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University of Toronto
http://archive.org/details/lemissionnairede10leje
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MISSIONNAIRE II H L'OBATOIRK
SERMONS
\RÊME ET LES FÊTES, etc.
Tiasftl
PÈRES
PAR LE P. LE JEUWE
TOME X.
:VÊQUE DE LYON.
LYON,
/
p
Lyon, J. B. Pîlagaw»,
imprimeur de N. S. P. le Pope et de Mgr le Card.-AreU.
LE
DE L'ORATOIRE,
00
SERMONS
POUR L'A VENT, LE CARÊME ET LES FÊTES, etc.;
LES PRINCIPALES VÉIUTES CHRETIENNES Ql F. l'on ENSEIGNE AVK MISSIONS,
TIREES
IN L'ÉCRITURE SAINTE, DES CONCILES, ET DES SAINTS POES
Par le P. LE Jtl\lM
Dit LE PÈRE AVEUGLE, Prêtre de l'Oratoire de Jésus.
Spiriliii Domini misit me fvnnr. llzar«
paui>cril>iu (Luc 4 l->
TOME X.
U. i'I.LAGALD fils i:r ROBLOT,
:> DF. S. i. MGR LE CAKUINAL-AUCMH tQVM OK LVO.N.
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Grande rue M
«• 48.
TABIl,
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«10
LE
MISSIONNAIRE
DE L'ORATOIRE.
SUITE DES COMMANDEMENTS DE DIEU.
SERMON CCLXXIII.
DE LA LUXURE.
Kon mœehaberis, Xoti concupisces uxorcm proximi tut.
Luiiura-ux point ue seras, de corps ni de consentement. (Exod. 20. 14. 17.)
Si lcpcehé d'impureté élaii défendu aux juifs qui vivaient
avant l'incarnation , et qui n'avaient qu'une loi grossière et
imparfaite , il l'est à plus forte raison aux chrétiens, qui ont
reçu des commandements tout divins, et qui ont l'honneur
d'eue unis à !a chair immaculée et au corps adorable du
Fils de Dieu. Si transieris per ignem , flamma non
nocebit tibi. Pour n'être pas atteint de ce feu infernal, il
n'en faut parler qu'en passant et le plus brièvement qu'il est
possible ; je vous indiquerai les causes , les effets et ks re-
mèdes de ee vice.
1DEA SERMONIS.
L'Aordium. A. Trtp/ex est luxuria, nempe spirilualis,
soisualis, camalis.
Primum punctum. Causœ luxicriœ : ]). 1° Laudes adu-
lantium, 2° Amlndaliones, 3° Appetiiuê lucri tem.
porc
Scciujdum punctum. C. Primus efeeiu* , mors animœ
2 SIÎRMON CCLXXII1.
per multa peccata, quœ significantur nomme As~
modœi. — D. Secundus , damna temporalia qim
eodem nomme significantur.
Tertium pimclum. Remédia: IL. \° elevatio mentis in
Deum, in ejus verba, in exempla Sa ne forum. —
F. 2° Humiliatio. — G. 3° Fuga occasionum , ten-
tationum, etc.
EXORDIUM.
A. — (Triplex est luxuria, etc.) Au commencement
de ce discours j'avancerai une proposition qui d'abord sem-
ble un paradoxe , et qui néanmoins est une vérité très so-
lide , c'est qu'il n'y a point de commandement qui soit trans-
gressé si souvent, en tant de lieux et par tant de sortes de
personnes, que ce précepte divin : Luxurieux point ne
seras de corps ni de consentement. Pour n'avoir aucune
difficulté à recevoir cette proposition, vous remarquerez,
s'iljvous plait , qu'il y a trois sortes de luxures : la luxure
spirituelle, la luxure sensuelle, la luxure charnelle.
S'il n'y avait point de luxure spirituelle, S. Paul (2.
Cor. 7. 1 .) ne nous avertirait pas que, pour nous rendre
dignes des promesses que Jésus nous a faites de se loger
au milieu de nous, nous devons nous purifier de toute souil-
lure , non-seulement de corps , mais encore d'esprit : Ha-
hentes igitur has promissiones , mundemus nos ah
omni inquinamento carnis et spiritus ; et comme Jésus
nous voulant préserver de la luxure corporelle , nous com-
mande de ceindre les reins de notre corps de la ceinture de
chasteté : Sint lumbi vestri prœcincti ; lumbos prœcin-
gimus cum carnis luxuriant per continentiam coarcta-
mus; (S. Gregor. homil. 13. in Evangel.) ainsi S. Pierre,
pour nous préserver de la luxure spirituelle , nous recom-
mande de ceindre les reins de notre esprit du baudrier de
la continence / Succincti lumbos mentis vestrœ . Lumbos
prœcingimus cum, mentis luxuriant per continentiam
coarctamus. (1 . Petr. 1 . 13.)
Quelle créature est plus spirituelle , plus déchargée de
DB LA LUXURE. ,*)
rc que les anges , qui sont des intelligences séparées?
is le subtil Scot et plusieurs docteurs de son renie
maintiennent que le premier péché de Lucifer et des anges
de sa suite, fui un péché de Luxure , non de luxure corpo-
relle, puisqu'ils n'ont point de corps, mais de luxure spi-
rituelle; et l'Ecriture autorise cette vérité, appelant ordi-
nairement les démons esprits immondes. Ce péché consiste en
ce qu'au commencement de leur création, aulieude se tourner
fers Dieu pour l'adorer et le remercier, ils se tournèrent
vers eux-mêmes , et s'amusèrent à contempler et à admirer
leurs propres perfections. Or toute réflexion de notre esprit
sur lui-même , ou sur quelque créature que ce soit, est une
espèce d'impureté, si elle n'est rapportée à Dieu ; car notre
cœur n'étant fait que pour Dieu, quand quelque autre chose
y est reçue , c'est pour lui une tare et une imperfection ,
comme ce serait une profanation du trône royal si quelque
autre personne que sa majesté prenait la hardiesse de s'y
"il'.
Le aainl abbé Moïse disait que l'homme doit croire que
[u'il détache son esprit de ce divin objet, môme pour
un moment, il commet une fornication spirituelle; pour
cela les Pères spirituels nous répètent souvent que nous
avons grand sujet de noirs mimilîer et de nous confondre
devant Dieu, comme étant extrêmement impurs et chargés
ures en sa présence, vu que de douze pensées que nous
, à peine y en a-t-il (kux qui ne soient de nous ou
res créatures. Supposons qu'un gentilhomme ait une
incommodité telle qu'il ne puisse être quatre moments sans
tourner la tète ça et là ; quand il serait à la cour en présence
du roi , il aurait une grande confusion de cette infirmité,
lors même que le roi, par une clémence royale , excuserait
faut et ne le rebuterait pas. Quid pevfaciem nisi
notUia? dit S. Grégoire ; la face de l'Ame, c'est la pensée
et hiffection du cœur. Nous sommes toujours en présence
de Dieu, et au lieu d'y porter notre esprit , d'y attacher
et d y arrêter notre affection, nous la tournons incessamment
' ' -.Oh! que r. la ,!,;it nous
4 ÔER3I08 CCLXX11I.
confondre! que cela doit nous humilier! que cela doit nous
faire admirer la grande patience de Dieu ! Il est vrai que si
par charité ou par obligation nous nous appliquons quel-
quefois à la pensée de quelque créature sans aucun attache-
ment , Dieu ne permet pas seulement , mais il agrée cette
souillure en nous , parce qu'elle est selon sa volonté et pour
son service : comme un seigneur ne trouve pas mauvais
que son serviteur se souille pour engraisser son champ ou
nettoyer son écurie.
J'ai dit sans aucun attachement , car aussitôt qu'il y a
tant soit peu d'attache à quelque créature que ce soit , il y
a une impureté , que Dieu ne peut agréer. Le docte et
dévot Gerson qui était fort expérimenté dans la vie spiri-
tuelle , et dans la conduite des âmes , donne à ce sujet un
avertissement très salutaire : Nihil est mihi , dit-il ,
magis suspectum, quant amor etiam circa Deum; est
enimpassionum omnium vehementissima dilectio, ideo
semper eget frœno discretionis : Il n'y a rien qui me soit
plus suspect dans une âme que l'amour môme envers Dieu
quand il est avec tendresse et sensibilité de corps ; car de
toutes les passions, la plus violente , c'est l'amour, elle a
toujours besoin du frein de la discrétion ; ce qu'il prouve (1 )
par une histoire arrivée de son temps, qui mérite d'être lue
de tous les directeurs des âmes ; je ne dois pas la rapporter
ici , parce que tout le monde n'en est point capable. Ce
sont principalement les femmes qui peuvent tomber en cette
illusion , ayant le naturel plus mou et plus susceptible de
tendresse. Vous aimez quelquefois un homme, ou une de
vos compagnes , comme si vous n'aimiez que Dieu en cette
personne ; vous vous imaginez que cet amour est spirituel,
parce que vous aimeriez mieux mourir que de commettre
aucun péché, et peut-être néanmoins que cet amour est sen-
suel. Sainte Thérèse, au dernier de ses avis qui sont après
le Chemin de la Perfection, dit : Quand quelque rébellion
de la sensualité semble naître de quelque douce affection
(I) Tuile 3. operqm, tract, de çimplificatfone coulis, notula 19.
DE LA LUXl RE. ■
d'amour de Dion ou de quelque tendresse d'esprit , cola ne
vient point de Dieu , mais du diable.
S. Bonaventure et les autres Porcs spirituels nous donnent
ces marques pour connaître si l'amour que vous avez pour
un homme ou pour votre compagne est sensuel : Quand
vous êtes jalouse qu'une autre soit aimée, visitée , autant
que VOUS , car S. Paul a dit que la charité n'a point de ja-
lousie : Charitas non amu/atur, ou quand vous êtes porté
à caresser, à user d'autres privautés, tout cela ne vaut rien,
ce n'est qu'impureté et ordure devant Dieu , disposition et
acheminement à Pamour charnel et brutal , et c'est la troi-
sième espèce de luxure que le Saint-Esprit (Ecoles. 7. 27. )
nous dépeint par de très vives couleurs : Invcnimulicrem.
morte amariorcm quœ laquais venatorum est , sagena
cor illius, vineuîa sunt ma nu s ejus; qui placet Deo
effùgiet il la m. Il nous représente le péché de la chair par
ige d'une femme, parce que les femmes en sont ordi-
nairement la cause ou L'occasion , il dit qu'elle a des lacets,
des ûleta et dr> pi<
( « la nous exprime très naïvement les causes, les effets
et les remèdes de ce péché.
primuai punctum. — Causœ luxuriœ.
I). — (1° Laudes adulant iu m.) On tombe en celte
tentation comme les oiseaux tombent dans les lacets, les
bêtes fauves dans les pièges. On prend les oiseaux à la pi-
pée, on les amuse par les appeaux et les charmes de quelque
chant contrefait ; on séduit le sexe féminin par les charmes
des vaines louanges : Délectant etiam castas prœconia
formœ. Ce méchant homme connaît bien votre humeur , il
voit que vous aimez la gloire , il vous donne des éloges à
perte de vue , il loue votre beauté , votre bel esprit, votre
bonne grâce, vos ouvrages, votre propreté; vous faites
semblant que vous méprisez les louanges, mais au fond vous
en êtes ravie. Le caméléon prend aisément les couleurs des
corps qui s'approchent de lui; la femme qui se repait de
vanité , reçoit facilement les impressions et les humeurs des
6 SISKMOJN CCLXX11I.
personnes qui la fréquentent; vous plaisant ainsi à la louange,
vous agréez fort celui qui vous la donne ; vous n'êtes pas
bien aise , s'il n'est pas toujours avec vous ; vous ne voulez
pas déplaire à celui qui vous plaît si fort , vous n'osez par
lui refuser ce qu'il désire de vous , vous lui accordez par
complaisance ce que vous n'eussiez pas voulu perdre pour
tous les plaisirs du monde.
(2° Ambulaiiones.) D'autres tombent dans cette ten-
tation comme les poissons dans les rets ; demandez aux pê-
cheurs de Dieppe ou de S. Malo , comment est-ce que les
harengs et les morues se laissent prendre ? Ils vont se pro-
menant par la mer , ils changent de contrées par troupes ;
on va les attendre par où ils doivent passer , on y tend des
filets ou des lignes; on les prend à milliers sans résis-
tance. Au langage du Saint-Esprit, une femme coureuse et
une femme débauchée sont une môme chose ; au premier
chapitre des Cantiques , où nous avons Ne vagari incipiam,
il y a : Nefiamsicut meretrix. Le Texte sacré nous ap-
prend que la vaillante Judith (8. 8.) était si éloignée, non-
seulement de tout mal , mais encore de toute apparence et
soupçon de mal , que les langues les plus malicieuses n'o-
saient prendre la hardiesse de ternir la gloire de sa chasteté
parla moindre parole de médisance : Non erat qui loque-
retur de ea verhum malum. Le Saint-Esprit en donne
la raison : elle demeurait en sa maison , et parce qu'on va
quelquefois visiter les jeunes veuves qui veulent être retirées,
elle se tenait enfermée et en clôture : Clausa morabatur ;
de peur qu'on n'allât frapper à sa porte , elle avait fait une
petite chambre séparée pour y loger : Secretum cubicu-
lumf et craignant que ceux du logis ne l'interrompissent
par des messages importuns , elle avait fait cette cellule au
plus haut étage çle sa maison , non pour y aller à quelque
heure perdue du jour , mais pour y faire sa résidence : In
superioribus domus suœ fecil sibi secretum cubilum 9
in quo cum puellis suis clausa morabatur. Au con-
traire , Dîna , fille do Jacob , est curieuse : elle sort de la
maison de son père, 'moi qu'elle tut en terre étrangère, où
ni: LA LUXURE. 7
elle devail craindre davantage ; elle veut voir les femmes do
pays; elle voit et clic esl vue : elle est convoitée, enlevée,
déshonorée. Quand votre ûlle se sera perdue par la liberté
que VOUS lui donnez d'aller si souvent dans les maisons des
voisins; je le dis encore une fois et non sans cause , dans
les maisons des voisins, dans les compagnies, aux danses,
à la comédie, aux promenades ; il sera bien temps de dire :
Je ne L'eusse jamais pensé qu'on dressât partout des em-
bûches à l'honneur des pauvres filles $ et qui l'eût soupçonna
d'un tel et d'un tel , qui me semblait si bon ? et qui se fut
délié de ma tille, qui était si modeste et si vertueuse ? Si
non ambulaverit ad manu m. tuant, , confundet te. (Ec-
cli. 25. o5.)
Il est très difficile, pour ne pas dire impossible, d'inspirer
de l'amour sans en prendre , et les poissons qui s'égaient
uvent se trouvent tôt ou tard attrapés dans les filets
de quelque pécheur.
I tppetitus lucrl temporalis. ) Il y en a d'autres
ut en ce péché comme les bêtes sauvages dans le
{ , a l'appétit d'un peu d'amorce , par les appas d'un
petit profit ou d'un peu de secours qu'elles prétendent:
onderunt laqueum milii. On vous présente de
l'argent , on vous fait espérer des montagnes d'or, on vous
promet de vous assister en vos affaires , en vos desseins ,
dans l'éducation de vos enfants, de poursuivre vos débi-
teurs, de satisfaire à vos créanciers, de solliciter vos procès,
de les faire juger en votre faveur; belle amorce ! mais il y a
un piège ; si vous vous amusez à l'amorce , le piége vous
fii tomber en d'effroyables précipices, en des malheurs
extrêmes, dans la perte de ce que vous avez et pouvez
avoir de plus riche, de plus précieux, de plus excellent en
ce monde et en l'autre.
SECUNDUM PUNCTUM.
C. — ( Primas effectue y murs animœ. ) Inveni mu~
a morte amariorem : J'ai trouvé que la femme est
plus amère que h mort. Il a raison de parler ainsi; la mort
8 SÊitMOff CCLXXIil.
ne tue que le corps, ce péché fait mourir la pauvre àmc ;
la mort ne tue qu'une fois, ce péché fait mourir cent fois,
mille fois, dix mille fois. Le démon qui tente de ce péché ,
s'appelle dans l'Ecriture Asmodée, et ce mot a deux élymo-
logies. Premièrement, il vient du nom Asclwm, qui signifie
péché , et du verbe deti , qui signifie abonder, comme qui
dirait abondance de péché , parce qu'il est la source et la
fourmilière d'une infinité de péchés ; abondance de péché
quant aux espèces, quant aux individus , quant, aux instru-
ments , quant aux effets.
Il n'est point de genre de vice qui ait tant de circonstances
qui changent l'espèce, que celui-ci. Les autres, pour l'or-
dinaire ; n'en ont que trois ou quatre au plus ; celui-ci en
a sept, qu'il faut expliquer en la confession, quand on y est
tombé ou d'effet ou de volonté. La première espèce, c'est la
simple fornication, quand vous n'êtes pas marié, et que vous
faites mal avec une personne qui n'est point liée de vœux
ou de mariage ; et encore que ce soit le moindre crime
entre les espèces de ce vice , c'est néanmoins un péché
mortel qui vous engage à la damnation. Les apôtres,
( Àct. 15. 29. ) au premier concile qu'ils tinrent à Jéru-
salem , mandèrent aux fidèles : Le Saint-Esprit vous a
imposé cette charge , que vous vous absteniez de la forni-
cation ; et S. Paul nous déclare pour le moins trois fois ,
( 1 . Cor. 6. 1 0. - Galat. 5. 21 . - Ephes. 5. 5. ) que ce
péché nous bannit du royaume de Dieu.
La seconde est le stupre ; quand vous déshonorez une
vierge, vous ruinez en son âme la grâce de Dieu , qui est
le plus grand bien qu'elle puisse avoir en ce monde , et
en son corps un trésor si précieux , où il semble que la
perte en est plus déplorable , puisqu'elle est tout-à-fait
irréparable.
La troisième est l'inceste, quand c'est avec quelqu'une
de vos parentes ou alliées par affinité jusqu'au quatrième
degré inclusivement. Les Mercures français et les Histoires
de notre temps sont noircies du récit de la mort de plusieurs
gentilshommes qui ont perdu la tête par la main du bour-
DE l.A LUXURE. 0
reau } pour noir lait mal avec leur proche parente ; et le
commencement de ce malheur vient souvent de la négli-
gence du pire el de la mère, qui ont lait coucher leurs
garçons avec leur petite sœur.
La quatrième , c'esl L'adultère , péché puni par les lois
civiles chez toutes les nations. L'empereur Constantin
appelle ceux qui commettent ce crime sacrilegos nu plia-
ru m, parée qu'ils profanent une alliance que S. Paul nomme
un grand sacrement , et il veut qu'on les jette à la mer
dans un sac de cuir comme les parricides. Les femmes
adultères étaient lapidées chez les juifs, selon la loi de Dieu.
^. Basile, (epist. 'i, ad Amphilochium, can. 34.) rappor-
tant la pénitence secrète qu'on imposait à une femme
adultère , parce qu'il n'était pas à propos de lui en imposer
une publique , de peur qu'elle ne fût condamnée à mort par
la justice séculière , dit que ses prédécesseurs la privaient
de la communion jusqu'à ce qu'elle eût fait secrètement
pénitence, tout le temps prescrit à un tel crime, qui était
d<^ quinze ans, comme il est dit au canon cinquante-huit.
La cinquième, c'est le rapt, quand vous prenez par force.
Pour un rapt que commit le prince Sichem, lui et son père
furent]égorgés,et toute leur ville fut saccagée par les enfants
de Jacob. ( Gènes. 34. 2G. )
La sixième , c'est le sacrilège, quand vous commettez
quelque impureté étant une personne sacrée par vœu solen-
nel ou particulier , ou quand vous permettez à une telle
personne de prendre quelque plaisir sensuel en vous. C'est
en quelque façon la détenir1, c'est attenter de lui ôter sa
consécration , si cela se pouvait faire ; c'est le plus haut
point de malice en matière de fornication , dit S. Chrysos-
tùme : Verticem fornicationis hœc improbitas tenef.
( homil. 70. in Matth. )
La septième , c'est le péché contre nature , qui cric
vengeance devant Dieu, et pour lequel la justice divine con-
suma autrefois par le feu tous les habitants des quatre
plus florissantes villes qui fussent au monde ; Sodome, Go-
BAOrrhc, Adama et Seboïm, et ruina le terroir de tout le
10 SliKMON CCLXXIU.
pays , qui était auparavant comme un paradis terrestre :
Sicut paradisus Domini.
Abondance du péché quant aux individus. Il n'y a pas
d'espèce de vice où l'on commette un si grand nombre de
péchés que celui de la luxure. Un ivrogne ne s'enivre qu'une
fois par jour , un larron ne dérobe pas tous les jours , un
meurtrier ne tue ordinairement que deux ou trois fois en
sa vie, un blasphémateur ne blasphème pas en dormant;
celui qui s'est prostitué au vice d'impureté , commet des
péchés à dixaines, car il arrive souvent qu'il y pense dix ,
douze, vingt fois par jour, et la seule pensée volontaire est
un péché ; encore que vous n'ayez pas la volonté de venir à
l'œuvre, et que vous aimeriez mieux mourir que de faire une
action impure , si de propos délibéré, depuis que vous vous
en apercevez, vous vous arrêtez à penser au plaisir charnel,
vous agissez contre ce commandement : Non concupisces.
Abondance de péché quant aux instruments qu'on y
emploie. S. Cyprien ( lib. de bono pudicitiœ. ) parlant de
ce vice, dit : Totuni homînem agit in triamphum libi-
dinis : Il n'y a pas de puissance en votre àme , de partie
en votre corps , dont ce péché ne fasse des armes pour se
raidir contre Dieu et lui déplaire. Vous vous servez de votre
entendement pour chercher des inventions de surprendre
les fdles , de décevoir et de gagner des femmes; de votre
mémoire, pour revenir sur les actions voluptueuses de la vie
passée; de votre volonté, pour aimer une chétive créature;
vous offensez Dieu par vos cheveux , en les frisant et les
poudrant pour servir de filets aux esprits volages ; par vos
yeux f en jetant des regards immodestes sur vous, sur les
autres , sur des animaux , sur des tableaux où il y a des
nudités, en lisant des romans et autres livres d'amourettes.
Vous vous servez de vos oreilles pour entendre les cajole-
ries des fripons , les chansons déshonnètes ; de vos lèvres,
pour donner ou recevoir des baisers lascifs ; de la langue ,
pour dire des paroles sales ; de votre sein , pour être un
objet de concupiscence; de vos doigts, pour écrire des lettres
aux complices de votre passion; vous employez vos pieds en
1)1. IV LIAI Kl . 11
s el démarches étudiées , (ont votre corps en conte-
nances affectée s.
\ 0U8 ¥OUS servez de vos robes , de vos coiffes , de vos
rubans de vos mouchoirs, de vos souliers, comme de pièges
pour perdre les âmes, de llèehe et dYpée pour faire la guerre
à votre Dieu; si vous vous voyiez comme les anges vous
voient , vous verriez peut-être qu'il n'y a rien en vous ni
sur vous qui ne soit un instrument dépêché, horrible et
llominable devant Dieu, objet de sa colère, allumette des
flammes éternelles.
D. — ( Sêcundus , damna temporalia. ) Il y a des
docteurs qui trouvent une autre élymologie dans ce nom
Asmodée , et disent qu'il vient du verbe schamaid , qui
signifie ruiner, détruire, dissiper , parce que ce péché nous
fait perdre la liberté, les biens et la vie ; ce qui est bien
représenté par l'état des oiseaux, des poissons et des bêles
fauves, quand elles sont prises. Cet oiseau était libre et
prenait son essor jusque dans les nues, maintenant il est
captif cl prisonnier dans une cage ; que fait-il là tout le
du jour ? il se balance sur une perche, il saute ça et
là dans sa geôle, il gazouille toujours une môme chanson ,'
il peigne ses plumes avec son bec. Vous aviez autrefois
Pespntfort libre, vous vous éleviez jusqu'au ciel par de belles
méditations , vous faisiez oraison mentale ; à présent vous
êtes en captivité, esclave d'une chétive créature; à quoi usez-
vous votre temps ? à façonner une jarretière, à relever une
moustache , à poudrer une perruque , à adorer une idole
de chair. Que cela est sot ! A quoi se passe votre journée ?
à friser des cheveux, à badiner avec un fripon , à babiller
parmi des folâtres ; quel aveuglement! quelle misère ! le
temps qui est si précieux , qui vous pourrait acquérir des
richesses infinies , le perdre si inutilement sans le pouvoir
jamais recouvrer !
Asmodée, schamaid, le péché, ruine votre fortune et
vous dépouille de vos biens , comme un poisson à qui on a
tilles : quand vous êtes esclave de cette passion ,
vous n'épargne! rien pour l'assouvir ; il faut cultiver les
12 SERMON CCLXXIII.
bonnes grâces de cette malheureuse , lui envoyer des pré-
sents , entretenir son luxe ; vous gagnez fort peu , vous
dépensez beaucoup , vous vous endettez ? votre maison est
en déroute.
Et comme une bête sauvage qui est tombée dans le piège
est exposée aux armes des chasseurs qui l'écorchent pour
la mettre en broche , ou en font la curée de leurs chiens ;
ainsi il arrive souvent que vous perdez la vie par la main de
votre mari , ou du mari de la femme que vous déshonorez ;
vous êtes porté en flagrant délit au jugement de Dieu, et
condamné au feu d'enfer que vous avez mérité. Etant là ,
vous direz comme Jonathas. Le roi Saiil , son père ,
avait commandé à toute Tannée de jeûner jusqu'au soir ,
parce qu'il en avait fait vœu ; Jonathas passant dans une
forêt, vit du miel sauvage , il y trempa le bout de sa ba-
guette, et ia porta à sa bouche. Un peu après, Dieu étant
consulté sur le succès de la guerre , ne répond rien contre
sa coutume; Saiil connaît par ce silence que quelqu'un a
offensé Dieu, il fait jeter le sort , qui tombe sur Jonathas,
et fait voir qu'il était cause de ce malheur ; son père le
condamne à la mort ; il dit en se lamentant : G us tans
gustaviin summitate virgœ paululum mellis, et ecce
morior : ( 1 * lleg. \k. 43. ) J'ai goûté tant soit peu de
miel , et je suis condamné à mort. Ainsi quand vous serez
en enfer, vous reconnaîtrez et regretterez votre folie, mais
il ne sera plus temps. Hé! infortuné que je suis, direz-
vous, pour un plaisir passager, pour une volupté d'un quart
d'heure, je suis mort et je meurs continuellement , et je
mourrai à jamais. Oui, ce péché vous fait mourir de la mort
spirituelle ; le prophète dit : L'âme qui aura péché mourra.
S. Jacques dit : La concupiscence enfante le péché , et le
péché engendre la mort. La dévote Susanne disait à ceux
qui la tentaient d'adultère : Si je le fais, je mourrai. Ce vice
nous fais mourir de la mort éternelle. L'Apocalypse dit
que le partage des luxurieux est un étang de feu et de souffre
ardent; il vous fait ordinairement mourir d'une mort civile,
j»ous ruine de réputation, yous fait l'opprobre et le déslion-
DE LA MJX1 RE. 1 3
UCDr de votre parentage ; il fait souvent mourir de la mort
corporelle par les maladies honteuses, par les trahisons et
assassinats dont il est cause.
TERTIUM PUNCTUM. — Bcmcdia.
E. — ( 1° Elevât io mentis, etc. ) Inveni mulierem
marie amariorem y qui placet Deo , eflugist cam. Il
V a au grec ■ ty*6às 9fpà9 <pÔ3<wxov &v\ ®eov, s^xpô^as-xt , à*'
9.h:rç , bonus coram Deo elevahitur ah Ma; ces paroles
nous enseignent qifil faut éviter cette tentation , comme
les oiseaux , les poissons , les bêles sauvages évitent les
filets , les lacets et les pièges. Les oiseaux s'élèvent , les
poissons s'abaissent , les bêles fauves s'enfuient ; élevez-
vous à Dieu ; reconnaissez avec Salomon que personne ne
peut avoir la continence, si Dieu ne la donne; demandez-la-
lui de tous les efforts de votre cœur , dites tous les jours
votre chapelet afin que la Mère de pureté vous relève de ce
bourbier; élevez-vous à la considération de ce que le Texte
sacré non» apprend de ce vice et de la vertu contraire.
i.r Saint-Esprit n'habitera pas dans un corps sujet au
é. Celui qui aime la pureté de cœur, aura le Roi pour
ami. Le vin et les femmes font apostasier les sages. (Piov.
22. M.-Eccii. 19.2.)
Bienheureux ceux qui ont le cœur pur et net vcar ils verront
Dieu. (Maltli. 5. 8.-1. Cor. G. 15.) Ne savez-vous pas
que vos corps sont les membres de Jésus-Christ? Quoi!
oscrai-je ôter à Jésus-Christ les membres qui lui sont unis
et qui composant son corps, et en faire les membres (rime
débauchée! Ignorez-vous que vos membres sont le temple
du Saint-Esprit ? Dieu perdra celui qui viole son temple. Si
vous vivez scion la chair, vous mourrez ; (Rom. 8. 13.) si
vous mortifiez par l'esprit les œuvres de la chair, vous vivrez.
Celai qui sème dans la chair, n'en moissonnera que corrup-
tion. Ayant reçu de si grandes promesses de Dieu, purifions-
«le toute souillure d'esprit et de corps. (2. Cor. 7. 1.)
Sachez ceci, et entendez-le bien, que tout fornicaleur n'a
point de part au royaume de Jésus-Christ et de Dieu.
04 SERMON CCLXXI1I.
Elevez-vous aussi à la contemplation des Saints qui ont
conquis le ciel par la victoire de cet ennemi domestique. Si
vous êtes jeune homme, souvenez-vous du petit S. Pelage ;
(Baronn. ann. 925.) il était cousin de rEvêqueErmoïgius ;
son cousin l'avait laissé en otage chez le roi des Arabes ,
nommé Habdaragman, qui le mena à Gordoue en Espagne.
Quand il eut atteint Page de treize ans, comme il était doué
d'une parfaie beauté, le roi voulut s'approcher de lui pour le
caresser lascivement , le Saint lui dit en le repoussant : Loin
d'ici; pensez-vous que je sois comme un de vos efféminés,
moi qui suis chrétien et catholique ? Le roi le menace de le
faire mourir cruellement ; il se moque de ses menaces. Le
roi lui fait pincer tous ses pauvres petits membres avec des
tenailles, il le fait hacher à petits morceaux, et le fait languir
dans ce tourment depuis les sept heures du matin jusqu'à
quatre du soir.
Et de notre temps, environ Tan 1 661 , un jeune homme
nommé Jacquin , natif de Fréjus en Provence , esclave à
Alger , pour avoir blessé son maître en le repoussant et se
défendant d'un semblable attentat lascif, fut jeté du haut de
la muraille sur un crochet de fer, selon la coutume de ces
barbares ; le fer l'accrocha par la cuisse où il demeura ainsi
suspendu deux jours et deux nuits, chantant presque conti-
nuellement les litanies de la sainte Vierge. Un chevalier de
Malte qui y était nous Ta raconté.
Si vous êtes gentilhomme, souvenez-vous de S. Casimir,
fds du roi de Pologne, qui, au milieu de toutes les séductions
de la cour , encore à la fleur de son âge , et quoique d'un
tempérament très sanguin, garda une chasteté si inviolable
qu'étant tombé malade, et les médecins l'ayant condamné à
mort s'il ne jouissait du plaisir sensuel, il aima mieux mourir
que de flétrir tant soit peu la belle fleur de chasteté : Malo
mori quam fœdari.
Si vous êtes demoiselle , souvenez-vous de sainte Reine ,
de sainte Marguerite , de sainte Agnès , de sainte Agathe ,
de sainte Susanne, qui ont refusé d'être mariées à des gou-
verneurs de province, à des consuls de Pvomc, à des empe-
D8 LA LUXURE. 1 5
rouis du monde, et ont mieux aimé livrer aux tourments et
à la mort leurs corps doués d'une incomparable beauté, que
de perdre leur virginité. Si vous êtes roturier, souvenez-vous
de S. Théobon, pauvre laboureur à Fursao en Limousin.
Quelques malheureux suppôts du diable , donnèrent de Par-
genl à une Clic effrontée pour l'aller tenter dans sa cabane
où il était seul ; il étendit la braise de son foyer et se cou-
cha dessus, en disant : Voici mon lit , viens-y coucher auprès
de moi , si tu veux.
Si vous êtes mondain et adonné à quelque vice, imitez au
moins S. Basilides ; c'était un bourreau qui conduisait au
supplice la vierge sainte Polamiène; il la défendit en chemin
contre des païens folâtres qui voulaient lui faire des insultes ;
trois jours après sa mort, elle lui apparut, et lui mettant une
couronne sur la tète, elle en fit un si bon chrétien, que peu
après il endura le martyre pour la foi.
F. — (2° Humiliatio. ) Elevez-vous ainsi à la consi-
dération de ces rares et admirables exemples , et voyant que
en êtes si éloignés , abaissez-vous beaucoup devant
Dieu , reconnaissez en sa présence votre misère , votre
extrême faiblesse, votre néant , la nécessité de sa grâce,
D naissez que vous êtes dans un bourbier où vous ne
trouvez point de fond : lnfixus sum in limo profundi,
et non est suhstantia; Domine , salva nos , périmas.
Ce A à lui seul de vous tendre la main et de vous en retirer :
De pécore élevât pauperem. Vous êtes pauvre de vertu,
de mérite , de force , de tout : Qins me liberabit de cor»
pore mortis hujus ? gratia Dei per Jesum Chris tum*
La grâce seule de Jésus vous peut délivrer des assauts de
ce corps.
Ilumiîiamini sub potenti manu Dei. Les Pères spi-
rituels disent que lorsque nous sommes tentés extraordi-
nairement de ce péché, c'est signe que Dieu demande quelque
Chose de nous, que nous sommes paresseux d'accomplir. Les
sujets d'un seigneur ont droit de se révolter contre lui quand
révolte contre sou prince. La chair n'est pas bien sou*
it n\»t pas bien soumis à DieUè
46 i£ioioi\ cglxxih.
Dieu désire que vous soyez plus fervent pour le salut des
ames, pour la prière, pour le jeûne, pour l'aumône, pour
les autres actes de piété , de charité , de mortification ; et
parce que vous ne le faites pas , il vous abandonne à voire
faiblesse , il vous laisse tomber dans cette tentation.
G. — (3° Fit (/a.) Qui placet Deo , effugiet illam.
Ce mot effugiet marque un troisième remède , qui est de
fuir comme font les botes fauves. Deus Dominus , forti-
tudo mea : et ponet pedes meos quasi cervor tan. (Abac.
3. 19.) La véritable force contre cet ennemi, c'est, d'avoir
des pieds de cerf. On dit qu'il y a trois adverbes qui sont
les vrais préservatifs de la peste corporelle , longé , citô,
tardé , se retirer bien loin du lieu où elle est, faire cela
promptement, et tfy retourner que bien tard ou jamais.
David se servait de ces bons avis pour se préserver de la
peste spirituelle, et nous devons le faire avec lui. Elongavi
fugiens, et mansi in solitudine. Elongavi, voilà longé,
fugiens,\o\\hcito, mansi in solitudine , voilà tardé aut
nunquani. Elongavi, évitez de bien loin les tentations
et les occasions de ce péché. Oui, les tentations; il y a
certaines tentations qu'il faut vaincre en les combattant à
force de bras , comme celle de l'avarice , de l'envie et de la
paresse ; il y en a d^autres qu'il faut vaincre non en com-
battant, mais en fuyant , comme celle-ci. Cette tentation
r^est pas une guerre comme les autres , où l'on combat de
loin ; c'est une lutte où Ton combat de près et corps à corps :
Colluctatio adverms carnem. Si vous luttez avez un lé-
preux , ou avec un homme tout couvert de boue , quoique
vous le terrassiez , vous en demeurez tout puant et tout
souillé ; et si vous vous amusez à écouter ces pensées impu-
res , quoique vous y résistiez, vous en sortirez tout infect :
Beat us qui tenehit et allidet parvulos tuos adpetram.
Aussitôt que vous vous apercevrez qu'elles sont entrées en
votre cœur, étouffez-les promptement, recommandez-vous
a Dieu et à la sainte Vierge , et mettez-vous à penser à
quelque autre ehose.
Evitez les tentations , le Hatteries, les paroles iwni:-
DE LA II XURE. 17
dentés de ers insolents , qui vous cajolent ; ils savcnl bien
à qui ils parlent. Quand une fille les rebute de premier
abord, courageusemeut etavec dédain, ils n'eut plus la har-
diesse de continuer leur impertinence. Aussitôt que ce jeune
homme vous dit la moindre parole qui tend à votre déshon-
neur , dites-le à votre père ou à voire mère; mais vous
n'en faites rien, voilà pourquoi vous vous perdez. Quand
le loupa pris une brebis, la première chose qu'il fait, c'est de
la saisir à la gorge, de peur qu'elle ne crie et ne soit secourue
du berger. Et quand un libertin veut perdre une pauvre
fille , la première chose qu'il fait , c'est de l'obliger au se-
cret ; ne le croyez pas , dites-le à votre père.
Fuyez les occasions , les conversation suspectes , les
colloques de seul à seule, les fréquentations qui sont à l'écart
et sans témoin. S. Grégoire (2. dialog. c. 33.) dit que
S. Benoit , oui , S. Uenoit , ce grand patriarche, qui avait
rlé tant de victoires sur le monde, le diable et la
chair, ne voulut pas parler seul à seule à sa sœur, religieuse.
Et une femme, qui est fragile comme du verre, entrera in-
pudemment dans une chambre où il n'y a qu'un homme ,
el elle y demeurera des demi-heures entières ! Messieurs,
si vous êtes >agcs, vous ne le permettrez jamais à vos filles;
vous ne sauriez avoir trop d'argus pour les veiller, trop de
soin d'épier comment elles se comportent, quand vous n'y
êtes pas.
Si nous savions ce que c'est que Dieu , et le grand mal
qu'il y a de l'offenser, nous redouterions plus que la mort,
non-seulement le péché, mais tout ce qui peut en servir
d'amorce, d'objet , d'occasion , en nous ou en autrui.
Elongavi, Eloignez-vous de la maison où il y a des oc-
ras pour vous. C'est le grand secret en cette matière.
Sortez de la rue , de la ville, de la province, et du monde
même , s'il est nécessaire , pour vous retrancher dai.s un
cloître. A OUS n'avez rien de plus cher , de plus précieux, de
plus important que votre salut , faites-le promplcment :
tonge, cito, elongavi fugiens y il y a du péril au moindre
retard* Si vous mouréfc dans le mauvais état où vous êtes, quand
48 SERMON CGLXXII. DE LA LUXURE.
vous serez en enfer il sera bien temps de dire : J'attendais
la fin de mon terme pour sortir de cette maison. Sortez-en
des maintenant sans rien attendre ; jetez-vous entre les bras
de la providence de Dieu. Si vous quittez pour l'amour de
lui l'espérance de vos gages , Pavancement de votre fortune,
il y pourvoira par une autre voie que vous ne pensez-pas, il
fera réussir ce divorce au bien temporel de votre corps , et
au salut éternel de votre àme. Amen.
SERMON CCLXXIV.
de l'intempérance,
ktebriari vinot in quo est luxurta*
Gardez-vous de l'ivrognerie, qui engendre la luxure. (Ephes. 5. t8.)
Cum defecerint ligna , extinguetur ignis. Voulez-
vous éteindre le feu, retirez-en le bois qui lui sert de nour-
riture, dit le Saint-Esprit par la bouche du Sage. (Prov.
26. 20.) D'où il faut conclure que le vin et la viande étant
l'amorce du péché déshonnête , le sixième commandement
de Dieu, qui nous défend la luxure , nous oblige à la tem-
pérance. Jsai trois choses à vous proposer sur le vice con-
traire à cette vertu : premièrement, quelles sont les causes
qui ont coutume de nous porter à l'intempérance; en second
lieu , les mauvais effets qu'elle produit ; en troisième lieu ,
I a remèdes qu'il faut y apporter.
IDEA SERMONIS.
ii\ordium. A. Quid sit , et quam nociva intemporan -
tia spiritualis, netnpe ciiriosilas.
Primum punctum. Causœ intemperantiœ corporalis :
B. VErrormentU.—C. TSocietas. — D. S0 Ma la.
consuetudo.
Sccundum punctum. Ejus effectua :E. \° Multa \pec-
cata co?nmissionis contra omnia Del prœcepta. —
F. 2° Peccata o?)iissio)iis.
Tertium punctum. Remédia tollcro, causas: G. 1° Erro*
rem quo putamus temperantiam abreviare vitam, et
hoc non liccre. — H. 2° Vitare malam societatem.
— I. 3° Aholere consuctudïnem malam,
Conclusio. L. Argumenta -wtobata contra intempe*
rantiam.
20 SERMON CCLXXIV.
EXORDIUM..
A. — (Qirîd sit, etc.) Au chapitre (rois de la Genèse,
où il est dit qu'Adam et Eve furent chassés du paradis ter-
restre pour avoir mangé du fruit de l'arbre défendu, on
demande en la théologie positive pourquoi cet arbre est
appelé en l'Ecriture l'arbre de la science du bien et du mal ?
La plus grande partie des docteurs répondent que le Créa-
teur donna ce nom à cet arbre, môme avant le péché , par
menace faite à nos premiers parents , par prévision et pré-
diction de ce qu'il leur arriverait s'ils étaient si mal-avisés
que de transgresser son commandement ; c'est comme s'il
leur eût dit : Si vous mangez de ce fruit que je vous défends,
vous connaîtrez quel grand bien c'est que l'obéissance, quel
grand mal c'est que la désobéissance ; vous verrez par ex-
périence , mais par expérience funeste et fatale pour vous ,
la différence qui est entre les biens que vous possédez en
l'élat d'innocence où vous êtes, et les grands maux que le
péché vous fera encourir par la perte de cet heureux état.
Mais l'esprit malin détournant finement ces paroles de Dieu,
et leur donnant un autre sens , fit croire à ces malheureux
que s'ils mangeaient de ce fruit, ils deviendraient savants
comme Dieu : Eritis sicut DU , scientes bonum et ma-
lum; d'où S. Thomas (2. 2. qu. 1 63. artic. 2.) et les au-
tres docteurs concluent que le premier homme et sa femme
commirent dans le paradis terrestre deux péchés d'intem-
pérance , que nous avons hérités d'eux : intempérance
spirituelle , que nous appelons curiosité ; intempérance
corporelle, que nous appelons gourmandise; la spirituelle
est aussi commune pour le moins, et aussi pernicieuse que
la corporelle ; il n'y a que les âmes basses , terrestres et
brutales qui soient esclaves de la corporelle ; mais les grands
et les petits, les beaux esprits et les grossiers, les vertueux
et les vicieux sont sujets à la spirituelle. Souvenez-vous qu'on
peut pécher par intempérance en deux manières principales,
en la qualité et en la quantité : en la qualité, quand on
prend des viandes défendues, comme de la chair en carême;
DE L*IKTi UrilAWCB. 21
al en la quantité , quand on prend des viandes permises ,
mais avec excès. Ainsi vous péchez par curiosité , premiè-
rement , quand vous voulez voir ou savoir des choses
mauvaises et illicites, comme des choses déshonnètes, les
vices du prochaiu , des charmes pour se faire aimer , ou p our
gagner au jeu , des remèdes superstitieux pour guérir des
maladies , de nouvelles modes pour s'ajuster ; en second
lieu , quand vous voulez apprendre des nouvelle^ , des se-
crets , des sciences qui ne sont pas défendues , mais qui do
servent de rien. Les livres que vous lisez ne sont pas mau-
vas , mais à quel bien en peut servir la lecture ? Peut-elle
Beîrvir à vous faire connaître et aimer Dieu ? peut-elle vous
aider à vous bien acquitter de votre devoir en votre profes-
sion ? Si elle ne sert à autre fin qu'à vous rendre savant .
c'est curiosité , inutilité d'esprit, perte de temps : Alioqui
Vtlunt scirc ut sciant , et hoc curiositus est , dit S. Ber-
nard ; ne vouloir apprendre (pie pour savoir , c'est faire
comme ces gourmands qui ne mangent (pie pour manger ,
ne boivent que pour boire. Un honnête homme ne veut
manger que pour vivre , ne veut vivre que pour servir Dieu ;
ainsi un chrétien vertueux veut apprendre pour savoir , et
ne vint savoir que pour servir Dieu. Vous lisez Tliistoiro
de France par Duplex , ou de Rome par Coefleteau ; celle
lecture est innocente , je le veux , mais peut-être qu'elle
tous est inutile. Si vous êtes prêtre , elle vous empêche de
lire Gencbrad , ou Bellarmin sur les Psaumes , pour en-
tendre ce que vous dites quand vous chantez au chœur , et
pour dire vos heures avec plus de dévotion. Si vous êtes
séculier , elle vous empêche de lire les livres de votre pro-
fession pour vous y rendre habile et capable. Qui que vous
i , clic vous empêche de lire l'Ecriture sainte , l'IIis-
toire ecclésiastique, Grenade , S. Jure , nui imprimeraient
i m votre cceur l'amour et la crainte de Dieu. Ecoutez Séné-
ijue , (Epist. 88.) il doit nous confondre. : Plusscire velle
quam sil salis , intemperantiœ genus est. IN'cst-ccpas
ce que dis< ni S. Paul : Non plus sapere quam oportèt ,
gapere std sapere ad sobrieiatem\ et S, Pierre s(2, Pclr,
|, 6. ) In scientta abstint!' cm»
22 SERMON CCLXXIV.
Vous appelez intempérance mettre en votre estomac plus
de viande qu'il n'est besoin, et vous n'appellerez pas intem-
pérance mettre en votre esprit plus de science qu'il n'est
nécessaire ! Vous me direz que trop de viande charge l'es-
tomac ; mais trop de science ne charge pas l'esprit. Qui
vous Ta dit ? Il ne me faut d'autre témoin contre vous que
vos chétives prières, qui, comme dit S. Augustin, sont tant
de fois interrompues et souillées par mille extravagances et
mille pensées niaises, qui sont les indigestions de notre
esprit trop chargé : « Cum enim in hujusmodi rébus con-
« ceptaculum fit cor nostrum , et portât copiosee vanitatis
« catervas, hinc et orationes nostrse sœpe interrumpuntur,
« atque turbantur. » Cette curiosité donc de savoir des
choses illicites ou inutiles, est un gsnre de vice capital, chef
et source de plusieurs autres péchés; elle est cause que vous
vous faites dire votre bonne fortune pour savoir ce qu'il doit
vous arriver ; vous faites des superstitions, afin de voir, en
songeant, le mari que vous devez avoir ; vous portez votre
prochain à la médisance, pour apprendre de lui la vie et les
vices d'autrui ; vous tentez cette fille , pour savoir de quel
bois elle se chauffe; vous ne donnez à Dieu que le bout des
lèvres, en le priant, et votre cœur est farci de gazettes, de
nouvelles, de vanités, d'affaires du monde : Ante conspec-
tum Del, dum ad aures ejns vocem cor dis intendimus ,
irruentihus niigatoriis cogitationihis res tanta prœ-
cidittir, dit S. Augustin. En voilà assez pour cette fois de
l'intempérance spirituelle, venons à la corporelle, et pour y
procéder avec ordre , considérons ses causes , ses effets et
ses remèdes.
pRIMUM punctum. — Causœ intemperantiœ corporalis.
B, — (\°Error mentis, ) Si ce qu'a dit Hippocrate est
vrai, savoir que les maladies héréditaires sont difficiles à
guérir , ce n'est pas merveille de voir que le péché de gour-
mandise est si enraciné à notre nature, puisque nous l'avons
hérité de notre première mère qui fut si sujette à sa bouche,
qu'elle perdit sa postérité à l'appétit d'un morceau de
DE i *J« rBMPBB INCE. 23
pomme. Elle eut celle témérité parce qu'elle crut trop lé
ment à cette parole du mauvais ange : Nequaquam
moriemini, vous ne mourrez pas; elle s'imagina qu'elle ne
mourrait point , que sa faute serait pardonnable , et que
lit chose de peu d'importance de manger ou s'abstenir
d'un fruit qui semblait être si beau et si bon. Ainsi, la
première cause qui nous fait tomber en ce péché , est qu'or-
dinairement nous nous flattons , nous prétendons mille
prétextes pour nous persuader quil n'y a point de faute ,
ni mortelle ni vénielle : Nequaquam moriemini. S. Ful-
genee et Hugues de S. Victor , faisant un beau rappor'
entre les sept demandes de l'oraison dominicale et les sept
péchés mortels, disent que la sixième demande : Et ne nos
inducas, est opposée au péché de gourmandise, parce qu'à
proprement parler, tenter quelqu'un ce n'est pas le solli-
citer simplement à mal faire , mais c'est le solliciter fine-
ment , sous de belles apparences et avec tromperie , et c'est
ce que fait la tentation de ce vice : « Et ne nos inducas in
« tentationem : haec petilio contra vitium guloe opponitur,
« et hoc ideo tentatio specialilcr appellatur, quia caetera
« vitia longe sunt a natura humana, etob hoc quanfo minus
i ralionis proférant tanto minus tentationis adducunt :
« tentare enim est callide experiri. » ( Hugo a Sanct.
Victor. ) L'amour propre est très ingénieux et très inventif;
il nous suggère mille raisons pour contenter notre sen-
sualité : Nequaquam moriemini. Ce n'est pas mal fait
de se nourrir, il n'y a point en cela danger de mourir spiri-
tuellement , au contraire, si je ne le fais je pourrai mourir
corporcllcment , j'intéresserai ma santé , j'affaiblirai mes
forces, j'abrégerai mes jours. Nous ne sommes pas maîtres
de notre vie ; c'est ce qui fait que S. Bernard s'écrie : (Lib.
de Consc. ) « De necessilatibusmeis crue me. Crcbro nam-
« que dum necessitati sludeo reddere débita , voluplalis
i studio deservio. Sub velamine necessitatis, cado in la-
ïc queum voluplatis : » Mon Dieu , délivrez-moi du joug
de mes nécessités, et de la captivité qui m'oblige à y sub-
venir, car j'expérimente souvent que voulant satisfaire a
24 SERMON ÇCLXXIV.
besoin de la nature , je contente mon appétit , et sous le
voile de la nécessité je tombe dans le piège de la volupté.
S. Augustin ( Lib. no. Confess. cap. 31 . ) dit : « Hoc
« me docuisti ut quemadmodum medicamcnta sic alimenta
« sumpturus accedam. Sed dum ad quietem satietatis ex
« indigentiae modestia tronseo , in ipso transitu mihi insi-
a dialur laqueus concupiscente. Ipse enim transitus vo-
« luptas est, et non est alius qua transeatur , quo transire
« eogit nécessitas , etc. Nam quod saluti satis est , delec-
« tationi parum est ; et sœpe incertum fit ulrum adhuc
« necessaria corporis cura subsidium petat, an voluptaria
« cupiditatis fallacia ministerium suppetat. Ad hoc incer-
« tum hilarescit infelix anima , et in eo praeparat excusa-
« tionis patrocinium , gaudens non apparere quid satis sit
« moderationi valetudinis , ut obtentu salutis obumbret
<( negotium voluptatis. » Voici la tradution de ce passage :
Quand je passe de l'incommodité de la faim au soulagement
que le manger me donne , la concupiscence me dresse des
embûches sur ce passage ; car ce passage est accompagné
de volupté; il n'y a point d'autre voie par où nous puissions
passer à ce soulagement que la nécessité nous oblige de
rechercher , et quoique la conservation de la vie soit la
seule chose qui oblige de boire et de manger , ce plaisir
dangereux vient à la traverse, et parait d'abord comme un
serviteur qui suit son maître; mais souvent il fait des efforts
pour passer devant , afin de me porter à faire pour lui ce
que je Savais dessein de faire que pour la seule nécessité;
et ce qui sert à nous tromper en cela, c'est que la nécessité
n'a pas la même étendue que le plaisir ; car ce qui suffît à
la nécessité ne suffit pas à la délectation, etc., afin que le
prétexte de la santé lui serve de voile pour satisfaire sans
scrupule à la passion de la volupté.
C. — (2° Societas. ) Le premier homme tomba aussi
dans cette tentation; mais ce fut par un autre piège. Il est
assuré que son premier péché ne fut ni ne pouvait être un
péché de sensualité , car en l'état d'innocence et de justice
originelle, il n'y avait point de révolte de l'appétit sensuel
25
ronde la raison, ni de la chair contre l'esprit , la partie
inférieure de Pàrae était entièrement soumise à la supérieure
el à Dieu ; il mangea donc la pomme par condescendance,
par respecl Immain et par complaisance : Sociali necessi-
tuJinc, dit S. Augustin , pour complaire à sa femme, qui
lui donna le fruit el le pria d'en manger : Millier quam
dedisli mihi sociam. Ainsi plusieurs personnes qui n'ont
pas beauconp d'inclination naturelle à L'ivrognerie , ou aux
5 de bouche, s'y laissent aller insensiblement par con-
descendance; on les prie de passer une heure de temps eu
quelque honnête récréation ; après le jeu on va au cabaret,
ouàquclqu'autrc lieu de débauche ; on n'ose faire le réformé,
ni desobliger la compagnie , avec les loups il faut hurler ;
on commet , par complaisance , ce qu'on ne voudrait pas
commettre pour tous les plaisirs du monde. Il y en a d'autres
qui disent : Si je ne montre bon visage à celui qui m'est
venu voir , si je ne romps mon jeune pour lui tenir compa-
. si je ne le presse de boire , et si je ne bois souvent à
fcces, il dira une je suis un avarieieux , (pic je
ne le vois pas de bon œil. Si vous ne rompez votre jeûne ,
votre ami vous tiendra pour un avarieieux, si vous le rompez,
votre Dieu vous tiendra pour désobéissant; si vous ne buvez
plus qu'il n'est besoin , vous désobligerez votre parent, si
vous buvez plus qu'il ne faut , vous offenserez votre Dieu,
Lequel vaut mieux ?
Je jeûnerais volontiers le vendredi ou le samedi ; mais
je ne saurais le faire sans qu'on s'en aperçoive : on verra
bien que je ne souperai point , on dira que je jeûne , on
concevra bonne opinion de moi, j'en perdrai le mérite. Qui
vous l'a dit? Et à ce compte il ne faudrait point faire de
bonnes œuvres extérieures , visiter les pauvres , ouïr la
e , fréquenter les sacrements ; que deviendrait cette
parole : Sic luceat lux vestra coram hominibus , ut
ant opéra vestra bona , et glorificent Pat rem
Vêitrum, Mattb. 5. 16. ) Donnez bon exemple aux
hommes, afin qu'on ail sujet de glorifier Dieu en vos bonnes
œuvres,
26 SERMON CCLXX1V.
liasit opusinpiiblico, utintentio moneal in occultù.
Quand on est oblige de pratiquer une bonne œuvre en pu-
blic , il faut que l'intention soit en secret , c'est-à-dire
qu'il ne faut pas la faire pour paraître et pour plaire aux
hommes, mais seulement pour être agréable à Dieu , dit
S. Grégoire. Sinon haheas s-pectatores , non hethehis
imitatores : Si personne ne vous voit quand vous faites une
bonne œuvre, personne ne vous imitera. Pourvu que vous ne
le fassiez pas à intention d'être vu, mais pour l'amour de Dieu,
vous ne perdez pas le mérite; dites comme S. Bernard.
Prêchant un jour en une bonne assemblée , il fut tente de
l'esprit de vanité, et doutant en soi s'il cesserait de prêcher
pour éviter le danger de vaine gloire , il eut inspiration de
répondre à Satan qui le tentait : Je ne l'ai pas commencé
pour toi; je ne le laisserai pas pour toi.
D. — (3° Mata consuetudo. ) La troisième cause de
ce vice , c'est l'habitude. S. Augustin ( Lib. 9. Confess.
cap. 8. ) en apporte une expérience bien remarquable , et
dont il pouvait parler savamment. Il dit que sa mère, sainte
Monique, étant encore jeune fille était nourrie fort chrétien-
nement avec ses sœurs dans la maison de ses père et mère ;
néanmoins elle commençaitàprendre une mauvaise habitude,
et voici comment. On l'envoyait tous les jours à la cave ,
avec une jeune servante . tirer du vin pour le repas de la
famille ; il lui prit un jour envie de savoir si le vin pur
était bon ; elle en but dans le pot , mais bien peu , parce
qu'il lui semblait de mauvais goût ; le lendemain elle en fit
de même , et le troisième et le quatrième jour, et ainsi de
jour à autre, .elle en buvait de plus en plus, ne le trouvant
plus si amer ; enfin elle s'y accoutumait tellement qu'elle
commençait déjà à boire de petits verres de vin pur tout
entiers : Plenos mero caliculos inliianter liauriret. Et
elle s'allait jeter inconsidérément dans une très mauvaise
habitude d'ivrognerie , si Dieu qui veille toujours sur les
prédestinés , n'y eût remédié par un trait admirable de sa
providence, permettant que cette jeune servante, qui seule
était tçmoin de ce dérèglement , en se querellant un jour
Monique, mi reprocha sa friponnerie, et lui dit : Allez,
allez , petite ivrognesse, allez boire le vin dans la cave :
; vit hoc cri mon amarissima insultât ionc , vocans
mcribibuLun. Dieu se servit de cette parole piquante comme
ivun coup de lancette ponr percer l'apostume qui commen-
former d ins le cœur de cette âme choisie, car elle
fui si outrée el si confuse do ce reproche, que rentrant en
elle-même, elle connut et condamna sa faute, et sVn cor-
rîgca sur-le-champ : Quo Ma stimulopcrculsarespexit
fatditatem suant, conf est inique damnav.it et e.ruit.
UNDUM PIWCTUM, — Fjus e/îectus.
. — ( \ Multapeccata* ) S. Thomas dit (2. 2. q.
I A3, a. 2. el 5. ) que l'intempérance n'est pas toujours un
lé mortel, mais qu'elle est un vice capital, c'est-à-dire
le chef, la source, l'origine de plusieurs autres. Quelque
pourrait dire : Je lis bien dans les commandements de
, : Homicide point ne seras , luxurieux point ne seras ;
mais je ne lis point : Ivrogne lu ne seras ; contre quel
mandement offense-ton Dieu par ce vice ? Contre tous :
; n'a point fait de commandement exprès et particulier
défendre ce péché, parce qu'il le défend par (ous ses
commandements. Mcïsc ( Exod. 32. 19. ) ayant reçu les
dix commandements écrits de la main de Dieu , en deux
tables de pierres , après s'y être disposé par un jeune de
quarante jours , et trouvant à son retour que le peuple
avait offensé Dieu par intempérance , brisa les tables de
la loi au pied de la montagne , pour montrer que par ce
vice on rompt et transgresse tous les préceptes de la loi.
Dieu dit au premier ommandement : Tu n'auras autre
Dieu que moi. Et S. Paul dit des ivrognes , qu'ils font leur
de leur ventre : Quorum deus renie?* est. N'est-ce
de le dire? n'est-ce pas un crime d'en avoir la
prendre un autre dieu que le vrai Dieu,
et un dieu si sale , :,i abominable que votre ventre ? C'est
lui qui crierait au milieu de Pari- ef en présence
de la cour : \ ivc le roi et un tel crocheteur ! Deus tibi
28 SERMON CCLXX1S'.
venter est, et puïmo templum , et aqualiculus ait 'are V
sacerdos coqitus, sanctus nidor , condhnenta charis—
mata , et ructus prophetia vêtus est. ( Tertull. contra
psyticos.) Le poumon est son temple ; son autel, la panse;
son prêtre , le cuisinier ; son saint-esprit , la fumée des
viandes ; ses grâces , les sausses. Que de paroles impics
dit-on dans les cabarets ; que de railleries fait-on des
choses saintes, de la parole de Dieu , de la confession, do
la dévotion, des personnes dévotes ; que de jurements, que
de blasphèmes, que de malédiction ! Le saint homme Job
connaissait bien cette vérité, quoique ses enfants fussent très
sages, très modestes, très sobres, parce qu^ils s'étaient ré-
galés, ils craignait qu'ils n'eussent offensé Dieu, et il offrait
des sacrifices pour eux : Ne forte peccaverint filii met.
, Votre femme trouve fort mauvais que vous fassiez bonne
chère , pendant que vos enfants crient à la faim ; que vous
dépensiez en un jour ce qui devrait entretenir votre famille
toute une semaine, que vous la laissiez avec trois enfants,
sans pain , sans bois , sans argent et sans aucune consola-
tion ; elle ne peut s'empêcher de vous témoigner le senti-
ment qu'elle en a ; vous ne voulez souffrir sa réprimande ,
vous la donnez au diable, vous blasphémez, vous reniez,
vous faites la bête enragée ; et cela en un jour de fête , en
un jour de dimanche. Le saint dimanche n'est plus le jour
du Seigneur parmi les chrétiens ; c'est le jour de Bacchus,
de Cérès, de Vénus, etc. Messieurs de la police, je crains
qu'au jugement de Dieu on ne dise de vous ce que l'Ecri-
ture dit (3. Reg. 22. 44.) du roi Josaphat : Fecit rectum
in conspectu Domini, venant amen excelsa nonabstulit,
adhuc enim populus sacrificabat , et adolebat incensum
in excelsis. Vous êtes gens d'honneur, de piété , de pru-
dence singulière ; verumtamen, verumiamen. Mais, mais
que font ces débauchés au cabaret, au brelan pendant la mes-
se, et autres offices divins ? où est la punition des cabaretiers
qui leur donnent à boire ? où sont les défenses qu'on a si
souvent publiées et renouvelées ? où est le soin que vous
devez avoiv de les y surprendre pour les châtier ? où est le
db l'intbmpéh ln< i . 20
de la gloire de Dieu et du bien public ? est-il possible
qu'il n'y en ait pas un seul qui puisse dire à l'heure de
sa mort : Zelo zelatus sum pro d'omo Israël? assuré-
ment, assurément, il n'en faudrait qu'un, qu'un seul d'entre
tous bien résolu, zélé, courageux, désintéressé, pour empê-
cher toutes ces débauches.
Que direz-vous d'une effroyable injustice que j'ai à vous
raconter? lu grand seigneur qui avait plusieurs terres,
eu acensa une pour toujours à un villageois , lui donna du
bétail pour la labourer , lui fournissait tous les ans du grain
pour l'ensemencer; il était si bon et si libéral, qu'il per-
mettait au paysan de la moissonner pour lui les cinq pre-
mières années , et se contentait d'en recueillir les fruits la
sixième et la septième année. Le paysan était si injuste ,
qu'ayant fait la «'(Voile pour lui, quand la sixième et la sep-
tième années venaient, il mettait ses pourceaux en la maison
de son maître. N'était-ce pas une ingratitude dénaturée,
une injustice bien monstrueuse? C'est ce que vous faites,
l ! tous n'en avez pas d'horreur! Le bon Dieu vous a donné
les terres, le bétail, les semences, les meubles que vous
île/ ; il vous permet de travailler pour vous et pour
votre famille cinq ou six jours la semaine ; il vous donne
les jours ouvriers, mais il se réserve les dimanches et les
fêtes , il veut que vous les employiez à son service ; et au
lieu de le faire, vous y mettez des pourceaux, vous em-
ployez ces jours en des œuvres de pourceau, à la mangeailie,
à l'ivrognerie, à des assemblées et actions lascives; et si
votre mère le trouve mauvais, si voire père vous en reprend,
vous ne vous en souciez pas , vous oubliez le respect , la
crainte et l'obéissance que vous leur devez ; vous les faites
attendre après vous jusqu'à dix ou onze heures du soir;
' ml que vous êtes en vos passe-temps, vous êtes cause
qu ils ne peuvent reposer la nuit, craignant o*jc vous ne
preniez querelle au cal .mt et qu'on ne vous tue, ou que
ne tuiei quelqu'un, et leur crainte n'est pas frivole,
mais bien fondée ; car la colère étant une émotion et un
échau lutour du cœur, et le sang étant
30 SERMON CCLXXIV.
échauffé parle vin ; c'est clans les buvettes que s'engendrent
les querelles , les batteries, les duels, homicides , contre le
cinquième commandement ; les pensées sales , les paroles
lascives , les actions déshonnètes, contre le sixième et neu-
vième commandement. Vénus était engendrée de l'écume
de la mer; l'égoùtet la sentine de la gloutonnerie, c'est la
lubricité : Venter cibis exœstuans despumat in libidi-
nem; luxuriosaresvimim» Le vin est un foyer de luxure,
dit le Saint-Esprit; n'en donnez pas à vos enfants, si vous
êtes sages , messieurs, et si vous voulez qu'ils le soient.
Tous ces vices ne s'entretiennent pas pour rien, il faut
de l'argent pour en faire les frais , vous en dépensez beau-
coup , et vous en gagnez peu ou point ; vous êtes contraint
d'en dérober à votre père ou à vos voisins , ou du moins
entassant dettes sur dettes et crédits sur crédits, vous de-
venez insolvable ; vous pensez en être quitte envers la justice
de Dieu comme envers celle des hommes, pour faire une
honteuse cession de biens : Qui non habebit in œre luet
in eufè.
Vous prêtez vingt écus à un bon homme dans sa néces-
sité , et vous lui en faites dépenser un demi à payer pour
vous dans un cabaret. Vous avez plaidé ou fait une écriture
pour un villageois, au lieu de cinq ou six sous qu'il devait
vous payer, vous lui en faites dépenser quinze ou vingt dans
une taverne.
Ou si vous ne volez pas les biens , vous brigandez l'hon-
neur du prochain. Dans les festins de ce temps malheureux,
on mange ordinairement plus de chair crue que de cuite ,
plus de chair humaine que de viande de boucherie ; on dé-
chire à belles dents la réputation des hommes d'honneur,
des ecclésiastiques , des juges, des magistrats , des prélats,
des ministres d'état , de tous : Appropriant super me
vocenfes utedanl cames meas; dicm venter refteitur,
limjua deprœdatur : Pendant que le ventre se remplit , la
langue ravage la réputation du prochain.
C'est aussi dans les cabarets, entre les pots et les verres,
qu'on fait souvent de faux contrats , des antidates , de faux
m l'iNTEMPBR INCE. 31
témoignages. Un homme rusé vous conduit à la taverne ;
vous n'osez rien refuser à celui qui vous oblige et qui paie
pour vous ; il vous prie de signer un papier où il met tout
ce qu'il veut , de donner un exploit sous la cheminée, d'aller
témoigner en justice ce que nous n'avez jamais vu ; à l'ap-
pétit l'une franche repue vous vous jetez dans des labyrin-
thes , dans des obligations de restitution que vous ne ferez
jamais.
F. — (2° Peccata omissionis.) Or, en ces déréglc-
glemcnts, vous n'offensez pas Dieu seulement par commis-
sion, mais aussi par omission; par omission, dis-je, de ce
que vous êtes obligé de faire hors de votre logis et en votre
maison.
Hors de votre logîs , envers les pauvres qui meurent de
faim et de disette , lorsque vous faites bonne chère, et qui
seraient notablement soulagés de vos supcrfiuités. C'est le
reproche que Dieu fait à ceux de Sodome : Ecce liœc fuit
iniquitas Sodomœ superbia, saturitas panis, etabun-
(huiiia , et ottum cjuS) et filiarum ejus , et manum
pauperi non porrigebant. (Ezech. 16. AO.) Celait pro-
prement le crime du mauvais riche ; il ne s'enivrait pas,
il ne mangeait pas injustement le bien des marchands et
des créanciers , Jésus nous l'aurait dit ; il négligeait un
pauvre mendiant qui était à sa porte.
El ce n'est pas seulement aux étrangers que vous êtes
cruel , mais aussi à vos propres enfants ; pendant que vous
clés à vos divertissements , vous n'en avez point de soin ,
ils s'égarent , ils fréquentent les mauvaises compagnies et
il se débauchent à votre exemple ; ou sMs demeurent au
logis , ils traitent leur mère comme une servante ; si elle
s'en plaint à vous , vous n'en tenez pas compte, parce que
vous n'osez pas reprendre leur vice, étant vicieux vous-
même, vous doutez bien que votre réprimande ne servirait
pas beaucoup. Au retour du cabaret, si vous avez un vin
(le lion, vous mettez tout en désordre comme une bète
furieuse ; si vous avez un vin de singe , vous proférez mi lie
sottises, vous dites des impertinences II perle de vue; si
32 SERMON CCLXXIV.
vous avez un vin de pourceau , vous vous couchez et vous
vous endormez comme une bête. Des actions si infâmes
font perdre à vos enfants le respect qu'ils vous doivent , ils
ne font pas bien, maïs tant il y a qu'ils le font; noyant point
de gravité , vous n'avez pas autorité sur eux, toutes les re-
montrances que vous leur faites n'ont point d'ascendant sur
leur esprit. Pourquoi ? on les néglige ; c'est comme une
terre qui n'est pas cultivée, qui ne produit que chardons
et épines. Pourquoi vous êtes-vous marié ? pourquoi les
avez-vousmisau monde, si vous vouliez ainsi 'les mépriser?
pauvres enfants! ils font pitié ; il vaudrait mieux pour eux
qu'ils eussent été les faons d'un tigre ou d'un léopard , leur
âme mourrait avec leur corps, et ne serait pas damnée.
Auguste disait qu'il" eût mieux aimé être le pourceau d'Hé-
rode , que son fds ; on peut en dire de même de vous. Je
fais quelquefois cette réflexion quand vous tuez votre pour-
ceau, et qu'on l'entend crier ; il fait pitié , mais je pense ,
il en est quitte pour souffrir un demi-quart d'heure , au lieu
que votre pauvre enfant que vous engagez à la damnation
par votre négligence , par les mauvais exemples de vos dis-
solutions, n'en sera pas quitte pour un jour, pour un mois,
pour une année , pour un siècle , pour cent mille millions
d'ans de très horrible tourments. Pauvre malheureux ! pau-
vre infortuné ! que tu as mal rencontré d'avoir un père si
brutal et si inhumain !
tertium punctum. — Remédia tolkre, etc.
G. — (1 ° Errorem, etc.) Noli profiter clbu?n perdere
fratrem pro quo Christus morluus est , vous dit Fapo-
tre : Ne veuillez pas , pour la nourriture , être cause de la
damnation de votre frère , pour lequel Jésus-Christ est
mort. Il dit : JSoli, parce que vous ne tomberez pas en ce
péché, si vous ne le voulez; il est aisé de vous en garantir,
si vous voulez prendre tant soit peu de peine d'y résister ,
et si vous voulez en ôter les causes ; nous avons dit qu'il
y en atrois : la première, c'est la tromperie de la sensualité
qui nous flatte et nous dit que l'abstinence nuit à la santé
DE 1 1 INTEMPERANCE. 33
établie les jours, et que c'est offenser Dion d'affaiblir
son corps , et de se mettre on danger de se faire malade par
de telles austérités. Les deux propositions île ecl argument
sont très fausses: l'expérience fait voir que plusieurs reli-
gieux, qui ne mangent point de chair, qui boivent fort peu
de vin , qui jeûnent une partie de Tannée , arrivent à une
extrême vieillesse , et que le doete Fernel a eu raison de
Lib. 1. de morborum eausis , cap. 14.) que la tem-
pérance nous conserve en santé et nous donne une vie heu-
reuse : Una temperantia totiusestjucundœsalubrisque
secura moderatrix; etinfra : Nu lia colamiiatevel
nrumna premetur^ qui vitœ fundamentutn posuerit
iemperantiam. Et puis, supposons que l'abstinence et les
autres mortifications intéressent la santé, et abrègent un
pou la vie , c'est une erreur de penser qu'il ne soit pas per-
mis de faire autrement. Il faudrait condamner les mille
millions d'anachorètes en TEglise primitive , qui passaient
souvent 1rs deux el trois jours sans manger ; il faudrait con-
damner S. Bernard, et tous les religieux qui, au commen-
ut de leur ordre, ne mangeaient que du pain d'avoine
el des herbes cuites sans huile et sans beurre, et au jour de
Pâques, des pois et des fèves pour grandes délices, et qui
aient leurs monastères dans des vallées basses et hu-
mides , tout exprès , notez, tout exprès, pour se faire ma-
lades : ce sont les propres termes du bienheureux Fastrèdc,
disciple de S. Bernard, abbé de Cambron, et depuis troisième
abbé de Clairvaux, en cette beile épitre qu'il écrit à un abbé
son ordre. (Apud Bern. edit. Horstii.)
II. — (2° Vitare malam , etc.) Non , la frugalité
n'affaiblit pas le corps, ne raccourcit pas la vie, et même elle
n'est pas aussi difficile à pratiquer que vous vous l'imaginez;
rimentez-le et vous le trouverez vrai; quittez les oc-
ras, fuyez les compagnies qui ont coutume de vous
conduire à la débauche; pour éviter leur rencontre les di-
ebes , allez à la grand'messe, au sermon , aux vêpres,
rompez courageusement une bonne foi avec eux, leur faisant
savoir que vo lu n'êtes plus de ce parti; trouvez quelque
34 SERMON CCLXXIV.
honnête excuse pour vous dispenser d'aller aux fêtes , aux
festins, aux collations, et autres assemblées d'intempérance ;
priez votre confesseur de vous le donner pour pénitence ,
c'est une pénitence très salutaire , agréable à Dieu , qui ne
coûte rien , qui n'incommode pas la sanlé, ne vous expose
pas à ta vaine gloire, et vous rachète beaucoup de peines du
purgatoire , quand , pour l'amour de Dieu et pour la sa-
tisfaction de tant de péchés que vous avez commis, vous
dites : Je veux m'abstenir un an , deux ans, trois ans, tant
qu'il me sera possible, d'aller au cabaret, aux banquets,
aux réjouissances mondaines ; il vous semblera un peu dif-
ficile au commencement , quand vous l'aurez fait trois ou
quatre mois vous n'y aurez plus de peine.
I. — (3° ^bolere co)isuetiidinem,. )h'mtem\}éraLïiCG s'ac-
quiert par la mauvaise coutume, et elle se perd par la discon-
tinuation, et par une coutume contraire; faites comme saint
Charles : premièrement, il jeûna quelque temps tous les ven-
dredis, puis ilajoutales mercredis etsamedis, quelques années
après il jeûna tous les jours , puis le carême au pain et à l'eau;
enfin , il s'apprivoisa si bien au jeûne, qu'il jeûnait toute
l'année au pain et à l'eau. Je ne dis pas que vous soyez aussi
austère ; mais habituez-vous petit à petit à la sobriété, d'ici
à la Pentecôte ne buvez point de vin qu'il n'y ait de l'eau,
au moins le quart, puis le tiers, après la moitié.
CONCLUSIO.
L. — {Argumenta, etc.) Il vaut mieux faire ainsi, que
de vous perdre, comme vous faites par les excès de bouche :
Noli propfer cibum perd ère.
Vous perdez l'esprit et l'usage de raison, vous vous abru-
tissez, vous vous mêliez au rang des bêtes et au-dessous :
une bêle ne boit jamais plus que sa soif; vous vous mettez
en un état dans lequel, si l'article de la mort vous arrivai';,
il vous serait impossible, de toute impossibilité de vous con-
vertir à Dieu, étant privé de jugement.
Vous perdez voire corps, vous ruinez votre santé : Pltts
Dfi ^INTEMPÉRANCE. 95
quam gladius: La gourmandise on titc plus
de l'épée. Fernel dit (ubi supra.) que lin-
éranec i d la nourrice des médecins , qui leur donne
;: l'aucun autre accident.
\ ous perd z lli mneur. Comme Noé étant ivre fut moqtid
> propres enfants, vos domestiques et vos voisins se
lient de vous, et vous méprisent. On ne Oui point d'état
le ces pourceaux d'Epicure, qui ont une ame toute de tard
el de graisse; on ne les estime propres à rien de grand,
me César disait de Mari1 -Antoine.
\ ous perdrez vos Liens temporels, votre famille, et l'avan-
cement de voire fortune; quand vous eles dans ces résolu-
, absout de votre maison, vous dépensez beaucoup, vous
ue gagnez rien , votre ouvrage ne se fait pas , vos affaires
démoliront en arrière, vos serviteurs deviennent fainéants,
nfants se licencient, et votre chalandisc se perd. Quand
loleest endormi, ou absent, le vaisseau devient le jouet
ts, on n'en peut attendre qu'un naufrage très assuré.
.Mais vous perdez principalement votre âme, vous serez
compagnon du mauvais riche, un peu de plaisir passager vous
coûtera bien cher, vous serez tourmenté d'une faim enragée,
d'une soif ardente; vous n'aurez pas une seule goutte d'eau,
vous crierez dans Le feu iCrucior in hac flamma, à jamais,
à jamais, dans toute l'éternité interminable.
Vous n'en croyez rien, mais cela ne laissera pas d'arriver,
« l plus tôt que vous ne pensez, et avant que l'année finisse,
à quelqu'un de nous. S. Paul dit : Je vous prédisque ceux
qui commettent des ivrogneries, et des excès au manger < t
au boire, ne posséderont pas le royaume de Dieu : Ebrie-
tates , comessationes. II ne dit pas seulement les ivro-
gneries, mais les excès de bouche.
Bien que vous ne perdiez pas l'usage de la raison, parce
ïuz la tète forte, si vous êtes un pilier de cabaret ,
si vous vous gorgez de vin et de viande, si vous perdez le
temps, négligez votre famille, si vous donnez mauvais exem-
ple au prochain, si vous dépensez voire bien en ces buvettes
36 SERMON CCLXXIV.
et en ces banquets, au lieu cf en soulager les pauvres, vous
encourez cette malédiction : Vœ qui patentes estis ad Jri-
hendum vinum: Malheur à vous qui pouvez porter beau-
coup de vin ! Le mauvais riche ne s'enivrait pas, le Fils de
Dieu nous l'aurait dit; il faisait bonne chère tous les jours,
il est enseveli aux enfers.
ISoîiproptercibumperdere anii?ia?npro quaChristus
mortuus est. Que lui répondrez-vous, quand il vous fera
voir en son jugement qu'il a si souvent jeûné pour votre salut?
Il ne mangeait ordinairement qu'en une faim très ardente,
et vous qui êtes son disciple, vous avez voulu vous gorger
comme une bête; écoutez un abrégé de tout ce que j'ai dit :
Cui vœ? cujus patri vœ ? en i rixœ ? cui foveœ ? eut sin e
causa vulnera? nonne his qui commorantur in vino,
et sludent calicibus epotandis? (Prov. 23. 29.) Qui est-
ce qui encourt beaucoup de malheurs ? qui est-ce qui rend
son père malheureux ? qui est-ce qui est sujet aux querelles,
à être blessé, à tomber en des accidents funestes ? Ne sont-
cc pas ceux qui se plaisent à boire? dit le Saint-Esprit au
livre des Proverbes.
. Disons-lui donc après le Sage : Aufer a me concupis-
ceniias venins; disons-lui , comme les anciens anachorètes,
ce que S. Chrysostôme (Iiom. 57. ad pop. ) rapporte des
religieux de son temps, qui, avant de se mettre à table pour
prendre leur pauy rc réfection , qui n'était que de pain et d'eau ,
(Hierhes ou légumes, et une seule fois par jour après vêpres,
faisaient cette prière : Impie nos Spiritu sanclo ut inve-
niamurnon crubescenîcs in conspectu tuo, cum reddes
unkuiquc secundum opéra sua : Mon Dieu, remplissez-
nous de votre Saint-Esprit, afin que nous prenions cette réfec-
tion avec tant de retenue que nous n'en ayons point de con-
fusion en votre jugement , quand vous viendrez rendre à
chacun selon ses œuvres.
A plus forte raison , quand nous voulons prendre notre
repas où il y a ùcs ragoûts et des viandes qui irritent l'appétit,
nous devons dçman.dçr à Dieu la grâce de ne pas nous abrutir
de l'intempérance. 37
: i table, ce qui nous rendrait honteux et infâmes en son
ment, mais que, réfrénant notre sensualité, nous nous
'Un dignes de jouir avecappétil du torrent de voluptés
1 1 des viandes délicieuses <|imI a assaisonnées de sa main cir
la table du banquet céleste. - tmen.
SERMON CCLXXV.
DE L'ORGUEIL, QUI EST UNE LUXURE SPIRITUELLE,
Non mœcïiabwis.
Luxurieux point ne seras , de corps ni de consentement. (Exod. 20. 14.)
Quand l'apôtre S. Paul, écrivant aux Corinthiens, nous
recommande de nous affranchir de toute souillure de chair
et d'esprit , (1) il n'entend pas seulement par les souillures
d'esprit les pensées sensuelles et charnelles ; mais il entend
le vice d'orgueil qui souille notre esprit , et nous rend
semblables aux anges immondes , comme la luxure char-
nelle souille notre corps et nous rend semblables aux bêtes
immondes. Pour traiter ce sujet méthodiquement et fruc-
tueusement , je dois vous faire considérer Tesscnce , les
effets , les remèdes de ce vice ; ce seront les trois points
de ce discours.
IDEA SERMONIS.
Exordium. A. J^idetur quod superbia non sit maximum
j)eccatorum, sed divas Thomas docet esse maximum.
Primum punctum. B. Essentia superbice.
Secundum punctum. Effectus : — C. \° Pervertit viros
perfectissimos. — D. 2° Dévastât societates prœ-
clarissimas. — E. 3° Profanât loca sacra tissima,
— F. 4° Inficit actiones sanctissimas .
Tertium punctum. G. Remédia ,nempe motiva ad fu-
giendas quatuor species superbice.
(1) Mundemus nosab omni inqnmamento cnrnisetspiritus. (2. Cor. 7, 1.)
UftOM ccl [ vv . — de L'oftGUfilL , etc. J
EXORDIUM.
L — ( Ftdetur , ev. ) Le phénix de la théologie .
£ ,,l0::i - q- 1 02. a. 6.) et après lui les autres
eurs, pour nous inspirer de l'horreur pour le premier des
«ces capitaux , établissent la question de savoir si ce
péché est le plus grand, le plus énorme et le plus abomi-
nable de tous les crimes; ce qui fait la difficulté, c'est qu'il
j a une quantité d'autres vices qui semblent incomparable-
! plus noirs et plus dénaturés que la superbe , comme
le blasphème, l'athéisme, la haine de Dieu.
Et puis, selon la doctrine d'Aristote, ( S. Eth. cap. 1 0 )
m mal est d'autant plus horrible qu'il est plus contraire à
un plus grand bien; un crime est d'autant plus grand qu'il
opposé à une plus noble et plus excellente vertu. Or
ta d'humilité à laquelle l'orgueil est opposé, n'est pas
nuiente et la plu ; noble de toute* les vertus , car
t la charité qui tient le premier ranv Ajoutez qu'un
l autant pi ible et digne de pardon qu'il est
, et il ny a vice qu'on évite plus rare-
té l'orgueil , On trouve sou
lui se défendent de l'avarice, de la luxure
de la gourmandise ; mais des pièges de la superbe , fort
le gens, ou point du tout, s'en garantissent. L'ange-
lique Docteur , après avoir examiné ces raisons , donne la
conclusion, et dit que parlant absolument et formellement,
si on regarde I orgueil en toute ia plénitude et consomma-
tion de sa malice, il ...L avouer qu'il est le plus erief cl Je
plus pernicieux de tous les vices.
PRIMUM PUNCTUM.
B. — ( Essenlia superbiœ. ) Pour avoir des preuves
et irrépr >chablcs de cette vérité, il faut considérer
: en ses remèdes. En
hé, c'est-à-dire dans la malice et la
souillure d une action , la théologie distingue deux ch< •
: I aver.ion et lu conversion ; l'avçrsion par laquelle
AO SERMON CCLXXV, DK
l'àmc se détourne de Dieu, qui est son bien souverain, sa
dernière fin , son unique béatitude ; la conversion , par la-
quelle elle se tourne vers la créature pour s'y attacher d'une
affection désordonnée. De ces deux dérèglements, le plus
odieux , le plus déraisonnable , le plus dénaturé , et qui
donne une malice infinie au péché, c'est l'aversion ; la con-
version n'est pas aussi criminelle, car il est aisé à voir que
ce n'est pas un aussi grand mal de s'attacher avec excès
à la créature, que de se détacher et de se séparer malheu-
reusement du Créateur. Or, c'est la conversion, l'affection
à la créature qui distingue les péchés, qui les spécifie, les
établit sous un genre particulier et déterminé, et les rend
contraires à telle ou telle vertu : l'attachement aux richesses
fait l'avarice et l'oppose à la libéralité; l'attachement aux
plaisirs de la chair fait la luxure, et l'oppose à la chasteté.
En ce qui est de cette conversion et affection à la créature,
l'orgueil n'est pas le plus grand de tous les vices , dit
S. Thomas, comme l'humilité qui lui est opposée n'est pas
la plus grande de toutes les vertus. Vous m'avoucre'z que
ce n'est pas une chose si contraire à la raison, ni si indigne
de l'homme , d'être affectioné à l'honneur et à la gloire ,
comme fait l'orgueilleux ; que de s'attacher à la terre et à
la chair, comme font les avaricieux et les voluptueux; mais
en ce qui est de l'aversion et de la séparation de Dieu ,
l'orgueil est le plus grand de tous les vices quand il est con-
sommé et avec pleine délibération, et en matière d'importance,
parce que les autres vicieux ne se détournent de Dieu qu'in-
directement, obliquement , et presque contre leur intention.
L'orgueilleux s'oppose à Dieu diamétralement et en droite
ligne, et même c'est ce péché qui rend les autres vices plus
noirs , plus mauvais ; car l'athée , l'hérétique , les autres
infidèles sont bien plus criminels quand ils commettent ces
péchés , en présumant d'eux-mêmes , et en refusant de se
soumettre à Dieu et à l'Eglise , que s'ils commettaient ces
péchés par ignorance et par aveuglement d'esprit. J'ai dit
quand l'orgueil est consommé, parce que s'il n'est que d'un
premier mouvemcjU et avçç \m consentement imparfait, en
Ql I B8T l NK LIMHK 8P1HITI KLLB, h\
pc légère el de peu d'importance, il est moins vicieux
el plus facile à éviter ; mais quand c'est avec une nuire
délibération el par un consentement plein et entier , il est
odieux et désordonné , et la cure en est très difficile ,
el c'est la seconde raison <jui nous fait toucher au doigt
Pénormité de cçvice. Il faut bien dire qu'il est le plus grand
de tous, puisque pour nous en guérir Dieu permet assez sou-
vent que nous tombions dans les autres vices. Mais nous trai-
terons ce point un de ces jours avec pins de détail. Considérons
plutôt les mauvais effets qu'il produit dans le monde; il y
en a quatre principaux : il pervertit les personnes les plus
iles ; il désole les communautés les pins florissantes ;
il profane les lieux les plus saints ; il souille les actions les
vertueuses.
SECUNDUM PUNCTUM. EffcciltG
C. — (1° Pervertit viros.) S. Jérôme nous en marqua
Icj | ;•< miers i (Têts : Superbia natione eœlestis sublimes
appétit mentes ; chacun se ressent du lieu de sa naissance.
La luxure est née ici-lias sur la terre , dans un corps gâté
! rompu par le péché ; elle n'a d'autre gite (pic les
- I isses, charnelles, brutales, toutes de bouc. La su-
perbe a eu son origine au ciel ; elle a été engendrée dans le
i de la première et de la plus noble créature , d'une
créature toute spirituelle ; elle se plait d'être reçue dans les
âmes célestes et spirituelles.
Job en parlant du démon qui préside à ce vice qu'il ap-
pelle le roi de tous les enfants de superbe : Ipse est rex
super universos filios svperhiœ, dit que For le plus pur
lui sert de litière et qu'il le foule aux pieds comme la boue :
Stemei sibi aurum quasi lutum ; c'est-à-dire que les
les plus pures et les plus saintes deviennent chelives
comme d<- la paille, sales comme de la fange, quand elles se
rendent esclaves de ce vice. Ce qui fait dire à S. Augustin
que la plus grande et la plus éminente sainteté qui ait jamais
été, et qui puisse èlre , sans un,- profonde humilité, est
un fondement qui n'est qu'à Heur de
42 oEKMOJN GCLXXV. DE L'ORGUEIL ,
terre ; et Se Siméon Stylite, au commencement de sa con-
version , s'étant prosterné en terre dans l'église, et ayant
fait une très longue et très fervente oraison, pour demandei
à Dieu qu'il lui plût de l'adresser au chemin de la perfection
et de lui enseigner sa sainte volonté, s'endormit, et pendant
son sommeil , il lui sembla qu'il fouissait dans terre ,
comme pour creuser les fondements d'un grand édifice, et
il entendit une voix qui lui dit : Vous n'êtes pas encore
assez bas ; et comme il creusait toujours plus avant , la
même voix lui dit trois ou quatre fois : Creusez encore f
creusez encore. C'est ce que S. Augustin nous a dit ave*
tant d'affection : ( serm. 10. de verbis de min. ) Cogitas
magnam fabricant construere celsitudinis , de funda-
mento frius cogita humilitatis : Avez-vous dessein
d'élever bien haut le bâtiment de la perfection , pensez à
jeter bien avant les fondements d'une profonde humilité ,
autrement l'orage de la vanité sapera infailliblement , et
mettra par terre votre édifice.
Quelle plus grande sainteté que celle de Tertullien ,
d'Origène, du premier homme et du premier ange, et l'or-
gueil les a renversés ! Tertullien a montré l'amour qu'il
avait pour la pureté, dans les livres qu'il a faits sur la mo-
nogamie, sur le voile des vierges, contre le luxe des femmes ;
il a montré l'austérité de sa vie dans les livres de la péni-
tence contre les spectacles , contre les psychiques de la
couronne du soldat, son grand courage et le mépris qu'il
faisait des biens de ce monde , et de sa propre vie en son
apologie et au livre qu'il a écrit à Scapula, gouverneur de
la province, son zèle pour la foi chrétienne dans les livres
qu'il a composés contre Marcion , Praxéas , Hermogène et
autres ennemis de l'Eglise ; et ce grand personnage , cet
Hercule chrétien, après tant de batailles, tant de victoires ,
tant de triomphes, après avoir terrassé par la vivacité de son
esprit et par la force de son éloquence les idolâtres, les juifs,
les hérétiques, est enfin terrassé par le péché de superbe ,
et devient hérétique lui-môme , et de la plus improbable ,
de la plus sotte , de la plus impertinente hérésie , qui es*
celles des montanistes.
m i i.m i m. M JiiiTi l.l.i.i . 43
i i chute d'Origène fui encore plus déplorable; voyez ce
qu'en dit \ incent de Lerins. ( c. '2. !>. ) 11 étail Gis d'un
iiKirh r de Jésus , il avait été dépouillé de ses biens pour la
confession de la foi, il avait enduré de grands tourments
pour l'amour de Jésus , sous les empereurs Âlexandre-
re et Dèce ; étant encore petit garçon, il brûlait d'un
désir si ardent de mourir pour la foi et d'aller se présenter
au martj re, que *a mère lui cachait ses habits pendant qu'il
dormait, atin que ne les trouvant pas le matin , il fut con-
traint de demeurer au lit; heureuse mère, si elle Peut plutôt
babillé et pressé d'aller cueillir la palme qu'il a malheure-
sement perdue ! Chacun ^ait ee qu'il fit pour conserver la
chasteté. Il était si assidu au travail, que, sans parler des
levons , des prédications et des conférences qu'il faisait de
five voix, à peine un homme de longue vie pourrait lire tous
les livres qu'il a composés , comme dit le même Vincent,
La fertilité de son esprit, la beauté de son discours, l'énergid
- paroles , les charmes de son éloquence, la force de
tisons et la profondeur de sadoclrine, étaient si grandes
qu'elles attiraient des quartiers les plus éloignés de l'uni-
vers dans la \ille où il résidait, non-seulement les chrétiens,
mais encore les païens , comme Porphyre et autres , pour
avoir le bonheur de le voir et de l'entendre ; enfin il fut si
heureux en disciples, qu'un grand nombre de docteurs, de
prêtres , de confesseurs, de martyrs, sortirent de son sein
et de son école , et toutefois la présomption a ruiné en lui
tous ses talents, et lui a ravi toutes ses palmes et ses lauriers.
Admirez donc ici ( lia Greg. lib. 34. moral, cap. 15.)
et adorez la providence de Dieu sur les prédestinés; quand
il tient sous sa protection et sous sa sauvegarde particu-
une âme choisie qui est émincnle en sainteté, il a
coutume de la laisser en quelque faiblesse, tentation, peine
d esprit , infirmité , incommodité du corps pour l'humilier
t\ la tenir dans l'humilité par ce contre-poids. S. Paul le
confei e de lui-même : Ne magnitudtno revelationum
txtollat me , datuê est mihi stimulus carnis angeli
Sathanm , qui me culaphiê, etc.
h'i SÉttMON CCLXXV. DE l'oUGILIL,
Ne voilà-t-il pas qui est bien étrange? i! a reçu tant de
grâces et de révélations du Saint-Esprit, et il est travaillé des
aiguillons de la chair ; il persuade à tant de personnes de
garder la pureté, et il est importuné de tentations d'impu-
reté; il a été parmi les archanges, et il a toujours un démon
qui le tourmente d'horribles pensées; il a été ravi jusqu'au
troisième ciel > et il est à tout moment à deux doigts de l'enfer;
entre lui et l'enfer il n'y avait que le consentement de sa vo-
lonté, faible, fautive, fragile comme du verre, si elle n'eût
été assistée de la grâce de Dieu : Sufficit tibi gratia mea.
Ce qui doit nous apprendre à ne pas nous étonner, encore
moins nous décourager , si la môme chose nous arrive,
quand Dieu nous laisse dans des faiblesses, dans des aridi-
tés , dans des ténèbres intérieures, dans des troubles
d'esprit, dans des scrupules, dans des tentations d'infidélité,
de désespoir, d'impureté, tant qu'elles n'arrivent pas jus-
qu'à ce point que de nous faire consentir à un péché mortel ,
nous ne devons pas nous en inquiéter, mais y adorer la misé-
ricorde de Dieu, l'en remercier, nous conformera sa volonté,
recevoir avec résignation et agrément ces infirmités , en
prendre sujet de nous humilier, puisque c'est à cette inten-
tion que Dieu nous les envoie et nous les destine; ce qui
faisait dire à un père du désert : Malo cum inquinatione
carnis , quam cum clatione mentis habere conflictum :
J'aime mieux être combattu des souillures de la chair, que
de l'orgueil de l'esprit.
Tant que vous voyez qu'un pécheur est humble , qtïll
reconnaît sa faute , qu'il prend de bonne part d'en être
repris, qu'il s'estime misérable , gémit et soupire en son
cœur, qu'il estime heureux ceux qui en sont exempts , qui
prient Dieu d'en être délivrés , il ne faut pas désespérer de
sa conversion, ni de son salut ; mais quand un pécheur est
arrogant , qu'il ne veut pas être repris , qu'il se glorifie de
ses débauches, lœtatur cum mala fecerit , et exultât in
rébus })essi?nis; c'est, presque fait, il est aux portes de l'enfer.
D. — (2° Dévastât societates , etc. ) Or, ce vice ne
nuit pas seulement aux personnes particulières ; il désole
ou EST UNE LUXURE SPIRITUELLE, 45
aussi les provinces , les villes , les familles et les commu-
nautés entières. 11 n'y a rien qui afflige el trouble davantage
L'Eglise, que les hérésies, et elles sont filles de L'ambition
ou tle la présomption. Arius se G( hérétique par dépil
d'avoir été rejeté de l'évèché d'Alexandrie qu'il briguait ;
Âérius, de celui de Sébaste; Novatien , de celui de Rome;
Tertullieu , de celui de Carthage; Théobule, de celui de
Jérusalem; Valentin, de celui de Cypre. Luther, pour
avoir été privé de l'honneur de prêcher les indulgences de
la croisade , comme il le désirait , se mita prêcher contre
les indulgences ; Eutichès, Jovinien, Pelage , Sévère, qui
avaient été moines, levèrent L'étendard de leurs hérésies par
trop de présomption et d'attachement à leur propre sens.
Quel est le tison qui allume les guerres, qui forme les
parlis et les ligues dans L'état, qui renverse les républiques,
n'est ce pas L'ambition? nous ne le voyons que trop, cela n'a
DM besoin de preuve.
Quelle e^t la pierre qui aflile Pépée de ceux qui se bat-
tent en duel, n'est-ce pas lepoint d'honneur? dites à ce gen-
tilhomme: C'esl une folie de vous porter sur le terrain de
sang froid pour couper la gorge à un homme qui ne vous a
jamais désobligé, contre qui vous n'avez point de querelle,
qui est votre allié ou votre camarade, vous mettre en danger
d'être tué, aflliger vos père et mère d'un crève-cœur per-
pétuel, laisser une veuve et des orphelins dans les larmes,
et vous rendre malheureux pour jamais. Il est vrai; mais il
y va de mon honneur; un tel m'a prié d'être son témoin. Y
a-t-il folie, stupidité, extravagance, frénésie au monde
semblable à celle-là ? Comment ne nous mettons-nous pas
à genoux cent fois le jour , pour remercier Dieu de nous
avoir dits roturiers? il y a fort peu de gentilshommes en
France qui ne puissent dire touslesmatinsense levant: Peut-
êlre que ce soir j'irai coucher en enfer dans la compagnie
des démons, pour y être brûlé de toute éternité.
Quelle est la mégère et la furie qui jette la pomme de
discorde entre les parents ou les voisins, qui allume les
is, les querelles, les procès, les dissensions, les inirm-
46 SERMON CCLXXV. DE
tiés? Quœ solet unanimes armare in prœlla fr aires ,
atque odiis versare domos ? 'N'est-ce pas Pambition? Inter
superhos semper jurgia sunt. (Prov. 13.10.) Non effi-
ciamur inanis gloriœ cupidi , invicem provocantes ,
invicem invidentes. ( Galat. 5. 26.) Ne soyons point
amoureux de la gloire , ni de l'estime , n'ayons point de
dispute , ni d'envie entre nous ; cette conséquence est très
bonne et très bien tirée. Vous êtes passionnément avide de
gloire, vous voulez être Punique dans l'excellence que vous
pensez avoir; si quelqu'un va de pair avec vous, vous êtes
piqué de jalousie, vous Paccablez de haine, ou de calomnies;
il ne le peut endurer, vous êtes , vous êtes tous les jours
aux prises et aux couteaux.
Occiditis et zelalis, litigatis et helligeratts» ( Jac.
4. 2.) Dites à cet homme opiniâtre : C'est une simplicité
d'entreprendre ou de poursuivre ce procès pour si peu de
chose ; quand même vous auriez gain de cause, vous n'y
gagnerez rien, vous dépenserez en frais de justice quatre fois
plus que la chose ne vaut. N'importe, j'en aurai raison, je
mangerai jusqu'à la paille de mon lit; je ne veux pas qu'il
me brave, qu'il se vante d'avoir le dessus sur moi. Qu'est-ce
être orgueilleux, si cela ne l'est pas? ouest l'humilité chré-
tienne? Vous semble-t-il que c'est être innocent de passer
deux ou trois ans en souci, inquiétude, peine d'esprit, voya-
ges, tracas, embarras, de perdre le meilleur et le plus beau
de votre temps, de laisser la fréquentation des sacrements,
de vous consommer en frais de justice et votre partie ad-
verse, de ruiner votre famille et la sienne; de jeter dans le
cœur de vos enfants et des siens, des semences d'inimitié
immortelle, pour une pointillé d'honneur, pour avoir la
gloire de triompher de votre adversaire. C'est en cela, pro-
prement, que se vérifie la parole de l'apôtre: Jatn quidem
omnino delictum est in vobisj quodjudicia habetis inter
vos. ( 1 . Cor. 6. 7. ) Quoique vous n'ayez pas tort, plaider
pour peu de chose, par un orgueil opiniâtre, pour ne vouloir
rien souffrir, pour avoir le plaisir et l'honneur de supplanter
tout ce qui vous résiste, c'est contre l'esprit d'humilité, de
Ql i B8T i m il \i RE SPIRITUELLE. 47
douceur cl de charité, que le christianisme demande de nous;
autrement S. Paul aurait dit en vain: Quart non magie
injuriant aecipitis,quare non magie fraudent patintini;
(1. Cor. 6. 7. ) autrement le même apôtre aurait dit en
vain: Servant Dei non oporiet litigarej (2.Tim. 2.24.)
Jésus aurait dit eu Vain; Si guis volucrit tecum judieiu
conte)tdere.
E. — ( 3° Profanât loca sacratissima. ) Le troisième
effet de ee vice, c'est qu'il profane les lieux les plus saints,
il poursuit Jésus jusque dans sa maison, il le persécute sur
son trône, il le brave en sa présence, il roffense à enseignes
déployées, il dresse autel contre autel; et cela dans l'Eglise
de Jésus, comme disait un ancien : Voilà un autel de pierre
sur lequel le prêtre immole au Dieu vivant le corps adora-
ble de son Fils; voilà un autel de chair, une femme mon-
dainement ajustée, qui a le sein découvert, le visage fardé,
mit lequel les hommes immolent leurs propres àmes au dé-
, par des regards impudiques et mortels; les ornements
de cet autel de chair disputent avec les parements de
Pautel de pierre: Satan veut avoir de for et de la soie.
Vous êtes cause que Lucifer brave le Dieu tout-puissant,
qu'il lui dit en se glorifiant : On vous immole sur cet autel
de pierre ce que votre Fils a le moins estimé , on me sacri-
fia sur cet autel de chair ce qu'il a le plus chéri; il a plus
chéri son corps mystique que son corps naturel, les enfants
de son Eglise que ses propres membres , les àmes chré-
tiennes que son sang et sa vie ; il a livré à la mort son corps
naturel pour son corps mystique, il a répandu son sang pour
les àmes chrétiennes; vous avez pour victime son corps na-
turel sur cet autel de pierre, j'ai pour hostie les enfants de
son Eglise sur cet autel de chair; on vous offre son sang, on
me sacrifie les àmes.
\ ous faites comme Dioclétien, et encore pis. II avait fait
dresser des autels et des idoles dans tous les carrefours,
dans les places publiques, dans tous les marchés de la ville,
Ct il était défendu à toute personne de vendre ou acheter
quoi que ce fut, sans avoir premièrement adoré Pidole. La
48 SERMON CCLXXV, DE ^ORGUEIL ,
tentation <5ïaît grande; mais les chrétiens pouvaient l'éviter,
quoiqu'avec incommodité ; ils pouvaient se tenir dans leurs
maisons , acheter de leurs voisins un peu plus cher qu'au
marché, ce qui leur était nécessaire ; mais les chrétiens de
ce temps sont de pire condition, les idoles de chair se ren-
contrent partout, dans les rues, les carrefours, les places
publiques, dans les maisons particulières, et même , ce qui
est horrible, in loco sancto , dans Téglise d'où les fidèles
ne se peuvent absenter ; ils trouvent le poison là où ils
étaient venus tout exprès pour chercher le remède. Dieu s^en
plaint: Posueruni offendicula sua in domo, in qua in-
vocaium est nomen meuniat polluèrent eam. (Jerem.
7. 30.) Ils ont mis des pierres d\ichoppement dans la mai-
son où mon saint nom est invoqué.
F. — (4° Inficit actiones sanctissimas.) Enfin celle
maudite peste infecte les actions les plus vertueuses et les
plus méritoires : Alla quœcumque iniquitas malis ope-
ribus exeveetur ut fiant , superbia vero bonis operibus
insidiatur ut pereant. (S. Aug. epist. 109. ad monach.)
Les autres vices s1exercent à faire le mal , l'orgueil ne fait
pas seulement le mal , mais aussi il ruine le bien , il dresse
des embûches aux bonnes œuvres pour les anéantir , il est
appelé fort proprement par S. Bernard JErugo virtutum,
origo vitiorum. Jésus dit en TEvangile ; Thesau-
rizare vobis , tliesauros in cœla ubi nec œrugo démoli-
iur , nec linea corrumpit , nec fures effbdiunt.
Hélas ! pardonnez-moi , mon Seigneur , dit S. Chry-
sostôme , (Hom. 72. in Matth.) il y a une maudite rouille
qui gâte les richesses célestes : Superbia œrugo virtutum;
une maudite teigne qui les ronge et les anéantit, un détes-
table voleur qui les dérobe et les emporte , le péché de
superbe qui fait perdre tout le mérite de mes bonnes ac-
tions. Quelles richesses plus précieuses que les œuvres de
charité, la pratique de la patience , la fréquentation des sa-
crements y et toutefois si vous faites l'aumône pour être
estime charitable, si vous endurez un affront pour être
estime' patient, si vous fréquentez les sacrements pour plaire
QUI i:i i NE ; .1 \i i;i. RPIR1 1 ! : i LE. M)
onfesseur, ou pour être estimé dévote , ou si vous
pratiquez ces vertus ou autres semblables à bonne intention,
mais avec arrogance , en vous en attribuant le mérite , en
vous complaisant en vous-même : ce sont dos richesses spi-
rituelles, mais la rouille de la vanité les gâte, c'est comme
celte piaule qui s'appelle morsus diaboli. On dit qu'elle
croit principalement en Angleterre, mais j'en ai vu autrefois
en France ; on rappelle ainsi parce que vous diriez qu'un
démon a mordu la racine, tant elle en est gâtée et comme à
demi coupée; aussi elle ne produit ni fruit ni semence, elle
pousse seulement quelques Heurs qui se changent en papil-
lons et s'envolent. Si L'esprit de vanité ronge la racine de
vos œuvres, qui est L'intention, elles ne portent aucun fruit
de vérité , ni aucune semence de vertus chrétiennes , elles
ne produisent que les papillons de quelque louange mon-
daine , un peu de gloire frivole et passagère , et voilà tout.
TERT1UM PUNCTUM, — Remédia.
G. — {Motiva ad [uyiendas, etc.) Disons donc avec
David : Non reniât tni/n pes swperbiœ : Mon Dieu , ne
permettez pas que la superbe prenne pied en mon àme. Ce
misérable vice était représenté par ce cheval pâle qui portait en
croupe la mort et avait à sa suite l'enfer, qui fut montré à
S. Jean. (Apoc. 6. 8.) Les quatre pieds de ce monstre sont
la présomption , l'ambition, le luxe, la vaine gloire; ne
permettons pas qu'il pose un seul de ses pieds en notre cœur.
Aon reniât mihi pes superhiœ. Evitons la présomption
quia perdu Tertullien, Origènc, Pelage, et tant d'autres.
Si vous présumez de vous pour un peu d'esprit, de science,
de beauté, de forces, de richesses et de crédit, que Dieu
vous a donnés; si vous parlez arrogamment à votre mère,
à votre femme , à qui que ce soit ; Dieu se plaît à abaisser
les orgueilleux , il vous humiliera, et si une fois il vous
humilie, hélas ! que vous serez atterré ! si une fois il vous
s ! que vous serez bas ! Si vous vous enllez et
présumez de vous à la vue de vos vertus, si vous pensez avoir
quelque part à la gloire de vos bonnes œuvres , si vous me-
50 SERMON CCLXXV. — DE L'ORGUEIL ,
prisez les autres qui vous semblent si vertueux , Dieu re-
tirera ses grâces de dessus vous ; il vous laissera tomber en
quelque péché manifeste pour guérir la maladie de votre
présomption secrète. Il n'y a rien en vous de votre cru que
le péché , Tignorance , le néant ; tout le bien qui est en vous
vient de Dieu , non de vous : Çuid hahes quod non ac-
cepisti? si autem accepisti, quid gloriaris? Vous avez la
grâce de Dieu : Accepisti. Vous y avez consenti , ce con-
sentement est un grand bien : Accepisti. Vous en avez fait
bon usage, vous y avez persévéré : Accepisti. Quis te
discernit, Deus, qui conspicis omninos virtute desti-
tui : Deus eu jus est totum quod est optimum. Mon
Dieu , vous connaissez que nous n'avons aucune vertu de
nous-mêmes , ce qui est très bon est tout de vous. Le plus
saint prêtre qui est en l'Eglise, dit tous les ans, pour le
moins , une fois ces paroles; et il ne ment pas en le disant.
Non ?nihi veniat pes superhiœ. Evitez l'ambition et
le désir de vous élever ; Dieu ne sait-il pas bien ce qui vous
est nécessaire ? Pourquoi souhaiterez-vous d'être plus que
ce qu'il vous a fait , et pour un peu d'élément vous exposer
aux traits de sa colère, à l'envie de mille personnes, à mille
revers de fortune , à mille gênes , craintes , défiances , ja-
lousies, souplesses qu'il faut subir pour parvenir ? O ambi-
tio ambientium crux, quomodo omnes torquens omnibus
places! dit S. Bernard. Ne désirez jamais de commander à
personne : Uu jugement très sévère sera fait à ceux qui com-
mandent ; si votre charge vous oblige de commander , pen-
dant que vous commandez à l'extérieur , soyez prosterné en
votre intérieur aux pieds de ceux auxquels vous commandez ;
pendant que votre corps est au premier lieu , soyez au plus
bas de cœur et d'affection, dit S. Augustin. (Epist. 109.)
C'est aux grands aussi bien qu'aux petits que Jésus a dit :
Tiecumhe in novisslmo loco.
Sur quoi S. Bernard dit : « Noli , homo , comparait
« majoribus, noli minoribus; noli aliquibus, noli uni ; uncle
« nonmediocrem, non penultimum, non ipsum saltem in-*
« ter novissimos eïigere locum , nos Dominus yoluit ^ sed
QUI EST UNE LUXURE SPIRITUELLE. 51
i ut soins omnium novissimus sedeas teque nemini non
« dico prceponas, sed ne comparera présumas : » (S. Bern.
serin. 37. in cant.) Gardez-vous de vous comparer aux plus
grands que vous , ni aux moindres , ni à quelques-uns , ni
même à un seul ; le Fils de Dieu ne nous a pas permis dans
ingi le de choisir un lieu médiocre, ni un même rang
entre les derniers , mais de nous asseoir seuls les derniers
de tous, et non-seulement de ne jamais nous préférer aux
autres , mais pas même de nous comparer à qui que ce soit,
Non mihi reniât pea superbto. Evitez le luxe et la
vanité des habits, c'est une des pompes du diable à laquelle
vous avez renoncé au baptême , dit S. Chrysostôme; c'est
un étendard de luxure, un nid de lubricité, disait César;
c'est la ruine des familles, et pour le spirituel et pour le
temporel. Vous voulez être beau , bien couvert , avoir des
tapisseries , des meubles précieux, des tables bien garnies;
eulent faire de même, ils auraient honte dV
er leur état, de diminuer leur train; ils n'ont chacun
que la quatrième partie de votre bien, puisqu'ils sont quatre;
four faire comme vous, il faut qu'ils se ruinent , ou qu'ils
dérobent.
Evitez la vainc gloire dans vos actions ; faire des aumô-
nes , et autres bonnes œuvres , pour être vu et être estimt
des hommes, c'est exposer un grand trésor à la vue et au
pillage des voleurs , dit S. Grégoire ; c'est porter sa croix
et ne pas suivre Jésus-Christ ; c'est faire plus que les au-
tres et n'être pas récompensé comme les autres , mais être
châtié plus que les autres ; c'est aller en enfer par le chemin
du paradis, dit S. Bernard, (in Apolog. cap. 1 .)
Pour vous faire avoir en horreur toutes ces folies : Va-
nitates et insanias falsas , considérez ce que les saints
ont dit, ce que la sainte Vierge a fait , ce que le Saint des
Saints a dit et a fait en ce sujet. Sainte Gertrudc pensait
qu'un des plus grands miracles que Dieu fit en ce monde ,
t que la terre la portât, en étant si indigne ; elle ne
connut jamais personne qui méritât moins les grâces de
Dieu qu'elle; toutes celles qu'elle avait reçues n'étaient
52 SERMON (JCLXXV.— DK L'ORGUEIL, etc.
pas pour elle , mais pour le bien de son prochain , et elle
les employait avec sentiment d'obligation et de justice ,
comme chose qui notait pas à elle. ( Lib. 1 . vilse ejus ,
cap. 12.)
S. Paul, pour exprimer sa profonde misère et sa bas-
sesse, fait un effort à la langue grecque ; il donne un super-
latif à un autre Superlatif: ê(ioi r<Z> slx^otorépco *xvr<uv Ayiav,
(Ephes. 3.8.) c'est comme qui dirait en latin minimiori ,
plus que très petit, le plus petit entre les très petits chrétiens.
La sainte Vierge, comme a remarqué S. Bernard après
S. Luc , se plaçait toujours la dernière dans l'assemblée des
fidèles , au-dessous des disciples , au-dessous des veuves ,
elle qui était vierge ; au-dessous des pénitentes, elle qui élait
innocente; au-dessous de tous, elle qui était la mère de Dieu ;
et son Fils s'étant abaissé jusqu'à se prosterner aux pieds
de ses apôtres, et même aux pieds de Judas, qui tramait le
dessein de sa mort ; et ce qui est au-delà de toute admira-
tion , il le fait par le sentiment de sa bassesse, et il veut que
nous croyions qu'il est moindre que ses apôtres. Je ne sais
comment cela s'entend , mais tant il y a qu'il le dit et le
prouve par un argument qui est en très bonne forme : Quis
major est, qui recumhit, an quiminisirat ? nonne qui
recumhit? Celui qui est servi n'est-il pas plus grand que
celui qui sert ? or, je suis ici au milieu de vous, comme
unvalet qui vous sert. Concluez, la conclusion est aisée à faire.
Vous avez coutume de dire : Je m'humilierais volontiers,
mais je suis une personne publique, je ferais tort à ma charge,
je trahirais ma dignité ; Jésus n'était— il pas une personne
publique ? n'avait-il pas des charges et des qualités, pour
le moins aussi ém inentes que les vôtres ? Il dit : (Luc. 22.
26.) Qui major est in nohis, fiât sicut minor : Celui
qui est le plus grand en noblesse , en richesses , en sciences
et autres qualités, qu'il soit le plus petit. Il dit : (Matth.
20. 26.) Quicumque voluerit major fieri, sit minister
rester; parce qu'assurément 7 assurément plus nous serons
abaissés et humiliés sur la terre, plus nous serons clives
çl glorifiés dans le ciel. Amen*
SERMON CCLXXVI.
DE L\\VARICE,
fades.
! us d'autrui ta no prendras, ni retiendra!? à Ion escient.
(Exod.20. 15.)
Il e<l vrai que le septième commandement ne défend en
apparence, directement et en première intention , que le
larcin ; niais en effet et par une conséquence bien tirée ,
nous devons dire qu'il condamne aussi l'avarice comme une
isition et une occasion qui nous achemine au larcin.
\ ous faire avoir en horreur un vice si pernicieux , j'ai
is montrer aujourd'hui les torts qu'il fait à notre Dieu,,
: e prochain , à vos enfants et à vous-mêmes ; ce seront
les quatre points de ce discours.
IDEA SERMONIS.
rdium. A. Dœmon caput reprohorum , innumera
mala per eos perpétrât, etprœcipue per aurum,
Primum punctum. B. Avants offendit Deum, ut Creato-
rem mundi. — C. Ut Gubematorem. — D. Ut
fi ne m ultimum.
Secundum punctum. E. Offendit proximum ; quodpro-
batur rationibus ex parte Christi, ex parte proximi^
ex parie avari.
uni punctum. Nocet filiis suis : F. 1° Scriptura. —
G. T Rationibus, — H. 3° Exemph A chah.
punctum. Nocet sibi : I. 1" Scriptura. —
L. 2? Comparât ione,
Conclusio. M. Per paraphrasim illorum verhorum :
Melius est modicum justo. — N. Et per argumenta
conglobata ex quatuor punctis.
bU SERMON CCLXXVI.
EXORDIUM.
A. — (Dœmon, etc.) Comme les choses contraires peu-
vent servir de flambeau pour mieux connaître leurs contrai-
res, S. Thomas (3. p. q. 8.) expliquant ces paroles de la
première épitre aux Corinthiens, chapitres six et douze, où
l'apôtre dit : Vos estis corpus Christi, et memhra de
memhroy demande en l'article sept si l'on peut dire que
Satan est le chef des réprouvés , comme Jésus , Homme-
Dieu selon l'Ecriture , est le chef des âmes choisies ? Il ré-
pond affirmativement et le prouve par le chapitre quarante-
un de Job, où Satan est appelé le roi de tous les orgueilleux ;
et nous savons que les péchés qui se commettent ont toujours
quelque mélange d'orgueil, et pour l'intelligence de sa
conclusion , le saint Docteur suppose que c'est le propre du
chef d'avoir empire , direction et influence sur ses membres ;
influence , dis— je , et direction , ou intérieurement leur
donnant le mouvement et le sentiment , ou extérieurement
conduisant leurs actions et les adressant à quelque fin. Ainsi
Jésus est le chef des âmes choisies , il leur influe intérieu-
rement la vie spirituelle , les lumières, les grâces , les in-
spirations qui en sont les suites et les apanages ; ainsi le roi
est le chef de ses sujets , parce qu'il conduit par ses édits
leurs actions extérieures et il les rapporte toutes à une môme
fin , qui est le bien de l'état et de la société humaine. Satan
donc est le chef des réprouvés, parce que bien qu'il ne puisse
s'insinuer au fond de l'âme , ni atteindre immédiatement à
la pointe de l'esprit, ni au secret de la volonté, il peut émou-
voir l'imagination , chatouiller la concupiscence , échauffer
l'irascible, dérégler les sens intérieurs , et il tâche d'adres-
ser toutes les actions des réprouvés à une même fin, qui est
l'offense de Dieu et la damnation éternelle. Or , comme
Jésus se sert de ses membres, c'est-à-dire des prédestinés
pour faire en son nom et de sa part tout le bien qu'il voudrait
faire en ce monde , s'il y était visiblement comme il y était
autrefois , pour bénir et glorifier Dieu , accorder les diffé-
rends , visiter les malades, instruire les pauvres , redresser
évoyés; ainsi, dit S. Augustin , (sermon sr>. De ton.
. Satan se sert de ses membres, c'est-à-dire dos âmes
réprouvées , [tour faire par leur entremise mille maux qu'il
ne pourrait pas faire par lui-même contre Dieu et contre
les hommes : il n'a point d'instrument plus propre à l'exé-
cution de ses entreprises, personne qui serve mieux à l'ac-
eomplissemenl desesdesseinsquel'avaricieux. Vous avouerez
Sans contredit cette vérité; si vous considérez avec moi le
tort que l'avare fait 1° à son Dieu ; 2° à son prochain ; 3J
à ses enfants ; 4° à lui-même.
PRIMUM PUNCTUM. — Avavus o (fendit Deum.
B. — (Ut Creniorem, etc.) S. Paul écrivant aux Ro-
mains (11. 36.) dit que pour rendre nos devoirs à Dieu ,
il faut l'honorer comme créateur, comme gouverneur et
comme dernière fin de toute chose : Ex ipso, et per ip-
mtm, et in ipso, (en grec, sivaûrdu,) in ipsum sunt om—
ipsi gloria in sœcula, L'avarieieux offense Dieu en
i
/ m (//fi conjungitis domum ad domum, et agitai}
ogrocopukUisj n unquidhabitabitis soliin medio terrœ?
Si tous étaient comme vous, et si Ton voyait L'inclination
cl la disposition de votre cœur, on dirait que, selon votre
sentiment, Dieu n'a pas bien fait de créer tant de personnes
sur la terre ; il devait donner à chacun pour sa possession
un monde entier, et encore plus ; car votre cupidité est in-
satiable, elie fend à l'infini , elle ne met point de bornes à
ses désirs , elle convoite , si Ton y regarde bien , toutes les
possessions et toutes les richesses de la terre, et au-delà :
Unus Peleo jnveni non si/fficit orhis ; ainsi vous et vos
semblables taxez tacite ment le Créateur d'avoir fait ce monde
trop court, trop étroit, trop petit, pour 6<re possédé de tan'
de gens.
C. — ( Ut githerna toron. ) Qui dot este , dût co??sc-
fj?tenti</ ad esse; ce monde <ist L'ouvrage de Dieu , c'est
lui qui l'a créé, c'est à lui de le conserver , de le régir et de
K gouverner, il le l'ait très sagement et très heureusement.
56 SERMON CCLXXVI.
quand oh le laisse faire. Voyez les fleurs des champs, il n'y
a rien de si beau, de si propre et de si bien ajusté , et elles
ne filent et ne cardent point, dit Jésus; voyez les petits
oiseaux , ils n'ont point de soucis , et rien ne leur manque ,
c'est que ces créatures sont exposées et abandonnées à la
providence de Dieu qui les conduit et les pourvoit de tout.
Vous avez beaucoup de soucis et de peines , fort peu de
profit et de contentement ; c'est que vous vous conduisez
vous-même, ce n'est pas Dieu qui vous gouverne, c'est
votre passion ; ce que je veux vous montrer par cette sup-
position. Vous êtes marié, mais vous avez encore votre père,
ou votre beau-père en votre maison? Je demande à votre
serviteur : Qui est-ce qui est maître chez vous ? qui est-
ce qui gouverne la maison ? il me répond : C'est notre
vieux monsieur. C'est votre vieux monsieur? lui commu-
nique-1- on les affaires? votre jeune monsieur lui a-t-il
demandé avis avant que d'acheter son office , avant que de
prendre à ferme ce bien , avant que de prêter cet argent à
intérêt? Non certes, on ne lui a rien dit , il ne se mêle de
rien ; avant que d'entreprendre une affaire , on ne s'informe
point s'il en sera content ; qu'il le veuille ou non , on ne laisse
pas de passer outre. Je lui dirais : Et puis vous dites qu'il
est maître ! qu'il gouverne la maison ! il la gouverne aussi
peu que moi. Voyez combien il vous est sensmle quand votre
gendre, votre fils et sa femme ne veulent pas que vous vous
mêliez de leurs affaires, quand ils font tout sans vous en rien
dire, vous laissant là comme un zéro en chiffre , comme une
morte-paie, comme un animal de relais ! C'est ce que vous
faites au bon Dieu : vous ne le consultez point dans vos
desseins, avant de les entreprendre; vous mariez vos enfants
sans lui en demander avis, lumière, conduite ; et qui pis est,
vous faites mille choses contre son avis et sa volonté : vous
refusez la justice aux pauvres gens, vous tirez en longueur
les procès, vous conseillez les supercheries de chicane à vos
parties, vous faites des monopoles, des collusions fraudu-
leuses , vous ne payez pas vos dettes , comme il vous le
commande. Voudriez-vous qu'on vous fît ainsi dans la fa-
ni- r/A VARICE, 57
, dans la communauté, dans la république que vous
cernez? qu'on lit tout sans prendre avis do vous, sans
voire aveu, sans votre consentement, el contre vos ordres?
Quand Pieu ne gouvernerai I pas ce monde , quand il n'au-
rait point de vue ni de providence sur vos affaires, quand
fous ne seriez pas chrétien, feriez— vous autrement que vous
J'aito> , sericz-vous plus avide des biens, plus ardent à les
acquérir? auriez-vous plus de soucis à les conserver, plus
de crainte de les perdre que vous n'en avez ? vous y avez
autant d'attache , de cupidité , de sollicitude , que si votre
conservation et l'entretien de votre famille ne dépendaient
que de vous ; où est la soumission et la confiance que vous
devez avoir en la conduite de Dieu ? comme si vous disiez
avec ces impies : Super cardinea cœli ambitlat , et noslra
non considérai ; n'est-ce pas désobliger celui dont S. Paul
a dit : Ex ipso o})i)iiaf per ipsum omnia? n'est-ce pas
l'offenser e i qualité de Gouverneur du monde ?
I). — Ut finem ultimun.) Vous l'offensez aussi en
qualité de dernière fin : In ipsum omnia; cette circon-
c peut aggraver notablement le péché d'avarice , selon
S. Thomas , [2. 2. q. 55. art. 6.) lorsque vous établissez
dernière fin dans les biens temporels. Apprenez de la
morale qu'il y a trois grandes différences entre les moyens
el la tin. Premièrement, les moyens sont pour ta fin, non
la fin pour les moyens. En second lieu , on jouit de la fin ,
on s'y repose , on s'y plaît , ou s'y agrée , on y pense avec
plaisir et contentement ; on ne jouit pas des moyens, on s'en
sert , on ne s'y arrête pas, on ne s'y délecte pas , on n'y
pense qu'avec aversion et avec peine. En troisième lieu , on
aime la fin infiniment , on en désire tant qu'il est possible ,
lant qu'on peut en avoir, et sans mesure ; on ne veut des
ns qu'autant qu'il est nécessaire pour obtenir la lin ;
par exemple , la fin d'un malade , en tant que malade, c'est
té : les moyens sont les médecines. Premièrement, o\\
Idceine pour avoir la santé , on n'est pas en
sire pas pour prendre une médecine.
i lieu , on v plall (brl cri ia santé, te malade y
58 SERMON CCLXXVI.
aspire , il y pense souvent avec délectation , il ne prenct
pas médecine et n'y pense qu'avec répugnance et horreur ,
s'il n'a pas le goût dépravé. En troisième lieu , il désire de
la santé autant qu'on en peut avoir , il ne prend médecine
qu'autant qu'il est nécessaire pour recouvrer la santé, pas
davantage, s'il n'a l'esprit antiposé et renversé ; dites-en de
même de l'étude et de la science , de la bataille et de la vic-
toire. La fin de l'homme en ce monde , c'est de connaître
Dieu, de l'aimer, de le servir et de lui obéir ; l'or, l'argent,
le bétail, les maisons , héritages et autres biens temporels,
sont des moyens qui nous sont donnés pour tendre à cette
fin ; c'est ainsi que vous les nommez ; pour dire un homme
riche, vous dites : C'est un homme de grands moyens. Voyez
donc que très probablement vous faites un monde renversé ;
vous faites des moyens la fin. Premièrement , quand vous
travaillez justement et fidèlement pour gagner votre vie et
celle de vos enfants , pour entretenir votre famille en sa
condition honnête et honorable , pour obéir à Dieu qui l'a
ainsi commandé , c'est une bonne fin , votre vie est bien
ordonnée; mais les grandes richesses que vous amassez avec
tant de tracas , les héritages que vous constituez avec tant
de soucis , et les procès que vous poursuivez avec tant d'in-
quiétudes , vous servent-ils, ou à vos enfants, pour mieux
connaître, aimer, honorer Dieu? Point du tout, au contraire,
ils vous en empêchent beaucoup , ils vous distraient du
service de Dieu , des prédications , de la fréquentation des
sacrements, de la visite des pauvres, et autres exercices de
dévotion ; si vous servez Dieu , c^est afin qu'il conserve vos
biens , qu'il bénisse votre travail, qu'il féconde vos terres 5
ainsi vos biens temporels ne sont pas rapportés au service de
Dieu , mais le service de Dieu aux biens temporels ; n'est-
ce pas faire des moyens la fin ? Volunt frui mundo, iiti
Deo, ditS. Augustin. En second lieu, vous ne pensez guère
à l'amour de Dieu , ni à son service , vous ne vous y plai-
sez pas, vous n'y avez pas de goût, vous y êtes sur les épi-
nes ; tout votre plaisir, votre contentement, votre entretien,
votre occupation est de penser et de parler des biens de la
terre. En troisième lieu, du service de Dieu, vous n'en
désires que par mesure , el le moins que vous pouvez ; une
petite messe le dimanche matin, el la plus courte qu'il se
peut , nue communion à Noël et à Pâques , mais de* biens
temporels, vous en désirez, vous vous en procure! sans fin
et sans mesure , vous n'y mettez point de bornes , vous en
insatiables.
CDNDUM PUNCTUM. — Ofjcndit pro.vimum , etc.
. — (Quod probatur^ etc.) Vous n'offensez pas seu-
lement le Fils de Pieu en sa personne , mais encore en ses
membres , dont il a dit : Ce que vous avez fait au moindre
des miens , vous me Pavez fait. Soyez chrétiens, au moins
une pauvre fois en votre vie; vous iPetcs pas chrétiens, vous
comme les Turcs et les autres infidèles ; vous serez
damné comme eux , si vous ne tenez pour tout assuré que
tottl ee que vous faites à votre prochain , quel qu'il soit ,
:i Jé>us; et voudriez- vous faire à Jésus , ce
!te veute, la faisant languir et se ruiner
en procès ? ce que vous faites à ce villageois, dont vous rc-
le bien ? A ous n'appréhendez pas; mais Dieu vous fera
connaître et appréhender en son jugement les torts que
lui faites. Que de pas a — t — il faits, que de nuits a-t-il
veillées, que de froid et de chaud a-t-il endurés , que de
jeûnes , de sueurs, de soucis, de travaux a-t-il embrassés
pour acquérir un peu de bien ! et vous le lui ravissez par un
îrait de plume, par une fausseté, par une sentence injuste ,
par une ruse de chicane , par une oppression tyrannique.
Que d'ennuis ne lui causez-vous pas par cette vexation, que
de tristesse, de fâcheries, de mauvaises nuits, amertumes!
quand il vous voit, quand il voit quelqu'un des vôtres, quand
M devant votre maison, quand il pense à vous, quand
sourient du tort que vous lui faites, quand il en ressent
modité, que de dépits, d'envies, de haines ,
d'animosités , de désirs de vengeance! que de rages , de
if-il contre vous ! que de malédictions, d'im-
précations, d'exécrations ne vous donne-t-il pas ! que de
CO SERMON ccLxxvr.
péchés il commet, combien il en fait commettre à ses enfants
et à ses gens, auxquels il inspire cet esprit de vengeance, à
vos amis ou à vos voisins, qui ne veulent pas, et qui se
laissent excommunier quand on publie des monitoires, pour
avoir des preuves de vos rapines ! ils font très mal , mais
vous en êtes cause. Où est l'amour de Dieu et sa crainte ?
où est l'esprit de piété , de charité , de miséricorde que les
chrétiens doivent avoir? Induite vos, sicut electi Dei vis-
cera misericordiœ ; si vous êtes prédestiné , vous devez
avoir des entrailles de pitié, des tendresses de compassion
envers les pauvres paysans qui sont l'objet et le but de toutes
les disgrâces. Ils n'ont point ou peu de secours spirituels ,
peu de prédications, fort peu d'assistance à la mort; je ne
sais quels confesseurs ils ont. La noblesse les tyrannise,
les partisans les surchargent, les gendarmes les rançonnent,
ceux des viiles les trompent , les procès les ruinent , les
sergents les dépouillent, les bohémiens les volent; s'il y a
des tailles c'est pour les pauvres gens ; s'il y a des subsis-
tances, des quartiers d'hiver, des soldats, des commissions
de décimes, c'est pour les pauvres gens. Tant de misères,
tant de larmes, tant de plaintes de ces pauvres villageois ,
veuves et orphelins, ne vous émeuvent-elles point pour vous
empêcher de retenir leur bien et d'affliger les affligés; vous
êtes sourd à leurs voix plaintives , mai Dieu ne Test pas.
Ecoutez ce qu'il vous dit : ( Exod. 22. 21 . ) « Advenam
« non contristabis , neque affliges eum. Viduse et pupillo
« non nocebitis , si Iseseritis eos , vociferabuntur ad me,
« et ego audiam clamorem eorum. Et indignabitur furor
« meus, et erunt uxores vestrœ viduse, et filii vestri pupilli : »
Gardez-vous d'attrister ou d'affliger l'étranger, et de nuire à
la veuve ou à l'orphelin ; si vous le faites, ils crieront à moi ;
j'entendrai leurs cris, et je me mettrai en colère contre vous,
vos femmes deviendront veuves, et vos enfants orphelins.
TERT1U31 PUNCTUM. Nocet filUs Suis.
E, — (1° Scriptura.) Et quand il ne leur arriverait point
t|o ma! par autre voie, votre avarioe ne leur en fait que trop.
DE L\\ VARICE. (\\
Par votre avarice on peu( entendre, de vous ol de vos sem-
blables, celte plainte du Prophète : Emolaverunt filioâ
i etfilias suas dœmoniis: lis ont sacrifié leurs fils et
leurs filles aux dénions.
(i. — 2° Rationibus, ) Premièrement, pour faire une
grande maison vous donnez presque tout à raine; vous lui
donnez de quoi vivre dans le luxe , dans l'oisiveté, dans les
débauches, les dissolutions el la gloire du monde; il se fiera
en so grands biens; il nagera dans vos sueurs; il mènera
une vie toute détrempée de déliées; n'ayant pas éprouvé
tout ce que lc> biens roulent à acquérir , il les dissipera
follement et se damnera pour jamais. Secondement, ses
fines murmurent contre vous ; 'ils lui porteront envie, ils
auront aversion de lui, lui feront des querelles; ils lui inten-
teront des procès , ils se ruineront les uns et les autres par
permission de Dieu. Troisièmement , votre fille étant ainsi
mal appointée, pour suppléer à ce manquement , vous lui
cherche! un parti qui ait beaucoup de bien ; vous ne vous
inquiétez pas s'il a beaucoup de vices , si c'est un blasphé-
mateur , un renieur de Dieu , un impie , un querelleur
OU pilier de brelan et de cabaret, un cheval qui fera damner
sa femme, qui négligera ses enfants, qui sera l'opprobre de
famille: peu vous importe, pourvu qu'il ait des
moyens. Quatrièmement, par cette même avarice vous jetez
foire cadet en la maison de Dieu, ou par la porte ou par la
fenêtre ; yous le faites homme d'Eglise , vous obtenez une
cure , qu'il le veuille ou non; qu'il ait la vocation , le don
ntinence, l'esprit, le jugement, la science, la vertu
ssaire ou non, qu'il s'y sauve ou non,- vous ne vous en
inquiétez pas; el il faut que Jésus, bon gré mal gré, reçoive
,aih M couri Pour officier de sa couronne, pour ministre
'! H;,t , pour intendant de sa justice, pour trésorier de
son épargne, pour dispensateur de ses grâces, pour économe
' imillc, pour conducteur de ses enfants, pour gardien
use, pour embassadeur ver, Dieu son Père, pour
son corps, pour instrument de son Esprit
l,n Jcune ,*'-m) Ht lo«rde«u, ignorant, imprudent,'
02 SERMON CCLXXVI.
intempérant , vicieux, parce que vous vouiez en décharger
votre maison pour laisser plus de biens aux autres. Quel
effroyable aveuglement ! quelle horrible tyrannie et oppres-
sion de la sainte Eglise !
En cinquième lieu, ces injures, ces oppressions que vous
faites à l'Eglise , aux veuves , aux pauvres gens ,pour enrichir
vos enfants, attirent sur votre famille la malédiction dcDieu.
Ecoutez l'Ecriture , et vous tremblerez si vous avez la foi.
H. — (3° Exemple* Achab. ) Au troisième livre des
Rois , ( 21 . 2. ) Achab désire avoir la vigne de Naboth ,
parce qu'elle était à sa bienséance ; mais il n'osa l'envahir
par force , tout roi qu'il était. Sa femme plus effrénée et
plus audacieuse que lui, écrit des lettres en Jezrael où était
le bon homme. Elle mande aux principaux de la ville qu'ils
suscitent quelque mauvaise affaire contre cet innocent ,
qu'ils subornent de faux témoins , et qu'ils le condamnent
à perdre son héritage. Il est dit, et il est fait; que ne fait-on
pas pour une reine ? Le prophète Elie s'adresse au roi , et
lui dit de la part de Dieu : Est-ce ainsi que vous abusez du
sceptre que je vous ai mis en main ? est-ce pour opprimer
les faibles , que je vous ai fait roi ? pensez-vous être
souverain et n'être jugé de personne ? vous avez envahi la
vigne du bon homme contre sa volonté ; elle vous coûtera
plus cher qu'un marché ; je ruinerai votre maison de fond
en comble , je n'y laisserai pas même en vie jusqu'à un
petit chien : Interfiçiam de domo Achab in ingénient
ad parietem; et l'Ecriture ajoute : Igitur non fuit alier
talins'icut Achah, quivenundatusest , ut faceretmalum.
Les autres rois ses prédécesseurs avaient commis divers
péchés très grands, et en grand nombre; mais de lui seul
il est dit après cette injustice : Igitur; notez igitur , il n'a
point eu son semblable en malice , et il s'est vendu par ce
péché, c'est-à-dire qu'il s'est livré pour jamais à la puis-
sance de Satan et à la vengeance du ciel , tant l'oppression
des pauvres déplaît à Dieu; et pour montrer que les menaces
de Dieu ne sont pas des paroles en l'air , et qu'il fait
toujours ce qu'il dit , ce roi infortuné fut bientôt assassiné ,
i. ayaui.
[ qu'on no peso pas assez, après la
(TAchal), Dieu fait sacrer Jéhu pour être roi de son
, 9. 6. ) tout exprès afin qu'il extermine
ce roi injuste : l nxi te regem .super populum
Tsrai /. et perçu lies domum Achah dominifui%
lui dit le Prophète en le consacrant ; et pour exécuter ce
commandement de Dieu, comme on avait écrit des lettres
unie en Jezrael, pour opprimer le bonhomme , par
une peine de réciprocité Jéhu écrit des lettres de Jezrael en
Sam a rie, et mande aux habitants, sitôt la présente reçue ,
de lui apporter les tries des septante enfants d'Achab , ce
qui fut exécuté; et le texte remarque expressément que les
lie ces pauvres princes furent apportées in canistris ,
en des paniers où on met des raisins en vendange , pour
reprocher à ce roi que tous les fruits qu'il a recueillis de
cette vigne injustement acquise, ce sont les têtes de ses en-
egeSy intelligite; eradimini, qui j adieu fis
Meurs, ne soyons pas stupides, ne soyons pas
insensible liguillons si vifs; c'est maintenant le même
Dieu ; il a en horreur le péché autant que jamais; l'injustice
justice devant lui; les pauvres lui sont, main-
tenant pi et plus précieux qu'ils n'étaient alors,
e qu'ils sont les membres do son Fils ; s'il ne venge
; les oppressions qu'on leur fait , ce n'est pas qu'il ait
changé de naturel , mais c'est quil attend de les punir plus
rigoureusement en l'autre monde : Non irascitur Domi-
nas in hoc sœculo, utirascaiurin futuro, Venundatas
' faceret malum ; il parle bien proprement.
QUARTUlf PUNCTUM. — Nocet sibl.
'' ~ ' Scriptura.) Le Sage a usé des mômes termes :
pli. 10. 10. ) Nihil est iniquius quam amare pe-
îam ; lie enim et (m Imam suam venaient h ah et ;
r ;ent, et par cette affection vous vende* a
• fous fraudez en vendant ou en achetant, vous
i de 1 1 mauvaise marchandise avec la bonne , vous ne
Cdèlemenl en votre métier; vous vendez voire
64 SERMON CCLXXVI.
ame au diable : les autres pécheurs engagent leur àme, et
vous vendez la vôtre presque sans ressource , sans retour ,
sans la pouvoir racheter. Comment dégage-t-on son
âme, quand on a été si malheureux que de l'engager à Satan?
par la pénitence. Elle est bien difficile aux autres pécheurs ,
mais elle n'est pas impossible; s'ils peuvent obtenir de Dieu,
par de longues et ferventes prières, une vive contrition, s'ils
peuvent avoir la confiance de confesser leurs pèches, quel-
que grands, etquelque énormes qu'ils soient, on peut leur en
donner l'absolution; mais tant que l'avarieieux retient injus-
tement le bien d'autrui qu'il peut rendre , il n'y a point de
prêtre, point d'évèque, point de pape, qui puisse L'absoudre
validement ; toutes les confessions qu'il fait sont des sacri-
lèges, sa pénitence n'est pas vraie ; c'est un masque, une
apparence, une idole , un fantôme de pénitence ; Si res
profiter quam peccatum est reddi potest, et non reddi-
tur, non agilur pœnltentia , sed simulatur. ( S. Àug.
epist. 54. ad Maced. )
L. — ( 2° Comparai ione. ) La maxime d'Hippocrate
dit l rofs- vopôôrtrtiàictt r& yivà^e-nx êMsx êb a&^xrt 9 o faSccés
ùyiâÇetxi. Les ulcères qui viennent aux hydropiques ne se
guérissent pas aisément , parce que pour guérir un ulcère
il faut le dessécher ; et l'humeur aqueuse , dont l'hydropi-
que est abondant , empêche qu'on ne le dessèche, L'avarice
est une hydropisie spirituelle ; dans l'hydropisie , plus on
boit plus on a soif; dans l'avarice, plus on acquiert de biens
plus on en désire : Crescit indulg-ens sibi dirus hy drops;
quo plus sunt potœ, plus sitiuntur equee. Quand l'ava-
ricieux est sujet à quelque vice , il s'en délivre difficilement,
parce qu'à cet effet il est besoin de dessécher la bourse pour
gagner la miséricorde de Dieu par des œuvres de miséri-
corde, pour racheter ses péchés par l'aumône, pour payer
ses dettes, pour restituer le bien d'aulrui, et son humeur
ne le lui permet pas.
C'est donc avec raison que le chantre royal a dit : Me-
lius est modicum justo , super divitias peccatorum
vmltas; ( P&vl, 36. 1 6. ) on estime heureux celui qui est
L^A VARICE. 65
riche eo biens temporels, mais la condition du pauvre esl
meilleure s'il esl riche en biens spiritules, An dires est
qui habet aurum in arca , et dires non est qui Iiabet
n in conscientia ? dit S. Augustin : Vous appelez
riche celui quia de for dans son coffre; îfanpellerez-vous
pas riche celui qui possède Dieu dans son cœur ? Qu'est-ce
qui est plus précieux el [dus à estimer , ou IV et l'argent,
ou celui qui a fait IV el l'argent ?
CONCLUSIO.
M. — ( Per paraphrasim , etc. ) Il n'est rien de
meilleur en ce monde (pie la grâce de Dieu , l'amitié des
Saints , la paix dans votre famille , la concorde avec votre
prochain , la charité envers les pauvres , le repos de votre
ame , le calme de voire conscience , la fréquentation des
ments , l'assiduité à la parole de Dieu et aux offices
divins , les exercices de dévotion , la pratique des bonnes
. et tout cela vous est interdit et enlevé par votre
ami
um justo, un peu de bien acquis justement et
chrétiennement sera plus de durée , vous donnera plus de
lentement, vous fera avoir plus de bénédictions de Dieu,
plus d'honneur des hommes, plus de respect et d'obéissance
i os gens , plus d'affection de vos compatriotes , plus
de plaisirs en f usage de ces biens, que tous les trésors ûu
monde injustement possédés ; super diviiias, divitiœ a
iividendo; ces richesses trop affectionnées vous séparent
de Dieu , vous mettent en divorce avec votre prochain ,
lurent votre cœur de mille soucis,
Peccatorum. Elles sont causes que vous commettez
plusieurs péchés , ou les acquérant avec injustice, ou les
dant avec orgueil, ou les conservant avec inquiétude]
ou l< muant avec trop d'ardeur , ou les dépensant
luxe et dissolution, ou les perdant avec impatience, ou
ommuniquer aux pauvres par défiance de
la providence de Dieu.
A. -— [El pa argumenta , ) l'on tlisail de tous
(jG iJEUMON CCLXXV1.
ce que vous pouvez de Dieu , on vous désobligerait. Si l'on
disait qu'un valet vous ayant servi quinze ou vingt ans, et
employé à voire service sa personne et ses moyens , avec
beaucoup de fidélité et d'affection, et que vous lavez laissé
dans la disette de biens et de secours sur ses vieux jours ,
lui et sa famille , on vous offenserait , parce qu'on donne-
rait sujet de croire que vous êtes un ingrat, un barbare,
un cœur endurci. Pourquoi êtes-vous si réservé à donner
libéralement de vos biens aux pauvres ? C'est que vous
craignez d'en avoir besoin en l'arrière-saison de votre âge,
quand vous ne pourrez plus travailler ; vous pensez donc
que Dieu abandonne ses serviteurs, quand ils sont tombés
en disette, et devenus infirmes et inutiles, n'est-ce pas
offenser sa bonté et sa providence infinie ? Vous voulez être
riche pour avoir de l'honneur et de la gloire, et vous n'avez
rien moins, vous êtes infâme et décrié; partout on dit :
C'est une harpie, un mesquin, qui écoreherait un moucheron
pour en avoir la peau ; tous vous méprisent, se moquent de
vous, vous abhorrent comme un voleur, un avare, un loup-
garou , une peste du monde , et chacun se réjouit de vos
disgrâces, de vos humiliations , de votre mort.
Ou vos enfants seront sages et vertueux, ou non. S'ils le
sont, ils amasseront assez de bien pour s'entretenir ; s'ils ne
le sont pas, ils ne sauraient avoir si peu de bien, qu'ils n'en
aient trop ; les biens leur seront des instruments de débau-
ches, de jeux et d'ivrogneries, et des moyens d'acheter l'hon-
neur des filles; au pis aller, si vous les laissez pauvres plutôt
que d'offenser Dieu , vous attirerez sur eux sa bénédiction,
ils seront plus semblables à Jésus qui a choisi la pauvreté ,
comme meilleure et plus salutaire que les richesses; ils seront
commis et abandonnés à la providence de Dieu mille fois
plus sage et plus souhaitable que la vôtre : Tibi derelictus
estpawper ; plus capable de sa miséricorde : Parcet pau-
peri et inopi ; exiguo conceditur misericordia / en plus
grande considération devant lui : Honorabile nomen eorum
coram illo , en un état que plusieurs Saints très nobles, riches ,
opulents , judicieux, ont choisi comme le plus assuré.
67
I pas nûcux faire ainsi que de leur donner sujet
• damner ? Négliger votre salut, passer votre vie en souri,
tracas, voyages, procès, peines d'esprit, cupidité, être tou-
jours affamé el jamais content , être L'objet de la colère de
Dieu, vengeance du ciel, des murmures de vos gens, de
l'envie des riches, de la haine des pauvres, de la risée de
VOS voisins, du mépris de toute la ville, delà joie des démons.
donc avec le Prophète : Ouid mihi est in cwlo,
!ul super terrain, Doits cordis met et pars
vicu. 'Dt us in œtemum : Qu'y a-t-il au ciel ou sur la terre
quisoit digne d'être comparé à vous, ô mon Dieu? Vous êtes
toute ma richesse, mon trésor, mon partage, mon souverain
bien; soyez le Dieu de mon cœur, l'unique objet de mes
aésirs , de mes affections, de mes ardeurs , de mes plaisirs,
de mes contentements, maintenant et toujours, et dans ton?
- ' siècles. Amen.
SERMON CCLXXVIÎ.
DE L'AVARICE ET DU LARCIN.
Non fitrtum fades.
Bien d'auirui tu ne prendras ni retiendras à ton escient. (Exod. 20, 15.)
Après avoir considéré les grands torts que Tavare fait à
son Dieu , à son prochain , à ses enfants , et à lui-même, il
est à propos d^lre bien convaincu que nous pouvons être
avare en deux manières, ou par une trop grande affection à
nos propres biens , ou en dérobant et retenant le bien de
notre prochain. La première, est une cupidité désordonnée;
la seconde, une injustice criminelle ; toutes deux contraires
à l'Evangile , toutes deux condamnées par la loi de Dieu ,
toutes deux très pernicieuses à notre salut, comme je vous
le ferai voir dans les deux points de mon discours.
IDEA SERMONIS.
Coneio. Agit: 1° Contra avaritiam. 2° Contra furlum,
seu injustitiam.
Primum punctum. 1 . Contra avaritiam pauperum : —
A. \° Scriptura.—B. 2° Patribus.—C. 3° Ratione.
2. Contra avaritiam divitum : — D. 1° Scriptura , —
E. TPatribus,-~F. 3e Exemplis.—G. 4° Ratione.—
H. 5° Comparatione.
Sccmidum punctum. Contra injustitiam cujus malig-
nitas considéra tur in Juda, quiobeamfuit: — I. 1 ° Fur.
— L. 2° Tradiêor.—M. 3° Sacrikgus.—N. 4° Filius
perditionis.
primum punctum — 1 . Contra avaritiam pauperum.
A. — (1° Scriptural) Bienheureux sont les pauvres
d'esprit, car à eux appartient le royaume des cieux. En li-
sant L'Ecriture sainte, on peut aisément remarquer que,
NOM CCI XXVII. — DE ! \\ \ ttl( i . eh'. bU
dans I Evangélistes, Jésus Rappelle les apôtres ses
s enfants que deux fois, pus davantage : Filtoli mei,
I m* fois en S. Mare , (10. 24.) el l'autre en S. .Iran ;
(43. 33.] el les ,icu\ fois sur un mémo sujet. En S. Marc,
ce f';:i après qu'un homme riche qui était attaché à ses biens
eut quitté leur compagnie; en S. Jean, ce fut après que
l'avare Judas , dans la dernière cène, eut quitté le sacre
ge •!<•- apôtres, pour nous faire savoir qu'il n'y a que
les pauvres qui sont les bien-aimés, les favoris, les petits
enfants de Jésus, non les pauvres en général, mais les
pauvres d'esprit, les pauvres évangéliques, les pauvres de
« t d'affection.
1a- Fils de Dieu ayant dit, (Matth. 19-24. - Marc. 40.
25. - Lue. 18. 25.) qu'il est aussi difficile qu'un hommii
entre au royaume des cieux, qu'il est difficile qu'us
chameau passe par le trou d'une aiguille , ses disciples s'é-
tonnèrent et dirent : Qui est-ce donc qui pourra être sauvé?
II semble d'abord une cette repartie des apôtres est indis*
crête, et qu'il y avait sujet de s'étonner de leur étonne-
nu nt , el que Jésus pouvait répliquer : N'y a-t-il pas assez
de pauvres au monde? Le nombre n'en est-il pas plus
I que celui des riches ? Vous demandez qui est-ce qui
pourra se sauver ? Il ne leur répliqua pas cela, il ne trouve
pas leur repartie indiscrète , mais subtile et ingénieuse ; ils
avaient fort bien pénétré le sens et l'intention de leur Maître,
quand il avait dit qu'un riche se sauve lifficilement ; ils ne
l'entendaient pas seulement de ceux qui Fontriehes en effet,
Bais aussi de ceux qui sont riches par désir -t affection, et
le monde est plein de telles gens, et les pauvres sont bien
souvent plus répréhensibles et plus esclaves îe celte passion
que les riches m mes. Quand on loue la pauvreté à la pré-
dication , et qu'on invective contre les richesses , il y a
plusieurs pauvres ; ; se réjouissent, s'enflent et regardent
épris. Jésus ne dit pas simple-
ment : Bienheureux sont les pauvres, mais les pauvres
rit, d'amour, d'affection, qui aiment la pauvreté.
Quand vous seriez aussi pauvres que Lazare, si vous avez
70 SERMON CCLXXVII.
de Paftectïon aux richesses, si vous êtes aussi attacha à vos
haillons , que les riches à leur soie et à leurs meubles pré-
cieux ; si vous vous parjurez pour gagner deux iiards , si
vous dérobez de petites choses , en n'osant ou ne pouvant
dérober davantage :
B. — (2° Patribus.) Cette première béatitude n'est pas
pour vous, vous n'êtes pas au nombre des favoris et des pe-
tits enfants de Jésus ; vous n'êtes pas pauvres devant lui ,
mais plus riches que les riches mêmes : Pawper es neces-
sitate, miscrahili non laadabili voluntate , dit S. Ber-
nard. (Serm. \ . in festo omnium Sanct.)
Vous dites que vous n'avez jamais retenu le bien d'au-
trui , je le crois bien , dit S. Augustin ; c'est possible qu'on
ne vous ait jamais rien prêté , ni donné en garde , ou si Ton
vous a confié quelque chose , c'a toujours été moyennant
une bonne cédule , ou en présence de témoins. Je louerai
votre probité, si vous avez restitué ce qu'un marchand vous
avait trop donné par mécompte , ce qu'on vous avait prêté
seul à seul sans cédule , si vous avez rendu les papiers à des
orphelins , ou aux églises , qui ne vous y pourraient con-
traindre. Vous allez à la maison d'un riche , vous y voyez
plusieurs choses qui seraient à votre bienséance, et vous
n'en touchez pas une seule , et là-dessus vous vous flattez ,
vous vous enflez : Je suis homme de bien , je ne fais tort à
personne , je n'ai rien pris en telle maison ; je le crois bien ;
on avait toujours les yeux sur vous , on s'en serait aperçu ,
on savait bien que personne n'était entré dans cette chambre
que vous ; on eût crié au larron , on vous eût éloigné de la
maison ; ce n'est pas la crainte de Dieu, mais la crainte des
hommes qui vous a retenu.
C. — (3° Ratlone.) Comme pour la pratique de la vertu
Dieu a plus d'égard à la bonne volonté qu'à l'effet; ainsi
dans ce qui est du péché, il regarde plus la disposition du
cœur que les œuvres de la main : Deus pensât corda f non
opéra; plus respicit affèctum, quant censum.
(2. Contra avariliam divihim.)hQs riches aussi, c^est-
à-dire ceux qui possèdent actuellement des biens , se trom--
DE L M r DO LARCIN, 7 I
peut souvent très lourdement en ce sujet ; quelqm a rcclion
et attachement qu'ils aient aux richesses, ils pensent être
rés de leur salut, sous prétexte qu'ils ne voudraient
der les biens de leurs voisins, ni môme les convoiter
pour les avoir inju lement.
D, — (1° Scriptural) Comme si l'Ecriture condamnait
seulement L'injustice et non pas aussi L'avarice : Nihil ini-
quius quam amare pecuniatnf (Eceli. 10. 10.) elle ne
cl 1 1 pas : « Quam (mari. Hoc autem scitote intelligentes,
« quod omnis fornicator, anl avarusnon hahet hscreditatem
« in regno Clirisliet Dci. IV no vos seducat inanibus ver-
« lus , propter liece enim venil ira Dei in (ilios difiidenliœ.
« Nolite errare ; neque fures, neque rapaces , neque avan
i regoura Dei possidebunt. » (Ephes. 5. 5. - 1 . Cor.
0. 1 z que non-seulement les larrons, ceux qui
dérobent ou retiennent le bien d'autrui , mais aussi les ava-
ceuxqui possèdent leur propre bien avec trop d'avi-
dité , n'ont point de part au royaume des cicux : Avarus
lus.
\ ' Patribus.) S. Basile, (Iïomil. de divite avaro.)
et après lui, S. Ambroise (Serm. 8 1 .) disent : Quis, quœso,
'finis? ille qui eo quod salis esse débet non est
contentas. A votre avis, qui est celui que l'Ecriture ap-
pelle avare ? Celui qui ne se contente pas de ce qui est sui-
vant à son entretien. S. Augustin (Serm. 196. de temp.)
dit : I\on solum avarus est qui rapit aliéna , sed qui
te serrât tua : Non-seulement celui qui prend le bien
d'autrui, mais celui qui garde le sien avec cupidité, est
avare. Et ailleurs le môme saint. (Serm. 19. de verbis apos-
toli.) nous fait remarquer que tous les riches qui sontdam-
larés tels en l'Evangile, notaient pas usurpateurs
du bien d'autiui, mais seulement trop passionnes pour leur
' n.
F- — >p!is.) Le mauvais riche n'était point
■ de veuves et d'orphelins 5 il n'op-
primait personne, il ne dilapidait pas le bien public , il ne
particulier; s'il eut été (cl, Jésus ne le tai ■
72 SERMON CCLXXVII.
rail pas : Si vis scirecrimen divitis, noli aïiudquœrere,
quant quod midis a veritate. Il était trop attache à son
bien , il a été enseveli aux enfers. Cet autre riche , dont Jé-
sus fait mention dans S. Luc, chapitre douze, ne pensait
pas à ruiner les veuves et à étendre les bornes de ses hérita-
ges , en impiétant sur ses voisins, il ne pensait qu'à recueillir
les fruits de ses terres : 11 y a apparence de riche moisson,
disait-il ; mes greniers sont trop petits pour y garder tant
de grains ; il faut les abattre, et en faire bâtir de plus grands.
On lui dit : Insensé que vous êtes, vous mourrez cette nuit.
Pensez-vous, mes frères, dit S. Augustin, que Dieu loge
un insensé en son paradis ? et s'il n'est pas reçu dans le
ciel , quelle autre demeure lui reste— t~il que l'enfer ? Ntin-
quid stultis Deus daturus est regnum cœlorum ? Qui-
tus autem non est daturus regnum cœlorum, quid
restât nisi poena geliennarum ?
Et cet autre riche, dont nous parlions au commencement,
était gentilhomme, les richesses donc étaient convenables à
sa condition ; il avait gardé tous les commandements de
Dieu dès son enfance, l'Evangile le dit, c'est beaucoup,
c'est une grande perfection. Un gentilhomme comblé de
richesses à la fleur de son âge , dans les charmes et les at-
traits du monde, ne se laisser pas emporter au penchant des
voluptés ; garder exactement tous les commandements de
Dieu, et toutefois, parce qu'il était trop affectionné à ses
biens , il se sépara du Sauveur, et fit naufrage de son sa-
lut , et sur cela , Jésus dit en soupirant , par deux fois :
Quant difficile qui pecunias liabent in regnum Dei in-
iroibunt! Oh que difficilement ceux qui ont des richesses
entreront au royaume de Dieu ! puis il ajoute : Et encore
je vous déclare qu'il est plus facile qu'un chameau passe par
le trou d'une aiguille qu'un riche entre dans le royaume des
cïeùx. (Marc. 10. 23. 25. - Matth. 19. 24.) Messieurs,
messieurs, consultons notre foi ; si nous croyons que Jésus
est vrai Dieu, qu'il ne dit rien que de très véritable, qu'il
ne dit rien d'inutile, qu'il ne dit rien que de très important,
où est notre esprit , noire jugement , le zèle de notre salut ?
de l'avarice ET DU lauciît. 73
Jésus parle en soupirant du danger où il nous voit , et nous
n'en sommes pas touchés. 11 ne dit pas un larron, un homme
injuste, un chicaneur, mais un riche, qui a de l'attache--
menl à ses richesses, car il dit cela à propos de ce gentil-
homme , qui n'avait point d'autres vices, et il dit qu'un tel
homme entre plus difficilement au ciel qu'un chameau ne
lasse par le trou d'une aiguille. Les raisons en sont éviden»
les à tout esprit non préoccupé.
Il n'y a vice si incorrigible, parce qu'étant fort malade
on ne connaît pas son mal, on est aveugle" de son péché,
on ne voit pas le mauvais état où Ton est; on se forme une
eonscience erronée sous prétexte de prudence, de providence,
de bon ménage, et sur ce qu'on ne voudrait faire tort à per-
sonne pour tous les biens du monde. De cent avares, à peine
en trouverez-vous deux qui se persuadent, ou même qui
soupçonnent l'être. J érémie dit par deux fois ( 1 ) en mêmes ter-
mes : Tous s'adonnent à l'avarice, depuis le plus grand jus-
qu'au plus petit , et lâchent d'apaiser leur conscience, qui ne
doit pas <ire apaisée : Dicentes pax pax^et non est pax,
• s trouverez des prêtres qui disent la messe tous les
jours fort dévotement, des veuves qui communient tous les
dimanches fort utilement à leur avis, des hommes bien ri-
ches (jiii font exactement leur devoir dans les confréries où
ils sont, qui parient souvent de Dieu , qui font oraison
mentale , qui pensent déjà avoir un pied dans le ciel , et qui
par L'esprit d'avarice , sont abominables devant Dieu, et en
ftaf de damnation ; et ce qui est digne d'être pleuré avec
les larmes de sang, ils sont si horriblement aveugles, que
Jous les prédicateurs du monde ne leur sauraient persuader
qu'ils sont entachés de ce vice.
G. — V' Ilatione.) Déliez-vous-en , si vous Hcs sage ;
deliez-vous de vous-même et de vos dispositions. Je dis vous,
vous qui pensez que je parle bien à un tel. Ouvrez tous les
pli- el replis de votre cceur à un sage directeur; détaillez
toutes WM actions à ce sujet, toutes les dispositions de votre
0) A mm ■ I • lm'j'vr.:uioiii:iv. avar itUe tfatat» (lerew. 0\
:3.ctc.s>, .
74 SERMON CGLXXVIÎ.
&mc à un directeur qui ne soit point flatteur , à qui vous
n'ayez jamais fait aucun présent , qui n'ait point d'intérêt
que vous soyez content, ou mal-content, qui conduise aussi
volontiers un petit artisan qu'une présidente.
H. — (5° Comparât îone.) Ne permettez pas que Satan
vous fasse comme l'aigle fait au cerf; il charge ses ailes
de poussière , et va se percher sur le bois du cerf pour lui
jeter la poudre aux yeux. Le pauvre cerf ainsi aveuglé bon-
dit par montagnes et par vallées, tombe de précipice en pré-
cipice , se tue , et devient la curée de l'aigle. Ainsi Satan en
voyant qu'il ne pourrait vous attraper par autre voie , par
la luxure, la gourmandise, les blasphèmes , parce que ces
vices sont trop noirs , trop évidemment criminels , il vous
jette de la poussière aux yeux. Demandez au Saint-Esprit ce
que c'est que l'or, l'argent, les pierres précieuses , en com-
paraison de la vertu ? un peu de poussière , arena est exi-
gua. (Sap. 7, 9.) Etant ainsi aveuglé , vous yous jetez en
mille précipices , et vous ne les voyez pas»
Si vous êtes ecclésiastique , vous souillez les actions les
plus saintes, le sacrifice de la messe, l'administration des
sacrements, la visite des malades , par des intentions basses
et sordides ; vous ne dites des messes, vous n'assistez à l'of-
ilee divin , s'il n'y a rien à gagner. Je sais bien que vous
vous flattez , en disant que le gain temporel n'est pas
votre principale intention ; mais qui en peut juger ? qui vous
a dit que vous n'êtes pas aveuglé en ce point ? Si vous êtes
curé , vous ne prenez pour vicaire qu'un homme de petite
étoffe, qui n'est pas capable de prêcher, de catéchiser, aider
puissamment les âmes à la confession , arce que vous en
avez meilleur marché. Si vous êtes confesseur, vous refusez
ou entendez hâtivement les pauvres gens , pour faire passer
monsieur et madame ; yous les flattez en leurs vanités ,
mondanités et autres imperfections, parce qu'ils vous font
du bien. Si vous êtes séculier, vous pouvez dire : Ani-
mant meam fraudo bonis. Vous ne priez Dieu soir et
matin qu'en vous habillant et vous déshabillant ; vous vous
jetez à l'ouvrage , sans offrir vos actions à Dieu j vous êtes
AEICK 1T DL LARCIN. t5
?olre maison, vour troublez tous vos domes-
tiques par vos impatiences et vos colères; vous ne pressez
niants et serviteurs qu'au travail corporel; et vous
n'avez aucun soin du spirituel, de les instruire dans les mys-
tères de la foi, de les faire confesser, communier, ouïr la
ffrand'messe el vêpres dans les jours de fête, lire la Vie des
Saints ; vous laissez mourir de faim el de froid les pauvres,
qui sont les membres de Jésus. Et parce que vous négligez
ainsi la pratique des bonnes œuvres, Dieu s'éloigne de vous,
et VOUS prive île ses lumières; vous vous refroidissez en son
amour, votre volonté s'affaiblit, tout cela vous achemine
et vous dispose à de plus grandes fautes , quand l'occasion
s'en présente. Vous plait-il que nous le considérions au
second point de ce discours en une personne malheureuse ,
que nous savons assurément être damnée par son avarice ?
6ECUNDUH PUNCTUM, — Contra inju&îiliam, etc.
I. — ( l° Fiu\^ C'est le détestable Judas ; il a été au-
trefois aussi homme de bien que vous: il était digne de Papo-
stolat, car Jésus le choisit pour cette charge : Eligi vos
duodecim; et il ne choisit jamais des personnes indignes,
ou en les choisissant, il les en rend dignes. Judas fut témoin
oculaire des miracles de Jésus, il entendit ses divines pré-
dications, il vit les rares et admirables exemples de ses ver-
tus héroïques ; et néanmoins, parce qu'il donna entrée en
son cœur à la maudite avarice, il est tombé en d'horribles
et effroyables précipices : il est devenu larron, traître, sacri-
lège, et enfant de perdition : Furcrat, ditl'évangéliste; et
le prophète Jérémie nous donne sujet dédire qu'il a plusieurs
héritiers de son crime, et que le septième commandement
deDieu est horriblement transgressé en tous les états \Ami~
nore usqueadtnajorem omnes avaritiœ student, etapro*
pheta usqueadsacerdotem.ÇJetem. G. 1 3. et cap. 8. 1 0.)
Contre ce commandement pèchent les prieurs et les abbés
qui prennent de l'argent pour recevoir des religieux en leurs
monastères, qui laissent ruiner les églises, ou les bâtiments
de leurs b fnltices, qui ne paient aux curés la pension cou-
76 SERMON CCLXXVII.
grue qu'ils leur doivent, afferment trop haut leurs moulins,
sachant que les fermiers y perdront, s'iis ne dérobent. Il en
est de même des gentilshommes qui prennent à ferme, par
des personnes interposées , les biens de l'Eglise , et sont
cause qu'on n'ose enchérir sur eux, qui empêchent que les
collecteurs de taille n'en imposent à leursmétayersou à leurs
favoris autant qu'ils en devraient avoir, qui exigent ou per-
mettent à leurs fermiers d'exiger des gabelles, des péages,
des présents qu'on ne leur doit pas; les juges, qui obligent
les parties qui se sont accordées à payer les épices d'un pro-
cès distribué auquel ils n'ont point du tout travaillé, qui don-
nent des délais ou des sentences injustes par faveur ou par
ignorance, ou parce qu'ils n'ont pas eu le soin de bien com-
prendre de quoi il est question, qui ne condamnent point
aux dépens ou aux intérêts ceux qui y doivent être condam-
nés, qui prolongent les procès ou consentent aux chicanes
des parties et à leur longue procédure pour ennuyer celui
qui a droit , qui ne font pas fidèlement leur rapport , qui
soustraient ou cèlent ou supposent quelque pièce pour faire
gagner la cause ouïes dépens contre la justice, qui refusent
ou retardent de faire justice avec notable dommage des par-
ties, qui font dire aux témoins plus qu'ils ne savent, ou les
intimident pour les empêcher de déposer la vérité, ou font
écrire autrement qif ils n'ont dit ; les avocats et les procu-
reurs qui prennent des causes injustes ou continuent de les
poursuivre depuis qu'ils en ont connu l'injustice , qui par
ignorance ou négligence en laissent perdre , ou tiennent en
longueur les parties , qui prennent plus de salaire qu'ils ne
doivent ou se font conduire et payer au cabaret par leurs
clients , sous prétexte qu'ils ne les y contraignent pas ; les
notaires qui par ignorance ou malice , mettant ou omettant
quelque clause sont cause de procès ou frustrent Tintention
des testateurs ou de ceux qui contractent, qui ne font pas
bien entendre aux parties ce à quoi elles s'obligent, qui exi-
gent plus qu'il ne faut pour donner des écritures ; les ser-
gents qui donnent des exploits sous la cheminée , font des
antidates , çu, font croire qu'ils n'ont trouvé personne au
DL L'A VA RICK ET DU LARCIN. 71
logis et se font payer du voyage , on prennent de l'argent
pour ne pas donner de commission ; les personnes qui pren-
nent de l'argent ou bien des présents pour décharger de
(aille une paroisse ou une famille, car ceux que vous dé-
chargez le méritent ou non : s'ils le méritent , vous leur
dites tort de recevoir de l'argent pour faire ce à quoi vous
êtes obligé ; s'ils ne méritent pas d'être déchargés, vous
faites tort aux autres que vous surchargez.
Contre ce commandement pèchent les bourgeois qui prê-
tent de l'argent à usure ou vendent du blé à crédit plus qu'on
ne le vend au marché, et reçoivent pour paiement du pauvre
homme la vendange ou le vin pour moins qu'il ne vaut.
Ils pèchent contre ce commandement ces marchands qui
mêlent de mauvaise marchandise dans la bonne, qui eu
donnent de vieille ou de falsifiée pour de la bonne, qui ven-
dent à faux poids ou à fausses mesures, qui vendent plus
cher que le plus haut prix ou achètent moins que le plus bus
prix. Toute marchandise pour l'ordinaire a trois justes prix:
le plus haut , le plus bas, le médiocre; par exemple, une
étoffe au plus haut prix vaut un écu Tanne, au plus bas prix
cinquante sous, au médiocre cinuqanle-cinq sous. Il est per-
mis de vendre et d'acheter dans retendue de ces trois prix ;
mais de vendre quatre livres ou cent sous ce qui ne vaut
qu'un écu au plus haut prix , ou l'acheter d'un pauvre et
n'en donner que trente ou quarante sous, c^st larcin ; de là
vient (pie plusieurs marchands sont continuellement en état
de damnation, parce qu'ils sont disposés de vendre à cquk
qui n'y entendent rien le plus cher qu'ils pourront, et deman-
dent cent sous de ce qu'ils donnent pour dix.
Contre ce commandement pèchent les artisans qui
c*tant à la journée se reposent un temps notable, si on n'a
toujours les yeux sur eux, qui étant à leur tache ne tra-
vaillent pas (idèlement, qui retiennent du fer, du filet, de
la soie, de la toile , du drap, ou autre étoffe qu'on leur met
en main ; les paysans qui empiètent sur les héritages de leurs
voi-ins , qui niellent leur bétail dans les prairies d'autrui ,
qui dérobent du fruit, du poisson, des volailles, tout ce
78 SERMOJN CCLXXVH.
qu'ils peuvent , et pensent être impunis quand ils ne sont
pas surpris des hommes, les serviteurs et servantes qui se
paient par leurs mains et se forment une conscience : On
me donne trop peu de gages; je travaille autant que quatre,
je peux bien prendre ceci à mon maître; ils sont juges ,
parties, témoins en leur propre cause. Quand on ne vous
donne pas assez de gages vous devez dire à votre maître :
Monsieur, je ne puis vous servir à ce prix. S'il ne vous
donne le salaire convenable à votre travail parce qu'il vous
a reçu quand vous ne saviez où aller , il fait très mal ; mais
s'il vous le donne , et que vous reteniez de son bien , on
dira de vous comme de Judas : Fur erat. v
Fur erat. Il ne dérobait pas de grandes sommes , car
Jésus n'en avait point , il n'avait que les aumônes qu'on lui
faisait pour sa nourriture et celle de ses apôtres , et Judas
en était le dispensateur et l'économe , et pour dire en bon
français , il portait le panier et allait au marché : Ea quw
mittehantur porlabat, ut emeret ea quœ opus erant ,
aut ut egenis daret. (Joan. 12. 6. — 13. 29.) Il n'eût
osé faire de grands larcins tout-à-ia-fois , on s'en fût bien
aperçu ; il en faisait plusieurs petits : quand une chose lui
coûtait dix sous, il disait qu'elle en coûtait douze ; quand on
lui commandait de donner cinq sous aux pauvres , il n'en
donnait que quatre et il retenait le cinquième, et avec cela
il ne laissait pas d'être larron, qualifié tel par l'évangéliste :
Fur erat. Les voleurs domestiques font de même ; vous
faites semblant d'avoir tant en horreur les gabelleurs et
vous êtes de leur métier ; mais vous ne vous en vantez pas.
Les villes sont pleines de gabelleurs , mais de gabelleurs
particuliers. Les partisans disent au roi : Quand vous impo-
serez un sou sur telle denrée , les particuliers n'en seront
pas beaucoup grevés ; un homme ne sera pas ruiné pour
payer à votre Majesté vingt ou trente sous tous les ans, et
cela grossira vos finances : plusieurs petits ruisseaux font
une grosse rivière. L'autorité souveraine du roi et les af-
faires .jù'u a sur les bras semblent le justifier; mais vous
qui n\,u,5,qu\m particulfcr, d<*- qui avez-vous le pouvoir de
m. l'avarich BT DU i.\i>. ÏO
prendre çà et là comme vous faites 5 sous prétexte que vous
prenez fort pou à chacun. Vous vendez à Taux poids et à
i es mesures, vous mêlez de Peau au vin, que vous mu-
tussi cher que s'il était tout pur, et vous vous excusez
sur ee que VOUS ne faites tort à chacun que de trois ou quatre
deniers; Fur crut , vous êtes larron comme Judas et vous
lerez damné comme lui.
L. — (2° Traditor.) En second lieu , il était traître. Le
âge ordinaire des avares , c'est la parole de ce perfide :
(Juiil vu II in mihidare, et ego eum tradam? Svli y a quel-
que chose à gagner ils feront tant de trahisons et de fraudes
que vous vouliez. Cet homme de justice vous avait promis
que nous auriez bonne issue de votre procès dans six mois ;
votre bon droit était plus clair que les rayons du soleil ; on
VOUS a fait languir six ans ; on vous a consommé en frais, et
iprès tout, hors de cour et de procès, ou dépens compensés.
i -ce que vos parties adverses gagnent votre pro-
iir ou votre juge .' ( imstituerunt ci argenteos. Vous
oir de bonnes étoffes de ce marchand, etvous trouvez
qu'elles son! vieilles et altérées ; Traditor dédit, c^est un
perlide qui l'a fait. Vous aviez fait faire une table ou un buf-
fet, peindre une image, couvrir une maison ; vous pensiez
en avoir pour trente ou quarante ans, il fauty mettre la main
au bout de dix ans. Traditor dédit ; ce ne sont que trahi-
sons , fraudes , tromperies dans les palais , boutiques ,
commerce de la société humaine. Pourquoi? Omnes avari-
tiœstudent. Et puis demandez à chacun de ces gens : N'a*
vt /-vous jamais rien dérobé ? Certes, mon père, j'en sciais
bien marri , je suis homme de bien. Il est homme de bien ,
pourvu qu'il ne coupe point de bourse et n'arrête pas au
coin d'un bois. J'aimerais mieux être volé en une forêt, dit
S. Ouysostôme, je me défendrais si je pouvais, ou je fui-
Il i étais bien monté ; mais ces larrons domestiques ,
r' s '"" hands et artisans trompeurs, vous ne sauriez les
éviter ; ils VOUS trahissent en vous basant, comme le per-
lide Judas.
M. — (3* Sacrileguâ,) Et avec cela ils cornmuvicnt tous
80 SEÎtMON CCLXXV1I.
les bon:; jours, et peut-être tous les mois, mais de confesser
leur avarice, point de nouvelles, ils n1en ont pas la moindre
pensée. Quand un blasphémateur, un ivrogne ou un libertin
vient à confesse, il ne lui faut point donner la question pour
lui faire avouer son crime, c'est la première chose qu'il fait ;
mais vous ne confessez jamais votre avarice, ou si vous la
confessez, c'est en des termes si généraux, qu'autant vau-
drait n'en point parler. J'ai eu trop d'attache aux biens de la
terre ; je n'ai pas aimé mon prochain ; je n'ai pas exercé les
oeuvres de miséricorde, comme je le devais. Ce sont des amu-
sements , le plus grand Saint du paradis pourrait en dire
(Butant ; il faut dire en particulier : Je n'ai pas travaillé fidè-
lement dans ma vocation , J"*aï retenu de l'étoile qu'on m'avait
confiée, j'ai mêlé de l'eau dans le vin que j'ai vendu aussi cher
flue s'il était pur ; j'ai vendu à faux poids, à fausses mesures.
Si vous ne dites ainsi , votre confession est invalide , vous
communiez indignement ; au lieu de sacrements, vous faites
eles sacrilèges, comme le traître Judas, qui reçut en mauvais
ëtat le précieux corps de Jésus : Et post buvcellam, intro-
ivit in eum Sathanas. (Joan 13. 27.)
N. — (4° Filins perditionis.) De là vient que finalement
il fut enfant de perdition , c'est-à-dire réprouvé. C'est le
partage ordinaire des avares ; la réprobation, la damnation
éternelle. Les preuves en sont aisées à faire ; ceux qui n'o-
béissent pas à l'Evangile, seront punis de peines éternelles ;
les avares contreviennent directement et expressément à ces
paroles de l'Evangile : Faites à autrui ce que vous voudriez
être fait à vous-même ; (Matth. 7. 4 2, -Luc. 6. 31 .) ne
faites jamais aux autres ce que vous ne voulez pas qu'on vous
Tasse. ( 1 . Thés. k. 6. ) Nemo circumveniat in negotio
fratrem suitm. An nescitis quia iniqui regnum Dei non
•possidehunt ? (1 . Cor. 6. 9.)
Les autres pécheurs rackettent souvent leurs péchés par
aumône , et gagnent la miséricorde de Dieu par des œuvres
de miséricorde. L'avare, commeun malade frénétique, rebute
cette médecine ; et par sa cruauté envers les pauvres, il en-
court cette malédiction: Jugement sans miséricorde, à qui
BX DU LARCIN. 81
n'aura pas fait miséricorde. Toutes les aumônes qu'il fait,
de quelque double à la porte de l'église ; cl il est ravi
le ce qu'on les a déniées, cl qu'il ne donne plus qu'un denier.
Les autres passions se rallentissent dans la vieillesse ; celle-
ci augmente et devient plus immodérée. Aristole dit, et l'ex-
périence le fait voir, que plus les avares vieillissent, plus ils
sont attaches au bien de la terre, ce qui est une folie extrême.
Comme un voyageur qui voudrait avoir d'autant plus de
provisions, qu'il aurait moins de chemin à faire.
Enfin, du moins, du moins, les autres pécheurs se recon-
naissent à la mort, et s'ils peuvent obtenir de Dieu la grâce
de la contrition , l'absolution du prêtre, ils sont en voie de
salut ; au lieu qu'il n'y a point de prêtre , point d'évêque ,
point de pape qui puisse absoudre validement l'avare injuste.
l\o?i dimittitur peccatum , nisi restituatur ahlatum;
et qu'est-ce qu'il restituera, et à qui, et comment ?I1 faudrait
restituer plus de la moitié de son bien; tous les dommages
et les intérêts de ce procès mal intenté, ou perdu par sa faute,
ou injustement jugé, les intérêts de ce bien, les fruits de cet
g , dont il Jouît lyranniquement depuis dix, douze,
quinze, vingt ans. Et où ira— t— il chercher tous les orphelins
qu'il a ruines, les veuves qu'il a volées, les villageois qu'il a
oppressés ? Comment se résoudra-t-il de décheoir de son
état pour établir ceux qu'il a fait tomber dans la pauvreté ?
que deviendraient son carrosse, sa tapisserie, son train, ses
riches meubles , ses habits précieux ? Toute la restitution
qu'il fait , c'est qu'il donne une lampe d'argent à l'Eglise ,
ou il fonde une messe annuelle ; encore veut-il qu'on sonne
toutes les cloches , afin qu'on sache que c'est Monsieur qui
a fondé un tel anniversaire. IS'est-il pas vrai , que quand
vous trouvez un confesseur qui veut vous obliger à restitu-
tion, vous faites comme ce cavalier dont S. Maie nous à ci
s parlé, qu'il quitta Jésus, parce qu'il lui conseillait de
vendre tousses biens? Vous quittez ce confesseur; vous dites
qu'il esi trop sévère; c'est un scrupuleux, il ne sait pas con-
descendre aux infirmités de ses pénitents. Von- diriez mieux,
82 SERMON CCLXXVU.
si vous disiez qu'il ne veut pas descendre en enfer avec les
impénitents.
Nihil est iniquius quam amare pecuniam ; (Eccli.
1 0. \ 0.) il n'est rien de si indigne d'un chrétien, de si dan-
gereux pour votre salut , de si contraire à votre bien , que
d'aimer les richesses. Quand vous les aimez, Jésus vous dit
que vous aimez les épines 5 Spinœ sunt divitiœ; (Luc.
8. 44.) épines qui déchirent votre pauvre cœur de mille
soucis , de mille inquiétudes , de mille peines d'esprit. En
quelque posture que vous vous mettiez, quoi que ce soit qui
vous arrive, vous êtes toujours dans les épines. Quand vous
aimez les biens, ou vous en avez, ou non ; si vous n'en avez
point, vous êtes affligé de ne pas avoir ce que vous aimez;
si vous en avez, vous êtes toujours en crainte qu'on ne vous
dérobe, qu'on ne vous trompe, qu'on ne vous fasse banque-
route ; si vous gardez votre argent , vous êtes en peine de
voir qu'il ne vous profite pas ; si vous le mettez à profit , vous
êtes en peine, de peur que vos débiteurs ne deviennent insolva-
bles; si Tannée est mauvaise, vous êtes triste, parce que
yous ne ferez pas aussi belle moisson et vendange que vous
le désireriez ; si l'année est bonne, vous êtes triste , parce
que vous ne vendez pas aussi cher votre blé et votre vin, que
vous le souhaiteriez ; si vous n'avez point d'enfant, vous êtes
fâché de n'avoir personne à qui laisser vos moyens ; si vous en
avez, il vous est fâcheux de débourser pour eux, et de dé-
penser ce que vous aimez.
Nihilest iniquius quam amarepecuntam . Quand vous
aimez les richesses, le Saint-Esprit vous dit que vous aimez
de la boue ; car tous les biens de la terre ne sont que boue :
Tanquam lulum œslimabitur aryenlum ; (Sap. 7. 9.)
boue qui souille votre cœur de mille péchés que vous com-
mettez en acquérant ces biens, ou en les conservant, ou en
les affectionnant désordonnément. Quand vous aimez les
richesses, leSage dit que vous aimez un peu de sable : Omne
aurum arena exigua œstïmabitur ; (Sap. 7. 9.) sable
pesant, sable stérile, sable mouvant. Ces biens terrestres
ni: i .\v\ ai;k i i 1 nu larcin. 83
appesantissent et vous courbent contre terre, vous
embarrassent, vous empêchent de marcher dans le chemin du
ciel et dans la voie de la perfection.
Quem fructum habuisiis in iilis ? Quel profit en tirez-
vous ? fort peu, ou point du tout. Vous espérez recueillir de
tes biens quelque repos et quelque contentement, et cela n*ar*
rî?e point; vous n'êtes jamais content de ce que vous pos-
sédez, vous êtes toujours affamé après la nouvelle proie ; vous
ne regardez jamais d'où vous venez, mais où vous allez ;
vous n'estimez pas ce que vous avez, mais ce que vous dési-
re/ avoir.
Ou vous prétendez recevoir quelque consolation de vos
richesses , ou non ; si vous n'en prétendez pas , comment
lemez-vous dans un fonds si stérile ? comment travaillez-
tant pour cultiver une terre si ingrate et inféconde ?
Si vous en espérez quelque consolation , vous encourez la
malédiction de Jésus; nous vous soumettez à cet anathème :
ïitibus , quia habetis hic consolationem
/(Luc. 6. 24.) Malheur à vous, riches, qui avez
soIatioD ! Quelque consolation que vous en
Fiez, elle ne sera pas de durée; c'est du sable mouvant;
ichesses sont des biens de fortune aussi inconstants que
cette volage : Si affluant , nolite cor apponere quia
effluunt. II ne faut qu'une binette de feu qui brûlera votre
métairie , un procès mal commencé ou mal poursuivi , un
serviteur qui crochettera vos coffres, une autre mauvaise
affaire, pour dissiper en un moment tout l'édifice que vous
jvez fondé sur ce sable ; et quand cela n'arriverait pas, tôt
ou lard, il faut les quitter à la mort. Et quelle folie, de ne
ir pas quitter d'affection pour l'amour de Dieu, et avec
que Pun de ces jours il vous faudra quitter en
I j avec douleur et sans aucun mérite ! Quelle
folie, de De pas considérer ce que dit S. Grégoire , que les
richesses mal ront ici bas, et les péchés
rous commetti icquérir s'en iront avec vous!
inde folie, que de laisser ici le profit, et em-
Purtt| us le dommage, laisser aux autres le plaisir,
84 SERMON CCLXXVII. DE l'a VARICE, etc.
et prendre pour vous lapeine et le tourment, faire tant de casae
vos biens, et n'en point faire de vous-même, avoir tantde soin
de ce qui est corruptible, et si peu de soin de votre âme qui
est immortelle ! Croyez-moi , ou plutôt croyez Jésus : ne
soyez pas si fou de fonder votre félicité sur du sable si mou-
vant 5 établissez-la sur la pierre ferme , sur Jésus votre
Seigneur , et sur la vérité de ses promesses. Il a dit par
S. Paul aux Hébreux, chapitre treizième : Fiez-vous à moi ,
je ne vous laisserai point, je ne vous abandonnerai jamais :
Non te deseram , neque derelinquam. Il ne manquera
pas de parole; il a dit par David, que ceux qui espèrent en
lui , ne sont jamais frustrés de leur espérance : Qui sus-
tinent te non confundentur . Il accomplira cette pro-
messe ; il vous conduira mieux que vous-même ; il vous
fera tellement passer par les choses temporelles, que vous
obtiendrez les choses éternelles. Amen.
SERMON CCLXXVIIÎ.
DE LA INSTITUTION,
Bcddiic qtue suni Cœsarîs Ca&ari, et qua simï De! Dco:
Rendes à César ce qui est à César , et à Dieu ce qui e*t à Dieu.
OI.mli.22.21.)
Ces jours passes, nous avons considéré que ceux qui
transgressent le septième commandement de Dieu, en dé-
robant ou retenant le bien de leur prochain, n'engagent pas
seulement leur âme à l'esprit malin , mais la lui vendent
nie sans relief, parce qu'on n'en est pas quitte pour
, mais il en faut faire restitution : et fort peu
US la font entièrement, promptement, et comme on est
obligé de la faire. Pour vous bien éclaircir sur ce sujet, je
ferai voir : 1° qui est obligé de faire la restitution ;
s inconvénients qui arrivent de la différer; 3° à qui il
faut la faire; 4° les motifs qui doivent nous inciter à la
faire. Ce seront les quatre points de ce discours.
IDEA SEIiMONIS.
Primuin punctum. A. Obligatio ad resiituiionem nas-
citur, vel ex re accepta, vcl ex injusta acceptione,
scu damno injuste dafo, vcl ex contracta.
Seeundum punctum. B. Mulla mala incurrimus diffe-
rendo reslitutionem in morlcm , vcl in postera m.
Tei tium punctum. C. Restituendum Cœsari quœ sunt
( vêaris, et Deo quœ sunt Dei.
Quartum punctum. D. Motiva ad restituendum , ex
A. BernardO) divitice ma/epartœ} amatee inqui-
)(,,n t. — E. Pusses œ onerant, — F. Amissœ
cruci'
86 SERMON CCLXXVIIf.
primum punctum. — Obligatio , etc.
À. — {Vel ex re accepta, e/c.)L'angéIiqueS. Thomas,
1 2. 2. q. 62. a. 4. et 6. ) et après lui toute la théologie ,
nous enseigne que nous pouvons être obligés à restitution,
pour une de ces trois raisons : ex re accepta, vel ex in-
justa acceptione, sen damno per injustitiam dato , aut
ex contracta. Premièrement , quand vous avez en votre
puissance le bien qui appartient à un autre , soit que vous
Payez reçu, ou hérité, ou acheté d'un injuste possesseur,
soit que vous l'ayez trouvé , ou qu'il soit tombé en vos
mains, en quelqu'autre manière que ce soit; comme si vous
êtes héritier d'un usurier , d'un concussionnaire , d'un
voleur de veuves et d'orphelins, ou autre semblable harpie ;
si vous avez acheté du linge , de la vaisselle , ou autres
meubles qui avaient été dérobés , sitôt que vous savez à
qui ils appartiennent, vous êtes obligé de les rendre; si vous
avez trouvé une bourse , une bague d'or ou d'argent , tin
chapelet, un livre, vous devez faire publier qu'on s'adresse
à vous pour les ravoir, comme fit cet homme de bien, dont
S. Augustin (Hom. 49. vel. 21. de verbis apostoli. ) fait
mention. Il dit que, lorsqu'il était à Milan , un pauvre
maître d'école régent en grammaire, très homme de bien ,
trouva un jour une bourse , où il y avait deux cents pièces
d'argent ; il affiche aussitôt un billet ; Quiconque aura
*serdu une bourse en tel lieu , €ju'il s'adresse à un tel ; on
là lui rendra. Celui qui l'avait perdue, lisant ce billet , va
le trouver , il lui donne de bonnes enseignes : J'ai perdu
une bourse de telle couleur, telle étoffe, en tel lieu, en tel
jour , il y avait telle somme, en telles espèces. On lui rend
soudain sa bourse sans y avoir touché une maille. Ce pauvre
homme en est si joyeux , qu'il le prie de vouloir accepter
pour sa récompense, le dixième de la somme, savoir vingt
pièces. Pourquoi lesprendrai-je, puisque je n'ai rien fait pour
tes gagner ? Prenez-en au moins dix ; il les refuse. Au
moins cinq , je vous les donne de bien bon cœur , votre
conscience n'en sera point chargée, Je vous en remercie ;
Dr. LA RBSTI PI HOît. S*«
si pas la raison , que je proGte de votre infortune.
\achahundus homo projecù sacculum : Si non vie
miiquid a me accipeiVy nec ego quidquam poilidl. Il
lui jette là sa bourse : Tenez, prenez, si vous voulez, votre
bourse et votre argent , je n'ai rien perdu, puisque vous ne
voulez rien prendre de moi. « Quale certamen , fratres meil
i qualispugna! qualis conflictus, theatrum mundus, spec-
n tatorDeus! \ ictus tandem ille, quodofferebaturaccepit,
« il continuo totum pauperibus errogavit: » Quelle douce
guerre , quelle agréable dispute de reconnaissance et de
probité l Enfin le régent étant vaincu par les importunités
du bon homme, accepte ce qu'il lui présente, et le distribue
sur-le-champ aux pauvres.
En second lieu, ex injusla acceptione, vel ex damno
injuste datof quand vous avez dérobé on porté dommage
au bien d'autrui injustement, comme si allant à la chasse
\ i gâté les grains des paysans; si vous les avez cbli-
, à des charrois , à des présents , à des
, auxquels ils n'étaient pas tenus , ue dites pas
qu'ils le font volontiers, c'est vous flatter, ils le font, parce
qu'autrement vous vous en ressouviendriez dans les occa-
sions; si vous avez donné des tailles par vengeance ou autre
<>n; si par de faux contrats, par de faux témoignages ,
par des écritures antidatées , vous avez fait perdre injuste-
ment un procès ; si étant avocat vous avez proposé de faux
faits, conseillé des appels, ou évocations, ou autres chica-
ne- , qui causent des frais aux parties ; si étant juge vous
avez laissé perdre injustement quelque procès par ignorance,
négligence , on laveur envers quelqu'un , vous dites : Je
suis subalterne , il y a appel de ma sentence, oui , mais
trtics font de grands frais.
En troisième lieu par contrat ; verba lùjanl liomines,
taurorum cornu a [unes. Si vous êtes obligé par un traité
de m . par promesse , par contrat de société, par
queiqu'autre pacte et quelque convention , à ce titre vous
êtes obligé de payer à vos créanciers, aux marchands, arli-
>us leur avez promis,
88 SERMON CCLXXVIII.
Or, qu'il soit absolument nécessaire de restituer le bien
d'autrui, sous peine de damnation éternelle, ce serait temps
perdu de le prouver, selon ma coutume, par l'Ecriture, par
les Pères, par les conciles, par des raisons de théologie ,
puisque jamais aucun docteur , aucun casuiste , canoniste,
scholastique , jamais aucun bon catholique ne Ta révoqué
en doute ; le larcin même prêche hautement cette vérité ,
et crie incessamment dans le cœur du larron : Rendez-moi,
rendez-moi ; sa conscience l'en importune toujours par des
remords continuels et inévitables.
SECUNDim punctum. — Midta mala, etc.
B. — ( Differendo restitutionem, etc. ) Mais voyez
la ruse de Satan , il n'ose entreprendre de vous persuader
que vous ne restituiez pas ; il voit bien qu'il y perdrait son
temps et sa peine, parce que vous craignez l'enfer, et vous
savez bien qu'il faut restituer tôt ou tard, mais il vous fait
remettre cette affaire jusqu'à l'heure de la mort par votre
testament , par la commission que vous en donnerez à vos
héritiers ; voici ce qu'il prétend par cet article. Première-
ment, il prévoit que peut-être vous serez surpris d'une mort
soudaine , et n'ayant pas loisir de restituer , vous ne le
ferez jamais , ou si vous êtes au lit malade , avant que de
mourir , ceux qui doivent vous succéder ah intestat , vous
empêcheront de faire un testament , de peur que vous ne
fassiez des legs pieux ; ils vous amuseront par une fausse
espérance de vous bien porter , ou si vous faites testament ,
le notaire mettra un quiproquo , frustrera vos intentions ,
ou vos héritiers le feront casser , par le manquement d'une
petite formalité, ou ils seront paresseux à l'exécuter.
Secondement , il veut vous retenir en mauvais état , en
état de péché, en voie de damnation, les deux, trois, quatre,
dix , douze, vingt années entières , d'où il arrive que vous
êtes toujours à deux doigts de l'enfer; car si une mort subite
vous arrive, votre procès est tout fait , vous êtes perdu
sans ressource. En troisième lieu, pendant tout ce temps-là,
vous perdez le mérite des aumônes que vous donnez , des
DJ I a RI ST1T1 i ION. 89
prières que voua laites , dc> autres bonnes œuvres que vous
pratiquez; car vous savez que toutes les bonnes œuvres faites
en mauvais étal , n'ont point de récompense dans le ciel ;
elles peuvent bien nous disposer à nous convertir, mais
elles n'auront aucun salaire en paradis. En quatrième lieu,
les confessions , les communions et les autres sacrements
(jue vous reci vez , ne vous servent de rien ; que dis-jc, ne
VOUS servent de rien! ils vous nuisent beaucoup , ce sont
des sacrilèges. En même temps que le prêtre dit : Je
t al) ous , Jésus dit : Je te maudis et je te condamne. En
même temps que l'Eucharistie entre dans votre corps ,
l'esprit malin entre dans votre cœur, parce que vous com-
muniez indignement, vous communiez comme Judas, vous
communiez en état de péché,
Encinquièmc lieu,différantde restituer quand vous pouvez
re , vous commettez un nombre presque innombrable
ce que le commandement de la restitution est
I . \ oici ce qu'en disent les plus célèbres docteurs de
Ire*- Dans Pordre de S. Augustin, S. Augustin
même écrivant à Macédonius ( epist. 54. circa med. ) dit :
Si reâ aliqua, propter quam peccatum est, rcddl po-
test et non redditur, pœnitentianon agitur , sedsimu-
laiur : Quand vous pouvez rendre la chose qui a été cause
je votre péché, si vous ne la rendez pas, ce n'est pas faire
ténitence, c'est la contrefaire.
Dans Tordre de S. Dominique le maître de la théologie,
. Thomas : ( 2. 2. q. b2. art. 8. in corp. et ad. '?. )
Hoc praeceptum , quamvis secundum formam sit affirma-
tivuiu , implicat tamen negalivum, sicut accipcrc rem
alienam est peccatum contra justitiam, ita ctiam detinere
eam invito domino, quia sic eum impedit ab usu rei sua? ;
mamfestum est aulem quod nec per modicum lempus
lieet in peccato morari. » Bien que le commandement
1-' li restitution soit donné en termes aflîrmatifs, il contient
léanmoins un précepte négatif ; et comme c'est un péché
ontre h justice de prendre le bien d'aulrui , ainsi que de
î retenir coude la volonté de celui à qui il appartient,
90 SERMON CCLXXVlIï.
(Tautant que c'est le priver de l'usage de son bien , et il
n est pas permis de continuer un péché pour un peu de
temps que ce soit.
^ Le dévot Grenade , (il serait bon de rapporter et de le
lire en chaire , et de conseiller aux auditeurs d'acheter et
de lire souvent ce livre.) que toute l'Eglise connaît et ré-
vère comme un oracle de vérité irréprochable , dit, au traité
second du Mémorial, chapitre premier, un peu après le
milieu : Celui qui retient quelque chose contre la volonté
du maître à qui il appartient , est obligé de le rendre incon-
tinent ; je dis incontinent, parce que s'il peut payer ou ren-
dre, il est obligé de le faire à l'heure même ; il ne suffît
pas qu'il ait l'intention de le payer à l'avenir ou en son tes-
tament , s'il y peutpromptement satisfaire, quoique ce soit
avec sa grande incommodité , principalement si celui à qui
la chose appartient en a besoin. Il répète encore de même
au chapitre suivant , quand il traite du septième comman-
dement.
Dans la compagnie de Jésus , Grégoire de Valence dit :
llestilutio est necessaria exprœceptonegativo, et omis-
sio ill lus œquivalet injustœ acceptioni ; (Greg. a Val.
in 2. 2. disput. 5. q. 6. puncto 2.) La restitution est né-
cessaire par un précepte négatif, et quand on ne la fait pas,
c est comme si l'on prenait injustement le bien d'autrui.
Pour bien entendre ce que ces docteurs et les autres en-
seignent, souvenez-vous qu'il y a des commandements af-
firaiatifs qui commandent de faire quelque chose, comme
d'entendre la messe un jour de fête. Il y a des commande-
ments négatifs qui défendent de faire quelque chose, comme
de se parjurer, de tuer un innocent; et il y a cette diffé-
rence entre ces deux sortes de commandements : que les
amrmatifs n'obligent pas continuellement, mais en certains
temps; on n'est pas obligé en un jour de fête d'entendre la
messe continuellement, mais à certaine heure. Les com-
mandements négatifs obligent incessamment à toute heure
et en tout temps : Semper et pro semper ; vous êtes obligé
de ne pas tuer , de ne pas blasphémer à minuit, ni à une
DB LA m - i ITWTION. 91
, ni a deux , ui à trois, ni à midi , ni a quelque heure
t. Or, le commandement de la restitution est
ailirmatif et négatif tout ensemble ; il est ailirmatif, parce
qu'il vous commande de rendre le bien d'autrui , il est né-
gatif, parée qu'il vous défend de le retenir ; et comme tel,
ii es( exprimé en termes négatifs : Bien d'autrui tu ne pren-
dras , ni retiendras à ton escient : Non remanebit merces
Ùsque nuine; nemini quidquam debêatis. Ce commande-
ment donc oblige toujours et pour toujours, continuellement,
incessamment et en tout temps; et comme il n'est jamais
permis de tuer, de blasphémer, il n'est jamais permis de
retenir le bien du prochain contre sa volonté. Si venant à
confesse à moi , vous me disiez : Mon père , jç veux au-
jourd'hui dérober dix cens à mon prochain ; mais je vous
promets que je les lui rendrai d'ici à quinze jours ; je serais
ID pauvre confesseur si je vous donnais l'absolution, quand
même je serais assuré que vous les rendriez, parce que c'est
i n péché de dérober; je ferais donc très mal, si je vous
Ivais, quand vous retenez le bien d'autrui, encore que
que vous le rendriez d'ici à quinze jours ;
car dérober le bien d'autrui , ou le retenir , c'est un même
de péché, dit un concile général: Non multum
inttrt&t quoad periculum animœ injuste delincre , et
firadere alienum. (Cap. Ssepe contingit de restitutione
poliatorum.)
S. Thomas apporte tin autre argument qui doit servir de
règle aux confesseurs. Supposons que vous disiez : Je dois
ui\^ écu à un artisan qui a fait un ouvrage pour moi , et
]ui me le demande ; je vous promets que demain je le lui
Muerai ; si je vous disais : Cela suffit, c'est assez que vous
e lui payiez demain ; je ferais directement contre le com-
mandement de Dieu , car il dit : (2. 2. q. 62. a. G. in arg,
ed contra levit. 19.) Le salaire de l'ouvrier ne demeurera
oint en ta maison jusqu'au lendemain. Or, il en est de
■me des autres dettes, comme du salaire de l'artisan , dit
■ ias an même article.
lérez que vous êtes obligé a la
pa
92 sermon cglxxviïï.
restitution cîe tous les fruits, les émoluments, îes profits que
vous avez tirés du bien d'autrui, et de lui satisfaire tous les
dommages qu'il a reçus du retardement que vous avez fait de
payer ou de restituer, le pouvant faire. La loi d-e Dieu (Exod.
22. 1 .) condamnait autrefois celui qui avait dérobé ou égorgé
une brebis de son prochain , d'en rendre quatre , parce que
le maître tirait de la brebis quatre émoluments : le lait, la
laine, les agneaux et la chair, dit S. Thomas; 1 . 2. q. 1 05.
a. 2. ad. 9.) à plus forte raison, vous êtes obligé de satis-
faire à votre prochain pour toutes les pertes et les incom-
modités qui lui sont arrivées ; de ce que vous ayez usurpé
ou retenu le bien qui lui appartenait ; et comme ces intérêts
vont grossissant de plus en plus, à mesure que vous diffé-
rez de restituer , vous augmentez la dette et la difficulté de
vous en acquitter , et les péchés que vous commettez de
jour en jour , faute d'y satisfaire.
Et en septième lieu , comme Satan ne désire rien tant
en ses desseins , que d'être cause que plusieurs péchés se
commettent, et que plusieurs âmes se perdent, parce qu'il
enrage contre Dieu qui a en horreur le péché , et qui désire
le salut des âmes; vous servez aux desseins de ce malin au-
tant que faire se peut ; car celui dont vous retenez le bien,
ou que vous avez ruiné par procès , se damne et commet une
infinité de péchés par des haines, des rancunes , des désirs
de vengeance qu'il conçoit contre vous quand il vous ren-
contre , quand il vous voit, ou quelqu'un de vos gens, quand
il passe devant votre maison, quand il se souvient du tort
que vous lui faites ; quand il en ressent quelque incommo-
dité, il enrage contre vous , il vous donne au diable , il vous
lance mille malédictions , il inspire et influe ce désir de
vengeance dans l'esprit de ses enfants qui commettront
mille péchés, et se damneront comme lui, ainsi de père
en fils.
Et en huitième lieu , ce qui doit vous piquer plus sensi-
blement , vos enfants aussi se damneront et commettront
mille péchés, ou retenant injustement le bien mal acquis
que vous leur laissez , ou gardant des aniinosités et des îni-
DE 1 A RESTITUTION. 03
litiés contre ceux qui leur en porteront à voire occasion :
Sains huic domui farta est. Le petit Zaehée , qui avait
té usurier, ayant restitué au quadruple ce qu'il avait gagné
ajustement , noire Sauveur dit : Aujourd'hui par la grâce
e Dieu , cette maison a fait son salut. Donc s'il n'eût pas
estitué, sa famille n'eût pas fait son salut, ctparconsé-
uent eût été perdue. Le cardinal Pierre d'Amiens nous
Ipprend, et Baronius (anno 1055.) le rapporte : Un saint
iligicux vit en enfer un comte qui avait envahi une terre
^par tenant à l'Egl«sc de Metz, et avec lui dix de ses lié —
i tiers qui lui avaient succédé de père en fils et qui n'avaient
)as restitué cet héritage, dont le dixième était mort depuis
eu, et avait vécu en réputation d'homme de bien.
Enfin , L'esprit malin étant ennemi juré de notre bien
Mlîtuel et temporel , vous empêchant de restituer , ne veut
ulement être la cause de mille péchés et de la damna-
ion de tant d'âmes, mais de plus, il désire ruiner votre
amille , votre fortune , vos affaires temporelles, car il pré-
oit que ce bien mal acquis attirera la malédiction de Dieu
UT rous , sur votre famille , sur votre postérité : Vœ qui
imqreqat avaritiam malam domui suœ, ut sit in ex-
cisa nid a s ejus, et liberari se putat de manu mali :
labac. 2. 9.) Malheur à celui qui amasse du bien par ava-
ce pour mettre bien haut sa famille; il se trompe lourde-
lent s'il pense être impuni et heureux, celte cupidité sera
inerte et pernicieuse à sa famille ; et par le prophète Ab-
ias Dieu nous dit : Quand vous seriez élevé comme un
gle , quand vous auriez bâti votre nid parmi les astres , je
Mis en dénicherai. Vous savez la propriété des plumes
aigle : si vous les mêlez parmi des plumes de poule , de
geon, ou autre oiseau, elle les consomme petit à petit.
ous êtes comme un aigle de palais , un oiseau de proie et
• rapine ; ces biens que vous ayez acquis par usure , par
licane et monopole , sont les ailes qui vous font voler , qui
>us élèvent el rendent orgueilleux : ces biens mêlés parmi
autres que vous avez bien acquis et hérités de vos ancêtres,
attireront la malédiction de Dieu et les anéantiront.
.1
94 SERMON CCLXXV1II.
tertium punctum. — liestituendam Cœsari,elc,
C. — {Et JJeo quœ sunt Dei. ) Réduite ergo quœ
sunt Cœsaris Cœsari. Il ne dit pas rendez à Dieu ce qui
est à César, mais rendez à César ce qui est à César, pour
corriger l'erreur de plusieurs qui pensent être bien déchar-
gés quand ils donnent aux pauvres ou à l'Eglise ce qu'ils
sont obligés de rendre à leur prochain. Quand vous ne savez
ni ne pouvez savoir, après une diligente recherche, à qui
appartient ce qui n'est pas à vous , ou quand le maître est
mort sans aucun héritier , en ce cas il est bon d'en faire des
aumônes ou de l'employer en œuvres pieuses; mais quand
vous pouvez le rendre ou le faire rendre au maître , c'est
un abus de le donner aux pauvres ou d'en faire dire des
messes.
Et quœ sunt Dei Deo. Si vous aviez dérobé un bœuf ou
un cheval et qu'il fût mort , vous seriez obligé d'en rendre
un autre ; vous avez débauché une pauvre fille, elle est morte
en mauvais état , elle est perdue pour Jésus : vous êtes donc
obligé de faire vos efforts , contribuer de vos soins , tra-
vaux , moyens pour lui en gagner d'autres.
Quœ sunt Dei Deo. Vous n'êtes qu'une chétive créa-
ture , et si Ton vous a offensé tant soit peu en vos biens, en
votre honneur, en votre réputation ; si on touche tant soit
peu vos enfants, vos serviteurs, votre personne , vous êtes
si exact et si obstiné à demander réparation ; vous avez si
souvent et si grièvement offensé le Fils de Dieu en sa per-
sonne , en murmurant contre lui , en blasphémant son saint
nom , en méprisant ses commandements , en commettant
des actions infâmes en sa présence, en sa vue , tout auprès
de lui ; vous Pavez offensé en sa réputation rappelant faux
témoin par vos parjures , donnant sujet aux infidèles de par-
ler mal de Jésus et de sa religion , quand ils voient que
ceux qui la suivent sont si fourbes, si impurs, si avaricieux;
si vicieux envers ses enfants et envers ses serviteurs, vous
moquant des gens de bien, les appelant bigots , hypocrites,
tournant ça railleries leur dévotion ; vous l'avez offensé en
02 ; v RBST1TI TION. 95
u'il vous b donnés pour
commettre le péché qui lui dëplall inûnimenl : n'est-ce pas
plus que très juste el très raisonnable de le satisfaire
en tous ces points , en sa personne, en allant auprès de lui
grand respect quand on porte le Saint-Sacrement, vous
humiliant beaucoup devant lui , vous prosternant en sa pré-
sence, vous tenant avec grand respect , avec révérence in-
térieure et extérieure dans les églises, avançant sa gloire
an tout ce que tous pourrez, instruisant vos enfants, vos
serviteurs, vos rentiers, donnant bon exemple à vos voisins,
à toute la paroisse ? Luceat lux vestra coram homini—
bus , /// glorificent Pu (rem vestrtim. Il faut avoir un
tout particulier d'honorer les serviteurs de Dieu, leâ
religieux , les personnes ecclésiastiques , les gens de bien ,
il faut les défendre en compagnie quand on en parle mal;
: ibuer de vos biens pour retirer les pauvres fdles de
l'état de péché et du danger de se perdre; retrancher (ont
toute dépense superflue, même ce <[ue vous pour—
employer en divertissements innocents, afin d'avoir
plus de moyens de faire des aumônes et réparer la perte des
s que vous avez faite en débauches et dissolutions cri-
minelles, car quant aux larcins ou dommages que vous avez
a votre prochain, vous y devez satisfaire , non-seule-
ment retranchant ce qui vous est superflu, mais encore ce
qui vous est utile et commode.
quartum punctum, — Motiva, etc.
D. — [Ex S. Bernai do, etc.) S. Bernard parlant des
, dit avec grande raison: Amatœ taquinant,
rant, amissœ cruciant. Il faut le dire des
mal acquises , avec plus de sujet que des autres.
tm htfuinani) elles souillent Pâme quand on les aime.
mer, les aimer bien désordonnément de
■uir contre le commandement de Dieu, contre
mmandement naturel, positif, négatif, aflirmalif ? Où
- t la foi quei elle parole de Jésus : (Luc. 44.
Quiconque d'entre vous ne renonce à lotit ce qu'il pos-
9ô sermon ccLXxvnr.
sède ne peut être mon disciple ? Peut-on être sauvé sans
être disciple de Jésus? est-ce renoncer de cœur, d'affection,
de les posséder contre la volonté de celui à qui elles appar-
tiennent , contre le droit des gens t contre les remords de
votre conscience , contre la volonté de votre Dieu ? Pos-
sessœ onerant.
E. — (Possessœ onerant .) Les richesses vous char-
gent de soucis , d'inquiétudes , de peines d'esprit , de re-
proches de la conscience ; vous faites comme le hérisson , il
prend des pommes çà et là qu'il embroche avec ses épines,
ici une, là une autre ; s'étant ainsi chargé de plusieurs lar-
cins il devient si pesant qu'étant poursuivi par les chiens
ou par les renards , il ne peut marcher assez promptement
pour se retirer en son gite; ainsi il devient leur proie. Vous
êtes armé de pointes comme cet animal , pointes d'esprit ,
de langues , d'injures , de calomnies ; vous êtes subtil ,
adroit, ingénieux, hardi à imputer aux autres les injustices
que vous faites; vous rapinez de-çà de-là à ces enfants
du premier lit , à vos cohéritiers, à ce villageois , à ces or-
phelins; quand vous aurez inspiration et désir de vous con-
vertir , d'aller à confesse , de vous réfugier dans l'asile de
quelque monastère , vous vous trouverez si chargé de
dettes, obligé à tant de restitutions, qu'il vous sera impos-
sible de les faire ; vous demeurez exposé aux pattes et aux
dents des renards et du cerbère de l'enfer. Quand S. Bernard
était clans le duché de Milan on lui présenta un possédé pour
le conjurer; il demanda aux démons : Combien êtes-vous ?
Nous ne sommes pas en aussi grand nombre , lui dirent-
ils, que ceux de cet homme au pays des Géracénéens , qui
étaient une légion entière; nous ne sommes que trois,
mais plus effectifs que douze légions ; nous sommes cause
de la damnation de la plupart des hommes. Comment vous
appelez-vous ? Ferme-cœur, Ferme-bouche, Ferme-bourse:
le premier empêche que les hommes n'ouvrent leur cœur
à Dieu , qu'ils ne consentent à ses inspirations, qu'ils n'a-
joutent foi aux prédicateurs, qu'ils ne conçoivent le dessein
de leur conversion , qu'ils ne connaissent le danger où ils
ci i a RESTITUTION. 07
, qu'ils ne soient touchés de componction ; le second
démon ferme la bouche au pénitent , quand il est au con-
fessionnal, par un peu de honte ou de crainte, aGn < in^i 1 ne
confesse pas : Ce péché, lui dit-il , es( ir<>[> grand et trop
honteux ; si tu le dis à ce prêtre, il aura mauvaise opinion
de toi, il te regardera toujours. Ne croyez pas ce père de
mensonges : votre confesseur vous aimera plus, voyant que
vous êtes converti et en état de grâces, il s'en réjouiraaveo
les anges ; il sera ravi de vous donner l'absolution , si vous
commencez une vie toute nouvelle ; mais si vous cachez
votre péché, il sera découvert au jour du jugement, en pré-
sence de vos père , mère, parents, amis, ennemis et de tout
le monde , car Jésus a dit que rien n'est si caché qui ne
doive se découvrir ; il a dit aussi : Rendez à César ce qui
est à César. Pour cela le troisième démon, le démon Ferme-
bourse , effectue souvent ce que les deux autres n'ont pu
faire; il empêche que la confession ne soit valide, que le
péché ne soit remis, faute de rendre le bien d'autrui : Non
tiiur peccatum ?ii*>i , restituatur ablatum. Vous
voyez donc que g ts richesses mal acquises vous chargent
de mille péchés, de mille obligations, qui vous arrêtent au
chemin du ciel et vous en fermeront feutrée , si vous ne
vous en déchargez par une généreuse restitution; si vous
ne les quittez maintenant de gailé de cœur et avec mérite ,
vous le ferez quelque jour à contre-cœur et sans mérite.
F. — (Amissœ cruciant. )Tùt ou lard il les faut quit-
ter, du moins à la mort ; et ce vous sera un grand regret,
un grand déplaisir, une grande affliction d'esprit, de voir
que vous avez offensé mille fois votre Dieu , perdu le ciel ,
reçu les sacrements avec sacrilège, engagé votre àme à Sa-
tan pour des biens que vous laissez a je ne sais qui : à des
héritiers, qui ne vous en sauront pas gré; à des neveux, qui
en avaient déjà assez, qui en feront bonne chère, qui dé-
penseront avec profusion ce que vous avez amassé avec
grande peine; qui, plaidant l'un contre l'autre, les consom-
meront en frais de justice; h des enfants ingrats , débau-
chés , dénaturés, qui joueront nu. la fosse de leur o.'re,
G
Si: Il MON CCLXXVIII
qui ne voudraient pa* douner cinq sous pour le soulage*
mcnL de votre âme. Vous auriez besoin qu'on vous fit ce qu'on
a fait, il n'y a pas longtemps , à un cœur endurci comme
vous ; on dit que c'est à Bordeaux que ceci e.^t arrive. Un
vieux usurier et concussionnaire , étant au lit de la mort,
le père qui fut appelé pour L'entendre en confession, fit son
devoir : Monsieur, je ne puis vous entendre si vous ne res-
tituez , je me damnerais et vous aussi... Ilestituer , mon
père! il faut donc que je rende la plus grande partie de mon
bien, que j'envoie mes enfants à l'hôpital! je ne saurais m'y
résoudre. Après plusieurs exhortations ne pouvant rien ga-
gner sur lui, il le laisse là et s'en va. Quelque temps après,
il retourne : Monsieur , si Dieu vous rendait la santé et
quinze ou vingt ans de vie, ne voudriez-vous pas restituer?
Très volontiers , je disposerais tellement de mes affaires ,
que je restituerais sans me tant incommoder. Le médecin
dit que tout votre mal vient par faute d'humide radical, et
que pour en réparer les brèches, ilen faut emprunter de quel-
qu'un à qui vous l'avez communiqué , parce qu'il a plus de
simpathie avec le vôtre, vous avez besoin qu'on vous donne
deux ou trois gouttes de la graisse fondue de l'un de vos
enfants vivants. On appelle l'alné :Mon fils,nevoudricz-vous
pas bien ressusciter votre père qui s'en va mourir ? Très
volontiers ! plût à Dieu qu'il ne fallût que de mon sang ! (on
allume une chandelle.) On n'a besoin que de deux goutte-
lettes de votre substance , tirées et distillées de votre doigt
par celte flamme. Aussitôt qu'il y eut mis le doigt : Je ne
saurais endurer cela. Mais vous rendrez la santé à votre
père. Je ne saurais qu'y faire , il est impossible de l'endu-
rer. On fait venir le second : Mon mignon , voulez-vous
bien remettre en vigueur votre père ? Plût à Dieu qu'il fût
en mon pouvoir ! On lui dit comme au premier ; aussitôt
qu'il sent le feu : Ha! je ne saurais souffrir ce tourment!
Les autres en dirent autant. Alors le confesseur parlant au
malade : Hé bien ! qu'en dites-vous ? n'ètes-vous pas privé
de jugement? n'ètes-vous pas fou achevé? Vos enfants ne
veulent pas pour l'amour de vous souffrir le feu au bout du
LA RI M 1TUTI0N. 99
■ Ii moitié d'un demi-quart d'heure ; et tous tous en-
gag ■/, pour l'amour d'eux, à avoir la tète, les bras, l'esto-
mac, les entrailles, les jambes, les pieds, tout le corps et
Pâme dans un grand feu , une éternité tout entière! Je
vous dis de même , messieurs; car ne pensez pas que vos
confréries, congrégations, indulgences, jubiles, confessions,
communions, vous servent d\m fétu , tant (pie vous retenez
injustement le bien d'autrui ; à la mort il vous arrivera de
même qu'à L'infortuné Turnus. Enée le tenait à terre, ren-
et couché à ses pieds , le poignard sur la gorge ; le
pauvre Turnus criait miséricorde , demandait la vie. Enée
louché de compassion, était sur le point de la lui donner ;
mais voyant sur les reins de ce malheureux le baudrier qu'il
avait autrefois arraché à Pallas , grand ami d'Enéc , il
changea sa pitié en colère , et il lui dit : Ah ! ah ! je te vois
lépouilles de mon ami ; il faut (pie je venge sa
coup mortel t'apprendra que je suis sensible aux
! qu'on fait à ceux que j'affectionne.
Ule i :mmenta ûuloris
Bxaviasque hausit , furiïs accensus et ira ,
tbilia : Tune Iiinc spolifa indute meoram
Bripiarc mihiJ Pallas te hocvulnere, Pallas
Immolât, et pœnas scelerato ex sanguine gumit.
(iEn, 12. sub linem.)
Quand vous serez en la dernière maladie , vous deman-
dai i pardon, vous prierez Jésus d'avoir pitié de vous, les
prêtres feu prieront pour vous : A mala morte, a pœnts
inferni libéra eu m , Domine. S'il vous voit chargé des
dépouilles de quelque pauvre, s'il voit dans votre maison,
vos héritages, quoi que ce soit qui appartienne à votre
hain, au lieu de vous faire miséricorde, il exercera sur
sa justice vengeresse , il vous percera du glaive de la
damnation éternelle, oui, de la damnation! Car après avoir
feuilleté mes livres , lu et relu les casuistes, les canonistes,
scholastiques, pour trouver quelque moyen de n'être
j ititution , je n'en trouve qu'un seul , qui
»ber, n*1 faire tort à personne, ne faire
100 SERMON CCLXXVIII. DE LA RESTITUTION.
jamais à un autre ce que vous ne voudriez pas qu'on vous
fît à vous-même ; si vous le faites ainsi, vous vous exempte-
rez de mille inquiétudes d'esprit , vous vivrez avec grand
repos de conscience, vous mourrez avec grande tranquillité,
vous attirerez sur vous et sur votre famille , les bénédictions
éternelles de Dieu. Amen*
SERMON CCLXXIX.
DES PROCES.
Bien (foutrai tu n prendras, ni retiendras à ion etcientj
(Roai. 13. 9.)
Si ce que nous disions hier est vrai, que nous sommes obli-
gés sous peine de damnation éternelle , de satisfaire à notre
prochain , pour tous les dommages injustes que nous lui avons
laits ; il n'est rien de si contraire à notre salut que les procès
injustes, qui sont cause de tant de frais, de tant de perte de
temps el de biens, de tant de peines d'esprit à ceux contre
qui nous plaidons, el pour lesquels on ne fait jamais ou très
rarement , aucune restitution. Il est vrai que les procès
justes sont permis, considérés en eux-mêmes; mais parce
qu'ils nous acheminent ordinairement, et nous engagent
insensiblement à plusieurs injustices, il me semble à pro-
pos de travailler aujourd'hui à vous les dissuader debout mon
possible.
IDEA SERMONIS.
Exordium. A. Dci pcrjcctiocst uni tas, — B. Maximum
reipublicœ bonum estpqx. — C. USobilissimavirtus
est charitas. — Liiesdividuntunitatem} turhant pa~
cent, exstinguunt chariiatem.
Primura punctum. 1" Causes quœ (/encrant lites : — D.
Prima, Permissio Dei. — E. Secunda^ Notariorum
iynoranlia auttnalitia.—F. Ter lia, Negligentia liti*
ganiium. — G. Quarta, ira ri lia. — 2" Causœ quœ
mit ria ni lUeê : — IL Prima , Pi i tinacia. — I. 5c-
cunda }Procuratorum avaritia. — L. Tertia , Vin~
dicta litiganlium.
102 oi.K.UO.N CCLXXIX.
Secundum puncturn. Effectuslitium: — M. Damna (cm-
poraîla. — N. Spiritualia. — O. JEtema»
Tcrtium punchim, Remédia:- — P. Considère f 'dem ,expe*
rientiam , prttden iiam .
Concltitio. Per aryunienia conglohata.
EXORDIUM.
A. — (Dei pcrfeclio, cfc.) S'il est vrai ce qu'on dit en
philosophie, qu\in mal est d'autant plus à craindre, qu'il est
opposé à un plus grand bien, il ne faudrait point d'autre raison
pour nous l'aire avoir en horreur les procès, que de savoir
qu'ils sont contraires à la première et à la plus signalée per-
fection qui soit au monde idéal, contraire au plus grand bien
qui soit au monde corporel, et à la plus noble et excellente
vertu qui soit au monde spirituel.
Au monde archétype et idéal, qui n'est autre que l'essence
de Dieu, le premier attribut que la foi nous fait reconnaître,
!t que Dieu même nous annonce dans son Ecriture, c'est
f unité très adorable : Credoin unumDeum; Audi Israël,
Veus tuus units est. (Marc. 12. 29.) Dans l'être créé il
y a toujours quelque distinction, et par conséquent division,
au moins virtuelle et mentale. Toute créature est un amas
et un assemblage de parties intégrantes, ou de matière et de
forme, ou de substance et d'accident, ou de genre et de diffé-
rence, ou de nature et de subsistance, ou d'essence et d'exis-
tence, et une de ces pièces peut être détachée de l'autre, ou
naturellement, ou par l'Auteur de la nature; une partie inté-
grante peut être séparée de l'autre partie, la matière séparée
de la forme, l'accident de la substance, la nature de la sub-
sistance.
Tout ce que nous adorons dans l'Etre incréé, nous devons
croire qu'il y est non-seulement indéfini, illimité; indépen-
dant, mais aussi en une très parfaite et admirable unité, dit
S. Denis. (Cap. 1 . dedivin. nominibus.) Dans la très auguste
majesté de Dieu, l'essence et l'existence, la nature et l'hy-
postase, la puissance, la sagesse, la bonté et toutes les autres
perfections, môme celles qui vous semblent opposées, comme
DES PRO( 1 0 )
la m" • ' cl la justice sont une même chose, el quoique
Irois adorables personnes de la très sainte Trinité soient
mon! cl infiniment distinctes, elles sont néanmoins si
étroitement liées ensemble par unité d'essence el par la pro-
leurs émanations, qu'elles ne sont qu'une même
i e ; ce qui fait dire à Jésus : Bg§ et Pater nnum sum us :
et il veut que ses disciples imitent cette unité divine par une
parfaite union d'esprit, de cœur, d'amitié et d'affection : Ut
jint union , sicuietnos unumsumus* (Joan. 17. 22.)
15. — [Ma rûtou/Ji, etc.) En ce monde visible eteorporel,
le plus grand, le plus utile, le plus souhaitable et le plus
universel de tous les biens, cVst la paix : les éléments ne pour-
raient composer les corps mixtes, ni conserver ce grand tout
dans la ruine de ses parties , si la providence de Dieu ne les
tenait en bon accord, nonobstant leurs qualités différentes et
leur antipathie naturelle. Tu numeris clementa lir/as, ut
'id flammiê) arida canveniunt liqutdis, dit Boècc.
i nous voulons}- faire réflexion, nous verrons que toutes
rofessions qui sont dans la république, ne tendent qu'à
la paix, ne prétendent que ia paix, ne travaillent (pic pour
la paix, pour L'union et la bonne intelligence des choses dif-
férentes ou contraires.
Le devoir des confesseurs , des prédicateurs et autres ecclé-
siastiques, est d'établir la paix entre Dieu et les hommes par
leurs prières, leurs instructions, leurs pénitences; les gens
de justice, les magistrats, les politiques ne doivent yiser
qu'à cimenter le cœur des citoyens, et à faire que la cité
obtienne Tétymologie de son nom : Chutas , civium uni-
lusiitia et pax osculaiœ siuit. Un médecin ne tend
qu'à marier et tenir en bonne harmonie les quatre humeurs
du corps humain. Un maître musicien concerte et fait un
accord de plusieurs voix différentes. Un peintre fait un la-
bleau de diferses couleurs bien ajustées et rapportées rime
à l'autre ; un soldai même ne doit faire la guerre, que pour
obliger l ennemi à demander et à conserver la paix : E»
hetto pax ; nuUa talus Lcllo, paçem te poscimusomnes.
C- virtuê^ t'. ) Dans le monde spi-
I 0 I SERMON CCLXXIX.
rituel et dans Tordre de la grâce, les plus nobles et les plus
excellentes habitudes sont les vertus théologales, la foi, l'es-
pérance, et la charité, qui ont Dieu pour objet et unique
centre de leurs actions ; et entre ces trois vertus, la charité
tient le premier rang , elle est la reine , l'âme , la vie , la
forme et la perfection de toutes les autres : Major autem
horum est charitas. (1 . Cor. 13. 13.) Or, les procès
divisent l'unité, troublent la paix, ruinent la charité, qui
doivent fleurir parmi les chrétiens , comme l'expérience ne
le montre que trop, et comme vous le verrez dans la suite
de mon discours.
pjumitm punctum. — 1 ° Causœ , etc.
D. — {Prima, Permissio Dei.) Pour y procéder avec
méthode, nous devons considérer, premièrement , quelles
sont les causes qui engendrent et nourrissent les procès ; en
second lieu, les effets qu'ils produisent ; en troisième lieu,
les remèdes. La première cause, c'est la vengeance de Dieu,
qui veut punir vos fautes passées ou quelque péché de vol
ancêtres, par l'entremise de ce fléau , on a coutume de dire
qu'il y a trois fléaux de Dieu ; pour moi, j'en compte ordi-
nairement quatre : la guerre, la peste, la famine et les pro-
cès , et je crois que ce quatrième est plus sévère et plus
redoutable que les trois autres : fléau qu'Isaïe appelle flagel-
lum inundans, (Is. 28. 15.) parce que, comme nous ver-
rons tantôt, il fait perdre les biens temporels , spirituels ,
éternels ; et comme Dieu envoie la guerre , la peste , la
famine en punition des péchés, et quelquefois en punition
d'un seul péché, il permet souvent aussi que quelque procès
fatal et funeste désole une maison, qui est cimentée du sang
des pauvres gens, ou du patrimoine de Jésus-Christ : Lapis
de pariete clamabit. Il y a du bien d'église en votre mai-
son, môle avec le bien séculier; votre père ou votre aïeul
de qui vous avez hérité cette succession, en avait acquis une
partie par des voies obliques et injustes ; vous vous entre-
ruinez par des procès, vous et votre frère. Les parents, les
amis , les avocats , les curés , les confesseurs , les prédica-
nrs PROCl 3< 105
tnir> on! beau user de tous les moyens pour vous mettre
d'accord , ils n'en viendront jamais à bout ; la malédiction
de Dieu est en \ otre famille.
Gloria in excelsie Doit , et in terra p</.r hominibus
hoiht' vohaitaiis. Ce sont les anges qui ont fait ce partage;
ij vous le rompei de votre part, Dion le rompra aussi de
son côté ; si dans VOS desseins, dans vos actions , dans vos
entreprises, dans vos trafics, vous ne cherchez pas la gloire
de Dieu , mais la vôtre et colle de vos enfants ; si vous ne
tra\ aillez que pour vous enrichir et agrandir, vous ne serez
pas enfant de bonne volonté. Dieu n'aura pas de bonne
volonté pour vous; la paix et la bonne intelligence ne ré-
gneront pas en votre famille; quelque adroit et intelligent
que vous soyez , vous aurez beau agir avec la plus grande
sse pour bien faire votre testament , pour prévoir ou
prévenir toutes les semences de procès , un mot ambigu
• pic le notaire v fera glisser , jettera la pomme de discorde
entre VOS héritiers , s'ils n'ont la bénédiction de Dieu.
— Seeunda% Votariorum ignorantia , etc. ) J'ai
dit un mot ambigu du notaire : car l'ignorance, la négli-
ou la malice des notaires, est une des plus ordinaires
i qui n'engendrent pas seulement les procès, mais
qui les font perdre très injustement à leur propre
damnation, et à la ruine des pauvres innocents. Un ancien
a dit avec raison, que les notaires étaient les premiers juges
et les plus absolus; leur écriture est un arrêt définitif et
en dernier ressort ; personne n'entreprend de le réformer ;
les juges, même souverains, sont obligés de suivre la forme
et la teneur de leur parole.
\ ous êtes donc très criminel devant Dieu, et obligea
ution, si dans un testament, dans un traité de mariage,
ou autre écriture, par ignorance ou par malice, vous omet-
te/ quelque clause, ou si vous y mettez quelque équivoque
qui soit cause d'un procès ; si vous recevez les contrats de
clux qui en sont incapables : comme d'un homme qui est
à demi ivre, et qui ne considère pas ce qu'il fait, d'un mo-
ribond , à qui on fait dire tout ce qu'on veut , ou d'une
106 SEUMUiN CCLXX
femme , qui ue s oblige que par contrainte , et erainiedc
son mari ; si vous cachez les testaments ou d'autres pièces
nécessaires au bon droit d'une des parties, et qui termine-
raient le procès ; si vous ne faites bien entendre aux par-
tics ce à quoi elles s'obligent , avant de les faire signer.
Un petit artisan, un pauve villageois, une petite femmelette
n'entendent rien à vos termes de droit. Vous devez bien
leur faire savoir à quoi ils s'engagent autrement , à mesure
que vous signez ce transport , cette cédule , vous cédez ,
vous transportez et vous engagez votre ame au diable ;
encore plus si vous faites quelque fausseté, pour quelque
raison que ce soit. Les faussaires sont appelés dans l'Ecri-
ture , enfants du diable , (3. Ileg. 21 . 13.) hommes dia-
boliques : ils font le métier de Satan , ils accomplissent ses
désirs , ils exécutent ses desseins , ils lui servent d'inslru-
ments pour diviser l'unité , troubler la paix , rompre la
charité qui était entre les enfants de l'Eglise, ils s'opposent
à Jésus , et empêchent qu'il n'obtienne l'effet de la prière
qu'il fit la veille de sa mort , demandant que tous les chré-
tiens ne soient qu'une même chose par concorde et charité :
Ut omnes unum sint , dit S. Cyprien.
F. — (Tertia, Negligentia litigantmm.)'L&ûm\AY*
cité aussi des parties , et la négligence dans leurs propres
affaires, produisent souvent des procès; si dès le commence-
ment vous faisiez bien vos affaires avec précaution et sûreté,
vous ne seriez pas après en peine. La défiance est la mère
de sûreté ; il ne faut mal juger de personne , mais il est
permis, et c'est prudence de vous défier de la vie, de lamé-
moire , de la persévérance de votre prochain ; ces enfants
dont vous êtes tutrice peuvent mourir, ou mettre en oubli
ce que vous leur donnez ; écrivez , et faites leur signer tout
ce que vous faites pour eux. Ce marchand est maintenant
homme de bien et votre ami, mais il peut changer; prenez
un acquit de ce que vous lui payez. Vous payez votre créan-
cier , retirez votre cédule ; il n'a pas maintenant la com-
modité; il vous promet de vous la rendre demain; demain
il ne sera pas au logis, il peut mourir dans huit jours , [et
paocft*. 107
\ ne puvrrioi prouver qui vous Pavez pavé $ ne (Ayez
en lirer quittance ^ et quand vous connaisses un
homme de mauvaise conscience, n'entrez pas en aflfciro
IVûC lui; il J I presque toujours dans chaque, paroisse
quelque homme rusé et avaricieux, qui est M vrai loup-
garouà tout le voisinage* Les loups communs ue mangent
que les brebis , ces loups-garous dévorent les hommes; ces
h ups de ville ravagent les familles entières : ou les appelle
loups-garous comme qui dirait gardez-vous ; gardez-vous
do les approcher) de vous associer à eux, d'exercer avec eir;
quelque commerce; ils désolent et dévorent tous ceux qui
ont aîîaiie à eux : Non confondus cttm ri/v ivcupletc ,
Hé forit contra constituât litem tiùù ( Eccli. 8. 2, )
G. — ( Quarto, Araritia. ) Dans S. Lue, (l!2. 13.)
le Fils de Dieu en prêchant au peuple, fut interrompu par
un île ses auditeurs , qui lui dit : Maître, commandez à
mon l'ivre qu'il me donne la part de l'hérédité qui est à nous
deux. Le Sauveur lui répondit : Qui m'a établi votre jligB ?
qui m'a donné la charge de faire le partage de nos mens ?
ne voulant pas nourrir parmi eux l'esprit de division ; puis
quittant le sujet qu'il avait commencé de traiter, il leur dit :
Cureté abomni auuritî a : Gardez- vous de toute avariée;
car quand un homme est dans l'abondance, sa vie ne con-
siste pas dans la possession de ses grands biens : Quia in
abunduntia cujusquam rita cjus est ex his quœ possi~
de t. Il donne à entendre par ces paroles , que si vous
plaidez pour autre sujet que pour ce qui est précisément
ssaire à la vie, il y a danger que ce ne soit par avarice ;
et il ne dit pas seulement : Gardez-vous de Pavanée, mais :
De toute avarice, comme s'il disait : Il y a deux suites
d'avariée, L'une, par laquelle vous dérobez ou convoitez le
bien d'autrui; l'autre, pur laquelle vous ètei trop attaché et
trop affectionnée votre propre bien, à un bien qui ne voul
est pas nécessaire, qui vous est superflu . cl ne sert qu'û
vous élever et agrandir, et par cette a (ectiou déréglée, vous
plaidez pour peu de chose , nous rompe/ la cliurité , vois
>ous impatientai
108 SERMON CCLXXIX.
H. — (2° Causœ quœ nutriunt lites : Prima, Per-
tinacia. ) Après ces quatre mères qui enfantent les procès,
il y a trois nourrices qui les fomentent et les prolongent.
La première, c'est l'opiniâtreté, qui est d'autant plus invin-
cible et inébranlable, qu'elle semble être fondée en raison;
elle se couvre du prétexte du zèle de justice : Ce n'est pas
moi qui suis l'aggresseur, je ne fait que défendre mon droit;
il possède mon bien injustement, il me fait le plus grand
tort du monde; à chacun le sien , ce n'est pas trop; il y a
autant de péché à laisser perdre son bien , qu'à dérober
celui d'autrui; Dieu sait bien mon innocence, il me gardera
mon bon droit. Qui vous l'a dit ? vous l'a— t— il jamais pro-
mis ? l'a-t-ii jamais promis aux chrétiens ? l'a-t-il gardé à
Symmaque, à Boèce, aux saints martyrs, à son propre Fils ?
C'est aux juifs qu'il promettait de le garder , et non aux
chrétiens ; autrement le grand Turc aurait le bon droit de
son côté : dans toutes les croisades qu'on a faites contre
lui, il a presque toujours eu le dessus et l'avantage. Il y a,
dites-vous , du péché à perdre son bien ! oui , à le perdre
dans les cabarets , dans les brelans , dans les débauches ,
dans les procès follement entrepris ; à le laisser perdre par
oisiveté et fainéantise ; mais de dire qu'il y a du péché à
le laisser perdre , plutôt que de rompre la paix avec votre
prochain, en plaidant contre lui pour avoir ce qu'il vous
retient injustement, c'est la plus fausse maxime qui puisse
sortir de la bouche d'un chrétien. L'Evangile dit tout le
contraire en paroles expresses et formelles : Quid aufert
quœ tua sunt ne répétas, ( Luc. 6. 30. ) Si l'on vous
ôte ce qui vous appartient ne le répétez pas , dit notre
Sauveur ; et son apôtre , aux Corinthiens , ajoute : Jam
quidem omnino delictum est in vohis , qnod judicia
habetis intervos. Quare non magis injuriam accipitis?
Quarenon magis fraudem patimini? ( Cor. 6. 7. ) Ne
tous flattez point vous-mêmes; ayant des procès entre vous,
vous montrez bien que vous êtes éloignés de la perfection du
christianisme, et en cela vous péchez assurément Pourquoi
tfendurç,z-vous pas plutôt que Ton vous outrage, que l'on
PROCÈS, -J VI
Irompe, ,-,• ,,,„• i\,„ vous ,\,,nil, ,.t. ,,ni you . (, , (]fi , ] ..
'emêmçépl(re,(Cor. 13s ',. ) parlant de la charité
s laquelle nous ne sommes rien, il dit que l'âme qui eu
2 ',"",',' ? ' iwtiente, débonnaire , ne cherche pas ses in-
n-.vis; ,u, Saml-Espril par la bouche ,1» Sage , ( Eecie.
i. il. J dit : Noli etemultumjustua : neque tmUu
*™*M™ ' 7/ ^ soyez pas trop juste, ni plus
sage qu il ne faut. Souvenez-vous de ce qu'a dit notre Sau-
reur, quon nous mesurera de la même mesure dont nous
aurons mesuré les autres. Nous aurons grand besoin que.
Uieu ne soi) pas seulement juste, mais aussi qu'il soit ho, .
ei miséricordieux, el que sa miséricorde prédomine et sur-
monte» justice. Où serions-nous, si, il y a plus de v,nKc
ans, ,[ „ eût été que juste à notre égard? si vous files pom-
lUeuz a demander à la rigueur et à conserver votre droiÉ,
tas |0! le, el non miséricordieux ; Dieu vous mesurer»
même mesure, il exercera envers vous sa justice, et
«corde , il demandera tous ses droits et vous
. Comme il dit, jusqu'à la dernière maille. .h,-,~
l:a".s! ™ fait à celui quirn'aura point usé
''•'. miséricorde , dit S. Jacques. Supposez que ce ne soie
q» un conse. de ne point plaider, et que vous ne soyez pas
der votre droit et de perdre votre bien: .nais s'il
question de peu de chose, n'est-ce pas contre la pra-
contre l'esprit de pauvreté que tous les chrétiens
fent avoir, de vouloir encourir mille inconvénients que
' , procès apportent , plutôt que de perdre un peu de bien ?
ets 1 affaire est grave ne vaut-il pas mieux prendre de-,
os qu, la terminent en peu de temps et à l'amiable ,
de la conl,er a des gens de palais , qui la tireront en
ueur . el vous consommeront en frais de justice ?
• Seeunda, Procuratorum avaritia.) La seconde
cause qu, nourrit les proc ia CUpjdiw des procureu-
; ^t^csgensdejus.ice,Vi,ponrPpêeàer7n
•wble, et faire valoir le métier inventent mille moyens
«uses en longueur, demandent ou accor-
■ 'oseillent d'appeler ou a'évoqqp?
x
HO SERMON CCLXXIX.
injustement à un tribunal supérieur pour vexer la partie ;
il faut l'appeler à Paris, disent-ils, c'est une veuve qui n'y
pourra aller qu'à grands frais, elle a trois ou quatre enfants ;
c'est un artisan qui ne voudra pas quitter sa boutique , il
sera contraint de venir à noire désir.
Que dites-vous de ces chirurgiens, qui, à la vérité,
n'augmentent pas le mal , mais pouvant guérir en peu de
temps une plaie , l'entretiennent des mois et des années en-
tières ? ne pèchent-ils pas contre la foi publique , contre les
lois de la société humaine ? ils ne font tort qu'au pauvre
patient ; et vous incommodez les deux parties , quand par
négligence ou par malice, par incident sur incident, et
formalités prétendues, vous prolongez et multipliez les
procès , au lieu de les terminer ; vous demandez ou donnez
des remises superflues , des quinzaines sur quinzaines. Ne
pensez-vous pas être obligés à restitution , si au lieu d'ex-
pédier les clients , vous vous amusez à passer votre temps ?
vous êtes paresseux de vous lever et de travailler , vous êtes
cause que les pauvres parties qui sont de loin , qui ont des
terres à cultiver, des femmes et des enfants à nourrir de
leur travail , sont retardés de huit ou quinze jours , font de
grands frais dans une hôtellerie.
L. — (Tertia, Vindicta liUgantium.) L'animosilé
aussi et l'esprit de vengeance éternisent souvent les procès;
on est content de se brûler pour échauffer les autres : J'en
aurai ma raison , il s'en repentira , il s'en mordra les doigts,
il en portera la folle-enchère ; je ne veux point qu'il me
brave , j'y dépenserai jusqu'à ma chemise , jusqu'à la paille
de mon lit. C'est cet esprit opiniâtre , cet esprit d'orgueil
et d'animosité qui anime ordinairement les plaideurs, et ils
ne s'en aperçoivent pas , parce qu'il se cache sous l'appa-
rence du zèle de justice ; mais tout ce que vous faites dans
votre procès par cet esprit ne vaut rien devant Dieu ; quand
vous fournissez vos pièces , vous péchez ; quand vous in-
struisez votre avocat, vous péchez ; quand vous courtisez vos
juges , vous péchez , parce que toutes ces actions procèdent
d'un mauvais principe.
Di s PROCES. 1 1 t
m ( i ndi m i'i Mil m. — Effectué litium,
M. — Damna iemporalia.) Elles vous nuisent, non-
leulemenl dans votre bien spirituel , niais même dans votre
bien temporel , car il arrive très souvent que vous dépenseï
plus en trais de justice, que ee qui esl en question ne vaut;
au lieu que si , pour l'amour de Dieu et pour nourrir la paix
avec votre prochain , vous quittiez tout, le Dieu de paix
tous en ferait gagner beaucoup plus par les secrets ressorts
de sa providence adorable , témoin le saint patriarche Abra-
ham. (Gen. 13. 7.) Les troupeaux de ce grand saint, et
ceux de Loth son neveu, s'étant beaucoup multipliés, il y
eut une dispute entre leurs bergers, à qui aurait les meilleurs
pâturages. Abraham, qui était un homme débonnaire et pa-
ciûque, au lieu de prétendre à la prééminence, comme il
!■■ pouvait justement , étant oncle et le plus âgé, dit douce-
ment à son neveu : \(\ quœso^ êitjurgium inter me et
iii»i sut/lus : Ne nous querellons pas pour
lesbiem de ce monde, puisque nous sommes si proches pa-
! : je vous donne la liberté de prendre toutee que vous
voudrez, et d'aller là où il vous plaira; si vous choisissez
le terroir de la main droite, j'irai à la gauche, si vous ai-
mez mieux ee qui est à la gauche , je me contenterai de ce
qui esl à la droite. Loth choisit la terre qui était aux envi-
rons du lleuve du Jourdain ; on eût dit assurément qu'il
était le mieux partagé; car cette terre était si grasse et si
fertile , qu'elle semblait un paradis terrestre : Sicut para-
disus Domini ; (Gencs. 13. 10.) mais l'expérience fait
voir que ceux qui cèdent leurs prétentions et s^abandonnent
à la providence de Dieu , pour vivre en paix avec le prochain,
ont plus de bonheur et de bénédiction; car, outre que la
tel re que Loth avait choisie fut incontinent après ruinée par
le feo du ciel, Dieu dit à Abraham en récompense de son
esprit de paix : Portez la vue si loin que vous pourrez , toute
la lent que VOUS voyez autour de vous sera votre apanage ;
y vous la donnerai en possession^ et j'y bénirai votre pos-
: Omnemterram quam consjncis tibidabo, et se-
'I 12 SEKMON CCLXX1X.
minitiioin sempiternum. Ainsi si pour l'amour de Dion,
vous aimez mieux perdre un peu de votre bien , que de
plaider contre voire prochain, Dieu vous bénira et vous ré-
compensera de cette perte par les voies que vous ne savez pas,
parce qu'en évitant ee procès , vous avez évité mille péchés
qui vous eussent fait perdre la grâce de Dieu pour un peu
de bien temporel , que peut-être vous reçussiez pas obtenu ;
car l'expérience fait voir que l'issue des procès est fort in-
certaine , qu'il n'est rien de si mal assuré que ce qui dépend
de l'opinion et de la volonté des hommes. La justice est
comparée à une ceinture : Justifia cingulum lumhorum
ejus ; (Isa. 14. 5.) mais dans les tribunaux de ce monde,
il est quelquefois du jugement des hommes , comme de la
ceinture des femmes qui penche toujours du côté de la bourse,
et par conséquent du côté gauche.
N. — ($piritualia.)Lesb\ej\s temporels auxquels vous
pouvez prétendre par ces procès sont fort incertains , et les
maux spirituels qui en arrivent sont presque infaillibles 5
car ce proverbe commun n'estque trop véritable : Dans une
livre de procès il n'y a pas une once d'amitié ; ce ne sont
pour l'ordinaire que des haines , des rancunes, des envies ,
des querelles de rage, de colère et d'inimitiés contre ceux
qui plaident ; toutes les fois que vous voyez votre adverse
partie , ou quelqu'un de ses gens , vous le souhaitez à cent
pieds dans terre , vous le donnez au diable, vous formez des
desseins de vengeance. Il me paiera mes intérêts , mes
voyages, je ne lui en rabattrai pas un sou, j'aurai des let-
tres monitoires , je le ferai excommunier. Vous parlez mal
de lui , vous le faites noir comme un démon. Cest un voleur,
il me coupe la gorge à moi et à mes enfants , il sera damné
comme Judas. Ecoutez parler ceux qui plaident, vous diriez
qu'ils sont les plus innocents du monde, que leur adverse
partie et les juges qui les ont condamnés sont les plus in-
justes et les plus méchants hommes du monde; et ce sont
eux-mêmes qui commettent mille injustices, ou d'effet ou de
volonté ; ils font des supercheries , ils falsifient des écritu-
res ; jurent avec mensonge ou équivoque, refusent de payer
DES PItOi 1 ié>
ce qu'ils doivent , int< rjcltenl des appels inutiles, subornent
Emoins, trompent les avocats, séduisent kou corrom-
pent les juges, s'il leur es! possible,
O. — ( Etema.) Ces crimes el autres semblables vous
engagent à la damnation irréparablement et sans ressource,
vous et vos enfants ou héritiers , car vous êtes obligé à la
restitution de tous les dommages et intérêts de ce procès
mal entrepris, mal poursuivi, mal jugé cl quelquefois à la
restitution de l'intérêt des intérêts; si la partie injustement
vexée eût fait profiter ce que vous lui avez volé , et si vous
ne faites cette restitution , vos héritiers le sachant sont obli-
gés de la faire , et faute de cela , point d'absolution valide,
point d'assurance de salut ni pour vous ni pour eux.
T E KT HJM P U -N Cl L M . Rêm cdlCl .
P. — [Cansulere fidem.) Pour éviter ces malheurs,
avant d'entreprendre uw procès , consultez ce que la foi,
l'expérience, la prudence vous dictent sur une entreprise si
dangereuse. Qui vult tecutn juàicio contendere , et tol-
Lre tuniann fit a m , dirait U ci cl pal Hum : (Mat. 5. /|0.)
Si quelqu'un vous intente un procès pour avoir votre robe,
donnez-lui encore votre manteau plutôt que de plaider,
i'it N ttre-Sauveur. Audi Apostolum cum imperio rcqis
tibteinantem , dit S. Bernard, (llomil. super m issu s. )
le héros de Jésus qui public à son de trompette son ordon-
nance. C'est, dit-il, un péché parmi vous que vous ayez i\cs
procès : I . Cor. 6. 7*) Beatus qui leyens Scripturam,
rerbavertit in opéra : Bienheureux celui qui ayant ré-
criture, ne se contente pas de la lire, mais encore a soin
do la mettre en pratique ; c'est ce que firent sagement les
Corinthiens ; ils profitèrent tant de cet avertissement de
S. Paul, que dans la seconde épltre (2. Cor. 11. 19.)
qu'il leur écrivit, il leur donna celte louange : « Liben-
<( ter raflertis insipientes , cum sitis ipsi sapientes ; susti-
.( netis enim si quis vos in servitutem redigit , si quis dé-
vorât, si quis accipit, si quis extollitur , si quis in faciem
vos c edit : Etant extrêmement sages vous supportez avec
4 14 SERMON CCLXX1X .
patience ceux qui ne le sont pas, et certes le joug que je veux
vous imposer n'est pas aussi rude que celui où vous vous
êtes soumis , car que quelqu'un vous réduise dans une
cruelle captivité, qu'il dévore vos biens par son avarice in-
satiable, qu'il prenne à plaines mains, qu'il vous traite avec
insolence, vous méprise , vous outrage et vous comble d'i-
gnominies , vous l'endurez patiemment , et vous ne laissez
pas de l'honorer ; nous devons les imiter pour assurer no-
tre salut. Voici ce qu'en disent les Saints; S. Chrysostôme :
« Frater cum fratre judicio contendit , et hoc apud infi-
« deles; duplex est crimen , et quod judicio contendit, et
« quod apud infidèles : si enim per se est peccatum cum
« fratre judicio contendere , etiam apud externos conlen-
« dere; non dico, inquit, aliquis injuriam facit, aut aliquft
« injuriam patitur ; jam eo ipso quod judicio contenditur ;
« uterque maie audit , et in hoc non est alius alio major :
« ne dicas ergo quis fecit injuriam ? hinc enim te condemno,
« ex eo quod judicio contendas : si est autem crimen quod
« ferre non possit eum qui facit injuriam , etiam injuriam
« facere quanta dignum est accusatione? » (S. Chrys. ho-
me!. 16. in 2. ad Cor. paulo ante médium.) S.Paul dit en
se plaignant : Un chrétien plaide contre un autre chrétien ,
et même devant des juges païens ; et S. Chrysostôme ajoute:
C'est un double crime en ce qu'il plaide et en ce qu'il le
fait devant des juges païens ; car si c'est un péché de plai-
der contre votre frère chrétien , c'en est un bien plus grand
que de le faire devant des étrangers ; je n'insiste pas sur ce
que l'un a droit et l'autre tort , mais sur ce qu'ils plaident
l'un contre l'autre , et en ce sujet tous deux font mal , et
l'un n'est pas meilleur que l'autre ; ne me dites donc pas ;
Je n'ai pas tort , car je vous condamne , même de ce que
vous plaidez ; et si c'est un péché de ne pouvoir souffrir
celui qui vous fait tort, quel bîâutf mérite celui qui fait tort
à son prochain !
{Experientiam.) L'expérience fait voir que ce conseil
de Jésus n'est pas seulement utile pour le salut et la per-
fcclioii de l'amc , mais aussi pour les biens temporels et
Dfifl PROCÈS. 1 15
pour l'avancement de notre fortune ; il n'est rien de si fatal
à une famille qu'un procès, les plus sages avoeats et autres
gens de palais, qui savent ce que c'esl du métier, n'en ont
i-'inais pour eux-mêmes , sinon en leur corps défendant et
par une nécessité inévitable. Le jurisconsulte a dit avec
raison que celui-là ne doit pas être blâmé , il faut encore
dire , mais beaucoup estimé et loué , qui a les procès eu
horreur : Liiea esterons non est nttuperandus y lilium
frolixitatem amputarê convenu ad publicam utilita-
tcm. Abstint a lits , et minues pecca/a. ( 1. Item si res
§ iinali de alienationc judieii , l. 1 . c. de novo codice fa-
ciemlo Eeeli. '28. 10.) Nous pouvons dire, minues curas,
minues damna, minues peccata.
(Prudentiam .) Quand vous avez des procès, vous êtes
rempli de soucis et de peines d'esprit, votre pauvre cœur
m accablé d'inquiétude , et d'empressement ; c'est un
lie-matin qui trouble votre repos, c'estdu fiel, qui dé-
trempe en amertume toute votre nourriture, une épine qui
Vous déchire de distractions en vos oraisons ; c'est un em-
barras qui occupe votre esorit jour et nuit : Dies diei
éructât /item, et nox nocti indicat malitiam. (S. Bern.
ad Eugenium. ) Quand les Turcs souhaitent du mal à
quelqu'un, ils disent : Que tu n'aies pas plus de repos
que le chapeau d'un Français ; ils devraient dire : Que
l d'un Français qui plaide; ce chapeau a un peu de
repos, au moins la nuit, ce pauvre esprit ne repose jamais,
ni le jour, ni la nuit, ni en dînant, ni en soupant. Vous ne
pensez qu'à cette chicane, vous vous alambiquez le cerveau
à chercher des inventions pour surprendre ou n'être pas
surpris ; vous ruinez votre santé, consommez votre temps,
gez votre famille , laissez en arrière vos affaires, ou-
ïe service de Dieu; vous perdez la giai^uiesse, les
sermons pour solliciter cette maudite affaire;
vous imaginez en voir la fin dans six mois, et on vous
croire pour vous y embarquer : et vous ne la verrez
de mx ans. C'est d'un procès comme de la renommée : Mo-
bililate riyet , riresque aequirit eund«* c'est comme
1 lf> SERMOM CCLXX1X.
des boules de neige qui grossissent à mesure qu'ils roulent ;
les incidents vous arrêtent plus que le principal , les frais
sont plus grands que ce qui est en question. En ce jeu des
insensés qui gagne perd , pour l'ordinaire ; mais celui qui
perd ne gagne rien; et quand vous gagneriez le principal
et tous les frais que vous y aviez faits, ce qui n'arrive jamais
ou fort rarement , quel est ce gain pour être comparé au
moindre degré de vertu et de grâce que vous auriez acquis
par les sacrements , prières, autres bonnes œuvres dont ce
procès vous a interdit l'exercice ? Quid prodest homini, si
universum mundum lucretur; animœ vero suce detri*
mentum patiatur? Du temps de S. Augustin , il y avait
en Afrique un proverbe qui disait : La peste vient-elle à
votre porte vous demander l'aumône , au lieu d'un sou
qu'elle demande, donnez-lui-en quatre et qu'elle s'en aille.
Faites de même à un chicaneur , dit S. Augustin ; (hom.
\ 0. ex 50,) c'est une peste qui gâte tout ; s'il vous demande
vingt livres donnez-lui-en trente et qu'il vous laisse en
repos, vous y gagnerez plus ; c'est comme un abcès, vous
désirez qu'il sorte bientôt , quoiqu'il emporte un peu de
votre peau : vous serez délivré de la douleur que vous en
souffrez, la peau reviendra petit à petit, dit le même Saint :
Abstine a llte et minues peccata , (S. Aug. ibidem.)
fuyez les procès et vous vous rachèterez de plusieurs pé-
chés. Comme l'eau éteint Je feu , ainsi l'aumône délivre clu
péché , dit le Saint-Esprit ; perdre plutôt votre bien que
d'entreprendre un procès, c'est une aumône que vous faites
à votre prochain et à vous-même ; c'est une œuvre de mi-
séricorde spirituelle, aumône d'autant plus salutaire, d'au-
tant plus excellente, d'autant plus méritoire, d'autant plus
agréable à Dieu , (sue l'âme est plus que le corps , le ciel
plus que la terre, les choses éternelles plus que les péris-
sables. S. Chrysoslôme vous déclare, que si vous laissez à
votre frère ou à votre prochain cette rente , cet héritage ,
cet argent qu'il vous retient injustement , plutôt que àî
plaider et de passer deux ou trois ans en inquiétude , tra-
cas, inimitiés , vous faites une action plus méritoire et plus
dks pno< ksi 1 1 T
iMe à Dieu , quo si vous donniez cet argent aux pau~
vio, cet héritage à l'hôpital, quoique votre frère soit plus
riche que vous. Le Sauveur ne dira pas de vous au juge-
ment : Ce que vous aurez fait aux pauvres , mais : Ce que
vous aurez fait à un seul des miens , vous me Pavez fait ;
(Malth. 25. 'i0.v et eu s. Mare, (1 0. 29.) il dit que celui
qui quittera quelque chose pour l'amour de lui et de l'E-
vangile , en recevra cent fois autant en ce monde, et la vie
éternelle en l'autre ; si donc vous laissez à votre prochain
quoi que ce soit de voire bien pour L'amour de Jésus , et
pour obéir au conseil qu'il vous en donne dans l'Evangile,
il est obligé de tenir ses promesses, et il n y manquera pas;
vous dites qu'il va autant de péché de perdre son bien que
de dérober celui d'au h ni , cela est très faux ; mais quand il
serait vrai , est-ce perdre votre bien , que de le laisser à
votre prochain pour avoir la paix? tant s'en faut qu'il y ait
du péché à lui donner votre bien , qu'au contraire dans un
n vous seriez obligé de lui donner votre vie. S. Jean
vous le déclare : Et nos debemus pro fratribuâ animas
ponere.
' plutôt à plaider qu'il y a du danger de pécher; il
est vrai qu'il est quelquefois permis d'avoir un procès,
quand il e-<l question d'une chose de grande importance,
et qu'on a affaire à un esprit déraisonnable , et qui ne veut
r dans aucun juste accord; (concil. Agath. cap. 31.
S. Aug. in Enrichiridio ad Laurent, cap. 78.) mais de
plaider avec opiniâtreté, aigreur et animosité pour un peu
de bien temporel , ou pour avoir reçu une injure ; c'est
contre l'humilité, la douceur et la charité chrétienne, c'est
contre la conGancc que nous devons avoir en la providence
de Dieu. S. Augustin (s. 237. detempore, ante finem.)nous
en avertit par ces belles paroles : « Litigare vis cura inimico
n tuo , liliga prius cum corde tuo ; die animée lux quomodo
m orabo ? quomodo dicam : Dimilte nobis débita nostra ?
i ji tssum qu'idem hoc dicere sed hoc sequilur, quomodo
m dicam : Sicut et nos dimittimn* ? ubi est Odes , fac quod
• dicis ; non mil dimittere anima tua, et constritatur, quia
1 18 SKHMOiN CCLXXIX.
« dicis eî noii odissc ; responde illi ; quare tristis es anima
(( mea , et quare conturbas me , noli odisse , ne perdas
« me, quare conturbas me, spora in Deo : » Voulcz-
yous plaider avec voire ennemi, plaidez premièrement avec
votre cœur , dites à votre àme : Comment prierai-je Dieu ?
comment dirai-je en ma prière : Remettez-nous nos dettes?
je pourrai bien dire cela ; mais comment dirai-je ce qui suit :
Comme nous remettons à nos débiteurs ? Si vous avez la foi,
faites ce que vous dites; votre âme ne veut pas pardonner,
elle satiriste , parce que vous lui dites quelle n'ait point
de haine. Répondez-lui : Mon àme, pourquoi ètes-vous triste?
pourquoi me troublez-vous ? n'ayez point de rancune , de
peur que je ne sois damné ; pourquoi me troublez-vous 1
ayez espérance en Dieu.
Le même S. Augustin dit ailleurs : (Epist. 75. ad Auxi-
lium episcopum , sub finem.) Aufer litem , renova pa-
cem , ne tibi pereat homo amicus , et de vohis gaudeat
diabolus inimicus : Quittez ces procès , achetez la paix de
peur de perdre Faini tié de votre prochain, et que l'esprit
malin, votre ennemi, ne vous gagne tous les deux par les
inimitiés, les querelles, les dissensions, les malédictions,
les vengeances, les faussetés, les détractions, que les procès
ont coutume d'engendrer.
CONCLUSIO.
[Fer argumenta , etc.) Ne sit jurgium inter vos.
Evitez les procès puisqu'ils sont les effets d'une si mauvaise
cause , et qu'ils produisent des fruits si pernicieux; ils pro-
cèdent de l'avarice , de l'animosité , de l'opiniâtreté; ils en«
gendrent les haines , les médisances , les injustices ; ils font
perdre les biens temporels , les spirituels , les éternels : Ne
jurgium inter vos, fratres enim estis. Vous êtes enfants
de même père qui vous a recommandé avec tant d'affection
l'union et la concorde , qui vous a dit avec tant d'instance :
Ayez la paix entre vous ; qui a répandu son sang pour vous
acheter la paix , et vous a donné sa chair pour en être le
ciment. Ne faites pas comme les juifs : LUîgabant ergo
DES PROCES. 1 \lJ
■i; ideo litigabant , amûi panem concordiœ non
intelligebant , dit S. Augustin; Ibid.) ils be compre-
naient pas le mystère de l'eucharistie , qui nous oblige à
donner nos biens et notre vie , plutôt que de perdre la
charité.
Fratres enim estiê, vous êtes enfants de même mère,
de l'Eglise , qui est affligée quand elle voit ses enfants en
discorde , prenez-la pour arbitre de vos différents comme
faisaient les premiers chrétiens, au rapport de S. Augus-
tin ; (Lib. de opère Monacho.) ils s'adressaient à lYvèque
et s'en rapportaient à ce qu'il en jugeait. Allez à votre curé,
priez— le de prendre avec lui deux ou trois hommes intelli-
gents et vertueux , et qu'ils soient les arbitres de tous vos
différents.
Fratres enim eêtis, fraterfere aller , votre frère chré-
. est on autre vous— même; je veux qu'il soit votre dé-
biteur d'une pièee d'argent ; vous êtes aussi son débiteur de
chose bien pins grande, vous lui (levez la charité : Ne-
* quidquam deheatis , nisi ul invieem diligatis y ne
lui refusez pas la plus grande dette, quoiqu'il vous refuse la
petite, si vous vous en acquittez, si vous achetez la paix,
: roui vous aimez comme frères, vous serez vrais enfants
de Dieu, car Jésus a dit : Beati yacijici , quoniam filli
Dei vocabuntur f et son apôtre a dit : Sifilii et hœredes :
Héritiers de Dieu , cohéritiers de Jésus-Christ au royaume
des cieux. Amen
===== rgEass
dm'
SERMON CCLXXX.
DE LA MEDISANCE,
y on furfum faciès.
Tu ne déroberas point/(Exoa. 20. 45.)
Puisque la bonne renommée doit nous è(re plus chère et
plus précieuse que toutes les richesses du monde, comme le
St— Esprit nous en avertit par la bouche du Sage : Melius
est bonum nomen quam divitiœ multœ , nous devons
conclure par bonne conséquence que ce septième comman-
dement, qui nous défend de dérober les biens de notre pro-
chain par rapine ou larcin, nous défend aussi de lui voler
son honneur par calomnie ou détraction. Supposant ce que
S. Thomas nous en a dit autrefois, et les cas de conscience
qu'il nous en a décidés au premier cours de mission, je me
contenterai aujourd'hui de vous montrer , premièrement ,
la malignité de ce vice, et puis je tacherai de consoler ceux
qui ont été noircis par les calomnies ou médisances des
mauvaises langues; ce seront les deux points de ce discours.
IDEA SERMONIS.
Ëxordium. À. Per quœ quis peccat , per hœc punitur.
Primum punctum. In detractorem: — B. 1° Ejus genium
explicamus. — C. 2° Causas. — D. 'S0 Effectifs.
Sccundiim punctum. Pro his de quibus susurro detra-
/ut.'—E.V Sciiptura.—F. 2° Exemplis.—G. 3°
Jlalionibus.
EXORDIUM.
A. — [Per quœ quis peccal, etc.)S\)r le chapitre vingt-
unième du livre des Nombres, (Num. 21. 5.) où il est dit
que les enfants d'Israël avant murmuré dans le désert contre
UOfl CCLXXX, — DB LA UBDISANCE. 131
le sainl prophète Moïse, Dieu leur envoya des serpents brû-
lants, qui les punissaient parleurs morsures, quelqu'un
pourrait demander pourquoi des serpents plutôt que des
. des tigres, des lions, «les léopards, qui eussent donné
plus de frayeurà ces rebelles, puisque Dieu leur envoyait ces
châtiments pour les contenir en leur devoir j>a 1* la terreur des
suppliées? Les interprètes de l'Ecriture répondent : C'est
que la coulpe el la peine étant corrélatives , il doit y avoir
entre elles quelque convenance, dit le droil canon et le civil,
(Capitulo non efferaraus 24. q. 1. 1. quae lam iï. depœnis.)
convenance, dis-je, en la qualité, selon cette parole du
Deuléronome : Pro mensitra peccati crit et plagarum
modus\ Deut.25.2.)et dans F Apocalypse: Quantum fuit
in di'Uciis, tantum date illi tormentum. (Apoc. 18. 7.)
Convenance en la qualité, selon celte parole de l'Exode:
' lumprooeuloydentempro dente. (Ëxod. 21. 2'i.)
' ui il • S > lome et de Gomorrlie furent con-
s | ii une pluie contre nature; car ensila nature du
nter, el celte pluie de feu descendit, et elle était
• de soufre ardent, qui est de mauvaise odeur, parce
qu'ils étaient adonnés au détestable péché contre nature,
qui est une ardeur puante et infâme : Valnus alit re/iis,
et cœco carpitur igni. Ainsi le cruel Pharaon ayant fait
et ou (Ter les petits enfants mâles des Israélites dans les eaux
du la rivière du Nil, fut aussi lui-même abîmé, avec les
ministres de sa cruauté, dans les eaux vengeresses de la
mer Rouge. Ainsi Halo, homme très riche à Maycnce,
l'étant moqué des pauvres dans un temps de famine , au
lieu de les assister d un grenier plein de blé qu'il avait , et
leurayant dit qu'ils étaient comme des rats, qui ne servaient
de rien en ce monde qu'à manger le blé, fut tellement per-
lé l'une multitude de rats, que, salant retiré dans une
tour au milieu du Rhin pour éviter leurs poursuites, ils
I «'iit la ri\ière à la nage et le dévorèrent, ou plutôt le
rongèrent, par un juste jugement de Dieu. (Mous t. Irv. 3.
i I donc furent punis par
des serpents, p n ■• [u'ils avaient commis un péché
122 SERMON CCI XXX.
de murmure et de détraction , et le serpent a toujours été
le symbole et l'hiéroglyphe de la médisance : Si mordeat
serpens in silentio, nihil minus eo habet qui occulte
detrahit : (Eccle. 10. 11.) Celui qui détracte en secret
est semblable au serpent qui mord à la dérobée, dit le Sage;
le Psalmiste dit : Ils ont aiguisé leurs langues comme celle
d'un serpent : Acuerunt linguas suas sicut serpentis.
(Psal. 139. 4.)
primum punctum. — In detractorem , etc.
B. — (]°Ejus genium ,etc.) Nous voyons au commen-
cement de la Genèse , que Satan voulant commettre la plus
horrible médisance et la plus noire calomnie qui puisse s'ima-
giner, voulant dire à la première femme que Dieu lui avait
défendu le fruit par envie, "prit la forme du serpent; et
comme cette entreprise par ce déguisement lui a bien réussi,
il a toujours pris piaisir de se déguiser en serpent, et d'être
adoré des hommes , ou de converser avec eux sous la forme
de cet animal. Daniel fit mourir un dragon, auquel les Baby-
loniens rendaient des hommages divins, comme il le rapporte
au chapitre quatorze de sa prophétie. (Dan. 14. 26.) Nous
lisons dans Pline (lib. 29. cap. 4.) que les Romains ado-
raient un dragon, comme si c'eût été un Esculape, et qu'ils
le firent venir tout exprès d'Epidaure pour être délivrés de
la peste qui affligeait l'Italie. Métaphrasle dit que S. Syl-
vestre le défit. S. Prosper nous apprend (de Praedest. part. 3.)
qu'au lieu de ce dragon vivant, ils en firent un de bois , au-
quel ils sacrifiaient, tous les ans , la vie de quelque pauvre
fille innocente. Dion écrit que l'empereur Adrien ayant bâti
un temple superbe à Jupiter-Olympien, il y posa un grand
dragon qu'il avait fait apporter des Indes , pour y être adoré
comme un dieu. L'esprit malin a l'inclination de prendre la
figure du serpent , qui est le symbole de la médisance ,
parce que le vice le plus noir et le plus remarquable qui soit
en lui, est celui de la détraction; il commit plusieurs péchés
au commencement du monde , dans le paradis terrestre,
péché de mensonge : Eritis sicut Du ; péché d'envie : In ri-
ni ia MÉDISANCE. 128
dia diaboH mort introirit in orbem ; péché d'homicide ,
faisant perdre la vie spirituelle et temporelle au premier
homme : llle erathomxcida ul> initia; pèche* de calomnie,
disant que Dieu était un envieux. Mais aucun de ces péchés
ne lui a donné son nom, que celui de la calomnie ; il s ap-
pelle diable, c'est-à-dire médisant ou calomniateur. S. Paul
(lit. '2. 3.) enseignant à un prédicateur les vices qu'il doit
dissuadera ses auditeurs, quand il parle des femmes, dit:
Recommandez-leur d'être chastes, caria gloire du sexe
féminin, c'est la modestie et la pudeur; de n'être pas sujettes
au vin : cela est bien vilain de voir une femme qui aime le
vin, car le père nourricier de Vénus, c'est Bachus ; de n'être
pas des médisantes, où nous avons : Non criminalrices ,
iion dêêraheniesj il y a au grec M *i*f8*Xfrw»j au lieu qu'au
latin il est dit : Recommandez-leur de n'être pas des
médisantes ; au texte grec, qui est le langage de S. Paul ,
ii \ i : Recommandez—leur de n'être pas des diables ; être
m médisant, el être un diable, eYst la même chose dans
iture; entre un détracteur et un serpent de L'enfer, il
n'y a point de différence. Pour connaître les rapports et les
grandes convenances qu'il/ a entre le serpent et le péché
de médisance, nous devons considérer les causes et effets
de ce vire.
C. — (2° Causas.) S. Basile (Homil. 5. inExameron.)
traitant de la création du monde , croit qu'en i'etat d'inno-
etde la justice originelle, les roses étaient sans épines.
S. Augustin (lib. 1 . de Genesi contra Manichœos, cap. 1 3.)
pense que les plantes , qui sont à présent venimeuses , no
Pétaient pas en ce siècle d'or. Aussi plusieurs théologiens
tiennent pour tout assuré , qu'avant le péché du premier
homme le serpent n'avait point de venin; au moins il est
de controverse , qu'il n'était pas ennemi de notre na-
; ce fut après la chute d'Eve et de son mari , que le
I dit au serpent : Inimicitias ponam inter te et
inuln | sauva fuuni, et fg)M en illius. ( Gènes.
Ij. \o. Cette antipathie et inimitié qu'il a contre nous, e.A
i D punition du péchii , ainsi la deUaclion n'est jamais le
124 SERMON CCLXXX.
premier péché , elle est un effet et une suite de la haine ,
ou de l'envie, ou de l'orgueil, ou d'autres semblables dé-*
règlements.
Vous vous imaginez que quelqu'un vous a désoblige ;
vous avez conçu une haine, ou une aversion contre lui ; il
y a du fiel dans, votre cœur, il se répand sur votre langue :
Charitas operit multitudinempeccatorum : La charité
cache tant qu'elle peut les manquements du prochain ; elle
est patiente , débonnaire : donc quand vous découvrez les
fautes de votre frère; quand vous les exagérez, quand vous
en faites des railleries et des contes à plaisir; votre cœur est
vide de charité, vous séchez d'envie contre votre prochain ;
la vertu, la science, les richesses, quelques autres avantages
qu'il a sur vous, vous font ombre et vous piquent de jalousie.
Siunma petit livor , pe? fiant altissima venti : Le vent
pestilent de la médisance , attaque ce que l'envie ne peut
renverser. Vous ne pouvez désavouer la vertu de voire
prochain, parce qu'elle est trop évidente ; vous la ravalez
tant que vous pouvez , vous tachez de la flétrir ou de la
diminuer ; vous ne pouvez éteindre sa science , vous la ra-
valez tant que vous pouvez; vous ne pouvez déchirer sa belle
robe, vous déchirez sa réputation; vous faites que votre cœur
s'élève , vous vous entiez en vous-même , vous êtes ravi
de ce qu'il vous semble que les autres sont au-dessous de
vous, que vous n'êtes pas atteints des vices et des imper-
fections qui les avilissent : Non sum sicut cœteri ; vous
êtes bien aise qu'on le sache , qu'on apprenne les manque-
ments des autres, qui donnent du lustre et de l'éclat à vos
perfections prétendues , comme les ombres aux vives cou-
leurs en un tableau.
Fera justifia compassionem hahet , faîsa indigna-
tlonem, dit S. Grégoire. L'expérience fait voir que les
plus grands Saints sont plus tendres à porter compassion aux
fautes de leur prochain , moins clairvoyants à les remar-
quer , plus enclins à les excuser , parce qu'ils ont plus d<?
lumières pour connaître la faiblesse de la nature humaine ,
plus de crainte d'y succomber eux-mêmes ; ils ressentent
i . 125
veulent leurs propres imperfections , que • elles des au-
; i ur sei bleui fort p ; .
— ( 3e Effectua* ) De là viennent les très fune l .
- de ce vice maudit , très bien représentés par les pro-
priétés de la langue du serpent. Lingua serpentis tri-
$ulcay dit Pline : La langue du serpentes! un trident, qui
a trois pointes; elle fait (rois blessures en un seul coup; mais
oui sent si petites et si près Tune de l'autre , qu'elles ne
semblent qu'une seule. La langue du médisant en fait
beucoup plus , et des blessures bien plus mortelles ; elle
blesse le pauvre absent, elle, blesse les assistants, elle blesse
grand nombre d'autres personnes. Peut-être que celui dont
vous parlez mal, est innocent , et qu'il n'a pas fait la faute
dont vous le blâmez, ou s'il l'a commise, peut-être qu'il en
est repentant , ou s'il ne s'en repent pas à présent, peut-
être qu'il aura quelque jour disposition à s'en repentir; s'il
est innocent, vous lui faites grand tort , votre crime n'est
pas une simple détraction , mais une calomnie, que David
tout saint et prophète qu'il était, appréhendait au dernier
point : Redime me a calumniis hominum; non calum-
nientur me superbi; tio/t tradas me calumniantihua
me. Vous êtes obligé de vous rétracter , et d'aller trouver
ceux à qui vous en avez parlé, de leur dire que vous voue
êtes trompé, que vous savez assurément le contraire. S1ilcst
repentant , en le décriant, vous lui dérobez en partie le fruit
de sa pénitence, vous démentez le bon Dieu, vous empêchez
que sa promesse ne se vérifie en ce pauvre homme. Il a
promis par Ezéchiel, que si le pécheur fait pénitence, son
crime ne lui portera point de dommage ; (1) et vous faites
qu'il en reçoit de très grands, étant ruiné de réputation par
votre maudite langue, et même il peut arriver qu'il en perde
les biens el la vie; vous dites que cette fille n'a pas toujours
été aussi vertueuse et aussi dévote, qu'elle Pest à présent,
qu'elle a autrefois bien fait parler (Vcilc : cette parole dé-
tournera un bon parti qui l'eût demandée en mariage. Vous
(1) Impictns im^ii non ' , in quaçutnqae die convenus fucril nu
1 ecb. ~)o. \-l.)
126 SERMON CCLXXX.
dites que cette femme a été soupçonnée de sorcellerie ,
quelqu'un parlant après vous ôtera ce mot de soupçonnée ,
et dira hardiment qu'elle est sorcière; ce bruit se répandra
par tout le voisinage ; si elle tombe entre les mains de la
justice , cette mauvaise réputation jointe à quelques autres
indices, portera le juge à la condamner à la question ou à la
mort, ensuite de cette maxime des jurisconsultes : Bona
fama aliquando salvat vitam suspecti de crimine. ( L.
non omnes , ff. de re milit. L. ff. de incendio , ruina et
naufragio. )
Celui qui dérobe quelque meuble d'une maison pendant
l'incendie , est puni bien plus grièvement, que d'un simple
larcin; combien plus celui qui jetterait du bois et de l'huile
dans l'incendie , pour avoir plus de commodité de dérober;
c'est ce que fait le flatteur , le rapporteur , le boute-feu des
familles et des républiques ; il allume les dissensions , il
parle mal du gendre à son beau-père, du beau-père à son
gendre , pour faires ses affaires ; que de haines , que de
querelles, que de dissensions, que de procès, que de fac-
tions, que de maux presque irrémédiables s'engendrent de
ces rapports diaboliques ! c'est comme la langue du serpent,
elle ne pique qu'en un endroit , mais son venin coule et se
répand en plusieurs autres parties. S. Jacques en apporte
une autre comparaison : Il ne faut quelquefois que fort peu
de feu pour allumer un grand incendie , et pour brûler et
réduire en cendre toute une forêt , parce que le feu passe
de branche en branche, d'arbre en arbre, et lingua ignis
est; (Jacq. 3. 6.) une parole de médisance passe de bouche
en bouche, de maison en maison, de rue en rue, et va tou-
jours en augmentant, enfin ce pauvre homme est diffamé par
toute la ville ou toute la province, et ce qui est plus déplorable,
plusieurs en perdent la vie de la grâce , car ceux qui écou-
tent volontiers les détracteurs contribuent à la détraction,
et sont participants de leur crime. Ecoutez S. Bernard :
( Serm. 24. in Cant. ) « Unus est qui loquitur , etunum
«c tantum verbum profert, et tamen illud unum verbum uno
v in momento multitudinis audienlium dum aures inficit ,
LA MÊ0I8ANI I , 121
n animas interficit : u II arrive quelquefois qu'en une cotn-
ik il n y en a qu un qui parle , e( ne dit qu'une parole ,
et celle parole en un moment .souille les oreilles , et tue les
âmes de plusieurs personnes qui feeoulcnt.
(hic dites-vous crime maison de cette ville, où l'on se
divertit ordinairement par ce jeu ? plusieurs dames y étant
assemblées, il y en a une qui prend une chandelle éteinte et
encore toute fumante, qu'elle va présenter an nez de toute
la compagnie, et tant sYn faut que quelqu'une s'en offense,
qu'au contraire toutes flairent celte puanteur avec grand
contentement, et plusieurs de ces dames étant enceintes ,
leur fruit meurt de cette mauvaise odeur , et donne la mort
à la mère. Cette maison est la vôtre. Le Fils de Dieu dit
aux âmes chrétiennes, et principalement aux ecclésiastiques:
A OU* êtes la lumière du monde ; si quelqu'un par fragilité
humaine commet un péché mortel , c'est une chandelle
éteinte de liés mauvaise odeur en l'Eglise. Que fait-on
chez vous, quand il y a des assemblées ? on met au nez des
assistants celte chandelle éteinte; si une (ille dévote s'est
e abuser , si un prêtre ou un religieux a commi> un
scandale, c'est de quoi on vous entretient; vous y prenez
grand plaisir, vous flairez cette puanteur avec grande sa-
tisfaction; et quelques-unes de la compagnie , qui étaient
enceintes de bons propos et de saintes résolutions de se con-
vertir, en sont détournées, et les perdent, voyant qu'elles
ne sont pas seules pécheresses au monde.
Le détracteur est appelé pécheur sans adjonction et par
antonomase, parce que sa médisance est cause d'une infinité
de crimes , qui se commettent. (1) Le Texte sacre nous
en apporte un exemple mémorable, mais bien tragique. Au
! remiet livre des Rois, ( 1 . Reg. 21.1.9.) David fuyant
la persécution du roi Saul, qui 'le poursuivait à mort, et se
trouvant en extrême nécessité de vivres, eut recours à Achi-
fl en la ville sacerdotale de Nobé. Ce bon prêtre
sachant son innocence , et connaissant qu'il était selon le
cœur de Dieu, le reçut charitablement , et lui donna du
(1) Os pecotOi if j crlliUl ,.... /fs<1{# |08 # 2t)
128 SERMON CCLXXX.
pain. Un détestable flatteur nommé Doeg Payant vu, va le
rapporter au roi , comme un grand crime : Sire, xlchimé-
lech a reçu David avec grand accueil, lui a fourni des vivres
et des armes , et a consulté l'oracle contre votre majesté.
Satil prend feu là-dessus, envoie quérir Achimélech sur-le-
champ, et lui dit : Pourquoi avez-vous reçu et caressé mon
ennemi? Hélas ! répondit ce bon prêtre, qui a ainsi noirci
David en l'esprit de votre majesté? elle n'a pas de plus fidèle
serviteur que lui ; vous savez qu'il a souvent exposé sa vie
pour votre service. Sire, je vous assure avec vérité , que je
ne savais pas que votre majesté l'eût disgracié. Le roi, sans
avoir égard à ses excuses légitimes, commande à cet exé-
crable valet d'en prendre vengeance; ce qu'il fait avec tant
de cruauté, qu'il égorge en même temps quatre-vingt-qua-
tre prêtres avec Achimélech, et va passer par le fil de l'épée
tous les habitants de la ville de Nobé, grands, petits, hom-
mes , femmes , pauvres , riches, sans épargner àme vivante :
quelle horrible boucherie !
sfxuisdum punctum. — Pro lus de quihus, etc.
E. — (1° Scriptura.) Quand les enfants d'Israël furent
importunés des serpents qui les piquaient dans le désert,
l'Ecriture (Num. 21 .) ne dit point qu'ils se soient amusés à
les faire mourir, mais qu'ils s'adressèrent à Moïse, le sup-
pliant de prier Dieu pour eux, afin d'en être délivrés ; faites
comme eux , et vous vous en trouverez bien. Quand les lan-
gues venimeuses des calomniateurs ou médisants jettent leur
venin contre vous, au lieu d'en rendre vengeance, recourez au
Fils de Dieu , priez-le de vous justifier, de prendre en main
votre cause, d'être l'avocat et le protecteur de votre inno-
cence : Deus laudem, mea?n ne tacueris : quia os pec—
catoris et os dolosi super me apertum est. Pro eo ut
me diligerint, detrahehant mihi : ego autem orabam.
(Psal. 108. 2. h-.) Priez-le que s'il donne le pouvoir à ces
bouches diaboliques de flétrir votre renommée en punition
de vos péchés, il ne leur donne pas le pouvoir de souiller
et perdre votre àme : Domine , libéra animant meam a
lahiis iniquis, et a lingua dolosa*
DE LA MÉDI3ANCB. 129
Souvenez-vous de ce que S. Grégoire <iit : «; Ne iûimo-
(i Jeiat i> laudibus erigamur ,plerumque miroreclorisnostri
m moderamine eliam detractionibus lacerari pcrmiltitur :
n ut cum nos vox laudantis élevât, lingua delrabentis hu-
« miliet : quia et arbor sape , quœ unius vend impulsu ita
i impcllitur , ut prnc jam erui posse videatur, allerius e
« divcrso venicutis flatu erigitur, etquee hac ox parte in-
«( llcxionem perlulit, ab alia ad statuai redit : » (S. Greg.
lib. 22. in Jub. cap. 5.) De peur que les louanges qu'on
nous donne , ne nous enflent , il arrive souvent par nue
merveilleuse providence de Dieu, que quelque niauvai.se
langue nous déchire, et Dieu le permet ainsi, afin qu'à me-
sure que fa voix du flatteur nous élève , la parole d'un dé-
tracteur nous humilie, comme un arbre qui penche d'un
côté, et qui est sur le point d'être renversé par un veuf im-
pétueux , est quelquefois redressé et affermi par un vent
contraire. C'est ce que S. Paul disait de lui et de ses com-
pagnons : Pergloriam et ignobilitatem , per infamiam
et bonnni famam. (2. Cor. G. 8.) Dieu permet que les
uns nous honorent et disent du bien de nous, afin qu'on re-
çoive mieux l'Evangile que nous prêchons ; et il permet que
Autres nous méprisent et parlent mal de nous, de peur
que le bon succès de nos prédications ne nous élève et rende
superbes.
F. — (2° Exemplis.) Ceux qui étaient piqués des ser-
pents dans le désert, pour être guéris de leurs morsures ,
devaient regarderie serpent d'airain, qui était la figure de
Jésus crucifié, comme lui-même le dit en S. Jean. (3, 14.)
Quand nous avons reçu quelque atteinte d'une langue mé-
disante , le remède le plus doux et efficace que nous puis-*
sions y appliquer, c'est de considérer que notre Sauveur a
été souvent exposé, et en ses membres , et en sa propre per-
sonne, aux piqûres de ces vipères. Quelles calomnies u'a-t-on
vomies contre les plus grands saints et les plus illustres
tts qui aie en l'Eglise ?
S. iquedc Jérusalem, fut accusé d'impureté
Wr i: !<:'!]oin>, nui déposèrent contre lui avec de
I 30 SERMON CCLXXX.
grands serments ; le Saint n'ayant pas pu se purger , il se
retira dans le désert; mais le mal que ces imposteurs s'é-
taient désiré , en cas qu'ils ne dissent pas la vérité, leur étant
arrivé, le Saint retourna à son église , en étant instamment
prié par ceux de son diocèse.
S. Eustachîus, patriarche d'Antioche, ayant été accusé
(fadultère par une femme débauchée , et condamné par les
juges, fut justifié par la même femme , qui étant au lit de
la mort, confessa quelle Pavait fait méchamment, à la sol-
licitation des hérétiques eusébiens.
Le pape Sixte 1ÎI fut accusé par Basse et Marinien, hom-
mes très illustres dans le monde , devoir violé une vierge
consacrée à Dieu, nommée Chrysogonite; mais il en fut
purgé au concile de Rome, tenu Pan quatre cent trente-
trois ; et ses accusateurs convaincus de fausseté, furent con-
damnés à de grandes peines ; et ce saint pape fut si bon
chrétien , que Tun de ses calomniateurs étant mort par la
vengeance du ciel , il l'ensevelit et l'embauma de ses pro-
pres mainsB, et le mit honorablement au sépulcre de ses
ancêtres.
Le pape Simmaque fut accusé d'adultère devant le roi
Théodoric , parFestus et Probinus , sénateurs ; mais il s'en
purgea , et fut déclaré innocent en un concile de cent cin-
quante évèques , tenu à Rome l'an cinq cent deux.
Théodose rapporte qu'une femmelette , subornée par les
hérétiques , fit de grandes plaintes en un conciliabule d'é-
vêques , contre S. Athanase , disant qu'il l'avait prise par
force; mais comme elle ne connaissait pas le Saint, un de
ses prêtres , nommé Timothée , lui demanda en pleine as-
semblée : Est-ce moi qui vous ai déshonorée ? oui , c'est
vous-même ; messieurs , je vous demande justice. . . . Ce qui
découvrit la fourberie, et couvrit de confusion les ennemis
% Saint.
L7évêque Ithacius, (Sever. Sulpit. lib. 2. Histor. sacr.)
trop zélé contre ceux qui étaient adonnés à la lecture et au
jeûne, accusa injustement S. Martin d'être hérétique pris-
eillianistej mais la vie du Saint l'exempta des atteintes <Je
ni iv MBOiaiJNGB. 131
tettc calomnie. S. Denis, patriarche d'Alexandrie, fut
faussement accusé d'avoir écrit contre la foi. Il s'en purgea
par une belle apologie, en un concile assemblé à Home ; cf.
5. Âlhanase le loue comme un homme 1res catholique et
très orthodoxe. (Baron, anno. 263. et seqaent. -S, Athan.
in defens. Dionys.) La princesse Théotiste, issue de la race
impériale, et quelques autres catholiques, furent soupçon-
nes de plusieurs hérésies à Constanlinople ; S. Grégoire-
fe-Grand y étant arrivé , et les ayant examinés, les trouva
très orthodoxes et très sincères en la foi. (S. Greg. lib.
6. registr. epist. l2(J.)
Je vous dirai donc, cl avec beaucoup plus de raison,
comme Phocion disait à un pauvre homme qu'on conduisait
au supplice avec lui, et qui se plaignait qu'on le faisait
mourir à tort : Coquin que vous êtes, lui dit-il, ne vous
est-il pas plus honorable que vous ne le méritez de mourir
avec Phocion? Nous nous plaignons que c'est une fausseté,
une imposture et une calomnie noire qu'on a forgée contre
nous ; je veux qu'il en soit ainsi; ne nous est-il pas plus
eux que nous ne méritons, d'être traités comme les
prélats des quatre chaires patriarchales , Rome, Antioche,
Alexandrie, Jérusalem? d'être traités comme les docteurs
de l'Eglise , les chefs d'ordre , les princesses , les papes et
autres saint-? d'être traités enfin comme le Saint des saints ?
Si compatimur et conregnabimus : Si nous sommes par-
ticipants de leurs persécutions, nous serons associés à leur
gloire.
G. — (3° Rationibus.) Je vous dirai avec S. Chrysos-
I6me : Le crime dont on vous accuse est vrai, ou faux et
supposé. S'il est vrai , servez-vous de cette repréhension
comme d'un remède purgatif, pour vous corriger de votre
faute. Cest, ce que fit sainte Monique au rapport de S. Au-
gustin, quand elle était encore jeune fille. Elle se servit
d'une injure qu'une serrante lui dit, comme d'un coup de
lancette pour crerer Papostume d'un vice dont elle avait déjà
commencé de contr tcler l'habitude. S'il est faux et supposé,
j)j|es comme M : fn ç&h tetfti meus: et commesaint
132 SERMON CCLXXX. DE LA MEDISANCE.
Paul : Gloria nostra hœc est testimonium comeienlift
nostrœ.
Si vous avez commis le crime dont on vous taxe, sachez
qu'en endurant patiemment les railleries qu'on en fait, par-
donnant de bon cœur à ceux qui Pont découvert ou qui en
médisent, celle patience, cette humiliation et ce pardon,
sont une très bonne et très efficace pénitence , qui expie voire
péché, qui satisfait pour votre offense à la justice de Dieu.
C'est ce que S. Ghrysostôme nous enseigne , alléguant à ce
propos l'exemple du publicain qui fut justifié par le phari-
sien : Descendit hic justificatus ah illo , non pas ///y?
illo, mais ah illo ; c'est qu'ayant enduré patiemment le
mépris que le pharisien faisait de lui , celle patience et hu-
miliation lui servirent d'absolution pour le justifier devant
Dieu. Si le crime qu'on vous impute est supposé, armez-
vous des paroles de Jésus qui dit : Vous êtes bienheureux
quand les hommes vous maudiront, vous persécuteront,
quand ils diront injustement toute sorte de maux contre vous;
si vous l'endurez pour l'amour de moi , réjouissez-vous et
tressaillez d'allégresse ; car votre récompense est très grande,
très riche, très prêteuse, très abondante dans le ciel en la
gloire eterne&'d. Amen*
SERMON CCLXXXI.
TROMPLR1LS,
i\V<N fohum lesthnonhim dices.
Faux tcin tignages ne diras, ni mentiras aucunement. (Exotl. 20. 1G.)
Si l'observance des cinquième , sixième, et septième com-
mandements qui nous défendent d'attenter à la vie de noire
prochain, de déshonorer sa femme, de lui enlever ses
liions , est d'une haute importance pour notre salut , de
quelle importance ne lui sera pas l'observance du huitième,
qui nous défend les faux témoignages , qui font souvent
p nlie la vie , l'honneur, les biens temporels du prochain,
ci même quelquefois les spirituels? Pour traiter ce sujet
bien à tonds, et le rendre plus universel , il est à propos de
considérer trois péchés qui choquent ce commandement :
les jugements téméraires, les mensonges et les fourberies.
Ce seront ks trois points de ce discours.
1DEA SERMONIS.
Exordium. Veritas est Deo simillima , et est triplex ,
nempe cordis, oris, et operis. — A. Sermo agit cou*
ira falsitaics cordis , quœ sunt judicia temeraria;
oris nempe mendacia operis, falsitates.
Primum punctum. Contra judicia temeraria : B. \°
( 'onsideraiureorumnatura. — C. 2° Causœ, nempe
levitas mentis* — D. Defectus charitatis. — E. 3°
Perversitas voluntatis. — F. Ejjcctus in Chrislum*
— G. Inproximum, — 11. 4° /// nos. — I. Remédia.
Se. -1111.11111 punctum. Contra mendacia : L. 1° Officias a
>j>< batur Scriptura , Patrikus responsione
9
134 SERMON CCLXXXI. DES JUGEMENTS
ad objectiones. — M. 2° Perniciosa quœ damnantus
raiionibus , Patribus, paganis.
Tertium punctum. N. Contra fraudes et dissimulation es \
quorum multitudinem et malitiam Scriptura docet.
Conclusio. O. Agens contra prœdicta vitia, Scripturis}
historiis , ration ibus.
EXORDIUM.
A. — [Veritas est, etc.) S'il e,t vrai , ainsi qu'on le dit
ordinairement , que le semblable aime son semblable , le
prophète royal (Psal. 50. 8.) a eu grand sujet de dire que
Dieu aime la vérité, puisqu'il n'y a rien qui ait autant de
rapport, de conformité et de ressemblance avec l'être de
Dieu, que la vérité. Nous reconnaissons et adorons en Dieu
trois admirables propriétés , qui l'affranchissent des imper-
fections dont les créatures sont esclaves ; il n'est pas sujet
au temps, car il est éternel : A sœculo, et usque insœcu~
lum tues; il n'est attaché à aucun lieu, car il est immense :
Cœlum et terram ego impleo ; il n'est pas sujet au change-
ment, car il est immuable : Ego Deus, et non mutor; et
nous pouvons reconnaître dans la vérité un écoulement et
une participation de ces trois perfections. Ce qui est éternel
a toujours été , ne s'aitère pas avec le temps , ne tombe ja-
mais en décadence. Quoique les cieux soient les plus nobles
ouvrages de Dieu, après les anges et les hommes, parce
qu'ils ne sont pas éternels , ils périront quelque jour , ils
s'useront de vieillesse, comme un vêtement porté trop long-
temps : Opéra manuumtuarum sunt cœli ; ipsi péri-
bunt, etsicut vestimentum veterascent. (Psal 101 . 27.)
La vérité n'est pas de cette trempe, elle n'est pas sujette
au temps, mais éternelle. Témoin les philosophes , qui re-
connaissent certaines propositions qu'ils appellent d'éternelle
vérité; car que trois et quatre soient sept, que le tout soit plus
grand que sa partie , cela est vrai de toute éternité, et sera
vrai en toute éternité; et pour montrer que la durée de la
vérité n'est pas successive , mais tout ensemble , ce qui est
propre à Téternité , on ne dit jamais cjue trois et quatre
TEMERAIRES, MENSONGES RI TROMPERIES. l'A'
(■ni été sept , ni ((ne trois et quatre seront sept , niais que
dois et quatre sontsepl ; comme à proprement parler on
ne dil pas que Dieu a <;té OU qu'il sera, mais qu'il es! :
Ego su m qui s a /a ; qui est muni me ad vos. (llœc ex J";.
Aug. lib. de immort, anima, c. 1. et 4. ct5f-lib. 12.de
Trinit. c. 14. - lib. 6. musieœ , cap. 12. - lib. 2. de or-
dine, cap. 14. - lib, 2. de doelrina Christ, cap. 32. et 38.
- lib. 1 1 . de Civ. c. 25. et alibi.)
Secondement , la vérité n^st pas retranchée en un cer-
tain lieu ; elle est immense et en tout lieu, elle est toute eu
tout le monde, toute en chaque partie du monde, toute en
tous les hommes, toute en chaque particulier ; car que le tout
soit plus grand que sa partie, cela est vrai en Turquie , en
Arabie , aux Indes , à la Chine , en Europe, en Asie et par-
tout ; et si Dieu créait cent mille mondes , cette vérité y
serait aussitôt reçue et reconnue qu'ils seraient créés.
Y.w troisième lieu , la vérité n'est point sujette au change-
ment , elle esl immuable , invariable , incorruptible , tou-
jours la même; elle ne s\ise point, ne se diminue point, ne
s'augmente pas , ne se corrompt pas , ne s'altère pas , ni par
le temps, ni par les lieux, ni par les accidents; car que
trois et quatre soient sept, cela est aussi vrai à présent qu'il
Pétait il y a six mille ans , et il ne sera pas plus vrai d'ici à
cent mille ans qu'il l'est maintenant; il est aussi vrai dans
l'esprit d'un petit garçon que dans l'intelligence d'un géant;
et quand tout le monde périrait , quand tous les hommes et
tous les anges seraient anéantis, il ne laisserait pas d'être
vrai que trois et quatre font sept, que le tout est plus grand
que sa partie. Or, la fausseté étant contraire à la vérité,
comme en nous il y a trois sortes de vérités , il peut y ayoir
et il y a souvent trois genres de faussetés : il y a vérité de
pensée : Qui ioquitur verilatem in corde suof vérité de
parole : Loquimini reritatem y vérité d'œuvre : Opéra
cjus rcrifas et judicium ; ainsi il y a fausseté de pensée, ce
sont les jugements téméraires; fausseté de parole, ce sont les
mensonges; fausseté (rouvre, ce sont les fourberies. Le
Fi1- de Dieu défend les faussetés de pensée, quand il dit en
S. Jean : (?. 2 '\t/ Méjuge* pas scion l'apparence exlérie
4 30 SERMON CCLXXXL— -DES JUGEMENTS
primum punctum. — Contra judicia, elc,
B. — (1° Consideratur eorum natura.) Un ancien
disait avec raison, qu'il n'y a point d'art ni de métier dont
tant de gens fassent profession que celui des médecins ; sitôt
que vous vous plaignez d'une douleur de dents, de colique ,
etc. , vous trouvez cinquante médecins qui vous prescrivent
des remèdes; tous, à leur avis, fort salutaires; tous en effet,
ou la plupart fort inutiles. Cet ancien eût encore mieux ren-
contré, s'il eût dit que c'est l'office de juge que tout le
monde veut exercer ; il n'y a ni petit , ni grand, ni homme,
ni femme , ni homme de bien , ni méchant homme , qui ne
soit souvent tenté de juger des actions ou des intentions du
prochain ; et le Fils de Dieu nous le défend quand il dit :
(Joan. 7. 24.) Ne jugez pas selon l'apparence extérieure.
Ce qui fait dire à S. Bonaventure, (in stimulo amoris,
cap. 1 0.) que ce vice est une peste cachée, mais très funeste,
qui éloigne de nous le bon Dieu : Occulta pestis , sed
yravissima, quœ Deum fugatf et S. Augustin (lib. de
amicitia , cap. 24.) l'appelle le poison de la charité; et
S. Thomas conclut , que de juger témérairement du pro-
chain en chose grave est un péché mortel quand ce jugement
est accompagné de trois circonstances que notre Sauveur a
exprimées en ces trois paroles : Nolite judicare secun—
dum faciem. En premier lieu, pour qu'un jugement témé-
raire soit faute mortelle, il faut que le jugement soit volon-
taire et de propos délibéré ; car si ce n'est qu'une première
pensée qui se présente à notre esprit , et une promptitude à
laquelle nous renonçons quand nous nous en apercevons , le
péché n'est pas mortel ; Jésus ne dit pas : Ne judicelis ,
ne jugez point ; mais il dit : Nolite judicare , ne veuillez
pas juger ; il n'est pas en notre pouvoir de ne pas juger d'un
premier mouvement ; mais il est en notre pouvoir de ne pas
consentir à ce jugement, et de le rejeter de notre esprit.
En second lieu , ce n'est pas péché mortel quand on ne
juge pas absolument ; quand on ne fait que douter de la
chose, on ne fait pas un jugement formé et arrête , maïs
[ÉAAIAES, MENSONGES ET TROMPERIES. 137
il mi soupçon; on ne dit pas en soi-même : Assu-
rément cela est, mais cola pourrait être ; j'ai peur que cela
De soit pas; Jésus «lit \Nolitejudicare% non pas suspicari \
Je ne sais cependant si on pourrait excuser de péché mortel,
celui qui soupçonnerait volontairement un mal grave d'un
prélat , ou autres personnes rccommandables.
C — (2° Causœ , levitas mentis.) En troisième lieu ,
ce n'est pas péché mortel, ni même souvent véniel, quand
on ne juge que (\c ce qui est clair, évident et qui ne peut
I lie pallié et excusé par aucune raison. Si vous voyez un
homme tuer son prochain, faire mal avec une femme, blas-
phémer le saint nom de Dieu; ce n'est pas un jugement té-
méraire de penser qu'il est homicide, adultère, blasphémateur,
mais c'est juger témérairement que de juger sur de faibles
apparences ; c'est un mauvais effet qui procède de diverses
causes toutes plus ou moins vicieuses ; quelquefois c'est une
suite de la légèreté d'esprit, du désœuvrement: quand on
ne -ait pas s'entretenir soi-même , s'occuper de chose utile
<lan> sa maison, on cherche alors des divertissements dans
le dehors. Sénèquedit : Prtmutn argumenlum compositœ
mentis est posse consisterez et seenm morari : La marque
d'un esprit bien fait, le caractèred'une âme sage et bien assise,
c'est quand elle peut demeurer avec soi et s entretenir elle-
même. Ceux qui n'ont point d'entretien en leur intérieur en
cherchent au-dehors , rôdent par les compagnies ; ils
n'y peuvent être muets, ils apprennent des nouvelles, ils en
veulent dire, ils n'en savent pas assez, ils en inventent.
Lu ancien dans Plaide, les comparait à des guêpes; ces
mouches ne font point de miel , bourdonnent incessam-
ment , volent cà et là , sur les autels, sur les tiares , sur
ooronnes, et n'y laissent que des souillures ; ces fai-
néants qui ne savent à quoi s'occuper, passent leur temps à
juger, à médire des prélats, des rois, des juges, des prêlrorf,
des religieux , et comme ils ont l'esprit volage, ils croient
aisément tout ce qui leur vient en l'esprit, ayee quelque
peu d'apparence, soit bien, soit , mal comme ces habitants
de M
138 SKLIMON CCLXXX1. DES JUGE31ENTS
S. Paul et S. BaniUbé ( Act. 28. 1 . ) étant arrivés dans
Pile de Malte, après avoir été battus de Forage , firent un
peu de feu sur le bord de la mer pour s'essuyer. Une vipère
qui était dans le bois qu'on jetait au feu , sentant cette
chaleur extraordinaire , se jeta sur le bras de F Apôtre; ce
que voyant les païens , ils disaient entre eux : Ces voya-
geurs sont des impies, la vengeance du ciel les poursuit par
mer et par terre ; mais comme ils virent que le bras de
S. Paul n'enflait pas, et n'eu recevait point de dommage, ils
passèrent à une autre extrémité , se prosternant aux pieds
des apôtres , et voulant les adorer comme des dieux. Qui
cita crédit, le vis est corde,
D. — ( Defectus charitatis. ) S. Paul nous apprend
une autre chose de ces jugements téméraires : le manque
de charité ; c'est qu'il y a en votre cœur quelque secrète
jalousie , ou rancune, ou aversion du prochain, Charitas
non cogitât malum, dit l'Apôtre, la charité ne pense point
de mal, il n'en faut point d'autre preuve que l'expérience.
Si une personne que vous aimez bien faisait les actions que
vous censurez en votre ennemi , vous ne les prendriez pas
au criminel , comme vous faites , vous les interpréteriez
en bonne part. Comme celui qui regarde à travers un
verre rouge , tout ce qu'il voit lui semble de cette cou-
leur ; ainsi vous jugez des actions de votre prochain, selon
la passion d'amour ou de haine que vous avez envers lui.
Nous croyons aisément ce que nous désirons, et nous le
voyons volontiers, dit S. Thomas; vous n'avez point de ré-
pugnance , mais une grande inclination à croire le vice de
votre prochain , parce que vous lui voulez mal , ou parce
que vous êtes sujet aux crimes et aux imperfections que
vous vous figurez être en lui.
E. — ( Perversitas voluntatis \ ) Stullus in via am-
hulans, cum ipse insipiens sit, omnes stultos œstimat :
(Eccle. 1 0.3.) Le fou s'imagine que tous les autres lui ressem-
blent, ditle Saint-Esprit par la bouche du Sage ; et derechef:
Cor sapientis In davier a ejus , et cor stulti in sinistra
illiusj Le cœur de l'homme sage est au côté droit ? et celui
rÛAlKfiAIRES, MENSONGES il L'RO&IPBRIBS. 1313
du fou au côté gauche. 11 esl assuré que tous les hommes ont
le cœur placé au même lieu, quant à la nature ; mais il veut
aire que l'homme de bien juge en bonne part des actions de
(oui le momie ; le méchant mesure chacun à son aune ; il fait
(les jugements sinistres de la plupart des hommes. L'abeille
compose du Hiiol des fleurs les pins amures ; la mouche
cantharide t'ait du venin des plus douces. Une même pluie
tombant sur une vigne se change en vin très agréable; ar-
rosant une terre semée de ciguë , elle se change en poison
mortel. L'estomac sain et bien disposé fait du bon sang des
a iandes les plus grossières ; celui qui est cacochyme fait
des humeurs peccantes d'une très bonne nourriture.
T. — (3° Effectua in Chris tum. ) Et de là viennent
lés mauvais effets que ces jugements téméraires produisent
contre Dion, contre le prochain, contre nous-mêmes. C'est
faire tort au Fils de Dieu, c'est empiéter sur le ressort de
iridiclion , c'est usurper son oflicc ; vous n'avez ni la
puissance, ni la science, ni la probité qui sont nécessaires
pour bien juger; elles conviennent à Jésus seul, privative—
ment à tout autre homme ; il n'apartient qu'aux rcis ou à
ceux qui ont une autorité royale d'exercer l'office de la
judicature; juger et régner sont synonymes dans la Bible :
/ enit jwlicare terrant. Jésus en tant que Dieu , est le
lloi des rois , le Souverain des hommes et des anges ; en
tant qif homme, son Père Ta établi le Juge des vivants et
des morts : Conslitutus est a Deojudex vivorum et mor-
tuorum. (Act. 10. 42. ) Omnejudicium dédit Filio ,
quia Filius hominis est ; notez omne. Lui seul a la
science pour connaître les choses telles qu'elles sont, pour
ne pas se tromper, ni être trompé ; son Ecriture et son
Eglise disent qu'il sonde les reins, qu'il découvre tous les
I replis de notre cœur, qu'il perce à jour les plus secrè-
I intentions des hommes : Probas corda et
renés , Dette j imper fecium meum triderunt uculi tui;
TJcus, cui cor paie t^ et omnis voluntas loquitur; il juge
sans passion , sans préoccupation, sans acception de pei -
so:in 1res aimable bonté, une très adorable
140 SERMON CCLXXXI.-—bES JUGEMENTS
équité , une très admirable tranquillité : Non est perso*
narum acceptio apud Deunif dilexisti justifiant , et
odisti iniquitatem; tu autem cum tranquillitate judi-
cas. ( Act. 10. 34. - Psal. 44. 8. - Sap. 12. 18. )
Gardez-vous bien d'attenter à un office qu'il exerce avec
tant de pouvoir, de savoir et de justice, vous qui n'êtes que
faiblesse, que ténèbres, que misère.
G. — (In proximum.) N'est-ce pas une chose étrange?
pour vous faire croire une vérité catholique , très impor-
tante à votre salut, il faut vous alléguer l'Ecriture, les saints
Pères, Les conciles, les docteurs, les raisons de théologie;
et après tant de preuves , on a beaucoup de peine à vous
la persuader ; et si un flatteur , un je ne sais qui , vous
médit d'un absent, par envie ou malveillance, vous le croyez
sans preuve, sans témoin, sans autre forme de procès, vous
jugez l'absent, vous le méprisez, vous le condamnez ; c'est
lui faire grand tort , car peut-être qu'il n'a pas commis le
péché dont on le juge coupable. Le prêtre Héii ( 1 . Pteg.
1.13.) voyant la douce mère de Samuel faire ses prières avec
des gestes et des mouvements extraordinaires , jugea qu'elle
avait trop bu , et il n'y avait rien de plus faux ; ces conte-
nances procédaient de la ferveur de sa dévotion. Le prieur
de la chartreuse du Mont-Dieu, voyant S. Bernard monté
sur \\\\ cheval richement couvert , pensa qu'il y avait en ce
Saint un peu de vanité , et il se trompait ; le Saint était si
abstrait et si élevé à Dieu , qu'il n'avait pas pris garde à
l'ornement de la selle qu'un gentilhomme lui avait prêtée.
Les Juifs entendant les apôtres parler diverses langues , le
jour de la Pentecôte, disaient que le vin leur donnait cette
éloquence ; et c'était le Saint-Esprit. Un anachorète étant
venu à Rome , et voyant le grand S. Grégoire revêtu des
ornements pontificaux, dans la splendeur de la cour, pensa
qu'il n'était pas aussi saint qu'on le disait; et il lui fut révélé
que le Saint était plus pauvre au milieu de ses richesses ,
que lui dans sa pauvreté.
En second lieu , quand le prochain aurait été pécheur
jusqu'à présent et très grand pécheur , peut-être qu'il ne
1RES, Ml NSONGJ S I I TROMPERIES. 141
. mais qu'il est converti, et grand saint : Facile
in oculis Domini subito honestare pauperem f
(Eccli. I 1 . 23.) Suscifans a A rra inoptm, et de etercore
tri g en s pauperem ; ( Psal. 1 12, 7. ) Ubi abtmdavit
peccatum , superabundavit gratia* ( llom. 5. 20. ) Il
est aise au bon Dieu d'enrichir un pauvre en un moment; il
peut par regard de miséricorde relever un pécheur du bour-
bier de ses crimes ; où le péché a été abondant, la grâce
est quelquefois surabondante. Le pharisien disait de sainte
Madeleine , peccatrix est , elle est pécheresse ; cela était
très faux. L'évangélisle a dit : Erat in civitate peccatrix,
non pas est ; elle Pavait été, elle ne Tétait plus; elle était
très sainte. Le pharisien disait de Jésus : Si cet homme était
prophète, il ne se laisserait pas approcher par celte femme;
et c'était tout le contraire ; parce qu'il était prophète , il
connaissait le cœur amoureux de cette sainte, et se laissait
approcher (relie. S. Bonifacc ayant commis quelque péché
d'impur* t<; par fragilité humaine, fit pour expier ses fautes,
un grand voyage , de Rome en la ville de Tharse, pour
acheter et «honorer les corps des saints martyrs. Ses compa-
gnons le cherchant par la ville , quelqu'un leur dit qu'on
avait fait mourir pour le christianisme \u\ homme qui
lui ressemblait. Ils répondirent : Il est bien éloigne de se
faire martyriser, nous le trouverions plutôt avec une courti-
sane, qu'entre les mains des bourreaux ; ils le jugèrent fort
témérairement : car il était converti et maryrisé pour la foi;
et l'ayant trouvé mort , ils lui demandèrent pardon de ce
qu'ils avaient pensé et dit de lui; et il ouvrit les yeux, les
regardant d'un vidage riant , pour leur témoigner qu'il leur
pardonnait.
En troisième lieu , supposé que le prochain soit pécheur
encore à présent , il ne faut pas néanmoins le condamner
et dire que c'est un réprouvé; il peut être converti dans un
quart-d'heure , comme le publicain de l'Evangile qu'un
autre pharisien dédaignait, et qui étant entré grand pécheur
au temple, y futjustifléparune bonne prière et un acte de,
repentance, et note/ que ce n'était qu'en lui-même qu'il
142 SERMOIS CCLXXXl. — DES JUGEMENTS
blâmait le publicain; et le Fils de Dieu l'en reprend , car
vous ruinez de réputation le prochain , quoique ce ne soit
que dans l'esprit d'un seul homme , vous êtes médisant et
injuste. Or , quand vous jugez du mal de votre prochain
sur de faibles conjectures, vous le ruinez de réputation en
votre esprit ; vous faites à autrui ce que vous ne voudriez
pas être fait à vous-même.
H. — ( In nos. ) Ce pharisien s'enflait par le jugement
qu'il faisait des autres , en se comparant et se préférant à
eux; et les jugements téméraires nous ôtent le sentiment de
nos propres péchés quand nous croyons que nous ne sommes
pas seuls pécheurs, qu'il y en a d'autres qui le sont autant
et plus que nous, et il arrive souvent que nous voyons une
paille dans l'œil des autres et nous ne voyons pas une poutre
au nôtre , comme dit notre Sauveur. Ces jugements nous
remplissent d'orgueil, de vanité, de défiance , de jalousie,
d'inquiétude, de mépris du prochain.
I. — (4° Remédia.) S. Bernard ( serm. 41 . in Cant. )
nous donne à ce sujet un avis très salutaire : « Excusa iii-
« lentionem , si opus non potes , puta ignorantiam, puta
« subreptionem , puta casum , quod si omnem omnino
« dissimulationem rei certitudo récusa , die apud temetip-
« sum : Vehemens fuit tentatio , quid de me illa fecisset ,
« si accepisset in me similiter potestatem ? >> Quand vous
voyez votre prochain qui fait mal , pensez que peut-être il
ie fait à quelque bonne intention , ou qu'il le fait par igno-
rance , ou par surprise , ou par grande faiblesse et sans
malice; si l'action est si noire qu'elle ne reçoive aucune de
ces excuses , pensez que c'a été une très forte et violente
tentation qui la fait tomber, et dites en vous-même : Si
Dieu eût permis qu'une semblable tentation m'eût attaqué ,
peut-être que j'aurais succombé aussi bien que lui, peut-être
qu'il a plusieurs grandes vertus qui contre-balancent la
faute qu'il a faite, peut-être que cette chute le rend bien
humble, et que par son humilité il est plus agréable à Dieu
que vous par votre innocence orgueilleuse ; et quand tout
eela ne serait pas , que savez-Yous ce que vous deviendrez
i i UER ilIES , UBNSONGES IT TROMPBRJBS. 1 48
1 1 ee qu*îl deviendra ? Il y a assez d'inconstance et do faî-
e en votre cœur, pour vous voir quelque jour un dos plus
grands pécheurs du monde ; il y a assez de puissance et de
miséricorde dans le cœur de Dieu, pour faire que ce pécheur
devienne quelque jour un 1res grand Saint dans le ciel. Sur
Péchellc de Jacob il y avait des anges qui montaient et il y
en avait qui desrendaient, pour lignifler que dans le chemin
du ciel il n'y a point d'homme si vertueux, si saint, si ange'
lique qui ne puisse reculer et descendre; il n'en est point de
si méchant, de si vicieux, de si desespéré qui ne puisse
monter et devenir un ange.
h c.UNDini piJNc.TiTM. — Contra menducla.
L. — (1" O/ficiosa qnœ imjn'obanlur, etc.) Le second
de fausseté que le huitième commandement nous dé-
tend, c'est le mensonge, tant officieux que pernicieux. 11 y
i plusieurs chrétiens , parmi ceux même qui font profession
rtu, qui délestent bien le faux témoignage et les m en-
pernicieux, mais ils ne se font point de conscience
Oficieui ; ils ne considèrent pas que David demandait
dVn être préservé : Ne au feras de ore meo verbnm reri-
(fil j usquêquaque : (Psal. 1 18. 43.) Mon Dieu, disait-il,
ne permettez pas que la vérité s'éloigne de ma bouche , en
quelque façon que ce soit. Tous les dimanches, au prône,
l'Eglise ne nous dit pas seulement: Faux témoignage ne
diras, mais elle ajoute: Ni mentiras aucunement ; et le
Saint-Esprit distingue le mensonge du faux témoignage ,
et dit que tous déplaisent à Dieu : Duo sunt quœ odit Do-
minus : Linquam mendacem,testem fallacem . fProv. 6,
1G. 19.)
S. Thomas (2. 2. q. I 10. ait. 3.) conclut: Non tnen-
tm pro tuenda vita proximi, qu'il ne faudrait pas
dire un mensonge pour sauver un homme. S. Grégoire avait
*■ àt même, li!>. 18. Moral, cap. 4.) en parlant des men-
songes officieux : Hoc quoque genus mendaeii summo-
pere viri perfecli fugiunt, ne eues animai noceant, du m
vrœsfan rit ' errmi vftuntur aliéna?.
144 SEHMON CCLXXXI.-— DES JUGEMENTS
S. Augustin, qui en a fait des livres entiers, va bien plus
avant, et dit qu'il ne faudrait pas mentir pour procurer le
.salut du prochain : Ad sempiternam viiam nullus du-
vendus est , opitulante mendacio. Et à l'objection que
quelques-uns proposent au sujet des sages-femmes d'E-
gypte, qui ne voulurent pas étouffer les petits enfants des
Israélites , comme Pharaon le leur avait commandé , et qui
s'en excusèrent par des mensonges, l'Ecriture ajoutant que
Dieu les récompensa , S. Grégoire répond qu'elles furent
récompensées, non de leur mensonge, mais de leur piété ;
et que cet exemple nous montre le tort qu'un mensonge ,
même officieux, nous peut faire ; car , dit ce saint docteur :
La récompense de leur piété qui leur pouvait être donnée
dans la vie éternelle, fut changée en récompense temporelle,
à cause de leur mensonge : « In qua magis compensatione
« cognoscitur quid mendacii culpa mereatur : Nam beni-
« gnitatis earum merces , quae eis in œterna potuit vita re-
« tribui , pro admissa culpa mendacii in terrenam est
« compensationem declinata. »
Et quant au patriarche Jacob et autres Saints, qui, dans
l'Ecriture sacrée , semblent avoir dit des paroles non véri-
tables, les saints Pères répondent que c'étaient des mystères
non des mensonges , parce qu'ils ne parlaient pas en leur
propre personne , m«s dans la personne de ceux dont ils
étaient la figure.
M. — (2° Perniciosa , etc.) Les mensonges officieux
nous engagent aux peines du purgatoire, mais les perni-
cieux nous obligent aux peines de l'enfer ; il n'est point de
chrétien, tant soit peu instruit de sareligion, qui en ait jamais
douté et qui ne croie que c'est très justement; car quand
vous portez faux témoignage , vous offensez grièvement la
très haute majesté de Dieu ; vous offensez celui contre qui
vous déposez ; vous offensez celui en faveur de qui vous
témoignez. Avant que de déposer vous prêtez serment, c'est-
à-dire que vous appelez Dieu en témoin de ce que vous direz ;
ù vous dites un mensonge , c'est vouloir faire Je bon Dieu
eon^lice et participant de votre crime j e'esH-dirc le rendre
TÉMÉRAIRES, MBNSONGBS ET TROW l'ii. [i s I \ ">
Faux témoin ! c'est démentir son Ecriture j qui dit qu'il ei I [a
vérité même,
\ ous offensez celui contre qui vous témoignez ; vous lui
faites perdre la vie , ou l'honneur , ou les biens , et souvent
le salut de sou ame, et de .ses gens ; quand il voit voire mé-
chanceté, il conçoit des pensées de rage et d'inimitié contre
vous ; il inspire cet esprit de vengeance au cœur de ses do-
mestiques; ils meurent avec celle disposition sans vous par-
donner de bon cœur. Vous offensez celui pour qui vous
déposez ; votre faux témoignage lui fait gagner rajustement
son procès , il est obligé à restitution du principal et des
dépens, et à son défaut, ses héritiers, et les héritiers de ses
héritiers, s'ils le savent; ils ne la feront jamais, vous serez
cause de leur damnation; et ne pensez pas être excusé,
quand vous dites : Que si vous avez porté faux témoignage,
e'a été pour sauver la vie à un prisonnier : il ne le faudrait
pas faire pour sauver la vie à tous les hommes du monde.
S, Augustin (Epîst. 224.) vous convainc par l'exemple de
Régulas, idolâtre , qui , ayant promis avec serment, de
retourner vers ses ennemis, y retourna, de peur d'être
parjure , quoi qu'il sût assurément qu'ils le feraient mourir
d'une mort très cruelle, et le même Saint ajoute que les
jurements qui se font par des paroles ambiguës et à double
mus, sont criminels et détestables , et il le prouve par le
sentiment même des Païens; car les sénateurs de Rome
rejetèrent de leur compagnie un des leurs, parce qu'ayant
promis avec serment de retourner à Carlbage, si le sénat de
Rome ne voulait faire échange des prisonniers, il pensa être
quitte de sa promesse sur ce qu'il était rentré à Carlbage,
BOUS prétexte de prendre quelques bardes nécessaires à son
voyage; ces sages sénateurs n'eurent pas égard à l'intention
de celui qui jurait, mais à la pensée et à l'attente de ceux à
qui il jurait, et néanmoins ils n'avaient pas lu ces paroles du
Prophète , que nous chantons si souvent : Qutsreguiescû
in monte $ancto tuo? qui jurât proximo suo et non de-
tipit ; que pour être reçu au ciel , il ne faut pas tromper
toluit Iraberci
146 SERMON CCLXXXI. DES JUGEMENTS
« non în numéro Sanctorum , sed in numéro senatorum ,
« nec in cœlesti gloria , sed in terrestri curia , illum qui
« reatu perjurii se pulaverat absolutum , quia post jura-
« tionem , ficta nescio qua neeessitate redierat. lia non
« attenderunt qui eum senatu pepulerunt , quid ipse ju-
u rando cogitasset , sed quid ab illo quibus juraverat ex-
ce pectarent; neclegerantquodnos usquequaquecanlamus :
a Qui jurât proximo suo non decipit ; illud sane rectissime
« dici non ambigo , non secundum verbum jurantis , sed
u secundum espectationem iilius cui juratur, quam novit
« ille qui jurât , fidem jurationis impleri. » Je ne doute
pas qu'il ne faille accomplir sa promesse , non selon la
parole de celui qui jure , mais selon la pensée et l'intelli-
gence de celui à qui Ton jure , dit S. Augustin.
TERTIUM punctum. — Contra fraudes , etc.
N. — (Quarum multitudinem , etc.) Enfin , le troi-
sième genre de faussetés défendues, sont les tromperies et
les dissimulations. Le temps ne me permet pas de m'y éten-
dre bien au long ; elles sont si communes dans le monde ,
que si le prophète Jérémie était en ce siècle, il en dirait ce
qu'il disait du sien, qu'il n'y a partout que fourberie : Do-
mus eorum plenœ dolo, apropheta ad sacerdotem cuncti
faciunt dolum. (Jerem. 5. 27. - 6. 13. ) A la cour et
aux maisons des grands, c'est un carnaval continuel ; on y
est toujours masqué, le jeu le plus ordinaire qu'on y joue ,
c'est à qui supplantera mieux son compagnon, par sou-
plesse et perfidie ; on y a pour maxime , que pour savoir la
vérité il faut toujours croire le contraire de ce qu'on vous
dit, et que vous avez besoin de faire cette prière : Ab ho-
mine iniquo et doloso erue me. Au palais , il y a fort peu
de gens qui ne se plaignent d'avoir été trompés, ou par leurs
juges, ou par leur rapporteur , ou par le greffier, ou par
leur avocat, ou par leur procureur , ou par leur partie ad-
verse ; que de sentences iniques n'y donne-t-on pas, que de
délais superflus , que d'appels injustes \
Dans la boutique des marchands et des artisans, que de
TEMERAIRES, MENSONGES ET TROMPERIES, 1 'i7
fraudes, que de Taux poids et fausses mesures, que de mon-
naies de faux aloi , que de marchandises frelatées , que de
drogues sophistiquées! Dans les maisons bourgeoises,
quelles tromperies ne fait-on pas ! Vous donnez à votre fils
une riche dot , afin qu'il trouve un bon parti, et vous voulez
qu'après les noces il vous donne quittance du tiers ou de la
moitié ; vous vous endettez de jour en jour pour entretenir
le luxe et la bonne chère , sachant que vos créanciers seront
frustres du paiement, parce que vous avez donné en préci-
put , par voire contrat de mariage, la moitié de votre bien à
votre aine; vous faites de belles promesses à votre femme,
et si elle n'a point d'enfant, vous donnez, par votre testa-
ment , tout votre bien à vos autres parents ; votre voisin va
dans votre maison, en apparence pour vous rendre service,
en eiïel , pour séduire votre femme ; votre serviteur fait le
bon valet devant vous, et commet en votre absence mille
friponneries. Dans les églises (pie de dévotions contre fai-
que de confessions déguisées, que de communions
hypocrites !
Ce vice est si détestable , que le texte sacré le joint à
l'homicide : Dieu aura en abomination le meurtrier et le trom-
peur, dit le prophète royal : Virum sanyuinum et dolo-
sum abominabitur Dominus. (Psal. 5. 7.) il les a en si
grande horreur, qu'il n'attend pas à les punir en l'autre
monde ; il les punit dès cette vie comme des crimes qui crient
vengeance devant lui ; les meurtriers et les fourbes ne par-
viendront pas à la moitié des années qu'ils devaient vivre ,
dit le même Psalmiste : Viri sanquinum et dolosinon
dimidiabunt diessuos; (Psal. 54. 24.) et je ne crois pas
qu'on trouve en l'Evangile, que le Fils de Dieu ait dit une
parole .si aigre et si piquante contre aucun absent, comme
il a fait contre Ilérode , en disant que c'était un renard ,
parce qu'il était trompeur : DkUc vulpi Mi.
CONCLUSIO.
O. — {A yens contra, etc.) Finissons ce discours par
trois p de l'Ecriture . par trois exemples de? Sai
'148 SERMON CCLXXXF. DES JUGEMENTS
par trois puissantes raisons qui doivent nous détourner de<?
trois vices dont je viens de parler. Contre le premier : No-
lite judieare, ut non judicemini. In qiio enim judicio
judicaveritis, judlcabimini : et in qua mensura mensi
fuerilisy remetielur vohis. Il est rapporté dans les cliro»
niques de l'ordre de saint François , qu'un des compagnons
de ce saint patriarche eut une belle vision ; il vit un grand
nombre de religieux de cet ordre sacré doués d'une beauté
incomparable, rayonnants de clarlé, et marchant en pro-
cession ; il en vit un plus resplendissant que les autres ,
qui avait les yeux brillants comme deux soleils ; il demanda
qui il était ; on lui répondit que c'était frère Bernard de
Quintaval, premier compagnon de S. François , et que ses
yeux éclataient ainsi, parce qu'il interprétait tout en bonne
part, et pensait qu'il n'y avait personne qui ne fût meilleur
que lui ; en voyant les pauvres couverts de vieux haillons ,
il disait en lui-même : Ceux-là gardent mieux la pauvreté
que moi, et il en faisait autant de cas, que s'ils eussent choisi
et gardé volontairement cette pauvreté ; en voyant les riches
bien couverts , il disait, touché de componction : Peut-être
que ces gens portent la haire ou le cilice sous ces beaux ha-
bits ; ils font pénitence en châtiant leur corps secrètement ,
et se revêtent ainsi pompeusement pour éviter la vaine gloire.
Quel danger y aurait-il de faire comme lui ? vous ne seriez
point en peine à l'heure de la mort ; il n'est rien de si ter-
rible que le jugement de Dieu; les plus grands saints ont
sujet de le redouter. Heureux mille fois, mille et mille fois
heureux celui qui n'en ressentira point la sévérité ! ce sera
vous , si vous voulez ; le Juge même vous en assure : Ne
jugez point , et vous ne serez pas jugé; si vous jugez votre
prochain avec douceur et miséricorde , Dieu vous jugera avec
douceur et miséricorde.
Contre le second vice, S. Paul nous dit : Déponentes
mendacium , loquimini veritatem unusquisque cum
froximo, quoniamsumusinvicem memhra : Loinde nous
tout mensonge , que chacun parle à son prochain avec vé-»
rite) puisque non? sommes tous membre d'un tttème c«rpi|
TKJJÉRA1RBS, MENSONGES il TRÛMPERifig. 149
dont le chef, qui est Jésus-Christ, est la vérité même ; les
membres d'un même corps ne se nuisent jamais l'un à Pau-
Ère, maissYntre-ehérissent et s'entr'aiment. Le bon S. Clair
avait bien retenu celle parole de S. Paul : Une dame im-
pudente le sollicitant à faire mal avec elle, il la rebuta comme
elle le méritait ; enrageant de dépit de ce refus elle envoya
deux meurtriers pour fassassiner. Us le trouvèrent auprès
de sa cabane, sans le connaître , et lui demandèrent s'il ne
savait point où était un nommé Clair; il répondit d'abord
que non; mais comme ils poursuivaient leur chemin, il se
repentit et les rappela, en disant que c'était lui qui s'appe-
lait Clair. Ces détestables lui coupèrent la tète, qu'il prit
dans ses mains et la porta dans sa célule , en la mettant aux
- de son cher disciple, nommé Ci ri nus. Vous êtes bien
loin de faire comme lui, de craindre les mensonges officieux;
vous en dites de très pernicieux , sans considérer ce que le
Saint-Esprit dit par la bouche du Sage : Os quodmenti-
////*, occidit animam : (Sap. 1 . 1 1 .) La bouche menson—
gère fait mourir lame. Ilien ne tue votre àme si sûrement,
rîeo ne vous engage aussi irrévocablement à la damnation
éternelle, que le faux témoignage. Si la partie principale ne
satisfait pas, vous êtes obligé à la restitution du capital,
des dépens, de tous les frais de ce procès injustement gagné
par votre fausse déposition , et vous ne la ferez jamais ; de
cent faux témoins dont on se plaint, en a-t-on jamais vu
un seul qui ait entièrement satisfait ?
Contre le troisième vice, le Fils de Dieu nous ayant dit
que nous n'entrerons point dans le royaume des cieux, si
nous ne tâchons de nous rendre semblables aux petits en-
fants. S. Pierre nous apprend en quoi nous devons leur être
semblables : Sicutmodo geniti infantes, sine dolof soyez
comme des enfants nouveaux-nés, sans dol, sans ruse, sans
tromperie.
Le saint homme Job qui n'était que sous la loi de nature,
pratiquait parfaitement bien cet avertissement; la pre-
mière louange que Dieu lui donna fut sur sa simplicité :
Avez-voosyu, dit-il, mon serviteur Job ?(1. 8.) il n'a pas
1 50 SERMON CCLXXXI. DES JUGEMENTS , etc.
sou semblable sur la terre , c'est tin homme simple , juste,
craignant Dieu , et s'éloignant du péché. Heureux celui qui
sait l'imiter! il marcbe partout avec grande confiance , dit
le Sage : Qui amhulat si mpliciter , amhulat confidenter;
(Prov. 10.9.) il ne craint point d'être surpris en mensonge,
comme le sont très souvent les imposteurs; les enfants qu'il
laissera après lui seront heureux : Justus qui amhulat in
simplicitate sua , beatos post se filios derelinquet !
(Prov. 20. 7.) il a l'honneur de recevoir des caresses , et
d'avoir des communications avec Dieu : Cum simplicibus
sermocinatio ejus ; et pour comble de bonheur, il a Dieu
pour son hérédité ; car le Saint-Esprit dit que pour trouver
Dieu, il faut le chercher en simplicité de cœur : In sim-
plicitate cordis quœrite illum ; (Sap. 1.1.) c'est le plus
précieux trésor que l'homme puisse posséder , trésor qui le
rendra glorieux, riche, content et bienheureux en Cous \t%
siècle? des siècles. Amen.
SERMON CCLXXXU
CONTRE LA RECIDIVE) QUE C EST COURIR RISQUE DE SON
SALUT DE TOMBE! EN UN SEUL PECHE MORTEL.
Omiiih | i!irh:s vitic tuœ, in mente liubeto Deum ; et cave ne aliquando pec-
caio ootuentit»,
Boavenes-TOOi de Dieu tous les jours de votre vie, et gardez-vous bien de
j «mais consentir au péché. (ToLux. -i. 6.) ^
Cest très sagement, et avec beaucoup de raison , qu'il
ne dit pas peccatis , mais peccato; car il y a grande diffé-
rence entre les vertus et les vices. Pour être estimé vertueux
( i se mettre au chemin du ciel, il faut avoir toutes les ver-
connexœ sîbi sioit, et concatenatœ virtutes , dit la
morale chrétienne. Je ne dis pas qu'il faut toutes les prati-
, mais qu'il faut en être doué, il faut les avoir en ha-
bitude, il les faut aimer et les affectionner; au lieu que pour
viciera et en état de damnation, il n'est pas besoin
d'avoir tous les vices , il ne faut commettre qu'un péché.
C\ i\ ce que ne considèrent pas ceux qui disent quelquefois :
Un tel est grand homme de bien, il est le meilleur homme
du monde, il est charitable, libéral, courtois, débonnaire;
mais il blasphème de temps en temps , il est sujet au vin ,
il est adonné à ses plaisirs ; et je désire vous faire voir que
celui qui commet un seul péché mortel court risque de son
salut , et met son éternité en très évident danger ; je le mon-
tre, dis-je, en considérant, premièrement, la mortalité de
celui qui commet le péché; secondement, la méchanceté du
démon qui le fait commettre; troisièmement, la malignité
du péché qui est commis; quatrièmement, la majesté de
celui couli-e qui il est commis.
152 SERMON CCLXXX1I.
IDEA SERMONIS.
Exordîum. A. Variœ explicationes illorum verborum :
Qui pcccat in uno factus est omnium reus.
Primum punctum. B. Unopeccaio mortali periclitamur
de sainte oh periculum mortis subitaneœ; quœ po-
test accidere , vel cœlilus. — C. Vel humanitus.
Secundum punctum. D. Oh malitiam dœmonis relinentis
nos in peccato, quod probatur Script ura, Patribus,
ratione, comparution e, figura, exemplo.
Tertium punctum. E. Oh tyrannidem peccati , quod in
alhid crimen nos inducit et hoc probatur Scriptura,
ratione, ex emplis.
Quartum punctum. Oh incertitudinem, , an Deus data-
nts sit pœnitentiam ;F '.1° Scriplura. — G. 2° Pair i-
hus. — H. 3° llatione.
Conclusio. I. Argumenta conglohata per récapitula-
tionem.
EXORDIUM.
A. — ( Variœ , etc. ) Qui peccat in uno , factus
est omnium reus* : Celui qui commet un seul crime, se
rend coupable de tous les autres. Celle parole , que l'apô-
tre S. Jacques a écrite en son Epîlre canonique, est si dif-
ficile à entendre, que le grand S. Augustin , le plus éclairé
de tous les docteurs, mais le plus humble de tous, pour en
avoir Pinte iligenee, ne voulut pas s'en fier à lui-même , ni
aux excellentes lumières de son esprit éclatant; mais il con-
sulta S. Jérôme, en lui écrivant une lettre, qui est la vingt-
neuvième au second tome de ses œuvres. Nous ne savons
pas ce que S. Jérôme lui répondit , et s'il approuva l'ex-
plication que ce saint docteur lui propose, comme par ma-
nière de doute et pour en avoir son sentiment. Factus est
omnium reus , parce qu'il perd la grâce de Dieu et la vie
spirituelle, aussi infailliblement que s'il commettait tous les
péchés du monde, comme celui qui se noie, bien qu'il n'ait
de i'eau par-dessus sa hauteur que la hauteur d'une coudée,
CONTRE LA RECIDIVE. 1 53
rsl aussi bien suffoqué que s'il en avait de la hauteur de
cinquante toises. C'est S. Augustin qui apporte rctie com-
paraison. (Epist. '29.) Omnium rcus , coupable envers
toutes les perfections de Dieu , qui sont offensées par un
seul péché ; car comme S. Paul a dit qu'une partie de
noire corps étant blessée , toutes les autres s'en ressentent,
parée que tontes sont membres d'un même corps ; ainsi une
seule perfection de Dieu étant offensée, toutes les autres le
sont , parce que toutes sont une même chose en truelles, et
une même chose avec l'essence divine ; c'est le vénérable
Bède «pli apporte celle explication. Omnium reus , c'est-
à-dire de toutes les vertus dont il fait naufrage , car perdant
la charité qui en est la reine, l'âme , la vie et la forme , il ne
lui en reste des autres que le cadavre, l'écorce , l'appa-
rence ; c'est S. Thomas qui l'explique ainsi , (in hune Ja-
cobi loeum Richar. lib. de incarn. part, prima , cap. 14.)
citant à ce propos ces paroles de S. Jérôme : Ubi est
chantas , quid est quod possit obesse ? ubi abest cha-
i Uaêy niiid est quod possit prodesse omnium reo ? parce
qu'il perd Je mérite de tontes ses bonnes œuvres, dit Ri-
chard de Saint-Victor.
PRIMUM PUNCTUM. — Unico peccato movtali , etc.
B. — (Periculummortis.) S'il était permis à un disciple
de parler après ses maîtres et de proposer son petit senti-
ment, je dirais que celte parole de S. Jacques se vérifie en-
core, en ce que quiconque commet un péché mortel court
risque de son salut, et se met en état de damnation , et s'il
meurt en cet état il commettra, de cœur et d'affection, tous
les péchés qui peuvent se commettre ; car c'est l'enfer de
l'enfer, et le plus grand mal qui soit parmi ces malheureux;
qu'ils sont comme les démons, ils enragent de dépit contre
Dieu , et par ce transport de colère , ils voudraient faire
contre lui toutes les offenses qui peuvent se commettre;
| ai dit (pic celui qui commet un péché court risque de son
salut, parce qu'il ne faut qu'un rien pour le faire mourir en
l'ciat de damnation où il se met. La plus ordinaire piperic
154 - SERMON CCLXXXIÎ.
don * l'esprit malin , ou un méchant homme , a coutume î\c
se servir po séduire une àme timorée et la faire consen-
tir à la tentation , c'est de lui dire ; Ce ne sera pas pour
longtemps que vous tomberez en ce péché; ce ne sera que
pour une fois ou deux, pour éprouver la douceur de la vo-
lupté et en passer votre envie , pour vous délivrer des im-
portunités de ce jeuue homme, pour contenter un grand
dont l'appui et l'autorité sont nécessaires à vos affaires ,
pour gagner votre procès, obtenir cet office ou ce bénéfice ;
après cela vous cesserez de mal faire, vous vous en repen-
tirez , vous vous en confesserez , vous en ferez pénitence.
Après cela vous en ferez pénitence ! qui vous a dit qu'ayant
offensé Dieu, il y aura pour vous un après , une heure , un
moment? Ne se pourra-t-ilpas faire qu'en ce même instant que
vous commettrez ce péché la mort soudaine vous surprenne ?
Très facilement, très facilement; vous ne seriez pas le pre-
mier , pas le centième , pas le cent millième, à qui cela est
arrivé ; et quand cela n'arriverait qu'une fois en dix mille
ans, l'éternité est si longue , et le salut de S grande impor-
tance , qu'il le faudrait appréhender. Souvenez-vous de la
femme de Loth, dit notre Sauveur à ses disciples; (Luc.
17. 32.) les anges avaient dit à Loth, (Gènes. 19. 17.)
gagnez au pied promptement, ne vous arrêtez point en che-
min, ne vous amusez pas à regarder çà et là. Sa femme
tourna tant soit peu la tète vers l'incendie de Sodome, ou
émue de compassion pour la ruine de sa patrie, ou pour
ses intérêts particuliers, ou ce qui est plus probable, par
curiosité ordinaire à son sexe; elle croyait , hé ! qui ne l'eût
pas cru ? qu'elle aurait assez de loisir de retourner et redres-
ser sa tête , et de poursuivre son voyage; néanmoins en un
instant, le temps lui manqua contre son espérance; elle fut
transformée en une statue de sel : non de bois ou de pierre,
mais de sel , dit S. Augustin, afin que son infortune nous
serve de sel et de prudence pour nous faire sages à ses dé-
pens. Vous vous tournez vers l'embrasement du monde :
Totus mundus in ma/i(/?io positus est , in malo iync :
feu plus funeste et plus mauvais que celui de Sodome, feu
CONTRE TA RÏXIDIY! . |68
de concupiscence, feu de colère, d'envie ^ de vengeance ;
fous tournez vers ce feu, non-seulement pour le regar-
der, mais pour tous y chauffer, vous vous imaginez que
voi!> auicz assez de temps pour vous reconnaître et vous
convertir, el peut-être que sur-le-champ , par permission
de Die»:, en punition de votre témérité, le (il de voire vie
sera coupé , comme il arriva à Onan, à lier son frère, à
Pharaon, à 0/a, à Ananias etSapliira, et à tant d'autres ;
car c'est nue erreur de croire que Dieu nous prend toujours
au meilleur état de notre vie : oui l>ien les prédestinés, mais
non les réprouvés. Les hommes sont comparés aux arbres :
OHccidite arborent. Quand on veut, couper un arbre, pour
ru faire une riche menuiserie au Louvre , ou autre lieu hono-
rable, on épie le temps , la saison , la lune , le cours des
astres ; mais quand on veut le couper pour être jeté au feu,
on n\ regarde rien, on le fait en quelque temps que ce soit.
Quand Dieu veut retirer une âme choisie de ce monde, pour
en faire une rare pièce de son cabinet eéleste, il attend qu'elle
ail acquis le comble de ses grâces et le trésor des mérites
doivent disposer au degré de gloire auquel elle est
destinée; mais il ôte la vie indifféremment, et en tout
temps , aux fîmes réprouvées qui ne sortent de ce monde
que pour être des tisons du feu de l'enfer; il dit souvent en
. i l'instant qu'il est offensé : Succidite arborent*
C. — (fol humant tus.) Quand la mort soudaine ne vous
.irriverait pas de la part de Dieu immédiatement, ne peut-
eile pas arriver par tant d'accidents inopinés qui nous sur-
prennent tons les jours? S. Jacques ne dil-il pas que notre
vie n'est (prune vapeur légère, qui est dissipée par le moin-
dre souffle .J Na-t-on pas vu souvent des ivrognes surpris
d'apoplexie au milieu d'un cabaret? des blasphémateurs tués
en reniant Dieu, dans l'ardeur d'une querelle? des adul-
SUT le fait par les maris des femmes qu'ils
déshonoraient , et mille autres saisis en flagrant délit , et
portés au jugement de Dieu , comme on dit, le larcin à la
main ! \ ous me direz : Je me porte bien , je suis jeune et
rigoureux, il n'y a point de disposition à la mort . ni d'ap-
156 SERMON CCLXXXII.
parence de maladie dans mon corps ; et je dis que c'est pour
cela que vous avez sujet de craindre. Le Fils de Dieu est la
vérité même, son apôtre ne peut mentir : Qua hora non
putatis Filius hominis veniet. Je viendrai à vous , lors-
que vous y penserez le moins, dit notre Sauveur : Quand
ils penseront être plus assurés , et dans une profonde paix ,
c'est alors que la mort soudaine leur arrivera, dit S. Paul :
( 1 . Thés. 5. 2.) Cum dixerint pax et securitas , tune
repentinus eis supervenit interitus. Quand est-ce que
vous pensez être plus assuré ? quand est-ce que vous pensez
moins à la mort ? n'est-ce pas quand vous péchez ? Si vous
vous voyiez en quelque danger de mourir à présent, vous
ne seriez pas aussi hardi que d'offenser Dieu , et son Ecri-
ture vous déclare qu'en ce même temps que vous l'offensez
vous êtes plus en danger de mort.
secunj)Um punctum.— Oh mctïitiam dœmonis.
D. — ( Quod prohatur, etc, ) Le Saint-Esprit nous
donne un sage avertissement par l'Ecclésiastique : Non
credas tnimico tuo in œiernum : ( Eccli. 12. 4 0 ) Ne
vous fiez jamais à votre ennemi , quelque beau semblant
qu'il vous fasse, et principalement à un ennemi aussi mortel
et aussi enragé contre vous, que l'esprit malin. S. Athanase,
dans la vie de S. Antoine , nous apprend que ce saint pa-
triarche instruisant ses disciples, leur faisait faire une belle
réilexion sur une parole de l'Evangile, au chapitre premier
de S. Marc , (1 . 25.) et au quatrième de S. Luc. (4. 35.)
Le démon qui possédait un corps , louait le Fils de Dieu,
et lui disait : Je sais qui vous êtes; vous êtes un Saint ; le
Sauveur ne voulut pas l'écouter, mais le reprit, et lui com-
manda de se taire; et à son exemple, S. Paul (Act. 16.16.)
étant dans la ville de Philippcs en Macédoine, et entendant
un démon qui , par la bouche d'une possédée , louait les
apôtres, et les appelait serviteurs du vrai Dieu , lui imposa
silence, ctie chassa, pour nous apprendre, disaitS. Antoine,
de ne jamais écouter l'ennemi, et ne rien faire à sa persua-
sion, quand même il nous conseillerait des choses salutaires
CÛNTBK LA RÉCIDIVE. 1 T)7
et profitables, parce qifil y mêle toujours des tromperies,
et pour une vérité qu'il dit, il donne cinquante mensonges :
Ut nos cjus exemplo , ctiam si profutura suaderet , in
ni/ I/o iis accommode/nuâ assensum. Il vous dit dans la
tentation , que ee ne sera que pour eette première fois
que vous consentirez au péché; pauvre homme! etes-vous
si simple que de le croire? ne voyez-vous pas que ce sont des
piperies et des amusements pous vous surprendre? Consi-
dérez ce (pie S. Chrvsostôme dit (le lui : lfostem habemus
perpetuum, ac fivderis nescium : ( Chrys. hoinil. 16. in
Gènes. ) C'est un ennemi irréconciliable qui ne donne point
de quartier, c'est un esprit acariâtre, qui s'attache opiniâ-
trement à ee qu'il a une lois entrepris; c^est un lion rugissant
qui ne lâche jamais prise; quand il a une fois la proie entre
ses pattes , on ne la lui arrache qu'à bonnes enseignes.
Si le grand Turc disait au Roi : Permettez-moi d'entrer
au Havre-de-Gràce, d'y faire venir une garnison, de mettre
dehors le gouverneur et les soldats qui y sont de votre part ,
j- \<>ii> promets que ce ne sera pas pour longtemps, dans
quatre ou cinq mois je quitterai celte citadelle , et quand
je n'en voudrais pas sortir, vous êtes assez puissant , vous
avez des forées plus que suffisantes pour m'assiéger et nTcn
cha-ser. Je m'engarderai bien, lui dirait-on, il vaut mieux
tenir que chasser : Tardius ejicifur, quant non admit-
titur hostis. L'esprit malin vous dit : Permettez-moi d'en-
trer dans votre cœur, qui est un vrai havre de grâce, de
m'en rendre maître et possesseur par le péché, chassez de
votre âme le Saint-Esprit, qui la gouverne, les sept dons
qui y sont en garnison, les vertus infuses qui la défendent,
ce ne sera que pour un peu de temps, quand vous serez venu
à bout de vos desseins, quand vous aurez gagné votre pro-
Ces, obtenu ce bénéGce , séduit celte fdle, vous vous en
repentirez. Si vous avez un seul grain de sagesse , vous
vous moquerez de ces belles paroles, et vous tiendrez bon à
la forteresse de votre cœur.
Les enfants de Jacob sortirent de leur pays natal, qui
était afflige de famine , descendirent en Egypte , où il y
158 SERMON CCLXXX1I.
avait abondance de blé , leur intention n'était de quitter
leur pays , et de demeurer en terre étrangère , que pour
cinq ans ; et ils s'y trouvèrent tellement engagés, qu'ils y
demeurèrent quatre cents ans, eux, leurs enfants, arrière-
neveux ; et ils n'en fussent jamais sortis , mais ils eussent
été condamnés à une servitude perpétuelle, si Dieu ne les
en eût retirés avec main forte , et par les miracles prodi-
gieux que vous savez. L'Egypte était le symbole de l'état
du péché, elle s'appelle en hébreu : Mihraim, angustiœ,
tribulaliones , état d'engoisse , de servitude , d'idolâtrie
spirituelle. Vous quittez la terre promise, l'état heureux et
souhaitable de la grâce de Dieu, pour entrer au pays bar-
bare en l'état maudit et malheureux du péché; votre dessein
n'est que de jouir de quelque plaisir , de contenter impur
diquement ce méchant homme qui vous nourrit eu temps
de disette , de vous venger d'un affront qu'on vous a fait et
qui vous semble trop sensible; vous vous imaginez qu'après
cela vous sortirez d'Egypte , vous vous affranchirez de la
captivité de Pharaon par le sacrement de pénitence , et au
contraire vous vous trouverez insensiblement engagé à sa
tyrannie, tyrannie de quelque mauvaise habitude , affection
gluante, restitution difficile à faire ; il vous sera impossible
d'en sortir , si Dieu ne fait un miracle en vous, ce qu'il ne
fait que rarement. Dans l'églisede Saint Ursin à Bourges, on
exorcise souvent les possédés , et ils sont quelquefois déli-
vrés par les prières du Saint. Ces années passées un religieux
exorcisant un de ses énergumènes , commanda au diable
de faire voir au peuple qui était là présent, un petit échan-
tillon de ce qui se fait en enfer ; tout l'air de la chapelle se
vit aussitôt rempli de feu bleuâtre et sulfuré , avec des
sifflements comme de serpent; les assistants furent si épou-
vantés, qu'ils pensaient être perdus, et criaient miséricorde;
l'exorciste même en fut si surpris , qu'en cette subite
frayeur, il pria le démon de faire cesser celle vision, ce qu'il
lit, mais depuis ce temps-là il ne voulut jamais plus lui
obéir, et il se moqua toujours de sesexorcismes, disant : Tu
m'as été inférieur, tu n'as plus de pouvoir sur moi ; à plus
CONTRE I v RÊC1DH r.. ! 59
forte raison, s! tous conseillez au péché, vous fous rendrez
son esclave; ayant été vaincu par sa tentation, vous serez son
prisonnier de guerre; il aura droit de vous asservir malheu-
reusement au lois détestabies de son empire: A quo guis
êuperatus e*t , hujus et serras est, ( 2. Petr. 2. 19. )
TERTIUM PUNCTUM. — Oh ti/ratuiiduii, etc.
E. — (Hoc probatur, etc.) Quand vous ne seriez pas
captif du démon, vous vous rendez esclave du péché, puis-
que Jésus a dit cette parole qu'on ne pèse pas assez : Amen,
amen , dîco vobis , quia umnis qui facit peccatum ,
serras est peccati. (Joan. 8. 34.) C'est ce que S. Paul
craignait pour les fidèles : Non regnet peccatum in vestro
mortali corpore. ( Rom. 6. 12. ) C'est un étrange maî-
tre que le péché; c'est une effroyable tyrannie que sa domi-
nation : il traite tous ses sujets comme des forçats ; la
première chose qu'il leur fait, c'est de les mettre à la chaîne ;
i! tous jette aux pieds une accroche qui vous retient et vous
empêche d'échapper ; je ne sais quelle démangeaison de
retourner à cette femme , étant amorcé par la volonté ; la
Crainte de déplaire à ce méchant homme qui vous menace
de vous décrier, si vous ne continuez de contenter ses pas-
sions brutales; l'obligation de restituer l'honneur que vous
avez blessé, ou le bien que vous avez dérobé. Et non-seu-
lement le péché vous porte à de nouveaux péchés semblables
au premier, mais à plusieurs autres crimes de diverses es-
pèces : De radiée coluhri egredieiur régulas ; ( Isa.
1 4. 29. ) la couleuvre engendre le basilic, dit Isaïe ; celui-ci
ttl plus dangereux que celle-là ; la couleuvre ne vous en-
venime qu'en vous piquant , le basilic vous tue même en
vous regardant; c'est-à-dire qu'un moindre péché en pro-
duit u\\ plus grand, et un seul en produit souvent grand
nombre d'autres. Nous le pouvons prouver par induction
des trois premiers vices capitaux : l'orgueil , l'avarice , la
luxure. Stfll au commencement était grand homme de bien,
li humble, si simple, si innocent, que l'Ecriture en parle
( 1 . Reg. 0. 21 . ) comme par exagération ; elle dit qu'jl
1 GO SERMON CCLXXX1I.
était comme un enfant , comme un enfant d'un an ; il disait
à Samuel : Et qui suis-je, pour être tant soit peu considéré ?
ne suis-je pas de la plus petite tribu du peuple et de la plus
basse lignée ? Il se cacha quand on voulut le faire roi ;
(1 .Keg. 1 0.22.) mais quand il fut élevé à la royauté et qu'il
eut l'ambition en la tète, il devint dissimulé, envieux, cruel,
impie; il fit semblant de ne pas entendre les plaintes de son
peuple : Dissimalabat se audire ; il porta envie aux
victoires que David avait remportées à sa sollicitation; il le
poursuivit à mort en la ville, aux champs, dans le désert;
il fit mourir cruellement quatre-vingt-cinq prêtres très
innocents, et tous les habitants de la ville de Nobé, hommes,
femmes, petits enfants ; (1. Reg. 22. 18. ) il consulta
une sorcière , et il se fit tuer par un amalécite.
Judas avait été vertueux et digne de l'apostolat; car le
Sauveur ne choisit jamais à une charge celui qui en est in-
digne, ou en le choisissant il l'en rend capable, lui donnant
la dignité il lui ôte son indignité ; et il choisit Judas pour
son apôtre : Elecji vos duodecim ; mais cet apôtre s'étant
adonné à l'avarice, devint apostat, incrédule, larron, sacri-
lège , traître , homicide , désespéré. David au commence-
ment ne pensa qu'a prendre son plaisir pour une fois avec
Bersabée; mais tombant de précipice en précipice, il devint
fourbe, perfide, homicide, inhumain.
quartum pijnctum. — Oh incertiludinem, etc.
F. — (1° Scriptura.) Mais quand vous ne tomberiez
pas dans de nouveaux péchés , si vous commettez celui dont
vous êtes tenté, qui vous a dit que vous vous en relèverez ?
vous ne le ferez jamais sans une faveur particulière de Dieu ;
et où vous a-t-il promis cette faveur? quelle raison avez-vous
de croire qu'il vous la fera ? quel sujet n'avez-vous pas de
craindre qu'il vous la refuse étant en colère contre vous , et
justement irrité par votre crime ? ne devez-vous pas appré-
hender qu'il n'accomplisse en vous ces menaces qu'il fait par
ses Ecritures ? Si l'homme de bien fait banqueroute à la
vertu, il mourra en son iniquité; les injustes seront punis,
et Dieu perdra tMm tes pécheurs.
I ON I RE 1 A !,!( Il)l\ L. | (il
Si incluterit, nullusest t/m' aperiat. (Job, 12. 14.)
Si Dion nous lien! enfermés, qui est-ce qui nous ouvrira
pour échapper? Pour donner jour à code parole de Job, et
pour réveiller votre attention, il faut que je vous raconte
une histoire tragique, mais véritable qui est arrivée de noire
temps. Pendant ees guerres passées , un gentilhomme de
Champagne laissa sa femme et ses entants dans une maison
de plaisance qu'il avait aux champs, et alla servir le roi dans
Tannée des Pays-Bas. Etant parmi ses camarades , il parla
un peu trop , comme font souvent les soldats ; il décrivit sa
maison , sa famille , ses jardins et autres héritages, et même
il se vanta d y avoir laissé grande quantité d'or et d'argent.
Quelque temps après (kux autres cavaliers se détachent de
Tannée , demandent congé à leur capitaine sur je ne sais
quel prétexte, vont dans la maison de ce gentilhomme, de-
mandent à parler à sa femme, lui font les recommandations
de -ou mari, lui en disent des merveilles, lui donnent des
enseignes particulières de la familiarité qu'ils avaient avec
lui. Elle, ravie d'apprendre des nouvelles de son mari et
d'entendre parler à son avantage, les fait entrer, leur fait
bonne chère, et après les conduit dans une chambre pour
se reposer ; sur le minuit ils se lèvent, ils tuent les valets
qui eussent pu empêcher leurs mauvais desseins; ils vont
trouver cette pauvre dame : Madame, madame, la bourse,
autrement vous êtes morte? Hélas! Messieurs, laissez-moi
l'honneur et la vie, et vous aurez tout ce qu'il vous plaira.
Elle se lève promptement, s'habille à demi, prend les clefs,
le- mène en une chambre où était le trésor. Pendant qu'ils
l'amusèrent à fouiller dans le coiïrc et à prendre les pisto-
lcs , elle ne fut point sotte, toute troublée qu'elle était ; elle
sort promptement de la chambre, pousse la porte qui se
fermait avec un bon ressort et qui ne s'ouvrait que du dc-
hors; voilà mes oiseaux en cage bien étonnés. Hé! Madame,
ayci pitié de nous, faites-nous miséricorde, donnez -nous la
vie. Miséricorde, vous l'avez bien méritée! Bile appelle des
gens, on leur met la main sur le collet, on les lie bien étroi-
tement , on les met entre les mains de la justice; ils furent
162 SERMON CCLXXXII.
roués à Troyes en Champagne. Vous faites eomme eux , et
vous ne le croyez pas ; vous prenez la hardiesse de mettre à
mort le Fils de Dieu par vos blasphèmes et vos sacrilèges;
vous faites mourir de disette le pauvre orphelin et la veuve ;
vous ravagez et butinez leur bien ; et cela faisant vous vous
emprisonnez , vous vous mettez dans un état dont vous ne
pourrez pas sortir de vous-même ; vous vous enfermez dans
un cachot qui ne s'ouvre que par le dehors ; c'est Dieu seul
qui en a la clef, lui seul peut vous ouvrir cette prison -, lui
seul vous peut retirer de ce labyrinthe ; il n'est pas obligé
de vous faire cette faveur; il ne la doit à personne, il ne
Ta promise à personne , il la refuse à plusieurs.
G. — (2° Patribus.) Ecoutez S. Grégoire : Tout homme
qui fait le mal se fait une prison de sa propre conscience, et
il est juge de son propre crime , sans que personne, l'accuse ;
et quand il est délaissé dans les ténèbres de son péché par
un jugement de Dieu, il est comme emprisonné en lui-même,
ne trouvant point de moyen d'en sortir, parce qu'il ne le
mérite pas ; car souvent quelques-uns désirent sortir du
mauvais élat où ils sont, mais étant accablés du poids de
leurs actions déréglées, et enfermés dans la geôle de leur
mauvaise habitude, ils n'en peuvent pas sortir : « Omnis
« homo per id quod maie agit quid sibi aliud , quam con-
« cientiae suœ carcerem facit , ut hune animi reatus premat,
u etiamsi nemo exterius accuset , qui cum judicante Deo ,
« in malitiae sua? cœcitate relinquitur , quasi intra semetîp-
« sum claudilur , ne evadendi locum inveniat , quem inve-
« pire minime meretur ; nam ssepe nonnulli a pravis actibus
« exire cupiunt, sed quia eorumdem actuum pondère pre-
n muntur, in malse consuetudinis carcere inclusi, a semet-
« ipsis exire nonpossunt. » (Greg. lib. \ \ . Moral, cap. 5.)
H. — (3° Ratlone.) C'est pour cette raison, dit S. Cy-
prien , que les saints martyrs ont mieux aimé souffrir toute
sorte de tourments, que de consentir à un seul péché mor-
tel ; ils savaient bien qu'ils eussent pu s'en confesser et en
recevoir l'absolution ; mais ils savaient aussi que la confes-
sion et la communion sont inutiles sans une vraie renenlance,
CONTRE IA r.iVnm i . 1 63
cl que celle repentance dépend du bon plaisir do Dieu, qui
i,i peul accorder libéralement $ ou justement refuser à ceux
qui la lui demandent : Non omne quod yetitur in prœ-
judicio pelentis , sed in dantis arhitrio -position eut.
CONCXUSIO.
L — {argumenta conylobata.) Suivez donc le conseil
très salutaire el 1res important que Tobie vous a donne au
commencement : Cavenealiquando peccato consentias:
(iardez-voiis de consentir au péché , pas même une seule
fols. A oudriez-vous désobliger une seule fois un prince du-
quel votre bonne fortune dépendrait entièrement ? et vous
offenserez ce grand Dieu, duquel dépend votre bonheur,
Votre avancement, voire béatitude, pour le temps et pour
(éternité! Regarderiez-vous de bon œil votre femme qui
aurait faussé la foi et souillé votre lit conjugal une seule fois
' i) sa fie ? pourrait-elle jamais s'appeler femme d'honneur
el de promesse ? vous est-elle plus obligée que vous ne Têtes
i \otre Dieu ? ne devez-vous pas plus de fidélité à l'époux
de votre âme et aux promesses que vous lui avez faites au
baptême, (prune femme n'en doit à son mari et aux pro-
messes qu'elle lui a faites à son mariage ? Cette seule fois
vous rendra criminel de lèse-majesté divine , coupable de
Ja moi l d'un, Dieu ; si le Sauveur n'était pas mort, il fau-
drait qu'il mourût et répandit son précieux sang pour ex-
pier ce péché, et il serait très content de mourir derechef,
li c'était nécessaire pour vous empêcher de le commettre. Par
ce seul péché mortel, vous rendriez plus de déshonneur, de
déplaisir et de desservice au bon Dieu , que vous ne lui sau-
riez rendre d'honneur , de plaisir et de service par toutes
les bonnes œuvres de votre vie ; toutes les bonnes œuvres que
vous pouvez faire, ne lui rendent qu'un honneur fini ; ledé,-
bonneur que le péché lui fait est un déshonneur infini.
Cette seule fois sera cause que ce méchant homme aura
l'avantage sur vous, il se moquera de vous, il en fera des
railleries avec ses camarades, vous rougirez toutes les fois
que vous le rencontrerez, vous aurez du déplaisir de votre
164 SERMON CCLXXX1I.
lâcheté ; il vous menacera de la publier , si vous ne conti-
nuez à le contenter. Cette seule fois vous fera faire naufrage
de tous vos mérites , et Ton ne vous saurait bien dire quand,
ni comment vous les recouvrerez ; les docteurs en parlent
diversement. Cette seule fois vous mettra en la disgrâce de
Dieu , vous rendra son ennemi mortel ; et c'est le plus grand
mal qui puisse arriver à une créature , que d'être en inimi-
tié avec son Dieu , même un seul moment de sa vie ; ce
péché vous remplira de regret, de scrupule, de mauvaises
pensées, d'imaginations déréglées le reste de vos jours;
vous mettra en danger de retomber plusieurs fois et d'aller
de précipice en précipice. Il est de l'innocence comme des
fruits; tant qu'ils sont entiers on les conserve aisément avec
un peu de soin ; mais des qu'ils sont une fois entamés , ils
se pourrissent à vue d'œil , et de plus en plus chaque jour.
Ce péché vous engagera à de très grands supplices qu'il
faudra souffrir en enfer ou en purgatoire, détournera mille
bénédictions que Dieu aurait versées sur vous , sur votre
famille, sur votre postérité, y attirera sa malédiction, comme
nous voyons qu'un seul péché du premier homme a engagé
toute sa lignée à mille disgrâces et misères que nous res-
sentons tous les jours : Unius delicio muîti morlui sunt.
(Rom. 5. 45.) Après ce seul péché mortel, vous pouvez
mourir soudainement, et en ce cas, vous serez damné aussi
longtemps , aussi éternellement, que si vous aviez commis
tous les péchés du monde ; cette seule fois sera cause que
le diable se vantera à jamais de vous avoir surmonté; il dira
en vous bravant : Prœvalui adversus eum : J'ai eu l'a-
vantage sur lui; il vous retiendra dans ses pièges plus long-
temps que vous ne pensez ; et quand même vous en échappe-
riez , il se glorifiera de vous avoir gourmande, d'avoir logé
dans votre cœur, de vous avoir eu pour esclave. Après cette
seule fois , vous ne pourrez jamais savoir en votre vie , si
vous en avez eu une vraie, surnaturelle, légitime repen-
tance , telle que Dieu la demande de vous, vous ne pourrez
savoir si Dieu justement irrité contre vous ne vous refu-
sera poim la faveur d'en recevoir l'absolution,
(<)\ïi V i. v RKCID1VB. 4 05
(\tre donc , ne aliquando peccato consent tas : Ciar-
dc/-vous bien de jamais consentir an péché ; à cet effet, in
mente haheto Dcum , SOUVenez-VOUS de Dieu, comme
S. Eléazar, an livre des Machabées : Dicens se velle prat-
mitli in inferntimfi\i\\ disait : J'aimerais mieux être envoyé
en enfer , que d'offenser mon Dieu , faisant semblant de
manger des viandes défendues par la loi.
Souvenez-vons de Dieu , comme les sainfs martyrs Ma-
chinées, ( 42. Maeh. 7. 6. ) qui disaient : Si nous sommes
fermes en notre devoir , et si nous ne consentons pas à la
tentation pour L'amour de notre Dieu , il en recevra beau-
coup de gloire , ce lui sera un grand honneur et un sujet
de consolation d'avoir des serviteurs si fidèles : In servis
suis consolai) ii h r Deus.
In mente haheto Deum , souvenez-vous de Dieu ,
comme S. Polycarpe , ce vénérable vieillard de quatre-
vingt-six ans, qui étant condamné à être brûlé tout vif, s'il
ne disait pas des paroles impies contre notre Sauveur, ré-
pondit : Il ne m'a jamais désobligé ; pas même une seule
j'ois; il m'a obligé et comblé de biens toute ma vie, comment
pourrais-être si ingrat que de l'offenser, quand ce ne serait
qu'une seule fois ?
Souvenez-vous de Dieu, comme David qui disait : Pro-
videbant Dominant in conspectu meo semper, quoniam
a desiris est mihi. ( Psal. 15. 8. ) Dieu est toujours au-
près de vous , il a les yeux collés sur vous, il vous regarde
attentivement, il considère si vous serez fidèle et courageux,
si vous tiendrez bon en votre devoir; il veut être votre par-
rain en ce combat , le spectateur de votre constance , le
rémunérateur de votre victoire , la couronne et la gloire de
■ triomphe en la béatitude céleste. Amen.
SERMON CCLXXXÏÏT.
DES CAUSES ET DES REMEDES DU PECHE,
Cave m aliqmndo peccato conscntias*
Gardez-vous bien de jamais consentir au péclié. (Tob. 4. 6.)
Puisque c^st un si grand mal de tomber dans le péché
mortel, et encore plus dV retomber quand on en a été affran-
chi , il importe beaucoup à notre salut de savoir par quelle
voie nous pouvons l'éviter ; une des plus efficaces , à mon
avis, est de considérer, premièrement, quelles sont les
causes les plus ordinaires des péchés qui se commettent ;
en second lieu, par quels remèdes il faut les prévenir et
nous en garantir. (Test ce qui fera le sujet et les deux
points de ce discours.
IDEA SERMONIS,
Exordium. À. Ut aliquis morbus sanetur , débet cog-
nosci per suas causas,
Priimim punctum. Causœ peccati sunt très : Prima,
naturel^ cujus consideramus genus , speciem , m-
dividua. — B. Secunda ; mala consuetudo : —
C. VScriptura. — D. T Patrihus. — E. 3° Com-
paratione. — F. 4° Historia. - — G. 5° Ratione. —
H. 6° Tertia, occasio, quodprohatur exemplo Alipii.
Secundum punctum. Remédia, tollere causas : Primam
oratione. — I. Secundani, labore* — L. Tertiam .
fuga.
Conclusio. M. Exliortatio ad supra dicta,
EXORDIUM.
A. ( Ut aliquis , etc. ) Quod ignorai medicina, non
sanat , dit le concile de Trente ; et. le proverbe ancien
disait ; Maladie bien connue est à moitié guérie Le prince
8EAM0N ccxxxxill. — DBS CAUfi] s, etc. 1 07
médecins, Hippocrate, parlant de son art, an commen-
cement de ses Aphorismes, ne dit pas «jne le remède des
infirmités humaines est difficile, niais bien le jugement et
Ja connaissance : / ita brevis , ara lonrja , judicium
difficile. La providence deDieua pourvu très suffisamment
ii terre de -impies , de drogues, de minéraux, et autres
créatures , comme remède de nos maladies ; mais l'impor-
tance est de bien savoir les appliquer, et Ton ne les peut
bien appliquer si Ton ne connaît la cause du mal. LYxpiN
rience journalière nous montre qu^un même remède appliqué
à diverses personnes , pour une même maladie , ou à une
personne, en divers temps, n'a pas toujours le même effet,
mais en produit de tout contraires, parce que deux maladies
toutes semblables ne procèdent pas toujours d'une môme
cause; il en faut dire tout autant des maladies de l'àme qui
sont les vices , pour les prévenir avant qu'elles arrivent, et
jiérir quand elles sont arrivées. Il importe beaucoup
ionnallre les causes, pour les éteindre et les anéantir,
: source étant une fois tarie , les ruisseaux sont aisc-
MIMUM punctum — Causœ peccati, etc.
B. - ta, natura, etc.) Je trouve donc qu'il y a
principales et plus ordinaires causes des péchés qui se
commettent au monde : la nature, l'habitude, l'occasion.
La première, c'est la nature. Si nous en considérons le genre
Pespèce, l'individu, nous dirons de notre ame, aussi bien
que de notre corps , ce qu'Hippocrate en a dit : Totus
homo morbus est. Le propre de la créature est d'être fau-
tive , frêle, fragile : un enfant se ressent toujours de son
extraction, un ruisseau de sa source, une branche de sa râ-
la créature étant tirée du néant, elle y tend continuel-
' i el tombe aisément dans le péché qui est un vrai
Déant. Nous Pavons vu dans la première créature, qui est
'■ : "l était doué d'un entendement tout dadairs, bril-
I lumineui tout ce qui ce peut, d'une volonté droite
;t bien l a^il reçu de Dieu tant de lumière, tant
168 SERMON CCLXXX1II.
de sagesse , tant de talents, tant de trésors de grâce, il
n'avait point de chair, point de concupiscence, point de ten-
tation au dehors; et le Prophète dit qu'il est tombé, et il
admire comme cela s'est fait : Quomodo cecidistide cœlo,
Lucifer? Qui cecidit stahili non eratille pede.
L'homme s'étant rendu complice de son crime a corrompu
toute son espèce; il fa tellement gâtée et viciée , qu'il n'y
a point de puissance en L'âme , point de faculté en l'esprit
qui ne soit atteinte de quelque défaut ; l'entendement est
offusqué, la mémoire pervertie, la volonté déréglée, l'ima-
gination volage et inconstante; dans la colère, ce n'est que
îcu et précipitation; dans l'appétit concupiscihle, la sensua-
lité, qui est fomes peccati , est un tison , une amorce, une
disposition à toute sorte de péché, qui est en tous les hom-
mes, et qui les met en danger de tomber en tout temps ,
en tout lieu et en toute occurrence : Sensus et cogitatio
liumam ' cor dis in malum prona sunt ab adolescentia
sua; (Gènes. 8. 21 .) et de plus, chacun de nous a une pente
et une inclination naturelle à quelque vice particulier ; les
tempérammenls bilieux à la colère , les sanguins à l'impu-
reté , les autres à d'autres vices , selon l'humeur qui pré-
domine en eux : Motus animarum sequuntur tempe-
ramenlum corporis.
C. — ( Secundo ) malaconsuetudo : 1° Scriptura. )
Celle première nature est beaucoup aidée de la seconde
qui est la mauvaise coutume ; le Saint-Esprit en exprime
bien la tyrannie , quand il dit : Funihus peccatorum
suorum conslringilur yeccator : ( Prov. 5. 22. ) Le
pécheur est garrotté par la chaîne de sa mauvaise habitude.
D. — (2.° Patribus.) Voulez-vous voir quels sont les
divers chaînons de cette chaîne , les cordeaux qui compo-
sent cette corde ? écoutez S. Augustin : (lib. 8. Confess.
cap. 5.) « Suspirabam iigatus , non ferro alieno , sed
« mea ferrea voluntate. Quippe ex voluntate perversa ,
« facta est libido. Et dumservitur libidini, factaest epnsue-
v. tuoOé Et dura consuctudini non resistitur facta est ne-
« cesshéty qitîbit!? quasi antuilîs sihimei inexis , tenebâf m$
DBS CAUSES BT RKMÈDES DU PfcCHB. 1 »
« ohstriotum dura servitus : » Je soupirais étant encore
attaché, non par des fers étrangers , mais par ma propre
yolonté qui était plus dure (pie le 1er; le démon la tenait en
sa puissance , il en avait fait une chaîne , et il m'en avait
lié ; car en se déréglant dans la volonté , on s'engage dans
la passion ; en s'abandonnant à la passion , on s'engage
dans l'habitude, et en ne résistant pas à l'habitude , on
s'engage à la nécessité de demeurer dans le vice ; ainsi
cette suite de corruption et de désordre, comme autant
d'anneaux enlacés les uns dans les autres, formait celte
chaîne avec laquelle mon ennemi me tenait captif dans une
cruelle servitude. Farta est nécessitas , voilà une étrange
parole , mais bien véritable : quelle inclination plus néces-
saire, plus puissante, plus violente que celle de la nature?
et vous savez ce que disent les philosophes : Consuetudo
est altéra natura : L'habitude est une seconde nature ,
aussi forte, impétueuse, invincible, pour le moins que la
première.
E. — 3° Compara tione.) Ce n'est pas seulement la
philosophie qui avance celte vérité , c'est le Saint-Esprit
même qui compare l'assiduité au péché à des qualités natu-
relles et naturellement inaltérables : Si potest yEthiops
mutare pellem suam , aut pardus varietaies suas,
et vos poteritis benefacere , cum didiceritis malum,
(Jerem. 13. 23.)
Vous useriez bien toute l'eau de la mer , et tout le savon
de France à laver un nègre d'Ethiopie , avant que de lui
effacer le moindre trait de sa noirceur ; et quand un homme
esthabitué au péché, si Dieu ne (ait un miracle, toutes les me-
naces de son père, les remontrances de sa mère, les exhor-
tations de ses amis , cl toute l'éloquence du prédicateur ne
servent pas d'une goutte d'eau pour lui ôter cette tache ;
cVsl laver un Rthiopieu que de lui parler. Mais d'où vient
que le Saint-Esprit -c sert de deux comparaisons pour ex-
pliquer une riîôme chose ? d'où vient qu'après avoir dit qu'il
est aussi malaisé de vous corriger que de blanchir un
* , i! Djoqto: Que do changer les tavelures d'un
■ l
170 SEUMON CCLXXX11I.
léopard ? C^st qu'il peut arriver qu'on ôte ïes mori-
chelures du léopard en lui rasant le poil , mais ce ne sera
que pour peu de temps ; au bout de sept ou huit jours , le
poil commence à recroître et les tavelures reviennent; ainsi
il arrive quelquefois que vos péchés semblent entièrement
rasés par le fer de la pénitence; vous vous en abstenez quel-
que temps après votre confession ; mais les racines de vos
tavelures demeurent toujours en votre cœur , les mauvaises
habitudes n'étant point arrachées, elles produisent bien-
tôt de nouvelles actions aussi vicieuses et aussi odieuses
que les précédentes : Naturam expellas furca , (amen
usqxte recurret ; consuetudo altéra natara. Nous pou-
vons dire , et l'expérience ne le montre que trop , que la
tyrannie d'une mauvaise nature et la tentation du diable ne
sont point aussi malignes , ni aussi dangereuses qu'une ha-
bitude vicieuse. Une inclination naturelle qui n'est pas en-
core jointe à l'habitude ne va jamais au-delà de ce qui est
nécessaire ; la mauvaise habitude nous porte à vouloir plus
qu'il n'est besoin, plus que la nature ne désire. Le loup est
d'un naturel goulu , mais il ne mange jamais au-delà du
besoin; l'homme qui est accoutumé à la gourmandise,
boit et mange sans faim et sans soif ; celui qui est natu-
rellement enclin au larcin, ne dérobe que ce qui lui est utile
et nécessaire ; celui qui en a la coutume , dérobe ce qui ne
lui sert de rien , témoin cet infortuné , dont S. Dorothée
fait mention, (Doctrina ,11.)
F. — (4° Historia.) Acctyite rem lacrymahihm , dit
ce Saint. L'abbé du monastère où j'étais , avait commandé
aux religieux de découvrir naïvement leurs tentations , pour
tâcher d'y remédier. Un jeune religieux s'adresse à moi ,
s'accuse , et demande pénitence de ce qu'il mangeait à la
dérobée , hors des repas ; je lui en demandai la cause :
C'est, dit-il, que je meurs de faim, et ce qu'on donne au ré-
fectoire ne me suffit pas. Je commande au dépensier de don-
ner à ce bon frère tout ce qu'il lui demanderait , à quelle
heure que ce fût , pour lui ôter le sujet de dérober. Il s'en
abstient pour quelque temps, et puis i! ylent pour une
DES CAUSES B1 nniinisui PECHK. 171
s< ronde fois s'accuser d'y être retombé. Je lui dis : Le
dépensier vous rcfuse-t-il quelque chose? Non , mon père,
mais je suis honteux de lui demander ce qui m'est nécessaire.
El de moi , en serez-vous aussi honteux ? n'aurez-vous
pas bien la confiance de me demander tous vos besoins ,
connue vous prenez la confiance de me dire vos infirmités ?
1res volontiers. Il le fait, pendant quelques jours; mais
enfin il vient encore dire sa coulpe en pleurant, et s'aocii-
sant d'avoir dérobé. Mon frère , pourquoi le faites- VOUS ,
vu que vous n'êtes pas honteux de moi , et que je ne vous
refuse rien ? Il faut que je confesse la vérité : ce n'est ni
la nécessité, ni la faim qui m'y oblige , ce n'est qu'une
mauvaise habitude que j'ai contractée de longue main ,
car je ne mange pas la moitié de ce que je dérobe ; et en
effet , on trouva qu'il cachait dans sa paillasse , des fèves ,
df i dattes , des figues , des oignons , et tout ce qu'il pou-
vail attraper ; et quand ils étaient à moite pourris , il les
| lil à r rie du monastère , tant l'oppression d'une mau-
habitude est inévitable et cruelle.
G. — (5° Ratione.) Il y a des objets de péché qui font
horreur à la nature, quelque corrompue et dépravée qu'elle
soit, et la mauvaise habitude en fait ses délices et ses
contentements. Vrous verrez une femme laide, vieille ^
{.liante , cautérisée ; un jeune homme naturellement enclin
à l'impureté en aurait horreur, ce lui serait un remède d'a-
mour ; un vieux fou qui est accoutumé à elle est charmé et
passionné.
La nature a du sentiment de ce qui est contre la raison ,
l'habitude engendre la stupidité , elle fait un cal qui nous
rend insensibles et nous ôlc le désir de recourir aux remô-
Vulneri vetusto et nealçcto callus obduçitur , et
eo fit insanabilior } quo insensibilior > dit S. Bernard.
(lib. de Considcrationc.) Quelque effrénés et débordés que
soient les jeunes gens , ils sont touchés de confusion et .de
remords quand ils ont commis quelques actions honteuses.
Vous voyez de vieux: adultères tellement identifiés avec l'im-
pudence , qu'ils s'acharnent à des voiries effrontément , a
ïcte levée, sans crainte , ni reproche delà conscience.
172 SERMON CCLXXX1II.
Satan ne nous tente pas incessamment : il s'absente
quelquefois de nous pour tenter d'autres personnes. Aat
fugi , aut fugari potest ; on peut le chasser avec de l'eau
bénite ou le signe de la croix; on peut l'éviter en se reti-
rant à l'église auprès du très saint Sacrement ; mais les
hostilités d'une mauvaise habitude sont continuelles et im-
portunes ; elle nous suit et nous poursuit en tout temps , en
tout lieu et en toute occupation ; nous la portons toujours
avec nous , aux champs , à la ville, à la maison , à l'église,
à la campagne et dans la solitude.
H. — ( Tertia , occasio , etc. ) Mais la nature corrom-
pue et la mauvaise habitude ne se produisent pas ordinaire-
ment, et n'exercent point d'actions vicieuses , si elles ne
sont éveillées et excitées par l'occasion , et même souvent
l'occasion nous fait commettre des péchés auxquels nous
n'avons point d'habitude, ni d'inclination naturelle : Occa-
sio ne accepta peccatum operatum est. (Kom. 7. 8.)
S. Augustin en apporte une expérience bien mémora-
ble, arrivée de son temps. (S. Aug. lib. 6. Confes. cap. 8.)
Les scpeclacles étaient alors encore en usage parmi les
païens ; c'étaient non des comédies , ni des tragédies, mais
des catastrophes sanglantes auxquelles les gladiateurs se
combattaient et s'égorgeaient à qui mieux mieux à la vue
du peuple qui était à l'amphithéâtre. Alipius , grand ami
de S. Augustin, les avait en horreur , jugeant que c'était
un passe-temps indigne non-seulement d'un chrétien , mais
d'un homme, de voir des hommes se tuer les uns les autres.
Un jour (pie ses camarades , qui y allaient , le pressèrent
de leur tenir compagnie, lui , ne pouvant résister à leur im-
portunité : Vous pouvez bien , leur dit-il , y traîner mon
corps, mais vous ne pourrez contraindre mon esprit ni mes
yeux de se repaître d'un objet si humain : Absens adero,
et sic et vos in Ma superabo. Il y va ; étant assis , il
ferme les yeux avec résolution de se priver tout-à-fait de
cette barbare volupté ; et plût à Dieu qu'il eut encore bou-
ché ses oreilles! mais quand on est dans l'occasion on ne
peut si bien fermer toutes les portes qu'il n'en demeure
DBS CAUSES BT REMEDES DU PECHB. 1 73
quelqu'une ouverte, lu des gladiateurs étant blesse etren-
à terre , les assistantsjetèrent un grand cri , lue , lue.
Âlipius , curieux de savoir ce que c'était , ouvre les yeux,
avec résolution de les refermer sur-le-champ et de mépri-
ser quoi que ce fut ; mais il avait plus de courage que de
force, parce qu'il se fiait en lui , non en Dieu , dit S. Au-
gustin ; il fui plus grièvement blessé en l'&me que le pauvre
gladiateur ne le fut au corps , car voyant le sang qui cou-
lait de la blessure , au lieu d'en détourner sa vue , il Vy
arrêta , il se repu! de ce spectacle, il s'enivra de ce plaisir
inhumain , et il en fut tellement avide , que depuis il y re-
tournait plus volontiers (pic ses compagnons , et même il y
conduisait tous ceux qu'il pouvait. N'est-il pas vrai que le
même cas vous est arrivé ? Au commencement vous alliez
à regret et avec scrupule aux jeux , aux danses , aux com-
pagnies , un peu après vous y êtes allé plus volontiers , et
grand remords ; enfin , vous y allez maintenant avec
grande avidité, et même vous y entraînez les autres ; et
Dieu sait les pensées , les mouvements , les passions, les
inclinations que vous avez , quand vous y êtes ! Occasio
prœceps , dit Hippocrate ; il faut ajouter qu'elle précipite ,
et bien déplorablement. L'occasion fait le larron.
SECDNDUM punctum. — Remédia, etc.
I. — (Primum, oratione.) Un docte et dévot contem-
platif qui méditait l'Ecriture sainte pour se garantir du
péché, à l'exemple de David : In corde meo abscondi elo-
quia tua , ut non peccem tibi , prenait ces résolutions ,
et les pratiquait, oro , laboro, fucjio, ne peccem tibi;
voilà les meilleurs remèdes , les plus salutaires antidotes
dont nous puissions nous servir contre les trois causes du
: contre la nature corrompue, il faut prier, oro;
contre la mauvaise coutume , il faut travailler , laboro ;
contre l'occasion , il faut l'éviter, fugio.
Jésus au jardin des Olives voyant ses disciples en danger
de tomber et de s'abandonner lâchement par fragilité hu-
maine , dit : Spiritus quidem promptus est , caro
1 7 4 SEIUUOW CCLXXX11I.
tem infirma , orate ; la chair est faible , la nature c$
fragile, vous avez besoin de renfort, demandez-le.
« Attcndite similitudinem : Equus non se domat , elepliafi
« non se domat, leo non se domat , sic et homo non se
« domai; ut dometur equus , bos, leo , elephas, quœritur
« homo, ergo quaeratur Deus ut dometur homo; domuisti
« equum quem non fecisti , et non domat te qui fecit te ?
« unde bestias tara immanes domare poluisti , nunquid eis
« œquaris viribus corporis? unde intelligis fortiorem, non
« corporis virtute , sed mentis ratione ? imago Dci domat
« feram, et nos domat Deus imaginera suam? in illo spes
<c est, et non subdamur , et misericordiam precemur , »
dit S. Augustin : ( serra. 4. de verbis Apost. ) Ecoutez
une comparaison : Un cheval, un éléphant, un lion ne se
domptent pas, ainsi l'homme ne peut se dompter lui-même;
pour dompter ces animaux, il faut un homme, qui est d'une
nature supérieure à eux, et pour dompter l'homme il faut
recourir à Dieu qui est au-dessus de lui ; vous domptez
un cheval que vous n'avez pas fait , à plus forte raison
Dieu qui vous à créé peut vous dompter; comment domptez ,
vous les animaux ? ce n'est pas par la force du corps, mais
par l'esprit et la raison ; l'image de Dieu dompte les bêtes
sauvages , et Dieu ne pourra dompter son image ! il faut
espérer en lui , vous soumettre au pouvoir de sa grâce , et
lui demander miséricorde.
Quand une image est gâtée, une robe déchirée, \me table
rompue, on ne les porte pas à un avocat , à un procureur,
à un président pour les refaire, mais à un peintre, à un tail-
leur, à un menuisier, et si ces ouvrages ayaient de l'esprit,
ils n'iraient pas au palais , à la cour , au collège, mais à
Ja boutique de l'artisan , et diraient : C'est ici que Ton
m'a fait , ici on me doit refaire. C'est le bon Dieu qui a
fait la nature humaine, et il l'avait très bien faite, mais elle
est toute gâtée, corrompue , souillée , pervertie par le pé-
ché ; c'est à Dieu qu'elle doit recourir ; c'est lui qu'elle
doit réclamer pour être refaite et reformée : Manus tua
fecerunt me ; da mihiiniellcciit
DES CAUSES ET REMEDES DU PECHE. ITÔ
T>. — ( Secundam , labore. ) Nous devons ainsi prier
: ; mais il faut aussi travailler de notre côté, principale-
nuMil >i la mauvaise habitude est jointe à une mauvaise na-
ture ; nous devons Taire comme David : InfLvus sum in
Kmoprofundi% cf non est snhstantia; laberovi damans.
(Psal. 68. 3.) Voua êtes enfoncé bien avant dans le bour-
bier de \os ordures ; vous êtes en la fondrière d'une habi-
tude bien méchante et bien vicieuse de jurer , de blasphé-
mer, de maudire, de dérober ou de vous enivrer ; et il n'y
a point de fond, il n'y a point de fin; vous recommencez
toujours ; criez à Dieu , priez-le avec une grande affection
qu'il vous tende la main, qu'il vous aide à vous relever ;
mais aidez-vous aussi de votre côté.
A1 on res loris consueludo : domabis , si vigilahis ;
viyilahis, sitimebis ; timebis, si te christianuni esse
cojita rcris : Ce n'est pas un jeu d'enfant, ni un petit mal
que d'être dans L'habitude d'un péché : vous la dompterez ,
Il roufl veillez sur vous; vous veillerez sur vous, si vous
craigne] ; vous craindrez , si vous vous souvenez (pic vous
êtes chrétien ( dit S. Augustin, (serai. 28. deverbis Apost.)
Et derechef : u Vcternosissima consuetudo timoré fraena-
h tur, franata restringitur, restricta languescit , langucs-
« cens emorilur, et malœ consuetudini bona succedit : »
La mauvise coutume est bridée par la crainte; étant bridée ,
elle ne peut plus se produire, ni agir; n'agissant plus, elle
se ralentit j se ralentissant, elle meurt et s'eteint petit à
petit, et une bonne coutume lui succède.
Timoré frœnalur; craignez les jugements de Dieu ,
craignez qu'il ne vous abandonne, si vous commettez si
ent le péché qu'il abhorre tant; craignez que le premier
• que vous voulez commettre ne mette le comble à la
i. esure et ne consomme votre réputation ; craignez que ,
iant si souvent les mêmes actions , vous n'enfonciez si
avant, et n'enraciniez tant la mauvaise habitude, qu'on ne
puisse l'arracher, craignez de faire une plaie, un ulcère in-
curable , un coeur endurci et pharaonique; craignez les
peines de P*nl litcz-Ies souvent ; voyez ^ue la mau-
1 7 G SERMON GGLXXXIII.
vaîse habitude en est le grand chemin; approchez quelque-
fois votre doigt du feu, jusqu'à ce que vous n'en puissiez
plus, est voyant que c'est une chose insupportable d'être
brûlé , considérez qu'il n'y a rien que vous ne voulussiez
faire pour vous racheter du danger d'être brûlé un jour ou
une heure; et pour vous exempter d'être brûlé une éternité,
vous ne voulez pas vous priver d'un petit plaisir , vous ne
voulez pas travailler à déraciner une mauvaise coutume ?
vous ne craignez donc pas l'enfer ? vous n'êtes donc pas
chrétien? Timebis , si le chritianum esse cogitaveris.
Si vous aviez tant soit peu de foi, vous feriez la réflexion
que fit un gentilhomme. Un cavalier de notre temps,
frère d'un évêque que je pourrais nommer , étant sujet à
jurer, alla un jour de la grande semaine, à St-Eustache de
Paris, pour se confesser; y ayant trouvé les confesseurs
assiégés de monde , et voyant un bon vieux prêtre dans un
coin qui n'avait auprès de lui que deux ou trois personnes ,
il s'adresse à lui, pensant qu'il en aurait bon marché. Après
avoir dit le Confiteor : Mon Père, je m'accuse d'avoir juré
le saint nom de Dieu. Est-ce bien souvent ? C'est plus
souvent que tous les jours , car j'ai juré plusieurs fois par
jour. Mon ami, vous êtes damné. Mais, mon père, je m'en
confesse. Oh ! vous vous en confessez; voilà de belles con-
fessions! quand il n'y a point d'amendement, c'est toujours
à recommencer; mon ami , vous êtes damné. Mais , mon
Père, à tout péché miséricorde. Oh ! miséricorde, misé-
ricorde ! il y a longtemps que Dieu vous la fait, et vous en
abusez toujours ; mon ami, vous êtes damné; vous ne vous
en amenderez jamais, Je le ferai, certes, mon Père, moyen-
nant la grâce de Dieu: si les autres confesseurs m'en eus-
sent lancé comme vous, je n^en serais corrigé. Après avoir
bien marchandé, il lui dit : Ferez-vous la pénitence que je
vous donnerai? Oui, mon Père, je vous le promets, si elle
ne met impossible. Il lui donne des prières, des jeûnes, des
aumônes; et puis il ajoute : A quoi avez-vous affection
en ce monde? y a-t-il quelque chose à quoi vous ayez atta-
chement? A ma perruque. Eh bien î toutes les foi? que vous
Dis I M si s RT REMEDES DU PECHE. 177
jurerez, vous arracherez un cheveu de votre perruque , et
voua n'en prendrez point d'autre. Oh ! s'il ne tient qu'à
cela , je le ferai très volontiers. Il obéit , il arrache un
cheveu toutes les fois qu'il jure ; au commencement il lui
Semblait que ce n'était rien; niais avec le temps il s'aperçut
que sa perruque se pelait petit à petit; et craignant la honte
de porter une perruque pelée, il s'abstint de jurer; puis
il fit cette réflexion : Ne suis—je pas bien misérable! la
crainte île porter une perruque pelée a eu plus de pouvoir
sur mon espril et sur ma mauvaise coutume, que la crainte
d'offenser Dieu ; cette pensée le convertit , et corrigea en
lui, non-seulement la coutume de jurer, mois toutes les
autres mauvaises habitudes ; il est mort dans une sainte
communauté de prêtres. S. Augustin en avait fait de même :
« Timendo Deiun abstulimus jurationem de ore nostro ;
« nunquid non eonsueveram (îuotidie jurare? At ubi legiet
i timui , luctalus sum contra consuetudinem meam ; in
i ipsa luctaiione invocavi Dominum adjutorem , prœstitit
« mihi Dominus adjutorium , nihil mihi facilius est, quam
<c non jurare : » (S. Aug. serm. 10. de Sanclis.) J'avais
coutume, dit-il, de jurer tous les jours; mais ayant pris la
crainte de Dieu par la lecture de l'Evangile, j'ai lutté contre
cette mauvaise habitude, et en cette lutte j'ai invoqué le
bon Dieu qui m'a donné son secours, et il ne m'est rien de
si aisé à présent que de ne point jurer.
M. — ( Tertiam , fuga. ) Mais après tout , le grand
secret pour éviter le péché, c'est d'en fuir les occasions. Le
Saint-Esprit dit : (Prov. 18.1.) Que celui qui veut rompre
avec son ami en cherche les occasions ; nous devons dire
par un argument contraire. Que celui qui ne veut pas rom-
pre avec Jésus , qui veut se maintenir dans ses bonnes
grâces et dans son amitié, évite les occasions de le déso-
i . L'occasion est si dangereuse pour notre salut, que
Jésus nous dit : « Si oculus tuus scandalizat te, erue cum;
« si manus tua, vel pes tuus, scandalizat te, abscindc eum
« et projice abs te : ( Matth. 5. 29. 18.8.) Si votre œil
vous scandalise, arrachez-le; si votre main, votre pied
178 SERMON CCLXXXIII.
vous scandalisent, coupez-les; c'est-à-dire que si un emploi,
un bénéfice , une charge, une personne nous est une occa-
sion de péché, quand elle nous serait aussi chère et aussi
précieuse que notre œil, aussi utile que noire main, aussi
nécessaire que notre pied, il faut nons en priver.
Si vous ne le faites pas, Jérémie vous fera ce reproche :
Milvus cognovit tempus suum, turtur et hirundo, et
ciconia ; popuhis autem meus non cognovit; quomodo
dicitis ; Sapientesnos sumus ? (Jcrem. 8. 7.) Le diable
se moquera de vous, il vous reprochera que vous avez été
plus grue que les grues, plus bêle que les bêtes : les grues ,
les hirondelles et autres semblables oiseaux nouveaux-nés ,
par un instinct de la nature , par la seule conduite de leur
père et mère, quittent leurs nids, le lieu de leur naissance,
où ils avaient leur provision et leurs petits accommodements,
se lassent à passer de grandes mers , vont dans un pays
étranger et inconnu pour éviter les incommodités de l'hiver
qu'ils n'ont jamais expérimenté ; et vous, qui êtes doués de
jugement par la conduite de la raison et de la grâce , par
les remontrances de vos pères spirituels, par les avertisse-
ments de l'Eglise votre mère , vous ne voulez pas quitter
cette maison suspecte, cette mauvaise compagnie, ce métier
dangereux de sergent, de cabaretier, ce procès opiniâtre ,
par la crainte de la damnation et des flammes éternelles !
Croyez-moi, faite comme Joseph, ( Gènes. 39. '12. )
quand la femme de Putiphar le sollicita de souiller la couche
conjugale de son maître. Ce saint jeune homme sauva sa
chasteté par la fuite de l'occasion , laissant son vêtement
entre les mains de cette femme, de peur d'y laisser son
consentement, ou le moindre danger de consentir : Neper
inanus adulterœ libidinis incentiva transissent , dit
S. Ambroise. Que pouvait-il attendre d'une femme effrénée,
païenne, et sa maîtresse, qui avait le pouvoir de vie et de
mort sur lui par les loix du pays , après avoir reçu un tel
refus, un affront si sensible ; qui pouvait craindre qu'il ne
la découvrît , ou du moins qu'il ne se moquât d'elle ? Le
moins qu^il pouvait attendre était de perdre sa fortune, h
DES CAUSES BT REMEDE* bi PECHE. 1 "î 9
surintendance qu'il avait dans la maison de son maître. Il
ferme les yeux à toutes ces considérations ; il aime mieux
courir risque de perdre sa fortune et ses commodités, son
honneur, sa vie, que de se tenir en occasion du péché. Ainsi
Dieu lui donna le centuple; ce fut le commencement de sa
grandeur; il fui vice-roi d'Egypte, surintendant, non de la
maison de Putiptaar qui n'était qu'un vassal , mais de Pha-
raon qui étail un grand roi. Faites de même quand ce mé-
chant homme Vous Importune de retourner au péché • ne
vous amuse* pas à le prêcher , ce n'est pas votre métier; et
quand ce serait voire métier, vos paroles n'auraient point
d'ascendant sur son esprit , puisque vous êtes complice de
même faute; ne vous arrêtez pas à vouloir lui persuader de
quitter ses débauches et d'aller à confesse; vous voulez
faire cela , comme vous pensez, par zèle de son salut ; et
peut-être en effet ce n'est que pure jalousie et crainte qu'il
donne à une autre; au lieu de se convertir, il vous
pervertira; laissez-le à la providence de Dieu, qui peut-être
le bénira , si \ous fuyez l'occasion comme Joseph. Oui ,
mais d'où vient que ce saint patriarche laissa son habit entre
les mains de sa maltresse? il éiait dans la force et à la fleur
de son âge, elle, princesse, faible et délicate; il pouvait le
lui arracher par force , et s'échapper aussi promplement
qinlle fit; il devait prévoir que cette rusée se servirait de son
îabit pour preuve de son attentat prétendu ; c'est qu'il vou-
ait éviter, non-seulement l'occasion, mais l'ombre même,
H la mémoire de l'occasion ; il savait que quand nous nous
^ouvenons de quelque belle occasion que nous avons eue
mtrefoisde nous vautrer dans quelque volupté, celle pensée
•hatomlle noire imagination et réveille la sensualité ; il quitta
;olonlicrs cet habit, parce que s'il l'eût retenu , toutes les
bis qu d Peut regardé , il se fût souvenu de celle occasion
i facile où il s'élait trouvé.
180 SERxMON CCLXXXIII.
CONCLUSIO.
N. — {Exhortatio , etc.) Dites comme David : Oculi
tnei semper ad Dominum; laboravi in gemitu meo; ecce
clonyavi fugiens; humiliez-vous beaucoup devant Dieu à
la vue de votre mauvais naturel , reconnaissez votre faiblesse
et votre impuissance à le surmonter , l'extrême besoin que
vous avez du secours de Dieu , le pouvoir efficace de sa
grâce ; tous les matins après Tavoir adoré et remercié , de-
mandez-lui de grande affection la grâce de ne pas retomber
au péché auquel vous êtes le plus enclin ; pendant le jour de
temps en temps , élevez votre esprit à lui pour renouvelef
la même demande ; adressez-lui souvent ces prières : Eripe
me, Domine, ah homine malo , miserere tnei Deus ,
quia conculcavit me homo, ab homine iniquo et doloso
erue me. Réclamez souvent la Vierge , les saints , votre
ange gardien , demandez les prières des gens de bien.
Travaillez aussi de votre côté à déraciner les mauvaises
habitudes ; faites tous les soirs un examen particulier sur
celles qui prédominent en vous ; allez souvent à confesse à
un même confesseur, afin que la honte de confesser tou-
jours le même péché , l'appréhension d'en être réprimandé,
la crainte de la peine qu'on vous imposera , vous servent de
bride; donnez la liberté à vos gens de vous reprendre;
priez-les de vous faire cette charité toutes les fois qu'il vous
échappera de commettre ce péché ; faites-en quelque péni-
tence, ou grande ou petite, comme celle d'arracher un che-
veu de votre tête, de vous mordre la langue, de frapper
votre poitrine , de baiser la terre, de dire un Pater et un
Ave , de donner un liard aux pauvres : Violentiœ pœni-
tendi cedat consuetudo peccandi , dit S. Augustin ; vous
montrerez ainsi à Dieu que si vous êtes tombé , c'est par
fragilité, non par malice. Fugite Bahylonem / fuyez les
occasions , évitez les compagnies mondaines, les assemblées
des garçons et des filles, la conversation des méchants, les
danses et autres divertissement!! sensuels , les offices et les
ehsrgaj dfmgomtses , k$ personnes r^melkum <l;< tk'bau*
DES c\\ SES ci 1,1 M] DES DU PÉCHB. 1S1
s. Unsi petit à petit les mauvaises habitudes <;e ralen-
tiront ; se ralentissant , elles s'éteindront, et aux mauvaises
succéderont les bonnes ; les bonnes habitudes produironl de
bonnes actions, les bonnes actions vous augmenteront la
grâce de Dieu , la gràee vous disposera et vous conduira a
*a gloire. Amen.
I
SERMON CCLXXXIV.
QUE L'ORAISON EST NECESSAIRE POUR NE PAS RETOMBER
DANS LE PÉCHÉ.
OctiJimei semper ad Domimm , qvow'am ipse evellet de laquco pedes meos.
.J'élèverai toujours mes yeux au Seigneur, afin qu'il me fasse éviler les pièges
qui me sont dressés. ( Ps. 24. 15.)
Ces jours passés , notre Sauveur nous a enseigné que
pour ne pas entrer en tentation , c'est-à-dire pour n y pas
succomber, et pour nous préserver du péché, ii faut re-
courir à Dieu, obtenir le secours de sa grâce par de fréquen-
tes et ferventes prières : Vigilate et orate , ne intretis
intentationem. Le temps ne me permit pas de traiter ceci
bien au long; je le dois faire aujourd'hui , vous faisant voir
trois vérités catholiques, reçues et approuvées de tous les
docteurs : premièrement, que la persévérance finale est né*>
eessaire à notre salut ; en second lieu , que la grâce de Dieu
est. nécessaire à la persévérance ; en troisième lieu, que la
prière est très efficace pour obtenir la grâce de Dieu. Ce
seront les trois points de ce discours.
ÏDEA SERMONIS.
Prirmim punctum. Perscverantia esineeessaria adsaïu-
icm : A. \ ° Scriptura.—B, 2° Patribus.—C. 3° Fi-
gura. — D. 4° Exemplo.
Secundum punctum. Gratta Dei est necessaria ad per-
sévérant iam : E. 1° Scriptura, — F. 2° Patrihus.
— G, 3° Indue liane. — H. 4° llatione.
Tertium punctum. O ratio est utilissima ad gratiam oh-
tinendam : I. 1° Scriptura. — L. Sensu Ecchsiœ.
—M. 3° Pa/rib?!s.~~N. 4° Rathnibw.—O. V Ex-
pert en tia.
- I ( i.\\\i\ . — i *0 RAISON, de. | 83
PRUlUftl PUNCTUM. — Pcrtcrvrantict) etc.
. -— J° S îgDC qu'il y a
un paradis ; L'espérance nous y fait aspirer ci prétendre ;
la charité nous en donne dos arrhes ; les bonnes œuvres
nous y conduisent , mais après tout , c'est la persévérance
qui nous y fait entrer, et nous en donne la possession par-
faite, et assurée. Le Fils de Dieu n'a pas dit:
Celui qui aura bien commencé, celui ({iii aura persévéré un
année , quinze , vingt ou trente ans, mais : Celui
ra persévéré jusqu'à \\ Gn , sera sauvé ; (Apoc. 2. \ 0.)
et i ■'.' ail ;• Pévôque de Smyrne : Soyez fidèle jusqu'à la
. innerai la couronne de vie. Les pommes
de Grenade, qui portent la couronne, n'étaient pas au
e du grand-prêtre, ni aux manches, ni sur
, niais à la frange , pour nous apprendre que la
couronne Je gloire ne se donne qu'à L'extrémité de la vie ,
! en état de grâce et de charité cn-
i. La persévérance est le sceau des belles actions,
le car. îinés, la marque des héritiers de
Dieu, la veille de la béatitude, la dernière disposition à la
, l'embouchure de l'éternité bienheureuse.
— (2° Pairibus.) Sola eslcui œternitas redditur,
ttîuë quœ œternUati homincm raidît f, dit S. Ber-
écrlvanl à ceux de Gènes ; (Epist. 129.) et reprenant
un religieux nommé Adam , qui était déchu de la perfection,
il lui dit : L'esprit malin vous a envié la persévérance sa-
chant qu'elle seule obtient la couronne de gloire et la fcli-
Iternelle : Incassum quippe honum ayituv , $i ante
t$rminum descratur, dit S. Grégoire : En vain vous
i la vertu si vous faites divorce avec clic avant la
fin de rotre vie.
C. — 'vi.) Une < . il 1 rien aux enfant* (Vis*
i main forte , d1
mer H d'avoir mangé la manne au désert, d'avoir
combattu les ( m J< is , et nuiras rois in-
fidèles j ils ne I l'être les victimes (Je la justice
184 SERMON CCLXXXIV. ^ORAISON
de Dieu , d'être privés de la possession et de la jouissance
de la terre-promise ; parce qu'après tant de bons succès ,
ils s'adonnèrent à l'idolâtrie et aux autres péchés des nations
infidèles ; et ils ne vous servira de rien d'avoir été délivré de
la tyrannie du démon par le baptême , d'avoir reçu la sainte
eucharistie , d'être participant des sacrements, si vous vous
rendez ingrat de tant de bénéfices, commettant quelque pé-
ché mortel avant que de mourir.
D. — (4° Exemplo.) Qui n'admirera la chute déplorable
de ce soldat infortuné , dont l'Histoire ecclésiastique fait
mention? Du temps de l'empereur Licinius, à Sébaste d'Ar-
ménie , quarante soldats furent jetés en prison et chargés
de fers , pour la cause de Jésus-Christ ; après qu'on leur
eut cassé les dents à coup de pierre, et fait souffrir d'autres
tourments , on les fit entrer dans un étang glacé pour y
passer la nuit et y mourir de froid. Etant là , ils priaient
Dieu, et disaient : Mon Dieu, nous sommes entrés quarante
au combat ; faites-nous la grâce de remporter quarante cou-
ronnes , sans qu'il en manque une seule : ce nombre est
sacré et mystérienx en votre Ecriture, Vous avez jeûné
quarante jours au désert ; Moïse persévéra quarante jours
en l'oraison sur la montagne pour recevoir votre divine loi ;
le prophète Elie, par le jeûne de quarante jours, mérita le
bonheur de vous voir. Pour leur livrer une plus rude tenta-
tion, on avait mis là auprès un bain d'eau tièJe, afin que si
quelqu'un d'entre eux, vaincu par la rigueur du froid, voulait
renier Jésus-Christ, il eût le remède tout prêt pour se dége-
ler et éviter la mort. Ceux qu'on avait mis en sentinelle ,
pour épier ce qui en arriverait, s'endormirent tous, excepté
le portier qui vit les saints martyrs environnés d'une grande
lumière, et des anges qui leur apportèrent trente-neuf cou-
ronnes. Quoi! disait-il en lui-même, ne sont-ils pas qua-
rante dans l'étang, et où est la couronne du quarantième?
Comme il était en cette pensée , un des martyrs , perdant
courage, apostasia et courut se jeter dans le bain d'eau tiède ;
ce que voyant le portier, il éveilla ses compagnons, leur
dît qu'il était chrétien, et se joignit aux trente-neuf martyrs
BOT NÉCESSAIRE A U PBRSBVBRANCB. 185
dans l'étang ; el le malheureux apostat rendit Pâme quel-
ques heures après sa chute. Il n'avait pas bien retenu cet
rtisseraent de Jésus dan, l'Apocalypse : (3. 11,) Tene
quodhabes, ut nemo accipiat coranam tuam : Gardez
bien ce que vous ave/, de peur qu'un autre n'emporte votre
couronne ; el puis nous ne tremblerons pas, nous ne nous
défierons pas de nos forces, nous ne connaîtrons pas l'incon-
stance et la fragilité du cœur humain!
Nous sommes ici quatre cents, cinq cents, quinze cents,
tous, comme je crois, résolus de nous sauver, tous appelés
à la couronnes du ciel ; prions Dieu que pas un n'y manque.
ï en aura-t-il quelqu'un ? quel sera cet infortuné ? Ce sera
vous , ce sera vous, ce sera vous , ce sera moi , si nous ne
vivons toujours en crainte, si nous ne nous humilions beau-
coup devant Dieu, si nous n'implorons incessamment sa
incorde.
i >DLM Pi v.i t H.— Gratta Dei^ c(Ct
! Scriptura.) L'Ecriture sainte et les Pères
que cette vertu si importante n'est pas un
de la seule volonté de l'homme, mais un effet de la
grâce de Dieu, et qu'ils la donne aux Ames choisies, ensuite
de la volonté qu'il a eue de toute éternité, de les acheminer
l'oire par le. méi ites de son Fils, et par leur coopéra-
tion a ses grâces : Secundumpropositum voluntatis suce,
iu (audemgloriœgratiœsuœ. (Ephes. 1 . G.)
Dans le Texte sacré les Saints prièrent Dieu, non-seule-
les convertir et de les sanctifier, mais de les tenir
en sa sauve-garde, de les conserver en leur sainteté : prière
qui serait inutile, comme dit S. Augustin, (dénatura et gra-
dée leur sainteté ils pouvaient se conserver
îux-jnêmes , el se garantir des tentations jusqu'à la fin de
leur vie. Quid etultius , quant orare ut Carias quod in
U habeas? Precibus frustra impetratur quod
jure commun* conceditur, dit le Jurisconsulte, (de leee
d. de thesanris.) b
U "6* S ,: :;" ' • i "an! pour le peuple qui avait lait des
186 SliRMOJN CCLXXX1V.— - L'o RAISON
offrandes en grande dévotion pour la fabrique du temple ,
disait : Seigneur, eonservez cette bonne volonté en ce peu-
ple, et qu'il continue à vous rendre les respects et les hom-
mages qu'il vous doit : Custodl, Domine, hanc volunta-
tem in eis, et semper in veneratione tici mens ista per-
manent. (1. Paralip. 18.)
Les prières que David faisait plus souvent en ses psau-
mes étaient celles-ci : Seigneur, conservez-moi , car j'ai
espéré en vous : Conserva me, Domine, quoniam spe-
ravi in te; (Psal. 1 5. 1 .) custodi nos, Domine, ut pu-
pillam oculi : Gardez-nous, Seigneur, comme la prunelle
de l'œil ; mettez-nous à l'ombre de vos ailes. S. Pierre di-
sait aux fidèles : Vous êtes préservés de la chute par la
puissance de Dieu ; et S. Paul disait aux Philippiens :
(Philip. 1 . 6.) Celui qui a commencé en vous la bonne
œuvre l'achèvera jusqu'à la venue du Sauveur.
F. — (2° Patrlhis.) Les saints Pères tiennent le même
langage que l'Ecriture , parce qu'ils sont animés du même
esprit. S. Cyprien dit : Hanc conlinvis orationihus pre-
cent facimus , hoc diebus ac noctibus posiulamus , ut
sanciijicatio, quœ de Dei gratta swnitiir , ipsitts pro-
tectione servetur : (Cypr. serm. de Orat. dominica.) Nous
faisons continuellement cette prière en nos oraisons, et nous
demandons à Dieu , jour et nuit , que la sainteté qu'il nous
a donnée par sa grâce, soit conservée en nous par sa protec-
tion. S. Basile , en sa Liturgie , dit : Mon Dieu conservez
les bons en leur bonté ; car vous pouvez tout. S. Jérôme
dit : A [gamus semper graiias largitori, scïamusque nos
nihil esse , nisi quod donavit ipse servaverit ; (Epist.
ad Ctesiphon. tem.) Rendons continuellement grâces à
notre Dieu très libérai , et soyons persuadés que nous ne
sommes rien , s'il ne daigne garder en nous les dons qu'il
lui a plu de nous faire. S. Fulgence dit : Sicitt omnia bona,
inierque etiam voluntatem habemus, non nisi Deo lar-
giente accipimns, sic ea quœ accipimus non nisi Deo
custodiente servamus. (S, Fulg. vcl Aulhor iibri de verit.
pnedest. cap. 17.) Comme nous n'avons aucun bien, pas
i M NBCi iSAlRE a LA PERSEVERANCE. 187
même la bonne volonté, que par la libéralité de Dieu, ainsi
nous ne gardons pas longtemps les biens qu'il nous a faits,
si lui-même ne les conserve en nous. Quant à S. Augustin,
il a fait des livres entiers pour autoriser cette vérité, comme
les livres du Don de la persévérant* , ! : . rédestination
des Saints , et au 1res.
^- — (3° Inductione.) Or, il y a trois sortes de grâces :
la grâce extérieure, la grâce sanctifiante, la grâce actuelle
ou auxiliaire. Les grâces extérieures font, par exemple,
entendre plusieurs prédications utiles et fruelueuscs : avoir
un sage directeur, un excellent père spirituel, être en bonne
Compagnie, avoir souvent devant les yeux des exemples de
, unes vertueuses , recevoir de Dieu des prospérités et
temporels pour nous gagner à lui.
La grâce sanctifiante est une très noble et très excellente
qualité, qualité surnaturelle et divine cpie Dieu répand en
cœur m rouvre de la justification, par laquelle nous
- sanctifiés, nous sommes faits justes, enfants de
, héritiers du paradis.
L i grâce actuelle est u\\v effusion de l'amour de Dieu,
un mouvement du Saint-Esprit, un secours surnaturel et
particulier par lequel Dieu nous tient par la main quand
en danger de tomber, nous relève et nous
iscile quand nous sommes tombés, nous excite et nous
aide à la pratique des bonnes œuvres méritoires de la vie
éternelle, pour cela elle s'appelle auxiliaire, prévenante,
excitante, subsidiaire : Aon duce, sed comité; non prœ-
via, sed pedissequavoluntaie, dit S. Augustin.
La persévérance est-elle un effet de la première espèce
ice ou de la seconde? Non, les seules grâces exlé-
1 s il-- la produisent pas infailliblement ; plusieurs per-
l « ii ont eu de très grandes, et en très grand nombre,
fini leur vie malheureusement en état de damnation ;
n oui dit fort peu, et ont persévéré en bon état,
ce el d'amour de Dieu jusqu'à la mort et
I
Quelles prédications plus éloquentes, plus persuasives,
188 serxMOjn cclxxxiv. — l'oraison
plus puissantes que celles de Jésus? Judas les a entendues ;
il a oui les sermons, les exhortations, les conférences, les
leçons spirituelles que Jésus a faites en publie , eu particu-
lier, aux champs, à la ville, dans le temple, dans les syna-
gogues , dans les maisons , au milieu des rues : Nunquam
sic locutus est homo. Il a été témoin oculaire des miracles
visibles , palpables , irréprochables que Jésus a faits. Quel
père spirituel plus sage, plus docte, plus éclairé, plus expé-
rimenté , plus désintéressé , plus uni à Dieu que Jésus ?
Judas Ta eu pour directeur. Quelle conversation plus inno-
cente, plus utile, plus dévote, plus sainte, plus sanctifiante
que celle de la Vierge et des apôtres ? Judas a vécu en leur
compagnie. Quels exemples de vertus plus rares, plus excel-
lentes , plus héroïques , plus admirables que les vertus de
Jésus , de sa sainte Mère et de ses disciples ? Judas les a
eues devant ses yeux. Quelles faveurs plusaHeetueuses, plus
charmantes, plus obligeantes que celles que Jésus a faites à
Judas ? Il Ta fait son disciple, son apôtre, son maître d'hô-
tel , l'économe et l'intendant de sa sainte famille : Homo
unanimis , dux meus et notus meus*
Pouvait-il avoir cette charge sans être beaucoup honoré
de la Vierge et des apôtres , qui avaient recours à lui dans
leurs petites nécessités ? Jésus s'est prosterné à ses pieds ,
les a lavés , essuyés , baisés ? il Ta caressé , régalé ,
mignardé , appelé son ami avec des tendresses tout
extraordinaires; et nonobstant toutes ces faveurs, il n'a pas
persévéré , mais il s'est opiniâtrement et malheureusement
perdu , au lieu que plusieurs personnes qui n'ont pas été
avantagées de tant de grâces extérieures , mais qui ont eu
des disgrâces et des événements tout contraires , ont été
fidèles à Dieu jusqu'au dernier moment de leur vie. Sainte
Maxime n'entendait point de prédication ni de conférence,
ou si elle en entendait , c'étaient des conférences impies et
abominables ; car elle était servante chez des Vandales ,
hérétiques ariens.
Le saint homme Job, les trois jeunes hommes, Ananias,
Azarias , Misacl , sainte Barbe , sainte Christine , sainto
Util Y l.\ W ! .,;,;. | ,
tboclie , étaient en très mauvaise compagnie , puisqu'ils
Vfaien< Parmi dos infidèles. Le juste Loih avait tous les
|ours devant les yeux les mauvais exemples des Sodomifes.
Minte Liduvine n'a point eu des prospérités temporelles,
pais des afflictions, des maladies , des peines d'esprit con-
tinuelles l espace de trente-huit ans. Tous ces Saints , et
autres semblables, sont demeurés fermes et fidèles en IV
mourdeDieu et l'observance de ses divins commandement: .
Est-ce doue la grâce sançtiûante qui nous fait persévé-
rer? Non, plusieurs personnes en ont eu très abondam-
ment et en très haut degré,et lui ont été infldèies. S. Tho-
mas I . p. ,j, 62. a 6 in corp.) nous apprend que le Créa
>nna aux esprits angéliques la grâce habituelle et
sançtiûante , selon la dignité et l'excellence de leur nature,
e esUà-dire qu'aux supérieurs il en donna beaucoup plus
inférieurs , comme un architecte prend plaisir de
mieux marteler, ciseler et ouvragée les pierres qui sont au-
dessus de l'édifice que celles qui sont aux fondements ; or
avait un nombre presque innombrable d'ares , archan-
l, vertus, et tous différents en espèce et supérieurs lés
nus aux autres , .selon le même S. Thomas. Pensez com-
bien oobles et excellents en la nature devaient être ceux de
la plus haute hiérarchie ! combien noble et excellent de-
vait être Lucifer , le premier, le plus beau , le plus relevé
de tous , qui contenait en éminence les perfections de tous
les autres: Plenus sapientia et perfectus décore , omnis
lapis preciosus operimentum tuum ! (Ezech. 28. 12.)
ci puisqu'on lui a donné la grâce sanctifiante à pro-
portion de l'excellence de sa nature, quel comble, quel
g mu et océan de grâces devait-il avoir reçu en une na-
m excellente ! .Néanmoins il a perdu un si grand tré-
*°r i i[ -: -'■ vf perdu lui-même , nonobstant tant de
Si ' P'e vous semble trop éloigné de votre portée
M dans le ciel, et en une créature qui ne
wmbe pas sous vos sens , considéi ■ les horribles chutes
>n a vues arriver sur la ten -ni reçoit plus
190 SERMON CCLXXXIV.-
soiiveni; la grâce sanctifiante que les prêtres, qui coauna-«
nient presque tous les jours ? qui est ce qui a plus d'inté-
rêt de la conserver que les évèques , qui doivent vivre sain-
tement , quand ce ne serait que pour donner bon exemple ?
qui est-ce qui a plus de moyen d'éviter les tentations, pour
ne pas la perdre, que les religieux qui sont séparés du monde
et retranches dans les cloîtres ? et néanmoins Anus , qui
avait été un bon prêtre , Nestorius, qui avait été un grand
évêque , Pelage , qui avait été un dévot religieux , et plu-
sieurs autres de même qualité * ont perdu celte grâce et
sont devenus hérésiarques.
H. — ( 4° Ratione. ) C'est donc proprement la grûc?
actuelle qui nous fait persévérer ; la raison en est claire par
les maximes de la théologie , et par l'expérience de ce que
nous voyons tous les jours ; c'est que la grâce sanctifiante
est à notre âme ce que notre âme est à notre corps ; encore
que l'âme vivifie , gouverne , maîtrise le corps , elle ne lui
ôte pas néanmoins sa pesanteur naturelle : de même, quoi-
que la grâce sanctifiante anime , vivifie, régente notre âme,
elle ne lui ôte pas néanmoins cette inclination , cette pente,
cette propension qu'elle a au péché , par la corruption de
sa nature : il faut donc que la grâce actuelle la soutienne
continuellement , qu'elle la retienne et l'empêche de tomber.
Imaginez-vous que cette église soit pleine d'eau jusqu'au
dessus , ou au milieu de cette chaire , et que je tienne ici
mule ces enfants par la main ; aussitôt que je le laisserais,
il commencerait à tomber en bas et à se noyer. Peut-être
que vous diriez : Voilà qui est admirable ; ce corps n'est-il
pas vivant , d'où vient qu'il s'enfonce comme s'il était mort?
l'âme n'esl-elle pas spirituelle et légère ? n'est-elle pas mai-
tresse du corps? ne peut-elle pas le retenir et tenir sur l'eau?
Non : car S. Paul a dit : Corpus quod corrumpitur
aggravât animant.
Jl en est de même de l'âme à l'égard de Dieu : bien qu'elle
soit vivante , bien qu'elle soit en état de grâce sanctifiante,
si Dieu ne la tient par la main , s'il ne la soutient continuel-
lement par l'influence de sa grâce actuelle , elle tombe in-
EST NÉCESSAIRE A LA PERSEVERA IV Ci:. 191
failliblemcnt en quelque péché, ou véniel ou mortel, et
. elle se noie et se perd tout-à-fail.
TiuriUM PUNCTUM. — Orutio , etc.
I. — ( 1° Scripiura. ) VA comme si cet enfant avait tant
soit peu d'esprit et de sens commua , il me crierait à cha-
que moment avec grande aiïcction : Mon père, tenez-moi
bien ; mon père , ne me iaissrz pas ainsi. Si vous êtes sage,
et si vous voulez persévérer en bon état , vous devez
réclamer le bon Dieu cent et cent fols par jour , avoir sou-
vent dans la Louche ou au cœur ces prières que les Saints
lui adressent : Mon Dieu , ne me délaissez pas, ne me mé-
prisez pas ; mon Dieu , mon Sauveur , aidez-moi , vous
êtes mon secours , mon protecteur; ne tardez pas de me
secourir ; a\ ez piticciïe moi , mon Dieu , ayez pitié de moi,
puisque mon âme a mis sa confiance en vous.
L. — [2 Sensu /:cclesiœ.) Notez que ce sont les Saints
qui font ces prières à Dieu , pensez ce nue nous devons
; si j'allais tous les jours neuf à dix ibis dire à notre
médecin : Monsieur, aidez-moi , hâtez— vous de me secou-
rir , vous auiiez sujet de dire : Le Père n'est pas dans son
sans i ou il a quelque grande incommodité et se sent
uiger de mourir, ii y a grand nombre de bon prêtres
dans rÉglîse , grand nombre de saints abbés et évoques;
donnez-moi le meilleur, le plus saint, le plus parfait de
tous , un Saint qui ait encore la grâce baptismale , qui Pa
augmentée et perfectionnée jusqu'à un degré très éminent;
il dit tout les jours onze ou douze fois en son office : Deus>
in adjulurium meum intendc ; Domine, ad adjnvan-
dum me festina : Mon Dieu , aidez-moi ; Seigneur, hàtez-
tecourir ; il est donc en grand danger de tom-
ber pour la moins onze ou douze fois par jour, puisqu'il crio
qu'on se bâta ourir. Si celui qui n'est jamais tombé
a sujet de craindre la chute , combien plus celui qui est
lomii >ent ! Si un géant fort et robuste demande d'è-
tre - > Dru , que doit luire un enfant faible, un petit pyg-
mée ? celui qui t^1 <'n beau chemin a besoin qu'on le tienne
1H2 IBAMOII CCLXXXIV.— l'ORÀISQN
par la main , combien plus celui qui est sur du verglas et
dans un chemin penchant ? Outre les susdites paroles que
l'Eglise nous met tous les jours dans la bouche , elle nous
tait souvent avouer devant Dieu L'extrême besoin que nous
avons de son secours , comme quand nous disons : « Fa-
<( miliam tuam , Domine , continua pietate custodi , ut
« quse in soîa spe gratiœ cœlestis innititur, tua semperpro-
« teclîonemuniatur; » notez : « continua;» notez : » sola spe
<c gratiœ. Et ailleurs : Proteclor in te sperantium, Deus,
« sine quo nihil est validum , nihil sanctum ; Deus , qui
« conspicis omni nos virtute destitui ; Deus, qui conspicis
« quia ex nulla nostra virtute subsistimus : » Mon Dieu ,
gardez votre Eglise par une piété continuelle, et puisqu'elle
ne s'appuie que sur la seule espérance de votre grâce , faites
que votre sauve-garde la défende ; vous êtes le protecteur
de ceux qui espèrent en vous, sans lequel rien n'est puis-
sant , rien n'est saint ; vous connaissez que nous sommes
dépourvus de toute vertu , que nous ne subsistons par au-
cune force qui vienne de nous.
M. — (3° Pat ri bus.) Les saints Pères ont les mêmes sen-
timents que l'Eglise. S. Fulgence après nous avoir dit que
nous ne pouvons garder les dons de Dieu , pas même la
bonne volonté , si Dieu ne daigne les conserver en nous ,
ajoute que la bonne volonté, pour s'assurer de son avène-
ment, doit avoir tant de soin et de \igilance à conserver en
elle les dons de Dieu , qu'elle obtienne de lui son secours
par une fréquente oraison et par la pratique des bonnes
œuvres : Ille vero certus est honœ voluntalis si ea quœ
accipit a Deo ita vigilanter solliciteque custodiat , ut
cusiodiœ divinœ adjutorium et frequentia orationis et
studio honœ operationis exposcat. (Fulgent. ubi supra.)
N. — (4° liationibus.) Les autres Pères nous aver-
tissent que si Dieu nous laisse quelquefois dans nos fai-
blesses , s'il permet que nous soyons sur le bord du préci-
pice et en danger de nous perdre, c'est ponr fair* ressentir
et reconnaître le besoin que nous avons de sa grâce pour
nous obliger de recourir à lui, d'être fervents et assidus en
>!!..' A I v !■: RâftN tfKA.NCE. 1 0
/ w. 4d Dominum cum tribularer clatnavi $ cla~
4 veruni adDominum cum tribularentur.
Comme au contraire Satan fait tous ses efforts, réunît
toutes ses forces, emploie toute son industrie, fait jouer
toute sorte de machines pour nous détourner de l'oraison,
ou pour la rendre vicieuse et inutile; il nous empêche, s"*ii
peut, de nous y appliquer; il envoie des camarades oui nous
conduisent au jeu, aux compagnies, aux promenades, pour
nous en détourner; il nousjelle dans le tracas et l'embarras
des procès, du Iraûc, de l'étude ou autres affaires cl occu-
pations temporelles, alin que nous n'ayons le désir, ni l'es-
prit, ni le loisir de faire oraison. Si nous faisons oraison ,
il nous y accable d'ennui, de debout, de sécheresse et d'ari-
dité, afin que nous la quittions ? si nous ne la quittons pas,
il procure que nous la fassions lâchement, froidement, né-
mment ; il nous y remplit de distractions : il fait venir
des personnes bien ajustées , afin que vous vous
amusiez a les regarder; il incite celte femme d'y apporter
600 enfant, cet homme d'y amener son chien, alin de trou-
Mer et interrompre votre dévotion. Si nous avons une lettre
à dicler, un sermon , une leçon , une harangue à composer,
en l'oraison qu'il nous fournit de plus belles pointe»
ril ; ï>i nous avons une querelle ou un procès , c'est en
l'oraison qu'il nous suggère des raisons plus évidentes , plus
spécieuses pour notre bon droit; si nous avons un dessein
dans la tèle , c'est alors qu'il nous met dans l'esprit des
Doyens plus convenables pour en venir à bout.
Un père du désert avait coutume d'entendre comme un
son de trompette toutes les fois qu'on donnait le signal pour
faire venir les religieux au chœur, et il lui fut révélé que
c'était le signal des démons qui s'assemblaient aussi el ve-
naient au chœur pour troubler les religieux et les empêcher
de bien faire leur oraison. C'est que, comme a dit saint
Bernard : Tibi invidùperseveranliam qimm solum no~
vertU coronari : Satan nous envie principalement la persé-
vérance qui seule emporte la couronne du ciel; et il sait
194 SERMON CCLXXXIV. L'ORAISON
qu'il n'y a rien de si utile pour obtenir la persévérance que
la prière fervente et assidue.
O. — (5° Experientia.) Vous entendrez bien dire quel-
quefois que tel qui était un religieux , grand prédicateur ,
célèbre confesseur, a fait un scandale , s'est fait apostat ,
est allé à Genève; mais on ajoute qu'il était toujours à la
porte du couvent ou dans un recoin de l'église à parler à des
femmes , ou en visite par la ville sous prétexte de charité ;
mais vous n'entendez jamais dire que tel, qui était la plupart
du temps dans sa celiule , au pied du crucifix ou devant le
Saint-Sacrement, ait fait banqueroute à la religion; c'est que
les actions extérieures qui ont du lustre et de l'éclat nous
enflent assez souvent, l'oraison nous humilie; les autres
nous remplissent de nous-mêmes , l'oraison nous remplit
de Dieu; les autres nous répandent au-dehors et nous ap-
pliquent à la créature , l'oraison nous recueille et unit au
Créateur; les autres méritent la grâce sanctifiante , l'oraison
demande et obtient ordinairement la grâce auxiliaire qui
seule nous fait persévérer.
Si donc vous avez envie de persévérer en bon état , et par
conséquent d'assurer votre salut, priez Dieu le plus souvent
et le plus dévotement qu'il vous sera possible ; tout le temps
«jiii vous reste après les occupations auxquelles votre devoir
et la charité chrétienne vous obligent , employez-le à faire
oraison, levez-vous plus malin, hàtez-vous de vous habiller,
évitez les compagnies etles conversations inutiles, les jeux,
la perte de temps , la lecture des livres non nécessaires , les
procès et autres affaires superflues, afin d'avoir plus de loisir
à faire votre oraison. Faites- la humblement , puisque la
grâce que vous demandez vous est absolument nécessaire ;
reconnaissez l'extrême besoin que vous en avez ; n'allez pas
à la prière comme si vous alliez rendre un grand service à
Dieu , et comme s'il était bien obligé de ce que vous le priez,
mais comme un pauvre mendiant qui lui demande une au-
mône en extrême nécessité , faites-la avec ferveur, puisque
la grâce que vous demandez est un don très excellent , très
précieux , digne d'être souhaité de toute l'étendue de votre
im NÉCESSAIRE \ l V PERSEVERANCE. 195
àmc | de toute la portée de voire cœur , de tous les efforts
jotre volonté; faites-la assidûment, puisque la grâce
que vous demandez vous est nécessaire à lout moment et à
tuuic* vos actions pour n'être pas vicieuses. Elevez souvent
votre esprit à Dieu, offrez-lui voire cœur, réclamez sa
miséricorde à chaque heure , demi-heure, quart-d'heure :
jMultum valet deprecatiojusti assidua^ dit S. Jacques.
Cesl le refrain ordinaire de mes sermons , il est vrai ; mais
levons dirai co-^ue S. Jean répondit en semblable sujet ,
lorsque ses disciples lui dirent qu'il leur répétait toujours la
môme chose : Quia prœceptum Dominiesi, dit-il, et si
//,.'/, suffît' il ; ainsi je vous recommande souvent l'o-
raison, parce que Jésus nous la recommande avec grande
affection : O port et semper orare, et nttnquam ilc/iccre;
ommandement est effectué, tout le reste ira très
bien ; c'est ce que je vous supplia de demander à Dieu pour
moi , afin que profilant tous de la parole de Dieu , nous
ayons quelque jour le bonheu. «le participer tous ensemble
cette promesse de Jésus : Qui p^^severaverit usaue in
..'d , hic salvus tri t. Àmcn.
SERMON CCLXXXV.
DE LA GRACE DE DIEU, ET DE SA NECESSITE.
Sine me nihil potes lis faccrel
Voua nejiouvez rien faire sans moi. (Joan. 15. 5.)
En tous les discours qui ont été faits jusqu'à présent,
nous avons toujours supposé et souvent déclaré en termes
exprès, que la grâce de Dieu est absolument nécessaire pour
garder les commandements de Dieu, pour éviter les péchés
qui y sont défendus , et pour pratiquer les vertus qui y sont
recommandées ; il importe beaucoup d'être bien convaincu
de cette vérité et démettre en pratique les instructions mo-
rales que nous en pouvons tirer. C'est à quoi je dois tra-
vailler en cette prédication , moyennant le secours de la
même grâce et de votre attention favorable ; demandez à
Dieu la première , et donnez-nous la seconde.
IDEA SEUMONIS.
Primurn punefum. Dœmon per peccatum infligit homini
duas plagas : A. Nempe ignorantiam boni, conçu—
piscentiam mali. — B. Deus non sanavit primant
in statu iegls naturœ. — C. Nec secundam in statu
Icgls mosaïcœ , ut homo eaperiretur nécessitaient
gratiœ Chrisli. — D. Documentum morale, quod
inde sequilur.
Sccundum punctum. E. Quid faciendum ante adventum
gratiœ , in adveniu , et post adventum ejus. Ante
adventum cognoscenda est ejus nécessitas , et toi-
lenda impedimenta. — F. In adventu discernendi
motus illius a molibus naturœ. — G. Post adven-
tum ejus cavenda ingratitudo.
Conclusio. H. Exhortatvo ad humilitatem et timorem,
ex Scriptura et Patribus ,per periphrasim illorum
verlorum : Noli aitum snperc, sed lime.
SERMOW i.c.i.ww ,—OB L\ G1U.CK, cit. I UT
i'Kim m pi nctom. — Dmmort, etc.
i. ■— (Duas plagas, etc.) Dieu, le souverain créa-
teur s étant reposé de toute éternité, el satisfait en lui-
'■""•'' dans la plénitude de son être divin, dans la jouissance
de ses perfeci.ons munies, dans la fécondité deses émana-
tions adorables, dans la société de ses per les divines;
e voulanl se répandre hors de soi , par une saillie d'amour
•i par une puissante inclination de sa bonté naturelle qui le
P°rtcàsc communiquer, créa l'homme au commencement
•«les . a son image cl ressemblance, afin que par grâce
''I F'vdégc particulier, il fût participant de la même féli-
l'ie le Créateur possède en lui-même par nature. I! le
erea,dis-je, à son image et ressemblance; à son image
" I""11'. I entendement, à sa ressemblance pour la volonté Ta
son image dan, la raison, à sa ressemblance dans la dilee-
"> "nage dans la connaissance de la vérité, à sa
tnce dans l'amour de la vertu. Signatum est su-
vertu* lumen vultuetui, Domine} voilà la lumière de
lentendement. Dedieti UtUiam in eordemeo; voilà la
^' ".'" «< '« délectation de la volonté. L'ayant ainsi créé, il
letaulil souverain d< toutes les créatures, et comme un petit
eu ee monde, il le logea dans un jardin de délices comme
tos un corps-de-logis séparé et plus digne; il l'honora d'un
wul commandement fort aise à observer , afin que méritant
P» ses propres actes la béatitude qui lui était préparée, il
Y/'l'Ii'-Ml honneur et de contentement d'en jouir, non comme
« un présent gratuitement donné, mais comme d'une cou-
ronne heureusement et glorieusement conquise. L'esprit
"""'" \: n"1 d« Wla, et piqué de jalousie, il voulutrom-
»dessein,depeurque l'homme, qu'il estimait beau-
coup inférieur a lui , ne méritai par son obéissance, la gloire
'l" paradis que lui-même avait perdue par sa rébellion et son
•rroganee; et voyant bien qu'il ne le pouvait vaincre de
de vive forée, ilae sertit de fraudes el d'artifices; cl l'ayant
mduit par surpnse, a transgreseer le commandement de
■ ■ " h" fit traîtreusement deux blessures mortelles ,
198 SEKMON CCLXXXV.
contraires aux deux prérogatives qu'il avait reçues de Dieu
en sa création : l'ignorance du bien contre la lumière de son
entendement, la concupiscence du mal contre la droiture de
sa volonté. De ces deux maudites sources ont coulé tous les
maux funestes qui perdent notre nature, et principalement
deux plus notables, le délit et le crime; le délit vient de
l'ignorance , le crime procède de la concupiscence; le délit
se l'ait par omission du bien qui nous est commandé, le crime
se fait par commission du mal qui nous est prohibé. A des
plaies si envenimées deux remèdes étaient nécessaires :
l'homme avait besoin de conseil et de secours : Consillo et
auxilio indigehat; de conseil, pour instruire son igno-
rance; de secours, pour corriger sa concupiscence ; de con-
seil, pour éclairer son entendement; de secours, pour
fortifier sa volonté; de conseil, pour lui faire connaître la
vérité; de secours, pour lui faire aimer la vertu.
C'est ce que le Verbe divin , incarné pour le salut des
hommes, a apporté au monde : Plénum g rat iœ etverita-
tis. Gratiœ, voilà le secours ; veriialis, voilà le conseil.
Mais n'est-ce pas une merveille capable de ravir en admi-
ration les plus hauts séraphins, et de les rendre stupides
d'étonnement , de voir que le Fils de Dieu ait différé un re-
mède si nécessaire? Il faut que je vous avoue qu'en toute
l'économie des décrets adorables de Dieu, et de ses juge-
ments incompréhensibles , il y a fort peu de prodiges qui
m1 étonnent et m'épouvantent autant que celui-ci. Le Fils
de Dieu a résolu , de toute éternité, de se faire homme pour
le salut des hommes ; il en fait les promesses dès le com-
mencement des siècles, et néanmoins un dessein si digne de
lui, si conforme à sa bonté, si utile à sa gloire, si salutaire
aux hommes, si honorable à toute ses créatures, il diffère
plus de cinq mille ans de le mettre en exécution.
B. — (Deus non sanavit primant , etc. ) Depuis la
création du monde jusqu'à la naissance d'Abraham s'écou-
lent plus de trois nulle ans ; en quel état est tout l'univers
pendant un au.ssi long espace de temps ? dans le plus déplo-
rable aveuglement, horribles ténèbres, énorme et abomi-
. . .
péché qiiise puisse imaginer dans la méconnaissance
>ieu , dans Pignorance du chemin du ciel , au péché d'i-
inc- Tout Puniversélail plongé dans cel abîme ; presque
tous les hommes qui étaient sur la terre ne savaient quel
étaitle vrai Dieu; ils ignoraienl la voie de leur salut, ado-
rent les diables pour toutes divinités; péché le plus inju-
rieux a Dieu, le plus indigne de l'homme, qui se puisse
commettre, comme je vous Pai autrefois montré.
C— (Nec secundam , etc.) Après la naissance d'Ain*
1 deux autres mille ans s'écoulent ; en quel état est IV
nivers pendant tout ce temps-là ? Dieu laissant encore tout
sic du monde dans les mêmes ténèbres et dans le crime
I idolâtrie, recueille etassemble un petit peuple , le peuple
joil , qui en comparaison des autres nations , n'est qu'une
poignée de gens ; il publie une loi à ce peuple ; il lui
des patriarches; il lui envoie des prophètes: il lui
gne son Ecriture, il lui établit des jugesetdes rois:
sacrements , il ordonne des sacriflees ; il lui
sent des cérémonies et des observances religieuses
à quoi sert tout eela ? ° '
le loi fait voir le péché , elle ne le fait pas éviter- ces
H' > figurent Je salut, ils ne l'exhil>enl pas : les nror
promettent le remède, ils ne le donnent pas- (es
"lures ronl connaître Dieu, elles ne donnent pas la crâce
- a"«cr ; les j„ges et les rois les délivrent de la servi-
Uh), des Phil.st.ns , non de la tyrannie du diable ; les sacre-
■lents sont administrés au corps, ils ne sanctifient pas Pâme-
!<;> «enflées souillent les autels, ils ne lavent pas les coa*!
: les cérémonie, occupent la dévotion des hommes,
clle> n apaisent pas la colère de Dieu ; en un mot, Péta! de
' loj instruis*! Pignorance des hommes , et ne réformait
pas la concupiscence ; il corrigeait Pavcuglemcnl , et ne
fortifiait pas la faiblesse ; il donnait conseil , a ue portait
irs ; il faisait connais le péché f et ne le faisait
Her; il obligeait par des commandements, et ne don-
garder.p«r le péché de
i I ■■ • ' ' il comme un malade qui ne
200 SERMON CCLXXXV.
connaît pas son mal et qui est pauvre ; comme un prisonnier
qui est au fond d'un cachot , et qui est dans les chaînes ;
comme un voyageur , dans une vaste forêt , qui serait
devenu aveugle et estropié des jambes : la loi de Moïse a
enseigné à ce pauvre homme quelle maladie le tenait, elle ne
lui a pas donné le moyen d'avoir une médecine ; elle a fait
voir à ce prisonnier son cachot et sa chaîne , elle n'a pas
brisé ses fers ni rompu ses liens ; elle a dessillé les yeux de
cet aveugle, lui montrant le chemin d'où il s'était égaré,
et ne lui a pas redressé les jambes pour s'y remettre et
cheminer.
L'homme donc à été laissé l'espace de trois mille ans sous
la loi de nature , dans l'ignorance du vrai Dieu et dans le
péché d'idolâtrie, afin qu'il fût convaincu et contraint d'a-
vouer qu'il n'est que ténèbres sans la lumière du ciel. Il a
été laissé environ deux mille ans sous la loi mosaïque dans
son infirmité et dans la transgression des commandements
divins , afin qu'il fût convaincu et contraint d'avouer qu'il
n'est que faiblesse sans la grâce de Dieu. « Jacebat in ma-
« lis , vel etiam volvebatur , et de malis in maia prœcipita-
« batur totius humani generis massa damnata , et adjuncla
« parti eorum qui peccaverant angeiorum , luebat irnpiee
« desertionis dignissimaspœnas, » dit S. Augustin. (Tom.
3. in Enchiridio , cap. 27.) Que de services rendus aux dia-
bles ! que de péchés mortels commis! que d'âmes tombées
en damnation dans tout le circuit de la terre, en un si long
espace de temps , durant l'étendue de tant de siècles, dans
la révolution de cinq mille ans; et il ne faut pas penser qu'il
y eût en ce temps-là fort peu de personnes sur terre , puis-
que le monde était aussi peuplé qu'il l'est à présent , et
encore davantage , comme je vous l'ai autrefois montré.
Je sais bien qu'il y a eu en tout temps au monde des gens
rie bien, des saints et amis de Dieu, mais ils étaient si rares
i|u'un petit enfant pourrait presque les compter sursesdoigls:
Enoch, Job , Noé, Abraham, etc. Ils étaient en si petit
nombre que Dieu les compare (Isai. 24. 13.) au peu de
grappes qui demeurent par hasard dans une vigne , après
1)1 I v G A LCE DE DU I 20 1
qu'on a fait vendanges; e( le reste des hommes calait en si
grande quantité , que ceux d'une seule race sont comparés
lux étoiles du ciel et au sable de la mer. O mon Dieu ! que
Vous êtes admirable î que l'abîme de vos secrets est incom-
préhensible et impénétrable ! Confitebor tihi ,quia ter-
ribiiiter magnificat us es. Vous êtes si jaloux de votre
honneur, comment permettez-vous donc que l'esprit malin,
votre ennemi mortel, souille ainsi vos ouvrages , tyrannise
vos créatures , occupe voire domaine , soit adoré à votre
place , l'espace de cinq mille ans ? Vous avez une haine si
mortelle et si irréconciliable contre le péché , comment per-
met tcz-vous que l'idolâtrie, le plus détestable et dénaturé
de lous les péchés, règne si longtemps dans tout le monde?
Vous avez tant de zèle pour le salut des âmes, comment per-
mettez-vous que tant d'âmes d'hommes , de femmes, de
petits enfants , de juifs et de gentils tombent en perdition?
Terribiliter magnificat }us es , confitebor tihi. Vous vou-
I ilter, vous \<>ule>, manifester la nécessité etrexcellenee
de la grâce de Jésus \ tre Fils, vous voulez faire voir que
sans elle les hommes ne savent rien , ne peuvent rien , ne
font rien , qu'ils n'eut de leur cru que l'ignorance, ia fai-
blesse , 1»' !•< ché , le néant ; qu'ils sont tous en la masse de
corruption , si <àtte grâce divine ne les en retire. Vous
voulez montrer combien elle est excellente et précieuse ,
puisqu'elle a dû être espérée , attendue , désirée , demandée
par tant de prières des patriarches, de gémissements des
prophètes , de larmes et de soupirs des gens de bien ; com-
bien elle est nécessaire , vu que la lumière de nature , les
K préceptes des philosophes , les riches discours des
i rs , les invectives piquantes de vos prophètes , les
horribles menaces de vos Ecritures , les châtiments exem-
s <lc> pécheurs, iront su retirer les hommes du péché,
parce qu'ils n'avaient pa9 celte grâce efficace; combien elle
iluite: Von mérita sequens, sedipsa mérita faciens,
non en i m esset gratta ullo modo , nisi esset gratuita
mnimodo. S. Lug, lib. 2 de gralia Chrisli et pecc. orig.
cap. 24. Elle est gratuite, puisque vous l'avez donnée cri
202 SERMON CCLXXXV.
un temps où ïcs hommes non-sculcrncnt ne l'attiraient pur
aucun mérite , mais la déméritaient par plusieurs crimes ;
dans un temps où le monde était prostitué à des péchés si
noirs , si énormes , si excessifs , qu'ils provoquaient une
vengeance , au lieu de recourir à votre miséricorde. C'est
5. Paul , dans fépîlre aux Romains et celle aux Galates , et
après lui S. Augustin, à chaque page de ses œuvres, qui nous
inculquent cette vérité , que Dieu a laissé si longtemps les
gentils dans les ténèbres de leur ignorance , et les juifs dans
les faiblesses de leur concupiscence , pour nous obliger à
reconnaître , à confesser et exalter la nécesilé de sa grâce:
Confitebor tibi quia terrihiliter magnificatits es,
« Ad hoc valet legis agnitio , ut fiât mandati prœvari—
« catio; »et infra« : Haee solaostenditur legis utililas, quo-
« niam quos facit prœvaricationis reos, cogit confugere ad
« gratiam liberandos, et ut concupiscentias malas superent
« adjuvandos ; jubet enim magis quarn juvat. , docet mor-
a bum , et non sanat ; imo ab eo potius quod non sanalur ,
k augeter , ut attentais et sollicitius gratiœ medicina
» quœralur, » dit S. Augustin. » (lib. gratia Christi ,
cap. 8.) _ ,
D. — (Documentum moraee.j^ânà nous considérons
ceci , je m'étonne comment nous n'allons par criant inces-
samment , au moins au fond de notre cœur : Grâce , grâce,
sans elle je ne sais rien , je ne puis rien , je ne suis rien ; je
m'étonne comme nous pouvons nous enfler de quelque bonne
œuvre que ce soit , comment nous ne nous jetons pas au
centre de notre néant , pour dire avec sentiment : Gratia
Dei sum id quod sum , gratia Dei sum id quod su m.
Je vous supplie, Messieurs , pesez celte réflexion. On ne
se met pas en peine pour prouver une vérité qui est aisément
avérée de tous ou de la plupart des hommes; on ne fait pas
pour cela étudier les docteurs de l'université , et voilà que
Dieu laisse tout exprès en erreur les hommes de tous Puni-
vers. Il se met en peine et fait de grands frais • il laisse perdre
une infinité d'âmes pour nous faire voir et. sentir par expé-
rience cette vérité; que sans la grâce, l'homme ne peut rien,
DR F i GRACB m: DIBl . 203
! te nous est tonf-D-fait nécessaire; c'est donc signe que
Mlle térïté n'est pas communément reçue ci reconnue de
plusieurs; nous la croyons bien en général , et nous la con-
ns quelquefois , disant que nous ne pouvons rien sans
race de Dieu; unis ce n'est qifà fleur d'esprit et du
des lèvres; ce nYst pas avec sentiment, vive appré-
hension et ferme persuasion , et cela néanmoins importe
I -a— lait.
DBCUNDUll PUHCTTO, — Quid faciendu m , cfc.
Si nous voulons etre aidés de cette grâce , sans laquelle
nous somraesdisgracîés de Dieu et malheureux pour jamais,
nous avons âcs devoirs à remplir avant qu'elle ne vienne
quand elle vient , et après qu'elle est venue.
lë..—(4nreadt>cntum , etc.) Avant qu'elle ne vienne,
Il Mat connaître et avouer le besoin que nous en avons. Ce
e disaïl (rime -race particulière , il le faut dire de
' cognovi quoniam ailler non possem esse
continens , nisi ih us det , et hoc ipsum c rat sa pi en-
tier sarc cujus esset hoc domtm , adii Dominum , et
cafus sum iUum ex totls prœconllls mets : (San.
■s- 2 I .) Sachant que je ne pouvais pas avoir la grâce de la*
continence, si Dieu ne me la donnait pas ; je me suis adressé
I in , et je la lui ai demandée de toutes mes entrailles; et
cela même est une grande sagesse desavoir que c'est un bien-
lait de Dieu et uu don du Saint-Esprit , il faut faire comme
Wons savons ou devons savoir que nous ne pouvons
pratiquer l humilité , la charité , la patience , la tempérance
Ji 1rs autres vertus , quelles qu'elles soient , sans la grâce
le Uieu ; nous devons donc lui demander sa grâce de toutes
jos entrailles, de toute la portée de notre cœur , de toute
«end ire amc , de tous les efforts de notre volonté,
frec armes , soupirs, gémissements, profonde humilia-
:"-' ^ notre esprit devant Dieu; et cela non une foison
eu*, ! souvent , et presque continuellement, s'il
Hit P ar puisqu'elle est tout-à-fait nécessaire à la
Wliquc de la vertu, et même à chaque bonne œuvre en
204 SERMON CCLXXXV.
particulier : Ad singulos actus , comme parlent les con*
ciles ; que deviendrons-nous et que ferons-nous enfin, si nom
n'en sommes pas continuellement prévenus ?
Nous ne pouvons ni prévenir la première grâce , ni la
mériter , ni nous y disposer de nous-mêmes : Gratia Dei
inveniri potest , 'prœveniri omnino non potest , dit S.
Bernard; mais nous pouvons la démériter, nous y opposer
et y mettre des empêchements ; ce qui se fait par de grands
péchés , ou en grand nombre : « Iniquitas domus Israël
<( magna est nimis valde , et repletaest terra sanguinibus :
« dixerunt enim : dercliquitDominus terram, et non videt
« Dominus. Igitur et meus non parcet oculus,etnonmi-
« serebor. )> (Ezech. 9, 9. ) L'iniquité de mon peuple est
plus que très grande, et les hommes ont commis des crimes
en grand nombre , disant que j'ai quitté la terre et que je ne
les vois pas ; voilà pourquoi je ne leur ferai point de misé-
ricorde ; et un peu plus haut . Pivo ego , dicit Dominus
Deus : pro eo quod sanctum meum violasti in omnibus
ahominationibus fuis , non parcet oculus meus, et non
miserehor : (Ezech. 5. \\ .) Parce que vous avez profané
les choses saintes par vos abominations , je jure ma vie que
je ne vous pardonnerai point , et que je n'aurai pas pitié de
vous. Il ne faut donc pas empêcher ni retarder L'heureux
avènement de sa grâce.
F. — ( In adventu. ) Et quand elle vient , il faut soi
gneusement remarquer son action et ses mouvements de
peur de prendre le change , et de suivre les inclinations et
les instincts de la nature , au lieu de suivre les desseins et
la conduite de la grâce. Je ne trouve rien de si lumineux et
de si spirituel en ce sujet , que ce qu'en dit ce beau petit
livre que tous les gens de bien ont toujours dans la poche ,
le livre de l'Imitation de Jésus , de J. Gerson ou de Thomas
à Kempis. Vous savez qu'après la sainte Ecriture, il n'y a
point de livre qui ait été si souvent imprimé , traduit en
diverses langues , lu et relu , goûté et approuve par toute
sorte de gens, qu'il n'y a pas même jusqu'aux Turcs qui ne
l'aient traduit en leur langue.
i" I v GRACE n: DU : .
wnmeH parle: « Fili , diligenler adverte motus
* naturae el grattae , quia valde contrarie et subtiliter mo-
■ venlur,et vîx , nisi a spirituali el mtimo illuminato
■ homme , discernuntur : (lil>. ;{. cap. 54.) Mon Gis il
foui soigneusemenl distinguer les mouvements de la grâce
ivecceuxde la nature; car quoiqu'ils soient tout-à-fait
contraires, ils sonl néanmoins en apparence fort semblables
etiie pcuventètreaisémentdiscernésquepar les personnes
forl spirituelles el intérieurement éclairées de Dieu. Tous
ceux quionl Pâme tant soif peu bien assise prétendent le bien
dans leurs paroles el dans leurs actions ; mais Pamour-pro-
pre est cauteleux et rusé au dernier point, il nous donne
«vent le change, il nous fait prendre des instincts de nature
I our des inclinations et des mouvements de la grâce. Il im-
P° l« beaucoup de n\ être pas (rompe, puisque la nature et
ir propre sont nue engeance du vieil homme , le par-
1 des partisans de l'Antéchrist : Eruni
ointes semetipsos; la -race est. l'apanage des
m el le caractère des prédestinés.
1 <':1 horreur toute captivité , ne veutétreassu-
>i ni domptée , ni vaincue de personne, elle
erner et à conduire ; la grâce aune la servitude
Ire surmontée, humiliée et asservie à toute créature'
r l amour de Dieu , ne veut régenter , ni commander à
personne , si elle n> est pas obligée; la nature aime le lus-
Ire et I éclat, se plaît à se faire voir et connaître à plusieurs
à se répandre el se dissiper à l'extérieur , à se divertir et se
dn iser dans le tracas ; la grâce cherche le secret et l'écart
elle aime a être cachée cl inconnue au monde, recueillie et
dans l'intérieur, elle cherche la paix et la commu-
m avec Dieu.
il tout ce qui fait peine à Pesprit et au corps
>cequiluiesl propre et particulier, aime ses aises
lilés, rapporte toul à . soi et à ses intérêts- la
demande ce qui esl laborieux, ce qui mortifie et incom-
• cequiesl utile el proG table à plusieurs ce
îuireussil à la gloiredeDieu. Ainsi quand vous avez incii-
I:
206 SKftMON CCLXXXV.
nation a quelque charge on office, à quelque action ou entre-
prise , à quoique viande ou vêtement, à un état ou condition
de vie qui vous exemple desubjeetion, qui vous met au large
et en liberté, qui vous donne la régence et le gouvernement
de quelqu'un , qui vous élève et vous fait paraître , qui vous
occupe souvent hors de vous, qui vous jette dans l'embar-
ras, qui vous est commode et délicieux, quoique ce soit sous
de beaux prétextes , sous apparence ou espérance de servir
au public , de convertir les âmes, de ne pas démentir voire
naissance, de vivre et être vêtu selon votre qualité, de ne
pas enfouir les talents que vous avez ; défiez-vous-en, dé-
fiez-vous de telles affections ; il y a danger que ce ne soit in-
clinations de nature, engeance d'amour-propre. Quand vous
avez quelque pensée de prendre un genre de vie et de vête-
ment, de suivre une vocation , de faire des actions qui vous
captivent, abaissent, humilient, incommodent, qui vous
Aie lient dans l'oubli et le mépris du monde, dans la recol-
lection et retraite en vous-même, dans l'exercice de l'o-
raison et la conversation avec Dieu , ne tenez pas telles
pensées pour suspectes ; ce sont pour l'ordinaire instincts
et mouvements de la grâce.
G. — (Fost advenium.) Quand vous l'avez reçue .
gardez-vous bien d'en être ingrat : « Peremptoria res est
« ingratitudo, hostis gratiœ, inimica salutis; dico ego vo-
« bis, quoniam pro mco sapere, oih.il ita displicet Dco,
« quemadmodum ingratitudo ; vias enim abstruit gratiœ,
« et ubi fucrit illa, gratia accessum non invenit, locum
« non babet : » (S. Bern. serm. 2. de sept, panib.) L'in-
gralitudc estime meurtrière, ennemie de la grâce, contraire?
au salut ; je vous dirai mon sentiment ; je pense que rien ne
déplaît tant à Dieu que l'ingratitude ; elle ferme les portes
à la grâce , qui n'a point d'entrée où ce vice se retrouve.
« Sola nos a profectu conversations impedit ingratitudo ,
« du m quodam modo amissum repulans dator, quod in-
« grâlus accepit, cavet sibi de cœtero, lanto plura ingrato
« eonferre-, feiix autem qui gratiara ad singula doua graliae
« reddit , ad eum in quo est pienitudo omnium gratiarum.
DJ LA GRACE DE mit . 207
• oui iî ira nos pro acceptis non ingralos exhibcmus, locum
i m uobis facimus graliae, ui majora adhuc accipere mc-
» reamur : » (S. Beru. contra pessim. vitium ingrat.) II
n'y a que ^ingratitude qui empêche votre avancement) car
le bienfaiteur pensant avoir perdu les grâces qu'il a fai-
tes à un ingrat ne lui en fait pas davantage. Heureux celui
qui rend grâces à chaque bien qu'il reçoit de Dieu, qui
es! la source et la plénitude de toutes grâces! car quand
nous lui sommes reconnaissants des grâces que nous avons
reçues, nous méritons d'en recevoir de plus grandes.
Quand la grâce a produit en vous ou par vous quelque
Lien, gardez-vous de dire : Manus noëtra excelsaet non
Dominuô fecit hœc omnia ; gardez-vous de vous en at-
tribuer la gloire; dites toujours comme S. Paul : Gratta
Deiêum id quod sum ; comme Jérémie : Misericordia
quod non au a) us cousu mpti ; comme ie prophète
Daniel] : (4.45.) et Daniel (9. 7.) Domino Deo nostro
s autan confusio : Si je n'ai pas succombé à
la tentation, c'est par ia miséricorde de Dieu ; si j'ai reçu
quelque grâce de lui, c'est par sa miséricorde ; si j'y ai con-
senti, c'est par ^a miséricorde; si je l'ai conservée el cm-
I mis exempt de plusieurs péchés qui se com-
: au monde , c'est par sa miséricorde.
Qui te discernit? <juid au (en; Juihcs quod r^rn ac-
i .' siautem accepisti, quid yloriaris, quasi non
acceperis? (1. Cor. 4. 7.) Qui est-ce qui vous distingue
des autres? avez-vous quelque chose que vous n'ayez pas
m n ? et si vous l'avez reçu , pourquoi vous glorifiez-vous
comme si vous Paviez de vous-même ?
Il y a des gens qui sont si curieux de savoir de quel bois
se chauiïe un tel et un tel ; voulez-vous savoir de quel bois
DOUfl chauffons , mais plutôt de quel bois nous sommes
fai fout et moi ? Nous sommes du bois dont on fait les
plus grands criminols du monde, liréo du néant e( de la
masse de corruption. Quelle différence y a-t-il entre moi
et le phj^ exécrable criminel qui ait jamais été roué en
GrhQ? la miséricorde de Dieu. Quelle différence et quelle
208 SERMON CCLXXXV.
distinction entre mon âme et l'âme la plus noire qui soit au
fond des enfers? c'est la miséricorde de Dieu, Ce grand
pécheur, cet infortuné a été tiré du néant, et moi aussi;
il était dans la masse de corruption , et moi aussi; il y pen-
chait naturellement , et moi aussi ; il avait une chair rebelle
à l'esprit, une sensualité contraire à la raison , et moi aussi.
Si je n'ai pas été tenté aussi puissamment que lui , si je n'ai
pas été dans les occasions prochaines comme lui , si j'ai été*
plus ferme que lui , c'est par la grâce et la miséricorde de
Dieu. Je suis redevable à cette grâce de tous les péchés du
monde , comme si je les avais commis , comme s'ils m'étaient
remis, parce que j'étais capable de les commettre, si la
miséricorde de Dieu n'en eût détourné les occasions , si elle
ne m'eût tenu par la main , si elle ne m'eût soutenu, pro-
tégé , si elle n'eût fortifié ma faiblesse. C'est S. Augustin
qui nous remet souvent en mémoire cette vérité : « Sicsem-
« per, Domine, gratia tua et misericordia tua preevenit
« me , liberans me ab omnibus matis , salvans a prœteritis,
<c suscitans a prœsentibus , muniens a futuris , prœcidens
« etiam ante me laqueos peccatorum , toliens occasiones et
« causas , quia nisi tu hoc mihi fecisses , ego omnia peccata
a mundi fecissem, etc. )> (S. Aug. c. 15. Soliloq.) Et ail-
leurs : d Agnosce ergo gratiam Dci, cui debes et quodnon
« admisisti ; îuillum enim peccatum faeit homo , quod non
« possit facere aller homo , si desit rector a quo factus est
« homo : » (S. Aug. lom. x.hom. 23. ex quinquaginta.)
Reconnaissez la grâce de Dieu, à laquelle vous êtes rede-
vable d'être affranchi des crimes que vous n'avez pas commis;
car il ne se commet point de péché par aucun homme, qu'un
autre homme ne pût commettre , s'il était abandonné de
eelui qui a fait l'homme. Et ailleurs encore : Sola gratia
Redemptoris eîectos discernit a perditis , quos in imam
massam corvuftionis redeeferat culpa communis : La
seule grâce du Rédempteur distingue les élus des réprou-
vés , vu que tous étaient dans la masse du péché d'origine;
et après cela nous nous enflerons, nous penserons être quel"
que chose de nous-mêmes , nous dédaignerons les autres !
COFN
II. — (Exhortatio , etc.) S. Paul a grand sujet de nous
crier : Tu fide slas ; noli altum sapere , sed Urne, (iloin.
1 l . 20/ Quoique vous ayez la foi , la chasteté, la tempc-
rance et autres vertus, ne vous enflez pas pourtant; si vous
vous élevez, Dieu n'agréera point tant vos vertus; il re-
garde de loin, c'est-à-dire de mauvais œil, les choses hau-
tes el élevées : Alla a longe cognoscit. Nuli altum.
Refusez tout ce qui est haut, sublime, grand dans le monde :
les préférences, les préséances, les prérogatives, les di-
gnités les singularités. Ce qui est élevé des hommes est en
abomination devant Dieu : Quod ait uni est hominibus ,
abominatio est ati/e Deum. (Luc. 16. 15.)
Noli ait u m . Ne cherchez pas les emplois qui vous peuvent
élever, qui ont du lustre et de l'éclat, défiez-vous des pen-
el des inclinations que vous en avez ; quoique masquées
du désirde profiter au prochain et d'être utiles à l'Eglise, ce
sont plus probablemenl des artifices de la nature que des
aiguillons de la grâce. Si votre naissance ou la fortune vous
a élevé, noli altum sapere, que votre table, vos vêtements,
maison , vos meubles, vos paroles, vos contenances
ne ressentent pas la grandeur mondaine : faites comme les
bonnes plantes, plus le soleil les attire et les élève, plus
elles s'abaissent et jettent de profondes racines. Si vous re-
connaissez en vous quelque vertu , nulitc sapere, ne vous
amusez pas à la goûter et à la savourer avec complaisance,
à la regarder et admirer par vainc gloire.
« Noli altum sapere , sed lime. In veritate didici nihil
pie eflicax esse ad gratiam promerendam , retinendam,
cuperandam, quam si omni temporc coram Deo inve-
non altum sapere , sed timere. Beatus es si cor
<( tuum triplici timoré repleveris, ut timeas quidem pro
« accepta gratia, amplius pro amissa, longe plus pro reei-
I rata : lime ergo cum arriseril gratia, lime cum abiei il ,
i tiine cum denuo revertetur ; cum adest, timene indigne
' j ça ; si recesscrit , multo magis tune tîmti -•
210 SEUMGxN CCLXXXV.
« dura, quia ubi lune déficit gratia, ibi deûcis tu : time
« ergo subtracta gratia, lanquam mox casurus lime, quia
« reliquit te ctïstodia tua ; ne dubites in causa esse super-
« biam , cliamsi non appareat , etiamsi nihil tibi conscius
« sis : ({uod enim tu nescis, seit Deus ; nunquid qui lin—
« milibus dat gratiam , humili auferet dalam ? ergo argu-
« racntum superbiœ , privatio est graliœ ; jam si gratia
« repropiliata redierit, multo amplius tune timendum, ne
« forte conlingatrecidivum pati ; proînde omni tempore lime
»( Deura ex omni corde tuo : » (S. Bern. serra. 54. in
cant.) En vérité j'ai reconnu qu'il n'est rien de si efficace
pour mériter, conserver ou recouvrer la grâce, que de ne
se pas entier; mais d'être toujours en crainte devant Dieu.
Vous êtes bienheureux si vous remplissez votre cœur d'une
triple crainte ; si vous craignez, quand vous avez reçu la
grâce, encore plus quand vous l'avez perdue, et encore da*
vantage quand vous Pavez recouvrée; craignez donc quand
la grâce se présente à vous, craignez quand elle se retire ,
craignez quand elle retourne, quand elle vient, craignez
de ne la pas bien ménager ; et quand elle s'est retirée on a
encore plus de sujet de craindre, car quand elle vous man-
que, vous êtes à la veille de votre ruine, étant délaissé de
votre gardienne ; et ne doutez pas que l'orgueil n'en soit
cause , quoique vous ne le connaissiez pas , car Dieu voit
ce qui vous est caché ; Dieu qui donne sa grâce aux hum-
bles ne l'ôlera pas à celui qui est humble; donc quand on
est privé de la grâce c'est une marque qu'on est superbe ,
et si elle retourne par sa miséricorde , c'est aiors qu'il faut
beaucoup plus craindre, de peur d'une rechute trop funeste;
craignez Dieu de tout votre cœur et en tout temps ; défiez-
vous de vos dispositions, quelque bonnes et saintes qu'elles
vous semblent , si elles vous rendent orgueilleux.
Craignez que ce qui vous semble vertu et inspiration du
Saint-Esprit ne soit une ruse de votre esprit et une produc-
tion d'amour-propre , time; Dieu a laissé perdre tant d'à*
mes avant l'incarnation pour vous faire connaître la nécessité
de sa grâce, et vous mettre dans l'humilité ; ne vous laissera
i). j.a . I IEU. 2 i l
erdrc si vons n'êtes bien humble ? time , craignci
us commettei de grands péchés ou en grand nom-
Dieu m4 résolve de ne vous donner jamais sa grâce ef-
i pour tous en relever; tirne^ craignez que ai vous
} .1 lei sa grâce . vous no la puissiej plus recouvrer; m vous
l'attribuez, que Dieu ne la retire, « Cum timoré et
i iremore salutem veslram operamini ; Deus c^l enim <[ui
ratur invobis, et velleet operari pro bonavolunfate,
et bac sanctis causa est tremendi atque metuendi, ne
ipsis operibus pietatis electi deserantur ope gralicc, et
remaneanl in inflrmitate natura : » (S. Léo, serm. 8,
de Epipb.) Travaillez à votre salut avec crainte et tremble-
ment , car c'est Dieu qui produit en vous la benne volonté
et L'œuvre, et c'est la raison pour laquelle les saints sont
toujours en crainte, de peur que s'ils s'enflent de leurs bon-
uvres, ils ne soient privés du secours de la grâce, et
à la fa ! de leur nature, dit S. Léon.
Avez-vous encore l'innocence du baptême, time ; gar—
vous de la perdre , c'est un trésor très précieux et ines-
timable; mais elle est bien délicate : quand elle est une fois
entamée, elle se perd peu à peu. Evitez les dangers de la
perdre, les bals, les danses, les assemblées de garçons et
de filles. Etcs-vous en mauvais état , time ; vous êtes sous
la puissance de Satan, objet de la colère de Dieu, à deux
doigN de l'enfer; il ne faut qu'un funeste accident, une
mort inopinée pour faire exécuter votre sentence et vous
perdre éternellement.
Etes— vous relevé du péché, time ; craignez d'y refom-
ber : votre chute serait plus dangereuse, votre ingratitude
le, le remède plus difficile; fuyez les occasions;
ne dites pas: J'ai passé quatre mois sans pécher avec cette
femme; il arrive eu un jour ce qui n'arrive pas en cent
il ne faut qu'une tentation deux ou trois jours avant
votre mort qui vous trouvera en quelque faiblesse; en quel-*
que état que vous soyez, agnosce gratiam Dei, recon-
naissez la grâce de Dieu, le grandi esoin que vous en avez.
! ns celte peine ■ cela sur vous do la ré-
212 SliKMOa CCLXXKV. DE LA GRACE, etc.
clamer fort souvent et de tout votre cœur ; mais vous n'en
ferez rien , je m'en doute bien, et ainsi vous serez damné ;
si vous reeonnaissez la nécessité de la grâce , si vous la
demandez, si vous la recevez , si vous la conservez, si vous
la cultivez jusqu'à la fin, assurément vous serez sauvé , car
celte grâce divine est Tunique semence, le prix, le mérite,
le germe, la dernière disposition de la gloire éternelle .Amen .
213
SERMON CCLXXXVI.
TABLEAU D'UNE VBA1E PÉNITENCE , SUE [.'ÉVANGILE DE SAINTE
■AGDELBINE. — Dl PÉCHÉ LB PLUS OlDINAIRE AU SEXI- DB
lAGDELElflE , QUI EST L'AFFECTION AUX AJUSTEMENTS BOftPAiNS.
mulier qu<t erat in civitate peccatrix.
A oici une feuune pécheresse qui était en lu cité. ( Luc. 7. 37.
Les instructions morales qu'on se contente de donner
[,;,1) paroles son! de plus longue haleine et moins efficaces ;
donnent par exemples sont plus courtes et
persuasives : Long u m iter per prœcepta , brève et
tffica* per exempta , dit un philosophe. Jusqu'à présent
nous i?ons traité à fond et bien amplement de tout ce qui
appartient à la vertu de pénitence , qui est une disposition
et une partie essentielle du Sacrement de con-
i ; il me semble maintenant à propos de vous en pro-
pose! ni) tableau raccourci que S. Luc en a fait au septième
chapilre de son Histoire sacrée , où il nous représente en peu
de paroles Marie-Magdeieine pécheresse, et puis il traite
plus au long .son admirable conversion et sa parfaite péni-
tence. Nous avons donc aujourd'hui à considérer la qualité
M son péché , et puis aux jours suivants nous eu verrons
Ie> causes , lej circonstances et les effets.
IDEA SERMONIS.
X etibio pingene oculos suos fuit imago mutie-
rum mundanarum,quœpeccani in Deum. in pvoxi-
mum , m se ipsas,
Piimuiii punctum. ~\). Jfl Deum êuniahominatio. -C.
Deeolasumu, - D. Stane. - E, In loco eancto.
214 . SERMON CCLXXXVJ. DV PECHE
Secundum punctum. F. Peccant in proximum , ci«/wd
animant occidunt. — G. Refutantur eorumvanœ ex~
cusationes.
Tertium punctum. H. Peccant in seipsaspe?* indevoiio-
nem. — I. Prœsumptionem. — L. Irnpœnitentiam,
Les interprètes de l'Ecriture sacrée qui ont examiné de
bien près, et en esprit de piété tout ce que l'Evangile dit
de Marie-Madeleine , tiennent pour assuré qu'elle n'était
pas de ces malheureuses qui sont immolées à l'impudieité
publique ; la noblesse de sa race , la sagesse de son frère
Lazare, la sainteté de sa sœur Marthe, la permission que le
Sauveur lui donna de le suivre et de converser avec lui, ne
nous permettent pas d'avoir des pensées si désavantageuses
pour elle; elle était de ces dames volages qui se plaisent à
donner de l'amour , à friser leurs cheveux , à farder leur
visage, à porter de vains ornements, à étudier des conte-
nances affectées. Ce vice est si commun dans le monde, et
est la cause de tant de péchés, que je me sens obligé de le
battre en ruine, et de faire voir à celles qui en sont esclaves
le tort qu'elles font à Dieu, à leur prochain, et à elles-mêmes.
L'apôtre S. Paul écrivant à son disciple Timothée ,
( 2. 8. 10. ) et lui enseignant les instructions qu'un pré*
dicateur doit donner à toute sorte de personnes, afin qu«
chacun vive en sa profession selon les maximes du christia-
nisme , après avoir dit qu'il faut exhorter les hommes l
cire assidus à l'oraison, à avoir la puretéen recommandation,
à éviter la colère , dit: <c Volovirosorare in omni loco , levan»
« tes puras manus sine ira et disceptatione. » Parlant des
femmes , il ajoute : « Similiter mulieres in habitu ornalo,
« xocr/xr'û), honesto , decenti ( Vatable traduit ; modesto ,
« Syrus : casto; ) cum verecundia et sobrietate ornantes
« se ; et non in tortis crinihus aut auro, aut margarilis ,
« vel veste pretiosa ; sed quod decet mulieres, promit-
« tentes pietatem per bona opéra : » De même il faut
recommander aux femmes de s'habiller modestement, avec
pudeur et honnêteté, non avec des cheveux frisés , ou de
i i !■ D1N ttftl Al IX FEMMES. '215
l'or, ou pierreries, ou robes pi . Puisqu'il dit de
ie , il semble qu'il dcvail dire : Exbortcx aussi les
femmes à cire dévotes, ebastes, débonnaires; et au lieu de
toul cela, il «lit. : Kecommandcz-leur d'être modestes et
humbles en leurs vêlements, il sait bien ce qu'il dit , il est
éclairé de Dieu; il veut dire que si les femmes sont indévo-
H indiscrètes dans l'église, volages et impures dans
compagnies , colériques et querelleuses en la maison, la
de tout cela, c'est l'affection aux vains ornements; car
comme dit Tertullien , toul ce qu'il y a de mal , d'impar-
le vicieux, d'efféminé en ce sexe se répand et s'emploie
an cette vanité : Totam circumferuni in istta muliçritct-
Je ne veux pas aujourd'hui me dispenser de la coutume
j'ai d'établir et d'étayer tout mon discours sur un pas-
iturc ; pour en tirer un seul exemple, j'ai été
ircourircl de la repasser toute en mon esprit.
le d'admiration , la parole de Dieu
plusieurs ambitieux ux, envieux ,
voluptmi le femmes qui se soient fardées, il ne s'en
re qu'une seule en toute l'Ecriture sainte, tant ce vice
était injuste et odieux parmi le peuple de Dieu.
\. — Mû pingens , etc. ) C'est la dc'es-
uibel , dont il est dit ( 4. Reg. 9. 30. ) qu'ayant
appris l'entrée du roi Jélm dans la ville, elle farda ses yeux,
iva sa tète, et se mil à la fenêtre pour voir et pour
: Dcuinxit oculos sucs stibt'o, ornavit caput
$uum} et revpexit per feneêtmm. Nous pouvons voir en
\ orgueilleuse , le génie , les attentats et les punitions de
I i semblables; elle était impie envers Dieu, cruelle
enn >ehain, ennemie d'elle-même.
Ecriture exagérant les crimes du roi Achab , dit
. 31. ) qu'il ne se contenta pas d'imiter les
de Jéroboam, qui avait induit le
a Dieu I l'idolâtrie ; mais que pour enchérir sur
, il avait i reine .lé abel qui le rendit
^encoi Vee siiffecit et ut cm-
Ini/c , ■'... >'/ u
21 G SERMON CCLXXXVÏ. DU PECHE
primum punctum. — In Deum, etc.
B. — ( Ahominatio. ) Les Jésabels de ce temps sont
encore pbis irréligieuses, et plus injurieuses à Dieu. Achab
et Jéroboam firent dresser des idoles , mais ce ne fut quo
sur les montagnes, dans les forêts et dans les lieux écartes.
Les dames font comme l'empereur Adrien et Pilate, ^ui
mirent des idoles dans le temple, et au milieu du sanctuaii e;
et on peut dire qu'elles font cette abomination dont Je* us
parle en l'Evangile : Cum videritis ahominationem de-
solationis stantem in loco sacro. ( Matth. 24. 4 5. I
Ahominationem. Tout péché est appelé en l'Ecriture ,
abomination, et le luxe des habits est un péché, puisque
Dieu le défend par les deux plus excellents et illustres hé-
rauts de ses commandements : Mulieres non in toriis
crinihus, aut auro, aut margaritis, vel veste yretiosa :
(1 . Tim, 2. 9.) Que les femmes soient habillés eavec mo-
destie, que Pétoiïe de leurs vêtements ne soit pas trop riche,
ni la façon trop curieuse ; qu'elles ne paraissent point avec
des cheveux frisés, bouclés et éclatants de pierreries : Quo-
rum non sit extrinsecus capillatura , aut circumdatio
auri , aut indumenti vestimentorum cultus : ( 1 . Petr,
3. 3. ) Les femmes peuvent désirer de plaire à leurs maris,
mais ce ne doit pas être ni par les cheveux frisés, ni par
For ou les pierreries pour orner leur tête , ni par la ma-
gnificence et le luxe des habits.
Voyez, les apôtres défendent les cheveux frisés, entortillés
au dehors, les atours d'or, lespierrerier et les robes trop pré-
cieuses, les robes superflues qui ne servent qu'à orner les au-
tres robes : Indumenti vestimentorum cultus : (S.Chrys.
liomil. 50. in Matth. ita D. Thom. hic.) car les robes sont
faites pour couvrir le corps, et non pas pour couvrir d'autres
robes, combien plus les souliers précieux; ils ne parlent
pas à des religieuses ou à des filles retirées du monde, mais
à des femmes mariées , car ils ajoutent , qu'elles soient
sujettes à leurs maris ; ils ne parlent pas seulement à des
pauvres, ou aux femmes de la lie du peuple, ce seraient de-:
LE PUS ORDINAIRE \r\ PBMMBS. 217
parole* perdues; chacun sail bien qu'elles ne portent point
d'or ni de pierreries. Ils parlent indifféremment à toutes les
femmes e( Glles chrétiennes, et si vous êtes vraies chré-
tiennes, quand il n'arrivcrail point d'inconvénient de ce
Uwc , il ne faudrait point d'autre raison pour vous en re-
tirer que celle-ci : Dieu le défend par ses apôtres. « Au-
i daciam existirao de bono divini prsecepti disputare; nec
<( enira quia bonum es( , ideirco auscultare debemus , sed
■ quia Deus prsecepit ; prior est autoritas imperantis ,
• quam militas servientis , » dit TertuIHen. ( de pœnit.
cap, 'i. s Quand il n'y aurait point déraison, d'utilité, de
commodité en cette défense que Dieu vous fait, c'est assez
qu'il la fasse pour vous obliger ; si vous n'obéissez, vous
(tes coupable, c'est un péché, c'est une abomination :
û&ominationem.
— - C, Desolaiionis. ) Desolationis , l'abomination
de la désolation, c'est proprement une idole, parce qu'il n'y
-i rien «pii désole et afflige plus 1rs gens de bien que de voir
qu'on rende à une statue l'honneur qui n'est dû qu'au vrai
Dieu ; il est vrai qu'il n'y a plus d'idoles de bois et do
pierre eu l'église, grâces à Dieu; mais il y a des idoles de
chairj ce n'es! pas moi qui appelle ainsi les filles du monde,
c est le Saint-Esprit : Filiœ eontm compositœ : circum
omatœ , ut similitudo t cm pli. ( Ps. 143. 12 ) On
cliante incessamment dans l'église : Gloria Pat ri, etFilw-
celles-ci disent de cœur et d'effet : Gloire soit à moi. En
quoi consiste la gloire que Dieu demande de nous en l'E-
glise , en ce qu'on pense à lui , qifon s'occupe de lui, que
considère ses divines perfections, qu'on les médite ,
qu'on les admire, qu'on les loue, bénisse, publie, qu'il
objel de la vue, de l'esprit, du cœur, des affec-
tions, de l'admiration de se. sujets, comme le roi en sa
cour : Ma/estas Domini implcvit domum 9nee poterant
ingredi templum Domini , eoquod imples-
tei mafestas Domini templum Domini. (2. Paraltp.7 . 1 .)
«la implevit domum Domina nec poterant sa-
ci'd.jtcsstare, et ministrare pi opter nehulam : imple^
218 SERMON CCLXXXVI. -—DU PÉCHÉ
verat enim gloria Domini domiim Domini : ( 3. Reg.
8. 11. ) La gloire de Dieu avait rempli son temple; cette
grandeur, cette gloire, cette majesté de Dieu, c'était un
brouillard ou nuage qui remplissait tout le temple , et qui
dérobait la vue de toutes les beautés qui y étaient, parce
que Dieu tient à honneur qu'on ne contemple personne que
lui en sa maison, et pendant qu'on le prie. Pour cela l'em-
pereur Théodose , entrant à l'église , laissait ses ornements
à la porte , disant qu'en la maison de Dieu rien ne doit
éclater que la majesté divine, ainsi qu'au palais du roi rien
ne doit paraître que le roi lui-même; et une petite coquette
dispute cette gloire au Roi des rois, veut être l'objet des
regards, complaisances, louanges, étonnements des hom-
mes ; quelle abomination devant Dieu ! quelle désolation
pour les gens de bien ! Abominationem desolationis !
D. — (Stans.) Stante.m, Le larron, l'adultère, l'ho-
micide et autres semblables ne pèchent pour l'ordinaire qu'en
cachette, à la dérobée, avec crainte; celles-ci offensent Dieu
à enseignes déployées, hardiment , effrontément , à tête
levée, erectocollo.
Il n'y a pas de péché qui se commettent plus à dessein ,
et plus de propos délibéré; un mouvement de colère qui vous
prévient , une pensée d'impureté qui vous surprend , une
parole de médisance qui vous échappe, semblent avoir quel-
que prétexte d'excuse. Ici vous péchez de sang- froid , de
volonté projetée, vous y pensez dès le soir; vous y employez
la matinée; vous vous y baignez et vous vous complaisez
mille fois le jour.
E. — (In loco sancto. ) In loco sancto. Si vous vous
contentiez , comme Achab et Jéroboam , de dresser des
idoles dans les lieux profanes, de vous faire adorer au bal,
aux danses, à la comédie, aux cours, les gens de bien évite-
raient ces lieux, feraient comme Tobie : Cum irent om-
it es ad vitulos atweos quosfecei'at Jéroboam, pe?yebat
in Jérusalem ad templum Domini : ( Tob. 1 . 16. )
Quand les autres allaient adorer les veaux d'or que Jéro-
boam avait fait dresser dans les forêts j Tobie allait à Jé-
rusalem au temple du Seigneur.
i.i. pi D8 OADIMÀIRI u \ PEMMB8. 210
Mais vous mettes les idoles au milieu du temple, ou tous
les fidèles sont obligés de venir; vous leur donne/ sujel
d'offenser Dieu, là ou ils étaient venus pour L'apaiser ; de
profener sa maison, de souiller son sanctuaire, d'irriter sa
colère , d'attirer son indignation : Fecerunt malwn in
oculis MMtV, poêuerunt offendlcula sua in domo , in
qua invocatum estnomen meum , ut polluèrent eam ;
i Jerem. 7. 30. ) Ils m'ont offense en ma présence , ils
ont mis des pièges dans la maison où Pou invoque mon saint
M(V)i ; ils l'ont souillée est profanée : Stantem in loco
sanvto.
Voua êtes plus oppose! à Dieu, plus ferme et plus arrêté
en eette opposition que l'idole de Dagon; elle ne put pas
subsister en la présence de L'arche, elle fut prosternée par
terre, la faee bien loin de L'autel , sur le seuil de la porte ;
. à trie levée, impudemment en haut de Féglise, tout
auprès de L'autel pendant le sacrifiée, où le vrai Dieu est
adoré | vous voulez être adorée. Vous êtes cause qu'au
sacrifiée de vérité on dit des mensonges ; vous démentez
le prêtre qui tient la place de Jésus , et qui dit : Sursum
conla, élevez vos cœurs à Dieu; vous dites : Non, ne les
élevez pas à Dieu, abaissez-les à une vile créature, appli-
quez vos cœurs à me regarder et à m'aimer. On répond au
nom de tout le peuple : Habemus ad Dominum, nous
élevons nos cœurs à Dieu; et vous êtes cause que l'on
ment, car plusieurs ont le cœur à vos mains, à vos orne-
ments , au lieu de le porter à leur Créateur et Sauveur.
sncuNDini PUNGTUH. — Peccant, etc.
F. — ( Animam occidunt. ) Vous n'êtes pas seule-
I impie envers Dieu , vous êtes inhumaine envers le
prochain ; vous faites mourir le pauvre INaboth , et plus
i! que Jésabel; elle ne fit mourir que le corps,
et vous I urir Les âmes; je n'en veux point d'autre
pe propre confession; votre bouche vous
condamnera au jugemenfl de Dieu. Voulez-vous savoir ,
nment ces affectées nomment le fichu qu'elles
t20 SERMON CCLXXXVI. DU PECHE
mettent sur leur sein ? elles l'appellent V assassin , parce
qu'il assassine les âmes des jeune gens qui les regardent et
qui les convoitent; et c'est ce qui les rend devant Dieu odieu-
ses et abominables fort longtemps, car la théologie raisonne
des actions morales et surnaturelles , comme la philosophie
des actions physiques et matérielles. Les philosophes disent
qu'il y a deux sortes d'actions ; il y en a qui les appellent
transitoires et passagères, qui ne laissent rien après elles,
quand elles sont passées il n'en reste aucun effet : Actio-
nés transeuntes , quœ non relinquunt posi se opus ,
comme jouer du luth , chanter, danser ; il y en a d'autres
qui les appellent actions permanentes , parce qu'elles lais-
sent après elles quelque œuvre qui est de durée , comme
peindre une image , bâtir une maison , planter un arbre ,
et celles-ci sont beaucoup plus nobles et plus excellentes
que les autres. Les pieuses entreprises qui ont une longue
suite de saintes actions, et qui sonteause de plusieurs bonnes
œuvres, sont plus louables et plus glorieuses; et c'est tout
le contraire des actions vicieuses et criminelles; les péchés
qui ne nuisent qu'à celui qui les commet, et ne produisent
point de mauvais effet en notre prochain sont plus dignes
de pardon ; mais quand nous apportons du scandale , c'est-
à-dire quand nous sommes cause que les autres pèchent
après nous, nous sommes bien plus coupables et indignes
de miséricorde. Ainsi Dieu reproche souvent au roi impie
Jéroboam , que par son mauvais exemple il avait induit le
peuple et les autres rois ses descendants au péché d'idolâ-
trie : Ambulavit in viis Jéroboam , qui peccare fecit
Israël. Il vous semble que ce n'est rien de porter le sein
ou les bras découverts, de donner la mamelle à votre enfant
à la vue des hommes; il peut se faire qu'un jeune homme
qui avait vécu chastement jusqu'à présent , voyant cette
nudité, conçoive une mauvaise pensée, s'y arrête et y prenne
plaisir après l'avoir combattue quelque temps , vienne à
l'œuvre après la pensée , s'accoutume à quelque impureté ,
Tenscigne à son camarade, celui-ci à son compagnon; peut-
être que d'ici à trente ans, d'ici à cinquante ans on corn-
LE t»LUS ORDINAIRE AUX FtMMEfi. 221
mettra des péchés dont votre sotte vanité aura été l'origine;
quand vous ne seriez l'occasion que de la damnation d'une
.seule ànie, la plaie que vous lui faites saignera d'ici à cent
mille ans; le dommage que vous faites au Fils de Dieu par
la perte de eetle âme lui sera présente et déplaisante en
toute rétendue des siècles.
G. — ( Refutantur, etc. ) Ce n'est pas , dites-vous ,
votre intention de les perdre, mais seulement de leur plaire;
vous le faites innocemment , vous n'avez point de mauvaise
pen>ée. Tertullien vous réplique ( de cultu frcminarum,
eap. I .) que cela ne se peut faire innocemment, que non-seule-
ment , vous ne devez pas désirer d'être désirée, mais vous
devez l'abhorrer ; que puisque la beauté cultivée est une
imorce naturelle à la lubricité , vous êtes coupable devant
Dion de l'exposer en public, sans nécessité et sans utilité ,
par pure vanité , comme qui porterait du feu sans aucune
nécessité dans une grange pleine de paille sèche , ou dans
un arsenal plein de poudre à canon.
Vous prétende! seulement plaire aux hommes ; mais
S. Cyprien vous dit ( de babitu virginom. ) que vous ne
sauriez désirer de leur plaire sans offenser votre Dieu :
Dmn hominibus piacere (jcsiiunt, Deutn offendunt.
David dit <pie Dieu méprise , affaiblit , humilie ceux qui
plaisent aux hommes : Deus dissipavit ossa corum qui
hominibus placent ; confit si sunt , quoniam Deus
sprerit eos. ( Psal. 52. G. ) S. Paul dit que celui qui est
agréable aux hommes mondains, n'est pas serviteur de Dieu.
S. Jacques dit que celui qui veut Ctre ami du monde se
rend ennemi de Dieu. Mais ce n'est, dites-vous , que pour
plaire à mon mari ; et pourquoi donc ne vous ajustez-vous
que lorsque vous devez paraître en public ? et à ce compte ,
dit S. Cbrysostôme, votre mari ne vous aimera que pour
une beauté déguisée; ainsi son amour se morfondra quand
celte beauté sera perdue par la vieillesse ou la maladie, ou
par quelque autre accident ; et ainsi étant accoutumée à
n'aimer que le corps et ses vains ornements, s'il trouve des
courtisanes plus belles et mieux enjolivées que vous , il
222 SERMON CCLXXXVI. DU PECHE
les aimera plus que vous : Domine , in voluntate prœ-
stitisti decori rneo virtutem. (Ps. 29. 8.) Les robes
précieuses ne sont que la boue des vers à soie; les perles
ne sont que les excréments des poissons ; ce n'est pas à ces
créatures mortes , mais au Dieu vivant de donner à votre
beauté des attraits et des charmes innocents pour gagner le
cœur de celui qui est ou que vous désirez être votre mari.
Vous n'avez point d'autre intention que d'attirer quel-
que riche parti qui vous recherche pour une sainte et légi-»
time alliance ; mais pour gagner un seul homme, vous en
damnez un grand nombre; n'est-ce pas être bien criminelle?
Celui qui empoisonne la rivière est condamné aune acaencif
par les lois , parce que pour prendre quelque peu de pois*
son, il en fait mourir grande quantité ; et puis afin qu'un
parti vous soit convenable et avantageux , afin que vous
soyez heureuse et contente en sa compagnie, ce n'est pas
assez qu'il ait des richesses, des états, des honneurs et des
offices ; il faut encore qu'il soit de votre humeur , qu'it
vous soit doux et débonnaire , il faut qu'il soit sage et de
ion sens, il faut qu'il soit chaste et vertueux. C'est Dieu
seul qui peut le connaître , c'est Dieu seul qui peut le
faire à votre façon , le former à votre humeur , lui donner
sympathie avec vous, c'est lui qui doit être votre paranym-
phe, non pas le démon Asmodée, l'amour sensuel et impur;
et quel étourdi sera-ce s'il ne vous recherche que pour
vos ornements ? ne serait- il pas aussi malavisé que celui
qui n'achetterait et ne priserait un cheval, que parce qu'il
est bien enharnaché. Si c'est la chair qui vous donne un
mari, elle vous le donnera charnel; étant de cette trempe,
il n'aimera que la chair, n'estimera que la chair, il ira
toujours à la chasse des objets conformes à son humeur ,
ou il en trouvera d'autres qui seront plus agréables et
mieux parées que vous ; et ainsi il vous méprisera ou il
n'en trouvera point; ainsi il sera agité de jalousie et d'om-
brages pour vous. Vous serez ensemble comme Achab
et Jésabel ; vous vous entr'aiderez à vous perdre et à vous
rendre misérables.
LE PLUS ORDINAIRE AUX FEMMES. 223
tkrtium ruNCTiM. — Perçant, etc.
II. — (Per indevotionem. ) Cette ambitieuse fut bien
étonnée, quand s^tanl mise à ia fenêtre pour se faire admirer,
le roi Jéhn commanda qu'on la jetât du liant en bas, où elle
fut toute brisée, el devint la curée des chiens : Prœcipîtate
illam. Ainsi Lucifer , le roi des orgueilleux , obtient que
cette sotte vanité vous précipite dans les abîmes de plusieurs
grands et horribles vires: Prœcipîtate illam. Vous tombez
en indévotion et en endurcissement de cœur; dans l'église,
au lieu de penser à Dieu , vous pensez à vous et à vos orne-
ments , vous êtes comme le paon ; il a un beau plumage,
mais la tète fort petite , et fort légère , et peu de cervelle ;
vous tournez la teleçà et là, plus souvent qu'une girouette,
| voir t pour être vue ; vous ne priez Dieu que du bout
lèvn s.
I. — (Prœsinnptiunem.) Prœcipîtate illam. Vous
tombez dans le péebéde présomption et d'amour déréglé de
-même : vous êtes comme le basilic qui ne tue pas seu-
lement les autres par ses regards, mais qui se tue lui-même
gardant dans un miroir ; vous vous présentez au miroir
cinquante fois par jour ; vous vous mirez , admirez , ado-
n •/. idolâtre/ vous-même; vous vous baignez sottement dans
la veine complaisance d'une beauté prétendue ; vous dé-
daignez votre mère ou autre parente, vous avez honte d'aller
ivec elles , parce qu'elles ne sont pas aussi pompeuses que
vous ; pour faire parade de votre gloire , vous tombez dans
rimpénitence et dans les abus des sacrements. Le sacrement
de pénitence que vous recevez si souvent, mais Infructueuse-
ment, est composé de trois parties : contrition , confession,
satisfaction; vous les mutilez tous trois; si vous pensez que
la irak contrition soit compatible avec cette vanité , vous
VOUS trompa lourdement ; l'Ecriture n'est pas de votre avis,
elle joint toujours ensemble L'esprit de componction et le
cœur humilié : Cor âontritum et humiliatutn non des-
/lia'es; in tpiriiu humilitatU , et animo cuntrito ; elle
dit que le roi Achab apaisa Dieu par sa pénitence , parco
224 SERMON CCLXXXVI. DU PÉCHÉ
qu'ayant dépouillé sa pourpre , il se revêtit d'un sac et d'un
cilice ( 3. Reg. 21 . 27.) ; ce qui nous apprend , dit Ter-
tullien , (de pœnit.) que la vraie repen tance change toute la
personne en l'intérieur et en l'extérieur , et fait qu'elle
s'habille à la négligence.
Si cette malheureuse dont il est fait mention au grand
Miroir des exemples, eût suivi cet avis, elle régnerait parmi
les archanges , et elle brûle parmi les démons ; elle apparut
à son fils religieux qui priait pour elle , et lui dit : Les vains
ornements des femmes ne sont autre chose qu'un instrument de
la colère de Dieu; bien quej'aie reçu les sacrementsavant que
de mourir , je ne laisse pas d'êlre damnée , parce que quand
je m'en confessais , c'était sans volonté de lesôter. Elle s'en
confessait et ne s'en repentait pas ; et vous ne faites ni l'un
ni l'autre , ou si vous vous en confessez , c'est à un confes-
seur lâche , timide , intéressé , mercenaire , qui n'ose vous
en reprendre ; ou si vous vous en confessez à un bon con-
fesseur , ce n'est qu'à demi , et je ne sais comment ; vous
ne dites pas les suites, les circonstances , les dépendances
de votre péché ; vous ne dites pas que vous mettez un mou-
choir de cou transparent, afin qu'on s'arrête plus attentive-
ment à regarder ce qu'on peut voir à travers ; que vous ne
découvrez le sein qu'à demi, afin d'irriter par cet échantillon
l'appétit de voir toute la pièce , comme cette ancienne : Ne
satiaret aspectum; vous ne dites pas que vous n'attachez
pas par en-bas les pendants de votre collet , afin que de
temps en temps le vent les soulève et vous découvre ; que
vous faites de si grandes dépenses à l'entretien de cette am-
bition , que vous n'avez plus les moyens de satisfaire pour
vos péchés , et les racheter par aumône. Vous portez à votre
col pour vingt ou trente écus de toile et de dentelle , et
fous laissez pourrir Jésus faute d'une vieille chemise; vous
êtes chargée de chaînes d'or, et vous le laissez à la chaîne,
faute d'un peu d'argent pour le racheter; vous n'épargnez
rien pour vos robes de soie , et vous le laissez mourir de
froid , faute d'une pièce de grosse bure. Quels anathèmes !
quelle vengeance ! quels carreaux ne mérite pas une telle
IF. PLUS ORDINAIRB ,\l\ FEMMES. 2213
lîtudc ! dit S, Chrysostôme : Quibusnonistadigna
sunt fu /minibus, (homil. 50. in Mnllli.)
Il y a bien plus , nous ne jetez pas seulement dos pensées
impures dans le cœur des nommes voluptueui qui vous voient,
vous donnez aux infidèles mauvaise opinion de voire religion,
vous donnez à plusieurs fidèles mauvaise opinion de la pa-
role de Dieu. Il y a des Turcs, des juifs , des païens et autres
infidèles qui voyagenl par le monde tout exprès pour épier
et remarquer les façons de faire de chaque nation, et par-
ticulièrement des chrétiens et catholiques , comme j'en ai
tu en un bateau qui remarquaient et écrivaient en des tablettes
tout ce qu'ils voyaient et entendaient de remarquable. Je
saurais bien volontiers de vous, Mesdames, ce que je pour-
rais répondre à un de ces hommes qui saurait tout ce que
nous prêchons et tout ce que les saints Pères enseignent,
et qui me ferait eette objection : Monsieur, il y a en cette
ville tant d'églises collégiales , tant de communautés reli-
gieuses , tant de compagnies de pénitents, tant de congré-
is , de confréries , de saintes sociétés , on y fait tant
(!<• prédications, tant d'exhortations, tant de conférences spi-
rituelles , tant de catéchismes , tant de confessions , tant de
communions , tant de dévotions ; comment est-ce qu'on y
jm rmel aux femmes de porter le sein et les bras découverts
comme elles font ? où est le respect qu'elles doivent à votre
Dieu auquel elles se présentent si souvent , à sa parole qui
défend cet abus, à sa Mère qui l'a en horreur, à son Eglise
qui le condamne , à ses serviteurs qui le trouvent mauvais,
- prédicateurs qui le reprennent si souvent ? Les supé-
rieurs n'ont-ils point d'autorité envers leurs inférieurs , les
maris envers leurs femmes, les pères envers leurs filles, les
maîtres envers leurs servantes, les confesseurs envers leurs
pénitents pour empêcher cet abus ? S'ils peuvent l'empêcher
I le fonl pas , où est le zèle qu'ils doivent à voire
religion ? rtls ne peuvent l'empêcher , où est la soumission
et l'obéissance qu'où leur doit ? Tant de chanoines , tant de
prêtres , tant de religieux , tant de religieuses , tant de
pénitents , tant de confrères n'ont-ils point d'amour pour
226 SERMON CCLXXXVI. DU PECHE
Dieu ni de pouvoir envers leurs parentes pour les dissuader
de ce désordre ? Votre Dieu , en son Evangile (Matth.
48. 7.) donne sa malédiction à tous ceux qui donnent à au-
trui quelque sujet de péché ; il assure (Matth. 5. 18.) que
regarder une femme en la convoitant , c'est faire un adul-
tère dans le cœur : vos femmes peuvent-elles se montrer en
public ainsi découvertes sans être convoitées de quelqu'un.
Le vicaire de votre Dieu que vous appelez S. Pierre , leur
défend les robes précieuses , et elles en portent à l'envie
Tune de l'autre. S. Paul leur défend de friser leurs cheveux,
et elles ne font autre chose. Votre S. Chrysostôme, S. Am-
broise , S. Cyprien , vos autres docteurs que vous appelez
les lumières de votre Eglise disent que c'est détremper du
poison pour les âmes , c'est les blesser à mort, c'est dresser
des pièges aux esprit faibles que de s'ajuster mondainement,
il n'y a point d'ajustement plus mondain , plus charmant ,
plus lascif que la nudité de la chair : on ne voit en vos
maison , en vos rues en vos églises que des femmes décou-
vertes ; on les voit auprès de l'autel , devant le Sacrement
que vous dites être votre Dieu , assises parmi les hommes,
la face dévoilée, la gorge découverte, les épaules nues , se
plaire à être regardées , convoitées , cajolées et personne
n'y met ordre ; et puis vous dites que c'est là votre Dieu ,
vous dites que vous croyez à votre Evangile; allez, vous êtes
des moqueurs, vous y croyez aussi peu qu'aux fables d'Esope;
vous dites que vous avez la vraie religion, et quelle religion
est-ce , dans laquelle on profane ainsi l'honneur de votre
Dieu , sa maison , ses commandements , sans que personne
ait du zèle pour sa gloire et se mette en peine d'empêcher
ses offenses ?
J'avoue que si un infidèle me faisait cette objection , je
ne saurais que répondre , je ne pourrais faire autre chose que
de rougir de notre infamie , de gémir du tort que nous fai-
sons à notre très sainte et divine religion ; avouez , que
Dieu a grand sujet de vous faire ce reproche , Mesdames :
Propter vos blasphematur nomen meitm in yentibus :
( Isa. 52. 5.) : Vous êtes cause que mon nom est blasphème
parmi les impics, vous êtes l'opprobre de mou Eglise.
LK PLUS 0RD1NAIKK AUX FKMMES. 227
Vous 6(es encore l'opprobre cl le déshonneur de la parole
de Dieu. On vous reprend tons les ans, ici et ailleurs, et
on ne gagne rien, pas plus que si on parlait à dos rochers:
qu en peuvent penser les esprits faibles ? n'en prennent-ils
; sujel de mépriser la parole de Dieu ? les artisans , les
mis de boutique , les serviteurs , les servantes , les au-
tres personnes du petit peuple s'accoutument à écouler tout
ce .prou prêche comme choses indifférentes et de peu de
Conséquence ; ils entendent qu'on crie tous les ans contre
celte vanité , ifc n'en voient point d'amendement ; ils di-
sent en eux-mêmes : Si coque les prédicateurs disent était
d importance , une telle qui est dévote , qui a de l'esprit
qui communie souvent, le croirait et le mettrait en pratique;
tons (Mes cause que quand on les reprend de leurs blasphè-
mes , ivrogneries , débauches , ils reçoivent nos invectives
comme chose indifférente et de peu de conséquence. Etant
ainsi coupables de tant de péchés qui se commettent,
et nen faisant point de vraie pénitence , ne voyez-vous pas
! perdei sans ressource ?
L. — ( Impœnitenliam. ) C'est ce que le Fils de Dieu
donnait à entendre quand il disait : Celui qui donne occa-
sion de pécher à un seul des miens, mieux vaudrait pour
lui qu'on lui mit une meule de moulin au cou et qu'on le
au fond de la mer. Un marinier qui tombe tout simple-
ment dans la mer, s'il est proche du rivage, peut s'y sau-
ra nage , ou , s'il est au milieu , on peut lui tendre
une corde ou une rame pour l'aider à remonter dans le
au ; mais s'il était au fond de l'eau avec une meule
de moulin au cou, quelle apparence de l'en retirer ! Celui
qoi se contente de pécher tout seul peut faire des péniten-
onformes el proportionnées à ses crimes ; mais celui
les autres au mal, quelle pénitence pourra-t-il
1 '1rs péchés qui se propagent de jour en jour et se
plœol par centaines? ne pensez-vous pas que vos nu-
des amorces et des occasions de plusieurs péchés?
; il n'y arien de plus vrai. Il y a des
hommes qui m'ont dit : .Mon Pèw». vous ne prêchez pas
228 SEUMOiN CCLXXXVI. DU PECHE, ClC.
assez contre ces nudités , il en faudrait prêcher , non-seu-
lement tous les jours, mais à toute heure; car elles sont cause
d'une infinité de péchés que nous commettons ; et par con-
séquent, Mesdames, quand vous prenez le matin votre robe
a courtes manches ou votre mouchoir de cou transparent ,
vous pouvez dire , sans danger de mentir : Mieux vaudrait
pour moi qu'on me mit à présent une meuie de moulin au
cou et qu'on me plongeât au fond de la mer ; et si cela est
vrai de celle qui est occasion de péché à un seul , comme
dit le Fils de Dieu ; si vous Têtes à douze personnes , mieux
vaudrait pour vous avoir douze meules de moulin au cou et
être jetée dans la mer ; vous n'en croyez rien, vous vous en
moquez ; vous ne vous en moquerez pas quand vous sentirez
sur vous toute la masse de la terre et que vous vous trouve-
rez plongée , non au fond d'une mer d'au fraîche, mais dans
un étang de soufre ardent , comme dit l'Apocalypse.
Croyez-moi; faites comme sainte Madeleine, quittez une
bonne fois pour toujours ces maudites vanités ; rompez géné-
reusement avec le monde , montrez- lui que vous ne voulez
plus être de son parti , de peur d'être ennemi de Dieu , que
vous mépriserez son mépris , que vous vous moquerez de ses
railleries; ce mépris ainsi méprisé sera quelque jour récom-
pensé d'une gloire incompréhensible ; ces railleries souf-
fertes pour l'amour de Dieu vous mériteront des louanges
et des panégyriques éternels que vous recevrez dans le ^cl
de la bouche du Fils de Dieu, auquel soit honneur, gloire,
amour et bénédiction en tous les siècles des siècles. Amen.
229
SERMON CCLXXXVn.
DIS CAUSES DE LA CHUTE DE MAGDBLEUfE.
■Milfar . qutr cra( in ciiitaïc pectairix. ; Lue. T. 37. )
Qi vm> les disciples dHyppocrale traitent d'uni maladie
corporelle , la première chose qu'ils font , c'est de recher-
che! el rie remarquer les causes d'où elle procède. L'é?ao-
gclisle S. Luc qui était médecin de profession garde encore
cette coutume , en décrivant la maladie spirituelle de la pé-
cheresse Magdeleine. 1! en apporte les causes qui sont quatre
principales : premièrement, elle était femme; en second
«eu, elle était oisive; en troisième lieu , elle était coureuse:
en quatrième lieu , clic était orgueilleuse. C'est ce qui nous
'" 1;',ll;l c« malin , après avoir réfuté ceux qui en ap-
ent d'autres causes.
IDEA SEKMONIS.
P« imum piinrf uni. Réfutante qui maie afferunt causas
peccait Magdalenœ , nempe : A. \° Astroloaus , qui
ait esse con.stvllationes.-K. 2° Calvinista , dicens
toepeccandi necestilatem. — C. 3° Malus catho-
ticus , dicens esse reprobationem.
Secundum punctum. Evangclista veras causas afert .
nêmpe : D. r Erai mulier. — E. T Oliosa. —
1 . i / aga. — G. 4° Super ba.
i u H. Uisloriœ Tarcillœ , Mmilianœ . ft»-
élance.
ramoH poircroM. — Refutantur , «c.
- ' *"';«%»« . efc. Puisque MarieMagdeleine
(JUil ont demoiselle si noble el si bien alliée, et sœur d'un
230 SERMON CCLXXXVII.— DES CAUSES
sage et illustre gentilhomme, nommé Lazare, et d'une
vierge très vertueuse, mocleste, honnête, nommée Marthe,
d'où vient qu'elle a été si infortunée , que de tomber dans
l'abîme du péché, et de plusieurs péchés si énormes , que
le Saint-Esprit rappelle pécheresse; et le Fils de Dieu dit :
Remissa sunt el peccata midta. Le proverbe qui dit que
les maladies viennent en poste et s'en retournent à pied,
n'est pas reçu des meilleurs médecins , comme il est commun
parmi le peuple ; car quoique la dernière disposition , l'in-
troduction et le sentiment de la maladie arrive inopinément
en un instant , comme si c'était en poste, nul doute que le
corps ne s'y dispose petit à petit , par l'excès de travail ou
de débauche qu'on commet en bonne santé. Il en est de
même des maladies de l'âme : les grands péchés se com-
mettent et se découvrent tout d'un coup ; mais l'àme s'y
dispose de longtemps, par des fautes légères, par des
péchés véniels , ou par des péchés mortels moins énormes.
Si donc nous recherchons les causes de la chute de Ma-
deleine , et que nous consultions là-dessus quatre sortes de
personnes , nous recevrons assurément quatre diverses ré-
ponses. Un astrologue , un hérétique , un mauvais catho-
lique, un saint évangéliste, nous répondront chacun, selon
sa profession.
Les astrologues reconnaissent au ciel quatre points prin-
cipaux, qui sont comme les quatres gonds et les quatre pôles
sur lesquels roule toute leur science: un à l'Orient, nommé
Av*roXjj;; l'autre à l'Occident, nommé Avais ; le troisième au
Zénith , ou point vertical, nommé MéctoupowlA owh^oyitx]; le
quatrième , opposé à l'Apogée , qui pour cela s'appelle
Troisiov ; et ils disent que selon les approches ou les distances
des étoiles à ces quatre points du ciel , au temps de notre
naissance, nous recevons en partage une bonne ou mauvaise
fortune, tant pour la vie que pour la mort; et qu'un homme
qui a quelque intelligence en cet exercice, sachant la si-
tuation et la conjonction des étoiles au temps de votre nais-
sance , il vous prédira , sans vous avoir jamais vu , quels
moyens , quelle femm^ et quels enfa&ts , quelle fortune et
DE LA aitri: nr. NADBLBUf*. 2ol
quelle fin vous devez avoir; ee qui est aussi arrête*, fissuré
et infaillible , que si la constellation de quelqu'un le destine
à Cire pendu, il ne saurait être noyé quand vous le plon-
geriez au fond de la mer , avec une meule de moulin au cou ;
et si sa planète porte qu'il soit noyé, il le sera sans faillir,
et vous ne sauriez l'étrangler quand vous le pendriez avec
toutes les cordes du monde. On leur objecte là-dessus :
d'où vient donc que Jacob et Esaii ont eu une vie , une for-
tune , une mort .si différentes ? L'un , seigneur de son frère,
chéri de sa mère , acquiert le droit d'aînesse ; l'autre, ser-
viteur de son frère, méprisé de sa mère, perd le droit de
primogéniture , vu qu'il devait avoir un même horoscope ,
puisqu'ils étaient frères jumeaux, né si près l'un de l'autre,
que l'un sortant du ventre de sa mère, l'autre le tenait
par le pied. Un ancien faiseur d'almanachs, nommé Publius-
Nigidius, pour répondre à celte puissante objection, se fait
apporter une roue de potier, commande à quelqu'un de la
tourner en présence de ses écoliers ; on tourne celte roue ,
et pendant qu'on la tourne, ily fait promptement deux mar-
ques d'encre avec une plume ; quand on eut arrêté la roue
on trouva les deux marques fort éloignées l'une de l'autre :
A oyei , dit-il , quelle distance ! j'ai fait ces deux marques
sur coup, le plus habilement qu'il m'a été possible,
et toutefois à cause de la vélocité de ce mouvement, ces deux
points faits en i\vu\ moments consécutifs sont si éloignés
l'un de l'autre. 11 en est de même de la course des deux ;
quoique ces deux jumeaux naissent immédiatement l'un après
1 autre , néanmoins pendant ces moments qui coulent entre
ces deux naissances, les cieux se meuvent si vite, qu'ils
vnt Doublement la situation des étoiles, et par con-
ent la fortune des deux frères ; et là-dessus comme s'il
trouvé la fève au gâteau, il triomphe, il se glorifie,
d'une si ingénieuse réponse; mais il n'est qu'un roi de fève,
* ussi fragile que le pot de terre que l'on
tte roue; car, comme argumente fort bicnS. Au-
gUStin , si deux ou trois moments divers de la naissance ap-
jt tant de différence à l'horoscope, il vous est impos-
232 SERMON CCLXXXVII. DES CAUSES
sible , de toute impossibilité, de dire la fortune à qui que ce
soit, puisque! n'y a pas àme vivante sous le ciel qui puisse
vous dire précisément, et à la rigueur, le moment de la
naissance d'un seul homme, quand ce serait le plus grand
roi de la terre. Quand vous voulez faire l'horoscope d'un
grand prince que vous n'avez jamais vu, vous demandez en
quelle année, en quel mois, en quelle semaine, à quelle heure,
mais non en quel moment il est né ; et si vous le demandiez
on se moquerait de vous; il n'y a personne qui vous le puisse
dire. Comment savez-vous donc quelle était la conjonction
des astres au moment de sa naissance , puisque votre roue
vous apprend que deux ou trois petits moments changent et
diversifient tout-à-fait la situation des étoiles : vous voilà au
rouet avec votre roue.
Et puis Cicéron fait mention de deux frères qui étaient
malades toujours en même temps , avaient les mêmes accès
de fièvre , les mêmes douleurs, la même convalescence. Hip-
pocrate avait dit sagement qu'ils étaient frères jumeaux, et
qu'étant conçus du même sang, ayant le même tempéra-
ment, nourris du même lait, en même air, ce n'était pas
une merveille qu'ils eussent tous deux la même disposition
à la même maladie. Possidonius, astrologue rêveur, disait
que c'était qu'étant conçus en un même moment, ils avaient
eu un même horoscope. Il faudrait donc à ce compte, qu'E-
saii et Jacob , Phares et Zaran , et tous les frères jumeaux
qui sont au monde eussent toujours les mêmes maladies en-
semble, puisque au rapport d'Aristote et de Pline, les deux
plus savants naturalistes, les deux frères jumeaux sont tou-
jours conçus en même temps, il faudrait donc dorénavant,
pour faire l'horoscope de quelqu'un, avoir égard non au temps
de sa naissance, mais au moment de sa conception, puisqu'à
votre dire ces deux frères avaient la même maladie , pour
avoir eu la même constellation au temps de leur conception ;
et quel est l'homme au monde qui puisse vous marquer en
quel instant un enfant à été conçu ? ajoutez à cela que ceux
qui sont adonnés à cette superstition, quand ils veulent se
marier choisissent une journée de celles qu'ils estiment heu-
Dr Li CHVTB nr. MADELEINE, 233
relises et fatales , pour avoir du bonheur on leur mariage:
ils fonl donc contre ce qu'ils disent : car ils (lisent que la
fortune qui nous est donnée en partage, par les astres au
jour de notre naissance, ne peut être changée : c'est un
destin inévitable, et ils le veulent néanmoins changer, clioi-
nt un jour heureux pour leurs noces. Finalement , je
vous demande : les astres iront-ils pas influence et empire
sur les piaules et les animaux, aussi bien que sur les hommes?
Qui en doute? puisque nous voyons que les conques ma-
rines, les écrevisses et autres animaux sont mouilleux ou
an. Ic>, >elon le croissant ou le défaut de la lune, et que les
maides de la vie champêtre observent si soigneusement le
cours des astres pour enter , semer, planter et faire les au-
tres fonctions du labourage; d'où vient donc que de cent
de blé qui ont la même constellation, semés en même
climat, en même terre, en même moment, et qui germent
en même temps , ont des accidents si divers , les uns bec-
quetés par les oiseaux, les autres dérobés par les passants,
foulés aux pieds par les voyageurs, moissonnés et portes
au grenier; et un coup de canon emporte quelquefois en un
même moment dix ou douze soldats, qui ont eu en leur
naissance des constellations toutes diverses. Toute votre
science est une pme rêverie, et voilà tout.
B. — 2 ( airim'sta, etc.) En second lieu, l'hérétique
de ce temps, le disciple de Calvin, a une autre erreur qui
nYsl pas moins impertinente; il dit que la cause de la chute
de Madeleine, c'est peccandi dura nécessitas, qu'elle a
clé nécessitée à cela par la corruption de sa nature; que
par le péché d'Adam nous avons fait naufrage de noire li-
berté; que notre franc arbitre n'est pas seulement vicié ,
mais tout-à-fait perdu parle péché originel ; que S. Au-
gnslin a dit : Du m peccavit homo per liberum arlri-
tnum, se perdidit et ipsum. Contre cette folle hérésie,
je citerai ces passages de l'Ecriture : Si vis ad viiamin-
tj redt ; si pis perfectus esse : (Mallli. li). 17. 21.) Si
foui fottlei entrer dans la vie éternelle, si vous voulez être
parfait, donc on ne peut vouloir ou ne pas vouloir : Quo-
'£34 SERMON CCLXXXVII. DES CAUSES
tles volui conijrecjare filios tuos, et nolii isti? (Matth . 23.
37.) Quod vult f'aciat, non necessitatem habens, po-
testatem autemhabens voluntatis suœ; (1 . Cor. 7. 37.)
Apposait tihi ignem et aquam , ad quod volueris por-
riye manum ; (Eccli. 15. 17.) JYi voulu assembler tes
enfants, et tu ne Pas pas voulu ; l'homme a sa volonté en
sa puissance ; Dieu vous a présenté le feu et l'eau , vous
pouvez porter la main où vous voudrez.
Après avoir présenté cet argument d'après l'autorité de
S. Augustin , il dit que l'homme s'est perdu et son franc
arbitre par le péché : Seperdidit etipsum. Il a donc perdu
son franc arbitre en même façon qu'il s'est perdu ; or il n'a
pas perdu sa nature, mais il l'a seulement gâtée ; ainsi il a
perdu la liberté, c'est-à-dire il l'a viciée, corrompue, dé-
bauchée, comme on dit qu'une fille est perdue quand elle
s'égare et se débauche. Je ne sais point de meilleur argu-
ment que celui du subtil Scot : Argumentum ad Immi-
nent , ou pour mieux dire, adbestiam. Il faut traiter cet
hérétique en bote , puisqu'il se met au rang des bêtes en
renonçant au franc arbitre qui est la propriété de l'homme;
si nous n'étions pas chrétiens , il faudrait prendre un bâton
et toucher dessus ; et s'il se plaignait, il faudrait lui dire :
Je le fais innocemment, je ne saurais faire autrement, je
ne suis pas libre en cela , j'ai perdu mon franc arbitre; et
à ce compte, la justice vindicative serait injuste quand elle
punit les crimes dont on ne peut s'empêcher, comme qui
punirait un enfant de trois ans d'un coup de couteau qu'il
aurait donné.
C. — (3" Malus catholicus , etc.) Quelques catholi-
ques disent de même que les calvinistes, mais en d'autres
termes : Ou je suis prédestiné ou réprouvé; la prédestina-
tion et la réprobation divine ne peuvent manquer d'avoir
leur effet; si je suis réprouvé, j'ai beau faire, quand je jeû-
nerait tous les jours au pain et à l'eau, quand je demeure-
rais sur une colonne comme S. Siméon Styiile, il faut que
je sois damné , je ne saurais éviter ce destin ; si je suis pré-
destiné, qu'ai-je tant à me tourmenter, il me faut prendre
Di. LA (in 1 1 DL madiïlMNE. 235
m temps, quand je leraii plus méchant que Judas,
plui Cain que Cain même, plus grand ennemi de Jésus-*
si que Panteehrist, je. serai sauvé infailliblement. Un
bon religieux n'argumentait pas de la sorte, mais bien plus
religieusement : Ou je suis prédestiné ou réprouvé) si je
•ois prédestiné, Dieu m'a aime de toute éternité , n'est-ce
pas la raison que je l'aime le peu de temps de ma courte
Me; il n'a jamais été Dieu sans me vouloir du bien; je ne
dois jamais êtie un seul moment de ma vie sans lui vouloir
du bien et Lui rendre senrioe ; je dois jouir de lui , être bien
avee lui une éternité tout entière; ne dois-je pas commen-
OtT dès eette vie une fortune si heureuse? Si je suis ré-
prouvé, Dieu n'en est pas moins bon, il ne laisse pas d'être
infiniment bon et la bonté infinie. Qu'est-ce que je dois ai-
mer en Dieu, sinon sa boulé infinie? Si je suis réprouvé,
je serai privé une éternité tout entière du bonheur de l'ai-
< i île le servir, qui est l'unique béatitude et félicité de
l'homme; il faut doue qu'au moins en ee monde je jouisse
bonheur le peu de temps qui me reste; et encore qu'il
m'envoie en enfer, je ne ferai pas comme les autres dam-
ne^ , je m laisserai pas de l'aimer et de le bénir éternelle-
ment. \ oilà comme il faudrait dire, s'il était permis d'ar-
gumenter en matière de réprobation ; mais parée (pie les
âmes pécheresses ne sont pas capables d'une dévotion si dé-
lite , il faut les convaincre par une démonstration palpable.
N'est-il pas vrai que la prescience et la prévoyance de Dieu
est aussi infaillible que la prédestination? IN'est-il pas vrai
qu'il est aussi impossible que ee que Dieu a prévu n'arrive
pas, comme il est impossible que celui qu'il a prédestiné
il pal sauvé? Or, si votre petit raisonnement en ma-
tîèrc «h- prédestination avait tant soit peu de raison , je di-
MM soldats : Ne vous mettez pas tant en peine de vous
équiper et armer, allez vous présenter au combat tous en
chemise, sans épée, sans mousquet, sans hallebarde; ou
Dieu a prévi que vous vaincra , ou non; s'il a prévu que-
vous vaincrez , l'eflel de sa prévoj anee ne peut manquer
d'arriver j quand tous ne lireriei un seul coup, vous cm-
236 SERMON CCLXXXVII. — DES CAUSES
porteriez la victoire ; s'il a prévu que vous serez sur-
montés, vous avez beau faire, quand vous auriez des armes
à l'épreuve du canon , aussi épaisses que les remparts d'A-
miens , vous perdrez la bataille. Je dirais à nos écoliers :
Ne vous tourmentez point tant à feuilleter vos livres ; si
Dieu a prévu que vous serez savants , quand vous nuiriez ja-
mais à l'école , ne verriez jamais un livre , vous serez un
grand docteur; autrement, quand vous useriez autant
d'huile à veiller pour étudier , que de vin à boire pour vous
nourrir, vous serez un une. Je dirais à ce laboureur ou vi-
gneron : Si Dieu a prévu que vous feriez belle moisson ou
vendange , etc. Qui ne voit pas l'impertinence de ces argu-
mentations , et qu'à ce compte il ne faudrait rien faire du
tout, mais se tenir les bras croisés, prendre bon temps,
attendre l'effet assuré et le succès infaillible de la prévoyance
de Dieu Pet quel est l'esprit si petit et si faible qui ne me
répondit aisément : Si Dieu a prévu que je serais victorieux,
savant , riche en moissons , c'est qu'il a prévu que je com-
battrais vaillamment, étudierais diligemment , travaillerais
à bon escient ; ainsi , si Dieu vous a prédestiné , il a prévu
que vous garderiez ses commandements , que vous prati-
queriez les bonnes œuvres , et que vous mourriez en état
de grâce.
secundum punctum. — Evangelista , etci
D. — (1° Erat mulier.) Laissons donc ces imperti-
nents, et écoutons noire évangéliste, qui nous apporte les
vraies causes de la chute de Madeleine. Il y en a quatre
principales, qui sont les plus ordinaires sources de tous les
péchés qui se font au monde : elle était femme, oisive, cou-
reuse, orgueilleuse ; et tout cela est exprimé en ces mots :
Mulier quœ erat in civitate peccatrix. Primo , elle
était femme , mulier; c'est une merveille qui serait in-
croyable , si on ne la voyait par expérience , combien les
femmes sont utiles aux grands desseins de Dieu, quand elles
se donnent à lui tout-à-fait ! au contraire combien elles sont
effrénées et combien de maux elles apportent à une repu-
ni: r I CffUTfi DE MAOBLEINH. 237
Wi.pie quand elles s'abandonnent au vice ! Nos martyrolo-
»nl pleins d actes héroïques et généreux des femmes
• qui onl surmonté la mort et (es plus âpres tourments pour
la Foi de Jésus; et Ton remarque dans l'Histoire Ecclé-
siastique, qu une infinité de femmes ont converti leurs maris
• la loi ou à la probité, comme sainte Cécile, Valérien ;
Domitille, Flavius Clément; sainte Monique, Patrice;
sainte Perpétue, Africain ; sainte Théodore, SigÎMus ; mais
aussi quand elles s'adonnent au vice, elles débauchent toute
leur famille, et sont cause de la perte d'une infinité d'ames :
Anttquœ artie insidias inimicus repetit, et (juin novit
V">modo Adam decipi soleat , ad Evam recurrit, dit
>;• Grégoire, (lib. 3. Moral, cap. G.) S. Ignace, après
Lassian, dit que Satan, pour se rendre maître d'unecommu-
M«W ou dune àme, fait comme un chef de guerre qui veut
wwhw une citadelle : Explorata prias munition* hei,
<h,>,ltorvm rar/e,n aggreditur; il rôde tout au tour, con-
sidère learortiGeatioos, régarde L'endroit le plus faible, où
les murailles sont plus basses, où Ton fait moins la senti-
■*"e; ' csl là ou il applique l'échelle, où il fait jouer le
canon. Quand .1 voulut se rendre maître des habitants du
naradis terrestre, il ne s'adressa pas à l'homme, il n'osa lui
aire un seul mot, pas même rapprocher, pas même paraître
en sa présence ; il s'adresse à la femme, connaissant l'inflir
mile de son sexe ; il parlemente avec elle.
Curprœcepit.Eritis sicut Du; et comme cela lui
réussit bien, il se sert tous les jours du même stratagème:
Anhquœ artis insidias. Peut-être que cet homme marié
u voudrait pas mettre entre ses lèvres un seul petit morceau
»nnt défendu, pas même toucher ce présent qu'on lui
HIrc ; .1 sait que c'est un arbre prohibé pour lui ; l'ennemi
«dresse a la Femme : Car prœcepit; il n'y a pas un grand
scrupule de conscience de recevoirce présent; toute peine
vaut salaire; votre mari Fabien méritée : Nequoqauam
"'"'"""< ' \ «'• uVsl pas un péri,»', mortel : EritU sicut
■ quand *ooj vous serez enrichis, vous serei braves,
couverts; voqs porterai la soie, vous serez honorés,
238 SERMON CCLXXXVII. DES CAUSES
redoutes, adorés comme de petits dieux. Le mari ne prend
pas ce présent, pas plus qu'Adam ne prit le fruit défendu,
mais il le laisse prendre à sa femme ; adieu l'état d'inno-
cence , la probité et la bonne conscience.
Millier , mulier. Cet autre jeune homme a le meilleur
naturel du monde, il est d'une complexion douce, facile,
irai table, paisible, et toutefois depuis qu'il est marié, il est
tout changé, ne se reconnait plus, est tout autre qu'il était,
est toujours aux injures et en dissensions contre ses voisins,
même en dispute contre ses père et mère : il leur était obéis-
sant et respectueux, il faut maintenant que pour avoir la
paix il les mette hors de sa maison ou se sépare d'eux. Qui
en est la cause ? mulier. La femme qu'il a épousée est
orgueilleuse, avaricicuse, querelleuse, ne veut rien endu-
rer, veut avoir partout le dessus; sitôt qu'une mouche lui
passe devant les yeux , elle veut que son mari ait la main
à l'épée , elle refroidit par ses plaintes et flatteries l'amour
qu'il doit à ses père et mère , lui fait des rapports à perte
de vue ; il se laisse ainsi mener , et pour la passion d'une
femme, il met en combustion toute sa parenté ou son voi-
sinage : Mulier, mulier.
Un autre qui n'est pas marié et qui est plus fort qu'une
forteresse , sera néanmoins vaincu par l'entremise des
femmes, s'il ne se tient sur ses gardes. S. Jérôme dit a un
de ses amis : Ne prœteritœ caslitati confidas , nec Sam-
sonefortior,nec Davide sanclior, nec Salomone pot cris
esse sapientior ; mémento semper quod ejecit mulier de
possessione sua paradisi colonum : Ne vous fiez pas à vos
forces, à vos victoires passées, à la chasteté inviolable que
vous avez gardée ; si vous ne craignez , si vous ne fuyez
l'occasion, si vous n'évitez la conversation et familiarité des
femmes, Satan vous prendra par cette escalade, vous donnera
la pomme d'angoisse par l'entremise de quelque Eve ; vous
n'êtes pas plus fort que Samson , plus saint que David,
plus sage que Salomon , et vous savez que les femmes les
ont fait tomber. Si tous les autres doivent craindre et fuir
l'occasion à cause de la fragilité des femmes , à plus forlo
Dl l.v GHCTB Di: MÂMUtlRB, •>;>;)
g |m femmes même* ; car qu'elles «oient tan) cha
dévots», spirituelles, saintes, résolues, courageuses que
voua voudrez, tant il y a qu'elles sont femmes, fragiles
infirmes, fautives : Vulier quasi molli* ter. La fraei-
ùté est si naturelle à ce sexe, que l'Eglise met entre les
miracles de la loute-puissance de I lien, quand il daigne rem-
porter la couronne de martyre par l'entremise d'une femme,
l«ter rwtcn, lu.toliœ hur min,,;,/,,, ,;/„,„ i„ ,,,.,',
, h vtetortam martyrii contulisH y et c'est ce qui
doit encourager m sexe à combattre valeureusement pour
remporter la couronne de chasteté; la chasteté est un mar-
!wv. et un martyre difficile : Mo nimirum quo membre,
moUmtur honore quidem miHu» , sed diuturnUat»
moiesnus. Le martyre sanglant par lequel on est tenaillé
est a la «enté «(freux , terrible, épouvantable ; mais le mar-
yre non sanglant qu'on endure en conservant toute sa vie
a Chasteté inviolable, nonobstant les tentations du monde,
guillona de la chair, les suggestions de Satan, est plus
long , plu, ennuyeux , plus difficile ; c'est être bruit' à petit
km. Cesl en ce sujet, dits. Augustin, que consistent les
plus rudes combats des éludions ; les assauts y sont plus
Violents, les v.ctoire, plus rares, les chutes plus dangereuses,
ta pertes plua irréparables ; ne sera-ce donc pas une grande
gloire I cette Majesté divine quand elle aura dressé ce tro-
phée par 1 entremise d'une fille? Quelle palme assez clo-
poorra dignement honorer les mains, quelle couronne
éclatante pourra embellir le chef de celle qui en un
H fragile aura été victorieuse et sera parvenue Jusqu'au
m avec 1 honneur sur le front ? O quam pulchra est
■;<■>» ratio non claritaU! La difficulté de l'entreprise
'■;" rill:i r le curage par l'espérance d'une riche
lh m VOUS remportez la victoire ; mais la fragilité de
' roua faire redouter et éviter l'occasion, la
;"ml1 ">ut homme quel qu'il soit. Mais c'est mon
t, il est dérot, spirituel, «aint, c'est un ange incarné •
'Jil e»t incarné, il est en la chair, et vous
nmç, et on peut dire de vous : Ecct millier
240 àERMON CCLXXXVII. DES CAUSES
E. — (2° Otiosa.) Quœ erat. Seconde cause de sa perte,
elle était oisive. La principale louange que Salomon donne
à la femme forte dont il a fait le panégyrique, c'est qu'elle
notait jamais oisive, elle s'appliquait toujours à quelque
grande ou petite action : Manum suam misit ad fo?°tia,
et digiti ejus apprehenderunt fusum. Au contraire votre
pécheresse s'est perdue parce qu'elle était paresseuse. Que
faisait-elle cette femme? erat , elle était, et voilà tout;
comme ces vauriens qui ne servent de rien en ce monde que
pour y être, et disent : Nos numerus sumus. Quelle mer-
veille qu'elle ait été vicieuse, étant oisive ! qu'elle merveille
qu'en ne rien faisant , elle ait appris à mal faire ! Cratès le
Thébain, dit Sénèquc, (Epist, 1 0.) voyant un jeune homme
oisif, lui demanda : Que fais-tu là , mon ami ? Mecum
loquor. . . . Cave ne çum îwmine malo loquaris. Je parle
avec moi.... Prends garde que tu ne paries avec un méchant
homme ; donnant à entendre qu'entre un homme oisif et un
méchant homme , il n'y a pas grande différence : Otia si
tollas , periere cupidinis arcus. Entre les déesses fabu-
leuses de l'antiquité, il n'y en avait que deux qui étaient
estimées vierges, Pallas et Diane ; et Lucian , poète grec ,
introduit Vénus qui se plaint à son fils Cupidon de ce
qu'ayant triomphé de (outes les autres, il était surmonté par
ces deux filles, qui se moquaient de ses flèches et de son feu :
C'est, dit-il, qu'elles sont toujours si occupées à l'exercice
des arts et de la chasse, que je ne puis les atteindre. Notre
pécheresse au contraire faisait beau jeu aux flèches de ce
folâtre et s'exposait aux tentations d'Asmodée par son oisi-
veté et fainéantise. Quand on parle d'une ville , on a cou-
tume de demander : Quel trafic y exerce-t-on? quel métier
y"est le plus en usage ? si S. Chrysostôme était ici, il répon-
drait qu'en cette ville le métier qui est fort commun, c'est
de faire des oreillers , il y a quantité d'honnêtes gens qui
s'en mêlent. Des oreillers , et pour qui ? pour le diable ,
pour le démon Asmodée. L'esprit immonde aime le repos ;
(Luc. 1 1 . 24.) il ne s'arrête pas au cœur d'un homme qui
travaille, qui est fort occupé, qui n'a pas le loisir (J'écoute*
DE I A CHUTE DE MADELEINE.
ntations, mais d'un homme qui est en repos ; l'oisiveté*
«*» son oreiller. S. Chrysostôme ûitiOtiotitas. diaboli
pulvinar. Quand vous travaillez à ce que votre enfant
devienne noble , r.chc, à son aise, pour parler en bon Iran-
«a.s, vous I obligez à être oisif, vous façonnez un coussin
a Mtau. bi vous faisiez apprendre à votre (ils un bon mé-
V*r, <;i si vous lui laissiez médiocrement du bien , il serait
eonlramt jde travailler, il dissiperait par son travail les sug-
JS*"' Umodée; la noblesse, les richesses, les comme-
dites I oh hgenl à ne rien faire de peur de démentir sou rang
« sa qualité ; son oisiveté est le gîte et l'oreiller de l'esprit
immonde : SpMtus immundus quœrit requiem, oliosùas
éiabolt pulvinar.
1 ;~y'i"„/ «y»-) Mais encore que faisait-elle ? à ouoi
«ployait-elle sou temps ? à courir, à aller eà cl là , et à
fore des visites ; quand on la voulait trouver/on ne savait
ou la chercher, elle n'étail jamais ou sou logis, toujours
«» «Ile, et quasi en tonte la ville : Erat incivUatï Le
ïjaint-Espril vous donne là-dessus un conseil très salutaire:
Mm de» ,,,,„„■ tuœexitum *ec modicum : nec mulieri
ventam prodeundi ; si non ambulaverit ad maman.
t«,„n ,*mfnndet fe. (Eccli. 25. 34.) Voulez-VOUS QUC
wire femme, votre fille, votre nièce vivent chastement, ne
~«fe«ent point de déshonneur, ne leur donnez pas ant
Je hberté d aller aux danses, aux jardins, aux compagnies-
" l">- permettez pas lai,t de visites, de conversa ion «é
;- - es : Amlulent ad manum tuam. Souvenez vous
!» lesEgypt,ens ne permettaient pas aux femmes l'usage
«l'ers ou chaussures, afin de les obliger à garder h
^^coindufeu;q„elesLienfavaien,
J*"j«*tae»P»lh.,« de la virginité, pour sS
^.^""^gedoitétrecommelaWquiscTo,
^i?7*?*«i,n,a son; qu'au langage hébraïque, q„es
*'u'du&'"|-^prit, une fllle vierge3, et une U %£
"TT"' -el1u,au«ontraire«u même langage
"'" el «"•«'ébauchée, e'est une même Se-'
'nowavoi fanincij>fam,(C»nt. I.6.)un«
i ;
242 SERMON CCLXXXVI1. DES CAUSES
autre version dit : Ne fiam sicut meretrix. Si vous donnez
la liberté à votre fille et la laissez aller partout où elle veut,
y demeurer tant de temps qu'elle veut, communiquer avec
qui elle veut, elle apportera quelque confusion et opprobre
à votre maison : Si non ambulaveril ad manum tuam%
confundet te; il s'explique par une belle comparaison :
Non des aquœ tuœ exitiim. Voyez un ruisseau qui coule
par une ville , son eau est toute sale , immonde , fangeuse;
montez un peu plus haut, regardez-la en sa source , vous
la verrez belle, pure, claire, cristalline; pourquoi est-elle
là-haut si pure , ici- bas si impure et immonde ? c'est que là-
haut elle est comme en sa maison et au lieu de son origine,
ici-bas elle va ramassant toutes les ordures et immondices
de la ville ; là-haut elle est en repos, ici elle coule et roule
par les rues. Tant que cette fille ou cette àme religieuse est
retirée en sa chambre , occupée à son ouvrage et en son
petit oratoire , aux pieds de son crucifix, elle a la conscience
pure , calme, tranquille, sans passion, sans scrupule, sans
mouvement déréglé , sans imperfection. Dieu se mire là-
dedans comme en Peau reposée d'une claire fontaine ; mais
si, sous je ne sais quel prétexte de charité ou de civilité ,
elle veut toujours courir et être vagabonde , employer la
meilleure partie du jour en visites et compliments ; si tou-
tes les fois qu'on la demande en la maison , on dit qu'elle
est en ville , in civitate , quand elle serait une Thècle , ce
sera grand hasard si tôt ou tard elle ne devient une Made-
leine pécheresse ; car comment est-il possible de tant rou-
ler par les compagnies , de voir tant de divers objets , ouïr
tant de nouvelles , dire tant de paroles , sans en prendre
quelque impression , sans en recueillir des ordures , sans
retourner en la maison remplie de distractions , de vanités,
de jalousies, de remords de conscience et autres passions ?
In filia non avertente se, firma custodiam ; ne in-
venta occasione utatur se , dit le Saint-Esprit ; ( Eccli.
26. 13. ) redoublez les sentinelles et veillez sur la con-
duite d'une fille qui n'évite pas la rencontre des hommes, et
encore plus si elle court ça et là pour les voir et être vue , il
I \ ( iii n Dl >i a Di.i.i.i m . 249
v a danger que dans l'occasion c!!c ne tombe comme
leleine.
(,. — ( V' Sup ba, ) Finalement elle était superbe ,
in civitatc. Si après la morl de ses père et mère elle
le fût tonne dans la petite bourgade de Béthanie avec son
frère et sa sœur, elle n'eût pas eu autant d'occasions , ils
lui eussent serre'- el tenu la bride pour l'empêcher de trop se
répandre; mais elle fut glorieuse, elle voulut demeurer dans
une grande fille, pour se taire voir et admirer, avoir des
parfums et des parures , porter le faste et faire parade de
sa beauté; ce nY>t pas merveille si elle s'est perdue. Ainsi
vous voulez envoyer votre fille demeurer dans la bonne
Ville ou dans une grande maison , sous prétexte qu'elle y
apprendra de l'honneur et civilité, sansvous informer si elle
v sera bien pour son salut, si on y a soin de la pudicité dos
iiiles , si elle n'y aura point d'occasion de mal faire ; vous
contentez qu'elle ait de gros gages , qu'elle soit belle
et éclate entre >es compagnes ; c'est votre faute et à votre
dam si ellfl Se perd. Ne pensez pas, Messieurs, que ce
suit seulement le sexe féminin qui se perde par l'orgueil ,
qui est eomme la mère de tout vice : Inilium onïniê pec-
cati\ êuperbia* La superbe est cause que ce vindicatif aime
mieux mourir ennemi de Dieu et se laisser ronger le cœur
| ;•• rage de malveillance, que de se soumettre à la récon-
ciliation , et il lui arrivera de môme qu'à ce cœur endurci
dont parlent les historiens : il ne voulut jamais se fléchir ni
pardonner à son ennemi ; enfin il mourut , comme vous
mourrez tôt ou tard ; après sa mort , comme on chantait
• des trépassés, son corps étant au milieu de l'église,
quand on vint à dire ces paroles de la première leçon :
M ms'Ai, Dominé; on vit le crucifix de L'église qui se
I lit les oreilles et on entendit une voix : NeqU4 \U$
/'•/V, nêquêeryopmrcam : Il n'a pas voulu pardonner,
i lui pardonnerai pas; il a fait la sourde oreille à la pa-
role des ecclésiastiques qui le priaient de ma part de -
réconcilier, 'y bouche me- oreilles à la voix de l'Eglise qui
■M IU| .1 ; pour «on ame. La superbe est cause que ce
S44 SERMON CCLXXXVII. DES CAUSES
jeune homme, pour ètreestimé debellehumeuretsavoirbicn
entretcnirune compagnie, dit des paroles déshonnôtes, se mo-
que et médit de tout le monde. Ut quid diligitisvanitatem^
etquœritismendacium? Que cherchez-vous quand vous
aimez la vanité? vous aimez du vent, de la fumée, des men-
songes; quand vous pnrlez mal du prochain, quand vous en
faites des railleries pour faire rire la compagnie, vous vous
figurez qu\m vous estime; on vous abhorre, tous disent en
eux-mêmes : Il en dirait tout autant de moi si j'étais absent.
Quand vous êtes à l'église ou à la rue, pompeusement
vêtue , vous vous imaginez qu'on vous admire , qu'on vous
loue , qu'on vous estime : ou ceux qui sont là sont gens de
bien et serviteurs de Dieu , et ils ne daignent pas vous re-
garder , ils obéissent à cette parole : Averte oculos tuos
a muliere compta; ou ils sont mondains et vicieux, et au
lieu de vous admirer, i!s vous méprisent, vous portent envie,
se moquent de vous , disent en eux-mêmes que vous êtes
une coquette , une glorieuse , une ambitieuse. Je suis ravi
de ne pas pouvoir juger de ce que je vous veux dire pas plus
qu'un aveugle ne peut juger des couleurs; mais ily a des gens
qui ont de très bons yeux et très bons jugements qui le
disent. On peut remarquer que ce sont ordinairement les plus
laides qui découvrent leur sein et leurs bras , qui usent
de fard et de mouches , et la raison en est claire : n'ayant
point d'attraits naturels , elles ont recours aux artifices ,
elles veulent gagner quelque niais , quelque brutal et sen-
suel par Pappas d'une pièce de chair. Celles qui sont douées
de beauté naturelle ne cherchent point de déguisement,
elles savent que le naturel a plus de charme et d'agrément
que ce qui est artificiel ; ce sont les mauvaises marchandises
qu'on a coutume de frelater ; ce sont les viandes grossières
ou qui commencent à sentir qu'on déguise par des sauces
de haut goût , et le poète a dit de ceux qui usent de par-
fums : Posthume ) non bene olet, qui semper olet.
lu: la I Ul i i. DE MA DLL! i:i!:. U \0
CONCLUSION
II. — ( Historin. ) Je veux terminer ce discours
ru ?ous proposant le modèle de deux vierges incompara-
bles qui ont clé Mon éloignées des vices que je viens
de reprendre. S. Grégoire raconte que ceci est arrivé
de son temps et dans sa propre famille. 11 dit ( lib. 4. dia-
log. eap. 16. et hom. .*>S. inEvangelia, sui) finem.) qu'il
avait trois tantes qui n'étaient pas mariées : Tarcille, Emi-
lienne, Gordienne. Ces vierges avaient le même sexe que
Madeleine, non les mêmes vices, mais les vertus toutes
Contraires : au lieu qu'elle était coureuse , celles-ci ne
hantaient personne , s'étaient renfermées dans leurs pro-
pres maisons, ou elles vivaient retirées comme dans un mo-
nastère ; au lieu que Madeleine était oisive , celles-ci ne
perdaient pas un moment de temps, en employaient une
pailie à faire des ornements d'autel, le reste à faire oraison;
au lieu <[ue Madeleine était Mipcrbe, celles-ci étaient très
humbles , ear encore qu'elles fussent de bonne maison,
nièces du pape S. Félix, tantes du pape S. Grégoire , ce-
jm i j- li nt elles étaient fort simplement et pauvrement habil-
11 arriva néanmoins, que pendant que les deux ainéc.s
Balançaient dans la perfection , et faisaient un grand pro-
duis la pratique des vertus , la plus jeune , nommée
Gordienne se licencia petit à petit, l'amour de Dieu se re-
froidit en elle , et l'amour du siècle s'échauffa en son cœur;
elle devint mondaine , se plaisait à la compagnie et conver-
sation des filles séculières , quitta la pratique de l'oraison
et les autres exercices spirituels. A quelque temps de là
Dieu voulant récompenser les travaux des deux sœurs, Tar-
cille tomba malade d'une grosse fièvre; mais ni la cruauté
de la maladie, ni le martyre de ses austérités qu'elle con-
tinuait nonobstant la fièvre , ne surent jamais effacer , ni
même ternir tant soit peu la beauté et la sérénité de sa face
:;ale. Ceux qui l'étaient venus consoler pleuraient à
chaudes larmes; elle, au contraire, d'un visage riant et an-
gélique consolait tout le monde ; Cli J disait-elle , que
246 SERMON CCLXXXVJI. DES CAUSES
l'amour du cœur soulage puissamment la mort du corps î
que celui qui sent vivement les flammes de la charité ne
sent guère les piqûres du cilice et les rigueurs de la ma-
ladie ! oh! que le peu d'austérités que j'ai souffertes pour
mon époux m'enfantent maintenant de grandes délices !Elle
était si joyeuse , que vous eussiez dit que son esprit était
déjà dans le paradis , ou que le paradis était descendu au
milieu de son cœur ; oui, le Roi du paradis l'envoya visiter
par un de ses courtisans. Le pape S. Félix , oncle de cette
vierge, lui apparut visiblement, et lui dit : Venez, ma
chère nièce, ce logis vous est préparé au ciel ; vous avez
travaillé nuit et jour pour louer et servir le Fils de Dieu,
il vous fera reposer sur son trône ; vous vous êtes privée
pour l'amour de lui des pompes et vanités du monde , il
mettra sur votre chef une couronne de gloire ; vous vous
êtes retirée des assemblées et compagnies mondaines , il
yous fera passer le temps à la compagnie des vierges ses
épouses. De fait , sur ces entrefaites , voici une troupe de
vierges descendues du paradis qui entrèrent dans la cham-
bre ; elles étaient parées de blanc , d'une étoffe du ciel
semée de pierreries qui brillaient comme de petits soleils ;
elles portaient dans leurs mains des chapeaux de fleurs.
Parmi elles en paraissait une qui semblait être leur impéra-
trice; on la voyait douée d'une majesté plus que royale, cou-
ronnée à l'avantage , ornée de parures dignes de sa gran-
deur ; c'était la Vierge mère de Dieu, qui d'un visage
grave et riant, s'en va droit au lit de la malade, l'embrasse
amoureusement, et lui donne le baiser de paix. Elle fut si
joyeuse de tant de faveurs, que je crois qu'elle mourut d'aise;
car parmi ces caresses et ces embrassements elle rendit sa
belle àme entre les mains de ces vierges. A quelque temps
de là elle apparut à sa sœur Emiliène , et lui dit : Venez,
ma sœur , venez vous-en avec moi ; faites que nous célé-
brions ensemble la fête de l'Epiphanie; nous avons été com-
pagnes dans les travaux et les mortifications, soyons-le aussi
dans la gloire et la récompense. Oui, mais, dit Ernilienne,
si je quitte le monde, que deviendra notre sœur Gordiennc?
nn r..\ ( mit ni MADBLBIME. 247
vous savez quelle se relâche) détient libertine et volage ;
si je meurs, elle n'aura personne qui ait l'œil sur elle, clic
N perdra tout-à-fait. Tarcille faisant une contenance mé-
laneolique, lui répondit : Venez seulement et laissez-là,
elle est au nombre des filles mondaines, elle n'aura pas
l'honneur dYtre reçue en nohvcompagnie. Emiliennemourut
la veille des Rois de la même façon (pie sa sieur. Gordienno
privée du bon exemple de ses sœurs, dont elle s'était rendue
indigne , quitta la dévotion, se maria avec un de ses fer-
miers, se mit bien avant dans le monde ; S. Grégoire n'ose
dire ce qu'elle devint. Si elle a persévéré jusqu'à la mort
d'être du nombre des âmes folles ; elle a grand sujet de
pleurer, de se lamenter, de réclamer ses sœurs, d'invoquer
son neveu S. Grégoire, de prier le Sauveur du monde,
mais en vain , sans aucun effet : Ma sœur , dit-elle , ma
chère sœur Emilienne, ayez pitié de moi, appelez-moi à
gloire, comme votre sœur Tarcille vous à appelée et
i -a béatitude. Je le ferais volontiers, si vous eussiez
imité mes vertus, comme j'ai imité les siennes. Masœur Tar-
cille ayez pitié de moi , vous m'avez tant aimée sur la terre ,
ne perdez pas votre charité dans le ciel ; offrez pour moi à
votre Epoux les mérites de vos bonnes œuvres. Ma sœur ,
souvenez-vous que quand nous faisions lecture spirituelle ,
l'Evangile nous prédisait que les vierges sages ne pourraient
assister les folles , ni leur prêter l'huile de leurs mérites.
Mon neveu S. Grégoire, ayez pitié de votre pauvre tante ;
vous ave/ succédé à S. Pierre ; vous avez les clefs du pa-
radis; le pouvoir de lier et de délier ; déliez-moi de ces
chaînes qui me tiennent ici attachée. Jésus nous a seulement
donné pouvoir d'absoudre les âmes sur terre, non celles qui
sont en enfer. Sauveur Jésus, ayez pitié de moi, ouvrez-
moi la poi ■■/-moi les entrailles de votre miséricorde :
. Domine, aperinobis. Le Fils de Dieu répond :
La porte < vous connais pas : Clausa est
jamua . neseto vos. Dites, de grâce , de quelle manière
aimeriez-vous mieui mourir, ou comme Gordienne , ou
• nilienne ? «nais scriez-vous bien si
248 SERMON CCLXXXVII.— DES CAUSES, etc.
effrontée, que de demander de mourir comme Emilienne t
ayant vécu comme Gordienne?Non, non, ne pensez pas que
vous puissiez être reçue au repos éternel , ayant été oisive
toute votre vie. Amoào requiescant a lahorihus suis /
les Saint se reposent , mais c^st après avoir travaillé , et
vous ne voulez pas prendre la peine de vous déshabituer
d'une mauvaise coutume de jurer ,' ne pensez pas que vous
puissiez être reçue en la compagnie des archanges après
avoir hanté les danses , les jeux de cartes, les folàtreries
déshonnètes , après avoir employé votre vie en visites et
conversations mondaines ; ne pensez pas que vous puissiez
être élevée au trône de gloire, sans vous être humiliée sous
la conduite et obéissance de ceux qui ont charge de vous ;
pensez-y , car la parole de Jésus ne peut manquer d'être
effectuée : Qui se humiliaverit exaltahitur. Amen,
SERMON CCLXXXVIII,
DES EFFETS DU PECHE DE MADELEINE.
I ' ' in civitate peccatrix,
' "' ;''!!!'> q«i était pè beressc en la cité. (Luc. 7. 37.)
i r une coutume ancienne pratiquée parmi les Ba-
byloniens , à ce que raconte Hérodote, (lib. 3. de Moribus
gent. capit. 2 5 .) et parmi les Portugais, au rapport de Jean
Uohémien , déposer quelquefois en public leurs malades ,
Bon-seulement aOn que chacun leur enseignât quelque re-
mède qu'il aurait expérimenté lui-même , mais encore afin
que les jeunes gens ?oyant les symptômes et les mauvais
effets «les maladies , eussent sujet d'éviter les excès et les
<1< I auches qui causenl des infirmités. Jl semble que le saint
évangéliste en fait de même , il met au jour une pécheresse,
]' «taie au monde les fautes de Madeleine , afin que voyant
les runestes effets que ses pèches ont produits , ce nous soit
un Irem pour nous empêcher d> tomber. Je remarque donc
que S. Luc en ces quatre petites paroles : Mulier eratin
civitaie peccatrix , n'exprime pas seulement les causes et
i constances de la chute de Madeleine , mais encore les
effets de son péché , car le pécheur offense Dieu , cause
beaucoup de maux à la communauté où il est, et de grands
dommages à lui-même. Ce seront les trois points de ce
discours.
IDEA SERMONIS.
'< îmum ponctuai. Peccaiaro fendit Deum.—A. \9Scrfp+
1 - *.— B. 2 Comparatiane.— C. 3° Esperientia.
HdnuJnn, pmtai. Peeeator offendii ueietatem in
9ua„t : - !.. i SéHptum- r. 2 ' < bmparatione.
— u.j tLxpertenita,
250 SERMON CCLXXXVIII.
Tertium punctum. Peccalor nocet sihi ipsi , perdons sua
mérita : — H. \° Scriptura. — I. 2° Comparationibus:
Prima. — L. Secunda. — M. Tertia.
Conclusio. N. Paraphrasis illorum verhorum : Agar t
ancilla Sarai , unde venis ? et quo vadis ?
primum punctum. — Peccator , etc.
A. — ( 1° Scriptura.) Le premier et le plus effroyable
effet du péché mortel , c^est qu'il offense Dieu : offenser
Dieu ! nous devons avoir horreur de prononcer ce mot ;
nous devons avoir horreur seulement d'y penser. Omnis
christianorum culpa Divinitatis injuria est , dit Sal-
vien ; tout péché mortel , quelque petit qu'il soit , est un
crime ; c'est un crime de lèse-majesté divine ; c'est un crime
qui est si contraire à Dieu, qu'il est obligé par la condition
de son être , par la propriété de sa nature , et par l'amour
qu'il se doit à lui-même, de ravoir en haine. Cette importante
vérité qui est si peu appréhendée dans le monde , et qui est
si digne d'appréhension , se prouve évidemment par cette
démonstration : Dieu est la bonté souveraine , essentielle ,
infinie ; le péché est une malice infinie essentielle , souve-
raine; la bonté infinie et la malice infinie, sont infiniment et
diamétralement opposées. Or , est-il que la bonté de Dieu
comme ses autres perfections, sont une même chose avec son
essence très simple , très pure , très incomposée ; il est
donc obligé par son essence , sans pouvoir faire autrement ,
devoir en horreur le péché , et d'être ennemi du pécheur :
Odio sunt Deo impius et impietas ejus. Et si en com-
mettant le péché , je demande à Dieu qu'il me soit ami , et
qu'il ne s'irrite pas contre moi , je lui demande une chose
qui est impossible , de toute impossibilité ; je lui demande
une chose qu'il ne peut pas faire avec toute sa puissance ;jc
lui demande qu'il ne soit pas bon , qu'il ne soit pas Dieu ,
qu'il détruise son être , qu'il soit ennemi de lui-même pour
lie pas être mon ennemi.
B. — (2° Comparatione.) Donnez-moi un prêtre ou un
religieux qui soit extrêmement chaste ; faites qu'on ait mis
DES EFFETS DU PECHE Dlï MADELEINE. '2,>1
sa chambre un tableau parfaitement bien peint, qui
les images de quelques-uns de ses amis , ou de quel-
ques Saints qu'il honore beaucoup ; niais que le peintre ail
représente* quelqu'un île ces personnages dans une posture
Indécente , aussitôt que ce prêtre on religieux entrerait dans
sa chambre et verrait ce tableau , il ne le pourrait souffrir,
il le mettrait en pièces ou le jetterait dans le feu, et s'il
faisait autrement , on dirait qu'il n'est pas chaste. Dieu est
Incomparablement meilleur que tous les religieux du monde,
et plus chaste que tous les Saints du paradis ne le furent
jamais. Ce péché est plus opposé à la bouté infinie de Dieu
que Timpudicité à la chasteté : il faut donc qu'il ne soit pas
Dieu ou qu'il abhorre le péché en quelque lieu qu'il se trouve:
Mundisunt oculitui , Domine, ne videant mal uni ,
et ad iniquitatem aspicere non poterie : il ne dit pas non
ris , mais nonpoieris, \ os yeux sont la pureté même , et
il VOUS est impossible de regarder l'iniquité d'un œil d'appro-
bation , d'agrément , de complaisance.
C. — (3e Expericnlia.) Pourquoi pensez-vous (pic TE-
vangéliste, organe du Saint-Esprit, n'a pas voulu nommer
notre pécheresse, mais a dit: Une femme qui était dans la
cité? S. Chrysostôme répond: Propler itnmunditiam
proprio caret nomine , sicut ea qicœ fuit Uriœ. C'est
pour montrer la haine que Dieu lui portait. Quand vous
avez nue extrême aversion et une extrême malveillance con-
tre quelqu'un , vous ne voulez point entendre parler de lui,
vous ne daignez pas seulement le nommer, vous dites ce
méchant , ce malheureux ; vous le faites par une passion
vicieu.se , Dieu le fait par une justice très adorable , pour
montrer la haine qu'il doit avoir du pécheur, et pour nous
apprendre que son nom est effacé du livre de vie , il efface
gofl nom de l'Evangile : Kec mentor cro nominum coru m
er labié mca. En Thistoire du mauvais riche , il nomme
honneur le pauvre mendiant , parce qu'il était grand
homme de bien ; il dit qu'il s'appelait Lazare; mais il ne
daigne pas nommer le riche avaricieux ; il efface son nom de
la m» mmes , il dit que c'était un, quidam ;
252 SERMON CCCXXXVIlf.
Homo quidam erat dives. Quand sainte Madeleine fut
convertie , l'historien sacré trouva bien son nom , le Saint-
Esprit la nomme très souvent en l'Evangile : Novi te ex
nomme ; mais elle n'est pas nommée une seule fois dans le
chapitre qui traite de son péché , non-seulement pour nous
apprendre à ne point nommer les personnes quand nous par-
lons de quelque crime qui s'est commis , mais encore pour
nous faire voir l'aversion que Dieu et ses Saints ont toujours
eue du péché. David, ce sage et adroit avocat en la cour de
la justice de Dieu , connaissait bien cette vérité , et savait
bien s'en servir dans l'occasion ; quand il était en élat de
grâce , et selon le cœur de Dieu , il se nommait clairement
pour demander le Messie qui devait naître de sa race : Mé-
mento , Domine, David} juravit Dominus David
veritatem ; semel juravit in Sancto meo , si David
mentiar : Souvenez-vous de ce David , dont le nom vous
est si cher et si agréable. Mais depuis qu il fut tombé dans
le péché , qu'il eut perdu la grâce de Dieu , il n'osa pas se
nommer en demandant pardon et miséricorde; il ne dit pas:
Miserere , Deus , David , secundum magnam miseri-
cordiam tuant. Vous ne trouverez pointqu'en tout ce psaume,
ni dans aucun autre des pénitentiaux , il se nomme une
seule fois.
D. — (4° Ratione.) Et comment est-ce que le péché ne
serait pas abominable devant Dieu , puisqu'il n'offense pas
seulement sa bonté infinie , mais toutes ses perfection divi-
nes. Peccavi saper numerum arenœ maris : Mes péchés
sont en plus grand nombre que le sable de la mer. L'Eglise
nous met souvent ces paroles dans la bouche en l'office divin;
elles ont autrefois arrêté mon esprit , ayant peine de les en-
tendre et de savoir comment elles peuvent être véritables ;
car quand un homme vivrait cent ou cent vingt ans, et quand
il commettrait un péché mortel à chaque moment de sa vie ,
ce grand nombre de péchés n'approcherait pas du nombre
des grains de sable qui sont dans la mer ; et néanmoins
nous ne disons pas seulement , mes péchés sont plus pesants
que le sable tic la mer, mais nous disons qu'ils sont en plus
ter
'G
DE : •
[uc chaque péché mortel n'estpas
ni infinien gravité, mais contient en quelque
bremflnide malices , parce qu'il choque tous les al tri-
un jus , qui ne sonl pas seulement induis en excelle
qui sont en nombre infini. '
Peccator , etc.
K-~ ' Scriptura. Si le pécheur offense ainsi le Créa-
• uc pensez pas qu'il épargne les créatures; il nuit
>up à tous les particuliers de la communauté ou il est»
Au heu de ces paroles qui sont en notre Evangile: Mulù
tin civitate peccatrix , quelques docteurs tournent
Erat m ctvUatem peccatrix: Elle était pécheresse conlk-u
W cité. Ce qui nous enseigne que Dieu prive souvent do
plusieurs bénédictions toute une communauté , et lui envoie
plusieurs disgrâces temporelles en punition des crimes d'uno
âme ; les prédicateurs et les confesseurs vous recom-
man,Ki,( « d'éviter 1rs mauvaises compagnies , parce
;IUCN' '«"aïs exemples, vous y prenez la
future du vice, ayant honte de ne pas faire comme le*
«très ; vous ?ousy mine/ de réputation , donnant sujet de
'■ que voui êtes semblable à ceux que vous fréquentez-
1 I i tout cela ne serait pas , vous vous mettez en
erd être l'objet de la colère de Dieu et des carreaux
justice. Ecoutez le saint prophète Moïse : Rcceditea
naculis hominum impiorum , et nolite tangue
V^^eosVertinent,neinrolraminlinVeccaiiseo^
^umer. 26. 16.) Retirez-vous de la compagnie' de, me-
nez pas même ce qui leur appartient, de peur
avec eux dans la peine de leur crime.
*.- À Comparatione.) Demeurons en la comparai-
7 T apportions ci-dessus, supposons qu'en ce
abandon** is parlé , parmi les personnages qui
'Posture indécente, il j en ait d'autres en
miur* *e, celui quî serait tant soit
l'tpoint d'égard, mais romprait ou bru-
I arrive quelquefois que Dien , en
15
254 sekmon cclxxxviii;
l'ardeur de sa colère , afflige lemporetlement les innocents
qui sont en la compagnie des coupables , comme il fit à toute
la famille de Dathan etd'Abiron, au livre des Nombres, à
celle d'Acan , au livre de Josué.
En Zacharie , chapitre cinquième , il est dit que le pro-
phète vit une faux ; car au lieu qu'au texte latin il y a erat
volumen volans , les septante interprètes , et S. Chrysos-
tôme fournentxa; tàov\8pè*xvov «erétxevov^ecce falxvolans .
Une faux qui volait; elle était longue de vingt coudées et
large de dix coudées : et on dit à Zacharie : Prophète , sais-
tu ce que c'est que cette faux ? C'est la vengeance de Dieu
qui tombera sur la maison de celui qui jure faussement , et
elle la ruinera de font en comble. « Erat faix volans, lon-
« gitudo ejus cubitorum viginti , latitudo ejus cubitorum
« decem , et veniet addomum jurantis mendacia, et com-
te morabilur in medio dormis ejus, et consumet eam, et
« ligna ejus , et lapides ejus. » La vengeance divine, dit
S. Chrysostôme, est comparée a une faux , non à une épée,
parce que l'épée n'en tue qu'un à la fois ; la faux enveloppe,
coupe, tranche , ravage tout ce qu'elle rencontre; et la
justice divine ne ruine pas seulement celui qui est coupable ,
mais elle renverse , désole , dissipe tout ce qui se présente
à elle. Elle est longue et large de plusieurs coudées, pour
signifier le grand nombre des afflictions qu'elle apporte ;
elle vient d'en haut pour nous apprendre que le ciel punit
les crimes de la terre ; elle vole , pour signifier qu'elle vient
promptement et lorsqu'on y pense le moins ; elle tombe sur
Ja maison -de celui qui se parjure , qui blasphème, ou com-
met quelqu'aulre péché , non-seulement pour punir le
pécheur , mais pour ruiner, détruire , et anéantir sa mai-
son , tant Dieu déteste et abhorre le péché !
G. — (3° Expert entia.) Imaginez-vous que le grand
Turc , se fiant en la force de ses armes, entre en la chré-
tienté et qu'après avoir conquis plusieurs villes en son che-
min, il aille planter le siège devand Madrid, qu'il la prenne
par assaut ou par composition, qu'il se saisisse de la per-
sonne du roi, l'emmène captif à Constantinople, qu'il laisse
i - DU l'i CHK DE MADELEINE. ZOO
pour gouverneur de Madrid en sa place don Juan dWutri-
che ou un autre prince, qu'il lui fasse prêter sonnent sur les
s Evangiles qu'il maintiendra la ville et toule l'Espagne
s l'obéissance de la couronne de Constantinople; quand
te Turc s'en sérail allé, se Haut à la fidélité de la promesse
qu'on lui muait faite, si don Juan d'Autriche faussait sa pro-
messeel r< voltail la ville de Madrid contre ce barbare, à votre
serait-ce un grand crime? je ne sais ce qu'en diraient
litiques de ce monde, mais je sais bien oo qu'on en
dit en la théologie du ciel : au quatrième livre des rois ,
m. Reg. 24. 17.) en Jérémie (37. 1.) et en Ezcehiel
(17. lo.) est apporté un cas tout semblable. Le roi Nabu-
ehodonosor, qui était comme le grand Turc de ce temps- là,
vint à Jérusalem pour la conquérir, comme il avait fait de
plusieurs autres villes et provinces. Il était tellement redouté,
que saos qu'il fit jouer une seule machine de guerre , on se
soumit à lai ; il entra glorieux en la ville, prit le roi Joachim
et toute la pour de l;i noblesse, les emmena captifs à Ba—
bylono, pilla l'or et l'argenl des finances, emporta tout ce
qui était de plus précieux en la ville, et parce qu'on ne lui
pas résisté, il ne voulut pas la raser, mais il y laissa
les petits gentilshommes et le menu peuple, lui donnant pour
i rneur en sa place Sédécias, oncle du roi Joachim qui
prêta le serment de fidélité à ce tyran, lui promettant de
tenir la ville et la province sous l'obéissance de sa couronne.
Quand ^Naburhodonosor fut de retour à Babylone, Sédécias
pensa qu'il nV avait pas grand scrupule de rompre le ser-
ment qu'il avait prêté à un roi barbare, idolâtre, impie, in*
usurpateur du bien d'autrui, ennemi du peuple de
: il se révolta contre lui, fit alliance avec le roi d'E-
pouren avoir du secours, secoua le joug de Babylone.
rensez-V( Dieu ne se lâche pas quand on abuse de
son - pour tromper les hommes ? voici ce qu'il en
cl i i | » ! : 17. 15, 1 Vunquid prosperabitur,
vel salutem consequetur qui fecit hacc? ci, qui dissolvit
lum,nunquid efl v'ivo ego, dicit Dominus,
« juiuiiiLiitum quodsprevit, etfoedus quod prâvaricatui
256 SERMON CCLXXXV1II.
« est, erit in caput ejus. » Quoi donc! SédcVias pcnsc-i
t-il être impuni ? est-ce ainsi qu'on trompe les hommes avec
de faux serments comme on amuse les enfants avec des noi-
settes ? pcnse-t-il échapper des mains de Nahuchodonosor
ou de ma justice vengeresse , ayant faussé une promesse
cimentée par l'invocation de mon saint nom? Je jure ma
vie et ne serai point parjure comme lui , je jure ma vie que
la promesse qu'il a rompue et le serment qu'il a faussé re-
tomberont sur sa tête criminelle. Et puis Dieu se met à ra-
conter les effroyables afflictions qu'il enverrait à toute la villo
en punition de ce parjure, et qui en effet arrivèrent comme
elles sont rapportées au quatrième livre des Rois ; (4. Reg.
24. et 25.) savoir : que Sédécias fut pris à la guerre, on
égorgea ses enfants à sa vue, on lui creva les yeux , on le
mena en triomphe à Babylone où il fut mis à la chaîne comme
un pauvre chien, et passa le reste de sa chétive vie en es-
clavage , et Dieu pour montrer combien il abhorre le par-
jure et toute sorte de pc'^hé, permit que Nabuchodonosor
envoyât son connétable à Jérusalem qui ne la reçut pas à
composition comme auparavant, maïs qui démantela les mu-
railles, rasa les maisons, brûla ie temple, emporta les riches
vaisseaux destinés au service divin , passa au fil de l'épéc
les prêtres et le peu de noblesse qui était resté , emmena
captif le menu peuple et réduisit en cendres cette ville in-
fortunée. Si vous ne voulez m'en croire, lisez les textes de
l'Ecriture sus-allégués et le beau commentaire que S. Chry-
sostôme (5. hom. 19. ad popul.) y a fait, vous verrez que
je dis vrai. Ne faut-il donc pas conclure que la vengeance
du ciel est un faux bien affilée qui enveloppe et tranche tout
ce qu'elle rencontre , que le péché nuit à toute la républU
que , et qu'on dit véritablement de l'àme pécheresse : Erat
in civlfatem peccatrlx.
TERTIUM PUNCTUM. — PeCCCltoV, etc.
H. — (1° Scriptural) Une femme qui était pècheresss
n'avait-elle point d'autres qualités ? Il est vrai que les évan-
géllstçs n'ont guère coutume dénommer les personnes dont
nr.S EFFETS DU PÉCHÉ DE MADELEINE. 257
ils parlent par les grandeurs et par les qualités mondaines,
; e quecenesont que des bassesses et néant devant Dieu;
ils ont coutume de toucher au moins en passant les
perfections spirituelles et les éloges de verdi qui rendent
remarquables les personnes, comme de S. Zacharie et de
sainte Elisabeth, dont il est dit en S. Luc qu'ils étaient justes
et qu'ils pratiquaient tous les commandements de Dieu ; du
vénérable S. Simcon, qu'il était juste et craignant Dieu.
Notre Madeleine n'avait-elle point de bonnes œuvres ? n'a-
vait-elle point pratiqué de vertu en savie, n'avait-elle pas
quelquefois prié Dieu, donné des aumônes? otii, sans doute;
elle était fidèle, elle vivait parmi le peuple de Dieu, elle avait
devant les yeux les bons exemples de son frère Lazare et de
sa sœur Marthe. L'historien sacré n'en fait point de mention,
non plus que des grâces qu'elle avait reçues aux sacrements
et sacrifices ; il ne dit rien d'elle, sinon qu'elle était pèehe-
, parce qu'elle avait fait naufrage.
I. — (2° Comparationibus : prima.) Si averterît se
juêtuê a justifia sua, et feccrit iniquitaiem, nunquid
t? omnes justitiœ ejus quas feeerat non recorda--
buntur, (Ezcch. 18. 24.) Si celui qui a vécu saintement
jusqu'à présent est si mal-avisé que de faire banqueroute à
fu et de commettre un péché mortel, on mettra en
oubli toutes les bonnes œuvres qu'il a faites, dit le prophète
Ezéchiel , et il explique ce malheur par une comparaison
bien propre ; il parle à la ville de Tyr au sens littéral, mais
au sens tropologique, selon S. Jérôme, il parle à une amc
qui avant été longtemps vertueuse, est tombée dans le
péché ; il la compare à un vaisseau bien équipé, chargé de
uses denrées, quia vogué heureusement, mais un
?cnt impétueux s'élevant au milieu de la mer, le fait couler
à fond on briser contre un rocher; (Ezech. 27. 20.) ceux
qui riaient dedans se sont noyés sans ressource, ses riches
! -ont perdues , la peine qu'on a prise à le faire
et à l'équip r est inutile. 11 y a dix ou douze ans que cette
femme fréquente les sacrements, qu'elle communie tous les
dimanches, qu'elle dit son chapelet tous les fours, faitorai-
?$8 SliKAlON CGULXXXlitê
son mentale, donne souvent des aumônes , assiste aux pré-
dications : quel amas de vertus, quel trésor de grâces,
quel magasin de richesses spirituelles elle en a acquis! Vous
la sollicitez h un péché mortel , elle y consent , elle perd
tous ses biens ; y eut-il jamais tempête sur mer qui ait
causé une si grande perte ? ou si vous voulez, je dirai avec
S. Chrysostôme, (ad Theodorum lapsum.) que cette âme est
plus digne des pleurs et des lamentations du Fils de Dieu
que la ville de Jérusalem, et qu'on a sujet de lui dire ce que
le Sauveur disait à cette ville infortunée : Si cognovisses
Ht tu, 0 âme chrétienne! si vous saviez le dégât que le pé-
ché mortel a causé en vous , vous répandriez des larmes de
sang ; il a ruiné et anéanti tous les mérites de vos bonnes
œuvres, la grâce sanctifiante , les vertus infuses , les ha-
bitudes surnaturelles, les dons du Saint-Esprit, tout ce
qui était de bon et d'excellent en vous , excepté la foi
et l'espérance qui y sont demeurées , mais mortes et sans
mérites.
L. — (Secunda.) En l'histoire des chevaliers de Malte,
(Bodin. lib. 9. histor. milit.) il est dit que Soliman ayant
pris par composition Pile de Rhodes , lit amener devant lui
le grand-maître Philippe de Viilars, très célèbre par tout
le monde pour ses belles actions. Ce vénérable vieil laid ,
qui n'avait rien de caduc que l'âge , se présenta en habit
lugubre. Le grand- seigneur le voyant , en fut touché et
attendri , et se mit à pleurer en soupirant : Heu durum
hominis fatum! miseror casum ianti viri : heri erat
summus, hodie est inucs : lié ! que la fortune est incon-
stante et souvent rigoureuse à l'homme ! j'ai pitié de la chute
d'un si grand personnage : hier il était très haut , aujour-
d'hui il est très bas. Peut-être qu'on peut dire la même
chose de vous , hier vous étiez en l'état de grâce que vous
aviez reçue en votre dernière communion , quelque détes-
table tentateur vous a fait tomber au péché ; hé ! quelle
chute, quelle décadence! que vous avez grand sujet de pren-
dre le deuil et de pleurer inconsolablemenl ! hier vous riiez
1res élevée , aujourd'hui vous êtes très abaissée : hier vous
DES BFFITO DU PBCBJB DM ■AD£LBtN£. 251)
é'iiez dans (es bonnes grâces de Jésus, aujourd'hui vousètes
haine ; vous étiez enfant de Dieu , vous êtes esclave
du diable ; vous étiei à la porte du ciel, \ous êtes à la porte
do Ton fer.
M. ■— (Tertia.) ïlUî-Lîve dit : (decad. 1 .) Manlius
Capitolinus avait rendu de si bons services à la république,
qu'il avait mérité d'être appelé le père de la patrie; étant
lecusé d'un crime capital, il apporta au milieu du sénat les
couronnes qu'il avait remportées par ses braves exploits, la
navale qu'il avait gagnée sur mer, la murale pour avoir
fchelé les remparts des villes, la caslrense pour avoir lo
premier enfoncé le camp ennemi , la civile pour avoir sauve
la vie à des citoyens romains ; il ouvre son sein tout couvert
de cicatrices qui étaient autant de témoignages de sa valeur,
et il dit en montrant tout cela : Uno errato tôt décora abo-
leri! Faut-il que tant de prouesses, tant de services , tant
d'actions généreuses soient oflkoés parmi seul crime ! Quand
vous amie/, été malade Pespaee de trente-huit ans, ct(|uand
vous auriez enduré avec grande patience les rigueurs de la
maladie, comme sainte LiduvintJ ; quand vous auriez souf-
fert le martyre pendant vingt-huit ans, comme S. Clément
d'Ancyre ; quand vous auriez fait pénitence sur une colonne
eipoiée aux injures du temps, comme S. Siméon Stylite ;
quand vous auriez dit la messe très dévotement plus de cin-
quante ans et demeuré tous les jours quatre heures à Pautel»
comme S. Philippe de iNéri ; si vous commettez un seul
péché moi tel : Unu c < / ulo tôt décora aboleutur.
CONCLUSIO.
Y -~ {P'iraphr.isis, etc.) Quand je considère tout
«t quand je vois une àme sollicitée de commettre un
péché . et sur le point de succomber , il me prend envie de
lui dire ee qu'on ange disait à la servante de Sara, femme
du patriarche Abraham : Agar, antilla Sarai,unde ve-
nté et quo vadië? reverterê ad dominant tuant, et hu-
milian tub manu efus.
Oàmc ! qui Êtes sur le point de consentir au péché, uni»
2G0 SERMON CCLXXXVI1I.
venis? voyez de quel état vous sortez ; vous quittez un état
dans lequel votre àme était belle, agréable à Dieu , à ses
anges, ornée , resplendissante ; il n'y a pierrerîe , étoile,
lune, soleil aussi éclatant qu'elle Tétait; quo vadis ? en
quel état vous mettez-vous? dans un état auquel votre àme
est laide, difforme, noire , contrefaite , puante , horrible à
Dieu et à ses anges ; unde venis? vous sortez d'un état
dans lequel vous étiez enfant de Dieu , frère de Jésus, bien—
aimé de la Vierge, favori des saints, en la sauvegarde des
anges , sous la conduite de la douce providence divine.
Quo vadis ? vous entrez dans un état dans lequel vous
êtes ennemi de Dieu, abhorré de son Fils, méprisé de la
Vierge , délaissé des anges , abandonné des Saints, esclave
clu diable., livré à la tyrannie de vos passions effrénées.
Unde venis? vous quittez un état dans lequel vous aviez
rame tranquille , toujours en repos et en assurance, remplie
de consolation , sans crainte d'aucun accident, confite dans
des délices spirituelles.
Quo vadis ? vous entrez dans un état dans lequel votre
pauvre cœur est tout déchiré par les épines et par les re-
mords de la conscience, bourrelé par les furies de la syn-
dérèse , en appréhension de la mort , du jugement de Dieu
et de l'éternité malheureuse, en crainte d'être surpris, dé-
couvert, déshonoré, sans consolation dans vos adversités,
sans plaisir entier dans vos prospérités.
Unde venis? vous sortez d'un état dans lequel, si vous
fussiez mort , eh ! que vous seriez heureux ! les anges fus-
sent venus au-devant de vous, eussent reçu et porté votre
âme en lieu de repos , comme celle du pauvre Lazare ; le
Fils de Dieu vous eût recueilli et logé dans son sein.
Quo vadis ? dans un état dans lequel si vous veniez à
mourir, sans autre forme de procès, vous êtes damné.
JXeverterQ ad Dominum iuum, retournez à votre Sei-
gneur; bien que vous soyez échappé de son service, il no
laisse pas d'avoir droit de souveraineté sur vous; reveriere,
retournez à votre Père, vous avez perdu la qualité d'enfant
de Dieu , il n'a pas perdu celle de père ; revert ère, re-
DES BFFETfl di PECHE DE MADELEINE 261
tournez à votre Epoux, vous lui avez été déloyale, il ne
laissera pas de vous être Gdèle.
Humiliaremb manu ejus; la main de Dieu en ré-
criture signifie quelquefois sa puissance : Manu, tua
génies dtspcrdidit} d'autres fois elle signifie sa justice : In-
ventaturmamisttiao9nnibusinimtcistnis;à,aulres{o\s1
sa miséricorde : EmiUe manum tuam de alto, et ettpe
mè. Humihez-Tous beaucoup sous sa puissance, reconnais-
sant que c'est à elle seule de vous retirer du mauvais état
ou vous êtes, que vous ne pouvez rien de vous-même; que
m elle ne vous tenait par la main, vous tomberiez encore
dans de plus grandes fautes. Humiliez-vous sous sa justice,
avouant (pie toutes les afflictions qu'elle vous envoie el vous
enverra ne sont rien en comparaison de ce que vous méri-
te/. Humiliez-vous sous sa miséricorde, lui remontrant le
nd abîme de misères où vous êtes : Ahyssusabyssum
»us vous humiliez ainsi, sa puissance vous
i la main pour vous secourir, sa justice s'apaisera,
sa miséi Drde aura pitié de vous, vous donnera sa gràoa
en ce monde et sa gloire en l'autre. Amen,
SERMON CCLXXXIX.
DES CIllCOJSSTAINCES DU PECHE* DE MÀïttÊ-MADELlilflfc.
Erat in civitale peccatrix»
Elle élait pécheresse en la cité. (Luc. 7. 37.)
Comme le peintre qui veut faire une belle image a cou-
tume de griffonner premièrement sur la toile avec du char-
bon ou de la mine de plomb, les gros traits et les premières
ébauches, puis applique les vives couleurs et donne la per-
fection à son ouvrage; ainsi l'historien sacré avant que de
donner l'émail et le poli aux vertus admirables de Sle Ma-
deleine, ébauche sa peinture en racontant ses débauches,
et fait voir les noirceurs de cette pécheresse en exagérant les
circonstances de son péché , afin que les gros traits de ses
crimes rehaussent et relèvent l'éclat de ses vertus , et que
les ombres de ses misères donnent du jour et du lustre à la
miséricorde divine : Exagérât evangelista facinus mu-
lieris , ut accumulet indzilgenttam largitoris , dit
S. Pierre Chrysologue. Nous aurons aujourd'hui à consi-
dérer que ces dérèglements étaient des péchés de scandale,
d'ingratitude, d'habitude ; ce qui est exprimé en ces paro-
les : Erat in civitate peccatrix. Et ce seront les trois
points de ce discours.
1DEA SERMONIS.
Exordium. A. Scriptura sacra paucis verhis mulla ex-
primit.
Primum punctum. Prima circumstantia peccati Mag-
dalenœ, nempe scandait: B. \ ° Rejulaturqui errant
circa defuiitionem scandait. — G. 2° Explicatiir quid
sit scandalum, — D. 3° Quain perniciosam,
Secundum punctum. E. Secunda circumstantia , nempe
SKIiMO.N CCLVWIX. DES C1KCOISST ,, etc. 263
ifKjratitudinis : l ° Script ara. — F. 2° Pu tribus. —
G. 3' Ralionibus : Prima, Quia o/fendit bénéficia
Dei. — II. Secundo, ^ Et cjus honitatetti.
Tertium punclum. I. Tertia circumstantia,ncmpe con-
iUetuaintS) quam Sâtpé damnant sacrœ Scripturw.
I-XOiîDILM.
A. — [ Script ura. ) La bouche d'or do PEglise orien-
tale , S. Clirysoslôme , a sagement remarqué que le
Saint-Esprit dans un beau parallèle compare la parole
de Dieu à l'or, à l'argent et aux pierres précieuses : Elo~
quia Domini argent u m igné examina tum ; deside-
rahilia super aurum et lapidem pretiosum multum y
eest, dit ce grand docteur, pour vous apprendre que,
comme une petite quantité d'or ou d'argent vaut mieux In-
comparablement qu'une grosse masse de fer ou de plomb ,
(«mime une seule pierre précieuse est de plus grande valeur
qu'un grand nombre de pierres communes, ainsi une seule
jiarole de l'Ecriture sainte est beaucoup plus significative,
plus mystérieuse, plus féconde en riches conceptions, que
plusieurs livres des auteurs profanes. Il n'en faut point
d'autre preuve (pie l'Evangile qui nous entretient le reste
de celte mission ; l'historien sacré Ta couché en un style si
laconique, et si énergique , qu'en trois petites paroles il ex-
prime parfaitement tout ce qifon peut dire des causes , des
elTels et des circonstances du péché de Madeleine. Hier
nous considérions les causes, aujourd'hui nous avons à con-
sidérer les principales circonstances qui aggravaient son
péché ; il y en avait trois exprimées en ces paroles : Erai
in ciriiatc peccatrix; calait un péché de scandale , <Tin-
gratitude! d'habitude.
Primu.m Pi m i i.H. — Prima circumstantia , etc.
Erai in ciritu'e. Si elle n'eût été pécheresse que dans
13 maison, elle iiYui donne mauvais exemple qu1à ses do-
mestiques J si elle Peut été dans un bourgade de Béthanie,
eu dans un petit village , elle n'eut mal édifié qu'une poi-
264 SERMON CCLXXXIX* — DES CIRCONSTANCES
gnde (.le gens; elle est pécheresse dans une ville, dans uno
grande ville et dans une cité, in civilate ; elle ne peut
manquer de servir de scandale et de pierre d'achoppement
ù plusieurs personnes.
Pour connaître la grièveté de cette circonstance et nous
préserver de ce précipice, considérons premièrement ce que
c'est que le scandale. Le scandale, dit S. Thomas, c'est
une parole ou une action qui n'est pas droite, qui donne
occasion de péché à notre prochain.
B. — (1° Refutantur , etc.) Dictum vel facium mi-
nus rectum prœhens aliçui occasionem mince. Il faut
Lien peser toutes ces paroles. 1° Il dit : Prœbens occasion
nem ruinœ ; c'est une parole ou une action qui donne oc-
casion , non de déshonneur, d'infamie , de confusion , mais
de péché ; en quoi plusieurs s'abusent et parlent fort im-
proprement. Voilà, par exemple , une fille qui est sollicitée
au péché par un jeune homme, et en danger de succomber
et de se perdre; vous lui dites : Il y a beau remède d'éviter
ce piège; dites-le à votre père ou à votre mère , afin qu'on
le mette hors de la maison , ou qu'on ne lui donne plus fa-
cilement l'entrée ; dites-le à son supérieur , il le chapitrera
et l'enverra dans une autre maison. Si je le dis à mon père,
il le mettra dehors; on pensera qu'il a mal tourné , je le
scandaliserai. Voilà une belle excuse; voilà parler bien
proprement : vous le scandaliserez ! vous ne savez ce que
c'est que le scandale ; c'est lui qui vous scandalise , puis-
qu'il veut vous faire tomber dans le péché ; si vous étiez
bien chaste et bien résolue de ne pas consentir , vous fer-
meriez les yeux à toutes ces considérations , et vous le di-
riez à votre père ou à ceux qui peuvent y mettre ordre.
La crainte de Dieu est comme cette pierre qu'on nomme
Aurifilats , garde-trésor , on dit que si vous la mettez
sous le seuil de la porte , et qu'il y ait un trésor dans la
maison , sitôt que quelqu'un y entre elle résonne , ainsi
o^ime petite cloche, comme pour avertir qu'on prenne
garde. La crainte de Dieu en fait de même : sitôt que quel-
qu'un vous tient quelque propos qui ressent tant soit peu
DU PÛCUÛ Dl BINE. 265
: , on qui tend à quelque pèche* , si vous avez la
. • de Dieu vous crierez et vous le direz au supérieur ;
mne cria se trouvant seule surprise par deux im-
pudiques. Saint Bernard sentant une femme qui s'était glis-
quîI en sa chambre, pour l'induire à mal faire, cria
au larron : Si fures întroissent ad te , si lai roues jicr
w, (iiiomodo conticuisses? Si un larron étail entrd
m et commençait à crocheter vos coffres ,
i itiriez , ne crieriez-vous pas au larron ?
Iricz-vous de le scandaliser ? Cel homme veut vous dc.j
. la grâce de Dieu, mille fois plus précieuse que tous
le trésors du monde , et vous ne direz mot! il ne craint
le vous faire perdre votre chasteté , votre honneur,
voire corps, voire salut, voire éternité ; et vous craindrez
de lui faire perdre la bonne opinion que voire père , voire
, ou que ses supérieurs ont de lui ! Vous lui rendrez
la bon service, vous serez cause qu'on le retirera du
péché ; la charité vous y oblige , ce n'est pas le scandaliser,
lui rendre bon service. Oui , mais si je le déclare , ou
si je ne consens pas à ses folàf reries, je serai cause qu'il ju-
rera, I tsphèraera , reniera, Qu'il fasse ce qu'il voudra, en
faisant ce que vous devez ; vous n'en êtes pas cause , ce
un scandale , le scandale c'est une action ou une
parole qui n'est pas bien droite, minus rectum; si vous
faites une action commandée de Dieu ou de l'Eglise-, si
vous dites une parole utile et salutaire à quelqu'un, et qu'un
esprit mal fait en prenne occasion de pécher, vous n'ea
êtes pas coupable.
( S. — ( 2° Explicatur quid sit scandalum. ) Les
jardins ne doivent pas laisser de pousser des (leurs quoique
les mouches canlaridcs les changent en venin. Vous désirez
venir à l'église ouïr la messe en un jour de fête, ou enten-
dre le sermon , pour apprendre ce qui est de voire salut;
vous vous doutez que l'on vous jugera ignorante, vous n'éles
vous absenter , beaucoup moins de faire un
! moi tel ou véniel , de peur (pie quelqu'un n'en com-
.dir en jurant , pour vous excuser,
2(jÔ SERMON CCLXXXIX. — DES CIRCONSTANCES
de peur que votre mari ne blasphème. Mais la charité doit
souvent nous porter à faire plusieurs actions , auxquelles
d'ailleurs nous ne serions pas obligés; à les faire, dis— je ,
quand nous prévoyons que le prochain se candalisera , si
nous ne le faisons.
Encore plus sommes-nous obligés d'éviter un péché vé-
niel , ou même une action indifférente , que nous savons
pouvoir servir de scandale et d'occasion de péché. Vous
trouvez des gens dans le monde qui ne veulent pas jurer
mais veulent paraître le faire, pour paraître honnêtes hom-
mes , comme si on ne pouvait être honnête homme sans
être ou paraître ennemi de Dieu. lis ne veulent pas jurer
Dieu, mais il disent parbleu, morbleu, pardi, je renie celui
qui vendit Dieu; à la vérité ces façons de parier ne sont pas
des jurements, ni des péchés mortels, mais celui qui a bien
la crainte de Dieu s'en abstient tout-à-fait. Je vous pour-
rais dire là-dessus premièrement, que Jésus dit : Sitsermo
rester est, est} non, non : quod autem amplius est ,
a malo est, ex roo «rov^ov. Quand vous assurez quelque
chose , contentez-vous de dire : Cela est , ou cela n'est
pas; ce que vous ajoutez de plus vient du diable. En second
lieu, S. Paul dit qu'il ne faut pas seulement s'abstenir du
mal , mais de toute apparence de mal : Ah omni specle
mala ahstinete vos. Le péché est un si grand mal , que
la seule ombre en est odieuse et à craindre. Supposons que
le nom d'un exécrable parricide soit fort odieux au roi,
comme le nom de ce détestable qui nous ôta le meilleur de
nos rois. Si vous disiez souvent en présence du roi , non
pas le nom tout entier, mais une partie, ou quelques mois
qui en approchent, si vous disiez souvent devant le roi vailiac,
vaillac, ou liavail., liavail., vous offenseriez le roi. Dieu
a en horreur les blasphèmes et les jurements impics; vous
ne les dites pas tout-à-fait, mais à moitié , ardieu, ardkui,
pardi , etc. Il n'y a point de doute que vous ne déptâistci
au bon Dieu.
Mais j'aime mieux vous faire remarquer ce qui vient à
mon sujet l quand VOUS dites pardieu ou pardi, vous nejurcl
Dl PKC11JS UL MAKiii-MADiiLLliNi-:. 207
nais votre enfant, ou votre dohlestiqtie j on Noirci
ssien ne vous entendant pas bien, pense que vousjurcz,
et Ipprend à jurer, ou s'il n'apprrnd qu'à dire morbleu , je
renie celui qui vendit Dieu ; il arrivera après quêtant en
colère, il jurera Dieu toul-à-fait, par eette mauvaise habi-
tude; au lieu de renier celui (jui a vendu Dieu, pour le
faire plus court, il laissera les paroles qui sont entre deux ,
et reniera Dieu entièrement , et vous en serez cause. SU
termô tester eë$i esêj non^ non.
Supposez <pie paraître le sein découvert ne soit que péché
véniel , je ne le dis pas , mais supposons-le ; vous savez
ou devez savoir (pie cela ne se fait jamais sans être l'objet
de plusieurs mauvaises pensées et actes de concupiscence.
Si vous aviez un seul brin de vrai amour de Dieu , ne vous
en abstiendricz-VOUS pas ? Oui , votre chair scandalise le
prochain , et ce sein découvert , c'e*t proprement ce qui
s'appelle scandale.
D. — (.T Quant pcmiciosnm.) Vous me direz que ce
n%'- 1 pas votre intention , vous n^y atiaehez aucun mal, ce
n'eal qu'un peu de vanité , ou pour attirer quelque riche
parti ; mais cependant les âmes se perdent par votre vanité,
et votre prétention prétendue bonne. Que dites-vous de
ceux qui trafiquent avec le grand Turc , qui lui vendent
et prêtent des mousquets ou autres armes ? ils n'ont pas
mauvaise intention , ils ne désirent pas que le Turc s'en
serve contre les chrétiens , ne prétendent que débiter leur
marchandise, et en avoir de Tardent; laissent-ils de faire
mal, d'offenser Dieu, d'encourir l'excommunication réser-
u pape? VodS ne présentez pas les armes au Turc
pour tuer les corps des chrétiens , niais au maître du grand
I Satifl pour faire mourir les âmes. Ne pensez-vous
I i:, Miiis profanes, ces paroles déshonnèles ,
gorges découvertes, ces contenances
étudiées , sont autant de traits acérés dont Satan se sert
is ne prétendez pas cela, mais
■orive et vous en eie> Poccasion responsable , sujette à*
i et •• la malédiction terrible fulminée de
268 SERMON CCLXXXIX. DES CIRCONSTANCES
la bouche de Jésus le grand pontife : Vœ homini Mi per
quem scandalum venit! vœ mundo a scandalis ! Mal-
heur à l'homme par lequel le scandale arrive ! malheur
au monde à cause des scandales !
Un docteur moderne a remarqué que Jésus parle diver-
sement du scandale et des autres péchés; quand il parle
des autres péchés, il ne donne sa malédiction qu'aux per-
sonnes particulières qui en sont atteintes : Vœ vohis qui
ridetis ! vœ vohis divitibus ! mais quand il traite du
scandale , il ne lance pas seuleument l'anathème sur la per-
sonne scandaleuse, mais sur toutes les autres : Vœ mundo
a scandalis, comme pour dire qu'il y a la même différence
entre le scandale et les autres péchés , comme entre la
peste et les autres maladies. Les autres maladies n'endom-
magent pour l'ordinaire que les personnes qui en sont
atteintes ; si vous avez une hydropisie , une goutte , une
colique, vos voisins n'en sont pas pourtant incommodés; la
peste est un mal public, une maladie contagieuse , qui se
répand partout le voisinage; quand quelqu'un en est atteint,
il l'influe et la communique à plusieurs autres. L'avarice ,
l'orgueil , la paresse sont des vices particuliers et person-
nels, qui ne souillent que ceux qui en sont atteints; le
scandale est une peste spirituelle qui gâte et infecte toute la
communauté , et se communique par le commerce, par les
paroles, même quelquefois par la vue; peste beaucoup plus
maligne que la peste corporelle : celle-ci n'engendre ordi-
nairement qu'une autre peste, un péché de scandale engen-
dre souvent diverses espèces et genres de péché.
Vous sollicitez au mal cette fille qui était chaste et ver-
tueuse, vous ne voulez que votre plaisir, vous vous figurez
que vous ne serez cause que de ce péché en particulier
qu'elle commet avec vous; vous ne considérez pas qu'après
que vous lui aurez levé le voile de la honte, donné la pente
au vice, amorcé à la volupté, elle s'abandonnera à d'autres,
elle n'osera s'en confesser , commettra des sacrilèges ,
communiera indignement ; en étant soupçonnée , se parju-
rera pour assurer qu'il n'en est rien , devenue enceinte ,
1)1 PKCIIK DE MARIE-MADELEINE. 269
•i fruit, pour cacîicr son crime; vous soir/, [o
îipe cl la première eau e tic ces déshonneurs, s..
- indignes, parjures, infanticides,
me après votre morl on péchera pour vous , on com-
ii i serez responsable : Factum
culum ut reunte , non périrent
un pèrede famille estnn pilier de taverne,
! si >on fils n'esl pas un ivrogne; quand vous
êtes blasphémateur, ce sera presque un miracle si votre
enfanl n'apprend bas à jurer , comme il apprend à parler
français : parce qu'il vous entend parier français; ses enfants
vendront de lui , comme il l'a appris de vous , et les
its de ses enfants , et les arrière-neveux, jusqu'à la
rième, cinquième, sixième génération; et si vous êtes
i n enfer ou en purgatoire, vos supplices s'accroîtront autant
de fois qu'on jurera par voire mauvais exemple : car la
théol lêc sur l'Ecriture, dit que quand nous sommes
exemple de quelque bonne œuvre , ou de péché à la pos-
itons les effets, môme après la mort.
»is et S. Dominique reçoivent une joie particulière
: ; un< ccidentelle toutes les fois que leurs religieux
■ Dji quelque bonne œuwc , dont ils ont été cause : au con-
. si votre enfant apprend de vous à jurer, toutes les
l'il jurera ou ses descendants, à son exemple , votre
peine s'augmentera en enfer ou en purgatoire. Le mauvais
riche dans les enfers priait Dieu qu'on envoyât quelqu'un à
ivres pour les convertir; les damnés ont-ils de la
charité pour les vivants ? Sont-ils soigneux de notre salut ?
ntraire, ils sont comme les démons, ils voudraient,
que tout le monde fût damné ; mais il le faisait par amour-
' ropres intérêts ; il avait donné mauvais
n- son avarice et ses déhanches ; il
savait que leur damnation lui serait un surcroit de peine.
i s créatures vengeront sur nous les injures du
Créateur ; les âmes que non- aurons perdues vengeront
leurs propn i injures; le moindre dédain d'une pér-
ils csl insupportable, si elle ne vous
270 SEJiMOPJ CCLXXXIX.— DES CIRCONSTANCES
a regardé de bon œil, vous êtes dans la gène un jour entier,
Oh ! comme elle vous dédaignera, vous abhorrera , vous
maudira ! quelle vengeance , quelle hostilité , quelle rage
elle exercera sur vous! Méchant, vous dira-t-elle, méchant,
tu es cause que je suis ici , sans toi je régnerais avec les
bienheureux , et je brûle ici parmi les réprouvés ; si je ne
Savais jamais vu, je verrais Dieu à jamais. Oh ! oh ! si la
première fois que je te rencontrai j'eusse rencontré un loup-
garou qui m'eût déchiré et mise en pièces, la rencontre ne
m'eût pas été aussi funeste ! tu disais qu'il n'y ayait pas
grand mal, et c'était le plus grand de tous les maux; mal
infini, qui m'obligea ces tortures, et c'est pour une éternité,
et sans ressource.
Supposons que ce que vous espérez arrive , il arrive
rarement , mais supposons-le, que vous vous convertirez,
ferez pénitence , entrerez en religion , persévérerez en
grâce, serez sauvé; savez-vous si cette âme que vous solli-
citez au mal se convertira jamais et fera une vraie péni-
tence ; et si elle est damnée par votre faute , quand vous
serez dans le ciel , si vous n'étiez en un état de parfaite
félicité et incapable de tristesse, de quels yeux la regarde-
riez-vous? de quels yeux regarderiez-vous Jésus à qui elle
coûte si cher? ne diriez-vous pas, voyant Jésus : Quis ei
refundet innocentent sanguineni? quis ei restituât pre-
tium quo nos émit? Qui est-ce qui vous remboursera le
prix inestimable que cette âme vous coûte ? qui est-ce qui
vous pourra restituer le sang précieux que vous avez ré-
pandu pour elle ? Ne diriez-vous pas, en voyant cette âme :
Pauvre infortunée! que je t'ai fait grand tort! pour un
plaisir brûlai, je t'ai fait perdre les délices des anges ! pour
une volupté d'un quart-d'heure , je t'ai engagée à des souf-
frances éternelles! et ce qui est déplorable , je t'ai rendue
malheureuse, mais je ne te saurais soulager; j'ai eu le mal-
heur de te perdre , je ne te saurais sauver; je t'ai plongée
en cet abîme , je ne saurais t'en retirer : Quem vis con-
temnere pretîum ejus attende , et cum morte Christi
iotum mundum appende : ( S. Aug. sçrm, \ . 6. do
m; DB MARIB-»MAD£L£1N£. 271
verb, Domini, cap. 5. ) Voyez ce que vaut celle ftme que
vous von!./ perdre . ce qu'elle coûte au Fils du Dieu; si
tous les trésors «lu monde peuvenl contrebalancer les méri-
tes de la mort du Sauveur, et si c'est un si grand mal de
perdre une seule àme, de scandaliser un seul des plus petits,
unum e.v hispusillis, que sera-ce d'en perdre un si grand
nombre, connue on tait si aisément ? Et n'est-ce donc pas
avec juste raison que L'Evangéliste exagère le péché de Ma-
deleine, de ce qu'il était avec scandale en une grande ville :
Erai in civitate peccatotx,
secusdum punctum. — Secundo circumstantia , etc.
Ce mot de cité marque encore une autre circonstance
qui donnait du surcroît à la grièveté de son péché, péché
d'ingratitude. Si c'eut été une simple paysanne de quelque
village écarté , il y aurait, un peu d'excuse , telle sorte de
sont grossiers, idiots, ignorants , mai instruits , qui
ne connaissent l'importance du péché; si c'eût été à Home,
où Pou ne connaissait pas le vrai Dieu, où l'on adorait Vénus,
Cupidon, Jupiter et autres dieux adultères, elle aurait pré-
texte de pallier ses fautes par l'exemple des dieux qu'elle
eût adores : Q«o<l dira* decuil, cur mihi turpeputem ?
S eYùt été une pauvre servante ou une fille de la lie du peu-
ple, le péché en sciait moindre , elle dirait pour excuse que
pauvreté engendre malheur , nécessité est une dure mai-
tresse. Non, c'était dans une ville, dans une grande ville de
la Palestine , où Ton avait le culte du vrai Dieu , l'exercice
de la vraie religion , les livres de Moïse , la loi et les pro-
phètes; c'était une demoiselle noble , riche, bien alliée, qui
avait devant elle les bons exemples de son frère et de sa sœur;
tout cela l'obligeait à être vertueuse, tant de bienfaits de
Dieu la rendaient plus criminelle et faisaient que sou péché
était un péché d'ingratitude.
!-- I Scriptura.) Cesi cette circonstance que Dieu
; e : Ilœccine reddU Domino luo , papule
êtuite cl tnsipienë? nonne ip.se estpater tuus, quipos*
(*c*t9*tcrearith?(Dtut} 32.6.) Est-ce là ce ^ue
272 SEKMOJN CCLXXX1X. — DES CIRCONSTANCES
vous rendez à votre Dieu , peuple étourdi et insensé? n'est-
ii pas votre père qui vous à créé ? ne vous doit-il pas pos-
séder et avoir l'usage de votre vie? Et en Isaïe : (Isa. 1 . 2.)
j'ai nourri et élevé des enfants , et il mon méprisé ; et par
le prophète Osée : Juxta pascita sua adiwplcti sunt ,
et saturali, et levaverunt cor suum , et ohliti sunt met:
(Os. 13.6.) Après que je les ai rassasiés , ils sont devenus
arrogants et m'ont mis en oubli , je serai pour eux comme
une lionne et un léopard , et je les anéantirai : Ero eis
quasi leœna et sicitt pardus , et consumant eos.
F. — (2° Pair ib us.) C'est donc sagement que S. Gré-
goire nous dit : (homil. 9. inEvang. « Sollicite considerare
a nos admonet ne nos , qui plus cseteris in hoc mundo
« accepisse cernimur , ab auctore mundi gravius inde judi-
<c cemur ; cum enim augentur doua , rationes eliam cres-
« cunt donorum. » Mes frères, le saint Evangéliste nous
avertît de prendre garde soigneusement que nous ne soyons
jugés avec beaucoup de rigueur , parce que nous avons reçu
de Dieu plus de grâce que les autres , car il nous demande
un compte plus étroit à mesure qu'il augmente envers nous
ses bienfaits.
G. —(3° Rationibus. Prima, Quia.) La raison pour
laquelle ce vice d'ingratitude est si désagréable à Dieu ,
c'est qu'il ruine et anéantit en nous les effets de sa bonté, il
fait que ses bénédictions divines sont inefficaces , stériles et
inutiles. Si un héritage qui n'est point cultivé et ensemencé
demeure en friche , est hérissé d'épines et de chardons , ce
n'est pas chose étonnante , on n'y est pas trompé , on ne
s'en fâche pas ; si on n'y gagne rien , on n'y perd rien , on
n'y a rien , mais on n'y prend rien ; mais si une vigne qui a
été plantée avec beaucoup de frais , cultivée avec travail ,
engraissée , labourée , taillée , effeuillée avec grand soin ;
si , dis-je , une telle vigne est ingrate , ne donne des fruits,
cela afflige fort le père de famille , son espérance est frau-
dée , les frais qu'il y a faits sont perdus , le travail inutile ,
ses sueurs infructueuses. Si un habitant du Canada ou du
Sénégal ne prie pas Dieu , ne fait pas de bonnes œuvres ,
oui» Éc ni: d i; I 1 a R i i >m a d e l e i N r . 2 7 3
esl impudique et vicieux , quelle merveille ! Quomodo i'w-
voeabunt in (/hou non crediderunt ? quomodo credent
sine prœdicante? Mais vous qui êtes une vigne plantée de la
main de Dieu au terroir de l'Eglise , arrosée de ses sueurs
et de son sang , cultivée par tant de grâces , qu'au lieu de
produire de bons fruits , vous n'en portez que de mauvais ,
c\>( ce qu'il trouve bien étrange, c1est de quoi il se plaint
avec raison : « Ego te plantavi , vineam eleetam , omne
« semen verum , quomodo conversa es in pravum ? Ouid
« debui facere râiete mes et non feci ? expeclavi ut faec-
« rct uvas , et fceit labruscas. (Jerem. 2. 21 .-Isa. 5. 2.)
Que pouvait-on attendre d'un chrétien, d'un catholique, d'un
ecclésiastique qui a tant d'occasions de bien faire, tant de li-
vres de dévotions, tant de pères spirituels, tant de bons ex-
emples, tantde confréries, tant d'offices divins, sinon desfruits
mûrs et savoureux, des vertus parfaites et héroïque? et fecit
labruscas, et il n'a produit que du verjus, que des œuvres im-
parfaites, résolutions sans effet, bons propos qui ne s'accom-
plirent jamais En l'hébreu il y a beusein , uvas fœlentes ,
des actions infâmes et honteuses. Les Septante tournent:
Fecit autem spinas, elle n'a produit que des ronces, des ra-
pines, des concussions injustes, des oppressions des pauvres.
11. — {Secunda , Et ejusbonitatem.) Il y a bien plus,
les autres péchés ne combattent la bonté de Dieu qu'indi-
rectement , ils offensent directement sa souveraineté ; con-
trevenant à sa sainte ordonnance , sa bonté n'y est offensée
que par accident et sans dessein. Le vice d'ingratitude choque
cette divine bonté en droite ligne , lie les mains à Dieu ,
tarit la source de sa charité paternelle ; elle ferme les tré-
sors de sa libéralité infinie, elle arme la miséricorde de Dieu
contre cette même miséricorde ; elle fait (pie , par misé-
ricorde , Dieu vous refuse les effets de sa miséricorde. Ccst
S. Bernard qui remarque cette vérité dans un sermon qu'il
a fait contre le vice d'ingratitude , que pour cela il appelle
très méehai ae diamétralement opposé à la bonté
de Dieu.
i Hoc eliam demi ptja esse videlur, ingrate negarc quod
274 SERMON CCLXXXIX. DES CIRCONSTANCES
<( postulant : ne contingat nobis ut tanto gravius de ingra-
« ti tudine judicemur , quanto magis accumulatis beneficiis
« ïngrati probabimur extitîsse. Ergo misericordia res est
« in bac parte subtrahere misericordiam , quemadmodum
u iras et indignalionis , misericordiam exhibere , eam sane,
a de qua per Isaiarr dicit : Misereamur impio, et non disect
u facere justitiam. (Isa. 26. 10.)
L'inclination naturelle de la bonté et de la miséricorde
de Dieu est de faire du bien , comme le propre du soleil est
d'éclairer. Quand vous vous opposez à ce que cette bonté ne
répande sur vous ses bienfaits , vous lui faites violence et
l'offensez; mais quelle apparence de faire du bien à un ingrat?
il en abusera, le perdra, en sera plus coupable ; c'est donc
miséricorde de ne lui pas faire miséricorde. Ainsi la bonté
de Dieu met une digue à sa même bonté , empêche le flux
de ses grâces, fait violence à son inclination naturelle; n'est-
ce pas un grand inconvénient ? n'est-ce pas avec sujet qu'on
s'appesantit sur l'ingratitude de Madeleine , et qu'on dit*
Erat in civitate pcecalrix ?
primum punctum. — Tertia circumstantia , cic.
I. — {Consuetudinis , etc.) Ce mot de peccatrix no8$
fait conjecturer qu'elle continua quelque temps dans ses
dérèglements, puisque le saint Evangéliste l'appelle péche-
resse , et la troisième circonstaneequiaggravesa faute, c'est
que c'était un péché d'habitude et de récidive.
Quand vous voulez vous excuser de vos jurements , vous
dites : Il est vrai que j'ai juré le nom de Dieu, mais ce n'est
pas parmalice , c'est par coutume, c'est que j'ai cettefaçon
de parler ; c'est vous laver avec l'encre , ce n'est pas excu-
ser votre faute, mais l'exagérer et l'agrandir; c'est ce que
Dieu trouve fort mauvais , et qui vous rend fort criminel
devant lui , que vous avez coutume de l'offenser; tant s'en
faut que cette coutume diminue votre faute et la rende
vénielle , qu'au contraire , selon l'opinion de la plupart des
théologiens , quand vous avez coutume de jurer le nom de
Dieu . ou de faire un autre serment à toutnropos , sans re-
1)1 l'JCiii. DE UARIE-MÀDELBINB, 278
garderai roque vous dites est vrai ou non , vous commettez
n péché mortel toutes 1rs fois que vous jurez ainsi incon-
sidérément .vous vous mettez en danger de vous parjurer.
Potiorestfur, quam assiduitas r i ri mendacia: (Eeeli.
20, '21.) Celui qui est accoutumé à mentir est pire que le
(airon j tous deux ne valent rien , mais celui qui a coutume
de mentir vaut moins que le larron, et moins encore celui
qui a coutume de se parjurer. Si un de vos voisins est sur-
pris à voler une seule fois , vous en faites des railleries.
Hélas ! vous Nés bien plus criminel devant Dieu ; s'il a dé-
robé dix écus, il n'a commis qu'un péché mortel ;vous les
amassez petit à petit en vous parjurant, pour mieux vendre
rotre marchandise , vous en commettez cinq cents. C'est ce
qui met Dieu en colère , et qui montre que vous n'avez
point sa crainte quand vous retombez si souvent : Non est
Mis commutation et non timuemnt Deum : e.vten*
dit manum euam in retribuendo. (Ps. 54. 21 .) Perse-
\ rnr et s'endurcir dans le péché , les mois, les années, les
.(eux années entières, c'est un grand mépris de Dieu; c'est
M qu'il reprend si souvent par les prophètes , que Ton se
colle , qu'on s'attache , qu'on s'opiniàtre , qu'on s'obstine
et que l'on s'endurcisse dans le péché; il se plaint que vous
endurcissez votre cœur ■: Audiie me, duro corde , ultio-
nem accipiotn , et non mihi resistet homo: (Isa. 46 et 47.)
Ecoutez-moi , cœurs endurcis, je prendrai vengeance de
votre obstination sans que personne me résiste; il se plaint
que vous endurcissez votre face : Induraveruni >, [actes suas;
Je rem. 5.3.) votre cou : Induraverunt cervicem sua m.
Jerem. T. 26.) N'est-il pas vrai ? ne le voit-on pas par
expérience ? vous vous obstinez comme un Pharaon ; vous
avez une poitrine de fer , un cœur d'acier et de diamant qui
ne peut être amolli ni par inspirations, ni par prédications,
ni par les répréhensions, ni par les paroles , ni par les bons
exemples, ni par promesses, ni par menaces, ni par bienfaits.
^ ooa avez un front de courtisane, vous n'avez olus honte
de vos actions infâmes , vous vous en veniez en compagnie
vous vous glorifia des péchés même que vous n'avez pas
276 SERMON CCLXX&X. DES CIRCONSTANCES, etc.
faits , vous avec honte de n'être pas impudent , vous avez
endurci votre cou et vos épaules au coup que la justice de
Dieu donne , vous êtes insensible aux châtiments qu'elle
vous envoie : Percussisti eos , et non dolueruntf atiri-
visti eos ,et renuerunt accipere disciplinant. Dieu vous
a envoyé la guerre , la peste , la famine , des maladies, des
procès, des renversements de fortune, et vous ne démordez
pas d'un seul point de vos dissolutions.
Et bien ! puisque nous sommes si endurcis , au moins ,'
au moins prions Jésus de faire en notre cœur, par les prières
de sainte Madeleine , le même miracle qu'il fit à la sainte
Baume de Marseille, en faveur de la même Sainte: il amollit
le roc de la grotte , il y fit une ouverture capable de recevoir
le corps de cette sainte pénitente. Prions Jésus d'amollir
notre cœur par une secrète touche de sa grâce toute -puis*-
saute , qu'il en fasse une demeure convenable , où il puisse
loger agréablement en ce monde parsagrace ? et en l'autre
par sa gloire* Amen*
SERMON CCXC.
K PAS DIFFEREE LA PÉNITENCE AU TEMPS A VENIR.
alabastrummg
lu'clleconuut, otlo apport, une boite do parfum. a„c. 7. 87.)
J l présent nous avons considéré Blanc- Madeleine
comme pécheresse ; nous avons vu les causes , les eir o -
Unces, les effets de son péché : il est temps désormais de
LîT°.Dorer «** imiter comme pénitente. La première ré!
Jc?.on que 1 b.storien nous feït faire suc sa conversion , c'est
. ' '' • Prompte et diligente, elle n'usa point de remise
«Wl qu elle eut la connaissance , elle s'adressa au Fils de
^«•Cestce que nefont pas la plupart des chrétiens q„
£me«e»< h» conversion au temps à venir, ou même à
«trêmevetllesse. Cet abus est si pernicieux au sahÏÏes
&£££ ^ °b,igé,de ^ — P«*b pï
arrach, , de vos eœurs , avec la grâce de Dieu. Ce sera le
sujet de cette prédication.
1DEA SEltMOMS.
Vimum punclum. B.C^«-«0 «fi*. M, lWfo; __
B. , Scrtptura.—C. 2' Patribu». — D. 3" 6W,-
paralione.—E.A'J{atùme.
onclusio. O. P«r argumenta conghbata.
ic
278 SERMON CCXC. DE NE PAS DIFFERER j
EXORDIUM.
A. — {Vit a brevis , etc.) Ce que le docte Kippoerate
disait au commencement de ses Aphorismcs, parlant de la
médecine corporelle , nous pouvons rappliquer à la vertu de
pénitence qui est la médecine spirituelle : Vita brevis ,
ars longa; occasio prœceps , experimentum periculo-
sum. Noire vie est fort courte ; le psalmiste dit qu'elle n'est
que de septante ou de quatre-vingts et tant d'années ; l'en-
fance et la puérilité nous en retranchent une bonne partie,
une autre partie nous est rendue inutile par l'extrême vieil-
lesse ; le sommeil , les autres nécessités du corps nous en
retranchent au moins le tiers , tout cela étant rabattu et ce
qui reste étant bien calculé, se trouvera extrêmement court,
vita brevis, Ars longa, c'est un métier de longue haleine,
une haute et difficile entreprise de faire pénitence, apaiser
un Dieu courroucé, de satisfaire à une justice infinie pour
tant et tant de péchés que nous avons commis , si énormes,
si divers, en si grand nombre, ars long a. Occasio pree-
ceps , l'occasion vole avec précipitation , elle a des ailes aux
talons, elle s7écoule insensiblement, elle est chauve par
derrière , étant échappée elle ne peut se reprendre; quand
la commodité de faire pénitence est passée, on ne la retrouve
pas : Accipe se quoties offert occasio, calva est a tergo
et volucri labitur illapede. Experimentum periculo—
sum , l'expérience est dangereuse et de très grande impor-
tance, propter humant corporis dignitatem, dit Tinter—
prête d'Hippocrate ; et moi je dirai à mon propos, propter
animas ralionalis dignitatem. C'est une expérience bien
périlleuse d'éprouver si l'on a fait une vraie pénitence, il
n'y va pas moins que de notre àme et de notre salut éter-
nel ; si on expérimente à l'heure de la mort et au jugement
de Dieu que notre pénitence a été fausse, c'est une faute
irréparable : on ne la commet qu'une fois, mais c'est pour
une éternité.
D'où vient donc que nous perdons si follement les belles
occasion!) que Dieu nous présente de travailler aune œuvre
LA PKMTfil^CB AU TEMPS A VttMII. 279
! grande conséquence, remettant notre conversion à
l'extrême vieillesse ou au temps à venir qui peut-être ne sera
jamais pour nous? Je désire Lattre en ruine un abus si per-
nicieux, par trois puissantes raisons, en vous faisant voir
que eetle conversion que vous prétendez faire ci-après, pre-
mièrement , est incertaine 5 en second lieu, plus difficile j
en troisième lieu , moins fructueuse.
PttlMÙM ri.NCTUM. — Convevsio, de.
13. — (V Script ura.) On peut remarquer en la somme
de S. Thomas, qu'il réduit toutes les conclusions de sa théo-
logie ou médiatement ou immédiatement à un seul principe,
savoir : que Dieu est, ens a se, qifil à L'être de lui-même.
Ainsi on ne doit pas trouver étrange si une grande partie
tu s \ érilés morales que je prêche sont tirées de ce principe
que Dieu est maître de ses biens , qu'il est indépendant en
dons, qu'il U i l'ail à qui bon lui semble ; vous dites que
vous convertirez d'ici à quelque temps, que rien ne
se, que vous avez beau loisir; sachez (pie vous ne le
fer. 7. jamais sans une faveur particulière de Dieu ; sachez
qu'il ne la doit à personne , il ne Ta promise à aucun pé-
cheur, il la refuse à plusieurs, et quand vous différez à quitter
Votre mauvaise i ic, ajoutant péché sur péché, vous lui donnez
sujet de vous la refuser. Considérez les œuvres de Dieu et
vovez que celui qu'il a une fois méprisé , personne ne peut
le corriger, dit le Saint-Esprit par la bouche du Sage ; de
celle catégorie étaient ceux de Damas, de Tyr, de Moab
et autres dont le Créateur disait en Amos : (1 . et 2.) Non
cou vert a m* je ne les convertirai pas. De ce nombre étaient
lifs auxquels le Fils de Dieu disait : ( Joan. 8. 21 . )
Je m'en vais, et vous me chercherez, et vous mourrez en vo-
tre péché. Et ceux dont le saint Evangéliste disait (Joan.
|inU ne pouvaient croire, parce que Dieu les avait
aveuglés et endurcis pour n'être pas convertis, selon la nio-
qu'il en avait bute par haie. (Isa. (J. 10.)
C. — (2° Palribuê.) Cain aussi était en cet état, comme
ne nous l'enscign | • paroles remarquables
280 SERMON CCXC.—DE Ni* PAS DIFFERER
mais effroyables : « Gain divina voce admoneri potuit , et
« mutari non potuit, quoniam exigente culpa malitia?
« jam mtus Deus cor reliquerat, cui foris ad tcstimonium
« verba faciebat. » (S. Greg. lib. 41. Moral, cap. 5.)
S. Prosper, S. Fulgence, S. Isidore enseignent le même,
et le docteur de la grâce , S. Augustin , le répète très sou-
vent dans les livres qu'il a faits sur la grâce et en ses épitres,
(lib. de natura et gratia, cap. 2. et 8. et 9. Epist. ad Vi-
lalem, et lib. 4. in Jul. Cap. 6.) et ailleurs , voici ce qu'il
dit contre Julien : « Qui jamutuntur libero voluntatis ar-
« bitno, msi eo volente ac subveniente, a quo prœparatur
« voluntas, velle non possunt, ubi si dixeris mihi , cur ergo
« non convertit omnium nolentium voluntates ? respondebo
« cur non omnes morituros adoptât lavacro regeneralionis
(( infantes ? » Ceux qui ont l'usage de leur franc arbitre ne
peuvent vouloir le bien , si Dieu qui prépare la volonté ne
le veut et ne les assiste ; et si vous me dites pourquoi est-ce
donc que Dieu ne convertit pas tous ceux qui ont l'usage de
raison? Je vous répondrai pourquoi est-ce qu'il ne fait pas
recevoir au baptême tant de petits enfants qui meurent sans
ce sacrement? (Vide Vasq. Tom. \ . in 1 . part. disn. 97,
c. 5. et 6.
C'est donc une étrange folie, c'est bâtir sur le sable mou-
vant, c est jeter en l'air les fondements d'un édifice impor-
tant, cest établir un dessein de très grande conséquence
sur un événement incertain que de remettre votre conver-
sion à l'extrême vieillesse ou au temps à venir. Vous laissez
couler le temps, les occasions, les inspirations que Dieu
vous donne pour faire pénitence ; qui vous a dit qu'il vous
les donnera plus tard ?
D. — (3° Comparatione.) Supposons qu'il vous faille
nécessairement sortir de ce pays et passer la mer pour échap-
per à un danger évident de mort dont vous êtes menacé , et
qu a cet effet , vous n'ayez que quarante à cinquante jours
de loisir , au bout desquels si vous êtes au pays , vous êtes
perdu, on vous fera mourir infailliblement; quand on vous
dirait au quatrième , sixième , dixième, vingtième jour que
i v l'i U TEMPS A 1 imiî. 281
! ! vent est favorable, la mer calme , le temps serein et fort
commode à faire voile, si vous vous amusiez à ivrognerdans
«me taverne , ou à jouer dans un brelan , el si vous attendiez
les derniers huit jours auxquels il sérail incertain si le temps
serait propice à démarrer, ne dirait-on pas (pue vous êtes peu
avisé, peu soigneux de vous et île voire vie, mais plutôt
hors de votre bon sens? (Test ce que vous faites, c'est ce que
vous faites , et ou sous estime si sage, et vous voulez être
é si prudent, étant si insensé que vous Fêtes ! Vous
savez qu'il vous faut nécessairement sortir de la mauvaise
vie où vous êtes , qu1il faut passer par la mer amère de la pé-
nitence; «pie sans cela, c'est fait de vous, votre salut est
; que vous n'avez à cet effet que le temps de cette
vingt , trente , quarante ans, que vous ne pouvez rien
une faveur spéciale de Dieu , sans le vent favorable du
t-Espril , >aus son mouvement et son aide surnaturel,
(pie cela ne se donne pas à toute heure et à tout moment ;
un, deux, trois quatre ans qu'on vous présente les
s «le faire cela , que vous pouvez vous embarquer
heureusement sur la mer assurée de la pénitence, et vous
vous amusez à je ne sais quoi, et vous attendez jusqu'au der-
nier temps, quand peut-être le vent ne sera pas favorable,
quand Dieu ne voudra plus vous donner ces secours parti-
culiers, parce que vous les aurez démérités par l'énormité
et le grand nombre de vos offenses; où est votre jugement,
ou est votrr raison, ouest votre senseommun? Vous disposez
de vous , comme si vous ne releviez que de vous ; vous faites
le votre vie, comme si vous en étiez le maître ;
z de votre conversion, comme si elle ne dépendait
que d s : Je veux maintenant prendre mon
intenter ma passion , me venger de cet ennemi,
acquérir cet héritage; puis je me convertirai et je m'adon-
nerai ienl aux affaires de mon salut. Pauvre homme!
vous imaginez que Dieu prendra vos mesures , qu'il
ommodei projets, qu'il réglera ses pensées,
.^ ci -a conduite au niveau île vos téméraires peu-
US \ous iiompez.
282 SEKMON CCXC. DE NE PAS DIFFEUER
Vous avez, dites-vous, le loisir de vous convertir, et si
Dieu vous retire de ce monde inopinément ? vous vous con-
vertirez dans la vieillesse , et si vous mourez à la fleur de
voire âge ? vous ferez pénitence les années suivantes , et
si vous mourez cette année, comment la ferez-vous ? An-
tiques artis insidias inimicus repetit. L'esprit malin fait
aux hommes imprudents, comme l'apothicaire à son ma-
lade: quand il voit que son patient ne peut avaler une pilule
tout entière, parce qu'elle est trop grosse, il la coupe en
plusieurs parties, et les lui fait avaler en détail l'une après
l'autre. Satan pour séduire nos premiers parents et les faire
tombe)' au péché hardiment, leur dit : Nequaquam mo-
riemini : Vous ne mourrez pas ; à présent qu'il voit que
c'est une chose impossible de vous persuader que vous ne
mourrez pas, parce que vous voyez le contraire tous les jours
devant vos yeux , que fait-il ? il change de batterie , sans
changer de malice , il divise la pilule pour vous la faire ava-
ler, il vous dit : Nequaquam moriemini ta m cito y il vous
fait croire que vous ne mourrez pas cette année , que vous
avez encore au moins un an de vie; après cela il vous per-
suadera que ce ne sera pas l'année suivante, ni celle d'après;
ainsi petit à petit il vous persuade en détail ce que vous no
vouliez pas croire en général, que vous ne mourrez point,
jusqu'à ce que, comme à nos premiers parents, l'expérience
nous fasse voir le contraire, lorsque tout d'un coup, vous
serez surpris quand vous y penserez le moins,
E. — ■ (4° Ratione.) Pallidamors cequo puisât pede
pauperum tahevnas reg unique turres. Cette antithèse
est fort naïve, la mort ne fait pas comme nous; elle est
sourde, aveugle, incivile, elle ne fait acception de personne.
Quand nous allons à la maison d'un grand pour lui parler
de quelque affaire, nous frappons à la porte du bout des
doigts si doucement qu'il semble que nous craignons qu'il
ne nous entende; nous demandons si monsieur est levé, s'il
est à table, s'il n'est point empêché , nous ne vouions point
l'incommoder , nous reviendrons bien une autrefois; quand
nous allons à la maison d'un pauvre; nous frappons rude-
FA PENITENCE AU TKMPS A VKNIR. 428)J
ment du pied , et en frappant nous entrons, à quelle heure
que oe soit < sans nous informer si c'est sur son repas , si
l'incommoderons. La mort ne fait pas ainsi : vF.quo
puisât pede pauperum iabernas regumque turres , elle
frappe brusquement du pied, elle entre à l'improvislcdans
la maison dos présidents, des princes, des empereurs; il
il n'y a pas de suisse , d'archer, ni de corps-de-garde qui
ni l'empêcher de se glisser jusqu'au cabinet du roi, et
( lie ne demande point s1il est jour en la cour , elle ne s'in-
forme point si Ton est empêché , et elle ne dit point qu'elle
reviendra une autre fois.
Omnia surit hominum tenui pendentia filo. On ad-
mire la témérité de ceux qui dansent sur la corde; la vôtre
est bien plus étrange : vous dansez , vous jouez , vous han-
quelcz, vous folâtrez, non sur la corde mais sur un filet.
!Si un homme était eu Pair bien haut, ne tenant qu'à une
le , et a\ ant un abîme profond sous ses pieds, en quelle
frayeur et détresse serait-il ? et quand on lui dirait : Vou-
lez-vous qu'on bouche cet abime avec un lit de plume, afin
que si vous tombez, vous tombiez mollement? s'il disait :
Demain, d'ici à huit jouis, quelle folie serait-ce ! Tous vos
lus ne tiennent qu'au filet de votre vie , qui est plus
mince et plus déliée mille fois qu'une ficelle; car on pourrait
jeter quinze verres d'eau sur une ficelle sans qu'elle rompit,
et il ne faut qu'un verre d'eau froide , ou une petite humeur
qui tombe du cerveau pour rompre le fil de votre vie, et pour
faire tomber dans l'abîme de damnation qui est sous
vuti^. el cela sans ressource, et pour jamais. On vous dit:
ertissez-f ous , faites pénitence, pratiquez la vertu; si
ainsi , quand le fil de votre vie se rompra et
I tomberez par la mort, Dieu vous présentera la
SI grâce comme un oreiller de plume, afin que vous
i : Cum cecideril non coHidclui\ quia
m suamj et vous dites : L'année
qui rienl onverlirai, je sortirai du péril évident où
j" t-il tél. drild cl folie semblable à celle-là?
fc#4 SERMON CCXC. DE NE PAS DIFFERER -*
SECUNDUM PUNCTUM. Erit dificiliov, de.
Mais quand vous ne seriez pas surpris d'une mort sou-
daine, quand votre vie serait de cent ans, c'est une folie de
croire que vous vous convertirez plus aisément en l'arrière-
saison de votre âge , ou au temps à venir qu'à présent. La
parole de Dieu vous le dit expressément : Adolescensjuxla
viam suam, etiam cum sentier it , non recedet ab ea:
Il arrive rarement qu'un homme se retire en sa vieillesse du
chemin qu'il a suivi quand il était jeûne; et par Jérémie :
Si un nègre d'Ethiopie peut quitter sa noirceur naturelle ,
et un léopard ses tavelures, vous pourrez devenir vertueux
quand vous vous êtes accoutumés au vice.
F— (1° Scriptura.) Le Saint-Esprit parlant des mala-
dies de l'âme, dit en deux petits mots ce qu'Hippocrate dit
en deux aphorismes des maladies du corps. Hippocrate dit,
premièrement, en l'aphorisme vingt-huit de la section troi-
sième : Quicumque morbi parvulis perdurarint, neque
circa pubertatem desieriîit, Us consenescere consueve-
runt: Les maladies qui arrivent aux enfants en la première
année de leur vie, et qui s'en vont à l'âge de puberté, à qua-
torze, quinze ans ou environ, durent ordinairement jusqu'à
la vieillesse. Puis en l'aphorisme trente-neuf de la section
seconde, il dit : Quicumque morbi senibus occidunt diu-
turni, magna ex parte Us commoriuntur : Les maladies
un peu longues qui arrivent aux vieillards les conduisent
et les accompagnent ordinairement jusqu'au tombeau : la
raison que les interprètes en apportent, c'est que la chaleur
naturelle a coutume de combattre et de dissiper les mau-
vaises humeurs qui causent les maladies, et elle est fort
affaiblie et languissante chez les vieillards. Joignez en-
semble ces deux aphorismes , etspiritualisez-les, vous ferez
une très bonne démonstration qui est fort à mon propos : si
les maladies qui ne nous quittent pas en notre adolescence
nous conduisent jusqu'à la vieillesse, si les maladies des vieil-
lards les acheminent jusqu'à la mort, iis'ensuit infailliblement
que les maladies qui no nous quittent pas en la jeunesse, per-
LA PENITENCE A.U TEMPS A VENIR. '2$?*
ent jusqu'au tombeau ; cela est plus vrai des maladies
spiriUi le Saint-Esprit le dit presque en mêmes ter-
[u'Hippocrate : Ossa ejus replebuniur vit Us adoles-
centiœ suœ ; J<>1>. 20. 1 1 .) voilà le premier aphorisme;
in pulvere dormient / voilà le second. Les
maladies de Pâme, les mauvaises inclinations, les habitudes
vicieuses qu'on ne quitte pas de bonne heure, quand on
commence à avoir l'âge de discrétion et le jugement bien
entier, à Page de quinze, vingt, vingt-cinq ans, on les retient
l'a la vieillesse, et la vieillesse étant faible, débile, im-
puissante , paresseuse , qui ne se peut violenter, qui ne peut
faire des mortifications, qui ne pense qu'à entretenir le peu
de vie qui lui reste , rarement se défait des mauvaises habi—
: j'en prends à témoin tous les vieillards qui m'écou-
teni et qui savent bien que je dis vrai, et qui expérimentent
i leur grand regret la vérité de ce que je dis, s'il n'est pas
vrai qu'ils ont les mêmes habitudes qu'ils avaient en la jeu-
. qu'ils sont aussi enclins au jurement, à la médisance,
►1ère, à l'avance, qu'ils Pétaient a Page de trente ans,
tonnent quelquefois d'eux-mêmes : la nature abhorre
'impureté en leur âge, et toutefois i's s'y sentent quelque-
ris si cruellement, qu'ils ne peuvent s'en affran-
ils gémissent sous celte tyrannie, dans les frimais et
hiver de leur âge ; Us sont pressés des ardeurs de la cani-
cule terrestre, ou pour mieux dire infernale ; il est vrai que
a première nature abhorre la lubricité en leur Age; mais la
le nature, qui est la coutume, est entrée dans les droits
première ; et si le premier aphorisme du Saint-Esprit
se vériGe en eux, (pie les maladies de leur jeunesse les ont
induits jusqu'à la vieillesse, aesa connu rcpîcta sunt
, qui doute que si Dieu ne fait \\n
s'ils ne >e foui un très grand effort, le second
iphorisme se trouvera aussi véritable, que ces vices leur
lemeureront jusqu'à l'heure de la mort? Et cum iis in
wloere dormient,
(,. — f2 Patribus.) Saint Augustin a judicieusement
| Mie le Fils de Dieu, (Marc 5. -VI .) pour ressus-
C6Ô feliKMOW CCXC. DU N.E PAS DIFFÉRER
cile^lc Lazare, se comporta bien autrement que pour ressn*
citer la fille du prince de la synagogue. Pour ressusciter
cette jeune fille, il ne fit que la prendre doucement par la
main , et lui dire : Ma fille , levez-vous , comme s'il Tcût
réveillée d'un doux sommeil ; pour ressusciter le Lazare,
il frémit deux fois en son esprit, il se troubla, il pleura, il
cria à haute voix : Lazare , veni foras ; ce n'est pas qu'il
eût plus de peine de ressusciter l'un que l'autre , puisqu'il
ressuscitera tous les hommes à la fin des siècles, en un mo-
ment , en un clin-d'œil , comme dit l'apôtre ; mais ce fut
pour montrer qu'il y a des pécheurs qui se convertissent
bien plus difficilement que d'autres. Celui qui étant tombé
par fragilité humaine a recours promptement au Fils de
Dieu, et lui dit, comme Jaïrus : Mon âme vient de mourir ;
il est aisément ressuscité ; mais celui qui est à demi pourri
tomme le Lazare, enseveli et garrotté de ses mauvaises
îiabiludes , couvert de la pierre de son endurcissement , ne
retourne pas à la vie de la grâce si aisément ; il faut des
frayeurs, des cris, des pleurs, des gémissements, de grands
cilorls et de grandes violences sur soi-même.
II. — (3° Rationibus.) Comme la coutume ôte ou di-
minue beaucoup le sentiment d'un mal : Sensumquemali
duniaxat usas , on ne se pique pas de zèle pour se décla-
rer la guerre, et se surmonter soi-même.
Le sacrement de pénitence n'est pas plus efficace que le
baptême ; le baptême eiïace le péché quant à la coulpe cl
quant à la peine , mais il n'ôte pas les dispositions et encore
moins les habitudes que vous avez contractées par votre
mauvaise vie ; et si le baptême ne les ôte pas , peut-on es-
pérer que la pénitence les ôte, puisque le baptême est une
naissance qui donne un être nouveau , et la pénitence est
une convalescence qui laisse les dégoûts , les faiblesses cl
autres restes de la maladie? Dieu attire les hommes comme
l'aimant attire le fer; chose admirable , mais véritable , et
que l'on peut aisément vérifier par expérience. Prenez une
pirouette, dont le clou qui est au milieu suit de fer, faites
la tourner sur une table; pendant qu'elle tourne, :q»pn/*
r A PI MTFNCIC KV TEMPS A VFMR. 287
re d'aimant , cette pierre attirera la pi-»
Ke, la joindra à elle, la tiendra comme suspendus en
lV.il-, mais elle tournera sous la pierre d'aimant aussi long-
temps et de même façon qu'elle cùl tourne sur la table : c'est
MM l'aimant attirant le fer, ne lui ote pas sa nature, ni
même le branle et le mouvement qu'on lui a donne4 ; d'ail-
leurs , si vous espères (jue le bon Dieu , ce très aimable et
di\ in aimant , attirera quelque jour votre cœur de ter, quo
\ous vous convertirez et ferez religieux, Dieu le veuille !
l'aixuis que cela soil ; pensez-vous qu'en changeant d'habit,
fOUfl changerez aussitôt d'esprit, dénature, d'affection,
d'inclination, de coutume? vous vous (rompez : la grâce
a! lire suavement ; elle ne fait pas pour l'ordinaire ces nota-
Ides changements; elle vous laissera dans la pente du pé-
ché, dans le branle et le mouvement vicieux où elle vous
trouvera. D'où pensez-vous que vienne l'inconstance de ses
jeunes gens qui entrent en religion , et puis en sortent lâ-
chement sans faire profession, et même deviennent apostats
après Bîoir fait des vœux? c'est que quand ils étaient au
monde, ils se sont abandonnés à diverses dissolutions et
déhanches, sous prétexte qu'ils voulaient cire religieux , et
qu'ils feraient pénitence. Au commencement de leur novi-
ciat, leurs passions et mauvaises habitudes leur ont donne*
un peu de trêve , à cause de la nouveauté de l'état ; quand
celle première ferveur s'est ralentie, leurs vices se sont ré-
V! iilés , cl ont recommencé la guerre.
J. — (4° Comparatîonc. ) Supposons qu'il y ait ici \m
;!.>!,; qui m'incommode, et que je frappe dessus à grands
coups de marteau ; si vous me demandiez : Que voulez- vous
i prétends arracher ce clou; vous diriez : Le père
|MM m son I ■■■'U Si lis ; ne voit-il pas qu'à chaque coup
qu'il donne, il imlomv ce clou déplus en plus , et qu'il ang-
e la difficulté qu'il aura de l'arracher? Vous avez en
voire âme un clou qui blesse votre conscience , la mauvaise
habitude que vous avez de jurer, de maudire, de faire des
saletés ; vous dites que vous l'arracherez d'ici à un an; pau-
\ie liom • ! ne voyez-vous pas que toutes les lois que nous
288 SERMON CCXC. — DE NE PAS DIFFERER
jurez , toutes les fois que vous commettez le péché , vous
enracinez de plus en plus l'habitude.
tertium punctum. — Erit infructuosa , etc.
L. — (1 ° Scriptura.) Et puis supposons que vous arra-
chiez ce clou , que vous corrigiez quelque jour toutes vos
mauvaises habitudes , est-ce assez pour être sauvé de ne
point faire de mal , de n'être atteint d'aucun vice ? ne faut-
il pas acquérir les habitudes des vertus? Ne savez-vous pas
que la gloire du ciel nous est proposée comme une coin
ronne ? Et qui a jamais vu qu'un soldat ait été couronné pour
n'avoir fait d'autre exploit dans la guerre , sinon qu'il n'y
est pas mort? Que deviendrait cette parole de S. Paul :
Personne ne sera couronné s'il n'a légitimement combattu ?
Ne savez-vous pas que la béatitude nous est promise comme
un loyer ? Et qui a jamais ouï qu'on ait donné le salaire à
un ouvrier ou serviteur qui n'a rendu d'autre service , sinon
qu'il n'a rien gâté ? Que deviendrait cette parole du Sage :
(5. 16.) Dieu récompensera les travaux de ses Saints ? Ne
savez-vous pas que pour être sauvé, il faut achever l'ouvrage
et atteindre à la perfection que Dieu demande de vous ? Il
faut que vous puissiez dire à la fin de votre vie comme le Fils
de Dieu disait à la veille de sa mort : Opus consummavi ,
quod dedlsti mihi : (Joan. 17; 4. ) 'J'ai accompli l'œiiyre
que vous m'aviez donnée ; et comme son Apôtre : Cursum
consummavi : (2, Timoth. 4. 7.) J'ai achevé ma course.
M. — (2° Ratione , etc. ) Ne voyez-vous pas que les
prières que vous faites, les aumônes que vous donnez , les
bonnes œuvres que vous pratiquez , vous pourraient pro-
duire des joies , des délices , des récompenses , des félicités
inestimables dans toute l'étendue des siècles ? et vous en
perdez le mérite irrévocablement et sans ressource , en dif-
férant votre conversion, parce que vous les faites en mau-
vais état.
N. — (3° Responsione , etc.) Je vois bien ce qui vous
flatte , et sur quoi l'ennemi vous séduit ; S. Paul , dites-
vous, était un grand persécuteur des chrétiens , et il devînt
IA PENITENCE Al TEMPS a VKN1R.
en fort peti de temps un vaisseau d'élection et un docteur
des gentils ; S. Matthieu était un gabeleur, et il fut fait efl
un moment un grand apôtre et un évangéliste ; Ste Made-
leine , après tant de débauches, devint en moins de rien la
bien-aîmée du Fils de Dieu et une séraphine. Pauvre homme!
pauvre homme ! ne voyez— vous pas que c'est un artifice dy
diable et une pure tiomperie ; eVst comme si vous disiez?
Au commencement du monde la terre produisit des arbres,
1 1 les arbres furent chargés de fruits en un moment , donc
tous les héritages et tous les arbres du monde doivent main-
tenant faire de même. Le premier homme et la première
femme eurent dès le commencement la taille et la juste gran-
deur que nous avons à trente-trois ans , donc tous les hom-
mes et toutes les femmes doivent semblablement croître
dans un moment ou dans un jour. Et qui ne sait pas qu'en
l'établissement du monde Dieu voulut faire des ehefs-d'ceu-
vre dans l'ordre de la nature, parce qu'il le jugea nécessaire;
et qu'en l'établissement de l'Eglise, il voulut faire des chefs-
d'œuvre cl des miracles en Tordre de grâce, parce qu'il la
jugea expédient ; mais qu'il ne le fait plus , ni en l'ordre de
nature , ni en Tordre de grâce , parce qu'il ne le juge pas à
•s ? Qui ne voit par expérience que les arbres produi-
sent petit à petit , (pie les enfants croissent peu à peu , que
les habitudes s'acquièrent par divers actes, que les gens de
bien s'acheminent à la perfection de degré en degré : Ibunt
de virtute in rirtutem, et que Dieu a voulu que le voyage,
le mérite, la victoire des anges s'accomplit en un moment;
mais que le voyage , le mérite et la victoire des hommes sg
fit av -ion de temps ? comment pourrez-vous donc
dire en ce peu de temps qui vous reste dans la vieillesse,
l'à peine les autres peuvent faire dans l'espace de plu*
CONCLLSIO.
0. — Ecoutez donc et mettez en pratique ce conseil que
1 Jiine : « Mémento Crealoris lui in diebus ju-
Utotis lu* , antcquaui veniat tempos aflliclionis , et an-
290 SERMON CCXC. DE NE PAS DIFFERER
« propinquent anni de quibus dicas : Non mihi placent ; quo<
« niam ibit homo in domum aeternilatis snse. (Eccl. 12.
« 1.5.) Mémento Creatoris lui. » Celui qui vous invite
par ma bouche à vous convertir, c'est Dieu , qui vous a
créé ; votre vie n'est-elle pas à lui ? à qui appartient un ar-
bre si ce n'est à celui qui Ta planté en son temps ? si votre
vie est à lui , n'est-ce pas un larcin et une espèce de sacri-
lège de lui en dérober une partie? Si Salomon eût été comme
nous en la loi de grâce , il eût dit : Mémento Redemp to-
rts tut. Le Fils de Dieu pour vous racheter a donné sa
propre vie, sa vie divine et précieuse ; il a employé pour vo-
tre salut toutes les années, tous les mois, les jours, les
heures, les moments de sa vie, depuis le premier instant
jusqu'au dernier soupir, et vous ne voulez lui donner que
la fin et le plus mauvais de votre yie I ce temps que vous
perdez si follement , et à votre avis , si impunément , vous
a été acheté par le Sauveur pour faire pénitence , vous n'en
avez pas un seul moment qui ne lui coûte bien cher, qu'il
n'ait acquis au prix de son sang; vous verrez qu'un jour il
vous en fera rendre compte , et vous direz : Vocavit ad-
versum me le m pus.
In diebus juventutis tuœ. Quand vous aurez le loisir,
la force , la vigueur de porter les austérités de la pénitence,
honora Dominum de tua suhstantia et de primitiis ;
n'est-ce pas raisonnable que Dieu ait le plus beau, le meil-
leur, le plus précieux de toute chose, la fleur, la crème ,
les prémices , les premiers fruits de votre vie? Anlequam
ventât tempus afflictionis ; donnez-vous à Dieu et faites
pénitence avant le temps de la vieillesse qui d'elle-même
n'est que trop incommodée et affligée, sans la surcharger des
travaux et mortifications de la pénitence.
afflictionis (il y a au grec xax/«f, malitiœ) suffîcit
diei malitia sua, dit le Fils de Dieu , sufpcit senectuti
malitia sua; vous serez assez empêché en la vieillesse de
satisfaire à la justice de Dieu pour les péchés de la vieillesse
même ; comment le pourrez-vous faire pour tant d'excès ,
tant de débauches , tant d'abominations de Tadolescence -
de la jeunesse, et de l'âge viril ?
LA PÉNlTfiftCti u rfiMPS V U.NlIt. 291
.-f/Jh'ctiotu's. Si \ow> ne recourez au Fils de Dieu, si
vous Fie l'aimez et ne le servez que dans l'affliction de la
vieillesse, il aura sujet de vous rebuter et devous dire comme
Thémistocle aux Athéniens : Vous ne vous adressez à moi
qu'à IV\li emite, vous ne me faites la cour que lorsque vous
ne VOUS pouvez passer de mon assistance, comme les voya-
geurs ne recourent à un arbre qu!au temps de l'orage pour
se mettre à couvert de la pluie.
ïiêquam reniant (lies de quibus die as : Non mihi
plaeent. Pensez-vous que Dieu veuille agréer ce temp-5 de
votre vieillesse qui vous sera désagréable? vous ne lui voulez
présenter que cet âge qui vous déplaira; un présent si indi-
gne de lui , pourra-t-il lui plaire ? Non mihi placent ;
en hébreu il y a Kepbets, non est mihi negotium in eis;
vous ne réservez à Dieu que le temps auquel vous ne pouvez
rien faire.
Ibit homo in domion œternitatis suœ. S. Chrysos-
el S. Augustin disent fort bien : Pour mériter une
té de repos et de joie, il faudrait une éternité de
travaux el de peines; Dieu ne vous y oblige pas, mais par
me bonté ineffable, il se contente du temps de votre vie qui
t si comte, pourquoi eu retranchez-vous une partie?
I fernitatis suœ, ou selon l'hébreu seculi sut. Le
mps de celte vie , eVst le siècle de Dieu , il le destine à
on service; je temps à venir, cVst votre siècle, il est destiné
votre béatitude. Toutes les choses ont leur saison, ne
ei sertissez pas Tordre établi de Dieu : si vous employez
ix délices de votre chair , aux contentements de votre
mour-propre I,- temps qui est destiné au service de Dieu,
•lui qui était destin,: à votre bonheur sera employé à votre
m pendant cette vie vous ménagez bien le
qui esl destiné au service de Dieu, quand vous serez
iècle, Dieu vous récompensera, il vous
dirai plus elje parlerai après lui, il vous servira :
ransienê ministrabii Mis. Amen.
SERMON CCXCI.
DE NE PAS DIFFÉRER LA PENITENCE A L'ilEURE DE
LA MORT.
Ut corjnovit , attulit alabastrum unguenti.
Aussitôt qu'elle connut , elle apporta une boite de parfum. (Luc. 7. 37.
Si c'est une chose si dangereuse pour le salut éternel ,
comme nous Pavons vu, de différer notre conversion jusqu'à
l'extrême vieillesse ou au temps à venir, à plus forle raison
est—il dangereux de la remettre à l'heure de la mort ou à
la dernière maladie ; et toutefois nous voyons que la plus
grande partie des pécheurs sont en cette erreur, que pourvu
qu'ils ne soient pas surpris de mort soudaine, et qu'ils aient
le loisir de recevoir les sacrements dont l'Eglise a coutume
d'aider les fidèles, ils sont en voie de salut. Je désire arra-
cher cette erreur de vos cœurs , moyennant la grâce de
Dieu, et vous faire voir que très probablement, si la der-
nière maladie vous arrive avant que de vous convertir , le
sacrement de pénitence et par conséquent les ufeux autres
vous seront inutiles et infructueux. Ce sera le sujet de celte
yédication, priez Dieu qu'il vous rende attentifs et dociles-;,
IDEA SERMONIS.
Primum punctum. A. In articulo mortis contritio j)ro-
babiliter non est supernaturalis . — B. Nec cor-
dialis.
Secundum punctum. C. Tune confessio non est intégra
oh defectum confident ice — D. Tel temporis. —
E. Vel memoriœ.
Tertium punctum. F. Tune satisfactio non potest fieri
Deo. — G. Nec proximo.
Conclusio. H. Paraphrasis illorum verborum : Dispona
domui tu».
BBRMON CCXCI. — nr. RE pas DU PBBBB, etc. 293
I es conciles de l'Eglise ont déclaré que le sacrement de
pénitence esl compose de trois parties, si souvent répétées
et si mal pratiquées : la contrition du coeur, la confession de
bouche, et la satisfaction d'oeuvre; contrition, qui doit cire
surnaturelle et cordiale; confession, qui doit être diligente
et entière ; satisfaction , qui doit se faire à Dieu et aux
hommes. Et je désire vous montrer que très probablement
toutes ces choses ?OUS manqueront, si vous attendez de
quitter votre mauvaise vie jusqu'à la dernière maladie.
primi m PUNCTOM, — In articula moriis, etc.
A. — ( Contriiio, clc. ) L'école de théologie avoue
sans aucun contredit, après Tavoir appris du Prophète royal,
que toutes les œuvres de Dieu sont très grandes et très admi-
rables : Magna opéra Domini; Mirabilia opéra tua;
mais afin de donner à chacune le prix, L'estime et la recon-
nue qu'elle mérite, on dispute parmi les docteurs, pour
savoir si la conversion d'un pécheur est la plus grande, la
pins difficile et la plus admirable de toutes les œuvres de
Dieu : Utrumjustificaiio impiisit maximum opusDei.
S. Thomas propose cette question en ces mêmes termes,
et repond affirmativement. (1. 2. q. 113. art. 9. )
Quelques docteurs apportent pour raison de celte conclu-
sien, que dans l'œuvre de la création, de la conservation et
de la résurrection des morts , il n'y a rien qui résiste à la
puissance de Dieu. Le néant d'où nous sommes tirés par
la création , la poussière d'où nous sommes relevés par la
résurrection n'ayant point de pouvoir , n'ont point d'oppo-
sition , point de résistance ; mais dans la justification , la
folonté de l'homme qui est libre et maîtresse de ses actions,
l l'opération de Dieu par le malheureux pouvoir de
ion libéral arbitre. Je ne veux pas m'arrêter à cette raison;
i qu'elle esl souvent rebattue dans les écoles et en
Hk,m lliomas ne l'allègue pas dans cet article, ou
ette question à fond. S. Bernard en apporte une
Mm qui n'est pas si commune, et qui mérite néan-
moins, ce me semble , d'être autant considérée , et encore
294 SERMON CCXCI. DE NE PAS DIFFERER
plus; c'est que pour convertir un pécheur, il ne faut pas
seulement que Dieu combatte et surmonte Jâ créature, maïs
aussi qu'il se combatte et surmonte, en quelque façon, lui-
même. Vous savez que même parmi les hommes , celui qui
a le pouvoir de se vaincre lui-même , fait plus admirer et
loyer sa valeur , que s'il faisait brèche à des remparts les
mieux bastionnés , et à des citadelles assises sur le roc :
Fortior est qui sese, quam qui fortissimo, vincitmœnia.
Quand une âme chrétienne est en état de péché , la miséri-
corde de Dieu et sa justice adorable sont comme en litige.
^ En cette occasion, si le pécheur est converti, la misé-
ricorde gagne son procès , elle surmonte, supplante, sup-
prime la justice, s'il est permis d'ainsi parler : Misericor-
dia superexaltat judicium ; yixraxzvxxrzi.
Ne savons-nous pas que la justice de Dieu et ses autres
perfections sont une même chose avec son essence ? il faut
donc que Dieu se surmonte, se fasse violence, qu'il triomphe
de lui-même pour convertir un pécheur ; ce qui fait dire à
S. Bernard : Amor triumphat de Deo ; ce qui fait que
1 Eglise dit à Jésus : Quœ te vicit clementia, ipsa te cogat
pietas , ut niala nostra superes parcendo : Que cette
clémence qui vous a obligé de prendre sur vous nos crimes,
que cette même piété vous contraigne à nous pardonner
nos péchés.
Ce discours montre évidemment que de persévérer en
vos débordements jusqu'à la veille de votre mort, c'est la
plus haute folie et la plus effroyable témérité qui puisse
s'imaginer; car l'Eglise dit dans l'office divin, que d'autant
une âme se rend plus agréable à Dieu , il lui fait des dons
d'autant plus précieux : Quanto majestati tuœ fit gra-
hor , tanto donis poliorïbus augeatur. Vous ne vous
convertirez jamais , si Dieu ne vous donne la repentance ,
qui est le don le plus avantageux qu'il puisse faire à un
pécheur, s'il ne fait en vous un chef-d'œuvre de sa toute-
puissance, maximum opus Dei , s'il ne fait un effort sur
lui-même pour désarmer sa justice et faire triompher sa
miséricorde; et puisqu'il ne le fait à présent , quelle appa-
LA PÉHITfiNCB a L'RBURB Dfi LA MORT.
reuce qu'il le fasse d'ici a vîngl ou trente ans , à l'heure <ta
trépas, quand vous vous serez rendu plus désagréable
I lui, <|u uni vous l'aurez irrité et mis en plus grande colère,
quand vous serei devenu plus indigne de miséricorde par
nd nombre de péchés que vous couintgUrez d'ici à co
temps-là? Il ne vous fait pas l'honneur de vous mettre au
nombre de ses serviteurs , à présent que vous lui pouvez
rendre de bons services, étant vigoureux el en bonne santé;
quelle apparence qu'il le fasse en voire dernière maladie ,
quand vous serei loul languissant, inutile el à demi-mort ?
Àvcz-vons jamais lu , avez-vous jamais entendu prêcher
qu'il ail promis ses faveurs à ceux qui ne lui réservent que la
lie de leurs années ? mais plutôt ne vous a-t-on pas souvent
prêché ces menaces que Dieu vous fait en son Ecriture ?
( Prov. 1 . 26. ) Je me moquerai de vous à Pheure de votre
mort , parce que vous avez rail la sourde oreille quand je
vous ai appelé; el par Jérémie : (2. 28. ) Ils m'ont tourné
i «, ils me diront au temps de leur affliction : Secourez-
i" leur répondrai : Où sont les dieux que vous
qu'ils se lèvent et qu'ils vous secourent.
Je ne connais qu'une seule objection qu'on a coutume de
le vérité , mais elle est si impertinente, que
«ienec de m'y arrêter, si elle n'était ordinaire-
s la bouche des pécheurs endurcis. Le bon larron,
D larron, disent-ils, a étési bon larron, qu'il a dérobé
I à l'article de la mort. L'exemple de ce bon larron est
Pespril malin Fait perdre le paradis à plus de dix
mille mauvais larrons tous les ans ; quelle conséquence !
I e une seule fois à un seul larron de se re-
convertir à l'heure de la mort; donc il
■•■ à tous ceux qui persévéreront jusqu'à
El vous qui êtes jurisconsulte, ne savez-
!'<• maxime si commune et si triviale : Jussin-
y l' lare non trahi (m- ad consequentiam?
particulier qu'on donne à quelqu'un de pure
rail toujours avec cette clause sans le tirer à coa-
; et vous qui ètai eanoniste, ignorez-vous ce canon
296 SERMON CCXCl.— - DE NE PAS DIFFÉRER
du chapitre : Qicod alicui de regulis juris in sexto quoà
alicui gratiose concedilur , trahi non débet ah alûs in
exemplum : Ce qu'on accorde à quelqu'un gratuitement et
par faveur ne doit pas être pris pour exemple, quand bien
la même raison ou une plus forte militerait, dit la glose. La
conversion de ce bon larron est une faveur particulière qif on
lui a faite , eu égard au temps , au lieu , à l'action présente ;
mais vous ne trouverez pas dans toute l'Ecriture l'exemple
d'un seul autre pécheur qui ait reçu la même grâce : In ioto
canone Scripturarum nullum alium, prœier hune la-
tronem inventes sic salvatum , dit S. Bernard. S. Au-
gustin, (serin, de temp.) S. Anselme et les autres Pères
disent que Jésus s'est comporté à ce sujet, comme ferait un
médecin. Imaginons-nous qu'un excellent médecin soit venu
de Paris en cette ville, c'est un second Hippocrate, un Ga-
lien ou un Escuïape, mais il est inconnu, on ne sait pas
et l'on ne veut pas croire combien rares et souverains sont
les remèdes qu'il apporte; il a du baume, des huiles, des
collyres , des médecines pour diverses sortes de maladies ;
afin de se mettre en crédit et de donner vogue à son in-
dustrie, il choisit d'abord le plus désespéré malade qui soit
dans toute la ville; si ce patient se veut mettre entre ses
mains, il lui applique ses drogues précieuses, le traite cinq
ou six semaines, le visite tous les jours , le rend enfin sain
comme un poisson, et il ne lui demande pas un liard. Après
cette expérience , quand on connaît l'excellence de ses re-
mèdes, si vous alliez le prier de vous guérir pour rien , on
se moquerait de vous , et il ne le ferait pas. Cette première
faveur était, pour se mettre en crédit, pour donner un essai
de la bonté de ses drogues, sans tirer à conséquence. Le
Fils de Dieu est descendu du ciel, ï! est venu, non de Paris,
mais du paradis ; il a apporté pour remède de vos péchés \m
baume si précieux , que ses mérites et son sang en sont les
ingrédients. Peu de gens croyaient en lui , on le prenait
pour un séducteur; il a entrepris la cure d'un malade pres-
que desespéré , de ce larron qui était aux abois ; il lui a ap-
plique l'huile sacrée de son sang précieux ; il Va justifié ,
1 \ PENITENCE A L'HEURE DE LA MOUT. 297
lie, remis en parfaite santé spirituelle, Pa fait entrer
en paradis , et il n'a demandé de lui, ni confession , ni sa-
tisfaction , ni jeûne, ni aumône, ni austérité, ni autre chose,
sinon qu'il s'adonnàl entre les mains de sa miséricorde avec
un cœur contrit, humilié et plein de confiance, est-ce à dire
qu'il soit toujours obligé de foire de même? Oui, croyez-
moi , dans une affaire de si haute importance qu'est celle de
votre salut , ne vous servez pas d'un seul œil ; ne permettez
pas que l'esprit malin vous fasse ce que Naas, ce cruel Am-
monite, voulait faire aux habitants de Jabès : In /toc fe-
riam vobiscum fœdus , ut eruam omnium vestrum
oculos dextros. vlleg. 11. 2.)
^ Quand vous êtes auprès du crucifix vous ne regardez que
d'un œil, les deux larrons sont aux deux côtés^de Jésus ,
pour voir le bon , on ouvre Pœil gauche, pour voir le mau-
vais , on ouvre Pœil droit ; mais le mal est que vous fermez
T i il droit, el vous n'ouvrez que le gauche, vous ne regardez
que le lion larron ; ouvrez, ouvrez les deux yeux, regardez
au»; le mauvais larron. Si Dieu a résolu de sauver beaucoup
le gens de ceu\ qui persévèrent dans le péché, jusqu'à
'heure de la mort, pourquoi ne sauve-t-il pas le mauvais
an ou ? vous me (lirez : C'est parce qu'il ne cric pas merci
le bon coeur , comme a fait le bon larron; s'il Pavait fait ,
1 lui aurait aussi pardonné. Vous dites vrai, mais c'est ce
jui est en question, pourquoi il ne lui a pas fait la grâce
efficace de se reconnaître et lui demander pardon ? Tenez
>ied firme , et ne prenez pas ici le change ; il n'est pas ici
meslion si Dieu vous pardonnera, en casque vous vous con-
ertissiez, mais si vous vous convertirez. Il n'est, pas ici
nestion de savoir si Dieu vous pardonnera à Plieure de la
001 1, en cas «pie vous vous reconnaissiez de bon cœur , il
st bon de doute qifil le fera : Nulla pomitentia sera,
noie ni /•< ra ; mais la question est de savoir s'il vous fera
■• de vous reconnaître, et les saints disent que fort
probablement il ne le fera pas plus qu'il ne Pa fait à ce
iau\ais larron; car les saints qui ont dit : Nulla pœ-
uientia sera, modo sit vera, ont aussi dit: Pœn ilent la
298 SERMON CCXCI. DE NE PAS DIFFERER
sera, raro est vera. Le même S. Augustin parlant de ce
bon larron, dit avec beaucoup d'esprit : Unus est, ne des-
<peres ; soîus est , ne prœsumas : Il en a converti un ,
afin que personne ne se désespère, quelque grand pécheur
qu'il ai't été; mais il n'en a converti qu'un, afin que vous ne
présumiez pas de sa miséricorde, afin que vous ne pensiez
pas être plus privilégié que cet infortuné larron qui était à
son côté. Chose étrange et digne d'admiration , que Jésus
si débonnaire en ce temps de la passion, auquel son cœur
amoureux lançait les plus vives flammes de sa charité , en
ce temps d'aftliclion , lorsque les hommes sont plus enclins
à la miséricorde : Non ignara mali miseris succurrùrà
disco; en ce temps auquel il ne respirait que douceur et
bénignité, en ce temps où il priait actuellement pour ses
ennemis ; en ce temps, dis— je , il ait permis que ce pauvre
larron, si près de lui , le compagnon de ses peines, se soit
misérablement perdu , ne pouvait-il pas lui pardonner ?
Oui, s'il se fût converti ; ne pouvait-il pas lui faire la grâce de
$c convertir ? oui, et aussi aisément qu'il l'a fait au bon
larron. Pourquoi donc ne l'a-t-il pas fait? parce que fort
rarement il fait la grâce efficace de se convertir à l'heure de
la mort à ceux qui ont attendu jusqu'alors : Unus est , ne
desperes ; solus est , ne prœsumas. Où est donc fondée
votre espérance ? où est donc votre asile et votre refuge ?
quel est le sujet de cette assurance si solide, mais pour
mieux dire si stupide , si insensible , dans laquelle vous
vivez ? que prétendez-vous avoir à la mort que ce misé-
rable n'ait pas eu ? et il ne s'est pas converti. Tous es-
pérez dans les mérites du précieux sang de Jésus , c'est
très bien, c'est une très bonne confiance; mais ce larron en
est tout arrosé, et il ne se convertit pas; vous espérez
d'avoir un bon père spirituel, un excellent confesseur qui
vous fasse souvenir de Dieu , ei vous aide à bien mourir ,
ce larron a à son côté le plus excellent pontife, le plus divin
père spirituel qui ait jamais été et qui puisse être, et il ne se
convertit pas ; vous espérez d'envoyer à tous les cloîtres vous
recommander aux religieux, et qu'ils vous assisteront de leurs
1 V IMMTf NCI A l'hBURE DK LA MORT. 299
prières; auront-ils plus de crédit devant Dieu que les souffrait*
; l>uin aimé qu'il endurait actuellement pour les pé-
chésdece malheureux ? Propitiationem pro peecatiê ?ios-
nonpronostris tantum^sedetiamprototittemundi.
Vous espérez qu^on dira des messes, qu'on offrira des sacri-
fices pour vous ; quel sacrifice plus auguste , plus saint , plus
divin, plus agréable à Dieu que le sacrifiée sanglant delà
i assiste à ce sacrifice, et il ne se convertit pas.
Quoi de plus ? qu'espérez-vous davantage ? que Dieu
fasse «les miracles ? où avez-vous vu qu'il en ail fait, ou qu'il
ait promis (Peu faire, pour les Ames obstinées? Supposons
qu'il en fasse, et des miracles plus clairs que le jour, vous con-
vertii ez-vous pour cela ? quel miracle plus évident, plus pal-
pable , plus irréprochable , que de voir le soleil s'éclipser
si extraordinairement , Pair se couvrir de ténèbres, la terre
trembler . les pierres se casser , la montagne du Calvaire
se fendre en deux ? ce misérable vit tout cela devant ses
yeux , car l'Evangile remarque expressément que tous les
prodiges arrivèrent avant que ce larron eût expiré : Venc-
runi eryo milites : et primi quidem fregerunt crura ,
et allai us... yld Jesum autan tutlï renissent , vide-
rttnl juin morluum , (Joan. 19. 32. 33.) et il ne se con-
vertit pas. Qui vous a dit que vous ferez, sans aucun miracle,
ce (ju'il n'a pas fait avec tant de miracles ? Qui vous a dit
mie vivant comme le mauvais larron , votre mort sera
semblable à celle du bon ? Montrez-moi qu'après ce bon
larron Dieu ait fait la même grâce à un autre à l'heure de
la mort ; vous ne le sauriez montrer en l'Ecriture , et je vous
en pourrai montrer un grand nombre auxquels il n'a pas fait
cette mnme à E^aii , Satil, Antiocbus, Cbrysaorius,
infinité d'autres. Votre contrition donc étant dépour-
■ Dieu , manquera de la première condi-
uroaturelle.
!>. — ( 2° Nec cordialis. ) Elle manquera aussi de la
t el ne u ra pas bien volontaire. Convertitnini ad
7/ic in Mo < ordê vestro ; toutes les ibis que Dieu parle de
Votre conversion, il demande toujours le cœur : FM,
300 SERMON CCXCi.— DE NE PAS DIFFERER
prœbe mihi cor tuum , cor contritum et humilialam ,
Qu'est-ce à dire le cœur ? est-ce cette pièce de chair qui est
au milieu de votre sein? vous seriez bien grossier , si vous
le pensiez. Par le cœur, il entend la volonté qui est le prin-
cipe des affections de votre âme, comme le cœur des mou*
vements du corps ; il a créé le ciel et la terre , et les adonnes
à notre corps pour son entretien et sa récréation , il a
donné le corps à Pâme qui en est la gouvernante; il adonne
Fume à la volonté , qui en a la conduite et la direction ;
mais il veut avoir la volonté, et il veut l'avoir tout entière:
In toto corde vestro. Quand vous êtes au lit de la mort ,
et que vous ne vous convertissez à Dieu que par la crainte
naturelle de l'enfer, cette volonté n'est pas entière, elle
n'est qu'àdemi; celte volonté n'est pas absolue, mais hypothé-
tique, supposé le danger où vous êtes; ce n'est pas une volonté
de fils ou de serviteur, mais de forçat et d'esclave; elle ne pro-
cède pas de l'amour de Dieu et de sa crainte filiale, mais de
l'amour de vous-même et de la crainte des châtiments. Pour
cela Dieu, qui ne demande que le cœur et l'amour, répudie
cette volonté comme imparfaite et illégitime; en figure de quoi
il défendait expressément dans l'ancien Testamenl(Levit. 1 1 .
1 T.)de lui offrir le cygne et l'ibis ou cigogne noire. Il les reje-
tait du sacrifice, et les tenait pour immondes, (Deut 14. 1 6.)
parce que le cygne étant muet quasi toute sa vie , quand il
approche de la mort, il chante mélodieusement ; la cigogne
noire , dit Plularque , a toute sa vie l'haleine fort puante ,
quand elle approche de la mort, elle l'a fort douce et suave,
Ces âmes qui sont muettes toute leur vie , qui cachent les
péchés mortels en la confession , et commettent les sacri-
lèges à douzaines, qui ne prient Dieu ni soir ni matin , qui
ne diraient pas volontiers un chapelet, et puis qui commen-
cent à chanter, à être dévotes , à faire des prières, quand la
mort va leur clore la bouche ; les gens qui toute leur vie ont
des paroles puantes , une bouche qui n'exhale que des blas-
phèmes , malédictions, médisances , chansons déshonnôlcs,
et qui étant au lit de la mort , disent des paroles de musc ,
douces, suaves, dévotes, affectueuses; Dieu les rejette et les
I v n.Mii '\i B \ i ." ! : £:i IRE DE LA mort. 301
réprouve comme des gens dissimulés qui disent de beaux
mensonges , et voilà tout.
/// muitiludine virtutis tuœ mentientur inimicitui.
Faites qu'une ville se révolte contre son roi , comme ceux
i Rochelle onl fait autrefois ; le roi leur envoie un
héraut pour les avertir de rentrer dans leur devoir, faute de
quoi ils encourront sa juste indignation. Ils n'en tiennent
compte , ils se retranchent , se forliGent , persistent en leur
rébellion. Le roi y va en personne, les bloque de toute part,
les afflige, les réduit à n'en pouvoir plus; quand ils son! à
l'extrémité , quand ils languissent de faim , quand ils ne
peuvent plus tirer un seul coup , qu'ils n'ont plus de mu-
nit ion de guerre ni de provision de bouche, enfin ils se ren-
dant. S'iU disaient au roi , quand il cuire en leur ville :
. nous sommes \o:< bien humbles et affectionnés sujets,
c'est de bon coeur que nous vous recevons; ne s'en moque-
rait-on pas } ne dirait-on pas qu'autant de paroles qu'ils
prononcent , autant de mensonges ils profèrent ? ne leur
terail-on pas cette parole de Jésus: Adhuc illo longe
citjvnto rogat ea quœpacis sunt?
( ?esl ce que vous laites, vous vous révoltez contre Dieu
pendant votre vie, il vous envoie les prédicateurs comme
des hérauts , pour vous engager à rentrer en vous-même ,
pour vous inviter à la pénitence et vous présenter la paix de
sa part : Pro Christo légat ione fungimur ; si cognovis-
so* et tu quœ ad parent tibi. Vous persévérez en vos
rébellions. Enfin l'heure de la mort arrive, vous êtes affligé
de mala lies, assailli de douleurs et d'angoisesde toute part,
vous ne pouvez plus offenser Dieu , vous ne sauriez plus
mouvoir ni bras ni jambes, VOUS vous rendez à toute extré-
mité , et vous dites : Mon Dieu, je vous crie merci , je
tonne à vous de bon cœur. Mensonge, mensonge :
V U un fur tibi inimici iui; c'est pure feintise, et hypo-
crisie si adroite qu'elle vous (rompe vous-même ; mais vous
i tromper Dieu , cette contrition n'est pas opérée
e( produite en vous par la puissance de l'amour de Dieu,
par impuissance de pécher 5 ainsi elle n'est ni vraie , ni
légitime , ni acceptable*
'602 SERMON CCXCI.-— DE NE PAS DIFFERER
SKCUNDUM PUNCTUM. TutlC CO?îfeSSl01 etc.
C. — {JDefectum confidentiœ.) Votre confession ne sera
pas aussi entière ; il n'y a pour l'ordinaire que trois cau-
ses qui vous empêchent de vous confesser entièrement :
quand vous vous confessez , faute de confiance , faute de
loisir , faute de mémoire. Faute de confiance , vous avez
honte de dire des péchés infâmes, vous craignez la confu-
sion, il vous semble que votre confesseur aura mauvaise opi-
nion de vous; faute de loisir, vous ne prenez pas assez de
temps pour voir vos comptes , les occupations domestiques
vous dérobent tant de loisir, que vous vous allez jeter aux
pieds du prêtre sans vous être bien examiné ; faute de mé-
moire , quoique vous ayez bonne volonté , dites-vous ,
que vous ne craignez pas la confusion , et que vous avez
bien épluché votre conscience; vous avez la mémoire si courte
que quand vous êtes devant le prêtre vous en oubliez la moi-
tié. Or , il est sûr que ces empêchements seront incompa-
rablement plus grands à l'heure de la mort , vous n'aurez
pas alors cette confiance qui diminue maintenant la honte de
vos péchés , et l'aversion que votre confesseur en pourrait
concevoir, et la promesse d'amendement que vous lui faites,
l\ispérance qu'il a que dorénavant vous recouvrerez le temps
perdu , et compenserez par de bonnes œuvres les faux pas
de la vie passée; à l'heure de la mort on ne pourra plus pré-
tendre cela de vous.
Un soldat qui retourne le soir à son capitaine, tout déva-
lisé et blessé à la fin de la bataille , n'a pas tant de har-
diesse ni de courage que si c'était le matin , et après le
commencement du combat; parce qu'alors on espérerait qu'il
recouvrerait à midi ce qu'il aurait perdu le matin. Et puis
si à présent vous avez tant de honte de vous découvrir à un
prêtre qui vous connaît , vous en pouvez chercher un autre
qui ne vous connaisse pas, qui ne vous ait jamais vu, qui ne
vous verra jamais plus. Vous pouvez à cet effet sortir de la
Ville, prendre prétexte de faire un voyage à Notre-Dame de. . .
D. — (2° Vel temporis, ) Au lieu qu'à la mort vous
i A M mti RCB a i'iii riiK DB i.a MORT. 303
tt'aurei pas toutes ces commodités, vous serez contraint de
prendre le confesseur qu'on vous présentera , auquel vous
n'aurez pas de confiance ; et quand Mou vous n'auriez point
de crainte , et que vous désireriez tout dire, vous n'aurez
pas le temps d'y penser; peut-être que vous ne serez ma-
lade que cinq ou six jours. Une partie de ce temps sera em-
ployée à faire voire testament, à donner ordre à vos affaires
('• mestiques , à pourvoir à votre postérité , à vous faire sai-
gner, à prendre des médicaments, à répondre à vos amis et
parents qui viendront vous visiter; comment pourrez-vous
en m peu de temps, parmi tant d'embarras, pensera bon
escient à votre conscience , et faire ce que vous n1avez ja-
mais fait , une bonne confession générale. S'il y avait \m
maître d'hôtel qui eût demeuré longtemps dans la maison
d'un prince, qui eut souvent reçu de lui beaucoup d'argent,
qui en eut mal employé une grande partie, qui n'eût rien
écrit sur ses livres de comptes, qui n'eut point marqué la
n ci ite m La dépense , en quelle peine serait-il , s'il lui fal-
lait rendre compte à un intendant exact et rigoureux ? com-
ment en pourrait-il sortir avec honneur s'il n'avait que* deux
ou h. pour revoir ses papiers et prévoir ses eomp-
\iatth. 25. 19.) se compare à un roi
N faire rendre compte par ses serviteurs, compte
et , qu'il demande jusqu'à un 1er d'aiguillette , a une
parole oisive. Vous avez reçu tant de bienfaits de Dieu ,
bienfaits de nature , bienfaits de grûce , généraux , particu-
. en l'àme et au corps. Vous vous en êtes si mal servi;
ivei eu charge de tant de gens dans votre famille,
dans la paroisse, dans la ville »vous y avez commis tant de
>rtels, véniels, de pensées , de paroles , d'œuvres;
n'en avez jamais fait une, confession bien exacte. Je
H à penser en quelles angoisses vous serez, quand
il faudra rendre compte à un juge très séfère, qui ne laisse
i n sortirez a voire honneur, n'ayant
jours pour vous y préparer?
- I ( ! i. Mais quand vous auriez le temps,
I | il en est de notre àme comme*
S04 SERMON CCXCÏ.— DE NE PAS DIFFÉRER
d'une liorloge ; vous voyez que dans une horloge les roues,
pendant l'heure , vont posément , doucement , avec règle ,
et quasi sans faire aucun bruit ; mais sur la fin de Pheure
elles tournent si vile , et avec un tel tintamarre , que vous
diriez que toute Phorloge est démontée et s'en va en pièces.
Maintenant que vous êtes en bonne santé , les ressorts de
voire mémoire , toutes les roues de votre esprit , les contre-
poids de votre jugement sont bien réglés ; quand vous serez
sur la fin de Pheure et de votre vie , toutes ses facultés se-
ront en tel désordre , les esprits sensitifs et vitaux si épuises,
les organes si affaiblis et si inhabiles à toute fonction , que
vous ne pourrez penser attentivement à rien de sérieux,
vous commencerez à rêver et à être privé de jugement.
tertium punctum. — ne saiisfactio , etc.
F.— (Non pofest fieri Deo. La troisième partie de
la pénitence , c'est la satisfaction qui vous manquera aussi
Iricn que les deux autres ; ce que le Saint-Esprit explique
g>ar une comparaison si familière qu'il n'est pas possible de
l'être plus : Dies trihulationis , et angustiœ , dies hœc
venerunt filii, usqiie ad partum , et non est virtus ad
fariendi, (Isa. 37. 3.) Le plus grand inconvénient qui
puisse arriver à une femme mariée , c'est de tomber en une
fièvre ou bien en une autre maladie aiguë pendant le temps
de sa grossesse , quand elle approche de ses couches : Mu-
llerigraindœ lethale est ah aliquo acuto morbo compi;
(Hippocr., sect. 5. aphor. 29.) parce qu'il faut avoir des
forces pour mettre au monde la créature qu'elle porte , et la
maladie affaiblit le corps , tarit les esprits naturels et sen-
sitifs , émousse la vigueur et la consomme , en sorte que la
pauvre femme n'ayant pas la force de se délivrer , et la créa-
ture demeurant en son corps , il faut nécessairement que
l'un et l'autre meure , si Dieu ne fait un miracle par Pin-
lerccssion de quelque Saint. Je sais bien que vous n'avez
pas la volonté de persévérer en votre péché ; car enfin vous
êtes chrétien et ami de vous-même, et vous craignez la
'Jamnation , vous avez conçu mille bons propos de restituer
I | «CE A l'hBURB di. LA MORT.
n d'au f ru i, d'accomplir vos vœux , de faire pénitence,
rer en religion , vous êtes enceinte de ces saintes ré-
solutions. 0 âme ! tout cola est bon, s'il est mis en effet ;
si vous tombez en maladie avant que d'effectuer ces
bons desseins , vous ne pourrez les accomplir : y encrant
jilii usque ad parfum,
G. — (iVec proximo.) Vous ne pourrez rendre à César
ce qui esl à César, ni à Dieu ce qui est àDieu,'vousnc ponr-
satisfaire aux hommes. Ou irez— vous chercher les villa-
geois que vous avez ruinés, pour leur faire restitution? tous
ns de bien que vous avez noircis par vos médisances ,
el tous ceux devant lesquels vous avez détracté , pour vous
dédire et faire réparation d'honneur ? toutes les femmes que
vous avez débauchées , pour satisfaire aux dommages et in-
ui. In ? vous ne pourrez aussi satisfaire à Dieu. Il y a trois
œuvres salisfactoires, l'oraison, le jeûne et l'aumône. Quelle
orai>on pourrez - vous faire quand à peine vous pourrez
prononcer le sain! nom de Jésus? quel jeûne, quand à
tout moment on vous mettra en la bouche des cuillerées de
Maniant ? quelle aumône, quand vous n'aurez plus rien à
votre disposition ? et ne savez— vous pas que non remittitur
atum , niêi restiluatur ablation ? que S. Jean-Ban-
I que pour éviter la vengeance dernière, il faut faire
des fruits dignes de pénitence? que Jésus a dit : Nisi pœ-
nitentiam c geritis , omnes peribiiis ?
El quelle pénitence sera la vôtre , qui sera dépourvue de
i gi Dieu, qui ne sera qu'à demi volontaire, qui
n'aura point d tnlrition, point de confession entière,
point du tout de satisfaction? Pourquoi donc leur donnez—
l'absolution? me direz-vous. S. Augustin répond:
n damas , securitatem non damas f nous
dans votre cœur, nous interprétons tout en
illeure pari . nous jugeons ex allegatiê et probatis.
\ - i [ue vous vous repentez de bon cœur , nous
olution à tout hasard , mais nous ne vous
Ire salut par ces mots: Et absoluiionem;
: [38. 10 Oisponc domui
306 SERMON CCXCI.— DE NE PAS DIFFERER
tuœ , quia morieris tu , et non vives : Assurément vous
mourrez, et ne vivrez pas si longtemps que vous pensez,
mettez ordre à votre maison qui est en vous , à votre mai-
son qui est hors de vous , à celle qui est sur vous.
CONCLUSIQ.
H. — (Paraphrasis , etc. ) A celle qui est en vous , à
votre conscience , à votre âme. C'est cette maison , dit
S. Augustin , (in Psal. 100.) dont parle David : Peram-
bulabam in innocentia cordis mei, in medio domus
meœ ,• mettez ordre à la nettoyer , Dieu y veut venir loger;
ii vous dit: In donw tua oportetme manere. Si je vous
disais que le roi a la dévotion de faire un voyage en quelque
saint iieu , ii doit passer par cette ville , veut loger en votre
maison , et vous n'y perdrez rien , atlendriez-vous la veille
pour vous y préparer ? attendriez-vous i'avant-veille, la der-
nière semaine ? Vous espérez être bienheureux quand vous
mourrez , savez- vous bien ce que c'est que d'être bienheu-
reux ? c'est-à-dire que Dieu logera en votre âme, non par
sa grâce seulement , comme dans la justification , mais
par lui-même et par sa divine essence , non sous le voile dô
quelque espèce sacramentelle , comme dans l'eucharistie ,
mais à découvert , immédiatement, sans l'entre-deux d'au-
cune espèce intelligible; il se joindra à vous; il sera enchâssé
en notre âme , cœur à cœur, esprit à esprit , essence à es-
sence ; non en passant et pour un temps , mais éternelle-
ment ; et vous attendez encore à vous y préparer jusqu'à
la veille de son arrivée , et vous voulez loger indignement un
si grand Roi une éternité tout entière ! et vous ne pensez
point à purifier et à orner votre âme ! Regardez votre con-
science , il n'y a égoùt d'hôpital, ii n'y a élable d'Augias, il
n'y a senline de galère qui soit si immonde ; il y a plus de
dix, vingt , trente ans qu'elle va ramassant et recueillant de
toute part des ordures , et vous pensez la nettoyer en deux
ou trois jours ! et quand bien vous la nettoieriez, est-ce as-
sez pour recevoir ce grand Dieu? ne faut-il pas l'orner,
l'embellir, la tapisser? et comment l'embellir, sinon par
LA I &NITBNCB A L*HEURi: DE i.v MORT. 30Î
des verdis? e( comment acquérir les habitudes
ms les pratiquer longtemps? et comment les
pratiquer longtemps, n'ayanl que sept ou huit jours à vi-
vre? Quelle humilité, obéissance, patience, autres vertus
bien héroïques avez-vous, dans lesquelles Dieu puisse s'a-
gréer et prendre son bon plaisir? Dispone domui tuœ ;
quand voire vie durerait cinq cents ans, elle serait trop
courte pour bien disposer une maison dans laquelle un si
v »i doit si longtemps habiter.
ei de la maison qui est hors de vous , de votre
famille, instruisez, corrigez vos enfants, serviteurs, domes-
, dont vous devez rendre compte ; faites votre testa-
de bonne heure, autrement vous serez à la mort entouré
ns qui seront comme les enfants de Zébédée. Quand
Jésus parlait de sa passion, il parlait de son hoirie; vos
feront croire que vous vous portez bien , (jue
n'êtes pas en danger de mort, de peur qu'en faisant
rit vous ne lassiez des legs pieux ; ou si vous en
s un, le notaire fera un pas de clerc, il écrira un quipro-
un mot ambigu, il mettra un procès dans votre
famille, ou donnera votre bien tout au contraire de votre
ition ; vous pouvez pourvoir à tout cela en le faisant de
bonne heure, et en donnant par vous-même vos legs pieux.
/ de la maison qui est sur vous, c'est-à-dire du
ciel, faites—y bâtir une chambre pour y loger après votre
mort. S. Grégoire dit (4. dial. cap. 36. su h finem.) qu'il y
t Rome un savetier nommé Deusdedil (Dieudonné),
des bien- de ce monde, mais très riche en vertus chréj
tiennes. Quelqu'un vit en extase qu'on lui bâtissait une mai-
iel . «'t qu'on y travaillait principalement les
i , dit-il , que veut dire cela , qu'on travaille
1 diligemment les samedis ? C'est que ce jour-là il distri-
buait aux 1 uivres tout ce qu'il avait gagné le long de la
ne, après son petit entretien : Quuniam rfixïsli: In
1 a dificabiturin cœ/iWPsal.88.3.)
Si so aller demeurer huit jours dans une métairie ,
\ , / de quoi VOUS vivrez, vous y envoyez des pro-
308 SER310N CCXCI. DE JNE PAS DIFFERER, etc.
visions ; si vous devez aller vivre en un pays étranger, vous
êtes bien aise d'y faire des amis , d'y acquérir de la con-
naissance ; vous devez aller demeurer une éternité dans le
ciel, et vous n^ prévoyez pas ; dispone domui tuœ, met-
tez ordre à celte maison de là-haut, envoyez-y des provi-
sions de bonnes œuvres, faites-y des amis par vos aumônes,
prenez-y de la connaissance , en honorant et invoquant les
Saints, afin que vous y soyez reçu honorablement, afin que
vous y puissiez vivre à votre aise $ afin que vous y puissiez
régner éternellement. Amen.
SERMON CCXCIL
POURQUOI DIEU CONSERVE EN VIE ET EN PROSPERITE
LES PÉCHEURS.
Pi cognwit quod Jesut atCHbttiuet in domo pharitei,
elle connut que le Fils de Dieu était eu la maison du Pharisien.
(Luc, 7. 37.)
Si l'esprit de ce pharisien n'était pas aveuglé par son
orgueil , il ne s'étonnerait pas de voir que le Fils de Dieu
se laissai approcher de Marie-Madeleine, puisqu'elle n'était
plus pécheresse , comme il le dit , mais convertie en péni-
tente ; il s'étonnerait bien nlus de voir que le Sauveur a dai-
gné entrer en la maison d'un pharisien, sujet à L'orgueil,
aux jugements téméraires , au mépris du prochain et à tant
d'autres péchés ; il s'étonnerait que le Sauveur ait souffert
il longtemps cette femme quand elle était en mauvais état.
Pour Taire notre profit de celte patience de Dieu qui attend
les pécheurs à pénitence , il faut en considérer les causes.
C'est, premièrement, pour sa gloire; en second lieu, pour
notre instruction ; en troisième lieu , pour la conversion de?
âmes. Ce seront les trois points de ce discours.
IDE A SE11MONIS.
Deus expectat peceatorem : 1° oh suant gloriam; 2° oh
nostram instructionem ; 3° oh ejus conversionem.
Prîmum punctum. Deus promplus ad auxiltatidum, tar-
das adpuniendum; suffert peceatorem oh .sinon glo-
riam: — 1" Script ur a. — B. 2° Sensu Ecclesiœ, —
('. ■ RaiionibuS) quia sieprohat suam nobilitatem,
\ ),Poientiam. — E. Sapientiam, — V . Bonilatem.
— G.Justitiat». — II. Misericordiam , — [, Providen-
i. — I.. \ Comparât ionibus*
Swtui ■/'■>/ peceatorem oh nostram
310 SERMON CCXCXI.
instructionem , ut sirnus prompti ad subveniendum
proximo, tarai ad puniendum, qnod probatur ratio •
ni bus: — M. \° Ex parte proximi. — N. 2° Ex parte
nostîi.
Terlium punclum. Expectat peccatorem ob ejus conver-
sionem, qnod illusiratur : — O. i° Exemplo Davidis,
Saillis, — P. 2° Raraphrasi illorum verborum ;Ecce
sto ad ostium.
La nature de Dieu n'étant que bonté et charité, quand
il est question d'assister et de faire du bien à ses créatures,
comme c'est une action qui lui est très agréable , très
délicieuse et conforme à son inclination, il la fait hâtivement
et avec promptitude ; mais quand il faut faire le procès à
quelque pécheur, il ne le fait que comme à regret, à contre-
cœur et le plus tard qu'il est possible. Le Saint-Esprit nous
enseigne ceci en l'Ecriture sacrée , par des comparaisons si
agréables et des inventions si ingénieuses , que c'est un
grand plaisir de les lire et encore plus de les méditer. Erç
l'Apocalypse, un ange qui représentait le Fils de Dieu
venant au jugement, entre autres mystères de son équipage,
il est dit qu'il avait ses deux pieds comme deux colonnes, et
TEpouse ajoute que c'était comme deux colonnes de marbre :
Pedes ejus columnœ marmoreœ. (cant. 5. 4 5.) Pourquoi
ces pieds comme deux colonnes et des colonnes de marbre?
cVst pour signifier que quand il vient au jugement, quand
il descend pour faire justice , il vient pesamment , tardi-
vement, à pas de tortue, parce qu'il n'y vient que comme
à regret , par contrainte et pour ne pas blesser les droits
et justes prétentions de sa justice adorable. Vint Deo
facimus y iniquitatibus nostris cogimus nolentem
eum ad ulciscendas scelerum nostrorum immanitates,
( Salvianus. )
primum punctum. — Deus promptus , etc.
A. — (1° Scriptura. ) Voyez, je vous supplie, comme
il procède ayee le premier criminel de sa terre ? quand il
P0URQ1 OJ lis PKCHR1 RS PROSPÈRENT. 3 1 t
■j vient faire son procès? Deambulabat ad aurampoât
met idiem ; il ne vient pas de grand malin ni à la pointe
lu jour, comme quand il vient pour nous aider : Adjuva-
nt marte diluculo; il vient après midi, pendant les
•lus grandes chaleurs du jour, lorsqu'on marche avec peine
( tout doucement; il vient non en volant, non en courant,
nais en se promenant,et en se promenant comme un homme
foi prend le frais , qui a peur de s'échauffer , qui veut ra-
rtlchir fardeur de sa colère, deambulabat ad auram et
D M promenant il t'ait beaucoup de bruit , il va criant :
■hlitm, ubi êê? II vent tonner et étonner , mais il ne veut
Il foudroyer, si le pécheur se reconnaît et à recours à la
énitence : Dedisti metuentibus te significationem , et
ugiani a facie arcus. Il se comporte tout autrement ,
uand il esl question de nous assister. David , au psaume
ix-sepfl , raconte une grande extrémité où il se trouva
lus d'une fois en sa vie : il était environné de ses ennemis ,
es iniquités l'assiégeaient de toute part , il avait déjà la
lori entre les dents, et il était, dit-il, sur le bord du pré-
: dreumdêderuni me dolorcs mortis, et tor rentes
nitjuitatis eonturharerunt me , dolores in fer ni cir-
vmd&derunt me. Là-dessus , il se réfugie dans l'asile
rdinaire des âmes allligées; il se met en oraison, et ré-
ame de tout son cœur la miséricorde de Dieu ; il n'a pas
loi ouvert la bouche pour prier , que Dieu ouvre le eiel
onr Je venir aider. A cet effet il ne prend pas des pieds de
inil.re et des colonnes de pierre, comme quand il vient
, mais il se pose sur les ailes des vents pour voler
lus promplemenl : In tribu latione mea invocavi Domi-
uni , et exaudirit de templo sancto suo voeem meam;
<rer prunus rentorum ; et parce que les vents
i es corporelles qui pourraient rencontrer en
""lin quelque empêchement à leur vitesse , il prend pour
iOOturc mi»' Créature spirituelle qui puisse passera travers
1 l«- ; il monte sar un chérubin et ? oie au secours
lerfitenr : Attendu super cherubim% et volavit;
n'est pu qu'il faille s'imaginer que Dieu ait des pieds et
312 SERMON CCXC1I.
des membres corporels, qu'il se serve des vents ou des ché-
rubins, qu'ils se serve de monture ou de carrosse ; mais
l'Ecriture parle ainsi pour bégayer avec nous , pour s'ac-
commoder à notre façon de parler , et pour nous donner à
entendre que Dieu vient tardivement pour nous châtier ,
hâtivement pour nous assister. Les esprits bienheureux
reconnaissent bien cette inclination de leur Maître , et ils
tâchent aussi de s'y conformer. En la Genèse. ( cap. \ 8.
et 19. ) il est dit que Dieu envoie trois anges aux villes
de Sodome et de Gomorrhe , pour les ruiner de fond eu
comble , à cause des pèches abominables qui s'y commet-
taient et qui criaient vengeance devant lui; il leur commanda
de passer par la ville de Mambré, pour en donner avis à son
serviteur Abraham. Abraham était dans sa logette , atten-
dant sur le grand chemin les pèlerins qui passeraient, pour
les recevoir dans sa maison. Sitôt qu'il voit ces trois anges,
pensant d'abord que c'étaient trois jeunes hommes , il
s'adresse à eux et leur dit : Messieurs , ne vous piait-il pas
de vous reposer un peu et de prendre un pauvre repas dans
ce petit logis qui est tout vôtre? Ils acceptent la courtoisie,
et se donnent la patience d'attendre qu'Abraham eût fait
pétrir du pain, tuer et rôtir un veau gras, et préparé un boa
repas; et ils demeurèrent là si longtemps, qu'il n'arrivèrent
à Sodome que sur le tard : Venerunt angell Sodomum
vespere, encore que Sodome fût si près de Mambré , que
depuis Mambré on découvrait aisément Sodome ; et l'un
d'eux demeure en chemin : Kenerunt duo angeli. Etant
arrivés à Sodome, ils rencontrent le juste Lotb, qui était
parent d'Abraham et aimant comme lui à faire l'hospitalité;
il les fait entrer dans son logis , leur prépare un festin , ils
font là-dedans bonne chère, comme ils avaient fait le matin
dans la maison d'Abraham. Bonté de Dieu! quels messagers
voici ! qu'ils semblent paresseux pour des anges! ils vont
s'arrelant à tous les logis qu'on leur présente , et ne se
hâtent pas de fsire la commission pour laquelle ils. sont en-
voyés ! ne sont-ils pas du nombre de ces anges dont parle
le Prophète royal , qui font le commandement de leus
POURQUOI LIS pécHBURS PR08PI ÎRENT. 343
Maître aussitôt qu'il ouvre la bouche : Facienies verbum
illius adaudiendam vocemsermonum cjus, c'est-à-dire,
ad audilionem vocis sermonis ejus? L'ange du prophète
Daniel était bien plus expéditif : Ce grand prophète était
dans la caverne des lions par le commaudement du roi ,
condamné à rassasier leur faim ou à mourir lui-même de
faim. Dieu met à néant ees deux arrêts, emhaillonnc la
gueule des lions, leur défend de toucher à son serviteur.
En ee même temps, le prophète Habacuc était, en Judée,
et portait à dîner aux moissonneurs qu'il avait au champ;
note/ que de la Judée à Babylone , où était Daniel , il y
avn'f pour le moins deux cents lieues; fange dit à Hahaeuc :
Prophète, portez ces viandes à Daniel qui est à Bahylone
dans la caverne des lions. Monseigneur , répondit le pro-
phète, je n'ai jamais été à Babylone, et je ne sais où est cette
caverne. En ee même temps, dit f Ecriture, (Daniel. 14. 35.)
l'ange se ^ai>i t du prophète, et le prenant par les cheveux ,
le porte promptemenl à Babylone: In impetuspMtussuî,
Voilà un ange , dirait ici quelqu'un qui ne saurait pas le
I ; non pas ces trois autres : cet ange de Daniel va
seul , les autres de la Genèse vont en compagnie;
quand on est en compagnie, on a coutume d'aller plus vite,
qu'on va plus joyeusement; range de Daniel porte m\
homme et le dîner de plusieurs ouvriers, les trois autres
ne sont point chargés; celui-là a plus de deux cents lieues a
faire , ceux-ci une lieue ou deux ; celui-là fait sa commis-
sion en un moment , ceux-ci ne la font pas en un jour.
Voulez— vous savoir ce mystère ? c^st que seniper vident
m Pat ris, qui in coclis est; ils voient la face de Dieu,
•miaivM ut son naturel, ses inclinations, ses affections,
renl en quoi il constitue et fait paraître sa gloire , et
I qn'iU connaissent que le naturel et l'inclination de
Dieu , c'est de Faire le bien aux hommes et de les assister
promptement , de les châtier el de les punir le plus tard
qu'il lui est possible, parce qu'ils savent que la gloire de
Dieu n'éclate point tant en antre chose , qu'en la patience,
en la longanimité* et la miséricorde ^u'il exerce envers les
314 SERMON CCXCII.
pécheurs. Voilà pourquoi l'ange qui va pour secourir Daniel
et pour lui donner à dîner, va promptement et dans un in-
stant ; les autres qui vont pour faire justice et abîmer les
villes pécheresses , vont pesamment et à contre-cœur.
B. — (2° Sensu Ecoles lœ.) Aussi l'Eglise catholique
ayant entendu les anges publier la gloire de Dieu : Gloria
in excelsis Deo, explique la lettre de leur chant, et ajoute :
Laudamns te, glorlficamus te, grattas agimus tlhi
propter magnam glortam tuam. Voilà une étrange façon
de parler ; si elle disait : Laudamus te propter magnam
gloriam tuam, benedicimus te propter magnam glu—
riamtuam, ceneserait pas merveille, ces paroles joindraient
bien ensemble ; mais elle dit : Grattas agimus tibi propter
magnam glorlam tuam : Nous vous rendons grâces de
votre grande gloire. Si un paysan allait dire à son prince :
Sire, je vous remercie beaucoup de ce que vous êtes un si
grand roi, je vous rends mille grâces de ce que vous êtes
si riche, si puissant, si glorieux; ne s'en moquerait-on
pas? Il semble que l'Eglise fait de même : Mon Dieu,
dit-elle, je vous remercie de votre grande gloire ; elle sait
bien ce qu'elle dit, elle est enseignée par un bon maître, elle
remercie Dieu de la douceur, delà clémence, de la patience
qu'il exerce en notre endroit, nous attendant à pénitence
quand nous sommes en état de péché ; patience qui e^t la
gloire de Dieu, au dire de son apôtre : Ut ostenderet di-
vitlas gloriœ suœ sustinuit in multa patient la, vas a
irœ apta in interllum. (ilom. 9, 22.) Oui, Dieu montre
les richesses et l'abondance de sa gloire , en attendant les
pécheurs ; la gloire de Dieu ne paraît-elle pas dans la preuve
et la démonstration de ses perfections divines ? Or, il est
vrai que Dieu montre toutes ses perfections dans cette dé-
bonnaireté qu'il exerce envers les pécheurs; vous murmu-
rez contre Dieu de ce qu'il souiFrc si longtemps en ce monde
ce méchant homme qui ne sert de rien si ce n'est pour boire
et manger , et pour commettre des péchés ; vous voudriez
que Dieu fût aussi soudain et impatient que vous, et qu'il
courut k Ja yengeance aussitôt qu'on l'a offensé, Hélas ! si
POURQUOI LES PÉCHEURS PROSPERENT. '^15
; exterminait tous les pécheurs, où seriez-vous il y a
longtemps, vous qui murmurez contre lui ? vous ne voudriez
donc pas qu'il montrât sa gloire ? vous êtes donc marri de
ce qu'il nous fait voir, noua nos dépens, mais à notre grand
profit , les richesses inépuisables desperfections infinies qui
s< ni en son essence divine?
C. — [3° Rationibttê.... Nohilitatem.) Il montre, pre-
nnent, sa grandeur ; cela est bon pour un simple bour-
-, pour un petit artisan, pour un homme de petite
étoffe, de n'avoir personne dans sa maison qui ne lui paie
>n ou qui travaille à son service. Les grands et les
ants seigneurs, les princes et les rois magnifiques nour-
ot dans leurs palais plusieurs serviteurs inutiles qui ne
ut que de nombre ; même ils tiennent souvent cour ou-
verte , et traitent plusieurs personnes qui ne leur en savent
de gré. Dieu en veut faire de même, qui est-ce qui
p< ut l'en reprendre? N'est-ilpas maître de ses biens, quelle
injure vous fait-il de les donner à des indignes?-^ oculus
tu us nequam c^t , quia in se bonus est?
1). — [Potentiam.) Il montre, en second lieu, sa puis-
sance ; c'est aux faibles esprits , aux personnes pusillanimes
pouvoir souffrir une essence ; les enfants, les vieillards
et les femmes sont plus impatients aux injures, parce qu'ils
ont l'esprit plus infirme : Nam vindteta nemomagis gau-
dei quam femina; un cœur généreux et magnanime se
contente qu'on sache qu'il a le pouvoir sans le vouloir, contre
ceux qni ont le vouloir et non pas le pouvoir sur lui : Mag-
illc est qui , more magnœ ferœ , latratus minuto-
rum canum securus exaudit , ditSénèque ; Deus , qui
omni\ im tuam parcendo maxime et miser ando
!.. — Sapientiam.) II. montre, en troisième lieu, sa sa-
loue-t-on pas un général d'armée, par exemple,
! Maximus, de ce qu'il gagna les Carthaginois, en
les matant par sa patience, et fit plus par sa longanimité ,
i ardeur : l fnus homo nobis, cunctando
tuil rem? Ne loue-t-on pas un avocat qui accorde à
3 1 G SERMON CCXCil
sa partie adverse tout ce qu'elle a expose', mais qui la con-
vainc par ses propres conclusions et par un argument ad
hominem ? Ne loue-t-on pas un médecin qui donne à son
malade tout ce qu'il demande , et le guérit par des remèdes
doux et anodins , jetant quelques gouttes d'essence dans les
viandes que l'appétit du malade désire ? De même louez donc
semblablement la sagesse de Dieu qui se donne la patience do
tenir si longtemps le siège devant le cœur rebelle de ce pé-
cheur, qui le comble de prospérité, qui l'accable de courtoisie,
qui accomplit tous ses souhaits, et qui au milieu de ses disso-
lutions, lui fait avouer qu'ila tort et le contraint de se rendre,
F. — {Bonitatem.) Il montre sa bonté. Quel est l'effet
de la bonté ? n'est-ce pas de faire bonnes les choses qui
étaient mauvaises, comme le propre du sucre de faire douces
les choses amères ? Cette patience de Dieu touche enfin le
cœur du pécheur, le fait rentrer en lui et le fait considérer
son ingratitude, il lui fait avoir horreur d'offenser si long-
temps un Dieu qui l'oblige par tant de grâces. Sicut fiait
cera a facie ignis, sic pereant peccatores a facie Dei :
Comme la cire se fond et se liquéfie à la chaleur du feu ,
ainsi les pécheurs périssent en tant que pécheurs; ils amol-
lissent leur endurcissement à la chaleur de l'amour et de la
débonnaireté de Dieu.
G. — (Justifiant.) Il montre sa justice. S. Thomas ap-
pelle fort proprement la miséricorde de Dieu : Justitiœ
flenitudinem. Si Dieu damnait ce pécheur, comme vous
dites qu'il devrait faire ; ce pécheur ne lui satisferait jamais
pleinement, et en rigueur de justice ; il ne sera jamais vrai
de dire qu'une àme damnée ait acquitté ses dettes, elle de-
meurera reliquataire, parce que ses peines sont finies , ses
démérites infinis : Punitur citra condignum; au lieu que
quand Dieu pardonne , le pécheur lui satisfait pleinement,
épuise toutes ses dettes , paie tout autant qu'il doit par les
bonnes œuvres qu'il fait , unies aux mérites infinis de Jésus
qui ne doit rien. Patientiam hahe in ?ne, etomnia red-
dam //fo': Donnez-moi un peu de délai , et je vous paierai
entièrement , disait le serviteur qui devait dix mille talents;
POURQUOI LES PECHEURS PROSPERENT. 317
BOB naître ne lui répondit pas : Vous ne le ferez jamais.
Quand vous jetez en prison un pauvre homme qui vous doit
beaucoup, cl qui s'est obligé à prise de corps, vous le mettez
dans l'impossibilité de vous jamais satisfaire; si vous lui
donniez la liberté, il aurait moyen de travailler ctde gagner
pour acquitter ses dettes. C'est ee que Dieu fait au pécheur ;
il le soutire quelque temps en ce monde , afin qu'il rachette
ses crimes par ses aumônes et par d'autres bonnes œuvres.
II. — (Miscricordiam.) En quoi il montre aussi sa
miséricorde ; comment peut-il mieux la montrer qu'en
l'exerçant ? sur quoi peut-il mieux l'exercer qu'envers la
misère? quelle misère plus grande que l'état du péché?
quel état du péché plus dangereux que celui qui pèche in-
cessamment , et ne fait point de pénitence ?
I. — (Providentiam.) Il montre sa providence, se ser-
vant pour ses desseins et pour plusieurs bons effets de la vie
et il-' la santé des pécheurs. Si vous êtes roi on peut vous
remontrer que vous commandez quelquefois de condamner
avons rendre service dans vos galères des malfaiteurs qui
ont mérité la mort ; et Dieu conserve en vie ce méchant
homme, parce qu'en persécutant une ame dévote, il Ta fait
avancer dans le chemin du ciel , comme un vaisseau à bon
port , par la patience et par les autres vertus qu'elle pratique
en lui pardonnant.
L. — (4° Comparationibus .) Si vous êtes juge , vos
lois vous commandent de différer l'exécution d'une femme
enceinte, (L. imperator Adrianus, (T. de statu hominum.)
peut-être que cette femme vicieuse que vous voudriez que
Dieu fit mourir, est enceinte de quelque bon dessein qui
i i dans quelque temps , ou d'un enfant qui sera quelque
jour un grand serviteur de Dieu. Si vous êtes médecin, on
dira qu'il n'appartient qu'ai. x chirurgiens de village
ir toujours recours au fer et au feu ; les médecins de
ville bien eipcrts aiment mieux guérir avec des remèdes doux
et anodins, ils savent (pie les cautères potentiels ne font pas
Rotant de douleur et font souvent autant d'effets que les
ls. Si \\}[\i êtes père de famille, pourquoi laisiez-vous
Il 18 SERMON ÇCXCli.
aux mois d'août cl de septembre des échalas au milieu de
votre vigne, les épines autour de votre champ ; les échalas
ne produisent point de raisins, ni les épines ne portent point
de blé ? vous direz : C'est que l'éehalas soutient le raisin ,
et les épines servent de défense au champ ; après la moisson
et les vendanges , je mettrai au feu les échalas secs et les
ronces stériles. Le bon Dieu en fait de même, il conserve
en vie ce méchant homme, parce qu'il porte, assiste et pro-
âége par son crédit et par son autorité quelque âme dévote
ou quelque communauté religieuse ; il saura bien le jeter
au feu quand il sera temps et expédient. Si vous êtes pein-
tre , on pourra vous dire : Pourquoi mettez-vous des om-
bres et du noir dans votre tableau ? Cest, direz-YOus, pour
donner du relief et du jour aux vives couleurs , car les
contraires assis auprès l'un de faulre se font mieux con-
naître. Ainsi Dieu laisse les mauvais parmi les gens de bien,
afin que le vice des uns donne du lustre et de l'éclat à la
vertu des autres. Si vous êtes musicien , pourquoi mettez-
vous des notes noires et crochues parmi les blanches et
demi-mesures ? Cest , direz-vous , pour faire l'harmonie.
C'est aussi pour composer l'harmonie du monde que Dieu
laisse les âmes noircies et souillées parmi les ûmes blanches
et innocentes. Si vous êtes demoiselle , pourquoi mettez-
vous ces vergettes parmi cet attirail de vos ornements , elles
ne parent pas votre tète , ni votre cou , ni vos bras , ni vos
mains ? Non ; mais direz-vous , elles me servent à nettoyer
mes atours et à ôter la poussière qui gâterait mes habits.
Ainsi Dieu conserve ce méchant homme, afin que par le
procès qu'il vous fait , par la calomnie qu'il vomit contre
vous, par la persécution dont il afflige votre vie , il vous
fasse faire pénitence , il vous fasse nettoyer de vos imper-
fections , vous donne sujet d'exercer la patience : Omnis
malus aut ideo vivit, ut corrigatur , aut ideo vivit, ut
\iereum bonus exerceaîur , dit S. Augustin. Si vous êtes
philosophe, on pourra vous dire que cet homme privé de
toute vertu , est peut-être au monde ce que la privation est
en la physique ? c'est peut-être un principe et un commen-
P< URQl ! LES PECHEURS PROSPERENT. 3 I i.)
ml de quelque boD compose. Si vous êtes gentilhomme,
o'esl que Dieu l'ait à cette impie ou débauché , comme vous
faites à votre oiseau quand il a pris ressort, vous lui pré-
sentez une pièce de chair pour le leurrer et rappeler à votre
main. Ainsi Dieu donne les biens temporels à cet homme qui
éloigné de lui pour l'amorcer par se:, appâts et le faire
rentrer en .sa -race. Si vous êtes théologien, Dieu pratique
le conseil qu'il nous donne par la bouche du Sage : Siesu-
ricrit ininùvustuus cibaillum , hoc enini faciens car-
honte ignio congères super caput ejus. Les bénéfices
que Dieu lait à ses ennemis sont autant de charbons ardents
qu'il assemble sur leur tétc pour les échauffer , s'il est pos-
sible , h l'amour de sa bonté.
Disons doue avec l'Eglise , ô Ame dévote ! Laudantus
enedicimus te,adora»u<s te^jlorijlcamus te y ara-
ujimustibi proplcr maynam gloriam tuanu Dieu
éni , loué, gloriOé, remercié à jamais de cette grande
ricordequ'il a exercée à notre égard, nous attendant si
erops , si patiemment, si débonoairement quand nous
étions en mauvais état; hélas ! s'il nous eût pris au pied levé,
rions-nous maintenant ? ne serions-nous pas uiisé-
s ? ne serions-nous pas perdus pour jamais > Nous le
M , et il nous poursuivait; nous le méprisions , et il
non., recherchait; nous l'offensions , et il nous conservait;
qu'il en soit béni à jamais ! que cotre cœur se fonde en son
amour ! que notre bouche retentisse de ses louanges ! que
\l moments de la vie qui nous restent lui soient en-
-acres ! et afin de rendre quelque hommage à
icorde , honorons-la par imitation.
ctdm. — Expédiai peccatorem , de.
— I E* perte projet mi.) Car c'est la seconde
i pour laquelle il attend patiemment le pécheur et nous
promptement , afin de nous apprendre par cetexem-
I ipts à aider le prochain , pesants et tardifs à
J Uim mendiant est à votre porte,
le de notre Saufeur - secourex-Ie soudain , ne
320 SERMÔiN CCXCI1.
le laissez pas geler de froid , ne lui faites pas tant de ques-
tions; vous lui faites plus de mal par la confusion que vous
lui donnez, que de bien par votre aumône ; toutes ces inter-
rogations seraient bonnes si vous vouliez donner l'aumône
par pure compassion naturelle ou par motif de prudence
mondaine; mais si vous voulez donner comme le chrétien
la doit donner, par motif d'amour de Dieu , il faut la don-
ner amoureusement, joyeusement , promptement , sans tant
de remises : Qui cito dat bis dat , hilarem datorem di-
ligit Deus. Et au contraire, quand il faut châtier, ayez un
peu de patience, ne soyez pas si prompt : cette précipita-
tion à châtier ou à reprendre les fautes de vos domestiques,
quand vous êtes en colère , endommage beaucoup et ne
profite à personne; elle vous endommage , car elle est cause
de plusieurs jurements, malédictions et blasphèmes que
vous proférez ; elle ne profite pas , car quand celui que vous
reprenez est encore en l'ardeur de son péché , transporté de
sa passion , il n'est pas susceptible de bonnes impressions ,
il n'est pas en état de faire son profit de ce que vous lui
direz, il est incapable de bien concevoir vos salutaires aver-
tissements , encore moins de recevoir une rigoureuse cor-
rection ; il vaut mieux un peu différer. Un père bien avisé ne
corrige pas son enfant qui s'est enivré , pendant qu'il est
ivre , il laisse digérer son vin , et puis il choisit l'occasion.
Un sage et bien expert médecin n'ordonne pas une poîion
quand la maladie est en crise , il laisse passer cet excès , et
puis il envoie l'apothicaire. Quand votre domestique ou quel-
que autre de vos prochains vous offense , il est ivre de sa
passion ; laissez refroidir cette chaleur, et puis vous lui re-
montrerez sa faute. Cette débauche que votre serviteur vient
de faire , cette calomnie que votre voisin vous dit en sa co-
lère, c'est une fièvre d'esprit qui est en ses jours critiques ;
différez un peu votre ordonnance, attendez de vous justifier,
retenez un peu votre zèle indiscret : Diffèr, halent parvœ
commoda magna morœ ; peut-être que lui-même se re-
connaîtra sans votre correction. Les plaisirs et voluptés de
ce monde ont bien un peu de douceur en leurs commence-
POUftQUOJ LE3 PECHEURS PROSPERENT. 321
mcnîsct dans leurs promicros apparences, mais ils portent
toujours ou croupe Pamerlume et la repentance. Peut-être
que ce jeune homme, libertin et débauché, goûtant le fiel
do la douleur après le miel de la douceur, se dégoûtera du
péché : los chemins du vice sont toujours après et difficiles:
Ambulavimus in n'as difficiles,' enfin il s'en lassera et
sera contraint de rentrer au sentier de la vertu ; et puis bien
qu'il soit en sou bon sens et en bonne disposition de rece-
voir quelque réprimande, il ne prendra pas de bonne part
celle que vous lui ferez maintenant , parce qu'il voit que vous
Iles en colère , il attribuera à votre fureur toutes les bonnes
remontrances que vous lui ferez , et pensera que c'est la co-
lère qui vous fait dire tout ce que vous dites.
x — (2° Ex parte nostri.) On sait que quand vous
êtes en une passion , vous ne pouvez faire aucune belle ac-
tion : quand voire horloge est égarée, que les mouvements
en sont déréglés, les contrepoids démontés, les roues mal
conduites, fous n'ayez pas égard à sa sonnerie, parce que vous
savez bien que le dehors ne peut être bien réglé , quand le
dedans est désordonné, et qu'elle sonnera aussitôt quatorze
a que douze. Quand celui que vous reprenez vous voit
transporté de colère, il sait bien que les roues de votre es-
prit sont démontées, que toutes les puissances et facultés
de votre âme sont en désordre, que vous avez l'entendement
hors de sa droite et légitime assiette : Fuvor traque men-
ton précipitant; turbatus est in ira oculus meus;
pour cela on ne se règle pas à votre sonnerie , on n'a pas
Égard à vos paroles , on ne prend point avis de votre esprit
pu n est pas bien conseillé , on pense que vous sonnez qua-
torze au lieu de douze , que vous faites la faute plus grande
I" elle n est ,ef au lieu d'un bon amendement, vous ne ga-
lles murmures et détractions qu'on fait de vous ;
"> l««l que si vous attendiez de reprendre jusqu'à ce que ce
iremier mouvement fût un peu calmé, on prendrait de
K>nne part tout ce que vous remontreriez. Voyez comme
*eo se comporte envers les pécheurs, avec quelle patience
I longanimité il les supporte et comme il les gagne parla
322 SERMON CCXCÏÎ.
douceur. Combien y a-t-il do Saints dans le ciel qui ont
rendu de très bons services à Dieu et beaucoup profilé à
l'Eglise , qui n'eussent rien fait de tout cela , s'il les eût pu-
nis aussitôt après leur pé-ché ; il les a attendus patiem ruent,
il les a soufferts miséri«ordîeusement, obligés par mille
bienfaits ; enfin ils se sont convertis , et Pont servi plus cou
rageusement que les autres, et ils l'en remercient mainte-
nant dans le ciel et ils l'en remercieront à jamais.
tertium punctum. — Expeciat , etc.
O — (1 ° Exemple) Davidis.) La troisième raison pour
laquelle Dieu attend le pécheur , c'est le profit et futilité du
même pécheur, afin d'amollir son cœur endurci par cette
douceur et cette bénignité. Dieu se comporte envers les pé-
cheurs comme le prophète David se comporta envers Saiil.
David était encore sujet et vassal de Saiil, néanmoins comme
îî était vaillant et aguerri , ayant tué en duel le géant Go-
liath et ayant défait en bataille plusieurs Philistins, Saiil
commença à le craindre, La royauté est un si friand mor-
ceau , comme disait un ancien , que c'est un miracle quand
le père ne se défie pas de son propre enfant, et lui laisse tenir
une épée nue auprès de sa majesté. Saiil craignant donc
que David ne se glissât petit à petit sur son trône et ne lut
enlevât la couronne, commença aie persécuter avec tant de
passion , qu'il assemble une grosse armée , le poursuit dans
le désert, le cherche par montagnes et vallées, pour le faire
mourir. Or il arriva un jour que Saiil s'étant campé en la
solitude de Gabaa , étant las et accablé du chemin , s'en-
dormit lui et toute son armée, et même Abner, son conné-
table. David qui n'était guère loin de là , s'étant aperçu
d'un si profond silence qui était au camp de l'ennemi , s'en
vient épier ce qu'on y faisait avec un de ses favoris nommé
Abysaï ; quand ils virent que le roi et toute sa suite étaient
ensevelis en un si grand sommeil, Abysaï dit à David : Eh
bien ! Monseigneur, c'est maintenant que Dieu a mis votre
ennemi entre vos mains, il ne tiendra qu'à vous que vous ne
soyez aujourd'hui roi j vous plail — il que je tue Saiil qui
tQUOI ï.rs PÉCHEURS PROSPERENT. : ': ;
VOUS persécute ? si nous ne profilons pas de celle belle oc-
ii, nous ne la retrouverons pas si aisément. Garde-t-en
, dit David; j'aimerais mieux avoir perdu la vie que de
permettre (iu\)ii fit le moindre tort au roi qui est Point du
Seigneur; il faut attendre la disposition de Dieu: quand il
lui plaira , il lui fera connaître le tort qu'il me fait de me
écuter sans cause; de sorte qu'ils ne firent point de mal
a Sattl nia aucun de ses gens; seulement, pour lui mon-
trer qu'il avait eu sa vie eu sa puissance, il lui prit tout
doucement une hallebarde et un verre d'eau qu'il avait ail-
le lui, et puis se retira en la montagne prochaine :
quand ils furent au-dessus du mont et qu'ils se virent en
suivie , David cria à liante voix : Et bien , Abner , tu es un
habile homme, vraiment tu es un beau connétable ! oh ! les
bonnes sentinelles que tu as posées, et que lu veilles bien à
de ton prince ! regarde qu'on lui a pris sa hallc-
, i I qu'on a eu le pouvoir de le mettre à mort fort af-
Quand le roi Saul entendit cette voix et qu'il vit le
i ou il avait ete et la miséricorde que David avait
exercée enfers lui, il fut tellement attendri et convaincu
!'"• cette courtoisie , qu'il s'écria en pleurant : N'est-ce pas
roosquej entends, mon fils, mon ami David? je suis un fou
ater , retournez , je ne vous ferai jamais mal;
blement vous avez bien montré que vous êtes plus sa-e
que moi , que vous n'avez point de dessein contre ma cou-
ronne, que ma vie vous est plus chère que je ne pensais ; j'ai
mal fait , je me repens de vous avoir ainsi persécuté. Celte
corde <pie David fit à Saûl , n'était rien en
raison de celle de Dieu à votre égard, si vous consi-
Ltience et sa longanimité invincible; il faut dira
toi plus endurci que Sattl, si vous ne pleurez et
laites pénitence. Sattl était déjà réproufé de Dieu,
inmoins il est tellement touché par unecourloisie, que
'."•uuit UD «jets qui ne Pavait pas lue le pouvant
a faute avec larmes, il se repedt, il est
,)Ucndri ( : r , il promet de ne le plus persécuter.
lui d'avoir (anl offensé eo
324 SERMON CCXCII.
bon Dieu ; il n'est pas votre sujet comme David était vassal
de Saûl , au contraire il est votre Roi et Souverain ; vous
ne craignez pas qu'il vous ôte la vie , comme Saiil le crai-
gnait de David , et cependant vous le persécutez, vous l'of-
fensez , vous le blasphémez ; quel mal vous a-t-il fait ? en
quoi vous a-t-il désobligé ? en quoi a-t-il mérité que vous le
persécutiez de la sorte ? Il a toujours votre vie entre ses
mains ; il a toujours le pouvoir de vous abîmer aux enfers ;
il peut à chaque moment vous perdre et vous anéantir ; et
s'il voulait croire sa justice, qui lui conseille comme Àbysaï,
il l'aurait déjà fait il y a longtemps ; non, mais il vous ché-
rit tant , il fait tant d'état de votre salut , qu'au lieu de vous
mettre à mort , il est près de mourir pour vous ; il vous ôte
quelquefois votre hallebarde , cette santé , ces biens tempo-
rels, ces forces corporelles? cet enfant qui est cause que
vous l'offensez , c'est la hallebarde et la flèche avec laquelle
vous le persécutez , il vous les ôte quelquefois pour vous
montrer que vous êtes en sa puissance, et que toutes les
créatures dorment à votre défense , s'il voulait vous perdre
ou vous nuire : pleurez donc , pleurez , et dites comme Saiil :
Peccavi , apparet quod s fuite fecerim : J'ai péché, je suis
un fou , un aveugle , un étourdi et insensé d'offenser un si
bon Dieu. Véritablement , mon Dieu , vous êtes juste , et
moi je suis un misérable et un ingrat : Ta enim tribu isti
Ttxihi bona , et eyo reddidi tihi mala,
P. — (2° Paraphrasi , etc.) Voulez-vous voir la dou-
ceur incroyable, la patience et la miséricorde qu'il exerce
en votre endroit? écoulons-le parler, et finissons par les pa-
roles de l'Apocalypse : ( 3. 20.) Ecce sto ad ostium , et
puho ; si quis mihi aperuerit , intrabo ad illum , et
cœnabo cum Mo, et ipsemecum. Autant de paroles , au-
tant de vives pointes pour percer nos cœurs , s'ils ne sont de
diamant. Ecce , c'est un mot qui signifie dans l'Ecriture
quelque chose d'extraordinaire et digne d'étonnement ,
comme : Ecce virgo concipiet ; Ecce facio Verbam
quod quicvnque audierit. C'est une grande merveille
qu'un si grand Seigneur comme Dieu , qui n'a besoin d'au-
POI &QU01 LES PÉCHEURS PROSPERENT. ,T2.j
mue cnose , daigne attendre à notre porte, [maginez-*ôus
quelqu'un , pour qui vous avez de l'amour et du respect,
i rivons avait demandé quelque courtoisie , feriez-vous lé
rétif? le feriez-vous attendre si longtemps, s'il l'avait de-
mandé cinq ou six fois ? Si vous lui aviez promis plusieurs
fus , n aunez-vous pas honte de manquer à votre promesse
et de retarder davantage? Regardez comme vous traitez
Dieu ; il y a si Ion-temps qu'il demanda votre con-
version , vous la lui avez promise si souvent en vos confes-
sions , en vos prières, en vos afflictions, et vous manquez à
votre promesse. Eccesto, il y a au grec éa^, steti-, il n'est
pas seulement à votre porte dès à présent , il y a plus de
dix ans , plus de vingt , plus de trente. Si un pauvre men-
diant avait attendu à votre porte une semaine entière pour
avoir une petite aumône , quand ce serait le plus ehétif et le
plus indigne de la terre, quand vous auriez un cœur de bronze
fous en auriez compassion. Exportai Dominas ut mise-
Dieu n'a pas attendu une semaine, mais les mois,
■ nées, les dix années entières, et vous différez encore !
\ oyei quand vous êtes en quelque affliction, et que vous
>«/ 1 aide de Dieu, comme vousvoulcz qu'il vous exauce
promptemenl : In quacumque die invocavero le, vélo-
Citer exaudi me ; et vous le faites attendre si longtemps!
àto ad aetium , non pas ad ostia /c'est une faveur parti-
culière qu il vous fait , et qu'il n'a pas faite à une infinité
• autres. Repassez en votre mémoire les compagnons que
vous ayez eus en divers endroits, en divers âges, en diverses
conditions, vous verrez qu'une grande partie ont été pris
au milieu de leurs débauches, dans l'ardeur delà jeunesse,
'} qu il> brûlent maintenant dans les enfers ; vous avez of-
fensé Dieu comme eux, avec eux, peut-être plus qu'eux, et
s ■ laissé i •! pour foire pénitence. Oh! comme ils dé-
sirent un quart d'heure de temps que Vous employez si mal!
le ménageraienl bien! oh! le grand profit qu'ils e»
ad ostium , et puise ; ces petites affliction*
1,1 ' y 'nt des coups qui frappent à votre
Diminué cm fit mgriiudini* moles-
y
326 SERMON ccxcir.
tias, mortem vicinam esse désignât , dit S. Grégoire.
Vous pensez encore avoir beaucoup de temps , vous vous
trompez, la mort s'approche; cette défluxion qui vous tombe
sur l'estomac , cette difficulté de respirer , celte autre in-
commodité qui vous est arrivée depuis peu, vous avertit de
votre fin , et qu'il faut bientôt rendre compte. Sto , c'est la
posture d'un homme qui veut passer outre; il n'est pas assis,
il est tout droit ; prenez garde qu'il ne s'en aille et qu1il ne
vous abondonne , si vous méprisez ses semonces, si vous ne
le voulez quand il le désire, il ne le désirera pas quand vous
le voudrez.
Sachez que Dieu a mis des bornes à toute chose , même
à la mer , à laquelle il a dit : Hue usque ventes ; il a
établi aussi certaines mesures de ses grâces et de nos péchés,
à l'un plus grande , à l'autre plus petite ; quand on est ar-
rivé à un certain nombre déterminé de péchés , quand on a
abusé de ses grâces en certaine quantité , il nous appelle à
lui pour rendre compte : Ecce compléta est malitia Arnor*
rhœorum.
Impiété mensuram patrxim vestrorum ; mimer avit
Deus regnum tuum, et complevit illud. Peut-être que
le dernier péché que vous avez commis est le dernier qu'il
veut vous pardonner ; peut-être que si vous retombez , le
premier péché que vous commettrez fera le comble de la
mesure , et donnera le mouvement à votre damnation; peut-
être que l'inspiration qu'il vous donne maintenant , vous
priant par ma bouche de vous convertir , c'est la dernière
grâce qu'il veut vous faire ; ouvrez-lui donc , si vous êtes
sage , si quis aperuerit; ouvrez-lui la porte de votre cœur
par un entier consentement à sa vocation , par une vraie vo-
lonté de vous donner à lui tout-à-fait, de vous adonner à bon
escient à son service, de vous abandonner à tous ses vouloirs
et desseins; il n'y a peut-être en votre cœur qu'une méchante
pièce de fer, qu'un petit loquet qui l'empêche d'entrer;
l'affection obstinée que vous avez à je ne sais quoi , à un
jeune homme qui vous abuse , à une fille qui vous charme ,
à une vengeance , à une passion ; voulez-vous que si peu de
POURQUOI Lis PECHEURS PROSPERENT. 327
chose vous empêche un si grand bonheur? rompez généreu-
lemenf tout cola , el ouvrez votre coeur à Jésus ; il dit qu'il
(■ être festoyé chez vous : ( 'œnabocum Mo, et ipse me-
cum ; sa boisson, c'est Peau des larmes qu'il veut que vous
répandiez pour vos péchés; il désire que vous lui disiez comme
Je prophète : Inebriaho /<• lacrymis mois ; sa viande, c'est
que vous fassiez la volonté de bob Père , que vous preniez
une ferme el sérieuse résolution de garder ses commande-
ments : Ejus cibuê est ut fadas volunttatem Pat?-is ejus/
si vous lui ouvrez, si vous le recevez, si vous le festoyez, il
vou> rendra la pareille , il vous recevra dans son banquet
céleste, il vous festoiera éternellement : Cœnaho cum HIo1
et t'fse mecum , dit-il , et ipse mecum. Amen,
SERMON CCXCIII.
DE LA PIEUSE IMPUDENCE ET DE LA HONTE LOUABLE
DE SAINTE MAKIE-MADELEINE.
S(ans rétro seeus pedes Domini.
Elle vint par derrière se prosterner aux pieds de Jésus. (Luc. 7. 57.)
Notre sainte pénitente connaissant le mauvais état où
elle était , et sentant Foppressiou tyrannique de l'esprit
malin , se souvient de ce que le prophète a dit en parlant du
Messie : Egredietur diabolus mite pedes ejus; pour don-
ner la fuite au tentateur , elle va se prosterner aux pieds
sacrés du Sauveur. Avant que de vous parler des saintes
actions qu'elle y pratiqua, en les arrosant de ses larmes, en
les essuyant, en les baisant, en les embaumant, il me sem-
ble à propos de considérer la pieuse impudence et la honte
louable dont elle donne un rare exemple à toutes les âmes
pénitentes.
IDEA SE11MONIS.
Exordium. A. Quid sit pudor.
Primum punctum Contra malum pudorem : — B. 1 °Scrip-
tura. — G. 2° Patribus. — D. 3° Rationibus : Pri-
ma , quia impedit bona opéra. — E. Secunda , est
causa maiorum operum. — F. 4° Argumentis con-
globatis.
Secundum punctum. De lono pudore : — G. \° Scrip-
tara. — H. 2° Patribus. -— I. 3° Historia.
Conelusio. L. Paraplirasis illorum verborum : Fecislis
universum malum hoc : lamen noiite recedere à tergo
Dominu
ÉLK.MON (CM. III. DE LA HONTE, CtC. 329
EXOKDIUM:T;
A. — (Qut'd sitpudor.) Ou notre sainte pénitente est
honteuse , ou elle ne Test pas ; si elle a de la honte , com-
iii i" ii t va-t-elle par la rue toute échevelée ? pourquoi en
plein midi ? pourquoi fait-elle une action si extraordinaire
au milieu d'un festin ? pourquoi cherche— t— elle avee tant
d'impudence le remède de son ame ? Quœrit pia impu-
dentia aamiaiem^ dit S. Grégoire; si elle n'a point de
honte , comment ne parle— t— elle pas tout haut ? d'où vient
qu'elle se met derrière notre Sauveur? pourquoi se couche-
t— elle par terre ? d'où vient qu'elle se cache à l'ombre de
SCS pieds sacrés : Rétro secus pedes Domini.
La honte , dit la philosophie morale , (D. Th. 22. de q.
1 'ri. art. 2.) c'est une certaine crainte qui couvre de rou-
geur notre face , crainte causée par l'appréhension que nous
- de ce qui peut nous apporter quelque déshonneur et
infamie ; car quoique tonte honte soit une espèce de crainte,
il y a néanmoins une grande différence entre la crainte et la
honte. Dans la crainte nous appréhendons ce qui peut nuire
à notre individu , nous redoutons les dangers qui tendent à
la ruine et à la destruction de notre personne ; pour cela ,
la nature va ramassant et recueillant les esprit vitaux, le
sang et la chaleur naturelle au cœur , comme en la source
de vie , la citadelle et la place la plus importante; ainsi que
dans une ville , quand il se fait une alarme subite la meil-
leure partie des soldats se rend au donjon ou au palais pour
défendre le roi. De là vient que dans la crainte on a une cou-
leur pâle , les membres se glacent , tout le corps tremble
et frissonne , parce que le sang et la chaleur se sont retirés
d- - parties extérieures pour environner et défendre Je cœur.
Aristote dit que les animaux qui sont le plus timides, comme
! rf et le lièvre , ont le cœur plus grand et plus large ;
ce que le Créateur a fait sagement , alin qu'il y ait plus de
capacité pour recevoir le sang qui s'y rend en plus grande
abondance
Dans la honte , tout nu contraire , nous ne craignons pas
3û0 SiihMUN CCXCI1I.
ce qui peut détruire noire personne , mais ce qui peut ter-
nir notre gloire , flétrir notre honneur, faire brèche à notre
réputation , alors la nature providente envoie la chaleur et
le sang au visage , comme un voile d'écarlate, pour couvrir
par cette rougeur la confusion qu'on endure , comme nous
voyons ordinairement que ceux qui sont atteints de honte ,
portent la main sur le front et les yeux , pour les couvrir
et les cacher. Cette considération nous oblige à conclure
avec le Sage qu'il y a deux sortes de honte : l'une mauvaise,
déraisonnable, vicieuse, l'autre bonne, louable et vertueuse;
la mauvaise est quand vous avez honte de faire une bonne
œuvre, ou de vous abstenir d'une méchante action ; elle est
mauvaise , car elle craint où il ne faut pas craindre , elle
redoute le déshonneur où il n'y en a point ; il n^ a point de
déshonneur dans la pratique de la yerlu , ni dans la fuite du
vice : II lie trepidaverunt timoré ubî non erat timor; la
honte louable et vertueuse est quand vous éprouvez de la
confusion d'être esclave de quelque vice ou privé de quelque
vertu : Est confusio adducens peccatum , et est cou fu--
sio adducens g loriam. (Eccli. h. 25.) 1
Sainte Madeleine a été exempte de la honte mauvaise et
vicieuse , et douée de celle qui est bonne et vertueuse , ce
qui est exprimé en ces deux paroles : Stans rétro ; stans,
ne signifie pas toujours être sur pied , mais être hardi et
courageux. Au Deutéronome , (9. 18.) Moïse priant pour
le peuple; était prosterné devant Dieu: Procidit ante Do-
minum; et toutefois le Fsalmiste dit : (Psal. dit 105. 23.)
Si non Moyses electus ejus stetisset. Madeleine n'a pas
la honte mauvaise , pour cela elle fait courageusement cet
acte héroïque d'humiliation en bonne compagnie : elle a la
honte qui est bonne honte de ses péchés passés , pour cela
elle n'ose paraître à la face de Jésus , mais elle se cache par
derrière àses pieds, stans rétro. Nous devons l'imiter dans
ces deux dispositions , comme je vous le montrerai dans les
deux points de ce discours.
DE LA HOME LOUABLE DE MADELEINE. 331
l'Ui.MUM PUNCTUM. — Contra , etc.
1) — (4° Script ura.) Le Fils de Dieu nous dissuade la
nianvai.se honte , quand il dit en S. Matthieu : celui qui
nfaura loué devant les hommes, je le louerai en la présence
de mon Père qui est au ciel ; (I) et en S. Luc : Celui qui
aura houle de montrer qu'il est mon disciple et partisan de
mes maximes, j'aurai houle de lui quand je viendrai dans la
pompe de ma gloire, et dans celle de mon Père et de mes
anges, p)
L n ancien disait que l'éloquence exerce une domination
sur les cités libres : E/oqueniia liberis civitatibus do-
minatur, il faut dire à présent loquentia. La religion
chrétienne, qui est libre et affranchie de la persécution des
païens, est à présent tyrannisée par le babil et la raillerie
imes mondaines.
C. — /42° P«4rtA«*.) Et c'est proprement, dit S. Bernard,
que l'Eglise peut dire avec vérité : In pace amaritado
mea amarissima , car elle est beaucoup plus cruelle
«Ile des tyrans. Dans la persécution des tyrans, on
I pas prier, ni faire desexercices de dévotion en public;
ou cherchait les caves, les grottes et maisons particulières;
mais au moins dans ces lieux-là on priait Dieu librement,
on recevait les sacrements sans contradiction. La persécu-
tion des mondains est cause que plusieurs n'osent prier Dieu
soir et malin dans les maisons particulières, pour n'être pas
appelés bigots ; ils n'osent pas fréquenter les sacrements ,
être assidus au service divin, parce qu'on les appelle hypo-
crites; ils n'osent pas être consciencieux et retenus à dire
des paroles déshonnèles , à faire des actions insolentes,
qu'on les appelle scrupuleux ; péché détestable et
luné tout-à-fait de persécuter le christianisme dans
le christianisme même ; avoir prêté serment de fidélité à
1 i Tarn honiiniLus, confitebor et ego cum coram
1 [Matlb. lo. :,:>.)
(?) Q erit, 'l ijk-os sermoncs, huucFilius Iiominis erubesect,
.-, et saaclorum angc!orura. ( Luc. 9, 20.)
332 SERMON CCXCIIt.
Jésus au sacrement de baptême, et se moquer de ceux qui
lui sont fidèle*; ne pas se contenter de ne pas servir Dieu ,
mais se moquer de ceux qui le servent; péché non de fra-
gilité et d'ignorance, mais de malice et de mépris formel.
Cette persécution est si dangereuse aux âmes chrétiennes;
que Jésus a institué tout exprès un sacrement dans son
Eglise pour nous armer contre ses attaques. Nous avons
deux ennemis étrangers et externes qui nous donnent de
furieux assauts , Satan et le monde. Jésus a institué deux
sacrements pour nous munir contre leurs persécutions :
rextrême-onction pour nous fortifier contre Satan qui re-
double sa rage, joue de son reste, exerce ses plus grandes
hostilités à l'heure de notre mort ; la confirmation contre
le monde , sacrement si excellent qu'il n'y a que l'évêque
qui puisse le conférer; il imprime le caractère par lequel
nous sommes enrôlés dans la milice de Jésus , et il confère
la plénitude du Saint-Esprit, ce que ne fait pas l'extréme-
onclion ; je sais bien que ce sacrement est institué pour
nous encourager à souffrir des tourments pour la querelle
de la foi , pour cela on donne un soufflet ; mais aussi il
est institué pour nous encourager à mépriser la honte pour
la querelle de la piété chrétienne , pour cela on y fait le
signe de la croix au front , qui est le siège de la honte. Il
est institué pour nous armer contre les persécutions des
tyrans, mais aussi pour nous fortifier contre les persécutions
des mauvais chrétiens, qui sont souvent plus dangereuses
et plus malignes que celles des païens.
D. — (3° Rationibus : Prima , Quia , etc. ) Celte
honte vicieuse est un grand empêchement à la pratique de
plusieurs vertus, etunpiégedangereuxetuneoccasion à beau*
coup de péchés. Qui observai ventum nunquam semiîîat,
dit le Saint-Esprit : ( Eccle. 11. 4. ) Celui qui va si
souvent regarder la girouette et s'arrête à son mouvement,
entreprend difficilement quelque voyage ; celui qui a tant
d'égard au vent et au temps qu'il fait, se résout mal volon-
tiers à ensemencer ses terres. Si vous avez tant de respects
mondains, de considérations humaines, de crainte de dé-
1)1 LA HONTE LOUABLE DK MADELEINE. 333
plaire au tiers ou au quart, tant d'égard à ce que Pou dira
ou pensera de vous, à la girouette inconstante du jugement
des hommes, au vent de leurs paroles, vous n'entreprendrez
pas le dessein de votre conversion , le voyage de la perfec-
tion, ni les semailles des bonnes œuvres qui doivent fruc-
tifier pour la vie éternelle. Que dira-t-on, que pensera-t-on
si je sors de eette maison , si je quitte celte compagnie, si
je fais divorce avec celte personne que j'ai tant hantée, si je
ne suis plus aussi pompeusement vêtu que je Pétais, si je
communie tous les dimanches, si je vais après le Saint-Sa-
crement ?
E. — ( Secmida, Est causa malarum., ) Cette mau-
vaise honte n'est pas seulement la marâtre des vertus, elle
est encore la mère ou la nourrice de plusieurs vices : Est
confusio adducens peccafum. Vous commettez des sacri-
lèges en vous confessant ; vous communiez indignement
par honte de découvrir votre péché ; vous portez faux té-
moignage , en n'osant éconduirc celui qui vous en prie ;
fous dites des paroles déshonnètes , vous contribuez à la
médisance } vous vous permettez des privautés lascives ,
vois tenez compagnie à celui qui va dérober votre honneur
par honte de donner un refus; pauvre insensée, ce méchant
homme n'a point de honte de vous prier d'une action noire,
et vous avez honte de la lui refuser , c'est lui qui devrait
rougir, et non pas vous.
Que dites-vous de ces anciens qui sont tant blâmés dans
Plutarque , et ajuste raison ? Dion, Anlipater , Hercule ,
fds d'Alexandre, qui étant invités à des festins où ils savaient
très assurément qu'on leur dressait des embûches, et qu'on
les ajournerait traîtreusement, n'osaient refuser d'y aller
par houle de rebuter leurs amis qui les en priaient; n'"c-
ttient-ib pas perclus de jugement ? et vous Pètes plus
:v. Vous wvei que votre àme mourra par un péché
mortel , en celte compagnie par médisance, en ce festin
par ivrognerie , en ce jeu par des jurements, en ces danses
par pensées impures; vous voudriez bien en être dispensé,
mais vous n'osez refuser à ceux qui vous en prient ; c^est
334 sermon ccxcni.
malgré vous que vous y allez , mais yous ne sauriez faire
autrement. Un ancien juge répondit à un jeune homme
qui, s'excusant sur la compagnie, disait : C'est malgré moi
que j'ai fait ce crime ; et tu seras pendu malgré toi. Vous
serez aussi damné malgré vous.
F. — ( 4° Argumentis conglohatis. ) Que dira-t-on,
que pensera-t-on ? Quel est cet on que vous craignez tant ?
quelque renieur de Dieu, quelque impie, quelque athée;
au lieu que les gens de bien t les vertueux , les bons et
solides esprits vous estimeront et vous honoreront. Si un
boiteux se moquait de vous de ce que vous marchez bien
droit, n'auriez vous pas bonne grâce d'en avoir honte et de
contrefaire le boiteux? Quand un cavalier va à Paris , si
dans tous les villages où il passe il mettait pied à terre ,
tirait son épée , s'amusait à combattre tous les chiens qui
aboient, on se moquerait de lui , il n'arriverait jamais où
il va; il passe son chemin et les laisse aboyer ; c'est leur
coutume de japper contre tous ceux qui passent ; quand ils
auront bien crié, il faudra qu'ils se taisent. Votre dessein est
d'aller en paradis, vous êtes dans le chemin de la perfection
pour cela ; si vous voulez vous amuser à tout ce que disent
les gens du monde , vous n'aurez jamais fait , et vous vous
rendrez ridicule; laissez-les dire, c'est à vous de bien faire,
e( à eux de mal parier : vous ne sauriez les empêcher de
médire, non plus qu'à un chien d'aboyer.
Quoi que vous fassiez vous serez l'occupation des mau-
vaises langues, vos intentions seront jugées , vos actions
contrôlées. Si vous êtes simplement vêtu, on vous traite
d'hypocrite ; si vous êtes bien habillé selon votre état, on
vous prend pour un glorieux. Si vous pardonnez les injures,
on vous appelle lâche. Si vous défendez votre droit, vindi-
catif; si vous jeûnez, dissimulé; si vous vous nourrissez, gour-
mand ; si vous prêchez doucement , vous endormez le monde ; si
vous prêchez avec vigueur , vous vous passionné ; si vous
reprenez les vices , vous êtes trop violent ; si vous ne les
reprenez pas , vous êtes un flatteur. S. Jean ne buvait
ni ne mangeait , on disait qu'il était possédé \ Jésus buvait
DT LA HONTE LOUABLK DL MADELEINE. 335
et mangeait , on disait qu'il était ami de la bonne chère.
T 15 ees (lux de langue ne s'arrêtent que par un généreux
mépris. Vous avez deux oreilles, et ils n'ont qu'une bouche,
tous en pouvez plus entendre qu'ils n'en sauraient dire ;
quand ils auront bien parlé , ils se lasseront et vous hono-
r< ront, car enfin la vertu se fait estimer tôt ou tard ; nous
admirons toujours ce à quoi nous ne pouvons atteindre.
Quand vous êtes vertueux, les gens du monde se mo-
quent de vous en apparence , mais au fond de leur âme ils
vous honorent ; ils vous raillent extérieurement , mais en
leur ùme ils vous estiment : je n'en veux point d'autre té-
moin que vous-même , quelque méchant que vous soyez,
fous admirez et vous respectez beaucoup en votre cœur
ceux que vous savez être bien avec Dieu , ceux que vous
vovez pratiquer des vertus bien héroïques ; l'honneur est
l'ombre de la vertu, il la suit partout où elle va. La glace
d'un miroir est un peu ternie par une petite haienée , mais
elle n'en esl pas cassée : le soleil peut être bien voilé par quel-
que nuage, mais non éteint. Celui qui mouche une chandelle
avec les doigts semble l'éteindre d'abord, mais au contraire
il la rend plus luisante et se noircit les doigts. Vos estis
I mundif celui qui se moque de vous et calomnie vos
actions semble étouffer votre gloire, il lui donne du lustre
et de l'éclat , et flétrit sa propre réputation , on l'estime
athée et réprouvé. C'est pour cela, dit S. Augustin, que la
langue du médisant est comparée à un rasoir : Sicut no-
Vdiula ucuta fecisii dolum ; le rasoir coupant le poil est
qu'il revient plus épais qu'il n'était. Quoiqu'il vous
semble qui ces risées au jugement du monde intéressent
îotre réputation , elle s'en augmentera et deviendra plus
signalée , et puis Dieu aura soin de votre honneur si vous
le méprisez el le foulez aux pieds pour l'amour de lui : si
tous aie* sa gloire devant les yeux, il aura la vôtre en re-
commandation. 11 disait à son prophète : Qui glorificant
yloh'ficabo eos ; qui autem scntemnunt me, erunt
M aller plus loin , note, ^a av^us une belle
preuve en notre Evangile. Sainte Madeleine, pour obéir i
336 sermon ccxcuj.
une inpiration de Dieu , et pour exercer un acte héroïque
d'humilité et de religion , ferme les yeux à tout respect
humain , va toute échevelée par la ville , pleure comme un
enfant, quitte la pompe de ses habits; elle qui était si noble,
qui avait été si bien suivie, si courtisée, selon l'apparence
humaine , devait perdre sa réputation , être montrée au
doigt, estimée interdite de jugement, délaissée comme une
folle , ou au moins comme une bigote , et toutefois après
cela elle est autant respectée qu'auparavant : les principaux
juifs viennent exprès de Jérusalem à Bélhanie pour la visiter
et la consoler sur la mort de son frère Lazare.
Il me semble que le conseil de S. François de Sales est
très salutaire : il conseille à tout les fidèles , et principale-
ment aux grands, de ne pas faire comme quelques-uns qui
yeulent bien aimer Dieu et l'honorer en leur intérieur, mais
ne veulent pas qu'on le sache; ils ont de la honte d'être estimés
dévots, veulent recevoir les sacrements, non avec les autres
fidèles, mais à l'écart, en des chapelles particulières. Ils ne
considèrent pas que Jésus a dit : Que votre lumière brille
devant les hommes, afin qu'ils glorifient votre Père céleste;
que S. Paul a dit que par la foi nous obtenons la justice ,
et par la profession extérieure de la foi nous méritons le
salut que Dieu a promis à ceux qui ne rougiront point de la
confesser devant les hommes. (I) Il est bon, dit ce saint
prélat de faire savoir à tout le monde que vous craignez
Dieu, que vous ne voudriez pas l'offenser pour tous les biens
(le la terre, et que vous êtes fâché quand on Poffense. Quand
vous aurez résisté courageusement deux ou trois fois à ceux
qui vous veulent porter au péché, et que vous aurez témoi-
gné qu'ils vous désobligent, on ne s'adressera plus à vous;
au lieu que si vous êtes lâche et honteux de refuser, vous
donnerez la hardiesse à mille effrontés de vous demander
impudemment ce que vous ne pouvez faire raisonnablement.
Celui qui n'est pas serviteur de Dieu, se rend esclave des
hommes ; celui qui n'est pas ferme dans la résolution d'a-
(1) Corde crçdilyr ad juslftin/n , orç {mleiQconfessio fit ad çalutem. (Rom»
iof 10.)
1)»: LA R0ISTI LOUABLU Dti MADELEINE. Sol
gréer en (oui et partout au Créateur, se rond complaisant
lux rréatures en mille actions iliicites. Comme les lieux
ni les égoûts et les cloaques où s'écoulent toutes les
ondices, ainsi ces âmes basses, craintives, sont le rendez-
vous de mille indignités qu'elles reçoivent des téméraires,
de mille incommodités qu'elles endurent, de mille péchés
qu'elles commettent pour se rendre complaisantes ; sembla-
bles à ces vases à deux anses , on les porte par les oreilles
en quelque lieu que Ton veuille, comme disait Bion le phi-
losophe ; un petit mol, de flatterie les fera aller jusqu'au bout
du monde, le zèle de la gloire de Dieu ne leur fera pas faire
pas. Oui, mais Jésus a dit : Quand vous ferez l'aumône,
<pie voire main gauche ne sache pas ce que fait la droite.
S Grégoire répond que eela s'entend de l'intention, et non
de l'action : Ha sit opus in publivo, ut intentio maneat
ccuito. Quand vous faites une bonne action à la vue
. si vous êtes en cette disposition que vous la
?si volontiers eu secret qu'en public, si vous ne la
- en public que parce que vous ne pouvez faire autrement,
i r à la messe paroissiale, aller après le Saint-
menl , visiter les hôpitaux, ou parce que vous voulez
donner bon exemple ; faction est en public, mais l'intention
est en secret ; voire main gauche ne sait ce que fait, la droite,
votre intention n'est pas gauche, vous ne perdez pas le
mérite , vous l'augmentez.
Ceux qui démolissent les maisons conliguës aux temples
il sur pied les murailles qui touchent à l'église, de
peur que ne voulant démolir qu'une maison profane , ils
-eut toniher un saint édifice. Ainsi , dit un sage phi—
ihe , il faut prendre garde que voulant déraciner la
mauvaise honte, nous ne ruinions celle qui est bonne et
salutaire , car est confusio adducens peccalum , mais
aussi est confusio adducens gloriam. La honte qu'on a de
i -i très juste , très raisonnable , très louable , elle
' ou il faut craindre , redoute l'infamie du péché qui
seul est <}'^ d'infamie.
338 SERMON CCXCIII.
Secundum punctum. — De bono pudore.
G. (1° iSWpÉwra.) Dieu reproche souvent aux réprouvés
qu'ils sont dépourvus de cette vertu qui devrait être une
bride pour les empêcher de tomber. Frons meretricis facta
est tibi , noluisti erubescere. Confusione non sunt
confusi, erubescere nescierunt : propterea cadentinter
corruentes ; ( Jerem. 3. 3. — 6. 15. ) et ailleurs (Isa.
3. 8. 9. ) il les reprend de ce qu'ils sont impudents comme
des chiens : « Lingua corum contra Dominum , ut provo-
« carent oculos majestatis ejus. Peccatum suum sicut So-
« doma prœdicaverunt. Vse animse eorum , quoniam reddita
« sunt eis mala ! »
Au contraire il loue l'àme choisie , son épouse , de ce
qu'elle est douée d'une sainte prudence ; elle est teinte de
rougeur qui est , comme dit Diogène , la teinture de la
vertu, la livrée des bonnes âmes. L'épouse (Cant. 1. 7.)
étant tombée dans une petite faute d'arrogance et de pré-
somption, l'Epoux qui ne laisse rien échapper aux âmes
qu'il affectionne , la reprend avec un peu d'aigreur , lui dit
qu'elle se méconnaît : Si ignoras te , egredere, et obi ;
elle rougit tout aussitôt , et couverte de confusion de la
faute qu'elle a commise , ce que voyant l'Epoux , il se met
à louer ses joues : Pulchrœ sunt genœ tuœ, sicut frag-
men mali punict : Vos joues sont belles comme les deux
moitiés d'une grenade, ce vermillon naturel qui les em-
pourpre m'est extrêmement agréable. Dans un autre lieu :
Midier sancia et pudorata ; être sainte et. honteuse sont
deux qualités jointes ensemble , deux perfections qui con-
coureiil à embellir une âme dévote.
H. — (2° Patribus.) S. Jérôme parlant à la vierge
Eustochium , et en elle à toutes les autres vierges , dit:
Quand le voile du temple fut rompu , la religion des Israé-
lites tomba par terre. Votre cœur, c'est un temple vivant
et animé : Corporavestra templum sunt Spiritus sancli;
la honte en est le voile teint en écarlate , comme ce voile
ancien : dès que ce voile est déchiré , dès que la honte est
DE LA HONTE LOUABLE DE MADELEINE. 339
o , adieu toute la religion , la dévotion , la ehasleté.
La pudeur et la pudieité ont la même élymologie et une
de affinité ensemble ; solliciter au mal une fille ou une
femme honnête , est un péché plus grand que si cotait une
fille volage ; et je sais bon gré à Plutarque de ce qu'il con-
seille aux pères et mères de famille de ne pas châtier leurs
enfants dans la rue ou en public, mais en telle sorte que
1 isins n'en sachent rien, tant que faire se \)cul. PCela
décrie, en quelque façon , la réputation d'un enfant, quand
il est détenu grand , on dît : Je me souviens qu'étant petit
llétail déjà sujet à un tel vice, sa mère l'en châtiait souvent; il
lest accoutume de longue main; quand vous le châtiez au
sîi de vos voisins , vous le rendez petit à petit insensible à la
confusion , vous lui enlevez la honte qui est une puissante
bride que Dieu a donnée aux hommes pour empêcher de
tomber dam les actions infâmes; que si cette honte ne nous
BCrt pas de frein pour nous retenir de tomber dans le péché
em' ' râ de bourreau quand nous y serons tombes!
I ■ des plus sensibles tourments que nous souffrirons en
enfer et au jugement de Dieu , et peut-être le plus grand ,
col la houle, c\st la honte que nous aurons de paraître
N«c un péché à la face de Dieu et des anges , tant le péché
»t mfame et abominable en leur présence: Sicuê divloide
•onfusionesua ; ils seront tant couverts de honte , ils en
*ronl revêtus comme d'une robe doublée, ils auront dou-
te confusion, intérieure devant Dieu , extérieure devant
> hommes : « Ecce servi mei laelabunlur , et vos con-
fumlen.ini: et prœ contritione cordis ululabitis. (Isa.
<'•>• 14.) Onmes manus dissolvcntur , et omnia germa
wenl iquis. Et operiel eos formîdo , et in omni fack
COBtusio. »(Ezech. 7. 17. 10.)
I ixpergiscentur ad opprobria, et contemptum semni-
ternum. l
?, et principes, et tribuni, et diVites,
ct , ",r: > cl omn,s M1 v"^ j * liber : se absconderunt in
, et dicunt montions et petril : Cadite super
kU\0 SERMON CCXCIlf.
« nos , et abscondite nos a facie sedeniis super ironum f
« et qui poterit stare ? » (Apoc. 6. 15. 16. 17.)
I. — (3° Historia.) Dans la yie des Pères il est dit , et
Denis le chartreux le rapporte, qu'un jeune homme voulant
se faire religieux, sa mère fit tout son possible pour rompre
ce dessein ; elle se servit à cet effet de tous les artifices que
son amour maternel lui purent suggérer. Il n'y voulut
jamais condescendre , il parait à tous les coups qu'on
lui portait par cette réponse : Servare cupio animam
meam. Voyant que ses prières , ses raisons, ses poursuites
ne servaient de rien , elle le laisse faire et s'en va. Il entre
en religion , s'y attiédit, mène une vie lâche et négligente.
A quelque temps de là sa mère meurt , il tombe dans une
grosse maladie , il est porté en extase au jugement de Dieu
en même temps que sa mère. Elle l'apercevant au nombre de
ceux qui attendaient l'arrêt de condamnation , lui dit tout
étonnée : Eli! qu'est cela! mon fils, en quel état êtes-vous ré-
duit? sont-ce les paroles que vous disiez avec tant de résolution,
que vous vouliez sauver votre âme ? ne m'aviez- vous pas
quittée pour cela? n'ètes-vous pas entré en religion pour cela?
n'avez-vouspas reçu la grâce pour cela? Il fut si éperdu et si
confus , qu'il ne sut que répondre. Il retourna en santé par
la miséricorde de Dieu , et il s'adonna à des pénitences
si âpres et si rigoureuses , qu'il intéressait notablement sa
santé ; à ceux qui le priaient de les modérer, il répondait :
Si je n'ai pas supporté un petit reproche que m'a fait ma
propre mère , comment supporterai-je la sentence de Jésus,
les réprimandes des bienheureux ?
Il nous faut dire de même , vous vous parjurez de peur
que votre mère ou votre maître ne vous réprimandent , si
vous mourez là-dessus vous êtes perdu éternellement; coin*
ment endurerez-vous la colère de Jésus ?
CONCLtJSIO.
L. — (Parr/phrasls.) Que je vous dise donc ce que Sa-
muel dit au peuple d'Israël : Eccefecistimiiversumma*
htm hoc : tamen nolite recedere a tergo Domini, sev~
DE r v HONTE LOUABLE DE MADELEINE. 3M
vitêilliin totocorde. (1 Reg, 12. 20.) Il dit malum hoc,
eu I individu , et il rappelle universel ; Dieu est un bien
universel, le péché qui lui est contraire est un mal univer-
sel, mal infâme. Vous êtes si sensible au moindre rabais:
Pour qui me prend-il ? est-il à comparer ? Si vous tics en
péché moi loi , vous êtes moins devant Dieu que votre ser-
vante qui est en grâce , moins que voire chien , moins qu'un
moucheron. Ad nihilum deducens est in conspectu ejus
, ad nihimm redactus su m.
Malum hoc, c'est un mal affligeant et douloureux ; vous
n^vez pas une Wnmc heure, vous ne reposez pas de bon
sommeil, vous êtes toujours en appréhension d'être surpris,
de mourir soudainement, de perdre ec que vous aimez.
Malum hoc, c'est un mal dommageable à Famé ; vous
?olre salut. Ces! nu mal pernicieux pour votre corps,
celle passion le ruine ; c'est un mal funeste à votre posté-
la punira pour vos péchés : « Visilans iniquilatem
« patrum in Gliosio tertiam , et quartam generationcm 5
rumtamen nolite recederea lergo Domini. » Quand
v isé Dieu, ne laites pas comme Jonas , ne
éloignez pas de lui , n'ajoutez pas péché sur péché;
lliei de lui à lui; de lui courroucé, à lui apaisé; jetez-vous aux
jieds de Jésus avec Madeleine. Les pieds de sa divinité, dit
v 1) rnard , sont sa miséricorde et sa justice : mettez vous
©près de la miséricorde, cela se fait avec une vive componc-
10:1: Juxta est Dominusiis qui trihulato sunt corde.
Auprès de sa justice; n'eu ayez pas de l'aversion ni de
; lement, soumettez-vous à ce qu'elle ordonnera. Ac-
Deus peccata tua, et si tu accusas , conjungeris
Augustin: (tract. 12. in Joan.) Dieu accuse
>; si vo s les confessez sans vous excuser, vous
'■ lui, vous gagnez son cœur et son affec-
land vous châtiez voire enfant qui a fait une
1 crime, se soumet à la correction, dit
" ■' !! imenl . et que vous ne lui en sauriez tant
trouer qu'il n'en mérite encore plus ; cela vous apaise, vous
la bouche, vous fait tomber les verges des mains et
Cl 'I 3 eux
3A2 SERMON CCXC1II. — DE LA HONTE , etc.
Mettez-vous aux pieds de son humanité , en suivant ses
traces , quee diu maleambulabat , vestujia recta quœre-
bat' suivez-le pas à pas en tous les lieux où il a été, hono-
rez-le en tous les états et mystères de sa vie.
Mettez-vous aux pieds de son corps mystique. Ce sont les
pauvres, dit S. Augustin, qui rampent sur la terre , cras-
seux, couverts de boue; honorez-les, caressez- les de vos
moyens, humiliez-vous au-dessous de tous les chrétiens, à
l'exemple de Madeleine ; elle pratique le conseil de Jésus au
festin de ce pharisien : Recumbit in novissimo loco ; elle
se met au plus bas lieu , elle fait comme la Chananéenne :
Etiam Domine, nam et catelli ; je ne suis qu'une pauvre
chienne, immonde, digne de tout mépris , je me mets à
vos pieds, sous la table , pour recueillir les miettes qui tom-
bent.
Humiliez-vous comme cela , endurez patiemment les mé-
pris , les médisances , les calomnies , pensez qu'on n'en sau-
rait tant dire de vous qu'il n'y en ait encore davantage. Si
vous vous abaissez ainsi à l'exemple de Madeleine, on vous
dira à votre mort : Amice, ascendewgeïiu.s. âmea*
SERMON CCXCiV.
DBS LARMES DE SAINTE MADELEINE,
7 • !
1 I Immi let pMa dfl FiU <lo Dieu. (Lue. 7. 38.)
L'ami pécheresse qui désire être délivrée de l'esclavage
de l'esprit malin auquel elle s'est engagée par le consente-
ment au péché, doit souvent adresser à son Dieu cette prière
(lu roi pénitent : Couverte , Domine , Capttvitatem nos-
tram .sien/ torrens in austro. Si les yeux de Marie-Ma-
deleine répandent un torrent de larmes qui l'affranchissent
de la captivité du péché et de la servitude du diable, c'est
! ■ glace d ur a été fondue par le vent dw midi ,
I une halenée du Saint-Esprit , par ce vent que l'Epouse
t autrefois : Surge, a qui h; et vent, au* ter. J'ai
a f0U| foire voir aujourd'hui les admirables effets que les
larmes de pénitence produisent au ciel et en terre, et les
l'où elles procèdent. Soyez al (entifs et demandons
'[ ce que la fille de Caleb demandait à son père, un
ii" d'en-haut et un arrosoir d'en-bas : Irriguum su-
feriue , irriguum inferiue. (Josu. 4 5. 19.)
IDEA SERMOINIS.
Pnmmn punctum. A. Peccatum omnium maîorum maxi-
mum , non deletur nisi diluvio lacrymarum.
ndum punctum. Très diferentiœ inier diluvium
mnivereaU et diluvium lacrymarum : B. 1 ° Quodil-
! it tuntum quadraginta dierum.istud totius
r. — C. 2" lllud induxit sterilitatem
ietud feeunditaiem animée. — D. 3° lllud ri-
rmm , iêiud rigai et keiifieai cœlum.
m punctum. E. Très convententiœ inier hme duo
<ie quad earum uqum originem habent
i , in mari , in abuseo.
344 SERMON CCXCIV.
primum pungtum. — Peccatum omnium , etc.
A. — (Non deletur nisi, etc.) Quand on dit que le pè-
che mortel est le plus grand mal qui puisse arriver à une
créature , plus grand que la peste, plus que la famine, plus
que la mort , môme plus que l'enfer et la damnation éter-
nelle ; l'âme mondaine ne le eroit pas, parce qu'étant toute
sensuelle , et n'appréhendant que ce qui frappe les sens ,
elle s'imagine que c'est une hyperbole , un paradoxe , une
exagération d'orateur; et toutefois , l'Ecriture le dit , les
Pères de l'Eglise l'enseignent, la raison claire et évidente
le montre. AuDeutéronome , (32. 35.) Dieu dit : Mea est
ultioj ut labatur pes eorum; c'est un châtiment divin
quand elles tombent dans le péché ; les maladies , pertes de
bien et autres afflictions temporelles , ne sont-ce pas des
châtiments de Dieu ? oui ; mais celui-ci est appelé particu-
lièrement divin , parce que l'Ecriture a coutume d'appeler
choses divines celles qui sont les plus grandes, les plus ex-
traordinaires , les plus signalées , les plus remarquables :
Cedros Dei, montes Dci, et c'est le plus grand de tous
les châtiments quand Dieu nous laisse à l'abandon de nos
passions et à la faiblesse de notre nature : Ut labatur pes
eorum.
Puniri non est malum , sedfieri dignum pœna , dit
S. Denis : (c. 4. de divinis nominibus.) Ce n'est pas un mal
d'être puni , mais de mériter la punition ; ce qui est si véri-
table , que môme la peine de l'enfer , à proprement parler,
n'est pas un mal. Si Judas, Anliochus, le mauvais riche
et les autres réprouvés avaient cette lumière , et n'étaient
pas déréglés en leurs jugements , ils trouveraient bon d'être
brûlés, et jugeraient que c'est un bien , car c'est un eiTet de
la très adorable justice de Dieu.
Et l'effet d'une si bonne cause ne peut être que très bon;
être digne de peine , c'est un effet de la mauvaise volonté de
l'homme, et l'effet d'une si mauvaise cause ne peut être que
mauvais , les raisons de théologie en sont évidentes.
Premièrement , le bien est l'objet de la volonté , et prin-
Pis LARMES DH SAINTS MADELEINE. 3'+5
finalement d'une volonté droite , bien conseillée , et non
d'une volonté passionnée , une volonté bonne et infiniment
lionne ; Dieu ne vent pas le péché , il ne peut le vouloir, il
l'abhorre, le défend, le déteste: Non Deus vo/ens ini-
guitatem ; (Psal. '2. 5.) et respieere ad iniquitate>n non
poteris ; ( Habac. 1 . 13. ) dilexisti justiliain , et ^disti
iniqititatem, (Psalm. 44. 8.) Il vent la punition du pé-
cbeur et les autres peines sensibles , il s'y plait , il les agi ce,
il les ordonne , il les destine à quelque bien , il les fait se-
lon son bon plaisir : Sicut Domino plaçait , ita factum
est ; (Job. 1 . 21.) Qbmutui, et non aperui os meuni ,
guoniam tu fecisti, (Psal. 38. 10.) sagittœ tuœ in fixas
sunt mihi. (Psal. 37. 3.)
Quand il veut nos afflictions, sa volonté est droite et
équitable : Deusjudex justus, (Psal. T. 12.) Elle n'est
point passionnée : Tu autem eu m iranquillitatejudicas*
(Sap. 1 2. 1 8.) Il y procède judicieusement et avec considé-
ration : Tu laboremet dolovem considéras. (Psal. 1 0. 1 4.)
le péché est un grand mal, et non la peine du péché,
puisque la peine, non le péché , est l'objet de la volonté
de Dieu. En second lieu , non-seulement il est auteur de la
peine , mais il peut la recevoir en lui ; le bien infini ne peut
ir aucun mal , parce que ce sont deux contraires di-
rectement et diamétralement opposés, comme la glace de-
meurant glace ne peut demeurer dans le feu ; le bien souve-
rain et essentiel n'est pas susceptible d'aucun mal, ce sont
deux contraires incompatibles , comme la lumière et les té-
nèbres, La science et l'ignorance. Dieu qui est le bien infini
a épousé une nature sujette à la pauvreté , non à L'iniquité,
ptible de douleur, non de péché; capable de mourir,
non de faillir; donc la pauvreté, la douleur, la mort ne
sont pas un mal , puisqu'elles se trouvent en Jésus-Christ;
!«• péché même véniel est \\\\ mal, puisqu'il ne pouvait être
en lui; en lui, dis-je , qui est un bien souverain et
infini.
U ) u ne fait pas seulement fa peine, et
ÎI M 1 1 ulcinenl reçue en lui , mais il L'a faite en nous
340 SERMON CCXCIV.
et il l'a reçue en lui pour guérir le mal du péché ; le péché
doue est un plus grand mal que la peste, la guerre, la fa-
mine, et même que la mort d'un Dieu ; autrement , comme
ditS. Augustin , Dieu serait comme un empirique et comme
un très mauvais médecin , il guérirait un petit mal par un
autre mai plus grand ; ce serait être bourreau et non mé-
decin, charlatan et non chirurgien , de couper la tète pour
délivrer de la migraine, d'estropier le bras pour guérir une
petite égratignure de la main. Si L péché est un plus pttit
mal que la peste, la famine , la mort d'un Dieu , Dieu a fait
comme cela, il a fait un grand mal pour en guérir un
petit, puisqu'il a ordonné la peste , la famine, la mort de
Jésus pour guérison du péché.
En quatrième lieu, un mal est d'autant plus grand, qu'il
est contraire à un plus grand bien ; car les privations se
mesurent et se connaissent par les formes qui leur sont
opposées. Or la pauvreté, la maladie, la mort et les autres
afflictions, même la damnation éternelle, ne sont opposées
qu'au bien de la créature ; le péché mortel est opposé au
bien du Créateur, car il contrepoinle la charité, il la ruine
et l'anéantit tout-à-fait, et la charité est un amour de bien-
veillance, non de concupiscence ; par la charité nous aimons
Dieu, non parce qu'il nous est bon, mais parce qu'il est bon
en lui-même; non afin qu'il nous fasse du bien, mais parce
qu'il est un bien souverain, infini, infiniment digne d'être
aimé.
De tout ce discours, il s'en suit par bonne conséquence
qu'il n'y a pas de larmes mieux employées, de tristesse plus
juste et plus raisonnable , que les larmes que l'on répand
et la douleur que l'on conçoit d'avoir commis le péché; car
si le mal est l'objet de la tristesse , s'il n'y a que le péché
qui, à proprement parler, soit un vrai mal et un mal infini,
quelle tristesse plus louable que celle que l'on conçoit d'a-
voir commis le péché ? et puis la tristesse est un remède inu-
tile à tous les autres maux. Si votre mari est mort, si vous
êtes tombé en maladie, si vous avez perdu un procès, soyez-
en triste tant que vous pourrez, votre Justesse ne ressuscite
DB 8AIAT1 MADELEINE, 347
fi( pas la maladie, né répare pas la perte;
i! n'j a que le mal de la coulpc qui soit aboli par la tristesse,
il par la seule tristesse tous les autres remèdes sont ineffi-
! a ce mal ; la seule douleur guérit cet ulcère, témoin
ie déloge universel : il ruina les pécheurs, non le péché ; il
lit mourir les criminels, il n'expia pas leurs crimes; mais
dans la loi de grâce, la miséricorde de Dieu plus ingénieuse,
ce semble, que sa justice, a trouve un déluge salutaire qui
ne noie pas les pécheurs , et qui nettoie admirablement le
pèche ; c'esl le déluge de larmes que Madeleine, et à son
imitation , toutes les amcs pénitentes versent aux pieds de
Jésus: Lacrymœ pœnitentium ycecati diluvium , iter
"d Deum, dit S. Grégoire de Nazianze.
BBCDNDUM punctum. — Très differentiœ , etc.
\ussi il v a trois grandes différences entre le déluge des
S qui obtiennent grâce et miséricorde, et le calaciisme
rscl , qui fut un déluge de rigueur et de justice ; ces
lifférences sont exprimées en ces paroles de mon thè-
me : ( cepii rigaré pedes ejus; elle commença d'arroser
les pied! de Jésus.
D. — (1° Quod illud , etc.) La première différence est
que le déluge uojfersel ne dura que quarante jours et qua-
rante nuits, le déluge des larmes de Madeleine dura le reste
vie. L'Evangile dit : Cœpit , elle commença, parce
• tte fontaine d'eau qu'elle répand aux pieds de Jésus ,
\\\\\n essai et un commencement de pleurs qu'elle ré-
•andit le reste de ses jours, et Pâme pénitente doit l'imiter
point, c'est le conseil que le Saint-Esprit lui donne :
m mmtui §eptem dtes: fatuiautem cl impii, om-
it* illumm : (Eccli. 22. 13.) Quand vous avez
pendant sept jours la mort d'un de vos parents ou d'un
i vous contenter, mais la mort spirl-
■f un pécheur doit être pleuiée toute sa vie.
I- qui est vraiment convertie esl bien éloignée de
une comme et* mal-avisées qui se contentent de faire cou-
348 SERMON CCXCIV.
1er de leurs yeux trois ou quatre gouttelettes de larmes, et
puis se tiennent aussi assurées de leur salut que si elles n'a-
vaient jamais offensé Dieu ; elle fait plutôt comme le Pro-
phète qui disait : Exitusaquarum deduxerunt oculi mei,
quianon custodieruntlegem tuani : Mes yeux ont répandu
des ruisseaux de larmes , parce que je n'ai pas garde vos
commandements. S. Augustin dit qu'une autre version porte:
Exilas aquarum transierunt oculi mei, pour exprimer
que ses larmes ont été plus abondantes et moins sujettes à
se tarir qu'une fontaine d'eau vive. (1 ) S. Ambroise dit pres-
que de môme sur le même Psaume, et ailleurs : (in Ps. 50.)
Grandis squalor et macula non exiguo, sed m ulto au fer
tur lavacro / et sur ces paroles de David, il dit qu'un vrai
pénitent tire sujet d'humiliation et de regret de tout ce qu'on
lui fait , de tout ce qu'on lui dit , de tout ce qu'il voit , de
tout ce qu'il entend ;si on lui fait du mal, il dit en lui-même:
Ceci n'est rien en comparaison de l'enfer que j'ai mérité :
Merilo hœc patimur; digna factis recipimus. Si on lui
fait du bien , il s'en élonne, s'estimant indigne de recevoir
aucun bien des créatures, puisqu'il a offensé le Créateur:
s'il voit quelqu'un qui serve bien Dieu, il lui porte une sainte
envie , et il a du regret de n'avoir pas fait comme lui ; s'il
voit quelqu'un qui offense Dieu, cette vue lui remet en mé-
moire son crime et le remplit de tristesse.
Il exerce souvent le reste de sa vie des actes de contri-
tion, et voici les raisons qu'il a de le faire. Il craint qu'il
n'ait fait plusieurs confessions en sa vie sans un vrai regret
d'avoir offensé Dieu ; il pense que peut-être la repentanec
qu'il eût en sa confession générale n'était que naturelle, un
effet de la volonté de l'homme, non un effet de la grâce de
Dieu, que peut-être elle n'avait qu'un motif humain et ter-
restre, non céleste et divin, ou qu'il se repentait par un
motif trop borné et réservé qui ne détestait pas toute sorte de
péchés , pas même virtuellement , mais seulement quelques;
(l)Tanquam diceret transisse se flendo fontes aquarum, ut hoc hitelligarauâ
plus llt'vi??(! , quam njanant acmaj de suis ejùlibus. (S. Aug. conc, 27. in
&al, 118. influe.)
DES I kRMBS DT. SAINTE MADELEINE. 340
I cause de la laideur et difformité particulière qu'il y
!
onsidère cette parole du Saint-Esprit : Depropitiato
aio noli esse sine m du.
De plus la doctriue de S. Thomas doit avoir grand as-
cendant sur notre esprit pour la conduite de notre vie ; car
au concile de Trente, sa Somme de théologie était au milieu
J lassemblée, sur une table, au-dessous de la sainte Jii-
Die, comme l'oracle duquel le saint concile voulait apprendre
Peiplîeation de l'Ecriture sacrée , et ce qu'il devait ensei-
gner aux îdèles. Or voici comme ce saint docteur parle de
" Pénitence : (3. p. q. 87. art. 5. in corp.) La vertu de
repentance comprend plusieurs actes ; le premier est un
mouvement et opération du Saint-Esprit qui chancre notre
cœur ; le second est un acte de foi ; le troisième un acte de
crainte servdepar lequel on se relire du péché pour en éviter
a punition ; le quatrième est un mouvement d'espérance par
lequel on propose de s'amender pour obtenir pardon • le
iième es! un acte de charité qui nous fait haïr le péché
non principalement par crainte de la peine, mais par amour
e la vertuj le sixième est un mouvement de crainte filiale
par lequel nous nous ornons à Dieu pour satisfaire à sa jus-
|»çe, eu égard à l'honneur que nous lui devons. Je vous
WM juge si vous avez pu exercer tous ces actes en un petit
temps que vous avez employé à faire l'examen et
à vous préparer pour vous confesser au sortir de quelque
ission ou d'une vie toute licencieuse, dissolue et
Qu vo,llez tuer on arpent, vous ne vous con-
fentei pas de lui donner un coup, vous lui en donnez deux
roi«i quatre, jusqu'à ce (pie vous soyez assuré qu'il soit
rous voyez qu'il remue, vous ne cessez
',,',ri't'. Etes-vous bien assuré que le péché mortel est
' que Pacte de repentance que vous avez fait
wion l'ail étouffé en votre cœur ? nVt-il plus
i effets en vous?
- < ; I une seule goutte de lion gang en roi
350 SERMON CCXCIV.
veines, unebluette d'amour de Dieu en votre cœm^ pouvez-
vous vous souvenir d'avoir si souvent offensé Dieu sans en
avoir du repentir ? jugez-en par votre propre sentiment : si
on vous désoblige grièvement une seule fois , cette offense
vous est sensible , mais si on le faisait vingt fois, trente fois,
quarante fois , qu'en diriez-vous ? Si un homme avait battu
vos enfants, ou flétri votre honneur, ou ravagé vos biens,
cent fois , deux cents fois, trois cents fois, vous conlenle-
riez-vous qu'il vint une seule fois en votre maison vous dire :
Monsieur , je vous ai désobligé , je vous fais mes excuses ,
je vous prie de me pardonner ; et si après, il vous rencontrait
souvent sans en témoigner du regret, sans autre satisfaction,
qu'en diriez-vous ? qu'en penseriez-vous ?
Sur le second chapitre de la Genèse, où il est dit qu'au
commencement des siècles, le Créateur avait planté un jardin
de délices pour la demeure du premier homme, les docteurs
demandent : Qu'est-ce que le paradis terrestre? où est-il à
présent ? et qu'est-il devenu ? Origène a dit que c'est le troi-
sième ciel où S. Paul fut porté pendant son ravissement.
Tostat, Alexandre d'Alès et autres, ont dit que c'est un lieu
élevé au-dessus de la moyenne région de l'air, pour être
exempt des brouillards et des autres injures du temps ; mais
tout cela ne peut pas être, puisque l'Ecriture dit expressé-
ment que le Tibre, l'Euphrate et les autres fleuves ont leur
source dans le paradis terrestre, et l'on sait bien où est la
source de ces rivières.
La meilleure opinion des docteurs et la plus conforme à
la parole de Dieu , est que le paradis terrestre était en effet
un jardin fertile et agréable , situé aux parties d'orient ,
comme disent les Septan/e, vers l'Arménie et la Mésopota-
mie , et que le fonds-terroir de ce jardin est encore en être j
mais que la fécondité et la beauté en fut ruinée par le déluge :
car la Genèse nous apprend (3. 24.) qu'après le péché de
l'homme et son bannissement, Dieu mit à la porte du jardin
de délices un chérubin avec une épée flamboyante pour en
empêcher l'entrée ; mais les eaux du déluge ayant demeuré
environ un au sur la terre, la ravagèrent tellement; que ce
S LARMES Dfi 6A.1NTC UADLLKlNfi, 3g1
! paradis en fus ruiné, les arbres renversés, les plantes
la terre rendue inféconde. Au chapitre sixième de
la Genèse, où nous avons : Disperdam bqs ettm ferra, il
y i au grec **r*fô*/pto »0rott Kdtj r<jv y>jy , disperdo eos in
—•(2 ///h / induxit $terilitatê*i,etc*) Eu effet, si
examines de près l'Ecriture, vous trouverez que le
Heur avant le déluge ne parle point de l'usage de la
le ni du poissoh , mais seulement des fruits et des plan-
te- qui étaient alors fort nutritives et fort succulentes;
mais depuis que le déluge eut gâté la terre , (Gcnes. 9. 3.)
e et à ses descendants L'usage de la chair et
du poisson, et c'est la seconde différence qui est entre le
déluge de justice et le déluge de miséricorde, savoir que le
lier désola toute la terre et ruina le jardin de déli-
iu lieu que le déluge de larmes ne ravage pas notre
lis l'arrose et fertilise, cœpit rigare. S. Paul écrî-
Coriothiens,(2. Cor, 7. 9. 1 1.) décrit admira-
ient bien les belles plantes que ces eaux de pénitence
n notre cœur : Gaudeo quia contrhtati es-
id pœnitentiam ; nam secundum Deitm conlrLstari
atmr in vobU sollicUndincm , timorcm, indigna-
, ri.tdictam , œmulationcm.
\ oulez-vous savoir ai votre pénitence est vraie et légitime?
res eu une bonne repenlance en votre confession ?
lemandei pas à votre confesseur, il ne peut rien vous
re d'assuré 5 demandez-le an Saint-Esprit qui sonde
nrs , voyez si elle a produit en vous ces effets qu'il
" marqués par sou Apôtre, sollicitudinem , ^o^y,
, diligentiam , un grand souci , un désir ardent
» du péché quand vous faites tout ce que vous
: m en être délivré : vous savez que la repenlance
e e>t absolument nécessaire, vous la demandez
Ment , vous faites des aumônes pour l'obtenir,
ferveur, vous lai rendez quet-
i -n service afin qu'elle vous l'obtienne, vous cherchez
' mci,! r roua pouvezavoir, vous lui ou-
352 SERMON CCXC1V.
vrcz votre cœur avec sincérité', vous désirez qu'il vous con-
naisse aussi clairement que vous vous connaissez,
Timorem, vous daignez de retomber dans le péché,
vous en fuyez les occasions, vous évitez les mauvaises com-
pagnies , les danses , les cabarets, les assemblées de garçons
et de lilles, les trafics, les pratiques dangereuses, vous
quittez les états , les offices et ies bénéfices qui vous ache-
minaient au péché : car les crimes de la vie passée en une
ime pénitente sont comme les épines en la vigne ou au champ
du père de famille ; tant qu elles sont dedans , elles nuisent,
mais les ayant arrachées, on peut s'en servir à faire une
haie qui empoche les larrons et les bêtes sauvages d'y en-
trer, et l'âme vraiment pénitente se sert de ses péchés pas-
sés pour se rendre pins timide à ne laisser entrer en son
cœur, ni en son logis ce qui pourrait le faire retomber,
comme ce jeune homme dont S. Àmbroise fait mention,
(libr. 2. de pœnit. c. 9. ) Il s'était mal gouverné avec une
femme débauchée ; pour se retirer entièrement de l'occa-
sion , il quitta le pays, alla en une province bien éloignée ,
et démentit le proverbe qui dit : Cœlum non animum mu-
tant qui trans mare ouvrant; changeant de pays; il
changea d'humeur et de façon de faire. Etant de retour en
son pays , après quelques armées , il rencontra en la rue
l'ancienne complice de ses débauehes , et passa outre sans
lui dire un seul mot, ni faire aucun signe : elle tout étonnée,
s'imagina qu'il ne l'avait pas reconnue, rebrousse chemin ,
va le trouver, et lui dit : Ne me connaissez-vous pas? c'est
moi. Il répond froidement : Et ce n'est plus moi.
Indignationem . Les saintes larmes produisent, en troi-
sième lieu, une sainte haine de nous-mêmes, une juste co-
lère et indignation contre nous, qui fait que nous nous esti-
mons indigues de tout honneur, de toute grâce, de toute
laveur, puisque nous avons déshonoré la très haute majesté
de Dieu ; nous jugeons que nous sommes dignes de tout
mépris , puisque nous l'avons méprisée ; que nous méritons
d'être foulés aux pieds de toutes les créatures, puisque nous
avons fculc aux pieds la très adorable volonfé du Créateur.
ni S LARMBS DE SAINTE MADELEINE. 353
ï'indictan) / elles produisent un esprit de vengeance, une
louable an imosi té contre noire chair qui nous l'ait pécher,
un grand désir de venger sur elle l'offense de Dieu. Alexau-
dre-le-Grand étant ivre de vin et de colère , tua un de ses
; is nommé Clytus; le lendemain quand son vin fut di-
géré , et sa passion refroidie, il fut si fâché de cequ'il avait
lait, et entra en si grande colère contre soi , qu'il prit un
couteau pour se suicider. si ses gens ne Peu eussent empêché;
c'était signe qu'il se repentait bien. Ainsi on voit par expé-
rience que les vrais pénitents ne se contentent jamais des
austérités et mortifications qu'on leur impose, ils voudraient
jeûner tons les jours , se charger de cilice et de haire , se
déchirer et se tuer , s'il leur était permis.
Emulationem ; au grec il y a gi}X6v. Le vrai pénitent a
un grand zèle de l'honneur de Dieu qui lui a pardonné, il a
un désir insatiable d'avancer sa gloire, de le faire connaître
et aimer de tous les hommes, une vive reconnaissance de la
que Dieu lui a faite; il dit avec le Psalmiste : Mon
âme , louez le Seigneur , que tout ce qui est en moi bénisse
son saint nom; mon Ame, gardez-vous bien de mettre en
oubli les biens qu'il vous a faits : il vous a pardonné vos ini-
quités , il a guéri vos infirmités, il vous a retiré de la mort,
il vous a couronné de sa grâce par sa miséricorde. David
était un homme marié, chargé d'une grande famille et du
ernement d'un royaume, et toutefois ayant obtenu
pardon de son péché, il promettait à Dieu de faire le
catéchisme à son peuple : Docebo iniquos vias tuas.
(Ps. 50. 1 5.) Ainsi le vrai pénitent enseigne la vertu à ses
enfants, instruit ses domestiques, catéchise ses serviteurs,
incite à l'amour de Dieu ses voisins et tous ceux qui conver-
sent avec lui.
Ce sont les plantes salutaires que la douce pluie des
; produit en nous quand elle arrose notre cœur:
i rujare.
D. — (3* Illud rigavit terrain, etc.) Pedcs ejus.
' me différence. Le déluge universel n'arrosa
ÏU« i ' ; Mit qu'au-dessus des plus hautes mon-
35 Y SERMOJS CCXCIV.
tagncs ; les larmes parviennent jusqu'au ciel , arrosent les
pieds du Fils de Dieu qui sont plus hauts , plus purs , plus
célestes que le ciel : « Et mutatur ordo reruni , pluviam
« terne cœlum dat semper; ecce nunc rigat terra cœlum :
« ô quanta vis in lacrymispeccatorum ! rigant cœlum ter-
« ram diluunt, extinguunt gehennam, delent in omne fa-
ce cinus latarn divina promulgatione sentenliam, » dit saint
Pierre Chrysologue. (serm. 93.) Voici un admirable chan-
gement : le ciel a coutume d'envoyer la pluie à la terre ;
mais en la conversion de sainte Madeleine la terre arrose le
ciel : quelle merveilleuse puissance des larmes de pénitence!
elles arrosent le ciel , elles fertilisent la terre , elles étei-
gnent le feu d'enfer , elles cassent la sentence de condam-
nation prononcée pour quelque péché que ce soit : La-
crymœ viduœ descendunt ad maxillas , et a maxilla
ascendunt usque ad cœlum, (Eccli. 35. \ 8.) Quand une
âme chrétienne est devenue veuve de son divin Epoux par
le consentement à un péché, si elle pleure amèrement par
une parfaite contrition , ses larmes tombent sur ses joues ,
mais de là elles montent jusqu'au ciel , dit le Saint-Esprit;
et comme la terre étant arrosée d^ne douce pluie paraît toute
joyeuse , épanouit ses belles fleurs , montre une face riante,
pousse fil produit des fruits savoureux : Prata rident.
Ainsi le ciel étant arrosé de nos larmes s'épanouit de
joie, (i) Si vous vous convertissez , vous comblerez de joie
tout Je paradis , vous réjouirez le Père éternel. LePsalmiste
dit qu'il se réjouit en ses œuvres, (2) et la sanctification
d'un pécheur est si proprement son œuvre, qu'il s'en glorifie
comme n'appartenant qu'à lui de le faire. Ccstmoi, dit-il,
qui efface vos iniquités pour l'amour de moi. (3) Vous
réjouirez le Fils; il se compare à un berger, qui ayant re-
couvré sa brebis égarée , la charge sur ses épaules et la
rapporte à la bergerie tout joyeux. (4) Vous réjouirez le
(i) Gaudisim erit in cœlo super uno peccatore/Jpœnitentiam agente. (Luc.
(2)LrcîabilurDominus in operibus suis. (Ps. 103. 51.)
(3.) Ego suni , ego sum ipse , qui deleo iniquilates luas propîer me, ;'?,
-45. 23.)
(4) Imponit caai in Immcros suos gaudens. (Luc. 15. 5.)
1 1 àimsa n^ saints m vdiijiimî. ^r>r>
[-Esprit, son inclination naturelle est de se communiquer
faire du bien ; il sera ravi d'entrer dans voire âme, la
r, la sauctifier, lui faire ses dons , la remplir de ses
es cl de toute sorte de biens. Vous réjouirez la Vierge;
sera comparée à une dame qui tressaille de joie d'avoir
retrouvé une pièce d'argent qu'elle a\aii perdue. (4) Von
les Saints, ce sont les amis de ce bon Pasteur,
convie de se réjouir avec lui. Vous réjouirez les Saiu-
>[\[ les voisines que la \ ierge , celle pieuse dame,
e à la féliciter de son bonheur d'avoir retrouvé sa
me perdue. Vous réjouirez les auges; la plus délicieuse
n qu'on leur puisse donner , c'est de répandre des lar-
■uiîcnce : Lacrymal yœnilenlium vi-
, atiiu forum , dit S. l'ernard.
xi ; . — Très c<) a renient iœ ^ etc.
B. — {hk cuiij , m ?nan\ in abysso.) Il est vrai que le
larmes est ainsi différent en trois points du dé*
I , mais il lui ressemble en trois autres points ,
ci c'est que les eaux du déluge ancien émanèrent de trois
source> : la cataractes du ciel furent ouvertes, la mer se
déborda , les fontaines de l'abîme , c'est-à-dire les eaux qui
sont aux entrailles de la terre , la couvrirent, se joignant à
celles de la mer. (2) Ainsi l'âme pénitente qui veut noyer
KM iniquités doit tirer de trois sources le déluge de ses lar-
mes : du ciel , de la mer , et de l'abîme ; du ciel qu'elle a of-
fensé, de la mer et amertume des crimes qu'elle a commis,
de l'abtmc d'enfer qu'elle a mérité. Vous devez prendre su-
jet de pleurer en considérant le ciel et la cour céleste que
tous avez désobligés : Pater, peceavii?i cœhim et coram
te. I I tourné le dos à votre Dieu, qui est le bien
soweraln , pour vous tourner vers une ordure ; vous avez
offensé- l.i personne du Père et son bénéfice de la création ,
servi de tout ce qu'il vous a donné pour vous
(1) Convoc.il arnicas et vicinal (\a\c. 1">. ! .)
ml, rupti su-:', omues fonte abyssî, ( Gcncsr
7. 11.)
350 SERMON CCXC1V. DES LARMES, etc.
roidir contre lui et lui faire la guerre ; ii n'y a point de puis-
sance en votre âme , de membre en votre corps que vous
n'ayez souillé ; ii n'y a créature au monde que vous n'ayez
révoltée contre le Créateur; vous avez mis en croix notre
Sauveur, vous êtes coupable de la mort d'un Dieu; vous
avez faussé le serment de fidélité que vous lui aviez prêté au
baptême, vous avez profané les Sacrements , reçu indigne-
ment son corps adorable, foulé aux pieds son précieux sang.
Vous avez centriste le Saint-Esprit, vous avez perdu fol-
lement ses dons , abusé de ses grâces, résisté à ses inspi-
rations ; vous avez fait pleurer les anges de paix, vous avez
effacé en vous la ressemblance de Dieu pour prendre f image
et la teinture des créatures viles et abjectes; vous vous êtes
rendu plus terrestre que la terre , plus mou que l'eau , plus
muabîc que Pair, plus embrasé en vos passions que le feu,
plus endurci que les pierres , plus cruel que les bêtes farou-
ches ; voyez que d'amertume vous avez causé à votre pro-
chain ! que d'ennuis , que de mauvaises nuits au père et à
la mère de cette fille que vous avez déshonorée ! que de
tristesse et de fâcheries à cette veuve que vous avez ruinée !
que de soucis , que d'inquiétudes , que de peines d'esprit à
ce villageois contre qui vous avez plaidé injustement !
Vous avez mérité l'enfer cent et cent fois ; il y a mille et
mille personnes qui y sont et qui n'ont pas tant offensé Dieu
que vous ; ii y en a qui ont été complices de vos péchés , ou
qui y sont par vos suggestions et mauvais exemples ; Dieu
les a surpris en mauvais état, et il vous a attendu avec une
patience admirable , il vous a invité par des semonces qui
eussent apprivoisé un tigre , il vous a reçu à pénitence avec
une miséricorde ineffable ; pleurez donc , pleurez amèrement
d'avoir offensé un Dieu si bon, et soyez assuré que, comme
après le déluge la belle colombe porta dans l'arche un rameau
d'olive, ainsi si vous versez un déluge de larmes , le Saint-
Esprit , figuré par la colombe , vous donnera des arbres de
paix et de pardon; le Fils de Dieu vous dira comme à Sainte
Madeleine : Vade i?\ vace. Amen,
SERMON CCXCV.
HUMILITE DE MADELEINE, NECESSAIRE A LA VKAIB
PÉNITENCE.
lis sni ter gelait.
*il lei i iedi du Fils de Dieu avec les cheveux de sa tete;
(T.uc. 7. 58.)
Comme le Saint-Esprit nous a dit, par la bouche du Sage,
que la superbe est le commencement de tous les pèches,
aniM non, pouvons «lire avec vérité que le commencement de
toute vertu est l'humilité. Voulez-vous être grand? dit S. Au<
commencez ce dessein en vous faisant fort petit :
? a minimo incipe; pensez à jeter bien
! «déments d'une profonde humilité. Notre sainte
pénitente a bien appris et pratiqué cette leçon; (Luc. 5. 8.
8. 41.) elle ne se jette pas seulement aux genoux du
buveur comme S. Pierre, elle ne se contente pas de se
prosterner à ses pieds comme Jairus ; elle se met sous ses
pieds, elle lui fait un marche-pied de sa tète : Caput pro
*''/'/ ' ",//, dit S. Pierre Chrysologue, comme si
elle disait : Humiliât a sum usquequaque ; Domine, vi-
vificomesecundumverbum tuum. Je demande grâce ,
' avez promise à ceux qui s'humilieraient : gardez, s'il
vous plaît, voire promesse.
IDE A SEUMOxMS.
I im ponclum. A. ChHstus suo exempïo nos docuil
kumtfUatem in omnibus m//stcriis suis
dum punclum. Uumilitatia nécessitas: \\ \« Scriv-
tura. - ( ;. 2 PaU ibu*. -D. ,T Mu, "
Poncturo. E. Duplex est humilités : Prima
** ynwimusquod ex nul/a nostra vir-
358 SERMON CCXCV.
iutesubsisiimus. — F. Secunda, Cordis, qua hono-
res et laudes fugimus. — Coniemptum amamus:
G. \ ° Scriptura. — H. 2° Exemplo Chrisii. — -
I. 3° Exemple) Sanctorum.
primum punctum. — Chris! us, èle,
A. — (Docuii humilitatem , e£c.)L'évangéiistc S. Mat-
thieu nous représente notre Sauveur assis dans la chaire de
vérité, invitant tous les peuples à venir à lui et à entrer
dans son école pour y apprendre une leçon admirable qu'il
veut leur enseigner , une leçon nouvelle qui a été ignorée
de Socrate, de Platon , d'Arislote et des autres anciens phi-
losophes , une science qui n'enfle pas , mais qui édifie, une
science qui met un grand calme et beaucoup de repos dans
Hune.
Voici comme il parle. : Venez à moi , vous tous qui êtes
dans les travaux et qui êtes chargés , apprenez de moi que je
suis doux et humble de cœur ; il ne dit pas : Apprenez de
moi à être humble, mais que je suis humble, parce qu'il ne
fait pas comme plusieurs d'entre nous ; nous autres, prédi-
cateurs, nous enseignons quelquefois aux autres à être
humbles, et nous-mêmes nous ne le sommes pas. Jésus dit :
Apprenez de moi que je suis humble ; car il n'a rien voulu
enseigner qu'il n'ait éprouvé en lui ; il n'a rien voulu com-
mander que lui-même n'ait pratiqué , dit S. Augustin :
« O doclrinam salutarem ! ô Magistrum Dominumque mor-
te talium quibus mors poculo superbise propinata atque
« transfusa est , noluit docere quod ipse non esset , noluit
« jûbere quod ipse non faceret. » (S. Aug, lib. de sancta
virginiiate , cap. 35.) Il a vu que l'orgueil nous a apporté
la mort et tous les malheurs qui sont au monde. Il a vu que
le vice est répandu dans tous les hommes , sur tous les âges,
sexes et conditions des hommes , il a répandu la vertu con-
traire dans tous les états, mystères et périodes de sa vie,
dans son incarnation, dans sa naissance , dans sa vie mor-
telle, dans sa passion , dans sa vie de gloire. De son incar-
nation , l'apôtre dit ; Exinanivii sehietipsum formom
l'hUMH m': DE MADELEINE. 35()
14 t4f. Si lo roi d'Espagne venail en France et se
esclave du roi, on admirerait relie humiliation; le
de Dira était égal à son Pèro , aussi grand, aussi puis-
isi souverain et infini (jue son Père ; il s'est fait son
serviteur pour l'amour de nous, fortnam serri; ce n'est
pas à dire qu'il ait pris seulement la forme extérieure et l'ap-
..ee du serviteur, mais l'essence, l'état, la condition,
comme quand il a dit un peu plus haut : Cum in forma
-l-à— dire qu'il était Dieu véritablement et es-
sentiellement. Il s'est tant abaissé en se faisant homme ,
que S. Paul appelle cette humiliation un anéantissement ,
parée que la créature n'est qu'un pur néant en comparaison
de Dieu; Dieu donc en se faisant créature, s'estréduil à néant;
et même nous pouvons dire que si , par impossible, Dieu
ava il anéanti son être, il ne se serait point tant humilié; il
le qu'en quelque façon , il s'est plus abaissé que s'il s'é-
tait tout-à-fait anéanti. Car, quand nous sommes dans le
i , notre humiliation est plus grande , plus honteuse ,
plus sensible, si elle est vue et connue, si nous y somm.cs
dés et méprisés. Si par impossible, le Créateur s'était
anéanti, toutes les créatures seraient en môme temps anéan-
i i . et par conséquent sa dégradation ne serait vue de
personnes mais eo se taisant homme et endurant ce qu'il a
en luré, il a été vu, dédaigné, méprisé, rebuté dans son
nient, il a eu sujet de faire cette plainte : fpsi rero
considérât emnt , et inspexerunt me. Ne se trouvait- il
ni un grand délaissement, ne se sentait-il pas bien re-
buté et bien méprisé, quand il voyait que sa Mère, quoiqu'issue
du sang royal , ne pouvait pas trouver un seul petit coin
dansauoune hôtellerie pour aocouoher, et était contrainte
ini une élable , exposée à tout veut, ou-
t? Non cral eis locus in dirersorio ;
I absolument 1 Non eraé locus, mais von erat
(IS b**** I autres , mais
non pour lui, tant 11 t:;
1 Wrïï' -! !>,:, il «• i$ son pavs, contraint
• • barbare, Infidèle, où
360 SERMON CCXCV.
il n'a ni parents , ni amis , ni commodités , ni connaissances
en sa vie privée et particulière ; il gagne son pain à la sueur
de son visage dans la boutique d'un charpentier jusqu'à
Page de trente ans; pour nous donner exemple de ne point
offenser Dieu par notre langue , il garde un silence si pro-
fond que ses compatriotes l'attribuaient à la stupidité. S. Bo-
naventure dit qu'en Nazareth , quand un jeune homme n'a-
vait point d'esprit, on disait : Il est hébété et idiot comme
le fils de Joseph ; quelle humiliation !
Dans sa vie publique, étant le Roi des rois, il n'a pas à sa
suite des rois , des princes, marquis, comtes, barons, mais
de pauvres pêcheurs, de petits villageois , et il est tant mé-
prisé, que ses propres parents voulurent un jour le mettre
à l'attache comme un fou ou frénétique.
Enfin sur le déclin de sa vie , il souffre d'être le jouet des
valets , qui le traitent comme un insensé , lui donnent des
soufflets , lui crachent au visage , le fouettent comme un
coupeur de bourse , le traînent par les rues comme un fou,
l'attachent à un gibet au milieu de deux larrons , comme un
chef de voleurs.
Mais ce qui est encore admirable, c'est que même après
sa résurrection, dans sa vie impassible, sur son trône de
gloire , il chérit et conserve cette vertu , et il la pratique
avec tant d'excellence, qu'après le dernier jugement il n'y
aura personne ni au ciel , ni aux enfers qui soit humble et
humilié tout ensemble , que PHomme-Dieu. La Vierge et
les Saints dans le ciel seront bien humbles, mais ils ne se-
ront pas humiliés; au contraire, ils seront exaltés ; les ré-
prouvés dans les enfers seront beaucoup humiliés , mais ils
ne seront pas humbles. Il n'y aura personne que notre Sau-
veur qui soit humble et humilié tout ensemble ; il sera hum-
ble , car il pourra toujours dire avec vérité : Apprenez de
moi que je suis débonnaire et humble de cœur; il sera hu-
milié, car dans toute l'étendue des siècles le Verbe divin
sera dans cet état d'abaissement et d'anéantissement qu'il a
daigné prendre au mystère de l'incarnation. Et qu'était-il
besoin qu'il nous enseignât cette vertu à si grands frais : Ita
DKI.'„,M,rm-ni, ,IAD|M)Nt, 8e
mu m fient, dtsci omntno non posset ' ha nia». ,);,
S. Augustin; est-ce done chose si ™Bde de se Z LÏt
tahnbit. ' JJ"""^ tptritu
Ou p ml bien être noyé sans le «eu deWrginité comm*
I« m nti qui ool été maries : on peut être iTnlj
• -H* Scrfrum.) Eo S. Matthieu, (cap -18 \ \
kt disciples m Fil» .1,, r,,,,,, „,„. 'y,1. I0,1-/
«;,» ■ ' .', V°"SdlS cn ïériW ' 'l"c si vous ne
I ' ' ets,,TOUS ne vo,ls «»** semblables aux
petits entants, tous n entrerez pas au royaume deseieux
& roos ne vous convertissez pas! n'élaient-ils pas convertis i
* J ae,U a la s,ll,c d" ^veur depuis plusieurs mois ' '
mu i lait s. J.eques le mineur son cousin, qui était s saint
nw me avant que d'être anOtre „„'„„ i '
fciïni « . «'*/ " à ces deux Saùm
1
362 SERMON ccxcv.
cheront d'entrer au royaume des cieux. Il parle à ses dis-
ciples parmi lesquels était Judas , et il dit : Quiconque ,
notez quiconque, s'humiliera comme ce petit enfant , il est
le plus grand au royaume des cieux; il n'excepte personne,
pas même Judas. Donnez-moi le plus grand Saint qui ait
jamais été , S. Jean TEvangéliste, S. Jacques, S. Jean-
Baptiste; faites qu'un moment avant que de mourir, il ait
perdu Fliumilité , il ne serait pas sauvé. Donnez-moi le
plus grand pécheur qui ait jamais été , un Judas , oui ,
Judas ; si après avoir été avaricieux, murmurateur, larron,
sacrilège, après avoir trahi et vendu son Maître, un moment
avant que de mourir il eût été bien humble et contrit, (on ne
peut être l'un sans l'autre,) s'il eût été contrit et bien hum-
ble, Dieu l'aurait sauvé : Cor contritum et humiliatum,
Deus , non despicies ; humiles spirittt salvavit.
C. — (2° Patribus. ) Ce sont deux grands Saints qui
nous enseignent ceci; S. Augustin dit : Alia quœcumque
iniquitas inmalis operibus exercetur ut fiant saperbia
bonis operibus insidiatur ut pereant : Les autres vices
nous portent à faire de mauvaises actions ; l'orgueil dresse
des embûches aux bonnes enivres pour les perdre.
Sola virtus humilitatis , ïœsœ reparatio castitatis,
dit S. Bernard; il faut aussi dire : Lœsœ reparatio chari-
tatis , sobrietatis ; les autres vertus réparent seulement
dans Pâme les brèches que le vice contraire y a faites,
rhumilité les répare toutes.
Vous en pouvez juger selon ce qui se passe dans le
monde; faites que vous ayez un enfant ou un valet qui soit
borgne, bossu , boiteux, contrefait, mais qui soit humble,
souple, obéissant, officieux , qui se soumette et rende ser-
vice à chacun , son humilité couvre tous ses défauts, vous
avez des inclinations et de la tendresse pour lui; au contraire
quand on voit un homme qui se regarde , qui est idolâtre
de soi; arrogant, dédaigneux, impérieux, on se moque de
lui , et on le méprise, quelque grandes et excellentes que
soient ses autres qualités. Il en est de même en la présence
de Dieu : îe pauvre publiai in, quoique pécheur public, lui
Di: l'iumiutÉ de HABBUUNK. 3tf3
f.i: phM agréable par ton humilité, que le pharisien orgueiK
loua avec toutes ses bonnes œuvres.
Cette vertu esl d'une si grande importance que S. Au-
gustin craignant d'avoir quelque secrète vanité dans les
ids services qu'il rendail à Dieu et à son Eglise gé-
,.i en son cœur et répandait des rivières de larmes en
nec de Dieu pour en obtenir le pardon : « Mtiltum
reor occulta tnea qua noruut oculi mi , mei auiem
•B. Tu nosti de bac re, ad le gemilus cordis mei et
mina oeulorum meorum : » ( S. An»-, lib. 10. con-
, cap, 37. ) Je crains qu'au fond de mon coeur il n'y
ail de la vaine gloire cachée, que vous voyez clairement
o mon Dieu, et que je ne vois pas. Vous savez les rivières
de larmes que j'en répands en votre présence, et les gémîs-
utsde mon cœur, °
D. — ( 3" Rationo. ) Ou vous êtes pécheur, ou vous
|uste. Si vous êtes pécheur, ou si vous l'avez élé, vous
i pas besoin d'un plus puissant motif pour vous humi-
: lhomlu.tw tua m medio lui. Vous avez fait à
beu plus de déshonneur que vous ne lui rendrez jamais
i honneurs et de service*; vous avez été criminel de lèsc-
majesté divine, coupable de la mort d'un Dieu , esclave
J «mon, ç'cM-à-dirc valet d'un bourreau plus odieux et
plus abominable devant Dieu qu'une chenille, qu'un serpent
bT'S, ' Ct farconsé(luent vous êtes racheté
Si vous êtes vertueux , vous avez grand sujet de vous
«mmers car S. Bernard ( Serm. 54. in Cant. num. 13
intresPère. disent que si Dieu retire quelquefois les
;' ™» ame choisie , et la laisse en des faiblesses et
est parce qu'elle s'est attribué la gloire de
M l7"»'- , ou de peur qu'elle ne se l'attribue
electis grat» divina aliquando subtrabitur , ut
I ^«"eHigatquidsitde^psojadhoeautem
Jalur, velreparatur, nt intelligat quid sit ex munere
di v.iio , m udo eruditur ad contemptum sui, in altero
MkO ad a...,! i, ex unoproficit ad I... nilitatem?
364 SERMON ccxcv,
<c ex altero promovetur ad charitatem. In his autem duobus
<( est, elfundamentum bonitatis, et consummatio virtutis : h
Dieu retire quelquefois ses grâces d'une âme dévote, afin
qu'elle apprenne ce qu'elle est par elle-même ; d'autrefois
il les lui donne, afin qu'elle sache ce qu'elle est par la libé-
ralité divine; en l'un elle apprend à se mépriser, et en l'autre
elle apprend à aimer Dieu; le premier l'établit en l'humilité,
le second en la charité. L'humilité est le fondement de toute
vertu , la charité en est la consommation et l'achèvement ,
dit Richard de Saint- Victor. ( in Psal. 136. )
Si nous étions bien convaincus de cette vérité, nous ne
dédaignerions personne , nous ne mépriserions personne ,
nous porterions compassion à notre prochain quand il
tombe en faute, quelque grande et énorme qu'elle soit ;
nous dirions en nous-mêmes : J'en ferais bien autant, j'en
aurais fait tout autant, encore pis, si le bon Dieu ne m'en
avait empêché par sa grande miséricorde.
TERTIUM punctum. — Duplex, etc.
E. — ( Prima, Spirilus. ) L'Ecriture distingue deux
sortes d'humilités : humilité d'esprit , humilité de cœur.
De l'humililé d'esprit le Psalmiste a dit : Dieu sauvera les
humbles d'esprit; de l'humilité de cœur, le Sauveur a dit :
Apprenez de moi que je suis débonnaire et humble de cœur.
L'humilité d'esprit consiste à reconnaître et être bien
convaincu de ce que nous sommes par la grâce de Dieu, et
de ce que nous sommes de nous-mêmes et par la corruption
de notre nature, que nous disions avec sentiment de la vé-
rité : « Deus, qui conspicis quia ex nul la nostra actione
« confidimus , quia ex nulla nostra virtute subsistimus ,
« Deus virtutum , cujus est totum quod est optimum : »
Grand Dieu, vous voyez que nous ne nous fions en aucune
de nos actions, (pie nous ne subsistons par aucune de nos
vertus ! grand Dieu, tout le bien qui est en nous vient de
vous, tout, tout!
Oui tout, car nous ne pouvons faire aucun bien que par
un acte intérieur ou par un acte extérieur \ et tous deux
Dl ! Ill MILITÉ DE M kDELEINE. 305
tiennent de la miséricorde de Dieu; l'intérieur non est
»#w, l'extérieur neque currentis , sed misère n lis
. Notre perfection n'es! pas une œuvre do celui qui
veut, ni de celui qui court, mais de la miséricorde de Dieu,
Toute Péconomiede notre prédestination consiste à avoir
de bons commencements, acheminements, accomplisse-
ments en la perfection, et c'est Dieu qui les donne; il donne
de bons commencements : Dixi ; nunc cœpit : hœc mu-
ialio dexierœ e.vccki; ( Psal. 76. 11. ) il donne Pache-
mmement : Emitte lucem tuam, et veritatem tuam:ipsa
mv (Unlu.venint , et adduxerunt in montem sanctum
tuum; ( Psal. 42. 3. ) il donne l'accomplissement : Qui
cœpi/, in vobis opus bonum, ipse perjiciet usque in
diem Christi ; ( Philip. \ . g. ) Celui qui a commencé en
nous la bonne œuvre, l'achèvera.
La pratique de toutes les vertus consiste dans la pensée
<••• amendement , dans Paflection de la volonté, et dans
I exécution de l œuvre; et c'est Dieu qui fait ces trois dons;
-\ Cor. \\. 5.) il donne la bonne pensée, nous ne sommes
pas suffisants pour penser quelque chose de nous-mêmes
mais toute notre suffisance est de Dieu ; il donne l'affection
de la volonté ; c'est Dieu qui opère en nous le vouloir et
aent, dit S. Paul ; (I) il donne l'exécution de
I "livre : \ ous avez fait en nous toutes nos œuvres, ô mon
Dieu .Mit baie. (2)
lout ce que nous faisons de nous-mêmes, et tout ce que
nous savons faire en la pratique de nos vertus , c'est de
gâter les œuvres de Dieu, de les souiller de mille imperfec-
lons, d y mêler de Tamour-propre , de la vaine complai-
>, et autres circonstances qui nous rendraient plus
s de blâme et de punition que de louante et de récom-
; si D eu non. jUgeai( selon la vérité et sévérité de sa
e:«Omnesjustitiae Doslra? sicut pannus menstruata h
dit le prophète Isaie,( 64. 6. et S. Grégoire « : Omne
• wrlotisnostremeritumculpa esse cognoscilur, si ab in-
rella, et perficer*». (p|,i|m, -> i-, n
(i/> ° • ' i 20. 12.)
36(> SERMON CCXCV.
» terno arbitro dcstricte judicitur ; » ( S. Greg. iib. 9.
Moral, cap. 2. ) et il fut révélé à un saint religieux que
c'est comme si on mêlait de gros filets d'étoupes en un ou-
vrage de soie ou en une toile chargent.
F. — ■( Secundo, , Cordis. ) Celui qui a l'humilité de
cœur, reconnaissant et recevant ces vérités, ne se pique
jamais de points d'honneur , ne cherché point les premiers
rangs, les préséances, les préférences, n'a point de passion
de commander , de conduire et de gouverner les autres .t
si sa charge l'oblige de le faire, il ne le fait pas fièrement ,
impérieusement, arrogamment; mais avec crainte , avec
douceur et bonté ; en même temps qu'il commande aux
hommes à l'extérieur, il est prosterné à leurs pieds, en son
intérieur et dans l'affection de son cœur , comme S. Au-
gustin le conseille ; ( Epist. 109. ) il appréhende cette
menace du Saint-Esprit : Judicium durissinwm his qui
firœsiint pet ; Jugement très dur sera fait à ceux qui com-
mandent; il ne dit pas à ceux qui ambitionnent de comman-
der; il ne dit pas à ceux qui commandent mal , mais abso-
lument à ceux qui commandent; il ne dit pas jugement exact
et ponctuel, mais jugement très sévère, très dur et rigou-
reux leur sera fait.
Celui qui est humble de cœur ne désire point paraître
et avoir de l'éclat inutile dans son train, dans ses meubles,
dans ses habits, dans ses geste/-, n'a point d'inclination vo-
lontaire à être considéré , honoré , loué , aimé, redouté :
« Nunquid hoc Icnlalionis gérais recessit a me, aut recedere
« potest in hac vita , timeii et aman velle non propter
« aliud , sed ut inde sit gaudium quod non est gaudium, »
dit S. Augustin. ( lib. 4 0., eonfess., cap. 36. ) Ce n'est
pas un vice ni une imperfection de vouloir être aimé et re-
douté à bonne intention, afin que vos gens recevant volon-
tiers vos instructions et vos ordres , pratiquent la vertu et
obéissent aux commandements de Dieu ; mais vouloir être
aimé et redouté pour en recevoir de la délectation et en
avoir je ne sais quelle joie vainc et frivole , c'est une ten-
tation, c'est un souffle de l'esprit malin, c'est se rendre inîï-
DE ^HUMILITÉ DE MADELEINE. 367
v de Lucifer : rot ange superbe désira se rendre
lable à Dieu , se placer sur son trône , le trône où
réside plus volontiers cpie dans le firmament. ; c'est le
Meor humain, ce qu'il aime c'est qifon se souvienne de lui,
qu'on pense à lui; quand vous voulez complaire à quelqu'un,
fOUS lui dites : On se souviendra de vous d'ici à cinquante
ans; voilà une belle flatterie, un homme bien humble ne
voudrait pas qu'on se souvint de lui d'ici à cinquante mois,
d'ici à cinquante jours, dYiei a cinquante heures, d'ici a cin-
ipianle moments. Si je désire qu'on se souvienne de moi,
qu'on pense à moi, qu'on parle de moi, vous voyez que c'est
me loger, en quelque façon , à la place de Dieu , c'est
occuper le cœur humain qui est son trône; car pendant qu'on
se souviendra de moi , on ne se souviendra pas de Dieu ;
pendant qu'on pensera à moi, on ne pensera pas à Dieu ;
int qu'on parlera de moi, on ne parlera pas de Dieu;
pendant qu'on s'occupera de moi, on ne s'occupera pas de
Dieu ; c'est une tentation à laquelle peu de gens font ré-
flexion , c'est une tentation qui nous poursuit jusqu'à la
mort, et môme souvent au delà, comme on le voit par
les inclinations qu'on a de s'immortaliser en la mémoire
des hommes par les mausolées , par les monuments super-
bes par les bâtiments de longue durée, par la plume des
historiens, et ce qui est déplorable en cette tentation, c'est
qu'on ne peut pas bien s'éprouver en ce sujet. Car, comme
dil le même S. Augustin, quand je converse familièrement
quoiqu'on, si je crains d'y avoir trop d'attache, il m'est
de m'éprouver , je n'ai qu'à m'éïoigncrdc cette per-
et me sevrer de sa conversation pour quelque temps,
eette séparation m'attriste démesurément , je connais
qu*il y a do fat tache; quand je possède des biens de la terre,
ef que je crains d'y être trop affectionné, il m'est aisé de
r; je n'ai qu'à me priver de ces richesses et les
donner en aumône pour l'amour de Dieu, et si cette priva-
m'esfl insupportable, je connais que l'amour en était
trop ardent el désordonné ; mais pour éprouver si j'aime à
être ahué et loué des ho es, '•! ne m'est pas permis de me
n08 SERMON CCXCV.
rendre vicieux , afin qu'ils me blâment et abhorrent ; pour
connaître si dans la pratique de la vertu, je cherche seu*
lement la vertu, ou si je cherche l'honneur qui est rendu
aux vertueux, il ne m'est pas permis de me séparer de la
vertu : Multum itaque vereor occulta mea r/uœ norunt
oculi lui) Domine, mei autem non. ( S. Aug. lib. 10.
Confess. c. 37. ) Je suis homme , c'est-à-dire créature
civile et politique, obligé de vivre en compagnie; les diver-
ses nécessités et le commerce de la société humaine deman-
dent que je me fasse aimer et redouter de plusieurs , et
vous ne voulez pas, ô mon Dien ! que je prenne plaisir à
être aimé et redouté. Je suis chrétien, la charité chrétienne
m'oblige à aimer et assister le prochain , cela gagne son
amour et l'oblige à me réciproquer. Vous voulez que je me
rende louable, et que je n'aime pas d'être loué; vous voulez
que je possède la vertu , et que je méprise l'honneur qui
en est l'ombre ; que j'exerce des actions glorieuses, et que
j'en abhorre la gloire; que j'aspire à chose haute, et que
je me tienne bien bas ; que je fasse des choses grandes , et
que je me rende petit; que je pratique des œuvres excellentes,
et que je m'estime vil et abject : Imperas nobis, et in hoc
génère continentiam; da quod jubés, et jubé qtiodvis.
G. — (1° Script ura.) L'homme véritablement humble
passe bien plus loin , il ne se contente pas de fuir l'honneur
et la gloire mondaine ; mais , si par quelque revers de for-
tune , ou par la malice des hommes , il est mis dans le ra-
bais , délaissé , négligé , oublié , méprisé du monde , ce
qui n'arrive jamais que par la providence de Dieu , il en
est ravi , sachant qu'il n'est point d'état où nous soyons
plus agréables à Dieu que l'état d'humiliation et de bassesse,
quand nous y sommes avec agrément et résignation à la
volonté de Dieu. Cuis sicut Deus noster , qui in altis
habitat , et humilia respicit ? dit le Prophète : Notre
Dieu est d'un merveilleux naturel , il est grand , et il aime
les petits ; il est le Très-Haut, et il aime les choses basses :
îl est très noble , et il aime les choses viles et abjectes ; il
est très riche , et il aime les pauvres ; voulez-vous donc
de l'humilité de madeleine. 369
connaître les inclinations de Dieu , voyez les Immeurs et les
contâmes du monde, et prenez tout le contraire : car Dieu
et le monde sont directement opposés.
H.— {TExemplo ChriêH.) Le fils de Dieu voulait se
fane créature : il y avait deux natures intelligentes qu'il
pouvait épouser en unité de personne : la nature angélique,
et la nature humaine ; il n'épouse pas la plus noble, qui est
angélique , il épouse la plus vile , qui est l'humaine en
1 homme. 11 y a deux réalités : la personne ou personnalité ,
et la nature ; c'est la personne qui est plus noble , puisque
lc> actions lui appartiennent : Actiones sunt supposilo-
rum. Le Verbe divin unit à soi la nature, non la personne
et la nature de l'homme. Il y a deux parties , Pâme et la
chair ; il les épouse toutes deux , mais il ne fait mention
que de la plus vile , qui est la chair , comme s'il la prenait
en première intention : Ferhum carofactum est} et il vent
que ce grand mystère emprunte son nom de la chair, non
(]«• I âme, et s'appelle Incarnation. Ce corps a divers élats,
divers âges ; le Fils de Dieu prend le plus bas , et le plus
faible, qui est Tàge d'enfance : cet enfant doit avoir une
mère, \\ choisit pour sa mère une pauvre petite fille qui
était oubliée du monde, méprisée, inconnue, cachée en un
recoin d'une petite bourgade dont on ne faisait point de cas
Cl de laquelle on disait par mépris : A JSazareth potest
ahVad boni esse? (Joan. 1 . /i6.) Cum essem parvula
p/acut Altiésimo. Respexit humilùaiem ancillœ suœ.
(.«•mot, humilitatem , ne signifie pas proprement la vertu
d humilité , mais la bassesse , petitesse , ou comme d'autres
Il a luisent, le néant; car il n'y a pas en grec ra^vo^iW
comme aux Kphésiens, (/,. 2.) mais il y a r**o/v*<r,y.
ebant PEfangile , il veut avoir des apôtres qui soient
! de sa gloire , les instruments de ses desseins
l< ! hérauts de sa parole, les intendants de ses finances, les
princes de son Eglise. Entre sesdisciples, il y a des nobles,
comme Joseph d Arimathie , noble décurios ; il y a des ro-
turiers . comme saint Pierre. Le monde adore les nobles
'roturier* :S, Pierre, roturier , est choisi pour
370 lnàMON ccxcv.
apôtre , et non Joseph , noble décurion; entre ses disciples,
il y a des fiches, comme 'cachée , dives valde ; il y aussi
des pauvres , comme S. Jean et S. Jacques 9 qui n'avaient
que des filets tout rompus, reficientes retia sua. Le monde
courtise les riches , dédaigne les pauvres ; Jésus au con-
traire , ne choisit pas pour apôtre Zachée qui est riche ,
mais Jean et Jacques qui sont pauvres ; entre ses disciples
il y a des docteurs, comme Nicodême, dont il est dit : (Joan.
3.10) Tu esmacjisterin Israël; il y en a qui n'ont point
étudié, comme S. André. Le monde honore les docteurs; on
dit, dans les communautés : Monsieur notre maître, et l'on
méprise ceux qui ne sont pas lettrés ; Jésus choisit pour
apôtre S. André , non pas Nicodême.
I. — (3° Exempîo Sa?ictoru?n.) Ces considérations ont
porté plusieurs Saints à des entreprises très prodigieuses
et extraordinaires pour se cacher au monde , ou s'y rendre
abjects et méprisables. Quelle action plus extraordinaire que
de voir sainte Madeleine, une demoiselle de très bonne mai-
son, qui a été jusqu'à présent courtisée, flattée, adorée de la
jeunesse, être toute échevelée en bonne compagnie , mettre
sa tète sous les pieds d'un homme mortel , essuyer avec ses
cheveux des pieds boueux , et puis se retirer du monde pour
passer le reste de sa vie dans une grotte presque inaccessi-
ble , pour être inconnue au monde , sans se pourvoir pour
l'avenir , sans prévoir de quoi elle vivra , où elle couchera,
comment elle se chauffera en hiver, où elle prendra des ha-
bits quand les siens seront usés , qui l'assistera si elle de-
vient malade?
S. Grégoire de Nysse raconte que S. Alexandre , étant
très docte philosophe , très éloquent orateur , et très bien
versé en toute sorte de sciences , pour cacher les talents que
le monde admire , quitta son pays , vint à Comane , se fit
volontairement charbonnier , et vécut quelques année en ce
métier vil et abject. S. Grégoire Thaumaturge étant arrivé
à Comane pour présider à Mection d'un évèque qui se fai-
sait alors par les suffrages du clergé et du peuple , leur re-
commanda qu'en donnai1* leurs voix ils n'eussent pas tant
1)1, l'humilité de madeleine 371
I i la science , noblesse et éloquence , qu'à la vertu et
probité de celui qu'ils choisiraient pour évèque. Quelqu'un
du peuple s'écria là-dessus , comme en se moquant : Ace
Compte il faut donc faire évèque Alexandre le charbonnier.
S. Grégoire fut éclairé de Dieu el connut, par révélation,
Pexcellcnte sainteté et doctrine qui étaient en ce Saint. Il
Penvoie chercher ; le charbonnier ne sachant pas à quelle
intention on le demandait, parui au milieu du peuple : tout
le monde se mit à rire quand on le vit ainsi noirci, déchire',
en si pauvre équipage. S. Grégoire leur dit: Vous ne sa-
vez pas quelle est la blancheur qui est voilée sous cette cou-
leur noire, les riches trésors qui sont cachés sous ces
haillons, la doctrine et la sagesse qui sont dans cet homme
méprisé. 11 leur déclare toute sa vie, les saints artifices dont
il s était déguisé , que c'était la volonté de Dieu qu'il fût
leur évèque, et il se comporta si saintement en cette dignité
qu'il méritad'etre martyr et brûlé tout vif pour la foi de Jésus,
L'Histoire Ecclésiastique, et le Martyrologe Romain
mention de S. Siméon , surnommé Salins, c'est-à-dire
le fou , parce qu'il contrefit toute sa vie le fou : mais après
sa mort Dieu monda que celte folie simulée était une vraie
son saint corps fut honoré et renommé par plu-
sieurs grands et signalés miracles. Palladlus , dans l'Histoire
|iie, écrit la vie d'une fille dévole qui, au monastère
rabennesiotes dans la Thébaide , cacha une rare et
excellente vertu , sous les apparences de folie qu'elle con-
trefaisail pour être méprisée de chacun. Dieu découvrit à
\\n Saint nommé Pitiron que sa folie n'était qu'une feinte,
et que si sainteté était très éminente; elle , se voyait ho-
norée, quitta le monastère et redevint inconnue.
El sans aller si loin , qui n'admirera la prodigieuse ac-
tion d'humilité qui s'est faite de notre temps en cette ville
'' I l'an mille six cent cinq , au mois de juillet ?
se \o\aut à la veille d'une extrême famine à
eause des pluie- extraordinaires qui désolaient tous les
champs , on fit des processions et des prières publiques en
| - de la ville. Un très sage , très pieux,
372 SERMON CCXCV.
très savant, très judicieux avocat, nomme Bernard Bardcn^
(!ib. 1 . Vilœejus, cap. 7.) qui était veuf, après avoir vécu
quatorze ansen virginité avec sa femme, voulantfaire amende
honorable à la justice de Dieu pour les péchés de son peuple,
sortit un matin de sa maison sans chapeau , sans manteau ,
sans chemise , n'ayant que son pourpoint et ses haut— dé-
chausses sur la chair , les pieds et les jambes nus , les
mains jointes , les yeux baissés , marchant lentement par
les rues, il se rendit en l'église de Saint-Michel, afin de sui-
vre îa procession qui devait s'y assembler; ses parents avertis
de ce qui se passait, y accourent , le blâmant et s'efforçant
de l'arracher Je !a place où il était à genoux nus sur la pierre.
Mais n'ayant rien pu gagner sur son esprit, ils obtinrent
des prêtres de l'église que pour ce jour-là il n'y eût point
de procession , de peur qu'il ne la suivît en cet équipage ,
au grand déshonneur de leur famille ; de quoi s'élant aperçu,
il se leva,etpour punir la prudence mondaine de ses parents,
il fit un tour beaucoup plus grand que celui qu'il eût fait s'il
eût suivit la procession : car étant sorti de l'église Saint-Mi-
chel, et passant parles plus célèbres rues, il sortit de la ville,
et allant le long des faubourgs , il se rendit à l'église de
Sainte- Valérie qui est la plus éloignée , où il demeura fort
longtemps recueilli en méditation ; de là il revint dans la
ville suivi d'une troupe de petits enfants qui le regardaient
comme un homme troublé du cerveau ; mais lui sans s'é-
mouvoir marchait lentement tenant les mains jointes, baissant
modestement les yeux et suivant toujours les lieux où il
devait trouver plus de monde et plus de confusion. Etant
retourné de l'église de Saint-Martial en son logis, il s'habilla,
et voyant que ses domestiques étaient tout étonnés, il dit
à un serviteur qui portait un bassin pour lui laver les pieds :
Venez ici , il semble que vous avez peine de vous approcher
de moi, à quoi l'autre ayant répondu. Hélas ! monsieur ,
qui ne serait étonné de ce que vous avez fait aujourd'hui ?
certes le monde dit qu? vous avez perdu le sens; J'en suis
bien aise , répartit-il en souriant , Dieu soit loué : qu'y
ferions nous ? c'est le monde qui le dit , et je suis d'avis
de l'humilité dk madeleine, 373
nous laissions diYc le monde. Dieu ne s'en os( pas mo-
que* comme le monde, mais Ton a bien estimé; car il le
ren I eélèbre et glorieux par de 1res signalés miracles qui
se font à son tombeau et à son invocation ; et puisque nous
sommes sur le récit des actes héroïques d'humilité, j'ajou-
terai «nie sa chère épouse, nommée Doucette Desmaisons,
demoiselle fort riche, jeune, honnête, et fort accomplie des
perfections que le momie admire en ce sexe , qui avant son
mariage avait é:é vaine , et fort curieuse de paraître par la
pompe de ses habits , fut tellement changée par les saints
discours et bons exemples de son mari , qu'à l'imitation de
sainte Madeleine , elle quitta tout d'un coup, ses beaux vê-
tements , ses bracelets , ses colliers de perles , ses chaînes
et ceintures d'or qu'elle portait selon la coutume du pays ,
et sortit un dimanche malin , vêtue fort simplement et au-
is de sa condition , se réjouissant des discours que les
du monde en lésaient; les uns disaient qu'elle avait
perdu l'esprit , les autres qu'elle avait vendu ses joyaux
pour payer des dettes cachées.
Ces saintes âmes et autres semblables, dont l'Histoire
siastique fait mention , avaient appris du Saint-Esprit
celte belle vérité qu'un grand docteur a laissée par écrit,
que le commencement et presque le sommaire de laperfec-
hrétienne consiste en ces quatre points \ Spernere nul*
lum , spernere mundum , spernere sperni, spernere sese:
Ne mépriser personne , mépriser le monde , mépriser le mé-
pris , se mépriser soi-même. C'est notre sainte pénitente
qui en a donné la première aux fidèles un exemple public et
admirable; prions-la d'obtenir de Dieu poumons, la grâce
1 le mépris et l'humiliation; car plus nous serons
ses et humbles sur la terre , plus nous serons élevés et
lieux dans le ciel. Amen.
SERMON CCXCVI.
DE LA CRAINTE, REPRESENTEE PAR LE BAISER QUE SAINTE
MADELEINE DONNA AU PIED GAUCHE DE JESUS.
Osculabatttr pedes ejus.
Elle baisait les pieds de Jésus. (Luc. 7. 38.)
Les deux pieds du Fils de Dieu , à ce que nous disent les
saints Pères , sont les symboles et hiéroglyphes de deux si-
gnalées perfections que nous adorons en lui; le pied gauche
représente sa justice , le pied droit représente sa miséri-
corde divine, parce qu'il vient à nous par les deux attributs,
comme nous marchons par les deux pieds : Universœ vice
Domini misericordia et veritas. (S. Bernard serm. 6 in
Cantic. ) L'âme pécheresse qui veut se convertir à l'exemple
de sainte Madeleine ne doit pas se contenter de baiser un des
pieds, elle doit les baiser tous deux comme cette sainte pé-
nitente : Osculahatur pedes ejus, non pas , pedem. Elle
doit baiser le pied gauche , c'est-à-dire, dit S. Bernard ,
redouter et honorer sa justice , de peur de se perdre par
présomption ; elle doit baiser le pied droit , c^est-à-dire es-
pérer en sa miséricorde , de peur de se perdre par déses-
poir. Aujourd'hui nous parlerons de la crainte , demain ,
Dieu aidant, de l'espérance : Beneplacitum est Domino
super timentes eum , et in eis qui sperant super mise-
ricordia ejus*
IDEA SERMONIS.
Exordium, A, O seul a oris manuum et peâum Christi
fiunt ah anima dei/icata, sanctificata, justificata t
et debemus osculari pedem sinistrum Christi per
spiritum timoris et humilitatis , oh tria.
Primumpimctum. Oh percuta prœterita : B. f* Scrip-
CCVI. DR LA CRAINT!- , etc. 37^
tura. — C. 2* Patribus. — D. 3° HistoHn. —
■V Rat ion 'bus.
Sccundum punctum; Ratione pressentis oh imperfection
mes nostrantm virtutum : F. 1° Seriph ira —
G. 2f Patribus.— H. ,°>° Ratione.*-!. 4' E remplis.
rcrtium punctum. Ratione futuripericuliïh. \* Scrip*
tara. — M. 2" Patribus. — N. 3l> Jtolffti* —
0. 4° Exemplis.
îlusio. P. Exhortatio ad pietatem}eharitatem,pa»
tientiam , e* rftoo Pefr*.
FA'ORDIUM.
. —{Oscula oris manuum, etc.) Le Saint-Esprit
décrivant au livre des Cantiquesles chastes amours du Verbe
incarné et de l'âme dévote, fait parler l'Epouse la première
comme par une surprise d'amour , et. lui fait faire cet élan !
Oseuletur me oseuh oris sut : Qu'il me donne un baiser
bouche. Le dévot S. Bernard faisant Un beau com-
mentaire sur ces paroles , nous fournit le sujet d'une sainte
et utile considération qui nous entretiendra ce matin. Nous
pouvons distinguer trois états de Pâme chrétienne et dévote
en la vie spirituelle, états très bien représentés par trois
sortes de baisers dont l'Ecriture fait mention : l'état de
léiGée , l'étal de l ame sanctifiée , l'étatde l'amènent-
ite ; la déification est représentée par le baiser de la bou-
che , la sanctification par le baiser des mains , la pénitence
baiser des pieds du Fils de Dieu. L'âme est mise au
premier état, et est en quelque façon déifiée par la sainte
"union , et ce divin état est très bien exprimé par le
; S I > bouche ; et quand rEpouse dit au commencement
D Cantique : Oseuletur me osculo oris sut, elle de-
mande la sainte communion : car le baiser à la bouche est
"lion, et Jésus se joint à nous en Peucharis-
"'- corps à corps, esprit à esprit, essence à
1 une liaison si étroite que, comme nous Pavons
vu autrefois, if Pères anciens, tantgrew que latins, (Cyril.
U ici. Il inJoan.cap. fô.-Hîlar. lib 8 do
3? 6 SERMON CCXCVI
T
rinit. circa médium. — Theodoret. in Cant.) la comparent
à l'union qui est entre les personnes divines par Puni té de
leur essence. En la sainte communion, dit Theodoret, nous
recevons le corps de notre divin Epoux , nous le baisons ,
nous l'embrassons , nous lui sommes conjoints et unis : Née
vero offendi quis débet verbo osculi , si quidem sacrandi
tempore membra sponsi nos accipimus , osculamur et
amplectimur , et veluli sponsali conjunctione cum co
copulamiir. Aussi , comme c'est au dernier adieu , quand
on est sur le point de se séparer, qu'on se salue par le bai-
ser, le Fils de Dieu allant à la mort, retirant de l'Eglise son
épouse sa présence visible , lui donna ce baiser amoureux
par le sacrement de l'eucharistie.
En second lieu , l'âme pour être sanctifiée , pour devenir
sainte et parfaite, doit baiser les mains du Fils de Dieu ,
c'est-à-dire lui attribuer la gloire et le mérite de ses bonnes
œuvres et l'en remercier; car le baiser des mains est le sym-
bole des actions de grâces. Quand nous ayons reçu une fa-
veur et courtoisie de quelqu'un , nous lui disons : Mon-
sieur, je vous baise les mains, c'est-à dire, je vous remercie.
Après que nous avons pratiqué quelque vertu , si nous pen-
sons qu'elle vienne de nous, et que nous l'ayons acquise
par nos propres forces , au lieu de reconnaître que Dieu en
est l'auteur et de l'en remercier , nous baisons nos mains ,
au lieu de baiser celles du Fils de Dieu; et nous tarissons
par cette ingratitude la source de ses grâces qui nous au-
raient sanctifiés. Cette faute n'est pas si petite qu'on pense;
le saint homme Job dit que c'est une grande injustice : Si
vidi solem cum fulgeret , et lœtatum est in abscondito
cor meum, et osculatus sum manum meam ore meo /
quœ est iniquiias maxima : (Job. 3 1 . 26.) Quand j'ai vu
l'éclat et la gloire de mes bonnes œuvres , si je m'en suis
réjoui vainement en moi-même , m'en attribuant l'honneur
et le mérite , au lieu d'en remercier Dieu , c'est une grande
iniquité que j'ai commise.
Marie-Madeleine n'ose baiser les mains du Fils de Dieu
au commencement de sa conversion , elle n'a encore point
I » CRAINTE m v\m r.BINE. .'• r
le vert i bien louables et méritoires ; encore moins
e aspirer au baiser de la liouche , et dire con
I npouse : < Uculetur me mcu/o ont tut ; elle se conlcnle
« !<• baiser les pieds : Osculabatur pedetejus. L'âme pé-
cheresse qui vcul être bien convertie, la doit imiter; elle doit
Miser le pied gauche du Fils de Dieu, honorer et redouter
si justii e, être toujours dans un esprit de crainte , de con-
fusion, ,1 humiliation en sa présence , baiser le pied droit ,
cest-à-dire honorer sa miséricorde, espérant de sa bonté
diTine le pardon de ses péchés. Parlons aujourd'hui de la
•m me ; elle peut s engendrer en nos cœurs par la considé-
ration du passé , ou du présent , ou de l'avenir.
railTOM Pi RCTUM. _ 01, peccala pra'terita.
B. — I Scriptura.) Le Saint-Esprit en l'Ecriture
sainte nous propose le premier motif: De propitiato pec-
tine met». Ne vous tenez jamais assure du
«HpkMsiAditiileptcatOtMnpasdepee-
• giiaml vous n'auriei commis qu'un seul poché mor-
m}r* ».'e • ee rou*««< M grand sujet de craindre ctde
n avoir jamais une traie joie dans voire cœur le reste de vos
• quelque abondance de larmes que vous en avez ré-
pandues, quelque confession et satisfaction que vous en avez
**" i 'l,lW e*l l'homme si éclairé de Dieu qui puisse vous
assurer que ce péché tous a été pardonné , puisque le Saint-
Esprit m,,ne „ en parle que douteusement et en termes qui
nous |,lsseni dans l'incertitude ? Converitmint ad Domi-
num Deutn vestrum ; qui* «et* ri convertit ur et ignoa-
n,>. 1 <■„,„„ tua ekemosynU redime, forritan ignoectt
!><■„,: Con»ertis«ei-vousàvoùreDieu,peut-4trequ,il vous
pardonnera, dit Joël. '
„(;T 'J '' Le prophète Daniel dit au roi Na-
I'"", r:nS™ recherche* vospéché, par l'aumône,
".[- wqneD |« pardonnera.
,.," ,;,i"- lo»ner un symbole de celte vérité, comme le
»e »'a «ibtilement remarqué, le «ewlégisla-
"• •'• 'I. avait ordonné .peau sacrifice propitia
378 SliRMON CCXCVI.
îolre qu'on offrait anciennement pour la rémission des pé-
chés, on se gardât bien d'employer l'encens on l'huile,
comme dans les autres oblations : Non mittet in eam
cïeum, nec tlmris aliquid imponct , quia propeccato
est. L'huile est l'hiéroglyphe de la joie et de l'allégresse :
Exhilaret facicm in oleo; unxit te Deits oleo lœtitiœ ;
point d'huile en l'oblation qui se fait pour le péché , afin que
Fume pécheresse apprenne qu'elle n'a point sujet de se ré-
jouir, quelque pénitence, sacrifice , offrande qu'elle fasse;
comment pourrait-elle se réjouir, ne pouvant savoir si sa
pénitence est acceptable, son oblation en bonne odeur devant
Dieu ? On employait anciennement l'encens dans les sacri-
fices que l'on savait assurément être agréables à Dieu ;
(Lévit. 2. 2. ) dans l'oblation des princes il était expressé-
ment commandé d'y mettre de l'encens : Pones super eos
tïius; parce qu'on était certain que cette offrande était de
bonne odeur devant Dieu : In odorem suavissimum Do-
mino ; car cela représentait que quand nous offrons à Dieu
le commencement de notre vie, l'adolescence et la jeunesse,
le plus beau et le meilleur de notre temps, les premiers
fruits de nos travaux, ce présent lui est agréable; on en
mettait sur les pains de proposition qui étaient appelés pa-
nes facidi, (Lévit. 24. 7.) parce que Dieu les agréait et
les regardait de bon œil, et qu'il tournait sa face vers eux
comme étant la figure de l'eucharistie , qui est l'objet de sa
complaisance. C'est pour cela qu'au sacrifice de la messe
on se sert d'encens, d'autant que nous sommes assurés
que cette oblation lui est très agréable; au contraire au
sacrifice de jalousie il était défendu de se servir d'encens,
(Num. 5. 1 5.) parce qu'on ne savait si la femme était cri-
minelle ou innocente, si le sacrifice du mari était offert pour
un soupçon raisonnable , ou pour un jugement téméraire.
Ainsi donc il était défendu d'user d'encens au sacrifice
pour le péché, parce qu'il est incertain si notre pénitence ,
qui est un sacrifice spirituel, est agréable à Dieu ou non ;
ce n'est pas que cette incertitude vienne jamais de la part
do Dieu ou de sa miséricorde, cor nous sommes toujours
DB LA CJUINTE DE MADELEINE. 4?U
qu'il ne dédaigne jamais un cœur contrit et
humilie; mais c'est que nous sommes toujours très hic: t-
si nous avons un cœur vraiment contrit cl humilié, si
notre pénitence est assaisonnée de toutes les dispositions,
qualités , conditions, circonstances que Dieu demande de
nou> , et si au lieu d'être fraie , surnaturelle j cordiale ,
légitime , effet de la grâce , ('Ile n'est point fausse , natu-
relle, apparente , superficielle, engeance d'amour-propre.
D. — ( 3° Hiêtoria. ) Ces saints religieux dont parle
anClimaque,au cinquième degré de son Echelle, appré-
hendaient bien celte vérité ; il n'en parle pas par ouï-dire,
mais comme témoin oculaire; il a été sur le lieu , il y a de-
meuré trente jours, a vu de ses yeux et considéré de bien
ce qu'il raconte à la postérité. Il dit que dans un mo-
nastère de ces anciens anachorètes qui vivaient comme des
s , il y avait un lieu un peu écarté du couvent destiné à
la pénitence ; ce lieu semblait une vraie prison tant il était
n\, obscur, humide , puant, incommode, aussi ils rap-
pelaient la prison. Ceux qui par fragilité humaine , avaient
commis quelque pécbé après leur profession, se condamnaient
volontairement à y taire pénitence le reste de leurs jours.
I \o\;iit des gens pèles, maigres, décharnés, défaits, qui
n'avaient que la peau et les os; ils semblaient de vrais sque-
lettes , des morts fraîchement déterrés; ils avaient les yeux
enfoncés , le poil des paupières tombé , les joues brûlées
et flétries par les chaudes larmes qu'ils répandaient conti-
nuellement , l'estomac tout meurtri de coups de poing, des
i des durillons aux genoux par l'assiduité de l'oraison.
i nourriture était un peu de pain et d'eau , non pour
apaiser la faim et la soif, mais pour .s'empêcher (le mourir ;
quand ils avaient mangé deux ou trois bouchées de pain, ils
tient h l«' reste, disant qu'ils n'étaient pas dignes de
i l ilures raisonnables , eux qui avaient
été si déraisonnables que d'offenser le Créateur. Quelque*
(posaient tout le jour au* rayons du soleil d'été qui
-là; d'autres loi-., nu cœur de
1 h'V< r. il , ., ,,, . (. jusque (.;;(-
380 SiîRMON CCXCVI.
tout transis de froid. On en voyait qui passaient les nuits en
oraison tout, droits , immobiles et sans appui ; et s'ils se
sentaient tant soit peu assoupis, ils disaient des injures àleurs
corps et chassaient le sommeil à coups de poing. D'autres
étaient assis sur la cendre, couverts d\in cilice, baignant la
terre de leurs larmes ; quelques-uns , outrés de douleur ,
regardaient le ciel d'un œil languissant; d'autres, s'estimant
indignes de le regarder, avaient toujours les yeux baissés en
terre ; ils semblaient tout stupides de douleur. Vous n'en-
tendiez là (|ue soupirs, sanglots, gémissements, rugisse-
ments : Pourquoi ai-je offensé mon Dieu ? comment me
suis-je tant oublié que de faire plus de cas de mes maudites
passions que de ses divines volontés?où était mon jugement?
avais-je perdu l'esprit ? a Ignosce , ignosce , Domine, si
« possibile est; aperi , aperi nobis , Domine, januam
a misericordiœ , quam per peccatum clausimus ; ostende
« nobis facicm tuam , et salvi erimus ; illuminare his qui
« in tenebris sunt, et in umbra mortis sedent; cito antici-
« peut nos misericordiœ tuœ: » Pardonnez-nous, Seigneur,
pardonnez-nous , s'il est possible ; ouvrez la porte de votre
miséricorde, que nous avons fermée par nos péchés ; mon-
trez-nous votre face et nous serons sauvés ; éclairez ceux
qui sont dans les ténèbres et à l'ombre de la mort ; que vos
miséricordes nous préviennent promptement.
Quand le supérieur du monastère allait les visiter , les
uns le priaient de leur mettre les fers aux pieds, et les mains
à la chaîne comme des chiens enragés , puisqu'ils avaient
été si furieux que de se révolter contre Dieu par une offense
mortelle ; d'autres priaient Dieu de les priver de la vue ,
de les rendre paralytiques, et de les faire malades toute leur
vie, pour punir celte misérable chair qui les avait fait pécher.
Après tant de regrets, de pleurs , d'humiliations, de péni-
tences , ils parlaient douteusement de leur rémission , ils
disaient entre eux : Pensez-vous que notre prière sera par-
venue jusqu'au ciel? y aura-t-elle eu entrée , étant sortie
d'une bouche si souillée ? si elle est entrée au ciel , aura-t-
elle fait quelque chose , apaisé Dieu , obtenu sa grâce ,
DE LA CRAINTE DE MADELEINE. 331
réconcilié les pauvres criminels ? quand nous serons pré-
sentés au tribunal effroyable de Dieu , quel jugement
fera-t-il de nous ? noire pénitence sera-t-elle accep-
table ? quelle sera l'issue de notre procès , quelle sentence
recevrons-nous pour toute l'éternité ? Ne serons-nous
point condamnés pour n'avoir pas bien expie nos fautes ?
El lorsque quelqu'un d'entre eux était au lit de la mort prêt à
rendre l'ame , pour aller rendre compte à Dieu , ils s'as-
semblaient autour de lui , et d'un accent funeste et lugubre
qui eût amolli un rocher , il lui disaient : Et bien ! mon
frère , où en etes-vous maintenant ? que dites-vous ? que
pensez-vous ? êtes-vous arrivé à bon port , ou si vous êtes
encore en crainte de naufrage ? avez-vous quelque espé-
rance de pardon , ou si Dieu vous laisse encore en incerti-
tude de votre salut ? ne sentez-vous point en votre cœur
quelque voix qui vous dit : Votre foi vous a sauvé, vos péchés
vous sont pardonnes ? ne vous dit-on point dans l'intérieur
que le pécheur soit chassé bien loin , afin qu'il ne voie pas
la gloire du Seigneur , prenez ce mauvais serviteur, jetez-
le pieds et mains liés dans les ténèbres extérieures ? A ces
interrogations , les uns répondaient avec confiance : Béni
soit Dieu , qui ne nous a pas donnés en proie à la cruauté
de nos ennemis ; d'autres disaient en gémissant : Malheur
à l'Ame qui n'a pas été fidèle à sa vocation ! Et puis nous
Il ions la hardiesse d'offenser Dieu, nous nous enflerons ,
il nous semblera que Dieu nous en doit de reste pour un
peu de bonnes œuvres que nous faisons, et puis nous ne nous
défierons pas de notre pénitence , nous nous tiendrons très
assurés pour une petite confession que nous avons faite dans
un malin de Pâques !
E. — 'i Rationibus.) Mais supposons que nous soyons
assurés que notre pénitence a été légitime , et que nos pé-
chés - m lit effacés quanl à la coulpe, qui nous a dit qu'il
int à la peine? Or la théologie enseigne que pour
le pir!:.; précédent Dieu permet quelquefois que
nous tombions dans de nouveaux péchés. David nous donne
ui cela uu conseil fort salutaire : Servit* Domino in ti-
382 GERMON CCXCVI.
more , et exullaie ei cum tremore : Servez le Seigneur
fivee crainte ; si vous êtes dans sa grâce , réjouissez-vous en
lui , mais avec frayeur et tremblement. Faites pénitence de
vos péchés passés , punissez votre chair de ces rebellions et
de ses sensualités , en hébreu :Nasse ku har , adorale ,
osculamini filium ; ne vous attribuez pas la gloire de vos
bonnes œuvres , mais au Fils de Dieu seul , de peur que
Dieu ne se fâche , ne punisse les péchés que vous ne punis-
sez pas , et que pour vous châtier et vous humilier , il ne
permette que vous sortiez du chemin de la vertu. Saint
Augustin dit : « Non ait ne quando irascatur Dominus et
« non ostendat vobis viam jusfam aut non introducat vos in
« viamjustam , scdjam ; illic ambulantes pereatis de via
« justa , quia superbia eliam in recte faetis cavenda est ne
« homo dum quod Dei est, deputet suum , amittatquod
« Dei est, et redeat ad suum. (S. Aug. De nat. et gratia,
cap. 32.) Le Psalmiste ne dit pas : Faites pénitence , de
peur que Dieu ne vous mette pas au droit chemin ; mais de
peur qu'étant déjà au droit chemin , Dieu ne permette que
vous en sortiez , parce que Porgueil est à craindre dans les
bonnes œuvres , de peur que Thomme s'attribuant ce qui
vient de Dieu , ne perde les grâces de Dieu; et ne tombe
dans ses propres misères.
Il est vrai, l'expérience ne le montre que trop, expérience
déplorable pour nous , que pour réprimer notre arrogance,
nous tenir dans le rabais au fond de notre néant , dans la
connaissance de nous-mêmes et le sentiment de notre fai-
blesse , pour nous retirer d'une certaine disposition qui dé-
plaît grandement à Dieu , d'un certain état par lequel nous
avons satisfaction en nous-mêmes; nous faisons les suffisants,
îl nous semble que Dieu nous en doit de reste; il nous laisse
tomber dans de grandes imperfections, et même quelquefois
dans de lourdes fautes. David connaissant cela , nous crie :
Exaltate ei cum tremore; osculamini filium. Gardez*
vous bien de vous réjouir en vous-mêmes, et de vous appro*
prier le mérite de vos vertus ; attribuez-le tout à Jésus.
dffrehendite disciplinam ; craignez les effets de vos
DJS MADELEINE. 383
es passés, faites-en pénitence de peur que Dieu ne vous
udonne, ne vous laisse déchoir de sa (grâce en punition
de votre arrogance ou de voire paresse à faire pénitence. Ce
conseil que David nous donnne , il le pratiquait lui-même:
Fecijudicium et justitiam : non (raclas mecalumnian-
Htusme. (Psal. 118,121.)
Déplus, bien qu'un péché soit remis, il produit quel-
quefois de très mauvais effets; il nous donne une pente et
DM inclination à de nouveaux péchés, il affaiblit le franc
arbitre, il augmente la concupiscence , il irrite la sen-
sualité , il nous éloigne de Dieu , et nous rend indignes de
ses grâces*
Le vrai remède de ces maux est d'être toujours dans un
esprit d'humiliation , de pénitence et de crainte.
SBCUNDUM PUNCTUM. — Ratio ne pressentis , etc.
F. — ( I" ScNpiura. ) Il ne faut pas que cet esprit
ailité et de crainte salutaire diminue en nous pour
bonnes œuvres que nous faisons; car elles sont
ordinairement mêlées de tant de défauts , que si Dieu les
regarde et les examine avec la sévérité de son jugement ,
elles seront en sa présence comme un linge sale : Justitiœ
twstrœ tanijinun pan fuis menstruatœ. ( Isa. G4. 6. )
Gi — (2* Patribus.) Le saint abbé Agathon disait que
si Dieu voulait nous imputer les égarements d'esprit, les
distractions de cœur, les négligences et les irrévérences que
nous commettons dans nos prières, nous ne pourrions être
sauvés. S. Augustin dit : Vœ eliam laudahili vitee , si
cam aèsquê misericordia discusseris ! Malheur à la vie
Jouable, si Dieu l'examine sans miséricorde ! S. Grégoire
dit : ( lib. 8. Mor. c. 9, ) Hocipsum quoquê quod juste
nur rircre, culpa art, si vitam nostram cumjudi*
tut , liane apud se divina misericordia non excusât.
vie qui nous semble juste, est coupable, si la miséri-
I r.l«- de Dieu ne nou> excuse ; notez, miséricorde; il y a
dans la vie et dans les actions des
aints > qœlle vie plus juste et plus louable que celle
384 SERMON CCXCVI.
de S. Ignace martyr ; on croit qu'il était ce petit garçon
que Jésus mit au milieu de ses disciples , en leur disant :
Quiconque s'humiliera comme ce petit enfant , est le plus
grand au royaume des cieux. ( Matth. 18. 4. ) Il avait été
disciple des apôtres presque dès son enfance, si désireux du
martyre, qu'il disait : Quand je serai exposé aux bêtes sau-
vages, si elles m'épargnent, comme elles ont fait à plusieurs
martyrs, je les agacerai, je les irriterai, je les contraindrai
de me déchirer. Il était si enflammé d'amour envers le Fils
de Dieu, qu'on trouva après sa mort le saint nom de Jésus
imprimé sur son cœur. Et néanmoins il dit dans une de
ses épilres : Plusieurs choses me manquent pour être tel
que je ne doive pas être abandonné de Dieu *oi\xixoi \ei**t
ïvx ôeov (Arj Mtokeiçd&i et allant au martyre, il disait :
Frumentum Christisum; denlibus bestiarum molar,ut
panis mundus inveniar : ( S. Ignatius , epist. 5. ad
Trallianos , post initium. ) Le martyre m'est nécessaire
pour nettoyer ce qui est imparfait en moi; il y a du son
mêlé avec la fleur, je serai moulu et bluté par les dents des
lions , afin de séparer ce qui est impur et défectueux dans
mon cœur. S. Paul était dans la même disposition quand il
disait : Nihil mihi conscius sum , sed non in hoc jus-
tijicatus sum ; quiautemjudicat me Dominus est : Ma
conscience ne me reprend point, mais je ne me justifie pas
pourtant; c'est le Seigneur qui me juge.
il. — (3° Ratione. ) Voilà la vraie raison de cette
crainte et défiance de nous-mêmes que nous devons avoir,
notre cœur est plein de plis et replis , de détours et de
labyrinthe, d'obscurité et de ténèbres , Dieu seul le sonde
et le connaît : « Pravum est cor omnium et inscrutabile J
)> quis cognoscet illlud ? ego Dominus. Omnis via viri
w recta sibi videtur : appendit autem corda Dominus : »
( Jerem. 17. 9. — Prov. 21 . 2. ) Bien que nous pensions
être justes et avoir des intentions bien sincères en nos
actions , peut-être que notre cœur jî'est pas bien droit t
que Dieu le voit tout réfléchi et recourbé vers nous ; il
voit que si nous, nous abstenons du péché» ce n'est que ni|
DB LA CHAJNTfi Di: MADKLBIAE. 385
Jute .{'occasion, par amour-propre , par crainte humaine
al serwle, ou par autres dispositions fort impures.
l. — ( V Exempli*. ) La bienheureuse Catherine de
Gènes , n. été des plus pures et des plus éclairées du
.un,,. s .,,, , . |a (hi dfl sa yie <le
flans les actions qu elle avait estimées de grande vertu
Le père Maître Avila dit avoir connu une personne qui
pria souvent D.eu de lui découvrir ce qu'elle était : Dieu
h" dessilla tant soit peu les yeux de l'esprit, ce qui lui conta
beaucoup, car elle se vit si vilaine et si abominable, qu'elle se
m a cner à liante voix : Mon Dieu, je vous conjure par
TOlre miséricorde de m'ôler ce miroir de devant les yeux
je ne mus plus curieuse de voir mon image.
Enfin quoique nous soyons assurés°de n'avoir Jamais
commis de péchés et d'être à présent en très bon état nous
devons néanmoins nous humilier et nous reconnaît e né-
curs ,l,:vant D,eu parce que nous le serions par no c
mclination et fragilité naturelle, s'il ne nous tenait par la
';;•<<>; -./avertissement que S. Augustin donn aux
wergeschré tiennes : « Quidquid mali Deo euslodiente non
« eon,,„„t,t,s tanquam remissum ah illo deputate , „ë
modieum vobis existimantes dimissum , modicum dïli-
gaus , ettundentes pectora puldicanos ruinosa jaetantia
« cm cmnatis. . (S Aug. ton,. C. lih. de sanctaiirglj ?
m' Toi,' i'.;rZ <,,,e D'eU •°US a pa,donné tous les Pochés
c, mmi 'il , PS C0,1,m,S ' P:"'Ce qU<! VOl,S lcs ™
commis s il ne vous en avait empêché par sa grâce.
aux iî;.r.scs r(:siions ii a mh^ c° fc* «»*"•«««•»
aux autres . Gral.a itjw deputo, et quaicmnque non feci
" "«la, et omma nul,, dimissa esse fateor, etqu* mca
LV**** "^ - « q«* * «"Ce non Ceci ! „ ($ A ur.
»fcss cap. 7. JVtrilnie à votre grâce tous le
q«ejcn'a;pas6iU, j'avoue que vous SwÏÏS
..»»-:;i>«J a. commis par ma mauvaise volonté
|u«j«n ai pas commis par le secours de votre arâce
?OM,ffo»^cl(cvéritéetsinousnetac7nSons
»»%an» Dieu pour nous la <ai„ TcS éc
*>bO SERMON cexcvi.
avouer , il retirera de nous les grâces particulières, il nous
abandonnera à notre faiblesse , et nous laissera tomber en
de lourdes fautes.
TERTIUM PlHNCTUAi. — îicttioiie failli j) de.
L. — ( 1° Scriptura. ) C'est le troisième motif que
nous avons de craindre et de nous humilier, S. Paul nous
le propose disant : Qui se existifnat stare, videat ne cadat;
( î . Cor. 4 0. 42. ) Celui qui pense être sur pied , qu'il
prenne garde de ne pas tomber.
M. — (2° Patribus. ) S. Augustin dit : « Nemo so-
it curus esse débet in hac vita qaaetota tentatio nominatur :
« ut qui fieri potuit ex détériore melior, non fiât etiam ex
« meliorc deterior. Una spes, una fiducia; tina firma pro-
« missio , misericordia tua : » ( S. Aug. lib. 4 0.
Confess. cap. 32. ) Personne ne doit se tenir assuré en
cette vie qui n'est qu'une tentation ; celui qui , de vicieux
qu'il était, est devenu vertueux, étant à présent vertueux
peut devenir vicieux.
Le dévot A Kempis (De Imit. Christi, lib, 3. cap. 44.)
dit : Mon Dieu, il n'y a point de sainteté si vous retirez
votre main; il n'y a point de sagesse qui serve si vous cessez
de gouverner; il n'y a point de force qui vaille si vous vous
désistez de conserver; il n'y a point de chasteté assurée si
vous ne la protégez, et le soin particulier de se garder ne
sert de rien , s'il n'est assisté de votre sainte vigilance; car
étant délaissés de vous, nous tombons au fond et périssons;
et l'Eglise en ses dévotions publiques dit : Deits, oui nos
in tantis periculis constitutos pro humana scis fragi-
litate non posse subsistere ; Grand Dieu , vous savez
qu'étant exposés à tant de périls , la fragilité humaine ne
nous permet pas de subsister sans votre secours.
N. — - (3° Ratione.) Il ne faut que considérer la nature
et la condition de nos ennemis, pour avouer cette vérité :
au monde il n'y a que pièges , écueils, pierre d'achoppe-
ment , objets de lasciveté, d'envie, d'ambition, de médi-
sance, de complaisance. S. Antoine ie vit plein de lacets
DE l.A CRAINTE ol MADELEINE. 387
et de pièges et s'écria : qui est-ce qui en pourra échapper?
La obair nous poursuit partout, nous avons cet ennemi ,
non sur nos frontières, non à nos portes , mais dans nos
entrailles.
S. Grégoire de Nazianzc en l'extrême vieillesse ,
S. Jérôme eu la solitude du désert et en la rigueur d'une
vie 1res austère, S. Paul aux travaux et fatigues de l'apos-
tolat, eu ressentaient les hostilités, s'en plaignaient, s'esti-
pajent malheureux, réclamaient la mort à leur secours :
Infclix cfjo homol quis me liberabit de corpore morlis
hujus ? Et nous qui ne sommes pas saints , qui ne l'avons
jamais été, qui avons commis plusieurs grands péchés,
nous ne craindrons pas cet ennemi dans l'effervescence de la
jeunesse, dans les bons traitements du corps, conversations
de Iules et de femmes, vie oisive et inutile!
Quant au troisième ennemi, nous disons tous les jours
des paroles que nous n'appréhendons pas , mais très dignes
d'appréhensions : Tanquam ho rugiens : Si nous avions
un chien enragé auprès de nous, nous craindrions ; nous
avons un lion, le plus fort, le plus cruel et le plus invincible
de tous les animaux, tanquam leo ; non un lion endormi ,
apaisé, apprivoisé, rassasié; mais qui rugit, qui est en colère,
enragé, aflaraé, qui aboie après la proie : Rugiens, leo
rmjiet , quis non iimebit? Nous ne l'avons pas à nos
cotés, mais tout autour de nous , circuit, il rôde, il
nous assiège, il épie notre faiblesse , il empêche qu'on ne
s'approche de nous de quelque côté que ce soit pour nous
seeourir.
O — (V Excmplis.) N'avons-nous pas grand sujet de
trembler? Sommes-nous plus éclairés en l'entendement, plus
invincibles en la foi , plus établis en la vertu que Tertullicn
autrefois ? Il a été la merveille de l'Afrique , le défen-
du christianisme , l'ornement de l'Eglise ; il avait une
si grande intelligence des vérités chrétiennes , un esprit si
I ml, une éloquence si puissante, qu'il n'a point attaqué
d'infidèles qu'il n'ait heureureusemont renversés: Cujus
j c verba lot sentent iœ eimul , quoi sens us foi
OOO SERMON CCXCVI.
victoriœ , dit Vincent de Lerins ; chaque parole de ses
livres porte sa sentence , et chaque sentence sa victoire ,
témoins en sont les Marcions, les Appelles, les Proxcas, les
Hermogènes, les Juifs, les gentils, et les autres, et toute-
fois ce prodige de science , celte terreur des hérétiques ,
ce grand jeûneur, cet homme si austère est tombé lamen-
tablement , et en tombant a donné une rude secousse à toute
l'Eglise.
Quelques-uns disent et avec raison (Ita Baronius anno
357.) que la chute du grand Osius , évêque de Cordoue , a
été encore plus surprenante et plus terrible que celle de
Tertullien, car celui-ci n'a pas persévéré aussi longtemps,
en la vraie foi , ne Pa pas défendue avec autant de courage ,
n'a pas rendu d'aussi notables services à l'Eglise dans des af-
faires de si grande conséquence, dans l'orient et dans l'occi-
dent, que l'a fait Osius. Il avait courageusement confessé
la foi avec les saints martyrs devant le président Dacien 5
(Baron, anno 303.) il avait été envoyé dans l'orient par le
pape S. Sylvestre pour apaiser les troubles excités par les
Ariens; il avait tenu des conciles dans Alexandrie, ctfà Gan-
gres contre les hérétiques.
Il avait été le premier auteur du baptême de Constantin ,
lui conseillant de le recevoir pour expier ses péchés ; il avait
présidé au premier concile de Nicée et y avait dressé le
symbole que nous chantons tous les dimanches, à la messe ;
il avait résisté courageusement à l'empereur Constance, re-
fusant de signer la condamnation de S. Athanase ; et après
tant de belles actions , tant de travaux , tant de mérite , il
succomba lâchement , en signant , au grand étonnement et
regret de toute l'Eglise, un formulaire contre la foi, dressé
par les hérétiques.
Je ne tremble pas moins quand je lis la chute de S. Jac-
ques Termite. (Surius28. januar.) Il avait demeuré trente
ans dans une caverne , il avait épuisé son corps par les
jeûnes et autres pénitences : étant obligé par charité do
rendre quelque service à une femme malade, en même
temps qu'il lui rendait service de la main droite il tenait sa
Dl. i i CBÀ1NTE DE MÀDBLB1NB. SS'Ô
i gauche sur le feu , afin d'empêcher par la violence de
douleur le moindre mouvement de concupiscence. II
avait fait des miracles très signalés ; nonobstant une si
grande sainteté , il tomba malheureusement dans le péché
de la ehaîr avec une Glle qu'il avait délivrée de la possession
du diable, et il fut sur le point de retourner dans le monde;
Dieu l'en préserva par une miséricorde particulière,
et lui lit la grâce de se reconnaître et d'expier sa faute par
des larmes très abondantes et des pénitences très rigoureuses.
Si ces hauts cèdres du Liban qui semblaient être si bien
enracinés, ont été arrachés par le vent de quelque vanité,
comment pourront subsister les petits arbrisseaux ? si ces
grands vaisseaux si bien équipés qui voguaient si heureuse-
ment , ont fait naufrage par recueil d'une tentation, que
feront les petites barques; si ces flambeaux si éclatants qui
éclairaient toute l'Eglise ont été éteints par un peu de vent,
que feront les petites chandelles ?
S. Pierre considérant ces vérités si importantes, nous
avertit sérieusement d'assurer et affermir notre salut parla
pratique des solides vertus , et entre autres il nous en re-
commande principalement trois : « Sub inferentes minis-
t traie pielatcm, charilatem ,patientiam. Qui enim non
n prae>lo sunt hœc , caecus est, oblivionem accipiens pur-
gationis velerum suorum peccatorum.
CONCLUSIO.
P« — (Exhortât io, etc.) Faites tous vos efforts pour ré-
pondre aux desseins de Dieu sur vous , et tachez de joindre
I la croyance des mystères les vertus chrétiennes, savoir:
la piété envers Dieu , la charité envers le prochain , la pa-
envers vous; car celui à qui ces vertus manquent ,
e\ ri un aveugle qui montre par sa vie qu'il ne se souvient plus
rdon de ses péchés qu'il a reçu au baptême. Donc
rer notre salut , nous devons avoir grand soin de
pratiquer ces trois vertus; premièrement , la piété, nous
ner à bon escient aux exercices de piété à la ferveur
, à l'obéissance aux conseils et inspirations
ù\jO SfcftMOK ccxdvi.
de Dieu , faire ce que nous savons qiril désire de nous ,
bien qu'il ne le commande pas absolument, tendre à la per-
fection de noire vocation , marcher en la présence de Dieu
avec esprit d'humilité et de componction, gémir et soupirer
après lui , afin qu'il nous pardonne nos fautes passées, qu'il
excuse les présentes, et nous préserve des futures : Delicta
juventutis mecs etignoranlias ne memineris: Seigneur
ne vous souvenez pas des fautes de ma jeunesse , ni de mes
ignorances. Si iniquitates observaveris, Domine, Do-
mine , quis sustinebit ? cum defecerit virius mea , ne
derelinquas me : Mon Dieu , si vous examinez nos péchés ,
qui est-ce qui pourra subsister ? mon Dieu , ne roe délais-
sez pas quand mes forces me manqueront.
En second lieu , la charité : Charitas opetit mullitu-
dinem peccatorum ; nous devons avoir grand soin de ne
nous moquer de personne , de ne dédaigner , de ne mépri-
ser , de ne condamner, de ne juger personne, d'excuser tout
le monde , de penser que les autres sont toujours meilleurs
que nous , que le moindre péché mortel que nous avons fait
nous rendpluscoupabiesdevant Dieu que toutes les imperfec-
tions de notre prochain. Celui qui aurait été atteint et
convaincu d'un crime de lèse-majesté , condamné à mort
et conduit au gibet 5 si , étant au pied de l'échelle , on lui
apportait sa grâce , pourrait-il après cela être orgueilleux
et arrogant ? ne serait-il pas toujours honteux et humilié ?
Quand nous n'aurions jamais commis qu'un péché mortel ,
nous sommes rachetés du gibet , voilà notre propre qualité,
voilà tout ce que nous sommes , et rien davantage. Ne de-
vons-nous pas être bien honteux ? c'est la disposition que
prenait le bienheureux François de Borgîa , après avoir
médité les peines de l'enfer , et considéré qu'il les avait sou-
vent méritées par ses péchés ; au sortir de là, il lui semblait
que tout le monde le regardait comme un pauvre racheté du
gibet ; il marchait confus et humilié , endurait patiemment
les offenses qu'on lui faisait, c'est la troisième vertu que
S. Pierre nous recommande ; nous devons recevoir avec
résignation les disgrâces qui nous arrivent de quelque part
Dl I.A ( K.VI.M». Dfi MADiJ.MM., <t[]\
les viennent, peines d'esprit, maladies, calomnies,
pertes de bien, renversement de l'on une, persécution; nous
devons dire avec résignation : Omnia quœ faisti noèis,
Domine, in verojudicio feciM , cl juste pro peccatis
nostns affligimur; ce sont des pénitences de nos péchés
pissés , qui apaisent Dieu , satisfont à sa justice , attirent
sur nous sa miséricorde. S. Chrysostômc (Hom. 1. in ad
Philemon. sub ûnem.) comprend tous les enseignements en
trois petites paroles que je voua laisse pour la bonne bouche :
O humiliât* in omnibus ; egeno miserere ; remitte ci
fui té lœsit ; audeo dicere quantumlibet magnus pec~
catorjueris , cœlesti regno donaheris : Humiliez-vous
en tout , soyez compatissant envers les pauvres , pardonnez
librement les offense* qa'on vous fait; j'oserai dire que quel-
que grand pécheur que vous ayez été, vous serez reçu a**
royaume ùvs cieuv. Amen.
SERMON CCXCVIL
DE L ESPERANCE EN LA MISERICORDE DE DIEU, REPRE-
SENTEE PAR LE BAISER QUE SAINTE MADELEINE DONNE
AU PIED DROIT DE JESUS.
Osculabatur pcdes ejus.
Elle lui baisait les pieds. (Luc. 7. 5o«)
La crainte de la justice de Dieu et l'espérance en sa mi-
séricorde sont les deux ailes avec lesquelles Pâme pénitente
doit s'élever de la terre , se retirer du péché et faire essor
jusqu'au ciel, à l'exemple de David : Çuisdabit mihipen-
nas sicul columhœ, et volaho? ce sont les deux rames dont
elle doit se servir pour voguer heureusement sur la mer
orageuse de ce monde , et arriver à hon port.
Ce sont les baisers qu'elle doit donner aux deux pieds
du Fils de Dieu, à l'exemple de sainte Madeleine. Hier,
nous l'exhortions à baiser le pied gauche par la crainte de
la justice ; aujourd'hui je dois l'exhorter à baiser le pied
droit par Pespérance dans îamiséricorde.^e, Maria, etc.
IDEA SERMONIS.
Exordium. A. An aliquod peccatum sit irremissibiïe.
Primum punctum. Deus promit tit veniam pœnitenti ;
13. 1° Scriptura. — C. 2° Exemplo Nïnivitarum,
— D. 3° Rationibus ut ostendat suas perfectiones.
Sccundum punctum. E. Deus imperat spem veniœ pœ~
nitenti,
Tcrtium punctum. F. Donavit veniam mag?iis peccato-
ribus vere pœnitentibus. — G. Ncgavit fa I sis pœ-
nitentibus.
Conclusio. H. Christus beniane invitât peccaton m ad
veniam.
CCVU.—DB L'ESPÉRANCE, été. IV)\
BXORDIl M.
4. — dn aliquodpeccatum, etc.) Major est fat-
p mea.auam ut vmiam merear, disait le premier
hom,?«de>a.u chapitre quatre de la Genèse; il disait bien,
■mm il parlai! mal : tout péché mortel, quelque léger et petit
<l» 'I sort , se distingue du véniel en ce qu'il ne mérite au-
cune grâce ; mais la miséricorde de Dieu qui va toujours
ju-delà de nos mérites, pardonne souvent des péchés qui
étaient indignes de pardon. Nous pouvons néanmoins pour
plus grand éclaircissement traiter une belle question et
demander si l'on peut commettre des péchés si grands et en
si grand nombre , qu'ils ne puissentêtre effacés par aucune
pénitence. S il peut y avoir des pécheurs si obstinés, si en-
dures au mal et en si mauvais état devant Dieu , qu'ils ne
pnssenf rentrer en grâce el obtenir le pardon de leur crime-
il semble que I Ecriture renseigne par Jérémie. (2 22 )
Dieu dit à une âme pécheresse : Si laverie te nitro et
multiplicaverU tibi herèam borith, maculata es m
tntquttaie tua coram me : Quand vous vous laveriez avec
du savon de salpêtre, c'est-à-dire par la pénitence qui est
lorte , amère, mordicante comme le salpêtre, vous n'effa-
cerez pas vo> taches, vous demeurerez souillée.
Dans la Sagesse, chapitre cinquième, les réprouvés
ont pénitence, pœnùentiam agentes, non-seulement dans
la partie mfer.cure de l'âme, mais dans la partie supérieure
et dans l esprit : Et prœ angustia tpiritus «émeutes;
et ils ne laissent pas d'être damnés, et cela pour toujours.
baie (08 \.) les Israélites sont touchés ù la prédica-
ta prophète, auquel on avait dit : Clama, ne cesses-
\tta vocem tua m ; ils rentrent en eux-
», ils jeûnent, s'humilient, s'affligent, et tant s'en
quils obtiennent pardon, que Dieu ne daigne pas sen-
te™ rder leurs bonnes œuvres, il leur dit : Neseio
r<,<: Je ne roui connais point : Jejunavimus , et non as-
fexisli, humiliavimuê, ou selon une autre version • éf.
M*xtm,u oni,,,as nastra*%e$ne'KUU. Dans l'épltre aux
894 SEBMON CCXCVJÎ, — DE l*rspérànce
Hébreux , S. Paul nous avertit de prendre garde que nous
ne tombions pas dans la môme disgrâce que le profane Esaii
qui ne fut reçu à impétrer relief, et ne put réparer sa faute,
quoiqu'il le demandât avec larmes et gémissements : Non
invenit pœnitcntiœ ïoeum^uamviscum lac7ymis quœ"
sivisset eum.
Et en effet , il y a des gens qui font des péchés si déna-
Surés , en si grand nombre, et y croupissent si longtemps,
que selon tonte apparence humaine ils doivent pourrir dans
leur ordure, étouffer la conscience, éteindre toute l'incli-
nation que la nature leur avait donnée pour le bien , car
n'est— il pas vrai que ce qui s'use et diminue petit à petit,
se perd enfin tout— à-fait et s'anéantit tôt ou tard. La ma-
ladie est une disposition et un acheminement, à la mort ,
l'altération à la corruption , la diminution de la vue à
l'aveuglement. Un seul péché mortel et des moindres affai-
blit le franc arbitre , il lui donne des langueurs ; il émousse
ïa conscience , il gâte et altère l'inclination que nous avons
au bien ; donc deux autres péchés mortels et plus grands
feront encore plus de dégât en notre àme ; donc si on en
commet en très grande quantité et de très grands , et si l'on
y persévère longtemps, ils pourront faire un si grand
ravage, qu'ils ruineront entièrement le franc arbitre, la
syndérè »e et l'inclination naturelle que Dieu nous a donnée
pour le bien. Avant que d'éclaircir ces difficultés , afin que
ce que j 0 dirai aujourd'hui ne semble pas contraire à ce qui
a été d'il autrefois , il faut présupposer , premièrement, que
je ne parte pas aujourd'hui de ceux qui se contentent de dire
un peccavi , mais de ceux qui font une vraie , entière , par-
faite , légitime pénitence ; secondement , qu'il n'est pas ici
question de savoir si tous les péchés se remettent actuelle-
ment et en effet; l'expérience montre que non; nous voyons
tous les jours des pécheurs qui n'obtiennent point de par-
don, parée qu'ils ne se convertissent jamais , ils ne se con-
vertissent pas, parce que c'est à Dieu seul de nous donner
la vraie conversion , et il ne la leur donne pas d'autant qu'ils
s'en &<mt rendus indigna par i'énormîte ou la grandeur de
l.n la MlttEAACORJMi di: nii.r.
r* crimes, Mais si Dieu roui rail la griot d'avoir uni
w* repeotance, comme il i faii quelquefois à de très
ds pécheurs, cl si avec .sa grâce, vous faites une vraie
■ gil me pénitence, il est plus que 1res assure que vous
obtiendrei pardon, quelque grands, énormes et en !
que soienl vos crimes, je l'ai autrefois montra par
des textes tirés de L'Evangile. Je veux aujourd'hui le i
i,:l1' te* i tirésds l'Ancien Testamenl , en i on-
Dieu a promis ; 2° ee qu'il a coniman I j
qu'il a l'ail aux pécheurs pénitents.
PRIMDM punctuh. — Deus promitlit veniam.
B. — (1° Seriptura.) 11 dit par Isole, : « LavaminL
■ mundi estote, aufertc malum cogitalionnm veslraruui.
■ quiescite agere perver.se; diseiîe benefaoere, subvenilo
■ opprosso, defendite viduain ; si fuerint peeeata vestra ut
•vinum, quasi nix deallulninlur : » (Isa. 1. 16.) IV-
: \os eonsciences, bannissez de voire esprit les mau-
vaises pensées, cesses de mal faire, commencez à pratiquer
la vertu i soulages les oppresses , protégez les veuves et les
orphelins ; quand voire ame serait teinte de malice en cra-
moisi , elle deviendra blanche comme neige. Il dit par Eze-
cluei : (18. 21. 22.) « Si impius egerit pœnitentiam ab
a omnibus peceatis suis, quai operatus est, et custodierit
« omnia praecepta mca , et feeerit judieium et juslitiam ,
« vita vivet et non morielur. Omnium iniquitatum ejus,
« quas operatus est , non recordabor, in justitia sir- , quam
■ Operatus est, vivet: » Si le pécheur fait pénitence de
es péchés qull a faits , s'il garde tous mes comman-
*■* ; il lait jugement et justice contre lui, il aura
« I ne périra pas; je ne me souviendrai plus des crimes
qu il aura commis.
G — 2 i <»>])lo Nhuviturum.) Mais ce qu'il dît
11 «œplitœouâm , et cela serait capable
de ressusciter ma conûance, quand je serais sur le bord du
plus profond dés • >oir. Les habitants de Ninivo commettant
i û aboQiaaMe*, qu'ils criitot>çngeaiwe devant
39G SERMON CCXCV1I,.— DE L'ESPÉRANCE
Dieu, il commande à Jouas de leur aller dire de sa part que
dans quarante jours leur ville cera renversée. Le prophète,
qui n'était pas des plus obéissants, £u lieu de faire le com-
mandement de Dieu , s'embarque sur un vaisseau pour
aller à Tharse de Cilicie , bien loin de Ninive. Une grosse
tempête s'élève et il est jeté dans la mer ; une baleine l'en-
gloutit et le vomit tout vif sur le rivage. Etant fait sage par
celle affliction , il obéit au commandement que Dieu lui fait
pour la seconde fois ; il va à Ninive ; il crie par les carre-
fours : D'ici à quarante jours celte ville sera renversée :
u4dhuc quadraginta dies, et Ninive subvertetur. Sa
prédication fut si efficace , que tous en furent touchés et
firent pénitence. Selon la chronologie, je trouve que le roi
qui tenait alors les rênes de l'empire , était Sardanapale ;
car S. Augustin, (lib. 18. de Civitate , cap 21 .) Eusèbe,
et autres, disent que Jonas prophétisa sur la fin de l'empire
des Assyriens , un an avant que Rome fût bâtie par Ro-
muius. Or , Diodore; Justin et les autres historiens pro-
fanes témoignent que Sardanapale fut le dernier roi des
Assyriens. Ce roi était si voluptueux et libertin, que
lorsqu'on veut exprimer un homme fort adonné à ses plai-
sirs , on dit que c'est un sardanapale, et néanmoins il se
convertit , et par son exemple il fut cause de la conversion
de toute la ville. Le prophète qui avait encore beaucoup
d'amour- propre , au lieu de se réjouir du fruit que sa
prédication avait fait, s'en afflige jusqu'à mourir, h sort
de la ville avec impatience, murmure en lui-même, se
plaint du bon Dieu , dans l'amertume de son cœur : Voilà
ce que c'est, mon Dieu, je me doutais bien de ce qui en
arriverait, pour cela j'avais tant de répugnance à vous obéir,
je sais votre coutume , je connais votre naturel , vous êtes
enclin à miséricorde tout ce qui se peut. Ces Ninivites se
convertissent , je vois bien que leur pénitence vous dispose
déjà à leur pardonner, et l'on me trouvera menteur; je leur
ait prédit absolument que dans quarante jours leur ville se-
rait renversée : vous n'en ferez rien , leur conversion vous
fuit dédire, on se moquera de moi comme d'un faux pro-
in i \ MISERICORDE nr nu r. ,')<J7
phèto, permettez-moi que je meure, je suis ennuyé de vivre
je ne saurais endurer eel affront. Là-dessus il s'assit tout
(Iché auprès de la ville, en attendant ce qui en arriverait. Il
ne l'entendait pas , il ne savait pas le secret, il n'y eut point
de mensonge dans sa prophétie; il cria absolument que la
ville serait renversée, et cria fut vrai, dit S. Augustin:
mais ce motde nï/cest équivoque, il signifle quelquefois
les bourgeois el habitants, d'autres fois il signifie les
maisons el les remparts, (^uandon dil que la ville de Tou-
louse a toujours été fidèle à son prince, cela s'entend des
bourgeois; quand on dit qu'elle n'est pas aussi forte, ni
aussi belle que la ville de Sedan, cela s'entend des murailles
et des remparts. La ville de JNinivc fut renversée par terre
puisque les habitants étant tous convertis se prosternèrent
à terre, couchèrent sur la dure , changèrent leur vie et la
renversèrent comme sens dessus dessous ; s'ils ne l'eussent
fait , leur ville , c'est-à-dire leurs murailles et maisons eus-
sent été renversées el ruinées de fond en comble. Dieu donc
voulut montrer au prophète par une belle comparaison le
grand amour qu'il porte aux hommes, le plaisir qu'il a de
leur pardonner ; et comme il ne punit jamais qu'à regret
• I fit croître auprès de lui sur-le-champ un arbre de lierre'
qui le mettait à l'ombre. Jouas voyant ce miracle et sentant
ce rafraîchissement se consola un peu , car c'était dans les
plus cuisantes chaleurs de l'été ; mais ce fut courte joie; car
le lendemain , à la pointe du jour , Dieu permit qu'un petit
ver rongeât cet arbre dans la racine, et le fit sécher la nuit
suivante. Quand le lendemain le soleil du midi darda ses
s sur la tète du pauvre Jouas , privé de son parasol ,
:•>'• Ce fui alors qu'il souffrit et souhaita la mort plus que
s ■ Petivit anima sua ut moreretur. Dieu pour le
wn^ncre, lui dit: Pensez-vous avoir sujet de vousattris-
1 ,a P*^ ^ ce beau lierre? Oui ,j'en ai grand sujet,
rtj en suis si fort affligé, que j'en meurs presque de regret
Vous pensez avoir sujel de vous attrister de la perte d'un
^rec^ vous n'avez pas planté, ni fait croître /ni cultivé
"ne façon | et n'aurtfs-je pa* suie) de m'attrisfer rlo
i
398 SERMON CCXCVII. DE L'ESPERANCE
la perte de la viile de Ninive?... N'entendez- vous pas la
force de cet argument ? il est si amoureux et si plein de sua-
vité, que j'en tressaille de joie quand je le considère. Il
veut dire que comme cet arbre rafraîchissait et réjouissait
le prophète quand il était verdoyant, ainsi quand nous som-
mes dans la grâce de Dieu, nous le consolons et réjouissons
extrêmement; et comme Jonas s'attrista presque jusqu'à
mourir quand le ver eut desséché ce bel arbre ; ainsi Dieu
aurait sujet d'une extrême tristesse, s'il en était capable ,
quand la ver du péché ronge notre conscience et sèche en
nous la verdure de sa grâce ; et encore la comparaison est
faible ; car , Dieu dit : Si Jonas a sujet d'être fâché de la
perte de cet arbre , j'en ai beaucoup plus dans la perte d'une
urne ; il n'a ni planté , ni cultivé , ni rien fait à cet arbre ,
puisqu'il a cru dans une nuit; j'ai créé , conservé , arrosé
de mes grâces cet àmc. Il peut maintenant enchérir et ajou-
ter : Je suis venu sur terre , j'ai sué , travaillé trente-trois
ans , et enfin je suis mort sur un gibet pour cette âme ; qui
est-ce qui n'espérera pas en la miséricorde de Dieu , après
de telles paroles? qui est-ce qui osera dire : Major est mi-
quitus mea, quam ut veniam mer car?
D. — (3° Rationihus ; etc.) Or, ce n'est pas seulement
pour l'amour de nous et par compassion envers nos misères
qu'il nous pardonne nos péchés , mais c'est pour l'amour de
lui et pour les intérêts de sa gloire ; il dit par Isaïe : C'est
moi, c'est moi qui efface vos iniquités pour l'amourdemoi;(1)
et ailleurs : Le Seigneur attend à pénitence, il sera glorifié en
vous pardonnant; (2) et par S. Paul : Tous sont pécheurs,
et ont besoin de la grâce de Dieu. (3)
Sa gloire consiste dans l'exercice et la manifestation de
ses attributs ; et il l'exerce admirablement et montre évi-
demment ses divines perfections en nous pardonnant nos pé-
chés. Il montre sa magnanimité : Longanimis o**x/jdôu{*oO
magnanimis et multum misericors ; c'est aux faibles
(î)Ego sum , ego sum qui deleo iniquitates tua propter me. (Tsa. 43. 23.)
(2) Expectat Dominus ut miserealur , etexallabiîur parcens. (ïsa. aO. 18
in i.A MISÉRICORDE DE DIEU. 399
esprits et au\ ^ens qui n'ont point de cœur , de ne pouvoir
supporter une injure, d'être endurcis au pardon et inflexibles
à la pitié : Corp or a magnanitno satis est prostrasse
leoni j et fadl&S motus mens tjencrosa capit ; lupus el
turpes instant morientibus ursis} et quœcumqueminàr
nobilitate fera est.
Dieu montre sa générosité et la noblesse de son cœur en
te qu'il oublie les injures qui lui sont faites ; il ne se laisse
pu vaincre à la colère , il est supérieur à la malice des hom-
. c'est ce (pic veut dire proprement cette parole de Joël:
Ben iy nus est f, et prœstabilis super malitia; (Joël. 2.
13.) comme quand Cieéron dit de l'orateur : Su manda
su.it res oratori maynitudine prœstabiles* (Cic. 2.
de orat.)
I! montre sa puissance : Deus , oninlpotentiam tuam
'endo maxime et miserando manifestas, dit l'Eglise*
et S. Augustin dit : Omnipolenti medico ntillus lanyuor
nabiliSy occurrit, tantum curare tesine, (S. Aug.
in Psal. 102.) II n'y a point d'hôpital pour les incurables
l'Eglise, parce qu'il n'y a pas de maladie si désespé-
rée et si invétérée que le médecin ne puisse aisément guérir,
cl qu'il n'ait quelquefois guérie; sa grâce est toute-puissante,
ses remèdes souverains, son sang d'un prix infini , ses mé-
rites inépuisables; permettez seulement qu'on vous panse,
il ne demande que de la pratique. 11 est ravi d'avoir des pé-
nitents qui , d'un cœur contrit et humilié , se mettent entre
ses mains , afin d'exercer sur eux et montrer sa bonté infinie
qui est plus grande qu'aucune malice ; qui se plaît à sur-
r el ruiner le mal qui lui est contraire , à défaire l'œu-
'■• l'homme, sans intéresser l'ouvrage de Dieu.
Il est vrai que le péché mortel obscurcit la lumière de
l'entendement, affaiblit l'inclination au bien qui en est la
ité, mais il ne les anéantit jamais tout-à-fait, parce
jVil . en corrompant une partie du
liane arbitre ou de la lumière naturelle, mais en nous don-
nant une pente et une inclination à de nouveaux péchés , et
HOU* privant <l i ïn-s particulières de Dieu
AOO SERMON CCXCVII. DE ï'fSPi'iîANCI?
desquelles il nous rend indignes. Or, il n'y a pas si mauvaise
inclination , si grande indignité et incapacité que la bonté
infinie de Dieu ne puisse surmonter et ne surmonte quel-
quefois. S. Thomas dit fort bien : ( 1 . 2. q. 85. art. 2. in,
cbrp.) Quand une sombre nuée voile la belle face du soleil,
Pair qui est en celte église en est obscurci , et encore plus
si une seconde nuée se joint à la première , et encore davan-
tage , s"*ii y en a une troisième; mais il n'y en peut tant avoir
que l'air devienne entièrement incapable de lumière ; car
elles ne peuvent faire que l'air ne soit toujours diaphane et
transparent de sa nature, et par conséquent toujours sus-
ceptible des rayons du soleil quand ces nuées seront balayées.
Le péché mortel est un sombre nuage qui suppose au
soleil de justice : Opposuisti nuhem tibi, (Thren. 3. 44.)
Il n'y a point de doute que l'entendement en est offusqué,
la volonté pervertie, et encore plus si on en commet deux ,
trois , quatre , vingt , trente; mais il est de fait que l'homme
ne peut commettre tant de crimes, ni être réduit en si mau-
vais état qu'il en perde son naturel, qui est d'être raisonna-
ble, doué de franc arbitre, susceptible de bonnes impres-
sions , et si cette nuée est effacée par la pénitence , delevi
ut nuhem iniquilatem tuam.
Il peut recouvrer les lumières et les grâces qu'il avait per-
dues, car l'homme par sa méchanceté peut bien perdre les
dons de Dieu , mais Dieu ne peut perdre sa bonté qui est
toujours prête à les lui rendre et à exercer envers lui sa mi-
séricorde , et sur quoi le peut-il mieux exercer que sur la
misère? et quelle plus grande misère que le péché ? si vous
connaissiez combien grande et infinie est cette miséricorde
divine, quand vous auriez un pied dans les enfers , vous ne
laisseriez pas d'espérer en lui ; quand un homme aurait
commis tous les brigandages, assassinats, sacrilèges, athéis-
mes qui ont été jamais commis et qui peuvent se commettre,
s'il en fait pénitence, tous ces crimes et un million d'autres,
au regard de la miséricorde de Dieu, sont comme une paille
dans un grand feu bien embrasé.
Vous direz peut-être que Dieu est juste aussi bien que
in i a MIS] RICORDE DE DIEU, 'i 0 1
miséricordieux ; vous dites vrai ; mais il faut ajouter qu'il
exerce sa justice en nous faisan! miséricorde ; il rend ce
qu'il doit quand il nous pardonne; ce qu'il doit, dis— je ,
non à la créature , mais à lui-même ; non à notre pénitence)
mais à sa clémence ; non à nos mérites, mais à sespromes-
non à nos actions, mais à ses paroles.
Sa vérité y esl engagée, il l'a dil , il l'a promis , il a as-
suré avec serment quil nous pardonnerait, si nous faisions
pénitence; «nielle apparence qu'il s'en dédise ! Vivo, in-
quil Dominusy et peenitentiam malo quam morteni
0 nos beatos , quorum causa Detts jurât ! à miserri-
7)ios , si nec jurant* Domino credimuô ! ( Tertull. do
posnit. eap. 4. 5. — Ezech, 33. 11.)
BBCUNDUM PUNCTUM. — Doits imperat.
E. — (Spem ventât^ etc. ) Il y a bien plus , il ne vous
invite pas seulement par ses promesses, il vous y oblige
aussi par son commandement, quelque grand pécheur que
lyei été ; quand vous auriez été plus dissolu que Sar-
danapale , plus meurtrier que Gain, plus traître que Judas ,
plus contraire à Jésus que l'antechrist , et plus sorcier que
le démon, Dieu vous commande de faire pénitence et dVs-
pérer en lui , tant que vous avez l'âme dans le corps ; et
quand vous n'auriez jamais commis d'autre péché, si vous
ne faites pénitence, en espérant en lui, il vous damnera
éternellement , puisqu'il vous commande sur peine de péché
mortel , d'espérer qu'il vous pardonnera , quelque grands
j que vous ayez faits; sans doute qu'il a la volonté de
vous pardonner. Autrement, comme dit S. Thomas, son
commandement serait une tromperie, et il a une si bonne
volonté de vous pardonner, que la plus grande offense que
vous lui puissiez faire, c'est de vous défier de sa miséricorde;
est vrai, Cain n'offensa point lanl Dieu en assassinant
frère innocent, Judas en trahissant son Maître , un sor-
r en faisant mourir son voisin, comme en désespérant,
parce que |p désespoir el l'iropénitence finale sont opposés
à la bonté de Dieu, dont il 5e nique avec plus de jalousie;
^l02 SERMON CCXCVII. — DE i/eSPERÀNCE
c'est un péché contre le Saint-Esprit ; c'est le seul crime qui
ne se remet jamais , ni en ce monde , ni en l'antre.
Les théologiens passent bien pins avant , ils disent que si
Dieu vous avait apparu ; oui , Dieu même; et qu'il vous eût
dit de sa bouche : Tu as commis de trop grands péchés, je
ne les pardonnerai jamais , j'ai résolu de te perdre ; vous
seriez néanmoins obligé d'espérer en lui , vous pourriez et
devriez penser que cette révélation ne serait pas un arrêt
arrêté, irrévocable , mais seulement une sentence commina-
toire : sous cette condition, si vous ne faites pénitence ,
comme celle qui fut faite aux Ninivites, à Ezéchias et aux
autres : Etiamsi me occiderit, sperabo in eum ; et tant
que nous sommes en ce monde, nous ne sommes jamais dis~
pensés du commandement de l'espérance , seconde vertu
théologale , non plus que de celui de la foi el de la charité»
Notez , vertu théologale qui a pour objet un attribut do
Dieu , c'est-à-dire que comme moins il y a d'apparence
de raison et de possibilité dans un article de foi , plus il y a
sujet et mérite de la croire : Ideo credibile est , quia im-
possibile est^ dit Tertullien.
Ainsi tant s'en faut que la grièveté et la multitude de vos
crimes doivent vous ôter la confiance , au contraire , plus ils
sont grands , et en grand nombre , plus vous aurez de mé-
rite d'espérer , parce que votre espérance ne doit pas être
appuyée sur votre probité , mais sur la bonté de Dieu; non
sur vos mérites , mais sur les mérites de son Fils j non sur
votre justice, mais sur sa miséricorde.
tertium punctum. — Donavit veniam.
F. — {V ère pœnilentibus.) Et de fait, il Ta exercée
envers de très grands pécheurs : Dieu ayant rempli et com-
blé David de grâces infinies , ayant changé sa houlette en
un sceptre royal , et son habit de grosse bure en un manteau
de pourpre, l'ayant fait prophète, roi de son peuple, l'homme
selon son cœur , David commit contre lui une ingratitude
dénaturée , en l'offensant méchamment par un plaisir de
bête brute ; il ne se contenta pas de plusieurs femmes que
IN LA UI8ERTC0RDB DE DIBU. 403
Dieu lui mil permises ; il déshonora la femme de son voi-
ir un adultère très scandaleux , il fil mourir traîtreu-
sement le pauvre mari de cette femme.
Le roi Achab épousa L'impie Jésabel contre le comman-
dement de Dieu, il persécuta Elle, il fui cause de la mort
du pauvre Naboth, il envahit injustement sa vigne, il s'adonna
à l'idolâtrie.
Le roi Menasses aima et consulta les magiciens t il
sa des idoles dans toutes les forêts, et même dans le
temple de Dieu; il offrit des sacrifices au faux dieux, leur
immola ses propres enfants, il porta le peuple au culte des
idoles; et après tant d'abominations, sitôt que ces rois
eurent fait pénitence, Dieu leur a fait miséricorde.
G. — (Negavit fakiê peenitentibus.) Que si l'Ecri-
ture raconte qu'il a rejeté et réprouvé la pénitence de quel-
-uns, c'est «pie leur conversion n'était pas vraie, c'était
une pénitence fausse , forcée, trompeuse, dissimulée; les
damnes se repentent de leurs péchés , mais de quelle re-
pcnlaoce? d'une repentance naturelle, qui vient de l'amour-
propre, du sentiment de leur douleur, exlœsioncnaturœ,
dit S. Bonaventure , d'une repenlance qui ne fait point de
igement en eux.
Telia est votre pénitence si vous la regardez de près :
vous confesserez à PAques d'avoir juré, de n'avoir pas
jeûné, vous en dites tout autant à Noël, n'est-il pas vrai ,
«t a Pâques dernier, et il y a deux, trois, quatre ans ; ne
voyez-vous pas que ce sont des amusements : Ubinulla
cmrnda/io, ibi pœnitentia vana, disent Tertullicn et les
autres Pères. 1 4 \ raie pénilence s'appelle conversion, parce
qu'elle change tout son homme. S. Amhroise dit : Seip-
§um h*mo nhneijct , et totus mutetur; c'est une méta-
mm •. une transformation spirituelle , qui fait qu'on a
E 'lions, des façons de faire, des coutumes
- contraires à celles qu'on avait auparavant.
i rois dont nous ayons parlé , qui ont obtenu
pardon de Dieu, Sardanapale, David, Achab, Manassès et
le Ninrrites, ne se contentèrent pas de reconnaître leur
404 SERMON ccxcvn.-
faute, de répandre quelques larmes, ils déposèrent la pour-
pre et leurs riches vêtements; ils se revêtirent de sac et de
ci lice , couchèrent sur la cendre , jeûnèrent austèrement ,
prièrent Dieu fort longtemps en grande ferveur, avec san-
glots, gémissements, prosternements, humiliations très
profondes ; c'est l'Ecriture qui le rapporte.
Et au chapitre premier sus-allégué d'Isaïe, (1 . 16.) où
Dieu promet que l'àme pénitente deviendra Manche comme
la neige, il enseigne ce qu'il entend par la pénitence : Ban-
nissez bien loin les mauvaises pensées de votre cœur, cessez
de mal faire, apprenez à pratiquer les bonnes œuvres, se-
courez les oppressés , assistez les orphelins , protégez les
veuves : Lavamini, mundi estote, au ferle malum cogi-
tai ionum vestr arum. En Ezéchiel ( 33. 14. 16. 19. )
il ne promet pas absolument a Pâme convertie l'absolution
de ses crimes, mais avec cette condition : Si elle fait juge-
ment et justice : Si feceriljudicium et justifiant, c'est-
à-dire si elle se condamne et se punit elle-même, et si elle
s'adonne avec zèle à la pratique de la vertu.
Ces Israélites qui jeûnaient, et qui s'humiliaient devant
Dieu, faisaient pénitence, et leur pénitence était répudiée
comme illégitime , parce qu'ils ne se retiraient pas de tous
leurs péchés; ils se retiraient de l'idolâtrie et gourmandise,
non de l'avarice , des procès, des querelles et inhumanité
envers les pauvres : Ad lites et contentiones jejunatis,
omnes debilores vestros repetitis. ( Isa. 58. 4. 8. )
La pénitence aussi d'Esaii était trompeuse et frivole ;
il ne s'abstenait pas du péché pour toujours , il disait en
lui-même : Mon père ne vivra pas toujours, s'il meurt
jamais avant moi , je tuerai mon frère Jacob : Venient
luctu.6 patris btei, et occidam fratremmeum. Vous pou-
vez bien tromper les hommes , mais vous ne pouvez pas
tromper Dieu , il perce le fond de votre cœur; s'il y reste
encore quelque dessein pour l'avenir, quelque secrète vo-
lonté de retourner au bal, aux jeux , danses , cabarets^
débauches après Pâques, vous n'êtes pas bien converti. Une
marque pour connaître que vous n'avez pas quitté l'affection
IN LA MISÉRICORDE DE DIEU. 405
du péché pour toujours, c'est quand vous ne voulez pas faire
tout ce que vous pouvez pour en éviter l'occasion, vous ne
roulez pas faire effort pour vous mettre dans l'impossibilité
de retomber. On vous dit : Pour éviter les injustices, pertes
de temps, troubles d'esprit qui naissent de ee procès, prenez
îles arbitres et vous accordez. Pour vous retirer des impu-
retés ou privautés sensuelles que vous commettez avec ce
jeune homme, dites à votre père qu'il vous parle de votre
déshonneur, que si on ne le met hors de la maison, vous en
sortirez. Pour vous déshabituer de cette coutume que, vous
avez de jurer, il faut prier votre femme, vos enfants, vos
serviteurs de vous avertir quand vous jurerez, et le pren-
dre de bonne part quand ils le feront, et faire quelque pe-
tite pénitence toutes les fois que vous jurerez.
El vous nen voulez rien faire, toutes ces larmes que vous
répandez quelquefois dans votre confession , cette dévotion
sensible, ces tendresses de cœur (pic vous sentez sont pures
illusions. Lacrymulœ doctœ mentiri, dit S. Bernard, lar-
mes accoutumées à mentir, engeance d'amour-propre, non
de L'amour de Dieu , productions de la nature , non de la
grâce, c'est vous laver avec du savon de salpêtre : Si la ve-
rt* te nitro, maculata es, le salpêtre s'engendre dans les
caves et autres lieux souterrains; si vous ne vous repentez
que par une crainte servile et naturelle de L'enfer, votre âme
demeure souillée.
CONCLUSIO.
II. — [ChriëtuS) etc.) Le Fils de Dieu invite l'âme
l i esse a ia pénitence avec des paroles si douces, si amoip
reuses et si affectueuses, avec des soumissions si humbles
pour eux et si avantageuses pour nous, qu'elles me percent
i.i. quand j<' les considère ; il faudrait avoir le cœur
plus dm- que le marbre, plus acéré que l'acier,, pour ne pas
en être amolli quand on les lit : je n'oserais pas les rappor-
l'( : lient en L'Ecriture sainte, : Jérem. ',). 1 .} tant
sont humiliantes et désavantageuses pour lui. îi parle
a uuc ai' pécheresse* ^ i> .oUl . à la mienu< ? première^
/l06 SERMON CCXCV1I. DE l'eSPEUANCE
ment il propose une question par manière de parabole , et
dit : Si une femme mariée quitte son mari sans occasion ,
par pure débauche et libertinage, et s'abandonne à un autre ,
et que son mari le sache, pensez-vous qu'il veuille la rece-
voir ? rentrera-t-il en bonne intelligence et parfaite amitié
avec elle ? la traitera-t-il avec autant de privauté, d'ouver-
ture, de familiarité, de tendresse, de caresse, de cordialité
qu'il faisait auparavant ? non , on n'a jamais vu cela parmi
les hommes ; mais moi, dit Dieu, qui suis infiniment misé-
ricordieux, qui ai une bonté immense et infinie, je me com-
porte ainsi envers les àmes mes épouses : Tu autem forni*
cota es cum amatoribus multis. Leva oculos tuos, et
vide ubi non prostraia sis ? in viis sedebas, expectans
eos quasi latro in solitudine. Vous vous êtes donnée en
proie à vos passions, abandonnée à vos concupiscences, pro-
stituée à mille ordures et iniquités ; il n'y a bourbier si
fangeux , boue si noire et si puante où vous ne vous soyez
vautrée, Verumtamen revert ère, et ego suscipiam le : Ne
laissez pas de retourner , je vous recevrai avec autant d'a-
mour, d'affection, de bienveillance, de cordialité, de débon-
naireté et de tendresse que si vous ne m'aviez jamais offensé.
Frons merelricis fada est tibi, saltem amodo voca me,
pater meus, dux virginitaiis meœ. Vous avez été aussi
effrontée qu'une courtisane, et cependant peut-être que vous
avez honte de m'appcler votre époux, vous n'osez prendre
celte confiance, il vous semble que ce serait pour vous une
témérité, que ce me serait un affront d'être époux d'une âme
débauchée; non, je ne le tiens pas à déshonneur, si vous
retournez, je vous recevrai pour mon épouse ; mais si vous
avez confusion de prendre sitôt une qualité si honorable, au
moins dès à présent appelez-moi votre père, le directeur de
votre virginité. Un père a toujours pitié de son enfant, il
ne perd jamais l'affection paternelle ; ce serait démentir sa
qualité de père et apostasier la nature ; sitôt que l'enfant se
rend à son devoir et se rend obéissant, sitôt que l'enfant
prodigue retourne à son père, son père le reçoit.
Retournez, je suis votre père, et le conducteur de votre
i..\ LA MISERICORDE Di: DU.l). 407
virginité. 1! nVn est pas de Pâme comme du corps, la virgî
ni le du corps étant une fois perdue ne se recouvre jamais ;
votre Ame sesl prostituée, mais si vous revenez à moi, elle
pourra devenir aussi pure, aussi Manche, aussi sainte, aussi
parfaite que si vous ne m'aviez jamais offensé : Quasi niai
dealbabuntur.
Il fait bien davantage, comme si citait lui qui eût le
tort , ((mime s'il avait offensé Famé, il la recherche d'ami-
tié, il la flatte, il use de soumission, d'humiliation, vous di-
riez quasi qu'il se met à genoux devant elle, comme pour
lui demander pardon ; et bien, lui dit-il, ètes-vous encore
ftchée, garderez-vous toujours voire aversion, n'appaise-
rez-vous jamais voire colère :Nunquid irasceris in per-
met uum, aut persévéra bis in fuiem?
Ktiiïn, ne pouvant fléchir le cœur de cette obstinée, il
s'adresse à son prophète pour se plaindre de cet affront que
Pâme lui fait, comme un homme qui est dans l'amertume
de eu'iir s'adresse à son voisin pour recevoir de lui quelque
consolation : Prophète avez-vous vu l'affront que j'ai reçu
de c<t te âme, le mépris qu'elle fait de mes instances, la dé-
daigneuse, opiniâtre et orgueilleuse qu'elle est : Nunquid
tndiêii (/a a' fecerit aversatrix ?
Messieurs, ces in>lances de Jésus sont si attrayantes et
si amoureuses, que si nos cœurs n'en sont pas amollis, il n'y
a rien au monde qui nous puisse convertir ; je prie le bon
Dieu qu'il air pitié de nous, et qu'il nous fasse miséricorde.
Amen,
SERMON CCXCVIIÏ.
DES OEUVRES SATISFACTOIRES , REPRESENTEES PAR LE
PARFUM DE MADELEINE.
Vnguento ungebat. ( Luc 7. 58. )
Ce précieux onguent ou parfum que Marre-Madeleine
répand avec une sainte profusion sur les pieds sacrés du Fils
de Dieu, représente la satisfaction que Pâme pénitente doit
offrir à Dieu pour apaiser sa justice et gagner sa miséricorde.
Nous avons aujourd'hui à considérer les ingrédients de ce
parfum, qui sont la prière, le jeûne et l'aumône, et puis nous
répondrons aux objections que les gens du monde ont cou-
tume d'alléguer pour se dispenser de ces saintes œuvres ; ce
seront les deux points de ce discours.
IDEA SERMONIS.
Exordium. A. Peccafor fœtet coram Deo.
Primum punctum. Pœnitens débet aholere hune fœlorem
unguento composite ex nardo , myrrha , oleo. —
B. 1 ° Ex nardo orationis. — C. 2° Ex myrrha jejunii.
— D. 3° Ex oleo eîeemosynœ.
Sccundum punctum. — E. Excusât iones reproborum con-
tra prœdicta opéra satisfactoria, — F. Rejutantur
\° Scriptura. — G. T Patribus.—U. 3° PraxiEccle-
siœ, — I. 4° Exemplis. — L. 5° Responsione adobjec-
tionem de indulgenliis.
Conclusio. M. Bona est oratio cumjejunio, etc.
EXORDIUM.
A. — (Peccafor, etc.) Le Texte sacré et les saints Pères
nous enseignent que le péché mortel exhale une puanteur
insupportable en la présence de Dieu et de ses anges. David
BBRMON CCXCVIII, — DBS OBUVRE8 , etc. 7i U9
dit des pécheurs : [Is sont corrompus et rendus abominables
en leurs désirs ; (l)ct parlant de lui-même après son péché :
Mes cicatrices onl jeté du pus et de la pourriture par ma
folie ; (2) il ne dil pas mes plaies, il dit nies cicatrices, c'est-
à-dire les mauvaises babitu les, les inclinations vicieuses qui
restent même après que le péché est effacé, quanta la coulpe,
par sa pénitence* Tolerabilius canis putridus fœfct ho-
minibus g uam anima peccatrix Deo, dit S. Anselme:
l a chien pourri n'es! pas aussi puant aux hommes qu'une
fcme pécheresse Pest devant Dieu. Dans la Vie des Pères du
désert il est dit qu'un saint anachorète faisant voyage pour
une affaire importante à la gloire de Dieu, était accompagné
d'un ange comme le jeune Tobîe; un jeune homme frisé,
musqué, bien ajusté passant auprès d'eux, fange se boucha
le nez , ce qu'il ne fit pas passant auprès d'une voirie.
PRIMUM PUNCTUM. — Pœnitens , etc.
b. — (I Ex nardo orationis.) L'âme pénitente doit
corriger cette puanteurparun parfum odoriférant, à l'exem-
ple de sainte Madeleine , unyuento un y ébat ; trois ingré-
dients doivent entrer dans la composition de cet onguent ou
parfum , le nard , la myrrhe, l'huile d'olive, c'est-à-dire
l'oraison, le jeûne, l'aumône; c'est ce que l'ange Raphaël
enseignait à Tobie : Bona est oratio cum jejunio et
eleemosyna*
Premièrement, le nard : Dum esset rex in aceuhitu suo
narduê mea dédit odorem suavitatis : Quand le roi était
dans sa couche, mon card a exhalé une odeur suave , disait
lépo ee, sur quoi S. Bernard dit : Est nard us
humilié herba quam calidœ naturœ esse ferunt qui
herbarum rires euriosius explorarunt: Les herboristes
qui onl soigneusement recherché les vertus occultes des
simpli i,( que le nard est une herbe fort petite, mais
i haude, vrai symbole de la parfaite oraison ,
1 sudI in tnliis suis. (Psal. 13. 1 .)
- I fade insipiçntis raeœ.
I.2.)
410 SERMON CCXCVIII.
qui apaise Dieu et guérit les maladies tle nos péchés, quand
elle est humble et fervente. Dieu a regardé l'oraison des
humbles , et n'a pas méprisé leurs prières , dit le Psal-
miste; (1 ) la vaillante Judith ajoute : La prière des personnes
humbles et débonnaires vous a toujours été agréable : Humi-
lium et mansuetorum semper tihi placuit deprecatio.
(Judith. 9. 16.) Quel plus grand pécheur que le roi d'Is-
raël Achab qui épousa l'impie Jésabel , adora l'idole de
Baal , persécuta le prophète Elie , fit mourir traîtreusement
le pauvre Nabot? Irritans Dominum Deum super omnes
reges Israël qui fuerunt ante Muni; (3. Reg. 1 6. 33.)
il irrita la colère de Dieu plus que tous les autres rois ses
prédécesseurs , et toutefois quand il s'humilia devant Dieu,
Dieu dit au prophète Elie : (3. Reg. 21. 29.) Avez-vous
vu comme Achab s'est humilié en ma présence? parce qu'il
s'est humilié pour l'amour de moi , je ne ruinerai pas sa
maison pendant sa vie. S. Bernard et les autres Pères nous
enseignent que si Dieu permet que nous tombions en quelque
faute , c'est pour nous humilier : Priusquam humiliarer
ego deliqui ; il aura donc sujet de nous laisser longtemps
en nos faiblesses et misères, si nous n'en prenons un motif
de nous humilier devant lui, et de le prier avec un vif sen-
timent de l'extrême besoin que nous avons du secours de
sa miséricorde.
L'oraison de l'âme pénitente doit être humble, mais non
pas lâche , à demi-cœur , du bout des lèvres , par manière
d'acquit, désirant d'en voir bientôt la fin; elle doit être faite
avec ardeur, de toute l'étendue de L'âme, de tous les efforts
du cœur ; l'Epoux disait à son épouse : Labia tua vitla
coccinea : Vos lèvres sont comme un turban d'écarlate.
Les anciens peignaient l'Hercule gaulois ayant une chaîne
d'or dans la bouche avec laquelle il attirait les peuples et
les traînait où bon lui semblait ; c'était pour exprimer la
force de son éloquence qui maniait la volonté des hommes
et leur donnait tel mouvement qu'il voulait. La parfaite
(1) Respexit in oralionem humilium , et non sprevit precem eorum. (Psal,
40, 18.)
DES OEUVRES SAT1SFACTOIRB8. 411
•raison est bien plus efficace cl plus puissante : clic exerça
54 d empire sur la volonté de Dieu, elle lie les mains au
Tout-Puissant, arrête le cours de sa justice, calme son
esprit irrité; elle ne doit pas être une chaîne d'or , mais un
ruban d'écarlate; elle ne doit pas avoir des paroles dorées ,
des périodes bien (issues , de riches et sublimes concep-
tions , mais des affections ferventes, des ardeurs delà
volonté, des élans amoureux , d'humbles gémissements,
Employé! tous les jours ou (rois ou quatre Ibis la semaine
< n ces exercices nue demi-heure ou une heure , retirez-vous
dans voire cabinet ou dans un coin de votre maison, pro-
sternez-vous en terre pour un peu de temps, puis mettez-
fous à genoux et frappez votre poitrine, dites à Dieu ou de
bouche ou de cœur : Mon Dieu , soyez propice à ce pauvre
pécheur, ayez pitié de moi, selon votre grande miséricorde;
Agneau de Dieu , qui ôlez les péchés du monde , ayez com-
passion de moi, je vous en supplie par votre incarnation ,
votre naissance, circoncision , vie, voyage, travaux, etc.;
par la plaie de votre main droite, par celle de la gauche,
par la plaie de votre pied droit, etc.; vous verrez que dans
quelque temps votre cœur s'amollira et vous vous trouverez
changé. Mais je n'ai point de ferveur! N'importe, ne laissez
pas de persévérer dans ces exercices ; bien que la fureur ne
soit pas sensible, elle est peut-être dans la volonté, et c'est
tout ce que Dieu demande : plus vous y aurez de peine ,
plus vous y aurez de mérite.
C. — (2° Ex myrrhajejunh.) Mais à la prière il faut
joindre le jeûne , les mortifications et les austérités du
corps. Àchab ne se contenta pas de s'humilier devant Dieu
et de lui demander pardon , il jeûna , dépouilla ses vête-
ment ux , endossa le cilice , se couvrit d'un sac.
Quand le I ils de Dieu dans l'Evangile (Luc. 13. 7.)
compare l'âme pécheresse à un arbre infructueux qui mérite
coupé , et qui est, conservé sur terre pendant quel-
que temps , parce que le vigneron promet à son maître d'y
mettr ier , S. Grégoire «le Nazianze (oratioAO. in
fumier entend la pénitence , qui
412 si: u mon ccxcvm.
par larmes , jeûnes , veilles et autres macérations , flétrit
et affaiblit le corps; et S. Pacian, évèque de Barcclonne ,
(Pac. pareil, de pœnitentia. ) que les exercices ordinaires
des vrais pénitents étaient de pleurer dans l'assemblée des
fidèles, être vêtus pauvrement et à la négligence, déjeuner,
prier, dese prosterner en terre, de refuser d'aller aux festins
et aux autres divertissements, en disant : Cela est bon pour
ceux qui sont si heureux de n'avoir jamais offensé Dieu j
pour moi , qui l'ai désobligé et qui suis en danger d'être
damné éternellement, je me dois abstenir de ces divertisse-
ments : « Ne hœc quidem quotidiana servamus , iîere in
« conspeclu Ecclesiœ perditam vitam, sordida veste lugere,
u jejunare, orare , provolvi. Si quis ad balneum vocet ,
« recusare delicias ; si quis ad convivium roget, dicere ista
« felicibus : Ego deliqui in Dominum , et periclitor in œter-
« num perire; » notez ce dernier mot : Je suis en danger de
périr éternellement ; Tertullien a dit de même; il y va donc
de notre salut et de notre éternité , puisque , faute de faire
cela, nous sommes en danger d'être damnés.
C'est la seconde drogue qui doit entrer dans la composi-
tion de notre parfum , la myrrhe qui est désagréable au
goût et amère, mais qui préserve de corruption; et notez
qu'il y en a de deux sortes, une que l'arbre jette de lui-
même, l'autre qui coule en plus grande quantité, quand
l'arbre est incisé et entamé par le fer ; ainsi il y a deux sor-
tes de pénitences : les unes que nous embrassons de nous-
mêmes ou par le commandement du confesseur , d'autres
qui nous arrivent par la providence de Dieu ou par la malice
des créatures, par la pauvreté, par la maladie , par la mort
de nos parents , par un renversement de fortune , par un
procès , une calomnie , une persécution. Ces pénitences
sont en plus grand nombre , et étant reçues , et souffertes
pour l'amour de Dieu avec patience et résignation à sa
volonté , elles satisfont beaucoup à sa justice , dit le con-
cile de Trente, (sess. 14 cap 9.) Quand le Fils de Dieu
répandit son précieux sang de lui-même au jardin , il n'y
euVjue des gouttes qui sortirent de son corps : Guttœ san*
OEUVRES SATISPAI fOIRRB. .'. ; ,
lecunentisin terram; et cette effusion ne fut pas
mpl.sse.nent de notre rédemption, Quand il le répan-
*EL T"';!",S d fup-«'* » ?oo «orps étant entamé par la
wolence des clous el des épines, il en ceula une grande
^ndance.etcefutlacoi ,m, , de l'œuvre Aotw
■ - « • («us,,,,,,,,,,!,,,» est} les pénitences que vous prenez
g "us-même dans te monde sont rares et légères ,ousi
•«es sool rudes et en grand nombre , il peut s'y ^lisser
* ^ ébauches de votre mari, l'humeur fâcheuse de
»»«« Belle-mère , la désobéissance de voire enfant , la né-
goce e ( votre servante , la perte «te q,K|(|„e We'nîel
1 "" mere;ces disgrâces étant souffertes patiemment en
"":",,"l',d «*»*• sonffrances du Rbdêfee?Sk3
D. (3°£'^ o/^ eleemosynœ.) Mais le Drïncinal m
F^'q«i "oit entrer dans nWonguLtS o T
Ïjfr^»P**?v,*-l»rf d'olive derSumone
e <l. la miser corde, c'est le conseil que le prophète Daniel
M" w roi _Nal.uchodono.or: (Daniel. 4, 2a ) Sire
'«Jeta jos péché, par des aumônes, et vos iniquitésSes
! ."' «•* m,sérieorde envers les pauvres. Le vénérable
;; : < U son nia : (Toi, 4. 1 1 .) Lw^ RS
« fc**An« L aumône délivre de (oui péché et de la
fa îiîl, il "C ''''T'"1'' PM ''"" r*me (Ie «eJui qui la
"" '«M'es ténèbres. Et l'anee S Rar.hi.-l ,H
même Tnh» • /Mi o \ _-/ '"V 3- .wpiiael dit au
<*' • (12. 9.) Eleemoeyna a morte libérât , et
■ ■'. quœpurgat peccata, etfaeit invenire miseri-
."","" f^a*-'L'aumôneaffranchitdelamort
'«"Neh^etfaittrouvermiséricordeetlavie éternel
'-"■ ' H. 9. Ii epistad Bebraos.S
r;," '"""","■';■ '.fl™»» « disait :Q„oiS«;un
méd,can.cn1dvcnllc1.h.^ur.hc1hcs,irven^l«oi:n"
414 SERMON CCXCVIIT.
une qui prédomine ; ainsi plusieurs œuvres satisfactoires
composent la pénitence , mais la principale et plus efficace
et qui fait presque autant que toutes les autres , c'est l'au-
mône. Ecoutez l'Ecriture : Jésus dit par S. Luc : (11 . 41 .)
Donnez l'aumône , et vous serez nettoyés ; et le Saint-
Esprit dit par le Sage : (Eccli. 3. 33.) L'eau éteint le feu
ardent , et l'aumône résiste aux péchés : « Post oralionem
« intensam multa opus est cleemosyna , hoc enim est quod
(( reddit admodum validum medicamentum pœnitentise , et
« quomodo in medicorum adjumenlis est medicamentum
« quod multas quidem capit herbas sed unam quse obtinet
u principatum; ita etiam inpœnitentia ipsa est herba quse
« principatum magis obtinet et ipsa fuerit universum , audi
« enim scripturam divinam : Date eleernosynam , et ecce
« omnia munda suni vobis. Ignem ardentem extinguit
« aqua, et eleemosyna resislit peccatis.»
S. Augustin et après lui S. Salvien disent avec raison :
Quand je vois un homme riche qui redoute la vérité du der-
nier jugement , et qui ne fait pas de grandes aumônes , je
m'en étonne et je trouve qu'il est bien simpie; ce n'est pas
que la rigueur de la justice de Dieu ne soit bien à craindre,
mais c'est qu'il ne faut pas croire l'Evangile à demi , il le
faut croire tout entier ; nous ne savons la sévérité du juge-
ment de Dieu que par l'Evangile; et le même Evangile nous
enseigne un moyen très facile de l'éviter et d'avoir le Juge
favorable. Le Fils de Dieu dit qu'il nous jugera si exacte-
ment et si rigoureusement , qu'il nous fera rendre compte
jusqu'à une parole oisive. Tous le croyez et vous y êtes
obligé ; mais le même Jésus dans le même Evangile nous
apprend ce qu'il dira dans sa sentence de condamnation :
J'ai eu faim , et vous ne m'avez pas donné à manger , j'ai été
nu , et vous ne m'avez pas revêtu ; il est en votre pouvoir
de lui donner si souvent à manger, de le revêtir, de le loger,
de le visiter avec tant de charité , qu'il ne vous puisse faire
ces reproches ; vous êtes donc bien simple , si vous ne le
faites pas ! Si un homme qui est en prison , atteint et con-
vaincu d'un crime capital , disait : Je crains d'être pendu,
DES OEUVRES SATISFACTOIRES. 41 f)
il refusai) de donner la moitié ou los deux tiers de son
pour «voir grâce , ne serait-il pas fou achevé ? Vous
iendanger évident d'être condamné au jugement de Dieu
e< vous le serez infailliblement, si vous ne satisfaites pas à
la justice de Dieu , el vous pouvez le faire donnant une bonne
partie de von-,- bien aux pauvres, et vous ne le faites pas •
(•nies vous n'avez pas la foi , ou vous n'avez point d'esprit
m ne prudence chrétienne.
Le même S. Augustin (Psal. 37. paulo ante finem.) ex-
pli.pia.K les parole- du Psalmiste.dit: « Cogitaho pro pec-
ito meo; ou , selon une autre version s Curani oeram
« pro peccato meo, quid est curam gerere pro peecalo luo'
■ si nceres curam geram pro vulnere meo, quid intellige-
etar nisi dabo operam ut sanetur , hoc est enim curam
« gerere pro delieto semper niti, semperintendere , sem-
-< per studiose et sedulo agere ut sanes peccatum. Ecce de
" die in <hem plangis peccatum tuum , sed forte lacrymte
« eurrunl el manus cessant. Fiant eleemosyna: , et redi-
« mantur peccata ; gaudeat indigens de dato (uo, ut et tu
gaudeas de dato Dei ; egel ille , eges et tu ; tu ne con-
• lemnas egenlem tui , Deus non te contenue! eçentem
' sui ; ergo implelo in egenlis inopiam , ut impleat Deus
« tatenora tua , hoc est curam geram pro peccato meo,
raciamomma quœctiinquefaciendasunt adabluendum et
« sananjlum peccatum meum : » Jememcttrai en peine de
■0" peehé, dit le Psalmiste , sur quoi S. Augustin dit :
Ou est-ce vous mettreen peine de votre péché ? Si vousdi-
Je me mettrai en peine de ma blessure, ce serait
i Je tâchera, de la faire guérir; donc se mettreen
peme de son péché , c'est s'efforcer sérieusement et tra-
rà bon escient pour le guérir. Vous avez tous les
tde votre péché, e'est bien fait ; mais ce
« , vos yeux répandent des larmes , et vos
' "« répandent rien ; faites des aumônes pour ra-
' "» rr * i 'l"c '« P«uvre se réjouisse de votre libé-
, afin que ri réjouissiea de la libéralité de
U«U,le pauvre a besoin de vous, et vous avez besoin
?'16 ipERMON CCXCVUI.
de Dieu ; ne méprisez pas celui qui a besoin de vous , et
Dieu ne vous méprisera pas ; retirez le pauvre de son indi-
gence, et Dieu vous remplira de sa grâce.
secujndum punctum. — Excusationes , etc.
E. — ( Opéra satisfactoria. ) Platon disait que trois
sortes de personnes ont coutume de redouter la mort
$tlàu[xoi , fiioarôixxrot , ftioxpYi!**'01 •* Ceux qui aiment
l'honneur , ceux qui aiment leur corps, ceux qui aiment
l'argent ; nous pouvons ajouter qu'ils n'appréhendent pas
seulement la mort, mais la mortification, qui est une petite
espèce de mort ; ils disent ordinairement : Si je demeure
longtemps dans l'église pour entendre plusieurs messes ou
pour faire de longues prières , si je vais après le Saint-
Sacrement quand on le portt aux malades , ou si je fais
d'autres pénitences publiques contre ma coutume, on dira
que mon confesseur me les a imposées et que j'ai commis
de grands crimes , ou je passerai pour un bigot, pour un
homme qui veut faire le dévot ; si je jeûne ou si je fais
d'autres austérités, j'affaiblirai mon corps, j'intéresserai ma
santé , j'abrégerai mes jours; si je fais de grandes aumônes^
je diminuerai mes rentes ; j'appauvrirai mes enfants.
F. — (Refutantur, — 1 ° Scriptura.) Avez-vous déjà
oublié ce qu'on vous a fait voir si souvent, que tous ceux
que l'Ecriture sainte raconte avoir obtenu pardon de Dieu,
comme David, Achab, JManasscs, les Ninivites, ont fait de
grandes pénitences ; de David , il est dit qu'il baignait son
lit de ses larmes toutes les nuits ; (1) qu'il détrempait sa
boisson de ses pleurs, (2) qu'il portait le cilice, qu'il se le-
vait à minuit pour confesser ses péchés devant Dieu : In-
duebar cihcio ; (Psal. 34. 13.) Media nocte surgeham
ad confuendum libi; (Psal. 118. G2.) d'Achab, il est dit
( 3. Keg. 21 . 27. ) qu'il déchira ses vêtements, endossa
le cilice , jeûna, quitta son lit mollet , marcha tête baissée ,
toutroi qu'il était; de Manassèsilest dit (2. Paralip. 33. 12.)
(1) Lavabo per singulas nocles lectum m eu m . lacrymis meis. (Ps. G7.)
(3) Poium meumemn flelu mjscçbaiji. (Fsal. 101. 10.)
DBS OEUVRES SÀTJSFACTOIRRS h 1 7
qu'il pria Dieu instamment et qu'il fit grande pénitence :
Egit pœnùentiam vaille, deprecattisque est Dextm, et
êbsecravit eumintente ;desNinivites, ilestdit(Jonae, 3. G.)
que le roi dépouilla ses vêtements royaux, se revêtit d'un sac,
s^assil sur la cendre, et tous ceux de la ville tirent de même,
depuis le plus grand jusqu'aux plus petits , ils jeûnèrent si
austèrement, qu'ils ne buvaient pas même un peu d'eau ,
gémissant et criant miséricorde.
Kl après cela pourrez-vous penser que les pécheurs
puissent obtenir pardon sans taire pénitence ? pourrez-vous
penser que ces rois aient fait pénitence sans quelque déchet
de leur honneur , de leur santé , de leur bien temporel ?
Les perfections divines ne sont pas incompatibles et op-
posées l'une à L'autre. Dieu veut exercer sa miséricorde
rs les pécheurs pénitents , mais il ne veut pas blesser la
vérité : Misericordia et veritas obviaverunt sibi i uni-
versœ viœ Domini misericordia et veritas: Toutes les
voies du Seigneur sont miséricorde et vérité, dit le Psai-
miste. ; Ps. 24. 10. )
G- — (2° Patribus.) S. Augustin sur ces paroles dit :
Ecce enim veritatem dilexisti , id est impunita peccata
corum etiam quibus ignoscis non reliquîsli ; igrioscis
ronlitenti, ignoscis, sed se ipsum punienti; ita servatur
misericordia et veritas , misericordia , quia homo libc-
-< ratur; veritas, quia peccatum punitur. » ( S. Aug. in
Psal. 50.) Le Psalmiste dit: Mon Dieu, vous aimez la vérité,
c'est-à-dire, dit S. Augustin, vous ne laissez point impunis
les péchés , pas même de ceux à qui vous pardonnez ;
pardonnez à celui qui confesse son péché , pourvu
qu'il se punisse lui-même, et ainsi Dieu exerce sa misé-
ricorde el sa vérité ; la miséricorde est exercée en ce que
l'homme est délivré, et la vérité en ce que son crime n'est
pas impuni.
M. — (3° Pràxi Ecclesiat, ) Vous avez peine de re-
des péniti i :cs qui vous humilient, qui affligent votre
chair, ou qui diminuent vos moyens. Qu'eussiez-vous donc
fut , si Vom^ PUSSÎei été du temps des apôtres et de leur*
41 8 SiiRMON CCXCV1I1.
successeurs , pendant les quatre premiers siècles , lorsque
l'Eglise était en sa pureté, même selon Calvin? qu'eussiez-
vous dit , quand ont vous eût condamné pour une simple
fornication, à être privé de la communion pendant sept ans,
à vous tenir à la porte de l'église les larmes aux yeux, à
vous recommander aux prières des fidèles pendant deux
ans, et les autres cinq ans à faire d^autres pénitences? celui
qui avait fait le mal avec sa bru ou avec sa belle-mère était
condamné à la même peine. Qu'eussiez-vous dit , quand
ayant manqué de payer les dîmes , on vous eût condamné
à en payer quatre fois autant, et à jeûner vingt jours au pain
et à Teau ? Qu'eussiez -vous dit , quand on vous eût con-
damnévpour avoir dansé en un jour de fête , à trois ans de
pénitence et à promettre de ne le plus faire ? Qu'eussiez-
vous dit , quand on vous eût condamné à jeûner quarante
jours au pain et à l'eau, pour avoir manqué déjeuner aux
quatre temps , et à jeûner semblablement au pain et à l'eau
trois jours, pour avoir fait quelque œuvre servile un jour de
fête , et quarante jours pour vous être moqué des comman-
dements de votre évêque ou de votre curé?(l)
I. — (4° Exemplis. ) Si vous faites des prières ou
d'autres bonnes œuvres extraordinaires , on dira que c'est
par pénitence, et il y va de votre honneur, dites-vous? Votre
honneur est-il de plus grande importance que celui de
Henri II , roi d'Angleterre ; de Thcodose , empereur en
orient; de Louis-le-Débonnaire, empereur en occident; de
S. Marcellin , pape, et de tant d'autres qui on fait amende
honorable et pénitence publique en présence de leurs sujets?
Vous craignez d'offenser Dieu, en offensant votre santé
par les austérités de la pénitence, parce que nous ne sommes
pas maîtres de notre vie; et à ce compte, les capucins, les
les récollets , les carmes déchauds, les ermites de S. Au-
gustin offenseraient Dieu d'incommoder leur santé par la
(1) S. Basil. Epit. 5. ad Ampliilochium. canon. 59. — Basil, ibidem.1
canon. 76. et 79. — Bur. lib. 19. de obi. pœnit. — Romanum. lit. 1 . c. 8.
— Pcenil. romanum. tit. 7. c. 1. — Bur. lib. 19. Vide de bis et similibus
acia Itfcdiolan, Ecclesjœ, lib, 6, cviisiiiuUouuUi Synodaliu»» » sub fiuem.
Di:s OF.UVIU 8 k riBFÀCYOIRBS. /| i 1)
nudité des pieds; les chartreux, les dominicains, les béné-
dictins réformés , les minimes , par les viandes de carême
dont ils usenl loute l'année.
A et compte, S. Sabin , disciple de S. Marcien, offen-
sait Dieu quand il ne vivait que de farine , qu'il mettait
tremper dans de l'eau, el les laissait ainsi mêlées durant
un mois, afln qu'elle sentissent mauvais el eussent un goût
de moisi ; ce sont les propres termes de Thcodoret ? A ce
eompt,«, le divin igape offensait Dieu, quand outre ses autres
grandes austérités, il portait ordinairement sur lui cinquante
Ihres de fer, et S. .Marcien quatre-vingts?
\ ous craignez d'appauvrir vos enfants si vous faites de
grandes aumônes pour racheter vos péchés, vous seriez
donc bien éloigné de faire comme lYmporeur Maurice. Il
avait commis un péché dWice refusant de racheter les
soldats chrétiens qui étaient tombés entre les mains des'
ennemis ; il en fut après si repentant qu'il pria Dieu ins-
tamment de Pen punir en sa colère, non en sa fureur , en
cette vie temporelle, non aux peines éternelles, et il écrivit
aux patriarches et aux moines de Portent de faire la môme
prière pour lui; Dieu l'exauça. Un de ses sujets et de ses
lavons nommé Phocas ( Baron, anno. G02. ) se révolte
contre lui, le dépouille de tous ses états, se fait empereur ,
fait égorger sa femme et ses huit enfants en sa présence et
devant ses yeux et puis le fait décapiter; à chaque coup
quon donnait à ses enfants ce saint pénitent humilié et
prosterné à terre disait avec grande ferveur : Jus tus es
'■ne, et rectum judicium tuum : Mon Dieu, vous
, et votre jugement est équitable ; et comme la
«I un de ses enfants voulait cacher et "sauver ce
' Praice, offrant à sa place son propre enfant airelle
effet fétu et enjolifé à la royale, Maurice ne le
Couvrit le fait, disant qu'U le fallait ainsi
pour punition d bés.
,L' "~ ? ttttponnon*, etc.) Vous me direz : LTEdîse
Li^^^fonner des indulgences; vous dites vrai ,
? est un article de foi , le concile de Trente Ta déclaré
420 SERMON ccxcvm.
(Sess. 25. de reform. post caput 21 .) mais comme S. Paul
disait ( 2. Cor. 10. 8. — 13. 10. ) que le pouvoir qu'il
avait reçu du Fils de Dieu était pour édifier , non pour
détruire , ain^i le même concile au même lieu dit qu'elles
ne doivent pas énerver la discipline ecclésiastique; et pour
savoir quelle est la discipline ecclésiastique et l'intention
du Fils de Dieu, nous devons à ce sujet, consulter l'Ecri-
fcure, les Pères , le sentiment de l'Eglise, la raison; nous
Ue voyons point dans aucune part de l'Evangile que notre
Sauveur ait promis indulgence à aucun pécheur sans faire
pénitence, au contraire il dit à nous tous , que nous péri-
rons si nous n'avons la pénitence , et si nous ne faisons
pénitence : Nisi pœnitentiam babueritis^omnesperi-
bitis ; visi pœnitentiam egeritis , omnes peribilis /
( Luc. 13. 5. ) par son Précurseur il nous déclare que ,
pour éviter sa colère , il faut faire des fruits dignes de
pénitence; et par son Apôlre ( Act. 17. 30. ) il nous
annonce que tous doivent faire pénitence , parce qu'il doit
juger tout le monde; car si un homme qui aurait eu tous
ses plaisirs en ce monde, et qui aurait mené une très mau-
vaise vie jusqu'à l'heure de la mort, allait droit en paradis,
pensant avoir gagné une indulgence pour avoir dit Jésus,
Maria à l'article de la mort, où serait la vérité de ces pa-
roles qui sont dans l'Ecriture sainte : Reddet unicuique
secundum opéra sua : Dieu rendra à chacun selon ses œu-
vres? Tribulatio et anejustia in omnem animant hominis
operantis malum : Affliction et angoisse à toute àme de
celui qui fait le mal ; notez à toute ûme. Au jour du juge-
ment chacun remportera selon qu'il se sera comporté en son
corps, soit bien, soit mal; ne vous trompez pas , l'homme
moissonnera ce qu'il aura semé. ( Psal. 61 . 12. - Malth,
1 6. 27. - Rom. 2.6. — Apoc. 2. 23. )
Les Pères anciens nous enseignent que l'indulgence est
une grâce que l'Eglise accorde à ceux qui travaillent sérieu-
sement et sans se flatter, pour se purifier de leurs fautes pas-
sées, n'ayant pas assez de temps ou de forces corporelles
pour satisfaire à la justice divine, dans toute jV-'emluc
i 5 QRIM RKS SATISfACTOIRKS. V? I
Ile demande, cl d'une manière proportionnée à leurs
i ses.
v Cyprjen avertit les martyrs de ne point demander do
grâce et d'indulgence que pour ceux qui amont déjà accom-
pli une bonne partie de leur pénitence; et dans 'un autre
endroit (De lapsi, sub Gnem.) il dit que ces indulgences
ne peuvent servir qu'à ceux qui sonl touchés d'une véritable
douleur de leurs fautes , qu'à ceux qui travaillent à les expier
par les bonnes œuvres, qui tâchent par leurs prières d'atli-
rer la miséricorde decelui qu'ils ont irrité parleurs offenses.
Pkenitenti, operanti, roganti potest Deiis clémente?
ignoscerej potest accepta m ferre quidquid protalibus
ot petierint martyres , et fecerint sa cer dotes.
L'Eglise d'à présent a les mêmes sentiments, car an
bulles du jubilé, le saint Père déclare toujours qu'il n<
donne indulgence qu'à ceux qui sont vraiment contrits c
pénitents, et moyennant une salutaire pénitence que le con
fesseur leur a imposée : Fere canfritis et pœnitentibus
et injuncta salutari pœnitentia,
^ Ornons ne sommes pas vraiment contrits et pénitents
Si nous n'avons une vraie volonté , et une sincère résolution
de satisfaire à la justice de Dieu par de bonnes œuvres, se-
lon notre pouvoir, et selon les règles de l'Evangile, et la
pénitence qu'on nous impose n'est pas salutaire, si elle ne
tend à nous rendre la santé de l'Ame en détruisant les mau-
vaises inclinations et habitudes au péché, par des actions
et mortifications contraires. Est-ce une pénitence salutaire
de donnera dire cinq ou six chapelets à un homme qui est
des péchés d'impureté, au lieu de l'obliger à jeu-
' macérer sa chair? de donner les sept psaumes à un
ivrogne, au lieu de le condamner à éviter les cabarets et
rassemblées de débauches? Si nous disons que ces
pécheurs el a. Uns semblables avec ces légères pénitences se
rendent quittes de leurs péchés, quant à la coulpc et quant
a la peu,. , par unc indulgence plénière , c'est donner sujet
idèles de blâmer l'Eglise catholique, et dire qu'elle
'• de péchés, et qu'elle donne à
422 SERMON CCXCVIII
tous les plus grands scélérats un passeport pour se prosti-
tuer hardiment à toute sorte de crimes : liaut redundan*
tia clementiœ cœlestis lihidinem facial humante terne-
ritatis , dit Tertullicn. (lib. de pœnit. cap. 7.)
C'est une merveille digne d'une réflexion particulière de
voir comment le Saint-Esprit prend en affection de joindre
et associer dans le Texte sacré la miséricorde et la vériu
de Dieu ; dans le seul livre des psaumes , qui n'est pas la
douzième partie de la Bible , vous trouvez plus de vingt ver-
sets qui marient ensemble ces deux attributs divins ; c'est
que Dieu exerçant une de ses perfections ne veut pas faire
tort aux autres : il veut faire miséricorde au pécheur qui se
reconnaît, mais il ne veut pas démentir sa parole. Il dit
d'un homme converti : Je ne retirerai pas de lui ma miséri-
corde ; mais il ajoute : Je ne blesserai pas ma vérité : Mi-
sericordiam meam non dispevgam ah eo , neque noceho
in veritate mea ; misevicovdia et v évitas obviavevunt
sibi. Or il a dit par le prophète Job qu'il ne laisse aucun
péché impuni ; il a dit par son Apôtre : (Rom. 2. 9.) Tri-
bulation et affliction à toute àme qui fait le mal ; il faut donc,
comme dit S. Grégoire, que le pécheur pénitent se châtie,
ou que Dieu juste et véritable le punisse.
CONCLUSIO.
M. — (Bona est , etc. ) Ce n'est donc pas seulement aux
âmes innocentes , comme au vénérable Tobie et à son fils ,
qu'il faut dire ce que l'ange S. Raphaël leur disait: Bona
est ovatio cumjejunio et eleomosyna ; c'est principale-
ment aux âmes pénitentes que s'adressent ces paroles : L'o-
raison , le jeûne et l'aumône sont très salutaires aux hom-
mes et très agréables à Dieu ;par l'oraison nous satisfaisons
pour les péchés commis contre lui , par le jeûne pour les pé-
chés commis contre nous, par l'aumône pour les péchés com-
mis contre le prochain.
Par l'oraison nous sacrifions notre àme à Dieu ; par le
jeune et autres austérités nous lui sacrifions notre corps ;
par l'aumône nous lui sacrifions nos biens j par Poraisoa
DBfl 08UVRB8 8ÀTISFÀCT0IRBS.
;tons au diable; par le jeûne nous mortifions la
!• Paumônc , nous contrecarrons le monde.
Par rhumble oraison nous abattons l'orgueil de la vie;
I ar le jeûne , nous réfrénons la concupiscence de la chair;
| ar Paumône nous nous opposons à la concupiscence des
Par ces trois œuvres satisfactoires nous nous disposons et
nous rendons dignes d'être un jour reçus à la me el
des trois adorables personnes de la très sainte
Trinité) en l'éternité bienheureuse. Amen*
SERMON CCXCIX.
DE L AMOUR DE SAINTE MADELEINE ENVERS JESUS-
CHRIST.
Dilerit multum.
Elle a beaucoup aimé. (Luc. 7. 47.)
Quand le Fils de Dieu dit en l'Evangile qu'il est venu
apporter le feu sur la terre et qu'il ne désire rien tant que
de le voir bien allumé , il est assuré qu'il ne l'entend pas
du feu élémentaire et matériel , mais du feu spirituel et di-
vin , du feu de l'amour de Dieu. Ce feu a été si ardent et si
enflammé dans le cœur de Marie-Madeleine , qu'elle a com-
mencé où les autres Saints finissent ; car il n'y a point d'ame
chrétienne que nous ne jugerions très parfaite et arrivée au
comble de toute sainteté , si au dernier moment de sa vie
on pouvait dire avec vérité : Elle a beaucoup aimé ; et c'est
ce que celui qui est Ja vérité même dit de Marie-Madeleine
au commencement de sa conversion ; elle a beaucoup aimé ,
elle a aimé Dieu de tout son cœur, de toute son âme , de
toutes ses pensées, de toutes ses forces ; elle a aimé souve-
rainement , uniquement , ardemment , fortement. C'est ce
que j'ai à vous faire voir aux quatres points de mon discours.
IDE A SERMONIS.
Exordium. À. Laudes amoris Dei.
Primum punctum. Amandus Deus ex ioto corde :
B. VScriptura. — -C. TPatribus.—'D.Z0 Expli-
catione. — E. h° Exemplo Magdalenœ.
Secundum punctum. Amandus ex tota anima :F. 1 ° Scrip-
tura.—G. 2° Patribus.—U. 3° Ratione.—I.k° Exem-
plo Magdalenœ.
Tertium punctum. Amandus ex tota mente» L, 1° Exem~
sbrmois cdxcix. — de l'amour , etc. 425
plo Magdalenœ. — M 2° Scriptura* — N. 3e Com-
paraiione.
Quartum punctum. dm an dus ex lotis viribus, quoà
probatur : 0. 1° Ratiocinatione, — l\ 2° Compara*
tione. — Q. 3° Exemplo Magdalenœ,
Coaclusio. II. Exhortatio ad amorem Det.
EXORDll M.
A. — (Laudeâamoris Dci.) La charité est entre les
vertus chrétiennes ce que le feu est entre les éléments , ce
que l'or est entre les métaux, ce que la palme est entre les
arbres , ce que le lion est entre les bêtes , ce que l'homme
est entre les créatures de ce monde, ce que l'empyrée est
entre les globes célestes, ce que les séraphins sont entre les
esprits Angéliques; S. Irénée l'appelle fort proprement:
Emineniissimum charisma tu m , l'apogée et le point ver-
tical de la perfection chrétienne, le plus éminent et pré-
cieux don du Saint-Esprit ; il le conforme en cela au senti-
ment de l'apôtre, qui écrivant aux Corinthiens, (1. Cor.
12. 31.) après avoir dit que Dieu a choisi quelques-uns
dans son Eglise pour être apôtres , d'autres pour être pro-
phètes, pour être docteurs, d'autres pour faire des mira-
cles, il ajoute : Adhue excellentiorem viam vohis de-
monsiro , œmulamini charismata meliora : Je veux vous
montrer une grâce plus excellente, un don du Saint-Esprit
qui est plus à souhaiter que d'être apôtre, prophète; et cette
giacc , c'est la charité dont il parle immédiatement après ;
00 peut bien être apôtre et être méchant homme , témoin
Judas; prophète, témoin Balaam ; docteur , témoin Ter-
tullien et Origène ; vierges , témoin lescinq folles ; faire des
miracles, témoin ceux qui diront: Nonne in nomine iuo
mu/tas virtutes fecimus ? mais on ne saurait aimer Dieu
i charité , sans être bon, parfait, saint, agréable
àDi( i. Sur quoi on peut agiter une belle question, et de-
mander «fou vient qu'il n'y a que l'amour qui nous rende
bons ou mauvais ? d'où \ieiil que la seule volonté se perfec-
tionne ou se souille par le commerce du bien et du mal ?
426 SERMON CCXCIX.
pourquoi l'entendement n'cmprunte-t-il de son objet, ni la
bonté , ni la malice? encore que nous connaissions le bien ,
nous ne sommes pas bons , si nous ne Faimons pas ; Satan
connaît beaucoup de bien , et ne laisse pas d'être très mau-
vais. Quoique nous connaissions le mal, si nous ne l'aimons
pas , nous ne sommes pas mauvais. Dieu connaît nos pé-
chés et tous les maux qui se font au monde , et ne laisse
pas d'être bon , d'être la bonté infinie. N'est-ce point que
l'objet de la volonté,c'est le bien; et quand elle s'affectionne
au mal , elle dément son inclination , dégénère de sa nature,
trahit son devoir. L'objet de l'entendement n'est ni le bien
en tant que bien , ni le mal en tant que mal ; mais c'est le
vrai et le faux , et il lui est indifférent que son objet soit bon
ou mauvais , pourvu qu'il le connaisse tel qu'il est , qu'il
connaisse que les choses sont bonnes quand elles le sont, et
qu'il les connaisse mauvaises quand elles sont mauvaises.
Ou n'est-ce point parce que le propre de la volonté est
de se porter à son objet, de se transformer en ce qu'elle
aime , de prendre les livrées et la teinture de ce qu'elle af-
fectionne ? Anima plus est ubi amat, quam ubi animât;
d'où il arrive que si elle aime le bien , elle est bonne , si elle
aime le mal , elle est mauvaise : Terram diligis , terra es]
Deum diligis , audeo dicere Deus es. L'entendement au
contraire apporte son objet dans soi, se l'approprie, le forme
à sa façon , le purifie , le spiritualise , lui donne sa trempe,
sans rien emprunter de lui. Ou en troisième lieu , n'est-ce
point parce que la volonté est une puissance libre, maîtresse
de ses actions qui peut agir ou ne pas agir , aimer ou
abhorrer , choisir le bien ou le mal , comme il lui plaît , et
qu'il n'y a point de mérite, ni de démérite , sinon en ce qui
est en la puissance de noire élection et au choix de notre
franc arbitre. Mais quoi qu'il en soit de cette question, nous
levons ici admirer la douceur et la suavité de la providence
de Dieu qui a mis notre félicité et tout notre bonheur dans
une chose, si facile, si douce, si conforme à notre naturel ;
non à posséder et distribuer de grandes riebesses , les pau-
vres en seraient privés , non à pénétrer des vérités subli-
M i.'amiu u ni' UAOBLEINB. 4"2 7
mes , les idiots n'y pourraienl atteindre ; non à pratiquer
des actions héroïques et difficiles, les malades en seraient
dépourvus; mais à avoir de l'amour , c'est-à-dire de la
bonne volonté pour Dieu , ce que tout le monde peut faire
avec ?a grâce. Il n'est rien de pins naturel à l'homme que
<l »«ner, rien qui coûte moins, rien qui se fasse pins aisé-
ment , les vrais objets de l'amour sont la bonté et la beauté'
eesonl les deux plus puissants charmes du cœur humain
i heu est une honte infinie , et l'abîme de toutes les beautés
e Montes concevables ; il n'est donc rien de pins doux à
iionme de plus conforme à son naturel, que d'aimer
Uicu. Adnnrez donc la douce conduite et la sagesse de Dieu
d avoir fait que le vrai purgatoire de nos péchés est le com-
ble de la perfection consistent dans une action si délicieuse:
Uduheet atnœnum purgatoriutn amor Dci! Oli ' le
doux et agréable purgatoire que l'amour de Dieu , -X-\ Cas-
siodore. « Ahsolvi vis, ama. Charitas operit mullitudincm
« peccatorum ; ama ergo Deum , o homo ! et ama lotus ut
possis omnia vincerc sine labore peccata. Tenerœ milita
-' el dehcaticonllictuscsl, amoresolodccunctiscriminibus
« reportant vietonam , regnum cœlorum amanti promitti-
" I"' ;ama ergo et régna ; quia facilius quam amare ! nuid
« glonosius quam regnare ! » dit S. Pierre ChrysologÛe :
Voulez-vous être absous, aimez; la cl.a-
«M rouvre le grand nombre des péchés ; aimez Dieu , ô
homme ! mais aimez-le parfaitement, si vous voulez vaincre
toos vos péchés sans travail. Jamais on ne vit guerre plus
don,,-, combat plus délicieux, que de gagnée tout par
amour. Le royaume des cieus est promis a ecuxqui aiment
Uieu^iimes-ledonc pour régner dans le ciel.
IIomI rien de si facile que d'aimer, rien de si glorieux
S"* 'ainsi que notre sainte pénitente a pu-
étons ses crimes, c'esl ainsi qu'elle a combattu , c'est
toos. quelle a vaincu et triomphé; elle a pratiqué au* pieds
■Mdu^çur, actes de vertu, comme nous l'avons vu;
maiN " °««™ne propremenl le pardon de ses péchés qu'à
son amour : RmtMa luM eijftccata mull '
428 SERMON CCXCIX.
dllexit muïlum; il sonde les cœurs , il connaît les choses
telles qu'elles sont; il ne Halte personne, il loue chacun
selon ses mérites, il loue Madeleine de son amour et d'un
grand amour , lui qui est si grand ; cet amour donc était
1res grand, très accompli, assorti de toutes les conditions
nécessaires à un parfait amour; personne ne connaît mieux
les propriétés du vrai amour que le Fils de Dieu notre Sau-
veur , qui est l'amour du ciel et de la terre , il nous les a
déclarées en divers endroits de l'Evangile, et presque tou-
jours en mêmes termes : Tu aimeras ton Dieu de tout ton
cœur, de toute ton âme , de toutes tes pensées, de toutes
les forces, Plusieurs se confessent d'y avoir manqué , et ne
savent ce qu'ils disent. Apprenez donc comme il faut l'en-
tendre , et vous verrez que sainte Madeleine l'a très bien
fraliqué. Nous devons aimer Dieu de tout noire cœur
c'est-à-dire souverainement : de toute notre âme , c'est-à-
dire uniquement ; de toutes nos pensées , c'est-à-dire ar-
demment ; de toutes nos forces , c'est-à-dire puissamment,
PRI31UM punctum. — Amandus Deus , etc.
B. — (1° Seriptura.) S. Paul (Rom. 8. 35.) explique
en peu de paroles les dispositions des àmes qui aiment Dieu
souverainement , et qui aimeraient mieux tout perdre que
d'être privées de sa grâce. Qui est-ce qui nous séparera de
l'amour de Dieu ? ce ne sera ni la tribulation , ni la dé-
tresse d'esprit, ni la faim , ni le dépouillement de nos biens,
ni les dangers , ni la persécution , ni la mort même.
Le Fils de Dieu dit en l'Evangile que personne ne peut
servir deux maîtres.
C'est vouloir servir deux maîtres , c'est vouloir placer
l'idole de Dagon auprès de l'arche , non-seulement de pré-
férer l'amour de la créature à celui du Créateur , mais de
les égaler ou comparer ensemble.
C. — (2° Patribus.) Ecoutez le sentiment d'un saint
de notre siècle dont les œuvres sont entre les mains de
toutes les âmes dévotes, c'est le bienheureux S. François
de Saks : ses paroles sont un peu longues, mais je ne craiM
DJ l'aBIOUR DE MADELI ; -
drai point de les rapporter ici , parce qu'elles contiennent
en abrège* tout ce que je vous dois dire sur le premier point.
\ ayant, dit-il, (liv. 10, de l'Amour de Dieu , ebap. G.)
tant de divers degrés d'amour entre les vrais amants, il
n'\ a néanmoins qu'un seul commandement d'amour qui
oblige généralement et également chacun d'une tonte pa-
reille et égale obligation, quoiqu'il soit observé différem-
ment et avec une infinie variété de perfections. Ç1a été' nn
de la providence du Saint-Esprit, qu'en notre version
ordinaire que sa divine majesté a canonisée et sanctifiée par
Ir concile de Trente, le céleste commandement d'aimer est
exprimé par le mot île dilection, plutôt que par celui d'ai-
mer; car bien nue la dilection soit un amour, toutefois
ist-il qu'elle n'est pas un simple amour, mais un amour
accompagné de choix et de dilection, ainsi que la parole
même le porte , comme le marque le très glorieux S. Tho-
immandement nous enjoint un amour élu entre
mille, comme le bien— aimé de cet amour est exquis entre
mille, ainsi que la bien-aimée Sunamite Ta remarqué dans
le cantique. C'est L'amour qui doit prévaloir sur tous nos
amouis et régner sur toutes nos passions, et c'est ce que
Dieu demande de nous , qu'entre tous nos amours le sien
soît le plus cordial , dominant sur tout notre cœur; le plus
affectionné, occupant toute notre aine; le plus général ,
employant toutes nos puissances; le plus relevé, remplissant
tout notre esprit ; et le plus ferme , exerçant toute notre
force el vigueur; et parce que par celui-ci nous choisissons
et élisons l)i<'u pour le souverain objet de notre esprit, c'est
un amour de souveraine élection , ou une élection de sou-
a amour. L'amour est comme l'honneur, car tout ainsi
que les honneurs se diversifient selon la variété des excel-
s pour lesquelles on honore, aussi les amours sont
■ut s selon la diversité des bontés pour lesquelles ou
lime. Le souverain honneur appartient à La souveraine cx-
eellence, el le souverain amour à la souveraine bonté. L'a*
nioiii de Dieu est l'amour sans pair , parce que la bonté de
Dieu est la bonté nompareille. Ecoute, Israël, ton Dieu,
430 SFIiMON CCXCIX.
il est seul Seigneur, et partant lu l'aimeras de tout Ion
eœur , de toute ton ame , de tout ton entendement et de
toute la force, parce que Dieu est seul Seigneur, et que sa
bonté est infiniment éminenle, au-dessus de toute bonté.
Il faut l'aimer d'un amour relevé , excellent et puissant ,
au-dessus de toute comparaison. C'est cette suprême direc-
tion qui met Dieu en telle estime dans nos âmes , et qui fait
que nous prisons si hautement le bien de lui être agréables,
<uie nous le préférons à tout et l'affectionnons sur toute chose.
D. — (3* Explicatione.) Ce saint suppose qu'il y a
deux sortes d'amours : un amour sensible, un amour ap-
préciatif -7 Dieu ne nous oblige pas au premier sous peine de
damnation , mais au second. Un père de famille a deux fils,
l'un est un enfant à la mamelle, l'autre est un avocat qui se
fait admirer dans le barreau ; il prend souvent le petit sur
ses genoux, le baise, le caresse, bégaie avec lui; il voit
fort peu son aîné qui ne aemeure pas avec lui , mais il lui
a donné beaucoup de bien en préciput ; il serait bien plus
triste de le voir mourir que le cadet ; il aime plus le petit
d'un amour sensible , mais l'ainé d'un amour appréciatif.
Vous pensez plus souvent à votre enfant , à vos biens, à
vos affaires qu'au bon Dieu ; mais vous aimeriez mieux mourir
que de transgresser un seul de ses commandements ; vous
laissez mourir votre enfant plutôt que de le guérir par un
remède superstitieux ; vous perdez votre procès, où il y va
de votre bien , plutôt que de vous parjurer ; vous encourez
la disgrâce d'un grand , plutôt que de faire une antidate à sa
prière ; vous aimez plus la créature d'un amour de sensibi-
lité, de tendresse , d'empressement; mais vous aimez plus
le Créateur d'un amour d estime, de préférence, de bien-
veillance ; vous l'aimez de tout votre cœur , vous l'aimez sur
toute chose.
E. — (4° Evemplo Magdalenœ.) Sainte Madeleine
faisait bien davantage ; elle méprisait tout ce qu'elle avait de
plus cher au monde pour obéir non-seulement au comman-
dement de Dieu , mais à son inspiration. Ce que les femmes
fa sa condition aiment avec le plus d'attachement , c'est la
Dfi L*AlfOUR de IfADfiLElNB 431
vanité el la gloire du monde ; voilà d'un côte* la vocation
8e Dieu qui fui inspire de faire un acte extraordinaire d'hu-
milité très héroïque , d'aller se prosterner aux pieds de Jé-
tf autre part, son amour— propre lVu détournait, et
lui disait : Y quoi pensez-vous? nous , une demoiselle si
noble, si bien alliée, qui avei été tant courtisée, aller comme
cela par la rue en plein jour, portant une doite d'onguent
Comme un apothicaire, VOUS jeter aux pieds d'un homme,
pleurer comme un enfant au milieu d'un banquet, chez un
pharisien moqueur, en présence d'une si bonne compagnie!
si vous le Ciites , adieu votre honneur , adieu votre réputa-
tion , qu'en dira-t-on ? qu'en pensera- t-on ? on se mo-
quera de vous, on vous montrera au doigt, on vous appellera
la folle, les enfants courront après vous.
•BCUNDUM PURCTUM. — A mandas , etc.
F. — (1° Scriptura. ) Elle ferme les yeux à toute]
ces considi rations, méprise ces respects humains, foule au\
son honneur, qui nous e^t plus cher que la vie; elle
aime Dieu de tout SOU cœur, souverainement, plus que
toute chose. Dieu ne se contente pasde cela pour nous rendre
parfaits, il demande bien davantage , il veut que nous l'ai-
mions, non-seulement de tout notre cœur, souverainement,
SUT toute chose , mais de toute notre âme , de toutes ses
| inces et facultés intérieures , uniquement : Omnia
guœ intra me saut nomini sanctu ejus. Le Psalmiste
éditation : .Mon âme , bénissez le Seigneur ,
i vos puissances bénissent son saint nom; et le
divin Epoux dit ces paroles en parlant à sa Bien-aimée :
Heltei-moi comme un sceau sur votre cœur : Pane me ai
r cor taam ; il ne veut pas seulement
être eu votre cœur , y être maître, y porter le sceptre, en
qu'il n'y ait rien de plus haut que lui ; mais il n'y
Veut point avoir de compagnon, ni de compétiteur; il veut
| mue un cachet qui le scelle , le tienne clos , en
i n'y entre que lui. Votre cœur est comme
un ni : , il ne i>e peut bien ajustera quoi que ce
432 SERMON ccxcix.
soit , qu'à celui pour qui il est fait. Fortis ut mors âe~
lectio; l'amour est comme la mort , la mort nous fait faire
divorce avec le monde, avec nos parents, amis, compagnies,
elle détache même l'àme de son corps ; le vrai amour fait
que nous n'avons de commerce d'affection déréglée à qui que
ce soit, nous sépare môme de notre corps et du soin su-
perflu de le bien traiter : Dura sicul infernus emulatio.
L'amour que Jésus nous porte est un amour de jaloux, il
ne peut pas souffrir de rival , nous lui faisons une injure
notable quand nous aimons autre chose, nous témoignons en
cela qu'il n'estpascapable de nous remplir eldenous rassasier.
G. — ( 2° Patribus. ) Trop est avare à qui Dieu ne
suffît pas, disait sainte Thérèse; et S. Cyprien : Sufjiciens
ijise Deo, sufficiat tibi Deus : Dieu se contente de vous,
ne vous contenterez-vous pas de lui ? il n'aime pas vos
richesses, honneurs, santé, service; il ne laisse pas de vous
aimer quand vous êtes pauvre, dégradé , malade, paralyti-
que; il n'aime que vous et votre amour , pourquoi aimerez-
yous autre chose que lui ?
Minus te amat, Domine Jesu, qui prœter te aliquid
amat, quodpropterte nonamat, dit S. Bernard : Celui-là
ne vous aime pas assez qui aime quelque chose hors de
vous , s'il ne l'aime pour l'amour de vous ? Oui , il est
permis d'aimer aut^re chose que Dieu, mais en Dieu, pour
l'amour de Dieu; notre amour envers la créature doit se
référer à Dieu comme tous les fleuves vont à la mer , ce
doit être un reflux de notre amour envers Dieu. Aimer les
créatures insensibles , parce que ce sont les vestiges et les
œuvres de Dieu ; les raisonnables, parce que ce sont ses
images ; les chrétiens, parce que ce sont les membres de
son Fils ; les gens de bien, parce que ce sont ses favoris :
les méchants pour les faire ses amis. Si nous aimons quel-
qu'un par autre motif et pour autre fin, nous faisons tort à
Dieu, nous ne l'aimons pas assez : Minus teamat. Votre
cœur est une couchette , non un grand lit, il ne peut rece-
voir d'autre que Jésus, sans qu'ils se fassent tort l'un à
Pan Ire : Lectithfs noster floridus , artqusfum est stra~*
furri) s\ duo \uerint ibl* nÇçççsê es( ut aller (hcid't ,
DR l.\,l<)( R i>K HADBtEINB ( 3 >
; ::f;:;;;;„ ;,?", »«■**« .,,„«./:,;. ,: t :
uons, < trouble de passions ; remarquez que l,attoclu>m«.»
; ; , r:sri:o;',,an,|iu'm,',,,s' "*«. »»pa«i«., Et
Afin que cou. parole ,1c S. Bernard : Ouod vrovur ,
pr suspect cl dangereux , vous devez vous en défier A
« I"»-' îîis^Srrtfsr
i
iS4 SERMON CCXCIX.
le salut des hommes , et pendant les trois jours précédents
les anges ont partagé leur demeure, les uns demeurant au
ciel pour y adorer le Dieu vivant , les autres demeurant au
sépulcre pour y adorer et accompagner le Dieu mort. Les
apôtres s'étant retirés , Madeleine est resiée seule en ce
saint lieu; les anges viennent aussitôt et lui apparaissent ,
d'où il parait qu'ils viennent non pour les apôtres, car ils
se sont retirés, mais seulement pour Madeleine; car elle est
demeurée seule ; et toutefois elle est si peu civile envers les
citoyens du ciel , si peu courtoise avec les anges qui la
visitent, que les voyant elle ne les regarde pas, ne les en-
tretient pas, ne leur parle pas, ne pense point à eux. Tant
d'objets de la terre nous touchent , nous ravissent , nous
transportent si aisément hors de notre devoir, et ces
objets du ciel ne lui semblent pas dignes d'arrêter sa pensée;
la beauté , la splendeur , la clarté de ces anges descendant
du ciel, et descendant pour elle seule, n'est pas capable de
toucher son cœur, d'essuyer tant soit peu ses larmes, d'ar-
rêter tant soit peu son esprit , de la contenter par leur
aspect et le soin qu'ils ont de son âme. Les anges voyant
qu'elle ne leur parle point , se résolvent à lui parler et à
rompre son silence: Mulier, cpnd ploras? 'Femme, pour-
quoi pleurez-vous? Elle leur coupe court et répond : Quia
tulerunt Dominum memn , et nescio uhi posuerunt
eum : On a enlevé mon Seigneur, et je ne sais où on l'a mis.
Elle cherche une personne, en voilà deux ; elle cherche
une personne morte , en voilà deux vivantes ; elle cherche
un corps voilà deux esprits , que demande-t-elle de plus ?
c'est qu'elle aime Jésus purement et uniquement ; elle ne
cherche pas les anges de Dieu , les séraphins qui brûlent
d'amour, les créatures, quelles qu'elles soient; elle veut le
Dieu des anges, l'objet de son amour séraphique, le Créa-
teur. Ainsi, quand cet homme que vous aimez et qui vous
semble si dévot, si spirituel, si saint, serait un ange, un
ange descendu du ciel, ne le fréquentez pas, ne lui parlez
pas seule à seul, ne vous y arrêtez pas, défiez-vous de vous-,
c'est un ange incarné, dites-vous, vous dites bien, il esr
DB L AMOUR Dti MADBLB1NB. 435
/'// carne, et vous aussi ; faites comme Madeleine : HmC
eu m dùrisset , conversa est relrorsum, et vidiï Jeeumf
voilé nue bonne suite , le fruit de sa mortification , l'effet
retenue ; elle ne dit précisément que ces trois .petites
paroles aux anges, et puis se retourne, et en récompense
qu'elle ne s'amuse pas aux créatures elle voit le Créa-
teur; ainsi si en vos désolations, en vos inquiétudes et sè-
eheresses, vous vous privez de consulter les hommes, vous
fousdétournei de la vue et de la fréquentation de cet homme
qui vous semble si angélique , pour converser avec Dieu
en votre petit oratoire, vous le trouverez mieux, et il vous
en apprendra plus en une heure d'oraison , que tous les
pères spirituels en dix jours.
TBRTIUH pinctim. — slmandus, etc.
L. — ( 1 / • c mplo Maadaïenœ.) Conversa est retror-
sum, cl vidii Je&um, Elle voit Jésus, mais elle ne le eon-
pasj il se déguise pour exercer et éprouver son amour;
elle lui- dit : Domine, si tu sustulisti eum : Monsieur ,
si tous l'avez enlevé , dites-le moi, et je remporterai; elle
pense que c'est un jardinier, et elle rappelle Seigneur; c'est
que >on amour la transporte et la met comme hors d'elle—
même : Si tu sustulisti eum.., qui eum? elle n'a encore
parlé de personne, on ne lui a point parlé de son bien-aimd,
et sans le nommer elle dit : Si vous l'avez emporté; c'est
qu'elle est toute absorbée en l'objet de son amour , elle
ne pense à autre chose, elle croit que chacun lui ressemble,
que tous L< - autres ne pensent comme elle qu'à son hien-
aimé , somme L'épouse s'écriait : Osculetur nie osculo ,
, ii, ni a qui elle parle.
M. — [2? Scriptural) Cest la troisième propriété de
i m : Ex t lu mente y de toute la pensée, tervemment:
Igniê in aîtarimeo semperar débit. Dieu voulait (pic sur
son autel le feu fût continuellement allumé : Cum sursuni
< / illum, ejuê est altare cor nostrumf notre cour
D autel, quand il esl élevé à lui il désire que la flamme
de sou amour y soit continuellement ou presque toujours
430 SERMON CC.XCIX.
ardente , et que nous l'entretenions par la méditation de se^
divines perfections , et des bienfaits inestimables que nous
nvons reçus de lui.
Ne me dites pas que cela est impossible , oui , d'y pen -
ser incessamment , sans pause et interruption , la fragilité
de notre nature corrompue , Tinconstance de notre imagi-
nation qui est volage , l'embarras des diverses occupations
ne le permettent pas pendant cette vie ; mais rien ne nous
peut empêcher d'y penser souvent , d'aspirer à lui de lemps
en temps , nous élever à lui par des oraisons jaculatoires ,
lui donner notre cœur , lui demander son amour , parcou-
rir en esprit les états et mystères de sa vie.
N. — (3° Comparatione.) S"*il est permis de comparer
les choses hautes et divines aux basses et humaines, je vous
dirai : N'avez-vous jamais aimé quelqu'un sensuellement
quand vous étiez à marier ou en autre temps? souvenez-vous
comme vous étiez disposée , ce que vous faisiez , ce que
vous pensiez; n'est-il pas vrai que la plupart du temps vous
pensiez à la personne que vous aimiez ? c'était l'entretien
de votre esprit, et votre travail n'en était pas interrompu ,
vous ne laissiez pas de coudre, défiler, de faire le ménage;
toutes vos occupations ne vous empêchaient pas de penser à la
créature , pourquoi vous empèchent-elles de penser au
Créateur, sinon que vous aimiez la créature et que vous nYi-
mez pas le Créateur?et toutefois celui que vous aimiez était
absent , bien loin de vous , peut-être mort ; Dieu est pré-
sent , tout auprès de vous , au fond de votre âme , toujours
vivant. Celui que vous aimiez ne voyait pas votre cœur, ne
connaissait pas votre disposition , ne savait si vous l'aimiez
et si vous pensiez à lui ; Dieu sonde votre intérieur, connaît
votre eftection , se plaît et s^agrée aux pensées que vous
avez de lui; peut-être que celui-là ne pensait pas à vous , vous
avait mis en oubli, avait diverti son cœur en d'autres objets;
Dieu ne vous oublie jamais , ne passe pas un moment sans
penser à vous ; il a autant de vue sur vous , de providence
envers vous , d'amour pour vous , que si vous étiez seule au
monde avec lui; il ne passe jamais un moment sans pensera
di: L'AMOUR Dr. MADELEINE. 437
vous,passerei-vous lesheures,les après-dlnées, les journées
entière, sans penser à lui, vous qui avez tant besoin de lui?
qi aktum punctum. — Amandus , etc.
O. — (\*\Raiiocinati*neJ) Eh bien , si vous ne l'aimez
(MS de toutes vos pensées , aimez-le au moins de toutes vos
forées ; vous le pouvez , VOUS le devez , vous y êtes oblige ;
il me semble que nous manquons grandement en ee point ,
et «pie ee manquement nous apporte un grand préjudice.
INous servons Dieu quelquefois , il est vrai : mais ee n'est
que par incident, par occasion, par rencontre et paren-
thèse; ce n'est pas le chef et la principale de nos intentions 5
vous gagnez votre vie , vous travaillez dans votre boutique ,
vous bàtisseï votre fortune, votre fin est visée , et tout cela
n'est autreque vous-même ou L'avancement de votre famille;
si vous priez Dieu ou si vous faites des actes de dévotion ,
ce n'est que par incident et comme un accessoire.
Il faut faire tout le contraire , il faut que la gloire de
Dieu et son service soient Tunique fin de toutes vos œuvres,
le but de vos desseins , la visée de vos entreprises, le blanc
de toutes vos actions, que votre cœur soit en celte posture
et disposition : je veux être tout référé à Dieu ; je ne veux
être en ce monde que pour lui , je neveux rien penser , pro-
jeter , dire , faire qui ne tende à lui , qui ne lui rende ser-
vice , qui ne serve à sa gloire, en sorte que si je savais que
moi, mes enfants , quelque chose qui m'appartient ne servit
pas à la gloire de Dieu, je ne voudrais pas être en ce monde,
ni élever mes enfants, ni posséder telle chose ; quand je
saurai que quelque parole, action, entreprise ne servira de
rien, ni médiatement, ni immédiatement pour avancer l'hon-
neur de Dieu, je m'en abstiendrai ; si je me récrée, ce ne
sera pas pardélices, mais afin d'avoir l'esprit plus libre et plus
m; a ji iwr à Dieu; si je nourris des enfants, c'est afin
qu'ils servent Dieu; si je gagne de l'argent, c'est pour
fane des aumônes ; si je poursuis un état, un office , un bé-
néfice, c'est pour avoir occasion d'y servir Dieu et l'Eglise.
I'. — (2° Comyarationc.) 11 n'est pas besoin de dire
438 SERMON CCXCIX.
toutcela de bouche, mais il faut que le cœur soit ainsi disposé,
il y a une grande différence entre un écolier qui a toute son
affection à la science , et un autre qui n'a point le cœur à
l'étude ; tous deux étudient , mais bien diversement ; celui-
ci ne va à Técole qu'à regret, est bien aise quand on a va-
cance; il ne demande qu'à jouer, n'étudie que par crainte du
châtiment; l'autre ne fait cas que de la science et des savants,
ne se plaît que dans les bibliothèques , n'aime à converser
qu'avec les doctes qui lui apprendront quelque chose ; avec
ce désir d'apprendre il se met au lit, s'éveille le matin ; s'il
se divertit , c'est pour être plus propre à étudier. Vous êtes
envers Dieu et son service comme le premier envers l'étude,
il faut être comme le second.
Q. — (3° Exemplo Magdaîenœ .) Voyez Madeleine %
si elle a des yeux , des cheveux , des parfums , des lèvres ,
ce n'est que pour arroser , essuyer , embaumer , baiser les
pieds de Jésus; elle aime Jésus de toutes ses forces, de tout
ce qu'elle a , de tout ce qu'elle est ; elle l'aime par-dessus
ses forces. Jésus est dans un festin en Béthanie, elle ré-
pand sur son chef et sur ses pieds une boite de parfums pré-
cieux, (Joan. 12. 3.) et afin qu'il n'en demeurât pas une
goutte dans la boîte , qui ne fût répandue , elle rompt la
boite ; cette boite est d'albaire , dure comme pierre , il était
impossible de la rompre ? oui , impossible à tout autre , non
à Madeleine qui aime par-dessus ses forces , et le traître
Judas en murmure , disant qu'il est dommage , qu'on pou-
vait le vendre trois cents deniers ; elle ne s^n soucie pas ;
quand il vaudrait trois cent mille deniers , trois cent mille
talents , trois cent mille mondes , elle le verserait , elle
voudrait que tous les trésors et richesses du ciel et de la
terre fussent en infusion , incorporés à son parfum , elle les
répandrait avec une sainte profusion aux pieds de Jésus ,
ils ne sauraient être mieux employés ; et quand elle est au-
près du sépulcre , ne l'aime-t-elle pas par-dessus ses for-
ces ? Elle ne Taime pas seulement quand il est vivant dans
un banquet faisant miracle , mais quand il est mort au sé-
pulcre , abandonné de chacun : Domine . si tu sustub'sti
DE l'amour de madeleine. /i39
.•Monsieur, dit-elle, si vous Pavez enlevé, dites-le moi,
el je remporterai ? Oui , sainte pénitente , c'est peut-être
lui qui a enlevé votre Bien-aimé, Mais s'il Ta caché dans la
maison de Caïpbe , aGn que ceux qui l'aiment ne le puissent
trouver ? Ego eum tollam : Je le trouverai et l'emporterai.
Mais la servante qui a l'ait renier S. Pierre vous deman-
dera qui vous êtes ? qu'est-ce que vous cherchez ? si vous
n'êtes point de la suite de ce traître crucifié? Ego eu m toi-
'il Ta enlevé par commandement de Pilate qui
Ta lait inhumer dans une citadelle et y a posé bonnes et sûres
gardes? .le passerai par-dessus les remparts, à travers les
d'armes , les piques, les portes de fer , je remporte-
rai. Mais vous ne sauriez , vous n'êtes qu'une femme faible,
p'esl le corps d'un homme défunt et pesant : Eum tollam.
Oui, sans peut-être, c'est lui, et vous n'y prenez pas garde;
c'est le jardinier qui vous parle qui a enlevé son corps , il
; essuscité. \ importe , je le veux emporter , et de fait
elle ne pense pas moins que de remporter. Sitôt qu'elle le
connaît, quand il lui dit Marie, elle l'embrasse par les pieds,
elle le veut enlever, s'il ne la repoussait.
() mulieri non mulicr, DitOrigène : O femme î non
femme, mais amazone, mais courage viril, maisséraphiqueî
CO.NCLUSIO.
II. — (Exhortatio , etc.) Je vous dirai donc, mon cher
auditeur , ce que Jésus disait au pharisien. Vide hanenm-
liercm : Honorez et imitez cette sainte femme, non-seule-
ment en ce qu'elle a arrosé et essuyé, baisé , embaumé les
Jésus , mais principalement en ce qu'elle a
beaucoup aimé; si vous ne lui rendez ce pieux office, il es-
time peu tous les autres. Vous répandez des larmes de ten-
rous Qpnfessant ou entendant prêcher la passion;
/ les pieds du crucifix , vous donnez des parfums
! de Dieu, des aumônes aux pauvres qui sont ses
il ; mais si avec cela vous ne l'aimez pas
nte chose , si vous «des une coquette qui vous plaisez
ter de l'amour, si vous êtes un vindicatif, un médî-
440 SERMON CCXCIX.
sant, un avaricieux , si vous ne craignez pas le péché mor-
tel , parce qu'il déplaît à notre Sauveur T tout le reste est
fort peu de chose. Je vous dirai mon petit sentiment, vous
en penserez ce qu'il vous plaira. Il n'est rien , à mon avis ,
qui doive nous mettre en plus grand souci de notre salut
que la crainte de ne pas aimer Dieu. Nous nous abstenons
du péché mortel, mais que sais-je? c'est peut-être par
amour-propre, par recherche de nous-mêmes , par crainte
et appréhension naturelle du feu de Penfer. Celui qui n'aime
pas, demeure en la mort, dit S. Jean. L'Eglise dit que
Dieu donnera des biens invisibles , non à ceux qui se con-
tentent de le craindre, de le louer, de lui dire : Maître ,
Maître , mais à ceux qui l'aiment. S. Paul dit qu'il leur a
préparé des biens que les yeux ne peuvent voir , que les
oreilles ne peuvent entendre, que le cœur humain ne peut
concevoir. S. Jacques dit qu'il a promis la couronne de vie
à ceux qui l'aiment : « Qui non diligit manet in morte.
« Deus qui diligentibus te bona invisibilia praeparasti , nec
<( oculus vidit , nec auris audivit, nec in cor homïnis ascen-
« dit quae praeparavit Deus diligentibus se. Accipiet coro-
« nam vilsequam repromisit Deus diligentibus se. »
Une chose si précieuse ne peut pas venir de notre cru ,
il faut la demander à Dieu plus de deux fois , plus de dix ,
plus de cent fois et très ardemment. Si nous sommes sages ,
nous ne ferons pas moins pour obtenir Tamour de Dieu et
pour éviter la mort éternelle , que d'autres ont fait pour évi-
ter la mort temporelle. Au troisième livre des Rois (3. Reg.
48. 22.) il est dit que le prophète Elie avertit le roi Achab
et tout le peuple que quatre cent cinquante prophètes qui
les amusaient étaient de faux prophètes, et que lui seul était
prophète du vrai Dieu. Ils tombèreut d'accord , et il fut
arrêté entre eux qu'ils oiïriraient un sacrifice , les prophètes
de Baal de leur côté et lui de l'autre, et que ceux qui feraient
descendre le feu du ciel sur leur victime seraient estimés
vrais prophètes. Ceux de Baal invoquèrent leur dieu depuis
le grand matin jusqu'après midi, criant , se tourmentant ,
se déchiquetant leur corps avec des couteaux et des lancet-
de l'amour dk madeleine. 441
te*, mais en vain cl sans ciïd , carie feu ne descendit point.
Quelle différence y a-t-il entre les vrais et les faux chrétiens?
en quoi sont-ils distingués? ce n'est pas à offrir des sacri-
-, à ouïr la messe, à donner des aumônes, à faire des
pénitences; c'est à aimer Dieu : Intrent omnes ecclcsiam,
cmntent omnes alléluia, signent se signocrucis, non
distinij u un tu r fïlii Dci a fil Us dtaboli , n îêi charitote^
dit S. Augustin : Que (ous entrent en l'église, qu'ils chan-
tent les louanges de Dieu, qu'ils fassent le signe de la croix,
ils ne sont pas pour cela vrais chrétiens , s'ils n'aiment pas
Dieu. Les enfants de Dieu ne sont distingués des enfants
du diable que par la charité et l'amour de Dieu, c'est ce feu
qui consacre , qui consomme et qui rend nos sacrifices accep-
tables et agréables à Dieu. Ce feu doit descendre du ciel;
nous serons bien dignes de blâme si , pour l'obtenir du vrai
Dieu , nous ne faisons au moins une partie de ce que ces
mal-avisés faisaient en vain pour obtenir du faux dieu le feu
matériel, si nous ne crions, si nous ne prions, si nous ne
désirons a\ec ardeur le feu divin qui nous est si nécessaire.
Je prie Dieu qu'il nous l'oetroie par les mérites de son Fils,
auquel soit honneur, gloire , louanges et bénédictions en
tous les siècles des siècles. Amen.
SERMON CGC.
LA VIE CONTEMPLATIVE DE MADELEINE EST EXPOSEE
AUX MURMURES DES TROIS ENNEMIS DE l'hOMME.
Mulier quœ tangit eum , peccatrix est. (Luc. 7. 39.)
Nous voyons par expérience en sainte Marîe-Madeîeine
la vérité de ce que S. Paul a dit (2. Thimot. 3. 12.) que
tous ceux qui veulent vivre pieusement souffriront persécu-
tion. Cette sainte pénitente ayant choisi pour son partage
les pieds sacrés du Fils de Dieu pGur les arroser de ses lar-
mes , ou pour y entendre sa parole , ou pour les embaumer
de ses parfums, devient l'objet des murmures du pharisien,
de sa sœur Marthe et de Judas , ce qui représente l'àme
dévote qui, s'adonnant à l'oraison et à la vie contemplative,
est persécutée du monde , de la chair et du diable , qui ta-
chent de l'en détourner. Ce sera le sujet de cette prédi-
cation.
ÏDEA SERMONIS.
Primum punctum. Vita coniemplativa , quœ est pars
Mariai, prœstat vitœ activa? quœ est pars Marthœ :
A. 1° Quia nobilior. — B. 2° Quia utilior. —
C, 3° Jucundior.
Secundum punctum. Avert entes animam ah oratione
refutantur : D. \° Phariseus , id est mundus dice.ns
quia peccatrix est. — E. 2° Martha so?*or, id est
caro , reliquit me solam. — F. 3° Judas , id est dœ-
mon , ut quid perditio hœc.
Conclusio. G. Benedictus Deus aux non awovit oratio-
nem meam.
BfitMO* 00'.. -ni. , v N ,,.; , etC. 443
Cm deux saintes filles qui avaient coutume de rece?oir
M Sauveur du monde dans leur maison , selon la doctrine
de .S. Augustin et des autres saints Pères , représentent les
deux genres de vie qui sont dans I^EgKse chrétienne : la vie
contemplative et la vie active. .Unie -Madeleine qui est
toujours collée aux pieds sacrés du Fils de Dieu , ou les ar-
rosant de se> larmes, ou les embaumant de ses parfums,
ou entendant sa divin." parole, représente rame dévote., ni
1 adonne a lYxereice de la' méditation; sainte Marthe sa
sœur, qui est employée au ménage pour la nourriture du
Sauveur et de ses apôtres, représente Tarne chrétienne qui
1 applique aux actions extérieures par affection envers Dieu
et par charité envers le prochain. Marthe a plusieurs imi-
tateurs, Madeleine en a fort peu, et au contraire elle a
grand nombre de parties adverses qui murmurent contre
elle, l'accusent , la jugent, la condamnent ; mais elle a un
excellent défenseur; Jésus daigne être son avocat , qui plaide
pour elle, lVxeu>c , la justifie et la loue en toute occurrence.
A son exemple et imitation, je veux aujourd'hui défendre la
cause de cette sainte pénitente contre (rois sortes de person-
nes je dois premièrement résoudre cette question qui
s agite quelquefois en la morale chrétienne : Quelle de ces
deux ries esl la plus excellente, ou la vie contemplative, ou
la mc m tive? lequel des deux est à préférer , l'office de Ma-
rie , nu 1 otliee de Marthe ? Je vous pourrais dire là-dessus
que le maître de la philosophie , Aristote (lil). 10, Ethic.
e. T. et 8.) Ta décidée en faveur de la contemplation, et que
le la théologie (2. 2.q. 182. art. ) . et2.)asous-
la décision du philosophe ; j'aime mieux vous dire que
, la Sagesse éternelle, donne aussi la pré-
L'office de Marie, disant: Optimam parièm ele
itrès bonne part. Il y a trois sortes &
itïle , délectable la contemplation ks
icnd tous Lois au souverain de<rré.
444 SERMON CCC. DE LA VIE
primum punctum. — Vita coniempïativa , ctc,
A. — (1° Quianobilior.) Dans la vie contemplative
nous employons l'entendement et la volonté , qui sont les
propres facultés de l'homme en tant qu'homme. Dans la vie
active nous employons les puissances et les facultés infé-
rieures qui nous sont communes avec les bètes; aussi voyons-
nous entre les hiérarchies célestes que les anges qui sont
employés à faction , destinés à la tutelle, à la sauvegarde
et au service des hommes , sont du plus bas ordre , et en
plus petit nombre. Ceux qui sont occupés à la seule contem-
plation , destinés à assister en la présence de Dieu comme
ses pages d'honneur , gentilshommes de la chambre qui lui
font la cour , sont des plus hautes hiérarchies , chérubins et
séraphins en plus grand nombre. Des premiers il est dit
qu'il y en avait des millions , des autres qu'il y en avait des
millions de millions : Milliamillium minislrabantei.
Si nous vouions passer plus avant, monter plus haut et
reconnaître quelque distinction entre les opérations de la
Majesté divine qui est très simple , nous verrons que la con-
templation est plus noble que son action , selon notre petite
façon de parler et d'entendre. Il a été occupé dans la con-
templation de toute éternité, îl ne s'est appliqué à l'action
que dans le temps ; par la contemplation il produit son
Verbe, par l'action il a créé le monde; la contemplation lui
donne la qualité de père , l'action ne lui donne que celle de
Créateur, autant qu'il y a de différence entre une personne
divine et une chétive créature, autant entre le terme et le
fruit de sa contemplation , et le terme et le fruit de son ac-
tion , puisque par la contemplation il engendre son Fils ,
par l'action il ne produit que le monde.
B. — (2° Utilior.) Optimam partem ; c'est un bien
plus utile et plus profitable : M editatio mentis dltatio ; la
méditation est l'ornement, l'enrichissement et l'embellis-
sement de l'esprit.
Qui cum sapientibus graditui\ sapiens erit: Qui con-
verse longtemps avec un sage , un savant., un parfait , le de-
CONTEMPLATIVE DE MADELEINE. 445
rient. La perfection de Pâme, c'est la volonté et l'amour de
Dieu , qui s'engendrent par la méditation : In méditation*
mea exardeecet ignisj comme en la divinité le Père en-
gendre son Fils par sa contemplation , et en môme temps,
en mime éternité produit avec lui le Saint-Esprit qui est
l'amour incréé et personnel ; ainsi dans la méditation, l'ôme
conçoit et produit en elle une connaissance, un verbe men-
tal, une représentation de la divinité autant qu'elle peut
être représentée. dans les ténèbres de celle vie mortelle:
/ erbum tuum . consideratio tua, dit S. Bernard au pape
Eugène , appliquant celle comparaison à ce même propos ;
par ce verbe Pâme produit avec la grâce de Dieu un amour
créé , mais surnaturel et divin. Il n'est pas dit en la Genèse
que le Créateur bénit les six premiers jours de la semaine
auxquels il s'appliqua à Faction et à la production des créa-
tures; mais il bénit le septième, auquel il se reposa et con-
sidéra ses œuvres : Benedixit diei septimo.
C. — (3" Jucundior.) Pour nous apprendre qu'il y a
plus de bénédiction et de grâce en la contemplation qu'en
Tact ion: Optimam partent y il y a aussi plus de délectation :
Renuit consolari a)iima mea, memor fui Bei, et délec-
ta fus eum , di.^ait David étant en amertume de cœur : Je
me suis souvenu de Dieu , et cette souvenance m'a réjoui.
Si , lorsqu'il était en désolation , une simple pensée de Dieu
a t:h: capable de confire et sucrer sa tristesse, combien plus
une sérieuse méditation. Quelqu'un est-il triste parmi vous,
qu'il s'applique à l'oraison, dit S. Jacques. (Jac^ 5. 13.)
Mon Dieu , vous êtes bon non-seulement à l'âme qui vous
trouve , mais à celle qui vous eberebe et qui espère en vous,
dit le prophète. Faites-en l'expérience, dit S. Bernard au
Eugène; quand tous êtes en aiïliction , en quelque
peine d'esprit ou de corps, necherchei pas de la consolation
et du rafraîchissement dans les créatures, allez à Dieu ,
meltex-fOns à ses pieds dans votre petit oratoire ou dans
l'église ; ouvrez-lui votre cœur, découvrez-lui vos misères ,
«■niez-lui vos disgrâces, faites-lui amoureusement vgj
petites plaintes, vous venez qu'il vous donnera plus de sou-
446 SERMON CCC. DE LA VIE
lugcment dans une demi-heure que toutes les créatures dans
une semaine.
secundum punctum. — Avertentes , etc.
D — (1° Phariseus.) La contemplation étant donc un
bien si honorable, si utile, si délectable, les trois ennemis
lie l'homme qui ont conspiré sa ruine , se liguent ensemble
et lui livrent de furieux assauts pour l'en détourner, s'il est
possible. Omîtes qui volunt pie vivere , persecutionem
patientur; (2. Thimot. 3. 12.) il ne dit pasjitste, mais
pie. Tous ceux qui veulent s'adonner aux exercices de piété
et de dévotion souffriront des persécutions , dit l'Apôtre.
De toutes les âmes qui ont été à la suite du Fils de Dieu ,
il n'y en a point qui ait eu tant de persécutions que sainte
Madeleine ; elle représente l'âme dévote qui se veut adonner
à l'oraison, et qui en est détournée par le monde, la chair et
le diable, si elle n'est bien constante et courageuse pour y
résister.
Premièrement, le pharisien disait de Marie-Madeleine :
Cette femme n'est pas digne de s'approcher de cet homme,
s'il est prophète, encore moins de le toucher comme elle fait,
parce qu'elle est pécheresse : Quia peccatrix est. Ainsi le
monde, représenté par cet homme mondain, dira à une ame
chrétienne qui se veut adonner à l'oraison : Savez-vous bien
ce que c'est qu'oraison ? c'est une élévation d'esprit : Ele-
vatio mentis in Deum ; osez-vous bien vous élever ainsi ?
ignorez-vous que le Sauveur a dit , que celui qui s'élève
sera abaissé? ne craignez-vous point d'encourir la peine de
Lucifer, si vous dites comme lui : Ascendant : Je monterai ?
Faire oraison, c'est s'élever, mais s'élever à Dieu, s'appro-
cher de lui, lui parler bouche à bouche, converser avec lui ;
osez-vous bien prendre cette hardiesse, vous, un ver de terre,
un pécheur, un criminel ? osez-vous bien parler, osez- vous
bien regarder cette Majesté infinie que les dominations et
les principautés célestes redoutent ? ]N'entendez-vous pas le
Psalmiste qui dit : Oratio ejus fiât in peccatum? Il est
vrai que sans le dessein de l'incarnation ce nous serait uvt
(..iMTMi'i.ATlYi: Di: UADELBIMB. h'\l
témérité dans la corruption du péché de nous approchef de
Dieu; mais son Fils bien-aime sYlant fait homme nous a
donne ce droit. Noui allons à son Père comme ses mem-
bres en son nom, de sa part ; il nous a dit dans l'Evangile *
Si vous demande/ quelque chose à mon Père en mon nom,
vous l'obtiendrez ; bod apôtre dit;(Ephôs. 2. 18.) Per
tmem accessam liai entas ad /Wr<?///,engree : «poaxyuyqv
introductionem ; (metap/iora êUtnpta ah aalicis qui
cvtraneos introducunt ad principes) il ne dit pas seule-
ment que nous avons l'accomplissement de nos requêtes par
JiMis-Unist, mais l'accès, feutrée, l'introduction, c'est-
à-dire le droit de nous présenter à lui , et la confiance de nous
approcher de celui cpii habite en une lumière inaccessible.
L'Eglise retient bien celte leçon, car avant que de dire
en lî messe: Paler noster, qui es in cœlis, elle dit: PrOh
ceptië ialutaribuê munit i, et dirina instituiione for-
?/tati, aide/nus dicere : Grand Dieu, ce nous serait une
présomption et témérité criminelle de tous oser appeler notre
. nOQl qui sommes vos criminels ; mais nous prenons
cette hardiesse en ayant reçu le commandement et L'instruc-
tion de votre Fils bien-aimé. C'est comme les enfants de
Jacob, après avoir grièvement offensé leur frère Joseph pour
être réconcilies avec lui et être reçus en ses bonnes grâces,
ils lui dirent : Votre père avant de mourir, nous a commandé
us dire mot à mot ces paroles de sa part : Je vous prie
de mettre en oubli l'offense que vos frères vous ont faite.
Supposons qu'il y ait en cette ville un marquis qui ait son
ilné à la guerre, un pauvre soldat frappe à la porte,
demande à lui parler; on voit qu'il est tout dévalisé, déchi-
rassetll , on se doute que ce n'est que pour demander
l'aumône ; tant l'ei faut qu'on le fasse entrer et monter en-
haut , qu'a peine daigne-t-on le regarder, la plus grande
I ,!' (prou lui l'ail cY>t de lui dire : Attendez ici a la basse-
cour ; Monsieur passera tantôt après dîner pour aller au jar-
din, peut-être que vous lui pourrez parier. Mais s'il dit qu'il
vient de l'armée, qu'il e>t envoyé de monsieur le baron, qu'il
doit parier de sa part à son père, bien qu'on soit au milieu
A48 SiiliaiOJJi CGC. DE LA VUS
du repas, on le fait entrer, on le fait monter, on lui donne
entrée dans la chambre tout déchiré qu'il est, on le reçoit
avec joie ; et s'il raconte comment ce jeune gentilhomme
s'est comporté vaillamment dans les occasions, les dangers
qi^il a échappés, les braves exploits qu'il a faits, tout le
monde l'entend avec attention, vous voyez le marquis être
comme collé à la bouche de cet homme ; enGn on lui fait
bonne chère. Si nous ne nous adressons au Père éternel que
de notre part et à notre privé nom, nous n'aurons pas gronde
faveur ; mais si nous y venons de la part de Jésus ; si dans
nos prières nous rappelons et racontons au Père éternel les
mystères de son Fils , les vertus héroïques qu'il y a prati-
quées , les services signalés qu'il lui a rendus , nous serons
les bien-venus, nous serons regardés de bon œil, V3à atten-
tivement, et exaucés favorablement.
Et puis, Dieu n'est pas seulement grand, il est infiniment
bon : si sa grandeur nous rend timides pour ne pas nous pré-
senter à lui, sa bonlé nous encourage à nous approcher de
lui ; car cette bonlé divine se montre plus évidemment et
s'exerce plus avantageusement pour nous , quand il nous
permet de le prier, que s'il pourvoyait à tous nos besoins
sans en être supplié. Un roi est estimé libéral quand il fait
de grandes largesses ; mais sa bonté est plus estimée, sa clé-
mence plus admirée, quand son palais est ouvert à tout le
monde ; quand il entend lui-même les demandes et les plain-
tes de ses sujets , quand il veut ouïr de leur propre bouche
leurs requêtes et remontrances, comme S. Louis en France,
sainte Hedwigc en Pologne, sainte Elisabeth en Portugal ;
ils ne se contentaient pas de donner l'aumône ; mais il vou-
laient eux-mêmes parler aux pauvres, savoir leurs besoins,
voir leurs plaies et penser leurs ulcères. C'est ainsi que Dieu
fait envers nous ; il se laisse approcher de nous ; il converse
dcbonnaîrement avec nous ; il veut qne nous ayons l'hon-
neur de lui remontrer avec confiance nos besoins, nos infir-
mités, et le désir que nous avons d'être assistés de sa
miséricorde. « Considéra quanta tibi concessa félicitas ,
« quanta attributa gloria , orationibus sermoemari cum
i.u\ 1 1 -i; 1 Aii>E DE MAD£L£lNE. 449
too, cum Chrlsto miscerc colloquia, optare quod vclis;
el qtiod desideras postularc , » d;t S. Chrysoslôme.
Le pharisien donc, c'est-à-dire riiommc mondain, n'a.
pis raison de dire que Pâme chrétienne ne doit pas s'adres-
ser à Dieu pour lui demander miséricorde, quia peccatri*
est, parce qu'elle esl pécheresse.
E. — (2° Martha soror.) En second lieu, à Marie-Ma-
deleine s'oppose sa sœur Marthe, et à l'àrae dévoie qui se
veui adonner à l'oraison, contredit la nature corrompue,
qui, étant inquiète et encline aux tracas, veut que famé
lui tienne compagnie, se détache des pieds du Fils de Dieu,
s'embarrasse aux affaires temporelles , autrement elle se
plaint, et dit comme Marthe : Reliquit nie solam minis-
trare ; mais elle a tort, et sa plainte est injuste : car on
peut lui répondre ce que le Sauveur répondit à sainte Mar-
the : l rnum est necessarium. Vous vous inquiétez inutile-
ment , et vous n'avez pas assez de soin de ce qui est plus
important et nécessaire. Quand vous auriez acquis tous les
empires du monde, de quoi vous serviront-ils, si vous per-
dez votre âme , ou si vous l'endommagez ? or vous l'en-
dommagerez beaucoup et vous courrez risque de la perdre,
si vous n'êtes adonné à la méditation. Les animaux qui ne
ruminent pas étaient estimés immondes par la loi, et les âmes
qui ne méditent pas, sont ordinairement souillées de vices
el imperfections ; il n'est rien de si puissant à nous émou-
voir, rien de si puissant à nous retirer du vice et à nous por-
ter à la vertu , que les vérités de notre religion , et il n'est
rien qui nous louche moins, parce que nous ne les considé-
rons jamais attentivement. Si le roi vous avait pourvu d'un
office ou d'un bénéfice en des patentes closes et qu'on ne
U's ouvrai jamais, elles vous seraient inutiles, et ne produi-
raient rien dans votre âme : si on vous écrit des lettres où il
le bonnes ou mauvaises nouvelles, tant qu'elles demeu-
rent achetées, elles ne vous réjouissent, ou ne vous attris-
tent point. Qu'y a-t-il vie plus efficace pour produire en nous
Dieu et la haine du péché, que de voir un Dieu
i rame pour l'amour des hommes, un Dieu pendu en
450 SERMON CGC— DE LA VIE
un gibet , languissant et mourant pour détruire le péché ,
une éternité de délices pour les vertueux , et de tourments
pour les vicieux? Ces vérités ne vous émeuvent pas plus que
si c'étaient des fables , parce que vous ne les développez
jamais. Si vous vous arrêtiez de temps en temps en votre
particulier à vous demander en repos et sérieusement. Qui
est-ce qui m'a créé? pourquoi suis-je en ce monde ? que de-
viendrai-je d'ici à quarante ou cinquante ans ?que signifie le
Crucifix ? vous vous trouveriez changés. Propterea capti-
vus ductus est populus meus, quia non est qui recogitet :
Mon peuple n'a jamais fait réflexion sur les misères de sa
foi , pour cela il est devenu captif du diable, esclave du
monde , asservi à ses passions : Desolatione desolata est
terra , quia non est qui recogitet corde. (Jer. 42. 11.)
Et n'est-ce pas une folie de préférer le temporel au spi-
rituel, les affaires du ménage aux affaires du salut, ce
qui est inutile et souvent superflu , à ce qui est tout-à-fait
nécessaire ? Unum est necessarium.
Mais , me direz-vous , c'est pour le spirituel que je
quitte l'oraison , c'est pour le salut du prochain , pour ga-
gner des âmes à Dieu en prêchant, enseignant, entendant
les confessions , visitant les malades. C'est encore une
tromperie , car le Psalmite vous dit : Vanum est vohis
ante lucem surgere; surgite posiquam sederitis, qui
manducatis panem doloris. Si vous êtes prédicateur, con-
fesseur, directeur des âmes , votre pain le plus savoureux
doit être la douleur de contrition et la conversion des pé-
cheurs ; en vain vous vous louez pour travailler à gagner ce
pain, si vous n'avez reçu la lumière du Saint-Esprit, si au-
paravant vous ne vous êtes assis au repos de la contempla-
tion, avant de vous lever pour travailler à gagner ce pamr
Quelle apparence de profiter pour les amcs , si vous travaillez
sans conduite ? Comment pouvez-vous travailler avec con-
duite et sagesse, si vous travaillez sans lumière , à l'étourdie,
dans les ténèbres? et où prendre la lumière, sinon en îa mé-
ditation? Un saint personnage disait : Je connais bien dès
le matin ce que je serai toute la journée , et quels seront
CONTEMPLATIVE Dr MADELEINE. /,51
mo< comportements ; car si je fais bien l'oraison le matin le
m en ressens tout le jour. Et S. Bona*enture disait que
pour dépeindre un bon religieux et un homme sage, il ne
ttutd autre description, que de décrire un homme qui sort
de 1 oraison.
Vous ne prenei pas seulement en l'oraison la lumière et
la conduite de Dieu, mais son secours ei son assistance et
tans cela votre travail ne peut réussir. Belle comparaison
de S. Urysostôme ! Pourquoi pensez-vous que Dieu veut
tire tant prie- et courtisé (c'est une pensée qui pourrait
venu- en I esprit de quelqu'un, et lui faire peine), pourquoi
vcut-,1 cire tant importuné, qu'il semble qu'il ne donne rien
qu a force de prières ? est-ce pour ses intérêts ! en reçoit-
il quelque avantage ? est-il plus riche et plus heureux quand
nous 1 avons bien prié ? Aon , mais c'est l'affection qu'il a
pour nous , c est qu'il voit que notre honneur, notre hon-
neur et de converser avec lui , que sans sa conduite nous
sommes des étourdis et des aveugles, nous ne faisons rien
qui raille. \ ous êtes, par exemple, un homme âgé de cin-
quante ou soixante ans, vous avez beaucoup d'expérience-
vous avez un neveu orphelin, qui est un jeune homme
volage, vous voulez qu'il prenne conseil de vous, qu'il vous
demande avis sur tout ce qu'il fait; et s'il entreprend quel-
que affaire d importance sans vous consulter, s'il se fiance
ou traite de mariage sans vous le communiquer , vous le
pouvez fort mauvais, vous dites : Mon neveu m'a désobligé,
««ait - il commencer ce dessein sans mon conseil? il a
commencé son mariage sans moi, il l'achèvera sans moi , je
ne me l'ouvrai point à ses noces. Pourquoi en cfes-vous
lâché ? quel n.ura y avez-vous? s'il vous l'avait commu-
niqué, en lenez-vons plus riche et à votre aise ? c'est que
«ni I aime. , parée que vous aimiez son père qui était votre
frère : v,,,,, ow, qu'il n'a pas de conduite, qu'il est indis-
cret, baie i ,,re trompé, vous désireriez qu'il prit ordre
de voUS, afi„ que t0l„ y MM.(..(|.t ^^ ^.^ ^
même : « Regnaveiunl , el non ex me : principes extite-
' nmt.ot non iiguificaverunl mihi. In multitudine , via
A52 SERMON CCC. DE LA VIE
<( tuas laborasti , non dixïsti : Quiescam, quia mei obnta es,
a et non proderont libi opéra tua. » Dieu fait ces plaintes
par le prophète Osée (Os. 8. 4.) et par Isaïe (Ts. 57. 10.)
Ils ont pris des charges et des offices , sans me prier, et sans
me demander avis; parce que vous m'avez mis en oubli,
vos entreprises ne vous réussiront pas.
Quand vous voulez vous marier, vous n'en demandez pas
îvis au meilleur ami que vous ayez, qui est Jésus, vous ne
le consultez pas pour savoir s'il vous y appelle , pour le prier
de vous donner un parti convenable avec qui vous puissiez
faire votre salut : vous vous mariez par amour folâtre , par
avarice , ambition ou par rapport à je ne sais qui. Dieu per-
met que vous rencontrez mal, que vous avez un homme qui
mange votre bien, qui vous est un tyran, et vous traite
comme une esclave. C'est pour vous : pourquoi avez-vous
commencé ce dessein sans le communiquer à Dieu ? Quand
on vous a dit une petite injure , ou dérobé un pouce de
terre, vous en voulez avoir raison, vous courez aux armes
défensives , vous dites que la justice est instituée de Dieu ,
qu'il n'est pas défendu de plaider ; non , mais si avant de
commencer ce procès , vous fussiez venu en l'église, si vous
L'eussiez recommandé à Dieu , le priant de vous inspirer sa
volonté, il vous eût ôté de l'esprit celte opiniâtreté, et il
vous eût fait connaître qu'il vaut mieux perdre l'échantillon
que toute la pièce, se retirer de la rive que du fond , que
bien que vous gagneriez, vous perdriez quatre fois plus en
fiais de justice que ce que vous plaidez.
F. — (3° Judas. ) Mais la plus forte batterie qui soit
dressée contre l'âme dévote est de la part de l'esprit malin,
représenté par le traître Judas dont notre Sauveur disait :
Unus vestrum diohalus est. Pour nous dissuader de faire
oraison , il dit que c'est une perte de temps , une action inu-
tile : Utquid perditio hœc? poterat uncjuentum liocve-
numdariy et darl pauperihus. Nous n'avons coutume de
présenter requête à quelqu'un que pour une de ces deux
raisons : ou pour instruire son entendement, ou pour émou-
voir sa volonté, pour lui faire savoir nos nécessités , ou pour
CONTEMPLATIVE DP MADELEINE, 453
l'exciter à nous y secourir. Dieu n'a pas besoin d'apprendre
de nous nos misères, il les connaît mieux que nous : Scié
enim Pater vester quia indigetiê, [In'a pas besoin que nous
l'excitions à y pourvoir, il a plus de 1 olonté de nous secou-
rir que nous n'en avons d'être sec.. unis ; il a plus d'inclina-
tion à nons faire du bien que nous à en recevoir : Beatius
est dure quom accipere, C'esl donc perdre le temps de le
prier; la vie contemplative est une vie fainéante , oisive ,
inutile. Ne vaudrait-il pas mieux employé!1 son temps à se-
courir le> pauvres, visiter les malades, faire d'autres œuvres
de charité et de miséricorde ? Cette objection a belle appa-
rence, mais n'a point de solidité ; nous ne prions pas Dieu
pour lui faire savoir nos misères, mais pour les apprendre
nous-mêmes, pour en avoir un vif sentiment, en les con-
naissant , reconnaître devant lui le besoin que nous avons de
sa miséricorde et de son assistance, et par celle humilité
nous disposer à recevoir sa grâce , qui ne se donne qu'aux
humbles: Humilibus dat gratiam. Si c'est une vie fai-
néante de rendre nos devoirs à Dieu, de l'adorer, de l'aimer,
de converser avec lui , les séraphins sont des fainéants ; et il
n'y a que les anges des plus basses hiérarchies qui ne mènent
pas nue vie oisive , puisque ceux-là ne sont employés qu'à
faire la cour à la majesté de Dieu ; ceux-ci sont ordinaire-
ment occupes à la garde des hommes et à la conduite des
autres créatures; c'est comme si vous disiez que c'est être
fainéants de moissonner et de vendanger, au lieu de labou-
rer la terre et de bêcher la vigne : l'un est la fin , l'autre
lei moyens. Pourquoi laboure-t-on la terre ? pourquoi cul-
tiv»-t-on la vigne? pour moissonner et vendanger. Pour-
quoi sommes-nous en ce monde? pour travailler, dites-
vous ; pourquoi devons-nous travailler ? pour avoir de quoi
entretenir notre vie ; pourquoi sommes-nous en cette vie ?
pour a. „.er Dieu, pour l'admirer, le contempler, lui être
DOIS el lui adhérer ; et c'est ce que l'on fait en la vie con-
templative ; elle est donc la fin, et les autres occupations ne
sont que les moyens.
Voilà qui serait bon , direz-vous. si en l'oraison j'étai*
454 SERMON CGC. DE LA VIE
toujours applique et uni à Dieu; mais j'y perds beaucoup de
temps ; j'ai l'imagination si volage que je ne suis pas un quart
d'heure sans avoir l'esprit égaré et à cent lieues du sujet de
la méditation : Utquid perditio hœc? Vous vous trom-
pez, vous n'êtes pas inutile , pourvu que ces distractions ne
vous soient pas volontaires ; vous ne perdez pas de temps :
vous honorez Dieu au moins par yotre présence corporelle ;
combien y a-t-il de courtisans qui se trouvent tous les
jours au lever et au coucher du roi , et peut-être ne lui par-
lent pas une fois en une semaine ? le roi ne les regarde pas ;
sont-ils inutiles à la cour ? cela est bon pour un petit gen-
tilhomme de n'avoir que son valet de chambre , et autres
serviteurs qui lui sont nécessaires ; c'est la splendeur d'une
cour, et magnificence d'un grand roi , d'avoir plusieurs gens
qui ne servent qu'à lui faire escorte. La reine de Saba ne
disait pas à Salomon : Bienheureux sont les valets qui vous
rendent service , mais : Bienheureux sont les serviteurs qui
ont l'honneur d'être toujours en votre présence. (1),Bien
que vous ne parliez point à Dieu , et quand même il ne dai-
gnerait vous regarder , ce vous est plus d'honneur qu'il ne
vous appartient , d'être reçu à lui faire la cour par votre pré-
sence corporelle. Depuis que je suis monté en chaire cette
lampe a toujours brûlé , a-t-elle été inutile ? elle n'a point
eu de bonnes pensées , elle en est incapable ; elle a néan-
moins honoré le Fils de Dieu. Comment ? elle s'est en partie
usée devant le Saint-Sacrement. Je veux qu'en l'église
pendant deux ou trois messes , ou en votre maison , aux
pieds du crucifix, vous n'ayez ^aucune bonne pensée par
l'imperfection de votre esprit qui est tout vif-argent , est-
ce à dire que vous y soyez inutile ? Vous honorez le Fils de
Dieu, usant une heure de votre vie en sa présence et à ses
pieds , vous rendez hommage par votre sécheresse à son ari-
dité en la croix : Aruit tanquam terra virtus mea.
Vous l'honorez par la patience que vous exercez et par la
(t) Beati servi tui, qui staat coram te semper. (3. Reg. 10. 8. —
g, Paralip. 9f 7.)
CONTEMPLATIVE DE MADELEINE. 455
mortification de l'amoui^proprc qui aime naturellement
l action, le mouvement el le divertissement.
Quand S. Jérôme écrivit la rie de S. Paul, premier
ermite, il ditqu avanl de mourir il se mil à genoux en prière.
S. Antoine Pétant venu voir pour la seconde fois, trouva
•on corps mort, qui priait Dieu à genoux, dit le saint doc-
teur. I n corps mort peut-il prier Dieu ? il n'est capable
(1 aucune affection, ni de bonne pensée, ni de mouvement
ou sentiment de Dieu , et il dit qu'il priait Dieu ; c'est qu'il
M mil à genoux à cette intention, et l'ameutant envolée
le corps est toujours estime: devant Dieu , en même condi-
tion et disposition qu'il y était mis; rintenlion virtuelle
continuant encore dans la posture et la contenance de ce
saint corps : Intello.rit quod etiam cadaver Sancti
Deum cui omnia vivunt, offteioso <jesiu preenhatur.
Vous vous mettez à genoux devant Dieu, à intention de
1 honorer d esprit et de corps ; il arrive par faiblesse hu-
ne que l'esprit sVnvolc et s'écarte bien loin; le corps
ne laisse pas de rendre hommage à Jésus; il est dans la
même posture et dans la même disposition que vous Pavez
mis à bonne intention.
Enn' cheresse intérieure et dans cette stéri-
vous pouvez néanmoins offrir à Dieu de très
• de très parfaites et de 1res affectueuses pensées de
dévotion : celles de Jésus , de la Vierge, des anges et des
saints. Si en Poraison vous aviez des conceptions sublimes
et des affections ardentes, et que vous n'eussiez rien que
r offrir à Dieu , ce ne serait pas grandiose : ce
omparaîson de Dieu , que les imaginations
fourmi en comparaison d'un séraphin; mais quand
I lui offrez l«-s prières et les afleelions de Jésus, vous
lui ofli bose grande et digne de lui. S. Jean en TA-
| , vit les anges autour du trône de l'Agneau, et des
rïeillards qui représentent les apôtres et les
patriarches; .1 entendit les prières qu'ils faisaient , et il dit
Qoelle façon de prier et de lotmnger!
raisonspar^me», mais on ne les commence
456 SERMON CGC— DE LA VIE
pas ainsi : c'est qu'ils disent Amen aux louanges que la
sainte humanité donne à Dieu, que la Vierge et les apôtres
donnent à Jésus. Vous pouvez faire de même , vous pouvez
dire : Mon Dieu, je vous adore avec Jésus, avec la Vierge,
les anges, les saints, et les bonnes âmes qui sont ici ; je vous
dis tout ce qu'ils vous disent; je vous offre leurs adorations,
leurs affections , les louanges et bénédictions qu'ils vous
donnent; et pour abattu que soit votre esprit, vous devez
du moins au commencement, vous donner à Jésus, vous lier
à lui, et aux hommages qu'il rend à son Père ; et vous te-
nant là en esprit à ses pieds, pendant qu'il honore son Père,
vous êtes censé l'honorer comme ceux qui sont à la suite
d'un ambassadeur, qui va faire hommage au saint Père ;
encore qu'ils ne disent rien , ils honorent Sa Sainteté par
leur seule présence.
CONCLUSIO.
G. — (Benedictus Deus, etc.) C'est donc avec raison
que le Psalmiste disait : Benedictus Deus qui non amo-
vit orationem meam , et misericordiam suam a me ;
comme s'il disait : Je lis en l'Ecriture que plusieurs ont
béni et remercié Dieu pour divers bénéfices qu'ils avaient
reçus de lui ; mais s'il me fait la grâce de le savoir bien
prier, j'estime que c'est le principal bénéfice pour lequel il
doit être béni , et qui comprend tous les autres. Les trois
jeunes hommes bénirent Dieu de ce qu'ils furent conservé?
en la fournaise, sans que le feu brûlât un cheveu de leur
tète; mais si je sais faire oraison, benedictus Deus, je de*
meurerai dans la fournaise des afflictions , quelles qu'elles
soient , afin qu'aucune ne me puisse endommager. Tobis
bénit Dieu parce qu'il lui rendit la vue par un archange. Si
je puis faire oraison, benedictus Deus, c'est là que les té-
nèbres de mon esprit se dissipent, que je recouvre la vue
et l'intelligence de nos mystères. Judith bénit Dieu pour
avoir tranché la tête à Holopherne ; Eslher pour avoir gagné
les bonnes grâces du roi Assuérus : si je sais faire cette
oraison, je vaincrai aisément les tentations de mes ennemis
CONTEMPLATIVE DK MADELEINE. 457
g gagnerai les bonnes grâces de Die ; enfin , benédiclu,
JjeJ ^.J«F*« obtenu- de lui „ .&J, eter-
• :
POUR TOUS LES JOURS DU CARÊME
SERMON CCCI,
POUR LE MERCREDI DES CENDRES. LA PENSEE DE LA
MORT NOUS DÉTOURNE DE L'INTEMPERANCE, DE LA
VAINE GLOIRE ET DE l'â VARICE.
Mémento homo quiapulvisestet inpulverem reverterls.
Cum jejunatis, nolite fieri sicut hypocritœ, Nolite thesaurizare vobis thesauros
in terra. (Matlh. 6. 16. 19.)
Dans l'Evangile de ce jour tiré du chapitre sixième de
S. Matthieu, notre Sauveur nous exhorte à la fuite de trois
vices, qui sont les sources de tous les péchés qui se com-
mettent dans le monde : l'intempérance , la vanité , l'ava-
rice ; et pour nous les faire éviter en ce saint temps de
carême , l'Eglise catholique nous met dans l'esprit la souve-
nance de la mort, et nous fait considérer ce que deviendront
nos corps, nos âmes et nos biens après notre trépas ; voilà
pourquoi, en même temps que le diacre dit en l'Evangile de
la messe : Quand vous jeûnez ne faites pas comme les hy-
pocrites, et n'amassez pas_des trésors sur la terre ; en même
temps le prêtre dit en donnant les cendres : Souvenez-vous
que vous êtes poudre, et que vous retournerez en poudre ;
comme si l'Eglise voulait dire : Quand vous jeûnez, voulez-
vous avoir une forte bride pour réfréner votre sensualité et
vous empêcher de rompre votre jeûne ? souvenez-vous qu'il
faut mourir, et que vous serez réduit en poudre pour puni-
tion d'un péché de gourmandise. Voulez- vous pratiquer
l'abstinence et les autres vertus chrétiennes, non par vanité,
comme les hypocrites, mais pour l'amour de Dieu et de la
vertu? souvenez-vous qu'il faut mourir, et qu'après la mort
votre àme sera présentée au Fils de Dieu qui ne juge pas
sermon ceci. — de la pensés, etc. 459
félon l'apparence extérieure , mais selon la sincérité et
droiture de l'intention. Voulez-vous avoir cm puissant mo-
tif pour i\;>ister aux tentations d'avarice ? souvenez- vous
qu'il faut mourir, et que vous n'emporterai pas les biens
temporels que vous amassez sur la terre. Voilà, Messieurs,
le dessein du Fils de Dieu en notre Evangile; voilà les avis
de l'Eglise en nous donnant les cendres , voilà les trois
points de mon discours. Sainte et bienheureuse Vierge ,
c'est aujourd'hui que nous désirons apprendre à vous dire
ce que nous vous disons tous les jours, mais à le dire plus
dévotement (juc nous n'avons jamais fait : Sainte Marie ,
mère de Dieu, priez pour nous, pauvres pécheurs, mainte-
tenant et à L'heure de notre mort ; vous êtes mère de Dieu
et nous sommes pécheurs, ce sont deux qualités bien oppo-
sées, mais opposées relativement ; il y a rapport, il y a re-
lation, et, si je l'ose dire, il y a causalité entre votre dignité
de mère de Dieu et noire qualité de pécheurs ; nous prenons
la confiance de vous dire que nous sommes cause, ou au
moins occasion (pie vous êtes mère de Dieu; s'il n'y avait
point de pécheur, il ne faudrait point de Rédempteur; s'il
n\ avait point de Rédempteur il n'y aurait point d'Homme-
Dieu; s'il n'y avait point d'Homme-Dieu, il n'y aurait point
<:«' unie de Dieu. Sainte Marie, mère de Dieu , priez
donc pour nous, pécheurs, à l'heure de notre mort; car
bêlas! à cette heure tant périlleuse nous n'aurons point de re-
fuge ni d'asile plus assuré qu'à l'ombre de votre protection,
mais priez pour nous maintenant , afin que nous vivions
si saintement que les prières que vous ferez pour nous à
l'heure de notre mort nous soient utiles et salutaires ; nous
ii supplions très humblement en nous prosternant
- pieds, et vous saluant avec l'ange : Ave, Maria.
IDEA SERMOiNIS.
Primnm punctum. A. Proponuntur quinque difjicultates
( l' r.i prokibitionem pomi , et ejus (ransgressionêm,
il n Us satisfit — B. Conclusion** murales ex prœ-
d Vf lis.
460 SERMON CCCI.
Sccundum punctum. C. ^4 g it contra vanitatem, Scrip-
tura , Patribus, Exeniplo.
Tèrtium punclum. D. Contra avaritiam , Scriptura ,
Patribus, Rationibus.
Conclusio. E. Paraphrasis iîlorum verborum : Thc-
saurizate vobis in cœlo.
PMBiUM punctum. — Proponuntur , etc.
A. — (Prohibitionem pomi, etc.) Le jour même que
tu mangeras de ce fruit tu mourras. Sur cette défense que le
Créateur fit à noire premier père au commencement des siè-
cles , sur la menace qu'il lui fit , en cas qu'il vint a la trans-
gresser, et sur la transgression de cette défense, comme
elle est racontée en l'Ecriture sainte, il y a plusieurs belles
et curieuses questions qu'on n'a pas coutume d'éciaircir, et
qui méritent néanmoins d'être soigneusement éelaircies.
A quel propos lui défendre cette pomme ? ou elle était bonne,
ou elle était mauvaise. Si elle était mauvaise, pourquoi l'a-
t-il créée ? si elle était bonne pourquoi IVt-il défendue ?
chaque chose n'est-elle pas pour sa fin? la fin et l'usage
d'une pomme, n'est-ce pas d'êîre mangée ? quel profit ou
dommage en peut revenir à Dieu si l'homme s'abstient de
ce fruit, ou s'il en mange?
Après cette défense, le serpent s'adresse à la femme,
lui propose des questions, lui demande des pourquoi : pour-
quoi est-ce que Dieu vous a défendu de manger de ce
fruit ? elle répond : Il nous est permis de manger de tous
les fruits de ce beau verger, mais Dieu nous a commandé
de ne pas toucher à celui que vous me montrez. Le Sage dit
en l'Ecclésiastique, (Eccli. 1 T. 5.) que Dieu avait doué nos
premiers parents d'un bel esprit, d'un très bon sens , et
d'une science infuse : Disciplina intellectus replevit illos;
creavit illis scientiam spirituel sensu implevit cor il"
forum. Comment est-ce que la femme ne s'étonna pas d'ouïr
parler le serpent ; ne savait-elle pas que la parole est une
propriété de l'homme, dont les bètes sont dépourvues, aussi
bien que de la raison ? Comment se laissa -t-eile approcher
DE TA PfiNSfefi DE LA MORT. 461
d un animal si odieux ? Comment ne s'enfuit-elle pas sitôt
qu'elle le vil ? Comment s'ainusa-t-elic à parlementer avec
nue créature si horrible ? Dieu nous a commandé, dit-elle,
de ne pas manger de ce fruit. Lisez le Texte sacré, vous
ne trouverez point qu'il fait défendu à la femme, oui bien
à l'homme , et cela avant la création de la femme : car la
défense est an chapitre second <le la Genèse, verset seize ,
la cna lion d'Eté est un peu plus bas au verset vingt-deux ,
après laquelle pas un mot de la défense. Il nous a commandé
de ne pas mander de ce fruit, et même de ne le pas tou-
eher. Il semble que cela est faux : car en L'Ecriture sainte,
quand Dieu parle de ce fruit, il ne défend pas de le loucher,
mais seulement d'en manger ; il ne dit pas ne tangos y mais
ne comedas*
Et c'est une merveille que l'homme en l'état d'innocence
et de justice originelle ait pu offenser Dieu, pour un aussi
maigre sujet (prune pomme ; on n'a coutume d'offenser
Dieu que par une de ees trois voies : ou par ignorance, ou
par fragilité et faiblesse, ou par malice. Adam péeha-t-il
par ignorance ? non , il était très savant, comme nous avons
vu. S. Paul dit expressément qu'il ne fut pas séduit. (1)
Péeha-t-il par fragilité de la concupiscence ? non, en ce
siècle d'or, la chair était entièrement soumise à l'esprit, la
sensualité à la raison, la partie inférieure de Pâme à la su-
périeure. E>t-ce donc par malice qu'il pécha ? Il est diffi-
cile à croire qu'étant tout fraîchement sorti des mains de
Dieu, ayant Pâme droite, étant en état de grâce, ayant
reni tant de faveurs de Dieu, il l'ait voulu offenser direc-
tement et de malice noire pour un morceau de pomme.
Enfin, il semble que la parole de Dieu en sa menace n'est
pas entièrement vraie ; il avait dit que si l'homme mangeait
fruit , il mourrait le même jour ; il en a mangé et n'est
pas mort le même jour , mais a encore vécu pour le moins
neuf cents ans.
J'emprunterai de S. Chrysostomc, (Homil. 14. in Gè-
nes.) de S. Augustin, (lib. 14 de Civit. cap. 11.) de
(!) H ICttU Adam in pnèvaiicatiooe. (l.Tirnolli. 2< H.)
462 SERMON ceci.
S. Thomas, (1 parte, q. 94.) et des autres pères, l'éclair-
cissement de ces difficultés. A la première, on répond que
cette pomme était bonne et créée de Dieu, mais que l'usage
en était mauvais non absolument, mais supposé la défense,
et que la défense en était faite, non par jalousie du Créateur,
comme le détestable menteur disait, mais pour éprouver
l'obéissance de l'homme. Voilà, par exemple, dit S. Chry-
sostôme , un grand seigneur qui est riche de cent ou deux
cents mille livres de rente ; il a tant de terres , qu'il ne peut
avoir soin de les faire toutes cultiver ; il en a affermé une à
un villageois , il la lui donne à perpétuité pour lui , mais à
condition qu'il paiera tous les ans au seigneur et à ses héri-
tiers , dix sous de rente, et que s'il y manque, il perdra ledit
héritage ; pourquoi lui impose-t-il cette charge, un homme
qui a cent mille livres de rente? sera-t-il plus riche si on
lui paie dix sous tous les ans , plus pauvre si on ne les lui
paie pas ? Il a mis cette condition, afin que le paysan et sa
postérité rendent hommage par ce paiement , et reconnais-
sent qu'il tient cette terre du seigneur. Si Dieu n'eût point
fait de commandement à l'homme , on n'eût pas connu que
Dieu est le souverain, et que l'homme est le vassal; les
méchants eussent pensé qu'ils ne relevaient de personne, les
bons eussent été fâchés de n'avoir point d'occasion de té-
moigner à Dieu leur dépendance, leur condition servile, et
la fidélité et obéissance qu'ils lui doivent. Dieu donc pour
montrer qu'il ne désirait pas la perle de l'homme, mais seu-
lement qu'on reconnût la souveraineté qu'il a sur lui , ne lui
fait pas de grandes ordonnances , ni en grand nombre; il
ne lui fit qu'un seul petit commandement très facile , très
doux , très digne d'être bien gardé. La-dessus, le serpent
se présente à Eve, et elle ne s'enfuit pas, elle n'en eut pas
d'horreur, parce qu'en ce temps-là les serpents n'étaient'
pas venimeux, ou du moins n'étaient pas ennemis de l'hom-
me , dit S. Basile. Les bètes qui sont à présent plus farou-
ches , étaient lors privées , domestiques , souples et obéis-
santes à l'homme, comme de petits chiens ou agneaux :
c'est notre rébellion qui les a révoltées contre nous ; ce fut
DE LA PLISSKR DL LA MORT. 463
après le péché que Dieu dit au serpent : Je mettrai inimitié
( litre toi el la femme , entre ta postérité* et la sienne. Quel-
ques docteurs tiennent que ce serpent était de l'espèce de
ceux qu'ils appellent en latin scytale. (PererilM in Gencs.)
Ce serpent e.st fort agréable à la vue , il a comme une
crête dorée but la tele , le dos armé d'une écaille éclatante,
et de diverses couleurs, comme l'arc-en-ciel.
Il semble que Virgile en a eu quelque connaissance , et
qu'il Ta décrit en l'Enéide. (5. v. 87.)
CtanlCM rai Isrga nota), maculosus et auro,
Sqii.iinaui incendebat falgor, ceu nubibus arous ,
Mille put varios adverso sole colores.
S. Thomas (1. part. q. 94. art. h. ad 2.) dit que la
femme s'imagina que le serpent lui parlait par une vertu
d'en haut , c'est-à-dire qu'elle crut qu'un ange du ciel avait
emprunté le corps de serpent pour converser avec elle
comme depuis on a vu que des anges ont parlé à Abraham'
à Loth, à Manué père de Samson, par l'entremise des corps
qu'ils s'étaient formés d'air, ou d'autre matière.
Elle répondit : Dieu nous a commandé de ne pas manger
de ce fruit , parce qu'encore qu'il ne l'eût pas commandé
immédiatement , il le lui avait commandé par l'entremise
m mari. Beau mystère, Messieurs, beau mystère et
digne de réflexion. Au texte grec des Septante, Dieu parle
au nombre pluriel quand il défend le fruit : *rà k ro„ joxoù
i« *«Xov y.xi «-ovïj/jov, où çxysctOe ; i) o'iv $fiéflx f*yt)
xrr' x:j:oj ÙMfàê* &*0ÔXVgtaÔ9*
Pour montrer qu'il parle à tous deux , et qu'il fait la dé-
B l'homme et à la femme , au texte hébraïque, il parle
au nombre singulier : car il y a lo tokel mimenou, ne co-
te ex eu , non pa$ lo tokelou , ne comedatis , pour
. dit S, Chrj rostome, que le mari et la femme ne
,ue comme une même personne; qui parle à l'un ,
ux , tout doit leur être commun. Mais il fait
avant la création de la femme, et il veut
qu'el!' nue de l'homme pour nous enseigner de bonne
apprendre les volontés de Dieu, non
4(i4 SERMON ceci.
de lui immédiatement , mais par Pentremise des hommes ,
par les oracles de TEglise.
S. Augustin au lieu sus-allégué , dit qu'Adam ne pécha
pas par ignorance , ni par faiblesse de la concupiscence ,
ni par malice pour les raisons que nous avons déduites,
mais par complaisance et respect humain , sociali neces-
siiudine , comme Salomon adora les idoles , non point
qu'il crût qu'il y eût en elles quelque divinité, mais pour
complaire aux femmes idolâtres qu'il aimait. Adam crut que
son péché serait pardonnable, et que ce serait pour lui une
belle excuse quand il dirait au bon Dieu : J'ai mangé de ce
fruit , non pas pour vous désobéir , mais pour condescen-
dre à la volonté de celle que vous m'avez donnée pour
compagne , pour m'accommoder à son humeur , et ne pas
rompre avec elle ; il crût que Dieu Pexcuserait, et qu'il ne
mourrait pas; mais il se trompa. Et vous ! et vous ! vous
offensez Dieu pour complaire à je ne sais quelle femme,
à une effrontée , ou au moins à une volage, à une cruelle ,
à une dénaturée; vous épousez ses querelles féminines, vous
vous rendez partisan de ses passions déréglées, vous ruinez
les pauvres et les orphelins pour lui faire porter la soie,
vous êtes cruel, pour l'amour d'elle, à votre pauvre père ou
mère; et Dieu vous pardonnera ! vous vous trompez, vous
vous trompez.
Quant à ce que Dieu dit que l'homme mourrait le même
jour qu'il mangerait de ce fruit, il y a diverses explications
des docteurs. Quelques-uns disent que cela s'entendait de
la mort de l'âme. Car au même moment qu'il mangea de ce
fruit , il perdit la grùce de Dieu, qui est la vie de l'âme
et commit un péché mortel, qui est la plus déplorable de
toutes les morts : ils disent vrai , mais ils ne disent pas
tout. S. Irénée, (lib. 6. contra hœreses.) S. Justin martyr,
( dialog. ad. Triphonem. ) et quelques autres , pesant ces
paroles du Psalmiste et de S. Pierre : Quuniam mille
anni ante oculos tuos , tanquam dies , ( Psal. 89. 4. )
disent qu'en la préseuce de Dieu, et au calendrier de son
éternité, mille ans ne sont que comme un jour; et on trouve
DE LA PENSER DK I.\ M011T. .',(', J
bien que Mathusalem a vécu neuf cent soixante-neuf tas',
et Adam neuf ecnl trente ans , mais on ne trouve point
qu un homme seul ait vécu jusqu'à mille ans, et par consé-
quent pas un n a vécu un jour entier selon le calendrier
de Dieu. S. Augustm(in. Psal. 127.) l'entend du calen-
drier des hommes et de la mort corporelle, et il dit
quAdam mourut, e'est-a-dire , commença à mourir le
'"«me jour qu il pécha, parce que Ja mort est la fin de la
»ie, et une partie de noire vie finit continuellement, même
a mesure que noua avançons en âge : l'enfance meurt quand
la puérilité arrive, la puérilité meurt quand nous entrons
en I adolescence , et ainsi des autres ùges, et nous ne
ThZ-nv Cn CC JTSanS m0,,rir au J'0ur P'-^ent.
« In hoc Idlhmur, quod mortem prospieimus, magna pars
« ejusjain pneten.t : ultima hora qua vila defleimus, non
« sola morlem faeit , sed sola consummat vilam : lune ad
« HUm perremmus, sed din venimus, » dit Sénèque. Nous
nous (rompons de regarder la mort comme une chose
future et bien éloignée, nous en avons déjà passé une bonne
parl.e; dans une horloge de sable ce n'est pas le dernier
grain qu, épuise , mais tout ce qui a coulé auparavant; ce
n esl pas le dernier moment qui fait passer l'heure, mais
La plus naïve et la plus simple explication, c'est la plus
Lttérale de Simmaque , qui , au lieu de morte morieris,
tourne *n* tan.mortali, eri.s : Tu seras sujet à mourir,
tu cas condamné à celte peine qu'il faudra porter cn temps
l'eu, car I homme ayant élé doué d'immortalité d'inno-
cence par un privilège particulier du Createur, fut privé de
ceue laveur lui el sa postérité en punition de sa révolte
B. •— ( Qmelusione». ) C'est ce qui nous doit faire
^««««'oirenhomnn-lamalignkédupéehéquiS
- d unes, mauv„se fille; un bon arbre ne porte jamais de
mauvais fruit, dit notre Sauveur. La malignité de l'effet
montre la mahgnilc de la cause. Je m'explique pour me
faire entendre au peuple : vous avez quelquefois dans vOS
■wons un joli petit enfant, beau comme un astre, blanc
466 SEH310IN ceci.
comme la neige , vermeil comme une rose , vous diriez
presque que c'est un ange, sa vue adoucit toutes vos amer-
tumes ; la mort lui arrive par une petite vérole , ce corps
qui était si agréable, devient hideux, laid, difforme, puant,
couvert de lèpre, les yeux éteints, les tempes creusées, les
joues pâles , les lèvres livides , les mains abattues , les
jambes raides, tout le corps glacé et immobile ; corps, non
plus corps , mais un cadavre, une voirie , un sac de pourri-
ture, ou au plus un peu de terre qui ne demande que d'être
portée en terre. Qui a fait ce ravage ? qui a butiné la vie,
la vigueur, la beauté, la bonne grâce de cet enfant ? qui a
fait ce divorce de Tàme et du corps ? c'est la mort ; d'où
vient-elle ? qui a produit cette mauvaise engeance ? qui a
enfanté cette meurtrière ? c'est le péché : Per peccatam
mors; stipendium peccali mors. Mais cet enfant n^en
avait point commis , il était incapable d'en commettre , il
n'avait que quinze mois ou deux ans , il ne savait pas en-
core discerner entre sa main droite et sa main gauche,
comme parle l'Ecriture; non, il n'a point commis de péché,
mais il est descendu d'un père qui en a commis, et en puni-
tion de ce seul péché, d'un péché qui nous semble si petit,
comme de manger une pomme; ce pauvre petit enfant et
tous ses semblables, très innocents, et tous les hommes qui
ont été, qui sont et qui seront jusqu'à la fin des siècles sont
condamnés à la mort. O abîme épouvantable des jugements
de Dieu ! ô rigueur et sévérité redoutable de la vengeance
du ciel ! ô effroyable énormité et malignité du péché ! ô
grandeur incompréhensible et infinie de la majesté de Dieu!
qu'un seul péché, et un péché qui nous semble si léger, mé-
rite très justement une si grande peine pour être commis
contre cette très haute , très excellente, très adorable et
très aimable Majesté ! qu'une faute tant de fois punie et
partagée entre tant de personnes ne soit pas encore effacée !
qu'une désobéissance en matière qui nous semble de si peu
d'importance soit vengée par le trépas de tant de mille et
millions de personnes ! malheur a nous , malheur à nous
d'avoir offensé Dieu ! et que sera-™ de nos propres péchés,
DE LA PEN8ÉB DH LA MOUT. 467
si nous payons si rigoureusement le péché de notre premier
père? que sera-ce de* blasphèmes , des adultères , des sa-
ps, si mettre la dent dans une nomme mérite une si
grande peine ?
Que L'hérétique dise maintenant : La viande est-elle
mauvaise? n'est-elle pas créature de Dieu en carême aussi
bien qu'en autre temps? ce qui entre par la bouche ne souille
point L'aorte. Celte pomme était-elle mauvaise ? n'était-ce
pas une créature de Dieu ? n'est-elle par entrée par la
bouche? et nous voyons comme elle nous a souillés , nous
utons les funestes effets qu'elle a produits. Non , ce
qui entre par la bouche ne souille point Pâme, mais la dés-
obéissance , le péché que Ton commet en usant mal d'une
lionne viande ; et puis dites maintenant que ce n\jst pas
Dieu qui a défendu la viande ! c'est un commandement des
li-uiimcs oui; mais vous ne dites pas que Dieu à commandé
d'obéir aux hommes , que celui qui résiste à la puissance
supérieure, résiste à l'ordonnance de Dieu, et s'acquiert la
damnation , dit S. Paul. ( Rom. 13. 2. ) À notre compte
Eve pourrait dire : Dieu ne m'a pas défendu cette pomme ,
où est >a parole et son Ecriture? Adam, vous me dites qu'il
l'a défendue à nous deux , je ne suis pas obligée de vous
croire, vous êtes homme qui pouvez tromper ou être trompé,
c'est peut-être qu'elle est si bonne que vous la voulez manger
tout .seul. Elle ne dit point cela, elle ne pouvait pas le dire,
parce qu'Adam était alors chef de l'Eglise. Oui, en ce
temps-là l'Eglise de Dieu était déjà, puisque leur mariage
était un vrai >arrement, comme dit S. Paul. (Ephes. 5. 32.)
Adam était chef de l'Eglise, et en cette qualité il avait droit
d'annoncer à Eve et à ses enfants la volonté de Dieu et le
commandement qu'il lui avait fait. Nous y voyons encore
combien est véritable ce qu'a dit S. Paul, que si un ange
du < ici nmis annonçait quelque chose contre ce que l'Eglise
igné , il ne faudrait pas le croire. Adam, chef
de 11 avait dit à la femme qu'elle mourrait si elle
I lu fruit; L'ange qui lui apparaît et qu'elle croit être
. lai dit : vous ne mourrez pas quoique
A68 sermon ceci;
en mangiez : Nequaquam moriemini. Elle devait plutôt
croire son mari qui était chef, que la révélation de cet ange;
mais elle commence à douter de la vérité de la foi, elle dit :
Ne forte moriamur : Si nous en mangeons , peut-être
que nous mourrons; Dieu n'avait pas dit : Forte morieris:
Peut-être que tu mourras ; mais il avait dit : Morte mo-
rieris : Tu mourras de mort; elle n'en croit rien ; cela ne
laisse pas pourtant d'arriver , elle meurt infailliblement ,
et comme Dieu fait toujours plus qu'il ne dit, il ne la con-
damne pas seulement à la mort dont il Fa menacée , mais
à d'autres peines dont il n'avait pas parlé dans la menace, à
la douleur de l'accouchement , aux incommodités de la
grossesse, à la condition servile et à l'assujettissement à
Thomme : Sub viri potestate eris. Quand vous pensez au
mauvais état où vous êtes , vous dites en vous-même :
Peut-être que je serai damné : Forte moriemur; peut-être
que je mourrai de la mort éternelle; d'où vient ce peut-être?
vous l'ajoutez à l'Ecriture , il faut dire : Infailliblement je
serai damné; assurément je mourrai de la mort éternelle, si
je ne garde les commandements de Dieu; vous n'en croyez
rien, mais cela ne laissera pas d'arriver, quoique vous ne le
croyiez pas. Oh! qu'Adam avait d'abord agi sagement! mais
il ne persévéra pas en sa sagesse : Dieu avait défendu seu-
lement de manger du fruit; lui, pour éviter toute occasion
et s'éloigner de tout danger de péché avait , comme chef
de l'Eglise; ajouté un autre commandement , savoir de n'y
pas toucher ; voilà pourquoi, quoique Dieu eût seulement
dit : Ne comedas, ou selon le grec, ne comedatis : Gar-
dez-vous d'en manger , la femme dit : Il nous a commandé
de n'en pas manger , de ne le pas toucher et de n'en pas
approcher : Prœcepit nobis ne comederemus, et ne tan-
geremusy et même ne appropinquemus , selon le targum
chaldaïque. Il savait que la femme étant plus faible, si elle
venait à le toucher ou à l'approcher , elle pourrait prendre
envie d'en manger, il devait encore défendre de le regarder :
s'il l'eût fait et que la femme lui eût obéi , ils ne seraient
pas tombés dans îe malheur ; mais elle le regarda : Vidit
DB U PENSÉS DE LA MOUT. /SC,Q
liptumquod cssct pukhrtm , elle eut la curiosité Je
nu si était aussi bon que beau, elle n'évita pas IVca-
sioa , elle voulu: regarder ce qu'il n'elait pas loisible de
eonvoiler, elle voulut contenter son appétit, et son mari
se rendit complaisant à ce qu'elle désirai) ; ils se sont perdus
et nous eussent tous perdus sans ressource , si le Fils do
Uieu n eût eu la bonté de nous racheter.
Voilà maintenant votre axiome : Propter amicum fran-
g*turje,untumf c'est pour son ami qu'il a rompu le jeune
et Dieu ne 1 excuse pas. Oh! que c'est à bon droit qu'en
même temps que Jésus dit : Cumjejunatie , l'Eglise dit:
Mémento, homo! En ce saint temps de pénitence pendant
la sainte quaraulame , veux-tu , ô homme , avoir un frein
pour t empêcher de rompre ton jeune , veux-tu avoir un
poignant aiguillon pour t'inciter à l'abstinence ? souviens-toi
qu en punition d'une petite gourmandise que le premier
homme a commise , (useras réduit en cendre : Cum ,««-
, mémento , homo , quia pulvù es , et in pulve-
aECtmnun pckctwi. - Agit conira vanitatem. \
C. - {Scriptura, etc.) Kolilefieri sicut hypocrite.
Les hypocrites ne s étudient qu'à donner du lustre et de
apparence a leurs actions , souvenez-vous qu'après votre
mort vous rendrez compte à un Juge qui a plus d'égard à
à I intérieur qu a Vxl érieur : « Pater tuus vide! in aliscon-
- d.to; homo , Mdet m facie; Deus, antem in corde: tu
« om,ne,v,des nnde veniat Spiritus , ubi sit , e q uô
< vadat ; cpna tu es omnium spirituum ponderalor, tu red-
dis umeuique non tantum secundum opéra et intenlio-
ncm
etiam secundum .psam inlcriorcm mcdullam
raoïcjs . de qua procedit intentio operantis ; cumque di-
n.cr h«c considéra, timoré ingenti eonturbo? Lo-
a nob» magna est indila nécessitas juste rectequo
»'>' • qu'PÇe qn omnia facimus ante oeulos in lie s
.» Veux-tu, o homme! faire 2-
mni . non-senlement à l'extérieur et selon ce
470 SERMON CCC1.
qui parait aux yeux du monde . mais avec bonne intention,
avec attention à la présence de Dieu , par un pur égard à
sa gloire, et non pas sicut hypocrites? Mémento, homo,
quia pulvis es ; souvenez-vous que vous êtes homme , et
qu'il est ordonné à tout homme de mourir quelque jour ; et
post hoc jiidicium , et qu'au sortir de cette vie votre ùme
sera présentée devant le tribunal d'un Juge qui voit tout ,
qui épluche tout, non-seulement les intentions, mais la
moelle , le fond et la racine de l'intention : Ta es omnium
spirititum ponderato?\
En Daniel, ( 5. 1 . ) il est dit que le roi Balthazar clant
à table, buvant des vins délicieux dans les coupes du temple
de Dieu , ne pensant qu'à faire bonne chère , et à festoyer
ses amis, vit une main miraculeuse qui écrivait sur la mu-
raille ces trois paroles chaidaïques : marie , techel, pha-
res, c'est-à-dire , selon l'interprétation du Saint-Esprit :
Dieu a compté le temps de ton règne , et tu es à sa fin ; tu
as été mis en une balance , et as été trouvé léger ; ton
royaume doit être divisé, et donné en proie à tes ennemis.
Le même jour il mourut , et tout cela fut accompli. Ce qui
arriva visiblement à ce roi infortuné fut une instruction pour
nous apprendre que la même chose arrive invisiblement à
toutes les âmes au sortir de cette vie ; et c'est pour cela que
l'on peint S. Michel , ce glorieux archange , avec une ba-
lance en la main , parce que selon la tradition de l'Eglise ,
ce Saint reçoit les âmes au sortir de ce monde , il les porte
au bureau de la justice divine ; là elles sont pesées ; si l'on
trouve qu'elles aient toutes les qualités qui sont nécessaires
selon leur état et condition , elles sont reçues et mises au
trésor céleste ; si elles sont légères d'un seul grain , elles
sont absolument rejetées : c'est ainsi que le roi Balthazar
fut pesé. Mais que pensez-vous qu'on mit dans un côté de
la balance ?ses états , ses finances, sa couronne, sa dignité
royale ? oui , mais on y mit encore bien d'autres choses
que vous ne pensez pas , savoir l'air qif il respirait : Deum
qui hahet statumtuuminmanu sua non glorificasti. Et
parce que l'action de h grâce, la reconnaissance et l'usagé
DE LA PENSÉE DE LA MORT. 471
qu 11 en avait fait De Icnail pas la i ilance en équilibre , il
fol rejeté comme n'étant pas de poids : lurent us est mi-
nnshabens. Cei évêque de Sardique fut aussi pesé et trouvé
léger ; fJdsus lui mandait par S. Jean : (Apoc. 3. 2.) Non
invenio opéra tua p/ena. Ainsi nous serons tous pesés,
Messieurs, au sortir de cette vie ; dans un bassin delà
balance on mettra la dignité sacerdotale , l'état de judica-
lurc , ce bel esprit que vous avez, l'industrie , l'éloquence
Ct les autres talents naturels et surnaturels que Dieu vous à
donnés, toutes les prédications des confréries, les bons
exemples de votre prochain, la commodité de fréquenter les
sacrements ; et dans l'autre bassin , on mettra nos actions,
l'usage que nous aurons fait de toutes ces grâces de Dieu.
Si on Irouve que nos actions ne soient pas faites avec la so-
lidité, la perfection et la plénitude requises, onles rejettera.
Alors . alors , Messieurs les Ecclésiastiques , nous connaît
Irons par expérience, mais peut-être à notre grand regret,
combien pesante est celle couronne que nous portons sur la
tête. Un ancien disait que les couronnes royales, quoique
belles et éclatantes de pierreries, sont bien pesante' sur la
tète des rois, parce que les espaces qui nous semblent vides
entre les fleurons qui la composent , sont remplis de soins
et de sollicitudes pour le bien de leurs sujets. De même,
cette couronne que nous portons sur la tête nous semble bien
légère , parce que la tonsure elle nous décharge des cheveux
et nous parait vide ; mais alors nous connaîtrons combien
elle était pesante , que ce vide était rempli de charges , de
devoirs et d'obligations , et qu'il y avait plus de comptes à
rendre que de cheveux 6tés par la tonsure; alors nous connaî-
trons combien pesante et onéreuse était cette chasuble qu'on
nous nul sur les épaules , quand on nous donna les ordres
car si nous ne servons pas Dieu et l'Eglise avec la
' , la pureté, la ferveuret l'assiduité que demande
une dignité si haute et si divine , nous serons répudiés ;
alors je connaîtrai combien estpesantee surplis que je porte'
■ charge de prédicateur que j'exerce , car on la mettra
da" I »«M ■ et dan, l'autre l'usage que j'en aurai
472 SERMON ceci,
fait , et si fêlais si misérable que de m'etudier à chatouiller
les oreilles et a contenter les curieux , faire des prédications
de fumée et de yanité, je serais répudié : je veux , moyen-
nant la grâce de Dieu, prêcher avec tant de fruit et si chré-
tiennement que toutes les àmes que j'aurai gagnées à Dieu
soient mises dans un des bassins ; alors vous connaîtrez
combien pesantes sont tant de prédications qui se font en
votre ville , tant de saintes confréries , tant de commodités
de fréquenter les sacrements, tant de confesseurs dans tou-
tes les églises, tant d'exercices de piété, car si vous ne vous
êtes pas servis de toutes ces occasions , vous serez trouvés
légers ; alors , ô àmes dévotes ! vous éprouverez combien
sont pesantes les paroles sacramentelles de l'absolution
qu'on prononce si souvent, les communions que vous rece-
vez tous les huit ou quinze jours ; car si vous ne yous en
servez pas pour perfectionner votre vie , pour corriger vos
colères , vos vanités , vos cajoleries ; votre amour-propre,
pour devenir plus patientes , charitables envers le prochain,
plus ferventes en l'amour de Dieu , vous serez trouvées
légères , vous serez répudiées : donc puisque vous devez
mourir, puisque vous devez être jugées, puisque vos actions
doivent être pesées au jugement, faites qu'elles aient la soli-
dité et la perfection de la vertu, non pas seulement l'appa-
rence etl'écorce extérieure : Nolitefierisicut hypocritœ.
tertium punctum. — Contra avaritiam.
D. — (Scriptura , etc. ) Noîite thesaurizare vobis
tliesauros in terra : N'amassez pas des richesses sur la
terre , souvenez-vous que vous devez mourir et que vous
n'emporterez rien des biens de ce monde : Cum interieris
non sûmes omnia ; ce sera pour vous un horrible crève-
cœur d'avoir commis tant de péchés, et de vous être engagé
à la damnation éternelle par trop d'affection à des biens tem*
porels que vous serez contraint de quitter ; on ne perd pas
sans douleur ce qu'on a possédé avec amour, dit S. Augustin.
Il y avait l'autre jour dans cette ville un certain bourgeois
fort riche en biens temporels , mais pauvre d'esprit autant
DK LA PENSffR DK LÀ MOHT. 473
qu'il se peut ; il it.iij si idiot , qu'ayant grande quanlildde
blé il le mettait dans sa cave ; un doses amis Pelant venu
voir et sYlant aperçu do eo mauvais ménage, lui dit : Mon
cher ami , à quoi pensez-vous ? où est votre jugement? clcs-
vous encore si nouveau et si mauvais économe que vous ne
?oyei pas que votre grain se pourrit dans votre cave ? ne
gavez-vous pas que le blé ne se conserve pas bien dans les
lieux humides , qu'il doit élre dans quelque lieu sec pour se
conserver longtemps? Portez , portez votre blé au grenier ,
vous en nourrirez votre famille l'espace de deux ou trois ans,
et le reste vous le vendrez et en ferez une bonne somme
d'argent. Cet idiot fut si opiniâtre , qu'il ne voulut pas sui-
vre ce bon conseil, mais il laissa son grain dans celte cave
sous prétexte qu'il était plus près de sa chambre , et qu'il
voulait le voir souvent. Savez-vous quel est cet opiniâtre ,
cet homme perclus de jugement? c'est vous ! tu es illevir;
pardonnez moi , si je vous le dis , c'est après S. Augustin
(serai. 50. de temporc et in psal. 48.) qui m'a fourni celle
comparaison. Vous avez des richesses en ce monde , mais
elles sont dans la cave , la terre est le sellier où vous les
enfermez , votre grenier doit être le ciel ; le Fils de Dieu
qui est le plus grand ami que vous ayez , vous est venu vi-
siter : Visilavit nos orient ex alto ; il a vu votre mauvais
ménage , il voit que nous travaillons beaucoup et que nous
profilons peu, parce que nous mettons notre blé clans la
cave , nous thésaurisons dans la terre , nous accumulons
des richesses ici-bas où elles se pourrissent et se perdent ;
il nous dit en ami : JSolitethesaarizarevohis thesauros in
terra. Si vous amassez des richesses sur la terre , que de-
viendront-elles après votre mort ? Premièrement , jures
effbdient f quelque larron crochettera vos coffres , iu\ de
serviteurs qui épie où vous tenez votre argent, y mettra
le premier la main et le volera à vos héritiers , vos neveux
et vos autres parents le pilleront après votre décès, et plai-
dant [\m contre l'autre pour en avoir la meilleure part , le
consommeront en frais de justice : Furcs effbdient. En
second lieu , iinea demolitur, la teigne rongera votre
474 SERMON CCCI.
bien ; quelque chicaneur plein d'artifice, quelque procureur
rusé, quelque homme de justice : injuste œdificant dam os
suas sicut tinea , dit Job. La teigne s'attache à un vête-
ment qui commencée s'user, et elle ronge jusqu'à ce qu'elle
paraisse et se fasse voir , alors on la prend et on l'écrase
sous les pieds ; ainsi un homme de justice qui n'a pas la
crainte de Dieu se prend à une famille qui commence à tom-
ber en déclin, il la ronge, sourdement pour paraître, pour
éclater , pour se faire voir , pour avoir de quoi porter la soie,
après cela Dieu le détruira et l'écrasera sous ses pieds : Con-
fregit in die irœ suœ reges ; mais Dieu le laisse régner
quelque temps pour punir voire avarice et pour ronger
comme la teigne les biens que vous aimez tant. En troisième
lieu , la rouille les consommera , la paresse et la fainéantise
de votre enfant : s'il avait des bien médiocrement, il tra-
vaillerait pour les accroître ; vous lui en voulez tant laisser
et le mettre si bien à son aise, qu'il puisse vivre sans rien
faire ; il se fiera à ses richesses et mènera une vie fainéante
et toute enrouillée de paresse, toute pourrie d'oisiveté,
toute détrempée en délices , et cela consommera vos biens ,
il en dépensera plus dans un mois que vous n'en amasser
lans un an.
CONCLUSIO.
E. — (Paraphrasis , etc.) Faites mieux , suivez leçon-
seii de Jésus , portez votre blé au grenier , rachetez vos pé-
chés par aumônes , donnez de vos moyens aux pauvres pour
les transporter au ciel : Thesaurizate vohis thesauros in
cϕo. Chaque parole est pleine de sagesse, il nous les faut
peser. Thesaurizate, c'est maintenant le vrai temps d'a-
masser des richesses célestes. Le saint temps du carême ,
c'est le temps de la moisson spirituelle , c'est le temps de
la récolte chrétienne, c'est le temps auquel les âmes dévo-
tes doivent faire provision de bonnes pensées , de bons en-
seignements, de bonnes résolutions pour toute l'année;
Thesaurizate donc vohis. Les richesses temporelles que
vous thésaurisez ne sont pas pour vous ; Thesaurizate et
DE l-A PENSEE DELA MORT. Mo
rat eut congregabit ta ; elles seront pour quelque ne-
feu ingrat, pour quelqu'un qui ne tous en saura point de
les bonnes œuvres que vous pratiquerez en celle sainte
quarantaine seront pour vous, vous en jouirez vous-même :
wurizate vobis thesauros* Quand vous travaillez
pour ce monde , ce ne sont pas des trésors que vousamas-
■ e sont des inquiétudes ; plus vous multiplie* vos mé-
tairies, plus vous multiplies les soins d'y entretenir des
métayers; plus tous acquérei des héritages, plus vous aug-
mente! la peine de les cultiver ; vous amassez des péchés ,
ou en acquérant , ou en conservant, ou en affectionnant trop
ces biens ; vous amassez des peines qui sont dues à ces pd-
: irais en pratiquant les bonnes oeuvres , vous amassez
de vrais trésors, et des trésors inépuisables, thesaurum
non deficientemy dit S. Luc. Ce que vous amassez pour
celle vie , passe en moins de rien ; ce que vous faites pour
le ciel demeure éternellement. Où sont maintenant les plai-
les voluptés, les passe-temps, les jeux, les festins,
mseset autres récréations , que des ames mondaines
ont eues pendant le temps du carnaval ? tout cela est passé
comme de la fumée , rien ne leur en reste que le regret de
avoir commis , et I obligation à la peine qu'il en faudra su-
i Pautre vie ; mais où sont maintenant les pénitences ,
rières, les jeûnes, les mortifications des ames dévotes,
la peine en est passée, le fruit, la joie, la consolation, et
< ompensc leur en demeure, et demeurera à jamais ;
comme il en scia au bout de six semaines, il en sera de
même au bout de six ans, de soixante, de cent ans; les
travaux de la vertu passeront et le fruit en demeurera éter-
ment : Thesaurum non deficientem in cœlo. Les ri-
chesses quevous an sseï en ce monde sont exposées à mille
et à mille voleurs ; celles quevous mettez en ré-
dans le ciel , seront très bien cachées : In cœlo, cœ-
' indo . et quod tegit omnia cœlum ; ce que Dieu
dé, ce qui est en dépôt dans le ciel, est
lé dans un bon coffre. Un voleur escalade votre mai-
son, pourrait-il escalader le ciel ? dit S. Augustin ; un lar-
47G SERMON CCCI. — DE LÀ PENSÉE , etc,
ron tue votre serviteur, dépositaire de votre argent, pourra-
t-il tuer votre Sauveur, si vous le lui aviez donné en garde?
Invadit hostis domïim ,nunquid invaderet cœluni ? oc-
cidit latro servum'pecuniœ cusiodem , nunquid occide-
ret Dominum servatorem'} Mettez, mettez vos trésors en
lieu assuré, envoyez-les par les mains des pauvres, aux
coffres des finances célestes. Où est votre trésor , là sera vo-
tre cœur, conclut le Fils de Dieu; si votre trésor est aux
Liens de la terre, votre cœur, votre âme, votre demeure
sera éternellement au centre de la terre ; si votre trésor est
au ciel, votre cœur, votre âme, votre amour sera pour
jamais dans le ciel, sîmen.
"OlSWïïT^S?
«■»
SERMON CCCIÏ.
QU'lL IMPORTE BEAUCOUP QUE LES GRANDS ET LES PERES
DE FAMILLE SOIENT VERTUEUX.
rd non Cfiiturb. (Mallh. 8. 5.)
En l'Evangile de ce jour, lire du chapitre huit de S. Mat-
thieu, le Fils de Dieu étant entré en la ville de Caphar-
naum , un centenîer s'adresse à lui , et lui dit : Maître, mon
serviteur est malade paralytique en ma maison ; le Sauveur
lui répond : Jy irai et je le guérirai. Il réplique : Maître,
je ne suis pas digne que vous entriez en ma maison , mais
ditesseuleroent une parole, et mon serviteur sera guéri. Le
1 ils de Dieu se tournant vers les assistants , leur dit : Je
vous dis en vérité, je n'ai point trouvé une si grande foi
parmi le peuple d'Israël. La vertu de ce dévot centenîer me
donnera sujet de vous traiter aujourd'hui du devoir des su-
périeurs, des pères de famille , et des autres grands du
monde. premièrement, nous verrons qu'il importe beau-
coupqu ils soient vertueux , et puis nous verrons en quoi
consiste leur vertu, le tout sur l'exemple du centenîer. Mais
avant que de vous exhorter à pratiquer ses vertus héroïques,
je veux limiter en un point , c'est qu'il ne s'adressa pas d'a-
bord au I ils de Dieu, mais il se servit do L'entremise et de la
laveur des familiers du Sauveur, qui lui dirent : Dignus
Ut ut hoc xlli imv6tcs,dili(Jit enimcjcntemnostram,et
tynagogam ip.se œdificavit nobis : C'est un homme qui
mérite que vous le favorisiez , il aime notre nation, et il
nous a bàli un temple. A son imitation , je veux m'adresser
ali sainte et bienheureuse Vierge , et dire ainsi à son Fils :
.Mon Sauveur, nous ne méritons pas que vous nous fassiez
aucune grâce , mais votre Mère le mérite bien; elle veut et
elle peut obtenir de vous de la faveur pour nous : elle le
A78 SERMON CCCl!.— DES GRANDS
veut; car diligit gentemnostram; elle le peut , car ta-*
silicam œdi/icavit tibi ; elle a tout crédit envers vous ,
parce qu'elle vous a préparé un temple; elle vous a reçu et
logé dans le très auguste sanctuaire de son sein virginal ,
{lie je bénis et honore. Ave, Maria.
IDEA SERMONIS.
Exordium. A. An in statu innocentiœ fuissent prœlali
et subditi. Videtur quod non. — B. Probatur quod
sic. ~— G. Documenta moralia quœ inde sequuntur.
Primum punctum. Expedit prœlatis et nobilibus quod
sint sancti : D. 1 ° Ob utilitatem spiriiualem , quia
eorum. virtus est 'plus meritoria quam aliorum. —
E. 2° Ob temporalem , quia sic plus honoranlur et
serviuntur a subditis.
Sccundum punctum. F. Ut sint sancti debent exemplo
Centurionis vivere pie in Deum. — G. Sobrie in se
ipsos. — H. Juste in subditos.
Conclusio. I. Argumenta conglobata per paraplirasim
illorum verborum : Homosumsub potestate constitutus.
EXORDIUM.
A. — {An in statu, etc.) Parcourez tous les états et
tous les étages de Puni vers , considérez toutes les familles,
toutes les communautés, toutes les villes , toutes les pro-
vinces et tous les royaumes de la terre , vous verrez qu'il y
a fort peu de gens qui ne soient de la catégorie du centenier
de notre Evangile , fort peu de gens qui ne puissent dire :
Homo sum sub potestate constitutus liabens sub me
milites ; fort peu qui ne soient supérieurs à quelqu'un, et
inférieurs à quelques autres ; sur quoi on peut proposer une
belle question , et demander , savoir si cela eût été en Pétat
d'innocence, savoir en cas que le premier homme n'eût pas
péché et que ses descendants eussent conservé !a justice orign
nelle, s'il y eût eu des seigneurs et des serviteurs, des maîtres
et des valets , des supérieurs et des inférieurs. îl semble que
Pancten ci le nouveau Testament , ia jurisprudence ei la
ET DBS l'KRES DE FAMIM,K. 479
dogîe favorisent la négative* Premièrement, en la Gc-
nèse, chapitre second , Dion condamne la première femme
à être sujette à son mari, en punition du péché qu'elle avait
commis, lui donnant le fruit de l'arbre défendu : Sub virl
is ; il semble donc que ce! assujettissement est
»«ff«l (,lî péché. En second lieu, Jésus est venu dans le
monde pour détruire les effets du péché, pour nous faire ren-
trer en Pétai heureux et souhaitable de Pinnocence: Ut dis-
ti opéra diaboli. (I . Joan. 3. 8.) Or, il déclare en
paroles expresses que c*esf son intention de bannir du chris-
tianisme et d'abroger la domination qui était parmi les
païens : Reges gentium dominantur eorum, vos autem
von sic. (Luc. 22. 25.) En troisième lieu, le juriscon-
sulte, ou paragraphe servituê institutis de j ure yersona-
rum , (L. libellas, g 1 . (T. de statu homin.) et, ailleurs dit
que les hommes sont naturellement libres , que la servitude
et la seigneurie sont du droit des gens ; et en effet, si l'état
d'innocence était un siècle d'or et un état de félicité natu-
relle, les hommes y devaient vive libres ; il n'y a rien en ce
monde qui nous soit plus cher et plus précieux que la li-
berté, rien de plus fâcheux et contraire à l'inclination de
une que la captivité et sujétion. Non bette pro toto li-
bertas venditur auro. Infinita est eslimatio libertatis
et necessitudinis , disent les jurisconsultes, (L. non est
singulîs, §. infinita, ff. de regulîs juris.) C'est une chose
j able de voir comme chacun se plait à dire : Ceci est à
1) à plus forte raison de dire : Je suis à moi-môme,
ristote ; et au commencement de sa Métaphysique il
dit qu'il y a celte différence entre l'homme libre et l'esclave,
•I1"' l'homme libre est pour soi-même; celui qui est en ser-
vitude n 1 .! pas référé à soi , mais à son maître , ce qui ré-
pugne a I étal heureux d'innocence, dans lequel, comme on
'!;' «" théologie, .1 n'y eût point eu d'incommodité, mais
nme cûl en à souhail tout ce qu'il pouvait justement dé-
^^^Quandonihilalera^quodrectavoluntasdeside-
rarepossêi?(S. Àug. lib. 14. de Civit.cap. 10.)
J; etdicere:Hocmeamerf.
4§0 SERMON CCCIÎ. DES GRANDS
B. — (Probatur quod sic. ) Nonobslant toutes ces rai-
sons, Pangéiique S. Thomas, (1 . p. q. 9G. art. 4.) après
S. Augustin et toute la théologie, conelut et prouve par de
puissantes raisons, qu'en l'état d'innocence il y eût eu des
préiatures et des supériorités , non supériorités fières , ar-
rogantes , impérieuses , tyranniques , comme les raisons
alléguées le prouvent très bien, mais supériorités douces, pa-
ternelles , condescendantes , complaisantes, supériorités de
conduite et de direction, non de maîtrise et de domination.
Premièrement , S. Paul dit que toutes les œuvres de
Dieu sont rangées en bel ordre : Quœ a Deo sunt, ordi-«
nala sien t. Or do est parium dispariumque rerum sua
cuiqveîoca iribuens disposition dit S. Augustin, (lib.19.
de Civit. cap. 13.) Il y eût eu dans l'état d'innocence, iné-
galité et diversité d'âge, de sexe, d'esprit, d'industrie, les
hommes y étaient doués du franc arbitre; ils eussent donc
pu acquérir plus de science , d'industrie , d'expérience, les
uns que les autres , et par conséquent ceux qui en eussent
eu moins, eussent eu besoin d'être conduits et gouvernés
par les autres. Arislote ne dit-il pas (lib. 1 . Polit, cap. 5,)
que ceux qui ont l'esprit pesant sont destinés de la nature
à obéir et à être sujets; ceux qui ont l'esprit plus brillant
sont destinés à commander et à gouverner les autres?
En second lieu, nous voyons que parmi les anges bien-
heureux qui n'ont jamais commis de péché , il y a des hié-
rarchies, c'est-à-dire de saintes supériorités, et que, selon
S. Denis, les supérieurs éclairent et perfectionnent les
inférieurs; ce qui est si véritable que parmi ces hiérar-
chies, il y en a qui empruntent leur nom de la puissance
et influence qu'ils ont sur les autres, ils s'appellent princi-
pautés, puissances, dominations.
En troisième lieu, Dieu est infiniment bon, infiniment
tommunicable aussi bien que toutes ses perfections, et nous
voyons qu'il a répandu et communiqué hors de lui un rayon
et une participation de toutes ses perfections; il aura donc
communiqué non-seulement depuis le péché, mais dans
l'état d'innocence, un écoulement et une émanation de sa
souveraineté.
ET DBS PÈRES DR FÂBflLLB. 481
G — (Documenta moralia, etc.) D'où nous devons
apprendre en passant deux beaux enseignements : l'un pour
les inférieurs, l'autre pour les supérieurs. Les inférieurs
doivent apprendre à honorer la souveraineté de Dieu en leurs
supérieurs el à leur obéir, bien qu'ils soient vineux, quand
ils ne commandent rien contre les commandements de Dieu :
Etiam discolis, dil S. Pierre, Que diriez-vous d'un ca-
tholique qui dirait : Je ne veux pas honorer ce crucifix
parce qu'il n'est que de bois ou de pierre; s'il était d'or ou
d'argent , je l'honorerais de bon cœur, mais étant de si
ehétive matière , je ne le saurais honorer. Pauvre homme
que vous êtes! qu'est-ce qu'on honore dans le crucifix?
est-ce l'or on l'argent? le bois ou les autres matières dont
il est fait? n'honore-t-on pas Jésus crucifié qui vous est
nté par son image? car qu'il soit d'or ou d'argent, de
bois ou de pic ire, c'est toujours un crucifix, c'est 'toujours
l'image de Jésus crucifié. Il est donc aussi digne d'honneur
n'étant que de bois ou de papier, que s'il était d'or ou d'ar-
gent. Ce n'est pas une belle excuse de dire : Si mon père ou
mon maître était vertueux , sage , dévot , je lui porterais
beaucoup d'honneur ; mais parce qu'il est vicieux , débau-
ché, dissolu el ivrogne, je ne le saurais respecter; cela se-
rait bon si vous ne deviez honorer en lui que sa vertu et sa
probité; mai., vous devez honorer en lui son autorité pater-
nelle qui est un écoulement, une effusion et une participa-
tion de la souveraineté de Dieu : « Servi, obedite dominis
« carnalibus cum timoré et tremore, in simplicitatc cordis
it Christo, non ad oculum servientes, quasi
I Imminibus placeutes, sed ut servi Christi, facientes vo-
« luntatem Dei exanimo, cum bona voluntate servientes,
« licol Domino, cl non hominibus. » (Epk. G. 5. G. 7.)
PRIMUM PLNCTLM. Expedit, clc.
D« — (l° Ob utililatem spiriluflïem.) Les supérieurs
; aos*i apprendn rvir de leur autorité comme
d'une i inte; ils doivent regarder, honorer et imiter
en leur souverain* lé celle de Dieu, se servir de leur puis-
482 SERMON CC.CII.~~ D£S GÏUNDS
Sincc, comme Dieu se sert de la sienne, justement, sainte-
ment, parfaitement, pour la gloire de Dieu et pour le pro-
fit des hommes, et cela leur importe beaucoup.
Premièrement, pour le spirituel, parce que, quand ils
sont vertueux, leur vertu a plus de mérite que celle des in-
férieurs, étant plus volontaire , plus difficile et plus exem-
plaire. S. Bernard écrivant à une noble dame qui s'était
faite religieuse, nommée Sophie , lui dit une parole qui est
un grand sujet de consolation pour les nobles : « Non est
« quidem acceptio personarum apud Deum ; nescio tameri
« quo pacto virtus in nobili plus pîacet ; an forte quia plus
« claret ? etenim cum ignobilis abstinet a vitio non facile
« liquet , an quia nolit , an quia non possit. (5. Bem,
epist. 113.) Quand une personne roturière, pauvre et de
basse extraction ne commet pas le péché , on ne saurait
bonnement dire si c'est parce qu'elle ne le peut pas, ou
parce qu'elle ne le veut pas ; quand elle est humble on no
saurait dire si c'est par la condition de son état ou par l'é-
lection de sa volonté ; mais quand un grand qui a toute
licence selon le monde, et qui pourrait avoir pour règle de
ses actions , ses passions déréglées , et pour conduite de sa
vie cette maxime de l'empereur Caracalla : Çuod lihet ,
licet; quand, dis-je, il réprime ses concupiscences, quand
il s'abstient du péché, et quand il e.t vertueux, sa vertu est
fort héroïque, parce qu'elle est plus volontaire; on peut dire
de lui avec le Sage : Potuit tremsgredi, et non est trans—
g7*essus; facere mala, et non fecit : Il pouvait transgres-
ser les commandements, et il ne les a pas transgressés; il
pouvait faire le mal , et il ne Ta pas fait ; sa vie est admi-
rable et louable. Ce sont proprement les grands qui peu-
vent aisément faire le mal, ils en ont souvent la commodité :
le monde, le diable et la chair leur en présentent des occa-
sions journalières et présentes; ils peuvent commettre le
péché sans qu'ils en soient punis ou repris de personne; si,
au lieu de le commettre , ils mènent une vie sainte et par-
faite, c'est se faire violence, c'est ramer contre vent et ma"
rée. c'est marcher sur du verglas sans glisser, et passer sur
il DES PÈRES DE FAMILLE. /i83
un penchant sans se précipiter; cela étani si difficile ,
il est aussi plus digne de louange el mérite plus de
h impense,
Outre que votre vertu esl plus exemplaire, Messieurs ,
j'oserai vous dire une chose que plusieurs, -ans doute, dés-
avoueront d'abord, mais que je leur ferai voif être très
ible : c'est, Messieurs, quevoys irez en l'autre monde
comme en celui-ci, vous irez avec grand Irain, soit au eiel,
son en enfer; vous y entrerez bien accompagnés : vos sujets
suivent L'exemple i de votre vie, soit en bien, soit en mal, ils
sm'Vi" factions, ils épousent vos passions, ils portent
vos Uvrées dans leurs âmes et dans leurs actions, aussi bien
que dans leurs vêtements; vous êtes comme les premiers
mobiles qui emportez avec vous tous les globes inférieurs,
les premiers ressorts qui ébranlez et faites mouvoir parvo-
Ireexemple tout Le reste de la république, les miroirs sur
lesquels le commun du peuple jette les yeux et forme ses
actions, et même vous êtes des miroirs ardents qui lancez
dans Les cœurs de vos sujets, ou les douces flammes de l'a-
mour de Dieu, ou les ardeurs de vos concupiscences ; vous
■ spirituels plantés de la main de Dieu au fir-
mament de l'Eglise pour y briller et servir de bon exemple ;
mais quand vous ne laites rien pour le prochain et pour vous
acquitter de v«.s obligations que par un intérêt temporel ,
qu apre> avoir étéaccablés de présents; quand vous ne jugez
i s procès , quand vous ne partagez pas d'une manière
ms les logements qui se font dans vos
I que vous ne faites les impositions des tailles et
'■lies que par compère et par commère , par
(*Tnl eance ou par acception de personnes, par
| >ur une misérable femme qui condescend à
iez des comètes, des étoiles
• vous jetez la désolation dans toute la
:in;il(:- ; présages de plusieurs grandes
J",",l : rde, il ne fait
•; mais quand une grande rivière sort
,c!leeiil me avec elle
484 SERMON CCCJI. — DES GRAiNDS
les arbres, îcs maisons, les ponts, les écluses, les moulins.
elle laisse la stérilité dans les champs. Quant un petit
compagnon sort de son devoir, il ne scandalise guère de per-
sonnes, sa faute est particulière , il est remis au bon che-
min par les lois des supérieurs et par la crainte du sup-
plice, comme par les barrières d^une chaussée ; mais quand
un seigneur qui ne craint personne franchit les bornes des
lois divines, personne ne l'y fait rentrer, et plusieurs cou-
rent après lui. Quand une simple pierre tomhe du bâtiment,
clic ne le ruine pas; maïs quand celle qui est la clef de l'é-
difice tombe à terre, toute la maison se dissipe.
J'ai remarque en l'Ecriture sainte que toutes les fois que
le chef de famille s'est converti à la foi et a pratiqué la vertu,
toute sa maison Ta suivi ; au contraire, quand un roi a été
vicieux tous ses sujets ont pris la teinture du vice de leur
prince. Hérode se troubla à la naissance du Sauveur et toute
la ville de Jérusalem avec lui : Turbatus est , et omnis
Ilierosoïima cum Mo. Un autre Hérode se moqua du
Fils de Dieu dans sa passion, et toute son armée avec lui.
Au contraire Abraham, comme l'a remarqués. Ambroise,
était charitable et prompt à faire l'aumône; à son imitation,
sa femme et ses serviteurs courent en faisant les œuvres de
miséricorde. Le roi de Ninive (Jonœ, 3. 6.) endosse le ci-
lice et fait pénitence ; à son exemple toute la ville fait de
môme jusqu'aux plus petits enfants. Le roitelet de PEvan-
gile crut en Jésus-Christ, et toute sa maison avec lui. Le
cenlenier qui assista à la mort du Fils de Dieu, donna des
témoignages de sa contrition , ceux qui étaient avec lui fi-
rent de même. Un autre centenicr, nommé Cornélius ,
(Act. 10. 2.) était dévot et craignant Dieu, et toute sa
famille aussi à son imitation.
Au même livre des Actes, (Act. 16. 15.) une femme
nommée Lidia reçoit la foi et le baptême, ayant ouï la pré-
dication de S. Paul, et tous ses domestiques avec elle , et
peu après le geôlier qui gardait P Apôtre; Silas en fait de
même avec tous ses gens , comme aussi Crispus, prince de
la synagogue. (Act. 18. 8. ) Quand le seigneur ou la dame
ET D£S PKKliS DE FAMILLE. 485
se, ou ceux qui y sont le plus remarquables ,
' vertueux , quand on les voit les premiers assister à [a
graud'mcssc et à vêpres, aller après le Saint-Sacrement, à
la procession , à la visite des malades, à la prédication et aux
autres exercices de piété, el quand on peut dire en ces oc-
casions : Prœvenerunt principes , ils font plus de profit
cinquante prédicateurs, que les curés, que les religieux :
irritant animas detnissa per au rem t qnam
sunt oculis subjecta fidelibus. Si je prêche dans
une paroisse qu'il faut honorer les ecclésiastiques, le peu-
eutpenser que j'en parle pour mes intérêts, parce que
lis prêtre ; mais quand il voit que le seigneur du lieu
honore son curé, qu'il ne traite pas avec son aumônier
comme si c'était son valet de chambre, le peuple connaît
que cest le caractère et la dignité sacerdotale qui mérite
cet honneur. Si un de vos sujets va dans la maison de son
chu un jour de quatre-temps ou de carême, et qu'il voie
qu on y jeûne, il peut penser que c'est par épargne; mais
s il va le soir dans la maison d'un gentilhomme et qu'il voie
quon n'y apprête point de souper, ni décollation qui vaille
un souper, .1 connaît en cela que c'est par commandement
de I Eglise et que ce commandement mérite d'être observé
puisque ceux-là le gardent qui le pourraient rompre impu-
nément ; s il voit que les religieux adorent le Saint-Sacre-
ment et se comportent révéremment dans les cghVs, cela ne
le touche pas beaucoup, parce qu'il sait que c'est le devoir
et comme le métier des religieux d'être modestes et de
s humilier en tout lieu ; mais quand il voit qu'un grand sei-
gneur devant lequel chacun se tient tète nue, se lient lui-
même dans lc^ églises et en présence du Saint-Sacrement
la tête découverte etavec respect, il entend bien parla sans
autre prédication qu'il y a dans le Saint-Sacrement quelque
chose d extraordinaire et divin.
De notre temps à Toulouse , un conseiller du parlement
tarant pris la coutume de faire iYx men de conscience tous
es domestiques, sa fermière s'y étant trouvée
tut tellement rai cl étonnée de voir que monsieur le con-
480 SERMON CCCÏÎ. DES GRANDS
seïîler priait Dieu avec ses serviteurs, qu'elle protesta qu'elle
ne s'iraitjamais coucher avec ses enfants sans dire leur cha-
pelet à genoux et auprès de leur lit,
E. — (2° Oh temporalem , etc.) Mais si vous êtes si
désireux des biens de ce monde , que vous ne voulez rien
faire que par des intérêts temporels, je veux encore vous
montrer qu'il importe beaucoup pour cela que vous soyez
vertueux , d'autant que par ce moyen vos sujets vous ser-
viront plus cordialement, plus fidèlement, plus diligemment,
Nous le voyons en notre centenier, parce qu'il était bon à
ses serviteurs, ses serviteurs lui étaient bons; parce qu'il
leur commandait doucement , Hs lui obéissaient prompte-
ment ; dico huic : Vade, et vadit ; parce qu'il avait soin
de leur santé , ils le servaient diligemment.
En l'histoire romaine , il y a un beau trait, qui revient
très bien à ce sujet. L'empereur Constance Chlore, père du
grand Constantin , était secrètement chrétien, comme di-
sent quelques historiens ; quoi qu'il en soit, il était homme
de très bon sens. Il fit un jour appeler tous ses serviteurs
catholiques qui étaient en sa maison ; il leur dit qu'il ne vou-
lait point de gens qui mangeassent son pain, qui ne fussent
de sa religion , et parlant qu'ils avisassent à renoncer au
christianisme , ou à quitter son service. Ceux qui demeu-
rèrent fermes en la foi, et qui se disposèrent à sortir de la
cour, il les retint et les chérit ; ceux au contraire qui furent
lâches et inconstants dans la foi , il les chassa de son palais
et leur dit : Allez , vous êtes des misérables , vous ne valez
rien , je ne veux plus me servir de vous ; puisque vous avez
été infidèles à votre Dieu , vous le serez sans doute à votre
prince. Sa conséquence était très bonne. Croyez-moi, qusmd
vos serviteurs n'ont pas la crainte de Dieu , quand ils tra-
hissent leur conscience, ils vous trahiront encore plus aïv
sèment. Si vous êtes vertueux, ils le seront aussi à votre
exemple, et s'il sont vertueux ils craindront d'offenser Dieu,
et de blesser leur conscience en vous dérobant ou vous
calomniant, ils vous serviront avec fidélité et avec respect :
Non ad oculum serment es, seA sicut Christo , ainsi
DB6 PERES T)K TA Mil : 487
S. Paul le leur commande par trois fois en un môme
El quand bien ils n'imiteraient pas vos bons
exemples, ils vous respecteront néanmoins, sachant que vous
êtes vertueux. La vertu se fait toujours honorer , même
parles méchants: car, comme ditS. Chrysostôme, de même
que nous honorons et redoutons ceux que nous savons rire
bien avant dans les bonnes grâces dès rois, ainsi nous res-
pectons naturellement ceux que nous savons être les favoris
de Dieu. Saiil qui était roi, redoutait David qui n'était qu'un
petit berger; voyant qu'il était selon le cœur de Dieu :
Quia Dominus erat cum il!oy dit l'Ecriture. Mais si vos
serviteurs voient que vous soyez vicieux, si vous vous servez
(Peux pour envoyer les poulets, pour faire les messages
d'amour, pour être les ministres de vos dissolutions, ils
se moqueront de nous, et vous mépriseront comme celui qui
isl plus esclave qu'eux : car ils ne servent qu'à un homme,
et vous, vous servez à mille passions brutales.
BBCUlfDUM punctum. — Ut suit sancti , etc.
E. — {DehaJ rivere, etc.) Vous me demanderez en
quoi consistent la vertu et la perfection d'un grand ? S. Paul
l'explique en (rois paroles , et le centenier le pratiquait en
notre Evangile : Sohrie, et juste, et pie vivamus in hoc
lœculoj (ïit. 2. 12.) il dit : in hoc sœculo, pour mon-
trer qu'il ne parle pas seulement aux religieux, mais aux
séculiers : voilà un sommaire et un abrégé de toute la spi-
ritualité d'un grand dans le monde, et comme il se doit
comporter envers Dieu , envers soi-même et envers ses in-
fiérieurs ; envers Dieu, pic , dévotement.
Hais, en quoi consiste la dévotion d'un grand ? il y a une
grande diversité de sentiments parmi le commun des
chrétiens, touchant l'essence de la dévotion, qu'il y en avait
parmi le commun des Juifs, touchant la personne de Jésus-
Ehrist. Quem dicunt homines esse filium hominis?
(Matili. 16. 13.] Notre Seigneur demandait en S. Mat-
thieu, ce que les hommes disaient de lui; on lui dit qu'il y en
I li le croyaient Elie , que d'autres le prenaient pour
488 SERMOJN CCCU.« — DliS GRANDS
Jérémîe; et que plusieurs disaient qu'il était S. Jean-Bap-
tiste ; il n1y eut que S. Pierre qui répondit bien à cette
demande : Tu es Christus Filius Dei invi.
Si vous demandez à divers pères spirituels, quel est l'es-
prit de Jésus, le vrai esprit de piété et de dévotion, peut-
être qu'ils vous répondront diversement; chacun selon son
inclinalien et son humeur particulière ; les uns diront qu'il
consiste à être comme S. Jean-Baptiste dans les désert, en
solitude, séparé de la conversation des hommes , où il y a
tant de pièges et de pierres d'achoppement; les autres, à être
comme Jérémie, en pleurant continuellement ses péchés,
et ceux de son prochain , toujours dans les lamentations ,
et les actes de pénitence ; d'autres, à être comme Elie, ar-
dents à reprendre les vices et à punir les vicieux. Mais si
vous me demandez mon avis , je vous répondrai comme
S. Pierre , je suis de son ordre : L'esprit de Jésus et de la
vraie dévotion consiste à être enfant de Dieu , à avoir un
cœur de fils envers lui, comme envers son père ; de sorte
que Ton puisse dire de vous : Tu es Filius Deivivl. S. Paul
est toujours compagnon de S. Pierre ; il dit la même chose
en paroles expresses : Misit in corda nostra spiritum
filiorum. Je veux dire que la piété d'un grand consiste prin-
cipalement en deux points, lesquels le centenicr pratiquait
merveilleusement.
Premièrement, à avoir une foi très vive, et ?m grand sen-
timent , et bonne opinion de la grandeur, de la puissance,
de la sagesse et des autres perfections de Dieu ; tout de
même qu'un enfant prise et estime beaucoup tout ce qui est
en son père. Le centenicr disait : Vous pouvez mieux com-
mander à la maladie, que je ne commande à mes serviteurs.
Vous devez, en second lieu, avoir un grand respect, et
une confiance très ferme aux paroles de Jésus-Christ, commo
notre cenlcnier, qui disait à notre Seigneur : Vos paroles
sont toutes puissantes, dites en seulement une, et mon ser-
viteur sera guéri. A cet effet, vous devez les ruminer sou-
vent, employer quelque temps à les méditer, laisser pour
un temps vos occupations séculières, pour lire le nouveau
ET DBS PÈRES DE FAMILLE. /,Q<J
Testament, les œuvres de Grenade, les confessions de
"«^^^'feserWeeù Dieu, comme un bon en-
, !" , " rendre a son P*w P<>«r témoigner l'amour qu'il
'" P»rt«. »vo.r soin ,,,,'N „\ ail rien en votre maisouqû
£™«^' de l'offenser, point de sein découvert, poïïtde
l"iU,; •'" « «'amourettes, point de valet jureur , ni de
servante médjsantej regarder qu'est-ce qu'il, a en vous!
»;o«refem,lle, en votre paroisse, en 1 Wice de Se
Marge, qui vous puisse fournir un sujet de faire quelque
:;;; '. » :echf^er les occasions , rf/ty/, ^, J J '!
WreéU ir .? * r?eIaJ TW" "V"™' «rffr,
fa.u établir la confrérie do Saint-Sacrement dans les lieux
ou vous avez du pouvoir ; contribuer à la fabrique e a x
2^*" ««-«*. "on pas par vanité, non pas
pour vous faire connaître à la postérité, non pas en mettant
os rmes a la moindre chasuble qne'vons donnez ,
par amour envers l'Eglise Epouse de Jésus-Chris. , à£%
«nie» nottram. S. Charles ne voulut pas permet, -e q A „
mil s armes en aucun lieu, à tant de bâtiments, d'éjises!
de collèges et d hop taux qu'il édifia et qu'il dota. En S
compense de cela , Dieu a rendu son nom si célèbre, qu'il
» y a pas de provmce, ni de ville , ni de petit coin de la
U« ou 1 on ne conserve son image , avec un singulier
G. — (Sobrie in se ipso.) Sohrie , user sobrement
n seulemcn. des viandes carrelles, 'qui ne sont queles
W«s cl la félidé desâmes basses, viles et serviles, ma
--■edclaglouv,d,lafav,,,rctdelafor.u„e,c1,i o
K»^l^l.««,I.béatitndeetcommelesouverSbln
fa âme» généreuses dans le monde. S'il n'y avail nom
'autre < sobriété que l'abstinence des viandes matérielles
h Paul ne dirait pas :«&p«*«faoW«fe».S.Clirysos-
??„•,, !< "y™ a quelques-uns qui ont le cerveau
Ifad te, , qn i aussitôt qu'ils ont deux ou (rois verres de vi„
■os la tête ■!• sont lyres, ainsi il yen a qui ont l'esprit si
490 SERMON CCC1I. — DES GRANDS
petit , qu'ils s'enivrent , se méconnaissent et sortent d'eux-
mêmes pat* un peu de faveur et (relèvement de fortune
Asperius nihil est liumili cum surgit in allum. Il faut
donc dire des grandeurs du monde ce que le Saint-Esprit
dit , parlant du vin : Ne aspicias vinum cumflavcscit:
(Prov. 23. 31.) Ne regardez pas le vin quand il paraît
beau dans le verre , quand il est agréable à la vue, quand il
chatouille l'appétit sensuel; n'admirez pas les états et les
honneurs du monde qui sont en vous, pour grands et glo-
rieux qu'ils paraissent, ils sont dans un verre fragile , d'au-
tant plus qu'on le voit éclater , d'autant plus aisément il se
casse. Quelques louanges qu'on vous donne , quelque bon-
heur qui vous arrive, dites toujours comme le centenier
Non sum dignus : Je n'en suis pas digne , je ne le mérite
pas. Si vous êtes ainsi humble en vous-même , vous serez
juste envers vos sujets.
H. — (Juste in subditos.) Le centenîer pratiquait en-
core cette vertu , il prenait la peine d'aller lui-même au
médecin pour son serviteur. Et de notre temps , le grand
cardinal S. Charles allait lui-même éveiller ses serviteurs
le matin , leur portait de la chandelle , et parce que quel-
quefoispour éveiller quelqu'un il fallait passer par la chambre
d'un autre qui ne devait pas se lever si matin que les autres,
il ôtait ses pantoufles de peur de faire du bruit et de trou-
bler son repos. Je ne dis pas cela pour vous portera faire
la même chose , car je sais qu'en la vie des Saints il y a des
traits plus admirables qu'imitables; mais pour vous obliger
à faire de même spirituellement, à leur donner de la lumière
par le bon exemple, par l'instruction et l'édification; et pour
vous montrer que ce n'est pas une chose indigne d'un cœur
noble et généreux d'être courtois, affable et condescendant
aux infirmités des petits , et que l'humilité n'est pas incom-
patible avec la véritable noblesse.
S. Grégoire ( homii. 28. in Evang. ) fait une belle
remarque sur le texte de notre Evangile : Je trouve, dit-il,
que Jésus se comporte bien diversement envers deux mala-
des delà même ville. Le roitelet vint m-çjevajit de lui avant
LT DBS PERES DE FAMILLE, 491
fut entré dans la ville de ( lapharnattm, il le supplie très
humblement de prendre la peine de visiter son Gis qui c:(ait
malade à la mort ; Jésus lui répond un peu rudement, ne
daigne pas aller dans sa maison , et se contente de le gué-
rir absent. Lecentenier vienl à Jésus dr> qu'il esl entré
dans la ville : Cum introisset Capharanïtm, accessit ad
i ; il le prie de ne pas prendre la peine de venir à son
: Jésus dit : J'y veux aller, et je le guérirai. C'est ,
dit S. Grégoire, pour nous (aire une belle et salutaire le-
çon, c'esl pour nou> apprendre à Honorer en noire prochain
limage de Dieu et le caractère de laDivinité plus que les
états etles richesses du monde. Si le fils d'un gentilhomme
DU d'un homme de qualité est malade , bien éloigné de
notre logis, on ne manque point de le visiter, on lui envoie
des présents , on lui fait mille offres de services; si notre
serviteur est malade à notre porte, dans notre maison,
devant nos yV\w , on le met dans une chambre obscure ,
on le recommande à je ne sais quelle servante , on ne le
daigne pas visiter une fois , encore il est bien heureux de
ce qu'étant inutile on ne l'envoie pas à l'hôpital. Jésus fait
tout le contraire pour nous enseigner par son exemple ; il
répond au roitelet avec quelque sévérité, et ne daigne pas
aller à son logis , parce que c'est son fils qui est malade ; il
veut aller à la maison du centenier, bien qu'il n'en soit pas
prié, parce que ce n'est qu'un pauvre serviteur qu'il désire
visiter.
CONCLUS 10.
'« — {argumenta.) Pour vous portera la pratique de
tout ce que je viens de dire , avez les considérations du cen-
tenier : Homo sum sub potestate conslilutus. Homo
sum; vous êtes homme comme les autres , votre serviteur
est de même nature que vous, fait à l'image du même Dieu,
acheté par le même sang précieux , régénéré par le même
■ptème, enfant delà même participant aux mêmes
icrements, marqué du même caractère , nourri du même
Krps de Dieu, destiné à la même gloire, et peut-être à
492 SERMON CCCII. — DES GRANDS
une plus grande ; et il est très probable qu'il ira au cie'i
avant vous , parce qu1il fait pénitence en ce monde par sa
vie humble et laborieuse ; il peut dire à son Dieu : Vide
humilitatem meum, etlahorem meum , et dimitte uni"
versa delicta mea. Quand vous serez dans le purgatoire ,
vous aurez besoin de son assistance , vous vous repentirez
de l'avoir désoblige : Facile vobis arnicas, ut cum defî-
ceritis recipiant vos in œterna tahernacula. Homo
sum ; pour grand qne vous soyez , vous êtes toujours
homme, sujet à quelque disgrâce, à quelque revers de for-
tune , il y a encore assez de temps pour vous voir quelque
jour la plus misérable et la plus chétive créature qui soit
au monde.
Qui eût dit à Crésus, à Andronic, à Bélisaire et à tant
d'autres , ce qui leur arriva; et de notre temps qui eût dit
à tant de grands, et de France , et d'Angleterre, qu'ils
perdraient la tête sur un éehafaud par la main d'un bour-
reau; l'auraient-ils cru? néanmoins nous l'avons vu arriver.
Votre serviteur vous dit : Homo sum. Il est de même
nature que Jésus : In similitudinem hominum factus; il
est de même condition : Formam servi accipiens } vous
ne devez point le regarder sans vous souvenir de l'honneur,
de l'alliance qu'il a; à'quiil appartient, à qui il est semblable,
clans sa nature et dans sa profession, et sans dire en vous-
même comme liagiiël quand il vît le jeune Tobie : QuaiK
similis est Jiomo isie consohrino mco.
Sub potestate constitutifs; vous n'êtes pas souverain ,
non est pof estas nisi a Deo; votre pouvoir vient de Dieu,
il ne vous Fa pas donné pour vous seul , ne vous y trompez
pas , ce n'est pas pour vous qu'il vous l'a donné , c'est pour
son Fils Jésus; vous n'avez point d'empire dans la ville ou
clans la province , que pour y établir l'empire de Jésus ; le
roi n'a la couronne sur la tête, que pour faire régner Jésus;
vous n'êtes pas davantage que lui, votre autorité n'est qu'un
rayon de la sienne, si vous ne vous en servez que pour vos
intérêts particuliers, si vous n'en usez pour lagloire de Dieu,
pour le bien de l'Eglise , pour le salut des Ames , pour la
ET DE? PERES DK FAMILLE. ',93
les Domi ifii , es Diorli-tion • /> , • t!,mi0">
il lançai'. ï"^ rïlinS J *? ?ljs - "« '««"
avee cette devise : Vunlî ilï n ^ -vf <CS|,al,ncs •
aurez l'un ou l'au're <i ? „ ?*" ' Mess,«nrs, vous
comme vous êtes plus grands °e fe aut™ T*^1
sont aussi Diuserand. i»«„ % ° autres, vos péchés
et des gouverneurs vo^nT ' • ?'V<'Z Cu dcs ,nai"'«
votre devoir Za ,7"^:^* ce f'"'' csl dc
<ïc Dieu ia n^i sL c, ; hg:a r e-;,vo,,savez re«u
d" corps, les richesses 7elt ef "' la^ la beauté
d'antres. Si vous offensez ntP ? ' aUf0nté sllr beau«>up
ingratitude se ™ £ d"„? » ,ant de>nfaits, votre
di-edc vous eommedeB U' !£?# ,dc SC P,ai«-
Mais aussi si vous êtes verf.,*»*.' i
...» m ,v.Dr,,„ : J . ;; "V !"'™»i> * pin.»
23
694 SERMON CCCil. D1CS GRANDS, ClC.
Erunt novissimi primi , dit Jésus en noire Evangile :
Recumbent cum Abraham Isaac et Jacob : Vous serez
assis avec Abraham , ïsaac et Jacob ; que dis— je ? mais vous
serez reçus en la compagnie des archanges , des puissances
et des dominations célestes, au séjour de la gloire immor-
telle. Amen,
SER N CCCHL
POUR LE VENDREDI APRÈS LES CENDRES.
Dr? QUATRE DIMENSIONS DE L AMOUR ENVERS LE
PROCHAIN.
D -* proximum titum, (Mat th. 3. i~>.)
Comme Jésus-Chris! notre Seigneur a été conçu par l'opé-
ration du Saint-Esprit, qui est l'amour incréé et la charité
mnelle en la sainte Trinité, il a de grandes tendresses,
et des inclinations particulières pour les ames qui sont
enflammées et ardentes en la charité. Il disait dans L'Evan-
gile : Je suis venu apporter le feu en la terre , et je désire
surtout qu'il soîl bien allumé. La charité exerce deux actes;
l'amour de Dieu , et l'amour du prochain ; l'occasion se
présentera quelque jour, Dieu aidant, de vous parler de
l'amour de Dieu. Aujourd'hui j'ai à vous parler de l'amour
envers le prochain , des qualités, des propriétés et des
conditions qu'il doit avoir.
Si , comme dit l'apôtre S. Paul , ( Coloss. 3. 14. ) la
charité est le lien de la perfection, et le comble de toutes les
verfus : Charitalem hahete, quod cstvincitlum > perfec-
tium's. Vous Pavez eue 1res parfaitement et au souverain
degré, ô sainte \ ierge ! vous aviez sujet de dire : Ordina-
trii in me charitafem, ou selon une autre version, vexiU
lu m ejiis super me charitas. Comme les soldats d'une
compagnie suivent leurs drapeaux et leurs enseignes , ainsi
toutes les vertus suivent la sainte charité ; c'est elle qui a
en voire cœur virginal , Thumililé , la patience , la
débonnairete* , et les autres perfections admirables que
nd il vous salua par ces paroles:
Ave, Maria.
496 SERMON CCCÏJI. — DES DISPOSITIONS
IDEA SERMONÏS.
Exordium. A. Quis^quando, quomodo , commendet nohis
charitateni, et quatuor ejus dimensiones explicantur.
Primum punctum. Altitudo cliaritatis, quodsit ex Deo,
etpropter Deum. — B. \° Script ura. — C. 2° Patri-
bus. — D. 3° Ratione. — E. 4° Exemplis,
Secundum punctum. F. Profundum ? quod miser ils
proximi compaiiatur.
Tertium punctum. Latitudo, ut amet omnes proximos1
etlam inimicos, quod probalur — G. \° Scriptura.
— -H. 2° Patribus.- — I. S°Rationibus exdivo Paulo.
Quarlum punctum. Longilado quœ est perseverantia
usque ad morteni. — L. 1° Scriptura, — M. 2° Pa-
tribus. — N. 3° Comparatione. — O. 4° Ratione.
— P. 5° Exemplis.
EXORDIUM*'
À. — ( Quis, quando, quomodo^ etc. ) Le Fils de
Dieu notre Seigneur nous ayant commandé de nous rendre
parfaits, comme notre père céleste est parfait ; et considé-
rant que cette perfection de Dieu se montre principalement
dans la charité qu'il exerce envers tous les hommes : Qui
solem suum oriri facit super bonos et malos , nous a
encore enseigné cette vertu dans tout le cours de sa vie, et
particulièrement à la veille de sa mort ; c'est alors que les
avertissements qu'un ami donne à son ami , que les com-
mandements qu'un père fait à ses enfants , que les recom-
mandations qu'un époux fait à son épouse , sont reçus avec
plus de tendresse, et demeurent plus vivement et plus long-
temps imprimés au plus sensible du cœur : car c'est la
veille de sa mort , dans le Cénacle de Jérusalem , lorsqu'il
nous lègue par testament son corps et son sang précieux ,
qui est le ciment et le lien de cette union fraternelle, qu'il
la recommande à ses disciples. Mais en quels termes la rc-
commande-t-il ? en termes si affectueux , si pressants , si
obligeants, qu'il faut renoncer au christianisme, ou aimer
de l'amour envers le prochain, VJ7
la charité plus que tout ce qui est aimable au ciel et sur la
terre après Dieu.
Premièrement , eu S. Jean , chapitre treize, il dit : On
connaîtra en ceci jue vous êtes mes disciples, si vous ave/
la charité et la dilecliou les uns pour les autres; puis il veut
i. 1 ?. 21 . 23. ) que LOlre charité soit si extraordi-
naire, si héroïque, et si miraculeuse, qu'elle soit un témoi-
gnage et une preuve authentique de la foi, et que le monde
connaisse par là, que Jésus est envoyé de Dieu, vrai Fils de
Dieu, et vrai Dieu : « Omnës unum sint, sicuttu, Pater,
u in me , et egp in te ; ut credat mundus, quia tu me mi-
« sisli ; ut sint unum, sieut et nos unum sumus, et sint
« consommai'! in unum, et cognoscat mundus quia tu me
ci misisti. » Ne faut- il pas des œuvres bien prodigieuses ,
des miracles bien signalés et éclatants pour prouver le mys-
de l'incarnation , pour faire croire au monde qu'un
homme qui a été pendu à un gibet par autorité de justice ,
et à la poursuite des prêtres de son pays, était vrai Dieu ,
et qu'étant à la potence , il gouvernait le ciel et la terre ?
Il ne l'a pu persuader aux hommes, môme avant que ce dé-
sastre lui arrivât , lors même qu'il rendait la vue aux aveu-
gles, la santé aux malades, le mouvement aux paralytiques,
la vie aux morts; et il veut que nous nous aimions les uns
les autres d'un amour. si ardent, que les hommes envoyant
cela, soient obligés et contraints de direqu'il faut nécessaire-
ment que Jésus soit vrai Dieu, principe et auteur de la nature,
puisqu'il donne à ses disciples une vertu qui surpasse tant
la portée et les efforts de ta nature.
Les philosophes païens voyant la belle économie et la
luite de ce monde, l'harmonie et le bon accord des
(set des autres créatures, nonobstant la contrariété
et l'opposition de leur qualité, ont reconnu qu'il y a un Dieu
en ce monde, infinimenl puissant, sage, bon, qui établit
. et conserve cette harmonie. Ainsi Jésus
e qu'il y ail une .si bonne intelligence, une si étroite et
parfaite union entre les fidèles , nonobstant /'-antipathie de
r naturel, la diversité de leur conditior , et la contra-
498 SERMON CCCIIi. DES DIMENSIONS
riété de leurs inclinations, qu'en voyant cela on soif contraint
d'avouer que celui qui tient en bon accord des créatures si
opposées , est cloué d'une puissance admirable, d'une sa-
gesse incompréhensible et d'une bonté infinie.
De plus il ajoute : Mandatum novum do vobis, ut
diligatis invicem sicut dilexi vos; (Joan. 1 3. 34.) Hoc
est prœceptum meum ut diligatis invicem , sicut di-
lexi vos. ( Joan. 15. 42. ) Il n'y a mot qui ne porte , ii
faut les peser pour en connaître l'importance. Il dit : Prœ-
ceptum ^ il dit meum , il dit novum. Ce n'est pas un
conseil , ce n'est pas un avis salutaire, ni une œuvre de
subrogation qu'il propose; c'est un précepte, c'est un com-
mandement , une œuvre d'obligation qu'il enjoint , et il y
va du salut et de la damnation éternelle , si on y manque,
îl dit : meum. Les autres préceptes sont ses commande-
ments; mais il dit particulièrement de celui-ci, que c'est
son précepte , parce qu'il lui est plus précieux ; il le chérit
plus que tous les autres, il l'a en plus grande recommanda-
tion. Il dit : Novum* Le commandement ancien disait aux
Juifs : Vous aimerez votre prochain comme vous-mêmes ;
et le commandement nouveau dit aux chrétiens : Vous
aimerez votre prochain comme Jésus Ta aimé.
S. Bernard dit que la charité est à Fume ce que la quan-
tité est au corps; un corps est d'autant plus grand ou plus
petit , qu'il y a plus ou moins de quantité ; et une ame est
d'autant plus grande ou plus petite devant Dieu, qu'elle a
plus ou moins de charité ; et comme la quantité a ses quatre
dimensions, la charité aussi en a quatre.
S. Paul dit, (Ephes. 3. 48.) que pour concevoir la gran-
deur de l'amour que Jésus nous a porté, il faut en connaître
les quatre dimensions : la hauteur, la profondeur , la lar-
geur et la longueur : In cliaritate radicati, et fundati ,
ut possitis comprehendere cum omnibus sanctis ,quœ
sit longitudo, latitudo , sublimitas et profundum. Ce
sont les quatre qualités de l'amour que nous devons à notre
prochain , par conformité et ressemblance à l'amour que
Jésus nous a porté.
DE l'aMOUH l:\\ ERS LE PROCHAIN. 4(JU
pûimi u punctubj. — Ahiiudocliavitaiis, etc.
B. — (1*Arnp/wro.)La hauteur de cet amour consiste
en ce que Dieu en doit être le motif et la fin. Il n'y a rien
de plus haut que Dieu ; si notre amour vient de lui, et va à
lui, c est un amour liant cl releva L'amour de Jésus envers
nous est mi reflux de l'amour qu'il porte à son Père: quand
dalla mourir pour nous, il dit: Ut cognoscat mundusquia
dgoPatrem , surgite, camus; et son apôtre (1 . Cor.
i .) nous déclare que quelque belles et apparentes que
ni nos actions , si nous n'avons la charité, rien ne nous
ofite, et nous ne sommes rien; notez, charité: il n'y a
rien de si commun parmi les hommes nue l'amour, et il n'est
m de si rare dans le monde que la 'charité ; on y prend
fort souvent le change, et on s'y (rompe étrangement à sa
propre damnation. Toute charité est amour, mais tout amour
nesi pas chanté; il n'y a que l'amour de charité, l'amour
chrétien , Pamour surnaturel, qui nous mette en voie de sa-
lut. L'amour qui est parmi les gens du monde, n'est ordi-
nairement qu'un amour brutal, sensuel , humain, nature!,
plein d intérêt et de retour à soi-même.
C— (2* Patribus.yS. Augustin dit : (Hom. 38. ex 50.)
Vous aimez votre femme, parce qu'elle est l'objet de vos
délices charnelles ; ainsi un pigeon aime sa colombe , un
loup aime sa louve , un tigre aime sa tigresse; vous aimez
vos enfants, parce que ce sont vos créatures; ainsi une
aime ses oursons, une lionne ses lionceaux, une poule
s poussins , parce que ce sont leurs petits. Vous aimez
tre camarade, parce que vous demeurez ensemble, vous
jouez, tous mangez , vous vous promenez , vous cajolez en-
; ainsi deux chevaux s'entr'aiment et mandent en-
semble aux champs , parce qu'on leur a donné l'avoine , et
qu on les a abreuvés ensemble; ,kuX vaches s'entr'aiment
parce quelles ont demeuré dans la même étable; si l'une
< •' absente, l'autre en témoigne du ressentiment par son
; aimez rofre maître parce qu'il vous nom-
loln ,hi' sse, parce (]ut fous lui
500 SERMON CCCilI. DES DIMENSIONS
donnez des pièces de pain , vous aimez votre frère , votre
oncle, votre cousin parce que ce sont vos parents : les Turcs
et les autres infidèles n'en font pas moins. Il faut aimer vos
prochains d'un amour de charité, non par des motifs natu-
rels et humains , mais par des principes surnaturels et di-
vins ; il faut les aimer , parce que ce sont les images de
Dieu , les membres de Jésus , parce que Dieu les a tant ai-
més , qu'il leur a donné son Fils , parce que Jésus les a tant
estimés, qu'il a donné sa vie pour eux.
Il faut les aimer pour les porter à Dieu ; il faut les ai-
mer , non pour les attacher à vous et à vos intérêts , mais
pour les porter à Dieu et à sa gloise ; leur donner son amour
et sa crainte , pour les rendre vertueux , pour en faire de
vrais chrétiens, et de bons serviteurs de Dieu ; il faut les
aimer, non pour vous rendre partisans de leurs passions dé-
réglées , complaisants à leur humeur vicieuse , complices et
coadjuteurs de leurs dissolutions ; mais pour les en repren-
dre et les corriger : Non est bona amicitia qnam facit
mala conscientia , dit S. Augustin; (Tract. 8. in Epist,
4 . Joan.) et ailleurs : Non sic debemus amare homines
fiieut gulosus amat perdices , amat enim ad hoc ut oc-
cidat et consumât, et amare se dicit. Voilà un bel amour
que vous portez à vos camarades! vous les aimez comme un
gourmand aime les viandes , il dit : J'aime bien ce chapon,
ce mouton ; il l'aime pour le tuer , pour en prendre son
plaisir, pour le détruire et le consommer; vous aimez votre
camarade pour le perdre par vos débauches , pour le mener
au jeu , au cabaret , pour le gorger de vin et de viande , lui
enseigner où il y a des filles débauchées, lui apprendre des
saletés dénaturées ; il vaudrait beaucoup mieux pour lui ,
qu'on prît un couteau , qu'on l'égorgeât, et qu'on le rôtît
à petit feu , que de l'engager comme vous faites , à être
quelque jour brûlé dans les flammes éternelles. Voilà un
bel amour que vous portez à votre maltresse ! vous l'aimez
pour la perdre par vos flatteries , en applaudissant à ses va-
nités , à ses mondanités et à ses sensualités; vous ne vous
souciez par? qu'elle se dauiue, pourvu que voius gagniez ses
DE L'AMOUR ENVERS LE PROCHAIN. 501
bonnes grâces , pour en tirer quelque profil temporel et
passager.
^ 1). — (3° Ratione.) Aimer, c'est vouloir du bien. Voua
n'aimez donc pas voire prochain , si vous ne lui souhaitez de
tout voire cour, si vous ne lui procurez tant qu'il vous sera
possible, les vrais biens, qui sont l'amour de Dieu, les
venus solides cl parfaites , el le salut éternel ; vous ne rai-
niez pas si vous ne tâchez de le délivrer ûvs vrais maux,
qui sont les péchés , les mauvaises habitudes , et les incli-
nai ions vieieuses.
Si voire enfant est atteint d'une fièvre chaude , ou autre
maladie, vous tâchez par tous les moyens de l'en délivrer.'
f t quoiqu'il ne le veuille pas , el quoiqu'il résiste , qu'il cric
qu'on le laisse en repos, quoiqu'il menace de tuer , vous
I attachez à la colonne du lit, vous le faites saigner, venfou-
riOer, et si nous faisiez autrement, on dirait que
vou> ne Taimez pas. Doue vous n'aimez pas votre enfant,
votre serviteur , votre ami , si vous ne le reprenez pas et si
vous ne le châtiez pas quand il jure , blasphème , et qu'il dit
des paroles dissolues, quand il médit du prochain, qu'il se
débauche, qu'il s'enivre, et qu'il offense Dieu de quelque
manière (pie ce voit. Amor sœvit , charitas sœ\ it , sinô
pile sœvit , more columbino , non corvino, dit S. Au-
gustin. (Lib. I. eap. 4.)
E, — V Exemplis.) Cette bonne femme dont il est fait
nl'on dans la vie du père César de Bus , aimait son voi-
sin dun via. amour. César de Bus était un gentilhomme
mondam ; une pauvre femme nommée AntoineUc eut l'ins-
P'rationde le convertir. A cet effet elle loua tout exprès un
P(;ll( (01,J «e chambre, vis-à-vis de la maison de ce cavalier
afin d \y avoir entrée, el d'y être quelquefois employée à
e,5 faire des messages et à rendre d'autres
• S elle bu présentait la Vie des Saints; (chacun la
dcvra'l ™>ir elle le pria. t de la lire, il la rebutait : Allez,
allez , tous des unv. bigote, f ai bien à faire de votre livre.
Mais , Monsieur, je vous prie au moins d'en lire une pa^e,
ivantage.Ils'en moquait Au moins sep l lignes à l'hon'
îiÙ2 SERMON CCCIII. DES DIMENSIONS
neiir des sept douleurs, au moins cinq lignes , à Phonnenr
des cinq plaies, au moins trois lign-es seulement à Phonneur
de la très sainte Trinité. Enfin, pour se délivrer de ses im-
portun i tés , il prit le livre, il en lut quelque chose , il fut
gagné par cette lecture , et devint un grand Saint. Il fau-
drait Pimitcr, vous approcher doucement de votre foisiu
ou voisine, qui se conduisent mal ; leur dire quelques mois
de ce qu'on a dit au sermon , de ce que vous avez lu dans
quelque bon livre , prendre sujet de leur parler de Dieu, de
la laideur du vice , de îa beauté de la vertu , et des quatre
fins de l'homme ; quelquefois quand votre fermier, ou un
autre paysan vient chez vous , quand un pauvre vous de-
mande l'aumône, leur demander : Y a-t-it longtemps que
vous n'avez été à confesse ? l'envoyer à quelque père, et s'il
n'ose pas y aller à cause de ses haillons , prier voire confes-
seur de Pentendre en confession.
S. Romuaîd aimait son père d'un vrai amour. Serge son
père de la maison de Ravenne , après s'être battu en duel
avec un de ses parents , se fit religieux dans un monastère
d'Italie, nomme Saint-Sévcrin, pour y faire pénitence; mais
comme la volonté de Phommeest changeante et fragile, sa
première ferveur s'étant refroidie , il se dégoûta de la reli-
gion et voulut quitter le monastère. Son fils Ilomuald , qui
était alors en France, ayant appris cela , alla tout exprès en
Italie pour le détourner de ce mauvais dessein. Comment ,
dit-il, retourner au monde ? à quoi pensez-vous, mon père?
ne voyez-vous pas que vous vous y perdrez , vous êtes d'une
humeur bouillante, querelleuse, impatiente, quelqu'un vous
appellera moine défroqué , vous ne pourrez Pendurer, vous
Pappeîlcrez en duel, vous mourrez en mauvais état, réso-
lument vous ne sortirez point d'ici. Ne. pouvant rien gagner
sur son esprit par ses remontrances , il se sert de la voie de
fait : Vous y demeurerez , bon gré , mai gré que vous en
ayez, c'est um espèce de cruauté de vous être pitoyable en
cette occasion; vous m'en saurez bon gré quelque jour. Il
lui fait mettre les fers aux pieds ,et à force de le faire jeûner
et de jeûner lui-même , et de prier Dieu pour lui , il le eon-
DE l'àBIOUR BNVER8 LE PROCHAIN. 5<l3
vcrlil tellement , qu'il fut très content de demeurer , et il y
mourut saintement Pan neuf cent quatre-vingt-douze. CVst
ainsi que Jcsus-Christ nous aime. Ego quos amo , arg*o
Ipoc. 3. 1 9.) vous vous ûgurez qu'il est bien
en colère contre vous, parce qu'il châtie , qu'il envoie des
maladies, des pertes de biens, un renversement de fortune;
i trompez , c'est qu'il vous aime d'un vrai amour ;
•'//s'il ne vous donnait que des
rre, oon amour serait bas et terrestre; il veut,
r à gagner les biens du ciel, éternels , souverains,
parce qu'il vous aime d'un amour haut et relevé.
Secundum PvNciuu.—Profundum, etc.
F.—(Quod miseriisproximi, etc.) S'il est si haut,
H nest pas moins profond, il rabaisse jusqu'au centre de
nos misères, jusqu'à le mettre auprès de nous , quand nous
sommes dans Tablme de quelque disgrâce , quelqu'ignonii-
otcuse i : humiliante qu'elle soit: Descendit eu w Më'jn'flh
vt :,:i. Deabyssisterrœ iterumrèduxistime. (Psal.70.
20.J [| ne dit pas retruxisti, mais redùxisH: Vou> m'avez
• eue de l'abîme où jetais ; il y était donc avec nous, cum
ipso sum tn tnhulatione. Notre amour doit être ainsi , il
doit nous faire condescendre et compatir aux misères de
notre prochain pour Ten relever efficacement et avec
lion.
Vous faites tout le contraire, l'affliction de votre "pro-
un vous donne sujet de vous élever, et de l'abaisser, et
I opprimer pour achever de le perdre ; vous dites : Co
bon homme est ravi de ce que je lui sends mon blé à cré-
dit; encore que ce soit plus cher qu'au marché, que [o
tij prête de fargent à usure, il s'en tient bien obligé
i ce plaisir il mourrait de faim , et les sergents lui em-
""ent tous ses mcubles.Cette excuse vous condamne,
pour eela qu il lui faudrait prêter sans usure , parce
]M jw , parce qu'il meurt de faim , parce qu'on le
CVst principalement des pauvre, que Dieu défend de
504 SERMON CCCIIÎ. — DKS DIMENSIONS
prendre des intérêts de l'argent qu'on leur prête. Cette
bonne veuve a par malheur quelque mauvais procès par Pin*
yistice d'un méchant homme ; au lieu de lui tendre la main ,
vous tâchez de la précipiter dans l'abîme de son déshon-
neur la sollicitant au mal par de vaines promesses de la
secourir. Celte fdle est tombée en faute , au Heu d'y com-
patir et de tâcher de la retirer, vous en prenez occasion de
la tenter plus hardiment à retomber au péché pour achever
de la perdre.
Nous pouvons remarquer dans l'Ecriture que le Saint-
Esprit joint toujours le commandement de l'amour envers
le prochain à celui de l'amour envers Dieu ; et notre Sau-
veur en l'Evangile (Mat th. 22. 37.- Marc. 12. 31 .-Luc.
i 0. 27.) étant interrogé quel était le grand commandement
de la loi , après avoir dit : Tu aimeras ton Dieu de tout
ton cœur, c'est le premier et le plus grand commandement,
il ajoute : Et. le second, semblable au premier, est celui-ci :
Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Semblable au
premier, c'est-à-dire aussi important , aussi nécessaire au
salut ; semblable au premier, c'est-à-dire que comme l'a-
mour que nous devons à Dieu doit être cordial , sincère ,
effectif : Ex loto corde tuo , ex omnibus virihus tuis ;
ainsi l'amour que nous devons à notre prochain doit être du
profond du cœur , et se montrer par les effets. Pour mieux
expliquer ceci , un jurisconsulte lui ayant demandé ce qu'il
devait faire pour avoir la vie éternelle , il lui proposa cetîo
parabole : Un pieux Samaritain rencontrant aux champs un
pauvre homme blessé à mort et couvert de plaies par les
voleurs , ne passa pas outre , mais mit pied à terre , s'appro-
cha de lui , pensa ses blessures, le mit sur sa monture , le
conduisit à l'hôtellerie , le recommanda à l'hôte et répondit
pour lui. Ayant raconté les pieux offices de ce Samaritain, il
dit au jurisconsulte : Faites de même ; c'est-à-dire , «i
vous voulez avoir la vie éternelle dont vous m'avez interroge,
soyez ainsi charitable. Donc assister le prochain de nos
moyens, de notre crédit , de notre travail , ce n'est pas une
oeuvre de conseil , ni de subrogation , mais de précepte et
DE LA.MOLH BNVSftS LE PROCHAIN'. 503
d'obligation. Voua ne voudriez pas signer une requête ,
faire un exploit , plaider un quart d'heure pour un villa-
geois , servir un malade , sinon à force d'argent ; cependant
tout cela est bien moins que ce que fit ce Samaritain à ce
pauvre blessé. Jésus dit : Faites comme lui pour avoir la
vie éternelle ; tout cela est bien moins que de donner votre
Me pour votre prochain ; et S. Jean dit : Et nos debemus
pro fratnbus animas ponere ; (1 . Joan. 3. 1G.) notez,
debemus, c est une obligation. Tout ce que vous faites
pour le prochain moins que d'endurer la mort, tout ce que
vous lui donnez moins que votre vie, c'est moins que vous
ne devez. A ous plaidez pour les pauvres veuves c'est
moins que vous ne devez ; vous visitez les prisonniers, vous
servez les malades , c'est moins que vous ne devez , puisque
dans un besoin vous devez môme votre vie. Vous devez ai-
mer le prochain , comme Jésus nous a aimés ; il a donné sa
vie pour nous : Pro omnibus mortuus est; disant pro om-
nibus y il marque la grandeur de son amour.
TERTIUM PUNCTUM. — Latitudo , etc.
G. — (Ut omet, etc.) La troisième propriété que noire
amour doit avoir, c'est qu'il doit embrasser (ous les hom-
mes sans en exclure un seul. L'amour de la plupart des
chrétiens est un amour particulier, amour fantasque et de
caprice. L un est le meilleur homme du monde avec les
étrangers chez les voisins , en compagnie et dans le caba-
ret ; mais dans sa maison , il semble un arabe, il n'a point
de tendresse pour sa femme , pour ses enfants, pour ses
domestiques; 'autre est idolâtre de ses gens , mais il n'a
point de chanté pour les étrangers; il°se fait ennemi de
cinquante vo.s.ns ponr venger la querelle d'un petit enfant:
1 un veut que toute son hérédité et toute la bénédiction soit
pour son aine 1 autre qu'elle soit toute pour le cadet. Ce
père de famille n'a d'inclination que pour un de ses servi-
teurs qu, le flatte, qui lui fait des rapports à perte de vue ,
et il ne témoigne point d'amour , point de confiance , ni de
bonne volonté aux autres. Cet autre n'aime qu'une certaine
TOM x. 29
506 SERMON CCCI1I. — DES DIMENSIONS
religion ou confrérie , il méprise et condamne toutes les
autres , et de là viennent les divisions , les schismes , les ja-
lousies , les jugements téméraires , les médisances, tes par-
tialités qui sont dans les familles , républiques et autres
communautés.
H. — (1° Soriptura.) Quand S. Paul recommande tant
la charité, qu'il dit que sans elle rien ne nous profite, (1 .
Cor. 13. 1 .) c'est à propos des schismes et des divisions qui
étaient à Corinthe. Mais voulez-vous savoir quelles divi-
sions ? elles étaient si légères et si petites en apparence, que
nous penserions que ce n'est qu'un jeu d'enfant. C'est que
les uns disaient : Apollon est un des plus habiles hommes
du monde ; les autres disaient : S. Pierre n'a pas son sem-
blable.
Et aux Galates , il dit : Faisons du bien à tous , et prin-
cipalement aux domestiques de la foi ; (1 ) ce que les chré-
tiens observaient encore au second siècle.
I. — (2° Patribus.) Tertullien dit en son Apologétique:
« Maie enim facere, maie dicere, maie velle, maie cogitarc
« de quoquam ex œquo vetamur. Nullum bonum sub excep-
« tione personarum administramus : » (Tertull. Apolog.
cap. 36.) Il ne nous est pas permis de faire du mal, ni
d'en dire , ni d'en penser , ni d'en vouloir à qui que ce soit,
nous faisons du bien indifféremment à tous ceux que nous
pouvons, sans acception de personne. Il est vrai que nous
ne pouvons faire du bien actuellement à tout le monde, nous
ne pouvons pas donner l'aumône à tous les pauvres , secou-
rir tous les nécessiteux, parce que notre temps, nos moyens,
nos forces sont finies et limitées ; mais si anyustiantur
vasa caimis , dilalcntnr spatia charitaiis , dit S. Au-
gustin.
Nous devons aimer tout le monde en général , porter
compassion à tous les misérables, avoir des tendresses et des
inclinations pour tous nos frères; mais surtout obéir à ce
(O OpeTemur bonum aa omnes , maxwpe ad domeslicos fidei. (Calât.
6, 10.
DE L'AMOOft EMVEnS LU PROCHAIN. 507
commandement que le Fils do Dieu nous a fait, disant • AL
mettes ennemis , priez pour ceux qui vous ruinent de' ré-
putation injustement, faites du bien à ceux qui vous haïssent.
L. — (à Raitontbtu.) Quand S. Paul était en prison
home pour la foi, il y avait à Colosse un gentilhomme
chrétien , nommé Philémon ; un de ses esclaves nommé
Onésime, s'enfuit secrètement sans dire adieu , etnSe
yan, vole son maître. Heureusement pour lui, il se trouva
a Home, et fut converti par S. Paul ; l'apôtre l'ayant bap-
tisé , e renvoya à son maître , avec une lettre de faveur
qui est la plus comte, mais la plus éloquente de ses épit s-
!.. , I déploie les nebesses de sa rhétorique divine , il 0«m
de divers arguments pour ealmer l'esprit de ec cavale
m du. a excuser la faute de son esclave. Tout e q„ 'es
éçr I est écrit pour notre instruction. Jésus a bJucoun
P us de tendresse pour celui qui vous a offensé, nue S S
non avait pour Onésime. Il vous recommande1 avec p h
d affection de pardonnera votre ennemi , q„e l'apôtre ne è
commanda, à Philémon de pardonner à ion eïZe7>sc
S!S ET arg"mCn,S <1Ue S- Paul » car il les ïuiains-
S Paul dit : Ego Pauhu scripsi mea manu : C'est de
propre main que je vous écris eici; et Jésus dit: C'a tue
propre bouche que je vous parle; non plus par abouche
dem« prophètes, tant j'ai à cœur que vous vouSP ntr'atï
'lul'nfiducmmhahmsi and.
' ,';' "W'obsecro. Je pourrais vous commander fatal
**ao^«P<>»rcela;maisfusedes„pplicatiorpakit.e
■a rigueur rebute , et que la douceur gagne le cœuVPonr
nez-vous bien refuser quelque chose ffîs-cïsî' ou ùd
d vouspnç hmohlcou., comme s'il se metuità g '
devant tous: S, un grand vous prie de quelque chose vous
dite : Monsieur, vous me faites trop d'honn ur, vos r ères
me sont, des commandements P
WmSZS '2 ! 'a Prièfe.,' j,a,'0me ,a comPassion , c'est
Peu 1 amour de vous que j'ai été lié et garrotté, flagellé,
508 SERMON CCCIII. DES DIMENSIONS
crucifie. Pouvez-vous refuser quelque chose à tant et à de
si grands témoignages d'amour.
Obsecro te pro meo Filio qaem genui in vinculis ;
votre ennemi est Perdant de Dieu , Jésus l'a enfanté par ses
souffrances en la croix, il lui est cher et précieux : c'est son
Benjamin, son Bénoni , filius doloris.
Suscipe illum utviscera mea. Voudriez-vous déchirer
les entrailles de Jésus ? voudriez-vous lui ronger le cœur ?
Celui que vous haïssez , que vous voudriez déchirer à belles
dents , c'est le petit cœur de Jésus ; il l'aime comme ses
entrailles.
Si habes me socium suscipe illum sicutme: si autem
aliquid nocuit tibi, aut débet hocmihi imputa. Si vous
m'aimez , et si vous voulez être aimé de moi , faites-lui tout,
ni plus ni moins, que ce que vous voudriez me faire à moi-
même; s'il vous a offensé, sa faute, c'est mon crime , je suis
sa caution, j'ai répondu pour lui à mon Père et à tous ceux
à qui il doit quelque chose. Prenez qu'il ne mérite pas que
vous lui pardonniez ; il me semble que je le mérite bien :
pardonnez-moi cette faute , j'en suis responsable comme
si je l'avais faite.
Forsitan ad horam recessit a te , ut in œternum il-
lum reciperes. L'offense qu'il nous a faite est passagère et
pour un temps, l'amour qu'il vous porterasera à tous les siè-
cles des siècles ; ou il sera damné, ou il sera sauvé, s'il est
quelque jour damné, hélas ! il sera assez puni de l'injure qu'il
vous a faite ; il y a assez de loisir dans toute l'étendue des
siècles pour en être châtié ; s'il est sauvé avec vous, vous vous
entr'aimerez, chérirez et bénirez une éternité, tout entière ;
ne faut-il pas commencer dès à présent ce que vous ferez
dans le ciel , sans fin et sans interruption ?
Para milii hospitium. Je dois loger en votre maison,
je dois être reçu chez vous, au moins dans la communion de
Pâques, il ne faut pas que j'y rencontre quelque chose qui
me déplaise. Gardez- vous bien de vous approcher de la sainte
table , s'il reste en votre cœur quelque inimitié contre qui
que ce soit , quand il vous aurait arraché les yeux, quand il
509
vous aurait ruiné de bien, <flionncur , de santé, de tout.
Si je n'ai la charité, rien ne me profite , dit S. Paul. Il ne
dit pas si je n'ai l'amour, mais la charité, qui est une vertu
surnaturelle comme la foi. Qu'est-ce à dire surnaturelle ?
c'est-à-dire , qui va au-delà des inclinations de la nature !
Le propre de L'entendement est de ne recevoir ni approuver
que ce qui est évident , et la foi le porte à croire ce qui lui
est obscur, et ce qu'il ne voit pas , argumentum non ap-
parenthun. L'inclination de la volonté est de n'aimer que
nos amis , parents , bienfaiteurs, et la charité nous oblige
d'aller au-delà, et d'aimer nos ennemis et ceux qui nous
persécutent.
Si j'aime mon prochain comme je le dois, je l'aime parce
qu'il est l'image de Dieu , racheté par le précieux sang de
Jésus, enfant de l'Eglise. Or, tous les chrétiens ont toutes
ces qualités. Je dois donc aimer tous les chrétiens, ou je
n'en aime pas un seul comme je le dois : je dois les aimer
en tout temps , puisqu'ils sont les images de Dieu, racheté?
par le Sauveur, enfantés de l'Eglise en tout temps.
QUARTUM punctum. — Longitudo, etc.
M. — (Usque ad mortem.) C'est la quatrième et der-
nière dimension de la charité de Jésus envers nous, la lon-
gueur, la constance et persévérance de l'affection qu'il nous
a porté jusqu'à la fin : bifinem dilexît eos ; il nous a aimés
jusqu'au dernier soupir de sa vie et au-delà ; étant à la veille
de sa mort il nous a légué ce qu'il avait de plus cher et de
plus précieux , ce qui est de plus grand, de plus excellent et
adorable au ciel et en la terre , son corps , son àme, sa di-
vinité ; ainsi une âme choisie ne met point de bornes à sa
charité. On voit des dames dévotes qui étant au lit de la
mort s'informent encore de l'état des pauvres , elles ont
soin de les faire assister, elles demandent : Comment se
porte une telle veuve ? a-l-on porté le bouillon à un tel
malade ? elles lèguent par testament de quoi les assister
après leur mort; c'est mourir au lit d'honneur, c'est finir
comme le phénix dans le feu de la charité , allumé des bois
510 oERMON CCCIII. DES DIMENSIONS
aromatiques des bonnes œuvres. Au contraire , il y a des
gens si peu chrétiens, si mal instruits, ou si mai affectionnés
aux maximes de l'Evangile, qu'en faisant leur testament ils
semblent renoncer au christianisme : Ils disent. J'avais la
volonté de léguer cent écus à un de mes parents, mais parce
qu'il m'a désobligé , il ne les aura pas ; au lieu qu'il faudrait
dire : Il en aura deux cents. Vous êtes sur le point deyous
aller présenter au tribunal de Jésus-Christ , et vous prenez
des dispositions toutes contraires à celles qu'il demande de
vous , toutes contraires à celles qu'il a pour vous.
N. — (1° Scriptural) Il nous a aimés jusqu'à la fin , il
nous aime sans fin , et son héraut nous dit : Bonum facien-
tes, non deficiamus : (Galat 6. 9.) Ne nous lassons jamais
de faire du bien, ne permettons pas que la charité, qui est
un amour 'divin, s'éteigne ou se ralentisse par des accidents
humains.
O. — (2° Patribus.) S. Grégoire dit que cette vertu
était représentée par la robe que le patriarche Jacob donna
à son fils Joseph. L'Ecriture dit (Gènes. 37. 3. 23.) qu'il
la lui donna , parce qu'il l'aimait plus que ses autres enfants,
qu'elle était de diverses couleurs , et qu'elle lui venait jus-
qu'aux talons ; la charité est une robe qui couvre la multitude
des péchés , dit l'Apôtre. Elle est de diverses couleurs, elle
est un assemblage de toutes les vertus ; Charitas patiens
est , henigna est* Dieu la communique aux âmes pour
qui il a des inclinations particulières; elle doit aller jusqu'aux
liions, c'est-à-dire persévérer jusqu'à la fin de la vie. (1)
P. — - (3° Comparai ione.) Aquce multœ non potue-
runt extinguere charitatem ; la charité est comme le feu
grégeois , les eaux ne le peuvent éteindre. Les mauvais of-
fices que le prochain nous rend , les persécutions qu'il nous
fait , ne diminuent en rien l'amour que nous lui portons ; si
c'est un amour de charité , cette affection s'augmente dans
(1) Joseph qui inter fralrcs usque in finem persévérasse describilur ,
solus talarem tunicam habuisse perhibetur, quasi enim protensa tunica
talum corporis operit eu m bona actio ante Dei ocuJ.os usque ad vitaî castras
lerminum tegit. (Grog. 1. moral, capt. ultim.)
DE L'AMOUR i:;s\ ER8 LE PROCHAIN. 51 1
les injures qu'on nous fait , comme le feu se rend plus ar-
dent à la présence du froid.
Q. — (4° Rationc.) Toute plante que mon Père céleste
n'a pas plantée sera déracinée, dit notre Sauveur. Quand
vous n'aimez le prochain (pie parce qu'il est votre ami , ou
parent , ou bienfaiteur, et que vous cessez de l'aimer, parce
qu'il vous a désobligé , ou qu'il cesse de vous faire du bien,
cet amour est humain et naturel , non surnaturel et divin ;
et si ce n'est pas Dieu qui Ta planté en votre cœur, il en esl
aisément arraché ; mais si vous continuez de l'aimer , non-
obstant les disgrâces qui lui arrivent , ou les offenses qu'il
vous fait , c'est un amour de charité, il est constant et iné-
branlable, comme Dieu qui en est le motif, toujours le
même et immuable : Charltas nunquam excidit.
11. — (5° Excmplis.) Au temps du bienheureux Fran-
çois de Salles , on disait en Savoie , comme par proverbe :
Il faut offenser l'évèquc de Genève pour en recevoir du bien ;
et quand ses parents voulaient obtenir de lui quelque
faveur , ils se servaient de l'entremise de quelqu'un qui Pa-
vait désobligé. Aqiiœ multœ nonpotuerunt exti?ignerc
charitafem. Voilà, Messieurs, les quatre dimensions de
la vraie charité, les quatre propriétés de l'amour que vous
devez à votre prochain : Tenta cryo te , dit S. Augustin ;
et si sit in te dilectio fratiis, dilectio pacis, dilectio uni-
taiis, securus esto : Examinez-vous, ne vous flattez pas ;
si vous n'aimez pas vos frères pour l'amour de Dieu, parce
qu'ils sont les créatures de Dieu , les disciples et les mem-
bres de Jésus , si vous ne les aimez pas pour les gagner à
Dieu et pour en faire de vrais chrétiens ; si vous ne les aimez
pas d'une affection sincère et effective, pour les assister cor-
dialement selon votre pouvoir ; si vous ne les aimez pas tous
sans en exclure un seul de votre bienveillance ; si vous n<>,
les aimez pas jusqu'à la fin , môme quand ils vous persécu>
lent, vous n'avez pas la charité; si vous n'avez pas la cha-
rité, S. Paul vous dit que vous n'êtes rien, que rien ne vous
profite ; si vous n'avez pas la charité , votre prudence n'est
rien , votre justice, chasteté, tempérance, dévotion ne sont
512 SERMON CCC11I. DES DIMENSIONS, CtC.
rien ; si vous n'avez pas la charité , il ne vous sert de rien
devoir été créé, conservé, racheté, baptisé; les bienfaits de
Dieu, l'incarnation du Verbe , les sacrements de l'Eglise,
les mérites du Sauveur ne vous servent de rien; car S, Paul
dit : Nihil sum , nihil mihi prodest. Mais si vous avez
la vraie charité, si vous êtes soigneux de garder l'union que
vous devez avoir avec Dieu et avec tous vos frères , vous
êtes en beau chemin , vous êtes assuré de votre salut , vous
portez les livrées des vrais disciples du Sauveur , vous êtes
marqué au coin des prédestinés ; vous avez le caractère d'en-
fants de Dieu , vous serez héritiers de ce royaume dont le
roi est unité , dont la loi est charité, dont l'état est félicité,
ùonl la durée est éternité* Aoî.,
TABLE
DES SERMONS DU DIXIÈME VOLUME,
SUITE DES COMMANDEMENTS DE DIEU.
\X1IT. Sehmos. De la luxure. ..»,;.... pag. 1
IXIV. De l'intempérance 19
\\Y. De l'orgueil , qui est u:ie luxure spirituelle 33
tXVL De l'avarice 53
WV1I. De l'avarice et du larcin 68
(CLXXVIII. De la restilulion 83
CCLXX1X. Des procès. . 101
CCLXXX. De la médisance. ; 120
CCLXXXI. Des jugements téméraires , mensonges et tromperies. . . 133
CCLXXX1I. Contre la récidive; que c'est courir risque de fon salut de
tomber en un seul péché mortel 151
CCLXXX1II. Des causes et des remèdes du péché 166
CCLXXXIY. Que l'oraison est nécessaire pour ne pas retomber dans
le péclié 182
CCLXXXV. De la grâce de Dieu et de sa nécessité 196
CCLXXXVI. Tableau d'une vraie pénitence , sur l'évangile de minte
. jine. — Du péché le plus ordinaire au sexe de Madeleine , qui
est l'affection aux ajustements mondains. 213
A XVII. Des causes de la chute de Madeleine. ..'... 229
AXVIII. Des effets du péché de Madeleine 249
\X1X. Des circonstances du péché de Marie-Madeleine. . . . 262
. De ne pas différer la pénitence au temps à venir 277
I, De ne pas différer la pénitence à l'heure de la mort. . . . 202
II. Pourquoi Dieu conserve en vie et en prospéiilé les pécheurs. 203
CCXIII. De la pieuse impudence et de la honte louable de sainte Maric-
•leine 599
IV. D-: larmes de sainte Madeleine 343
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Echéance
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