
Jérusalem. 


21 

6  à  8).  Cette  terrible  exécution,  qui  livrera  les  nations 
à  Israël ,  sera  accompagnée  de  signes  étranges  au  ciel 
et  sur  la  terre ,  et  sera  suivie  pour  le  peuple  de  Jéhovah 
d'une  ère  indéfinie  de  prospérité,  tandis  que  les  pays 
voisins  seront  réduits  en  solitude.  L'élément  spirituel 
n'est  pas  absent:  l'esprit  prophétique,  au  lieu  d'être 
le  partage  d'un  seul  ou  de  quelques-uns ,  sera  répandu 
sur  tous  à  des  degrés  divers,  selon  les  âges  et  les  con- 
ditions. Tous  les  Israélites  participeront  à  ce  bienfait: 
les  païens  seuls  seront  exclus  ,  car  le  salut  est  attaché 
à  Jérusalem.  On  pourrait  entrevoir  une  lueur  d'univer- 
salisme  dans  ces  mots:  «Quiconque  invoquera  le  nom 
de  Jéhovah  sera  sauvé,»  si  les  mots  qui  suivent  immé- 
diatement n'avertissaient  qu'il  s'agit  de  ceux  qui  se 
réclament  du  nom  de  Jéhovah  en  leur  qualité  de  mem- 
bres de  son  peuple  et  d'habitants  de  la  montagne 
sainte.  —  Joël  ne  prévoit  aucun  changement  dans  la 
constitution  civile  ou  religieuse  du  peuple,  ne  préco- 
nise aucun  Messie,  et  ne  surcharge  d'aucune  compli- 
cation les  traits  de  son  tableau  apocalyptique.  L'ab- 
sence d'écrits  prophétiques  antérieurs  nous  empêche 
de  comprendre  comment  s'était  formée  dans  ses  dé- 
.  taiis  cette  attente  du  jugement  final  et  du  prochain 
triomphe,  et  la  part  qu'il  faut  faire  dans  ce  tableau  à 
la  tradition  et  à  l'initiative  du  prophète. 

Les  esclaves  hébreux  ne  furent  pas  rendus.  Philis- 
tins et  Phéniciens  vécurent  comme  par  le  passé.  La 
vallée  de  Josaphat  ne  fut  témoin  d'aucune  catastrophe. 
Rien  ne  changea  aux  cieux  et  sur  la  terre,  et  l'attente 
de  Joël  fut  ajournée. 

§  2.  Amos,  berger  à  Thékoa,  petite  ville  au  sud  de 
Jérusalem,  reprit,  plus  d'un  demi  siècle  ensuite,  ces 


22 

prophéties  suspendues.  Ce  fut  sous  les  règnes  d'Osias, 
roi  de  Juda,  et  de  Jéroboam  II,  roi  d'Israël,  entre  811 
et  784.  L'important  royaume  d'Israël,  dont  Joël  ne 
s'était  pas  même  occupé,  attira  vivement  l'attention 
d'Amos,  et  l'arracha  aux  paisibles  travaux  de  Thékoa , 
pour  le  jeter  dans  le  périlleux  ministère  de  la  prophétie. 
Il  quitta  ses  troupeaux,  se  rendit  au  milieu  des  prêtres 
et  des  grands  du  royaume  du  JYord,  et  leur  dénonça 
énergiquement  leurs  péchés  et  la  colère  divine.  Sous 
le  long  et  glorieux  règne  de  Jéroboam  II,  le  royaume 
avait  atteint  une  situation  prospère;  mais  la  corruption 
avait  marché  d'un  pas  plus  rapide  encore  que  la  pros- 
périté. D'après  Amos,  l'iniquité  était  à  son  comble; 
les  riches  opprimaient  scandaleusement  les  pauvres; 
l'idolâtrie  s'était  établie  au  grand  jour  avec  tout  son 
cortège  de  rites  infâmes;  le  culte  de  Jéhovah  était 
abandonné  ou  déshonoré  par  des  pratiques  crimi- 
nelles. Le  prophète  importun  fut  chassé  par  le  grand- 
prêtre  Amasia,  avec  l'agrément  du  roi.  Il  revint  chez 
lui,  où  probablement  il  rédigea  et  compléta  ses  dis- 
cours. 

Il  reprend,  justifie,  continue  les  prophéties  de  Joël. 
Il  étend  le  cercle  de  ses  menaces.  Dans  huit  prophéties 
successives  et  de  forme  semblable,  il  annonce  à  huit 
peuples,  dont  les  deux  derniers  sont  Juda  et  Israël, 
le  châtiment  et  la  ruine.  Non-seulement  «les  peuples 
d'alentour, i)  comme  le  pensait  Joël,  mais  les  enfants 
d'Israël  eux-mêmes,  les  deux  royaumes  subiront  le  ju- 
gement à  cause  de  leurs  péchés.  Gomme  ses  prophéties 
sont  toutes  débordantes  de  menaces,  Amos  se  sent  con- 
traint de  les  terminer  par  les  promesses  et  les  espé- 
rances messianiques,  tant  la  conviction  s'était  enraci- 


23 

née,  que  nul  châtiment,  si  sévère  et  si  bien  mérité 
qu'il  fût,  ne  pouvait  amener  la  ruine  définitive  du  peuple 
élu,  ni  anéantir  son  droit  à  la  domination  du  monde. 
Les  menaces  sont  terribles  : 

IX,  1.  «Je  vis  le  Seigneur  se  tenant  près  de  l'autel', 
et  il  dit 2  :  Frappe  le  chapiteau  de  telle  sorte  que  le 
temple  en  soit  ébranlé,  et  brises-en  les  morceaux  sur 
leurs  têtes!  J'exterminerai  par  l'épée  ce  qui  restera. 
Nul  d'entre  eux  ne  pourra  échapper.  S'ils  pénètrent 
dans  les  enfers,  ma  main  les  en  arrachera;  s'ils  montent 
aux  cieux,  je  les  en  ferai  descendre;  s'ils  se  cachent  sur 
la  cime  du  Carmel,  je  les  y  découvrirai  et  les  en  arra- 
cherai ;  s'ils  se  dérobent  loin  de  mes  regards  au  fond 
de  la  mer,  j'ordonnerai  au  serpent  de  les  mordre;  s'ils 
se  laissent  emmener  captifs  par  leurs  ennemis,  j'ordon- 
nerai au  glaive  de  les  égorger...!  Voici,  les  yeux  du 
Seigneur  Jéhovah  sont  fixés  sur  le  royaume  coupable  : 
je  le  ferai  disparaître  de  la  surface  de  la  terre!» 

Après  ces  paroles,  le  prophète  est  effrayé  lui-même 
de  sa  violence,  et  il  ajoute  :  «Cependant  je  ne  ferai  pas 
entièrement  disparaître  la  maison  de  Jacob,  affirme 
Jéhovah.  Car  voici,  je  donnerai  mes  ordres,  je  secoue- 
rai parmi  tous  les  peuples  la  maison  d'Israël ,  comme 
on  secoue  le  blé  avec  le  van ,  sans  qu'un  seul  grain 
tombe  à  terre.  Mais  les  pécheurs  de  mon  peuple  péri- 
ront par  l'épée.  En  ce  jour  là  je  relèverai  la  maison 
écroulée  de  David,  et  je  la  rebâtirai  comme  aux  jours 
d'autrefois,  afin  que  les  enfants  d'Israël  s'emparent  du 
reste  d'Édom  et  de  toutes  les  nations  sur  lesquelles  est 

1  L'autel  du  temple  des  faux  dieux ,  où  le  proplièle  suppose  que 
tout  le  peuple  est  rassemblé. 
-  A  l'un  des  anges  ou  au  prophète. 


prononcé  mon  nom^.  Voici,  les  jours  viendront,  dit 
Jéhovah,  où  le  laboureur  touchera  le  moissonneur,  et 
celui  qui  foule  le  raisin,  celui  qui  répand  la  semence^ 

«Les  montagnes  dégoutteront  de  vin,  et  les  collines 
en  ruisselleront.  Je  ferai  revenir  les  exilés  de  mon 
peuple  d'Israël;  ils  rebâtiront  les  villes  désertes  et  y 
habiteront;  ils  planteront  des  vignes  et  boiront  eux- 
mêmes  leur  vin;  ils  cultiveront  leurs  jardins  et  en 
mangeront  les  fruits.  Je  les  planterai  sur  leur  propre 
sol,  et  ils  ne  seront  plus  arrachés  du  terrain  que  je 
leur  aurai  donné,  dit  Jéhovah!  » 

Joël  n'avait  vu,  entre  le  moment  où  il  écrivait  et  ce- 
lui où  l'ère  messianique  devait  commencer,  d'autre  in- 
termédiaire que  le  jugement  et  le  châtiment  des  enne- 
mis du  peuple.  Amos  met  un  plus  grand  intervalle  :  il 
fait  intervenir  le  jugement  et  le  châtiment  des  enfants 
de  Jacob.  Ils  seront  secoués  parmi  les  nations,  comme 
le  blé  dans  un  van.  Si  Joël  semblait  admettre  que  tout 
membre  du  peuple  élu  qui  en  revendiquerait  la  qualité, 
devait  participer  à  la  gloire  et  au  bonheur  prédits, 
Amos  attend  une  distinction,  un  discrimen,  une  sépa- 
ration entre  les  bons  et  les  méchants.  Ceux-ci,  quoi- 
qu'ils fassent  partie  du  peuple,  seront  exclus  du  relè- 
vement. Ils  périront  par  l'épée;  ils  seront  la  balle  qui 
s'échappe  du  van,  où  les  grains  de  blé  demeurent.  Puis 
les  exilés  reviendront  à  la  fm  de  leur  épreuve,  la  mai- 
son de  David  reprendra  sa  splendeur  première,   le 

^  En  signe  de  menace  —  ou  bien  :  qui  sont  ma  propriété,  dont  je 
peux  disposer  à  mon  gré,  comme  l'esclave  est  désigné  par  le  nom 
de  son  maître. 

2  II  y  aura  une  telle  abondance  que  la  vendange  durera  jusqu'aux 
semailles,  et  la  moisson  jusqu'au  labour. 


25 

schisme  cessera,  les  deux  royaumes  n'en  feront  plus 
qu'un,  et  tous  les  Israélites  couleront  des  jours  pai- 
sibles au  sein  de  l'abondance. 

Nous  avons  là,  à  peu  de  chose  près,  les  éléments 
messianiques  de  toutes  les  prophéties  ultérieures.  Ce 
sont  du  moins  les  traits  généraux.  Les  détails  varieront 
selon  les  temps  et  les  théâtres.  Ici  toutefois,  la  domina- 
tion que  promet  le  prophète  n'a  encore  rien  de  religieux 
ni  de  spirituel.  C'est  dans  ce  sens  que  l'idée  messia- 
nique a  le  plus  de  progrès  à  faire. 

§  3.  Cependant  le  royaume  d'Israël  continuait  à 
suivre  les  mêmes  errements.  Le  vieux  Jéroboam  II  ve- 
nait de  mourir.  A  peine  sa  main  énergique  a-t-elle 
cessé  de  tenir  les  rênes,  que  l'anarchie  et  la  guerre 
civile  se  déchaînent  avec  violence.  Zacharie,  Sallem, 
Menahem  se  succèdent  rapidement  sur  les  degrés  san- 
glants du  trône.  Les  Assyriens  pressent  au  Nord,  les 
Égyptiens  pressent  au  Sud.  En  face  de  ce  double  dan- 
ger, les  esprits  se  divisent,  deux  partis  opposés  se 
forment  parmi  le  peuple  et  dans  les  conseils  du  roi. 
Les  uns  veulent  se  jeter  dans  les  bras  de  l'Egypte,  les 
autres  se  livrer  à  l'Assyrie.  Menahem  accepte  ce  dernier 
avis;  il  appelle  Phul ,  et  lui  promet  en  échange  de  son 
alliance  de  grosses  sommes  d'argent,  dont  le  paiement 
écrase  le  peuple.  C'est  dans  ces  circonstances  critiques 
que  prophétisa  Osée,  fils  de  Bééri.  Habitant  du  royaume 
du  Nord,  écrivain  un  peu  rude  et  inculte,  Osée  semble 
avoir  connu  les  prophéties  d'Amos,  qui  ne  doit  lui  être 
antérieur  que  de  quelques  années.  Il  s'élève  avec  une 
grande  force  contre  les  vices,  les  crimes,  l'idolâtrie  de 
ses  compatriotes.  Il  leur  prédit  les  plus  grands  mal- 
heurs, la  défaite,  l'exil,  la  ruine,  la  mort.  Il  prévoit  que 


\ 


26 

le  peuple,  corrompu  dans  ses  mœurs,  affaibli  par  ses 
discordes,  abandonné  de  son  Dieu,  deviendra  prochai- 
nement la  proie  de  ses  deux  redoutables  voisins,  que 
les  Assyriens,  dont  la  puissance  grandit  chaque  jour, 
dévoreront  ceux  qui  les  appellent  si  imprudemment, 
et  que  les  Égyptiens  les  aideront  dans  cette  œuvre  de 
destruclion.  Il  semble  un  moment  espérer  un  sort 
meilleur  pour  le  royaume  de  Juda;  mais  ayant  appris 
sans  doute  à  le  connaître  de  plus  près,  et  y  ayant  re- 
marqué les  mêmes  misères,  il  renonce  tristement  à  son 
espoir,  et  menace  Juda  des  mêmes  calamités  qu'Israël. 

Un  des  traits  distinctifs  de  ce  prophète  est  le  carac- 
tère hypothétique  de  ses  menaces.  A  quelque  degré  de 
culpabilité  que  soit  descendu  son  peuple,  il  ne  peut  se 
résoudre  à  le  condamner  sans  appel.  11  croit  que  la  re- 
pentance  peut  encore  écarter  tous  les  maux  qu'il  pré- 
dit, et  qu'elle  sera  une  plus  sûre  et  plus  prompte  pré- 
paration à  l'âge  messianique  que  les  châtiments.  Pour 
provoquer  cette  repentance  salutaire,  il  fait  briller  de- 
vant les  regards  les  biens  qu'elle  amènerait  : 

II,  1.  «Le  nombre  des  enfants  d'Israël  sera  comme 
le  sable  de  la  mer,  qu'on  ne  peut  mesurer  ni  calculer. 
Au  Heu  de  leur  dire  :  «Vous  n'êtes  pas  mon  peuple,» 
on  les  appellera  fds  du  Dieu  vivant!  Les  fils  de  Juda 
et  les  fils  d'Israël  se  réuniront  ensemble  et  se  donne- 
ront un  seul  chef..!  » 

Mais  il  est  douteux  que  cette  repentance  se  produise 
maintenant;  elle  ne  sera  amenée  que  par  l'épreuve. 
C'est  ce  qu'Osée  exprime  en  termes  touchants  que 
d'autres  prophètes  relèveront  après  lui  :  «C'est  pour- 
quoi, voici,  je  l'attirerai  et  la  conduirai  dans  le  dé- 
sert, et  je  parlerai  à  son  cœur.  Je  lui  donnerai  là  ses 


27 

vignobles,  et  la  vallée  d'Achor  sera  comme  une  porte 
d'espérance^.  Elle  y  chantera  comme  aux  jours  de  sa 
jeunesse,  comme  aux  jours  de  sa  sortie  d'Egypte,  et  il 
arrivera  en  ce  jour  là,  dit  Jéhovah,  que  tu  t'écrieras  : 
mon  mari!  et  non  plus  mon  maître!...  Et  je  ferai  pour 
eux  dans  ce  jour  là  un  contrat  avec  les  bêtes  des  champs 
et  les  oiseaux  du  ciel  et  les  reptiles  de  la  terre.  Je  bri- 
serai arc,  épée  et  guerre,  et  les  jetterai  loin  du  pays,  et 
je  ferai  en  sorte  qu'on  y  habite  avec  sécurité.  —  Dans 
ce  jour  là  j'exaucerai  les  cieux  et  ils  exauceront  la 
terre,  et  la  terre  exaucera  le  blé,  le  vin  et  l'huile...  et 
je  ferai  grâce  à  Disgraciée,  et  je  dirai  à  Tu  n'es  plus 
mo7i  peuple  :  a  Tu  es  mon  peuple  »  et  il  me  répondra  : 
«Tu  es  mon  Dieu!  » 

Au  chapitre  III,  il  revient  sur  cette  pensée  que  le 
châtiment  produira  la  repentance,  et  la  repentance 
tous  les  heureux  fruits  de  l'âge  messianique  :  «Les  fds 
d'Israël  resteront  de  longs  jours  sans  roi,  ni  prince,  ni 
sacrifice,  ni  statue,  sans  éphod  ni  théraphim.  »  Ce  qui 
veut  dire,  d'après  l'allégorie  dont  ces  mots  sont  précé- 
dés dans  le  texte,  que  pendant  un  temps  assez  long, 
temps  d'épreuve,  les  Israélites  seront  privés  de  tout 
culte,  aussi  bien  du  vrai  Dieu  que  des  faux  dieux,  afin 
qu'ils  aient  le  loisir  et  le  recueillement  nécessaires  pour 
entendre  les  reproches  de  leur  conscience  et  se  livrer 
au  repentir.  «Ensuite  les  fils  d'Israël  se  convertiront, 
et  ils  chercheront  Jéhovah  leur  Dieu  et  David  leur  roi; 
et  ils  accourront  tout  tremblants  au  devant  de  Jéhovah 

'  AcIior  =  amertume.  Ou  bien  il  veut  dire  que  les  amertumes  de 
l'épreuve  ouvriront  la  porte  à  l'epérance;  ou  bien  il  désigne  la 
vallée  d'Achor,  qui  est  à  la  limite  nord  de  Juda,  comme  le  lieu  par 
où  l'on  pourra  espérer  de  rentrer  dans  la  patrie. 


28 

et  de  sa  bénédiction  à  la  fin  de  ces  jours.  »  La  même 
espérance  se  reproduit  un  peu  plus  loin  en  termes  obs- 
curs, mais  expressifs  :  a  La  faute  d'Éphraïm  est  liée, 
son  péché  est  scellé^.  Les  douleurs  d'une  femme  en 
couches  vont  lui  survenir.  C'est  un  fils  insensé  qui  ne 
se  trouve  pas  à  temps  à  l'issue  de  la  matrice...  Je  les 
arracherai  à  l'étreinte  de  l'enfer;  je  les  délivrerai  de  la 
mort.  —  Où  sont  tes  pestes,  ô  mort?  où  est  ton  aiguil- 
lon, ô  enfer?-»  On  voit  le  sens  de  cette  allégorie. 
L'Éphraïm  inconverti  doit  donner  naissance  à  un  nou- 
vel Éphraïm  plus  pieux  et  plus  heureux.  Ce  qui  doit 
amener  la  transformation,  c'est  la  souffrance;  ce  sont 
les  douleurs  de  l'enfantement.  Mais  si  le  nouvel  Éphraïm 
tarde  à  sortir  du  sein  de  l'autre,  ils  risqueront  de  périr 
tous  les  deux.  C'est  ce  que  Jéhovah  ne  pourra  pas  per- 
mettre. 

Le  dernier  chapitre  est  une  pressante  péroraiso  n 
«  Reviens,  Israël,  à  Jéhovah  ton  Dieu  :  car  tu  es  tombé 
par  ta  faute!  Faites  provision  de  bonnes  paroles  et  re- 
venez à  Jéhovah!  Dites -lui  :  Pardonne  toute  notre  faute, 
et  veuille  agréer  que  nous  t'offrions  le  sacrifice  de  nos 
lèvresM  Ce  n'est  pas  l'Assyrien  qui  nous  aidera...  Nous 
ne  dirons  plus:  tu  es  notre  Dieu,  à  ce  qui  est  l'œuvre 
de  nos  mains,  ô  toi  près  de  qui  l'orphelin  trouve  grâce!  j> 
—  Voici  quelle  sera  la  réponse  de  Jéhovah  aux  Israé- 
lites repentants:  «Je  guérirai  votre  infidélité*.  Je  les 
aimerai  volontiers,  car  ma  colère  s'est  éloignée  d'eux. 

1  C'en  est  fait:  on  ne  peut  plus  revenir  sur  le  passé;  il  faut  main- 
tenant que  la  justice  ait  son  cours. 

2  Cf.  4  Cor.  XV,  55. 

5  Nos  hommages  et  nos  prières. 

*  II  considère  le  péché  comme  une  maladie. 


29 

Je  serai  comme  une  rosée  pour  Israël;  il  fleurira  comme 
un  lis;  il  jettera  des  racines  comme  le  Liban.  Ses  re- 
jetons s'étendront;  son  éclat  sera  comme  celui  de  l'oli- 
vier, et  son  odeur  comme  celle  du  Liban.  Ceux  qui  ont 
leurs  demeures  à  son  ombre  reviennent^  produisent 
du  froment,  prospèrent  comme  la  vigne.  Leur  réputa- 
tion est  comme  celle  du  vin  du  Liban.  Qu'Ëphraïm  dise 
seulement."  Qu'ai-je  à  faire  encore  avec  les  idoles?  — 
et  moi,  je  l'exaucerai,  je  le  regarderai  avec  amour;  je 
serai  sur  sa  tête  comme  un  cyprès  verdoyant;  c'est  de 
moi  que  tu  recevras  tes  fi'uits!  » 

Ces  images  incohérentes  sont  une  peinture  de  l'âge 
messianique,  que  la  repentance  introduira.  Le  peuple 
d'Israël  renouvelé,  r(?^e?ie'r(?' par  la  souffrance,  jouira 
de  toutes  sortes  de  biens  dans  son  pays  fortuné.  Osée 
attend  aussi,  comme  Amos,  la  réunion  des  deux  royau- 
mes. Quoiqu'on  sente  bien  que  son  cœur  est  avec  le 
royaume  du  Nord,  sa  patrie,  il  ne  peut  cependant  se 
décider  à  séparer  Juda  des  destinées  d'Israël  :  cette 
division  est  contre  nature.  Dégoûté  des  continuels 
changements  de  maître  et  de  dynastie  dont  le  peuple 
est  la  première  victime,  il  tourne  ses  regards  et  ses 
désirs  vers  la  paisible  et  immuable  maison  de  David. 
C'est  un  roi  de  cette  maison  privilégiée  qui  doit  régner 
sur  le  peuple  de  Dieu.  Osée  est  trop  fatigué  des  agita- 
tions et  des  tumultes  de  son  temps  pour  souhaiter  en- 
core la  guerre  dans  l'âge  messianique.  Il  soupire  après 
la  paix,  après  le  moment  où  «  Jéhovah  brisera' les  arcs, 
les  flèches  et  la  guerre,  et  où  l'on  pourra  vivre  dans  la 
sécurité.  »  Il  désire  moins  la  domination  du  monde 

1  Les  Israélites  exilés  reviendront. 


30 

que  le  repos,  l'ordre,  la  paix,  dans  rabondance  et  la 
piété. 

§  4.  Ce  même  sentiment  se  retrouve  chez  un  autre 
prophète,  dont  le  nom,  l'âge,  la  patrie  nous  sont  in- 
connus, mais  que  plusieurs  indices  portent  à  placer 
dans  ce  même  temps.  C'est  l'auteur  des  Ghap.  IX  A  XI 
DE  Zagharie.  Dans  ces  pages,  comme  dans  le  livre 
d'Osée,  ce  sont  les  Égyptiens  et  les  Assyriens  qui  se 
lèvent  menaçants  à  l'horizon.  C'est  un  temps  de  meur- 
tres et  d'anarchie.  Il  n'y  a  pas  de  roi ,  tant  les  rois  se 
succèdent  avec  rapidité.  C'est  un  interrègne,  un  chaos. 
Le  prophète  prévoit  encore  des  maux  plus  dangereux, 
d'effroyables  bouleversements  (IX,  1  à  8).  Puis,  fatigué 
de  tant  de  guerres  et  de  bruits  de  guerres,  il  s'arrête, 
il  repose  ses  regards  sur  des  images  pacifiques.  Après 
tant  de  combats,  le  roi  d'Israël  cessera  de  guerroyer, 
d'être  un  chef  d'armée:  il  répudiera  les  insignes  du 
combat,  les  armes,  le  fougueux  cheval  de  bataille;  on 
le  verra  paisiblement  cheminer  sur  un  âne,  et  un  pro- 
fond repos  s'étendra  sur  les  deux  royaumes,  comme 
sur  le  monde  entier,  ce  Aie  grande  joie,  fille  de  Sionî 
Réjouis-toi,  fille  de  Jérusalem  !  Voici,  ton  roi  vient  à 
toi,  juste  et  vainqueur,  débonnaire  et  monté  sur  un 
âne,  sur  le  poulain  d'une  ânesse.  Je  détruirai  les  cha- 
riots d'Éphraïm  et  les  chevaux  de  Jérusalem.  Tout  arc 
de  guerre  sera  détruit.  — -Il  déclarera  la  paix  aux  na- 
tions, et  sa  domination  s'étendra  d'une  mer  à  l'autre, 
depuis  le»  Fleuve  jusqu'aux  confins  de  la  terre'.  » 

Le  roi  est  mis  plus  avant  sur  la  scène  que  chez  les 

'  De  la  mer  Méditerranée  à  la  mer  Rouge ,  et  du  Nil  jusqu'au  terres 
sans  nom  du  fond  de  l'Asie.  C'est  tout  l'horizon  géographique  des 
Israélites  de  cette  époque. 


8i 

prophètes  antérieurs.  Sans  doute,  il  n'est  encore  ici 
que  le  représentant  de  son  peuple;  mais  il  se  dégage 
déjà  assez  nettement  sur  le  fond  commun.  Joël  ne 
l'avait  pas  vu.  Amos  ne  parlait  que  de  la  maison  de 
David.  Osée  place  un  roi  quelconque  de  cette  maison  à 
la  tête  des  deux  royaumes.  Notre  anonyme  donne  à  ce 
roi  un  rôle,  un  caractère,  et  pour  ainsi  dire,  une  phy- 
sionomie qui  attire  les  regards.  C'est  ce  roi  qui  a  dompté 
les  ennemis  avec  le  secours  de  Jéhovah;  c'est  lui  qui 
fait  son  entrée  pacifique  sur  un  âne;  c'est  lui  qui  ac- 
corde la  paix  aux  nations;  c'est  lui  qui  étend  sa  domi- 
nation, c'est-à-dire  celle  de  son  peuple,  d'une  mer  à 
l'autre  et  jusqu'aux  extrémités  de  la  terre.  Cette  image 
ne  se  perdra  pas.  Nous  allons  la  voir  se  refléter  plus 
brillante,  mieux  ornée,  plus  complète,  dans  les  pro- 
phètes qui  suivent. 

CHAPITRE  IIL 

ÉSAÏE,  FILS  d'AMOS.  MIGHÉE.  (PÉRIODE  ASSYRIENNE). 

§1.  Nous  arrivons  au  livre  prophétique  le  plus  im- 
portant, celui  qui  porte  le  nom  d'Ésaïe,  fils  d'Ainos. 
Ce  livre,  à  proprement  parler,  est  une  anthologie.  Sur 
les  66  chapitres  dont  il  se  compose,  une  quarantaine 
appartiennent  à  d'autres  auteurs  que  celui  qui  a  fourni 
son  nom  au  recueil.  La  seconde  partie,  de  40  à  66, 
nous  occupera  plus  tard.  Dans  la  première  partie  on 
peut  éliminer  avec  assez  de  certitude  ceux  des  mor- 
ceaux qui  montrent,  par  des  allusions  à  des  faits  pos- 
térieurs, qu'ils  ne  proviennent  pas  d'Esaïe.  Il  est  tou- 
tefois bien  difficile  de  déterminer  exactement  ce  qui 
lui  appartient,  et  encore  plus  d'introduire  dans  ses 


32 

prophéties  l'ordre  chronologique.  Nous  nous  borne- 
rons aux  passages  qui  sont  de  lui  le  plus  manifeste- 
ment, et  nous  en  traduirons  plusieurs  en  entier,  parce 
qu'ils  développent  longuement  les  idées  et  les  espé- 
rances dont  nous  retraçons  l'histoire. 

ÉsAÏE,  fils  d'Amos,  habitant  de  Jérusalem,  com- 
mença à  prophétiser  l'année  de  la  mort  d'Osias,  l'an  759 
selon  une  chronologie,  747  selon  une  autre,  et  conti- 
nua sous  les  règnes  de  Jotham,  d'Achaz  et  d'Ezéchias, 
c'est-à-dire  pendant  toute  la  seconde  moitié  du  huitiè- 
me siècle.  Osias  avait  laissé  à  son  fds  Jotham  le  royanme 
de  Juda  paisible  et  florissant.  Celui-ci  le  maintint  dans 
l'état  où  son  père  le  lui  avait  légué.  Cependant  la  con- 
science du  prophète  n'était  pas  satisfaite.  Cette  prospé- 
rité ne  lui  paraît  pas  reposer  sur  une  base  solide;  les 
péchés  de  la  nation  sont  graves;  aussi  prévoit-il,  mal- 
gré de  si  belles  apparences,  un  avenir  de  châtiment  et 
de  misères.  Syriens  et  Assyriens  dévasteront  le  pays,  le 
dépeupleront.  Ceux  qui  seront  épargnés,  instruits  enfin 
par  de  si  grandes  catastrophes,  s'attacheront  de  tout 
leur  cœur  à  Jéhovah.  Ils  auront  eu  le  privilège  de  ne 
pas  quitter  la  ville  sainte  :  ils  seront  comme  la  souche 
restée  en  terre,  la  racine  invisible  de  laquelle  un  reje- 
ton sorlira,  qui  formera  de  nouveau  un  grand  arbre. 
Mais  avant  d'en  arriver  là,  il  faut  qu'une  destruction 
complète  passe  sur  le  pays.  Tel  est  le  sens  de  la  pro- 
phétie qui  est  la  première  en  date,  la  vocation  d'Ésaïe. 

YI,  9.  «Va  et  dis  à  ce  peuple:  Vous  entendrez, 
mais  vous  ne  comprendrez  pas  etc.  —  El  je  dis:  Jus- 
qu'à quand,  Seigneur?  —  Et  il  dit:  Jusqu'à  ce  que  les 
villes  s'écroulent,  vides  d'habitants,  et  les  maisons, 
vides  de  gens,  et  que  le  pays  soit  réduit  en  désert.  Je- 


33 

.  hovah  éloignera  tout  homme,  et  la  solitude  sera  grande 
dans  l'intérieur  du  pays.  Et  quand  il  n'y  en  aurait  plus 
qu'un  dixième,  ce  dixième  sera  encore  livré  à  la  des- 
truction. Mais  de  même  que  le  térébinthe  et  le  chêne, 
quand  on  les  abat,  laissent  une  racine,  ce  qui  restera 
du  peuple  sera  une  sainte  semence  !...» 

Cette  époque  de  ruine  ne  tardera  pas;  car  si  Esaïe 
la  prévoyait  déjà  sous  le  règne  vigoureux  de  Jotham, 
que  sera-ce  sous  son  faible  successeur?  Le  jeune  et  fol 
Achaz  en  effet,  présomptueux  dans  la  prospérité,  lâche 
devant  le  péril,  n'inspire  aucune  crainte  aux  rois  d'E- 
phraïm  et  de  Syrie,  qui  se  concertent  pour  anéantir  la 
maison  de  David,  et  placer  sur  le  trône  de  Juda  une 
de  leurs  créatures.  A  l'approche  des  armées  ennemies, 
Achaz  se  trouble.  Il  ne  voit  d'autre  moyen  de  salut  que 
d'appeler  à  son  secours  les  Assyriens.  Esaïe  tente  inu- 
tilement de  lui  rendre  courage,  de  le  dissuader  de  son 
humiliant  et  dangereux  dessein;  il  lui  annonce  la  ruine 
prochaine  des  deux  princes  et  des  deux  peuples  devant 
lesquels  il  tremble  :  Éphraïm  et  la  Syrie  se  sont  en  vain 
coalisés  pour  se  défendre  contre  l'envahissement  des 
Assyriens  ;  c'est  en  vain  que  dans  le  même  but  ils 
cherchent  à  augmenter  leurs  forces  en  y  joignant  celles 
de  la  Judée  qu'ils  attaquent.  L'Assyrie  est  déjà  trop 
puissante  et  s'étend  trop  rapidement  pour  qu'ils  lui  ré- 
sistent longtemps  encore.  Elle  les  engloutira  bientôt. 
C'est  elle  qui  est  à  craindre.  Sans  qu'on  l'appelle,  elle 
saura  bien  réduire  à  son  obéissance  les  ennemis  qui 
attaquent  Juda.  Voilà  la  bonne  nouvelle  qu'Esaïe  fait 
entendre  au  roi.  Mais  il  la  fait  suivre  d'une  menace. 
Juda  lui-même  ne  peut  manquer  de  succomber  sous 
les  coups  des  Assyriens  et  des  Egyptiens,  soit  réunis, 
s.  ^ 


34 

soit  divisés.  Le  royaume  sera  dévasté  et  mis  en  friche. 
Les  quelques  habitants  qui  y  demeureront  n'auront 
plus  d'autre  nourriture  que  le  lait  des  animaux  qu'ils 
feront  brouter  au  milieu  des  ruines,  et  le  miel  sauvage. 
Cette  délivrance  et  cette  catastrophe,  amenées  par  les 
mêmes  mains,  se  suivront  de  si  près  que  le  même  enfant 
à  qui  l'on  aura  pu  donner  à  sa  naissance  le  nom  Dieu- 
est-avec-noiis ,  en  signe  de  la  défaite  des  deux  alliés , 
sera  témoin,  et  assez  promptement,  de  la  grande  mi- 
sère qui  doit  survenir:  lui  aussi  en  sera  réduit  au  lait 
et  au  miel  sauvage.  Cet  enfant  peut  être  le  premier 
venu,  et  sa  mère,  une  des  femmes  présentes  au  dis- 
cours d'Ésaïe;  elle  peut  être  aussi  la  femme  du  pro- 
phète, soit  la  mère  de  ses  deux  autres  fils,  qui  portent 
également  des  noms  symboliques,  soit  une  seconde 
femme;  elle  peut  enfin  être  une  des  femmes  de  la  mai- 
son royale,  et  l'enfant  peut,  dans  la  pensée  d'Ésaïe,  dé- 
signer le  Messie.  Quoi  qu'il  en  soit,  le  sens  est  le  même: 
la  dispersion  et  la  ruine  des  deux  armées  coalisées, 
puis  l'attaque  et  la  ruine  de  Juda  par  les  Assyriens, 
cette  délivrance  et  ce  désastre,  tout  cela  aura  lieu  suc- 
cessivement dans  le  court  intervalle  qui  sépare  la  nais- 
sance prochaine  de  l'enfant  du  moment  où  il  saura  dis- 
tinguer le  bien  et  le  mal.  Après  ces  explications  préa- 
lables d'un  texte  qu'on  a  obscurci  comme  à  plaisir, 
écoutons  le  prophète  lui-même: 

VII,  10.  ((  Jéhovah  continua  de  parler  à  Achaz  et  lui  ' 
dit:  Demande  donc  un  signe  à  Jéhovah  ton  Dieu;  de- 
mande-le, d'en  bas  ou  d'en  haiit^!  Achaz  répondit:  Je 
ne  demanderai  rien,  je  ne  veux  pas  tenter  Jéhovah! 

'  C'est-à-dire  un  miracle  qui  se  voie  dans  le  ciel,  ou  qui  ait  lieu 
sur  la  terre. 


35 

I  Alors  le  prophète  dil:  Écoulez  donc,  maison  de  David! 
j  est-ce  trop  peu  pour  vous  de  fatiguer  les  hommes,  que 
;  vous  fatiguiez  aussi  mon  Dieu  ''^  C'est  pourquoi  le  Sei- 
;  gneur  lui-même  va  vous  donner  un  signe:  voici,  la 
jeune  femme ^  est  enceinte,  et  elle  enfantera  un  fils  et 
I  elle  l'appellera  Dieu-est-avec-nous.  Du  lait  caillé  et  du 
j  miel  sauvage  seront  sa  nourriture  vers  le  temps  où  il 
saura  rejeter  le  mal  et  choisir  le  bien.  Car  avant  que  l'en- 
fant sache  rejeter  le  mal  et  choisir  le  bien,  le  pays  dont 
les  deux  rois  te  jettent  dans  l'épouvante  sera  tout  aban- 
donné! Puis  Jéhovah  enverra  sur  toi  et  sur  ton  peuple 
et  sur  la  maison  de  ton  père  des  jours  comme  il  n'en 
j  est  point  venu  depuis  le  temps  où  Ephraïm  s'est  séparé 
I  de  Juda  :  ce  sera  le  roi  d'Assyrie  !...  Et  il  arrivera  en 
ce  temps-là  que  Jéhovah  appellera  en  sifflant  les  mous- 
tiques qui  sont  à  l'extrémité  des  fleuves  de  l'Egypte, 
et  les  abeilles  du  pays  d'Assur^,   et  ils  viendront, 
et  ils  se  poseront  sur  les  plaines  escarpées ,   dans 
les  fentes  des  rochers,  sur  toutes  les  haies  et  sur  tous 
les  buissons...  Et  il  arrivera  en  ce  temps-là  que  qui- 
conque aura  une  génisse  et  deux  brebis  pourra  man- 
ger du  lait  caillé,  à  cause  de  la  grande  quantité  de 
.lait* ;  car  c'est  de  lait  caillé  et  de  miel  que  se  nourri- 
ront ceux  qui  seront  restés  dans  le  pays.  Et  il  arrivera 
dans  ce  temps-là  que  tout  terrain  où  se  trouvent  ac- 
tuellement mille  pieds  de  vigne  de  la  valeur  de  mille 

1  Le  jeune  roi  faisait  des  mécontents  parmi  ses  sujets,  et  fatiguait 
Dieu  par  son  incrédulité  et  sa  légèreté, 

2  LeSmot  (HÏÏ'PP}  ^^ma  signifie  Jeune  fille  nubile,  jeune  femme  : 
Voy.  Prov.  XXX,  19.  Cantique  des  Cant.  VI,  8. 

3  Les  innombrables  armées  d'Egypte  et  d'Assyrie. 

*  11  restera  si  peu  d'habitants  en  Judée,  qu'avec  peu  d'animaux,  il 
y  aura  encore  trop  de  lait,  quoique  le  lait  et  le  miel  doivent  faire 
alors  presque  toute  la  nourriture,  tant  la  misère  sera  grande. 


36 

pièces  d'argent,  ne  sera  plus  couvert  que  de  ronces  et 
d'épines;  on  n'y  arrivera  qu'avec  flèches  et  arcs,  car  il 
n'y  aura  que  ronces  et  buissons  d'épines  dans  le  pays 
entier!...)) 

Mais  ce  n'est  pas  là  le  dernier  plan  du  tableau.  Après 
la  ruine  vient  le  relèvement.  C'est  la  pensée  sur  laquelle 
Ésaïe  insiste  et  revient  sans  cesse  ;  c'est  même  sous 
l'invocation  de  cette  espérance  que  le  livre  tout  entier 
est  placé;  elle  en  est  la  note  dominante.  Toutes  ces 
épreuves  doivent  servir  à  améliorer  le  peuple  et  à  pré- 
parer l'âge  de  la  perfection  et  du  bonheur. 

I,  24.  «Voici  l'oracle  du  Seigneur,  de  Jéhovah  des 
armées,  du  héros  d'Israël:  0  je  me  satisferai  sur  mes 
adversaires,  je  me  vengerai  sur  mes  ennemis!  je  tour- 
nerai ma  main  contre  toi;  je  ferai  fondre  comme  du 
savon  tes  scories,  j'écarterai  tout  ton  plomb.  Je  rendrai 
tes  juges  comme  ils  étaient  autrefois,  et  tes  conseillers 
comme  jadis.  Après  cela,  tu  seras  appelé  ville  de  jus- 
tice, cité  fidèle!...  Il  arrivera  à  la  fin  des  temps  que  la 
montagne  de  la  maison  de  Jéhovah  sera  placée  sur  le 
sommet  des  montagnes,  sera  élevée  au-dessus  des  hau- 
teurs, et  que  tous  les  peuples  y  accourront.  Des  na- 
tions nombreuses  y  viendront  et  diront:  Allons,  mon- 
tons à  la  montagne  de  Jéhovah,  à  la  maison  du  Dieu 
de  Jacob,  pour  qu'il  nous  enseigne  ses  voies  et  que 
nous  marchions  dans  ses  sentiers!  —  Car  c'est  de  Sion 
que  sortira  la  Loi,  et  la  parole  de  Jéhovah  viendra  de 
Jérusalem.  Il  jugera  entre  les  nations  et  sera  l'arbitre 
de  peuples  nombreux.  Ils  forgeront  avec  leurs  épées  des 
socs  de  charrue,  et  avec  leurs  lances  des  faucilles.  Un 
peuple  ne  lèvera  plus  l'épée  contre  l'autre,  et  l'on  ne 
fera  plus  l'apprentissage  de  la  guerre  !)) 


37 

On  voit  à  quelle  hauteur  s'élève  le  premier  et  du 
premier  coup  le  fils  d'Amos,  l'aigle  de  la  prophétie.  Il 
aura  des  descriptions  plus  animées,  des  promesses 
plus  glorieuses,  il  peindra  l'âge  messianique  sous  de 
plus  riches  couleurs,  mais  nulle  part  il  ne  fera  une  part 
plus  belle  aux  destinées  religieuses  de  l'humanité.  Ce 
qu'il  connaît  Je  plus  grand  et  de  meilleur,  la  loi,  dont 
la  nation  est  si  fière,  il  veut  le  donner  en  partage  à 
tous  les  peuples.  La  domination  qu'il  promet  aux  Is- 
raélites sera  une  domination  spirituelle.  Jéhovah  ne 
sera  plus  seulement  le  punisseur,  mais  l'arbitre  pacifi- 
que de  peuples  nombreux.  Ce  langage  était  nouveau. 
Plus  tard,  probablement  vers  la  fin  de  sa  longue  car- 
rière, il  revient  encore,  et  avec  de  touchants  détails, 
sur  cette  généreuse  intuition.  C'est  au  chap.  XIX,  dans 
sa  prophétie  sur  l'Egypte.  Il  la  représente  souffrant  de 
la  tyrannie,  de  la  guerre  civile,  de  la  sécheresse;  les 
chefs  sont  impuissants,  le  peuple  est  dans  l'épouvante. 
((Ils  sont,  dit-il,  comme  des  femmes;  ils  frémissent  et 
ils  tremblent  sous  la  main  de  Jéhovah.  »  Mais  ils  fini- 
ront par  comprendre  que  tous  les  maux  sont  envoyés 
de  Jéhovah,  et  que  par  conséquent  c'est  auprès  de  lui 
qu'il  faut  chercher  la  guérison. 

((  En  ce  jour-là,  il  y  aura  cinq  villes  sur  la  terre  d'E- 
gypte qui  parleront  la  langue  de  Canaan  *  ;  l'une  d'elles 
s'appellera  ville  de  délivrance'^.  En  ce  jour  là  un  autel 

^  Cinq  veut  probablement  dire  quelques.  Plusieurs  villes  où  se 
trouvent  peut-être  déjà  des  Hébreux  exilés^,  commenceront  à  parler 
la  langue  religieuse  d'Israël,  et  entraîneront  tout  le  pays  dans  leur 
foi  à  Jéhovah. 

2  D'après  l'étymologie  arabe  (Hitzig)  ou  :  ville  de  destruction. 
Les  LXX  et  certains  manuscrits  changent  le  Meyn  en  Samedi  :  ville 
du  Soleil,  illustre,  brillante.  (Peut-être  une  allusion  à  ow,  Hélio- 
polis ou  s'élevait  un  temple  magnifique  consacré  au  Soleil.) 


38 

sera  dressé  à  Jéhovah  au  milieu  du  pays  d'Egypte,  et 
à  sa  frontière  on  élèvera  une  colonne  consacrée  à  Jé- 
hovah. Ce  sera  un  signe  et  un  monument  en  l'honneur 
de  Jéhovah  des  armées  dans  le  pays  d'Egypte,  parce 
qu'ils  auront  supplié  Jéhovah  à  cause  de  leurs  oppres- 
seurs, et  qu'il  leur  aura  envoyé  un  sauveur  et  un  dé- 
fenseur pour  les  délivrer*.  Ainsi  Jéhovah  se  fera  con- 
naître à  l'Egypte  :  les  Égyptiens  connaîtront  Jéhovah 
dans  ce  temps;  ils. lui  offriront  des  sacrifices  et  des  pré- 
sents ;  ils  lui  feront  des  vœux  et  les  tiendront.  C'est  Jé- 
hovah qui  frappe  l'Egypte,  qui  la  frappe  et  qui  la  guérit. 
Ils  se  tourneront  vers  Jéhovah  :  il  les  exaucera  et  les 
guérira  !  —  En  ce  même  temps  il  y  aura  une  route  de 
l'Egypte  en  Assyrie ,  et  l'Assyrien  ira  en  Egypte ,  et 
l'Égyptien  ira  en  Assyrie,  et  les  Égyptiens  avec  les  As- 
syriens serviront  Dieu.  —  En  ce  même  temps  Israël 
s'adjoindra  en  tiers  à  l'Egypte  et  à  l'Assyrie,  et  il  y 
aura  une  bénédiction  au  sein  de  leur  pays,  bénédiction 
que  donnera  Jéhovah  des  armées,  disant:  Béni  soit  mon 
peuple,  Mitzraïm  (l'Egypte),  —  et  l'œuvre  de  mes  mains, 
Assur,  —  et  mon  héritage,  Israël  !  —  i> 

Si  nous  avons  dit  du  passage  précédent  que  nul  pro- 
phète avant  Ésaïe  ne  s'était  élevé  si  haut,  nous  pouvons 
dire  de  celui-ci  que  nul  prophète  après  lui  n'a  atteint 
cette  profondeur.  Je  ne  connais  rien  dans  l'Ancien  Tes- 
tament de  plus  émouvant,  de  plus  humble,  de  plus 
évangélique  que  ces  quelques  paroles  à  peine  remar- 
quées. Ce  juif  qui  a  passé  toute  sa  vie  à  maudire  l'E- 
gypte et  l'Assyrie,  qui  est  si  fier  des  privilèges  de  sa 
race,  qui  regarde  de  si  haut  le  reste  du  monde,  qui  a 

*  C'est  probablement  le  Messie,  le  roi  d'Israël,  qui  interviendra  de 
sa  main  puissante  chez  les  peuples  voisins. 


39 

tant  souffert  des  insolences  de  ses  deux  puissants  voi- 
sins, qu'on  a  élevé  dans  la  haine  de  l'Egypte,  qui  ex- 
prime lui-même  avec  tant  de  passion  les  fureurs  de  la 
vengeance,  tout  à  coup  saisi  de  compassion,  d'amour, 
pour  l'ennemi  national  qu'il  voit  souffrir,  il  oublie,  il 
pardonne,  il  renonce  non-seulement  à  ses  haines,  mais 
à  ses  privilèges ,  et  il  confond  Egyptiens,  Israélites  et  As- 
syriens dans  une  fraternelle  étreinte!  Israël  cesse  d'être 
le  peuple  spécial  de  Jéhovah  ;  les  noms  dont  les  fils  de 
Jacob  étaient  le  plus  orgueilleux,  Ésaïe  n'hésite  pas  à 
en  décorer  Mitzraïm  et  Assur:  l'Egypte  est  le  peuple 
de  Jéhovah ,  l'Assyrie  est  l'œuvre  de  ses  mains  ! 

Cette  domination  spirituelle  des  Hébreux  (qui  s'élar- 
git jusqu'à  devenir  la  communion  religieuse  des  peu- 
ples) n'est  pas  le  seul  développement  nouveau  qu'Ésaïe 
ait  introduit  dans  les  espérances  messianiques.  C'est 
lui  qui  a  le  premier  annoncé  un  Messie,  un  chef  spé- 
cial, prédestiné,  sous  la  conduite  duquel  le  peuple  de 
Jéhovah  doit  marcher  à  la  gloire.  Pour  ne  pas  augmen- 
ter ni  diminuer  la  portée  des  paroles  du  prophète,  il 
importe  de  les  citer  au  complet. 

VIII,  23.  ((  Ce  qui  est  maintenant  opprimé  ne  restera 
pas  toujours  dans  les  ténèbres.  Comme  d'abord  Jéhovah 
a  maudit  la  terre  de  Zabulon  et  la  terre  de  Nephtali, 
ensuite  il  les  glorifiera,  le  chemin  qui  longe  la  mer, 
l'autre  côté  du  Jourdain,  le  district  des  nations  *.  Le 


*  La  Galilée  des  Gentils,  ainsi  appelée  à  cause  des  nombreux 
étrangers  qui  s'y  étaient  établis.  Le  prophète  veut  dire  que  les  pro- 
vinces qui  ont  été  les  plus  exposées  au  ravages  de  l'ennemi,  l'extrême 
Nord  de  la  Palestine,  le  rivage  de  la  mer,  la  Galilée,  dont  les  habi- 
tants ont  été  emmenés  en  captivité  par  Tiglath-Pilésar,  les  tribus  de 
l'autre  côté  du  Jourdain,  dépeuplées  par  Phul,  verront  enfin  luire 


40 

peuple  qui  marche  dans  les  ténèbres  voit  une  grande 
lumière;  ceux  qui  sont  assis  dans  le  pays  d'ombre  mor- 
telle, sur  eux  resplendit  la  lumière.  Tu  agrandis  le 
peuple,  tu  augmentes  sa  joie;  ils  se  réjouissent  devant 
toi  comme  on  se  réjouit  au  temps  de  la  moisson,  comme 
tressaillent  ceux  qui  se  partagent  le  butin.  Car  tu  brises 
le  joug  de  son  fardeau,  le  bâton  qui  frappe  ses  épaules, 
la  verge  de  son  oppresseur,  comme  au  jour  de  Midian...\ 
Car  un  enfant  nous  est  né;  un  fils  nous  est  donné  ;  le 
pouvoir  est  sur  ses  épaules;  on  l'appellera  merveille, 
conseiller,  dieu  fort'^  père  du  butin,  prince  de  paix. 
Il  doit  étendre  la  domination  et  donner  une  prospérité 
ininterrompue  sur  le  trône  de  David  et  dans  son  royaume, 
qu'il  consolidera  et  fortifiera  par  le  droit  et  par  la  jus- 
tice. C'est  le  zèle  de  Jéhovah  des  armées  qui  fera  ces 
choses  !» 

A  cette  doctrine  du  Messie,  Ésaïe  ajoute  celle  du 
Reste,  qu'il  a  rendue  populaire  par  le  nom  de  son  fils 
aîné  Schear-iaschoub.  L'idée  s'en  trouve  déjà  chez  Osée. 
Notre  prophète  la  joint  intimement  à  l'attente  du  Messie. 
Les  Assyriens  décimeront  le  peuple  hébreu  ;  mais  un 
petit  reste  sera  épargné,  et  c'est  à  la  tête  de  ce  Reste, 
franchement  rallié  au  vrai  Dieu,  que  le  Messie  se  met- 
tra pour  chasser  l'ennemi  et  rendre  à  la  Judée  son  an- 


de  meilleurs  jours  au  temps  du  Messie,  et  que  leurs  maux  seront 
réparés. 

2  La  défaite  des  Assyriens  sera  aussi  complète  au  temps  du  Messie 
que  le  fut  celle  des  Madianites  au  temps  de  Gédéon  (Juges  VII). 

*  Ce  nom  de  El,  Elohim,  est  donné  à  des  rois,  des  princes  ou  des 
juges,  Ps.  LXXXII  (cf.  Jean  X,  34).  11  exprime  surtout  l'idée  de  force, 
de  puissance.  Dans  Ézéchiel  XXXI,  11 ,  il  est  donné  à  Nabuchodono- 
sor  ou  Cyaxare,  El  Goïm ,  prince  ou  dieu  des  nations. 


41 

cien  éclat,  auquel  s'ajouteront  une  puissance  et  une 
prospérité  nouvelles. 

((Il  arrivera  en  ce  temps-là  que  le  Reste  d'Israël,  que 
les  échappés  de  la  maison  de  Jacob  cesseront  de  s'ap- 
puyer sur  celui  qui  les  frappe ^  mais  ils  s'appuieront 
fidèlement  sur  Jéhovah,  le  saint  d'Israël.  Un  Reste  se 
convertira,  un  Reste  de  Jacob  se  convertira  au  Dieu 
fort.  Quand  même  ton  peuple,  ô  Israël,  serait  comme 
le  sable  de  la  mer,  un  Reste  seulement  se  convertira  . 
car  la  destruction  est  résolue!...  —  C'est  pourquoi, 
ainsi  dit  le  Seigneur,  Jéhovah  des  armées  :  o  mon  peuple 
qui  habites  Sion,  ne  redoute  pas  l'Assyrien.  Il  t'a  frappé 
avec  la  verge,  et  il  a  levé  sur  toi  son  bâton  à  la  façon 
de  l'Egypte...  Encore  un  peu  de  temps,  et  la  fureur 
aura  une  fin,  et  ma  colère  s'allumera  pour  les  exter- 
miner... Il  sortira  un  rameau  du  tronc  d'Isaï,  et  un  re- 
jeton naîtra  de  ses  racines.  L'esprit  de  Jéhovah  repo- 
sera sur  lui,  esprit  de  sagesse  et  d'intelligence,  esprit 
de  conseil  et  de  courage,  esprit  de  la  connaissance  el 
de  la  crainte  de  Dieu.  Il  ne  jugera  point  sur  l'appa- 
rence, il  ne  décidera  pas  sur  les  ouï-dire.  Mais  il  jugera 
les  pauvres  avec  équité ,  et  prononcera  selon  la  droiture 
sur  les  affligés  du  pays.  Il  frappera  le  pays  avec  la  verge 
de  sa  bouche,  et  avec  l'esprit  qui  sort  de  ses  lèvres  il 
fera  périr  le  méchante  La  justice  sera  la  ceinture  de 
ses  hanches,  et  la  vérité,  la  ceinture  de  ses  reins.  — 
Le  loup  habitera  avec  l'agneau ,  et  le  léopard  se  couchera 
à  côté  du  chevreau.  Le  veau,  le  lionceau  et  le  gros  bé- 
tail seront  ensemble,  un  jeune  garçon  les  conduira.  La 


1  C'est-à-dire  sur  l'Assyrien ,  qu'on  avait  d'abord  appelé  en  aide. 
-  Ses  jugements  atteindront  les  coupables. 


\ 


42 

vache  et  l'ourse  paîtront  ensemble,  et  le  lion  se  nour- 
rira de  paille  comme  le  bœuf.  Le  nourrisson  jouera  sur 
le  trou  de  la  vipère,  et  l'enfant  sevré  mettra  la  main 
dans  la  retraite  du  basilic.  On  ne  fera  plus  aucun  mal 
ni  aucune  nuisance  sur  toute  ma  sainte  montagne  :  car 
la  contrée  sera  remplie  de  la  connaissance  de  Jéhovah, 
comme  les  eaux  couvrent  la  mer  !  —  Et  il  arrivera  dans 
ce  temps  là  que  le  rejeton  dlsaï ,  dressé  pour  être  la 
bannière  des  peuples,  sera  recherché  des  nations,  et  sa 
demeure  ne  sera  que  gloire  !  —  Et  il  arrivera  en  ce 
temps-là  que  Jéhovah  étendra  une  seconde  fois^  la 
main  pour  racheter  le  reste  de  son  peuple,  ce  qu'en  au- 
ront laissé  de  reste  Assur,  Mitzraïm,  Patros*,  Gusch^, 
Ëlam,  Sinear^,  Hamath  ^  et  les  îles  de  la  mer  ^.  Il  dres- 
sera un  étendard  pour  les  nations  ;  il  rassemblera  les 
expulsés  d'Israël,  et  il  réunii-a  les  dispersés  de  Juda  des 
quatre  coins  de  la  terre.  La  jalousie  d'Ephraïm  dispa- 
raîtra ,  les  persécutions  de  la  part  de  Juda  cesseront; 
Ephraïm  ne  sera  plus  jaloux  de  Juda  et  Juda  ne  persé- 
cutera plus  Ephraïm.  Mais  ils  voleront  sur  les  épaules 
des  Philistins,  du  côté  de  la  mer;  ensemble  ils  pille- 
ront les  fils  de  l'Orient;  ils  étendront  la  main  sur  Moab 
et  sur  Édom ,  et  les  fils  d'Ammon  leur  seront  soumis. 
Jéhovah  détruira  la  langue  de  mer  de  l'Egypte  '  ;  il 
agitera  sa  main  sur  l'Euphrate,  dans  une  violente  tem- 

*  La  première  fois,  ce  fut  lors  de  la  sortie  d'Egypte. 
2  Mitzraïm  et  Patros,  la  Haute  et  la  Basse-Egypte. 

"  L'Ethiopie. 

*  Élam  et  Sinear,  la  Suziane  et  la  Babylonie,  provinces  alliées  ou 
plutôt  tributaires  des  Assyriens. 

^  Ville  de  Syrie,  désignée  au  lieu  de  la  contrée  tout  entière. 
*"  Mer  Méditerranée. 
■  Mer  Rouge. 


pête,  et  il  le  divisera  en  sept  ruisseaux,  qu'on  pourra 
traverser  en  sandales.  Ce  sera  une  route  pour  le  reste 
de  son  peuple  !...  » 

Il  nous  faut  ajouter  maintenant  le  cbap.  IV,  pour 
être  complet  dans  nos  citations,  et  pour  achever  de 
montrer  le  caractère  exclusivement  israélite  de  l'âge 
messianique  prophétisé  par  Esaïe  en  dépit  de  quelques 
inspirations  plus  hautes,  qui  ne  se  font  jour  qu'un 
moment  à  travers  les  préjugés  nationaux  : 

«  En  ce  temps  là  le  germe  de  Jéhovah  *  sera  une 
splendeur  et  une  gloire,  et  le  fruit  de  la  terre  un  hon- 
neur et  un  ornement  pour  les  réchappes  d'Israël.  Et 
il  arrivera  que  ceux  qui  seront  restés  à  Sion  et  qui  de- 
meureront encore  à  Jérusalem,  on  les  appelera  saints, 
tous  ceux,  dis-je,  de  Jérusalem  qui  sont  inscrits  pour 
survivre.  Quand  le  Seigneur  aura  lavé  la  boue  des 
filles  de  Sion,  quand  il  aura  nettoyé  Jérusalem  de  ses 
taches  de  sang,  par  son  esprit  de  justice,  par  son  esprit 
de  destruction ,  alors  Jéhovah  créera  sur  toute  l'é- 
tendue de  la  montagne  de  Sion  et  sur  ceux  qui  s'y 
rassemblent,  un  nuage  et  une  vapeur  pendant  le  jour, 
et  l'éclat  d'un  feu  flamboyant  pendant  la  nuit.  » 

Gomme  les  prophètes  qui  l'ont  précédé ,  Ésaïe  attend 
donc  prochainement,  c'est-à-dire  après  que  Dieu  aura 
achevé  de  punir  son  peuple,  la  réalisation  de  l'âge 
d'or.  «Encore  un  peu  de  temps,»  et  les  Assyriens, 
triomphants  maintenant,  seront  défaits.  Le  peuple 
israélite,  sous  la  conduite  d'un  prince  de  la  maison  de 

*  Le  germe  de  Jéltovah  peut  désigner  le  peuple  lui-même,  ou  bien 
ce  n'est  qu'un  synonyme  àeJ'ruUde  la  terre,  selon  la  loi  du  paral- 
lélisme hébreu.  Quelques  commentateurs  pensent  qu'il  s'agit  du 
Messie. 


44 

David,  chassera  tous  ses  ennemis.  Le  châtiment  aura 
sans  doute  singulièrement  diminué  le  nombre  des  en- 
fants d'Israël.  Une  petite  quantité  seulement  restera, 
mais  ce  Reste  ne  se  composera  que  de  fidèles,  et, 
guidés  par  le  descendant  d'Isaï,  ils  seront  invincibles. 
Il  est  facile  de  voir  que  ces  prophéties  ont  été  écrites 
dans  des  moments  bien  différents,  car  il  y  a  un  cer- 
tain vacillement  dans  les  pensées.  Tantôt  le  prophète 
déclare  que  le  Reste  se  composera  de  ceux  qui  auront 
pu  demeurer  dans  la  Terre  sainte,  à  Jérusalem  ;  tantôt 
ce  Reste  se  compose  des  exilés  qui  reviennent.  Tantôt 
Ésaïe  espère  que  les  Israélites  prendront  une  éclatante 
revanche  sur  leurs  ennemis,  les  pilleront  et  les  déci- 
meront; tantôt  il  fait  accourir  paisiblement  les  peuples 
à  Sion  et  annonce  une  ère  de  paix.  Peut-être  concihait- 
il  ces  divergences  dans  son  esprit.  Il  pouvait  penser 
que  les  exilés  viendraient  se  joindre  au  Reste  épargné 
sur  la  Terre  sainte,  que  tous  ensemble  ils  voleraient 
à  la  vengeance  et  au  pillage,  et  qu'ensuite  comnûence- 
rait  le  temps  du  repos  sous  le  règne  du  Messie,  qui  est 
c(  père  du  butin  ))  aussi  bien  que  «  prince  de  la  paix.  » 
Nous  avons  déjà  expliqué  comment  le  souvenir  de 
David  planait  au-dessus  de  toutes  les  espérances  théo- 
cratiques.  Aussi  est-ce  à  un  descendant  de  David,  un 
rejeton  d'Isaï,  doué  par  Jéhovah  d'une  sagesse  et  d'une 
puissance  extraordinaires,  que  le  prophète  décerne  le 
commandement  des  deux  royaumes  réunis.  Il  paraît 
hors  de  doute  qu'Ésaïe  lui-même  espérait  être  témoin 
de  ces  grands  événements:  «l'enfant  nous  estné!)) 
s'écrie-t-il.  Si  l'enfant  Immanuel  est  le  Messie,  on  voit 
qu'Ésaïe  renvoyait  à  peine  à  quelques  années  l'accom- 
plissement de  ses  désirs.  Les  rabbins  pensent  que  le 


45 

«rejeton  d'isaï  »  n'est  autre  qu'Ëzéchias,  le  fils  aîné 
d'Achaz.  Il  n'y  a  vraiment  rien  de  péremptoire  à  op- 
poser à  cette  interprétation.  On  dirait  presque,  à  en- 
tendre Ésaïe  dans  un  de  ses  derniers  chapitres  dé- 
crire tranquillement,  sans  fiction  ni  enthousiasme, 
le  gouvernement  sage  et  moral  du  roi  messianique, 
qu'il  ne  fait  que  tracer  à  Ézécfiias  le  modèle  qu'il  doit 
imiter:  ((Voici,  le  roi  régnera  selon  la  justice  et 
les  grands  gouverneront  selon  l'équité,  de  sorte  que 
chacun  d'eux  sera  comme  un  asile  contre  la  tempête 
et  un  abri  contre  l'ouragan ,  comme  des  courants 
d'eau  dans  la  sécheresse  et  comme  l'ombre  d'une 
énorme  roche  sur  une  terre  altérée.  Et  les  yeux  des 
clairvoyants  ne  seront  plus  aveuglés  et  les  oreilles  de 
ceux  qui  entendent  seront  attentives.  Le  cœur  des  in- 
sensés sera  intelligent  pour  apprendre,  et  la  langue  de 
ceux  qui  bégaient  parlera  avec  aisance  et  clarté.  On 
n'appellera  plus  le  vaurien  un  homme  d'honneur  et  l'on 
ne  dira  plus  le  dissipé  honorable.. .  »  (XXXII).  Il  y  a 
loin  de  ce  règne  honnête  à  ces  tableaux  d'un  temps 
où  les  astres  eux-mêmes  brilleront  d'une  plus  ardente 
lumière,  où  les  animaux  féroces  s'ébattront  gracieu- 
sement avec'  les  animaux  domestiques ,  où  la  nature 
bienfaisante  prodiguera  tous  ses  dons  avec  une  richesse 
merveilleuse  et  changera  les  déserts  en  vallons  arrosés. 
Qu'il  y  ait  eu  ou  non  de?  modifications  dans  la  pensée 
d'Ésaïe ,  il  en  a  apporté  lui-même  au  courant  des  idées 
messianiques  de  son  peuple.  Il  en  a  reçu  les  germes  de 
la  tradition  et  des  écrits  de  ses  prédécesseurs;  mais  il 
a  développé  ces  germes  de  telle  manière  qu'il  est  de- 
venu comme  le  prophète  classique  du  messianisme.  Le 
Reste  qui  se  convertira  ,  la  domination  spirituelle  des 


w 

\ 


46 

Hébreux  et  l'extension  universelle  de  leur  religion, 
enfin  l'enfant  royal,  le  descendant  de  David ,  le  roi  pré- 
destiné de  l'âge  d'or,  telles  sont  les  doctrines  qu'il  lègue 
à  la  prophétie. 

§  2.  A  Ésaïe  se  rattache  intimement  son  contempo- 
rain et  compatriote  Michée,  de  Moreschet.  Ses  pro- 
phéties, divisées  en  trois  livres,  qui  paraissent  rangés 
selon  Tordre  chronologique  (1  à  3,  4  à  5,  6  à  7),  se 
rapportent  au  règne  d'Ezéchias.  La  chute  toujours  plus 
imminente  de  Samarie,  capitale  du  royaume  du  Nord, 
et  la  crainte  d'une  invasion  de  Salmanazar  en  furent 
l'occasion.  C'était  vers  722.  Michée  voit  dans  les  mal- 
heurs d'Israël  un  avertissement  et  une  menace  pour 
Juda.  Il  semble  avoir  pressenti  pour  son  peuple  une 
ruine  plus  grave  que  n'avait  fait  Esaïe,  car  il  n'entre- 
voit la  réalisation  des  espérances  messianiques  que  sur 
les  débris  de  la  ville  sainte  et  même  du  temple.  «  A 
cause  de  vous,  dit-il  aux  pécheurs,  la  charrue  passera 
sur  Sion  comme  sur  un  champ;  Jérusalem  ne  sera 
plus  qu'un  monceau  de  ruines,  et  la  montagne  du 
temple  qu'une  hauteur  boisée!»  C'est  alors  seulement 
que  s'accomplira  la  promesse  déjà  faite  par  Esaïe: 
«  que  la  montagne  de  la  maison  de  Jéhovah  sera  pla- 
cée sur  le  sommet  des  montagnes  et  que  tous  les  peuples 
y  accourront*;))  et  chacun,  ajoute  Michée,  chacun 
demeurera  sous  sa  vigne  et  sous  son  figuier ,  sans  qu'au- 
cune crainte  vienne  jamais  l'assaillir.  «En  ce  jour-là, 
dit  Jéhovah ,  je  réunirai  le  troupeau  boiteux ,  et  je  ras- 
semblerai le  troupeau  dispersé  et  tous  ceux  que  j'ai 

'  Quelques  commentateurs  pensent  que  ce  passage  avait  déjà  été 
emprunté  par  Ésaïe  à  un  prophète  plus  ancien ,  auquel  Michée  l'em- 
prunterait à  son  tour. 


47 

mallraités.  Je  ferai  de  ce  qui  est  boiteux  le  Reste,  et  de 
ce  qui  était  chassé,  un  peuple  nombreux,  et  Jéhovah 
sera  leur  roi  sur  la  montagne  de  Sion  dès  maintenant 
et  à  toujours  !  Et  toi ,  tour  du  troupeau  ,  coteau  de  la 
fille  de  Sion,  vers  toi  reviendra  la  domination  d'autre- 
fois, le  règne  de  la  fille  de  Jérusalem!  Et  toi,  Bethlé- 
hem  Ephrata,  trop  petite  pour  être  un  des  districts  de 
Juda,  c'est  (Je  toi  que  sortira  celui  qui  doit  gouverner 
Israël,  et  dont  les  origines  datent  de  l'antiquité,  des 
jours  d'autrefois.  C'est  pourquoi  Dieu  les  livrera  jusqu'à 
ce  que  celle  qui  doit  enfanter  l'ait  enfanté  ;  alors  le  reste 
de  ses  frères  reviendra  auprès  des  enfants  d'Israël.  Il 
se  maintiendra  au  pouvoir,  et  il  les  mènera  paître,  avec 
la  force  de  Jéhovah,  avec  la  gloire  du  nom  de  Jéhovah 
son  Dieu,  et  ils  habiteront  en  paix,  car  sa  grandeur 
s'étendra  jusqu'aux  extrémités  de  la  terre,  et  alors  ré- 
gnera la  paix  1  )) 

D'après  Michée,  le  futur  libérateur  du  peuple  de 
Dieu  n'est  pas  encore  né.  Il  sortira  de  la  race  de  David, 
et  sera  par  conséquent  originaire,  soit  par  sa  propre 
naissance,  soit  par  sa  famille,  de  Belhléhem,  patrie  de 
David.  Cette  bourgade,  berceau  d'une  si  glorieuse  dy- 
nastie, recevra  un  nouveau  lustre  par  l'éclat  que  jettera 
sur  elle  ce  rejeton  de  David,  appelé  à  reconstruire  le 
royaume,  à  renouveler  et  à  dépasser  les  exploits  de  son 
illustre  ancêtre.  Ces  souvenirs  du  fils  d'Isaï  remontent 
déjà  loin  ;  les  origines  de  cette  dynastie  s'enfoncent 
dans  le  passé,  et  cette  longue  succession  de  princes  est 
un  signe  de  la  faveur  divine  et  un  présage  de  grandeur 
future.  Sion ,  jadis  l'humble  coteau,  la  tour  des  bergers, 
couronnée  de  gloire  par  David,  qui  en  avait  fait  le  siège 
de  son  gouvernement,  verra  revenir  à  elle  le  pouvoir 


48  I 

d'Liulretbis  et  dictera  des  lois  à  toute  la  terre.  «Et  le  | 
Reste  de  Jacob  sera  au  milieu  d'un  grand  nombre  de  ' 
peuples  comme  une  rosée  venant  de  Jéhovah,  comme 
les  gouttes  de  pluie  sur  l'herbe  verte,  laquelle  n'espère 
rien  de  l'homme  et  n'attend  rien  du  fils  de  l'homme. 
Et  le  Reste  de  Jacob  sera  au  milieu  des  peuples  nom- 
breux, comme  le  lion  parmi  les  animaux  de  la  forêt, 
comme  un  lionceau  parmi  des  troupeaux  de  brebis  :  il 
se  précipite ,  il  écrase  et  il  emporte  sans  qu'on  puisse 
lui  arracher  sa  proie!...»  Ce  sont  des  images  de  l'in- 
fluence tour  à  tour  bienfaisante  et  terrible  d'Israël  sur 
les  autres  peuples,  à  l'époque  messianique,  selon  qu'ils 
seront  bien  ou  mal  disposés  à  son  égard.  Cette  influence 
s'étendra  sur  tout  le  monde,  tel  qu'il  était  connu  au 
temps  du  prophète  : 

VII,  7.  (c Un  jour  viendra  pour  relever  tes  murailles; 
en  ce  jour-là  les  frontières  seront  reculées.  En  ce  jour- 
là  on  reviendra  vers  toi  de  l'Assyrie  et  des  villes  de 
l'Egypte,  depuis  l'Egypte  jusqu'à  l'Euphrate,  depuis 
une  mer  jusqu'à  l'autre  mer,  depuis  une  montagne 
jusqu'à  l'autre  montagne...  » 

Rien  d'autre  en  tout  cela  que  des  échos  d'Ésaïe.  Le 
salut  paraît  plus  lointain  ;  l'exil  est  mieux  marqué ,  plus 
proche.  Mais  c'est  la  même  doctrine  du  reste,  du  roi 
davidique  et  de  l'influence  d'Israël  sur  les  peuples 
païens.  Avec  ces  deux  prophètes  les  espérances  messia- 
niques sont  complètes  ;  elles  sont  formées  de  toutes 
pièces.  C'est  dans  les  termes  où  ils  les  ont  exprimées 
qu'elles  passeront  à  la  postérité  et  qu'elles  deviendront 
la  substance  du  patriotisme  hébreu,  Elles  subiront  en- 
core quelques  variations,  mais  le  thème  principal  ne 
changera  pas.  Voilà  pourquoi  nous  avons  été  prodigue 


de  citations.  Nous  en  serons  piuS  sobre  désormais, 
sans  pourtant  nous  les  interdire,  car  rien  ne  les  rem- 
place en  un  sujet  si  complètement  dépendant  des  textes. 

CHAPITRE  IV. 

SOPHONIE.  ZACHARIE   XII   A   XIV.    JÉRÉMIE.  PÉRIODE 
CHALDÉENNE. 

§  4.  Un  siècle  tout  entier  passa  sans  donner  raison 
aux  craintes  ni  aux  espérances  d'Esaïe  et  de  Michée: 
Ils  ne  virent  ni  les  catastrophes  qu'ils  redoutaient,  ni 
le  Messie  qu'ils  attendaient,  ni  la  gloire  qu'ils  espé- 
raient pour  leur  peuple.  Ce  fut  un  siècle  marqué  des 
mêmes  péripéties  que  tous  les  autres  et  du  même  train 
journalier.  Ni  la  Judée  ne  fut  prise,  ni  Jérusalem  ren- 
versée, et  les  Israélites  non  plus  n'eurent  pas  à  prendre 
la  revanche  qui  leur  avait  été  promise.  L'empire  des 
Assyriens,  dont  la  chute  devait  coïncider  avec  le  bou- 
leversement et  la  rénovation  de  toutes  choses,  tomba 
de  faiblesse,  de  lente  décadence,  sans  l'aide  d'Israël, 
sous  les  attaques  de  deux  provinces  révoltées,  la  Médie 
et  la  Babylonie.  L'Asie  changea  de  maître.  Ce  ne  fut 
plus  de  Ninive,  mais  de  Babylone  que  devait  relever 
l'obéissance  des  provinces.  En  625  ce  fut  un  fait  ac- 
compli. 

§2.  Vers  la  même  époque,  c'est-à-dire  vers  le  mi- 
lieu du  règne  de  Josias,  le  roi  réformateur,  eut  lieu 
une  invasion  considérable  de  peuplades  du  Nord,  de 
Scythes*,  qui  ravagèrent  la  Phénicie  et  la  Palestine, 
se  dirigeant  vers  l'Egypte.  On  crut  que  c'était  le  cata- 
clysme final.  SoPHONiE  (Zephaniah) ,  fils  de  Gouschi, 

»  Cf.  Hérodote  I,  105. 


50 
petit-fils  de  Guedalia,  se  leva  pour  annoncer  que  le 
jour,  le  terrible  jour  des  jugements  arrivait.  Tous 
les  peuples  dont  Israël  avait  à  se  plaindre  allaient  être 
écrasés.  Dans  cette  redoutable  crise,  Jérusalem  elle- 
même  ne  serait  pas  épargnée.  Le  but  de  cette  catas- 
trophe devait  être  : 

1°  La  destruction  de  toute  idolâtrie  et  la  conversion 
des  peuples:  «Jéhovah  se  jettera  sur  eux,  terrible, 
lorsqu'il  détruira  toutes  les  divinités  de  la  terre,  — 
—  et  tous  se  prosterneront  devant  lui ,  chacun  de  sa 
place,  toutes  les  îles  des  païens...  Alors  je  donnerai  aux 
Gentils  des  lèvres  pures  pour  qu'ils  invoquent  tous  le 
nom  de  Jéhovah,  et  qu'ils  le  servent  d'un  même  accord. 
De  l'autre  coté  des  torrents  de  Gousch*  j'aurai  des  ado- 
rateurs... » 

2°  La  sanctification  et  la  gloire  d'Israël,  du  Reste 
de  Jacob:  «En  ce  même  jour  tu  n'auras  plus  à  rougir 
de  toutes  les  actions  par  lesquelles  tu  m'as  offensé;  car 
j'éloignerai  de  ton  sein  tous  les  insolents,  et  tu  ne  te 
livreras  plus  à  l'orgueil  sur  ma  sainte  montagne.  Mais 
je  laisserai  au  milieu  de  toi  une  pauvre  et  chétive  po- 
pulation, qui  mettra  sa  confiance  dans  le  nom  de  Jé- 
hovah. Le  Reste  de  Jacob  ne  comro.ettra  pas  de  péché, 
ne  proférera  pas  de  mensonge,  et  il  ne  se  trouvera  pas 
dans  sa  bouche  une  langue  de  fourberie...  —  Chante, 
fille  de  Sion;  criez  d'allégresse,  Israël;  réjouis -toi, 
égaie-toi  de  tout  ton  cœur,  fille  de  Jérusalem!  Jéhovah 
a  écarté  tes  châtiments,  a  balayé  tes  ennemis.  Le  roi 
d'Israël,  c'est  Jéhovah  qui  siège  au  milieu  de  toi:  tu  ne 
verras  plus  aucun  mal.  En  ce  jour-là  on  dira  à  Jéru- 

1  L'Ethiopie. 


5i 

salem:  ne  crains  pas!  et  à  Sion  :  ne  perds  pas  courage! 
Jéhovah,  ton  Dieu,  est  au  milieu  de  toi,  le  héros,  le 
libérateur...  Ceux  qui  sont  tristes  loin  de  l'assemblée 
de  mon  peupleS  je  les  ramènerai.  Ils  sont  séparés  de 
toi;  la  honte  pèse  sur  eux.  C'est  moi  qui  en  ce  jour-là 
aurai  à  faire  avec  tous  tes  oppresseurs.  J'aiderai  le  trou- 
peau boiteux,  et  je  rassemblerai  le  troupeau  dispersé: 
je  leur  donnerai  la  gloire  et  la  célébrité  dans  les  pays 
où  ils  ont  eu  la  honte.  En  ce  temps-là  je  vous  ferai  re- 
venir; en  ce  temps-là  je  vous  rassemblerai;  je  vous  don- 
nerai la  célébrité  et  la  gloire  parmi  tous  les  peuples  de 
la  terre,  lorsque,  sous  vos  yeux,  je  ramènerai  vos  exi- 
lés ,  dit  Jéhovah  !  )) 

Cet  avenir  est  proche,  puisqu'il  est  la  conséquence 
directe  de  l'invasion  devant  laquelle  tout  tremblait.  Les 
captifs  des  guerres  précédentes ,  ceux  que  les  Scythes 
vont  faire  dans  leurs  premières  victoires,  reviendront 
pour  être  témoins  de  la  prospérité  qui  suivra  l'immense 
défaite  des  envahisseurs.  La  grande  pensée  de  la  con- 
version des  païens,  qui  est  vraiment  la  plus  digne  d'at- 
tention ,  ne  s'est  pas  effacée  de  la  conscience  prophé- 
tique. Sophonie  s'est  emparé  de  la  meilleure  inspira- 
tion d'Ésaïe.  Il  ne  fait  pas  affluer  les  peuples  à  Jérusa- 
lem. Non,  c'est  chez  eux,  «chacun  dans  son  lieu,» 
qu'ils  se  prosterneront  devant  Jéhovah.  Tous  les  pro- 
phètes ne  se  maintiendront  pas  à  cette  hauteur  de  vues. 

Soit  que  Josias  lui  paraisse  un  roi  selon  le  cœur  de 
Dieu ,  et  tel  qu'on  pourrait  le  souhaiter  pour  l'âge 
messianique,  soit  que  la  personne  royale  lui  soit  indif- 
férente et  disparaisse  à  ses  yeux  derrière  la  majestueuse 

'  Dans  l'exil. 


m 

personne  de  Jéhovah,  Sophonie  ne  lait  aucune  men- 
tion du  chef  davidique  glorifié  par  Élsaïe.  «Le  roi  d'Is- 
raël est  Jéhovah.  »  C'est  la  pure  théocratie.  Nous  la 
retrouverons  semblable  chez  un  des  plus  grands  pro- 
phètes, l'illustre  anonyme  de  l'exil. 

§  2.  L'invasion  des  Scythes  s'est  dissipée  sans  ame- 
ner les  résultats  qu'annonçait  le  prophète.  Une  autre 
invasion  devait  être  plus  funeste  dans  ses  suites  :  ce 
fut  celle  des  Ghaidéens  sous  la  conduite  de  Nebucad- 
netzar.  Ils  envahirent  la  Judée  et  assiégèrent  Jérusa- 
lem dans  les  dernières  années  du  septième  siècle.  Ne- 
bucadnetzar,  ayant  triomphé  à  Garchémis  (606)  de 
l'Egypte  qui  lui  disputait  l'empire  de  l'Asie,  résolut 
d'abattre  une  fois  pour  toutes  la  puissance  de  sa  rivale 
en  réduisant  tous  ses  alliés.  La  Judée  se  trouvait  au 
premier  rang.  G'est  pendant  le  siège  de  Jérusalem  (se- 
lon l'ingénieuse  hypothèse  d'Ewald,  que  tous  les  traits 
du  texte  semblent  confirmer),  que  furent  prononcés, 
par  un  des  habitants  de  la  campagne  juive,  les  dis- 
cours contenus  dans  Zagharie  XII  à  XIV.  Le  prophète, 
ignorant  les  ressources  militaires  de  la  ville,  mais  per- 
suadé que  la  cité  sainte  ne  peut  tomber  aux  mains  des 
profanes,  attend  une  délivrance  extraordinaire,  comme 
celle  qui  avait  tant  frappé  les  imaginations  au  temps 
de  Sennachérib.  Les  efforts  de  tous  les  peuples  seront 
vains.  Jérusalem  sera  comme  une  coupe  où  ils  boiront 
une  ivresse  mortelle,  comme  une  lourde  pierre  qu'ils 
essaieront  en  vain  de  soulever  et  qui  les  écrasera.  Jé- 
hovah frappera  de  démence  la  cavalerie  ennemie  et 
rendra  les  chefs  de  Juda  semblables  à  une  torche  au 
milieu  des  gerbes,  qui  consume  tout  ce  qui  l'entoure. 

Ge  siège  est  ie  grand  événement  prophétique,   est 


l'occasion  du  dénouement  universel  et,  comme  le  pivot 
sur  lequel  vont  tourner  les  destinées  du  monde.  La  dé- 
livrance ne  va  pas  tarder,  et  avec  elle  commencera  le 
jugement  des  peuples. 

XII,  8.  «En  ce  jour-là,  Jéhovah  protégera  les  habi- 
tants de  Jérusalem;  celui  qui  chancelle  sera  en  ce  jour- 
là  comme  David  lui-même,  et  la  maison  de  David  sera 
comme  un  Dieu ,  comme  l'ange  de  Jéhovah  devant  eux. 
Et  il  arrivera  en  ce  jour-là  que  j'entreprendrai  d'exter- 
miner toutes  les  nations  qui  sont  venues  contre  Jéru- 
salem. Et  je  répandrai  sur  la  maison  de  David  et  sur 
les  habitants  de  Jérusalem  un  esprit  de  bienveillance 
et  de  prière,  et  ils  regarderont  vers  celui  que  (les  en- 
nemis) ont  percé  \  et  ils  mèneront  deuil  sur  lui  comme 
on  mène  deuil  sur  un  fils  unique,  et  ils  le  pleureront 
amèrement  comme  on  pleure  amèrement  son  premier- 
né!...))  Suit  rénumération  des  familles  considérables 
de  Jérusalem  qui  prendront  part  à  ce  deuil.  Il  n'est  au- 
cunement question  du  Messie  dans  ce  passage.  Jéhovah 
surexcitera  les  habitants  de  Jérusalem  pour  mettre  leur 
courage  à  la  hauteur  du  danger;  il  fera,  des  plus  faibles 
d'entre  eux,  des  héros  comme  David;  la  maison  royale 
sera  digne  des  circonstances  et  représentera  Dieu  lui- 
même  au  milieu  des  assiégés.  Les  ennemis  ne  pour- 
ront résister  à  une  telle  vaillance;  ils  seront  extermi- 


*  Il  y  a  dans  le  texte  C /X)  élaï,  vers  moi.  11  est  impossible  que 
même  par  hyperbole  poétique,  un  Hébreu  ait  jamais  comparé  Jéhovah 
à  un  homme  mort,  percé  de  coups,  sur  le  cadavre  duquel  on  mène 
deuil.  11  faut  lire  (T'^îO  e'/ay ,  vers  hd.  Le  sujet  du  verbe  ont  percé 
est  sous-entendu  :  ce  sont  les  ennemis.  Ces  constructions  se  re- 
trouvent à  chaque  page.  Dans  tous  les  cas,  il  ne  s'agit  aucunement 
du  Messie ,  dont  ce  prophète  ne  dit  pas  un  mot. 


54 
nés.  La  paix  ravivra  chez  les  vainqueurs  le  souvenir 
des  pertes  passées,  particulièrement  de  la  mort  du  roi 
martyr,  du  pieux  monarque  Josias,  tombé  à  Mégiddo 
sous  les  coups  des  Égyptiens  en  défendant  sa  patrie  (61 1). 
Le  danger  disparu,  on  pourra  librement  honorer  sa 
mémoire.  En  effet,  sa  fin  héroïque  fut  longtemps  un 
sujet  de  complaintes  dans  Israël  *. 

Le  chap.  XIV  a  dû  être  écrit  quelque  temps  plus 
tard  :  l'auteur  a  changé  d'avis  sur  le  sort  probable  de 
Jérusalem.  Il  s'est  convaincu  que  toute  résistance  est 
inutile,  et  il  a  perdu  l'espoir  de  voir  la  cité  sainte 
épargnée.  «  La  ville  sera  prise,  les  maisons  pillées,  les 
femmes  violées  et  la  moitié  de  la  ville  s'en  ira  en  cap- 
tivité... Mais  le  Reste  du  peuple  ne  sera  pas  exterminé 
et  chassé  de  la  ville,  car  Jéhovah  se  lèvera  et  com- 
battra!.. )) 

Après  cette  douloureuse  mais  nécessaire  exécution 
commencera  enfin  l'âge  messianique,  trop  retardé, 
mais  d'autant  plus  glorieux.  Il  n'y  aura  plus  les  pé- 
nibles vicissitudes  des  saisons,  l'ardeur  du  soleil  suc- 
cédant aux  rigueurs  de  l'hiver  ;  on  aura  une  lumière  cons- 
tante, unique,  égale,  comme  celle  dont  Jéhovah  jouit 
éternellement.  Des  eaux  vives  sortiront  de  Jérusalem 
pour  se  répandre  en  partie  dans  la  mer  Morte,  en  partie 
dans  la  Méditerrannée,  et  arroseront  le  pays  dans 
toutes  les  saisons.  Jéhovah  sera  roi  de  la  terre  entière, 
et  lui  seul  sera  adoré,  invoqué  de  tous.  Il  y  aura  unité 
de  culte.  Jérusalem  reconstruite  sera  un  sûr  asile  pour 
ses  habitants.  Ceux  des  Gentils  qui  auront  échappé  au 
jugement,  monteront  chaque  année  à  Jérusalem  pour 

i  2  Chron.  XXXV,  23.  Cf.  Zach.  XII  ,11, 


55 

adorer  le  Roi,  qui  est  Jéhovah  des  armées,  et  pour  cé- 
lébrer la  fête  des  tabernacles.  S'il  y  a  des  récalcitrants, 
ils  seront  punis  par  quelque  fléau  de  la  nature,  comme 
la  sécheresse.  Dans  la  ville  sainte  tout  sera  saint.  Les 
sonnettes  des  chevaux  porteront  Tinscription  qui  se 
trouve  sur  le  front  du  souverain  sacrificateur.  Tous 
les  vases  seront  purs,  et  non  pas  seulement  ceux  qui 
sont  destinés  à  des  usages  sacrés.  Il  n'y  aura  plus  rien 
de  souillé,  ni  hommes  ni  choses.  «Il  n'y  aura  plus  de 
Cananéen  dans  la  maison  de  Jéhovah.  » 

Chez  ce  prophète  inconnu  le  particularisme  israélite 
se  marque  très-nettement.  Je  ne  sais  quelle  allure  y 
décèle  le  prêtre.  Son  rêve  est  que  tous  les  peuples 
montent  annuellement  à  Jérusalem  pour  prendre  part 
à  la  fête  des  tabernacles,  qui  acquerra  ainsi  un  lustre 
inusité.  Il  faut  qu'ils  viennent  sous  peine  de  châtiment. 
Ce  n'est  pas  conversion,  mais  soumission.  La  pureté 
cérémonielle  paraît  aussi  estimée  que  la  pureté  morale. 
La  temps  viendra  où  il  n'y  aura  plus  de  prophétie,  ni 
bonne  ni  mauvaise,  plus  d'agitation  d'aucun  genre 
(Xlïl).  Cela  aussi  semLIe  un  trait  sacerdotal.  —  Quoi 
qu'il  en  soit,  son  attente  messianique  ne  dépasse  en 
rien  celle  des  prophètes  antérieurs  ;  elle  se  montre 
plutôt  à  maint  égard  moins  spirituelle  et  moins  reli- 
gieuse, et  est  probablement  une  plus  fidèle  image  des 
espérances  de  la  nation. 

§  3.  Cependant  le  temps  des  douleurs  sérieuses  était 
arrivé.  Jérémie,  fils  d'Hilkia,  eut  le  triste  privilège 
d'être  témoin  d'une  ruine  tant  de  fois  annoncée  et  tant 
de  fois  ajournée.  Prêtre  à  Anathoth,  aux  environs  de 
Jérusalem,  il  fut  activement  mêlé  aux  événements  qui 
décidèrent  du  sort  de  sa  patrie  aux  dernières  convul- 


56 
sions  de  laquelle  il  assista.  Spectateur  sympathique, 
peut-être  même  instigateur  de  la  réforme  religieuse 
entreprise  par  Josias,  il  se  promettait  sans  doute,  au 
commencement  de  sa  carrière,  de  relever  son  peuple 
par  la  seule  repentance,  sans  secousse  ni  châtiment. 
Il  compare  le  sort  si  heureux  de  ses  compatriotes  au 
rude  traitement  auquel  le  royaume  d'Israël  a  été  con- 
damné; et  il  reproche  aux  siens  d'être  d'autant  plus 
coupables  qu'ils  n'ont  pas  encore  tiré  enseignement 
de  ce  douloureux  exemple.  Il  pense  qu'Éphraïm  du 
moins  en  aura  profité,  que  bientôt  il  rentrera  en  grâce, 
que  son  retour  rétablira  l'union  des  deux  parties  du 
■peuple,  et  que  l'ère  messianique  commencera. 

III,  il.  ((  Jéhovah  me  dit:  le  rebelle  Israël  est  plus 
juste  que  l'infidèle  Juda.  Va  et  prononce  ces  paroles 
du  côté  du  nord  et  dis  :  Reviens,  Israël  rebelle,  dit 
Jéhovah;  je  ne  vous  ferai  point  mauvais  visage,  car  je 
suis  miséricordieux,  dit  Jéhovah;  je  ne  garde  point 
toujours  ma  colère.  Connais  seulement  la  faute  :  Tu  as 
prodigué  tes  attentions  aux  dieux  étrangers  sous  tout 
arbre  vert,  et  tu  n'as  point  écouté  ma  voix,  dit  Jéhovah. 
Revenez,  fils  rebelles,  car  c'est  moi  qui  veux  être  votre 
maître.  Je  vous  prendrai,  n'y  en  eût-il  de  reste  qu'un 
seul  par  ville  et  deux  par  district,  et  je  vous  conduirai 
à  Sion  et  je  vous  donnerai  des  pasteurs  qui  vous  mènent 
avec  sagesse  et  intelligence.  Lorsque  dans  ces  jours- 
là  vous  croîtrez  et  fructifierez  au  sein  du  pays,  dit 
Jéhovah,  on  ne  parlera  plus  de  l'arche  d'alliance  de 
Jéhovah,  on  n'en  aura  plus  souci,  on  ne  s'en  sou- 
viendra plus,  on  ne  la  cherchera  plus,  on  n'en  fera 
pas  une  nouvelle.  Dans  ce  temps-là  on  appellera  Jéru- 
salem le  trône  de  Jéhovah,  et  tous  les  peuples  s'y  ras- 


57 

sembleront  au  nom  de  Jéhovah ,  et  ils  ne  suivront  plus 
désormais  les  inspirations  de  leur  inéchant  cœur.  — ^ 
En  ces  jours-là  la  maison  de  Juda  marchera  avec  la 
maison  d'Israël;  elles  viendront  ensemble  du  pays  du 
nord  vers  la  terre  que  j'ai  donnée  à  vos  pères  en  héri- 
tage !...)) 

Mais  ce  pacifique  espoir  ne  fut  pas  de  longue  durée. 
Jérémie  et  son  peuple  étaient  destinés  à  de  rudes  tour- 
mentes. Le  roi  Josias,  comme  nous  l'avons  rappelé  tout 
à  l'heure,  fut  tué  à  Mégiddo  en  61i,  et  avec  lui  périrent 
ses  tentatives  de  réforme.  Nécho,  roi  d'Egypte,  son 
vainqueur,  disposa  à  son  gré  du  trône.  Puis  vinrent 
bientôt  après  les  armées  de  la  Babylonie;  Jérusalem 
fut  prise  et  une  partie  considérable  du  peuple  fut  dé- 
portée. Au  milieu  de  ces  orages ,  Jérémie ,  qui  n'épar- 
gnait pas  les  conseils,  les  reproches,  les  menaces,  at- 
tira fréquemment  sur  sa  tête  la  colère  des  grands,  et 
se  vit  plus  d'une  fois  en  danger  de  mort.  Comprenant 
bientôt  que  tonte  résistance  à  l'empire  tout  puissant 
de  Babylone  serait  une  folie,  que  la  Judée  et  l'Egypte, 
soit  isolément,  soit  en  réunissant  leurs  forces,  ne  pou- 
vaient se  soustraire  à  cette  domination,  il  engagea 
sagement  son  peuple,  tout  frémissant  encore,  à  subir 
un  mal  inévitable  et  à  se  préserver,  par  une  altitude 
paisible,  de  maux  plus  graves  et  irréparables.  Ces  con- 
seils ne  furent  pas  goûtés  par  Sédécias,  l'inconstant 
ami  de  Babylone.  Il  se  ligua  avec  l'Egypte,  tenta  de 
secouer  le  joug  de  Nebucadnetzar,  attira  sur  son  pays 
une  nouvelle  expédition  chaldéenne,  fut  privé  du 
trône,  de  la  liberté  et  de  la  vue  ;  le  reste  du  peuple  fut 
emmené  captif  et  le  temple  saccagé.  Jérémie  obtint  du 
vainqueur  la  permission  de  rester  pour  pleurer  sur  les 


58 

ruines  de  la  patrie,  586.  Bientôt  après  il  fut  emmené 
^de  force  en  Egypte  par  une  bande  de  Juifs  qui  croyaient 
prudent  de  fuir  la  colère  de  Nebucadnetzar,  qu'ils 
avaient  excitée  par  je  ne  sais  quelle  rébellion.  C'est 
dans  ce  lamentable  exil  qu'il  termina  obscurément  ses 
jours. 

Le  sens  politique  de  Jérémie,  si  l'on  peut  ainsi  par- 
ler, paraît  avoir  été  trop  sagace  et  trop  juste  pour  qu'il 
pût,  parmi  tant  de  désastres,  se  livrer  à  de  trop  promptes 
espérances.  Ce  triste  état  lui  paraît  fait  pour  durer 
longtemps;  il  va  même  jusqu'à  assigner  une  date  :  l'exil 
durera  soixante-dix  ans.  Aussi  son  langage  est-il 
empreint  de  tristesse;  c'est  la  tristesse  d'un  homme 
destiné  à  survivre  à  tout  ce  qui  lui  est  cher,  et  à  mou- 
rir avant  de  voir  des  jours  meilleurs.  C'est  de  l'abat- 
tement, mais  non  du  désespoir.  Il  sait  que  si  l'épreuve 
est  longue  et  cruelle ,  elle  est  passagère.  Les  espérances 
messianiques  sont  là  pour  le  soutenir.  Le  mal  provient 
des  mauvais  pasteurs  du  peuple;  c'est  eux  qui  sont 
cause  que  le  troupeau  est  dispersé.  Mais  patience!  «l  Je 
rassemblerai  de  tous  les  pays  où  je  les  ai  dispersées,  le 
reste  de  mes  brebis,  et  je  les  ramènerai  dans  leurs  pâ- 
turages pour  qu'elles  croissent  et  se  multiplient.  Et  je 
leur  donnerai  des  bergers  qui  les  feront  paître,  en 
sorte  qu'elles  ne  craignent  plus,  ni  ne  tremblent  plus, 
ni  qu'aucune  vienne  à  manquer.  —  Voici,  les  jours 
viendront,  dit  Jéhovah,  que  je  ferai  naître  à  David  un 
juste  rejeton,  qui  régnera,  et  se  montrera  sage,  et 
exercera  le  droit  et  la  justice  dans  le  pays.  Sous  son 
règne  Juda  sera  heureux,  et  Israël  habitera  en  sécu- 
rité. Le  nom  qu'on  lui  donnera  sera:  Jéhovah-est-notre- 
salut!  »  (XXIII).  A  la  vue  des  humiliations  de  son  pauvre 


59 

peuple,  traité  par  les  vainqueurs  comme  un  vil  bétail, 
le  prophète  aime  à  se  transporter  par  la  pensée  dans 
le  temps  où  ce  le  joug  qui  pèse  sur  leur  cou  sera  brisé, 
où  leurs  liens  seront  arrachés!»  où  ils  ne  serviront 
plus  l'étranger,  mais  «Jéhovah  leur  Dieu  et  David  leur 
roi!  ))  —  ce  Toi  donc  ne  crains  point,  mon  serviteur 
Jacob,  dit  Jéhovah,  ne  tremble  point,  Israël!  Car  voici, 
je  te  délivrerai  du  pays  lointain,  et  ta  postérité,  de  la 
terre  de  servitude.  Oui,  Jacob  reviendra  et  sera  pai- 
sible ,  bien  abrité ,  et  nul  ne  l'effraiera  plus.  »  Car  Jé- 
hovah veut  bien  châtier  son  peuple  pour  un  temps ,  mais 
non  l'anéantir.  Ce  dernier  sort  est  plutôt  réservé  aux 
Gentils,  maintenant  si  sûrs  d'eux-mêmes  et  si  con- 
fiants en  l'avenir.  Quant  aux  blessures  et  aux  plaies 
d'Israël,  elles  sont  graves,  elles  sont  mortelles;  Jéhovah 
pourtant  les  guérira.  Il  rétablira  l'ancien  ordre  de 
choses;  bien  plus,  une  prospérité  inconnue  se  répandra 
sur  le  pays. 

«  Voici,  je  ramènerai  ceux  qui  ont  été.  emmenés  cap- 
tifs loin  des  tentes  de  Jacob;  j'aurai  pitié  de  ces  de- 
meures; la  ville  sera  rebâtie  sur  sa  colline ,  et  le  palais, 
habité  comme  à  son  ordinaire.  On  y  entendra  retentir 
des  actions  de  grâces  et  le  son  des  instruments  de  mu- 
sique. —  Je  multiplierai  le  nombre  des  habitants,  et 
leurs  fils  seront  nombreux  comme  autrefois...  Le  chef 
de  la  nation  sera  tiré  du  milieu  d'elle,  et  son  gouver- 
neur sortira  de  son  sein.  Quand  je  l'appellerai,  il  s'ap- 
prochera de  moi...  Ainsi  vous  serez  mon  peuple  et  je 
serai  votre  Dieu!  —  Je  te  rebâtirai  d'une  manière  du- 
rable, vierge  d'Israël.  Tu  te  pareras  encore  de  .tes  cym- 
bales, et  tu  entreras  dains  les  rangs  des  danseurs.  Tu 
planteras  encore  des  vignes  sur  les  montagnes  de  Sa- 


\1 


60 

marie  :  et  ce  sont  ceux  qui  les  planteront  qui  en  profi- 
teront. Oui,  il  y  aura  un  jour  où  les  veilleurs  crieront 
sur  les  montagnes  d'Éphraïm:  Allons,  montons  à  Sion, 
vers  Je  ho  va  h  notre  Dieu  !  » 

En  voyant  partir  ces  longues  files  d'exilés  qui  s'en 
vont  peupler  les  rives  de  TEuphrate,  il  songe  déjà  aux 
émotions  du  retour.  «Ils  reviendront  en  grande  troupe. 
Ils  reviendront  avec  larmes.  Je  les  ramènerai  au  milieu 
des  pleurs.  Je  les  conduirai  à  des  ruisseaux  d'eau  ,  sur 
un  chemin  droit  où  ils  ne  broncheront  pas.  Car  je  suis 
un  Père  pour  Israël ,  et  Ephraïm  est  mon  premier-né  ! 
—  Ils  viendront  et  chanteront  d'allégresse  sur  la  col- 
line de  Sion  ;  ils  se  réjouiront  de  la  bénédiction  de 
Jéhovah ,  du  blé,  du  vin,  de  l'huile,  des  brebis  et  des 
bœufs.  Leur  âme  sera  comme  un  jardin  bien  arrosé, 
et  ils  cesseront  de  languir...  Je  changerai  leur  deuil 
en  joie...  J'abreuverai  de  graisse  l'âme  des  prêtres, 
et  mon  peuple  se  rassasiera  de  ma  bénédiction,  dit 
Jéhovah  !» 

Instruit  par  une  longue  expérience,  et  habitué  à  ré- 
fléchir sur  les  maux  de  son  peuple,  sur  leurs  causes 
et  leurs  remèdes,  il  avait  su  s'élever  à  un  idéal  théo- 
cratique  dont  le  spiritualisme  a  des  affinités  avec  celui 
de  l'Évangile  :  «Voici ,  les  jours  viennent,  dit  Jéhovah, 
où  je  ferai  avec  la  maison  d'Israël  et  avec  la  maison  de 
Juda  une  nouvelle  alliance  :  non  point  comme  l'al- 
liance que  j'ai  faite  avec  leurs  pères,  au  jour  où  je  les 
ai  pris  par  la  main  pour  les  tirer  du  pays  d'Egypte; 
car  c'est  eux  qui  ont  rompu  mon  alliance,  et  pourtant 
je  suis  leur  maître,  dit  Jéhovah.  Mais  voici  l'alliance 
que  je  ferai  avec  la  maison  d'féraël  après  ces  jours  là, 
dit  Jéhovah  :  je  mettrai  ma  loi  nu  dedans  d'enx ,  et  je 


y 


61 

l'écrirai  dans  leur  cœur,  et  je  serai  leur  Dieu,  et  ils 
seront  mon  peuple.  Dès  lors,  ils  ne  s'instruiront  plus 
les  uns  les  autres,  disant:  Connais  Jéhovah  —  cai- 
tous  me  connaîtront,  les  petits  comme  les  grands,  dit 
Jéhovah,  lorsque  j'aurai  pardonné  leur  faute  et  que  je 
ne  me  souviendrai  plus  de  leurs  péchés  !  » 

Toutefois  ce  spiritualisme  ne  lui  fait  point  perdre 
de  vue  les  institutions,  les  frontières,  le  sol  même  de 
la  patrie  :  il  n'attend  pas  seulement  une  nouvelle  ère 
de  piété,  mais  aussi  la  réintégration  des  Israélites  dans 
leur  pays,  dans  leurs  limites,  sous  la  direction  de  leurs 
prêtres,  et  avec  le  gouvernement  de  leurs  rois  :  «  Voici, 
les  jours  viendront  où  la  ville  de  Jéhovah  sera  rebâtie, 
depuis  la  tour  Ghananéel  jusqu'à  la  Porte  du  Coin,  et 
le  cordeau  s'étendra  droit  devant  lui  jusqu'à  la  colline 
Gareb,  et  se  détournera  vers  Goath.  Et  toute  la  vallée 
des  Morts  et  de  la  Gendre,  et  toute  la  campagne  jus- 
qu'au torrent  de  Gédron,  jusqu'au  coin  de  la  Porte  des 
Chevaux,  à  l'Est,  tout  cela  sera  consacré  à  l'Éternel, 
et  ne  sera  plus  jamais  ravagé  ni  détruit.  » 

C'est  la  même  espérance  qui  l'inspire  (XXXII)  lors- 
que du  fond  de  son  cachot  il  consent  à  se  rendre 
acquéreur  du  champ  que  son  cousin  Hanaméel  lui 
propose,  dans  un  moment  où  les  propriétés  foncières 
n'avaient  plus  de  valeur  à  cause  de  la  gravité  des  évé- 
nements politiques  et  pouvaient  changer  de  maître  d'un 
moment  à  l'autre  au  gré  des  vainqueurs.  Jérémie  sait 
que  la  Terre  sainte  ne  peut  demeurer  toujours  aux 
mains  des  païens,  que  Jéhovah  ramènera  les  exilés, 
qu'il  fera  avec  eux  une  alliance  éternelle,  que  le  temps 
reviendra  où  l'on  pourra  se  livrer  avec  sécurité  à  toutes 
les  transactions  sociales  ^vendre  et  acheter  des  champs, 


\ 


62 
non  seulement  à  Anathoth,  ntiais  dans  toutes  les  par- 
ties de  la  Palestine,  dans  le  pays  de  Benjamin,  aussi 
bien  qu'aux  alentours  de  Jérusalem,  dans  les  districts 
de  la  montagne  comme  dans  ceux  de  la  plaine: 

XXXIII,  7.  «Je  ferai  revenir  les  exilés  de  Juda  et 
les  exilés  d'Israël ,  et  je  les  rétablirai  comme  autrefois. 
Je  les  purifierai  de  toutes  les  fautes  qu'ils  ont  com- 
mises contre  moi,  et  je  leur  pardonnerai  toutes  les 
transgressions  par  lesquelles  ils  m'ont  offensé  et  trahi. 
Jérusalem  sera  pour  moi  un  nom  de  joie ,  une  gloire 
et  une  splendeur  parmi  toutes  les  nations  de  la  terre  , 
qui  entendront  parler  de  tout  le  bien  que  je  lui  ferai. 
—  Voici,  les  jours  viendront,  dit  Jéhovah,  où  j'accom- 
plirai la  bonne  promesse  que  j'ai  faite  à  la  maison 
d'Israël  et  à  la  maison  de  Juda.  Dans  ce  jour-là  je 
ferai  naître  à  David  un  rejeton  de  justice ,  qui  établira 
le  droit  et  la  justice  dans  le  pays.  Dans  ces  jours-là 
Juda  sera  sauvé,  et  Jérusalem  habitera  en  sécurité,  et 
elle  sera  appelée  Jéhovah  est  notre  salut.  —  Car  ainsi  dit 
Jéhovah  :  il  ne  manquera  jamais  de  successeurs  *  à 
David  pour  s'asseoir  sur  le  trône  de  la  maison  d'Israël  ; 
il  n'en  manquera  jamais  non  plus  aux  prêtres ,  aux 
lévites,  devant  ma  face,  pour  présenter  des  holo- 
caustes, briller  de  l'encens,  et  faire  des  sacrifices  tous 
les  jours.» 

Celte  perpétuité  de  la  dignité  royale  dans  la  maison 
de  David ,  et  du  sacerdoce  lévitique  dans  le  temple  de 
Jérusalem  ,  après  le  trouble  mome;ntané  où  les  rois 
d'Egypte  et  de  Babylone  ont  jeté  le  trône  et  l'autel , 
paraît  au  prophète  d'une  iroporlanee  si  capitale  et  d'une 

'  Textuellement  :  un  successeur  ne  manquerai  jamais. 


63 
certitude  si  absolue,   qu'il  y  revient  à  deux  reprises, 
prenant  solennellement  à  témoin  la  stabilité  immuable 
de  l'ordre  de  l'univers. 

((  Ainsi  dit  Jéhovah  :  Si  vous  parvenez  à  briser  mon 
alliance  avec  le  jour  et  mon  alliance  avec  la  nuit,  de 
telle  sorte  que  le  jour  et  la  nuit  ne  viennent  plus  en 
leur  temps, — ^  alors,  oui,  mon  alliance  avec  David  mon 
serviteur  pourra  être  brisée,  en  sorte  qu'il  n'y  ait  plus 
de  descendant  de  sa  race  qui  s'assoie  sur  son  trône , 
et  aussi  mon  alliance  avec  les  prêtres,  les  lévites,  mi- 
nistres de  mon  culte  . . .  Ainsi  dit  Jéhovah  :  S'il  est  vrai 
que  je  n'ai  pas  établi  mon  alliance  avec  le  jour  et  avec 
la  nuit,  et  l'ordonnance  des  cieux  et  de  la  terre  ,  —  il 
est  également  vrai  que  je  rejetterai  la  race  de  Jacob  et 
de  David  mon  serviteur,  et  que  je  ne  prendrai  pas  dans 
sa  postérité  ceux  qui  doivent  régner  sur  la  race  d'A- 
braham, d'Isaac  et  de  Jacob!...» 

C'est  là  le  dernier  mot  des  espérances  messianiques 
de  Jérémie.  Elles  n'ont  rien  de  grandiose  ;  elles  se  tien- 
nent dans  la  sphère  du  possible,  de  l'ordinaire.  Pen- 
dant un  certain  nombre  d'années  (je  pense  que  soixante- 
dix  est  un  chifjfre  symbolique,  mystérieux,  choisi  parce 
qu'il  est  un  des  composés  de  sept^),  le  peuple  hébreu 
demeurera  soumis  au  roi  de  Babylone.  Après  ce  temps, 
Dieu  délivrera  son  peuple ,  châtiera  les  oppresseurs  , 
qu'il  réduira  à  néant,  fera  rentrer  de  toutes  parts  les 
exilés,  aussi  bien  ceux  d'Ephraïm  que  ceux  de  Juda  , 
aussi  bien  les  captils  de  Ninive  que  ceux  de  Babylone  ; 
il  les  ramènera  dans  la  Terre  promise,  la  Terre  sainte , 
leur  laissera  rebâtir  Jérusalem,  et  suscitera  au  milieu 

1  Cf.  ÉsaïeXXill,  io,  17. 


^^ 


64 


d'eux  un  prince  de  la  maison  royale  de  David ,  qui 
gouvernera  selon  la  justice ,  et  qui  assurera  au  pays  la 
paix  et  la  sécurité.  En  voyant  se  succéder  les  Joachas, 
les  Joachim ,  les  Joiakin  ,  les  Sédécias,  princes  infi- 
dèles, impuissants,  inhabiles,  inconstants  dans  tous 
leurs  desseins,  causes  incessantes  de  malheurs  pour 
l'État  dont  ils  précipitaient  la  ruine ,  Jérémie  appelait 
de  tous  ses  vœux  le  roi  de  l'avenir,  prophétisé  par  Ésaïe, 
le  rejeton  de  David  ,  qui  devait  gouverner  avec  justice , 
avec  intelligence,  avec  fermeté,  avec  piété.  En  subis- 
sant avec  larmes  le  joug  honteux  de  l'étranger,  en 
voyant  un  Nebucadnetzar  fouler  effrontément  le  sol  sa- 
cré du  temple,  il  invoquait  en  esprit  le  chef  national , 
sorti  du  sein  même  de  son  peuple,  issu  delà  famille 
des  rois  légitimes,  et  qui  ne  se  permettrait  d'entrer 
dans  le  sanctuaire  que  sur  l'ordre  exprès  de  Jéhovah. 
Ce  prince ,  destiné  à  relever  la  dynastie  de  David ,  ne 
doit  pas  régner  au  delà  du  terme  ordinaire  de  la  vie 
humaine:  mais  une  lignée  non  interrompue  de  rois  de 
sa  race  lui  succédera  d'âge  en  âge.  Le  trait  le  plus 
remarquable  de  ces  temps  nouveaux  sera  la  dévotion 
entière  du  peuple  à  son  Dieu  :  une  alliance  nouvelle 
sera  contractée  entre  Jéhovah  et  les  Israélites,  alliance 
fondée,  de  la  part  de  Jéhovah,  sur  son  amour  inébran- 
lable en  faveur  d'Israël ,  et  de  la  part  d'Israël,  sur  la 
reconnaissance  pour  les  bienfaits  reçus,  et  sur  la  con- 
sécration du  cœur  au  service  de  Dieu.  Aussi  n'y  aura- 
t-il  plus  besoin  de  l'arche  d'alliance  en  signe  ou  sym- 
bole de  la  présence  de  Dieu:  Jéhovah  lui-même,  en 
personne,  sera  présent  au  milieu  des  siens.  C'est  ce 
que  déjà  Ésaïe  avait  fait  obscurément  pressentir.  La 
conséquence  naturelle  de  cet  état  de  justice  et  de  pu- 


r 


65 
reté  sera  Ja  bénédiction  temporelle,  la  fécondité  des 
champs,  l'abondance  des  récoltes,  la  beauté  des  trou- 
peaux, la  joie,  les  danses  et  les  fêtes.  Une  autre  con- 
séquence sera  la  suppression  des  prophètes ,  devenus 
inutiles,  puisqu'il  n'y  aura  plus  personne  à  reprendre 
ou  à  enseigner;  car  ce  tous,  les  petits  comme  les  grands, 
connaîtront  Jéhovah.»  Mais  si  les  prophètes  dispa- 
raissent, il  n'en  sera  pas  de  même  des  prêtres.  11  y 
aura  toujours  des  prêtres.  On  ne  peut  se  passer  de 
prêtres.  Ils  dureront  aussi  longtemps  que  les  rois,  aussi 
longtemps  que  les  astres  et  leurs  révolutions.  S'il  n'y 
avait  plus  ni  prêtres  ni  lévites,  qui  donc  pourrait  a  offrir 
l'encens  et  les  holocaustes,  et  faire  des  sacrifices  quo- 
tidiens ?  )) 

Comme  nous  avons  vu  tel  prophète,  dans  un  temps 
de  guerres  et  de  craintes  de  guerres,  soupirer  après  la 
paix  ,  Jérémie ,  dans  une  époque  de  troubles  et  de 
bouleversements,  soupire  après  l'ordre,  la  stabilité, 
la  succession,  la  durée.  Tout  absorbé  par  les  doulou- 
reuses vicissitudes  de  son  peuple ,  il  ne  se  préoccupe 
pas  de  l'avenir  des  peuples  voisins  ;  il  n'a  pas  souci  de 
leur  bonheur;  il  ne  songe  guère  à  eux  que  pour  appe- 
ler sur  leurs  têtes  la  malédiction  et  la  ruine.  S'il  a  un 
moment  accepté  la  prophétie  d'Ésaïe  à  leur  égard,  et 
s'il  les  laisse  se  rassembler  à  Jérusalem  au  nom  de 
Jéhovah  ,  pour  se  convertir  à  lui ,  il  ne  tarde  pas  à  les 
oublier  et  à  concentrer  sur  sa  malheureuse  patrie  tout 
ce  qu'il  a  de  force  d'espérance.  Cette  concentration 
même  est  loin  de  nuire  à  sa  pensée  i.elle  lui  fait  dé- 
couvrir dans  le  domaine  du  judaïsme  des  horizons 
nouveaux,  et,  bien  qu'il  soit  resté  presque  toujours 
fidèle  à  son  caractère  de  prêtre  dans  ses  vues  messia- 

S.  .5 


66 
niques,  elle  ne  lui  en  a  pas  moins  inspiré  la  prédica- 
tion de  la  ((Nouvelle  Alliance. » 


CHAPITRE  V. 

L'eXTL.    ÉZÉCHIEL.    ÉSAÏE  XXIV  A.  XXVII  —  XL  A  LXVl. 

§  1.  Nous  voici  en  plein  exil.  Selon  la  coutume 
dès  longtemps  pratiquée  par  les  Assyriens ,  qui  fai- 
saient entre  leurs  provinces  nouvellement  conquises 
des  échanges  de  population  ,  soit  comme  châtiment , 
soit  comme  mesure  de  précaution ,  afin  de  gouverner 
plus  facilement  ces  masses  d'hommes  dépaysés,  Nebu- 
cadnetzar  avait  transféré  une  bonne  partie  des  habi- 
tants de  Jérusalem  sur  les  rives  du  fleuve  Kébar ,  en 
Mésopotamie.  Un  peu  plus  tard ,  d'autres  furent  expé- 
diés vers  Babylone  et  l'Euphrate.  Parmi  les  premiers  , 
en  compagnie  du  roi  Joiakin,  se  trouvait  Ezéghiel,  fils 
du  prêtre  Bouzi  (597).  Transporté  probablement  assez 
jeune,  il  ne  tarda  pas  à  acquérir  de  la  réputation  et  de 
l'influence  dans  la  colonie.  Sa  vocation  prophétique, 
d'abord  étouffée  par  l'envie  ou  la  lâcheté  de  ceux  qui 
l'entouraient,  finit  par  se  l^aire  jour.  Il  avait  à  com- 
battre l'idolâtrie  ,  dont  la  contagion  se  répandait  parmi 
les  exilés,  les  vices  et  les  crimes  qui  marchaient  à  sa 
suite,  ou  seulement  un  découragement  funeste,  qui 
gagnait  même  les  meilleurs.  Les  yeux  toujours  tournés 
vers  les  montagnes  de  la  patrie,  il  suivait  d'un  cœur 
inquiet  et  tremblant  les  destinées  de  Jérusalem,  et  l'on 
conçoit  avec  quelle  avidité  lui  et  ses  compagnons  de- 
vaient accueillir  les  nouvelles  qui -lui  en  arrivaient.  On 
apprend  un  jour  que  ceux  qui  sont  restés  dans  la  ville 
sainte  ne  parlent  qu'avec  dédain  des  exilés  (bien  que 


61 
ceux-ci  justement  aient  été  choisis  parmi  les  familles 
les  plus  considérables  du  royaume),  qu'ils  les  regardent 
comme  exclus  à  jamais  de  la  Palestine,  et  qu'ils  se 
croient  les  seuls  possesseurs  légitimes  du  temple  et  du 
pays.  Alors  Ézéchiel  se  lève,  fort  des  promesses  an- 
tiques ,  et  Jéhovah  déclare  par  sa  bouche  que,  tout  au 
contraire,  ce  sont  les  exilés  qui  seront  mis  en  posses- 
sion du  pays  d'Israël  :  XI,  48  ,  «  ils  y  reviendront ,  ils 
en  écarteront  toutes  les  horreurs  et  tous  les  crimes  ; 
je  leur  donnerai  un  même  cœur,  et  je  mettrai  en  eux 
un  esprit  nouveau  ;  j'ôterai  de  leur  poitrine  le  cœur  de 
pierre,  et  je  leur  donnerai  un  cœur  de  chair,  afin  qu'ils 
marchent  dans  mes  commandements,  qu'ils  gardent 
mes  lois  et  les  accomplissent.  Ils  seront  mon  peuple  et 
je  serai  leur  Dieu  !  » 

Le  prophète  ne  se  faisait  pourtant  pas  l'illnsion  de 
croire  que  les  souffrances  d'Israël  touchassent  déjà  à 
leur  fin.  Du  fond  de  son  exil,  il  annonce  à  Sédécias  que 
le  jour  de  sa  perte  est  arrivé,  et  que  la  destruction 
complète  de  Jérusalem  ne  tardera  pas.  Il  a  sans  doute 
appris  la  nouvelle  expédition  de  Nebucadnetzar,  entre- 
prise pour  punir  la  trahison  du  roi  de  Juda;  il  sait  que 
de  nombreuses  troupes  assiègent  Jérusalem,  et  l'issue 
ne  lui  paraît  pas  douteuse.  Le  prince  coupable  qui  a  at- 
tiré ce  nouveau  malheur  sera  détrôné,  «sa  couronne 
lui  sera  ôtée,  sera  détruite,  anéantie...  jusqu'à  ce  que 
vienne  celui  à  qui  le  jugement  appartient:  je  la  lui  don- 
nerai^!» —  Plus  lard,  lorsque  le  sacrifice  est  con- 

'  Le  régime  du  verbe  donnerai  peut  êU'e  la  couronne  ou  le  juge- 
ment. Le  prophète  veut  dire  que  Sédécias  s'étant  montré  indigne  de 
régner,  le  trône  va  rester  vacant  jusqu'à  ce  que  vienne  le  roi  promis, 
le  roi  digne  de  gouverner  Israël. 


sommé,  que  le  roi  et  les  grands  ont  expié  leur  trahison 
par  la  mort,  les  supplices  ou  l'exil,  et  que  le  reste  du 
peuple  a  été  dispersé  aux  quatre  vents  des  cieux,  Ézé- 
chiel  repasse  en  esprit  toutes  les  péripéties  de  ce  triste 
drame,  et  les  retrace  sous  la  forme  d'une  allégorie  dont 
il  donne  lui-même  l'explication.  Il  suppose  qu'un  aigle 
(Nebucadnetzar),  après  avoir  brisé  le  sommet  d'un  cèdre 
élevé  (le  cèdre  est  le  peuple  hébreu,  dont  la  cime  brisée 
est  Joiakin  ou  la  famille  royale  tout  entière),  a  trans- 
planté une  branche  de  cet  arbre,  laquelle  grandit,  mais 
en  étendant  ses  rameaux  du  côté  d'un  autre  aigle.  C'est 
Sédécias,  placé  sur  le  trône  parle  roi  deBabylone, 
mais  entretenant  des  intelligences  avec  le  roi  d'Egypte. 
Puis  le  prophète  rappelle  le  châtiment  du  traître; 
et  rattachant  à  la  même  image  ses  espérances,  il 
ajoute  : 

XVII,  22  :  ce  Ainsi  dit  le  Seigneur  Jéhovah  :  moi 
aussi  je  prendrai  une  bouture  à  la  cime  du  cèdre 
élevé...,  je  cueillerai  un  rameau  délicat  à  la  plus  haute 
des  branches,  et  je  le  planterai  sur  une  montagne 
haute  et  élevée.  Je  le  planterai  sur  la  haute  montagne 
d'Israël,  et  il  produira  du  feuillage,  et  donnera  du  fruit, 
et  deviendra  un  cèdre  magnifique;  toutes  sortes  d'oi- 
seaux y  viendront  habiter,  et  demeureront  à  l'ombre 
de  ses  branches.  Et  tous  les  arbres  de  la  campagne 
reconnaîtront  que  c'est  moi,  Jéhovah,  qui  abaisse  l'arbre 
élevé,  qui  élève  l'arbre  abaissé,  qui  fais  sécher  l'arbre 
vert  et  reverdir  l'arbre  sec.» 

Cette  allégorie  (qui  rappelle  celle  de  Matth.  XIII,  32) 
signifie  que  si  l'empire  de  Chaldée  est  actuellement 
semblable  à  un  arbre  vigoureux,  et  le  pauvre  peuple 
israélite  à  un  arbre  sec  et  abattu,  Jéhovah  chanoera 


V 


69 
plus  lard  la  face  des  choses,  que  sur  cette  cime  main- 
tenant brisée,  il  prendra  un  rejeton,  une  bouture,  la 
plus  délicate  des  branches,  c'est-à-dire  un  enfant  royal, 
issu  de  cette  famille  jadis  puissante,  maintenant  déchue; 
cet  enfant  grandira  pour  relever  et  couvrir  de  gloire  sa 
dynastie,  qui,  identifiée  avec  le  peuple  d'Israël  et  la 
théocratie  dont  elle  sera  le  représentant  visible,  abritera 
sous  saprotection  et  sous  son  gouvernement  toutes  les 
nations  de  la  terre.  Ici  reparaît  l'espoir  un  moment 
effacé  d'une  domination  d'Israël  sur  le  monde.  Cette 
domination  ne  sera  pas  une  tyrannie,  mais  une  sorte 
d'autorité  paternelle,  fondée  sur  l'influence  morale,  sur 
l'expérience  de  la  justice  et  des  compassions  de  Dieu. 
C'est  ce  que  déclare  Êzéchiel,  lorsqu'après  avoir  dure- 
ment reproché  à  la  nation  judéenne  ses  «prostitutions,» 
ses  infidélités,  et  lui  avoir  déclaré  qu'elle  est  plus  cou- 
pable que  Samarie  et  que  Sodome,  il  lui  annonce  sa 
rentrée  en  grâce,  ainsi  que  celle  des  autres  péche- 
resses, les  nations  ses  sœurs,  qui  seront  pour  elle 
comme  des  filles  (XVI,  60). 

Tant  que  l'exil  se  présentait  de  loin,  comme  une  me- 
nace, on  pouvait. penser  qu'il  serait  un  enseignement 
efficace,  qu'il  provoquerait  la  repentance,  qu'il  chan- 
gerait les  cœurs,  et  que  tous  ceux  qui  seraient  appelés 
à  subir  ce  châtiment  en  expiation  des  .fautes  de  tout  le 
peuple,  s'attachei'aient  dorénavant  avec  énergie  au  culte 
de  Jéhovah  et  à  la  pratique  de  sa  loi.  Mais  Ezéchiel, 
vivant  au  milieu  des  exilés,  se  convainquit  bientôt 
qu'il  était  loin  d'en  être  ainsi,  que  le  train  du  péché 
continuait  aussi  bien  sur  la  terre  étrangère  que  sur  le 
sol  de  la  patrie,  qu'un  nouveau  triage  serait  nécessaire, 
que  tons  les  exilés  ne  répondaient  pas  aux  intentions 


70 

de  Dieu,  Aussi  Jéhovah  écartera-t-il  avec  soin  les  mé- 
chants et  les  rebelles;  les  autres,  ceux  que  l'épreuve 
aura  purifiés  et  définitivement  convertis,  rentreront 
dans  le  pays  de  l'alliance,  où  ils  seront  comblés  de 
biens  :  XX,  40.  «C'est  sur  ma  sainte  montagne,  sur  la 
haute  montagne  d'Israël  que  toute  la  maison  d'Israël 
me  servira,  tous,  tant  qu'ils  seront  dans  le  pays.  C'est 
là  que  je  les  recevrai  avec  bienveillance,  et  que  je  ré- 
clamerai vos  offrandes  et  les  prémices  de  vos  dons,  avec 
tous  vos  biens  consacrés...  Je  vous  recevrai  avec  bien- 
veillance lorsque  je  vous  retirerai  du  milieu  des  nations, 
et  que  je  vous  rassemblerai  de  toutes  les  contrées  où 
vous  avez  été  dispersées,  —  et  je  serai  proclamé  saint 
par  vous  en  face  des  nations!  ))  Il  semble  que  le  pro- 
phète réponde  ici  à  ceux  qui  croyaient  qu'on  pourrait 
rester  indéfiniment  en  exil  sans  inconvénient,  parce 
qu'ils  commençaient  à  s'y  trouver  bien.  Ce  n'est  que 
sur  la  montagne  sainte  que  Jéhovah  recevra  avec  bien- 
veillance les  dons  et  les  offrandes.  Les  vrais  fidèles 
rentreront,  les  méchants  seuls  seront  laissés  dehors. 
Le  peuple  sera  devenu  pieux  ainsi  que  ses  chefs. 
Il  n'y  aura  plus  de  ces  pasteurs  mercenaires  qui  ont 
attiré  de  si  grands  maux  sur  les  brebis  de  Jéhovah  : 
XXXIV,  23.  «J'établirai  sur  mes  brebis  un  berger 
qui  les  paisse  bien;  ce  sera  mon  serviteur  David.  Il  les 
paîtra,  il  sera  leur  bergei',  et  moi,  Jéhovah,  je  serai 
leur  Dieu,  tandis  que  mon  serviteur  David  sera  prince 
au  milieu  d'elles...  Je  ferai  une  alliance  de  paix  avec 
elles,  et  j'exterminerai  du  pays  tout  animal  sauvage 
pour  qu'elles  puissent  habiter  avec  confiance  dans  les 
plaines  et  sommeiller  dans  les  bois.»  Les  campagnes 
et  les  collines  de  la  Judée  seront  habitées  de  nouveau, 


71 

et  deviendront  plus  riches  en  liomnaes  et  en  troupeaux 
qu'auparavant  (XXXV[). 

Toutes  ces  promesses  ne  doivent  cependant  pas  enor- 
gueillir les  enfants  d'Israël, car. féhovah  a  moins  égard 
à  eux-mêmes  qu'à  sa  propre  gloire,  qui  est  intéressées 
leur  salut.  Gomme  ils  sont  le  peuple  de  Jéhovah,  le 
nom  de  leur  Dieu  est  actuellement  blasphémé  par  les 
païens,  qui  ne  mesurent  (comme  il  est  raisonnable)  la 
puissance  d'une  divinité  que  par  la  prospérité  de  ses 
adorateurs.  C'est  pourquoi  Jéhovah  a  décidé  de  les  re- 
tirer du  milieu  des  nations  païennes,  et  de  les  ramener 
dans  leiir  pays.  Il  répandra  sur  eux  une  eau  pure,  pour 
les  laver  de  toutes  les  taches  qui  les  souillent,  et  il  y 
joindra  beaucoup  d'autres  bienfaits,  tant  spirituels  que 
temporels.  XXXVI,  26:  «Je  vous  donnerai  un  cœur 
nouveau,  et  je  mettrai  en  vous  un  esprit  nouveau;  j'ô- 
terai  de  votre  chair  le  cœur  de  pierre,  et  je  vous  don- 
nerai un  cœur  de  chair.  Je  mettrai  mon  esprit  en  vous, 
et  je  ferai  que  vous  marchiez  dans  mes  ordonnances, 
que  vous  gardiez  ma  loi  et  que  vous  la  pratiquiez.  Et 
vous  habiterez  le  pays  que  j'ai  donné  à  vos  pères;  vous 
serez  mon  peuple  e.t  je  serai  votre  Dieu.  Je  vous  déli- 
vrerai de  toutes  vos  souillures...  Je  multiplierai  le  fro- 
ment et  je  ne  vous  enverrai  plus  la  famine.  Je  multi- 
plierai le  fruit  des  arbres  et  le  produit  des  champs, 
afin  que  vous  n'ayez  plus  de  honte  parmi  les  païens... 
Et  vous  vous  souviendrez  de  toutes  vos  voies  mauvaises, 
de  toutes  vos  actions  criminelles,  et  vous  aurez  du  dé- 
goût de  vos  fautes  et  de  votre  conduite.  Ce  n'est  pas  à 
cause  de  vous  que  je  le  fais,  dit  le  Seigneur,  remar- 
quez-le bien!...  D  Quand  toutes  les  fautes  d'Israël  seront 
pardonnées,  les  ruines  relevées,  les  villes  repeuplées, 


75 

le  pays  transformé  en  un  Eden ,  alors  les  païens  eux- 
mêmes  seront  obligés  de  reconnaître  la  grandeur  et  la 
puissance  de  Jéhovah  (vers.  33  à  36). 

Tout  le  monde  connaît  le  magnifique  chapitre 
XXXYII,  la  vision  des  ossements  desséchés  et  rappelés 
à  la  vie.  C'est  l'image  du  peuple  d'Israël,  dont  les 
membres  sont  dispersés  en  tout  lieu,  secs,  sans  vie, 
disjecta  mem^m/...  Les  vastes  plaines  de  l'Assyrie  et 
de  la  Ghaldée  sont  jonchées  de  ses  débris  épars.Il  pré- 
sente un  aspect  de  mort.  La  terre  d'exil  est  son  sépulcre. 
Mais  quelles  que  soient  les  apparences,  ce  peuple  re- 
vivra. A  la  voix  des  prophètes,  ces  débris  se  réuniront; 
au  souffle  de  Jéhovah,  au  souffle  de  son  esprit,  une 
vie  nouvelle  les  animera;  les  deux  parties  de  la  nation, 
ÉphraïmetJuda,  si  longtemps  séparées  par  la  jalousie, 
par  le  péché,  puis  par  le  malheur,  se  rejoindront;  ce 
sera  vraiment  la  résurrection  d'un  peuple.  Ils  forme- 
ront une  seule  et  bienheureuse  nation,  un  seul  corps, 
sous  le  commandement  d'un  chef  unique,  appartenant 
à  la  famille  de  David,  (c  Mon  serviteur  David  les  gou- 
vernera, et  ils  n'auront  qu'un  seul  berger.  Ils  marche- 
ront dans  mes  ordonnances,  ils  garderont  mes  lois  et 
les  accompliront.  Ils  demeureront  dans  le  pays  que  j'ai 
donné  à  mon  serviteur  Jacob,  où  vos  pères  ont  de- 
meuré; ils  y  demeureront  avec  leurs  enfants  et  leurs 
petits-enfants  à  toujours;  et  David,  mon  serviteur,  sera 
prince  sur  eux  à  toujours  !  Et  je  ferai  avec  eux  une  al- 
liance de  paix,  une  alliance  éternelle...  J'établirai  mon 
sanctuaire  au  milieu  d'eux  pour  toujours,  et  ma  de- 
meure sera  chez  eux,  et  je  serai  leur  roi,  et  ils  seront 
mon  peuple,  et  les  païens  reconnaîtront  que  c'est  moi 
Jéhovah  qui  sanctifie  Israël,  puisque  mon  sanctuaire 


r 


73 

y  sera  établi  gi  toujours  !  »  Ézéchiel  affecte  de  répéter 
le  mot  ((toujours,))  comme  pour  bien  se  persuader 
que  le  retour  des  malheurs  dont  il  a  été  victime  sera 
impossible,  et  que  le  rétablissement  de  l'état  israélite 
sera  bien  complet,  définitif,  éternel.  —  Hélas!  y  a-t-il 
rien  d'éternel  parmi  les  choses  d'ici-bas? 

Voilà  donc,  d'après  Ézéchiel,  le  peuple  israélite  ren- 
tré dans  sa  patrie,  où  il  voit  se  réaliser  les  promesses 
de  Dieu ,  où  il  vit  sous  le  gouvernement  d'un  bon  prince , 
en  paix  et  en  prospérité.  C'est  alors  que  pour  achever 
le  cours  de  ses  destinées  glorieuses,  et  pour  accomplir 
les  antiques  prophéties,  il  entrera  encore  une  fois  en 
lice  avec  les  peuples,  mais  une  dernière  fois,  et  pour 
une  lutte  décisive.  Le  paganisme  tout  entier,  dans  la 
personne  des  peuples  du  Nord,  appelés  Magog,  et  sous 
la  conduite  d'un  chef  du  nom  de  Gog,  se  précipitera 
sur  Israël.  Mais  Jéhovah  se  lèvera  alors,  combattra 
lui-même  pour  son  peuple,  et  exterminera  l'immense 
armée  des  ennemis.  C'est  le  jugement  dernier  des  na- 
tions qu'attendait  Joël,  et  qu'Ezéchiel  dépeint  sous  des 
couleurs  apocalyptiques,  peut-être  empruntées  à  l'O- 
rient. C'est  Jéhovah  lui-même  qui  attire  Gog  des  extré- 
mités du  Nord,  afin  de  montrer  sa  puissance  aux  na- 
tions. Il  fera  pleuvoir  des  pierres,  du  feu  et  du  soufre 
sur  les  innombrables  escadrons.  Le  carnage  aura  lieu 
sur  les  monts  d'Israël.  Tous  les  oiseaux  des  cieux  sont 
conviés  d'avance  au  funèbre  festin^. 

La  fin  du  livre  d'Êzéchiel,  de  XL  à  XLVIII ,  est 
comme  la  confidence  de  ses  pensées  secrètes,  de  ses 
songes,  son  Utopia,  son  royaume  de  Salente.  Pendant 
les  loisirs  et  les  regrets  de  son  long  exil,  il  s'est  plu  à 

^Cf.  LucXVH,  37. 


\ 


74 

peindre,  jusque  dans  les  plus  minutieux  détails,  l'ave- 
nir qu'il  désirait.  Le  souvenir  venait  en  aide  à  l'espé- 
rance. Il  décrit  la  cité  idéale  de  l'avenir.  Mais  fils  de 
prêtre  et  sans  doute  prêtre  lui-même,  il  arrête  avec  la 
plus  grande  complaisance  son  attention  et  sa  rêverie 
sur  le  temple  et  le  sacerdoce.  La  ville  sera  carrée;  le 
temple  aussi.  Peut-être  songeait-il  aux  magnificences 
du  temple  de  Bel,  dont  s'enorgueillissait  la  Ghaldée. 
11  veut  un  sacerdoce  parfaitement  pur;  il  étend  à  tous 
les  prêtres  les  exigences  auxquelles  le  Pentateuque  ne 
soumet  que  le  souverain  sacrificateur.  Il  marque  géo- 
graphiquement  les  limites  des  douze  tribus,  par  des 
lignes  droites.  Il  désigne  l'apanage  du  prince,  ses  rap- 
ports avec  les  prêtres,  l'étiquette  qu'il  doit  observer  à 
l'égard  du  temple  :  il  ne  lui  est  pas  pei'mis  d'y  entrer; 
il  attendra  à  une  porte  que  les  prêtres  prennent  de  sa 
main  et  offrent  de  sa  part  les  sacrifices.  Ses  posses- 
sions, sa  liste  civile,  sont  déterminées,  assez  considé- 
rables cependant  pour  qu'il  ne  soit  pas  tenté  de  s'em- 
parer du  bien  d'autrui.  Même  son  droit  de  disposer  de 
ce  qui  lui  appartient  est  réglé.  La  Palestine,  arrosée 
par  un  fleuve  qui  jaillit  d'une  des  portes  du  temple 
(peut-être  une  image  des  bienfaits  que  le  sacerdoce 
répandra  autour  de  lui),  devient  une  contrée  extrême- 
ment fertile,  même  dans  ses  parties  jusqu'alors  les 
plus  ingrates;  la  mer  Morte  cesse  d'être  un  marais  fu- 
neste, tant  la  vie  et  la  fécondité  débordent  sur  tout  le 
pays.  Quant  au  futur  temple,  Ézéchiel  en  donne  toutes 
les  dimensions,  toutes  les  proportions,  toutes  les  divi- 
sions; il  a  oublié  les  tristesses  du  temps  présent  pour 
vivre  tout  entier  par  l'imagination  dans  le  bienheureux 
sanctuaire. 


75 

Dans  cette  organisation  si  minutieusement  prévue  et 
réglée,  il  ne  laisse  pas  de  place  pour  l'extraordinaire; 
il  a  perdu  de  vue  l'être  merveilleux  annoncé  par  Ésaïe. 
Le  rejeton  de  l'arbre  royal  doit  être  tout  simplement 
le  premier  roi  qui  régnera  après  l'exil  sur  les  douze 
tribus  réunies  et  auquel  succéderont  sans  interruption, 
((toujours,))  des  rois  de  la  même  race.  Ezéchiel  sépare 
avec  un  soin  jaloux  les  attributions  toutes  politiques  du 
prince  des  privilèges  des  prêtres;  il  prévoit  même  de 
sa  part  des  velléités  d'injustice ,  de  spoliation  ou  de  dis- 
sipation folle,  auxquelles  il  oppose  prudemment  une 
digue  légale.  Le  roi  dans  son  palais,  les  prêtres  dans 
leur  temple  splendide ,  les  douze  tribus  sous  le  même 
sceptre,  chacune  enfermée  dans  ses  limites,  le  sol  fer- 
tile, les  ennemis  abattus,  les  nations  respectueuses  et 
sympathiques,  Jéhovah  fidèlement  servi  par  les  siens  et 
honoré  par  tous,  tel  est  le  tableau  de  l'âge  messianique 
ti'acé  par  Ezéchiel.  * 

§  5.  Pendant  qu'Ézéchiel  espérait  au  dehors,  d'autres 
espéraient  au  dedans.  Cette  espérance  était  d'autant  plus 
naturelle  que  les  malheurs  dont  on  souffrait  avaient  été 
prédits  et  n'étaient  pour  ainsi  dire  que  la  préface  ou  le 
prélude  du  rétablissement.  Les  chap.  XXIV  à  XXVII  du 
LIVRE  d'Ésaïe  ont  dti  être  écrits  en  Palestine,  peu  de 
temps  après  la  destruction  de  Jérusalem.  Le  pays  est 
horriblement  dévasté.  Les  barbares  triomphent,  mais 
leur  triomphe  ne  durera  pas  toujours.  Jéhovah  tuera  le 
monstre,  le  Léviathan  (l'empire  Ghaldéen)  et  fera  de  la 
ville  puissante  des  barbares  un  amas  de  ruines.  Puis  il 
rassemblera  au  son  de  la  grande  trompette  tous  les  fds 
d'Israël  dispersés  depuis  le  Nil  jusqu'à  l'Euphrate ,  et  ils 
viendront  adorer  Jéhovali  sur  sa  sainte  montagne,  à  Je- 


76 

rusalem.  Sur  cette  même  montagne  Jéhovah  offrira  aux 
nations  «  un  banquet  de  viandes  grasses  et  de  vins  cla- 
rifiés ,  ))  et  il  dissipera  l'obscurité  dont  elles  sont  enve- 
loppées, c'est-à-dire  qu'il  les  nourrira  du  pur  et  salu- 
taire enseignement  de  sa  Loi  et  les  arrachera  aux 
ténèbres  de  l'idolâtrie  et  aux  maux  qui  en  sont  la  con- 
séquence. «  Il  détruira  la  mort  pour  toujours  ;  il  essuiera 
les  larmes  de  tous  les  visages  et  fera  disparaître  de 
toute  la  terre  la  honte  de  son  peuple  !  »  Mais  toutes  les 
nations  ne  seront  pas  également  favorisées  :  Moab,  par 
exemple,  qui  s'est  joint  sans  doute  aux  Ghaldéens  ou 
qui  s'est  glissé  sur  leurs  traces  pour  faire  souffrir  ceux 
des  Israélites  que  l'exil  n'avait  pas  emportés,  «Moab 
sera  foulé  au  lieu  où  il  se  trouve,  comme  on  foule  la 
paille  dans  la  mare  au  fumier;  il  y  étendra  les  mains, 
comme  fait  le  nageur  pour  nager;  mais  Jéhovah  le  fera 
retomber  !  » 

<{]n  autre  prophète,  Abdias  (Obadia),  peut-être  aussi 
en  Palestine  et  vers  la  même  époque,  menace  de  la  co- 
lère divine,  non  pas  Moab,  mais  les  Iduméens,  qui 
avaient  lâchement  profité  des  désastres  d'Israël  pour 
l'accabler.  Il  annonce  le  grand  jour  du  châtiment  et  le 
retour  des  exilés  dans  la  patrie ,  qu'ils  agrandiront  aux 
dépens  des  peuples  voisins. 

§  3.  Cependant  l'exil  se  prolongeait,  triste,  mono- 
tone, sans  issue.  Il  avait  eu  sur  un  grand  nombre  d'Is- 
raélites la  plus  funeste  influence.  Les  mœurs  et  les 
cultes  des  païens  au  milieu  desquels  ils  vivaient  les 
avaient  fascinés.  Ceux  qui  avaient  retenu  la  religion  de 
leurs  pères  et  continuaient  à  observer  les  sabbats,  les 
jeûnes,  les  pratiques  de  la  loi,  le  faisaient  mollement 
et  non  sans  de  fréquentes  infractions  :  ils  alliaient  à 


77 

une  certaine  fidéiilé  extérieure  une  conduite  blâmable. 
Quelques-uns  seulement,  de  petits  groupes,  perdus  au 
milieu  des  multitudes  hostiles,  protestaient  par  leur 
vie  pieuse  et  par  leur  inébranlable  attachement  à  Jéhovah 
contre  tant  de  crimes  ou  d'insouciance.  Ceux-là,  en 
butte  aux  moqueries,  aux  outrages,  à  la  haine  de  tous, 
étaient  également  persécutés  par  les  païens  dont  ils 
avaient  la  religion  en  horreur,  par  les  apostats  qui  se 
vengeaient  sur  eux  de  leurs  remords,  et  par  les  indiffé- 
rents auxquels  ils  étaient  un  vivant  reproche.  Vrais  re- 
présentants d'Israël ,  ils  étaient  les  seuls  qui  souffrissent 
réellement  de  la  captivité  et  dont  l'âme  soupirât  après 
la  délivrance,  après  la  pa'rie,  après  la  sainte  montagne 
de  Sion.  Mais  ils  soupii'aient  en  vain.  Rien  ne  leur  lais- 
sait présager  la  fin  de  leurs  maux  et  de  leur  exil ,  et  ils 
en  étaient  réduits  à  ne  trouver  de  repos  que  dans  la 
tombe. 

Tout  à  coup  la  scène  change.  L'empire  si  solide  *de 
la  Babyionie  est  ébranlé.  De  l'Orient  et  du  Nord  une 
irrésistible  invasion  se  déchaîne.  Ce  sont  les  Perses, 
âpres  montagnards  ;  ce  sont  les  Mèdes,  que  les  Perses 
entraînent  avec  eux.  Un  chef  jusqu'alors  invaincu  les 
conduit  à  la  conquête  du  monde.  L'Egypte  est  mena- 
cée ,  la  Lydie  est  soumise ,  la  Ghaldée  est  envahie.  Bien- 
tôt Babylone  elle-même,  la  fière,  la  reine  des  nations, 
tombera  au  pouvoir  des  vainqueurs.  On  devine  avec 
quelle  émotion  les  exilés,  ceux  du  moins  qui  n'avaient 
pas  perdu  le  souvenir  de  la  Terre  sainte,  suivaient  les 
progrès  de  Gyrus  et  ressentaient  le  contre-coup  de  toutes 
ses  victoires.  C'est  alors ,  entre  la  prise  de  Sardes  et  celle 
de  Babylone  (entre  546  et  539),  qu'un  prophète,  dont 
le  nom  malheureusement  n'a  pas  été  transmis  à  la  pos- 


78 

térité,  écrivit,  pour  ranimer  ses  compagnons  d'exil  et 
les  préparer  aux  grandes  destinées  qui  les  attendaient, 
les  admirables  pages  dont  se  compose  la  deuxième  moi- 
tié DU  LIVRE  d'Ésaïe  ,  XL  à  LXVI. 

Il  salue  dans  Cyrus  l'envoyé,  le  berger,  le  serviteur 
de  Jéhovah  ,  «le  Messie,  )>  qui  doit  exécuter  les  juge- 
ments divins,  châtier  l'insolence  des  oppresseurs, 
rendre  aux  enfants  d'Israël  leur  patrie  et  ouvrir  ainsi 
l'ère  prédite  par  les  prophètes. 

«Ainsi  parle  Jéhovah  à  Cyrus,  son  Messie,  qu'il  a 
pris  par  la  main .  pour  lui  assujettir  les  nations  :  Je 
dénouerai  les  ceintures  des  rois;  les  portes  ne  te  seront 
pas  fermées ,  je  les  ouvrirai  devant  toi  à  deux  battants. 
C'est  moi  qui  marcherai  devant  toi;  j'aplanirai  les  co- 
teaux, je  romprai  les  portes  d'airain;  je  briserai  les 
verrous  de  fer... ,  afin  que  tu  saches  que  c'est  moi ,  Jé- 
hovah, le  Dieu  d'Israël,  qui  t'ai  appelé  par  ton  nom... 
C'est  moi  qui  ai  suscité  Cyrus  dans  ma  bonté;  j'ai  aplani 
tous  ses  chemins;  il  rebâtira  ma  ville  et  renverra  mes 
exilés  sans  rançon  ni  présent,  dit  Jéhovah  des  armées 
(XLV),  L'homme  qu'aime  Jéhovah  exécutera  ses  ordres 
dans  Babylone,  et  son  bras  s'appesantira  sur  les  Chal- 
déens  !  C'est  moi  qui  en  ai  parlé  et  qui  l'ai  appelé  ;  je  l'ai 
fait  venir  et  son  entreprise  réussira  »  (XLVIII,  d4, 15). 

Babylone  a  trop  longtemps  abusé  de  la  puissance  que 
Dieu  lui  avait  confiée  :  elle  a  trop  lourdement  pesé  sur 
les  enfants  d'Israël;  elle  s'est  montrée  sans  pitié,  sans 
pudeur,  sans  conscience;  l'heure  des  rétributions  est 
arrivée.  A  cette  pensée,  tout  ce  qui  s'était  amassé  de 
douleur,  de  honte,  de  découragement,  de  rancune  dans 
le  cœur  des  exilés  pendant  leur  longue  servitude,  éclate 
sous  la  plume  du  prophète  en  violentes  imprécations, 
en  sanglante  ironie ,  en  implacable  triomphe. 


79 

Si  Jéhovah  a  tanl  tardé,  c'est  à  cause  des  péchés 
du  peuple.  Les  Israélites  avaient  été  abandonnés  à 
l'oppression  en  châtiment  de  leurs  fautes  :  l'oppres- 
sion ne  les  a  pas  rendus  meilleurs.  Malgré  cet  en- 
durcissement, la  délivrance,  quelque  tardive  qu'elle 
lut,  était  inévitable.  Le  prophète  en  donne  deux  rai- 
sons, en  apparence  contraires,  mais  qui  se  conci- 
lient à  une  certaine  profondeur.  La  première,  c'est 
que  l'expiation  est  achevée  ou  près  de  l'être  (XL,  2)  : 
«  Parlez  au  cœur  de  Jérusalem  et  criez-lui  que  son 
temps  de  corvée  est  accompli,  que  son  péché  est  ex- 
pié, qu'elle  a  reçu  le  double  pour  ses  fautes!»  La 
domination  des  Ghaldéens  a  été  si  écrasante,  si  humi- 
liante, que  le  châtiment  semble  avoir  dépassé  le  crime. 
Tous  pourtant  n'ont  pas  souffert.  L'expiation  n'a  été 
subie,  offerte  que  par  quelques-uns,  les  vrais  fidèles. 
Ils  ont  porté  les  fautes  des  autres,  ils  ont  servi  de  vic- 
time expiatoire,  de  propitialion.  Gomme  un  rejeton  qui 
pousse  inopinément  dans  une  terre  sèche,  ils  ont  grandi 
devant  Dieu  malgré  toutes  les  influences  contraires; 
sans  défaillir,  ils  ont  tout  supporté  :  mépris,  injures, 
coups,  même  la  mort.  Un  tombé,  l'autre  était  encore 
là.  On  eût  dit  un  seul  homme  chargé  de  boire  jusqu'à 
la  lie  la  coupe  de  la  colère  divine  (XLII,  XLIX,  LU, 
LUI).  —  Mais  après  l'épreuve  vient  la  récompense  : 
«  Quand  son  àme  aura  souffert  l'expiation  ,  il  se  verra 
de  la  postérité,  il  prolongera  sa  vie,  et  l'œuvre  de 
Jéhovah  prospérera  dans  sa  main.  Délivré  des  peines 
de  son  âme,  il  vivra  dans  l'abondance...  Je  lui  donne- 
rai son  héritage  parmi  les  grands,  et  il  partagera  le  bu- 
tin avec  les  puissants...»  La  seconde  cause  de  la  déli- 
vrance, c'est  la  promesse  infaillible  de  Dieu  qui  avait 


\j 


80 
résolu  dès  l'origine  qu'Israël  serait  son  peuple  élu,  son 
serviteur  dans  le  monde.  C'est  là  un  sceau  ineffaçable, 
un  caractère  indélébile  de  prêtrise,  une  vocation  qui 
subsiste  à  travers  toutes  les  vicissitudes  et  toutes  les 
chutes.  Israël  ne  l'a  pas  mérité;  il  ne  peut  non  plus  en 
démériter  :  cela  provient  de  la  pure  grâce,  de  la  pure 
volonté  de  Dieu,  (c  Qui  est  aveugle  comme  mon  servi- 
teur, et  sourd  comme  mon  envoyé  ?d  Israël  demeure 
le  serviteur,  l'envoyé,  l'apôtre  de  Jéhovah  en  dépit  de 
sa  cécité,  de  sa  surdité,  de  son  ingratitude,  malgré  les 
éclipses  de  son  intelligence  et  de  sa  foi.  «  Je  me  suis 
formé  ce  peuple.»  «Il  est  le  peuple  éternel.  »  On  voit 
qu'il  ne  peut  pas  périr.  Il  a  de  grandes  destinées  :  il 
doit  servir  à  la  gloire  de  Jéhovah,,  à  la  destruction  des 
idoles,  à  la  conversion  des  païens,  au  renouvellement 
de  la  nature  entière.  C'est  moins  un  peuple  qu'une  idée, 
une  abstraction,  un  idéal  auquel  les  faits  sont  encore 
contradictoires,  mais  auquel  ils  devront  tôt  ou  tard  se 
soumettre.  Pour  le  moment,  cet  Israël -Messie,  ce 
peuple-prêtre,  ce  serviteur  collectif  de  Jéhovah  est  sur- 
tout représenté  par  le  groupe  des  vrais  fidèles.  Ils  sont 
semblables  à  «ce  jus  de  bénédiction))  qui  se  trouve 
dans  la  grappe,  et  grâce  auquel  la  grappe  tout  entière 
est  épargnée,  bois,  pellicules  et  pépins.  Ainsi  sera 
épargné  le  reste  du  peuple,  grâce  aux  serviteurs  fidèles 
qui  portent  en  eux  le  sort  d'Israël  et  du  monde  :  ils 
serviront  à  rallier  les  indifférents  et  les  coupables;  ils 
seront  «  l'alliance  du  peuple,))  rassembleront  les  tribus 
dispersées,  et  élèveront  au  milieu  des  nations  l'étendard 
de  Jéhovah  ! 

Mais  il  la  ut  avant  tout  rentrer  en  Palestine,  c'est  la 
condition  sans  laquelle  l'âge  messianique  ne  saurait 


81 

commencer.  Sion  est  le  rendez-vous  de  tous  les  enfants 
d'Israël.  Tous  n'étaient  pas  disposés  à  y  revenir.  Plu- 
sieurs avaient  fini  par  s'habituer  à  leur  nouvelle  exis- 
tence; la  Ghaldée  leur  était  devenue  une  seconde  patrie, 
ils  y  étaient  nés  pour  la  plupart;  ils  y  avaient  leurs 
biens,  leurs  gains,  leurs  habitudes.  Ce  voyage  en  masse 
à  travers  les  dangers  du  désert  leur  souriait  peu.  Ils 
préféraient  les  bords  familiers  de  l'Euphrateou  du.Gha- 
boras  à  ceux  du  Jourdain.  La  Palestine  était  désolée; 
les  villes  en  ruine,  les  champs  en  friche  ou  possédés 
par  des  étrangers,  qui  ne  se  laisseraient  pas  dépouiller 
sans  lutte.  C'est  pour  répondre  à  ces  objections  et  à  ces 
craintes  que  le  prophète  dépeint  le  passage  du  désert 
sous  de  si  riantes  couleurs,  ce  J'établirai  dans  le  désert 
une  route  et  des  ruisseaux  d'eau  dans  la  sohtude,  les 
bêtes  des  champs,  les  chacals  et  les  autruches  me  cé- 
lébreront, parce  que  je  mettrai  dans  le  désert  des  eaux 
et  des  ruisseaux  dans  la  solitude  pour  abreuver  mon 
peuple,  mon  élii...  —  Ils  n'auront  pas  soif  au  milieu 
des  déserts  où  Jéhovah  les  conduira  :  il  leur  fera  jaillir 
des  eaux  du  rocher!  »  Des  miracles  les  précéderont  :  une 
onde  fraîche  jaillira  sous  leurs  pas,  des  arbres  de  toute 
sorte  produiront  un  épais  ombrage.  Ce  long  voyage  se 
fera  sans  fatigue  et  ne  ressemblera  pas  aux  quarante 
années  du  désert  sous  la  conduite  de  Moïse.  Puis  la 

V, 

Terre  sainte  sera  repeuplée  comme  par  enchantement; 
les  intrus  seront  chassés  sans  peine;  les  Hébreux  dis- 
persés reviendront  de  tous  les  bouts  de  la  terre,  et  une 
abondance  incomparable  sera  leur  partage. 

Aussitôt  après  que  les  enfants  d'Israël  auront  quitté 
la  Babylonic,  traversé  le  désert  et  mis  le  pied  sur  la 
Terre  sainte,  l'âge  messianique  commencera.  Au  lieu  de 
s.  ^ 


\ 


résumer  la  pensée  du  prophète,  laissons- le  plutôt  dé- 
ployer lui-naême  devant  nous  toute  la  richesse  de  ses 
espérances.  Il  s'adresse  à  Jérusalem  :  (LX)  «Lève  toi, 
resplendis;  car  ta  lumière  apparaît,  et  la  gloire  de  Jé- 
hovah  se  lève  sur  toi.  Voici,  les  ténèbres  couvrent  la 
terre,  et  l'obscurité  les  peuples;  mais  sur  toi  se  lève 
Jéhovah,  et  sa  gloire  brille  au-dessus  de  toi.  Les  peuples 
marcheront  à  ta  lumière,  et  les  rois  à  l'éclat  de  ta 
splendeur.  Regarde  autour  de  toi...  Tes  fils  viennent  à 
toi  des  pays  lointains;  tes  filles  sont  portées  sur  les 
bras.  Oui  regarde  et  réjouis-toi  !  Que  ton  cœur  bondisse 
et  se  dilate!  Car  l'opulence  de  la  mer  se  tournera  vers 
toi,  et  les  richesses  des  nations  viendront  à  toi...  Elles 
apportent  de  l'or  et  de  l'encens;  elles  célèbrent  les 
louanges  de  l'Éternel...  Tous  les  troupeaux  de  Kédar  se 
rassemblent  chez  toi;  les  béliers  de  Nébaioth  sont  à  ton 
service;  ils  monteront  sur  mon  autel...  Je  couvrirai  de 
gloire  ma  glorieuse  Maison  (le  Temple).  Les  fils  de 
l'étranger  rebâtiront  tes  murailles,  et  leurs  rois  te  ser- 
viront :  car,  si  je  t'ai  frappée  dans  ma  colère,  j'ai  com- 
passion de  toi  dans  ma  bienveillance.  Tes  portes  seront 
ouvertes  sans  cesse;  on  ne  les  fermera  ni  jour  ni  nuit, 
pour  laisser  entrer  dans  ton  sein  les  richesses  des  na- 
tions et  leurs  rois  captifs.  Le  peuple  et  le  royaume  qui 
ne  le  serviront  pas  périront  :  ces  nations  là  se  desséche- 
ront. La  gloire  du  Liban  viendra  chez  toi,  le  cyprès,  le 
platane  et  le  mélèze  croîtront  pour  orner  mon  sanc- 
tuaire, pour  que  je  glorifie  le  lieu  où  mes  pieds  se 
posent.  Les  fils  de  tes  oppresseurs  viendront  vers  toi, 
courbés,  et  ceux  qui  te  méprisaient  se  prosterneront 
jusqu'à  la  plante  de  tes  pieds,  et  t'appelleront  :  Cité  de 
Jéhovah,  Sion  du  saint  d'Israël!» 


r 


83 

Il  esL  beau  de  voir  ici  les  espérances  du  prophète 
croître  et  s'exalter  et  s'élever  d'un  vol  hardi  en  décrivant 
des  cercles  toujours  plus  vastes  et  plus  radieux,  jusque 
dans  les  régions  de  la  pure  poésie  : 

((Tu  étais  abandonnée,  haïe,  solitaire;  désormais  je 
lerai  de  toi  une  splendeur  éternelle,  un  délice  pour 
toutes  les  générations.  Tu  suceras  le  lait  des  peuples, 
tu  fetterasà  la  mamelle  des  rois,  et  tu  reconnaîtras  que 
c'est  moi,  Jéhovah  qui  suis  ton  sauveur,  et  que  ton  li- 
bérateur est  le  héros  de  Jacob!  Au  lieu  d'airain,  je  fe- 
rai venir  de  l'or,  au  lieu  de  fer  je  ferai  venir  de  l'argent, 
au  lieu  de  bois  de  l'airain,  au  lieu  de  pierres,  du  fer. 
Et  je  le  donnerai  pour  surveillants  la  Paix,  et  pour 
gouverneurs  la  Justice.  On  n'entendra  plus  parler  de 
violence  sur  ton  territoire,  de  ruine  ni  de  destruction 
dans  tes  frontières.  Tu  nommeras  tes  remparts  Salut, 
et  tes  portes  Gloire.  Le  soleil  ne  sera  plus  ta  lumière 
pendant  ie  jour,  ni  la  lune  ne  t'éclairera  plus  de  sa 
lueur  pend^ant  la  nuit  :  mais  Jéhovah  te  sera  une  lumière 
éternelle,  et  ton  Dieu  sera  ta  gloire.  Ton  soleil  ne  se 
couchera  plus,  et  ta  lune  ne  décroîtra  plus  :  car  Jého- 
vah te  sera  une  lumière  éternelle  :  les  jours  de  ton  deuil 
seront  passés.  Tout  ton  peuple  sera  un  peuple  de  justes  : 
rejeton  que  j'ai  planté,  ouvrage  C[ue  j'ai  fait  pour  ma 
gloire,  il  possédera  le  pays  à  toujours!...  Les  étrangers 
seront  à  vos  ordres  et  paîtront  vos  troupeaux;  les  fils  de 
l'étranger  seront  vos  laboureurs  et  vos  vendangeurs. 
Mais  vous,  vous  serez  appelés  prêties  de  Jéhovah;  on 
vous  nommera  serviteurs  de  notre  Dieu.  Vous  absor- 
berez la  richesse  des  nations,  et  vous  vous  substituerez 
à  elles  dans  leur  2:loire  !  » 

Enfin,  le  monde  tel  qu'il  est.  ''  vieux  monde  décré- 


84 

pit  où  l'on  a  tant  souffert,  ne  suffit  plus  à  contenir  les 
transports  du  prophète,  et  ne  lui  paraît  pas  un  lieu 
digne  de  la  gloire  et  de  la  félicité  qu'il  rêve  pour  le 
peuple  d'îsraël  :  LXV,  17.  ((Voici,  je  créerai  de  nou- 
veaux cieux  et  une  nouvelle  terre;  on  ne  se  souviendra 
plus  des  choses  passées,  et  elles  ne  reviendront  plus  en 
mémoire.  Au  contraire,  vous  serez  éternellement  con- 
tents et  joyeux  de  ce  que  j'aurai  créé  :  car  voici,  je  crée- 
rai Jérusalem  pour  la  joie,  et  son  peuple  pour  l'allé- 
gresse. Je  ferai  ma  joie  de  Jérusalem,  et  mon  bonheur 
de  mon  peuple.  On  n'entendra  plus  dans  son  sein  la 
voix  des  pleurs  et  des  gémissements  !  —  On  n'y  verra 
point  d'enfant  qui  vive  peu  de  jours,  ni  de  vieillard  qui 
n'atteigne  les  limites  de  la  vie;  car  ce  sera  mourir 
jeune  que  de  mourir  centenaire  ;  le  pécheur  ne  sera 
emporté  par  la  malédiction  qu'à  cent  ans  !  Ils  bâtiront 
des  maisons  et  les  habiteront;  ils  planteront  des  vignes 
et  en  mangeront  les  fruits.  Ils  ne  bâtiront  pas  de  mai- 
sons pour  qu'un  autre  y  habite;  ils  ne  plaiiteront  pas 
de  vignes  pour  qu'un  autre  en  mange  les  fruits.  Car 
l'âge  de  mon  peuple  atteindra  le  grand  âge  des  arbres, 
et  mes  élus  jouiront  de  Fœuvre  de  leurs  mains.  Ils  ne 
travailleront  pas  en  vain;  ils  n'enfanteront  pas  pour 
l'épouvante.  Car  ils  .sont  la  race  des  bénis  de  Jéhovah, 
et  leurs  rejetons  avec  eux!  Et  il  arrivera  qu'avant  qu'ils 
m'invoquent,  je  répondrai;  ils  parleront  encore,  j'aurai 
exaucé!  —  Le  loup  et  l'agneau  paîtront  ensemble;  le 
lion  mangera  du  fourrage  comme  le  bœuf,  et  le  serpent 
se  nourrira  de  poussière.  Il  ne  se  fera  aucun  mal  sur 
toute  ma  sainte  montagne,  dit  Jéhovah!» 

Dans  tout  le  cours  de  ces  prophéties,  nous  ne  voyons 
pas  une  seule  fois  apparaître  le  chef  davidique  auquel 


/ 

/ 


85 

la  prospérité  du  peuple  semblait  attachée.  Non-seule- 
ment ce  chef  spécial  n'est  pas  annoncé,  mais  il  n'est 
pas  même  question  de  roi  ni  de  race  royale.  C'est  que, 
pendant  la  longue  durée  de  l'exil,  la  race  de  David 
s'était  obscurément   éteinte,  s'était  fait  oublier.   Ses 
derniers  représentants  sur  le  trône  avaient  fait  si  triste 
figure  qu'on  n'avait  plus  guère  intérêt  à  rechercher 
leur  lignée.  Le  Messie  attendu  paraît  dans  la  personne 
d'un  conquérant  qui  se  précipite  des  profondeurs  de 
l'orient  et  du  nord.  Il  faut  saisir  le  salut  d'où  qu'il 
vienne;  après  tout  il  ne  vient  que  de  Jéhovah,  dont 
les  mystérieux  desseins  concourent  tous  au  relèvement 
de  son  peuple.  Ce  que  notre  prophète  attend  ce  n'est 
pas   un  roi,  quelque  grand  qu'il  puisse  être,  c'est  la 
vraie  théocratie,  telle  qu'elle  existait  dans  les  jours  de 
Samuel,  des  Juges,  de  Moïse  ou  des  patriarches,  c'est 
le  gouvernement  direct  et  visible  de  Jéhovah.  Mais  il 
y  a  dans  sa  pensée  un  progrès  manifeste  sur  l'ancienne 
théocratie; 'car  il  paraît  ignorer  le  sacerdoce;  il  le 
supprime  ou  le  laisse  dans  l'ombre,  — combien  différent 
en  cela  de  Jérémie  et  d'Ézéchiel  !  «  Je  te  donnerai  pour 
chef  la  Paix  et  pour  gouverneur  la  Justice.  »  Tous  les 
Israélites  seront  prêtres  parce  que  tous  seront  justes. 
C'est  ((un  peuple  de  justes,»  c'est   «un  peuple  de 
prêtres.»  La  communauté  dont  ils  sont  prêtres,  c'est 
la  vaste  assemblée  des  nations  qui  se  convertissent  au 
Dieu  d'Israël  :  les  peuples  sont  les  Idicjîies,  les  Israé- 
lites sont  le  clergé.  Bien  plus,  dans  un  élan  de  géné- 
rosité suprême,  le  prophète  va  jusqu'à  briser  cette 
barrière  qu'il  avait  déjà  tant  élargie ,  et  il  montre  Jé- 
hovah se  choisissant  des  prêtres  et  des  lévites  jusque 
parmi  les  païens,  dont  quelques-uns  se  consacreront 


\ 

\ 


86 

à  la  conversion  de  leurs  frères  et  deviendront  de  vrais 
apôtres  des  Gentils. 

LXVI,  i8.  «Le  temps  vient  de  rassembler  tous  les 
peuples  et  toutes  les  langues,  pour  qu'ils  viennnent  et 
qu'ils  voient  ma  gloire.  Je  leur  donnerai  un  signal,  et 
je  renverrai  les  échappés  d'entre  eux  aux  nations,  à 
Tarsis,  à  Put  et  à  Lud,  pays  des  archers,  à  Tubal  et 
Javan  ,  aux  îles  lointaines  qui  n'ont  jamais  entendu 
parler,  de  moi  ni  vu  ma  gloire  ;  ceux-là  annonceront 
ma  gloire  aux  nations.  Et  ils  ramèneront  tous  vos  frè- 
res (les  Israélites  dispersés)  du  milieu  de  tous  les  peu- 
ples, comme  une  offrande  à  Jéhovah ,  sur  des  chevaux, 
sur  des  chars,  en  litière,  sur  des  mulets,  sur  des  dro- 
madaires, jusqu'à  ma  sainte  montagne,  à  Jérusalem, 
dit  Jéhovah,  comme  les  fils  d'Israël  portent  dans  un 
vase  pur  leur  offrande  à  la  maison  de  Jéhovah.  Je 
prendrai  même  parmi  eux  des  prêtres  et  des  lévites, 
dit  Jéhovah.  » 

Il  semble  qu'il  n'y  ait  plus  qu'un  pas  à  faire  (et 
pourtant  c'était  un  abîme)  pour  arriver  à  la  religion 
sans  prêtres  et  sans  temple ,  à  la  rehgion  définitive , 
celle  de  Jésus-Christ.  Il  fallut  des  siècles  pour  que  ce 
pas  fût  franchi.  Notre  prophète  anonyme  veut  encore 
qu'on  adore  à  Jérusalem ,  que  «  de  nouvelle  lune  en 
nouvelle  lune,  et  de  sabbat  en  sabbat»  toute  chair 
vienne  se  prosterner  devant  Jéhovah  dans  son  sanc- 
tuaire ,  dans  le  lieu  qu'il  habite  de  préférence,  à  Sion. 
C'est  là  que  doivent  affluer  les  dons,  les  offrandes,  les 
caravanes  des  nations.  Les  bénédictions  qu'un  tel  culte 
répandra  sur  ses  adhérents  sont  temporelles  comme  le 
culte  lui-même;  c'est  une  longue  vieillesse,  une  inta- 
rissable abondance,  une  jouissance  ininterrompue. 


87 


CHAPITRE  VI. 

LE  RETOUR.  AGGÉE.  ZACHARIE.  MALACHIE. 

§1.  Babylone  fut  prise  en  539  par  Gyrus,  qui  se 
garda  bien  de  détruire  la  ville  splendide  dont  il  voulait 
faire  la  capitale  de  son  vaste  empire.  Il  commença  ainsi 
à  tromper  l'attente  des  prophètes,  qui  croyaient  que  le 
premier  acte  de  l'intervention  divine  serait  l'anéantis- 
sement de  l'orgueilleuse  cité.  Trois  ans  plus  tard,  sans 
doute  sur  leurs  pressantes  instances,  Cyrus  accorda 
aux  Juifs  la  permission  de  rentrer  dans  leur  patrie 
(536).  Le  moment  tant  désiré  était  donc  enfin  venu  ! 
L'âge  messianique  allait  donc  commencer!  Des  foules 
d'exilés,  portés  sur  les  bras  des  peuples,  allaient  en- 
trer en  triomphe  à  Jérusalem  !  Toutes  les  magnifi- 
cences promises  allaient  se  réaliser  !  —  Non.  La  grande 
majorité  des  enfants  dTsraël  refusa  de  quitter  une  pos- 
session certaine  pour  des  biens  douteux.  Un  petit 
nombre  seulement  profita  de  la  permission  accordée 
par  Cyrus.  Un  des  leurs,  Zorobabel,  que  l'on  disait 
appartenir  à  la  famille  royale,  fut  nommé  gouverneur 
de  la  Judée  au  nom  du  roi  des  Perses.  Jérusalem  ne  re- 
leva ses  ruines  qu'à  grand'peine.  La  construction  du 
temple,  qui  d'ailleurs  paraît  avoir  été  mesquin ,  n'avan- 
çait qu'avec  lenteur.  Elle  fut  me-^ne  entièrement  inter- 
rompue par  l'hostilité  des  colons  qui  avaient  été  en- 
voyés en  Palestine  lors  de  la  déportation  des  Israélites. 
Un  ordre  formel,  qu'ils  obtinrent  de  la  cour  des  Perses, 
suspendit  les  travaux.  Après  la  mort  du  faux  Smerdis, 
de  qui  provenait  cette  défense  ,  et  sous  le  gouverne- 
ment moins  tyrannique  de  Darius,  fils  d'Hystaspe,  les 


88 

travaux   furent  repris   à    l'instigation   des    prophètes 
Aggée  et  Zacharie. 

§  2-  Aggée,  dans  le  dessein  d'encourager  Zorobabel, 
fils  de  Salathiel ,  gouverneur  de  Judée,  et  Josué,  fils 
de  Jossadak,  grand-prêtre,  à  activer  les  travaux,  et  tous 
les  Juifs  à  y  contribuer  de  leurs  dons  et  de  leurs  bras, 
déclare  que  la  disette  dont  on  souffre  est  un  châtiment 
de  la  nonchalance  du  peuple  à  l'égard  de  la  maison 
de  Jéhovah,  et  qu'avec  l'achèvement  du  temple  coïnci- 
dera l'âge  messianique,  dont  le  temps  présent  offre  si 
peu  l'image  :  II,  6.  «Encore  un  peu  de  temps,  et  j'é- 
branlerai le  ciel  et  la  terre,  la  mer  et  le  désert,  et  j'ébran- 
lerai tous  les  peuples,  et  leurs  plus  précieux  trésors  af- 
flueront ici  \  et  je  remplirai  de  gloire  cette  Maison  ,  dit 
Jéhovah  des  armées  :  à  moi  l'argent,  à  moi  l'or,  dit  Jé- 
hovah des  armées  !  La  gloire  de  cette  dernière  Maison 
dépassera  celle  de  la  première,  dit  Jéhovah  des  armées! 
C'est  dans  ce  lieu  que  je  mettrai  la  paix ,  dit  Jéhovah  des 
armées!  »  C'est-à-dire,  la  paix  définitive,  l'accomplis- 
sement {Schâlôm)  sont  attachés  à  la  construction  du 
temple.  Dès  qu'il  sera  achevé,  la  grande  catastrophe 
aura  lieu  ;  les  peuples  se  détruiront  eux-mêmes  dans 
des  guerres  fratricides,  leurs  richesses  afflueront  au 
temple,  et  la  Terre  sainte  jouira  enfin  des  biens  promis, 
sous  le  commandement  de  Zorobabel,  qui  est  le  chef 
prédit,  élu,  choisi,  le  Messie  annoncé:  «Dis  à  Zoro- 
babel, le  gouverneur  de  Juda  :  Je  vais  ébranler  le  ciel 
et  la  terre;  je  vais  renverser  le  trône  des  royaumes, 
j'anéantirai  la  force  des  royaumes  des  païens;  je  ren- 
verserai les  chariots  avec  leurs  conducteurs,  les  çhe- 

*  Ou  peut-être  :  «les  meilleurs  d'enire-eux  viendront...» 


89 

vaux  avec  leurs  cavaliers;  chacun  périra  par  l'épée  de 
son  frère.  En  ce  jonr-là  ,  dit  Jéhovah  des  armées ,  je  te 
prendrai,  toi  Zorobabel,  fils  de  Salathiel,  mon  servi- 
teur, dit  Jéhovah,  et  je  te  garderai  comme  un  cachet  '  : 
CAR  c'est  toi  que  j'ai  CHOISI,  dit  Jéhovah  des  ar- 
mées !  ))  — 

C'est  par  ces  paroles  significatives  que  se. terminent 
les  prophéties  d'Aggée. 

§  3.  Zacharie,  fils  de  Béréchie,  prophétisa  dans  ie 
même  temps,  dans  le  môme  esprit  et  dans  le  même 
dessein  qu'Aggée.  Son  livre  (I  à  YIIÏ)  se  divise  en  trois 
parties  inégales,  dont  la  seconde  (I,  7  à  VI,  15)  est  la 
plus  étendue  et  la  plus  importante  ;  elle  se  compose  de 
sept  visions.  L'exil  n'a  pas  été  sans  influence  sur  cette 
forme  nouvelle  de  la  prophétie,  que  nous  avons  déjà 
rencontrée  chez  Ézéchiel.  La  doctrine  des  anges  a  ac- 
quis de  nouveaux  développements,  dont  nous  trouvons 
la  preuve  chez  Zacharie,  et  qui  dans  le  livre  de  Daniel 
s'appliqueront  même  aux  idées  messianiques.  Nous  al- 
lons relever  rapidement  dans  les  prophéties  de  Za- 
charie tous  les  passages  qui  se  rapportent  à  notre 
sujet. 

La  première  vision ,  celle  des  cavaliers ,  se  termine 
par  des  promesses  qui  ne  diffèrent  en  rien  de  celles 
des  anciens  p^^ophètes:  Jéhovah  fera  éclater  sa  colère 
sur  les  peuples  qui  vivent  maintenant  en  paix  après 
avoir  fait  tant  de  mal  aux  enfants  d'Israël.  Il  aura 
pitié  de  Jérusalem  ;  son  temple  y  sera  enfin  construit,  et 
toutes  les  villes  de  la  terre  sainte  regorgeront  de  biens. 

La  deuxième  vision,  celle  des  quatre  cornes  et  des 

1  C'est-à-dire  :  Je  te  garderai  comme  celui  qui  doit  mettre  le  sceau 
à  toutes  mes  promesses. 


N 


90 

quatre  forgerons ,  annonce  le  grand  jugement  des  peu- 
ples qui  ont  été  hostiles  à  Juda. 

La  troisième  vision,  celle  de  l'homme  avec  un  cor- 
deau, précise  davantage  ce  que  les  deux  premières 
n'ont  fait  qu'indiquer.  Jérusalem  sera  si  vaste  et  si  peu- 
plée qu'il  ne  faudra  pas  songer  à  l'enfermer  dans  des 
murailles.  Jéhovah  lui-même  sera  une  muraille  de  feu 
autour  d'elle.  Les  Israélites  demeurés  dans  la  Babylonie 
n'ont  qu'à  se  hâter  de  revenir,  parce  que  les  jugements 
de  Dieu  vont  éclater  sur  les  nations.  Il,  14  :  ((Réjouis- 
toi  et  tressaille,  fille  de  Sion,  car  voici,  je  viens,  et  j'ha- 
biterai au  milieu  de  toi ,  dit  Jéhovah ,  et  dans  ce  temps-là 
un  grand  nombre  de  peuples  s'attacheront  à  Jéhovah, 
et  ils  seront  mon  peuple...  Jéhovah  aura  Juda  en  héri- 
tage pour  sa  portion  sur  la  Terre  sainte;  il  se  choisira 
encore  Jérusalem.  Que  toute  chair  se  taise  devant  Jé- 
hovah :  car  il  s'élance  de  sa  sainte  demeure  !  » 

Le  chap.  III  raconte  le  jugement  fictif  du  grand- 
prêtre  Josué  ;  cet  épisode  rappelle  le  prologue  de  Job. 
Zacharie  suppose  que  le  grand-prêtre  Josué  est  accusé 
par  Satan  devant  Dieu,  qui  l'acquitte  ^  L'ange  qui  lui 
annonce  cet  acquittement,  lui  promet  en  même  temps 
de  la  part  de  Jéhovah,  que  s'il  reste  fidèle,  il  aura  le 
privilège  d'achever  la  construction  du  temple  et  de  voir 
l'avènement  du  Messie.  «Écoute  donc,  Josué,  grand- 
prêtre,  toi  et  tes  amis  qui  sont  assis  avec  toi...  Voici, 
je  fais  venir  mon  serviteur  Germe^  !...  En  ce  jour-là ,  dit 
Jéhovah,  vous  vous  inviterez  l'un  l'autre  sous  la  vigne 
et  le  figuier.  » 

'  Ewald  suppose  que  c'est  une  allusion  aux  accusations  dont  Josué 
aura  été  l'objet  à  la  cour  du  grand  roi.  S'il  est  acquiUé  au  ciel .  qui 
le  condamnera  sur  la  terre? 


r 


91 

Le  chap.  IV  renferme  ia  vision  du  chandelier  et  des 
deux  branches  d'olivier.  Jéhovah  fera  reposer  son  esprit 
sur  Zorobabel,  en  sorte  que  tout  lui  soil  facile,  que 
tous  les  obstacles  s'aplanissent  devant  lui,  et  qu'il  pose 
la  dernière  pierre  de  l'édifice  sacré,  comme  il  en  a  posé 
les  fondements.  fcLes  mains  de  Zorobabel  ont  fondé 
cette  maison;  ce  sont  aussi  ses  mains  qui  l'achève- 
ront!» Les  deux  branches  d'olivier  sont  «les  deux  fils 
de  llmile^  qui  se  tiennent  devant  le  Seigneur  de  toute 
la  terre,))  c'est-à-dire  Zorobabel  et  Josué,  Oints  tous 
deux,  tous  deux  Messies.  Cette  pensée,  surprenante  au 
premier  abord,  trouve  sa  confirmation  dans  le  chap. VI, 
aux  vers.  12  à  15.  Trois  juifs,  Heldaï,  Tobia  et  Jedaia, 
étaient  venus  de  la  Babylonie,  envoyés  sans  doute  par 
ceux  de  leurs  compatriotes  qui  étaient  restés  volontai- 
rement dans  l'exil ,  et  ils  apportaient  de  riches  pré- 
sents pour  le  temple.  Le  prophète  y  voit  un  signe  des 
temps.  Cette  ambassade  le  transporte  de  joie.  Dans  son 
enthousiasme  il  propose  de  faire  avec  l'or  et  l'argent 
des  trois  juifs  des  couronnes  destinées  à  représenter  la 
gloire  prochaine  de  l'âge  messianique.  Tel  est  l'ordre 
qu'il  reçoit  de  Jéhovah  :  ((Prends  l'argent  et  l'or,  et  en 
fais  des  couronnes,  et  les  mets  sur  la  tête  de  Josué, 
fils  de  Jéhossadak ,  grand-prêtre^,  et  dis-lui:  Ainsi  dit 
Jéhovah  des  armées  :  Voici  venir  l'homme  dont  le  nom 
est  Germe;  sous  lui  tout  germe  {i.  e.  prospère).  Il  bâ- 
tira le  temple  de  Jéhovah,  oui,  il  bâtira  le  temple  de 
Jéhovah  î  II  sera  couronné  de  majesté;  il  siégera,  il 

1  Tsêmach^  germe,  rejeton,  c'est  le  nom  du  Messie,  d'après  la 
métaphore  d'Ésaïe. 

-  Comme  il  semble,  d'après  les  noms  propres  du  vers.  14,  que  ce 
texte  a  subi  quelques  altérations,  on  serait  tenté  d'ajouter  ici  le  nom  d? 
Zorobahel  à  celui  de  .losué,  puisqu'il  s'agit  de  plus  d'une  couronne. 


régnera  sur  son  trône.  Et  il  y  aura  un  prêtre  sur  son 
trône,  et  un  conseil  de  paix  sera  entre  les  deux  ! ...  » 
La  seule  explication  plausible  de  ce  passage  est  celle 
qu'a  donnée  l'école  rabbinique:  l'homme  dont  le  nom 
est  Germe ,  c'est-à-dire  qui  est  le  Messie  annoncé  par 
Ésaïe  et  les  autres  prophètes,  n'est  autre  que  Zoro- 
babel ,  le  gouverneur  de  la  Judée,  le  descendant  de 
David,  celui  qui  achèvera  le  temple,  comme  Zacharie 
le  lui  a  formellement  prédit ,  qui  réparera  toutes  les 
brèches  du  passé ,  et  qui  régnera  avec  gloire  ;  il  asso- 
ciera à  sa  majesté  et  à  sa  puissance  le  grand -prêtre 
Josué,  qui  aura  comme  lui  bien  mérité  de  la  patrie  et 
du  culte ,  et  auquel  il  sera  uni  par  les  liens  de  l'affec- 
tion et  d'une  gloire  commune.  Ces  deux  personnages, 
agissant  de  concert,  formeront,  pour  ainsi  parler,  un 
Messie  à  double  caractère  et  à  double  fonction,  tout 
ensemble  prêtre  et  roi. 

Au  chap.  VIII ,  Zacharie  prophétise  que  Jéhovah  ha- 
bitera Jérusalem,  qu'elle  sera  appelée  ville  de  fidélité, 
que  les  vieillards  y  demeureront  paisiblement ,  que  les 
enfants  joueront  gaîment  dans  les  rues,  et  qu'il  ne 
restera  plus  sur  la  terre  étrangère  un  seul  des  enfants 
d'Israël ,  dont  l'exil  volontaire  était  un  scandale  pour 
le  prophète.  En  prévision  de  cette  ère  de  bonheur  qui 
s'approche,  il  veut  qu'on  change  en  fêtes  de  joie  les 
jours  de  jeûne  consacrés  au  souvenir  de  la  prise  de 
Jérusalem.  Il  montre  enfin  tous  les  peuples  de  la  terre 
tournés  vers  Israël,  lui  enviant  sa  religion  et  sa  pros- 
périté. «Ainsi  dit  Jéhovah  des  armées:  Il  arrivera 
que  des  peuples  viendront,  et  les  habitants  de  beau- 
coup de  villes  ;  les  habitants  de  l'une  iront  vers  l'au- 
tre en  disant  :  a  Allons  implorer  Jéhovah  !»  —  «  al- 


93 

Ions  chercher  Jéhovah  des  armées  !  »  —  «  Moi  aussi 
j'y  veux  aller  !»  —  a  Et  beaucoup  de  peuples  vien- 
dront,  et  des  nations  nombreuses,  pour  chercher 
Jéhovah  des  armées  h  Jérusalem ,  pour  implorer  Jé- 
hovah. Ainsi  dit  Jéhovah  des  armées  :  Dans  ces  jours- 
là,  dix  hommes  de  toutes  les  langues  des  païens  sai- 
siront le  bout  du  manteau  d'un  Juif,  en  lui  disant: 
Nous  voulons  aller  avec  vous,  car  nous  savons  que 
Jéhovah  est  avec  vous  !  »  —  Quel  orgueil  dans  ces  pa- 
roles, mais  qu'il  est  légitime  !  Quel  sentiment  profond 
de  la  supériorité  de  la  religion  juive  sur  les  poly- 
théismes  antiques,  et  quelle  énergique  confiance  en 
l'avenir  ! 

§4.  Cette  confiance  ne  devait  pas,  pendant  long- 
temps encore,  être  justifiée  par  les  événements.  Les  ef- 
forts d'Esdras,  puis  de  Néhémie,  préfets  ou  satrapes 
chargés  par  le  roi  des  Perses  du  gouvernement  de  la 
Judée,  ne  réussirent  qu'avec  la  plus  grande  peine  à 
donner  quelque  cohésion  et  quelque  ordre  à  l'État  re- 
naissant. Néhémie  cependant,  un  juif  qui  occupait  un 
rang  élevé  à  la  cour  deBabylone,  parvint,  grâce  à  une 
fermeté  un  peu  rude,  à  réduire  l'opposition  et  la  mau- 
vaise volonté  de  ses  compatriotes.  Jérusalem,  malgré 
tant  de  brillantes  promesses,  regorgeait  si  peu  d'habi- 
tants qu'il  dut  employer,  pour  la  peupler,  le  procédé 
un  peu  brutal  de  décimer  les  campagnes,  c'est-à-dire 
de  tirer  au  sort  (i  sur  10)  ceux  qui  seraient  contraints 
de  venir  habiter  la  ville.  Cette  perspective  était  si  peu 
agréable  qu'on  acclamait,  qu'on  bénissait  ceux  qui  se 
dévouaient  volontairement  au  séjour  de  la  capitale.  On 
comprend  qu'avec  de  telles  dispositions  et  une  telle  ré- 
pugnance, le  temple,   les   fêtes,   les   cérémonies   du 


94 

culte,  dont  le  siège  était  à  Jérusalem,  fussent  singu- 
lièrement négligés.  Les  prêtres  eux-mêmes  observaient 
avec  peu  de  fidélité  et  de  conscience  les  pratiques  de  la 
religion.  C'est  le  sujet  des  plaintes  de  Malaghie,  pro- 
phète qui  secondait  de  sa  parole  les  efforts  de  Néhé- 
mie.  On  présume  qu'il  est  de  près  d'un  demi-siècle 
postérieur  à  Aggée  et  à  Zacharie.  Il  blâme  sévèrement 
les  prêtres  d'être  si  peu  attentifs  au  culte  de  Jéhovah 
et  si  peu  scrupuleux  dans  le  choix  des  victimes  qu'ils 
ofïrent  sur  son  autel.  Il  se  plaint  que  Jéhovah  soit  si 
mal  honoré  à  Jérusalem,  tandis  que  les  Israélites  dis- 
persés parmi  les  païens  savent  faire  respecter  son  nom. 
Il  paraît  qu'on  commençait  à  s'étonner  que  l'accom- 
plissement des  prophéties  tardât  tant,  que  le  fameux 
jugement  des  peuples  n'arrivât  point.  Malachie  déclare 
aux  impatients  qu'ils  ont  tort  d'oublier  que  le  jugement 
de  Dieu  s'exercera  d'abord  sur  eux,  pour  les  punir  de 
leurs  infidélités.  Toutefois  avant  que  le  terrible  jour 
se  lève,  Jéhovah  fera  encore  une  tentative  auprès  des 
pécheurs;  il  enverra  son  messager,  dont  la  prédication 
réveillera  les  consciences,  et  préparera  la  venue  ven- 
geresse du  Seigneur,  de  Jéhovah  lui-même.  «(Voici, 
j'envoie  mon  messager  pour  préparer  le  chemin  devant 
moi,  et  tout  à  coup  le  Seigneur,  que  vous  désirez, 
viendra  dans  son  sanctuaire;  le  messager  de  l'alliance*, 
voici,  il  vient!  dit  Jéhovah  des  armées.  Qui  supportera 
le  jour  de  sa  venue,  et  pourra  subsister  lorsqu'il  nppa- 
raitrs?  Car  il  est  comme  le  feu  du  fondeur  et  le  savon 

^  Ou  bien  c'est  le  prophète  précurseur  du  grand  jugement,  qui 
cherchera  à  réiablir  l'alliance  entre  Jéiiovah  et  son  peuple;  ou  bien 
c'est  Jéhovah  lui-même  qui  vient  en  personne  rétablir  son  alliance 
et  purifier  les  fils  de  Lévi. 


95 

des  blanchisseurs.  Il  se  tiendra  comme  celui  qui  fond  et 
purifie  l'argent;  il  purifiera  les  fils  de  Lévi,  et  les  affi- 
nera comme  on  affine  l'or  et  l'argent,  afin  qu'ils  ofi"rent 
à  Jéhovah  des  sacrifices  justes,  et  que  les  sacrifices  de 
Juda  et  de  Jérusalem  soient  agréables  à  Jéhovah  comme 
aux  jours  de  jadis,  comme  aux  années  d'autrefois.  — 
Je  m'approcherai  de  vous  pour  vous  juger,  et  je  serai 
un  témoin  actif  contre  les  devins,  les  adultères,  les  par- 
jures, contre  ceux  qui  frustrent  l'ouvrier  de  son  sa- 
laire, qui  oppriment  la  veuve  et  l'orphelin,  qui  écrasent 
l'étranger,  et  qui  ne  me  craignent  pas,  dit  Jéhovah  des 
armées.  —  Voici,  le  jour  vient,  brûlant  comme  un 
four.  Alors  tous  les  orgueilleux  et  tous  ceux  qui  font  le 
mal  seront  comme  de  la  paille,  et  le  jour  qui  vient  les 
embrasera,  dit  Jéhovah  des  armées,  et  il  ne  leur  lais- 
sera ni  racine  ni  branche.  Mais  pour  vous  qui  craignez 
son  nom,  le  soleil  de  justice  se  lèvera,  portant  la  gué- 
rison  sur  ses  ailes.  Et  vous  sortirez  et  vous  bondirez 
comme  des  veaux  gras.  Vous  écraserez  les  méchants, 
car  ils  seront  comme  de  la  cendre  sous  la  plante  de  vos 
pieds,  dans  le  jour  que  je  prépare,  dit  Jéhovah  des 
armées.  —  Pensez  à  la  loi  de  Moïse,  mon  serviteur,  à 
qui  j'ai  donné  mes  lois  et  mes  ordonnances  sur  le  mont 
Horeb  pour  tout  Israël  !  —  Voici,  je  vous  enverrai  Élie 
le  prophète,  avant  que  vienne  le  jour  de  Jéhovah,  le 
grand  et  redoutable  jour!  Il  ramènera  le  cœur  des 
pères  vers  les  fils  et  le  cœur  des  fils  vers  leurs  pères, 
de  peur  que  je  ne  vienne  et  que  je  ne  frappe  le  pays 
d'anathème!  » 

Les  grands  traits  du  messianisme  classique  se  sont 
elfacés.  Il  est  bien  question  dans  Malachie  d'un  âge 
d'or,  où  la  Judée  sera  une  tei're  de  délices,  où  Tabon- 


ciaiice  remplira  les  greniers,  où  les  fidèles  observateurs 
de  la  loi  de  Moïse  écrasei'ont  sous  leurs  pieds  les  in- 
fidèles comme  de  la  cendre.  Mais  où  est  l'espoir  de  la 
conversion  du  monde,  de  la  domination  universelle 
d'Israël,  d'une  nouvelle  et  plus  intime  alliance  entre 
Dieu  et  son  peuple?  Où  est  l'attente  du  glorieux  chef 
national?  où  est  même  la  croyance  en  un  jugement 
solennel  de  tous  les  peuples?  Ce  que  Malachie  prédit, 
ce  ne  sont  plus  les  grandes  Assises  de  l'univers,  mais 
seulement  une  épuration  du  peuple  juif  et  surtout  de 
la  tribu  de  Lévi.  C'est  elle  qui  occupe  la  plus  grande 
place  dans  les  préoccupations  du  prophète.  Malgré  les 
sanglants  reproches  adressés  aux  prêtres,  et  dans  ces 
reproches  mêmes,  se  trahit  une  tendance  sacerdotale. 
Que  l'on  cesse  de  négliger  les  prescriptions  du  culte 
lévi  tique,  et  l'on  échappera  aux  jugements  de  Dieu.  Ce 
n'est  pas  à  dire  que  l'élément  moral  soit  absent  :  pour 
Malachie,  légalité  et  sainteté  étaient  synonymes. 

CHAPITRE  VII. 

l'apocalypse  de  DANIEL. 

Il  se  présente  ici  une  lacune  considérable  dans  l'his- 
toire des  Juifs.  De  Néhémie  jusqu'aux  Maccabées,  c'est 
presque  une  durée  de  trois  siècles  dont  il  ne  nous  reste 
aucun  monument.  La  Judée  partagea  le  sortdes  autres 
provinces  de  l'Asie  occidentale  :  d'abord  échue  auxPto- 
lémées,  elle  leur  fut  ravie  par  les  Séleucides,  et  devint 
un  champ  de  bataille  aussi  bien  qu'un  objet  de  convoi- 
tise pour  les  rois  d'Egypte  et  de  Syrie.  A  l'intérieur, 
les  prêtres  avaient  conquis  une  influence  prépondé- 
rante, comme  représentants  de  la  religion  nationale' on 


97 

face  delà  domination  étrangèi-e.  L'inspiration  avait  dis- 
paru devant  le  pouvoir  croissant  de  la  hiérarchie.  La 
prophétie  s'était  éteinte  sous  la  cléricature.  On  compi- 
lait, on  rassemblait,  on  numérotait  les  écrits  des  an- 
ciens, mais  avec  plus  de  zèle  que  d'intelligence.  C'était 
le  temps  de  la  Grande  Synagogue.  Il  fallut  de  nouveaux 
malheurs,  l'angoisse  et  la  persécution  violente  pour 
faire  encore  une  fois  jaillir  le  feu  sacré.  Antiochus  Épi- 
phane,  roi  de  Syrie  (175),  avait  résolu,  soit  par  amour 
de  l'uniformité,  soit  pour  briser  les  derniers  ressorts 
de  la  résistance,  de  détruire  les  mœurs  particulières  et 
le  culte  national  des  Juifs.  Il  ravagea  le  temple,  y  fit 
élever  un  autel  à  Jupiter  Olympien,  et  offrir  des  sacri- 
fices en  l'honneur  de  ce  dieu  (168).  Il  exigea  que  tout 
le  peuple  y  prît  part;  une  sanglante  persécution  fut 
organisée  contre  les  réfractaires. 

C'est  alors  qu'eut  lieu  la  généreuse  insurrection  des 
Maccabées.  C'est  alors  aussi  que  fut  écrit  le  livre  de 
Daniel.  Ce  livre  a  pour  but  d'encourager  la  révolte  et 
de  soutenir  les  courages  par  la  perspective  d'un  succès 
prochain  et  définitif.  Il  essaie  en  même  temps  de  con- 
cilier les  événements  de  l'histoire  avec  les  prédictions 
des  anciens  prophètes,  le  fait  de  la  domination  du 
monde  livrée  jusqu'à  présent  aux  païens,  avec  les  pro- 
messes toutes  contraires  faites  au  peuple  du  vrai  Dieu. 
Il  se  divise  en  deux  parties,  de  six  chapitres  chacune, 
dont  la  première  est  historique  et  la  seconde  prophé- 
tique. L'histoire  de  Nabuchodonosor  et  de  Balthasar, 
toute  pleine  d'allusions  au  temps  présent,  est  destinée 
à  montrer  que  même  au  sein  de  ses  malheurs  et  de  son 
humiliation,  le  peuple  d'Israël  avait  vu  se  manifester 
avec  éclat  la  puissance  de  Jéhovah ,  qui  seul  a  droit  aux 
s.  7 


98 

hommages,  et  qui  châtie  sévèrement  les  princes  païens 
qui  insultent  à  sa  majesté.  Cette  première  partie  est 
une  sorte  d'allégorie  relative  à  l'insolence  d'Antiochus 
Épiphane,  qui  est  figuré  tour  à  tour  par  les  deux  rois 
de  Babylone.  La  deuxième  partie  explique  l'histoire  du 
monde  au  point  de  vue  juif.  Les  quatre  grands  empires 
qui  se  sont  succédé  depuis  la  décadence  d'Israël  sont 
décrits  avec  des  détails  d'autant  plus  abondants  que 
l'auteur  se  rapproche  davantage  du  moment  où  il  écrit: 
l'empire  chaldéen,  celui  des  Mèdes,  celui  des  Perses, 
et  enfin  celui  des  Grecs  et  ses  démembrements  jus- 
qu'au règne  abominable  d'Antiochus  Épiphane,  le  per- 
sécuteur des  Saints.  La  pressante  et  capitale  question 
est  celle  ci  :  combien  dureront  encore  les  souffrances 
du  peuple  de  Dieu?  L'auteur  en  attend  prochainement 
la  fin.  Re[)renant,  avec  l'exégèse  d'alors,  la  prophétie 
non  accomplie  de  Jérémie  sur  les  soixante-dix  années 
que  devait  durer  l'épreuve,  il  en  fait  soixante-dix  se- 
maines d'années,  qui  le  conduisent,  moyennant  un 
étrange  partage,  jusqu'au  temps  d'Antiochus.  IX,  24  : 
«Soixante- dix  semaines  sont  déterminées  sur  ton  peu- 
ple et  sur  la  ville  sainte,  jusqu'à  ce  que  l'iniquité  soit 
au  comble,  que  le  péché  soit  scellé,  que  la  faute  soit 
expiée,  jusqu'à  ce  que  la  justice  des  siècles  soit  accom- 
plie, que  le  sceau  soit  mis  sur  la  vision  et  le  prophète, 
et  que  le  saint  des  saints  soit  consacré.  »  C'est-à-dire  , 
il  faut  que  soixante-dix  semaines  d'années  s'écoulent 
avant  que  le  péché  des  ennemis  de  Dieu  ait  atteint  son 
apogée  et  qu'ils  reçoivent  leur  châtiment,  avant  que  les 
fautes  d'Israël  soient  suffisamment  expiées  par  la  souf- 
france, avant  que  la  prophétie  de  Jérémie  et  la  vision 
de  Daniel  soient  justifiées,  et  que  le  temple,  le  sanc- 


99 

tuaire  prolané  par  Antiochus,  soit  purifié  et  consacre 
de  nouveau  au  service  de  Jéhovah.  Puis  vient  le  détail 
de  ces  soixante-dix  semaines:  «  Depuis  le  moment  où 
a  été  faite  la  promesse  que  Jérusalem  serait  rebâtie 
jusqu'à  un  prince-oint,  il  y  a  sept  semaines;  soixante- 
deux  semaines  pour  qu'elle  soit  rebâtie  avec  rue  et 
fossé,  mais  dans  l'angoisse  des  temps,  »  C'est-à-dire, 
depuis  le  moment  où  Jérémie  a  prophétisé  jus^ju'à  l'ap- 
parition de  Gyrus,  le  prince  qui  a  reçu  l'onction  de 
Dieu,  que  le  second  Ésaïe  appelait  le  Messie,  et  dont  les 
Juifs  ont  gardé  avec  vénération  la  mémoire,  il  s'est 
écoulé  sept  semaines  d'années,  49  ans,  ce  qui  est  à  peu 
près  exact.  En  outre,  depuis  ce  même  moment  où  Jé- 
rémie a  prophétisé,  soixante-deux  semaines  doivent 
s'écouler  pendant  lesquelles  la  ville  sera  rebâtie  sans 
doute,  avec  ses  rues  et  ses  fossés,  mais  au  milieu  d'é- 
preuves, d'angoisses;  c'est  le  temps  de  la  domination 
des  Perses,  puis  des  Égyptiens,  puis  des  Syriens.  Ces 
soixante-deux  semaines,  qui  font  434  ans,  conduisent 
en  effet  en  remontant  en  arrière,  du  temps  d'Antiochus 
Épiphane  au  temps  de  Jérémie.  Outre  qu'on  ne  peut 
pas  demander  à  notre  auteur  une  chronologie  rigou- 
reuse, qui  n'était  pas  dans  les  habitudes  de  l'antiquité, 
nous  ne  savons  pas  au  juste  à  quelle  date  il  plaçait  la 
prophétie  qu'il  explique.  Reste  encore  une  semaine 
d'années,  la  dernière.  C'est  évidemment  celle  pendant 
laquelle  le  livre  a  été  écrit. 

C'est  pendant  cette  semaine-là  (dont  l'auteur  dit 
expressément  qu'elle  vient  après  les  soixante-deux)  que 
le  crime  déborde,  qu'il  atteint  le  comble  de  l'horreur, 
que  des  sacrifices  odieux  sont  établis,  ceux  de  Jupiter, 
tandis  que  le  sacrifice  perpétue!,  celui  qui  était  offert 


v\ 


100 
à  Jéhovah  ,  est  aboli.  C'est  l'abomination  dans  le  sanc- 
tuaire. C'est  le  commencement  de  la  fin.  A  partir  de 
ce  moment-là  les  Juifs  seront  encore  livrés  à  la  fureur 
d'Antiochus  pendant  trois  ans  et  demi  (VII,  25).  «  Qu'ils 
prennent  seulement  patience  pendant  1335  jours  ! . .  .ï» 
XII,  12  :  Telle  est  la  durée  précise  que  l'auteur  as- 
signe désormais  au  règne  et  à  la  vie  d'Antiochus, 
aux  souffrances  des  Juifs,  aux  courageux  efïorts  des 
Maccabées.  Ensuite  «  le  Dieu  du  ciel  fondera  un 
royaume  qui  ne  périra  jamais  et  dont  la  puissance  ne 
passera  à  aucun  autre  peuple  ;  ce  royaume-là  brisera 
et  détruira  tous  les  autres  royaumes  et  il  subsistera 
éternellement.))  C'est  le  royaume  d'Israël  dans  l'âge 
messianique. 

Après  que  les  quatre  grands  empires  sous  la  figure 
de  bêtes  fauves  ont  passé  successivement  devant  les  re- 
gards du  Voyant,  l'Ancien  des  jours  apparaît  dans  la 
majesté  des  cieux;  les  crimes  d'Antiochus  lui  sont  dé- 
noncés par  l'insolence  du  criminel  lui-même  ;  l'empire 
est  enlevé  à  la  quatrième  bête...  La  vision  continue  : 
«Je  regardais  dans  les  visions  nocturnes,  et  voici  que 
sur  les  nuées  du  ciel  vint  comme  un  fils  d'homme;  il 
s'approcha  du  Vieillard,  on  l'amena  devant  lui.  Et  la 
domination,  la  gloire  et  le  règne  lui  furent  donnés,  en 
sorte  que  tous  les  peuples  et  toutes  les  nations  et  toutes 
les  langues  le  servaient.  Sa  domination  est  une  domi- 
nation éternelle  qui  ne  passera  jamais,  et  son  règne 
ne  périra  pas...  —  Le  règne,  la  puissance  et  la  force 
de  tous  les  empires  qui  sont  sous  le  ciel  seront  don- 
nés au  peuple  des  Saints  du  Très-Haut.  Son  règne  est 
un  règne  éternel  et  toutes  les  puissances  le  serviront 
et  lui  obéiront!  ))  (VII). 


Rien  ne  paraît  plus  naturel  que  de  voir  dans  ce  fils 
d'homme  le  symbole  du  peuple  des  saints,  c'est-à-dire 
du  peuple  juif,  comme  le  lion,  l'ours,  le  léopard  et  la 
monstrueuse  licorne  sont  les  symboles  des  empires  suc- 
cessifs de  l'Asie.  Peut-être  la  véritable  explication  est- 
elle  indiquée  dans  ce  passage,  qui  sera  notre  dernière 
citation  :  (c  Dans  ce  temps-là  se  lèvera  Michel,  le  grand 
prince,  qui  tient  pour  les  fils  de  son  peuple.  Il  y  aura 
un  temps  d'angoisse  comme  il  n'y  en  a  pas  eu  depuis 
que  le  peuple  existe  jusqu'à  ce  moment-là.  Mais  dans 
ce  même  temps  ton  peuple  sera  .délivré,  tous  ceux  du 
moins  qui  sont  inscrits  dans  le  livre.  Et  beaucoup  de 
ceux  qui  dorment  dans  la  poussière  de  la  terre  se  ré- 
veilleront, les  uns  pour  la  vie  éternelle  et  les  autres 
pour  la  honte,  pour  l'opprobre  éternel.  Ceux  qui  au- 
ront été  intelligents  resplendiront  comme  la  splendeur 
du  firmament,  et  ceux  qui  en  auront  amené  plusieurs 
à  la  justice  brilleront  comme  des  étoiles  à  toujours  et 
à  perpétuité!  »  (XII). 

Le  messianisme  de  Daniel  diffère  en  plus  d'un  point 
de  celui  des  anciens  prophètes.  Il  est  plus  extérieur 
que  chez  aucun.  C'est  la  domination  matérielle  sur  le 
monde.  L'empire  qui  a  été  tour  à  tour  aux  mains  des 
Ghaldéens,  des  Mèdes,  des  Perses  et  des  Grecs,  pas- 
sera pour  toujours  aux  Juifs.  Mais  depuis  si  longtemps 
ce  dénouement  s'est  fait  attendre  en  vain  par  tant  de 
fidèles  Israélites,  morts  sans  avoir  vu  se  lever  l'aurore 
de  la  délivrance,  que  notre  auteur  s'est  senti  ému  de 
pitié  pour  toutes  ces  générations  déçues  dans  leur  at- 
tente :  elles  ressusciteront  pour  prendre  leur  part  du 
triomphe  d'Israël.  C'est  la  première  fois  que  l'idée  de 
résurrection  des  morts  apparaît  dans  la  théologie  hé- 


102 

braïque  *  ;  ce  n'est  pas  encore  le  dogme  de  l'immorta- 
lité personnelle;  mais  c'en  est  comme  le  vestibule  ou 
le  pressentiment.  Gomme  au  temps  de  l'exil,  la  famille 
de  David  est  oubliée.  Voilà  plus  de  quatre  cents  ans 
qu'elle  s'est  évanouie  dans  l'obscurité  et  la  honte.  On 
ne  compte  plus  sur  un  Messie  royal; le  Messie,  c'est-à- 
dire  le  chef  d'Israël  pendant  l'ère  de  la  délivrance, 
c'est  le  grand  prince  Michel,  un  ange  sous  figure 
d'homme.  C'est  lui  qui  déjà  préside  aux  destinées 
du  peuple  de  Dieu:  car  chaque  peuple  a  son  ange, 
son  protecteur  céleste  2.  Un  de  ces  anges,  sans  doute 
un  des  plus  élevés  dans  la  hiérarchie  divine,  Micael, 
chef  des  Juifs  ^  combattra  l'ange  protecteur  de  la  Perse 
et  l'ange  protecteur  de  Javan  (la  Grèce),  c'est-à-dire 
ruinera  la  puissance  des  Séleucides,  rois  d'origine 
grecque,  qui  se  sont  emparés  de  l'empire  des  Perses  ; 
après  la  défaite  et  la  mort  d'Antiochus,  il  viendra  sur 
les  nuées  du  ciel  et  recevra  des  mains  de  Jéhovah  le 
gouvernement  du  monde,  usurpé  jusqu'alors  par  les 
nations  païennes;  il  transmettra  ce  don  au  peuple  juif 
dont  il  est  en  somme  la  personnification,  le  Génie  ou  le 
symbole,  et  qui  connaîtra  enfin  et  savourera ,  au  sein  de 
la  théocratie  pure,  cette  vengeance,  cette  gloire,  ce  re- 
pos que  tant  de  siècles  de  souffrances  ont  préparés  *  ! 

1  Dans  Ézéchiel  ce  n'était  qu'une  allégorie.  Le  peuple  dispersé  était 
comparé  à  des  ossements  secs. 

2  Comme  plus  tard  chaque  Église.  Voy.  Apoc.  II  et  III. 

3  X,  21;  XII,  1. 

*  Le  livre  de  Daniel  ne  se  trouve  point  rangé  dans  la  Bible  hé- 
braïque parmi  les  prophètes,  mais  parmi  les  écrits  d'origine  récente 
ou  incertaine  {Ketoubim).  Il  appartient,  en  effet,  à  un  genre  particu- 
lier, dont  il  est  le  seul  exemple  dans  l'Ancien  Testamenf.  On  peut 
lui  comparer  les  Apocalypses  d'Hénoch  ,  d'Esdras  et  de  Jean,  aux- 


403 
CHAPITRE  YIIl. 

CONCLUSION. 

Nous  n'avons  pas  le  dessein  de  poursuivre  ici  l'his- 
toire des  idées  messianiques  jusqu'au  temps  de  Jésus- 
Christ,  et  de  rechercher  quelle  fut  leur  influence  sur 
la  formation  des  doctrines  chrétiennes.  Nous  tenions 
seulement  à  mettre  en  pleine  lumière  la  vraie  pensée 
des  prophètes,  si  étrangement  défigurée  par  l'igno- 
rance, les  préjugés  ou  l'imagination  trop  vagabonde  de 
leurs  interprètes.  Dans  nos  traductions  ordinaires  ils 
ont  une  physionomie  si  bizarre,  ils  parlent  une  langue 
si  fantasque,  ils  remuent  un  tel  chaos  d'idées  incohé- 
rentes que  l'on  renonce  généralement  à  les  comprendre; 
on  peut  leur  faire  dire  tout  ce  qu'on  veut:  rien  n'é- 
tonne de  leur  part.  Ce  sont  des  sphinx  ;  ils  parlent  par 
énigmes;  on  laisse  à  la  théologie  la  tâche  peu  enviable 
de  déchiffrer  ces  logogriphes,  et  l'on  admire  sans  con- 
teste et  sans  contrôle  toutes  les  belles  inventions  qui 
leur  sont  attribuées.  Et  pourtant  ces  prophètes  furent 
des  hommes,  et  c'est  à  des  hommes  qu'ils  ont  parlé. 
Quand  ils  élevaient  la  voix  sur  la  place  publique,  par- 
laient-ils pour  n'être  pas  compris  de  leurs  auditeurs? 
Quand  ils  leur  adressaient  des  conseils,  des  exhorta- 
tions, des  menaces,  des  promesses,  avaient-ils  ou  non 
pour  but  de  convaincre  et  d'entraîner  les  esprits?  Ils 
s'adressaient  à  des  gens  simples,  sans  culture,  sans 

quelles  il  a  servi  de  modèle.  Nous  n'avons  pourtant  pas  cru  qu'il  fût 
déplacé  dans  cette  étude,  parce  qu'il  est  un  des  plus  puissants  échos 
de  l'antique  prophétie,  dont  il  a  tenu  lieu  à  une  difficile  et  glorieuse 
époque  de  l'histoire  juive. 


104 

raffinements,  dépourvus  de  facultés  mystiques,  inca- 
pables de  pénétrer  dans  les  profondeurs  d'une  éloquence 
mystérieuse  et  à  double  sens.  Si  nous  voulons  com- 
prendre les  prophètes,  il  faut,  autant  que  possible, 
nous  mettre  à  la  place  de  leurs  contemporains ,  nous 
reporter  dans  le  pays,  dans  le  temps,  dans  les  circons- 
tances, dans  les  mœurs ,  dans  les  idées ,  dans  l'horizon 
et  comme  dans  l'air  où  ils  ont  vécu.  Il  faut  prendre 
leurs  écrits  tels  qu'ils  sont,  n'y  rien  mettre  et  n'en  rien 
ôter.  Il  faut  discerner  le  but  qu'ils  se  proposaient,  les 
moyens  qu'ils  employaient  pour  y  atteindre,  les  obs- 
tacles qu'ils  rencontraient,  le  courant  d'idées  dont  ils 
étaient  soutenus.  Il  faut  se  garder  de  brouiller  les  dates, 
de  confondre  les  temps  de  guerre  avec  les  temps  de 
paix,  l'époque  du  premier  temple  avec  l'exil  ou  le  re- 
tour, les  Assyriens  avec  les  Perses,  de  mettre  les  Ro- 
mains, les  Chrétiens  ou  les  Turcs  là  où  ils  n'ont  que 
faire,  de  se  jouer  avec  les  plus  grossiers  anachronismes, 
de  transformer  les  prophètes  en  nécromanciens,  en 
rabbins,  en  docteurs  subtilisants,  et  de  voir  dans  leurs 
discours  un  almanach  de  prédictions  obscures.  Il  faut 
se  rendre  compte  de  la  situation  politique  et  religieuse, 
des  changements  qui  surviennent,  ou  qui  sont  atten- 
dus, des  alliances,  des  dangers,  des  inclinations  du 
peuple.  Il  faut  évoquer  tout  un  monde  enseveli.  Il  faut 
non-seulement  compulser  des  parchemins ,  analyser 
des  verbes,  comparer  des  textes,  mais  aussi  écouter 
battre  les  cœurs,  pénétrer  dans  le  secret  des  espérances 
et  des  craintes,  entrer  dans  l'intimité  de  ces  hommes 
de  Dieu.  Il  faut  les  aimer  sans  fétichisme,  et  les  criti- 
quer sans  pédanterie.  Il  faut  les  faire  descendre  du 
piédestal  nuageux  où  la  superstition  les  avait  placés, 


105 

sans  les  dépouiller  pourtant  de  l'auréole  de  sainteté  ei 
de  poésie  qui  les  enveloppe.  Il  faut  chérir  leur  cause, 
qui  est  celle  de  la  justice  et  de  la  vérité,  se  ranger  à 
leur  suite,  applaudir  à  leurs  généreux  travaux,  sans 
voiler  leurs  erreurs,  sentir  en  eux  des  frères,  les  ho- 
norer comme  des  précurseurs  du  Christ,  des  prophètes 
du  Dieu  vivant,  tout  en  leur  déniant  l'infaillibilité,  à 
laquelle  nul  homme  ne  peut  prétendre  ici-bas  sans  blas- 
phème ou  sans  folie. 

C'est  dans  cet  esprit  qu'on  s'est  mis  de  nos  jours  à 
étudier  les  prophètes,  et  leur  gloire  y  a  gagné.  Ils  nous 
apparaissent  plus  grands,  plus  virils,  plus  héroïques, 
maintenant  que  nous  ne  voyons  plus  en  eux  des  harpes 
retentissantes  qui  vibraient  au  souffle  d'en  haut,  ou 
les  bouches  fatidiques  qui  prononçaient  les  arrêts  du 
ciel.  Ils  sont  des  nôtres;  ils  ont  eu  leurs  faiblesses,  leurs 
ténèbres ,  leurs  entraînements ,  leurs  erreurs.  Mais  au 
milieu  de  ces  misères  humaines  ils  ont  levé  haut  leurs 
fronts;  ils  ont  dominé  de  leur  voix  puissante  le  tumulte 
des  cris  vulgaires  ;  ils  ont  jeté  au  monde  des  paroles  de 
vérité  qui  ont  survécu  à  leur  nation  et  qui  ne  s'oublie- 
ront jamais. 

La  partie  de  leur  prédication  la  plus  mélangée  d'il- 
lusions et  de  sublimes  vérités  est  celle  qui  développe 
les  espérances  messianiques.  Nous  venons  de  lire  en- 
semble tout  ce  que  ces  espérances  leur  ont  inspiré.  Au 
lieu  d'arracher  au  texte  des  lignes  isolées,  qu'il  est  fa- 
cile de  faire  miroiter  devant  les  yeux  éblouis  des  lec- 
teurs, nous  avons  patiemment  traduit  et  reproduit  des 
pages  entières,  sans  rien  omettre  de  ce  qui  se  rattache 
à  un  sujet  auquel  les  prophètes  revenaient  sans  cesse. 
Celle  méthod),  fâcheuse  sans  doute  au  point  de  vue  de 


406 

l'art,  qui  exige  une  exposition  plus  brève  et  plus  vi- 
vante, était  rendue  nécessaire  par  le  nombre  prodi- 
gieux d'idées  fausses  et  fantastiques  qu'il  s'agissait 
d'écarter:  l'unique  moyen  était  de  se  placer  loyalement 
en  face  des  textes,  et  de  les  examiner  dans  toute  leur 
étendue. 

Nous  avons  reconnu  dans  ces  espérances  des  pro- 
phètes deux  éléments  :  l'un  immuable,  l'autre  variable. 
Le  premier,  c'est  la  certitude  du  triomphe  final  pour 
la  race  et  la  religion  d'Israël;  le  second,  ce  sont  les 
préliminaires,  les  circonstances,  les  formes  de  ce 
triomphe.  Le  premier  a  traversé  tous  les  âges  et  toutes 
les  péripéties  de  l'histoire  des  Hébreux;  le  second  a 
subi  l'influence  des  événements  et  des  perspectives  qui 
se  déroulaient  au  cours  des  siècles.  Tous  les  prophètes 
admettent  que  l'ère  messianique  sera  précédée  de  la 
ruine  des  ennemis,  sans  pourtant  tomber  d'accord  sur 
l'époque  et  les  circonstances  où  celte  ruine  arrivera. 
Joël  pense  que  les  Philistins  et  les  Phéniciens,  dont 
les  Hébreux  venaient  de  subir  les  insultes ,  que  les  Édo- 
mites  et  les  Égyptiens,  contre  lesquels  on  nourrissait 
de  vieilles  rancunes,  tous  coalisés  contre  Israël,  vont 
être  brisés  d'un  seul  coup  dans  la  plaine  de  Josaphat, 
y  laisseront  de  nombreux  prisonniers  qu'on  vendra  au 
loin  comme  esclaves  et  seront  mis  désormais  dans  l'im- 
puissance de  nuire.  Amos ,  qui  s'aperçoit  que  les  évé- 
nements sont  loin  de  suivre  cette  marche,  déclare 
qu'auparavant  il  faudra  que  les  Israélites  eux-mêmes 
aient  à  souffrir  et  soient  châtiés  à  cause  de  leurs  pé- 
chés. Osée  précise  ce  châtiment  :  les  Égyptiens  et  les 
Assyriens  seront  chargés  de  l'exécuter.  Les  malheurs 
dont  ils  accableront  le  peuple  produiront  chez  celui-ci 


107 

une  repentance  salutaire,  qui  sera  la  condition  et  le 
signal  de  l'âge  messianique.  Ésaïe,  qui  voyait  grandir 
d'une  manière  inquiétante  la  puissance  assyrienne,  ne 
doute  pas  que  la  catastrophe  ne  doive  venir  de  ce  côté 
là  ;  mais  le  triomphe  des  Assyriens  sera  de  courte  du- 
rée, juste  le  temps  nécessaire  pour  purifier  le  peuple 
coupable,  dont  un  Reste,  digne  des  plus  glorieuses 
destinées,  rentrera  dans  la  patrie  ou  s'y  ralliera  après 
les  désastres  et  fondera  la  domination  Israélite  sur  les 
ruines  de  l'empire  païen.  Michée  pense  même  que  ni 
la  ville  sainte  ni  le  temple  n'auront  été  épargnés;  mais 
il  annonce  les  mêmes  réparations  qu'Ésaïe.  Sophonie, 
plus  récent  d'un  siècle,  ne  redoute  plus  l'Assyrie;  Ni- 
nive  s'est  affaissée  et  a  comme  disparu  derrière  Baby- 
lone;  mais  il  attend  d'une  invasion  formidable  de  peuples 
du  Nord  (de  Scythes  peut-être),  le  bouleversement  du 
monde,  l'anéantissement  de  toutes  les  idolâtries  et  la 
purification  d'Israël.  Jerm^e  n'est  pas  réduit  aux  con- 
jectures. Ses  yeux  voient  le  châtiment  promis  :  c'est 
l'invasion  des  Ghaldéens,  la  ruine  et  l'exil.  Après  une 
période  déterminée  (soixante-dix  ans),  l'exil  cessera  et 
le  retour  émouvant  des  tribus  dispersées  inaugurera 
l'âge  d'or.  C'est  aussi  l'opinion  à'Ézéchiel,  qui  me- 
nace d'une  chute  éclatante  l'orgueilleuse  Babylone, 
dont  Jérusalem  prendra  bientôt  la  place  à  la  tête  des 
nations.  Le  prophète  anonyme,  que  nous  appelons  le 
second  Ésaïe,  déclare  que  les  victoires  de  Cyrus  vont 
mettre  fin  aux  souffrances  du  peuple  hébreu,  que  la 
ruine  de  l'empire  chaldéen  est  le  signal  du  retour 
dans  la  Terre  sainte,  et  que  ce  retour,  signalé  par  les 
plus  étranges  merveilles,  va  ouvrir  l'ère  de  félicité  et 
de  triomphe. 


408 

Après  le  retour,  la  scène  est  changée  :  Aggée,  Za- 
charie  n'annoncent  plus  de  nouveaux  châtiments;  ils 
trouvent,  comme  l'Anonyme,  que  la  mesure  est  suffi- 
sante, et  ils  renvoient  à  courte  échéance  l'accomplisse- 
ment des  promesses  divines;  ils  le  rattachent  à  l'achè- 
vement du  second  temple.  Dès  que  l'édifice  sera  cou- 
ronné, Jéhovah  ébranlera  le  ciel  et  la  terre,  brisera  dans 
des  guerres  civiles,  où  ils  se  déchireront  les  uns  les 
autres,  la  force  des  païens  et  assoira  la  prépondérance 
d'Israël  sur  l'universel  affaiblissement.  Malachie  ne 
parle  plus  de  guerres  :  il  annonce  un  jour  de  jugement 
terrible  qui  consumera  les  Israélites  impénitents,  afin 
que  les  justes  jouissent  en  paix  des  biens  qui  leur  se- 
ront prodigués.  Le  livre  de  Daniel^  au  contraire,  nous 
transporte  dans  une  époque  agitée,  au  sein  de  guerres 
•  redoutables,  allumées  par  la  violence  d'Antiochus,  et 
dans  lesquelles  il  doit  périr  avec  tous  les  siens.  Sa  dé- 
faite laissera  la  terre  aux  mains  du  peuple  élu. 

Ainsi,  d'une  part,  châtiment  purificateur  d'Israël  par 
les  nations  païennes;  d'autre  part,  une  fois  le  châti- 
ment subi,  ruine  des  nations  païennes  par  Israël;  tel 
est,  chez  presque  tous  les  prophètes,  sauf  les  change- 
ments de  noms  propres  et  de  circonstances  spéciales, 
le  double  préambule  de  l'âge  messianique.  La  guerre 
sera  le  grand  instrument  de  Jéhovah;  la  vengeance 
sera  l'avant-goût  de  la  félicité.  Gomment  jouir,  en  effet, 
sans  trouble,  du  repos,  du  bonheur,  de  la  domination, 
aussi  longtemps  que  les  peuples  païens  n'ont  pas  expié 
leurs  violences  contre  la  sainte  race  d'Abraham,  aussi 
lojagtemps  qu'ils  demeurent,  menaçants  ,  sur  les  fron- 
tières d'Israël,  et  qu'ils  insultent,  par  leur  prospérité 
et  leur  culte  impie,  à  la  puissance  de  Jéhovah,  le  Dieu 


109 

des  cieux  et  de  la  terre?  Il  faut  donc,  avant  tout, 
l'abaissement  définitif  et  la  ruine  complète  des  Philis- 
tins, ou  des  Édomites,  ou  des  Égyptiens,  ou  des  Assy- 
riens, ou  des  Ghaldéens,  ou  des  Perses,  ou  des  Grecs- 
Syriens,  selon  le  temps  où  vivait  le  prophète  et  le  nom 
que  portaient  alors  les  ennemis  ou  les  oppresseurs  de 
sa  patrie. 

Cette  guerre  suprême  sera  conduite  par  un  prince 
de  la  maison  de  David  ,  qui,  semblable  à  son  illustre 
ancêtre  ,  réduira  toutes  les  nations  environnantes ,  se 
baignera  dans  le  sang  des  rebelles,  vengera  sur  eux  les 
humiliations  de  son  peuple,  ramènera  les  captifs  et 
régnera  glorieusement  sia^  un  Israël  épuré.  Après  d'ef- 
froyables batailles,  il  imposera  la  paix  au  monde  et 
l'âge  des  bénédictions  commencera.  Ainsi  Osée,  le 
premier  Zacharie,  Ésaïe,  Mickée,  Jérémie,  Ézéchiel. 
Les  autres  prophètes  se  taisent  sur  cette  personne  royale. 
Le  but  seul  les  préoccupe.  Peu  leur  importe  le  chef, 
pourvu  que  la  victoire  soit  obtenue:  ils  attendent  tout 
de  Jéhovah  lui-même,  avec  ou  sans  intermédiaire.  Le 
second  E saie  nomme  expressément  Gyrus,  un  prince 
étranger,  comme  le  héros  prédestiné;  Aggée  eX  Zacha- 
rie,  fils  de  Béréchie ,  désignent  Zorobabel.  En  somme, 
le  Messie,  rejeton  de  David,  n'occupe  qu'une  place 
restreinte  dans  les  espérances  propliétiques;  Joël,  A?nos, 
Sophonie,  le  second  Ésdie,  Malachie,  Daniel,  ne  le 
mentionnent  même  pas. 

Les  conséquences  de  cette  crise  sanglante  seront: 

4°  La  défaite  irrémédiable  des  ennemis. 

2o  La  suppression  du  schisme  et  la  réunion  de  toutes 
les  tribus  sous  la  dynastie  de  David  ou  en  une  répu- 
blique religieuse. 


110 

3°  La  reconstruction  de  Jérusalem  et  du  temple  et 
la  prospérité  merveilleuse  de  la  Terre  sainte,  désormais 
fermée  au  mal  physique  et  moral. 

4°  La  domination  incontestée  d'Israël  sur  toute  la 
terre. 

5°  La  conversion  des  païens  au  culte  de  Jéhovah  et 
la  transformation  du  monde. 

Tous  les  prophètes  n'ont  pas  exposé  toutes  ces  con- 
séquences de  la  même  manière  :  mais  chacun  d'eux 
a  ajouté  quelques  traits  au  tableau,  qui  présente  dans 
son  ensemble  une  conception  grandiose  et  d'une  éton- 
nante hardiesse.  On  ne  saurait  trop  admirer  comment, 
au  sein  de  ce  petit  peuple,  sans  industrie,  sans  ri- 
chesse, sans  armée,  toujours  battu,  pillé,  décimé, 
déporté,  jouet  de  ses  puissants  voisins,  ont  pu  se  pro- 
duire, avec  une  telle  persévérance,  de  si  gigantesques 
ambitions!  Eh  hien ,  ces  ambitions,  tout  audacieuses 
et  chimériques  qu'elles  paraissent,  n'ont  pas  été  dé- 
çues ;  elles  se  sont  accomplies  et  s'accomplissent  en- 
core chaque  jour  devant  nos  yeux,  non  point  sans 
doute  sous  la  forme  particulière  imaginée  par  les  pro- 
phètes, mais  avec  plus  d'ampleur  encore  et  de  magni- 
ficence. Il  est  vrai  que  la  grande  catastrophe  n'a  pas 
eu  lieu  comme  ils  l'attendaient,  que  les  divers  em- 
pires d'Asie  se  sont  écroulés  les  uns  après  les  autres 
sans  ébranler  la  terre  en  tombant ,  que  les  douze  tri- 
bus ne  se  sont  pas  réunies,  que  l'état  juif,  qui,  d'après 
Ezéchiel ,  devait  durer  toujours,  n'a  pas  été  recons- 
titué ;  que  la  dynastie  royale ,  dont  Jérémie  croyait  que 
les  rejetons  occuperaient  le  trône  aussi  longtemps  que 
les  étoiles  brilleraient  aux  cieux ,  n'a  pas  repris  le 
sceptre  en  main  :  au  contraire,  les  derniers  restes  de 


m 

la  nation  juive  ont  été  dispersés  à  tous  les  vents,  le 
second  temple  a  été  détruit  comme  le  premier,  Jéru- 
salem a  changé  de  peuple  et  de  religion;  la  Palestine 
tout  entière  n'est  plus  qu'un  tombeau,  et  Sion ,  une 
relique.  De  ce  côté-là ,  tout  espoir  est  vain. 

Mais  la  partie  la  plus  surprenante  des  prophéties, 
celle  qui  annonce  l'influence  universelle  des  enl^nts 
de  Jacob,  la  conversion  des  Gentils  au  culte  du  vrai 
Dieu,  et  l'avènement  d'un  monde  nouveau,  n'a-t-elle 
pas  commencé  à  se  réaliser?  Depuis  dix-huit  siècles, 
Israël  n'est-il  pas  comme  sorti  de  lui-même  pour  s'é- 
lancer à  la  conquête  des  âmes,  et  n'est-ce  pas  par  mil- 
liers et  centaines  de  milliers  que  les  âmes  sont  venues 
se  soumettre?  Un  monde  nouveau  n'a-t-il  p^s  com- 
mencé depuis  lors  ?  —  Un  juif  a  fait  celte  merveille  que 
d'autres  juifs  avaient  prédite.  Ce  juif,  c'est  Jésus  de 
Nazareth,  le  vrai  Messie,  plus  grand  dans  son  humble 
ministère  et  sur  sa  croix  ignominieuse  que  David  et 
Salomon  à  la  tête  de  leurs  armées.  Jésus  fut  l'épanouis- 
sement suprême  et  la  fleur  d'Israël,  vieil  arbre  vingt  fois 
séculaire,  qui  avait  dès  longtemps  perdu  sa  verte  vigueur, 
et  qui  n'eut  plus  qu'à  mourir,  ayant  donné  au  monde 
ce  divin  parfum.  Ce  qui  s'agitait  obscurément  dans  la 
conscience  des  prophètes,  les  plus  nobles  enfants  d'A- 
braham ,  Jésus  l'a  produit  au  grand  jour;  il  a  établi  la 
saerificature  universelle  dont  leur  foi  avait  un  vague 
pressentiment;  il  a  élevé  le  judaïsme  à  ces  hauteurs 
sublimes  de  la  piété,  qu'atteignit  parfois  l'aile  des  pro- 
phètes, et  où  sa  parole  l'a  maintenu  à  toujours,  au- 
dessus  des  formules  et  des  rites  ;  il  a  rajeuni  l'antique 
religion  de  Jéhovah  et  brisé  les  entraves  qui  l'empê- 
chaient d'envahir  la  terre;  il  a  fondé  la  théocratie  spi- 


112 

rituelle  à  laquelle  appartiennent  les  générations  fu- 
tures, c'est-à-dire  la  seule  domination  de  Dieu  sur  les 
consciences,  affranchies  de  tout  autre  joug;  il  a  inau- 
guré une  ère  de  sainteté  et  de  vie  divine,  dont  les  seules 
prémices  ont  déjà  surpassé  les  plus  hautes  aspirations 
des  anciens.  Quelles  conquêtes  valent  celles  que  sa  pa- 
role a  déjà  faites?  Ce  n'est  pas  du  Nil  à  l'Euphrate,  et 
de  la  Méditerranée  au  golfe  Arabique,  ou  même  depuis 
les  îles  grecques  jusqu'aux  déserts  d'Asie  et  d'Afrique, 
mais  c'est  dans  de  vastes  régions  inconnues  aux  pro- 
phètes, sur  d'immenses  continents,  de  mer  en  mer, 
d'un  pôle  à  l'autre ,  et  partout  où  s'étend  la  civilisation , 
que  son  nom  est  aimé,  que  sa  doctrine  règne,  et  que 
son  Dieu ,  le  Dieu  d'Abraham ,  d'Isaac  et  de  Jacob  est 
adoré.  Ce  que  d'obscurs  prédicateurs,  agités  parles 
convulsions  de  la  pauvre  petite  Judée,  ou  perdus  dans 
un  triste  exil,  avaient  eu  l'audace  de  concevoir,  n'est-il 
pas  atteint,  obtenu,  dépassé,  et  les  faits  ne  sont-ils 
pas  ici  infiniment  plus  beaux  et  plus  grands  que  les 
rêves  ? 

Les  prophètes  avaient  donc  raison ,  et  leurs  espé- 
rances, dégagées  du  vêtement  grossier  qui  les  recouvre, 
se  montrent  à  nous  brillantes  de  fraîcheur  et  de  vérité. 
L'idée  messianique,  à  laquelle  ils  ont  consacré  leur  vie 
et  qui  les  a  consolés  dans  toutes  leurs  douleurs,  c'est  la 
conviction,  imprimée  par  Dieu  dans  l'âme  humaine, 
que  la  justice  prévaudra  toujours  sur  l'iniquité  et  la 
violence,  que  le  triomphe  définitif  est  réservé  aux 
saints,  et  que,  en  cherchant  le  royaume  de  Dieu  par 
dessus  toutes  choses,  on  reçoit  les  autres  biens  en 
surcroît.  Saisissant  par  la  foi  ces  réalités  invisibles, 
sans  se  laisser  détourner  par  de  vaines  apparences , 


413 

les  prophètes ,  divinement  inspirés ,  ont  vraiment  lu 
dans  l'avenir,  qui  n'a  déjoué  une  partie  de  leurs  pré- 
visions que  pour  mieux  accomplir  le  reste ,  et  qui  a 
donné  à  leurs  paroles  une  immortelle  consécration. 
Que  leur  noble  exemple  nous  serve  d'enseignement  ! 
Nous ,  plus  heureux  qu'eux ,  qui  voyons  ce  qu'ils  ont 
désiré  voir,  et  qui  possédons 'ce  qu'ils  ont  à  peine 
entrevu,  comment  perdons-nous  si  facilement  courage 
au  milieu  des  difficultés  et  des  luttes  de  la  vie  ?  Ne  s'est- 
il  pas  levé  sur  nos  têtes  une  lumière  plus  brillante  que 
celle  qui  les  éclairait? 


114 


TABLE  DES  MATIÈRES. 


Avant-propos 1 

Chapitre  premier.  Origines.  (La  race  d'Abraham.  Moïse.  Les 

livres  historiques.  David  et  Salomon.) 40 

CnkviTRE  11.  Joël,  Jmos.  Osée.  Le  premier  Zacharie.    .    .  16-31 

Joël 16 

Amos 21 

Osée 25 

Zacharie  IX  à  XI 30 

Chapitre  III.  Ésaïe.  Mîchée.  (Période  assyrienne.)  .    .    .    .  31-49 

Ésaïe 32 

Michée 46 

Chapitre  IV.  Sophonie.  Le  second  Zacharie.  Jérémie.  (Pé- 
riode chaldéenne.) 49-66 

Sophonie 49 

Zacharie  XII  à  XIV 52 

Jérémie 55 

Chapitre  V.  Ézéchiel.  Ésaïe  XXIV  à  XXVII.  Le  second  Ésaïe 

ou  l'Anonyme.  (L'exil.)  ' 66-87 

Ézéchiel 66 

Ésaïe  XXIV  à  XXVII 75 

Ésaïe  XL  à  LXVI    •  • 76 

Chapitre  VI.  Aggée.  Zacharie,  fils  de  Béréchie.  Malachie. 

(Le  retour.) 87-96 

Aggée 88 

Zacharie  I  à  VIII 89 

Malachie 93 

Chapitre  VII.  V Apocalypse  de  Daniel.  (Les  Macchabées.)  .  96-102 

Chapitre  VIII.  Conclusion 1 03 


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