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Full text of "Le Missionnaire de l'Oratoire, ou, Sermons pour l'Avent, le Carême et les fêtes, etc"

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University  of  Toronto 


http://archive.org/details/lemissionnairede10leje 


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MISSIONNAIRE  II  H  L'OBATOIRK 


SERMONS 


\RÊME  ET  LES  FÊTES,  etc. 


Tiasftl 

PÈRES 


PAR  LE  P.  LE  JEUWE 


TOME  X. 


:VÊQUE  DE  LYON. 


LYON, 


/ 

p 


Lyon,  J.  B.  Pîlagaw», 
imprimeur  de  N.  S.  P.  le  Pope  et  de  Mgr  le  Card.-AreU. 


LE 

DE  L'ORATOIRE, 

00 

SERMONS 

POUR  L'A  VENT,  LE  CARÊME  ET  LES  FÊTES,  etc.; 

LES   PRINCIPALES   VÉIUTES  CHRETIENNES  Ql  F.   l'on  ENSEIGNE  AVK   MISSIONS, 
TIREES 

IN     L'ÉCRITURE     SAINTE,     DES    CONCILES,    ET    DES    SAINTS    POES 

Par  le  P.  LE  Jtl\lM 

Dit  LE  PÈRE  AVEUGLE,  Prêtre  de  l'Oratoire  de  Jésus. 

Spiriliii  Domini  misit  me  fvnnr.  llzar« 
paui>cril>iu  (Luc    4    l-> 


TOME  X. 


U.  i'I.LAGALD   fils   i:r   ROBLOT, 

:>    DF.    S.   i.    MGR    LE    CAKUINAL-AUCMH  tQVM    OK   LVO.N. 
LlO\, 

Grande  rue  M 


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TABIl, 


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lîLî 

«10 


LE 

MISSIONNAIRE 

DE  L'ORATOIRE. 
SUITE  DES  COMMANDEMENTS  DE  DIEU. 

SERMON  CCLXXIII. 

DE  LA    LUXURE. 


Kon  mœehaberis,  Xoti  concupisces  uxorcm  proximi  tut. 

Luiiura-ux  point  ue  seras,  de  corps  ni  de  consentement.  (Exod.  20.  14. 17.) 

Si  lcpcehé  d'impureté  élaii  défendu  aux  juifs  qui  vivaient 
avant  l'incarnation  ,  et  qui  n'avaient  qu'une  loi  grossière  et 
imparfaite ,  il  l'est  à  plus  forte  raison  aux  chrétiens,  qui  ont 
reçu  des  commandements  tout  divins,  et  qui  ont  l'honneur 
d'eue  unis  à  !a  chair  immaculée  et  au  corps  adorable  du 
Fils  de  Dieu.  Si  transieris  per  ignem ,  flamma  non 
nocebit  tibi.  Pour  n'être  pas  atteint  de  ce  feu  infernal,  il 
n'en  faut  parler  qu'en  passant  et  le  plus  brièvement  qu'il  est 
possible  ;  je  vous  indiquerai  les  causes  ,  les  effets  et  ks  re- 
mèdes de  ee  vice. 

1DEA  SERMONIS. 

L'Aordium.  A.  Trtp/ex  est  luxuria,  nempe  spirilualis, 

soisualis,  camalis. 
Primum  punctum.  Causœ  luxicriœ  :  ]).  1°  Laudes  adu- 

lantium,  2°  Amlndaliones,  3°  Appetiiuê  lucri  tem. 

porc 

Scciujdum  punctum.  C.  Primus efeeiu* ,  mors  animœ 


2  SIÎRMON  CCLXXII1. 

per  multa  peccata,  quœ  significantur  nomme  As~ 
modœi. —  D.  Secundus ,  damna  temporalia  qim 
eodem  nomme  significantur. 
Tertium  pimclum.  Remédia:  IL.  \°  elevatio  mentis  in 
Deum,  in  ejus  verba,  in  exempla  Sa  ne  forum.  — 
F.  2°  Humiliatio.  —  G.  3°  Fuga  occasionum ,  ten- 
tationum,  etc. 

EXORDIUM. 

A.  —  (Triplex  est  luxuria,  etc.)  Au  commencement 
de  ce  discours  j'avancerai  une  proposition  qui  d'abord  sem- 
ble un  paradoxe ,  et  qui  néanmoins  est  une  vérité  très  so- 
lide ,  c'est  qu'il  n'y  a  point  de  commandement  qui  soit  trans- 
gressé si  souvent,  en  tant  de  lieux  et  par  tant  de  sortes  de 
personnes,  que  ce  précepte  divin  :  Luxurieux  point  ne 
seras  de  corps  ni  de  consentement.  Pour  n'avoir  aucune 
difficulté  à  recevoir  cette  proposition,  vous  remarquerez, 
s'iljvous  plait ,  qu'il  y  a  trois  sortes  de  luxures  :  la  luxure 
spirituelle,  la  luxure  sensuelle,  la  luxure  charnelle. 

S'il  n'y  avait  point  de  luxure  spirituelle,  S.  Paul  (2. 
Cor.  7.  1 .)  ne  nous  avertirait  pas  que,  pour  nous  rendre 
dignes  des  promesses  que  Jésus  nous  a  faites  de  se  loger 
au  milieu  de  nous,  nous  devons  nous  purifier  de  toute  souil- 
lure ,  non-seulement  de  corps ,  mais  encore  d'esprit  :  Ha- 
hentes  igitur  has  promissiones ,  mundemus  nos  ah 
omni  inquinamento  carnis  et  spiritus  ;  et  comme  Jésus 
nous  voulant  préserver  de  la  luxure  corporelle ,  nous  com- 
mande de  ceindre  les  reins  de  notre  corps  de  la  ceinture  de 
chasteté  :  Sint  lumbi  vestri  prœcincti  ;  lumbos  prœcin- 
gimus  cum  carnis  luxuriant  per  continentiam  coarcta- 
mus;  (S.  Gregor.  homil.  13.  in  Evangel.)  ainsi  S.  Pierre, 
pour  nous  préserver  de  la  luxure  spirituelle  ,  nous  recom- 
mande de  ceindre  les  reins  de  notre  esprit  du  baudrier  de 
la  continence  /  Succincti  lumbos mentis  vestrœ .  Lumbos 
prœcingimus  cum,  mentis  luxuriant  per  continentiam 
coarctamus.  (1 .  Petr.  1 .  13.) 

Quelle  créature  est  plus  spirituelle ,  plus  déchargée  de 


DB  LA  LUXURE.  ,*) 

rc  que  les  anges ,  qui  sont  des  intelligences  séparées? 
is  le  subtil  Scot  et  plusieurs  docteurs  de  son  renie 
maintiennent  que  le  premier  péché  de  Lucifer  et  des  anges 
de  sa  suite,  fui  un  péché  de  Luxure  ,  non  de  luxure  corpo- 
relle, puisqu'ils  n'ont  point  de  corps,  mais  de  luxure  spi- 
rituelle; et  l'Ecriture  autorise  cette  vérité,  appelant  ordi- 
nairement les  démons  esprits  immondes.  Ce  péché  consiste  en 
ce  qu'au  commencement  de  leur  création,  aulieude  se  tourner 
fers  Dieu  pour  l'adorer  et  le  remercier,  ils  se  tournèrent 
vers  eux-mêmes  ,  et  s'amusèrent  à  contempler  et  à  admirer 
leurs  propres  perfections.  Or  toute  réflexion  de  notre  esprit 
sur  lui-même  ,  ou  sur  quelque  créature  que  ce  soit,  est  une 
espèce  d'impureté,  si  elle  n'est  rapportée  à  Dieu  ;  car  notre 
cœur  n'étant  fait  que  pour  Dieu,  quand  quelque  autre  chose 
y  est  reçue  ,  c'est  pour  lui  une  tare  et  une  imperfection  , 
comme  ce  serait  une  profanation  du  trône  royal  si  quelque 
autre  personne  que  sa  majesté  prenait  la  hardiesse  de  s'y 
"il'. 

Le  aainl  abbé  Moïse  disait  que  l'homme  doit  croire  que 
[u'il  détache  son  esprit  de  ce  divin  objet,  môme  pour 
un  moment,  il  commet  une  fornication  spirituelle;  pour 
cela   les  Pères  spirituels  nous  répètent  souvent  que  nous 
avons  grand  sujet  de  noirs  mimilîer  et  de  nous  confondre 
devant  Dieu,  comme  étant  extrêmement  impurs  et  chargés 
ures  en  sa  présence,  vu  que  de  douze  pensées  que  nous 
,  à  peine  y  en  a-t-il  (kux  qui  ne  soient  de  nous  ou 
res  créatures.  Supposons  qu'un  gentilhomme  ait  une 
incommodité  telle  qu'il  ne  puisse  être  quatre  moments  sans 
tourner  la  tète  ça  et  là  ;  quand  il  serait  à  la  cour  en  présence 
du  roi ,  il  aurait  une  grande  confusion  de  cette  infirmité, 
lors  même  que  le  roi,  par  une  clémence  royale  ,  excuserait 
faut  et  ne  le  rebuterait  pas.  Quid  pevfaciem  nisi 
notUia?  dit  S.  Grégoire  ;  la  face  de  l'Ame,  c'est  la  pensée 
et  hiffection  du  cœur.  Nous  sommes  toujours  en  présence 
de  Dieu,  et  au  lieu  d'y  porter  notre  esprit ,  d'y  attacher 
et  d  y  arrêter  notre  affection,  nous  la  tournons  incessamment 
'    '  -.Oh!  que  r. la  ,!,;it  nous 


4  ÔER3I08  CCLXX11I. 

confondre!  que  cela  doit  nous  humilier!  que  cela  doit  nous 
faire  admirer  la  grande  patience  de  Dieu  !  Il  est  vrai  que  si 
par  charité  ou  par  obligation  nous  nous  appliquons  quel- 
quefois à  la  pensée  de  quelque  créature  sans  aucun  attache- 
ment ,  Dieu  ne  permet  pas  seulement ,  mais  il  agrée  cette 
souillure  en  nous ,  parce  qu'elle  est  selon  sa  volonté  et  pour 
son  service  :  comme  un  seigneur  ne  trouve  pas  mauvais 
que  son  serviteur  se  souille  pour  engraisser  son  champ  ou 
nettoyer  son  écurie. 

J'ai  dit  sans  aucun  attachement ,  car  aussitôt  qu'il  y  a 
tant  soit  peu  d'attache  à  quelque  créature  que  ce  soit ,  il  y 
a  une  impureté ,  que  Dieu  ne  peut  agréer.  Le  docte  et 
dévot  Gerson  qui  était  fort  expérimenté  dans  la  vie  spiri- 
tuelle ,  et  dans  la  conduite  des  âmes ,  donne  à  ce  sujet  un 
avertissement  très  salutaire  :  Nihil  est  mihi ,  dit-il , 
magis  suspectum,  quant  amor  etiam  circa  Deum;  est 
enimpassionum  omnium  vehementissima  dilectio,  ideo 
semper  eget  frœno  discretionis  :  Il  n'y  a  rien  qui  me  soit 
plus  suspect  dans  une  âme  que  l'amour  môme  envers  Dieu 
quand  il  est  avec  tendresse  et  sensibilité  de  corps  ;  car  de 
toutes  les  passions,  la  plus  violente ,  c'est  l'amour,  elle  a 
toujours  besoin  du  frein  de  la  discrétion  ;  ce  qu'il  prouve  (1  ) 
par  une  histoire  arrivée  de  son  temps,  qui  mérite  d'être  lue 
de  tous  les  directeurs  des  âmes  ;  je  ne  dois  pas  la  rapporter 
ici ,  parce  que  tout  le  monde  n'en  est  point  capable.  Ce 
sont  principalement  les  femmes  qui  peuvent  tomber  en  cette 
illusion ,  ayant  le  naturel  plus  mou  et  plus  susceptible  de 
tendresse.  Vous  aimez  quelquefois  un  homme,  ou  une  de 
vos  compagnes ,  comme  si  vous  n'aimiez  que  Dieu  en  cette 
personne  ;  vous  vous  imaginez  que  cet  amour  est  spirituel, 
parce  que  vous  aimeriez  mieux  mourir  que  de  commettre 
aucun  péché,  et  peut-être  néanmoins  que  cet  amour  est  sen- 
suel. Sainte  Thérèse,  au  dernier  de  ses  avis  qui  sont  après 
le  Chemin  de  la  Perfection,  dit  :  Quand  quelque  rébellion 
de  la  sensualité  semble  naître  de  quelque  douce  affection 

(I)  Tuile  3.  operqm,  tract,  de  çimplificatfone  coulis,  notula  19. 


DE  LA  LUXl  RE.  ■ 

d'amour  de  Dion  ou  de  quelque  tendresse  d'esprit ,  cola  ne 
vient  point  de  Dieu  ,  mais  du  diable. 

S.  Bonaventure  et  les  autres  Porcs  spirituels  nous  donnent 
ces  marques  pour  connaître  si  l'amour  que  vous  avez  pour 
un  homme  ou  pour  votre  compagne  est  sensuel  :  Quand 
vous  êtes  jalouse  qu'une  autre  soit  aimée,  visitée  ,  autant 
que  VOUS  ,  car  S.  Paul  a  dit  que  la  charité  n'a  point  de  ja- 
lousie :  Charitas  non  amu/atur,  ou  quand  vous  êtes  porté 
à  caresser,  à  user  d'autres  privautés,  tout  cela  ne  vaut  rien, 
ce  n'est  qu'impureté  et  ordure  devant  Dieu  ,  disposition  et 
acheminement  à  Pamour  charnel  et  brutal ,  et  c'est  la  troi- 
sième espèce  de  luxure  que  le  Saint-Esprit  (Ecoles.  7.  27. ) 
nous  dépeint  par  de  très  vives  couleurs  :  Invcnimulicrem. 
morte  amariorcm  quœ  laquais  venatorum  est ,  sagena 
cor  illius,  vineuîa  sunt  ma  nu  s  ejus;  qui  placet  Deo 
effùgiet  il  la  m.  Il  nous  représente  le  péché  de  la  chair  par 
ige  d'une  femme,  parce  que  les  femmes  en  sont  ordi- 
nairement la  cause  ou  L'occasion  ,  il  dit  qu'elle  a  des  lacets, 
des  ûleta  et  dr>  pi< 

(  «  la  nous  exprime  très  naïvement  les  causes,  les  effets 
et  les  remèdes  de  ce  péché. 

primuai  punctum.  —  Causœ  luxuriœ. 

I).  —  (1°  Laudes  adulant iu m.)  On  tombe  en  celte 
tentation  comme  les  oiseaux  tombent  dans  les  lacets,  les 
bêtes  fauves  dans  les  pièges.  On  prend  les  oiseaux  à  la  pi- 
pée, on  les  amuse  par  les  appeaux  et  les  charmes  de  quelque 
chant  contrefait  ;  on  séduit  le  sexe  féminin  par  les  charmes 
des  vaines  louanges  :  Délectant  etiam  castas  prœconia 
formœ.  Ce  méchant  homme  connaît  bien  votre  humeur  ,  il 
voit  que  vous  aimez  la  gloire ,  il  vous  donne  des  éloges  à 
perte  de  vue  ,  il  loue  votre  beauté  ,  votre  bel  esprit,  votre 
bonne  grâce,  vos  ouvrages,  votre  propreté;  vous  faites 
semblant  que  vous  méprisez  les  louanges,  mais  au  fond  vous 
en  êtes  ravie.  Le  caméléon  prend  aisément  les  couleurs  des 
corps  qui  s'approchent  de  lui;  la  femme  qui  se  repait  de 
vanité  ,  reçoit  facilement  les  impressions  et  les  humeurs  des 


6  SISKMOJN  CCLXX11I. 

personnes  qui  la  fréquentent;  vous  plaisant  ainsi  à  la  louange, 
vous  agréez  fort  celui  qui  vous  la  donne  ;  vous  n'êtes  pas 
bien  aise ,  s'il  n'est  pas  toujours  avec  vous  ;  vous  ne  voulez 
pas  déplaire  à  celui  qui  vous  plaît  si  fort ,  vous  n'osez  par 
lui  refuser  ce  qu'il  désire  de  vous ,  vous  lui  accordez  par 
complaisance  ce  que  vous  n'eussiez  pas  voulu  perdre  pour 
tous  les  plaisirs  du  monde. 

(2°  Ambulaiiones.)  D'autres  tombent  dans  cette  ten- 
tation comme  les  poissons  dans  les  rets  ;  demandez  aux  pê- 
cheurs de  Dieppe  ou  de  S.  Malo  ,  comment  est-ce  que  les 
harengs  et  les  morues  se  laissent  prendre  ?  Ils  vont  se  pro- 
menant par  la  mer ,  ils  changent  de  contrées  par  troupes  ; 
on  va  les  attendre  par  où  ils  doivent  passer ,  on  y  tend  des 
filets  ou  des  lignes;  on  les  prend  à  milliers  sans  résis- 
tance. Au  langage  du  Saint-Esprit,  une  femme  coureuse  et 
une  femme  débauchée  sont  une  môme  chose  ;  au  premier 
chapitre  des  Cantiques ,  où  nous  avons  Ne  vagari  incipiam, 
il  y  a  :  Nefiamsicut  meretrix.  Le  Texte  sacré  nous  ap- 
prend que  la  vaillante  Judith  (8.  8.)  était  si  éloignée,  non- 
seulement  de  tout  mal ,  mais  encore  de  toute  apparence  et 
soupçon  de  mal ,  que  les  langues  les  plus  malicieuses  n'o- 
saient prendre  la  hardiesse  de  ternir  la  gloire  de  sa  chasteté 
parla  moindre  parole  de  médisance  :  Non  erat qui loque- 
retur  de  ea  verhum  malum.  Le  Saint-Esprit  en  donne 
la  raison  :  elle  demeurait  en  sa  maison  ,  et  parce  qu'on  va 
quelquefois  visiter  les  jeunes  veuves  qui  veulent  être  retirées, 
elle  se  tenait  enfermée  et  en  clôture  :  Clausa  morabatur  ; 
de  peur  qu'on  n'allât  frapper  à  sa  porte  ,  elle  avait  fait  une 
petite  chambre  séparée  pour  y  loger  :  Secretum  cubicu- 
lumf  et  craignant  que  ceux  du  logis  ne  l'interrompissent 
par  des  messages  importuns ,  elle  avait  fait  cette  cellule  au 
plus  haut  étage  çle  sa  maison ,  non  pour  y  aller  à  quelque 
heure  perdue  du  jour  ,  mais  pour  y  faire  sa  résidence  :  In 
superioribus  domus  suœ  fecil  sibi  secretum  cubilum  9 
in  quo  cum  puellis  suis  clausa  morabatur.  Au  con- 
traire ,  Dîna  ,  fille  do  Jacob ,  est  curieuse  :  elle  sort  de  la 
maison  de  son  père,  'moi  qu'elle  tut  en  terre  étrangère,  où 


ni:  LA  LUXURE.  7 

elle  devail  craindre  davantage  ;  elle  veut  voir  les  femmes  do 
pays;  elle  voit  et  clic  esl  vue  :  elle  est  convoitée,  enlevée, 
déshonorée.  Quand  votre  ûlle  se  sera  perdue  par  la  liberté 

que  VOUS  lui  donnez  d'aller  si  souvent  dans  les  maisons  des 
voisins;  je  le  dis  encore  une  fois  et  non  sans  cause  ,  dans 
les  maisons  des  voisins,  dans  les  compagnies,  aux  danses, 
à  la  comédie,  aux  promenades  ;  il  sera  bien  temps  de  dire  : 
Je  ne  L'eusse  jamais  pensé  qu'on  dressât  partout  des  em- 
bûches à  l'honneur  des  pauvres  filles  $  et  qui  l'eût  soupçonna 
d'un  tel  et  d'un  tel ,  qui  me  semblait  si  bon  ?  et  qui  se  fut 
délié  de  ma  tille,  qui  était  si  modeste  et  si  vertueuse  ?  Si 
non  ambulaverit  ad  manu  m.  tuant, ,  confundet  te.  (Ec- 
cli.  25.  o5.) 

Il  est  très  difficile,  pour  ne  pas  dire  impossible,  d'inspirer 
de  l'amour  sans  en  prendre  ,  et  les  poissons  qui  s'égaient 
uvent  se  trouvent  tôt  ou  tard  attrapés  dans  les  filets 
de  quelque  pécheur. 

I  tppetitus  lucrl  temporalis.  )  Il  y  en  a  d'autres 
ut  en  ce  péché  comme  les  bêtes  sauvages  dans  le 
{  ,  a  l'appétit  d'un  peu  d'amorce ,  par  les  appas  d'un 
petit  profit  ou  d'un  peu  de  secours  qu'elles  prétendent: 
onderunt  laqueum  milii.  On  vous  présente  de 
l'argent ,  on  vous  fait  espérer  des  montagnes  d'or,  on  vous 
promet  de  vous  assister  en  vos  affaires  ,  en  vos  desseins  , 
dans  l'éducation  de  vos  enfants,  de  poursuivre  vos  débi- 
teurs, de  satisfaire  à  vos  créanciers,  de  solliciter  vos  procès, 
de  les  faire  juger  en  votre  faveur;  belle  amorce  !  mais  il  y  a 
un  piège  ;  si  vous  vous  amusez  à  l'amorce  ,  le  piége  vous 
fii  tomber  en  d'effroyables  précipices,  en  des  malheurs 
extrêmes,  dans  la  perte  de  ce  que  vous  avez  et  pouvez 
avoir  de  plus  riche,  de  plus  précieux,  de  plus  excellent  en 
ce  monde  et  en  l'autre. 

SECUNDUM  PUNCTUM. 

C.  —  (  Primas  effectue  y  murs  animœ.  )  Inveni  mu~ 

a  morte  amariorem  :  J'ai  trouvé  que  la  femme  est 

plus  amère  que  h  mort.  Il  a  raison  de  parler  ainsi;  la  mort 


8  SÊitMOff  CCLXXIil. 

ne  tue  que  le  corps,  ce  péché  fait  mourir  la  pauvre  àmc  ; 
la  mort  ne  tue  qu'une  fois,  ce  péché  fait  mourir  cent  fois, 
mille  fois,  dix  mille  fois.  Le  démon  qui  tente  de  ce  péché  , 
s'appelle  dans  l'Ecriture  Asmodée,  et  ce  mot  a  deux  élymo- 
logies.  Premièrement,  il  vient  du  nom  Asclwm,  qui  signifie 
péché  ,  et  du  verbe  deti ,  qui  signifie  abonder,  comme  qui 
dirait  abondance  de  péché  ,  parce  qu'il  est  la  source  et  la 
fourmilière  d'une  infinité  de  péchés  ;  abondance  de  péché 
quant  aux  espèces,  quant  aux  individus ,  quant,  aux  instru- 
ments ,  quant  aux  effets. 

Il  n'est  point  de  genre  de  vice  qui  ait  tant  de  circonstances 
qui  changent  l'espèce,  que  celui-ci.  Les  autres,  pour  l'or- 
dinaire ;  n'en  ont  que  trois  ou  quatre  au  plus  ;  celui-ci  en 
a  sept,  qu'il  faut  expliquer  en  la  confession,  quand  on  y  est 
tombé  ou  d'effet  ou  de  volonté.  La  première  espèce,  c'est  la 
simple  fornication,  quand  vous  n'êtes  pas  marié,  et  que  vous 
faites  mal  avec  une  personne  qui  n'est  point  liée  de  vœux 
ou  de  mariage  ;  et  encore  que  ce  soit  le  moindre  crime 
entre  les  espèces  de  ce  vice  ,  c'est  néanmoins  un  péché 
mortel  qui  vous  engage  à  la  damnation.  Les  apôtres, 
(  Àct.  15.  29.  )  au  premier  concile  qu'ils  tinrent  à  Jéru- 
salem ,  mandèrent  aux  fidèles  :  Le  Saint-Esprit  vous  a 
imposé  cette  charge  ,  que  vous  vous  absteniez  de  la  forni- 
cation ;  et  S.  Paul  nous  déclare  pour  le  moins  trois  fois  , 
(  1 .  Cor.  6.  1 0.  -  Galat.  5.  21 .  -  Ephes.  5.  5.  )  que  ce 
péché  nous  bannit  du  royaume  de  Dieu. 

La  seconde  est  le  stupre  ;  quand  vous  déshonorez  une 
vierge,  vous  ruinez  en  son  âme  la  grâce  de  Dieu  ,  qui  est 
le  plus  grand  bien  qu'elle  puisse  avoir  en  ce  monde  ,  et 
en  son  corps  un  trésor  si  précieux  ,  où  il  semble  que  la 
perte  en  est  plus  déplorable  ,  puisqu'elle  est  tout-à-fait 
irréparable. 

La  troisième  est  l'inceste,  quand  c'est  avec  quelqu'une 
de  vos  parentes  ou  alliées  par  affinité  jusqu'au  quatrième 
degré  inclusivement.  Les  Mercures  français  et  les  Histoires 
de  notre  temps  sont  noircies  du  récit  de  la  mort  de  plusieurs 
gentilshommes  qui  ont  perdu  la  tête  par  la  main  du  bour- 


DE  l.A  LUXURE.  0 

reau  }  pour  noir  lait  mal  avec  leur  proche  parente  ;  et  le 
commencement  de  ce  malheur  vient  souvent  de  la  négli- 
gence du  pire  el  de  la  mère,  qui  ont  lait  coucher  leurs 
garçons  avec  leur  petite  sœur. 

La  quatrième  ,  c'esl  L'adultère  ,  péché  puni  par  les  lois 
civiles  chez  toutes  les  nations.  L'empereur  Constantin 
appelle  ceux  qui  commettent  ce  crime  sacrilegos  nu  plia- 
ru  m,  parée  qu'ils  profanent  une  alliance  que  S.  Paul  nomme 
un  grand  sacrement  ,  et  il  veut  qu'on  les  jette  à  la  mer 
dans  un  sac  de  cuir  comme  les  parricides.  Les  femmes 
adultères  étaient  lapidées  chez  les  juifs,  selon  la  loi  de  Dieu. 
^.  Basile,  (epist.  'i,  ad  Amphilochium,  can.  34.)  rappor- 
tant la  pénitence  secrète  qu'on  imposait  à  une  femme 
adultère  ,  parce  qu'il  n'était  pas  à  propos  de  lui  en  imposer 
une  publique  ,  de  peur  qu'elle  ne  fût  condamnée  à  mort  par 
la  justice  séculière  ,  dit  que  ses  prédécesseurs  la  privaient 
de  la  communion  jusqu'à  ce  qu'elle  eût  fait  secrètement 
pénitence,  tout  le  temps  prescrit  à  un  tel  crime,  qui  était 
d<^  quinze  ans,  comme  il  est  dit  au  canon  cinquante-huit. 

La  cinquième,  c'est  le  rapt,  quand  vous  prenez  par  force. 
Pour  un  rapt  que  commit  le  prince  Sichem,  lui  et  son  père 
furent]égorgés,et  toute  leur  ville  fut  saccagée  par  les  enfants 
de  Jacob.  (  Gènes.  34.  2G.  ) 

La  sixième  ,  c'est  le  sacrilège,  quand  vous  commettez 
quelque  impureté  étant  une  personne  sacrée  par  vœu  solen- 
nel ou  particulier  ,  ou  quand  vous  permettez  à  une  telle 
personne  de  prendre  quelque  plaisir  sensuel  en  vous.  C'est 
en  quelque  façon  la  détenir1,  c'est  attenter  de  lui  ôter  sa 
consécration  ,  si  cela  se  pouvait  faire  ;  c'est  le  plus  haut 
point  de  malice  en  matière  de  fornication  ,  dit  S.  Chrysos- 
tùme  :  Verticem  fornicationis  hœc  improbitas  tenef. 
(  homil.  70.  in  Matth.  ) 

La  septième ,  c'est  le  péché  contre  nature  ,  qui  cric 
vengeance  devant  Dieu,  et  pour  lequel  la  justice  divine  con- 
suma autrefois  par  le  feu  tous  les  habitants  des  quatre 
plus  florissantes  villes  qui  fussent  au  monde  ;  Sodome,  Go- 
BAOrrhc,  Adama  et  Seboïm,  et  ruina  le  terroir  de  tout  le 


10  SliKMON  CCLXXIU. 

pays  ,   qui  était  auparavant  comme  un  paradis  terrestre  : 
Sicut  paradisus  Domini. 

Abondance  du  péché  quant  aux  individus.  Il  n'y  a  pas 
d'espèce  de  vice  où  l'on  commette  un  si  grand  nombre  de 
péchés  que  celui  de  la  luxure.  Un  ivrogne  ne  s'enivre  qu'une 
fois  par  jour  ,  un  larron  ne  dérobe  pas  tous  les  jours  ,  un 
meurtrier  ne  tue  ordinairement  que  deux  ou  trois  fois  en 
sa  vie,  un  blasphémateur  ne  blasphème  pas  en  dormant; 
celui  qui  s'est  prostitué  au  vice  d'impureté ,  commet  des 
péchés  à  dixaines,  car  il  arrive  souvent  qu'il  y  pense  dix  , 
douze,  vingt  fois  par  jour,  et  la  seule  pensée  volontaire  est 
un  péché  ;  encore  que  vous  n'ayez  pas  la  volonté  de  venir  à 
l'œuvre,  et  que  vous  aimeriez  mieux  mourir  que  de  faire  une 
action  impure ,  si  de  propos  délibéré,  depuis  que  vous  vous 
en  apercevez,  vous  vous  arrêtez  à  penser  au  plaisir  charnel, 
vous  agissez  contre  ce  commandement  :  Non  concupisces. 

Abondance  de  péché  quant  aux  instruments  qu'on  y 
emploie.  S.  Cyprien  (  lib.  de  bono  pudicitiœ.  )  parlant  de 
ce  vice,  dit  :  Totuni  homînem  agit  in  triamphum  libi- 
dinis  :  Il  n'y  a  pas  de  puissance  en  votre  àme  ,  de  partie 
en  votre  corps  ,  dont  ce  péché  ne  fasse  des  armes  pour  se 
raidir  contre  Dieu  et  lui  déplaire.  Vous  vous  servez  de  votre 
entendement  pour  chercher  des  inventions  de  surprendre 
les  fdles  ,  de  décevoir  et  de  gagner  des  femmes;  de  votre 
mémoire,  pour  revenir  sur  les  actions  voluptueuses  de  la  vie 
passée;  de  votre  volonté,  pour  aimer  une  chétive  créature; 
vous  offensez  Dieu  par  vos  cheveux  ,  en  les  frisant  et  les 
poudrant  pour  servir  de  filets  aux  esprits  volages  ;  par  vos 
yeux  f  en  jetant  des  regards  immodestes  sur  vous,  sur  les 
autres ,  sur  des  animaux  ,  sur  des  tableaux  où  il  y  a  des 
nudités,  en  lisant  des  romans  et  autres  livres  d'amourettes. 
Vous  vous  servez  de  vos  oreilles  pour  entendre  les  cajole- 
ries des  fripons ,  les  chansons  déshonnètes  ;  de  vos  lèvres, 
pour  donner  ou  recevoir  des  baisers  lascifs  ;  de  la  langue  , 
pour  dire  des  paroles  sales  ;  de  votre  sein ,  pour  être  un 
objet  de  concupiscence;  de  vos  doigts,  pour  écrire  des  lettres 
aux  complices  de  votre  passion;  vous  employez  vos  pieds  en 


1)1.    IV    LIAI  Kl  .  11 

s  el  démarches  étudiées ,  (ont  votre  corps  en  conte- 
nances affectée  s. 

\  0U8  ¥OUS  servez  de  vos  robes ,  de  vos  coiffes  ,  de  vos 
rubans  de  vos  mouchoirs,  de  vos  souliers,  comme  de  pièges 
pour  perdre  les  âmes,  de  llèehe  et  dYpée  pour  faire  la  guerre 
à  votre  Dieu;  si  vous  vous  voyiez  comme  les  anges  vous 
voient  ,  vous  verriez  peut-être  qu'il  n'y  a  rien  en  vous  ni 
sur  vous  qui  ne  soit  un  instrument  dépêché,  horrible  et 
llominable  devant  Dieu,  objet  de  sa  colère,  allumette  des 
flammes  éternelles. 

D.  —  (  Sêcundus  ,  damna  temporalia.  )  Il  y  a  des 
docteurs  qui  trouvent  une  autre  élymologie  dans  ce  nom 
Asmodée  ,  et  disent  qu'il  vient  du  verbe  schamaid ,  qui 
signifie  ruiner,  détruire,  dissiper  ,  parce  que  ce  péché  nous 
fait  perdre  la  liberté,  les  biens  et  la  vie  ;  ce  qui  est  bien 
représenté  par  l'état  des  oiseaux,  des  poissons  et  des  bêles 
fauves,  quand  elles  sont  prises.  Cet  oiseau  était  libre  et 
prenait  son  essor  jusque  dans  les  nues,  maintenant  il  est 
captif  cl  prisonnier  dans  une  cage  ;  que  fait-il  là  tout  le 
du  jour  ?  il  se  balance  sur  une  perche,  il  saute  ça  et 
là  dans  sa  geôle,  il  gazouille  toujours  une  môme  chanson ,' 
il  peigne  ses  plumes  avec  son  bec.  Vous  aviez  autrefois 
Pespntfort  libre,  vous  vous  éleviez  jusqu'au  ciel  par  de  belles 
méditations  ,  vous  faisiez  oraison  mentale  ;  à  présent  vous 
êtes  en  captivité,  esclave  d'une  chétive  créature;  à  quoi  usez- 
vous  votre  temps  ?  à  façonner  une  jarretière,  à  relever  une 
moustache  ,  à  poudrer  une  perruque  ,  à  adorer  une  idole 
de  chair.  Que  cela  est  sot  !  A  quoi  se  passe  votre  journée  ? 
à  friser  des  cheveux,  à  badiner  avec  un  fripon ,  à  babiller 
parmi  des  folâtres  ;  quel  aveuglement!  quelle  misère  !  le 
temps  qui  est  si  précieux  ,  qui  vous  pourrait  acquérir  des 
richesses  infinies  ,  le  perdre  si  inutilement  sans  le  pouvoir 
jamais  recouvrer  ! 

Asmodée,  schamaid,  le  péché,  ruine  votre  fortune  et 

vous  dépouille  de  vos  biens  ,  comme  un  poisson  à  qui  on  a 

tilles  :  quand  vous  êtes  esclave  de  cette  passion  , 

vous  n'épargne!  rien  pour  l'assouvir  ;  il  faut  cultiver  les 


12  SERMON   CCLXXIII. 

bonnes  grâces  de  cette  malheureuse  ,  lui  envoyer  des  pré- 
sents ,  entretenir  son  luxe  ;  vous  gagnez  fort  peu  ,  vous 
dépensez  beaucoup  ,  vous  vous  endettez  ?  votre  maison  est 
en  déroute. 

Et  comme  une  bête  sauvage  qui  est  tombée  dans  le  piège 
est  exposée  aux  armes  des  chasseurs  qui  l'écorchent  pour 
la  mettre  en  broche  ,  ou  en  font  la  curée  de  leurs  chiens  ; 
ainsi  il  arrive  souvent  que  vous  perdez  la  vie  par  la  main  de 
votre  mari ,  ou  du  mari  de  la  femme  que  vous  déshonorez  ; 
vous  êtes  porté  en  flagrant  délit  au  jugement  de  Dieu,  et 
condamné  au  feu  d'enfer  que  vous  avez  mérité.  Etant  là  , 
vous  direz  comme  Jonathas.  Le  roi  Saiil  ,  son  père , 
avait  commandé  à  toute  Tannée  de  jeûner  jusqu'au  soir  , 
parce  qu'il  en  avait  fait  vœu  ;  Jonathas  passant  dans  une 
forêt,  vit  du  miel  sauvage  ,  il  y  trempa  le  bout  de  sa  ba- 
guette, et  ia  porta  à  sa  bouche.  Un  peu  après,  Dieu  étant 
consulté  sur  le  succès  de  la  guerre  ,  ne  répond  rien  contre 
sa  coutume;  Saiil  connaît  par  ce  silence  que  quelqu'un  a 
offensé  Dieu,  il  fait  jeter  le  sort ,  qui  tombe  sur  Jonathas, 
et  fait  voir  qu'il  était  cause  de  ce  malheur  ;  son  père  le 
condamne  à  la  mort  ;  il  dit  en  se  lamentant  :  G  us  tans 
gustaviin  summitate  virgœ  paululum  mellis,  et  ecce 
morior  :  (  1  *  lleg.  \k.  43.  )  J'ai  goûté  tant  soit  peu  de 
miel ,  et  je  suis  condamné  à  mort.  Ainsi  quand  vous  serez 
en  enfer,  vous  reconnaîtrez  et  regretterez  votre  folie,  mais 
il  ne  sera  plus  temps.  Hé!  infortuné  que  je  suis,  direz- 
vous,  pour  un  plaisir  passager,  pour  une  volupté  d'un  quart 
d'heure,  je  suis  mort  et  je  meurs  continuellement ,  et  je 
mourrai  à  jamais.  Oui,  ce  péché  vous  fait  mourir  de  la  mort 
spirituelle  ;  le  prophète  dit  :  L'âme  qui  aura  péché  mourra. 
S.  Jacques  dit  :  La  concupiscence  enfante  le  péché  ,  et  le 
péché  engendre  la  mort.  La  dévote  Susanne  disait  à  ceux 
qui  la  tentaient  d'adultère  :  Si  je  le  fais,  je  mourrai.  Ce  vice 
nous  fais  mourir  de  la  mort  éternelle.  L'Apocalypse  dit 
que  le  partage  des  luxurieux  est  un  étang  de  feu  et  de  souffre 
ardent;  il  vous  fait  ordinairement  mourir  d'une  mort  civile, 
j»ous  ruine  de  réputation,  yous  fait  l'opprobre  et  le  déslion- 


DE  LA  MJX1  RE.  1  3 

UCDr  de  votre  parentage  ;  il  fait  souvent  mourir  de  la  mort 
corporelle  par  les  maladies  honteuses,  par  les  trahisons  et 
assassinats  dont  il  est  cause. 

TERTIUM  PUNCTUM.  — Bcmcdia. 

E.  —  (  1°  Elevât io  mentis,  etc.  )  Inveni  mulierem 
marie  amariorem  y  qui  placet  Deo ,  eflugist  cam.  Il 

V  a  au  grec  ■    ty*6às  9fpà9  <pÔ3<wxov  &v\  ®eov,  s^xpô^as-xt  ,  à*' 

9.h:rç ,  bonus  coram  Deo  elevahitur  ah  Ma;  ces  paroles 
nous  enseignent  qifil  faut  éviter  cette  tentation  ,  comme 
les  oiseaux  ,  les  poissons ,  les  bêles  sauvages  évitent  les 
filets ,  les  lacets  et  les  pièges.  Les  oiseaux  s'élèvent ,  les 
poissons  s'abaissent ,  les  bêles  fauves  s'enfuient  ;  élevez- 
vous  à  Dieu  ;  reconnaissez  avec  Salomon  que  personne  ne 
peut  avoir  la  continence,  si  Dieu  ne  la  donne;  demandez-la- 
lui  de  tous  les  efforts  de  votre  cœur  ,  dites  tous  les  jours 
votre  chapelet  afin  que  la  Mère  de  pureté  vous  relève  de  ce 
bourbier;  élevez-vous  à  la  considération  de  ce  que  le  Texte 
sacré  non»  apprend  de  ce  vice  et  de  la  vertu  contraire. 
i.r  Saint-Esprit  n'habitera  pas  dans  un  corps  sujet  au 
é.  Celui  qui  aime  la  pureté  de  cœur,  aura  le  Roi  pour 
ami.  Le  vin  et  les  femmes  font  apostasier  les  sages.  (Piov. 
22.  M.-Eccii.  19.2.) 

Bienheureux  ceux  qui  ont  le  cœur  pur  et  net  vcar  ils  verront 

Dieu.  (Maltli.  5.  8.-1.  Cor.  G.  15.)  Ne  savez-vous  pas 
que  vos  corps  sont  les  membres  de  Jésus-Christ?  Quoi! 

oscrai-je  ôter  à  Jésus-Christ  les  membres  qui  lui  sont  unis 
et  qui  composant  son  corps,  et  en  faire  les  membres  (rime 
débauchée!  Ignorez-vous  que  vos  membres  sont  le  temple 
du  Saint-Esprit  ?  Dieu  perdra  celui  qui  viole  son  temple.  Si 
vous  vivez  scion  la  chair,  vous  mourrez  ;  (Rom.  8.  13.)  si 
vous  mortifiez  par  l'esprit  les  œuvres  de  la  chair,  vous  vivrez. 
Celai  qui  sème  dans  la  chair,  n'en  moissonnera  que  corrup- 
tion. Ayant  reçu  de  si  grandes  promesses  de  Dieu,  purifions- 
«le  toute  souillure  d'esprit  et  de  corps.  (2.  Cor.  7.  1.) 
Sachez  ceci,  et  entendez-le  bien,  que  tout  fornicaleur  n'a 
point  de  part  au  royaume  de  Jésus-Christ  et  de  Dieu. 


04  SERMON  CCLXXI1I. 

Elevez-vous  aussi  à  la  contemplation  des  Saints  qui  ont 
conquis  le  ciel  par  la  victoire  de  cet  ennemi  domestique.  Si 
vous  êtes  jeune  homme,  souvenez-vous  du  petit  S.  Pelage  ; 
(Baronn.  ann.  925.)  il  était  cousin  de  rEvêqueErmoïgius  ; 
son  cousin  l'avait  laissé  en  otage  chez  le  roi  des  Arabes , 
nommé  Habdaragman,  qui  le  mena  à  Gordoue  en  Espagne. 
Quand  il  eut  atteint  Page  de  treize  ans,  comme  il  était  doué 
d'une  parfaie  beauté,  le  roi  voulut  s'approcher  de  lui  pour  le 
caresser  lascivement ,  le  Saint  lui  dit  en  le  repoussant  :  Loin 
d'ici;  pensez-vous  que  je  sois  comme  un  de  vos  efféminés, 
moi  qui  suis  chrétien  et  catholique  ?  Le  roi  le  menace  de  le 
faire  mourir  cruellement  ;  il  se  moque  de  ses  menaces.  Le 
roi  lui  fait  pincer  tous  ses  pauvres  petits  membres  avec  des 
tenailles,  il  le  fait  hacher  à  petits  morceaux,  et  le  fait  languir 
dans  ce  tourment  depuis  les  sept  heures  du  matin  jusqu'à 
quatre  du  soir. 

Et  de  notre  temps,  environ  Tan  1 661 ,  un  jeune  homme 
nommé  Jacquin ,  natif  de  Fréjus  en  Provence ,  esclave  à 
Alger  ,  pour  avoir  blessé  son  maître  en  le  repoussant  et  se 
défendant  d'un  semblable  attentat  lascif,  fut  jeté  du  haut  de 
la  muraille  sur  un  crochet  de  fer,  selon  la  coutume  de  ces 
barbares  ;  le  fer  l'accrocha  par  la  cuisse  où  il  demeura  ainsi 
suspendu  deux  jours  et  deux  nuits,  chantant  presque  conti- 
nuellement les  litanies  de  la  sainte  Vierge.  Un  chevalier  de 
Malte  qui  y  était  nous  Ta  raconté. 

Si  vous  êtes  gentilhomme,  souvenez-vous  de  S.  Casimir, 
fds  du  roi  de  Pologne,  qui,  au  milieu  de  toutes  les  séductions 
de  la  cour ,  encore  à  la  fleur  de  son  âge ,  et  quoique  d'un 
tempérament  très  sanguin,  garda  une  chasteté  si  inviolable 
qu'étant  tombé  malade,  et  les  médecins  l'ayant  condamné  à 
mort  s'il  ne  jouissait  du  plaisir  sensuel,  il  aima  mieux  mourir 
que  de  flétrir  tant  soit  peu  la  belle  fleur  de  chasteté  :  Malo 
mori  quam  fœdari. 

Si  vous  êtes  demoiselle ,  souvenez-vous  de  sainte  Reine , 
de  sainte  Marguerite ,  de  sainte  Agnès ,  de  sainte  Agathe , 
de  sainte  Susanne,  qui  ont  refusé  d'être  mariées  à  des  gou- 
verneurs de  province,  à  des  consuls  de  Pvomc,  à  des  empe- 


D8  LA  LUXURE.  1  5 

rouis  du  monde,  et  ont  mieux  aimé  livrer  aux  tourments  et 
à  la  mort  leurs  corps  doués  d'une  incomparable  beauté,  que 
de  perdre  leur  virginité.  Si  vous  êtes  roturier,  souvenez-vous 
de  S.  Théobon,  pauvre  laboureur  à  Fursao  en  Limousin. 
Quelques  malheureux  suppôts  du  diable  ,  donnèrent  de  Par- 
genl  à  une  Clic  effrontée  pour  l'aller  tenter  dans  sa  cabane 
où  il  était  seul  ;  il  étendit  la  braise  de  son  foyer  et  se  cou- 
cha dessus,  en  disant  :  Voici  mon  lit ,  viens-y  coucher  auprès 
de  moi  ,  si  tu  veux. 

Si  vous  êtes  mondain  et  adonné  à  quelque  vice,  imitez  au 
moins  S.  Basilides  ;  c'était  un  bourreau  qui  conduisait  au 
supplice  la  vierge  sainte  Polamiène;  il  la  défendit  en  chemin 
contre  des  païens  folâtres  qui  voulaient  lui  faire  des  insultes  ; 
trois  jours  après  sa  mort,  elle  lui  apparut,  et  lui  mettant  une 
couronne  sur  la  tète,  elle  en  fit  un  si  bon  chrétien,  que  peu 
après  il  endura  le  martyre  pour  la  foi. 

F.  —  (2°  Humiliatio.  )  Elevez-vous  ainsi  à  la  consi- 
dération de  ces  rares  et  admirables  exemples ,  et  voyant  que 
en  êtes  si  éloignés  ,  abaissez-vous  beaucoup  devant 
Dieu ,  reconnaissez  en  sa  présence  votre  misère ,  votre 
extrême  faiblesse,  votre  néant ,  la  nécessité  de  sa  grâce, 
D  naissez  que  vous  êtes  dans  un  bourbier  où  vous  ne 
trouvez  point  de  fond  :  lnfixus  sum  in  limo  profundi, 
et  non  est  suhstantia;  Domine  ,  salva  nos  ,  périmas. 
Ce  A  à  lui  seul  de  vous  tendre  la  main  et  de  vous  en  retirer  : 
De  pécore  élevât  pauperem.  Vous  êtes  pauvre  de  vertu, 
de  mérite  ,  de  force  ,  de  tout  :  Qins  me  liberabit  de  cor» 
pore  mortis  hujus  ?  gratia  Dei  per  Jesum  Chris  tum* 
La  grâce  seule  de  Jésus  vous  peut  délivrer  des  assauts  de 
ce  corps. 

Ilumiîiamini  sub  potenti manu  Dei.  Les  Pères  spi- 
rituels disent  que  lorsque  nous  sommes  tentés  extraordi- 
nairement  de  ce  péché,  c'est  signe  que  Dieu  demande  quelque 
Chose  de  nous,  que  nous  sommes  paresseux  d'accomplir.  Les 
sujets  d'un  seigneur  ont  droit  de  se  révolter  contre  lui  quand 
révolte  contre  sou  prince.  La  chair  n'est  pas  bien  sou* 
it  n\»t  pas  bien  soumis  à  DieUè 


46  i£ioioi\  cglxxih. 

Dieu  désire  que  vous  soyez  plus  fervent  pour  le  salut  des 
ames,  pour  la  prière,  pour  le  jeûne,  pour  l'aumône,  pour 
les  autres  actes  de  piété  ,  de  charité ,  de  mortification  ;  et 
parce  que  vous  ne  le  faites  pas ,  il  vous  abandonne  à  voire 
faiblesse  ,  il  vous  laisse  tomber  dans  cette  tentation. 

G.  —  (3°  Fit  (/a.)  Qui  placet  Deo  ,  effugiet  illam. 
Ce  mot  effugiet  marque  un  troisième  remède ,  qui  est  de 
fuir  comme  font  les  botes  fauves.  Deus  Dominus  ,  forti- 
tudo  mea  :  et  ponet pedes  meos  quasi  cervor tan.  (Abac. 
3.  19.)  La  véritable  force  contre  cet  ennemi,  c'est,  d'avoir 
des  pieds  de  cerf.  On  dit  qu'il  y  a  trois  adverbes  qui  sont 
les  vrais  préservatifs  de  la  peste  corporelle  ,  longé ,  citô, 
tardé ,  se  retirer  bien  loin  du  lieu  où  elle  est,  faire  cela 
promptement,  et  tfy  retourner  que  bien  tard  ou  jamais. 
David  se  servait  de  ces  bons  avis  pour  se  préserver  de  la 
peste  spirituelle,  et  nous  devons  le  faire  avec  lui.  Elongavi 
fugiens,  et  mansi  in  solitudine.  Elongavi,  voilà  longé, 
fugiens,\o\\hcito,  mansi  in  solitudine ,  voilà  tardé  aut 
nunquani.  Elongavi,  évitez  de  bien  loin  les  tentations 
et  les  occasions  de  ce  péché.  Oui,  les  tentations;  il  y  a 
certaines  tentations  qu'il  faut  vaincre  en  les  combattant  à 
force  de  bras ,  comme  celle  de  l'avarice  ,  de  l'envie  et  de  la 
paresse  ;  il  y  en  a  d^autres  qu'il  faut  vaincre  non  en  com- 
battant, mais  en  fuyant ,  comme  celle-ci.  Cette  tentation 
r^est  pas  une  guerre  comme  les  autres ,  où  l'on  combat  de 
loin  ;  c'est  une  lutte  où  Ton  combat  de  près  et  corps  à  corps  : 
Colluctatio  adverms  carnem.  Si  vous  luttez  avez  un  lé- 
preux ,  ou  avec  un  homme  tout  couvert  de  boue ,  quoique 
vous  le  terrassiez ,  vous  en  demeurez  tout  puant  et  tout 
souillé  ;  et  si  vous  vous  amusez  à  écouter  ces  pensées  impu- 
res ,  quoique  vous  y  résistiez,  vous  en  sortirez  tout  infect  : 
Beat  us  qui  tenehit  et  allidet  parvulos  tuos  adpetram. 
Aussitôt  que  vous  vous  apercevrez  qu'elles  sont  entrées  en 
votre  cœur,  étouffez-les  promptement,  recommandez-vous 
a  Dieu  et  à  la  sainte  Vierge ,  et  mettez-vous  à  penser  à 
quelque  autre  ehose. 

Evitez  les  tentations ,  le    Hatteries,  les  paroles  iwni:- 


DE  LA  II  XURE.  17 

dentés  de  ers  insolents ,  qui  vous  cajolent  ;  ils  savcnl  bien 
à  qui  ils  parlent.  Quand  une  fille  les  rebute  de  premier 
abord,  courageusemeut  etavec  dédain,  ils  n'eut  plus  la  har- 
diesse de  continuer  leur  impertinence.  Aussitôt  que  ce  jeune 
homme  vous  dit  la  moindre  parole  qui  tend  à  votre  déshon- 
neur ,  dites-le  à  votre  père  ou  à  voire  mère;  mais  vous 
n'en  faites  rien,  voilà  pourquoi  vous  vous  perdez.  Quand 
le  loupa  pris  une  brebis,  la  première  chose  qu'il  fait,  c'est  de 
la  saisir  à  la  gorge,  de  peur  qu'elle  ne  crie  et  ne  soit  secourue 
du  berger.  Et  quand  un  libertin  veut  perdre  une  pauvre 
fille  ,  la  première  chose  qu'il  fait ,  c'est  de  l'obliger  au  se- 
cret ;  ne  le  croyez  pas ,  dites-le  à  votre  père. 

Fuyez  les  occasions ,  les  conversation  suspectes ,  les 
colloques  de  seul  à  seule,  les  fréquentations  qui  sont  à  l'écart 
et  sans  témoin.  S.  Grégoire  (2.  dialog.  c.  33.)  dit  que 
S.  Benoit  ,  oui ,  S.  Uenoit ,  ce  grand  patriarche,  qui  avait 
rlé  tant  de  victoires  sur  le  monde,  le  diable  et  la 
chair,  ne  voulut  pas  parler  seul  à  seule  à  sa  sœur,  religieuse. 
Et  une  femme,  qui  est  fragile  comme  du  verre,  entrera  in- 
pudemment  dans  une  chambre  où  il  n'y  a  qu'un  homme  , 
el  elle  y  demeurera  des  demi-heures  entières  !  Messieurs, 
si  vous  êtes  >agcs,  vous  ne  le  permettrez  jamais  à  vos  filles; 
vous  ne  sauriez  avoir  trop  d'argus  pour  les  veiller,  trop  de 
soin  d'épier  comment  elles  se  comportent,  quand  vous  n'y 
êtes  pas. 

Si  nous  savions  ce  que  c'est  que  Dieu  ,  et  le  grand  mal 
qu'il  y  a  de  l'offenser,  nous  redouterions  plus  que  la  mort, 
non-seulement  le  péché,  mais  tout  ce  qui  peut  en  servir 
d'amorce,  d'objet ,  d'occasion ,  en  nous  ou  en  autrui. 

Elongavi,  Eloignez-vous  de  la  maison  où  il  y  a  des  oc- 
ras pour  vous.  C'est  le  grand  secret  en  cette  matière. 
Sortez  de  la  rue ,  de  la  ville,  de  la  province,  et  du  monde 
même  ,  s'il  est  nécessaire  ,  pour  vous  retrancher  dai.s  un 
cloître.  A  OUS  n'avez  rien  de  plus  cher ,  de  plus  précieux,  de 
plus  important  que  votre  salut ,  faites-le  promplcment  : 
tonge,  cito,  elongavi  fugiens y  il  y  a  du  péril  au  moindre 
retard*  Si  vous  mouréfc  dans  le  mauvais  état  où  vous  êtes,  quand 


48  SERMON  CGLXXII. DE  LA  LUXURE. 

vous  serez  en  enfer  il  sera  bien  temps  de  dire  :  J'attendais 
la  fin  de  mon  terme  pour  sortir  de  cette  maison.  Sortez-en 
des  maintenant  sans  rien  attendre  ;  jetez-vous  entre  les  bras 
de  la  providence  de  Dieu.  Si  vous  quittez  pour  l'amour  de 
lui  l'espérance  de  vos  gages ,  Pavancement  de  votre  fortune, 
il  y  pourvoira  par  une  autre  voie  que  vous  ne  pensez-pas,  il 
fera  réussir  ce  divorce  au  bien  temporel  de  votre  corps ,  et 
au  salut  éternel  de  votre  àme.  Amen. 


SERMON  CCLXXIV. 


de  l'intempérance, 


ktebriari  vinot  in  quo  est  luxurta* 

Gardez-vous  de  l'ivrognerie,  qui  engendre  la  luxure.  (Ephes.  5.  t8.) 

Cum  defecerint  ligna  ,  extinguetur  ignis.  Voulez- 
vous  éteindre  le  feu,  retirez-en  le  bois  qui  lui  sert  de  nour- 
riture, dit  le  Saint-Esprit  par  la  bouche  du  Sage.  (Prov. 
26.  20.)  D'où  il  faut  conclure  que  le  vin  et  la  viande  étant 
l'amorce  du  péché  déshonnête  ,  le  sixième  commandement 
de  Dieu,  qui  nous  défend  la  luxure ,  nous  oblige  à  la  tem- 
pérance. Jsai  trois  choses  à  vous  proposer  sur  le  vice  con- 
traire à  cette  vertu  :  premièrement,  quelles  sont  les  causes 
qui  ont  coutume  de  nous  porter  à  l'intempérance;  en  second 
lieu ,  les  mauvais  effets  qu'elle  produit  ;  en  troisième  lieu , 
I  a  remèdes  qu'il  faut  y  apporter. 

IDEA  SERMONIS. 

ii\ordium.  A.  Quid  sit ,  et  quam  nociva  intemporan  - 

tia  spiritualis,  netnpe  ciiriosilas. 
Primum  punctum.   Causœ  intemperantiœ  corporalis  : 

B.  VErrormentU.—C.  TSocietas.  —  D.  S0  Ma  la. 

consuetudo. 
Sccundum  punctum.  Ejus  effectua  :E.  \°  Multa \pec- 

cata  co?nmissionis  contra  omnia  Del  prœcepta.  — 

F.  2°  Peccata  o?)iissio)iis. 
Tertium  punctum.  Remédia  tollcro,  causas: G.  1°  Erro* 

rem  quo  putamus  temperantiam  abreviare  vitam,  et 

hoc  non  liccre.  —  H.  2°  Vitare  malam  societatem. 

—  I.  3°  Aholere  consuctudïnem  malam, 
Conclusio.  L.  Argumenta  -wtobata  contra  intempe* 

rantiam. 


20  SERMON  CCLXXIV. 

EXORDIUM.. 

A.  —  (Qirîd  sit,  etc.)  Au  chapitre  (rois  de  la  Genèse, 
où  il  est  dit  qu'Adam  et  Eve  furent  chassés  du  paradis  ter- 
restre pour  avoir  mangé  du  fruit  de  l'arbre  défendu,  on 
demande  en  la  théologie  positive  pourquoi  cet  arbre  est 
appelé  en  l'Ecriture  l'arbre  de  la  science  du  bien  et  du  mal  ? 
La  plus  grande  partie  des  docteurs  répondent  que  le  Créa- 
teur donna  ce  nom  à  cet  arbre,  môme  avant  le  péché  ,  par 
menace  faite  à  nos  premiers  parents ,  par  prévision  et  pré- 
diction de  ce  qu'il  leur  arriverait  s'ils  étaient  si  mal-avisés 
que  de  transgresser  son  commandement  ;  c'est  comme  s'il 
leur  eût  dit  :  Si  vous  mangez  de  ce  fruit  que  je  vous  défends, 
vous  connaîtrez  quel  grand  bien  c'est  que  l'obéissance,  quel 
grand  mal  c'est  que  la  désobéissance  ;  vous  verrez  par  ex- 
périence ,  mais  par  expérience  funeste  et  fatale  pour  vous  , 
la  différence  qui  est  entre  les  biens  que  vous  possédez  en 
l'élat  d'innocence  où  vous  êtes,  et  les  grands  maux  que  le 
péché  vous  fera  encourir  par  la  perte  de  cet  heureux  état. 
Mais  l'esprit  malin  détournant  finement  ces  paroles  de  Dieu, 
et  leur  donnant  un  autre  sens ,  fit  croire  à  ces  malheureux 
que  s'ils  mangeaient  de  ce  fruit,  ils  deviendraient  savants 
comme  Dieu  :  Eritis  sicut  DU ,  scientes  bonum  et  ma- 
lum;  d'où  S.  Thomas  (2.  2.  qu.  1 63.  artic.  2.)  et  les  au- 
tres docteurs  concluent  que  le  premier  homme  et  sa  femme 
commirent  dans  le  paradis  terrestre  deux  péchés  d'intem- 
pérance ,  que  nous  avons  hérités  d'eux  :  intempérance 
spirituelle ,  que  nous  appelons  curiosité  ;  intempérance 
corporelle,  que  nous  appelons  gourmandise;  la  spirituelle 
est  aussi  commune  pour  le  moins,  et  aussi  pernicieuse  que 
la  corporelle  ;  il  n'y  a  que  les  âmes  basses ,  terrestres  et 
brutales  qui  soient  esclaves  de  la  corporelle  ;  mais  les  grands 
et  les  petits,  les  beaux  esprits  et  les  grossiers,  les  vertueux 
et  les  vicieux  sont  sujets  à  la  spirituelle.  Souvenez-vous  qu'on 
peut  pécher  par  intempérance  en  deux  manières  principales, 
en  la  qualité  et  en  la  quantité  :  en  la  qualité,  quand  on 
prend  des  viandes  défendues,  comme  de  la  chair  en  carême; 


DE    L*IKTi  UrilAWCB.  21 

al  en  la  quantité  ,  quand  on  prend  des  viandes  permises , 
mais  avec  excès.  Ainsi  vous  péchez  par  curiosité ,  premiè- 
rement ,   quand  vous  voulez  voir  ou  savoir  des   choses 
mauvaises  et  illicites,  comme  des  choses  déshonnètes,  les 
vices  du  prochaiu  ,  des  charmes  pour  se  faire  aimer ,  ou  p  our 
gagner  au  jeu  ,  des  remèdes  superstitieux  pour  guérir  des 
maladies ,  de  nouvelles  modes  pour  s'ajuster  ;  en  second 
lieu  ,  quand  vous  voulez  apprendre  des  nouvelle^  ,   des  se- 
crets ,  des  sciences  qui  ne  sont  pas  défendues  ,  mais  qui  do 
servent  de  rien.  Les  livres  que  vous  lisez  ne  sont  pas  mau- 
vas ,  mais  à  quel  bien  en  peut  servir  la  lecture  ?  Peut-elle 
Beîrvir  à  vous  faire  connaître  et  aimer  Dieu  ?  peut-elle  vous 
aider  à  vous  bien  acquitter  de  votre  devoir  en  votre  profes- 
sion ?   Si  elle  ne  sert  à  autre  fin  qu'à  vous  rendre  savant  . 
c'est  curiosité  ,  inutilité  d'esprit,  perte  de  temps  :  Alioqui 
Vtlunt  scirc  ut  sciant  ,  et  hoc  curiositus  est ,  dit  S.  Ber- 
nard ;  ne  vouloir  apprendre  (pie  pour  savoir  ,  c'est  faire 
comme  ces  gourmands  qui  ne  mangent  (pie  pour  manger  , 
ne  boivent  que  pour  boire.   Un  honnête  homme  ne  veut 
manger  que  pour  vivre  ,  ne  veut  vivre  que  pour  servir  Dieu  ; 
ainsi  un  chrétien  vertueux  veut  apprendre  pour  savoir  ,  et 
ne  vint  savoir  que  pour  servir  Dieu.  Vous  lisez  Tliistoiro 
de  France  par  Duplex  ,  ou  de  Rome  par  Coefleteau  ;  celle 
lecture  est  innocente  ,  je  le  veux  ,  mais  peut-être  qu'elle 
tous  est  inutile.  Si  vous  êtes  prêtre  ,  elle  vous  empêche  de 
lire  Gencbrad  ,  ou  Bellarmin  sur  les  Psaumes  ,    pour  en- 
tendre ce  que  vous  dites  quand  vous  chantez  au  chœur  ,  et 
pour  dire  vos  heures  avec  plus  de  dévotion.  Si  vous  êtes 
séculier  ,  elle  vous  empêche  de  lire  les  livres  de  votre  pro- 
fession pour  vous  y  rendre  habile  et  capable.  Qui  que  vous 
i  ,  clic  vous  empêche  de  lire  l'Ecriture  sainte  ,  l'IIis- 
toire  ecclésiastique,  Grenade  ,  S.  Jure  ,  nui  imprimeraient 
i  m  votre  cceur  l'amour  et  la  crainte  de  Dieu.  Ecoutez  Séné- 
ijue  ,  (Epist.  88.)  il  doit  nous  confondre.  :  Plusscire  velle 
quam  sil  salis  ,  intemperantiœ  genus  est.  IN'cst-ccpas 
ce  que  dis<  ni  S.  Paul  :  Non  plus  sapere  quam  oportèt , 
gapere  std  sapere  ad  sobrieiatem\  et  S,  Pierre  s(2,  Pclr, 
|,  6.  )  In  scientta  abstint!' cm» 


22  SERMON  CCLXXIV. 

Vous  appelez  intempérance  mettre  en  votre  estomac  plus 
de  viande  qu'il  n'est  besoin,  et  vous  n'appellerez  pas  intem- 
pérance mettre  en  votre  esprit  plus  de  science  qu'il  n'est 
nécessaire  !  Vous  me  direz  que  trop  de  viande  charge  l'es- 
tomac ;  mais  trop  de  science  ne  charge  pas  l'esprit.  Qui 
vous  Ta  dit  ?  Il  ne  me  faut  d'autre  témoin  contre  vous  que 
vos  chétives  prières,  qui,  comme  dit  S.  Augustin,  sont  tant 
de  fois  interrompues  et  souillées  par  mille  extravagances  et 
mille  pensées  niaises,  qui  sont  les  indigestions  de  notre 
esprit  trop  chargé  :  «  Cum  enim  in  hujusmodi  rébus  con- 
«  ceptaculum  fit  cor  nostrum  ,  et  portât  copiosee  vanitatis 
«  catervas,  hinc  et  orationes  nostrse  sœpe  interrumpuntur, 
«  atque  turbantur.  »  Cette  curiosité  donc  de  savoir  des 
choses  illicites  ou  inutiles,  est  un  gsnre  de  vice  capital,  chef 
et  source  de  plusieurs  autres  péchés;  elle  est  cause  que  vous 
vous  faites  dire  votre  bonne  fortune  pour  savoir  ce  qu'il  doit 
vous  arriver  ;  vous  faites  des  superstitions,  afin  de  voir,  en 
songeant,  le  mari  que  vous  devez  avoir  ;  vous  portez  votre 
prochain  à  la  médisance,  pour  apprendre  de  lui  la  vie  et  les 
vices  d'autrui  ;  vous  tentez  cette  fille  ,  pour  savoir  de  quel 
bois  elle  se  chauffe;  vous  ne  donnez  à  Dieu  que  le  bout  des 
lèvres,  en  le  priant,  et  votre  cœur  est  farci  de  gazettes,  de 
nouvelles,  de  vanités,  d'affaires  du  monde  :  Ante  conspec- 
tum  Del,  dum  ad  aures  ejns  vocem  cor  dis intendimus , 
irruentihus  niigatoriis  cogitationihis  res  tanta  prœ- 
cidittir,  dit  S.  Augustin.  En  voilà  assez  pour  cette  fois  de 
l'intempérance  spirituelle,  venons  à  la  corporelle,  et  pour  y 
procéder  avec  ordre  ,  considérons  ses  causes ,  ses  effets  et 
ses  remèdes. 

pRIMUM  punctum.  —  Causœ  intemperantiœ  corporalis. 

B,  —  (\°Error  mentis,  )  Si  ce  qu'a  dit  Hippocrate  est 
vrai,  savoir  que  les  maladies  héréditaires  sont  difficiles  à 
guérir  ,  ce  n'est  pas  merveille  de  voir  que  le  péché  de  gour- 
mandise est  si  enraciné  à  notre  nature,  puisque  nous  l'avons 
hérité  de  notre  première  mère  qui  fut  si  sujette  à  sa  bouche, 
qu'elle  perdit  sa  postérité  à    l'appétit  d'un  morceau  de 


DE  i  *J«  rBMPBB  INCE.  23 

pomme.  Elle  eut  celle  témérité  parce  qu'elle  crut  trop  lé 
ment  à  cette  parole  du  mauvais  ange  :  Nequaquam 
moriemini,  vous  ne  mourrez  pas;  elle  s'imagina  qu'elle  ne 
mourrait  point ,  que  sa  faute  serait  pardonnable  ,  et  que 
lit  chose  de  peu  d'importance  de  manger  ou  s'abstenir 
d'un  fruit  qui  semblait  être  si  beau  et  si  bon.  Ainsi,  la 
première  cause  qui  nous  fait  tomber  en  ce  péché ,  est  qu'or- 
dinairement nous  nous  flattons  ,  nous  prétendons  mille 
prétextes  pour  nous  persuader  quil  n'y  a  point  de  faute  , 
ni  mortelle  ni  vénielle  :  Nequaquam  moriemini.  S.  Ful- 
genee  et  Hugues  de  S.  Victor  ,  faisant  un  beau  rappor' 
entre  les  sept  demandes  de  l'oraison  dominicale  et  les  sept 
péchés  mortels,  disent  que  la  sixième  demande  :  Et  ne  nos 
inducas,  est  opposée  au  péché  de  gourmandise,  parce  qu'à 
proprement  parler,  tenter  quelqu'un  ce  n'est  pas  le  solli- 
citer simplement  à  mal  faire ,  mais  c'est  le  solliciter  fine- 
ment ,  sous  de  belles  apparences  et  avec  tromperie  ,  et  c'est 
ce  que  fait  la  tentation  de  ce  vice  :  «  Et  ne  nos  inducas  in 
«  tentationem  :  haec  petilio  contra  vitium  guloe  opponitur, 
«  et  hoc  ideo  tentatio  specialilcr  appellatur,  quia  caetera 
«  vitia  longe  sunt  a  natura  humana,  etob  hoc  quanfo  minus 
i  ralionis  proférant  tanto  minus  tentationis  adducunt  : 
«  tentare  enim  est  callide  experiri.  »  (  Hugo  a  Sanct. 
Victor.  )  L'amour  propre  est  très  ingénieux  et  très  inventif; 
il  nous  suggère  mille  raisons  pour  contenter  notre  sen- 
sualité :  Nequaquam  moriemini.  Ce  n'est  pas  mal  fait 
de  se  nourrir,  il  n'y  a  point  en  cela  danger  de  mourir  spiri- 
tuellement ,  au  contraire,  si  je  ne  le  fais  je  pourrai  mourir 
corporcllcment ,  j'intéresserai  ma  santé  ,  j'affaiblirai  mes 
forces,  j'abrégerai  mes  jours.  Nous  ne  sommes  pas  maîtres 
de  notre  vie  ;  c'est  ce  qui  fait  que  S.  Bernard  s'écrie  :  (Lib. 
de  Consc.  )  «  De  necessilatibusmeis  crue  me.  Crcbro  nam- 
«  que  dum  necessitati  sludeo  reddere  débita ,  voluplalis 
i  studio  deservio.  Sub  velamine  necessitatis,  cado  in  la- 
ïc queum  voluplatis  :  »  Mon  Dieu  ,  délivrez-moi  du  joug 
de  mes  nécessités,  et  de  la  captivité  qui  m'oblige  à  y  sub- 
venir, car  j'expérimente  souvent  que  voulant  satisfaire  a 


24  SERMON  ÇCLXXIV. 

besoin  de  la  nature  ,  je  contente  mon  appétit ,  et  sous  le 
voile  de  la  nécessité  je  tombe  dans  le  piège  de  la  volupté. 
S.  Augustin  (  Lib.  no.  Confess.  cap.  31 .  )  dit  :  «  Hoc 
«  me  docuisti  ut  quemadmodum  medicamcnta  sic  alimenta 
«  sumpturus  accedam.  Sed  dum  ad  quietem  satietatis  ex 
«  indigentiae  modestia  tronseo  ,  in  ipso  transitu  mihi  insi- 
a  dialur  laqueus  concupiscente.  Ipse  enim  transitus  vo- 
«  luptas  est,  et  non  est  alius  qua  transeatur  ,  quo  transire 
«  eogit  nécessitas  ,  etc.  Nam  quod  saluti  satis  est ,  delec- 
«  tationi  parum  est  ;  et  sœpe  incertum  fit  ulrum  adhuc 
«  necessaria  corporis  cura  subsidium  petat,  an  voluptaria 
«  cupiditatis  fallacia  ministerium  suppetat.  Ad  hoc  incer- 
«  tum  hilarescit  infelix  anima ,  et  in  eo  praeparat  excusa- 
«  tionis  patrocinium  ,  gaudens  non  apparere  quid  satis  sit 
«  moderationi  valetudinis ,  ut  obtentu  salutis  obumbret 
<(  negotium  voluptatis.  »  Voici  la  tradution  de  ce  passage  : 
Quand  je  passe  de  l'incommodité  de  la  faim  au  soulagement 
que  le  manger  me  donne  ,  la  concupiscence  me  dresse  des 
embûches  sur  ce  passage  ;  car  ce  passage  est  accompagné 
de  volupté;  il  n'y  a  point  d'autre  voie  par  où  nous  puissions 
passer  à  ce  soulagement  que  la  nécessité  nous  oblige  de 
rechercher ,  et  quoique  la  conservation  de  la  vie  soit  la 
seule  chose  qui  oblige  de  boire  et  de  manger  ,  ce  plaisir 
dangereux  vient  à  la  traverse,  et  parait  d'abord  comme  un 
serviteur  qui  suit  son  maître;  mais  souvent  il  fait  des  efforts 
pour  passer  devant ,  afin  de  me  porter  à  faire  pour  lui  ce 
que  je  Savais  dessein  de  faire  que  pour  la  seule  nécessité; 
et  ce  qui  sert  à  nous  tromper  en  cela,  c'est  que  la  nécessité 
n'a  pas  la  même  étendue  que  le  plaisir  ;  car  ce  qui  suffît  à 
la  nécessité  ne  suffit  pas  à  la  délectation,  etc.,  afin  que  le 
prétexte  de  la  santé  lui  serve  de  voile  pour  satisfaire  sans 
scrupule  à  la  passion  de  la  volupté. 

C.  —  (2°  Societas.  )  Le  premier  homme  tomba  aussi 
dans  cette  tentation;  mais  ce  fut  par  un  autre  piège.  Il  est 
assuré  que  son  premier  péché  ne  fut  ni  ne  pouvait  être  un 
péché  de  sensualité  ,  car  en  l'état  d'innocence  et  de  justice 
originelle,  il  n'y  avait  point  de  révolte  de  l'appétit  sensuel 


25 

ronde  la  raison,  ni  de  la  chair  contre  l'esprit ,  la  partie 
inférieure  de  Pàrae  était  entièrement  soumise  à  la  supérieure 
el  à  Dieu  ;  il  mangea  donc  la  pomme  par  condescendance, 
par  respecl  Immain  et  par  complaisance  :  Sociali  necessi- 
tuJinc,  dit  S.  Augustin  ,  pour  complaire  à  sa  femme,  qui 
lui  donna  le  fruit  el  le  pria  d'en  manger  :  Millier  quam 
dedisli  mihi  sociam.  Ainsi  plusieurs  personnes  qui  n'ont 
pas  beauconp  d'inclination  naturelle  à  L'ivrognerie  ,  ou  aux 

5  de  bouche,  s'y  laissent  aller  insensiblement  par  con- 
descendance; on  les  prie  de  passer  une  heure  de  temps  eu 
quelque  honnête  récréation  ;  après  le  jeu  on  va  au  cabaret, 
ouàquclqu'autrc  lieu  de  débauche  ;  on  n'ose  faire  le  réformé, 
ni  desobliger  la  compagnie  ,  avec  les  loups  il  faut  hurler  ; 
on  commet  ,  par  complaisance  ,  ce  qu'on  ne  voudrait  pas 
commettre  pour  tous  les  plaisirs  du  monde.  Il  y  en  a  d'autres 
qui  disent  :  Si  je  ne  montre  bon  visage  à  celui  qui  m'est 
venu  voir ,  si  je  ne  romps  mon  jeune  pour  lui  tenir  compa- 

.  si  je  ne  le  presse  de  boire  ,  et  si  je  ne  bois  souvent  à 
fcces,  il  dira  une  je  suis  un  avarieieux  ,  (pic  je 
ne  le  vois  pas  de  bon  œil.  Si  vous  ne  rompez  votre  jeûne  , 
votre  ami  vous  tiendra  pour  un  avarieieux,  si  vous  le  rompez, 
votre  Dieu  vous  tiendra  pour  désobéissant;  si  vous  ne  buvez 
plus  qu'il  n'est  besoin  ,  vous  désobligerez  votre  parent,  si 
vous  buvez  plus  qu'il  ne  faut ,  vous  offenserez  votre  Dieu, 
Lequel  vaut  mieux  ? 

Je  jeûnerais  volontiers  le  vendredi  ou  le  samedi  ;  mais 
je  ne  saurais  le  faire  sans  qu'on  s'en  aperçoive  :  on  verra 
bien  que  je  ne  souperai  point  ,  on  dira  que  je  jeûne  ,  on 
concevra  bonne  opinion  de  moi,  j'en  perdrai  le  mérite.  Qui 
vous  l'a  dit?  Et  à  ce  compte  il  ne  faudrait  point  faire  de 
bonnes  œuvres  extérieures  ,   visiter  les  pauvres  ,   ouïr  la 

e  ,  fréquenter  les  sacrements  ;  que  deviendrait  cette 
parole   :  Sic  luceat  lux  vestra  coram  hominibus  ,  ut 

ant  opéra  vestra  bona  ,  et  glorificent  Pat  rem 
Vêitrum,  Mattb.  5.  16.  )  Donnez  bon  exemple  aux 
hommes,  afin  qu'on  ail  sujet  de  glorifier  Dieu  en  vos  bonnes 
œuvres, 


26  SERMON  CCLXX1V. 

liasit  opusinpiiblico,  utintentio  moneal  in  occultù. 
Quand  on  est  oblige  de  pratiquer  une  bonne  œuvre  en  pu- 
blic ,  il  faut  que  l'intention  soit  en  secret ,  c'est-à-dire 
qu'il  ne  faut  pas  la  faire  pour  paraître  et  pour  plaire  aux 
hommes,  mais  seulement  pour  être  agréable  à  Dieu  ,  dit 
S.  Grégoire.  Sinon  haheas  s-pectatores  ,  non  hethehis 
imitatores  :  Si  personne  ne  vous  voit  quand  vous  faites  une 
bonne  œuvre,  personne  ne  vous  imitera.  Pourvu  que  vous  ne 
le  fassiez  pas  à  intention  d'être  vu,  mais  pour  l'amour  de  Dieu, 
vous  ne  perdez  pas  le  mérite;  dites  comme  S.  Bernard. 
Prêchant  un  jour  en  une  bonne  assemblée  ,  il  fut  tente  de 
l'esprit  de  vanité,  et  doutant  en  soi  s'il  cesserait  de  prêcher 
pour  éviter  le  danger  de  vaine  gloire  ,  il  eut  inspiration  de 
répondre  à  Satan  qui  le  tentait  :  Je  ne  l'ai  pas  commencé 
pour  toi;  je  ne  le  laisserai  pas  pour  toi. 

D.  —  (3°  Mata  consuetudo.  )  La  troisième  cause  de 
ce  vice  ,  c'est  l'habitude.  S.  Augustin  (  Lib.  9.  Confess. 
cap.  8.  )  en  apporte  une  expérience  bien  remarquable  ,  et 
dont  il  pouvait  parler  savamment.  Il  dit  que  sa  mère,  sainte 
Monique,  étant  encore  jeune  fille  était  nourrie  fort  chrétien- 
nement avec  ses  sœurs  dans  la  maison  de  ses  père  et  mère  ; 
néanmoins  elle  commençaitàprendre  une  mauvaise  habitude, 
et  voici  comment.  On  l'envoyait  tous  les  jours  à  la  cave  , 
avec  une  jeune  servante .  tirer  du  vin  pour  le  repas  de  la 
famille  ;  il  lui  prit  un  jour  envie  de  savoir  si  le  vin  pur 
était  bon  ;  elle  en  but  dans  le  pot ,  mais  bien  peu  ,  parce 
qu'il  lui  semblait  de  mauvais  goût  ;  le  lendemain  elle  en  fit 
de  même  ,  et  le  troisième  et  le  quatrième  jour,  et  ainsi  de 
jour  à  autre,  .elle  en  buvait  de  plus  en  plus,  ne  le  trouvant 
plus  si  amer  ;  enfin  elle  s'y  accoutumait  tellement  qu'elle 
commençait  déjà  à  boire  de  petits  verres  de  vin  pur  tout 
entiers  :  Plenos  mero  caliculos  inliianter  liauriret.  Et 
elle  s'allait  jeter  inconsidérément  dans  une  très  mauvaise 
habitude  d'ivrognerie ,  si  Dieu  qui  veille  toujours  sur  les 
prédestinés  ,  n'y  eût  remédié  par  un  trait  admirable  de  sa 
providence,  permettant  que  cette  jeune  servante,  qui  seule 
était  tçmoin  de  ce  dérèglement ,  en  se  querellant  un  jour 


Monique,  mi  reprocha  sa  friponnerie,  et  lui  dit  :  Allez, 
allez ,  petite  ivrognesse,  allez  boire  le  vin  dans  la  cave  : 
;  vit  hoc  cri  mon  amarissima  insultât  ionc  ,  vocans 
mcribibuLun.  Dieu  se  servit  de  cette  parole  piquante  comme 
ivun  coup  de  lancette  ponr  percer  l'apostume  qui  commen- 
former  d  ins  le  cœur  de  cette  âme  choisie,  car  elle 
fui  si  outrée  el  si  confuse  do  ce  reproche,  que  rentrant  en 
elle-même,  elle  connut  et  condamna  sa  faute,  et  sVn  cor- 
rîgca  sur-le-champ  :  Quo  Ma  stimulopcrculsarespexit 
fatditatem  suant,  conf  est  inique  damnav.it  et  e.ruit. 

UNDUM   PIWCTUM,   —  Fjus  e/îectus. 

.  —  (  \    Multapeccata*  )  S.  Thomas  dit  (2.  2.  q. 
I A3,  a.  2.  el  5.  )  que  l'intempérance  n'est  pas  toujours  un 

lé  mortel,  mais  qu'elle  est  un  vice  capital,  c'est-à-dire 

le  chef,  la  source,  l'origine  de  plusieurs  autres.  Quelque 

pourrait  dire  :  Je  lis  bien  dans  les  commandements  de 

,  :  Homicide  point  ne  seras ,  luxurieux  point  ne  seras  ; 

mais  je  ne  lis  point  :  Ivrogne  lu  ne  seras  ;  contre  quel 

mandement  offense-ton  Dieu  par  ce  vice  ?  Contre  tous  : 

;  n'a  point  fait  de  commandement  exprès  et  particulier 

défendre  ce  péché,  parce  qu'il  le  défend  par  (ous  ses 

commandements.  Mcïsc  (  Exod.  32.  19.  )  ayant  reçu  les 

dix  commandements  écrits  de  la  main  de  Dieu  ,  en  deux 

tables  de  pierres  ,  après  s'y  être  disposé  par  un  jeune  de 

quarante  jours  ,   et  trouvant  à  son  retour  que  le  peuple 

avait  offensé  Dieu  par  intempérance  ,  brisa  les  tables  de 

la  loi  au  pied  de  la  montagne  ,    pour  montrer  que  par  ce 

vice  on  rompt  et  transgresse  tous  les  préceptes  de  la  loi. 

Dieu  dit  au  premier    ommandement  :  Tu  n'auras  autre 

Dieu  que  moi.  Et  S.  Paul  dit  des  ivrognes  ,  qu'ils  font  leur 

de  leur  ventre  :  Quorum  deus  renie?*  est.  N'est-ce 

de  le  dire?  n'est-ce  pas  un  crime  d'en  avoir  la 

prendre  un  autre  dieu  que  le  vrai  Dieu, 

et  un  dieu  si  sale  ,   :,i  abominable  que  votre  ventre  ?  C'est 

lui  qui  crierait  au  milieu  de  Pari-  ef  en  présence 

de  la  cour  :  \  ivc  le  roi  et  un  tel  crocheteur  !  Deus  tibi 


28  SERMON  CCLXX1S'. 

venter  est,  et  puïmo  templum ,  et  aqualiculus  ait 'are V 
sacerdos  coqitus,  sanctus  nidor  ,  condhnenta  charis— 
mata  ,  et  ructus  prophetia  vêtus  est.  (  Tertull.  contra 
psyticos.)  Le  poumon  est  son  temple  ;  son  autel,  la  panse; 
son  prêtre  ,  le  cuisinier  ;  son  saint-esprit  ,  la  fumée  des 
viandes  ;  ses  grâces  ,  les  sausses.  Que  de  paroles  impics 
dit-on  dans  les  cabarets  ;  que  de  railleries  fait-on  des 
choses  saintes,  de  la  parole  de  Dieu  ,  de  la  confession,  do 
la  dévotion,  des  personnes  dévotes  ;  que  de  jurements,  que 
de  blasphèmes,  que  de  malédiction  !  Le  saint  homme  Job 
connaissait  bien  cette  vérité,  quoique  ses  enfants  fussent  très 
sages,  très  modestes,  très  sobres,  parce  qu^ils  s'étaient  ré- 
galés, ils  craignait  qu'ils  n'eussent  offensé  Dieu,  et  il  offrait 
des  sacrifices  pour  eux  :  Ne  forte  peccaverint  filii  met. 
,  Votre  femme  trouve  fort  mauvais  que  vous  fassiez  bonne 
chère ,  pendant  que  vos  enfants  crient  à  la  faim  ;  que  vous 
dépensiez  en  un  jour  ce  qui  devrait  entretenir  votre  famille 
toute  une  semaine,  que  vous  la  laissiez  avec  trois  enfants, 
sans  pain ,  sans  bois ,  sans  argent  et  sans  aucune  consola- 
tion ;  elle  ne  peut  s'empêcher  de  vous  témoigner  le  senti- 
ment qu'elle  en  a  ;  vous  ne  voulez  souffrir  sa  réprimande  , 
vous  la  donnez  au  diable,  vous  blasphémez,  vous  reniez, 
vous  faites  la  bête  enragée  ;  et  cela  en  un  jour  de  fête ,  en 
un  jour  de  dimanche.  Le  saint  dimanche  n'est  plus  le  jour 
du  Seigneur  parmi  les  chrétiens  ;  c'est  le  jour  de  Bacchus, 
de  Cérès,  de  Vénus,  etc.  Messieurs  de  la  police,  je  crains 
qu'au  jugement  de  Dieu  on  ne  dise  de  vous  ce  que  l'Ecri- 
ture dit  (3.  Reg.  22.  44.)  du  roi  Josaphat  :  Fecit  rectum 
in  conspectu  Domini,  venant amen  excelsa  nonabstulit, 
adhuc  enim  populus  sacrificabat ,  et  adolebat  incensum 
in  excelsis.  Vous  êtes  gens  d'honneur,  de  piété  ,  de  pru- 
dence singulière  ;  verumtamen,  verumiamen.  Mais,  mais 
que  font  ces  débauchés  au  cabaret,  au  brelan  pendant  la  mes- 
se, et  autres  offices  divins  ?  où  est  la  punition  des  cabaretiers 
qui  leur  donnent  à  boire  ?  où  sont  les  défenses  qu'on  a  si 
souvent  publiées  et  renouvelées  ?  où  est  le  soin  que  vous 
devez  avoiv  de  les  y  surprendre  pour  les  châtier  ?  où  est  le 


db  l'intbmpéh  ln<  i  .  20 

de  la  gloire  de  Dieu  et  du  bien  public  ?  est-il  possible 
qu'il  n'y  en  ait  pas  un  seul  qui  puisse  dire  à  l'heure  de 
sa  mort  :  Zelo  zelatus  sum  pro  d'omo  Israël?  assuré- 
ment, assurément,  il  n'en  faudrait  qu'un,  qu'un  seul  d'entre 
tous  bien  résolu,  zélé,  courageux,  désintéressé,  pour  empê- 
cher toutes  ces  débauches. 

Que  direz-vous  d'une  effroyable  injustice  que  j'ai  à  vous 
raconter?  lu  grand  seigneur  qui  avait  plusieurs  terres, 
eu  acensa  une  pour  toujours  à  un  villageois ,  lui  donna  du 
bétail  pour  la  labourer  ,  lui  fournissait  tous  les  ans  du  grain 
pour  l'ensemencer;  il  était  si  bon  et  si  libéral,  qu'il  per- 
mettait au  paysan  de  la  moissonner  pour  lui  les  cinq  pre- 
mières années  ,  et  se  contentait  d'en  recueillir  les  fruits  la 
sixième  et  la  septième  année.  Le  paysan  était  si  injuste , 
qu'ayant  fait  la  «'(Voile  pour  lui,  quand  la  sixième  et  la  sep- 
tième années  venaient,  il  mettait  ses  pourceaux  en  la  maison 
de  son  maître.  N'était-ce  pas  une  ingratitude  dénaturée, 
une  injustice  bien  monstrueuse?  C'est  ce  que  vous  faites, 
l  !  tous  n'en  avez  pas  d'horreur!  Le  bon  Dieu  vous  a  donné 
les  terres,  le  bétail,  les  semences,  les  meubles  que  vous 

île/  ;  il  vous  permet  de  travailler  pour  vous  et  pour 
votre  famille  cinq  ou  six  jours  la  semaine  ;  il  vous  donne 
les  jours  ouvriers,  mais  il  se  réserve  les  dimanches  et  les 
fêtes ,  il  veut  que  vous  les  employiez  à  son  service  ;  et  au 
lieu  de  le  faire,  vous  y  mettez  des  pourceaux,  vous  em- 
ployez ces  jours  en  des  œuvres  de  pourceau,  à  la  mangeailie, 
à  l'ivrognerie,  à  des  assemblées  et  actions  lascives;  et  si 
votre  mère  le  trouve  mauvais,  si  voire  père  vous  en  reprend, 
vous  ne  vous  en  souciez  pas ,  vous  oubliez  le  respect ,  la 
crainte  et  l'obéissance  que  vous  leur  devez  ;  vous  les  faites 
attendre  après  vous  jusqu'à  dix  ou  onze  heures  du  soir; 
'  ml  que  vous  êtes  en  vos  passe-temps,  vous  êtes  cause 
qu  ils  ne  peuvent  reposer  la  nuit,  craignant  o*jc  vous  ne 
preniez  querelle  au  cal  .mt  et  qu'on  ne  vous  tue,  ou  que 

ne  tuiei  quelqu'un,  et  leur  crainte  n'est  pas  frivole, 
mais  bien  fondée  ;  car  la  colère  étant  une  émotion  et  un 
échau  lutour  du  cœur,  et   le  sang  étant 


30  SERMON  CCLXXIV. 

échauffé  parle  vin  ;  c'est  clans  les  buvettes  que  s'engendrent 
les  querelles ,  les  batteries,  les  duels,  homicides ,  contre  le 
cinquième  commandement  ;  les  pensées  sales ,  les  paroles 
lascives  ,  les  actions  déshonnètes,  contre  le  sixième  et  neu- 
vième commandement.  Vénus  était  engendrée  de  l'écume 
de  la  mer;  l'égoùtet  la  sentine  de  la  gloutonnerie,  c'est  la 
lubricité  :  Venter  cibis  exœstuans  despumat  in  libidi- 
nem;  luxuriosaresvimim»  Le  vin  est  un  foyer  de  luxure, 
dit  le  Saint-Esprit;  n'en  donnez  pas  à  vos  enfants,  si  vous 
êtes  sages ,  messieurs,  et  si  vous  voulez  qu'ils  le  soient. 

Tous  ces  vices  ne  s'entretiennent  pas  pour  rien,  il  faut 
de  l'argent  pour  en  faire  les  frais  ,  vous  en  dépensez  beau- 
coup ,  et  vous  en  gagnez  peu  ou  point  ;  vous  êtes  contraint 
d'en  dérober  à  votre  père  ou  à  vos  voisins ,  ou  du  moins 
entassant  dettes  sur  dettes  et  crédits  sur  crédits,  vous  de- 
venez insolvable  ;  vous  pensez  en  être  quitte  envers  la  justice 
de  Dieu  comme  envers  celle  des  hommes,  pour  faire  une 
honteuse  cession  de  biens  :  Qui  non  habebit  in  œre  luet 
in  eufè. 

Vous  prêtez  vingt  écus  à  un  bon  homme  dans  sa  néces- 
sité ,  et  vous  lui  en  faites  dépenser  un  demi  à  payer  pour 
vous  dans  un  cabaret.  Vous  avez  plaidé  ou  fait  une  écriture 
pour  un  villageois,  au  lieu  de  cinq  ou  six  sous  qu'il  devait 
vous  payer,  vous  lui  en  faites  dépenser  quinze  ou  vingt  dans 
une  taverne. 

Ou  si  vous  ne  volez  pas  les  biens ,  vous  brigandez  l'hon- 
neur du  prochain.  Dans  les  festins  de  ce  temps  malheureux, 
on  mange  ordinairement  plus  de  chair  crue  que  de  cuite , 
plus  de  chair  humaine  que  de  viande  de  boucherie  ;  on  dé- 
chire à  belles  dents  la  réputation  des  hommes  d'honneur, 
des  ecclésiastiques ,  des  juges,  des  magistrats ,  des  prélats, 
des  ministres  d'état ,  de  tous  :  Appropriant  super  me 
vocenfes  utedanl  cames  meas;  dicm  venter  refteitur, 
limjua  deprœdatur  :  Pendant  que  le  ventre  se  remplit ,  la 
langue  ravage  la  réputation  du  prochain. 

C'est  aussi  dans  les  cabarets,  entre  les  pots  et  les  verres, 
qu'on  fait  souvent  de  faux  contrats ,  des  antidates ,  de  faux 


m    l'iNTEMPBR  INCE.  31 

témoignages.  Un  homme  rusé  vous  conduit  à  la  taverne  ; 
vous  n'osez  rien  refuser  à  celui  qui  vous  oblige  et  qui  paie 

pour  vous  ;  il  vous  prie  de  signer  un  papier  où  il  met  tout 
ce  qu'il  veut ,  de  donner  un  exploit  sous  la  cheminée,  d'aller 
témoigner  en  justice  ce  que  nous  n'avez  jamais  vu  ;  à  l'ap- 
pétit l'une  franche  repue  vous  vous  jetez  dans  des  labyrin- 
thes ,  dans  des  obligations  de  restitution  que  vous  ne  ferez 
jamais. 

F.  — (2°  Peccata  omissionis.)  Or,  en  ces  déréglc- 
glemcnts,  vous  n'offensez  pas  Dieu  seulement  par  commis- 
sion, mais  aussi  par  omission;  par  omission,  dis-je,  de  ce 
que  vous  êtes  obligé  de  faire  hors  de  votre  logis  et  en  votre 
maison. 

Hors  de  votre  logîs ,  envers  les  pauvres  qui  meurent  de 
faim  et  de  disette ,  lorsque  vous  faites  bonne  chère,  et  qui 
seraient  notablement  soulagés  de  vos  supcrfiuités.  C'est  le 
reproche  que  Dieu  fait  à  ceux  de  Sodome  :  Ecce  liœc  fuit 
iniquitas  Sodomœ superbia,  saturitas panis,  etabun- 
(huiiia ,  et  ottum  cjuS)  et  filiarum  ejus  ,  et  manum 
pauperi  non  porrigebant.  (Ezech.  16.  AO.)  Celait  pro- 
prement le  crime  du  mauvais  riche  ;  il  ne  s'enivrait  pas, 
il  ne  mangeait  pas  injustement  le  bien  des  marchands  et 
des  créanciers ,  Jésus  nous  l'aurait  dit  ;  il  négligeait  un 
pauvre  mendiant  qui  était  à  sa  porte. 

El  ce  n'est  pas  seulement  aux  étrangers  que  vous  êtes 
cruel ,  mais  aussi  à  vos  propres  enfants  ;  pendant  que  vous 
clés  à  vos  divertissements  ,  vous  n'en  avez  point  de  soin  , 
ils  s'égarent ,  ils  fréquentent  les  mauvaises  compagnies  et 
il  se  débauchent  à  votre  exemple  ;  ou  sMs  demeurent  au 
logis ,  ils  traitent  leur  mère  comme  une  servante  ;  si  elle 
s'en  plaint  à  vous ,  vous  n'en  tenez  pas  compte,  parce  que 
vous  n'osez  pas  reprendre  leur  vice,  étant  vicieux  vous- 
même,  vous  doutez  bien  que  votre  réprimande  ne  servirait 
pas  beaucoup.  Au  retour  du  cabaret,  si  vous  avez  un  vin 
(le  lion,  vous  mettez  tout  en  désordre  comme  une  bète 
furieuse  ;  si  vous  avez  un  vin  de  singe  ,  vous  proférez  mi  lie 
sottises,  vous  dites  des  impertinences  II  perle  de  vue;  si 


32  SERMON  CCLXXIV. 

vous  avez  un  vin  de  pourceau ,  vous  vous  couchez  et  vous 
vous  endormez  comme  une  bête.  Des  actions  si  infâmes 
font  perdre  à  vos  enfants  le  respect  qu'ils  vous  doivent ,  ils 
ne  font  pas  bien,  maïs  tant  il  y  a  qu'ils  le  font;  noyant  point 
de  gravité  ,  vous  n'avez  pas  autorité  sur  eux,  toutes  les  re- 
montrances que  vous  leur  faites  n'ont  point  d'ascendant  sur 
leur  esprit.  Pourquoi  ?  on  les  néglige  ;  c'est  comme  une 
terre  qui  n'est  pas  cultivée,  qui  ne  produit  que  chardons 
et  épines.  Pourquoi  vous  êtes-vous  marié  ?  pourquoi  les 
avez-vousmisau  monde,  si  vous  vouliez  ainsi 'les  mépriser? 
pauvres  enfants!  ils  font  pitié  ;  il  vaudrait  mieux  pour  eux 
qu'ils  eussent  été  les  faons  d'un  tigre  ou  d'un  léopard ,  leur 
âme  mourrait  avec  leur  corps,  et  ne  serait  pas  damnée. 
Auguste  disait  qu'il"  eût  mieux  aimé  être  le  pourceau  d'Hé- 
rode  ,  que  son  fds  ;  on  peut  en  dire  de  même  de  vous.  Je 
fais  quelquefois  cette  réflexion  quand  vous  tuez  votre  pour- 
ceau, et  qu'on  l'entend  crier  ;  il  fait  pitié ,  mais  je  pense , 
il  en  est  quitte  pour  souffrir  un  demi-quart  d'heure ,  au  lieu 
que  votre  pauvre  enfant  que  vous  engagez  à  la  damnation 
par  votre  négligence ,  par  les  mauvais  exemples  de  vos  dis- 
solutions, n'en  sera  pas  quitte  pour  un  jour,  pour  un  mois, 
pour  une  année  ,  pour  un  siècle ,  pour  cent  mille  millions 
d'ans  de  très  horrible  tourments.  Pauvre  malheureux  !  pau- 
vre infortuné  !  que  tu  as  mal  rencontré  d'avoir  un  père  si 
brutal  et  si  inhumain  ! 

tertium  punctum.  —  Remédia  tolkre,  etc. 

G.  —  (1  °  Errorem,  etc.)  Noli profiter  clbu?n  perdere 
fratrem  pro  quo  Christus  morluus  est ,  vous  dit  Fapo- 
tre  :  Ne  veuillez  pas ,  pour  la  nourriture ,  être  cause  de  la 
damnation  de  votre  frère ,  pour  lequel  Jésus-Christ  est 
mort.  Il  dit  :  JSoli,  parce  que  vous  ne  tomberez  pas  en  ce 
péché,  si  vous  ne  le  voulez;  il  est  aisé  de  vous  en  garantir, 
si  vous  voulez  prendre  tant  soit  peu  de  peine  d'y  résister , 
et  si  vous  voulez  en  ôter  les  causes  ;  nous  avons  dit  qu'il 
y  en  atrois  :  la  première,  c'est  la  tromperie  de  la  sensualité 
qui  nous  flatte  et  nous  dit  que  l'abstinence  nuit  à  la  santé 


DE  1 1  INTEMPERANCE.  33 

établie  les  jours,  et  que  c'est  offenser  Dion  d'affaiblir 
son  corps  ,  et  de  se  mettre  on  danger  de  se  faire  malade  par 
de  telles  austérités.  Les  deux  propositions  île  ecl  argument 
sont  très  fausses:  l'expérience  fait  voir  que  plusieurs  reli- 
gieux, qui  ne  mangent  point  de  chair,  qui  boivent  fort  peu 
de  vin  ,  qui  jeûnent  une  partie  de  Tannée  ,  arrivent  à  une 
extrême  vieillesse ,  et  que  le  doete  Fernel  a  eu  raison  de 
Lib.  1.  de  morborum  eausis ,  cap.  14.)  que  la  tem- 
pérance nous  conserve  en  santé  et  nous  donne  une  vie  heu- 
reuse :  Una  temperantia  totiusestjucundœsalubrisque 
secura  moderatrix;  etinfra  :  Nu  lia  colamiiatevel 
nrumna  premetur^  qui  vitœ  fundamentutn  posuerit 
iemperantiam.  Et  puis,  supposons  que  l'abstinence  et  les 
autres  mortifications  intéressent  la  santé,  et  abrègent  un 
pou  la  vie ,  c'est  une  erreur  de  penser  qu'il  ne  soit  pas  per- 
mis de  faire  autrement.   Il  faudrait  condamner  les  mille 
millions  d'anachorètes  en  TEglise  primitive  ,  qui  passaient 
souvent  1rs  deux  el  trois  jours  sans  manger  ;  il  faudrait  con- 
damner S.  Bernard,  et  tous  les  religieux  qui,  au  commen- 
ut  de  leur  ordre,  ne  mangeaient  que  du  pain  d'avoine 
el  des  herbes  cuites  sans  huile  et  sans  beurre,  et  au  jour  de 
Pâques,  des  pois  et  des  fèves  pour  grandes  délices,  et  qui 
aient  leurs  monastères  dans  des  vallées  basses  et  hu- 
mides ,  tout  exprès  ,  notez,  tout  exprès,  pour  se  faire  ma- 
lades :  ce  sont  les  propres  termes  du  bienheureux  Fastrèdc, 
disciple  de  S.  Bernard,  abbé  de  Cambron,  et  depuis  troisième 
abbé  de  Clairvaux,  en  cette  beile  épitre  qu'il  écrit  à  un  abbé 
son  ordre.  (Apud  Bern.  edit.  Horstii.) 
II.  —  (2°  Vitare  malam ,  etc.)  Non ,  la  frugalité 
n'affaiblit  pas  le  corps,  ne  raccourcit  pas  la  vie,  et  même  elle 
n'est  pas  aussi  difficile  à  pratiquer  que  vous  vous  l'imaginez; 
rimentez-le  et  vous  le  trouverez  vrai;   quittez  les  oc- 
ras,  fuyez   les  compagnies  qui  ont  coutume  de  vous 
conduire  à  la  débauche;  pour  éviter  leur  rencontre  les  di- 
ebes  ,  allez  à  la  grand'messe,  au  sermon  ,  aux  vêpres, 
rompez  courageusement  une  bonne  foi  avec  eux,  leur  faisant 
savoir  que  vo lu  n'êtes  plus  de  ce  parti;  trouvez  quelque 


34  SERMON  CCLXXIV. 

honnête  excuse  pour  vous  dispenser  d'aller  aux  fêtes  ,  aux 
festins,  aux  collations,  et  autres  assemblées  d'intempérance  ; 
priez  votre  confesseur  de  vous  le  donner  pour  pénitence  , 
c'est  une  pénitence  très  salutaire  ,  agréable  à  Dieu  ,  qui  ne 
coûte  rien  ,  qui  n'incommode  pas  la  sanlé,  ne  vous  expose 
pas  à  ta  vaine  gloire,  et  vous  rachète  beaucoup  de  peines  du 
purgatoire ,  quand ,  pour  l'amour  de  Dieu  et  pour  la  sa- 
tisfaction de  tant  de  péchés  que  vous  avez  commis,  vous 
dites  :  Je  veux  m'abstenir  un  an  ,  deux  ans,  trois  ans,  tant 
qu'il  me  sera  possible,  d'aller  au  cabaret,  aux  banquets, 
aux  réjouissances  mondaines  ;  il  vous  semblera  un  peu  dif- 
ficile au  commencement ,  quand  vous  l'aurez  fait  trois  ou 
quatre  mois  vous  n'y  aurez  plus  de  peine. 

I. — (3°  ^bolere  co)isuetiidinem,. )h'mtem\}éraLïiCG  s'ac- 
quiert par  la  mauvaise  coutume,  et  elle  se  perd  par  la  discon- 
tinuation, et  par  une  coutume  contraire;  faites  comme  saint 
Charles  :  premièrement,  il  jeûna  quelque  temps  tous  les  ven- 
dredis, puis  ilajoutales  mercredis  etsamedis,  quelques  années 
après  il  jeûna  tous  les  jours ,  puis  le  carême  au  pain  et  à  l'eau; 
enfin  ,  il  s'apprivoisa  si  bien  au  jeûne,  qu'il  jeûnait  toute 
l'année  au  pain  et  à  l'eau.  Je  ne  dis  pas  que  vous  soyez  aussi 
austère  ;  mais  habituez-vous  petit  à  petit  à  la  sobriété,  d'ici 
à  la  Pentecôte  ne  buvez  point  de  vin  qu'il  n'y  ait  de  l'eau, 
au  moins  le  quart,  puis  le  tiers,  après  la  moitié. 

CONCLUSIO. 

L. — {Argumenta,  etc.)  Il  vaut  mieux  faire  ainsi,  que 
de  vous  perdre,  comme  vous  faites  par  les  excès  de  bouche  : 
Noli  propfer  cibum  perd  ère. 

Vous  perdez  l'esprit  et  l'usage  de  raison,  vous  vous  abru- 
tissez, vous  vous  mêliez  au  rang  des  bêtes  et  au-dessous  : 
une  bêle  ne  boit  jamais  plus  que  sa  soif;  vous  vous  mettez 
en  un  état  dans  lequel,  si  l'article  de  la  mort  vous  arrivai';, 
il  vous  serait  impossible,  de  toute  impossibilité  de  vous  con- 
vertir à  Dieu,  étant  privé  de  jugement. 

Vous  perdez  voire  corps,  vous  ruinez  votre  santé  :  Pltts 


Dfi  ^INTEMPÉRANCE.  95 

quam  gladius:  La  gourmandise  on  titc  plus 

de  l'épée.  Fernel  dit  (ubi  supra.)  que  lin- 

éranec  i  d  la  nourrice  des  médecins ,  qui  leur  donne 

;: l'aucun  autre  accident. 

\  ous  perd  z  lli  mneur.  Comme  Noé  étant  ivre  fut  moqtid 

>  propres  enfants,  vos  domestiques  et  vos  voisins  se 

lient  de  vous,  et  vous  méprisent.  On  ne  Oui  point  d'état 

le  ces  pourceaux  d'Epicure,  qui  ont  une  ame  toute  de  tard 

el  de  graisse;  on  ne  les  estime  propres  à  rien  de  grand, 

me  César  disait  de  Mari1 -Antoine. 

\  ous  perdrez  vos  Liens  temporels,  votre  famille,  et  l'avan- 

cement  de  voire  fortune;  quand  vous  eles  dans  ces  résolu- 

,  absout  de  votre  maison,  vous  dépensez  beaucoup,  vous 

ue  gagnez  rien ,  votre  ouvrage  ne  se  fait  pas ,  vos  affaires 

démoliront  en  arrière,  vos  serviteurs  deviennent  fainéants, 

nfants  se  licencient,  et  votre  chalandisc  se  perd.  Quand 

loleest  endormi,  ou  absent,  le  vaisseau  devient  le  jouet 

ts,  on  n'en  peut  attendre  qu'un  naufrage  très  assuré. 

.Mais  vous  perdez  principalement  votre  âme,  vous  serez 

compagnon  du  mauvais  riche,  un  peu  de  plaisir  passager  vous 

coûtera  bien  cher,  vous  serez  tourmenté  d'une  faim  enragée, 

d'une  soif  ardente;  vous  n'aurez  pas  une  seule  goutte  d'eau, 

vous  crierez  dans  Le  feu  iCrucior  in  hac  flamma,  à  jamais, 

à  jamais,  dans  toute  l'éternité  interminable. 

Vous  n'en  croyez  rien,  mais  cela  ne  laissera  pas  d'arriver, 
«  l  plus  tôt  que  vous  ne  pensez,  et  avant  que  l'année  finisse, 
à  quelqu'un  de  nous.  S.  Paul  dit  :  Je  vous  prédisque  ceux 
qui  commettent  des  ivrogneries,  et  des  excès  au  manger  <  t 
au  boire,  ne  posséderont  pas  le  royaume  de  Dieu  :  Ebrie- 
tates  ,  comessationes.  II  ne  dit  pas  seulement  les  ivro- 
gneries, mais  les  excès  de  bouche. 

Bien  que  vous  ne  perdiez  pas  l'usage  de  la  raison,  parce 
ïuz  la  tète  forte,  si  vous  êtes  un  pilier  de  cabaret , 
si  vous  vous  gorgez  de  vin  et  de  viande,  si  vous  perdez  le 
temps,  négligez  votre  famille,  si  vous  donnez  mauvais  exem- 
ple au  prochain,  si  vous  dépensez  voire  bien  en  ces  buvettes 


36  SERMON  CCLXXIV. 

et  en  ces  banquets,  au  lieu  cf  en  soulager  les  pauvres,  vous 
encourez  cette  malédiction  :  Vœ  qui  patentes  estis  ad  Jri- 
hendum  vinum:  Malheur  à  vous  qui  pouvez  porter  beau- 
coup de  vin  !  Le  mauvais  riche  ne  s'enivrait  pas,  le  Fils  de 
Dieu  nous  l'aurait  dit;  il  faisait  bonne  chère  tous  les  jours, 
il  est  enseveli  aux  enfers. 

ISoîiproptercibumperdere  anii?ia?npro  quaChristus 
mortuus  est.  Que  lui  répondrez-vous,  quand  il  vous  fera 
voir  en  son  jugement  qu'il  a  si  souvent  jeûné  pour  votre  salut? 
Il  ne  mangeait  ordinairement  qu'en  une  faim  très  ardente, 
et  vous  qui  êtes  son  disciple,  vous  avez  voulu  vous  gorger 
comme  une  bête;  écoutez  un  abrégé  de  tout  ce  que  j'ai  dit  : 
Cui  vœ? cujus  patri  vœ ?  en i rixœ ?  cui  foveœ ?  eut  sin e 
causa  vulnera?  nonne  his  qui  commorantur  in  vino, 
et  sludent  calicibus  epotandis?  (Prov.  23.  29.)  Qui  est- 
ce  qui  encourt  beaucoup  de  malheurs  ?  qui  est-ce  qui  rend 
son  père  malheureux  ?  qui  est-ce  qui  est  sujet  aux  querelles, 
à  être  blessé,  à  tomber  en  des  accidents  funestes  ?  Ne  sont- 
cc  pas  ceux  qui  se  plaisent  à  boire?  dit  le  Saint-Esprit  au 
livre  des  Proverbes. 

.  Disons-lui  donc  après  le  Sage  :  Aufer  a  me  concupis- 
ceniias  venins;  disons-lui , comme  les  anciens  anachorètes, 
ce  que  S.  Chrysostôme  (Iiom.  57.  ad  pop.  )  rapporte  des 
religieux  de  son  temps,  qui,  avant  de  se  mettre  à  table  pour 
prendre  leur  pauy rc  réfection ,  qui  n'était  que  de  pain  et  d'eau , 
(Hierhes  ou  légumes,  et  une  seule  fois  par  jour  après  vêpres, 
faisaient  cette  prière  :  Impie  nos  Spiritu  sanclo  ut  inve- 
niamurnon  crubescenîcs  in  conspectu  tuo,  cum  reddes 
unkuiquc  secundum  opéra  sua  :  Mon  Dieu,  remplissez- 
nous  de  votre  Saint-Esprit, afin  que  nous  prenions  cette  réfec- 
tion avec  tant  de  retenue  que  nous  n'en  ayons  point  de  con- 
fusion en  votre  jugement ,  quand  vous  viendrez  rendre  à 
chacun  selon  ses  œuvres. 

A  plus  forte  raison  ,  quand  nous  voulons  prendre  notre 
repas  où  il  y  a  ùcs  ragoûts  et  des  viandes  qui  irritent  l'appétit, 
nous  devons  dçman.dçr  à  Dieu  la  grâce  de  ne  pas  nous  abrutir 


de  l'intempérance.  37 

:  i  table,  ce  qui  nous  rendrait  honteux  et  infâmes  en  son 

ment,  mais  que,  réfrénant  notre  sensualité,  nous  nous 

'Un  dignes  de  jouir  avecappétil  du  torrent  de  voluptés 

1 1  des  viandes  délicieuses  <|imI  a  assaisonnées  de  sa  main  cir 
la  table  du  banquet  céleste.  -  tmen. 


SERMON  CCLXXV. 


DE  L'ORGUEIL,  QUI  EST  UNE  LUXURE  SPIRITUELLE, 


Non  mœcïiabwis. 

Luxurieux  point  ne  seras ,  de  corps  ni  de  consentement.  (Exod.  20.  14.) 

Quand  l'apôtre  S.  Paul,  écrivant  aux  Corinthiens,  nous 
recommande  de  nous  affranchir  de  toute  souillure  de  chair 
et  d'esprit ,  (1)  il  n'entend  pas  seulement  par  les  souillures 
d'esprit  les  pensées  sensuelles  et  charnelles  ;  mais  il  entend 
le  vice  d'orgueil  qui  souille  notre  esprit ,  et  nous  rend 
semblables  aux  anges  immondes ,  comme  la  luxure  char- 
nelle souille  notre  corps  et  nous  rend  semblables  aux  bêtes 
immondes.  Pour  traiter  ce  sujet  méthodiquement  et  fruc- 
tueusement ,  je  dois  vous  faire  considérer  Tesscnce  ,  les 
effets ,  les  remèdes  de  ce  vice  ;  ce  seront  les  trois  points 
de  ce  discours. 

IDEA  SERMONIS. 

Exordium.  A.  J^idetur  quod  superbia  non  sit  maximum 
j)eccatorum,  sed divas  Thomas  docet  esse  maximum. 

Primum  punctum.  B.  Essentia  superbice. 

Secundum  punctum.  Effectus  :  —  C.  \°  Pervertit  viros 
perfectissimos.  —  D.  2°  Dévastât  societates  prœ- 
clarissimas.  —  E.  3°  Profanât  loca  sacra tissima, 
—  F.  4°  Inficit  actiones  sanctissimas . 

Tertium  punctum.  G.  Remédia  ,nempe  motiva  ad  fu- 
giendas  quatuor  species  superbice. 

(1)  Mundemus  nosab  omni  inqnmamento  cnrnisetspiritus.  (2.  Cor.  7, 1.) 


UftOM  ccl  [  vv . — de  L'oftGUfilL  ,  etc.  J 

EXORDIUM. 

L  —  (  Ftdetur  ,  ev.  )  Le  phénix  de  la  théologie  . 

£  ,,l0::i  -  q-  1 02.  a.  6.)  et  après  lui  les  autres 

eurs,  pour  nous  inspirer  de  l'horreur  pour  le  premier  des 
«ces  capitaux  ,  établissent  la  question  de  savoir  si  ce 
péché  est  le  plus  grand,  le  plus  énorme  et  le  plus  abomi- 
nable de  tous  les  crimes;  ce  qui  fait  la  difficulté,  c'est  qu'il 
j  a  une  quantité  d'autres  vices  qui  semblent  incomparable- 
!  plus  noirs  et  plus  dénaturés  que  la  superbe  ,  comme 
le  blasphème,  l'athéisme,  la  haine  de  Dieu. 

Et  puis,  selon  la  doctrine  d'Aristote,  (  S.  Eth.  cap.  1 0  ) 
m  mal  est  d'autant  plus  horrible  qu'il  est  plus  contraire  à 
un  plus  grand  bien;  un  crime  est  d'autant  plus  grand  qu'il 
opposé  à  une  plus  noble  et  plus  excellente  vertu.  Or 
ta  d'humilité  à  laquelle  l'orgueil  est  opposé,  n'est  pas 
nuiente  et  la  plu  ;  noble  de  toute*  les  vertus ,  car 
t  la  charité  qui  tient  le  premier  ranv  Ajoutez  qu'un 
l  autant  pi  ible  et  digne  de  pardon  qu'il  est 

,  et  il  ny  a  vice  qu'on  évite  plus  rare- 
té l'orgueil ,  On  trouve  sou 
lui  se  défendent  de  l'avarice,  de  la  luxure 
de  la  gourmandise  ;   mais  des  pièges  de  la  superbe  ,  fort 
le  gens,  ou  point  du  tout,  s'en  garantissent.  L'ange- 
lique  Docteur  ,   après  avoir  examiné  ces  raisons ,  donne  la 
conclusion,  et  dit  que  parlant  absolument  et  formellement, 
si  on  regarde  I  orgueil  en  toute  ia  plénitude  et  consomma- 
tion de  sa  malice,  il  ...L  avouer  qu'il  est  le  plus  erief  cl  Je 
plus  pernicieux  de  tous  les  vices. 

PRIMUM    PUNCTUM. 

B.  —  (  Essenlia  superbiœ.  )  Pour  avoir  des  preuves 
et  irrépr  >chablcs  de  cette  vérité,  il  faut  considérer 

:  en  ses  remèdes.  En 
hé,  c'est-à-dire  dans  la  malice  et  la 
souillure  d  une  action  ,  la  théologie  distingue  deux  ch<    • 
:  I  aver.ion  et  lu  conversion  ;  l'avçrsion  par  laquelle 


AO  SERMON  CCLXXV, DK 

l'àmc  se  détourne  de  Dieu,  qui  est  son  bien  souverain,  sa 
dernière  fin  ,  son  unique  béatitude  ;  la  conversion  ,  par  la- 
quelle elle  se  tourne  vers  la  créature  pour  s'y  attacher  d'une 
affection  désordonnée.  De  ces  deux  dérèglements,  le  plus 
odieux ,  le  plus  déraisonnable ,  le  plus  dénaturé  ,  et  qui 
donne  une  malice  infinie  au  péché,  c'est  l'aversion  ;  la  con- 
version n'est  pas  aussi  criminelle,  car  il  est  aisé  à  voir  que 
ce  n'est  pas  un  aussi  grand  mal  de  s'attacher  avec  excès 
à  la  créature,  que  de  se  détacher  et  de  se  séparer  malheu- 
reusement du  Créateur.  Or,  c'est  la  conversion,  l'affection 
à  la  créature  qui  distingue  les  péchés,  qui  les  spécifie,  les 
établit  sous  un  genre  particulier  et  déterminé,  et  les  rend 
contraires  à  telle  ou  telle  vertu  :  l'attachement  aux  richesses 
fait  l'avarice  et  l'oppose  à  la  libéralité;  l'attachement  aux 
plaisirs  de  la  chair  fait  la  luxure,  et  l'oppose  à  la  chasteté. 
En  ce  qui  est  de  cette  conversion  et  affection  à  la  créature, 
l'orgueil  n'est  pas  le  plus  grand  de  tous  les  vices  ,  dit 
S.  Thomas,  comme  l'humilité  qui  lui  est  opposée  n'est  pas 
la  plus  grande  de  toutes  les  vertus.  Vous  m'avoucre'z  que 
ce  n'est  pas  une  chose  si  contraire  à  la  raison,  ni  si  indigne 
de  l'homme ,  d'être  affectioné  à  l'honneur  et  à  la  gloire  , 
comme  fait  l'orgueilleux  ;  que  de  s'attacher  à  la  terre  et  à 
la  chair,  comme  font  les  avaricieux  et  les  voluptueux;  mais 
en  ce  qui  est  de  l'aversion  et  de  la  séparation  de  Dieu  , 
l'orgueil  est  le  plus  grand  de  tous  les  vices  quand  il  est  con- 
sommé et  avec  pleine  délibération, et  en  matière  d'importance, 
parce  que  les  autres  vicieux  ne  se  détournent  de  Dieu  qu'in- 
directement, obliquement ,  et  presque  contre  leur  intention. 
L'orgueilleux  s'oppose  à  Dieu  diamétralement  et  en  droite 
ligne,  et  même  c'est  ce  péché  qui  rend  les  autres  vices  plus 
noirs ,  plus  mauvais  ;  car  l'athée  ,  l'hérétique  ,  les  autres 
infidèles  sont  bien  plus  criminels  quand  ils  commettent  ces 
péchés  ,  en  présumant  d'eux-mêmes  ,  et  en  refusant  de  se 
soumettre  à  Dieu  et  à  l'Eglise  ,  que  s'ils  commettaient  ces 
péchés  par  ignorance  et  par  aveuglement  d'esprit.  J'ai  dit 
quand  l'orgueil  est  consommé,  parce  que  s'il  n'est  que  d'un 
premier  mouvemcjU  et  avçç  \m  consentement  imparfait,  en 


Ql  I  B8T  l  NK  LIMHK  8P1HITI  KLLB,  h\ 

pc  légère  el  de  peu  d'importance,  il  est  moins  vicieux 

el  plus  facile  à  éviter  ;  mais  quand  c'est  avec  une  nuire 
délibération  el  par  un  consentement  plein  et  entier ,  il  est 

odieux  et  désordonné  ,  et  la  cure  en  est  très  difficile  , 
el  c'est  la  seconde  raison  <jui  nous  fait  toucher  au  doigt 
Pénormité  de  cçvice.  Il  faut  bien  dire  qu'il  est  le  plus  grand 
de  tous,  puisque  pour  nous  en  guérir  Dieu  permet  assez  sou- 
vent  que  nous  tombions  dans  les  autres  vices.  Mais  nous  trai- 
terons ce  point  un  de  ces  jours  avec  pins  de  détail.  Considérons 
plutôt  les  mauvais  effets  qu'il  produit  dans  le  monde;  il  y 
en  a  quatre  principaux  :  il  pervertit  les  personnes  les  plus 

iles  ;  il  désole  les  communautés  les  pins  florissantes  ; 
il  profane  les  lieux  les  plus  saints  ;  il  souille  les  actions  les 

vertueuses. 

SECUNDUM  PUNCTUM.   EffcciltG 

C. — (1°  Pervertit  viros.)  S.  Jérôme  nous  en  marqua 

Icj  |  ;•<  miers  i  (Têts  :  Superbia  natione  eœlestis  sublimes 

appétit  mentes  ;  chacun  se  ressent  du  lieu  de  sa  naissance. 

La  luxure  est  née  ici-lias  sur  la  terre  ,  dans  un  corps  gâté 

!  rompu  par  le  péché  ;  elle  n'a  d'autre  gite  (pic  les 

-  I  isses,  charnelles,  brutales,  toutes  de  bouc.  La  su- 

perbe  a  eu  son  origine  au  ciel  ;  elle  a  été  engendrée  dans  le 

i  de  la  première  et  de  la  plus  noble  créature  ,  d'une 

créature  toute  spirituelle  ;  elle  se  plait  d'être  reçue  dans  les 

âmes  célestes  et  spirituelles. 

Job  en  parlant  du  démon  qui  préside  à  ce  vice  qu'il  ap- 
pelle le  roi  de  tous  les  enfants  de  superbe  :  Ipse  est  rex 
super  universos  filios  svperhiœ,  dit  que  For  le  plus  pur 
lui  sert  de  litière  et  qu'il  le  foule  aux  pieds  comme  la  boue  : 
Stemei  sibi  aurum  quasi  lutum  ;  c'est-à-dire  que  les 
les  plus  pures  et  les  plus  saintes  deviennent  chelives 
comme  d<-  la  paille,  sales  comme  de  la  fange,  quand  elles  se 
rendent  esclaves  de  ce  vice.  Ce  qui  fait  dire  à  S.  Augustin 
que  la  plus  grande  et  la  plus  éminente  sainteté  qui  ait  jamais 
été,  et  qui  puisse  èlre  ,  sans  un,-  profonde  humilité,  est 
un  fondement  qui  n'est  qu'à  Heur  de 


42  oEKMOJN  GCLXXV. DE  L'ORGUEIL  , 

terre  ;  et  Se  Siméon  Stylite,  au  commencement  de  sa  con- 
version ,  s'étant  prosterné  en  terre  dans  l'église,  et  ayant 
fait  une  très  longue  et  très  fervente  oraison,  pour  demandei 
à  Dieu  qu'il  lui  plût  de  l'adresser  au  chemin  de  la  perfection 
et  de  lui  enseigner  sa  sainte  volonté,  s'endormit,  et  pendant 
son  sommeil  ,  il  lui  sembla  qu'il  fouissait  dans  terre  , 
comme  pour  creuser  les  fondements  d'un  grand  édifice,  et 
il  entendit  une  voix  qui  lui  dit  :  Vous  n'êtes  pas  encore 
assez  bas  ;  et  comme  il  creusait  toujours  plus  avant ,  la 
même  voix  lui  dit  trois  ou  quatre  fois  :  Creusez  encore  f 
creusez  encore.  C'est  ce  que  S.  Augustin  nous  a  dit  ave* 
tant  d'affection  :  (  serm.  10.  de  verbis  de  min.  )  Cogitas 
magnam  fabricant  construere  celsitudinis  ,  de  funda- 
mento  frius  cogita  humilitatis  :  Avez-vous  dessein 
d'élever  bien  haut  le  bâtiment  de  la  perfection  ,  pensez  à 
jeter  bien  avant  les  fondements  d'une  profonde  humilité  , 
autrement  l'orage  de  la  vanité  sapera  infailliblement ,  et 
mettra  par  terre  votre  édifice. 

Quelle  plus  grande  sainteté  que  celle  de  Tertullien  , 
d'Origène,  du  premier  homme  et  du  premier  ange,  et  l'or- 
gueil les  a  renversés  !  Tertullien  a  montré  l'amour  qu'il 
avait  pour  la  pureté,  dans  les  livres  qu'il  a  faits  sur  la  mo- 
nogamie, sur  le  voile  des  vierges,  contre  le  luxe  des  femmes  ; 
il  a  montré  l'austérité  de  sa  vie  dans  les  livres  de  la  péni- 
tence contre  les  spectacles  ,  contre  les  psychiques  de  la 
couronne  du  soldat,  son  grand  courage  et  le  mépris  qu'il 
faisait  des  biens  de  ce  monde ,  et  de  sa  propre  vie  en  son 
apologie  et  au  livre  qu'il  a  écrit  à  Scapula,  gouverneur  de 
la  province,  son  zèle  pour  la  foi  chrétienne  dans  les  livres 
qu'il  a  composés  contre  Marcion ,  Praxéas ,  Hermogène  et 
autres  ennemis  de  l'Eglise  ;  et  ce  grand  personnage ,  cet 
Hercule  chrétien,  après  tant  de  batailles,  tant  de  victoires , 
tant  de  triomphes,  après  avoir  terrassé  par  la  vivacité  de  son 
esprit  et  par  la  force  de  son  éloquence  les  idolâtres,  les  juifs, 
les  hérétiques,  est  enfin  terrassé  par  le  péché  de  superbe  , 
et  devient  hérétique  lui-môme  ,  et  de  la  plus  improbable  , 
de  la  plus  sotte  ,  de  la  plus  impertinente  hérésie  ,  qui  es* 
celles  des  montanistes. 


m  i  i.m   i  m.  M  JiiiTi  l.l.i.i  .  43 

i  i  chute  d'Origène  fui  encore  plus  déplorable;  voyez  ce 
qu'en  dit  \  incent  de  Lerins.  (  c.  '2.  !>.  )  11  étail  Gis  d'un 

iiKirh  r  de  Jésus  ,  il  avait  été  dépouillé  de  ses  biens  pour  la 
confession  de  la  foi,  il  avait  enduré  de  grands  tourments 
pour  l'amour  de  Jésus ,  sous  les  empereurs  Âlexandre- 
re  et  Dèce  ;  étant  encore  petit  garçon,  il  brûlait  d'un 
désir  si  ardent  de  mourir  pour  la  foi  et  d'aller  se  présenter 
au  martj  re,  que  *a  mère  lui  cachait  ses  habits  pendant  qu'il 
dormait,  atin  que  ne  les  trouvant  pas  le  matin  ,  il  fut  con- 
traint de  demeurer  au  lit;  heureuse  mère,  si  elle  Peut  plutôt 
babillé  et  pressé  d'aller  cueillir  la  palme  qu'il  a  malheure- 
sement perdue  !  Chacun  ^ait  ee  qu'il  fit  pour  conserver  la 
chasteté.  Il  était  si  assidu  au  travail,  que,  sans  parler  des 
levons  ,  des  prédications  et  des  conférences  qu'il  faisait  de 
five  voix,  à  peine  un  homme  de  longue  vie  pourrait  lire  tous 
les  livres  qu'il  a  composés ,  comme  dit  le  même  Vincent, 
La  fertilité  de  son  esprit,  la  beauté  de  son  discours,  l'énergid 
-  paroles  ,  les  charmes  de  son  éloquence,  la  force  de 
tisons  et  la  profondeur  de  sadoclrine,  étaient  si  grandes 
qu'elles  attiraient  des  quartiers  les  plus  éloignés  de  l'uni- 
vers  dans  la  \ille  où  il  résidait,  non-seulement  les  chrétiens, 
mais  encore  les  païens ,  comme  Porphyre  et  autres  ,  pour 
avoir  le  bonheur  de  le  voir  et  de  l'entendre  ;  enfin  il  fut  si 
heureux  en  disciples,  qu'un  grand  nombre  de  docteurs,  de 
prêtres  ,  de  confesseurs,  de  martyrs,  sortirent  de  son  sein 
et  de  son  école ,  et  toutefois  la  présomption  a  ruiné  en  lui 
tous  ses  talents,  et  lui  a  ravi  toutes  ses  palmes  et  ses  lauriers. 
Admirez  donc  ici  (  lia  Greg.  lib.  34.  moral,  cap.  15.) 
et  adorez  la  providence  de  Dieu  sur  les  prédestinés;  quand 
il  tient  sous  sa  protection  et  sous  sa  sauvegarde  particu- 
une  âme  choisie  qui  est  émincnle  en  sainteté,  il  a 
coutume  de  la  laisser  en  quelque  faiblesse,  tentation,  peine 
d  esprit  ,  infirmité  ,  incommodité  du  corps  pour  l'humilier 
t\  la  tenir  dans  l'humilité  par  ce  contre-poids.  S.  Paul  le 
confei  e  de  lui-même  :  Ne  magnitudtno  revelationum 
txtollat  me  ,  datuê  est  mihi  stimulus  carnis  angeli 
Sathanm  ,  qui  me  culaphiê,  etc. 


h'i  SÉttMON  CCLXXV. DE  l'oUGILIL, 

Ne  voilà-t-il  pas  qui  est  bien  étrange?  i!  a  reçu  tant  de 
grâces  et  de  révélations  du  Saint-Esprit,  et  il  est  travaillé  des 
aiguillons  de  la  chair  ;  il  persuade  à  tant  de  personnes  de 
garder  la  pureté,  et  il  est  importuné  de  tentations  d'impu- 
reté; il  a  été  parmi  les  archanges,  et  il  a  toujours  un  démon 
qui  le  tourmente  d'horribles  pensées;  il  a  été  ravi  jusqu'au 
troisième  ciel  >  et  il  est  à  tout  moment  à  deux  doigts  de  l'enfer; 
entre  lui  et  l'enfer  il  n'y  avait  que  le  consentement  de  sa  vo- 
lonté, faible,  fautive,  fragile  comme  du  verre,  si  elle  n'eût 
été  assistée  de  la  grâce  de  Dieu  :  Sufficit  tibi  gratia  mea. 

Ce  qui  doit  nous  apprendre  à  ne  pas  nous  étonner,  encore 
moins  nous  décourager ,  si  la  môme  chose  nous  arrive, 
quand  Dieu  nous  laisse  dans  des  faiblesses,  dans  des  aridi- 
tés ,  dans  des  ténèbres  intérieures,  dans  des  troubles 
d'esprit,  dans  des  scrupules,  dans  des  tentations  d'infidélité, 
de  désespoir,  d'impureté,  tant  qu'elles  n'arrivent  pas  jus- 
qu'à ce  point  que  de  nous  faire  consentir  à  un  péché  mortel , 
nous  ne  devons  pas  nous  en  inquiéter,  mais  y  adorer  la  misé- 
ricorde de  Dieu,  l'en  remercier,  nous  conformera  sa  volonté, 
recevoir  avec  résignation  et  agrément  ces  infirmités  ,  en 
prendre  sujet  de  nous  humilier,  puisque  c'est  à  cette  inten- 
tion que  Dieu  nous  les  envoie  et  nous  les  destine;  ce  qui 
faisait  dire  à  un  père  du  désert  :  Malo  cum  inquinatione 
carnis  ,  quam  cum  clatione  mentis  habere  conflictum  : 
J'aime  mieux  être  combattu  des  souillures  de  la  chair,  que 
de  l'orgueil  de  l'esprit. 

Tant  que  vous  voyez  qu'un  pécheur  est  humble ,  qtïll 
reconnaît  sa  faute  ,  qu'il  prend  de  bonne  part  d'en  être 
repris,  qu'il  s'estime  misérable  ,  gémit  et  soupire  en  son 
cœur,  qu'il  estime  heureux  ceux  qui  en  sont  exempts ,  qui 
prient  Dieu  d'en  être  délivrés ,  il  ne  faut  pas  désespérer  de 
sa  conversion,  ni  de  son  salut  ;  mais  quand  un  pécheur  est 
arrogant ,  qu'il  ne  veut  pas  être  repris ,  qu'il  se  glorifie  de 
ses  débauches,  lœtatur  cum  mala  fecerit ,  et  exultât  in 
rébus })essi?nis;  c'est,  presque  fait,  il  est  aux  portes  de  l'enfer. 

D.  —  (2°  Dévastât  societates  ,  etc.  )  Or,  ce  vice  ne 
nuit  pas  seulement  aux  personnes  particulières  ;  il  désole 


ou  EST  UNE  LUXURE  SPIRITUELLE,  45 

aussi  les  provinces ,  les  villes ,  les  familles  et  les  commu- 
nautés entières.  11  n'y  a  rien  qui  afflige  el  trouble  davantage 
L'Eglise,  que  les  hérésies,  et  elles  sont  filles  de  L'ambition 
ou  tle  la  présomption.  Arius  se  G(  hérétique  par  dépil 
d'avoir  été  rejeté  de  l'évèché  d'Alexandrie  qu'il  briguait  ; 
Âérius,  de  celui  de  Sébaste;  Novatien  ,  de  celui  de  Rome; 
Tertullieu  ,  de  celui  de  Carthage;  Théobule,  de  celui  de 
Jérusalem;  Valentin,  de  celui  de  Cypre.  Luther,  pour 
avoir  été  privé  de  l'honneur  de  prêcher  les  indulgences  de 
la  croisade  ,  comme  il  le  désirait ,  se  mita  prêcher  contre 
les  indulgences  ;  Eutichès,  Jovinien,  Pelage  ,  Sévère,  qui 
avaient  été  moines,  levèrent  L'étendard  de  leurs  hérésies  par 
trop  de  présomption  et  d'attachement  à  leur  propre  sens. 
Quel  est  le  tison  qui  allume  les  guerres,  qui  forme  les 
parlis  et  les  ligues  dans  L'état,  qui  renverse  les  républiques, 
n'est  ce  pas  L'ambition?  nous  ne  le  voyons  que  trop,  cela  n'a 

DM  besoin  de  preuve. 

Quelle  e^t  la  pierre  qui  aflile  Pépée  de  ceux  qui  se  bat- 
tent en  duel,  n'est-ce  pas  lepoint  d'honneur?  dites  à  ce  gen- 
tilhomme: C'esl  une  folie  de  vous  porter  sur  le  terrain  de 
sang  froid  pour  couper  la  gorge  à  un  homme  qui  ne  vous  a 
jamais  désobligé,  contre  qui  vous  n'avez  point  de  querelle, 
qui  est  votre  allié  ou  votre  camarade,  vous  mettre  en  danger 
d'être  tué,  aflliger  vos  père  et  mère  d'un  crève-cœur  per- 
pétuel, laisser  une  veuve  et  des  orphelins  dans  les  larmes, 
et  vous  rendre  malheureux  pour  jamais.  Il  est  vrai;  mais  il 
y  va  de  mon  honneur;  un  tel  m'a  prié  d'être  son  témoin.  Y 
a-t-il  folie,  stupidité,  extravagance,  frénésie  au  monde 
semblable  à  celle-là  ?  Comment  ne  nous  mettons-nous  pas 
à  genoux  cent  fois  le  jour ,  pour  remercier  Dieu  de  nous 
avoir  dits  roturiers?  il  y  a  fort  peu  de  gentilshommes  en 
France  qui  ne  puissent  dire  touslesmatinsense  levant:  Peut- 
êlre  que  ce  soir  j'irai  coucher  en  enfer  dans  la  compagnie 
des  démons,  pour  y  être  brûlé  de  toute  éternité. 

Quelle  est  la  mégère  et  la  furie  qui  jette  la  pomme  de 

discorde  entre  les  parents  ou  les  voisins,  qui  allume  les 

is,  les  querelles,  les  procès,  les  dissensions,  les  inirm- 


46  SERMON  CCLXXV. DE 

tiés?  Quœ  solet  unanimes  armare  in  prœlla  fr  aires  , 
atque  odiis  versare domos ? 'N'est-ce  pas  Pambition?  Inter 
superhos  semper  jurgia  sunt.  (Prov.  13.10.)  Non  effi- 
ciamur  inanis  gloriœ  cupidi ,  invicem  provocantes  , 
invicem  invidentes.  (  Galat.  5.  26.)  Ne  soyons  point 
amoureux  de  la  gloire ,  ni  de  l'estime  ,  n'ayons  point  de 
dispute ,  ni  d'envie  entre  nous  ;  cette  conséquence  est  très 
bonne  et  très  bien  tirée.  Vous  êtes  passionnément  avide  de 
gloire,  vous  voulez  être  Punique  dans  l'excellence  que  vous 
pensez  avoir;  si  quelqu'un  va  de  pair  avec  vous,  vous  êtes 
piqué  de  jalousie,  vous  Paccablez  de  haine,  ou  de  calomnies; 
il  ne  le  peut  endurer,  vous  êtes ,  vous  êtes  tous  les  jours 
aux  prises  et  aux  couteaux. 

Occiditis  et  zelalis,  litigatis  et  helligeratts»  (  Jac. 
4.  2.)  Dites  à  cet  homme  opiniâtre  :  C'est  une  simplicité 
d'entreprendre  ou  de  poursuivre  ce  procès  pour  si  peu  de 
chose  ;  quand  même  vous  auriez  gain  de  cause,  vous  n'y 
gagnerez  rien,  vous  dépenserez  en  frais  de  justice  quatre  fois 
plus  que  la  chose  ne  vaut.  N'importe,  j'en  aurai  raison,  je 
mangerai  jusqu'à  la  paille  de  mon  lit;  je  ne  veux  pas  qu'il 
me  brave,  qu'il  se  vante  d'avoir  le  dessus  sur  moi.  Qu'est-ce 
être  orgueilleux,  si  cela  ne  l'est  pas?  ouest  l'humilité  chré- 
tienne? Vous  semble-t-il  que  c'est  être  innocent  de  passer 
deux  ou  trois  ans  en  souci,  inquiétude,  peine  d'esprit,  voya- 
ges, tracas,  embarras,  de  perdre  le  meilleur  et  le  plus  beau 
de  votre  temps,  de  laisser  la  fréquentation  des  sacrements, 
de  vous  consommer  en  frais  de  justice  et  votre  partie  ad- 
verse, de  ruiner  votre  famille  et  la  sienne;  de  jeter  dans  le 
cœur  de  vos  enfants  et  des  siens,  des  semences  d'inimitié 
immortelle,  pour  une  pointillé  d'honneur,  pour  avoir  la 
gloire  de  triompher  de  votre  adversaire.  C'est  en  cela,  pro- 
prement, que  se  vérifie  la  parole  de  l'apôtre:  Jatn  quidem 
omnino  delictum  est  in  vobisj  quodjudicia  habetis  inter 
vos.  (  1 .  Cor.  6.  7.  )  Quoique  vous  n'ayez  pas  tort,  plaider 
pour  peu  de  chose,  par  un  orgueil  opiniâtre,  pour  ne  vouloir 
rien  souffrir,  pour  avoir  le  plaisir  et  l'honneur  de  supplanter 
tout  ce  qui  vous  résiste,  c'est  contre  l'esprit  d'humilité,  de 


Ql  i  B8T  i  m    il  \i  RE  SPIRITUELLE.  47 

douceur  cl  de  charité,  que  le  christianisme  demande  de  nous; 
autrement  S.  Paul  aurait  dit  en  vain:  Quart  non  magie 

injuriant  aecipitis,quare  non  magie  fraudent  patintini; 

(1.  Cor.  6.  7.  )  autrement  le  même  apôtre  aurait  dit  en 
vain:  Servant  Dei  non  oporiet  litigarej  (2.Tim.  2.24.) 
Jésus  aurait  dit  eu  Vain;  Si  guis  volucrit  tecum  judieiu 
conte)tdere. 

E.  — (  3°  Profanât  loca  sacratissima.  )  Le  troisième 
effet  de  ee  vice,  c'est  qu'il  profane  les  lieux  les  plus  saints, 
il  poursuit  Jésus  jusque  dans  sa  maison,  il  le  persécute  sur 
son  trône,  il  le  brave  en  sa  présence,  il  roffense  à  enseignes 
déployées,  il  dresse  autel  contre  autel;  et  cela  dans  l'Eglise 
de  Jésus,  comme  disait  un  ancien  :  Voilà  un  autel  de  pierre 
sur  lequel  le  prêtre  immole  au  Dieu  vivant  le  corps  adora- 
ble  de  son  Fils;  voilà  un  autel  de  chair,  une  femme  mon- 
dainement  ajustée,  qui  a  le  sein  découvert,  le  visage  fardé, 
mit  lequel  les  hommes  immolent  leurs  propres  àmes  au  dé- 
,  par  des  regards  impudiques  et  mortels;  les  ornements 
de  cet  autel  de  chair  disputent  avec  les  parements  de 
Pautel  de  pierre:  Satan  veut  avoir  de  for  et  de  la  soie. 

Vous  êtes  cause  que  Lucifer  brave  le  Dieu  tout-puissant, 
qu'il  lui  dit  en  se  glorifiant  :  On  vous  immole  sur  cet  autel 
de  pierre  ce  que  votre  Fils  a  le  moins  estimé  ,  on  me  sacri- 
fia sur  cet  autel  de  chair  ce  qu'il  a  le  plus  chéri;  il  a  plus 
chéri  son  corps  mystique  que  son  corps  naturel,  les  enfants 
de  son  Eglise  que  ses  propres  membres ,  les  àmes  chré- 
tiennes que  son  sang  et  sa  vie  ;  il  a  livré  à  la  mort  son  corps 
naturel  pour  son  corps  mystique,  il  a  répandu  son  sang  pour 
les  àmes  chrétiennes;  vous  avez  pour  victime  son  corps  na- 
turel sur  cet  autel  de  pierre,  j'ai  pour  hostie  les  enfants  de 
son  Eglise  sur  cet  autel  de  chair;  on  vous  offre  son  sang,  on 
me  sacrifie  les  àmes. 

\  ous  faites  comme  Dioclétien,  et  encore  pis.  II  avait  fait 
dresser  des  autels  et  des  idoles  dans  tous  les  carrefours, 
dans  les  places  publiques,  dans  tous  les  marchés  de  la  ville, 
Ct  il  était  défendu  à  toute  personne  de  vendre  ou  acheter 
quoi  que  ce  fut,  sans  avoir  premièrement  adoré  Pidole.  La 


48  SERMON  CCLXXV, DE  ^ORGUEIL  , 

tentation  <5ïaît  grande;  mais  les  chrétiens  pouvaient  l'éviter, 
quoiqu'avec  incommodité  ;  ils  pouvaient  se  tenir  dans  leurs 
maisons ,  acheter  de  leurs  voisins  un  peu  plus  cher  qu'au 
marché,  ce  qui  leur  était  nécessaire  ;  mais  les  chrétiens  de 
ce  temps  sont  de  pire  condition,  les  idoles  de  chair  se  ren- 
contrent partout,  dans  les  rues,  les  carrefours,  les  places 
publiques,  dans  les  maisons  particulières,  et  même  ,  ce  qui 
est  horrible,  in  loco  sancto  ,  dans  Téglise  d'où  les  fidèles 
ne  se  peuvent  absenter  ;  ils  trouvent  le  poison  là  où  ils 
étaient  venus  tout  exprès  pour  chercher  le  remède.  Dieu  s^en 
plaint:  Posueruni  offendicula  sua  in  domo,  in  qua  in- 
vocaium  est  nomen  meuniat  polluèrent  eam.  (Jerem. 
7.  30.)  Ils  ont  mis  des  pierres  d\ichoppement  dans  la  mai- 
son où  mon  saint  nom  est  invoqué. 

F. — (4°  Inficit  actiones  sanctissimas.)  Enfin  celle 
maudite  peste  infecte  les  actions  les  plus  vertueuses  et  les 
plus  méritoires  :  Alla  quœcumque  iniquitas  malis  ope- 
ribus  exeveetur  ut  fiant ,  superbia  vero  bonis  operibus 
insidiatur ut  pereant.  (S.  Aug.  epist.  109.  ad  monach.) 
Les  autres  vices  s1exercent  à  faire  le  mal ,  l'orgueil  ne  fait 
pas  seulement  le  mal ,  mais  aussi  il  ruine  le  bien  ,  il  dresse 
des  embûches  aux  bonnes  œuvres  pour  les  anéantir  ,  il  est 
appelé  fort  proprement  par  S.  Bernard  JErugo  virtutum, 
origo  vitiorum.  Jésus  dit  en  TEvangile  ;  Thesau- 
rizare  vobis ,  tliesauros  in  cœla  ubi  nec  œrugo  démoli- 
iur ,  nec  linea  corrumpit ,  nec  fures  effbdiunt. 

Hélas  !  pardonnez-moi ,  mon  Seigneur ,  dit  S.  Chry- 
sostôme  ,  (Hom.  72.  in  Matth.)  il  y  a  une  maudite  rouille 
qui  gâte  les  richesses  célestes  :  Superbia  œrugo  virtutum; 
une  maudite  teigne  qui  les  ronge  et  les  anéantit,  un  détes- 
table voleur  qui  les  dérobe  et  les  emporte  ,  le  péché  de 
superbe  qui  fait  perdre  tout  le  mérite  de  mes  bonnes  ac- 
tions. Quelles  richesses  plus  précieuses  que  les  œuvres  de 
charité,  la  pratique  de  la  patience ,  la  fréquentation  des  sa- 
crements y  et  toutefois  si  vous  faites  l'aumône  pour  être 
estime  charitable,  si  vous  endurez  un  affront  pour  être 
estime'  patient,  si  vous  fréquentez  les  sacrements  pour  plaire 


QUI  i:i    i  NE  ;  .1  \i  i;i.  RPIR1 1  !  :  i  LE.  M) 

onfesseur,  ou  pour  être  estimé  dévote  ,  ou  si  vous 

pratiquez  ces  vertus  ou  autres  semblables  à  bonne  intention, 

mais  avec  arrogance ,  en  vous  en  attribuant  le  mérite  ,  en 

vous  complaisant  en  vous-même  :  ce  sont  dos  richesses  spi- 
rituelles, mais  la  rouille  de  la  vanité  les  gâte,  c'est  comme 
celte  piaule  qui  s'appelle  morsus  diaboli.  On  dit  qu'elle 
croit  principalement  en  Angleterre,  mais  j'en  ai  vu  autrefois 
en  France  ;  on  rappelle  ainsi  parce  que  vous  diriez  qu'un 
démon  a  mordu  la  racine,  tant  elle  en  est  gâtée  et  comme  à 
demi  coupée;  aussi  elle  ne  produit  ni  fruit  ni  semence,  elle 
pousse  seulement  quelques  Heurs  qui  se  changent  en  papil- 
lons et  s'envolent.  Si  L'esprit  de  vanité  ronge  la  racine  de 
vos  œuvres,  qui  est  L'intention,  elles  ne  portent  aucun  fruit 
de  vérité  ,  ni  aucune  semence  de  vertus  chrétiennes  ,  elles 
ne  produisent  que  les  papillons  de  quelque  louange  mon- 
daine ,  un  peu  de  gloire  frivole  et  passagère  ,  et  voilà  tout. 

TERT1UM  PUNCTUM,  — Remédia. 

G.  —  {Motiva  ad  [uyiendas,  etc.)  Disons  donc  avec 
David  :  Non  reniât  tni/n  pes  swperbiœ  :  Mon  Dieu  ,  ne 
permettez  pas  que  la  superbe  prenne  pied  en  mon  àme.  Ce 
misérable  vice  était  représenté  par  ce  cheval  pâle  qui  portait  en 

croupe  la  mort  et  avait  à  sa  suite  l'enfer,  qui  fut  montré  à 
S.  Jean.  (Apoc.  6.  8.)  Les  quatre  pieds  de  ce  monstre  sont 
la  présomption ,  l'ambition,  le  luxe,  la  vaine  gloire;  ne 
permettons  pas  qu'il  pose  un  seul  de  ses  pieds  en  notre  cœur. 
Aon  reniât  mihi  pes  superhiœ.  Evitons  la  présomption 
quia  perdu  Tertullien,  Origènc,  Pelage,  et  tant  d'autres. 
Si  vous  présumez  de  vous  pour  un  peu  d'esprit,  de  science, 
de  beauté,  de  forces,  de  richesses  et  de  crédit,  que  Dieu 
vous  a  donnés;  si  vous  parlez  arrogamment  à  votre  mère, 
à  votre  femme  ,  à  qui  que  ce  soit  ;  Dieu  se  plaît  à  abaisser 
les  orgueilleux ,  il  vous  humiliera,  et  si  une  fois  il  vous 
humilie,  hélas  !  que  vous  serez  atterré  !  si  une  fois  il  vous 
s  !  que  vous  serez  bas  !  Si  vous  vous  enllez  et 
présumez  de  vous  à  la  vue  de  vos  vertus,  si  vous  pensez  avoir 
quelque  part  à  la  gloire  de  vos  bonnes  œuvres ,  si  vous  me- 


50  SERMON  CCLXXV. — DE  L'ORGUEIL  , 

prisez  les  autres  qui  vous  semblent  si  vertueux ,  Dieu  re- 
tirera ses  grâces  de  dessus  vous  ;  il  vous  laissera  tomber  en 
quelque  péché  manifeste  pour  guérir  la  maladie  de  votre 
présomption  secrète.  Il  n'y  a  rien  en  vous  de  votre  cru  que 
le  péché ,  Tignorance ,  le  néant  ;  tout  le  bien  qui  est  en  vous 
vient  de  Dieu ,  non  de  vous  :  Çuid  hahes  quod  non  ac- 
cepisti?  si  autem  accepisti,  quid gloriaris?  Vous  avez  la 
grâce  de  Dieu  :  Accepisti.  Vous  y  avez  consenti ,  ce  con- 
sentement est  un  grand  bien  :  Accepisti.  Vous  en  avez  fait 
bon  usage,  vous  y  avez  persévéré  :  Accepisti.  Quis  te 
discernit,  Deus,  qui  conspicis  omninos  virtute  desti- 
tui  :  Deus  eu  jus  est  totum  quod  est  optimum.  Mon 
Dieu ,  vous  connaissez  que  nous  n'avons  aucune  vertu  de 
nous-mêmes ,  ce  qui  est  très  bon  est  tout  de  vous.  Le  plus 
saint  prêtre  qui  est  en  l'Eglise,  dit  tous  les  ans,  pour  le 
moins ,  une  fois  ces  paroles;  et  il  ne  ment  pas  en  le  disant. 

Non  ?nihi  veniat  pes  superhiœ.  Evitez  l'ambition  et 
le  désir  de  vous  élever  ;  Dieu  ne  sait-il  pas  bien  ce  qui  vous 
est  nécessaire  ?  Pourquoi  souhaiterez-vous  d'être  plus  que 
ce  qu'il  vous  a  fait ,  et  pour  un  peu  d'élément  vous  exposer 
aux  traits  de  sa  colère,  à  l'envie  de  mille  personnes,  à  mille 
revers  de  fortune  ,  à  mille  gênes ,  craintes  ,  défiances ,  ja- 
lousies, souplesses  qu'il  faut  subir  pour  parvenir  ?  O  ambi- 
tio  ambientium  crux,  quomodo  omnes  torquens  omnibus 
places!  dit  S.  Bernard.  Ne  désirez  jamais  de  commander  à 
personne  :  Uu  jugement  très  sévère  sera  fait  à  ceux  qui  com- 
mandent ;  si  votre  charge  vous  oblige  de  commander ,  pen- 
dant que  vous  commandez  à  l'extérieur ,  soyez  prosterné  en 
votre  intérieur  aux  pieds  de  ceux  auxquels  vous  commandez  ; 
pendant  que  votre  corps  est  au  premier  lieu ,  soyez  au  plus 
bas  de  cœur  et  d'affection,  dit  S.  Augustin.  (Epist.  109.) 
C'est  aux  grands  aussi  bien  qu'aux  petits  que  Jésus  a  dit  : 
Tiecumhe  in  novisslmo  loco. 

Sur  quoi  S.  Bernard  dit  :  «  Noli ,  homo ,  comparait 
«  majoribus,  noli  minoribus;  noli  aliquibus,  noli  uni  ;  uncle 
«  nonmediocrem,  non  penultimum,  non  ipsum  saltem  in-* 
«  ter  novissimos  eïigere  locum ,  nos  Dominus  yoluit  ^  sed 


QUI  EST  UNE  LUXURE  SPIRITUELLE.  51 

i  ut  soins  omnium  novissimus  sedeas  teque  nemini  non 
«  dico  prceponas,  sed  ne  comparera  présumas  :  »  (S.  Bern. 
serin.  37.  in  cant.)  Gardez-vous  de  vous  comparer  aux  plus 
grands  que  vous ,  ni  aux  moindres ,  ni  à  quelques-uns ,  ni 

même  à  un  seul  ;  le  Fils  de  Dieu  ne  nous  a  pas  permis  dans 
ingi le  de  choisir  un  lieu  médiocre,  ni  un  même  rang 
entre  les  derniers ,  mais  de  nous  asseoir  seuls  les  derniers 
de  tous,  et  non-seulement  de  ne  jamais  nous  préférer  aux 
autres ,  mais  pas  même  de  nous  comparer  à  qui  que  ce  soit, 

Non  mihi  reniât  pea  superbto.  Evitez  le  luxe  et  la 
vanité  des  habits,  c'est  une  des  pompes  du  diable  à  laquelle 
vous  avez  renoncé  au  baptême  ,  dit  S.  Chrysostôme;  c'est 
un  étendard  de  luxure,  un  nid  de  lubricité,  disait  César; 
c'est  la  ruine  des  familles,  et  pour  le  spirituel  et  pour  le 
temporel.  Vous  voulez  être  beau  ,  bien  couvert ,  avoir  des 
tapisseries ,  des  meubles  précieux,  des  tables  bien  garnies; 
eulent  faire  de  même,  ils  auraient  honte  dV 
er  leur  état,  de  diminuer  leur  train;  ils  n'ont  chacun 
que  la  quatrième  partie  de  votre  bien,  puisqu'ils  sont  quatre; 
four  faire  comme  vous,  il  faut  qu'ils  se  ruinent ,  ou  qu'ils 
dérobent. 

Evitez  la  vainc  gloire  dans  vos  actions  ;  faire  des  aumô- 
nes ,  et  autres  bonnes  œuvres ,  pour  être  vu  et  être  estimt 
des  hommes,  c'est  exposer  un  grand  trésor  à  la  vue  et  au 
pillage  des  voleurs ,  dit  S.  Grégoire  ;  c'est  porter  sa  croix 
et  ne  pas  suivre  Jésus-Christ  ;  c'est  faire  plus  que  les  au- 
tres et  n'être  pas  récompensé  comme  les  autres ,  mais  être 
châtié  plus  que  les  autres  ;  c'est  aller  en  enfer  par  le  chemin 
du  paradis,  dit  S.  Bernard,  (in  Apolog.  cap.  1 .) 

Pour  vous  faire  avoir  en  horreur  toutes  ces  folies  :  Va- 
nitates  et  insanias  falsas ,  considérez  ce  que  les  saints 
ont  dit,  ce  que  la  sainte  Vierge  a  fait ,  ce  que  le  Saint  des 
Saints  a  dit  et  a  fait  en  ce  sujet.  Sainte  Gertrudc  pensait 
qu'un  des  plus  grands  miracles  que  Dieu  fit  en  ce  monde , 
t  que  la  terre  la  portât,  en  étant  si  indigne  ;  elle  ne 
connut  jamais  personne  qui  méritât  moins  les  grâces  de 
Dieu  qu'elle;  toutes  celles  qu'elle  avait  reçues  n'étaient 


52  SERMON  (JCLXXV.— DK  L'ORGUEIL,  etc. 

pas  pour  elle  ,  mais  pour  le  bien  de  son  prochain ,  et  elle 
les  employait  avec  sentiment  d'obligation  et  de  justice , 
comme  chose  qui  notait  pas  à  elle.  (  Lib.  1 .  vilse  ejus  , 
cap.  12.) 

S.  Paul,  pour  exprimer  sa  profonde  misère  et  sa  bas- 
sesse, fait  un  effort  à  la  langue  grecque  ;  il  donne  un  super- 
latif à  un  autre  Superlatif:  ê(ioi  r<Z>  slx^otorépco  *xvr<uv  Ayiav, 
(Ephes.  3.8.)  c'est  comme  qui  dirait  en  latin  minimiori , 
plus  que  très  petit,  le  plus  petit  entre  les  très  petits  chrétiens. 

La  sainte  Vierge,  comme  a  remarqué  S.  Bernard  après 
S.  Luc ,  se  plaçait  toujours  la  dernière  dans  l'assemblée  des 
fidèles ,  au-dessous  des  disciples ,  au-dessous  des  veuves , 
elle  qui  était  vierge  ;  au-dessous  des  pénitentes,  elle  qui  élait 
innocente;  au-dessous  de  tous,  elle  qui  était  la  mère  de  Dieu  ; 
et  son  Fils  s'étant  abaissé  jusqu'à  se  prosterner  aux  pieds 
de  ses  apôtres,  et  même  aux  pieds  de  Judas,  qui  tramait  le 
dessein  de  sa  mort  ;  et  ce  qui  est  au-delà  de  toute  admira- 
tion ,  il  le  fait  par  le  sentiment  de  sa  bassesse,  et  il  veut  que 
nous  croyions  qu'il  est  moindre  que  ses  apôtres.  Je  ne  sais 
comment  cela  s'entend ,  mais  tant  il  y  a  qu'il  le  dit  et  le 
prouve  par  un  argument  qui  est  en  très  bonne  forme  :  Quis 
major  est,  qui  recumhit,  an  quiminisirat  ?  nonne  qui 
recumhit?  Celui  qui  est  servi  n'est-il  pas  plus  grand  que 
celui  qui  sert  ?  or,  je  suis  ici  au  milieu  de  vous,  comme 
unvalet  qui  vous  sert.  Concluez,  la  conclusion  est  aisée  à  faire. 

Vous  avez  coutume  de  dire  :  Je  m'humilierais  volontiers, 
mais  je  suis  une  personne  publique,  je  ferais  tort  à  ma  charge, 
je  trahirais  ma  dignité  ;  Jésus  n'était— il  pas  une  personne 
publique  ?  n'avait-il  pas  des  charges  et  des  qualités,  pour 
le  moins  aussi  ém inentes  que  les  vôtres  ?  Il  dit  :  (Luc.  22. 
26.)  Qui  major  est  in  nohis,  fiât  sicut  minor  :  Celui 
qui  est  le  plus  grand  en  noblesse ,  en  richesses ,  en  sciences 
et  autres  qualités,  qu'il  soit  le  plus  petit.  Il  dit  :  (Matth. 
20.  26.)  Quicumque  voluerit  major  fieri,  sit  minister 
rester;  parce  qu'assurément  7  assurément  plus  nous  serons 
abaissés  et  humiliés  sur  la  terre,  plus  nous  serons  clives 
çl  glorifiés  dans  le  ciel.  Amen* 


SERMON  CCLXXVI. 


DE  L\\VARICE, 


fades. 
!  us  d'autrui  ta  no  prendras,  ni  retiendra!?  à  Ion  escient. 

(Exod.20.  15.) 

Il  e<l  vrai  que  le  septième  commandement  ne  défend  en 

apparence,  directement  et  en  première  intention ,  que  le 

larcin  ;  niais  en  effet  et  par  une  conséquence  bien  tirée  , 

nous  devons  dire  qu'il  condamne  aussi  l'avarice  comme  une 

isition  et  une  occasion  qui  nous  achemine  au  larcin. 

\  ous  faire  avoir  en  horreur  un  vice  si  pernicieux  ,  j'ai 

is  montrer  aujourd'hui  les  torts  qu'il  fait  à  notre  Dieu,, 

:  e  prochain ,  à  vos  enfants  et  à  vous-mêmes  ;  ce  seront 

les  quatre  points  de  ce  discours. 

IDEA  SERMONIS. 

rdium.  A.  Dœmon  caput  reprohorum ,   innumera 

mala  per  eos  perpétrât,  etprœcipue  per  aurum, 
Primum  punctum.  B.  Avants  offendit  Deum,  ut  Creato- 

rem  mundi.  —  C.  Ut  Gubematorem.  —  D.   Ut 

fi  ne  m  ultimum. 
Secundum  punctum.  E.  Offendit  proximum ;  quodpro- 

batur  rationibus  ex  parte  Christi,  ex  parte  proximi^ 

ex  parie  avari. 
uni  punctum.  Nocet filiis suis  :  F.  1°  Scriptura.  — 

G.  T  Rationibus,  —  H.  3°  Exemph  A  chah. 

punctum.   Nocet  sibi  :  I.     1"   Scriptura.   — 

L.  2?  Comparât ione, 
Conclusio.   M.  Per  paraphrasim  illorum   verhorum  : 

Melius  est  modicum  justo.  —  N.  Et  per  argumenta 

conglobata  ex  quatuor  punctis. 


bU  SERMON  CCLXXVI. 

EXORDIUM. 

A.  —  (Dœmon,  etc.)  Comme  les  choses  contraires  peu- 
vent servir  de  flambeau  pour  mieux  connaître  leurs  contrai- 
res, S.  Thomas  (3.  p.  q.  8.)  expliquant  ces  paroles  de  la 
première  épitre  aux  Corinthiens,  chapitres  six  et  douze,  où 
l'apôtre  dit  :  Vos  estis  corpus  Christi,  et  memhra  de 
memhroy  demande  en  l'article  sept  si  l'on  peut  dire  que 
Satan  est  le  chef  des  réprouvés ,  comme  Jésus ,  Homme- 
Dieu  selon  l'Ecriture ,  est  le  chef  des  âmes  choisies  ?  Il  ré- 
pond affirmativement  et  le  prouve  par  le  chapitre  quarante- 
un  de  Job,  où  Satan  est  appelé  le  roi  de  tous  les  orgueilleux  ; 
et  nous  savons  que  les  péchés  qui  se  commettent  ont  toujours 
quelque  mélange  d'orgueil,  et  pour  l'intelligence  de  sa 
conclusion ,  le  saint  Docteur  suppose  que  c'est  le  propre  du 
chef  d'avoir  empire ,  direction  et  influence  sur  ses  membres  ; 
influence ,  dis— je ,  et  direction  ,  ou  intérieurement  leur 
donnant  le  mouvement  et  le  sentiment ,  ou  extérieurement 
conduisant  leurs  actions  et  les  adressant  à  quelque  fin.  Ainsi 
Jésus  est  le  chef  des  âmes  choisies  ,  il  leur  influe  intérieu- 
rement la  vie  spirituelle ,  les  lumières,  les  grâces ,  les  in- 
spirations qui  en  sont  les  suites  et  les  apanages  ;  ainsi  le  roi 
est  le  chef  de  ses  sujets  ,  parce  qu'il  conduit  par  ses  édits 
leurs  actions  extérieures  et  il  les  rapporte  toutes  à  une  môme 
fin  ,  qui  est  le  bien  de  l'état  et  de  la  société  humaine.  Satan 
donc  est  le  chef  des  réprouvés,  parce  que  bien  qu'il  ne  puisse 
s'insinuer  au  fond  de  l'âme ,  ni  atteindre  immédiatement  à 
la  pointe  de  l'esprit,  ni  au  secret  de  la  volonté,  il  peut  émou- 
voir l'imagination  ,  chatouiller  la  concupiscence ,  échauffer 
l'irascible,  dérégler  les  sens  intérieurs ,  et  il  tâche  d'adres- 
ser toutes  les  actions  des  réprouvés  à  une  même  fin,  qui  est 
l'offense  de  Dieu  et  la  damnation  éternelle.  Or ,  comme 
Jésus  se  sert  de  ses  membres,  c'est-à-dire  des  prédestinés 
pour  faire  en  son  nom  et  de  sa  part  tout  le  bien  qu'il  voudrait 
faire  en  ce  monde ,  s'il  y  était  visiblement  comme  il  y  était 
autrefois  ,  pour  bénir  et  glorifier  Dieu ,  accorder  les  diffé- 
rends ,  visiter  les  malades,  instruire  les  pauvres ,  redresser 


évoyés;  ainsi,  dit  S.  Augustin  ,  (sermon  sr>.  De  ton. 

.  Satan  se  sert  de  ses  membres,  c'est-à-dire  dos  âmes 
réprouvées ,  [tour  faire  par  leur  entremise  mille  maux  qu'il 
ne  pourrait  pas  faire  par  lui-même  contre  Dieu  et  contre 
les  hommes  :  il  n'a  point  d'instrument  plus  propre  à  l'exé- 
cution de  ses  entreprises,  personne  qui  serve  mieux  à  l'ac- 
eomplissemenl  desesdesseinsquel'avaricieux.  Vous  avouerez 
Sans  contredit  cette  vérité;  si  vous  considérez  avec  moi  le 
tort  que  l'avare  fait  1°  à  son  Dieu  ;  2°  à  son  prochain  ;  3J 
à  ses  enfants  ;  4°  à  lui-même. 

PRIMUM  PUNCTUM.  —  Avavus  o (fendit  Deum. 

B.  —  (Ut  Creniorem,  etc.)  S.  Paul  écrivant  aux  Ro- 
mains (11.  36.)  dit  que  pour  rendre  nos  devoirs  à  Dieu  , 
il  faut  l'honorer  comme  créateur,  comme  gouverneur  et 
comme  dernière  fin  de  toute  chose  :  Ex  ipso,  et  per  ip- 
mtm,  et  in  ipso,  (en  grec,  sivaûrdu,)  in  ipsum  sunt  om— 

ipsi  gloria  in  sœcula,  L'avarieieux  offense  Dieu  en 
i 

/  m  (//fi  conjungitis  domum  ad  domum,  et  agitai} 
ogrocopukUisj n unquidhabitabitis soliin  medio  terrœ? 
Si  tous  étaient  comme  vous,  et  si  Ton  voyait  L'inclination 
cl  la  disposition  de  votre  cœur,  on  dirait  que,  selon  votre 
sentiment,  Dieu  n'a  pas  bien  fait  de  créer  tant  de  personnes 
sur  la  terre  ;  il  devait  donner  à  chacun  pour  sa  possession 
un  monde  entier,  et  encore  plus  ;  car  votre  cupidité  est  in- 
satiable, elie  fend  à  l'infini ,  elle  ne  met  point  de  bornes  à 
ses  désirs ,  elle  convoite  ,  si  Ton  y  regarde  bien  ,  toutes  les 
possessions  et  toutes  les  richesses  de  la  terre,  et  au-delà  : 
Unus  Peleo  jnveni  non  si/fficit  orhis ;  ainsi  vous  et  vos 
semblables  taxez  tacite  ment  le  Créateur  d'avoir  fait  ce  monde 
trop  court,  trop  étroit,  trop  petit,  pour  6<re  possédé  de  tan' 
de  gens. 

C.  — (  Ut  githerna toron.  )  Qui  dot  este ,  dût  co??sc- 
fj?tenti</  ad  esse;  ce  monde  <ist  L'ouvrage  de  Dieu  ,  c'est 
lui  qui  l'a  créé,  c'est  à  lui  de  le  conserver  ,  de  le  régir  et  de 
K  gouverner,  il  le  l'ait  très  sagement  et  très  heureusement. 


56  SERMON  CCLXXVI. 

quand  oh  le  laisse  faire.  Voyez  les  fleurs  des  champs,  il  n'y 
a  rien  de  si  beau,  de  si  propre  et  de  si  bien  ajusté  ,  et  elles 
ne  filent  et  ne  cardent  point,  dit  Jésus;  voyez  les  petits 
oiseaux ,  ils  n'ont  point  de  soucis ,  et  rien  ne  leur  manque , 
c'est  que  ces  créatures  sont  exposées  et  abandonnées  à  la 
providence  de  Dieu  qui  les  conduit  et  les  pourvoit  de  tout. 
Vous  avez  beaucoup  de  soucis  et  de  peines ,  fort  peu  de 
profit  et  de  contentement  ;  c'est  que  vous  vous  conduisez 
vous-même,  ce  n'est  pas  Dieu  qui  vous  gouverne,  c'est 
votre  passion  ;  ce  que  je  veux  vous  montrer  par  cette  sup- 
position. Vous  êtes  marié,  mais  vous  avez  encore  votre  père, 
ou  votre  beau-père  en  votre  maison?  Je  demande  à  votre 
serviteur  :  Qui  est-ce  qui  est  maître  chez  vous  ?  qui  est- 
ce  qui  gouverne  la  maison  ?  il  me  répond  :  C'est  notre 
vieux  monsieur.  C'est  votre  vieux  monsieur?  lui  commu- 
nique-1- on  les  affaires?  votre  jeune  monsieur  lui  a-t-il 
demandé  avis  avant  que  d'acheter  son  office  ,  avant  que  de 
prendre  à  ferme  ce  bien ,  avant  que  de  prêter  cet  argent  à 
intérêt?  Non  certes,  on  ne  lui  a  rien  dit ,  il  ne  se  mêle  de 
rien  ;  avant  que  d'entreprendre  une  affaire ,  on  ne  s'informe 
point  s'il  en  sera  content  ;  qu'il  le  veuille  ou  non ,  on  ne  laisse 
pas  de  passer  outre.  Je  lui  dirais  :  Et  puis  vous  dites  qu'il 
est  maître  !  qu'il  gouverne  la  maison  !  il  la  gouverne  aussi 
peu  que  moi.  Voyez  combien  il  vous  est  sensmle  quand  votre 
gendre,  votre  fils  et  sa  femme  ne  veulent  pas  que  vous  vous 
mêliez  de  leurs  affaires,  quand  ils  font  tout  sans  vous  en  rien 
dire,  vous  laissant  là  comme  un  zéro  en  chiffre ,  comme  une 
morte-paie,  comme  un  animal  de  relais  !  C'est  ce  que  vous 
faites  au  bon  Dieu  :  vous  ne  le  consultez  point  dans  vos 
desseins,  avant  de  les  entreprendre;  vous  mariez  vos  enfants 
sans  lui  en  demander  avis,  lumière,  conduite  ;  et  qui  pis  est, 
vous  faites  mille  choses  contre  son  avis  et  sa  volonté  :  vous 
refusez  la  justice  aux  pauvres  gens,  vous  tirez  en  longueur 
les  procès,  vous  conseillez  les  supercheries  de  chicane  à  vos 
parties,  vous  faites  des  monopoles,  des  collusions  fraudu- 
leuses ,  vous  ne  payez  pas  vos  dettes ,  comme  il  vous  le 
commande.  Voudriez-vous  qu'on  vous  fît  ainsi  dans  la  fa- 


ni-  r/A VARICE,  57 

,  dans  la  communauté,  dans  la  république  que  vous 
cernez?  qu'on  lit  tout  sans  prendre  avis  do  vous,  sans 
voire  aveu,  sans  votre  consentement,  el  contre  vos  ordres? 
Quand  Pieu  ne  gouvernerai I  pas  ce  monde  ,  quand  il  n'au- 
rait point  de  vue  ni  de  providence  sur  vos  affaires,  quand 
fous  ne  seriez  pas  chrétien,  feriez— vous  autrement  que  vous 
J'aito> ,  sericz-vous  plus  avide  des  biens,  plus  ardent  à  les 
acquérir?  auriez-vous  plus  de  soucis  à  les  conserver,  plus 
de  crainte  de  les  perdre  que  vous  n'en  avez  ?  vous  y  avez 
autant  d'attache  ,  de  cupidité  ,  de  sollicitude  ,  que  si  votre 
conservation  et  l'entretien  de  votre  famille  ne  dépendaient 
que  de  vous  ;  où  est  la  soumission  et  la  confiance  que  vous 
devez  avoir  en  la  conduite  de  Dieu  ?  comme  si  vous  disiez 
avec  ces  impies  :  Super  cardinea  cœli  ambitlat ,  et  noslra 
non  considérai  ;  n'est-ce  pas  désobliger  celui  dont  S.  Paul 
a  dit  :  Ex  ipso  o})i)iiaf  per  ipsum  omnia?  n'est-ce  pas 
l'offenser  e  i  qualité  de  Gouverneur  du  monde  ? 

I). —    Ut  finem  ultimun.)  Vous  l'offensez  aussi  en 
qualité  de  dernière  fin  :  In  ipsum  omnia;  cette  circon- 

c  peut  aggraver  notablement  le  péché  d'avarice  ,  selon 
S.  Thomas ,  [2.  2.  q.  55.  art.  6.)  lorsque  vous  établissez 

dernière  fin  dans  les  biens  temporels.  Apprenez  de  la 
morale  qu'il  y  a  trois  grandes  différences  entre  les  moyens 
el  la  tin.  Premièrement,  les  moyens  sont  pour  ta  fin,  non 
la  fin  pour  les  moyens.  En  second  lieu  ,  on  jouit  de  la  fin  , 
on  s'y  repose  ,  on  s'y  plaît ,  ou  s'y  agrée  ,  on  y  pense  avec 
plaisir  et  contentement  ;  on  ne  jouit  pas  des  moyens,  on  s'en 
sert ,  on  ne  s'y  arrête  pas,  on  ne  s'y  délecte  pas ,  on  n'y 
pense  qu'avec  aversion  et  avec  peine.  En  troisième  lieu  ,  on 
aime  la  fin  infiniment ,  on  en  désire  tant  qu'il  est  possible  , 
lant  qu'on  peut  en  avoir,  et  sans  mesure  ;  on  ne  veut  des 

ns  qu'autant  qu'il  est  nécessaire  pour  obtenir  la  lin  ; 
par  exemple  ,  la  fin  d'un  malade ,  en  tant  que  malade,  c'est 

té  :  les  moyens  sont  les  médecines.  Premièrement,  o\\ 

Idceine  pour  avoir  la  santé  ,  on  n'est  pas  en 

sire  pas  pour  prendre  une  médecine. 

i  lieu  ,  on  v  plall  (brl  cri  ia  santé,  te  malade  y 


58  SERMON  CCLXXVI. 

aspire ,  il  y  pense  souvent  avec  délectation ,  il  ne  prenct 
pas  médecine  et  n'y  pense  qu'avec  répugnance  et  horreur , 
s'il  n'a  pas  le  goût  dépravé.  En  troisième  lieu  ,  il  désire  de 
la  santé  autant  qu'on  en  peut  avoir ,  il  ne  prend  médecine 
qu'autant  qu'il  est  nécessaire  pour  recouvrer  la  santé,  pas 
davantage,  s'il  n'a  l'esprit  antiposé  et  renversé  ;  dites-en  de 
même  de  l'étude  et  de  la  science  ,  de  la  bataille  et  de  la  vic- 
toire. La  fin  de  l'homme  en  ce  monde ,  c'est  de  connaître 
Dieu,  de  l'aimer,  de  le  servir  et  de  lui  obéir  ;  l'or,  l'argent, 
le  bétail,  les  maisons ,  héritages  et  autres  biens  temporels, 
sont  des  moyens  qui  nous  sont  donnés  pour  tendre  à  cette 
fin  ;  c'est  ainsi  que  vous  les  nommez  ;  pour  dire  un  homme 
riche,  vous  dites  :  C'est  un  homme  de  grands  moyens.  Voyez 
donc  que  très  probablement  vous  faites  un  monde  renversé  ; 
vous  faites  des  moyens  la  fin.  Premièrement ,  quand  vous 
travaillez  justement  et  fidèlement  pour  gagner  votre  vie  et 
celle  de  vos  enfants ,  pour  entretenir  votre  famille  en  sa 
condition  honnête  et  honorable  ,  pour  obéir  à  Dieu  qui  l'a 
ainsi  commandé ,  c'est  une  bonne  fin  ,  votre  vie  est  bien 
ordonnée;  mais  les  grandes  richesses  que  vous  amassez  avec 
tant  de  tracas ,  les  héritages  que  vous  constituez  avec  tant 
de  soucis ,  et  les  procès  que  vous  poursuivez  avec  tant  d'in- 
quiétudes ,  vous  servent-ils,  ou  à  vos  enfants,  pour  mieux 
connaître,  aimer,  honorer  Dieu?  Point  du  tout,  au  contraire, 
ils  vous  en  empêchent  beaucoup  ,  ils  vous  distraient  du 
service  de  Dieu  ,  des  prédications ,  de  la  fréquentation  des 
sacrements,  de  la  visite  des  pauvres,  et  autres  exercices  de 
dévotion  ;  si  vous  servez  Dieu  ,  c^est  afin  qu'il  conserve  vos 
biens ,  qu'il  bénisse  votre  travail,  qu'il  féconde  vos  terres  5 
ainsi  vos  biens  temporels  ne  sont  pas  rapportés  au  service  de 
Dieu  ,  mais  le  service  de  Dieu  aux  biens  temporels  ;  n'est- 
ce  pas  faire  des  moyens  la  fin  ?  Volunt  frui  mundo,  iiti 
Deo,  ditS.  Augustin.  En  second  lieu,  vous  ne  pensez  guère 
à  l'amour  de  Dieu  ,  ni  à  son  service ,  vous  ne  vous  y  plai- 
sez pas,  vous  n'y  avez  pas  de  goût,  vous  y  êtes  sur  les  épi- 
nes ;  tout  votre  plaisir,  votre  contentement,  votre  entretien, 
votre  occupation  est  de  penser  et  de  parler  des  biens  de  la 


terre.  En  troisième  lieu,  du  service  de  Dieu,  vous  n'en 
désires  que  par  mesure  ,  el  le  moins  que  vous  pouvez  ;  une 
petite  messe  le  dimanche  matin,  el  la  plus  courte  qu'il  se 
peut  ,  nue  communion  à  Noël  et  à  Pâques ,  mais  de*  biens 
temporels,  vous  en  désirez,  vous  vous  en  procure!  sans  fin 
et  sans  mesure  ,  vous  n'y  mettez  point  de  bornes  ,  vous  en 
insatiables. 

CDNDUM  PUNCTUM.  —  Ofjcndit pro.vimum  ,  etc. 

.  —  (Quod  probatur^  etc.)  Vous  n'offensez  pas  seu- 
lement le  Fils  de  Pieu  en  sa  personne  ,  mais  encore  en  ses 
membres ,  dont  il  a  dit  :  Ce  que  vous  avez  fait  au  moindre 
des  miens ,  vous  me  Pavez  fait.  Soyez  chrétiens,  au  moins 
une  pauvre  fois  en  votre  vie;  vous  iPetcs  pas  chrétiens,  vous 

comme  les  Turcs  et  les  autres  infidèles  ;  vous  serez 

damné  comme  eux  ,  si  vous  ne  tenez  pour  tout  assuré  que 

tottl  ee  que  vous  faites  à  votre  prochain  ,  quel  qu'il  soit , 

:i  Jé>us;  et  voudriez- vous  faire  à  Jésus  ,  ce 

!te  veute,  la  faisant  languir  et  se  ruiner 

en  procès  ?  ce  que  vous  faites  à  ce  villageois,  dont  vous  rc- 

le  bien  ?  A  ous  n'appréhendez  pas;  mais  Dieu  vous  fera 

connaître  et  appréhender  en  son  jugement  les  torts  que 

lui  faites.  Que  de  pas  a — t — il  faits,  que  de  nuits  a-t-il 
veillées,  que  de  froid  et  de  chaud  a-t-il  endurés  ,  que  de 
jeûnes  ,  de  sueurs,  de  soucis,  de  travaux  a-t-il  embrassés 
pour  acquérir  un  peu  de  bien  !  et  vous  le  lui  ravissez  par  un 
îrait  de  plume,  par  une  fausseté,  par  une  sentence  injuste  , 
par  une  ruse  de  chicane  ,  par  une  oppression  tyrannique. 
Que  d'ennuis  ne  lui  causez-vous  pas  par  cette  vexation,  que 
de  tristesse,  de  fâcheries,  de  mauvaises  nuits,  amertumes! 
quand  il  vous  voit,  quand  il  voit  quelqu'un  des  vôtres,  quand 

M  devant  votre  maison,  quand  il  pense  à  vous,  quand 

sourient  du  tort  que  vous  lui  faites,  quand  il  en  ressent 
modité,  que  de  dépits,  d'envies,  de  haines , 
d'animosités  ,  de  désirs  de  vengeance!  que  de  rages ,  de 
if-il  contre  vous  !  que  de  malédictions,  d'im- 
précations, d'exécrations  ne  vous  donne-t-il  pas  !  que  de 


CO  SERMON  ccLxxvr. 

péchés  il  commet,  combien  il  en  fait  commettre  à  ses  enfants 
et  à  ses  gens,  auxquels  il  inspire  cet  esprit  de  vengeance,  à 
vos  amis  ou  à  vos  voisins,  qui  ne  veulent  pas,  et  qui  se 
laissent  excommunier  quand  on  publie  des  monitoires,  pour 
avoir  des  preuves  de  vos  rapines  !  ils  font  très  mal  ,  mais 
vous  en  êtes  cause.  Où  est  l'amour  de  Dieu  et  sa  crainte  ? 
où  est  l'esprit  de  piété  ,  de  charité ,  de  miséricorde  que  les 
chrétiens  doivent  avoir?  Induite  vos,  sicut  electi  Dei  vis- 
cera  misericordiœ  ;  si  vous  êtes  prédestiné  ,  vous  devez 
avoir  des  entrailles  de  pitié,  des  tendresses  de  compassion 
envers  les  pauvres  paysans  qui  sont  l'objet  et  le  but  de  toutes 
les  disgrâces.  Ils  n'ont  point  ou  peu  de  secours  spirituels  , 
peu  de  prédications,  fort  peu  d'assistance  à  la  mort;  je  ne 
sais  quels  confesseurs  ils  ont.  La  noblesse  les  tyrannise, 
les  partisans  les  surchargent,  les  gendarmes  les  rançonnent, 
ceux  des  viiles  les  trompent ,  les  procès  les  ruinent ,  les 
sergents  les  dépouillent,  les  bohémiens  les  volent;  s'il  y  a 
des  tailles  c'est  pour  les  pauvres  gens  ;  s'il  y  a  des  subsis- 
tances, des  quartiers  d'hiver,  des  soldats,  des  commissions 
de  décimes,  c'est  pour  les  pauvres  gens.  Tant  de  misères, 
tant  de  larmes,  tant  de  plaintes  de  ces  pauvres  villageois , 
veuves  et  orphelins,  ne  vous  émeuvent-elles  point  pour  vous 
empêcher  de  retenir  leur  bien  et  d'affliger  les  affligés;  vous 
êtes  sourd  à  leurs  voix  plaintives  ,  mai  Dieu  ne  Test  pas. 
Ecoutez  ce  qu'il  vous  dit  :  (  Exod.  22.  21 .  )  «  Advenam 
«  non  contristabis  ,  neque  affliges  eum.  Viduse  et  pupillo 
«  non  nocebitis  ,  si  Iseseritis  eos ,  vociferabuntur  ad  me, 
«  et  ego  audiam  clamorem  eorum.  Et  indignabitur  furor 
«  meus,  et  erunt  uxores  vestrœ  viduse,  et filii  vestri  pupilli  :  » 
Gardez-vous  d'attrister  ou  d'affliger  l'étranger,  et  de  nuire  à 
la  veuve  ou  à  l'orphelin  ;  si  vous  le  faites,  ils  crieront  à  moi  ; 
j'entendrai  leurs  cris,  et  je  me  mettrai  en  colère  contre  vous, 
vos  femmes  deviendront  veuves,  et  vos  enfants  orphelins. 

TERT1U31  PUNCTUM.  Nocet  filUs  Suis. 

E,  — (1°  Scriptura.)  Et  quand  il  ne  leur  arriverait  point 
t|o  ma!  par  autre  voie,  votre  avarioe  ne  leur  en  fait  que  trop. 


DE    L\\ VARICE.  (\\ 

Par  votre  avarice  on  peu(  entendre,  de  vous  ol  de  vos  sem- 
blables, celte  plainte  du  Prophète  :  Emolaverunt  filioâ 

i  etfilias  suas  dœmoniis:  lis  ont  sacrifié  leurs  fils  et 
leurs  filles  aux  dénions. 

(i.  —    2°  Rationibus,  )  Premièrement,  pour  faire  une 
grande  maison  vous  donnez  presque  tout  à  raine;  vous  lui 
donnez  de  quoi  vivre  dans  le  luxe  ,  dans  l'oisiveté,  dans  les 
débauches,  les  dissolutions  el  la  gloire  du  monde;  il  se  fiera 
en  so  grands  biens;  il  nagera  dans  vos  sueurs;  il  mènera 
une  vie  toute  détrempée  de  déliées;   n'ayant  pas  éprouvé 
tout  ce  que  lc>  biens  roulent  à  acquérir ,  il  les  dissipera 
follement  et  se  damnera  pour  jamais.  Secondement,  ses 
fines  murmurent  contre  vous  ;  'ils  lui  porteront  envie,  ils 
auront  aversion  de  lui,  lui  feront  des  querelles;  ils  lui  inten- 
teront des  procès ,  ils  se  ruineront  les  uns  et  les  autres  par 
permission  de  Dieu.  Troisièmement  ,  votre  fille  étant  ainsi 
mal  appointée,  pour  suppléer  à  ce  manquement ,  vous  lui 
cherche!  un  parti  qui  ait  beaucoup  de  bien  ;  vous  ne  vous 
inquiétez  pas  s'il  a  beaucoup  de  vices ,  si  c'est  un  blasphé- 
mateur ,  un  renieur  de  Dieu  ,  un  impie  ,  un  querelleur 
OU  pilier  de  brelan  et  de  cabaret,  un  cheval  qui  fera  damner 
sa  femme,  qui  négligera  ses  enfants,  qui  sera  l'opprobre  de 
famille:    peu  vous  importe,    pourvu  qu'il   ait  des 
moyens.  Quatrièmement,  par  cette  même  avarice  vous  jetez 
foire  cadet  en  la  maison  de  Dieu,  ou  par  la  porte  ou  par  la 
fenêtre  ;  yous  le  faites  homme  d'Eglise  ,  vous  obtenez  une 
cure  ,  qu'il  le  veuille  ou  non;  qu'il  ait  la  vocation  ,  le  don 

ntinence,  l'esprit,  le  jugement,  la  science,  la  vertu 

ssaire  ou  non,  qu'il  s'y  sauve  ou  non,-  vous  ne  vous  en 
inquiétez  pas;  el  il  faut  que  Jésus,  bon  gré  mal  gré,  reçoive 
,aih  M  couri  Pour  officier  de  sa  couronne,  pour  ministre 

'!  H;,t  ,  pour  intendant  de  sa  justice,  pour  trésorier  de 
son  épargne,  pour  dispensateur  de  ses  grâces,  pour  économe 

'  imillc,  pour  conducteur  de  ses  enfants,  pour  gardien 
use,  pour  embassadeur  ver,  Dieu  son  Père,  pour 
son  corps,  pour  instrument  de  son  Esprit 
l,n  Jcune  ,*'-m)  Ht  lo«rde«u,  ignorant,  imprudent,' 


02  SERMON  CCLXXVI. 

intempérant ,  vicieux,  parce  que  vous  vouiez  en  décharger 
votre  maison  pour  laisser  plus  de  biens  aux  autres.  Quel 
effroyable  aveuglement  !  quelle  horrible  tyrannie  et  oppres- 
sion de  la  sainte  Eglise  ! 

En  cinquième  lieu,  ces  injures,  ces  oppressions  que  vous 
faites  à  l'Eglise ,  aux  veuves ,  aux  pauvres  gens  ,pour  enrichir 
vos  enfants,  attirent  sur  votre  famille  la  malédiction dcDieu. 
Ecoutez  l'Ecriture  ,  et  vous  tremblerez  si  vous  avez  la  foi. 

H.  —  (3°  Exemple*  Achab.  )  Au  troisième  livre  des 
Rois  ,  (  21 .  2.  )  Achab  désire  avoir  la  vigne  de  Naboth  , 
parce  qu'elle  était  à  sa  bienséance  ;  mais  il  n'osa  l'envahir 
par  force  ,  tout  roi  qu'il  était.  Sa  femme  plus  effrénée  et 
plus  audacieuse  que  lui,  écrit  des  lettres  en  Jezrael  où  était 
le  bon  homme.  Elle  mande  aux  principaux  de  la  ville  qu'ils 
suscitent  quelque  mauvaise  affaire  contre  cet  innocent , 
qu'ils  subornent  de  faux  témoins  ,  et  qu'ils  le  condamnent 
à  perdre  son  héritage.  Il  est  dit,  et  il  est  fait;  que  ne  fait-on 
pas  pour  une  reine  ?  Le  prophète  Elie  s'adresse  au  roi ,  et 
lui  dit  de  la  part  de  Dieu  :  Est-ce  ainsi  que  vous  abusez  du 
sceptre  que  je  vous  ai  mis  en  main  ?  est-ce  pour  opprimer 
les  faibles  ,  que  je  vous  ai  fait  roi  ?  pensez-vous  être 
souverain  et  n'être  jugé  de  personne  ?  vous  avez  envahi  la 
vigne  du  bon  homme  contre  sa  volonté  ;  elle  vous  coûtera 
plus  cher  qu'un  marché  ;  je  ruinerai  votre  maison  de  fond 
en  comble  ,  je  n'y  laisserai  pas  même  en  vie  jusqu'à  un 
petit  chien  :  Interfiçiam  de  domo  Achab  in  ingénient 
ad  parietem;  et  l'Ecriture  ajoute  :  Igitur  non  fuit  alier 
talins'icut  Achah,  quivenundatusest ,  ut  faceretmalum. 
Les  autres  rois  ses  prédécesseurs  avaient  commis  divers 
péchés  très  grands,  et  en  grand  nombre;  mais  de  lui  seul 
il  est  dit  après  cette  injustice  :  Igitur;  notez  igitur ,  il  n'a 
point  eu  son  semblable  en  malice  ,  et  il  s'est  vendu  par  ce 
péché,  c'est-à-dire  qu'il  s'est  livré  pour  jamais  à  la  puis- 
sance de  Satan  et  à  la  vengeance  du  ciel ,  tant  l'oppression 
des  pauvres  déplaît  à  Dieu;  et  pour  montrer  que  les  menaces 
de  Dieu  ne  sont  pas  des  paroles  en  l'air  ,  et  qu'il  fait 
toujours  ce  qu'il  dit  ,  ce  roi  infortuné  fut  bientôt  assassiné , 


i.  ayaui. 

[  qu'on  no  peso  pas  assez,  après  la 
(TAchal),  Dieu  fait  sacrer  Jéhu  pour  être  roi  de  son 
,  9.  6.  )  tout  exprès  afin  qu'il  extermine 

ce  roi  injuste  :  l  nxi  te  regem  .super  populum 
Tsrai /.  et  perçu  lies  domum  Achah  dominifui% 
lui  dit  le  Prophète  en  le  consacrant  ;  et  pour  exécuter  ce 
commandement  de  Dieu,  comme  on  avait  écrit  des  lettres 
unie  en  Jezrael,  pour  opprimer  le  bonhomme  ,  par 
une  peine  de  réciprocité  Jéhu  écrit  des  lettres  de  Jezrael  en 
Sam  a  rie,  et  mande  aux  habitants,  sitôt  la  présente  reçue  , 
de  lui  apporter  les  tries  des  septante  enfants  d'Achab  ,  ce 
qui  fut  exécuté;  et  le  texte  remarque  expressément  que  les 
lie  ces  pauvres  princes  furent  apportées  in  canistris  , 
en  des  paniers  où  on  met  des  raisins  en  vendange  ,  pour 
reprocher  à  ce  roi  que  tous  les  fruits  qu'il  a  recueillis  de 
cette  vigne  injustement  acquise,  ce  sont  les  têtes  de  ses  en- 
egeSy  intelligite;  eradimini,  qui  j  adieu  fis 
Meurs,  ne  soyons  pas  stupides,  ne  soyons  pas 
insensible  liguillons  si  vifs;  c'est  maintenant  le  même 

Dieu  ;  il  a  en  horreur  le  péché  autant  que  jamais;  l'injustice 
justice  devant  lui;  les  pauvres  lui  sont,  main- 
tenant  pi  et  plus  précieux  qu'ils  n'étaient  alors, 

e  qu'ils  sont  les  membres  do  son  Fils  ;  s'il  ne  venge 
;  les  oppressions  qu'on  leur  fait ,  ce  n'est  pas  qu'il  ait 
changé  de  naturel  ,  mais  c'est  quil  attend  de  les  punir  plus 
rigoureusement  en  l'autre  monde  :  Non  irascitur  Domi- 
nas in  hoc  sœculo,  utirascaiurin  futuro,  Venundatas 
'  faceret  malum  ;  il  parle  bien  proprement. 

QUARTUlf  PUNCTUM.  —  Nocet  sibl. 

''  ~   '   Scriptura.)  Le  Sage  a  usé  des  mômes  termes  : 

pli.  10.  10.  )  Nihil  est  iniquius  quam  amare  pe- 

îam  ;  lie  enim  et  (m  Imam  suam  venaient  h  ah  et  ; 

r    ;ent,  et  par  cette  affection  vous  vende*  a 

•  fous  fraudez  en  vendant  ou  en  achetant,  vous 

i  de  1 1  mauvaise  marchandise  avec  la  bonne ,  vous  ne 

Cdèlemenl  en  votre  métier;  vous  vendez  voire 


64  SERMON  CCLXXVI. 

ame  au  diable  :  les  autres  pécheurs  engagent  leur  àme,  et 
vous  vendez  la  vôtre  presque  sans  ressource  ,  sans  retour  , 
sans  la  pouvoir  racheter.  Comment  dégage-t-on  son 
âme,  quand  on  a  été  si  malheureux  que  de  l'engager  à  Satan? 
par  la  pénitence.  Elle  est  bien  difficile  aux  autres  pécheurs  , 
mais  elle  n'est  pas  impossible;  s'ils  peuvent  obtenir  de  Dieu, 
par  de  longues  et  ferventes  prières,  une  vive  contrition,  s'ils 
peuvent  avoir  la  confiance  de  confesser  leurs  pèches,  quel- 
que grands,  etquelque  énormes  qu'ils  soient,  on  peut  leur  en 
donner  l'absolution;  mais  tant  que  l'avarieieux  retient  injus- 
tement le  bien  d'autrui  qu'il  peut  rendre  ,  il  n'y  a  point  de 
prêtre,  point  d'évèque,  point  de  pape,  qui  puisse  L'absoudre 
validement  ;  toutes  les  confessions  qu'il  fait  sont  des  sacri- 
lèges, sa  pénitence  n'est  pas  vraie  ;  c'est  un  masque,  une 
apparence,  une  idole  ,  un  fantôme  de  pénitence  ;  Si  res 
profiter  quam  peccatum  est  reddi  potest,  et  non  reddi- 
tur,  non  agilur  pœnltentia  ,  sed  simulatur.  (  S.  Àug. 
epist.  54.  ad  Maced.  ) 

L. —  (  2°  Comparai ione.  )  La  maxime  d'Hippocrate 

dit  l    rofs-  vopôôrtrtiàictt  r&  yivà^e-nx  êMsx    êb  a&^xrt  9     o   faSccés 

ùyiâÇetxi.  Les  ulcères  qui  viennent  aux  hydropiques  ne  se 
guérissent  pas  aisément ,  parce  que  pour  guérir  un  ulcère 
il  faut  le  dessécher  ;  et  l'humeur  aqueuse  ,  dont  l'hydropi- 
que  est  abondant ,  empêche  qu'on  ne  le  dessèche,  L'avarice 
est  une  hydropisie  spirituelle  ;  dans  l'hydropisie  ,  plus  on 
boit  plus  on  a  soif;  dans  l'avarice,  plus  on  acquiert  de  biens 
plus  on  en  désire  :  Crescit  indulg-ens  sibi  dirus  hy drops; 
quo  plus  sunt  potœ,  plus  sitiuntur  equee.  Quand  l'ava- 
ricieux  est  sujet  à  quelque  vice ,  il  s'en  délivre  difficilement, 
parce  qu'à  cet  effet  il  est  besoin  de  dessécher  la  bourse  pour 
gagner  la  miséricorde  de  Dieu  par  des  œuvres  de  miséri- 
corde, pour  racheter  ses  péchés  par  l'aumône,  pour  payer 
ses  dettes,  pour  restituer  le  bien  d'aulrui,  et  son  humeur 
ne  le  lui  permet  pas. 

C'est  donc  avec  raison  que  le  chantre  royal  a  dit  :  Me- 
lius  est  modicum  justo  ,  super  divitias  peccatorum 
vmltas;  (  P&vl,  36.  1 6.  )  on  estime  heureux  celui  qui  est 


L^A  VARICE.  65 

riche  eo  biens  temporels,  mais  la  condition  du  pauvre  esl 
meilleure  s'il  esl  riche  en  biens  spiritules,  An  dires  est 
qui  habet  aurum  in  arca ,  et  dires  non  est  qui  Iiabet 
n  in  conscientia  ?  dit  S.  Augustin  :  Vous  appelez 
riche  celui  quia  de  for  dans  son  coffre;  îfanpellerez-vous 
pas  riche  celui  qui  possède  Dieu  dans  son  cœur  ?  Qu'est-ce 
qui  est  plus  précieux  el  [dus  à  estimer  ,  ou  IV  et  l'argent, 
ou  celui  qui  a  fait  IV  el  l'argent  ? 

CONCLUSIO. 

M.  —  (  Per  paraphrasim  ,  etc.  )  Il  n'est  rien  de 
meilleur  en  ce  monde  (pie  la  grâce  de  Dieu  ,  l'amitié  des 
Saints  ,  la  paix  dans  votre  famille  ,  la  concorde  avec  votre 
prochain  ,  la  charité  envers  les  pauvres ,  le  repos  de  votre 
ame  ,  le  calme  de  voire  conscience ,  la  fréquentation  des 
ments  ,  l'assiduité  à  la  parole  de  Dieu  et  aux  offices 
divins ,  les  exercices  de  dévotion  ,  la  pratique  des  bonnes 
.  et  tout  cela  vous  est  interdit  et  enlevé  par  votre 
ami 

um  justo,  un  peu  de  bien  acquis  justement  et 

chrétiennement  sera  plus  de  durée  ,  vous  donnera  plus  de 

lentement,  vous  fera  avoir  plus  de  bénédictions  de  Dieu, 

plus  d'honneur  des  hommes,  plus  de  respect  et  d'obéissance 

i  os  gens ,  plus  d'affection  de  vos  compatriotes  ,  plus 

de  plaisirs  en  f usage  de  ces  biens,  que  tous  les  trésors  ûu 

monde  injustement  possédés  ;   super  diviiias,  divitiœ  a 

iividendo;  ces  richesses  trop  affectionnées  vous  séparent 

de  Dieu  ,   vous  mettent  en  divorce  avec  votre  prochain  , 

lurent  votre  cœur  de  mille  soucis, 

Peccatorum.   Elles  sont  causes  que  vous  commettez 

plusieurs  péchés  ,  ou  les  acquérant  avec  injustice,  ou  les 

dant  avec  orgueil,  ou  les  conservant  avec  inquiétude] 

ou  l<  muant  avec  trop  d'ardeur  ,  ou  les  dépensant 

luxe  et  dissolution,  ou  les  perdant  avec  impatience,  ou 

ommuniquer  aux  pauvres  par  défiance  de 

la  providence  de  Dieu. 

A.  -—  [El  pa  argumenta  ,       )      l'on  tlisail  de  tous 


(jG  iJEUMON  CCLXXV1. 

ce  que  vous  pouvez  de  Dieu  ,  on  vous  désobligerait.  Si  l'on 
disait  qu'un  valet  vous  ayant  servi  quinze  ou  vingt  ans,  et 
employé  à  voire  service  sa  personne  et  ses  moyens  ,  avec 
beaucoup  de  fidélité  et  d'affection,  et  que  vous  lavez  laissé 
dans  la  disette  de  biens  et  de  secours  sur  ses  vieux  jours  , 
lui  et  sa  famille  ,  on  vous  offenserait ,  parce  qu'on  donne- 
rait sujet  de  croire  que  vous  êtes  un  ingrat,  un  barbare, 
un  cœur  endurci.  Pourquoi  êtes-vous  si  réservé  à  donner 
libéralement  de  vos  biens  aux  pauvres  ?  C'est  que  vous 
craignez  d'en  avoir  besoin  en  l'arrière-saison  de  votre  âge, 
quand  vous  ne  pourrez  plus  travailler  ;  vous  pensez  donc 
que  Dieu  abandonne  ses  serviteurs,  quand  ils  sont  tombés 
en  disette,  et  devenus  infirmes  et  inutiles,  n'est-ce  pas 
offenser  sa  bonté  et  sa  providence  infinie  ?  Vous  voulez  être 
riche  pour  avoir  de  l'honneur  et  de  la  gloire,  et  vous  n'avez 
rien  moins,  vous  êtes  infâme  et  décrié;  partout  on  dit  : 
C'est  une  harpie,  un  mesquin,  qui  écoreherait  un  moucheron 
pour  en  avoir  la  peau  ;  tous  vous  méprisent,  se  moquent  de 
vous,  vous  abhorrent  comme  un  voleur,  un  avare,  un  loup- 
garou ,  une  peste  du  monde  ,  et  chacun  se  réjouit  de  vos 
disgrâces,  de  vos  humiliations  ,  de  votre  mort. 

Ou  vos  enfants  seront  sages  et  vertueux,  ou  non.  S'ils  le 
sont,  ils  amasseront  assez  de  bien  pour  s'entretenir  ;  s'ils  ne 
le  sont  pas,  ils  ne  sauraient  avoir  si  peu  de  bien,  qu'ils  n'en 
aient  trop  ;  les  biens  leur  seront  des  instruments  de  débau- 
ches, de  jeux  et  d'ivrogneries,  et  des  moyens  d'acheter  l'hon- 
neur des  filles;  au  pis  aller,  si  vous  les  laissez  pauvres  plutôt 
que  d'offenser  Dieu ,  vous  attirerez  sur  eux  sa  bénédiction, 
ils  seront  plus  semblables  à  Jésus  qui  a  choisi  la  pauvreté  , 
comme  meilleure  et  plus  salutaire  que  les  richesses;  ils  seront 
commis  et  abandonnés  à  la  providence  de  Dieu  mille  fois 
plus  sage  et  plus  souhaitable  que  la  vôtre  :  Tibi  derelictus 
estpawper  ;  plus  capable  de  sa  miséricorde  :  Parcet pau- 
peri  et  inopi  ;  exiguo  conceditur  misericordia /  en  plus 
grande  considération  devant  lui  :  Honorabile  nomen  eorum 
coram  illo ,  en  un  état  que  plusieurs  Saints  très  nobles,  riches , 
opulents ,  judicieux,  ont  choisi  comme  le  plus  assuré. 


67 

I  pas  nûcux  faire  ainsi  que  de  leur  donner  sujet 
•  damner  ?  Négliger  votre  salut,  passer  votre  vie  en  souri, 
tracas,  voyages,  procès,  peines  d'esprit,  cupidité,  être  tou- 
jours affamé  el  jamais  content ,  être  L'objet  de  la  colère  de 
Dieu,  vengeance  du  ciel,  des  murmures  de  vos  gens,  de 
l'envie  des  riches,  de  la  haine  des  pauvres,  de  la  risée  de 

VOS  voisins,  du  mépris  de  toute  la  ville,  delà  joie  des  démons. 

donc  avec  le  Prophète  :  Ouid  mihi  est  in  cwlo, 

!ul  super  terrain,  Doits  cordis  met  et  pars 

vicu. 'Dt  us  in  œtemum  :  Qu'y  a-t-il  au  ciel  ou  sur  la  terre 

quisoit  digne  d'être  comparé  à  vous,  ô  mon  Dieu?  Vous  êtes 

toute  ma  richesse,  mon  trésor,  mon  partage,  mon  souverain 

bien;  soyez  le  Dieu  de  mon  cœur,  l'unique  objet  de  mes 

aésirs  ,  de  mes  affections,  de  mes  ardeurs ,  de  mes  plaisirs, 

de  mes  contentements,  maintenant  et  toujours,  et  dans  ton? 

-   '      siècles.  Amen. 


SERMON  CCLXXVIÎ. 


DE  L'AVARICE  ET  DU  LARCIN. 


Non  fitrtum  fades. 

Bien  d'auirui  tu  ne  prendras  ni  retiendras  à  ton  escient.  (Exod.  20, 15.) 

Après  avoir  considéré  les  grands  torts  que  Tavare  fait  à 
son  Dieu  ,  à  son  prochain  ,  à  ses  enfants ,  et  à  lui-même,  il 
est  à  propos  d^lre  bien  convaincu  que  nous  pouvons  être 
avare  en  deux  manières,  ou  par  une  trop  grande  affection  à 
nos  propres  biens ,  ou  en  dérobant  et  retenant  le  bien  de 
notre  prochain.  La  première,  est  une  cupidité  désordonnée; 
la  seconde,  une  injustice  criminelle  ;  toutes  deux  contraires 
à  l'Evangile  ,  toutes  deux  condamnées  par  la  loi  de  Dieu  , 
toutes  deux  très  pernicieuses  à  notre  salut,  comme  je  vous 
le  ferai  voir  dans  les  deux  points  de  mon  discours. 

IDEA  SERMONIS. 

Coneio.  Agit:  1°  Contra  avaritiam.  2°  Contra  furlum, 

seu  injustitiam. 
Primum  punctum.  1 .  Contra  avaritiam  pauperum  :  — 

A.  \°  Scriptura.—B.  2°  Patribus.—C.  3°  Ratione. 
2.  Contra  avaritiam  divitum  : — D.  1°  Scriptura ,  — 

E.  TPatribus,-~F.  3e  Exemplis.—G.  4° Ratione.— 

H.  5°  Comparatione. 
Sccmidum  punctum.    Contra  injustitiam  cujus  malig- 
nitas  considéra  tur  in  Juda,  quiobeamfuit: — I.  1  °  Fur. 

— L.  2°  Tradiêor.—M.  3°  Sacrikgus.—N.  4°  Filius 
perditionis. 

primum  punctum  —  1 .  Contra  avaritiam  pauperum. 

A.  —  (1°  Scriptural)  Bienheureux  sont  les  pauvres 
d'esprit,  car  à  eux  appartient  le  royaume  des  cieux.  En  li- 
sant L'Ecriture  sainte,  on  peut  aisément  remarquer  que, 


NOM  CCI  XXVII. — DE  !  \\  \  ttl(  i    .  eh'.  bU 

dans  I  Evangélistes,  Jésus  Rappelle  les  apôtres  ses 

s  enfants  que  deux  fois,  pus  davantage  :  Filtoli  mei, 

I  m*  fois  en  S.  Mare  ,  (10.  24.)  el  l'autre  en  S.  .Iran  ; 
(43.  33.]  el  les  ,icu\  fois  sur  un  mémo  sujet.  En  S.  Marc, 
ce  f';:i  après  qu'un  homme  riche  qui  était  attaché  à  ses  biens 
eut  quitté  leur  compagnie;  en  S.  Jean,  ce  fut  après  que 
l'avare  Judas ,  dans  la  dernière  cène,  eut  quitté  le  sacre 

ge  •!<•-  apôtres,  pour  nous  faire  savoir  qu'il  n'y  a  que 
les  pauvres  qui  sont  les  bien-aimés,  les  favoris,  les  petits 
enfants  de  Jésus,  non  les  pauvres  en  général,  mais  les 
pauvres  d'esprit,  les  pauvres  évangéliques,  les  pauvres  de 

«  t  d'affection. 
1a-  Fils  de  Dieu  ayant  dit,  (Matth.  19-24.  -  Marc.  40. 
25.  -  Lue.  18.  25.)  qu'il  est  aussi  difficile  qu'un  hommii 

entre  au  royaume  des  cieux,  qu'il  est  difficile  qu'us 
chameau  passe  par  le  trou  d'une  aiguille  ,  ses  disciples  s'é- 
tonnèrent et  dirent  :  Qui  est-ce  donc  qui  pourra  être  sauvé? 

II  semble  d'abord  une  cette  repartie  des  apôtres  est  indis* 
crête,  et  qu'il  y  avait  sujet  de  s'étonner  de  leur  étonne- 
nu  nt ,  el  que  Jésus  pouvait  répliquer  :  N'y  a-t-il  pas  assez 
de  pauvres  au  monde?  Le  nombre  n'en  est-il  pas  plus 

I  que  celui  des  riches  ?  Vous  demandez  qui  est-ce  qui 
pourra  se  sauver  ?  Il  ne  leur  répliqua  pas  cela,  il  ne  trouve 
pas  leur  repartie  indiscrète  ,  mais  subtile  et  ingénieuse  ;  ils 
avaient  fort  bien  pénétré  le  sens  et  l'intention  de  leur  Maître, 
quand  il  avait  dit  qu'un  riche  se  sauve  lifficilement  ;  ils  ne 
l'entendaient  pas  seulement  de  ceux  qui  Fontriehes  en  effet, 
Bais  aussi  de  ceux  qui  sont  riches  par  désir  -t  affection,  et 
le  monde  est  plein  de  telles  gens,  et  les  pauvres  sont  bien 
souvent  plus répréhensibles  et  plus  esclaves  îe  celte  passion 
que  les  riches  m  mes.  Quand  on  loue  la  pauvreté  à  la  pré- 
dication ,  et  qu'on  invective  contre  les  richesses  ,  il  y  a 
plusieurs  pauvres  ;  ;  se  réjouissent,  s'enflent  et  regardent 

épris.  Jésus  ne  dit  pas  simple- 
ment :  Bienheureux  sont  les  pauvres,   mais  les  pauvres 

rit,  d'amour,  d'affection,  qui  aiment  la  pauvreté. 
Quand  vous  seriez  aussi  pauvres  que  Lazare,  si  vous  avez 


70  SERMON  CCLXXVII. 

de  Paftectïon  aux  richesses,  si  vous  êtes  aussi  attacha  à  vos 
haillons  ,  que  les  riches  à  leur  soie  et  à  leurs  meubles  pré- 
cieux ;  si  vous  vous  parjurez  pour  gagner  deux  iiards ,  si 
vous  dérobez  de  petites  choses ,  en  n'osant  ou  ne  pouvant 
dérober  davantage  : 

B.  — (2°  Patribus.)  Cette  première  béatitude  n'est  pas 
pour  vous,  vous  n'êtes  pas  au  nombre  des  favoris  et  des  pe- 
tits enfants  de  Jésus  ;  vous  n'êtes  pas  pauvres  devant  lui , 
mais  plus  riches  que  les  riches  mêmes  :  Pawper  es  neces- 
sitate,  miscrahili  non  laadabili  voluntate  ,  dit  S.  Ber- 
nard. (Serm.  \ .  in  festo  omnium  Sanct.) 

Vous  dites  que  vous  n'avez  jamais  retenu  le  bien  d'au- 
trui ,  je  le  crois  bien ,  dit  S.  Augustin  ;  c'est  possible  qu'on 
ne  vous  ait  jamais  rien  prêté  ,  ni  donné  en  garde  ,  ou  si  Ton 
vous  a  confié  quelque  chose ,  c'a  toujours  été  moyennant 
une  bonne  cédule  ,  ou  en  présence  de  témoins.  Je  louerai 
votre  probité,  si  vous  avez  restitué  ce  qu'un  marchand  vous 
avait  trop  donné  par  mécompte ,  ce  qu'on  vous  avait  prêté 
seul  à  seul  sans  cédule ,  si  vous  avez  rendu  les  papiers  à  des 
orphelins  ,  ou  aux  églises  ,  qui  ne  vous  y  pourraient  con- 
traindre. Vous  allez  à  la  maison  d'un  riche ,  vous  y  voyez 
plusieurs  choses  qui  seraient  à  votre  bienséance,  et  vous 
n'en  touchez  pas  une  seule ,  et  là-dessus  vous  vous  flattez , 
vous  vous  enflez  :  Je  suis  homme  de  bien ,  je  ne  fais  tort  à 
personne ,  je  n'ai  rien  pris  en  telle  maison  ;  je  le  crois  bien  ; 
on  avait  toujours  les  yeux  sur  vous ,  on  s'en  serait  aperçu  , 
on  savait  bien  que  personne  n'était  entré  dans  cette  chambre 
que  vous  ;  on  eût  crié  au  larron  ,  on  vous  eût  éloigné  de  la 
maison  ;  ce  n'est  pas  la  crainte  de  Dieu,  mais  la  crainte  des 
hommes  qui  vous  a  retenu. 

C.  —  (3°  Ratlone.)  Comme  pour  la  pratique  de  la  vertu 
Dieu  a  plus  d'égard  à  la  bonne  volonté  qu'à  l'effet;  ainsi 
dans  ce  qui  est  du  péché,  il  regarde  plus  la  disposition  du 
cœur  que  les  œuvres  de  la  main  :  Deus  pensât  corda f  non 
opéra;  plus  respicit  affèctum,  quant  censum. 

(2.  Contra avariliam  divihim.)hQs  riches  aussi,  c^est- 
à-dire  ceux  qui  possèdent  actuellement  des  biens ,  se  trom-- 


DE  L  M  r  DO  LARCIN,  7  I 

peut  souvent  très  lourdement  en  ce  sujet  ;  quelqm  a  rcclion 

et  attachement  qu'ils  aient  aux  richesses,  ils  pensent  être 

rés  de  leur  salut,  sous  prétexte  qu'ils  ne  voudraient 

der  les  biens  de  leurs  voisins,  ni  môme  les  convoiter 

pour  les  avoir  inju  lement. 

D,  —  (1°  Scriptural)  Comme  si  l'Ecriture  condamnait 
seulement  L'injustice  et  non  pas  aussi  L'avarice  :  Nihil  ini- 
quius  quam  amare  pecuniatnf  (Eceli.  10.  10.)  elle  ne 
cl 1 1  pas  :  «  Quam  (mari.  Hoc  autem  scitote  intelligentes, 
«  quod  omnis  fornicator,  anl  avarusnon  hahet  hscreditatem 
«  in  regno  Clirisliet  Dci.  IV  no  vos  seducat  inanibus  ver- 
«  lus ,  propter  liece  enim  venil  ira  Dei  in  (ilios  difiidenliœ. 
«  Nolite  errare  ;  neque  fures,  neque  rapaces  ,  neque  avan 
i  regoura  Dei  possidebunt.  »  (Ephes.  5.  5.  -  1 .  Cor. 
0.  1  z  que  non-seulement  les  larrons,  ceux  qui 

dérobent  ou  retiennent  le  bien  d'autrui ,  mais  aussi  les  ava- 
ceuxqui  possèdent  leur  propre  bien  avec  trop  d'avi- 
dité ,  n'ont  point  de  part  au  royaume  des  cicux  :  Avarus 
lus. 

\  '  Patribus.)  S.  Basile,  (Iïomil.  de  divite  avaro.) 
et  après  lui,  S.  Ambroise  (Serm.  8 1 .)  disent  :  Quis,  quœso, 
'finis?  ille  qui  eo  quod  salis  esse  débet  non  est 
contentas.  A  votre  avis,  qui  est  celui  que  l'Ecriture  ap- 
pelle avare  ?  Celui  qui  ne  se  contente  pas  de  ce  qui  est  sui- 
vant à  son  entretien.  S.  Augustin  (Serm.  196.  de  temp.) 
dit  :  I\on  solum  avarus  est  qui  rapit  aliéna  ,  sed  qui 
te  serrât  tua  :  Non-seulement  celui  qui  prend  le  bien 
d'autrui,  mais  celui  qui  garde  le  sien  avec  cupidité,  est 
avare.  Et  ailleurs  le  môme  saint.  (Serm.  19.  de  verbis  apos- 
toli.)  nous  fait  remarquer  que  tous  les  riches  qui  sontdam- 
larés  tels  en  l'Evangile,  notaient  pas  usurpateurs 
du  bien  d'autiui,  mais  seulement  trop  passionnes  pour  leur 
'  n. 
F-  —  >p!is.)  Le  mauvais  riche  n'était  point 

■  de  veuves  et  d'orphelins  5  il  n'op- 
primait personne,  il  ne  dilapidait  pas  le  bien  public ,  il  ne 
particulier;  s'il  eut  été  (cl,  Jésus  ne  le  tai  ■ 


72  SERMON  CCLXXVII. 

rail  pas  :  Si  vis  scirecrimen  divitis,  noli  aïiudquœrere, 
quant  quod  midis  a  veritate.  Il  était  trop  attache  à  son 
bien ,  il  a  été  enseveli  aux  enfers.  Cet  autre  riche ,  dont  Jé- 
sus fait  mention  dans  S.  Luc,  chapitre  douze,  ne  pensait 
pas  à  ruiner  les  veuves  et  à  étendre  les  bornes  de  ses  hérita- 
ges ,  en  impiétant  sur  ses  voisins,  il  ne  pensait  qu'à  recueillir 
les  fruits  de  ses  terres  :  11  y  a  apparence  de  riche  moisson, 
disait-il  ;  mes  greniers  sont  trop  petits  pour  y  garder  tant 
de  grains  ;  il  faut  les  abattre,  et  en  faire  bâtir  de  plus  grands. 
On  lui  dit  :  Insensé  que  vous  êtes,  vous  mourrez  cette  nuit. 
Pensez-vous,  mes  frères,  dit  S.  Augustin,  que  Dieu  loge 
un  insensé  en  son  paradis  ?  et  s'il  n'est  pas  reçu  dans  le 
ciel ,  quelle  autre  demeure  lui  reste— t~il  que  l'enfer  ?  Ntin- 
quid  stultis  Deus  daturus  est  regnum  cœlorum  ?  Qui- 
tus autem  non  est  daturus  regnum  cœlorum,  quid 
restât  nisi  poena  geliennarum  ? 

Et  cet  autre  riche,  dont  nous  parlions  au  commencement, 
était  gentilhomme,  les  richesses  donc  étaient  convenables  à 
sa  condition  ;  il  avait  gardé  tous  les  commandements  de 
Dieu  dès  son  enfance,  l'Evangile  le  dit,  c'est  beaucoup, 
c'est  une  grande  perfection.  Un  gentilhomme  comblé  de 
richesses  à  la  fleur  de  son  âge  ,  dans  les  charmes  et  les  at- 
traits du  monde,  ne  se  laisser  pas  emporter  au  penchant  des 
voluptés ;  garder  exactement  tous  les  commandements  de 
Dieu,  et  toutefois,  parce  qu'il  était  trop  affectionné  à  ses 
biens  ,  il  se  sépara  du  Sauveur,  et  fit  naufrage  de  son  sa- 
lut ,  et  sur  cela ,  Jésus  dit  en  soupirant ,  par  deux  fois  : 
Quant  difficile  qui pecunias  liabent  in  regnum  Dei  in- 
iroibunt!  Oh  que  difficilement  ceux  qui  ont  des  richesses 
entreront  au  royaume  de  Dieu  !  puis  il  ajoute  :  Et  encore 
je  vous  déclare  qu'il  est  plus  facile  qu'un  chameau  passe  par 
le  trou  d'une  aiguille  qu'un  riche  entre  dans  le  royaume  des 
cïeùx.  (Marc.  10.  23.  25.  -  Matth.  19.  24.)  Messieurs, 
messieurs,  consultons  notre  foi  ;  si  nous  croyons  que  Jésus 
est  vrai  Dieu,  qu'il  ne  dit  rien  que  de  très  véritable,  qu'il 
ne  dit  rien  d'inutile,  qu'il  ne  dit  rien  que  de  très  important, 
où  est  notre  esprit ,  noire  jugement ,  le  zèle  de  notre  salut  ? 


de  l'avarice  ET  DU  lauciît.  73 

Jésus  parle  en  soupirant  du  danger  où  il  nous  voit ,  et  nous 
n'en  sommes  pas  touchés.  11  ne  dit  pas  un  larron,  un  homme 
injuste,  un  chicaneur,  mais  un  riche,  qui  a  de  l'attache-- 
menl  à  ses  richesses,  car  il  dit  cela  à  propos  de  ce  gentil- 
homme ,  qui  n'avait  point  d'autres  vices,  et  il  dit  qu'un  tel 
homme  entre  plus  difficilement  au  ciel  qu'un  chameau  ne 
lasse  par  le  trou  d'une  aiguille.  Les  raisons  en  sont  éviden» 
les  à  tout  esprit  non  préoccupé. 

Il  n'y  a  vice  si  incorrigible,  parce  qu'étant  fort  malade 
on  ne  connaît  pas  son  mal,  on  est  aveugle"  de  son  péché, 
on  ne  voit  pas  le  mauvais  état  où  Ton  est;  on  se  forme  une 
eonscience  erronée  sous  prétexte  de  prudence,  de  providence, 
de  bon  ménage,  et  sur  ce  qu'on  ne  voudrait  faire  tort  à  per- 
sonne pour  tous  les  biens  du  monde.  De  cent  avares,  à  peine 
en  trouverez-vous  deux  qui  se  persuadent,  ou  même  qui 
soupçonnent  l'être.  J  érémie  dit  par  deux  fois  (  1  )  en  mêmes  ter- 
mes :  Tous  s'adonnent  à  l'avarice,  depuis  le  plus  grand  jus- 
qu'au plus  petit ,  et  lâchent  d'apaiser  leur  conscience,  qui  ne 
doit  pas  <ire  apaisée  :  Dicentes  pax  pax^et  non  est  pax, 
•  s  trouverez  des  prêtres  qui  disent  la  messe  tous  les 
jours  fort  dévotement,  des  veuves  qui  communient  tous  les 
dimanches  fort  utilement  à  leur  avis,  des  hommes  bien  ri- 
ches (jiii  font  exactement  leur  devoir  dans  les  confréries  où 
ils  sont,  qui  parient  souvent  de  Dieu ,  qui  font  oraison 
mentale  ,  qui  pensent  déjà  avoir  un  pied  dans  le  ciel ,  et  qui 
par  L'esprit  d'avarice ,  sont  abominables  devant  Dieu,  et  en 
ftaf  de  damnation  ;  et  ce  qui  est  digne  d'être  pleuré  avec 
les  larmes  de  sang,  ils  sont  si  horriblement  aveugles,  que 
Jous  les  prédicateurs  du  monde  ne  leur  sauraient  persuader 
qu'ils  sont  entachés  de  ce  vice. 

G.  —  V'  Ilatione.)  Déliez-vous-en  ,  si  vous  Hcs  sage  ; 
deliez-vous  de  vous-même  et  de  vos  dispositions.  Je  dis  vous, 
vous  qui  pensez  que  je  parle  bien  à  un  tel.  Ouvrez  tous  les 
pli-  el  replis  de  votre  cceur  à  un  sage  directeur;  détaillez 
toutes  WM  actions  à  ce  sujet,  toutes  les  dispositions  de  votre 

0)  A  mm  ■  I  •      lm'j'vr.:uioiii:iv.  avar itUe tfatat» (lerew.  0\ 

:3.ctc.s>,  . 


74  SERMON  CGLXXVIÎ. 

&mc  à  un  directeur  qui  ne  soit  point  flatteur ,  à  qui  vous 
n'ayez  jamais  fait  aucun  présent ,  qui  n'ait  point  d'intérêt 
que  vous  soyez  content,  ou  mal-content,  qui  conduise  aussi 
volontiers  un  petit  artisan  qu'une  présidente. 

H.  — (5°  Comparât îone.)  Ne  permettez  pas  que  Satan 
vous  fasse  comme  l'aigle  fait  au  cerf;  il  charge  ses  ailes 
de  poussière  ,  et  va  se  percher  sur  le  bois  du  cerf  pour  lui 
jeter  la  poudre  aux  yeux.  Le  pauvre  cerf  ainsi  aveuglé  bon- 
dit par  montagnes  et  par  vallées,  tombe  de  précipice  en  pré- 
cipice ,  se  tue  ,  et  devient  la  curée  de  l'aigle.  Ainsi  Satan  en 
voyant  qu'il  ne  pourrait  vous  attraper  par  autre  voie ,  par 
la  luxure,  la  gourmandise,  les  blasphèmes ,  parce  que  ces 
vices  sont  trop  noirs ,  trop  évidemment  criminels ,  il  vous 
jette  de  la  poussière  aux  yeux.  Demandez  au  Saint-Esprit  ce 
que  c'est  que  l'or,  l'argent,  les  pierres  précieuses ,  en  com- 
paraison de  la  vertu  ?  un  peu  de  poussière ,  arena  est  exi- 
gua.  (Sap.  7,  9.)  Etant  ainsi  aveuglé ,  vous  yous  jetez  en 
mille  précipices ,  et  vous  ne  les  voyez  pas» 

Si  vous  êtes  ecclésiastique ,  vous  souillez  les  actions  les 
plus  saintes,  le  sacrifice  de  la  messe,  l'administration  des 
sacrements,  la  visite  des  malades ,  par  des  intentions  basses 
et  sordides  ;  vous  ne  dites  des  messes,  vous  n'assistez  à  l'of- 
ilee  divin  ,  s'il  n'y  a  rien  à  gagner.  Je  sais  bien  que  vous 
vous  flattez ,  en  disant  que  le  gain  temporel  n'est  pas 
votre  principale  intention  ;  mais  qui  en  peut  juger  ?  qui  vous 
a  dit  que  vous  n'êtes  pas  aveuglé  en  ce  point  ?  Si  vous  êtes 
curé ,  vous  ne  prenez  pour  vicaire  qu'un  homme  de  petite 
étoffe,  qui  n'est  pas  capable  de  prêcher,  de  catéchiser,  aider 
puissamment  les  âmes  à  la  confession ,  arce  que  vous  en 
avez  meilleur  marché.  Si  vous  êtes  confesseur,  vous  refusez 
ou  entendez  hâtivement  les  pauvres  gens  ,  pour  faire  passer 
monsieur  et  madame  ;  yous  les  flattez  en  leurs  vanités , 
mondanités  et  autres  imperfections,  parce  qu'ils  vous  font 
du  bien.  Si  vous  êtes  séculier,  vous  pouvez  dire  :  Ani- 
mant meam  fraudo  bonis.  Vous  ne  priez  Dieu  soir  et 
matin  qu'en  vous  habillant  et  vous  déshabillant  ;  vous  vous 
jetez  à  l'ouvrage ,  sans  offrir  vos  actions  à  Dieu  j  vous  êtes 


AEICK  1T  DL    LARCIN.  t5 

?olre  maison,  vour  troublez  tous  vos  domes- 
tiques par  vos  impatiences  et  vos  colères;  vous  ne  pressez 
niants  et  serviteurs  qu'au  travail  corporel;  et  vous 
n'avez  aucun  soin  du  spirituel,  de  les  instruire  dans  les  mys- 
tères de  la  foi,  de  les  faire  confesser,  communier,  ouïr  la 
ffrand'messe  el  vêpres  dans  les  jours  de  fête,  lire  la  Vie  des 
Saints  ;  vous  laissez  mourir  de  faim  el  de  froid  les  pauvres, 
qui  sont  les  membres  de  Jésus.  Et  parce  que  vous  négligez 
ainsi  la  pratique  des  bonnes  œuvres,  Dieu  s'éloigne  de  vous, 
et  VOUS  prive  île  ses  lumières;  vous  vous  refroidissez  en  son 
amour,  votre  volonté  s'affaiblit,  tout  cela  vous  achemine 
et  vous  dispose  à  de  plus  grandes  fautes ,  quand  l'occasion 
s'en  présente.  Vous  plait-il  que  nous  le  considérions  au 
second  point  de  ce  discours  en  une  personne  malheureuse  , 
que  nous  savons  assurément  être  damnée  par  son  avarice  ? 

6ECUNDUH  PUNCTUM,  —  Contra  inju&îiliam,  etc. 

I. —  (  l°  Fiu\^  C'est  le  détestable  Judas  ;  il  a  été  au- 
trefois aussi  homme  de  bien  que  vous:  il  était  digne  de  Papo- 
stolat,  car  Jésus  le  choisit  pour  cette  charge  :  Eligi  vos 
duodecim;  et  il  ne  choisit  jamais  des  personnes  indignes, 
ou  en  les  choisissant,  il  les  en  rend  dignes.  Judas  fut  témoin 
oculaire  des  miracles  de  Jésus,  il  entendit  ses  divines  pré- 
dications, il  vit  les  rares  et  admirables  exemples  de  ses  ver- 
tus héroïques  ;  et  néanmoins,  parce  qu'il  donna  entrée  en 
son  cœur  à  la  maudite  avarice,  il  est  tombé  en  d'horribles 
et  effroyables  précipices  :  il  est  devenu  larron,  traître,  sacri- 
lège, et  enfant  de  perdition  :  Furcrat,  ditl'évangéliste;  et 
le  prophète  Jérémie  nous  donne  sujet  dédire  qu'il  a  plusieurs 
héritiers  de  son  crime,  et  que  le  septième  commandement 
deDieu  est  horriblement  transgressé  en  tous  les  états  \Ami~ 
nore  usqueadtnajorem  omnes  avaritiœ  student,  etapro* 
pheta  usqueadsacerdotem.ÇJetem.  G.  1 3.  et  cap.  8. 1 0.) 
Contre  ce  commandement  pèchent  les  prieurs  et  les  abbés 
qui  prennent  de  l'argent  pour  recevoir  des  religieux  en  leurs 
monastères,  qui  laissent  ruiner  les  églises,  ou  les  bâtiments 
de  leurs  b  fnltices,  qui  ne  paient  aux  curés  la  pension  cou- 


76  SERMON   CCLXXVII. 

grue  qu'ils  leur  doivent,  afferment  trop  haut  leurs  moulins, 
sachant  que  les  fermiers  y  perdront,  s'iis  ne  dérobent.  Il  en 
est  de  même  des  gentilshommes  qui  prennent  à  ferme,  par 
des  personnes  interposées  ,  les  biens  de  l'Eglise ,  et  sont 
cause  qu'on  n'ose  enchérir  sur  eux,  qui  empêchent  que  les 
collecteurs  de  taille  n'en  imposent  à  leursmétayersou  à  leurs 
favoris  autant  qu'ils  en  devraient  avoir,  qui  exigent  ou  per- 
mettent à  leurs  fermiers  d'exiger  des  gabelles,  des  péages, 
des  présents  qu'on  ne  leur  doit  pas;  les  juges,  qui  obligent 
les  parties  qui  se  sont  accordées  à  payer  les  épices  d'un  pro- 
cès distribué  auquel  ils  n'ont  point  du  tout  travaillé,  qui  don- 
nent des  délais  ou  des  sentences  injustes  par  faveur  ou  par 
ignorance,  ou  parce  qu'ils  n'ont  pas  eu  le  soin  de  bien  com- 
prendre de  quoi  il  est  question,  qui  ne  condamnent  point 
aux  dépens  ou  aux  intérêts  ceux  qui  y  doivent  être  condam- 
nés, qui  prolongent  les  procès  ou  consentent  aux  chicanes 
des  parties  et  à  leur  longue  procédure  pour  ennuyer  celui 
qui  a  droit ,  qui  ne  font  pas  fidèlement  leur  rapport ,  qui 
soustraient  ou  cèlent  ou  supposent  quelque  pièce  pour  faire 
gagner  la  cause  ouïes  dépens  contre  la  justice,  qui  refusent 
ou  retardent  de  faire  justice  avec  notable  dommage  des  par- 
ties, qui  font  dire  aux  témoins  plus  qu'ils  ne  savent,  ou  les 
intimident  pour  les  empêcher  de  déposer  la  vérité,  ou  font 
écrire  autrement  qif  ils  n'ont  dit  ;  les  avocats  et  les  procu- 
reurs qui  prennent  des  causes  injustes  ou  continuent  de  les 
poursuivre  depuis  qu'ils  en  ont  connu  l'injustice ,  qui  par 
ignorance  ou  négligence  en  laissent  perdre ,  ou  tiennent  en 
longueur  les  parties ,  qui  prennent  plus  de  salaire  qu'ils  ne 
doivent  ou  se  font  conduire  et  payer  au  cabaret  par  leurs 
clients ,  sous  prétexte  qu'ils  ne  les  y  contraignent  pas  ;  les 
notaires  qui  par  ignorance  ou  malice ,  mettant  ou  omettant 
quelque  clause  sont  cause  de  procès  ou  frustrent  Tintention 
des  testateurs  ou  de  ceux  qui  contractent,  qui  ne  font  pas 
bien  entendre  aux  parties  ce  à  quoi  elles  s'obligent,  qui  exi- 
gent plus  qu'il  ne  faut  pour  donner  des  écritures  ;  les  ser- 
gents qui  donnent  des  exploits  sous  la  cheminée  ,  font  des 
antidates ,  çu,  font  croire  qu'ils  n'ont  trouvé  personne  au 


DL  L'A  VA  RICK   ET  DU  LARCIN.  71 

logis  et  se  font  payer  du  voyage  ,  on  prennent  de  l'argent 
pour  ne  pas  donner  de  commission  ;  les  personnes  qui  pren- 
nent de  l'argent  ou  bien  des  présents  pour  décharger  de 

(aille  une  paroisse  ou  une  famille,  car  ceux  que  vous  dé- 
chargez le  méritent  ou  non  :  s'ils  le  méritent  ,  vous  leur 
dites  tort  de  recevoir  de  l'argent  pour  faire  ce  à  quoi  vous 
êtes  obligé  ;  s'ils  ne  méritent  pas  d'être  déchargés,  vous 
faites  tort  aux  autres  que  vous  surchargez. 

Contre  ce  commandement  pèchent  les  bourgeois  qui  prê- 
tent de  l'argent  à  usure  ou  vendent  du  blé  à  crédit  plus  qu'on 
ne  le  vend  au  marché,  et  reçoivent  pour  paiement  du  pauvre 
homme  la  vendange  ou  le  vin  pour  moins  qu'il  ne  vaut. 

Ils  pèchent  contre  ce  commandement  ces  marchands  qui 
mêlent  de  mauvaise  marchandise  dans  la  bonne,  qui  eu 
donnent  de  vieille  ou  de  falsifiée  pour  de  la  bonne,  qui  ven- 
dent à  faux  poids  ou  à  fausses  mesures,  qui  vendent  plus 
cher  que  le  plus  haut  prix  ou  achètent  moins  que  le  plus  bus 
prix.  Toute  marchandise  pour  l'ordinaire  a  trois  justes  prix: 
le  plus  haut  ,  le  plus  bas,  le  médiocre;  par  exemple,  une 
étoffe  au  plus  haut  prix  vaut  un  écu  Tanne,  au  plus  bas  prix 
cinquante  sous,  au  médiocre  cinuqanle-cinq  sous.  Il  est  per- 
mis de  vendre  et  d'acheter  dans  retendue  de  ces  trois  prix  ; 
mais  de  vendre  quatre  livres  ou  cent  sous  ce  qui  ne  vaut 
qu'un  écu  au  plus  haut  prix ,  ou  l'acheter  d'un  pauvre  et 
n'en  donner  que  trente  ou  quarante  sous,  c^st  larcin  ;  de  là 
vient  (pie  plusieurs  marchands  sont  continuellement  en  état 
de  damnation,  parce  qu'ils  sont  disposés  de  vendre  à  cquk 
qui  n'y  entendent  rien  le  plus  cher  qu'ils  pourront,  et  deman- 
dent cent  sous  de  ce  qu'ils  donnent  pour  dix. 

Contre  ce  commandement  pèchent  les  artisans  qui 
c*tant  à  la  journée  se  reposent  un  temps  notable,  si  on  n'a 
toujours  les  yeux  sur  eux,  qui  étant  à  leur  tache  ne  tra- 
vaillent pas  (idèlement,  qui  retiennent  du  fer,  du  filet,  de 
la  soie,  de  la  toile  ,  du  drap,  ou  autre  étoffe  qu'on  leur  met 
en  main  ;  les  paysans  qui  empiètent  sur  les  héritages  de  leurs 
voi-ins ,  qui  niellent  leur  bétail  dans  les  prairies  d'autrui  , 
qui  dérobent  du  fruit,  du  poisson,  des  volailles,  tout  ce 


78  SERMOJN   CCLXXVH. 

qu'ils  peuvent ,  et  pensent  être  impunis  quand  ils  ne  sont 
pas  surpris  des  hommes,  les  serviteurs  et  servantes  qui  se 
paient  par  leurs  mains  et  se  forment  une  conscience  :  On 
me  donne  trop  peu  de  gages;  je  travaille  autant  que  quatre, 
je  peux  bien  prendre  ceci  à  mon  maître;  ils  sont  juges  , 
parties,  témoins  en  leur  propre  cause.  Quand  on  ne  vous 
donne  pas  assez  de  gages  vous  devez  dire  à  votre  maître  : 
Monsieur,  je  ne  puis  vous  servir  à  ce  prix.  S'il  ne  vous 
donne  le  salaire  convenable  à  votre  travail  parce  qu'il  vous 
a  reçu  quand  vous  ne  saviez  où  aller ,  il  fait  très  mal  ;  mais 
s'il  vous  le  donne ,  et  que  vous  reteniez  de  son  bien ,  on 
dira  de  vous  comme  de  Judas  :  Fur  erat.     v 

Fur  erat.  Il  ne  dérobait  pas  de  grandes  sommes ,  car 
Jésus  n'en  avait  point ,  il  n'avait  que  les  aumônes  qu'on  lui 
faisait  pour  sa  nourriture  et  celle  de  ses  apôtres ,  et  Judas 
en  était  le  dispensateur  et  l'économe ,  et  pour  dire  en  bon 
français  ,  il  portait  le  panier  et  allait  au  marché  :  Ea  quw 
mittehantur  porlabat,  ut  emeret  ea  quœ  opus  erant , 
aut  ut  egenis  daret.  (Joan.  12.  6.  — 13.  29.)  Il  n'eût 
osé  faire  de  grands  larcins  tout-à-ia-fois ,  on  s'en  fût  bien 
aperçu  ;  il  en  faisait  plusieurs  petits  :  quand  une  chose  lui 
coûtait  dix  sous,  il  disait  qu'elle  en  coûtait  douze  ;  quand  on 
lui  commandait  de  donner  cinq  sous  aux  pauvres  ,  il  n'en 
donnait  que  quatre  et  il  retenait  le  cinquième,  et  avec  cela 
il  ne  laissait  pas  d'être  larron,  qualifié  tel  par  l'évangéliste  : 
Fur  erat.  Les  voleurs  domestiques  font  de  même  ;  vous 
faites  semblant  d'avoir  tant  en  horreur  les  gabelleurs  et 
vous  êtes  de  leur  métier  ;  mais  vous  ne  vous  en  vantez  pas. 
Les  villes  sont  pleines  de  gabelleurs ,  mais  de  gabelleurs 
particuliers.  Les  partisans  disent  au  roi  :  Quand  vous  impo- 
serez un  sou  sur  telle  denrée  ,  les  particuliers  n'en  seront 
pas  beaucoup  grevés  ;  un  homme  ne  sera  pas  ruiné  pour 
payer  à  votre  Majesté  vingt  ou  trente  sous  tous  les  ans,  et 
cela  grossira  vos  finances  :  plusieurs  petits  ruisseaux  font 
une  grosse  rivière.  L'autorité  souveraine  du  roi  et  les  af- 
faires .jù'u  a  sur  les  bras  semblent  le  justifier;  mais  vous 
qui  n\,u,5,qu\m  particulfcr,  d<*-  qui  avez-vous  le  pouvoir  de 


m.  l'avarich  BT  DU  i.\i>.  ÏO 

prendre  çà  et  là  comme  vous  faites  5  sous  prétexte  que  vous 
prenez  fort  pou  à  chacun.  Vous  vendez  à  Taux  poids  et  à 
i       es  mesures,  vous  mêlez  de  Peau  au  vin,  que  vous  mu- 

tussi  cher  que  s'il  était  tout  pur,  et  vous  vous  excusez 
sur  ee que  VOUS  ne  faites  tort  à  chacun  que  de  trois  ou  quatre 
deniers;  Fur  crut ,  vous  êtes  larron  comme  Judas  et  vous 
lerez  damné  comme  lui. 

L. — (2°  Traditor.)  En  second  lieu  ,  il  était  traître.  Le 

âge  ordinaire  des  avares  ,  c'est  la  parole  de  ce  perfide  : 
(Juiil  vu  II  in  mihidare,  et  ego  eum  tradam?  Svli  y  a  quel- 
que chose  à  gagner  ils  feront  tant  de  trahisons  et  de  fraudes 
que  vous  vouliez.  Cet  homme  de  justice  vous  avait  promis 
que  nous  auriez  bonne  issue  de  votre  procès  dans  six  mois  ; 
votre  bon  droit  était  plus  clair  que  les  rayons  du  soleil  ;  on 
VOUS  a  fait  languir  six  ans  ;  on  vous  a  consommé  en  frais,  et 
iprès  tout,  hors  de  cour  et  de  procès,  ou  dépens  compensés. 
i  -ce  que  vos  parties  adverses  gagnent  votre  pro- 

iir  ou  votre  juge  .'  (  imstituerunt  ci  argenteos.  Vous 
oir  de  bonnes  étoffes  de  ce  marchand,  etvous  trouvez 
qu'elles  son!  vieilles  et  altérées  ;  Traditor  dédit,  c^est  un 
perlide  qui  l'a  fait.  Vous  aviez  fait  faire  une  table  ou  un  buf- 
fet, peindre  une  image,  couvrir  une  maison  ;  vous  pensiez 
en  avoir  pour  trente  ou  quarante  ans,  il  fauty  mettre  la  main 
au  bout  de  dix  ans.  Traditor  dédit  ;  ce  ne  sont  que  trahi- 
sons ,  fraudes  ,  tromperies  dans  les  palais  ,  boutiques  , 
commerce  de  la  société  humaine.  Pourquoi?  Omnes  avari- 
tiœstudent.  Et  puis  demandez  à  chacun  de  ces  gens  :  N'a* 
vt  /-vous  jamais  rien  dérobé  ?  Certes,  mon  père,  j'en  sciais 
bien  marri ,  je  suis  homme  de  bien.  Il  est  homme  de  bien , 
pourvu  qu'il  ne  coupe  point  de  bourse  et  n'arrête  pas  au 
coin  d'un  bois.  J'aimerais  mieux  être  volé  en  une  forêt,  dit 
S.  Ouysostôme,  je  me  défendrais  si  je  pouvais,  ou  je  fui- 
Il  i  étais  bien  monté  ;  mais  ces  larrons  domestiques , 
r' s  '""  hands  et  artisans  trompeurs,  vous  ne  sauriez  les 
éviter  ;  ils  VOUS  trahissent  en  vous  basant,  comme  le  per- 
lide Judas. 
M. — (3*  Sacrileguâ,)  Et  avec  cela  ils  cornmuvicnt  tous 


80  SEÎtMON  CCLXXV1I. 

les  bon:;  jours,  et  peut-être  tous  les  mois,  mais  de  confesser 
leur  avarice,  point  de  nouvelles,  ils  n1en  ont  pas  la  moindre 
pensée.  Quand  un  blasphémateur,  un  ivrogne  ou  un  libertin 
vient  à  confesse,  il  ne  lui  faut  point  donner  la  question  pour 
lui  faire  avouer  son  crime,  c'est  la  première  chose  qu'il  fait  ; 
mais  vous  ne  confessez  jamais  votre  avarice,  ou  si  vous  la 
confessez,  c'est  en  des  termes  si  généraux,  qu'autant  vau- 
drait n'en  point  parler.  J'ai  eu  trop  d'attache  aux  biens  de  la 
terre  ;  je  n'ai  pas  aimé  mon  prochain  ;  je  n'ai  pas  exercé  les 
oeuvres  de  miséricorde,  comme  je  le  devais.  Ce  sont  des  amu- 
sements ,  le  plus  grand  Saint  du  paradis  pourrait  en  dire 
(Butant  ;  il  faut  dire  en  particulier  :  Je  n'ai  pas  travaillé  fidè- 
lement dans  ma  vocation ,  J"*aï  retenu  de  l'étoile  qu'on  m'avait 
confiée,  j'ai  mêlé  de  l'eau  dans  le  vin  que  j'ai  vendu  aussi  cher 
flue  s'il  était  pur  ;  j'ai  vendu  à  faux  poids,  à  fausses  mesures. 
Si  vous  ne  dites  ainsi  ,  votre  confession  est  invalide  ,  vous 
communiez  indignement  ;  au  lieu  de  sacrements,  vous  faites 
eles  sacrilèges,  comme  le  traître  Judas,  qui  reçut  en  mauvais 
ëtat  le  précieux  corps  de  Jésus  :  Et  post  buvcellam,  intro- 
ivit  in  eum  Sathanas.  (Joan  13.  27.) 

N. — (4°  Filins  perditionis.)  De  là  vient  que  finalement 
il  fut  enfant  de  perdition  ,  c'est-à-dire  réprouvé.  C'est  le 
partage  ordinaire  des  avares  ;  la  réprobation,  la  damnation 
éternelle.  Les  preuves  en  sont  aisées  à  faire  ;  ceux  qui  n'o- 
béissent pas  à  l'Evangile,  seront  punis  de  peines  éternelles  ; 
les  avares  contreviennent  directement  et  expressément  à  ces 
paroles  de  l'Evangile  :  Faites  à  autrui  ce  que  vous  voudriez 
être  fait  à  vous-même  ;  (Matth.  7.  4  2, -Luc.  6.  31 .)  ne 
faites  jamais  aux  autres  ce  que  vous  ne  voulez  pas  qu'on  vous 
Tasse.  (  1 .  Thés.  k.  6.  )  Nemo  circumveniat  in  negotio 
fratrem  suitm.  An  nescitis quia  iniqui  regnum  Dei  non 
•possidehunt ?  (1 .  Cor.  6.  9.) 

Les  autres  pécheurs  rackettent  souvent  leurs  péchés  par 
aumône ,  et  gagnent  la  miséricorde  de  Dieu  par  des  œuvres 
de  miséricorde.  L'avare,  commeun  malade  frénétique,  rebute 
cette  médecine  ;  et  par  sa  cruauté  envers  les  pauvres,  il  en- 
court cette  malédiction:  Jugement  sans  miséricorde,  à  qui 


BX  DU   LARCIN.  81 

n'aura  pas  fait  miséricorde.  Toutes  les  aumônes  qu'il  fait, 

de  quelque  double  à  la  porte  de  l'église  ;  cl  il  est  ravi 

le  ce  qu'on  les  a  déniées,  cl  qu'il  ne  donne  plus  qu'un  denier. 

Les  autres  passions  se  rallentissent  dans  la  vieillesse  ;  celle- 
ci  augmente  et  devient  plus  immodérée.  Aristole  dit,  et  l'ex- 
périence le  fait  voir,  que  plus  les  avares  vieillissent,  plus  ils 
sont  attaches  au  bien  de  la  terre,  ce  qui  est  une  folie  extrême. 
Comme  un  voyageur  qui  voudrait  avoir  d'autant  plus  de 
provisions,  qu'il  aurait  moins  de  chemin  à  faire. 

Enfin,  du  moins,  du  moins,  les  autres  pécheurs  se  recon- 
naissent à  la  mort,  et  s'ils  peuvent  obtenir  de  Dieu  la  grâce 
de  la  contrition  ,  l'absolution  du  prêtre,  ils  sont  en  voie  de 
salut  ;  au  lieu  qu'il  n'y  a  point  de  prêtre  ,  point  d'évêque  , 
point  de  pape  qui  puisse  absoudre  validement  l'avare  injuste. 
l\o?i  dimittitur  peccatum ,  nisi  restituatur  ahlatum; 
et  qu'est-ce  qu'il  restituera,  et  à  qui,  et  comment  ?I1  faudrait 
restituer  plus  de  la  moitié  de  son  bien;  tous  les  dommages 
et  les  intérêts  de  ce  procès  mal  intenté,  ou  perdu  par  sa  faute, 
ou  injustement  jugé,  les  intérêts  de  ce  bien,  les  fruits  de  cet 
g  ,  dont  il  Jouît  lyranniquement  depuis  dix,  douze, 
quinze,  vingt  ans.  Et  où  ira— t— il  chercher  tous  les  orphelins 
qu'il  a  ruines,  les  veuves  qu'il  a  volées,  les  villageois  qu'il  a 
oppressés  ?  Comment  se  résoudra-t-il  de  décheoir  de  son 
état  pour  établir  ceux  qu'il  a  fait  tomber  dans  la  pauvreté  ? 
que  deviendraient  son  carrosse,  sa  tapisserie,  son  train,  ses 
riches  meubles ,  ses  habits  précieux  ?  Toute  la  restitution 
qu'il  fait ,  c'est  qu'il  donne  une  lampe  d'argent  à  l'Eglise  , 
ou  il  fonde  une  messe  annuelle  ;  encore  veut-il  qu'on  sonne 
toutes  les  cloches ,  afin  qu'on  sache  que  c'est  Monsieur  qui 
a  fondé  un  tel  anniversaire.  IS'est-il  pas  vrai  ,  que  quand 
vous  trouvez  un  confesseur  qui  veut  vous  obliger  à  restitu- 
tion, vous  faites  comme  ce  cavalier  dont  S.  Maie  nous  à  ci 
s  parlé,  qu'il  quitta  Jésus,  parce  qu'il  lui  conseillait  de 
vendre  tousses  biens?  Vous  quittez  ce  confesseur;  vous  dites 
qu'il  esi  trop  sévère;  c'est  un  scrupuleux,  il  ne  sait  pas  con- 
descendre aux  infirmités  de  ses  pénitents.  Von-  diriez  mieux, 


82  SERMON  CCLXXVU. 

si  vous  disiez  qu'il  ne  veut  pas  descendre  en  enfer  avec  les 
impénitents. 

Nihil  est  iniquius  quam  amare  pecuniam  ;  (Eccli. 
1 0.  \  0.)  il  n'est  rien  de  si  indigne  d'un  chrétien,  de  si  dan- 
gereux pour  votre  salut ,  de  si  contraire  à  votre  bien  ,  que 
d'aimer  les  richesses.  Quand  vous  les  aimez,  Jésus  vous  dit 
que  vous  aimez  les  épines 5  Spinœ  sunt  divitiœ;  (Luc. 
8.  44.)  épines  qui  déchirent  votre  pauvre  cœur  de  mille 
soucis ,  de  mille  inquiétudes ,  de  mille  peines  d'esprit.  En 
quelque  posture  que  vous  vous  mettiez,  quoi  que  ce  soit  qui 
vous  arrive,  vous  êtes  toujours  dans  les  épines.  Quand  vous 
aimez  les  biens,  ou  vous  en  avez,  ou  non  ;  si  vous  n'en  avez 
point,  vous  êtes  affligé  de  ne  pas  avoir  ce  que  vous  aimez; 
si  vous  en  avez,  vous  êtes  toujours  en  crainte  qu'on  ne  vous 
dérobe,  qu'on  ne  vous  trompe,  qu'on  ne  vous  fasse  banque- 
route ;  si  vous  gardez  votre  argent ,  vous  êtes  en  peine  de 
voir  qu'il  ne  vous  profite  pas  ;  si  vous  le  mettez  à  profit ,  vous 
êtes  en  peine,  de  peur  que  vos  débiteurs  ne  deviennent  insolva- 
bles; si  Tannée  est  mauvaise,  vous  êtes  triste,  parce  que 
yous  ne  ferez  pas  aussi  belle  moisson  et  vendange  que  vous 
le  désireriez  ;  si  l'année  est  bonne,  vous  êtes  triste  ,  parce 
que  vous  ne  vendez  pas  aussi  cher  votre  blé  et  votre  vin,  que 
vous  le  souhaiteriez  ;  si  vous  n'avez  point  d'enfant,  vous  êtes 
fâché  de  n'avoir  personne  à  qui  laisser  vos  moyens  ;  si  vous  en 
avez,  il  vous  est  fâcheux  de  débourser  pour  eux,  et  de  dé- 
penser ce  que  vous  aimez. 

Nihilest  iniquius  quam  amarepecuntam .  Quand  vous 
aimez  les  richesses,  le  Saint-Esprit  vous  dit  que  vous  aimez 
de  la  boue  ;  car  tous  les  biens  de  la  terre  ne  sont  que  boue  : 
Tanquam  lulum  œslimabitur  aryenlum  ;  (Sap.  7.  9.) 
boue  qui  souille  votre  cœur  de  mille  péchés  que  vous  com- 
mettez en  acquérant  ces  biens,  ou  en  les  conservant,  ou  en 
les  affectionnant  désordonnément.  Quand  vous  aimez  les 
richesses,  leSage  dit  que  vous  aimez  un  peu  de  sable  :  Omne 
aurum  arena  exigua  œstïmabitur  ;  (Sap.  7.  9.)  sable 
pesant,  sable  stérile,  sable  mouvant.  Ces  biens  terrestres 


ni:  i .\v\  ai;k  i    i  1  nu  larcin.  83 

appesantissent  et  vous  courbent  contre  terre,  vous 
embarrassent,  vous  empêchent  de  marcher  dans  le  chemin  du 
ciel  et  dans  la  voie  de  la  perfection. 

Quem  fructum  habuisiis  in  iilis  ?  Quel  profit  en  tirez- 
vous  ?  fort  peu,  ou  point  du  tout.  Vous  espérez  recueillir  de 
tes  biens  quelque  repos  et  quelque  contentement,  et  cela  n*ar* 
rî?e  point;  vous  n'êtes  jamais  content  de  ce  que  vous  pos- 
sédez, vous  êtes  toujours  affamé  après  la  nouvelle  proie  ;  vous 
ne  regardez  jamais  d'où  vous  venez,  mais  où  vous  allez  ; 
vous  n'estimez  pas  ce  que  vous  avez,  mais  ce  que  vous  dési- 
re/ avoir. 

Ou  vous  prétendez  recevoir  quelque  consolation  de  vos 

richesses ,  ou  non  ;  si  vous  n'en  prétendez  pas  ,  comment 

lemez-vous  dans  un  fonds  si  stérile  ?  comment  travaillez- 

tant  pour  cultiver  une  terre  si  ingrate  et  inféconde  ? 

Si  vous  en  espérez  quelque  consolation  ,  vous  encourez  la 

malédiction  de  Jésus;  nous  vous  soumettez  à  cet  anathème  : 

ïitibus ,  quia  habetis  hic  consolationem 

/(Luc.  6.  24.)  Malheur  à  vous,  riches,  qui  avez 

soIatioD  !   Quelque  consolation  que  vous  en 

Fiez,  elle  ne  sera  pas  de  durée;  c'est  du  sable  mouvant; 

ichesses  sont  des  biens  de  fortune  aussi  inconstants  que 

cette    volage  :  Si  affluant ,  nolite  cor  apponere  quia 

effluunt.  II  ne  faut  qu'une  binette  de  feu  qui  brûlera  votre 

métairie  ,  un  procès  mal  commencé  ou  mal  poursuivi ,  un 

serviteur  qui  crochettera  vos  coffres,  une  autre  mauvaise 

affaire,  pour  dissiper  en  un  moment  tout  l'édifice  que  vous 

jvez  fondé  sur  ce  sable  ;  et  quand  cela  n'arriverait  pas,  tôt 

ou  lard,  il  faut  les  quitter  à  la  mort.  Et  quelle  folie,  de  ne 

ir  pas  quitter  d'affection  pour  l'amour  de  Dieu,  et  avec 

que  Pun  de  ces  jours  il  vous  faudra  quitter  en 

I        j  avec  douleur  et  sans  aucun  mérite  !  Quelle 

folie,  de  De  pas  considérer  ce  que  dit  S.  Grégoire  ,  que  les 

richesses  mal  ront  ici  bas,  et  les  péchés 

rous  commetti  icquérir  s'en  iront  avec  vous! 

inde  folie,  que  de  laisser  ici  le  profit,  et  em- 

Purtt|  us  le  dommage,  laisser  aux  autres  le  plaisir, 


84  SERMON  CCLXXVII. DE  l'a  VARICE,  etc. 

et  prendre  pour  vous  lapeine  et  le  tourment,  faire  tant  de  casae 
vos  biens,  et  n'en  point  faire  de  vous-même,  avoir  tantde  soin 
de  ce  qui  est  corruptible,  et  si  peu  de  soin  de  votre  âme  qui 
est  immortelle  !  Croyez-moi  ,  ou  plutôt  croyez  Jésus  :  ne 
soyez  pas  si  fou  de  fonder  votre  félicité  sur  du  sable  si  mou- 
vant 5  établissez-la  sur  la  pierre  ferme  ,  sur  Jésus  votre 
Seigneur  ,  et  sur  la  vérité  de  ses  promesses.  Il  a  dit  par 
S.  Paul  aux  Hébreux,  chapitre  treizième  :  Fiez-vous  à  moi , 
je  ne  vous  laisserai  point,  je  ne  vous  abandonnerai  jamais  : 
Non  te  deseram  ,  neque  derelinquam.  Il  ne  manquera 
pas  de  parole;  il  a  dit  par  David,  que  ceux  qui  espèrent  en 
lui ,  ne  sont  jamais  frustrés  de  leur  espérance  :  Qui  sus- 
tinent  te  non  confundentur .  Il  accomplira  cette  pro- 
messe ;  il  vous  conduira  mieux  que  vous-même  ;  il  vous 
fera  tellement  passer  par  les  choses  temporelles,  que  vous 
obtiendrez  les  choses  éternelles.  Amen. 


SERMON  CCLXXVIIÎ. 


DE  LA    INSTITUTION, 


Bcddiic  qtue  suni  Cœsarîs  Ca&ari,  et  qua  simï  De!  Dco: 
Rendes  à  César  ce  qui  est  à  César ,  et  à  Dieu  ce  qui  e*t  à  Dieu. 

OI.mli.22.21.) 

Ces  jours  passes,  nous  avons  considéré  que  ceux  qui 
transgressent  le  septième  commandement  de  Dieu,  en  dé- 
robant ou  retenant  le  bien  de  leur  prochain,  n'engagent  pas 
seulement  leur  âme  à  l'esprit  malin  ,  mais  la  lui  vendent 

nie  sans  relief,  parce  qu'on  n'en  est  pas  quitte  pour 
,  mais  il  en  faut  faire  restitution  :  et  fort  peu 

US  la  font  entièrement,  promptement,  et  comme  on  est 
obligé  de  la  faire.  Pour  vous  bien  éclaircir  sur  ce  sujet,  je 

ferai  voir  :   1°  qui  est  obligé  de  faire  la  restitution  ; 

s  inconvénients  qui  arrivent  de  la  différer;  3°  à  qui  il 
faut  la  faire;  4°  les  motifs  qui  doivent  nous  inciter  à  la 
faire.   Ce  seront  les  quatre  points  de  ce  discours. 

IDEA  SEIiMONIS. 

Primuin  punctum.  A.  Obligatio  ad  resiituiionem  nas- 
citur,  vel  ex  re  accepta,  vcl  ex  injusta  acceptione, 
scu  damno  injuste  dafo,  vcl  ex  contracta. 

Seeundum  punctum.  B.  Mulla  mala  incurrimus  diffe- 
rendo  reslitutionem  in  morlcm  ,    vcl  in  postera m. 

Tei  tium  punctum.  C.  Restituendum  Cœsari  quœ  sunt 
(   vêaris,  et  Deo  quœ  sunt  Dei. 

Quartum  punctum.  D.  Motiva  ad  restituendum  ,  ex 
A.  BernardO)  divitice  ma/epartœ}  amatee  inqui- 
)(,,n t.  —  E.  Pusses  œ  onerant,  —  F.  Amissœ 
cruci' 


86  SERMON  CCLXXVIIf. 

primum  punctum.  —  Obligatio ,  etc. 

À. — {Vel ex re  accepta,  e/c.)L'angéIiqueS.  Thomas, 
1 2.  2.  q.  62.  a.  4.  et  6.  )  et  après  lui  toute  la  théologie  , 
nous  enseigne  que  nous  pouvons  être  obligés  à  restitution, 
pour  une  de  ces  trois  raisons  :  ex  re  accepta,  vel  ex  in- 
justa  acceptione,  sen  damno  per  injustitiam  dato  ,  aut 
ex  contracta.  Premièrement ,  quand  vous  avez  en  votre 
puissance  le  bien  qui  appartient  à  un  autre  ,  soit  que  vous 
Payez  reçu,  ou  hérité,  ou  acheté  d'un  injuste  possesseur, 
soit  que  vous  l'ayez  trouvé  ,  ou  qu'il  soit  tombé  en  vos 
mains,  en  quelqu'autre  manière  que  ce  soit;  comme  si  vous 
êtes  héritier  d'un  usurier  ,  d'un  concussionnaire  ,  d'un 
voleur  de  veuves  et  d'orphelins,  ou  autre  semblable  harpie  ; 
si  vous  avez  acheté  du  linge  ,  de  la  vaisselle  ,  ou  autres 
meubles  qui  avaient  été  dérobés  ,  sitôt  que  vous  savez  à 
qui  ils  appartiennent,  vous  êtes  obligé  de  les  rendre;  si  vous 
avez  trouvé  une  bourse ,  une  bague  d'or  ou  d'argent ,  tin 
chapelet,  un  livre,  vous  devez  faire  publier  qu'on  s'adresse 
à  vous  pour  les  ravoir,  comme  fit  cet  homme  de  bien,  dont 
S.  Augustin  (Hom.  49.  vel.  21.  de  verbis  apostoli.  )  fait 
mention.  Il  dit  que,  lorsqu'il  était  à  Milan ,  un  pauvre 
maître  d'école  régent  en  grammaire,  très  homme  de  bien  , 
trouva  un  jour  une  bourse  ,  où  il  y  avait  deux  cents  pièces 
d'argent  ;  il  affiche  aussitôt  un  billet  ;  Quiconque  aura 
*serdu  une  bourse  en  tel  lieu  ,  €ju'il  s'adresse  à  un  tel  ;  on 
là  lui  rendra.  Celui  qui  l'avait  perdue,  lisant  ce  billet ,  va 
le  trouver  ,  il  lui  donne  de  bonnes  enseignes  :  J'ai  perdu 
une  bourse  de  telle  couleur,  telle  étoffe,  en  tel  lieu,  en  tel 
jour  ,  il  y  avait  telle  somme,  en  telles  espèces.  On  lui  rend 
soudain  sa  bourse  sans  y  avoir  touché  une  maille.  Ce  pauvre 
homme  en  est  si  joyeux ,  qu'il  le  prie  de  vouloir  accepter 
pour  sa  récompense,  le  dixième  de  la  somme,  savoir  vingt 
pièces.  Pourquoi  lesprendrai-je,  puisque  je  n'ai  rien  fait  pour 
tes  gagner  ?  Prenez-en  au  moins  dix  ;  il  les  refuse.  Au 
moins  cinq  ,  je  vous  les  donne  de  bien  bon  cœur ,  votre 
conscience  n'en  sera  point  chargée,   Je  vous  en  remercie  ; 


Dr.  LA  RBSTI  PI  HOît.  S*« 

si  pas  la  raison  ,  que  je  proGte  de  votre  infortune. 

\achahundus  homo  projecù  sacculum  :  Si  non  vie 

miiquid  a  me  accipeiVy  nec  ego  quidquam  poilidl.  Il 

lui  jette  là  sa  bourse  :  Tenez,  prenez,  si  vous  voulez,  votre 
bourse  et  votre  argent ,  je  n'ai  rien  perdu,  puisque  vous  ne 
voulez  rien  prendre  de  moi.  «  Quale  certamen  ,  fratres  meil 
i  qualispugna!  qualis conflictus,  theatrum mundus,  spec- 
n  tatorDeus!  \  ictus  tandem  ille,  quodofferebaturaccepit, 
«  il  continuo  totum  pauperibus  errogavit:  »  Quelle  douce 
guerre  ,  quelle  agréable  dispute  de  reconnaissance  et  de 
probité  l  Enfin  le  régent  étant  vaincu  par  les  importunités 
du  bon  homme,  accepte  ce  qu'il  lui  présente,  et  le  distribue 
sur-le-champ  aux  pauvres. 

En  second  lieu,  ex  injusla  acceptione,  vel ex  damno 
injuste  datof  quand  vous  avez  dérobé  on  porté  dommage 
au  bien  d'autrui  injustement,  comme  si  allant  à  la  chasse 
\  i  gâté  les  grains  des  paysans;  si  vous  les  avez  cbli- 

,  à  des  charrois  ,  à  des  présents  ,  à  des 
,  auxquels  ils  n'étaient  pas  tenus ,   ue  dites  pas 
qu'ils  le  font  volontiers,  c'est  vous  flatter,  ils  le  font,  parce 
qu'autrement  vous  vous  en  ressouviendriez  dans  les  occa- 
sions; si  vous  avez  donné  des  tailles  par  vengeance  ou  autre 
<>n;  si  par  de  faux  contrats,  par  de  faux  témoignages , 
par  des  écritures  antidatées  ,  vous  avez  fait  perdre  injuste- 
ment un  procès  ;  si  étant  avocat  vous  avez  proposé  de  faux 
faits,  conseillé  des  appels,  ou  évocations,  ou  autres  chica- 
ne- ,  qui  causent  des  frais  aux  parties  ;  si  étant  juge  vous 
avez  laissé  perdre  injustement  quelque  procès  par  ignorance, 
négligence ,  on  laveur  envers  quelqu'un ,  vous  dites  :  Je 
suis  subalterne  ,  il  y  a  appel  de  ma  sentence,  oui  ,  mais 
trtics  font  de  grands  frais. 

En  troisième  lieu  par  contrat  ;  verba  lùjanl  liomines, 
taurorum  cornu  a  [unes.  Si  vous  êtes  obligé  par  un  traité 
de  m  .    par  promesse  ,  par  contrat  de  société,  par 

queiqu'autre  pacte  et  quelque  convention  ,  à  ce  titre  vous 
êtes  obligé  de  payer  à  vos  créanciers,  aux  marchands,  arli- 

>us  leur  avez  promis, 


88  SERMON  CCLXXVIII. 

Or,  qu'il  soit  absolument  nécessaire  de  restituer  le  bien 
d'autrui,  sous  peine  de  damnation  éternelle,  ce  serait  temps 
perdu  de  le  prouver,  selon  ma  coutume,  par  l'Ecriture,  par 
les  Pères,  par  les  conciles,  par  des  raisons  de  théologie  , 
puisque  jamais  aucun  docteur  ,  aucun  casuiste  ,  canoniste, 
scholastique  ,  jamais  aucun  bon  catholique  ne  Ta  révoqué 
en  doute  ;  le  larcin  même  prêche  hautement  cette  vérité  , 
et  crie  incessamment  dans  le  cœur  du  larron  :  Rendez-moi, 
rendez-moi  ;  sa  conscience  l'en  importune  toujours  par  des 
remords  continuels  et  inévitables. 

SECUNDim  punctum.  —  Midta  mala,  etc. 

B.  —  (  Differendo  restitutionem,  etc.  )  Mais  voyez 
la  ruse  de  Satan  ,  il  n'ose  entreprendre  de  vous  persuader 
que  vous  ne  restituiez  pas  ;  il  voit  bien  qu'il  y  perdrait  son 
temps  et  sa  peine,  parce  que  vous  craignez  l'enfer,  et  vous 
savez  bien  qu'il  faut  restituer  tôt  ou  tard,  mais  il  vous  fait 
remettre  cette  affaire  jusqu'à  l'heure  de  la  mort  par  votre 
testament ,  par  la  commission  que  vous  en  donnerez  à  vos 
héritiers  ;  voici  ce  qu'il  prétend  par  cet  article.  Première- 
ment, il  prévoit  que  peut-être  vous  serez  surpris  d'une  mort 
soudaine ,  et  n'ayant  pas  loisir  de  restituer  ,  vous  ne  le 
ferez  jamais ,  ou  si  vous  êtes  au  lit  malade ,  avant  que  de 
mourir ,  ceux  qui  doivent  vous  succéder  ah  intestat ,  vous 
empêcheront  de  faire  un  testament ,  de  peur  que  vous  ne 
fassiez  des  legs  pieux  ;  ils  vous  amuseront  par  une  fausse 
espérance  de  vous  bien  porter ,  ou  si  vous  faites  testament , 
le  notaire  mettra  un  quiproquo  ,  frustrera  vos  intentions  , 
ou  vos  héritiers  le  feront  casser ,  par  le  manquement  d'une 
petite  formalité,  ou  ils  seront  paresseux  à  l'exécuter. 

Secondement ,  il  veut  vous  retenir  en  mauvais  état ,  en 
état  de  péché,  en  voie  de  damnation,  les  deux,  trois,  quatre, 
dix ,  douze,  vingt  années  entières  ,  d'où  il  arrive  que  vous 
êtes  toujours  à  deux  doigts  de  l'enfer;  car  si  une  mort  subite 
vous  arrive,  votre  procès  est  tout  fait ,  vous  êtes  perdu 
sans  ressource.  En  troisième  lieu,  pendant  tout  ce  temps-là, 
vous  perdez  le  mérite  des  aumônes  que  vous  donnez  ,  des 


DJ    I  a    RI  ST1T1  i  ION.  89 

prières  que  voua  laites ,  dc>  autres  bonnes  œuvres  que  vous 
pratiquez;  car  vous  savez  que  toutes  les  bonnes  œuvres  faites 
en  mauvais  étal  ,  n'ont  point  de  récompense  dans  le  ciel  ; 
elles  peuvent  bien  nous  disposer  à  nous  convertir,  mais 
elles  n'auront  aucun  salaire  en  paradis.  En  quatrième  lieu, 
les  confessions  ,  les  communions  et  les  autres  sacrements 
(jue  vous  reci  vez  ,  ne  vous  servent  de  rien  ;  que  dis-jc,  ne 
VOUS  servent  de  rien!  ils  vous  nuisent  beaucoup  ,  ce  sont 
des  sacrilèges.  En  même  temps  que  le  prêtre  dit  :  Je 
t  al)  ous  ,  Jésus  dit  :  Je  te  maudis  et  je  te  condamne.  En 
même  temps  que  l'Eucharistie  entre  dans  votre  corps  , 
l'esprit  malin  entre  dans  votre  cœur,  parce  que  vous  com- 
muniez indignement,  vous  communiez  comme  Judas,  vous 
communiez  en  état  de  péché, 

Encinquièmc  lieu,différantde  restituer  quand  vous  pouvez 
re  ,  vous  commettez  un  nombre  presque  innombrable 
ce  que  le  commandement  de  la  restitution  est 
I .  \  oici  ce  qu'en  disent  les  plus  célèbres  docteurs  de 
Ire*-  Dans  Pordre  de  S.  Augustin,  S.  Augustin 
même  écrivant  à  Macédonius  (  epist.  54.  circa  med.  )  dit  : 
Si  reâ  aliqua,  propter  quam  peccatum  est,  rcddl  po- 
test  et  non  redditur,  pœnitentianon  agitur ,  sedsimu- 
laiur  :  Quand  vous  pouvez  rendre  la  chose  qui  a  été  cause 
je  votre  péché,  si  vous  ne  la  rendez  pas,  ce  n'est  pas  faire 
ténitence,  c'est  la  contrefaire. 
Dans  Tordre  de  S.  Dominique  le  maître  de  la  théologie, 
.  Thomas  :  (  2.  2.  q.  b2.  art.  8.  in  corp.  et  ad.  '?.  ) 
Hoc  praeceptum  ,  quamvis  secundum  formam  sit  affirma- 
tivuiu  ,  implicat  tamen  negalivum,  sicut  accipcrc  rem 
alienam  est  peccatum  contra  justitiam,  ita  ctiam  detinere 
eam  invito  domino,  quia  sic  eum  impedit  ab  usu  rei  sua?  ; 
mamfestum  est  aulem  quod  nec  per  modicum  lempus 
lieet  in  peccato  morari.   »  Bien  que  le  commandement 
1-'  li  restitution  soit  donné  en  termes  aflîrmatifs,  il  contient 
léanmoins  un  précepte  négatif  ;  et  comme  c'est  un  péché 
ontre  h  justice  de  prendre  le  bien  d'aulrui ,  ainsi  que  de 
î retenir  coude  la  volonté  de  celui  à  qui  il  appartient, 


90  SERMON   CCLXXVlIï. 

(Tautant  que  c'est  le  priver  de  l'usage  de  son  bien  ,  et  il 
n  est  pas  permis  de  continuer  un  péché  pour  un  peu  de 
temps  que  ce  soit. 

^  Le  dévot  Grenade ,  (il  serait  bon  de  rapporter  et  de  le 
lire  en  chaire ,  et  de  conseiller  aux  auditeurs  d'acheter  et 
de  lire  souvent  ce  livre.)  que  toute  l'Eglise  connaît  et  ré- 
vère comme  un  oracle  de  vérité  irréprochable ,  dit,  au  traité 
second  du  Mémorial,  chapitre  premier,  un  peu  après  le 
milieu  :  Celui  qui  retient  quelque  chose  contre  la  volonté 
du  maître  à  qui  il  appartient ,  est  obligé  de  le  rendre  incon- 
tinent ;  je  dis  incontinent,  parce  que  s'il  peut  payer  ou  ren- 
dre, il  est  obligé  de  le  faire  à  l'heure  même  ;  il  ne  suffît 
pas  qu'il  ait  l'intention  de  le  payer  à  l'avenir  ou  en  son  tes- 
tament ,  s'il  y  peutpromptement  satisfaire,  quoique  ce  soit 
avec  sa  grande  incommodité ,  principalement  si  celui  à  qui 
la  chose  appartient  en  a  besoin.  Il  répète  encore  de  même 
au  chapitre  suivant ,  quand  il  traite  du  septième  comman- 
dement. 

Dans  la  compagnie  de  Jésus ,  Grégoire  de  Valence  dit  : 
llestilutio  est  necessaria  exprœceptonegativo,  et  omis- 
sio  ill lus  œquivalet  injustœ  acceptioni  ;  (Greg.  a  Val. 
in  2.  2.  disput.  5.  q.  6.  puncto  2.)  La  restitution  est  né- 
cessaire par  un  précepte  négatif,  et  quand  on  ne  la  fait  pas, 
c  est  comme  si  l'on  prenait  injustement  le  bien  d'autrui. 

Pour  bien  entendre  ce  que  ces  docteurs  et  les  autres  en- 
seignent, souvenez-vous  qu'il  y  a  des  commandements  af- 
firaiatifs  qui  commandent  de  faire  quelque  chose,  comme 
d'entendre  la  messe  un  jour  de  fête.  Il  y  a  des  commande- 
ments négatifs  qui  défendent  de  faire  quelque  chose,  comme 
de  se  parjurer,  de  tuer  un  innocent;  et  il  y  a  cette  diffé- 
rence entre  ces  deux  sortes  de  commandements  :  que  les 
amrmatifs  n'obligent  pas  continuellement,  mais  en  certains 
temps;  on  n'est  pas  obligé  en  un  jour  de  fête  d'entendre  la 
messe  continuellement,  mais  à  certaine  heure.  Les  com- 
mandements négatifs  obligent  incessamment  à  toute  heure 
et  en  tout  temps  :  Semper  et  pro  semper  ;  vous  êtes  obligé 
de  ne  pas  tuer  ,  de  ne  pas  blasphémer  à  minuit,  ni  à  une 


DB    LA  m  -  i  ITWTION.  91 

,  ni  a  deux  ,  ui  à  trois,  ni  à  midi ,  ni  a  quelque  heure 
t.  Or,  le  commandement  de  la  restitution  est 
ailirmatif  et  négatif  tout  ensemble  ;  il  est  ailirmatif,  parce 
qu'il  vous  commande  de  rendre  le  bien  d'autrui ,  il  est  né- 
gatif, parée  qu'il  vous  défend  de  le  retenir  ;  et  comme  tel, 
ii  es(  exprimé  en  termes  négatifs  :  Bien  d'autrui  tu  ne  pren- 
dras ,  ni  retiendras  à  ton  escient  :  Non  remanebit  merces 
Ùsque  nuine;  nemini  quidquam  debêatis.  Ce  commande- 
ment donc  oblige  toujours  et  pour  toujours,  continuellement, 
incessamment  et  en  tout  temps;  et  comme  il  n'est  jamais 
permis  de  tuer,  de  blasphémer,  il  n'est  jamais  permis  de 
retenir  le  bien  du  prochain  contre  sa  volonté.  Si  venant  à 
confesse  à  moi ,  vous  me  disiez  :  Mon  père  ,  jç  veux  au- 
jourd'hui dérober  dix  cens  à  mon  prochain  ;  mais  je  vous 
promets  que  je  les  lui  rendrai  d'ici  à  quinze  jours  ;  je  serais 
ID  pauvre  confesseur  si  je  vous  donnais  l'absolution,  quand 
même  je  serais  assuré  que  vous  les  rendriez,  parce  que  c'est 
i  n  péché  de  dérober;  je  ferais  donc  très  mal,  si  je  vous 
Ivais,  quand  vous  retenez  le  bien  d'autrui,  encore  que 
que  vous  le  rendriez  d'ici  à  quinze  jours  ; 
car  dérober  le  bien  d'autrui ,  ou  le  retenir  ,  c'est  un  même 
de  péché,  dit  un  concile  général:  Non  multum 
inttrt&t  quoad  periculum  animœ  injuste  delincre  ,  et 
firadere  alienum.  (Cap.  Ssepe  contingit  de  restitutione 
poliatorum.) 

S.  Thomas  apporte  tin  autre  argument  qui  doit  servir  de 
règle  aux  confesseurs.  Supposons  que  vous  disiez  :  Je  dois 
ui\^  écu  à  un  artisan  qui  a  fait  un  ouvrage  pour  moi ,  et 
]ui  me  le  demande  ;  je  vous  promets  que  demain  je  le  lui 
Muerai  ;  si  je  vous  disais  :  Cela  suffit,  c'est  assez  que  vous 
e  lui  payiez  demain  ;  je  ferais  directement  contre  le  com- 
mandement de  Dieu  ,  car  il  dit  :  (2.  2.  q.  62.  a.  G.  in  arg, 
ed  contra  levit.  19.)  Le  salaire  de  l'ouvrier  ne  demeurera 
oint  en  ta  maison  jusqu'au  lendemain.   Or,  il  en  est  de 
■me  des  autres  dettes,  comme  du  salaire  de  l'artisan  ,  dit 
■  ias  an  même  article. 

lérez  que  vous  êtes  obligé  a  la 


pa 


92  sermon  cglxxviïï. 

restitution  cîe  tous  les  fruits,  les  émoluments,  îes  profits  que 
vous  avez  tirés  du  bien  d'autrui,  et  de  lui  satisfaire  tous  les 
dommages  qu'il  a  reçus  du  retardement  que  vous  avez  fait  de 
payer  ou  de  restituer,  le  pouvant  faire.  La  loi  d-e  Dieu  (Exod. 
22. 1 .)  condamnait  autrefois  celui  qui  avait  dérobé  ou  égorgé 
une  brebis  de  son  prochain ,  d'en  rendre  quatre  ,  parce  que 
le  maître  tirait  de  la  brebis  quatre  émoluments  :  le  lait,  la 
laine,  les  agneaux  et  la  chair,  dit  S.  Thomas;  1 .  2.  q.  1 05. 
a.  2.  ad.  9.)  à  plus  forte  raison,  vous  êtes  obligé  de  satis- 
faire à  votre  prochain  pour  toutes  les  pertes  et  les  incom- 
modités qui  lui  sont  arrivées  ;  de  ce  que  vous  ayez  usurpé 
ou  retenu  le  bien  qui  lui  appartenait  ;  et  comme  ces  intérêts 
vont  grossissant  de  plus  en  plus,  à  mesure  que  vous  diffé- 
rez de  restituer ,  vous  augmentez  la  dette  et  la  difficulté  de 
vous  en  acquitter ,  et  les  péchés  que  vous  commettez  de 
jour  en  jour ,  faute  d'y  satisfaire. 

Et  en  septième  lieu ,  comme  Satan  ne  désire  rien  tant 
en  ses  desseins ,  que  d'être  cause  que  plusieurs  péchés  se 
commettent,  et  que  plusieurs  âmes  se  perdent,  parce  qu'il 
enrage  contre  Dieu  qui  a  en  horreur  le  péché  ,  et  qui  désire 
le  salut  des  âmes;  vous  servez  aux  desseins  de  ce  malin  au- 
tant que  faire  se  peut  ;  car  celui  dont  vous  retenez  le  bien, 
ou  que  vous  avez  ruiné  par  procès ,  se  damne  et  commet  une 
infinité  de  péchés  par  des  haines,  des  rancunes  ,  des  désirs 
de  vengeance  qu'il  conçoit  contre  vous  quand  il  vous  ren- 
contre ,  quand  il  vous  voit,  ou  quelqu'un  de  vos  gens,  quand 
il  passe  devant  votre  maison,  quand  il  se  souvient  du  tort 
que  vous  lui  faites  ;  quand  il  en  ressent  quelque  incommo- 
dité, il  enrage  contre  vous ,  il  vous  donne  au  diable ,  il  vous 
lance  mille  malédictions ,  il  inspire  et  influe  ce  désir  de 
vengeance  dans  l'esprit  de  ses  enfants  qui  commettront 
mille  péchés,  et  se  damneront  comme  lui,  ainsi  de  père 
en  fils. 

Et  en  huitième  lieu  ,  ce  qui  doit  vous  piquer  plus  sensi- 
blement ,  vos  enfants  aussi  se  damneront  et  commettront 
mille  péchés,  ou  retenant  injustement  le  bien  mal  acquis 
que  vous  leur  laissez ,  ou  gardant  des  aniinosités  et  des  îni- 


DE  1  A  RESTITUTION.  03 

litiés  contre  ceux  qui  leur  en  porteront  à  voire  occasion  : 

Sains  huic  domui  farta  est.  Le  petit  Zaehée ,  qui  avait 

té  usurier,  ayant  restitué  au  quadruple  ce  qu'il  avait  gagné 

ajustement ,  noire  Sauveur  dit  :  Aujourd'hui  par  la  grâce 

e  Dieu  ,  cette  maison  a  fait  son  salut.  Donc  s'il  n'eût  pas 
estitué,  sa  famille  n'eût  pas  fait  son  salut,  ctparconsé- 
uent  eût  été  perdue.  Le  cardinal  Pierre  d'Amiens  nous 
Ipprend,  et  Baronius  (anno  1055.)  le  rapporte  :  Un  saint 
iligicux  vit  en  enfer  un  comte  qui  avait  envahi  une  terre 
^par tenant  à  l'Egl«sc  de  Metz,  et  avec  lui  dix  de  ses  lié — 
i tiers  qui  lui  avaient  succédé  de  père  en  fils  et  qui  n'avaient 
)as  restitué  cet  héritage,  dont  le  dixième  était  mort  depuis 
eu,  et  avait  vécu  en  réputation  d'homme  de  bien. 

Enfin  ,  L'esprit  malin  étant  ennemi  juré  de  notre  bien 
Mlîtuel  et  temporel ,  vous  empêchant  de  restituer  ,  ne  veut 
ulement  être  la  cause  de  mille  péchés  et  de  la  damna- 
ion  de  tant  d'âmes,  mais  de  plus,  il  désire  ruiner  votre 
amille  ,  votre  fortune  ,  vos  affaires  temporelles,  car  il  pré- 
oit  que  ce  bien  mal  acquis  attirera  la  malédiction  de  Dieu 
UT  rous  ,  sur  votre  famille  ,  sur  votre  postérité  :  Vœ  qui 
imqreqat  avaritiam  malam  domui  suœ,  ut  sit  in  ex- 
cisa nid  a  s  ejus,  et  liberari  se  putat  de  manu  mali  : 
labac.  2.  9.)  Malheur  à  celui  qui  amasse  du  bien  par  ava- 
ce  pour  mettre  bien  haut  sa  famille;  il  se  trompe  lourde- 
lent  s'il  pense  être  impuni  et  heureux,  celte  cupidité  sera 
inerte  et  pernicieuse  à  sa  famille  ;  et  par  le  prophète  Ab- 
ias  Dieu  nous  dit  :  Quand  vous  seriez  élevé  comme  un 
gle ,  quand  vous  auriez  bâti  votre  nid  parmi  les  astres ,  je 
Mis  en  dénicherai.  Vous  savez  la  propriété  des  plumes 
aigle  :  si  vous  les  mêlez  parmi  des  plumes  de  poule  ,  de 
geon,  ou  autre  oiseau,  elle  les  consomme  petit  à  petit. 
ous  êtes  comme  un  aigle  de  palais  ,  un  oiseau  de  proie  et 
•  rapine  ;  ces  biens  que  vous  ayez  acquis  par  usure ,  par 
licane  et  monopole  ,  sont  les  ailes  qui  vous  font  voler  ,  qui 
>us élèvent  el  rendent  orgueilleux  :  ces  biens  mêlés  parmi 
autres  que  vous  avez  bien  acquis  et  hérités  de  vos  ancêtres, 
attireront  la  malédiction  de  Dieu  et  les  anéantiront. 


.1 


94  SERMON  CCLXXV1II. 

tertium  punctum.  — liestituendam  Cœsari,elc, 

C.  —  {Et  JJeo  quœ  sunt  Dei.  )  Réduite  ergo  quœ 
sunt  Cœsaris  Cœsari.  Il  ne  dit  pas  rendez  à  Dieu  ce  qui 
est  à  César,  mais  rendez  à  César  ce  qui  est  à  César,  pour 
corriger  l'erreur  de  plusieurs  qui  pensent  être  bien  déchar- 
gés quand  ils  donnent  aux  pauvres  ou  à  l'Eglise  ce  qu'ils 
sont  obligés  de  rendre  à  leur  prochain.  Quand  vous  ne  savez 
ni  ne  pouvez  savoir,  après  une  diligente  recherche,  à  qui 
appartient  ce  qui  n'est  pas  à  vous ,  ou  quand  le  maître  est 
mort  sans  aucun  héritier ,  en  ce  cas  il  est  bon  d'en  faire  des 
aumônes  ou  de  l'employer  en  œuvres  pieuses;  mais  quand 
vous  pouvez  le  rendre  ou  le  faire  rendre  au  maître  ,  c'est 
un  abus  de  le  donner  aux  pauvres  ou  d'en  faire  dire  des 
messes. 

Et  quœ  sunt  Dei  Deo.  Si  vous  aviez  dérobé  un  bœuf  ou 
un  cheval  et  qu'il  fût  mort ,  vous  seriez  obligé  d'en  rendre 
un  autre  ;  vous  avez  débauché  une  pauvre  fille,  elle  est  morte 
en  mauvais  état ,  elle  est  perdue  pour  Jésus  :  vous  êtes  donc 
obligé  de  faire  vos  efforts ,  contribuer  de  vos  soins ,  tra- 
vaux ,  moyens  pour  lui  en  gagner  d'autres. 

Quœ  sunt  Dei  Deo.  Vous  n'êtes  qu'une  chétive  créa- 
ture ,  et  si  Ton  vous  a  offensé  tant  soit  peu  en  vos  biens,  en 
votre  honneur,  en  votre  réputation  ;  si  on  touche  tant  soit 
peu  vos  enfants,  vos  serviteurs,  votre  personne  ,  vous  êtes 
si  exact  et  si  obstiné  à  demander  réparation  ;  vous  avez  si 
souvent  et  si  grièvement  offensé  le  Fils  de  Dieu  en  sa  per- 
sonne ,  en  murmurant  contre  lui ,  en  blasphémant  son  saint 
nom  ,  en  méprisant  ses  commandements  ,  en  commettant 
des  actions  infâmes  en  sa  présence,  en  sa  vue ,  tout  auprès 
de  lui  ;  vous  Pavez  offensé  en  sa  réputation  rappelant  faux 
témoin  par  vos  parjures ,  donnant  sujet  aux  infidèles  de  par- 
ler mal  de  Jésus  et  de  sa  religion ,  quand  ils  voient  que 
ceux  qui  la  suivent  sont  si  fourbes,  si  impurs,  si  avaricieux; 
si  vicieux  envers  ses  enfants  et  envers  ses  serviteurs,  vous 
moquant  des  gens  de  bien,  les  appelant  bigots ,  hypocrites, 
tournant  ça  railleries  leur  dévotion  ;  vous  l'avez  offensé  en 


02  ;  v  RBST1TI  TION.  95 

u'il  vous  b  donnés  pour 

commettre  le  péché  qui  lui  dëplall  inûnimenl  :  n'est-ce  pas 

plus  que  très  juste  el  très  raisonnable  de  le  satisfaire 

en  tous  ces  points ,  en  sa  personne,  en  allant  auprès  de  lui 

grand  respect  quand  on  porte  le  Saint-Sacrement,  vous 
humiliant  beaucoup  devant  lui ,  vous  prosternant  en  sa  pré- 
sence, vous  tenant  avec  grand  respect ,  avec  révérence  in- 
térieure et  extérieure  dans  les  églises,  avançant  sa  gloire 
an  tout  ce  que  tous  pourrez,  instruisant  vos  enfants,  vos 
serviteurs,  vos  rentiers,  donnant  bon  exemple  à  vos  voisins, 
à  toute  la  paroisse  ?  Luceat  lux  vestra  coram  homini— 
bus  ,  ///  glorificent  Pu  (rem  vestrtim.  Il  faut  avoir  un 

tout  particulier  d'honorer  les  serviteurs  de  Dieu,  leâ 
religieux  ,  les  personnes  ecclésiastiques  ,  les  gens  de  bien  , 
il  faut  les  défendre  en  compagnie  quand  on  en  parle  mal; 

:  ibuer  de  vos  biens  pour  retirer  les  pauvres  fdles  de 

l'état  de  péché  et  du  danger  de  se  perdre;  retrancher  (ont 

toute  dépense  superflue,  même  ce  <[ue  vous  pour— 

employer  en  divertissements  innocents,  afin  d'avoir 
plus  de  moyens  de  faire  des  aumônes  et  réparer  la  perte  des 

s  que  vous  avez  faite  en  débauches  et  dissolutions  cri- 
minelles, car  quant  aux  larcins  ou  dommages  que  vous  avez 

a  votre  prochain,  vous  y  devez  satisfaire  ,  non-seule- 
ment retranchant  ce  qui  vous  est  superflu,  mais  encore  ce 
qui  vous  est  utile  et  commode. 

quartum  punctum,  —  Motiva,  etc. 

D.  —  [Ex  S.  Bernai  do,  etc.)  S.  Bernard  parlant  des 

,   dit  avec  grande  raison:  Amatœ  taquinant, 

rant,  amissœ  cruciant.  Il  faut  le  dire  des 

mal  acquises  ,  avec  plus  de  sujet  que  des  autres. 

tm  htfuinani)  elles  souillent  Pâme  quand  on  les  aime. 

mer,  les  aimer  bien  désordonnément  de 

■uir  contre  le  commandement  de  Dieu,  contre 

mmandement  naturel,  positif,  négatif,  aflirmalif  ?  Où 

-  t  la  foi  quei  elle  parole  de  Jésus  :  (Luc.  44. 

Quiconque  d'entre  vous  ne  renonce  à  lotit  ce  qu'il  pos- 


9ô  sermon  ccLXxvnr. 

sède  ne  peut  être  mon  disciple  ?  Peut-on  être  sauvé  sans 
être  disciple  de  Jésus?  est-ce  renoncer  de  cœur,  d'affection, 
de  les  posséder  contre  la  volonté  de  celui  à  qui  elles  appar- 
tiennent ,  contre  le  droit  des  gens  t  contre  les  remords  de 
votre  conscience  ,  contre  la  volonté  de  votre  Dieu  ?  Pos- 
sessœ  onerant. 

E.  —  (Possessœ  onerant .)  Les  richesses  vous  char- 
gent de  soucis ,  d'inquiétudes ,  de  peines  d'esprit ,  de  re- 
proches de  la  conscience  ;  vous  faites  comme  le  hérisson ,  il 
prend  des  pommes  çà  et  là  qu'il  embroche  avec  ses  épines, 
ici  une,  là  une  autre  ;  s'étant  ainsi  chargé  de  plusieurs  lar- 
cins il  devient  si  pesant  qu'étant  poursuivi  par  les  chiens 
ou  par  les  renards  ,  il  ne  peut  marcher  assez  promptement 
pour  se  retirer  en  son  gite;  ainsi  il  devient  leur  proie. Vous 
êtes  armé  de  pointes  comme  cet  animal ,  pointes  d'esprit , 
de  langues ,  d'injures ,  de  calomnies  ;  vous  êtes  subtil , 
adroit,  ingénieux,  hardi  à  imputer  aux  autres  les  injustices 
que  vous  faites;  vous  rapinez  de-çà  de-là  à  ces  enfants 
du  premier  lit ,  à  vos  cohéritiers,  à  ce  villageois ,  à  ces  or- 
phelins; quand  vous  aurez  inspiration  et  désir  de  vous  con- 
vertir ,  d'aller  à  confesse  ,  de  vous  réfugier  dans  l'asile  de 
quelque  monastère  ,  vous  vous  trouverez  si  chargé  de 
dettes,  obligé  à  tant  de  restitutions,  qu'il  vous  sera  impos- 
sible de  les  faire  ;  vous  demeurez  exposé  aux  pattes  et  aux 
dents  des  renards  et  du  cerbère  de  l'enfer. Quand  S. Bernard 
était  clans  le  duché  de  Milan  on  lui  présenta  un  possédé  pour 
le  conjurer;  il  demanda  aux  démons  :  Combien  êtes-vous  ? 
Nous  ne  sommes  pas  en  aussi  grand  nombre  ,  lui  dirent- 
ils,  que  ceux  de  cet  homme  au  pays  des  Géracénéens ,  qui 
étaient  une  légion  entière;  nous  ne  sommes  que  trois, 
mais  plus  effectifs  que  douze  légions  ;  nous  sommes  cause 
de  la  damnation  de  la  plupart  des  hommes.  Comment  vous 
appelez-vous  ?  Ferme-cœur,  Ferme-bouche,  Ferme-bourse: 
le  premier  empêche  que  les  hommes  n'ouvrent  leur  cœur 
à  Dieu  ,  qu'ils  ne  consentent  à  ses  inspirations,  qu'ils  n'a- 
joutent foi  aux  prédicateurs,  qu'ils  ne  conçoivent  le  dessein 
de  leur  conversion  ,  qu'ils  ne  connaissent  le  danger  où  ils 


ci   i  a  RESTITUTION.  07 

,  qu'ils  ne  soient  touchés  de  componction  ;  le  second 
démon  ferme  la  bouche  au  pénitent ,  quand  il  est  au  con- 
fessionnal, par  un  peu  de  honte  ou  de  crainte,  aGn  < in^i  1  ne 
confesse  pas  :  Ce  péché,  lui  dit-il ,  es(  ir<>[>  grand  et  trop 

honteux  ;  si  tu  le  dis  à  ce  prêtre,  il  aura  mauvaise  opinion 
de  toi,  il  te  regardera  toujours.  Ne  croyez  pas  ce  père  de 
mensonges  :  votre  confesseur  vous  aimera  plus,  voyant  que 
vous  êtes  converti  et  en  état  de  grâces,  il  s'en  réjouiraaveo 
les  anges  ;  il  sera  ravi  de  vous  donner  l'absolution  ,  si  vous 
commencez  une  vie  toute  nouvelle  ;  mais  si  vous  cachez 
votre  péché,  il  sera  découvert  au  jour  du  jugement,  en  pré- 
sence de  vos  père  ,  mère,  parents,  amis,  ennemis  et  de  tout 
le  monde  ,  car  Jésus  a  dit  que  rien  n'est  si  caché  qui  ne 
doive  se  découvrir  ;  il  a  dit  aussi  :  Rendez  à  César  ce  qui 
est  à  César. Pour  cela  le  troisième  démon,  le  démon  Ferme- 
bourse  ,  effectue  souvent  ce  que  les  deux  autres  n'ont  pu 
faire;  il  empêche  que  la  confession  ne  soit  valide,  que  le 
péché  ne  soit  remis,  faute  de  rendre  le  bien  d'autrui  :  Non 
tiiur  peccatum  ?ii*>i  ,  restituatur  ablatum.  Vous 
voyez  donc  que  g  ts  richesses  mal  acquises  vous  chargent 
de  mille  péchés,  de  mille  obligations,  qui  vous  arrêtent  au 
chemin  du  ciel  et  vous  en  fermeront  feutrée  ,  si  vous  ne 
vous  en  déchargez  par  une  généreuse  restitution;  si  vous 
ne  les  quittez  maintenant  de  gailé  de  cœur  et  avec  mérite  , 
vous  le  ferez  quelque  jour  à  contre-cœur  et  sans  mérite. 

F.  —  (Amissœ  cruciant. )Tùt  ou  lard  il  les  faut  quit- 
ter, du  moins  à  la  mort  ;  et  ce  vous  sera  un  grand  regret, 
un  grand  déplaisir,  une  grande  affliction  d'esprit,  de  voir 
que  vous  avez  offensé  mille  fois  votre  Dieu  ,  perdu  le  ciel , 
reçu  les  sacrements  avec  sacrilège,  engagé  votre  àme  à  Sa- 
tan pour  des  biens  que  vous  laissez  a  je  ne  sais  qui  :  à  des 
héritiers,  qui  ne  vous  en  sauront  pas  gré;  à  des  neveux,  qui 
en  avaient  déjà  assez,  qui  en  feront  bonne  chère,  qui  dé- 
penseront avec  profusion  ce  que  vous  avez  amassé  avec 
grande  peine;  qui,  plaidant  l'un  contre  l'autre,  les  consom- 
meront en  frais  de  justice;  h  des  enfants  ingrats ,  débau- 
chés ,  dénaturés,  qui  joueront  nu.  la  fosse  de  leur  o.'re, 

G 


Si: Il  MON  CCLXXVIII 


qui  ne  voudraient  pa*  douner  cinq  sous  pour  le  soulage* 
mcnL  de  votre  âme.  Vous  auriez  besoin  qu'on  vous  fit  ce  qu'on 
a  fait,  il  n'y  a  pas  longtemps  ,  à  un  cœur  endurci  comme 
vous  ;  on  dit  que  c'est  à  Bordeaux  que  ceci  e.^t  arrive.  Un 
vieux  usurier  et  concussionnaire  ,  étant  au  lit  de  la  mort, 
le  père  qui  fut  appelé  pour  L'entendre  en  confession,  fit  son 
devoir  :  Monsieur,  je  ne  puis  vous  entendre  si  vous  ne  res- 
tituez ,  je  me  damnerais  et  vous  aussi...  Ilestituer  ,  mon 
père!  il  faut  donc  que  je  rende  la  plus  grande  partie  de  mon 
bien,  que  j'envoie  mes  enfants  à  l'hôpital!  je  ne  saurais  m'y 
résoudre.  Après  plusieurs  exhortations  ne  pouvant  rien  ga- 
gner sur  lui,  il  le  laisse  là  et  s'en  va. Quelque  temps  après, 
il  retourne  :  Monsieur ,  si  Dieu  vous  rendait  la  santé  et 
quinze  ou  vingt  ans  de  vie,  ne  voudriez-vous  pas  restituer? 
Très  volontiers  ,  je  disposerais  tellement  de  mes  affaires  , 
que  je  restituerais  sans  me  tant  incommoder.  Le  médecin 
dit  que  tout  votre  mal  vient  par  faute  d'humide  radical,  et 
que  pour  en  réparer  les  brèches,  ilen  faut  emprunter  de  quel- 
qu'un à  qui  vous  l'avez  communiqué  ,  parce  qu'il  a  plus  de 
simpathie  avec  le  vôtre,  vous  avez  besoin  qu'on  vous  donne 
deux  ou  trois  gouttes  de  la  graisse  fondue  de  l'un  de  vos 
enfants  vivants.  On  appelle  l'alné  :Mon  fils,nevoudricz-vous 
pas  bien  ressusciter  votre  père  qui  s'en  va  mourir  ?  Très 
volontiers  !  plût  à  Dieu  qu'il  ne  fallût  que  de  mon  sang  !  (on 
allume  une  chandelle.)  On  n'a  besoin  que  de  deux  goutte- 
lettes de  votre  substance  ,  tirées  et  distillées  de  votre  doigt 
par  celte  flamme.  Aussitôt  qu'il  y  eut  mis  le  doigt  :  Je  ne 
saurais  endurer  cela.  Mais  vous  rendrez  la  santé  à  votre 
père.  Je  ne  saurais  qu'y  faire  ,  il  est  impossible  de  l'endu- 
rer. On  fait  venir  le  second  :  Mon  mignon  ,  voulez-vous 
bien  remettre  en  vigueur  votre  père  ?  Plût  à  Dieu  qu'il  fût 
en  mon  pouvoir  !  On  lui  dit  comme  au  premier  ;  aussitôt 
qu'il  sent  le  feu  :  Ha!  je  ne  saurais  souffrir  ce  tourment! 
Les  autres  en  dirent  autant.  Alors  le  confesseur  parlant  au 
malade  :  Hé  bien  !  qu'en  dites-vous  ?  n'ètes-vous  pas  privé 
de  jugement?  n'ètes-vous  pas  fou  achevé?  Vos  enfants  ne 
veulent  pas  pour  l'amour  de  vous  souffrir  le  feu  au  bout  du 


LA  RI  M  1TUTI0N.  99 

■  Ii  moitié  d'un  demi-quart  d'heure  ;  et  tous  tous  en- 
gag  ■/,  pour  l'amour  d'eux,  à  avoir  la  tète,  les  bras,  l'esto- 
mac, les  entrailles,  les  jambes,  les  pieds,  tout  le  corps  et 
Pâme  dans  un  grand  feu  ,  une  éternité  tout  entière!   Je 
vous  dis  de  même  ,  messieurs;  car  ne  pensez  pas  que  vos 
confréries,  congrégations,  indulgences,  jubiles,  confessions, 
communions,  vous  servent  d\m  fétu  ,  tant  (pie  vous  retenez 
injustement  le  bien  d'autrui  ;  à  la  mort  il  vous  arrivera  de 
même  qu'à  L'infortuné  Turnus.  Enée  le  tenait  à  terre, ren- 
et  couché  à  ses  pieds ,  le  poignard  sur  la  gorge  ;  le 
pauvre  Turnus  criait  miséricorde  ,  demandait  la  vie.  Enée 
louché  de  compassion,  était  sur  le  point  de  la  lui  donner  ; 
mais  voyant  sur  les  reins  de  ce  malheureux  le  baudrier  qu'il 
avait  autrefois  arraché  à   Pallas  ,   grand  ami  d'Enéc  ,  il 
changea  sa  pitié  en  colère  ,  et  il  lui  dit  :  Ah  !  ah  !  je  te  vois 
lépouilles  de  mon  ami  ;  il  faut  (pie  je  venge  sa 
coup  mortel  t'apprendra  que  je  suis  sensible  aux 
!  qu'on  fait  à  ceux  que  j'affectionne. 

Ule  i  :mmenta  ûuloris 

Bxaviasque  hausit ,  furiïs  accensus  et  ira  , 

tbilia  :  Tune  Iiinc  spolifa  indute meoram 
Bripiarc  mihiJ  Pallas  te  hocvulnere,  Pallas 
Immolât,  et  pœnas scelerato  ex  sanguine  gumit. 

(iEn,  12.  sub  linem.) 

Quand  vous  serez  en  la  dernière  maladie  ,  vous  deman- 
dai i  pardon,  vous  prierez  Jésus  d'avoir  pitié  de  vous,  les 
prêtres  feu  prieront  pour  vous  :  A  mala  morte,  a  pœnts 
inferni  libéra  eu  m  ,  Domine.  S'il  vous  voit  chargé  des 
dépouilles  de  quelque  pauvre,  s'il  voit  dans  votre  maison, 
vos  héritages,  quoi  que  ce  soit  qui  appartienne  à  votre 
hain,  au  lieu  de  vous  faire  miséricorde,  il  exercera  sur 
sa  justice  vengeresse  ,  il  vous  percera  du  glaive  de  la 
damnation  éternelle,  oui,  de  la  damnation!  Car  après  avoir 
feuilleté  mes  livres ,  lu  et  relu  les  casuistes,  les  canonistes, 
scholastiques,  pour  trouver  quelque  moyen  de  n'être 
j  ititution  ,  je  n'en  trouve  qu'un  seul ,  qui 

»ber,  n*1  faire  tort  à  personne,  ne  faire 


100  SERMON  CCLXXVIII. DE  LA   RESTITUTION. 

jamais  à  un  autre  ce  que  vous  ne  voudriez  pas  qu'on  vous 
fît  à  vous-même  ;  si  vous  le  faites  ainsi,  vous  vous  exempte- 
rez de  mille  inquiétudes  d'esprit ,  vous  vivrez  avec  grand 
repos  de  conscience,  vous  mourrez  avec  grande  tranquillité, 
vous  attirerez  sur  vous  et  sur  votre  famille  ,  les  bénédictions 
éternelles  de  Dieu.  Amen* 


SERMON  CCLXXIX. 


DES  PROCES. 


Bien  (foutrai  tu  n   prendras,  ni  retiendras  à  ion  etcientj 

(Roai.  13.  9.) 

Si  ce  que  nous  disions  hier  est  vrai,  que  nous  sommes  obli- 
gés sous  peine  de  damnation  éternelle  ,  de  satisfaire  à  notre 
prochain ,  pour  tous  les  dommages  injustes  que  nous  lui  avons 
laits  ;  il  n'est  rien  de  si  contraire  à  notre  salut  que  les  procès 
injustes,  qui  sont  cause  de  tant  de  frais,  de  tant  de  perte  de 
temps  el  de  biens,  de  tant  de  peines  d'esprit  à  ceux  contre 
qui  nous  plaidons,  el  pour  lesquels  on  ne  fait  jamais  ou  très 
rarement  ,  aucune  restitution.  Il  est  vrai  que  les  procès 
justes  sont  permis,  considérés  en  eux-mêmes;  mais  parce 
qu'ils  nous  acheminent  ordinairement,  et  nous  engagent 
insensiblement  à  plusieurs  injustices,  il  me  semble  à  pro- 
pos de  travailler  aujourd'hui  à  vous  les  dissuader  debout  mon 
possible. 

IDEA  SERMONIS. 

Exordium.  A.  Dci  pcrjcctiocst  uni  tas, — B.  Maximum 
reipublicœ  bonum  estpqx.  —  C.  USobilissimavirtus 
est  charitas.  — Liiesdividuntunitatem}  turhant  pa~ 
cent,  exstinguunt  chariiatem. 

Primura  punctum.  1"  Causes  quœ  (/encrant  lites  :  — D. 
Prima,  Permissio  Dei.  —  E.  Secunda^  Notariorum 
iynoranlia  auttnalitia.—F.  Ter  lia,  Negligentia  liti* 
ganiium.  —  G.  Quarta,  ira  ri  lia.  — 2"  Causœ  quœ 
mit ria ni  lUeê  :  —  IL  Prima  ,  Pi i  tinacia.  —  I.  5c- 

cunda  }Procuratorum  avaritia.  — L.  Tertia  ,  Vin~ 
dicta  litiganlium. 


102  oi.K.UO.N   CCLXXIX. 

Secundum  puncturn.  Effectuslitium: — M.  Damna  (cm- 
poraîla. — N.  Spiritualia. — O.  JEtema» 

Tcrtium  punchim,  Remédia:- — P.  Considère  f 'dem ,expe* 

rientiam ,  prttden  iiam . 
Concltitio.  Per  aryunienia  conglohata. 

EXORDIUM. 

A. — (Dei  pcrfeclio,  cfc.)  S'il  est  vrai  ce  qu'on  dit  en 
philosophie,  qu\in  mal  est  d'autant  plus  à  craindre,  qu'il  est 
opposé  à  un  plus  grand  bien,  il  ne  faudrait  point  d'autre  raison 
pour  nous  l'aire  avoir  en  horreur  les  procès,  que  de  savoir 
qu'ils  sont  contraires  à  la  première  et  à  la  plus  signalée  per- 
fection qui  soit  au  monde  idéal,  contraire  au  plus  grand  bien 
qui  soit  au  monde  corporel,  et  à  la  plus  noble  et  excellente 
vertu  qui  soit  au  monde  spirituel. 

Au  monde  archétype  et  idéal,  qui  n'est  autre  que  l'essence 
de  Dieu,  le  premier  attribut  que  la  foi  nous  fait  reconnaître, 
!t  que  Dieu  même  nous  annonce  dans  son  Ecriture,  c'est 
f  unité  très  adorable  :  Credoin  unumDeum;  Audi  Israël, 
Veus  tuus  units  est.  (Marc.  12.  29.)  Dans  l'être  créé  il 
y  a  toujours  quelque  distinction,  et  par  conséquent  division, 
au  moins  virtuelle  et  mentale.  Toute  créature  est  un  amas 
et  un  assemblage  de  parties  intégrantes,  ou  de  matière  et  de 
forme,  ou  de  substance  et  d'accident,  ou  de  genre  et  de  diffé- 
rence, ou  de  nature  et  de  subsistance,  ou  d'essence  et  d'exis- 
tence, et  une  de  ces  pièces  peut  être  détachée  de  l'autre,  ou 
naturellement,  ou  par  l'Auteur  de  la  nature;  une  partie  inté- 
grante peut  être  séparée  de  l'autre  partie,  la  matière  séparée 
de  la  forme,  l'accident  de  la  substance,  la  nature  de  la  sub- 
sistance. 

Tout  ce  que  nous  adorons  dans  l'Etre  incréé,  nous  devons 
croire  qu'il  y  est  non-seulement  indéfini,  illimité;  indépen- 
dant, mais  aussi  en  une  très  parfaite  et  admirable  unité,  dit 
S.  Denis.  (Cap.  1 .  dedivin.  nominibus.)  Dans  la  très  auguste 
majesté  de  Dieu,  l'essence  et  l'existence,  la  nature  et  l'hy- 
postase,  la  puissance,  la  sagesse,  la  bonté  et  toutes  les  autres 
perfections,  môme  celles  qui  vous  semblent  opposées,  comme 


DES  PRO(  1  0  ) 

la  m"  •         '   cl  la  justice  sont  une  même  chose,  el  quoique 
Irois  adorables  personnes  de  la  très  sainte  Trinité  soient 

mon!  cl  infiniment  distinctes,  elles  sont  néanmoins  si 
étroitement  liées  ensemble  par  unité  d'essence  el  par  la  pro- 
leurs  émanations,  qu'elles  ne  sont  qu'une  même 
i  e  ;  ce  qui  fait  dire  à  Jésus  :  Bg§  et  Pater  nnum  sum  us  : 
et  il  veut  que  ses  disciples  imitent  cette  unité  divine  par  une 
parfaite  union  d'esprit,  de  cœur,  d'amitié  et  d'affection  :  Ut 
jint  union  ,  sicuietnos  unumsumus*  (Joan.  17.  22.) 
15. — [Ma  rûtou/Ji,  etc.)  En  ce  monde  visible  eteorporel, 
le  plus  grand,  le  plus  utile,  le  plus  souhaitable  et  le  plus 
universel  de  tous  les  biens,  cVst  la  paix  :  les  éléments  ne  pour- 
raient composer  les  corps  mixtes,  ni  conserver  ce  grand  tout 
dans  la  ruine  de  ses  parties ,  si  la  providence  de  Dieu  ne  les 
tenait  en  bon  accord,  nonobstant  leurs  qualités  différentes  et 
leur  antipathie  naturelle.  Tu  numeris  clementa  lir/as,  ut 

'id  flammiê)  arida  canveniunt  liqutdis,  dit  Boècc. 

i  nous  voulons}-  faire  réflexion,  nous  verrons  que  toutes 

rofessions  qui  sont  dans  la  république,  ne  tendent  qu'à 
la  paix,  ne  prétendent  que  ia  paix,  ne  travaillent  (pic  pour 
la  paix,  pour  L'union  et  la  bonne  intelligence  des  choses  dif- 
férentes ou  contraires. 

Le  devoir  des  confesseurs ,  des  prédicateurs  et  autres  ecclé- 
siastiques, est  d'établir  la  paix  entre  Dieu  et  les  hommes  par 
leurs  prières,  leurs  instructions,  leurs  pénitences;  les  gens 
de  justice,  les  magistrats,  les  politiques  ne  doivent  yiser 
qu'à  cimenter  le  cœur  des  citoyens,  et  à  faire  que  la  cité 
obtienne  Tétymologie  de  son  nom  :  Chutas  ,  civium  uni- 

lusiitia  et  pax  osculaiœ  siuit.  Un  médecin  ne  tend 
qu'à  marier  et  tenir  en  bonne  harmonie  les  quatre  humeurs 
du  corps  humain.  Un  maître  musicien  concerte  et  fait  un 
accord  de  plusieurs  voix  différentes.  Un  peintre  fait  un  la- 
bleau  de  diferses  couleurs  bien  ajustées  et  rapportées  rime 
à  l'autre  ;  un  soldai  même  ne  doit  faire  la  guerre,  que  pour 
obliger  l ennemi  à  demander  et  à  conserver  la  paix  :  E» 
hetto  pax  ;  nuUa  talus  Lcllo,  paçem  te  poscimusomnes. 
C-  virtuê^  t'.    )  Dans  le  monde  spi- 


I  0  I  SERMON  CCLXXIX. 

rituel  et  dans  Tordre  de  la  grâce,  les  plus  nobles  et  les  plus 
excellentes  habitudes  sont  les  vertus  théologales,  la  foi,  l'es- 
pérance,  et  la  charité,  qui  ont  Dieu  pour  objet  et  unique 
centre  de  leurs  actions  ;  et  entre  ces  trois  vertus,  la  charité 
tient  le  premier  rang ,  elle  est  la  reine  ,  l'âme  ,  la  vie ,  la 
forme  et  la  perfection  de  toutes  les  autres  :  Major  autem 
horum  est  charitas.  (1 .  Cor.  13.  13.)  Or,  les  procès 
divisent  l'unité,  troublent  la  paix,  ruinent  la  charité,  qui 
doivent  fleurir  parmi  les  chrétiens ,  comme  l'expérience  ne 
le  montre  que  trop,  et  comme  vous  le  verrez  dans  la  suite 
de  mon  discours. 

pjumitm  punctum. — 1  °  Causœ  ,  etc. 

D. — {Prima,  Permissio  Dei.)  Pour  y  procéder  avec 
méthode,  nous  devons  considérer,  premièrement ,  quelles 
sont  les  causes  qui  engendrent  et  nourrissent  les  procès  ;  en 
second  lieu,  les  effets  qu'ils  produisent  ;  en  troisième  lieu, 
les  remèdes.  La  première  cause,  c'est  la  vengeance  de  Dieu, 
qui  veut  punir  vos  fautes  passées  ou  quelque  péché  de  vol 
ancêtres,  par  l'entremise  de  ce  fléau ,  on  a  coutume  de  dire 
qu'il  y  a  trois  fléaux  de  Dieu  ;  pour  moi,  j'en  compte  ordi- 
nairement quatre  :  la  guerre,  la  peste,  la  famine  et  les  pro- 
cès ,  et  je  crois  que  ce  quatrième  est  plus  sévère  et  plus 
redoutable  que  les  trois  autres  :  fléau  qu'Isaïe  appelle  flagel- 
lum  inundans,  (Is.  28.  15.)  parce  que,  comme  nous  ver- 
rons tantôt,  il  fait  perdre  les  biens  temporels ,  spirituels , 
éternels  ;  et  comme  Dieu  envoie  la  guerre ,  la  peste  ,  la 
famine  en  punition  des  péchés,  et  quelquefois  en  punition 
d'un  seul  péché,  il  permet  souvent  aussi  que  quelque  procès 
fatal  et  funeste  désole  une  maison,  qui  est  cimentée  du  sang 
des  pauvres  gens,  ou  du  patrimoine  de  Jésus-Christ  :  Lapis 
de  pariete  clamabit.  Il  y  a  du  bien  d'église  en  votre  mai- 
son, môle  avec  le  bien  séculier;  votre  père  ou  votre  aïeul 
de  qui  vous  avez  hérité  cette  succession,  en  avait  acquis  une 
partie  par  des  voies  obliques  et  injustes  ;  vous  vous  entre- 
ruinez par  des  procès,  vous  et  votre  frère.  Les  parents,  les 
amis ,  les  avocats ,  les  curés ,  les  confesseurs ,  les  prédica- 


nrs  PROCl  3<  105 

tnir>  on!  beau  user  de  tous  les  moyens  pour  vous  mettre 
d'accord ,  ils  n'en  viendront  jamais  à  bout  ;  la  malédiction 
de  Dieu  est  en  \  otre  famille. 

Gloria  in  excelsie  Doit ,  et  in  terra  p</.r  hominibus 

hoiht'  vohaitaiis.  Ce  sont  les  anges  qui  ont  fait  ce  partage; 
ij  vous  le  rompei  de  votre  part,   Dion  le  rompra  aussi  de 

son  côté  ;  si  dans  VOS  desseins,  dans  vos  actions  ,  dans  vos 
entreprises,  dans  vos  trafics,  vous  ne  cherchez  pas  la  gloire 

de  Dieu  ,  mais  la  vôtre  et  colle  de  vos  enfants  ;  si  vous  ne 
tra\  aillez  que  pour  vous  enrichir  et  agrandir,  vous  ne  serez 
pas  enfant  de  bonne  volonté.  Dieu  n'aura  pas  de  bonne 
volonté  pour  vous;  la  paix  et  la  bonne  intelligence  ne  ré- 
gneront pas  en  votre  famille;  quelque  adroit  et  intelligent 
que  vous  soyez ,  vous  aurez  beau  agir  avec  la  plus  grande 
sse  pour  bien  faire  votre  testament  ,  pour  prévoir  ou 
prévenir  toutes  les  semences  de  procès ,  un  mot  ambigu 
•  pic  le  notaire  v  fera  glisser  ,  jettera  la  pomme  de  discorde 
entre  VOS  héritiers  ,  s'ils  n'ont  la  bénédiction  de  Dieu. 

—  Seeunda%  Votariorum  ignorantia  ,  etc.  )  J'ai 

dit  un  mot  ambigu  du  notaire  :  car  l'ignorance,  la  négli- 

ou  la  malice  des  notaires,  est  une  des  plus  ordinaires 

i  qui  n'engendrent  pas  seulement  les  procès,   mais 

qui  les  font  perdre  très  injustement  à  leur  propre 

damnation,  et  à  la  ruine  des  pauvres  innocents.  Un  ancien 

a  dit  avec  raison,  que  les  notaires  étaient  les  premiers  juges 

et  les  plus  absolus;  leur  écriture  est  un  arrêt  définitif  et 

en  dernier  ressort  ;  personne  n'entreprend  de  le  réformer  ; 

les  juges,  même  souverains,  sont  obligés  de  suivre  la  forme 

et  la  teneur  de  leur  parole. 

\  ous  êtes  donc  très  criminel  devant  Dieu,  et  obligea 
ution,  si  dans  un  testament,  dans  un  traité  de  mariage, 
ou  autre  écriture,  par  ignorance  ou  par  malice,  vous  omet- 
te/ quelque  clause,  ou  si  vous  y  mettez  quelque  équivoque 
qui  soit  cause  d'un  procès  ;  si  vous  recevez  les  contrats  de 
clux  qui  en  sont  incapables  :  comme  d'un  homme  qui  est 
à  demi  ivre,  et  qui  ne  considère  pas  ce  qu'il  fait,  d'un  mo- 
ribond ,   à  qui  on  fait  dire  tout  ce  qu'on  veut  ,  ou  d'une 


106  SEUMUiN  CCLXX 

femme  ,  qui  ue  s  oblige  que  par  contrainte  ,  et  erainiedc 
son  mari  ;  si  vous  cachez  les  testaments  ou  d'autres  pièces 
nécessaires  au  bon  droit  d'une  des  parties,  et  qui  termine- 
raient le  procès  ;  si  vous  ne  faites  bien  entendre  aux  par- 
tics  ce  à  quoi  elles  s'obligent  ,  avant  de  les  faire  signer. 
Un  petit  artisan,  un  pauve  villageois,  une  petite  femmelette 
n'entendent  rien  à  vos  termes  de  droit.  Vous  devez  bien 
leur  faire  savoir  à  quoi  ils  s'engagent  autrement ,  à  mesure 
que  vous  signez  ce  transport ,  cette  cédule ,  vous  cédez  , 
vous  transportez  et  vous  engagez  votre  ame  au  diable  ; 
encore  plus  si  vous  faites  quelque  fausseté,  pour  quelque 
raison  que  ce  soit.  Les  faussaires  sont  appelés  dans  l'Ecri- 
ture ,  enfants  du  diable ,  (3.  Ileg.  21 .  13.)  hommes  dia- 
boliques :  ils  font  le  métier  de  Satan  ,  ils  accomplissent  ses 
désirs ,  ils  exécutent  ses  desseins  ,  ils  lui  servent  d'inslru- 
ments  pour  diviser  l'unité  ,  troubler  la  paix  ,  rompre  la 
charité  qui  était  entre  les  enfants  de  l'Eglise,  ils  s'opposent 
à  Jésus ,  et  empêchent  qu'il  n'obtienne  l'effet  de  la  prière 
qu'il  fit  la  veille  de  sa  mort ,  demandant  que  tous  les  chré- 
tiens ne  soient  qu'une  même  chose  par  concorde  et  charité  : 
Ut  omnes  unum  sint ,   dit  S.  Cyprien. 

F.  —  (Tertia,  Negligentia  litigantmm.)'L&ûm\AY* 
cité  aussi  des  parties  ,  et  la  négligence  dans  leurs  propres 
affaires,  produisent  souvent  des  procès;  si  dès  le  commence- 
ment vous  faisiez  bien  vos  affaires  avec  précaution  et  sûreté, 
vous  ne  seriez  pas  après  en  peine.  La  défiance  est  la  mère 
de  sûreté  ;  il  ne  faut  mal  juger  de  personne ,  mais  il  est 
permis,  et  c'est  prudence  de  vous  défier  de  la  vie,  de  lamé- 
moire  ,  de  la  persévérance  de  votre  prochain  ;  ces  enfants 
dont  vous  êtes  tutrice  peuvent  mourir,  ou  mettre  en  oubli 
ce  que  vous  leur  donnez  ;  écrivez  ,  et  faites  leur  signer  tout 
ce  que  vous  faites  pour  eux.  Ce  marchand  est  maintenant 
homme  de  bien  et  votre  ami,  mais  il  peut  changer;  prenez 
un  acquit  de  ce  que  vous  lui  payez.  Vous  payez  votre  créan- 
cier ,  retirez  votre  cédule  ;  il  n'a  pas  maintenant  la  com- 
modité; il  vous  promet  de  vous  la  rendre  demain;  demain 
il  ne  sera  pas  au  logis,  il  peut  mourir  dans  huit  jours ,  [et 


paocft*.  107 

\  ne  puvrrioi  prouver  qui  vous  Pavez  pavé  $  ne  (Ayez 
en  lirer  quittance  ^  et  quand  vous  connaisses  un 
homme  de  mauvaise  conscience,  n'entrez  pas  en  aflfciro 
IVûC  lui;  il  J  I  presque  toujours  dans  chaque,  paroisse 
quelque  homme  rusé  et  avaricieux,  qui  est  M  vrai  loup- 
garouà  tout  le  voisinage*  Les  loups  communs  ue  mangent 
que  les  brebis  ,  ces  loups-garous  dévorent  les  hommes;  ces 
h  ups  de  ville  ravagent  les  familles  entières  :  ou  les  appelle 
loups-garous  comme  qui  dirait  gardez-vous  ;  gardez-vous 
do  les  approcher)  de  vous  associer  à  eux,  d'exercer  avec  eir; 
quelque  commerce;  ils  désolent  et  dévorent  tous  ceux  qui 
ont  aîîaiie  à  eux  :  Non  confondus  cttm  ri/v  ivcupletc  , 
Hé  forit  contra  constituât  litem  tiùù  (  Eccli.  8.  2,  ) 
G.  —  (  Quarto,  Araritia.  )  Dans  S.  Lue,  (l!2.  13.) 
le  Fils  de  Dieu  en  prêchant  au  peuple,  fut  interrompu  par 
un  île  ses  auditeurs  ,  qui  lui  dit  :  Maître,  commandez  à 
mon  l'ivre  qu'il  me  donne  la  part  de  l'hérédité  qui  est  à  nous 
deux.  Le  Sauveur  lui  répondit  :  Qui  m'a  établi  votre  jligB  ? 
qui  m'a  donné  la  charge  de  faire  le  partage  de  nos  mens  ? 
ne  voulant  pas  nourrir  parmi  eux  l'esprit  de  division  ;  puis 
quittant  le  sujet  qu'il  avait  commencé  de  traiter,  il  leur  dit  : 
Cureté  abomni  auuritî a  :  Gardez- vous  de  toute  avariée; 
car  quand  un  homme  est  dans  l'abondance,  sa  vie  ne  con- 
siste pas  dans  la  possession  de  ses  grands  biens  :  Quia  in 
abunduntia  cujusquam  rita  cjus  est  ex  his  quœ  possi~ 
de  t.  Il  donne  à  entendre  par  ces  paroles  ,  que  si  vous 
plaidez  pour  autre  sujet  que  pour  ce  qui  est  précisément 
ssaire  à  la  vie,  il  y  a  danger  que  ce  ne  soit  par  avarice  ; 
et  il  ne  dit  pas  seulement  :  Gardez-vous  de  Pavanée,  mais  : 
De  toute  avarice,  comme  s'il  disait  :  Il  y  a  deux  suites 
d'avariée,  L'une,  par  laquelle  vous  dérobez  ou  convoitez  le 
bien  d'autrui;  l'autre,  pur  laquelle  vous  ètei  trop  attaché  et 
trop  affectionnée  votre  propre  bien,  à  un  bien  qui  ne  voul 
est  pas  nécessaire,  qui  vous  est  superflu  .  cl  ne  sert  qu'û 
vous  élever  et  agrandir,  et  par  cette  a  (ectiou  déréglée,  vous 
plaidez  pour  peu  de  chose  ,  nous  rompe/  la  cliurité  ,  vois 
>ous  impatientai 


108  SERMON  CCLXXIX. 

H.  — (2°  Causœ  quœ  nutriunt  lites  :  Prima,  Per- 
tinacia.  )  Après  ces  quatre  mères  qui  enfantent  les  procès, 
il  y  a  trois  nourrices  qui  les  fomentent  et  les  prolongent. 
La  première,  c'est  l'opiniâtreté,  qui  est  d'autant  plus  invin- 
cible et  inébranlable,  qu'elle  semble  être  fondée  en  raison; 
elle  se  couvre  du  prétexte  du  zèle  de  justice  :  Ce  n'est  pas 
moi  qui  suis  l'aggresseur,  je  ne  fait  que  défendre  mon  droit; 
il  possède  mon  bien  injustement,  il  me  fait  le  plus  grand 
tort  du  monde;  à  chacun  le  sien  ,  ce  n'est  pas  trop;  il  y  a 
autant  de  péché  à  laisser  perdre  son  bien  ,  qu'à  dérober 
celui  d'autrui;  Dieu  sait  bien  mon  innocence,  il  me  gardera 
mon  bon  droit.  Qui  vous  l'a  dit  ?  vous  l'a— t— il  jamais  pro- 
mis ?  l'a-t-ii  jamais  promis  aux  chrétiens  ?  l'a-t-il  gardé  à 
Symmaque,  à  Boèce,  aux  saints  martyrs,  à  son  propre  Fils  ? 
C'est  aux  juifs  qu'il  promettait  de  le  garder  ,  et  non  aux 
chrétiens  ;  autrement  le  grand  Turc  aurait  le  bon  droit  de 
son  côté  :  dans  toutes  les  croisades  qu'on  a  faites  contre 
lui,  il  a  presque  toujours  eu  le  dessus  et  l'avantage.  Il  y  a, 
dites-vous  ,  du  péché  à  perdre  son  bien  !  oui ,  à  le  perdre 
dans  les  cabarets  ,  dans  les  brelans ,  dans  les  débauches , 
dans  les  procès  follement  entrepris  ;  à  le  laisser  perdre  par 
oisiveté  et  fainéantise  ;  mais  de  dire  qu'il  y  a  du  péché  à 
le  laisser  perdre  ,  plutôt  que  de  rompre  la  paix  avec  votre 
prochain,  en  plaidant  contre  lui  pour  avoir  ce  qu'il  vous 
retient  injustement,  c'est  la  plus  fausse  maxime  qui  puisse 
sortir  de  la  bouche  d'un  chrétien.  L'Evangile  dit  tout  le 
contraire  en  paroles  expresses  et  formelles  :  Quid  aufert 
quœ  tua  sunt  ne  répétas,  (  Luc.  6.  30.  )  Si  l'on  vous 
ôte  ce  qui  vous  appartient  ne  le  répétez  pas  ,  dit  notre 
Sauveur  ;  et  son  apôtre  ,  aux  Corinthiens ,  ajoute  :  Jam 
quidem  omnino  delictum  est  in  vohis  ,  qnod  judicia 
habetis  intervos.  Quare  non  magis  injuriam  accipitis? 
Quarenon  magis  fraudem  patimini?  (  Cor.  6.  7.  )  Ne 
tous  flattez  point  vous-mêmes;  ayant  des  procès  entre  vous, 
vous  montrez  bien  que  vous  êtes  éloignés  de  la  perfection  du 
christianisme,  et  en  cela  vous  péchez  assurément  Pourquoi 
tfendurç,z-vous  pas  plutôt  que  Ton  vous  outrage,  que  l'on 


PROCÈS,  -J  VI 

Irompe,  ,-,•  ,,,„•  i\,„  vous  ,\,,nil,  ,.t.  ,,ni  you .  (,  ,  (]fi  ,  ]  .. 
'emêmçépl(re,(Cor.  13s  ',.  ) parlant  de  la  charité 
s  laquelle  nous  ne  sommes  rien,  il  dit  que  l'âme  qui  eu 
2  ',"",','  ? '  iwtiente,  débonnaire ,  ne  cherche  pas  ses  in- 
n-.vis;  ,u,  Saml-Espril  par  la  bouche  ,1»  Sage  ,  (  Eecie. 
i.  il.  J  dit  :  Noli  etemultumjustua  :  neque tmUu 
*™*M™  '  7/  ^  soyez  pas  trop  juste,  ni  plus 

sage  qu  il  ne  faut.  Souvenez-vous  de  ce  qu'a  dit  notre  Sau- 
reur,  quon  nous  mesurera  de  la  même  mesure  dont  nous 
aurons  mesuré  les  autres.  Nous  aurons  grand  besoin  que. 
Uieu  ne  soi)  pas  seulement  juste,  mais  aussi  qu'il  soit  ho, . 
ei  miséricordieux,  el  que  sa  miséricorde  prédomine  et  sur- 
monte» justice.  Où  serions-nous,  si,  il  y  a  plus  de  v,nKc 
ans,  ,[  „  eût  été  que  juste  à  notre  égard?  si  vous  files  pom- 
lUeuz  a  demander  à  la  rigueur  et  à  conserver  votre  droiÉ, 
tas  |0!  le,  el  non  miséricordieux  ;  Dieu  vous  mesurer» 
même  mesure,  il  exercera  envers  vous  sa  justice,  et 
«corde  ,   il  demandera  tous  ses  droits  et  vous 
.  Comme  il  dit,  jusqu'à  la  dernière  maille.  .h,-,~ 
l:a".s!  ™  fait  à  celui  quirn'aura  point  usé 

''•'.  miséricorde ,  dit  S.  Jacques.  Supposez  que  ce  ne  soie 
q»  un  conse.  de  ne  point  plaider,  et  que  vous  ne  soyez  pas 
der  votre  droit  et  de  perdre  votre  bien:  .nais  s'il 
question  de  peu  de  chose,  n'est-ce  pas  contre  la  pra- 
contre  l'esprit  de  pauvreté  que  tous  les  chrétiens 
fent  avoir,  de  vouloir  encourir  mille  inconvénients  que 
' ,   procès  apportent ,  plutôt  que  de  perdre  un  peu  de  bien  ? 
ets  1 affaire  est  grave  ne  vaut-il  pas  mieux  prendre  de-, 
os  qu,  la  terminent  en  peu  de  temps  et  à  l'amiable  , 
de  la  conl,er  a  des  gens  de  palais  ,    qui  la  tireront  en 
ueur  .  el  vous  consommeront  en  frais  de  justice  ? 
•        Seeunda,  Procuratorum  avaritia.)  La  seconde 
cause  qu,  nourrit  les  proc  ia  CUpjdiw  des  procureu- 

;  ^t^csgensdejus.ice,Vi,ponrPpêeàer7n 

•wble,  et  faire  valoir  le  métier  inventent  mille  moyens 

«uses  en  longueur,  demandent  ou  accor- 

■      'oseillent  d'appeler  ou  a'évoqqp? 


x 


HO  SERMON  CCLXXIX. 

injustement  à  un  tribunal  supérieur  pour  vexer  la  partie  ; 
il  faut  l'appeler  à  Paris,  disent-ils,  c'est  une  veuve  qui  n'y 
pourra  aller  qu'à  grands  frais,  elle  a  trois  ou  quatre  enfants  ; 
c'est  un  artisan  qui  ne  voudra  pas  quitter  sa  boutique ,  il 
sera  contraint  de  venir  à  noire  désir. 

Que  dites-vous  de  ces  chirurgiens,  qui,  à  la  vérité, 
n'augmentent  pas  le  mal ,  mais  pouvant  guérir  en  peu  de 
temps  une  plaie ,  l'entretiennent  des  mois  et  des  années  en- 
tières ?  ne  pèchent-ils  pas  contre  la  foi  publique ,  contre  les 
lois  de  la  société  humaine  ?  ils  ne  font  tort  qu'au  pauvre 
patient  ;  et  vous  incommodez  les  deux  parties ,  quand  par 
négligence  ou  par  malice,  par  incident  sur  incident,  et 
formalités  prétendues,  vous  prolongez  et  multipliez  les 
procès  ,  au  lieu  de  les  terminer  ;  vous  demandez  ou  donnez 
des  remises  superflues  ,  des  quinzaines  sur  quinzaines.  Ne 
pensez-vous  pas  être  obligés  à  restitution ,  si  au  lieu  d'ex- 
pédier les  clients ,  vous  vous  amusez  à  passer  votre  temps  ? 
vous  êtes  paresseux  de  vous  lever  et  de  travailler ,  vous  êtes 
cause  que  les  pauvres  parties  qui  sont  de  loin ,  qui  ont  des 
terres  à  cultiver,  des  femmes  et  des  enfants  à  nourrir  de 
leur  travail ,  sont  retardés  de  huit  ou  quinze  jours ,  font  de 
grands  frais  dans  une  hôtellerie. 

L.  —  (Tertia,  Vindicta  liUgantium.)  L'animosilé 
aussi  et  l'esprit  de  vengeance  éternisent  souvent  les  procès; 
on  est  content  de  se  brûler  pour  échauffer  les  autres  :  J'en 
aurai  ma  raison ,  il  s'en  repentira ,  il  s'en  mordra  les  doigts, 
il  en  portera  la  folle-enchère  ;  je  ne  veux  point  qu'il  me 
brave ,  j'y  dépenserai  jusqu'à  ma  chemise ,  jusqu'à  la  paille 
de  mon  lit.  C'est  cet  esprit  opiniâtre  ,  cet  esprit  d'orgueil 
et  d'animosité  qui  anime  ordinairement  les  plaideurs,  et  ils 
ne  s'en  aperçoivent  pas ,  parce  qu'il  se  cache  sous  l'appa- 
rence du  zèle  de  justice  ;  mais  tout  ce  que  vous  faites  dans 
votre  procès  par  cet  esprit  ne  vaut  rien  devant  Dieu  ;  quand 
vous  fournissez  vos  pièces  ,  vous  péchez  ;  quand  vous  in- 
struisez votre  avocat,  vous  péchez  ;  quand  vous  courtisez  vos 
juges ,  vous  péchez ,  parce  que  toutes  ces  actions  procèdent 
d'un  mauvais  principe. 


Di  s  PROCES.  1  1  t 

m  (  i  ndi  m  i'i  Mil  m.  —  Effectué  litium, 

M.  —  Damna iemporalia.)  Elles  vous  nuisent,  non- 
leulemenl  dans  votre  bien  spirituel ,  niais  même  dans  votre 
bien  temporel ,  car  il  arrive  très  souvent  que  vous  dépenseï 
plus  en  trais  de  justice,  que  ee  qui  esl  en  question  ne  vaut; 
au  lieu  que  si ,  pour  l'amour  de  Dieu  et  pour  nourrir  la  paix 
avec  votre  prochain ,  vous  quittiez  tout,  le  Dieu  de  paix 
tous  en  ferait  gagner  beaucoup  plus  par  les  secrets  ressorts 
de  sa  providence  adorable  ,  témoin  le  saint  patriarche  Abra- 
ham. (Gen.  13.  7.)  Les  troupeaux  de  ce  grand  saint,  et 
ceux  de  Loth  son  neveu,  s'étant  beaucoup  multipliés,  il  y 
eut  une  dispute  entre  leurs  bergers,  à  qui  aurait  les  meilleurs 
pâturages.  Abraham,  qui  était  un  homme  débonnaire  et  pa- 
ciûque,  au  lieu  de  prétendre  à  la  prééminence,  comme  il 
!■■  pouvait  justement ,  étant  oncle  et  le  plus  âgé,  dit  douce- 
ment à  son  neveu  :  \(\  quœso^  êitjurgium  inter  me  et 
iii»i  sut/lus  :  Ne  nous  querellons  pas  pour 
lesbiem  de  ce  monde,  puisque  nous  sommes  si  proches  pa- 
!  :  je  vous  donne  la  liberté  de  prendre  toutee  que  vous 
voudrez,  et  d'aller  là  où  il  vous  plaira;  si  vous  choisissez 
le  terroir  de  la  main  droite,  j'irai  à  la  gauche,  si  vous  ai- 
mez mieux  ee  qui  est  à  la  gauche  ,  je  me  contenterai  de  ce 
qui  esl  à  la  droite.  Loth  choisit  la  terre  qui  était  aux  envi- 
rons du  lleuve  du  Jourdain  ;  on  eût  dit  assurément  qu'il 
était  le  mieux  partagé;  car  cette  terre  était  si  grasse  et  si 
fertile  ,  qu'elle  semblait  un  paradis  terrestre  :  Sicut  para- 
disus  Domini ;  (Gencs.  13.  10.)  mais  l'expérience  fait 
voir  que  ceux  qui  cèdent  leurs  prétentions  et  s^abandonnent 
à  la  providence  de  Dieu ,  pour  vivre  en  paix  avec  le  prochain, 
ont  plus  de  bonheur  et  de  bénédiction;  car,  outre  que  la 
tel  re  que  Loth  avait  choisie  fut  incontinent  après  ruinée  par 
le  feo  du  ciel,  Dieu  dit  à  Abraham  en  récompense  de  son 
esprit  de  paix  :  Portez  la  vue  si  loin  que  vous  pourrez  ,  toute 
la  lent  que  VOUS  voyez  autour  de  vous  sera  votre  apanage  ; 
y  vous  la  donnerai  en  possession^  et  j'y  bénirai  votre  pos- 
:  Omnemterram  quam  consjncis  tibidabo,  et  se- 


'I  12  SEKMON  CCLXX1X. 

minitiioin  sempiternum.  Ainsi  si  pour  l'amour  de  Dion, 
vous  aimez  mieux  perdre  un  peu  de  votre  bien ,  que  de 
plaider  contre  voire  prochain,  Dieu  vous  bénira  et  vous  ré- 
compensera de  cette  perte  par  les  voies  que  vous  ne  savez  pas, 
parce  qu'en  évitant  ee  procès  ,  vous  avez  évité  mille  péchés 
qui  vous  eussent  fait  perdre  la  grâce  de  Dieu  pour  un  peu 
de  bien  temporel ,  que  peut-être  vous  reçussiez  pas  obtenu  ; 
car  l'expérience  fait  voir  que  l'issue  des  procès  est  fort  in- 
certaine ,  qu'il  n'est  rien  de  si  mal  assuré  que  ce  qui  dépend 
de  l'opinion  et  de  la  volonté  des  hommes.  La  justice  est 
comparée  à  une  ceinture  :  Justifia  cingulum  lumhorum 
ejus ;  (Isa.  14.  5.)  mais  dans  les  tribunaux  de  ce  monde, 
il  est  quelquefois  du  jugement  des  hommes  ,  comme  de  la 
ceinture  des  femmes  qui  penche  toujours  du  côté  de  la  bourse, 
et  par  conséquent  du  côté  gauche. 

N.  —  ($piritualia.)Lesb\ej\s  temporels  auxquels  vous 
pouvez  prétendre  par  ces  procès  sont  fort  incertains ,  et  les 
maux  spirituels  qui  en  arrivent  sont  presque  infaillibles  5 
car  ce  proverbe  commun  n'estque  trop  véritable  :  Dans  une 
livre  de  procès  il  n'y  a  pas  une  once  d'amitié  ;  ce  ne  sont 
pour  l'ordinaire  que  des  haines ,  des  rancunes,  des  envies , 
des  querelles  de  rage,  de  colère  et  d'inimitiés  contre  ceux 
qui  plaident  ;  toutes  les  fois  que  vous  voyez  votre  adverse 
partie  ,  ou  quelqu'un  de  ses  gens ,  vous  le  souhaitez  à  cent 
pieds  dans  terre  ,  vous  le  donnez  au  diable,  vous  formez  des 
desseins  de  vengeance.  Il  me  paiera  mes  intérêts ,  mes 
voyages,  je  ne  lui  en  rabattrai  pas  un  sou,  j'aurai  des  let- 
tres monitoires ,  je  le  ferai  excommunier.  Vous  parlez  mal 
de  lui ,  vous  le  faites  noir  comme  un  démon.  Cest  un  voleur, 
il  me  coupe  la  gorge  à  moi  et  à  mes  enfants ,  il  sera  damné 
comme  Judas.  Ecoutez  parler  ceux  qui  plaident,  vous  diriez 
qu'ils  sont  les  plus  innocents  du  monde,  que  leur  adverse 
partie  et  les  juges  qui  les  ont  condamnés  sont  les  plus  in- 
justes et  les  plus  méchants  hommes  du  monde;  et  ce  sont 
eux-mêmes  qui  commettent  mille  injustices,  ou  d'effet  ou  de 
volonté  ;  ils  font  des  supercheries  ,  ils  falsifient  des  écritu- 
res ;  jurent  avec  mensonge  ou  équivoque,  refusent  de  payer 


DES  PItOi  1  ié> 

ce  qu'ils  doivent ,  int<  rjcltenl  des  appels  inutiles,  subornent 
Emoins,  trompent  les  avocats,  séduisent  kou  corrom- 
pent les  juges,  s'il  leur  es!  possible, 

O.  —  (  Etema.)  Ces  crimes  el  autres  semblables  vous 
engagent  à  la  damnation  irréparablement  et  sans  ressource, 
vous  et  vos  enfants  ou  héritiers ,  car  vous  êtes  obligé  à  la 
restitution  de  tous  les  dommages  et  intérêts  de  ce  procès 
mal  entrepris,  mal  poursuivi,  mal  jugé  cl  quelquefois  à  la 
restitution  de  l'intérêt  des  intérêts;  si  la  partie  injustement 
vexée  eût  fait  profiter  ce  que  vous  lui  avez  volé  ,  et  si  vous 
ne  faites  cette  restitution ,  vos  héritiers  le  sachant  sont  obli- 
gés de  la  faire  ,  et  faute  de  cela  ,  point  d'absolution  valide, 
point  d'assurance  de  salut  ni  pour  vous  ni  pour  eux. 

T E  KT HJM    P U  -N  Cl L  M .  Rêm cdlCl . 

P.  —  [Cansulere  fidem.)  Pour  éviter  ces  malheurs, 
avant  d'entreprendre  uw  procès ,  consultez  ce  que  la  foi, 
l'expérience,  la  prudence  vous  dictent  sur  une  entreprise  si 
dangereuse.  Qui  vult  tecutn  juàicio  contendere  ,  et  tol- 

Lre  tuniann  fit  a  m  ,  dirait  U  ci  cl  pal  Hum  :  (Mat.  5.  /|0.) 
Si  quelqu'un  vous  intente  un  procès  pour  avoir  votre  robe, 
donnez-lui  encore  votre  manteau  plutôt  que  de  plaider, 
i'it  N  ttre-Sauveur.  Audi  Apostolum  cum  imperio  rcqis 
tibteinantem  ,  dit  S.  Bernard,  (llomil.  super  m  issu  s.  ) 
le  héros  de  Jésus  qui  public  à  son  de  trompette  son  ordon- 
nance. C'est,  dit-il,  un  péché  parmi  vous  que  vous  ayez  i\cs 
procès  :  I .  Cor.  6.  7*)  Beatus  qui  leyens  Scripturam, 
rerbavertit  in  opéra  :  Bienheureux  celui  qui  ayant  ré- 
criture, ne  se  contente  pas  de  la  lire,  mais  encore  a  soin 
do  la  mettre  en  pratique  ;  c'est  ce  que  firent  sagement  les 
Corinthiens  ;  ils  profitèrent  tant  de  cet  avertissement  de 
S.  Paul,  que  dans  la  seconde  épltre (2.  Cor.  11.  19.) 
qu'il  leur  écrivit,  il  leur  donna  celte  louange  :  «  Liben- 
<(  ter  raflertis  insipientes  ,  cum  sitis  ipsi  sapientes  ;  susti- 
.(  netis  enim  si  quis  vos  in  servitutem  redigit ,  si  quis  dé- 
vorât, si  quis  accipit,  si  quis  extollitur ,  si  quis  in  faciem 
vos  c  edit  :    Etant  extrêmement  sages  vous  supportez  avec 


4  14  SERMON  CCLXX1X . 

patience  ceux  qui  ne  le  sont  pas,  et  certes  le  joug  que  je  veux 
vous  imposer  n'est  pas  aussi  rude  que  celui  où  vous  vous 
êtes  soumis ,  car  que  quelqu'un  vous  réduise  dans  une 
cruelle  captivité,  qu'il  dévore  vos  biens  par  son  avarice  in- 
satiable, qu'il  prenne  à  plaines  mains,  qu'il  vous  traite  avec 
insolence,  vous  méprise ,  vous  outrage  et  vous  comble  d'i- 
gnominies ,  vous  l'endurez  patiemment ,  et  vous  ne  laissez 
pas  de  l'honorer  ;  nous  devons  les  imiter  pour  assurer  no- 
tre salut. Voici  ce  qu'en  disent  les  Saints;  S.  Chrysostôme  : 
«  Frater  cum  fratre  judicio  contendit ,  et  hoc  apud  infi- 
«  deles;  duplex  est  crimen  ,  et  quod  judicio  contendit,  et 
«  quod  apud  infidèles  :  si  enim  per  se  est  peccatum  cum 
«  fratre  judicio  contendere  ,  etiam  apud  externos  conlen- 
«  dere;  non  dico,  inquit,  aliquis  injuriam  facit,  aut  aliquft 
«  injuriam  patitur  ;  jam  eo  ipso  quod  judicio  contenditur  ; 
«  uterque  maie  audit  ,  et  in  hoc  non  est  alius  alio  major  : 
«  ne  dicas  ergo  quis  fecit  injuriam  ?  hinc  enim  te  condemno, 
«  ex  eo  quod  judicio  contendas  :  si  est  autem  crimen  quod 
«  ferre  non  possit  eum  qui  facit  injuriam  ,  etiam  injuriam 
«  facere  quanta  dignum  est  accusatione?  »  (S.  Chrys.  ho- 
me!. 16.  in  2.  ad  Cor.  paulo  ante  médium.)  S.Paul  dit  en 
se  plaignant  :  Un  chrétien  plaide  contre  un  autre  chrétien  , 
et  même  devant  des  juges  païens  ;  et  S.  Chrysostôme  ajoute: 
C'est  un  double  crime  en  ce  qu'il  plaide  et  en  ce  qu'il  le 
fait  devant  des  juges  païens  ;  car  si  c'est  un  péché  de  plai- 
der contre  votre  frère  chrétien  ,  c'en  est  un  bien  plus  grand 
que  de  le  faire  devant  des  étrangers  ;  je  n'insiste  pas  sur  ce 
que  l'un  a  droit  et  l'autre  tort ,  mais  sur  ce  qu'ils  plaident 
l'un  contre  l'autre ,  et  en  ce  sujet  tous  deux  font  mal  ,  et 
l'un  n'est  pas  meilleur  que  l'autre  ;  ne  me  dites  donc  pas  ; 
Je  n'ai  pas  tort ,  car  je  vous  condamne  ,  même  de  ce  que 
vous  plaidez  ;  et  si  c'est  un  péché  de  ne  pouvoir  souffrir 
celui  qui  vous  fait  tort,  quel  bîâutf  mérite  celui  qui  fait  tort 
à  son  prochain  ! 

{Experientiam.)  L'expérience  fait  voir  que  ce  conseil 
de  Jésus  n'est  pas  seulement  utile  pour  le  salut  et  la  per- 
fcclioii  de  l'amc ,  mais  aussi  pour  les  biens  temporels  et 


Dfifl  PROCÈS.  1  15 

pour  l'avancement  de  notre  fortune  ;  il  n'est  rien  de  si  fatal 
à  une  famille  qu'un  procès,  les  plus  sages  avoeats  et  autres 

gens  de  palais,  qui  savent  ce  que  c'esl  du  métier,  n'en  ont 
i-'inais  pour  eux-mêmes  ,  sinon  en  leur  corps  défendant  et 
par  une  nécessité  inévitable.  Le  jurisconsulte  a  dit  avec 
raison  que  celui-là  ne  doit  pas  être  blâmé  ,  il  faut  encore 
dire ,  mais  beaucoup  estimé  et  loué  ,  qui  a  les  procès  eu 
horreur  :  Liiea  esterons  non  est  nttuperandus  y  lilium 
frolixitatem  amputarê  convenu  ad  publicam  utilita- 
tcm.  Abstint  a  lits  ,  et  minues  pecca/a.  (  1.  Item  si  res 
§  iinali  de  alienationc  judieii ,  l.  1 .  c.  de  novo  codice  fa- 
ciemlo  Eeeli.  '28.  10.)  Nous  pouvons  dire,  minues  curas, 
minues  damna,  minues  peccata. 

(Prudentiam .)  Quand  vous  avez  des  procès,  vous  êtes 
rempli  de  soucis  et  de  peines  d'esprit,  votre  pauvre  cœur 
m  accablé  d'inquiétude  ,  et  d'empressement  ;  c'est  un 
lie-matin  qui  trouble  votre  repos,  c'estdu  fiel,  qui  dé- 
trempe en  amertume  toute  votre  nourriture,  une  épine  qui 
Vous  déchire  de  distractions  en  vos  oraisons  ;  c'est  un  em- 
barras qui   occupe  votre  esorit  jour  et  nuit  :  Dies  diei 
éructât  /item,  et  nox  nocti  indicat  malitiam.  (S.  Bern. 
ad   Eugenium.  )  Quand  les  Turcs  souhaitent  du  mal  à 
quelqu'un,   ils  disent  :  Que  tu  n'aies  pas  plus  de  repos 
que  le  chapeau  d'un  Français  ;   ils  devraient  dire  :  Que 
l  d'un  Français  qui  plaide;  ce  chapeau  a  un  peu  de 
repos,  au  moins  la  nuit,  ce  pauvre  esprit  ne  repose  jamais, 
ni  le  jour,  ni  la  nuit,  ni  en  dînant,  ni  en  soupant.  Vous  ne 
pensez  qu'à  cette  chicane,  vous  vous  alambiquez  le  cerveau 
à  chercher  des  inventions  pour  surprendre  ou  n'être  pas 
surpris  ;  vous  ruinez  votre  santé,  consommez  votre  temps, 
gez  votre  famille  ,  laissez  en  arrière  vos  affaires,  ou- 
ïe service  de  Dieu;  vous  perdez  la  giai^uiesse,  les 
sermons  pour  solliciter  cette  maudite  affaire; 
vous  imaginez  en  voir  la  fin  dans  six  mois,  et  on  vous 
croire  pour  vous  y  embarquer  :  et  vous  ne  la  verrez 
de  mx  ans.  C'est  d'un  procès  comme  de  la  renommée  :  Mo- 
bililate  riyet ,  riresque  aequirit  eund«*  c'est  comme 


1  lf>  SERMOM  CCLXX1X. 

des  boules  de  neige  qui  grossissent  à  mesure  qu'ils  roulent  ; 
les  incidents  vous  arrêtent  plus  que  le  principal ,  les  frais 
sont  plus  grands  que  ce  qui  est  en  question.  En  ce  jeu  des 
insensés  qui  gagne  perd  ,  pour  l'ordinaire  ;  mais  celui  qui 
perd  ne  gagne  rien;  et  quand  vous  gagneriez  le  principal 
et  tous  les  frais  que  vous  y  aviez  faits,  ce  qui  n'arrive  jamais 
ou  fort  rarement ,  quel  est  ce  gain  pour  être  comparé  au 
moindre  degré  de  vertu  et  de  grâce  que  vous  auriez  acquis 
par  les  sacrements ,  prières,  autres  bonnes  œuvres  dont  ce 
procès  vous  a  interdit  l'exercice  ?  Quid  prodest  homini,  si 
universum  mundum  lucretur;  animœ  vero  suce  detri* 
mentum  patiatur?  Du  temps  de  S.  Augustin  ,  il  y  avait 
en  Afrique  un  proverbe  qui  disait  :  La  peste  vient-elle  à 
votre  porte  vous  demander  l'aumône  ,  au  lieu  d'un  sou 
qu'elle  demande,  donnez-lui-en  quatre  et  qu'elle  s'en  aille. 
Faites  de  même  à  un  chicaneur ,  dit  S.  Augustin  ;  (hom. 
\  0.  ex  50,)  c'est  une  peste  qui  gâte  tout  ;  s'il  vous  demande 
vingt  livres  donnez-lui-en  trente  et  qu'il  vous  laisse  en 
repos,  vous  y  gagnerez  plus  ;  c'est  comme  un  abcès,  vous 
désirez  qu'il  sorte  bientôt ,  quoiqu'il  emporte  un  peu  de 
votre  peau  :  vous  serez  délivré  de  la  douleur  que  vous  en 
souffrez,  la  peau  reviendra  petit  à  petit,  dit  le  même  Saint  : 
Abstine  a  llte  et  minues  peccata  ,  (S.  Aug.  ibidem.) 
fuyez  les  procès  et  vous  vous  rachèterez  de  plusieurs  pé- 
chés. Comme  l'eau  éteint  Je  feu  ,  ainsi  l'aumône  délivre  clu 
péché  ,  dit  le  Saint-Esprit  ;  perdre  plutôt  votre  bien  que 
d'entreprendre  un  procès,  c'est  une  aumône  que  vous  faites 
à  votre  prochain  et  à  vous-même  ;  c'est  une  œuvre  de  mi- 
séricorde spirituelle,  aumône  d'autant  plus  salutaire,  d'au- 
tant plus  excellente,  d'autant  plus  méritoire,  d'autant  plus 
agréable  à  Dieu  ,  (sue  l'âme  est  plus  que  le  corps ,  le  ciel 
plus  que  la  terre,  les  choses  éternelles  plus  que  les  péris- 
sables. S.  Chrysoslôme  vous  déclare,  que  si  vous  laissez  à 
votre  frère  ou  à  votre  prochain  cette  rente  ,  cet  héritage  , 
cet  argent  qu'il  vous  retient  injustement ,  plutôt  que  àî 
plaider  et  de  passer  deux  ou  trois  ans  en  inquiétude  ,  tra- 
cas, inimitiés ,  vous  faites  une  action  plus  méritoire  et  plus 


dks  pno<  ksi  1 1 T 

iMe  à  Dieu  ,  quo  si  vous  donniez  cet  argent  aux  pau~ 

vio,  cet  héritage  à  l'hôpital,  quoique  votre  frère  soit  plus 

riche  que  vous.  Le  Sauveur  ne  dira  pas  de  vous  au  juge- 
ment :  Ce  que  vous  aurez  fait  aux  pauvres ,  mais  :  Ce  que 
vous  aurez  fait  à  un  seul  des  miens  ,  vous  me  Pavez  fait  ; 
(Malth.  25.  'i0.v  et  eu  s.  Mare,  (1 0. 29.)  il  dit  que  celui 
qui  quittera  quelque  chose  pour  l'amour  de  lui  et  de  l'E- 
vangile ,  en  recevra  cent  fois  autant  en  ce  monde,  et  la  vie 
éternelle  en  l'autre  ;  si  donc  vous  laissez  à  votre  prochain 
quoi  que  ce  soit  de  voire  bien  pour  L'amour  de  Jésus ,  et 
pour  obéir  au  conseil  qu'il  vous  en  donne  dans  l'Evangile, 
il  est  obligé  de  tenir  ses  promesses,  et  il  n  y  manquera  pas; 
vous  dites  qu'il  va  autant  de  péché  de  perdre  son  bien  que 
de  dérober  celui  d'au  h  ni ,  cela  est  très  faux  ;  mais  quand  il 
serait  vrai  ,  est-ce  perdre  votre  bien  ,  que  de  le  laisser  à 
votre  prochain  pour  avoir  la  paix?  tant  s'en  faut  qu'il  y  ait 
du  péché  à  lui  donner  votre  bien  ,  qu'au  contraire  dans  un 

n  vous  seriez  obligé  de  lui  donner  votre  vie.  S.  Jean 
vous  le  déclare  :  Et  nos  debemus pro  fratribuâ  animas 
ponere. 

'  plutôt  à  plaider  qu'il  y  a  du  danger  de  pécher;  il 
est  vrai  qu'il  est  quelquefois  permis  d'avoir  un  procès, 
quand  il  e-<l  question  d'une  chose  de  grande  importance, 
et  qu'on  a  affaire  à  un  esprit  déraisonnable  ,  et  qui  ne  veut 

r  dans  aucun  juste  accord;  (concil.  Agath.  cap.  31. 
S.  Aug.  in  Enrichiridio  ad  Laurent,  cap.  78.)  mais  de 
plaider  avec  opiniâtreté,  aigreur  et  animosité  pour  un  peu 
de  bien  temporel ,  ou  pour  avoir  reçu  une  injure  ;  c'est 
contre  l'humilité,  la  douceur  et  la  charité  chrétienne,  c'est 
contre  la  conGancc  que  nous  devons  avoir  en  la  providence 
de  Dieu.  S.  Augustin  (s.  237.  detempore,  ante  finem.)nous 
en  avertit  par  ces  belles  paroles  :  «  Litigare  vis  cura  inimico 
n  tuo  ,  liliga  prius  cum  corde  tuo  ;  die  animée  lux  quomodo 
m  orabo  ?  quomodo  dicam  :  Dimilte  nobis  débita  nostra  ? 
i  ji  tssum  qu'idem  hoc  dicere  sed  hoc  sequilur,  quomodo 
m  dicam  :  Sicut  et  nos  dimittimn*  ?  ubi  est  Odes ,  fac  quod 
•    dicis  ;  non  mil  dimittere  anima  tua,  et  constritatur,  quia 


1  18  SKHMOiN  CCLXXIX. 

«  dicis  eî  noii  odissc  ;  responde  illi  ;  quare  tristis  es  anima 
((  mea ,  et  quare  conturbas  me ,  noli  odisse ,  ne  perdas 
«  me,  quare  conturbas  me,  spora  in  Deo  :  »  Voulcz- 
yous  plaider  avec  voire  ennemi,  plaidez  premièrement  avec 
votre  cœur  ,  dites  à  votre  àme  :  Comment  prierai-je  Dieu  ? 
comment  dirai-je  en  ma  prière  :  Remettez-nous  nos  dettes? 
je  pourrai  bien  dire  cela  ;  mais  comment  dirai-je  ce  qui  suit  : 
Comme  nous  remettons  à  nos  débiteurs  ?  Si  vous  avez  la  foi, 
faites  ce  que  vous  dites;  votre  âme  ne  veut  pas  pardonner, 
elle  satiriste ,  parce  que  vous  lui  dites  quelle  n'ait  point 
de  haine.  Répondez-lui  :  Mon  àme,  pourquoi  ètes-vous  triste? 
pourquoi  me  troublez-vous  ?  n'ayez  point  de  rancune ,  de 
peur  que  je  ne  sois  damné  ;  pourquoi  me  troublez-vous  1 
ayez  espérance  en  Dieu. 

Le  même  S.  Augustin  dit  ailleurs  :  (Epist.  75.  ad  Auxi- 
lium  episcopum ,  sub  finem.)  Aufer  litem  ,  renova  pa- 
cem ,  ne  tibi  pereat  homo  amicus ,  et  de  vohis  gaudeat 
diabolus  inimicus  :  Quittez  ces  procès ,  achetez  la  paix  de 
peur  de  perdre  Faini tié  de  votre  prochain,  et  que  l'esprit 
malin,  votre  ennemi,  ne  vous  gagne  tous  les  deux  par  les 
inimitiés,  les  querelles,  les  dissensions,  les  malédictions, 
les  vengeances,  les  faussetés,  les  détractions,  que  les  procès 
ont  coutume  d'engendrer. 

CONCLUSIO. 

[Fer  argumenta ,  etc.)  Ne  sit  jurgium  inter  vos. 
Evitez  les  procès  puisqu'ils  sont  les  effets  d'une  si  mauvaise 
cause ,  et  qu'ils  produisent  des  fruits  si  pernicieux;  ils  pro- 
cèdent de  l'avarice ,  de  l'animosité ,  de  l'opiniâtreté;  ils  en« 
gendrent  les  haines  ,  les  médisances ,  les  injustices  ;  ils  font 
perdre  les  biens  temporels ,  les  spirituels ,  les  éternels  :  Ne 
jurgium  inter  vos,  fratres  enim  estis.  Vous  êtes  enfants 
de  même  père  qui  vous  a  recommandé  avec  tant  d'affection 
l'union  et  la  concorde  ,  qui  vous  a  dit  avec  tant  d'instance  : 
Ayez  la  paix  entre  vous  ;  qui  a  répandu  son  sang  pour  vous 
acheter  la  paix ,  et  vous  a  donné  sa  chair  pour  en  être  le 
ciment.  Ne  faites  pas  comme  les  juifs  :  LUîgabant  ergo 


DES  PROCES.  1  \lJ 

■i;  ideo  litigabant ,  amûi  panem  concordiœ  non 
intelligebant ,  dit  S.  Augustin;  Ibid.)  ils  be  compre- 
naient pas  le  mystère  de  l'eucharistie ,  qui  nous  oblige  à 
donner  nos  biens  et  notre  vie ,  plutôt  que  de  perdre  la 
charité. 

Fratres  enim  estiê,  vous  êtes  enfants  de  même  mère, 
de  l'Eglise ,  qui  est  affligée  quand  elle  voit  ses  enfants  en 
discorde  ,  prenez-la  pour  arbitre  de  vos  différents  comme 
faisaient  les  premiers  chrétiens,  au  rapport  de  S.  Augus- 
tin ;  (Lib.  de  opère  Monacho.)  ils  s'adressaient  à  lYvèque 
et  s'en  rapportaient  à  ce  qu'il  en  jugeait.  Allez  à  votre  curé, 
priez— le  de  prendre  avec  lui  deux  ou  trois  hommes  intelli- 
gents et  vertueux  ,  et  qu'ils  soient  les  arbitres  de  tous  vos 
différents. 

Fratres  enim eêtis,  fraterfere  aller ,  votre  frère  chré- 
.  est  on  autre  vous— même;  je  veux  qu'il  soit  votre  dé- 
biteur d'une  pièee  d'argent  ;  vous  êtes  aussi  son  débiteur  de 
chose  bien  pins  grande,  vous  lui  (levez  la  charité  :  Ne- 
*  quidquam  deheatis ,  nisi  ul  invieem  diligatis  y  ne 
lui  refusez  pas  la  plus  grande  dette,  quoiqu'il  vous  refuse  la 
petite,  si  vous  vous  en  acquittez,  si  vous  achetez  la  paix, 
:  roui  vous  aimez  comme  frères,  vous  serez  vrais  enfants 
de  Dieu,  car  Jésus  a  dit  :  Beati  yacijici ,  quoniam  filli 
Dei vocabuntur f  et  son  apôtre  a  dit  :  Sifilii  et  hœredes  : 
Héritiers  de  Dieu  ,  cohéritiers  de  Jésus-Christ  au  royaume 
des  cieux.  Amen 


===== rgEass 

dm' 


SERMON  CCLXXX. 


DE    LA    MEDISANCE, 


y  on  furfum  faciès. 

Tu  ne  déroberas  point/(Exoa.  20.  45.) 

Puisque  la  bonne  renommée  doit  nous  è(re  plus  chère  et 
plus  précieuse  que  toutes  les  richesses  du  monde,  comme  le 
St— Esprit  nous  en  avertit  par  la  bouche  du  Sage  :  Melius 
est  bonum  nomen  quam  divitiœ  multœ  ,  nous  devons 
conclure  par  bonne  conséquence  que  ce  septième  comman- 
dement, qui  nous  défend  de  dérober  les  biens  de  notre  pro- 
chain par  rapine  ou  larcin,  nous  défend  aussi  de  lui  voler 
son  honneur  par  calomnie  ou  détraction.  Supposant  ce  que 
S.  Thomas  nous  en  a  dit  autrefois,  et  les  cas  de  conscience 
qu'il  nous  en  a  décidés  au  premier  cours  de  mission,  je  me 
contenterai  aujourd'hui  de  vous  montrer  ,  premièrement , 
la  malignité  de  ce  vice,  et  puis  je  tacherai  de  consoler  ceux 
qui  ont  été  noircis  par  les  calomnies  ou  médisances  des 
mauvaises  langues;  ce  seront  les  deux  points  de  ce  discours. 

IDEA  SERMONIS. 

Ëxordium.  À.  Per  quœ  quis  peccat ,  per  hœc  punitur. 
Primum  punctum.  In  detractorem: — B.  1°  Ejus  genium 

explicamus. — C.  2°  Causas. — D.  'S0  Effectifs. 
Sccundiim  punctum.  Pro  his  de  quibus  susurro  detra- 

/ut.'—E.V  Sciiptura.—F.  2°  Exemplis.—G.   3° 

Jlalionibus. 

EXORDIUM. 

A. — [Per  quœ  quis  peccal,  etc.)S\)r  le  chapitre  vingt- 
unième  du  livre  des  Nombres, (Num.  21.  5.)  où  il  est  dit 
que  les  enfants  d'Israël  avant  murmuré  dans  le  désert  contre 


UOfl   CCLXXX, — DB  LA  UBDISANCE.  131 

le  sainl  prophète  Moïse,  Dieu  leur  envoya  des  serpents  brû- 
lants, qui   les  punissaient  parleurs  morsures,  quelqu'un 
pourrait  demander  pourquoi  des  serpents  plutôt  que  des 
.  des  tigres,  des  lions,  «les  léopards,  qui  eussent  donné 
plus  de  frayeurà  ces  rebelles,  puisque  Dieu  leur  envoyait  ces 
châtiments  pour  les  contenir  en  leur  devoir  j>a  1*  la  terreur  des 
suppliées?  Les  interprètes  de  l'Ecriture  répondent  :  C'est 
que  la  coulpe  el  la  peine  étant  corrélatives ,  il  doit  y  avoir 
entre  elles  quelque  convenance,  dit  le  droil  canon  et  le  civil, 
(Capitulo  non  efferaraus  24.  q.  1.  1.  quae  lam  iï.  depœnis.) 
convenance,  dis-je,  en  la  qualité,  selon  cette  parole  du 
Deuléronome  :  Pro  mensitra  peccati  crit  et  plagarum 
modus\  Deut.25.2.)et  dans  F  Apocalypse:  Quantum  fuit 
in  di'Uciis,  tantum  date  illi  tormentum.  (Apoc.  18.  7.) 
Convenance  en  la  qualité,  selon  celte  parole  de  l'Exode: 
'       lumprooeuloydentempro  dente.  (Ëxod.  21.  2'i.) 
'  ui    il  •  S  >  lome  et  de  Gomorrlie  furent  con- 
s   |  ii  une  pluie  contre   nature;  car  ensila  nature  du 
nter,  el  celte  pluie  de  feu  descendit,  et  elle  était 
•  de  soufre  ardent,  qui  est  de  mauvaise  odeur,  parce 
qu'ils  étaient  adonnés  au  détestable  péché  contre  nature, 
qui  est  une  ardeur  puante  et  infâme  :  Valnus  alit  re/iis, 
et  cœco  carpitur  igni.  Ainsi  le  cruel  Pharaon   ayant  fait 
et  ou  (Ter  les  petits  enfants  mâles  des  Israélites  dans  les  eaux 
du  la  rivière  du  Nil,  fut  aussi  lui-même  abîmé,  avec  les 
ministres  de  sa  cruauté,  dans  les  eaux  vengeresses  de   la 
mer  Rouge.  Ainsi  Halo,   homme   très   riche   à  Maycnce, 
l'étant  moqué  des  pauvres  dans  un  temps  de  famine  ,  au 
lieu  de  les  assister  d  un  grenier  plein  de  blé  qu'il  avait ,  et 
leurayant  dit  qu'ils  étaient  comme  des  rats,  qui  ne  servaient 
de  rien  en  ce  monde  qu'à  manger  le  blé,  fut  tellement  per- 
lé l'une  multitude  de  rats,  que,  salant  retiré  dans  une 
tour  au  milieu  du  Rhin  pour  éviter  leurs  poursuites,  ils 
I         «'iit  la  ri\ière  à  la  nage  et    le  dévorèrent,  ou  plutôt  le 
rongèrent,  par  un  juste  jugement  de  Dieu.  (Mous  t.  Irv.  3. 
i  I  donc   furent  punis  par 

des  serpents,  p  n  ■•  [u'ils  avaient  commis  un  péché 


122  SERMON  CCI  XXX. 

de  murmure  et  de  détraction ,  et  le  serpent  a  toujours  été 
le  symbole  et  l'hiéroglyphe  de  la  médisance  :  Si  mordeat 
serpens  in  silentio,  nihil  minus  eo  habet  qui  occulte 
detrahit  :  (Eccle.  10.  11.)  Celui  qui  détracte  en  secret 
est  semblable  au  serpent  qui  mord  à  la  dérobée,  dit  le  Sage; 
le  Psalmiste  dit  :  Ils  ont  aiguisé  leurs  langues  comme  celle 
d'un  serpent  :  Acuerunt  linguas  suas  sicut  serpentis. 
(Psal.  139.  4.) 

primum  punctum.  —  In  detractorem ,  etc. 

B.  —  (]°Ejus genium ,etc.) Nous  voyons  au  commen- 
cement de  la  Genèse  ,  que  Satan  voulant  commettre  la  plus 
horrible  médisance  et  la  plus  noire  calomnie  qui  puisse  s'ima- 
giner, voulant  dire  à  la  première  femme  que  Dieu  lui  avait 
défendu  le  fruit  par  envie, "prit  la  forme  du  serpent;  et 
comme  cette  entreprise  par  ce  déguisement  lui  a  bien  réussi, 
il  a  toujours  pris  piaisir  de  se  déguiser  en  serpent,  et  d'être 
adoré  des  hommes ,  ou  de  converser  avec  eux  sous  la  forme 
de  cet  animal.  Daniel  fit  mourir  un  dragon,  auquel  les  Baby- 
loniens rendaient  des  hommages  divins,  comme  il  le  rapporte 
au  chapitre  quatorze  de  sa  prophétie.  (Dan.  14.  26.)  Nous 
lisons  dans  Pline  (lib.  29.  cap.  4.)  que  les  Romains  ado- 
raient un  dragon,  comme  si  c'eût  été  un  Esculape,  et  qu'ils 
le  firent  venir  tout  exprès  d'Epidaure  pour  être  délivrés  de 
la  peste  qui  affligeait  l'Italie.  Métaphrasle  dit  que  S.  Syl- 
vestre le  défit.  S.  Prosper  nous  apprend  (de Praedest.  part.  3.) 
qu'au  lieu  de  ce  dragon  vivant,  ils  en  firent  un  de  bois  ,  au- 
quel ils  sacrifiaient,  tous  les  ans ,  la  vie  de  quelque  pauvre 
fille  innocente.  Dion  écrit  que  l'empereur  Adrien  ayant  bâti 
un  temple  superbe  à  Jupiter-Olympien,  il  y  posa  un  grand 
dragon  qu'il  avait  fait  apporter  des  Indes  ,  pour  y  être  adoré 
comme  un  dieu.  L'esprit  malin  a  l'inclination  de  prendre  la 
figure  du  serpent ,  qui  est  le  symbole  de  la  médisance , 
parce  que  le  vice  le  plus  noir  et  le  plus  remarquable  qui  soit 
en  lui,  est  celui  de  la  détraction;  il  commit  plusieurs  péchés 
au  commencement  du  monde ,  dans  le  paradis  terrestre, 
péché  de  mensonge  :  Eritis  sicut  Du  ;  péché  d'envie  :  In  ri- 


ni    ia  MÉDISANCE.  128 

dia  diaboH  mort  introirit  in  orbem  ;  péché  d'homicide  , 
faisant  perdre  la  vie  spirituelle  et  temporelle  au  premier 
homme  :  llle  erathomxcida  ul>  initia;  pèche*  de  calomnie, 
disant  que  Dieu  était  un  envieux.  Mais  aucun  de  ces  péchés 
ne  lui  a  donné  son  nom,  que  celui  de  la  calomnie  ;  il  s  ap- 
pelle diable,  c'est-à-dire  médisant  ou  calomniateur.  S.  Paul 
(lit.  '2.  3.)  enseignant  à  un  prédicateur  les  vices  qu'il  doit 
dissuadera  ses  auditeurs,  quand  il  parle  des  femmes,  dit: 
Recommandez-leur  d'être  chastes,  caria  gloire  du  sexe 
féminin,  c'est  la  modestie  et  la  pudeur;  de  n'être  pas  sujettes 
au  vin  :  cela  est  bien  vilain  de  voir  une  femme  qui  aime  le 
vin,  car  le  père  nourricier  de  Vénus,  c'est  Bachus  ;  de  n'être 
pas  des  médisantes,  où  nous  avons  :  Non  criminalrices , 
iion  dêêraheniesj  il  y  a  au  grec  M  *i*f8*Xfrw»j  au  lieu  qu'au 

latin  il  est  dit  :  Recommandez-leur  de  n'être  pas  des 
médisantes  ;  au  texte  grec,  qui  est  le  langage  de  S.  Paul , 
ii  \  i  :  Recommandez—leur  de  n'être  pas  des  diables  ;  être 
m  médisant,  el  être  un  diable,  eYst  la  même  chose  dans 

iture;  entre  un  détracteur  et  un  serpent  de  L'enfer,  il 
n'y  a  point  de  différence.  Pour  connaître  les  rapports  et  les 
grandes  convenances  qu'il/  a  entre  le  serpent  et  le  péché 
de  médisance,  nous  devons  considérer  les  causes  et  effets 
de  ce  vire. 

C.  — (2°  Causas.)  S.  Basile  (Homil.  5.  inExameron.) 
traitant  de  la  création  du  monde  ,  croit  qu'en  i'etat  d'inno- 

etde  la  justice  originelle,  les  roses  étaient  sans  épines. 
S.  Augustin  (lib.  1 .  de  Genesi  contra  Manichœos,  cap.  1 3.) 
pense  que  les  plantes ,  qui  sont  à  présent  venimeuses  ,  no 
Pétaient  pas  en  ce  siècle  d'or.  Aussi  plusieurs  théologiens 
tiennent  pour  tout  assuré  ,  qu'avant  le  péché  du  premier 
homme  le  serpent  n'avait  point  de  venin;  au  moins  il  est 

de  controverse  ,  qu'il  n'était  pas  ennemi  de  notre  na- 

;  ce  fut  après  la  chute  d'Eve  et  de  son  mari  ,  que  le 
I  dit  au  serpent  :  Inimicitias  ponam  inter  te  et 

inuln  |  sauva   fuuni,   et  fg)M en   illius.  (  Gènes. 

Ij.  \o.  Cette  antipathie  et  inimitié  qu'il  a  contre  nous,  e.A 
i  D    punition  du  péchii ,  ainsi  la  deUaclion  n'est  jamais  le 


124  SERMON  CCLXXX. 

premier  péché ,  elle  est  un  effet  et  une  suite  de  la  haine  , 
ou  de  l'envie,  ou  de  l'orgueil,  ou  d'autres  semblables  dé-* 
règlements. 

Vous  vous  imaginez  que  quelqu'un  vous  a  désoblige  ; 
vous  avez  conçu  une  haine,  ou  une  aversion  contre  lui  ;  il 
y  a  du  fiel  dans,  votre  cœur,  il  se  répand  sur  votre  langue  : 
Charitas  operit  multitudinempeccatorum  :  La  charité 
cache  tant  qu'elle  peut  les  manquements  du  prochain  ;  elle 
est  patiente  ,  débonnaire  :  donc  quand  vous  découvrez  les 
fautes  de  votre  frère;  quand  vous  les  exagérez,  quand  vous 
en  faites  des  railleries  et  des  contes  à  plaisir;  votre  cœur  est 
vide  de  charité,  vous  séchez  d'envie  contre  votre  prochain  ; 
la  vertu,  la  science,  les  richesses,  quelques  autres  avantages 
qu'il  a  sur  vous,  vous  font  ombre  et  vous  piquent  de  jalousie. 
Siunma  petit  livor  ,  pe?  fiant  altissima  venti  :  Le  vent 
pestilent  de  la  médisance  ,  attaque  ce  que  l'envie  ne  peut 
renverser.  Vous  ne  pouvez  désavouer  la  vertu  de  voire 
prochain,  parce  qu'elle  est  trop  évidente  ;  vous  la  ravalez 
tant  que  vous  pouvez  ,  vous  tachez  de  la  flétrir  ou  de  la 
diminuer  ;  vous  ne  pouvez  éteindre  sa  science  ,  vous  la  ra- 
valez tant  que  vous  pouvez;  vous  ne  pouvez  déchirer  sa  belle 
robe,  vous  déchirez  sa  réputation;  vous  faites  que  votre  cœur 
s'élève ,  vous  vous  entiez  en  vous-même  ,  vous  êtes  ravi 
de  ce  qu'il  vous  semble  que  les  autres  sont  au-dessous  de 
vous,  que  vous  n'êtes  pas  atteints  des  vices  et  des  imper- 
fections qui  les  avilissent  :  Non  sum  sicut  cœteri  ;  vous 
êtes  bien  aise  qu'on  le  sache  ,  qu'on  apprenne  les  manque- 
ments des  autres,  qui  donnent  du  lustre  et  de  l'éclat  à  vos 
perfections  prétendues  ,  comme  les  ombres  aux  vives  cou- 
leurs en  un  tableau. 

Fera  justifia  compassionem  hahet ,  faîsa  indigna- 
tlonem,  dit  S.  Grégoire.  L'expérience  fait  voir  que  les 
plus  grands  Saints  sont  plus  tendres  à  porter  compassion  aux 
fautes  de  leur  prochain  ,  moins  clairvoyants  à  les  remar- 
quer ,  plus  enclins  à  les  excuser  ,  parce  qu'ils  ont  plus  d<? 
lumières  pour  connaître  la  faiblesse  de  la  nature  humaine  , 
plus  de  crainte  d'y  succomber  eux-mêmes  ;  ils  ressentent 


i  .  125 

veulent  leurs  propres  imperfections  ,  que  •  elles  des  au- 
;  i  ur  sei  bleui  fort  p  ;       . 

—  (  3e  Effectua*  )  De  là  viennent  les  très  fune  l  . 
-  de  ce  vice  maudit ,  très  bien  représentés  par  les  pro- 
priétés de  la  langue  du  serpent.  Lingua  serpentis  tri- 
$ulcay  dit  Pline  :  La  langue  du  serpentes!  un  trident,  qui 
a  trois  pointes;  elle  fait  (rois  blessures  en  un  seul  coup;  mais 
oui  sent  si  petites  et  si  près  Tune  de  l'autre  ,  qu'elles  ne 
semblent  qu'une  seule.  La  langue  du  médisant  en  fait 
beucoup  plus  ,  et  des  blessures  bien  plus  mortelles  ;  elle 
blesse  le  pauvre  absent,  elle,  blesse  les  assistants,  elle  blesse 
grand  nombre  d'autres  personnes.  Peut-être  que  celui  dont 
vous  parlez  mal,  est  innocent ,  et  qu'il  n'a  pas  fait  la  faute 
dont  vous  le  blâmez,  ou  s'il  l'a  commise,  peut-être  qu'il  en 
est  repentant ,  ou  s'il  ne  s'en  repent  pas  à  présent,  peut- 
être  qu'il  aura  quelque  jour  disposition  à  s'en  repentir;  s'il 
est  innocent,  vous  lui  faites  grand  tort ,  votre  crime  n'est 
pas  une  simple  détraction  ,  mais  une  calomnie,  que  David 
tout  saint  et  prophète  qu'il  était,  appréhendait  au  dernier 
point  :  Redime  me  a  calumniis  hominum;  non  calum- 
nientur  me  superbi;  tio/t  tradas  me  calumniantihua 
me.  Vous  êtes  obligé  de  vous  rétracter  ,  et  d'aller  trouver 
ceux  à  qui  vous  en  avez  parlé,  de  leur  dire  que  vous  voue 
êtes  trompé,  que  vous  savez  assurément  le  contraire.  S1ilcst 
repentant ,  en  le  décriant,  vous  lui  dérobez  en  partie  le  fruit 
de  sa  pénitence,  vous  démentez  le  bon  Dieu,  vous  empêchez 
que  sa  promesse  ne  se  vérifie  en  ce  pauvre  homme.  Il  a 
promis  par  Ezéchiel,  que  si  le  pécheur  fait  pénitence,  son 
crime  ne  lui  portera  point  de  dommage  ;  (1)  et  vous  faites 
qu'il  en  reçoit  de  très  grands,  étant  ruiné  de  réputation  par 
votre  maudite  langue,  et  même  il  peut  arriver  qu'il  en  perde 
les  biens  el  la  vie;  vous  dites  que  cette  fille  n'a  pas  toujours 
été  aussi  vertueuse  et  aussi  dévote,  qu'elle  Pest  à  présent, 
qu'elle  a  autrefois  bien  fait  parler  (Vcilc  :  cette  parole  dé- 
tournera un  bon  parti  qui  l'eût  demandée  en  mariage.  Vous 

(1)  Impictns  im^ii  non        '        ,  in  quaçutnqae  die  convenus  fucril  nu 
1   ecb.  ~)o.  \-l.) 


126  SERMON  CCLXXX. 

dites  que  cette  femme  a  été  soupçonnée  de  sorcellerie  , 
quelqu'un  parlant  après  vous  ôtera  ce  mot  de  soupçonnée  , 
et  dira  hardiment  qu'elle  est  sorcière;  ce  bruit  se  répandra 
par  tout  le  voisinage  ;  si  elle  tombe  entre  les  mains  de  la 
justice  ,  cette  mauvaise  réputation  jointe  à  quelques  autres 
indices,  portera  le  juge  à  la  condamner  à  la  question  ou  à  la 
mort,  ensuite  de  cette  maxime  des  jurisconsultes  :  Bona 
fama  aliquando  salvat  vitam  suspecti  de  crimine.  (  L. 
non  omnes ,  ff.  de  re  milit.  L.  ff.  de  incendio  ,  ruina  et 
naufragio.  ) 

Celui  qui  dérobe  quelque  meuble  d'une  maison  pendant 
l'incendie  ,  est  puni  bien  plus  grièvement,  que  d'un  simple 
larcin;  combien  plus  celui  qui  jetterait  du  bois  et  de  l'huile 
dans  l'incendie  ,  pour  avoir  plus  de  commodité  de  dérober; 
c'est  ce  que  fait  le  flatteur ,  le  rapporteur  ,  le  boute-feu  des 
familles  et  des  républiques  ;  il  allume  les  dissensions  ,  il 
parle  mal  du  gendre  à  son  beau-père,  du  beau-père  à  son 
gendre ,  pour  faires  ses  affaires  ;  que  de  haines ,  que  de 
querelles,  que  de  dissensions,  que  de  procès,  que  de  fac- 
tions, que  de  maux  presque  irrémédiables  s'engendrent  de 
ces  rapports  diaboliques  !  c'est  comme  la  langue  du  serpent, 
elle  ne  pique  qu'en  un  endroit ,  mais  son  venin  coule  et  se 
répand  en  plusieurs  autres  parties.  S.  Jacques  en  apporte 
une  autre  comparaison  :  Il  ne  faut  quelquefois  que  fort  peu 
de  feu  pour  allumer  un  grand  incendie  ,  et  pour  brûler  et 
réduire  en  cendre  toute  une  forêt ,  parce  que  le  feu  passe 
de  branche  en  branche,  d'arbre  en  arbre,  et  lingua  ignis 
est;  (Jacq.  3.  6.)  une  parole  de  médisance  passe  de  bouche 
en  bouche,  de  maison  en  maison,  de  rue  en  rue,  et  va  tou- 
jours en  augmentant,  enfin  ce  pauvre  homme  est  diffamé  par 
toute  la  ville  ou  toute  la  province,  et  ce  qui  est  plus  déplorable, 
plusieurs  en  perdent  la  vie  de  la  grâce  ,  car  ceux  qui  écou- 
tent volontiers  les  détracteurs  contribuent  à  la  détraction, 
et  sont  participants  de  leur  crime.  Ecoutez  S.  Bernard  : 
(  Serm.  24.  in  Cant.  )  «  Unus  est  qui  loquitur ,  etunum 
«c  tantum  verbum  profert,  et  tamen  illud  unum  verbum  uno 
v  in  momento  multitudinis  audienlium  dum  aures  inficit  , 


LA    MÊ0I8ANI  I  ,  121 

n  animas  interficit  :  u  II  arrive  quelquefois  qu'en  une  cotn- 


ik  il  n  y  en  a  qu  un  qui  parle  ,  e(  ne  dit  qu'une  parole  , 

et  celle  parole  en  un  moment  .souille  les  oreilles ,  et  tue  les 
âmes  de  plusieurs  personnes  qui  feeoulcnt. 

(hic  dites-vous  crime  maison  de  cette  ville,  où  l'on  se 
divertit  ordinairement  par  ce  jeu  ?  plusieurs  dames  y  étant 
assemblées,  il  y  en  a  une  qui  prend  une  chandelle  éteinte  et 
encore  toute  fumante,  qu'elle  va  présenter  an  nez  de  toute 
la  compagnie,  et  tant  sYn  faut  que  quelqu'une  s'en  offense, 
qu'au  contraire  toutes  flairent  celte  puanteur  avec  grand 
contentement,  et  plusieurs  de  ces  dames  étant  enceintes  , 
leur  fruit  meurt  de  cette  mauvaise  odeur  ,  et  donne  la  mort 
à  la  mère.  Cette  maison  est  la  vôtre.  Le  Fils  de  Dieu  dit 
aux  âmes  chrétiennes,  et  principalement  aux  ecclésiastiques: 
A  OU*  êtes  la  lumière  du  monde  ;  si  quelqu'un  par  fragilité 
humaine  commet  un  péché  mortel  ,  c'est  une  chandelle 
éteinte  de  liés  mauvaise  odeur  en  l'Eglise.  Que  fait-on 
chez  vous,  quand  il  y  a  des  assemblées  ?  on  met  au  nez  des 
assistants  celte  chandelle  éteinte;   si  une  (ille  dévote  s'est 

e  abuser  ,  si  un  prêtre  ou  un  religieux  a  commi>  un 
scandale,  c'est  de  quoi  on  vous  entretient;  vous  y  prenez 
grand  plaisir,  vous  flairez  cette  puanteur  avec  grande  sa- 
tisfaction; et  quelques-unes  de  la  compagnie  ,  qui  étaient 
enceintes  de  bons  propos  et  de  saintes  résolutions  de  se  con- 
vertir, en  sont  détournées,  et  les  perdent,  voyant  qu'elles 
ne  sont  pas  seules  pécheresses  au  monde. 

Le  détracteur  est  appelé  pécheur  sans  adjonction  et  par 
antonomase,  parce  que  sa  médisance  est  cause  d'une  infinité 
de  crimes  ,  qui  se  commettent.  (1)  Le  Texte  sacre  nous 
en  apporte  un  exemple  mémorable,  mais  bien  tragique.  Au 
!  remiet  livre  des  Rois,  (  1 .  Reg.  21.1.9.)  David  fuyant 
la  persécution  du  roi  Saul,  qui 'le  poursuivait  à  mort,  et  se 
trouvant  en  extrême  nécessité  de  vivres,  eut  recours  à  Achi- 

fl  en  la  ville  sacerdotale  de  Nobé.  Ce  bon  prêtre 
sachant  son  innocence ,  et  connaissant  qu'il  était  selon  le 
cœur  de  Dieu,  le  reçut  charitablement  ,  et  lui  donna  du 

(1)  Os  pecotOi  if  j  crlliUl  ,....  /fs<1{#  |08 #  2t) 


128  SERMON  CCLXXX. 

pain.  Un  détestable  flatteur  nommé  Doeg  Payant  vu,  va  le 
rapporter  au  roi  ,  comme  un  grand  crime  :  Sire,  xlchimé- 
lech  a  reçu  David  avec  grand  accueil,  lui  a  fourni  des  vivres 
et  des  armes  ,  et  a  consulté  l'oracle  contre  votre  majesté. 
Satil  prend  feu  là-dessus,  envoie  quérir  Achimélech  sur-le- 
champ,  et  lui  dit  :  Pourquoi  avez-vous  reçu  et  caressé  mon 
ennemi?  Hélas  !  répondit  ce  bon  prêtre,  qui  a  ainsi  noirci 
David  en  l'esprit  de  votre  majesté?  elle  n'a  pas  de  plus  fidèle 
serviteur  que  lui  ;  vous  savez  qu'il  a  souvent  exposé  sa  vie 
pour  votre  service.  Sire,  je  vous  assure  avec  vérité  ,  que  je 
ne  savais  pas  que  votre  majesté  l'eût  disgracié.  Le  roi,  sans 
avoir  égard  à  ses  excuses  légitimes,  commande  à  cet  exé- 
crable valet  d'en  prendre  vengeance;  ce  qu'il  fait  avec  tant 
de  cruauté,  qu'il  égorge  en  même  temps  quatre-vingt-qua- 
tre prêtres  avec  Achimélech,  et  va  passer  par  le  fil  de  l'épée 
tous  les  habitants  de  la  ville  de  Nobé,  grands,  petits,  hom- 
mes ,  femmes ,  pauvres ,  riches,  sans  épargner  àme  vivante  : 
quelle  horrible  boucherie  ! 

sfxuisdum  punctum. — Pro  lus  de  quihus,  etc. 

E.  —  (1°  Scriptura.)  Quand  les  enfants  d'Israël  furent 
importunés  des  serpents  qui  les  piquaient  dans  le  désert, 
l'Ecriture  (Num.  21 .)  ne  dit  point  qu'ils  se  soient  amusés  à 
les  faire  mourir,  mais  qu'ils  s'adressèrent  à  Moïse,  le  sup- 
pliant de  prier  Dieu  pour  eux,  afin  d'en  être  délivrés  ;  faites 
comme  eux ,  et  vous  vous  en  trouverez  bien.  Quand  les  lan- 
gues venimeuses  des  calomniateurs  ou  médisants  jettent  leur 
venin  contre  vous,  au  lieu  d'en  rendre  vengeance,  recourez  au 
Fils  de  Dieu  ,  priez-le  de  vous  justifier,  de  prendre  en  main 
votre  cause,  d'être  l'avocat  et  le  protecteur  de  votre  inno- 
cence :  Deus  laudem,  mea?n  ne  tacueris  :  quia  os  pec— 
catoris  et  os  dolosi  super  me  apertum  est.  Pro  eo  ut 
me  diligerint,  detrahehant  mihi  :  ego  autem  orabam. 
(Psal.  108.  2.  h-.)  Priez-le  que  s'il  donne  le  pouvoir  à  ces 
bouches  diaboliques  de  flétrir  votre  renommée  en  punition 
de  vos  péchés,  il  ne  leur  donne  pas  le  pouvoir  de  souiller 
et  perdre  votre  àme  :  Domine ,  libéra  animant  meam  a 
lahiis  iniquis,  et  a  lingua  dolosa* 


DE   LA  MÉDI3ANCB.  129 

Souvenez-vous  de  ce  que  S.  Grégoire  <iit  :  «;  Ne  iûimo- 
(i  Jeiat i> laudibus erigamur ,plerumque miroreclorisnostri 
m  moderamine  eliam  detractionibus  lacerari  pcrmiltitur  : 
n  ut  cum  nos  vox  laudantis  élevât,  lingua  delrabentis  hu- 
«  miliet  :  quia  et  arbor  sape  ,  quœ  unius  vend  impulsu  ita 
i  impcllitur ,  ut  prnc  jam  erui  posse  videatur,  allerius  e 
«  divcrso  venicutis  flatu  erigitur,  etquee  hac  ox  parte  in- 
«(  llcxionem  perlulit,  ab  alia  ad  statuai  redit  :  »  (S.  Greg. 
lib.  22.  in  Jub.  cap.  5.)  De  peur  que  les  louanges  qu'on 
nous  donne ,  ne  nous  enflent ,  il  arrive  souvent  par  nue 
merveilleuse  providence  de  Dieu,  que  quelque  niauvai.se 
langue  nous  déchire,  et  Dieu  le  permet  ainsi,  afin  qu'à  me- 
sure que  fa  voix  du  flatteur  nous  élève ,  la  parole  d'un  dé- 
tracteur nous  humilie,  comme  un  arbre  qui  penche  d'un 
côté,  et  qui  est  sur  le  point  d'être  renversé  par  un  veuf  im- 
pétueux ,  est  quelquefois  redressé  et  affermi  par  un  vent 
contraire.  C'est  ce  que  S.  Paul  disait  de  lui  et  de  ses  com- 
pagnons :  Pergloriam  et  ignobilitatem ,  per  infamiam 
et  bonnni  famam.  (2.  Cor.  G.  8.)  Dieu  permet  que  les 
uns  nous  honorent  et  disent  du  bien  de  nous,  afin  qu'on  re- 
çoive mieux  l'Evangile  que  nous  prêchons  ;  et  il  permet  que 
Autres  nous  méprisent  et  parlent  mal  de  nous,  de  peur 
que  le  bon  succès  de  nos  prédications  ne  nous  élève  et  rende 
superbes. 

F.  —  (2°  Exemplis.)  Ceux  qui  étaient  piqués  des  ser- 
pents dans  le  désert,  pour  être  guéris  de  leurs  morsures  , 
devaient  regarderie  serpent  d'airain,  qui  était  la  figure  de 
Jésus  crucifié,  comme  lui-même  le  dit  en  S.  Jean.  (3,  14.) 
Quand  nous  avons  reçu  quelque  atteinte  d'une  langue  mé- 
disante ,  le  remède  le  plus  doux  et  efficace  que  nous  puis-* 
sions  y  appliquer,  c'est  de  considérer  que  notre  Sauveur  a 
été  souvent  exposé,  et  en  ses  membres ,  et  en  sa  propre  per- 
sonne, aux  piqûres  de  ces  vipères.  Quelles  calomnies  u'a-t-on 
vomies  contre  les  plus  grands  saints  et  les  plus  illustres 
tts  qui  aie  en  l'Eglise  ? 

S.  iquedc  Jérusalem,  fut  accusé  d'impureté 

Wr  i:  !<:'!]oin>,  nui  déposèrent  contre  lui  avec  de 


I  30  SERMON  CCLXXX. 

grands  serments  ;  le  Saint  n'ayant  pas  pu  se  purger  ,  il  se 
retira  dans  le  désert;  mais  le  mal  que  ces  imposteurs  s'é- 
taient  désiré ,  en  cas  qu'ils  ne  dissent  pas  la  vérité,  leur  étant 
arrivé,  le  Saint  retourna  à  son  église  ,  en  étant  instamment 
prié  par  ceux  de  son  diocèse. 

S.  Eustachîus,  patriarche  d'Antioche,  ayant  été  accusé 
(fadultère  par  une  femme  débauchée  ,  et  condamné  par  les 
juges,  fut  justifié  par  la  même  femme  ,  qui  étant  au  lit  de 
la  mort,  confessa  quelle  Pavait  fait  méchamment,  à  la  sol- 
licitation des  hérétiques  eusébiens. 

Le  pape  Sixte  1ÎI  fut  accusé  par  Basse  et  Marinien,  hom- 
mes très  illustres  dans  le  monde  ,  devoir  violé  une  vierge 
consacrée  à  Dieu,  nommée  Chrysogonite;  mais  il  en  fut 
purgé  au  concile  de  Rome,  tenu  Pan  quatre  cent  trente- 
trois  ;  et  ses  accusateurs  convaincus  de  fausseté,  furent  con- 
damnés à  de  grandes  peines  ;  et  ce  saint  pape  fut  si  bon 
chrétien  ,  que  Tun  de  ses  calomniateurs  étant  mort  par  la 
vengeance  du  ciel ,  il  l'ensevelit  et  l'embauma  de  ses  pro- 
pres mainsB,  et  le  mit  honorablement  au  sépulcre  de  ses 
ancêtres. 

Le  pape  Simmaque  fut  accusé  d'adultère  devant  le  roi 
Théodoric ,  parFestus  et  Probinus ,  sénateurs  ;  mais  il  s'en 
purgea ,  et  fut  déclaré  innocent  en  un  concile  de  cent  cin- 
quante évèques ,  tenu  à  Rome  l'an  cinq  cent  deux. 

Théodose  rapporte  qu'une  femmelette  ,  subornée  par  les 
hérétiques ,  fit  de  grandes  plaintes  en  un  conciliabule  d'é- 
vêques ,  contre  S.  Athanase ,  disant  qu'il  l'avait  prise  par 
force;  mais  comme  elle  ne  connaissait  pas  le  Saint,  un  de 
ses  prêtres ,  nommé  Timothée  ,  lui  demanda  en  pleine  as- 
semblée :  Est-ce  moi  qui  vous  ai  déshonorée  ?  oui ,  c'est 
vous-même  ;  messieurs ,  je  vous  demande  justice. . . .  Ce  qui 
découvrit  la  fourberie,  et  couvrit  de  confusion  les  ennemis 
%  Saint. 

L7évêque  Ithacius,  (Sever.  Sulpit.  lib.  2.  Histor.  sacr.) 
trop  zélé  contre  ceux  qui  étaient  adonnés  à  la  lecture  et  au 
jeûne,  accusa  injustement  S.  Martin  d'être  hérétique  pris- 
eillianistej  mais  la  vie  du  Saint  l'exempta  des  atteintes  <Je 


ni    iv   MBOiaiJNGB.  131 

tettc  calomnie.  S.  Denis,  patriarche  d'Alexandrie,  fut 
faussement  accusé  d'avoir  écrit  contre  la  foi.  Il  s'en  purgea 
par  une  belle  apologie,  en  un  concile  assemblé  à  Home  ;  cf. 

5.  Âlhanase  le  loue  comme  un  homme  1res  catholique  et 
très  orthodoxe.  (Baron,  anno.  263.  et  seqaent.  -S,  Athan. 
in  defens.  Dionys.)  La  princesse  Théotiste,  issue  de  la  race 
impériale,  et  quelques  autres  catholiques,  furent  soupçon- 
nes de  plusieurs  hérésies  à  Constanlinople  ;  S.  Grégoire- 
fe-Grand  y  étant  arrivé  ,  et  les  ayant  examinés,  les  trouva 
très  orthodoxes  et  très  sincères  en  la  foi.  (S.  Greg.  lib. 

6.  registr.  epist.  l2(J.) 

Je  vous  dirai  donc,  cl  avec  beaucoup  plus  de  raison, 
comme  Phocion  disait  à  un  pauvre  homme  qu'on  conduisait 
au  supplice  avec  lui,  et  qui  se  plaignait  qu'on  le  faisait 
mourir  à  tort  :  Coquin  que  vous  êtes,  lui  dit-il,  ne  vous 
est-il  pas  plus  honorable  que  vous  ne  le  méritez  de  mourir 
avec  Phocion?  Nous  nous  plaignons  que  c'est  une  fausseté, 
une  imposture  et  une  calomnie  noire  qu'on  a  forgée  contre 
nous  ;  je  veux  qu'il  en  soit  ainsi;  ne  nous  est-il  pas  plus 
eux  que  nous  ne  méritons,  d'être  traités  comme  les 
prélats  des  quatre  chaires  patriarchales ,  Rome,  Antioche, 
Alexandrie,  Jérusalem?  d'être  traités  comme  les  docteurs 
de  l'Eglise  ,  les  chefs  d'ordre  ,  les  princesses ,  les  papes  et 
autres  saint-?  d'être  traités  enfin  comme  le  Saint  des  saints  ? 
Si  compatimur  et  conregnabimus  :  Si  nous  sommes  par- 
ticipants de  leurs  persécutions,  nous  serons  associés  à  leur 
gloire. 

G.  —  (3°  Rationibus.)  Je  vous  dirai  avec  S.  Chrysos- 
I6me  :  Le  crime  dont  on  vous  accuse  est  vrai,  ou  faux  et 
supposé.  S'il  est  vrai ,  servez-vous  de  cette  repréhension 
comme  d'un  remède  purgatif,  pour  vous  corriger  de  votre 
faute.  Cest,  ce  que  fit  sainte  Monique  au  rapport  de  S.  Au- 
gustin, quand  elle  était  encore  jeune  fille.  Elle  se  servit 
d'une  injure  qu'une  serrante  lui  dit,  comme  d'un  coup  de 
lancette  pour  crerer  Papostume  d'un  vice  dont  elle  avait  déjà 
commencé  de  contr  tcler  l'habitude.  S'il  est  faux  et  supposé, 
j)j|es  comme  M  :  fn  ç&h  tetfti  meus:  et  commesaint 


132  SERMON  CCLXXX. DE   LA  MEDISANCE. 

Paul  :  Gloria  nostra  hœc  est  testimonium  comeienlift 
nostrœ. 

Si  vous  avez  commis  le  crime  dont  on  vous  taxe,  sachez 
qu'en  endurant  patiemment  les  railleries  qu'on  en  fait,  par- 
donnant de  bon  cœur  à  ceux  qui  Pont  découvert  ou  qui  en 
médisent,  celle  patience,  cette  humiliation  et  ce  pardon, 
sont  une  très  bonne  et  très  efficace  pénitence ,  qui  expie  voire 
péché,  qui  satisfait  pour  votre  offense  à  la  justice  de  Dieu. 
C'est  ce  que  S.  Ghrysostôme  nous  enseigne  ,  alléguant  à  ce 
propos  l'exemple  du  publicain  qui  fut  justifié  par  le  phari- 
sien :  Descendit  hic  justificatus  ah  illo  ,  non  pas ///y? 
illo,  mais  ah  illo  ;  c'est  qu'ayant  enduré  patiemment  le 
mépris  que  le  pharisien  faisait  de  lui ,  celle  patience  et  hu- 
miliation lui  servirent  d'absolution  pour  le  justifier  devant 
Dieu.  Si  le  crime  qu'on  vous  impute  est  supposé,  armez- 
vous  des  paroles  de  Jésus  qui  dit  :  Vous  êtes  bienheureux 
quand  les  hommes  vous  maudiront,  vous  persécuteront, 
quand  ils  diront  injustement  toute  sorte  de  maux  contre  vous; 
si  vous  l'endurez  pour  l'amour  de  moi ,  réjouissez-vous  et 
tressaillez  d'allégresse  ;  car  votre  récompense  est  très  grande, 
très  riche,  très  prêteuse,  très  abondante  dans  le  ciel  en  la 
gloire  eterne&'d.  Amen* 


SERMON  CCLXXXI. 


TROMPLR1LS, 


i\V<N  fohum  lesthnonhim  dices. 

Faux  tcin  tignages  ne  diras,  ni  mentiras  aucunement.  (Exotl.  20.  1G.) 

Si  l'observance  des  cinquième ,  sixième,  et  septième  com- 
mandements qui  nous  défendent  d'attenter  à  la  vie  de  noire 
prochain,  de  déshonorer  sa  femme,  de  lui  enlever  ses 
liions ,  est  d'une  haute  importance  pour  notre  salut ,  de 
quelle  importance  ne  lui  sera  pas  l'observance  du  huitième, 
qui  nous  défend  les  faux  témoignages  ,  qui  font  souvent 
p  nlie  la  vie  ,  l'honneur,  les  biens  temporels  du  prochain, 
ci  même  quelquefois  les  spirituels?  Pour  traiter  ce  sujet 
bien  à  tonds,  et  le  rendre  plus  universel ,  il  est  à  propos  de 
considérer  trois  péchés  qui  choquent  ce  commandement  : 
les  jugements  téméraires,  les  mensonges  et  les  fourberies. 
Ce  seront  ks  trois  points  de  ce  discours. 

1DEA  SERMONIS. 

Exordium.  Veritas  est  Deo  simillima  ,  et  est  triplex , 
nempe  cordis,  oris,  et  operis.  —  A.  Sermo  agit  cou* 
ira  falsitaics  cordis ,  quœ  sunt  judicia  temeraria; 
oris  nempe  mendacia  operis,  falsitates. 

Primum  punctum.  Contra  judicia  temeraria  :  B.  \° 
(  'onsideraiureorumnatura.  — C.  2°  Causœ,  nempe 
levitas mentis*  — D.  Defectus  charitatis.  —  E.  3° 
Perversitas  voluntatis.  —  F.  Ejjcctus  in  Chrislum* 
—  G.  Inproximum,  —  11.  4°  ///  nos.  —  I.  Remédia. 

Se. -1111.11111  punctum.  Contra  mendacia  :  L.  1°  Officias a 
>j><  batur  Scriptura  ,  Patrikus  responsione 

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134      SERMON  CCLXXXI. DES  JUGEMENTS 

ad  objectiones. — M.  2°  Perniciosa  quœ  damnantus 

raiionibus ,  Patribus,  paganis. 
Tertium  punctum.  N.  Contra  fraudes  et  dissimulation es \ 

quorum  multitudinem  et  malitiam  Scriptura  docet. 
Conclusio.  O.  Agens  contra prœdicta  vitia,  Scripturis} 

historiis ,  ration ibus. 

EXORDIUM. 

A. — [Veritas  est,  etc.)  S'il  e,t  vrai ,  ainsi  qu'on  le  dit 
ordinairement ,  que  le  semblable  aime  son  semblable ,  le 
prophète  royal  (Psal.  50.  8.)  a  eu  grand  sujet  de  dire  que 
Dieu  aime  la  vérité,  puisqu'il  n'y  a  rien  qui  ait  autant  de 
rapport,  de  conformité  et  de  ressemblance  avec  l'être  de 
Dieu,  que  la  vérité.  Nous  reconnaissons  et  adorons  en  Dieu 
trois  admirables  propriétés ,  qui  l'affranchissent  des  imper- 
fections dont  les  créatures  sont  esclaves  ;  il  n'est  pas  sujet 
au  temps,  car  il  est  éternel  :  A  sœculo,  et  usque  insœcu~ 
lum  tues;  il  n'est  attaché  à  aucun  lieu,  car  il  est  immense  : 
Cœlum  et  terram  ego  impleo  ;  il  n'est  pas  sujet  au  change- 
ment, car  il  est  immuable  :  Ego  Deus,  et  non  mutor;  et 
nous  pouvons  reconnaître  dans  la  vérité  un  écoulement  et 
une  participation  de  ces  trois  perfections.  Ce  qui  est  éternel 
a  toujours  été  ,  ne  s'aitère  pas  avec  le  temps  ,  ne  tombe  ja- 
mais en  décadence.  Quoique  les  cieux  soient  les  plus  nobles 
ouvrages  de  Dieu,  après  les  anges  et  les  hommes,  parce 
qu'ils  ne  sont  pas  éternels ,  ils  périront  quelque  jour  ,  ils 
s'useront  de  vieillesse,  comme  un  vêtement  porté  trop  long- 
temps :  Opéra  manuumtuarum  sunt  cœli  ;  ipsi  péri- 
bunt,  etsicut  vestimentum  veterascent.  (Psal  101 .  27.) 
La  vérité  n'est  pas  de  cette  trempe,  elle  n'est  pas  sujette 
au  temps,  mais  éternelle.  Témoin  les  philosophes ,  qui  re- 
connaissent certaines  propositions  qu'ils  appellent  d'éternelle 
vérité;  car  que  trois  et  quatre  soient  sept,  que  le  tout  soit  plus 
grand  que  sa  partie ,  cela  est  vrai  de  toute  éternité,  et  sera 
vrai  en  toute  éternité;  et  pour  montrer  que  la  durée  de  la 
vérité  n'est  pas  successive ,  mais  tout  ensemble ,  ce  qui  est 
propre  à  Téternité  ,  on  ne  dit  jamais  cjue  trois  et  quatre 


TEMERAIRES,  MENSONGES  RI   TROMPERIES.  l'A' 

(■ni  été  sept ,  ni  ((ne  trois  et  quatre  seront  sept  ,  niais  que 
dois  et  quatre  sontsepl  ;  comme  à  proprement  parler  on 
ne  dil  pas  que  Dieu  a  <;té  OU  qu'il  sera,  mais  qu'il  es!  : 
Ego  su  m  qui  s  a /a  ;  qui  est  muni  me  ad  vos.  (llœc  ex  J";. 
Aug.  lib.  de  immort,  anima,  c.  1.  et  4.  ct5f-lib.  12.de 
Trinit.  c.  14.  -  lib.  6.  musieœ  ,  cap.  12.  -  lib.  2.  de  or- 
dine,  cap.  14.  -  lib,  2.  de  doelrina  Christ,  cap.  32.  et  38. 
-  lib.  1 1 .  de  Civ.  c.  25.  et  alibi.) 

Secondement ,  la  vérité  n^st  pas  retranchée  en  un  cer- 
tain lieu  ;  elle  est  immense  et  en  tout  lieu,  elle  est  toute  eu 
tout  le  monde,  toute  en  chaque  partie  du  monde,  toute  en 
tous  les  hommes,  toute  en  chaque  particulier  ;  car  que  le  tout 
soit  plus  grand  que  sa  partie,  cela  est  vrai  en  Turquie  ,  en 
Arabie  ,  aux  Indes ,  à  la  Chine ,  en  Europe,  en  Asie  et  par- 
tout ;  et  si  Dieu  créait  cent  mille  mondes ,  cette  vérité  y 
serait  aussitôt  reçue  et  reconnue  qu'ils  seraient  créés. 

Y.w  troisième  lieu ,  la  vérité  n'est  point  sujette  au  change- 
ment ,  elle  esl  immuable  ,  invariable  ,  incorruptible  ,  tou- 
jours la  même;  elle  ne  s\ise  point,  ne  se  diminue  point,  ne 
s'augmente  pas ,  ne  se  corrompt  pas ,  ne  s'altère  pas ,  ni  par 
le  temps,  ni  par  les  lieux,  ni  par  les  accidents;  car  que 
trois  et  quatre  soient  sept,  cela  est  aussi  vrai  à  présent  qu'il 
Pétait  il  y  a  six  mille  ans ,  et  il  ne  sera  pas  plus  vrai  d'ici  à 
cent  mille  ans  qu'il  l'est  maintenant;  il  est  aussi  vrai  dans 
l'esprit  d'un  petit  garçon  que  dans  l'intelligence  d'un  géant; 
et  quand  tout  le  monde  périrait ,  quand  tous  les  hommes  et 
tous  les  anges  seraient  anéantis,  il  ne  laisserait  pas  d'être 
vrai  que  trois  et  quatre  font  sept,  que  le  tout  est  plus  grand 
que  sa  partie.  Or,  la  fausseté  étant  contraire  à  la  vérité, 
comme  en  nous  il  y  a  trois  sortes  de  vérités ,  il  peut  y  ayoir 
et  il  y  a  souvent  trois  genres  de  faussetés  :  il  y  a  vérité  de 
pensée  :  Qui  ioquitur  verilatem  in  corde  suof  vérité  de 
parole  :  Loquimini  reritatem  y  vérité  d'œuvre  :  Opéra 
cjus  rcrifas  et  judicium  ;  ainsi  il  y  a  fausseté  de  pensée,  ce 

sont  les  jugements  téméraires;  fausseté  de  parole,  ce  sont  les 
mensonges;  fausseté  (rouvre,  ce  sont  les  fourberies.  Le 
Fi1-  de  Dieu  défend  les  faussetés  de  pensée,  quand  il  dit  en 
S.  Jean  :  (?.  2  '\t/  Méjuge*  pas  scion  l'apparence  exlérie 


4  30  SERMON  CCLXXXL— -DES  JUGEMENTS 

primum  punctum.  —  Contra  judicia,  elc, 

B.  —  (1°  Consideratur  eorum  natura.)  Un  ancien 
disait  avec  raison,  qu'il  n'y  a  point  d'art  ni  de  métier  dont 
tant  de  gens  fassent  profession  que  celui  des  médecins  ;  sitôt 
que  vous  vous  plaignez  d'une  douleur  de  dents,  de  colique  , 
etc. ,  vous  trouvez  cinquante  médecins  qui  vous  prescrivent 
des  remèdes;  tous,  à  leur  avis,  fort  salutaires;  tous  en  effet, 
ou  la  plupart  fort  inutiles.  Cet  ancien  eût  encore  mieux  ren- 
contré, s'il  eût  dit  que  c'est  l'office  de  juge  que  tout  le 
monde  veut  exercer  ;  il  n'y  a  ni  petit ,  ni  grand,  ni  homme, 
ni  femme ,  ni  homme  de  bien ,  ni  méchant  homme ,  qui  ne 
soit  souvent  tenté  de  juger  des  actions  ou  des  intentions  du 
prochain  ;  et  le  Fils  de  Dieu  nous  le  défend  quand  il  dit  : 
(Joan.  7.  24.)  Ne  jugez  pas  selon  l'apparence  extérieure. 

Ce  qui  fait  dire  à  S.  Bonaventure,  (in  stimulo  amoris, 
cap.  1 0.)  que  ce  vice  est  une  peste  cachée,  mais  très  funeste, 
qui  éloigne  de  nous  le  bon  Dieu  :  Occulta  pestis ,  sed 
yravissima,  quœ  Deum  fugatf  et  S.  Augustin  (lib.  de 
amicitia ,  cap.  24.)  l'appelle  le  poison  de  la  charité;  et 
S.  Thomas  conclut ,  que  de  juger  témérairement  du  pro- 
chain en  chose  grave  est  un  péché  mortel  quand  ce  jugement 
est  accompagné  de  trois  circonstances  que  notre  Sauveur  a 
exprimées  en  ces  trois  paroles  :  Nolite  judicare  secun— 
dum  faciem.  En  premier  lieu,  pour  qu'un  jugement  témé- 
raire soit  faute  mortelle,  il  faut  que  le  jugement  soit  volon- 
taire et  de  propos  délibéré  ;  car  si  ce  n'est  qu'une  première 
pensée  qui  se  présente  à  notre  esprit ,  et  une  promptitude  à 
laquelle  nous  renonçons  quand  nous  nous  en  apercevons ,  le 
péché  n'est  pas  mortel  ;  Jésus  ne  dit  pas  :  Ne  judicelis , 
ne  jugez  point  ;  mais  il  dit  :  Nolite  judicare  ,  ne  veuillez 
pas  juger  ;  il  n'est  pas  en  notre  pouvoir  de  ne  pas  juger  d'un 
premier  mouvement  ;  mais  il  est  en  notre  pouvoir  de  ne  pas 
consentir  à  ce  jugement,  et  de  le  rejeter  de  notre  esprit. 

En  second  lieu  ,  ce  n'est  pas  péché  mortel  quand  on  ne 
juge  pas  absolument  ;  quand  on  ne  fait  que  douter  de  la 
chose,  on  ne  fait  pas  un  jugement  formé  et  arrête  ,  maïs 


[ÉAAIAES,   MENSONGES  ET  TROMPERIES.         137 

il  mi  soupçon;  on  ne  dit  pas  en  soi-même  :  Assu- 
rément cela  est,  mais  cola  pourrait  être  ;  j'ai  peur  que  cela 
De  soit  pas;  Jésus  «lit  \Nolitejudicare%  non  pas suspicari \ 
Je  ne  sais  cependant  si  on  pourrait  excuser  de  péché  mortel, 
celui  qui  soupçonnerait  volontairement  un  mal  grave  d'un 
prélat  ,  ou  autres  personnes  rccommandables. 

C — (2°  Causœ  ,  levitas  mentis.)  En  troisième  lieu  , 
ce  n'est  pas  péché  mortel,  ni  même  souvent  véniel,  quand 
on  ne  juge  que  (\c  ce  qui  est  clair,  évident  et  qui  ne  peut 
I lie  pallié  et  excusé  par  aucune  raison.  Si  vous  voyez  un 
homme  tuer  son  prochain,  faire  mal  avec  une  femme,  blas- 
phémer le  saint  nom  de  Dieu;  ce  n'est  pas  un  jugement  té- 
méraire de  penser  qu'il  est  homicide, adultère,  blasphémateur, 
mais  c'est  juger  témérairement  que  de  juger  sur  de  faibles 
apparences  ;  c'est  un  mauvais  effet  qui  procède  de  diverses 
causes  toutes  plus  ou  moins  vicieuses  ;  quelquefois  c'est  une 
suite  de  la  légèreté  d'esprit,  du  désœuvrement:  quand  on 
ne  -ait  pas  s'entretenir  soi-même ,  s'occuper  de  chose  utile 
<lan>  sa  maison,  on  cherche  alors  des  divertissements  dans 
le  dehors.  Sénèquedit  :  Prtmutn  argumenlum compositœ 
mentis  est  posse  consisterez  et  seenm  morari  :  La  marque 
d'un  esprit  bien  fait, le  caractèred'une  âme  sage  et  bien  assise, 
c'est  quand  elle  peut  demeurer  avec  soi  et  s  entretenir  elle- 
même.  Ceux  qui  n'ont  point  d'entretien  en  leur  intérieur  en 
cherchent  au-dehors  ,  rôdent  par  les  compagnies  ;  ils 
n'y  peuvent  être  muets,  ils  apprennent  des  nouvelles,  ils  en 
veulent  dire,  ils  n'en  savent  pas  assez,  ils  en  inventent. 

Lu  ancien  dans  Plaide,  les  comparait  à  des  guêpes;  ces 
mouches  ne  font  point  de  miel  ,  bourdonnent  incessam- 
ment ,  volent  cà  et  là  ,  sur  les  autels,  sur  les  tiares  ,  sur 
ooronnes,  et  n'y  laissent  que  des  souillures  ;  ces  fai- 
néants qui  ne  savent  à  quoi  s'occuper,  passent  leur  temps  à 
juger,  à  médire  des  prélats,  des  rois,  des  juges,  des  prêlrorf, 
des  religieux  ,  et  comme  ils  ont  l'esprit  volage,  ils  croient 
aisément  tout  ce  qui  leur  vient  en  l'esprit,  ayee  quelque 
peu  d'apparence,  soit  bien,  soit  ,  mal  comme  ces  habitants 
de  M 


138  SKLIMON  CCLXXX1. DES  JUGE31ENTS 

S.  Paul  et  S.  BaniUbé  (  Act.  28.  1 .  )  étant  arrivés  dans 
Pile  de  Malte,  après  avoir  été  battus  de  Forage  ,  firent  un 
peu  de  feu  sur  le  bord  de  la  mer  pour  s'essuyer.  Une  vipère 
qui  était  dans  le  bois  qu'on  jetait  au  feu  ,  sentant  cette 
chaleur  extraordinaire  ,  se  jeta  sur  le  bras  de  F  Apôtre;  ce 
que  voyant  les  païens  ,  ils  disaient  entre  eux  :  Ces  voya- 
geurs sont  des  impies,  la  vengeance  du  ciel  les  poursuit  par 
mer  et  par  terre  ;  mais  comme  ils  virent  que  le  bras  de 
S.  Paul  n'enflait  pas,  et  n'eu  recevait  point  de  dommage,  ils 
passèrent  à  une  autre  extrémité ,  se  prosternant  aux  pieds 
des  apôtres  ,  et  voulant  les  adorer  comme  des  dieux.  Qui 
cita  crédit,  le  vis  est  corde, 

D.  —  (  Defectus  charitatis.  )  S.  Paul  nous  apprend 
une  autre  chose  de  ces  jugements  téméraires  :  le  manque 
de  charité  ;  c'est  qu'il  y  a  en  votre  cœur  quelque  secrète 
jalousie  ,  ou  rancune,  ou  aversion  du  prochain,  Charitas 
non  cogitât  malum,  dit  l'Apôtre,  la  charité  ne  pense  point 
de  mal,  il  n'en  faut  point  d'autre  preuve  que  l'expérience. 
Si  une  personne  que  vous  aimez  bien  faisait  les  actions  que 
vous  censurez  en  votre  ennemi ,  vous  ne  les  prendriez  pas 
au  criminel ,  comme  vous  faites ,  vous  les  interpréteriez 
en  bonne  part.  Comme  celui  qui  regarde  à  travers  un 
verre  rouge  ,  tout  ce  qu'il  voit  lui  semble  de  cette  cou- 
leur ;  ainsi  vous  jugez  des  actions  de  votre  prochain,  selon 
la  passion  d'amour  ou  de  haine  que  vous  avez  envers  lui. 
Nous  croyons  aisément  ce  que  nous  désirons,  et  nous  le 
voyons  volontiers,  dit  S.  Thomas;  vous  n'avez  point  de  ré- 
pugnance ,  mais  une  grande  inclination  à  croire  le  vice  de 
votre  prochain  ,  parce  que  vous  lui  voulez  mal ,  ou  parce 
que  vous  êtes  sujet  aux  crimes  et  aux  imperfections  que 
vous  vous  figurez  être  en  lui. 

E.  —  (  Perversitas voluntatis \  )  Stullus  in  via  am- 
hulans,  cum  ipse  insipiens  sit,  omnes  stultos  œstimat  : 
(Eccle.  1 0.3.)  Le  fou  s'imagine  que  tous  les  autres  lui  ressem- 
blent, ditle  Saint-Esprit  par  la  bouche  du  Sage  ;  et  derechef: 
Cor  sapientis  In  davier  a  ejus  ,  et  cor  stulti  in  sinistra 
illiusj  Le  cœur  de  l'homme  sage  est  au  côté  droit  ?  et  celui 


rÛAlKfiAIRES,  MENSONGES  il    L'RO&IPBRIBS.  1313 

du  fou  au  côté  gauche.  11  esl  assuré  que  tous  les  hommes  ont 
le  cœur  placé  au  même  lieu,  quant  à  la  nature  ;  mais  il  veut 
aire  que  l'homme  de  bien  juge  en  bonne  part  des  actions  de 
(oui  le  momie  ;  le  méchant  mesure  chacun  à  son  aune  ;  il  fait 
(les  jugements  sinistres  de  la  plupart  des  hommes.  L'abeille 
compose  du  Hiiol  des  fleurs  les  pins  amures  ;  la  mouche 
cantharide  t'ait  du  venin  des  plus  douces.  Une  même  pluie 
tombant  sur  une  vigne  se  change  en  vin  très  agréable;  ar- 
rosant une  terre  semée  de  ciguë  ,  elle  se  change  en  poison 
mortel.  L'estomac  sain  et  bien  disposé  fait  du  bon  sang  des 
a  iandes  les  plus  grossières  ;  celui  qui  est  cacochyme  fait 
des  humeurs  peccantes  d'une  très  bonne  nourriture. 

T.  —  (3°  Effectua  in  Chris tum.  )  Et  de  là  viennent 
lés  mauvais  effets  que  ces  jugements  téméraires  produisent 
contre  Dion,  contre  le  prochain,  contre  nous-mêmes.  C'est 
faire  tort  au  Fils  de  Dieu,  c'est  empiéter  sur  le  ressort  de 
iridiclion  ,  c'est  usurper  son  oflicc  ;  vous  n'avez  ni  la 
puissance,  ni  la  science,  ni  la  probité  qui  sont  nécessaires 
pour  bien  juger;  elles  conviennent  à  Jésus  seul,  privative— 
ment  à  tout  autre  homme  ;  il  n'apartient  qu'aux  rcis  ou  à 
ceux  qui  ont  une  autorité  royale  d'exercer  l'office  de  la 
judicature;  juger  et  régner  sont  synonymes  dans  la  Bible  : 
/  enit  jwlicare  terrant.  Jésus  en  tant  que  Dieu  ,  est  le 
lloi  des  rois ,  le  Souverain  des  hommes  et  des  anges  ;  en 
tant  qif homme,  son  Père  Ta  établi  le  Juge  des  vivants  et 
des  morts  :  Conslitutus  est  a  Deojudex  vivorum  et  mor- 
tuorum.  (Act.  10.  42.  )  Omnejudicium  dédit  Filio  , 
quia  Filius  hominis  est  ;  notez  omne.  Lui  seul  a  la 
science  pour  connaître  les  choses  telles  qu'elles  sont,  pour 
ne  pas  se  tromper,  ni  être  trompé  ;  son  Ecriture  et  son 
Eglise  disent  qu'il  sonde  les  reins,  qu'il  découvre  tous  les 
I  replis  de  notre  cœur,  qu'il  perce  à  jour  les  plus  secrè- 
I  intentions  des  hommes  :  Probas  corda  et 
renés ,  Dette  j  imper fecium  meum  triderunt  uculi  tui; 
TJcus,  cui  cor  paie t^  et  omnis  voluntas  loquitur;  il  juge 
sans  passion  ,  sans  préoccupation,  sans  acception  de  pei  - 
so:in  1res  aimable  bonté,  une  très  adorable 


140  SERMON    CCLXXXI.-—bES  JUGEMENTS 

équité  ,  une  très  admirable  tranquillité  :  Non  est  perso* 
narum  acceptio  apud  Deunif  dilexisti  justifiant  ,  et 
odisti  iniquitatem;  tu  autem  cum  tranquillitate  judi- 
cas.  (  Act.  10.  34.  -  Psal.  44.  8.  -  Sap.  12.  18.  ) 

Gardez-vous  bien  d'attenter  à  un  office  qu'il  exerce  avec 
tant  de  pouvoir,  de  savoir  et  de  justice,  vous  qui  n'êtes  que 
faiblesse,  que  ténèbres,  que  misère. 

G.  —  (In  proximum.)  N'est-ce  pas  une  chose  étrange? 
pour  vous  faire  croire  une  vérité  catholique ,  très  impor- 
tante à  votre  salut,  il  faut  vous  alléguer  l'Ecriture,  les  saints 
Pères,  Les  conciles,  les  docteurs,  les  raisons  de  théologie; 
et  après  tant  de  preuves ,  on  a  beaucoup  de  peine  à  vous 
la  persuader  ;  et  si  un  flatteur  ,  un  je  ne  sais  qui ,  vous 
médit  d'un  absent,  par  envie  ou  malveillance,  vous  le  croyez 
sans  preuve,  sans  témoin,  sans  autre  forme  de  procès,  vous 
jugez  l'absent,  vous  le  méprisez,  vous  le  condamnez  ;  c'est 
lui  faire  grand  tort  ,  car  peut-être  qu'il  n'a  pas  commis  le 
péché  dont  on  le  juge  coupable.  Le  prêtre  Héii  (  1 .  Pteg. 
1.13.)  voyant  la  douce  mère  de  Samuel  faire  ses  prières  avec 
des  gestes  et  des  mouvements  extraordinaires ,  jugea  qu'elle 
avait  trop  bu  ,  et  il  n'y  avait  rien  de  plus  faux  ;  ces  conte- 
nances procédaient  de  la  ferveur  de  sa  dévotion.  Le  prieur 
de  la  chartreuse  du  Mont-Dieu,  voyant  S.  Bernard  monté 
sur  \\\\  cheval  richement  couvert  ,  pensa  qu'il  y  avait  en  ce 
Saint  un  peu  de  vanité ,  et  il  se  trompait  ;  le  Saint  était  si 
abstrait  et  si  élevé  à  Dieu  ,  qu'il  n'avait  pas  pris  garde  à 
l'ornement  de  la  selle  qu'un  gentilhomme  lui  avait  prêtée. 
Les  Juifs  entendant  les  apôtres  parler  diverses  langues  ,  le 
jour  de  la  Pentecôte,  disaient  que  le  vin  leur  donnait  cette 
éloquence  ;  et  c'était  le  Saint-Esprit.  Un  anachorète  étant 
venu  à  Rome  ,  et  voyant  le  grand  S.  Grégoire  revêtu  des 
ornements  pontificaux,  dans  la  splendeur  de  la  cour,  pensa 
qu'il  n'était  pas  aussi  saint  qu'on  le  disait;  et  il  lui  fut  révélé 
que  le  Saint  était  plus  pauvre  au  milieu  de  ses  richesses , 
que  lui  dans  sa  pauvreté. 

En  second  lieu ,  quand  le  prochain  aurait  été  pécheur 
jusqu'à  présent  et  très  grand  pécheur  ,   peut-être  qu'il  ne 


1RES,  Ml  NSONGJ  S  I  I   TROMPERIES.         141 

.  mais  qu'il  est  converti,  et  grand  saint  :  Facile 
in  oculis  Domini   subito  honestare  pauperem  f 

(Eccli.  I  1 .  23.)  Suscifans  a  A  rra  inoptm,  et  de  etercore 
tri  g  en  s  pauperem  ;  (  Psal.  1 12,  7.  )  Ubi  abtmdavit 
peccatum  ,  superabundavit  gratia*  (  llom.  5.  20.  )  Il 

est  aise  au  bon  Dieu  d'enrichir  un  pauvre  en  un  moment;  il 
peut  par  regard  de  miséricorde  relever  un  pécheur  du  bour- 
bier de  ses  crimes  ;  où  le  péché  a  été  abondant,  la  grâce 

est  quelquefois  surabondante.  Le  pharisien  disait  de  sainte 
Madeleine  ,  peccatrix  est ,  elle  est  pécheresse  ;  cela  était 
très  faux.  L'évangélisle  a  dit  :  Erat  in  civitate peccatrix, 

non  pas  est  ;  elle  Pavait  été,  elle  ne  Tétait  plus;  elle  était 
très  sainte.  Le  pharisien  disait  de  Jésus  :  Si  cet  homme  était 
prophète,  il  ne  se  laisserait  pas  approcher  par  celte  femme; 
et  c'était  tout  le  contraire  ;  parce  qu'il  était  prophète  ,  il 
connaissait  le  cœur  amoureux  de  cette  sainte,  et  se  laissait 
approcher  (relie.  S.  Bonifacc  ayant  commis  quelque  péché 
d'impur*  t<;  par  fragilité  humaine,  fit  pour  expier  ses  fautes, 
un  grand  voyage  ,  de  Rome  en  la  ville  de  Tharse,  pour 
acheter  et  «honorer  les  corps  des  saints  martyrs.  Ses  compa- 
gnons le  cherchant  par  la  ville  ,  quelqu'un  leur  dit  qu'on 
avait  fait  mourir  pour  le  christianisme  \u\  homme  qui 
lui  ressemblait.  Ils  répondirent  :  Il  est  bien  éloigne  de  se 
faire  martyriser,  nous  le  trouverions  plutôt  avec  une  courti- 
sane, qu'entre  les  mains  des  bourreaux  ;  ils  le  jugèrent  fort 
témérairement  :  car  il  était  converti  et  maryrisé  pour  la  foi; 
et  l'ayant  trouvé  mort  ,  ils  lui  demandèrent  pardon  de  ce 
qu'ils  avaient  pensé  et  dit  de  lui;  et  il  ouvrit  les  yeux,  les 
regardant  d'un  vidage  riant ,  pour  leur  témoigner  qu'il  leur 
pardonnait. 

En  troisième  lieu  ,  supposé  que  le  prochain  soit  pécheur 
encore  à  présent  ,  il  ne  faut  pas  néanmoins  le  condamner 
et  dire  que  c'est  un  réprouvé;  il  peut  être  converti  dans  un 
quart-d'heure  ,  comme  le  publicain  de  l'Evangile  qu'un 
autre  pharisien  dédaignait,  et  qui  étant  entré  grand  pécheur 
au  temple,  y  futjustifléparune  bonne  prière  et  un  acte  de, 
repentance,  et  note/  que  ce  n'était  qu'en  lui-même  qu'il 


142  SERMOIS  CCLXXXl. — DES  JUGEMENTS 

blâmait  le  publicain;  et  le  Fils  de  Dieu  l'en  reprend  ,  car 
vous  ruinez  de  réputation  le  prochain ,  quoique  ce  ne  soit 
que  dans  l'esprit  d'un  seul  homme  ,  vous  êtes  médisant  et 
injuste.  Or ,  quand  vous  jugez  du  mal  de  votre  prochain 
sur  de  faibles  conjectures,  vous  le  ruinez  de  réputation  en 
votre  esprit  ;  vous  faites  à  autrui  ce  que  vous  ne  voudriez 
pas  être  fait  à  vous-même. 

H.  —  (  In  nos.  )  Ce  pharisien  s'enflait  par  le  jugement 
qu'il  faisait  des  autres  ,  en  se  comparant  et  se  préférant  à 
eux;  et  les  jugements  téméraires  nous  ôtent  le  sentiment  de 
nos  propres  péchés  quand  nous  croyons  que  nous  ne  sommes 
pas  seuls  pécheurs,  qu'il  y  en  a  d'autres  qui  le  sont  autant 
et  plus  que  nous,  et  il  arrive  souvent  que  nous  voyons  une 
paille  dans  l'œil  des  autres  et  nous  ne  voyons  pas  une  poutre 
au  nôtre  ,  comme  dit  notre  Sauveur.  Ces  jugements  nous 
remplissent  d'orgueil,  de  vanité,  de  défiance  ,  de  jalousie, 
d'inquiétude,   de  mépris  du  prochain. 

I.  —  (4°  Remédia.)  S.  Bernard  (  serm.  41 .  in  Cant.  ) 
nous  donne  à  ce  sujet  un  avis  très  salutaire  :  «  Excusa  iii- 
«  lentionem  ,  si  opus  non  potes  ,  puta  ignorantiam,  puta 
«  subreptionem  ,  puta  casum  ,  quod  si  omnem  omnino 
«  dissimulationem  rei  certitudo  récusa  ,  die  apud  temetip- 
«  sum  :  Vehemens  fuit  tentatio  ,  quid  de  me  illa  fecisset , 
«  si  accepisset  in  me  similiter  potestatem  ?  >>  Quand  vous 
voyez  votre  prochain  qui  fait  mal ,  pensez  que  peut-être  il 
ie  fait  à  quelque  bonne  intention  ,  ou  qu'il  le  fait  par  igno- 
rance ,  ou  par  surprise ,  ou  par  grande  faiblesse  et  sans 
malice;  si  l'action  est  si  noire  qu'elle  ne  reçoive  aucune  de 
ces  excuses ,  pensez  que  c'a  été  une  très  forte  et  violente 
tentation  qui  la  fait  tomber,  et  dites  en  vous-même  :  Si 
Dieu  eût  permis  qu'une  semblable  tentation  m'eût  attaqué  , 
peut-être  que  j'aurais  succombé  aussi  bien  que  lui,  peut-être 
qu'il  a  plusieurs  grandes  vertus  qui  contre-balancent  la 
faute  qu'il  a  faite,  peut-être  que  cette  chute  le  rend  bien 
humble,  et  que  par  son  humilité  il  est  plus  agréable  à  Dieu 
que  vous  par  votre  innocence  orgueilleuse  ;  et  quand  tout 
eela  ne  serait  pas ,   que  savez-Yous  ce  que  vous  deviendrez 


i  i  UER  ilIES  ,  UBNSONGES  IT  TROMPBRJBS.  1  48 

1 1  ee  qu*îl  deviendra  ?  Il  y  a  assez  d'inconstance  et  do  faî- 
e  en  votre  cœur,  pour  vous  voir  quelque  jour  un  dos  plus 
grands  pécheurs  du  monde  ;  il  y  a  assez  de  puissance  et  de 
miséricorde  dans  le  cœur  de  Dieu,  pour  faire  que  ce  pécheur 
devienne  quelque  jour  un  1res  grand  Saint  dans  le  ciel.  Sur 
Péchellc  de  Jacob  il  y  avait  des  anges  qui  montaient  et  il  y 
en  avait  qui  desrendaient,  pour  lignifler  que  dans  le  chemin 
du  ciel  il  n'y  a  point  d'homme  si  vertueux,  si  saint,  si  ange' 
lique  qui  ne  puisse  reculer  et  descendre;  il  n'en  est  point  de 
si  méchant,  de  si  vicieux,  de  si  desespéré  qui  ne  puisse 
monter  et  devenir  un  ange. 

h  c.UNDini  piJNc.TiTM. —  Contra  menducla. 

L. — (1"  O/ficiosa  qnœ  imjn'obanlur,  etc.)  Le  second 
de  fausseté  que  le  huitième  commandement  nous  dé- 
tend, c'est  le  mensonge,  tant  officieux  que  pernicieux.  11  y 
i  plusieurs  chrétiens ,  parmi  ceux  même  qui  font  profession 
rtu,  qui  délestent  bien  le  faux  témoignage  et  les  m  en- 
pernicieux,  mais  ils  ne  se  font  point  de  conscience 
Oficieui  ;  ils  ne  considèrent  pas  que  David  demandait 
dVn  être  préservé  :  Ne  au  feras  de  ore  meo  verbnm  reri- 
(fil  j  usquêquaque  :  (Psal.  1 18.  43.)  Mon  Dieu,  disait-il, 
ne  permettez  pas  que  la  vérité  s'éloigne  de  ma  bouche  ,  en 
quelque  façon  que  ce  soit.  Tous  les  dimanches,  au  prône, 
l'Eglise  ne  nous  dit  pas  seulement:  Faux  témoignage  ne 
diras,  mais  elle  ajoute:  Ni  mentiras  aucunement  ;  et  le 
Saint-Esprit  distingue  le  mensonge  du  faux  témoignage , 
et  dit  que  tous  déplaisent  à  Dieu  :  Duo  sunt  quœ  odit  Do- 
minus : Linquam  mendacem,testem  fallacem .  fProv.  6, 
1G.  19.) 

S.  Thomas  (2.  2.  q.  I  10.  ait.  3.)  conclut:  Non  tnen- 
tm  pro  tuenda  vita  proximi,  qu'il  ne  faudrait  pas 
dire  un  mensonge  pour  sauver  un  homme.  S.  Grégoire  avait 
*■  àt  même,  li!>.  18.  Moral,  cap.  4.)  en  parlant  des  men- 
songes  officieux  :  Hoc  quoque  genus  mendaeii  summo- 
pere  viri  perfecli  fugiunt,  ne  eues  animai  noceant,  du  m 
vrœsfan  rit    '  errmi  vftuntur  aliéna?. 


144  SEHMON  CCLXXXI.-—  DES  JUGEMENTS 

S.  Augustin,  qui  en  a  fait  des  livres  entiers,  va  bien  plus 
avant,  et  dit  qu'il  ne  faudrait  pas  mentir  pour  procurer  le 
.salut  du  prochain  :  Ad  sempiternam  viiam  nullus  du- 
vendus  est ,  opitulante  mendacio.  Et  à  l'objection  que 
quelques-uns  proposent  au  sujet  des  sages-femmes  d'E- 
gypte, qui  ne  voulurent  pas  étouffer  les  petits  enfants  des 
Israélites ,  comme  Pharaon  le  leur  avait  commandé ,  et  qui 
s'en  excusèrent  par  des  mensonges,  l'Ecriture  ajoutant  que 
Dieu  les  récompensa ,  S.  Grégoire  répond  qu'elles  furent 
récompensées,  non  de  leur  mensonge,  mais  de  leur  piété  ; 
et  que  cet  exemple  nous  montre  le  tort  qu'un  mensonge , 
même  officieux,  nous  peut  faire  ;  car ,  dit  ce  saint  docteur  : 
La  récompense  de  leur  piété  qui  leur  pouvait  être  donnée 
dans  la  vie  éternelle,  fut  changée  en  récompense  temporelle, 
à  cause  de  leur  mensonge  :  «  In  qua  magis  compensatione 
«  cognoscitur  quid  mendacii  culpa  mereatur  :  Nam  beni- 
«  gnitatis  earum  merces  ,  quae  eis  in  œterna  potuit  vita  re- 
«  tribui  ,  pro  admissa  culpa  mendacii  in  terrenam  est 
«  compensationem  declinata.   » 

Et  quant  au  patriarche  Jacob  et  autres  Saints,  qui,  dans 
l'Ecriture  sacrée  ,  semblent  avoir  dit  des  paroles  non  véri- 
tables, les  saints  Pères  répondent  que  c'étaient  des  mystères 
non  des  mensonges ,  parce  qu'ils  ne  parlaient  pas  en  leur 
propre  personne  ,  m«s  dans  la  personne  de  ceux  dont  ils 
étaient  la  figure. 

M.  —  (2°  Perniciosa ,  etc.)  Les  mensonges  officieux 
nous  engagent  aux  peines  du  purgatoire,  mais  les  perni- 
cieux nous  obligent  aux  peines  de  l'enfer  ;  il  n'est  point  de 
chrétien,  tant  soit  peu  instruit  de  sareligion,  qui  en  ait  jamais 
douté  et  qui  ne  croie  que  c'est  très  justement;  car  quand 
vous  portez  faux  témoignage  ,  vous  offensez  grièvement  la 
très  haute  majesté  de  Dieu  ;  vous  offensez  celui  contre  qui 
vous  déposez  ;  vous  offensez  celui  en  faveur  de  qui  vous 
témoignez.  Avant  que  de  déposer  vous  prêtez  serment,  c'est- 
à-dire  que  vous  appelez  Dieu  en  témoin  de  ce  que  vous  direz  ; 
ù  vous  dites  un  mensonge ,  c'est  vouloir  faire  Je  bon  Dieu 
eon^lice  et  participant  de  votre  crime  j  e'esH-dirc  le  rendre 


TÉMÉRAIRES,  MBNSONGBS  ET  TROW  l'ii.  [i  s  I  \  "> 

Faux  témoin  !  c'est  démentir  son  Ecriture  j  qui  dit  qu'il  ei  I  [a 
vérité  même, 

\  ous  offensez  celui  contre  qui  vous  témoignez  ;  vous  lui 
faites  perdre  la  vie  ,  ou  l'honneur ,  ou  les  biens ,  et  souvent 

le  salut  de  sou  ame,  et  de  .ses  gens  ;  quand  il  voit  voire  mé- 
chanceté, il  conçoit  des  pensées  de  rage  et  d'inimitié  contre 
vous  ;  il  inspire  cet  esprit  de  vengeance  au  cœur  de  ses  do- 
mestiques; ils  meurent  avec  celle  disposition  sans  vous  par- 
donner de  bon  cœur.  Vous  offensez  celui  pour  qui  vous 
déposez  ;  votre  faux  témoignage  lui  fait  gagner  rajustement 
son  procès ,  il  est  obligé  à  restitution  du  principal  et  des 
dépens,  et  à  son  défaut,  ses  héritiers,  et  les  héritiers  de  ses 
héritiers,  s'ils  le  savent;  ils  ne  la  feront  jamais,  vous  serez 
cause  de  leur  damnation;  et  ne  pensez  pas  être  excusé, 
quand  vous  dites  :  Que  si  vous  avez  porté  faux  témoignage, 
e'a  été  pour  sauver  la  vie  à  un  prisonnier  :  il  ne  le  faudrait 
pas  faire  pour  sauver  la  vie  à  tous  les  hommes  du  monde. 
S,  Augustin  (Epîst.  224.)  vous  convainc  par  l'exemple  de 
Régulas,   idolâtre ,  qui ,  ayant  promis  avec  serment,  de 
retourner  vers  ses  ennemis,  y  retourna,  de  peur  d'être 
parjure  ,  quoi  qu'il  sût  assurément  qu'ils  le  feraient  mourir 
d'une  mort  très  cruelle,  et  le  même  Saint  ajoute  que  les 
jurements  qui  se  font  par  des  paroles  ambiguës  et  à  double 
mus,  sont  criminels  et  détestables  ,  et  il  le  prouve  par  le 
sentiment  même  des  Païens;  car  les  sénateurs  de  Rome 
rejetèrent  de  leur  compagnie  un  des  leurs,  parce  qu'ayant 
promis  avec  serment  de  retourner  à  Carlbage,  si  le  sénat  de 
Rome  ne  voulait  faire  échange  des  prisonniers,  il  pensa  être 
quitte  de  sa  promesse  sur  ce  qu'il  était  rentré  à  Carlbage, 
BOUS  prétexte  de  prendre  quelques  bardes  nécessaires  à  son 
voyage;  ces  sages  sénateurs  n'eurent  pas  égard  à  l'intention 
de  celui  qui  jurait,  mais  à  la  pensée  et  à  l'attente  de  ceux  à 
qui  il  jurait,  et  néanmoins  ils  n'avaient  pas  lu  ces  paroles  du 
Prophète  ,  que  nous  chantons  si  souvent  :  Qutsreguiescû 
in  monte  $ancto  tuo?  qui  jurât  proximo suo  et  non  de- 
tipit  ;  que  pour  être  reçu  au  ciel ,  il  ne  faut  pas  tromper 

toluit  Iraberci 


146  SERMON  CCLXXXI. DES  JUGEMENTS 

«  non  în  numéro  Sanctorum  ,  sed  in  numéro  senatorum  , 
«  nec  in  cœlesti  gloria ,  sed  in  terrestri  curia ,  illum  qui 
«  reatu  perjurii  se  pulaverat  absolutum  ,  quia  post  jura- 
«  tionem ,  ficta  nescio  qua  neeessitate  redierat.  lia  non 
«  attenderunt  qui  eum  senatu  pepulerunt ,  quid  ipse  ju- 
u  rando  cogitasset ,  sed  quid  ab  illo  quibus  juraverat  ex- 
ce  pectarent;  neclegerantquodnos  usquequaquecanlamus  : 
a  Qui  jurât  proximo  suo  non  decipit  ;  illud  sane  rectissime 
«  dici  non  ambigo ,  non  secundum  verbum  jurantis  ,  sed 
u  secundum  espectationem  iilius  cui  juratur,  quam  novit 
«  ille  qui  jurât ,  fidem  jurationis  impleri.  »  Je  ne  doute 
pas  qu'il  ne  faille  accomplir  sa  promesse ,  non  selon  la 
parole  de  celui  qui  jure ,  mais  selon  la  pensée  et  l'intelli- 
gence de  celui  à  qui  Ton  jure ,  dit  S.  Augustin. 

TERTIUM  punctum.  —  Contra  fraudes ,  etc. 

N.  —  (Quarum  multitudinem ,  etc.)  Enfin ,  le  troi- 
sième genre  de  faussetés  défendues,  sont  les  tromperies  et 
les  dissimulations.  Le  temps  ne  me  permet  pas  de  m'y  éten- 
dre bien  au  long  ;  elles  sont  si  communes  dans  le  monde , 
que  si  le  prophète  Jérémie  était  en  ce  siècle,  il  en  dirait  ce 
qu'il  disait  du  sien,  qu'il  n'y  a  partout  que  fourberie  :  Do- 
mus eorum  plenœ dolo,  apropheta  ad  sacerdotem  cuncti 
faciunt  dolum.  (Jerem.  5.  27.  -  6.  13.  )  A  la  cour  et 
aux  maisons  des  grands,  c'est  un  carnaval  continuel  ;  on  y 
est  toujours  masqué,  le  jeu  le  plus  ordinaire  qu'on  y  joue  , 
c'est  à  qui  supplantera  mieux  son  compagnon,  par  sou- 
plesse et  perfidie  ;  on  y  a  pour  maxime  ,  que  pour  savoir  la 
vérité  il  faut  toujours  croire  le  contraire  de  ce  qu'on  vous 
dit,  et  que  vous  avez  besoin  de  faire  cette  prière  :  Ab  ho- 
mine  iniquo  et  doloso  erue  me.  Au  palais ,  il  y  a  fort  peu 
de  gens  qui  ne  se  plaignent  d'avoir  été  trompés,  ou  par  leurs 
juges,  ou  par  leur  rapporteur  ,  ou  par  le  greffier,  ou  par 
leur  avocat,  ou  par  leur  procureur  ,  ou  par  leur  partie  ad- 
verse ;  que  de  sentences  iniques  n'y  donne-t-on  pas,  que  de 
délais  superflus ,  que  d'appels  injustes  \ 

Dans  la  boutique  des  marchands  et  des  artisans,  que  de 


TEMERAIRES,   MENSONGES  ET  TROMPERIES,  1  'i7 

fraudes,  que  de  Taux  poids  et  fausses  mesures,  que  de  mon- 
naies de  faux  aloi ,  que  de  marchandises  frelatées ,  que  de 
drogues  sophistiquées!  Dans  les  maisons  bourgeoises, 
quelles  tromperies  ne  fait-on  pas  !  Vous  donnez  à  votre  fils 
une  riche  dot ,  afin  qu'il  trouve  un  bon  parti,  et  vous  voulez 
qu'après  les  noces  il  vous  donne  quittance  du  tiers  ou  de  la 
moitié  ;  vous  vous  endettez  de  jour  en  jour  pour  entretenir 
le  luxe  et  la  bonne  chère  ,  sachant  que  vos  créanciers  seront 
frustres  du  paiement,  parce  que  vous  avez  donné  en  préci- 
put ,  par  voire  contrat  de  mariage,  la  moitié  de  votre  bien  à 
votre  aine;  vous  faites  de  belles  promesses  à  votre  femme, 
et  si  elle  n'a  point  d'enfant,  vous  donnez,  par  votre  testa- 
ment ,  tout  votre  bien  à  vos  autres  parents  ;  votre  voisin  va 
dans  votre  maison,  en  apparence  pour  vous  rendre  service, 
en  eiïel ,  pour  séduire  votre  femme  ;  votre  serviteur  fait  le 
bon  valet  devant  vous,  et  commet  en  votre  absence  mille 
friponneries.  Dans  les  églises  (pie  de  dévotions  contre  fai- 
que  de  confessions  déguisées,  que  de  communions 
hypocrites  ! 

Ce  vice  est  si  détestable ,  que  le  texte  sacré  le  joint  à 
l'homicide  :  Dieu  aura  en  abomination  le  meurtrier  et  le  trom- 
peur, dit  le  prophète  royal  :  Virum  sanyuinum  et  dolo- 
sum  abominabitur  Dominus.  (Psal.  5.  7.)  il  les  a  en  si 
grande  horreur,  qu'il  n'attend  pas  à  les  punir  en  l'autre 
monde  ;  il  les  punit  dès  cette  vie  comme  des  crimes  qui  crient 
vengeance  devant  lui  ;  les  meurtriers  et  les  fourbes  ne  par- 
viendront pas  à  la  moitié  des  années  qu'ils  devaient  vivre  , 
dit  le  même  Psalmiste  :  Viri  sanquinum  et  dolosinon 
dimidiabunt  diessuos;  (Psal.  54.  24.)  et  je  ne  crois  pas 
qu'on  trouve  en  l'Evangile,  que  le  Fils  de  Dieu  ait  dit  une 
parole  .si  aigre  et  si  piquante  contre  aucun  absent,  comme 
il  a  fait  contre  Ilérode  ,  en  disant  que  c'était  un  renard  , 
parce  qu'il  était  trompeur  :  DkUc  vulpi  Mi. 

CONCLUSIO. 

O.  —  {A yens  contra,  etc.)  Finissons  ce  discours  par 
trois  p  de  l'Ecriture .  par  trois  exemples  de?  Sai 


'148  SERMON  CCLXXXF. DES  JUGEMENTS 

par  trois  puissantes  raisons  qui  doivent  nous  détourner  de<? 
trois  vices  dont  je  viens  de  parler.  Contre  le  premier  :  No- 
lite  judieare,  ut  non  judicemini.  In  qiio  enim  judicio 
judicaveritis,  judlcabimini  :  et  in  qua  mensura  mensi 
fuerilisy  remetielur  vohis.  Il  est  rapporté  dans  les  cliro» 
niques  de  l'ordre  de  saint  François  ,  qu'un  des  compagnons 
de  ce  saint  patriarche  eut  une  belle  vision  ;  il  vit  un  grand 
nombre  de  religieux  de  cet  ordre  sacré  doués  d'une  beauté 
incomparable,  rayonnants  de  clarlé,  et  marchant  en  pro- 
cession ;  il  en  vit  un  plus  resplendissant  que  les  autres , 
qui  avait  les  yeux  brillants  comme  deux  soleils  ;  il  demanda 
qui  il  était  ;  on  lui  répondit  que  c'était  frère  Bernard  de 
Quintaval,  premier  compagnon  de  S.  François  ,  et  que  ses 
yeux  éclataient  ainsi,  parce  qu'il  interprétait  tout  en  bonne 
part,  et  pensait  qu'il  n'y  avait  personne  qui  ne  fût  meilleur 
que  lui  ;  en  voyant  les  pauvres  couverts  de  vieux  haillons  , 
il  disait  en  lui-même  :  Ceux-là  gardent  mieux  la  pauvreté 
que  moi,  et  il  en  faisait  autant  de  cas,  que  s'ils  eussent  choisi 
et  gardé  volontairement  cette  pauvreté  ;  en  voyant  les  riches 
bien  couverts  ,  il  disait,  touché  de  componction  :  Peut-être 
que  ces  gens  portent  la  haire  ou  le  cilice  sous  ces  beaux  ha- 
bits ;  ils  font  pénitence  en  châtiant  leur  corps  secrètement , 
et  se  revêtent  ainsi  pompeusement  pour  éviter  la  vaine  gloire. 
Quel  danger  y  aurait-il  de  faire  comme  lui  ?  vous  ne  seriez 
point  en  peine  à  l'heure  de  la  mort  ;  il  n'est  rien  de  si  ter- 
rible que  le  jugement  de  Dieu;  les  plus  grands  saints  ont 
sujet  de  le  redouter.  Heureux  mille  fois,  mille  et  mille  fois 
heureux  celui  qui  n'en  ressentira  point  la  sévérité  !  ce  sera 
vous ,  si  vous  voulez  ;  le  Juge  même  vous  en  assure  :  Ne 
jugez  point ,  et  vous  ne  serez  pas  jugé;  si  vous  jugez  votre 
prochain  avec  douceur  et  miséricorde ,  Dieu  vous  jugera  avec 
douceur  et  miséricorde. 

Contre  le  second  vice,  S.  Paul  nous  dit  :  Déponentes 
mendacium  ,  loquimini  veritatem  unusquisque  cum 
froximo,  quoniamsumusinvicem  memhra  :  Loinde  nous 
tout  mensonge  ,  que  chacun  parle  à  son  prochain  avec  vé-» 
rite)  puisque  non?  sommes  tous  membre  d'un  tttème  c«rpi| 


TKJJÉRA1RBS,  MENSONGES  il   TRÛMPERifig.  149 

dont  le  chef,  qui  est  Jésus-Christ,  est  la  vérité  même  ;  les 
membres  d'un  même  corps  ne  se  nuisent  jamais  l'un  à  Pau- 
Ère,  maissYntre-ehérissent  et  s'entr'aiment.  Le  bon  S.  Clair 
avait  bien  retenu  celle  parole  de  S.  Paul  :  Une  dame  im- 
pudente le  sollicitant  à  faire  mal  avec  elle,  il  la  rebuta  comme 
elle  le  méritait  ;  enrageant  de  dépit  de  ce  refus  elle  envoya 
deux  meurtriers  pour  fassassiner.  Us  le  trouvèrent  auprès 
de  sa  cabane,  sans  le  connaître ,  et  lui  demandèrent  s'il  ne 
savait  point  où  était  un  nommé  Clair;  il  répondit  d'abord 
que  non;  mais  comme  ils  poursuivaient  leur  chemin,  il  se 
repentit  et  les  rappela,  en  disant  que  c'était  lui  qui  s'appe- 
lait Clair.  Ces  détestables  lui  coupèrent  la  tète,  qu'il  prit 
dans  ses  mains  et  la  porta  dans  sa  célule ,  en  la  mettant  aux 
-  de  son  cher  disciple,  nommé  Ci  ri  nus.  Vous  êtes  bien 
loin  de  faire  comme  lui,  de  craindre  les  mensonges  officieux; 
vous  en  dites  de  très  pernicieux  ,  sans  considérer  ce  que  le 
Saint-Esprit  dit  par  la  bouche  du  Sage  :  Os  quodmenti- 
////*,  occidit  animam  :  (Sap.  1 .  1 1 .)  La  bouche  menson— 
gère  fait  mourir  lame.  Ilien  ne  tue  votre  àme  si  sûrement, 
rîeo  ne  vous  engage  aussi  irrévocablement  à  la  damnation 
éternelle,  que  le  faux  témoignage.  Si  la  partie  principale  ne 
satisfait  pas,  vous  êtes  obligé  à  la  restitution  du  capital, 
des  dépens,  de  tous  les  frais  de  ce  procès  injustement  gagné 
par  votre  fausse  déposition ,  et  vous  ne  la  ferez  jamais  ;  de 
cent  faux  témoins  dont  on  se  plaint,  en  a-t-on  jamais  vu 
un  seul  qui  ait  entièrement  satisfait  ? 

Contre  le  troisième  vice,  le  Fils  de  Dieu  nous  ayant  dit 
que  nous  n'entrerons  point  dans  le  royaume  des  cieux,  si 
nous  ne  tâchons  de  nous  rendre  semblables  aux  petits  en- 
fants. S.  Pierre  nous  apprend  en  quoi  nous  devons  leur  être 
semblables  :  Sicutmodo geniti  infantes, sine dolof  soyez 
comme  des  enfants  nouveaux-nés,  sans  dol,  sans  ruse,  sans 
tromperie. 

Le  saint  homme  Job  qui  n'était  que  sous  la  loi  de  nature, 
pratiquait  parfaitement  bien  cet  avertissement;  la  pre- 
mière louange  que  Dieu  lui  donna  fut  sur  sa  simplicité  : 
Avez-voosyu,  dit-il,  mon  serviteur  Job  ?(1.  8.)  il  n'a  pas 


1  50  SERMON  CCLXXXI. DES  JUGEMENTS  ,  etc. 

sou  semblable  sur  la  terre ,  c'est  tin  homme  simple ,  juste, 
craignant  Dieu  ,  et  s'éloignant  du  péché.  Heureux  celui  qui 
sait  l'imiter!  il  marcbe  partout  avec  grande  confiance  ,  dit 
le  Sage  :  Qui  amhulat  si mpliciter ,  amhulat  confidenter; 
(Prov.  10.9.)  il  ne  craint  point  d'être  surpris  en  mensonge, 
comme  le  sont  très  souvent  les  imposteurs;  les  enfants  qu'il 
laissera  après  lui  seront  heureux  :  Justus  qui  amhulat  in 
simplicitate  sua ,  beatos  post  se  filios  derelinquet  ! 
(Prov.  20.  7.)  il  a  l'honneur  de  recevoir  des  caresses ,  et 
d'avoir  des  communications  avec  Dieu  :  Cum  simplicibus 
sermocinatio  ejus ;  et  pour  comble  de  bonheur,  il  a  Dieu 
pour  son  hérédité  ;  car  le  Saint-Esprit  dit  que  pour  trouver 
Dieu,  il  faut  le  chercher  en  simplicité  de  cœur  :  In  sim- 
plicitate cordis  quœrite  illum ;  (Sap.  1.1.)  c'est  le  plus 
précieux  trésor  que  l'homme  puisse  posséder  ,  trésor  qui  le 
rendra  glorieux,  riche,  content  et  bienheureux  en  Cous  \t% 
siècle?  des  siècles.  Amen. 


SERMON  CCLXXXU 


CONTRE  LA  RECIDIVE)  QUE  C  EST  COURIR  RISQUE  DE  SON 
SALUT  DE  TOMBE!  EN  UN  SEUL  PECHE  MORTEL. 


Omiiih  |  i!irh:s  vitic  tuœ,  in  mente  liubeto  Deum  ;  et  cave  ne  aliquando  pec- 

caio  ootuentit», 
Boavenes-TOOi  de  Dieu  tous  les  jours  de  votre  vie,  et  gardez-vous  bien  de 

j  «mais  consentir  au  péché.  (ToLux.  -i.   6.)  ^ 

Cest  très  sagement,  et  avec  beaucoup  de  raison  ,  qu'il 
ne  dit  pas  peccatis  ,  mais  peccato;  car  il  y  a  grande  diffé- 
rence entre  les  vertus  et  les  vices.  Pour  être  estimé  vertueux 
(  i  se  mettre  au  chemin  du  ciel,  il  faut  avoir  toutes  les  ver- 

connexœ  sîbi  sioit,  et  concatenatœ  virtutes  ,  dit  la 
morale  chrétienne.  Je  ne  dis  pas  qu'il  faut  toutes  les  prati- 

,  mais  qu'il  faut  en  être  doué,  il  faut  les  avoir  en  ha- 
bitude, il  les  faut  aimer  et  les  affectionner;  au  lieu  que  pour 

viciera  et  en  état  de  damnation,  il  n'est  pas  besoin 
d'avoir  tous  les  vices ,  il  ne  faut  commettre  qu'un  péché. 
C\  i\  ce  que  ne  considèrent  pas  ceux  qui  disent  quelquefois  : 
Un  tel  est  grand  homme  de  bien,  il  est  le  meilleur  homme 
du  monde,  il  est  charitable,  libéral,  courtois,  débonnaire; 
mais  il  blasphème  de  temps  en  temps ,  il  est  sujet  au  vin  , 
il  est  adonné  à  ses  plaisirs  ;  et  je  désire  vous  faire  voir  que 
celui  qui  commet  un  seul  péché  mortel  court  risque  de  son 
salut ,  et  met  son  éternité  en  très  évident  danger  ;  je  le  mon- 
tre, dis-je,  en  considérant,  premièrement,  la  mortalité  de 
celui  qui  commet  le  péché;  secondement,  la  méchanceté  du 
démon  qui  le  fait  commettre;  troisièmement,  la  malignité 
du  péché  qui  est  commis;  quatrièmement,  la  majesté  de 
celui  couli-e  qui  il  est  commis. 


152  SERMON  CCLXXX1I. 

IDEA  SERMONIS. 

Exordîum.  A.  Variœ  explicationes  illorum  verborum  : 
Qui  pcccat  in  uno  factus  est  omnium  reus. 

Primum  punctum.  B.  Unopeccaio  mortali  periclitamur 
de  sainte  oh  periculum  mortis  subitaneœ;  quœ  po- 
test  accidere ,  vel  cœlilus. —  C.  Vel  humanitus. 

Secundum  punctum.  D.  Oh  malitiam  dœmonis  relinentis 
nos  in  peccato,  quod  probatur  Script  ura,  Patribus, 
ratione,  comparution  e,  figura,  exemplo. 

Tertium  punctum.  E.  Oh  tyrannidem  peccati  ,  quod  in 
alhid  crimen  nos  inducit  et  hoc  probatur  Scriptura, 
ratione, ex  emplis. 

Quartum  punctum.  Oh  incertitudinem, ,  an  Deus  data- 
nts sit  pœnitentiam  ;F '.1°  Scriplura. — G. 2°  Pair i- 
hus.  — H.  3°  llatione. 

Conclusio.  I.  Argumenta  conglohata  per  récapitula- 
tionem. 

EXORDIUM. 

A.  —  (  Variœ ,  etc.  )  Qui  peccat  in  uno  ,  factus 
est  omnium  reus* :  Celui  qui  commet  un  seul  crime,  se 
rend  coupable  de  tous  les  autres.  Celle  parole  ,  que  l'apô- 
tre  S.  Jacques  a  écrite  en  son  Epîlre  canonique,  est  si  dif- 
ficile à  entendre,  que  le  grand  S.  Augustin  ,  le  plus  éclairé 
de  tous  les  docteurs,  mais  le  plus  humble  de  tous,  pour  en 
avoir  Pinte iligenee,  ne  voulut  pas  s'en  fier  à  lui-même  ,  ni 
aux  excellentes  lumières  de  son  esprit  éclatant;  mais  il  con- 
sulta S.  Jérôme,  en  lui  écrivant  une  lettre,  qui  est  la  vingt- 
neuvième  au  second  tome  de  ses  œuvres.  Nous  ne  savons 
pas  ce  que  S.  Jérôme  lui  répondit ,  et  s'il  approuva  l'ex- 
plication que  ce  saint  docteur  lui  propose,  comme  par  ma- 
nière de  doute  et  pour  en  avoir  son  sentiment.  Factus  est 
omnium  reus ,  parce  qu'il  perd  la  grâce  de  Dieu  et  la  vie 
spirituelle,  aussi  infailliblement  que  s'il  commettait  tous  les 
péchés  du  monde,  comme  celui  qui  se  noie,  bien  qu'il  n'ait 
de  i'eau  par-dessus  sa  hauteur  que  la  hauteur  d'une  coudée, 


CONTRE  LA  RECIDIVE.  1  53 

rsl  aussi  bien  suffoqué  que  s'il  en  avait  de  la  hauteur  de 
cinquante  toises.  C'est  S.  Augustin  qui  apporte  rctie  com- 
paraison. (Epist.  '29.)  Omnium  rcus  ,  coupable  envers 
toutes  les  perfections  de  Dieu  ,  qui  sont  offensées  par  un 
seul  péché  ;  car  comme  S.  Paul  a  dit  qu'une  partie  de 
noire  corps  étant  blessée  ,  toutes  les  autres  s'en  ressentent, 
parée  que  tontes  sont  membres  d'un  même  corps  ;  ainsi  une 
seule  perfection  de  Dieu  étant  offensée,  toutes  les  autres  le 
sont ,  parce  que  toutes  sont  une  même  chose  en  truelles,  et 
une  même  chose  avec  l'essence  divine  ;  c'est  le  vénérable 
Bède  «pli  apporte  celle  explication.  Omnium  reus  ,  c'est- 
à-dire  de  toutes  les  vertus  dont  il  fait  naufrage  ,  car  perdant 
la  charité  qui  en  est  la  reine,  l'âme ,  la  vie  et  la  forme ,  il  ne 
lui  en  reste  des  autres  que  le  cadavre,  l'écorce  ,  l'appa- 
rence ;  c'est  S.  Thomas  qui  l'explique  ainsi  ,  (in  hune  Ja- 
cobi  loeum  Richar.  lib.  de  incarn.  part,  prima  ,  cap.  14.) 
citant  à  ce  propos  ces  paroles  de  S.  Jérôme  :  Ubi  est 
chantas  ,  quid  est  quod  possit  obesse  ?  ubi  abest  cha- 
i  Uaêy  niiid  est  quod  possit  prodesse omnium  reo  ?  parce 
qu'il  perd  Je  mérite  de  tontes  ses  bonnes  œuvres,  dit  Ri- 
chard de  Saint-Victor. 

PRIMUM  PUNCTUM.  —  Unico  peccato  movtali ,  etc. 

B.  —  (Periculummortis.)  S'il  était  permis  à  un  disciple 
de  parler  après  ses  maîtres  et  de  proposer  son  petit  senti- 
ment, je  dirais  que  celte  parole  de  S.  Jacques  se  vérifie  en- 
core, en  ce  que  quiconque  commet  un  péché  mortel  court 
risque  de  son  salut,  et  se  met  en  état  de  damnation  ,  et  s'il 
meurt  en  cet  état  il  commettra,  de  cœur  et  d'affection,  tous 
les  péchés  qui  peuvent  se  commettre  ;  car  c'est  l'enfer  de 
l'enfer,  et  le  plus  grand  mal  qui  soit  parmi  ces  malheureux; 
qu'ils  sont  comme  les  démons,  ils  enragent  de  dépit  contre 
Dieu  ,  et  par  ce  transport  de  colère  ,  ils  voudraient  faire 
contre  lui  toutes  les  offenses  qui  peuvent  se  commettre; 
|  ai  dit  (pic  celui  qui  commet  un  péché  court  risque  de  son 
salut,  parce  qu'il  ne  faut  qu'un  rien  pour  le  faire  mourir  en 
l'ciat  de  damnation  où  il  se  met.  La  plus  ordinaire  piperic 


154  -         SERMON   CCLXXXIÎ. 

don  *  l'esprit  malin ,  ou  un  méchant  homme ,  a  coutume  î\c 
se  servir  po  séduire  une  àme  timorée  et  la  faire  consen- 
tir à  la  tentation  ,  c'est  de  lui  dire  ;  Ce  ne  sera  pas  pour 
longtemps  que  vous  tomberez  en  ce  péché;  ce  ne  sera  que 
pour  une  fois  ou  deux,  pour  éprouver  la  douceur  de  la  vo- 
lupté et  en  passer  votre  envie ,  pour  vous  délivrer  des  im- 
portunités  de  ce  jeuue  homme,  pour  contenter  un  grand 
dont  l'appui  et  l'autorité  sont  nécessaires  à  vos  affaires  , 
pour  gagner  votre  procès,  obtenir  cet  office  ou  ce  bénéfice  ; 
après  cela  vous  cesserez  de  mal  faire,  vous  vous  en  repen- 
tirez ,  vous  vous  en  confesserez ,  vous  en  ferez  pénitence. 
Après  cela  vous  en  ferez  pénitence  !  qui  vous  a  dit  qu'ayant 
offensé  Dieu,  il  y  aura  pour  vous  un  après  ,  une  heure  ,  un 
moment?  Ne  se  pourra-t-ilpas  faire  qu'en  ce  même  instant  que 
vous  commettrez  ce  péché  la  mort  soudaine  vous  surprenne  ? 
Très  facilement,  très  facilement;  vous  ne  seriez  pas  le  pre- 
mier ,  pas  le  centième  ,  pas  le  cent  millième,  à  qui  cela  est 
arrivé  ;  et  quand  cela  n'arriverait  qu'une  fois  en  dix  mille 
ans,  l'éternité  est  si  longue ,  et  le  salut  de  S  grande  impor- 
tance ,  qu'il  le  faudrait  appréhender.  Souvenez-vous  de  la 
femme  de  Loth,  dit  notre  Sauveur  à  ses  disciples;  (Luc. 
17.  32.)  les  anges  avaient  dit  à  Loth,  (Gènes.  19.  17.) 
gagnez  au  pied  promptement,  ne  vous  arrêtez  point  en  che- 
min, ne  vous  amusez  pas  à  regarder  çà  et  là.  Sa  femme 
tourna  tant  soit  peu  la  tète  vers  l'incendie  de  Sodome,  ou 
émue  de  compassion  pour  la  ruine  de  sa  patrie,  ou  pour 
ses  intérêts  particuliers,  ou  ce  qui  est  plus  probable,  par 
curiosité  ordinaire  à  son  sexe;  elle  croyait ,  hé  !  qui  ne  l'eût 
pas  cru  ?  qu'elle  aurait  assez  de  loisir  de  retourner  et  redres- 
ser sa  tête ,  et  de  poursuivre  son  voyage;  néanmoins  en  un 
instant,  le  temps  lui  manqua  contre  son  espérance;  elle  fut 
transformée  en  une  statue  de  sel  :  non  de  bois  ou  de  pierre, 
mais  de  sel ,  dit  S.  Augustin,  afin  que  son  infortune  nous 
serve  de  sel  et  de  prudence  pour  nous  faire  sages  à  ses  dé- 
pens. Vous  vous  tournez  vers  l'embrasement  du  monde  : 
Totus  mundus  in  ma/i(/?io  positus  est ,  in  malo  iync  : 
feu  plus  funeste  et  plus  mauvais  que  celui  de  Sodome,  feu 


CONTRE  TA  RÏXIDIY!  .  |68 

de  concupiscence,  feu  de  colère,  d'envie  ^  de  vengeance  ; 
fous  tournez  vers  ce  feu,  non-seulement  pour  le  regar- 
der, mais  pour  tous  y  chauffer,  vous  vous  imaginez  que 
voi!>  auicz  assez  de  temps  pour  vous  reconnaître  et  vous 
convertir,  el  peut-être  que  sur-le-champ  ,  par  permission 
de  Die»:,  en  punition  de  votre  témérité,  le  (il  de  voire  vie 
sera  coupé  ,  comme  il  arriva  à  Onan,  à  lier  son  frère,  à 
Pharaon,  à  0/a,  à  Ananias  etSapliira,  et  à  tant  d'autres  ; 
car  c'est  nue  erreur  de  croire  que  Dieu  nous  prend  toujours 
au  meilleur  état  de  notre  vie  :  oui  l>ien  les  prédestinés,  mais 
non  les  réprouvés.  Les  hommes  sont  comparés  aux  arbres  : 
OHccidite  arborent.  Quand  on  veut,  couper  un  arbre,  pour 
ru  faire  une  riche  menuiserie  au  Louvre  ,  ou  autre  lieu  hono- 
rable,  on  épie  le  temps ,  la  saison  ,  la  lune  ,  le  cours  des 
astres  ;  mais  quand  on  veut  le  couper  pour  être  jeté  au  feu, 
on  n\  regarde  rien,  on  le  fait  en  quelque  temps  que  ce  soit. 
Quand  Dieu  veut  retirer  une  âme  choisie  de  ce  monde,  pour 
en  faire  une  rare  pièce  de  son  cabinet  eéleste,  il  attend  qu'elle 
ail  acquis  le  comble  de  ses  grâces  et  le  trésor  des  mérites 
doivent  disposer  au  degré  de  gloire  auquel  elle  est 
destinée;  mais  il  ôte  la  vie  indifféremment,  et  en  tout 
temps  ,  aux  fîmes  réprouvées  qui  ne  sortent  de  ce  monde 
que  pour  être  des  tisons  du  feu  de  l'enfer;  il  dit  souvent  en 
.  i  l'instant  qu'il  est  offensé  :  Succidite  arborent* 
C. — (fol  humant  tus.)  Quand  la  mort  soudaine  ne  vous 
.irriverait  pas  de  la  part  de  Dieu  immédiatement,  ne  peut- 
eile  pas  arriver  par  tant  d'accidents  inopinés  qui  nous  sur- 
prennent tons  les  jours?  S.  Jacques  ne  dil-il  pas  que  notre 
vie  n'est  (prune  vapeur  légère,  qui  est  dissipée  par  le  moin- 
dre souffle  .J  Na-t-on  pas  vu  souvent  des  ivrognes  surpris 
d'apoplexie  au  milieu  d'un  cabaret?  des  blasphémateurs  tués 
en  reniant  Dieu,  dans  l'ardeur  d'une  querelle?  des  adul- 
SUT  le  fait  par  les  maris  des  femmes  qu'ils 
déshonoraient ,  et  mille  autres  saisis  en  flagrant  délit ,  et 
portés  au  jugement  de  Dieu  ,  comme  on  dit,  le  larcin  à  la 
main  !  \  ous  me  direz  :  Je  me  porte  bien ,  je  suis  jeune  et 
rigoureux,  il  n'y  a  point  de  disposition  à  la  mort  .  ni  d'ap- 


156  SERMON  CCLXXXII. 

parence  de  maladie  dans  mon  corps  ;  et  je  dis  que  c'est  pour 
cela  que  vous  avez  sujet  de  craindre.  Le  Fils  de  Dieu  est  la 
vérité  même,  son  apôtre  ne  peut  mentir  :  Qua  hora  non 
putatis  Filius  hominis  veniet.  Je  viendrai  à  vous ,  lors- 
que vous  y  penserez  le  moins,  dit  notre  Sauveur  :  Quand 
ils  penseront  être  plus  assurés  ,  et  dans  une  profonde  paix , 
c'est  alors  que  la  mort  soudaine  leur  arrivera,  dit  S.  Paul  : 
(  1 .  Thés.  5.  2.)  Cum  dixerint  pax  et  securitas ,  tune 
repentinus  eis  supervenit  interitus.  Quand  est-ce  que 
vous  pensez  être  plus  assuré  ?  quand  est-ce  que  vous  pensez 
moins  à  la  mort  ?  n'est-ce  pas  quand  vous  péchez  ?  Si  vous 
vous  voyiez  en  quelque  danger  de  mourir  à  présent,  vous 
ne  seriez  pas  aussi  hardi  que  d'offenser  Dieu  ,  et  son  Ecri- 
ture vous  déclare  qu'en  ce  même  temps  que  vous  l'offensez 
vous  êtes  plus  en  danger  de  mort. 

secunj)Um  punctum.—  Oh  mctïitiam  dœmonis. 

D.  —  (  Quod  prohatur,  etc,  )  Le  Saint-Esprit  nous 
donne  un  sage  avertissement  par  l'Ecclésiastique  :  Non 
credas  tnimico  tuo  in  œiernum  :  (  Eccli.  12.  4  0  )  Ne 
vous  fiez  jamais  à  votre  ennemi ,  quelque  beau  semblant 
qu'il  vous  fasse,  et  principalement  à  un  ennemi  aussi  mortel 
et  aussi  enragé  contre  vous,  que  l'esprit  malin.  S.  Athanase, 
dans  la  vie  de  S.  Antoine  ,  nous  apprend  que  ce  saint  pa- 
triarche instruisant  ses  disciples,  leur  faisait  faire  une  belle 
réilexion  sur  une  parole  de  l'Evangile,  au  chapitre  premier 
de  S.  Marc  ,  (1 .  25.)  et  au  quatrième  de  S.  Luc.  (4.  35.) 
Le  démon  qui  possédait  un  corps  ,  louait  le  Fils  de  Dieu, 
et  lui  disait  :  Je  sais  qui  vous  êtes;  vous  êtes  un  Saint  ;  le 
Sauveur  ne  voulut  pas  l'écouter,  mais  le  reprit,  et  lui  com- 
manda de  se  taire;  et  à  son  exemple,  S.  Paul  (Act.  16.16.) 
étant  dans  la  ville  de  Philippcs  en  Macédoine,  et  entendant 
un  démon  qui ,  par  la  bouche  d'une  possédée  ,  louait  les 
apôtres,  et  les  appelait  serviteurs  du  vrai  Dieu  ,  lui  imposa 
silence,  ctie  chassa,  pour  nous  apprendre,  disaitS.  Antoine, 
de  ne  jamais  écouter  l'ennemi,  et  ne  rien  faire  à  sa  persua- 
sion, quand  même  il  nous  conseillerait  des  choses  salutaires 


CÛNTBK  LA  RÉCIDIVE.  1  T)7 

et  profitables,  parce  qifil  y  mêle  toujours  des  tromperies, 
et  pour  une  vérité  qu'il  dit,  il  donne  cinquante  mensonges  : 

Ut  nos  cjus  exemplo  ,  ctiam  si  profutura  suaderet ,  in 
ni/ I/o  iis  accommode/nuâ  assensum.  Il  vous  dit  dans  la 
tentation  ,  que  ee  ne  sera  que  pour  eette  première  fois 
que  vous  consentirez  au  péché;  pauvre  homme!  etes-vous 
si  simple  que  de  le  croire?  ne  voyez-vous  pas  que  ce  sont  des 
piperies  et  des  amusements  pous  vous  surprendre?  Consi- 
dérez ce  (pie  S.  Chrvsostôme  dit  (le  lui  :  lfostem  habemus 
perpetuum,  ac  fivderis  nescium  :  (  Chrys.  hoinil.  16.  in 
Gènes.  )  C'est  un  ennemi  irréconciliable  qui  ne  donne  point 
de  quartier,  c'est  un  esprit  acariâtre,  qui  s'attache  opiniâ- 
trement à  ee  qu'il  a  une  lois  entrepris;  c^est  un  lion  rugissant 
qui  ne  lâche  jamais  prise;  quand  il  a  une  fois  la  proie  entre 
ses  pattes ,  on  ne  la  lui  arrache  qu'à  bonnes  enseignes. 

Si  le  grand  Turc  disait  au  Roi  :  Permettez-moi  d'entrer 
au  Havre-de-Gràce,  d'y  faire  venir  une  garnison,  de  mettre 
dehors  le  gouverneur  et  les  soldats  qui  y  sont  de  votre  part , 
j-  \<>ii>  promets  que  ce  ne  sera  pas  pour  longtemps,  dans 
quatre  ou  cinq  mois  je  quitterai  celte  citadelle  ,  et  quand 
je  n'en  voudrais  pas  sortir,  vous  êtes  assez  puissant  ,  vous 
avez  des  forées  plus  que  suffisantes  pour  m'assiéger  et  nTcn 
cha-ser.  Je  m'engarderai  bien,  lui  dirait-on,  il  vaut  mieux 
tenir  que  chasser  :  Tardius  ejicifur,  quant  non  admit- 
titur  hostis.  L'esprit  malin  vous  dit  :  Permettez-moi  d'en- 
trer  dans  votre  cœur,  qui  est  un  vrai  havre  de  grâce,  de 
m'en  rendre  maître  et  possesseur  par  le  péché,  chassez  de 
votre  âme  le  Saint-Esprit,  qui  la  gouverne,  les  sept  dons 
qui  y  sont  en  garnison,  les  vertus  infuses  qui  la  défendent, 
ce  ne  sera  que  pour  un  peu  de  temps,  quand  vous  serez  venu 
à  bout  de  vos  desseins,  quand  vous  aurez  gagné  votre  pro- 
Ces,  obtenu  ce  bénéGce  ,  séduit  celte  fdle,  vous  vous  en 
repentirez.  Si  vous  avez  un  seul  grain  de  sagesse  ,  vous 
vous  moquerez  de  ces  belles  paroles,  et  vous  tiendrez  bon  à 
la  forteresse  de  votre  cœur. 

Les  enfants  de  Jacob  sortirent  de  leur  pays  natal,  qui 
était  afflige  de  famine ,  descendirent  en  Egypte  ,  où  il  y 


158  SERMON  CCLXXX1I. 

avait  abondance  de  blé ,  leur  intention  n'était  de  quitter 
leur  pays  ,  et  de  demeurer  en  terre  étrangère  ,  que  pour 
cinq  ans  ;  et  ils  s'y  trouvèrent  tellement  engagés,  qu'ils  y 
demeurèrent  quatre  cents  ans,  eux,  leurs  enfants,  arrière- 
neveux  ;  et  ils  n'en  fussent  jamais  sortis ,  mais  ils  eussent 
été  condamnés  à  une  servitude  perpétuelle,  si  Dieu  ne  les 
en  eût  retirés  avec  main  forte  ,  et  par  les  miracles  prodi- 
gieux que  vous  savez.  L'Egypte  était  le  symbole  de  l'état 
du  péché,  elle  s'appelle  en  hébreu  :  Mihraim,  angustiœ, 
tribulaliones  ,  état  d'engoisse  ,  de  servitude  ,  d'idolâtrie 
spirituelle.  Vous  quittez  la  terre  promise,  l'état  heureux  et 
souhaitable  de  la  grâce  de  Dieu,  pour  entrer  au  pays  bar- 
bare en  l'état  maudit  et  malheureux  du  péché;  votre  dessein 
n'est  que  de  jouir  de  quelque  plaisir  ,  de  contenter  impur 
diquement  ce  méchant  homme  qui  vous  nourrit  eu  temps 
de  disette  ,  de  vous  venger  d'un  affront  qu'on  vous  a  fait  et 
qui  vous  semble  trop  sensible;  vous  vous  imaginez  qu'après 
cela  vous  sortirez  d'Egypte  ,  vous  vous  affranchirez  de  la 
captivité  de  Pharaon  par  le  sacrement  de  pénitence ,  et  au 
contraire  vous  vous  trouverez  insensiblement  engagé  à  sa 
tyrannie,  tyrannie  de  quelque  mauvaise  habitude ,  affection 
gluante,  restitution  difficile  à  faire  ;  il  vous  sera  impossible 
d'en  sortir  ,  si  Dieu  ne  fait  un  miracle  en  vous,  ce  qu'il  ne 
fait  que  rarement.  Dans  l'églisede  Saint  Ursin  à  Bourges,  on 
exorcise  souvent  les  possédés  ,  et  ils  sont  quelquefois  déli- 
vrés par  les  prières  du  Saint.  Ces  années  passées  un  religieux 
exorcisant  un  de  ses  énergumènes  ,  commanda  au  diable 
de  faire  voir  au  peuple  qui  était  là  présent,  un  petit  échan- 
tillon de  ce  qui  se  fait  en  enfer  ;  tout  l'air  de  la  chapelle  se 
vit  aussitôt  rempli  de  feu  bleuâtre  et  sulfuré  ,  avec  des 
sifflements  comme  de  serpent;  les  assistants  furent  si  épou- 
vantés, qu'ils  pensaient  être  perdus,  et  criaient  miséricorde; 
l'exorciste  même  en  fut  si  surpris  ,  qu'en  cette  subite 
frayeur,  il  pria  le  démon  de  faire  cesser  celle  vision,  ce  qu'il 
lit,  mais  depuis  ce  temps-là  il  ne  voulut  jamais  plus  lui 
obéir,  et  il  se  moqua  toujours  de  sesexorcismes,  disant  :  Tu 
m'as  été  inférieur,  tu  n'as  plus  de  pouvoir  sur  moi  ;  à  plus 


CONTRE  I  v  RÊC1DH  r..  !  59 

forte  raison,  s! tous  conseillez  au  péché,  vous  fous  rendrez 
son  esclave;  ayant  été  vaincu  par  sa  tentation,  vous  serez  son 
prisonnier  de  guerre;  il  aura  droit  de  vous  asservir  malheu- 
reusement au  lois  détestabies  de  son  empire:  A  quo  guis 
êuperatus  e*t ,  hujus  et  serras  est,  (  2.  Petr.  2.  19.  ) 

TERTIUM   PUNCTUM. —  Oh  ti/ratuiiduii,  etc. 

E.  —  (Hoc  probatur,  etc.)  Quand  vous  ne  seriez  pas 
captif  du  démon,  vous  vous  rendez  esclave  du  péché,  puis- 
que Jésus  a  dit  cette  parole  qu'on  ne  pèse  pas  assez  :  Amen, 
amen  ,  dîco  vobis  ,  quia  umnis  qui  facit  peccatum  , 
serras  est  peccati.  (Joan.  8.  34.)  C'est  ce  que  S.  Paul 
craignait  pour  les  fidèles  :  Non  regnet  peccatum  in  vestro 
mortali  corpore.  (  Rom.  6.  12.  )  C'est  un  étrange  maî- 
tre que  le  péché;  c'est  une  effroyable  tyrannie  que  sa  domi- 
nation :  il  traite  tous  ses  sujets  comme  des  forçats  ;  la 
première  chose  qu'il  leur  fait,  c'est  de  les  mettre  à  la  chaîne  ; 
i!  tous  jette  aux  pieds  une  accroche  qui  vous  retient  et  vous 
empêche  d'échapper  ;  je  ne  sais  quelle  démangeaison  de 
retourner  à  cette  femme  ,  étant  amorcé  par  la  volonté  ;  la 
Crainte  de  déplaire  à  ce  méchant  homme  qui  vous  menace 
de  vous  décrier,  si  vous  ne  continuez  de  contenter  ses  pas- 
sions  brutales;  l'obligation  de  restituer  l'honneur  que  vous 
avez  blessé,  ou  le  bien  que  vous  avez  dérobé.  Et  non-seu- 
lement le  péché  vous  porte  à  de  nouveaux  péchés  semblables 
au  premier,  mais  à  plusieurs  autres  crimes  de  diverses  es- 
pèces :  De  radiée  coluhri  egredieiur  régulas  ;  (  Isa. 
1 4.  29.  )  la  couleuvre  engendre  le  basilic,  dit  Isaïe  ;  celui-ci 
ttl  plus  dangereux  que  celle-là  ;  la  couleuvre  ne  vous  en- 
venime qu'en  vous  piquant ,  le  basilic  vous  tue  même  en 
vous  regardant;  c'est-à-dire  qu'un  moindre  péché  en  pro- 
duit u\\  plus  grand,  et  un  seul  en  produit  souvent  grand 
nombre  d'autres.  Nous  le  pouvons  prouver  par  induction 
des  trois  premiers  vices  capitaux  :  l'orgueil  ,  l'avarice  ,  la 
luxure.  Stfll  au  commencement  était  grand  homme  de  bien, 
li  humble,  si  simple,  si  innocent,  que  l'Ecriture  en  parle 
(  1 .  Reg.  0.  21 .  )  comme  par  exagération  ;  elle  dit  qu'jl 


1  GO  SERMON  CCLXXX1I. 

était  comme  un  enfant ,  comme  un  enfant  d'un  an  ;  il  disait 
à  Samuel  :  Et  qui  suis-je,  pour  être  tant  soit  peu  considéré  ? 
ne  suis-je  pas  de  la  plus  petite  tribu  du  peuple  et  de  la  plus 
basse  lignée  ?  Il  se  cacha  quand  on  voulut  le  faire  roi  ; 
(1  .Keg.  1 0.22.)  mais  quand  il  fut  élevé  à  la  royauté  et  qu'il 
eut  l'ambition  en  la  tète,  il  devint  dissimulé,  envieux,  cruel, 
impie;  il  fit  semblant  de  ne  pas  entendre  les  plaintes  de  son 
peuple  :  Dissimalabat  se  audire  ;  il  porta  envie  aux 
victoires  que  David  avait  remportées  à  sa  sollicitation;  il  le 
poursuivit  à  mort  en  la  ville,  aux  champs,  dans  le  désert; 
il  fit  mourir  cruellement  quatre-vingt-cinq  prêtres  très 
innocents,  et  tous  les  habitants  de  la  ville  de  Nobé,  hommes, 
femmes,  petits  enfants  ;  (1.  Reg.  22.  18.  )  il  consulta 
une  sorcière  ,  et  il  se  fit  tuer  par  un  amalécite. 

Judas  avait  été  vertueux  et  digne  de  l'apostolat;  car  le 
Sauveur  ne  choisit  jamais  à  une  charge  celui  qui  en  est  in- 
digne, ou  en  le  choisissant  il  l'en  rend  capable,  lui  donnant 
la  dignité  il  lui  ôte  son  indignité  ;  et  il  choisit  Judas  pour 
son  apôtre  :  Elecji  vos  duodecim  ;  mais  cet  apôtre  s'étant 
adonné  à  l'avarice,  devint  apostat,  incrédule,  larron,  sacri- 
lège ,  traître  ,  homicide ,  désespéré.  David  au  commence- 
ment ne  pensa  qu'a  prendre  son  plaisir  pour  une  fois  avec 
Bersabée;  mais  tombant  de  précipice  en  précipice,  il  devint 
fourbe,  perfide,  homicide,  inhumain. 

quartum  pijnctum.  — Oh  incertiludinem,  etc. 

F.  —  (1°  Scriptura.)  Mais  quand  vous  ne  tomberiez 
pas  dans  de  nouveaux  péchés ,  si  vous  commettez  celui  dont 
vous  êtes  tenté,  qui  vous  a  dit  que  vous  vous  en  relèverez  ? 
vous  ne  le  ferez  jamais  sans  une  faveur  particulière  de  Dieu  ; 
et  où  vous  a-t-il  promis  cette  faveur?  quelle  raison  avez-vous 
de  croire  qu'il  vous  la  fera  ?  quel  sujet  n'avez-vous  pas  de 
craindre  qu'il  vous  la  refuse  étant  en  colère  contre  vous ,  et 
justement  irrité  par  votre  crime  ?  ne  devez-vous  pas  appré- 
hender qu'il  n'accomplisse  en  vous  ces  menaces  qu'il  fait  par 
ses  Ecritures  ?  Si  l'homme  de  bien  fait  banqueroute  à  la 
vertu,  il  mourra  en  son  iniquité;  les  injustes  seront  punis, 
et  Dieu  perdra  tMm  tes  pécheurs. 


I  ON  I  RE    1  A    !,!(   Il)l\  L.  |  (il 

Si  incluterit,  nullusest  t/m'  aperiat.  (Job,  12.  14.) 
Si  Dion  nous  lien!  enfermés,  qui  est-ce  qui  nous  ouvrira 
pour  échapper?  Pour  donner  jour  à  code  parole  de  Job,  et 
pour  réveiller  votre  attention,  il  faut  que  je  vous  raconte 
une  histoire  tragique,  mais  véritable  qui  est  arrivée  de  noire 
temps.  Pendant  ees  guerres  passées ,  un  gentilhomme  de 
Champagne  laissa  sa  femme  et  ses  entants  dans  une  maison 
de  plaisance  qu'il  avait  aux  champs,  et  alla  servir  le  roi  dans 
Tannée  des  Pays-Bas.  Etant  parmi  ses  camarades ,  il  parla 
un  peu  trop  ,  comme  font  souvent  les  soldats  ;  il  décrivit  sa 
maison ,  sa  famille  ,  ses  jardins  et  autres  héritages,  et  même 
il  se  vanta  d  y  avoir  laissé  grande  quantité  d'or  et  d'argent. 
Quelque  temps  après  (kux  autres  cavaliers  se  détachent  de 
Tannée  ,  demandent  congé  à  leur  capitaine  sur  je  ne  sais 
quel  prétexte,  vont  dans  la  maison  de  ce  gentilhomme,  de- 
mandent à  parler  à  sa  femme,  lui  font  les  recommandations 
de  -ou  mari,  lui  en  disent  des  merveilles,  lui  donnent  des 
enseignes  particulières  de  la  familiarité  qu'ils  avaient  avec 
lui.  Elle,  ravie  d'apprendre  des  nouvelles  de  son  mari  et 
d'entendre  parler  à  son  avantage,  les  fait  entrer,  leur  fait 
bonne  chère,  et  après  les  conduit  dans  une  chambre  pour 
se  reposer  ;  sur  le  minuit  ils  se  lèvent,  ils  tuent  les  valets 
qui  eussent  pu  empêcher  leurs  mauvais  desseins;  ils  vont 
trouver  cette  pauvre  dame  :  Madame,  madame,  la  bourse, 
autrement  vous  êtes  morte?  Hélas!  Messieurs,  laissez-moi 
l'honneur  et  la  vie,  et  vous  aurez  tout  ce  qu'il  vous  plaira. 
Elle  se  lève  promptement,  s'habille  à  demi,  prend  les  clefs, 
le-  mène  en  une  chambre  où  était  le  trésor.  Pendant  qu'ils 
l'amusèrent  à  fouiller  dans  le  coiïrc  et  à  prendre  les  pisto- 
lcs  ,  elle  ne  fut  point  sotte,  toute  troublée  qu'elle  était  ;  elle 
sort  promptement  de  la  chambre,  pousse  la  porte  qui  se 
fermait  avec  un  bon  ressort  et  qui  ne  s'ouvrait  que  du  dc- 
hors;  voilà  mes  oiseaux  en  cage  bien  étonnés.  Hé!  Madame, 
ayci  pitié  de  nous,  faites-nous  miséricorde,  donnez -nous  la 
vie.  Miséricorde,  vous  l'avez  bien  méritée!  Bile  appelle  des 
gens,  on  leur  met  la  main  sur  le  collet,  on  les  lie  bien  étroi- 
tement ,  on  les  met  entre  les  mains  de  la  justice;  ils  furent 


162  SERMON  CCLXXXII. 

roués  à  Troyes  en  Champagne.  Vous  faites  eomme  eux ,  et 
vous  ne  le  croyez  pas  ;  vous  prenez  la  hardiesse  de  mettre  à 
mort  le  Fils  de  Dieu  par  vos  blasphèmes  et  vos  sacrilèges; 
vous  faites  mourir  de  disette  le  pauvre  orphelin  et  la  veuve  ; 
vous  ravagez  et  butinez  leur  bien  ;  et  cela  faisant  vous  vous 
emprisonnez  ,  vous  vous  mettez  dans  un  état  dont  vous  ne 
pourrez  pas  sortir  de  vous-même  ;  vous  vous  enfermez  dans 
un  cachot  qui  ne  s'ouvre  que  par  le  dehors  ;  c'est  Dieu  seul 
qui  en  a  la  clef,  lui  seul  peut  vous  ouvrir  cette  prison  -,  lui 
seul  vous  peut  retirer  de  ce  labyrinthe  ;  il  n'est  pas  obligé 
de  vous  faire  cette  faveur;  il  ne  la  doit  à  personne,  il  ne 
Ta  promise  à  personne  ,  il  la  refuse  à  plusieurs. 

G. — (2°  Patribus.)  Ecoutez  S.  Grégoire  :  Tout  homme 
qui  fait  le  mal  se  fait  une  prison  de  sa  propre  conscience,  et 
il  est  juge  de  son  propre  crime ,  sans  que  personne,  l'accuse  ; 
et  quand  il  est  délaissé  dans  les  ténèbres  de  son  péché  par 
un  jugement  de  Dieu,  il  est  comme  emprisonné  en  lui-même, 
ne  trouvant  point  de  moyen  d'en  sortir,  parce  qu'il  ne  le 
mérite  pas  ;  car  souvent  quelques-uns  désirent  sortir  du 
mauvais  élat  où  ils  sont,  mais  étant  accablés  du  poids  de 
leurs  actions  déréglées,  et  enfermés  dans  la  geôle  de  leur 
mauvaise  habitude,  ils  n'en  peuvent  pas  sortir  :  «  Omnis 
«  homo  per  id  quod  maie  agit  quid  sibi  aliud ,  quam  con- 
«  cientiae  suœ  carcerem  facit ,  ut  hune  animi  reatus  premat, 
u  etiamsi  nemo  exterius  accuset ,  qui  cum  judicante  Deo  , 
«  in  malitiae  sua?  cœcitate  relinquitur  ,  quasi  intra  semetîp- 
«  sum  claudilur  ,  ne  evadendi  locum  inveniat ,  quem  inve- 
«  pire  minime  meretur  ;  nam  ssepe  nonnulli  a  pravis  actibus 
«  exire  cupiunt,  sed  quia  eorumdem  actuum  pondère  pre- 
n  muntur,  in  malse  consuetudinis  carcere  inclusi,  a  semet- 
«  ipsis  exire  nonpossunt.  »  (Greg.  lib.  \  \ .  Moral,  cap.  5.) 

H.  —  (3°  Ratlone.)  C'est  pour  cette  raison,  dit  S.  Cy- 
prien ,  que  les  saints  martyrs  ont  mieux  aimé  souffrir  toute 
sorte  de  tourments,  que  de  consentir  à  un  seul  péché  mor- 
tel ;  ils  savaient  bien  qu'ils  eussent  pu  s'en  confesser  et  en 
recevoir  l'absolution  ;  mais  ils  savaient  aussi  que  la  confes- 
sion et  la  communion  sont  inutiles  sans  une  vraie  renenlance, 


CONTRE  IA  r.iVnm  i  .  1  63 

cl  que  celle  repentance  dépend  du  bon  plaisir  do  Dieu,  qui 
i,i  peul  accorder  libéralement  $  ou  justement  refuser  à  ceux 
qui  la  lui  demandent  :  Non  omne  quod  yetitur  in  prœ- 
judicio  pelentis ,  sed  in  dantis  arhitrio  -position  eut. 

CONCXUSIO. 

L  —  {argumenta  conylobata.)  Suivez  donc  le  conseil 
très  salutaire  el  1res  important  que  Tobie  vous  a  donne  au 
commencement  :  Cavenealiquando  peccato  consentias: 

(iardez-voiis  de  consentir  au  péché  ,  pas  même  une  seule 
fols.  A  oudriez-vous  désobliger  une  seule  fois  un  prince  du- 
quel votre  bonne  fortune  dépendrait  entièrement  ?  et  vous 
offenserez  ce  grand  Dieu,  duquel  dépend  votre  bonheur, 
Votre  avancement,  voire  béatitude,  pour  le  temps  et  pour 
(éternité!  Regarderiez-vous  de  bon  œil  votre  femme  qui 
aurait  faussé  la  foi  et  souillé  votre  lit  conjugal  une  seule  fois 
'  i)  sa  fie  ?  pourrait-elle  jamais  s'appeler  femme  d'honneur 
el  de  promesse  ?  vous  est-elle  plus  obligée  que  vous  ne  Têtes 
i  \otre  Dieu  ?  ne  devez-vous  pas  plus  de  fidélité  à  l'époux 
de  votre  âme  et  aux  promesses  que  vous  lui  avez  faites  au 
baptême,  (prune  femme  n'en  doit  à  son  mari  et  aux  pro- 
messes qu'elle  lui  a  faites  à  son  mariage  ?  Cette  seule  fois 
vous  rendra  criminel  de  lèse-majesté  divine ,  coupable  de 
Ja  moi l  d'un,  Dieu  ;  si  le  Sauveur  n'était  pas  mort,  il  fau- 
drait qu'il  mourût  et  répandit  son  précieux  sang  pour  ex- 
pier ce  péché,  et  il  serait  très  content  de  mourir  derechef, 
li  c'était  nécessaire  pour  vous  empêcher  de  le  commettre.  Par 
ce  seul  péché  mortel,  vous  rendriez  plus  de  déshonneur,  de 
déplaisir  et  de  desservice  au  bon  Dieu  ,  que  vous  ne  lui  sau- 
riez rendre  d'honneur ,  de  plaisir  et  de  service  par  toutes 
les  bonnes  œuvres  de  votre  vie  ;  toutes  les  bonnes  œuvres  que 
vous  pouvez  faire,  ne  lui  rendent  qu'un  honneur  fini  ;  ledé,- 
bonneur  que  le  péché  lui  fait  est  un  déshonneur  infini. 

Cette  seule  fois  sera  cause  que  ce  méchant  homme  aura 
l'avantage  sur  vous,  il  se  moquera  de  vous,  il  en  fera  des 
railleries  avec  ses  camarades,  vous  rougirez  toutes  les  fois 
que  vous  le  rencontrerez,  vous  aurez  du  déplaisir  de  votre 


164  SERMON  CCLXXX1I. 

lâcheté  ;  il  vous  menacera  de  la  publier ,  si  vous  ne  conti- 
nuez à  le  contenter.  Cette  seule  fois  vous  fera  faire  naufrage 
de  tous  vos  mérites ,  et  Ton  ne  vous  saurait  bien  dire  quand, 
ni  comment  vous  les  recouvrerez  ;  les  docteurs  en  parlent 
diversement.  Cette  seule  fois  vous  mettra  en  la  disgrâce  de 
Dieu ,  vous  rendra  son  ennemi  mortel  ;  et  c'est  le  plus  grand 
mal  qui  puisse  arriver  à  une  créature  ,  que  d'être  en  inimi- 
tié avec  son  Dieu ,  même  un  seul  moment  de  sa  vie  ;  ce 
péché  vous  remplira  de  regret,  de  scrupule,  de  mauvaises 
pensées,  d'imaginations  déréglées  le  reste  de  vos  jours; 
vous  mettra  en  danger  de  retomber  plusieurs  fois  et  d'aller 
de  précipice  en  précipice.  Il  est  de  l'innocence  comme  des 
fruits;  tant  qu'ils  sont  entiers  on  les  conserve  aisément  avec 
un  peu  de  soin  ;  mais  des  qu'ils  sont  une  fois  entamés  ,  ils 
se  pourrissent  à  vue  d'œil ,  et  de  plus  en  plus  chaque  jour. 
Ce  péché  vous  engagera  à  de  très  grands  supplices  qu'il 
faudra  souffrir  en  enfer  ou  en  purgatoire,  détournera  mille 
bénédictions  que  Dieu  aurait  versées  sur  vous ,  sur  votre 
famille,  sur  votre  postérité,  y  attirera  sa  malédiction,  comme 
nous  voyons  qu'un  seul  péché  du  premier  homme  a  engagé 
toute  sa  lignée  à  mille  disgrâces  et  misères  que  nous  res- 
sentons tous  les  jours  :  Unius  delicio  muîti  morlui  sunt. 
(Rom.  5.  45.)  Après  ce  seul  péché  mortel,  vous  pouvez 
mourir  soudainement,  et  en  ce  cas,  vous  serez  damné  aussi 
longtemps ,  aussi  éternellement,  que  si  vous  aviez  commis 
tous  les  péchés  du  monde  ;  cette  seule  fois  sera  cause  que 
le  diable  se  vantera  à  jamais  de  vous  avoir  surmonté;  il  dira 
en  vous  bravant  :  Prœvalui  adversus  eum  :  J'ai  eu  l'a- 
vantage sur  lui;  il  vous  retiendra  dans  ses  pièges  plus  long- 
temps que  vous  ne  pensez  ;  et  quand  même  vous  en  échappe- 
riez ,  il  se  glorifiera  de  vous  avoir  gourmande,  d'avoir  logé 
dans  votre  cœur,  de  vous  avoir  eu  pour  esclave.  Après  cette 
seule  fois ,  vous  ne  pourrez  jamais  savoir  en  votre  vie  ,  si 
vous  en  avez  eu  une  vraie,  surnaturelle,  légitime  repen- 
tance ,  telle  que  Dieu  la  demande  de  vous,  vous  ne  pourrez 
savoir  si  Dieu  justement  irrité  contre  vous  ne  vous  refu- 
sera poim  la  faveur  d'en  recevoir  l'absolution, 


(<)\ïi  V  i.  v    RKCID1VB.  4  05 

(\tre  donc  ,  ne  aliquando  peccato  consent  tas  :  Ciar- 
dc/-vous  bien  de  jamais  consentir  an  péché  ;  à  cet  effet,  in 
mente  haheto  Dcum  ,  SOUVenez-VOUS  de  Dieu,  comme 
S.  Eléazar,  an  livre  des  Machabées  :  Dicens  se  velle prat- 

mitli  in  inferntimfi\i\\  disait  :  J'aimerais  mieux  être  envoyé 
en  enfer  ,  que  d'offenser  mon  Dieu  ,  faisant  semblant  de 
manger  des  viandes  défendues  par  la  loi. 

Souvenez-vons  de  Dieu  ,  comme  les  sainfs  martyrs  Ma- 
chinées, (  42.  Maeh.  7.  6.  )  qui  disaient  :  Si  nous  sommes 
fermes  en  notre  devoir  ,  et  si  nous  ne  consentons  pas  à  la 
tentation  pour  L'amour  de  notre  Dieu ,  il  en  recevra  beau- 
coup de  gloire ,  ce  lui  sera  un  grand  honneur  et  un  sujet 
de  consolation  d'avoir  des  serviteurs  si  fidèles  :  In  servis 
suis  consolai) ii h r  Deus. 

In  mente  haheto  Deum  ,  souvenez-vous  de  Dieu  , 
comme  S.  Polycarpe  ,  ce  vénérable  vieillard  de  quatre- 
vingt-six  ans,  qui  étant  condamné  à  être  brûlé  tout  vif,  s'il 
ne  disait  pas  des  paroles  impies  contre  notre  Sauveur,  ré- 
pondit :  Il  ne  m'a  jamais  désobligé  ;  pas  même  une  seule 
j'ois;  il  m'a  obligé  et  comblé  de  biens  toute  ma  vie,  comment 
pourrais-être  si  ingrat  que  de  l'offenser,  quand  ce  ne  serait 
qu'une  seule  fois  ? 

Souvenez-vous  de  Dieu,  comme  David  qui  disait  :  Pro- 
videbant  Dominant  in  conspectu  meo  semper,  quoniam 
a  desiris  est  mihi.  (  Psal.  15.  8.  )  Dieu  est  toujours  au- 
près de  vous ,  il  a  les  yeux  collés  sur  vous,  il  vous  regarde 
attentivement,  il  considère  si  vous  serez  fidèle  et  courageux, 
si  vous  tiendrez  bon  en  votre  devoir;  il  veut  être  votre  par- 
rain en  ce  combat ,  le  spectateur  de  votre  constance ,  le 
rémunérateur  de  votre  victoire ,  la  couronne  et  la  gloire  de 
■  triomphe  en  la  béatitude  céleste.  Amen. 


SERMON  CCLXXXÏÏT. 

DES  CAUSES  ET  DES  REMEDES  DU  PECHE, 


Cave  m  aliqmndo  peccato  conscntias* 

Gardez-vous  bien  de  jamais  consentir  au  péclié.  (Tob.  4.  6.) 

Puisque  c^st  un  si  grand  mal  de  tomber  dans  le  péché 
mortel,  et  encore  plus  dV  retomber  quand  on  en  a  été  affran- 
chi ,  il  importe  beaucoup  à  notre  salut  de  savoir  par  quelle 
voie  nous  pouvons  l'éviter  ;  une  des  plus  efficaces  ,  à  mon 
avis,  est  de  considérer,  premièrement,  quelles  sont  les 
causes  les  plus  ordinaires  des  péchés  qui  se  commettent  ; 
en  second  lieu,  par  quels  remèdes  il  faut  les  prévenir  et 
nous  en  garantir.  (Test  ce  qui  fera  le  sujet  et  les  deux 
points  de  ce  discours. 

IDEA  SERMONIS, 

Exordium.  À.  Ut  aliquis  morbus  sanetur  ,  débet  cog- 
nosci  per  suas  causas, 

Priimim  punctum.  Causœ  peccati  sunt  très  :  Prima, 
naturel^  cujus  consideramus  genus  ,  speciem  ,  m- 
dividua. — B.  Secunda  ;  mala  consuetudo  :  — 
C.  VScriptura.  —  D.  T  Patrihus.  —  E.  3°  Com- 
paratione.  — F.  4°  Historia.  - — G.  5°  Ratione.  — 
H.  6°  Tertia,  occasio,  quodprohatur  exemplo  Alipii. 

Secundum  punctum.  Remédia,  tollere  causas  :  Primam 
oratione.  — I.  Secundani,  labore*  —  L.  Tertiam  . 
fuga. 

Conclusio.  M.  Exliortatio  ad  supra  dicta, 

EXORDIUM. 

A.  (  Ut  aliquis ,  etc.  )  Quod  ignorai  medicina,  non 
sanat ,  dit  le  concile  de  Trente  ;  et.  le  proverbe  ancien 
disait  ;  Maladie  bien  connue  est  à  moitié  guérie  Le  prince 


8EAM0N  ccxxxxill. — DBS  CAUfi]  s,  etc.  1  07 

médecins,  Hippocrate,  parlant  de  son  art,  an  commen- 
cement de  ses  Aphorismes,  ne  dit  pas  «jne  le  remède  des 
infirmités  humaines  est  difficile,  niais  bien  le  jugement  et 
Ja  connaissance  :  /  ita  brevis  ,  ara  lonrja  ,  judicium 
difficile.  La  providence  deDieua  pourvu  très  suffisamment 
ii  terre  de  -impies ,  de  drogues,  de  minéraux,  et  autres 
créatures  ,  comme  remède  de  nos  maladies  ;  mais  l'impor- 
tance est  de  bien  savoir  les  appliquer,  et  Ton  ne  les  peut 
bien  appliquer  si  Ton  ne  connaît  la  cause  du  mal.  LYxpiN 

rience  journalière  nous  montre  qu^un  même  remède  appliqué 

à  diverses  personnes ,  pour  une  même  maladie  ,  ou  à  une 

personne,  en  divers  temps,  n'a  pas  toujours  le  même  effet, 

mais  en  produit  de  tout  contraires,  parce  que  deux  maladies 

toutes  semblables  ne  procèdent  pas  toujours  d'une  môme 

cause;  il  en  faut  dire  tout  autant  des  maladies  de  l'àme  qui 

sont  les  vices  ,  pour  les  prévenir  avant  qu'elles  arrivent,  et 

jiérir  quand  elles  sont  arrivées.  Il  importe  beaucoup 

ionnallre  les  causes,  pour  les  éteindre  et  les  anéantir, 

:  source  étant  une  fois  tarie  ,  les  ruisseaux  sont  aisc- 

MIMUM  punctum —  Causœ  peccati,  etc. 

B.  -  ta,  natura,  etc.)  Je  trouve  donc  qu'il  y  a 

principales  et  plus  ordinaires  causes  des  péchés  qui  se 
commettent  au  monde  :  la  nature,  l'habitude,  l'occasion. 
La  première,  c'est  la  nature.  Si  nous  en  considérons  le  genre 
Pespèce,  l'individu,  nous  dirons  de  notre  ame,  aussi  bien 
que  de  notre  corps  ,  ce  qu'Hippocrate  en  a  dit  :    Totus 
homo  morbus  est.  Le  propre  de  la  créature  est  d'être  fau- 
tive ,   frêle,  fragile  :  un  enfant  se  ressent  toujours  de  son 
extraction,  un  ruisseau  de  sa  source,  une  branche  de  sa  râ- 
la créature  étant  tirée  du  néant,  elle  y  tend  continuel- 
'  i  el  tombe  aisément  dans  le  péché  qui  est  un  vrai 
Déant.  Nous  Pavons  vu  dans  la  première  créature,  qui  est 
'■  :  "l  était  doué  d'un  entendement  tout  dadairs,  bril- 
I  lumineui  tout  ce  qui  ce  peut,  d'une  volonté  droite 
;t  bien  l  a^il  reçu  de  Dieu  tant  de  lumière,  tant 


168  SERMON  CCLXXX1II. 

de  sagesse  ,  tant  de  talents,  tant  de  trésors  de  grâce,  il 
n'avait  point  de  chair,  point  de  concupiscence,  point  de  ten- 
tation au  dehors;  et  le  Prophète  dit  qu'il  est  tombé,  et  il 
admire  comme  cela  s'est  fait  :  Quomodo  cecidistide  cœlo, 
Lucifer?  Qui  cecidit  stahili  non  eratille  pede. 

L'homme  s'étant  rendu  complice  de  son  crime  a  corrompu 
toute  son  espèce;  il  fa  tellement  gâtée  et  viciée  ,  qu'il  n'y 
a  point  de  puissance  en  L'âme  ,  point  de  faculté  en  l'esprit 
qui  ne  soit  atteinte  de  quelque  défaut  ;  l'entendement  est 
offusqué,  la  mémoire  pervertie,  la  volonté  déréglée,  l'ima- 
gination volage  et  inconstante;  dans  la  colère,  ce  n'est  que 
îcu  et  précipitation;  dans  l'appétit  concupiscihle,  la  sensua- 
lité, qui  est  fomes  peccati ,  est  un  tison  ,  une  amorce,  une 
disposition  à  toute  sorte  de  péché,  qui  est  en  tous  les  hom- 
mes, et  qui  les  met  en  danger  de  tomber  en  tout  temps , 
en  tout  lieu  et  en  toute  occurrence  :  Sensus  et  cogitatio 
liumam '  cor  dis  in  malum  prona  sunt  ab  adolescentia 
sua;  (Gènes.  8. 21 .)  et  de  plus,  chacun  de  nous  a  une  pente 
et  une  inclination  naturelle  à  quelque  vice  particulier  ;  les 
tempérammenls  bilieux  à  la  colère  ,  les  sanguins  à  l'impu- 
reté ,  les  autres  à  d'autres  vices  ,  selon  l'humeur  qui  pré- 
domine en  eux  :  Motus  animarum  sequuntur  tempe- 
ramenlum  corporis. 

C.  — (  Secundo )  malaconsuetudo  :  1°  Scriptura.  ) 
Celle  première  nature  est  beaucoup  aidée  de  la  seconde 
qui  est  la  mauvaise  coutume  ;  le  Saint-Esprit  en  exprime 
bien  la  tyrannie  ,  quand  il  dit  :  Funihus  peccatorum 
suorum  conslringilur  yeccator  :  (  Prov.  5.  22.  )  Le 
pécheur  est  garrotté  par  la  chaîne  de  sa  mauvaise  habitude. 

D. —  (2.°  Patribus.)  Voulez-vous  voir  quels  sont  les 
divers  chaînons  de  cette  chaîne ,  les  cordeaux  qui  compo- 
sent cette  corde  ?  écoutez  S.  Augustin  :  (lib.  8.  Confess. 
cap.  5.)  «  Suspirabam  iigatus  ,  non  ferro  alieno  ,  sed 
«  mea  ferrea  voluntate.  Quippe  ex  voluntate  perversa , 
«  facta est  libido.  Et  dumservitur  libidini,  factaest  epnsue- 
v.  tuoOé  Et  dura  consuctudini  non  resistitur  facta  est  ne- 
«  cesshéty  qitîbit!?  quasi  antuilîs  sihimei  inexis ,  tenebâf  m$ 


DBS  CAUSES  BT  RKMÈDES  DU  PfcCHB.  1      » 

«  ohstriotum  dura  servitus  :  »  Je  soupirais  étant  encore 
attaché,  non  par  des  fers  étrangers  ,  mais  par  ma  propre 
yolonté  qui  était  plus  dure  (pie  le  1er;  le  démon  la  tenait  en 
sa  puissance  ,  il  en  avait  fait  une  chaîne  ,  et  il  m'en  avait 
lié  ;  car  en  se  déréglant  dans  la  volonté  ,  on  s'engage  dans 
la  passion  ;  en  s'abandonnant  à  la  passion  ,  on  s'engage 
dans  l'habitude,  et  en  ne  résistant  pas  à  l'habitude  ,  on 
s'engage  à  la  nécessité  de  demeurer  dans  le  vice  ;  ainsi 
cette  suite  de  corruption  et  de  désordre,  comme  autant 
d'anneaux  enlacés  les  uns  dans  les  autres,  formait  celte 
chaîne  avec  laquelle  mon  ennemi  me  tenait  captif  dans  une 
cruelle  servitude.  Farta  est  nécessitas  ,  voilà  une  étrange 
parole  ,  mais  bien  véritable  :  quelle  inclination  plus  néces- 
saire, plus  puissante,  plus  violente  que  celle  de  la  nature? 
et  vous  savez  ce  que  disent  les  philosophes  :  Consuetudo 
est  altéra  natura  :  L'habitude  est  une  seconde  nature  , 
aussi  forte,  impétueuse,  invincible,  pour  le  moins  que  la 
première. 

E.  —  3°  Compara tione.)  Ce  n'est  pas  seulement  la 
philosophie  qui  avance  celte  vérité  ,  c'est  le  Saint-Esprit 
même  qui  compare  l'assiduité  au  péché  à  des  qualités  natu- 
relles et  naturellement  inaltérables  :  Si  potest  yEthiops 
mutare  pellem  suam  ,  aut  pardus  varietaies  suas, 
et  vos  poteritis  benefacere  ,  cum  didiceritis  malum, 
(Jerem.  13.  23.) 

Vous  useriez  bien  toute  l'eau  de  la  mer  ,  et  tout  le  savon 
de  France  à  laver  un  nègre  d'Ethiopie ,  avant  que  de  lui 
effacer  le  moindre  trait  de  sa  noirceur  ;  et  quand  un  homme 
esthabitué  au  péché,  si  Dieu  ne  (ait  un  miracle,  toutes  les  me- 
naces de  son  père,  les  remontrances  de  sa  mère,  les  exhor- 
tations de  ses  amis  ,  cl  toute  l'éloquence  du  prédicateur  ne 
servent  pas  d'une  goutte  d'eau  pour  lui  ôter  cette  tache  ; 
cVsl  laver  un  Rthiopieu  que  de  lui  parler.  Mais  d'où  vient 
que  le  Saint-Esprit  -c  sert  de  deux  comparaisons  pour  ex- 
pliquer une  riîôme  chose  ?  d'où  vient  qu'après  avoir  dit  qu'il 
est  aussi  malaisé  de  vous  corriger  que  de  blanchir  un 
*  ,  i!  Djoqto:  Que  do  changer  les  tavelures  d'un 

■  l 


170  SEUMON  CCLXXX11I. 

léopard  ?  C^st  qu'il  peut  arriver  qu'on  ôte  ïes  mori- 
chelures  du  léopard  en  lui  rasant  le  poil ,  mais  ce  ne  sera 
que  pour  peu  de  temps  ;  au  bout  de  sept  ou  huit  jours  ,  le 
poil  commence  à  recroître  et  les  tavelures  reviennent;  ainsi 
il  arrive  quelquefois  que  vos  péchés  semblent  entièrement 
rasés  par  le  fer  de  la  pénitence;  vous  vous  en  abstenez  quel- 
que temps  après  votre  confession  ;  mais  les  racines  de  vos 
tavelures  demeurent  toujours  en  votre  cœur ,  les  mauvaises 
habitudes  n'étant  point  arrachées,  elles  produisent  bien- 
tôt de  nouvelles  actions  aussi  vicieuses  et  aussi  odieuses 
que  les  précédentes  :  Naturam  expellas  furca  ,  (amen 
usqxte  recurret  ;  consuetudo  altéra  natara.  Nous  pou- 
vons dire  ,  et  l'expérience  ne  le  montre  que  trop  ,  que  la 
tyrannie  d'une  mauvaise  nature  et  la  tentation  du  diable  ne 
sont  point  aussi  malignes  ,  ni  aussi  dangereuses  qu'une  ha- 
bitude vicieuse.  Une  inclination  naturelle  qui  n'est  pas  en- 
core jointe  à  l'habitude  ne  va  jamais  au-delà  de  ce  qui  est 
nécessaire  ;  la  mauvaise  habitude  nous  porte  à  vouloir  plus 
qu'il  n'est  besoin,  plus  que  la  nature  ne  désire.  Le  loup  est 
d'un  naturel  goulu  ,  mais  il  ne  mange  jamais  au-delà  du 
besoin;  l'homme  qui  est  accoutumé  à  la  gourmandise, 
boit  et  mange  sans  faim  et  sans  soif  ;  celui  qui  est  natu- 
rellement enclin  au  larcin,  ne  dérobe  que  ce  qui  lui  est  utile 
et  nécessaire  ;  celui  qui  en  a  la  coutume  ,  dérobe  ce  qui  ne 
lui  sert  de  rien  ,  témoin  cet  infortuné ,  dont  S.  Dorothée 
fait  mention,  (Doctrina  ,11.) 

F. — (4°  Historia.)  Acctyite  rem  lacrymahihm  ,  dit 
ce  Saint.  L'abbé  du  monastère  où  j'étais  ,  avait  commandé 
aux  religieux  de  découvrir  naïvement  leurs  tentations ,  pour 
tâcher  d'y  remédier.  Un  jeune  religieux  s'adresse  à  moi  , 
s'accuse  ,  et  demande  pénitence  de  ce  qu'il  mangeait  à  la 
dérobée  ,  hors  des  repas  ;  je  lui  en  demandai  la  cause  : 
C'est,  dit-il,  que  je  meurs  de  faim,  et  ce  qu'on  donne  au  ré- 
fectoire ne  me  suffit  pas.  Je  commande  au  dépensier  de  don- 
ner à  ce  bon  frère  tout  ce  qu'il  lui  demanderait ,  à  quelle 
heure  que  ce  fût ,  pour  lui  ôter  le  sujet  de  dérober.  Il  s'en 
abstient  pour  quelque  temps,  et  puis  i!  ylent  pour  une 


DES  CAUSES  B1    nniinisui    PECHK.  171 

s<  ronde  fois  s'accuser  d'y  être  retombé.  Je  lui  dis  :  Le 

dépensier  vous  rcfuse-t-il  quelque  chose?  Non  ,  mon  père, 
mais  je  suis  honteux  de  lui  demander  ce  qui  m'est  nécessaire. 

El  de  moi ,  en  serez-vous  aussi  honteux  ?  n'aurez-vous 
pas  bien  la  confiance  de  me  demander  tous  vos  besoins  , 
connue  vous  prenez  la  confiance  de  me  dire  vos  infirmités  ? 
1res  volontiers.  Il  le  fait,  pendant  quelques  jours;  mais 
enfin  il  vient  encore  dire  sa  coulpe  en  pleurant,  et  s'aocii- 
sant  d'avoir  dérobé.  Mon  frère  ,  pourquoi  le  faites- VOUS , 
vu  que  vous  n'êtes  pas  honteux  de  moi ,  et  que  je  ne  vous 
refuse  rien  ?  Il  faut  que  je  confesse  la  vérité  :  ce  n'est  ni 
la  nécessité,  ni  la  faim  qui  m'y  oblige  ,  ce  n'est  qu'une 
mauvaise  habitude  que  j'ai  contractée  de  longue  main  , 
car  je  ne  mange  pas  la  moitié  de  ce  que  je  dérobe  ;  et  en 
effet  ,  on  trouva  qu'il  cachait  dans  sa  paillasse  ,  des  fèves  , 
df  i  dattes  ,  des  figues  ,  des  oignons  ,  et  tout  ce  qu'il  pou- 
vail  attraper  ;  et  quand  ils  étaient  à  moite  pourris  ,  il  les 
|  lil  à  r  rie  du  monastère ,  tant  l'oppression  d'une  mau- 
habitude  est  inévitable  et  cruelle. 

G.  — (5°  Ratione.)  Il  y  a  des  objets  de  péché  qui  font 
horreur  à  la  nature,  quelque  corrompue  et  dépravée  qu'elle 
soit,  et  la  mauvaise  habitude  en  fait  ses  délices  et  ses 
contentements.  Vrous  verrez  une  femme  laide,  vieille  ^ 
{.liante  ,  cautérisée  ;  un  jeune  homme  naturellement  enclin 
à  l'impureté  en  aurait  horreur,  ce  lui  serait  un  remède  d'a- 
mour ;  un  vieux  fou  qui  est  accoutumé  à  elle  est  charmé  et 
passionné. 

La  nature  a  du  sentiment  de  ce  qui  est  contre  la  raison , 
l'habitude  engendre  la  stupidité  ,  elle  fait  un  cal  qui  nous 
rend  insensibles  et  nous  ôlc  le  désir  de  recourir  aux  remô- 
Vulneri  vetusto  et  nealçcto  callus  obduçitur ,  et 
eo  fit  insanabilior }  quo  insensibilior  >  dit  S.  Bernard. 
(lib.  de  Considcrationc.)  Quelque  effrénés  et  débordés  que 
soient  les  jeunes  gens ,  ils  sont  touchés  de  confusion  et  .de 
remords  quand  ils  ont  commis  quelques  actions  honteuses. 
Vous  voyez  de  vieux:  adultères  tellement  identifiés  avec  l'im- 
pudence ,  qu'ils  s'acharnent  à  des  voiries  effrontément ,  a 
ïcte  levée,  sans  crainte  ,  ni  reproche  delà  conscience. 


172  SERMON  CCLXXX1II. 

Satan  ne  nous  tente  pas  incessamment  :  il  s'absente 
quelquefois  de  nous  pour  tenter  d'autres  personnes.  Aat 
fugi  ,  aut  fugari  potest ;  on  peut  le  chasser  avec  de  l'eau 
bénite  ou  le  signe  de  la  croix;  on  peut  l'éviter  en  se  reti- 
rant à  l'église  auprès  du  très  saint  Sacrement  ;  mais  les 
hostilités  d'une  mauvaise  habitude  sont  continuelles  et  im- 
portunes ;  elle  nous  suit  et  nous  poursuit  en  tout  temps ,  en 
tout  lieu  et  en  toute  occupation  ;  nous  la  portons  toujours 
avec  nous  ,  aux  champs  ,  à  la  ville,  à  la  maison  ,  à  l'église, 
à  la  campagne  et  dans  la  solitude. 

H. — (  Tertia  ,  occasio ,  etc.  )  Mais  la  nature  corrom- 
pue et  la  mauvaise  habitude  ne  se  produisent  pas  ordinaire- 
ment, et  n'exercent  point  d'actions  vicieuses ,  si  elles  ne 
sont  éveillées  et  excitées  par  l'occasion  ,  et  même  souvent 
l'occasion  nous  fait  commettre  des  péchés  auxquels  nous 
n'avons  point  d'habitude,  ni  d'inclination  naturelle  :  Occa- 
sio ne  accepta  peccatum  operatum  est.  (Kom.  7.  8.) 

S.  Augustin  en  apporte  une  expérience  bien  mémora- 
ble, arrivée  de  son  temps.  (S.  Aug.  lib.  6.  Confes.  cap.  8.) 
Les  scpeclacles  étaient  alors  encore  en  usage  parmi  les 
païens  ;  c'étaient  non  des  comédies  ,  ni  des  tragédies,  mais 
des  catastrophes  sanglantes  auxquelles  les  gladiateurs  se 
combattaient  et  s'égorgeaient  à  qui  mieux  mieux  à  la  vue 
du  peuple  qui  était  à  l'amphithéâtre.  Alipius  ,  grand  ami 
de  S.  Augustin,  les  avait  en  horreur  ,  jugeant  que  c'était 
un  passe-temps  indigne  non-seulement  d'un  chrétien ,  mais 
d'un  homme,  de  voir  des  hommes  se  tuer  les  uns  les  autres. 
Un  jour  (pie  ses  camarades ,  qui  y  allaient ,  le  pressèrent 
de  leur  tenir  compagnie,  lui ,  ne  pouvant  résister  à  leur  im- 
portunité  :  Vous  pouvez  bien  ,  leur  dit-il ,  y  traîner  mon 
corps,  mais  vous  ne  pourrez  contraindre  mon  esprit  ni  mes 
yeux  de  se  repaître  d'un  objet  si  humain  :  Absens  adero, 
et  sic  et  vos  in  Ma  superabo.  Il  y  va  ;  étant  assis  ,  il 
ferme  les  yeux  avec  résolution  de  se  priver  tout-à-fait  de 
cette  barbare  volupté  ;  et  plût  à  Dieu  qu'il  eut  encore  bou- 
ché ses  oreilles!  mais  quand  on  est  dans  l'occasion  on  ne 
peut  si  bien  fermer  toutes  les  portes  qu'il  n'en  demeure 


DBS  CAUSES  BT  REMEDES  DU  PECHB.  1  73 

quelqu'une  ouverte,  lu  des  gladiateurs  étant  blesse  etren- 
à  terre  ,  les  assistantsjetèrent  un  grand  cri ,  lue ,  lue. 
Âlipius  ,  curieux  de  savoir  ce  que  c'était ,  ouvre  les  yeux, 
avec  résolution  de  les  refermer  sur-le-champ  et  de  mépri- 
ser quoi  que  ce  fut  ;  mais  il  avait  plus  de  courage  que  de 
force,  parce  qu'il  se  fiait  en  lui ,  non  en  Dieu  ,  dit  S.  Au- 
gustin  ;  il  fui  plus  grièvement  blessé  en  l'&me  que  le  pauvre 
gladiateur  ne  le  fut  au  corps  ,  car  voyant  le  sang  qui  cou- 
lait de  la  blessure  ,  au  lieu  d'en  détourner  sa  vue  ,  il  Vy 
arrêta  ,  il  se  repu!  de  ce  spectacle,  il  s'enivra  de  ce  plaisir 
inhumain  ,  et  il  en  fut  tellement  avide  ,  que  depuis  il  y  re- 
tournait plus  volontiers  (pic  ses  compagnons ,  et  même  il  y 
conduisait  tous  ceux  qu'il  pouvait.  N'est-il  pas  vrai  que  le 
même  cas  vous  est  arrivé  ?  Au  commencement  vous  alliez 
à  regret  et  avec  scrupule  aux  jeux  ,  aux  danses  ,  aux  com- 
pagnies ,  un  peu  après  vous  y  êtes  allé  plus  volontiers  ,  et 
grand  remords  ;  enfin  ,  vous  y  allez  maintenant  avec 
grande  avidité,  et  même  vous  y  entraînez  les  autres  ;  et 
Dieu  sait  les  pensées  ,  les  mouvements  ,  les  passions,  les 
inclinations  que  vous  avez  ,  quand  vous  y  êtes  !  Occasio 
prœceps  ,  dit  Hippocrate  ;  il  faut  ajouter  qu'elle  précipite , 
et  bien  déplorablement.  L'occasion  fait  le  larron. 

SECDNDUM  punctum.  —  Remédia,  etc. 

I.  — (Primum,  oratione.)  Un  docte  et  dévot  contem- 
platif qui  méditait  l'Ecriture  sainte  pour  se  garantir  du 
péché,  à  l'exemple  de  David  :  In  corde  meo  abscondi  elo- 
quia  tua  ,  ut  non  peccem  tibi ,  prenait  ces  résolutions  , 
et  les  pratiquait,  oro  ,  laboro,  fucjio,  ne  peccem  tibi; 
voilà  les  meilleurs  remèdes  ,  les  plus  salutaires  antidotes 
dont  nous  puissions  nous  servir  contre  les  trois  causes  du 
:  contre  la  nature  corrompue,  il  faut  prier,  oro; 
contre  la  mauvaise  coutume  ,  il  faut  travailler  ,  laboro  ; 
contre  l'occasion  ,  il  faut  l'éviter,  fugio. 

Jésus  au  jardin  des  Olives  voyant  ses  disciples  en  danger 
de  tomber  et  de  s'abandonner  lâchement  par  fragilité  hu- 
maine ,   dit   :   Spiritus  quidem  promptus  est ,    caro 


1  7  4  SEIUUOW  CCLXXX11I. 

tem  infirma ,   orate  ;  la  chair  est  faible ,  la  nature  c$ 
fragile,  vous  avez  besoin  de  renfort,  demandez-le. 

«  Attcndite  similitudinem  :  Equus  non  se  domat ,  elepliafi 
«  non  se  domat,  leo  non  se  domat  ,  sic  et  homo  non  se 
«  domai;  ut  dometur  equus  ,  bos,  leo ,  elephas,  quœritur 
«  homo,  ergo  quaeratur  Deus  ut  dometur  homo;  domuisti 
«  equum  quem  non  fecisti ,  et  non  domat  te  qui  fecit  te  ? 
«  unde  bestias  tara  immanes  domare  poluisti  ,  nunquid  eis 
«  œquaris  viribus  corporis?  unde  intelligis  fortiorem,  non 
«  corporis  virtute ,  sed  mentis  ratione  ?  imago  Dci  domat 
«  feram,  et  nos  domat  Deus  imaginera  suam?  in  illo  spes 
<c  est,  et  non  subdamur  ,  et  misericordiam  precemur  ,  » 
dit  S.  Augustin  :  (  serra.  4.  de  verbis  Apost.  )  Ecoutez 
une  comparaison  :  Un  cheval,  un  éléphant,  un  lion  ne  se 
domptent  pas,  ainsi  l'homme  ne  peut  se  dompter  lui-même; 
pour  dompter  ces  animaux,  il  faut  un  homme,  qui  est  d'une 
nature  supérieure  à  eux,  et  pour  dompter  l'homme  il  faut 
recourir  à  Dieu  qui  est  au-dessus  de  lui  ;  vous  domptez 
un  cheval  que  vous  n'avez  pas  fait ,  à  plus  forte  raison 
Dieu  qui  vous  à  créé  peut  vous  dompter;  comment  domptez , 
vous  les  animaux  ?  ce  n'est  pas  par  la  force  du  corps,  mais 
par  l'esprit  et  la  raison  ;  l'image  de  Dieu  dompte  les  bêtes 
sauvages ,  et  Dieu  ne  pourra  dompter  son  image  !  il  faut 
espérer  en  lui ,  vous  soumettre  au  pouvoir  de  sa  grâce  ,  et 
lui  demander  miséricorde. 

Quand  une  image  est  gâtée,  une  robe  déchirée,  \me  table 
rompue,  on  ne  les  porte  pas  à  un  avocat ,  à  un  procureur, 
à  un  président  pour  les  refaire,  mais  à  un  peintre,  à  un  tail- 
leur, à  un  menuisier,  et  si  ces  ouvrages  ayaient  de  l'esprit, 
ils  n'iraient  pas  au  palais ,  à  la  cour  ,  au  collège,  mais  à 
Ja  boutique  de  l'artisan  ,  et  diraient  :  C'est  ici  que  Ton 
m'a  fait ,  ici  on  me  doit  refaire.  C'est  le  bon  Dieu  qui  a 
fait  la  nature  humaine,  et  il  l'avait  très  bien  faite,  mais  elle 
est  toute  gâtée,  corrompue  ,  souillée  ,  pervertie  par  le  pé- 
ché ;  c'est  à  Dieu  qu'elle  doit  recourir  ;  c'est  lui  qu'elle 
doit  réclamer  pour  être  refaite  et  reformée  :  Manus  tua 
fecerunt  me  ;  da  mihiiniellcciit 


DES  CAUSES  ET  REMEDES  DU  PECHE.  ITÔ 

T>.  —  (  Secundam  ,  labore.  )  Nous  devons  ainsi  prier 
:  ;  mais  il  faut  aussi  travailler  de  notre  côté,  principale- 
nuMil  >i  la  mauvaise  habitude  est  jointe  à  une  mauvaise  na- 
ture ;  nous  devons  Taire  comme  David  :  InfLvus  sum  in 
Kmoprofundi%  cf  non  est  snhstantia;  laberovi damans. 
(Psal.  68.  3.)  Voua  êtes  enfoncé  bien  avant  dans  le  bour- 
bier de  \os  ordures  ;  vous  êtes  en  la  fondrière  d'une  habi- 
tude bien  méchante  et  bien  vicieuse  de  jurer  ,  de  blasphé- 
mer, de  maudire,  de  dérober  ou  de  vous  enivrer  ;  et  il  n'y 
a  point  de  fond,  il  n'y  a  point  de  fin;  vous  recommencez 
toujours  ;  criez  à  Dieu  ,  priez-le  avec  une  grande  affection 
qu'il  vous  tende  la  main,  qu'il  vous  aide  à  vous  relever  ; 
mais  aidez-vous  aussi  de  votre  côté. 

A1  on  res  loris  consueludo  :  domabis ,  si  vigilahis  ; 
viyilahis,  sitimebis  ;  timebis,  si  te  christianuni  esse 
cojita rcris  :  Ce  n'est  pas  un  jeu  d'enfant,  ni  un  petit  mal 
que  d'être  dans  L'habitude  d'un  péché  :  vous  la  dompterez  , 
Il  roufl  veillez  sur  vous;  vous  veillerez  sur  vous,  si  vous 
craigne]  ;  vous  craindrez ,  si  vous  vous  souvenez  (pic  vous 
êtes  chrétien  (  dit  S.  Augustin,  (serai.  28.  deverbis  Apost.) 
Et  derechef  :  u  Vcternosissima  consuetudo  timoré  fraena- 
h  tur,  franata  restringitur,  restricta  languescit  ,  langucs- 
«  cens  emorilur,  et  malœ  consuetudini  bona  succedit  :  » 
La  mauvise  coutume  est  bridée  par  la  crainte;  étant  bridée  , 
elle  ne  peut  plus  se  produire,  ni  agir;  n'agissant  plus,  elle 
se  ralentit  j  se  ralentissant,  elle  meurt  et  s'eteint  petit  à 
petit,  et  une  bonne  coutume  lui  succède. 

Timoré  frœnalur;  craignez  les  jugements  de  Dieu  , 
craignez  qu'il  ne  vous  abandonne,  si  vous  commettez  si 
ent  le  péché  qu'il  abhorre  tant;  craignez  que  le  premier 
•  que  vous  voulez  commettre  ne  mette  le  comble  à  la 
i.  esure  et  ne  consomme  votre  réputation  ;  craignez  que  , 
iant  si  souvent  les  mêmes  actions ,  vous  n'enfonciez  si 
avant,  et  n'enraciniez  tant  la  mauvaise  habitude,  qu'on  ne 
puisse  l'arracher,  craignez  de  faire  une  plaie,  un  ulcère  in- 
curable ,  un  coeur  endurci  et  pharaonique;  craignez  les 
peines  de  P*nl  litcz-Ies  souvent  ;  voyez  ^ue  la  mau- 


1  7  G  SERMON   GGLXXXIII. 

vaîse  habitude  en  est  le  grand  chemin;  approchez  quelque- 
fois votre  doigt  du  feu,  jusqu'à  ce  que  vous  n'en  puissiez 
plus,  est  voyant  que  c'est  une  chose  insupportable  d'être 
brûlé ,  considérez  qu'il  n'y  a  rien  que  vous  ne  voulussiez 
faire  pour  vous  racheter  du  danger  d'être  brûlé  un  jour  ou 
une  heure;  et  pour  vous  exempter  d'être  brûlé  une  éternité, 
vous  ne  voulez  pas  vous  priver  d'un  petit  plaisir ,  vous  ne 
voulez  pas  travailler  à  déraciner  une  mauvaise  coutume  ? 
vous  ne  craignez  donc  pas  l'enfer  ?  vous  n'êtes  donc  pas 
chrétien?  Timebis ,  si  le  chritianum  esse  cogitaveris. 
Si  vous  aviez  tant  soit  peu  de  foi,  vous  feriez  la  réflexion 
que  fit  un  gentilhomme.  Un  cavalier  de  notre  temps, 
frère  d'un  évêque  que  je  pourrais  nommer  ,  étant  sujet  à 
jurer,  alla  un  jour  de  la  grande  semaine,  à  St-Eustache  de 
Paris,  pour  se  confesser;  y  ayant  trouvé  les  confesseurs 
assiégés  de  monde  ,  et  voyant  un  bon  vieux  prêtre  dans  un 
coin  qui  n'avait  auprès  de  lui  que  deux  ou  trois  personnes  , 
il  s'adresse  à  lui,  pensant  qu'il  en  aurait  bon  marché.  Après 
avoir  dit  le  Confiteor  :  Mon  Père,  je  m'accuse  d'avoir  juré 
le  saint  nom  de  Dieu.  Est-ce  bien  souvent  ?  C'est  plus 
souvent  que  tous  les  jours  ,  car  j'ai  juré  plusieurs  fois  par 
jour.  Mon  ami,  vous  êtes  damné.  Mais,  mon  père,  je  m'en 
confesse.  Oh  !  vous  vous  en  confessez;  voilà  de  belles  con- 
fessions! quand  il  n'y  a  point  d'amendement,  c'est  toujours 
à  recommencer;  mon  ami ,  vous  êtes  damné.  Mais  ,  mon 
Père,  à  tout  péché  miséricorde.  Oh  !  miséricorde,  misé- 
ricorde !  il  y  a  longtemps  que  Dieu  vous  la  fait,  et  vous  en 
abusez  toujours  ;  mon  ami,  vous  êtes  damné;  vous  ne  vous 
en  amenderez  jamais,  Je  le  ferai,  certes,  mon  Père,  moyen- 
nant la  grâce  de  Dieu:  si  les  autres  confesseurs  m'en  eus- 
sent lancé  comme  vous,  je  n^en  serais  corrigé.  Après  avoir 
bien  marchandé,  il  lui  dit  :  Ferez-vous  la  pénitence  que  je 
vous  donnerai?  Oui,  mon  Père,  je  vous  le  promets,  si  elle 
ne  met  impossible.  Il  lui  donne  des  prières,  des  jeûnes,  des 
aumônes;  et  puis  il  ajoute  :  A  quoi  avez-vous  affection 
en  ce  monde?  y  a-t-il  quelque  chose  à  quoi  vous  ayez  atta- 
chement? A  ma  perruque.  Eh  bien  î  toutes  les  foi?  que  vous 


Dis  I  M  si  s  RT  REMEDES  DU  PECHE.  177 

jurerez,  vous  arracherez  un  cheveu  de  votre  perruque  ,  et 
voua  n'en  prendrez  point  d'autre.  Oh  !  s'il  ne  tient  qu'à 
cela  ,  je  le  ferai  très  volontiers.  Il  obéit  ,  il  arrache  un 
cheveu  toutes  les  fois  qu'il  jure  ;  au  commencement  il  lui 
Semblait  que  ce  n'était  rien;  niais  avec  le  temps  il  s'aperçut 
que  sa  perruque  se  pelait  petit  à  petit;  et  craignant  la  honte 
de  porter  une  perruque  pelée,  il  s'abstint  de  jurer;  puis 
il  fit  cette  réflexion  :  Ne  suis—je  pas  bien  misérable!  la 
crainte  île  porter  une  perruque  pelée  a  eu  plus  de  pouvoir 
sur  mon  espril  et  sur  ma  mauvaise  coutume,  que  la  crainte 
d'offenser  Dieu  ;  cette  pensée  le  convertit ,  et  corrigea  en 
lui,  non-seulement  la  coutume  de  jurer,  mois  toutes  les 
autres  mauvaises  habitudes  ;  il  est  mort  dans  une  sainte 
communauté  de  prêtres.  S.  Augustin  en  avait  fait  de  même  : 
«  Timendo  Deiun  abstulimus  jurationem  de  ore  nostro  ; 
«  nunquid  non  eonsueveram  (îuotidie  jurare?  At  ubi  legiet 
i  timui  ,  luctalus  sum  contra  consuetudinem  meam  ;  in 
i  ipsa  luctaiione  invocavi  Dominum  adjutorem  ,  prœstitit 
«  mihi  Dominus  adjutorium  ,  nihil  mihi  facilius  est,  quam 
<c  non  jurare  :  »  (S.  Aug.  serm.  10.  de  Sanclis.)  J'avais 
coutume,  dit-il,  de  jurer  tous  les  jours;  mais  ayant  pris  la 
crainte  de  Dieu  par  la  lecture  de  l'Evangile,  j'ai  lutté  contre 
cette  mauvaise  habitude,  et  en  cette  lutte  j'ai  invoqué  le 
bon  Dieu  qui  m'a  donné  son  secours,  et  il  ne  m'est  rien  de 
si  aisé  à  présent  que  de  ne  point  jurer. 

M.  —  (  Tertiam  ,  fuga.  )  Mais  après  tout ,  le  grand 
secret  pour  éviter  le  péché,  c'est  d'en  fuir  les  occasions.  Le 
Saint-Esprit  dit  :  (Prov.  18.1.)  Que  celui  qui  veut  rompre 
avec  son  ami  en  cherche  les  occasions  ;  nous  devons  dire 
par  un  argument  contraire.  Que  celui  qui  ne  veut  pas  rom- 
pre avec  Jésus  ,  qui  veut  se  maintenir  dans  ses  bonnes 
grâces  et  dans  son  amitié,  évite  les  occasions  de  le  déso- 
i .  L'occasion  est  si  dangereuse  pour  notre  salut,  que 
Jésus  nous  dit  :  «  Si  oculus  tuus  scandalizat  te,  erue  cum; 
«  si  manus  tua,  vel  pes  tuus,  scandalizat  te,  abscindc  eum 
«  et  projice  abs  te  :  (  Matth.  5.  29.  18.8.)  Si  votre  œil 
vous  scandalise,  arrachez-le;  si  votre  main,  votre  pied 


178  SERMON   CCLXXXIII. 

vous  scandalisent,  coupez-les;  c'est-à-dire  que  si  un  emploi, 
un  bénéfice ,  une  charge,  une  personne  nous  est  une  occa- 
sion de  péché,  quand  elle  nous  serait  aussi  chère  et  aussi 
précieuse  que  notre  œil,  aussi  utile  que  noire  main,  aussi 
nécessaire  que  notre  pied,  il  faut  nons  en  priver. 

Si  vous  ne  le  faites  pas,  Jérémie  vous  fera  ce  reproche  : 
Milvus  cognovit  tempus  suum,  turtur  et  hirundo,  et 
ciconia  ;  popuhis  autem  meus  non  cognovit;  quomodo 
dicitis  ;  Sapientesnos  sumus  ?  (Jcrem.  8.  7.) Le  diable 
se  moquera  de  vous,  il  vous  reprochera  que  vous  avez  été 
plus  grue  que  les  grues,  plus  bêle  que  les  bêtes  :  les  grues  , 
les  hirondelles  et  autres  semblables  oiseaux  nouveaux-nés , 
par  un  instinct  de  la  nature  ,  par  la  seule  conduite  de  leur 
père  et  mère,  quittent  leurs  nids,  le  lieu  de  leur  naissance, 
où  ils  avaient  leur  provision  et  leurs  petits  accommodements, 
se  lassent  à  passer  de  grandes  mers  ,  vont  dans  un  pays 
étranger  et  inconnu  pour  éviter  les  incommodités  de  l'hiver 
qu'ils  n'ont  jamais  expérimenté  ;  et  vous,  qui  êtes  doués  de 
jugement  par  la  conduite  de  la  raison  et  de  la  grâce  ,  par 
les  remontrances  de  vos  pères  spirituels,  par  les  avertisse- 
ments de  l'Eglise  votre  mère ,  vous  ne  voulez  pas  quitter 
cette  maison  suspecte,  cette  mauvaise  compagnie,  ce  métier 
dangereux  de  sergent,  de  cabaretier,  ce  procès  opiniâtre  , 
par  la  crainte  de  la  damnation  et  des  flammes  éternelles  ! 

Croyez-moi,  faite  comme  Joseph,  (  Gènes.  39.  '12.  ) 
quand  la  femme  de  Putiphar  le  sollicita  de  souiller  la  couche 
conjugale  de  son  maître.  Ce  saint  jeune  homme  sauva  sa 
chasteté  par  la  fuite  de  l'occasion  ,  laissant  son  vêtement 
entre  les  mains  de  cette  femme,  de  peur  d'y  laisser  son 
consentement,  ou  le  moindre  danger  de  consentir  :  Neper 
inanus  adulterœ  libidinis  incentiva  transissent ,  dit 
S.  Ambroise.  Que  pouvait-il  attendre  d'une  femme  effrénée, 
païenne,  et  sa  maîtresse,  qui  avait  le  pouvoir  de  vie  et  de 
mort  sur  lui  par  les  loix  du  pays  ,  après  avoir  reçu  un  tel 
refus,  un  affront  si  sensible  ;  qui  pouvait  craindre  qu'il  ne 
la  découvrît ,  ou  du  moins  qu'il  ne  se  moquât  d'elle  ?  Le 
moins  qu^il  pouvait  attendre  était  de  perdre  sa  fortune,  h 


DES  CAUSES  BT  REMEDE*  bi  PECHE.  1  "î  9 

surintendance  qu'il  avait  dans  la  maison  de  son  maître.  Il 
ferme  les  yeux  à  toutes  ces  considérations  ;  il  aime  mieux 
courir  risque  de  perdre  sa  fortune  et  ses  commodités,  son 
honneur,  sa  vie,  que  de  se  tenir  en  occasion  du  péché.  Ainsi 
Dieu  lui  donna  le  centuple;  ce  fut  le  commencement  de  sa 
grandeur;  il  fui  vice-roi  d'Egypte,  surintendant,  non  de  la 
maison  de  Putiptaar  qui  n'était  qu'un  vassal  ,  mais  de  Pha- 
raon qui  étail  un  grand  roi.  Faites  de  même  quand  ce  mé- 
chant homme  Vous  Importune  de  retourner  au  péché  •  ne 
vous  amuse*  pas  à  le  prêcher  ,  ce  n'est  pas  votre  métier;  et 
quand  ce  serait  voire  métier,  vos  paroles  n'auraient  point 
d'ascendant  sur  son  esprit  ,  puisque  vous  êtes  complice  de 
même  faute;  ne  vous  arrêtez  pas  à  vouloir  lui  persuader  de 
quitter  ses  débauches  et  d'aller  à  confesse;    vous  voulez 
faire  cela  ,  comme  vous  pensez,  par  zèle  de  son  salut  ;  et 
peut-être  en  effet  ce  n'est  que  pure  jalousie  et  crainte  qu'il 
donne  à  une  autre;  au  lieu  de  se  convertir,   il  vous 
pervertira;  laissez-le  à  la  providence  de  Dieu,  qui  peut-être 
le  bénira  ,   si  \ous  fuyez  l'occasion  comme  Joseph.  Oui  , 
mais  d'où  vient  que  ce  saint  patriarche  laissa  son  habit  entre 
les  mains  de  sa  maltresse?  il  éiait  dans  la  force  et  à  la  fleur 
de  son  âge,  elle,  princesse,  faible  et  délicate;  il  pouvait  le 
lui  arracher  par  force  ,  et  s'échapper  aussi  promplement 
qinlle  fit;  il  devait  prévoir  que  cette  rusée  se  servirait  de  son 
îabit  pour  preuve  de  son  attentat  prétendu  ;  c'est  qu'il  vou- 
ait éviter,  non-seulement  l'occasion,  mais  l'ombre  même, 
H  la  mémoire  de  l'occasion  ;  il  savait  que  quand  nous  nous 
^ouvenons  de  quelque  belle  occasion  que  nous  avons  eue 
mtrefoisde  nous  vautrer  dans  quelque  volupté,  celle  pensée 
•hatomlle  noire  imagination  et  réveille  la  sensualité  ;  il  quitta 
;olonlicrs  cet  habit,  parce  que  s'il  l'eût  retenu  ,  toutes  les 
bis  qu  d  Peut  regardé  ,  il  se  fût  souvenu  de  celle  occasion 
i  facile  où  il  s'élait  trouvé. 


180  SERxMON  CCLXXXIII. 

CONCLUSIO. 

N.  —  {Exhortatio ,  etc.)  Dites  comme  David  :  Oculi 
tnei  semper  ad  Dominum;  laboravi  in  gemitu  meo;  ecce 
clonyavi  fugiens;  humiliez-vous  beaucoup  devant  Dieu  à 
la  vue  de  votre  mauvais  naturel ,  reconnaissez  votre  faiblesse 
et  votre  impuissance  à  le  surmonter ,  l'extrême  besoin  que 
vous  avez  du  secours  de  Dieu ,  le  pouvoir  efficace  de  sa 
grâce  ;  tous  les  matins  après  Tavoir  adoré  et  remercié ,  de- 
mandez-lui de  grande  affection  la  grâce  de  ne  pas  retomber 
au  péché  auquel  vous  êtes  le  plus  enclin  ;  pendant  le  jour  de 
temps  en  temps ,  élevez  votre  esprit  à  lui  pour  renouvelef 
la  même  demande  ;  adressez-lui  souvent  ces  prières  :  Eripe 
me,  Domine,  ah  homine  malo ,  miserere  tnei  Deus  , 
quia  conculcavit  me  homo,  ab  homine  iniquo  et  doloso 
erue  me.  Réclamez  souvent  la  Vierge ,  les  saints ,  votre 
ange  gardien ,  demandez  les  prières  des  gens  de  bien. 

Travaillez  aussi  de  votre  côté  à  déraciner  les  mauvaises 
habitudes  ;  faites  tous  les  soirs  un  examen  particulier  sur 
celles  qui  prédominent  en  vous  ;  allez  souvent  à  confesse  à 
un  même  confesseur,  afin  que  la  honte  de  confesser  tou- 
jours le  même  péché ,  l'appréhension  d'en  être  réprimandé, 
la  crainte  de  la  peine  qu'on  vous  imposera  ,  vous  servent  de 
bride;  donnez  la  liberté  à  vos  gens  de  vous  reprendre; 
priez-les  de  vous  faire  cette  charité  toutes  les  fois  qu'il  vous 
échappera  de  commettre  ce  péché  ;  faites-en  quelque  péni- 
tence, ou  grande  ou  petite,  comme  celle  d'arracher  un  che- 
veu de  votre  tête,  de  vous  mordre  la  langue,  de  frapper 
votre  poitrine ,  de  baiser  la  terre,  de  dire  un  Pater  et  un 
Ave  ,  de  donner  un  liard  aux  pauvres  :  Violentiœ  pœni- 
tendi  cedat  consuetudo peccandi ,  dit  S.  Augustin  ;  vous 
montrerez  ainsi  à  Dieu  que  si  vous  êtes  tombé ,  c'est  par 
fragilité,  non  par  malice.  Fugite  Bahylonem /  fuyez  les 
occasions ,  évitez  les  compagnies  mondaines,  les  assemblées 
des  garçons  et  des  filles,  la  conversation  des  méchants,  les 
danses  et  autres  divertissement!!  sensuels ,  les  offices  et  les 
ehsrgaj  dfmgomtses ,  k$  personnes  r^melkum  <l;<  tk'bau* 


DES  c\\  SES  ci   1,1  M]  DES  DU  PÉCHB.  1S1 

s.  Unsi  petit  à  petit  les  mauvaises  habitudes  <;e  ralen- 
tiront ;  se  ralentissant ,  elles  s'éteindront,  et  aux  mauvaises 
succéderont  les  bonnes  ;  les  bonnes  habitudes  produironl  de 
bonnes  actions,  les  bonnes  actions  vous  augmenteront  la 
grâce  de  Dieu  ,  la  gràee  vous  disposera  et  vous  conduira  a 
*a  gloire.  Amen. 


I 


SERMON  CCLXXXIV. 


QUE  L'ORAISON  EST  NECESSAIRE  POUR  NE  PAS  RETOMBER 
DANS  LE  PÉCHÉ. 


OctiJimei  semper  ad  Domimm ,  qvow'am  ipse  evellet  de  laquco  pedes  meos. 
.J'élèverai  toujours  mes  yeux  au  Seigneur,  afin  qu'il  me  fasse  éviler  les  pièges 
qui  me  sont  dressés.  (  Ps.  24.  15.) 

Ces  jours  passés  ,  notre  Sauveur  nous  a  enseigné  que 
pour  ne  pas  entrer  en  tentation  ,  c'est-à-dire  pour  n  y  pas 
succomber,  et  pour  nous  préserver  du  péché,  ii  faut  re- 
courir à  Dieu,  obtenir  le  secours  de  sa  grâce  par  de  fréquen- 
tes et  ferventes  prières  :  Vigilate  et  orate  ,  ne  intretis 
intentationem.  Le  temps  ne  me  permit  pas  de  traiter  ceci 
bien  au  long;  je  le  dois  faire  aujourd'hui ,  vous  faisant  voir 
trois  vérités  catholiques,  reçues  et  approuvées  de  tous  les 
docteurs  :  premièrement,  que  la  persévérance  finale  est  né*> 
eessaire  à  notre  salut  ;  en  second  lieu ,  que  la  grâce  de  Dieu 
est.  nécessaire  à  la  persévérance  ;  en  troisième  lieu,  que  la 
prière  est  très  efficace  pour  obtenir  la  grâce  de  Dieu.  Ce 
seront  les  trois  points  de  ce  discours. 


ÏDEA  SERMONIS. 

Prirmim  punctum.  Perscverantia  esineeessaria  adsaïu- 
icm  :  A.  \  °  Scriptura.—B,  2°  Patribus.—C.  3°  Fi- 
gura. —  D.  4°  Exemplo. 

Secundum  punctum.  Gratta  Dei  est  necessaria  ad  per- 
sévérant iam  :  E.  1°  Scriptura,  —  F.  2°  Patrihus. 
—  G,  3°  Indue  liane.  —  H.  4°  llatione. 

Tertium  punctum.  O ratio  est  utilissima  ad  gratiam  oh- 
tinendam  :  I.  1°  Scriptura.  — L.  Sensu  Ecchsiœ. 
—M.  3°  Pa/rib?!s.~~N.  4°  Rathnibw.—O.  V  Ex- 
pert en  tia. 


-    I  (  i.\\\i\  .  —  i  *0  RAISON,  de.  |  83 

PRUlUftl  PUNCTUM.  —  Pcrtcrvrantict)  etc. 
.  -—  J°  S  îgDC  qu'il  y  a 

un  paradis  ;  L'espérance  nous  y  fait  aspirer  ci  prétendre  ; 
la  charité  nous  en  donne  dos  arrhes  ;  les  bonnes  œuvres 
nous  y  conduisent ,  mais  après  tout ,  c'est  la  persévérance 
qui  nous  y  fait  entrer,  et  nous  en  donne  la  possession  par- 
faite, et  assurée.  Le  Fils  de  Dieu   n'a  pas  dit: 
Celui  qui  aura  bien  commencé,  celui  ({iii  aura  persévéré  un 
année  ,  quinze  ,  vingt  ou  trente  ans,  mais  :  Celui 
ra  persévéré  jusqu'à  \\  Gn  ,  sera  sauvé  ;  (Apoc.  2.  \  0.) 
et  i   ■'.'  ail  ;•  Pévôque  de  Smyrne  :  Soyez  fidèle  jusqu'à  la 
.  innerai  la  couronne  de  vie.  Les  pommes 
de  Grenade,  qui  portent  la  couronne,  n'étaient  pas  au 
e  du  grand-prêtre,  ni  aux  manches,  ni  sur 
,  niais  à  la  frange  ,  pour  nous  apprendre  que  la 
couronne  Je  gloire  ne  se  donne  qu'à  L'extrémité  de  la  vie  , 
!  en  état  de  grâce  et  de  charité  cn- 
i.  La  persévérance  est  le  sceau  des  belles  actions, 
le  car.  îinés,  la  marque  des  héritiers  de 
Dieu,  la  veille  de  la  béatitude,  la  dernière  disposition  à  la 
,  l'embouchure  de  l'éternité  bienheureuse. 
—  (2°  Pairibus.)  Sola  eslcui  œternitas  redditur, 
ttîuë  quœ  œternUati  homincm  raidît f,  dit  S.  Ber- 
écrlvanl  à  ceux  de  Gènes  ;  (Epist.  129.)  et  reprenant 
un  religieux  nommé  Adam  ,  qui  était  déchu  de  la  perfection, 
il  lui  dit  :  L'esprit  malin  vous  a  envié  la  persévérance  sa- 
chant qu'elle  seule  obtient  la  couronne  de  gloire  et  la  fcli- 
Iternelle  :  Incassum  quippe  honum  ayituv  ,  $i  ante 
t$rminum  descratur,  dit  S.  Grégoire  :  En  vain  vous 
i  la  vertu  si  vous  faites  divorce  avec  clic  avant  la 
fin  de  rotre  vie. 
C. —              'vi.)  Une  <  .  il  1   rien  aux  enfant*  (Vis* 

i  main  forte  ,  d1 
mer  H            d'avoir  mangé  la  manne  au  désert,  d'avoir 
combattu  les  (  m  J<          is ,  et  nuiras  rois  in- 
fidèles j  ils  ne  I  l'être  les  victimes  (Je  la  justice 


184  SERMON  CCLXXXIV. ^ORAISON 

de  Dieu ,  d'être  privés  de  la  possession  et  de  la  jouissance 
de  la  terre-promise  ;  parce  qu'après  tant  de  bons  succès , 
ils  s'adonnèrent  à  l'idolâtrie  et  aux  autres  péchés  des  nations 
infidèles  ;  et  ils  ne  vous  servira  de  rien  d'avoir  été  délivré  de 
la  tyrannie  du  démon  par  le  baptême ,  d'avoir  reçu  la  sainte 
eucharistie  ,  d'être  participant  des  sacrements,  si  vous  vous 
rendez  ingrat  de  tant  de  bénéfices,  commettant  quelque  pé- 
ché mortel  avant  que  de  mourir. 

D. — (4°  Exemplo.)  Qui  n'admirera  la  chute  déplorable 
de  ce  soldat  infortuné ,  dont  l'Histoire  ecclésiastique  fait 
mention?  Du  temps  de  l'empereur  Licinius,  à  Sébaste  d'Ar- 
ménie ,  quarante  soldats  furent  jetés  en  prison  et  chargés 
de  fers ,  pour  la  cause  de  Jésus-Christ  ;  après  qu'on  leur 
eut  cassé  les  dents  à  coup  de  pierre,  et  fait  souffrir  d'autres 
tourments  ,  on  les  fit  entrer  dans  un  étang  glacé  pour  y 
passer  la  nuit  et  y  mourir  de  froid.  Etant  là  ,  ils  priaient 
Dieu,  et  disaient  :  Mon  Dieu,  nous  sommes  entrés  quarante 
au  combat  ;  faites-nous  la  grâce  de  remporter  quarante  cou- 
ronnes ,  sans  qu'il  en  manque  une  seule  :  ce  nombre  est 
sacré  et  mystérienx  en  votre  Ecriture,  Vous  avez  jeûné 
quarante  jours  au  désert  ;  Moïse  persévéra  quarante  jours 
en  l'oraison  sur  la  montagne  pour  recevoir  votre  divine  loi  ; 
le  prophète  Elie,  par  le  jeûne  de  quarante  jours,  mérita  le 
bonheur  de  vous  voir.  Pour  leur  livrer  une  plus  rude  tenta- 
tion, on  avait  mis  là  auprès  un  bain  d'eau  tièJe,  afin  que  si 
quelqu'un  d'entre  eux,  vaincu  par  la  rigueur  du  froid,  voulait 
renier  Jésus-Christ,  il  eût  le  remède  tout  prêt  pour  se  dége- 
ler et  éviter  la  mort.  Ceux  qu'on  avait  mis  en  sentinelle , 
pour  épier  ce  qui  en  arriverait,  s'endormirent  tous,  excepté 
le  portier  qui  vit  les  saints  martyrs  environnés  d'une  grande 
lumière,  et  des  anges  qui  leur  apportèrent  trente-neuf  cou- 
ronnes. Quoi!  disait-il  en  lui-même,  ne  sont-ils  pas  qua- 
rante dans  l'étang,  et  où  est  la  couronne  du  quarantième? 
Comme  il  était  en  cette  pensée ,  un  des  martyrs ,  perdant 
courage,  apostasia  et  courut  se  jeter  dans  le  bain  d'eau  tiède  ; 
ce  que  voyant  le  portier,  il  éveilla  ses  compagnons,  leur 
dît  qu'il  était  chrétien,  et  se  joignit  aux  trente-neuf  martyrs 


BOT  NÉCESSAIRE  A   U  PBRSBVBRANCB.  185 

dans  l'étang  ;  el  le  malheureux  apostat  rendit  Pâme  quel- 
ques heures  après  sa  chute.  Il  n'avait  pas  bien  retenu  cet 

rtisseraent  de  Jésus  dan,  l'Apocalypse  :  (3.  11,)  Tene 
quodhabes,  ut  nemo  accipiat  coranam  tuam  :  Gardez 
bien  ce  que  vous  ave/,  de  peur  qu'un  autre  n'emporte  votre 
couronne  ;  el  puis  nous  ne  tremblerons  pas,  nous  ne  nous 
défierons  pas  de  nos  forces,  nous  ne  connaîtrons  pas  l'incon- 
stance et  la  fragilité  du  cœur  humain! 

Nous  sommes  ici  quatre  cents,  cinq  cents,  quinze  cents, 
tous,  comme  je  crois,  résolus  de  nous  sauver,  tous  appelés 
à  la  couronnes  du  ciel  ;  prions  Dieu  que  pas  un  n'y  manque. 
ï  en  aura-t-il  quelqu'un  ?  quel  sera  cet  infortuné  ?  Ce  sera 
vous  ,  ce  sera  vous,  ce  sera  vous ,  ce  sera  moi ,  si  nous  ne 
vivons  toujours  en  crainte,  si  nous  ne  nous  humilions  beau- 
coup devant  Dieu,  si  nous  n'implorons  incessamment  sa 

incorde. 

i  >DLM  Pi  v.i  t  H.— Gratta  Dei^  c(Ct 

!    Scriptura.)  L'Ecriture  sainte  et  les  Pères 
que  cette  vertu  si  importante  n'est  pas  un 
de  la  seule  volonté  de  l'homme,  mais  un  effet  de  la 
grâce  de  Dieu,  et  qu'ils  la  donne  aux  Ames  choisies,  ensuite 
de  la  volonté  qu'il  a  eue  de  toute  éternité,  de  les  acheminer 
l'oire  par  le.  méi  ites  de  son  Fils,  et  par  leur  coopéra- 
tion a  ses  grâces  :  Secundumpropositum  voluntatis  suce, 
iu  (audemgloriœgratiœsuœ.  (Ephes.  1 .  G.) 

Dans  le  Texte  sacré  les  Saints  prièrent  Dieu,  non-seule- 
les  convertir  et  de  les  sanctifier,  mais  de  les  tenir 
en  sa  sauve-garde,  de  les  conserver  en  leur  sainteté  :  prière 
qui  serait  inutile,  comme  dit  S.  Augustin,  (dénatura  et  gra- 
dée leur  sainteté  ils  pouvaient  se  conserver 
îux-jnêmes  ,  el  se  garantir  des  tentations  jusqu'à  la  fin  de 
leur  vie.  Quid  etultius  ,  quant  orare  ut  Carias  quod  in 
U   habeas?  Precibus  frustra  impetratur  quod 
jure  commun*  conceditur,  dit  le  Jurisconsulte,  (de  leee 
d.  de  thesanris.)  b 

U  "6*  S  ,:  :;"  '  •  i  "an!  pour  le  peuple  qui  avait  lait  des 


186  SliRMOJN    CCLXXX1V.— - L'o  RAISON 

offrandes  en  grande  dévotion  pour  la  fabrique  du  temple , 
disait  :  Seigneur,  eonservez  cette  bonne  volonté  en  ce  peu- 
ple, et  qu'il  continue  à  vous  rendre  les  respects  et  les  hom- 
mages qu'il  vous  doit  :  Custodl,  Domine,  hanc  volunta- 
tem  in  eis,  et  semper  in  veneratione  tici  mens  ista  per- 
manent. (1.  Paralip.  18.) 

Les  prières  que  David  faisait  plus  souvent  en  ses  psau- 
mes étaient  celles-ci  :  Seigneur,  conservez-moi ,  car  j'ai 
espéré  en  vous  :  Conserva  me,  Domine,  quoniam  spe- 
ravi  in  te;  (Psal.  1  5.  1 .)  custodi  nos,  Domine,  ut  pu- 
pillam  oculi  :  Gardez-nous,  Seigneur,  comme  la  prunelle 
de  l'œil  ;  mettez-nous  à  l'ombre  de  vos  ailes.  S.  Pierre  di- 
sait aux  fidèles  :  Vous  êtes  préservés  de  la  chute  par  la 
puissance  de  Dieu  ;  et  S.  Paul  disait  aux  Philippiens  : 
(Philip.  1 .  6.)  Celui  qui  a  commencé  en  vous  la  bonne 
œuvre  l'achèvera  jusqu'à  la  venue  du  Sauveur. 

F. — (2°  Patrlhis.)  Les  saints  Pères  tiennent  le  même 
langage  que  l'Ecriture ,  parce  qu'ils  sont  animés  du  même 
esprit.  S.  Cyprien  dit  :  Hanc  conlinvis  orationihus  pre- 
cent  facimus ,  hoc  diebus  ac  noctibus  posiulamus  ,  ut 
sanciijicatio,  quœ  de  Dei  gratta  swnitiir ,  ipsitts  pro- 
tectione  servetur  :  (Cypr.  serm.  de  Orat.  dominica.)  Nous 
faisons  continuellement  cette  prière  en  nos  oraisons,  et  nous 
demandons  à  Dieu  ,  jour  et  nuit ,  que  la  sainteté  qu'il  nous 
a  donnée  par  sa  grâce,  soit  conservée  en  nous  par  sa  protec- 
tion. S.  Basile ,  en  sa  Liturgie ,  dit  :  Mon  Dieu  conservez 
les  bons  en  leur  bonté  ;  car  vous  pouvez  tout.  S.  Jérôme 
dit  :  A [gamus  semper  graiias  largitori,  scïamusque  nos 
nihil  esse ,  nisi  quod  donavit  ipse  servaverit  ;  (Epist. 
ad  Ctesiphon.  tem.)  Rendons  continuellement  grâces  à 
notre  Dieu  très  libérai ,  et  soyons  persuadés  que  nous  ne 
sommes  rien ,  s'il  ne  daigne  garder  en  nous  les  dons  qu'il 
lui  a  plu  de  nous  faire.  S.  Fulgence  dit  :  Sicitt  omnia  bona, 
inierque  etiam  voluntatem  habemus,  non  nisi  Deo  lar- 
giente  accipimns,  sic  ea  quœ  accipimus  non  nisi  Deo 
custodiente  servamus.  (S,  Fulg.  vcl  Aulhor  iibri  de  verit. 
pnedest.  cap.  17.)  Comme  nous  n'avons  aucun  bien,  pas 


i  M  NBCi  iSAlRE  a  LA  PERSEVERANCE.  187 

même  la  bonne  volonté,  que  par  la  libéralité  de  Dieu,  ainsi 
nous  ne  gardons  pas  longtemps  les  biens  qu'il  nous  a  faits, 
si  lui-même  ne  les  conserve  en  nous.  Quant  à  S.  Augustin, 
il  a  fait  des  livres  entiers  pour  autoriser  cette  vérité,  comme 

les  livres  du  Don  de  la  persévérant*  ,  !  :  .  rédestination 
des  Saints  ,  et  au  1res. 

^- — (3°  Inductione.)  Or,  il  y  a  trois  sortes  de  grâces  : 

la  grâce  extérieure,  la  grâce  sanctifiante,  la  grâce  actuelle 

ou  auxiliaire.  Les  grâces  extérieures  font,  par  exemple, 

entendre  plusieurs  prédications  utiles  et  fruelueuscs  :  avoir 

un  sage  directeur,  un  excellent  père  spirituel,  être  en  bonne 

Compagnie,  avoir  souvent  devant  les  yeux  des  exemples  de 

,       unes  vertueuses  ,  recevoir  de  Dieu  des  prospérités  et 

temporels  pour  nous  gagner  à  lui. 

La  grâce  sanctifiante  est  une  très  noble  et  très  excellente 

qualité,  qualité  surnaturelle  et  divine  cpie  Dieu  répand  en 

cœur  m  rouvre  de  la  justification,  par  laquelle  nous 

-     sanctifiés,  nous  sommes  faits  justes,  enfants  de 

,  héritiers  du  paradis. 

L  i  grâce  actuelle  est  u\\v  effusion  de  l'amour  de  Dieu, 

un  mouvement  du  Saint-Esprit,  un  secours  surnaturel  et 

particulier  par  lequel  Dieu  nous  tient  par  la  main  quand 

en  danger  de  tomber,  nous  relève  et  nous 

iscile  quand  nous  sommes  tombés,  nous  excite  et  nous 

aide  à  la  pratique  des  bonnes  œuvres  méritoires  de  la  vie 

éternelle,  pour  cela  elle  s'appelle  auxiliaire,  prévenante, 

excitante,  subsidiaire  :  Aon  duce,  sed  comité;  non  prœ- 

via,  sed  pedissequavoluntaie,  dit  S.  Augustin. 

La  persévérance  est-elle  un  effet  de  la  première  espèce 

ice  ou  de  la  seconde?  Non,  les  seules  grâces  exlé- 

1         s  il--  la  produisent  pas  infailliblement  ;  plusieurs  per- 

l  «  ii  ont  eu  de  très  grandes,  et  en  très  grand  nombre, 

fini  leur  vie  malheureusement  en  état  de  damnation  ; 

n  oui  dit  fort  peu,  et  ont  persévéré  en  bon  état, 

ce  el  d'amour  de  Dieu  jusqu'à  la  mort  et 

I 

Quelles  prédications  plus  éloquentes,  plus  persuasives, 


188  serxMOjn  cclxxxiv. — l'oraison 

plus  puissantes  que  celles  de  Jésus?  Judas  les  a  entendues  ; 
il  a  oui  les  sermons,  les  exhortations,  les  conférences,  les 
leçons  spirituelles  que  Jésus  a  faites  en  publie  ,  eu  particu- 
lier, aux  champs,  à  la  ville,  dans  le  temple,  dans  les  syna- 
gogues ,  dans  les  maisons ,  au  milieu  des  rues  :  Nunquam 
sic  locutus  est  homo.  Il  a  été  témoin  oculaire  des  miracles 
visibles ,  palpables ,  irréprochables  que  Jésus  a  faits.  Quel 
père  spirituel  plus  sage,  plus  docte,  plus  éclairé,  plus  expé- 
rimenté ,  plus  désintéressé ,  plus  uni  à  Dieu  que  Jésus  ? 
Judas  Ta  eu  pour  directeur.  Quelle  conversation  plus  inno- 
cente, plus  utile,  plus  dévote,  plus  sainte,  plus  sanctifiante 
que  celle  de  la  Vierge  et  des  apôtres  ?  Judas  a  vécu  en  leur 
compagnie.  Quels  exemples  de  vertus  plus  rares,  plus  excel- 
lentes ,  plus  héroïques ,  plus  admirables  que  les  vertus  de 
Jésus ,  de  sa  sainte  Mère  et  de  ses  disciples  ?  Judas  les  a 
eues  devant  ses  yeux.  Quelles  faveurs  plusaHeetueuses,  plus 
charmantes,  plus  obligeantes  que  celles  que  Jésus  a  faites  à 
Judas  ?  Il  Ta  fait  son  disciple,  son  apôtre,  son  maître  d'hô- 
tel ,  l'économe  et  l'intendant  de  sa  sainte  famille  :  Homo 
unanimis  ,  dux  meus  et  notus  meus* 

Pouvait-il  avoir  cette  charge  sans  être  beaucoup  honoré 
de  la  Vierge  et  des  apôtres  ,  qui  avaient  recours  à  lui  dans 
leurs  petites  nécessités  ?  Jésus  s'est  prosterné  à  ses  pieds , 
les  a  lavés  ,  essuyés ,  baisés  ?  il  Ta  caressé ,  régalé  , 
mignardé ,  appelé  son  ami  avec  des  tendresses  tout 
extraordinaires;  et  nonobstant  toutes  ces  faveurs,  il  n'a  pas 
persévéré  ,  mais  il  s'est  opiniâtrement  et  malheureusement 
perdu ,  au  lieu  que  plusieurs  personnes  qui  n'ont  pas  été 
avantagées  de  tant  de  grâces  extérieures ,  mais  qui  ont  eu 
des  disgrâces  et  des  événements  tout  contraires  ,  ont  été 
fidèles  à  Dieu  jusqu'au  dernier  moment  de  leur  vie.  Sainte 
Maxime  n'entendait  point  de  prédication  ni  de  conférence, 
ou  si  elle  en  entendait ,  c'étaient  des  conférences  impies  et 
abominables  ;  car  elle  était  servante  chez  des  Vandales , 
hérétiques  ariens. 

Le  saint  homme  Job,  les  trois  jeunes  hommes,  Ananias, 
Azarias  ,  Misacl  ,  sainte  Barbe ,  sainte  Christine ,  sainto 


Util       Y    l.\     W    !  .,;,;.  |  , 

tboclie  ,  étaient  en  très  mauvaise  compagnie  ,  puisqu'ils 
Vfaien<  Parmi  dos  infidèles.  Le  juste  Loih  avait  tous  les 
|ours  devant  les  yeux  les  mauvais  exemples  des  Sodomifes. 
Minte  Liduvine  n'a  point  eu  des  prospérités  temporelles, 
pais  des  afflictions,  des  maladies ,  des  peines  d'esprit  con- 
tinuelles l  espace  de  trente-huit  ans.  Tous  ces  Saints ,  et 
autres  semblables,  sont  demeurés  fermes  et  fidèles  en  IV 
mourdeDieu  et  l'observance  de  ses  divins  commandement: . 
Est-ce  doue  la  grâce  sançtiûante  qui  nous  fait  persévé- 
rer? Non,  plusieurs  personnes  en  ont  eu  très  abondam- 
ment et  en  très  haut  degré,et  lui  ont  été  infldèies.  S.  Tho- 
mas    I .  p.  ,j,  62.  a  6  in  corp.)  nous  apprend  que  le  Créa 
>nna  aux  esprits   angéliques  la  grâce  habituelle  et 
sançtiûante  ,  selon  la  dignité  et  l'excellence  de  leur  nature, 
e  esUà-dire  qu'aux  supérieurs    il  en  donna  beaucoup  plus 
inférieurs  ,  comme  un  architecte  prend  plaisir  de 
mieux  marteler,  ciseler  et  ouvragée  les  pierres  qui  sont  au- 
dessus  de  l'édifice  que  celles  qui  sont  aux  fondements  ;  or 
avait  un  nombre  presque  innombrable  d'ares  ,  archan- 
l,  vertus,  et  tous  différents  en  espèce  et  supérieurs  lés 
nus  aux  autres  ,  .selon  le  même  S.  Thomas.  Pensez  com- 
bien oobles  et  excellents  en  la  nature  devaient  être  ceux  de 
la  plus  haute  hiérarchie  !  combien  noble  et  excellent  de- 
vait être  Lucifer  ,  le  premier,  le  plus  beau  ,  le  plus  relevé 
de  tous ,  qui  contenait  en  éminence  les  perfections  de  tous 
les  autres:  Plenus  sapientia  et perfectus  décore  ,  omnis 
lapis preciosus  operimentum  tuum !  (Ezech.  28.  12.) 
ci   puisqu'on  lui   a  donné   la   grâce  sanctifiante   à  pro- 
portion de  l'excellence  de  sa  nature,  quel  comble,  quel 
g  mu  et  océan  de  grâces  devait-il  avoir  reçu  en  une  na- 
m  excellente  !  .Néanmoins  il  a  perdu  un  si  grand  tré- 
*°r i   i[   -:  -'■  vf   perdu  lui-même  ,  nonobstant  tant    de 

Si  '  P'e  vous  semble  trop  éloigné  de  votre  portée 

M  dans  le  ciel,   et  en  une  créature  qui  ne 

wmbe  pas  sous  vos  sens ,  considéi   ■  les  horribles  chutes 

>n  a  vues  arriver  sur  la  ten  -ni  reçoit  plus 


190  SERMON  CCLXXXIV.- 

soiiveni;  la  grâce  sanctifiante  que  les  prêtres,  qui  coauna-« 
nient  presque  tous  les  jours  ?  qui  est  ce  qui  a  plus  d'inté- 
rêt de  la  conserver  que  les  évèques  ,  qui  doivent  vivre  sain- 
tement ,  quand  ce  ne  serait  que  pour  donner  bon  exemple  ? 
qui  est-ce  qui  a  plus  de  moyen  d'éviter  les  tentations,  pour 
ne  pas  la  perdre,  que  les  religieux  qui  sont  séparés  du  monde 
et  retranches  dans  les  cloîtres  ?  et  néanmoins  Anus  ,  qui 
avait  été  un  bon  prêtre  ,  Nestorius,  qui  avait  été  un  grand 
évêque ,  Pelage ,  qui  avait  été  un  dévot  religieux ,  et  plu- 
sieurs autres  de  même  qualité  *  ont  perdu  celte  grâce  et 
sont  devenus  hérésiarques. 

H. — (  4°  Ratione.  )  C'est  donc  proprement  la  grûc? 
actuelle  qui  nous  fait  persévérer  ;  la  raison  en  est  claire  par 
les  maximes  de  la  théologie  ,  et  par  l'expérience  de  ce  que 
nous  voyons  tous  les  jours  ;  c'est  que  la  grâce  sanctifiante 
est  à  notre  âme  ce  que  notre  âme  est  à  notre  corps  ;  encore 
que  l'âme  vivifie  ,  gouverne  ,  maîtrise  le  corps  ,  elle  ne  lui 
ôte  pas  néanmoins  sa  pesanteur  naturelle  :  de  même,  quoi- 
que la  grâce  sanctifiante  anime  ,  vivifie,  régente  notre  âme, 
elle  ne  lui  ôte  pas  néanmoins  cette  inclination  ,  cette  pente, 
cette  propension  qu'elle  a  au  péché  ,  par  la  corruption  de 
sa  nature  :  il  faut  donc  que  la  grâce  actuelle  la  soutienne 
continuellement ,  qu'elle  la  retienne  et  l'empêche  de  tomber. 

Imaginez-vous  que  cette  église  soit  pleine  d'eau  jusqu'au 
dessus  ,  ou  au  milieu  de  cette  chaire ,  et  que  je  tienne  ici 
mule  ces  enfants  par  la  main  ;  aussitôt  que  je  le  laisserais, 
il  commencerait  à  tomber  en  bas  et  à  se  noyer.  Peut-être 
que  vous  diriez  :  Voilà  qui  est  admirable  ;  ce  corps  n'est-il 
pas  vivant ,  d'où  vient  qu'il  s'enfonce  comme  s'il  était  mort? 
l'âme  n'esl-elle  pas  spirituelle  et  légère  ?  n'est-elle  pas  mai- 
tresse  du  corps?  ne  peut-elle  pas  le  retenir  et  tenir  sur  l'eau? 
Non  :  car  S.  Paul  a  dit  :  Corpus  quod  corrumpitur 
aggravât  animant. 

Jl  en  est  de  même  de  l'âme  à  l'égard  de  Dieu  :  bien  qu'elle 
soit  vivante  ,  bien  qu'elle  soit  en  état  de  grâce  sanctifiante, 
si  Dieu  ne  la  tient  par  la  main ,  s'il  ne  la  soutient  continuel- 
lement par  l'influence  de  sa  grâce  actuelle  ,  elle  tombe  in- 


EST  NÉCESSAIRE  A  LA    PERSEVERA  IV  Ci:.  191 

failliblemcnt  en  quelque  péché,  ou   véniel  ou  mortel,  et 

.  elle  se  noie  et  se  perd  tout-à-fail. 

TiuriUM  PUNCTUM. —  Orutio  ,  etc. 

I. — (  1°  Scripiura.  )  VA  comme  si  cet  enfant  avait  tant 
soit  peu  d'esprit  et  de  sens  commua  ,  il  me  crierait  à  cha- 
que moment  avec  grande  aiïcction  :  Mon  père,  tenez-moi 
bien  ;  mon  père  ,  ne  me  iaissrz  pas  ainsi.  Si  vous  êtes  sage, 
et  si  vous  voulez  persévérer  en  bon  état  ,  vous  devez 
réclamer  le  bon  Dieu  cent  et  cent  fols  par  jour  ,  avoir  sou- 
vent dans  la  Louche  ou  au  cœur  ces  prières  que  les  Saints 
lui  adressent  :  Mon  Dieu  ,  ne  me  délaissez  pas,  ne  me  mé- 
prisez pas  ;  mon  Dieu  ,  mon  Sauveur  ,  aidez-moi ,  vous 
êtes  mon  secours  ,  mon  protecteur;  ne  tardez  pas  de  me 
secourir  ;  a\  ez  piticciïe  moi  ,  mon  Dieu  ,  ayez  pitié  de  moi, 
puisque  mon  âme  a  mis  sa  confiance  en  vous. 

L. —  [2  Sensu  /:cclesiœ.)  Notez  que  ce  sont  les  Saints 
qui  font  ces  prières  à  Dieu ,  pensez  ce  nue  nous  devons 
;  si  j'allais  tous  les  jours  neuf  à  dix  ibis  dire  à  notre 
médecin  :  Monsieur,  aidez-moi  ,  hâtez— vous  de  me  secou- 
rir ,  vous  auiiez  sujet  de  dire  :  Le  Père  n'est  pas  dans  son 
sans  i  ou  il  a  quelque  grande  incommodité  et  se  sent 
uiger  de  mourir,  ii  y  a  grand  nombre  de  bon  prêtres 
dans  rÉglîse  ,  grand  nombre  de  saints  abbés  et  évoques; 
donnez-moi  le  meilleur,  le  plus  saint,  le  plus  parfait  de 
tous ,  un  Saint  qui  ait  encore  la  grâce  baptismale  ,  qui  Pa 
augmentée  et  perfectionnée  jusqu'à  un  degré  très  éminent; 
il  dit  tout  les  jours  onze  ou  douze  fois  en  son  office  :  Deus> 
in  adjulurium  meum  intendc ;  Domine,  ad  adjnvan- 
dum  me  festina  :  Mon  Dieu  ,  aidez-moi  ;  Seigneur,  hàtez- 
tecourir  ;  il  est  donc  en  grand  danger  de  tom- 
ber pour  la  moins  onze  ou  douze  fois  par  jour,  puisqu'il  crio 
qu'on  se  bâta  ourir.  Si  celui  qui  n'est  jamais  tombé 

a  sujet  de  craindre  la  chute  ,  combien  plus  celui  qui  est 
lomii  >ent  !  Si  un  géant  fort  et  robuste  demande  d'è- 

tre  -  >  Dru  ,  que  doit  luire  un  enfant  faible,  un  petit  pyg- 
mée  ?    celui  qui  t^1  <'n  beau  chemin  a  besoin  qu'on  le  tienne 


1H2  IBAMOII  CCLXXXIV.— l'ORÀISQN 

par  la  main  ,  combien  plus  celui  qui  est  sur  du  verglas  et 
dans  un  chemin  penchant  ?  Outre  les  susdites  paroles  que 
l'Eglise  nous  met  tous  les  jours  dans  la  bouche  ,  elle  nous 
tait  souvent  avouer  devant  Dieu  L'extrême  besoin  que  nous 
avons  de  son  secours  ,  comme  quand  nous  disons  :  «  Fa- 
<(  miliam  tuam  ,  Domine  ,  continua  pietate  custodi  ,  ut 
«  quse  in  soîa  spe  gratiœ  cœlestis  innititur,  tua  semperpro- 
«  teclîonemuniatur;  »  notez  :  «  continua;»  notez  :  »  sola  spe 
<c  gratiœ.  Et  ailleurs  :  Proteclor  in  te  sperantium,  Deus, 
«  sine  quo  nihil  est  validum  ,  nihil  sanctum  ;  Deus ,  qui 
«  conspicis  omni  nos  virtute  destitui  ;  Deus,  qui  conspicis 
«  quia  ex  nulla  nostra  virtute  subsistimus  :  »  Mon  Dieu  , 
gardez  votre  Eglise  par  une  piété  continuelle,  et  puisqu'elle 
ne  s'appuie  que  sur  la  seule  espérance  de  votre  grâce ,  faites 
que  votre  sauve-garde  la  défende  ;  vous  êtes  le  protecteur 
de  ceux  qui  espèrent  en  vous,  sans  lequel  rien  n'est  puis- 
sant ,  rien  n'est  saint  ;  vous  connaissez  que  nous  sommes 
dépourvus  de  toute  vertu  ,  que  nous  ne  subsistons  par  au- 
cune force  qui  vienne  de  nous. 

M. — (3° Pat ri bus.)  Les  saints  Pères  ont  les  mêmes  sen- 
timents que  l'Eglise.  S.  Fulgence  après  nous  avoir  dit  que 
nous  ne  pouvons  garder  les  dons  de  Dieu ,  pas  même  la 
bonne  volonté ,  si  Dieu  ne  daigne  les  conserver  en  nous , 
ajoute  que  la  bonne  volonté,  pour  s'assurer  de  son  avène- 
ment, doit  avoir  tant  de  soin  et  de  \igilance  à  conserver  en 
elle  les  dons  de  Dieu ,  qu'elle  obtienne  de  lui  son  secours 
par  une  fréquente  oraison  et  par  la  pratique  des  bonnes 
œuvres  :  Ille  vero  certus  est  honœ  voluntalis  si  ea  quœ 
accipit  a  Deo  ita  vigilanter  solliciteque  custodiat ,  ut 
cusiodiœ  divinœ  adjutorium  et  frequentia  orationis  et 
studio  honœ  operationis  exposcat.  (Fulgent.  ubi  supra.) 

N.  —  (4°  liationibus.)  Les  autres  Pères  nous  aver- 
tissent que  si  Dieu  nous  laisse  quelquefois  dans  nos  fai- 
blesses ,  s'il  permet  que  nous  soyons  sur  le  bord  du  préci- 
pice et  en  danger  de  nous  perdre,  c'est  ponr  fair*  ressentir 
et  reconnaître  le  besoin  que  nous  avons  de  sa  grâce  pour 
nous  obliger  de  recourir  à  lui,  d'être  fervents  et  assidus  en 


>!!..'    A    I   v   !■:  RâftN  tfKA.NCE.  1  0 

/         w.  4d  Dominum  cum  tribularer  clatnavi  $  cla~ 
4     veruni  adDominum  cum  tribularentur. 

Comme  au  contraire  Satan  fait  tous  ses  efforts,  réunît 
toutes  ses  forces,  emploie  toute  son  industrie,  fait  jouer 
toute  sorte  de  machines  pour  nous  détourner  de  l'oraison, 
ou  pour  la  rendre  vicieuse  et  inutile;  il  nous  empêche,  s"*ii 
peut,  de  nous  y  appliquer;  il  envoie  des  camarades  oui  nous 
conduisent  au  jeu,  aux  compagnies,  aux  promenades,  pour 
nous  en  détourner;  il  nousjelle  dans  le  tracas  et  l'embarras 
des  procès,  du  Iraûc,  de  l'étude  ou  autres  affaires  cl  occu- 
pations temporelles,  alin  que  nous  n'ayons  le  désir,  ni  l'es- 
prit,  ni  le  loisir  de  faire  oraison.  Si  nous  faisons  oraison  , 
il  nous  y  accable  d'ennui,  de  debout,  de  sécheresse  et  d'ari- 
dité, afin  que  nous  la  quittions  ?  si  nous  ne  la  quittons  pas, 
il  procure  que  nous  la  fassions  lâchement,  froidement,  né- 
mment  ;  il  nous  y  remplit  de  distractions  :  il  fait  venir 
des  personnes  bien  ajustées ,  afin  que  vous  vous 
amusiez  a  les  regarder;  il  incite  celte  femme  d'y  apporter 
600  enfant,  cet  homme  d'y  amener  son  chien,  alin  de  trou- 
Mer  et  interrompre  votre  dévotion.  Si  nous  avons  une  lettre 
à  dicler,  un  sermon  ,  une  leçon  ,  une  harangue  à  composer, 
en  l'oraison  qu'il  nous  fournit  de  plus  belles  pointe» 
ril  ;  ï>i  nous  avons  une  querelle  ou  un  procès  ,  c'est  en 
l'oraison  qu'il  nous  suggère  des  raisons  plus  évidentes ,  plus 
spécieuses  pour  notre  bon  droit;  si  nous  avons  un  dessein 
dans  la  tèle ,  c'est  alors  qu'il  nous  met  dans  l'esprit  des 
Doyens  plus  convenables  pour  en  venir  à  bout. 

Un  père  du  désert  avait  coutume  d'entendre  comme  un 
son  de  trompette  toutes  les  fois  qu'on  donnait  le  signal  pour 
faire  venir  les  religieux  au  chœur,  et  il  lui  fut  révélé  que 
c'était  le  signal  des  démons  qui  s'assemblaient  aussi  el  ve- 
naient au  chœur  pour  troubler  les  religieux  et  les  empêcher 
de  bien  faire  leur  oraison.  C'est  que,  comme  a  dit  saint 
Bernard  :  Tibi  invidùperseveranliam  qimm  solum  no~ 
vertU  coronari  :  Satan  nous  envie  principalement  la  persé- 
vérance qui  seule  emporte  la  couronne  du  ciel;  et  il  sait 


194  SERMON  CCLXXXIV. L'ORAISON 

qu'il  n'y  a  rien  de  si  utile  pour  obtenir  la  persévérance  que 
la  prière  fervente  et  assidue. 

O.  —  (5°  Experientia.)  Vous  entendrez  bien  dire  quel- 
quefois que  tel  qui  était  un  religieux ,  grand  prédicateur , 
célèbre  confesseur,  a  fait  un  scandale  ,  s'est  fait  apostat , 
est  allé  à  Genève;  mais  on  ajoute  qu'il  était  toujours  à  la 
porte  du  couvent  ou  dans  un  recoin  de  l'église  à  parler  à  des 
femmes ,  ou  en  visite  par  la  ville  sous  prétexte  de  charité  ; 
mais  vous  n'entendez  jamais  dire  que  tel,  qui  était  la  plupart 
du  temps  dans  sa  celiule ,  au  pied  du  crucifix  ou  devant  le 
Saint-Sacrement,  ait  fait  banqueroute  à  la  religion;  c'est  que 
les  actions  extérieures  qui  ont  du  lustre  et  de  l'éclat  nous 
enflent  assez  souvent,  l'oraison  nous  humilie;  les  autres 
nous  remplissent  de  nous-mêmes ,  l'oraison  nous  remplit 
de  Dieu;  les  autres  nous  répandent  au-dehors  et  nous  ap- 
pliquent à  la  créature  ,  l'oraison  nous  recueille  et  unit  au 
Créateur;  les  autres  méritent  la  grâce  sanctifiante ,  l'oraison 
demande  et  obtient  ordinairement  la  grâce  auxiliaire  qui 
seule  nous  fait  persévérer. 

Si  donc  vous  avez  envie  de  persévérer  en  bon  état ,  et  par 
conséquent  d'assurer  votre  salut,  priez  Dieu  le  plus  souvent 
et  le  plus  dévotement  qu'il  vous  sera  possible  ;  tout  le  temps 
«jiii  vous  reste  après  les  occupations  auxquelles  votre  devoir 
et  la  charité  chrétienne  vous  obligent ,  employez-le  à  faire 
oraison,  levez-vous  plus  malin,  hàtez-vous  de  vous  habiller, 
évitez  les  compagnies  etles  conversations  inutiles,  les  jeux, 
la  perte  de  temps  ,  la  lecture  des  livres  non  nécessaires  ,  les 
procès  et  autres  affaires  superflues,  afin  d'avoir  plus  de  loisir 
à  faire  votre  oraison.  Faites- la  humblement ,  puisque  la 
grâce  que  vous  demandez  vous  est  absolument  nécessaire  ; 
reconnaissez  l'extrême  besoin  que  vous  en  avez  ;  n'allez  pas 
à  la  prière  comme  si  vous  alliez  rendre  un  grand  service  à 
Dieu ,  et  comme  s'il  était  bien  obligé  de  ce  que  vous  le  priez, 
mais  comme  un  pauvre  mendiant  qui  lui  demande  une  au- 
mône en  extrême  nécessité ,  faites-la  avec  ferveur,  puisque 
la  grâce  que  vous  demandez  est  un  don  très  excellent ,  très 
précieux ,  digne  d'être  souhaité  de  toute  l'étendue  de  votre 


im   NÉCESSAIRE   \   l  V  PERSEVERANCE.  195 

àmc  |  de  toute  la  portée  de  voire  cœur ,  de  tous  les  efforts 

jotre  volonté;  faites-la  assidûment,  puisque  la  grâce 

que  vous  demandez  vous  est  nécessaire  à  lout  moment  et  à 

tuuic*  vos  actions  pour  n'être  pas  vicieuses.  Elevez  souvent 

votre  esprit  à  Dieu,  offrez-lui  voire  cœur,  réclamez  sa 

miséricorde  à  chaque  heure  ,  demi-heure,  quart-d'heure  : 

jMultum  valet  deprecatiojusti  assidua^  dit  S.  Jacques. 

Cesl  le  refrain  ordinaire  de  mes  sermons ,  il  est  vrai  ;  mais 

levons  dirai  co-^ue  S.  Jean  répondit  en  semblable  sujet , 

lorsque  ses  disciples  lui  dirent  qu'il  leur  répétait  toujours  la 

môme  chose  :  Quia  prœceptum  Dominiesi,  dit-il,  et  si 

//,.'/,  suffît' il  ;  ainsi  je  vous  recommande  souvent  l'o- 

raison,  parce  que  Jésus  nous  la  recommande  avec  grande 

affection  :  O  port  et  semper  orare,  et  nttnquam  ilc/iccre; 

ommandement  est  effectué,  tout  le  reste  ira  très 

bien  ;  c'est  ce  que  je  vous  supplia  de  demander  à  Dieu  pour 

moi  ,  afin  que  profilant  tous  de  la  parole  de  Dieu  ,  nous 

ayons  quelque  jour  le  bonheu.  «le  participer  tous  ensemble 

cette  promesse  de  Jésus  :  Qui  p^^severaverit  usaue  in 

..'d  ,  hic  salvus  tri  t.  Àmcn. 


SERMON  CCLXXXV. 

DE  LA  GRACE  DE  DIEU,  ET  DE  SA  NECESSITE. 


Sine  me  nihil  potes  lis  faccrel 

Voua  nejiouvez  rien  faire  sans  moi.  (Joan.  15.  5.) 

En  tous  les  discours  qui  ont  été  faits  jusqu'à  présent, 
nous  avons  toujours  supposé  et  souvent  déclaré  en  termes 
exprès,  que  la  grâce  de  Dieu  est  absolument  nécessaire  pour 
garder  les  commandements  de  Dieu,  pour  éviter  les  péchés 
qui  y  sont  défendus  ,  et  pour  pratiquer  les  vertus  qui  y  sont 
recommandées  ;  il  importe  beaucoup  d'être  bien  convaincu 
de  cette  vérité  et  démettre  en  pratique  les  instructions  mo- 
rales que  nous  en  pouvons  tirer.  C'est  à  quoi  je  dois  tra- 
vailler en  cette  prédication ,  moyennant  le  secours  de  la 
même  grâce  et  de  votre  attention  favorable  ;  demandez  à 
Dieu  la  première ,  et  donnez-nous  la  seconde. 

IDEA  SEUMONIS. 

Primurn  punefum.  Dœmon  per  peccatum  infligit  homini 
duas  plagas  :  A.  Nempe  ignorantiam  boni,  conçu— 
piscentiam  mali.  —  B.  Deus  non  sanavit  primant 
in  statu  iegls  naturœ.  —  C.  Nec  secundam  in  statu 
Icgls  mosaïcœ  ,  ut  homo  eaperiretur  nécessitaient 
gratiœ  Chrisli.  — D.  Documentum  morale,  quod 
inde  sequilur. 

Sccundum  punctum.  E.  Quid  faciendum  ante  adventum 
gratiœ ,  in  adveniu ,  et  post  adventum  ejus.  Ante 
adventum  cognoscenda  est  ejus  nécessitas ,  et  toi- 
lenda  impedimenta.  —  F.  In  adventu  discernendi 
motus  illius  a  molibus  naturœ.  —  G.  Post  adven- 
tum ejus  cavenda  ingratitudo. 

Conclusio.  H.  Exhortatvo  ad  humilitatem  et  timorem, 
ex  Scriptura  et  Patribus  ,per  periphrasim  illorum 
verlorum  :  Noli  aitum  snperc,  sed  lime. 


SERMOW  i.c.i.ww  ,—OB  L\  G1U.CK,  cit.  I  UT 

i'Kim  m  pi  nctom.  —  Dmmort,  etc. 

i.  ■—  (Duas  plagas,  etc.)  Dieu,  le  souverain  créa- 
teur s  étant  reposé  de  toute  éternité,  el  satisfait  en  lui- 
'■""•''  dans  la  plénitude  de  son  être  divin,  dans  la  jouissance 
de  ses  perfeci.ons  munies,  dans  la  fécondité  deses  émana- 
tions adorables,  dans  la  société  de  ses  per les  divines; 

e  voulanl  se  répandre  hors  de  soi ,  par  une  saillie  d'amour 
•i  par  une  puissante  inclination  de  sa  bonté  naturelle  qui  le 
P°rtcàsc  communiquer,  créa  l'homme  au  commencement 
•«les .  a  son  image  cl  ressemblance,  afin  que  par  grâce 
''I  F'vdégc  particulier,  il  fût  participant  de  la  même  féli- 
l'ie  le  Créateur  possède  en  lui-même  par  nature.  I!  le 
erea,dis-je,  à  son  image  et  ressemblance;  à  son  image 
"  I""11'.  I  entendement,  à  sa  ressemblance  pour  la  volonté  Ta 
son  image  dan,  la  raison,  à  sa  ressemblance  dans  la  dilee- 
">  "nage  dans  la  connaissance  de  la  vérité,  à  sa 
tnce  dans  l'amour  de  la  vertu.  Signatum  est  su- 
vertu*  lumen  vultuetui,  Domine}  voilà  la  lumière  de 
lentendement.  Dedieti  UtUiam  in  eordemeo;  voilà  la 
^' ".'"  «<  '«  délectation  de  la  volonté.  L'ayant  ainsi  créé,  il 
letaulil  souverain  d<  toutes  les  créatures,  et  comme  un  petit 
eu  ee  monde,  il  le  logea  dans  un  jardin  de  délices  comme 
tos  un  corps-de-logis  séparé  et  plus  digne;  il  l'honora  d'un 
wul  commandement  fort  aise  à  observer  ,  afin  que  méritant 
P»  ses  propres  actes  la  béatitude  qui  lui  était  préparée,  il 
Y/'l'Ii'-Ml  honneur  et  de  contentement  d'en  jouir,  non  comme 
«  un  présent  gratuitement  donné,  mais  comme  d'une  cou- 
ronne heureusement  et  glorieusement  conquise.  L'esprit 

"""'"  \: n"1  d«  Wla,  et  piqué  de  jalousie,  il  voulutrom- 

»dessein,depeurque  l'homme,  qu'il  estimait  beau- 
coup  inférieur  a  lui ,  ne  méritai  par  son  obéissance,  la  gloire 
'l"  paradis  que  lui-même  avait  perdue  par  sa  rébellion  et  son 
•rroganee;  et  voyant  bien  qu'il  ne  le  pouvait  vaincre  de 
de  vive  forée,  ilae  sertit  de  fraudes  el  d'artifices;  cl  l'ayant 
mduit  par  surpnse,  a  transgreseer  le  commandement  de 
■       ■  "  h"  fit  traîtreusement  deux  blessures  mortelles  , 


198  SEKMON    CCLXXXV. 

contraires  aux  deux  prérogatives  qu'il  avait  reçues  de  Dieu 
en  sa  création  :  l'ignorance  du  bien  contre  la  lumière  de  son 
entendement,  la  concupiscence  du  mal  contre  la  droiture  de 
sa  volonté.  De  ces  deux  maudites  sources  ont  coulé  tous  les 
maux  funestes  qui  perdent  notre  nature,  et  principalement 
deux  plus  notables,  le  délit  et  le  crime;  le  délit  vient  de 
l'ignorance  ,  le  crime  procède  de  la  concupiscence;  le  délit 
se  l'ait  par  omission  du  bien  qui  nous  est  commandé,  le  crime 
se  fait  par  commission  du  mal  qui  nous  est  prohibé.  A  des 
plaies  si  envenimées  deux  remèdes  étaient  nécessaires  : 
l'homme  avait  besoin  de  conseil  et  de  secours  :  Consillo  et 
auxilio  indigehat;  de  conseil,  pour  instruire  son  igno- 
rance; de  secours,  pour  corriger  sa  concupiscence  ;  de  con- 
seil, pour  éclairer  son  entendement;  de  secours,  pour 
fortifier  sa  volonté;  de  conseil,  pour  lui  faire  connaître  la 
vérité;  de  secours,  pour  lui  faire  aimer  la  vertu. 

C'est  ce  que  le  Verbe  divin ,  incarné  pour  le  salut  des 
hommes,  a  apporté  au  monde  :  Plénum  g  rat  iœ  etverita- 
tis.  Gratiœ,  voilà  le  secours  ;  veriialis,  voilà  le  conseil. 
Mais  n'est-ce  pas  une  merveille  capable  de  ravir  en  admi- 
ration les  plus  hauts  séraphins,  et  de  les  rendre  stupides 
d'étonnement ,  de  voir  que  le  Fils  de  Dieu  ait  différé  un  re- 
mède si  nécessaire?  Il  faut  que  je  vous  avoue  qu'en  toute 
l'économie  des  décrets  adorables  de  Dieu,  et  de  ses  juge- 
ments incompréhensibles ,  il  y  a  fort  peu  de  prodiges  qui 
m1  étonnent  et  m'épouvantent  autant  que  celui-ci.  Le  Fils 
de  Dieu  a  résolu ,  de  toute  éternité,  de  se  faire  homme  pour 
le  salut  des  hommes  ;  il  en  fait  les  promesses  dès  le  com- 
mencement des  siècles,  et  néanmoins  un  dessein  si  digne  de 
lui,  si  conforme  à  sa  bonté,  si  utile  à  sa  gloire,  si  salutaire 
aux  hommes,  si  honorable  à  toute  ses  créatures,  il  diffère 
plus  de  cinq  mille  ans  de  le  mettre  en  exécution. 

B.  —  (Deus  non  sanavit  primant ,  etc.  )  Depuis  la 
création  du  monde  jusqu'à  la  naissance  d'Abraham  s'écou- 
lent plus  de  trois  nulle  ans  ;  en  quel  état  est  tout  l'univers 
pendant  un  au.ssi  long  espace  de  temps  ?  dans  le  plus  déplo- 
rable aveuglement,  horribles  ténèbres,  énorme  et  abomi- 


.   .    . 
péché  qiiise  puisse  imaginer  dans  la  méconnaissance 
>ieu  ,  dans  Pignorance  du  chemin  du  ciel ,  au  péché  d'i- 
inc- Tout  Puniversélail  plongé  dans  cel  abîme  ;  presque 
tous  les  hommes  qui  étaient  sur  la  terre  ne  savaient  quel 
étaitle  vrai  Dieu;  ils  ignoraienl  la  voie  de  leur  salut,  ado- 
rent les  diables  pour  toutes  divinités;  péché  le  plus  inju- 
rieux a  Dieu,  le  plus  indigne  de  l'homme,  qui  se  puisse 
commettre,  comme  je  vous  Pai  autrefois  montré. 

C— (Nec  secundam  ,  etc.)  Après  la  naissance  d'Ain* 
1  deux  autres  mille  ans  s'écoulent  ;  en  quel  état  est  IV 
nivers  pendant  tout  ce  temps-là  ?  Dieu  laissant  encore  tout 
sic  du  monde  dans  les  mêmes  ténèbres  et  dans  le  crime 
I  idolâtrie,  recueille  etassemble  un  petit  peuple  ,  le  peuple 
joil ,  qui  en  comparaison  des  autres  nations  ,  n'est  qu'une 
poignée  de  gens  ;  il  publie  une  loi  à  ce  peuple  ;  il  lui 
des  patriarches;    il  lui  envoie  des  prophètes:  il  lui 
gne  son  Ecriture,  il  lui  établit  des  jugesetdes  rois: 
sacrements  ,  il  ordonne  des  sacriflees  ;  il  lui 
sent    des  cérémonies  et  des  observances  religieuses 
à  quoi  sert  tout  eela  ?  °  ' 

le  loi  fait  voir  le  péché  ,  elle  ne  le  fait  pas  éviter-  ces 
H'  >  figurent  Je  salut,  ils  ne  l'exhil>enl  pas  :  les  nror 

promettent  le  remède,   ils  ne  le  donnent  pas-   (es 
"lures  ronl  connaître  Dieu,  elles  ne  donnent  pas  la  crâce 
-    a"«cr  ;  les  j„ges  et  les  rois  les  délivrent  de  la  servi- 
Uh),  des  Phil.st.ns  ,  non  de  la  tyrannie  du  diable  ;  les  sacre- 
■lents  sont  administrés  au  corps,  ils  ne  sanctifient  pas  Pâme- 
!<;>  «enflées  souillent  les  autels,  ils  ne  lavent  pas  les  coa*! 
:  les  cérémonie,  occupent  la  dévotion  des  hommes, 
clle>  n  apaisent  pas  la  colère  de  Dieu  ;  en  un  mot,  Péta!  de 
'  loj  instruis*!   Pignorance  des  hommes  ,  et  ne  réformait 
pas  la  concupiscence  ;  il  corrigeait  Pavcuglemcnl ,  et  ne 
fortifiait  pas  la  faiblesse  ;  il  donnait  conseil  ,  a  ue  portait 
irs  ;  il  faisait  connais  le  péché  f  et  ne  le  faisait 
Her;  il  obligeait  par  des  commandements,  et  ne  don- 

garder.p«r  le  péché  de 
i  I    ■■    •  '    '    il  comme  un  malade  qui  ne 


200  SERMON  CCLXXXV. 

connaît  pas  son  mal  et  qui  est  pauvre  ;  comme  un  prisonnier 
qui  est  au  fond  d'un  cachot  ,  et  qui  est  dans  les  chaînes  ; 
comme  un  voyageur  ,  dans  une  vaste  forêt ,  qui  serait 
devenu  aveugle  et  estropié  des  jambes  :  la  loi  de  Moïse  a 
enseigné  à  ce  pauvre  homme  quelle  maladie  le  tenait,  elle  ne 
lui  a  pas  donné  le  moyen  d'avoir  une  médecine  ;  elle  a  fait 
voir  à  ce  prisonnier  son  cachot  et  sa  chaîne ,  elle  n'a  pas 
brisé  ses  fers  ni  rompu  ses  liens  ;  elle  a  dessillé  les  yeux  de 
cet  aveugle,  lui  montrant  le  chemin  d'où  il  s'était  égaré, 
et  ne  lui  a  pas  redressé  les  jambes  pour  s'y  remettre  et 
cheminer. 

L'homme  donc  à  été  laissé  l'espace  de  trois  mille  ans  sous 
la  loi  de  nature  ,  dans  l'ignorance  du  vrai  Dieu  et  dans  le 
péché  d'idolâtrie,  afin  qu'il  fût  convaincu  et  contraint  d'a- 
vouer qu'il  n'est  que  ténèbres  sans  la  lumière  du  ciel.  Il  a 
été  laissé  environ  deux  mille  ans  sous  la  loi  mosaïque  dans 
son  infirmité  et  dans  la  transgression  des  commandements 
divins ,  afin  qu'il  fût  convaincu  et  contraint  d'avouer  qu'il 
n'est  que  faiblesse  sans  la  grâce  de  Dieu.  «  Jacebat  in  ma- 
«  lis ,  vel  etiam  volvebatur ,  et  de  malis  in  maia  prœcipita- 
«  batur  totius  humani  generis  massa  damnata ,  et  adjuncla 
«  parti  eorum  qui  peccaverant  angeiorum  ,  luebat  irnpiee 
«  desertionis  dignissimaspœnas,  »  dit  S.  Augustin.  (Tom. 
3.  in  Enchiridio  ,  cap.  27.)  Que  de  services  rendus  aux  dia- 
bles !  que  de  péchés  mortels  commis!  que  d'âmes  tombées 
en  damnation  dans  tout  le  circuit  de  la  terre,  en  un  si  long 
espace  de  temps ,  durant  l'étendue  de  tant  de  siècles,  dans 
la  révolution  de  cinq  mille  ans;  et  il  ne  faut  pas  penser  qu'il 
y  eût  en  ce  temps-là  fort  peu  de  personnes  sur  terre  ,  puis- 
que le  monde  était  aussi  peuplé  qu'il  l'est  à  présent ,  et 
encore  davantage  ,  comme  je  vous  l'ai  autrefois  montré. 

Je  sais  bien  qu'il  y  a  eu  en  tout  temps  au  monde  des  gens 
rie  bien,  des  saints  et  amis  de  Dieu,  mais  ils  étaient  si  rares 
i|u'un  petit  enfant  pourrait  presque  les  compter  sursesdoigls: 
Enoch,  Job  ,  Noé,  Abraham,  etc.  Ils  étaient  en  si  petit 
nombre  que  Dieu  les  compare  (Isai.  24.  13.)  au  peu  de 
grappes  qui  demeurent  par  hasard  dans  une  vigne  ,  après 


1)1    I  v  G  A  LCE  DE  DU  I  20  1 

qu'on  a  fait  vendanges;  e(  le  reste  des  hommes  calait  en  si 
grande  quantité  ,  que  ceux  d'une  seule  race  sont  comparés 
lux  étoiles  du  ciel  et  au  sable  de  la  mer.  O  mon  Dieu  !  que 
Vous  êtes  admirable  î  que  l'abîme  de  vos  secrets  est  incom- 
préhensible et  impénétrable  !  Confitebor  tihi  ,quia  ter- 
ribiiiter  magnificat  us  es.  Vous  êtes  si  jaloux  de  votre 
honneur,  comment  permettez-vous  donc  que  l'esprit  malin, 
votre  ennemi  mortel,  souille  ainsi  vos  ouvrages ,  tyrannise 
vos  créatures  ,  occupe  voire  domaine  ,  soit  adoré  à  votre 
place  ,  l'espace  de  cinq  mille  ans  ?  Vous  avez  une  haine  si 
mortelle  et  si  irréconciliable  contre  le  péché  ,  comment  per- 
met tcz-vous  que  l'idolâtrie,  le  plus  détestable  et  dénaturé 
de  lous  les  péchés,  règne  si  longtemps  dans  tout  le  monde? 
Vous  avez  tant  de  zèle  pour  le  salut  des  âmes,  comment  per- 
mettez-vous que  tant  d'âmes  d'hommes  ,  de  femmes,  de 
petits  enfants  ,  de  juifs  et  de  gentils  tombent  en  perdition? 
Terribiliter magnificat }us es ,  confitebor  tihi.  Vous  vou- 
I  ilter,  vous  \<>ule>, manifester  la  nécessité  etrexcellenee 
de  la  grâce  de  Jésus  \  tre  Fils,  vous  voulez  faire  voir  que 
sans  elle  les  hommes  ne  savent  rien  ,  ne  peuvent  rien  ,  ne 
font  rien  ,  qu'ils  n'eut  de  leur  cru  que  l'ignorance,  ia  fai- 
blesse ,  1»'  !•<  ché  ,  le  néant  ;  qu'ils  sont  tous  en  la  masse  de 
corruption  ,  si  <àtte  grâce  divine  ne  les  en  retire.  Vous 
voulez  montrer  combien  elle  est  excellente  et  précieuse , 
puisqu'elle  a  dû  être  espérée  ,  attendue  ,  désirée  ,  demandée 
par  tant  de  prières  des  patriarches,  de  gémissements  des 
prophètes  ,  de  larmes  et  de  soupirs  des  gens  de  bien  ;  com- 
bien elle  est  nécessaire  ,  vu  que  la  lumière  de  nature ,  les 
K  préceptes  des  philosophes  ,  les  riches  discours  des 
i  rs  ,  les  invectives  piquantes  de  vos  prophètes  ,  les 
horribles  menaces  de  vos  Ecritures  ,  les  châtiments  exem- 
s  <lc>  pécheurs,  iront  su  retirer  les  hommes  du  péché, 
parce  qu'ils  n'avaient  pa9  celte  grâce  efficace;  combien  elle 
iluite:  Von  mérita  sequens,  sedipsa  mérita  faciens, 
non  en i m  esset  gratta  ullo  modo  ,  nisi  esset gratuita 
mnimodo.  S.  Lug,  lib.  2 de gralia Chrisli  et pecc. orig. 
cap.  24.    Elle  est  gratuite,  puisque  vous  l'avez  donnée  cri 


202  SERMON  CCLXXXV. 

un  temps  où  ïcs  hommes  non-sculcrncnt  ne  l'attiraient  pur 
aucun  mérite ,  mais  la  déméritaient  par  plusieurs  crimes  ; 
dans  un  temps  où  le  monde  était  prostitué  à  des  péchés  si 
noirs  ,  si  énormes ,  si  excessifs  ,  qu'ils  provoquaient  une 
vengeance  ,  au  lieu  de  recourir  à  votre  miséricorde.  C'est 
5.  Paul ,  dans  fépîlre  aux  Romains  et  celle  aux  Galates ,  et 
après  lui  S.  Augustin,  à  chaque  page  de  ses  œuvres,  qui  nous 
inculquent  cette  vérité ,  que  Dieu  a  laissé  si  longtemps  les 
gentils  dans  les  ténèbres  de  leur  ignorance ,  et  les  juifs  dans 
les  faiblesses  de  leur  concupiscence  ,  pour  nous  obliger  à 
reconnaître  ,  à  confesser  et  exalter  la  nécesilé  de  sa  grâce: 
Confitebor  tibi  quia  terrihiliter  magnificatits  es, 

«  Ad  hoc  valet  legis  agnitio  ,  ut  fiât  mandati  prœvari— 
«  catio;  »et  infra«  :  Haee  solaostenditur  legis  utililas,  quo- 
«  niam  quos  facit  prœvaricationis  reos,  cogit  confugere  ad 
«  gratiam  liberandos,  et  ut  concupiscentias  malas  superent 
«  adjuvandos  ;  jubet  enim  magis  quarn  juvat. ,  docet  mor- 
a  bum ,  et  non  sanat  ;  imo  ab  eo  potius  quod  non  sanalur  , 
k  augeter  ,  ut  attentais  et  sollicitius  gratiœ  medicina 
»  quœralur,  »  dit  S.  Augustin.  »  (lib.  gratia  Christi  , 
cap.  8.)  _  , 

D. — (Documentum  moraee.j^ânà  nous  considérons 
ceci  ,  je  m'étonne  comment  nous  n'allons  par  criant  inces- 
samment ,  au  moins  au  fond  de  notre  cœur  :  Grâce  ,  grâce, 
sans  elle  je  ne  sais  rien  ,  je  ne  puis  rien  ,  je  ne  suis  rien  ;  je 
m'étonne  comme  nous  pouvons  nous  enfler  de  quelque  bonne 
œuvre  que  ce  soit  ,  comment  nous  ne  nous  jetons  pas  au 
centre  de  notre  néant ,  pour  dire  avec  sentiment  :  Gratia 
Dei  sum  id  quod  sum  ,  gratia  Dei  sum  id  quod  su  m. 
Je  vous  supplie,  Messieurs ,  pesez  celte  réflexion.  On  ne 
se  met  pas  en  peine  pour  prouver  une  vérité  qui  est  aisément 
avérée  de  tous  ou  de  la  plupart  des  hommes;  on  ne  fait  pas 
pour  cela  étudier  les  docteurs  de  l'université  ,  et  voilà  que 
Dieu  laisse  tout  exprès  en  erreur  les  hommes  de  tous  Puni- 
vers.  Il  se  met  en  peine  et  fait  de  grands  frais  •  il  laisse  perdre 
une  infinité  d'âmes  pour  nous  faire  voir  et.  sentir  par  expé- 
rience cette  vérité;  que  sans  la  grâce,  l'homme  ne  peut  rien, 


DR  F  i  GRACB  m:  DIBl  .  203 

!  te  nous  est  tonf-D-fait  nécessaire;  c'est  donc  signe  que 
Mlle  térïté  n'est  pas  communément  reçue  ci  reconnue  de 
plusieurs;  nous  la  croyons  bien  en  général  ,  et  nous  la  con- 
ns  quelquefois  ,  disant  que  nous  ne  pouvons  rien  sans 
race  de  Dieu;  unis  ce  n'est  qifà  fleur  d'esprit  et  du 
des  lèvres;  ce  nYst  pas  avec  sentiment,  vive  appré- 
hension et  ferme  persuasion  ,  et  cela  néanmoins  importe 
I  -a— lait. 

DBCUNDUll  PUHCTTO,  —  Quid  faciendu m  ,  cfc. 

Si  nous  voulons  etre  aidés  de  cette  grâce  ,  sans  laquelle 
nous  somraesdisgracîés  de  Dieu  et  malheureux  pour  jamais, 
nous  avons  âcs  devoirs  à  remplir  avant  qu'elle  ne  vienne 
quand  elle  vient ,  et  après  qu'elle  est  venue. 

lë..—(4nreadt>cntum  ,  etc.)  Avant  qu'elle  ne  vienne, 
Il  Mat  connaître  et  avouer  le  besoin  que  nous  en  avons.  Ce 
e  disaïl  (rime  -race  particulière  ,  il  le  faut  dire  de 
'  cognovi  quoniam  ailler  non  possem  esse 
continens  ,  nisi  ih  us  det ,  et  hoc  ipsum  c  rat  sa  pi  en- 
tier sarc  cujus  esset  hoc  domtm ,  adii  Dominum ,  et 
cafus  sum  iUum  ex  totls  prœconllls  mets  :  (San. 
■s-  2  I .)  Sachant  que  je  ne  pouvais  pas  avoir  la  grâce  de  la* 
continence,  si  Dieu  ne  me  la  donnait  pas  ;  je  me  suis  adressé 
I  in  ,  et  je  la  lui  ai  demandée  de  toutes  mes  entrailles;  et 
cela  même  est  une  grande  sagesse  desavoir  que  c'est  un  bien- 
lait  de  Dieu  et  uu  don  du  Saint-Esprit  ,  il  faut  faire  comme 
Wons  savons  ou  devons  savoir  que  nous  ne  pouvons 
pratiquer  l  humilité ,  la  charité  ,  la  patience  ,  la  tempérance 
Ji  1rs  autres  vertus ,  quelles  qu'elles  soient ,  sans  la  grâce 
le  Uieu  ;  nous  devons  donc  lui  demander  sa  grâce  de  toutes 
jos  entrailles,  de  toute  la  portée  de  notre  cœur  ,  de  toute 
«end  ire  amc  ,  de  tous  les  efforts  de  notre  volonté, 

frec  armes  ,  soupirs,  gémissements,  profonde  humilia- 
:"-'  ^  notre  esprit  devant  Dieu;  et  cela  non  une  foison 
eu*,  !  souvent ,  et  presque  continuellement,  s'il 

Hit  P  ar  puisqu'elle  est  tout-à-fait  nécessaire  à  la 

Wliquc  de  la  vertu,  et  même  à  chaque  bonne  œuvre  en 


204  SERMON  CCLXXXV. 

particulier  :  Ad  singulos  actus  ,  comme  parlent  les  con* 
ciles  ;  que  deviendrons-nous  et  que  ferons-nous  enfin,  si  nom 
n'en  sommes  pas  continuellement  prévenus  ? 

Nous  ne  pouvons  ni  prévenir  la  première  grâce  ,  ni  la 
mériter  ,  ni  nous  y  disposer  de  nous-mêmes  :  Gratia  Dei 
inveniri  potest ,  'prœveniri  omnino  non  potest ,  dit  S. 
Bernard;  mais  nous  pouvons  la  démériter,  nous  y  opposer 
et  y  mettre  des  empêchements  ;  ce  qui  se  fait  par  de  grands 
péchés ,  ou  en  grand  nombre  :  «  Iniquitas  domus  Israël 
<(  magna  est  nimis  valde  ,  et  repletaest  terra  sanguinibus  : 
«  dixerunt  enim  :  dercliquitDominus  terram,  et  non  videt 
«  Dominus.  Igitur  et  meus  non  parcet  oculus,etnonmi- 
«  serebor.  )>  (Ezech.  9,  9.  )  L'iniquité  de  mon  peuple  est 
plus  que  très  grande,  et  les  hommes  ont  commis  des  crimes 
en  grand  nombre  ,  disant  que  j'ai  quitté  la  terre  et  que  je  ne 
les  vois  pas  ;  voilà  pourquoi  je  ne  leur  ferai  point  de  misé- 
ricorde ;  et  un  peu  plus  haut  .  Pivo  ego  ,  dicit  Dominus 
Deus  :  pro  eo  quod  sanctum  meum  violasti  in  omnibus 
ahominationibus  fuis  ,  non  parcet  oculus  meus,  et  non 
miserehor  :  (Ezech.  5.  \\ .)  Parce  que  vous  avez  profané 
les  choses  saintes  par  vos  abominations ,  je  jure  ma  vie  que 
je  ne  vous  pardonnerai  point ,  et  que  je  n'aurai  pas  pitié  de 
vous.  Il  ne  faut  donc  pas  empêcher  ni  retarder  L'heureux 
avènement  de  sa  grâce. 

F. — (  In  adventu.  )  Et  quand  elle  vient ,  il  faut  soi 
gneusement  remarquer  son  action  et  ses  mouvements  de 
peur  de  prendre  le  change  ,  et  de  suivre  les  inclinations  et 
les  instincts  de  la  nature ,  au  lieu  de  suivre  les  desseins  et 
la  conduite  de  la  grâce.  Je  ne  trouve  rien  de  si  lumineux  et 
de  si  spirituel  en  ce  sujet ,  que  ce  qu'en  dit  ce  beau  petit 
livre  que  tous  les  gens  de  bien  ont  toujours  dans  la  poche  , 
le  livre  de  l'Imitation  de  Jésus ,  de  J.  Gerson  ou  de  Thomas 
à  Kempis.  Vous  savez  qu'après  la  sainte  Ecriture,  il  n'y  a 
point  de  livre  qui  ait  été  si  souvent  imprimé  ,  traduit  en 
diverses  langues ,  lu  et  relu  ,  goûté  et  approuve  par  toute 
sorte  de  gens,  qu'il  n'y  a  pas  même  jusqu'aux  Turcs  qui  ne 
l'aient  traduit  en  leur  langue. 


i"    I  v  GRACE  n:    DU  :  . 

wnmeH  parle:  «  Fili  ,  diligenler adverte  motus 
*  naturae  el  grattae ,  quia  valde  contrarie  et  subtiliter  mo- 

■  venlur,et  vîx ,  nisi  a  spirituali  el  mtimo  illuminato 

■  homme  ,  discernuntur  :  (lil>.  ;{.  cap.  54.)  Mon  Gis    il 
foui  soigneusemenl  distinguer  les  mouvements  de  la  grâce 

ivecceuxde  la  nature;  car  quoiqu'ils  soient  tout-à-fait 
contraires,  ils  sonl  néanmoins  en  apparence  fort  semblables 
etiie  pcuventètreaisémentdiscernésquepar  les  personnes 
forl  spirituelles  el  intérieurement  éclairées  de  Dieu.  Tous 
ceux  quionl  Pâme  tant  soif  peu  bien  assise  prétendent  le  bien 
dans  leurs  paroles  el  dans  leurs  actions  ;  mais  Pamour-pro- 
pre  est  cauteleux  et  rusé  au  dernier  point,  il  nous  donne 
«vent  le  change,  il  nous  fait  prendre  des  instincts  de  nature 
I  our  des  inclinations  et  des  mouvements  de  la  grâce.  Il  im- 
P°  l«  beaucoup  de  n\  être  pas  (rompe,  puisque  la  nature  et 
ir  propre  sont  nue  engeance  du  vieil  homme  ,  le  par- 
1  des  partisans  de  l'Antéchrist  :  Eruni 
ointes  semetipsos;  la  -race  est.  l'apanage  des 
m  el  le  caractère  des  prédestinés. 
1  <':1  horreur  toute  captivité ,  ne  veutétreassu- 
>i  ni  domptée  ,  ni  vaincue  de  personne,  elle 
erner  et  à  conduire  ;  la  grâce  aune  la  servitude 
Ire  surmontée,  humiliée  et  asservie  à  toute  créature' 
r  l amour  de  Dieu  ,  ne  veut  régenter  ,  ni  commander  à 
personne  ,  si  elle  n>  est  pas  obligée;  la  nature  aime  le  lus- 
Ire  et  I  éclat,  se  plaît  à  se  faire  voir  et  connaître  à  plusieurs 
à  se  répandre  el  se  dissiper  à  l'extérieur ,  à  se  divertir  et  se 
dn  iser  dans  le  tracas  ;  la  grâce  cherche  le  secret  et  l'écart 
elle  aime  a  être  cachée  cl  inconnue  au  monde,  recueillie  et 
dans  l'intérieur,  elle  cherche  la  paix  et  la  commu- 
m  avec  Dieu. 

il  tout  ce  qui  fait  peine  à  Pesprit  et  au  corps 

>cequiluiesl  propre  et  particulier,  aime  ses  aises 

lilés,  rapporte  toul  à  . soi  et  à  ses  intérêts-  la 

demande  ce  qui  esl  laborieux,  ce  qui  mortifie  et  incom- 

•  cequiesl  utile  el  proG table  à  plusieurs    ce 

îuireussil  à  la  gloiredeDieu.  Ainsi  quand  vous  avez  incii- 

I: 


206  SKftMON  CCLXXXV. 

nation  a  quelque  charge  on  office,  à  quelque  action  ou  entre- 
prise ,  à  quoique  viande  ou  vêtement,  à  un  état  ou  condition 
de  vie  qui  vous  exemple  desubjeetion,  qui  vous  met  au  large 
et  en  liberté,  qui  vous  donne  la  régence  et  le  gouvernement 
de  quelqu'un  ,  qui  vous  élève  et  vous  fait  paraître ,  qui  vous 
occupe  souvent  hors  de  vous,  qui  vous  jette  dans  l'embar- 
ras, qui  vous  est  commode  et  délicieux,  quoique  ce  soit  sous 
de  beaux  prétextes ,  sous  apparence  ou  espérance  de  servir 
au  public  ,  de  convertir  les  âmes,  de  ne  pas  démentir  voire 
naissance,  de  vivre  et  être  vêtu  selon  votre  qualité,  de  ne 
pas  enfouir  les  talents  que  vous  avez  ;  défiez-vous-en,  dé- 
fiez-vous de  telles  affections  ;  il  y  a  danger  que  ce  ne  soit  in- 
clinations de  nature,  engeance  d'amour-propre.  Quand  vous 
avez  quelque  pensée  de  prendre  un  genre  de  vie  et  de  vête- 
ment, de  suivre  une  vocation ,  de  faire  des  actions  qui  vous 
captivent,  abaissent,  humilient,  incommodent,  qui  vous 
Aie  lient  dans  l'oubli  et  le  mépris  du  monde,  dans  la  recol- 
lection et  retraite  en  vous-même,  dans  l'exercice  de  l'o- 
raison et  la  conversation  avec  Dieu ,  ne  tenez  pas  telles 
pensées  pour  suspectes  ;  ce  sont  pour  l'ordinaire  instincts 


et  mouvements  de  la  grâce. 


G.  —  (Fost  advenium.)  Quand  vous  l'avez  reçue  . 
gardez-vous  bien  d'en  être  ingrat  :  «  Peremptoria  res  est 
«  ingratitudo,  hostis  gratiœ,  inimica  salutis;  dico  ego  vo- 
«  bis,  quoniam  pro  mco  sapere,  oih.il  ita  displicet  Dco, 
«  quemadmodum  ingratitudo  ;  vias  enim  abstruit  gratiœ, 
«  et  ubi  fucrit  illa,  gratia  accessum  non  invenit,  locum 
«  non  babet  :  »  (S.  Bern.  serm.  2.  de  sept,  panib.)  L'in- 
gralitudc  estime  meurtrière,  ennemie  de  la  grâce,  contraire? 
au  salut  ;  je  vous  dirai  mon  sentiment  ;  je  pense  que  rien  ne 
déplaît  tant  à  Dieu  que  l'ingratitude  ;  elle  ferme  les  portes 
à  la  grâce ,  qui  n'a  point  d'entrée  où  ce  vice  se  retrouve. 
«  Sola  nos  a  profectu  conversations  impedit  ingratitudo , 
«  du  m  quodam  modo  amissum  repulans  dator,  quod  in- 
«  grâlus  accepit,  cavet  sibi  de  cœtero,  lanto  plura  ingrato 
«  eonferre-,  feiix  autem  qui  gratiara  ad  singula  doua  graliae 
«  reddit ,  ad  eum  in  quo  est  pienitudo  omnium  gratiarum. 


DJ    LA  GRACE  DE  mit  .  207 

•  oui  iî  ira  nos  pro  acceptis  non  ingralos  exhibcmus,  locum 
i  m  uobis  facimus  graliae,  ui  majora  adhuc  accipere  mc- 
»  reamur  :  »  (S.  Beru.  contra  pessim.  vitium  ingrat.)  II 
n'y  a  que  ^ingratitude  qui  empêche  votre  avancement)  car 
le  bienfaiteur  pensant  avoir  perdu  les  grâces  qu'il  a  fai- 
tes à  un  ingrat  ne  lui  en  fait  pas  davantage.  Heureux  celui 
qui  rend  grâces  à  chaque  bien  qu'il  reçoit  de  Dieu,  qui 
es!  la  source  et  la  plénitude  de  toutes  grâces!  car  quand 
nous  lui  sommes  reconnaissants  des  grâces  que  nous  avons 
reçues,  nous  méritons  d'en  recevoir  de  plus  grandes. 

Quand  la  grâce  a  produit  en  vous  ou  par  vous  quelque 
Lien,  gardez-vous  de  dire  :  Manus noëtra  excelsaet  non 
Dominuô  fecit  hœc  omnia ;  gardez-vous  de  vous  en  at- 
tribuer la  gloire;  dites  toujours  comme  S.  Paul  :  Gratta 
Deiêum  id  quod  sum  ;  comme  Jérémie  :  Misericordia 
quod  non  au  a)  us  cousu  mpti  ;  comme  ie  prophète 
Daniel]  :  (4.45.)  et  Daniel  (9.  7.)  Domino  Deo  nostro 
s  autan  confusio  :  Si  je  n'ai  pas  succombé  à 
la  tentation,  c'est  par  ia  miséricorde  de  Dieu  ;  si  j'ai  reçu 
quelque  grâce  de  lui,  c'est  par  sa  miséricorde  ;  si  j'y  ai  con- 
senti, c'est  par  ^a  miséricorde;  si  je  l'ai  conservée  el  cm- 
I  mis  exempt  de  plusieurs  péchés  qui  se  com- 

:  au  monde  ,  c'est  par  sa  miséricorde. 

Qui  te  discernit?  <juid  au  (en;  Juihcs  quod  r^rn  ac- 
i  .'  siautem  accepisti,  quid  yloriaris,  quasi  non 
acceperis?  (1.  Cor.  4.  7.)  Qui  est-ce  qui  vous  distingue 
des  autres?  avez-vous  quelque  chose  que  vous  n'ayez  pas 
m  n  ?  et  si  vous  l'avez  reçu  ,  pourquoi  vous  glorifiez-vous 
comme  si  vous  Paviez  de  vous-même  ? 

Il  y  a  des  gens  qui  sont  si  curieux  de  savoir  de  quel  bois 
se  chauiïe  un  tel  et  un  tel  ;  voulez-vous  savoir  de  quel  bois 
DOUfl  chauffons ,  mais  plutôt  de  quel  bois  nous  sommes 
fai  fout  et  moi  ?  Nous  sommes  du  bois  dont  on  fait  les 
plus  grands  criminols  du  monde,  liréo  du  néant  e(  de  la 
masse  de  corruption.  Quelle  différence  y  a-t-il  entre  moi 
et  le  phj^  exécrable  criminel  qui  ait  jamais  été  roué  en 
GrhQ?  la  miséricorde  de  Dieu.  Quelle  différence  et  quelle 


208  SERMON  CCLXXXV. 

distinction  entre  mon  âme  et  l'âme  la  plus  noire  qui  soit  au 
fond  des  enfers?  c'est  la  miséricorde  de  Dieu,  Ce  grand 
pécheur,  cet  infortuné  a  été  tiré  du  néant,  et  moi  aussi; 
il  était  dans  la  masse  de  corruption  ,  et  moi  aussi;  il  y  pen- 
chait naturellement ,  et  moi  aussi  ;  il  avait  une  chair  rebelle 
à  l'esprit,  une  sensualité  contraire  à  la  raison ,  et  moi  aussi. 
Si  je  n'ai  pas  été  tenté  aussi  puissamment  que  lui ,  si  je  n'ai 
pas  été  dans  les  occasions  prochaines  comme  lui ,  si  j'ai  été* 
plus  ferme  que  lui ,  c'est  par  la  grâce  et  la  miséricorde  de 
Dieu.  Je  suis  redevable  à  cette  grâce  de  tous  les  péchés  du 
monde ,  comme  si  je  les  avais  commis ,  comme  s'ils  m'étaient 
remis,  parce  que  j'étais  capable  de  les  commettre,  si  la 
miséricorde  de  Dieu  n'en  eût  détourné  les  occasions ,  si  elle 
ne  m'eût  tenu  par  la  main  ,  si  elle  ne  m'eût  soutenu,  pro- 
tégé ,  si  elle  n'eût  fortifié  ma  faiblesse.  C'est  S.  Augustin 
qui  nous  remet  souvent  en  mémoire  cette  vérité  :  «  Sicsem- 
«  per,  Domine,  gratia  tua  et  misericordia  tua  preevenit 
«  me ,  liberans  me  ab  omnibus  matis ,  salvans  a  prœteritis, 
<c  suscitans  a  prœsentibus ,  muniens  a  futuris  ,  prœcidens 
«  etiam  ante  me  laqueos  peccatorum  ,  toliens  occasiones  et 
«  causas ,  quia  nisi  tu  hoc  mihi  fecisses  ,  ego  omnia  peccata 
a  mundi  fecissem,  etc.  )>  (S.  Aug.  c.  15.  Soliloq.)  Et  ail- 
leurs :  d  Agnosce  ergo  gratiam  Dci,  cui  debes  et  quodnon 
«  admisisti  ;  îuillum  enim  peccatum  faeit  homo  ,  quod  non 
«  possit  facere  aller  homo ,  si  desit  rector  a  quo  factus  est 
«  homo  :  »  (S.  Aug.  lom.  x.hom.  23.  ex  quinquaginta.) 
Reconnaissez  la  grâce  de  Dieu,  à  laquelle  vous  êtes  rede- 
vable d'être  affranchi  des  crimes  que  vous  n'avez  pas  commis; 
car  il  ne  se  commet  point  de  péché  par  aucun  homme,  qu'un 
autre  homme  ne  pût  commettre  ,  s'il  était  abandonné  de 
eelui  qui  a  fait  l'homme.  Et  ailleurs  encore  :  Sola  gratia 
Redemptoris  eîectos  discernit  a perditis ,  quos  in  imam 
massam  corvuftionis  redeeferat  culpa  communis  :  La 
seule  grâce  du  Rédempteur  distingue  les  élus  des  réprou- 
vés ,  vu  que  tous  étaient  dans  la  masse  du  péché  d'origine; 
et  après  cela  nous  nous  enflerons,  nous  penserons  être  quel" 
que  chose  de  nous-mêmes  ,  nous  dédaignerons  les  autres  ! 


COFN 

II.  —  (Exhortatio  ,  etc.)  S.  Paul  a  grand  sujet  de  nous 
crier  :  Tu  fide  slas  ;  noli  altum  sapere ,  sed  Urne,  (iloin. 
1  l .  20/  Quoique  vous  ayez  la  foi  ,  la  chasteté,  la  tempc- 
rance  et  autres  vertus,  ne  vous  enflez  pas  pourtant;  si  vous 
vous  élevez,  Dieu  n'agréera  point  tant  vos  vertus;  il  re- 
garde de  loin,  c'est-à-dire  de  mauvais  œil,  les  choses  hau- 
tes el  élevées  :  Alla  a  longe  cognoscit.  Nuli  altum. 
Refusez  tout  ce  qui  est  haut,  sublime,  grand  dans  le  monde  : 
les  préférences,  les  préséances,  les  prérogatives,  les  di- 
gnités les  singularités.  Ce  qui  est  élevé  des  hommes  est  en 
abomination  devant  Dieu  :  Quod  ait  uni  est  hominibus , 
abominatio  est  ati/e  Deum.  (Luc.  16.  15.) 

Noli  ait u m .  Ne  cherchez  pas  les  emplois  qui  vous  peuvent 
élever,  qui  ont  du  lustre  et  de  l'éclat,  défiez-vous  des  pen- 
el  des  inclinations  que  vous  en  avez  ;  quoique  masquées 
du  désirde  profiter  au  prochain  et  d'être  utiles  à  l'Eglise,  ce 
sont  plus  probablemenl  des  artifices  de  la  nature  que  des 
aiguillons  de  la  grâce.  Si  votre  naissance  ou  la  fortune  vous 
a  élevé,  noli  altum  sapere,  que  votre  table,  vos  vêtements, 
maison  ,  vos  meubles,  vos  paroles,  vos  contenances 
ne  ressentent  pas  la  grandeur  mondaine  :  faites  comme  les 
bonnes  plantes,  plus  le  soleil  les  attire  et  les  élève,  plus 
elles  s'abaissent  et  jettent  de  profondes  racines.  Si  vous  re- 
connaissez en  vous  quelque  vertu  ,  nulitc  sapere,  ne  vous 
amusez  pas  à  la  goûter  et  à  la  savourer  avec  complaisance, 
à  la  regarder  et  admirer  par  vainc  gloire. 

«  Noli  altum  sapere ,  sed  lime.  In  veritate  didici  nihil 

pie  eflicax  esse  ad  gratiam  promerendam  ,  retinendam, 

cuperandam,  quam  si  omni  temporc  coram  Deo  inve- 

non  altum  sapere  ,  sed  timere.  Beatus  es  si  cor 

<(   tuum  triplici  timoré  repleveris,  ut  timeas  quidem  pro 

«  accepta  gratia,  amplius  pro  amissa,  longe  plus  pro  reei- 

I   rata  :  lime  ergo  cum  arriseril  gratia,  lime  cum  abiei  il , 

i  tiine  cum  denuo  revertetur  ;  cum  adest,  timene  indigne 

'  j  ça  ;  si  recesscrit ,  multo  magis  tune  tîmti  -• 


210  SEUMGxN  CCLXXXV. 

«  dura,  quia  ubi  lune  déficit  gratia,  ibi  deûcis  tu  :  time 
«  ergo  subtracta  gratia,  lanquam  mox  casurus  lime,  quia 
«  reliquit  te  ctïstodia  tua  ;  ne  dubites  in  causa  esse  super- 
«  biam  ,  cliamsi  non  appareat ,  etiamsi  nihil  tibi  conscius 
«  sis  :  ({uod  enim  tu  nescis,  seit  Deus  ;  nunquid  qui  lin— 
«  milibus  dat  gratiam  ,  humili  auferet  dalam  ?  ergo  argu- 
«  racntum  superbiœ  ,  privatio  est  graliœ  ;  jam  si  gratia 
«  repropiliata  redierit,  multo  amplius  tune  timendum,  ne 
«  forte  conlingatrecidivum  pati  ;  proînde  omni  tempore  lime 
»(  Deura  ex  omni  corde  tuo  :  »  (S.  Bern.  serra.  54.  in 
cant.)  En  vérité  j'ai  reconnu  qu'il  n'est  rien  de  si  efficace 
pour  mériter,  conserver  ou  recouvrer  la  grâce,  que  de  ne 
se  pas  entier;  mais  d'être  toujours  en  crainte  devant  Dieu. 
Vous  êtes  bienheureux  si  vous  remplissez  votre  cœur  d'une 
triple  crainte  ;  si  vous  craignez,  quand  vous  avez  reçu  la 
grâce,  encore  plus  quand  vous  l'avez  perdue,  et  encore  da* 
vantage  quand  vous  Pavez  recouvrée;  craignez  donc  quand 
la  grâce  se  présente  à  vous,  craignez  quand  elle  se  retire , 
craignez  quand  elle  retourne,  quand  elle  vient,  craignez 
de  ne  la  pas  bien  ménager  ;  et  quand  elle  s'est  retirée  on  a 
encore  plus  de  sujet  de  craindre,  car  quand  elle  vous  man- 
que, vous  êtes  à  la  veille  de  votre  ruine,  étant  délaissé  de 
votre  gardienne  ;  et  ne  doutez  pas  que  l'orgueil  n'en  soit 
cause ,  quoique  vous  ne  le  connaissiez  pas ,  car  Dieu  voit 
ce  qui  vous  est  caché  ;  Dieu  qui  donne  sa  grâce  aux  hum- 
bles ne  l'ôlera  pas  à  celui  qui  est  humble;  donc  quand  on 
est  privé  de  la  grâce  c'est  une  marque  qu'on  est  superbe , 
et  si  elle  retourne  par  sa  miséricorde  ,  c'est  aiors  qu'il  faut 
beaucoup  plus  craindre,  de  peur  d'une  rechute  trop  funeste; 
craignez  Dieu  de  tout  votre  cœur  et  en  tout  temps  ;  défiez- 
vous  de  vos  dispositions,  quelque  bonnes  et  saintes  qu'elles 
vous  semblent ,  si  elles  vous  rendent  orgueilleux. 

Craignez  que  ce  qui  vous  semble  vertu  et  inspiration  du 
Saint-Esprit  ne  soit  une  ruse  de  votre  esprit  et  une  produc- 
tion d'amour-propre ,  time;  Dieu  a  laissé  perdre  tant  d'à* 
mes  avant  l'incarnation  pour  vous  faire  connaître  la  nécessité 
de  sa  grâce,  et  vous  mettre  dans  l'humilité  ;  ne  vous  laissera 


i).    j.a    .  I  IEU.  2  i  l 

erdrc  si  vons  n'êtes  bien  humble  ?  time  ,  craignci 
us  commettei  de  grands  péchés  ou  en  grand  nom- 
Dieu  m4  résolve  de  ne  vous  donner  jamais  sa  grâce  ef- 
i  pour  tous  en  relever;  tirne^  craignez  que  ai  vous 
}  .1  lei  sa  grâce .  vous  no  la  puissiej  plus  recouvrer;  m  vous 
l'attribuez,  que  Dieu  ne  la  retire,  «  Cum  timoré  et 
i  iremore  salutem  veslram  operamini  ;  Deus  c^l  enim  <[ui 
ratur  invobis,  et  velleet  operari  pro  bonavolunfate, 
et  bac  sanctis  causa  est  tremendi  atque  metuendi,  ne 
ipsis  operibus  pietatis  electi  deserantur  ope  gralicc,  et 
remaneanl  in  inflrmitate  natura  :  »  (S.  Léo,  serm.  8, 
de  Epipb.)  Travaillez  à  votre  salut  avec  crainte  et  tremble- 
ment ,  car  c'est  Dieu  qui  produit  en  vous  la  benne  volonté 
et  L'œuvre,  et  c'est  la  raison  pour  laquelle  les  saints  sont 
toujours  en  crainte,  de  peur  que  s'ils  s'enflent  de  leurs  bon- 
uvres,  ils  ne  soient  privés  du  secours  de  la  grâce,  et 
à  la  fa  !  de  leur  nature,  dit  S.  Léon. 

Avez-vous  encore  l'innocence  du  baptême,  time  ;  gar— 
vous  de  la  perdre  ,  c'est  un  trésor  très  précieux  et  ines- 
timable; mais  elle  est  bien  délicate  :  quand  elle  est  une  fois 
entamée,  elle  se  perd  peu  à  peu.  Evitez  les  dangers  de  la 
perdre,  les  bals,  les  danses,  les  assemblées  de  garçons  et 
de  filles.  Etcs-vous  en  mauvais  état ,  time  ;  vous  êtes  sous 
la  puissance  de  Satan,  objet  de  la  colère  de  Dieu,  à  deux 
doigN  de  l'enfer;  il  ne  faut  qu'un  funeste  accident,  une 
mort  inopinée  pour  faire  exécuter  votre  sentence  et  vous 
perdre  éternellement. 

Etes— vous  relevé  du  péché,  time  ;  craignez  d'y  refom- 
ber  :  votre  chute  serait  plus  dangereuse,  votre  ingratitude 
le,  le  remède  plus  difficile;  fuyez  les  occasions; 
ne  dites  pas:  J'ai  passé  quatre  mois  sans  pécher  avec  cette 
femme;  il  arrive  eu  un  jour  ce  qui  n'arrive  pas  en  cent 
il  ne  faut  qu'une  tentation  deux  ou  trois  jours  avant 
votre  mort  qui  vous  trouvera  en  quelque  faiblesse;  en  quel-* 
que  état  que  vous  soyez,  agnosce  gratiam  Dei,  recon- 
naissez la  grâce  de  Dieu,  le  grandi  esoin  que  vous  en  avez. 
!  ns  celte  peine  ■  cela  sur  vous  do  la  ré- 


212  SliKMOa  CCLXXKV. DE  LA  GRACE,  etc. 

clamer  fort  souvent  et  de  tout  votre  cœur  ;  mais  vous  n'en 
ferez  rien  ,  je  m'en  doute  bien,  et  ainsi  vous  serez  damné  ; 
si  vous  reeonnaissez  la  nécessité  de  la  grâce  ,  si  vous  la 
demandez,  si  vous  la  recevez  ,  si  vous  la  conservez,  si  vous 
la  cultivez  jusqu'à  la  fin,  assurément  vous  serez  sauvé  ,  car 
celte  grâce  divine  est  Tunique  semence,  le  prix,  le  mérite, 
le  germe,  la  dernière  disposition  de  la  gloire  éternelle  .Amen . 


213 


SERMON  CCLXXXVI. 

TABLEAU  D'UNE  VBA1E  PÉNITENCE  ,  SUE  [.'ÉVANGILE  DE  SAINTE 
■AGDELBINE.  —  Dl  PÉCHÉ  LB  PLUS  OlDINAIRE  AU  SEXI-  DB 
lAGDELElflE  ,  QUI  EST  L'AFFECTION  AUX  AJUSTEMENTS  BOftPAiNS. 


mulier  qu<t  erat  in  civitate  peccatrix. 
A  oici  une  feuune  pécheresse  qui  était  en  lu  cité.  (  Luc.  7.  37. 

Les  instructions  morales  qu'on  se  contente  de  donner 
[,;,1)  paroles  son!  de  plus  longue  haleine  et  moins  efficaces  ; 
donnent  par  exemples  sont  plus  courtes  et 
persuasives  :  Long u m  iter  per  prœcepta  ,  brève  et 
tffica*  per  exempta  ,   dit  un  philosophe.  Jusqu'à  présent 
nous  i?ons  traité  à  fond  et  bien  amplement  de  tout  ce  qui 
appartient  à  la  vertu  de  pénitence  ,  qui  est  une  disposition 
et  une  partie  essentielle  du  Sacrement  de  con- 
i  ;  il  me  semble  maintenant  à  propos  de  vous  en  pro- 
pose! ni)  tableau  raccourci  que  S.  Luc  en  a  fait  au  septième 
chapilre  de  son  Histoire  sacrée  ,  où  il  nous  représente  en  peu 
de  paroles  Marie-Magdeieine  pécheresse,  et  puis  il  traite 
plus  au  long  .son  admirable  conversion  et  sa  parfaite  péni- 
tence. Nous  avons  donc  aujourd'hui  à  considérer  la  qualité 
M  son  péché  ,  et  puis  aux  jours  suivants  nous  eu  verrons 
Ie>  causes  ,  lej  circonstances  et  les  effets. 

IDEA  SERMONIS. 

X  etibio  pingene  oculos  suos  fuit  imago  mutie- 
rum  mundanarum,quœpeccani  in  Deum.  in  pvoxi- 
mum  ,  m  se  ipsas, 
Piimuiii  punctum.  ~\).  Jfl  Deum  êuniahominatio.  -C. 
Deeolasumu,  -  D.  Stane.  -  E,  In  loco  eancto. 


214  .        SERMON  CCLXXXVJ. DV  PECHE 

Secundum  punctum.  F.  Peccant  in  proximum  ,  ci«/wd 
animant  occidunt. — G.  Refutantur eorumvanœ  ex~ 
cusationes. 

Tertium  punctum.  H.  Peccant  in  seipsaspe?*  indevoiio- 
nem. —  I.  Prœsumptionem.  —  L.  Irnpœnitentiam, 

Les  interprètes  de  l'Ecriture  sacrée  qui  ont  examiné  de 
bien  près,  et  en  esprit  de  piété  tout  ce  que  l'Evangile  dit 
de  Marie-Madeleine  ,  tiennent  pour  assuré  qu'elle  n'était 
pas  de  ces  malheureuses  qui  sont  immolées  à  l'impudieité 
publique  ;  la  noblesse  de  sa  race  ,  la  sagesse  de  son  frère 
Lazare,  la  sainteté  de  sa  sœur  Marthe,  la  permission  que  le 
Sauveur  lui  donna  de  le  suivre  et  de  converser  avec  lui,  ne 
nous  permettent  pas  d'avoir  des  pensées  si  désavantageuses 
pour  elle;  elle  était  de  ces  dames  volages  qui  se  plaisent  à 
donner  de  l'amour  ,  à  friser  leurs  cheveux  ,  à  farder  leur 
visage,  à  porter  de  vains  ornements,  à  étudier  des  conte- 
nances affectées.  Ce  vice  est  si  commun  dans  le  monde,  et 
est  la  cause  de  tant  de  péchés,  que  je  me  sens  obligé  de  le 
battre  en  ruine,  et  de  faire  voir  à  celles  qui  en  sont  esclaves 
le  tort  qu'elles  font  à  Dieu,  à  leur  prochain,  et  à  elles-mêmes. 

L'apôtre  S.  Paul  écrivant  à  son  disciple  Timothée  , 
(  2.  8.  10.  )  et  lui  enseignant  les  instructions  qu'un  pré* 
dicateur  doit  donner  à  toute  sorte  de  personnes,  afin  qu« 
chacun  vive  en  sa  profession  selon  les  maximes  du  christia- 
nisme ,  après  avoir  dit  qu'il  faut  exhorter  les  hommes  l 
cire  assidus  à  l'oraison,  à  avoir  la  puretéen  recommandation, 
à  éviter  la  colère , dit:  <c  Volovirosorare  in  omni  loco ,  levan» 
«  tes  puras  manus  sine  ira  et  disceptatione.  »  Parlant  des 
femmes  ,  il  ajoute  :  «  Similiter  mulieres  in  habitu  ornalo, 
«  xocr/xr'û),  honesto  ,  decenti  (  Vatable  traduit  ;  modesto  , 
«  Syrus  :  casto;  )  cum  verecundia  et  sobrietate  ornantes 
«  se  ;  et  non  in  tortis  crinihus  aut  auro,  aut  margarilis  , 
«  vel  veste  pretiosa  ;  sed  quod  decet  mulieres,  promit- 
«  tentes  pietatem  per  bona  opéra  :  »  De  même  il  faut 
recommander  aux  femmes  de  s'habiller  modestement,  avec 
pudeur  et  honnêteté,  non  avec  des  cheveux  frisés  ,  ou  de 


i  i    !■  D1N  ttftl  Al IX  FEMMES.  '215 

l'or,  ou  pierreries,  ou  robes  pi  .   Puisqu'il  dit  de 

ie  ,  il  semble  qu'il  dcvail  dire  :  Exbortcx  aussi  les 

femmes  à  cire  dévotes,  ebastes,  débonnaires;  et  au  lieu  de 

toul  cela,  il  «lit.  :  Kecommandcz-leur  d'être  modestes  et 

humbles  en  leurs  vêlements,    il  sait  bien  ce  qu'il  dit ,  il  est 

éclairé  de  Dieu;  il  veut  dire  que  si  les  femmes  sont  indévo- 

H  indiscrètes  dans  l'église,  volages  et  impures  dans 

compagnies ,  colériques  et  querelleuses  en  la  maison,  la 

de  tout  cela,  c'est  l'affection  aux  vains  ornements;  car 

comme  dit  Tertullien  ,  toul  ce  qu'il  y  a  de  mal ,  d'impar- 

le  vicieux,  d'efféminé  en  ce  sexe  se  répand  et  s'emploie 

an  cette  vanité  :  Totam  circumferuni  in  istta  muliçritct- 

Je  ne  veux  pas  aujourd'hui  me  dispenser  de  la  coutume 

j'ai  d'établir  et  d'étayer  tout  mon  discours  sur  un  pas- 

iturc  ;  pour  en  tirer  un  seul  exemple,  j'ai  été 

ircourircl  de  la  repasser  toute  en  mon  esprit. 

le  d'admiration  ,  la  parole  de  Dieu 

plusieurs  ambitieux  ux,  envieux  , 

voluptmi  le  femmes  qui  se  soient  fardées,  il  ne  s'en 

re  qu'une  seule  en  toute  l'Ecriture  sainte,  tant  ce  vice 

était  injuste  et  odieux  parmi  le  peuple  de  Dieu. 

\.  —  Mû  pingens  ,  etc.  )  C'est  la  dc'es- 

uibel ,  dont  il  est  dit  (  4.  Reg.  9.  30.  )  qu'ayant 

appris  l'entrée  du  roi  Jélm  dans  la  ville,  elle  farda  ses  yeux, 

iva  sa  tète,   et  se  mil  à  la  fenêtre  pour  voir  et  pour 

:  Dcuinxit  oculos  sucs  stibt'o,   ornavit  caput 

$uum}  et  revpexit per  feneêtmm.  Nous  pouvons  voir  en 

\  orgueilleuse ,  le  génie  ,  les  attentats  et  les  punitions  de 

I  i  semblables;  elle  était  impie  envers  Dieu,  cruelle 

enn  >ehain,  ennemie  d'elle-même. 

Ecriture  exagérant  les  crimes   du  roi  Achab ,    dit 

.  31.  )  qu'il  ne  se  contenta  pas  d'imiter  les 

de  Jéroboam,  qui  avait  induit  le 

a  Dieu  I  l'idolâtrie  ;  mais  que  pour  enchérir  sur 

,  il  avait  i  reine  .lé  abel  qui  le  rendit 

^encoi  Vee  siiffecit  et  ut  cm- 

Ini/c  ,  ■'...   >'/   u 


21  G  SERMON  CCLXXXVÏ. DU  PECHE 

primum  punctum.  —  In  Deum,  etc. 

B.  —  (  Ahominatio.  )  Les  Jésabels  de  ce  temps  sont 
encore  pbis  irréligieuses,  et  plus  injurieuses  à  Dieu.  Achab 
et  Jéroboam  firent  dresser  des  idoles  ,  mais  ce  ne  fut  quo 
sur  les  montagnes,  dans  les  forêts  et  dans  les  lieux  écartes. 
Les  dames  font  comme  l'empereur  Adrien  et  Pilate,  ^ui 
mirent  des  idoles  dans  le  temple,  et  au  milieu  du  sanctuaii  e; 
et  on  peut  dire  qu'elles  font  cette  abomination  dont  Je*  us 
parle  en  l'Evangile  :  Cum  videritis  ahominationem  de- 
solationis  stantem  in  loco  sacro.  (  Matth.  24.  4  5.   I 

Ahominationem.  Tout  péché  est  appelé  en  l'Ecriture  , 
abomination,  et  le  luxe  des  habits  est  un  péché,  puisque 
Dieu  le  défend  par  les  deux  plus  excellents  et  illustres  hé- 
rauts de  ses  commandements  :  Mulieres  non  in  toriis 
crinihus,  aut  auro,  aut  margaritis,  vel  veste  yretiosa  : 
(1 .  Tim,  2.  9.)  Que  les  femmes  soient  habillés  eavec  mo- 
destie, que  Pétoiïe  de  leurs  vêtements  ne  soit  pas  trop  riche, 
ni  la  façon  trop  curieuse  ;  qu'elles  ne  paraissent  point  avec 
des  cheveux  frisés,  bouclés  et  éclatants  de  pierreries  :  Quo- 
rum non  sit  extrinsecus  capillatura  ,  aut  circumdatio 
auri  ,  aut  indumenti  vestimentorum  cultus  :  (  1 .  Petr, 
3.  3.  )  Les  femmes  peuvent  désirer  de  plaire  à  leurs  maris, 
mais  ce  ne  doit  pas  être  ni  par  les  cheveux  frisés,  ni  par 
For  ou  les  pierreries  pour  orner  leur  tête  ,  ni  par  la  ma- 
gnificence et  le  luxe  des  habits. 

Voyez,  les  apôtres  défendent  les  cheveux  frisés,  entortillés 
au  dehors,  les  atours  d'or,  lespierrerier  et  les  robes  trop  pré- 
cieuses, les  robes  superflues  qui  ne  servent  qu'à  orner  les  au- 
tres robes  :  Indumenti  vestimentorum  cultus  :  (S.Chrys. 
liomil.  50.  in  Matth.  ita  D.  Thom.  hic.)  car  les  robes  sont 
faites  pour  couvrir  le  corps,  et  non  pas  pour  couvrir  d'autres 
robes,  combien  plus  les  souliers  précieux;  ils  ne  parlent 
pas  à  des  religieuses  ou  à  des  filles  retirées  du  monde,  mais 
à  des  femmes  mariées  ,  car  ils  ajoutent ,  qu'elles  soient 
sujettes  à  leurs  maris  ;  ils  ne  parlent  pas  seulement  à  des 
pauvres,  ou  aux  femmes  de  la  lie  du  peuple,  ce  seraient  de-: 


LE  PUS  ORDINAIRE    \r\  PBMMBS.  217 

parole*  perdues;  chacun  sail  bien  qu'elles  ne  portent  point 
d'or  ni  de  pierreries.  Ils  parlent  indifféremment  à  toutes  les 
femmes  e(  Glles  chrétiennes,  et  si  vous  êtes  vraies  chré- 
tiennes, quand  il  n'arrivcrail  point  d'inconvénient  de  ce 
Uwc  ,  il  ne  faudrait  point  d'autre  raison  pour  vous  en  re- 
tirer que  celle-ci  :  Dieu  le  défend  par  ses  apôtres.  «  Au- 
i    daciam  existirao  de  bono  divini  prsecepti  disputare;  nec 
<(  enira  quia  bonum  es( ,  ideirco  auscultare  debemus  ,  sed 
■  quia  Deus  prsecepit  ;   prior  est  autoritas  imperantis  , 
•  quam  militas  servientis  ,  »  dit  TertuIHen.  (  de  pœnit. 
cap,  'i.  s  Quand  il  n'y  aurait  point  déraison,  d'utilité,  de 
commodité  en  cette  défense  que  Dieu  vous  fait,  c'est  assez 
qu'il  la  fasse  pour  vous  obliger  ;  si  vous  n'obéissez,  vous 
(tes  coupable,  c'est  un  péché,   c'est  une  abomination  : 
û&ominationem. 

— -  C,     Desolaiionis.  )  Desolationis ,   l'abomination 
de  la  désolation,  c'est  proprement  une  idole,  parce  qu'il  n'y 
-i  rien  «pii  désole  et  afflige  plus  1rs  gens  de  bien  que  de  voir 
qu'on  rende  à  une  statue  l'honneur  qui  n'est  dû  qu'au  vrai 
Dieu  ;  il  est  vrai  qu'il   n'y  a  plus   d'idoles  de  bois  et  do 
pierre  eu  l'église,  grâces  à  Dieu;  mais  il  y  a  des  idoles  de 
chairj  ce  n'es!  pas  moi  qui  appelle  ainsi  les  filles  du  monde, 
c  est  le  Saint-Esprit  :  Filiœ  eontm  compositœ  :  circum 
omatœ  ,    ut  similitudo   t  cm  pli.  (  Ps.    143.    12    )  On 
cliante  incessamment  dans  l'église  :  Gloria  Pat  ri,  etFilw- 
celles-ci  disent  de  cœur  et  d'effet  :  Gloire  soit  à  moi.  En 
quoi  consiste  la  gloire  que  Dieu  demande  de  nous  en  l'E- 
glise ,  en  ce  qu'on  pense  à  lui  ,  qifon  s'occupe  de  lui,  que 
considère  ses  divines  perfections,  qu'on  les   médite  , 
qu'on  les  admire,  qu'on  les  loue,  bénisse,  publie,  qu'il 
objel  de  la  vue,  de  l'esprit,  du  cœur,  des  affec- 
tions, de  l'admiration  de  se.  sujets,  comme  le  roi  en  sa 
cour  :  Ma/estas  Domini  implcvit  domum 9nee poterant 
ingredi  templum  Domini  ,  eoquod  imples- 
tei  mafestas  Domini  templum  Domini.  (2.  Paraltp.7 . 1 .) 
«la  implevit  domum  Domina  nec  poterant  sa- 
ci'd.jtcsstare,  et  ministrare  pi  opter nehulam  :  imple^ 


218        SERMON  CCLXXXVI. -—DU  PÉCHÉ 

verat  enim  gloria  Domini  domiim  Domini  :  (  3.  Reg. 
8.  11.  )  La  gloire  de  Dieu  avait  rempli  son  temple;  cette 
grandeur,  cette  gloire,  cette  majesté  de  Dieu,  c'était  un 
brouillard  ou  nuage  qui  remplissait  tout  le  temple ,  et  qui 
dérobait  la  vue  de  toutes  les  beautés  qui  y  étaient,  parce 
que  Dieu  tient  à  honneur  qu'on  ne  contemple  personne  que 
lui  en  sa  maison,  et  pendant  qu'on  le  prie.  Pour  cela  l'em- 
pereur  Théodose  ,  entrant  à  l'église  ,  laissait  ses  ornements 
à  la  porte  ,  disant  qu'en  la  maison  de  Dieu  rien  ne  doit 
éclater  que  la  majesté  divine,  ainsi  qu'au  palais  du  roi  rien 
ne  doit  paraître  que  le  roi  lui-même;  et  une  petite  coquette 
dispute  cette  gloire  au  Roi  des  rois,  veut  être  l'objet  des 
regards,  complaisances,  louanges,  étonnements  des  hom- 
mes ;  quelle  abomination  devant  Dieu  !  quelle  désolation 
pour  les  gens  de  bien  !  Abominationem  desolationis  ! 

D.  —  (Stans.)  Stante.m,  Le  larron,  l'adultère,  l'ho- 
micide et  autres  semblables  ne  pèchent  pour  l'ordinaire  qu'en 
cachette,  à  la  dérobée,  avec  crainte;  celles-ci  offensent  Dieu 
à  enseignes  déployées,  hardiment ,  effrontément ,  à  tête 
levée,  erectocollo. 

Il  n'y  a  pas  de  péché  qui  se  commettent  plus  à  dessein  , 
et  plus  de  propos  délibéré;  un  mouvement  de  colère  qui  vous 
prévient ,  une  pensée  d'impureté  qui  vous  surprend  ,  une 
parole  de  médisance  qui  vous  échappe,  semblent  avoir  quel- 
que prétexte  d'excuse.  Ici  vous  péchez  de  sang- froid  ,  de 
volonté  projetée,  vous  y  pensez  dès  le  soir;  vous  y  employez 
la  matinée;  vous  vous  y  baignez  et  vous  vous  complaisez 
mille  fois  le  jour. 

E.  — (In  loco  sancto.  )  In  loco  sancto.  Si  vous  vous 
contentiez  ,  comme  Achab  et  Jéroboam ,  de  dresser  des 
idoles  dans  les  lieux  profanes,  de  vous  faire  adorer  au  bal, 
aux  danses,  à  la  comédie,  aux  cours,  les  gens  de  bien  évite- 
raient ces  lieux,  feraient  comme  Tobie  :  Cum  irent  om- 
it es  ad  vitulos  atweos  quosfecei'at  Jéroboam,  pe?yebat 
in  Jérusalem  ad  templum  Domini  :  (  Tob.  1 .  16.  ) 
Quand  les  autres  allaient  adorer  les  veaux  d'or  que  Jéro- 
boam avait  fait  dresser  dans  les  forêts  j  Tobie  allait  à  Jé- 
rusalem au  temple  du  Seigneur. 


i.i.  pi  D8  OADIMÀIRI   u  \  PEMMB8.  210 

Mais  vous  mettes  les  idoles  au  milieu  du  temple,  ou  tous 
les  fidèles  sont  obligés  de  venir;  vous  leur  donne/  sujel 
d'offenser  Dieu,  là  ou  ils  étaient  venus  pour  L'apaiser  ;  de 
profener  sa  maison,  de  souiller  son  sanctuaire,  d'irriter  sa 
colère ,  d'attirer  son  indignation  :  Fecerunt  malwn  in 
oculis  MMtV,  poêuerunt  offendlcula  sua  in  domo  ,  in 
qua  invocatum  estnomen  meum  ,  ut  polluèrent  eam  ; 
i  Jerem.  7.  30.  )  Ils  m'ont  offense  en  ma  présence  ,  ils 
ont  mis  des  pièges  dans  la  maison  où  Pou  invoque  mon  saint 
M(V)i  ;  ils  l'ont  souillée  est  profanée  :  Stantem  in  loco 
sanvto. 

Voua  êtes  plus  oppose!  à  Dieu,  plus  ferme  et  plus  arrêté 
en  eette  opposition  que  l'idole  de  Dagon;  elle  ne  put  pas 
subsister  en  la  présence  de  L'arche,  elle  fut  prosternée  par 
terre,  la  faee  bien  loin  de  L'autel ,  sur  le  seuil  de  la  porte  ; 
.  à  trie  levée,  impudemment  en  haut  de  Féglise,  tout 
auprès  de  L'autel  pendant  le  sacrifiée,  où  le  vrai  Dieu  est 
adoré  |  vous  voulez  être  adorée.  Vous  êtes  cause  qu'au 
sacrifiée  de  vérité  on  dit  des  mensonges  ;  vous  démentez 
le  prêtre  qui  tient  la  place  de  Jésus  ,  et  qui  dit  :  Sursum 
conla,  élevez  vos  cœurs  à  Dieu;  vous  dites  :  Non,  ne  les 
élevez  pas  à  Dieu,  abaissez-les  à  une  vile  créature,  appli- 
quez vos  cœurs  à  me  regarder  et  à  m'aimer.  On  répond  au 
nom  de  tout  le  peuple  :  Habemus  ad  Dominum,  nous 
élevons  nos  cœurs  à  Dieu;  et  vous  êtes  cause  que  l'on 
ment,  car  plusieurs  ont  le  cœur  à  vos  mains,  à  vos  orne- 
ments ,  au  lieu  de  le  porter  à  leur  Créateur  et  Sauveur. 

sncuNDini  PUNGTUH.  — Peccant,  etc. 

F.  —  (  Animam  occidunt.  )  Vous  n'êtes  pas  seule- 

I   impie  envers  Dieu  ,  vous  êtes  inhumaine  envers  le 

prochain  ;  vous  faites  mourir  le  pauvre  INaboth  ,   et  plus 

i!  que  Jésabel;  elle  ne  fit  mourir  que  le  corps, 

et  vous  I  urir  Les  âmes;  je  n'en  veux  point  d'autre 

pe  propre  confession;  votre  bouche  vous 

condamnera  au  jugemenfl  de  Dieu.  Voulez-vous  savoir  , 

nment  ces  affectées  nomment  le  fichu  qu'elles 


t20  SERMON  CCLXXXVI. DU  PECHE 

mettent  sur  leur  sein  ?  elles  l'appellent  V assassin  ,  parce 
qu'il  assassine  les  âmes  des  jeune  gens  qui  les  regardent  et 
qui  les  convoitent;  et  c'est  ce  qui  les  rend  devant  Dieu  odieu- 
ses et  abominables  fort  longtemps,  car  la  théologie  raisonne 
des  actions  morales  et  surnaturelles ,  comme  la  philosophie 
des  actions  physiques  et  matérielles.  Les  philosophes  disent 
qu'il  y  a  deux  sortes  d'actions  ;  il  y  en  a  qui  les  appellent 
transitoires  et  passagères,  qui  ne  laissent  rien  après  elles, 
quand  elles  sont  passées  il  n'en  reste  aucun  effet  :  Actio- 
nés  transeuntes  ,  quœ  non  relinquunt  posi  se  opus  , 
comme  jouer  du  luth  ,  chanter,  danser  ;  il  y  en  a  d'autres 
qui  les  appellent  actions  permanentes  ,  parce  qu'elles  lais- 
sent après  elles  quelque  œuvre  qui  est  de  durée  ,  comme 
peindre  une  image  ,  bâtir  une  maison ,  planter  un  arbre  , 
et  celles-ci  sont  beaucoup  plus  nobles  et  plus  excellentes 
que  les  autres.  Les  pieuses  entreprises  qui  ont  une  longue 
suite  de  saintes  actions,  et  qui  sonteause  de  plusieurs  bonnes 
œuvres,  sont  plus  louables  et  plus  glorieuses;  et  c'est  tout 
le  contraire  des  actions  vicieuses  et  criminelles;  les  péchés 
qui  ne  nuisent  qu'à  celui  qui  les  commet,  et  ne  produisent 
point  de  mauvais  effet  en  notre  prochain  sont  plus  dignes 
de  pardon  ;  mais  quand  nous  apportons  du  scandale  ,  c'est- 
à-dire  quand  nous  sommes  cause  que  les  autres  pèchent 
après  nous,  nous  sommes  bien  plus  coupables  et  indignes 
de  miséricorde.  Ainsi  Dieu  reproche  souvent  au  roi  impie 
Jéroboam  ,  que  par  son  mauvais  exemple  il  avait  induit  le 
peuple  et  les  autres  rois  ses  descendants  au  péché  d'idolâ- 
trie :  Ambulavit  in  viis  Jéroboam  ,  qui  peccare  fecit 
Israël.  Il  vous  semble  que  ce  n'est  rien  de  porter  le  sein 
ou  les  bras  découverts,  de  donner  la  mamelle  à  votre  enfant 
à  la  vue  des  hommes;  il  peut  se  faire  qu'un  jeune  homme 
qui  avait  vécu  chastement  jusqu'à  présent ,  voyant  cette 
nudité,  conçoive  une  mauvaise  pensée,  s'y  arrête  et  y  prenne 
plaisir  après  l'avoir  combattue  quelque  temps  ,  vienne  à 
l'œuvre  après  la  pensée ,  s'accoutume  à  quelque  impureté  , 
Tenscigne à  son  camarade,  celui-ci  à  son  compagnon;  peut- 
être  que  d'ici  à  trente  ans,  d'ici  à  cinquante  ans  on  corn- 


LE  t»LUS  ORDINAIRE  AUX  FtMMEfi.  221 

mettra  des  péchés  dont  votre  sotte  vanité  aura  été  l'origine; 
quand  vous  ne  seriez  l'occasion  que  de  la  damnation  d'une 
.seule  ànie,  la  plaie  que  vous  lui  faites  saignera  d'ici  à  cent 
mille  ans;  le  dommage  que  vous  faites  au  Fils  de  Dieu  par 
la  perte  de  eetle  âme  lui  sera  présente  et  déplaisante  en 
toute  rétendue  des  siècles. 

G.  —  (  Refutantur,  etc.  )  Ce  n'est  pas  ,  dites-vous  , 
votre  intention  de  les  perdre,  mais  seulement  de  leur  plaire; 
vous  le  faites  innocemment ,  vous  n'avez  point  de  mauvaise 
pen>ée.  Tertullien  vous  réplique  (  de  cultu  frcminarum, 
eap.  I .)  que  cela  ne  se  peut  faire  innocemment,  que  non-seule- 
ment ,  vous  ne  devez  pas  désirer  d'être  désirée,  mais  vous 
devez  l'abhorrer  ;  que  puisque  la  beauté  cultivée  est  une 
imorce  naturelle  à  la  lubricité  ,  vous  êtes  coupable  devant 
Dion  de  l'exposer  en  public,  sans  nécessité  et  sans  utilité  , 
par  pure  vanité  ,  comme  qui  porterait  du  feu  sans  aucune 
nécessité  dans  une  grange  pleine  de  paille  sèche  ,  ou  dans 
un  arsenal  plein  de  poudre  à  canon. 

Vous  prétende!  seulement  plaire  aux  hommes  ;  mais 
S.  Cyprien  vous  dit  (  de  babitu  virginom.  )  que  vous  ne 
sauriez  désirer  de  leur  plaire  sans  offenser  votre  Dieu  : 
Dmn  hominibus  piacere  (jcsiiunt,  Deutn  offendunt. 
David  dit  <pie  Dieu  méprise  ,  affaiblit  ,  humilie  ceux  qui 
plaisent  aux  hommes  :  Deus  dissipavit  ossa  corum  qui 
hominibus  placent  ;  confit  si  sunt  ,  quoniam  Deus 
sprerit  eos.  (  Psal.  52.  G.  )  S.  Paul  dit  que  celui  qui  est 
agréable  aux  hommes  mondains,  n'est  pas  serviteur  de  Dieu. 
S.  Jacques  dit  que  celui  qui  veut  Ctre  ami  du  monde  se 
rend  ennemi  de  Dieu.  Mais  ce  n'est,  dites-vous  ,  que  pour 
plaire  à  mon  mari  ;  et  pourquoi  donc  ne  vous  ajustez-vous 
que  lorsque  vous  devez  paraître  en  public  ?  et  à  ce  compte , 
dit  S.  Cbrysostôme,  votre  mari  ne  vous  aimera  que  pour 
une  beauté  déguisée;  ainsi  son  amour  se  morfondra  quand 
celte  beauté  sera  perdue  par  la  vieillesse  ou  la  maladie,  ou 
par  quelque  autre  accident  ;  et  ainsi  étant  accoutumée  à 
n'aimer  que  le  corps  et  ses  vains  ornements,  s'il  trouve  des 
courtisanes  plus  belles  et  mieux  enjolivées  que  vous  ,  il 


222        SERMON  CCLXXXVI. DU  PECHE 

les  aimera  plus  que  vous  :  Domine ,  in  voluntate  prœ- 
stitisti  decori  rneo  virtutem.  (Ps.  29.  8.)  Les  robes 
précieuses  ne  sont  que  la  boue  des  vers  à  soie;  les  perles 
ne  sont  que  les  excréments  des  poissons  ;  ce  n'est  pas  à  ces 
créatures  mortes ,  mais  au  Dieu  vivant  de  donner  à  votre 
beauté  des  attraits  et  des  charmes  innocents  pour  gagner  le 
cœur  de  celui  qui  est  ou  que  vous  désirez  être  votre  mari. 

Vous  n'avez  point  d'autre  intention  que  d'attirer  quel- 
que riche  parti  qui  vous  recherche  pour  une  sainte  et  légi-» 
time  alliance  ;  mais  pour  gagner  un  seul  homme,  vous  en 
damnez  un  grand  nombre;  n'est-ce  pas  être  bien  criminelle? 
Celui  qui  empoisonne  la  rivière  est  condamné  aune  acaencif 
par  les  lois  ,  parce  que  pour  prendre  quelque  peu  de  pois* 
son,  il  en  fait  mourir  grande  quantité  ;  et  puis  afin  qu'un 
parti  vous  soit  convenable  et  avantageux  ,  afin  que  vous 
soyez  heureuse  et  contente  en  sa  compagnie,  ce  n'est  pas 
assez  qu'il  ait  des  richesses,  des  états,  des  honneurs  et  des 
offices  ;  il  faut  encore  qu'il  soit  de  votre  humeur  ,  qu'it 
vous  soit  doux  et  débonnaire  ,  il  faut  qu'il  soit  sage  et  de 
ion  sens,  il  faut  qu'il  soit  chaste  et  vertueux.  C'est  Dieu 
seul  qui  peut  le  connaître  ,  c'est  Dieu  seul  qui  peut  le 
faire  à  votre  façon  ,  le  former  à  votre  humeur  ,  lui  donner 
sympathie  avec  vous, c'est  lui  qui  doit  être  votre  paranym- 
phe,  non  pas  le  démon  Asmodée,  l'amour  sensuel  et  impur; 
et  quel  étourdi  sera-ce  s'il  ne  vous  recherche  que  pour 
vos  ornements  ?  ne  serait-  il  pas  aussi  malavisé  que  celui 
qui  n'achetterait  et  ne  priserait  un  cheval,  que  parce  qu'il 
est  bien  enharnaché.  Si  c'est  la  chair  qui  vous  donne  un 
mari,  elle  vous  le  donnera  charnel;  étant  de  cette  trempe, 
il  n'aimera  que  la  chair,  n'estimera  que  la  chair,  il  ira 
toujours  à  la  chasse  des  objets  conformes  à  son  humeur  , 
ou  il  en  trouvera  d'autres  qui  seront  plus  agréables  et 
mieux  parées  que  vous  ;  et  ainsi  il  vous  méprisera  ou  il 
n'en  trouvera  point;  ainsi  il  sera  agité  de  jalousie  et  d'om- 
brages pour  vous.  Vous  serez  ensemble  comme  Achab 
et  Jésabel  ;  vous  vous  entr'aiderez  à  vous  perdre  et  à  vous 
rendre  misérables. 


LE  PLUS  ORDINAIRE  AUX  FEMMES.  223 

tkrtium  ruNCTiM.  — Perçant,  etc. 

II.  —  (Per  indevotionem.  )  Cette  ambitieuse  fut  bien 
étonnée,  quand  s^tanl  mise  à  ia  fenêtre  pour  se  faire  admirer, 
le  roi  Jéhn commanda  qu'on  la  jetât  du  liant  en  bas,  où  elle 
fut  toute  brisée,  el  devint  la  curée  des  chiens  :  Prœcipîtate 
illam.  Ainsi  Lucifer  ,  le  roi  des  orgueilleux  ,  obtient  que 
cette  sotte  vanité  vous  précipite  dans  les  abîmes  de  plusieurs 
grands  et  horribles  vires:  Prœcipîtate illam.  Vous  tombez 
en  indévotion  et  en  endurcissement  de  cœur;  dans  l'église, 
au  lieu  de  penser  à  Dieu  ,  vous  pensez  à  vous  et  à  vos  orne- 
ments ,  vous  êtes  comme  le  paon  ;  il  a  un  beau  plumage, 
mais  la  tète  fort  petite  ,  et  fort  légère  ,  et  peu  de  cervelle  ; 
vous  tournez  la  teleçà  et  là,  plus  souvent  qu'une  girouette, 
|  voir  t  pour  être  vue  ;  vous  ne  priez  Dieu  que  du  bout 
lèvn  s. 

I.  — (Prœsinnptiunem.)  Prœcipîtate  illam.  Vous 
tombez  dans  le  péebéde  présomption  et  d'amour  déréglé  de 
-même  :  vous  êtes  comme  le  basilic  qui  ne  tue  pas  seu- 
lement les  autres  par  ses  regards,  mais  qui  se  tue  lui-même 
gardant  dans  un  miroir  ;  vous  vous  présentez  au  miroir 
cinquante  fois  par  jour  ;  vous  vous  mirez  ,  admirez  ,  ado- 
n •/.  idolâtre/  vous-même;  vous  vous  baignez  sottement  dans 
la  veine  complaisance  d'une  beauté  prétendue  ;  vous  dé- 
daignez votre  mère  ou  autre  parente,  vous  avez  honte  d'aller 
ivec  elles  ,  parce  qu'elles  ne  sont  pas  aussi  pompeuses  que 
vous  ;  pour  faire  parade  de  votre  gloire ,  vous  tombez  dans 
rimpénitence  et  dans  les  abus  des  sacrements.  Le  sacrement 
de  pénitence  que  vous  recevez  si  souvent,  mais  Infructueuse- 
ment, est  composé  de  trois  parties  :  contrition  ,  confession, 
satisfaction;  vous  les  mutilez  tous  trois;  si  vous  pensez  que 
la  irak  contrition  soit  compatible  avec  cette  vanité  ,  vous 
VOUS  trompa  lourdement  ;  l'Ecriture  n'est  pas  de  votre  avis, 
elle  joint  toujours  ensemble  L'esprit  de  componction  et  le 
cœur  humilié  :  Cor  âontritum  et  humiliatutn  non  des- 
/lia'es;  in  tpiriiu  humilitatU  ,  et  animo  cuntrito  ;  elle 
dit  que  le  roi  Achab  apaisa  Dieu  par  sa  pénitence ,  parco 


224        SERMON  CCLXXXVI. DU  PÉCHÉ 

qu'ayant  dépouillé  sa  pourpre  ,  il  se  revêtit  d'un  sac  et  d'un 
cilice  (  3.  Reg.  21 .  27.)  ;  ce  qui  nous  apprend ,  dit  Ter- 
tullien  ,  (de  pœnit.)  que  la  vraie  repen tance  change  toute  la 
personne  en  l'intérieur  et  en  l'extérieur ,  et  fait  qu'elle 
s'habille  à  la  négligence. 

Si  cette  malheureuse  dont  il  est  fait  mention  au  grand 
Miroir  des  exemples,  eût  suivi  cet  avis,  elle  régnerait  parmi 
les  archanges  ,  et  elle  brûle  parmi  les  démons  ;  elle  apparut 
à  son  fils  religieux  qui  priait  pour  elle  ,  et  lui  dit  :  Les  vains 
ornements  des  femmes  ne  sont  autre  chose  qu'un  instrument  de 
la  colère  de  Dieu;  bien  quej'aie  reçu  les  sacrementsavant  que 
de  mourir  ,  je  ne  laisse  pas  d'êlre  damnée  ,  parce  que  quand 
je  m'en  confessais  ,  c'était  sans  volonté  de  lesôter.  Elle  s'en 
confessait  et  ne  s'en  repentait  pas  ;  et  vous  ne  faites  ni  l'un 
ni  l'autre  ,  ou  si  vous  vous  en  confessez ,  c'est  à  un  confes- 
seur lâche  ,  timide  ,  intéressé  ,  mercenaire  ,  qui  n'ose  vous 
en  reprendre  ;  ou  si  vous  vous  en  confessez  à  un  bon  con- 
fesseur ,  ce  n'est  qu'à  demi ,  et  je  ne  sais  comment  ;  vous 
ne  dites  pas  les  suites,  les  circonstances  ,  les  dépendances 
de  votre  péché  ;  vous  ne  dites  pas  que  vous  mettez  un  mou- 
choir de  cou  transparent,  afin  qu'on  s'arrête  plus  attentive- 
ment à  regarder  ce  qu'on  peut  voir  à  travers  ;  que  vous  ne 
découvrez  le  sein  qu'à  demi,  afin  d'irriter  par  cet  échantillon 
l'appétit  de  voir  toute  la  pièce  ,  comme  cette  ancienne  :  Ne 
satiaret  aspectum;  vous  ne  dites  pas  que  vous  n'attachez 
pas  par  en-bas  les  pendants  de  votre  collet ,  afin  que  de 
temps  en  temps  le  vent  les  soulève  et  vous  découvre  ;  que 
vous  faites  de  si  grandes  dépenses  à  l'entretien  de  cette  am- 
bition ,  que  vous  n'avez  plus  les  moyens  de  satisfaire  pour 
vos  péchés  ,  et  les  racheter  par  aumône.  Vous  portez  à  votre 
col  pour  vingt  ou  trente  écus  de  toile  et  de  dentelle  ,  et 
fous  laissez  pourrir  Jésus  faute  d'une  vieille  chemise;  vous 
êtes  chargée  de  chaînes  d'or,  et  vous  le  laissez  à  la  chaîne, 
faute  d'un  peu  d'argent  pour  le  racheter;  vous  n'épargnez 
rien  pour  vos  robes  de  soie ,  et  vous  le  laissez  mourir  de 
froid ,  faute  d'une  pièce  de  grosse  bure.  Quels  anathèmes  ! 
quelle  vengeance  !  quels  carreaux  ne  mérite  pas  une  telle 


IF.  PLUS  ORDINAIRB  ,\l\  FEMMES.  2213 

lîtudc  !  dit  S,  Chrysostôme  :  Quibusnonistadigna 
sunt  fu /minibus,  (homil.  50.  in  Mnllli.) 

Il  y  a  bien  plus ,  nous  ne  jetez  pas  seulement  dos  pensées 
impures  dans  le  cœur  des  nommes  voluptueui  qui  vous  voient, 
vous  donnez  aux  infidèles  mauvaise  opinion  de  voire  religion, 
vous  donnez  à  plusieurs  fidèles  mauvaise  opinion  de  la  pa- 
role de  Dieu.  Il  y  a  des  Turcs,  des  juifs  ,  des  païens  et  autres 
infidèles  qui  voyagenl  par  le  monde  tout  exprès  pour  épier 
et  remarquer  les  façons  de  faire  de  chaque  nation,  et  par- 
ticulièrement des  chrétiens  et  catholiques  ,  comme  j'en  ai 
tu  en  un  bateau  qui  remarquaient  et  écrivaient  en  des  tablettes 
tout  ce  qu'ils  voyaient  et  entendaient  de  remarquable.  Je 
saurais  bien  volontiers  de  vous,  Mesdames,  ce  que  je  pour- 
rais répondre  à  un  de  ces  hommes  qui  saurait  tout  ce  que 
nous  prêchons  et  tout  ce  que  les  saints  Pères  enseignent, 
et  qui  me  ferait  eette  objection  :  Monsieur,  il  y  a  en  cette 
ville  tant  d'églises  collégiales  ,  tant  de  communautés  reli- 
gieuses ,  tant  de  compagnies  de  pénitents,  tant  de  congré- 
is  ,  de  confréries  ,  de  saintes  sociétés ,  on  y  fait  tant 
(!<•  prédications,  tant  d'exhortations,  tant  de  conférences  spi- 
rituelles ,  tant  de  catéchismes ,  tant  de  confessions  ,  tant  de 
communions  ,  tant  de  dévotions  ;  comment  est-ce  qu'on  y 
jm  rmel  aux  femmes  de  porter  le  sein  et  les  bras  découverts 
comme  elles  font  ?  où  est  le  respect  qu'elles  doivent  à  votre 
Dieu  auquel  elles  se  présentent  si  souvent ,  à  sa  parole  qui 
défend  cet  abus,  à  sa  Mère  qui  l'a  en  horreur,  à  son  Eglise 
qui  le  condamne  ,  à  ses  serviteurs  qui  le  trouvent  mauvais, 
-  prédicateurs  qui  le  reprennent  si  souvent  ?  Les  supé- 
rieurs n'ont-ils  point  d'autorité  envers  leurs  inférieurs ,  les 
maris  envers  leurs  femmes,  les  pères  envers  leurs  filles,  les 
maîtres  envers  leurs  servantes,  les  confesseurs  envers  leurs 
pénitents  pour  empêcher  cet  abus  ?  S'ils  peuvent  l'empêcher 
I  le  fonl  pas ,  où  est  le  zèle  qu'ils  doivent  à  voire 

religion  ?  rtls  ne  peuvent  l'empêcher  ,  où  est  la  soumission 
et  l'obéissance  qu'où  leur  doit  ?  Tant  de  chanoines ,  tant  de 
prêtres  ,  tant  de  religieux  ,  tant  de  religieuses  ,  tant  de 
pénitents  ,  tant  de  confrères  n'ont-ils  point  d'amour  pour 


226        SERMON  CCLXXXVI. DU  PECHE 

Dieu  ni  de  pouvoir  envers  leurs  parentes  pour  les  dissuader 
de  ce  désordre  ?  Votre  Dieu  ,  en  son  Evangile  (Matth. 
48.  7.)  donne  sa  malédiction  à  tous  ceux  qui  donnent  à  au- 
trui quelque  sujet  de  péché  ;  il  assure  (Matth.  5.  18.)  que 
regarder  une  femme  en  la  convoitant ,  c'est  faire  un  adul- 
tère dans  le  cœur  :  vos  femmes  peuvent-elles  se  montrer  en 
public  ainsi  découvertes  sans  être  convoitées  de  quelqu'un. 
Le  vicaire  de  votre  Dieu  que  vous  appelez  S.  Pierre  ,  leur 
défend  les  robes  précieuses ,  et  elles  en  portent  à  l'envie 
Tune  de  l'autre.  S.  Paul  leur  défend  de  friser  leurs  cheveux, 
et  elles  ne  font  autre  chose.  Votre  S.  Chrysostôme,  S.  Am- 
broise  ,  S.  Cyprien  ,  vos  autres  docteurs  que  vous  appelez 
les  lumières  de  votre  Eglise  disent  que  c'est  détremper  du 
poison  pour  les  âmes ,  c'est  les  blesser  à  mort,  c'est  dresser 
des  pièges  aux  esprit  faibles  que  de  s'ajuster  mondainement, 
il  n'y  a  point  d'ajustement  plus  mondain  ,  plus  charmant , 
plus  lascif  que  la  nudité  de  la  chair  :  on  ne  voit  en  vos 
maison ,  en  vos  rues  en  vos  églises  que  des  femmes  décou- 
vertes ;  on  les  voit  auprès  de  l'autel ,  devant  le  Sacrement 
que  vous  dites  être  votre  Dieu ,  assises  parmi  les  hommes, 
la  face  dévoilée,  la  gorge  découverte,  les  épaules  nues  ,  se 
plaire  à  être  regardées ,  convoitées ,  cajolées  et  personne 
n'y  met  ordre  ;  et  puis  vous  dites  que  c'est  là  votre  Dieu , 
vous  dites  que  vous  croyez  à  votre  Evangile;  allez,  vous  êtes 
des  moqueurs,  vous  y  croyez  aussi  peu  qu'aux  fables  d'Esope; 
vous  dites  que  vous  avez  la  vraie  religion,  et  quelle  religion 
est-ce ,  dans  laquelle  on  profane  ainsi  l'honneur  de  votre 
Dieu  ,  sa  maison  ,  ses  commandements  ,  sans  que  personne 
ait  du  zèle  pour  sa  gloire  et  se  mette  en  peine  d'empêcher 
ses  offenses  ? 

J'avoue  que  si  un  infidèle  me  faisait  cette  objection ,  je 
ne  saurais  que  répondre ,  je  ne  pourrais  faire  autre  chose  que 
de  rougir  de  notre  infamie  ,  de  gémir  du  tort  que  nous  fai- 
sons à  notre  très  sainte  et  divine  religion  ;  avouez  ,  que 
Dieu  a  grand  sujet  de  vous  faire  ce  reproche  ,  Mesdames  : 
Propter  vos  blasphematur  nomen  meitm  in  yentibus  : 
(  Isa.  52.  5.)  :  Vous  êtes  cause  que  mon  nom  est  blasphème 
parmi  les  impics,  vous  êtes  l'opprobre  de  mou  Eglise. 


LK  PLUS  0RD1NAIKK  AUX  FKMMES.  227 

Vous  6(es  encore  l'opprobre  cl  le  déshonneur  de  la  parole 
de  Dieu.  On  vous  reprend  tons  les  ans,  ici  et  ailleurs,  et 
on  ne  gagne  rien,  pas  plus  que  si  on  parlait  à  dos  rochers: 
qu  en  peuvent  penser  les  esprits  faibles  ?  n'en  prennent-ils 
;      sujel  de  mépriser  la  parole  de  Dieu  ?  les  artisans ,  les 

mis  de  boutique  ,  les  serviteurs  ,  les  servantes  ,  les  au- 
tres personnes  du  petit  peuple  s'accoutument  à  écouler  tout 
ce  .prou  prêche  comme  choses  indifférentes  et  de  peu  de 
Conséquence  ;  ils  entendent  qu'on  crie  tous  les  ans  contre 
celte  vanité  ,  ifc  n'en  voient  point  d'amendement  ;  ils  di- 
sent en  eux-mêmes  :  Si  coque  les  prédicateurs  disent  était 
d  importance  ,  une  telle  qui  est  dévote  ,  qui  a  de  l'esprit 
qui  communie  souvent,  le  croirait  et  le  mettrait  en  pratique; 
tons  (Mes  cause  que  quand  on  les  reprend  de  leurs  blasphè- 
mes ,  ivrogneries  ,  débauches  ,  ils  reçoivent  nos  invectives 
comme  chose  indifférente  et  de  peu  de  conséquence.  Etant 

ainsi  coupables  de  tant  de  péchés  qui  se  commettent, 
et  nen  faisant  point  de  vraie  pénitence  ,  ne  voyez-vous  pas 
!  perdei  sans  ressource  ? 
L.  — (  Impœnitenliam.  )  C'est  ce  que  le  Fils  de  Dieu 
donnait  à  entendre  quand  il  disait  :  Celui  qui  donne  occa- 
sion de  pécher  à  un  seul  des  miens,  mieux  vaudrait  pour 
lui  qu'on  lui  mit  une  meule  de  moulin  au  cou  et  qu'on  le 

au  fond  de  la  mer.  Un  marinier  qui  tombe  tout  simple- 
ment dans  la  mer,  s'il  est  proche  du  rivage,  peut  s'y  sau- 
ra nage  ,  ou  ,  s'il  est  au  milieu  ,  on  peut  lui  tendre 
une  corde  ou  une  rame  pour  l'aider  à  remonter  dans  le 

au  ;  mais  s'il  était  au  fond  de  l'eau  avec  une  meule 
de  moulin  au  cou,  quelle  apparence  de  l'en  retirer  !  Celui 
qoi  se  contente  de  pécher  tout  seul  peut  faire  des  péniten- 

onformes  el   proportionnées  à  ses  crimes  ;  mais  celui 

les  autres  au  mal,  quelle  pénitence  pourra-t-il 

1  '1rs  péchés  qui  se  propagent  de  jour  en  jour  et  se 

plœol  par  centaines?  ne  pensez-vous  pas  que  vos  nu- 

des  amorces  et  des  occasions  de  plusieurs  péchés? 

;  il  n'y  arien  de  plus  vrai.  Il  y  a  des 

hommes  qui  m'ont  dit  :  .Mon  Pèw».  vous  ne  prêchez  pas 


228  SEUMOiN  CCLXXXVI. DU  PECHE,  ClC. 

assez  contre  ces  nudités ,  il  en  faudrait  prêcher  ,  non-seu- 
lement tous  les  jours,  mais  à  toute  heure;  car  elles  sont  cause 
d'une  infinité  de  péchés  que  nous  commettons  ;  et  par  con- 
séquent, Mesdames,  quand  vous  prenez  le  matin  votre  robe 
a  courtes  manches  ou  votre  mouchoir  de  cou  transparent , 
vous  pouvez  dire  ,  sans  danger  de  mentir  :  Mieux  vaudrait 
pour  moi  qu'on  me  mit  à  présent  une  meuie  de  moulin  au 
cou  et  qu'on  me  plongeât  au  fond  de  la  mer  ;  et  si  cela  est 
vrai  de  celle  qui  est  occasion  de  péché  à  un  seul ,  comme 
dit  le  Fils  de  Dieu  ;  si  vous  Têtes  à  douze  personnes ,  mieux 
vaudrait  pour  vous  avoir  douze  meules  de  moulin  au  cou  et 
être  jetée  dans  la  mer  ;  vous  n'en  croyez  rien,  vous  vous  en 
moquez  ;  vous  ne  vous  en  moquerez  pas  quand  vous  sentirez 
sur  vous  toute  la  masse  de  la  terre  et  que  vous  vous  trouve- 
rez plongée  ,  non  au  fond  d'une  mer  d'au  fraîche,  mais  dans 
un  étang  de  soufre  ardent  ,  comme  dit  l'Apocalypse. 

Croyez-moi;  faites  comme  sainte  Madeleine,  quittez  une 
bonne  fois  pour  toujours  ces  maudites  vanités  ;  rompez  géné- 
reusement avec  le  monde  ,  montrez- lui  que  vous  ne  voulez 
plus  être  de  son  parti ,  de  peur  d'être  ennemi  de  Dieu  ,  que 
vous  mépriserez  son  mépris  ,  que  vous  vous  moquerez  de  ses 
railleries;  ce  mépris  ainsi  méprisé  sera  quelque  jour  récom- 
pensé d'une  gloire  incompréhensible  ;  ces  railleries  souf- 
fertes pour  l'amour  de  Dieu  vous  mériteront  des  louanges 
et  des  panégyriques  éternels  que  vous  recevrez  dans  le  ^cl 
de  la  bouche  du  Fils  de  Dieu,  auquel  soit  honneur,  gloire, 
amour  et  bénédiction  en  tous  les  siècles  des  siècles.  Amen. 


229 


SERMON  CCLXXXVn. 

DIS    CAUSES    DE    LA    CHUTE   DE   MAGDBLEUfE. 


■Milfar  .  qutr  cra(  in  ciiitaïc  pectairix.  ;  Lue.  T.  37.  ) 

Qi  vm>  les  disciples  dHyppocrale  traitent  d'uni  maladie 
corporelle  ,  la  première  chose  qu'ils  font ,  c'est  de  recher- 
che! el  rie  remarquer  les  causes  d'où  elle  procède.  L'é?ao- 
gclisle  S.  Luc  qui  était  médecin  de  profession  garde  encore 
cette  coutume  ,  en  décrivant  la  maladie  spirituelle  de  la  pé- 
cheresse Magdeleine.  1!  en  apporte  les  causes  qui  sont  quatre 
principales  :  premièrement,  elle  était  femme;  en  second 
«eu,  elle  était  oisive;  en  troisième  lieu  ,  elle  était  coureuse: 
en  quatrième  lieu  ,  clic  était  orgueilleuse.  C'est  ce  qui  nous 
'"  1;',ll;l  c«  malin  ,  après  avoir  réfuté  ceux  qui  en  ap- 

ent  d'autres  causes. 

IDEA  SEKMONIS. 

P«  imum  piinrf  uni.  Réfutante  qui  maie  afferunt  causas 
peccait  Magdalenœ  ,  nempe  :  A.  \°  Astroloaus  ,  qui 
ait  esse  con.stvllationes.-K.  2°  Calvinista ,  dicens 
toepeccandi  necestilatem.  —  C.  3°  Malus  catho- 
ticus  ,  dicens  esse  reprobationem. 

Secundum  punctum.  Evangclista  veras  causas  afert  . 
nêmpe  :  D.  r  Erai  mulier.  —  E.  T  Oliosa.  — 
1  .  i    /  aga.  —  G.  4°  Super ba. 

i  u  H.  Uisloriœ  Tarcillœ  ,  Mmilianœ .  ft»- 

élance. 

ramoH  poircroM.  —  Refutantur  ,  «c. 

-    '     *"';«%»«  .  efc.    Puisque  MarieMagdeleine 
(JUil  ont  demoiselle  si  noble  el  si  bien  alliée,  et  sœur  d'un 


230  SERMON  CCLXXXVII.—  DES  CAUSES 

sage  et  illustre  gentilhomme,  nommé  Lazare,  et  d'une 
vierge  très  vertueuse,  mocleste,  honnête,  nommée  Marthe, 
d'où  vient  qu'elle  a  été  si  infortunée ,  que  de  tomber  dans 
l'abîme  du  péché,  et  de  plusieurs  péchés  si  énormes  ,  que 
le  Saint-Esprit  rappelle  pécheresse;  et  le  Fils  de  Dieu  dit  : 
Remissa  sunt  el  peccata  midta.  Le  proverbe  qui  dit  que 
les  maladies  viennent  en  poste  et  s'en  retournent  à  pied, 
n'est  pas  reçu  des  meilleurs  médecins ,  comme  il  est  commun 
parmi  le  peuple  ;  car  quoique  la  dernière  disposition  ,  l'in- 
troduction et  le  sentiment  de  la  maladie  arrive  inopinément 
en  un  instant ,  comme  si  c'était  en  poste,  nul  doute  que  le 
corps  ne  s'y  dispose  petit  à  petit ,  par  l'excès  de  travail  ou 
de  débauche  qu'on  commet  en  bonne  santé.  Il  en  est  de 
même  des  maladies  de  l'âme  :  les  grands  péchés  se  com- 
mettent et  se  découvrent  tout  d'un  coup  ;  mais  l'àme  s'y 
dispose  de  longtemps,  par  des  fautes  légères,  par  des 
péchés  véniels ,  ou  par  des  péchés  mortels  moins  énormes. 

Si  donc  nous  recherchons  les  causes  de  la  chute  de  Ma- 
deleine ,  et  que  nous  consultions  là-dessus  quatre  sortes  de 
personnes ,  nous  recevrons  assurément  quatre  diverses  ré- 
ponses. Un  astrologue  ,  un  hérétique ,  un  mauvais  catho- 
lique, un  saint  évangéliste,  nous  répondront  chacun,  selon 
sa  profession. 

Les  astrologues  reconnaissent  au  ciel  quatre  points  prin- 
cipaux, qui  sont  comme  les  quatres  gonds  et  les  quatre  pôles 
sur  lesquels  roule  toute  leur  science:  un  à  l'Orient,  nommé 
Av*roXjj;;  l'autre  à  l'Occident,  nommé  Avais  ;  le  troisième  au 
Zénith ,  ou  point  vertical,  nommé  MéctoupowlA  owh^oyitx];  le 
quatrième ,  opposé  à  l'Apogée ,  qui  pour  cela  s'appelle 
Troisiov  ;  et  ils  disent  que  selon  les  approches  ou  les  distances 
des  étoiles  à  ces  quatre  points  du  ciel ,  au  temps  de  notre 
naissance,  nous  recevons  en  partage  une  bonne  ou  mauvaise 
fortune,  tant  pour  la  vie  que  pour  la  mort;  et  qu'un  homme 
qui  a  quelque  intelligence  en  cet  exercice,  sachant  la  si- 
tuation et  la  conjonction  des  étoiles  au  temps  de  votre  nais- 
sance ,  il  vous  prédira ,  sans  vous  avoir  jamais  vu ,  quels 
moyens ,  quelle  femm^  et  quels  enfa&ts  ,  quelle  fortune  et 


DE  LA  aitri:  nr.  NADBLBUf*.  2ol 

quelle  fin  vous  devez  avoir;  ee  qui  est  aussi  arrête*,  fissuré 
et  infaillible  ,  que  si  la  constellation  de  quelqu'un  le  destine 
à  Cire  pendu,  il  ne  saurait  être  noyé  quand  vous  le  plon- 
geriez au  fond  de  la  mer ,  avec  une  meule  de  moulin  au  cou  ; 
et  si  sa  planète  porte  qu'il  soit  noyé,  il  le  sera  sans  faillir, 
et  vous  ne  sauriez  l'étrangler  quand  vous  le  pendriez  avec 
toutes  les  cordes  du  monde.  On  leur  objecte  là-dessus  : 
d'où  vient  donc  que  Jacob  et  Esaii  ont  eu  une  vie  ,  une  for- 
tune ,  une  mort  .si  différentes  ?  L'un  ,  seigneur  de  son  frère, 
chéri  de  sa  mère ,  acquiert  le  droit  d'aînesse  ;  l'autre,  ser- 
viteur de  son  frère,  méprisé  de  sa  mère,  perd  le  droit  de 
primogéniture  ,  vu  qu'il  devait  avoir  un  même  horoscope , 
puisqu'ils  étaient  frères  jumeaux,  né  si  près  l'un  de  l'autre, 
que  l'un  sortant  du  ventre  de  sa  mère,  l'autre  le  tenait 
par  le  pied.  Un  ancien  faiseur  d'almanachs,  nommé  Publius- 
Nigidius,  pour  répondre  à  celte  puissante  objection,  se  fait 
apporter  une  roue  de  potier,  commande  à  quelqu'un  de  la 
tourner  en  présence  de  ses  écoliers  ;  on  tourne  celte  roue  , 
et  pendant  qu'on  la  tourne,  ily  fait  promptement  deux  mar- 
ques d'encre  avec  une  plume  ;  quand  on  eut  arrêté  la  roue 
on  trouva  les  deux  marques  fort  éloignées  l'une  de  l'autre  : 
A  oyei ,  dit-il ,  quelle  distance  !  j'ai  fait  ces  deux  marques 
sur  coup,  le  plus  habilement  qu'il  m'a  été  possible, 
et  toutefois  à  cause  de  la  vélocité  de  ce  mouvement,  ces  deux 
points  faits  en  i\vu\  moments  consécutifs  sont  si  éloignés 
l'un  de  l'autre.  11  en  est  de  même  de  la  course  des  deux  ; 
quoique  ces  deux  jumeaux  naissent  immédiatement  l'un  après 
1  autre  ,  néanmoins  pendant  ces  moments  qui  coulent  entre 
ces  deux  naissances,  les  cieux  se  meuvent  si  vite,  qu'ils 
vnt  Doublement  la  situation  des  étoiles,  et  par  con- 
ent  la  fortune  des  deux  frères  ;  et  là-dessus  comme  s'il 
trouvé  la  fève  au  gâteau,  il  triomphe,  il  se  glorifie, 
d'une  si  ingénieuse  réponse;  mais  il  n'est  qu'un  roi  de  fève, 
*    ussi  fragile  que  le  pot  de  terre  que  l'on 
tte  roue;  car,  comme  argumente  fort  bicnS.  Au- 
gUStin  ,  si  deux  ou  trois  moments  divers  de  la  naissance  ap- 
jt  tant  de  différence  à  l'horoscope,  il  vous  est  impos- 


232  SERMON    CCLXXXVII. DES  CAUSES 

sible ,  de  toute  impossibilité,  de  dire  la  fortune  à  qui  que  ce 
soit,  puisque!  n'y  a  pas  àme  vivante  sous  le  ciel  qui  puisse 
vous  dire  précisément,  et  à  la  rigueur,  le  moment  de  la 
naissance  d'un  seul  homme,  quand  ce  serait  le  plus  grand 
roi  de  la  terre.  Quand  vous  voulez  faire  l'horoscope  d'un 
grand  prince  que  vous  n'avez  jamais  vu,  vous  demandez  en 
quelle  année,  en  quel  mois,  en  quelle  semaine,  à  quelle  heure, 
mais  non  en  quel  moment  il  est  né  ;  et  si  vous  le  demandiez 
on  se  moquerait  de  vous;  il  n'y  a  personne  qui  vous  le  puisse 
dire.  Comment  savez-vous  donc  quelle  était  la  conjonction 
des  astres  au  moment  de  sa  naissance ,  puisque  votre  roue 
vous  apprend  que  deux  ou  trois  petits  moments  changent  et 
diversifient  tout-à-fait  la  situation  des  étoiles  :  vous  voilà  au 
rouet  avec  votre  roue. 

Et  puis  Cicéron  fait  mention  de  deux  frères  qui  étaient 
malades  toujours  en  même  temps ,  avaient  les  mêmes  accès 
de  fièvre ,  les  mêmes  douleurs,  la  même  convalescence.  Hip- 
pocrate  avait  dit  sagement  qu'ils  étaient  frères  jumeaux,  et 
qu'étant  conçus  du  même  sang,  ayant  le  même  tempéra- 
ment, nourris  du  même  lait,  en  même  air,  ce  n'était  pas 
une  merveille  qu'ils  eussent  tous  deux  la  même  disposition 
à  la  même  maladie.  Possidonius,  astrologue  rêveur,  disait 
que  c'était  qu'étant  conçus  en  un  même  moment,  ils  avaient 
eu  un  même  horoscope.  Il  faudrait  donc  à  ce  compte,  qu'E- 
saii  et  Jacob ,  Phares  et  Zaran  ,  et  tous  les  frères  jumeaux 
qui  sont  au  monde  eussent  toujours  les  mêmes  maladies  en- 
semble, puisque  au  rapport  d'Aristote  et  de  Pline,  les  deux 
plus  savants  naturalistes,  les  deux  frères  jumeaux  sont  tou- 
jours conçus  en  même  temps,  il  faudrait  donc  dorénavant, 
pour  faire  l'horoscope  de  quelqu'un,  avoir  égard  non  au  temps 
de  sa  naissance,  mais  au  moment  de  sa  conception,  puisqu'à 
votre  dire  ces  deux  frères  avaient  la  même  maladie ,  pour 
avoir  eu  la  même  constellation  au  temps  de  leur  conception  ; 
et  quel  est  l'homme  au  monde  qui  puisse  vous  marquer  en 
quel  instant  un  enfant  à  été  conçu  ?  ajoutez  à  cela  que  ceux 
qui  sont  adonnés  à  cette  superstition,  quand  ils  veulent  se 
marier  choisissent  une  journée  de  celles  qu'ils  estiment  heu- 


Dr  Li  CHVTB  nr.  MADELEINE,  233 

relises  et  fatales ,  pour  avoir  du  bonheur  on  leur  mariage: 
ils  fonl  donc  contre  ce  qu'ils  disent  :  car  ils  (lisent  que  la 
fortune  qui  nous  est  donnée  en  partage,  par  les  astres  au 
jour  de  notre  naissance,  ne  peut  être  changée  :  c'est  un 
destin  inévitable,  et  ils  le  veulent  néanmoins  changer,  clioi- 
nt  un  jour  heureux  pour  leurs  noces.  Finalement ,  je 
vous  demande  :  les  astres  iront-ils  pas  influence  et  empire 
sur  les  piaules  et  les  animaux,  aussi  bien  que  sur  les  hommes? 
Qui  en  doute?  puisque  nous  voyons  que  les   conques  ma- 
rines, les  écrevisses  et  autres  animaux  sont  mouilleux  ou 
an. Ic>,  >elon  le  croissant  ou  le  défaut  de  la  lune,  et  que  les 
maides  de  la  vie  champêtre  observent  si  soigneusement  le 
cours  des  astres  pour  enter  ,  semer,  planter  et  faire  les  au- 
tres fonctions  du  labourage;  d'où  vient  donc  que  de  cent 
de  blé  qui  ont  la  même  constellation,  semés  en  même 
climat,  en  même  terre,  en  même  moment,  et  qui  germent 
en  même  temps ,  ont  des  accidents  si  divers ,  les  uns  bec- 
quetés par  les  oiseaux,  les  autres  dérobés  par  les  passants, 
foulés  aux  pieds  par  les  voyageurs,  moissonnés  et  portes 
au  grenier;  et  un  coup  de  canon  emporte  quelquefois  en  un 
même  moment  dix  ou  douze  soldats,  qui  ont  eu  en  leur 
naissance  des  constellations  toutes  diverses.  Toute  votre 
science  est  une  pme  rêverie,  et  voilà  tout. 

B.  —  2  (  airim'sta,  etc.)  En  second  lieu,  l'hérétique 
de  ce  temps,  le  disciple  de  Calvin,  a  une  autre  erreur  qui 
nYsl  pas  moins  impertinente;  il  dit  que  la  cause  de  la  chute 
de  Madeleine,  c'est  peccandi  dura  nécessitas,  qu'elle  a 
clé  nécessitée  à  cela  par  la  corruption  de  sa  nature;  que 
par  le  péché  d'Adam  nous  avons  fait  naufrage  de  noire  li- 
berté; que  notre  franc  arbitre  n'est  pas  seulement  vicié  , 
mais  tout-à-fait  perdu  parle  péché  originel  ;  que  S.  Au- 
gnslin  a  dit  :  Du  m  peccavit  homo  per  liberum  arlri- 
tnum,  se  perdidit  et  ipsum.  Contre  cette  folle  hérésie, 
je  citerai  ces  passages  de  l'Ecriture  :  Si  vis  ad  viiamin- 
tj redt  ;  si  pis  perfectus  esse  :  (Mallli.  li).  17.  21.)  Si 
foui  fottlei  entrer  dans  la  vie  éternelle,  si  vous  voulez  être 
parfait,  donc  on  ne  peut  vouloir  ou  ne  pas  vouloir  :  Quo- 


'£34  SERMON  CCLXXXVII. DES  CAUSES 

tles  volui  conijrecjare  filios  tuos,  et  nolii isti? (Matth .  23. 
37.)  Quod  vult  f'aciat,  non  necessitatem  habens,  po- 
testatem  autemhabens  voluntatis  suœ;  (1 .  Cor.  7.  37.) 
Apposait  tihi  ignem  et  aquam  ,  ad  quod  volueris  por- 
riye  manum  ;  (Eccli.  15.  17.)  JYi  voulu  assembler  tes 
enfants,  et  tu  ne  Pas  pas  voulu  ;  l'homme  a  sa  volonté  en 
sa  puissance  ;  Dieu  vous  a  présenté  le  feu  et  l'eau ,  vous 
pouvez  porter  la  main  où  vous  voudrez. 

Après  avoir  présenté  cet  argument  d'après  l'autorité  de 
S.  Augustin ,  il  dit  que  l'homme  s'est  perdu  et  son  franc 
arbitre  par  le  péché  :  Seperdidit  etipsum.  Il  a  donc  perdu 
son  franc  arbitre  en  même  façon  qu'il  s'est  perdu  ;  or  il  n'a 
pas  perdu  sa  nature,  mais  il  l'a  seulement  gâtée  ;  ainsi  il  a 
perdu  la  liberté,  c'est-à-dire  il  l'a  viciée,  corrompue,  dé- 
bauchée, comme  on  dit  qu'une  fille  est  perdue  quand  elle 
s'égare  et  se  débauche.  Je  ne  sais  point  de  meilleur  argu- 
ment que  celui  du  subtil  Scot  :  Argumentum  ad  Immi- 
nent ,  ou  pour  mieux  dire,  adbestiam.  Il  faut  traiter  cet 
hérétique  en  bote  ,  puisqu'il  se  met  au  rang  des  bêtes  en 
renonçant  au  franc  arbitre  qui  est  la  propriété  de  l'homme; 
si  nous  n'étions  pas  chrétiens ,  il  faudrait  prendre  un  bâton 
et  toucher  dessus  ;  et  s'il  se  plaignait,  il  faudrait  lui  dire  : 
Je  le  fais  innocemment,  je  ne  saurais  faire  autrement,  je 
ne  suis  pas  libre  en  cela  ,  j'ai  perdu  mon  franc  arbitre;  et 
à  ce  compte,  la  justice  vindicative  serait  injuste  quand  elle 
punit  les  crimes  dont  on  ne  peut  s'empêcher,  comme  qui 
punirait  un  enfant  de  trois  ans  d'un  coup  de  couteau  qu'il 
aurait  donné. 

C.  — (3"  Malus  catholicus ,  etc.)  Quelques  catholi- 
ques disent  de  même  que  les  calvinistes,  mais  en  d'autres 
termes  :  Ou  je  suis  prédestiné  ou  réprouvé;  la  prédestina- 
tion et  la  réprobation  divine  ne  peuvent  manquer  d'avoir 
leur  effet;  si  je  suis  réprouvé,  j'ai  beau  faire,  quand  je  jeû- 
nerait tous  les  jours  au  pain  et  à  l'eau,  quand  je  demeure- 
rais sur  une  colonne  comme  S.  Siméon  Styiile,  il  faut  que 
je  sois  damné ,  je  ne  saurais  éviter  ce  destin  ;  si  je  suis  pré- 
destiné, qu'ai-je  tant  à  me  tourmenter,  il  me  faut  prendre 


Di.  LA  (in  1 1  DL  madiïlMNE.  235 

m  temps,  quand  je  leraii  plus  méchant  que  Judas, 
plui  Cain  que  Cain  même,  plus  grand  ennemi  de  Jésus-* 

si  que  Panteehrist,  je. serai  sauvé  infailliblement.  Un 
bon  religieux  n'argumentait  pas  de  la  sorte,  mais  bien  plus 
religieusement  :  Ou  je  suis  prédestiné  ou  réprouvé)  si  je 
•ois  prédestiné,  Dieu  m'a  aime  de  toute  éternité  ,  n'est-ce 
pas  la  raison  que  je  l'aime  le  peu  de  temps  de  ma  courte 
Me;  il  n'a  jamais  été  Dieu  sans  me  vouloir  du  bien;  je  ne 
dois  jamais  êtie  un  seul  moment  de  ma  vie  sans  lui  vouloir 
du  bien  et  Lui  rendre  senrioe  ;  je  dois  jouir  de  lui ,  être  bien 
avee  lui  une  éternité  tout  entière;  ne  dois-je  pas  commen- 
OtT  dès  eette  vie  une  fortune  si  heureuse?  Si  je  suis  ré- 
prouvé, Dieu  n'en  est  pas  moins  bon,  il  ne  laisse  pas  d'être 
infiniment  bon  et  la  bonté  infinie.  Qu'est-ce  que  je  dois  ai- 
mer en  Dieu,  sinon  sa  boulé  infinie?  Si  je  suis  réprouvé, 
je  serai  privé  une  éternité  tout  entière  du  bonheur  de  l'ai- 

<  i  île  le  servir,  qui  est  l'unique  béatitude  et  félicité  de 
l'homme;  il  faut  doue  qu'au  moins  en  ee  monde  je  jouisse 

bonheur  le  peu  de  temps  qui  me  reste;  et  encore  qu'il 
m'envoie  en  enfer,  je  ne  ferai  pas  comme  les  autres  dam- 
ne^ ,  je  m  laisserai  pas  de  l'aimer  et  de  le  bénir  éternelle- 
ment. \  oilà  comme  il  faudrait  dire,  s'il  était  permis  d'ar- 
gumenter en  matière  de  réprobation  ;  mais  parée  (pie  les 
âmes  pécheresses  ne  sont  pas  capables  d'une  dévotion  si  dé- 
lite ,  il  faut  les  convaincre  par  une  démonstration  palpable. 
N'est-il  pas  vrai  que  la  prescience  et  la  prévoyance  de  Dieu 
est  aussi  infaillible  que  la  prédestination?  IN'est-il  pas  vrai 
qu'il  est  aussi  impossible  que  ee  que  Dieu  a  prévu  n'arrive 
pas,  comme  il  est  impossible  que  celui  qu'il  a  prédestiné 

il  pal  sauvé?  Or,  si  votre  petit  raisonnement  en  ma- 
tîèrc  «h-  prédestination  avait  tant  soit  peu  de  raison  ,  je  di- 

MM  soldats  :  Ne  vous  mettez  pas  tant  en  peine  de  vous 
équiper  et  armer,  allez  vous  présenter  au  combat  tous  en 
chemise,  sans  épée,  sans  mousquet,  sans  hallebarde;  ou 
Dieu  a  prévi  que  vous  vaincra  ,  ou  non;  s'il  a  prévu  que- 
vous  vaincrez ,  l'eflel  de  sa  prévoj anee  ne  peut  manquer 
d'arriver j  quand  tous  ne  lireriei  un  seul  coup,  vous  cm- 


236  SERMON  CCLXXXVII. — DES  CAUSES 

porteriez  la  victoire  ;  s'il  a  prévu  que  vous  serez  sur- 
montés, vous  avez  beau  faire,  quand  vous  auriez  des  armes 
à  l'épreuve  du  canon  ,  aussi  épaisses  que  les  remparts  d'A- 
miens ,  vous  perdrez  la  bataille.  Je  dirais  à  nos  écoliers  : 
Ne  vous  tourmentez  point  tant  à  feuilleter  vos  livres  ;  si 
Dieu  a  prévu  que  vous  serez  savants ,  quand  vous  nuiriez  ja- 
mais à  l'école ,  ne  verriez  jamais  un  livre ,  vous  serez  un 
grand  docteur;  autrement,  quand  vous  useriez  autant 
d'huile  à  veiller  pour  étudier ,  que  de  vin  à  boire  pour  vous 
nourrir,  vous  serez  un  une.  Je  dirais  à  ce  laboureur  ou  vi- 
gneron :  Si  Dieu  a  prévu  que  vous  feriez  belle  moisson  ou 
vendange  ,  etc.  Qui  ne  voit  pas  l'impertinence  de  ces  argu- 
mentations ,  et  qu'à  ce  compte  il  ne  faudrait  rien  faire  du 
tout,  mais  se  tenir  les  bras  croisés,  prendre  bon  temps, 
attendre  l'effet  assuré  et  le  succès  infaillible  de  la  prévoyance 
de  Dieu  Pet  quel  est  l'esprit  si  petit  et  si  faible  qui  ne  me 
répondit  aisément  :  Si  Dieu  a  prévu  que  je  serais  victorieux, 
savant ,  riche  en  moissons  ,  c'est  qu'il  a  prévu  que  je  com- 
battrais vaillamment,  étudierais  diligemment ,  travaillerais 
à  bon  escient  ;  ainsi ,  si  Dieu  vous  a  prédestiné  ,  il  a  prévu 
que  vous  garderiez  ses  commandements ,  que  vous  prati- 
queriez les  bonnes  œuvres ,  et  que  vous  mourriez  en  état 
de  grâce. 

secundum  punctum.  —  Evangelista ,  etci 

D.  —  (1°  Erat  mulier.)  Laissons  donc  ces  imperti- 
nents, et  écoutons  noire  évangéliste,  qui  nous  apporte  les 
vraies  causes  de  la  chute  de  Madeleine.  Il  y  en  a  quatre 
principales,  qui  sont  les  plus  ordinaires  sources  de  tous  les 
péchés  qui  se  font  au  monde  :  elle  était  femme,  oisive,  cou- 
reuse, orgueilleuse  ;  et  tout  cela  est  exprimé  en  ces  mots  : 
Mulier  quœ  erat  in  civitate  peccatrix.  Primo ,  elle 
était  femme ,  mulier;  c'est  une  merveille  qui  serait  in- 
croyable ,  si  on  ne  la  voyait  par  expérience ,  combien  les 
femmes  sont  utiles  aux  grands  desseins  de  Dieu,  quand  elles 
se  donnent  à  lui  tout-à-fait  !  au  contraire  combien  elles  sont 
effrénées  et  combien  de  maux  elles  apportent  à  une  repu- 


ni:  r  I   CffUTfi  DE  MAOBLEINH.  237 

Wi.pie  quand  elles  s'abandonnent  au  vice  !  Nos  martyrolo- 
»nl  pleins  d  actes  héroïques  et  généreux  des  femmes 
•  qui  onl  surmonté  la  mort  et  (es  plus  âpres  tourments  pour 
la  Foi  de  Jésus;  et  Ton  remarque  dans  l'Histoire  Ecclé- 
siastique, qu  une  infinité  de  femmes  ont  converti  leurs  maris 
•  la  loi  ou  à  la  probité,  comme  sainte  Cécile,  Valérien  ; 
Domitille,   Flavius  Clément;  sainte  Monique,  Patrice; 
sainte  Perpétue,  Africain  ;  sainte  Théodore,  SigÎMus  ;  mais 
aussi  quand  elles  s'adonnent  au  vice,  elles  débauchent  toute 
leur  famille,  et  sont  cause  de  la  perte  d'une  infinité  d'ames  : 
Anttquœ  artie  insidias  inimicus  repetit,  et  (juin  novit 
V">modo  Adam  decipi  soleat ,  ad  Evam  recurrit,  dit 
>;•  Grégoire,  (lib.  3.  Moral,  cap.  G.)  S.  Ignace,  après 
Lassian,  dit  que  Satan,  pour  se  rendre  maître  d'unecommu- 
M«W  ou  dune  àme,  fait  comme  un  chef  de  guerre  qui  veut 
wwhw  une  citadelle  :  Explorata  prias  munition*  hei, 
<h,>,ltorvm  rar/e,n  aggreditur;  il  rôde  tout  au  tour,  con- 
sidère  learortiGeatioos,  régarde  L'endroit  le  plus  faible,  où 
les  murailles  sont  plus  basses,  où  Ton  fait  moins  la  senti- 
■*"e;  '  csl  là  ou  il  applique  l'échelle,  où  il  fait  jouer  le 
canon.  Quand  .1  voulut  se  rendre  maître  des  habitants  du 
naradis  terrestre,  il  ne  s'adressa  pas  à  l'homme,  il  n'osa  lui 
aire  un  seul  mot,  pas  même  rapprocher,  pas  même  paraître 
en  sa  présence  ;  il  s'adresse  à  la  femme,  connaissant  l'inflir 
mile  de  son  sexe  ;  il  parlemente  avec  elle. 

Curprœcepit.Eritis  sicut  Du;  et  comme  cela  lui 
réussit  bien,  il  se  sert  tous  les  jours  du  même  stratagème: 
Anhquœ  artis  insidias.  Peut-être  que  cet  homme  marié 
u  voudrait  pas  mettre  entre  ses  lèvres  un  seul  petit  morceau 
»nnt  défendu,  pas  même  toucher  ce  présent  qu'on  lui 
HIrc  ;  .1  sait  que  c'est  un  arbre  prohibé  pour  lui  ;  l'ennemi 
«dresse  a  la  Femme  :  Car  prœcepit;  il  n'y  a  pas  un  grand 
scrupule  de  conscience  de  recevoirce  présent;  toute  peine 
vaut  salaire;  votre  mari  Fabien  méritée  :  Nequoqauam 
"'"'"""< '  \  «'•  uVsl  pas  un  péri,»',  mortel  :  EritU  sicut 

■  quand  *ooj  vous  serez  enrichis,  vous  serei  braves, 
couverts;  voqs  porterai  la  soie,  vous  serez  honorés, 


238  SERMON  CCLXXXVII. DES  CAUSES 

redoutes,  adorés  comme  de  petits  dieux.  Le  mari  ne  prend 
pas  ce  présent,  pas  plus  qu'Adam  ne  prit  le  fruit  défendu, 
mais  il  le  laisse  prendre  à  sa  femme  ;  adieu  l'état  d'inno- 
cence ,  la  probité  et  la  bonne  conscience. 

Millier ,  mulier.  Cet  autre  jeune  homme  a  le  meilleur 
naturel  du  monde,  il  est  d'une  complexion  douce,  facile, 
irai  table,  paisible,  et  toutefois  depuis  qu'il  est  marié,  il  est 
tout  changé,  ne  se  reconnait  plus,  est  tout  autre  qu'il  était, 
est  toujours  aux  injures  et  en  dissensions  contre  ses  voisins, 
même  en  dispute  contre  ses  père  et  mère  :  il  leur  était  obéis- 
sant et  respectueux,  il  faut  maintenant  que  pour  avoir  la 
paix  il  les  mette  hors  de  sa  maison  ou  se  sépare  d'eux.  Qui 
en  est  la  cause  ?  mulier.  La  femme  qu'il  a  épousée  est 
orgueilleuse,  avaricicuse,  querelleuse,  ne  veut  rien  endu- 
rer, veut  avoir  partout  le  dessus;  sitôt  qu'une  mouche  lui 
passe  devant  les  yeux ,  elle  veut  que  son  mari  ait  la  main 
à  l'épée  ,  elle  refroidit  par  ses  plaintes  et  flatteries  l'amour 
qu'il  doit  à  ses  père  et  mère ,  lui  fait  des  rapports  à  perte 
de  vue  ;  il  se  laisse  ainsi  mener ,  et  pour  la  passion  d'une 
femme,  il  met  en  combustion  toute  sa  parenté  ou  son  voi- 
sinage :  Mulier,  mulier. 

Un  autre  qui  n'est  pas  marié  et  qui  est  plus  fort  qu'une 
forteresse ,  sera  néanmoins  vaincu  par  l'entremise  des 
femmes,  s'il  ne  se  tient  sur  ses  gardes.  S.  Jérôme  dit  a  un 
de  ses  amis  :  Ne  prœteritœ  caslitati  confidas ,  nec  Sam- 
sonefortior,nec  Davide  sanclior,  nec  Salomone  pot  cris 
esse  sapientior  ;  mémento  semper  quod  ejecit  mulier  de 
possessione  sua  paradisi  colonum  :  Ne  vous  fiez  pas  à  vos 
forces,  à  vos  victoires  passées,  à  la  chasteté  inviolable  que 
vous  avez  gardée  ;  si  vous  ne  craignez ,  si  vous  ne  fuyez 
l'occasion,  si  vous  n'évitez  la  conversation  et  familiarité  des 
femmes,  Satan  vous  prendra  par  cette  escalade,  vous  donnera 
la  pomme  d'angoisse  par  l'entremise  de  quelque  Eve  ;  vous 
n'êtes  pas  plus  fort  que  Samson  ,  plus  saint  que  David, 
plus  sage  que  Salomon ,  et  vous  savez  que  les  femmes  les 
ont  fait  tomber.  Si  tous  les  autres  doivent  craindre  et  fuir 
l'occasion  à  cause  de  la  fragilité  des  femmes ,  à  plus  forlo 


Dl  l.v  GHCTB   Di:  MÂMUtlRB,  •>;>;) 

g  |m  femmes  même*  ;  car  qu'elles  «oient  tan)  cha 
dévots»,  spirituelles,  saintes,  résolues,  courageuses  que 
voua  voudrez,  tant  il  y  a  qu'elles  sont  femmes,  fragiles 
infirmes,  fautives  :  Vulier  quasi  molli*  ter.  La  fraei- 
ùté  est  si  naturelle  à  ce  sexe,  que  l'Eglise  met  entre  les 
miracles  de  la  loute-puissance  de  I  lien,  quand  il  daigne  rem- 
porter la  couronne  de  martyre  par  l'entremise  d'une  femme, 

l«ter  rwtcn,  lu.toliœ  hur  min,,;,/,,,    ,;/„,„    i„   ,,,.,', 

,        h  vtetortam  martyrii  contulisH  y  et  c'est  ce  qui 
doit  encourager  m  sexe  à  combattre  valeureusement  pour 
remporter  la  couronne  de  chasteté;  la  chasteté  est  un  mar- 
!wv.  et  un  martyre  difficile  :  Mo  nimirum  quo  membre, 
moUmtur  honore  quidem  miHu» ,  sed  diuturnUat» 
moiesnus.  Le  martyre  sanglant  par  lequel  on  est  tenaillé 
est  a  la  «enté  «(freux  ,  terrible,  épouvantable  ;  mais  le  mar- 
yre  non  sanglant  qu'on  endure  en  conservant  toute  sa  vie 
a  Chasteté  inviolable,  nonobstant  les  tentations  du  monde, 
guillona  de  la  chair,  les  suggestions  de  Satan,  est  plus 
long ,  plu,  ennuyeux  ,  plus  difficile  ;  c'est  être  bruit'  à  petit 
km.  Cesl  en  ce  sujet,  dits.  Augustin,  que  consistent  les 
plus  rudes  combats  des  éludions  ;  les  assauts  y  sont  plus 
Violents,  les  v.ctoire,  plus  rares,  les  chutes  plus  dangereuses, 
ta  pertes  plua  irréparables  ;  ne  sera-ce  donc  pas  une  grande 
gloire  I  cette  Majesté  divine  quand  elle  aura  dressé  ce  tro- 
phée par  1  entremise  d'une  fille?  Quelle  palme  assez  clo- 
poorra  dignement  honorer  les  mains,  quelle  couronne 
éclatante  pourra  embellir  le  chef  de  celle  qui  en  un 
H  fragile  aura  été  victorieuse  et  sera  parvenue  Jusqu'au 
m  avec  1  honneur  sur  le  front  ?  O  quam  pulchra  est 
■;<■>»  ratio  non  claritaU!  La  difficulté  de  l'entreprise 

'■;"  rill:i r  le  curage  par  l'espérance  d'une  riche 

lh  m  VOUS  remportez  la  victoire  ;  mais  la  fragilité  de 

'  roua  faire  redouter  et  éviter  l'occasion,  la 

;"ml1  ">ut  homme  quel  qu'il  soit.  Mais  c'est  mon 

t,  il  est  dérot,  spirituel,  «aint,  c'est  un  ange  incarné    • 

'Jil  e»t  incarné,  il  est  en  la  chair,  et  vous 

nmç,  et  on  peut  dire  de  vous  :  Ecct  millier 


240  àERMON  CCLXXXVII. DES  CAUSES 

E. — (2°  Otiosa.)  Quœ  erat.  Seconde  cause  de  sa  perte, 
elle  était  oisive.  La  principale  louange  que  Salomon  donne 
à  la  femme  forte  dont  il  a  fait  le  panégyrique,  c'est  qu'elle 
notait  jamais  oisive,  elle  s'appliquait  toujours  à  quelque 
grande  ou  petite  action  :  Manum  suam  misit  ad  fo?°tia, 
et  digiti  ejus  apprehenderunt  fusum.  Au  contraire  votre 
pécheresse  s'est  perdue  parce  qu'elle  était  paresseuse.  Que 
faisait-elle  cette  femme?  erat ,  elle  était,  et  voilà  tout; 
comme  ces  vauriens  qui  ne  servent  de  rien  en  ce  monde  que 
pour  y  être,  et  disent  :  Nos  numerus  sumus.  Quelle  mer- 
veille qu'elle  ait  été  vicieuse,  étant  oisive  !  qu'elle  merveille 
qu'en  ne  rien  faisant ,  elle  ait  appris  à  mal  faire  !  Cratès  le 
Thébain,  dit  Sénèquc,  (Epist,  1 0.)  voyant  un  jeune  homme 
oisif,  lui  demanda  :  Que  fais-tu  là  ,  mon  ami  ?  Mecum 
loquor. . . .  Cave  ne  çum  îwmine  malo  loquaris.  Je  parle 
avec  moi....  Prends  garde  que  tu  ne  paries  avec  un  méchant 
homme  ;  donnant  à  entendre  qu'entre  un  homme  oisif  et  un 
méchant  homme ,  il  n'y  a  pas  grande  différence  :  Otia  si 
tollas ,  periere  cupidinis  arcus.  Entre  les  déesses  fabu- 
leuses de  l'antiquité,  il  n'y  en  avait  que  deux  qui  étaient 
estimées  vierges,  Pallas  et  Diane  ;  et  Lucian  ,  poète  grec , 
introduit  Vénus  qui  se  plaint  à  son  fils  Cupidon  de  ce 
qu'ayant  triomphé  de  (outes  les  autres,  il  était  surmonté  par 
ces  deux  filles,  qui  se  moquaient  de  ses  flèches  et  de  son  feu  : 
C'est,  dit-il,  qu'elles  sont  toujours  si  occupées  à  l'exercice 
des  arts  et  de  la  chasse,  que  je  ne  puis  les  atteindre.  Notre 
pécheresse  au  contraire  faisait  beau  jeu  aux  flèches  de  ce 
folâtre  et  s'exposait  aux  tentations  d'Asmodée  par  son  oisi- 
veté et  fainéantise.  Quand  on  parle  d'une  ville ,  on  a  cou- 
tume de  demander  :  Quel  trafic  y  exerce-t-on?  quel  métier 
y"est  le  plus  en  usage  ?  si  S.  Chrysostôme  était  ici,  il  répon- 
drait qu'en  cette  ville  le  métier  qui  est  fort  commun,  c'est 
de  faire  des  oreillers ,  il  y  a  quantité  d'honnêtes  gens  qui 
s'en  mêlent.  Des  oreillers ,  et  pour  qui  ?  pour  le  diable  , 
pour  le  démon  Asmodée.  L'esprit  immonde  aime  le  repos  ; 
(Luc.  1 1 .  24.)  il  ne  s'arrête  pas  au  cœur  d'un  homme  qui 
travaille,  qui  est  fort  occupé,  qui  n'a  pas  le  loisir  (J'écoute* 


DE   I  A   CHUTE  DE  MADELEINE. 

ntations,  mais  d'un  homme  qui  est  en  repos  ;  l'oisiveté* 
«*»  son  oreiller.  S.  Chrysostôme  ûitiOtiotitas.  diaboli 
pulvinar.  Quand  vous  travaillez  à  ce  que  votre  enfant 
devienne  noble ,  r.chc,  à  son  aise,  pour  parler  en  bon  Iran- 
«a.s,  vous  I obligez  à  être  oisif,  vous  façonnez  un  coussin 
a  Mtau.  bi  vous  faisiez  apprendre  à  votre  (ils  un  bon  mé- 
V*r,  <;i  si  vous  lui  laissiez  médiocrement  du  bien ,  il  serait 
eonlramt jde  travailler,  il  dissiperait  par  son  travail  les  sug- 
JS*"'  Umodée;  la  noblesse,  les  richesses,  les  comme- 
dites  I  oh hgenl  à  ne  rien  faire  de  peur  de  démentir  sou  rang 
«  sa  qualité  ;  son  oisiveté  est  le  gîte  et  l'oreiller  de  l'esprit 
immonde  :  SpMtus  immundus quœrit  requiem,  oliosùas 
éiabolt  pulvinar. 

1  ;~y'i"„/  «y»-)  Mais  encore  que  faisait-elle  ?  à  ouoi 
«ployait-elle  sou  temps  ?  à  courir,  à  aller  eà  cl  là ,  et  à 
fore  des  visites  ;  quand  on  la  voulait  trouver/on  ne  savait 
ou  la  chercher,  elle  n'étail  jamais  ou  sou  logis,  toujours 
«»  «Ile,  et  quasi  en  tonte  la  ville  :  Erat  incivUatï  Le 
ïjaint-Espril  vous  donne  là-dessus  un  conseil  très  salutaire: 
Mm  de»  ,,,,„„■  tuœexitum  *ec  modicum  :  nec  mulieri 
ventam  prodeundi  ;  si  non  ambulaverit  ad  maman. 

t«,„n  ,*mfnndet   fe.  (Eccli.    25.    34.)  Voulez-VOUS    QUC 

wire  femme,  votre  fille,  votre  nièce  vivent  chastement,  ne 

~«fe«ent  point  de  déshonneur,  ne  leur  donnez  pas  ant 

Je  hberté  d  aller  aux  danses,  aux  jardins,  aux  compagnies- 

"  l">-  permettez  pas  lai,t  de  visites,  de  conversa  ion     «é 

;-    -  es  :  Amlulent  ad  manum  tuam.  Souvenez  vous 

!»  lesEgypt,ens  ne  permettaient  pas  aux  femmes  l'usage 

«l'ers  ou  chaussures,  afin  de  les  obliger  à  garder  h 

^^coindufeu;q„elesLienfavaien, 
J*"j«*tae»P»lh.,« de  la  virginité,  pour  sS 

^.^""^gedoitétrecommelaWquiscTo, 

^i?7*?*«i,n,a  son;  qu'au  langage  hébraïque,  q„es 
*'u'du&'"|-^prit,  une  fllle  vierge3,  et  une  U  %£ 

"TT"' -el1u,au«ontraire«u  même  langage 

"'"  el  «"•«'ébauchée,  e'est  une  même  Se-' 
'nowavoi  fanincij>fam,(C»nt.  I.6.)un« 


i  ; 


242  SERMON  CCLXXXVI1. DES  CAUSES 

autre  version  dit  :  Ne  fiam  sicut  meretrix.  Si  vous  donnez 
la  liberté  à  votre  fille  et  la  laissez  aller  partout  où  elle  veut, 
y  demeurer  tant  de  temps  qu'elle  veut,  communiquer  avec 
qui  elle  veut,  elle  apportera  quelque  confusion  et  opprobre 
à  votre  maison  :  Si  non  ambulaveril  ad  manum  tuam% 
confundet  te;  il  s'explique  par  une  belle  comparaison  : 
Non  des  aquœ  tuœ  exitiim.  Voyez  un  ruisseau  qui  coule 
par  une  ville ,  son  eau  est  toute  sale ,  immonde ,  fangeuse; 
montez  un  peu  plus  haut,  regardez-la  en  sa  source  ,  vous 
la  verrez  belle,  pure,  claire,  cristalline;  pourquoi  est-elle 
là-haut  si  pure  ,  ici- bas  si  impure  et  immonde  ?  c'est  que  là- 
haut  elle  est  comme  en  sa  maison  et  au  lieu  de  son  origine, 
ici-bas  elle  va  ramassant  toutes  les  ordures  et  immondices 
de  la  ville  ;  là-haut  elle  est  en  repos,  ici  elle  coule  et  roule 
par  les  rues.  Tant  que  cette  fille  ou  cette  àme  religieuse  est 
retirée  en  sa  chambre ,  occupée  à  son  ouvrage  et  en  son 
petit  oratoire ,  aux  pieds  de  son  crucifix,  elle  a  la  conscience 
pure  ,  calme,  tranquille,  sans  passion,  sans  scrupule,  sans 
mouvement  déréglé  ,  sans  imperfection.  Dieu  se  mire  là- 
dedans  comme  en  Peau  reposée  d'une  claire  fontaine  ;  mais 
si,  sous  je  ne  sais  quel  prétexte  de  charité  ou  de  civilité  , 
elle  veut  toujours  courir  et  être  vagabonde  ,  employer  la 
meilleure  partie  du  jour  en  visites  et  compliments  ;  si  tou- 
tes les  fois  qu'on  la  demande  en  la  maison ,  on  dit  qu'elle 
est  en  ville  ,  in  civitate ,  quand  elle  serait  une  Thècle ,  ce 
sera  grand  hasard  si  tôt  ou  tard  elle  ne  devient  une  Made- 
leine pécheresse  ;  car  comment  est-il  possible  de  tant  rou- 
ler par  les  compagnies ,  de  voir  tant  de  divers  objets ,  ouïr 
tant  de  nouvelles  ,  dire  tant  de  paroles ,  sans  en  prendre 
quelque  impression  ,  sans  en  recueillir  des  ordures ,  sans 
retourner  en  la  maison  remplie  de  distractions ,  de  vanités, 
de  jalousies,  de  remords  de  conscience  et  autres  passions  ? 
In  filia  non  avertente  se,  firma  custodiam  ;  ne  in- 
venta occasione  utatur  se ,  dit  le  Saint-Esprit  ;  (  Eccli. 
26.  13.  )  redoublez  les  sentinelles  et  veillez  sur  la  con- 
duite d'une  fille  qui  n'évite  pas  la  rencontre  des  hommes,  et 
encore  plus  si  elle  court  ça  et  là  pour  les  voir  et  être  vue  ,  il 


I  \  (  iii  n    Dl    >i a Di.i.i.i m  .  249 

v  a  danger  que  dans  l'occasion  c!!c  ne   tombe    comme 
leleine. 
(,.  —  (  V'  Sup    ba,  )  Finalement  elle  était  superbe  , 

in  civitatc.  Si  après  la  morl  de  ses  père  et  mère  elle 
le  fût  tonne  dans  la  petite  bourgade  de  Béthanie  avec  son 
frère  et  sa  sœur,  elle  n'eût  pas  eu  autant  d'occasions ,  ils 

lui  eussent  serre'-  el  tenu  la  bride  pour  l'empêcher  de  trop  se 
répandre;  mais  elle  fut  glorieuse,  elle  voulut  demeurer  dans 

une  grande  fille,  pour  se  taire  voir  et  admirer,  avoir  des 
parfums  et  des  parures ,  porter  le  faste  et  faire  parade  de 
sa  beauté;  ce  nY>t  pas  merveille  si  elle  s'est  perdue.  Ainsi 
vous  voulez  envoyer  votre  fille  demeurer  dans  la  bonne 
Ville  ou  dans  une  grande  maison  ,  sous  prétexte  qu'elle  y 
apprendra  de  l'honneur  et  civilité,  sansvous  informer  si  elle 
v  sera  bien  pour  son  salut,  si  on  y  a  soin  de  la  pudicité  dos 
iiiles ,  si  elle  n'y  aura  point  d'occasion  de  mal  faire  ;  vous 

contentez  qu'elle  ait  de  gros  gages ,  qu'elle  soit  belle 
et  éclate  entre  >es  compagnes  ;  c'est  votre  faute  et  à  votre 
dam  si  ellfl  Se  perd.  Ne  pensez  pas,  Messieurs,  que  ce 
suit  seulement  le  sexe  féminin  qui  se  perde  par  l'orgueil , 
qui  est  eomme  la  mère  de  tout  vice  :  Inilium  onïniê  pec- 
cati\  êuperbia*  La  superbe  est  cause  que  ce  vindicatif  aime 
mieux  mourir  ennemi  de  Dieu  et  se  laisser  ronger  le  cœur 
|  ;••  rage  de  malveillance,  que  de  se  soumettre  à  la  récon- 
ciliation ,  et  il  lui  arrivera  de  môme  qu'à  ce  cœur  endurci 
dont  parlent  les  historiens  :  il  ne  voulut  jamais  se  fléchir  ni 
pardonner  à  son  ennemi  ;  enfin  il  mourut  ,  comme  vous 
mourrez  tôt  ou  tard  ;  après  sa  mort  ,  comme  on  chantait 

•  des  trépassés,  son  corps  étant  au  milieu  de  l'église, 
quand  on  vint  à  dire  ces  paroles  de  la  première  leçon  : 

M  ms'Ai,  Dominé;  on  vit  le  crucifix  de  L'église  qui  se 
I  lit  les  oreilles  et  on  entendit  une  voix  :  NeqU4  \U$ 

/'•/V,  nêquêeryopmrcam  :  Il  n'a  pas  voulu  pardonner, 
i  lui  pardonnerai  pas;  il  a  fait  la  sourde  oreille  à  la  pa- 
role des  ecclésiastiques  qui  le  priaient  de  ma  part  de  - 
réconcilier,  'y  bouche  me-  oreilles  à  la  voix  de  l'Eglise  qui 
■M  IU|  .1  ;     pour  «on  ame.  La  superbe  est  cause  que  ce 


S44  SERMON  CCLXXXVII. DES  CAUSES 

jeune  homme,  pour  ètreestimé  debellehumeuretsavoirbicn 
entretcnirune  compagnie,  dit  des  paroles  déshonnôtes,  se  mo- 
que et  médit  de  tout  le  monde.  Ut  quid  diligitisvanitatem^ 
etquœritismendacium?  Que  cherchez-vous  quand  vous 
aimez  la  vanité?  vous  aimez  du  vent,  de  la  fumée,  des  men- 
songes; quand  vous  pnrlez  mal  du  prochain,  quand  vous  en 
faites  des  railleries  pour  faire  rire  la  compagnie,  vous  vous 
figurez  qu\m  vous  estime;  on  vous  abhorre,  tous  disent  en 
eux-mêmes  :  Il  en  dirait  tout  autant  de  moi  si  j'étais  absent. 
Quand  vous  êtes  à  l'église  ou  à  la  rue,  pompeusement 
vêtue  ,  vous  vous  imaginez  qu'on  vous  admire  ,  qu'on  vous 
loue ,  qu'on  vous  estime  :  ou  ceux  qui  sont  là  sont  gens  de 
bien  et  serviteurs  de  Dieu  ,  et  ils  ne  daignent  pas  vous  re- 
garder ,  ils  obéissent  à  cette  parole  :  Averte  oculos  tuos 
a  muliere  compta;  ou  ils  sont  mondains  et  vicieux,  et  au 
lieu  de  vous  admirer,  i!s  vous  méprisent,  vous  portent  envie, 
se  moquent  de  vous  ,  disent  en  eux-mêmes  que  vous  êtes 
une  coquette  ,  une  glorieuse  ,  une  ambitieuse.  Je  suis  ravi 
de  ne  pas  pouvoir  juger  de  ce  que  je  vous  veux  dire  pas  plus 
qu'un  aveugle  ne  peut  juger  des  couleurs;  mais  ily  a  des  gens 
qui  ont  de  très  bons  yeux  et  très  bons  jugements  qui  le 
disent.  On  peut  remarquer  que  ce  sont  ordinairement  les  plus 
laides  qui  découvrent  leur  sein  et  leurs  bras  ,  qui  usent 
de  fard  et  de  mouches ,  et  la  raison  en  est  claire  :  n'ayant 
point  d'attraits  naturels  ,  elles  ont  recours  aux  artifices  , 
elles  veulent  gagner  quelque  niais  ,  quelque  brutal  et  sen- 
suel par  Pappas  d'une  pièce  de  chair.  Celles  qui  sont  douées 
de  beauté  naturelle  ne  cherchent  point  de  déguisement, 
elles  savent  que  le  naturel  a  plus  de  charme  et  d'agrément 
que  ce  qui  est  artificiel  ;  ce  sont  les  mauvaises  marchandises 
qu'on  a  coutume  de  frelater  ;  ce  sont  les  viandes  grossières 
ou  qui  commencent  à  sentir  qu'on  déguise  par  des  sauces 
de  haut  goût ,  et  le  poète  a  dit  de  ceux  qui  usent  de  par- 
fums :  Posthume )  non  bene  olet,  qui  semper  olet. 


lu:  la  I  Ul  i  i.  DE  MA  DLL!  i:i!:.  U  \0 

CONCLUSION 

II.  —  (  Historin.  )  Je  veux  terminer  ce  discours 
ru  ?ous  proposant  le  modèle  de  deux  vierges  incompara- 
bles qui  ont  clé  Mon  éloignées  des  vices  que  je  viens 
de  reprendre.  S.  Grégoire  raconte  que  ceci  est  arrivé 
de  son  temps  et  dans  sa  propre  famille.  11  dit  (  lib.  4.  dia- 
log.  eap.  16.  et  hom.  .*>S.  inEvangelia,  sui)  finem.)  qu'il 
avait  trois  tantes  qui  n'étaient  pas  mariées  :  Tarcille,  Emi- 
lienne,  Gordienne.  Ces  vierges  avaient  le  même  sexe  que 
Madeleine,  non  les  mêmes  vices,  mais  les  vertus  toutes 
Contraires  :  au  lieu  qu'elle  était  coureuse  ,  celles-ci  ne 
hantaient  personne  ,  s'étaient  renfermées  dans  leurs  pro- 
pres maisons,  ou  elles  vivaient  retirées  comme  dans  un  mo- 
nastère ;  au  lieu  que  Madeleine  était  oisive ,  celles-ci  ne 
perdaient  pas  un  moment  de  temps,  en  employaient  une 
pailie  à  faire  des  ornements  d'autel,  le  reste  à  faire  oraison; 
au  lieu  <[ue  Madeleine  était  Mipcrbe,  celles-ci  étaient  très 
humbles  ,  ear  encore  qu'elles  fussent  de  bonne  maison, 
nièces  du  pape  S.  Félix,  tantes  du  pape  S.  Grégoire  ,  ce- 
jm  i j- li nt  elles  étaient  fort  simplement  et  pauvrement  habil- 
11  arriva  néanmoins,  que  pendant  que  les  deux  ainéc.s 
Balançaient  dans  la  perfection  ,  et  faisaient  un  grand  pro- 
duis la  pratique  des  vertus  ,  la  plus  jeune  ,  nommée 
Gordienne  se  licencia  petit  à  petit,  l'amour  de  Dieu  se  re- 
froidit en  elle  ,  et  l'amour  du  siècle  s'échauffa  en  son  cœur; 
elle  devint  mondaine  ,  se  plaisait  à  la  compagnie  et  conver- 
sation des  filles  séculières  ,  quitta  la  pratique  de  l'oraison 
et  les  autres  exercices  spirituels.  A  quelque  temps  de  là 
Dieu  voulant  récompenser  les  travaux  des  deux  sœurs,  Tar- 
cille tomba  malade  d'une  grosse  fièvre;  mais  ni  la  cruauté 
de  la  maladie,  ni  le  martyre  de  ses  austérités  qu'elle  con- 
tinuait nonobstant  la  fièvre  ,  ne  surent  jamais  effacer  ,  ni 
même  ternir  tant  soit  peu  la  beauté  et  la  sérénité  de  sa  face 
:;ale.  Ceux  qui  l'étaient  venus  consoler  pleuraient  à 
chaudes  larmes;  elle,  au  contraire,  d'un  visage  riant  et  an- 
gélique  consolait  tout  le  monde  ;  Cli  J   disait-elle  ,  que 


246  SERMON  CCLXXXVJI. DES  CAUSES 

l'amour  du  cœur  soulage  puissamment  la  mort  du  corps  î 
que  celui  qui  sent  vivement  les  flammes  de  la  charité  ne 
sent  guère  les  piqûres  du  cilice  et  les  rigueurs  de  la  ma- 
ladie !  oh!  que  le  peu  d'austérités  que  j'ai  souffertes  pour 
mon  époux  m'enfantent  maintenant  de  grandes  délices  !Elle 
était  si  joyeuse  ,  que  vous  eussiez  dit  que  son  esprit  était 
déjà  dans  le  paradis  ,  ou  que  le  paradis  était  descendu  au 
milieu  de  son  cœur  ;  oui,  le  Roi  du  paradis  l'envoya  visiter 
par  un  de  ses  courtisans.  Le  pape  S.  Félix  ,  oncle  de  cette 
vierge,  lui  apparut  visiblement,  et  lui  dit  :  Venez,  ma 
chère  nièce,  ce  logis  vous  est  préparé  au  ciel  ;  vous  avez 
travaillé  nuit  et  jour  pour  louer  et  servir  le  Fils  de  Dieu, 
il  vous  fera  reposer  sur  son  trône  ;  vous  vous  êtes  privée 
pour  l'amour  de  lui  des  pompes  et  vanités  du  monde  ,  il 
mettra  sur  votre  chef  une  couronne  de  gloire  ;  vous  vous 
êtes  retirée  des  assemblées  et  compagnies  mondaines  ,  il 
yous  fera  passer  le  temps  à  la  compagnie  des  vierges  ses 
épouses.  De  fait  ,  sur  ces  entrefaites  ,  voici  une  troupe  de 
vierges  descendues  du  paradis  qui  entrèrent  dans  la  cham- 
bre ;  elles  étaient  parées  de  blanc  ,  d'une  étoffe  du  ciel 
semée  de  pierreries  qui  brillaient  comme  de  petits  soleils  ; 
elles  portaient  dans  leurs  mains  des  chapeaux  de  fleurs. 
Parmi  elles  en  paraissait  une  qui  semblait  être  leur  impéra- 
trice; on  la  voyait  douée  d'une  majesté  plus  que  royale,  cou- 
ronnée à  l'avantage  ,  ornée  de  parures  dignes  de  sa  gran- 
deur ;  c'était  la  Vierge  mère  de  Dieu,  qui  d'un  visage 
grave  et  riant,  s'en  va  droit  au  lit  de  la  malade,  l'embrasse 
amoureusement,  et  lui  donne  le  baiser  de  paix.  Elle  fut  si 
joyeuse  de  tant  de  faveurs,  que  je  crois  qu'elle  mourut  d'aise; 
car  parmi  ces  caresses  et  ces  embrassements  elle  rendit  sa 
belle  àme  entre  les  mains  de  ces  vierges.  A  quelque  temps 
de  là  elle  apparut  à  sa  sœur  Emiliène  ,  et  lui  dit  :  Venez, 
ma  sœur  ,  venez  vous-en  avec  moi  ;  faites  que  nous  célé- 
brions ensemble  la  fête  de  l'Epiphanie;  nous  avons  été  com- 
pagnes dans  les  travaux  et  les  mortifications,  soyons-le  aussi 
dans  la  gloire  et  la  récompense.  Oui,  mais,  dit  Ernilienne, 
si  je  quitte  le  monde,  que  deviendra  notre  sœur  Gordiennc? 


nn  r..\  (  mit   ni    MADBLBIME.  247 

vous  savez  quelle  se  relâche)  détient  libertine  et  volage  ; 
si  je  meurs,  elle  n'aura  personne  qui  ait  l'œil  sur  elle,  clic 
N  perdra  tout-à-fait.  Tarcille  faisant  une  contenance  mé- 
laneolique,  lui  répondit  :  Venez  seulement  et  laissez-là, 
elle  est  au  nombre  des  filles  mondaines,  elle  n'aura  pas 
l'honneur  dYtre  reçue  en  nohvcompagnie.  Emiliennemourut 
la  veille  des  Rois  de  la  même  façon  (pie  sa  sieur.  Gordienno 
privée  du  bon  exemple  de  ses  sœurs,  dont  elle  s'était  rendue 
indigne  ,  quitta  la  dévotion,  se  maria  avec  un  de  ses  fer- 
miers, se  mit  bien  avant  dans  le  monde  ;  S.  Grégoire  n'ose 
dire  ce  qu'elle  devint.  Si  elle  a  persévéré  jusqu'à  la  mort 
d'être  du  nombre  des  âmes  folles  ;  elle  a  grand  sujet  de 
pleurer,  de  se  lamenter,  de  réclamer  ses  sœurs,  d'invoquer 
son  neveu  S.  Grégoire,  de  prier  le  Sauveur  du  monde, 
mais  en  vain  ,  sans  aucun  effet  :  Ma  sœur  ,  dit-elle  ,  ma 
chère  sœur  Emilienne,  ayez  pitié  de  moi,  appelez-moi  à 
gloire,  comme  votre  sœur  Tarcille  vous  à  appelée  et 
i  -a  béatitude.  Je  le  ferais  volontiers,  si  vous  eussiez 
imité  mes  vertus,  comme  j'ai  imité  les  siennes.  Masœur  Tar- 
cille ayez  pitié  de  moi ,  vous  m'avez  tant  aimée  sur  la  terre  , 
ne  perdez  pas  votre  charité  dans  le  ciel  ;  offrez  pour  moi  à 
votre  Epoux  les  mérites  de  vos  bonnes  œuvres.  Ma  sœur  , 
souvenez-vous  que  quand  nous  faisions  lecture  spirituelle  , 
l'Evangile  nous  prédisait  que  les  vierges  sages  ne  pourraient 
assister  les  folles  ,  ni  leur  prêter  l'huile  de  leurs  mérites. 
Mon  neveu  S.  Grégoire,  ayez  pitié  de  votre  pauvre  tante  ; 
vous  ave/  succédé  à  S.  Pierre  ;  vous  avez  les  clefs  du  pa- 
radis; le  pouvoir  de  lier  et  de  délier  ;  déliez-moi  de  ces 
chaînes  qui  me  tiennent  ici  attachée.  Jésus  nous  a  seulement 
donné  pouvoir  d'absoudre  les  âmes  sur  terre,  non  celles  qui 
sont  en  enfer.  Sauveur  Jésus,  ayez  pitié  de  moi,  ouvrez- 
moi  la  poi  ■■/-moi  les  entrailles  de  votre  miséricorde  : 
.  Domine,  aperinobis.  Le  Fils  de  Dieu  répond  : 
La  porte  <  vous  connais  pas  :  Clausa  est 
jamua .  neseto  vos.  Dites,  de  grâce ,  de  quelle  manière 
aimeriez-vous  mieui  mourir,  ou  comme  Gordienne  ,  ou 
•    nilienne  ?  «nais  scriez-vous  bien  si 


248  SERMON  CCLXXXVII.— DES  CAUSES,  etc. 

effrontée,  que  de  demander  de  mourir  comme  Emilienne  t 
ayant  vécu  comme  Gordienne?Non,  non,  ne  pensez  pas  que 
vous  puissiez  être  reçue  au  repos  éternel ,  ayant  été  oisive 
toute  votre  vie.  Amoào  requiescant  a  lahorihus  suis  / 
les  Saint  se  reposent ,  mais  c^st  après  avoir  travaillé  ,  et 
vous  ne  voulez  pas  prendre  la  peine  de  vous  déshabituer 
d'une  mauvaise  coutume  de  jurer  ,'  ne  pensez  pas  que  vous 
puissiez  être  reçue  en  la  compagnie  des  archanges  après 
avoir  hanté  les  danses  ,  les  jeux  de  cartes,  les  folàtreries 
déshonnètes ,  après  avoir  employé  votre  vie  en  visites  et 
conversations  mondaines  ;  ne  pensez  pas  que  vous  puissiez 
être  élevée  au  trône  de  gloire,  sans  vous  être  humiliée  sous 
la  conduite  et  obéissance  de  ceux  qui  ont  charge  de  vous  ; 
pensez-y  ,  car  la  parole  de  Jésus  ne  peut  manquer  d'être 
effectuée  :  Qui  se  humiliaverit  exaltahitur.  Amen, 


SERMON  CCLXXXVIII, 

DES  EFFETS  DU  PECHE  DE  MADELEINE. 


I       '        '  in  civitate  peccatrix, 

'        "'       ;''!!!'>  q«i  était  pè  beressc  en  la  cité.  (Luc.  7.  37.) 

i  r  une  coutume  ancienne  pratiquée  parmi  les  Ba- 
byloniens ,  à  ce  que  raconte  Hérodote,  (lib.  3.  de  Moribus 
gent.  capit.  2  5 .)  et  parmi  les  Portugais,  au  rapport  de  Jean 
Uohémien  ,  déposer  quelquefois  en  public  leurs  malades , 
Bon-seulement  aOn  que  chacun  leur  enseignât  quelque  re- 
mède qu'il  aurait  expérimenté  lui-même  ,  mais  encore  afin 
que  les  jeunes  gens  ?oyant  les  symptômes  et  les  mauvais 
effets  «les  maladies  ,  eussent  sujet  d'éviter  les  excès  et  les 
<1<  I  auches  qui  causenl  des  infirmités.  Jl  semble  que  le  saint 
évangéliste  en  fait  de  même  ,  il  met  au  jour  une  pécheresse, 
]'  «taie  au  monde  les  fautes  de  Madeleine ,  afin  que  voyant 
les  runestes  effets  que  ses  pèches  ont  produits  ,  ce  nous  soit 
un  Irem  pour  nous  empêcher d>  tomber.  Je  remarque  donc 
que  S.  Luc  en  ces  quatre  petites  paroles  :  Mulier  eratin 
civitaie  peccatrix  ,  n'exprime  pas  seulement  les  causes  et 
i  constances  de  la  chute  de  Madeleine  ,  mais  encore  les 
effets  de  son  péché  ,  car  le  pécheur  offense  Dieu  ,  cause 
beaucoup  de  maux  à  la  communauté  où  il  est,  et  de  grands 
dommages  à  lui-même.  Ce  seront  les  trois  points  de  ce 
discours. 

IDEA  SERMONIS. 
'<  îmum  ponctuai.  Peccaiaro fendit Deum.—A.  \9Scrfp+ 
1   -  *.— B.  2    Comparatiane.—  C.  3°  Esperientia. 

HdnuJnn,  pmtai.  Peeeator  offendii  ueietatem  in 
9ua„t  :  -  !..  i  SéHptum- r.  2  '  <  bmparatione. 
—  u.j  tLxpertenita, 


250  SERMON  CCLXXXVIII. 

Tertium  punctum.  Peccalor  nocet  sihi  ipsi  ,  perdons  sua 
mérita  : — H.  \°  Scriptura. — I.  2°  Comparationibus: 
Prima. — L.  Secunda. — M.  Tertia. 

Conclusio.  N.  Paraphrasis  illorum  verhorum  :  Agar  t 
ancilla  Sarai ,  unde  venis  ?  et   quo  vadis  ? 

primum  punctum.  —  Peccator ,  etc. 

A. — (  1°  Scriptura.)  Le  premier  et  le  plus  effroyable 
effet  du  péché  mortel ,  c^est  qu'il  offense  Dieu  :  offenser 
Dieu  !  nous  devons  avoir  horreur  de  prononcer  ce  mot  ; 
nous  devons  avoir  horreur  seulement  d'y  penser.  Omnis 
christianorum  culpa  Divinitatis  injuria  est ,  dit  Sal- 
vien  ;  tout  péché  mortel ,  quelque  petit  qu'il  soit ,  est  un 
crime  ;  c'est  un  crime  de  lèse-majesté  divine  ;  c'est  un  crime 
qui  est  si  contraire  à  Dieu,  qu'il  est  obligé  par  la  condition 
de  son  être  ,  par  la  propriété  de  sa  nature  ,  et  par  l'amour 
qu'il  se  doit  à  lui-même,  de  ravoir  en  haine.  Cette  importante 
vérité  qui  est  si  peu  appréhendée  dans  le  monde  ,  et  qui  est 
si  digne  d'appréhension ,  se  prouve  évidemment  par  cette 
démonstration  :  Dieu  est  la  bonté  souveraine  ,  essentielle  , 
infinie  ;  le  péché  est  une  malice  infinie  essentielle  ,  souve- 
raine; la  bonté  infinie  et  la  malice  infinie,  sont  infiniment  et 
diamétralement  opposées.  Or ,  est-il  que  la  bonté  de  Dieu 
comme  ses  autres  perfections,  sont  une  même  chose  avec  son 
essence  très  simple  ,  très  pure  ,  très  incomposée  ;  il  est 
donc  obligé  par  son  essence  ,  sans  pouvoir  faire  autrement , 
devoir  en  horreur  le  péché ,  et  d'être  ennemi  du  pécheur  : 
Odio  sunt  Deo  impius  et  impietas  ejus.  Et  si  en  com- 
mettant le  péché  ,  je  demande  à  Dieu  qu'il  me  soit  ami ,  et 
qu'il  ne  s'irrite  pas  contre  moi ,  je  lui  demande  une  chose 
qui  est  impossible  ,  de  toute  impossibilité  ;  je  lui  demande 
une  chose  qu'il  ne  peut  pas  faire  avec  toute  sa  puissance  ;jc 
lui  demande  qu'il  ne  soit  pas  bon ,  qu'il  ne  soit  pas  Dieu  , 
qu'il  détruise  son  être  ,  qu'il  soit  ennemi  de  lui-même  pour 
lie  pas  être  mon  ennemi. 

B. — (2°  Comparatione.)  Donnez-moi  un  prêtre  ou  un 
religieux  qui  soit  extrêmement  chaste  ;  faites  qu'on  ait  mis 


DES  EFFETS  DU  PECHE  Dlï  MADELEINE.  '2,>1 

sa  chambre  un  tableau  parfaitement  bien  peint,  qui 
les  images  de  quelques-uns  de  ses  amis ,  ou  de  quel- 
ques Saints  qu'il  honore  beaucoup  ;  niais  que  le  peintre  ail 
représente*  quelqu'un  île  ces  personnages  dans  une  posture 
Indécente  ,  aussitôt  que  ce  prêtre  on  religieux  entrerait  dans 
sa  chambre  et  verrait  ce  tableau  ,  il  ne  le  pourrait  souffrir, 
il  le  mettrait  en  pièces  ou  le  jetterait  dans  le  feu,  et  s'il 
faisait  autrement  ,  on  dirait  qu'il  n'est  pas  chaste.  Dieu  est 
Incomparablement  meilleur  que  tous  les  religieux  du  monde, 
et  plus  chaste  que  tous  les  Saints  du  paradis  ne  le  furent 
jamais.  Ce  péché  est  plus  opposé  à  la  bouté  infinie  de  Dieu 
que  Timpudicité  à  la  chasteté  :  il  faut  donc  qu'il  ne  soit  pas 
Dieu  ou  qu'il  abhorre  le  péché  en  quelque  lieu  qu'il  se  trouve: 
Mundisunt  oculitui  ,  Domine,  ne  videant  mal  uni , 
et  ad  iniquitatem  aspicere  non  poterie  :  il  ne  dit  pas  non 
ris  ,  mais  nonpoieris,  \  os  yeux  sont  la  pureté  même  ,  et 
il  VOUS  est  impossible  de  regarder  l'iniquité  d'un  œil  d'appro- 
bation ,  d'agrément ,  de  complaisance. 

C. — (3e  Expericnlia.)  Pourquoi  pensez-vous  (pic  TE- 
vangéliste,  organe  du  Saint-Esprit,  n'a  pas  voulu  nommer 
notre  pécheresse,  mais  a  dit:  Une  femme  qui  était  dans  la 
cité? S.  Chrysostôme  répond:  Propler  itnmunditiam 
proprio  caret  nomine ,  sicut  ea  qicœ  fuit  Uriœ.  C'est 
pour  montrer  la  haine  que  Dieu  lui  portait.  Quand  vous 
avez  nue  extrême  aversion  et  une  extrême  malveillance  con- 
tre quelqu'un  ,  vous  ne  voulez  point  entendre  parler  de  lui, 
vous  ne  daignez  pas  seulement  le  nommer,  vous  dites  ce 
méchant ,  ce  malheureux  ;  vous  le  faites  par  une  passion 
vicieu.se  ,  Dieu  le  fait  par  une  justice  très  adorable  ,  pour 
montrer  la  haine  qu'il  doit  avoir  du  pécheur,  et  pour  nous 
apprendre  que  son  nom  est  effacé  du  livre  de  vie  ,  il  efface 
gofl  nom  de  l'Evangile  :  Kec  mentor  cro  nominum  coru m 
er  labié  mca.  En  Thistoire  du  mauvais  riche  ,  il  nomme 
honneur  le  pauvre  mendiant  ,  parce  qu'il  était  grand 
homme  de  bien  ;  il  dit  qu'il  s'appelait  Lazare;  mais  il  ne 
daigne  pas  nommer  le  riche  avaricieux  ;  il  efface  son  nom  de 
la  m»  mmes  ,  il  dit  que  c'était  un,  quidam  ; 


252  SERMON  CCCXXXVIlf. 

Homo  quidam  erat  dives.  Quand  sainte  Madeleine  fut 
convertie  ,  l'historien  sacré  trouva  bien  son  nom  ,  le  Saint- 
Esprit  la  nomme  très  souvent  en  l'Evangile  :  Novi  te  ex 
nomme  ;  mais  elle  n'est  pas  nommée  une  seule  fois  dans  le 
chapitre  qui  traite  de  son  péché  ,  non-seulement  pour  nous 
apprendre  à  ne  point  nommer  les  personnes  quand  nous  par- 
lons de  quelque  crime  qui  s'est  commis ,  mais  encore  pour 
nous  faire  voir  l'aversion  que  Dieu  et  ses  Saints  ont  toujours 
eue  du  péché.  David,  ce  sage  et  adroit  avocat  en  la  cour  de 
la  justice  de  Dieu  ,  connaissait  bien  cette  vérité  ,  et  savait 
bien  s'en  servir  dans  l'occasion  ;  quand  il  était  en  élat  de 
grâce  ,  et  selon  le  cœur  de  Dieu  ,  il  se  nommait  clairement 
pour  demander  le  Messie  qui  devait  naître  de  sa  race  :  Mé- 
mento ,  Domine,  David}  juravit  Dominus  David 
veritatem  ;  semel  juravit  in  Sancto  meo  ,  si  David 
mentiar  :  Souvenez-vous  de  ce  David  ,  dont  le  nom  vous 
est  si  cher  et  si  agréable.  Mais  depuis  qu  il  fut  tombé  dans 
le  péché  ,  qu'il  eut  perdu  la  grâce  de  Dieu  ,  il  n'osa  pas  se 
nommer  en  demandant  pardon  et  miséricorde;  il  ne  dit  pas: 
Miserere ,  Deus  ,  David  ,  secundum  magnam  miseri- 
cordiam  tuant.  Vous  ne  trouverez  pointqu'en  tout  ce  psaume, 
ni  dans  aucun  autre  des  pénitentiaux ,  il  se  nomme  une 
seule  fois. 

D. — (4°  Ratione.)  Et  comment  est-ce  que  le  péché  ne 
serait  pas  abominable  devant  Dieu  ,  puisqu'il  n'offense  pas 
seulement  sa  bonté  infinie  ,  mais  toutes  ses  perfection  divi- 
nes. Peccavi  saper  numerum  arenœ  maris  :  Mes  péchés 
sont  en  plus  grand  nombre  que  le  sable  de  la  mer.  L'Eglise 
nous  met  souvent  ces  paroles  dans  la  bouche  en  l'office  divin; 
elles  ont  autrefois  arrêté  mon  esprit ,  ayant  peine  de  les  en- 
tendre et  de  savoir  comment  elles  peuvent  être  véritables  ; 
car  quand  un  homme  vivrait  cent  ou  cent  vingt  ans,  et  quand 
il  commettrait  un  péché  mortel  à  chaque  moment  de  sa  vie , 
ce  grand  nombre  de  péchés  n'approcherait  pas  du  nombre 
des  grains  de  sable  qui  sont  dans  la  mer  ;  et  néanmoins 
nous  ne  disons  pas  seulement ,  mes  péchés  sont  plus  pesants 
que  le  sable  tic  la  mer,  mais  nous  disons  qu'ils  sont  en  plus 


ter 


'G 


DE     :  • 

[uc  chaque  péché  mortel  n'estpas 
ni  infinien  gravité,  mais  contient  en  quelque 
bremflnide  malices ,  parce  qu'il  choque  tous  les  al tri- 
un  jus ,  qui  ne  sonl  pas  seulement  induis  en  excelle 
qui  sont  en  nombre  infini.  ' 

Peccator ,  etc. 

K-~  '   Scriptura.  Si  le  pécheur  offense  ainsi  le  Créa- 
•  uc  pensez  pas  qu'il  épargne  les  créatures;  il  nuit 
>up  à  tous  les  particuliers  de  la  communauté  ou  il  est» 
Au  heu  de  ces  paroles  qui  sont  en  notre  Evangile:  Mulù 
tin  civitate peccatrix ,  quelques  docteurs  tournent 
Erat  m  ctvUatem  peccatrix:  Elle  était  pécheresse  conlk-u 
W  cité.  Ce  qui  nous  enseigne  que  Dieu  prive  souvent   do 
plusieurs  bénédictions  toute  une  communauté  ,  et  lui  envoie 
plusieurs  disgrâces  temporelles  en  punition  des  crimes  d'uno 
âme  ;  les  prédicateurs  et  les  confesseurs  vous  recom- 
man,Ki,(  «  d'éviter  1rs  mauvaises  compagnies  ,  parce 

;IUCN'  '«"aïs  exemples,  vous  y  prenez  la 

future  du  vice,  ayant  honte  de  ne  pas  faire  comme  le* 
«très  ;  vous  ?ousy  mine/  de  réputation ,  donnant  sujet  de 
'■  que  voui  êtes  semblable  à  ceux  que  vous  fréquentez- 
1         I       i   tout  cela  ne  serait  pas ,  vous  vous  mettez  en 
erd  être  l'objet  de  la  colère  de  Dieu  et  des  carreaux 
justice.   Ecoutez  le  saint  prophète  Moïse  :  Rcceditea 
naculis  hominum  impiorum  ,  et  nolite  tangue 
V^^eosVertinent,neinrolraminlinVeccaiiseo^ 
^umer.  26.  16.)  Retirez-vous  de  la  compagnie'  de,  me- 
nez pas  même  ce  qui  leur  appartient,  de  peur 
avec  eux  dans  la  peine  de  leur  crime. 
*.-    À    Comparatione.)  Demeurons  en  la  comparai- 
7  T  apportions  ci-dessus,  supposons  qu'en  ce 

abandon**  is  parlé  ,  parmi  les  personnages  qui 

'Posture  indécente,  il  j  en  ait  d'autres  en 
miur*  *e,  celui  quî  serait  tant  soit 

l'tpoint  d'égard,  mais  romprait  ou  bru- 
I  arrive  quelquefois  que  Dien  ,  en 
15 


254  sekmon  cclxxxviii; 

l'ardeur  de  sa  colère ,  afflige  lemporetlement  les  innocents 
qui  sont  en  la  compagnie  des  coupables ,  comme  il  fit  à  toute 
la  famille  de  Dathan  etd'Abiron,  au  livre  des  Nombres,  à 
celle  d'Acan  ,  au  livre  de  Josué. 

En  Zacharie  ,  chapitre  cinquième  ,  il  est  dit  que  le  pro- 
phète vit  une  faux  ;  car  au  lieu  qu'au  texte  latin  il  y  a  erat 
volumen  volans  ,  les  septante  interprètes  ,  et  S.  Chrysos- 
tôme  fournentxa;  tàov\8pè*xvov  «erétxevov^ecce  falxvolans  . 
Une  faux  qui  volait;  elle  était  longue  de  vingt  coudées  et 
large  de  dix  coudées  :  et  on  dit  à  Zacharie  :  Prophète  ,  sais- 
tu  ce  que  c'est  que  cette  faux  ?  C'est  la  vengeance  de  Dieu 
qui  tombera  sur  la  maison  de  celui  qui  jure  faussement ,  et 
elle  la  ruinera  de  font  en  comble.  «  Erat  faix  volans,  lon- 
«  gitudo  ejus  cubitorum  viginti  ,  latitudo  ejus  cubitorum 
«  decem  ,  et  veniet  addomum  jurantis  mendacia,  et  com- 
te morabilur  in  medio  dormis  ejus,  et  consumet  eam,  et 
«  ligna  ejus ,  et  lapides  ejus.  »  La  vengeance  divine,  dit 
S.  Chrysostôme,  est  comparée  a  une  faux  ,  non  à  une  épée, 
parce  que  l'épée  n'en  tue  qu'un  à  la  fois  ;  la  faux  enveloppe, 
coupe,  tranche  ,  ravage  tout  ce  qu'elle  rencontre;  et  la 
justice  divine  ne  ruine  pas  seulement  celui  qui  est  coupable , 
mais  elle  renverse  ,  désole  ,  dissipe  tout  ce  qui  se  présente 
à  elle.  Elle  est  longue  et  large  de  plusieurs  coudées,  pour 
signifier  le  grand  nombre  des  afflictions  qu'elle  apporte  ; 
elle  vient  d'en  haut  pour  nous  apprendre  que  le  ciel  punit 
les  crimes  de  la  terre  ;  elle  vole  ,  pour  signifier  qu'elle  vient 
promptement  et  lorsqu'on  y  pense  le  moins  ;  elle  tombe  sur 
Ja  maison -de  celui  qui  se  parjure  ,  qui  blasphème,  ou  com- 
met quelqu'aulre  péché  ,  non-seulement  pour  punir  le 
pécheur  ,  mais  pour  ruiner,  détruire  ,  et  anéantir  sa  mai- 
son ,  tant  Dieu  déteste  et  abhorre  le  péché  ! 

G.  —  (3°  Expert  entia.)  Imaginez-vous  que  le  grand 
Turc ,  se  fiant  en  la  force  de  ses  armes,  entre  en  la  chré- 
tienté et  qu'après  avoir  conquis  plusieurs  villes  en  son  che- 
min, il  aille  planter  le  siège  devand  Madrid,  qu'il  la  prenne 
par  assaut  ou  par  composition,  qu'il  se  saisisse  de  la  per- 
sonne du  roi,  l'emmène  captif  à  Constantinople,  qu'il  laisse 


i  -   DU   l'i  CHK   DE  MADELEINE.  ZOO 

pour  gouverneur  de  Madrid  en  sa  place  don  Juan  dWutri- 
che  ou  un  autre  prince,  qu'il  lui  fasse  prêter  sonnent  sur  les 
s  Evangiles  qu'il  maintiendra  la  ville  et  toule  l'Espagne 
s  l'obéissance  de  la  couronne  de  Constantinople;  quand 
te  Turc  s'en  sérail  allé,  se  Haut  à  la  fidélité  de  la  promesse 
qu'on  lui  muait  faite,  si  don  Juan  d'Autriche  faussait  sa  pro- 
messeel  r<  voltail  la  ville  de  Madrid  contre  ce  barbare,  à  votre 
serait-ce  un  grand  crime?  je  ne  sais  ce  qu'en  diraient 
litiques  de  ce  monde,  mais  je  sais  bien  oo  qu'on  en 
dit  en  la  théologie  du  ciel  :  au  quatrième  livre  des  rois  , 
m.  Reg.  24.  17.)  en  Jérémie  (37.   1.)  et  en  Ezcehiel 
(17.  lo.)  est  apporté  un  cas  tout  semblable.  Le  roi  Nabu- 
ehodonosor,  qui  était  comme  le  grand  Turc  de  ce  temps- là, 
vint  à  Jérusalem  pour  la  conquérir,  comme  il  avait  fait  de 
plusieurs  autres  villes  et  provinces.  Il  était  tellement  redouté, 
que  saos  qu'il  fit  jouer  une  seule  machine  de  guerre  ,  on  se 
soumit  à  lai  ;  il  entra  glorieux  en  la  ville,  prit  le  roi  Joachim 
et  toute  la  pour  de  l;i  noblesse,  les  emmena  captifs  à  Ba— 
bylono,  pilla  l'or  et  l'argenl  des  finances,  emporta  tout  ce 
qui  était  de  plus  précieux  en  la  ville,  et  parce  qu'on  ne  lui 
pas  résisté,  il  ne  voulut  pas  la  raser,  mais  il  y  laissa 
les  petits  gentilshommes  et  le  menu  peuple,  lui  donnant  pour 
i  rneur  en  sa  place  Sédécias,  oncle  du  roi  Joachim  qui 
prêta  le  serment  de  fidélité  à  ce  tyran,  lui  promettant  de 
tenir  la  ville  et  la  province  sous  l'obéissance  de  sa  couronne. 
Quand  ^Naburhodonosor  fut  de  retour  à  Babylone,  Sédécias 
pensa  qu'il  nV  avait  pas  grand  scrupule  de  rompre  le  ser- 
ment qu'il  avait  prêté  à  un  roi  barbare,  idolâtre,  impie,  in* 
usurpateur  du  bien   d'autrui,   ennemi  du  peuple  de 
:  il  se  révolta  contre  lui,  fit  alliance  avec  le  roi  d'E- 
pouren  avoir  du  secours,  secoua  le  joug  de  Babylone. 
rensez-V(  Dieu  ne  se  lâche  pas  quand  on  abuse  de 

son  -  pour  tromper  les  hommes  ?  voici  ce  qu'il  en 

cl  i  i  | »  !  :    17. 15, 1  Vunquid  prosperabitur, 

vel  salutem  consequetur  qui  fecit  hacc?  ci,  qui  dissolvit 
lum,nunquid  efl  v'ivo  ego,  dicit  Dominus, 

«  juiuiiiLiitum  quodsprevit,  etfoedus  quod  prâvaricatui 


256  SERMON  CCLXXXV1II. 

«  est,  erit  in  caput  ejus.  »  Quoi  donc!  SédcVias  pcnsc-i 
t-il  être  impuni  ?  est-ce  ainsi  qu'on  trompe  les  hommes  avec 
de  faux  serments  comme  on  amuse  les  enfants  avec  des  noi- 
settes ?  pcnse-t-il  échapper  des  mains  de  Nahuchodonosor 
ou  de  ma  justice  vengeresse ,  ayant  faussé  une  promesse 
cimentée  par  l'invocation  de  mon  saint  nom?  Je  jure  ma 
vie  et  ne  serai  point  parjure  comme  lui ,  je  jure  ma  vie  que 
la  promesse  qu'il  a  rompue  et  le  serment  qu'il  a  faussé  re- 
tomberont sur  sa  tête  criminelle.  Et  puis  Dieu  se  met  à  ra- 
conter les  effroyables  afflictions  qu'il  enverrait  à  toute  la  villo 
en  punition  de  ce  parjure,  et  qui  en  effet  arrivèrent  comme 
elles  sont  rapportées  au  quatrième  livre  des  Rois  ;  (4.  Reg. 
24.  et  25.)  savoir  :  que  Sédécias  fut  pris  à  la  guerre,  on 
égorgea  ses  enfants  à  sa  vue,  on  lui  creva  les  yeux ,  on  le 
mena  en  triomphe  à  Babylone  où  il  fut  mis  à  la  chaîne  comme 
un  pauvre  chien,  et  passa  le  reste  de  sa  chétive  vie  en  es- 
clavage ,  et  Dieu  pour  montrer  combien  il  abhorre  le  par- 
jure et  toute  sorte  de  pc'^hé,  permit  que  Nabuchodonosor 
envoyât  son  connétable  à  Jérusalem  qui  ne  la  reçut  pas  à 
composition  comme  auparavant,  maïs  qui  démantela  les  mu- 
railles, rasa  les  maisons,  brûla  ie  temple,  emporta  les  riches 
vaisseaux  destinés  au  service  divin ,  passa  au  fil  de  l'épéc 
les  prêtres  et  le  peu  de  noblesse  qui  était  resté ,  emmena 
captif  le  menu  peuple  et  réduisit  en  cendres  cette  ville  in- 
fortunée. Si  vous  ne  voulez  m'en  croire,  lisez  les  textes  de 
l'Ecriture  sus-allégués  et  le  beau  commentaire  que  S.  Chry- 
sostôme  (5.  hom.  19.  ad  popul.)  y  a  fait,  vous  verrez  que 
je  dis  vrai.  Ne  faut-il  donc  pas  conclure  que  la  vengeance 
du  ciel  est  un  faux  bien  affilée  qui  enveloppe  et  tranche  tout 
ce  qu'elle  rencontre ,  que  le  péché  nuit  à  toute  la  républU 
que ,  et  qu'on  dit  véritablement  de  l'àme  pécheresse  :  Erat 
in  civlfatem  peccatrlx. 

TERTIUM  PUNCTUM.   —  PeCCCltoV,  etc. 

H.  —  (1°  Scriptural)  Une  femme  qui  était  pècheresss 
n'avait-elle  point  d'autres  qualités  ?  Il  est  vrai  que  les  évan- 
géllstçs  n'ont  guère  coutume  dénommer  les  personnes  dont 


nr.S  EFFETS  DU  PÉCHÉ  DE  MADELEINE.  257 

ils  parlent  par  les  grandeurs  et  par  les  qualités  mondaines, 
;      e  quecenesont  que  des  bassesses  et  néant  devant  Dieu; 

ils  ont  coutume  de  toucher  au  moins  en  passant  les 
perfections  spirituelles  et  les  éloges  de  verdi  qui  rendent 
remarquables  les  personnes,  comme  de  S.  Zacharie  et  de 
sainte  Elisabeth,  dont  il  est  dit  en  S.  Luc  qu'ils  étaient  justes 
et  qu'ils  pratiquaient  tous  les  commandements  de  Dieu  ;  du 
vénérable  S.  Simcon,  qu'il  était  juste  et  craignant  Dieu. 
Notre  Madeleine  n'avait-elle  point  de  bonnes  œuvres  ?  n'a- 
vait-elle point  pratiqué  de  vertu  en  savie,  n'avait-elle  pas 
quelquefois  prié  Dieu,  donné  des  aumônes?  otii,  sans  doute; 
elle  était  fidèle,  elle  vivait  parmi  le  peuple  de  Dieu,  elle  avait 
devant  les  yeux  les  bons  exemples  de  son  frère  Lazare  et  de 
sa  sœur  Marthe.  L'historien  sacré  n'en  fait  point  de  mention, 
non  plus  que  des  grâces  qu'elle  avait  reçues  aux  sacrements 
et  sacrifices  ;  il  ne  dit  rien  d'elle,  sinon  qu'elle  était  pèehe- 

,  parce  qu'elle  avait  fait  naufrage. 
I.  —  (2°  Comparationibus  :  prima.)  Si  averterît  se 
juêtuê  a  justifia  sua,  et  feccrit  iniquitaiem,  nunquid 

t?  omnes  justitiœ  ejus  quas  feeerat  non  recorda-- 
buntur,  (Ezcch.  18.  24.)  Si  celui  qui  a  vécu  saintement 
jusqu'à  présent  est  si  mal-avisé  que  de  faire  banqueroute  à 

fu  et  de  commettre  un  péché  mortel,  on  mettra  en 
oubli  toutes  les  bonnes  œuvres  qu'il  a  faites,  dit  le  prophète 
Ezéchiel ,  et  il  explique  ce  malheur  par  une  comparaison 
bien  propre  ;  il  parle  à  la  ville  de  Tyr  au  sens  littéral,  mais 
au  sens  tropologique,  selon  S.  Jérôme,  il  parle  à  une  amc 
qui  avant  été  longtemps  vertueuse,  est  tombée  dans  le 
péché  ;  il  la  compare  à  un  vaisseau  bien  équipé,  chargé  de 

uses  denrées,  quia  vogué  heureusement,  mais  un 
?cnt  impétueux  s'élevant  au  milieu  de  la  mer,  le  fait  couler 
à  fond  on  briser  contre  un  rocher;  (Ezech.  27.  20.)  ceux 
qui  riaient  dedans  se  sont  noyés  sans  ressource,  ses  riches 
!  -ont  perdues ,  la  peine  qu'on  a  prise  à  le  faire 

et  à  l'équip  r  est  inutile.  11  y  a  dix  ou  douze  ans  que  cette 
femme  fréquente  les  sacrements,  qu'elle  communie  tous  les 
dimanches,  qu'elle  dit  son  chapelet  tous  les  fours,  faitorai- 


?$8  SliKAlON  CGULXXXlitê 

son  mentale,  donne  souvent  des  aumônes ,  assiste  aux  pré- 
dications :  quel  amas  de  vertus,  quel  trésor  de  grâces, 
quel  magasin  de  richesses  spirituelles  elle  en  a  acquis!  Vous 
la  sollicitez  h  un  péché  mortel ,  elle  y  consent ,  elle  perd 
tous  ses  biens  ;  y  eut-il  jamais  tempête  sur  mer  qui  ait 
causé  une  si  grande  perte  ?  ou  si  vous  voulez,  je  dirai  avec 
S.  Chrysostôme,  (ad  Theodorum  lapsum.)  que  cette  âme  est 
plus  digne  des  pleurs  et  des  lamentations  du  Fils  de  Dieu 
que  la  ville  de  Jérusalem,  et  qu'on  a  sujet  de  lui  dire  ce  que 
le  Sauveur  disait  à  cette  ville  infortunée  :  Si  cognovisses 
Ht  tu,  0  âme  chrétienne!  si  vous  saviez  le  dégât  que  le  pé- 
ché mortel  a  causé  en  vous ,  vous  répandriez  des  larmes  de 
sang  ;  il  a  ruiné  et  anéanti  tous  les  mérites  de  vos  bonnes 
œuvres,  la  grâce  sanctifiante ,  les  vertus  infuses  ,  les  ha- 
bitudes surnaturelles,  les  dons  du  Saint-Esprit,  tout  ce 
qui  était  de  bon  et  d'excellent  en  vous  ,  excepté  la  foi 
et  l'espérance  qui  y  sont  demeurées ,  mais  mortes  et  sans 
mérites. 

L.  —  (Secunda.)  En  l'histoire  des  chevaliers  de  Malte, 
(Bodin.  lib.  9.  histor.  milit.)  il  est  dit  que  Soliman  ayant 
pris  par  composition  Pile  de  Rhodes ,  lit  amener  devant  lui 
le  grand-maître  Philippe  de  Viilars,  très  célèbre  par  tout 
le  monde  pour  ses  belles  actions.  Ce  vénérable  vieil  laid  , 
qui  n'avait  rien  de  caduc  que  l'âge ,  se  présenta  en  habit 
lugubre.  Le  grand- seigneur  le  voyant ,  en  fut  touché  et 
attendri ,  et  se  mit  à  pleurer  en  soupirant  :  Heu  durum 
hominis  fatum!  miseror  casum  ianti  viri  :  heri  erat 
summus,  hodie  est  inucs  :  lié  !  que  la  fortune  est  incon- 
stante et  souvent  rigoureuse  à  l'homme  !  j'ai  pitié  de  la  chute 
d'un  si  grand  personnage  :  hier  il  était  très  haut ,  aujour- 
d'hui il  est  très  bas.  Peut-être  qu'on  peut  dire  la  même 
chose  de  vous ,  hier  vous  étiez  en  l'état  de  grâce  que  vous 
aviez  reçue  en  votre  dernière  communion ,  quelque  détes- 
table tentateur  vous  a  fait  tomber  au  péché  ;  hé  !  quelle 
chute,  quelle  décadence!  que  vous  avez  grand  sujet  de  pren- 
dre le  deuil  et  de  pleurer  inconsolablemenl  !  hier  vous  riiez 
1res  élevée  ,  aujourd'hui  vous  êtes  très  abaissée  :  hier  vous 


DES  BFFITO  DU  PBCBJB  DM  ■AD£LBtN£.  251) 

é'iiez  dans  (es  bonnes  grâces  de  Jésus,  aujourd'hui  vousètes 
haine  ;  vous  étiez  enfant  de  Dieu  ,  vous  êtes  esclave 
du  diable  ;  vous  étiei  à  la  porte  du  ciel,  \ous  êtes  à  la  porte 
do  Ton  fer. 

M.  ■—  (Tertia.)  ïlUî-Lîve  dit  :  (decad.  1 .)  Manlius 
Capitolinus  avait  rendu  de  si  bons  services  à  la  république, 
qu'il  avait  mérité  d'être  appelé  le  père  de  la  patrie;  étant 
lecusé  d'un  crime  capital,  il  apporta  au  milieu  du  sénat  les 
couronnes  qu'il  avait  remportées  par  ses  braves  exploits,  la 
navale  qu'il  avait  gagnée  sur  mer,  la  murale  pour  avoir 
fchelé  les  remparts  des  villes,  la  caslrense  pour  avoir  lo 
premier  enfoncé  le  camp  ennemi ,  la  civile  pour  avoir  sauve 
la  vie  à  des  citoyens  romains  ;  il  ouvre  son  sein  tout  couvert 
de  cicatrices  qui  étaient  autant  de  témoignages  de  sa  valeur, 
et  il  dit  en  montrant  tout  cela  :  Uno  errato  tôt  décora  abo- 
leri!  Faut-il  que  tant  de  prouesses,  tant  de  services  ,  tant 
d'actions  généreuses  soient  oflkoés  parmi  seul  crime  !  Quand 
vous  amie/,  été  malade  Pespaee  de  trente-huit  ans,  ct(|uand 
vous  auriez  enduré  avec  grande  patience  les  rigueurs  de  la 
maladie,  comme  sainte  LiduvintJ  ;  quand  vous  auriez  souf- 
fert le  martyre  pendant  vingt-huit  ans,  comme  S.  Clément 
d'Ancyre  ;  quand  vous  auriez  fait  pénitence  sur  une  colonne 
eipoiée  aux  injures  du  temps,  comme  S.  Siméon  Stylite  ; 
quand  vous  auriez  dit  la  messe  très  dévotement  plus  de  cin- 
quante ans  et  demeuré  tous  les  jours  quatre  heures  à  Pautel» 
comme  S.  Philippe  de  iNéri  ;  si  vous  commettez  un  seul 
péché  moi  tel  :  Unu  c  <  /  ulo  tôt  décora  aboleutur. 

CONCLUSIO. 

Y  -~  {P'iraphr.isis,  etc.)  Quand  je  considère  tout 
«t  quand  je  vois  une  àme  sollicitée  de  commettre  un 
péché  .  et  sur  le  point  de  succomber ,  il  me  prend  envie  de 
lui  dire  ee  qu'on  ange  disait  à  la  servante  de  Sara,  femme 
du  patriarche  Abraham  :  Agar,  antilla  Sarai,unde ve- 
nté et  quo  vadië?  reverterê  ad  dominant  tuant,  et  hu- 
milian  tub  manu  efus. 

Oàmc  !  qui  Êtes  sur  le  point  de  consentir  au  péché,  uni» 


2G0  SERMON  CCLXXXVI1I. 

venis?  voyez  de  quel  état  vous  sortez  ;  vous  quittez  un  état 
dans  lequel  votre  àme  était  belle,  agréable  à  Dieu  ,  à  ses 
anges,  ornée  ,  resplendissante  ;  il  n'y  a  pierrerîe  ,  étoile, 
lune,  soleil  aussi  éclatant  qu'elle  Tétait;  quo  vadis  ?  en 
quel  état  vous  mettez-vous?  dans  un  état  auquel  votre  àme 
est  laide,  difforme,  noire ,  contrefaite  ,  puante  ,  horrible  à 
Dieu  et  à  ses  anges  ;  unde  venis?  vous  sortez  d'un  état 
dans  lequel  vous  étiez  enfant  de  Dieu ,  frère  de  Jésus,  bien— 
aimé  de  la  Vierge,  favori  des  saints,  en  la  sauvegarde  des 
anges ,  sous  la  conduite  de  la  douce  providence  divine. 

Quo  vadis  ?  vous  entrez  dans  un  état  dans  lequel  vous 
êtes  ennemi  de  Dieu,  abhorré  de  son  Fils,  méprisé  de  la 
Vierge  ,  délaissé  des  anges  ,  abandonné  des  Saints,  esclave 
clu  diable.,  livré  à  la  tyrannie  de  vos  passions  effrénées. 

Unde  venis?  vous  quittez  un  état  dans  lequel  vous  aviez 
rame  tranquille  ,  toujours  en  repos  et  en  assurance,  remplie 
de  consolation  ,  sans  crainte  d'aucun  accident,  confite  dans 
des  délices  spirituelles. 

Quo  vadis  ?  vous  entrez  dans  un  état  dans  lequel  votre 
pauvre  cœur  est  tout  déchiré  par  les  épines  et  par  les  re- 
mords de  la  conscience,  bourrelé  par  les  furies  de  la  syn- 
dérèse ,  en  appréhension  de  la  mort ,  du  jugement  de  Dieu 
et  de  l'éternité  malheureuse,  en  crainte  d'être  surpris,  dé- 
couvert, déshonoré,  sans  consolation  dans  vos  adversités, 
sans  plaisir  entier  dans  vos  prospérités. 

Unde  venis?  vous  sortez  d'un  état  dans  lequel,  si  vous 
fussiez  mort ,  eh  !  que  vous  seriez  heureux  !  les  anges  fus- 
sent venus  au-devant  de  vous,  eussent  reçu  et  porté  votre 
âme  en  lieu  de  repos ,  comme  celle  du  pauvre  Lazare  ;  le 
Fils  de  Dieu  vous  eût  recueilli  et  logé  dans  son  sein. 

Quo  vadis  ?  dans  un  état  dans  lequel  si  vous  veniez  à 
mourir,  sans  autre  forme  de  procès,  vous  êtes  damné. 

JXeverterQ  ad  Dominum  iuum,  retournez  à  votre  Sei- 
gneur; bien  que  vous  soyez  échappé  de  son  service,  il  no 
laisse  pas  d'avoir  droit  de  souveraineté  sur  vous;  reveriere, 
retournez  à  votre  Père,  vous  avez  perdu  la  qualité  d'enfant 
de  Dieu  ,  il  n'a  pas  perdu  celle  de  père  ;  revert  ère,  re- 


DES  BFFETfl  di   PECHE  DE  MADELEINE  261 

tournez  à  votre  Epoux,  vous  lui  avez  été  déloyale,  il  ne 
laissera  pas  de  vous  être  Gdèle. 

Humiliaremb  manu  ejus;  la  main  de  Dieu  en  ré- 
criture signifie  quelquefois  sa  puissance  :  Manu,  tua 
génies  dtspcrdidit}  d'autres  fois  elle  signifie  sa  justice  :  In- 

ventaturmamisttiao9nnibusinimtcistnis;à,aulres{o\s1 
sa  miséricorde  :  EmiUe  manum  tuam  de  alto,  et  ettpe 
mè.  Humihez-Tous  beaucoup  sous  sa  puissance,  reconnais- 
sant que  c'est  à  elle  seule  de  vous  retirer  du  mauvais  état 
ou  vous  êtes,  que  vous  ne  pouvez  rien  de  vous-même;  que 
m  elle  ne  vous  tenait  par  la  main,  vous  tomberiez  encore 
dans  de  plus  grandes  fautes.  Humiliez-vous  sous  sa  justice, 
avouant  (pie  toutes  les  afflictions  qu'elle  vous  envoie  el  vous 
enverra  ne  sont  rien  en  comparaison  de  ce  que  vous  méri- 
te/. Humiliez-vous  sous  sa  miséricorde,  lui  remontrant  le 

nd  abîme  de  misères  où  vous  êtes  :  Ahyssusabyssum 
»us  vous  humiliez  ainsi,   sa  puissance  vous 

i  la  main  pour  vous  secourir,  sa  justice  s'apaisera, 
sa  miséi  Drde  aura  pitié  de  vous,  vous  donnera  sa  gràoa 
en  ce  monde  et  sa  gloire  en  l'autre.  Amen, 


SERMON  CCLXXXIX. 

DES  CIllCOJSSTAINCES  DU  PECHE*  DE  MÀïttÊ-MADELlilflfc. 


Erat  in  civitale  peccatrix» 

Elle  élait  pécheresse  en  la  cité.  (Luc.  7.  37.) 

Comme  le  peintre  qui  veut  faire  une  belle  image  a  cou- 
tume de  griffonner  premièrement  sur  la  toile  avec  du  char- 
bon ou  de  la  mine  de  plomb,  les  gros  traits  et  les  premières 
ébauches,  puis  applique  les  vives  couleurs  et  donne  la  per- 
fection à  son  ouvrage;  ainsi  l'historien  sacré  avant  que  de 
donner  l'émail  et  le  poli  aux  vertus  admirables  de  Sle  Ma- 
deleine, ébauche  sa  peinture  en  racontant  ses  débauches, 
et  fait  voir  les  noirceurs  de  cette  pécheresse  en  exagérant  les 
circonstances  de  son  péché ,  afin  que  les  gros  traits  de  ses 
crimes  rehaussent  et  relèvent  l'éclat  de  ses  vertus ,  et  que 
les  ombres  de  ses  misères  donnent  du  jour  et  du  lustre  à  la 
miséricorde  divine  :  Exagérât  evangelista  facinus  mu- 
lieris  ,  ut  accumulet  indzilgenttam  largitoris  ,  dit 
S.  Pierre  Chrysologue.  Nous  aurons  aujourd'hui  à  consi- 
dérer que  ces  dérèglements  étaient  des  péchés  de  scandale, 
d'ingratitude,  d'habitude  ;  ce  qui  est  exprimé  en  ces  paro- 
les :  Erat  in  civitate  peccatrix.  Et  ce  seront  les  trois 
points  de  ce  discours. 

1DEA  SERMONIS. 

Exordium.  A.  Scriptura  sacra  paucis  verhis  mulla  ex- 
primit. 

Primum  punctum.  Prima  circumstantia  peccati  Mag- 
dalenœ,  nempe  scandait:  B.  \  °  Rejulaturqui  errant 
circa  defuiitionem  scandait. — G.  2° Explicatiir  quid 
sit  scandalum,  — D.  3°  Quain perniciosam, 

Secundum  punctum.  E.  Secunda  circumstantia  ,  nempe 


SKIiMO.N    CCLVWIX. DES  C1KCOISST  ,,   etc.        263 

ifKjratitudinis  :  l  °  Script  ara.  —  F.  2°  Pu  tribus.  — 
G.  3'  Ralionibus :  Prima,  Quia  o/fendit  bénéficia 
Dei. —  II.  Secundo,  ^  Et  cjus  honitatetti. 
Tertium  punclum.  I.  Tertia  circumstantia,ncmpe con- 
iUetuaintS)  quam  Sâtpé  damnant  sacrœ  Scripturw. 

I-XOiîDILM. 

A.  —  [ Script ura.  )  La  bouche  d'or  do  PEglise  orien- 
tale ,  S.  Clirysoslôme  ,  a  sagement  remarqué  que  le 
Saint-Esprit  dans  un  beau  parallèle  compare  la  parole 
de  Dieu  à  l'or,  à  l'argent  et  aux  pierres  précieuses  :  Elo~ 
quia  Domini  argent  u  m  igné  examina tum  ;  deside- 
rahilia  super  aurum  et  lapidem  pretiosum  multum  y 
eest,  dit  ce  grand  docteur,  pour  vous  apprendre  que, 
comme  une  petite  quantité  d'or  ou  d'argent  vaut  mieux  In- 
comparablement qu'une  grosse  masse  de  fer  ou  de  plomb  , 
(«mime  une  seule  pierre  précieuse  est  de  plus  grande  valeur 
qu'un  grand  nombre  de  pierres  communes,  ainsi  une  seule 
jiarole  de  l'Ecriture  sainte  est  beaucoup  plus  significative, 
plus  mystérieuse,  plus  féconde  en  riches  conceptions,  que 
plusieurs  livres  des  auteurs  profanes.  Il  n'en  faut  point 
d'autre  preuve  (pie  l'Evangile  qui  nous  entretient  le  reste 
de  celte  mission  ;  l'historien  sacré  Ta  couché  en  un  style  si 
laconique,  et  si  énergique  ,  qu'en  trois  petites  paroles  il  ex- 
prime parfaitement  tout  ce  qifon  peut  dire  des  causes ,  des 
elTels  et  des  circonstances  du  péché  de  Madeleine.  Hier 
nous  considérions  les  causes,  aujourd'hui  nous  avons  à  con- 
sidérer les  principales  circonstances  qui  aggravaient  son 
péché  ;  il  y  en  avait  trois  exprimées  en  ces  paroles  :  Erai 
in  ciriiatc  peccatrix;  calait  un  péché  de  scandale ,  <Tin- 
gratitude!  d'habitude. 

Primu.m  Pi  m  i  i.H.  —  Prima  circumstantia  ,  etc. 

Erai  in  ciritu'e.  Si  elle  n'eût  été  pécheresse  que  dans 
13  maison,  elle  iiYui  donne  mauvais  exemple  qu1à  ses  do- 
mestiques J  si  elle  Peut  été  dans  un  bourgade  de  Béthanie, 
eu  dans  un  petit  village  ,  elle  n'eut  mal  édifié  qu'une  poi- 


264         SERMON  CCLXXXIX*  —  DES  CIRCONSTANCES 

gnde  (.le  gens;  elle  est  pécheresse  dans  une  ville,  dans  uno 
grande  ville  et  dans  une  cité,  in  civilate ;  elle  ne  peut 
manquer  de  servir  de  scandale  et  de  pierre  d'achoppement 
ù  plusieurs  personnes. 

Pour  connaître  la  grièveté  de  cette  circonstance  et  nous 
préserver  de  ce  précipice,  considérons  premièrement  ce  que 
c'est  que  le  scandale.  Le  scandale,  dit  S.  Thomas,  c'est 
une  parole  ou  une  action  qui  n'est  pas  droite,  qui  donne 
occasion  de  péché  à  notre  prochain. 

B.  —  (1°  Refutantur  ,  etc.)  Dictum  vel  facium  mi- 
nus rectum  prœhens  aliçui  occasionem  mince.  Il  faut 
Lien  peser  toutes  ces  paroles.  1°  Il  dit  :  Prœbens  occasion 
nem  ruinœ  ;  c'est  une  parole  ou  une  action  qui  donne  oc- 
casion ,  non  de  déshonneur,  d'infamie  ,  de  confusion  ,  mais 
de  péché  ;  en  quoi  plusieurs  s'abusent  et  parlent  fort  im- 
proprement. Voilà,  par  exemple  ,  une  fille  qui  est  sollicitée 
au  péché  par  un  jeune  homme,  et  en  danger  de  succomber 
et  de  se  perdre;  vous  lui  dites  :  Il  y  a  beau  remède  d'éviter 
ce  piège;  dites-le  à  votre  père  ou  à  votre  mère ,  afin  qu'on 
le  mette  hors  de  la  maison ,  ou  qu'on  ne  lui  donne  plus  fa- 
cilement l'entrée  ;  dites-le  à  son  supérieur ,  il  le  chapitrera 
et  l'enverra  dans  une  autre  maison.  Si  je  le  dis  à  mon  père, 
il  le  mettra  dehors;  on  pensera  qu'il  a  mal  tourné ,  je  le 
scandaliserai.  Voilà  une  belle  excuse;  voilà  parler  bien 
proprement  :  vous  le  scandaliserez  !  vous  ne  savez  ce  que 
c'est  que  le  scandale  ;  c'est  lui  qui  vous  scandalise  ,  puis- 
qu'il veut  vous  faire  tomber  dans  le  péché  ;  si  vous  étiez 
bien  chaste  et  bien  résolue  de  ne  pas  consentir ,  vous  fer- 
meriez les  yeux  à  toutes  ces  considérations ,  et  vous  le  di- 
riez à  votre  père  ou  à  ceux  qui  peuvent  y  mettre  ordre. 

La  crainte  de  Dieu  est  comme  cette  pierre  qu'on  nomme 
Aurifilats ,  garde-trésor ,  on  dit  que  si  vous  la  mettez 
sous  le  seuil  de  la  porte ,  et  qu'il  y  ait  un  trésor  dans  la 
maison  ,  sitôt  que  quelqu'un  y  entre  elle  résonne  ,  ainsi 
o^ime  petite  cloche,  comme  pour  avertir  qu'on  prenne 
garde.  La  crainte  de  Dieu  en  fait  de  même  :  sitôt  que  quel- 
qu'un vous  tient  quelque  propos  qui  ressent  tant  soit  peu 


DU  PÛCUÛ  Dl  BINE.  265 

:  ,  on  qui  tend  à  quelque  pèche* ,  si  vous  avez  la 

.  •  de  Dieu  vous  crierez  et  vous  le  direz  au  supérieur  ; 
mne  cria  se  trouvant  seule  surprise  par  deux  im- 
pudiques. Saint  Bernard  sentant  une  femme  qui  s'était  glis- 
quîI  en  sa  chambre,  pour  l'induire  à  mal  faire,  cria 
au  larron  :  Si  fures  întroissent  ad  te ,  si  lai  roues  jicr 
w,  (iiiomodo  conticuisses?  Si  un  larron  étail  entrd 
m  et  commençait  à  crocheter  vos  coffres , 
i  itiriez  ,  ne  crieriez-vous  pas  au  larron  ? 

Iricz-vous  de  le  scandaliser  ?  Cel  homme  veut  vous  dc.j 
.   la  grâce  de  Dieu,  mille  fois  plus  précieuse  que  tous 
le   trésors  du  monde  ,  et  vous  ne  direz  mot!  il  ne  craint 
le  vous  faire  perdre  votre  chasteté ,  votre  honneur, 
voire  corps,  voire  salut,  voire  éternité  ;  et  vous  craindrez 
de  lui  faire  perdre  la  bonne  opinion  que  voire  père  ,  voire 
,  ou  que  ses  supérieurs  ont  de  lui  !  Vous  lui  rendrez 
la  bon  service,  vous  serez  cause  qu'on  le  retirera  du 
péché  ;  la  charité  vous  y  oblige ,  ce  n'est  pas  le  scandaliser, 
lui  rendre  bon  service.  Oui ,  mais  si  je  le  déclare  ,  ou 
si  je  ne  consens  pas  à  ses  folàf  reries,  je  serai  cause  qu'il  ju- 
rera, I    tsphèraera ,  reniera,  Qu'il  fasse  ce  qu'il  voudra,  en 
faisant  ce  que  vous  devez  ;  vous  n'en  êtes  pas  cause ,  ce 
un  scandale  ,  le  scandale  c'est  une  action  ou  une 
parole  qui  n'est  pas  bien  droite,  minus  rectum;  si  vous 
faites  une  action  commandée  de  Dieu  ou  de  l'Eglise-,  si 
vous  dites  une  parole  utile  et  salutaire  à  quelqu'un,  et  qu'un 
esprit  mal  fait  en  prenne  occasion  de  pécher,  vous  n'ea 
êtes  pas  coupable. 

(  S.  —  (  2°  Explicatur  quid  sit  scandalum.  )  Les 
jardins  ne  doivent  pas  laisser  de  pousser  des  (leurs  quoique 
les  mouches  canlaridcs  les  changent  en  venin.  Vous  désirez 
venir  à  l'église  ouïr  la  messe  en  un  jour  de  fête,  ou  enten- 
dre le  sermon  ,  pour  apprendre  ce  qui  est  de  voire  salut; 
vous  vous  doutez  que  l'on  vous  jugera  ignorante,  vous  n'éles 
vous  absenter  ,  beaucoup  moins  de  faire  un 
!  moi  tel  ou  véniel  ,  de  peur  (pie  quelqu'un  n'en  com- 

.dir  en  jurant  ,  pour  vous  excuser, 


2(jÔ         SERMON  CCLXXXIX. — DES  CIRCONSTANCES 

de  peur  que  votre  mari  ne  blasphème.  Mais  la  charité  doit 
souvent  nous  porter  à  faire  plusieurs  actions  ,  auxquelles 
d'ailleurs  nous  ne  serions  pas  obligés;  à  les  faire,  dis— je  , 
quand  nous  prévoyons  que  le  prochain  se  candalisera  ,  si 
nous  ne  le  faisons. 

Encore  plus  sommes-nous  obligés  d'éviter  un  péché  vé- 
niel ,  ou  même  une  action  indifférente  ,  que  nous  savons 
pouvoir  servir  de  scandale  et  d'occasion  de  péché.  Vous 
trouvez  des  gens  dans  le  monde  qui  ne  veulent  pas  jurer 
mais  veulent  paraître  le  faire,  pour  paraître  honnêtes  hom- 
mes ,  comme  si  on  ne  pouvait  être  honnête  homme  sans 
être  ou  paraître  ennemi  de  Dieu.  lis  ne  veulent  pas  jurer 
Dieu,  mais  il  disent  parbleu,  morbleu,  pardi,  je  renie  celui 
qui  vendit  Dieu;  à  la  vérité  ces  façons  de  parier  ne  sont  pas 
des  jurements,  ni  des  péchés  mortels,  mais  celui  qui  a  bien 
la  crainte  de  Dieu  s'en  abstient  tout-à-fait.  Je  vous  pour- 
rais dire  là-dessus  premièrement,  que  Jésus  dit  :  Sitsermo 
rester  est,  est}  non,  non  :  quod  autem  amplius  est , 
a  malo  est,  ex  roo  «rov^ov.  Quand  vous  assurez  quelque 
chose  ,  contentez-vous  de  dire  :  Cela  est ,  ou  cela  n'est 
pas;  ce  que  vous  ajoutez  de  plus  vient  du  diable.  En  second 
lieu,  S.  Paul  dit  qu'il  ne  faut  pas  seulement  s'abstenir  du 
mal ,  mais  de  toute  apparence  de  mal  :  Ah  omni  specle 
mala  ahstinete  vos.  Le  péché  est  un  si  grand  mal ,  que 
la  seule  ombre  en  est  odieuse  et  à  craindre.  Supposons  que 
le  nom  d'un  exécrable  parricide  soit  fort  odieux  au  roi, 
comme  le  nom  de  ce  détestable  qui  nous  ôta  le  meilleur  de 
nos  rois.  Si  vous  disiez  souvent  en  présence  du  roi ,  non 
pas  le  nom  tout  entier,  mais  une  partie,  ou  quelques  mois 
qui  en  approchent,  si  vous  disiez  souvent  devant  le  roi  vailiac, 
vaillac,  ou  liavail.,  liavail.,  vous  offenseriez  le  roi.  Dieu 
a  en  horreur  les  blasphèmes  et  les  jurements  impics;  vous 
ne  les  dites  pas  tout-à-fait,  mais  à  moitié  ,  ardieu,  ardkui, 
pardi ,  etc.  Il  n'y  a  point  de  doute  que  vous  ne  déptâistci 
au  bon  Dieu. 

Mais  j'aime  mieux  vous  faire  remarquer  ce  qui  vient  à 
mon  sujet  l  quand  VOUS  dites  pardieu  ou  pardi,  vous  nejurcl 


Dl    PKC11JS  UL  MAKiii-MADiiLLliNi-:.  207 

nais  votre  enfant,  ou  votre  dohlestiqtie  j  on  Noirci 
ssien  ne  vous  entendant  pas  bien,  pense  que  vousjurcz, 
et  Ipprend  à  jurer,  ou  s'il  n'apprrnd  qu'à  dire  morbleu  ,  je 
renie  celui  qui  vendit  Dieu  ;  il  arrivera  après  quêtant  en 
colère,  il  jurera  Dieu  toul-à-fait,  par  eette  mauvaise  habi- 
tude; au  lieu  de  renier  celui  (jui  a  vendu  Dieu,  pour  le 
faire  plus  court,  il  laissera  les  paroles  qui  sont  entre  deux  , 
et  reniera  Dieu  entièrement  ,  et  vous  en  serez  cause.  SU 
termô  tester  eë$i  esêj  non^  non. 

Supposez  <pie  paraître  le  sein  découvert  ne  soit  que  péché 
véniel  ,  je  ne  le  dis  pas  ,  mais  supposons-le  ;  vous  savez 
ou  devez  savoir  (pie  cela  ne  se  fait  jamais  sans  être  l'objet 
de  plusieurs  mauvaises  pensées  et  actes  de  concupiscence. 
Si  vous  aviez  un  seul  brin  de  vrai  amour  de  Dieu  ,  ne  vous 
en  abstiendricz-VOUS  pas  ?  Oui ,  votre  chair  scandalise  le 
prochain  ,  et  ce  sein  découvert ,  c'e*t  proprement  ce  qui 
s'appelle  scandale. 

D.  —  (.T  Quant  pcmiciosnm.)  Vous  me  direz  que  ce 
n%'- 1  pas  votre  intention  ,  vous  n^y  atiaehez  aucun  mal,  ce 
n'eal  qu'un  peu  de  vanité  ,  ou  pour  attirer  quelque  riche 
parti  ;  mais  cependant  les  âmes  se  perdent  par  votre  vanité, 
et  votre  prétention  prétendue  bonne.  Que  dites-vous  de 
ceux  qui  trafiquent  avec  le  grand  Turc  ,  qui  lui  vendent 
et  prêtent  des  mousquets  ou  autres  armes  ?  ils  n'ont  pas 
mauvaise  intention  ,  ils  ne  désirent  pas  que  le  Turc  s'en 
serve  contre  les  chrétiens ,  ne  prétendent  que  débiter  leur 
marchandise,  et  en  avoir  de  Tardent;  laissent-ils  de  faire 
mal,  d'offenser  Dieu,  d'encourir  l'excommunication  réser- 
u  pape?  VodS  ne  présentez  pas  les  armes  au  Turc 
pour  tuer  les  corps  des  chrétiens ,  niais  au  maître  du  grand 
I  Satifl  pour  faire  mourir  les  âmes.  Ne  pensez-vous 
I  i:, Miiis  profanes,  ces  paroles  déshonnèles  , 

gorges  découvertes,  ces  contenances 
étudiées  ,  sont  autant  de  traits  acérés  dont  Satan  se  sert 

is  ne  prétendez  pas  cela,  mais 
■orive  et  vous  en  eie>  Poccasion  responsable ,  sujette  à* 
i  et  ••  la  malédiction  terrible  fulminée  de 


268  SERMON  CCLXXXIX. DES  CIRCONSTANCES 

la  bouche  de  Jésus  le  grand  pontife  :  Vœ  homini  Mi  per 
quem  scandalum  venit!  vœ  mundo  a  scandalis  !  Mal- 
heur à  l'homme  par  lequel  le  scandale  arrive  !  malheur 
au  monde  à  cause  des  scandales  ! 

Un  docteur  moderne  a  remarqué  que  Jésus  parle  diver- 
sement du  scandale  et  des  autres  péchés;  quand  il  parle 
des  autres  péchés,  il  ne  donne  sa  malédiction  qu'aux  per- 
sonnes particulières  qui  en  sont  atteintes  :  Vœ  vohis  qui 
ridetis  !  vœ  vohis  divitibus  !  mais  quand  il  traite  du 
scandale  ,  il  ne  lance  pas  seuleument  l'anathème  sur  la  per- 
sonne scandaleuse,  mais  sur  toutes  les  autres  :  Vœ  mundo 
a  scandalis,  comme  pour  dire  qu'il  y  a  la  même  différence 
entre  le  scandale  et  les  autres  péchés  ,  comme  entre  la 
peste  et  les  autres  maladies.  Les  autres  maladies  n'endom- 
magent pour  l'ordinaire  que  les  personnes  qui  en  sont 
atteintes  ;  si  vous  avez  une  hydropisie  ,  une  goutte  ,  une 
colique,  vos  voisins  n'en  sont  pas  pourtant  incommodés;  la 
peste  est  un  mal  public,  une  maladie  contagieuse  ,  qui  se 
répand  partout  le  voisinage;  quand  quelqu'un  en  est  atteint, 
il  l'influe  et  la  communique  à  plusieurs  autres.  L'avarice  , 
l'orgueil ,  la  paresse  sont  des  vices  particuliers  et  person- 
nels, qui  ne  souillent  que  ceux  qui  en  sont  atteints;  le 
scandale  est  une  peste  spirituelle  qui  gâte  et  infecte  toute  la 
communauté ,  et  se  communique  par  le  commerce,  par  les 
paroles,  même  quelquefois  par  la  vue;  peste  beaucoup  plus 
maligne  que  la  peste  corporelle  :  celle-ci  n'engendre  ordi- 
nairement qu'une  autre  peste,  un  péché  de  scandale  engen- 
dre souvent  diverses  espèces  et  genres  de  péché. 

Vous  sollicitez  au  mal  cette  fille  qui  était  chaste  et  ver- 
tueuse, vous  ne  voulez  que  votre  plaisir,  vous  vous  figurez 
que  vous  ne  serez  cause  que  de  ce  péché  en  particulier 
qu'elle  commet  avec  vous;  vous  ne  considérez  pas  qu'après 
que  vous  lui  aurez  levé  le  voile  de  la  honte,  donné  la  pente 
au  vice,  amorcé  à  la  volupté,  elle  s'abandonnera  à  d'autres, 
elle  n'osera  s'en  confesser ,  commettra  des  sacrilèges  , 
communiera  indignement  ;  en  étant  soupçonnée  ,  se  parju- 
rera pour  assurer  qu'il  n'en  est  rien ,  devenue  enceinte  , 


1)1    PKCIIK  DE  MARIE-MADELEINE.  269 

•i  fruit,  pour  cacîicr  son  crime;  vous  soir/,  [o 
îipe  cl  la  première  eau  e  tic  ces  déshonneurs,  s.. 

-  indignes,  parjures,  infanticides, 
me  après  votre  morl  on  péchera  pour  vous  ,  on  com- 
ii  i  serez  responsable  :  Factum 
culum  ut  reunte  ,  non  périrent 

un  pèrede  famille  estnn  pilier  de  taverne, 
!  si  >on  fils  n'esl  pas  un  ivrogne;  quand  vous 
êtes  blasphémateur,  ce  sera  presque  un  miracle  si  votre 
enfanl  n'apprend  bas  à  jurer  ,  comme  il  apprend  à  parler 
français  :  parce  qu'il  vous  entend  parier  français;  ses  enfants 
vendront  de  lui  ,  comme  il  l'a  appris  de  vous  ,  et  les 
its  de  ses  enfants ,  et  les  arrière-neveux,  jusqu'à  la 
rième,  cinquième,  sixième  génération;  et  si  vous  êtes 
i  n  enfer  ou  en  purgatoire,  vos  supplices  s'accroîtront  autant 
de  fois  qu'on  jurera  par  voire  mauvais  exemple  :  car  la 
théol  lêc  sur  l'Ecriture,  dit  que  quand  nous  sommes 

exemple  de  quelque  bonne  œuvre  ,  ou  de  péché  à  la  pos- 
itons les  effets,  môme  après  la  mort. 
»is  et  S.  Dominique  reçoivent  une  joie  particulière 
:  ;  un<  ccidentelle  toutes  les  fois  que  leurs  religieux 

■  Dji  quelque  bonne  œuwc  ,  dont  ils  ont  été  cause  :  au  con- 
.  si  votre  enfant  apprend  de  vous  à  jurer,  toutes  les 
l'il  jurera  ou  ses  descendants,  à  son  exemple  ,  votre 
peine  s'augmentera  en  enfer  ou  en  purgatoire.  Le  mauvais 
riche  dans  les  enfers  priait  Dieu  qu'on  envoyât  quelqu'un  à 
ivres  pour  les  convertir;   les  damnés  ont-ils  de  la 
charité  pour  les  vivants  ?  Sont-ils  soigneux  de  notre  salut  ? 
ntraire,  ils  sont  comme  les  démons,  ils  voudraient, 
que  tout  le  monde  fût  damné  ;  mais  il  le  faisait  par  amour- 
'  ropres  intérêts  ;  il  avait  donné  mauvais 
n-  son  avarice  et  ses  déhanches  ;  il 
savait  que  leur  damnation  lui  serait  un  surcroit  de  peine. 

i   s  créatures  vengeront  sur  nous  les  injures  du 
Créateur  ;   les  âmes  que  non-  aurons  perdues  vengeront 
leurs  propn  i  injures;  le  moindre  dédain  d'une  pér- 
ils csl  insupportable,  si  elle  ne  vous 


270  SEJiMOPJ  CCLXXXIX.— DES  CIRCONSTANCES 

a  regardé  de  bon  œil,  vous  êtes  dans  la  gène  un  jour  entier, 
Oh  !  comme  elle  vous  dédaignera,  vous  abhorrera  ,  vous 
maudira  !  quelle  vengeance ,  quelle  hostilité  ,  quelle  rage 
elle  exercera  sur  vous!  Méchant,  vous  dira-t-elle,  méchant, 
tu  es  cause  que  je  suis  ici ,  sans  toi  je  régnerais  avec  les 
bienheureux  ,  et  je  brûle  ici  parmi  les  réprouvés  ;  si  je  ne 
Savais  jamais  vu,  je  verrais  Dieu  à  jamais.  Oh  !  oh  !  si  la 
première  fois  que  je  te  rencontrai  j'eusse  rencontré  un  loup- 
garou  qui  m'eût  déchiré  et  mise  en  pièces,  la  rencontre  ne 
m'eût  pas  été  aussi  funeste  !  tu  disais  qu'il  n'y  ayait  pas 
grand  mal,  et  c'était  le  plus  grand  de  tous  les  maux;  mal 
infini,  qui  m'obligea  ces  tortures,  et  c'est  pour  une  éternité, 
et  sans  ressource. 

Supposons  que  ce  que  vous  espérez  arrive ,  il  arrive 
rarement ,  mais  supposons-le,  que  vous  vous  convertirez, 
ferez  pénitence  ,  entrerez  en  religion  ,  persévérerez  en 
grâce,  serez  sauvé;  savez-vous  si  cette  âme  que  vous  solli- 
citez au  mal  se  convertira  jamais  et  fera  une  vraie  péni- 
tence ;  et  si  elle  est  damnée  par  votre  faute  ,  quand  vous 
serez  dans  le  ciel ,  si  vous  n'étiez  en  un  état  de  parfaite 
félicité  et  incapable  de  tristesse,  de  quels  yeux  la  regarde- 
riez-vous?  de  quels  yeux  regarderiez-vous  Jésus  à  qui  elle 
coûte  si  cher?  ne  diriez-vous  pas,  voyant  Jésus  :  Quis  ei 
refundet  innocentent  sanguineni?  quis  ei  restituât pre- 
tium  quo  nos  émit?  Qui  est-ce  qui  vous  remboursera  le 
prix  inestimable  que  cette  âme  vous  coûte  ?  qui  est-ce  qui 
vous  pourra  restituer  le  sang  précieux  que  vous  avez  ré- 
pandu pour  elle  ?  Ne  diriez-vous  pas,  en  voyant  cette  âme  : 
Pauvre  infortunée!  que  je  t'ai  fait  grand  tort!  pour  un 
plaisir  brûlai,  je  t'ai  fait  perdre  les  délices  des  anges  !  pour 
une  volupté  d'un  quart-d'heure  ,  je  t'ai  engagée  à  des  souf- 
frances éternelles!  et  ce  qui  est  déplorable  ,  je  t'ai  rendue 
malheureuse,  mais  je  ne  te  saurais  soulager;  j'ai  eu  le  mal- 
heur de  te  perdre  ,  je  ne  te  saurais  sauver;  je  t'ai  plongée 
en  cet  abîme ,  je  ne  saurais  t'en  retirer  :  Quem  vis  con- 
temnere  pretîum  ejus  attende  ,  et  cum  morte  Christi 
iotum  mundum  appende  :  (  S.  Aug.  sçrm,  \ .  6.  do 


m;  DB  MARIB-»MAD£L£1N£.  271 

verb,  Domini,  cap.  5.  )  Voyez  ce  que  vaut  celle  ftme  que 
vous  von!./  perdre  .  ce  qu'elle  coûte  au  Fils  du  Dieu;  si 
tous  les  trésors  «lu  monde  peuvenl  contrebalancer  les  méri- 
tes de  la  mort  du  Sauveur,  et  si  c'est  un  si  grand  mal  de 
perdre  une  seule  àme,  de  scandaliser  un  seul  des  plus  petits, 
unum  e.v  hispusillis,  que  sera-ce  d'en  perdre  un  si  grand 
nombre,  connue  on  tait  si  aisément  ?  Et  n'est-ce  donc  pas 
avec  juste  raison  que  L'Evangéliste  exagère  le  péché  de  Ma- 
deleine, de  ce  qu'il  était  avec  scandale  en  une  grande  ville  : 
Erai  in  civitate  peccatotx, 

secusdum  punctum. — Secundo  circumstantia  ,  etc. 

Ce  mot  de  cité  marque  encore  une  autre  circonstance 
qui  donnait  du  surcroît  à  la  grièveté  de  son  péché,  péché 
d'ingratitude.  Si  c'eut  été  une  simple  paysanne  de  quelque 
village  écarté  ,  il  y  aurait,  un  peu  d'excuse  ,  telle  sorte  de 
sont  grossiers,  idiots,  ignorants  ,  mai  instruits  ,  qui 
ne  connaissent  l'importance  du  péché;  si  c'eût  été  à  Home, 
où  Pou  ne  connaissait  pas  le  vrai  Dieu,  où  l'on  adorait  Vénus, 
Cupidon,  Jupiter  et  autres  dieux  adultères,  elle  aurait  pré- 
texte de  pallier  ses  fautes  par  l'exemple  des  dieux  qu'elle 
eût  adores  :  Q«o<l  dira*  decuil,  cur  mihi  turpeputem  ? 
S  eYùt  été  une  pauvre  servante  ou  une  fille  de  la  lie  du  peu- 
ple, le  péché  en  sciait  moindre  ,  elle  dirait  pour  excuse  que 
pauvreté  engendre  malheur  ,  nécessité  est  une  dure  mai- 
tresse.  Non,  c'était  dans  une  ville,  dans  une  grande  ville  de 
la  Palestine  ,  où  Ton  avait  le  culte  du  vrai  Dieu ,  l'exercice 
de  la  vraie  religion  ,  les  livres  de  Moïse  ,  la  loi  et  les  pro- 
phètes; c'était  une  demoiselle  noble  ,  riche,  bien  alliée,  qui 
avait  devant  elle  les  bons  exemples  de  son  frère  et  de  sa  sœur; 
tout  cela  l'obligeait  à  être  vertueuse,  tant  de  bienfaits  de 
Dieu  la  rendaient  plus  criminelle  et  faisaient  que  sou  péché 
était  un  péché  d'ingratitude. 

!--    I    Scriptura.)  Cesi  cette  circonstance  que  Dieu 

;  e  :  Ilœccine  reddU  Domino  luo ,  papule 

êtuite  cl  tnsipienë?  nonne  ip.se  estpater  tuus,  quipos* 

(*c*t9*tcrearith?(Dtut}  32.6.)  Est-ce  là  ce ^ue 


272         SEKMOJN  CCLXXX1X. —  DES  CIRCONSTANCES 

vous  rendez  à  votre  Dieu ,  peuple  étourdi  et  insensé?  n'est- 
ii  pas  votre  père  qui  vous  à  créé  ?  ne  vous  doit-il  pas  pos- 
séder et  avoir  l'usage  de  votre  vie?  Et  en  Isaïe  :  (Isa.  1 .  2.) 
j'ai  nourri  et  élevé  des  enfants  ,  et  il  mon  méprisé  ;  et  par 
le  prophète  Osée  :  Juxta  pascita  sua  adiwplcti  sunt , 
et  saturali,  et  levaverunt  cor  suum ,  et ohliti  sunt  met: 
(Os.  13.6.)  Après  que  je  les  ai  rassasiés  ,  ils  sont  devenus 
arrogants  et  m'ont  mis  en  oubli  ,  je  serai  pour  eux  comme 
une  lionne  et  un  léopard ,  et  je  les  anéantirai  :  Ero  eis 
quasi  leœna  et  sicitt  pardus  ,  et  consumant  eos. 

F. — (2°  Pair ib us.)  C'est  donc  sagement  que  S.  Gré- 
goire nous  dit  :  (homil.  9.  inEvang.  «  Sollicite considerare 
a  nos  admonet  ne  nos ,  qui  plus  cseteris  in  hoc  mundo 
«  accepisse  cernimur  ,  ab  auctore  mundi  gravius  inde  judi- 
<c  cemur  ;  cum  enim  augentur  doua  ,  rationes  eliam  cres- 
«  cunt  donorum.  »  Mes  frères,  le  saint  Evangéliste  nous 
avertît  de  prendre  garde  soigneusement  que  nous  ne  soyons 
jugés  avec  beaucoup  de  rigueur ,  parce  que  nous  avons  reçu 
de  Dieu  plus  de  grâce  que  les  autres  ,  car  il  nous  demande 
un  compte  plus  étroit  à  mesure  qu'il  augmente  envers  nous 
ses  bienfaits. 

G. —(3°  Rationibus.  Prima,  Quia.)  La  raison  pour 
laquelle  ce  vice  d'ingratitude  est  si  désagréable  à  Dieu  , 
c'est  qu'il  ruine  et  anéantit  en  nous  les  effets  de  sa  bonté,  il 
fait  que  ses  bénédictions  divines  sont  inefficaces  ,  stériles  et 
inutiles.  Si  un  héritage  qui  n'est  point  cultivé  et  ensemencé 
demeure  en  friche  ,  est  hérissé  d'épines  et  de  chardons  ,  ce 
n'est  pas  chose  étonnante  ,  on  n'y  est  pas  trompé  ,  on  ne 
s'en  fâche  pas  ;  si  on  n'y  gagne  rien  ,  on  n'y  perd  rien  ,  on 
n'y  a  rien ,  mais  on  n'y  prend  rien  ;  mais  si  une  vigne  qui  a 
été  plantée  avec  beaucoup  de  frais ,  cultivée  avec  travail , 
engraissée  ,  labourée  ,  taillée  ,  effeuillée  avec  grand  soin  ; 
si ,  dis-je  ,  une  telle  vigne  est  ingrate  ,  ne  donne  des  fruits, 
cela  afflige  fort  le  père  de  famille  ,  son  espérance  est  frau- 
dée ,  les  frais  qu'il  y  a  faits  sont  perdus ,  le  travail  inutile , 
ses  sueurs  infructueuses.  Si  un  habitant  du  Canada  ou  du 
Sénégal  ne  prie  pas  Dieu  ,  ne  fait  pas  de  bonnes  œuvres  , 


oui»  Éc  ni:  d  i;  I 1  a  R  i  i  >m  a  d  e  l  e  i  N  r  .  2  7  3 

esl  impudique  et  vicieux  ,  quelle  merveille  !  Quomodo  i'w- 
voeabunt  in  (/hou  non  crediderunt ?  quomodo  credent 
sine  prœdicante?  Mais  vous  qui  êtes  une  vigne  plantée  de  la 
main  de  Dieu  au  terroir  de  l'Eglise  ,  arrosée  de  ses  sueurs 
et  de  son  sang  ,  cultivée  par  tant  de  grâces  ,  qu'au  lieu  de 
produire  de  bons  fruits  ,  vous  n'en  portez  que  de  mauvais , 
c\>(  ce  qu'il  trouve  bien  étrange,  c1est  de  quoi  il  se  plaint 
avec  raison  :  «  Ego  te  plantavi  ,  vineam  eleetam  ,  omne 
«  semen  verum  ,  quomodo  conversa  es  in  pravum  ?  Ouid 
«  debui  facere  râiete  mes  et  non  feci  ?  expeclavi  ut  faec- 
«  rct  uvas ,  et  fceit  labruscas.  (Jerem.  2.  21  .-Isa.  5.  2.) 
Que  pouvait-on  attendre  d'un  chrétien,  d'un  catholique,  d'un 
ecclésiastique  qui  a  tant  d'occasions  de  bien  faire,  tant  de  li- 
vres de  dévotions,  tant  de  pères  spirituels,  tant  de  bons  ex- 
emples, tantde  confréries,  tant  d'offices  divins,  sinon  desfruits 
mûrs  et  savoureux,  des  vertus  parfaites  et  héroïque?  et  fecit 
labruscas,  et  il  n'a  produit  que  du  verjus,  que  des  œuvres  im- 
parfaites, résolutions  sans  effet,  bons  propos  qui  ne  s'accom- 
plirent jamais  En  l'hébreu  il  y  a  beusein ,  uvas  fœlentes  , 
des  actions  infâmes  et  honteuses.  Les  Septante  tournent: 
Fecit  autem  spinas,  elle  n'a  produit  que  des  ronces,  des  ra- 
pines, des  concussions  injustes,  des  oppressions  des  pauvres. 
11.  —  {Secunda  ,  Et  ejusbonitatem.)  Il  y  a  bien  plus, 
les  autres  péchés  ne  combattent  la  bonté  de  Dieu  qu'indi- 
rectement ,  ils  offensent  directement  sa  souveraineté  ;  con- 
trevenant à  sa  sainte  ordonnance  ,  sa  bonté  n'y  est  offensée 
que  par  accident  et  sans  dessein.  Le  vice  d'ingratitude  choque 
cette  divine  bonté  en  droite  ligne  ,  lie  les  mains  à  Dieu  , 
tarit  la  source  de  sa  charité  paternelle  ;  elle  ferme  les  tré- 
sors de  sa  libéralité  infinie,  elle  arme  la  miséricorde  de  Dieu 
contre  cette  même  miséricorde  ;  elle  fait  (pie  ,  par  misé- 
ricorde ,  Dieu  vous  refuse  les  effets  de  sa  miséricorde.  Ccst 
S.  Bernard  qui  remarque  cette  vérité  dans  un  sermon  qu'il 
a  fait  contre  le  vice  d'ingratitude  ,  que  pour  cela  il  appelle 
très  méehai  ae  diamétralement  opposé  à  la  bonté 

de  Dieu. 

i  Hoc  eliam  demi  ptja  esse  videlur,  ingrate  negarc  quod 


274         SERMON  CCLXXXIX. DES  CIRCONSTANCES 

<(  postulant  :  ne  contingat  nobis  ut  tanto  gravius  de  ingra- 
«  ti tudine  judicemur  ,  quanto  magis  accumulatis  beneficiis 
«  ïngrati  probabimur  extitîsse.  Ergo  misericordia  res  est 
«  in  bac  parte  subtrahere  misericordiam  ,  quemadmodum 
u  iras  et  indignalionis  ,  misericordiam  exhibere ,  eam  sane, 
a  de  qua  per  Isaiarr  dicit  :  Misereamur  impio,  et  non  disect 
u  facere  justitiam.  (Isa.  26.  10.) 

L'inclination  naturelle  de  la  bonté  et  de  la  miséricorde 
de  Dieu  est  de  faire  du  bien ,  comme  le  propre  du  soleil  est 
d'éclairer.  Quand  vous  vous  opposez  à  ce  que  cette  bonté  ne 
répande  sur  vous  ses  bienfaits  ,  vous  lui  faites  violence  et 
l'offensez;  mais  quelle  apparence  de  faire  du  bien  à  un  ingrat? 
il  en  abusera,  le  perdra,  en  sera  plus  coupable  ;  c'est  donc 
miséricorde  de  ne  lui  pas  faire  miséricorde.  Ainsi  la  bonté 
de  Dieu  met  une  digue  à  sa  même  bonté  ,  empêche  le  flux 
de  ses  grâces,  fait  violence  à  son  inclination  naturelle;  n'est- 
ce  pas  un  grand  inconvénient  ?  n'est-ce  pas  avec  sujet  qu'on 
s'appesantit  sur  l'ingratitude  de  Madeleine ,  et  qu'on  dit* 
Erat  in  civitate  pcecalrix  ? 

primum  punctum.  —  Tertia  circumstantia ,  cic. 

I.  — {Consuetudinis ,  etc.)  Ce  mot  de  peccatrix  no8$ 
fait  conjecturer  qu'elle  continua  quelque  temps  dans  ses 
dérèglements,  puisque  le  saint  Evangéliste l'appelle  péche- 
resse ,  et  la  troisième  circonstaneequiaggravesa  faute,  c'est 
que  c'était  un  péché  d'habitude  et  de  récidive. 

Quand  vous  voulez  vous  excuser  de  vos  jurements  ,  vous 
dites  :  Il  est  vrai  que  j'ai  juré  le  nom  de  Dieu,  mais  ce  n'est 
pas  parmalice  ,  c'est  par  coutume,  c'est  que  j'ai  cettefaçon 
de  parler  ;  c'est  vous  laver  avec  l'encre  ,  ce  n'est  pas  excu- 
ser votre  faute,  mais  l'exagérer  et  l'agrandir;  c'est  ce  que 
Dieu  trouve  fort  mauvais ,  et  qui  vous  rend  fort  criminel 
devant  lui  ,  que  vous  avez  coutume  de  l'offenser;  tant  s'en 
faut  que  cette  coutume  diminue  votre  faute  et  la  rende 
vénielle  ,  qu'au  contraire ,  selon  l'opinion  de  la  plupart  des 
théologiens  ,  quand  vous  avez  coutume  de  jurer  le  nom  de 
Dieu  .  ou  de  faire  un  autre  serment  à  toutnropos ,  sans  re- 


1)1    l'JCiii.  DE  UARIE-MÀDELBINB,  278 

garderai  roque  vous  dites  est  vrai  ou  non  ,  vous  commettez 
n  péché  mortel  toutes  1rs  fois  que  vous  jurez  ainsi  incon- 
sidérément .vous  vous  mettez  en  danger  de  vous  parjurer. 
Potiorestfur,  quam  assiduitas  r i ri  mendacia:  (Eeeli. 
20,  '21.)  Celui  qui  est  accoutumé  à  mentir  est  pire  que  le 
(airon  j  tous  deux  ne  valent  rien  ,  mais  celui  qui  a  coutume 
de  mentir  vaut  moins  que  le  larron,  et  moins  encore  celui 
qui  a  coutume  de  se  parjurer.  Si  un  de  vos  voisins  est  sur- 
pris à  voler  une  seule  fois  ,  vous  en  faites  des  railleries. 
Hélas  !  vous  Nés  bien  plus  criminel  devant  Dieu  ;  s'il  a  dé- 
robé dix  écus,  il  n'a  commis  qu'un  péché  mortel  ;vous  les 
amassez  petit  à  petit  en  vous  parjurant,  pour  mieux  vendre 
rotre  marchandise  ,  vous  en  commettez  cinq  cents.  C'est  ce 
qui  met  Dieu  en  colère ,  et  qui  montre  que  vous  n'avez 
point  sa  crainte  quand  vous  retombez  si  souvent  :  Non  est 
Mis  commutation  et  non   timuemnt  Deum  :  e.vten* 
dit  manum  euam  in  retribuendo.  (Ps.  54.  21 .)  Perse- 
\  rnr  et  s'endurcir  dans  le  péché ,  les  mois,  les  années,  les 
.(eux  années  entières,  c'est  un  grand  mépris  de  Dieu;  c'est 
M  qu'il  reprend  si  souvent  par  les  prophètes  ,  que  Ton  se 
colle  ,  qu'on  s'attache  ,  qu'on  s'opiniàtre  ,  qu'on  s'obstine 
et  que  l'on  s'endurcisse  dans  le  péché;  il  se  plaint  que  vous 
endurcissez  votre  cœur ■:  Audiie  me,  duro  corde ,  ultio- 
nem  accipiotn ,  et  non  mihi  resistet  homo:  (Isa.  46  et  47.) 
Ecoutez-moi  ,  cœurs  endurcis,  je  prendrai  vengeance  de 
votre  obstination  sans  que  personne  me  résiste;  il  se  plaint 
que  vous  endurcissez  votre  face  :  Induraveruni >,  [actes suas; 
Je  rem.  5.3.)  votre  cou  :  Induraverunt  cervicem  sua  m. 
Jerem.  T.  26.)  N'est-il  pas  vrai  ?  ne  le  voit-on  pas  par 
expérience  ?  vous  vous  obstinez  comme  un  Pharaon  ;  vous 
avez  une  poitrine  de  fer  ,  un  cœur  d'acier  et  de  diamant  qui 
ne  peut  être  amolli  ni  par  inspirations,  ni  par  prédications, 
ni  par  les  répréhensions,  ni  par  les  paroles ,  ni  par  les  bons 
exemples,  ni  par  promesses,  ni  par  menaces,  ni  par  bienfaits. 
^  ooa  avez  un  front  de  courtisane,  vous  n'avez  olus  honte 
de  vos  actions  infâmes ,  vous  vous  en  veniez  en  compagnie 
vous  vous  glorifia  des  péchés  même  que  vous  n'avez  pas 


276      SERMON  CCLXX&X. DES  CIRCONSTANCES,  etc. 

faits ,  vous  avec  honte  de  n'être  pas  impudent ,  vous  avez 
endurci  votre  cou  et  vos  épaules  au  coup  que  la  justice  de 
Dieu  donne ,  vous  êtes  insensible  aux  châtiments  qu'elle 
vous  envoie  :  Percussisti  eos ,  et  non  dolueruntf  atiri- 
visti  eos  ,et  renuerunt  accipere  disciplinant.  Dieu  vous 
a  envoyé  la  guerre ,  la  peste  ,  la  famine  ,  des  maladies,  des 
procès,  des  renversements  de  fortune,  et  vous  ne  démordez 
pas  d'un  seul  point  de  vos  dissolutions. 

Et  bien  !  puisque  nous  sommes  si  endurcis  ,  au  moins  ,' 
au  moins  prions  Jésus  de  faire  en  notre  cœur,  par  les  prières 
de  sainte  Madeleine ,  le  même  miracle  qu'il  fit  à  la  sainte 
Baume  de  Marseille,  en  faveur  de  la  même  Sainte:  il  amollit 
le  roc  de  la  grotte  ,  il  y  fit  une  ouverture  capable  de  recevoir 
le  corps  de  cette  sainte  pénitente.  Prions  Jésus  d'amollir 
notre  cœur  par  une  secrète  touche  de  sa  grâce  toute -puis*- 
saute  ,  qu'il  en  fasse  une  demeure  convenable  ,  où  il  puisse 
loger  agréablement  en  ce  monde  parsagrace  ?  et  en  l'autre 
par  sa  gloire*  Amen* 


SERMON  CCXC. 

K  PAS  DIFFEREE  LA    PÉNITENCE  AU  TEMPS  A  VENIR. 


alabastrummg 
lu'clleconuut,  otlo  apport,  une  boite  do  parfum.  a„c.  7.  87.) 

J  l  présent  nous  avons  considéré  Blanc- Madeleine 

comme  pécheresse  ;  nous  avons  vu  les  causes  ,  les  eir  o - 

Unces,  les  effets  de  son  péché  :  il  est  temps  désormais  de 
LîT°.Dorer  «**  imiter  comme  pénitente.  La  première  ré! 
Jc?.on  que  1  b.storien  nous  feït  faire  suc  sa  conversion  ,  c'est 

.  '  ''  •    Prompte  et  diligente,  elle  n'usa  point  de  remise 
«Wl  qu  elle  eut  la  connaissance  ,  elle  s'adressa  au  Fils  de 
^«•Cestce  que  nefont  pas  la  plupart  des  chrétiens   q„ 
£me«e»<  h»  conversion  au  temps  à  venir,  ou  même  à 

«trêmevetllesse.  Cet  abus  est  si  pernicieux  au  sahÏÏes 

&£££  ^  °b,igé,de  ^  —  P«*b  pï 

arrach, ,  de  vos  eœurs  ,  avec  la  grâce  de  Dieu.  Ce  sera  le 
sujet  de  cette  prédication. 

1DEA  SEltMOMS. 

Vimum  punclum.  B.C^«-«0  «fi*.  M,  lWfo;  __ 
B.  ,  Scrtptura.—C.  2'  Patribu».  —  D.  3"  6W,- 
paralione.—E.A'J{atùme. 

onclusio.  O.  P«r  argumenta  conghbata. 


ic 


278  SERMON  CCXC. DE  NE  PAS   DIFFERER  j 

EXORDIUM. 

A.  —  {Vit  a  brevis  ,  etc.)  Ce  que  le  docte  Kippoerate 
disait  au  commencement  de  ses  Aphorismcs,  parlant  de  la 
médecine  corporelle  ,  nous  pouvons  rappliquer  à  la  vertu  de 
pénitence  qui  est  la  médecine  spirituelle  :  Vita  brevis , 
ars  longa;  occasio  prœceps ,  experimentum  periculo- 
sum.  Noire  vie  est  fort  courte  ;  le  psalmiste  dit  qu'elle  n'est 
que  de  septante  ou  de  quatre-vingts  et  tant  d'années  ;  l'en- 
fance et  la  puérilité  nous  en  retranchent  une  bonne  partie, 
une  autre  partie  nous  est  rendue  inutile  par  l'extrême  vieil- 
lesse ;  le  sommeil ,  les  autres  nécessités  du  corps  nous  en 
retranchent  au  moins  le  tiers  ,  tout  cela  étant  rabattu  et  ce 
qui  reste  étant  bien  calculé,  se  trouvera  extrêmement  court, 
vita  brevis,  Ars  longa,  c'est  un  métier  de  longue  haleine, 
une  haute  et  difficile  entreprise  de  faire  pénitence,  apaiser 
un  Dieu  courroucé,  de  satisfaire  à  une  justice  infinie  pour 
tant  et  tant  de  péchés  que  nous  avons  commis ,  si  énormes, 
si  divers,  en  si  grand  nombre,  ars  long  a.  Occasio  pree- 
ceps ,  l'occasion  vole  avec  précipitation ,  elle  a  des  ailes  aux 
talons,  elle  s7écoule  insensiblement,  elle  est  chauve  par 
derrière  ,  étant  échappée  elle  ne  peut  se  reprendre;  quand 
la  commodité  de  faire  pénitence  est  passée,  on  ne  la  retrouve 
pas  :  Accipe  se  quoties  offert  occasio,  calva  est  a  tergo 
et  volucri  labitur  illapede.  Experimentum  periculo— 
sum  ,  l'expérience  est  dangereuse  et  de  très  grande  impor- 
tance, propter  humant  corporis  dignitatem,  dit  Tinter— 
prête  d'Hippocrate  ;  et  moi  je  dirai  à  mon  propos,  propter 
animas  ralionalis  dignitatem.  C'est  une  expérience  bien 
périlleuse  d'éprouver  si  l'on  a  fait  une  vraie  pénitence,  il 
n'y  va  pas  moins  que  de  notre  àme  et  de  notre  salut  éter- 
nel ;  si  on  expérimente  à  l'heure  de  la  mort  et  au  jugement 
de  Dieu  que  notre  pénitence  a  été  fausse,  c'est  une  faute 
irréparable  :  on  ne  la  commet  qu'une  fois,  mais  c'est  pour 
une  éternité. 

D'où  vient  donc  que  nous  perdons  si  follement  les  belles 
occasion!)  que  Dieu  nous  présente  de  travailler  aune  œuvre 


LA  PKMTfil^CB  AU  TEMPS  A  VttMII.  279 

!  grande  conséquence,  remettant  notre  conversion  à 
l'extrême  vieillesse  ou  au  temps  à  venir  qui  peut-être  ne  sera 
jamais  pour  nous?  Je  désire  Lattre  en  ruine  un  abus  si  per- 
nicieux, par  trois  puissantes  raisons,  en  vous  faisant  voir 
que  eetle  conversion  que  vous  prétendez  faire  ci-après,  pre- 
mièrement ,  est  incertaine 5  en  second  lieu,  plus  difficile j 
en  troisième  lieu  ,  moins  fructueuse. 

PttlMÙM  ri.NCTUM.  —  Convevsio,  de. 

13.  —  (V  Script ura.)  On  peut  remarquer  en  la  somme 
de  S.  Thomas,  qu'il  réduit  toutes  les  conclusions  de  sa  théo- 
logie ou  médiatement ou  immédiatement  à  un  seul  principe, 
savoir  :  que  Dieu  est,  ens  a  se,  qifil  à  L'être  de  lui-même. 
Ainsi  on  ne  doit  pas  trouver  étrange  si  une  grande  partie 
tu  s  \  érilés  morales  que  je  prêche  sont  tirées  de  ce  principe 
que  Dieu  est  maître  de  ses  biens  ,  qu'il  est  indépendant  en 
dons,  qu'il  U  i  l'ail  à  qui  bon  lui  semble  ;  vous  dites  que 
vous  convertirez  d'ici  à  quelque  temps,  que  rien  ne 
se,  que  vous  avez  beau  loisir;  sachez  (pie  vous  ne  le 
fer. 7.  jamais  sans  une  faveur  particulière  de  Dieu  ;  sachez 
qu'il  ne  la  doit  à  personne  ,  il  ne  Ta  promise  à  aucun  pé- 
cheur, il  la  refuse  à  plusieurs,  et  quand  vous  différez  à  quitter 
Votre  mauvaise  i  ic,  ajoutant  péché  sur  péché,  vous  lui  donnez 
sujet  de  vous  la  refuser.  Considérez  les  œuvres  de  Dieu  et 
vovez  que  celui  qu'il  a  une  fois  méprisé  ,  personne  ne  peut 
le  corriger,  dit  le  Saint-Esprit  par  la  bouche  du  Sage  ;  de 
celle  catégorie  étaient  ceux  de  Damas,  de  Tyr,  de  Moab 
et  autres  dont  le  Créateur  disait  en  Amos  :  (1 .  et  2.)  Non 
cou  vert  a  m*  je  ne  les  convertirai  pas.  De  ce  nombre  étaient 
lifs  auxquels  le  Fils  de  Dieu  disait  :  (  Joan.  8.  21 .  ) 
Je  m'en  vais,  et  vous  me  chercherez,  et  vous  mourrez  en  vo- 
tre péché.  Et  ceux  dont  le  saint  Evangéliste  disait  (Joan. 
|inU  ne  pouvaient  croire,  parce  que  Dieu  les  avait 
aveuglés  et  endurcis  pour  n'être  pas  convertis,  selon  la  nio- 
qu'il  en  avait  bute  par  haie.  (Isa.  (J.  10.) 
C.  — (2°  Palribuê.) Cain  aussi  était  en  cet  état,  comme 
ne  nous  l'enscign    |         •  paroles  remarquables 


280  SERMON  CCXC.—DE  Ni*  PAS  DIFFERER 

mais  effroyables  :  «  Gain  divina  voce  admoneri  potuit ,  et 
«  mutari  non  potuit,   quoniam  exigente  culpa  malitia? 
«  jam  mtus  Deus  cor  reliquerat,  cui  foris  ad  tcstimonium 
«  verba  faciebat.  »  (S.  Greg.  lib.  41.  Moral,  cap.  5.) 
S.  Prosper,  S.  Fulgence,  S.  Isidore  enseignent  le  même, 
et  le  docteur  de  la  grâce ,  S.  Augustin ,  le  répète  très  sou- 
vent dans  les  livres  qu'il  a  faits  sur  la  grâce  et  en  ses  épitres, 
(lib.  de  natura  et  gratia,  cap.  2.  et  8.  et  9.  Epist.  ad  Vi- 
lalem,  et  lib.  4.  in  Jul.  Cap.  6.)  et  ailleurs  ,  voici  ce  qu'il 
dit  contre  Julien  :  «  Qui  jamutuntur  libero  voluntatis  ar- 
«  bitno,  msi  eo  volente  ac  subveniente,  a  quo  prœparatur 
«  voluntas,  velle  non  possunt,  ubi  si  dixeris  mihi ,  cur  ergo 
«  non  convertit  omnium  nolentium  voluntates  ?  respondebo 
«  cur  non  omnes  morituros  adoptât  lavacro  regeneralionis 
((   infantes  ?  »  Ceux  qui  ont  l'usage  de  leur  franc  arbitre  ne 
peuvent  vouloir  le  bien ,  si  Dieu  qui  prépare  la  volonté  ne 
le  veut  et  ne  les  assiste  ;  et  si  vous  me  dites  pourquoi  est-ce 
donc  que  Dieu  ne  convertit  pas  tous  ceux  qui  ont  l'usage  de 
raison?  Je  vous  répondrai  pourquoi  est-ce  qu'il  ne  fait  pas 
recevoir  au  baptême  tant  de  petits  enfants  qui  meurent  sans 
ce  sacrement?  (Vide  Vasq.  Tom.  \ .  in  1 .  part.  disn.  97, 
c.  5.  et  6. 

C'est  donc  une  étrange  folie,  c'est  bâtir  sur  le  sable  mou- 
vant, c  est  jeter  en  l'air  les  fondements  d'un  édifice  impor- 
tant, cest  établir  un  dessein  de  très  grande  conséquence 
sur  un  événement  incertain  que  de  remettre  votre  conver- 
sion à  l'extrême  vieillesse  ou  au  temps  à  venir.  Vous  laissez 
couler  le  temps,  les  occasions,  les  inspirations  que  Dieu 
vous  donne  pour  faire  pénitence  ;  qui  vous  a  dit  qu'il  vous 
les  donnera  plus  tard  ? 

D.  —  (3°  Comparatione.)  Supposons  qu'il  vous  faille 
nécessairement  sortir  de  ce  pays  et  passer  la  mer  pour  échap- 
per à  un  danger  évident  de  mort  dont  vous  êtes  menacé  ,  et 
qu  a  cet  effet ,  vous  n'ayez  que  quarante  à  cinquante  jours 
de  loisir ,  au  bout  desquels  si  vous  êtes  au  pays ,  vous  êtes 
perdu,  on  vous  fera  mourir  infailliblement;  quand  on  vous 
dirait  au  quatrième ,  sixième ,  dixième,  vingtième  jour  que 


i  v  l'i  U  TEMPS  A   1  imiî.  281 

!  !  vent  est  favorable,  la  mer  calme  ,  le  temps  serein  et  fort 
commode  à  faire  voile,  si  vous  vous  amusiez  à  ivrognerdans 
«me  taverne  ,  ou  à  jouer  dans  un  brelan  ,  el  si  vous  attendiez 
les  derniers  huit  jours  auxquels  il  sérail  incertain  si  le  temps 
serait  propice  à  démarrer,  ne  dirait-on  pas  (pue  vous  êtes  peu 
avisé,  peu  soigneux  de  vous  et  île  voire  vie,  mais  plutôt 
hors  de  votre  bon  sens?  (Test  ce  que  vous  faites,  c'est  ce  que 
vous  faites  ,  et  ou  sous  estime  si  sage,  et  vous  voulez  être 
é  si  prudent,  étant  si  insensé  que  vous  Fêtes  !  Vous 
savez  qu'il  vous  faut  nécessairement  sortir  de  la  mauvaise 
vie  où  vous  êtes ,  qu1il  faut  passer  par  la  mer  amère  de  la  pé- 
nitence; «pie  sans  cela,  c'est  fait  de  vous,  votre  salut  est 
;  que  vous  n'avez  à  cet  effet  que  le  temps  de  cette 
vingt  ,  trente  ,  quarante  ans,  que  vous  ne  pouvez  rien 
une  faveur  spéciale  de  Dieu  ,  sans  le  vent  favorable  du 
t-Espril ,  >aus  son  mouvement  et  son  aide  surnaturel, 
(pie  cela  ne  se  donne  pas  à  toute  heure  et  à  tout  moment  ; 
un,  deux,  trois  quatre  ans  qu'on  vous  présente  les 
s  «le  faire  cela ,  que  vous  pouvez  vous  embarquer 
heureusement  sur  la  mer  assurée  de  la  pénitence,  et  vous 
vous  amusez  à  je  ne  sais  quoi,  et  vous  attendez  jusqu'au  der- 
nier temps,  quand  peut-être  le  vent  ne  sera  pas  favorable, 
quand  Dieu  ne  voudra  plus  vous  donner  ces  secours  parti- 
culiers, parce  que  vous  les  aurez  démérités  par  l'énormité 
et  le  grand  nombre  de  vos  offenses;  où  est  votre  jugement, 
ou  est  votrr  raison,  ouest  votre  senseommun?  Vous  disposez 
de  vous ,  comme  si  vous  ne  releviez  que  de  vous  ;  vous  faites 
le  votre  vie,  comme  si  vous  en  étiez  le  maître  ; 
z  de  votre  conversion,  comme  si  elle  ne  dépendait 
que  d  s  :  Je  veux  maintenant  prendre  mon 

intenter  ma  passion ,  me  venger  de  cet  ennemi, 
acquérir  cet  héritage;  puis  je  me  convertirai  et  je  m'adon- 
nerai ienl  aux  affaires  de  mon  salut.  Pauvre  homme! 
vous  imaginez  que  Dieu  prendra  vos  mesures  ,  qu'il 
ommodei  projets,  qu'il  réglera  ses  pensées, 
.^  ci  -a  conduite  au  niveau  île  vos  téméraires  peu- 
US  \ous  iiompez. 


282     SEKMON  CCXC. DE   NE  PAS  DIFFEUER 

Vous  avez,  dites-vous,  le  loisir  de  vous  convertir,  et  si 
Dieu  vous  retire  de  ce  monde  inopinément  ?  vous  vous  con- 
vertirez dans  la  vieillesse ,  et  si  vous  mourez  à  la  fleur  de 
voire  âge  ?  vous  ferez  pénitence  les  années  suivantes ,  et 
si  vous  mourez  cette  année,  comment  la  ferez-vous  ?  An- 
tiques artis  insidias  inimicus  repetit.  L'esprit  malin  fait 
aux  hommes  imprudents,  comme  l'apothicaire  à  son  ma- 
lade: quand  il  voit  que  son  patient  ne  peut  avaler  une  pilule 
tout  entière,  parce  qu'elle  est  trop  grosse,  il  la  coupe  en 
plusieurs  parties,  et  les  lui  fait  avaler  en  détail  l'une  après 
l'autre.  Satan  pour  séduire  nos  premiers  parents  et  les  faire 
tombe)'  au  péché  hardiment,  leur  dit  :  Nequaquam  mo- 
riemini  :  Vous  ne  mourrez  pas  ;  à  présent  qu'il  voit  que 
c'est  une  chose  impossible  de  vous  persuader  que  vous  ne 
mourrez  pas,  parce  que  vous  voyez  le  contraire  tous  les  jours 
devant  vos  yeux ,  que  fait-il  ?  il  change  de  batterie  ,  sans 
changer  de  malice  ,  il  divise  la  pilule  pour  vous  la  faire  ava- 
ler, il  vous  dit  :  Nequaquam  moriemini  ta  m  cito  y  il  vous 
fait  croire  que  vous  ne  mourrez  pas  cette  année  ,  que  vous 
avez  encore  au  moins  un  an  de  vie;  après  cela  il  vous  per- 
suadera que  ce  ne  sera  pas  l'année  suivante,  ni  celle  d'après; 
ainsi  petit  à  petit  il  vous  persuade  en  détail  ce  que  vous  no 
vouliez  pas  croire  en  général,  que  vous  ne  mourrez  point, 
jusqu'à  ce  que,  comme  à  nos  premiers  parents,  l'expérience 
nous  fasse  voir  le  contraire,  lorsque  tout  d'un  coup,  vous 
serez  surpris  quand  vous  y  penserez  le  moins, 

E.  — ■  (4°  Ratione.)  Pallidamors  cequo  puisât  pede 
pauperum  tahevnas  reg unique  turres.  Cette  antithèse 
est  fort  naïve,  la  mort  ne  fait  pas  comme  nous;  elle  est 
sourde,  aveugle,  incivile,  elle  ne  fait  acception  de  personne. 
Quand  nous  allons  à  la  maison  d'un  grand  pour  lui  parler 
de  quelque  affaire,  nous  frappons  à  la  porte  du  bout  des 
doigts  si  doucement  qu'il  semble  que  nous  craignons  qu'il 
ne  nous  entende;  nous  demandons  si  monsieur  est  levé,  s'il 
est  à  table,  s'il  n'est  point  empêché  ,  nous  ne  vouions  point 
l'incommoder ,  nous  reviendrons  bien  une  autrefois;  quand 
nous  allons  à  la  maison  d'un  pauvre;  nous  frappons  rude- 


FA  PENITENCE  AU  TKMPS  A  VKNIR.  428)J 

ment  du  pied  ,  et  en  frappant  nous  entrons,  à  quelle  heure 

que  oe  soit  <  sans  nous  informer  si  c'est  sur  son  repas ,  si 

l'incommoderons.  La  mort  ne  fait  pas  ainsi  :  vF.quo 
puisât  pede  pauperum  iabernas  regumque  turres ,  elle 
frappe  brusquement  du  pied,  elle  entre  à  l'improvislcdans 
la  maison  dos  présidents,  des  princes,  des  empereurs;  il 
il  n'y  a  pas  de  suisse ,  d'archer,  ni  de  corps-de-garde  qui 

ni  l'empêcher  de  se  glisser  jusqu'au  cabinet  du  roi,  et 
(  lie  ne  demande  point  s1il  est  jour  en  la  cour  ,  elle  ne  s'in- 
forme point  si  Ton  est  empêché ,  et  elle  ne  dit  point  qu'elle 
reviendra  une  autre  fois. 

Omnia  surit  hominum  tenui  pendentia  filo.  On  ad- 
mire la  témérité  de  ceux  qui  dansent  sur  la  corde;  la  vôtre 
est  bien  plus  étrange  :  vous  dansez  ,  vous  jouez  ,  vous  han- 
quelcz,  vous  folâtrez,  non  sur  la  corde  mais  sur  un  filet. 
!Si  un  homme  était  eu  Pair  bien  haut,  ne  tenant  qu'à  une 
le ,  et  a\  ant  un  abîme  profond  sous  ses  pieds,  en  quelle 
frayeur  et  détresse  serait-il  ?  et  quand  on  lui  dirait  :  Vou- 
lez-vous qu'on  bouche  cet  abime  avec  un  lit  de  plume,  afin 
que  si  vous  tombez,  vous  tombiez  mollement?  s'il  disait  : 
Demain,  d'ici  à  huit  jouis,  quelle  folie  serait-ce  !  Tous  vos 

lus  ne  tiennent  qu'au  filet  de  votre  vie ,  qui  est  plus 
mince  et  plus  déliée  mille  fois  qu'une  ficelle;  car  on  pourrait 
jeter  quinze  verres  d'eau  sur  une  ficelle  sans  qu'elle  rompit, 
et  il  ne  faut  qu'un  verre  d'eau  froide  ,  ou  une  petite  humeur 
qui  tombe  du  cerveau  pour  rompre  le  fil  de  votre  vie,  et  pour 

faire  tomber  dans  l'abîme  de  damnation  qui  est  sous 

vuti^.  el  cela  sans  ressource,  et  pour  jamais.  On  vous  dit: 

ertissez-f ous ,  faites  pénitence,  pratiquez  la  vertu;  si 

ainsi ,  quand  le  fil  de  votre  vie  se  rompra  et 

I  tomberez  par  la  mort,  Dieu  vous  présentera  la 

SI  grâce  comme  un  oreiller  de  plume,  afin  que  vous 

i  :  Cum  cecideril  non  coHidclui\  quia 

m  suamj  et  vous  dites  :  L'année 
qui  rienl  onverlirai,  je  sortirai  du  péril  évident  où 

j"  t-il  tél.  drild  cl  folie  semblable  à  celle-là? 


fc#4  SERMON  CCXC. DE  NE  PAS  DIFFERER  -* 

SECUNDUM  PUNCTUM.  Erit  dificiliov,  de. 

Mais  quand  vous  ne  seriez  pas  surpris  d'une  mort  sou- 
daine, quand  votre  vie  serait  de  cent  ans,  c'est  une  folie  de 
croire  que  vous  vous  convertirez  plus  aisément  en  l'arrière- 
saison  de  votre  âge ,  ou  au  temps  à  venir  qu'à  présent.  La 
parole  de  Dieu  vous  le  dit  expressément  :  Adolescensjuxla 
viam  suam,  etiam  cum  sentier it ,  non  recedet  ab  ea: 
Il  arrive  rarement  qu'un  homme  se  retire  en  sa  vieillesse  du 
chemin  qu'il  a  suivi  quand  il  était  jeûne;  et  par  Jérémie  : 
Si  un  nègre  d'Ethiopie  peut  quitter  sa  noirceur  naturelle , 
et  un  léopard  ses  tavelures,  vous  pourrez  devenir  vertueux 
quand  vous  vous  êtes  accoutumés  au  vice. 

F— (1°  Scriptura.)  Le  Saint-Esprit  parlant  des  mala- 
dies de  l'âme,  dit  en  deux  petits  mots  ce  qu'Hippocrate  dit 
en  deux  aphorismes  des  maladies  du  corps.  Hippocrate  dit, 
premièrement,  en  l'aphorisme  vingt-huit  de  la  section  troi- 
sième :  Quicumque  morbi parvulis  perdurarint,  neque 
circa  pubertatem  desieriîit,  Us  consenescere  consueve- 
runt:  Les  maladies  qui  arrivent  aux  enfants  en  la  première 
année  de  leur  vie,  et  qui  s'en  vont  à  l'âge  de  puberté,  à  qua- 
torze, quinze  ans  ou  environ,  durent  ordinairement  jusqu'à 
la  vieillesse.  Puis  en  l'aphorisme  trente-neuf  de  la  section 
seconde,  il  dit  :  Quicumque  morbi  senibus  occidunt  diu- 
turni,  magna  ex  parte  Us  commoriuntur  :  Les  maladies 
un  peu  longues  qui  arrivent  aux  vieillards  les  conduisent 
et  les  accompagnent  ordinairement  jusqu'au  tombeau  :  la 
raison  que  les  interprètes  en  apportent,  c'est  que  la  chaleur 
naturelle  a  coutume  de  combattre  et  de  dissiper  les  mau- 
vaises humeurs   qui  causent  les  maladies,  et  elle  est  fort 
affaiblie  et  languissante  chez  les   vieillards.  Joignez  en- 
semble ces  deux  aphorismes ,  etspiritualisez-les,  vous  ferez 
une  très  bonne  démonstration  qui  est  fort  à  mon  propos  :  si 
les  maladies  qui  ne  nous  quittent  pas  en  notre  adolescence 
nous  conduisent  jusqu'à  la  vieillesse,  si  les  maladies  des  vieil- 
lards les  acheminent  jusqu'à  la  mort,  iis'ensuit  infailliblement 
que  les  maladies  qui  no  nous  quittent  pas  en  la  jeunesse,  per- 


LA  PENITENCE  A.U  TEMPS  A  VENIR.      '2$?* 

ent  jusqu'au  tombeau  ;  cela  est  plus  vrai  des  maladies 
spiriUi  le  Saint-Esprit  le  dit  presque  en  mêmes  ter- 

[u'Hippocrate  :  Ossa  ejus  replebuniur  vit  Us  adoles- 
centiœ  suœ  ;    J<>1>.  20.  1  1 .)  voilà  le  premier  aphorisme; 
in  pulvere  dormient /  voilà  le  second.  Les 
maladies  de  Pâme,  les  mauvaises  inclinations,  les  habitudes 
vicieuses  qu'on  ne  quitte  pas  de  bonne  heure,  quand  on 
commence  à  avoir  l'âge  de  discrétion  et  le  jugement  bien 
entier,  à  Page  de  quinze,  vingt,  vingt-cinq  ans,  on  les  retient 
l'a  la  vieillesse,  et  la  vieillesse  étant  faible,  débile,  im- 
puissante ,  paresseuse ,  qui  ne  se  peut  violenter,  qui  ne  peut 
faire  des  mortifications,  qui  ne  pense  qu'à  entretenir  le  peu 
de  vie  qui  lui  reste  ,  rarement  se  défait  des  mauvaises  habi— 
:  j'en  prends  à  témoin  tous  les  vieillards  qui  m'écou- 
teni  et  qui  savent  bien  que  je  dis  vrai,  et  qui  expérimentent 
i  leur  grand  regret  la  vérité  de  ce  que  je  dis,  s'il  n'est  pas 
vrai  qu'ils  ont  les  mêmes  habitudes  qu'ils  avaient  en  la  jeu- 
.  qu'ils  sont  aussi  enclins  au  jurement,  à  la  médisance, 
►1ère,  à  l'avance,  qu'ils  Pétaient  a  Page  de  trente  ans, 
tonnent  quelquefois  d'eux-mêmes  :  la  nature  abhorre 
'impureté  en  leur  âge,  et  toutefois  i's  s'y  sentent  quelque- 
ris  si  cruellement,  qu'ils  ne  peuvent  s'en  affran- 
ils  gémissent  sous  celte  tyrannie,  dans  les  frimais  et 
hiver  de  leur  âge  ;  Us  sont  pressés  des  ardeurs  de  la  cani- 
cule terrestre,  ou  pour  mieux  dire  infernale  ;  il  est  vrai  que 
a  première  nature  abhorre  la  lubricité  en  leur  Age;  mais  la 
le  nature,  qui  est  la  coutume,  est  entrée  dans  les  droits 
première  ;  et  si  le  premier  aphorisme  du  Saint-Esprit 
se  vériGe  en  eux,  (pie  les  maladies  de  leur  jeunesse  les  ont 
induits  jusqu'à  la  vieillesse,  aesa  connu  rcpîcta  sunt 
,    qui  doute  que  si  Dieu  ne  fait  \\n 
s'ils  ne  >e  foui  un  très  grand  effort,  le  second 
iphorisme  se  trouvera  aussi  véritable,  que  ces  vices  leur 
lemeureront jusqu'à  l'heure  de  la  mort?  Et  cum  iis  in 
wloere  dormient, 
(,. —  f2  Patribus.)  Saint  Augustin  a  judicieusement 
|      Mie  le  Fils  de  Dieu,  (Marc  5.  -VI .)  pour  ressus- 


C6Ô  feliKMOW  CCXC. DU  N.E  PAS  DIFFÉRER 

cile^lc  Lazare,  se  comporta  bien  autrement  que  pour  ressn* 
citer  la  fille  du  prince  de  la  synagogue.  Pour  ressusciter 
cette  jeune  fille,  il  ne  fit  que  la  prendre  doucement  par  la 
main  ,  et  lui  dire  :  Ma  fille ,  levez-vous ,  comme  s'il  Tcût 
réveillée  d'un  doux  sommeil  ;  pour  ressusciter  le  Lazare, 
il  frémit  deux  fois  en  son  esprit,  il  se  troubla,  il  pleura,  il 
cria  à  haute  voix  :  Lazare  ,  veni  foras  ;  ce  n'est  pas  qu'il 
eût  plus  de  peine  de  ressusciter  l'un  que  l'autre  ,  puisqu'il 
ressuscitera  tous  les  hommes  à  la  fin  des  siècles,  en  un  mo- 
ment ,  en  un  clin-d'œil ,  comme  dit  l'apôtre  ;  mais  ce  fut 
pour  montrer  qu'il  y  a  des  pécheurs  qui  se  convertissent 
bien  plus  difficilement  que  d'autres.  Celui  qui  étant  tombé 
par  fragilité  humaine  a  recours  promptement  au  Fils  de 
Dieu,  et  lui  dit,  comme  Jaïrus  :  Mon  âme  vient  de  mourir  ; 
il  est  aisément  ressuscité  ;  mais  celui  qui  est  à  demi  pourri 
tomme  le  Lazare,  enseveli  et  garrotté  de  ses  mauvaises 
îiabiludes ,  couvert  de  la  pierre  de  son  endurcissement ,  ne 
retourne  pas  à  la  vie  de  la  grâce  si  aisément  ;  il  faut  des 
frayeurs,  des  cris,  des  pleurs,  des  gémissements,  de  grands 
cilorls  et  de  grandes  violences  sur  soi-même. 

II.  —  (3°  Rationibus.)  Comme  la  coutume  ôte  ou  di- 
minue beaucoup  le  sentiment  d'un  mal  :  Sensumquemali 
duniaxat  usas ,  on  ne  se  pique  pas  de  zèle  pour  se  décla- 
rer la  guerre,  et  se  surmonter  soi-même. 

Le  sacrement  de  pénitence  n'est  pas  plus  efficace  que  le 
baptême  ;  le  baptême  eiïace  le  péché  quant  à  la  coulpe  cl 
quant  à  la  peine  ,  mais  il  n'ôte  pas  les  dispositions  et  encore 
moins  les  habitudes  que  vous  avez  contractées  par  votre 
mauvaise  vie  ;  et  si  le  baptême  ne  les  ôte  pas ,  peut-on  es- 
pérer que  la  pénitence  les  ôte,  puisque  le  baptême  est  une 
naissance  qui  donne  un  être  nouveau ,  et  la  pénitence  est 
une  convalescence  qui  laisse  les  dégoûts ,  les  faiblesses  cl 
autres  restes  de  la  maladie?  Dieu  attire  les  hommes  comme 
l'aimant  attire  le  fer;  chose  admirable  ,  mais  véritable  ,  et 
que  l'on  peut  aisément  vérifier  par  expérience.  Prenez  une 
pirouette,  dont  le  clou  qui  est  au  milieu  suit  de  fer,  faites 
la  tourner  sur  une  table;  pendant  qu'elle  tourne,  :q»pn/* 


r  A   PI  MTFNCIC  KV  TEMPS  A  VFMR.  287 

re  d'aimant ,  cette  pierre  attirera  la  pi-» 
Ke,  la  joindra  à  elle,  la  tiendra  comme  suspendus  en 
lV.il-,  mais  elle  tournera  sous  la  pierre  d'aimant  aussi  long- 
temps et  de  même  façon  qu'elle  cùl  tourne  sur  la  table  :  c'est 
MM  l'aimant  attirant  le  fer,  ne  lui  ote  pas  sa  nature,  ni 
même  le  branle  et  le  mouvement  qu'on  lui  a  donne4  ;  d'ail- 
leurs ,  si  vous  espères  (jue  le  bon  Dieu  ,  ce  très  aimable  et 
di\  in  aimant ,  attirera  quelque  jour  votre  cœur  de  ter,  quo 
\ous  vous  convertirez  et  ferez  religieux,  Dieu  le  veuille  ! 
l'aixuis  que  cela  soil  ;  pensez-vous  qu'en  changeant  d'habit, 
fOUfl  changerez  aussitôt  d'esprit,  dénature,  d'affection, 
d'inclination,  de  coutume?  vous  vous  (rompez  :  la  grâce 
a! lire  suavement  ;  elle  ne  fait  pas  pour  l'ordinaire  ces  nota- 
Ides  changements;  elle  vous  laissera  dans  la  pente  du  pé- 
ché,  dans  le  branle  et  le  mouvement  vicieux  où  elle  vous 
trouvera.  D'où  pensez-vous  que  vienne  l'inconstance  de  ses 
jeunes  gens  qui  entrent  en  religion  ,  et  puis  en  sortent  lâ- 
chement sans  faire  profession,  et  même  deviennent  apostats 
après  Bîoir  fait  des  vœux?  c'est  que  quand  ils  étaient  au 
monde,  ils  se  sont  abandonnés  à  diverses  dissolutions  et 
déhanches,  sous  prétexte  qu'ils  voulaient  cire  religieux  ,  et 
qu'ils  feraient  pénitence.  Au  commencement  de  leur  novi- 
ciat,  leurs  passions  et  mauvaises  habitudes  leur  ont  donne* 
un  peu  de  trêve  ,  à  cause  de  la  nouveauté  de  l'état  ;  quand 
celle  première  ferveur  s'est  ralentie,  leurs  vices  se  sont  ré- 
V!  iilés ,  cl  ont  recommencé  la  guerre. 

J.  — (4°  Comparatîonc.  )  Supposons  qu'il  y  ait  ici  \m 

;!.>!,;  qui  m'incommode,  et  que  je  frappe  dessus  à  grands 

coups  de  marteau  ;  si  vous  me  demandiez  :  Que  voulez- vous 

i    prétends  arracher  ce  clou;  vous  diriez  :  Le  père 

|MM  m  son  I ■■■'U  Si  lis  ;  ne  voit-il  pas  qu'à  chaque  coup 

qu'il  donne,  il  imlomv  ce  clou  déplus  en  plus  ,  et  qu'il ang- 

e  la  difficulté  qu'il  aura  de  l'arracher?  Vous  avez  en 

voire  âme  un  clou  qui  blesse  votre  conscience  ,  la  mauvaise 

habitude  que  vous  avez  de  jurer,  de  maudire,  de  faire  des 

saletés  ;  vous  dites  que  vous  l'arracherez  d'ici  à  un  an;  pau- 

\ie  liom  •  !  ne  voyez-vous  pas  que  toutes  les  lois  que  nous 


288      SERMON  CCXC. — DE  NE  PAS  DIFFERER 

jurez ,  toutes  les  fois  que  vous  commettez  le  péché ,  vous 
enracinez  de  plus  en  plus  l'habitude. 

tertium  punctum. — Erit  infructuosa ,  etc. 

L.  —  (1  °  Scriptura.)  Et  puis  supposons  que  vous  arra- 
chiez ce  clou ,  que  vous  corrigiez  quelque  jour  toutes  vos 
mauvaises  habitudes ,  est-ce  assez  pour  être  sauvé  de  ne 
point  faire  de  mal ,  de  n'être  atteint  d'aucun  vice  ?  ne  faut- 
il  pas  acquérir  les  habitudes  des  vertus?  Ne  savez-vous  pas 
que  la  gloire  du  ciel  nous  est  proposée  comme  une  coin 
ronne  ?  Et  qui  a  jamais  vu  qu'un  soldat  ait  été  couronné  pour 
n'avoir  fait  d'autre  exploit  dans  la  guerre  ,  sinon  qu'il  n'y 
est  pas  mort?  Que  deviendrait  cette  parole  de  S.  Paul  : 
Personne  ne  sera  couronné  s'il  n'a  légitimement  combattu  ? 
Ne  savez-vous  pas  que  la  béatitude  nous  est  promise  comme 
un  loyer  ?  Et  qui  a  jamais  ouï  qu'on  ait  donné  le  salaire  à 
un  ouvrier  ou  serviteur  qui  n'a  rendu  d'autre  service ,  sinon 
qu'il  n'a  rien  gâté  ?  Que  deviendrait  cette  parole  du  Sage  : 
(5.  16.)  Dieu  récompensera  les  travaux  de  ses  Saints  ?  Ne 
savez-vous  pas  que  pour  être  sauvé,  il  faut  achever  l'ouvrage 
et  atteindre  à  la  perfection  que  Dieu  demande  de  vous  ?  Il 
faut  que  vous  puissiez  dire  à  la  fin  de  votre  vie  comme  le  Fils 
de  Dieu  disait  à  la  veille  de  sa  mort  :  Opus  consummavi , 
quod  dedlsti  mihi  :  (Joan.  17;  4.  ) 'J'ai  accompli  l'œiiyre 
que  vous  m'aviez  donnée  ;  et  comme  son  Apôtre  :  Cursum 
consummavi  :  (2,  Timoth.  4.  7.)  J'ai  achevé  ma  course. 

M.  — (2°  Ratione  ,  etc.  )  Ne  voyez-vous  pas  que  les 
prières  que  vous  faites,  les  aumônes  que  vous  donnez  ,  les 
bonnes  œuvres  que  vous  pratiquez ,  vous  pourraient  pro- 
duire des  joies ,  des  délices ,  des  récompenses ,  des  félicités 
inestimables  dans  toute  l'étendue  des  siècles  ?  et  vous  en 
perdez  le  mérite  irrévocablement  et  sans  ressource  ,  en  dif- 
férant votre  conversion,  parce  que  vous  les  faites  en  mau- 
vais état. 

N.  —  (3°  Responsione ,  etc.)  Je  vois  bien  ce  qui  vous 
flatte  ,  et  sur  quoi  l'ennemi  vous  séduit  ;  S.  Paul ,  dites- 
vous,  était  un  grand  persécuteur  des  chrétiens ,  et  il  devînt 


IA    PENITENCE  Al    TEMPS  a  VKN1R. 

en  fort  peti  de  temps  un  vaisseau  d'élection  et  un  docteur 
des  gentils  ;  S.  Matthieu  était  un  gabeleur,  et  il  fut  fait  efl 
un  moment  un  grand  apôtre  et  un  évangéliste  ;  Ste  Made- 
leine ,  après  tant  de  débauches,  devint  en  moins  de  rien  la 
bien-aîmée  du  Fils  de  Dieu  et  une  séraphine.  Pauvre  homme! 
pauvre  homme  !  ne  voyez— vous  pas  que  c'est  un  artifice  dy 
diable  et  une  pure  tiomperie  ;  eVst  comme  si  vous  disiez? 
Au  commencement  du  monde  la  terre  produisit  des  arbres, 
1 1  les  arbres  furent  chargés  de  fruits  en  un  moment ,  donc 
tous  les  héritages  et  tous  les  arbres  du  monde  doivent  main- 
tenant faire  de  même.  Le  premier  homme  et  la  première 
femme  eurent  dès  le  commencement  la  taille  et  la  juste  gran- 
deur que  nous  avons  à  trente-trois  ans ,  donc  tous  les  hom- 
mes et  toutes  les  femmes  doivent  semblablement  croître 
dans  un  moment  ou  dans  un  jour.  Et  qui  ne  sait  pas  qu'en 
l'établissement  du  monde  Dieu  voulut  faire  des  ehefs-d'ceu- 
vre  dans  l'ordre  de  la  nature,  parce  qu'il  le  jugea  nécessaire; 
et  qu'en  l'établissement  de  l'Eglise,  il  voulut  faire  des  chefs- 
d'œuvre  cl  des  miracles  en  Tordre  de  grâce,  parce  qu'il  la 
jugea  expédient  ;  mais  qu'il  ne  le  fait  plus ,  ni  en  l'ordre  de 
nature  ,  ni  en  Tordre  de  grâce  ,  parce  qu'il  ne  le  juge  pas  à 

•s  ?  Qui  ne  voit  par  expérience  que  les  arbres  produi- 
sent petit  à  petit  ,  (pie  les  enfants  croissent  peu  à  peu  ,  que 
les  habitudes  s'acquièrent  par  divers  actes,  que  les  gens  de 
bien  s'acheminent  à  la  perfection  de  degré  en  degré  :  Ibunt 
de  virtute  in  rirtutem,  et  que  Dieu  a  voulu  que  le  voyage, 
le  mérite,  la  victoire  des  anges  s'accomplit  en  un  moment; 
mais  que  le  voyage ,  le  mérite  et  la  victoire  des  hommes  sg 
fit  av  -ion  de  temps  ?  comment  pourrez-vous  donc 

dire  en  ce  peu  de  temps  qui  vous  reste  dans  la  vieillesse, 

l'à  peine  les  autres  peuvent  faire  dans  l'espace  de  plu* 

CONCLLSIO. 

0.  — Ecoutez  donc  et  mettez  en  pratique  ce  conseil  que 
1  Jiine  :  «  Mémento  Crealoris  lui  in  diebus  ju- 
Utotis  lu* ,  antcquaui  veniat  tempos  aflliclionis ,  et  an- 


290     SERMON  CCXC. DE  NE  PAS  DIFFERER 

«  propinquent  anni  de  quibus  dicas  :  Non  mihi  placent  ;  quo< 
«  niam  ibit  homo  in  domum  aeternilatis  snse.  (Eccl.  12. 
«  1.5.)  Mémento  Creatoris  lui.  »  Celui  qui  vous  invite 
par  ma  bouche  à  vous  convertir,  c'est  Dieu  ,  qui  vous  a 
créé  ;  votre  vie  n'est-elle  pas  à  lui  ?  à  qui  appartient  un  ar- 
bre si  ce  n'est  à  celui  qui  Ta  planté  en  son  temps  ?  si  votre 
vie  est  à  lui ,  n'est-ce  pas  un  larcin  et  une  espèce  de  sacri- 
lège de  lui  en  dérober  une  partie?  Si  Salomon  eût  été  comme 
nous  en  la  loi  de  grâce  ,  il  eût  dit  :  Mémento  Redemp to- 
rts tut.  Le  Fils  de  Dieu  pour  vous  racheter  a  donné  sa 
propre  vie,  sa  vie  divine  et  précieuse  ;  il  a  employé  pour  vo- 
tre salut  toutes  les  années,  tous  les  mois,  les  jours,  les 
heures,  les  moments  de  sa  vie,  depuis  le  premier  instant 
jusqu'au  dernier  soupir,  et  vous  ne  voulez  lui  donner  que 
la  fin  et  le  plus  mauvais  de  votre  yie  I  ce  temps  que  vous 
perdez  si  follement ,  et  à  votre  avis  ,  si  impunément ,  vous 
a  été  acheté  par  le  Sauveur  pour  faire  pénitence  ,  vous  n'en 
avez  pas  un  seul  moment  qui  ne  lui  coûte  bien  cher,  qu'il 
n'ait  acquis  au  prix  de  son  sang;  vous  verrez  qu'un  jour  il 
vous  en  fera  rendre  compte ,  et  vous  direz  :  Vocavit  ad- 
versum  me  le  m  pus. 

In  diebus  juventutis  tuœ.  Quand  vous  aurez  le  loisir, 
la  force ,  la  vigueur  de  porter  les  austérités  de  la  pénitence, 
honora  Dominum  de  tua  suhstantia  et  de  primitiis  ; 
n'est-ce  pas  raisonnable  que  Dieu  ait  le  plus  beau,  le  meil- 
leur, le  plus  précieux  de  toute  chose,  la  fleur,  la  crème  , 
les  prémices  ,  les  premiers  fruits  de  votre  vie?  Anlequam 
ventât  tempus  afflictionis ;  donnez-vous  à  Dieu  et  faites 
pénitence  avant  le  temps  de  la  vieillesse  qui  d'elle-même 
n'est  que  trop  incommodée  et  affligée,  sans  la  surcharger  des 
travaux  et  mortifications  de  la  pénitence. 

afflictionis  (il  y  a  au  grec  xax/«f,  malitiœ)  suffîcit 
diei  malitia  sua,  dit  le  Fils  de  Dieu  ,  sufpcit  senectuti 
malitia  sua;  vous  serez  assez  empêché  en  la  vieillesse  de 
satisfaire  à  la  justice  de  Dieu  pour  les  péchés  de  la  vieillesse 
même  ;  comment  le  pourrez-vous  faire  pour  tant  d'excès  , 
tant  de  débauches  ,  tant  d'abominations  de  Tadolescence  - 
de  la  jeunesse,  et  de  l'âge  viril  ? 


LA  PÉNlTfiftCti    u     rfiMPS   V  U.NlIt.  291 

.-f/Jh'ctiotu's.  Si  \ow>  ne  recourez  au  Fils  de  Dieu,  si 
vous  Fie  l'aimez  et  ne  le  servez  que  dans  l'affliction  de  la 
vieillesse,  il  aura  sujet  de  vous  rebuter  et  devous  dire  comme 
Thémistocle  aux  Athéniens  :  Vous  ne  vous  adressez  à  moi 
qu'à  IV\li  emite,  vous  ne  me  faites  la  cour  que  lorsque  vous 
ne  VOUS  pouvez  passer  de  mon  assistance,  comme  les  voya- 
geurs ne  recourent  à  un  arbre  qu!au  temps  de  l'orage  pour 
se  mettre  à  couvert  de  la  pluie. 

ïiêquam  reniant  (lies  de  quibus  die  as  :  Non  mihi 
plaeent.  Pensez-vous  que  Dieu  veuille  agréer  ce  temp-5  de 
votre  vieillesse  qui  vous  sera  désagréable?  vous  ne  lui  voulez 
présenter  que  cet  âge  qui  vous  déplaira;  un  présent  si  indi- 
gne de  lui  ,  pourra-t-il  lui  plaire  ?  Non  mihi  placent  ; 
en  hébreu  il  y  a  Kepbets,  non  est  mihi  negotium  in  eis; 
vous  ne  réservez  à  Dieu  que  le  temps  auquel  vous  ne  pouvez 
rien  faire. 

Ibit   homo  in  domion  œternitatis  suœ.   S.    Chrysos- 

el  S.   Augustin  disent  fort  bien   :  Pour  mériter  une 

té  de  repos  et  de  joie,  il  faudrait  une  éternité  de 

travaux  el  de  peines;  Dieu  ne  vous  y  oblige  pas,  mais  par 

me  bonté  ineffable,  il  se  contente  du  temps  de  votre  vie  qui 

t  si  comte,  pourquoi  eu  retranchez-vous  une  partie? 

I  fernitatis  suœ,   ou  selon  l'hébreu  seculi  sut.    Le 

mps  de  celte  vie  ,  eVst  le  siècle  de  Dieu  ,  il  le  destine  à 

on  service;  je  temps  à  venir,  cVst  votre  siècle,  il  est  destiné 

votre  béatitude.  Toutes  les  choses  ont  leur  saison,   ne 

ei  sertissez  pas  Tordre  établi  de  Dieu  :  si  vous  employez 

ix  délices  de  votre  chair ,  aux  contentements  de  votre 

mour-propre  I,-  temps  qui  est  destiné  au  service  de  Dieu, 

•lui  qui  était  destin,:  à  votre  bonheur  sera  employé  à  votre 

m  pendant  cette  vie  vous  ménagez  bien  le 

qui  esl  destiné  au  service  de  Dieu,  quand  vous  serez 

iècle,  Dieu  vous  récompensera,  il  vous 

dirai  plus  elje  parlerai  après  lui,  il  vous  servira  : 

ransienê  ministrabii  Mis.  Amen. 


SERMON  CCXCI. 

DE  NE  PAS  DIFFÉRER  LA  PENITENCE  A  L'ilEURE  DE 
LA  MORT. 


Ut  corjnovit ,  attulit  alabastrum  unguenti. 

Aussitôt  qu'elle  connut ,  elle  apporta  une  boite  de  parfum.  (Luc.  7.  37. 

Si  c'est  une  chose  si  dangereuse  pour  le  salut  éternel , 
comme  nous  Pavons  vu,  de  différer  notre  conversion  jusqu'à 
l'extrême  vieillesse  ou  au  temps  à  venir,  à  plus  forle  raison 
est—il  dangereux  de  la  remettre  à  l'heure  de  la  mort  ou  à 
la  dernière  maladie  ;  et  toutefois  nous  voyons  que  la  plus 
grande  partie  des  pécheurs  sont  en  cette  erreur,  que  pourvu 
qu'ils  ne  soient  pas  surpris  de  mort  soudaine,  et  qu'ils  aient 
le  loisir  de  recevoir  les  sacrements  dont  l'Eglise  a  coutume 
d'aider  les  fidèles,  ils  sont  en  voie  de  salut.  Je  désire  arra- 
cher cette  erreur  de  vos  cœurs ,  moyennant  la  grâce  de 
Dieu,  et  vous  faire  voir  que  très  probablement,  si  la  der- 
nière maladie  vous  arrive  avant  que  de  vous  convertir  ,  le 
sacrement  de  pénitence  et  par  conséquent  les  ufeux  autres 
vous  seront  inutiles  et  infructueux.  Ce  sera  le  sujet  de  celte 
yédication,  priez  Dieu  qu'il  vous  rende  attentifs  et  dociles-;, 

IDEA  SERMONIS. 

Primum  punctum.  A.  In  articulo  mortis  contritio  j)ro- 

babiliter  non  est  supernaturalis .  —  B.   Nec  cor- 

dialis. 
Secundum  punctum.  C.   Tune  confessio  non  est  intégra 

oh   defectum  confident ice  —  D.   Tel  temporis.   — 

E.  Vel  memoriœ. 
Tertium  punctum.  F.  Tune  satisfactio  non  potest  fieri 

Deo.  —  G.  Nec  proximo. 
Conclusio.  H.  Paraphrasis  illorum  verborum  :  Dispona 
domui  tu». 


BBRMON  CCXCI. — nr.  RE  pas  DU  PBBBB,  etc.   293 

I  es  conciles  de  l'Eglise  ont  déclaré  que  le  sacrement  de 

pénitence  esl  compose  de  trois  parties,  si  souvent  répétées 
et  si  mal  pratiquées  :  la  contrition  du  coeur,  la  confession  de 
bouche,  et  la  satisfaction  d'oeuvre;  contrition,  qui  doit  cire 
surnaturelle  et  cordiale;  confession,  qui  doit  être  diligente 
et  entière  ;  satisfaction  ,  qui  doit  se  faire  à  Dieu  et  aux 
hommes.  Et  je  désire  vous  montrer  que  très  probablement 
toutes  ces  choses  ?OUS  manqueront,  si  vous  attendez  de 
quitter  votre  mauvaise  vie  jusqu'à  la  dernière  maladie. 

primi m  PUNCTOM,  —  In  articula  moriis,  etc. 

A.  —  (  Contriiio,  clc.  )  L'école  de  théologie  avoue 
sans  aucun  contredit,  après Tavoir  appris  du  Prophète  royal, 
que  toutes  les  œuvres  de  Dieu  sont  très  grandes  et  très  admi- 
rables :  Magna  opéra  Domini;  Mirabilia  opéra  tua; 
mais  afin  de  donner  à  chacune  le  prix,  L'estime  et  la  recon- 
nue qu'elle  mérite,  on  dispute  parmi  les  docteurs,  pour 
savoir  si  la  conversion  d'un  pécheur  est  la  plus  grande,  la 
pins  difficile  et  la  plus  admirable  de  toutes  les  œuvres  de 
Dieu  :  Utrumjustificaiio  impiisit  maximum  opusDei. 
S.  Thomas  propose  cette  question  en  ces  mêmes  termes, 
et  repond  affirmativement.  (1.  2.  q.  113.  art.  9.  ) 
Quelques  docteurs  apportent  pour  raison  de  celte  conclu- 
sien,  que  dans  l'œuvre  de  la  création,  de  la  conservation  et 
de  la  résurrection  des  morts  ,  il  n'y  a  rien  qui  résiste  à  la 
puissance  de  Dieu.  Le  néant  d'où  nous  sommes  tirés  par 
la  création  ,  la  poussière  d'où  nous  sommes  relevés  par  la 
résurrection  n'ayant  point  de  pouvoir ,  n'ont  point  d'oppo- 
sition ,  point  de  résistance  ;  mais  dans  la  justification  ,  la 
folonté  de  l'homme  qui  est  libre  et  maîtresse  de  ses  actions, 
l  l'opération  de  Dieu  par  le  malheureux  pouvoir  de 
ion  libéral  arbitre.  Je  ne  veux  pas  m'arrêter  à  cette  raison; 
i  qu'elle  esl   souvent  rebattue  dans  les  écoles  et  en 

Hk,m  lliomas  ne  l'allègue  pas  dans  cet  article,  ou 

ette  question  à  fond.  S.  Bernard  en  apporte  une 
Mm  qui  n'est  pas  si  commune,  et  qui  mérite  néan- 
moins, ce  me  semble  ,  d'être  autant  considérée  ,  et  encore 


294  SERMON  CCXCI. DE  NE  PAS  DIFFERER 

plus;  c'est  que  pour  convertir  un  pécheur,  il  ne  faut  pas 
seulement  que  Dieu  combatte  et  surmonte  Jâ  créature,  maïs 
aussi  qu'il  se  combatte  et  surmonte,  en  quelque  façon,  lui- 
même.  Vous  savez  que  même  parmi  les  hommes  ,  celui  qui 
a  le  pouvoir  de  se  vaincre  lui-même  ,  fait  plus  admirer  et 
loyer  sa  valeur  ,  que  s'il  faisait  brèche  à  des  remparts  les 
mieux  bastionnés ,  et  à  des  citadelles  assises  sur  le  roc  : 
Fortior  est  qui  sese,  quam  qui  fortissimo,  vincitmœnia. 
Quand  une  âme  chrétienne  est  en  état  de  péché  ,  la  miséri- 
corde de  Dieu  et  sa  justice  adorable  sont  comme  en  litige. 
^  En  cette  occasion,  si  le  pécheur  est  converti,  la  misé- 
ricorde gagne  son  procès  ,  elle  surmonte,  supplante,  sup- 
prime la  justice,  s'il  est  permis  d'ainsi  parler  :  Misericor- 
dia  superexaltat  judicium  ;  yixraxzvxxrzi. 

Ne  savons-nous  pas  que  la  justice  de  Dieu  et  ses  autres 
perfections  sont  une  même  chose  avec  son  essence  ?  il  faut 
donc  que  Dieu  se  surmonte,  se  fasse  violence,  qu'il  triomphe 
de  lui-même  pour  convertir  un  pécheur  ;  ce  qui  fait  dire  à 
S.  Bernard  :  Amor  triumphat  de  Deo  ;  ce  qui  fait  que 
1  Eglise  dit  à  Jésus  :  Quœ  te  vicit  clementia,  ipsa  te  cogat 
pietas ,  ut  niala  nostra  superes  parcendo  :  Que  cette 
clémence  qui  vous  a  obligé  de  prendre  sur  vous  nos  crimes, 
que  cette  même  piété  vous  contraigne  à  nous  pardonner 
nos  péchés. 

Ce  discours  montre  évidemment  que  de  persévérer  en 
vos  débordements  jusqu'à  la  veille  de  votre  mort,  c'est  la 
plus  haute  folie  et  la  plus  effroyable  témérité  qui  puisse 
s'imaginer;  car  l'Eglise  dit  dans  l'office  divin,  que  d'autant 
une  âme  se  rend  plus  agréable  à  Dieu  ,  il  lui  fait  des  dons 
d'autant  plus  précieux  :  Quanto  majestati  tuœ  fit  gra- 
hor  ,  tanto  donis  poliorïbus  augeatur.  Vous  ne  vous 
convertirez  jamais  ,  si  Dieu  ne  vous  donne  la  repentance  , 
qui  est  le  don  le  plus  avantageux  qu'il  puisse  faire  à  un 
pécheur,  s'il  ne  fait  en  vous  un  chef-d'œuvre  de  sa  toute- 
puissance,  maximum  opus  Dei  ,  s'il  ne  fait  un  effort  sur 
lui-même  pour  désarmer  sa  justice  et  faire  triompher  sa 
miséricorde;  et  puisqu'il  ne  le  fait  à  présent ,  quelle  appa- 


LA  PÉHITfiNCB  a  L'RBURB  Dfi  LA  MORT. 

reuce  qu'il  le  fasse  d'ici  a  vîngl  ou  trente  ans ,  à  l'heure  <ta 
trépas,  quand  vous  vous  serez  rendu  plus  désagréable 
I  lui,  <|u  uni  vous  l'aurez  irrité  et  mis  en  plus  grande  colère, 
quand  vous  serei  devenu  plus  indigne  de  miséricorde  par 
nd  nombre  de  péchés  que  vous  couintgUrez  d'ici  à  co 
temps-là?  Il  ne  vous  fait  pas  l'honneur  de  vous  mettre  au 
nombre  de  ses  serviteurs  ,  à  présent  que  vous  lui  pouvez 
rendre  de  bons  services,  étant  vigoureux  el  en  bonne  santé; 
quelle  apparence  qu'il  le  fasse  en  voire  dernière  maladie  , 
quand  vous  serei  loul  languissant,  inutile  el  à  demi-mort  ? 
Àvcz-vons  jamais  lu  ,   avez-vous  jamais  entendu   prêcher 
qu'il  ail  promis  ses  faveurs  à  ceux  qui  ne  lui  réservent  que  la 
lie  de  leurs  années  ?  mais  plutôt  ne  vous  a-t-on  pas  souvent 
prêché  ces  menaces  que  Dieu  vous  fait  en  son  Ecriture  ? 
(  Prov.  1 .  26.  )  Je  me  moquerai  de  vous  à  Pheure  de  votre 
mort  ,  parce  que  vous  avez  rail  la  sourde  oreille  quand  je 
vous  ai  appelé;  el  par  Jérémie  :  (2.  28.  )  Ils  m'ont  tourné 
i       «,  ils  me  diront  au  temps  de  leur  affliction  :  Secourez- 
i"  leur  répondrai   :  Où  sont  les  dieux  que  vous 
qu'ils  se  lèvent  et  qu'ils  vous  secourent. 
Je  ne  connais  qu'une  seule  objection  qu'on  a  coutume  de 
le  vérité  ,  mais  elle  est  si  impertinente,  que 
«ienec  de  m'y  arrêter,  si  elle  n'était  ordinaire- 
s  la  bouche  des  pécheurs  endurcis.  Le  bon  larron, 
D  larron,  disent-ils,  a  étési  bon  larron,  qu'il  a  dérobé 
I  à  l'article  de  la  mort.  L'exemple  de  ce  bon  larron  est 
Pespril  malin  Fait  perdre  le  paradis  à  plus  de  dix 
mille  mauvais  larrons  tous  les  ans  ;  quelle  conséquence  ! 
I  e  une  seule  fois  à  un  seul  larron  de  se  re- 

convertir à  l'heure  de  la  mort;  donc  il 
■•■  à  tous  ceux  qui  persévéreront  jusqu'à 
El  vous  qui  êtes  jurisconsulte,  ne  savez- 
!'<•  maxime  si  commune  et  si  triviale  :  Jussin- 
y  l' lare  non  trahi  (m-  ad  consequentiam? 

particulier  qu'on  donne  à  quelqu'un  de  pure 

rail  toujours  avec  cette  clause  sans  le  tirer  à  coa- 

;  et  vous  qui  ètai  eanoniste,  ignorez-vous  ce  canon 


296  SERMON  CCXCl.— -  DE  NE  PAS  DIFFÉRER 

du  chapitre  :  Qicod  alicui  de  regulis  juris  in  sexto  quoà 
alicui  gratiose  concedilur ,  trahi  non  débet  ah  alûs  in 
exemplum  :  Ce  qu'on  accorde  à  quelqu'un  gratuitement  et 
par  faveur  ne  doit  pas  être  pris  pour  exemple,  quand  bien 
la  même  raison  ou  une  plus  forte  militerait,  dit  la  glose.  La 
conversion  de  ce  bon  larron  est  une  faveur  particulière  qif  on 
lui  a  faite ,  eu  égard  au  temps ,  au  lieu ,  à  l'action  présente  ; 
mais  vous  ne  trouverez  pas  dans  toute  l'Ecriture  l'exemple 
d'un  seul  autre  pécheur  qui  ait  reçu  la  même  grâce  :  In  ioto 
canone  Scripturarum  nullum  alium,  prœier  hune  la- 
tronem  inventes  sic  salvatum ,  dit  S.  Bernard.  S.  Au- 
gustin, (serin,  de  temp.)  S.  Anselme  et  les  autres  Pères 
disent  que  Jésus  s'est  comporté  à  ce  sujet,  comme  ferait  un 
médecin.  Imaginons-nous  qu'un  excellent  médecin  soit  venu 
de  Paris  en  cette  ville,  c'est  un  second  Hippocrate,  un  Ga- 
lien  ou  un  Escuïape,  mais  il  est  inconnu,  on  ne  sait  pas 
et  l'on  ne  veut  pas  croire  combien  rares  et  souverains  sont 
les  remèdes  qu'il  apporte;  il  a  du  baume,  des  huiles,  des 
collyres ,  des  médecines  pour  diverses  sortes  de  maladies  ; 
afin  de  se  mettre  en  crédit  et  de  donner  vogue  à  son  in- 
dustrie, il  choisit  d'abord  le  plus  désespéré  malade  qui  soit 
dans  toute  la  ville;  si  ce  patient  se  veut  mettre  entre  ses 
mains,  il  lui  applique  ses  drogues  précieuses,  le  traite  cinq 
ou  six  semaines,  le  visite  tous  les  jours  ,  le  rend  enfin  sain 
comme  un  poisson,  et  il  ne  lui  demande  pas  un  liard.  Après 
cette  expérience  ,  quand  on  connaît  l'excellence  de  ses  re- 
mèdes, si  vous  alliez  le  prier  de  vous  guérir  pour  rien  ,  on 
se  moquerait  de  vous  ,  et  il  ne  le  ferait  pas.  Cette  première 
faveur  était,  pour  se  mettre  en  crédit,  pour  donner  un  essai 
de  la  bonté  de  ses  drogues,  sans  tirer  à  conséquence.  Le 
Fils  de  Dieu  est  descendu  du  ciel,  ï!  est  venu,  non  de  Paris, 
mais  du  paradis  ;  il  a  apporté  pour  remède  de  vos  péchés  \m 
baume  si  précieux ,  que  ses  mérites  et  son  sang  en  sont  les 
ingrédients.  Peu  de  gens  croyaient  en  lui ,  on  le  prenait 
pour  un  séducteur;  il  a  entrepris  la  cure  d'un  malade  pres- 
que desespéré  ,  de  ce  larron  qui  était  aux  abois  ;  il  lui  a  ap- 
plique l'huile  sacrée  de  son  sang  précieux  ;  il  Va  justifié  , 


1  \  PENITENCE  A  L'HEURE  DE  LA  MOUT.  297 

lie,  remis  en  parfaite  santé  spirituelle,  Pa  fait  entrer 

en  paradis ,  et  il  n'a  demandé  de  lui,  ni  confession  ,  ni  sa- 
tisfaction ,  ni  jeûne,  ni  aumône,  ni  austérité,  ni  autre  chose, 
sinon  qu'il  s'adonnàl  entre  les  mains  de  sa  miséricorde  avec 
un  cœur  contrit,  humilié  et  plein  de  confiance,  est-ce  à  dire 
qu'il  soit  toujours  obligé  de  foire  de  même?  Oui,  croyez- 
moi  ,  dans  une  affaire  de  si  haute  importance  qu'est  celle  de 
votre  salut  ,  ne  vous  servez  pas  d'un  seul  œil  ;  ne  permettez 
pas  que  l'esprit  malin  vous  fasse  ce  que  Naas,  ce  cruel  Am- 
monite, voulait  faire  aux  habitants  de  Jabès  :  In  /toc  fe- 
riam  vobiscum  fœdus ,  ut  eruam  omnium  vestrum 
oculos  dextros.  vlleg.  11.  2.) 

^  Quand  vous  êtes  auprès  du  crucifix  vous  ne  regardez  que 
d'un  œil,  les  deux  larrons  sont  aux  deux  côtés^de  Jésus  , 
pour  voir  le  bon ,  on  ouvre  Pœil  gauche,  pour  voir  le  mau- 
vais ,  on  ouvre  Pœil  droit  ;  mais  le  mal  est  que  vous  fermez 
T  i  il  droit,  el  vous  n'ouvrez  que  le  gauche,  vous  ne  regardez 
que  le  lion  larron  ;  ouvrez,  ouvrez  les  deux  yeux,  regardez 
au»;  le  mauvais  larron.  Si  Dieu  a  résolu  de  sauver  beaucoup 
le  gens  de   ceu\  qui  persévèrent  dans  le  péché,  jusqu'à 
'heure  de  la  mort,  pourquoi  ne  sauve-t-il  pas  le  mauvais 
an  ou  ?  vous  me  (lirez  :  C'est  parce  qu'il  ne  cric  pas  merci 
le  bon  coeur ,  comme  a  fait  le  bon  larron;  s'il  Pavait  fait , 
1  lui  aurait  aussi  pardonné.  Vous  dites  vrai,  mais  c'est  ce 
jui  est  en  question,  pourquoi  il  ne  lui  a  pas  fait  la  grâce 
efficace  de  se  reconnaître  et  lui  demander  pardon  ?  Tenez 
>ied  firme ,  et  ne  prenez  pas  ici  le  change  ;  il  n'est  pas  ici 
meslion  si  Dieu  vous  pardonnera,  en  casque  vous  vous  con- 
ertissiez,  mais  si  vous  vous  convertirez.  Il  n'est,  pas  ici 
nestion  de  savoir  si  Dieu  vous  pardonnera  à  Plieure  de  la 
001 1,  en  cas  «pie  vous  vous  reconnaissiez  de  bon  cœur  ,  il 
st  bon  de  doute  qifil  le  fera  :  Nulla  pomitentia  sera, 
noie  ni  /•<  ra  ;  mais  la  question  est  de  savoir  s'il  vous  fera 
■•  de  vous  reconnaître,  et  les  saints  disent  que  fort 
probablement  il  ne  le  fera  pas  plus  qu'il  ne  Pa  fait  à  ce 
iau\ais  larron;  car  les  saints  qui  ont  dit  :  Nulla  pœ- 
uientia  sera,  modo  sit  vera,  ont  aussi  dit:  Pœn ilent la 


298     SERMON  CCXCI. DE  NE  PAS  DIFFERER 

sera,  raro  est  vera.  Le  même  S.  Augustin  parlant  de  ce 
bon  larron,  dit  avec  beaucoup  d'esprit  :  Unus  est,  ne  des- 
<peres  ;  soîus  est ,  ne  prœsumas  :  Il  en  a  converti  un , 
afin  que  personne  ne  se  désespère,  quelque  grand  pécheur 
qu'il  ai't  été;  mais  il  n'en  a  converti  qu'un,  afin  que  vous  ne 
présumiez  pas  de  sa  miséricorde,  afin  que  vous  ne  pensiez 
pas  être  plus  privilégié  que  cet  infortuné  larron  qui  était  à 
son  côté.  Chose  étrange  et  digne  d'admiration  ,  que  Jésus 
si  débonnaire  en  ce  temps  de  la  passion,  auquel  son  cœur 
amoureux  lançait  les  plus  vives  flammes  de  sa  charité ,  en 
ce  temps  d'aftliclion  ,  lorsque  les  hommes  sont  plus  enclins 
à  la  miséricorde  :  Non  ignara  mali  miseris  succurrùrà 
disco;  en  ce  temps  auquel  il  ne  respirait  que  douceur  et 
bénignité,  en  ce  temps  où  il  priait  actuellement  pour  ses 
ennemis  ;  en  ce  temps,  dis— je ,  il  ait  permis  que  ce  pauvre 
larron,  si  près  de  lui ,  le  compagnon  de  ses  peines,  se  soit 
misérablement  perdu  ,  ne  pouvait-il  pas  lui  pardonner  ? 
Oui,  s'il  se  fût  converti  ;  ne  pouvait-il  pas  lui  faire  la  grâce  de 
$c  convertir  ?  oui,  et  aussi  aisément  qu'il  l'a  fait  au  bon 
larron.  Pourquoi  donc  ne  l'a-t-il  pas  fait?  parce  que  fort 
rarement  il  fait  la  grâce  efficace  de  se  convertir  à  l'heure  de 
la  mort  à  ceux  qui  ont  attendu  jusqu'alors  :  Unus  est ,  ne 
desperes  ;  solus  est ,  ne  prœsumas.  Où  est  donc  fondée 
votre  espérance  ?  où  est  donc  votre  asile  et  votre  refuge  ? 
quel  est  le  sujet  de  cette  assurance  si  solide,  mais  pour 
mieux  dire  si  stupide ,  si  insensible  ,  dans  laquelle  vous 
vivez  ?  que  prétendez-vous  avoir  à  la  mort  que  ce  misé- 
rable n'ait  pas  eu  ?  et  il  ne  s'est  pas  converti.  Tous  es- 
pérez dans  les  mérites  du  précieux  sang  de  Jésus ,  c'est 
très  bien,  c'est  une  très  bonne  confiance;  mais  ce  larron  en 
est  tout  arrosé,  et  il  ne  se  convertit  pas;  vous  espérez 
d'avoir  un  bon  père  spirituel,  un  excellent  confesseur  qui 
vous  fasse  souvenir  de  Dieu  ,  ei  vous  aide  à  bien  mourir  , 
ce  larron  a  à  son  côté  le  plus  excellent  pontife,  le  plus  divin 
père  spirituel  qui  ait  jamais  été  et  qui  puisse  être,  et  il  ne  se 
convertit  pas  ;  vous  espérez  d'envoyer  à  tous  les  cloîtres  vous 
recommander  aux  religieux,  et  qu'ils  vous  assisteront  de  leurs 


1  V    IMMTf  NCI    A  l'hBURE  DK  LA  MORT.  299 

prières;  auront-ils  plus  de  crédit  devant  Dieu  que  les  souffrait* 
;  l>uin  aimé  qu'il  endurait  actuellement  pour  les  pé- 
chésdece  malheureux  ?  Propitiationem  pro  peecatiê  ?ios- 
nonpronostris  tantum^sedetiamprototittemundi. 
Vous  espérez  qu^on  dira  des  messes,  qu'on  offrira  des  sacri- 
fices pour  vous  ;  quel  sacrifice  plus  auguste  ,  plus  saint ,  plus 
divin,  plus  agréable  à  Dieu  que  le  sacrifiée  sanglant  delà 
i  assiste  à  ce  sacrifice,  et  il  ne  se  convertit  pas. 

Quoi  de  plus  ?  qu'espérez-vous  davantage  ?  que  Dieu 
fasse  «les  miracles  ?  où  avez-vous  vu  qu'il  en  ail  fait,  ou  qu'il 
ait  promis  (Peu  faire,  pour  les  Ames  obstinées?  Supposons 
qu'il  en  fasse,  et  des  miracles  plus  clairs  que  le  jour,  vous  con- 
vertii  ez-vous  pour  cela  ?  quel  miracle  plus  évident,  plus  pal- 
pable ,  plus  irréprochable  ,  que  de  voir  le  soleil  s'éclipser 
si  extraordinairement ,  Pair  se  couvrir  de  ténèbres,  la  terre 
trembler  .  les  pierres  se  casser  ,  la  montagne  du  Calvaire 
se  fendre  en  deux  ?  ce  misérable  vit  tout  cela  devant  ses 
yeux  ,  car  l'Evangile  remarque  expressément  que  tous  les 
prodiges  arrivèrent  avant  que  ce  larron  eût  expiré  :  Venc- 
runi  eryo  milites  :  et  primi  quidem  fregerunt  crura  , 
et  allai  us...  yld  Jesum  autan  tutlï  renissent ,  vide- 
rttnl  juin  morluum  ,  (Joan.  19.  32.  33.)  et  il  ne  se  con- 
vertit pas.  Qui  vous  a  dit  que  vous  ferez,  sans  aucun  miracle, 
ce  (ju'il  n'a  pas  fait  avec  tant  de  miracles  ?  Qui  vous  a  dit 
mie  vivant  comme  le  mauvais  larron  ,  votre  mort  sera 
semblable  à  celle  du  bon  ?  Montrez-moi  qu'après  ce  bon 
larron  Dieu  ait  fait  la  même  grâce  à  un  autre  à  l'heure  de 
la  mort  ;  vous  ne  le  sauriez  montrer  en  l'Ecriture ,  et  je  vous 
en  pourrai  montrer  un  grand  nombre  auxquels  il  n'a  pas  fait 
cette  mnme  à  E^aii ,  Satil,  Antiocbus,  Cbrysaorius, 

infinité  d'autres.  Votre  contrition  donc  étant  dépour- 
■  Dieu  ,  manquera  de  la  première  condi- 
uroaturelle. 

!>.  — (  2°  Nec  cordialis.  )  Elle  manquera  aussi  de  la 

t  el  ne  u  ra  pas  bien  volontaire.  Convertitnini ad 

7/ic  in  Mo  <  ordê  vestro  ;  toutes  les  ibis  que  Dieu  parle  de 

Votre  conversion,  il  demande  toujours  le  cœur  :  FM, 


300  SERMON  CCXCi.—  DE  NE  PAS  DIFFERER 

prœbe  mihi  cor  tuum  ,  cor  contritum  et  humilialam , 
Qu'est-ce  à  dire  le  cœur  ?  est-ce  cette  pièce  de  chair  qui  est 
au  milieu  de  votre  sein?  vous  seriez  bien  grossier ,  si  vous 
le  pensiez.  Par  le  cœur,  il  entend  la  volonté  qui  est  le  prin- 
cipe des  affections  de  votre  âme,  comme  le  cœur  des  mou* 
vements  du  corps  ;  il  a  créé  le  ciel  et  la  terre  ,  et  les  adonnes 
à  notre  corps  pour  son  entretien  et  sa  récréation  ,  il  a 
donné  le  corps  à  Pâme  qui  en  est  la  gouvernante;  il  adonne 
Fume  à  la  volonté  ,  qui  en  a  la  conduite  et  la  direction  ; 
mais  il  veut  avoir  la  volonté,  et  il  veut  l'avoir  tout  entière: 
In  toto  corde  vestro.  Quand  vous  êtes  au  lit  de  la  mort , 
et  que  vous  ne  vous  convertissez  à  Dieu  que  par  la  crainte 
naturelle  de  l'enfer,  cette  volonté  n'est  pas  entière,  elle 
n'est  qu'àdemi;  celte  volonté  n'est  pas  absolue,  mais  hypothé- 
tique, supposé  le  danger  où  vous  êtes;  ce  n'est  pas  une  volonté 
de  fils  ou  de  serviteur,  mais  de  forçat  et  d'esclave;  elle  ne  pro- 
cède pas  de  l'amour  de  Dieu  et  de  sa  crainte  filiale,  mais  de 
l'amour  de  vous-même  et  de  la  crainte  des  châtiments.  Pour 
cela  Dieu,  qui  ne  demande  que  le  cœur  et  l'amour,  répudie 
cette  volonté  comme  imparfaite  et  illégitime;  en  figure  de  quoi 
il  défendait  expressément  dans  l'ancien  Testamenl(Levit.  1 1 . 
1  T.)de  lui  offrir  le  cygne  et  l'ibis  ou  cigogne  noire.  Il  les  reje- 
tait du  sacrifice,  et  les  tenait  pour  immondes,  (Deut  14.  1 6.) 
parce  que  le  cygne  étant  muet  quasi  toute  sa  vie  ,  quand  il 
approche  de  la  mort,  il  chante  mélodieusement  ;  la  cigogne 
noire  ,  dit  Plularque  ,  a  toute  sa  vie  l'haleine  fort  puante  , 
quand  elle  approche  de  la  mort,  elle  l'a  fort  douce  et  suave, 
Ces  âmes  qui  sont  muettes  toute  leur  vie  ,  qui  cachent  les 
péchés  mortels  en  la  confession  ,  et  commettent  les  sacri- 
lèges à  douzaines,  qui  ne  prient  Dieu  ni  soir  ni  matin  ,  qui 
ne  diraient  pas  volontiers  un  chapelet,  et  puis  qui  commen- 
cent à  chanter,  à  être  dévotes ,  à  faire  des  prières,  quand  la 
mort  va  leur  clore  la  bouche  ;  les  gens  qui  toute  leur  vie  ont 
des  paroles  puantes ,  une  bouche  qui  n'exhale  que  des  blas- 
phèmes ,  malédictions,  médisances ,  chansons  déshonnôlcs, 
et  qui  étant  au  lit  de  la  mort ,  disent  des  paroles  de  musc  , 
douces,  suaves,  dévotes,  affectueuses;  Dieu  les  rejette  et  les 


I  v    n.Mii  '\i  B    \   i ."  !  :  £:i  IRE  DE  LA  mort.  301 

réprouve  comme  des  gens  dissimulés  qui  disent  de  beaux 
mensonges ,  et  voilà  tout. 

///  muitiludine  virtutis  tuœ  mentientur  inimicitui. 
Faites  qu'une  ville  se  révolte  contre  son  roi  ,  comme  ceux 

i  Rochelle  onl  fait  autrefois  ;  le  roi  leur  envoie  un 
héraut  pour  les  avertir  de  rentrer  dans  leur  devoir,  faute  de 
quoi  ils  encourront  sa  juste  indignation.  Ils  n'en  tiennent 
compte  ,  ils  se  retranchent ,  se  forliGent ,  persistent  en  leur 
rébellion.  Le  roi  y  va  en  personne,  les  bloque  de  toute  part, 
les  afflige,  les  réduit  à  n'en  pouvoir  plus;  quand  ils  son!  à 
l'extrémité  ,  quand  ils  languissent  de  faim  ,  quand  ils  ne 
peuvent  plus  tirer  un  seul  coup  ,  qu'ils  n'ont  plus  de  mu- 
nit ion  de  guerre  ni  de  provision  de  bouche,  enfin  ils  se  ren- 
dant. S'iU  disaient  au  roi  ,  quand  il  cuire  en   leur  ville  : 

.  nous  sommes  \o:<  bien  humbles  et  affectionnés  sujets, 
c'est  de  bon  coeur  que  nous  vous  recevons;  ne  s'en  moque- 
rait-on pas  }  ne  dirait-on  pas  qu'autant  de  paroles  qu'ils 
prononcent  ,  autant  de  mensonges  ils  profèrent  ?  ne  leur 

terail-on  pas  cette  parole  de  Jésus:  Adhuc  illo  longe 
citjvnto  rogat  ea  quœpacis  sunt? 

(  ?esl  ce  que  vous  laites,  vous  vous  révoltez  contre  Dieu 
pendant  votre  vie,  il  vous  envoie  les  prédicateurs  comme 
des  hérauts  ,  pour  vous  engager  à  rentrer  en  vous-même  , 
pour  vous  inviter  à  la  pénitence  et  vous  présenter  la  paix  de 
sa  part  :  Pro  Christo  légat ione  fungimur ;  si  cognovis- 
so*  et  tu  quœ  ad  parent  tibi.  Vous  persévérez  en  vos 
rébellions.  Enfin  l'heure  de  la  mort  arrive,  vous  êtes  affligé 
de  mala  lies,  assailli  de  douleurs  et  d'angoisesde  toute  part, 
vous  ne  pouvez  plus  offenser  Dieu  ,  vous  ne  sauriez  plus 
mouvoir  ni  bras  ni  jambes, VOUS  vous  rendez  à  toute  extré- 
mité ,  et  vous  dites  :  Mon  Dieu,  je  vous  crie  merci ,  je 

tonne  à  vous  de  bon  cœur.  Mensonge,  mensonge  : 
V     U  un  fur  tibi  inimici  iui;  c'est  pure  feintise,  et  hypo- 
crisie si  adroite  qu'elle  vous  (rompe  vous-même  ;  mais  vous 
i  tromper  Dieu  ,  cette  contrition  n'est  pas  opérée 
e(  produite  en  vous  par  la  puissance  de  l'amour  de  Dieu, 

par  impuissance  de  pécher 5 ainsi  elle  n'est  ni  vraie  ,  ni 
légitime ,  ni  acceptable* 


'602  SERMON  CCXCI.-— DE  NE  PAS  DIFFERER 

SKCUNDUM   PUNCTUM. TutlC  CO?îfeSSl01  etc. 

C.  — {JDefectum  confidentiœ.)  Votre  confession  ne  sera 
pas  aussi  entière  ;  il  n'y  a  pour  l'ordinaire  que  trois  cau- 
ses qui  vous  empêchent  de  vous  confesser  entièrement  : 
quand  vous  vous  confessez  ,  faute  de  confiance  ,  faute  de 
loisir ,  faute  de  mémoire.  Faute  de  confiance  ,  vous  avez 
honte  de  dire  des  péchés  infâmes,  vous  craignez  la  confu- 
sion, il  vous  semble  que  votre  confesseur  aura  mauvaise  opi- 
nion de  vous;  faute  de  loisir,  vous  ne  prenez  pas  assez  de 
temps  pour  voir  vos  comptes  ,  les  occupations  domestiques 
vous  dérobent  tant  de  loisir,  que  vous  vous  allez  jeter  aux 
pieds  du  prêtre  sans  vous  être  bien  examiné  ;  faute  de  mé- 
moire ,  quoique  vous  ayez  bonne  volonté  ,  dites-vous , 
que  vous  ne  craignez  pas  la  confusion  ,  et  que  vous  avez 
bien  épluché  votre  conscience;  vous  avez  la  mémoire  si  courte 
que  quand  vous  êtes  devant  le  prêtre  vous  en  oubliez  la  moi- 
tié. Or ,  il  est  sûr  que  ces  empêchements  seront  incompa- 
rablement plus  grands  à  l'heure  de  la  mort ,  vous  n'aurez 
pas  alors  cette  confiance  qui  diminue  maintenant  la  honte  de 
vos  péchés ,  et  l'aversion  que  votre  confesseur  en  pourrait 
concevoir,  et  la  promesse  d'amendement  que  vous  lui  faites, 
l\ispérance  qu'il  a  que  dorénavant  vous  recouvrerez  le  temps 
perdu ,  et  compenserez  par  de  bonnes  œuvres  les  faux  pas 
de  la  vie  passée;  à  l'heure  de  la  mort  on  ne  pourra  plus  pré- 
tendre cela  de  vous. 

Un  soldat  qui  retourne  le  soir  à  son  capitaine,  tout  déva- 
lisé et  blessé  à  la  fin  de  la  bataille ,  n'a  pas  tant  de  har- 
diesse ni  de  courage  que  si  c'était  le  matin  ,  et  après  le 
commencement  du  combat;  parce  qu'alors  on  espérerait  qu'il 
recouvrerait  à  midi  ce  qu'il  aurait  perdu  le  matin.  Et  puis 
si  à  présent  vous  avez  tant  de  honte  de  vous  découvrir  à  un 
prêtre  qui  vous  connaît ,  vous  en  pouvez  chercher  un  autre 
qui  ne  vous  connaisse  pas,  qui  ne  vous  ait  jamais  vu,  qui  ne 
vous  verra  jamais  plus.  Vous  pouvez  à  cet  effet  sortir  de  la 
Ville,  prendre  prétexte  de  faire  un  voyage  à  Notre-Dame  de. . . 

D.  —  (2°  Vel  temporis,  )  Au  lieu  qu'à  la  mort  vous 


i  A  M  mti  RCB  a  i'iii  riiK  DB  i.a  MORT.  303 

tt'aurei  pas  toutes  ces  commodités,  vous  serez  contraint  de 
prendre  le  confesseur  qu'on  vous  présentera ,  auquel  vous 
n'aurez  pas  de  confiance  ;  et  quand  Mou  vous  n'auriez  point 
de  crainte  ,  et  que  vous  désireriez  tout  dire,  vous  n'aurez 
pas  le  temps  d'y  penser;  peut-être  que  vous  ne  serez  ma- 
lade que  cinq  ou  six  jours.  Une  partie  de  ce  temps  sera  em- 
ployée à  faire  voire  testament,  à  donner  ordre  à  vos  affaires 
('•  mestiques  ,  à  pourvoir  à  votre  postérité  ,  à  vous  faire  sai- 
gner, à  prendre  des  médicaments,  à  répondre  à  vos  amis  et 
parents  qui  viendront  vous  visiter;  comment  pourrez-vous 
en  m  peu  de  temps,  parmi  tant  d'embarras,  pensera  bon 
escient  à  votre  conscience  ,  et  faire  ce  que  vous  n1avez  ja- 
mais fait  ,  une  bonne  confession  générale.  S'il  y  avait  \m 
maître  d'hôtel  qui  eût  demeuré  longtemps  dans  la  maison 
d'un  prince,  qui  eut  souvent  reçu  de  lui  beaucoup  d'argent, 
qui  en  eut  mal  employé  une  grande  partie,  qui  n'eût  rien 
écrit  sur  ses  livres  de  comptes,  qui  n'eut  point  marqué  la 
n  ci  ite  m  La  dépense  ,  en  quelle  peine  serait-il ,  s'il  lui  fal- 
lait rendre  compte  à  un  intendant  exact  et  rigoureux  ?  com- 
ment en  pourrait-il  sortir  avec  honneur  s'il  n'avait  que* deux 
ou  h.  pour  revoir  ses  papiers  et  prévoir  ses  eomp- 

\iatth.  25.  19.)  se  compare  à  un  roi 
N  faire  rendre  compte  par  ses  serviteurs,  compte 

et  ,  qu'il  demande  jusqu'à  un  1er  d'aiguillette  ,  a  une 

parole  oisive.  Vous  avez  reçu  tant  de  bienfaits  de  Dieu  , 

bienfaits  de  nature  ,  bienfaits  de  grûce  ,  généraux  ,  particu- 

.  en  l'àme  et  au  corps.  Vous  vous  en  êtes  si  mal  servi; 

ivei  eu  charge  de  tant  de  gens  dans  votre  famille, 

dans  la  paroisse,  dans  la  ville  »vous  y  avez  commis  tant  de 

>rtels,  véniels,  de  pensées ,  de  paroles ,  d'œuvres; 

n'en  avez  jamais  fait  une,  confession  bien  exacte.   Je 

H    à  penser  en  quelles  angoisses  vous  serez,  quand 

il  faudra  rendre  compte  à  un  juge  très  séfère,  qui  ne  laisse 

i  n  sortirez  a  voire  honneur,  n'ayant 

jours  pour  vous  y  préparer? 

-  I  (  !  i.  Mais  quand  vous  auriez  le  temps, 

I  |  il  en  est  de  notre  àme  comme* 


S04  SERMON  CCXCÏ.—  DE  NE  PAS  DIFFÉRER 

d'une  liorloge  ;  vous  voyez  que  dans  une  horloge  les  roues, 
pendant  l'heure  ,  vont  posément ,  doucement ,  avec  règle  , 
et  quasi  sans  faire  aucun  bruit  ;  mais  sur  la  fin  de  Pheure 
elles  tournent  si  vile  ,  et  avec  un  tel  tintamarre  ,  que  vous 
diriez  que  toute  Phorloge  est  démontée  et  s'en  va  en  pièces. 
Maintenant  que  vous  êtes  en  bonne  santé  ,  les  ressorts  de 
voire  mémoire  ,  toutes  les  roues  de  votre  esprit ,  les  contre- 
poids de  votre  jugement  sont  bien  réglés  ;  quand  vous  serez 
sur  la  fin  de  Pheure  et  de  votre  vie  ,  toutes  ses  facultés  se- 
ront en  tel  désordre  ,  les  esprits  sensitifs  et  vitaux  si  épuises, 
les  organes  si  affaiblis  et  si  inhabiles  à  toute  fonction ,  que 
vous  ne  pourrez  penser  attentivement  à  rien  de  sérieux, 
vous  commencerez  à  rêver  et  à  être  privé  de  jugement. 

tertium  punctum.  —      ne  saiisfactio  ,  etc. 

F.—  (Non  pofest  fieri  Deo.  La  troisième  partie  de 
la  pénitence ,  c'est  la  satisfaction  qui  vous  manquera  aussi 
Iricn  que  les  deux  autres  ;  ce  que  le  Saint-Esprit  explique 
g>ar  une  comparaison  si  familière  qu'il  n'est  pas  possible  de 
l'être  plus  :  Dies  trihulationis ,  et  angustiœ  ,  dies  hœc 
venerunt  filii,  usqiie  ad  partum  ,  et  non  est  virtus  ad 
fariendi,  (Isa.  37.  3.)  Le  plus  grand  inconvénient  qui 
puisse  arriver  à  une  femme  mariée ,  c'est  de  tomber  en  une 
fièvre  ou  bien  en  une  autre  maladie  aiguë  pendant  le  temps 
de  sa  grossesse  ,  quand  elle  approche  de  ses  couches  :  Mu- 
llerigraindœ  lethale  est  ah  aliquo  acuto  morbo  compi; 
(Hippocr.,  sect.  5.  aphor.  29.)  parce  qu'il  faut  avoir  des 
forces  pour  mettre  au  monde  la  créature  qu'elle  porte  ,  et  la 
maladie  affaiblit  le  corps ,  tarit  les  esprits  naturels  et  sen- 
sitifs ,  émousse  la  vigueur  et  la  consomme  ,  en  sorte  que  la 
pauvre  femme  n'ayant  pas  la  force  de  se  délivrer ,  et  la  créa- 
ture demeurant  en  son  corps ,  il  faut  nécessairement  que 
l'un  et  l'autre  meure ,  si  Dieu  ne  fait  un  miracle  par  Pin- 
lerccssion  de  quelque  Saint.  Je  sais  bien  que  vous  n'avez 
pas  la  volonté  de  persévérer  en  votre  péché  ;  car  enfin  vous 
êtes  chrétien  et  ami  de  vous-même,  et  vous  craignez  la 
'Jamnation ,  vous  avez  conçu  mille  bons  propos  de  restituer 


I  |  «CE  A  l'hBURB  di.  LA   MORT. 

n  d'au  f  ru  i,  d'accomplir  vos  vœux  ,  de  faire  pénitence, 
rer  en  religion  ,  vous  êtes  enceinte  de  ces  saintes  ré- 
solutions. 0  âme  !  tout  cola  est  bon,  s'il  est  mis  en  effet  ; 
si  vous  tombez  en  maladie  avant  que  d'effectuer  ces 
bons  desseins ,  vous  ne  pourrez  les  accomplir  :  y  encrant 
jilii  usque  ad  parfum, 

G.  — (iVec  proximo.)  Vous  ne  pourrez  rendre  à  César 
ce  qui  esl  à  César,  ni  à  Dieu  ce  qui  est  àDieu,'vousnc  ponr- 
satisfaire  aux  hommes.  Ou  irez— vous  chercher  les  villa- 
geois que  vous  avez  ruinés,  pour  leur  faire  restitution?  tous 
ns  de  bien  que  vous  avez  noircis  par  vos  médisances , 
el  tous  ceux  devant  lesquels  vous  avez  détracté ,  pour  vous 
dédire  et  faire  réparation  d'honneur  ?  toutes  les  femmes  que 
vous  avez  débauchées  ,  pour  satisfaire  aux  dommages  et  in- 
ui.  In  ?  vous  ne  pourrez  aussi  satisfaire  à  Dieu.  Il  y  a  trois 
œuvres  salisfactoires,  l'oraison,  le  jeûne  et  l'aumône.  Quelle 
orai>on  pourrez  -  vous  faire  quand  à  peine  vous  pourrez 
prononcer  le  sain!  nom  de  Jésus?  quel  jeûne,  quand  à 
tout  moment  on  vous  mettra  en  la  bouche  des  cuillerées  de 
Maniant ?  quelle  aumône,  quand  vous  n'aurez  plus  rien  à 
votre  disposition  ?  et  ne  savez— vous  pas  que  non  remittitur 
atum  ,  niêi  restiluatur ablation  ?  que  S.  Jean-Ban- 
I  que  pour  éviter  la  vengeance  dernière,  il  faut  faire 
des  fruits  dignes  de  pénitence?  que  Jésus  a  dit  :  Nisi  pœ- 
nitentiam  c  geritis  ,  omnes  peribiiis  ? 

El  quelle  pénitence  sera  la  vôtre  ,  qui  sera  dépourvue  de 

i  gi  Dieu,  qui  ne  sera  qu'à  demi  volontaire,  qui 

n'aura  point  d  tnlrition,  point  de  confession  entière, 

point  du  tout  de  satisfaction?  Pourquoi  donc  leur  donnez— 

l'absolution?  me  direz-vous.  S.  Augustin  répond: 

n    damas ,  securitatem    non  damas  f  nous 

dans  votre  cœur,  nous  interprétons  tout  en 

illeure  pari  .  nous  jugeons  ex  allegatiê  et  probatis. 

\     -  i  [ue  vous  vous  repentez  de  bon  cœur ,  nous 

olution  à  tout  hasard  ,  mais  nous  ne  vous 

Ire  salut  par  ces  mots:  Et  absoluiionem; 

:   [38.  10  Oisponc  domui 


306  SERMON  CCXCI.— DE  NE  PAS  DIFFERER 

tuœ  ,  quia  morieris  tu  ,  et  non  vives  :  Assurément  vous 
mourrez,  et  ne  vivrez  pas  si  longtemps  que  vous  pensez, 
mettez  ordre  à  votre  maison  qui  est  en  vous ,  à  votre  mai- 
son qui  est  hors  de  vous ,  à  celle  qui  est  sur  vous. 

CONCLUSIQ. 

H.  —  (Paraphrasis ,  etc.  )  A  celle  qui  est  en  vous ,  à 
votre  conscience ,  à  votre  âme.  C'est  cette  maison ,  dit 
S.  Augustin  ,  (in  Psal.  100.)  dont  parle  David  :  Peram- 
bulabam  in  innocentia  cordis  mei,  in  medio  domus 
meœ  ,•  mettez  ordre  à  la  nettoyer ,  Dieu  y  veut  venir  loger; 
ii  vous  dit:  In  donw  tua  oportetme  manere.  Si  je  vous 
disais  que  le  roi  a  la  dévotion  de  faire  un  voyage  en  quelque 
saint  iieu  ,  ii  doit  passer  par  cette  ville ,  veut  loger  en  votre 
maison  ,  et  vous  n'y  perdrez  rien ,  atlendriez-vous  la  veille 
pour  vous  y  préparer  ?  attendriez-vous  i'avant-veille,  la  der- 
nière semaine  ?  Vous  espérez  être  bienheureux  quand  vous 
mourrez  ,  savez- vous  bien  ce  que  c'est  que  d'être  bienheu- 
reux ?  c'est-à-dire  que  Dieu  logera  en  votre  âme,  non  par 
sa  grâce  seulement  ,  comme  dans  la  justification  ,  mais 
par  lui-même  et  par  sa  divine  essence ,  non  sous  le  voile  dô 
quelque  espèce  sacramentelle  ,  comme  dans  l'eucharistie  , 
mais  à  découvert ,  immédiatement,  sans  l'entre-deux  d'au- 
cune espèce  intelligible;  il  se  joindra  à  vous;  il  sera  enchâssé 
en  notre  âme ,  cœur  à  cœur,  esprit  à  esprit ,  essence  à  es- 
sence ;  non  en  passant  et  pour  un  temps ,  mais  éternelle- 
ment ;  et  vous  attendez  encore  à  vous  y  préparer  jusqu'à 
la  veille  de  son  arrivée  ,  et  vous  voulez  loger  indignement  un 
si  grand  Roi  une  éternité  tout  entière  !  et  vous  ne  pensez 
point  à  purifier  et  à  orner  votre  âme  !  Regardez  votre  con- 
science ,  il  n'y  a  égoùt  d'hôpital,  ii  n'y  a  élable  d'Augias,  il 
n'y  a  senline  de  galère  qui  soit  si  immonde  ;  il  y  a  plus  de 
dix,  vingt ,  trente  ans  qu'elle  va  ramassant  et  recueillant  de 
toute  part  des  ordures ,  et  vous  pensez  la  nettoyer  en  deux 
ou  trois  jours  !  et  quand  bien  vous  la  nettoieriez,  est-ce  as- 
sez pour  recevoir  ce  grand  Dieu?  ne  faut-il  pas  l'orner, 
l'embellir,  la  tapisser?  et  comment  l'embellir,  sinon  par 


LA  I  &NITBNCB  A  L*HEURi:  DE  i.v  MORT.  30Î 

des  verdis?  e(  comment  acquérir  les  habitudes 
ms  les  pratiquer  longtemps?  et  comment  les 
pratiquer  longtemps,  n'ayanl  que  sept  ou  huit  jours  à  vi- 
vre? Quelle  humilité,  obéissance,  patience,  autres  vertus 
bien  héroïques  avez-vous,  dans  lesquelles  Dieu  puisse  s'a- 
gréer  et  prendre  son  bon  plaisir?  Dispone  domui  tuœ  ; 
quand  voire  vie  durerait  cinq  cents  ans,  elle  serait  trop 
courte  pour  bien  disposer  une  maison  dans  laquelle  un  si 
v  »i  doit  si  longtemps  habiter. 
ei  de  la  maison  qui  est  hors  de  vous ,  de  votre 
famille,  instruisez,  corrigez  vos  enfants,  serviteurs,  domes- 
,  dont  vous  devez  rendre  compte  ;  faites  votre  testa- 
de  bonne  heure,  autrement  vous  serez  à  la  mort  entouré 
ns  qui  seront  comme  les  enfants  de  Zébédée.  Quand 
Jésus  parlait  de  sa  passion,  il  parlait  de  son  hoirie;  vos 
feront  croire  que  vous  vous  portez  bien  ,  (jue 
n'êtes  pas  en  danger  de  mort,  de  peur  qu'en  faisant 
rit  vous  ne  lassiez  des  legs  pieux  ;  ou  si  vous  en 
s  un,  le  notaire  fera  un  pas  de  clerc,  il  écrira  un  quipro- 
un  mot  ambigu,  il  mettra  un  procès  dans  votre 
famille,  ou  donnera  votre  bien  tout  au  contraire  de  votre 
ition  ;  vous  pouvez  pourvoir  à  tout  cela  en  le  faisant  de 
bonne  heure,  et  en  donnant  par  vous-même  vos  legs  pieux. 
/  de  la  maison  qui  est  sur  vous,  c'est-à-dire  du 
ciel,  faites—y  bâtir  une  chambre  pour  y  loger  après  votre 
mort.  S.  Grégoire  dit  (4.  dial.  cap.  36.  su  h  finem.)  qu'il  y 
t  Rome  un  savetier  nommé  Deusdedil  (Dieudonné), 
des  bien- de  ce  monde,  mais  très  riche  en  vertus  chréj 
tiennes.  Quelqu'un  vit  en  extase  qu'on  lui  bâtissait  une  mai- 
iel  .  «'t  qu'on  y  travaillait  principalement  les 
i  ,  dit-il ,  que  veut  dire  cela  ,  qu'on  travaille 
1       diligemment  les  samedis  ?  C'est  que  ce  jour-là  il  distri- 
buait aux  1  uivres  tout  ce  qu'il  avait  gagné  le  long  de  la 
ne,  après  son  petit  entretien  :  Quuniam  rfixïsli:  In 
1  a  dificabiturin  cœ/iWPsal.88.3.) 
Si  so  aller  demeurer  huit  jours  dans  une  métairie , 

\        ,        /  de  quoi  VOUS  vivrez,  vous  y  envoyez  des  pro- 


308       SER310N  CCXCI. DE  JNE  PAS  DIFFERER,  etc. 

visions  ;  si  vous  devez  aller  vivre  en  un  pays  étranger,  vous 
êtes  bien  aise  d'y  faire  des  amis ,  d'y  acquérir  de  la  con- 
naissance ;  vous  devez  aller  demeurer  une  éternité  dans  le 
ciel,  et  vous  n^  prévoyez  pas  ;  dispone  domui  tuœ,  met- 
tez ordre  à  celte  maison  de  là-haut,  envoyez-y  des  provi- 
sions de  bonnes  œuvres,  faites-y  des  amis  par  vos  aumônes, 
prenez-y  de  la  connaissance ,  en  honorant  et  invoquant  les 
Saints,  afin  que  vous  y  soyez  reçu  honorablement,  afin  que 
vous  y  puissiez  vivre  à  votre  aise  $  afin  que  vous  y  puissiez 
régner  éternellement.  Amen. 


SERMON  CCXCIL 

POURQUOI  DIEU  CONSERVE  EN  VIE  ET  EN  PROSPERITE 

LES  PÉCHEURS. 


Pi  cognwit  quod  Jesut  atCHbttiuet  in  domo  pharitei, 

elle  connut  que  le  Fils  de  Dieu  était  eu  la  maison  du  Pharisien. 

(Luc,  7.  37.) 

Si  l'esprit  de  ce  pharisien  n'était  pas  aveuglé  par  son 
orgueil ,  il  ne  s'étonnerait  pas  de  voir  que  le  Fils  de  Dieu 
se  laissai  approcher  de  Marie-Madeleine,  puisqu'elle  n'était 
plus  pécheresse  ,  comme  il  le  dit ,  mais  convertie  en  péni- 
tente ;  il  s'étonnerait  bien  nlus  de  voir  que  le  Sauveur  a  dai- 
gné entrer  en  la  maison  d'un  pharisien,  sujet  à  L'orgueil, 
aux  jugements  téméraires ,  au  mépris  du  prochain  et  à  tant 
d'autres  péchés  ;  il  s'étonnerait  que  le  Sauveur  ait  souffert 
il  longtemps  cette  femme  quand  elle  était  en  mauvais  état. 
Pour  Taire  notre  profit  de  celte  patience  de  Dieu  qui  attend 
les  pécheurs  à  pénitence  ,  il  faut  en  considérer  les  causes. 
C'est,  premièrement,  pour  sa  gloire;  en  second  lieu,  pour 
notre  instruction  ;  en  troisième  lieu  ,  pour  la  conversion  de? 
âmes.  Ce  seront  les  trois  points  de  ce  discours. 

IDE  A  SE11MONIS. 

Deus  expectat  peceatorem  :  1°  oh  suant  gloriam;  2°  oh 
nostram  instructionem  ;  3°  oh  ejus  conversionem. 

Prîmum  punctum.  Deus  promplus  ad  auxiltatidum,  tar- 
das adpuniendum;  suffert  peceatorem  oh  .sinon  glo- 
riam: — 1"  Script ur a. — B.  2°  Sensu  Ecclesiœ, — 
('.  ■  RaiionibuS)  quia  sieprohat  suam  nobilitatem, 
\  ),Poientiam. — E.  Sapientiam, — V .  Bonilatem. 
— G.Justitiat». — II.  Misericordiam , — [,  Providen- 
i. — I..  \    Comparât ionibus* 

Swtui  ■/'■>/  peceatorem  oh  nostram 


310  SERMON  CCXCXI. 

instructionem ,  ut  sirnus  prompti  ad  subveniendum 
proximo,  tarai  ad  puniendum,  qnod  probatur  ratio  • 
ni bus: — M.  \°  Ex  parte  proximi. — N.  2°  Ex  parte 
nostîi. 
Terlium  punclum.  Expectat  peccatorem  ob  ejus  conver- 
sionem,  qnod  illusiratur  : — O.  i°  Exemplo  Davidis, 
Saillis, — P.  2°  Raraphrasi  illorum  verborum  ;Ecce 
sto  ad  ostium. 

La  nature  de  Dieu  n'étant  que  bonté  et  charité,  quand 
il  est  question  d'assister  et  de  faire  du  bien  à  ses  créatures, 
comme  c'est  une  action  qui  lui  est  très  agréable  ,  très 
délicieuse  et  conforme  à  son  inclination,  il  la  fait  hâtivement 
et  avec  promptitude  ;  mais  quand  il  faut  faire  le  procès  à 
quelque  pécheur,  il  ne  le  fait  que  comme  à  regret,  à  contre- 
cœur et  le  plus  tard  qu'il  est  possible.  Le  Saint-Esprit  nous 
enseigne  ceci  en  l'Ecriture  sacrée ,  par  des  comparaisons  si 
agréables  et  des  inventions  si  ingénieuses ,  que  c'est  un 
grand  plaisir  de  les  lire  et  encore  plus  de  les  méditer.  Erç 
l'Apocalypse,  un  ange  qui  représentait  le  Fils  de  Dieu 
venant  au  jugement,  entre  autres  mystères  de  son  équipage, 
il  est  dit  qu'il  avait  ses  deux  pieds  comme  deux  colonnes,  et 
TEpouse  ajoute  que  c'était  comme  deux  colonnes  de  marbre  : 
Pedes  ejus columnœ  marmoreœ.  (cant.  5.  4  5.)  Pourquoi 
ces  pieds  comme  deux  colonnes  et  des  colonnes  de  marbre? 
cVst  pour  signifier  que  quand  il  vient  au  jugement,  quand 
il  descend  pour  faire  justice  ,  il  vient  pesamment ,  tardi- 
vement, à  pas  de  tortue,  parce  qu'il  n'y  vient  que  comme 
à  regret  ,  par  contrainte  et  pour  ne  pas  blesser  les  droits 
et  justes  prétentions  de  sa  justice  adorable.  Vint  Deo 
facimus  y  iniquitatibus  nostris  cogimus  nolentem 
eum  ad  ulciscendas  scelerum  nostrorum  immanitates, 
(  Salvianus.  ) 

primum  punctum.  —  Deus promptus ,  etc. 

A.  —  (1°  Scriptura.  )  Voyez,  je  vous  supplie,  comme 
il  procède  ayee  le  premier  criminel  de  sa  terre  ?  quand  il 


P0URQ1  OJ    lis  PKCHR1  RS  PROSPÈRENT.  3  1  t 

■j  vient  faire  son  procès?  Deambulabat  ad  aurampoât 

met  idiem  ;  il  ne  vient  pas  de  grand  malin  ni  à  la  pointe 
lu  jour,  comme  quand  il  vient  pour  nous  aider  :  Adjuva- 
nt marte  diluculo;  il  vient  après  midi,  pendant  les 
•lus  grandes  chaleurs  du  jour,  lorsqu'on  marche  avec  peine 
(  tout  doucement;  il  vient  non  en  volant,  non  en  courant, 
nais  en  se  promenant,et  en  se  promenant  comme  un  homme 
foi  prend  le  frais  ,  qui  a  peur  de  s'échauffer  ,  qui  veut  ra- 
rtlchir  fardeur  de  sa  colère,  deambulabat  ad  auram    et 
D  M  promenant  il  t'ait  beaucoup  de  bruit  ,   il  va  criant  : 
■hlitm,  ubi  êê?  II  vent  tonner  et  étonner  ,  mais  il  ne  veut 
Il  foudroyer,  si  le  pécheur  se  reconnaît  et  à  recours  à  la 
énitence  :  Dedisti  metuentibus  te  significationem  ,  et 
ugiani  a  facie  arcus.   Il  se  comporte  tout  autrement , 
uand  il  esl  question  de  nous  assister.  David ,  au  psaume 
ix-sepfl  ,   raconte  une  grande  extrémité   où  il  se  trouva 
lus  d'une  fois  en  sa  vie  :  il  était  environné  de  ses  ennemis  , 
es  iniquités  l'assiégeaient  de  toute  part  ,  il  avait  déjà  la 
lori  entre  les  dents,  et  il  était,  dit-il,  sur  le  bord  du  pré- 
:  dreumdêderuni  me  dolorcs  mortis,  et  tor rentes 
nitjuitatis  eonturharerunt  me  ,    dolores  in  fer  ni  cir- 
vmd&derunt  me.  Là-dessus  ,    il  se  réfugie  dans  l'asile 
rdinaire  des  âmes  allligées;  il  se  met  en  oraison,  et  ré- 
ame  de  tout  son  cœur  la  miséricorde  de  Dieu  ;  il  n'a  pas 
loi  ouvert  la  bouche  pour  prier  ,   que  Dieu  ouvre  le  eiel 
onr  Je  venir  aider.  A  cet  effet  il  ne  prend  pas  des  pieds  de 
inil.re  et  des  colonnes  de  pierre,  comme  quand  il  vient 
,   mais  il  se  pose  sur  les  ailes  des  vents  pour  voler 
lus  promplemenl  :  In  tribu latione  mea  invocavi  Domi- 
uni ,  et  exaudirit  de  templo  sancto  suo  voeem  meam; 
<rer  prunus  rentorum  ;  et  parce  que  les  vents 
i  es  corporelles  qui  pourraient  rencontrer  en 
""lin  quelque  empêchement  à  leur  vitesse  ,  il  prend  pour 
iOOturc  mi»'  Créature  spirituelle  qui  puisse  passera  travers 
1  l«-  ;  il  monte  sar  un  chérubin  et  ?  oie  au  secours 
lerfitenr  :  Attendu  super  cherubim%  et  volavit; 
n'est  pu  qu'il  faille  s'imaginer  que  Dieu  ait  des  pieds  et 


312  SERMON  CCXC1I. 

des  membres  corporels,  qu'il  se  serve  des  vents  ou  des  ché- 
rubins, qu'ils  se  serve  de  monture  ou  de  carrosse  ;  mais 
l'Ecriture  parle  ainsi  pour  bégayer  avec  nous  ,  pour  s'ac- 
commoder à  notre  façon  de  parler  ,  et  pour  nous  donner  à 
entendre  que  Dieu  vient  tardivement  pour  nous  châtier , 
hâtivement  pour  nous  assister.  Les  esprits  bienheureux 
reconnaissent  bien  cette  inclination  de  leur  Maître  ,  et  ils 
tâchent  aussi  de  s'y  conformer.  En  la  Genèse.  (  cap.  \  8. 
et  19.  )  il  est  dit  que  Dieu  envoie  trois  anges  aux  villes 
de  Sodome  et  de  Gomorrhe  ,  pour  les  ruiner  de  fond  eu 
comble  ,  à  cause  des  pèches  abominables  qui  s'y  commet- 
taient et  qui  criaient  vengeance  devant  lui;  il  leur  commanda 
de  passer  par  la  ville  de  Mambré,  pour  en  donner  avis  à  son 
serviteur  Abraham.  Abraham  était  dans  sa  logette  ,  atten- 
dant sur  le  grand  chemin  les  pèlerins  qui  passeraient,  pour 
les  recevoir  dans  sa  maison.  Sitôt  qu'il  voit  ces  trois  anges, 
pensant  d'abord  que  c'étaient  trois  jeunes  hommes  ,  il 
s'adresse  à  eux  et  leur  dit  :  Messieurs ,  ne  vous  piait-il  pas 
de  vous  reposer  un  peu  et  de  prendre  un  pauvre  repas  dans 
ce  petit  logis  qui  est  tout  vôtre?  Ils  acceptent  la  courtoisie, 
et  se  donnent  la  patience  d'attendre  qu'Abraham  eût  fait 
pétrir  du  pain,  tuer  et  rôtir  un  veau  gras,  et  préparé  un  boa 
repas;  et  ils  demeurèrent  là  si  longtemps,  qu'il  n'arrivèrent 
à  Sodome  que  sur  le  tard  :  Venerunt  angell  Sodomum 
vespere,  encore  que  Sodome  fût  si  près  de  Mambré  ,  que 
depuis  Mambré  on  découvrait  aisément  Sodome  ;  et  l'un 
d'eux  demeure  en  chemin  :  Kenerunt  duo  angeli.  Etant 
arrivés  à  Sodome,  ils  rencontrent  le  juste  Lotb,  qui  était 
parent  d'Abraham  et  aimant  comme  lui  à  faire  l'hospitalité; 
il  les  fait  entrer  dans  son  logis  ,  leur  prépare  un  festin  ,  ils 
font  là-dedans  bonne  chère,  comme  ils  avaient  fait  le  matin 
dans  la  maison  d'Abraham.  Bonté  de  Dieu!  quels  messagers 
voici  !  qu'ils  semblent  paresseux  pour  des  anges!  ils  vont 
s'arrelant  à  tous  les  logis  qu'on  leur  présente ,  et  ne  se 
hâtent  pas  de  fsire  la  commission  pour  laquelle  ils. sont  en- 
voyés !  ne  sont-ils  pas  du  nombre  de  ces  anges  dont  parle 
le  Prophète  royal ,    qui  font  le  commandement  de  leus 


POURQUOI  LIS  pécHBURS  PR08PI ÎRENT.  343 

Maître  aussitôt  qu'il  ouvre  la  bouche  :  Facienies  verbum 
illius  adaudiendam  vocemsermonum  cjus,  c'est-à-dire, 
ad  audilionem  vocis  sermonis  ejus?  L'ange  du  prophète 
Daniel  était  bien  plus  expéditif  :  Ce  grand  prophète  était 
dans  la  caverne  des  lions  par  le  commaudement  du  roi , 
condamné  à  rassasier  leur  faim  ou  à  mourir  lui-même  de 
faim.  Dieu  met  à  néant  ees  deux  arrêts,  emhaillonnc  la 
gueule  des  lions,  leur  défend  de  toucher  à  son  serviteur. 
En  ee  même  temps,  le  prophète  Habacuc  était,  en  Judée, 
et  portait  à  dîner  aux  moissonneurs  qu'il  avait  au  champ; 
note/  que  de  la  Judée  à  Babylone  ,  où  était  Daniel  ,  il  y 
avn'f  pour  le  moins  deux  cents  lieues;  fange  dit  à  Hahaeuc  : 
Prophète,  portez  ces  viandes  à  Daniel  qui  est  à  Bahylone 
dans  la  caverne  des  lions.  Monseigneur  ,  répondit  le  pro- 
phète, je  n'ai  jamais  été  à  Babylone,  et  je  ne  sais  où  est  cette 
caverne.  En  ee  même  temps,  dit  f  Ecriture,  (Daniel.  14.  35.) 
l'ange  se  ^ai>i t  du  prophète,  et  le  prenant  par  les  cheveux  , 
le  porte  promptemenl  à  Babylone:  In  impetuspMtussuî, 
Voilà  un  ange  ,  dirait  ici  quelqu'un  qui  ne  saurait  pas  le 
I  ;  non  pas  ces  trois  autres  :  cet  ange  de  Daniel  va 
seul  ,  les  autres  de  la  Genèse  vont  en  compagnie; 
quand  on  est  en  compagnie,  on  a  coutume  d'aller  plus  vite, 
qu'on  va  plus  joyeusement;  range  de  Daniel  porte  m\ 
homme  et  le  dîner  de  plusieurs  ouvriers,  les  trois  autres 
ne  sont  point  chargés;  celui-là  a  plus  de  deux  cents  lieues  a 
faire  ,  ceux-ci  une  lieue  ou  deux  ;  celui-là  fait  sa  commis- 
sion en  un  moment ,  ceux-ci  ne  la  font  pas  en  un  jour. 
Voulez— vous  savoir  ce  mystère  ?  c^st  que  seniper  vident 
m  Pat  ris,  qui  in  coclis  est;  ils  voient  la  face  de  Dieu, 
•miaivM  ut  son  naturel,  ses  inclinations,  ses  affections, 
renl  en  quoi  il  constitue  et  fait  paraître  sa  gloire  ,  et 
I  qn'iU  connaissent  que  le  naturel  et  l'inclination  de 
Dieu  ,  c'est  de  Faire  le  bien  aux  hommes  et  de  les  assister 
promptement ,  de  les  châtier  el  de  les  punir  le  plus  tard 
qu'il  lui  est  possible,  parce  qu'ils  savent  que  la  gloire  de 
Dieu  n'éclate  point  tant  en  antre  chose  ,  qu'en  la  patience, 
en  la  longanimité*  et  la  miséricorde  ^u'il  exerce  envers  les 


314  SERMON  CCXCII. 

pécheurs.  Voilà  pourquoi  l'ange  qui  va  pour  secourir  Daniel 
et  pour  lui  donner  à  dîner,  va  promptement  et  dans  un  in- 
stant ;  les  autres  qui  vont  pour  faire  justice  et  abîmer  les 
villes  pécheresses  ,  vont  pesamment  et  à  contre-cœur. 

B.  —  (2°  Sensu  Ecoles  lœ.)  Aussi  l'Eglise  catholique 
ayant  entendu  les  anges  publier  la  gloire  de  Dieu  :  Gloria 
in  excelsis  Deo,  explique  la  lettre  de  leur  chant,  et  ajoute  : 
Laudamns  te,  glorlficamus  te,  grattas  agimus  tlhi 
propter  magnam  glortam  tuam.  Voilà  une  étrange  façon 
de  parler  ;  si  elle  disait  :  Laudamus  te  propter  magnam 
gloriam  tuam,  benedicimus  te  propter  magnam  glu— 
riamtuam,  ceneserait  pas  merveille,  ces  paroles  joindraient 
bien  ensemble  ;  mais  elle  dit  :  Grattas  agimus  tibi  propter 
magnam  glorlam  tuam  :  Nous  vous  rendons  grâces  de 
votre  grande  gloire.  Si  un  paysan  allait  dire  à  son  prince  : 
Sire,  je  vous  remercie  beaucoup  de  ce  que  vous  êtes  un  si 
grand  roi,  je  vous  rends  mille  grâces  de  ce  que  vous  êtes 
si  riche,  si  puissant,  si  glorieux;  ne  s'en  moquerait-on 
pas?  Il  semble  que  l'Eglise  fait  de  même  :  Mon  Dieu, 
dit-elle,  je  vous  remercie  de  votre  grande  gloire  ;  elle  sait 
bien  ce  qu'elle  dit,  elle  est  enseignée  par  un  bon  maître,  elle 
remercie  Dieu  de  la  douceur,  delà  clémence,  de  la  patience 
qu'il  exerce  en  notre  endroit,  nous  attendant  à  pénitence 
quand  nous  sommes  en  état  de  péché  ;  patience  qui  e^t  la 
gloire  de  Dieu,  au  dire  de  son  apôtre  :  Ut  ostenderet  di- 
vitlas  gloriœ  suœ  sustinuit  in  multa  patient  la,  vas  a 
irœ  apta  in  interllum.  (ilom.  9,  22.)  Oui,  Dieu  montre 
les  richesses  et  l'abondance  de  sa  gloire  ,  en  attendant  les 
pécheurs  ;  la  gloire  de  Dieu  ne  paraît-elle  pas  dans  la  preuve 
et  la  démonstration  de  ses  perfections  divines  ?  Or,  il  est 
vrai  que  Dieu  montre  toutes  ses  perfections  dans  cette  dé- 
bonnaireté  qu'il  exerce  envers  les  pécheurs;  vous  murmu- 
rez contre  Dieu  de  ce  qu'il  souiFrc  si  longtemps  en  ce  monde 
ce  méchant  homme  qui  ne  sert  de  rien  si  ce  n'est  pour  boire 
et  manger  ,  et  pour  commettre  des  péchés  ;  vous  voudriez 
que  Dieu  fût  aussi  soudain  et  impatient  que  vous,  et  qu'il 
courut  k  Ja  yengeance  aussitôt  qu'on  l'a  offensé,  Hélas  !  si 


POURQUOI   LES  PÉCHEURS  PROSPERENT.  '^15 

;  exterminait  tous  les  pécheurs,  où  seriez-vous  il  y  a 

longtemps,  vous  qui  murmurez  contre  lui  ?  vous  ne  voudriez 
donc  pas  qu'il  montrât  sa  gloire  ?  vous  êtes  donc  marri  de 
ce  qu'il  nous  fait  voir,  noua  nos  dépens,  mais  à  notre  grand 
profit ,  les  richesses  inépuisables  desperfections  infinies  qui 
s<  ni  en  son  essence  divine? 

C. —  [3°  Rationibttê....  Nohilitatem.)  Il  montre,  pre- 
nnent, sa  grandeur  ;  cela  est  bon  pour  un  simple  bour- 
-,  pour  un  petit  artisan,  pour  un  homme  de  petite 
étoffe,  de  n'avoir  personne  dans  sa  maison  qui  ne  lui  paie 
>n  ou  qui  travaille  à  son  service.  Les  grands  et  les 
ants  seigneurs,  les  princes  et  les  rois  magnifiques  nour- 
ot  dans  leurs  palais  plusieurs  serviteurs  inutiles  qui  ne 
ut  que  de  nombre  ;  même  ils  tiennent  souvent  cour  ou- 
verte ,  et  traitent  plusieurs  personnes  qui  ne  leur  en  savent 
de  gré.  Dieu  en  veut  faire  de  même,  qui  est-ce  qui 
p<  ut  l'en  reprendre?  N'est-ilpas  maître  de  ses  biens,  quelle 
injure  vous  fait-il  de  les  donner  à  des  indignes?-^  oculus 
tu  us  nequam  c^t ,  quia  in  se  bonus  est? 

1).  —  [Potentiam.) Il  montre,  en  second  lieu,  sa  puis- 
sance ;  c'est  aux  faibles  esprits ,  aux  personnes  pusillanimes 
pouvoir  souffrir  une  essence  ;  les  enfants,  les  vieillards 
et  les  femmes  sont  plus  impatients  aux  injures,  parce  qu'ils 
ont  l'esprit  plus  infirme  :  Nam  vindteta  nemomagis gau- 
dei  quam  femina;  un  cœur  généreux  et  magnanime  se 
contente  qu'on  sache  qu'il  a  le  pouvoir  sans  le  vouloir,  contre 
ceux  qni  ont  le  vouloir  et  non  pas  le  pouvoir  sur  lui  :  Mag- 
illc  est  qui  ,  more  magnœ  ferœ  ,  latratus  minuto- 
rum  canum  securus  exaudit ,  ditSénèque  ;  Deus ,  qui 
omni\  im  tuam  parcendo  maxime  et  miser ando 

!.. —  Sapientiam.)  II. montre, en  troisième  lieu,  sa  sa- 

loue-t-on  pas  un  général  d'armée,  par  exemple, 

!  Maximus,  de  ce  qu'il  gagna  les  Carthaginois,  en 

les  matant  par  sa  patience,  et  fit  plus  par  sa  longanimité  , 

i  ardeur  :  l  fnus  homo  nobis,  cunctando 

tuil  rem?   Ne  loue-t-on  pas  un  avocat  qui  accorde  à 


3 1  G  SERMON  CCXCil 

sa  partie  adverse  tout  ce  qu'elle  a  expose',  mais  qui  la  con- 
vainc par  ses  propres  conclusions  et  par  un  argument  ad 
hominem  ?  Ne  loue-t-on  pas  un  médecin  qui  donne  à  son 
malade  tout  ce  qu'il  demande ,  et  le  guérit  par  des  remèdes 
doux  et  anodins  ,  jetant  quelques  gouttes  d'essence  dans  les 
viandes  que  l'appétit  du  malade  désire  ?  De  même  louez  donc 
semblablement  la  sagesse  de  Dieu  qui  se  donne  la  patience  do 
tenir  si  longtemps  le  siège  devant  le  cœur  rebelle  de  ce  pé- 
cheur, qui  le  comble  de  prospérité,  qui  l'accable  de  courtoisie, 
qui  accomplit  tous  ses  souhaits,  et  qui  au  milieu  de  ses  disso- 
lutions, lui  fait  avouer  qu'ila  tort  et  le  contraint  de  se  rendre, 

F.  —  {Bonitatem.)  Il  montre  sa  bonté.  Quel  est  l'effet 
de  la  bonté  ?  n'est-ce  pas  de  faire  bonnes  les  choses  qui 
étaient  mauvaises,  comme  le  propre  du  sucre  de  faire  douces 
les  choses  amères  ?  Cette  patience  de  Dieu  touche  enfin  le 
cœur  du  pécheur,  le  fait  rentrer  en  lui  et  le  fait  considérer 
son  ingratitude,  il  lui  fait  avoir  horreur  d'offenser  si  long- 
temps un  Dieu  qui  l'oblige  par  tant  de  grâces.  Sicut  fiait 
cera  a  facie  ignis,  sic  pereant  peccatores  a  facie  Dei  : 
Comme  la  cire  se  fond  et  se  liquéfie  à  la  chaleur  du  feu  , 
ainsi  les  pécheurs  périssent  en  tant  que  pécheurs;  ils  amol- 
lissent leur  endurcissement  à  la  chaleur  de  l'amour  et  de  la 
débonnaireté  de  Dieu. 

G.  —  (Justifiant.)  Il  montre  sa  justice.  S.  Thomas  ap- 
pelle fort  proprement  la  miséricorde  de  Dieu  :  Justitiœ 
flenitudinem.  Si  Dieu  damnait  ce  pécheur,  comme  vous 
dites  qu'il  devrait  faire  ;  ce  pécheur  ne  lui  satisferait  jamais 
pleinement,  et  en  rigueur  de  justice  ;  il  ne  sera  jamais  vrai 
de  dire  qu'une  àme  damnée  ait  acquitté  ses  dettes,  elle  de- 
meurera reliquataire,  parce  que  ses  peines  sont  finies  ,  ses 
démérites  infinis  :  Punitur  citra  condignum;  au  lieu  que 
quand  Dieu  pardonne  ,  le  pécheur  lui  satisfait  pleinement, 
épuise  toutes  ses  dettes ,  paie  tout  autant  qu'il  doit  par  les 
bonnes  œuvres  qu'il  fait ,  unies  aux  mérites  infinis  de  Jésus 
qui  ne  doit  rien.  Patientiam  hahe  in  ?ne,  etomnia  red- 
dam  //fo':  Donnez-moi  un  peu  de  délai ,  et  je  vous  paierai 
entièrement ,  disait  le  serviteur  qui  devait  dix  mille  talents; 


POURQUOI  LES  PECHEURS  PROSPERENT.    317 

BOB  naître  ne  lui  répondit  pas  :  Vous  ne  le  ferez  jamais. 
Quand  vous  jetez  en  prison  un  pauvre  homme  qui  vous  doit 
beaucoup,  cl  qui  s'est  obligé  à  prise  de  corps,  vous  le  mettez 
dans  l'impossibilité  de  vous  jamais  satisfaire;  si  vous  lui 
donniez  la  liberté,  il  aurait  moyen  de  travailler  ctde  gagner 
pour  acquitter  ses  dettes.  C'est  ee  que  Dieu  fait  au  pécheur  ; 
il  le  soutire  quelque  temps  en  ce  monde  ,  afin  qu'il  rachette 
ses  crimes  par  ses  aumônes  et  par  d'autres  bonnes  œuvres. 

II.  —  (Miscricordiam.)  En  quoi  il  montre  aussi  sa 
miséricorde  ;  comment  peut-il  mieux  la  montrer  qu'en 
l'exerçant  ?  sur  quoi  peut-il  mieux  l'exercer  qu'envers  la 
misère?  quelle  misère  plus  grande  que  l'état  du  péché? 
quel  état  du  péché  plus  dangereux  que  celui  qui  pèche  in- 
cessamment ,  et  ne  fait  point  de  pénitence  ? 

I.  —  (Providentiam.)  Il  montre  sa  providence,  se  ser- 
vant pour  ses  desseins  et  pour  plusieurs  bons  effets  de  la  vie 
et  il-'  la  santé  des  pécheurs.  Si  vous  êtes  roi  on  peut  vous 
remontrer  que  vous  commandez  quelquefois  de  condamner 
avons  rendre  service  dans  vos  galères  des  malfaiteurs  qui 
ont  mérité  la  mort  ;  et  Dieu  conserve  en  vie  ce  méchant 
homme,  parce  qu'en  persécutant  une  ame  dévote,  il  Ta  fait 
avancer  dans  le  chemin  du  ciel ,  comme  un  vaisseau  à  bon 
port ,  par  la  patience  et  par  les  autres  vertus  qu'elle  pratique 
en  lui  pardonnant. 

L.  —  (4°  Comparationibus .)  Si  vous  êtes  juge  ,  vos 

lois  vous  commandent  de  différer  l'exécution  d'une  femme 

enceinte,  (L.  imperator  Adrianus,  (T.  de  statu  hominum.) 

peut-être  que  cette  femme  vicieuse  que  vous  voudriez  que 

Dieu  fit  mourir,  est  enceinte  de  quelque  bon  dessein  qui 

i  i  dans  quelque  temps ,  ou  d'un  enfant  qui  sera  quelque 

jour  un  grand  serviteur  de  Dieu.  Si  vous  êtes  médecin,  on 

dira  qu'il  n'appartient  qu'ai. x  chirurgiens  de  village 

ir  toujours  recours  au  fer  et  au  feu  ;  les  médecins  de 

ville  bien  eipcrts  aiment  mieux  guérir  avec  des  remèdes  doux 

et  anodins,  ils  savent  (pie  les  cautères  potentiels  ne  font  pas 

Rotant  de  douleur  et  font  souvent  autant  d'effets  que  les 

ls.  Si  \\}[\i  êtes  père  de  famille,  pourquoi  laisiez-vous 


Il  18  SERMON  ÇCXCli. 

aux  mois  d'août  cl  de  septembre  des  échalas  au  milieu  de 
votre  vigne,  les  épines  autour  de  votre  champ  ;  les  échalas 
ne  produisent  point  de  raisins,  ni  les  épines  ne  portent  point 
de  blé  ?  vous  direz  :  C'est  que  l'éehalas  soutient  le  raisin  , 
et  les  épines  servent  de  défense  au  champ  ;  après  la  moisson 
et  les  vendanges ,  je  mettrai  au  feu  les  échalas  secs  et  les 
ronces  stériles.  Le  bon  Dieu  en  fait  de  même,  il  conserve 
en  vie  ce  méchant  homme,  parce  qu'il  porte,  assiste  et  pro- 
âége  par  son  crédit  et  par  son  autorité  quelque  âme  dévote 
ou  quelque  communauté  religieuse  ;  il  saura  bien  le  jeter 
au  feu  quand  il  sera  temps  et  expédient.  Si  vous  êtes  pein- 
tre ,  on  pourra  vous  dire  :  Pourquoi  mettez-vous  des  om- 
bres et  du  noir  dans  votre  tableau  ?  Cest,  direz-YOus,  pour 
donner  du  relief  et  du  jour  aux  vives  couleurs ,  car  les 
contraires  assis  auprès  l'un  de  faulre  se  font  mieux  con- 
naître. Ainsi  Dieu  laisse  les  mauvais  parmi  les  gens  de  bien, 
afin  que  le  vice  des  uns  donne  du  lustre  et  de  l'éclat  à  la 
vertu  des  autres.  Si  vous  êtes  musicien  ,  pourquoi  mettez- 
vous  des  notes  noires  et  crochues  parmi  les  blanches  et 
demi-mesures  ?  Cest ,  direz-vous ,  pour  faire  l'harmonie. 
C'est  aussi  pour  composer  l'harmonie  du  monde  que  Dieu 
laisse  les  âmes  noircies  et  souillées  parmi  les  ûmes  blanches 
et  innocentes.  Si  vous  êtes  demoiselle  ,  pourquoi  mettez- 
vous  ces  vergettes  parmi  cet  attirail  de  vos  ornements  ,  elles 
ne  parent  pas  votre  tète  ,  ni  votre  cou  ,  ni  vos  bras ,  ni  vos 
mains  ?  Non  ;  mais  direz-vous ,  elles  me  servent  à  nettoyer 
mes  atours  et  à  ôter  la  poussière  qui  gâterait  mes  habits. 
Ainsi  Dieu  conserve  ce  méchant  homme,  afin  que  par  le 
procès  qu'il  vous  fait ,  par  la  calomnie  qu'il  vomit  contre 
vous,  par  la  persécution  dont  il  afflige  votre  vie  ,  il  vous 
fasse  faire  pénitence  ,  il  vous  fasse  nettoyer  de  vos  imper- 
fections ,  vous  donne  sujet  d'exercer  la  patience  :  Omnis 
malus  aut  ideo  vivit,  ut  corrigatur ,  aut  ideo  vivit,  ut 
\iereum  bonus  exerceaîur ,  dit  S.  Augustin.  Si  vous  êtes 
philosophe,  on  pourra  vous  dire  que  cet  homme  privé  de 
toute  vertu ,  est  peut-être  au  monde  ce  que  la  privation  est 
en  la  physique  ?  c'est  peut-être  un  principe  et  un  commen- 


P<  URQl     !   LES  PECHEURS  PROSPERENT.  3  I  i.) 

ml  de  quelque  boD  compose.  Si  vous  êtes  gentilhomme, 
o'esl  que  Dieu  l'ait  à  cette  impie  ou  débauché  ,  comme  vous 
faites  à  votre  oiseau  quand  il  a  pris  ressort,  vous  lui  pré- 
sentez une  pièce  de  chair  pour  le  leurrer  et  rappeler  à  votre 
main.  Ainsi  Dieu  donne  les  biens  temporels  à  cet  homme  qui 
éloigné  de  lui  pour  l'amorcer  par  se:,  appâts  et  le  faire 
rentrer  en  .sa  -race.  Si  vous  êtes  théologien,  Dieu  pratique 
le  conseil  qu'il  nous  donne  par  la  bouche  du  Sage  :  Siesu- 
ricrit  ininùvustuus  cibaillum  ,  hoc  enini  faciens  car- 
honte  ignio  congères  super  caput  ejus.  Les  bénéfices 
que  Dieu  lait  à  ses  ennemis  sont  autant  de  charbons  ardents 
qu'il  assemble  sur  leur  tétc  pour  les  échauffer  ,  s'il  est  pos- 
sible ,  h  l'amour  de  sa  bonté. 

Disons  doue  avec  l'Eglise  ,  ô  Ame  dévote  !  Laudantus 

enedicimus  te,adora»u<s  te^jlorijlcamus  te  y  ara- 

ujimustibi proplcr  maynam  gloriam  tuanu  Dieu 

éni ,  loué,  gloriOé,  remercié  à  jamais  de  cette  grande 

ricordequ'il  a  exercée  à  notre  égard,  nous  attendant  si 

erops  ,  si  patiemment,  si  débonoairement  quand  nous 

étions  en  mauvais  état;  hélas  !  s'il  nous  eût  pris  au  pied  levé, 

rions-nous  maintenant  ?  ne  serions-nous  pas  uiisé- 

s  ?  ne  serions-nous  pas  perdus  pour  jamais  >  Nous  le 

M  ,  et  il  nous  poursuivait;  nous  le  méprisions  ,  et  il 

non.,  recherchait;  nous  l'offensions ,  et  il  nous  conservait; 

qu'il  en  soit  béni  à  jamais  !  que  cotre  cœur  se  fonde  en  son 

amour  !  que  notre  bouche  retentisse  de  ses  louanges  !  que 

\l  moments  de  la  vie  qui  nous  restent  lui  soient  en- 

-acres  !  et  afin  de  rendre  quelque  hommage  à 

icorde  ,  honorons-la  par  imitation. 

ctdm.  —  Expédiai  peccatorem ,  de. 

—    I    E*  perte  projet  mi.)  Car  c'est  la  seconde 

i  pour  laquelle  il  attend  patiemment  le  pécheur  et  nous 

promptement ,  afin  de  nous  apprendre  par  cetexem- 

I  ipts  à  aider  le  prochain  ,  pesants  et  tardifs  à 

J  Uim  mendiant  est  à  votre  porte, 

le  de  notre  Saufeur  -  secourex-Ie  soudain ,  ne 


320  SERMÔiN  CCXCI1. 

le  laissez  pas  geler  de  froid  ,  ne  lui  faites  pas  tant  de  ques- 
tions; vous  lui  faites  plus  de  mal  par  la  confusion  que  vous 
lui  donnez,  que  de  bien  par  votre  aumône  ;  toutes  ces  inter- 
rogations seraient  bonnes  si  vous  vouliez  donner  l'aumône 
par  pure  compassion  naturelle  ou  par  motif  de  prudence 
mondaine;  mais  si  vous  voulez  donner  comme  le  chrétien 
la  doit  donner,  par  motif  d'amour  de  Dieu  ,  il  faut  la  don- 
ner amoureusement,  joyeusement ,  promptement ,  sans  tant 
de  remises  :  Qui  cito  dat  bis  dat ,  hilarem  datorem  di- 
ligit  Deus.  Et  au  contraire,  quand  il  faut  châtier,  ayez  un 
peu  de  patience,  ne  soyez  pas  si  prompt  :  cette  précipita- 
tion à  châtier  ou  à  reprendre  les  fautes  de  vos  domestiques, 
quand  vous  êtes  en  colère ,  endommage  beaucoup  et  ne 
profite  à  personne;  elle  vous  endommage ,  car  elle  est  cause 
de  plusieurs  jurements,  malédictions  et  blasphèmes  que 
vous  proférez  ;  elle  ne  profite  pas ,  car  quand  celui  que  vous 
reprenez  est  encore  en  l'ardeur  de  son  péché ,  transporté  de 
sa  passion ,  il  n'est  pas  susceptible  de  bonnes  impressions , 
il  n'est  pas  en  état  de  faire  son  profit  de  ce  que  vous  lui 
direz,  il  est  incapable  de  bien  concevoir  vos  salutaires  aver- 
tissements ,  encore  moins  de  recevoir  une  rigoureuse  cor- 
rection ;  il  vaut  mieux  un  peu  différer.  Un  père  bien  avisé  ne 
corrige  pas  son  enfant  qui  s'est  enivré ,  pendant  qu'il  est 
ivre  ,  il  laisse  digérer  son  vin  ,  et  puis  il  choisit  l'occasion. 
Un  sage  et  bien  expert  médecin  n'ordonne  pas  une  poîion 
quand  la  maladie  est  en  crise ,  il  laisse  passer  cet  excès ,  et 
puis  il  envoie  l'apothicaire.  Quand  votre  domestique  ou  quel- 
que autre  de  vos  prochains  vous  offense  ,  il  est  ivre  de  sa 
passion  ;  laissez  refroidir  cette  chaleur,  et  puis  vous  lui  re- 
montrerez sa  faute.  Cette  débauche  que  votre  serviteur  vient 
de  faire  ,  cette  calomnie  que  votre  voisin  vous  dit  en  sa  co- 
lère, c'est  une  fièvre  d'esprit  qui  est  en  ses  jours  critiques  ; 
différez  un  peu  votre  ordonnance,  attendez  de  vous  justifier, 
retenez  un  peu  votre  zèle  indiscret  :  Diffèr,  halent  parvœ 
commoda  magna  morœ  ;  peut-être  que  lui-même  se  re- 
connaîtra sans  votre  correction.  Les  plaisirs  et  voluptés  de 
ce  monde  ont  bien  un  peu  de  douceur  en  leurs  commence- 


POUftQUOJ  LE3  PECHEURS  PROSPERENT.  321 

mcnîsct  dans  leurs  promicros  apparences,  mais  ils  portent 
toujours  ou  croupe  Pamerlume  et  la  repentance.  Peut-être 
que  ce  jeune  homme,  libertin  et  débauché,  goûtant  le  fiel 
do  la  douleur  après  le  miel  de  la  douceur,  se  dégoûtera  du 
péché  :  los  chemins  du  vice  sont  toujours  après  et  difficiles: 
Ambulavimus  in  n'as  difficiles,'  enfin  il  s'en  lassera  et 
sera  contraint  de  rentrer  au  sentier  de  la  vertu  ;  et  puis  bien 
qu'il  soit  en  sou  bon  sens  et  en  bonne  disposition  de  rece- 
voir quelque  réprimande,  il  ne  prendra  pas  de  bonne  part 
celle  que  vous  lui  ferez  maintenant ,  parce  qu'il  voit  que  vous 
Iles  en  colère  ,  il  attribuera  à  votre  fureur  toutes  les  bonnes 
remontrances  que  vous  lui  ferez ,  et  pensera  que  c'est  la  co- 
lère qui  vous  fait  dire  tout  ce  que  vous  dites. 

x  — (2°  Ex  parte  nostri.)  On  sait  que  quand  vous 
êtes  en  une  passion  ,  vous  ne  pouvez  faire  aucune  belle  ac- 
tion :  quand  voire  horloge  est  égarée,  que  les  mouvements 
en  sont  déréglés,  les  contrepoids  démontés,  les  roues  mal 

conduites,  fous  n'ayez  pas  égard  à  sa  sonnerie,  parce  que  vous 
savez  bien  que  le  dehors  ne  peut  être  bien  réglé  ,  quand  le 
dedans  est  désordonné,  et  qu'elle  sonnera  aussitôt  quatorze 
a  que  douze.  Quand  celui  que  vous  reprenez  vous  voit 
transporté  de  colère,  il  sait  bien  que  les  roues  de  votre  es- 
prit sont  démontées,  que  toutes  les  puissances  et  facultés 
de  votre  âme  sont  en  désordre,  que  vous  avez  l'entendement 
hors  de  sa  droite  et  légitime  assiette  :  Fuvor  traque  men- 
ton précipitant;  turbatus  est  in  ira  oculus  meus; 
pour  cela  on  ne  se  règle  pas  à  votre  sonnerie  ,  on  n'a  pas 
Égard  à  vos  paroles ,  on  ne  prend  point  avis  de  votre  esprit 
pu  n  est  pas  bien  conseillé  ,  on  pense  que  vous  sonnez  qua- 
torze au  lieu  de  douze  ,  que  vous  faites  la  faute  plus  grande 
I"  elle  n  est  ,ef  au  lieu  d'un  bon  amendement,  vous  ne  ga- 
lles murmures  et  détractions  qu'on  fait  de  vous  ; 
">  l««l  que  si  vous  attendiez  de  reprendre  jusqu'à  ce  que  ce 
iremier  mouvement  fût  un  peu  calmé,  on  prendrait  de 
K>nne  part  tout  ce  que  vous  remontreriez.  Voyez  comme 
*eo  se  comporte  envers  les  pécheurs,  avec  quelle  patience 
I  longanimité  il  les  supporte  et  comme  il  les  gagne  parla 


322  SERMON  CCXCÏÎ. 

douceur.  Combien  y  a-t-il  do  Saints  dans  le  ciel  qui  ont 
rendu  de  très  bons  services  à  Dieu  et  beaucoup  profilé  à 
l'Eglise  ,  qui  n'eussent  rien  fait  de  tout  cela  ,  s'il  les  eût  pu- 
nis aussitôt  après  leur  pé-ché  ;  il  les  a  attendus  patiem ruent, 
il  les  a  soufferts  miséri«ordîeusement,  obligés  par  mille 
bienfaits  ;  enfin  ils  se  sont  convertis  ,  et  Pont  servi  plus  cou 
rageusement  que  les  autres,  et  ils  l'en  remercient  mainte- 
nant dans  le  ciel  et  ils  l'en  remercieront  à  jamais. 

tertium  punctum.  —  Expeciat ,  etc. 

O  —  (1  °  Exemple)  Davidis.)  La  troisième  raison  pour 
laquelle  Dieu  attend  le  pécheur ,  c'est  le  profit  et  futilité  du 
même  pécheur,  afin  d'amollir  son  cœur  endurci  par  cette 
douceur  et  cette  bénignité.  Dieu  se  comporte  envers  les  pé- 
cheurs comme  le  prophète  David  se  comporta  envers  Saiil. 
David  était  encore  sujet  et  vassal  de  Saiil,  néanmoins  comme 
îî  était  vaillant  et  aguerri ,  ayant  tué  en  duel  le  géant  Go- 
liath et  ayant  défait  en  bataille  plusieurs  Philistins,  Saiil 
commença  à  le  craindre,  La  royauté  est  un  si  friand  mor- 
ceau ,  comme  disait  un  ancien ,  que  c'est  un  miracle  quand 
le  père  ne  se  défie  pas  de  son  propre  enfant,  et  lui  laisse  tenir 
une  épée  nue  auprès  de  sa  majesté.  Saiil  craignant  donc 
que  David  ne  se  glissât  petit  à  petit  sur  son  trône  et  ne  lut 
enlevât  la  couronne,  commença  aie  persécuter  avec  tant  de 
passion  ,  qu'il  assemble  une  grosse  armée  ,  le  poursuit  dans 
le  désert,  le  cherche  par  montagnes  et  vallées,  pour  le  faire 
mourir.  Or  il  arriva  un  jour  que  Saiil  s'étant  campé  en  la 
solitude  de  Gabaa  ,  étant  las  et  accablé  du  chemin ,  s'en- 
dormit lui  et  toute  son  armée,  et  même  Abner, son  conné- 
table. David  qui  n'était  guère  loin  de  là ,  s'étant  aperçu 
d'un  si  profond  silence  qui  était  au  camp  de  l'ennemi ,  s'en 
vient  épier  ce  qu'on  y  faisait  avec  un  de  ses  favoris  nommé 
Abysaï  ;  quand  ils  virent  que  le  roi  et  toute  sa  suite  étaient 
ensevelis  en  un  si  grand  sommeil,  Abysaï  dit  à  David  :  Eh 
bien  !  Monseigneur,  c'est  maintenant  que  Dieu  a  mis  votre 
ennemi  entre  vos  mains,  il  ne  tiendra  qu'à  vous  que  vous  ne 
soyez  aujourd'hui  roi  j  vous  plail — il  que  je  tue  Saiil  qui 


tQUOI  ï.rs  PÉCHEURS  PROSPERENT.     :  ':  ; 

VOUS  persécute  ?  si  nous  ne  profilons  pas  de  celle  belle  oc- 
ii,  nous  ne  la  retrouverons  pas  si  aisément.  Garde-t-en 
,  dit  David;  j'aimerais  mieux  avoir  perdu  la  vie  que  de 
permettre  (iu\)ii  fit  le  moindre  tort  au  roi  qui  est  Point  du 
Seigneur;  il  faut  attendre  la  disposition  de  Dieu:  quand  il 
lui  plaira  ,  il  lui  fera  connaître  le  tort  qu'il  me  fait  de  me 
écuter  sans  cause;  de  sorte  qu'ils  ne  firent  point  de  mal 
a  Sattl  nia  aucun  de  ses  gens;  seulement,  pour  lui  mon- 
trer qu'il  avait  eu  sa  vie  eu  sa  puissance,  il  lui  prit  tout 
doucement  une  hallebarde  et  un  verre  d'eau  qu'il  avait  ail- 
le lui,  et  puis  se  retira  en  la  montagne  prochaine  : 
quand  ils  furent  au-dessus  du  mont  et  qu'ils  se  virent  en 
suivie  ,  David  cria  à  liante  voix  :  Et  bien ,  Abner ,  tu  es  un 
habile  homme,  vraiment  tu  es  un  beau  connétable  !  oh  !  les 
bonnes  sentinelles  que  tu  as  posées,  et  que  lu  veilles  bien  à 
de  ton  prince  !  regarde  qu'on  lui  a  pris  sa  hallc- 
,  i  I  qu'on  a  eu  le  pouvoir  de  le  mettre  à  mort  fort  af- 
Quand  le  roi  Saul  entendit  cette  voix  et  qu'il  vit  le 
i  ou  il  avait  ete  et  la  miséricorde  que  David  avait 
exercée  enfers  lui,  il  fut  tellement  attendri  et  convaincu 
!'"•  cette  courtoisie ,  qu'il  s'écria  en  pleurant  :  N'est-ce  pas 
roosquej  entends,  mon  fils,  mon  ami  David?  je  suis  un  fou 
ater  ,  retournez  ,  je  ne  vous  ferai  jamais  mal; 
blement  vous  avez  bien  montré  que  vous  êtes  plus  sa-e 
que  moi ,  que  vous  n'avez  point  de  dessein  contre  ma  cou- 
ronne, que  ma  vie  vous  est  plus  chère  que  je  ne  pensais  ;  j'ai 
mal  fait ,  je  me  repens  de  vous  avoir  ainsi  persécuté.  Celte 
corde  <pie  David  fit  à  Saûl ,  n'était  rien  en 
raison  de  celle  de  Dieu  à  votre  égard,  si  vous  consi- 
Ltience  et  sa  longanimité  invincible;  il  faut  dira 
toi  plus  endurci  que  Sattl,  si  vous  ne  pleurez  et 
laites  pénitence.  Sattl  était  déjà  réproufé  de  Dieu, 
inmoins  il  est  tellement  touché  par  unecourloisie,  que 
'."•uuit  UD  «jets  qui  ne  Pavait  pas  lue  le  pouvant 

a  faute  avec  larmes,  il  se  repedt,  il  est 
,)Ucndri  (  :  r ,  il  promet  de  ne  le  plus  persécuter. 

lui  d'avoir  (anl  offensé  eo 


324  SERMON  CCXCII. 

bon  Dieu  ;  il  n'est  pas  votre  sujet  comme  David  était  vassal 
de  Saûl ,  au  contraire  il  est  votre  Roi  et  Souverain  ;  vous 
ne  craignez  pas  qu'il  vous  ôte  la  vie  ,  comme  Saiil  le  crai- 
gnait de  David  ,  et  cependant  vous  le  persécutez,  vous  l'of- 
fensez ,  vous  le  blasphémez  ;  quel  mal  vous  a-t-il  fait  ?  en 
quoi  vous  a-t-il  désobligé  ?  en  quoi  a-t-il  mérité  que  vous  le 
persécutiez  de  la  sorte  ?  Il  a  toujours  votre  vie  entre  ses 
mains  ;  il  a  toujours  le  pouvoir  de  vous  abîmer  aux  enfers  ; 
il  peut  à  chaque  moment  vous  perdre  et  vous  anéantir  ;  et 
s'il  voulait  croire  sa  justice,  qui  lui  conseille  comme  Àbysaï, 
il  l'aurait  déjà  fait  il  y  a  longtemps  ;  non,  mais  il  vous  ché- 
rit tant ,  il  fait  tant  d'état  de  votre  salut ,  qu'au  lieu  de  vous 
mettre  à  mort ,  il  est  près  de  mourir  pour  vous  ;  il  vous  ôte 
quelquefois  votre  hallebarde  ,  cette  santé ,  ces  biens  tempo- 
rels, ces  forces  corporelles?  cet  enfant  qui  est  cause  que 
vous  l'offensez  ,  c'est  la  hallebarde  et  la  flèche  avec  laquelle 
vous  le  persécutez  ,  il  vous  les  ôte  quelquefois  pour  vous 
montrer  que  vous  êtes  en  sa  puissance,  et  que  toutes  les 
créatures  dorment  à  votre  défense  ,  s'il  voulait  vous  perdre 
ou  vous  nuire  :  pleurez  donc ,  pleurez  ,  et  dites  comme  Saiil  : 
Peccavi ,  apparet  quod  s  fuite  fecerim  :  J'ai  péché,  je  suis 
un  fou ,  un  aveugle  ,  un  étourdi  et  insensé  d'offenser  un  si 
bon  Dieu.  Véritablement ,  mon  Dieu  ,  vous  êtes  juste  ,  et 
moi  je  suis  un  misérable  et  un  ingrat  :  Ta  enim  tribu isti 
Ttxihi  bona  ,  et  eyo  reddidi  tihi  mala, 

P. —  (2°  Paraphrasi ,  etc.)  Voulez-vous  voir  la  dou- 
ceur incroyable,  la  patience  et  la  miséricorde  qu'il  exerce 
en  votre  endroit?  écoulons-le  parler,  et  finissons  par  les  pa- 
roles de  l'Apocalypse  :  (  3.  20.)  Ecce  sto  ad  ostium ,  et 
puho  ;  si  quis  mihi  aperuerit ,  intrabo  ad  illum  ,  et 
cœnabo cum  Mo,  et  ipsemecum.  Autant  de  paroles  ,  au- 
tant de  vives  pointes  pour  percer  nos  cœurs ,  s'ils  ne  sont  de 
diamant.  Ecce ,  c'est  un  mot  qui  signifie  dans  l'Ecriture 
quelque  chose  d'extraordinaire  et  digne  d'étonnement , 
comme  :  Ecce  virgo  concipiet  ;  Ecce  facio  Verbam 
quod  quicvnque  audierit.  C'est  une  grande  merveille 
qu'un  si  grand  Seigneur  comme  Dieu ,  qui  n'a  besoin  d'au- 


POI  &QU01  LES  PÉCHEURS  PROSPERENT.     ,T2.j 

mue  cnose  ,  daigne  attendre  à  notre  porte,  [maginez-*ôus 

quelqu'un  ,  pour  qui  vous  avez  de  l'amour  et  du  respect, 
i  rivons  avait  demandé  quelque  courtoisie ,  feriez-vous  lé 
rétif?  le  feriez-vous  attendre  si  longtemps,  s'il  l'avait  de- 
mandé cinq  ou  six  fois  ?  Si  vous  lui  aviez  promis  plusieurs 
fus ,  n  aunez-vous  pas  honte  de  manquer  à  votre  promesse 
et  de  retarder  davantage?  Regardez  comme  vous  traitez 
Dieu  ;  il  y  a  si  Ion-temps  qu'il  demanda  votre  con- 
version ,  vous  la  lui  avez  promise  si  souvent  en  vos  confes- 
sions ,  en  vos  prières,  en  vos  afflictions,  et  vous  manquez  à 
votre  promesse.  Eccesto,  il  y  a  au  grec  éa^,  steti-,  il  n'est 
pas  seulement  à  votre  porte  dès  à  présent  ,  il  y  a  plus  de 
dix  ans ,  plus  de  vingt ,  plus  de  trente.  Si  un  pauvre  men- 
diant avait  attendu  à  votre  porte  une  semaine  entière  pour 
avoir  une  petite  aumône  ,  quand  ce  serait  le  plus  ehétif  et  le 
plus  indigne  de  la  terre,  quand  vous  auriez  un  cœur  de  bronze 
fous  en  auriez  compassion.  Exportai  Dominas  ut  mise- 
Dieu  n'a  pas  attendu  une  semaine,  mais  les  mois, 
■     nées,  les  dix  années  entières,  et  vous  différez  encore  ! 
\  oyei  quand  vous  êtes  en  quelque  affliction,  et  que  vous 
>«/ 1  aide  de  Dieu,  comme  vousvoulcz  qu'il  vous  exauce 
promptemenl  :  In  quacumque  die  invocavero  le,  vélo- 
Citer  exaudi  me  ;  et  vous  le  faites  attendre  si  longtemps! 
àto  ad  aetium  ,  non  pas  ad ostia  /c'est  une  faveur  parti- 
culière qu  il  vous  fait ,  et  qu'il  n'a  pas  faite  à  une  infinité 
•  autres.   Repassez  en  votre  mémoire  les  compagnons  que 
vous  ayez  eus  en  divers  endroits,  en  divers  âges,  en  diverses 
conditions,  vous  verrez  qu'une  grande  partie  ont  été  pris 
au  milieu  de  leurs  débauches,  dans  l'ardeur  delà  jeunesse, 
'}  qu  il>  brûlent  maintenant  dans  les  enfers  ;  vous  avez  of- 
fensé Dieu  comme  eux,  avec  eux,  peut-être  plus  qu'eux,  et 
s  ■  laissé  i  •!  pour  foire  pénitence.  Oh!  comme  ils  dé- 
sirent un  quart  d'heure  de  temps  que  Vous  employez  si  mal! 
le  ménageraienl  bien!  oh!  le  grand  profit  qu'ils  e» 
ad  ostium  ,  et  puise  ;  ces  petites  affliction* 
1,1  ' y  'nt  des  coups  qui  frappent  à  votre 

Diminué  cm  fit  mgriiudini*  moles- 


y 


326  SERMON  ccxcir. 

tias,  mortem  vicinam  esse  désignât ,  dit  S.  Grégoire. 
Vous  pensez  encore  avoir  beaucoup  de  temps ,  vous  vous 
trompez,  la  mort  s'approche;  cette  défluxion  qui  vous  tombe 
sur  l'estomac  ,  cette  difficulté  de  respirer  ,  celte  autre  in- 
commodité qui  vous  est  arrivée  depuis  peu,  vous  avertit  de 
votre  fin  ,  et  qu'il  faut  bientôt  rendre  compte.  Sto  ,  c'est  la 
posture  d'un  homme  qui  veut  passer  outre;  il  n'est  pas  assis, 
il  est  tout  droit  ;  prenez  garde  qu'il  ne  s'en  aille  et  qu1il  ne 
vous  abondonne  ,  si  vous  méprisez  ses  semonces,  si  vous  ne 
le  voulez  quand  il  le  désire,  il  ne  le  désirera  pas  quand  vous 
le  voudrez. 

Sachez  que  Dieu  a  mis  des  bornes  à  toute  chose  ,  même 
à  la  mer  ,  à  laquelle  il  a  dit  :  Hue  usque  ventes  ;  il  a 
établi  aussi  certaines  mesures  de  ses  grâces  et  de  nos  péchés, 
à  l'un  plus  grande ,  à  l'autre  plus  petite  ;  quand  on  est  ar- 
rivé à  un  certain  nombre  déterminé  de  péchés ,  quand  on  a 
abusé  de  ses  grâces  en  certaine  quantité  ,  il  nous  appelle  à 
lui  pour  rendre  compte  :  Ecce  compléta  est  malitia  Arnor* 
rhœorum. 

Impiété  mensuram  patrxim  vestrorum  ;  mimer  avit 
Deus  regnum  tuum,  et  complevit  illud.  Peut-être  que 
le  dernier  péché  que  vous  avez  commis  est  le  dernier  qu'il 
veut  vous  pardonner  ;  peut-être  que  si  vous  retombez ,  le 
premier  péché  que  vous  commettrez  fera  le  comble  de  la 
mesure  ,  et  donnera  le  mouvement  à  votre  damnation;  peut- 
être  que  l'inspiration  qu'il  vous  donne  maintenant ,  vous 
priant  par  ma  bouche  de  vous  convertir  ,  c'est  la  dernière 
grâce  qu'il  veut  vous  faire  ;  ouvrez-lui  donc  ,  si  vous  êtes 
sage ,  si  quis  aperuerit;  ouvrez-lui  la  porte  de  votre  cœur 
par  un  entier  consentement  à  sa  vocation ,  par  une  vraie  vo- 
lonté de  vous  donner  à  lui  tout-à-fait,  de  vous  adonner  à  bon 
escient  à  son  service,  de  vous  abandonner  à  tous  ses  vouloirs 
et  desseins;  il  n'y  a  peut-être  en  votre  cœur  qu'une  méchante 
pièce  de  fer,  qu'un  petit  loquet  qui  l'empêche  d'entrer; 
l'affection  obstinée  que  vous  avez  à  je  ne  sais  quoi ,  à  un 
jeune  homme  qui  vous  abuse ,  à  une  fille  qui  vous  charme  , 
à  une  vengeance  ,  à  une  passion  ;  voulez-vous  que  si  peu  de 


POURQUOI  Lis   PECHEURS  PROSPERENT.     327 

chose  vous  empêche  un  si  grand  bonheur?  rompez  généreu- 
lemenf  tout  cola  ,  el  ouvrez  votre  coeur  à  Jésus  ;  il  dit  qu'il 
(■  être  festoyé  chez  vous  :  (  'œnabocum  Mo,  et  ipse  me- 
cum ;  sa  boisson,  c'est  Peau  des  larmes  qu'il  veut  que  vous 
répandiez  pour  vos  péchés;  il  désire  que  vous  lui  disiez  comme 
Je  prophète  :  Inebriaho  /<•  lacrymis  mois  ;  sa  viande,  c'est 
que  vous  fassiez  la  volonté  de  bob  Père  ,  que  vous  preniez 
une  ferme  el  sérieuse  résolution  de  garder  ses  commande- 
ments :  Ejus  cibuê  est  ut  fadas  volunttatem  Pat?-is  ejus/ 
si  vous  lui  ouvrez,  si  vous  le  recevez,  si  vous  le  festoyez,  il 
vou>  rendra  la  pareille  ,  il  vous  recevra  dans  son  banquet 
céleste,  il  vous  festoiera  éternellement  :  Cœnaho  cum  HIo1 
et  t'fse  mecum  ,  dit-il ,  et  ipse  mecum.  Amen, 


SERMON  CCXCIII. 

DE  LA  PIEUSE  IMPUDENCE  ET  DE  LA  HONTE  LOUABLE 
DE  SAINTE  MAKIE-MADELEINE. 


S(ans  rétro  seeus  pedes  Domini. 

Elle  vint  par  derrière  se  prosterner  aux  pieds  de  Jésus.  (Luc.  7.  57.) 

Notre  sainte  pénitente  connaissant  le  mauvais  état  où 
elle  était  ,  et  sentant  Foppressiou  tyrannique  de  l'esprit 
malin  ,  se  souvient  de  ce  que  le  prophète  a  dit  en  parlant  du 
Messie  :  Egredietur  diabolus  mite  pedes  ejus;  pour  don- 
ner la  fuite  au  tentateur  ,  elle  va  se  prosterner  aux  pieds 
sacrés  du  Sauveur.  Avant  que  de  vous  parler  des  saintes 
actions  qu'elle  y  pratiqua,  en  les  arrosant  de  ses  larmes,  en 
les  essuyant,  en  les  baisant,  en  les  embaumant,  il  me  sem- 
ble à  propos  de  considérer  la  pieuse  impudence  et  la  honte 
louable  dont  elle  donne  un  rare  exemple  à  toutes  les  âmes 
pénitentes. 

IDEA  SE11MONIS. 

Exordium.  A.  Quid  sit  pudor. 

Primum  punctum  Contra  malum pudorem  : — B.  1  °Scrip- 
tura.  — G.  2°  Patribus.  — D.  3°  Rationibus  :  Pri- 
ma ,  quia  impedit  bona  opéra.  —  E.  Secunda  ,  est 
causa  maiorum  operum.  — F.  4°  Argumentis  con- 
globatis. 

Secundum  punctum.  De  lono  pudore  :  — G.  \°  Scrip- 
tara.  —  H.  2°  Patribus.  -—  I.  3°  Historia. 

Conelusio.  L.  Paraplirasis  illorum  verborum  :  Fecislis 
universum  malum  hoc  :  lamen  noiite  recedere  à  tergo 
Dominu 


ÉLK.MON   (CM. III. DE  LA  HONTE,  CtC.  329 

EXOKDIUM:T; 

A.  —  (Qut'd  sitpudor.)  Ou  notre  sainte  pénitente  est 
honteuse  ,  ou  elle  ne  Test  pas  ;  si  elle  a  de  la  honte  ,  com- 
iii i"  ii  t  va-t-elle  par  la  rue  toute  échevelée  ?  pourquoi  en 
plein  midi  ?  pourquoi  fait-elle  une  action  si  extraordinaire 
au  milieu  d'un  festin  ?  pourquoi  cherche— t— elle  avee  tant 
d'impudence  le  remède  de  son  ame  ?  Quœrit  pia  impu- 
dentia  aamiaiem^  dit  S.  Grégoire;  si  elle  n'a  point  de 
honte  ,  comment  ne  parle— t— elle  pas  tout  haut  ?  d'où  vient 
qu'elle  se  met  derrière  notre  Sauveur?  pourquoi  se  couche- 
t— elle  par  terre  ?  d'où  vient  qu'elle  se  cache  à  l'ombre  de 
SCS  pieds  sacrés  :  Rétro  secus  pedes  Domini. 

La  honte  ,  dit  la  philosophie  morale  ,  (D.  Th.  22.  de  q. 
1  'ri.  art.  2.)  c'est  une  certaine  crainte  qui  couvre  de  rou- 
geur notre  face  ,  crainte  causée  par  l'appréhension  que  nous 
-  de  ce  qui  peut  nous  apporter  quelque  déshonneur  et 
infamie  ;  car  quoique  tonte  honte  soit  une  espèce  de  crainte, 
il  y  a  néanmoins  une  grande  différence  entre  la  crainte  et  la 
honte.  Dans  la  crainte  nous  appréhendons  ce  qui  peut  nuire 
à  notre  individu  ,  nous  redoutons  les  dangers  qui  tendent  à 
la  ruine  et  à  la  destruction  de  notre  personne  ;  pour  cela  , 
la  nature  va  ramassant  et  recueillant  les  esprit  vitaux,  le 
sang  et  la  chaleur  naturelle  au  cœur  ,  comme  en  la  source 
de  vie  ,  la  citadelle  et  la  place  la  plus  importante;  ainsi  que 
dans  une  ville  ,  quand  il  se  fait  une  alarme  subite  la  meil- 
leure partie  des  soldats  se  rend  au  donjon  ou  au  palais  pour 
défendre  le  roi.  De  là  vient  que  dans  la  crainte  on  a  une  cou- 
leur pâle  ,  les  membres  se  glacent ,  tout  le  corps  tremble 
et  frissonne  ,  parce  que  le  sang  et  la  chaleur  se  sont  retirés 
d-  -  parties  extérieures  pour  environner  et  défendre  Je  cœur. 
Aristote  dit  que  les  animaux  qui  sont  le  plus  timides,  comme 
!  rf  et  le  lièvre  ,  ont  le  cœur  plus  grand  et  plus  large  ; 
ce  que  le  Créateur  a  fait  sagement ,  alin  qu'il  y  ait  plus  de 
capacité  pour  recevoir  le  sang  qui  s'y  rend  en  plus  grande 
abondance 

Dans  la  honte ,  tout  nu  contraire  ,  nous  ne  craignons  pas 


3û0  SiihMUN  CCXCI1I. 

ce  qui  peut  détruire  noire  personne  ,  mais  ce  qui  peut  ter- 
nir notre  gloire  ,  flétrir  notre  honneur,  faire  brèche  à  notre 
réputation  ,  alors  la  nature  providente  envoie  la  chaleur  et 
le  sang  au  visage  ,  comme  un  voile  d'écarlate,  pour  couvrir 
par  cette  rougeur  la  confusion  qu'on  endure ,  comme  nous 
voyons  ordinairement  que  ceux  qui  sont  atteints  de  honte  , 
portent  la  main  sur  le  front  et  les  yeux  ,  pour  les  couvrir 
et  les  cacher.  Cette  considération  nous  oblige  à  conclure 
avec  le  Sage  qu'il  y  a  deux  sortes  de  honte  :  l'une  mauvaise, 
déraisonnable,  vicieuse,  l'autre  bonne,  louable  et  vertueuse; 
la  mauvaise  est  quand  vous  avez  honte  de  faire  une  bonne 
œuvre,  ou  de  vous  abstenir  d'une  méchante  action  ;  elle  est 
mauvaise  ,  car  elle  craint  où  il  ne  faut  pas  craindre  ,  elle 
redoute  le  déshonneur  où  il  n'y  en  a  point  ;  il  n^  a  point  de 
déshonneur  dans  la  pratique  de  la  yerlu  ,  ni  dans  la  fuite  du 
vice  :  II lie  trepidaverunt  timoré  ubî  non  erat  timor;  la 
honte  louable  et  vertueuse  est  quand  vous  éprouvez  de  la 
confusion  d'être  esclave  de  quelque  vice  ou  privé  de  quelque 
vertu  :  Est  confusio  adducens  peccatum  ,  et  est  cou fu-- 
sio  adducens  g loriam.  (Eccli.  h.  25.)  1 

Sainte  Madeleine  a  été  exempte  de  la  honte  mauvaise  et 
vicieuse  ,  et  douée  de  celle  qui  est  bonne  et  vertueuse  ,  ce 
qui  est  exprimé  en  ces  deux  paroles  :  Stans  rétro  ;  stans, 
ne  signifie  pas  toujours  être  sur  pied  ,  mais  être  hardi  et 
courageux.  Au  Deutéronome  ,  (9. 18.)  Moïse  priant  pour 
le  peuple;  était  prosterné  devant  Dieu:  Procidit  ante  Do- 
minum;  et  toutefois  le  Fsalmiste  dit  :  (Psal.  dit  105.  23.) 
Si  non  Moyses  electus  ejus  stetisset.  Madeleine  n'a  pas 
la  honte  mauvaise  ,  pour  cela  elle  fait  courageusement  cet 
acte  héroïque  d'humiliation  en  bonne  compagnie  :  elle  a  la 
honte  qui  est  bonne  honte  de  ses  péchés  passés  ,  pour  cela 
elle  n'ose  paraître  à  la  face  de  Jésus ,  mais  elle  se  cache  par 
derrière  àses  pieds,  stans  rétro.  Nous  devons  l'imiter  dans 
ces  deux  dispositions ,  comme  je  vous  le  montrerai  dans  les 
deux  points  de  ce  discours. 


DE  LA  HOME   LOUABLE  DE  MADELEINE.  331 

l'Ui.MUM    PUNCTUM.  —  Contra  ,  etc. 

1) — (4°  Script ura.)  Le  Fils  de  Dieu  nous  dissuade  la 
nianvai.se  honte  ,  quand  il  dit  en  S.  Matthieu  :  celui  qui 
nfaura  loué  devant  les  hommes,  je  le  louerai  en  la  présence 
de  mon  Père  qui  est  au  ciel  ;  (I)  et  en  S.  Luc  :  Celui  qui 
aura  houle  de  montrer  qu'il  est  mon  disciple  et  partisan  de 
mes  maximes,  j'aurai  houle  de  lui  quand  je  viendrai  dans  la 
pompe  de  ma  gloire,  et  dans  celle  de  mon  Père  et  de  mes 
anges,  p) 

L  n  ancien  disait  que  l'éloquence  exerce  une  domination 
sur  les  cités  libres  :  E/oqueniia  liberis  civitatibus  do- 
minatur,  il  faut  dire  à  présent  loquentia.  La  religion 
chrétienne,  qui  est  libre  et  affranchie  de  la  persécution  des 
païens,  est  à  présent  tyrannisée  par  le  babil  et  la  raillerie 
imes  mondaines. 

C. — /42°  P«4rtA«*.)  Et  c'est  proprement,  dit  S.  Bernard, 
que  l'Eglise  peut  dire  avec  vérité  :  In  pace  amaritado 
mea  amarissima  ,  car  elle  est  beaucoup  plus  cruelle 
«Ile  des  tyrans.  Dans  la  persécution  des  tyrans,  on 
I  pas  prier,  ni  faire  desexercices  de  dévotion  en  public; 
ou  cherchait  les  caves,  les  grottes  et  maisons  particulières; 
mais  au  moins  dans  ces  lieux-là  on  priait  Dieu  librement, 
on  recevait  les  sacrements  sans  contradiction.  La  persécu- 
tion des  mondains  est  cause  que  plusieurs  n'osent  prier  Dieu 
soir  et  malin  dans  les  maisons  particulières,  pour  n'être  pas 
appelés  bigots  ;  ils  n'osent  pas  fréquenter  les  sacrements  , 
être  assidus  au  service  divin,  parce  qu'on  les  appelle  hypo- 
crites; ils  n'osent  pas  être  consciencieux  et  retenus  à  dire 
des  paroles  déshonnèles  ,  à  faire  des  actions  insolentes, 
qu'on  les  appelle  scrupuleux  ;  péché  détestable  et 
luné  tout-à-fait  de  persécuter  le  christianisme  dans 
le  christianisme  même  ;  avoir  prêté  serment  de  fidélité  à 

1  i         Tarn  honiiniLus,  confitebor  et  ego  cum  coram 

1  [Matlb.  lo.  :,:>.) 

(?)  Q  erit,  'l  ijk-os  sermoncs,  huucFilius  Iiominis  erubesect, 

.-,  et  saaclorum  angc!orura.  (  Luc.  9,  20.) 


332  SERMON  CCXCIIt. 

Jésus  au  sacrement  de  baptême,  et  se  moquer  de  ceux  qui 
lui  sont  fidèle*;  ne  pas  se  contenter  de  ne  pas  servir  Dieu  , 
mais  se  moquer  de  ceux  qui  le  servent;  péché  non  de  fra- 
gilité et  d'ignorance,  mais  de  malice  et  de  mépris  formel. 
Cette  persécution  est  si  dangereuse  aux  âmes  chrétiennes; 
que  Jésus  a  institué  tout  exprès  un  sacrement  dans  son 
Eglise  pour  nous  armer  contre  ses  attaques.  Nous  avons 
deux  ennemis  étrangers  et  externes  qui  nous  donnent  de 
furieux  assauts  ,  Satan  et  le  monde.  Jésus  a  institué  deux 
sacrements  pour  nous  munir  contre  leurs  persécutions  : 
rextrême-onction  pour  nous  fortifier  contre  Satan  qui  re- 
double sa  rage,  joue  de  son  reste,  exerce  ses  plus  grandes 
hostilités  à  l'heure  de  notre  mort  ;  la  confirmation  contre 
le  monde  ,  sacrement  si  excellent  qu'il  n'y  a  que  l'évêque 
qui  puisse  le  conférer;  il  imprime  le  caractère  par  lequel 
nous  sommes  enrôlés  dans  la  milice  de  Jésus  ,  et  il  confère 
la  plénitude  du  Saint-Esprit,  ce  que  ne  fait  pas  l'extréme- 
onclion  ;  je  sais  bien  que  ce  sacrement  est  institué  pour 
nous  encourager  à  souffrir  des  tourments  pour  la  querelle 
de  la  foi ,  pour  cela  on  donne  un  soufflet  ;  mais  aussi  il 
est  institué  pour  nous  encourager  à  mépriser  la  honte  pour 
la  querelle  de  la  piété  chrétienne  ,  pour  cela  on  y  fait  le 
signe  de  la  croix  au  front ,  qui  est  le  siège  de  la  honte.  Il 
est  institué  pour  nous  armer  contre  les  persécutions  des 
tyrans,  mais  aussi  pour  nous  fortifier  contre  les  persécutions 
des  mauvais  chrétiens,  qui  sont  souvent  plus  dangereuses 
et  plus  malignes  que  celles  des  païens. 

D.  — (3°  Rationibus  :  Prima  ,  Quia  ,  etc.  )  Celte 
honte  vicieuse  est  un  grand  empêchement  à  la  pratique  de 
plusieurs  vertus,  etunpiégedangereuxetuneoccasion  à  beau* 
coup  de  péchés.  Qui  observai  ventum  nunquam  semiîîat, 
dit  le  Saint-Esprit  :  (  Eccle.  11.  4.  )  Celui  qui  va  si 
souvent  regarder  la  girouette  et  s'arrête  à  son  mouvement, 
entreprend  difficilement  quelque  voyage  ;  celui  qui  a  tant 
d'égard  au  vent  et  au  temps  qu'il  fait,  se  résout  mal  volon- 
tiers à  ensemencer  ses  terres.  Si  vous  avez  tant  de  respects 
mondains,  de  considérations  humaines,  de  crainte  de  dé- 


1)1    LA   HONTE  LOUABLE  DK  MADELEINE.  333 

plaire  au  tiers  ou  au  quart,  tant  d'égard  à  ce  que  Pou  dira 
ou  pensera  de  vous,  à  la  girouette  inconstante  du  jugement 
des  hommes,  au  vent  de  leurs  paroles,  vous  n'entreprendrez 
pas  le  dessein  de  votre  conversion  ,  le  voyage  de  la  perfec- 
tion, ni  les  semailles  des  bonnes  œuvres  qui  doivent  fruc- 
tifier pour  la  vie  éternelle.  Que  dira-t-on,  que  pensera-t-on 
si  je  sors  de  eette  maison  ,  si  je  quitte  celte  compagnie,  si 
je  fais  divorce  avec  celte  personne  que  j'ai  tant  hantée,  si  je 
ne  suis  plus  aussi  pompeusement  vêtu  que  je  Pétais,  si  je 
communie  tous  les  dimanches,  si  je  vais  après  le  Saint-Sa- 
crement ? 

E.  —  (  Secmida,  Est  causa  malarum.,  )  Cette  mau- 
vaise honte  n'est  pas  seulement  la  marâtre  des  vertus,  elle 
est  encore  la  mère  ou  la  nourrice  de  plusieurs  vices  :  Est 
confusio  adducens  peccafum.  Vous  commettez  des  sacri- 
lèges en  vous  confessant  ;  vous  communiez  indignement 
par  honte  de  découvrir  votre  péché  ;  vous  portez  faux  té- 
moignage ,  en  n'osant  éconduirc  celui  qui  vous  en  prie  ; 
fous  dites  des  paroles  déshonnètes  ,  vous  contribuez  à  la 
médisance  }  vous  vous  permettez  des  privautés  lascives  , 
vois  tenez  compagnie  à  celui  qui  va  dérober  votre  honneur 
par  honte  de  donner  un  refus;  pauvre  insensée,  ce  méchant 
homme  n'a  point  de  honte  de  vous  prier  d'une  action  noire, 
et  vous  avez  honte  de  la  lui  refuser  ,  c'est  lui  qui  devrait 
rougir,  et  non  pas  vous. 

Que  dites-vous  de  ces  anciens  qui  sont  tant  blâmés  dans 
Plutarque  ,  et  ajuste  raison  ?  Dion,  Anlipater  ,  Hercule  , 
fds  d'Alexandre,  qui  étant  invités  à  des  festins  où  ils  savaient 
très  assurément  qu'on  leur  dressait  des  embûches,  et  qu'on 
les  ajournerait  traîtreusement,  n'osaient  refuser  d'y  aller 
par  houle  de  rebuter  leurs  amis  qui  les  en  priaient;  n'"c- 
ttient-ib  pas  perclus  de  jugement  ?  et  vous  Pètes  plus 
:v.  Vous  wvei  que  votre  àme  mourra  par  un  péché 
mortel ,  en  celte  compagnie  par  médisance,  en  ce  festin 
par  ivrognerie  ,  en  ce  jeu  par  des  jurements,  en  ces  danses 
par  pensées  impures;  vous  voudriez  bien  en  être  dispensé, 
mais  vous  n'osez  refuser  à  ceux  qui  vous  en  prient  ;  c^est 


334  sermon  ccxcni. 

malgré  vous  que  vous  y  allez  ,  mais  yous  ne  sauriez  faire 
autrement.  Un  ancien  juge  répondit  à  un  jeune  homme 
qui,  s'excusant  sur  la  compagnie,  disait  :  C'est  malgré  moi 
que  j'ai  fait  ce  crime  ;  et  tu  seras  pendu  malgré  toi.  Vous 
serez  aussi  damné  malgré  vous. 

F.  —  (  4°  Argumentis  conglohatis.  )  Que  dira-t-on, 
que  pensera-t-on  ?  Quel  est  cet  on  que  vous  craignez  tant  ? 
quelque  renieur  de  Dieu,  quelque  impie,  quelque  athée; 
au  lieu  que  les  gens  de  bien  t  les  vertueux  ,  les  bons  et 
solides  esprits  vous  estimeront  et  vous  honoreront.  Si  un 
boiteux  se  moquait  de  vous  de  ce  que  vous  marchez  bien 
droit,  n'auriez  vous  pas  bonne  grâce  d'en  avoir  honte  et  de 
contrefaire  le  boiteux?  Quand  un  cavalier  va  à  Paris  ,  si 
dans  tous  les  villages  où  il  passe  il  mettait  pied  à  terre  , 
tirait  son  épée  ,  s'amusait  à  combattre  tous  les  chiens  qui 
aboient,  on  se  moquerait  de  lui  ,  il  n'arriverait  jamais  où 
il  va;  il  passe  son  chemin  et  les  laisse  aboyer  ;  c'est  leur 
coutume  de  japper  contre  tous  ceux  qui  passent  ;  quand  ils 
auront  bien  crié,  il  faudra  qu'ils  se  taisent.  Votre  dessein  est 
d'aller  en  paradis,  vous  êtes  dans  le  chemin  de  la  perfection 
pour  cela  ;  si  vous  voulez  vous  amuser  à  tout  ce  que  disent 
les  gens  du  monde ,  vous  n'aurez  jamais  fait ,  et  vous  vous 
rendrez  ridicule;  laissez-les  dire,  c'est  à  vous  de  bien  faire, 
e(  à  eux  de  mal  parier  :  vous  ne  sauriez  les  empêcher  de 
médire,  non  plus  qu'à  un  chien  d'aboyer. 

Quoi  que  vous  fassiez  vous  serez  l'occupation  des  mau- 
vaises langues,  vos  intentions  seront  jugées  ,  vos  actions 
contrôlées.  Si  vous  êtes  simplement  vêtu,  on  vous  traite 
d'hypocrite  ;  si  vous  êtes  bien  habillé  selon  votre  état,  on 
vous  prend  pour  un  glorieux.  Si  vous  pardonnez  les  injures, 
on  vous  appelle  lâche.  Si  vous  défendez  votre  droit,  vindi- 
catif; si  vous  jeûnez,  dissimulé;  si  vous  vous  nourrissez,  gour- 
mand ;  si  vous  prêchez  doucement ,  vous  endormez  le  monde  ;  si 
vous  prêchez  avec  vigueur  ,  vous  vous  passionné  ;  si  vous 
reprenez  les  vices  ,  vous  êtes  trop  violent  ;  si  vous  ne  les 
reprenez  pas  ,  vous  êtes  un  flatteur.  S.  Jean  ne  buvait 
ni  ne  mangeait  ,  on  disait  qu'il  était  possédé \  Jésus  buvait 


DT  LA    HONTE   LOUABLK  DL  MADELEINE.  335 

et  mangeait ,  on  disait  qu'il  était  ami  de  la  bonne  chère. 
T  15  ees  (lux  de  langue  ne  s'arrêtent  que  par  un  généreux 
mépris.  Vous  avez  deux  oreilles,  et  ils  n'ont  qu'une  bouche, 
tous  en  pouvez  plus  entendre  qu'ils  n'en  sauraient  dire  ; 
quand  ils  auront  bien  parlé  ,  ils  se  lasseront  et  vous  hono- 
r<  ront,  car  enfin  la  vertu  se  fait  estimer  tôt  ou  tard  ;  nous 
admirons  toujours  ce  à  quoi  nous  ne  pouvons  atteindre. 

Quand  vous  êtes  vertueux,  les  gens  du  monde  se  mo- 
quent de  vous  en  apparence  ,  mais  au  fond  de  leur  âme  ils 
vous  honorent  ;  ils  vous  raillent  extérieurement ,  mais  en 
leur  ùme  ils  vous  estiment  :  je  n'en  veux  point  d'autre  té- 
moin que  vous-même  ,  quelque  méchant  que  vous  soyez, 
fous  admirez  et  vous  respectez  beaucoup  en  votre  cœur 
ceux  que  vous  savez  être  bien  avec  Dieu  ,  ceux  que  vous 
vovez  pratiquer  des  vertus  bien  héroïques  ;  l'honneur  est 
l'ombre  de  la  vertu,  il  la  suit  partout  où  elle  va.  La  glace 
d'un  miroir  est  un  peu  ternie  par  une  petite  haienée  ,  mais 
elle  n'en  esl  pas  cassée  :  le  soleil  peut  être  bien  voilé  par  quel- 
que nuage,  mais  non  éteint.  Celui  qui  mouche  une  chandelle 
avec  les  doigts  semble  l'éteindre  d'abord,  mais  au  contraire 
il  la  rend  plus  luisante  et  se  noircit  les  doigts.  Vos  estis 
I  mundif  celui  qui  se  moque  de  vous  et  calomnie  vos 
actions  semble  étouffer  votre  gloire,  il  lui  donne  du  lustre 
et  de  l'éclat ,  et  flétrit  sa  propre  réputation  ,  on  l'estime 
athée  et  réprouvé.  C'est  pour  cela,  dit  S.  Augustin,  que  la 
langue  du  médisant  est  comparée  à  un  rasoir  :  Sicut  no- 
Vdiula  ucuta  fecisii  dolum ;  le  rasoir  coupant  le  poil  est 
qu'il  revient  plus  épais  qu'il  n'était.  Quoiqu'il  vous 
semble  qui  ces  risées  au  jugement  du  monde  intéressent 
îotre  réputation  ,  elle  s'en  augmentera  et  deviendra  plus 
signalée  ,  et  puis  Dieu  aura  soin  de  votre  honneur  si  vous 
le  méprisez  el  le  foulez  aux  pieds  pour  l'amour  de  lui  :  si 
tous  aie*  sa  gloire  devant  les  yeux,  il  aura  la  vôtre  en  re- 
commandation. 11  disait  à  son  prophète  :  Qui  glorificant 
yloh'ficabo  eos  ;  qui  autem  scntemnunt  me,  erunt 
M  aller  plus  loin  ,  note,  ^a  av^us  une  belle 
preuve  en  notre  Evangile.  Sainte  Madeleine,  pour  obéir  i 


336  sermon  ccxcuj. 

une  inpiration  de  Dieu  ,  et  pour  exercer  un  acte  héroïque 
d'humilité  et  de  religion  ,  ferme  les  yeux  à  tout  respect 
humain  ,  va  toute  échevelée  par  la  ville  ,  pleure  comme  un 
enfant,  quitte  la  pompe  de  ses  habits;  elle  qui  était  si  noble, 
qui  avait  été  si  bien  suivie,  si  courtisée,  selon  l'apparence 
humaine ,  devait  perdre  sa  réputation  ,  être  montrée  au 
doigt,  estimée  interdite  de  jugement,  délaissée  comme  une 
folle  ,  ou  au  moins  comme  une  bigote ,  et  toutefois  après 
cela  elle  est  autant  respectée  qu'auparavant  :  les  principaux 
juifs  viennent  exprès  de  Jérusalem  à  Bélhanie  pour  la  visiter 
et  la  consoler  sur  la  mort  de  son  frère  Lazare. 

Il  me  semble  que  le  conseil  de  S.  François  de  Sales  est 
très  salutaire  :  il  conseille  à  tout  les  fidèles ,  et  principale- 
ment aux  grands,  de  ne  pas  faire  comme  quelques-uns  qui 
yeulent  bien  aimer  Dieu  et  l'honorer  en  leur  intérieur,  mais 
ne  veulent  pas  qu'on  le  sache;  ils  ont  de  la  honte  d'être  estimés 
dévots,  veulent  recevoir  les  sacrements,  non  avec  les  autres 
fidèles,  mais  à  l'écart,  en  des  chapelles  particulières.  Ils  ne 
considèrent  pas  que  Jésus  a  dit  :  Que  votre  lumière  brille 
devant  les  hommes,  afin  qu'ils  glorifient  votre  Père  céleste; 
que  S.  Paul  a  dit  que  par  la  foi  nous  obtenons  la  justice , 
et  par  la  profession  extérieure  de  la  foi  nous  méritons  le 
salut  que  Dieu  a  promis  à  ceux  qui  ne  rougiront  point  de  la 
confesser  devant  les  hommes.  (I)  Il  est  bon,  dit  ce  saint 
prélat  de  faire  savoir  à  tout  le  monde  que  vous  craignez 
Dieu,  que  vous  ne  voudriez  pas  l'offenser  pour  tous  les  biens 
(le  la  terre,  et  que  vous  êtes  fâché  quand  on  Poffense.  Quand 
vous  aurez  résisté  courageusement  deux  ou  trois  fois  à  ceux 
qui  vous  veulent  porter  au  péché,  et  que  vous  aurez  témoi- 
gné qu'ils  vous  désobligent,  on  ne  s'adressera  plus  à  vous; 
au  lieu  que  si  vous  êtes  lâche  et  honteux  de  refuser,  vous 
donnerez  la  hardiesse  à  mille  effrontés  de  vous  demander 
impudemment  ce  que  vous  ne  pouvez  faire  raisonnablement. 
Celui  qui  n'est  pas  serviteur  de  Dieu,  se  rend  esclave  des 
hommes  ;  celui  qui  n'est  pas  ferme  dans  la  résolution  d'a- 

(1)  Corde  crçdilyr  ad  juslftin/n  ,  orç  {mleiQconfessio  fit  ad  çalutem.  (Rom» 

iof  10.) 


1)»:  LA  R0ISTI    LOUABLU   Dti   MADELEINE.  Sol 

gréer  en  (oui  et  partout  au  Créateur,  se  rond  complaisant 
lux  rréatures  en  mille  actions  iliicites.  Comme  les  lieux 
ni  les  égoûts  et  les  cloaques  où  s'écoulent  toutes  les 
ondices,  ainsi  ces  âmes  basses,  craintives,  sont  le  rendez- 
vous  de  mille  indignités  qu'elles  reçoivent  des  téméraires, 
de  mille  incommodités  qu'elles  endurent,  de  mille  péchés 
qu'elles  commettent  pour  se  rendre  complaisantes  ;  sembla- 
bles à  ces  vases  à  deux  anses  ,  on  les  porte  par  les  oreilles 
en  quelque  lieu  que  Ton  veuille,  comme  disait  Bion  le  phi- 
losophe ;  un  petit  mol,  de  flatterie  les  fera  aller  jusqu'au  bout 
du  monde,  le  zèle  de  la  gloire  de  Dieu  ne  leur  fera  pas  faire 
pas.  Oui,  mais  Jésus  a  dit  :  Quand  vous  ferez  l'aumône, 
<pie  voire  main  gauche  ne  sache  pas  ce  que  fait  la  droite. 
S  Grégoire  répond  que  eela  s'entend  de  l'intention,  et  non 
de  l'action  :  Ha  sit  opus  in  publivo,  ut  intentio  maneat 
ccuito.  Quand  vous  faites  une  bonne  action  à  la  vue 
.  si  vous  êtes  en  cette  disposition  que  vous  la 
?si  volontiers  eu  secret  qu'en  public,  si  vous  ne  la 
-  en  public  que  parce  que  vous  ne  pouvez  faire  autrement, 
i  r  à  la  messe  paroissiale,  aller  après  le  Saint- 

menl  ,  visiter  les  hôpitaux,  ou  parce  que  vous  voulez 
donner  bon  exemple  ;  faction  est  en  public,  mais  l'intention 
est  en  secret  ;  voire  main  gauche  ne  sait  ce  que  fait,  la  droite, 
votre  intention  n'est  pas  gauche,  vous  ne  perdez  pas  le 
mérite ,  vous  l'augmentez. 

Ceux  qui  démolissent  les  maisons  conliguës  aux  temples 

il  sur  pied  les  murailles  qui  touchent  à  l'église,  de 

peur  que  ne  voulant  démolir  qu'une  maison  profane  ,  ils 

-eut  toniher  un  saint  édifice.  Ainsi ,  dit  un  sage  phi— 

ihe  ,   il  faut  prendre  garde  que  voulant  déraciner  la 

mauvaise  honte,  nous  ne  ruinions  celle  qui  est  bonne  et 

salutaire  ,  car  est  confusio  adducens  peccalum ,  mais 

aussi  est  confusio  adducens  gloriam.  La  honte  qu'on  a  de 

i  -i  très  juste ,  très  raisonnable  ,  très  louable  ,  elle 

'  ou  il  faut  craindre  ,  redoute  l'infamie  du  péché  qui 

seul  est  <}'^  d'infamie. 


338  SERMON  CCXCIII. 

Secundum  punctum.  —  De  bono  pudore. 

G.  (1°  iSWpÉwra.)  Dieu  reproche  souvent  aux  réprouvés 
qu'ils  sont  dépourvus  de  cette  vertu  qui  devrait  être  une 
bride  pour  les  empêcher  de  tomber.  Frons  meretricis  facta 
est  tibi  ,  noluisti  erubescere.  Confusione  non  sunt 
confusi,  erubescere  nescierunt  : propterea  cadentinter 
corruentes  ;  (  Jerem.  3.  3. — 6.  15.  )  et  ailleurs  (Isa. 
3.  8.  9.  )  il  les  reprend  de  ce  qu'ils  sont  impudents  comme 
des  chiens  :  «  Lingua  corum  contra  Dominum  ,  ut  provo- 
«  carent  oculos  majestatis  ejus.  Peccatum  suum  sicut  So- 
«  doma  prœdicaverunt.  Vse  animse  eorum ,  quoniam  reddita 
«  sunt  eis  mala  !   » 

Au  contraire  il  loue  l'àme  choisie  ,  son  épouse  ,  de  ce 
qu'elle  est  douée  d'une  sainte  prudence  ;  elle  est  teinte  de 
rougeur  qui  est ,  comme  dit  Diogène  ,  la  teinture  de  la 
vertu,  la  livrée  des  bonnes  âmes.  L'épouse  (Cant.  1.  7.) 
étant  tombée  dans  une  petite  faute  d'arrogance  et  de  pré- 
somption, l'Epoux  qui  ne  laisse  rien  échapper  aux  âmes 
qu'il  affectionne  ,  la  reprend  avec  un  peu  d'aigreur  ,  lui  dit 
qu'elle  se  méconnaît  :  Si  ignoras  te ,  egredere,  et  obi  ; 
elle  rougit  tout  aussitôt ,  et  couverte  de  confusion  de  la 
faute  qu'elle  a  commise  ,  ce  que  voyant  l'Epoux  ,  il  se  met 
à  louer  ses  joues  :  Pulchrœ  sunt  genœ  tuœ,  sicut  frag- 
men  mali  punict  :  Vos  joues  sont  belles  comme  les  deux 
moitiés  d'une  grenade,  ce  vermillon  naturel  qui  les  em- 
pourpre m'est  extrêmement  agréable.  Dans  un  autre  lieu  : 
Midier  sancia  et  pudorata  ;  être  sainte  et.  honteuse  sont 
deux  qualités  jointes  ensemble  ,  deux  perfections  qui  con- 
coureiil  à  embellir  une  âme  dévote. 

H.  —  (2°  Patribus.)  S.  Jérôme  parlant  à  la  vierge 
Eustochium  ,  et  en  elle  à  toutes  les  autres  vierges ,  dit: 
Quand  le  voile  du  temple  fut  rompu ,  la  religion  des  Israé- 
lites tomba  par  terre.  Votre  cœur,  c'est  un  temple  vivant 
et  animé  :  Corporavestra  templum  sunt  Spiritus  sancli; 
la  honte  en  est  le  voile  teint  en  écarlate ,  comme  ce  voile 
ancien  :  dès  que  ce  voile  est  déchiré ,  dès  que  la  honte  est 


DE  LA  HONTE  LOUABLE  DE  MADELEINE.  339 

o ,  adieu  toute  la  religion  ,  la  dévotion ,  la  ehasleté. 
La  pudeur  et  la  pudieité  ont  la  même  élymologie  et  une 
de  affinité  ensemble  ;  solliciter  au  mal  une  fille  ou  une 
femme  honnête  ,  est  un  péché  plus  grand  que  si  cotait  une 
fille  volage  ;  et  je  sais  bon  gré  à  Plutarque  de  ce  qu'il  con- 
seille aux  pères  et  mères  de  famille  de  ne  pas  châtier  leurs 
enfants  dans  la  rue  ou  en  public,  mais  en  telle  sorte  que 
1         isins  n'en  sachent  rien,  tant  que  faire  se  \)cul.  PCela 
décrie,  en  quelque  façon  ,  la  réputation  d'un  enfant,  quand 
il  est  détenu  grand  ,  on  dît  :  Je  me  souviens  qu'étant  petit 
llétail  déjà  sujet  à  un  tel  vice,  sa  mère  l'en  châtiait  souvent;  il 
lest  accoutume  de  longue  main;  quand  vous  le  châtiez  au 
sîi  de  vos  voisins ,  vous  le  rendez  petit  à  petit  insensible  à  la 
confusion  ,  vous  lui  enlevez  la  honte  qui  est  une  puissante 
bride  que  Dieu  a  donnée  aux  hommes  pour  empêcher  de 
tomber  dam  les  actions  infâmes;  que  si  cette  honte  ne  nous 
BCrt  pas  de  frein  pour  nous  retenir  de  tomber  dans  le  péché 
em'  '  râ  de  bourreau  quand  nous  y  serons  tombes! 

I  ■  des  plus  sensibles   tourments  que  nous  souffrirons  en 
enfer  et  au  jugement  de  Dieu  ,  et  peut-être  le  plus  grand  , 
col  la  houle,  c\st  la  honte  que  nous  aurons  de  paraître 
N«c  un  péché  à  la  face  de  Dieu  et  des  anges  ,  tant  le  péché 
»t  mfame  et  abominable  en  leur  présence:  Sicuê divloide 
•onfusionesua  ;  ils  seront  tant  couverts  de  honte  ,  ils  en 
*ronl  revêtus  comme  d'une  robe  doublée,  ils  auront  dou- 
te confusion,  intérieure  devant  Dieu  ,  extérieure  devant 
>  hommes  :  «   Ecce  servi  mei  laelabunlur  ,   et  vos  con- 
fumlen.ini:   et  prœ  contritione  cordis  ululabitis.  (Isa. 
<'•>•  14.)  Onmes  manus  dissolvcntur  ,  et  omnia  germa 
wenl  iquis.  Et  operiel  eos  formîdo  ,  et  in  omni  fack 
COBtusio.  »(Ezech.  7.  17.  10.) 

I  ixpergiscentur  ad  opprobria,  et  contemptum  semni- 
ternum.  l 

?,  et  principes,  et  tribuni,  et diVites, 

ct  ,  ",r:  >  cl  omn,s  M1  v"^  j  *  liber  :  se  absconderunt  in 

,  et  dicunt  montions  et  petril  :  Cadite  super 


kU\0  SERMON  CCXCIlf. 

«  nos ,  et  abscondite  nos  a  facie  sedeniis  super  ironum  f 
«  et  qui  poterit  stare  ?  »  (Apoc.  6.  15.  16.  17.) 

I.  —  (3°  Historia.)  Dans  la  yie  des  Pères  il  est  dit ,  et 
Denis  le  chartreux  le  rapporte,  qu'un  jeune  homme  voulant 
se  faire  religieux,  sa  mère  fit  tout  son  possible  pour  rompre 
ce  dessein  ;  elle  se  servit  à  cet  effet  de  tous  les  artifices  que 
son  amour  maternel  lui  purent  suggérer.  Il  n'y  voulut 
jamais  condescendre ,  il  parait  à  tous  les  coups  qu'on 
lui  portait  par  cette  réponse  :  Servare  cupio  animam 
meam.  Voyant  que  ses  prières  ,  ses  raisons,  ses  poursuites 
ne  servaient  de  rien  ,  elle  le  laisse  faire  et  s'en  va.  Il  entre 
en  religion  ,  s'y  attiédit,  mène  une  vie  lâche  et  négligente. 
A  quelque  temps  de  là  sa  mère  meurt ,  il  tombe  dans  une 
grosse  maladie  ,  il  est  porté  en  extase  au  jugement  de  Dieu 
en  même  temps  que  sa  mère.  Elle  l'apercevant  au  nombre  de 
ceux  qui  attendaient  l'arrêt  de  condamnation  ,  lui  dit  tout 
étonnée  :  Eli!  qu'est  cela!  mon  fils,  en  quel  état  êtes-vous  ré- 
duit? sont-ce  les  paroles  que  vous  disiez  avec  tant  de  résolution, 
que  vous  vouliez  sauver  votre  âme  ?  ne  m'aviez- vous  pas 
quittée  pour  cela?  n'ètes-vous  pas  entré  en  religion  pour  cela? 
n'avez-vouspas  reçu  la  grâce  pour  cela?  Il  fut  si  éperdu  et  si 
confus ,  qu'il  ne  sut  que  répondre.  Il  retourna  en  santé  par 
la  miséricorde  de  Dieu  ,  et  il  s'adonna  à  des  pénitences 
si  âpres  et  si  rigoureuses ,  qu'il  intéressait  notablement  sa 
santé  ;  à  ceux  qui  le  priaient  de  les  modérer,  il  répondait  : 
Si  je  n'ai  pas  supporté  un  petit  reproche  que  m'a  fait  ma 
propre  mère  ,  comment  supporterai-je  la  sentence  de  Jésus, 
les  réprimandes  des  bienheureux  ? 

Il  nous  faut  dire  de  même  ,  vous  vous  parjurez  de  peur 
que  votre  mère  ou  votre  maître  ne  vous  réprimandent ,  si 
vous  mourez  là-dessus  vous  êtes  perdu  éternellement;  coin* 
ment  endurerez-vous  la  colère  de  Jésus  ? 

CONCLtJSIO. 

L.  —  (Parr/phrasls.)  Que  je  vous  dise  donc  ce  que  Sa- 
muel dit  au  peuple  d'Israël  :  Eccefecistimiiversumma* 
htm  hoc  :  tamen  nolite  recedere  a  tergo  Domini,  sev~ 


DE  r  v  HONTE  LOUABLE  DE  MADELEINE.  3M 

vitêilliin  totocorde.  (1  Reg,  12. 20.)  Il  dit  malum  hoc, 
eu  I  individu  ,  et  il  rappelle  universel  ;  Dieu  est  un  bien 
universel,  le  péché  qui  lui  est  contraire  est  un  mal  univer- 
sel, mal  infâme.  Vous  êtes  si  sensible  au  moindre  rabais: 
Pour  qui  me  prend-il  ?  est-il  à  comparer  ?  Si  vous  tics  en 
péché  moi  loi  ,  vous  êtes  moins  devant  Dieu  que  votre  ser- 
vante qui  est  en  grâce  ,  moins  que  voire  chien  ,  moins  qu'un 
moucheron.  Ad  nihilum  deducens  est  in  conspectu  ejus 
,  ad  nihimm  redactus  su  m. 
Malum  hoc,  c'est  un  mal  affligeant  et  douloureux  ;  vous 
n^vez  pas  une  Wnmc  heure,  vous  ne  reposez  pas  de  bon 
sommeil,  vous  êtes  toujours  en  appréhension  d'être  surpris, 
de  mourir  soudainement,  de  perdre  ec  que  vous  aimez. 
Malum  hoc,  c'est  un  mal  dommageable  à  Famé  ;  vous 
?olre  salut.  Ces!  nu  mal  pernicieux  pour  votre  corps, 
celle  passion  le  ruine  ;  c'est  un  mal  funeste  à  votre  posté- 
la  punira  pour  vos  péchés  :  «  Visilans  iniquilatem 
«  patrum  in  Gliosio  tertiam ,  et  quartam  generationcm  5 
rumtamen  nolite  recederea  lergo  Domini.  »  Quand 
v  isé  Dieu,  ne  laites  pas  comme  Jonas  ,  ne 

éloignez  pas  de  lui ,  n'ajoutez  pas  péché  sur  péché; 
lliei  de  lui  à  lui;  de  lui  courroucé,  à  lui  apaisé;  jetez-vous  aux 
jieds  de  Jésus  avec  Madeleine.  Les  pieds  de  sa  divinité,  dit 
v  1)  rnard  ,  sont  sa  miséricorde  et  sa  justice  :  mettez  vous 
©près  de  la  miséricorde,  cela  se  fait  avec  une  vive  componc- 
10:1:  Juxta  est  Dominusiis qui trihulato  sunt corde. 
Auprès  de  sa  justice;  n'eu  ayez  pas  de  l'aversion  ni  de 
;  lement,  soumettez-vous à  ce  qu'elle  ordonnera.  Ac- 
Deus  peccata  tua,  et  si  tu  accusas ,  conjungeris 
Augustin:  (tract.  12.  in  Joan.)  Dieu  accuse 
>;  si  vo  s  les  confessez  sans  vous  excuser,  vous 
'■  lui,  vous  gagnez  son  cœur  et  son  affec- 
land  vous  châtiez  voire  enfant  qui  a  fait  une 
1  crime,  se  soumet  à  la  correction,  dit 
"  ■'  !!  imenl  .  et  que  vous  ne  lui  en  sauriez  tant 

trouer  qu'il  n'en  mérite  encore  plus  ;  cela  vous  apaise,  vous 
la  bouche,  vous  fait  tomber  les  verges  des  mains  et 
Cl  'I     3  eux 


3A2  SERMON  CCXC1II. — DE  LA  HONTE  ,  etc. 

Mettez-vous  aux  pieds  de  son  humanité ,  en  suivant  ses 
traces ,  quee  diu  maleambulabat ,  vestujia  recta  quœre- 
bat'  suivez-le  pas  à  pas  en  tous  les  lieux  où  il  a  été,  hono- 
rez-le en  tous  les  états  et  mystères  de  sa  vie. 

Mettez-vous  aux  pieds  de  son  corps  mystique.  Ce  sont  les 
pauvres,  dit  S.  Augustin,  qui  rampent  sur  la  terre  ,  cras- 
seux, couverts  de  boue;  honorez-les,  caressez- les  de  vos 
moyens,  humiliez-vous  au-dessous  de  tous  les  chrétiens,  à 
l'exemple  de  Madeleine  ;  elle  pratique  le  conseil  de  Jésus  au 
festin  de  ce  pharisien  :  Recumbit  in  novissimo  loco  ;  elle 
se  met  au  plus  bas  lieu  ,  elle  fait  comme  la  Chananéenne  : 
Etiam  Domine,  nam  et  catelli ;  je  ne  suis  qu'une  pauvre 
chienne,  immonde,  digne  de  tout  mépris  ,  je  me  mets  à 
vos  pieds,  sous  la  table ,  pour  recueillir  les  miettes  qui  tom- 
bent. 

Humiliez-vous  comme  cela ,  endurez  patiemment  les  mé- 
pris ,  les  médisances ,  les  calomnies ,  pensez  qu'on  n'en  sau- 
rait tant  dire  de  vous  qu'il  n'y  en  ait  encore  davantage.  Si 
vous  vous  abaissez  ainsi  à  l'exemple  de  Madeleine,  on  vous 
dira  à  votre  mort  :  Amice,  ascendewgeïiu.s.  âmea* 


SERMON  CCXCiV. 

DBS    LARMES    DE    SAINTE    MADELEINE, 


7  •  ! 

1  I  Immi  let  pMa  dfl  FiU  <lo  Dieu.  (Lue.  7.  38.) 

L'ami  pécheresse  qui  désire  être  délivrée  de  l'esclavage 
de  l'esprit  malin  auquel  elle  s'est  engagée  par  le  consente- 
ment au  péché,  doit  souvent  adresser  à  son  Dieu  cette  prière 

(lu  roi  pénitent  :  Couverte  ,  Domine  ,  Capttvitatem  nos- 
tram  .sien/  torrens  in  austro.  Si  les  yeux  de  Marie-Ma- 
deleine répandent  un  torrent  de  larmes  qui  l'affranchissent 
de  la  captivité  du  péché  et  de  la  servitude  du  diable,  c'est 
! ■  glace  d  ur  a  été  fondue  par  le  vent  dw  midi , 

I      une  halenée  du  Saint-Esprit ,  par  ce  vent  que  l'Epouse 
t  autrefois  :  Surge,  a  qui  h;  et  vent,  au*  ter.  J'ai 
a  f0U|  foire  voir  aujourd'hui  les  admirables  effets  que  les 
larmes  de  pénitence  produisent  au  ciel  et  en  terre,  et  les 
l'où  elles  procèdent.  Soyez  al (entifs  et  demandons 
'[  ce  que  la  fille  de Caleb demandait  à  son  père,  un 
ii"  d'en-haut  et  un  arrosoir  d'en-bas  :  Irriguum  su- 
feriue ,  irriguum  inferiue.  (Josu.  4  5.  19.) 

IDEA  SERMOINIS. 
Pnmmn  punctum.  A.  Peccatum  omnium  maîorum  maxi- 
mum ,  non  deletur  nisi  diluvio  lacrymarum. 

ndum  punctum.   Très  diferentiœ  inier  diluvium 

mnivereaU  et  diluvium  lacrymarum  :  B.  1  °  Quodil- 

!  it  tuntum  quadraginta  dierum.istud  totius 

r.  —  C.  2"  lllud  induxit  sterilitatem 

ietud  feeunditaiem  animée. —  D.  3°  lllud  ri- 

rmm  ,  iêiud  rigai  et  keiifieai  cœlum. 

m  punctum.  E.  Très  convententiœ  inier  hme  duo 

<ie  quad  earum  uqum  originem  habent 

i ,  in  mari ,  in  abuseo. 


344  SERMON  CCXCIV. 

primum  pungtum.  —  Peccatum  omnium  ,  etc. 

A.  —  (Non  deletur  nisi,  etc.)  Quand  on  dit  que  le  pè- 
che mortel  est  le  plus  grand  mal  qui  puisse  arriver  à  une 
créature ,  plus  grand  que  la  peste,  plus  que  la  famine,  plus 
que  la  mort ,  môme  plus  que  l'enfer  et  la  damnation  éter- 
nelle ;  l'âme  mondaine  ne  le  eroit  pas,  parce  qu'étant  toute 
sensuelle  ,  et  n'appréhendant  que  ce  qui  frappe  les  sens , 
elle  s'imagine  que  c'est  une  hyperbole ,  un  paradoxe  ,  une 
exagération  d'orateur;  et  toutefois ,  l'Ecriture  le  dit ,  les 
Pères  de  l'Eglise  l'enseignent,  la  raison  claire  et  évidente 
le  montre.  AuDeutéronome ,  (32.  35.)  Dieu  dit  :  Mea  est 
ultioj  ut  labatur  pes  eorum;  c'est  un  châtiment  divin 
quand  elles  tombent  dans  le  péché  ;  les  maladies ,  pertes  de 
bien  et  autres  afflictions  temporelles ,  ne  sont-ce  pas  des 
châtiments  de  Dieu  ?  oui  ;  mais  celui-ci  est  appelé  particu- 
lièrement divin  ,  parce  que  l'Ecriture  a  coutume  d'appeler 
choses  divines  celles  qui  sont  les  plus  grandes,  les  plus  ex- 
traordinaires ,  les  plus  signalées ,  les  plus  remarquables  : 
Cedros  Dei,  montes  Dci,  et  c'est  le  plus  grand  de  tous 
les  châtiments  quand  Dieu  nous  laisse  à  l'abandon  de  nos 
passions  et  à  la  faiblesse  de  notre  nature  :  Ut  labatur  pes 
eorum. 

Puniri  non  est  malum  ,  sedfieri  dignum  pœna  ,  dit 
S.  Denis  :  (c.  4.  de  divinis  nominibus.)  Ce  n'est  pas  un  mal 
d'être  puni ,  mais  de  mériter  la  punition  ;  ce  qui  est  si  véri- 
table ,  que  môme  la  peine  de  l'enfer  ,  à  proprement  parler, 
n'est  pas  un  mal.  Si  Judas,  Anliochus,  le  mauvais  riche 
et  les  autres  réprouvés  avaient  cette  lumière  ,  et  n'étaient 
pas  déréglés  en  leurs  jugements ,  ils  trouveraient  bon  d'être 
brûlés,  et  jugeraient  que  c'est  un  bien  ,  car  c'est  un  eiTet  de 
la  très  adorable  justice  de  Dieu. 

Et  l'effet  d'une  si  bonne  cause  ne  peut  être  que  très  bon; 
être  digne  de  peine  ,  c'est  un  effet  de  la  mauvaise  volonté  de 
l'homme,  et  l'effet  d'une  si  mauvaise  cause  ne  peut  être  que 
mauvais ,  les  raisons  de  théologie  en  sont  évidentes. 

Premièrement ,  le  bien  est  l'objet  de  la  volonté ,  et  prin- 


Pis  LARMES  DH  SAINTS  MADELEINE.  3'+5 

finalement  d'une  volonté  droite  ,  bien  conseillée  ,  et  non 
d'une  volonté  passionnée  ,  une  volonté  bonne  et  infiniment 
lionne  ;  Dieu  ne  vent  pas  le  péché ,  il  ne  peut  le  vouloir,  il 
l'abhorre,  le  défend,  le  déteste:  Non  Deus  vo/ens  ini- 
guitatem  ;  (Psal.  '2.  5.)  et  respieere  ad  iniquitate>n  non 
poteris  ;  (  Habac.  1 .  13.  )  dilexisti  justiliain  ,  et  ^disti 
iniqititatem,  (Psalm.  44.  8.)  Il  vent  la  punition  du  pé- 
cbeur  et  les  autres  peines  sensibles ,  il  s'y  plait ,  il  les  agi  ce, 
il  les  ordonne  ,  il  les  destine  à  quelque  bien  ,  il  les  fait  se- 
lon son  bon  plaisir  :  Sicut  Domino  plaçait ,  ita  factum 
est  ;  (Job.  1 .  21.)  Qbmutui,  et  non  aperui  os  meuni , 
guoniam  tu  fecisti,  (Psal.  38.  10.)  sagittœ  tuœ  in  fixas 
sunt  mihi.  (Psal.  37.  3.) 

Quand  il  veut  nos  afflictions,  sa  volonté  est  droite  et 
équitable  :  Deusjudex  justus,  (Psal.  T.  12.)  Elle  n'est 
point  passionnée  :  Tu  autem  eu  m  iranquillitatejudicas* 
(Sap.  1  2.  1 8.)  Il  y  procède  judicieusement  et  avec  considé- 
ration :  Tu  laboremet  dolovem  considéras.  (Psal.  1 0. 1 4.) 
le  péché  est  un  grand  mal,  et  non  la  peine  du  péché, 
puisque  la  peine,  non  le  péché ,  est  l'objet  de  la  volonté 
de  Dieu.  En  second  lieu  ,  non-seulement  il  est  auteur  de  la 
peine  ,  mais  il  peut  la  recevoir  en  lui  ;  le  bien  infini  ne  peut 
ir  aucun  mal ,  parce  que  ce  sont  deux  contraires  di- 
rectement et  diamétralement  opposés,  comme  la  glace  de- 
meurant glace  ne  peut  demeurer  dans  le  feu  ;  le  bien  souve- 
rain et  essentiel  n'est  pas  susceptible  d'aucun  mal,  ce  sont 
deux  contraires  incompatibles  ,  comme  la  lumière  et  les  té- 
nèbres, La  science  et  l'ignorance.  Dieu  qui  est  le  bien  infini 
a  épousé  une  nature  sujette  à  la  pauvreté  ,  non  à  L'iniquité, 
ptible  de  douleur,  non  de  péché;  capable  de  mourir, 
non  de  faillir;  donc  la  pauvreté,  la  douleur,  la  mort  ne 
sont  pas  un  mal ,  puisqu'elles  se  trouvent  en  Jésus-Christ; 
!«•  péché  même  véniel  est  \\\\  mal,  puisqu'il  ne  pouvait  être 
en  lui;  en  lui,  dis-je  ,  qui  est  un  bien  souverain  et 
infini. 

U  )  u  ne  fait  pas  seulement  fa  peine,  et 

ÎI M  1 1  ulcinenl  reçue  en  lui ,  mais  il  L'a  faite  en  nous 


340  SERMON  CCXCIV. 

et  il  l'a  reçue  en  lui  pour  guérir  le  mal  du  péché  ;  le  péché 
doue  est  un  plus  grand  mal  que  la  peste,  la  guerre,  la  fa- 
mine, et  même  que  la  mort  d'un  Dieu  ;  autrement ,  comme 
ditS.  Augustin  ,  Dieu  serait  comme  un  empirique  et  comme 
un  très  mauvais  médecin ,  il  guérirait  un  petit  mal  par  un 
autre  mai  plus  grand  ;  ce  serait  être  bourreau  et  non  mé- 
decin, charlatan  et  non  chirurgien  ,  de  couper  la  tète  pour 
délivrer  de  la  migraine,  d'estropier  le  bras  pour  guérir  une 
petite  égratignure  de  la  main.  Si  L  péché  est  un  plus  pttit 
mal  que  la  peste,  la  famine  ,  la  mort  d'un  Dieu ,  Dieu  a  fait 
comme  cela,  il  a  fait  un  grand  mal  pour  en  guérir  un 
petit,  puisqu'il  a  ordonné  la  peste  ,  la  famine,  la  mort  de 
Jésus  pour  guérison  du  péché. 

En  quatrième  lieu,  un  mal  est  d'autant  plus  grand,  qu'il 
est  contraire  à  un  plus  grand  bien  ;  car  les  privations  se 
mesurent  et  se  connaissent  par  les  formes  qui  leur  sont 
opposées.  Or  la  pauvreté,  la  maladie,  la  mort  et  les  autres 
afflictions,  même  la  damnation  éternelle,  ne  sont  opposées 
qu'au  bien  de  la  créature  ;  le  péché  mortel  est  opposé  au 
bien  du  Créateur,  car  il  contrepoinle  la  charité,  il  la  ruine 
et  l'anéantit  tout-à-fait,  et  la  charité  est  un  amour  de  bien- 
veillance, non  de  concupiscence  ;  par  la  charité  nous  aimons 
Dieu,  non  parce  qu'il  nous  est  bon,  mais  parce  qu'il  est  bon 
en  lui-même;  non  afin  qu'il  nous  fasse  du  bien,  mais  parce 
qu'il  est  un  bien  souverain,  infini,  infiniment  digne  d'être 
aimé. 

De  tout  ce  discours,  il  s'en  suit  par  bonne  conséquence 
qu'il  n'y  a  pas  de  larmes  mieux  employées,  de  tristesse  plus 
juste  et  plus  raisonnable ,  que  les  larmes  que  l'on  répand 
et  la  douleur  que  l'on  conçoit  d'avoir  commis  le  péché;  car 
si  le  mal  est  l'objet  de  la  tristesse ,  s'il  n'y  a  que  le  péché 
qui,  à  proprement  parler,  soit  un  vrai  mal  et  un  mal  infini, 
quelle  tristesse  plus  louable  que  celle  que  l'on  conçoit  d'a- 
voir commis  le  péché  ?  et  puis  la  tristesse  est  un  remède  inu- 
tile à  tous  les  autres  maux.  Si  votre  mari  est  mort,  si  vous 
êtes  tombé  en  maladie,  si  vous  avez  perdu  un  procès,  soyez- 
en  triste  tant  que  vous  pourrez,  votre  Justesse  ne  ressuscite 


DB  8AIAT1  MADELEINE,  347 

fi(  pas  la  maladie,  né  répare  pas  la  perte; 
i!  n'j  a  que  le  mal  de  la  coulpc  qui  soit  aboli  par  la  tristesse, 
il  par  la  seule  tristesse  tous  les  autres  remèdes  sont  ineffi- 
!  a  ce  mal  ;  la  seule  douleur  guérit  cet  ulcère,  témoin 
ie  déloge  universel  :  il  ruina  les  pécheurs,  non  le  péché  ;  il 
lit  mourir  les  criminels,  il  n'expia  pas  leurs  crimes;  mais 
dans  la  loi  de  grâce,  la  miséricorde  de  Dieu  plus  ingénieuse, 
ce  semble,  que  sa  justice,  a  trouve  un  déluge  salutaire  qui 
ne  noie  pas  les  pécheurs  ,  et  qui  nettoie  admirablement  le 
pèche  ;  c'esl  le  déluge  de  larmes  que  Madeleine,  et  à  son 
imitation  ,  toutes  les  amcs  pénitentes  versent  aux  pieds  de 
Jésus:  Lacrymœ  pœnitentium  ycecati  diluvium ,  iter 
"d  Deum,  dit  S.  Grégoire  de  Nazianze. 

BBCDNDUM  punctum.  —  Très  differentiœ  ,  etc. 

\ussi  il  v  a  trois  grandes  différences  entre  le  déluge  des 
S  qui  obtiennent  grâce  et  miséricorde,  et  le  calaciisme 
rscl  ,  qui  fut  un  déluge  de  rigueur  et  de  justice  ;  ces 
lifférences  sont  exprimées  en  ces  paroles  de  mon  thè- 
me :  (  cepii  rigaré  pedes  ejus;  elle  commença  d'arroser 
les  pied!  de  Jésus. 

D. — (1°  Quod  illud ,  etc.)  La  première  différence  est 
que  le  déluge  uojfersel  ne  dura  que  quarante  jours  et  qua- 
rante nuits,  le  déluge  des  larmes  de  Madeleine  dura  le  reste 
vie.  L'Evangile  dit  :  Cœpit ,  elle  commença,  parce 
•  tte  fontaine  d'eau  qu'elle  répand  aux  pieds  de  Jésus  , 
\\\\\n  essai  et  un  commencement  de  pleurs  qu'elle  ré- 
•andit  le  reste  de  ses  jours,  et  Pâme  pénitente  doit  l'imiter 
point,  c'est  le  conseil  que  le  Saint-Esprit  lui  donne  : 
m  mmtui  §eptem  dtes:  fatuiautem  cl  impii,  om- 
it* illumm  :  (Eccli.  22.  13.)  Quand  vous  avez 
pendant  sept  jours  la  mort  d'un  de  vos  parents  ou  d'un 
i  vous  contenter,  mais  la  mort  spirl- 
■f un  pécheur  doit  être  pleuiée  toute  sa  vie. 
I-  qui  est  vraiment  convertie  esl  bien  éloignée  de 

une  comme  et*  mal-avisées  qui  se  contentent  de  faire  cou- 


348  SERMON  CCXCIV. 

1er  de  leurs  yeux  trois  ou  quatre  gouttelettes  de  larmes,  et 
puis  se  tiennent  aussi  assurées  de  leur  salut  que  si  elles  n'a- 
vaient jamais  offensé  Dieu  ;  elle  fait  plutôt  comme  le  Pro- 
phète qui  disait  :  Exitusaquarum  deduxerunt  oculi  mei, 
quianon  custodieruntlegem  tuani  :  Mes  yeux  ont  répandu 
des  ruisseaux  de  larmes ,  parce  que  je  n'ai  pas  garde  vos 
commandements.  S.  Augustin  dit  qu'une  autre  version  porte: 
Exilas  aquarum  transierunt  oculi  mei,  pour  exprimer 
que  ses  larmes  ont  été  plus  abondantes  et  moins  sujettes  à 
se  tarir  qu'une  fontaine  d'eau  vive.  (1  )  S.  Ambroise  dit  pres- 
que de  môme  sur  le  même  Psaume,  et  ailleurs  :  (in  Ps.  50.) 
Grandis  squalor  et  macula  non  exiguo,  sed  m  ulto  au  fer 
tur  lavacro /  et  sur  ces  paroles  de  David,  il  dit  qu'un  vrai 
pénitent  tire  sujet  d'humiliation  et  de  regret  de  tout  ce  qu'on 
lui  fait ,  de  tout  ce  qu'on  lui  dit ,  de  tout  ce  qu'il  voit ,  de 
tout  ce  qu'il  entend  ;si  on  lui  fait  du  mal,  il  dit  en  lui-même: 
Ceci  n'est  rien  en  comparaison  de  l'enfer  que  j'ai  mérité  : 
Merilo  hœc  patimur;  digna  factis  recipimus.  Si  on  lui 
fait  du  bien ,  il  s'en  élonne,  s'estimant  indigne  de  recevoir 
aucun  bien  des  créatures,  puisqu'il  a  offensé  le  Créateur: 
s'il  voit  quelqu'un  qui  serve  bien  Dieu,  il  lui  porte  une  sainte 
envie  ,  et  il  a  du  regret  de  n'avoir  pas  fait  comme  lui  ;  s'il 
voit  quelqu'un  qui  offense  Dieu,  cette  vue  lui  remet  en  mé- 
moire son  crime  et  le  remplit  de  tristesse. 

Il  exerce  souvent  le  reste  de  sa  vie  des  actes  de  contri- 
tion, et  voici  les  raisons  qu'il  a  de  le  faire.  Il  craint  qu'il 
n'ait  fait  plusieurs  confessions  en  sa  vie  sans  un  vrai  regret 
d'avoir  offensé  Dieu  ;  il  pense  que  peut-être  la  repentanec 
qu'il  eût  en  sa  confession  générale  n'était  que  naturelle,  un 
effet  de  la  volonté  de  l'homme,  non  un  effet  de  la  grâce  de 
Dieu,  que  peut-être  elle  n'avait  qu'un  motif  humain  et  ter- 
restre, non  céleste  et  divin,  ou  qu'il  se  repentait  par  un 
motif  trop  borné  et  réservé  qui  ne  détestait  pas  toute  sorte  de 
péchés ,  pas  même  virtuellement ,  mais  seulement  quelques; 

(l)Tanquam  diceret  transisse  se  flendo  fontes  aquarum,  ut  hoc  hitelligarauâ 
plus  llt'vi??(! ,  quam  njanant  acmaj  de  suis  ejùlibus.  (S.  Aug.  conc,  27.  in 
&al,  118.  influe.) 


DES  I  kRMBS  DT.  SAINTE  MADELEINE.  340 

I  cause  de  la  laideur  et  difformité  particulière  qu'il  y 


! 


onsidère  cette  parole  du  Saint-Esprit  :  Depropitiato 
aio  noli  esse  sine  m  du. 
De  plus  la  doctriue  de  S.  Thomas  doit  avoir  grand  as- 
cendant sur  notre  esprit  pour  la  conduite  de  notre  vie  ;  car 
au  concile  de  Trente,  sa  Somme  de  théologie  était  au  milieu 
J  lassemblée,  sur  une  table,  au-dessous  de  la  sainte  Jii- 
Die,  comme  l'oracle  duquel  le  saint  concile  voulait  apprendre 
Peiplîeation  de  l'Ecriture  sacrée  ,  et  ce  qu'il  devait  ensei- 
gner aux  îdèles.  Or  voici  comme  ce  saint  docteur  parle  de 
"  Pénitence  :  (3.  p.  q.  87.  art.  5.  in  corp.)  La  vertu  de 
repentance  comprend  plusieurs  actes  ;  le  premier  est  un 
mouvement  et  opération  du  Saint-Esprit  qui  chancre  notre 
cœur  ;  le  second  est  un  acte  de  foi  ;  le  troisième  un  acte  de 
crainte  servdepar  lequel  on  se  relire  du  péché  pour  en  éviter 
a  punition  ;  le  quatrième  est  un  mouvement  d'espérance  par 
lequel  on  propose  de  s'amender  pour  obtenir  pardon  •  le 
iième  es!  un  acte  de  charité  qui  nous  fait  haïr  le  péché 
non  principalement  par  crainte  de  la  peine,  mais  par  amour 
e  la  vertuj  le  sixième  est  un  mouvement  de  crainte  filiale 
par  lequel  nous  nous  ornons  à  Dieu  pour  satisfaire  à  sa  jus- 
|»çe,  eu  égard  à  l'honneur  que  nous  lui  devons.  Je  vous 
WM  juge  si  vous  avez  pu  exercer  tous  ces  actes  en  un  petit 
temps  que  vous  avez  employé  à  faire  l'examen  et 
à  vous  préparer  pour  vous  confesser  au  sortir  de  quelque 
ission  ou  d'une  vie  toute  licencieuse,  dissolue  et 

Qu  vo,llez  tuer  on  arpent,  vous  ne  vous  con- 

fentei  pas  de  lui  donner  un  coup,  vous  lui  en  donnez  deux 

roi«i  quatre, jusqu'à  ce  (pie  vous  soyez  assuré  qu'il  soit 

rous  voyez  qu'il  remue,  vous  ne  cessez 

',,',ri't'.  Etes-vous  bien  assuré  que  le  péché  mortel  est 

'  que  Pacte  de  repentance  que  vous  avez  fait 

wion  l'ail  étouffé  en  votre  cœur  ?  nVt-il  plus 

i  effets  en  vous? 
-  <  ;  I  une  seule  goutte  de  lion  gang  en  roi 


350  SERMON  CCXCIV. 

veines,  unebluette  d'amour  de  Dieu  en  votre  cœm^  pouvez- 
vous  vous  souvenir  d'avoir  si  souvent  offensé  Dieu  sans  en 
avoir  du  repentir  ?  jugez-en  par  votre  propre  sentiment  :  si 
on  vous  désoblige  grièvement  une  seule  fois ,  cette  offense 
vous  est  sensible  ,  mais  si  on  le  faisait  vingt  fois,  trente  fois, 
quarante  fois ,  qu'en  diriez-vous  ?  Si  un  homme  avait  battu 
vos  enfants,  ou  flétri  votre  honneur,  ou  ravagé  vos  biens, 
cent  fois ,  deux  cents  fois,  trois  cents  fois,  vous  conlenle- 
riez-vous  qu'il  vint  une  seule  fois  en  votre  maison  vous  dire  : 
Monsieur  ,  je  vous  ai  désobligé  ,  je  vous  fais  mes  excuses , 
je  vous  prie  de  me  pardonner  ;  et  si  après,  il  vous  rencontrait 
souvent  sans  en  témoigner  du  regret,  sans  autre  satisfaction, 
qu'en  diriez-vous  ?  qu'en  penseriez-vous  ? 

Sur  le  second  chapitre  de  la  Genèse,  où  il  est  dit  qu'au 
commencement  des  siècles,  le  Créateur  avait  planté  un  jardin 
de  délices  pour  la  demeure  du  premier  homme,  les  docteurs 
demandent  :  Qu'est-ce  que  le  paradis  terrestre?  où  est-il  à 
présent  ?  et  qu'est-il  devenu  ?  Origène  a  dit  que  c'est  le  troi- 
sième ciel  où  S.  Paul  fut  porté  pendant  son  ravissement. 
Tostat,  Alexandre  d'Alès  et  autres,  ont  dit  que  c'est  un  lieu 
élevé  au-dessus  de  la  moyenne  région  de  l'air,  pour  être 
exempt  des  brouillards  et  des  autres  injures  du  temps  ;  mais 
tout  cela  ne  peut  pas  être,  puisque  l'Ecriture  dit  expressé- 
ment que  le  Tibre,  l'Euphrate  et  les  autres  fleuves  ont  leur 
source  dans  le  paradis  terrestre,  et  l'on  sait  bien  où  est  la 
source  de  ces  rivières. 

La  meilleure  opinion  des  docteurs  et  la  plus  conforme  à 
la  parole  de  Dieu ,  est  que  le  paradis  terrestre  était  en  effet 
un  jardin  fertile  et  agréable ,  situé  aux  parties  d'orient , 
comme  disent  les  Septan/e,  vers  l'Arménie  et  la  Mésopota- 
mie ,  et  que  le  fonds-terroir  de  ce  jardin  est  encore  en  être  j 
mais  que  la  fécondité  et  la  beauté  en  fut  ruinée  par  le  déluge  : 
car  la  Genèse  nous  apprend  (3.  24.)  qu'après  le  péché  de 
l'homme  et  son  bannissement,  Dieu  mit  à  la  porte  du  jardin 
de  délices  un  chérubin  avec  une  épée  flamboyante  pour  en 
empêcher  l'entrée  ;  mais  les  eaux  du  déluge  ayant  demeuré 
environ  un  au  sur  la  terre,  la  ravagèrent  tellement;  que  ce 


S  LARMES  Dfi  6A.1NTC  UADLLKlNfi,  3g1 

!  paradis  en  fus  ruiné,  les  arbres  renversés,  les  plantes 

la  terre  rendue  inféconde.  Au  chapitre  sixième  de 

la  Genèse,  où  nous  avons  :  Disperdam  bqs  ettm  ferra,  il 

y  i  au  grec  **r*fô*/pto  »0rott  Kdtj  r<jv  y>jy ,  disperdo  eos  in 

—•(2    ///h  /  induxit  $terilitatê*i,etc*)  Eu  effet,  si 

examines  de  près  l'Ecriture,  vous  trouverez  que  le 

Heur  avant  le  déluge  ne  parle  point  de  l'usage  de  la 

le  ni  du  poissoh  ,  mais  seulement  des  fruits  et  des  plan- 
te- qui  étaient  alors  fort  nutritives  et  fort  succulentes; 
mais  depuis  que  le  déluge  eut  gâté  la  terre  ,  (Gcnes.  9.  3.) 
e  et  à  ses  descendants  L'usage  de  la  chair  et 
du  poisson,  et  c'est  la  seconde  différence  qui  est  entre  le 
déluge  de  justice  et  le  déluge  de  miséricorde,  savoir  que  le 
lier  désola  toute  la  terre  et  ruina  le  jardin  de  déli- 
iu  lieu  que  le  déluge  de  larmes  ne  ravage  pas  notre 
lis  l'arrose  et  fertilise,  cœpit  rigare.  S.  Paul  écrî- 
Coriothiens,(2.  Cor,  7.  9.  1 1.)  décrit  admira- 
ient bien  les  belles  plantes  que  ces  eaux  de  pénitence 
n  notre  cœur  :  Gaudeo  quia  contrhtati  es- 
id pœnitentiam  ;  nam  secundum  Deitm  conlrLstari 
atmr  in  vobU  sollicUndincm ,  timorcm,  indigna- 
,  ri.tdictam  ,  œmulationcm. 
\  oulez-vous  savoir  ai  votre  pénitence  est  vraie  et  légitime? 
res  eu  une  bonne  repenlance  en  votre  confession  ? 
lemandei  pas  à  votre  confesseur,  il  ne  peut  rien  vous 
re  d'assuré  5  demandez-le  an  Saint-Esprit  qui  sonde 
nrs  ,  voyez  si  elle  a  produit  en  vous  ces  effets  qu'il 
"  marqués  par  sou  Apôtre,  sollicitudinem ,  ^o^y, 
,  diligentiam  ,  un  grand  souci ,  un  désir  ardent 
»  du  péché  quand  vous  faites  tout  ce  que  vous 
:  m  en  être  délivré  :  vous  savez  que  la  repenlance 

e  e>t  absolument  nécessaire,  vous  la  demandez 
Ment ,  vous  faites  des  aumônes  pour  l'obtenir, 
ferveur,  vous  lai  rendez  quet- 
i  -n  service  afin  qu'elle  vous  l'obtienne,  vous  cherchez 
'  mci,!  r    roua  pouvezavoir,  vous  lui  ou- 


352  SERMON  CCXC1V. 

vrcz  votre  cœur  avec  sincérité',  vous  désirez  qu'il  vous  con- 
naisse aussi  clairement  que  vous  vous  connaissez, 

Timorem,  vous  daignez  de  retomber  dans  le  péché, 
vous  en  fuyez  les  occasions,  vous  évitez  les  mauvaises  com- 
pagnies ,  les  danses ,  les  cabarets,  les  assemblées  de  garçons 
et  de  lilles,  les  trafics,  les  pratiques  dangereuses,  vous 
quittez  les  états ,  les  offices  et  ies  bénéfices  qui  vous  ache- 
minaient au  péché  :  car  les  crimes  de  la  vie  passée  en  une 
ime  pénitente  sont  comme  les  épines  en  la  vigne  ou  au  champ 
du  père  de  famille  ;  tant  qu  elles  sont  dedans ,  elles  nuisent, 
mais  les  ayant  arrachées,  on  peut  s'en  servir  à  faire  une 
haie  qui  empoche  les  larrons  et  les  bêtes  sauvages  d'y  en- 
trer, et  l'âme  vraiment  pénitente  se  sert  de  ses  péchés  pas- 
sés pour  se  rendre  pins  timide  à  ne  laisser  entrer  en  son 
cœur,  ni  en  son  logis  ce  qui  pourrait  le  faire  retomber, 
comme  ce  jeune  homme  dont  S.  Àmbroise  fait  mention, 
(libr.  2.  de  pœnit.  c.  9.  )  Il  s'était  mal  gouverné  avec  une 
femme  débauchée  ;  pour  se  retirer  entièrement  de  l'occa- 
sion ,  il  quitta  le  pays,  alla  en  une  province  bien  éloignée  , 
et  démentit  le  proverbe  qui  dit  :  Cœlum  non  animum  mu- 
tant qui  trans  mare  ouvrant;  changeant  de  pays;  il 
changea  d'humeur  et  de  façon  de  faire.  Etant  de  retour  en 
son  pays ,  après  quelques  armées ,  il  rencontra  en  la  rue 
l'ancienne  complice  de  ses  débauehes  ,  et  passa  outre  sans 
lui  dire  un  seul  mot,  ni  faire  aucun  signe  :  elle  tout  étonnée, 
s'imagina  qu'il  ne  l'avait  pas  reconnue,  rebrousse  chemin  , 
va  le  trouver,  et  lui  dit  :  Ne  me  connaissez-vous  pas?  c'est 
moi.  Il  répond  froidement  :  Et  ce  n'est  plus  moi. 

Indignationem .  Les  saintes  larmes  produisent,  en  troi- 
sième lieu,  une  sainte  haine  de  nous-mêmes,  une  juste  co- 
lère et  indignation  contre  nous,  qui  fait  que  nous  nous  esti- 
mons indigues  de  tout  honneur,  de  toute  grâce,  de  toute 
laveur,  puisque  nous  avons  déshonoré  la  très  haute  majesté 
de  Dieu  ;  nous  jugeons  que  nous  sommes  dignes  de  tout 
mépris ,  puisque  nous  l'avons  méprisée  ;  que  nous  méritons 
d'être  foulés  aux  pieds  de  toutes  les  créatures,  puisque  nous 
avons  fculc  aux  pieds  la  très  adorable  volonfé  du  Créateur. 


ni  S  LARMBS  DE  SAINTE  MADELEINE.  353 

ï'indictan)  /  elles  produisent  un  esprit  de  vengeance,  une 
louable  an  imosi  té  contre  noire  chair  qui  nous  l'ait  pécher, 
un  grand  désir  de  venger  sur  elle  l'offense  de  Dieu.  Alexau- 
dre-le-Grand  étant  ivre  de  vin  et  de  colère ,  tua  un  de  ses 
;  is  nommé  Clytus;  le  lendemain  quand  son  vin  fut  di- 
géré ,  et  sa  passion  refroidie,  il  fut  si  fâché  de  cequ'il  avait 
lait,  et  entra  en  si  grande  colère  contre  soi ,  qu'il  prit  un 
couteau  pour  se  suicider. si  ses  gens  ne  Peu  eussent  empêché; 
c'était  signe  qu'il  se  repentait  bien.  Ainsi  on  voit  par  expé- 
rience que  les  vrais  pénitents  ne  se  contentent  jamais  des 
austérités  et  mortifications  qu'on  leur  impose,  ils  voudraient 
jeûner  tons  les  jours  ,  se  charger  de  cilice  et  de  haire ,  se 
déchirer  et  se  tuer  ,  s'il  leur  était  permis. 

Emulationem ;  au  grec  il  y  a  gi}X6v.  Le  vrai  pénitent  a 
un  grand  zèle  de  l'honneur  de  Dieu  qui  lui  a  pardonné,  il  a 
un  désir  insatiable  d'avancer  sa  gloire,  de  le  faire  connaître 
et  aimer  de  tous  les  hommes,  une  vive  reconnaissance  de  la 
que  Dieu  lui  a  faite;  il  dit  avec  le  Psalmiste  :  Mon 
âme  ,  louez  le  Seigneur ,  que  tout  ce  qui  est  en  moi  bénisse 
son  saint  nom;  mon  Ame,  gardez-vous  bien  de  mettre  en 
oubli  les  biens  qu'il  vous  a  faits  :  il  vous  a  pardonné  vos  ini- 
quités ,  il  a  guéri  vos  infirmités,  il  vous  a  retiré  de  la  mort, 
il  vous  a  couronné  de  sa  grâce  par  sa  miséricorde.  David 
était  un  homme  marié,  chargé  d'une  grande  famille  et  du 
ernement  d'un  royaume,  et  toutefois  ayant  obtenu 
pardon  de  son  péché,  il  promettait  à  Dieu  de  faire  le 
catéchisme  à  son  peuple  :  Docebo  iniquos  vias  tuas. 
(Ps.  50.  1  5.)  Ainsi  le  vrai  pénitent  enseigne  la  vertu  à  ses 
enfants,  instruit  ses  domestiques,  catéchise  ses  serviteurs, 
incite  à  l'amour  de  Dieu  ses  voisins  et  tous  ceux  qui  conver- 
sent avec  lui. 

Ce  sont   les  plantes  salutaires  que  la  douce  pluie  des 
;  produit   en  nous  quand  elle  arrose  notre  cœur: 

i  rujare. 

D.  —  (3* Illud  rigavit  terrain,  etc.)  Pedcs  ejus. 
'  me  différence.  Le  déluge  universel  n'arrosa 

ÏU«  i  '  ;  Mit  qu'au-dessus  des  plus  hautes  mon- 


35  Y  SERMOJS  CCXCIV. 

tagncs  ;  les  larmes  parviennent  jusqu'au  ciel ,  arrosent  les 
pieds  du  Fils  de  Dieu  qui  sont  plus  hauts ,  plus  purs  ,  plus 
célestes  que  le  ciel  :  «  Et  mutatur  ordo  reruni ,  pluviam 
«  terne  cœlum  dat  semper;  ecce  nunc  rigat  terra  cœlum  : 
«  ô  quanta  vis  in  lacrymispeccatorum  !  rigant  cœlum  ter- 
«  ram  diluunt,  extinguunt  gehennam,  delent  in  omne  fa- 
ce cinus  latarn  divina  promulgatione  sentenliam,  »  dit  saint 
Pierre  Chrysologue.  (serm.  93.)  Voici  un  admirable  chan- 
gement :  le  ciel  a  coutume  d'envoyer  la  pluie  à  la  terre  ; 
mais  en  la  conversion  de  sainte  Madeleine  la  terre  arrose  le 
ciel  :  quelle  merveilleuse  puissance  des  larmes  de  pénitence! 
elles  arrosent  le  ciel ,  elles  fertilisent  la  terre  ,  elles  étei- 
gnent le  feu  d'enfer ,  elles  cassent  la  sentence  de  condam- 
nation prononcée  pour  quelque  péché  que  ce  soit  :  La- 
crymœ  viduœ  descendunt  ad  maxillas  ,  et  a  maxilla 
ascendunt  usque  ad  cœlum,  (Eccli.  35.  \  8.)  Quand  une 
âme  chrétienne  est  devenue  veuve  de  son  divin  Epoux  par 
le  consentement  à  un  péché,  si  elle  pleure  amèrement  par 
une  parfaite  contrition  ,  ses  larmes  tombent  sur  ses  joues , 
mais  de  là  elles  montent  jusqu'au  ciel ,  dit  le  Saint-Esprit; 
et  comme  la  terre  étant  arrosée  d^ne  douce  pluie  paraît  toute 
joyeuse ,  épanouit  ses  belles  fleurs ,  montre  une  face  riante, 
pousse  fil  produit  des  fruits  savoureux  :  Prata  rident. 

Ainsi  le  ciel  étant  arrosé  de  nos  larmes  s'épanouit  de 
joie,  (i)  Si  vous  vous  convertissez  ,  vous  comblerez  de  joie 
tout  Je  paradis  ,  vous  réjouirez  le  Père  éternel.  LePsalmiste 
dit  qu'il  se  réjouit  en  ses  œuvres,  (2)  et  la  sanctification 
d'un  pécheur  est  si  proprement  son  œuvre,  qu'il  s'en  glorifie 
comme  n'appartenant  qu'à  lui  de  le  faire.  Ccstmoi,  dit-il, 
qui  efface  vos  iniquités  pour  l'amour  de  moi.  (3)  Vous 
réjouirez  le  Fils;  il  se  compare  à  un  berger,  qui  ayant  re- 
couvré sa  brebis  égarée ,  la  charge  sur  ses  épaules  et  la 
rapporte  à  la  bergerie  tout  joyeux.  (4)  Vous  réjouirez  le 

(i)  Gaudisim  erit  in  cœlo  super  uno  peccatore/Jpœnitentiam  agente.  (Luc. 

(2)LrcîabilurDominus  in  operibus  suis.  (Ps.  103.  51.) 
(3.)  Ego  suni ,  ego  sum  ipse ,  qui  deleo  iniquilates  luas  propîer  me,  ;'?, 
-45.  23.) 

(4)  Imponit  caai  in  Immcros  suos  gaudens.  (Luc.  15.  5.) 


1 1  àimsa  n^  saints  m  vdiijiimî.         ^r>r> 

[-Esprit,  son  inclination  naturelle  est  de  se  communiquer 

faire  du  bien  ;  il  sera  ravi  d'entrer  dans  voire  âme,  la 

r,  la  sauctifier,  lui  faire  ses  dons ,  la  remplir  de  ses 

es  cl  de  toute  sorte  de  biens.  Vous  réjouirez  la  Vierge; 

sera  comparée  à  une  dame  qui  tressaille  de  joie  d'avoir 

retrouvé  une  pièce  d'argent  qu'elle  a\aii  perdue.  (4)  Von 

les  Saints,  ce  sont  les  amis  de  ce  bon  Pasteur, 

convie  de  se  réjouir  avec  lui.  Vous  réjouirez  les  Saiu- 

>[\[  les  voisines  que  la  \  ierge  ,  celle  pieuse  dame, 

e  à  la  féliciter  de  son  bonheur  d'avoir    retrouvé  sa 

me  perdue.  Vous  réjouirez  les  auges;  la  plus  délicieuse 

n  qu'on  leur  puisse  donner ,  c'est  de  répandre  des  lar- 

■uiîcnce  :  Lacrymal  yœnilenlium  vi- 

,  atiiu  forum  ,  dit  S.  l'ernard. 

xi ;  .  —  Très  c<) a  renient iœ  ^  etc. 

B.  —  {hk  cuiij  ,  m  ?nan\  in  abysso.)  Il  est  vrai  que  le 
larmes  est  ainsi  différent  en  trois  points  du  dé* 
I ,  mais  il  lui  ressemble  en  trois  autres  points , 
ci  c'est  que  les  eaux  du  déluge  ancien  émanèrent  de  trois 
source>  :  la  cataractes  du  ciel  furent  ouvertes,  la  mer  se 
déborda ,  les  fontaines  de  l'abîme  ,  c'est-à-dire  les  eaux  qui 
sont  aux  entrailles  de  la  terre  ,  la  couvrirent,  se  joignant  à 
celles  de  la  mer.  (2)  Ainsi  l'âme  pénitente  qui  veut  noyer 
KM  iniquités  doit  tirer  de  trois  sources  le  déluge  de  ses  lar- 
mes :  du  ciel ,  de  la  mer ,  et  de  l'abîme  ;  du  ciel  qu'elle  a  of- 
fensé, de  la  mer  et  amertume  des  crimes  qu'elle  a  commis, 
de  l'abtmc  d'enfer  qu'elle  a  mérité.  Vous  devez  prendre  su- 
jet de  pleurer  en  considérant  le  ciel  et  la  cour  céleste  que 
tous  avez  désobligés  :  Pater,  peceavii?i  cœhim  et  coram 
te.  I  I  tourné  le  dos  à  votre  Dieu,  qui  est  le  bien 

soweraln ,  pour  vous  tourner  vers  une  ordure  ;  vous  avez 
offensé-  l.i  personne  du  Père  et  son  bénéfice  de  la  création , 
servi  de  tout  ce  qu'il  vous  a  donné  pour  vous 

(1)  Convoc.il  arnicas  et  vicinal  (\a\c.  1">.  !  .) 

ml,  rupti  su-:',  omues  fonte  abyssî,  (  Gcncsr 

7.   11.) 


350  SERMON    CCXC1V. DES  LARMES,  etc. 

roidir  contre  lui  et  lui  faire  la  guerre  ;  ii  n'y  a  point  de  puis- 
sance en  votre  âme ,  de  membre  en  votre  corps  que  vous 
n'ayez  souillé  ;  ii  n'y  a  créature  au  monde  que  vous  n'ayez 
révoltée  contre  le  Créateur;  vous  avez  mis  en  croix  notre 
Sauveur,  vous  êtes  coupable  de  la  mort  d'un  Dieu;  vous 
avez  faussé  le  serment  de  fidélité  que  vous  lui  aviez  prêté  au 
baptême,  vous  avez  profané  les  Sacrements ,  reçu  indigne- 
ment son  corps  adorable,  foulé  aux  pieds  son  précieux  sang. 

Vous  avez  centriste  le  Saint-Esprit,  vous  avez  perdu  fol- 
lement ses  dons ,  abusé  de  ses  grâces,  résisté  à  ses  inspi- 
rations ;  vous  avez  fait  pleurer  les  anges  de  paix,  vous  avez 
effacé  en  vous  la  ressemblance  de  Dieu  pour  prendre  f  image 
et  la  teinture  des  créatures  viles  et  abjectes;  vous  vous  êtes 
rendu  plus  terrestre  que  la  terre  ,  plus  mou  que  l'eau  ,  plus 
muabîc  que  Pair,  plus  embrasé  en  vos  passions  que  le  feu, 
plus  endurci  que  les  pierres ,  plus  cruel  que  les  bêtes  farou- 
ches ;  voyez  que  d'amertume  vous  avez  causé  à  votre  pro- 
chain !  que  d'ennuis ,  que  de  mauvaises  nuits  au  père  et  à 
la  mère  de  cette  fille  que  vous  avez  déshonorée  !  que  de 
tristesse  et  de  fâcheries  à  cette  veuve  que  vous  avez  ruinée  ! 
que  de  soucis ,  que  d'inquiétudes  ,  que  de  peines  d'esprit  à 
ce  villageois  contre  qui  vous  avez  plaidé  injustement  ! 

Vous  avez  mérité  l'enfer  cent  et  cent  fois  ;  il  y  a  mille  et 
mille  personnes  qui  y  sont  et  qui  n'ont  pas  tant  offensé  Dieu 
que  vous  ;  ii  y  en  a  qui  ont  été  complices  de  vos  péchés  ,  ou 
qui  y  sont  par  vos  suggestions  et  mauvais  exemples  ;  Dieu 
les  a  surpris  en  mauvais  état,  et  il  vous  a  attendu  avec  une 
patience  admirable ,  il  vous  a  invité  par  des  semonces  qui 
eussent  apprivoisé  un  tigre  ,  il  vous  a  reçu  à  pénitence  avec 
une  miséricorde  ineffable  ;  pleurez  donc ,  pleurez  amèrement 
d'avoir  offensé  un  Dieu  si  bon,  et  soyez  assuré  que,  comme 
après  le  déluge  la  belle  colombe  porta  dans  l'arche  un  rameau 
d'olive,  ainsi  si  vous  versez  un  déluge  de  larmes ,  le  Saint- 
Esprit  ,  figuré  par  la  colombe  ,  vous  donnera  des  arbres  de 
paix  et  de  pardon;  le  Fils  de  Dieu  vous  dira  comme  à  Sainte 
Madeleine  :  Vade  i?\  vace.  Amen, 


SERMON  CCXCV. 

HUMILITE    DE  MADELEINE,   NECESSAIRE  A  LA  VKAIB 
PÉNITENCE. 


lis  sni  ter  gelait. 

*il  lei  i  iedi  du  Fils  de  Dieu  avec  les  cheveux  de  sa  tete; 

(T.uc.  7.  58.) 

Comme  le  Saint-Esprit  nous  a  dit,  par  la  bouche  du  Sage, 

que  la  superbe  est  le  commencement  de  tous  les  pèches, 

aniM  non,  pouvons  «lire  avec  vérité  que  le  commencement  de 

toute  vertu  est  l'humilité.  Voulez-vous  être  grand?  dit  S.  Au< 

commencez  ce  dessein  en  vous  faisant  fort  petit  : 

?  a  minimo  incipe;  pensez  à  jeter  bien 

!  «déments  d'une  profonde  humilité.  Notre  sainte 

pénitente  a  bien  appris  et  pratiqué  cette  leçon;  (Luc.  5.  8. 

8.  41.)  elle  ne  se  jette  pas  seulement  aux  genoux  du 

buveur  comme  S.  Pierre,  elle  ne  se  contente  pas  de  se 

prosterner  à  ses  pieds  comme  Jairus  ;  elle  se  met  sous  ses 

pieds,  elle  lui  fait  un  marche-pied  de  sa  tète  :  Caput  pro 

*''/'/  '  ",//,  dit  S.  Pierre  Chrysologue,  comme  si 

elle  disait  :  Humiliât  a  sum  usquequaque  ;  Domine,  vi- 

vificomesecundumverbum  tuum.  Je  demande  grâce , 

'  avez  promise  à  ceux  qui  s'humilieraient  :  gardez,  s'il 

vous  plaît,  voire  promesse. 

IDE  A  SEUMOxMS. 
I        im  ponclum.  A.  ChHstus  suo  exempïo  nos  docuil 

kumtfUatem  in  omnibus  m//stcriis  suis 

dum  punclum.  Uumilitatia  nécessitas:  \\  \«  Scriv- 
tura.  -  (  ;.  2  PaU  ibu*.  -D.  ,T  Mu,  " 

Poncturo.  E.  Duplex  est  humilités  :  Prima 
**  ynwimusquod  ex  nul/a  nostra  vir- 


358  SERMON   CCXCV. 

iutesubsisiimus. — F.  Secunda,  Cordis,  qua  hono- 
res et  laudes  fugimus.  —  Coniemptum  amamus: 
G.  \  °  Scriptura.  —  H.  2°  Exemplo  Chrisii.  — - 
I.  3°  Exemple)  Sanctorum. 

primum  punctum.  — Chris! us,  èle, 

A. —  (Docuii  humilitatem ,  e£c.)L'évangéiistc  S.  Mat- 
thieu nous  représente  notre  Sauveur  assis  dans  la  chaire  de 
vérité,  invitant  tous  les  peuples  à  venir  à  lui  et  à  entrer 
dans  son  école  pour  y  apprendre  une  leçon  admirable  qu'il 
veut  leur  enseigner  ,  une  leçon  nouvelle  qui  a  été  ignorée 
de  Socrate,  de  Platon  ,  d'Arislote  et  des  autres  anciens  phi- 
losophes ,  une  science  qui  n'enfle  pas ,  mais  qui  édifie,  une 
science  qui  met  un  grand  calme  et  beaucoup  de  repos  dans 
Hune. 

Voici  comme  il  parle.  :  Venez  à  moi ,  vous  tous  qui  êtes 
dans  les  travaux  et  qui  êtes  chargés ,  apprenez  de  moi  que  je 
suis  doux  et  humble  de  cœur  ;  il  ne  dit  pas  :  Apprenez  de 
moi  à  être  humble,  mais  que  je  suis  humble,  parce  qu'il  ne 
fait  pas  comme  plusieurs  d'entre  nous  ;  nous  autres,  prédi- 
cateurs, nous  enseignons  quelquefois  aux  autres  à  être 
humbles,  et  nous-mêmes  nous  ne  le  sommes  pas.  Jésus  dit  : 
Apprenez  de  moi  que  je  suis  humble  ;  car  il  n'a  rien  voulu 
enseigner  qu'il  n'ait  éprouvé  en  lui  ;  il  n'a  rien  voulu  com- 
mander que  lui-même  n'ait  pratiqué  ,  dit  S.  Augustin  : 
«  O  doclrinam  salutarem  !  ô  Magistrum  Dominumque  mor- 
te talium  quibus  mors  poculo  superbise  propinata  atque 
«  transfusa  est ,  noluit  docere  quod  ipse  non  esset ,  noluit 
«  jûbere  quod  ipse  non  faceret.  »  (S.  Aug,  lib.  de  sancta 
virginiiate ,  cap.  35.)  Il  a  vu  que  l'orgueil  nous  a  apporté 
la  mort  et  tous  les  malheurs  qui  sont  au  monde.  Il  a  vu  que 
le  vice  est  répandu  dans  tous  les  hommes  ,  sur  tous  les  âges, 
sexes  et  conditions  des  hommes ,  il  a  répandu  la  vertu  con- 
traire dans  tous  les  états,  mystères  et  périodes  de  sa  vie, 
dans  son  incarnation,  dans  sa  naissance  ,  dans  sa  vie  mor- 
telle, dans  sa  passion ,  dans  sa  vie  de  gloire.  De  son  incar- 
nation ,  l'apôtre  dit  ;  Exinanivii  sehietipsum  formom 


l'hUMH  m':  DE  MADELEINE.  35() 

14  t4f.  Si  lo  roi  d'Espagne  venail  en  France  et  se 

esclave  du  roi,  on  admirerait  relie  humiliation;   le 

de  Dira  était  égal  à  son  Pèro  ,  aussi  grand,  aussi  puis- 

isi  souverain  et  infini  (jue  son  Père  ;  il  s'est  fait  son 
serviteur  pour  l'amour  de  nous,  fortnam  serri;  ce  n'est 
pas  à  dire  qu'il  ait  pris  seulement  la  forme  extérieure  et  l'ap- 
..ee  du  serviteur,  mais  l'essence,  l'état,  la  condition, 
comme  quand  il  a  dit  un  peu  plus  haut  :  Cum  in  forma 
-l-à— dire  qu'il  était  Dieu  véritablement  et  es- 
sentiellement. Il  s'est  tant  abaissé  en  se  faisant  homme , 
que  S.  Paul  appelle  cette  humiliation  un  anéantissement , 
parée  que  la  créature  n'est  qu'un  pur  néant  en  comparaison 
de  Dieu;  Dieu  donc  en  se  faisant  créature,  s'estréduil  à  néant; 
et  même  nous  pouvons  dire  que  si ,  par  impossible,  Dieu 
ava  il  anéanti  son  être,  il  ne  se  serait  point  tant  humilié;  il 
le  qu'en  quelque  façon  ,  il  s'est  plus  abaissé  que  s'il  s'é- 
tait tout-à-fait  anéanti.  Car,  quand  nous  sommes  dans  le 
i ,  notre  humiliation  est  plus  grande  ,  plus  honteuse  , 
plus  sensible,  si  elle  est  vue  et  connue,  si  nous  y  somm.cs 
dés  et  méprisés.  Si  par  impossible,  le  Créateur  s'était 
anéanti,  toutes  les  créatures  seraient  en  môme  temps  anéan- 
i    i .  et  par  conséquent  sa  dégradation  ne  serait  vue  de 
personnes  mais  eo  se  taisant  homme  et  endurant  ce  qu'il  a 
en  luré,  il  a  été  vu,  dédaigné,  méprisé,  rebuté  dans  son 
nient,  il  a  eu  sujet  de  faire  cette  plainte  :  fpsi  rero 
considérât emnt ,  et  inspexerunt  me.  Ne  se  trouvait- il 
ni  un  grand  délaissement,  ne  se  sentait-il  pas  bien  re- 
buté et  bien  méprisé,  quand  il  voyait  que  sa  Mère,  quoiqu'issue 
du  sang  royal ,  ne  pouvait  pas  trouver  un  seul  petit  coin 
dansauoune  hôtellerie  pour  aocouoher,  et  était  contrainte 
ini  une  élable  ,  exposée  à  tout  veut,  ou- 
t?  Non  cral  eis  locus  in  dirersorio  ; 
I  absolument  1  Non  eraé  locus,  mais  von  erat 

(IS  b****  I  autres ,  mais 

non  pour  lui,  tant  11  t:; 

1  Wrïï'  -!  !>,:,  il  «•  i$  son  pavs,  contraint 

•  •  barbare,  Infidèle,  où 


360  SERMON  CCXCV. 

il  n'a  ni  parents ,  ni  amis ,  ni  commodités  ,  ni  connaissances 
en  sa  vie  privée  et  particulière  ;  il  gagne  son  pain  à  la  sueur 
de  son  visage  dans  la  boutique  d'un  charpentier  jusqu'à 
Page  de  trente  ans;  pour  nous  donner  exemple  de  ne  point 
offenser  Dieu  par  notre  langue  ,  il  garde  un  silence  si  pro- 
fond que  ses  compatriotes  l'attribuaient  à  la  stupidité.  S.  Bo- 
naventure  dit  qu'en  Nazareth ,  quand  un  jeune  homme  n'a- 
vait point  d'esprit,  on  disait  :  Il  est  hébété  et  idiot  comme 
le  fils  de  Joseph  ;  quelle  humiliation  ! 

Dans  sa  vie  publique,  étant  le  Roi  des  rois,  il  n'a  pas  à  sa 
suite  des  rois  ,  des  princes,  marquis,  comtes,  barons,  mais 
de  pauvres  pêcheurs,  de  petits  villageois ,  et  il  est  tant  mé- 
prisé, que  ses  propres  parents  voulurent  un  jour  le  mettre 
à  l'attache  comme  un  fou  ou  frénétique. 

Enfin  sur  le  déclin  de  sa  vie ,  il  souffre  d'être  le  jouet  des 
valets ,  qui  le  traitent  comme  un  insensé ,  lui  donnent  des 
soufflets ,  lui  crachent  au  visage  ,  le  fouettent  comme  un 
coupeur  de  bourse  ,  le  traînent  par  les  rues  comme  un  fou, 
l'attachent  à  un  gibet  au  milieu  de  deux  larrons ,  comme  un 
chef  de  voleurs. 

Mais  ce  qui  est  encore  admirable,  c'est  que  même  après 
sa  résurrection,  dans  sa  vie  impassible,  sur  son  trône  de 
gloire ,  il  chérit  et  conserve  cette  vertu ,  et  il  la  pratique 
avec  tant  d'excellence,  qu'après  le  dernier  jugement  il  n'y 
aura  personne  ni  au  ciel ,  ni  aux  enfers  qui  soit  humble  et 
humilié  tout  ensemble  ,  que  PHomme-Dieu.  La  Vierge  et 
les  Saints  dans  le  ciel  seront  bien  humbles,  mais  ils  ne  se- 
ront pas  humiliés;  au  contraire,  ils  seront  exaltés  ;  les  ré- 
prouvés dans  les  enfers  seront  beaucoup  humiliés ,  mais  ils 
ne  seront  pas  humbles.  Il  n'y  aura  personne  que  notre  Sau- 
veur qui  soit  humble  et  humilié  tout  ensemble  ;  il  sera  hum- 
ble ,  car  il  pourra  toujours  dire  avec  vérité  :  Apprenez  de 
moi  que  je  suis  débonnaire  et  humble  de  cœur;  il  sera  hu- 
milié, car  dans  toute  l'étendue  des  siècles  le  Verbe  divin 
sera  dans  cet  état  d'abaissement  et  d'anéantissement  qu'il  a 
daigné  prendre  au  mystère  de  l'incarnation.  Et  qu'était-il 
besoin  qu'il  nous  enseignât  cette  vertu  à  si  grands  frais  :  Ita 


DKI.'„,M,rm-ni,  ,IAD|M)Nt,  8e 

mu  m  fient,  dtsci  omntno  non  posset  '  ha  nia».    ,);, 
S.  Augustin;  est-ce  done  chose  si  ™Bde  de  se  Z  LÏt 

tahnbit.  '  JJ"""^  tptritu 

Ou  p  ml  bien  être  noyé  sans  le  «eu  deWrginité   comm* 
I«  m  nti  qui  ool  été  maries  :  on  peut  être iTnlj 

•     -H* Scrfrum.)  Eo  S.  Matthieu,  (cap   -18  \  \ 
kt  disciples  m  Fil»  .1,,  r,,,,,,  „,„.  'y,1.  I0,1-/ 

«;,»  ■     '       .',      V°"SdlS  cn  ïériW  '  'l"c  si  vous  ne 
I  '         '  ets,,TOUS  ne  vo,ls  «»**  semblables  aux 
petits  entants,  tous  n  entrerez  pas  au  royaume  deseieux 

&  roos  ne  vous  convertissez  pas!  n'élaient-ils  pas  convertis  i 
*  J  ae,U  a  la  s,ll,c  d"  ^veur  depuis  plusieurs  mois  '      ' 

mu  i  lait  s.  J.eques  le  mineur  son  cousin,  qui  était  s  saint 
nw  me  avant  que  d'être  anOtre     „„'„„  i  ' 

fciïni  «    .  «'*/ "  à  ces  deux  Saùm 

1 


362  SERMON  ccxcv. 

cheront  d'entrer  au  royaume  des  cieux.  Il  parle  à  ses  dis- 
ciples parmi  lesquels  était  Judas  ,  et  il  dit  :  Quiconque  , 
notez  quiconque,  s'humiliera  comme  ce  petit  enfant ,  il  est 
le  plus  grand  au  royaume  des  cieux;  il  n'excepte  personne, 
pas  même  Judas.  Donnez-moi  le  plus  grand  Saint  qui  ait 
jamais  été ,  S.  Jean  TEvangéliste,  S.  Jacques,  S.  Jean- 
Baptiste;  faites  qu'un  moment  avant  que  de  mourir,  il  ait 
perdu  Fliumilité  ,  il  ne  serait  pas  sauvé.  Donnez-moi  le 
plus  grand  pécheur  qui  ait  jamais  été  ,  un  Judas ,  oui , 
Judas  ;  si  après  avoir  été  avaricieux,  murmurateur,  larron, 
sacrilège,  après  avoir  trahi  et  vendu  son  Maître,  un  moment 
avant  que  de  mourir  il  eût  été  bien  humble  et  contrit,  (on  ne 
peut  être  l'un  sans  l'autre,)  s'il  eût  été  contrit  et  bien  hum- 
ble, Dieu  l'aurait  sauvé  :  Cor  contritum  et  humiliatum, 
Deus  ,  non  despicies  ;  humiles  spirittt  salvavit. 

C.  —  (2°  Patribus.  )  Ce  sont  deux  grands  Saints  qui 
nous  enseignent  ceci;  S.  Augustin  dit  :  Alia  quœcumque 
iniquitas  inmalis  operibus  exercetur  ut  fiant  saperbia 
bonis  operibus  insidiatur  ut  pereant  :  Les  autres  vices 
nous  portent  à  faire  de  mauvaises  actions  ;  l'orgueil  dresse 
des  embûches  aux  bonnes  enivres  pour  les  perdre. 

Sola  virtus  humilitatis ,  ïœsœ  reparatio  castitatis, 
dit  S.  Bernard;  il  faut  aussi  dire  :  Lœsœ  reparatio  chari- 
tatis  ,  sobrietatis  ;  les  autres  vertus  réparent  seulement 
dans  Pâme  les  brèches  que  le  vice  contraire  y  a  faites, 
rhumilité  les  répare  toutes. 

Vous  en  pouvez  juger  selon  ce  qui  se  passe  dans  le 
monde;  faites  que  vous  ayez  un  enfant  ou  un  valet  qui  soit 
borgne,  bossu  ,  boiteux,  contrefait,  mais  qui  soit  humble, 
souple,  obéissant,  officieux ,  qui  se  soumette  et  rende  ser- 
vice à  chacun ,  son  humilité  couvre  tous  ses  défauts,  vous 
avez  des  inclinations  et  de  la  tendresse  pour  lui;  au  contraire 
quand  on  voit  un  homme  qui  se  regarde  ,  qui  est  idolâtre 
de  soi;  arrogant,  dédaigneux,  impérieux,  on  se  moque  de 
lui  ,  et  on  le  méprise,  quelque  grandes  et  excellentes  que 
soient  ses  autres  qualités.  Il  en  est  de  même  en  la  présence 
de  Dieu  :  îe  pauvre  publiai  in,  quoique  pécheur  public,  lui 


Di:  l'iumiutÉ  de  HABBUUNK.  3tf3 

f.i:  phM  agréable  par  ton  humilité,  que  le  pharisien  orgueiK 
loua  avec  toutes  ses  bonnes  œuvres. 

Cette  vertu  esl  d'une  si  grande  importance  que  S.  Au- 
gustin craignant  d'avoir  quelque  secrète  vanité  dans  les 
ids  services  qu'il  rendail  à  Dieu  et  à  son  Eglise     gé- 
,.i  en  son  cœur  et  répandait  des  rivières  de  larmes  en 
nec  de  Dieu  pour  en  obtenir  le  pardon  :  «  Mtiltum 
reor  occulta  tnea  qua  noruut  oculi  mi ,  mei  auiem 
•B.  Tu  nosti  de  bac  re,  ad  le  gemilus  cordis  mei  et 
mina  oeulorum  meorum  :  »  (  S.  An»-,  lib.  10.  con- 
,  cap,  37.  )  Je  crains  qu'au  fond  de  mon  coeur  il  n'y 
ail  de  la  vaine  gloire  cachée,  que  vous  voyez  clairement 
o  mon  Dieu,  et  que  je  ne  vois  pas.    Vous  savez  les  rivières 
de  larmes  que  j'en  répands  en  votre  présence,  et  les  gémîs- 
utsde  mon  cœur,  ° 

D.  —  (  3"  Rationo.  )  Ou  vous  êtes  pécheur,  ou  vous 
|uste.  Si  vous  êtes  pécheur,  ou  si  vous  l'avez  élé,  vous 
i  pas  besoin  d'un  plus  puissant  motif  pour  vous  humi- 
:  lhomlu.tw  tua  m  medio  lui.  Vous  avez  fait  à 
beu  plus  de  déshonneur  que  vous  ne  lui  rendrez  jamais 
i  honneurs  et  de  service*;  vous  avez  été  criminel  de  lèsc- 
majesté  divine,  coupable  de  la  mort  d'un  Dieu  ,  esclave 
J  «mon,  ç'cM-à-dirc  valet  d'un  bourreau  plus  odieux  et 
plus  abominable  devant  Dieu  qu'une  chenille,  qu'un  serpent 
bT'S,  '  Ct  farconsé(luent  vous  êtes  racheté 

Si  vous  êtes  vertueux ,  vous  avez  grand  sujet  de  vous 

«mmers  car  S.  Bernard  (  Serm.  54.  in  Cant.  num.  13 

intresPère.  disent  que  si  Dieu  retire  quelquefois  les 

;'  ™»  ame  choisie  ,  et  la  laisse  en  des  faiblesses  et 

est  parce  qu'elle  s'est  attribué  la  gloire  de 

M  l7"»'-  ,  ou  de  peur  qu'elle  ne  se  l'attribue 

electis  grat»  divina  aliquando  subtrabitur  ,  ut 

I  ^«"eHigatquidsitde^psojadhoeautem 
Jalur,  velreparatur,  nt  intelligat  quid  sit  ex  munere 
di v.iio  ,  m  udo  eruditur  ad  contemptum  sui,  in  altero 
MkO  ad  a...,!  i,  ex  unoproficit  ad  I...  nilitatem? 


364  SERMON  ccxcv, 

<c  ex  altero  promovetur  ad  charitatem.  In  his  autem  duobus 
<(  est, elfundamentum  bonitatis,  et  consummatio  virtutis :  h 
Dieu  retire  quelquefois  ses  grâces  d'une  âme  dévote,  afin 
qu'elle  apprenne  ce  qu'elle  est  par  elle-même  ;  d'autrefois 
il  les  lui  donne,  afin  qu'elle  sache  ce  qu'elle  est  par  la  libé- 
ralité divine;  en  l'un  elle  apprend  à  se  mépriser,  et  en  l'autre 
elle  apprend  à  aimer  Dieu;  le  premier  l'établit  en  l'humilité, 
le  second  en  la  charité.  L'humilité  est  le  fondement  de  toute 
vertu  ,  la  charité  en  est  la  consommation  et  l'achèvement , 
dit  Richard  de  Saint- Victor.  (  in  Psal.  136.  ) 

Si  nous  étions  bien  convaincus  de  cette  vérité,  nous  ne 
dédaignerions  personne  ,  nous  ne  mépriserions  personne  , 
nous  porterions  compassion  à  notre  prochain  quand  il 
tombe  en  faute,  quelque  grande  et  énorme  qu'elle  soit  ; 
nous  dirions  en  nous-mêmes  :  J'en  ferais  bien  autant,  j'en 
aurais  fait  tout  autant,  encore  pis,  si  le  bon  Dieu  ne  m'en 
avait  empêché  par  sa  grande  miséricorde. 

TERTIUM  punctum.  — Duplex,  etc. 

E.  —  (  Prima,  Spirilus.  )  L'Ecriture  distingue  deux 
sortes  d'humilités  :  humilité  d'esprit ,  humilité  de  cœur. 
De  l'humililé  d'esprit  le  Psalmiste  a  dit  :  Dieu  sauvera  les 
humbles  d'esprit;  de  l'humilité  de  cœur,  le  Sauveur  a  dit  : 
Apprenez  de  moi  que  je  suis  débonnaire  et  humble  de  cœur. 

L'humilité  d'esprit  consiste  à  reconnaître  et  être  bien 
convaincu  de  ce  que  nous  sommes  par  la  grâce  de  Dieu,  et 
de  ce  que  nous  sommes  de  nous-mêmes  et  par  la  corruption 
de  notre  nature,  que  nous  disions  avec  sentiment  de  la  vé- 
rité :  «  Deus,  qui  conspicis  quia  ex  nul  la  nostra  actione 
«  confidimus  ,  quia  ex  nulla  nostra  virtute  subsistimus  , 
«  Deus  virtutum ,  cujus  est  totum  quod  est  optimum  :  » 
Grand  Dieu,  vous  voyez  que  nous  ne  nous  fions  en  aucune 
de  nos  actions,  (pie  nous  ne  subsistons  par  aucune  de  nos 
vertus  !  grand  Dieu,  tout  le  bien  qui  est  en  nous  vient  de 
vous,  tout,  tout! 

Oui  tout,  car  nous  ne  pouvons  faire  aucun  bien  que  par 
un  acte  intérieur  ou  par  un  acte  extérieur  \  et  tous  deux 


Dl    !    Ill  MILITÉ  DE  M  kDELEINE.  305 

tiennent  de  la  miséricorde  de  Dieu;  l'intérieur  non  est 
»#w,  l'extérieur  neque  currentis  ,    sed  misère n lis 
.  Notre  perfection  n'es!  pas  une  œuvre  do  celui  qui 
veut,  ni  de  celui  qui  court,  mais  de  la  miséricorde  de  Dieu, 
Toute  Péconomiede  notre  prédestination  consiste  à  avoir 
de  bons  commencements,   acheminements,  accomplisse- 
ments en  la  perfection,  et  c'est  Dieu  qui  les  donne;  il  donne 
de  bons  commencements  :  Dixi  ;  nunc  cœpit  :  hœc  mu- 
ialio  dexierœ  e.vccki;  (  Psal.  76.  11.  )  il  donne  Pache- 
mmement  :  Emitte  lucem  tuam,  et  veritatem  tuam:ipsa 
mv  (Unlu.venint  ,   et  adduxerunt  in  montem  sanctum 
tuum;  (  Psal.  42.  3.  )  il  donne  l'accomplissement  :  Qui 
cœpi/,  in  vobis  opus  bonum,  ipse  perjiciet  usque  in 
diem  Christi  ;  (  Philip.  \ .  g.  )  Celui  qui  a  commencé  en 
nous  la  bonne  œuvre,  l'achèvera. 

La  pratique  de  toutes  les  vertus  consiste  dans  la  pensée 

<•••  amendement  ,  dans  Paflection  de  la  volonté,  et  dans 

I  exécution  de  l  œuvre;  et  c'est  Dieu  qui  fait  ces  trois  dons; 

-\  Cor.  \\.  5.)  il  donne  la  bonne  pensée,  nous  ne  sommes 

pas  suffisants  pour  penser  quelque  chose  de  nous-mêmes 

mais  toute  notre  suffisance  est  de  Dieu  ;  il  donne  l'affection 

de  la  volonté  ;  c'est  Dieu  qui  opère  en  nous  le  vouloir  et 

aent,  dit  S.  Paul  ;  (I)  il  donne  l'exécution  de 

I  "livre  :  \  ous  avez  fait  en  nous  toutes  nos  œuvres,  ô  mon 

Dieu  .Mit  baie.  (2) 

lout  ce  que  nous  faisons  de  nous-mêmes,  et  tout  ce  que 

nous  savons  faire  en  la  pratique  de  nos  vertus  ,   c'est  de 

gâter  les  œuvres  de  Dieu,  de  les  souiller  de  mille  imperfec- 

lons,  d  y  mêler  de  Tamour-propre  ,  de  la  vaine  complai- 

>,   et  autres  circonstances  qui   nous  rendraient  plus 

s  de  blâme  et  de  punition  que  de  louante  et  de  récom- 

;  si  D  eu  non.  jUgeai(  selon  la  vérité  et  sévérité  de  sa 

e:«Omnesjustitiae  Doslra?  sicut  pannus  menstruata  h 

dit  le  prophète  Isaie,(  64.  6.    et  S.  Grégoire  «  :  Omne 

•   wrlotisnostremeritumculpa  esse  cognoscilur,  si  ab  in- 

rella,  et  perficer*».  (p|,i|m,  ->    i-,  n 
(i/>  °  •    '  i  20.  12.) 


36(>  SERMON  CCXCV. 

»  terno  arbitro  dcstricte  judicitur  ;  »  (  S.  Greg.  iib.  9. 
Moral,  cap.  2.  )  et  il  fut  révélé  à  un  saint  religieux  que 
c'est  comme  si  on  mêlait  de  gros  filets  d'étoupes  en  un  ou- 
vrage de  soie  ou  en  une  toile  chargent. 

F.  — ■(  Secundo, ,  Cordis.  )  Celui  qui  a  l'humilité  de 
cœur,  reconnaissant  et  recevant  ces  vérités,  ne  se  pique 
jamais  de  points  d'honneur ,  ne  cherché  point  les  premiers 
rangs,  les  préséances,  les  préférences,  n'a  point  de  passion 
de  commander  ,  de  conduire  et  de  gouverner  les  autres  .t 
si  sa  charge  l'oblige  de  le  faire,  il  ne  le  fait  pas  fièrement , 
impérieusement,  arrogamment;  mais  avec  crainte ,  avec 
douceur  et  bonté  ;  en  même  temps  qu'il  commande  aux 
hommes  à  l'extérieur,  il  est  prosterné  à  leurs  pieds,  en  son 
intérieur  et  dans  l'affection  de  son  cœur ,  comme  S.  Au- 
gustin le  conseille  ;  (  Epist.  109.  )  il  appréhende  cette 
menace  du  Saint-Esprit  :  Judicium  durissinwm  his  qui 
firœsiint pet  ;  Jugement  très  dur  sera  fait  à  ceux  qui  com- 
mandent; il  ne  dit  pas  à  ceux  qui  ambitionnent  de  comman- 
der; il  ne  dit  pas  à  ceux  qui  commandent  mal ,  mais  abso- 
lument à  ceux  qui  commandent;  il  ne  dit  pas  jugement  exact 
et  ponctuel,  mais  jugement  très  sévère,  très  dur  et  rigou- 
reux leur  sera  fait. 

Celui  qui  est  humble  de  cœur  ne  désire  point  paraître 
et  avoir  de  l'éclat  inutile  dans  son  train,  dans  ses  meubles, 
dans  ses  habits,  dans  ses  geste/-,  n'a  point  d'inclination  vo- 
lontaire à  être  considéré  ,  honoré  ,  loué  ,  aimé,  redouté  : 
«  Nunquid  hoc  Icnlalionis  gérais  recessit  a  me,  aut  recedere 
«  potest  in  hac  vita  ,  timeii  et  aman  velle  non  propter 
«  aliud ,  sed  ut  inde  sit  gaudium  quod  non  est  gaudium,  » 
dit  S.  Augustin.  (  lib.  4  0.,  eonfess.,  cap.  36.  )  Ce  n'est 
pas  un  vice  ni  une  imperfection  de  vouloir  être  aimé  et  re- 
douté à  bonne  intention,  afin  que  vos  gens  recevant  volon- 
tiers vos  instructions  et  vos  ordres ,  pratiquent  la  vertu  et 
obéissent  aux  commandements  de  Dieu  ;  mais  vouloir  être 
aimé  et  redouté  pour  en  recevoir  de  la  délectation  et  en 
avoir  je  ne  sais  quelle  joie  vainc  et  frivole  ,  c'est  une  ten- 
tation, c'est  un  souffle  de  l'esprit  malin,  c'est  se  rendre  inîï- 


DE  ^HUMILITÉ  DE  MADELEINE.  367 

v  de  Lucifer  :   rot  ange  superbe  désira  se  rendre 
lable  à  Dieu  ,   se  placer  sur  son  trône  ,  le  trône  où 
réside  plus  volontiers  cpie  dans  le  firmament.  ;  c'est  le 
Meor  humain,  ce  qu'il  aime  c'est  qifon  se  souvienne  de  lui, 
qu'on  pense  à  lui;  quand  vous  voulez  complaire  à  quelqu'un, 
fOUS  lui  dites  :  On  se  souviendra  de  vous  d'ici  à  cinquante 
ans;  voilà  une  belle  flatterie,   un  homme  bien  humble  ne 
voudrait  pas  qu'on  se  souvint  de  lui  d'ici  à  cinquante  mois, 
d'ici  à  cinquante  jours,  dYiei  a  cinquante  heures,  d'ici  a  cin- 
ipianle  moments.   Si  je  désire  qu'on  se  souvienne  de  moi, 
qu'on  pense  à  moi,  qu'on  parle  de  moi,  vous  voyez  que  c'est 
me  loger,  en  quelque  façon  ,  à  la  place  de  Dieu  ,  c'est 
occuper  le  cœur  humain  qui  est  son  trône;  car  pendant  qu'on 
se  souviendra  de  moi ,  on  ne  se  souviendra  pas  de  Dieu  ; 
pendant  qu'on  pensera  à  moi,  on  ne  pensera  pas  à  Dieu  ; 
int  qu'on  parlera  de  moi,  on  ne  parlera  pas  de  Dieu; 
pendant  qu'on  s'occupera  de  moi,  on  ne  s'occupera  pas  de 
Dieu  ;  c'est  une  tentation  à  laquelle  peu  de  gens  font  ré- 
flexion ,  c'est  une  tentation  qui  nous  poursuit  jusqu'à  la 
mort,  et  môme  souvent  au  delà,  comme  on  le  voit  par 
les  inclinations  qu'on  a  de  s'immortaliser  en  la  mémoire 
des  hommes  par  les  mausolées  ,  par  les  monuments  super- 
bes par  les  bâtiments  de  longue  durée,  par  la  plume  des 
historiens,  et  ce  qui  est  déplorable  en  cette  tentation,  c'est 
qu'on  ne  peut  pas  bien  s'éprouver  en  ce  sujet.  Car,  comme 
dil  le  même  S.  Augustin,  quand  je  converse  familièrement 
quoiqu'on,  si  je  crains  d'y  avoir  trop  d'attache,  il  m'est 
de  m'éprouver  ,   je  n'ai  qu'à  m'éïoigncrdc  cette  per- 
et  me  sevrer  de  sa  conversation  pour  quelque  temps, 
eette  séparation  m'attriste  démesurément ,  je  connais 
qu*il  y  a  do  fat  tache;  quand  je  possède  des  biens  de  la  terre, 
ef  que  je  crains  d'y  être  trop  affectionné,  il  m'est  aisé  de 
r;  je  n'ai  qu'à  me  priver  de  ces  richesses  et  les 
donner  en  aumône  pour  l'amour  de  Dieu,  et  si  cette  priva- 
m'esfl  insupportable,  je  connais  que  l'amour  en  était 
trop  ardent  el  désordonné  ;  mais  pour  éprouver  si  j'aime  à 
être  ahué  et  loué  des  ho es,  '•!  ne  m'est  pas  permis  de  me 


n08  SERMON  CCXCV. 

rendre  vicieux  ,  afin  qu'ils  me  blâment  et  abhorrent  ;  pour 
connaître  si  dans  la  pratique  de  la  vertu,  je  cherche  seu* 
lement  la  vertu,  ou  si  je  cherche  l'honneur  qui  est  rendu 
aux  vertueux,  il  ne  m'est  pas  permis  de  me  séparer  de  la 
vertu  :  Multum  itaque  vereor  occulta  mea  r/uœ  norunt 
oculi  lui)  Domine,  mei  autem  non.  (  S.  Aug.  lib.  10. 
Confess.  c.  37.  )  Je  suis  homme ,  c'est-à-dire  créature 
civile  et  politique,  obligé  de  vivre  en  compagnie;  les  diver- 
ses nécessités  et  le  commerce  de  la  société  humaine  deman- 
dent que  je  me  fasse  aimer  et  redouter  de  plusieurs  ,  et 
vous  ne  voulez  pas,  ô  mon  Dien  !  que  je  prenne  plaisir  à 
être  aimé  et  redouté.  Je  suis  chrétien,  la  charité  chrétienne 
m'oblige  à  aimer  et  assister  le  prochain  ,  cela  gagne  son 
amour  et  l'oblige  à  me  réciproquer.  Vous  voulez  que  je  me 
rende  louable,  et  que  je  n'aime  pas  d'être  loué;  vous  voulez 
que  je  possède  la  vertu  ,  et  que  je  méprise  l'honneur  qui 
en  est  l'ombre  ;  que  j'exerce  des  actions  glorieuses,  et  que 
j'en  abhorre  la  gloire;  que  j'aspire  à  chose  haute,  et  que 
je  me  tienne  bien  bas  ;  que  je  fasse  des  choses  grandes  ,  et 
que  je  me  rende  petit;  que  je  pratique  des  œuvres  excellentes, 
et  que  je  m'estime  vil  et  abject  :  Imperas  nobis,  et  in  hoc 
génère  continentiam;  da  quod  jubés,  et  jubé  qtiodvis. 
G. —  (1°  Script ura.)  L'homme  véritablement  humble 
passe  bien  plus  loin  ,  il  ne  se  contente  pas  de  fuir  l'honneur 
et  la  gloire  mondaine  ;  mais  ,  si  par  quelque  revers  de  for- 
tune ,  ou  par  la  malice  des  hommes  ,  il  est  mis  dans  le  ra- 
bais ,  délaissé  ,  négligé  ,  oublié  ,  méprisé  du  monde  ,  ce 
qui  n'arrive  jamais  que  par  la  providence  de  Dieu  ,  il  en 
est  ravi ,  sachant  qu'il  n'est  point  d'état  où  nous  soyons 
plus  agréables  à  Dieu  que  l'état  d'humiliation  et  de  bassesse, 
quand  nous  y  sommes  avec  agrément  et  résignation  à  la 
volonté  de  Dieu.  Cuis  sicut  Deus  noster ,  qui  in  altis 
habitat ,  et  humilia  respicit  ?  dit  le  Prophète  :  Notre 
Dieu  est  d'un  merveilleux  naturel  ,  il  est  grand  ,  et  il  aime 
les  petits  ;  il  est  le  Très-Haut,  et  il  aime  les  choses  basses  : 
îl  est  très  noble  ,  et  il  aime  les  choses  viles  et  abjectes  ;  il 
est  très  riche ,  et  il  aime  les  pauvres  ;  voulez-vous  donc 


de  l'humilité  de  madeleine.  369 

connaître  les  inclinations  de  Dieu  ,  voyez  les  Immeurs  et  les 
contâmes  du  monde,  et  prenez  tout  le  contraire  :  car  Dieu 
et  le  monde  sont  directement  opposés. 

H.— {TExemplo  ChriêH.)  Le  fils  de  Dieu  voulait  se 
fane  créature  :  il  y  avait  deux  natures  intelligentes  qu'il 
pouvait  épouser  en  unité  de  personne  :  la  nature  angélique, 
et  la  nature  humaine  ;  il  n'épouse  pas  la  plus  noble,  qui  est 
angélique  ,  il  épouse  la  plus  vile  ,  qui  est  l'humaine  en 
1  homme.  11  y  a  deux  réalités  :  la  personne  ou  personnalité  , 
et  la  nature  ;  c'est  la  personne  qui  est  plus  noble  ,  puisque 
lc>  actions  lui  appartiennent  :  Actiones  sunt  supposilo- 
rum.  Le  Verbe  divin  unit  à  soi  la  nature,  non  la  personne 
et  la  nature  de  l'homme.  Il  y  a  deux  parties ,  Pâme  et  la 
chair  ;  il  les  épouse  toutes  deux  ,  mais  il  ne  fait  mention 
que  de  la  plus  vile  ,  qui  est  la  chair  ,  comme  s'il  la  prenait 
en  première  intention  :  Ferhum  carofactum  est}  et  il  vent 
que  ce  grand  mystère  emprunte  son  nom  de  la  chair,  non 
(]«•  I  âme,  et  s'appelle  Incarnation.  Ce  corps  a  divers  élats, 
divers  âges  ;  le  Fils  de  Dieu  prend  le  plus  bas  ,  et  le  plus 
faible,  qui  est  Tàge  d'enfance  :  cet  enfant  doit  avoir  une 
mère,  \\  choisit  pour  sa  mère  une  pauvre  petite  fille  qui 
était  oubliée  du  monde,  méprisée,  inconnue,  cachée  en  un 
recoin  d'une  petite  bourgade  dont  on  ne  faisait  point  de  cas 
Cl  de  laquelle  on  disait  par  mépris  :   A  JSazareth  potest 
ahVad  boni  esse?  (Joan.  1 .  /i6.)  Cum  essem  parvula 
p/acut  Altiésimo.  Respexit  humilùaiem  ancillœ  suœ. 
(.«•mot,  humilitatem  ,  ne  signifie  pas  proprement  la  vertu 
d  humilité  ,  mais  la  bassesse  ,  petitesse ,  ou  comme  d'autres 
Il  a  luisent,  le  néant;  car  il  n'y  a  pas  en  grec  ra^vo^iW 
comme  aux  Kphésiens,  (/,.  2.)  mais  il  y  a  r**o/v*<r,y. 

ebant  PEfangile  ,  il  veut  avoir  des  apôtres  qui  soient 
!  de  sa  gloire  ,  les  instruments  de  ses  desseins 
l<  !  hérauts  de  sa  parole,  les  intendants  de  ses  finances,  les 
princes  de  son  Eglise.  Entre  sesdisciples,  il  y  a  des  nobles, 
comme  Joseph  d  Arimathie ,  noble  décurios  ;  il  y  a  des  ro- 
turiers .  comme  saint  Pierre.  Le  monde  adore  les  nobles 
'roturier*  :S,  Pierre,  roturier ,  est  choisi  pour 


370  lnàMON  ccxcv. 

apôtre  ,  et  non  Joseph  ,  noble  décurion;  entre  ses  disciples, 
il  y  a  des  fiches,  comme  'cachée ,  dives  valde  ;  il  y  aussi 
des  pauvres  ,  comme  S.  Jean  et  S.  Jacques  9  qui  n'avaient 
que  des  filets  tout  rompus,  reficientes  retia  sua.  Le  monde 
courtise  les  riches ,  dédaigne  les  pauvres  ;  Jésus  au  con- 
traire ,  ne  choisit  pas  pour  apôtre  Zachée  qui  est  riche  , 
mais  Jean  et  Jacques  qui  sont  pauvres  ;  entre  ses  disciples 
il  y  a  des  docteurs,  comme  Nicodême,  dont  il  est  dit  :  (Joan. 
3.10)  Tu  esmacjisterin  Israël;  il  y  en  a  qui  n'ont  point 
étudié,  comme  S.  André.  Le  monde  honore  les  docteurs;  on 
dit,  dans  les  communautés  :  Monsieur  notre  maître,  et  l'on 
méprise  ceux  qui  ne  sont  pas  lettrés  ;  Jésus  choisit  pour 
apôtre  S.  André  ,  non  pas  Nicodême. 

I.  — (3°  Exempîo  Sa?ictoru?n.)  Ces  considérations  ont 
porté  plusieurs  Saints  à  des  entreprises  très  prodigieuses 
et  extraordinaires  pour  se  cacher  au  monde ,  ou  s'y  rendre 
abjects  et  méprisables.  Quelle  action  plus  extraordinaire  que 
de  voir  sainte  Madeleine,  une  demoiselle  de  très  bonne  mai- 
son, qui  a  été  jusqu'à  présent  courtisée,  flattée,  adorée  de  la 
jeunesse,  être  toute  échevelée  en  bonne  compagnie ,  mettre 
sa  tète  sous  les  pieds  d'un  homme  mortel ,  essuyer  avec  ses 
cheveux  des  pieds  boueux ,  et  puis  se  retirer  du  monde  pour 
passer  le  reste  de  sa  vie  dans  une  grotte  presque  inaccessi- 
ble ,  pour  être  inconnue  au  monde  ,  sans  se  pourvoir  pour 
l'avenir  ,  sans  prévoir  de  quoi  elle  vivra ,  où  elle  couchera, 
comment  elle  se  chauffera  en  hiver,  où  elle  prendra  des  ha- 
bits quand  les  siens  seront  usés  ,  qui  l'assistera  si  elle  de- 
vient malade? 

S.  Grégoire  de  Nysse  raconte  que  S.  Alexandre  ,  étant 
très  docte  philosophe  ,  très  éloquent  orateur  ,  et  très  bien 
versé  en  toute  sorte  de  sciences ,  pour  cacher  les  talents  que 
le  monde  admire  ,  quitta  son  pays  ,  vint  à  Comane  ,  se  fit 
volontairement  charbonnier ,  et  vécut  quelques  année  en  ce 
métier  vil  et  abject.  S.  Grégoire  Thaumaturge  étant  arrivé 
à  Comane  pour  présider  à  Mection  d'un  évèque  qui  se  fai- 
sait alors  par  les  suffrages  du  clergé  et  du  peuple  ,  leur  re- 
commanda qu'en  donnai1*  leurs  voix  ils  n'eussent  pas  tant 


1)1,  l'humilité  de  madeleine  371 

I  i  la  science  ,  noblesse  et  éloquence  ,  qu'à  la  vertu  et 
probité  de  celui  qu'ils  choisiraient  pour  évèque.  Quelqu'un 
du  peuple  s'écria  là-dessus  ,  comme  en  se  moquant  :  Ace 
Compte  il  faut  donc  faire  évèque  Alexandre  le  charbonnier. 
S.  Grégoire  fut  éclairé  de  Dieu  el  connut,  par  révélation, 
Pexcellcnte  sainteté  et  doctrine  qui  étaient  en  ce  Saint.  Il 
Penvoie  chercher  ;  le  charbonnier  ne  sachant  pas  à  quelle 
intention  on  le  demandait,  parui  au  milieu  du  peuple  :  tout 
le  monde  se  mit  à  rire  quand  on  le  vit  ainsi  noirci,  déchire', 
en  si  pauvre  équipage.  S.  Grégoire  leur  dit:  Vous  ne  sa- 
vez pas  quelle  est  la  blancheur  qui  est  voilée  sous  cette  cou- 
leur noire,  les  riches  trésors  qui  sont  cachés  sous   ces 
haillons,  la  doctrine  et  la  sagesse  qui  sont  dans  cet  homme 
méprisé.  11  leur  déclare  toute  sa  vie,  les  saints  artifices  dont 
il  s  était  déguisé  ,  que  c'était  la  volonté  de  Dieu  qu'il  fût 
leur  évèque,  et  il  se  comporta  si  saintement  en  cette  dignité 
qu'il  méritad'etre  martyr  et  brûlé  tout  vif  pour  la  foi  de  Jésus, 
L'Histoire  Ecclésiastique,  et  le  Martyrologe  Romain 
mention  de  S.  Siméon  ,  surnommé  Salins,  c'est-à-dire 
le  fou  ,  parce  qu'il  contrefit  toute  sa  vie  le  fou  :  mais  après 
sa  mort  Dieu  monda  que  celte  folie  simulée  était  une  vraie 
son  saint  corps  fut  honoré  et  renommé  par  plu- 
sieurs grands  et  signalés  miracles.  Palladlus ,  dans  l'Histoire 
|iie,  écrit  la  vie  d'une  fille  dévole  qui,  au  monastère 
rabennesiotes  dans  la  Thébaide  ,  cacha  une  rare  et 
excellente  vertu  ,  sous  les  apparences  de  folie  qu'elle  con- 
trefaisail  pour  être  méprisée  de  chacun.  Dieu  découvrit  à 
\\n  Saint  nommé  Pitiron  que  sa  folie  n'était  qu'une  feinte, 
et  que  si  sainteté  était  très  éminente;  elle  ,  se  voyait  ho- 
norée, quitta  le  monastère  et  redevint  inconnue. 

El  sans  aller  si  loin  ,  qui  n'admirera  la  prodigieuse  ac- 
tion d'humilité  qui  s'est  faite  de  notre  temps  en  cette  ville 
''    I  l'an  mille  six  cent  cinq  ,  au  mois  de  juillet  ? 

se  \o\aut  à  la  veille  d'une  extrême  famine  à 
eause    des  pluie-   extraordinaires  qui  désolaient  tous  les 
champs ,  on  fit  des  processions  et  des  prières  publiques  en 
|  -  de  la  ville.  Un  très  sage  ,  très  pieux, 


372  SERMON  CCXCV. 

très  savant,  très  judicieux  avocat,  nomme  Bernard  Bardcn^ 
(!ib.  1 .  Vilœejus,  cap.  7.)  qui  était  veuf,  après  avoir  vécu 
quatorze  ansen  virginité  avec  sa  femme,  voulantfaire  amende 
honorable  à  la  justice  de  Dieu  pour  les  péchés  de  son  peuple, 
sortit  un  matin  de  sa  maison  sans  chapeau  ,  sans  manteau  , 
sans  chemise  ,  n'ayant  que  son  pourpoint  et  ses  haut— dé- 
chausses sur  la  chair ,  les  pieds  et  les  jambes  nus  ,  les 
mains  jointes  ,  les  yeux  baissés  ,  marchant  lentement  par 
les  rues,  il  se  rendit  en  l'église  de  Saint-Michel,  afin  de  sui- 
vre îa  procession  qui  devait  s'y  assembler;  ses  parents  avertis 
de  ce  qui  se  passait,  y  accourent  ,  le  blâmant  et  s'efforçant 
de  l'arracher  Je  !a  place  où  il  était  à  genoux  nus  sur  la  pierre. 
Mais  n'ayant  rien  pu  gagner  sur  son  esprit,  ils  obtinrent 
des  prêtres  de  l'église  que  pour  ce  jour-là  il  n'y  eût  point 
de  procession  ,  de  peur  qu'il  ne  la  suivît  en  cet  équipage  , 
au  grand  déshonneur  de  leur  famille  ;  de  quoi  s'élant  aperçu, 
il  se  leva,etpour  punir  la  prudence  mondaine  de  ses  parents, 
il  fit  un  tour  beaucoup  plus  grand  que  celui  qu'il  eût  fait  s'il 
eût  suivit  la  procession  :  car  étant  sorti  de  l'église  Saint-Mi- 
chel, et  passant  parles  plus  célèbres  rues,  il  sortit  de  la  ville, 
et  allant  le  long  des  faubourgs  ,  il  se  rendit  à  l'église  de 
Sainte- Valérie  qui  est  la  plus  éloignée ,  où  il  demeura  fort 
longtemps  recueilli  en  méditation  ;  de  là  il  revint  dans  la 
ville  suivi  d'une  troupe  de  petits  enfants  qui  le  regardaient 
comme  un  homme  troublé  du  cerveau  ;  mais  lui  sans  s'é- 
mouvoir marchait  lentement  tenant  les  mains  jointes,  baissant 
modestement  les  yeux  et  suivant  toujours  les  lieux  où  il 
devait  trouver  plus  de  monde  et  plus  de  confusion.  Etant 
retourné  de  l'église  de  Saint-Martial  en  son  logis,  il  s'habilla, 
et  voyant  que  ses  domestiques  étaient  tout  étonnés,  il  dit 
à  un  serviteur  qui  portait  un  bassin  pour  lui  laver  les  pieds  : 
Venez  ici  ,  il  semble  que  vous  avez  peine  de  vous  approcher 
de  moi,  à  quoi  l'autre  ayant  répondu.  Hélas  !  monsieur  , 
qui  ne  serait  étonné  de  ce  que  vous  avez  fait  aujourd'hui  ? 
certes  le  monde  dit  qu?  vous  avez  perdu  le  sens;  J'en  suis 
bien  aise ,  répartit-il  en  souriant ,  Dieu  soit  loué  :  qu'y 
ferions  nous  ?  c'est  le  monde  qui  le  dit  ,  et  je  suis  d'avis 


de  l'humilité  dk  madeleine,  373 

nous  laissions  diYc  le  monde.  Dieu  ne  s'en  os(  pas  mo- 
que* comme  le  monde,  mais  Ton  a  bien  estimé;  car  il  le 
ren  I  eélèbre  et  glorieux  par  de  1res  signalés  miracles  qui 
se  font  à  son  tombeau  et  à  son  invocation  ;  et  puisque  nous 
sommes  sur  le  récit  des  actes  héroïques  d'humilité,  j'ajou- 
terai «nie  sa  chère  épouse,  nommée  Doucette  Desmaisons, 
demoiselle  fort  riche,  jeune,  honnête,  et  fort  accomplie  des 
perfections  que  le  momie  admire  en  ce  sexe  ,  qui  avant  son 
mariage  avait  é:é  vaine  ,  et  fort  curieuse  de  paraître  par  la 
pompe  de  ses  habits  ,  fut  tellement  changée  par  les  saints 
discours  et  bons  exemples  de  son  mari  ,  qu'à  l'imitation  de 
sainte  Madeleine  ,  elle  quitta  tout  d'un  coup,  ses  beaux  vê- 
tements ,  ses  bracelets  ,  ses  colliers  de  perles ,  ses  chaînes 
et  ceintures  d'or  qu'elle  portait  selon  la  coutume  du  pays  , 
et  sortit  un  dimanche  malin  ,  vêtue  fort  simplement  et  au- 
is  de  sa  condition  ,  se  réjouissant  des  discours  que  les 
du  monde  en  lésaient;  les  uns   disaient  qu'elle  avait 
perdu  l'esprit  ,  les  autres  qu'elle  avait  vendu  ses  joyaux 
pour  payer  des  dettes  cachées. 

Ces  saintes  âmes  et  autres  semblables,  dont  l'Histoire 
siastique  fait  mention  ,  avaient  appris  du  Saint-Esprit 
celte  belle  vérité  qu'un  grand  docteur  a  laissée  par  écrit, 
que  le  commencement  et  presque  le  sommaire  de  laperfec- 
hrétienne  consiste  en  ces  quatre  points \  Spernere  nul* 
lum ,  spernere  mundum ,  spernere  sperni,  spernere  sese: 
Ne  mépriser  personne  ,  mépriser  le  monde  ,  mépriser  le  mé- 
pris ,  se  mépriser  soi-même.   C'est  notre  sainte  pénitente 
qui  en  a  donné  la  première  aux  fidèles  un  exemple  public  et 
admirable;  prions-la  d'obtenir  de  Dieu  poumons,  la  grâce 
1  le  mépris  et  l'humiliation;  car  plus  nous  serons 
ses  et  humbles  sur  la  terre  ,  plus  nous  serons  élevés  et 
lieux  dans  le  ciel.  Amen. 


SERMON  CCXCVI. 

DE  LA  CRAINTE,  REPRESENTEE  PAR  LE  BAISER  QUE  SAINTE 
MADELEINE  DONNA  AU  PIED  GAUCHE  DE  JESUS. 


Osculabatttr  pedes  ejus. 

Elle  baisait  les  pieds  de  Jésus.  (Luc.  7.  38.) 

Les  deux  pieds  du  Fils  de  Dieu ,  à  ce  que  nous  disent  les 
saints  Pères ,  sont  les  symboles  et  hiéroglyphes  de  deux  si- 
gnalées perfections  que  nous  adorons  en  lui;  le  pied  gauche 
représente  sa  justice  ,  le  pied  droit  représente  sa  miséri- 
corde divine,  parce  qu'il  vient  à  nous  par  les  deux  attributs, 
comme  nous  marchons  par  les  deux  pieds  :  Universœ  vice 
Domini  misericordia  et  veritas.  (S.  Bernard  serm.  6  in 
Cantic.  )  L'âme  pécheresse  qui  veut  se  convertir  à  l'exemple 
de  sainte  Madeleine  ne  doit  pas  se  contenter  de  baiser  un  des 
pieds,  elle  doit  les  baiser  tous  deux  comme  cette  sainte  pé- 
nitente :  Osculahatur  pedes  ejus,  non  pas  ,  pedem.  Elle 
doit  baiser  le  pied  gauche  ,  c'est-à-dire,  dit  S.  Bernard  , 
redouter  et  honorer  sa  justice ,  de  peur  de  se  perdre  par 
présomption  ;  elle  doit  baiser  le  pied  droit ,  c^est-à-dire  es- 
pérer en  sa  miséricorde ,  de  peur  de  se  perdre  par  déses- 
poir. Aujourd'hui  nous  parlerons  de  la  crainte ,  demain  , 
Dieu  aidant,  de  l'espérance  :  Beneplacitum  est  Domino 
super  timentes  eum ,  et  in  eis  qui  sperant  super  mise- 
ricordia ejus* 

IDEA  SERMONIS. 

Exordium,  A,  O  seul  a  oris  manuum  et  peâum  Christi 
fiunt  ah  anima  dei/icata,  sanctificata,  justificata  t 
et  debemus  osculari  pedem  sinistrum  Christi  per 
spiritum  timoris  et  humilitatis  ,  oh  tria. 

Primumpimctum.  Oh  percuta  prœterita  :  B.  f*  Scrip- 


CCVI. DR  LA  CRAINT!-  ,  etc.  37^ 

tura.  —  C.  2*  Patribus.  —  D.  3°  HistoHn.  — 

■V  Rat  ion 'bus. 

Sccundum  punctum;  Ratione  pressentis  oh  imperfection 
mes  nostrantm  virtutum  :  F.  1°  Seriph ira  — 
G.  2f  Patribus.— H.  ,°>°  Ratione.*-!.  4'  E remplis. 

rcrtium  punctum.  Ratione  futuripericuliïh.  \*  Scrip* 

tara.   —  M.    2"  Patribus.  —  N.   3l>  Jtolffti*    — 
0.  4°  Exemplis. 

îlusio.  P.  Exhortatio  ad pietatem}eharitatem,pa» 
tientiam ,  e*  rftoo  Pefr*. 

FA'ORDIUM. 

.  —{Oscula  oris  manuum,  etc.)  Le  Saint-Esprit 
décrivant  au  livre  des  Cantiquesles  chastes  amours  du  Verbe 
incarné  et  de  l'âme  dévote,  fait  parler  l'Epouse  la  première 
comme  par  une  surprise  d'amour  ,  et.  lui  fait  faire  cet  élan  ! 
Oseuletur  me  oseuh  oris  sut  :  Qu'il  me  donne  un  baiser 
bouche.  Le  dévot  S.  Bernard  faisant  Un  beau  com- 
mentaire sur  ces  paroles ,  nous  fournit  le  sujet  d'une  sainte 
et  utile  considération  qui  nous  entretiendra  ce  matin.  Nous 
pouvons  distinguer  trois  états  de  Pâme  chrétienne  et  dévote 
en  la  vie  spirituelle,  états  très  bien  représentés  par  trois 
sortes  de  baisers  dont  l'Ecriture  fait  mention  :  l'état  de 
léiGée  ,  l'étal  de  l  ame  sanctifiée  ,  l'étatde  l'amènent- 
ite  ;  la  déification  est  représentée  par  le  baiser  de  la  bou- 
che ,  la  sanctification  par  le  baiser  des  mains ,  la  pénitence 
baiser  des  pieds  du  Fils  de  Dieu.  L'âme  est  mise  au 
premier  état,  et  est  en  quelque  façon  déifiée  par  la  sainte 
"union  ,  et  ce  divin  état  est  très  bien  exprimé  par  le 
;  S I  >  bouche  ;  et  quand  rEpouse  dit  au  commencement 
D  Cantique  :  Oseuletur  me  osculo  oris  sut,  elle  de- 
mande la  sainte  communion  :  car  le  baiser  à  la  bouche  est 
"lion,  et  Jésus  se  joint  à  nous  en  Peucharis- 
"'-  corps  à  corps,  esprit  à  esprit,  essence  à 
1  une  liaison  si  étroite  que,  comme  nous  Pavons 
vu  autrefois,  if  Pères  anciens,  tantgrew  que  latins,  (Cyril. 
U    ici.  Il    inJoan.cap.  fô.-Hîlar.  lib  8   do 


3?  6  SERMON  CCXCVI 


T 


rinit.  circa  médium. — Theodoret.  in  Cant.)  la  comparent 
à  l'union  qui  est  entre  les  personnes  divines  par  Puni  té  de 
leur  essence.  En  la  sainte  communion,  dit  Theodoret,  nous 
recevons  le  corps  de  notre  divin  Epoux ,  nous  le  baisons , 
nous  l'embrassons ,  nous  lui  sommes  conjoints  et  unis  :  Née 
vero offendi  quis  débet  verbo  osculi ,  si  quidem  sacrandi 
tempore  membra  sponsi  nos  accipimus ,  osculamur  et 
amplectimur ,  et  veluli  sponsali  conjunctione  cum  co 
copulamiir.  Aussi ,  comme  c'est  au  dernier  adieu  ,  quand 
on  est  sur  le  point  de  se  séparer,  qu'on  se  salue  par  le  bai- 
ser, le  Fils  de  Dieu  allant  à  la  mort,  retirant  de  l'Eglise  son 
épouse  sa  présence  visible  ,  lui  donna  ce  baiser  amoureux 
par  le  sacrement  de  l'eucharistie. 

En  second  lieu ,  l'âme  pour  être  sanctifiée ,  pour  devenir 
sainte  et  parfaite,  doit  baiser  les  mains  du  Fils  de  Dieu  , 
c'est-à-dire  lui  attribuer  la  gloire  et  le  mérite  de  ses  bonnes 
œuvres  et  l'en  remercier;  car  le  baiser  des  mains  est  le  sym- 
bole des  actions  de  grâces.  Quand  nous  ayons  reçu  une  fa- 
veur et  courtoisie  de  quelqu'un ,  nous  lui  disons  :  Mon- 
sieur,  je  vous  baise  les  mains,  c'est-à  dire,  je  vous  remercie. 
Après  que  nous  avons  pratiqué  quelque  vertu  ,  si  nous  pen- 
sons qu'elle  vienne  de  nous,  et  que  nous  l'ayons  acquise 
par  nos  propres  forces  ,  au  lieu  de  reconnaître  que  Dieu  en 
est  l'auteur  et  de  l'en  remercier ,  nous  baisons  nos  mains  , 
au  lieu  de  baiser  celles  du  Fils  de  Dieu;  et  nous  tarissons 
par  cette  ingratitude  la  source  de  ses  grâces  qui  nous  au- 
raient sanctifiés.  Cette  faute  n'est  pas  si  petite  qu'on  pense; 
le  saint  homme  Job  dit  que  c'est  une  grande  injustice  :  Si 
vidi  solem  cum  fulgeret ,  et  lœtatum  est  in  abscondito 
cor  meum,  et  osculatus  sum  manum  meam  ore  meo / 
quœ  est  iniquiias  maxima  :  (Job.  3 1 .  26.)  Quand  j'ai  vu 
l'éclat  et  la  gloire  de  mes  bonnes  œuvres ,  si  je  m'en  suis 
réjoui  vainement  en  moi-même  ,  m'en  attribuant  l'honneur 
et  le  mérite  ,  au  lieu  d'en  remercier  Dieu ,  c'est  une  grande 
iniquité  que  j'ai  commise. 

Marie-Madeleine  n'ose  baiser  les  mains  du  Fils  de  Dieu 
au  commencement  de  sa  conversion ,  elle  n'a  encore  point 


I  »  CRAINTE  m  v\m  r.BINE.  .'•  r 

le  vert   i  bien  louables  et  méritoires  ;  encore  moins 

e  aspirer  au  baiser  de  la  liouche ,  et  dire  con 

I  npouse  :  <  Uculetur  me  mcu/o  ont  tut  ;  elle  se  conlcnle 
« !<•  baiser  les  pieds  :  Osculabatur  pedetejus.  L'âme  pé- 
cheresse qui  vcul  être  bien  convertie,  la  doit  imiter;  elle  doit 

Miser  le  pied  gauche  du  Fils  de  Dieu,  honorer  et  redouter 
si  justii  e,  être  toujours  dans  un  esprit  de  crainte ,  de  con- 
fusion,  ,1  humiliation  en  sa  présence ,  baiser  le  pied  droit , 
cest-à-dire  honorer  sa  miséricorde,  espérant  de  sa  bonté 
diTine  le  pardon  de  ses  péchés.  Parlons  aujourd'hui  de  la 
•m me  ;  elle  peut  s  engendrer  en  nos  cœurs  par  la  considé- 
ration du  passé ,  ou  du  présent ,  ou  de  l'avenir. 

railTOM  Pi  RCTUM.  _  01,  peccala  pra'terita. 
B.  —    I    Scriptura.)  Le  Saint-Esprit  en  l'Ecriture 
sainte  nous  propose  le  premier  motif:  De  propitiato  pec- 
tine met».  Ne  vous  tenez  jamais  assure  du 

«HpkMsiAditiileptcatOtMnpasdepee- 

•  giiaml  vous  n'auriei  commis  qu'un  seul  poché  mor- 

m}r*  ».'e  •  ee  rou*««<  M  grand  sujet  de  craindre  ctde 
n  avoir  jamais  une  traie  joie  dans  voire  cœur  le  reste  de  vos 

•  quelque  abondance  de  larmes  que  vous  en  avez  ré- 
pandues, quelque  confession  et  satisfaction  que  vous  en  avez 
**"  i  'l,lW  e*l  l'homme  si  éclairé  de  Dieu  qui  puisse  vous 
assurer  que  ce  péché  tous  a  été  pardonné  ,  puisque  le  Saint- 
Esprit  m,,ne  „  en  parle  que  douteusement  et  en  termes  qui 
nous  |,lsseni  dans  l'incertitude ?  Converitmint  ad Domi- 
num  Deutn  vestrum  ;  qui*  «et*  ri  convertit ur  et  ignoa- 
n,>.  1  <■„,„„  tua  ekemosynU  redime,  forritan  ignoectt 
!><■„,:  Con»ertis«ei-vousàvoùreDieu,peut-4trequ,il  vous 
pardonnera,  dit  Joël.  ' 

„(;T  'J   ''  Le  prophète  Daniel  dit  au  roi  Na- 

I'"", r:nS™  recherche*  vospéché,  par  l'aumône, 

".[-  wqneD  |«  pardonnera. 

,.,"  ,;,i"-  lo»ner  un  symbole  de  celte  vérité,  comme  le 

»e »'a  «ibtilement remarqué,  le «ewlégisla- 

"•  •'•  'I.    avait  ordonné  .peau  sacrifice propitia 


378  SliRMON  CCXCVI. 

îolre  qu'on  offrait  anciennement  pour  la  rémission  des  pé- 
chés, on  se  gardât  bien  d'employer  l'encens  on  l'huile, 
comme  dans  les  autres  oblations  :  Non  mittet  in  eam 
cïeum,  nec  tlmris  aliquid  imponct ,  quia  propeccato 
est.  L'huile  est  l'hiéroglyphe  de  la  joie  et  de  l'allégresse  : 
Exhilaret  facicm  in  oleo;  unxit  te  Deits  oleo  lœtitiœ  ; 
point  d'huile  en  l'oblation  qui  se  fait  pour  le  péché ,  afin  que 
Fume  pécheresse  apprenne  qu'elle  n'a  point  sujet  de  se  ré- 
jouir, quelque  pénitence,  sacrifice  ,  offrande  qu'elle  fasse; 
comment  pourrait-elle  se  réjouir,  ne  pouvant  savoir  si  sa 
pénitence  est  acceptable,  son  oblation  en  bonne  odeur  devant 
Dieu  ?  On  employait  anciennement  l'encens  dans  les  sacri- 
fices que  l'on  savait  assurément  être  agréables  à  Dieu  ; 
(Lévit.  2.  2.  )  dans  l'oblation  des  princes  il  était  expressé- 
ment commandé  d'y  mettre  de  l'encens  :  Pones  super  eos 
tïius;  parce  qu'on  était  certain  que  cette  offrande  était  de 
bonne  odeur  devant  Dieu  :  In  odorem  suavissimum  Do- 
mino ;  car  cela  représentait  que  quand  nous  offrons  à  Dieu 
le  commencement  de  notre  vie,  l'adolescence  et  la  jeunesse, 
le  plus  beau  et  le  meilleur  de  notre  temps,  les  premiers 
fruits  de  nos  travaux,  ce  présent  lui  est  agréable;  on  en 
mettait  sur  les  pains  de  proposition  qui  étaient  appelés  pa- 
nes facidi,  (Lévit.  24.  7.)  parce  que  Dieu  les  agréait  et 
les  regardait  de  bon  œil,  et  qu'il  tournait  sa  face  vers  eux 
comme  étant  la  figure  de  l'eucharistie  ,  qui  est  l'objet  de  sa 
complaisance.  C'est  pour  cela  qu'au  sacrifice  de  la  messe 
on  se  sert  d'encens,  d'autant  que  nous  sommes  assurés 
que  cette  oblation  lui  est  très  agréable;  au  contraire  au 
sacrifice  de  jalousie  il  était  défendu  de  se  servir  d'encens, 
(Num.  5.  1 5.)  parce  qu'on  ne  savait  si  la  femme  était  cri- 
minelle ou  innocente,  si  le  sacrifice  du  mari  était  offert  pour 
un  soupçon  raisonnable ,  ou  pour  un  jugement  téméraire. 

Ainsi  donc  il  était  défendu  d'user  d'encens  au  sacrifice 
pour  le  péché,  parce  qu'il  est  incertain  si  notre  pénitence  , 
qui  est  un  sacrifice  spirituel,  est  agréable  à  Dieu  ou  non  ; 
ce  n'est  pas  que  cette  incertitude  vienne  jamais  de  la  part 
do  Dieu  ou  de  sa  miséricorde,  cor  nous  sommes  toujours 


DB  LA  CJUINTE  DE  MADELEINE.  4?U 

qu'il  ne  dédaigne  jamais  un  cœur  contrit  et 
humilie;  mais  c'est  que  nous  sommes  toujours  très  hic: t- 

si  nous  avons  un  cœur  vraiment  contrit  cl  humilié,  si 
notre  pénitence  est  assaisonnée  de  toutes  les  dispositions, 
qualités ,  conditions,  circonstances  que  Dieu  demande  de 
nou> ,  et  si  au  lieu  d'être  fraie ,  surnaturelle  j  cordiale , 
légitime  ,  effet  de  la  grâce  ,  ('Ile  n'est  point  fausse  ,  natu- 
relle, apparente  ,  superficielle,  engeance  d'amour-propre. 
D.  — (  3°  Hiêtoria.  )  Ces  saints   religieux  dont  parle 

anClimaque,au  cinquième  degré  de  son  Echelle,  appré- 
hendaient bien  celte  vérité  ;  il  n'en  parle  pas  par  ouï-dire, 
mais  comme  témoin  oculaire;  il  a  été  sur  le  lieu  ,  il  y  a  de- 
meuré trente  jours,  a  vu  de  ses  yeux  et  considéré  de  bien 

ce  qu'il  raconte  à  la  postérité.  Il  dit  que  dans  un  mo- 
nastère de  ces  anciens  anachorètes  qui  vivaient  comme  des 

s  ,  il  y  avait  un  lieu  un  peu  écarté  du  couvent  destiné  à 
la  pénitence  ;  ce  lieu  semblait  une  vraie  prison  tant  il  était 

n\,  obscur,  humide  ,  puant,  incommode,  aussi  ils  rap- 
pelaient la  prison.  Ceux  qui  par  fragilité  humaine  ,  avaient 
commis  quelque  pécbé  après  leur  profession,  se  condamnaient 
volontairement  à  y  taire  pénitence  le  reste  de  leurs  jours. 
I  \o\;iit  des  gens  pèles,  maigres,  décharnés,  défaits,  qui 
n'avaient  que  la  peau  et  les  os;  ils  semblaient  de  vrais  sque- 
lettes ,  des  morts  fraîchement  déterrés;  ils  avaient  les  yeux 
enfoncés  ,  le  poil  des  paupières  tombé  ,  les  joues  brûlées 
et  flétries  par  les  chaudes  larmes  qu'ils  répandaient  conti- 
nuellement ,  l'estomac  tout  meurtri  de  coups  de  poing,  des 

i  des  durillons  aux  genoux  par  l'assiduité  de  l'oraison. 

i  nourriture  était  un  peu  de  pain  et  d'eau ,  non  pour 
apaiser  la  faim  et  la  soif,  mais  pour  .s'empêcher  (le  mourir  ; 
quand  ils  avaient  mangé  deux  ou  trois  bouchées  de  pain,  ils 

tient  h  l«'  reste,  disant  qu'ils  n'étaient  pas  dignes  de 

i  l    ilures  raisonnables ,  eux  qui  avaient 

été  si  déraisonnables  que  d'offenser  le  Créateur.  Quelque* 

(posaient  tout  le  jour  au*  rayons  du  soleil  d'été  qui 

-là;  d'autres  loi-.,  nu  cœur  de 

1  h'V<  r.  il  , .,  ,,,  .  (.  jusque  (.;;(- 


380  SiîRMON  CCXCVI. 

tout  transis  de  froid.  On  en  voyait  qui  passaient  les  nuits  en 
oraison  tout,  droits ,  immobiles  et  sans  appui  ;  et  s'ils  se 
sentaient  tant  soit  peu  assoupis,  ils  disaient  des  injures  àleurs 
corps  et  chassaient  le  sommeil  à  coups  de  poing.  D'autres 
étaient  assis  sur  la  cendre,  couverts  d\in  cilice,  baignant  la 
terre  de  leurs  larmes  ;  quelques-uns ,  outrés  de  douleur  , 
regardaient  le  ciel  d'un  œil  languissant;  d'autres,  s'estimant 
indignes  de  le  regarder,  avaient  toujours  les  yeux  baissés  en 
terre  ;  ils  semblaient  tout  stupides  de  douleur.  Vous  n'en- 
tendiez là  (|ue  soupirs,  sanglots,  gémissements,  rugisse- 
ments :  Pourquoi  ai-je  offensé  mon  Dieu  ?  comment  me 
suis-je  tant  oublié  que  de  faire  plus  de  cas  de  mes  maudites 
passions  que  de  ses  divines  volontés?où  était  mon  jugement? 
avais-je  perdu  l'esprit  ?  a  Ignosce  ,  ignosce  ,  Domine,  si 
«  possibile  est;  aperi ,  aperi  nobis  ,  Domine,  januam 
a  misericordiœ ,  quam  per  peccatum  clausimus  ;  ostende 
«  nobis  facicm  tuam  ,  et  salvi  erimus  ;  illuminare  his  qui 
«  in  tenebris  sunt,  et  in  umbra  mortis  sedent;  cito  antici- 
«  peut  nos  misericordiœ  tuœ:  »  Pardonnez-nous,  Seigneur, 
pardonnez-nous ,  s'il  est  possible  ;  ouvrez  la  porte  de  votre 
miséricorde,  que  nous  avons  fermée  par  nos  péchés  ;  mon- 
trez-nous votre  face  et  nous  serons  sauvés  ;  éclairez  ceux 
qui  sont  dans  les  ténèbres  et  à  l'ombre  de  la  mort  ;  que  vos 
miséricordes  nous  préviennent  promptement. 

Quand  le  supérieur  du  monastère  allait  les  visiter  ,  les 
uns  le  priaient  de  leur  mettre  les  fers  aux  pieds,  et  les  mains 
à  la  chaîne  comme  des  chiens  enragés  ,  puisqu'ils  avaient 
été  si  furieux  que  de  se  révolter  contre  Dieu  par  une  offense 
mortelle  ;  d'autres  priaient  Dieu  de  les  priver  de  la  vue  , 
de  les  rendre  paralytiques,  et  de  les  faire  malades  toute  leur 
vie,  pour  punir  celte  misérable  chair  qui  les  avait  fait  pécher. 
Après  tant  de  regrets,  de  pleurs  ,  d'humiliations,  de  péni- 
tences ,  ils  parlaient  douteusement  de  leur  rémission ,  ils 
disaient  entre  eux  :  Pensez-vous  que  notre  prière  sera  par- 
venue jusqu'au  ciel?  y  aura-t-elle  eu  entrée  ,  étant  sortie 
d'une  bouche  si  souillée  ?  si  elle  est  entrée  au  ciel ,  aura-t- 
elle  fait  quelque  chose  ,  apaisé  Dieu ,  obtenu  sa  grâce  , 


DE  LA  CRAINTE  DE  MADELEINE.  331 

réconcilié  les  pauvres  criminels  ?  quand  nous  serons  pré- 
sentés au  tribunal  effroyable  de  Dieu  ,  quel  jugement 
fera-t-il  de  nous  ?  noire  pénitence  sera-t-elle  accep- 
table ?  quelle  sera  l'issue  de  notre  procès  ,  quelle  sentence 
recevrons-nous  pour  toute  l'éternité  ?  Ne  serons-nous 
point  condamnés  pour  n'avoir  pas  bien  expie  nos  fautes  ? 
El  lorsque  quelqu'un  d'entre  eux  était  au  lit  de  la  mort  prêt  à 
rendre  l'ame  ,  pour  aller  rendre  compte  à  Dieu  ,  ils  s'as- 
semblaient autour  de  lui ,  et  d'un  accent  funeste  et  lugubre 
qui  eût  amolli  un  rocher  ,  il  lui  disaient  :  Et  bien  !  mon 
frère  ,  où  en  etes-vous  maintenant  ?  que  dites-vous  ?  que 
pensez-vous  ?  êtes-vous  arrivé  à  bon  port ,  ou  si  vous  êtes 
encore  en  crainte  de  naufrage  ?  avez-vous  quelque  espé- 
rance de  pardon  ,  ou  si  Dieu  vous  laisse  encore  en  incerti- 
tude de  votre  salut  ?  ne  sentez-vous  point  en  votre  cœur 
quelque  voix  qui  vous  dit  :  Votre  foi  vous  a  sauvé,  vos  péchés 
vous  sont  pardonnes  ?  ne  vous  dit-on  point  dans  l'intérieur 
que  le  pécheur  soit  chassé  bien  loin  ,  afin  qu'il  ne  voie  pas 
la  gloire  du  Seigneur  ,  prenez  ce  mauvais  serviteur,  jetez- 
le  pieds  et  mains  liés  dans  les  ténèbres  extérieures  ?  A  ces 
interrogations  ,  les  uns  répondaient  avec  confiance  :  Béni 
soit  Dieu  ,  qui  ne  nous  a  pas  donnés  en  proie  à  la  cruauté 
de  nos  ennemis  ;  d'autres  disaient  en  gémissant  :  Malheur 
à  l'Ame  qui  n'a  pas  été  fidèle  à  sa  vocation  !  Et  puis  nous 
Il  ions  la  hardiesse  d'offenser  Dieu,  nous  nous  enflerons  , 
il  nous  semblera  que  Dieu  nous  en  doit  de  reste  pour  un 
peu  de  bonnes  œuvres  que  nous  faisons,  et  puis  nous  ne  nous 
défierons  pas  de  notre  pénitence  ,  nous  nous  tiendrons  très 
assurés  pour  une  petite  confession  que  nous  avons  faite  dans 
un  malin  de  Pâques  ! 

E.  —    'i   Rationibus.)  Mais  supposons  que  nous  soyons 
assurés  que  notre  pénitence  a  été  légitime  ,  et  que  nos  pé- 
chés -  m  lit  effacés  quanl  à  la  coulpe,  qui  nous  a  dit  qu'il 
int  à  la  peine?  Or  la  théologie  enseigne  que  pour 
le  pir!:.;  précédent  Dieu  permet  quelquefois  que 
nous  tombions  dans  de  nouveaux  péchés.  David  nous  donne 
ui  cela  uu  conseil  fort  salutaire  :  Servit*  Domino  in  ti- 


382  GERMON  CCXCVI. 

more  ,  et  exullaie  ei  cum  tremore  :  Servez  le  Seigneur 
fivee  crainte  ;  si  vous  êtes  dans  sa  grâce  ,  réjouissez-vous  en 
lui ,  mais  avec  frayeur  et  tremblement.  Faites  pénitence  de 
vos  péchés  passés  ,  punissez  votre  chair  de  ces  rebellions  et 
de  ses  sensualités  ,  en  hébreu  :Nasse  ku  har ,  adorale , 
osculamini  filium  ;  ne  vous  attribuez  pas  la  gloire  de  vos 
bonnes  œuvres  ,  mais  au  Fils  de  Dieu  seul ,  de  peur  que 
Dieu  ne  se  fâche  ,  ne  punisse  les  péchés  que  vous  ne  punis- 
sez pas ,  et  que  pour  vous  châtier  et  vous  humilier  ,  il  ne 
permette  que  vous  sortiez  du  chemin  de  la  vertu.  Saint 
Augustin  dit  :  «  Non  ait  ne  quando  irascatur  Dominus  et 
«  non  ostendat  vobis  viam  jusfam  aut  non  introducat  vos  in 
«  viamjustam  ,  scdjam  ;  illic  ambulantes  pereatis  de  via 
«  justa  ,  quia  superbia  eliam  in  recte  faetis  cavenda  est  ne 
«  homo  dum  quod  Dei  est,  deputet  suum ,  amittatquod 
«  Dei  est,  et  redeat  ad  suum.  (S.  Aug.  De  nat.  et  gratia, 
cap.  32.)  Le  Psalmiste  ne  dit  pas  :  Faites  pénitence  ,  de 
peur  que  Dieu  ne  vous  mette  pas  au  droit  chemin  ;  mais  de 
peur  qu'étant  déjà  au  droit  chemin  ,  Dieu  ne  permette  que 
vous  en  sortiez  ,  parce  que  Porgueil  est  à  craindre  dans  les 
bonnes  œuvres ,  de  peur  que  Thomme  s'attribuant  ce  qui 
vient  de  Dieu  ,  ne  perde  les  grâces  de  Dieu;  et  ne  tombe 
dans  ses  propres  misères. 

Il  est  vrai,  l'expérience  ne  le  montre  que  trop,  expérience 
déplorable  pour  nous  ,  que  pour  réprimer  notre  arrogance, 
nous  tenir  dans  le  rabais  au  fond  de  notre  néant ,  dans  la 
connaissance  de  nous-mêmes  et  le  sentiment  de  notre  fai- 
blesse ,  pour  nous  retirer  d'une  certaine  disposition  qui  dé- 
plaît grandement  à  Dieu  ,  d'un  certain  état  par  lequel  nous 
avons  satisfaction  en  nous-mêmes;  nous  faisons  les  suffisants, 
îl  nous  semble  que  Dieu  nous  en  doit  de  reste;  il  nous  laisse 
tomber  dans  de  grandes  imperfections,  et  même  quelquefois 
dans  de  lourdes  fautes.  David  connaissant  cela ,  nous  crie  : 
Exaltate  ei  cum  tremore;  osculamini  filium.  Gardez* 
vous  bien  de  vous  réjouir  en  vous-mêmes,  et  de  vous  appro* 
prier  le  mérite  de  vos  vertus  ;  attribuez-le  tout  à  Jésus. 
dffrehendite  disciplinam  ;  craignez  les  effets  de  vos 


DJS  MADELEINE.  383 

es  passés,  faites-en  pénitence  de  peur  que  Dieu  ne  vous 
udonne,  ne  vous  laisse  déchoir  de  sa  (grâce  en  punition 
de  votre  arrogance  ou  de  voire  paresse  à  faire  pénitence.  Ce 
conseil  que  David  nous  donnne  ,  il  le  pratiquait  lui-même: 
Fecijudicium  et  justitiam  :  non  (raclas  mecalumnian- 
Htusme.  (Psal.  118,121.) 

Déplus,  bien  qu'un  péché  soit  remis,  il  produit  quel- 
quefois de  très  mauvais  effets;  il  nous  donne  une  pente  et 
DM  inclination  à  de  nouveaux  péchés,  il  affaiblit  le  franc 
arbitre,  il  augmente  la  concupiscence ,  il  irrite  la  sen- 
sualité ,  il  nous  éloigne  de  Dieu ,  et  nous  rend  indignes  de 
ses  grâces* 

Le  vrai  remède  de  ces  maux  est  d'être  toujours  dans  un 
esprit  d'humiliation  ,  de  pénitence  et  de  crainte. 

SBCUNDUM  PUNCTUM.  —  Ratio  ne  pressentis ,  etc. 

F.  —  (  I"  ScNpiura.  )  Il  ne  faut  pas  que  cet  esprit 
ailité  et  de  crainte  salutaire  diminue  en  nous  pour 
bonnes  œuvres  que  nous  faisons;  car  elles  sont 
ordinairement  mêlées  de  tant  de  défauts  ,  que  si  Dieu  les 
regarde  et  les  examine  avec  la  sévérité  de  son  jugement , 
elles  seront  en  sa  présence  comme  un  linge  sale  :  Justitiœ 
twstrœ  tanijinun  pan  fuis  menstruatœ.  (  Isa.  G4.  6.  ) 

Gi  —  (2*  Patribus.)  Le  saint  abbé  Agathon  disait  que 

si  Dieu  voulait  nous  imputer  les  égarements  d'esprit,  les 

distractions  de  cœur,  les  négligences  et  les  irrévérences  que 

nous  commettons  dans  nos  prières,  nous  ne  pourrions  être 

sauvés.  S.  Augustin  dit  :  Vœ  eliam  laudahili  vitee  ,  si 

cam  aèsquê  misericordia  discusseris  !  Malheur  à  la  vie 

Jouable,  si  Dieu  l'examine  sans  miséricorde  !  S.  Grégoire 

dit  :  (  lib.  8.  Mor.  c.  9,  )  Hocipsum  quoquê  quod juste 

nur  rircre,  culpa  art,  si  vitam  nostram  cumjudi* 

tut  ,   liane  apud  se  divina  misericordia  non  excusât. 

vie  qui  nous  semble  juste,  est  coupable,  si  la  miséri- 

I   r.l«-  de  Dieu  ne  nou>  excuse  ;  notez,  miséricorde;  il  y  a 

dans  la  vie  et  dans  les  actions  des 

aints  >  qœlle  vie  plus  juste  et  plus  louable  que  celle 


384  SERMON  CCXCVI. 

de  S.  Ignace  martyr  ;  on  croit  qu'il  était  ce  petit  garçon 
que  Jésus  mit  au  milieu  de  ses  disciples  ,  en  leur  disant  : 
Quiconque  s'humiliera  comme  ce  petit  enfant ,  est  le  plus 
grand  au  royaume  des  cieux.  (  Matth.  18.  4.  )  Il  avait  été 
disciple  des  apôtres  presque  dès  son  enfance,  si  désireux  du 
martyre,  qu'il  disait  :  Quand  je  serai  exposé  aux  bêtes  sau- 
vages, si  elles  m'épargnent,  comme  elles  ont  fait  à  plusieurs 
martyrs,  je  les  agacerai,  je  les  irriterai,  je  les  contraindrai 
de  me  déchirer.  Il  était  si  enflammé  d'amour  envers  le  Fils 
de  Dieu,  qu'on  trouva  après  sa  mort  le  saint  nom  de  Jésus 
imprimé  sur  son  cœur.  Et  néanmoins  il  dit  dans  une  de 
ses  épilres  :  Plusieurs  choses  me  manquent  pour  être  tel 
que  je  ne  doive  pas  être  abandonné  de  Dieu  *oi\xixoi  \ei**t 
ïvx  ôeov  (Arj  Mtokeiçd&i  et  allant  au  martyre,  il  disait  : 
Frumentum  Christisum;  denlibus  bestiarum  molar,ut 
panis  mundus  inveniar  :  (  S.  Ignatius  ,  epist.  5.  ad 
Trallianos ,  post  initium.  )  Le  martyre  m'est  nécessaire 
pour  nettoyer  ce  qui  est  imparfait  en  moi;  il  y  a  du  son 
mêlé  avec  la  fleur,  je  serai  moulu  et  bluté  par  les  dents  des 
lions ,  afin  de  séparer  ce  qui  est  impur  et  défectueux  dans 
mon  cœur.  S.  Paul  était  dans  la  même  disposition  quand  il 
disait  :  Nihil  mihi  conscius  sum  ,  sed  non  in  hoc  jus- 
tijicatus  sum  ;  quiautemjudicat  me  Dominus  est  :  Ma 
conscience  ne  me  reprend  point,  mais  je  ne  me  justifie  pas 
pourtant;  c'est  le  Seigneur  qui  me  juge. 

il.  —  (3°  Ratione.  )  Voilà  la  vraie  raison  de  cette 
crainte  et  défiance  de  nous-mêmes  que  nous  devons  avoir, 
notre  cœur  est  plein  de  plis  et  replis ,  de  détours  et  de 
labyrinthe,  d'obscurité  et  de  ténèbres  ,  Dieu  seul  le  sonde 
et  le  connaît  :  «  Pravum  est  cor  omnium  et  inscrutabile  J 
)>  quis  cognoscet  illlud  ?  ego  Dominus.  Omnis  via  viri 
w  recta  sibi  videtur  :  appendit  autem  corda  Dominus  :  » 
(  Jerem.  17.  9.  —  Prov.  21 .  2.  )  Bien  que  nous  pensions 
être  justes  et  avoir  des  intentions  bien  sincères  en  nos 
actions  ,  peut-être  que  notre  cœur  jî'est  pas  bien  droit  t 
que  Dieu  le  voit  tout  réfléchi  et  recourbé  vers  nous  ;  il 
voit  que  si  nous,  nous  abstenons  du  péché»  ce  n'est  que  ni| 


DB  LA  CHAJNTfi  Di:  MADKLBIAE.  385 

Jute  .{'occasion,  par  amour-propre  ,  par  crainte  humaine 
al  serwle,  ou  par  autres  dispositions  fort  impures. 
l.  —  (  V  Exempli*.  )  La  bienheureuse  Catherine  de 

Gènes ,  n.  été  des  plus  pures  et  des  plus  éclairées  du 

.un,,.  s    .,,,  ,  .   |a  (hi  dfl  sa  yie  <le 

flans  les  actions  qu  elle  avait  estimées  de  grande  vertu 

Le  père  Maître  Avila  dit  avoir  connu  une  personne  qui 
pria  souvent  D.eu  de  lui  découvrir  ce  qu'elle  était  :  Dieu 
h"  dessilla  tant  soit  peu  les  yeux  de  l'esprit,  ce  qui  lui  conta 
beaucoup,  car  elle  se  vit  si  vilaine  et  si  abominable,  qu'elle  se 
m  a  cner  à  liante  voix  :  Mon  Dieu,  je  vous  conjure  par 
TOlre  miséricorde  de  m'ôler  ce  miroir  de  devant  les  yeux 
je  ne  mus  plus  curieuse  de  voir  mon  image. 

Enfin    quoique  nous  soyons  assurés°de  n'avoir  Jamais 

commis  de  péchés  et  d'être  à  présent  en  très  bon  état    nous 

devons  néanmoins  nous  humilier  et  nous  reconnaît  e  né- 

curs  ,l,:vant  D,eu     parce  que  nous  le  serions  par  no   c 

mclination  et  fragilité  naturelle,  s'il  ne  nous  tenait  par  la 

';;•<<>;  -./avertissement  que  S.  Augustin  donn     aux 

wergeschré tiennes  :  «  Quidquid  mali  Deo  euslodiente  non 

«  eon,,„„t,t,s     tanquam  remissum  ah  illo  deputate ,  „ë 

modieum  vobis  existimantes  dimissum  ,  modicum  dïli- 

gaus  ,   ettundentes  pectora  puldicanos  ruinosa  jaetantia 

«  cm  cmnatis.  .  (S  Aug.  ton,.  C.  lih.  de  sanctaiirglj ? 

m'  Toi,'   i'.;rZ  <,,,e  D'eU  •°US  a  pa,donné  tous  les  Pochés 

c,  mmi     'il  ,         PS  C0,1,m,S  '   P:"'Ce  qU<!  VOl,S  lcs  ™ 
commis  s  il  ne  vous  en  avait  empêché  par  sa  grâce. 

aux  iî;.r.scs  r(:siions  ii a  mh^  c°  fc*  «»*"•«««•» 

aux  autres     .  Gral.a itjw  deputo,  et  quaicmnque  non  feci 
"  "«la,  et  omma  nul,,  dimissa  esse  fateor,  etqu*  mca 
LV****  "^  -  «  q«*  *  «"Ce  non  Ceci  !  „  ($ A ur. 
»fcss  cap.  7.     JVtrilnie  à  votre  grâce  tous  le 
q«ejcn'a;pas6iU,  j'avoue  que  vous  SwÏÏS 
..»»-:;i>«J  a.  commis  par  ma  mauvaise  volonté 
|u«j«n  ai  pas  commis  par  le  secours  de  votre  arâce 

?OM,ffo»^cl(cvéritéetsinousnetac7nSons 
»»%an»  Dieu  pour  nous  la  <ai„ TcS  éc 


*>bO  SERMON  cexcvi. 

avouer ,  il  retirera  de  nous  les  grâces  particulières,  il  nous 
abandonnera  à  notre  faiblesse ,  et  nous  laissera  tomber  en 
de  lourdes  fautes. 

TERTIUM  PlHNCTUAi.  —  îicttioiie failli  j)  de. 

L.  —  (  1°  Scriptura.  )  C'est  le  troisième  motif  que 
nous  avons  de  craindre  et  de  nous  humilier,  S.  Paul  nous 
le  propose  disant  :  Qui  se  existifnat  stare,  videat  ne  cadat; 
(  î .  Cor.  4  0.  42.  )  Celui  qui  pense  être  sur  pied  ,  qu'il 
prenne  garde  de  ne  pas  tomber. 

M.  —  (2°  Patribus.  )  S.  Augustin  dit  :  «  Nemo  so- 
it curus  esse  débet  in  hac  vita  qaaetota  tentatio  nominatur  : 
«  ut  qui  fieri  potuit  ex  détériore  melior,  non  fiât  etiam  ex 
«  meliorc  deterior.  Una  spes,  una  fiducia;  tina  firma  pro- 
«  missio ,  misericordia  tua  :  »  (  S.  Aug.  lib.  4  0. 
Confess.  cap.  32.  )  Personne  ne  doit  se  tenir  assuré  en 
cette  vie  qui  n'est  qu'une  tentation  ;  celui  qui ,  de  vicieux 
qu'il  était,  est  devenu  vertueux, étant  à  présent  vertueux 
peut  devenir  vicieux. 

Le  dévot  A  Kempis  (De  Imit.  Christi,  lib,  3.  cap.  44.) 
dit  :  Mon  Dieu,  il  n'y  a  point  de  sainteté  si  vous  retirez 
votre  main;  il  n'y  a  point  de  sagesse  qui  serve  si  vous  cessez 
de  gouverner;  il  n'y  a  point  de  force  qui  vaille  si  vous  vous 
désistez  de  conserver;  il  n'y  a  point  de  chasteté  assurée  si 
vous  ne  la  protégez,  et  le  soin  particulier  de  se  garder  ne 
sert  de  rien  ,  s'il  n'est  assisté  de  votre  sainte  vigilance;  car 
étant  délaissés  de  vous,  nous  tombons  au  fond  et  périssons; 
et  l'Eglise  en  ses  dévotions  publiques  dit  :  Deits,  oui  nos 
in  tantis  periculis  constitutos  pro  humana  scis  fragi- 
litate  non  posse  subsistere  ;  Grand  Dieu  ,  vous  savez 
qu'étant  exposés  à  tant  de  périls  ,  la  fragilité  humaine  ne 
nous  permet  pas  de  subsister  sans  votre  secours. 

N.  — -  (3°  Ratione.)  Il  ne  faut  que  considérer  la  nature 
et  la  condition  de  nos  ennemis,  pour  avouer  cette  vérité  : 
au  monde  il  n'y  a  que  pièges ,  écueils,  pierre  d'achoppe- 
ment ,  objets  de  lasciveté,  d'envie,  d'ambition,  de  médi- 
sance, de  complaisance.   S.  Antoine  ie  vit  plein  de  lacets 


DE  l.A  CRAINTE  ol  MADELEINE.  387 

et  de  pièges  et  s'écria  :  qui  est-ce  qui  en  pourra  échapper? 

La  obair  nous  poursuit  partout,  nous  avons  cet  ennemi , 
non  sur  nos  frontières,  non  à  nos  portes  ,  mais  dans  nos 
entrailles. 

S.  Grégoire  de  Nazianzc  en  l'extrême  vieillesse  , 
S.  Jérôme  eu  la  solitude  du  désert  et  en  la  rigueur  d'une 
vie  1res  austère,  S.  Paul  aux  travaux  et  fatigues  de  l'apos- 
tolat, eu  ressentaient  les  hostilités,  s'en  plaignaient,  s'esti- 
pajent  malheureux,  réclamaient  la  mort  à  leur  secours  : 
Infclix  cfjo  homol  quis  me  liberabit  de  corpore  morlis 
hujus  ?  Et  nous  qui  ne  sommes  pas  saints ,  qui  ne  l'avons 
jamais  été,  qui  avons  commis  plusieurs  grands  péchés, 
nous  ne  craindrons  pas  cet  ennemi  dans  l'effervescence  de  la 
jeunesse,  dans  les  bons  traitements  du  corps,  conversations 
de  Iules  et  de  femmes,  vie  oisive  et  inutile! 

Quant  au  troisième  ennemi,  nous  disons  tous  les  jours 
des  paroles  que  nous  n'appréhendons  pas ,  mais  très  dignes 
d'appréhensions  :  Tanquam  ho  rugiens  :  Si  nous  avions 
un  chien  enragé  auprès  de  nous,  nous  craindrions  ;  nous 
avons  un  lion,  le  plus  fort,  le  plus  cruel  et  le  plus  invincible 
de  tous  les  animaux,  tanquam  leo  ;  non  un  lion  endormi , 
apaisé,  apprivoisé,  rassasié;  mais  qui  rugit,  qui  est  en  colère, 
enragé,  aflaraé,  qui  aboie  après  la  proie  :  Rugiens,  leo 
rmjiet  ,  quis  non  iimebit?  Nous  ne  l'avons  pas  à  nos 
cotés,  mais  tout  autour  de  nous  ,  circuit,  il  rôde,  il 
nous  assiège,  il  épie  notre  faiblesse  ,  il  empêche  qu'on  ne 
s'approche  de  nous  de  quelque  côté  que  ce  soit  pour  nous 
seeourir. 

O —  (V  Excmplis.)  N'avons-nous  pas  grand  sujet  de 
trembler? Sommes-nous  plus  éclairés  en  l'entendement,  plus 
invincibles  en  la  foi  ,  plus  établis  en  la  vertu  que  Tertullicn 
autrefois  ?  Il  a  été  la  merveille  de  l'Afrique  ,  le  défen- 
du christianisme  ,  l'ornement  de  l'Eglise  ;  il  avait  une 
si  grande  intelligence  des  vérités  chrétiennes  ,  un  esprit  si 
I  ml,  une  éloquence  si  puissante,  qu'il  n'a  point  attaqué 
d'infidèles  qu'il  n'ait  heureureusemont  renversés:  Cujus 
j      c  verba  lot  sentent  iœ  eimul ,  quoi  sens  us  foi 


OOO  SERMON  CCXCVI. 

victoriœ ,  dit  Vincent  de  Lerins  ;  chaque  parole  de  ses 
livres  porte  sa  sentence  ,  et  chaque  sentence  sa  victoire , 
témoins  en  sont  les  Marcions,  les  Appelles,  les  Proxcas,  les 
Hermogènes,  les  Juifs,  les  gentils,  et  les  autres,  et  toute- 
fois ce  prodige  de  science  ,  celte  terreur  des  hérétiques  , 
ce  grand  jeûneur,  cet  homme  si  austère  est  tombé  lamen- 
tablement ,  et  en  tombant  a  donné  une  rude  secousse  à  toute 
l'Eglise. 

Quelques-uns  disent  et  avec  raison  (Ita  Baronius  anno 
357.)  que  la  chute  du  grand  Osius  ,  évêque  de  Cordoue ,  a 
été  encore  plus  surprenante  et  plus  terrible  que  celle  de 
Tertullien,  car  celui-ci  n'a  pas  persévéré  aussi  longtemps, 
en  la  vraie  foi ,  ne  Pa  pas  défendue  avec  autant  de  courage  , 
n'a  pas  rendu  d'aussi  notables  services  à  l'Eglise  dans  des  af- 
faires de  si  grande  conséquence,  dans l'orient  et  dans  l'occi- 
dent, que  l'a  fait  Osius.  Il  avait  courageusement  confessé 
la  foi  avec  les  saints  martyrs  devant  le  président  Dacien  5 
(Baron,  anno  303.)  il  avait  été  envoyé  dans  l'orient  par  le 
pape  S.  Sylvestre  pour  apaiser  les  troubles  excités  par  les 
Ariens;  il  avait  tenu  des  conciles  dans  Alexandrie,  ctfà  Gan- 
gres  contre  les  hérétiques. 

Il  avait  été  le  premier  auteur  du  baptême  de  Constantin  , 
lui  conseillant  de  le  recevoir  pour  expier  ses  péchés  ;  il  avait 
présidé  au  premier  concile  de  Nicée  et  y  avait  dressé  le 
symbole  que  nous  chantons  tous  les  dimanches,  à  la  messe  ; 
il  avait  résisté  courageusement  à  l'empereur  Constance,  re- 
fusant de  signer  la  condamnation  de  S.  Athanase  ;  et  après 
tant  de  belles  actions  ,  tant  de  travaux  ,  tant  de  mérite  ,  il 
succomba  lâchement ,  en  signant ,  au  grand  étonnement  et 
regret  de  toute  l'Eglise,  un  formulaire  contre  la  foi,  dressé 
par  les  hérétiques. 

Je  ne  tremble  pas  moins  quand  je  lis  la  chute  de  S.  Jac- 
ques Termite.  (Surius28.  januar.)  Il  avait  demeuré  trente 
ans  dans  une  caverne  ,  il  avait  épuisé  son  corps  par  les 
jeûnes  et  autres  pénitences  :  étant  obligé  par  charité  do 
rendre  quelque  service  à  une  femme  malade,  en  même 
temps  qu'il  lui  rendait  service  de  la  main  droite  il  tenait  sa 


Dl.   i  i  CBÀ1NTE  DE  MÀDBLB1NB.  SS'Ô 

i  gauche  sur  le  feu  ,  afin  d'empêcher  par  la  violence  de 
douleur  le  moindre  mouvement  de  concupiscence.  II 

avait  fait  des  miracles  très  signalés  ;  nonobstant  une  si 
grande  sainteté  ,  il  tomba  malheureusement  dans  le  péché 
de  la  ehaîr  avec  une  Glle qu'il  avait  délivrée  de  la  possession 
du  diable,  et  il  fut  sur  le  point  de  retourner  dans  le  monde; 
Dieu  l'en  préserva  par  une  miséricorde  particulière, 
et  lui  lit  la  grâce  de  se  reconnaître  et  d'expier  sa  faute  par 
des  larmes  très  abondantes  et  des  pénitences  très  rigoureuses. 

Si  ces  hauts  cèdres  du  Liban  qui  semblaient  être  si  bien 
enracinés,  ont  été  arrachés  par  le  vent  de  quelque  vanité, 
comment  pourront  subsister  les  petits  arbrisseaux  ?  si  ces 
grands  vaisseaux  si  bien  équipés  qui  voguaient  si  heureuse- 
ment ,  ont  fait  naufrage  par  recueil  d'une  tentation,  que 
feront  les  petites  barques;  si  ces  flambeaux  si  éclatants  qui 
éclairaient  toute  l'Eglise  ont  été  éteints  par  un  peu  de  vent, 
que  feront  les  petites  chandelles  ? 

S.  Pierre  considérant  ces  vérités  si  importantes,  nous 
avertit  sérieusement  d'assurer  et  affermir  notre  salut  parla 
pratique  des  solides  vertus  ,  et  entre  autres  il  nous  en  re- 
commande principalement  trois  :  «  Sub  inferentes  minis- 
t  traie  pielatcm,  charilatem  ,patientiam.  Qui  enim  non 
n  prae>lo  sunt  hœc  ,  caecus  est,  oblivionem  accipiens  pur- 

gationis  velerum  suorum  peccatorum. 

CONCLUSIO. 

P«  —  (Exhortât  io,  etc.)  Faites  tous  vos  efforts  pour  ré- 
pondre aux  desseins  de  Dieu  sur  vous  ,  et  tachez  de  joindre 
I  la  croyance  des  mystères  les  vertus  chrétiennes,  savoir: 
la  piété  envers  Dieu  ,  la  charité  envers  le  prochain  ,  la  pa- 
envers  vous;  car  celui  à  qui  ces  vertus  manquent  , 
e\  ri  un  aveugle  qui  montre  par  sa  vie  qu'il  ne  se  souvient  plus 
rdon  de   ses  péchés  qu'il  a  reçu  au  baptême.  Donc 
rer  notre  salut  ,  nous  devons  avoir  grand  soin  de 
pratiquer  ces  trois  vertus;  premièrement  ,  la  piété,  nous 
ner  à  bon  escient  aux  exercices  de  piété    à  la  ferveur 
,  à  l'obéissance  aux  conseils  et  inspirations 


ù\jO  SfcftMOK  ccxdvi. 

de  Dieu  ,  faire  ce  que  nous  savons  qiril  désire  de  nous , 
bien  qu'il  ne  le  commande  pas  absolument,  tendre  à  la  per- 
fection de  noire  vocation  ,  marcher  en  la  présence  de  Dieu 
avec  esprit  d'humilité  et  de  componction,  gémir  et  soupirer 
après  lui ,  afin  qu'il  nous  pardonne  nos  fautes  passées,  qu'il 
excuse  les  présentes,  et  nous  préserve  des  futures  :  Delicta 
juventutis  mecs  etignoranlias  ne  memineris:  Seigneur 
ne  vous  souvenez  pas  des  fautes  de  ma  jeunesse ,  ni  de  mes 
ignorances.  Si  iniquitates  observaveris,  Domine,  Do- 
mine ,  quis  sustinebit  ?  cum  defecerit  virius  mea  ,  ne 
derelinquas  me  :  Mon  Dieu  ,  si  vous  examinez  nos  péchés  , 
qui  est-ce  qui  pourra  subsister  ?  mon  Dieu  ,  ne  roe  délais- 
sez pas  quand  mes  forces  me  manqueront. 

En  second  lieu ,  la  charité  :  Charitas  opetit  mullitu- 
dinem  peccatorum  ;  nous  devons  avoir  grand  soin  de  ne 
nous  moquer  de  personne ,  de  ne  dédaigner ,  de  ne  mépri- 
ser ,  de  ne  condamner,  de  ne  juger  personne,  d'excuser  tout 
le  monde  ,  de  penser  que  les  autres  sont  toujours  meilleurs 
que  nous  ,  que  le  moindre  péché  mortel  que  nous  avons  fait 
nous  rendpluscoupabiesdevant  Dieu  que  toutes  les  imperfec- 
tions de  notre  prochain.  Celui  qui  aurait  été  atteint  et 
convaincu  d'un  crime  de  lèse-majesté  ,  condamné  à  mort 
et  conduit  au  gibet  5  si ,  étant  au  pied  de  l'échelle  ,  on  lui 
apportait  sa  grâce  ,  pourrait-il  après  cela  être  orgueilleux 
et  arrogant  ?  ne  serait-il  pas  toujours  honteux  et  humilié  ? 
Quand  nous  n'aurions  jamais  commis  qu'un  péché  mortel , 
nous  sommes  rachetés  du  gibet ,  voilà  notre  propre  qualité, 
voilà  tout  ce  que  nous  sommes  ,  et  rien  davantage.  Ne  de- 
vons-nous pas  être  bien  honteux  ?  c'est  la  disposition  que 
prenait  le  bienheureux  François  de  Borgîa  ,  après  avoir 
médité  les  peines  de  l'enfer ,  et  considéré  qu'il  les  avait  sou- 
vent méritées  par  ses  péchés  ;  au  sortir  de  là,  il  lui  semblait 
que  tout  le  monde  le  regardait  comme  un  pauvre  racheté  du 
gibet  ;  il  marchait  confus  et  humilié  ,  endurait  patiemment 
les  offenses  qu'on  lui  faisait,  c'est  la  troisième  vertu  que 
S.  Pierre  nous  recommande  ;  nous  devons  recevoir  avec 
résignation  les  disgrâces  qui  nous  arrivent  de  quelque  part 


Dl   I.A    (  K.VI.M».   Dfi    MADiJ.MM.,  <t[]\ 

les  viennent,  peines  d'esprit,  maladies,  calomnies, 
pertes  de  bien,  renversement  de  l'on  une,  persécution;  nous 
devons  dire  avec  résignation  :  Omnia  quœ  faisti  noèis, 
Domine,  in  verojudicio  feciM  ,  cl  juste pro peccatis 
nostns  affligimur;  ce  sont  des  pénitences  de  nos  péchés 
pissés  ,  qui  apaisent  Dieu  ,  satisfont  à  sa  justice  ,  attirent 
sur  nous  sa  miséricorde.  S.  Chrysostômc  (Hom.  1.  in  ad 
Philemon.  sub  ûnem.)  comprend  tous  les  enseignements  en 
trois  petites  paroles  que  je  voua  laisse  pour  la  bonne  bouche  : 
O  humiliât*  in  omnibus  ;  egeno  miserere  ;  remitte  ci 
fui  té  lœsit  ;  audeo  dicere  quantumlibet  magnus  pec~ 
catorjueris  ,  cœlesti  regno  donaheris  :  Humiliez-vous 
en  tout ,  soyez  compatissant  envers  les  pauvres ,  pardonnez 
librement  les  offense*  qa'on  vous  fait;  j'oserai  dire  que  quel- 
que grand  pécheur  que  vous  ayez  été,  vous  serez  reçu  a** 
royaume  ùvs  cieuv.  Amen. 


SERMON  CCXCVIL 


DE  L  ESPERANCE  EN  LA  MISERICORDE  DE  DIEU,  REPRE- 
SENTEE PAR  LE  BAISER  QUE  SAINTE  MADELEINE  DONNE 
AU  PIED  DROIT  DE  JESUS. 


Osculabatur  pcdes  ejus. 

Elle  lui  baisait  les  pieds.  (Luc.  7.  5o«) 

La  crainte  de  la  justice  de  Dieu  et  l'espérance  en  sa  mi- 
séricorde sont  les  deux  ailes  avec  lesquelles  Pâme  pénitente 
doit  s'élever  de  la  terre ,  se  retirer  du  péché  et  faire  essor 
jusqu'au  ciel,  à  l'exemple  de  David  :  Çuisdabit  mihipen- 
nas  sicul  columhœ,  et  volaho?  ce  sont  les  deux  rames  dont 
elle  doit  se  servir  pour  voguer  heureusement  sur  la  mer 
orageuse  de  ce  monde  ,  et  arriver  à  hon  port. 

Ce  sont  les  baisers  qu'elle  doit  donner  aux  deux  pieds 
du  Fils  de  Dieu,  à  l'exemple  de  sainte  Madeleine.  Hier, 
nous  l'exhortions  à  baiser  le  pied  gauche  par  la  crainte  de 
la  justice  ;  aujourd'hui  je  dois  l'exhorter  à  baiser  le  pied 
droit  par  Pespérance  dans  îamiséricorde.^e,  Maria,  etc. 

IDEA  SERMONIS. 

Exordium.  A.  An  aliquod  peccatum  sit  irremissibiïe. 

Primum  punctum.  Deus  promit  tit  veniam  pœnitenti  ; 
13.  1°  Scriptura.  —  C.  2°  Exemplo  Nïnivitarum, 
—  D.  3°  Rationibus  ut  ostendat  suas  perfectiones. 

Sccundum  punctum.  E.  Deus  imperat  spem  veniœ  pœ~ 
nitenti, 

Tcrtium  punctum.  F.  Donavit  veniam  mag?iis  peccato- 
ribus  vere  pœnitentibus.  —  G.  Ncgavit  fa I sis  pœ- 
nitentibus. 

Conclusio.  H.  Christus  beniane  invitât  peccaton m  ad 
veniam. 


CCVU.—DB  L'ESPÉRANCE,   été.         IV)\ 
BXORDIl  M. 

4.  —    dn  aliquodpeccatum,  etc.)  Major  est  fat- 
p  mea.auam  ut  vmiam  merear,  disait  le  premier 
hom,?«de>a.u  chapitre  quatre  de  la  Genèse;  il  disait  bien, 
■mm  il  parlai!  mal  :  tout  péché  mortel,  quelque  léger  et  petit 
<l»  'I  sort  ,  se  distingue  du  véniel  en  ce  qu'il  ne  mérite  au- 
cune grâce  ;  mais  la  miséricorde  de  Dieu  qui  va  toujours 
ju-delà  de  nos  mérites,  pardonne  souvent  des  péchés  qui 
étaient  indignes  de  pardon.  Nous  pouvons  néanmoins  pour 
plus  grand  éclaircissement  traiter  une  belle  question     et 
demander  si  l'on  peut  commettre  des  péchés  si  grands  et  en 
si  grand  nombre  ,  qu'ils  ne  puissentêtre  effacés  par  aucune 
pénitence.  S  il  peut  y  avoir  des  pécheurs  si  obstinés,  si  en- 
dures au  mal  et  en  si  mauvais  état  devant  Dieu ,  qu'ils  ne 
pnssenf  rentrer  en  grâce  el  obtenir  le  pardon  de  leur  crime- 
il  semble  que  I  Ecriture  renseigne  par  Jérémie.  (2   22  ) 
Dieu  dit  à  une  âme  pécheresse  :  Si  laverie  te  nitro  et 
multiplicaverU  tibi  herèam  borith,  maculata  es  m 
tntquttaie  tua  coram  me  :  Quand  vous  vous  laveriez  avec 
du  savon  de  salpêtre,  c'est-à-dire  par  la  pénitence  qui  est 
lorte  ,  amère,  mordicante  comme  le  salpêtre,  vous  n'effa- 
cerez pas  vo>  taches,  vous  demeurerez  souillée. 

Dans  la  Sagesse,  chapitre   cinquième,  les  réprouvés 
ont  pénitence, pœnùentiam  agentes,  non-seulement  dans 
la  partie  mfer.cure  de  l'âme,  mais  dans  la  partie  supérieure 
et  dans  l  esprit  :  Et  prœ  angustia  tpiritus  «émeutes; 
et  ils  ne  laissent  pas  d'être  damnés,  et  cela  pour  toujours. 
baie  (08    \.)  les  Israélites  sont  touchés  ù  la  prédica- 
ta  prophète,  auquel  on  avait  dit  :  Clama,  ne  cesses- 
\tta  vocem  tua  m  ;  ils  rentrent  en  eux- 
»,  ils  jeûnent,  s'humilient,  s'affligent,  et  tant  s'en 
quils  obtiennent  pardon,  que  Dieu  ne  daigne  pas  sen- 
te™ rder  leurs  bonnes  œuvres,  il  leur  dit  :  Neseio 
r<,<:  Je  ne  roui  connais  point  :  Jejunavimus ,  et  non  as- 
fexisli,  humiliavimuê,  ou  selon  une  autre  version  •  éf. 
M*xtm,u  oni,,,as  nastra*%e$ne'KUU.  Dans l'épltre  aux 


894  SEBMON  CCXCVJÎ, — DE  l*rspérànce 

Hébreux ,  S.  Paul  nous  avertit  de  prendre  garde  que  nous 
ne  tombions  pas  dans  la  môme  disgrâce  que  le  profane  Esaii 
qui  ne  fut  reçu  à  impétrer  relief,  et  ne  put  réparer  sa  faute, 
quoiqu'il  le  demandât  avec  larmes  et  gémissements  :  Non 
invenit pœnitcntiœ  ïoeum^uamviscum  lac7ymis  quœ" 
sivisset  eum. 

Et  en  effet ,  il  y  a  des  gens  qui  font  des  péchés  si  déna- 
Surés ,  en  si  grand  nombre,  et  y  croupissent  si  longtemps, 
que  selon  tonte  apparence  humaine  ils  doivent  pourrir  dans 
leur  ordure,  étouffer  la  conscience,  éteindre  toute  l'incli- 
nation que  la  nature  leur  avait  donnée  pour  le  bien  ,  car 
n'est— il  pas  vrai  que  ce  qui  s'use  et  diminue  petit  à  petit, 
se  perd  enfin  tout— à-fait  et  s'anéantit  tôt  ou  tard.  La  ma- 
ladie est  une  disposition  et  un  acheminement,  à  la  mort , 
l'altération  à  la  corruption  ,  la  diminution  de  la  vue  à 
l'aveuglement.  Un  seul  péché  mortel  et  des  moindres  affai- 
blit le  franc  arbitre ,  il  lui  donne  des  langueurs  ;  il  émousse 
ïa  conscience  ,  il  gâte  et  altère  l'inclination  que  nous  avons 
au  bien  ;  donc  deux  autres  péchés  mortels  et  plus  grands 
feront  encore  plus  de  dégât  en  notre  àme  ;  donc  si  on  en 
commet  en  très  grande  quantité  et  de  très  grands ,  et  si  l'on 
y  persévère  longtemps,  ils  pourront  faire  un  si  grand 
ravage,  qu'ils  ruineront  entièrement  le  franc  arbitre,  la 
syndérè  »e  et  l'inclination  naturelle  que  Dieu  nous  a  donnée 
pour  le  bien.  Avant  que  d'éclaircir  ces  difficultés  ,  afin  que 
ce  que  j  0  dirai  aujourd'hui  ne  semble  pas  contraire  à  ce  qui 
a  été  d'il  autrefois ,  il  faut  présupposer ,  premièrement,  que 
je  ne  parte  pas  aujourd'hui  de  ceux  qui  se  contentent  de  dire 
un  peccavi ,  mais  de  ceux  qui  font  une  vraie ,  entière  ,  par- 
faite ,  légitime  pénitence  ;  secondement ,  qu'il  n'est  pas  ici 
question  de  savoir  si  tous  les  péchés  se  remettent  actuelle- 
ment et  en  effet;  l'expérience  montre  que  non;  nous  voyons 
tous  les  jours  des  pécheurs  qui  n'obtiennent  point  de  par- 
don, parée  qu'ils  ne  se  convertissent  jamais ,  ils  ne  se  con- 
vertissent pas,  parce  que  c'est  à  Dieu  seul  de  nous  donner 
la  vraie  conversion ,  et  il  ne  la  leur  donne  pas  d'autant  qu'ils 
s'en  &<mt  rendus  indigna  par  i'énormîte  ou  la  grandeur  de 


l.n  la  MlttEAACORJMi  di:  nii.r. 

r*  crimes,  Mais  si  Dieu  roui  rail  la  griot  d'avoir  uni 

w*  repeotance,  comme  il  i  faii  quelquefois  à  de  très 

ds  pécheurs,  cl  si  avec  .sa  grâce,  vous  faites  une  vraie 

■  gil  me  pénitence,  il  est  plus  que  1res  assure  que  vous 

obtiendrei  pardon,  quelque  grands,  énormes  et  en         ! 

que  soienl  vos  crimes,  je  l'ai  autrefois  montra  par 

des  textes  tirés  de  L'Evangile.  Je  veux  aujourd'hui  le  i 

i,:l1'  te*  i  tirésds  l'Ancien  Testamenl ,  en  i  on- 

Dieu  a  promis  ;  2°  ee  qu'il  a  coniman  I    j 
qu'il  a  l'ail  aux  pécheurs  pénitents. 

PRIMDM  punctuh.  —  Deus  promitlit  veniam. 
B.  —  (1°  Seriptura.)  11  dit  par  Isole,  :  «  LavaminL 

■  mundi  estote,  aufertc  malum  cogitalionnm  veslraruui. 

■  quiescite  agere  perver.se;  diseiîe  benefaoere,  subvenilo 

■  opprosso,  defendite  viduain  ;  si  fuerint  peeeata  vestra  ut 

•vinum,  quasi  nix  deallulninlur  :  »  (Isa.  1.  16.)  IV- 
:  \os  eonsciences,  bannissez  de  voire  esprit  les  mau- 
vaises pensées,  cesses  de  mal  faire,  commencez  à  pratiquer 
la  vertu  i  soulages  les  oppresses ,  protégez  les  veuves  et  les 
orphelins  ;  quand  voire  ame  serait  teinte  de  malice  en  cra- 
moisi ,  elle  deviendra  blanche  comme  neige.  Il  dit  par  Eze- 
cluei  :  (18.  21.  22.)  «  Si  impius  egerit  pœnitentiam  ab 
a  omnibus  peceatis  suis,  quai  operatus  est,  et  custodierit 
«  omnia  praecepta  mca ,  et  feeerit  judieium  et  juslitiam  , 
«  vita  vivet  et  non  morielur.  Omnium  iniquitatum  ejus, 
«  quas  operatus  est ,  non  recordabor,  in  justitia  sir- ,  quam 
■   Operatus  est,  vivet:  »   Si  le  pécheur  fait  pénitence  de 

es  péchés  qull  a  faits  ,  s'il  garde  tous  mes  comman- 
*■*  ;  il  lait  jugement  et  justice  contre  lui,  il  aura 

«  I  ne  périra  pas;  je  ne  me  souviendrai  plus  des  crimes 
qu  il  aura  commis. 

G  —    2    i    <»>])lo  Nhuviturum.)   Mais  ce  qu'il  dît 

11  «œplitœouâm  ,  et  cela  serait  capable 

de  ressusciter  ma  conûance,  quand  je  serais  sur  le  bord  du 

plus  profond  dés  •  >oir.  Les  habitants  de  Ninivo  commettant 

i  û  aboQiaaMe*,  qu'ils  criitot>çngeaiwe  devant 


39G  SERMON  CCXCV1I,.— DE  L'ESPÉRANCE 

Dieu,  il  commande  à  Jouas  de  leur  aller  dire  de  sa  part  que 
dans  quarante  jours  leur  ville  cera  renversée.  Le  prophète, 
qui  n'était  pas  des  plus  obéissants,  £u  lieu  de  faire  le  com- 
mandement de  Dieu  ,  s'embarque  sur  un  vaisseau  pour 
aller  à  Tharse  de  Cilicie ,  bien  loin  de  Ninive.  Une  grosse 
tempête  s'élève  et  il  est  jeté  dans  la  mer  ;  une  baleine  l'en- 
gloutit et  le  vomit  tout  vif  sur  le  rivage.  Etant  fait  sage  par 
celle  affliction  ,  il  obéit  au  commandement  que  Dieu  lui  fait 
pour  la  seconde  fois  ;  il  va  à  Ninive  ;  il  crie  par  les  carre- 
fours :  D'ici  à  quarante  jours  celte  ville  sera  renversée  : 
u4dhuc  quadraginta  dies,  et  Ninive  subvertetur.  Sa 
prédication  fut  si  efficace ,  que  tous  en  furent  touchés  et 
firent  pénitence.  Selon  la  chronologie,  je  trouve  que  le  roi 
qui  tenait  alors  les  rênes  de  l'empire ,  était  Sardanapale  ; 
car  S.  Augustin,  (lib.  18.  de  Civitate  ,  cap  21 .)  Eusèbe, 
et  autres,  disent  que  Jonas  prophétisa  sur  la  fin  de  l'empire 
des  Assyriens ,  un  an  avant  que  Rome  fût  bâtie  par  Ro- 
muius.  Or  ,  Diodore;  Justin  et  les  autres  historiens  pro- 
fanes témoignent  que  Sardanapale  fut  le  dernier  roi  des 
Assyriens.  Ce  roi  était  si  voluptueux  et  libertin,  que 
lorsqu'on  veut  exprimer  un  homme  fort  adonné  à  ses  plai- 
sirs ,  on  dit  que  c'est  un  sardanapale,  et  néanmoins  il  se 
convertit ,  et  par  son  exemple  il  fut  cause  de  la  conversion 
de  toute  la  ville.  Le  prophète  qui  avait  encore  beaucoup 
d'amour- propre  ,  au  lieu  de  se  réjouir  du  fruit  que  sa 
prédication  avait  fait,  s'en  afflige  jusqu'à  mourir,  h  sort 
de  la  ville  avec  impatience,  murmure  en  lui-même,  se 
plaint  du  bon  Dieu ,  dans  l'amertume  de  son  cœur  :  Voilà 
ce  que  c'est,  mon  Dieu,  je  me  doutais  bien  de  ce  qui  en 
arriverait,  pour  cela  j'avais  tant  de  répugnance  à  vous  obéir, 
je  sais  votre  coutume ,  je  connais  votre  naturel ,  vous  êtes 
enclin  à  miséricorde  tout  ce  qui  se  peut.  Ces  Ninivites  se 
convertissent ,  je  vois  bien  que  leur  pénitence  vous  dispose 
déjà  à  leur  pardonner,  et  l'on  me  trouvera  menteur;  je  leur 
ait  prédit  absolument  que  dans  quarante  jours  leur  ville  se- 
rait renversée  :  vous  n'en  ferez  rien ,  leur  conversion  vous 
fuit  dédire,  on  se  moquera  de  moi  comme  d'un  faux  pro- 


in  i  \  MISERICORDE  nr  nu  r.  ,')<J7 

phèto,  permettez-moi  que  je  meure,  je  suis  ennuyé  de  vivre 
je  ne  saurais  endurer  eel  affront.  Là-dessus  il  s'assit  tout 
(Iché  auprès  de  la  ville,  en  attendant  ce  qui  en  arriverait.  Il 
ne  l'entendait  pas ,  il  ne  savait  pas  le  secret,  il  n'y  eut  point 
de  mensonge  dans  sa  prophétie;  il  cria  absolument  que  la 
ville  serait  renversée,  et  cria  fut  vrai,  dit  S.  Augustin: 
mais  ce  motde  nï/cest  équivoque,  il  signifle quelquefois 
les  bourgeois  el  habitants,  d'autres  fois  il  signifie  les 
maisons  el  les  remparts,  (^uandon  dil  que  la  ville  de  Tou- 
louse a  toujours  été  fidèle  à  son  prince,  cela  s'entend  des 
bourgeois;  quand  on  dit  qu'elle  n'est  pas  aussi  forte,  ni 
aussi  belle  que  la  ville  de  Sedan,  cela  s'entend  des  murailles 
et  des  remparts.  La  ville  de  JNinivc  fut  renversée  par  terre 
puisque  les  habitants  étant  tous  convertis  se  prosternèrent 
à  terre,  couchèrent  sur  la  dure  ,  changèrent  leur  vie  et  la 
renversèrent  comme  sens  dessus  dessous  ;  s'ils  ne  l'eussent 
fait  ,  leur  ville  ,  c'est-à-dire  leurs  murailles  et  maisons  eus- 
sent été  renversées  el  ruinées  de  fond  en  comble.  Dieu  donc 
voulut  montrer  au  prophète  par  une  belle  comparaison  le 
grand  amour  qu'il  porte  aux  hommes,  le  plaisir  qu'il  a  de 
leur  pardonner  ;  et  comme  il  ne  punit  jamais  qu'à  regret 
•  I  fit  croître  auprès  de  lui  sur-le-champ  un  arbre  de  lierre' 
qui  le  mettait  à  l'ombre.  Jouas  voyant  ce  miracle  et  sentant 
ce  rafraîchissement  se  consola  un  peu  ,  car  c'était  dans  les 
plus  cuisantes  chaleurs  de  l'été  ;  mais  ce  fut  courte  joie;  car 
le  lendemain  ,  à  la  pointe  du  jour  ,  Dieu  permit  qu'un  petit 
ver  rongeât  cet  arbre  dans  la  racine,  et  le  fit  sécher  la  nuit 
suivante.  Quand  le  lendemain   le  soleil  du  midi  darda  ses 
s  sur  la  tète  du  pauvre  Jouas ,  privé  de  son  parasol , 
:•>'•  Ce  fui  alors  qu'il  souffrit  et  souhaita  la  mort  plus  que 
s  ■  Petivit  anima  sua  ut  moreretur.  Dieu  pour  le 
wn^ncre,  lui  dit:  Pensez-vous  avoir  sujet  de  vousattris- 
1  ,a  P*^  ^  ce  beau  lierre? Oui  ,j'en  ai  grand  sujet, 
rtj  en  suis  si  fort  affligé,  que j'en  meurs  presque  de  regret 
Vous  pensez  avoir  sujel  de  vous  attrister  de  la  perte  d'un 
^rec^  vous  n'avez  pas  planté,  ni  fait  croître /ni  cultivé 
"ne  façon  |  et  n'aurtfs-je  pa*  suie)  de  m'attrisfer  rlo 


i 


398  SERMON  CCXCVII. DE  L'ESPERANCE 

la  perte  de  la  viile  de  Ninive?...  N'entendez- vous  pas  la 
force  de  cet  argument  ?  il  est  si  amoureux  et  si  plein  de  sua- 
vité, que  j'en  tressaille  de  joie  quand  je  le  considère.  Il 
veut  dire  que  comme  cet  arbre  rafraîchissait  et  réjouissait 
le  prophète  quand  il  était  verdoyant,  ainsi  quand  nous  som- 
mes dans  la  grâce  de  Dieu,  nous  le  consolons  et  réjouissons 
extrêmement;  et  comme  Jonas  s'attrista  presque  jusqu'à 
mourir  quand  le  ver  eut  desséché  ce  bel  arbre  ;  ainsi  Dieu 
aurait  sujet  d'une  extrême  tristesse,  s'il  en  était  capable  , 
quand  la  ver  du  péché  ronge  notre  conscience  et  sèche  en 
nous  la  verdure  de  sa  grâce  ;  et  encore  la  comparaison  est 
faible  ;  car  ,  Dieu  dit  :  Si  Jonas  a  sujet  d'être  fâché  de  la 
perte  de  cet  arbre ,  j'en  ai  beaucoup  plus  dans  la  perte  d'une 
urne  ;  il  n'a  ni  planté  ,  ni  cultivé  ,  ni  rien  fait  à  cet  arbre  , 
puisqu'il  a  cru  dans  une  nuit;  j'ai  créé  ,  conservé ,  arrosé 
de  mes  grâces  cet  àmc.  Il  peut  maintenant  enchérir  et  ajou- 
ter :  Je  suis  venu  sur  terre  ,  j'ai  sué ,  travaillé  trente-trois 
ans ,  et  enfin  je  suis  mort  sur  un  gibet  pour  cette  âme  ;  qui 
est-ce  qui  n'espérera  pas  en  la  miséricorde  de  Dieu  ,  après 
de  telles  paroles?  qui  est-ce  qui  osera  dire  :  Major  est  mi- 
quitus  mea,  quam  ut  veniam  mer  car? 

D.  —  (3°  Rationihus  ;  etc.)  Or,  ce  n'est  pas  seulement 
pour  l'amour  de  nous  et  par  compassion  envers  nos  misères 
qu'il  nous  pardonne  nos  péchés ,  mais  c'est  pour  l'amour  de 
lui  et  pour  les  intérêts  de  sa  gloire  ;  il  dit  par  Isaïe  :  C'est 
moi,  c'est  moi  qui  efface  vos  iniquités  pour  l'amourdemoi;(1) 
et  ailleurs  :  Le  Seigneur  attend  à  pénitence,  il  sera  glorifié  en 
vous  pardonnant;  (2)  et  par  S.  Paul  :  Tous  sont  pécheurs, 
et  ont  besoin  de  la  grâce  de  Dieu.  (3) 

Sa  gloire  consiste  dans  l'exercice  et  la  manifestation  de 
ses  attributs  ;  et  il  l'exerce  admirablement  et  montre  évi- 
demment ses  divines  perfections  en  nous  pardonnant  nos  pé- 
chés. Il  montre  sa  magnanimité  :  Longanimis  o**x/jdôu{*oO 
magnanimis  et  multum  misericors  ;  c'est  aux  faibles 

(î)Ego  sum ,  ego  sum  qui  deleo  iniquitates  tua  propter  me.  (Tsa.  43.  23.) 
(2)  Expectat  Dominus  ut  miserealur ,  etexallabiîur  parcens.  (ïsa.  aO.  18 


in  i.A  MISÉRICORDE  DE  DIEU.  399 

esprits  et  au\  ^ens  qui  n'ont  point  de  cœur  ,  de  ne  pouvoir 
supporter  une  injure,  d'être  endurcis  au  pardon  et  inflexibles 
à  la  pitié  :  Corp  or  a  magnanitno  satis  est  prostrasse 
leoni  j  et  fadl&S  motus  mens  tjencrosa  capit ;  lupus  el 
turpes  instant  morientibus  ursis}  et  quœcumqueminàr 
nobilitate  fera  est. 

Dieu  montre  sa  générosité  et  la  noblesse  de  son  cœur  en 
te  qu'il  oublie  les  injures  qui  lui  sont  faites  ;  il  ne  se  laisse 
pu  vaincre  à  la  colère  ,  il  est  supérieur  à  la  malice  des  hom- 

.  c'est  ce  (pic  veut  dire  proprement  cette  parole  de  Joël: 
Ben  iy  nus  est f,  et  prœstabilis  super  malitia;  (Joël.  2. 
13.)  comme  quand  Cieéron  dit  de  l'orateur  :  Su  manda 
su.it  res  oratori  maynitudine  prœstabiles*  (Cic.  2. 
de  orat.) 

I!  montre  sa  puissance  :  Deus ,  oninlpotentiam  tuam 

'endo  maxime  et  miserando  manifestas,  dit  l'Eglise* 
et  S.  Augustin  dit  :  Omnipolenti medico ntillus lanyuor 

nabiliSy  occurrit,  tantum  curare  tesine,  (S.  Aug. 
in  Psal.  102.)  II  n'y  a  point  d'hôpital  pour  les  incurables 
l'Eglise,  parce  qu'il  n'y  a  pas  de  maladie  si  désespé- 
rée et  si  invétérée  que  le  médecin  ne  puisse  aisément  guérir, 
cl  qu'il  n'ait  quelquefois  guérie;  sa  grâce  est  toute-puissante, 
ses  remèdes  souverains,  son  sang  d'un  prix  infini ,  ses  mé- 
rites inépuisables;  permettez  seulement  qu'on  vous  panse, 
il  ne  demande  que  de  la  pratique.  11  est  ravi  d'avoir  des  pé- 
nitents qui ,  d'un  cœur  contrit  et  humilié ,  se  mettent  entre 
ses  mains  ,  afin  d'exercer  sur  eux  et  montrer  sa  bonté  infinie 
qui  est  plus  grande  qu'aucune  malice  ;  qui  se  plaît  à  sur- 
r  el  ruiner  le  mal  qui  lui  est  contraire  ,  à  défaire  l'œu- 

'■•  l'homme,  sans  intéresser  l'ouvrage  de  Dieu. 
Il  est  vrai  que  le  péché  mortel  obscurcit  la  lumière  de 
l'entendement,  affaiblit  l'inclination  au  bien  qui  en  est  la 
ité,  mais  il  ne  les  anéantit  jamais  tout-à-fait,  parce 
jVil  .  en  corrompant  une  partie  du 

liane  arbitre  ou  de  la  lumière  naturelle,  mais  en  nous  don- 
nant une  pente  et  une  inclination  à  de  nouveaux  péchés  ,  et 
HOU*  privant  <l  i  ïn-s  particulières  de  Dieu 


AOO  SERMON  CCXCVII. DE  ï'fSPi'iîANCI? 

desquelles  il  nous  rend  indignes.  Or,  il  n'y  a  pas  si  mauvaise 
inclination ,  si  grande  indignité  et  incapacité  que  la  bonté 
infinie  de  Dieu  ne  puisse  surmonter  et  ne  surmonte  quel- 
quefois. S.  Thomas  dit  fort  bien  :  (  1 .  2.  q.  85.  art.  2.  in, 
cbrp.)  Quand  une  sombre  nuée  voile  la  belle  face  du  soleil, 
Pair  qui  est  en  celte  église  en  est  obscurci ,  et  encore  plus 
si  une  seconde  nuée  se  joint  à  la  première  ,  et  encore  davan- 
tage ,  s"*ii  y  en  a  une  troisième;  mais  il  n'y  en  peut  tant  avoir 
que  l'air  devienne  entièrement  incapable  de  lumière  ;  car 
elles  ne  peuvent  faire  que  l'air  ne  soit  toujours  diaphane  et 
transparent  de  sa  nature,  et  par  conséquent  toujours  sus- 
ceptible des  rayons  du  soleil  quand  ces  nuées  seront  balayées. 

Le  péché  mortel  est  un  sombre  nuage  qui  suppose  au 
soleil  de  justice  :  Opposuisti  nuhem  tibi,  (Thren.  3.  44.) 

Il  n'y  a  point  de  doute  que  l'entendement  en  est  offusqué, 
la  volonté  pervertie,  et  encore  plus  si  on  en  commet  deux , 
trois  ,  quatre  ,  vingt ,  trente;  mais  il  est  de  fait  que  l'homme 
ne  peut  commettre  tant  de  crimes,  ni  être  réduit  en  si  mau- 
vais état  qu'il  en  perde  son  naturel,  qui  est  d'être  raisonna- 
ble, doué  de  franc  arbitre,  susceptible  de  bonnes  impres- 
sions ,  et  si  cette  nuée  est  effacée  par  la  pénitence  ,  delevi 
ut  nuhem  iniquilatem  tuam. 

Il  peut  recouvrer  les  lumières  et  les  grâces  qu'il  avait  per- 
dues, car  l'homme  par  sa  méchanceté  peut  bien  perdre  les 
dons  de  Dieu ,  mais  Dieu  ne  peut  perdre  sa  bonté  qui  est 
toujours  prête  à  les  lui  rendre  et  à  exercer  envers  lui  sa  mi- 
séricorde ,  et  sur  quoi  le  peut-il  mieux  exercer  que  sur  la 
misère?  et  quelle  plus  grande  misère  que  le  péché  ?  si  vous 
connaissiez  combien  grande  et  infinie  est  cette  miséricorde 
divine,  quand  vous  auriez  un  pied  dans  les  enfers  ,  vous  ne 
laisseriez  pas  d'espérer  en  lui  ;  quand  un  homme  aurait 
commis  tous  les  brigandages,  assassinats,  sacrilèges,  athéis- 
mes  qui  ont  été  jamais  commis  et  qui  peuvent  se  commettre, 
s'il  en  fait  pénitence,  tous  ces  crimes  et  un  million  d'autres, 
au  regard  de  la  miséricorde  de  Dieu,  sont  comme  une  paille 
dans  un  grand  feu  bien  embrasé. 

Vous  direz  peut-être  que  Dieu  est  juste  aussi  bien  que 


in   i  a  MIS]  RICORDE  DE    DIEU,  'i  0 1 

miséricordieux  ;  vous  dites  vrai  ;  mais  il  faut  ajouter  qu'il 
exerce  sa  justice  en  nous  faisan!  miséricorde  ;  il  rend  ce 
qu'il  doit  quand  il  nous  pardonne;  ce  qu'il  doit,  dis— je  , 
non  à  la  créature  ,  mais  à  lui-même  ;  non  à  notre  pénitence) 
mais  à  sa  clémence  ;  non  à  nos  mérites,  mais  à  sespromes- 
non  à  nos  actions,  mais  à  ses  paroles. 
Sa  vérité  y  esl  engagée,  il  l'a  dil ,  il  l'a  promis ,  il  a  as- 
suré avec  serment  quil  nous  pardonnerait,  si  nous  faisions 
pénitence;  «nielle  apparence  qu'il  s'en  dédise  !  Vivo,  in- 

quil  Dominusy  et  peenitentiam  malo  quam  morteni 

0  nos  beatos  ,  quorum  causa  Detts  jurât  !  à  miserri- 
7)ios  ,  si  nec  jurant*  Domino  credimuô  !  (  Tertull.  do 
posnit.  eap.  4.  5.  —  Ezech,  33.  11.) 

BBCUNDUM  PUNCTUM.  —  Doits  imperat. 

E.  —  (Spem  ventât^  etc.  )  Il  y  a  bien  plus  ,  il  ne  vous 

invite  pas  seulement  par  ses  promesses,  il  vous  y  oblige 

aussi  par  son  commandement,  quelque  grand  pécheur  que 

lyei  été  ;  quand  vous  auriez  été  plus  dissolu  que  Sar- 

danapale ,  plus  meurtrier  que  Gain,  plus  traître  que  Judas , 

plus  contraire  à  Jésus  que  l'antechrist ,  et  plus  sorcier  que 

le  démon,  Dieu  vous  commande  de  faire  pénitence  et  dVs- 

pérer  en  lui  ,  tant  que  vous  avez  l'âme  dans  le  corps  ;  et 

quand   vous  n'auriez  jamais  commis  d'autre  péché,  si  vous 

ne  faites  pénitence,  en  espérant  en  lui,  il  vous  damnera 

éternellement ,  puisqu'il  vous  commande  sur  peine  de  péché 

mortel ,  d'espérer  qu'il  vous  pardonnera  ,  quelque  grands 

j  que  vous  ayez  faits;  sans  doute  qu'il  a  la  volonté  de 

vous  pardonner.  Autrement,  comme  dit  S.  Thomas,  son 

commandement  serait  une  tromperie,  et  il  a  une  si  bonne 

volonté  de  vous  pardonner,  que  la  plus  grande  offense  que 

vous  lui  puissiez  faire,  c'est  de  vous  défier  de  sa  miséricorde; 

est  vrai,  Cain  n'offensa  point  lanl  Dieu  en  assassinant 

frère  innocent,  Judas  en  trahissant  son  Maître  ,  un  sor- 

r  en  faisant  mourir  son  voisin,  comme  en  désespérant, 
parce  que  |p  désespoir  el  l'iropénitence  finale  sont  opposés 
à  la  bonté  de  Dieu,  dont  il  5e  nique  avec  plus  de  jalousie; 


^l02  SERMON  CCXCVII. — DE  i/eSPERÀNCE 

c'est  un  péché  contre  le  Saint-Esprit  ;  c'est  le  seul  crime  qui 
ne  se  remet  jamais ,  ni  en  ce  monde ,  ni  en  l'antre. 

Les  théologiens  passent  bien  pins  avant ,  ils  disent  que  si 
Dieu  vous  avait  apparu  ;  oui ,  Dieu  même;  et  qu'il  vous  eût 
dit  de  sa  bouche  :  Tu  as  commis  de  trop  grands  péchés,  je 
ne  les  pardonnerai  jamais  ,  j'ai  résolu  de  te  perdre  ;  vous 
seriez  néanmoins  obligé  d'espérer  en  lui ,  vous  pourriez  et 
devriez  penser  que  cette  révélation  ne  serait  pas  un  arrêt 
arrêté,  irrévocable  ,  mais  seulement  une  sentence  commina- 
toire :  sous  cette  condition,  si  vous  ne  faites  pénitence  , 
comme  celle  qui  fut  faite  aux  Ninivites,  à  Ezéchias  et  aux 
autres  :  Etiamsi  me  occiderit,  sperabo  in  eum  ;  et  tant 
que  nous  sommes  en  ce  monde,  nous  ne  sommes  jamais  dis~ 
pensés  du  commandement  de  l'espérance ,  seconde  vertu 
théologale  ,  non  plus  que  de  celui  de  la  foi  el  de  la  charité» 

Notez ,  vertu  théologale  qui  a  pour  objet  un  attribut  do 
Dieu ,  c'est-à-dire  que  comme  moins  il  y  a  d'apparence 
de  raison  et  de  possibilité  dans  un  article  de  foi ,  plus  il  y  a 
sujet  et  mérite  de  la  croire  :  Ideo  credibile  est ,  quia  im- 
possibile  est^  dit  Tertullien. 

Ainsi  tant  s'en  faut  que  la  grièveté  et  la  multitude  de  vos 
crimes  doivent  vous  ôter  la  confiance ,  au  contraire  ,  plus  ils 
sont  grands  ,  et  en  grand  nombre  ,  plus  vous  aurez  de  mé- 
rite d'espérer  ,  parce  que  votre  espérance  ne  doit  pas  être 
appuyée  sur  votre  probité  ,  mais  sur  la  bonté  de  Dieu;  non 
sur  vos  mérites ,  mais  sur  les  mérites  de  son  Fils  j  non  sur 
votre  justice,  mais  sur  sa  miséricorde. 

tertium  punctum.  —  Donavit  veniam. 

F.  —  {V ère  pœnilentibus.)  Et  de  fait,  il  Ta  exercée 
envers  de  très  grands  pécheurs  :  Dieu  ayant  rempli  et  com- 
blé David  de  grâces  infinies ,  ayant  changé  sa  houlette  en 
un  sceptre  royal ,  et  son  habit  de  grosse  bure  en  un  manteau 
de  pourpre,  l'ayant  fait  prophète,  roi  de  son  peuple,  l'homme 
selon  son  cœur ,  David  commit  contre  lui  une  ingratitude 
dénaturée ,  en  l'offensant  méchamment  par  un  plaisir  de 
bête  brute  ;  il  ne  se  contenta  pas  de  plusieurs  femmes  que 


IN  LA  UI8ERTC0RDB  DE  DIBU.  403 

Dieu  lui  mil  permises  ;  il  déshonora  la  femme  de  son  voi- 

ir  un  adultère  très  scandaleux  ,  il  fil  mourir  traîtreu- 
sement le  pauvre  mari  de  cette  femme. 

Le  roi  Achab  épousa  L'impie  Jésabel  contre  le  comman- 
dement de  Dieu,  il  persécuta  Elle,  il  fui  cause  de  la  mort 
du  pauvre  Naboth,  il  envahit  injustement  sa  vigne,  il  s'adonna 
à  l'idolâtrie. 

Le  roi   Menasses  aima  et  consulta  les   magiciens  t   il 

sa  des  idoles  dans  toutes  les  forêts,  et  même  dans  le 
temple  de  Dieu;  il  offrit  des  sacrifices  au  faux  dieux,  leur 
immola  ses  propres  enfants,  il  porta  le  peuple  au  culte  des 
idoles;  et  après  tant  d'abominations,  sitôt  que  ces  rois 
eurent  fait  pénitence,  Dieu  leur  a  fait  miséricorde. 

G.  —  (Negavit  fakiê  peenitentibus.)  Que  si  l'Ecri- 
ture raconte  qu'il  a  rejeté  et  réprouvé  la  pénitence  de  quel- 

-uns,  c'est  «pie  leur  conversion  n'était  pas  vraie,  c'était 
une  pénitence  fausse ,  forcée,  trompeuse,  dissimulée;  les 
damnes  se  repentent  de  leurs  péchés  ,  mais  de  quelle  re- 
pcnlaoce?  d'une  repentance  naturelle,  qui  vient  de  l'amour- 
propre,  du  sentiment  de  leur  douleur,  exlœsioncnaturœ, 
dit  S.  Bonaventure ,  d'une  repenlance  qui  ne  fait  point  de 
igement  en  eux. 
Telia  est  votre  pénitence  si  vous  la  regardez  de  près  : 

vous  confesserez  à  PAques  d'avoir  juré,  de  n'avoir  pas 
jeûné,  vous  en  dites  tout  autant  à  Noël,  n'est-il  pas  vrai  , 
«t  a  Pâques  dernier,  et  il  y  a  deux,  trois,  quatre  ans  ;  ne 
voyez-vous  pas  que  ce  sont  des  amusements  :  Ubinulla 
cmrnda/io,  ibi  pœnitentia  vana,  disent  Tertullicn  et  les 
autres  Pères.  1  4  \  raie  pénilence  s'appelle  conversion,  parce 
qu'elle  change  tout  son  homme.  S.  Amhroise  dit  :  Seip- 
§um  h*mo  nhneijct ,  et  totus  mutetur;  c'est  une  méta- 

mm  •.  une  transformation  spirituelle  ,  qui  fait  qu'on  a 
E  'lions,  des  façons  de  faire,  des  coutumes 

-  contraires  à  celles  qu'on  avait  auparavant. 

i  rois  dont  nous  ayons  parlé  ,  qui  ont  obtenu 
pardon  de  Dieu,  Sardanapale,  David,  Achab,  Manassès  et 
le    Ninrrites,  ne  se  contentèrent  pas  de  reconnaître  leur 


404  SERMON  ccxcvn.- 

faute,  de  répandre  quelques  larmes,  ils  déposèrent  la  pour- 
pre et  leurs  riches  vêtements;  ils  se  revêtirent  de  sac  et  de 
ci  lice  ,  couchèrent  sur  la  cendre  ,  jeûnèrent  austèrement  , 
prièrent  Dieu  fort  longtemps  en  grande  ferveur,  avec  san- 
glots, gémissements,  prosternements,  humiliations  très 
profondes  ;  c'est  l'Ecriture  qui  le  rapporte. 

Et  au  chapitre  premier  sus-allégué  d'Isaïe,  (1 .  16.)  où 
Dieu  promet  que  l'àme  pénitente  deviendra  Manche  comme 
la  neige,  il  enseigne  ce  qu'il  entend  par  la  pénitence  :  Ban- 
nissez bien  loin  les  mauvaises  pensées  de  votre  cœur,  cessez 
de  mal  faire,  apprenez  à  pratiquer  les  bonnes  œuvres,  se- 
courez les  oppressés ,  assistez  les  orphelins  ,  protégez  les 
veuves  :  Lavamini,  mundi  estote,  au  ferle  malum  cogi- 
tai ionum  vestr  arum.  En  Ezéchiel  (  33.  14.  16.  19.  ) 
il  ne  promet  pas  absolument  a  Pâme  convertie  l'absolution 
de  ses  crimes,  mais  avec  cette  condition  :  Si  elle  fait  juge- 
ment et  justice  :  Si  feceriljudicium  et  justifiant,  c'est- 
à-dire  si  elle  se  condamne  et  se  punit  elle-même,  et  si  elle 
s'adonne  avec  zèle  à  la  pratique  de  la  vertu. 

Ces  Israélites  qui  jeûnaient,  et  qui  s'humiliaient  devant 
Dieu,  faisaient  pénitence,  et  leur  pénitence  était  répudiée 
comme  illégitime  ,  parce  qu'ils  ne  se  retiraient  pas  de  tous 
leurs  péchés;  ils  se  retiraient  de  l'idolâtrie  et  gourmandise, 
non  de  l'avarice  ,  des  procès,  des  querelles  et  inhumanité 
envers  les  pauvres  :  Ad  lites  et  contentiones  jejunatis, 
omnes  debilores  vestros  repetitis.  (  Isa.  58.  4.  8.  ) 

La  pénitence  aussi  d'Esaii  était  trompeuse  et  frivole  ; 
il  ne  s'abstenait  pas  du  péché  pour  toujours  ,  il  disait  en 
lui-même  :  Mon  père  ne  vivra  pas  toujours,  s'il  meurt 
jamais  avant  moi  ,  je  tuerai  mon  frère  Jacob  :  Venient 
luctu.6 patris  btei,  et  occidam  fratremmeum.  Vous  pou- 
vez bien  tromper  les  hommes  ,  mais  vous  ne  pouvez  pas 
tromper  Dieu  ,  il  perce  le  fond  de  votre  cœur;  s'il  y  reste 
encore  quelque  dessein  pour  l'avenir,  quelque  secrète  vo- 
lonté de  retourner  au  bal,  aux  jeux  ,  danses ,  cabarets^ 
débauches  après  Pâques,  vous  n'êtes  pas  bien  converti.  Une 
marque  pour  connaître  que  vous  n'avez  pas  quitté  l'affection 


IN    LA   MISÉRICORDE  DE  DIEU.  405 

du  péché  pour  toujours,  c'est  quand  vous  ne  voulez  pas  faire 
tout  ce  que  vous  pouvez  pour  en  éviter  l'occasion,  vous  ne 
roulez  pas  faire  effort  pour  vous  mettre  dans  l'impossibilité 
de  retomber.  On  vous  dit  :  Pour  éviter  les  injustices,  pertes 
de  temps,  troubles  d'esprit  qui  naissent  de  ee  procès,  prenez 
îles  arbitres  et  vous  accordez.  Pour  vous  retirer  des  impu- 
retés ou  privautés  sensuelles  que  vous  commettez  avec  ce 
jeune  homme,  dites  à  votre  père  qu'il  vous  parle  de  votre 
déshonneur,  que  si  on  ne  le  met  hors  de  la  maison,  vous  en 
sortirez.  Pour  vous  déshabituer  de  cette  coutume  que, vous 
avez  de  jurer,  il  faut  prier  votre  femme,  vos  enfants,  vos 
serviteurs  de  vous  avertir  quand  vous  jurerez,  et  le  pren- 
dre de  bonne  part  quand  ils  le  feront,  et  faire  quelque  pe- 
tite pénitence  toutes  les  fois  que  vous  jurerez. 

El  vous  nen  voulez  rien  faire,  toutes  ces  larmes  que  vous 
répandez  quelquefois  dans  votre  confession ,  cette  dévotion 
sensible,  ces  tendresses  de  cœur  (pic  vous  sentez  sont  pures 
illusions.  Lacrymulœ  doctœ  mentiri,  dit  S.  Bernard,  lar- 
mes accoutumées  à  mentir,  engeance  d'amour-propre,  non 
de  L'amour  de  Dieu ,  productions  de  la  nature  ,  non  de  la 
grâce,  c'est  vous  laver  avec  du  savon  de  salpêtre  :  Si  la  ve- 
rt* te  nitro,  maculata  es,  le  salpêtre  s'engendre  dans  les 
caves  et  autres  lieux  souterrains;  si  vous  ne  vous  repentez 
que  par  une  crainte  servile  et  naturelle  de  L'enfer,  votre  âme 
demeure  souillée. 

CONCLUSIO. 

II. —  [ChriëtuS)  etc.)  Le  Fils  de  Dieu  invite  l'âme 

l         i  esse  a  ia  pénitence  avec  des  paroles  si  douces,  si  amoip 

reuses  et  si  affectueuses,  avec  des  soumissions  si  humbles 

pour  eux  et  si  avantageuses  pour  nous,  qu'elles  me  percent 

i.i.  quand  j<'  les  considère  ;  il  faudrait  avoir  le  cœur 

plus  dm-  que  le  marbre,  plus  acéré  que  l'acier,,  pour  ne  pas 

en  être  amolli  quand  on  les  lit  :  je  n'oserais  pas  les  rappor- 

l'(  :  lient  en  L'Ecriture  sainte,  :  Jérem.  ',).  1 .}  tant 

sont  humiliantes  et  désavantageuses  pour  lui.  îi  parle 

a  uuc  ai'  pécheresse*  ^  i>  .oUl  .  à  la  mienu<  ?  première^ 


/l06  SERMON  CCXCV1I. DE  l'eSPEUANCE 

ment  il  propose  une  question  par  manière  de  parabole ,  et 
dit  :  Si  une  femme  mariée  quitte  son  mari  sans  occasion  , 
par  pure  débauche  et  libertinage,  et  s'abandonne  à  un  autre  , 
et  que  son  mari  le  sache,  pensez-vous  qu'il  veuille  la  rece- 
voir ?  rentrera-t-il  en  bonne  intelligence  et  parfaite  amitié 
avec  elle  ?  la  traitera-t-il  avec  autant  de  privauté,  d'ouver- 
ture, de  familiarité,  de  tendresse,  de  caresse,  de  cordialité 
qu'il  faisait  auparavant  ?  non ,  on  n'a  jamais  vu  cela  parmi 
les  hommes  ;  mais  moi,  dit  Dieu,  qui  suis  infiniment  misé- 
ricordieux, qui  ai  une  bonté  immense  et  infinie,  je  me  com- 
porte ainsi  envers  les  àmes  mes  épouses  :  Tu  autem  forni* 
cota  es  cum  amatoribus  multis.  Leva  oculos  tuos,  et 
vide  ubi  non  prostraia  sis  ?  in  viis  sedebas,  expectans 
eos  quasi  latro  in  solitudine.  Vous  vous  êtes  donnée  en 
proie  à  vos  passions,  abandonnée  à  vos  concupiscences,  pro- 
stituée à  mille  ordures  et  iniquités  ;  il  n'y  a  bourbier  si 
fangeux ,  boue  si  noire  et  si  puante  où  vous  ne  vous  soyez 
vautrée,  Verumtamen  revert  ère,  et  ego  suscipiam  le  :  Ne 
laissez  pas  de  retourner ,  je  vous  recevrai  avec  autant  d'a- 
mour, d'affection,  de  bienveillance,  de  cordialité,  de  débon- 
naireté  et  de  tendresse  que  si  vous  ne  m'aviez  jamais  offensé. 
Frons  merelricis  fada  est  tibi,  saltem  amodo  voca  me, 
pater  meus,  dux  virginitaiis  meœ.  Vous  avez  été  aussi 
effrontée  qu'une  courtisane,  et  cependant  peut-être  que  vous 
avez  honte  de  m'appcler  votre  époux,  vous  n'osez  prendre 
celte  confiance,  il  vous  semble  que  ce  serait  pour  vous  une 
témérité,  que  ce  me  serait  un  affront  d'être  époux  d'une  âme 
débauchée;  non,  je  ne  le  tiens  pas  à  déshonneur,  si  vous 
retournez,  je  vous  recevrai  pour  mon  épouse  ;  mais  si  vous 
avez  confusion  de  prendre  sitôt  une  qualité  si  honorable,  au 
moins  dès  à  présent  appelez-moi  votre  père,  le  directeur  de 
votre  virginité.  Un  père  a  toujours  pitié  de  son  enfant,  il 
ne  perd  jamais  l'affection  paternelle  ;  ce  serait  démentir  sa 
qualité  de  père  et  apostasier  la  nature  ;  sitôt  que  l'enfant  se 
rend  à  son  devoir  et  se  rend  obéissant,  sitôt  que  l'enfant 
prodigue  retourne  à  son  père,  son  père  le  reçoit. 

Retournez,  je  suis  votre  père,  et  le  conducteur  de  votre 


i..\  LA  MISERICORDE  Di:  DU.l).  407 

virginité.  1!  nVn  est  pas  de  Pâme  comme  du  corps,  la  virgî 
ni  le  du  corps  étant  une  fois  perdue  ne  se  recouvre  jamais  ; 
votre  Ame  sesl  prostituée,  mais  si  vous  revenez  à  moi,  elle 
pourra  devenir  aussi  pure,  aussi  Manche,  aussi  sainte,  aussi 
parfaite  que  si  vous  ne  m'aviez  jamais  offensé  :  Quasi  niai 
dealbabuntur. 

Il  fait  bien  davantage,  comme  si  citait  lui  qui  eût  le 
tort ,  ((mime  s'il  avait  offensé  Famé,  il  la  recherche  d'ami- 
tié, il  la  flatte,  il  use  de  soumission,  d'humiliation,  vous  di- 
riez quasi  qu'il  se  met  à  genoux  devant  elle,  comme  pour 
lui  demander  pardon  ;  et  bien,  lui  dit-il,  ètes-vous  encore 
ftchée,  garderez-vous  toujours  voire  aversion,  n'appaise- 
rez-vous  jamais  voire  colère  :Nunquid  irasceris  in  per- 
met uum,  aut  persévéra  bis  in  fuiem? 

Ktiiïn,  ne  pouvant  fléchir  le  cœur  de  cette  obstinée,  il 
s'adresse  à  son  prophète  pour  se  plaindre  de  cet  affront  que 
Pâme  lui  fait,  comme  un  homme  qui  est  dans  l'amertume 
de  eu'iir  s'adresse  à  son  voisin  pour  recevoir  de  lui  quelque 
consolation  :  Prophète  avez-vous  vu  l'affront  que  j'ai  reçu 
de  c<t  te  âme,  le  mépris  qu'elle  fait  de  mes  instances,  la  dé- 
daigneuse, opiniâtre  et  orgueilleuse  qu'elle  est  :  Nunquid 
tndiêii  (/a a'  fecerit  aversatrix ? 

Messieurs,  ces  in>lances  de  Jésus  sont  si  attrayantes  et 
si  amoureuses,  que  si  nos  cœurs  n'en  sont  pas  amollis,  il  n'y 
a  rien  au  monde  qui  nous  puisse  convertir  ;  je  prie  le  bon 
Dieu  qu'il  air  pitié  de  nous,  et  qu'il  nous  fasse  miséricorde. 
Amen, 


SERMON  CCXCVIIÏ. 

DES  OEUVRES   SATISFACTOIRES ,  REPRESENTEES  PAR  LE 
PARFUM  DE  MADELEINE. 


Vnguento  ungebat.  (  Luc  7.  58.  ) 

Ce  précieux  onguent  ou  parfum  que  Marre-Madeleine 
répand  avec  une  sainte  profusion  sur  les  pieds  sacrés  du  Fils 
de  Dieu,  représente  la  satisfaction  que  Pâme  pénitente  doit 
offrir  à  Dieu  pour  apaiser  sa  justice  et  gagner  sa  miséricorde. 
Nous  avons  aujourd'hui  à  considérer  les  ingrédients  de  ce 
parfum,  qui  sont  la  prière,  le  jeûne  et  l'aumône,  et  puis  nous 
répondrons  aux  objections  que  les  gens  du  monde  ont  cou- 
tume d'alléguer  pour  se  dispenser  de  ces  saintes  œuvres  ;  ce 
seront  les  deux  points  de  ce  discours. 

IDEA  SERMONIS. 

Exordium.  A.  Peccafor  fœtet  coram  Deo. 

Primum  punctum.  Pœnitens  débet  aholere  hune  fœlorem 
unguento  composite  ex  nardo ,  myrrha ,  oleo. — 
B.  1  °  Ex  nardo  orationis. — C.  2°  Ex  myrrha  jejunii. 
— D.  3°  Ex  oleo  eîeemosynœ. 

Sccundum  punctum. — E.  Excusât iones  reproborum  con- 
tra prœdicta  opéra  satisfactoria, — F.  Rejutantur 
\°  Scriptura. — G.  T  Patribus.—U.  3°  PraxiEccle- 
siœ, — I.  4°  Exemplis. — L.  5°  Responsione  adobjec- 
tionem  de  indulgenliis. 

Conclusio.  M.  Bona  est  oratio  cumjejunio,  etc. 

EXORDIUM. 

A. — (Peccafor,  etc.)  Le  Texte  sacré  et  les  saints  Pères 
nous  enseignent  que  le  péché  mortel  exhale  une  puanteur 
insupportable  en  la  présence  de  Dieu  et  de  ses  anges.  David 


BBRMON   CCXCVIII, — DBS  OBUVRE8  ,  etc.  7i U9 

dit  des  pécheurs  :  [Is  sont  corrompus  et  rendus  abominables 
en  leurs  désirs  ;  (l)ct  parlant  de  lui-même  après  son  péché  : 
Mes  cicatrices  onl  jeté  du  pus  et  de  la  pourriture  par  ma 
folie  ;  (2)  il  ne  dil  pas  mes  plaies,  il  dit  nies  cicatrices,  c'est- 
à-dire  les  mauvaises  babitu  les,  les  inclinations  vicieuses  qui 
restent  même  après  que  le  péché  est  effacé, quanta  la  coulpe, 
par  sa  pénitence*  Tolerabilius  canis  putridus  fœfct  ho- 
minibus  g uam  anima  peccatrix  Deo,  dit  S.  Anselme: 
l  a  chien  pourri  n'es!  pas  aussi  puant  aux  hommes  qu'une 
fcme  pécheresse  Pest  devant  Dieu.  Dans  la  Vie  des  Pères  du 
désert  il  est  dit  qu'un  saint  anachorète  faisant  voyage  pour 
une  affaire  importante  à  la  gloire  de  Dieu,  était  accompagné 
d'un  ange  comme  le  jeune  Tobîe;  un  jeune  homme  frisé, 
musqué,  bien  ajusté  passant  auprès  d'eux,  fange  se  boucha 
le  nez ,  ce  qu'il  ne  fit  pas  passant  auprès  d'une  voirie. 

PRIMUM   PUNCTUM. — Pœnitens  ,  etc. 

b.  —  (I  Ex  nardo  orationis.)  L'âme  pénitente  doit 
corriger  cette  puanteurparun  parfum  odoriférant,  à  l'exem- 
ple de  sainte  Madeleine  ,  unyuento  un y  ébat  ;  trois  ingré- 
dients doivent  entrer  dans  la  composition  de  cet  onguent  ou 
parfum  ,  le  nard  ,  la  myrrhe,  l'huile  d'olive,  c'est-à-dire 
l'oraison,  le  jeûne,  l'aumône;  c'est  ce  que  l'ange  Raphaël 
enseignait  à  Tobie  :  Bona  est  oratio  cum  jejunio  et 
eleemosyna* 

Premièrement,  le  nard  :  Dum  esset  rex  in  aceuhitu  suo 
narduê  mea  dédit  odorem  suavitatis  :  Quand  le  roi  était 
dans  sa  couche,  mon  card  a  exhalé  une  odeur  suave ,  disait 
lépo  ee,  sur  quoi  S.  Bernard  dit  :  Est  nard  us 

humilié  herba  quam  calidœ  naturœ  esse  ferunt  qui 
herbarum  rires  euriosius  explorarunt:  Les  herboristes 
qui  onl  soigneusement  recherché  les  vertus  occultes  des 
simpli  i,(  que  le  nard  est  une  herbe  fort  petite,  mais 

i  haude,  vrai  symbole  de  la  parfaite  oraison  , 

1   sudI  in  tnliis  suis.  (Psal.  13.  1 .) 
-    I  fade  insipiçntis  raeœ. 

I.2.) 


410  SERMON  CCXCVIII. 

qui  apaise  Dieu  et  guérit  les  maladies  tle  nos  péchés,  quand 
elle  est  humble  et  fervente.  Dieu  a  regardé  l'oraison  des 
humbles ,  et  n'a  pas  méprisé  leurs  prières ,  dit  le  Psal- 
miste;  (1  )  la  vaillante  Judith  ajoute  :  La  prière  des  personnes 
humbles  et  débonnaires  vous  a  toujours  été  agréable  :  Humi- 
lium  et  mansuetorum  semper  tihi  placuit  deprecatio. 
(Judith.  9.  16.)  Quel  plus  grand  pécheur  que  le  roi  d'Is- 
raël Achab  qui  épousa  l'impie  Jésabel ,  adora  l'idole  de 
Baal ,  persécuta  le  prophète  Elie ,  fit  mourir  traîtreusement 
le  pauvre  Nabot?  Irritans  Dominum  Deum  super  omnes 
reges  Israël  qui  fuerunt  ante  Muni;  (3.  Reg.  1  6.  33.) 
il  irrita  la  colère  de  Dieu  plus  que  tous  les  autres  rois  ses 
prédécesseurs  ,  et  toutefois  quand  il  s'humilia  devant  Dieu, 
Dieu  dit  au  prophète  Elie  :  (3.  Reg.  21.  29.)  Avez-vous 
vu  comme  Achab  s'est  humilié  en  ma  présence?  parce  qu'il 
s'est  humilié  pour  l'amour  de  moi ,  je  ne  ruinerai  pas  sa 
maison  pendant  sa  vie.  S.  Bernard  et  les  autres  Pères  nous 
enseignent  que  si  Dieu  permet  que  nous  tombions  en  quelque 
faute ,  c'est  pour  nous  humilier  :  Priusquam  humiliarer 
ego  deliqui  ;  il  aura  donc  sujet  de  nous  laisser  longtemps 
en  nos  faiblesses  et  misères,  si  nous  n'en  prenons  un  motif 
de  nous  humilier  devant  lui,  et  de  le  prier  avec  un  vif  sen- 
timent de  l'extrême  besoin  que  nous  avons  du  secours  de 
sa  miséricorde. 

L'oraison  de  l'âme  pénitente  doit  être  humble,  mais  non 
pas  lâche  ,  à  demi-cœur ,  du  bout  des  lèvres  ,  par  manière 
d'acquit,  désirant  d'en  voir  bientôt  la  fin;  elle  doit  être  faite 
avec  ardeur,  de  toute  l'étendue  de  L'âme,  de  tous  les  efforts 
du  cœur  ;  l'Epoux  disait  à  son  épouse  :  Labia  tua  vitla 
coccinea  :  Vos  lèvres  sont  comme  un  turban  d'écarlate. 
Les  anciens  peignaient  l'Hercule  gaulois  ayant  une  chaîne 
d'or  dans  la  bouche  avec  laquelle  il  attirait  les  peuples  et 
les  traînait  où  bon  lui  semblait  ;  c'était  pour  exprimer  la 
force  de  son  éloquence  qui  maniait  la  volonté  des  hommes 
et  leur  donnait  tel  mouvement  qu'il  voulait.  La  parfaite 

(1)  Respexit  in  oralionem  humilium  ,  et  non  sprevit  precem  eorum.  (Psal, 
40,  18.) 


DES  OEUVRES  SAT1SFACTOIRB8.  411 

•raison  est  bien  plus  efficace  cl  plus  puissante  :  clic  exerça 
54  d  empire  sur  la  volonté  de  Dieu,  elle  lie  les  mains  au 
Tout-Puissant,  arrête  le  cours  de  sa  justice,  calme  son 
esprit  irrité;  elle  ne  doit  pas  être  une  chaîne  d'or ,  mais  un 
ruban  d'écarlate;  elle  ne  doit  pas  avoir  des  paroles  dorées , 
des  périodes  bien  (issues ,  de  riches  et  sublimes  concep- 
tions ,  mais  des  affections  ferventes,  des  ardeurs  delà 
volonté,  des  élans  amoureux ,  d'humbles  gémissements, 
Employé!  tous  les  jours  ou  (rois  ou  quatre  Ibis  la  semaine 
<  n  ces  exercices  nue  demi-heure  ou  une  heure ,  retirez-vous 
dans  voire  cabinet  ou  dans  un  coin  de  votre  maison,  pro- 
sternez-vous en  terre  pour  un  peu  de  temps,  puis  mettez- 
fous  à  genoux  et  frappez  votre  poitrine,  dites  à  Dieu  ou  de 
bouche  ou  de  cœur  :  Mon  Dieu ,  soyez  propice  à  ce  pauvre 
pécheur,  ayez  pitié  de  moi,  selon  votre  grande  miséricorde; 
Agneau  de  Dieu ,  qui  ôlez  les  péchés  du  monde  ,  ayez  com- 
passion de  moi,  je  vous  en  supplie  par  votre  incarnation  , 
votre  naissance,  circoncision  ,  vie,  voyage,  travaux,  etc.; 
par  la  plaie  de  votre  main  droite,  par  celle  de  la  gauche, 
par  la  plaie  de  votre  pied  droit,  etc.;  vous  verrez  que  dans 
quelque  temps  votre  cœur  s'amollira  et  vous  vous  trouverez 
changé.  Mais  je  n'ai  point  de  ferveur!  N'importe,  ne  laissez 
pas  de  persévérer  dans  ces  exercices  ;  bien  que  la  fureur  ne 
soit  pas  sensible,  elle  est  peut-être  dans  la  volonté,  et  c'est 
tout  ce  que  Dieu  demande  :  plus  vous  y  aurez  de  peine  , 
plus  vous  y  aurez  de  mérite. 

C.  —  (2°  Ex  myrrhajejunh.)  Mais  à  la  prière  il  faut 
joindre  le  jeûne  ,  les  mortifications  et  les  austérités  du 
corps.  Àchab  ne  se  contenta  pas  de  s'humilier  devant  Dieu 
et  de  lui  demander  pardon  ,  il  jeûna  ,  dépouilla  ses  vête- 
ment ux ,  endossa  le  cilice  ,  se  couvrit  d'un  sac. 

Quand  le  I  ils  de  Dieu  dans  l'Evangile  (Luc.  13.  7.) 
compare  l'âme  pécheresse  à  un  arbre  infructueux  qui  mérite 
coupé  ,  et  qui  est,  conservé  sur  terre  pendant  quel- 
que temps  ,  parce  que  le  vigneron  promet  à  son  maître  d'y 
mettr  ier  ,  S.  Grégoire  «le  Nazianze  (oratioAO.  in 

fumier  entend  la  pénitence  ,  qui 


412  si: u mon  ccxcvm. 

par  larmes ,  jeûnes ,  veilles  et  autres  macérations ,  flétrit 
et  affaiblit  le  corps;  et  S.  Pacian,  évèque  de  Barcclonne  , 
(Pac.  pareil,  de  pœnitentia.  )  que  les  exercices  ordinaires 
des  vrais  pénitents  étaient  de  pleurer  dans  l'assemblée  des 
fidèles,  être  vêtus  pauvrement  et  à  la  négligence,  déjeuner, 
prier,  dese  prosterner  en  terre,  de  refuser  d'aller  aux  festins 
et  aux  autres  divertissements,  en  disant  :  Cela  est  bon  pour 
ceux  qui  sont  si  heureux  de  n'avoir  jamais  offensé  Dieu  j 
pour  moi ,  qui  l'ai  désobligé  et  qui  suis  en  danger  d'être 
damné  éternellement,  je  me  dois  abstenir  de  ces  divertisse- 
ments :  «  Ne  hœc  quidem  quotidiana  servamus  ,  iîere  in 
«  conspeclu  Ecclesiœ  perditam  vitam,  sordida veste  lugere, 
u  jejunare,  orare  ,  provolvi.  Si  quis  ad  balneum  vocet , 
«  recusare  delicias  ;  si  quis  ad  convivium  roget,  dicere  ista 
«  felicibus  :  Ego  deliqui  in  Dominum  ,  et  periclitor  in  œter- 
«  num  perire;  »  notez  ce  dernier  mot  :  Je  suis  en  danger  de 
périr  éternellement  ;  Tertullien  a  dit  de  même;  il  y  va  donc 
de  notre  salut  et  de  notre  éternité ,  puisque ,  faute  de  faire 
cela,  nous  sommes  en  danger  d'être  damnés. 

C'est  la  seconde  drogue  qui  doit  entrer  dans  la  composi- 
tion de  notre  parfum ,  la  myrrhe  qui  est  désagréable  au 
goût  et  amère,  mais  qui  préserve  de  corruption;  et  notez 
qu'il  y  en  a  de  deux  sortes,  une  que  l'arbre  jette  de  lui- 
même,  l'autre  qui  coule  en  plus  grande  quantité,  quand 
l'arbre  est  incisé  et  entamé  par  le  fer  ;  ainsi  il  y  a  deux  sor- 
tes de  pénitences  :  les  unes  que  nous  embrassons  de  nous- 
mêmes  ou  par  le  commandement  du  confesseur  ,  d'autres 
qui  nous  arrivent  par  la  providence  de  Dieu  ou  par  la  malice 
des  créatures,  par  la  pauvreté,  par  la  maladie  ,  par  la  mort 
de  nos  parents ,  par  un  renversement  de  fortune ,  par  un 
procès  ,  une  calomnie  ,  une  persécution.  Ces  pénitences 
sont  en  plus  grand  nombre ,  et  étant  reçues  ,  et  souffertes 
pour  l'amour  de  Dieu  avec  patience  et  résignation  à  sa 
volonté  ,  elles  satisfont  beaucoup  à  sa  justice  ,  dit  le  con- 
cile de  Trente,  (sess.  14  cap  9.)  Quand  le  Fils  de  Dieu 
répandit  son  précieux  sang  de  lui-même  au  jardin  ,  il  n'y 
euVjue  des  gouttes  qui  sortirent  de  son  corps  :  Guttœ  san* 


OEUVRES  SATISPAI  fOIRRB.  .'.  ;    , 

lecunentisin  terram;  et  cette  effusion  ne  fut  pas 

mpl.sse.nent  de  notre  rédemption,  Quand  il  le  répan- 

*EL   T"';!",S  d  fup-«'*  »  ?oo  «orps  étant  entamé  par  la 

wolence  des  clous  el  des  épines,  il  en  ceula  une  grande 

^ndance.etcefutlacoi ,m, ,  de  l'œuvre  Aotw 

■  -  «  •  («us,,,,,,,,,,!,,,»  est}  les  pénitences  que  vous  prenez 
g  "us-même  dans  te  monde  sont  rares  et  légères  ,ousi 
•«es  sool  rudes  et  en  grand  nombre  ,  il  peut  s'y  ^lisser 

*    ^  ébauches  de  votre  mari,  l'humeur  fâcheuse  de 
»»««  Belle-mère  ,  la  désobéissance  de  voire  enfant ,  la  né- 
goce   e (  votre  servante ,  la  perte  «te  q,K|(|„e  We'nîel 

1   ""  mere;ces  disgrâces  étant  souffertes  patiemment  en 
"":",,"l',d  «*»*•  sonffrances  du  Rbdêfee?Sk3 

D.       (3°£'^  o/^  eleemosynœ.)  Mais  le  Drïncinal  m 
F^'q«i  "oit  entrer  dans  nWonguLtS      o         T 
Ïjfr^»P**?v,*-l»rf  d'olive  derSumone 
e  <l.  la  miser  corde,  c'est  le  conseil  que  le  prophète  Daniel 

M"  w  roi  _Nal.uchodono.or:  (Daniel.  4,  2a  )  Sire 
'«Jeta  jos  péché,  par  des  aumônes,  et  vos  iniquitésSes 
! ."'  «•*  m,sérieorde  envers  les  pauvres.  Le  vénérable 
;;  :  <  U    son  nia  :  (Toi,  4.  1 1 .)  Lw^  RS 

«  fc**An«     L  aumône  délivre  de  (oui  péché  et  de  la 

fa    îiîl,     il  "C  ''''T'"1''  PM  ''""  r*me  (Ie  «eJui  qui  la 

"" '«M'es  ténèbres.  Et  l'anee  S   Rar.hi.-l  ,H 

même  Tnh»  •  /Mi   o  \  _-/  '"V    3-  .wpiiael  dit  au 

<*'    •  (12.  9.)  Eleemoeyna  a  morte  libérât ,  et 

■  ■'.  quœpurgat  peccata,  etfaeit  invenire  miseri- 

."",""            f^a*-'L'aumôneaffranchitdelamort 
'«"Neh^etfaittrouvermiséricordeetlavie  éternel 
'-"■  ' H.  9.  Ii  epistad  Bebraos.S 

r;," '"""","■';■  '.fl™»»  «  disait  :Q„oiS«;un 

méd,can.cn1dvcnllc1.h.^ur.hc1hcs,irven^l«oi:n" 


414  SERMON  CCXCVIIT. 

une  qui  prédomine  ;  ainsi  plusieurs  œuvres  satisfactoires 
composent  la  pénitence  ,  mais  la  principale  et  plus  efficace 
et  qui  fait  presque  autant  que  toutes  les  autres  ,  c'est  l'au- 
mône. Ecoutez  l'Ecriture  :  Jésus  dit  par  S.  Luc  :  (11 .  41 .) 
Donnez  l'aumône ,  et  vous  serez  nettoyés  ;  et  le  Saint- 
Esprit  dit  par  le  Sage  :  (Eccli.  3.  33.)  L'eau  éteint  le  feu 
ardent ,  et  l'aumône  résiste  aux  péchés  :  «  Post  oralionem 
«  intensam  multa  opus  est  cleemosyna ,  hoc  enim  est  quod 
((  reddit  admodum  validum  medicamentum  pœnitentise  ,  et 
«  quomodo  in  medicorum  adjumenlis  est  medicamentum 
«  quod  multas  quidem  capit  herbas  sed  unam  quse  obtinet 
u  principatum;  ita  etiam  inpœnitentia  ipsa  est  herba  quse 
«  principatum  magis  obtinet  et  ipsa  fuerit  universum  ,  audi 
«  enim  scripturam  divinam  :  Date  eleernosynam  ,  et  ecce 
«  omnia  munda  suni  vobis.  Ignem  ardentem  extinguit 
«  aqua,  et  eleemosyna  resislit  peccatis.» 

S.  Augustin  et  après  lui  S.  Salvien  disent  avec  raison  : 
Quand  je  vois  un  homme  riche  qui  redoute  la  vérité  du  der- 
nier jugement ,  et  qui  ne  fait  pas  de  grandes  aumônes  ,  je 
m'en  étonne  et  je  trouve  qu'il  est  bien  simpie;  ce  n'est  pas 
que  la  rigueur  de  la  justice  de  Dieu  ne  soit  bien  à  craindre, 
mais  c'est  qu'il  ne  faut  pas  croire  l'Evangile  à  demi ,  il  le 
faut  croire  tout  entier  ;  nous  ne  savons  la  sévérité  du  juge- 
ment de  Dieu  que  par  l'Evangile;  et  le  même  Evangile  nous 
enseigne  un  moyen  très  facile  de  l'éviter  et  d'avoir  le  Juge 
favorable.  Le  Fils  de  Dieu  dit  qu'il  nous  jugera  si  exacte- 
ment et  si  rigoureusement ,  qu'il  nous  fera  rendre  compte 
jusqu'à  une  parole  oisive.  Tous  le  croyez  et  vous  y  êtes 
obligé  ;  mais  le  même  Jésus  dans  le  même  Evangile  nous 
apprend  ce  qu'il  dira  dans  sa  sentence  de  condamnation  : 
J'ai  eu  faim  ,  et  vous  ne  m'avez  pas  donné  à  manger ,  j'ai  été 
nu  ,  et  vous  ne  m'avez  pas  revêtu  ;  il  est  en  votre  pouvoir 
de  lui  donner  si  souvent  à  manger,  de  le  revêtir,  de  le  loger, 
de  le  visiter  avec  tant  de  charité  ,  qu'il  ne  vous  puisse  faire 
ces  reproches  ;  vous  êtes  donc  bien  simple ,  si  vous  ne  le 
faites  pas  !  Si  un  homme  qui  est  en  prison  ,  atteint  et  con- 
vaincu d'un  crime  capital ,  disait  :  Je  crains  d'être  pendu, 


DES  OEUVRES  SATISFACTOIRES.  41  f) 

il  refusai)  de  donner  la  moitié  ou  los  deux  tiers  de  son 
pour  «voir  grâce  ,  ne  serait-il  pas  fou  achevé  ?  Vous 
iendanger  évident  d'être  condamné  au  jugement  de  Dieu 
e<  vous  le  serez  infailliblement,  si  vous  ne  satisfaites  pas  à 
la  justice  de  Dieu ,  el  vous  pouvez  le  faire  donnant  une  bonne 
partie  de  von-,-  bien  aux  pauvres,  et  vous  ne  le  faites  pas  • 
(•nies  vous  n'avez  pas  la  foi ,  ou  vous  n'avez  point  d'esprit 
m  ne  prudence  chrétienne. 

Le  même  S.  Augustin  (Psal.  37.  paulo  ante  finem.)  ex- 
pli.pia.K  les  parole- du  Psalmiste.dit:  «  Cogitaho  pro  pec- 
ito  meo;  ou  ,  selon  une  autre  version  s  Curani  oeram 
«   pro  peccato  meo,  quid  est  curam  gerere  pro  peecalo  luo' 
■  si  nceres  curam  geram  pro  vulnere  meo,  quid  intellige- 
etar  nisi  dabo  operam  ut  sanetur ,  hoc  est  enim  curam 
«  gerere  pro  delieto  semper  niti,  semperintendere  ,  sem- 
-<  per  studiose  et  sedulo  agere  ut  sanes  peccatum.  Ecce  de 
"  die  in  <hem  plangis  peccatum  tuum  ,  sed  forte  lacrymte 
«  eurrunl  el  manus  cessant.  Fiant  eleemosyna: ,  et  redi- 
«  mantur  peccata  ;  gaudeat  indigens  de  dato  (uo,  ut  et  tu 
gaudeas  de  dato  Dei  ;  egel  ille ,  eges  et  tu  ;  tu  ne  con- 
•    lemnas  egenlem  tui  ,  Deus  non   te  contenue!  eçentem 
'   sui  ;  ergo  implelo  in  egenlis  inopiam  ,   ut  impleat  Deus 
«  tatenora  tua  ,  hoc  est  curam  geram  pro  peccato  meo, 
raciamomma  quœctiinquefaciendasunt  adabluendum  et 
«  sananjlum  peccatum  meum  :  »  Jememcttrai  en  peine  de 
■0"  peehé,  dit  le  Psalmiste  ,  sur  quoi  S.  Augustin  dit  : 
Ou  est-ce  vous  mettreen  peine  de  votre  péché  ?  Si  vousdi- 
Je  me  mettrai  en  peine  de  ma   blessure,  ce  serait 
i  Je  tâchera,  de  la  faire  guérir;  donc  se  mettreen 
peme  de  son  péché  ,  c'est  s'efforcer  sérieusement  et  tra- 
rà  bon  escient  pour  le  guérir.   Vous  avez  tous  les 
tde  votre  péché,  e'est  bien  fait  ;  mais  ce 
«  ,  vos  yeux  répandent  des   larmes  ,  et  vos 
'  "«   répandent  rien  ;  faites  des  aumônes   pour  ra- 

'  "»  rr *  i  'l"c  '« P«uvre  se  réjouisse  de  votre  libé- 

,  afin  que  ri  réjouissiea  de  la  libéralité  de 

U«U,le  pauvre  a  besoin  de  vous,  et  vous  avez  besoin 


?'16  ipERMON  CCXCVUI. 

de  Dieu  ;  ne  méprisez  pas  celui  qui  a  besoin  de  vous ,  et 
Dieu  ne  vous  méprisera  pas  ;  retirez  le  pauvre  de  son  indi- 
gence, et  Dieu  vous  remplira  de  sa  grâce. 

secujndum  punctum.  —  Excusationes  ,  etc. 

E.  —  (  Opéra  satisfactoria.  )  Platon  disait  que  trois 
sortes  de  personnes  ont  coutume  de  redouter  la  mort 
$tlàu[xoi  ,  fiioarôixxrot  ,  ftioxpYi!**'01  •*  Ceux  qui  aiment 
l'honneur  ,  ceux  qui  aiment  leur  corps,  ceux  qui  aiment 
l'argent  ;  nous  pouvons  ajouter  qu'ils  n'appréhendent  pas 
seulement  la  mort,  mais  la  mortification,  qui  est  une  petite 
espèce  de  mort  ;  ils  disent  ordinairement  :  Si  je  demeure 
longtemps  dans  l'église  pour  entendre  plusieurs  messes  ou 
pour  faire  de  longues  prières  ,  si  je  vais  après  le  Saint- 
Sacrement  quand  on  le  portt  aux  malades  ,  ou  si  je  fais 
d'autres  pénitences  publiques  contre  ma  coutume,  on  dira 
que  mon  confesseur  me  les  a  imposées  et  que  j'ai  commis 
de  grands  crimes  ,  ou  je  passerai  pour  un  bigot,  pour  un 
homme  qui  veut  faire  le  dévot  ;  si  je  jeûne  ou  si  je  fais 
d'autres  austérités,  j'affaiblirai  mon  corps,  j'intéresserai  ma 
santé ,  j'abrégerai  mes  jours;  si  je  fais  de  grandes  aumônes^ 
je  diminuerai  mes  rentes ;  j'appauvrirai  mes  enfants. 

F.  — (Refutantur,  —  1  °  Scriptura.)  Avez-vous  déjà 
oublié  ce  qu'on  vous  a  fait  voir  si  souvent,  que  tous  ceux 
que  l'Ecriture  sainte  raconte  avoir  obtenu  pardon  de  Dieu, 
comme  David,  Achab,  JManasscs,  les  Ninivites,  ont  fait  de 
grandes  pénitences  ;  de  David  ,  il  est  dit  qu'il  baignait  son 
lit  de  ses  larmes  toutes  les  nuits  ;  (1)  qu'il  détrempait  sa 
boisson  de  ses  pleurs,  (2)  qu'il  portait  le  cilice,  qu'il  se  le- 
vait à  minuit  pour  confesser  ses  péchés  devant  Dieu  :  In- 
duebar  cihcio  ;  (Psal.  34.  13.)  Media  nocte  surgeham 
ad  confuendum  libi;  (Psal.  118.  G2.)  d'Achab,  il  est  dit 
(  3.  Keg.  21 .  27.  )  qu'il  déchira  ses  vêtements,  endossa 
le  cilice ,  jeûna,  quitta  son  lit  mollet ,  marcha  tête  baissée  , 
toutroi  qu'il  était;  de  Manassèsilest  dit  (2.  Paralip.  33.  12.) 

(1)  Lavabo  per  singulas  nocles  lectum  m  eu  m  .  lacrymis  meis.  (Ps.  G7.) 
(3)  Poium  meumemn  flelu  mjscçbaiji.  (Fsal.  101.  10.) 


DBS  OEUVRES  SÀTJSFACTOIRRS  h  1  7 

qu'il  pria  Dieu  instamment  et  qu'il  fit  grande  pénitence  : 
Egit  pœnùentiam  vaille,  deprecattisque est  Dextm,  et 
êbsecravit eumintente ;desNinivites,  ilestdit(Jonae,  3.  G.) 
que  le  roi  dépouilla  ses  vêtements  royaux,  se  revêtit  d'un  sac, 
s^assil  sur  la  cendre,  et  tous  ceux  de  la  ville  tirent  de  même, 
depuis  le  plus  grand  jusqu'aux  plus  petits  ,  ils  jeûnèrent  si 
austèrement,  qu'ils  ne  buvaient  pas  même  un  peu  d'eau , 
gémissant  et  criant  miséricorde. 

Kl  après  cela  pourrez-vous  penser  que  les  pécheurs 
puissent  obtenir  pardon  sans  taire  pénitence  ?  pourrez-vous 
penser  que  ces  rois  aient  fait  pénitence  sans  quelque  déchet 
de  leur  honneur  ,  de  leur  santé  ,  de  leur  bien  temporel  ? 
Les  perfections  divines  ne  sont  pas  incompatibles  et  op- 
posées  l'une  à  L'autre.  Dieu  veut  exercer  sa  miséricorde 
rs  les  pécheurs  pénitents ,  mais  il  ne  veut  pas  blesser  la 
vérité  :  Misericordia  et  veritas  obviaverunt  sibi  i  uni- 
versœ  viœ  Domini  misericordia  et  veritas:  Toutes  les 
voies  du  Seigneur  sont  miséricorde  et  vérité,  dit  le  Psai- 
miste.  ;  Ps.  24.  10.  ) 

G-  —  (2°  Patribus.)  S.  Augustin  sur  ces  paroles  dit  : 
Ecce  enim  veritatem  dilexisti  ,  id  est  impunita  peccata 
corum  etiam  quibus  ignoscis  non  reliquîsli  ;  igrioscis 
ronlitenti,  ignoscis,  sed  se  ipsum  punienti;  ita  servatur 
misericordia  et  veritas  ,  misericordia  ,  quia  homo  libc- 
-<  ratur;  veritas,  quia  peccatum  punitur.  »  (  S.  Aug.  in 
Psal.  50.)  Le  Psalmiste  dit:  Mon  Dieu,  vous  aimez  la  vérité, 
c'est-à-dire,  dit  S.  Augustin,  vous  ne  laissez  point  impunis 
les  péchés  ,  pas  même  de  ceux  à  qui  vous  pardonnez  ; 
pardonnez  à  celui  qui  confesse  son  péché  ,  pourvu 
qu'il  se  punisse  lui-même,  et  ainsi  Dieu  exerce  sa  misé- 
ricorde el  sa  vérité  ;  la  miséricorde  est  exercée  en  ce  que 
l'homme  est  délivré,  et  la  vérité  en  ce  que  son  crime  n'est 
pas  impuni. 

M.  —  (3°  Pràxi  Ecclesiat,  )   Vous  avez  peine  de  re- 

des  péniti  i  :cs  qui  vous  humilient,  qui  affligent  votre 

chair,  ou  qui  diminuent  vos  moyens.  Qu'eussiez-vous  donc 

fut  ,    si  Vom^  PUSSÎei   été  du   temps   des  apôtres  et  de  leur* 


41  8  SiiRMON  CCXCV1I1. 

successeurs  ,  pendant  les  quatre  premiers  siècles ,  lorsque 
l'Eglise  était  en  sa  pureté,  même  selon  Calvin?  qu'eussiez- 
vous  dit ,  quand  ont  vous  eût  condamné  pour  une  simple 
fornication,  à  être  privé  de  la  communion  pendant  sept  ans, 
à  vous  tenir  à  la  porte  de  l'église  les  larmes  aux  yeux,  à 
vous  recommander  aux  prières  des  fidèles  pendant  deux 
ans,  et  les  autres  cinq  ans  à  faire  d^autres  pénitences?  celui 
qui  avait  fait  le  mal  avec  sa  bru  ou  avec  sa  belle-mère  était 
condamné  à  la  même  peine.  Qu'eussiez-vous  dit ,  quand 
ayant  manqué  de  payer  les  dîmes ,  on  vous  eût  condamné 
à  en  payer  quatre  fois  autant,  et  à  jeûner  vingt  jours  au  pain 
et  à  Teau  ?  Qu'eussiez -vous  dit ,  quand  on  vous  eût  con- 
damnévpour  avoir  dansé  en  un  jour  de  fête  ,  à  trois  ans  de 
pénitence  et  à  promettre  de  ne  le  plus  faire  ?  Qu'eussiez- 
vous  dit ,  quand  on  vous  eût  condamné  à  jeûner  quarante 
jours  au  pain  et  à  l'eau,  pour  avoir  manqué  déjeuner  aux 
quatre  temps  ,  et  à  jeûner  semblablement  au  pain  et  à  l'eau 
trois  jours,  pour  avoir  fait  quelque  œuvre  servile  un  jour  de 
fête  ,  et  quarante  jours  pour  vous  être  moqué  des  comman- 
dements de  votre  évêque  ou  de  votre  curé?(l) 

I.  —  (4°  Exemplis.  )  Si  vous  faites  des  prières  ou 
d'autres  bonnes  œuvres  extraordinaires ,  on  dira  que  c'est 
par  pénitence,  et  il  y  va  de  votre  honneur,  dites-vous?  Votre 
honneur  est-il  de  plus  grande  importance  que  celui  de 
Henri  II  ,  roi  d'Angleterre  ;  de  Thcodose ,  empereur  en 
orient;  de  Louis-le-Débonnaire,  empereur  en  occident;  de 
S.  Marcellin  ,  pape,  et  de  tant  d'autres  qui  on  fait  amende 
honorable  et  pénitence  publique  en  présence  de  leurs  sujets? 

Vous  craignez  d'offenser  Dieu,  en  offensant  votre  santé 
par  les  austérités  de  la  pénitence,  parce  que  nous  ne  sommes 
pas  maîtres  de  notre  vie;  et  à  ce  compte,  les  capucins,  les 
les  récollets  ,  les  carmes  déchauds,  les  ermites  de  S.  Au- 
gustin offenseraient  Dieu  d'incommoder  leur  santé  par  la 

(1)  S.  Basil.  Epit.  5.  ad  Ampliilochium.  canon.  59.  — Basil,  ibidem.1 
canon.  76.  et  79.  —  Bur.  lib.  19.  de  obi.  pœnit.  —  Romanum.  lit.  1 .  c.  8. 
—  Pcenil.  romanum.  tit.  7.  c.  1.  — Bur.  lib.  19.  Vide  de  bis  et  similibus 
acia  Itfcdiolan,  Ecclesjœ,  lib,  6,  cviisiiiuUouuUi  Synodaliu»»  »  sub  fiuem. 


Di:s  OF.UVIU      8  k  riBFÀCYOIRBS.  /|  i  1) 

nudité  des  pieds;  les  chartreux,  les  dominicains,  les  béné- 
dictins réformés ,  les  minimes ,  par  les  viandes  de  carême 
dont  ils  usenl  loute  l'année. 

A  et  compte,  S.  Sabin  ,  disciple  de  S.  Marcien,  offen- 
sait Dieu  quand  il  ne  vivait  que  de  farine  ,  qu'il  mettait 
tremper  dans  de  l'eau,  el  les  laissait  ainsi  mêlées  durant 
un  mois,  afln  qu'elle  sentissent  mauvais  el  eussent  un  goût 

de  moisi  ;  ce  sont  les  propres  termes  de  Thcodoret  ?  A  ce 

eompt,«,  le  divin  igape  offensait  Dieu,  quand  outre  ses  autres 
grandes  austérités,  il  portait  ordinairement  sur  lui  cinquante 
Ihres  de  fer,  et  S.  .Marcien  quatre-vingts? 

\  ous  craignez  d'appauvrir  vos  enfants  si  vous  faites  de 
grandes  aumônes  pour  racheter  vos  péchés,  vous  seriez 
donc  bien  éloigné  de  faire  comme  lYmporeur  Maurice.  Il 
avait  commis  un  péché  dWice  refusant  de  racheter  les 
soldats  chrétiens  qui  étaient  tombés  entre  les  mains  des' 
ennemis  ;  il  en  fut  après  si  repentant  qu'il  pria  Dieu  ins- 
tamment de  Pen  punir  en  sa  colère,  non  en  sa  fureur  ,  en 
cette  vie  temporelle,  non  aux  peines  éternelles,  et  il  écrivit 
aux  patriarches  et  aux  moines  de  Portent  de  faire  la  môme 
prière  pour  lui;  Dieu  l'exauça.    Un  de  ses  sujets  et  de  ses 
lavons  nommé  Phocas  (  Baron,  anno.  G02.  )  se  révolte 
contre  lui,  le  dépouille  de  tous  ses  états,  se  fait  empereur  , 
fait  égorger  sa  femme  et  ses  huit  enfants  en  sa  présence  et 
devant  ses  yeux  et  puis  le  fait  décapiter;   à  chaque  coup 
quon  donnait  à  ses  enfants  ce  saint  pénitent  humilié  et 
prosterné  à  terre  disait  avec  grande  ferveur  :  Jus  tus  es 
'■ne,  et  rectum  judicium  tuum  :  Mon  Dieu,  vous 
,  et  votre  jugement  est  équitable  ;  et  comme  la 
«I  un  de  ses  enfants  voulait  cacher  et  "sauver  ce 

'  Praice,  offrant  à  sa  place  son  propre  enfant  airelle 
effet  fétu  et  enjolifé  à  la  royale,  Maurice  ne  le 
Couvrit  le  fait,  disant  qu'U  le  fallait  ainsi 
pour  punition  d  bés. 

,L'  "~  ?  ttttponnon*,  etc.)  Vous  me  direz  :  LTEdîse 
Li^^^fonner  des  indulgences;  vous  dites  vrai  , 
?  est  un  article  de  foi ,  le  concile  de  Trente  Ta  déclaré 


420  SERMON   ccxcvm. 

(Sess.  25.  de  reform.  post  caput  21 .)  mais  comme  S.  Paul 
disait  (  2.  Cor.  10.  8.  —  13.  10.  )  que  le  pouvoir  qu'il 
avait  reçu  du  Fils  de  Dieu  était  pour  édifier ,  non  pour 
détruire  ,  ain^i  le  même  concile  au  même  lieu  dit  qu'elles 
ne  doivent  pas  énerver  la  discipline  ecclésiastique;  et  pour 
savoir  quelle  est  la  discipline  ecclésiastique  et  l'intention 
du  Fils  de  Dieu,  nous  devons  à  ce  sujet,  consulter  l'Ecri- 
fcure,  les  Pères  ,  le  sentiment  de  l'Eglise,  la  raison;  nous 
Ue  voyons  point  dans  aucune  part  de  l'Evangile  que  notre 
Sauveur  ait  promis  indulgence  à  aucun  pécheur  sans  faire 
pénitence,  au  contraire  il  dit  à  nous  tous ,  que  nous  péri- 
rons si  nous  n'avons  la  pénitence  ,  et  si  nous  ne  faisons 
pénitence  :  Nisi  pœnitentiam  babueritis^omnesperi- 
bitis  ;  visi  pœnitentiam  egeritis  ,  omnes  peribilis  / 
(  Luc.  13.  5.  )  par  son  Précurseur  il  nous  déclare  que  , 
pour  éviter  sa  colère  ,  il  faut  faire  des  fruits  dignes  de 
pénitence;  et  par  son  Apôlre  (  Act.  17.  30.  )  il  nous 
annonce  que  tous  doivent  faire  pénitence ,  parce  qu'il  doit 
juger  tout  le  monde;  car  si  un  homme  qui  aurait  eu  tous 
ses  plaisirs  en  ce  monde,  et  qui  aurait  mené  une  très  mau- 
vaise vie  jusqu'à  l'heure  de  la  mort,  allait  droit  en  paradis, 
pensant  avoir  gagné  une  indulgence  pour  avoir  dit  Jésus, 
Maria  à  l'article  de  la  mort,  où  serait  la  vérité  de  ces  pa- 
roles qui  sont  dans  l'Ecriture  sainte  :  Reddet  unicuique 
secundum  opéra  sua  :  Dieu  rendra  à  chacun  selon  ses  œu- 
vres? Tribulatio  et  anejustia  in  omnem  animant  hominis 
operantis  malum  :  Affliction  et  angoisse  à  toute  àme  de 
celui  qui  fait  le  mal  ;  notez  à  toute  ûme.  Au  jour  du  juge- 
ment chacun  remportera  selon  qu'il  se  sera  comporté  en  son 
corps,  soit  bien,  soit  mal;  ne  vous  trompez  pas  ,  l'homme 
moissonnera  ce  qu'il  aura  semé.  (  Psal.  61 .  12.  -  Malth, 
1 6.  27.  -  Rom.  2.6.  —  Apoc.  2.  23.  ) 

Les  Pères  anciens  nous  enseignent  que  l'indulgence  est 
une  grâce  que  l'Eglise  accorde  à  ceux  qui  travaillent  sérieu- 
sement et  sans  se  flatter,  pour  se  purifier  de  leurs  fautes  pas- 
sées, n'ayant  pas  assez  de  temps  ou  de  forces  corporelles 
pour  satisfaire  à  la  justice  divine,  dans  toute  jV-'emluc 


i     5  QRIM  RKS  SATISfACTOIRKS.  V?  I 

Ile  demande,  cl  d'une  manière  proportionnée  à  leurs 
i  ses. 

v  Cyprjen  avertit  les  martyrs  de  ne  point  demander  do 
grâce  et  d'indulgence  que  pour  ceux  qui  amont  déjà  accom- 
pli une  bonne  partie  de  leur  pénitence;  et  dans 'un  autre 
endroit  (De  lapsi,  sub  Gnem.)  il  dit  que  ces  indulgences 
ne  peuvent  servir  qu'à  ceux  qui  sonl  touchés  d'une  véritable 
douleur  de  leurs  fautes ,  qu'à  ceux  qui  travaillent  à  les  expier 
par  les  bonnes  œuvres,  qui  tâchent  par  leurs  prières  d'atli- 
rer  la  miséricorde  decelui  qu'ils  ont  irrité  parleurs  offenses. 
Pkenitenti,  operanti,  roganti  potest  Deiis  clémente? 
ignoscerej  potest  accepta  m  ferre  quidquid  protalibus 
ot  petierint  martyres  ,  et  fecerint  sa cer dotes. 

L'Eglise  d'à  présent  a  les  mêmes  sentiments,  car  an 
bulles  du  jubilé,   le  saint  Père  déclare  toujours  qu'il  n< 
donne  indulgence  qu'à  ceux  qui  sont  vraiment  contrits  c 
pénitents,  et  moyennant  une  salutaire  pénitence  que  le  con 
fesseur  leur  a  imposée  :  Fere  canfritis  et  pœnitentibus 
et  injuncta  salutari  pœnitentia, 
^  Ornons  ne  sommes  pas  vraiment  contrits  et  pénitents 
Si  nous  n'avons  une  vraie  volonté  ,  et  une  sincère  résolution 
de  satisfaire  à  la  justice  de  Dieu  par  de  bonnes  œuvres,  se- 
lon notre  pouvoir,  et  selon  les  règles  de  l'Evangile,  et  la 
pénitence  qu'on  nous  impose  n'est  pas  salutaire,  si  elle  ne 
tend  à  nous  rendre  la  santé  de  l'Ame  en  détruisant  les  mau- 
vaises inclinations  et  habitudes  au  péché,  par  des  actions 
et  mortifications  contraires.  Est-ce  une  pénitence  salutaire 
de  donnera  dire  cinq  ou  six  chapelets  à  un  homme  qui  est 
des  péchés  d'impureté,  au  lieu  de  l'obliger  à  jeu- 
'  macérer  sa  chair?  de  donner  les  sept  psaumes  à  un 
ivrogne,  au  lieu  de  le  condamner  à  éviter  les  cabarets  et 
rassemblées  de  débauches?  Si  nous  disons  que  ces 
pécheurs  el  a. Uns  semblables  avec  ces  légères  pénitences  se 
rendent  quittes  de  leurs  péchés,  quant  à  la  coulpc  et  quant 
a  la  peu,. ,  par  unc  indulgence  plénière ,  c'est  donner  sujet 
idèles  de  blâmer  l'Eglise  catholique,  et  dire  qu'elle 
'•  de  péchés,  et  qu'elle  donne  à 


422  SERMON  CCXCVIII 

tous  les  plus  grands  scélérats  un  passeport  pour  se  prosti- 
tuer hardiment  à  toute  sorte  de  crimes  :  liaut  redundan* 
tia  clementiœ  cœlestis  lihidinem  facial  humante  terne- 
ritatis  ,  dit  Tertullicn.  (lib.  de  pœnit.  cap.  7.) 

C'est  une  merveille  digne  d'une  réflexion  particulière  de 
voir  comment  le  Saint-Esprit  prend  en  affection  de  joindre 
et  associer  dans  le  Texte  sacré  la  miséricorde  et  la  vériu 
de  Dieu  ;  dans  le  seul  livre  des  psaumes ,  qui  n'est  pas  la 
douzième  partie  de  la  Bible ,  vous  trouvez  plus  de  vingt  ver- 
sets qui  marient  ensemble  ces  deux  attributs  divins  ;  c'est 
que  Dieu  exerçant  une  de  ses  perfections  ne  veut  pas  faire 
tort  aux  autres  :  il  veut  faire  miséricorde  au  pécheur  qui  se 
reconnaît,  mais  il  ne  veut  pas  démentir  sa  parole.  Il  dit 
d'un  homme  converti  :  Je  ne  retirerai  pas  de  lui  ma  miséri- 
corde ;  mais  il  ajoute  :  Je  ne  blesserai  pas  ma  vérité  :  Mi- 
sericordiam  meam  non  dispevgam  ah  eo  ,  neque  noceho 
in  veritate  mea  ;  misevicovdia  et  v évitas  obviavevunt 
sibi.  Or  il  a  dit  par  le  prophète  Job  qu'il  ne  laisse  aucun 
péché  impuni  ;  il  a  dit  par  son  Apôtre  :  (Rom.  2.  9.)  Tri- 
bulation  et  affliction  à  toute  àme  qui  fait  le  mal  ;  il  faut  donc, 
comme  dit  S.  Grégoire,  que  le  pécheur  pénitent  se  châtie, 
ou  que  Dieu  juste  et  véritable  le  punisse. 

CONCLUSIO. 

M.  —  (Bona  est ,  etc.  )  Ce  n'est  donc  pas  seulement  aux 
âmes  innocentes ,  comme  au  vénérable  Tobie  et  à  son  fils  , 
qu'il  faut  dire  ce  que  l'ange  S.  Raphaël  leur  disait:  Bona 
est  ovatio  cumjejunio  et  eleomosyna  ;  c'est  principale- 
ment aux  âmes  pénitentes  que  s'adressent  ces  paroles  :  L'o- 
raison ,  le  jeûne  et  l'aumône  sont  très  salutaires  aux  hom- 
mes et  très  agréables  à  Dieu  ;par  l'oraison  nous  satisfaisons 
pour  les  péchés  commis  contre  lui ,  par  le  jeûne  pour  les  pé- 
chés commis  contre  nous,  par  l'aumône  pour  les  péchés  com- 
mis contre  le  prochain. 

Par  l'oraison  nous  sacrifions  notre  àme  à  Dieu  ;  par  le 
jeune  et  autres  austérités  nous  lui  sacrifions  notre  corps  ; 
par  l'aumône  nous  lui  sacrifions  nos  biens  j  par  Poraisoa 


DBfl  08UVRB8  8ÀTISFÀCT0IRBS. 

;tons  au  diable;  par  le  jeûne  nous  mortifions  la 

!•  Paumônc  ,  nous  contrecarrons  le  monde. 

Par  rhumble  oraison  nous  abattons  l'orgueil  de  la  vie; 

I  ar  le  jeûne  ,  nous  réfrénons  la  concupiscence  de  la  chair; 

|  ar  Paumône  nous  nous  opposons  à  la  concupiscence  des 

Par  ces  trois  œuvres  satisfactoires  nous  nous  disposons  et 
nous  rendons  dignes  d'être  un  jour  reçus  à  la  me  el 
des  trois  adorables  personnes  de  la  très  sainte 
Trinité)  en  l'éternité  bienheureuse.  Amen* 


SERMON  CCXCIX. 


DE  L  AMOUR  DE  SAINTE  MADELEINE  ENVERS  JESUS- 
CHRIST. 


Dilerit  multum. 

Elle  a  beaucoup  aimé.  (Luc.  7.  47.) 

Quand  le  Fils  de  Dieu  dit  en  l'Evangile  qu'il  est  venu 
apporter  le  feu  sur  la  terre  et  qu'il  ne  désire  rien  tant  que 
de  le  voir  bien  allumé ,  il  est  assuré  qu'il  ne  l'entend  pas 
du  feu  élémentaire  et  matériel ,  mais  du  feu  spirituel  et  di- 
vin ,  du  feu  de  l'amour  de  Dieu.  Ce  feu  a  été  si  ardent  et  si 
enflammé  dans  le  cœur  de  Marie-Madeleine ,  qu'elle  a  com- 
mencé où  les  autres  Saints  finissent  ;  car  il  n'y  a  point  d'ame 
chrétienne  que  nous  ne  jugerions  très  parfaite  et  arrivée  au 
comble  de  toute  sainteté  ,  si  au  dernier  moment  de  sa  vie 
on  pouvait  dire  avec  vérité  :  Elle  a  beaucoup  aimé  ;  et  c'est 
ce  que  celui  qui  est  Ja  vérité  même  dit  de  Marie-Madeleine 
au  commencement  de  sa  conversion  ;  elle  a  beaucoup  aimé , 
elle  a  aimé  Dieu  de  tout  son  cœur,  de  toute  son  âme  ,  de 
toutes  ses  pensées,  de  toutes  ses  forces  ;  elle  a  aimé  souve- 
rainement ,  uniquement ,  ardemment ,  fortement.  C'est  ce 
que  j'ai  à  vous  faire  voir  aux  quatres  points  de  mon  discours. 

IDE  A  SERMONIS. 

Exordium.  À.  Laudes  amoris  Dei. 

Primum  punctum.  Amandus  Deus  ex  ioto  corde  : 
B.  VScriptura.  — -C.  TPatribus.—'D.Z0  Expli- 
catione.  —  E.  h°  Exemplo  Magdalenœ. 

Secundum  punctum.  Amandus  ex  tota  anima  :F.  1  °  Scrip- 
tura.—G.  2°  Patribus.—U.  3°  Ratione.—I.k°  Exem- 
plo Magdalenœ. 

Tertium  punctum.  Amandus  ex  tota  mente»  L,  1°  Exem~ 


sbrmois  cdxcix. — de  l'amour  ,  etc.         425 

plo  Magdalenœ.  —  M   2°  Scriptura*  —  N.  3e  Com- 

paraiione. 
Quartum  punctum.    dm  an  dus  ex  lotis  viribus,  quoà 

probatur  :  0.  1°  Ratiocinatione,  —  l\  2°  Compara* 

tione.  — Q.  3°  Exemplo  Magdalenœ, 
Coaclusio.  II.  Exhortatio ad  amorem  Det. 

EXORDll  M. 

A.  —  (Laudeâamoris  Dci.)  La  charité  est  entre  les 
vertus  chrétiennes  ce  que  le  feu  est  entre  les  éléments ,  ce 
que  l'or  est  entre  les  métaux,  ce  que  la  palme  est  entre  les 
arbres ,  ce  que  le  lion  est  entre  les  bêtes  ,  ce  que  l'homme 
est  entre  les  créatures  de  ce  monde,  ce  que  l'empyrée  est 
entre  les  globes  célestes,  ce  que  les  séraphins  sont  entre  les 
esprits  Angéliques;  S.  Irénée  l'appelle  fort  proprement: 
Emineniissimum  charisma  tu  m  ,  l'apogée  et  le  point  ver- 
tical de  la  perfection  chrétienne,  le  plus  éminent  et  pré- 
cieux don  du  Saint-Esprit  ;  il  le  conforme  en  cela  au  senti- 
ment de  l'apôtre,  qui  écrivant  aux  Corinthiens,  (1.  Cor. 
12.  31.)  après  avoir  dit  que  Dieu  a  choisi  quelques-uns 
dans  son  Eglise  pour  être  apôtres  ,  d'autres  pour  être  pro- 
phètes,  pour  être  docteurs,  d'autres  pour  faire  des  mira- 
cles, il  ajoute  :  Adhue  excellentiorem  viam  vohis  de- 
monsiro  ,  œmulamini  charismata  meliora  :  Je  veux  vous 
montrer  une  grâce  plus  excellente,  un  don  du  Saint-Esprit 
qui  est  plus  à  souhaiter  que  d'être  apôtre,  prophète;  et  cette 
giacc  ,  c'est  la  charité  dont  il  parle  immédiatement  après  ; 
00  peut  bien  être  apôtre  et  être  méchant  homme  ,  témoin 
Judas;  prophète,  témoin  Balaam  ;  docteur ,  témoin  Ter- 
tullien  et  Origène  ;  vierges  ,  témoin  lescinq  folles  ;  faire  des 
miracles,  témoin  ceux  qui  diront:  Nonne  in  nomine  iuo 
mu/tas  virtutes  fecimus ?  mais  on  ne  saurait  aimer  Dieu 
i  charité  ,  sans  être  bon,  parfait,  saint,  agréable 
àDi(  i.  Sur  quoi  on  peut  agiter  une  belle  question,  et  de- 
mander «fou  vient  qu'il  n'y  a  que  l'amour  qui  nous  rende 
bons  ou  mauvais  ?  d'où  \ieiil  que  la  seule  volonté  se  perfec- 
tionne ou  se  souille  par  le  commerce  du  bien  et  du  mal  ? 


426  SERMON  CCXCIX. 

pourquoi  l'entendement  n'cmprunte-t-il  de  son  objet,  ni  la 
bonté  ,  ni  la  malice?  encore  que  nous  connaissions  le  bien  , 
nous  ne  sommes  pas  bons ,  si  nous  ne  Faimons  pas  ;  Satan 
connaît  beaucoup  de  bien  ,  et  ne  laisse  pas  d'être  très  mau- 
vais. Quoique  nous  connaissions  le  mal,  si  nous  ne  l'aimons 
pas ,  nous  ne  sommes  pas  mauvais.  Dieu  connaît  nos  pé- 
chés et  tous  les  maux  qui  se  font  au  monde ,  et  ne  laisse 
pas  d'être  bon  ,  d'être  la  bonté  infinie.  N'est-ce  point  que 
l'objet  de  la  volonté,c'est  le  bien;  et  quand  elle  s'affectionne 
au  mal ,  elle  dément  son  inclination  ,  dégénère  de  sa  nature, 
trahit  son  devoir.  L'objet  de  l'entendement  n'est  ni  le  bien 
en  tant  que  bien ,  ni  le  mal  en  tant  que  mal  ;  mais  c'est  le 
vrai  et  le  faux  ,  et  il  lui  est  indifférent  que  son  objet  soit  bon 
ou  mauvais ,  pourvu  qu'il  le  connaisse  tel  qu'il  est ,  qu'il 
connaisse  que  les  choses  sont  bonnes  quand  elles  le  sont,  et 
qu'il  les  connaisse  mauvaises  quand  elles  sont  mauvaises. 

Ou  n'est-ce  point  parce  que  le  propre  de  la  volonté  est 
de  se  porter  à  son  objet,  de  se  transformer  en  ce  qu'elle 
aime  ,  de  prendre  les  livrées  et  la  teinture  de  ce  qu'elle  af- 
fectionne ?  Anima  plus  est  ubi  amat,  quam  ubi  animât; 
d'où  il  arrive  que  si  elle  aime  le  bien  ,  elle  est  bonne  ,  si  elle 
aime  le  mal ,  elle  est  mauvaise  :  Terram  diligis  ,  terra  es] 
Deum  diligis  ,  audeo  dicere  Deus  es.  L'entendement  au 
contraire  apporte  son  objet  dans  soi,  se  l'approprie,  le  forme 
à  sa  façon  ,  le  purifie  ,  le  spiritualise ,  lui  donne  sa  trempe, 
sans  rien  emprunter  de  lui.  Ou  en  troisième  lieu  ,  n'est-ce 
point  parce  que  la  volonté  est  une  puissance  libre,  maîtresse 
de  ses  actions  qui  peut  agir  ou  ne  pas  agir ,  aimer  ou 
abhorrer ,  choisir  le  bien  ou  le  mal ,  comme  il  lui  plaît ,  et 
qu'il  n'y  a  point  de  mérite,  ni  de  démérite  ,  sinon  en  ce  qui 
est  en  la  puissance  de  noire  élection  et  au  choix  de  notre 
franc  arbitre.  Mais  quoi  qu'il  en  soit  de  cette  question,  nous 
levons  ici  admirer  la  douceur  et  la  suavité  de  la  providence 
de  Dieu  qui  a  mis  notre  félicité  et  tout  notre  bonheur  dans 
une  chose,  si  facile,  si  douce,  si  conforme  à  notre  naturel  ; 
non  à  posséder  et  distribuer  de  grandes  riebesses ,  les  pau- 
vres en  seraient  privés ,  non  à  pénétrer  des  vérités  subli- 


M  i.'amiu  u  ni'  UAOBLEINB.  4"2  7 

mes ,  les  idiots  n'y  pourraienl  atteindre  ;  non  à  pratiquer 
des  actions  héroïques  et  difficiles,  les  malades  en  seraient 
dépourvus;  mais  à  avoir  de  l'amour ,  c'est-à-dire  de  la 
bonne  volonté  pour  Dieu  ,  ce  que  tout  le  monde  peut  faire 
avec  ?a  grâce.  Il  n'est  rien  de  pins  naturel  à  l'homme  que 
<l  »«ner,  rien  qui  coûte  moins,  rien  qui  se  fasse  pins  aisé- 
ment ,  les  vrais  objets  de  l'amour  sont  la  bonté  et  la  beauté' 
eesonl  les  deux  plus  puissants  charmes  du  cœur  humain 
i  heu  est  une  honte  infinie ,  et  l'abîme  de  toutes  les  beautés 
e   Montes  concevables  ;  il  n'est  donc  rien  de  pins  doux  à 
iionme    de  plus  conforme  à  son  naturel,  que  d'aimer 
Uicu.  Adnnrez  donc  la  douce  conduite  et  la  sagesse  de  Dieu 
d avoir fait  que  le  vrai  purgatoire  de  nos  péchés  est  le  com- 
ble de  la  perfection  consistent  dans  une  action  si  délicieuse: 
Uduheet  atnœnum  purgatoriutn  amor  Dci!  Oli  '  le 
doux  et  agréable  purgatoire  que  l'amour  de  Dieu  ,  -X-\  Cas- 
siodore.  «  Ahsolvi  vis,  ama.  Charitas  operit  mullitudincm 
«  peccatorum  ;  ama  ergo  Deum ,  o  homo  !  et  ama  lotus  ut 
possis  omnia  vincerc  sine  labore  peccata.  Tenerœ  milita 
-'  el  dehcaticonllictuscsl,  amoresolodccunctiscriminibus 
«  reportant  vietonam ,  regnum  cœlorum  amanti  promitti- 
"  I"'  ;ama  ergo  et  régna  ;  quia  facilius  quam  amare  !  nuid 
«  glonosius  quam  regnare  !  »  dit  S.  Pierre  ChrysologÛe  : 
Voulez-vous  être  absous,  aimez;   la  cl.a- 
«M  rouvre  le  grand  nombre  des  péchés  ;  aimez  Dieu  ,  ô 
homme  !  mais  aimez-le  parfaitement,  si  vous  voulez  vaincre 
toos  vos  péchés  sans  travail.  Jamais  on  ne  vit  guerre  plus 
don,,-,  combat  plus  délicieux,  que  de  gagnée  tout  par 
amour.  Le  royaume  des  cieus  est  promis  a  ecuxqui  aiment 
Uieu^iimes-ledonc  pour  régner  dans  le  ciel. 

IIomI  rien  de  si  facile  que  d'aimer,  rien  de  si  glorieux 

S"*  'ainsi  que  notre  sainte  pénitente  a  pu- 

étons  ses  crimes,  c'esl  ainsi  qu'elle  a  combattu ,  c'est 

toos.  quelle  a  vaincu  et  triomphé;  elle  a  pratiqué  au* pieds 

■Mdu^çur,  actes  de  vertu,  comme  nous  l'avons  vu; 
maiN  "  °««™ne  propremenl  le  pardon  de  ses  péchés  qu'à 
son  amour  :  RmtMa  luM  eijftccata  mull  ' 


428  SERMON  CCXCIX. 

dllexit  muïlum;  il  sonde  les  cœurs ,  il  connaît  les  choses 
telles  qu'elles  sont;  il  ne  Halte  personne,  il  loue  chacun 
selon  ses  mérites,  il  loue  Madeleine  de  son  amour  et  d'un 
grand  amour ,  lui  qui  est  si  grand  ;  cet  amour  donc  était 
1res  grand,  très  accompli,  assorti  de  toutes  les  conditions 
nécessaires  à  un  parfait  amour;  personne  ne  connaît  mieux 
les  propriétés  du  vrai  amour  que  le  Fils  de  Dieu  notre  Sau- 
veur ,  qui  est  l'amour  du  ciel  et  de  la  terre ,  il  nous  les  a 
déclarées  en  divers  endroits  de  l'Evangile,  et  presque  tou- 
jours en  mêmes  termes  :  Tu  aimeras  ton  Dieu  de  tout  ton 
cœur,  de  toute  ton  âme  ,  de  toutes  tes  pensées,  de  toutes 
les  forces,  Plusieurs  se  confessent  d'y  avoir  manqué  ,  et  ne 
savent  ce  qu'ils  disent.  Apprenez  donc  comme  il  faut  l'en- 
tendre ,  et  vous  verrez  que  sainte  Madeleine  l'a  très  bien 
fraliqué.  Nous  devons  aimer  Dieu  de  tout  noire  cœur 
c'est-à-dire  souverainement  :  de  toute  notre  âme  ,  c'est-à- 
dire  uniquement  ;  de  toutes  nos  pensées ,  c'est-à-dire  ar- 
demment ;  de  toutes  nos  forces ,  c'est-à-dire  puissamment, 

PRI31UM  punctum.  —  Amandus  Deus  ,  etc. 

B.  —  (1°  Seriptura.)  S.  Paul  (Rom.  8.  35.)  explique 
en  peu  de  paroles  les  dispositions  des  àmes  qui  aiment  Dieu 
souverainement ,  et  qui  aimeraient  mieux  tout  perdre  que 
d'être  privées  de  sa  grâce.  Qui  est-ce  qui  nous  séparera  de 
l'amour  de  Dieu  ?  ce  ne  sera  ni  la  tribulation ,  ni  la  dé- 
tresse d'esprit,  ni  la  faim ,  ni  le  dépouillement  de  nos  biens, 
ni  les  dangers  ,  ni  la  persécution  ,  ni  la  mort  même. 

Le  Fils  de  Dieu  dit  en  l'Evangile  que  personne  ne  peut 
servir  deux  maîtres. 

C'est  vouloir  servir  deux  maîtres ,  c'est  vouloir  placer 
l'idole  de  Dagon  auprès  de  l'arche ,  non-seulement  de  pré- 
férer l'amour  de  la  créature  à  celui  du  Créateur ,  mais  de 
les  égaler  ou  comparer  ensemble. 

C.  —  (2°  Patribus.)  Ecoutez  le  sentiment  d'un  saint 
de  notre  siècle  dont  les  œuvres  sont  entre  les  mains  de 
toutes  les  âmes  dévotes,  c'est  le  bienheureux  S.  François 
de  Saks  :  ses  paroles  sont  un  peu  longues,  mais  je  ne  craiM 


DJ    l'aBIOUR  DE  MADELI  ;  - 

drai  point  de  les  rapporter  ici ,  parce  qu'elles  contiennent 
en  abrège*  tout  ce  que  je  vous  dois  dire  sur  le  premier  point. 
\  ayant,  dit-il,  (liv.  10,  de  l'Amour  de  Dieu ,  ebap.  G.) 
tant  de  divers  degrés  d'amour  entre  les  vrais  amants,  il 
n'\  a  néanmoins  qu'un  seul  commandement  d'amour  qui 
oblige  généralement  et  également  chacun  d'une  tonte  pa- 
reille  et  égale  obligation,  quoiqu'il  soit  observé  différem- 
ment et  avec  une  infinie  variété  de  perfections.  Ç1a  été'  nn 

de  la  providence  du  Saint-Esprit,  qu'en  notre  version 
ordinaire  que  sa  divine  majesté  a  canonisée  et  sanctifiée  par 
Ir  concile  de  Trente,  le  céleste  commandement  d'aimer  est 
exprimé  par  le  mot  île  dilection,  plutôt  que  par  celui  d'ai- 
mer; car  bien  nue  la  dilection  soit  un  amour,  toutefois 
ist-il  qu'elle  n'est  pas  un  simple  amour,  mais  un  amour 
accompagné  de  choix  et  de  dilection,  ainsi  que  la  parole 
même  le  porte  ,  comme  le  marque  le  très  glorieux  S.  Tho- 
immandement  nous  enjoint  un  amour  élu  entre 
mille,  comme  le  bien— aimé  de  cet  amour  est  exquis  entre 
mille,  ainsi  que  la  bien-aimée  Sunamite  Ta  remarqué  dans 
le  cantique.  C'est  L'amour  qui  doit  prévaloir  sur  tous  nos 
amouis  et  régner  sur  toutes  nos  passions,  et  c'est  ce  que 
Dieu  demande  de  nous ,  qu'entre  tous  nos  amours  le  sien 
soît  le  plus  cordial ,  dominant  sur  tout  notre  cœur;  le  plus 
affectionné,  occupant  toute  notre  aine;  le  plus  général , 
employant  toutes  nos  puissances;  le  plus  relevé,  remplissant 
tout  notre  esprit  ;  et  le  plus  ferme  ,  exerçant  toute  notre 
force  el  vigueur;  et  parce  que  par  celui-ci  nous  choisissons 
et  élisons  l)i<'u  pour  le  souverain  objet  de  notre  esprit,  c'est 
un  amour  de  souveraine  élection  ,  ou  une  élection  de  sou- 

a  amour.  L'amour  est  comme  l'honneur,  car  tout  ainsi 
que  les  honneurs  se  diversifient  selon  la  variété  des  excel- 

s  pour  lesquelles  on  honore,  aussi  les  amours  sont 

■ut  s  selon  la  diversité  des  bontés  pour  lesquelles  ou 
lime.  Le  souverain  honneur  appartient  à  La  souveraine  cx- 
eellence,  el  le  souverain  amour  à  la  souveraine  bonté.  L'a* 
nioiii  de  Dieu  est  l'amour  sans  pair  ,  parce  que  la  bonté  de 
Dieu  est  la  bonté  nompareille.  Ecoute,  Israël,  ton  Dieu, 


430  SFIiMON    CCXCIX. 

il  est  seul  Seigneur,  et  partant  lu  l'aimeras  de  tout  Ion 
eœur  ,  de  toute  ton  ame ,  de  tout  ton  entendement  et  de 
toute  la  force,  parce  que  Dieu  est  seul  Seigneur,  et  que  sa 
bonté  est  infiniment  éminenle,  au-dessus  de  toute  bonté. 
Il  faut  l'aimer  d'un  amour  relevé  ,  excellent  et  puissant , 
au-dessus  de  toute  comparaison.  C'est  cette  suprême  direc- 
tion qui  met  Dieu  en  telle  estime  dans  nos  âmes ,  et  qui  fait 
que  nous  prisons  si  hautement  le  bien  de  lui  être  agréables, 
<uie  nous  le  préférons  à  tout  et  l'affectionnons  sur  toute  chose. 

D.  —  (3*  Explicatione.)  Ce  saint  suppose  qu'il  y  a 
deux  sortes  d'amours  :  un  amour  sensible,  un  amour  ap- 
préciatif -7  Dieu  ne  nous  oblige  pas  au  premier  sous  peine  de 
damnation ,  mais  au  second.  Un  père  de  famille  a  deux  fils, 
l'un  est  un  enfant  à  la  mamelle,  l'autre  est  un  avocat  qui  se 
fait  admirer  dans  le  barreau  ;  il  prend  souvent  le  petit  sur 
ses  genoux,  le  baise,  le  caresse,  bégaie  avec  lui;  il  voit 
fort  peu  son  aîné  qui  ne  aemeure  pas  avec  lui ,  mais  il  lui 
a  donné  beaucoup  de  bien  en  préciput  ;  il  serait  bien  plus 
triste  de  le  voir  mourir  que  le  cadet  ;  il  aime  plus  le  petit 
d'un  amour  sensible ,  mais  l'ainé  d'un  amour  appréciatif. 
Vous  pensez  plus  souvent  à  votre  enfant ,  à  vos  biens,  à 
vos  affaires  qu'au  bon  Dieu  ;  mais  vous  aimeriez  mieux  mourir 
que  de  transgresser  un  seul  de  ses  commandements  ;  vous 
laissez  mourir  votre  enfant  plutôt  que  de  le  guérir  par  un 
remède  superstitieux  ;  vous  perdez  votre  procès,  où  il  y  va 
de  votre  bien  ,  plutôt  que  de  vous  parjurer  ;  vous  encourez 
la  disgrâce  d'un  grand ,  plutôt  que  de  faire  une  antidate  à  sa 
prière  ;  vous  aimez  plus  la  créature  d'un  amour  de  sensibi- 
lité, de  tendresse  ,  d'empressement;  mais  vous  aimez  plus 
le  Créateur  d'un  amour  d  estime,  de  préférence,  de  bien- 
veillance ;  vous  l'aimez  de  tout  votre  cœur ,  vous  l'aimez  sur 
toute  chose. 

E.  —  (4°  Evemplo  Magdalenœ.)  Sainte  Madeleine 
faisait  bien  davantage  ;  elle  méprisait  tout  ce  qu'elle  avait  de 
plus  cher  au  monde  pour  obéir  non-seulement  au  comman- 
dement de  Dieu  ,  mais  à  son  inspiration.  Ce  que  les  femmes 
fa  sa  condition  aiment  avec  le  plus  d'attachement ,  c'est  la 


Dfi  L*AlfOUR  de  IfADfiLElNB  431 

vanité  el  la  gloire  du  monde  ;  voilà  d'un  côte*  la  vocation 
8e  Dieu  qui  fui  inspire  de  faire  un  acte  extraordinaire  d'hu- 
milité très  héroïque  ,  d'aller  se  prosterner  aux  pieds  de  Jé- 
tf autre  part,  son  amour— propre  lVu  détournait,  et 
lui  disait  :  Y  quoi  pensez-vous?  nous  ,  une  demoiselle  si 
noble,  si  bien  alliée,  qui  avei  été  tant  courtisée,  aller  comme 
cela  par  la  rue  en  plein  jour,  portant  une  doite  d'onguent 
Comme  un  apothicaire,  VOUS  jeter  aux  pieds  d'un  homme, 
pleurer  comme  un  enfant  au  milieu  d'un  banquet,  chez  un 

pharisien  moqueur,  en  présence  d'une  si  bonne  compagnie! 
si  vous  le  Ciites  ,  adieu  votre  honneur  ,  adieu  votre  réputa- 
tion ,  qu'en  dira-t-on  ?  qu'en  pensera- t-on  ?  on  se  mo- 
quera de  vous,  on  vous  montrera  au  doigt,  on  vous  appellera 
la  folle,  les  enfants  courront  après  vous. 

•BCUNDUM  PURCTUM. —  A  mandas  ,  etc. 

F.  —  (1°  Scriptura.  )  Elle  ferme  les  yeux  à  toute] 
ces  considi  rations,  méprise  ces  respects  humains,  foule  au\ 

son  honneur,  qui  nous  e^t  plus  cher  que  la  vie;  elle 
aime  Dieu  de  tout  SOU  cœur,  souverainement,  plus  que 
toute  chose.  Dieu  ne  se  contente  pasde  cela  pour  nous  rendre 
parfaits,  il  demande  bien  davantage ,  il  veut  que  nous  l'ai- 
mions, non-seulement  de  tout  notre  cœur,  souverainement, 
SUT  toute  chose  ,  mais  de  toute  notre  âme  ,  de  toutes  ses 
|  inces  et  facultés  intérieures  ,  uniquement  :  Omnia 
guœ  intra  me  saut  nomini  sanctu  ejus.  Le  Psalmiste 
éditation  :  .Mon  âme ,  bénissez  le  Seigneur  , 
i  vos  puissances  bénissent  son  saint  nom;  et  le 

divin  Epoux  dit  ces  paroles  en  parlant  à  sa  Bien-aimée  : 
Heltei-moi  comme  un  sceau  sur  votre  cœur  :  Pane  me  ai 
r  cor  taam  ;  il  ne  veut  pas  seulement 
être  eu  votre  cœur  ,  y  être  maître,  y  porter  le  sceptre,  en 

qu'il  n'y  ait  rien  de  plus  haut  que  lui  ;    mais  il  n'y 

Veut  point  avoir  de  compagnon,  ni  de  compétiteur;  il  veut 

|  mue  un  cachet  qui  le  scelle  ,  le  tienne  clos ,  en 

i  n'y  entre  que  lui.  Votre  cœur  est  comme 

un  ni  :  ,  il  ne  i>e  peut  bien  ajustera  quoi  que  ce 


432  SERMON  ccxcix. 

soit ,  qu'à  celui  pour  qui  il  est  fait.  Fortis  ut  mors  âe~ 
lectio;  l'amour  est  comme  la  mort ,  la  mort  nous  fait  faire 
divorce  avec  le  monde,  avec  nos  parents,  amis,  compagnies, 
elle  détache  même  l'àme  de  son  corps  ;  le  vrai  amour  fait 
que  nous  n'avons  de  commerce  d'affection  déréglée  à  qui  que 
ce  soit,  nous  sépare  môme  de  notre  corps  et  du  soin  su- 
perflu de  le  bien  traiter  :  Dura  sicul  infernus  emulatio. 
L'amour  que  Jésus  nous  porte  est  un  amour  de  jaloux,  il 
ne  peut  pas  souffrir  de  rival  ,  nous  lui  faisons  une  injure 
notable  quand  nous  aimons  autre  chose,  nous  témoignons  en 
cela  qu'il  n'estpascapable  de  nous  remplir  eldenous  rassasier. 

G.  —  (  2°  Patribus.  )  Trop  est  avare  à  qui  Dieu  ne 
suffît  pas,  disait  sainte  Thérèse;  et  S.  Cyprien  :  Sufjiciens 
ijise  Deo,  sufficiat  tibi  Deus  :  Dieu  se  contente  de  vous, 
ne  vous  contenterez-vous  pas  de  lui  ?  il  n'aime  pas  vos 
richesses,  honneurs,  santé,  service;  il  ne  laisse  pas  de  vous 
aimer  quand  vous  êtes  pauvre,  dégradé  ,  malade,  paralyti- 
que; il  n'aime  que  vous  et  votre  amour  ,  pourquoi  aimerez- 
yous  autre  chose  que  lui  ? 

Minus  te  amat,  Domine  Jesu,  qui prœter  te  aliquid 
amat,  quodpropterte  nonamat,  dit  S.  Bernard  :  Celui-là 
ne  vous  aime  pas  assez  qui  aime  quelque  chose  hors  de 
vous  ,  s'il  ne  l'aime  pour  l'amour  de  vous  ?  Oui  ,  il  est 
permis  d'aimer  aut^re  chose  que  Dieu,  mais  en  Dieu,  pour 
l'amour  de  Dieu;  notre  amour  envers  la  créature  doit  se 
référer  à  Dieu  comme  tous  les  fleuves  vont  à  la  mer ,  ce 
doit  être  un  reflux  de  notre  amour  envers  Dieu.  Aimer  les 
créatures  insensibles  ,  parce  que  ce  sont  les  vestiges  et  les 
œuvres  de  Dieu  ;  les  raisonnables,  parce  que  ce  sont  ses 
images  ;  les  chrétiens,  parce  que  ce  sont  les  membres  de 
son  Fils  ;  les  gens  de  bien,  parce  que  ce  sont  ses  favoris  : 
les  méchants  pour  les  faire  ses  amis.  Si  nous  aimons  quel- 
qu'un par  autre  motif  et  pour  autre  fin,  nous  faisons  tort  à 
Dieu,  nous  ne  l'aimons  pas  assez  :  Minus  teamat.  Votre 
cœur  est  une  couchette  ,  non  un  grand  lit,  il  ne  peut  rece- 
voir d'autre  que  Jésus,  sans  qu'ils  se  fassent  tort  l'un  à 
Pan  Ire  :  Lectithfs  noster  floridus  ,  artqusfum  est  stra~* 
furri)  s\  duo  \uerint  ibl*   nÇçççsê  es(  ut  aller  (hcid't , 


DR   l.\,l<)(  R  i>K  HADBtEINB  (  3  > 

;  ::f;:;;;;„  ;,?", »«■**« .,,„«./:,;. ,: t  : 

uons,  <  trouble  de  passions  ;  remarquez  que  l,attoclu>m«.» 

;  ; ,  r:sri:o;',,an,|iu'm,',,,s'  "*«.  »»pa«i«., Et 

Afin  que  cou.  parole  ,1c  S.  Bernard  :  Ouod  vrovur  , 
pr suspect  cl  dangereux  ,  vous  devez  vous  en  défier     A 

« I"»-' îîis^Srrtfsr 

i 


iS4  SERMON  CCXCIX. 

le  salut  des  hommes  ,  et  pendant  les  trois  jours  précédents 
les  anges  ont  partagé  leur  demeure,  les  uns  demeurant  au 
ciel  pour  y  adorer  le  Dieu  vivant ,  les  autres  demeurant  au 
sépulcre  pour  y  adorer  et  accompagner  le  Dieu  mort.  Les 
apôtres  s'étant  retirés ,  Madeleine  est  resiée  seule  en  ce 
saint  lieu;  les  anges  viennent  aussitôt  et  lui  apparaissent , 
d'où  il  parait  qu'ils  viennent  non  pour  les  apôtres,  car  ils 
se  sont  retirés,  mais  seulement  pour  Madeleine;  car  elle  est 
demeurée  seule  ;  et  toutefois  elle  est  si  peu  civile  envers  les 
citoyens  du  ciel ,  si  peu  courtoise  avec  les  anges  qui  la 
visitent,  que  les  voyant  elle  ne  les  regarde  pas,  ne  les  en- 
tretient pas,  ne  leur  parle  pas,  ne  pense  point  à  eux.  Tant 
d'objets  de  la  terre  nous  touchent ,  nous  ravissent ,  nous 
transportent  si  aisément  hors  de  notre  devoir,  et  ces 
objets  du  ciel  ne  lui  semblent  pas  dignes  d'arrêter  sa  pensée; 
la  beauté ,  la  splendeur  ,  la  clarté  de  ces  anges  descendant 
du  ciel,  et  descendant  pour  elle  seule,  n'est  pas  capable  de 
toucher  son  cœur,  d'essuyer  tant  soit  peu  ses  larmes,  d'ar- 
rêter tant  soit  peu  son  esprit ,  de  la  contenter  par  leur 
aspect  et  le  soin  qu'ils  ont  de  son  âme.  Les  anges  voyant 
qu'elle  ne  leur  parle  point ,  se  résolvent  à  lui  parler  et  à 
rompre  son  silence:  Mulier,  cpnd  ploras? 'Femme,  pour- 
quoi pleurez-vous?  Elle  leur  coupe  court  et  répond  :  Quia 
tulerunt  Dominum  memn  ,  et  nescio  uhi  posuerunt 
eum  :  On  a  enlevé  mon  Seigneur,  et  je  ne  sais  où  on  l'a  mis. 
Elle  cherche  une  personne,  en  voilà  deux  ;  elle  cherche 
une  personne  morte ,  en  voilà  deux  vivantes  ;  elle  cherche 
un  corps  voilà  deux  esprits ,  que  demande-t-elle  de  plus  ? 
c'est  qu'elle  aime  Jésus  purement  et  uniquement  ;  elle  ne 
cherche  pas  les  anges  de  Dieu ,  les  séraphins  qui  brûlent 
d'amour,  les  créatures,  quelles  qu'elles  soient;  elle  veut  le 
Dieu  des  anges,  l'objet  de  son  amour  séraphique,  le  Créa- 
teur. Ainsi,  quand  cet  homme  que  vous  aimez  et  qui  vous 
semble  si  dévot,  si  spirituel,  si  saint,  serait  un  ange,  un 
ange  descendu  du  ciel,  ne  le  fréquentez  pas,  ne  lui  parlez 
pas  seule  à  seul,  ne  vous  y  arrêtez  pas,  défiez-vous  de  vous-, 
c'est  un  ange  incarné,  dites-vous,  vous  dites  bien,  il  esr 


DB  L AMOUR  Dti  MADBLB1NB.  435 

/'//  carne,  et  vous  aussi  ;  faites  comme  Madeleine  :  HmC 
eu  m  dùrisset ,  conversa  est  relrorsum,  et  vidiï  Jeeumf 
voilé  nue  bonne  suite  ,  le  fruit  de  sa  mortification  ,  l'effet 

retenue  ;  elle  ne  dit  précisément  que  ces  trois  .petites 
paroles  aux  anges,  et  puis  se  retourne,   et  en  récompense 

qu'elle  ne  s'amuse  pas  aux  créatures  elle  voit  le  Créa- 
teur; ainsi  si  en  vos  désolations,  en  vos  inquiétudes  et  sè- 
eheresses,  vous  vous  privez  de  consulter  les  hommes,  vous 
fousdétournei  de  la  vue  et  de  la  fréquentation  de  cet  homme 
qui  vous  semble  si  angélique  ,  pour  converser  avec  Dieu 
en  votre  petit  oratoire,  vous  le  trouverez  mieux,  et  il  vous 
en  apprendra  plus  en  une  heure  d'oraison ,  que  tous  les 
pères  spirituels  en  dix  jours. 

TBRTIUH  pinctim.  — slmandus,  etc. 

L.  — (  1  /  •  c  mplo  Maadaïenœ.)  Conversa  est  retror- 
sum,  cl  vidii  Je&um,  Elle  voit  Jésus,  mais  elle  ne  le  eon- 
pasj  il  se  déguise  pour  exercer  et  éprouver  son  amour; 
elle  lui- dit  :  Domine,  si  tu  sustulisti  eum  :  Monsieur  , 
si  tous  l'avez  enlevé  ,  dites-le  moi,  et  je  remporterai;  elle 
pense  que  c'est  un  jardinier,  et  elle  rappelle  Seigneur;  c'est 
que  >on  amour  la  transporte  et  la  met  comme  hors  d'elle— 
même  :  Si  tu  sustulisti  eum..,  qui  eum?  elle  n'a  encore 
parlé  de  personne,  on  ne  lui  a  point  parlé  de  son  bien-aimd, 
et  sans  le  nommer  elle  dit  :  Si  vous  l'avez  emporté;  c'est 
qu'elle  est  toute  absorbée  en  l'objet  de  son  amour  ,  elle 
ne  pense  à  autre  chose,  elle  croit  que  chacun  lui  ressemble, 
que  tous  L<  -  autres  ne  pensent  comme  elle  qu'à  son  hien- 
aimé  ,  somme  L'épouse  s'écriait  :  Osculetur  nie  osculo  , 
,  ii,  ni  a  qui  elle  parle. 

M. — [2?  Scriptural)  Cest  la  troisième  propriété  de 
i  m  :  Ex  t  lu  mente y  de  toute  la  pensée,  tervemment: 
Igniê  in  aîtarimeo  semperar débit.  Dieu  voulait  (pic  sur 
son  autel  le  feu  fût  continuellement  allumé  :  Cum  sursuni 
<  /  illum,  ejuê  est  altare  cor  nostrumf  notre  cour 
D  autel,  quand  il  esl  élevé  à  lui  il  désire  que  la  flamme 
de  sou  amour  y  soit  continuellement  ou  presque  toujours 


430  SERMON  CC.XCIX. 

ardente  ,  et  que  nous  l'entretenions  par  la  méditation  de  se^ 
divines  perfections ,  et  des  bienfaits  inestimables  que  nous 
nvons  reçus  de  lui. 

Ne  me  dites  pas  que  cela  est  impossible ,  oui ,  d'y  pen  - 
ser  incessamment ,  sans  pause  et  interruption  ,  la  fragilité 
de  notre  nature  corrompue  ,  Tinconstance  de  notre  imagi- 
nation qui  est  volage  ,  l'embarras  des  diverses  occupations 
ne  le  permettent  pas  pendant  cette  vie  ;  mais  rien  ne  nous 
peut  empêcher  d'y  penser  souvent ,  d'aspirer  à  lui  de  lemps 
en  temps  ,  nous  élever  à  lui  par  des  oraisons  jaculatoires  , 
lui  donner  notre  cœur  ,  lui  demander  son  amour  ,  parcou- 
rir en  esprit  les  états  et  mystères  de  sa  vie. 

N.  —  (3°  Comparatione.)  S"*il  est  permis  de  comparer 
les  choses  hautes  et  divines  aux  basses  et  humaines,  je  vous 
dirai  :  N'avez-vous  jamais  aimé  quelqu'un  sensuellement 
quand  vous  étiez  à  marier  ou  en  autre  temps?  souvenez-vous 
comme  vous  étiez  disposée ,  ce  que  vous  faisiez  ,  ce  que 
vous  pensiez;  n'est-il  pas  vrai  que  la  plupart  du  temps  vous 
pensiez  à  la  personne  que  vous  aimiez  ?  c'était  l'entretien 
de  votre  esprit,  et  votre  travail  n'en  était  pas  interrompu  , 
vous  ne  laissiez  pas  de  coudre,  défiler,  de  faire  le  ménage; 
toutes  vos  occupations  ne  vous  empêchaient  pas  de  penser  à  la 
créature ,  pourquoi  vous  empèchent-elles  de  penser  au 
Créateur,  sinon  que  vous  aimiez  la  créature  et  que  vous  nYi- 
mez  pas  le  Créateur?et  toutefois  celui  que  vous  aimiez  était 
absent  ,  bien  loin  de  vous  ,  peut-être  mort  ;  Dieu  est  pré- 
sent ,  tout  auprès  de  vous  ,  au  fond  de  votre  âme ,  toujours 
vivant.  Celui  que  vous  aimiez  ne  voyait  pas  votre  cœur,  ne 
connaissait  pas  votre  disposition  ,  ne  savait  si  vous  l'aimiez 
et  si  vous  pensiez  à  lui  ;  Dieu  sonde  votre  intérieur,  connaît 
votre  eftection ,  se  plaît  et  s^agrée  aux  pensées  que  vous 
avez  de  lui;  peut-être  que  celui-là  ne  pensait  pas  à  vous ,  vous 
avait  mis  en  oubli,  avait  diverti  son  cœur  en  d'autres  objets; 
Dieu  ne  vous  oublie  jamais ,  ne  passe  pas  un  moment  sans 
penser  à  vous  ;  il  a  autant  de  vue  sur  vous ,  de  providence 
envers  vous  ,  d'amour  pour  vous ,  que  si  vous  étiez  seule  au 
monde  avec  lui;  il  ne  passe  jamais  un  moment  sans  pensera 


di:  L'AMOUR  Dr.  MADELEINE.  437 

vous,passerei-vous  lesheures,les  après-dlnées,  les  journées 
entière,  sans  penser  à  lui,  vous  qui  avez  tant  besoin  de  lui? 

qi  aktum   punctum.  —  Amandus  ,  etc. 

O.  —  (\*\Raiiocinati*neJ)  Eh  bien  ,  si  vous  ne  l'aimez 
(MS de  toutes  vos  pensées  ,  aimez-le  au  moins  de  toutes  vos 
forées  ;  vous  le  pouvez  ,  VOUS  le  devez  ,  vous  y  êtes  oblige  ; 
il  me  semble  que  nous  manquons  grandement  en  ee  point , 
et  «pie  ee  manquement  nous  apporte  un  grand  préjudice. 
INous  servons  Dieu  quelquefois  ,  il  est  vrai  :  mais  ee  n'est 
que  par  incident,  par  occasion,  par  rencontre  et  paren- 
thèse; ce  n'est  pas  le  chef  et  la  principale  de  nos  intentions  5 
vous  gagnez  votre  vie  ,  vous  travaillez  dans  votre  boutique  , 
vous  bàtisseï  votre  fortune,  votre  fin  est  visée  ,  et  tout  cela 
n'est  autreque  vous-même  ou  L'avancement  de  votre  famille; 
si  vous  priez  Dieu  ou  si  vous  faites  des  actes  de  dévotion , 
ce  n'est  que  par  incident  et  comme  un  accessoire. 

Il  faut  faire  tout  le  contraire  ,  il  faut  que  la  gloire  de 
Dieu  et  son  service  soient  Tunique  fin  de  toutes  vos  œuvres, 
le  but  de  vos  desseins ,  la  visée  de  vos  entreprises,  le  blanc 
de  toutes  vos  actions,  que  votre  cœur  soit  en  celte  posture 
et  disposition  :  je  veux  être  tout  référé  à  Dieu  ;  je  ne  veux 
être  en  ce  monde  que  pour  lui ,  je  neveux  rien  penser  ,  pro- 
jeter ,  dire  ,  faire  qui  ne  tende  à  lui ,  qui  ne  lui  rende  ser- 
vice ,  qui  ne  serve  à  sa  gloire,  en  sorte  que  si  je  savais  que 
moi,  mes  enfants  ,  quelque  chose  qui  m'appartient  ne  servit 
pas  à  la  gloire  de  Dieu,  je  ne  voudrais  pas  être  en  ce  monde, 
ni  élever  mes  enfants,  ni  posséder  telle  chose  ;  quand  je 
saurai  que  quelque  parole,  action,  entreprise  ne  servira  de 
rien,  ni  médiatement,  ni  immédiatement  pour  avancer  l'hon- 
neur  de  Dieu,  je  m'en  abstiendrai  ;  si  je  me  récrée,  ce  ne 
sera  pas  pardélices,  mais  afin  d'avoir  l'esprit  plus  libre  et  plus 
m;  a  ji  iwr  à  Dieu;  si  je  nourris  des  enfants,  c'est  afin 
qu'ils  servent  Dieu;  si  je  gagne  de  l'argent,  c'est  pour 
fane  des  aumônes  ;  si  je  poursuis  un  état, un  office  ,  un  bé- 
néfice, c'est  pour  avoir  occasion  d'y  servir  Dieu  et  l'Eglise. 

I'.  — (2°  Comyarationc.)  11  n'est  pas  besoin  de  dire 


438  SERMON  CCXCIX. 

toutcela  de  bouche,  mais  il  faut  que  le  cœur  soit  ainsi  disposé, 
il  y  a  une  grande  différence  entre  un  écolier  qui  a  toute  son 
affection  à  la  science ,  et  un  autre  qui  n'a  point  le  cœur  à 
l'étude  ;  tous  deux  étudient ,  mais  bien  diversement  ;  celui- 
ci  ne  va  à  Técole  qu'à  regret,  est  bien  aise  quand  on  a  va- 
cance; il  ne  demande  qu'à  jouer,  n'étudie  que  par  crainte  du 
châtiment;  l'autre  ne  fait  cas  que  de  la  science  et  des  savants, 
ne  se  plaît  que  dans  les  bibliothèques  ,  n'aime  à  converser 
qu'avec  les  doctes  qui  lui  apprendront  quelque  chose  ;  avec 
ce  désir  d'apprendre  il  se  met  au  lit,  s'éveille  le  matin  ;  s'il 
se  divertit ,  c'est  pour  être  plus  propre  à  étudier.  Vous  êtes 
envers  Dieu  et  son  service  comme  le  premier  envers  l'étude, 
il  faut  être  comme  le  second. 

Q.  —  (3°  Exemplo  Magdaîenœ .)  Voyez  Madeleine  % 
si  elle  a  des  yeux ,  des  cheveux  ,  des  parfums  ,  des  lèvres , 
ce  n'est  que  pour  arroser ,  essuyer  ,  embaumer  ,  baiser  les 
pieds  de  Jésus;  elle  aime  Jésus  de  toutes  ses  forces,  de  tout 
ce  qu'elle  a ,  de  tout  ce  qu'elle  est  ;  elle  l'aime  par-dessus 
ses  forces.  Jésus  est  dans  un  festin  en  Béthanie,  elle  ré- 
pand sur  son  chef  et  sur  ses  pieds  une  boite  de  parfums  pré- 
cieux, (Joan.  12.  3.)  et  afin  qu'il  n'en  demeurât  pas  une 
goutte  dans  la  boîte  ,  qui  ne  fût  répandue  ,  elle  rompt  la 
boite  ;  cette  boite  est  d'albaire  ,  dure  comme  pierre ,  il  était 
impossible  de  la  rompre  ?  oui ,  impossible  à  tout  autre  ,  non 
à  Madeleine  qui  aime  par-dessus  ses  forces  ,  et  le  traître 
Judas  en  murmure  ,  disant  qu'il  est  dommage  ,  qu'on  pou- 
vait le  vendre  trois  cents  deniers  ;  elle  ne  s^n  soucie  pas  ; 
quand  il  vaudrait  trois  cent  mille  deniers ,  trois  cent  mille 
talents ,  trois  cent  mille  mondes  ,  elle  le  verserait  ,  elle 
voudrait  que  tous  les  trésors  et  richesses  du  ciel  et  de  la 
terre  fussent  en  infusion ,  incorporés  à  son  parfum  ,  elle  les 
répandrait  avec  une  sainte  profusion  aux  pieds  de  Jésus , 
ils  ne  sauraient  être  mieux  employés  ;  et  quand  elle  est  au- 
près du  sépulcre  ,  ne  l'aime-t-elle  pas  par-dessus  ses  for- 
ces ?  Elle  ne  Taime  pas  seulement  quand  il  est  vivant  dans 
un  banquet  faisant  miracle  ,  mais  quand  il  est  mort  au  sé- 
pulcre ,  abandonné  de  chacun  :  Domine .  si  tu  sustub'sti 


DE  l'amour  de  madeleine.  /i39 

.•Monsieur,  dit-elle,  si  vous  Pavez  enlevé,  dites-le  moi, 
el  je  remporterai  ?  Oui ,  sainte  pénitente  ,  c'est  peut-être 
lui  qui  a  enlevé  votre  Bien-aimé,  Mais  s'il  Ta  caché  dans  la 
maison  de  Caïpbe  ,  aGn  que  ceux  qui  l'aiment  ne  le  puissent 
trouver  ?  Ego  eum  tollam  :  Je  le  trouverai  et  l'emporterai. 
Mais  la  servante  qui  a  l'ait  renier  S.   Pierre  vous  deman- 
dera qui  vous  êtes  ?  qu'est-ce  que  vous  cherchez  ?  si  vous 
n'êtes  point  de  la  suite  de  ce  traître  crucifié? Ego  eu  m  toi- 
'il  Ta  enlevé  par  commandement  de  Pilate  qui 
Ta  lait  inhumer  dans  une  citadelle  et  y  a  posé  bonnes  et  sûres 
gardes?  .le  passerai  par-dessus  les  remparts,  à  travers  les 
d'armes  ,  les  piques,  les  portes  de  fer  ,  je  remporte- 
rai. Mais  vous  ne  sauriez  ,  vous  n'êtes  qu'une  femme  faible, 
p'esl  le  corps  d'un  homme  défunt  et  pesant  :  Eum  tollam. 
Oui,  sans  peut-être,  c'est  lui,  et  vous  n'y  prenez  pas  garde; 
c'est  le  jardinier  qui  vous  parle  qui  a  enlevé  son  corps  ,  il 
;  essuscité.  \ importe  ,  je  le  veux  emporter  ,  et  de  fait 
elle  ne  pense  pas  moins  que  de  remporter.  Sitôt  qu'elle  le 
connaît,  quand  il  lui  dit  Marie,  elle  l'embrasse  par  les  pieds, 
elle  le  veut  enlever,  s'il  ne  la  repoussait. 

()  mulieri  non  mulicr,  DitOrigène  :  O  femme  î  non 
femme,  mais  amazone,  mais  courage  viril,  maisséraphiqueî 

CO.NCLUSIO. 

II.  —  (Exhortatio  ,  etc.)  Je  vous  dirai  donc,  mon  cher 
auditeur  ,  ce  que  Jésus  disait  au  pharisien.  Vide  hanenm- 
liercm  :  Honorez  et  imitez  cette  sainte  femme,  non-seule- 
ment en  ce  qu'elle  a  arrosé  et  essuyé,  baisé  ,  embaumé  les 
Jésus  ,  mais  principalement  en  ce  qu'elle  a 
beaucoup  aimé;  si  vous  ne  lui  rendez  ce  pieux  office,  il  es- 
time peu  tous  les  autres.  Vous  répandez  des  larmes  de  ten- 
rous  Qpnfessant  ou  entendant  prêcher  la  passion; 
/  les  pieds  du  crucifix  ,  vous  donnez  des  parfums 
!    de  Dieu,  des  aumônes  aux  pauvres  qui  sont  ses 
il  ;  mais  si  avec  cela  vous  ne  l'aimez  pas 
nte  chose ,  si  vous  «des  une  coquette  qui  vous  plaisez 
ter  de  l'amour,  si  vous  êtes  un  vindicatif,  un  médî- 


440  SERMON    CCXCIX. 

sant,  un  avaricieux ,  si  vous  ne  craignez  pas  le  péché  mor- 
tel ,  parce  qu'il  déplaît  à  notre  Sauveur  T  tout  le  reste  est 
fort  peu  de  chose.  Je  vous  dirai  mon  petit  sentiment,  vous 
en  penserez  ce  qu'il  vous  plaira.  Il  n'est  rien ,  à  mon  avis , 
qui  doive  nous  mettre  en  plus  grand  souci  de  notre  salut 
que  la  crainte  de  ne  pas  aimer  Dieu.  Nous  nous  abstenons 
du  péché  mortel,  mais  que  sais-je?  c'est  peut-être  par 
amour-propre,  par  recherche  de  nous-mêmes ,  par  crainte 
et  appréhension  naturelle  du  feu  de  Penfer.  Celui  qui  n'aime 
pas,  demeure  en  la  mort,  dit  S.  Jean.  L'Eglise  dit  que 
Dieu  donnera  des  biens  invisibles  ,  non  à  ceux  qui  se  con- 
tentent de  le  craindre,  de  le  louer,  de  lui  dire  :  Maître  , 
Maître ,  mais  à  ceux  qui  l'aiment.  S.  Paul  dit  qu'il  leur  a 
préparé  des  biens  que  les  yeux  ne  peuvent  voir  ,  que  les 
oreilles  ne  peuvent  entendre,  que  le  cœur  humain  ne  peut 
concevoir.  S.  Jacques  dit  qu'il  a  promis  la  couronne  de  vie 
à  ceux  qui  l'aiment  :  «  Qui  non  diligit  manet  in  morte. 
«  Deus  qui  diligentibus  te  bona  invisibilia  praeparasti ,  nec 
<(  oculus  vidit ,  nec  auris  audivit,  nec  in  cor  homïnis  ascen- 
«  dit  quae  praeparavit  Deus  diligentibus  se.  Accipiet  coro- 
«   nam  vilsequam  repromisit  Deus  diligentibus  se.  » 

Une  chose  si  précieuse  ne  peut  pas  venir  de  notre  cru  , 
il  faut  la  demander  à  Dieu  plus  de  deux  fois  ,  plus  de  dix  , 
plus  de  cent  fois  et  très  ardemment.  Si  nous  sommes  sages , 
nous  ne  ferons  pas  moins  pour  obtenir  Tamour  de  Dieu  et 
pour  éviter  la  mort  éternelle  ,  que  d'autres  ont  fait  pour  évi- 
ter la  mort  temporelle.  Au  troisième  livre  des  Rois  (3.  Reg. 
48.  22.)  il  est  dit  que  le  prophète  Elie  avertit  le  roi  Achab 
et  tout  le  peuple  que  quatre  cent  cinquante  prophètes  qui 
les  amusaient  étaient  de  faux  prophètes,  et  que  lui  seul  était 
prophète  du  vrai  Dieu.  Ils  tombèreut  d'accord  ,  et  il  fut 
arrêté  entre  eux  qu'ils  oiïriraient  un  sacrifice ,  les  prophètes 
de  Baal  de  leur  côté  et  lui  de  l'autre,  et  que  ceux  qui  feraient 
descendre  le  feu  du  ciel  sur  leur  victime  seraient  estimés 
vrais  prophètes.  Ceux  de  Baal  invoquèrent  leur  dieu  depuis 
le  grand  matin  jusqu'après  midi,  criant ,  se  tourmentant , 
se  déchiquetant  leur  corps  avec  des  couteaux  et  des  lancet- 


de  l'amour  dk  madeleine.  441 

te*,  mais  en  vain  cl  sans  ciïd  ,  carie  feu  ne  descendit  point. 
Quelle  différence  y  a-t-il  entre  les  vrais  et  les  faux  chrétiens? 
en  quoi  sont-ils  distingués?  ce  n'est  pas  à  offrir  des  sacri- 
-,  à  ouïr  la  messe,  à  donner  des  aumônes,  à  faire  des 
pénitences;  c'est  à  aimer  Dieu  :  Intrent  omnes  ecclcsiam, 
cmntent  omnes  alléluia,  signent  se  signocrucis,  non 
distinij  u  un  tu  r  fïlii  Dci  a  fil  Us  dtaboli ,  n  îêi  charitote^ 
dit  S.  Augustin  :  Que  (ous  entrent  en  l'église,  qu'ils  chan- 
tent les  louanges  de  Dieu,  qu'ils  fassent  le  signe  de  la  croix, 
ils  ne  sont  pas  pour  cela  vrais  chrétiens ,  s'ils  n'aiment  pas 
Dieu.  Les  enfants  de  Dieu  ne  sont  distingués  des  enfants 
du  diable  que  par  la  charité  et  l'amour  de  Dieu,  c'est  ce  feu 
qui  consacre ,  qui  consomme  et  qui  rend  nos  sacrifices  accep- 
tables et  agréables  à  Dieu.  Ce  feu  doit  descendre  du  ciel; 
nous  serons  bien  dignes  de  blâme  si ,  pour  l'obtenir  du  vrai 
Dieu  ,  nous  ne  faisons  au  moins  une  partie  de  ce  que  ces 
mal-avisés  faisaient  en  vain  pour  obtenir  du  faux  dieu  le  feu 
matériel,  si  nous  ne  crions,  si  nous  ne  prions,  si  nous  ne 
désirons  a\ec  ardeur  le  feu  divin  qui  nous  est  si  nécessaire. 
Je  prie  Dieu  qu'il  nous  l'oetroie  par  les  mérites  de  son  Fils, 
auquel  soit  honneur,  gloire ,  louanges  et  bénédictions  en 
tous  les  siècles  des  siècles.  Amen. 


SERMON  CGC. 


LA   VIE    CONTEMPLATIVE    DE    MADELEINE    EST    EXPOSEE 
AUX  MURMURES  DES  TROIS  ENNEMIS  DE  l'hOMME. 


Mulier  quœ  tangit  eum ,  peccatrix  est.  (Luc.  7.  39.) 

Nous  voyons  par  expérience  en  sainte  Marîe-Madeîeine 
la  vérité  de  ce  que  S.  Paul  a  dit  (2.  Thimot.  3.  12.)  que 
tous  ceux  qui  veulent  vivre  pieusement  souffriront  persécu- 
tion. Cette  sainte  pénitente  ayant  choisi  pour  son  partage 
les  pieds  sacrés  du  Fils  de  Dieu  pGur  les  arroser  de  ses  lar- 
mes ,  ou  pour  y  entendre  sa  parole  ,  ou  pour  les  embaumer 
de  ses  parfums,  devient  l'objet  des  murmures  du  pharisien, 
de  sa  sœur  Marthe  et  de  Judas ,  ce  qui  représente  l'àme 
dévote  qui,  s'adonnant  à  l'oraison  et  à  la  vie  contemplative, 
est  persécutée  du  monde  ,  de  la  chair  et  du  diable ,  qui  ta- 
chent de  l'en  détourner.  Ce  sera  le  sujet  de  cette  prédi- 
cation. 

ÏDEA  SERMONIS. 

Primum  punctum.  Vita  coniemplativa ,  quœ  est  pars 
Mariai,  prœstat  vitœ  activa?  quœ  est  pars  Marthœ  : 
A.  1°  Quia  nobilior.  —  B.  2°  Quia  utilior.  — 
C,  3°  Jucundior. 

Secundum  punctum.  Avert  entes  animam  ah  oratione 
refutantur  :  D.  \° Phariseus ,  id  est  mundus  dice.ns 
quia  peccatrix  est.  —  E.  2°  Martha  so?*or,  id  est 
caro ,  reliquit  me  solam.  —  F.  3°  Judas  ,  id  est  dœ- 
mon  ,  ut  quid  perditio  hœc. 

Conclusio.  G.  Benedictus  Deus  aux  non  awovit  oratio- 
nem  meam. 


BfitMO*     00'..     -ni.    ,    v    N  ,,.;    ,     etC.  443 

Cm  deux  saintes  filles  qui  avaient  coutume  de  rece?oir 
M  Sauveur  du  monde  dans  leur  maison ,  selon  la  doctrine 

de  .S.  Augustin  et  des  autres  saints  Pères  ,  représentent  les 
deux  genres  de  vie  qui  sont  dans  I^EgKse  chrétienne  :  la  vie 
contemplative  et  la   vie  active.    .Unie -Madeleine  qui  est 
toujours  collée  aux  pieds  sacrés  du  Fils  de  Dieu  ,  ou  les  ar- 
rosant de  se>  larmes,  ou  les  embaumant  de  ses  parfums, 
ou  entendant  sa  divin."  parole,  représente  rame  dévote., ni 
1  adonne  a  lYxereice  de  la'  méditation;  sainte  Marthe  sa 
sœur,  qui  est  employée  au  ménage  pour  la  nourriture  du 
Sauveur  et  de  ses  apôtres,  représente  Tarne  chrétienne  qui 
1  applique  aux  actions  extérieures  par  affection  envers  Dieu 
et  par  charité  envers  le  prochain.  Marthe  a  plusieurs  imi- 
tateurs, Madeleine  en  a  fort  peu,  et  au  contraire  elle  a 
grand  nombre  de  parties  adverses  qui  murmurent  contre 
elle,  l'accusent  ,  la  jugent,  la  condamnent  ;  mais  elle  a  un 
excellent  défenseur;  Jésus  daigne  être  son  avocat ,  qui  plaide 
pour  elle,  lVxeu>c  ,  la  justifie  et  la  loue  en  toute  occurrence. 
A  son  exemple  et  imitation,  je  veux  aujourd'hui  défendre  la 
cause  de  cette  sainte  pénitente  contre  (rois  sortes  de  person- 
nes je  dois  premièrement  résoudre  cette  question  qui 
s  agite  quelquefois  en  la  morale  chrétienne  :  Quelle  de  ces 
deux  ries  esl  la  plus  excellente,  ou  la  vie  contemplative,  ou 
la  mc  m  tive?  lequel  des  deux  est  à  préférer  ,  l'office  de  Ma- 
rie ,  nu  1  otliee  de  Marthe  ?  Je  vous  pourrais  dire  là-dessus 
que  le  maître  de  la  philosophie ,  Aristote  (lil).  10,  Ethic. 
e.  T.  et  8.)  Ta  décidée  en  faveur  de  la  contemplation,  et  que 
le  la  théologie  (2.  2.q.  182.  art.  ) .  et2.)asous- 
la  décision  du  philosophe  ;  j'aime  mieux  vous  dire  que 
,  la  Sagesse  éternelle,  donne  aussi  la  pré- 
L'office  de  Marie,  disant:  Optimam  parièm  ele 
itrès  bonne  part.  Il  y  a  trois  sortes  & 
itïle ,  délectable     la  contemplation  ks 
icnd  tous  Lois  au  souverain  de<rré. 


444  SERMON  CCC.  DE  LA  VIE 

primum  punctum.  —  Vita  coniempïativa ,  ctc, 

A.  — (1°  Quianobilior.)  Dans  la  vie  contemplative 
nous  employons  l'entendement  et  la  volonté ,  qui  sont  les 
propres  facultés  de  l'homme  en  tant  qu'homme.  Dans  la  vie 
active  nous  employons  les  puissances  et  les  facultés  infé- 
rieures qui  nous  sont  communes  avec  les  bètes;  aussi  voyons- 
nous  entre  les  hiérarchies  célestes  que  les  anges  qui  sont 
employés  à  faction  ,  destinés  à  la  tutelle,  à  la  sauvegarde 
et  au  service  des  hommes ,  sont  du  plus  bas  ordre  ,  et  en 
plus  petit  nombre.  Ceux  qui  sont  occupés  à  la  seule  contem- 
plation ,  destinés  à  assister  en  la  présence  de  Dieu  comme 
ses  pages  d'honneur ,  gentilshommes  de  la  chambre  qui  lui 
font  la  cour  ,  sont  des  plus  hautes  hiérarchies ,  chérubins  et 
séraphins  en  plus  grand  nombre.  Des  premiers  il  est  dit 
qu'il  y  en  avait  des  millions ,  des  autres  qu'il  y  en  avait  des 
millions  de  millions  :  Milliamillium  minislrabantei. 

Si  nous  vouions  passer  plus  avant,  monter  plus  haut  et 
reconnaître  quelque  distinction  entre  les  opérations  de  la 
Majesté  divine  qui  est  très  simple ,  nous  verrons  que  la  con- 
templation est  plus  noble  que  son  action  ,  selon  notre  petite 
façon  de  parler  et  d'entendre.  Il  a  été  occupé  dans  la  con- 
templation de  toute  éternité,  îl  ne  s'est  appliqué  à  l'action 
que  dans  le  temps  ;  par  la  contemplation  il  produit  son 
Verbe,  par  l'action  il  a  créé  le  monde;  la  contemplation  lui 
donne  la  qualité  de  père  ,  l'action  ne  lui  donne  que  celle  de 
Créateur,  autant  qu'il  y  a  de  différence  entre  une  personne 
divine  et  une  chétive  créature,  autant  entre  le  terme  et  le 
fruit  de  sa  contemplation ,  et  le  terme  et  le  fruit  de  son  ac- 
tion ,  puisque  par  la  contemplation  il  engendre  son  Fils  , 
par  l'action  il  ne  produit  que  le  monde. 

B.  —  (2°  Utilior.)  Optimam  partem  ;  c'est  un  bien 
plus  utile  et  plus  profitable  :  M editatio mentis  dltatio  ;  la 
méditation  est  l'ornement,  l'enrichissement  et  l'embellis- 
sement de  l'esprit. 

Qui  cum  sapientibus  graditui\  sapiens  erit:  Qui  con- 
verse longtemps  avec  un  sage ,  un  savant.,  un  parfait ,  le  de- 


CONTEMPLATIVE  DE  MADELEINE.  445 

rient.  La  perfection  de  Pâme,  c'est  la  volonté  et  l'amour  de 
Dieu  ,  qui  s'engendrent  par  la  méditation  :  In  méditation* 
mea  exardeecet  ignisj  comme  en  la  divinité  le  Père  en- 
gendre son  Fils  par  sa  contemplation  ,  et  en  môme  temps, 
en  mime  éternité  produit  avec  lui  le  Saint-Esprit  qui  est 
l'amour  incréé  et  personnel  ;  ainsi  dans  la  méditation,  l'ôme 
conçoit  et  produit  en  elle  une  connaissance,  un  verbe  men- 
tal, une  représentation  de  la  divinité  autant  qu'elle  peut 
être  représentée. dans  les  ténèbres  de  celle  vie  mortelle: 
/  erbum  tuum  .  consideratio  tua,  dit  S.  Bernard  au  pape 
Eugène  ,  appliquant  celle  comparaison  à  ce  même  propos  ; 
par  ce  verbe  Pâme  produit  avec  la  grâce  de  Dieu  un  amour 
créé  ,  mais  surnaturel  et  divin.  Il  n'est  pas  dit  en  la  Genèse 
que  le  Créateur  bénit  les  six  premiers  jours  de  la  semaine 
auxquels  il  s'appliqua  à  Faction  et  à  la  production  des  créa- 
tures; mais  il  bénit  le  septième,  auquel  il  se  reposa  et  con- 
sidéra  ses  œuvres  :  Benedixit  diei  septimo. 

C.  —  (3"  Jucundior.)  Pour  nous  apprendre  qu'il  y  a 
plus  de  bénédiction  et  de  grâce  en  la  contemplation  qu'en 
Tact  ion:  Optimam  partent  y  il  y  a  aussi  plus  de  délectation  : 
Renuit  consolari  a)iima  mea,  memor  fui  Bei,  et  délec- 
ta fus  eum  ,  di.^ait  David  étant  en  amertume  de  cœur  :  Je 
me  suis  souvenu  de  Dieu  ,  et  cette  souvenance  m'a  réjoui. 
Si ,  lorsqu'il  était  en  désolation ,  une  simple  pensée  de  Dieu 
a  t:h:  capable  de  confire  et  sucrer  sa  tristesse,  combien  plus 
une  sérieuse  méditation.  Quelqu'un  est-il  triste  parmi  vous, 
qu'il  s'applique  à  l'oraison,  dit  S.  Jacques.  (Jac^  5.  13.) 
Mon  Dieu  ,  vous  êtes  bon  non-seulement  à  l'âme  qui  vous 
trouve  ,  mais  à  celle  qui  vous  eberebe  et  qui  espère  en  vous, 
dit  le  prophète.  Faites-en  l'expérience,  dit  S.  Bernard  au 
Eugène;  quand  tous  êtes  en  aiïliction ,  en  quelque 
peine  d'esprit  ou  de  corps,  necherchei  pas  de  la  consolation 
et  du  rafraîchissement  dans  les  créatures,  allez  à  Dieu  , 
meltex-fOns  à  ses  pieds  dans  votre  petit  oratoire  ou  dans 
l'église  ;  ouvrez-lui  votre  cœur,  découvrez-lui  vos  misères , 

«■niez-lui  vos  disgrâces,  faites-lui  amoureusement  vgj 
petites  plaintes,  vous  venez  qu'il  vous  donnera  plus  de  sou- 


446  SERMON  CCC. DE  LA  VIE 

lugcment  dans  une  demi-heure  que  toutes  les  créatures  dans 
une  semaine. 

secundum  punctum.  —  Avertentes ,  etc. 

D — (1°  Phariseus.)  La  contemplation  étant  donc  un 
bien  si  honorable,  si  utile,  si  délectable,  les  trois  ennemis 
lie  l'homme  qui  ont  conspiré  sa  ruine ,  se  liguent  ensemble 
et  lui  livrent  de  furieux  assauts  pour  l'en  détourner,  s'il  est 
possible.  Omîtes  qui  volunt  pie  vivere ,  persecutionem 
patientur;  (2.  Thimot.  3.  12.)  il  ne  dit  pasjitste,  mais 
pie.  Tous  ceux  qui  veulent  s'adonner  aux  exercices  de  piété 
et  de  dévotion  souffriront  des  persécutions ,  dit  l'Apôtre. 
De  toutes  les  âmes  qui  ont  été  à  la  suite  du  Fils  de  Dieu , 
il  n'y  en  a  point  qui  ait  eu  tant  de  persécutions  que  sainte 
Madeleine  ;  elle  représente  l'âme  dévote  qui  se  veut  adonner 
à  l'oraison,  et  qui  en  est  détournée  par  le  monde,  la  chair  et 
le  diable,  si  elle  n'est  bien  constante  et  courageuse  pour  y 
résister. 

Premièrement,  le  pharisien  disait  de  Marie-Madeleine  : 
Cette  femme  n'est  pas  digne  de  s'approcher  de  cet  homme, 
s'il  est  prophète,  encore  moins  de  le  toucher  comme  elle  fait, 
parce  qu'elle  est  pécheresse  :  Quia  peccatrix  est.  Ainsi  le 
monde,  représenté  par  cet  homme  mondain,  dira  à  une  ame 
chrétienne  qui  se  veut  adonner  à  l'oraison  :  Savez-vous  bien 
ce  que  c'est  qu'oraison  ?  c'est  une  élévation  d'esprit  :  Ele- 
vatio  mentis  in  Deum  ;  osez-vous  bien  vous  élever  ainsi  ? 
ignorez-vous  que  le  Sauveur  a  dit ,  que  celui  qui  s'élève 
sera  abaissé?  ne  craignez-vous  point  d'encourir  la  peine  de 
Lucifer,  si  vous  dites  comme  lui  :  Ascendant  :  Je  monterai  ? 
Faire  oraison,  c'est  s'élever,  mais  s'élever  à  Dieu,  s'appro- 
cher de  lui,  lui  parler  bouche  à  bouche,  converser  avec  lui  ; 
osez-vous  bien  prendre  cette  hardiesse,  vous,  un  ver  de  terre, 
un  pécheur,  un  criminel  ?  osez-vous  bien  parler,  osez- vous 
bien  regarder  cette  Majesté  infinie  que  les  dominations  et 
les  principautés  célestes  redoutent  ?  ]N'entendez-vous  pas  le 
Psalmiste  qui  dit  :  Oratio  ejus  fiât  in  peccatum?  Il  est 
vrai  que  sans  le  dessein  de  l'incarnation  ce  nous  serait  uvt 


(..iMTMi'i.ATlYi:  Di:  UADELBIMB.  h'\l 

témérité  dans  la  corruption  du  péché  de  nous  approchef  de 

Dieu;  mais  son  Fils  bien-aime  sYlant  fait  homme  nous  a 
donne  ce  droit.  Noui  allons  à  son  Père  comme  ses  mem- 
bres en  son  nom,  de  sa  part  ;  il  nous  a  dit  dans  l'Evangile  * 
Si  vous  demande/  quelque  chose  à  mon  Père  en  mon  nom, 
vous  l'obtiendrez  ;  bod  apôtre  dit;(Ephôs.  2.  18.)  Per 

tmem  accessam  liai  entas  ad  /Wr<?///,engree  :  «poaxyuyqv 
introductionem  ;  (metap/iora  êUtnpta  ah  aalicis  qui 
cvtraneos  introducunt  ad  principes)  il  ne  dit  pas  seule- 
ment que  nous  avons  l'accomplissement  de  nos  requêtes  par 
JiMis-Unist,  mais  l'accès,  feutrée,  l'introduction,  c'est- 
à-dire  le  droit  de  nous  présenter  à  lui ,  et  la  confiance  de  nous 
approcher  de  celui  cpii  habite  en  une  lumière  inaccessible. 

L'Eglise  retient  bien  celte  leçon,  car  avant  que  de  dire 
en  lî  messe:  Paler  noster,  qui  es  in  cœlis,  elle  dit:  PrOh 
ceptië  ialutaribuê  munit  i,  et  dirina  instituiione  for- 
?/tati,  aide/nus  dicere  :  Grand  Dieu,  ce  nous  serait  une 
présomption  et  témérité  criminelle  de  tous  oser  appeler  notre 
.  nOQl  qui  sommes  vos  criminels  ;  mais  nous  prenons 
cette  hardiesse  en  ayant  reçu  le  commandement  et  L'instruc- 
tion de  votre  Fils  bien-aimé.  C'est  comme  les  enfants  de 
Jacob,  après  avoir  grièvement  offensé  leur  frère  Joseph  pour 
être  réconcilies  avec  lui  et  être  reçus  en  ses  bonnes  grâces, 
ils  lui  dirent  :  Votre  père  avant  de  mourir,  nous  a  commandé 
us  dire  mot  à  mot  ces  paroles  de  sa  part  :  Je  vous  prie 
de  mettre  en  oubli  l'offense  que  vos  frères  vous  ont  faite. 
Supposons  qu'il  y  ait  en  cette  ville  un  marquis  qui  ait  son 
ilné  à  la  guerre,  un  pauvre  soldat  frappe  à  la  porte, 
demande  à  lui  parler;  on  voit  qu'il  est  tout  dévalisé,  déchi- 
rassetll ,  on  se  doute  que  ce  n'est  que  pour  demander 
l'aumône  ;  tant  l'ei  faut  qu'on  le  fasse  entrer  et  monter  en- 
haut  ,  qu'a  peine  daigne-t-on  le  regarder,  la  plus  grande 
I  ,!'  (prou  lui  l'ail  cY>t  de  lui  dire  :  Attendez  ici  a  la  basse- 
cour  ;  Monsieur  passera  tantôt  après  dîner  pour  aller  au  jar- 
din, peut-être  que  vous  lui  pourrez  parier.  Mais  s'il  dit  qu'il 
vient  de  l'armée,  qu'il  e>t  envoyé  de  monsieur  le  baron,  qu'il 
doit  parier  de  sa  part  à  son  père,  bien  qu'on  soit  au  milieu 


A48  SiiliaiOJJi   CGC. DE  LA  VUS 

du  repas,  on  le  fait  entrer,  on  le  fait  monter,  on  lui  donne 
entrée  dans  la  chambre  tout  déchiré  qu'il  est,  on  le  reçoit 
avec  joie  ;  et  s'il  raconte  comment  ce  jeune  gentilhomme 
s'est  comporté  vaillamment  dans  les  occasions,  les  dangers 
qi^il  a  échappés,  les  braves  exploits  qu'il  a  faits,  tout  le 
monde  l'entend  avec  attention,  vous  voyez  le  marquis  être 
comme  collé  à  la  bouche  de  cet  homme  ;  enGn  on  lui  fait 
bonne  chère.  Si  nous  ne  nous  adressons  au  Père  éternel  que 
de  notre  part  et  à  notre  privé  nom,  nous  n'aurons  pas  gronde 
faveur  ;  mais  si  nous  y  venons  de  la  part  de  Jésus  ;  si  dans 
nos  prières  nous  rappelons  et  racontons  au  Père  éternel  les 
mystères  de  son  Fils ,  les  vertus  héroïques  qu'il  y  a  prati- 
quées ,  les  services  signalés  qu'il  lui  a  rendus  ,  nous  serons 
les  bien-venus,  nous  serons  regardés  de  bon  œil,  V3à  atten- 
tivement, et  exaucés  favorablement. 

Et  puis,  Dieu  n'est  pas  seulement  grand,  il  est  infiniment 
bon  :  si  sa  grandeur  nous  rend  timides  pour  ne  pas  nous  pré- 
senter à  lui,  sa  bonlé  nous  encourage  à  nous  approcher  de 
lui  ;  car  cette  bonlé  divine  se  montre  plus  évidemment  et 
s'exerce  plus  avantageusement  pour  nous ,  quand  il  nous 
permet  de  le  prier,  que  s'il  pourvoyait  à  tous  nos  besoins 
sans  en  être  supplié.  Un  roi  est  estimé  libéral  quand  il  fait 
de  grandes  largesses  ;  mais  sa  bonté  est  plus  estimée,  sa  clé- 
mence plus  admirée,  quand  son  palais  est  ouvert  à  tout  le 
monde  ;  quand  il  entend  lui-même  les  demandes  et  les  plain- 
tes de  ses  sujets ,  quand  il  veut  ouïr  de  leur  propre  bouche 
leurs  requêtes  et  remontrances,  comme  S.  Louis  en  France, 
sainte  Hedwigc  en  Pologne,  sainte  Elisabeth  en  Portugal  ; 
ils  ne  se  contentaient  pas  de  donner  l'aumône  ;  mais  il  vou- 
laient eux-mêmes  parler  aux  pauvres,  savoir  leurs  besoins, 
voir  leurs  plaies  et  penser  leurs  ulcères.  C'est  ainsi  que  Dieu 
fait  envers  nous  ;  il  se  laisse  approcher  de  nous  ;  il  converse 
dcbonnaîrement  avec  nous  ;  il  veut  qne  nous  ayons  l'hon- 
neur de  lui  remontrer  avec  confiance  nos  besoins,  nos  infir- 
mités, et  le  désir  que  nous  avons  d'être  assistés  de  sa 
miséricorde.  «  Considéra  quanta  tibi  concessa  félicitas , 
«  quanta  attributa  gloria  ,  orationibus  sermoemari  cum 


i.u\  1 1  -i;  1  Aii>E  DE  MAD£L£lNE.  449 

too,  cum  Chrlsto  miscerc  colloquia,  optare  quod  vclis; 

el  qtiod  desideras  postularc  ,  »  d;t  S.  Chrysoslôme. 

Le  pharisien  donc,  c'est-à-dire  riiommc  mondain,  n'a. 
pis  raison  de  dire  que  Pâme  chrétienne  ne  doit  pas  s'adres- 
ser à  Dieu  pour  lui  demander  miséricorde,  quia  peccatri* 
est,  parce  qu'elle  esl  pécheresse. 

E. — (2° Martha  soror.)  En  second  lieu,  à  Marie-Ma- 
deleine s'oppose  sa  sœur  Marthe,  et  à  l'àrae  dévoie  qui  se 
veui  adonner  à  l'oraison,  contredit  la  nature  corrompue, 
qui,  étant  inquiète  et  encline  aux  tracas,  veut  que  famé 
lui  tienne  compagnie,  se  détache  des  pieds  du  Fils  de  Dieu, 
s'embarrasse  aux  affaires  temporelles ,  autrement  elle  se 
plaint,  et  dit  comme  Marthe  :  Reliquit  nie  solam  minis- 
trare  ;  mais  elle  a  tort,  et  sa  plainte  est  injuste  :  car  on 
peut  lui  répondre  ce  que  le  Sauveur  répondit  à  sainte  Mar- 
the :  l  rnum  est  necessarium.  Vous  vous  inquiétez  inutile- 
ment ,  et  vous  n'avez  pas  assez  de  soin  de  ce  qui  est  plus 
important  et  nécessaire.  Quand  vous  auriez  acquis  tous  les 
empires  du  monde,  de  quoi  vous  serviront-ils,  si  vous  per- 
dez votre  âme  ,  ou  si  vous  l'endommagez  ?  or  vous  l'en- 
dommagerez beaucoup  et  vous  courrez  risque  de  la  perdre, 
si  vous  n'êtes  adonné  à  la  méditation.  Les  animaux  qui  ne 
ruminent  pas  étaient  estimés  immondes  par  la  loi,  et  les  âmes 
qui  ne  méditent  pas,  sont  ordinairement  souillées  de  vices 
el  imperfections  ;  il  n'est  rien  de  si  puissant  à  nous  émou- 
voir, rien  de  si  puissant  à  nous  retirer  du  vice  et  à  nous  por- 
ter à  la  vertu  ,  que  les  vérités  de  notre  religion  ,  et  il  n'est 
rien  qui  nous  louche  moins,  parce  que  nous  ne  les  considé- 
rons  jamais  attentivement.  Si  le  roi  vous  avait  pourvu  d'un 
office  ou  d'un  bénéfice  en  des  patentes  closes  et  qu'on  ne 
U's  ouvrai  jamais,  elles  vous  seraient  inutiles,  et  ne  produi- 
raient rien  dans  votre  âme  :  si  on  vous  écrit  des  lettres  où  il 
le  bonnes  ou  mauvaises  nouvelles,  tant  qu'elles  demeu- 
rent achetées,  elles  ne  vous  réjouissent,  ou  ne  vous  attris- 
tent point.  Qu'y  a-t-il  vie  plus  efficace  pour  produire  en  nous 
Dieu  et  la  haine  du  péché,  que  de  voir  un  Dieu 
i         rame  pour  l'amour  des  hommes,  un  Dieu  pendu  en 


450  SERMON  CGC— DE  LA  VIE 

un  gibet ,  languissant  et  mourant  pour  détruire  le  péché , 
une  éternité  de  délices  pour  les  vertueux ,  et  de  tourments 
pour  les  vicieux?  Ces  vérités  ne  vous  émeuvent  pas  plus  que 
si  c'étaient  des  fables ,  parce  que  vous  ne  les  développez 
jamais.  Si  vous  vous  arrêtiez  de  temps  en  temps  en  votre 
particulier  à  vous  demander  en  repos  et  sérieusement.  Qui 
est-ce  qui  m'a  créé?  pourquoi  suis-je  en  ce  monde  ?  que  de- 
viendrai-je  d'ici  à  quarante  ou  cinquante  ans  ?que  signifie  le 
Crucifix  ?  vous  vous  trouveriez  changés.  Propterea  capti- 
vus  ductus  est  populus  meus,  quia  non  est  qui  recogitet  : 
Mon  peuple  n'a  jamais  fait  réflexion  sur  les  misères  de  sa 
foi ,  pour  cela  il  est  devenu  captif  du  diable,  esclave  du 
monde ,  asservi  à  ses  passions  :  Desolatione  desolata  est 
terra  ,  quia  non  est  qui  recogitet  corde.  (Jer.  42.  11.) 

Et  n'est-ce  pas  une  folie  de  préférer  le  temporel  au  spi- 
rituel,  les  affaires  du  ménage  aux  affaires  du  salut,  ce 
qui  est  inutile  et  souvent  superflu ,  à  ce  qui  est  tout-à-fait 
nécessaire  ?  Unum  est  necessarium. 

Mais  ,  me  direz-vous  ,  c'est  pour  le  spirituel  que  je 
quitte  l'oraison ,  c'est  pour  le  salut  du  prochain ,  pour  ga- 
gner des  âmes  à  Dieu  en  prêchant,  enseignant,  entendant 
les  confessions  ,  visitant  les  malades.  C'est  encore  une 
tromperie ,  car  le  Psalmite  vous  dit  :  Vanum  est  vohis 
ante  lucem  surgere;  surgite  posiquam  sederitis,  qui 
manducatis panem  doloris. Si  vous  êtes  prédicateur,  con- 
fesseur, directeur  des  âmes  ,  votre  pain  le  plus  savoureux 
doit  être  la  douleur  de  contrition  et  la  conversion  des  pé- 
cheurs ;  en  vain  vous  vous  louez  pour  travailler  à  gagner  ce 
pain,  si  vous  n'avez  reçu  la  lumière  du  Saint-Esprit,  si  au- 
paravant vous  ne  vous  êtes  assis  au  repos  de  la  contempla- 
tion, avant  de  vous  lever  pour  travailler  à  gagner  ce  pamr 
Quelle  apparence  de  profiter  pour  les  amcs ,  si  vous  travaillez 
sans  conduite  ?  Comment  pouvez-vous  travailler  avec  con- 
duite et  sagesse,  si  vous  travaillez  sans  lumière ,  à  l'étourdie, 
dans  les  ténèbres?  et  où  prendre  la  lumière,  sinon  en  îa  mé- 
ditation? Un  saint  personnage  disait  :  Je  connais  bien  dès 
le  matin  ce  que  je  serai  toute  la  journée ,  et  quels  seront 


CONTEMPLATIVE  Dr  MADELEINE.  /,51 

mo<  comportements  ;  car  si  je  fais  bien  l'oraison  le  matin  le 
m  en  ressens  tout  le  jour.  Et  S.  Bona*enture  disait  que 
pour  dépeindre  un  bon  religieux  et  un  homme  sage,  il  ne 
ttutd  autre  description,  que  de  décrire  un  homme  qui  sort 
de  1  oraison. 

Vous  ne  prenei  pas  seulement  en  l'oraison  la  lumière  et 
la  conduite  de  Dieu,  mais  son  secours  ei  son  assistance    et 
tans  cela  votre  travail  ne  peut  réussir.  Belle  comparaison 
de  S.  Urysostôme  !  Pourquoi  pensez-vous  que  Dieu  veut 
tire  tant  prie-  et  courtisé  (c'est  une  pensée  qui  pourrait 
venu- en  I  esprit  de  quelqu'un,  et  lui  faire  peine),  pourquoi 
vcut-,1  cire  tant  importuné,  qu'il  semble  qu'il  ne  donne  rien 
qu  a  force  de  prières  ?  est-ce  pour  ses  intérêts  !  en  reçoit- 
il  quelque  avantage  ?  est-il  plus  riche  et  plus  heureux  quand 
nous  1  avons  bien  prié  ?  Aon  ,  mais  c'est  l'affection  qu'il  a 
pour  nous ,  c  est  qu'il  voit  que  notre  honneur,  notre  hon- 
neur et  de  converser  avec  lui ,  que  sans  sa  conduite  nous 
sommes  des  étourdis  et  des  aveugles,  nous  ne  faisons  rien 
qui  raille.  \  ous  êtes,  par  exemple,  un  homme  âgé  de  cin- 
quante ou  soixante  ans,  vous  avez  beaucoup  d'expérience- 
vous  avez  un  neveu  orphelin,  qui  est  un  jeune  homme 
volage,  vous  voulez  qu'il  prenne  conseil  de  vous,  qu'il  vous 
demande  avis  sur  tout  ce  qu'il  fait;  et  s'il  entreprend  quel- 
que affaire  d  importance  sans  vous  consulter,  s'il  se  fiance 
ou  traite  de  mariage  sans  vous  le  communiquer ,  vous  le 
pouvez  fort  mauvais,  vous  dites  :  Mon  neveu  m'a  désobligé, 
««ait  -  il  commencer  ce  dessein  sans  mon  conseil?  il  a 
commencé  son  mariage  sans  moi,  il  l'achèvera  sans  moi ,  je 
ne  me  l'ouvrai  point  à  ses  noces.  Pourquoi  en  cfes-vous 
lâché  ?  quel  n.ura  y  avez-vous?  s'il  vous  l'avait  commu- 
niqué, en  lenez-vons  plus  riche  et  à  votre  aise  ?  c'est  que 
«ni  I  aime. ,  parée  que  vous  aimiez  son  père  qui  était  votre 
frère  :  v,,,,,  ow,  qu'il  n'a  pas  de  conduite,  qu'il  est  indis- 
cret, baie  i  ,,re  trompé,  vous  désireriez  qu'il  prit  ordre 
de  voUS,  afi„  que  t0l„  y  MM.(..(|.t  ^^    ^.^  ^ 

même  :   «  Regnaveiunl ,  el  non  ex  me  :  principes  extite- 
'  nmt.ot  non  iiguificaverunl  mihi.  In  multitudine ,  via 


A52  SERMON    CCC. DE  LA  VIE 

<(  tuas  laborasti ,  non  dixïsti  :  Quiescam,  quia  mei  obnta  es, 
a  et  non  proderont  libi  opéra  tua.  »  Dieu  fait  ces  plaintes 
par  le  prophète  Osée  (Os.  8.  4.)  et  par  Isaïe  (Ts.  57.  10.) 
Ils  ont  pris  des  charges  et  des  offices ,  sans  me  prier,  et  sans 
me  demander  avis;  parce  que  vous  m'avez  mis  en  oubli, 
vos  entreprises  ne  vous  réussiront  pas. 

Quand  vous  voulez  vous  marier,  vous  n'en  demandez  pas 
îvis  au  meilleur  ami  que  vous  ayez,  qui  est  Jésus,  vous  ne 
le  consultez  pas  pour  savoir  s'il  vous  y  appelle ,  pour  le  prier 
de  vous  donner  un  parti  convenable  avec  qui  vous  puissiez 
faire  votre  salut  :  vous  vous  mariez  par  amour  folâtre ,  par 
avarice  ,  ambition  ou  par  rapport  à  je  ne  sais  qui.  Dieu  per- 
met que  vous  rencontrez  mal,  que  vous  avez  un  homme  qui 
mange  votre  bien,  qui  vous  est  un  tyran,  et  vous  traite 
comme  une  esclave.  C'est  pour  vous  :  pourquoi  avez-vous 
commencé  ce  dessein  sans  le  communiquer  à  Dieu  ?  Quand 
on  vous  a  dit  une  petite  injure  ,  ou  dérobé  un  pouce  de 
terre,  vous  en  voulez  avoir  raison,  vous  courez  aux  armes 
défensives  ,  vous  dites  que  la  justice  est  instituée  de  Dieu , 
qu'il  n'est  pas  défendu  de  plaider  ;  non ,  mais  si  avant  de 
commencer  ce  procès ,  vous  fussiez  venu  en  l'église,  si  vous 
L'eussiez  recommandé  à  Dieu ,  le  priant  de  vous  inspirer  sa 
volonté,  il  vous  eût  ôté  de  l'esprit  celte  opiniâtreté,  et  il 
vous  eût  fait  connaître  qu'il  vaut  mieux  perdre  l'échantillon 
que  toute  la  pièce,  se  retirer  de  la  rive  que  du  fond  ,  que 
bien  que  vous  gagneriez,  vous  perdriez  quatre  fois  plus  en 
fiais  de  justice  que  ce  que  vous  plaidez. 

F.  —  (3°  Judas.  )  Mais  la  plus  forte  batterie  qui  soit 
dressée  contre  l'âme  dévote  est  de  la  part  de  l'esprit  malin, 
représenté  par  le  traître  Judas  dont  notre  Sauveur  disait  : 
Unus  vestrum  diohalus  est.  Pour  nous  dissuader  de  faire 
oraison ,  il  dit  que  c'est  une  perte  de  temps ,  une  action  inu- 
tile :  Utquid  perditio  hœc?  poterat  uncjuentum  liocve- 
numdariy  et  darl  pauperihus.  Nous  n'avons  coutume  de 
présenter  requête  à  quelqu'un  que  pour  une  de  ces  deux 
raisons  :  ou  pour  instruire  son  entendement,  ou  pour  émou- 
voir sa  volonté,  pour  lui  faire  savoir  nos  nécessités ,  ou  pour 


CONTEMPLATIVE  DP  MADELEINE,  453 

l'exciter  à  nous  y  secourir.  Dieu  n'a  pas  besoin  d'apprendre 

de  nous  nos  misères,  il  les  connaît  mieux  que  nous  :  Scié 
enim  Pater vester  quia  indigetiê,  [In'a  pas  besoin  que  nous 

l'excitions  à  y  pourvoir,  il  a  plus  de  1  olonté  de  nous  secou- 
rir que  nous  n'en  avons  d'être  sec.. unis  ;  il  a  plus  d'inclina- 
tion à  nons  faire  du  bien  que  nous  à  en  recevoir  :  Beatius 
est  dure  quom  accipere,  C'esl  donc  perdre  le  temps  de  le 
prier;   la  vie  contemplative  est  une  vie  fainéante  ,  oisive  , 
inutile.  Ne  vaudrait-il  pas  mieux  employé!1  son  temps  à  se- 
courir le>  pauvres,  visiter  les  malades,  faire  d'autres  œuvres 
de  charité  et  de  miséricorde  ?  Cette  objection  a  belle  appa- 
rence, mais  n'a  point  de  solidité  ;  nous  ne  prions  pas  Dieu 
pour  lui  faire  savoir  nos  misères,  mais  pour  les  apprendre 
nous-mêmes,  pour  en  avoir  un  vif  sentiment,  en  les  con- 
naissant ,  reconnaître  devant  lui  le  besoin  que  nous  avons  de 
sa  miséricorde  et  de  son  assistance,  et  par  celle  humilité 
nous  disposer  à  recevoir  sa  grâce ,  qui  ne  se  donne  qu'aux 
humbles:  Humilibus  dat gratiam.   Si  c'est  une  vie  fai- 
néante de  rendre  nos  devoirs  à  Dieu,  de  l'adorer,  de  l'aimer, 
de  converser  avec  lui ,  les  séraphins  sont  des  fainéants  ;  et  il 
n'y  a  que  les  anges  des  plus  basses  hiérarchies  qui  ne  mènent 
pas  nue  vie  oisive  ,  puisque  ceux-là  ne  sont  employés  qu'à 
faire  la  cour  à  la  majesté  de  Dieu  ;  ceux-ci  sont  ordinaire- 
ment occupes  à  la  garde  des  hommes  et  à  la  conduite  des 
autres  créatures;  c'est  comme  si  vous  disiez  que  c'est  être 
fainéants  de  moissonner  et  de  vendanger,  au  lieu  de  labou- 
rer la  terre  et  de  bêcher  la  vigne  :  l'un  est  la  fin  ,  l'autre 
lei  moyens.  Pourquoi  laboure-t-on  la  terre  ?  pourquoi  cul- 
tiv»-t-on  la  vigne?  pour  moissonner  et  vendanger.  Pour- 
quoi sommes-nous  en  ce  monde?  pour  travailler,  dites- 
vous  ;  pourquoi  devons-nous  travailler  ?  pour  avoir  de  quoi 
entretenir  notre  vie  ;  pourquoi  sommes-nous  en  cette  vie  ? 
pour  a. „.er  Dieu,  pour  l'admirer,  le  contempler,  lui  être 
DOIS  el  lui  adhérer  ;  et  c'est  ce  que  l'on  fait  en  la  vie  con- 
templative ;  elle  est  donc  la  fin,  et  les  autres  occupations  ne 
sont  que  les  moyens. 

Voilà  qui  serait  bon  ,  direz-vous.  si  en  l'oraison  j'étai* 


454  SERMON  CGC.  DE  LA  VIE 

toujours  applique  et  uni  à  Dieu;  mais  j'y  perds  beaucoup  de 
temps  ;  j'ai  l'imagination  si  volage  que  je  ne  suis  pas  un  quart 
d'heure  sans  avoir  l'esprit  égaré  et  à  cent  lieues  du  sujet  de 
la  méditation  :  Utquid  perditio  hœc?  Vous  vous  trom- 
pez, vous  n'êtes  pas  inutile  ,  pourvu  que  ces  distractions  ne 
vous  soient  pas  volontaires  ;  vous  ne  perdez  pas  de  temps  : 
vous  honorez  Dieu  au  moins  par  yotre  présence  corporelle  ; 
combien  y  a-t-il  de  courtisans  qui  se  trouvent  tous  les 
jours  au  lever  et  au  coucher  du  roi ,  et  peut-être  ne  lui  par- 
lent pas  une  fois  en  une  semaine  ?  le  roi  ne  les  regarde  pas  ; 
sont-ils  inutiles  à  la  cour  ?  cela  est  bon  pour  un  petit  gen- 
tilhomme de  n'avoir  que  son  valet  de  chambre ,  et  autres 
serviteurs  qui  lui  sont  nécessaires  ;  c'est  la  splendeur  d'une 
cour,  et  magnificence  d'un  grand  roi ,  d'avoir  plusieurs  gens 
qui  ne  servent  qu'à  lui  faire  escorte.  La  reine  de  Saba  ne 
disait  pas  à  Salomon  :  Bienheureux  sont  les  valets  qui  vous 
rendent  service ,  mais  :  Bienheureux  sont  les  serviteurs  qui 
ont  l'honneur  d'être  toujours  en  votre  présence.  (1),Bien 
que  vous  ne  parliez  point  à  Dieu ,  et  quand  même  il  ne  dai- 
gnerait vous  regarder ,  ce  vous  est  plus  d'honneur  qu'il  ne 
vous  appartient ,  d'être  reçu  à  lui  faire  la  cour  par  votre  pré- 
sence corporelle.  Depuis  que  je  suis  monté  en  chaire  cette 
lampe  a  toujours  brûlé  ,  a-t-elle  été  inutile  ?  elle  n'a  point 
eu  de  bonnes  pensées ,  elle  en  est  incapable  ;  elle  a  néan- 
moins honoré  le  Fils  de  Dieu.  Comment  ?  elle  s'est  en  partie 
usée  devant  le  Saint-Sacrement.  Je  veux  qu'en  l'église 
pendant  deux  ou  trois  messes ,  ou  en  votre  maison ,  aux 
pieds  du  crucifix,  vous  n'ayez  ^aucune  bonne  pensée  par 
l'imperfection  de  votre  esprit  qui  est  tout  vif-argent ,  est- 
ce  à  dire  que  vous  y  soyez  inutile  ?  Vous  honorez  le  Fils  de 
Dieu,  usant  une  heure  de  votre  vie  en  sa  présence  et  à  ses 
pieds ,  vous  rendez  hommage  par  votre  sécheresse  à  son  ari- 
dité en  la  croix  :  Aruit  tanquam  terra  virtus  mea. 
Vous  l'honorez  par  la  patience  que  vous  exercez  et  par  la 


(t)  Beati  servi  tui,   qui  staat  coram  te  semper.  (3.  Reg.  10.  8.  — 
g,  Paralip.  9f  7.) 


CONTEMPLATIVE  DE  MADELEINE.  455 

mortification  de  l'amoui^proprc  qui  aime  naturellement 
l  action,  le  mouvement  el  le  divertissement. 

Quand  S.  Jérôme  écrivit  la  rie  de  S.  Paul,  premier 
ermite,  il  ditqu  avanl  de  mourir  il  se  mil  à  genoux  en  prière. 
S.  Antoine  Pétant  venu  voir  pour  la  seconde  fois,  trouva 
•on  corps  mort,  qui  priait  Dieu  à  genoux,  dit  le  saint  doc- 
teur.  I  n  corps  mort  peut-il  prier  Dieu  ?  il  n'est  capable 
(1  aucune  affection,  ni  de  bonne  pensée,  ni  de  mouvement 
ou  sentiment  de  Dieu  ,  et  il  dit  qu'il  priait  Dieu  ;  c'est  qu'il 
M  mil  à  genoux  à  cette  intention,  et  l'ameutant  envolée 
le  corps  est  toujours  estime:  devant  Dieu  ,  en  même  condi- 
tion et  disposition  qu'il  y  était  mis;  rintenlion  virtuelle 
continuant  encore  dans  la  posture  et  la  contenance  de  ce 
saint   corps   :  Intello.rit  quod  etiam  cadaver  Sancti 
Deum  cui  omnia  vivunt,  offteioso  <jesiu  preenhatur. 
Vous  vous  mettez  à  genoux  devant  Dieu,  à  intention  de 
1  honorer  d  esprit  et  de  corps  ;  il  arrive  par  faiblesse  hu- 
ne que  l'esprit  sVnvolc  et  s'écarte  bien  loin;  le  corps 
ne  laisse  pas  de  rendre  hommage  à  Jésus;  il  est  dans  la 
même  posture  et  dans  la  même  disposition  que  vous  Pavez 
mis  à  bonne  intention. 

Enn'  cheresse  intérieure  et  dans  cette  stéri- 

vous  pouvez  néanmoins  offrir  à  Dieu  de  très 
•  de  très  parfaites  et  de  1res  affectueuses  pensées  de 
dévotion  :  celles  de  Jésus ,  de  la  Vierge,  des  anges  et  des 
saints.  Si  en  Poraison  vous  aviez  des  conceptions  sublimes 
et  des  affections  ardentes,  et  que  vous  n'eussiez  rien  que 
r  offrir  à  Dieu  ,  ce  ne  serait  pas  grandiose  :  ce 
omparaîson  de  Dieu  ,  que  les  imaginations 
fourmi  en  comparaison  d'un  séraphin;  mais  quand 
I        lui  offrez  l«-s  prières  et  les  afleelions  de  Jésus,  vous 
lui  ofli  bose  grande  et  digne  de  lui.  S.  Jean  en  TA- 

|  ,  vit  les  anges  autour  du  trône  de  l'Agneau,  et  des 

rïeillards  qui  représentent  les  apôtres  et  les 
patriarches;  .1  entendit  les  prières  qu'ils  faisaient ,  et  il  dit 

Qoelle  façon  de  prier  et  de  lotmnger! 
raisonspar^me»,  mais  on  ne  les  commence 


456  SERMON  CGC— DE  LA  VIE 

pas  ainsi  :  c'est  qu'ils  disent  Amen  aux  louanges  que  la 
sainte  humanité  donne  à  Dieu,  que  la  Vierge  et  les  apôtres 
donnent  à  Jésus.  Vous  pouvez  faire  de  même  ,  vous  pouvez 
dire  :  Mon  Dieu,  je  vous  adore  avec  Jésus,  avec  la  Vierge, 
les  anges,  les  saints,  et  les  bonnes  âmes  qui  sont  ici  ;  je  vous 
dis  tout  ce  qu'ils  vous  disent;  je  vous  offre  leurs  adorations, 
leurs  affections ,  les  louanges  et  bénédictions  qu'ils  vous 
donnent;  et  pour  abattu  que  soit  votre  esprit,  vous  devez 
du  moins  au  commencement,  vous  donner  à  Jésus,  vous  lier 
à  lui,  et  aux  hommages  qu'il  rend  à  son  Père  ;  et  vous  te- 
nant là  en  esprit  à  ses  pieds,  pendant  qu'il  honore  son  Père, 
vous  êtes  censé  l'honorer  comme  ceux  qui  sont  à  la  suite 
d'un  ambassadeur,  qui  va  faire  hommage  au  saint  Père  ; 
encore  qu'ils  ne  disent  rien  ,  ils  honorent  Sa  Sainteté  par 
leur  seule  présence. 

CONCLUSIO. 

G. —  (Benedictus  Deus,  etc.)  C'est  donc  avec  raison 
que  le  Psalmiste  disait  :  Benedictus  Deus  qui  non  amo- 
vit  orationem  meam  ,  et  misericordiam  suam  a  me  ; 
comme  s'il  disait  :  Je  lis  en  l'Ecriture  que  plusieurs  ont 
béni  et  remercié  Dieu  pour  divers  bénéfices  qu'ils  avaient 
reçus  de  lui  ;  mais  s'il  me  fait  la  grâce  de  le  savoir  bien 
prier,  j'estime  que  c'est  le  principal  bénéfice  pour  lequel  il 
doit  être  béni ,  et  qui  comprend  tous  les  autres.  Les  trois 
jeunes  hommes  bénirent  Dieu  de  ce  qu'ils  furent  conservé? 
en  la  fournaise,  sans  que  le  feu  brûlât  un  cheveu  de  leur 
tète;  mais  si  je  sais  faire  oraison,  benedictus  Deus,  je  de* 
meurerai  dans  la  fournaise  des  afflictions  ,  quelles  qu'elles 
soient ,  afin  qu'aucune  ne  me  puisse  endommager.  Tobis 
bénit  Dieu  parce  qu'il  lui  rendit  la  vue  par  un  archange.  Si 
je  puis  faire  oraison,  benedictus  Deus,  c'est  là  que  les  té- 
nèbres de  mon  esprit  se  dissipent,  que  je  recouvre  la  vue 
et  l'intelligence  de  nos  mystères.  Judith  bénit  Dieu  pour 
avoir  tranché  la  tête  à  Holopherne  ;  Eslher  pour  avoir  gagné 
les  bonnes  grâces  du  roi  Assuérus  :  si  je  sais  faire  cette 
oraison,  je  vaincrai  aisément  les  tentations  de  mes  ennemis 


CONTEMPLATIVE  DK  MADELEINE.  457 

g  gagnerai  les  bonnes  grâces  de  Die  ;  enfin  ,  benédiclu, 
JjeJ  ^.J«F*«  obtenu-  de  lui  „  .&J,  eter- 


•   : 


POUR  TOUS  LES  JOURS  DU  CARÊME 


SERMON  CCCI, 


POUR  LE  MERCREDI  DES  CENDRES.  LA  PENSEE  DE  LA 
MORT  NOUS  DÉTOURNE  DE  L'INTEMPERANCE,  DE  LA 
VAINE  GLOIRE  ET  DE  l'â VARICE. 


Mémento  homo  quiapulvisestet  inpulverem  reverterls. 
Cum  jejunatis,  nolite  fieri  sicut  hypocritœ,  Nolite  thesaurizare  vobis  thesauros 
in  terra.  (Matlh.  6.  16.  19.) 

Dans  l'Evangile  de  ce  jour  tiré  du  chapitre  sixième  de 
S.  Matthieu,  notre  Sauveur  nous  exhorte  à  la  fuite  de  trois 
vices,  qui  sont  les  sources  de  tous  les  péchés  qui  se  com- 
mettent dans  le  monde  :  l'intempérance ,  la  vanité ,  l'ava- 
rice ;  et  pour  nous  les  faire  éviter  en  ce  saint  temps  de 
carême ,  l'Eglise  catholique  nous  met  dans  l'esprit  la  souve- 
nance de  la  mort,  et  nous  fait  considérer  ce  que  deviendront 
nos  corps,  nos  âmes  et  nos  biens  après  notre  trépas  ;  voilà 
pourquoi,  en  même  temps  que  le  diacre  dit  en  l'Evangile  de 
la  messe  :  Quand  vous  jeûnez  ne  faites  pas  comme  les  hy- 
pocrites, et  n'amassez  pas_des  trésors  sur  la  terre  ;  en  même 
temps  le  prêtre  dit  en  donnant  les  cendres  :  Souvenez-vous 
que  vous  êtes  poudre,  et  que  vous  retournerez  en  poudre  ; 
comme  si  l'Eglise  voulait  dire  :  Quand  vous  jeûnez,  voulez- 
vous  avoir  une  forte  bride  pour  réfréner  votre  sensualité  et 
vous  empêcher  de  rompre  votre  jeûne  ?  souvenez-vous  qu'il 
faut  mourir,  et  que  vous  serez  réduit  en  poudre  pour  puni- 
tion d'un  péché  de  gourmandise.  Voulez- vous  pratiquer 
l'abstinence  et  les  autres  vertus  chrétiennes,  non  par  vanité, 
comme  les  hypocrites,  mais  pour  l'amour  de  Dieu  et  de  la 
vertu?  souvenez-vous  qu'il  faut  mourir,  et  qu'après  la  mort 
votre  àme  sera  présentée  au  Fils  de  Dieu  qui  ne  juge  pas 


sermon  ceci. — de  la  pensés,  etc.  459 

félon  l'apparence  extérieure ,  mais  selon  la  sincérité  et 
droiture  de  l'intention.  Voulez-vous  avoir  cm  puissant  mo- 
tif pour  i\;>ister  aux  tentations  d'avarice  ?  souvenez- vous 
qu'il  faut  mourir,  et  que  vous  n'emporterai  pas  les  biens 
temporels  que  vous  amassez  sur  la  terre.  Voilà,  Messieurs, 
le  dessein  du  Fils  de  Dieu  en  notre  Evangile;  voilà  les  avis 
de  l'Eglise  en  nous  donnant  les  cendres ,  voilà  les  trois 
points  de  mon  discours.  Sainte  et  bienheureuse  Vierge  , 
c'est  aujourd'hui  que  nous  désirons  apprendre  à  vous  dire 
ce  que  nous  vous  disons  tous  les  jours,  mais  à  le  dire  plus 
dévotement  (juc  nous  n'avons  jamais  fait  :  Sainte  Marie  , 
mère  de  Dieu,  priez  pour  nous,  pauvres  pécheurs,  mainte- 
tenant  et  à  L'heure  de  notre  mort  ;  vous  êtes  mère  de  Dieu 
et  nous  sommes  pécheurs,  ce  sont  deux  qualités  bien  oppo- 
sées, mais  opposées  relativement  ;  il  y  a  rapport,  il  y  a  re- 
lation, et,  si  je  l'ose  dire,  il  y  a  causalité  entre  votre  dignité 
de  mère  de  Dieu  et  noire  qualité  de  pécheurs  ;  nous  prenons 
la  confiance  de  vous  dire  que  nous  sommes  cause,  ou  au 
moins  occasion  (pie  vous  êtes  mère  de  Dieu;  s'il  n'y  avait 
point  de  pécheur,  il  ne  faudrait  point  de  Rédempteur; s'il 
n\  avait  point  de  Rédempteur  il  n'y  aurait  point  d'Homme- 
Dieu;  s'il  n'y  avait  point  d'Homme-Dieu,  il  n'y  aurait  point 
<:«'  unie  de  Dieu.  Sainte  Marie,  mère  de  Dieu  ,  priez 
donc  pour  nous,  pécheurs,  à  l'heure  de  notre  mort;  car 
bêlas!  à  cette  heure  tant  périlleuse  nous  n'aurons  point  de  re- 
fuge ni  d'asile  plus  assuré  qu'à  l'ombre  de  votre  protection, 
mais  priez  pour  nous  maintenant ,  afin  que  nous  vivions 
si  saintement  que  les  prières  que  vous  ferez  pour  nous  à 
l'heure  de  notre  mort  nous  soient  utiles  et  salutaires  ;  nous 
ii  supplions  très  humblement  en  nous  prosternant 
-  pieds,  et  vous  saluant  avec  l'ange  :  Ave,  Maria. 

IDEA  SERMOiNIS. 

Primnm  punctum.  A.  Proponuntur  quinque  difjicultates 
(  l' r.i  prokibitionem  pomi  ,  et  ejus  (ransgressionêm, 
il  n Us  satisfit  — B.  Conclusion**  murales  ex  prœ- 

d Vf  lis. 


460  SERMON  CCCI. 

Sccundum  punctum.  C.  ^4 g it  contra  vanitatem,  Scrip- 

tura ,  Patribus,  Exeniplo. 
Tèrtium  punclum.  D.   Contra  avaritiam ,  Scriptura  , 

Patribus,  Rationibus. 
Conclusio.  E.   Paraphrasis  iîlorum  verborum  :  Thc- 

saurizate  vobis  in  cœlo. 

PMBiUM  punctum.  —  Proponuntur ,  etc. 

A.  —  (Prohibitionem  pomi,  etc.)  Le  jour  même  que 
tu  mangeras  de  ce  fruit  tu  mourras.  Sur  cette  défense  que  le 
Créateur  fit  à  noire  premier  père  au  commencement  des  siè- 
cles ,  sur  la  menace  qu'il  lui  fit ,  en  cas  qu'il  vint  a  la  trans- 
gresser, et  sur  la  transgression  de  cette  défense,  comme 
elle  est  racontée  en  l'Ecriture  sainte,  il  y  a  plusieurs  belles 
et  curieuses  questions  qu'on  n'a  pas  coutume  d'éciaircir,  et 
qui  méritent  néanmoins  d'être  soigneusement  éelaircies. 
A  quel  propos  lui  défendre  cette  pomme  ?  ou  elle  était  bonne, 
ou  elle  était  mauvaise.  Si  elle  était  mauvaise,  pourquoi  l'a- 
t-il  créée  ?  si  elle  était  bonne  pourquoi  IVt-il  défendue  ? 
chaque  chose  n'est-elle  pas  pour  sa  fin?  la  fin  et  l'usage 
d'une  pomme,  n'est-ce  pas  d'êîre  mangée  ?  quel  profit  ou 
dommage  en  peut  revenir  à  Dieu  si  l'homme  s'abstient  de 
ce  fruit,  ou  s'il  en  mange? 

Après  cette  défense,  le  serpent  s'adresse  à  la  femme, 
lui  propose  des  questions,  lui  demande  des  pourquoi  :  pour- 
quoi est-ce  que  Dieu  vous  a  défendu  de  manger  de  ce 
fruit  ?  elle  répond  :  Il  nous  est  permis  de  manger  de  tous 
les  fruits  de  ce  beau  verger,  mais  Dieu  nous  a  commandé 
de  ne  pas  toucher  à  celui  que  vous  me  montrez.  Le  Sage  dit 
en  l'Ecclésiastique,  (Eccli.  1  T.  5.)  que  Dieu  avait  doué  nos 
premiers  parents  d'un  bel  esprit,  d'un  très  bon  sens ,  et 
d'une  science  infuse  :  Disciplina  intellectus  replevit  illos; 
creavit  illis  scientiam  spirituel  sensu  implevit  cor  il" 
forum.  Comment  est-ce  que  la  femme  ne  s'étonna  pas  d'ouïr 
parler  le  serpent  ;  ne  savait-elle  pas  que  la  parole  est  une 
propriété  de  l'homme,  dont  les  bètes  sont  dépourvues,  aussi 
bien  que  de  la  raison  ?  Comment  se  laissa -t-eile  approcher 


DE  TA  PfiNSfefi  DE  LA  MORT.  461 

d  un  animal  si  odieux  ?  Comment  ne  s'enfuit-elle  pas  sitôt 

qu'elle  le  vil  ?  Comment  s'ainusa-t-elic  à  parlementer  avec 
nue  créature  si  horrible  ?  Dieu  nous  a  commandé,  dit-elle, 
de  ne  pas  manger  de  ce  fruit.  Lisez  le  Texte  sacré,  vous 
ne  trouverez  point  qu'il  fait  défendu  à  la  femme,  oui  bien 
à  l'homme  ,  et  cela  avant  la  création  de  la  femme  :  car  la 
défense  est  an  chapitre  second  <le  la  Genèse,  verset  seize  , 
la  cna lion  d'Eté  est  un  peu  plus  bas  au  verset  vingt-deux  , 
après  laquelle  pas  un  mot  de  la  défense.  Il  nous  a  commandé 
de  ne  pas  mander  de  ce  fruit,  et  même  de  ne  le  pas  tou- 
eher.  Il  semble  que  cela  est  faux  :  car  en  L'Ecriture  sainte, 
quand  Dieu  parle  de  ce  fruit,  il  ne  défend  pas  de  le  loucher, 
mais  seulement  d'en  manger  ;  il  ne  dit  pas  ne  tangos y  mais 
ne  comedas* 

Et  c'est  une  merveille  que  l'homme  en  l'état  d'innocence 
et  de  justice  originelle  ait  pu  offenser  Dieu,  pour  un  aussi 
maigre  sujet  (prune  pomme  ;  on  n'a  coutume  d'offenser 
Dieu  que  par  une  de  ees  trois  voies  :  ou  par  ignorance,  ou 
par  fragilité  et  faiblesse,  ou  par  malice.  Adam  péeha-t-il 
par  ignorance  ?  non ,  il  était  très  savant,  comme  nous  avons 
vu.  S.  Paul  dit  expressément  qu'il  ne  fut  pas  séduit.  (1) 
Péeha-t-il  par  fragilité  de  la  concupiscence  ?  non,  en  ce 
siècle  d'or,  la  chair  était  entièrement  soumise  à  l'esprit,  la 
sensualité  à  la  raison,  la  partie  inférieure  de  Pâme  à  la  su- 
périeure. E>t-ce  donc  par  malice  qu'il  pécha  ?  Il  est  diffi- 
cile à  croire  qu'étant  tout  fraîchement  sorti  des  mains  de 
Dieu,  ayant  Pâme  droite,  étant  en  état  de  grâce,  ayant 
reni  tant  de  faveurs  de  Dieu,  il  l'ait  voulu  offenser  direc- 
tement et  de  malice  noire  pour  un  morceau  de  pomme. 

Enfin,  il  semble  que  la  parole  de  Dieu  en  sa  menace  n'est 

pas  entièrement  vraie  ;  il  avait  dit  que  si  l'homme  mangeait 

fruit ,  il  mourrait  le  même  jour  ;  il  en  a  mangé  et  n'est 

pas  mort  le  même  jour  ,  mais  a  encore  vécu  pour  le  moins 

neuf  cents  ans. 

J'emprunterai  de  S.  Chrysostomc,  (Homil.  14.  in  Gè- 
nes.) de  S.  Augustin,  (lib.   14  de  Civit.   cap.  11.)  de 

(!)  H  ICttU  Adam  in  pnèvaiicatiooe.  (l.Tirnolli.  2<  H.) 


462  SERMON  ceci. 

S.  Thomas,  (1  parte,  q.  94.)  et  des  autres  pères,  l'éclair- 
cissement de  ces  difficultés.  A  la  première,  on  répond  que 
cette  pomme  était  bonne  et  créée  de  Dieu,  mais  que  l'usage 
en  était  mauvais  non  absolument,  mais  supposé  la  défense, 
et  que  la  défense  en  était  faite,  non  par  jalousie  du  Créateur, 
comme  le  détestable  menteur  disait,  mais  pour  éprouver 
l'obéissance  de  l'homme.  Voilà,  par  exemple,  dit  S.  Chry- 
sostôme ,  un  grand  seigneur  qui  est  riche  de  cent  ou  deux 
cents  mille  livres  de  rente  ;  il  a  tant  de  terres ,  qu'il  ne  peut 
avoir  soin  de  les  faire  toutes  cultiver  ;  il  en  a  affermé  une  à 
un  villageois ,  il  la  lui  donne  à  perpétuité  pour  lui ,  mais  à 
condition  qu'il  paiera  tous  les  ans  au  seigneur  et  à  ses  héri- 
tiers ,  dix  sous  de  rente,  et  que  s'il  y  manque,  il  perdra  ledit 
héritage  ;  pourquoi  lui  impose-t-il  cette  charge,  un  homme 
qui  a  cent  mille  livres  de  rente?  sera-t-il  plus  riche  si  on 
lui  paie  dix  sous  tous  les  ans ,  plus  pauvre  si  on  ne  les  lui 
paie  pas  ?  Il  a  mis  cette  condition,  afin  que  le  paysan  et  sa 
postérité  rendent  hommage  par  ce  paiement ,  et  reconnais- 
sent qu'il  tient  cette  terre  du  seigneur.  Si  Dieu  n'eût  point 
fait  de  commandement  à  l'homme  ,  on  n'eût  pas  connu  que 
Dieu  est  le  souverain,  et  que  l'homme  est  le  vassal;  les 
méchants  eussent  pensé  qu'ils  ne  relevaient  de  personne,  les 
bons  eussent  été  fâchés  de  n'avoir  point  d'occasion  de  té- 
moigner à  Dieu  leur  dépendance,  leur  condition  servile,  et 
la  fidélité  et  obéissance  qu'ils  lui  doivent.  Dieu  donc  pour 
montrer  qu'il  ne  désirait  pas  la  perle  de  l'homme,  mais  seu- 
lement qu'on  reconnût  la  souveraineté  qu'il  a  sur  lui ,  ne  lui 
fait  pas  de  grandes  ordonnances  ,  ni  en  grand  nombre;  il 
ne  lui  fit  qu'un  seul  petit  commandement  très  facile ,  très 
doux ,  très  digne  d'être  bien  gardé.  La-dessus,  le  serpent 
se  présente  à  Eve,  et  elle  ne  s'enfuit  pas,  elle  n'en  eut  pas 
d'horreur,  parce  qu'en  ce  temps-là  les  serpents  n'étaient' 
pas  venimeux,  ou  du  moins  n'étaient  pas  ennemis  de  l'hom- 
me ,  dit  S.  Basile.  Les  bètes  qui  sont  à  présent  plus  farou- 
ches ,  étaient  lors  privées  ,  domestiques ,  souples  et  obéis- 
santes à  l'homme,  comme  de  petits  chiens  ou  agneaux  : 
c'est  notre  rébellion  qui  les  a  révoltées  contre  nous  ;  ce  fut 


DE  LA    PLISSKR  DL  LA  MORT.  463 

après  le  péché  que  Dieu  dit  au  serpent  :  Je  mettrai  inimitié 
(  litre  toi  el  la  femme  ,  entre  ta  postérité*  et  la  sienne.  Quel- 
ques docteurs  tiennent  que  ce  serpent  était  de  l'espèce  de 
ceux  qu'ils  appellent  en  latin  scytale.  (PererilM  in  Gencs.) 

Ce  serpent  e.st  fort  agréable  à  la  vue  ,  il  a  comme  une 
crête  dorée  but  la  tele  ,  le  dos  armé  d'une  écaille  éclatante, 
et  de  diverses  couleurs,  comme  l'arc-en-ciel. 

Il  semble  que  Virgile  en  a  eu  quelque  connaissance  ,  et 
qu'il  Ta  décrit  en  l'Enéide.  (5.  v.  87.) 

CtanlCM  rai  Isrga  nota),  maculosus  et  auro, 
Sqii.iinaui  incendebat  falgor,  ceu  nubibus  arous  , 
Mille  put  varios  adverso  sole  colores. 

S.  Thomas  (1.  part.  q.  94.  art.  h.  ad  2.)  dit  que  la 
femme  s'imagina  que  le  serpent  lui  parlait  par  une  vertu 
d'en  haut ,  c'est-à-dire  qu'elle  crut  qu'un  ange  du  ciel  avait 
emprunté  le  corps  de  serpent  pour  converser  avec  elle 
comme  depuis  on  a  vu  que  des  anges  ont  parlé  à  Abraham' 
à  Loth,  à  Manué  père  de  Samson,  par  l'entremise  des  corps 
qu'ils  s'étaient  formés  d'air,  ou  d'autre  matière. 

Elle  répondit  :  Dieu  nous  a  commandé  de  ne  pas  manger 
de  ce  fruit ,  parce  qu'encore  qu'il  ne  l'eût  pas  commandé 
immédiatement  ,  il  le  lui  avait  commandé  par  l'entremise 
m  mari.  Beau  mystère,  Messieurs,  beau  mystère  et 
digne  de  réflexion.  Au  texte  grec  des  Septante,  Dieu  parle 
au  nombre  pluriel  quand  il  défend  le  fruit  :  *rà  k  ro„  joxoù 
i«  *«Xov  y.xi  «-ovïj/jov,  où  çxysctOe  ;  i)  o'iv  $fiéflx  f*yt) 

xrr'  x:j:oj    ÙMfàê*    &*0ÔXVgtaÔ9* 

Pour  montrer  qu'il  parle  à  tous  deux  ,  et  qu'il  fait  la  dé- 
B  l'homme  et  à  la  femme  ,  au  texte  hébraïque,  il  parle 
au  nombre  singulier  :  car  il  y  a  lo  tokel  mimenou,  ne  co- 
te ex  eu  ,  non  pa$  lo  tokelou  ,  ne  comedatis  ,  pour 
.  dit  S,  Chrj  rostome,  que  le  mari  et  la  femme  ne 
,ue  comme  une  même   personne;   qui  parle  à  l'un  , 
ux  ,  tout  doit  leur  être  commun.  Mais  il  fait 
avant  la  création  de  la  femme,  et  il  veut 
qu'el!'  nue  de  l'homme  pour  nous  enseigner  de  bonne 

apprendre  les  volontés  de  Dieu,  non 


4(i4  SERMON  ceci. 

de  lui  immédiatement ,  mais  par  Pentremise  des  hommes , 
par  les  oracles  de  TEglise. 

S.  Augustin  au  lieu  sus-allégué  ,  dit  qu'Adam  ne  pécha 
pas  par  ignorance  ,  ni  par  faiblesse  de  la  concupiscence  , 
ni  par  malice  pour  les  raisons  que  nous  avons  déduites, 
mais  par  complaisance  et  respect  humain ,  sociali  neces- 
siiudine  ,  comme  Salomon  adora  les  idoles ,  non  point 
qu'il  crût  qu'il  y  eût  en  elles  quelque  divinité,  mais  pour 
complaire  aux  femmes  idolâtres  qu'il  aimait.  Adam  crut  que 
son  péché  serait  pardonnable,  et  que  ce  serait  pour  lui  une 
belle  excuse  quand  il  dirait  au  bon  Dieu  :  J'ai  mangé  de  ce 
fruit ,  non  pas  pour  vous  désobéir  ,  mais  pour  condescen- 
dre à  la  volonté  de  celle  que  vous  m'avez  donnée  pour 
compagne ,  pour  m'accommoder  à  son  humeur  ,  et  ne  pas 
rompre  avec  elle  ;  il  crût  que  Dieu  Pexcuserait,  et  qu'il  ne 
mourrait  pas;  mais  il  se  trompa.  Et  vous  !  et  vous  !  vous 
offensez  Dieu  pour  complaire  à  je  ne  sais  quelle  femme, 
à  une  effrontée  ,  ou  au  moins  à  une  volage,  à  une  cruelle  , 
à  une  dénaturée;  vous  épousez  ses  querelles  féminines,  vous 
vous  rendez  partisan  de  ses  passions  déréglées,  vous  ruinez 
les  pauvres  et  les  orphelins  pour  lui  faire  porter  la  soie, 
vous  êtes  cruel,  pour  l'amour  d'elle,  à  votre  pauvre  père  ou 
mère;  et  Dieu  vous  pardonnera  !  vous  vous  trompez,  vous 
vous  trompez. 

Quant  à  ce  que  Dieu  dit  que  l'homme  mourrait  le  même 
jour  qu'il  mangerait  de  ce  fruit,  il  y  a  diverses  explications 
des  docteurs.  Quelques-uns  disent  que  cela  s'entendait  de 
la  mort  de  l'âme.  Car  au  même  moment  qu'il  mangea  de  ce 
fruit ,  il  perdit  la  grùce  de  Dieu,  qui  est  la  vie  de  l'âme 
et  commit  un  péché  mortel,  qui  est  la  plus  déplorable  de 
toutes  les  morts  :  ils  disent  vrai ,  mais  ils  ne  disent  pas 
tout.  S.  Irénée,  (lib.  6.  contra  hœreses.)  S.  Justin  martyr, 
(  dialog.  ad.  Triphonem.  )  et  quelques  autres  ,  pesant  ces 
paroles  du  Psalmiste  et  de  S.  Pierre  :  Quuniam  mille 
anni  ante  oculos  tuos  ,  tanquam  dies  ,  (  Psal.  89.  4.  ) 
disent  qu'en  la  préseuce  de  Dieu,  et  au  calendrier  de  son 
éternité,  mille  ans  ne  sont  que  comme  un  jour;  et  on  trouve 


DE   LA   PENSER  DK  I.\  M011T.  .',(', J 

bien  que  Mathusalem  a  vécu  neuf  cent  soixante-neuf  tas', 
et  Adam  neuf  ecnl  trente  ans  ,  mais  on  ne  trouve  point 
qu  un  homme  seul  ait  vécu  jusqu'à  mille  ans,  et  par  consé- 
quent pas  un  n  a  vécu  un  jour  entier  selon  le  calendrier 
de  Dieu.  S.  Augustm(in.  Psal.  127.)  l'entend  du  calen- 
drier des   hommes  et  de  la   mort  corporelle,    et  il  dit 
quAdam  mourut,   e'est-a-dire ,  commença  à  mourir  le 
'"«me  jour  qu  il  pécha,  parce  que  Ja  mort  est  la  fin  de  la 
»ie,  et  une  partie  de  noire  vie  finit  continuellement,  même 
a  mesure  que  noua  avançons  en  âge  :  l'enfance  meurt  quand 
la  puérilité  arrive,  la  puérilité  meurt  quand  nous  entrons 
en  I  adolescence  ,  et  ainsi  des  autres  ùges,   et  nous  ne 

ThZ-nv  Cn  CC  JTSanS  m0,,rir  au  J'0ur  P'-^ent. 

«  In  hoc  Idlhmur,  quod  mortem  prospieimus,  magna  pars 

«  ejusjain  pneten.t  :  ultima  hora  qua  vila  defleimus,  non 

«  sola  morlem  faeit  ,  sed  sola  consummat  vilam  :  lune  ad 

«   HUm  perremmus,  sed  din  venimus,  »  dit  Sénèque.  Nous 

nous  (rompons  de  regarder  la  mort   comme  une  chose 

future  et  bien  éloignée,  nous  en  avons  déjà  passé  une  bonne 

parl.e;   dans  une  horloge  de  sable  ce  n'est  pas  le  dernier 

grain  qu,    épuise  ,  mais  tout  ce  qui  a  coulé  auparavant;  ce 

n  esl  pas  le  dernier  moment  qui  fait  passer  l'heure,  mais 

La  plus  naïve  et  la  plus  simple  explication,  c'est  la  plus 
Lttérale  de  Simmaque  ,  qui ,  au  lieu  de  morte  morieris, 
tourne  *n*  tan.mortali,  eri.s  :  Tu  seras  sujet  à  mourir, 
tu  cas  condamné  à  celte  peine  qu'il  faudra  porter  cn  temps 

l'eu,  car  I  homme  ayant  élé  doué  d'immortalité  d'inno- 
cence par  un  privilège  particulier  du  Createur,  fut  privé  de 
ceue  laveur  lui  el  sa  postérité  en  punition  de  sa  révolte 

B.  •—  (  Qmelusione».  )  C'est  ce  qui  nous  doit  faire 

^««««'oirenhomnn-lamalignkédupéehéquiS 
-  d  unes,  mauv„se  fille;  un  bon  arbre  ne  porte  jamais  de 
mauvais  fruit,  dit  notre  Sauveur.  La  malignité  de  l'effet 
montre  la  mahgnilc  de  la  cause.  Je  m'explique  pour  me 
faire  entendre  au  peuple  :  vous  avez  quelquefois  dans  vOS 
■wons  un  joli  petit  enfant,  beau  comme  un  astre,  blanc 


466  SEH310IN  ceci. 

comme  la  neige ,  vermeil  comme  une  rose ,  vous  diriez 
presque  que  c'est  un  ange,  sa  vue  adoucit  toutes  vos  amer- 
tumes ;  la  mort  lui  arrive  par  une  petite  vérole  ,  ce  corps 
qui  était  si  agréable,  devient  hideux,  laid,  difforme,  puant, 
couvert  de  lèpre,  les  yeux  éteints,  les  tempes  creusées,  les 
joues  pâles ,  les  lèvres  livides ,  les  mains  abattues  ,  les 
jambes  raides,  tout  le  corps  glacé  et  immobile  ;  corps,  non 
plus  corps  ,  mais  un  cadavre,  une  voirie  ,  un  sac  de  pourri- 
ture, ou  au  plus  un  peu  de  terre  qui  ne  demande  que  d'être 
portée  en  terre.  Qui  a  fait  ce  ravage  ?  qui  a  butiné  la  vie, 
la  vigueur,  la  beauté,  la  bonne  grâce  de  cet  enfant  ?  qui  a 
fait  ce  divorce  de  Tàme  et  du  corps  ?  c'est  la  mort  ;  d'où 
vient-elle  ?  qui  a  produit  cette  mauvaise  engeance  ?  qui  a 
enfanté  cette  meurtrière  ?  c'est  le  péché  :  Per  peccatam 
mors;  stipendium  peccali  mors.  Mais  cet  enfant  n^en 
avait  point  commis ,  il  était  incapable  d'en  commettre  ,  il 
n'avait  que  quinze  mois  ou  deux  ans ,  il  ne  savait  pas  en- 
core discerner  entre  sa  main  droite  et  sa  main  gauche, 
comme  parle  l'Ecriture;  non,  il  n'a  point  commis  de  péché, 
mais  il  est  descendu  d'un  père  qui  en  a  commis,  et  en  puni- 
tion de  ce  seul  péché,  d'un  péché  qui  nous  semble  si  petit, 
comme  de  manger  une  pomme;  ce  pauvre  petit  enfant  et 
tous  ses  semblables,  très  innocents,  et  tous  les  hommes  qui 
ont  été,  qui  sont  et  qui  seront  jusqu'à  la  fin  des  siècles  sont 
condamnés  à  la  mort.  O  abîme  épouvantable  des  jugements 
de  Dieu  !  ô  rigueur  et  sévérité  redoutable  de  la  vengeance 
du  ciel  !  ô  effroyable  énormité  et  malignité  du  péché  !  ô 
grandeur  incompréhensible  et  infinie  de  la  majesté  de  Dieu! 
qu'un  seul  péché,  et  un  péché  qui  nous  semble  si  léger,  mé- 
rite très  justement  une  si  grande  peine  pour  être  commis 
contre  cette  très  haute ,  très  excellente,  très  adorable  et 
très  aimable  Majesté  !  qu'une  faute  tant  de  fois  punie  et 
partagée  entre  tant  de  personnes  ne  soit  pas  encore  effacée  ! 
qu'une  désobéissance  en  matière  qui  nous  semble  de  si  peu 
d'importance  soit  vengée  par  le  trépas  de  tant  de  mille  et 
millions  de  personnes  !  malheur  a  nous  ,  malheur  à  nous 
d'avoir  offensé  Dieu  !  et  que  sera-™  de  nos  propres  péchés, 


DE  LA  PEN8ÉB  DH  LA  MOUT.  467 

si  nous  payons  si  rigoureusement  le  péché  de  notre  premier 
père?  que  sera-ce  de*  blasphèmes ,  des  adultères ,  des  sa- 

ps,  si  mettre  la  dent  dans  une  nomme  mérite  une  si 
grande  peine  ? 

Que  L'hérétique  dise  maintenant  :  La  viande  est-elle 
mauvaise?  n'est-elle  pas  créature  de  Dieu  en  carême  aussi 
bien  qu'en  autre  temps?  ce  qui  entre  par  la  bouche  ne  souille 
point  L'aorte.  Celte  pomme  était-elle  mauvaise  ?  n'était-ce 
pas  une  créature  de  Dieu  ?  n'est-elle  par  entrée  par  la 
bouche?  et  nous  voyons  comme  elle  nous  a  souillés  ,   nous 

utons  les  funestes  effets  qu'elle  a  produits.  Non ,  ce 
qui  entre  par  la  bouche  ne  souille  point  Pâme,  mais  la  dés- 
obéissance ,  le  péché  que  Ton  commet  en  usant  mal  d'une 
lionne  viande  ;  et  puis  dites  maintenant  que  ce  n\jst  pas 
Dieu  qui  a  défendu  la  viande  !  c'est  un  commandement  des 
li-uiimcs  oui;  mais  vous  ne  dites  pas  que  Dieu  à  commandé 
d'obéir  aux  hommes ,  que  celui  qui  résiste  à  la  puissance 
supérieure,  résiste  à  l'ordonnance  de  Dieu,  et  s'acquiert  la 
damnation  ,  dit  S.  Paul.  (  Rom.  13.  2.  )  À  notre  compte 
Eve  pourrait  dire  :  Dieu  ne  m'a  pas  défendu  cette  pomme  , 
où  est  >a  parole  et  son  Ecriture?  Adam,  vous  me  dites  qu'il 
l'a  défendue  à  nous  deux ,  je  ne  suis  pas  obligée  de  vous 
croire,  vous  êtes  homme  qui  pouvez  tromper  ou  être  trompé, 
c'est  peut-être  qu'elle  est  si  bonne  que  vous  la  voulez  manger 
tout  .seul.  Elle  ne  dit  point  cela,  elle  ne  pouvait  pas  le  dire, 
parce  qu'Adam  était  alors  chef  de  l'Eglise.  Oui,  en  ce 
temps-là  l'Eglise  de  Dieu  était  déjà,  puisque  leur  mariage 
était  un  vrai  >arrement,  comme  dit  S.  Paul.  (Ephes.  5.  32.) 
Adam  était  chef  de  l'Eglise,  et  en  cette  qualité  il  avait  droit 
d'annoncer  à  Eve  et  à  ses  enfants  la  volonté  de  Dieu  et  le 
commandement  qu'il  lui  avait  fait.  Nous  y  voyons  encore 
combien  est  véritable  ce  qu'a  dit  S.  Paul,  que  si  un  ange 
du  <  ici  nmis  annonçait  quelque  chose  contre  ce  que  l'Eglise 
igné  ,  il  ne  faudrait  pas  le  croire.  Adam,  chef 
de  11  avait  dit  à  la  femme  qu'elle  mourrait  si  elle 

I  lu  fruit;  L'ange  qui  lui  apparaît  et  qu'elle  croit  être 

.  lai  dit  :  vous  ne  mourrez  pas  quoique 


A68  sermon  ceci; 

en  mangiez  :  Nequaquam  moriemini.  Elle  devait  plutôt 
croire  son  mari  qui  était  chef,  que  la  révélation  de  cet  ange; 
mais  elle  commence  à  douter  de  la  vérité  de  la  foi,  elle  dit  : 
Ne  forte  moriamur  :  Si  nous  en  mangeons  ,  peut-être 
que  nous  mourrons;  Dieu  n'avait  pas  dit  :  Forte  morieris: 
Peut-être  que  tu  mourras  ;  mais  il  avait  dit  :  Morte  mo- 
rieris :  Tu  mourras  de  mort;  elle  n'en  croit  rien  ;  cela  ne 
laisse  pas  pourtant  d'arriver  ,  elle  meurt  infailliblement , 
et  comme  Dieu  fait  toujours  plus  qu'il  ne  dit,  il  ne  la  con- 
damne pas  seulement  à  la  mort  dont  il  Fa  menacée  ,  mais 
à  d'autres  peines  dont  il  n'avait  pas  parlé  dans  la  menace,  à 
la  douleur  de  l'accouchement ,  aux  incommodités  de  la 
grossesse,  à  la  condition  servile  et  à  l'assujettissement  à 
Thomme  :  Sub  viri  potestate  eris.  Quand  vous  pensez  au 
mauvais  état  où  vous  êtes  ,  vous  dites  en  vous-même  : 
Peut-être  que  je  serai  damné  :  Forte  moriemur;  peut-être 
que  je  mourrai  de  la  mort  éternelle;  d'où  vient  ce  peut-être? 
vous  l'ajoutez  à  l'Ecriture  ,  il  faut  dire  :  Infailliblement  je 
serai  damné;  assurément  je  mourrai  de  la  mort  éternelle,  si 
je  ne  garde  les  commandements  de  Dieu;  vous  n'en  croyez 
rien,  mais  cela  ne  laissera  pas  d'arriver,  quoique  vous  ne  le 
croyiez  pas.  Oh!  qu'Adam  avait  d'abord  agi  sagement!  mais 
il  ne  persévéra  pas  en  sa  sagesse  :  Dieu  avait  défendu  seu- 
lement de  manger  du  fruit;  lui,  pour  éviter  toute  occasion 
et  s'éloigner  de  tout  danger  de  péché  avait ,  comme  chef 
de  l'Eglise;  ajouté  un  autre  commandement ,  savoir  de  n'y 
pas  toucher  ;  voilà  pourquoi,  quoique  Dieu  eût  seulement 
dit  :  Ne  comedas,  ou  selon  le  grec,  ne  comedatis  :  Gar- 
dez-vous d'en  manger ,  la  femme  dit  :  Il  nous  a  commandé 
de  n'en  pas  manger  ,  de  ne  le  pas  toucher  et  de  n'en  pas 
approcher  :  Prœcepit  nobis  ne  comederemus,  et  ne  tan- 
geremusy  et  même  ne  appropinquemus ,  selon  le  targum 
chaldaïque.  Il  savait  que  la  femme  étant  plus  faible,  si  elle 
venait  à  le  toucher  ou  à  l'approcher ,  elle  pourrait  prendre 
envie  d'en  manger,  il  devait  encore  défendre  de  le  regarder  : 
s'il  l'eût  fait  et  que  la  femme  lui  eût  obéi ,  ils  ne  seraient 
pas  tombés  dans  îe  malheur  ;  mais  elle  le  regarda  :  Vidit 


DB  U  PENSÉS  DE  LA   MOUT.  /SC,Q 

liptumquod  cssct  pukhrtm  ,  elle  eut  la  curiosité  Je 
nu  si  était  aussi  bon  que  beau,  elle  n'évita  pas  IVca- 
sioa  ,  elle  voulu:  regarder  ce  qu'il  n'elait  pas  loisible  de 
eonvoiler,  elle  voulut  contenter  son  appétit,  et  son  mari 
se  rendit  complaisant  à  ce  qu'elle  désirai)  ;  ils  se  sont  perdus 
et  nous  eussent  tous  perdus  sans  ressource  ,  si  le  Fils  do 
Uieu  n  eût  eu  la  bonté  de  nous  racheter. 

Voilà  maintenant  votre  axiome  :  Propter  amicum  fran- 
g*turje,untumf  c'est  pour  son  ami  qu'il  a  rompu  le  jeune 
et  Dieu  ne  1  excuse  pas.  Oh!  que  c'est  à  bon  droit  qu'en 
même  temps  que  Jésus  dit  :  Cumjejunatie  ,  l'Eglise  dit: 
Mémento,  homo!  En  ce  saint  temps  de  pénitence  pendant 
la  sainte  quaraulame  ,  veux-tu  ,  ô  homme  ,  avoir  un  frein 
pour  t  empêcher  de  rompre  ton  jeune  ,  veux-tu  avoir  un 
poignant  aiguillon  pour  t'inciter  à  l'abstinence  ?  souviens-toi 
qu  en  punition  d'une  petite  gourmandise  que  le  premier 
homme  a  commise  ,  (useras  réduit  en  cendre  :  Cum  ,««- 
,  mémento ,  homo  ,  quia  pulvù  es  ,  et  in  pulve- 

aECtmnun  pckctwi.  -  Agit  conira  vanitatem.      \ 

C.  -  {Scriptura,  etc.)  Kolilefieri  sicut  hypocrite. 

Les  hypocrites  ne  s  étudient  qu'à  donner  du  lustre  et  de 
apparence  a  leurs  actions  ,  souvenez-vous  qu'après  votre 
mort  vous  rendrez  compte  à  un  Juge  qui  a  plus  d'égard  à 
à  I  intérieur  qu  a  Vxl érieur  :  «  Pater  tuus  vide!  in  aliscon- 
-  d.to;  homo ,  Mdet  m  facie;  Deus,  antem  in  corde:  tu 
«  om,ne,v,des  nnde  veniat  Spiritus  ,  ubi  sit ,  e  q  uô 
<  vadat  ;  cpna  tu  es  omnium  spirituum  ponderalor,  tu  red- 

dis  umeuique  non  tantum  secundum  opéra  et  intenlio- 


ncm 


etiam  secundum  .psam  inlcriorcm  mcdullam 

raoïcjs .  de  qua  procedit  intentio  operantis  ;  cumque  di- 

n.cr  h«c  considéra,  timoré  ingenti  eonturbo?  Lo- 

a  nob»  magna  est  indila  nécessitas  juste  rectequo 

»'>'  •  qu'PÇe  qn  omnia  facimus  ante  oeulos  in  lie  s 

.»  Veux-tu,  o  homme!  faire  2- 

mni  .  non-senlement  à  l'extérieur  et  selon  ce 


470  SERMON  CCC1. 

qui  parait  aux  yeux  du  monde  .  mais  avec  bonne  intention, 
avec  attention  à  la  présence  de  Dieu  ,  par  un  pur  égard  à 
sa  gloire,  et  non  pas  sicut  hypocrites?  Mémento,  homo, 
quia pulvis  es  ;  souvenez-vous  que  vous  êtes  homme  ,  et 
qu'il  est  ordonné  à  tout  homme  de  mourir  quelque  jour  ;  et 
post  hoc  jiidicium  ,  et  qu'au  sortir  de  cette  vie  votre  ùme 
sera  présentée  devant  le  tribunal  d'un  Juge  qui  voit  tout  , 
qui  épluche  tout,  non-seulement  les  intentions,  mais  la 
moelle  ,  le  fond  et  la  racine  de  l'intention  :  Ta  es  omnium 
spirititum  ponderato?\ 

En  Daniel,  (  5. 1 .  )  il  est  dit  que  le  roi  Balthazar  clant 
à  table,  buvant  des  vins  délicieux  dans  les  coupes  du  temple 
de  Dieu  ,  ne  pensant  qu'à  faire  bonne  chère  ,  et  à  festoyer 
ses  amis,  vit  une  main  miraculeuse  qui  écrivait  sur  la  mu- 
raille ces  trois  paroles  chaidaïques  :  marie  ,  techel,  pha- 
res,  c'est-à-dire  ,  selon  l'interprétation  du  Saint-Esprit  : 
Dieu  a  compté  le  temps  de  ton  règne  ,  et  tu  es  à  sa  fin  ;  tu 
as  été  mis  en  une  balance  ,  et  as  été  trouvé  léger  ;  ton 
royaume  doit  être  divisé,  et  donné  en  proie  à  tes  ennemis. 
Le  même  jour  il  mourut ,  et  tout  cela  fut  accompli.  Ce  qui 
arriva  visiblement  à  ce  roi  infortuné  fut  une  instruction  pour 
nous  apprendre  que  la  même  chose  arrive  invisiblement  à 
toutes  les  âmes  au  sortir  de  cette  vie  ;  et  c'est  pour  cela  que 
l'on  peint  S.  Michel ,  ce  glorieux  archange ,  avec  une  ba- 
lance en  la  main ,  parce  que  selon  la  tradition  de  l'Eglise  , 
ce  Saint  reçoit  les  âmes  au  sortir  de  ce  monde  ,  il  les  porte 
au  bureau  de  la  justice  divine  ;  là  elles  sont  pesées  ;  si  l'on 
trouve  qu'elles  aient  toutes  les  qualités  qui  sont  nécessaires 
selon  leur  état  et  condition  ,  elles  sont  reçues  et  mises  au 
trésor  céleste  ;  si  elles  sont  légères  d'un  seul  grain  ,  elles 
sont  absolument  rejetées  :  c'est  ainsi  que  le  roi  Balthazar 
fut  pesé.  Mais  que  pensez-vous  qu'on  mit  dans  un  côté  de 
la  balance  ?ses  états  ,  ses  finances,  sa  couronne,  sa  dignité 
royale  ?  oui  ,  mais  on  y  mit  encore  bien  d'autres  choses 
que  vous  ne  pensez  pas ,  savoir  l'air  qif  il  respirait  :  Deum 
qui  hahet statumtuuminmanu  sua  non  glorificasti.  Et 
parce  que  l'action  de  h  grâce,  la  reconnaissance  et  l'usagé 


DE  LA  PENSÉE  DE  LA  MORT.  471 

qu  11  en  avait  fait  De  Icnail  pas  la  i  ilance  en  équilibre  ,  il 
fol  rejeté  comme  n'étant  pas  de  poids  :  lurent  us  est  mi- 
nnshabens. Cei  évêque  de  Sardique  fut  aussi  pesé  et  trouvé 
léger  ;  fJdsus  lui  mandait  par  S.  Jean  :  (Apoc.  3.  2.)  Non 
invenio  opéra  tua  p/ena.  Ainsi  nous  serons  tous  pesés, 
Messieurs,  au  sortir  de  cette  vie  ;  dans  un  bassin  delà 
balance  on  mettra  la  dignité  sacerdotale ,  l'état  de  judica- 
lurc  ,  ce  bel  esprit  que  vous  avez,  l'industrie  ,  l'éloquence 
Ct  les  autres  talents  naturels  et  surnaturels  que  Dieu  vous  à 
donnés,  toutes  les  prédications  des  confréries,  les  bons 
exemples  de  votre  prochain,  la  commodité  de  fréquenter  les 
sacrements  ;  et  dans  l'autre  bassin  ,  on  mettra  nos  actions, 
l'usage  que  nous  aurons  fait  de  toutes  ces  grâces  de  Dieu. 
Si  on  Irouve  que  nos  actions  ne  soient  pas  faites  avec  la  so- 
lidité, la  perfection  et  la  plénitude  requises,  onles  rejettera. 
Alors .  alors  ,  Messieurs  les  Ecclésiastiques  ,  nous  connaît 
Irons  par  expérience,  mais  peut-être  à  notre  grand  regret, 
combien  pesante  est  celle  couronne  que  nous  portons  sur  la 
tête.  Un  ancien  disait  que  les  couronnes  royales,  quoique 
belles  et  éclatantes  de  pierreries,  sont  bien  pesante' sur  la 
tète  des  rois,  parce  que  les  espaces  qui  nous  semblent  vides 
entre  les  fleurons  qui  la  composent ,  sont  remplis  de  soins 
et  de  sollicitudes  pour  le  bien  de  leurs  sujets.  De  même, 
cette  couronne  que  nous  portons  sur  la  tête  nous  semble  bien 
légère  ,  parce  que  la  tonsure  elle  nous  décharge  des  cheveux 
et  nous  parait  vide  ;  mais  alors  nous  connaîtrons  combien 
elle  était  pesante  ,  que  ce  vide  était  rempli  de  charges ,  de 
devoirs  et  d'obligations  ,  et  qu'il  y  avait  plus  de  comptes  à 
rendre  que  de  cheveux  6tés  par  la  tonsure;  alors  nous  connaî- 
trons combien  pesante  et  onéreuse  était  cette  chasuble  qu'on 
nous  nul  sur  les  épaules ,  quand  on  nous  donna  les  ordres 
car  si  nous  ne  servons  pas  Dieu  et  l'Eglise  avec  la 
'  ,  la  pureté,  la  ferveuret  l'assiduité  que  demande 
une  dignité  si  haute  et  si  divine  ,  nous  serons  répudiés  ; 
alors  je  connaîtrai  combien  estpesantee  surplis  que  je  porte' 
■  charge  de  prédicateur  que  j'exerce  ,  car  on  la  mettra 
da"  I   »«M  ■  et  dan,  l'autre  l'usage  que  j'en  aurai 


472  SERMON  ceci, 

fait ,  et  si  fêlais  si  misérable  que  de  m'etudier  à  chatouiller 
les  oreilles  et  a  contenter  les  curieux ,  faire  des  prédications 
de  fumée  et  de  yanité,  je  serais  répudié  :  je  veux  ,  moyen- 
nant la  grâce  de  Dieu,  prêcher  avec  tant  de  fruit  et  si  chré- 
tiennement que  toutes  les  àmes  que  j'aurai  gagnées  à  Dieu 
soient  mises  dans  un  des  bassins  ;  alors  vous  connaîtrez 
combien  pesantes  sont  tant  de  prédications  qui  se  font  en 
votre  ville ,  tant  de  saintes  confréries ,  tant  de  commodités 
de  fréquenter  les  sacrements,  tant  de  confesseurs  dans  tou- 
tes les  églises,  tant  d'exercices  de  piété,  car  si  vous  ne  vous 
êtes  pas  servis  de  toutes  ces  occasions ,  vous  serez  trouvés 
légers  ;  alors  ,  ô  àmes  dévotes  !  vous  éprouverez  combien 
sont  pesantes  les  paroles  sacramentelles  de  l'absolution 
qu'on  prononce  si  souvent,  les  communions  que  vous  rece- 
vez tous  les  huit  ou  quinze  jours  ;  car  si  vous  ne  yous  en 
servez  pas  pour  perfectionner  votre  vie  ,  pour  corriger  vos 
colères ,  vos  vanités  ,  vos  cajoleries  ;  votre  amour-propre, 
pour  devenir  plus  patientes  ,  charitables  envers  le  prochain, 
plus  ferventes  en  l'amour  de  Dieu  ,  vous  serez  trouvées 
légères  ,  vous  serez  répudiées  :  donc  puisque  vous  devez 
mourir,  puisque  vous  devez  être  jugées,  puisque  vos  actions 
doivent  être  pesées  au  jugement,  faites  qu'elles  aient  la  soli- 
dité et  la  perfection  de  la  vertu,  non  pas  seulement  l'appa- 
rence etl'écorce  extérieure  :  Nolitefierisicut  hypocritœ. 

tertium  punctum.  —  Contra  avaritiam. 

D.  —  (Scriptura  ,  etc.  )  Noîite  thesaurizare  vobis 
tliesauros  in  terra  :  N'amassez  pas  des  richesses  sur  la 
terre ,  souvenez-vous  que  vous  devez  mourir  et  que  vous 
n'emporterez  rien  des  biens  de  ce  monde  :  Cum  interieris 
non  sûmes  omnia  ;  ce  sera  pour  vous  un  horrible  crève- 
cœur  d'avoir  commis  tant  de  péchés,  et  de  vous  être  engagé 
à  la  damnation  éternelle  par  trop  d'affection  à  des  biens  tem* 
porels  que  vous  serez  contraint  de  quitter  ;  on  ne  perd  pas 
sans  douleur  ce  qu'on  a  possédé  avec  amour,  dit  S.  Augustin. 

Il  y  avait  l'autre  jour  dans  cette  ville  un  certain  bourgeois 
fort  riche  en  biens  temporels  ,  mais  pauvre  d'esprit  autant 


DK  LA  PENSffR  DK  LÀ  MOHT.  473 

qu'il  se  peut  ;  il  it.iij  si  idiot ,  qu'ayant  grande  quanlildde 
blé  il  le  mettait  dans  sa  cave  ;  un  doses  amis  Pelant  venu 
voir  et  sYlant  aperçu  do  eo  mauvais  ménage,  lui  dit  :  Mon 
cher  ami ,  à  quoi  pensez-vous  ?  où  est  votre  jugement?  clcs- 
vous  encore  si  nouveau  et  si  mauvais  économe  que  vous  ne 
?oyei  pas  que  votre  grain  se  pourrit  dans  votre  cave  ?  ne 
gavez-vous  pas  que  le  blé  ne  se  conserve  pas  bien  dans  les 
lieux  humides ,  qu'il  doit  élre  dans  quelque  lieu  sec  pour  se 
conserver  longtemps?  Portez ,  portez  votre  blé  au  grenier , 
vous  en  nourrirez  votre  famille  l'espace  de  deux  ou  trois  ans, 
et  le  reste  vous  le  vendrez  et  en  ferez  une  bonne  somme 
d'argent.  Cet  idiot  fut  si  opiniâtre  ,  qu'il  ne  voulut  pas  sui- 
vre ce  bon  conseil,  mais  il  laissa  son  grain  dans  celte  cave 
sous  prétexte  qu'il  était  plus  près  de  sa  chambre  ,  et  qu'il 
voulait  le  voir  souvent.  Savez-vous  quel  est  cet  opiniâtre  , 
cet  homme  perclus  de  jugement?  c'est  vous  !  tu  es  illevir; 
pardonnez  moi  ,  si  je  vous  le  dis  ,  c'est  après  S.  Augustin 
(serai.  50.  de  temporc  et  in  psal.  48.)  qui  m'a  fourni  celle 
comparaison.  Vous  avez  des  richesses  en  ce  monde  ,  mais 
elles  sont  dans  la  cave  ,  la  terre  est  le  sellier  où  vous  les 
enfermez ,  votre  grenier  doit  être  le  ciel  ;  le  Fils  de  Dieu 
qui  est  le  plus  grand  ami  que  vous  ayez  ,  vous  est  venu  vi- 
siter :  Visilavit  nos  orient  ex  alto  ;  il  a  vu  votre  mauvais 
ménage  ,  il  voit  que  nous  travaillons  beaucoup  et  que  nous 
profilons  peu,  parce  que  nous  mettons  notre  blé  clans  la 
cave  ,  nous  thésaurisons  dans  la  terre  ,  nous  accumulons 
des  richesses  ici-bas  où  elles  se  pourrissent  et  se  perdent  ; 
il  nous  dit  en  ami  :  JSolitethesaarizarevohis  thesauros  in 
terra.  Si  vous  amassez  des  richesses  sur  la  terre  ,  que  de- 
viendront-elles après  votre  mort  ?  Premièrement ,  jures 
effbdient  f  quelque  larron  crochettera  vos  coffres ,  iu\  de 
serviteurs  qui  épie  où  vous  tenez  votre  argent,  y  mettra 
le  premier  la  main  et  le  volera  à  vos  héritiers  ,  vos  neveux 
et  vos  autres  parents  le  pilleront  après  votre  décès,  et  plai- 
dant [\m  contre  l'autre  pour  en  avoir  la  meilleure  part ,  le 
consommeront  en  frais  de  justice  :  Furcs  effbdient.  En 
second  lieu  ,  iinea  demolitur,  la  teigne  rongera   votre 


474  SERMON  CCCI. 

bien  ;  quelque  chicaneur  plein  d'artifice,  quelque  procureur 
rusé,  quelque  homme  de  justice  :  injuste  œdificant  dam  os 
suas  sicut  tinea  ,  dit  Job.  La  teigne  s'attache  à  un  vête- 
ment qui  commencée  s'user,  et  elle  ronge  jusqu'à  ce  qu'elle 
paraisse  et  se  fasse  voir  ,  alors  on  la  prend  et  on  l'écrase 
sous  les  pieds  ;  ainsi  un  homme  de  justice  qui  n'a  pas  la 
crainte  de  Dieu  se  prend  à  une  famille  qui  commence  à  tom- 
ber en  déclin,  il  la  ronge,  sourdement  pour  paraître,  pour 
éclater ,  pour  se  faire  voir ,  pour  avoir  de  quoi  porter  la  soie, 
après  cela  Dieu  le  détruira  et  l'écrasera  sous  ses  pieds  :  Con- 
fregit  in  die  irœ  suœ  reges  ;  mais  Dieu  le  laisse  régner 
quelque  temps  pour  punir  voire  avarice  et  pour  ronger 
comme  la  teigne  les  biens  que  vous  aimez  tant.  En  troisième 
lieu ,  la  rouille  les  consommera  ,  la  paresse  et  la  fainéantise 
de  votre  enfant  :  s'il  avait  des  bien  médiocrement,  il  tra- 
vaillerait pour  les  accroître  ;  vous  lui  en  voulez  tant  laisser 
et  le  mettre  si  bien  à  son  aise,  qu'il  puisse  vivre  sans  rien 
faire  ;  il  se  fiera  à  ses  richesses  et  mènera  une  vie  fainéante 
et  toute  enrouillée  de  paresse,  toute  pourrie  d'oisiveté, 
toute  détrempée  en  délices ,  et  cela  consommera  vos  biens , 
il  en  dépensera  plus  dans  un  mois  que  vous  n'en  amasser 
lans  un  an. 

CONCLUSIO. 

E.  —  (Paraphrasis ,  etc.)  Faites  mieux  ,  suivez  leçon- 
seii  de  Jésus ,  portez  votre  blé  au  grenier  ,  rachetez  vos  pé- 
chés par  aumônes ,  donnez  de  vos  moyens  aux  pauvres  pour 
les  transporter  au  ciel  :  Thesaurizate  vohis  thesauros  in 
cϕo.  Chaque  parole  est  pleine  de  sagesse,  il  nous  les  faut 
peser.  Thesaurizate,  c'est  maintenant  le  vrai  temps  d'a- 
masser des  richesses  célestes.  Le  saint  temps  du  carême  , 
c'est  le  temps  de  la  moisson  spirituelle  ,  c'est  le  temps  de 
la  récolte  chrétienne,  c'est  le  temps  auquel  les  âmes  dévo- 
tes doivent  faire  provision  de  bonnes  pensées  ,  de  bons  en- 
seignements, de  bonnes  résolutions  pour  toute  l'année; 
Thesaurizate  donc  vohis.  Les  richesses  temporelles  que 
vous  thésaurisez  ne  sont  pas  pour  vous  ;  Thesaurizate  et 


DE  l-A  PENSEE  DELA  MORT.  Mo 

rat  eut  congregabit  ta  ;  elles  seront  pour  quelque  ne- 
feu  ingrat,  pour  quelqu'un  qui  ne  tous  en  saura  point  de 
les  bonnes  œuvres  que  vous  pratiquerez  en  celle  sainte 
quarantaine  seront  pour  vous,  vous  en  jouirez  vous-même  : 

wurizate  vobis  thesauros*  Quand  vous  travaillez 
pour  ce  monde ,  ce  ne  sont  pas  des  trésors  que  vousamas- 

■  e  sont  des  inquiétudes  ;  plus  vous  multiplie*  vos  mé- 
tairies, plus  vous  multiplies  les  soins  d'y  entretenir  des 
métayers;  plus  tous  acquérei  des  héritages,  plus  vous  aug- 
mente! la  peine  de  les  cultiver  ;  vous  amassez  des  péchés  , 
ou  en  acquérant ,  ou  en  conservant,  ou  en  affectionnant  trop 
ces  biens  ;  vous  amassez  des  peines  qui  sont  dues  à  ces  pd- 

:  irais  en  pratiquant  les  bonnes  oeuvres  ,  vous  amassez 
de  vrais  trésors,  et  des  trésors  inépuisables,  thesaurum 
non  deficientemy  dit  S.  Luc.  Ce  que  vous  amassez  pour 
celle  vie  ,  passe  en  moins  de  rien  ;  ce  que  vous  faites  pour 
le  ciel  demeure  éternellement.  Où  sont  maintenant  les  plai- 
les  voluptés,  les  passe-temps,  les  jeux,  les  festins, 

mseset  autres  récréations ,  que  des  ames  mondaines 
ont  eues  pendant  le  temps  du  carnaval  ?  tout  cela  est  passé 
comme  de  la  fumée  ,  rien  ne  leur  en  reste  que  le  regret  de 


avoir  commis ,  et  I  obligation  à  la  peine  qu'il  en  faudra  su- 
i  Pautre  vie  ;  mais  où  sont  maintenant  les  pénitences  , 
rières,  les  jeûnes,  les  mortifications  des  ames  dévotes, 
la  peine  en  est  passée,  le  fruit,  la  joie,  la  consolation,  et 
<  ompensc  leur  en  demeure,  et  demeurera  à  jamais  ; 
comme  il  en  scia  au  bout  de  six  semaines,  il  en  sera  de 
même  au  bout  de  six  ans,  de  soixante,  de  cent  ans;  les 
travaux  de  la  vertu  passeront  et  le  fruit  en  demeurera  éter- 
ment  :  Thesaurum  non  deficientem  in  cœlo.  Les  ri- 
chesses quevous  an    sseï  en  ce  monde  sont  exposées  à  mille 
et  à  mille  voleurs  ;  celles  quevous  mettez  en  ré- 
dans  le  ciel ,  seront  très  bien  cachées  :  In  cœlo,  cœ- 
'  indo  .  et  quod  tegit  omnia  cœlum  ;  ce  que  Dieu 
dé,  ce  qui  est  en  dépôt  dans  le  ciel,  est 
lé  dans  un  bon  coffre.  Un  voleur  escalade  votre  mai- 
son, pourrait-il  escalader  le  ciel  ?  dit  S.  Augustin  ;  un  lar- 


47G  SERMON  CCCI. — DE  LÀ  PENSÉE  ,  etc, 

ron  tue  votre  serviteur,  dépositaire  de  votre  argent,  pourra- 
t-il  tuer  votre  Sauveur,  si  vous  le  lui  aviez  donné  en  garde? 
Invadit  hostis  domïim  ,nunquid  invaderet  cœluni  ?  oc- 
cidit  latro  servum'pecuniœ  cusiodem  ,  nunquid  occide- 
ret  Dominum  servatorem'}  Mettez,  mettez  vos  trésors  en 
lieu  assuré,  envoyez-les  par  les  mains  des  pauvres,  aux 
coffres  des  finances  célestes.  Où  est  votre  trésor ,  là  sera  vo- 
tre cœur,  conclut  le  Fils  de  Dieu;  si  votre  trésor  est  aux 
Liens  de  la  terre,  votre  cœur,  votre  âme,  votre  demeure 
sera  éternellement  au  centre  de  la  terre  ;  si  votre  trésor  est 
au  ciel,  votre  cœur,  votre  âme,  votre  amour  sera  pour 
jamais  dans  le  ciel,  sîmen. 


"OlSWïïT^S? 


«■» 


SERMON  CCCIÏ. 

QU'lL  IMPORTE  BEAUCOUP  QUE  LES  GRANDS  ET  LES  PERES 
DE  FAMILLE  SOIENT  VERTUEUX. 


rd  non  Cfiiturb.  (Mallh.  8.  5.) 

En  l'Evangile  de  ce  jour,  lire  du  chapitre  huit  de  S.  Mat- 
thieu, le  Fils  de  Dieu  étant  entré  en  la  ville  de  Caphar- 
naum ,  un  centenîer  s'adresse  à  lui ,  et  lui  dit  :  Maître,  mon 
serviteur  est  malade  paralytique  en  ma  maison  ;  le  Sauveur 
lui  répond  :  Jy  irai  et  je  le  guérirai.  Il  réplique  :  Maître, 
je  ne  suis  pas  digne  que  vous  entriez  en  ma  maison  ,  mais 
ditesseuleroent  une  parole,  et  mon  serviteur  sera  guéri.  Le 
1  ils  de  Dieu  se  tournant  vers  les  assistants  ,  leur  dit  :  Je 
vous  dis  en  vérité,  je  n'ai  point  trouvé  une  si  grande  foi 
parmi  le  peuple  d'Israël.  La  vertu  de  ce  dévot  centenîer  me 
donnera  sujet  de  vous  traiter  aujourd'hui  du  devoir  des  su- 
périeurs, des  pères  de  famille ,  et  des  autres  grands  du 
monde. premièrement,  nous  verrons  qu'il  importe  beau- 
coupqu  ils  soient  vertueux  ,  et  puis  nous  verrons  en  quoi 
consiste  leur  vertu,  le  tout  sur  l'exemple  du  centenîer.  Mais 
avant  que  de  vous  exhorter  à  pratiquer  ses  vertus  héroïques, 
je  veux  limiter  en  un  point ,  c'est  qu'il  ne  s'adressa  pas  d'a- 
bord au  I  ils  de  Dieu,  mais  il  se  servit  do  L'entremise  et  de  la 
laveur  des  familiers  du  Sauveur,  qui  lui  dirent  :  Dignus 
Ut  ut  hoc  xlli  imv6tcs,dili(Jit  enimcjcntemnostram,et 
tynagogam  ip.se  œdificavit nobis  :  C'est  un  homme  qui 
mérite  que  vous  le  favorisiez ,  il  aime  notre  nation,  et  il 
nous  a  bàli  un  temple.  A  son  imitation ,  je  veux  m'adresser 
ali  sainte  et  bienheureuse  Vierge ,  et  dire  ainsi  à  son  Fils  : 
.Mon  Sauveur,  nous  ne  méritons  pas  que  vous  nous  fassiez 
aucune  grâce  ,  mais  votre  Mère  le  mérite  bien;  elle  veut  et 
elle  peut  obtenir  de  vous  de  la  faveur  pour  nous  :  elle  le 


A78  SERMON  CCCl!.— DES  GRANDS 

veut;  car  diligit gentemnostram;  elle  le  peut ,  car  ta-* 
silicam  œdi/icavit  tibi  ;  elle  a  tout  crédit  envers  vous  , 
parce  qu'elle  vous  a  préparé  un  temple;  elle  vous  a  reçu  et 
logé  dans  le  très  auguste  sanctuaire  de  son  sein  virginal , 
{lie  je  bénis  et  honore.  Ave,  Maria. 

IDEA  SERMONIS. 

Exordium.  A.  An  in  statu  innocentiœ  fuissent prœlali 
et  subditi.  Videtur  quod  non.  —  B.  Probatur  quod 
sic.  ~—  G.  Documenta  moralia  quœ  inde  sequuntur. 

Primum  punctum.  Expedit  prœlatis  et  nobilibus  quod 
sint  sancti  :  D.  1  °  Ob  utilitatem  spiriiualem ,  quia 
eorum.  virtus  est  'plus  meritoria  quam  aliorum.  — 
E.  2°  Ob  temporalem  ,  quia  sic  plus  honoranlur  et 
serviuntur  a  subditis. 

Sccundum  punctum.  F.  Ut  sint  sancti  debent  exemplo 
Centurionis  vivere pie  in  Deum.  —  G.  Sobrie  in  se 
ipsos.  —  H.  Juste  in  subditos. 

Conclusio.  I.  Argumenta  conglobata  per  paraplirasim 
illorum  verborum  :  Homosumsub  potestate  constitutus. 

EXORDIUM. 

A.  —  {An  in  statu,  etc.)  Parcourez  tous  les  états  et 
tous  les  étages  de  Puni  vers  ,  considérez  toutes  les  familles, 
toutes  les  communautés,  toutes  les  villes ,  toutes  les  pro- 
vinces et  tous  les  royaumes  de  la  terre ,  vous  verrez  qu'il  y 
a  fort  peu  de  gens  qui  ne  soient  de  la  catégorie  du  centenier 
de  notre  Evangile  ,  fort  peu  de  gens  qui  ne  puissent  dire  : 
Homo  sum  sub  potestate  constitutus  liabens  sub  me 
milites  ;  fort  peu  qui  ne  soient  supérieurs  à  quelqu'un,  et 
inférieurs  à  quelques  autres  ;  sur  quoi  on  peut  proposer  une 
belle  question  ,  et  demander ,  savoir  si  cela  eût  été  en  Pétat 
d'innocence,  savoir  en  cas  que  le  premier  homme  n'eût  pas 
péché  et  que  ses  descendants  eussent  conservé  !a  justice  orign 
nelle,  s'il  y  eût  eu  des  seigneurs  et  des  serviteurs,  des  maîtres 
et  des  valets  ,  des  supérieurs  et  des  inférieurs.  îl  semble  que 
Pancten  ci  le  nouveau   Testament ,  ia  jurisprudence  ei  la 


ET  DBS  l'KRES  DE   FAMIM,K.  479 

dogîe  favorisent  la  négative*  Premièrement,  en  la  Gc- 
nèse,  chapitre  second  ,  Dion  condamne  la  première  femme 
à  être  sujette  à  son  mari,  en  punition  du  péché  qu'elle  avait 
commis,  lui  donnant  le  fruit  de  l'arbre  défendu  :  Sub  virl 
is  ;  il  semble  donc  que  ce!  assujettissement  est 
»«ff«l  (,lî  péché.  En  second  lieu,  Jésus  est  venu  dans  le 
monde  pour  détruire  les  effets  du  péché,  pour  nous  faire  ren- 
trer en  Pétai  heureux  et  souhaitable  de  Pinnocence:  Ut  dis- 

ti  opéra  diaboli.  (I .  Joan.  3.  8.)  Or,  il  déclare  en 
paroles  expresses  que  c*esf  son  intention  de  bannir  du  chris- 
tianisme et  d'abroger  la  domination  qui  était  parmi  les 
païens  :  Reges gentium  dominantur  eorum,  vos  autem 
von  sic.  (Luc.  22.  25.)  En  troisième  lieu,  le  juriscon- 
sulte, ou  paragraphe  servituê  institutis  de  j  ure  yersona- 
rum  ,  (L.  libellas,  g  1 .  (T.  de  statu  homin.)  et,  ailleurs  dit 
que  les  hommes  sont  naturellement  libres  ,  que  la  servitude 
et  la  seigneurie  sont  du  droit  des  gens  ;  et  en  effet,  si  l'état 
d'innocence  était  un  siècle  d'or  et  un  état  de  félicité  natu- 
relle, les  hommes  y  devaient  vive  libres  ;  il  n'y  a  rien  en  ce 
monde  qui  nous  soit  plus  cher  et  plus  précieux  que  la  li- 
berté, rien  de  plus  fâcheux  et  contraire  à  l'inclination  de 

une  que  la  captivité  et  sujétion.  Non  bette  pro  toto  li- 
bertas  venditur  auro.  Infinita  est  eslimatio  libertatis 
et  necessitudinis ,  disent  les  jurisconsultes,  (L.  non  est 
singulîs,  §.  infinita,  ff.  de  regulîs  juris.)  C'est  une  chose 

j  able  de  voir  comme  chacun  se  plait  à  dire  :  Ceci  est  à 
1)  à  plus  forte  raison  de  dire  :  Je  suis  à  moi-môme, 

ristote  ;  et  au  commencement  de  sa  Métaphysique  il 
dit  qu'il  y  a  celte  différence  entre  l'homme  libre  et  l'esclave, 
•I1"'  l'homme  libre  est  pour  soi-même;  celui  qui  est  en  ser- 
vitude n  1  .!  pas  référé  à  soi ,  mais  à  son  maître ,  ce  qui  ré- 
pugne a  I  étal  heureux  d'innocence,  dans  lequel,  comme  on 
'!;'  «"  théologie,  .1  n'y  eût  point  eu  d'incommodité,  mais 
nme  cûl  en  à  souhail  tout  ce  qu'il  pouvait  justement  dé- 

^^^Quandonihilalera^quodrectavoluntasdeside- 
rarepossêi?(S.  Àug.  lib.  14.  de  Civit.cap.  10.) 

J;  etdicere:Hocmeamerf. 


4§0  SERMON  CCCIÎ. DES  GRANDS 

B.  —  (Probatur  quod  sic.  )  Nonobslant  toutes  ces  rai- 
sons, Pangéiique  S.  Thomas,  (1 .  p.  q.  9G.  art.  4.)  après 
S.  Augustin  et  toute  la  théologie,  conelut  et  prouve  par  de 
puissantes  raisons,  qu'en  l'état  d'innocence  il  y  eût  eu  des 
préiatures  et  des  supériorités  ,  non  supériorités  fières  ,  ar- 
rogantes ,  impérieuses  ,  tyranniques ,  comme  les  raisons 
alléguées  le  prouvent  très  bien,  mais  supériorités  douces,  pa- 
ternelles ,  condescendantes ,  complaisantes,  supériorités  de 
conduite  et  de  direction,  non  de  maîtrise  et  de  domination. 

Premièrement ,  S.  Paul  dit  que  toutes  les  œuvres  de 
Dieu  sont  rangées  en  bel  ordre  :  Quœ  a  Deo  sunt,  ordi-« 
nala  sien  t.  Or  do  est  parium  dispariumque  rerum  sua 
cuiqveîoca  iribuens  disposition  dit  S.  Augustin,  (lib.19. 
de  Civit.  cap.  13.)  Il  y  eût  eu  dans  l'état  d'innocence,  iné- 
galité et  diversité  d'âge,  de  sexe,  d'esprit,  d'industrie,  les 
hommes  y  étaient  doués  du  franc  arbitre;  ils  eussent  donc 
pu  acquérir  plus  de  science  ,  d'industrie  ,  d'expérience,  les 
uns  que  les  autres ,  et  par  conséquent  ceux  qui  en  eussent 
eu  moins,  eussent  eu  besoin  d'être  conduits  et  gouvernés 
par  les  autres.  Arislote  ne  dit-il  pas  (lib.  1 .  Polit,  cap.  5,) 
que  ceux  qui  ont  l'esprit  pesant  sont  destinés  de  la  nature 
à  obéir  et  à  être  sujets;  ceux  qui  ont  l'esprit  plus  brillant 
sont  destinés  à  commander  et  à  gouverner  les  autres? 

En  second  lieu,  nous  voyons  que  parmi  les  anges  bien- 
heureux qui  n'ont  jamais  commis  de  péché  ,  il  y  a  des  hié- 
rarchies, c'est-à-dire  de  saintes  supériorités,  et  que,  selon 
S.  Denis,  les  supérieurs  éclairent  et  perfectionnent  les 
inférieurs;  ce  qui  est  si  véritable  que  parmi  ces  hiérar- 
chies, il  y  en  a  qui  empruntent  leur  nom  de  la  puissance 
et  influence  qu'ils  ont  sur  les  autres,  ils  s'appellent  princi- 
pautés, puissances,  dominations. 

En  troisième  lieu,  Dieu  est  infiniment  bon,  infiniment 
tommunicable  aussi  bien  que  toutes  ses  perfections,  et  nous 
voyons  qu'il  a  répandu  et  communiqué  hors  de  lui  un  rayon 
et  une  participation  de  toutes  ses  perfections;  il  aura  donc 
communiqué  non-seulement  depuis  le  péché,  mais  dans 
l'état  d'innocence,  un  écoulement  et  une  émanation  de  sa 
souveraineté. 


ET  DBS  PÈRES  DR  FÂBflLLB.  481 

G —  (Documenta  moralia,  etc.)  D'où  nous  devons 
apprendre  en  passant  deux  beaux  enseignements  :  l'un  pour 
les  inférieurs,  l'autre  pour  les  supérieurs.  Les  inférieurs 
doivent  apprendre  à  honorer  la  souveraineté  de  Dieu  en  leurs 
supérieurs  el  à  leur  obéir,  bien  qu'ils  soient  vineux,  quand 
ils  ne  commandent  rien  contre  les  commandements  de  Dieu  : 
Etiam  discolis,  dil  S.  Pierre,  Que  diriez-vous  d'un  ca- 
tholique qui  dirait  :  Je  ne  veux  pas  honorer  ce  crucifix 
parce  qu'il  n'est  que  de  bois  ou  de  pierre;  s'il  était  d'or  ou 
d'argent  ,  je  l'honorerais  de  bon  cœur,  mais  étant  de  si 
ehétive  matière  ,  je  ne  le  saurais  honorer.  Pauvre  homme 
que  vous  êtes!   qu'est-ce  qu'on   honore  dans  le  crucifix? 
est-ce  l'or  on  l'argent?  le  bois  ou  les  autres  matières  dont 
il  est  fait?  n'honore-t-on  pas  Jésus  crucifié  qui  vous  est 
nté  par  son  image?  car  qu'il  soit  d'or  ou  d'argent,  de 
bois  ou  de  pic  ire,  c'est  toujours  un  crucifix,  c'est 'toujours 
l'image  de  Jésus  crucifié.  Il  est  donc  aussi  digne  d'honneur 
n'étant  que  de  bois  ou  de  papier,  que  s'il  était  d'or  ou  d'ar- 
gent. Ce  n'est  pas  une  belle  excuse  de  dire  :  Si  mon  père  ou 
mon  maître  était  vertueux  ,  sage  ,  dévot ,  je  lui  porterais 
beaucoup  d'honneur  ;  mais  parce  qu'il  est  vicieux  ,  débau- 
ché, dissolu  el  ivrogne,  je  ne  le  saurais  respecter;  cela  se- 
rait bon  si  vous  ne  deviez  honorer  en  lui  que  sa  vertu  et  sa 
probité;  mai.,  vous  devez  honorer  en  lui  son  autorité  pater- 
nelle qui  est  un  écoulement,  une  effusion  et  une  participa- 
tion de  la  souveraineté  de  Dieu  :  «  Servi,  obedite  dominis 
«   carnalibus cum  timoré  et  tremore,  in  simplicitatc  cordis 
it  Christo,  non  ad  oculum  servientes,  quasi 
I   Imminibus  placeutes,  sed  ut  servi  Christi,  facientes  vo- 
«   luntatem  Dei  exanimo,  cum  bona  voluntate  servientes, 
«   licol  Domino,  cl  non  hominibus.  »  (Epk.  G.  5.  G.  7.) 

PRIMUM  PLNCTLM. Expedit,  clc. 

D«  —  (l°  Ob  utililatem  spiriluflïem.)  Les  supérieurs 

;  aos*i  apprendn  rvir  de  leur  autorité  comme 

d'une  i  inte;  ils  doivent  regarder,  honorer  et  imiter 

en  leur  souverain*  lé  celle  de  Dieu,  se  servir  de  leur  puis- 


482  SERMON  CC.CII.~~  D£S  GÏUNDS 

Sincc,  comme  Dieu  se  sert  de  la  sienne,  justement,  sainte- 
ment, parfaitement,  pour  la  gloire  de  Dieu  et  pour  le  pro- 
fit des  hommes,  et  cela  leur  importe  beaucoup. 

Premièrement,  pour  le  spirituel,  parce  que,  quand  ils 
sont  vertueux,  leur  vertu  a  plus  de  mérite  que  celle  des  in- 
férieurs, étant  plus  volontaire  ,  plus  difficile  et  plus  exem- 
plaire. S.  Bernard  écrivant  à  une  noble  dame  qui  s'était 
faite  religieuse,  nommée  Sophie  ,  lui  dit  une  parole  qui  est 
un  grand  sujet  de  consolation  pour  les  nobles  :  «  Non  est 
«  quidem  acceptio  personarum  apud  Deum  ;  nescio  tameri 
«  quo  pacto  virtus  in  nobili  plus  pîacet  ;  an  forte  quia  plus 
«  claret  ?  etenim  cum  ignobilis  abstinet  a  vitio  non  facile 
«  liquet ,  an  quia  nolit  ,  an  quia  non  possit.  (5.  Bem, 
epist.  113.)  Quand  une  personne  roturière,  pauvre  et  de 
basse  extraction  ne  commet  pas  le  péché  ,  on  ne  saurait 
bonnement  dire  si  c'est  parce  qu'elle  ne  le  peut  pas,  ou 
parce  qu'elle  ne  le  veut  pas  ;  quand  elle  est  humble  on  no 
saurait  dire  si  c'est  par  la  condition  de  son  état  ou  par  l'é- 
lection de  sa  volonté  ;  mais  quand  un  grand  qui  a  toute 
licence  selon  le  monde,  et  qui  pourrait  avoir  pour  règle  de 
ses  actions ,  ses  passions  déréglées ,  et  pour  conduite  de  sa 
vie  cette  maxime  de  l'empereur  Caracalla  :  Çuod  lihet , 
licet;  quand,  dis-je,  il  réprime  ses  concupiscences,  quand 
il  s'abstient  du  péché,  et  quand  il  e.t  vertueux,  sa  vertu  est 
fort  héroïque,  parce  qu'elle  est  plus  volontaire;  on  peut  dire 
de  lui  avec  le  Sage  :  Potuit  tremsgredi,  et  non  est  trans— 
g7*essus;  facere  mala,  et  non  fecit  :  Il  pouvait  transgres- 
ser les  commandements,  et  il  ne  les  a  pas  transgressés;  il 
pouvait  faire  le  mal ,  et  il  ne  Ta  pas  fait  ;  sa  vie  est  admi- 
rable et  louable.  Ce  sont  proprement  les  grands  qui  peu- 
vent aisément  faire  le  mal,  ils  en  ont  souvent  la  commodité  : 
le  monde,  le  diable  et  la  chair  leur  en  présentent  des  occa- 
sions journalières  et  présentes;  ils  peuvent  commettre  le 
péché  sans  qu'ils  en  soient  punis  ou  repris  de  personne;  si, 
au  lieu  de  le  commettre  ,  ils  mènent  une  vie  sainte  et  par- 
faite, c'est  se  faire  violence,  c'est  ramer  contre  vent  et  ma" 
rée.  c'est  marcher  sur  du  verglas  sans  glisser,  et  passer  sur 


il    DES  PÈRES  DE  FAMILLE.  /i83 

un  penchant  sans  se  précipiter;  cela  étani  si  difficile  , 
il  est  aussi  plus  digne  de  louange  el  mérite  plus  de 
h    impense, 

Outre  que  votre  vertu  esl  plus  exemplaire,  Messieurs  , 
j'oserai  vous  dire  une  chose  que  plusieurs,  -ans  doute,  dés- 
avoueront d'abord,  mais  que  je  leur  ferai  voif  être  très 
ible  :  c'est,  Messieurs,  quevoys  irez  en  l'autre  monde 
comme  en  celui-ci,  vous  irez  avec  grand  Irain,  soit  au  eiel, 
son  en  enfer;  vous  y  entrerez  bien  accompagnés  :  vos  sujets 
suivent  L'exemple i  de  votre  vie,  soit  en  bien,  soit  en  mal,  ils 
sm'Vi"  factions,  ils  épousent  vos  passions,  ils  portent 

vos  Uvrées  dans  leurs  âmes  et  dans  leurs  actions,  aussi  bien 
que  dans  leurs  vêtements;  vous  êtes  comme  les  premiers 
mobiles  qui  emportez  avec  vous  tous  les  globes  inférieurs, 
les  premiers  ressorts  qui  ébranlez  et  faites  mouvoir  parvo- 
Ireexemple  tout  Le  reste  de  la  république,  les  miroirs  sur 
lesquels  le  commun  du  peuple  jette  les  yeux  et  forme  ses 
actions,  et  même  vous  êtes  des  miroirs  ardents  qui  lancez 
dans  Les  cœurs  de  vos  sujets,  ou  les  douces  flammes  de  l'a- 
mour de  Dieu,  ou  les  ardeurs  de  vos  concupiscences  ;  vous 

■  spirituels  plantés  de  la  main  de  Dieu  au  fir- 
mament de  l'Eglise  pour  y  briller  et  servir  de  bon  exemple  ; 
mais  quand  vous  ne  laites  rien  pour  le  prochain  et  pour  vous 
acquitter  de  v«.s  obligations  que  par  un  intérêt  temporel , 
qu  apre>  avoir  étéaccablés  de  présents;  quand  vous  ne  jugez 
i  s  procès ,  quand  vous  ne  partagez  pas  d'une  manière 

ms  les  logements  qui  se  font  dans  vos 
I  que  vous  ne  faites  les  impositions  des  tailles  et 

'■lies  que  par  compère  et  par  commère  ,  par 
(*Tnl  eance  ou  par  acception  de  personnes,  par 

|  >ur  une  misérable  femme  qui  condescend  à 

iez  des  comètes,  des  étoiles 

•  vous  jetez  la  désolation  dans  toute  la 

:in;il(:-  ;  présages  de  plusieurs  grandes 

J",",l  :    rde,  il  ne  fait 

•;  mais  quand  une  grande  rivière  sort 

,c!leeiil    me  avec  elle 


484  SERMON   CCCJI. — DES  GRAiNDS 

les  arbres,  îcs  maisons,  les  ponts,  les  écluses,  les  moulins. 
elle  laisse  la  stérilité  dans  les  champs.  Quant  un  petit 
compagnon  sort  de  son  devoir,  il  ne  scandalise  guère  de  per- 
sonnes, sa  faute  est  particulière  ,  il  est  remis  au  bon  che- 
min par  les  lois  des  supérieurs  et  par  la  crainte  du  sup- 
plice, comme  par  les  barrières  d^une  chaussée  ;  mais  quand 
un  seigneur  qui  ne  craint  personne  franchit  les  bornes  des 
lois  divines,  personne  ne  l'y  fait  rentrer,  et  plusieurs  cou- 
rent après  lui.  Quand  une  simple  pierre  tomhe  du  bâtiment, 
clic  ne  le  ruine  pas;  maïs  quand  celle  qui  est  la  clef  de  l'é- 
difice tombe  à  terre,  toute  la  maison  se  dissipe. 

J'ai  remarque  en  l'Ecriture  sainte  que  toutes  les  fois  que 
le  chef  de  famille  s'est  converti  à  la  foi  et  a  pratiqué  la  vertu, 
toute  sa  maison  Ta  suivi  ;  au  contraire,  quand  un  roi  a  été 
vicieux  tous  ses  sujets  ont  pris  la  teinture  du  vice  de  leur 
prince.  Hérode  se  troubla  à  la  naissance  du  Sauveur  et  toute 
la  ville  de  Jérusalem  avec  lui  :  Turbatus  est ,  et  omnis 
Ilierosoïima  cum  Mo.  Un  autre  Hérode  se  moqua  du 
Fils  de  Dieu  dans  sa  passion,  et  toute  son  armée  avec  lui. 
Au  contraire  Abraham,  comme  l'a  remarqués.  Ambroise, 
était  charitable  et  prompt  à  faire  l'aumône;  à  son  imitation, 
sa  femme  et  ses  serviteurs  courent  en  faisant  les  œuvres  de 
miséricorde.  Le  roi  de  Ninive  (Jonœ,  3.  6.)  endosse  le  ci- 
lice  et  fait  pénitence  ;  à  son  exemple  toute  la  ville  fait  de 
môme  jusqu'aux  plus  petits  enfants.  Le  roitelet  de  PEvan- 
gile  crut  en  Jésus-Christ,  et  toute  sa  maison  avec  lui.  Le 
cenlenier  qui  assista  à  la  mort  du  Fils  de  Dieu,  donna  des 
témoignages  de  sa  contrition  ,  ceux  qui  étaient  avec  lui  fi- 
rent de  même.  Un  autre  centenicr,  nommé  Cornélius , 
(Act.  10.  2.)  était  dévot  et  craignant  Dieu,  et  toute  sa 
famille  aussi  à  son  imitation. 

Au  même  livre  des  Actes,  (Act.  16.  15.)  une  femme 
nommée  Lidia  reçoit  la  foi  et  le  baptême,  ayant  ouï  la  pré- 
dication de  S.  Paul,  et  tous  ses  domestiques  avec  elle  ,  et 
peu  après  le  geôlier  qui  gardait  P  Apôtre;  Silas  en  fait  de 
même  avec  tous  ses  gens ,  comme  aussi  Crispus,  prince  de 
la  synagogue.  (Act.  18.  8.  )  Quand  le  seigneur  ou  la  dame 


ET  D£S  PKKliS  DE  FAMILLE.  485 

se,  ou  ceux  qui  y  sont  le  plus  remarquables , 

'  vertueux  ,  quand  on  les  voit  les  premiers  assister  à  [a 

graud'mcssc  et  à  vêpres,  aller  après  le  Saint-Sacrement,  à 

la  procession ,  à  la  visite  des  malades,  à  la  prédication  et  aux 
autres  exercices  de  piété,  el  quand  on  peut  dire  en  ces  oc- 
casions  :  Prœvenerunt  principes ,  ils  font  plus  de  profit 
cinquante  prédicateurs,  que  les  curés,  que  les  religieux  : 
irritant  animas  detnissa  per  au  rem  t  qnam 
sunt  oculis  subjecta  fidelibus.  Si  je  prêche  dans 
une  paroisse  qu'il  faut  honorer  les  ecclésiastiques,  le  peu- 
eutpenser  que  j'en  parle  pour  mes  intérêts,  parce  que 
lis  prêtre  ;  mais  quand  il  voit  que  le  seigneur  du  lieu 
honore  son  curé,  qu'il  ne  traite  pas  avec  son  aumônier 
comme  si  c'était  son  valet  de  chambre,  le  peuple  connaît 
que  cest  le  caractère  et  la  dignité  sacerdotale  qui  mérite 
cet  honneur.  Si  un  de  vos  sujets  va  dans  la  maison  de  son 
chu  un  jour  de  quatre-temps  ou  de  carême,  et  qu'il  voie 
qu  on  y  jeûne,  il  peut  penser  que  c'est  par  épargne;  mais 
s  il  va  le  soir  dans  la  maison  d'un  gentilhomme  et  qu'il  voie 
quon  n'y  apprête  point  de  souper,  ni  décollation  qui  vaille 
un  souper,  .1  connaît  en  cela  que  c'est  par  commandement 
de  I  Eglise  et  que  ce  commandement  mérite  d'être  observé 
puisque  ceux-là  le  gardent  qui  le  pourraient  rompre  impu- 
nément ;  s  il  voit  que  les  religieux  adorent  le  Saint-Sacre- 
ment et  se  comportent  révéremment  dans  les  cghVs,  cela  ne 
le  touche  pas  beaucoup,  parce  qu'il  sait  que  c'est  le  devoir 
et  comme  le  métier  des  religieux  d'être  modestes  et  de 
s  humilier  en  tout  lieu  ;  mais  quand  il  voit  qu'un  grand  sei- 
gneur devant  lequel  chacun  se  tient  tète  nue,  se  lient  lui- 
même  dans  lc^  églises  et  en  présence  du  Saint-Sacrement 
la  tête  découverte  etavec  respect,  il  entend  bien  parla  sans 
autre  prédication  qu'il  y  a  dans  le  Saint-Sacrement  quelque 
chose  d  extraordinaire  et  divin. 

De  notre  temps  à  Toulouse ,  un  conseiller  du  parlement 
tarant  pris  la  coutume  de  faire  iYx  men  de  conscience  tous 
es  domestiques,  sa  fermière  s'y  étant  trouvée 
tut  tellement  rai     cl  étonnée  de  voir  que  monsieur  le  con- 


480  SERMON  CCCÏÎ. DES  GRANDS 

seïîler  priait  Dieu  avec  ses  serviteurs,  qu'elle  protesta  qu'elle 
ne  s'iraitjamais  coucher  avec  ses  enfants  sans  dire  leur  cha- 
pelet à  genoux  et  auprès  de  leur  lit, 

E.  —  (2°  Oh  temporalem ,  etc.)  Mais  si  vous  êtes  si 
désireux  des  biens  de  ce  monde  ,  que  vous  ne  voulez  rien 
faire  que  par  des  intérêts  temporels,  je  veux  encore  vous 
montrer  qu'il  importe  beaucoup  pour  cela  que  vous  soyez 
vertueux  ,  d'autant  que  par  ce  moyen  vos  sujets  vous  ser- 
viront plus  cordialement,  plus  fidèlement,  plus  diligemment, 
Nous  le  voyons  en  notre  centenier,  parce  qu'il  était  bon  à 
ses  serviteurs,  ses  serviteurs  lui  étaient  bons;  parce  qu'il 
leur  commandait  doucement ,  Hs  lui  obéissaient  prompte- 
ment  ;  dico  huic  :  Vade,  et  vadit  ;  parce  qu'il  avait  soin 
de  leur  santé ,  ils  le  servaient  diligemment. 

En  l'histoire  romaine  ,  il  y  a  un  beau  trait,  qui  revient 
très  bien  à  ce  sujet.  L'empereur  Constance  Chlore,  père  du 
grand  Constantin  ,  était  secrètement  chrétien,  comme  di- 
sent quelques  historiens  ;  quoi  qu'il  en  soit,  il  était  homme 
de  très  bon  sens.  Il  fit  un  jour  appeler  tous  ses  serviteurs 
catholiques  qui  étaient  en  sa  maison  ;  il  leur  dit  qu'il  ne  vou- 
lait point  de  gens  qui  mangeassent  son  pain,  qui  ne  fussent 
de  sa  religion ,  et  parlant  qu'ils  avisassent  à  renoncer  au 
christianisme ,  ou  à  quitter  son  service.  Ceux  qui  demeu- 
rèrent fermes  en  la  foi,  et  qui  se  disposèrent  à  sortir  de  la 
cour,  il  les  retint  et  les  chérit  ;  ceux  au  contraire  qui  furent 
lâches  et  inconstants  dans  la  foi ,  il  les  chassa  de  son  palais 
et  leur  dit  :  Allez ,  vous  êtes  des  misérables ,  vous  ne  valez 
rien  ,  je  ne  veux  plus  me  servir  de  vous  ;  puisque  vous  avez 
été  infidèles  à  votre  Dieu  ,  vous  le  serez  sans  doute  à  votre 
prince.  Sa  conséquence  était  très  bonne.  Croyez-moi,  qusmd 
vos  serviteurs  n'ont  pas  la  crainte  de  Dieu  ,  quand  ils  tra- 
hissent leur  conscience,  ils  vous  trahiront  encore  plus  aïv 
sèment.  Si  vous  êtes  vertueux,  ils  le  seront  aussi  à  votre 
exemple,  et  s'il  sont  vertueux  ils  craindront  d'offenser  Dieu, 
et  de  blesser  leur  conscience  en  vous  dérobant  ou  vous 
calomniant,  ils  vous  serviront  avec  fidélité  et  avec  respect  : 
Non  ad  oculum  serment  es,  seA  sicut  Christo  ,    ainsi 


DB6   PERES  T)K  TA  Mil  :  487 

S.  Paul  le  leur  commande  par  trois  fois  en  un  môme 
El  quand  bien  ils  n'imiteraient  pas  vos  bons 
exemples,  ils  vous  respecteront  néanmoins,  sachant  que  vous 
êtes  vertueux.  La  vertu  se  fait  toujours  honorer ,  même 
parles  méchants:  car,  comme  ditS.  Chrysostôme,  de  même 
que  nous  honorons  et  redoutons  ceux  que  nous  savons  rire 
bien  avant  dans  les  bonnes  grâces  dès  rois,  ainsi  nous  res- 
pectons  naturellement  ceux  que  nous  savons  être  les  favoris 
de  Dieu.  Saiil  qui  était  roi,  redoutait  David  qui  n'était  qu'un 
petit  berger;  voyant  qu'il  était  selon  le  cœur  de  Dieu  : 
Quia  Dominus  erat  cum  il!oy  dit  l'Ecriture.  Mais  si  vos 
serviteurs  voient  que  vous  soyez  vicieux,  si  vous  vous  servez 
(Peux  pour  envoyer  les  poulets,  pour  faire  les  messages 
d'amour,  pour  être  les  ministres  de  vos  dissolutions,  ils 
se  moqueront  de  nous,  et  vous  mépriseront  comme  celui  qui 
isl  plus  esclave  qu'eux  :  car  ils  ne  servent  qu'à  un  homme, 
et  vous,  vous  servez  à  mille  passions  brutales. 

BBCUlfDUM  punctum. —  Ut  suit  sancti ,  etc. 

E.  —  {DehaJ  rivere,  etc.)  Vous  me  demanderez  en 
quoi  consistent  la  vertu  et  la  perfection  d'un  grand  ?  S.  Paul 
l'explique  en  (rois  paroles ,  et  le  centenier  le  pratiquait  en 
notre  Evangile  :  Sohrie,  et  juste,  et  pie  vivamus  in  hoc 
lœculoj  (ïit.  2.  12.)  il  dit  :  in  hoc  sœculo,  pour  mon- 
trer qu'il  ne  parle  pas  seulement  aux  religieux,  mais  aux 
séculiers  :  voilà  un  sommaire  et  un  abrégé  de  toute  la  spi- 
ritualité d'un  grand  dans  le  monde,  et  comme  il  se  doit 
comporter  envers  Dieu  ,  envers  soi-même  et  envers  ses  in- 
fiérieurs  ;  envers  Dieu,  pic ,  dévotement. 

Hais,  en  quoi  consiste  la  dévotion  d'un  grand  ?  il  y  a  une 
grande  diversité  de  sentiments  parmi  le  commun  des 
chrétiens,  touchant  l'essence  de  la  dévotion,  qu'il  y  en  avait 
parmi  le  commun  des  Juifs,  touchant  la  personne  de  Jésus- 
Ehrist.  Quem  dicunt  homines  esse  filium  hominis? 
(Matili.  16.  13.]  Notre  Seigneur  demandait  en  S.  Mat- 
thieu, ce  que  les  hommes  disaient  de  lui;  on  lui  dit  qu'il  y  en 
I  li  le  croyaient  Elie ,  que  d'autres  le  prenaient  pour 


488  SERMOJN  CCCU.« — DliS  GRANDS 

Jérémîe;  et  que  plusieurs  disaient  qu'il  était  S.  Jean-Bap- 
tiste ;  il  n1y  eut  que  S.  Pierre  qui  répondit  bien  à  cette 
demande  :  Tu  es  Christus  Filius  Dei  invi. 

Si  vous  demandez  à  divers  pères  spirituels,  quel  est  l'es- 
prit de  Jésus,  le  vrai  esprit  de  piété  et  de  dévotion,  peut- 
être  qu'ils  vous  répondront  diversement;  chacun  selon  son 
inclinalien  et  son  humeur  particulière  ;  les  uns  diront  qu'il 
consiste  à  être  comme  S.  Jean-Baptiste  dans  les  désert,  en 
solitude,  séparé  de  la  conversation  des  hommes  ,  où  il  y  a 
tant  de  pièges  et  de  pierres  d'achoppement;  les  autres,  à  être 
comme  Jérémie,  en  pleurant  continuellement  ses  péchés, 
et  ceux  de  son  prochain ,  toujours  dans  les  lamentations  , 
et  les  actes  de  pénitence  ;  d'autres,  à  être  comme  Elie,  ar- 
dents à  reprendre  les  vices  et  à  punir  les  vicieux.  Mais  si 
vous  me  demandez  mon  avis ,  je  vous  répondrai  comme 
S.  Pierre  ,  je  suis  de  son  ordre  :  L'esprit  de  Jésus  et  de  la 
vraie  dévotion  consiste  à  être  enfant  de  Dieu  ,  à  avoir  un 
cœur  de  fils  envers  lui,  comme  envers  son  père  ;  de  sorte 
que  Ton  puisse  dire  de  vous  :  Tu  es  Filius  Deivivl.  S.  Paul 
est  toujours  compagnon  de  S.  Pierre  ;  il  dit  la  même  chose 
en  paroles  expresses  :  Misit  in  corda  nostra  spiritum 
filiorum.  Je  veux  dire  que  la  piété  d'un  grand  consiste  prin- 
cipalement en  deux  points,  lesquels  le  centenicr  pratiquait 
merveilleusement. 

Premièrement,  à  avoir  une  foi  très  vive,  et ?m  grand  sen- 
timent ,  et  bonne  opinion  de  la  grandeur,  de  la  puissance, 
de  la  sagesse  et  des  autres  perfections  de  Dieu  ;  tout  de 
même  qu'un  enfant  prise  et  estime  beaucoup  tout  ce  qui  est 
en  son  père.  Le  centenicr  disait  :  Vous  pouvez  mieux  com- 
mander à  la  maladie,  que  je  ne  commande  à  mes  serviteurs. 

Vous  devez,  en  second  lieu,  avoir  un  grand  respect,  et 
une  confiance  très  ferme  aux  paroles  de  Jésus-Christ,  commo 
notre  cenlcnier,  qui  disait  à  notre  Seigneur  :  Vos  paroles 
sont  toutes  puissantes,  dites  en  seulement  une,  et  mon  ser- 
viteur sera  guéri.  A  cet  effet,  vous  devez  les  ruminer  sou- 
vent, employer  quelque  temps  à  les  méditer,  laisser  pour 
un  temps  vos  occupations  séculières,  pour  lire  le  nouveau 


ET  DBS  PÈRES  DE  FAMILLE.  /,Q<J 

Testament,  les  œuvres  de  Grenade,   les  confessions  de 

"«^^^'feserWeeù  Dieu,  comme  un  bon  en- 

,  !"     ,    "  rendre  a  son  P*w  P<>«r  témoigner  l'amour  qu'il 

'"  P»rt«.  »vo.r  soin  ,,,,'N  „\  ail  rien  en  votre  maisouqû 

£™«^' de  l'offenser,  point  de  sein  découvert,  poïïtde 

l"iU,;  •'"  «  «'amourettes,  point  de  valet  jureur ,  ni  de 
servante  médjsantej  regarder  qu'est-ce  qu'il,  a  en  vous! 
»;o«refem,lle,  en  votre  paroisse,  en  1  Wice  de  Se 
Marge,  qui  vous  puisse  fournir  un  sujet  de  faire  quelque 
:;;;  '.  »  :echf^er  les  occasions ,  rf/ty/,  ^,  J  J  '! 

WreéU ir .?  *  r?eIaJ  TW"  "V"™'  «rffr, 
fa.u  établir  la  confrérie  do  Saint-Sacrement  dans  les  lieux 
ou  vous  avez  du  pouvoir  ;  contribuer  à  la  fabrique  e  a  x 
2^*"  ««-«*.  "on  pas  par  vanité,  non  pas 
pour  vous  faire  connaître  à  la  postérité,  non  pas  en  mettant 
os   rmes  a  la  moindre  chasuble  qne'vons  donnez , 
par  amour  envers  l'Eglise  Epouse  de  Jésus-Chris. ,  à£% 
«nie»  nottram.  S.  Charles  ne  voulut  pas  permet,  -e  q A „ 
mil  s    armes  en  aucun  lieu,  à  tant  de  bâtiments,  d'éjises! 
de  collèges  et  d  hop taux  qu'il  édifia  et  qu'il  dota.  En  S 
compense  de  cela  ,  Dieu  a  rendu  son  nom  si  célèbre,  qu'il 
»  y  a  pas  de  provmce,  ni  de  ville  ,  ni  de  petit  coin  de  la 
U«  ou  1  on  ne  conserve  son  image ,  avec  un  singulier 

G.  —  (Sobrie  in  se  ipso.)  Sohrie ,  user  sobrement 
n  seulemcn.  des  viandes  carrelles, 'qui  ne  sont  queles 
W«s  cl  la  félidé  desâmes  basses,  viles  et  serviles,  ma 

--■edclaglouv,d,lafav,,,rctdelafor.u„e,c1,i   o 

K»^l^l.««,I.béatitndeetcommelesouverSbln 
fa  âme»  généreuses  dans  le  monde.  S'il  n'y  avail  nom 

'autre <  sobriété  que  l'abstinence  des  viandes  matérielles 
h  Paul  ne  dirait  pas  :«&p«*«faoW«fe».S.Clirysos- 
??„•,,    !<  "y™  a  quelques-uns  qui  ont  le  cerveau 

Ifad te, ,  qn i  aussitôt  qu'ils  ont  deux  ou  (rois  verres  de  vi„ 
■os  la  tête  ■!•  sont  lyres,  ainsi  il  yen  a  qui  ont  l'esprit  si 


490  SERMON  CCC1I. —  DES  GRANDS 

petit ,  qu'ils  s'enivrent ,  se  méconnaissent  et  sortent  d'eux- 
mêmes  pat*  un  peu  de  faveur  et  (relèvement  de  fortune 
Asperius  nihil  est  liumili  cum  surgit  in  allum.  Il  faut 
donc  dire  des  grandeurs  du  monde  ce  que  le  Saint-Esprit 
dit  ,  parlant  du  vin  :  Ne  aspicias  vinum  cumflavcscit: 
(Prov.  23.  31.)  Ne  regardez  pas  le  vin  quand  il  paraît 
beau  dans  le  verre  ,  quand  il  est  agréable  à  la  vue,  quand  il 
chatouille  l'appétit  sensuel;  n'admirez  pas  les  états  et  les 
honneurs  du  monde  qui  sont  en  vous,  pour  grands  et  glo- 
rieux qu'ils  paraissent,  ils  sont  dans  un  verre  fragile  ,  d'au- 
tant plus  qu'on  le  voit  éclater  ,  d'autant  plus  aisément  il  se 
casse.  Quelques  louanges  qu'on  vous  donne  ,  quelque  bon- 
heur qui  vous  arrive,  dites  toujours  comme  le  centenier 
Non  sum  dignus  :  Je  n'en  suis  pas  digne ,  je  ne  le  mérite 
pas.  Si  vous  êtes  ainsi  humble  en  vous-même ,  vous  serez 
juste  envers  vos  sujets. 

H.  —  (Juste  in  subditos.)  Le  centenîer  pratiquait  en- 
core cette  vertu  ,  il  prenait  la  peine  d'aller  lui-même  au 
médecin  pour  son  serviteur.  Et  de  notre  temps  ,  le  grand 
cardinal  S.  Charles  allait  lui-même  éveiller  ses  serviteurs 
le  matin  ,  leur  portait  de  la  chandelle  ,  et  parce  que  quel- 
quefoispour  éveiller  quelqu'un  il  fallait  passer  par  la  chambre 
d'un  autre  qui  ne  devait  pas  se  lever  si  matin  que  les  autres, 
il  ôtait  ses  pantoufles  de  peur  de  faire  du  bruit  et  de  trou- 
bler son  repos.  Je  ne  dis  pas  cela  pour  vous  portera  faire 
la  même  chose  ,  car  je  sais  qu'en  la  vie  des  Saints  il  y  a  des 
traits  plus  admirables  qu'imitables;  mais  pour  vous  obliger 
à  faire  de  même  spirituellement,  à  leur  donner  de  la  lumière 
par  le  bon  exemple,  par  l'instruction  et  l'édification;  et  pour 
vous  montrer  que  ce  n'est  pas  une  chose  indigne  d'un  cœur 
noble  et  généreux  d'être  courtois,  affable  et  condescendant 
aux  infirmités  des  petits ,  et  que  l'humilité  n'est  pas  incom- 
patible avec  la  véritable  noblesse. 

S.  Grégoire  (  homii.  28.  in  Evang.  )  fait  une  belle 
remarque  sur  le  texte  de  notre  Evangile  :  Je  trouve,  dit-il, 
que  Jésus  se  comporte  bien  diversement  envers  deux  mala- 
des delà  même  ville.  Le  roitelet  vint  m-çjevajit  de  lui  avant 


LT  DBS  PERES  DE  FAMILLE,         491 

fut  entré  dans  la  ville  de  (  lapharnattm,  il  le  supplie  très 
humblement  de  prendre  la  peine  de  visiter  son  Gis  qui  c:(ait 
malade  à  la  mort  ;  Jésus  lui  répond  un  peu  rudement,  ne 
daigne  pas  aller  dans  sa  maison  ,  et  se  contente  de  le  gué- 
rir absent.  Lecentenier  vienl  à  Jésus  dr>  qu'il  esl  entré 
dans  la  ville  :  Cum  introisset  Capharanïtm,  accessit  ad 
i  ;  il  le  prie  de  ne  pas  prendre  la  peine  de  venir  à  son 
:  Jésus  dit  :  J'y  veux  aller,  et  je  le  guérirai.  C'est  , 
dit  S.  Grégoire,  pour  nous  (aire  une  belle  et  salutaire  le- 
çon, c'esl  pour  nou>  apprendre  à  Honorer  en  noire  prochain 
limage  de  Dieu  et  le  caractère  de  laDivinité  plus  que  les 
états  etles  richesses  du  monde.  Si  le  fils  d'un  gentilhomme 
DU  d'un   homme  de  qualité  est  malade  ,  bien  éloigné  de 
notre  logis,  on  ne  manque  point  de  le  visiter,  on  lui  envoie 
des  présents  ,  on  lui  fait  mille  offres  de  services;  si  notre 
serviteur  est  malade  à  notre  porte,  dans  notre  maison, 
devant  nos  yV\w  ,  on   le  met  dans  une  chambre  obscure  , 
on   le  recommande  à  je  ne  sais  quelle  servante  ,  on  ne  le 
daigne  pas  visiter  une  fois ,  encore  il  est  bien  heureux  de 
ce  qu'étant  inutile  on  ne  l'envoie  pas  à  l'hôpital.  Jésus  fait 
tout  le  contraire  pour  nous  enseigner  par  son  exemple  ;  il 
répond  au  roitelet  avec  quelque  sévérité,  et  ne  daigne  pas 
aller  à  son  logis ,  parce  que  c'est  son  fils  qui  est  malade  ;  il 
veut  aller  à  la  maison  du  centenier,  bien  qu'il  n'en  soit  pas 
prié,  parce  que  ce  n'est  qu'un  pauvre  serviteur  qu'il  désire 
visiter. 

CONCLUS  10. 

'« — {argumenta.)  Pour  vous  portera  la  pratique  de 
tout  ce  que  je  viens  de  dire  ,  avez  les  considérations  du  cen- 
tenier :  Homo  sum  sub  potestate  conslilutus.  Homo 
sum;  vous  êtes  homme  comme  les  autres  ,  votre  serviteur 
est  de  même  nature  que  vous,  fait  à  l'image  du  même  Dieu, 
acheté  par  le  même  sang  précieux ,  régénéré  par  le  même 
■ptème,  enfant  delà  même  participant  aux  mêmes 

icrements,  marqué  du  même  caractère  ,  nourri  du  même 
Krps  de  Dieu,  destiné  à  la  même  gloire,  et  peut-être  à 


492  SERMON  CCCII. — DES  GRANDS 

une  plus  grande  ;  et  il  est  très  probable  qu'il  ira  au  cie'i 
avant  vous  ,  parce  qu1il  fait  pénitence  en  ce  monde  par  sa 
vie  humble  et  laborieuse  ;  il  peut  dire  à  son  Dieu  :  Vide 
humilitatem  meum,  etlahorem  meum  ,  et  dimitte  uni" 
versa  delicta  mea.  Quand  vous  serez  dans  le  purgatoire  , 
vous  aurez  besoin  de  son  assistance  ,  vous  vous  repentirez 
de  l'avoir  désoblige  :  Facile  vobis  arnicas,  ut  cum  defî- 
ceritis  recipiant  vos  in  œterna  tahernacula.  Homo 
sum  ;  pour  grand  qne  vous  soyez ,  vous  êtes  toujours 
homme,  sujet  à  quelque  disgrâce,  à  quelque  revers  de  for- 
tune ,  il  y  a  encore  assez  de  temps  pour  vous  voir  quelque 
jour  la  plus  misérable  et  la  plus  chétive  créature  qui  soit 
au  monde. 

Qui  eût  dit  à  Crésus,  à  Andronic,  à  Bélisaire  et  à  tant 
d'autres ,  ce  qui  leur  arriva;  et  de  notre  temps  qui  eût  dit 
à  tant  de  grands,  et  de  France  ,  et  d'Angleterre,  qu'ils 
perdraient  la  tête  sur  un  éehafaud  par  la  main  d'un  bour- 
reau; l'auraient-ils  cru?  néanmoins  nous  l'avons  vu  arriver. 

Votre  serviteur  vous  dit  :  Homo  sum.  Il  est  de  même 
nature  que  Jésus  :  In  similitudinem  hominum  factus;  il 
est  de  même  condition  :  Formam  servi  accipiens  }  vous 
ne  devez  point  le  regarder  sans  vous  souvenir  de  l'honneur, 
de  l'alliance  qu'il  a;  à'quiil  appartient,  à  qui  il  est  semblable, 
clans  sa  nature  et  dans  sa  profession,  et  sans  dire  en  vous- 
même  comme  liagiiël  quand  il  vît  le  jeune  Tobie  :  QuaiK 
similis  est  Jiomo  isie  consohrino  mco. 

Sub  potestate  constitutifs;  vous  n'êtes  pas  souverain  , 
non  est  pof  estas  nisi  a  Deo;  votre  pouvoir  vient  de  Dieu, 
il  ne  vous  Fa  pas  donné  pour  vous  seul ,  ne  vous  y  trompez 
pas ,  ce  n'est  pas  pour  vous  qu'il  vous  l'a  donné  ,  c'est  pour 
son  Fils  Jésus;  vous  n'avez  point  d'empire  dans  la  ville  ou 
clans  la  province  ,  que  pour  y  établir  l'empire  de  Jésus  ;  le 
roi  n'a  la  couronne  sur  la  tête,  que  pour  faire  régner  Jésus; 
vous  n'êtes  pas  davantage  que  lui,  votre  autorité  n'est  qu'un 
rayon  de  la  sienne,  si  vous  ne  vous  en  servez  que  pour  vos 
intérêts  particuliers,  si  vous  n'en  usez  pour  lagloire  de  Dieu, 
pour  le  bien  de  l'Eglise  ,  pour  le  salut  des  Ames ,  pour  la 


ET  DE?  PERES  DK  FAMILLE.  ',93 

les  Domi  ifii ,  es  Diorli-tion  •  />  , •        t!,mi0"> 

il  lançai'.  ï"^  rïlinS  J  *?  ?ljs  -  "«  '««" 
avee  cette  devise  :  Vunlî ilï  n  ^  -vf  <CS|,al,ncs  • 
aurez  l'un  ou  l'au're    <i  ?  „  ?*"  '  Mess,«nrs,  vous 

comme  vous  êtes  plus  grands  °e  fe aut™ T*^1 
sont  aussi  Diuserand.  i»«„    %  °  autres,  vos  péchés 

et  des  gouverneurs  vo^nT  '  •  ?'V<'Z  Cu  dcs  ,nai"'« 
votre  devoir  Za       ,7"^:^*  ce  f'"''  csl  dc 

<ïc  Dieu  ia  n^i  sL  c,  ;  hg:a  r  e-;,vo,,savez  re«u 

d"  corps,  les  richesses  7elt  ef  "'  la^  la  beauté 
d'antres.  Si  vous  offensez  ntP  ?  '  aUf0nté  sllr  beau«>up 
ingratitude  se ™  £  d"„?  »  ,ant  de>nfaits,  votre 
di-edc  vous  eommedeB  U' !£?#  ,dc  SC  P,ai«- 

Mais  aussi  si  vous  êtes  verf.,*»*.'  i 

...»  m  ,v.Dr,,„  : J .    ;; "V  !"'™»i>  *  pin.» 


23 


694  SERMON  CCCil. D1CS  GRANDS,  ClC. 

Erunt  novissimi primi  ,  dit  Jésus  en  noire  Evangile  : 
Recumbent  cum  Abraham  Isaac  et  Jacob  :  Vous  serez 
assis  avec  Abraham  ,  ïsaac  et  Jacob  ;  que  dis— je  ?  mais  vous 
serez  reçus  en  la  compagnie  des  archanges  ,  des  puissances 
et  des  dominations  célestes,  au  séjour  de  la  gloire  immor- 
telle. Amen, 


SER       N  CCCHL 

POUR  LE  VENDREDI  APRÈS  LES  CENDRES. 


Dr?  QUATRE  DIMENSIONS  DE   L AMOUR  ENVERS  LE 
PROCHAIN. 


D       -* proximum  titum,  (Mat th.  3.  i~>.) 

Comme  Jésus-Chris!  notre  Seigneur  a  été  conçu  par  l'opé- 
ration du  Saint-Esprit,  qui  est  l'amour  incréé  et  la  charité 

mnelle  en  la  sainte  Trinité,  il  a  de  grandes  tendresses, 
et  des  inclinations  particulières  pour  les  ames  qui  sont 
enflammées  et  ardentes  en  la  charité.  Il  disait  dans  L'Evan- 
gile :  Je  suis  venu  apporter  le  feu  en  la  terre  ,  et  je  désire 
surtout  qu'il  soîl  bien  allumé.  La  charité  exerce  deux  actes; 
l'amour  de  Dieu  ,  et  l'amour  du  prochain  ;  l'occasion  se 
présentera  quelque  jour,  Dieu  aidant,  de  vous  parler  de 
l'amour  de  Dieu.  Aujourd'hui  j'ai  à  vous  parler  de  l'amour 
envers  le  prochain  ,  des  qualités,  des  propriétés  et  des 
conditions  qu'il  doit  avoir. 

Si ,  comme  dit  l'apôtre  S.  Paul  ,  (  Coloss.  3.  14.  )  la 
charité  est  le  lien  de  la  perfection,  et  le  comble  de  toutes  les 
verfus  :  Charitalem  hahete,  quod  cstvincitlum >  perfec- 
tium's.  Vous  Pavez  eue  1res  parfaitement  et  au  souverain 
degré,  ô  sainte  \  ierge  !  vous  aviez  sujet  de  dire  :  Ordina- 
trii  in  me  charitafem,  ou  selon  une  autre  version,  vexiU 
lu  m  ejiis  super  me  charitas.  Comme  les  soldats  d'une 
compagnie  suivent  leurs  drapeaux  et  leurs  enseignes  ,  ainsi 
toutes  les  vertus  suivent  la  sainte  charité  ;  c'est  elle  qui  a 

en  voire  cœur  virginal  ,  Thumililé  ,  la  patience  ,  la 
débonnairete*  ,  et  les   autres    perfections  admirables  que 

nd  il  vous  salua  par  ces  paroles: 

Ave,   Maria. 


496  SERMON  CCCÏJI. — DES  DISPOSITIONS 

IDEA  SERMONÏS. 

Exordium.  A.  Quis^quando,  quomodo , commendet nohis 
charitateni,  et  quatuor  ejus  dimensiones  explicantur. 

Primum  punctum.  Altitudo  cliaritatis,  quodsit  ex  Deo, 
etpropter  Deum. —  B.  \°  Script ura. —  C.  2°  Patri- 
bus.  — D.  3°  Ratione.  — E.  4°  Exemplis, 

Secundum  punctum.  F.  Profundum  ?  quod  miser  ils 
proximi  compaiiatur. 

Tertium  punctum.  Latitudo,  ut  amet  omnes  proximos1 
etlam  inimicos,  quod  probalur —  G.  \°  Scriptura. 
— -H.  2°  Patribus.- —  I.  S°Rationibus  exdivo  Paulo. 

Quarlum  punctum.  Longilado  quœ  est  perseverantia 
usque  ad  morteni.  —  L.  1°  Scriptura,  —  M.  2°  Pa- 
tribus. —  N.  3°  Comparatione.  —  O.  4°  Ratione. 
—  P.  5°  Exemplis. 

EXORDIUM*' 

À.  —  (  Quis,  quando,  quomodo^  etc.  )  Le  Fils  de 
Dieu  notre  Seigneur  nous  ayant  commandé  de  nous  rendre 
parfaits,  comme  notre  père  céleste  est  parfait  ;  et  considé- 
rant que  cette  perfection  de  Dieu  se  montre  principalement 
dans  la  charité  qu'il  exerce  envers  tous  les  hommes  :  Qui 
solem  suum  oriri  facit  super  bonos  et  malos  ,  nous  a 
encore  enseigné  cette  vertu  dans  tout  le  cours  de  sa  vie,  et 
particulièrement  à  la  veille  de  sa  mort  ;  c'est  alors  que  les 
avertissements  qu'un  ami  donne  à  son  ami ,  que  les  com- 
mandements qu'un  père  fait  à  ses  enfants  ,  que  les  recom- 
mandations qu'un  époux  fait  à  son  épouse  ,  sont  reçus  avec 
plus  de  tendresse,  et  demeurent  plus  vivement  et  plus  long- 
temps imprimés  au  plus  sensible  du  cœur  :  car  c'est  la 
veille  de  sa  mort ,  dans  le  Cénacle  de  Jérusalem  ,  lorsqu'il 
nous  lègue  par  testament  son  corps  et  son  sang  précieux  , 
qui  est  le  ciment  et  le  lien  de  cette  union  fraternelle,  qu'il 
la  recommande  à  ses  disciples.  Mais  en  quels  termes  la  rc- 
commande-t-il  ?  en  termes  si  affectueux  ,  si  pressants  ,  si 
obligeants,  qu'il  faut  renoncer  au  christianisme,  ou  aimer 


de  l'amour  envers  le  prochain,  VJ7 

la  charité  plus  que  tout  ce  qui  est  aimable  au  ciel  et  sur  la 
terre  après  Dieu. 

Premièrement  ,  eu  S.  Jean  ,  chapitre  treize,  il  dit  :  On 
connaîtra  en  ceci  jue  vous  êtes  mes  disciples,  si  vous  ave/ 
la  charité  et  la  dilecliou  les  uns  pour  les  autres;  puis  il  veut 
i.  1  ?.  21 .  23.  )  que  LOlre  charité  soit  si  extraordi- 
naire, si  héroïque,  et  si  miraculeuse,  qu'elle  soit  un  témoi- 
gnage et  une  preuve  authentique  de  la  foi,  et  que  le  monde 
connaisse  par  là,  que  Jésus  est  envoyé  de  Dieu,  vrai  Fils  de 
Dieu,  et  vrai  Dieu  :  «  Omnës  unum  sint,  sicuttu,  Pater, 
u  in  me  ,  et  egp  in  te  ;  ut  credat  mundus,  quia  tu  me  mi- 
«  sisli  ;  ut  sint  unum,  sieut  et  nos  unum  sumus,  et  sint 
«  consommai'!  in  unum,  et  cognoscat  mundus  quia  tu  me 
ci  misisti.  »  Ne  faut-  il  pas  des  œuvres  bien  prodigieuses  , 
des  miracles  bien  signalés  et  éclatants  pour  prouver  le  mys- 
de  l'incarnation  ,  pour  faire  croire  au  monde  qu'un 
homme  qui  a  été  pendu  à  un  gibet  par  autorité  de  justice  , 
et  à  la  poursuite  des  prêtres  de  son  pays,  était  vrai  Dieu  , 
et  qu'étant  à  la  potence  ,  il  gouvernait  le  ciel  et  la  terre  ? 
Il  ne  l'a  pu  persuader  aux  hommes,  môme  avant  que  ce  dé- 
sastre lui  arrivât ,  lors  même  qu'il  rendait  la  vue  aux  aveu- 
gles, la  santé  aux  malades,  le  mouvement  aux  paralytiques, 
la  vie  aux  morts;  et  il  veut  que  nous  nous  aimions  les  uns 
les  autres  d'un  amour. si  ardent,  que  les  hommes  envoyant 
cela,  soient  obligés  et  contraints  de  direqu'il  faut  nécessaire- 
ment que  Jésus  soit  vrai  Dieu,  principe  et  auteur  de  la  nature, 
puisqu'il  donne  à  ses  disciples  une  vertu  qui  surpasse  tant 
la  portée  et  les  efforts  de  ta  nature. 

Les  philosophes  païens  voyant  la  belle  économie  et  la 

luite  de  ce  monde,  l'harmonie  et  le  bon  accord  des 

(set  des  autres  créatures,  nonobstant  la  contrariété 

et  l'opposition  de  leur  qualité,  ont  reconnu  qu'il  y  a  un  Dieu 

en  ce  monde,    infinimenl  puissant,   sage,    bon,  qui  établit 

.    et  conserve  cette  harmonie.   Ainsi  Jésus 

e  qu'il  y  ail  une  .si  bonne  intelligence,  une  si  étroite  et 

parfaite  union  entre  les  fidèles ,    nonobstant  /'-antipathie  de 

r  naturel,  la  diversité  de  leur  conditior  ,  et  la  contra- 


498  SERMON  CCCIIi. DES  DIMENSIONS 

riété  de  leurs  inclinations,  qu'en  voyant  cela  on  soif  contraint 
d'avouer  que  celui  qui  tient  en  bon  accord  des  créatures  si 
opposées  ,  est  cloué  d'une  puissance  admirable,  d'une  sa- 
gesse incompréhensible  et  d'une  bonté  infinie. 

De  plus  il  ajoute  :  Mandatum  novum  do  vobis,  ut 
diligatis  invicem  sicut  dilexi  vos;  (Joan.  1 3.  34.)  Hoc 
est  prœceptum  meum  ut  diligatis  invicem  ,  sicut  di- 
lexi vos.  (  Joan.  15.  42.  )  Il  n'y  a  mot  qui  ne  porte  ,  ii 
faut  les  peser  pour  en  connaître  l'importance.  Il  dit  :  Prœ- 
ceptum ^  il  dit  meum  ,  il  dit  novum.  Ce  n'est  pas  un 
conseil ,  ce  n'est  pas  un  avis  salutaire,  ni  une  œuvre  de 
subrogation  qu'il  propose;  c'est  un  précepte,  c'est  un  com- 
mandement ,  une  œuvre  d'obligation  qu'il  enjoint ,  et  il  y 
va  du  salut  et  de  la  damnation  éternelle ,  si  on  y  manque, 
îl  dit  :  meum.  Les  autres  préceptes  sont  ses  commande- 
ments; mais  il  dit  particulièrement  de  celui-ci,  que  c'est 
son  précepte  ,  parce  qu'il  lui  est  plus  précieux  ;  il  le  chérit 
plus  que  tous  les  autres,  il  l'a  en  plus  grande  recommanda- 
tion. Il  dit  :  Novum*  Le  commandement  ancien  disait  aux 
Juifs  :  Vous  aimerez  votre  prochain  comme  vous-mêmes  ; 
et  le  commandement  nouveau  dit  aux  chrétiens  :  Vous 
aimerez  votre  prochain  comme  Jésus  Ta  aimé. 

S.  Bernard  dit  que  la  charité  est  à  Fume  ce  que  la  quan- 
tité est  au  corps;  un  corps  est  d'autant  plus  grand  ou  plus 
petit ,  qu'il  y  a  plus  ou  moins  de  quantité  ;  et  une  ame  est 
d'autant  plus  grande  ou  plus  petite  devant  Dieu,  qu'elle  a 
plus  ou  moins  de  charité  ;  et  comme  la  quantité  a  ses  quatre 
dimensions,  la  charité  aussi  en  a  quatre. 

S.  Paul  dit,  (Ephes.  3.  48.)  que  pour  concevoir  la  gran- 
deur de  l'amour  que  Jésus  nous  a  porté,  il  faut  en  connaître 
les  quatre  dimensions  :  la  hauteur,  la  profondeur  ,  la  lar- 
geur et  la  longueur  :  In  cliaritate  radicati,  et  fundati  , 
ut  possitis  comprehendere  cum  omnibus  sanctis  ,quœ 
sit  longitudo,  latitudo ,  sublimitas  et  profundum.  Ce 
sont  les  quatre  qualités  de  l'amour  que  nous  devons  à  notre 
prochain  ,  par  conformité  et  ressemblance  à  l'amour  que 
Jésus  nous  a  porté. 


DE  l'aMOUH   l:\\  ERS  LE  PROCHAIN.  4(JU 

pûimi  u  punctubj.  —  Ahiiudocliavitaiis,  etc. 

B.  —  (1*Arnp/wro.)La  hauteur  de  cet  amour  consiste 

en  ce  que  Dieu  en  doit  être  le  motif  et  la  fin.  Il  n'y  a  rien 
de  plus  haut  que  Dieu  ;  si  notre  amour  vient  de  lui,  et  va  à 
lui,  c  est  un  amour  liant  cl  releva  L'amour  de  Jésus  envers 
nous  est  mi  reflux  de  l'amour  qu'il  porte  à  son  Père:  quand 

dalla  mourir  pour  nous,  il  dit:  Ut  cognoscat  mundusquia 
dgoPatrem  ,  surgite,  camus;  et  son  apôtre  (1 .  Cor. 
i .)  nous  déclare  que  quelque  belles  et  apparentes  que 
ni  nos  actions  ,  si  nous  n'avons  la  charité,  rien  ne  nous 
ofite,  et  nous  ne  sommes  rien;  notez,  charité:  il  n'y  a 
rien  de  si  commun  parmi  les  hommes  nue  l'amour,  et  il  n'est 
m  de  si  rare  dans  le  monde  que  la 'charité  ;  on  y  prend 
fort  souvent  le  change,  et  on  s'y  (rompe  étrangement  à  sa 
propre  damnation.  Toute  charité  est  amour,  mais  tout  amour 
nesi  pas  chanté;  il  n'y  a  que  l'amour  de  charité,  l'amour 
chrétien  ,  Pamour  surnaturel,  qui  nous  mette  en  voie  de  sa- 
lut. L'amour  qui  est  parmi  les  gens  du  monde,  n'est  ordi- 
nairement qu'un  amour  brutal,  sensuel ,  humain,  nature!, 
plein  d  intérêt  et  de  retour  à  soi-même. 

C— (2*  Patribus.yS.  Augustin  dit  :  (Hom.  38.  ex  50.) 
Vous  aimez  votre  femme,  parce  qu'elle  est  l'objet  de  vos 
délices  charnelles  ;  ainsi  un  pigeon  aime  sa  colombe  ,  un 
loup  aime  sa  louve ,  un  tigre  aime  sa  tigresse;  vous  aimez 
vos  enfants,  parce  que  ce  sont  vos  créatures;  ainsi  une 
aime  ses  oursons,  une  lionne  ses  lionceaux,  une  poule 
s  poussins ,  parce  que  ce  sont  leurs  petits.  Vous  aimez 
tre  camarade,  parce  que  vous  demeurez  ensemble,  vous 
jouez,  tous  mangez  ,  vous  vous  promenez  ,  vous  cajolez  en- 
;  ainsi  deux  chevaux  s'entr'aiment  et  mandent  en- 
semble aux  champs ,  parce  qu'on  leur  a  donné  l'avoine  ,  et 
qu  on  les  a  abreuvés  ensemble;  ,kuX  vaches  s'entr'aiment 
parce  quelles  ont  demeuré  dans  la  même  étable;  si  l'une 
<  •'  absente,  l'autre  en  témoigne  du  ressentiment  par  son 
;  aimez  rofre  maître  parce  qu'il  vous  nom- 
loln  ,hi'  sse,  parce  (]ut  fous  lui 


500  SERMON   CCCilI. DES  DIMENSIONS 

donnez  des  pièces  de  pain  ,  vous  aimez  votre  frère  ,  votre 
oncle,  votre  cousin  parce  que  ce  sont  vos  parents  :  les  Turcs 
et  les  autres  infidèles  n'en  font  pas  moins.  Il  faut  aimer  vos 
prochains  d'un  amour  de  charité,  non  par  des  motifs  natu- 
rels et  humains ,  mais  par  des  principes  surnaturels  et  di- 
vins ;  il  faut  les  aimer ,  parce  que  ce  sont  les  images  de 
Dieu  ,  les  membres  de  Jésus ,  parce  que  Dieu  les  a  tant  ai- 
més ,  qu'il  leur  a  donné  son  Fils ,  parce  que  Jésus  les  a  tant 
estimés,  qu'il  a  donné  sa  vie  pour  eux. 

Il  faut  les  aimer  pour  les  porter  à  Dieu  ;  il  faut  les  ai- 
mer ,  non  pour  les  attacher  à  vous  et  à  vos  intérêts ,  mais 
pour  les  porter  à  Dieu  et  à  sa  gloise  ;  leur  donner  son  amour 
et  sa  crainte ,  pour  les  rendre  vertueux ,  pour  en  faire  de 
vrais  chrétiens,  et  de  bons  serviteurs  de  Dieu  ;  il  faut  les 
aimer,  non  pour  vous  rendre  partisans  de  leurs  passions  dé- 
réglées ,  complaisants  à  leur  humeur  vicieuse ,  complices  et 
coadjuteurs  de  leurs  dissolutions  ;  mais  pour  les  en  repren- 
dre et  les  corriger  :  Non  est  bona  amicitia  qnam  facit 
mala  conscientia ,  dit  S.  Augustin;  (Tract.  8.  in  Epist, 
4  .  Joan.)  et  ailleurs  :  Non  sic  debemus  amare  homines 
fiieut  gulosus  amat perdices ,  amat  enim  ad  hoc  ut  oc- 
cidat  et  consumât,  et  amare  se  dicit.  Voilà  un  bel  amour 
que  vous  portez  à  vos  camarades!  vous  les  aimez  comme  un 
gourmand  aime  les  viandes  ,  il  dit  :  J'aime  bien  ce  chapon, 
ce  mouton  ;  il  l'aime  pour  le  tuer ,  pour  en  prendre  son 
plaisir,  pour  le  détruire  et  le  consommer;  vous  aimez  votre 
camarade  pour  le  perdre  par  vos  débauches ,  pour  le  mener 
au  jeu  ,  au  cabaret ,  pour  le  gorger  de  vin  et  de  viande ,  lui 
enseigner  où  il  y  a  des  filles  débauchées,  lui  apprendre  des 
saletés  dénaturées  ;  il  vaudrait  beaucoup  mieux  pour  lui , 
qu'on  prît  un  couteau  ,  qu'on  l'égorgeât,  et  qu'on  le  rôtît 
à  petit  feu ,  que  de  l'engager  comme  vous  faites ,  à  être 
quelque  jour  brûlé  dans  les  flammes  éternelles.  Voilà  un 
bel  amour  que  vous  portez  à  votre  maltresse  !  vous  l'aimez 
pour  la  perdre  par  vos  flatteries ,  en  applaudissant  à  ses  va- 
nités ,  à  ses  mondanités  et  à  ses  sensualités;  vous  ne  vous 
souciez  par?  qu'elle  se  dauiue,  pourvu  que  voius  gagniez  ses 


DE  L'AMOUR  ENVERS  LE  PROCHAIN.  501 

bonnes  grâces ,  pour  en  tirer  quelque  profil  temporel  et 
passager. 
^  1).  —  (3°  Ratione.)  Aimer,  c'est  vouloir  du  bien.  Voua 

n'aimez  donc  pas  voire  prochain  ,  si  vous  ne  lui  souhaitez  de 
tout  voire  cour,  si  vous  ne  lui  procurez  tant  qu'il  vous  sera 
possible,  les  vrais  biens,  qui  sont  l'amour  de  Dieu,  les 
venus  solides  cl  parfaites ,  el  le  salut  éternel  ;  vous  ne  rai- 
niez pas  si  vous  ne  tâchez  de  le  délivrer  ûvs  vrais  maux, 
qui  sont  les  péchés  ,  les  mauvaises  habitudes  ,  et  les  incli- 
nai ions  vieieuses. 

Si  voire  enfant  est  atteint  d'une  fièvre  chaude  ,  ou  autre 
maladie,  vous  tâchez  par  tous  les  moyens  de  l'en  délivrer.' 
f  t  quoiqu'il  ne  le  veuille  pas ,  el  quoiqu'il  résiste  ,  qu'il  cric 
qu'on   le  laisse  en  repos,  quoiqu'il  menace  de  tuer ,  vous 
I  attachez  à  la  colonne  du  lit,  vous  le  faites  saigner,  venfou- 
riOer,  et  si  nous  faisiez  autrement,  on  dirait  que 
vou>  ne  Taimez  pas.  Doue  vous  n'aimez  pas  votre  enfant, 
votre  serviteur  ,  votre  ami ,  si  vous  ne  le  reprenez  pas  et  si 
vous  ne  le  châtiez  pas  quand  il  jure  ,  blasphème  ,  et  qu'il  dit 
des  paroles  dissolues,  quand  il  médit  du  prochain,  qu'il  se 
débauche,  qu'il  s'enivre,  et  qu'il  offense  Dieu  de  quelque 
manière  (pie  ce  voit.  Amor  sœvit ,  charitas  sœ\  it ,  sinô 
pile  sœvit ,  more  columbino  ,  non  corvino,  dit  S.  Au- 
gustin. (Lib.  I.  eap.  4.) 

E,  —  V  Exemplis.)  Cette  bonne  femme  dont  il  est  fait 
nl'on  dans  la  vie  du  père  César  de  Bus ,  aimait  son  voi- 
sin dun  via.  amour.  César  de  Bus  était  un  gentilhomme 
mondam  ;  une  pauvre  femme  nommée  AntoineUc  eut  l'ins- 
P'rationde  le  convertir.  A  cet  effet  elle  loua  tout  exprès  un 
P(;ll(  (01,J  «e  chambre,  vis-à-vis  de  la  maison  de  ce  cavalier 
afin  d \y  avoir  entrée,  el  d'y  être  quelquefois  employée  à 
e,5  faire  des  messages  et  à  rendre  d'autres 
•  S  elle  bu  présentait  la  Vie  des  Saints;  (chacun  la 
dcvra'l  ™>ir  elle  le  pria. t  de  la  lire,  il  la  rebutait  :  Allez, 
allez ,  tous  des  unv.  bigote,  f ai  bien  à  faire  de  votre  livre. 
Mais  ,  Monsieur,  je  vous  prie  au  moins  d'en  lire  une  pa^e, 
ivantage.Ils'en  moquait  Au  moins  sep l  lignes  à  l'hon' 


îiÙ2  SERMON  CCCIII. DES  DIMENSIONS 

neiir  des  sept  douleurs,  au  moins  cinq  lignes  ,  à  Phonnenr 
des  cinq  plaies,  au  moins  trois  lign-es  seulement  à  Phonneur 
de  la  très  sainte  Trinité.  Enfin,  pour  se  délivrer  de  ses  im- 
portun i  tés ,  il  prit  le  livre,  il  en  lut  quelque  chose  ,  il  fut 
gagné  par  cette  lecture  ,  et  devint  un  grand  Saint.  Il  fau- 
drait Pimitcr,  vous  approcher  doucement  de  votre  foisiu 
ou  voisine,  qui  se  conduisent  mal  ;  leur  dire  quelques  mois 
de  ce  qu'on  a  dit  au  sermon  ,  de  ce  que  vous  avez  lu  dans 
quelque  bon  livre  ,  prendre  sujet  de  leur  parler  de  Dieu,  de 
la  laideur  du  vice  ,  de  îa  beauté  de  la  vertu  ,  et  des  quatre 
fins  de  l'homme  ;  quelquefois  quand  votre  fermier,  ou  un 
autre  paysan  vient  chez  vous ,  quand  un  pauvre  vous  de- 
mande l'aumône,  leur  demander  :  Y  a-t-it  longtemps  que 
vous  n'avez  été  à  confesse  ?  l'envoyer  à  quelque  père,  et  s'il 
n'ose  pas  y  aller  à  cause  de  ses  haillons ,  prier  voire  confes- 
seur de  Pentendre  en  confession. 

S.  Romuaîd  aimait  son  père  d'un  vrai  amour.  Serge  son 
père  de  la  maison  de  Ravenne  ,  après  s'être  battu  en  duel 
avec  un  de  ses  parents  ,  se  fit  religieux  dans  un  monastère 
d'Italie,  nomme  Saint-Sévcrin,  pour  y  faire  pénitence;  mais 
comme  la  volonté  de  Phommeest  changeante  et  fragile,  sa 
première  ferveur  s'étant  refroidie  ,  il  se  dégoûta  de  la  reli- 
gion et  voulut  quitter  le  monastère.  Son  fils  Ilomuald  ,  qui 
était  alors  en  France,  ayant  appris  cela  ,  alla  tout  exprès  en 
Italie  pour  le  détourner  de  ce  mauvais  dessein.  Comment  , 
dit-il,  retourner  au  monde  ?  à  quoi  pensez-vous,  mon  père? 
ne  voyez-vous  pas  que  vous  vous  y  perdrez  ,  vous  êtes  d'une 
humeur  bouillante,  querelleuse,  impatiente,  quelqu'un  vous 
appellera  moine  défroqué  ,  vous  ne  pourrez  Pendurer,  vous 
Pappeîlcrez  en  duel,  vous  mourrez  en  mauvais  état,  réso- 
lument vous  ne  sortirez  point  d'ici.  Ne. pouvant  rien  gagner 
sur  son  esprit  par  ses  remontrances ,  il  se  sert  de  la  voie  de 
fait  :  Vous  y  demeurerez  ,  bon  gré  ,  mai  gré  que  vous  en 
ayez,  c'est  um  espèce  de  cruauté  de  vous  être  pitoyable  en 
cette  occasion;  vous  m'en  saurez  bon  gré  quelque  jour.  Il 
lui  fait  mettre  les  fers  aux  pieds  ,et  à  force  de  le  faire  jeûner 
et  de  jeûner  lui-même  ,  et  de  prier  Dieu  pour  lui ,  il  le  eon- 


DE  l'àBIOUR  BNVER8  LE  PROCHAIN.  5<l3 

vcrlil  tellement ,  qu'il  fut  très  content  de  demeurer ,  et  il  y 

mourut  saintement  Pan  neuf  cent  quatre-vingt-douze.  CVst 

ainsi  que  Jcsus-Christ  nous  aime.  Ego  quos  amo ,  arg*o 

Ipoc.  3.  1 9.)  vous  vous  ûgurez  qu'il  est  bien 

en  colère  contre  vous,  parce  qu'il  châtie  ,  qu'il  envoie  des 

maladies,  des  pertes  de  biens,  un  renversement  de  fortune; 

i  trompez  ,  c'est  qu'il  vous  aime  d'un  vrai  amour  ; 

•'//s'il  ne  vous  donnait  que  des 

rre,  oon  amour  serait  bas  et  terrestre;  il  veut, 

r  à  gagner  les  biens  du  ciel,  éternels ,  souverains, 

parce  qu'il  vous  aime  d'un  amour  haut  et  relevé. 

Secundum  PvNciuu.—Profundum,  etc. 

F.—(Quod  miseriisproximi,  etc.)  S'il  est  si  haut, 
H  nest  pas  moins  profond,  il  rabaisse  jusqu'au  centre  de 
nos  misères,  jusqu'à  le  mettre  auprès  de  nous ,  quand  nous 
sommes  dans  Tablme  de  quelque  disgrâce  ,  quelqu'ignonii- 
otcuse  i  :  humiliante  qu'elle  soit:  Descendit  eu  w  Më'jn'flh 
vt  :,:i.  Deabyssisterrœ  iterumrèduxistime.  (Psal.70. 
20.J  [|  ne  dit  pas  retruxisti,  mais  redùxisH:  Vou>  m'avez 

•  eue  de  l'abîme  où  jetais  ;  il  y  était  donc  avec  nous,  cum 

ipso  sum  tn  tnhulatione.  Notre  amour  doit  être  ainsi ,  il 

doit  nous  faire  condescendre  et  compatir  aux  misères  de 

notre   prochain  pour   Ten    relever   efficacement  et  avec 

lion. 

Vous  faites  tout  le  contraire,  l'affliction  de  votre  "pro- 
un  vous  donne  sujet  de  vous  élever,  et  de  l'abaisser,  et 
I  opprimer  pour  achever  de  le  perdre  ;  vous  dites  :  Co 
bon  homme  est  ravi  de  ce  que  je  lui  sends  mon  blé  à  cré- 
dit; encore  que  ce  soit  plus  cher  qu'au  marché,  que  [o 
tij  prête  de  fargent  à  usure,  il  s'en  tient  bien  obligé 
i  ce  plaisir  il  mourrait  de  faim  ,  et  les  sergents  lui  em- 
""ent  tous  ses  mcubles.Cette  excuse  vous  condamne, 
pour  eela  qu  il  lui  faudrait  prêter  sans  usure  ,  parce 
]M  jw  ,  parce  qu'il  meurt  de  faim  ,  parce  qu'on  le 

CVst  principalement  des  pauvre,  que  Dieu  défend  de 


504  SERMON  CCCIIÎ. — DKS  DIMENSIONS 

prendre  des  intérêts  de  l'argent  qu'on  leur  prête.  Cette 
bonne  veuve  a  par  malheur  quelque  mauvais  procès  par  Pin* 
yistice  d'un  méchant  homme  ;  au  lieu  de  lui  tendre  la  main  , 
vous  tâchez  de  la  précipiter  dans  l'abîme  de  son  déshon- 
neur la  sollicitant  au  mal  par  de  vaines  promesses  de  la 
secourir.  Celte  fdle  est  tombée  en  faute  ,  au  Heu  d'y  com- 
patir et  de  tâcher  de  la  retirer,  vous  en  prenez  occasion  de 
la  tenter  plus  hardiment  à  retomber  au  péché  pour  achever 
de  la  perdre. 

Nous  pouvons  remarquer  dans  l'Ecriture  que  le  Saint- 
Esprit  joint  toujours  le  commandement  de  l'amour  envers 
le  prochain  à  celui  de  l'amour  envers  Dieu  ;  et  notre  Sau- 
veur en  l'Evangile  (Mat th.  22.  37.- Marc.  12.  31  .-Luc. 
i  0.  27.)  étant  interrogé  quel  était  le  grand  commandement 
de  la  loi ,  après  avoir  dit  :  Tu  aimeras  ton  Dieu  de  tout 
ton  cœur,  c'est  le  premier  et  le  plus  grand  commandement, 
il  ajoute  :  Et.  le  second,  semblable  au  premier,  est  celui-ci  : 
Tu  aimeras  ton  prochain  comme  toi-même.  Semblable  au 
premier,  c'est-à-dire  aussi  important ,  aussi  nécessaire  au 
salut  ;  semblable  au  premier,  c'est-à-dire  que  comme  l'a- 
mour que  nous  devons  à  Dieu  doit  être  cordial ,  sincère  , 
effectif  :  Ex  loto  corde  tuo  ,  ex  omnibus  virihus  tuis ; 
ainsi  l'amour  que  nous  devons  à  notre  prochain  doit  être  du 
profond  du  cœur ,  et  se  montrer  par  les  effets.  Pour  mieux 
expliquer  ceci ,  un  jurisconsulte  lui  ayant  demandé  ce  qu'il 
devait  faire  pour  avoir  la  vie  éternelle ,  il  lui  proposa  cetîo 
parabole  :  Un  pieux  Samaritain  rencontrant  aux  champs  un 
pauvre  homme  blessé  à  mort  et  couvert  de  plaies  par  les 
voleurs ,  ne  passa  pas  outre  ,  mais  mit  pied  à  terre  ,  s'appro- 
cha de  lui ,  pensa  ses  blessures,  le  mit  sur  sa  monture  ,  le 
conduisit  à  l'hôtellerie  ,  le  recommanda  à  l'hôte  et  répondit 
pour  lui.  Ayant  raconté  les  pieux  offices  de  ce  Samaritain,  il 
dit  au  jurisconsulte  :  Faites  de  même  ;  c'est-à-dire ,  «i 
vous  voulez  avoir  la  vie  éternelle  dont  vous  m'avez  interroge, 
soyez  ainsi  charitable.  Donc  assister  le  prochain  de  nos 
moyens,  de  notre  crédit ,  de  notre  travail ,  ce  n'est  pas  une 
oeuvre  de  conseil ,  ni  de  subrogation ,  mais  de  précepte  et 


DE  LA.MOLH  BNVSftS    LE  PROCHAIN'.  503 

d'obligation.  Voua  ne  voudriez  pas  signer  une  requête , 
faire  un  exploit ,  plaider  un  quart  d'heure  pour  un  villa- 
geois ,  servir  un  malade ,  sinon  à  force  d'argent  ;  cependant 
tout  cela  est  bien  moins  que  ce  que  fit  ce  Samaritain  à  ce 
pauvre  blessé.  Jésus  dit  :  Faites  comme  lui  pour  avoir  la 
vie  éternelle  ;  tout  cela  est  bien  moins  que  de  donner  votre 
Me  pour  votre  prochain  ;  et  S.  Jean  dit  :  Et  nos  debemus 
pro  fratnbus  animas  ponere  ;   (1 .  Joan.  3.  1G.)  notez, 
debemus,  c  est  une  obligation.  Tout  ce  que  vous  faites 
pour  le  prochain  moins  que  d'endurer  la  mort,  tout  ce  que 
vous  lui  donnez  moins  que  votre  vie,  c'est  moins  que  vous 
ne  devez.   A  ous  plaidez  pour  les  pauvres  veuves     c'est 
moins  que  vous  ne  devez  ;  vous  visitez  les  prisonniers,  vous 
servez  les  malades ,  c'est  moins  que  vous  ne  devez  ,  puisque 
dans  un  besoin  vous  devez  môme  votre  vie.  Vous  devez  ai- 
mer le  prochain  ,  comme  Jésus  nous  a  aimés  ;  il  a  donné  sa 
vie  pour  nous  :  Pro  omnibus  mortuus  est;  disant  pro  om- 
nibus y  il  marque  la  grandeur  de  son  amour. 

TERTIUM  PUNCTUM.  —  Latitudo ,  etc. 

G.  — (Ut  omet,  etc.)  La  troisième  propriété  que  noire 
amour  doit  avoir,  c'est  qu'il  doit  embrasser  (ous  les  hom- 
mes   sans  en  exclure  un  seul.  L'amour  de  la  plupart  des 
chrétiens  est  un  amour  particulier,  amour  fantasque  et  de 
caprice.  L  un  est  le  meilleur  homme  du  monde  avec  les 
étrangers   chez  les  voisins  ,  en  compagnie  et  dans  le  caba- 
ret ;  mais  dans  sa  maison  ,  il  semble  un  arabe,  il  n'a  point 
de  tendresse  pour  sa  femme  ,  pour  ses  enfants,  pour  ses 
domestiques;   'autre  est  idolâtre  de  ses  gens  ,  mais  il  n'a 
point  de  chanté  pour  les  étrangers;   il°se  fait  ennemi  de 
cinquante  vo.s.ns  ponr  venger  la  querelle  d'un  petit  enfant: 
1  un  veut  que  toute  son  hérédité  et  toute  la  bénédiction  soit 
pour  son  aine     1  autre  qu'elle  soit  toute  pour  le  cadet.  Ce 
père  de  famille  n'a  d'inclination  que  pour  un  de  ses  servi- 
teurs qu,  le  flatte,  qui  lui  fait  des  rapports  à  perte  de  vue  , 
et  il  ne  témoigne  point  d'amour  ,  point  de  confiance  ,  ni  de 
bonne  volonté  aux  autres.  Cet  autre  n'aime  qu'une  certaine 
TOM  x.  29 


506  SERMON  CCCI1I. — DES  DIMENSIONS 

religion  ou  confrérie ,  il  méprise  et  condamne  toutes  les 
autres ,  et  de  là  viennent  les  divisions ,  les  schismes ,  les  ja- 
lousies ,  les  jugements  téméraires ,  les  médisances,  tes  par- 
tialités qui  sont  dans  les  familles  ,  républiques  et  autres 
communautés. 

H.  — (1°  Soriptura.)  Quand  S.  Paul  recommande  tant 
la  charité,  qu'il  dit  que  sans  elle  rien  ne  nous  profite,  (1 . 
Cor.  13.  1 .)  c'est  à  propos  des  schismes  et  des  divisions  qui 
étaient  à  Corinthe.  Mais  voulez-vous  savoir  quelles  divi- 
sions ?  elles  étaient  si  légères  et  si  petites  en  apparence,  que 
nous  penserions  que  ce  n'est  qu'un  jeu  d'enfant.  C'est  que 
les  uns  disaient  :  Apollon  est  un  des  plus  habiles  hommes 
du  monde  ;  les  autres  disaient  :  S.  Pierre  n'a  pas  son  sem- 
blable. 

Et  aux  Galates ,  il  dit  :  Faisons  du  bien  à  tous ,  et  prin- 
cipalement aux  domestiques  de  la  foi  ;  (1  )  ce  que  les  chré- 
tiens observaient  encore  au  second  siècle. 

I.  —  (2°  Patribus.)  Tertullien  dit  en  son  Apologétique: 
«  Maie  enim  facere,  maie  dicere,  maie  velle,  maie  cogitarc 
«  de  quoquam  ex  œquo  vetamur.  Nullum  bonum  sub  excep- 
«  tione  personarum  administramus  :  »  (Tertull.  Apolog. 
cap.  36.)  Il  ne  nous  est  pas  permis  de  faire  du  mal,  ni 
d'en  dire ,  ni  d'en  penser  ,  ni  d'en  vouloir  à  qui  que  ce  soit, 
nous  faisons  du  bien  indifféremment  à  tous  ceux  que  nous 
pouvons,  sans  acception  de  personne.  Il  est  vrai  que  nous 
ne  pouvons  faire  du  bien  actuellement  à  tout  le  monde,  nous 
ne  pouvons  pas  donner  l'aumône  à  tous  les  pauvres ,  secou- 
rir tous  les  nécessiteux,  parce  que  notre  temps,  nos  moyens, 
nos  forces  sont  finies  et  limitées  ;  mais  si  anyustiantur 
vasa  caimis ,  dilalcntnr  spatia  charitaiis ,  dit  S.  Au- 
gustin. 

Nous  devons  aimer  tout  le  monde  en  général ,  porter 
compassion  à  tous  les  misérables,  avoir  des  tendresses  et  des 
inclinations  pour  tous  nos  frères;  mais  surtout  obéir  à  ce 

(O  OpeTemur  bonum  aa  omnes ,  maxwpe  ad  domeslicos  fidei.  (Calât. 
6,  10. 


DE  L'AMOOft  EMVEnS  LU  PROCHAIN.  507 

commandement  que  le  Fils  do  Dieu  nous  a  fait,  disant  •  AL 
mettes  ennemis ,  priez  pour  ceux  qui  vous  ruinent  de'  ré- 
putation injustement,  faites  du  bien  à  ceux  qui  vous  haïssent. 
L.  —  (à  Raitontbtu.)  Quand  S.  Paul  était  en  prison 
home  pour  la  foi,  il  y  avait  à  Colosse  un  gentilhomme 
chrétien ,  nommé  Philémon  ;  un  de  ses  esclaves  nommé 
Onésime,  s'enfuit  secrètement  sans  dire  adieu  ,  etnSe 
yan,  vole  son  maître.  Heureusement  pour  lui,  il  se  trouva 
a  Home,  et  fut  converti  par  S.  Paul  ;  l'apôtre  l'ayant  bap- 
tisé ,  e  renvoya  à  son  maître ,  avec  une  lettre  de  faveur 
qui  est  la  plus  comte,  mais  la  plus  éloquente  de  ses  épit    s- 
!.. ,  I  déploie  les  nebesses  de  sa  rhétorique  divine ,  il  0«m 
de  divers  arguments  pour  ealmer  l'esprit  de  ec  cavale 
m du.   a  excuser  la  faute  de  son  esclave.  Tout    e  q„  'es 
éçr  I    est  écrit  pour  notre  instruction.   Jésus  a  bJucoun 
P  us  de  tendresse  pour  celui  qui  vous  a  offensé,  nue  S  S 
non  avait  pour  Onésime.  Il  vous  recommande1  avec  p  h 
d  affection  de  pardonnera  votre  ennemi ,  q„e  l'apôtre  ne  è 
commanda,  à  Philémon  de  pardonner  à  ion  eïZe7>sc 

S!S ET arg"mCn,S  <1Ue S-  Paul » car  il les ïuiains- 

S   Paul  dit  :  Ego  Pauhu  scripsi  mea  manu  :  C'est  de 

propre  main  que  je  vous  écris  eici;  et  Jésus  dit:  C'a tue 

propre  bouche  que  je  vous  parle;  non  plus  par  abouche 

dem«  prophètes,  tant  j'ai  à  cœur  que  vous  vouSP  ntr'atï 

'lul'nfiducmmhahmsi         and. 

' ,';'  "W'obsecro.  Je  pourrais  vous  commander  fatal 

**ao^«P<>»rcela;maisfusedes„pplicatiorpakit.e 
■a  rigueur  rebute ,  et  que  la  douceur  gagne  le  cœuVPonr 
nez-vous  bien  refuser  quelque  chose  ffîs-cïsî'  ou  ùd 

d  vouspnç  hmohlcou.,    comme  s'il  se  metuità  g   ' 
devant  tous:  S,  un  grand  vous  prie  de  quelque  chose  vous 
dite  :  Monsieur,  vous  me  faites  trop  d'honn  ur,  vos    r  ères 
me  sont,  des  commandements  P 

WmSZS '2  !  'a  Prièfe.,'  j,a,'0me  ,a  comPassion  ,  c'est 
Peu  1  amour  de  vous  que  j'ai  été  lié  et  garrotté,  flagellé, 


508  SERMON  CCCIII. DES  DIMENSIONS 

crucifie.  Pouvez-vous  refuser  quelque  chose  à  tant  et  à  de 
si  grands  témoignages  d'amour. 

Obsecro  te  pro  meo  Filio  qaem  genui  in  vinculis  ; 
votre  ennemi  est  Perdant  de  Dieu  ,  Jésus  l'a  enfanté  par  ses 
souffrances  en  la  croix,  il  lui  est  cher  et  précieux  :  c'est  son 
Benjamin,  son  Bénoni ,  filius  doloris. 

Suscipe  illum  utviscera  mea.  Voudriez-vous  déchirer 
les  entrailles  de  Jésus  ?  voudriez-vous  lui  ronger  le  cœur  ? 
Celui  que  vous  haïssez ,  que  vous  voudriez  déchirer  à  belles 
dents ,  c'est  le  petit  cœur  de  Jésus  ;  il  l'aime  comme  ses 
entrailles. 

Si  habes  me  socium  suscipe  illum  sicutme:  si  autem 
aliquid  nocuit  tibi,  aut  débet  hocmihi  imputa.  Si  vous 
m'aimez ,  et  si  vous  voulez  être  aimé  de  moi ,  faites-lui  tout, 
ni  plus  ni  moins,  que  ce  que  vous  voudriez  me  faire  à  moi- 
même;  s'il  vous  a  offensé,  sa  faute,  c'est  mon  crime  ,  je  suis 
sa  caution,  j'ai  répondu  pour  lui  à  mon  Père  et  à  tous  ceux 
à  qui  il  doit  quelque  chose.  Prenez  qu'il  ne  mérite  pas  que 
vous  lui  pardonniez  ;  il  me  semble  que  je  le  mérite  bien  : 
pardonnez-moi  cette  faute ,  j'en  suis  responsable  comme 
si  je  l'avais  faite. 

Forsitan  ad  horam  recessit  a  te  ,  ut  in  œternum  il- 
lum reciperes.  L'offense  qu'il  nous  a  faite  est  passagère  et 
pour  un  temps,  l'amour  qu'il  vous  porterasera  à  tous  les  siè- 
cles des  siècles  ;  ou  il  sera  damné,  ou  il  sera  sauvé,  s'il  est 
quelque  jour  damné,  hélas  !  il  sera  assez  puni  de  l'injure  qu'il 
vous  a  faite  ;  il  y  a  assez  de  loisir  dans  toute  l'étendue  des 
siècles  pour  en  être  châtié  ;  s'il  est  sauvé  avec  vous,  vous  vous 
entr'aimerez,  chérirez  et  bénirez  une  éternité,  tout  entière  ; 
ne  faut-il  pas  commencer  dès  à  présent  ce  que  vous  ferez 
dans  le  ciel ,  sans  fin  et  sans  interruption  ? 

Para  milii  hospitium.  Je  dois  loger  en  votre  maison, 
je  dois  être  reçu  chez  vous,  au  moins  dans  la  communion  de 
Pâques,  il  ne  faut  pas  que  j'y  rencontre  quelque  chose  qui 
me  déplaise.  Gardez- vous  bien  de  vous  approcher  de  la  sainte 
table  ,  s'il  reste  en  votre  cœur  quelque  inimitié  contre  qui 
que  ce  soit ,  quand  il  vous  aurait  arraché  les  yeux,  quand  il 


509 

vous  aurait  ruiné  de  bien,  <flionncur ,  de  santé,  de  tout. 
Si  je  n'ai  la  charité,  rien  ne  me  profite  ,  dit  S.  Paul.  Il  ne 
dit  pas  si  je  n'ai  l'amour,  mais  la  charité,  qui  est  une  vertu 
surnaturelle  comme  la  foi.  Qu'est-ce  à  dire  surnaturelle  ? 
c'est-à-dire ,  qui  va  au-delà  des  inclinations  de  la  nature  ! 
Le  propre  de  L'entendement  est  de  ne  recevoir  ni  approuver 
que  ce  qui  est  évident ,  et  la  foi  le  porte  à  croire  ce  qui  lui 
est  obscur,  et  ce  qu'il  ne  voit  pas  ,  argumentum  non  ap- 
parenthun.  L'inclination  de  la  volonté  est  de  n'aimer  que 
nos  amis  ,  parents ,  bienfaiteurs,  et  la  charité  nous  oblige 
d'aller  au-delà,  et  d'aimer  nos  ennemis  et  ceux  qui  nous 
persécutent. 

Si  j'aime  mon  prochain  comme  je  le  dois,  je  l'aime  parce 
qu'il  est  l'image  de  Dieu  ,  racheté  par  le  précieux  sang  de 
Jésus,  enfant  de  l'Eglise.  Or,  tous  les  chrétiens  ont  toutes 
ces  qualités.  Je  dois  donc  aimer  tous  les  chrétiens,  ou  je 
n'en  aime  pas  un  seul  comme  je  le  dois  :  je  dois  les  aimer 
en  tout  temps ,  puisqu'ils  sont  les  images  de  Dieu,  racheté? 
par  le  Sauveur,  enfantés  de  l'Eglise  en  tout  temps. 

QUARTUM  punctum.  —  Longitudo,  etc. 

M.  —  (Usque  ad  mortem.)  C'est  la  quatrième  et  der- 
nière dimension  de  la  charité  de  Jésus  envers  nous,  la  lon- 
gueur, la  constance  et  persévérance  de  l'affection  qu'il  nous 
a  porté  jusqu'à  la  fin  :  bifinem  dilexît  eos  ;  il  nous  a  aimés 
jusqu'au  dernier  soupir  de  sa  vie  et  au-delà  ;  étant  à  la  veille 
de  sa  mort  il  nous  a  légué  ce  qu'il  avait  de  plus  cher  et  de 
plus  précieux ,  ce  qui  est  de  plus  grand,  de  plus  excellent  et 
adorable  au  ciel  et  en  la  terre  ,  son  corps ,  son  àme,  sa  di- 
vinité ;  ainsi  une  âme  choisie  ne  met  point  de  bornes  à  sa 
charité.  On  voit  des  dames  dévotes  qui  étant  au  lit  de  la 
mort  s'informent  encore  de  l'état  des  pauvres ,  elles  ont 
soin  de  les  faire  assister,  elles  demandent  :  Comment  se 
porte  une  telle  veuve  ?  a-l-on  porté  le  bouillon  à  un  tel 
malade  ?  elles  lèguent  par  testament  de  quoi  les  assister 
après  leur  mort;  c'est  mourir  au  lit  d'honneur,  c'est  finir 
comme  le  phénix  dans  le  feu  de  la  charité  ,  allumé  des  bois 


510  oERMON  CCCIII. DES  DIMENSIONS 

aromatiques  des  bonnes  œuvres.  Au  contraire ,  il  y  a  des 
gens  si  peu  chrétiens,  si  mal  instruits,  ou  si  mai  affectionnés 
aux  maximes  de  l'Evangile,  qu'en  faisant  leur  testament  ils 
semblent  renoncer  au  christianisme  :  Ils  disent.  J'avais  la 
volonté  de  léguer  cent  écus  à  un  de  mes  parents,  mais  parce 
qu'il  m'a  désobligé ,  il  ne  les  aura  pas  ;  au  lieu  qu'il  faudrait 
dire  :  Il  en  aura  deux  cents.  Vous  êtes  sur  le  point  deyous 
aller  présenter  au  tribunal  de  Jésus-Christ ,  et  vous  prenez 
des  dispositions  toutes  contraires  à  celles  qu'il  demande  de 
vous ,  toutes  contraires  à  celles  qu'il  a  pour  vous. 

N.  —  (1°  Scriptural)  Il  nous  a  aimés  jusqu'à  la  fin  ,  il 
nous  aime  sans  fin ,  et  son  héraut  nous  dit  :  Bonum  facien- 
tes,  non  deficiamus  :  (Galat  6.  9.)  Ne  nous  lassons  jamais 
de  faire  du  bien,  ne  permettons  pas  que  la  charité,  qui  est 
un  amour 'divin,  s'éteigne  ou  se  ralentisse  par  des  accidents 
humains. 

O.  —  (2°  Patribus.)  S.  Grégoire  dit  que  cette  vertu 
était  représentée  par  la  robe  que  le  patriarche  Jacob  donna 
à  son  fils  Joseph.  L'Ecriture  dit  (Gènes.  37.  3.  23.)  qu'il 
la  lui  donna ,  parce  qu'il  l'aimait  plus  que  ses  autres  enfants, 
qu'elle  était  de  diverses  couleurs ,  et  qu'elle  lui  venait  jus- 
qu'aux talons  ;  la  charité  est  une  robe  qui  couvre  la  multitude 
des  péchés ,  dit  l'Apôtre.  Elle  est  de  diverses  couleurs,  elle 
est  un  assemblage  de  toutes  les  vertus  ;  Charitas  patiens 
est ,  henigna  est*  Dieu  la  communique  aux  âmes  pour 
qui  il  a  des  inclinations  particulières;  elle  doit  aller  jusqu'aux 
liions,  c'est-à-dire  persévérer  jusqu'à  la  fin  de  la  vie.  (1) 

P.  — -  (3°  Comparai ione.)  Aquce  multœ  non  potue- 
runt  extinguere  charitatem  ;  la  charité  est  comme  le  feu 
grégeois ,  les  eaux  ne  le  peuvent  éteindre.  Les  mauvais  of- 
fices que  le  prochain  nous  rend ,  les  persécutions  qu'il  nous 
fait ,  ne  diminuent  en  rien  l'amour  que  nous  lui  portons  ;  si 
c'est  un  amour  de  charité ,  cette  affection  s'augmente  dans 

(1)  Joseph  qui  inter  fralrcs  usque  in  finem  persévérasse  describilur  , 
solus  talarem  tunicam  habuisse  perhibetur,  quasi  enim  protensa  tunica 
talum  corporis  operit  eu  m  bona  actio  ante  Dei  ocuJ.os  usque  ad  vitaî  castras 
lerminum  tegit.  (Grog.  1.  moral,  capt.  ultim.) 


DE  L'AMOUR  i:;s\  ER8  LE  PROCHAIN.  51  1 

les  injures  qu'on  nous  fait ,  comme  le  feu  se  rend  plus  ar- 
dent à  la  présence  du  froid. 

Q.  —  (4°  Rationc.)  Toute  plante  que  mon  Père  céleste 
n'a  pas  plantée  sera  déracinée,  dit  notre  Sauveur.  Quand 
vous  n'aimez  le  prochain  (pie  parce  qu'il  est  votre  ami ,  ou 
parent ,  ou  bienfaiteur,  et  que  vous  cessez  de  l'aimer,  parce 
qu'il  vous  a  désobligé  ,  ou  qu'il  cesse  de  vous  faire  du  bien, 
cet  amour  est  humain  et  naturel ,  non  surnaturel  et  divin  ; 
et  si  ce  n'est  pas  Dieu  qui  Ta  planté  en  votre  cœur,  il  en  esl 
aisément  arraché  ;  mais  si  vous  continuez  de  l'aimer ,  non- 
obstant les  disgrâces  qui  lui  arrivent ,  ou  les  offenses  qu'il 
vous  fait ,  c'est  un  amour  de  charité,  il  est  constant  et  iné- 
branlable, comme  Dieu  qui  en  est  le  motif,  toujours  le 
même  et  immuable  :  Charltas  nunquam  excidit. 

11.  —  (5°  Excmplis.)  Au  temps  du  bienheureux  Fran- 
çois de  Salles ,  on  disait  en  Savoie ,  comme  par  proverbe  : 
Il  faut  offenser  l'évèquc  de  Genève  pour  en  recevoir  du  bien  ; 
et  quand  ses  parents  voulaient  obtenir  de  lui  quelque 
faveur ,  ils  se  servaient  de  l'entremise  de  quelqu'un  qui  Pa- 
vait désobligé.  Aqiiœ  multœ  nonpotuerunt  exti?ignerc 
charitafem.  Voilà,  Messieurs,  les  quatre  dimensions  de 
la  vraie  charité,  les  quatre  propriétés  de  l'amour  que  vous 
devez  à  votre  prochain  :  Tenta  cryo  te  ,  dit  S.  Augustin  ; 
et  si  sit  in  te  dilectio  fratiis,  dilectio  pacis,  dilectio  uni- 
taiis,  securus  esto  :  Examinez-vous,  ne  vous  flattez  pas  ; 
si  vous  n'aimez  pas  vos  frères  pour  l'amour  de  Dieu,  parce 
qu'ils  sont  les  créatures  de  Dieu ,  les  disciples  et  les  mem- 
bres de  Jésus ,  si  vous  ne  les  aimez  pas  pour  les  gagner  à 
Dieu  et  pour  en  faire  de  vrais  chrétiens  ;  si  vous  ne  les  aimez 
pas  d'une  affection  sincère  et  effective,  pour  les  assister  cor- 
dialement selon  votre  pouvoir  ;  si  vous  ne  les  aimez  pas  tous 
sans  en  exclure  un  seul  de  votre  bienveillance  ;  si  vous  n<>, 
les  aimez  pas  jusqu'à  la  fin  ,  môme  quand  ils  vous  persécu> 
lent,  vous  n'avez  pas  la  charité;  si  vous  n'avez  pas  la  cha- 
rité, S.  Paul  vous  dit  que  vous  n'êtes  rien,  que  rien  ne  vous 
profite  ;  si  vous  n'avez  pas  la  charité  ,  votre  prudence  n'est 
rien  ,  votre  justice,  chasteté,  tempérance,  dévotion  ne  sont 


512  SERMON  CCC11I. DES  DIMENSIONS,  CtC. 

rien  ;  si  vous  n'avez  pas  la  charité ,  il  ne  vous  sert  de  rien 
devoir  été  créé,  conservé,  racheté,  baptisé;  les  bienfaits  de 
Dieu,  l'incarnation  du  Verbe ,  les  sacrements  de  l'Eglise, 
les  mérites  du  Sauveur  ne  vous  servent  de  rien;  car  S,  Paul 
dit  :  Nihil  sum  ,  nihil  mihi  prodest.  Mais  si  vous  avez 
la  vraie  charité,  si  vous  êtes  soigneux  de  garder  l'union  que 
vous  devez  avoir  avec  Dieu  et  avec  tous  vos  frères  ,  vous 
êtes  en  beau  chemin ,  vous  êtes  assuré  de  votre  salut ,  vous 
portez  les  livrées  des  vrais  disciples  du  Sauveur ,  vous  êtes 
marqué  au  coin  des  prédestinés  ;  vous  avez  le  caractère  d'en- 
fants de  Dieu ,  vous  serez  héritiers  de  ce  royaume  dont  le 
roi  est  unité ,  dont  la  loi  est  charité,  dont  l'état  est  félicité, 
ùonl  la  durée  est  éternité*  Aoî., 


TABLE 

DES  SERMONS  DU  DIXIÈME  VOLUME, 


SUITE  DES  COMMANDEMENTS  DE  DIEU. 

\X1IT.  Sehmos.  De  la  luxure.    ..»,;....     pag.       1 
IXIV.  De  l'intempérance 19 

\\Y.  De  l'orgueil ,  qui  est  u:ie  luxure  spirituelle 33 

tXVL  De  l'avarice 53 

WV1I.  De  l'avarice  et  du  larcin 68 

(CLXXVIII.  De  la  restilulion 83 

CCLXX1X.  Des  procès.        . 101 

CCLXXX.  De  la  médisance.     ; 120 

CCLXXXI.  Des  jugements  téméraires  ,  mensonges  et  tromperies.    .     .   133 
CCLXXX1I.  Contre  la  récidive;  que  c'est  courir  risque  de  fon  salut  de 

tomber  en  un  seul  péché  mortel 151 

CCLXXX1II.  Des  causes  et  des  remèdes  du  péché 166 

CCLXXXIY.    Que  l'oraison  est  nécessaire  pour  ne  pas  retomber  dans 

le  péclié 182 

CCLXXXV.  De  la  grâce  de  Dieu  et  de  sa  nécessité 196 

CCLXXXVI.  Tableau  d'une  vraie  pénitence ,  sur   l'évangile  de  minte 
.  jine.  —  Du  péché  le  plus  ordinaire  au  sexe  de  Madeleine  ,  qui 

est  l'affection  aux  ajustements  mondains. 213 

A  XVII.  Des  causes  de  la  chute  de  Madeleine.    ..'...  229 

AXVIII.  Des  effets  du  péché  de  Madeleine 249 

\X1X.  Des  circonstances  du  péché  de  Marie-Madeleine.    .     .     .  262 
.  De  ne  pas  différer  la  pénitence  au  temps  à  venir 277 

I,  De  ne  pas  différer  la  pénitence  à  l'heure  de  la  mort.      .     .      .   202 

II.  Pourquoi  Dieu  conserve  en  vie  et  en  prospéiilé  les  pécheurs.   203 
CCXIII.  De  la  pieuse  impudence  et  de  la  honte  louable  de  sainte  Maric- 

•leine 599 

IV.  D-:  larmes  de  sainte  Madeleine 343 


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a39003     DC 
8    X  17    5    6 

LE  JEUNE 


639896b 

•LA  1868 

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COO   LE  JEUNE,  JF  MISSIONNAIRE 

ACO  1C47941